Résultats : 1728 texte(s)
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201
p. 2202-2205
L'OMBRE DE PETRARQUE OU LA SORGUE CANTATE. Présentée à Madame la Princesse de Conti, à son arrivée dans le Comtat.
Début :
Dans ces agréables Vallons [...]
Mots clefs :
Nymphes, Pétrarque, Princesse de Conti, Sorgue
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texteReconnaissance textuelle : L'OMBRE DE PETRARQUE OU LA SORGUE CANTATE. Présentée à Madame la Princesse de Conti, à son arrivée dans le Comtat.
L'OMBRE DE PETRARQUE
OU LA SORGUE
2
CANTATE.
Préfentée à Madame la Princeffe de Conti
à fon arrivée dans le Comtat:
DAAns ces agréables Vallons
Où de Laure l'Amant fidele
Reveilloit les échos par les tendres chanfons
Que lui dictoit l'Amour pour toucher cette Bellé
Jous un antre à couvert des rigueurs des Saiſons,
Le chef- d'oeuvre de la Nature ,
Sur un lit de gazon , au doux chant des Oiseaux,
Enfin à l'aimable murmure
Qu'en retombant faifoient fes eaux ;
La Sorgue jouiffoit d'un paifible repos :
Quel bruit vient fraper fon oreille !
Quel fpectacle nouveau tout à coup la reveille !
Elle voit à grands cris , fortant de leurs rofeaux ,
Par le plus vif éclat fes Nymphes éblouies ,
Accourir fur ces bords d'étonnement ſaiſies ;
Elles l'appellent par ces mots :
Quelle
OCTOBRE . 1730. 2203
Quelle Divinité nouvelle
Paroît fur ce bord enchanté !
Tant d'éclat , tant de majesté
N'eft pas d'une fimple mortelle .
Jufqu'aux Cieux pouffons nos Concerts
Accourez , notre aimable Reine ;
Voyez fi c'eft la Souveraine
Des Cieux , de la Terre ou des Mers.
Quelle Divinité nouvelle &c .
Elle accourt , elle voit ... quelle furpriſe extrême
A ce divin afpect la faifit à fon tour !
Nymphes , cette Beauté fuprême ,
des Dieux reçût le
Vous ne vous trompez pas ,
jour ,
Dit- elle , elle eft du fang du grand Jupiter même,
Pour loüer fes vertus n'employons point nos
chants ;
Empruntons , s'il fe peut , de plus dignes accens
Toi , qui fur mes aimables rives
Echauffant Pétrarque autrefois ,
Aux tendres accens de fa voix
Rendois mes Nymphes attentives ,
Amour , ranime fes accords ;
Va le chercher aux fombres bords ,
Lui feul peut de cette Déeffe
Chanter dignement les attraits :
Cours ; que Pluton même s'empreffe
A remplir mes juftes fouhaits.
Ain
2204 MERCURE DE FRANCE
'Ainfi parle la Sorgue , & du Royaume fombre
De Petrarque bientôt elle voit fortir l'ombre.
Nymphe , dit- il , à qui j'ai tant de fois
Confié mes tendres allarmes ,
Qui tant de fois fus témoin de mes larmés ,
Pluton dans les Enfers vient d'entendre ta voix ,
Et pour feconder ton attente ,
Il veut bien m'arracher d'auprès de mon Amante.
Mais où fuis-je ! que vois- je ! eh quoy ? dans ces
climats
Auroit- elle fuivi ures pas ?
Que dis-je ? ce n'eft point Laure qui ſe préſente!
Laure brilloit de moins d'appas ;
Jamais rien de fi beau ne s'offrit à ma vûë ;
Jamais rien de fi beau n'a paru fur ces bords.
Nymphe , pour moi ton ame eft envain préve
nue ;
Pour
la louer
mes chants
ne font pas
affez forts ,
Et je fens expirer mes timides accords.
J'avois crû que les Dieux à Laure
Avoient prodigué leurs bienfaits ,
Et
que du Couchant à l'Aurore
Nulle autre n'uniroit jamais
Tant de vertus à tant d'attraits.
Pour rendre fa gloire immortelle
Ma Lyre épuifa fes accords ;
Mais pour cette Beauté nouvelle
Encore ..
OCTOBRE . 1730. 2205
Encore plus parfaite qu'elle
Je tenterois de vains efforts .
Laiffons aux Cignes de la Seine
Le foin de louer tant d'appas ;
C'eft des Chantres de ces climats
Qu'Apollon échauffe la veine.
Laiffons aux Cignes de la Seine
Le foin de louer tant d'appas.
Par M. de Morand , d'Arles en Provence
OU LA SORGUE
2
CANTATE.
Préfentée à Madame la Princeffe de Conti
à fon arrivée dans le Comtat:
DAAns ces agréables Vallons
Où de Laure l'Amant fidele
Reveilloit les échos par les tendres chanfons
Que lui dictoit l'Amour pour toucher cette Bellé
Jous un antre à couvert des rigueurs des Saiſons,
Le chef- d'oeuvre de la Nature ,
Sur un lit de gazon , au doux chant des Oiseaux,
Enfin à l'aimable murmure
Qu'en retombant faifoient fes eaux ;
La Sorgue jouiffoit d'un paifible repos :
Quel bruit vient fraper fon oreille !
Quel fpectacle nouveau tout à coup la reveille !
Elle voit à grands cris , fortant de leurs rofeaux ,
Par le plus vif éclat fes Nymphes éblouies ,
Accourir fur ces bords d'étonnement ſaiſies ;
Elles l'appellent par ces mots :
Quelle
OCTOBRE . 1730. 2203
Quelle Divinité nouvelle
Paroît fur ce bord enchanté !
Tant d'éclat , tant de majesté
N'eft pas d'une fimple mortelle .
Jufqu'aux Cieux pouffons nos Concerts
Accourez , notre aimable Reine ;
Voyez fi c'eft la Souveraine
Des Cieux , de la Terre ou des Mers.
Quelle Divinité nouvelle &c .
Elle accourt , elle voit ... quelle furpriſe extrême
A ce divin afpect la faifit à fon tour !
Nymphes , cette Beauté fuprême ,
des Dieux reçût le
Vous ne vous trompez pas ,
jour ,
Dit- elle , elle eft du fang du grand Jupiter même,
Pour loüer fes vertus n'employons point nos
chants ;
Empruntons , s'il fe peut , de plus dignes accens
Toi , qui fur mes aimables rives
Echauffant Pétrarque autrefois ,
Aux tendres accens de fa voix
Rendois mes Nymphes attentives ,
Amour , ranime fes accords ;
Va le chercher aux fombres bords ,
Lui feul peut de cette Déeffe
Chanter dignement les attraits :
Cours ; que Pluton même s'empreffe
A remplir mes juftes fouhaits.
Ain
2204 MERCURE DE FRANCE
'Ainfi parle la Sorgue , & du Royaume fombre
De Petrarque bientôt elle voit fortir l'ombre.
Nymphe , dit- il , à qui j'ai tant de fois
Confié mes tendres allarmes ,
Qui tant de fois fus témoin de mes larmés ,
Pluton dans les Enfers vient d'entendre ta voix ,
Et pour feconder ton attente ,
Il veut bien m'arracher d'auprès de mon Amante.
Mais où fuis-je ! que vois- je ! eh quoy ? dans ces
climats
Auroit- elle fuivi ures pas ?
Que dis-je ? ce n'eft point Laure qui ſe préſente!
Laure brilloit de moins d'appas ;
Jamais rien de fi beau ne s'offrit à ma vûë ;
Jamais rien de fi beau n'a paru fur ces bords.
Nymphe , pour moi ton ame eft envain préve
nue ;
Pour
la louer
mes chants
ne font pas
affez forts ,
Et je fens expirer mes timides accords.
J'avois crû que les Dieux à Laure
Avoient prodigué leurs bienfaits ,
Et
que du Couchant à l'Aurore
Nulle autre n'uniroit jamais
Tant de vertus à tant d'attraits.
Pour rendre fa gloire immortelle
Ma Lyre épuifa fes accords ;
Mais pour cette Beauté nouvelle
Encore ..
OCTOBRE . 1730. 2205
Encore plus parfaite qu'elle
Je tenterois de vains efforts .
Laiffons aux Cignes de la Seine
Le foin de louer tant d'appas ;
C'eft des Chantres de ces climats
Qu'Apollon échauffe la veine.
Laiffons aux Cignes de la Seine
Le foin de louer tant d'appas.
Par M. de Morand , d'Arles en Provence
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Résumé : L'OMBRE DE PETRARQUE OU LA SORGUE CANTATE. Présentée à Madame la Princesse de Conti, à son arrivée dans le Comtat.
Le texte 'L'ombre de Pétrarque ou La Sorgue' est une cantate présentée à la Princesse de Conti lors de son arrivée dans le Comtat. La Sorgue, une rivière paisible dans un vallon agréable, est comparée à l'endroit où Pétrarque chantait son amour pour Laure. Des nymphes, émerveillées par une nouvelle divinité, accourent et invitent Pétrarque à chanter les louanges de la Princesse. Pétrarque, appelé par Pluton, apparaît et est stupéfait par la beauté de la Princesse, qu'il trouve plus parfaite que Laure. Incapable de louer dignement cette nouvelle beauté, il laisse cette tâche aux chanteurs locaux, reconnaissant que sa lyre ne suffit pas à exprimer tant de perfections.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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202
p. 2205-2210
REFLEXIONS.
Début :
Dans les Athées, s'il est vrai qu'il y en ait, la corruption du coeur précede [...]
Mots clefs :
Savant, Athéisme, Athées, Esprit, Lumières, Intérêt
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS,
Ans les Athées , s'il eſt vrai qu'il y
en ait , la corruption du coeur précede
prefque toujours l'égarement de l'ef
prit , & un mépris orgueilleux des fentimens
populaires les détermine à une opinion
finguliere qui flate leur vanité plus
qu'elle ne perfuade leur raifon .
Dans quelque égarement que tombe
l'efprit humain , il eft impoffible d'éteindre
entierement la lumiere qui nous découvre
l'existence de Dieu , Créateur du
monde &c. & un Athée a , pour ainfi dire,
grand interêt de l'être pour calmer les
juftes
2206 MERCURE DE FRANCE
juftes frayeurs d'une confcience allarmée.
C'eſt un très grand abus de croire que
les maximes Evangeliques ne font guere
compatibles avec de grandes lumieres
& qu'il n'eft rien de fi voifin de l'irréligion
qu'un génie fublime & élevé.
On appelle Athées ceux qui par leurs
'difcours & leurs actions paroiffent fouhaiter
qu'il n'y ait point de Dieux , afin
de n'avoir point de fujet de craindre les
châtimens qu'ils méritent leurs impiétés
& leurs defordres. Dixit infipiens in
corde fuo , non eft Deus,
par
Ce n'eft pas l'incrédulité qui produit le
libertinage ; on affecte d'être incrédule
parcequ'on veut être libertin : on commence
par fuivre fon penchant , & puis
on cherche à le juftifier.
L'homme qui a de l'efprit , & qui con•
fulte les autres , n'eft prefque qu'un demi
homme ; mais celui qui n'en a point , &
qui ne prend confeil de perfonne n'eſt
pas homme.
Il eft difficile de bien choifir ceux à
qui on veut demander confeil : celui des
yieillards eft lent , timide & douteux : la
jeuneffe
OCTOBRE. 1730. 2207
jeuneffe en donne de legers , de violens,
de teméraires ; fi on confulte les Sçavans,
on eft fatigué de leurs longs difcours , &
choqué de leur opiniâtreté : fi on confulte
les ignorans , on eft maître de leurs
avis , mais on en tire peu de lumieres :
fi on s'adreffe aux pauvres , leurs confeils
feront intereffés ; fi on s'adreffe aux riches
, il y aura trop de hauteur & de du
reté dans le parti qu'ils propoferont ; nos
parens , nos domeftiques , pour mieux
nous flater , nous tromperont : les étran
gers ne le donneront pas la peine d'exa
miner la matiere & délibereront fans
attention , ne prenant nul interêt en la
choſe. Plufieurs confeillers embaraffent
peu de confeillers ne fuffifent pas.
2
Qui confulte une fois veut s'éclaircir ;
qui confulte deux fois cherche à douter.
Les Sçavans font pour l'ordinaire dédaigneux
pour les ignorans , & ils font
mal , car ils prouvent par là combien ils
leur reffemblent encore.
L'imitation fervile eft blâmable ; mais
un homme d'efprit fçait habilement fe
rendre propres , & faire paffer dans fes
Ouvrages les beautés de ceux qui l'ont
devancé. On honore ceux qu'on imitę
ayce
1
2208 MERCURE DE FRANCE
avec art ; & un Auteur , même celebre ,
qui feroit profeffion étroite de n'imiter
perfonne , rarement meriteroit-il d'être
imité .
Sur les faits hiſtoriques que nous apprenons
,ou que nous lifons dans les livres
nous devons toujours être en garde contre
l'incertitude qui flatte fans ceffe notre
vanité ; car nous aimons à entendre
nos connoiffances , & quand la verité fe
dérobe à nos recherches , nous nous contentons
de la trouver remplacée par la
fiction que notre crédulité réalife , l'erreur
nous paroiffant moins à craindre
que l'ignorance.
Les hommes d'un gout fûr & délicat
ne font jamais contens de leurs Ouvrages ;
ils ont une fi haute idée de la perfection,
qu'ils ne croyent jamais y être parvenus .
On ne doit pas faire dépendre fes idées
de fon goût ; il faut prendre des guides
plus furs , la raifon & l'experience.
La décadence des Sciences & des Arts
eft fort à craindre ; car on commence à
outrer tout. Le goût des beautés fimples
& naturelles fe perd ; il faudra déformais
du bizarre , de l'étranger & du mefquin
pour
OCTOBRE. 1730. 2209
pour nous toucher ; plus d'un obftacle
s'oppose à la guerilon du mauvais gout.
Le défaut des Medecins , les génies fuperieurs
, tels qu'il en faudroit pour ramener
les efprits, font rares; & quand il s'en
trouve , ils voyent le mal , ils le blâment.
& fe laiffent cependant entraîner par la
foule à laquelle ils veulent plaire : on aime
le nouveau & le fingulier , on ſe ſçait
bon gré de ne pas marcher fur les pas de
fes prédeceffeurs . La défenſe du mauvais
gout devient un interêt de nation ; d'ail.
leurs, quand on pourroit le guerir, quelle
méthode fuivre dans une entrepriſe fi
difficile , où le malade croit être dans une
parfaite fanté , & regarde le Medecin
comme celui qui a befoin de remede ? fi
quelqu'un s'apperçoit de l'erreur commune
, ofera-t'il l'attaquer ? ofera - t'il
s'écarter des routes par où l'on parvient
à la réputation la plus brillante ? ne crain
dra- t'il point de s'expoſer à la dériſion .
On voit tous les jours de petits génies
vuides de lumieres & d'efprit , & pleins
d'amour propre , fe montrer difficiles &
même critiquer hautement dáns les Sciences
& dans les Arts les nouveautés qui
paroiffent , pour ſe faire une réputation
de gens d'efprit & de gout , fe flattant
qu'en attaquant des Auteurs & des Ou-
E vrages
2210 MERCURE DE FRANCE
yrages celebres , on fera grand cas de leurs
remarques , & qu'on les mettra , finon
au deffus , au moins à coté des plus ha
biles.
& و
Quelques Sçavans pleins de bonne opinion
de leurs études , difent par tout , &
croyent même que tout est trouvé
cela parce qu'ils fe perfuadent avec complaifance
qu'ils n'ont plus rien à appren
dre. Ils méprifent hautement les nouvelles
découvertes , & ne daignent pas
les examiner , crainte de fe convaincre
d'une préfomption qui les flate.
Un efprit vain & de mauvaiſe trempe,
quoique cultivé d'ailleurs , parle de tout
avec confiance , & ne peut juger fainement
de rien ; les frais qu'il fait en lecture
& en effort de mémoire , pour paroître
habile , font prefque autant de nouvelles
couches de ridicule qu'il fe donne;
l'orgueil & l'impertinence percent au
travers ; enforte qu'on peut dire avec
Moliere :
Un fot fçavant eft fot plus qu'un fot ignorant.
Et avec un Poëte plus moderne , M.
Pope.
Tel eft devenu fat à force de lecture
Qui n'eut été que fot en fuivant la nature.
Ans les Athées , s'il eſt vrai qu'il y
en ait , la corruption du coeur précede
prefque toujours l'égarement de l'ef
prit , & un mépris orgueilleux des fentimens
populaires les détermine à une opinion
finguliere qui flate leur vanité plus
qu'elle ne perfuade leur raifon .
Dans quelque égarement que tombe
l'efprit humain , il eft impoffible d'éteindre
entierement la lumiere qui nous découvre
l'existence de Dieu , Créateur du
monde &c. & un Athée a , pour ainfi dire,
grand interêt de l'être pour calmer les
juftes
2206 MERCURE DE FRANCE
juftes frayeurs d'une confcience allarmée.
C'eſt un très grand abus de croire que
les maximes Evangeliques ne font guere
compatibles avec de grandes lumieres
& qu'il n'eft rien de fi voifin de l'irréligion
qu'un génie fublime & élevé.
On appelle Athées ceux qui par leurs
'difcours & leurs actions paroiffent fouhaiter
qu'il n'y ait point de Dieux , afin
de n'avoir point de fujet de craindre les
châtimens qu'ils méritent leurs impiétés
& leurs defordres. Dixit infipiens in
corde fuo , non eft Deus,
par
Ce n'eft pas l'incrédulité qui produit le
libertinage ; on affecte d'être incrédule
parcequ'on veut être libertin : on commence
par fuivre fon penchant , & puis
on cherche à le juftifier.
L'homme qui a de l'efprit , & qui con•
fulte les autres , n'eft prefque qu'un demi
homme ; mais celui qui n'en a point , &
qui ne prend confeil de perfonne n'eſt
pas homme.
Il eft difficile de bien choifir ceux à
qui on veut demander confeil : celui des
yieillards eft lent , timide & douteux : la
jeuneffe
OCTOBRE. 1730. 2207
jeuneffe en donne de legers , de violens,
de teméraires ; fi on confulte les Sçavans,
on eft fatigué de leurs longs difcours , &
choqué de leur opiniâtreté : fi on confulte
les ignorans , on eft maître de leurs
avis , mais on en tire peu de lumieres :
fi on s'adreffe aux pauvres , leurs confeils
feront intereffés ; fi on s'adreffe aux riches
, il y aura trop de hauteur & de du
reté dans le parti qu'ils propoferont ; nos
parens , nos domeftiques , pour mieux
nous flater , nous tromperont : les étran
gers ne le donneront pas la peine d'exa
miner la matiere & délibereront fans
attention , ne prenant nul interêt en la
choſe. Plufieurs confeillers embaraffent
peu de confeillers ne fuffifent pas.
2
Qui confulte une fois veut s'éclaircir ;
qui confulte deux fois cherche à douter.
Les Sçavans font pour l'ordinaire dédaigneux
pour les ignorans , & ils font
mal , car ils prouvent par là combien ils
leur reffemblent encore.
L'imitation fervile eft blâmable ; mais
un homme d'efprit fçait habilement fe
rendre propres , & faire paffer dans fes
Ouvrages les beautés de ceux qui l'ont
devancé. On honore ceux qu'on imitę
ayce
1
2208 MERCURE DE FRANCE
avec art ; & un Auteur , même celebre ,
qui feroit profeffion étroite de n'imiter
perfonne , rarement meriteroit-il d'être
imité .
Sur les faits hiſtoriques que nous apprenons
,ou que nous lifons dans les livres
nous devons toujours être en garde contre
l'incertitude qui flatte fans ceffe notre
vanité ; car nous aimons à entendre
nos connoiffances , & quand la verité fe
dérobe à nos recherches , nous nous contentons
de la trouver remplacée par la
fiction que notre crédulité réalife , l'erreur
nous paroiffant moins à craindre
que l'ignorance.
Les hommes d'un gout fûr & délicat
ne font jamais contens de leurs Ouvrages ;
ils ont une fi haute idée de la perfection,
qu'ils ne croyent jamais y être parvenus .
On ne doit pas faire dépendre fes idées
de fon goût ; il faut prendre des guides
plus furs , la raifon & l'experience.
La décadence des Sciences & des Arts
eft fort à craindre ; car on commence à
outrer tout. Le goût des beautés fimples
& naturelles fe perd ; il faudra déformais
du bizarre , de l'étranger & du mefquin
pour
OCTOBRE. 1730. 2209
pour nous toucher ; plus d'un obftacle
s'oppose à la guerilon du mauvais gout.
Le défaut des Medecins , les génies fuperieurs
, tels qu'il en faudroit pour ramener
les efprits, font rares; & quand il s'en
trouve , ils voyent le mal , ils le blâment.
& fe laiffent cependant entraîner par la
foule à laquelle ils veulent plaire : on aime
le nouveau & le fingulier , on ſe ſçait
bon gré de ne pas marcher fur les pas de
fes prédeceffeurs . La défenſe du mauvais
gout devient un interêt de nation ; d'ail.
leurs, quand on pourroit le guerir, quelle
méthode fuivre dans une entrepriſe fi
difficile , où le malade croit être dans une
parfaite fanté , & regarde le Medecin
comme celui qui a befoin de remede ? fi
quelqu'un s'apperçoit de l'erreur commune
, ofera-t'il l'attaquer ? ofera - t'il
s'écarter des routes par où l'on parvient
à la réputation la plus brillante ? ne crain
dra- t'il point de s'expoſer à la dériſion .
On voit tous les jours de petits génies
vuides de lumieres & d'efprit , & pleins
d'amour propre , fe montrer difficiles &
même critiquer hautement dáns les Sciences
& dans les Arts les nouveautés qui
paroiffent , pour ſe faire une réputation
de gens d'efprit & de gout , fe flattant
qu'en attaquant des Auteurs & des Ou-
E vrages
2210 MERCURE DE FRANCE
yrages celebres , on fera grand cas de leurs
remarques , & qu'on les mettra , finon
au deffus , au moins à coté des plus ha
biles.
& و
Quelques Sçavans pleins de bonne opinion
de leurs études , difent par tout , &
croyent même que tout est trouvé
cela parce qu'ils fe perfuadent avec complaifance
qu'ils n'ont plus rien à appren
dre. Ils méprifent hautement les nouvelles
découvertes , & ne daignent pas
les examiner , crainte de fe convaincre
d'une préfomption qui les flate.
Un efprit vain & de mauvaiſe trempe,
quoique cultivé d'ailleurs , parle de tout
avec confiance , & ne peut juger fainement
de rien ; les frais qu'il fait en lecture
& en effort de mémoire , pour paroître
habile , font prefque autant de nouvelles
couches de ridicule qu'il fe donne;
l'orgueil & l'impertinence percent au
travers ; enforte qu'on peut dire avec
Moliere :
Un fot fçavant eft fot plus qu'un fot ignorant.
Et avec un Poëte plus moderne , M.
Pope.
Tel eft devenu fat à force de lecture
Qui n'eut été que fot en fuivant la nature.
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Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore divers aspects de la nature humaine et de la société, en se concentrant sur la foi, la raison et les comportements sociaux. Il commence par aborder l'athéisme, affirmant que la corruption morale précède souvent l'incrédulité. Même les athées ressentent le besoin de croire en Dieu pour apaiser leur conscience. Le texte critique l'idée que les enseignements évangéliques soient incompatibles avec une grande intelligence, soulignant que l'incrédulité sert souvent de justification au libertinage. Le texte discute également de la difficulté de choisir des conseillers fiables. Chaque groupe a ses défauts : les vieillards sont lents, les jeunes sont téméraires, les savants sont opiniâtres, et les ignorants manquent de lumières. Il met en garde contre l'incertitude et la vanité qui conduisent à préférer la fiction à la vérité. Ensuite, il traite de la décadence des sciences et des arts, attribuée à un goût excessif pour le bizarre et l'étranger. Les médecins et les esprits supérieurs, bien qu'ils voient le mal, se laissent entraîner par la foule. Le texte critique ceux qui se croient supérieurs et méprisent les nouvelles découvertes, ainsi que les esprits vains qui parlent de tout avec confiance sans véritable connaissance. Enfin, le texte cite Molière et Pope pour illustrer que la vanité et l'impertinence peuvent rendre un savant ridicule.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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203
p. 2211
Enigme, Logogryphe, [titre d'après la table]
Début :
La Broche est le mot de l'Enigme du mois dernier. On a dû expliquer les deux [...]
Mots clefs :
Broche, Carrosse, Milan
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texteReconnaissance textuelle : Enigme, Logogryphe, [titre d'après la table]
La Broche est le mot de l'Enigme du
mois dernier. On a dû expliquer les deux
Logogryphes par Milan & Caroffe.
mois dernier. On a dû expliquer les deux
Logogryphes par Milan & Caroffe.
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204
p. 2211
ENIGME.
Début :
Ne cherche point à me connoître ; [...]
Mots clefs :
Énigme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ENIGME.
ENIGM E.
NE cherche point à me connoitre į
Je payerois trop cher ta curiofité ;
Mon effence dépend de mon obſcurité ,
Et fi l'on me découvre, alors je ceffe d'être.
L'on tombe d'accord néanmoins
Que mon pere prudent & fage
M'ayant mis un maſque au viſage ,
Tel qui veut me l'ôter fouvent y perd les foins:
Mais pourquoi me flater d'une efperance vaine
Helas un fort capricieux ,
Pour rendre ma perte certaine
Me place ici devant tes yeux.
Par M. de Morteffaignes de Pradelles.
NE cherche point à me connoitre į
Je payerois trop cher ta curiofité ;
Mon effence dépend de mon obſcurité ,
Et fi l'on me découvre, alors je ceffe d'être.
L'on tombe d'accord néanmoins
Que mon pere prudent & fage
M'ayant mis un maſque au viſage ,
Tel qui veut me l'ôter fouvent y perd les foins:
Mais pourquoi me flater d'une efperance vaine
Helas un fort capricieux ,
Pour rendre ma perte certaine
Me place ici devant tes yeux.
Par M. de Morteffaignes de Pradelles.
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205
p. 2212-2213
LOGOGRIPHE.
Début :
Ma substance en deux sens peut aisément s'entendre ; [...]
Mots clefs :
Dauphin
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LOGOGRIPHE.
Dans le Logogryphe fuivant chaque
lettre a fon chiffre felon l'ordre de l'alphabet
; par exemple , le chiffre un défigne
a ; le chiffre deux eft pour 6. & ainfi du
refte.
E ij LO
2212 MERCURE DE FRANCE
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
LOGO GRIPHE.
A fubftance en deux fens peut aifément
s'entendre ; MA
Dans l'un je fuis un Prince , & dans l'autre un
poiffon ;
Pour en bien arranger chaque combinaiſon
Voici comment il faut s'y prendre :
Quatre , un , & neuf, treize , nombre fatał ,
Font naître certain animal
Qu'on voit plus aux Champs qu'à la Ville,
Chiffre de moins le rend utile ,
C'eft un qu'il faut ôter , & le refte à rebours
Fixera le féjour de mainte babillarde
Pendant le tems de ſes amours.
Vingt , neuf , treize , prenez-y garde
Rendent fouvent l'homme inſenſé.
Par quinze , neuf , treize , d'une Déeffe
L'Arbre à nos yeux fera tracé.
Quinze , un , neuf , treize , on voit , & la chofe
intereffe ,
On voit paroître un aliment
Dont on ufe journellement,
Quatre , neuf, treize & un , font revivre une fille
D'une très antique famille.
Le nombre neuf étant ôté
Et l'un à la place ajoûté ,
Da
OCTOBRE. 1730. 2213
De cette digne fille on reconnoît un frere
Non conçu de la même mere.
Neuf, vingt , quatre & puis un , fi vous faites
marcher ,
Cet ordre vous fera trouver
Des Tribus la plus ancienne .
Quinze , un , vingt , vous font voir une Ville de
Guyenne.
Vingt , un & treize font un meuble de grenier
Toujours très -utile au Fermier
Pour terminer tout affemblage' ,
De ce qui refte on tire un très grand avantage'} །
Quatre , neuf , vingt , un , treize , & Ciel ! quelle
faveur !
Tu nous feras ouvert , Confeil du Grand- Seigneur.
N ... Cédar.
lettre a fon chiffre felon l'ordre de l'alphabet
; par exemple , le chiffre un défigne
a ; le chiffre deux eft pour 6. & ainfi du
refte.
E ij LO
2212 MERCURE DE FRANCE
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
LOGO GRIPHE.
A fubftance en deux fens peut aifément
s'entendre ; MA
Dans l'un je fuis un Prince , & dans l'autre un
poiffon ;
Pour en bien arranger chaque combinaiſon
Voici comment il faut s'y prendre :
Quatre , un , & neuf, treize , nombre fatał ,
Font naître certain animal
Qu'on voit plus aux Champs qu'à la Ville,
Chiffre de moins le rend utile ,
C'eft un qu'il faut ôter , & le refte à rebours
Fixera le féjour de mainte babillarde
Pendant le tems de ſes amours.
Vingt , neuf , treize , prenez-y garde
Rendent fouvent l'homme inſenſé.
Par quinze , neuf , treize , d'une Déeffe
L'Arbre à nos yeux fera tracé.
Quinze , un , neuf , treize , on voit , & la chofe
intereffe ,
On voit paroître un aliment
Dont on ufe journellement,
Quatre , neuf, treize & un , font revivre une fille
D'une très antique famille.
Le nombre neuf étant ôté
Et l'un à la place ajoûté ,
Da
OCTOBRE. 1730. 2213
De cette digne fille on reconnoît un frere
Non conçu de la même mere.
Neuf, vingt , quatre & puis un , fi vous faites
marcher ,
Cet ordre vous fera trouver
Des Tribus la plus ancienne .
Quinze , un , vingt , vous font voir une Ville de
Guyenne.
Vingt , un & treize font un meuble de grenier
Toujours très -utile au Fermier
Pour terminer tout affemblage' ,
De ce qui refte on tire un très grand avantage'} །
Quatre , neuf , vingt , un , treize , & Ciel ! quelle
faveur !
Tu nous feras ouvert , Confeil du Grand- Seigneur.
N ... Cédar.
Fermer
206
p. 2213-2215
AUTRE.
Début :
Huit Lettres composent mon nom ; [...]
Mots clefs :
Ambroise
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AUTRE.
AUTR E
Hvit Lettres compofent mon nom §
Hymne j'ai fait du plus beau ton
Que jamais on chante à l'Egliſe ;
Plus n'auroit pu faire Moïse,
Pour trouver mes variétés ,
Abregeons les difficultés .
Tout mot donc noté d'une bare
Se trouve en moi comme Simare.
Pris d'un certain fens je fuis bois ;
E uj
Pris
2214 MERCURE DE FRANCE
Pris d'un autre fens je fuis mois.
Par moi l'on peut défigner Rome ,
Ainfi que Riviere de some ;
J'offre aux yeux ce qu'on nomme amer ;
Sans moi l'on peut voguer fur mer.
Souvent j'ai vu l'eau de la Sambre
Claire ne plus ne moins que Pambre :
Mais pas n'étions au mois de Mars ,
Préfent étoit un Maitre ès Ars ,
Peu fobre , & fort enclin à boire
Vêtu d'une robe de moire ,
Accompagné d'un fien ami
Qui fit contes dont j'ai bien ri ;
Car prenant la Sambre pour l'oife &
Il vouloit aller à Pontoïfe ,
Puis delà paffer à Siam
Pour y voir un nommé Joramo
Quelquefois fans raifon ni rime
Il danfoit comme un Pantomime
D'autres fois croyant être Roi ,
Il vouloit nous faire la loi ,
Difant qu'il étoit notre Sire.
Il faifoit fa Garde d'un Shire
,
Qui fe donnant pour fier à bras ,
Tranchoit du valeureux foldat ,
"Soldat de la Vierge Marie
Qu'il avoit amené d'Ombrie
La Rofe il fe faifoit nommer ;
OCTOBRE . 1730. 2215
fe difoit de Saint Omer ,
Et foutenoit que plume d'Oïe
N'étoit fi douce que la foie.
Moi fans trop me mettre en foucí
Le reprenant , lui dis que ɓ ;
Là deffus mon homme fe cabre ,
Me menaçant tire fon fabre ;
D'avanture il faifoit fi foir.
Qu'à peine l'on y pouvoit voir.
Pour arme avois un bâton d'orme ;
De fon pourpoint frottai la forme :
Tant le rendis fouple pour lors
Qu'il ne lui fallut plus de mors.
Je crains pourtant deſſus mon amo
Qu'un jour il ne porte la rame .
Hvit Lettres compofent mon nom §
Hymne j'ai fait du plus beau ton
Que jamais on chante à l'Egliſe ;
Plus n'auroit pu faire Moïse,
Pour trouver mes variétés ,
Abregeons les difficultés .
Tout mot donc noté d'une bare
Se trouve en moi comme Simare.
Pris d'un certain fens je fuis bois ;
E uj
Pris
2214 MERCURE DE FRANCE
Pris d'un autre fens je fuis mois.
Par moi l'on peut défigner Rome ,
Ainfi que Riviere de some ;
J'offre aux yeux ce qu'on nomme amer ;
Sans moi l'on peut voguer fur mer.
Souvent j'ai vu l'eau de la Sambre
Claire ne plus ne moins que Pambre :
Mais pas n'étions au mois de Mars ,
Préfent étoit un Maitre ès Ars ,
Peu fobre , & fort enclin à boire
Vêtu d'une robe de moire ,
Accompagné d'un fien ami
Qui fit contes dont j'ai bien ri ;
Car prenant la Sambre pour l'oife &
Il vouloit aller à Pontoïfe ,
Puis delà paffer à Siam
Pour y voir un nommé Joramo
Quelquefois fans raifon ni rime
Il danfoit comme un Pantomime
D'autres fois croyant être Roi ,
Il vouloit nous faire la loi ,
Difant qu'il étoit notre Sire.
Il faifoit fa Garde d'un Shire
,
Qui fe donnant pour fier à bras ,
Tranchoit du valeureux foldat ,
"Soldat de la Vierge Marie
Qu'il avoit amené d'Ombrie
La Rofe il fe faifoit nommer ;
OCTOBRE . 1730. 2215
fe difoit de Saint Omer ,
Et foutenoit que plume d'Oïe
N'étoit fi douce que la foie.
Moi fans trop me mettre en foucí
Le reprenant , lui dis que ɓ ;
Là deffus mon homme fe cabre ,
Me menaçant tire fon fabre ;
D'avanture il faifoit fi foir.
Qu'à peine l'on y pouvoit voir.
Pour arme avois un bâton d'orme ;
De fon pourpoint frottai la forme :
Tant le rendis fouple pour lors
Qu'il ne lui fallut plus de mors.
Je crains pourtant deſſus mon amo
Qu'un jour il ne porte la rame .
Fermer
207
p. [2331]-2335
L'ENFER, ODE.
Début :
Ou suis-je ? Quel abîme s'ouvre ! [...]
Mots clefs :
Enfer, Dieu
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'ENFER, ODE.
L'ENFER ,
O D E.
U fuis-je ? Quel abîme s'ouvre !
Tout m'aveugle , tout m'éblouit ,
Le Soleil fuit , le Ciel fe couvre ,
Et l'Univers s'évanouit !
Quelle lumiere tenebreufe ,
Répand dans une nuit affreufe,
Des feux incertains & tremblans ?
A ij Ah !
2332 MERCURE DE FRANCE
Ah ! je fuis dans le précipice ;
Quelle Puiffance affez propice ,
Conduira mes pas chancelans ?
Je vois le centre de la Terre ,
Mais tout redouble mon effroy :
J'entends l'impatient Tonnerre ,
:
Qui gronde horriblement fous moi :
Quel bruit ! quelle ardeur dans ce Goufre!
Un feu de bitume & de fouffre ,
Seconde les efforts du fer :
Les cris , les grincemens , la rage ,
Jufqu'à moi fe font un paffage ;
Ah , Crel ! que vois-je ? c'eſt l'Enfer.
*
C'eft dans ces Cavernes brulantes ,
Grand Dieu , que ton bras tout-puiflant,
Par des chaînes toujours ardentes ,
Retient le Pécheur frémiſſant.
•
C'est là qu'une Ame criminelle ,
Brule d'une flamme éternelle
Et qui ne la confume pas :
Là , l'Adultere & le Parjure ;
Contre la gêne & la torture,
Appellent en vain le Trépas.
Quelle main invifible arrête ›
NOVEMBRE. 1730. 2333
Ces Monts & ces Rocs fufpendus ?
Ah Lque n'écrafent-ils la tête ,
De ces coupables confondus ?
Hélas ! les foupirs & les larmes ,
N'ont plus ces invincibles charmes ,
Qui defarmoient un Dieu vengeur :
Pour punir une race ingrate ,
Son pouvoir en ces lieux n'éclate ,
Que par fon extrême rigueur.
Objets de courroux & de haîne
Pour vous , il n'eft plus de pardon :
De vos crimes portez lá peine ,
Dans un éternel abandon .
Loin des bons que vous pouviez fuivre ;
Eprouvez , indignes de vivre ,
Mille morts fans pouvoir mourir.
Votre malheur eft votre ouvrage ,
Vous recevez votre partage ,
Jamais vivre & toûjours fouffrir.
*
Qu'entends-je ? Quelle voix horrible ,
Dans l'amertume de ces pleurs ,
Vient m'apprendre un mal plus terrible ;
Que les plus cuifantes douleurs ?
Quoy donc ! la flamme petillante,
Le fer ardent , l'huille bouillante ,
A iij
Ne
2334 MERCURE DE FRANCE
Ne font ici qu'un vain effort ,
Eh! quel fupplice les furmonte
Seroit - ce la fatale honte ,
Ou l'impitoyable remord
Ovous , qui vivant de chimeres
Doutez de ce qu'on ne peut voir :
Ecoutez les plaintès ameres ,
Qu'éxale un affreux deſeſpoir :
Ah , Juftice ! Ah , Loi fouveraine ,
Redouble en augmentant la peine
De nos maux l'active lenteur ;
Mais que le fort qui nous accable ,
Nous laiffe l'espoir fecourable ,
De voir un jour le Créateur.
Non , traîtres , votre ame égarée ,
Dans un Dédale de projets ,
Pour jamais fera féparée ,
Du Dieu , qu'ont armé vos forfaits,
Trop indignes de voir fa face ,
Oppofez votre vaine audace ,
Au plus terrible des malheurs ,
Mais cet invincible courage ,
N'eft plus qu'une impuiſſante rage ;
Et je n'apperçois que des pleurs.
Ainfi
NOVEMBRE. 1730. 233 5
'Ainfi gémiffent fans refſource ,
Dans les abîmes foûterrains ,
Ces hommes vains , qui dans leur courſe ,
Par le crime ont fouillé leurs mains :
Ainfi l'Avare au coeur perfide ,
Le Sacrilege parricide ,
Trouvent le prix de leur noirceur ;
Pendant qu'à leurs maux infenfible ,
Le Jufte , d'un féjour paiſible ,
Goute l'éternelle douceur.
Grand Dieu , dont la fage indulgence ,
Souffre encor mon iniquité :
J'adore & je crains ta vengeance ,
Mais j'efpere dans ta bonté.
Souvent prêt à nous mettre en poudre ;
Ton bras qui va lancer la foudre ,
Releve un coeur triſte , abbatu ;
Et toûjours ta fainte Juſtice ,
Qui dans l'Enfer punit le vice ,
Dans le Ciel place la vertu.
In malitia eorum diſperdet eos . Pl. 933
O D E.
U fuis-je ? Quel abîme s'ouvre !
Tout m'aveugle , tout m'éblouit ,
Le Soleil fuit , le Ciel fe couvre ,
Et l'Univers s'évanouit !
Quelle lumiere tenebreufe ,
Répand dans une nuit affreufe,
Des feux incertains & tremblans ?
A ij Ah !
2332 MERCURE DE FRANCE
Ah ! je fuis dans le précipice ;
Quelle Puiffance affez propice ,
Conduira mes pas chancelans ?
Je vois le centre de la Terre ,
Mais tout redouble mon effroy :
J'entends l'impatient Tonnerre ,
:
Qui gronde horriblement fous moi :
Quel bruit ! quelle ardeur dans ce Goufre!
Un feu de bitume & de fouffre ,
Seconde les efforts du fer :
Les cris , les grincemens , la rage ,
Jufqu'à moi fe font un paffage ;
Ah , Crel ! que vois-je ? c'eſt l'Enfer.
*
C'eft dans ces Cavernes brulantes ,
Grand Dieu , que ton bras tout-puiflant,
Par des chaînes toujours ardentes ,
Retient le Pécheur frémiſſant.
•
C'est là qu'une Ame criminelle ,
Brule d'une flamme éternelle
Et qui ne la confume pas :
Là , l'Adultere & le Parjure ;
Contre la gêne & la torture,
Appellent en vain le Trépas.
Quelle main invifible arrête ›
NOVEMBRE. 1730. 2333
Ces Monts & ces Rocs fufpendus ?
Ah Lque n'écrafent-ils la tête ,
De ces coupables confondus ?
Hélas ! les foupirs & les larmes ,
N'ont plus ces invincibles charmes ,
Qui defarmoient un Dieu vengeur :
Pour punir une race ingrate ,
Son pouvoir en ces lieux n'éclate ,
Que par fon extrême rigueur.
Objets de courroux & de haîne
Pour vous , il n'eft plus de pardon :
De vos crimes portez lá peine ,
Dans un éternel abandon .
Loin des bons que vous pouviez fuivre ;
Eprouvez , indignes de vivre ,
Mille morts fans pouvoir mourir.
Votre malheur eft votre ouvrage ,
Vous recevez votre partage ,
Jamais vivre & toûjours fouffrir.
*
Qu'entends-je ? Quelle voix horrible ,
Dans l'amertume de ces pleurs ,
Vient m'apprendre un mal plus terrible ;
Que les plus cuifantes douleurs ?
Quoy donc ! la flamme petillante,
Le fer ardent , l'huille bouillante ,
A iij
Ne
2334 MERCURE DE FRANCE
Ne font ici qu'un vain effort ,
Eh! quel fupplice les furmonte
Seroit - ce la fatale honte ,
Ou l'impitoyable remord
Ovous , qui vivant de chimeres
Doutez de ce qu'on ne peut voir :
Ecoutez les plaintès ameres ,
Qu'éxale un affreux deſeſpoir :
Ah , Juftice ! Ah , Loi fouveraine ,
Redouble en augmentant la peine
De nos maux l'active lenteur ;
Mais que le fort qui nous accable ,
Nous laiffe l'espoir fecourable ,
De voir un jour le Créateur.
Non , traîtres , votre ame égarée ,
Dans un Dédale de projets ,
Pour jamais fera féparée ,
Du Dieu , qu'ont armé vos forfaits,
Trop indignes de voir fa face ,
Oppofez votre vaine audace ,
Au plus terrible des malheurs ,
Mais cet invincible courage ,
N'eft plus qu'une impuiſſante rage ;
Et je n'apperçois que des pleurs.
Ainfi
NOVEMBRE. 1730. 233 5
'Ainfi gémiffent fans refſource ,
Dans les abîmes foûterrains ,
Ces hommes vains , qui dans leur courſe ,
Par le crime ont fouillé leurs mains :
Ainfi l'Avare au coeur perfide ,
Le Sacrilege parricide ,
Trouvent le prix de leur noirceur ;
Pendant qu'à leurs maux infenfible ,
Le Jufte , d'un féjour paiſible ,
Goute l'éternelle douceur.
Grand Dieu , dont la fage indulgence ,
Souffre encor mon iniquité :
J'adore & je crains ta vengeance ,
Mais j'efpere dans ta bonté.
Souvent prêt à nous mettre en poudre ;
Ton bras qui va lancer la foudre ,
Releve un coeur triſte , abbatu ;
Et toûjours ta fainte Juſtice ,
Qui dans l'Enfer punit le vice ,
Dans le Ciel place la vertu.
In malitia eorum diſperdet eos . Pl. 933
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Résumé : L'ENFER, ODE.
Le texte décrit une vision de l'Enfer, marquée par la terreur et le désespoir. Le narrateur découvre un abîme effrayant où tout semble s'évanouir, illuminé par une lumière ténébreuse et des feux incertains. Il entend des cris et des grincements de rage. L'Enfer est un lieu de souffrances éternelles, où les pécheurs sont retenus par des chaînes ardentes et brûlent d'une flamme éternelle sans jamais être consumés. Les criminels, tels que les adultères et les parjures, appellent en vain la mort pour échapper à leurs tourments. Les supplices y sont intenses et variés, mais la pire souffrance est la honte et le remord. Les âmes damnées sont privées de tout espoir de voir le Créateur. Le texte oppose les pécheurs, qui souffrent éternellement, aux justes, qui goûtent une éternelle douceur dans un séjour paisible. Le narrateur, conscient de ses propres fautes, implore la miséricorde divine, craignant la vengeance tout en espérant la bonté de Dieu. Il reconnaît que la justice divine punit le vice en Enfer et récompense la vertu au Ciel.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
208
p. 2336-2363
SISIEME LETRE sur la bibliotèque des enfans et sur l'essaì du rudiment pratique de la langue latine.
Début :
MONSIEUR, Je done ici l'essaì du rudiement pratique de la langue latine pour abreger le [...]
Mots clefs :
Enfant, Verbes, Pratique, Latin, Méthode, Substantif, Écoles, Syntaxe, Dictionnaire, Conjugaison
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SISIEME LETRE sur la bibliotèque des enfans et sur l'essaì du rudiment pratique de la langue latine.
SISIE ME LETRE surla bibliotèque
des enfans et sur l'essai du rudiment
pratique de la langue latine .
MONSIE ONSIEUR ,
Je done ici l'essai du rudiment pratique
de la langue latine pour abreger le
tems que les enfans emploient , et épargner
celui que la plupart perdent à aprendre
par coeur bien des paradigmes , des
exemples , et des règles inutiles quand ils
comencent leurs études . J'ai cru que dans
la grammaire , come dans la géometrie ,
en devoit chercher une liaison pour pas
ser du simple au composé ; et c'est ce qui
m'a déterminé à comencer par les parties
d'oraison ou du discours , adverbiales et
indéclinables, soit qu'elles éxigent des cas
come les prépositions , soit qu'elles n'en
demandent point come les adverbes , etc.
On ne sauroit donc mieus faire que de
doner abécédiquement ou d'une autre
manière en latin et en françois, en françois
eten latin , les principales particules indéclinables
par ordre de qualité. On pouroit,
par exemple , doner les interjections de
joie , d'afliction , etc. les conjonctions copulatives,
NOVEMBRE. 1730. 2337
pulatives , disjonctives , etc. les adverbes
d'afirmation , de négation , etc. les prépositions
et les particules sans cas et avec.
leurs cas ; metant à part celes qui régissent
ou demandent le nominatif , le genitif,
le datif, l'acusatif , le vocatif, ou l'ablatif.
On comprend dans les lectures ou dans
les leçons des indéclinables , les petites
frases adverbiales , proverbiales , modifiées
par des particules, mais dont la construction
est toujours la même. Enfin on
peut doner dans la leçon des indeclina
bles tous les modificatifs transitifs , et toutes
les transitions déclinables ou indéclinables
, lorsqu'elles sont employées come
de simples adverbes, ou come des mots
adverbialement composés de plusieurs autres
mots .
Après que l'enfant auralu,relu, et composé
sur son bureau ce qui regarde les
parties du discours indéclinables, il faudra
ensuite le faire passer aus parties déclinables,
et doner peu àpeu à chaque déclina
son la liste des principaus noms substantifs
et adjectifs, de mème que les pronoms
et les noms de nombre à mesure qu'ils passeront
dans les tèmes de l'enfant , et dans
son dictionaire pratique . On poura essayer
de mètre quelquefois dans ces listes la terminaison
du genitif, et le genre du nom
par exemple , luna , a , f. ( la lune ) ca
Av
2
dame
2338 MERCURE DE FRANCE
dans une autre liste , la lune ( luna , æ, f. }
afin d'avoir une liste pour la version et
une autre pour la composition : ce sera un
peu plus de peine pour le maître en atendant
qu'on ait de bons rudimens pratiques
; mais il en sera bientot dédomagé
par la rapidité des progrès qu'il vêra faire
à son petit éleve .
Je ne sais s'il seroit mieus de doner une
liste des mots déclinables par ordre abécédique
, ou par ordre des matières , et
de qualité , etc. peut- ètre ne doit-on suivre
au comencement que l'ordre et la
suite des lectures , et joindre chaque jour
aus listes comencées les mots qu'on rencontrera
pour la première fois dans les
lectures ordinaires. quand les listes seront
longues , on sera forcé de suivre l'ordre
abécédique , pour ne pas recopier souvent
les mèmes mots ; desorte qu'il sera mieus
pourlors d'avoir la liste générale et suivie
des mots que fourniront les diverses
lectures , pour en former après cela avec
plus d'exactitude et fans répétition , les
diverses listes des mots par ordre abécédique.
On ne doit copier les listes des
mots par ordre abécédique , que lorsque
l'enfant en sait par coeur plusieurs cenraines.
On le pratica ainsi pour le petit
Candiac , agé de cinq ans : il avoit pour
la version d'un texte , une facilité qu'on
auroit
NOVEMBRE . 1730. 2339
auroit peine à croire , à moins que de
l'avoir vu , ce qu'ont fait bien des savans
et des curieus que je pourois citer en faveur
de la métode pratique du bureau :
ils l'ont admirée, aprouvée, et en rendent
par tout le mème témoignage. Pour métre
facilement les mots des tèmes , des versions
, et des lectures dans l'ordre abécédique
du dictionaire du bureau , il faut
prendre une feuille pour chaque lètre de
l'a b c, diviser la page en quatre colones ,
savoir , la première pour les verbes , la
segonde pour les noms adjectifs , la troisieme
pour les noms apellatifs , et la
quatrieme pour les particules indéclinables
, qu'on écrit à mesure qu'on en augmente
le dictionaire. On suivra enfin l'ordre
qu'on voudra , à l'égard des noms
propres on poura les copier separément
sur dautres feuilles , historiques et non
grammaticales. En atendant cète liste , il
sufit que les noms propres soient à leur
rang de logètes dans le dictionaire pratique.
Pour faire décliner les noms d'une manière
pratique et sensible , il faut joindre
chaque cas avec un mot indéclinable , ou
déclinable , qui exige ou régisse le cas ,
par exemple , en luna ( voilà la lune ) figura
luna ( la figure de la lune , etc. ) métode
qu'il faudra suivre dans chaque dé
A vj cli
2340 MERCURE DE FRANCE
clinaison des noms et des pronoms , err
combinant et variant les termes , autant
que l'exercice des déclinaisons poura le
permetre ; c'est pourquoi il faudra changer
de nom , de préposition , d'adverbe ,
ou enfin de mot regissant , pour varier
ce jeu et le rendre plus instructif et
moins ennuyant ; car il ne faut pas quiter
les déclinaisons que l'enfant ne conoisse
et ne sente bien l'usage et la distinction
des cas , des nombres , de Particle , des
terminaisons , et la diference des genres.
›
On suivra le meme ordre en passant
du jeu des mots déclinables au jeu ou à
Pexercice des mots conjugables , en començant
par le verbe substantif sum ( je
suis) et continuant par les conjugaisons active
et passive, avant que de passer à cèle
des verbes déponens , neutres , irreguliers
etc. observant de joindre à chaque persone
du verbe , une petite frase contenant
quelque indéclinable et quelque déclinable
, pour entretenir et augmenter
la conoissance aquise des adverbes , des
prépositions , des noms , des pronoms ,
et généralement de tout ce qui regarde
l'indéclinable et le déclinable , c'est- àdire
, qu'il faut faire entrer dans la frase
courante et du jour , les dificultés des petites
frases qui ont déja passé , avec les
nouvèles dificultés que le maitre souhaite
doner
NOVEMBRE . 1730. 234T
doner à l'enfant, et j'apèle cela imiter dans
un sens la métode des géometres.Par exem.
je suis toujours devant le seigneur, etc.
ego sum femper coram domino , etc.
L'enfant qui saura lire le latin et le
françois poura composer ensuite au bureau
tipografique, les petites frases sur les
sis cas des noms déclinés avec les combinaisons
des parties du discours : par exemple
, ecce authorÆsopus auctor ; ego auctor,
doctus auctors sum auctor ; amor auctor, etc.
L'enfant passera peu- à-peu des petites frases
aus plus longues de cèles que l'on peut
doner en glose mot- à-mot en latin er en
françois après quoi viendra le recueil des
petites frases choisies d'usage courant et
journalier purement latines , qu'on ne
peur traduire mot- à- mot sans latînismes ,
et de celles qu'on ne peut composer en
latin mot-à-mot sans gallicismes. Le rudiment
pratique doit comprendre tous les
mots qui sont employés dans ces frases ;
et outre ce recueil pratique, il ne sera peutêtre
pas mal d'avoir encore une nomenclature
ou un vocabulaire par ordre des
matieres , afin que l'enfant de trois ans
lisant et relisant les mots de ce livre jusqu'à
sis ans , et les composant sur son bureau
tipografique , soit plu- tot en état de
passer à la lecture des bons originaus
avec le secours du maître , qui doit lut
tenir
*
2342 MERCURE DE FRANCE
tenir lieu de téorie , de grammaire , de
dictionaìre , etc. et qui doit lui expliquer
à propos les principes nécessaires pour
l'intelligence et le génie des langues .
Quoique le rudiment pratique contiè
ne des exemples sur toutes les concordances
et sur la sintaxe , le maitre fera
bien de doner de petites frases sur les dificultés
des genres , des déclinaisons , des
conjugaisons, et de la sintaxe ; en comançant
par les frases du nominatif , et continuant
à son chois , ou au chois de l'enfant,
par celle de tous les cas et des nombres
des mots déclinables , soit noms ou
pronoms , avec la pratique des mots indéclinables
ou déclinables , qui exigent
ou régissent quelque cas. il ne sera point
mal de doner des frases proportionées à
l'age et à la capacité de l'enfant, de mème
qu'à l'état auquel les parens le destinent.
Ôn fera la mème chose à l'égard des verbes
pour les tems , les modes , les participes
, etc. employant les pronoms personels
, réciproques , rélatifs , absolus , démonstratifs
, interogatifs , responsifs ,
possessifs , etc. avec la pratique continuèle
des mots indéclinables ou déclinables , et
quelquefois avec cèle des questions de
lieu , de tems , de mesure , etc. Tout ce
qui s'apèle particule , doit se trouver dans
les frases sur les verbes , tems pour tems ,
mode
NOVEMBRE . 1730. 23 43
mode pour mode , observant quelque ordre
, quoique libre , dans toute cete métode
pratique . Au comencement chaque
mot latin doit ètre sous le mot françois ,
selon la méthode de M. du Marsais , en
atendant que l'enfant soit en état de
рон-
voir se contenter d'une ligne de françois
sous une ligne de latin , mais non mot à
mot ; ou qu'il puisse se servir d'un pur
texte , dont la construction soit chifrée
et numerotée come le texte des fables de
Phèdre , que l'enfant peut mètre sur son
bureau , en suivant l'ordre des chifres qui
I 2 3.
leg uident , par exemple : Lupus et agnus
4 5 7 8
compulsi siti venerant ad eundem rivum , etc.
Les maltres qui ne sont pas en état de
bien montrer par eus-mèmes , auront recours
à la méthode de P. R. et encore
mieus à celle de M. du Marsais ; sans acabler
de regles , ni embarasser les enfans
qui ont plu - tot besoin de pratique que
de réorie , ainsi qu'ils le démontrent eus
mèmes par la facilité avec laquelle ils aprè
nent la langue maternèle : cète facilité que
la pratique done , permetra aussi d'accentuer
le latin du rudiment et des tèmes
, come on le fait ordinairement dans
les livres d'église ; c'est le moyen de former
de bone heure l'oreille de l'enfant ,
au moins à la quantité des pénultièmes
silabes
2344 MERCURE DE FRANCE
silabes , en atendant qu'il puisse apren
dre cèle des autres silabes , par la pratique
des compositions au bureau tipografique
, et par la lecture ou par l'étude
des poëtes.
Quand l'enfant saura écrire on ne
sauroit mieus faire que de lui montrer à
copier les listes des noms et des verbes
dans l'ordre abécédique initial ou final ,
come celui du dictionaire des rimes >
pour faire observer les terminaisons , les
genres , les prétérits et les supins , en donant
peu à peu , et toujours à propos , la
doctrine des règles et des exceptions , bien
loin d'en acabler d'abord l'enfant , selon
la métode vulgaire des écoles et de la
plupart des maitres .
:) On
Il faudra copier les listes des verbes ,
et en avoir une particulière pour chaque
conjugaison , et ensuite la liste gé-,
nerale de tous les verbes ; par exemple :
amare , amo , amavi , amatum.
aimer, j'aime, j'ai aimé, aler aimer. On
poura doubler les listes des verbes come
on a fait cèle des noms, c'est - à- dire qu'on
poura les faire en latin et en françois , ec
ensuite en françois et en latin , le tout
sans oublier les verbes déponens , les verbes
neutres , les défectifs , les irreguliers ,
les impersonels , etc.
S
NOVEMBRE. 1730. 234.5
§ . 1. Déclinaison des noms.
On peut suivre sur les déclinaisons des
noms la métode proposée pour montrer
à lire à un enfant de deus à trois ans . il
faut au comencement avoir des cartes
pour les nombres , les cas , les mots à décliners
pour les terminaisons , l'article et
le mot françois , come pour le mot latin ,
et enfin pour chaque espece diferente de
nom , afin que l'enfant puisse sans embaras
et d'un coup d'euil , voir le jeu des déclinaisons.
cet exercice sera plus amusant
et plus instructif , si l'on observe avec
soin d'écrire en rouge ou d'un caractere
diferent les colones principales et alternatives
des déclinaisons , que l'on metra
sur des cartes exemple : N. lun a , la
lune , etc. il sufit de faire lire à l'enfant
un nom décliné pour chaque déclinaison :
par exemple,Musa ( la Muse ) pour la 1º,
dominus , (le seigneur ) pour la 2 : pater
( le pere ) pour la 3.fructus ( le fruit ) pour
la 4. dies ( le jour ) pour la 5. Les grammairiens
apèlent les mots ainsi déclinés
paradigmes , prototipes , c'est-à dire modè
les ou exemples , parce que ces mots servent
de règle pour décliner tous les noms
de la mème déclinaison , à quelque dife
rence près dont l'usage et la suite des lectures
, des versions , et des compositions
ins
2346 MERCURE DE FRANCE
instruiront mieus que les plus lons rudimens
des écoles. S'il arive que l'enfant
s'embrouille par les diferentes déclinaisons
, il faut le tenir plus lon -tems sur la
mème ; avant que de le faire passer à une
autre, et lui faire reciter ou lire plusieurs
noms à l'inspection du paradigme de l'exemplequ'il
sait , ou des simples terminaìsons,
ensorte qu'il lise ou qu'il récite rosa
( la rose) porta la porte , figura ( la figure)
fenestra ( la fenètre , corona ( la courone )
etc. à l'inspection de la carte de Mușa ,
ou de ses seules terminaisons ; ce que l'on
pratiquera dans chaque déclinaison , aïant
l'atention de choisir des mots faciles , et
dont le latin et le françois , soient presque
les mèmes , à la terminaison près.
Cependant si cette trop grande ressemblance
embrouilloit l'enfant , il faudroit
prendre d'autres mots , come menfa ( la
table ) ara ( l'autel ) etc. ne suivant aucune
métode qu'on ne soit prèt d'abandoner
pour une meilleure.
Lorsqu'on trouvera l'enfant trop jeune
et trop vif pour ètre mis sur des livres
ou sur des cartes de rudiment , on poura
essayer de lui faire aprendre en Eco et par
l'oreille seule le jeu des terminalsons; mais
il sera toujours beaucoup mieus que les
feus soient de la partie . Il semble au reste
le mot Musa ( la мuse ) n'ait que pas
été
trop
NOVEMBRE 1730. 2347
-
pre- bien choisi pour le paradigme de la
miere déclinaison ; car le mot Muse ou
Bliari , est à peu près la mème chose
pour un petit enfant : il est donc mieus
de ne doner aus enfans que des mots
conus et sensibles , afin de les lier plus
facilement avec l'idée des terminaisons :
c'est pourquoi rosa ( la rose ) luna ( la
lune ) etc. étant des mots , sensibles et
familiers à un enfant , doivent ètre préferés
dans le rudiment pratique au mot
Musa ; quelque petites et méprisables:
que ces remarques puissent paroitre ; le
lecteur non prévenu , fesant un mellleur
usage de son jugement , sera moins
esclave des défauts des anciènes métodes.
Quand l'enfant saura une déclinaison ,
on poura donc lui doner de petits tèmes
sur chaque cas , avec un adverbe , une
préposition , ou quelque mot déclinable
qui le régisse. On sera souvent obligé
d'employer des noms substantifs ou adjectifs
, faute de trouver assés d'indéclina
bles régissant les diferens cas , et l'on
observera d'écrire en noir le mot françois
et en rouge ou d'un caractere diferent
le mot latin , l'un sous l'autre et sur
des cartes à jouer , pour continuer d'entretenir
le badinage literaire , et éloigner
tout ce qui a l'air d'une étude en forme.
On
2348 MERCURE DE FRANCE
On ne doit point embarasser les enfans
de la déclinaison des mots Æneas ( Enée )
Penelope ( Penelope , la femme d'Ulisse )
ni d'Anchises ( Anchise , le pere d'Enée)
il faut renvoyer l'usage de cete doctrine
à un tems plus convenable et où l'on pou
ra parler des règles et des exceptions de
chaque déclinaison , à mesure que l'enfant
en aura besoin , et non pas plu -tot ,
malgré l'usage et la pratique contraire des
écoles. Le mot dominus ( le seigneur ) pour
le paradigme de la segonde déclinaison, est
peut- être moins propre que celui de lupus
(le loup : ) on doit soulager et menager
autant qu'on le peut , la memoire de l'enfant
et n'exiger d'abord de lui que le jeu
des terminaisons. C'est mal fait encore
de tenir lon- tems et inutilement les enfans
sur les déclinaisons des mots Virgi
lius ( Virgile ) magister ( le maitre ) vir
( l'home ) Orpheus ( Orphée ) templum ( lẹ
temple ) et mème sur les adjectifs , bonus ,
bona , bonum , ( le bon , la bone , le bon )
pulcher, pulchra, pulchrum ( le beau , la bèle,
le beau ) etc. On doit diferer l'usage de
cète doctrine pour le tems auquel
tems auquel on aura
lieu de parler des déclinaisons des noms
neutres et des noms adjectifs. il faut suivre
tant que la métode pratique
des langues vivantes , et ne faire
aprendre les choses qu'à proportion de
l'on
poura
Page
NOVEMBRE. 1730. 2349
de l'age , des idées aquises , et du besoin
courant de ces mèmes choses.
Il semble que les grammairiens n'ont
guère aporté de soin dans le chois qu'ils
ont fait des paradigmes des premieres déclinaisons
; car le mot pater ( le pere ) fe
sant au genitif patris , au lieu de pateris ,
il y a une espece de contraction qui paroit
une irregularité pour le paradigme,
ou l'exemple de cète déclinaison ; c'est
pourquoi j'ai préferé le mot soror ( la soeur)
qui restant entier dans tous les cas , done
des idées plus justes des terminaisons ajoutées
au nominatif ; il n'est pas non plus
necessaire de faire aprendre par coeur onze
paradigmes pour les onze terminaisons
nominatives des noms de cète déclinaison
, ni les noms neutres encore moins
les noms adjectifs : tout cela veut ètre réservé
pour le cours de doctrine que l'on
doit ensuite expliquer à l'enfant , selon
l'ocasion et selon le tems sans le surcharger
au comencement. On observera
la mème chose dans la quatrième et dans
la cinquième déclinaison , où il semble
que le motfacies ( la face ) conviene micus
que celui de dies ( le jour ) dont le latin
et le françois ont moins de raport ensemble.
Lorsque l'enfant saura décliner
les cinq noms ou paradigmes des cinq
déclinaisons, on poura essayer de lui faire
déclner
,
2350 MERCURE DE FRANCE
>
décliner le nom substantif avec l'adjectif,
selon la rime des terminaisons de la première
et de la segonde déclinaison ; et
ensuite peu à peu le faire passer aus autres
déclinaisons : par exemplesmusa bona,
dominus bonus , pater bonus , soror bona
fructus bonus , dies bona , etc. on pouroit
faire décliner les cinq paradigmes ensemble
pour en doner une idée plus précise
ou plus raprochée , suposé que cela n'embrouillât
pas l'enfant après quoi viendroit
le tour des noms neutres et des noms
adjectifs avec la doctrine qui les concerne
, en passant peu à peu du simple au
composé , et des règles les plus générales
aus moins générales , et aus exceptions
sur lesquelles on doit ètre fort sobre
, bien loin de jeter l'enfant dans le
caos par l'entassement de règle sur règle
avant le tems , selon l'usage abusif du
préjugé vulgaire et de prèsque toutes les
écoles.
En recomençant les déclinaisons , on
poura aussi essayer de faire décliner des
noms positifs , des comparatifs , et des superlatifs
, plu-tot pour fortifier l'enfant
sur les déclinaisons , que pour l'instruire
des degrés de comparaison : cète doctrine
ne doit ètre débitée qu'à mesure que l'enfant
en aura besoin , soit en lisant , en
explicant , ou en composant. On doit obexpli
NOVEMBRE. 1730. 235I
à
server la mème chose à l'égard des mots
Athena , Athenarum ( la vile d'Athenes )
Parisii , Parisiorum , ( la vile de Paris )
etc. chaque semaine on augmentera peu
peu l'étendue periodique du jeu ou de
l'exercice pratique des déclinaisons , en
fesant remarquer et sentir à l'enfant la
diference des nombres , des genres , et des.
cas ; la diference des terminaisons et des
déclinaisons , sur lesqueles il faut laisser
lon- tems un enfant avant que de le faire
passer aus verbes ; et cela d'autant mieus ,
qu'avec les seules déclinaisons pratiques
on peut doner des tèmes à l'enfant , et
l'exercer sur la composition et sur la version
des deus langues , ce qui ne paroitra
ridicule et absurde qu'à des esprits
prévenus et esclaves des métodes vulgaires.
On doit bien plus conter sur la prati
que que sur la téorie. A peine l'étude des
regles aprises par coeur done telle à l'enfant
quelque avantage sur celui qui ne les
aprend point, par coeur , mais qui les entend
seulement expliquer quand il lit.
qu'il traduit , ou qu'il compose. Un colège
où l'on ne parleroit jamais que bon
latin , feroit en peu de tems de bons écoliers
; il ne s'agit que de faire revivre l'usage
d'une langue morte , pourquoi ne le
fait on pas c'est parce qu'on suit celui
dos
2352 MERCURE DE FRANCE
des vieilles métodes et qu'on se prévient
contre les projets de toutes les nouvèles.
Un enfant vêra donc encore superficielement
les déclinaisons des nombres et des
degrés de comparaison; on lui fera remarquer
avec soin que toutes les déclinaisons
se raportent aus cinq paradigmes qu'on
lui aura fait voir ; les exceptions s'aprendront
ensuite par l'usage et cela est si vrai,
que sans l'usage on oublîroit mème les paradigmes.
Cependant je ne blâme point
l'ordre des nouveaus rudimens de la langue
latine : bien loin de là , je l'aprouve
fort, pourvu que l'enfant ne soit pas obligé
d'aprendre d'abord tout par coeur , et
qu'il ne se serve de ces rudimens que
pour la lecture , pour la version , et pour
la composition. On doit doner ce livre
come le repertoire des tables , des declinaisons
, et des conjugaisons , etc, dont
l'enfant peut avoir besoin , et dont il
aprendra à se servir jusqu'à ce qu'il soit
en état de s'en passer , et de se contenter
de l'usage d'un dictionaìre.
§. 2. Declinaison des Pronoms.
La metode que l'enfant a suivie en déclinant
les noms , indique cèle qu'il doit
suivre pour aprendre la pratique des pronoms.
il faut d'abord se contenter de la
declinaison des pronoms ego ( moi , on je )
174
NOVEMBRE . 1730. 2 3 5 3
tu ( toi on tu ) ille , illa , illud ( il , elle , )
etc. qui servent à conjuguer les verbes .
Ensuite à loisir viendra le tour du pronom
ou de l'article hic , hac , hoc ( ce ,
cet, cette) et lorsque l'enfant le saura passablement
, il poura essayer quelquefois
de joindre le genre aus noms qu'il déclinera
; suposé néanmoins que cela ne
l'embrouille pas , car cète pratique n'est
point absolument necessaire , malgré le
vieus préjugé de plusieurs écoles . Quand
l'enfant saura ces quatre pronoms , on lui
fera aprendre à loisir le pronom relatif ,
qui , que , quod ( qui , lequel , laquelle )
etc. mais il faut s'en tenir là , et laisser
l'étude des autres pronoms pour le tems
des lectures des versions , et des compositions
proportionées aus idées aquises dans
la langue latine; car je supose qu'on done
toujours à l'enfant des exemples en latin
et en françois, à mesure qu'il avance dans
les simples déclinaisons : on trouvera
quantité de ces exemples dans le rudiment
pratique , mais il est toujours mieus
d'en doner sur des choses relatives à l'enfant
, familieres , sensibles , que le hazard
fournit souvent bien plus à propos que
les livres.
5. 3. Conjugaison des verbes.
Aïant remarqué que les enfans oublient
B ordi2354
MERCURE DE FRANCE
ordinairement une leçon en passant à une
autre , j'ai cru que pour remedier à cet
inconvenient , il faloit tâcher de réduire
les déclinaisons et les conjugaisons à toute
la simplicité possible , afin de n'en faire
dans la suite qu'une leçon abregée ou un
brevia`re grammatical que l'enfantpourolt
réciter tous les jours jusqu'à ce qu'il ût
aquis l'habitude" que les seuls actes réiterés
peuvent lui donér. rour aprendre la
conjugaison des verbes , il faut comancer
par la table des terminaisons actives , et
doner , par le moyen des indéclinables ,
une idée sensible des trois tems qu'on
apèle passé , present, et à venir , ou futur ;
exemple, fe lus hier ce que je lis aujourdui ,
etje le relirai demain : ensuite bien loin de
s'amuser à faire aprendre par coeur les rè
gles en vers françois de la métode P. R.
encore moins les règles latines du Despautere,
il faut faire lire le verbe sum ( je
suis ) et faire remarquer à l'enfant le jeu
des figuratives ou des terminalsons actives
dont le verbe substantif sum fournit des
exemples pour les trois persones du singulier
et du plurier . L'essentiel est que
les terminaisons semblables des tems diferens
se raportent les unes aus autres
come par exemple : am , as , at ; amus , atis
ant,se raportent aus tems d'eram, de fueram,
etc, et cela servira pour les conjugaisons
›
actives
NOVEMBRE. 1730. 2355
actives , come pour cèle du verbe substantif.
Il sera bon aussi , pour rendre sensible
àun enfant ce qu'on apèle mode indica if,
mode fubjonctif, etc. de lui faire conjuguer
l'un après l'autre chaque tems de l'indicatif,
avec le même tems du subjonctif,
et de lui faire sentir également la diference
du mode et cèle de la terminaison ;
c'est au maitre ingenieus à chercher et à
varier les tours d'expression qui peuvent
produire l'efet qu'il en atend : je crois
cependant qu'on doit faire aprendre les
tems de l'indicatif avant ceus d'un fubjonctif,
la simplicité semble l'exiger de
la sorte ; mais quand l'enfant aura apris
l'indicatif et le subjonctif , il ne sera pas
mal de diversifier le jeu ou la manerede
conjug les tems de chaque mode , selon
l'age, le progrès , et le gout de l'enfant.
On poura donc pour lors faire conjuguer
alternativement chaque tems de l'indicatif
avec celui du subjonctif , ou bien le
maitre et l'enfant réciteront chacun leur
tems , et changeront de mode tour à tour.
A mesure que l'enfant avance dans la
conoissance sensible des parties du discours
, le maître doit lui doner à lire des
frases qui aient toujours raport à la doctrine
de chaque jour,en passant de l'indéclinable
au déclinable , et du déclinable
Bij au
2356 MERCURE DE FRANCE
:
au conjugable ; et pour cet efet il faut
lui doner des exemples qui contienent la
doctrine courante du jour pour l'ajouter
à cèle qui a déja été donée le jour précédent
le seul verbe substantif sum ( je
suis ) avec les indéclinables et les déclinables
, fournit peut- être des exemples
sur plus de la moitié de la sintaxe: pratique
préferable à cèle qui acable les enfans
condanés à aprendre par coeur toutes les
déclinaisons et toutes les conjugaisons
avant que d'en pratiquer la premiere .
L'école croit ce tems bien employé ,
quand l'enfant ne sait pas écrire , parce
qu'elle supose la nécessité d'aprendre par
coeur des principes avant que de les mettre
en pratique ; mais selon la métode du
bureau l'enfant sans savoir écrire ne laisse
pas de pratiquer l'exercice des tèmes , des
versions , et des compositions qu'on lui
done sur des cartes ; et c'est- là peut ètre
la meilleure manière d'ense`gner un enfant
, puisque dès le premier jour la téorie
et la pratique peuvent aler ensemble :
Fourlors un enfant est bientot mis en état
de s'amuser utilement , et agréablement ;
c'est là un avantage inconu aus auteurs
des métodes vulga res , qui dégoutent les
enfans dans la premiere étude des langues.
Je supose donc qu'on a déja un peu
parlé à l'enfant de la nature de l'adverbe,
de
NOVEMBRE . 1730. 2357
de la préposition , de la conjonction , et de
l'interjection: on doit peu à peu en alonger
et en varier les petites frases composées
d'une seule proposition , par exemple : la
viole angloise et harmonieuse de mon chér
frère Louis Jean Batiste , sera toujours , sans
contredit, l'instrument favori des amateurs de
La bone musique, etc. En suivant cète route,
on fait pratiquer les règles avant que de les
faire étudier , ou pour mieus dire , on
les pratique et on les étudie dans le mème
tems ; les progrès en seront beaucoup
plus grans , sur tout si au comancement
on fait lire et traduire des textes interlineaìres
, selon la métode de M. du Marsais
, et si l'on a soin , come l'enseigne
cet ingénieus Grammairien , d'expliquer
et de faire remarquer à l'enfant le sujet
et l'atribut , l'afirmation ou la négation
de chaque proposition .
Quoique le verbe substantif Sum ( je
suis ) soit le premier par où l'enfant doit
comancer les conjugaisons , il y a bien
des rudimens qui ne le metent qu'apr's
les verbes actifs , les verbes passifs , les
verbes déponens , et mème qu'après les
verbes neutres , à cause de son irrégularité
; cependant quand le verbe passif
n'auroit pas besoin de ce verbe auxiliaire
dans sa conjugaison , il seroit toujours
plus simple et plus régulier de co-
Biij man2358
MERCURE DE FRANCE
rancer les conjugaisons par cèle du verbe
Sum , que par cèles des verbes actifs ;
on est avant que d'agir : d'ailleurs le
verbe substantif representant tous les
verbes, permet une infinité de frases avec
le seul nominatif , ou avec d'autres cas ,
ce qui sufit pour l'usage de diverses concordances
aisées à concevoir et à retenir.
Les rudimens les plus sensés et les plus
métodiques qui ont comancé par la conjugaison
du verbe sum ( je suis ) , n'ont
pas immédiatement après doné cèles de
ses composés possum , prosum , adsum
desum , absum , intersum , obsum , &c.
Ces rudimens ont passé d'abord du verbe
substantif au verbe actif , et il semble
que par la mème raison ces grammairiens
auroient pu et du se contenter d'un seul
paradigme dans chaque declinaison , renvoyant
plus loin les irregularités des
noms , come on a coutume de le faire à
l'égard de cèles des verbes.
e
Si les rudimens ne sont donés aus enfans
que come un repertoire , contenant
la suite des conjugaisons du verbe actif ,
du verbe passif , et du verbe deponent
des 1ere , 2º , 3º , et 4° conjugaison , on
ne peut qu'aprouver cet ordre de livre et
de téorie ; mais si on oblige les enfans à
les aprendre d'abord tout de suite par
coeur , je doute qu'ils en soient plus
avancés
NOVEMBRE. 1730. 23 59
avancés que s'ils n'aprenoient qu'une
seule conjugaison active , sur laquelle on
epuiseroit toutes les frases de la sintaxe
dont le verbe amo ( j'aime ) . Par exemple
est susceptible , et cèles qu'on doneroit
avec tous les principaus verbes de la premiere
conjugaison qui se conjuguent come
le verbe amo , et qui regissent le
mème cas.
Je ne crois pas que l'enfant doive passer
à la conjugaison des verbes passifs ,
qu'il ne sache parfaitement cèle des verbes
actifs , où il est bon de le tenir lontems
et sans impatience ; car s'il paroit
que l'enfant en soit retardé , on vèra dans
la suite avec étonement qu'il en est au
contraire alé plus vite ; la raison seule
pouroit le démontrer à des esprits atentifs
et non prevenus , mais on veut bien
s'en raporter à la seule experience; le maitre
tâchera de varier et d'alonger toujours
le jeu des petites frases dans lesquelles il
fera entrer les parties du discours indeclinables
, les declinables , et les conjugables
du verbe substantif sum ( je suis )
et des verbes actifs conjugués come amo
( j'aime ). Exemple. Etant aujourd'hui un
·écolier diligent et laborieus , je lis avec bien
du plaisir dans les bèles éditions corectes de
l'imprimerie royale du Louvre.
Quand l'enfant saura bien décliner et
Bij con
2360 MERCURE DE FRANCE
conjuguer , il faudra l'instruire un peu
plus et de vive vois sur les parties du discours
qui composent les frases qu'on lui
done.On peut essayer de lui expliquer les
concordances et les règles de la sintaxe
si on s'aperçoit qu'il entende et qu'il sente
ce qu'on lui dit. Il faut, premierement lui
expliquer toutes les parties du discours
dans sa propre langue , avant que de passer
à cèlès des langues mortes : à force de
varier les exemples sur les noms , sur les
pronoms, et sur les verbes , l'enfant aquèra
en françois une espèce de routine et
de pratique qui le disposera à mieus comprendre
dans la suite toute la doctrine
des rudimens latins. On aura soin
de changer les parties du discours et
d'une frase , lorsque l'enfant saura les
mots de cèles qu'on lui aura donées auparavant
; c'est là le vrai et le seul moyen
d'avoir bientot present et d'entretenir le
cours des declinaisons et des conjugaisons
; et c'est peut ètre aussi l'unique ressource
avec les enfans des princes et des
grands seigneurs ; la pratique leur fera
tolerer la téorie , si le maitre a le talent
de se fire gouter lui même.
Lorsque l'enfant sera férme sur la première
conjugaison active , il sera aisé de
lui faire aprendre les autres conjugaisons ,
en fesant remarquer le jeu des terminalsons
NOVEMBRE . 1730. 2361
sons , et la diference d'une conjugaison à
une autre.Quoique l'enfant paroisse savoir
les quatre conjugaisons actives , il ne faut
pas pour cela le mètre encore aus conjugaisons
passives , parce qu'elles sont
trop dificiles , et que la plupart de leurs
tems n'ont aucun raport avec ceus des
verbes de la langue françoise ; cète langue
n'aïant point de verbe passif simple,
se sert du verbe substantif et du participe
passif, de mème que la langue latine
le pratique pour les tems du prétérit
parfait , du plusque parfait de l'indicatif
et du subjonctif , et pour le futur du
mème subjonctif ; de sorte que le verbe
passif n'a proprement de tems simples
que ceus present , de l'imparfait, et du
futur de l'indicatif , et ceus du present ,
et de l'imparfait du subjonctif ; c'est aus
savans latinistes à nous dire pourquoi de
amo, amabam , amavi, amaveram , amabo ,
etc..on n'a pas également formé amor ,
amabar, amavir , amaverar , amabor , etc.
du
Pour faire voir à l'enfant la conjugaison
passive , il faut d'abord comancer par
le jeu des simples terminaisons or , aris
´ou are , atur ; amur , amini , antur , etc. et
suivre la métode qu'on a pratiquée pour
la conjugaison du verbe substantif sum
je suis ) et cèle du verbe actif amo
( j'aime ) ; c'est pourquoi jutra tenir
B lon2362
MERCURE DE FRANCE
Ion-tems un enfant sur la premiere conjugaison
passive , avant que de le faire
passer aus autres , et à cèles des verbes
déponens , des verbes neutres , des verbes
irréguliers , etc. l'usage , la pratique ,
et les lectures continuèles fournissent assés
d'ocasions pour instruire un enfant et
pour le mètre en état de se servir du livre
des rudimens come d'un repertoire qu'on
aprend par coeur à force de le lire ou de
le feuilleter.
Nota. Fe me flate , Monfieur , qu'après
avoir û la patience de me lirejusqu'ici, malgré
l'essai d'une ortografe passagere , v015
voudrés bien me parloner encore l'exemple
de cèle qui suit , j'en rendrai conte dans quel
qu'autre lètre.
En treuue entre aultres choufes des Caietz ou
Les Feuilles adjouxtées ensemble , lefquelles
par leur haulteur forment des Libures ou des
Tables Analytiques à Columpnes & a Crochetz
grauces fur Cuybure pour lufaige de chaifquune-
Declinaifon & de chaifque ConjuGuaifon felon la
purité de la Langue Latyne. Jl fauldra faire
congnoiftre fongneufement a ung Enfant les.
Leczons de ces neuueaulx ieux qui feruiront
de nourreture a fon Efperit . Ie vouldroye que
les Parentz pour le perfect Exercice des Lettres
uoulfiffent auoir foing dVfer des Tiltres faicts
par des Maiftres Efcripuaintz ou encore myeulx
par des Paynctres ces Efcripteaulx porroient
aorner
NOVEMBRE. 1730. 2363
aorner les Couftez du CaBinet dung ieune Enfant
affin quayant a fa PhanTalie & fouant
foubz les deux oueilz le toutal de ces Obie&z
inftructifs & gratieulx jl iouaffe auecques ces
mefmes Obiectz qujl les apprenfist par cuer &
quil en fift fon prouffit car fijl les fcayet bien lire
de fon Chyef naiez pas paour quil commecte des
faultes fur les DeClinaifons & fur les ConiuGuaifons
pource quil ne porra plus eftre embarraſſe
ladeffus & ie doubte mefme quil aduiengne iamais
quil aye befoin quung aultre præpofe pour cela ou
le Varlet fyen luy chifflent la premiere Perfonne
des differentz temps quif doibt cheoifir pour
ConiuGuer. Le ieu des TerMinaifons donnant
les aultres. La-difficulte feuanoyt Ceulx des Pre-
Cepteurs auyfez qui uouldroyent foubftenir que
cela ne peult eftre ainfyn ie porroye le leur faire
ueoir euidentement en leur donnant de beaulx
argumentz & des faicts preuuez qui deburoyent
faire congnoyftre a tous les Perfo nnaiges du
Royaulme la uerite du fubiect que ie metoy e
faultre iour fur le Papier J uauldroit mieul, x
que les Criticqs foufpeconneulx vienfiffent aue c
doulceur ueoir de leurs yeulx lvfaige du Burea
TyPoGraphyque pour garir fehurement leu
Efperit pluftoft que de calumpnier ou de con
dampner trop legierement des TesMoings fa n
reprouche. le fuis , &c.
des enfans et sur l'essai du rudiment
pratique de la langue latine .
MONSIE ONSIEUR ,
Je done ici l'essai du rudiment pratique
de la langue latine pour abreger le
tems que les enfans emploient , et épargner
celui que la plupart perdent à aprendre
par coeur bien des paradigmes , des
exemples , et des règles inutiles quand ils
comencent leurs études . J'ai cru que dans
la grammaire , come dans la géometrie ,
en devoit chercher une liaison pour pas
ser du simple au composé ; et c'est ce qui
m'a déterminé à comencer par les parties
d'oraison ou du discours , adverbiales et
indéclinables, soit qu'elles éxigent des cas
come les prépositions , soit qu'elles n'en
demandent point come les adverbes , etc.
On ne sauroit donc mieus faire que de
doner abécédiquement ou d'une autre
manière en latin et en françois, en françois
eten latin , les principales particules indéclinables
par ordre de qualité. On pouroit,
par exemple , doner les interjections de
joie , d'afliction , etc. les conjonctions copulatives,
NOVEMBRE. 1730. 2337
pulatives , disjonctives , etc. les adverbes
d'afirmation , de négation , etc. les prépositions
et les particules sans cas et avec.
leurs cas ; metant à part celes qui régissent
ou demandent le nominatif , le genitif,
le datif, l'acusatif , le vocatif, ou l'ablatif.
On comprend dans les lectures ou dans
les leçons des indéclinables , les petites
frases adverbiales , proverbiales , modifiées
par des particules, mais dont la construction
est toujours la même. Enfin on
peut doner dans la leçon des indeclina
bles tous les modificatifs transitifs , et toutes
les transitions déclinables ou indéclinables
, lorsqu'elles sont employées come
de simples adverbes, ou come des mots
adverbialement composés de plusieurs autres
mots .
Après que l'enfant auralu,relu, et composé
sur son bureau ce qui regarde les
parties du discours indéclinables, il faudra
ensuite le faire passer aus parties déclinables,
et doner peu àpeu à chaque déclina
son la liste des principaus noms substantifs
et adjectifs, de mème que les pronoms
et les noms de nombre à mesure qu'ils passeront
dans les tèmes de l'enfant , et dans
son dictionaire pratique . On poura essayer
de mètre quelquefois dans ces listes la terminaison
du genitif, et le genre du nom
par exemple , luna , a , f. ( la lune ) ca
Av
2
dame
2338 MERCURE DE FRANCE
dans une autre liste , la lune ( luna , æ, f. }
afin d'avoir une liste pour la version et
une autre pour la composition : ce sera un
peu plus de peine pour le maître en atendant
qu'on ait de bons rudimens pratiques
; mais il en sera bientot dédomagé
par la rapidité des progrès qu'il vêra faire
à son petit éleve .
Je ne sais s'il seroit mieus de doner une
liste des mots déclinables par ordre abécédique
, ou par ordre des matières , et
de qualité , etc. peut- ètre ne doit-on suivre
au comencement que l'ordre et la
suite des lectures , et joindre chaque jour
aus listes comencées les mots qu'on rencontrera
pour la première fois dans les
lectures ordinaires. quand les listes seront
longues , on sera forcé de suivre l'ordre
abécédique , pour ne pas recopier souvent
les mèmes mots ; desorte qu'il sera mieus
pourlors d'avoir la liste générale et suivie
des mots que fourniront les diverses
lectures , pour en former après cela avec
plus d'exactitude et fans répétition , les
diverses listes des mots par ordre abécédique.
On ne doit copier les listes des
mots par ordre abécédique , que lorsque
l'enfant en sait par coeur plusieurs cenraines.
On le pratica ainsi pour le petit
Candiac , agé de cinq ans : il avoit pour
la version d'un texte , une facilité qu'on
auroit
NOVEMBRE . 1730. 2339
auroit peine à croire , à moins que de
l'avoir vu , ce qu'ont fait bien des savans
et des curieus que je pourois citer en faveur
de la métode pratique du bureau :
ils l'ont admirée, aprouvée, et en rendent
par tout le mème témoignage. Pour métre
facilement les mots des tèmes , des versions
, et des lectures dans l'ordre abécédique
du dictionaire du bureau , il faut
prendre une feuille pour chaque lètre de
l'a b c, diviser la page en quatre colones ,
savoir , la première pour les verbes , la
segonde pour les noms adjectifs , la troisieme
pour les noms apellatifs , et la
quatrieme pour les particules indéclinables
, qu'on écrit à mesure qu'on en augmente
le dictionaire. On suivra enfin l'ordre
qu'on voudra , à l'égard des noms
propres on poura les copier separément
sur dautres feuilles , historiques et non
grammaticales. En atendant cète liste , il
sufit que les noms propres soient à leur
rang de logètes dans le dictionaire pratique.
Pour faire décliner les noms d'une manière
pratique et sensible , il faut joindre
chaque cas avec un mot indéclinable , ou
déclinable , qui exige ou régisse le cas ,
par exemple , en luna ( voilà la lune ) figura
luna ( la figure de la lune , etc. ) métode
qu'il faudra suivre dans chaque dé
A vj cli
2340 MERCURE DE FRANCE
clinaison des noms et des pronoms , err
combinant et variant les termes , autant
que l'exercice des déclinaisons poura le
permetre ; c'est pourquoi il faudra changer
de nom , de préposition , d'adverbe ,
ou enfin de mot regissant , pour varier
ce jeu et le rendre plus instructif et
moins ennuyant ; car il ne faut pas quiter
les déclinaisons que l'enfant ne conoisse
et ne sente bien l'usage et la distinction
des cas , des nombres , de Particle , des
terminaisons , et la diference des genres.
›
On suivra le meme ordre en passant
du jeu des mots déclinables au jeu ou à
Pexercice des mots conjugables , en començant
par le verbe substantif sum ( je
suis) et continuant par les conjugaisons active
et passive, avant que de passer à cèle
des verbes déponens , neutres , irreguliers
etc. observant de joindre à chaque persone
du verbe , une petite frase contenant
quelque indéclinable et quelque déclinable
, pour entretenir et augmenter
la conoissance aquise des adverbes , des
prépositions , des noms , des pronoms ,
et généralement de tout ce qui regarde
l'indéclinable et le déclinable , c'est- àdire
, qu'il faut faire entrer dans la frase
courante et du jour , les dificultés des petites
frases qui ont déja passé , avec les
nouvèles dificultés que le maitre souhaite
doner
NOVEMBRE . 1730. 234T
doner à l'enfant, et j'apèle cela imiter dans
un sens la métode des géometres.Par exem.
je suis toujours devant le seigneur, etc.
ego sum femper coram domino , etc.
L'enfant qui saura lire le latin et le
françois poura composer ensuite au bureau
tipografique, les petites frases sur les
sis cas des noms déclinés avec les combinaisons
des parties du discours : par exemple
, ecce authorÆsopus auctor ; ego auctor,
doctus auctors sum auctor ; amor auctor, etc.
L'enfant passera peu- à-peu des petites frases
aus plus longues de cèles que l'on peut
doner en glose mot- à-mot en latin er en
françois après quoi viendra le recueil des
petites frases choisies d'usage courant et
journalier purement latines , qu'on ne
peur traduire mot- à- mot sans latînismes ,
et de celles qu'on ne peut composer en
latin mot-à-mot sans gallicismes. Le rudiment
pratique doit comprendre tous les
mots qui sont employés dans ces frases ;
et outre ce recueil pratique, il ne sera peutêtre
pas mal d'avoir encore une nomenclature
ou un vocabulaire par ordre des
matieres , afin que l'enfant de trois ans
lisant et relisant les mots de ce livre jusqu'à
sis ans , et les composant sur son bureau
tipografique , soit plu- tot en état de
passer à la lecture des bons originaus
avec le secours du maître , qui doit lut
tenir
*
2342 MERCURE DE FRANCE
tenir lieu de téorie , de grammaire , de
dictionaìre , etc. et qui doit lui expliquer
à propos les principes nécessaires pour
l'intelligence et le génie des langues .
Quoique le rudiment pratique contiè
ne des exemples sur toutes les concordances
et sur la sintaxe , le maitre fera
bien de doner de petites frases sur les dificultés
des genres , des déclinaisons , des
conjugaisons, et de la sintaxe ; en comançant
par les frases du nominatif , et continuant
à son chois , ou au chois de l'enfant,
par celle de tous les cas et des nombres
des mots déclinables , soit noms ou
pronoms , avec la pratique des mots indéclinables
ou déclinables , qui exigent
ou régissent quelque cas. il ne sera point
mal de doner des frases proportionées à
l'age et à la capacité de l'enfant, de mème
qu'à l'état auquel les parens le destinent.
Ôn fera la mème chose à l'égard des verbes
pour les tems , les modes , les participes
, etc. employant les pronoms personels
, réciproques , rélatifs , absolus , démonstratifs
, interogatifs , responsifs ,
possessifs , etc. avec la pratique continuèle
des mots indéclinables ou déclinables , et
quelquefois avec cèle des questions de
lieu , de tems , de mesure , etc. Tout ce
qui s'apèle particule , doit se trouver dans
les frases sur les verbes , tems pour tems ,
mode
NOVEMBRE . 1730. 23 43
mode pour mode , observant quelque ordre
, quoique libre , dans toute cete métode
pratique . Au comencement chaque
mot latin doit ètre sous le mot françois ,
selon la méthode de M. du Marsais , en
atendant que l'enfant soit en état de
рон-
voir se contenter d'une ligne de françois
sous une ligne de latin , mais non mot à
mot ; ou qu'il puisse se servir d'un pur
texte , dont la construction soit chifrée
et numerotée come le texte des fables de
Phèdre , que l'enfant peut mètre sur son
bureau , en suivant l'ordre des chifres qui
I 2 3.
leg uident , par exemple : Lupus et agnus
4 5 7 8
compulsi siti venerant ad eundem rivum , etc.
Les maltres qui ne sont pas en état de
bien montrer par eus-mèmes , auront recours
à la méthode de P. R. et encore
mieus à celle de M. du Marsais ; sans acabler
de regles , ni embarasser les enfans
qui ont plu - tot besoin de pratique que
de réorie , ainsi qu'ils le démontrent eus
mèmes par la facilité avec laquelle ils aprè
nent la langue maternèle : cète facilité que
la pratique done , permetra aussi d'accentuer
le latin du rudiment et des tèmes
, come on le fait ordinairement dans
les livres d'église ; c'est le moyen de former
de bone heure l'oreille de l'enfant ,
au moins à la quantité des pénultièmes
silabes
2344 MERCURE DE FRANCE
silabes , en atendant qu'il puisse apren
dre cèle des autres silabes , par la pratique
des compositions au bureau tipografique
, et par la lecture ou par l'étude
des poëtes.
Quand l'enfant saura écrire on ne
sauroit mieus faire que de lui montrer à
copier les listes des noms et des verbes
dans l'ordre abécédique initial ou final ,
come celui du dictionaire des rimes >
pour faire observer les terminaisons , les
genres , les prétérits et les supins , en donant
peu à peu , et toujours à propos , la
doctrine des règles et des exceptions , bien
loin d'en acabler d'abord l'enfant , selon
la métode vulgaire des écoles et de la
plupart des maitres .
:) On
Il faudra copier les listes des verbes ,
et en avoir une particulière pour chaque
conjugaison , et ensuite la liste gé-,
nerale de tous les verbes ; par exemple :
amare , amo , amavi , amatum.
aimer, j'aime, j'ai aimé, aler aimer. On
poura doubler les listes des verbes come
on a fait cèle des noms, c'est - à- dire qu'on
poura les faire en latin et en françois , ec
ensuite en françois et en latin , le tout
sans oublier les verbes déponens , les verbes
neutres , les défectifs , les irreguliers ,
les impersonels , etc.
S
NOVEMBRE. 1730. 234.5
§ . 1. Déclinaison des noms.
On peut suivre sur les déclinaisons des
noms la métode proposée pour montrer
à lire à un enfant de deus à trois ans . il
faut au comencement avoir des cartes
pour les nombres , les cas , les mots à décliners
pour les terminaisons , l'article et
le mot françois , come pour le mot latin ,
et enfin pour chaque espece diferente de
nom , afin que l'enfant puisse sans embaras
et d'un coup d'euil , voir le jeu des déclinaisons.
cet exercice sera plus amusant
et plus instructif , si l'on observe avec
soin d'écrire en rouge ou d'un caractere
diferent les colones principales et alternatives
des déclinaisons , que l'on metra
sur des cartes exemple : N. lun a , la
lune , etc. il sufit de faire lire à l'enfant
un nom décliné pour chaque déclinaison :
par exemple,Musa ( la Muse ) pour la 1º,
dominus , (le seigneur ) pour la 2 : pater
( le pere ) pour la 3.fructus ( le fruit ) pour
la 4. dies ( le jour ) pour la 5. Les grammairiens
apèlent les mots ainsi déclinés
paradigmes , prototipes , c'est-à dire modè
les ou exemples , parce que ces mots servent
de règle pour décliner tous les noms
de la mème déclinaison , à quelque dife
rence près dont l'usage et la suite des lectures
, des versions , et des compositions
ins
2346 MERCURE DE FRANCE
instruiront mieus que les plus lons rudimens
des écoles. S'il arive que l'enfant
s'embrouille par les diferentes déclinaisons
, il faut le tenir plus lon -tems sur la
mème ; avant que de le faire passer à une
autre, et lui faire reciter ou lire plusieurs
noms à l'inspection du paradigme de l'exemplequ'il
sait , ou des simples terminaìsons,
ensorte qu'il lise ou qu'il récite rosa
( la rose) porta la porte , figura ( la figure)
fenestra ( la fenètre , corona ( la courone )
etc. à l'inspection de la carte de Mușa ,
ou de ses seules terminaisons ; ce que l'on
pratiquera dans chaque déclinaison , aïant
l'atention de choisir des mots faciles , et
dont le latin et le françois , soient presque
les mèmes , à la terminaison près.
Cependant si cette trop grande ressemblance
embrouilloit l'enfant , il faudroit
prendre d'autres mots , come menfa ( la
table ) ara ( l'autel ) etc. ne suivant aucune
métode qu'on ne soit prèt d'abandoner
pour une meilleure.
Lorsqu'on trouvera l'enfant trop jeune
et trop vif pour ètre mis sur des livres
ou sur des cartes de rudiment , on poura
essayer de lui faire aprendre en Eco et par
l'oreille seule le jeu des terminalsons; mais
il sera toujours beaucoup mieus que les
feus soient de la partie . Il semble au reste
le mot Musa ( la мuse ) n'ait que pas
été
trop
NOVEMBRE 1730. 2347
-
pre- bien choisi pour le paradigme de la
miere déclinaison ; car le mot Muse ou
Bliari , est à peu près la mème chose
pour un petit enfant : il est donc mieus
de ne doner aus enfans que des mots
conus et sensibles , afin de les lier plus
facilement avec l'idée des terminaisons :
c'est pourquoi rosa ( la rose ) luna ( la
lune ) etc. étant des mots , sensibles et
familiers à un enfant , doivent ètre préferés
dans le rudiment pratique au mot
Musa ; quelque petites et méprisables:
que ces remarques puissent paroitre ; le
lecteur non prévenu , fesant un mellleur
usage de son jugement , sera moins
esclave des défauts des anciènes métodes.
Quand l'enfant saura une déclinaison ,
on poura donc lui doner de petits tèmes
sur chaque cas , avec un adverbe , une
préposition , ou quelque mot déclinable
qui le régisse. On sera souvent obligé
d'employer des noms substantifs ou adjectifs
, faute de trouver assés d'indéclina
bles régissant les diferens cas , et l'on
observera d'écrire en noir le mot françois
et en rouge ou d'un caractere diferent
le mot latin , l'un sous l'autre et sur
des cartes à jouer , pour continuer d'entretenir
le badinage literaire , et éloigner
tout ce qui a l'air d'une étude en forme.
On
2348 MERCURE DE FRANCE
On ne doit point embarasser les enfans
de la déclinaison des mots Æneas ( Enée )
Penelope ( Penelope , la femme d'Ulisse )
ni d'Anchises ( Anchise , le pere d'Enée)
il faut renvoyer l'usage de cete doctrine
à un tems plus convenable et où l'on pou
ra parler des règles et des exceptions de
chaque déclinaison , à mesure que l'enfant
en aura besoin , et non pas plu -tot ,
malgré l'usage et la pratique contraire des
écoles. Le mot dominus ( le seigneur ) pour
le paradigme de la segonde déclinaison, est
peut- être moins propre que celui de lupus
(le loup : ) on doit soulager et menager
autant qu'on le peut , la memoire de l'enfant
et n'exiger d'abord de lui que le jeu
des terminaisons. C'est mal fait encore
de tenir lon- tems et inutilement les enfans
sur les déclinaisons des mots Virgi
lius ( Virgile ) magister ( le maitre ) vir
( l'home ) Orpheus ( Orphée ) templum ( lẹ
temple ) et mème sur les adjectifs , bonus ,
bona , bonum , ( le bon , la bone , le bon )
pulcher, pulchra, pulchrum ( le beau , la bèle,
le beau ) etc. On doit diferer l'usage de
cète doctrine pour le tems auquel
tems auquel on aura
lieu de parler des déclinaisons des noms
neutres et des noms adjectifs. il faut suivre
tant que la métode pratique
des langues vivantes , et ne faire
aprendre les choses qu'à proportion de
l'on
poura
Page
NOVEMBRE. 1730. 2349
de l'age , des idées aquises , et du besoin
courant de ces mèmes choses.
Il semble que les grammairiens n'ont
guère aporté de soin dans le chois qu'ils
ont fait des paradigmes des premieres déclinaisons
; car le mot pater ( le pere ) fe
sant au genitif patris , au lieu de pateris ,
il y a une espece de contraction qui paroit
une irregularité pour le paradigme,
ou l'exemple de cète déclinaison ; c'est
pourquoi j'ai préferé le mot soror ( la soeur)
qui restant entier dans tous les cas , done
des idées plus justes des terminaisons ajoutées
au nominatif ; il n'est pas non plus
necessaire de faire aprendre par coeur onze
paradigmes pour les onze terminaisons
nominatives des noms de cète déclinaison
, ni les noms neutres encore moins
les noms adjectifs : tout cela veut ètre réservé
pour le cours de doctrine que l'on
doit ensuite expliquer à l'enfant , selon
l'ocasion et selon le tems sans le surcharger
au comencement. On observera
la mème chose dans la quatrième et dans
la cinquième déclinaison , où il semble
que le motfacies ( la face ) conviene micus
que celui de dies ( le jour ) dont le latin
et le françois ont moins de raport ensemble.
Lorsque l'enfant saura décliner
les cinq noms ou paradigmes des cinq
déclinaisons, on poura essayer de lui faire
déclner
,
2350 MERCURE DE FRANCE
>
décliner le nom substantif avec l'adjectif,
selon la rime des terminaisons de la première
et de la segonde déclinaison ; et
ensuite peu à peu le faire passer aus autres
déclinaisons : par exemplesmusa bona,
dominus bonus , pater bonus , soror bona
fructus bonus , dies bona , etc. on pouroit
faire décliner les cinq paradigmes ensemble
pour en doner une idée plus précise
ou plus raprochée , suposé que cela n'embrouillât
pas l'enfant après quoi viendroit
le tour des noms neutres et des noms
adjectifs avec la doctrine qui les concerne
, en passant peu à peu du simple au
composé , et des règles les plus générales
aus moins générales , et aus exceptions
sur lesquelles on doit ètre fort sobre
, bien loin de jeter l'enfant dans le
caos par l'entassement de règle sur règle
avant le tems , selon l'usage abusif du
préjugé vulgaire et de prèsque toutes les
écoles.
En recomençant les déclinaisons , on
poura aussi essayer de faire décliner des
noms positifs , des comparatifs , et des superlatifs
, plu-tot pour fortifier l'enfant
sur les déclinaisons , que pour l'instruire
des degrés de comparaison : cète doctrine
ne doit ètre débitée qu'à mesure que l'enfant
en aura besoin , soit en lisant , en
explicant , ou en composant. On doit obexpli
NOVEMBRE. 1730. 235I
à
server la mème chose à l'égard des mots
Athena , Athenarum ( la vile d'Athenes )
Parisii , Parisiorum , ( la vile de Paris )
etc. chaque semaine on augmentera peu
peu l'étendue periodique du jeu ou de
l'exercice pratique des déclinaisons , en
fesant remarquer et sentir à l'enfant la
diference des nombres , des genres , et des.
cas ; la diference des terminaisons et des
déclinaisons , sur lesqueles il faut laisser
lon- tems un enfant avant que de le faire
passer aus verbes ; et cela d'autant mieus ,
qu'avec les seules déclinaisons pratiques
on peut doner des tèmes à l'enfant , et
l'exercer sur la composition et sur la version
des deus langues , ce qui ne paroitra
ridicule et absurde qu'à des esprits
prévenus et esclaves des métodes vulgaires.
On doit bien plus conter sur la prati
que que sur la téorie. A peine l'étude des
regles aprises par coeur done telle à l'enfant
quelque avantage sur celui qui ne les
aprend point, par coeur , mais qui les entend
seulement expliquer quand il lit.
qu'il traduit , ou qu'il compose. Un colège
où l'on ne parleroit jamais que bon
latin , feroit en peu de tems de bons écoliers
; il ne s'agit que de faire revivre l'usage
d'une langue morte , pourquoi ne le
fait on pas c'est parce qu'on suit celui
dos
2352 MERCURE DE FRANCE
des vieilles métodes et qu'on se prévient
contre les projets de toutes les nouvèles.
Un enfant vêra donc encore superficielement
les déclinaisons des nombres et des
degrés de comparaison; on lui fera remarquer
avec soin que toutes les déclinaisons
se raportent aus cinq paradigmes qu'on
lui aura fait voir ; les exceptions s'aprendront
ensuite par l'usage et cela est si vrai,
que sans l'usage on oublîroit mème les paradigmes.
Cependant je ne blâme point
l'ordre des nouveaus rudimens de la langue
latine : bien loin de là , je l'aprouve
fort, pourvu que l'enfant ne soit pas obligé
d'aprendre d'abord tout par coeur , et
qu'il ne se serve de ces rudimens que
pour la lecture , pour la version , et pour
la composition. On doit doner ce livre
come le repertoire des tables , des declinaisons
, et des conjugaisons , etc, dont
l'enfant peut avoir besoin , et dont il
aprendra à se servir jusqu'à ce qu'il soit
en état de s'en passer , et de se contenter
de l'usage d'un dictionaìre.
§. 2. Declinaison des Pronoms.
La metode que l'enfant a suivie en déclinant
les noms , indique cèle qu'il doit
suivre pour aprendre la pratique des pronoms.
il faut d'abord se contenter de la
declinaison des pronoms ego ( moi , on je )
174
NOVEMBRE . 1730. 2 3 5 3
tu ( toi on tu ) ille , illa , illud ( il , elle , )
etc. qui servent à conjuguer les verbes .
Ensuite à loisir viendra le tour du pronom
ou de l'article hic , hac , hoc ( ce ,
cet, cette) et lorsque l'enfant le saura passablement
, il poura essayer quelquefois
de joindre le genre aus noms qu'il déclinera
; suposé néanmoins que cela ne
l'embrouille pas , car cète pratique n'est
point absolument necessaire , malgré le
vieus préjugé de plusieurs écoles . Quand
l'enfant saura ces quatre pronoms , on lui
fera aprendre à loisir le pronom relatif ,
qui , que , quod ( qui , lequel , laquelle )
etc. mais il faut s'en tenir là , et laisser
l'étude des autres pronoms pour le tems
des lectures des versions , et des compositions
proportionées aus idées aquises dans
la langue latine; car je supose qu'on done
toujours à l'enfant des exemples en latin
et en françois, à mesure qu'il avance dans
les simples déclinaisons : on trouvera
quantité de ces exemples dans le rudiment
pratique , mais il est toujours mieus
d'en doner sur des choses relatives à l'enfant
, familieres , sensibles , que le hazard
fournit souvent bien plus à propos que
les livres.
5. 3. Conjugaison des verbes.
Aïant remarqué que les enfans oublient
B ordi2354
MERCURE DE FRANCE
ordinairement une leçon en passant à une
autre , j'ai cru que pour remedier à cet
inconvenient , il faloit tâcher de réduire
les déclinaisons et les conjugaisons à toute
la simplicité possible , afin de n'en faire
dans la suite qu'une leçon abregée ou un
brevia`re grammatical que l'enfantpourolt
réciter tous les jours jusqu'à ce qu'il ût
aquis l'habitude" que les seuls actes réiterés
peuvent lui donér. rour aprendre la
conjugaison des verbes , il faut comancer
par la table des terminaisons actives , et
doner , par le moyen des indéclinables ,
une idée sensible des trois tems qu'on
apèle passé , present, et à venir , ou futur ;
exemple, fe lus hier ce que je lis aujourdui ,
etje le relirai demain : ensuite bien loin de
s'amuser à faire aprendre par coeur les rè
gles en vers françois de la métode P. R.
encore moins les règles latines du Despautere,
il faut faire lire le verbe sum ( je
suis ) et faire remarquer à l'enfant le jeu
des figuratives ou des terminalsons actives
dont le verbe substantif sum fournit des
exemples pour les trois persones du singulier
et du plurier . L'essentiel est que
les terminaisons semblables des tems diferens
se raportent les unes aus autres
come par exemple : am , as , at ; amus , atis
ant,se raportent aus tems d'eram, de fueram,
etc, et cela servira pour les conjugaisons
›
actives
NOVEMBRE. 1730. 2355
actives , come pour cèle du verbe substantif.
Il sera bon aussi , pour rendre sensible
àun enfant ce qu'on apèle mode indica if,
mode fubjonctif, etc. de lui faire conjuguer
l'un après l'autre chaque tems de l'indicatif,
avec le même tems du subjonctif,
et de lui faire sentir également la diference
du mode et cèle de la terminaison ;
c'est au maitre ingenieus à chercher et à
varier les tours d'expression qui peuvent
produire l'efet qu'il en atend : je crois
cependant qu'on doit faire aprendre les
tems de l'indicatif avant ceus d'un fubjonctif,
la simplicité semble l'exiger de
la sorte ; mais quand l'enfant aura apris
l'indicatif et le subjonctif , il ne sera pas
mal de diversifier le jeu ou la manerede
conjug les tems de chaque mode , selon
l'age, le progrès , et le gout de l'enfant.
On poura donc pour lors faire conjuguer
alternativement chaque tems de l'indicatif
avec celui du subjonctif , ou bien le
maitre et l'enfant réciteront chacun leur
tems , et changeront de mode tour à tour.
A mesure que l'enfant avance dans la
conoissance sensible des parties du discours
, le maître doit lui doner à lire des
frases qui aient toujours raport à la doctrine
de chaque jour,en passant de l'indéclinable
au déclinable , et du déclinable
Bij au
2356 MERCURE DE FRANCE
:
au conjugable ; et pour cet efet il faut
lui doner des exemples qui contienent la
doctrine courante du jour pour l'ajouter
à cèle qui a déja été donée le jour précédent
le seul verbe substantif sum ( je
suis ) avec les indéclinables et les déclinables
, fournit peut- être des exemples
sur plus de la moitié de la sintaxe: pratique
préferable à cèle qui acable les enfans
condanés à aprendre par coeur toutes les
déclinaisons et toutes les conjugaisons
avant que d'en pratiquer la premiere .
L'école croit ce tems bien employé ,
quand l'enfant ne sait pas écrire , parce
qu'elle supose la nécessité d'aprendre par
coeur des principes avant que de les mettre
en pratique ; mais selon la métode du
bureau l'enfant sans savoir écrire ne laisse
pas de pratiquer l'exercice des tèmes , des
versions , et des compositions qu'on lui
done sur des cartes ; et c'est- là peut ètre
la meilleure manière d'ense`gner un enfant
, puisque dès le premier jour la téorie
et la pratique peuvent aler ensemble :
Fourlors un enfant est bientot mis en état
de s'amuser utilement , et agréablement ;
c'est là un avantage inconu aus auteurs
des métodes vulga res , qui dégoutent les
enfans dans la premiere étude des langues.
Je supose donc qu'on a déja un peu
parlé à l'enfant de la nature de l'adverbe,
de
NOVEMBRE . 1730. 2357
de la préposition , de la conjonction , et de
l'interjection: on doit peu à peu en alonger
et en varier les petites frases composées
d'une seule proposition , par exemple : la
viole angloise et harmonieuse de mon chér
frère Louis Jean Batiste , sera toujours , sans
contredit, l'instrument favori des amateurs de
La bone musique, etc. En suivant cète route,
on fait pratiquer les règles avant que de les
faire étudier , ou pour mieus dire , on
les pratique et on les étudie dans le mème
tems ; les progrès en seront beaucoup
plus grans , sur tout si au comancement
on fait lire et traduire des textes interlineaìres
, selon la métode de M. du Marsais
, et si l'on a soin , come l'enseigne
cet ingénieus Grammairien , d'expliquer
et de faire remarquer à l'enfant le sujet
et l'atribut , l'afirmation ou la négation
de chaque proposition .
Quoique le verbe substantif Sum ( je
suis ) soit le premier par où l'enfant doit
comancer les conjugaisons , il y a bien
des rudimens qui ne le metent qu'apr's
les verbes actifs , les verbes passifs , les
verbes déponens , et mème qu'après les
verbes neutres , à cause de son irrégularité
; cependant quand le verbe passif
n'auroit pas besoin de ce verbe auxiliaire
dans sa conjugaison , il seroit toujours
plus simple et plus régulier de co-
Biij man2358
MERCURE DE FRANCE
rancer les conjugaisons par cèle du verbe
Sum , que par cèles des verbes actifs ;
on est avant que d'agir : d'ailleurs le
verbe substantif representant tous les
verbes, permet une infinité de frases avec
le seul nominatif , ou avec d'autres cas ,
ce qui sufit pour l'usage de diverses concordances
aisées à concevoir et à retenir.
Les rudimens les plus sensés et les plus
métodiques qui ont comancé par la conjugaison
du verbe sum ( je suis ) , n'ont
pas immédiatement après doné cèles de
ses composés possum , prosum , adsum
desum , absum , intersum , obsum , &c.
Ces rudimens ont passé d'abord du verbe
substantif au verbe actif , et il semble
que par la mème raison ces grammairiens
auroient pu et du se contenter d'un seul
paradigme dans chaque declinaison , renvoyant
plus loin les irregularités des
noms , come on a coutume de le faire à
l'égard de cèles des verbes.
e
Si les rudimens ne sont donés aus enfans
que come un repertoire , contenant
la suite des conjugaisons du verbe actif ,
du verbe passif , et du verbe deponent
des 1ere , 2º , 3º , et 4° conjugaison , on
ne peut qu'aprouver cet ordre de livre et
de téorie ; mais si on oblige les enfans à
les aprendre d'abord tout de suite par
coeur , je doute qu'ils en soient plus
avancés
NOVEMBRE. 1730. 23 59
avancés que s'ils n'aprenoient qu'une
seule conjugaison active , sur laquelle on
epuiseroit toutes les frases de la sintaxe
dont le verbe amo ( j'aime ) . Par exemple
est susceptible , et cèles qu'on doneroit
avec tous les principaus verbes de la premiere
conjugaison qui se conjuguent come
le verbe amo , et qui regissent le
mème cas.
Je ne crois pas que l'enfant doive passer
à la conjugaison des verbes passifs ,
qu'il ne sache parfaitement cèle des verbes
actifs , où il est bon de le tenir lontems
et sans impatience ; car s'il paroit
que l'enfant en soit retardé , on vèra dans
la suite avec étonement qu'il en est au
contraire alé plus vite ; la raison seule
pouroit le démontrer à des esprits atentifs
et non prevenus , mais on veut bien
s'en raporter à la seule experience; le maitre
tâchera de varier et d'alonger toujours
le jeu des petites frases dans lesquelles il
fera entrer les parties du discours indeclinables
, les declinables , et les conjugables
du verbe substantif sum ( je suis )
et des verbes actifs conjugués come amo
( j'aime ). Exemple. Etant aujourd'hui un
·écolier diligent et laborieus , je lis avec bien
du plaisir dans les bèles éditions corectes de
l'imprimerie royale du Louvre.
Quand l'enfant saura bien décliner et
Bij con
2360 MERCURE DE FRANCE
conjuguer , il faudra l'instruire un peu
plus et de vive vois sur les parties du discours
qui composent les frases qu'on lui
done.On peut essayer de lui expliquer les
concordances et les règles de la sintaxe
si on s'aperçoit qu'il entende et qu'il sente
ce qu'on lui dit. Il faut, premierement lui
expliquer toutes les parties du discours
dans sa propre langue , avant que de passer
à cèlès des langues mortes : à force de
varier les exemples sur les noms , sur les
pronoms, et sur les verbes , l'enfant aquèra
en françois une espèce de routine et
de pratique qui le disposera à mieus comprendre
dans la suite toute la doctrine
des rudimens latins. On aura soin
de changer les parties du discours et
d'une frase , lorsque l'enfant saura les
mots de cèles qu'on lui aura donées auparavant
; c'est là le vrai et le seul moyen
d'avoir bientot present et d'entretenir le
cours des declinaisons et des conjugaisons
; et c'est peut ètre aussi l'unique ressource
avec les enfans des princes et des
grands seigneurs ; la pratique leur fera
tolerer la téorie , si le maitre a le talent
de se fire gouter lui même.
Lorsque l'enfant sera férme sur la première
conjugaison active , il sera aisé de
lui faire aprendre les autres conjugaisons ,
en fesant remarquer le jeu des terminalsons
NOVEMBRE . 1730. 2361
sons , et la diference d'une conjugaison à
une autre.Quoique l'enfant paroisse savoir
les quatre conjugaisons actives , il ne faut
pas pour cela le mètre encore aus conjugaisons
passives , parce qu'elles sont
trop dificiles , et que la plupart de leurs
tems n'ont aucun raport avec ceus des
verbes de la langue françoise ; cète langue
n'aïant point de verbe passif simple,
se sert du verbe substantif et du participe
passif, de mème que la langue latine
le pratique pour les tems du prétérit
parfait , du plusque parfait de l'indicatif
et du subjonctif , et pour le futur du
mème subjonctif ; de sorte que le verbe
passif n'a proprement de tems simples
que ceus present , de l'imparfait, et du
futur de l'indicatif , et ceus du present ,
et de l'imparfait du subjonctif ; c'est aus
savans latinistes à nous dire pourquoi de
amo, amabam , amavi, amaveram , amabo ,
etc..on n'a pas également formé amor ,
amabar, amavir , amaverar , amabor , etc.
du
Pour faire voir à l'enfant la conjugaison
passive , il faut d'abord comancer par
le jeu des simples terminaisons or , aris
´ou are , atur ; amur , amini , antur , etc. et
suivre la métode qu'on a pratiquée pour
la conjugaison du verbe substantif sum
je suis ) et cèle du verbe actif amo
( j'aime ) ; c'est pourquoi jutra tenir
B lon2362
MERCURE DE FRANCE
Ion-tems un enfant sur la premiere conjugaison
passive , avant que de le faire
passer aus autres , et à cèles des verbes
déponens , des verbes neutres , des verbes
irréguliers , etc. l'usage , la pratique ,
et les lectures continuèles fournissent assés
d'ocasions pour instruire un enfant et
pour le mètre en état de se servir du livre
des rudimens come d'un repertoire qu'on
aprend par coeur à force de le lire ou de
le feuilleter.
Nota. Fe me flate , Monfieur , qu'après
avoir û la patience de me lirejusqu'ici, malgré
l'essai d'une ortografe passagere , v015
voudrés bien me parloner encore l'exemple
de cèle qui suit , j'en rendrai conte dans quel
qu'autre lètre.
En treuue entre aultres choufes des Caietz ou
Les Feuilles adjouxtées ensemble , lefquelles
par leur haulteur forment des Libures ou des
Tables Analytiques à Columpnes & a Crochetz
grauces fur Cuybure pour lufaige de chaifquune-
Declinaifon & de chaifque ConjuGuaifon felon la
purité de la Langue Latyne. Jl fauldra faire
congnoiftre fongneufement a ung Enfant les.
Leczons de ces neuueaulx ieux qui feruiront
de nourreture a fon Efperit . Ie vouldroye que
les Parentz pour le perfect Exercice des Lettres
uoulfiffent auoir foing dVfer des Tiltres faicts
par des Maiftres Efcripuaintz ou encore myeulx
par des Paynctres ces Efcripteaulx porroient
aorner
NOVEMBRE. 1730. 2363
aorner les Couftez du CaBinet dung ieune Enfant
affin quayant a fa PhanTalie & fouant
foubz les deux oueilz le toutal de ces Obie&z
inftructifs & gratieulx jl iouaffe auecques ces
mefmes Obiectz qujl les apprenfist par cuer &
quil en fift fon prouffit car fijl les fcayet bien lire
de fon Chyef naiez pas paour quil commecte des
faultes fur les DeClinaifons & fur les ConiuGuaifons
pource quil ne porra plus eftre embarraſſe
ladeffus & ie doubte mefme quil aduiengne iamais
quil aye befoin quung aultre præpofe pour cela ou
le Varlet fyen luy chifflent la premiere Perfonne
des differentz temps quif doibt cheoifir pour
ConiuGuer. Le ieu des TerMinaifons donnant
les aultres. La-difficulte feuanoyt Ceulx des Pre-
Cepteurs auyfez qui uouldroyent foubftenir que
cela ne peult eftre ainfyn ie porroye le leur faire
ueoir euidentement en leur donnant de beaulx
argumentz & des faicts preuuez qui deburoyent
faire congnoyftre a tous les Perfo nnaiges du
Royaulme la uerite du fubiect que ie metoy e
faultre iour fur le Papier J uauldroit mieul, x
que les Criticqs foufpeconneulx vienfiffent aue c
doulceur ueoir de leurs yeulx lvfaige du Burea
TyPoGraphyque pour garir fehurement leu
Efperit pluftoft que de calumpnier ou de con
dampner trop legierement des TesMoings fa n
reprouche. le fuis , &c.
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Résumé : SISIEME LETRE sur la bibliotèque des enfans et sur l'essaì du rudiment pratique de la langue latine.
En novembre 1730, un auteur présente un essai sur un rudiment pratique de la langue latine visant à accélérer l'apprentissage des enfants. Il critique la méthode traditionnelle qui consiste à apprendre par cœur de nombreux paradigmes, exemples et règles inutiles. L'auteur propose une approche structurée commençant par les parties du discours indéclinables (prépositions, adverbes, etc.) et les classant par ordre de qualité. Ensuite, l'enfant doit passer aux parties déclinables, en apprenant les noms, adjectifs, pronoms et nombres par listes. L'auteur suggère de créer des listes de mots déclinables soit par ordre alphabétique, soit par ordre des matières, et de les enrichir au fur et à mesure des lectures. Les noms propres peuvent être copiés séparément. Pour rendre l'apprentissage des déclinaisons plus pratique, chaque cas doit être associé à un mot indéclinable ou déclinable qui le régit. L'enfant doit également pratiquer la conjugaison des verbes, en commençant par le verbe 'sum' et en progressant vers les verbes déponens et irréguliers. Le rudiment pratique doit inclure des exemples sur les concordances et la syntaxe, et le maître doit expliquer les principes nécessaires à l'intelligence des langues. L'enfant doit également apprendre à écrire en copiant les listes de noms et de verbes dans l'ordre alphabétique, en observant les terminaisons, les genres et les préterits. Les déclinaisons des noms peuvent être enseignées à l'aide de cartes pour les nombres, les cas et les terminaisons, rendant l'exercice plus amusant et instructif. L'auteur recommande d'utiliser des mots latins et français similaires pour faciliter l'apprentissage des déclinaisons, comme 'rosa' (la rose) ou 'luna' (la lune), plutôt que des mots abstraits comme 'Musa' (la muse). Pour les jeunes enfants, il est suggéré d'apprendre les terminaisons par l'oreille et de rendre l'apprentissage ludique. Le texte critique l'usage de mots complexes comme 'Æneas' ou 'Penelope' et préconise de différer l'enseignement des règles et des exceptions jusqu'à ce que l'enfant en ait besoin. Il propose d'utiliser des cartes à jouer pour rendre l'étude plus amusante et d'éviter de surcharger l'enfant avec trop de règles dès le début. L'apprentissage des verbes doit commencer par la table des terminaisons actives et utiliser le verbe 'sum' (être) pour illustrer les différents temps. L'apprentissage des modes indicatif et subjonctif doit être progressif et adapté à l'âge et aux capacités de l'enfant. Le maître doit varier les méthodes d'enseignement pour maintenir l'intérêt de l'enfant et progresser de manière logique et sensible.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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209
p. 2364-2368
BOUQUET, à Mr de Pibrac. Comte de Marigny.
Début :
Les Bootes déja sous sa main dans les Cieux, [...]
Mots clefs :
Esprit, Coeur, Dialogue
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : BOUQUET, à Mr de Pibrac. Comte de Marigny.
BOUQUET , à M' de Pibrac,
Comte de Marigny.
LEE Bootes déja fous fa main dans les Cieux ,
Avoit vû tourner la grande Ourſe, ( 1 )
; Où pour me faire entendre mieux
La nuit avoit fourni la moité de fa courſe ?
Quand j'ai fongé [ je vous arrête icy ,
Pour vous avertir que les fonges ( 2 )
Vers ce temps ne font point menſonges
;
Horace au moins le dit ainfi. ]
J'ai fongé qu'on alloit célébrer votre Fête.
Je m'éveille en furſaut ; ſoudain fans autre enquête
;
Pour vous prouver mon parfait dévoûment ,
Mon Coeur à mon Eſprit demande un compli
ment.
f1) Ces deux Vers font une imitation de ceux
par où Anacréon a commencé fa troifiéme Odes
fur laquelle il eft bon de voir les Remarques de
Madame Dacier.
( 2) Poft mediam noctem, quum fomnia
vera. Horace , Sat. 10. liv. 1. v. 33 furquoi
Monfieur Dacier rapporte pluſieurs paſſages ,
conformes à celui là.
Mais
NOVEMBRE. 1730. 2365
Mais , qui l'ût crû ? Mon Efprit un moment
A douté s'il devoit accorder ſa requête ,
Vous verrez fur quel fondement ,
Si vous daignez lire le Dialogue
Qu'à la fuite de ce Prologue
Je place naturellement.
DIALOGUE.
Entre mon Caur & mon Efprit.
Le Coeur à l'Esprit.
Non , je ne puis fouffrir votre indolence extrême.
Quoi ! tandis que de Morelet ( a )
Déja l'Efprit s'anime à produire un Sonnet ,
Pour offrir fon tribut à Pibrac qui vous aime ,
Vous ne tenterez pas de lui faire un Bouquet ?
L'Efprit.
Non ; car je fuis à fec , à vous le trancher net.
Pourquoi vous obftiner , depuis près de deux
Luftres ,
A m'exercer toûjours fur le même ſujet ?
Ah ! fi de fes Ayeux illuftres
J'ofois chanter du moins tous les Exploits divers
( a ) Auditeur en la Chambre des Comptes de
Dijon , fameux par fes Sonnets, & ami de Monfieur
de Pibrac,
Que
2366 MERCURE DE FRANCE
Que je fçaurois , fans peine , enfanter de bons.
Vers !
Où fi , laiffant à part fon ancienne nobleffe
J'ofois célébrer fa fagefle ,
Sa prudence , fon équité ,
Sa candeur , fon honnêteté
11
Son efprit , fa délicateffe ,
Et mille autres vertus encor ;
Vous me verriez bien- tôt . , comme un autre
Pindare ,
Sans craindre le deftin d'Icare ;
Jufqu'aux Cieux prendre mon effor.
Mais fi-tôt que je vante un mérite , fi rare ›
Une jeune Divinité ,
Que l'on voit de fes pas compagne inféparable ›
Et qui fe fait connoítre à fa pudeur aimable ,
Les
yeux
nable
baffez s'avance , & d'un ton conve-
A fa noble fimplicité ,
Me tient ce difceurs refpectable.
Au modefte Pibrac , quoique tout dévoué ,
Sçais - tu que par son coeur de foibleſſe incapable
,
Ton hommage est défavoué ?
Parmille qualitex fans doute il eft louable ,
Mais il n'en fuit pas moins l'honneur d'être
lové.
Croi moi, fi tu veux être à fes yeux agréables
Se
NOVEMBRE. 1730. 2367
·Sur toutes les vertus dont le Ciel l'a doüé,
Garde unfilence inviolable.
A ces mots , quelque ardeur qui me vienne
infpirer
Je n'ofe de Pibrac bleffer la modeftie ,
Et contraint , malgré moi , de vaincre mon envie
,
Je le vois , je me tais , & ne puis qu'admirer.
Le Coeur.
d'une frivole excufe
Non , non , vous me payez
Ce n'eft pas ainfi qu'on m'abuſe ,
Quoi que vous me difiez , il attend un Bouquet ,
Je le veux , il le faut , fecondez mon projet.
Car enfin , pouvez - vous vous flater qu'on préfume
,
Qu'un Bouquet , pour Pibrac , foit un ingrat
fujer ?
Si vous vouliez lui faire un fidele portrait
Du zéle qui pour lui fans ceffe me confume ,
De mes tranſports reconnoiflans ,
De mon profond refpect , du plaifir que je fens
Quand je vais par devoir , plutôt que par cou
tume ,
Près de lui brûler mon encens ;
Vous rempliriez plus d'un volume..
L'Efprit.
Eh bien ! je cede enfin à vos difcours preffans.
Ma
2368 MERCURE DE FRANCE
Ma verve ſe réchauffe au beau feu qui vous
guide :
L'Eſprit raiſonne en vain lorfque le coeur décide-
Mais pour calmer votre couroux ,
Parlez , que faut-il que je faffe ?
Le Coeur.
Allez vîte fur le Parnaſſe
Mettre en vers le débat qui vient d'être entre
nous.
Pibrac avec plaifir ....
L'Esprit.
Quoi ! vous figurez - vous
Qu'un tel Bouquet le fatisfaffe ?
Hé !
que
Le Coeur.
rien ne vous embaraffe !
Confiez à mes foins ce que vous aurez fait.
Pibrac , dont l'ame eft complaifante ,
De vos moindres Ecrits eft toujours fatisfait ,
Quand c'est moi qui les lui préfente.
Par M. CoCQUARD , Avocas
au Parlement de Dijon.
Comte de Marigny.
LEE Bootes déja fous fa main dans les Cieux ,
Avoit vû tourner la grande Ourſe, ( 1 )
; Où pour me faire entendre mieux
La nuit avoit fourni la moité de fa courſe ?
Quand j'ai fongé [ je vous arrête icy ,
Pour vous avertir que les fonges ( 2 )
Vers ce temps ne font point menſonges
;
Horace au moins le dit ainfi. ]
J'ai fongé qu'on alloit célébrer votre Fête.
Je m'éveille en furſaut ; ſoudain fans autre enquête
;
Pour vous prouver mon parfait dévoûment ,
Mon Coeur à mon Eſprit demande un compli
ment.
f1) Ces deux Vers font une imitation de ceux
par où Anacréon a commencé fa troifiéme Odes
fur laquelle il eft bon de voir les Remarques de
Madame Dacier.
( 2) Poft mediam noctem, quum fomnia
vera. Horace , Sat. 10. liv. 1. v. 33 furquoi
Monfieur Dacier rapporte pluſieurs paſſages ,
conformes à celui là.
Mais
NOVEMBRE. 1730. 2365
Mais , qui l'ût crû ? Mon Efprit un moment
A douté s'il devoit accorder ſa requête ,
Vous verrez fur quel fondement ,
Si vous daignez lire le Dialogue
Qu'à la fuite de ce Prologue
Je place naturellement.
DIALOGUE.
Entre mon Caur & mon Efprit.
Le Coeur à l'Esprit.
Non , je ne puis fouffrir votre indolence extrême.
Quoi ! tandis que de Morelet ( a )
Déja l'Efprit s'anime à produire un Sonnet ,
Pour offrir fon tribut à Pibrac qui vous aime ,
Vous ne tenterez pas de lui faire un Bouquet ?
L'Efprit.
Non ; car je fuis à fec , à vous le trancher net.
Pourquoi vous obftiner , depuis près de deux
Luftres ,
A m'exercer toûjours fur le même ſujet ?
Ah ! fi de fes Ayeux illuftres
J'ofois chanter du moins tous les Exploits divers
( a ) Auditeur en la Chambre des Comptes de
Dijon , fameux par fes Sonnets, & ami de Monfieur
de Pibrac,
Que
2366 MERCURE DE FRANCE
Que je fçaurois , fans peine , enfanter de bons.
Vers !
Où fi , laiffant à part fon ancienne nobleffe
J'ofois célébrer fa fagefle ,
Sa prudence , fon équité ,
Sa candeur , fon honnêteté
11
Son efprit , fa délicateffe ,
Et mille autres vertus encor ;
Vous me verriez bien- tôt . , comme un autre
Pindare ,
Sans craindre le deftin d'Icare ;
Jufqu'aux Cieux prendre mon effor.
Mais fi-tôt que je vante un mérite , fi rare ›
Une jeune Divinité ,
Que l'on voit de fes pas compagne inféparable ›
Et qui fe fait connoítre à fa pudeur aimable ,
Les
yeux
nable
baffez s'avance , & d'un ton conve-
A fa noble fimplicité ,
Me tient ce difceurs refpectable.
Au modefte Pibrac , quoique tout dévoué ,
Sçais - tu que par son coeur de foibleſſe incapable
,
Ton hommage est défavoué ?
Parmille qualitex fans doute il eft louable ,
Mais il n'en fuit pas moins l'honneur d'être
lové.
Croi moi, fi tu veux être à fes yeux agréables
Se
NOVEMBRE. 1730. 2367
·Sur toutes les vertus dont le Ciel l'a doüé,
Garde unfilence inviolable.
A ces mots , quelque ardeur qui me vienne
infpirer
Je n'ofe de Pibrac bleffer la modeftie ,
Et contraint , malgré moi , de vaincre mon envie
,
Je le vois , je me tais , & ne puis qu'admirer.
Le Coeur.
d'une frivole excufe
Non , non , vous me payez
Ce n'eft pas ainfi qu'on m'abuſe ,
Quoi que vous me difiez , il attend un Bouquet ,
Je le veux , il le faut , fecondez mon projet.
Car enfin , pouvez - vous vous flater qu'on préfume
,
Qu'un Bouquet , pour Pibrac , foit un ingrat
fujer ?
Si vous vouliez lui faire un fidele portrait
Du zéle qui pour lui fans ceffe me confume ,
De mes tranſports reconnoiflans ,
De mon profond refpect , du plaifir que je fens
Quand je vais par devoir , plutôt que par cou
tume ,
Près de lui brûler mon encens ;
Vous rempliriez plus d'un volume..
L'Efprit.
Eh bien ! je cede enfin à vos difcours preffans.
Ma
2368 MERCURE DE FRANCE
Ma verve ſe réchauffe au beau feu qui vous
guide :
L'Eſprit raiſonne en vain lorfque le coeur décide-
Mais pour calmer votre couroux ,
Parlez , que faut-il que je faffe ?
Le Coeur.
Allez vîte fur le Parnaſſe
Mettre en vers le débat qui vient d'être entre
nous.
Pibrac avec plaifir ....
L'Esprit.
Quoi ! vous figurez - vous
Qu'un tel Bouquet le fatisfaffe ?
Hé !
que
Le Coeur.
rien ne vous embaraffe !
Confiez à mes foins ce que vous aurez fait.
Pibrac , dont l'ame eft complaifante ,
De vos moindres Ecrits eft toujours fatisfait ,
Quand c'est moi qui les lui préfente.
Par M. CoCQUARD , Avocas
au Parlement de Dijon.
Fermer
Résumé : BOUQUET, à Mr de Pibrac. Comte de Marigny.
Dans une lettre adressée au Comte de Marigny, également connu sous le nom de Pibrac, Bouquet relate un rêve où il voyait célébrer la fête de Pibrac et exprime son dévouement envers lui. La lettre prend ensuite la forme d'un dialogue intérieur entre le cœur et l'esprit de Bouquet. Le cœur reproche à l'esprit son indolence, soulignant que l'esprit de Morelet, un ami de Pibrac, a déjà composé un sonnet en son honneur. L'esprit, en revanche, refuse de se concentrer uniquement sur les exploits de Pibrac, préférant célébrer ses diverses vertus. Il mentionne également une jeune divinité, la pudeur, qui l'empêche de vanter les mérites de Pibrac de manière excessive. Le cœur insiste néanmoins pour que l'esprit compose un bouquet de vers en l'honneur de Pibrac, arguant que ce dernier appréciera ce geste. Finalement, l'esprit cède et accepte de mettre en vers le débat qui les a opposés, confiant au cœur la tâche de présenter ce bouquet à Pibrac.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
210
p. 2369-2379
RÉPONSE de M. Barrés, Docteur en Médecine de Montpellier, aux Réfléxions de M. Bruhiers d'Ablaincourt, sur l'Eau-de-Vie, inserées dans le Mercure d'Aoust 1730.
Début :
Je conviens, Monsieur, que je serois surpris comme vous, de voir un Médecin [...]
Mots clefs :
Eau de vie, Liqueur, Médecin, Corps, Effets, Maladie, Thèse
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : RÉPONSE de M. Barrés, Docteur en Médecine de Montpellier, aux Réfléxions de M. Bruhiers d'Ablaincourt, sur l'Eau-de-Vie, inserées dans le Mercure d'Aoust 1730.
REPONSE de M. Barrés , Docteur en
Médecine de Montpellier , aux Refle- Réfléxions
de M. Brahiers d'Ablaincourt
fur l'Eau- de -Vie , inferées dans le Mercure
d'Aouft 1730.
J
E conviens , Monfieur , que je ferois
furpris comme vous , de voir un Médecin
fe déclarer contre M. le Hoc , en
faveur de l'Eau-de-Vie , s'il en pouffoit
l'ufage jufqu'à l'abus , mais ma furpriſe
cefferoit avec d'autant plus de plaifir , que
je fentirois en moi-même , que je ne puis
lui donner une opinion fi dangereufe à la
faine pratique fans injuftice;je vous crois,
M. trop équitable pour le juger coupable
d'un crime fi énorme dans la Medecine
puifqu'il fçait tres-bien , avec tout le
monde , que l'abus de cette liqueur & de
tout ce qu'il y a de meilleur dans la vie ,
eft pernicieux : Vulgatiffimum eft nullum
effe bonum quod præpoftero ufu malum non
fiat.
que
Il ne s'agit donc de faire voir par
l'autorité ( vous nous avez mis dans ce
gout ) par la raiſon & l'experience , que
l'Eau- de- Vie s'étant introduite dans l'art
de guérir , ne fçauroit paffer fcrupuleufement
2370 MERCURE DE FRANCE
fement pour une Eau de mort. Je vous
entends , ce n'eft point dont il eft queftion
, & vous avoüez ( dites vous ) que
( a ) l'ufage moderé de cette liqueur eft
loüable dans la fanté & dans la maladie.
Quoique maintenant la conformité de
nos fentimens paroiffe dans tout fon jour,
qu'il me foit permis de paffer en revue
toutes les raifons que vous alleguez cantre
notre critique , que M. le Hoc auroit
pû éviter , s'il eut ainfi rangé la conclufion
de fa Théfe , donc l'abus de l'Eau- de- ›
Vie eft pernicieux à l'homme , car je le prie
de me dire , fi cette conclufion énoncée
en ces termes , donc l'Eau-de-Vie eſt une
Eau de morts ne donne point à entendre
que quelqu'ufage qu'on faffe de cette liqueur
, foit en fanté ou en maladie , elle
eft toujours une Eau de mort ? Quoiqu'il
en foit, nous l'avons conçue & nous l'avons
priſe en ce fens , il fuffit qu'on nous
en ait donné lieu pour nous rendre excufables
, dans le temps que tout le tort fe
tourne du côté de l'Auteur de la Théfe .
L'Eau-de-Vie eft un extrait des parties
fpiritueufes du vin , donc ( dites vous ).
elle en renferme les qualitez , avec d'autant
plus d'énergie que fes principes font
(a) Confultez Hip . Gal . Fern ,Egin . Heurm
& Comm. Varanda . Senn. &c.
réünis
NOVE MBRE. 1730. 2371
réunis fous un moindre volume , ce qui
n'eft pas bien feur ; car de même que
nous voiyons tous les jours des mixtes de
compofez où les fubftances qu'ils ont fournies
par la violence du feu , privées de la
vertu du mixte dans fon entier , foit
qu'on les examine féparément ou bien
toutes enfemble ; de même le vin dans
fon état naturel avec tout ce qui le compoſe
, ne pourroit- il pas produire un effet
different de celui des principes qu'on en
a tirés ? ( Cela foit dit en paffant ) ce qui
vous donne occafion de fubftituer les
effets du Vin à ceux de l'Eau -de-Vie.
Le Vin , dit Fernel ( prenez garde que,
cet Auteur parle icy de fon ufage moderé
) rend le poulx grand , fort , vite &
frequent , ajoutés comme lui & d'affez
courte durée , par confequent peu dangereux
à la vie , & peu contraire à notrecritique.
Vous expliquez enfuite ingénieufement
toutes ces differences de poulx par
l'expenfion tres-confidérable du fang que
le fouffre volatil du Vin occafionne , &
le changement des fouffres du Vin en
efprits animaux. On pourroit bien icy
donner d'autres raifons plus fimples &
plus naturelles de cette expenfion , mais
cela nous écarteroit trop de notre fujet ;
d'ailleurs croiyez - vous de bonne foy ce
changement des fouffres du Vin en efprits.
par
ani
2372 MERCURE DE FRANCE
animaux ; pour moi j'aimerois mieux , fi
j'étois à votre place , n'en point admettre
du tout , que de les réparer par la
quinteffence de cette liqueur que vous
voulez faire paffer pour une Eau de mort.
C'eft icy où nous avons fujet d'appeller
de l'injuftice , fur l'opinion que vous
avez de nous , en difant , avec Fernel ,
qu'à force de s'en fervir fans ménagement
, elle rend le poulx inégal , déréglé ;
vous pouviez dire bien davantage en un
feul mot , qu'elle tuë , & nous vous aurions
crû fur votre parole , fans avoir
recours à l'autorité de Fernel : Abufus
enim omnium rerum eft peffimus.
Votre réponſe en cet endroit , me fournit
l'occafion de vous dire une feconde
fois , qu'il ne s'agit point icy des effets
que l'abus de cette liqueur, produit ,
mais de ceux que l'ufage moderé laiffe
appercevoir avec plaifir aux perfonnes
qui en ufent , foit en fanté ou en maladie
; & que Sydenham même que vous
avez porté contre nous , ne défaprouve
pas dans le même paffage , puifqu'après
avoir dit : Plut à Dieu que l'on s'abſtint
totalement de l'Eau- de-Vie ; il s'eft comme
repris lui - même en continuant : Où
qu'on ne s'en fervit que pour réparer fes
forces dans la fanté altérée pour la rendre
vigoureufe dans la maladie , les affections
NOVEMBRE . 1730. 2373
tions loporeules , & c . pour réparer les
forces, Sydenham en permet l'ufage moderé
dans la fanté & la maladie , où il s'agit
de réparer les forces . Vous concluez
vous-même touchant les bons effets de
l'Eau- de-Vie dans les maladies , qu'on
peut s'en fervir comme remede , Phar
maca funt venena ; eft- ce donc une Eau de
mort , comme vous prétendez ?
Il feroit honteux à des gens qui font
profeffion de la faine Médecine , de ne
pas fçavoir que l'abus que le commun des
hommes fait de cette liqueur , donne origine
à mille maux , à la mort même qu'el
le anticipe ; & n'eft - ce pas fans fondement
que vous nous accuſez ( fans doute
fans y avoir pris garde ) de favorifer
cibus ,en difant toujours contre nous
cobien de maladies ne produira pas la
compilation de ces deux caufes dans le
dérangement & l'inégalité du poulx qu'on
remarque , à force d'en ufer fans menagement.
,
Suivant toujours de près votre réponſe,
n'a -t- on pas lieu de dire maintenant que
quand même on feroit affuré que le foufre
volatil de l'Eau - de- Vie , n'eft autre
chofe qu'un acide embarraffé fortement,
concentré avec un peu de terre & de
phlégme , la circulation & la chaleur de
tout le corps ne fuffiroit pas pour déveloper
2374 MERCURE DE FRANCE
:
loper une feule molecule ou partie intégrante
de cette liqueur , pour mettre
en liberté cet acide ,& par là en état d'agir
fur le fang ?
La foif, à la vérité , la bouche pateuſe ,
le gout défagréable , que l'on a le lende
main d'une débauche , prouvent pour vous
le féjour de ce poifon , igné de ce foufre
du vin qui fe change en clprits animaux ;
vous avez raifon , les effets de l'yvreffe
font paffez le lendemain , à l'abattement
près , & la cauſe refte conftamment malgré
fa volatilité dans le corps oifeufe ;
pour moi j'aurois crû que la foif , la bouche
pateufe , prouveroit plutôt la diffipation
, parce que le fang , felon vousmême
, étant dépouillé de fa partie ſéreufe
, échapée fous la forme d'infenfible
tranfpiration augmentée , pour lors les
glandes falivales font fruftrées de la juſte
quantité de liquide , pour délayer la falive
, qui a pris d'autres routes ; c'eſt ce
que nous obfervons dans les hydropiques,
ou dans ceux qui fouffrent des évacuations
féreufes immodérées.
Voyons préfentement fi nous feront
affez heureux pour fatisfaire à ces deux
points que vous nous propofez ; puifque
fuivant votre fentiment , le volatile du
vin , dites - vous , ne féjourne que peu de
temps dans les vaiffeaux , il ne peut produire
NOVEMM BRE. 1730. 2375
duire qu'un effet peu fenfible ; donc les
vieillards , & les gens de travail ne peuvent
en tirer d'utilité que dans l'ufage
réïteré. C'eft précilément ce qui leur arrive
en s'accoutumant peu à peu à l'ufage
de cette liqueur ; loin de l'abus , ce qui
ne leur eft point un grand mal ; mais il
n'en feroit pas de même ( a ) fi on les
en privoit. On demande enfuite fi nous
voudrions nous mettre dans le rifque
d'ufer d'un mauvais remede ou d'un aliment
dangereux , fous prétexte qu'il n'agit
que peu fur le Corps ; on reconnoît
d'abord une méprife de la part de l'Apologifte
, dans le mot de mauvais , qu'ilau
roit mieux fait de retrancher. Nous répondons
à cela en diftinguant , fous un
prétexre comme le nôtre , fondé fur l'authorité
, la raifon & l'experience , quel
danger y auroit- il ? Je foutiens la gagueure
, fous un prétexte extravagant ,
comme feroit tout autre ; je la renvoye
avec le remede , à celui qui voudroit favorifer
l'extravagance de ce prétexte.
N'a-t- on pas donné fujet à la conclufion
de la coagulation des liqueurs hors
du corps , à la coagulation des liqueurs
au dedans ? Pourquoi fe plaindre donc du
droit que l'on s'en eft fait.
(a ) Hipp. Aph. 49. & 50, Sect. 11.
Pour
2376 MERCURE DE FRANCE
Pour prouver l'épaiffiffement des liqueurs,
vous avez recours tantôt au mouvement
augmenté du fang à fa divifion ,
en faifant raprocher les Globules par la
tranfpiration , augmentée de la partie féreufe
qui entretient la fluidité de la maffe;
tantôt cette explication ne vous plaît
plus , & vous appellez votre acide concentré
, que la circulation , dites vous , ne
peut manquer de developer, & qui ne peut
que coaguler le fang. Enfin vous croyez
que ce foufre volatil ou acide concentré ,
n'épaiffit point les liqueurs , mais que ces
liqueurs font fuivies de l'épaiffiffement ,
vous auriez pû aifément mieux expliquer
votre penſée , qui peut être fort bonne ,
toute obfcure qu'elle eft.
L'objection du critique, tirée de l'avantage
qui revient de l'ufage de l'Eau- de- Vie
aux viellards , & à ceux qui font un violent
exercice du corps , prouve fortement
contre l'auteur de la théfe . Je demande làdeflus
à mon tour. 1º . Si ceux de fes ouvriers
qui travaillent aux champs , & c.
qui boivent du vin bien trempé ,ont moins
de force que ceux qui ne boivent que de
l'eau ? Qu'en penfe-t- on ?
2. S'il oferoit affurer que l'ufage moderé
du Vin ou de l'Eau- de- Vie leur nuit
à la longue, fon Apologiſte du moins n'en
feroit rien ; En effet , M. vous approuvez
l'ufage
NOVEMBRE. 1730. 2377
-
l'uſage moderé duVin & de l'Eau- de Vic.
Vous croyez même qu'on ne fçauroit s'en
paffer dans la Flandre & dans tous les Païs
où on fe fert de la Bierre pour boiffon ordinaire
, que les conftitutions humides
s'en accommodent très- bien dans l'ufage
un peu réïteré qu'on en fait toujours ,
loin de l'abus blamable ; que dans certaines
maladies & dans l'état de convar
leſcence les malades s'en trouvent bien
& le remettent plutôt en fanté ; ce qui
arrive infailliblement en fortifiant le
Ton des fibres de l'Eftomac , rétabliſſant
ainfi les digeſtions , ouvrant , débouchant
les conduits embourbez , faiſant tranſ
pirer ou prendre d'autres routes aux matieres
impures , qui furchargent le fang ;
vous prétendez que les Vieillards reffentent
auffi fes bons effets. Comment après
cela accorderez - vous le paffage de Sydenham
que vous n'avez cité contre nous
que pour perfuader que cette liqueur eft
une Eau de mort ?
Enfin feroit-il furprenant que le vin
changé en efprit de vin par le plus violent,
agent qu'on puiffe trouver , eut perdu
dans les altérations qu'il a fouffertes par le
feu , quelque fubftance eſſentielle à la nature
, enforte que produifant un tel effet
étant vin , il en produifit un autre étant
devenu Efprit de vin? Ce qu'on peut dire
C auffi
2378 MERCURE DE FRANCE
auffi de l'Eau- de- Vie , dont on fait l'Efprit
de Vin ; d'ailleurs une fcrupuleufe
exactitude dans les expériences doit-elle
paffer pour une chicane ou une querelle
des l'Illipuciens ? Nous ne fçaurions trop
nous tenir en garde contre les deffauts de
nos fens & contre l'erreur qu'ils nous of
frent fouvent fous l'apparence de la vérité
, & que la précipitation ou l'inadvertance
fait toujours adopter.
·
Je finirai par ces paroles de Varandeus :
Vinum igitur naturâfuâ & viribus calidum
ficcumque , calefacit , concoctionem juvat ,
facilimè mutatur , fubftantia humoralis &
fpirituofa damna citò reparat , & naturam
fanguinis fubit , ut pote fimilarium partium
& benè concoctarum , fuarum etiam tenuitate
partium avador & alimenti diftributionem
adjuvat , fi mediocritas accefferit
tam in qualitate , quantitate , quàm utendi
tempore , qualitate quidem fi temperatum
Lymphifque refractum fumatur , quod violen
tius & generofius eft , unde Hipp. Aphor.
quinquagefimo fexto , fectionis feptime , &
alibi οἶνος ἴσος ἴσῳ πινόμενος , aqualiter
aqua permixtum , & juvat fanos , & agros.
multos curat , quantitate , &c.
Voilà , Monfieur , ce que j'ai crû mériter
les nouvelles attentions de M. Bruhier
d'Ablancourt , Medecin , que j'eftime.
infiniment , par l'honneur qu'il a bien
youlu
NOVEMBRE. 1770. 2379
voulu nous faire , de répondre à nos Réfléxions
contre la Théfe de M. Hoc. Je
fuis , &c.
Médecine de Montpellier , aux Refle- Réfléxions
de M. Brahiers d'Ablaincourt
fur l'Eau- de -Vie , inferées dans le Mercure
d'Aouft 1730.
J
E conviens , Monfieur , que je ferois
furpris comme vous , de voir un Médecin
fe déclarer contre M. le Hoc , en
faveur de l'Eau-de-Vie , s'il en pouffoit
l'ufage jufqu'à l'abus , mais ma furpriſe
cefferoit avec d'autant plus de plaifir , que
je fentirois en moi-même , que je ne puis
lui donner une opinion fi dangereufe à la
faine pratique fans injuftice;je vous crois,
M. trop équitable pour le juger coupable
d'un crime fi énorme dans la Medecine
puifqu'il fçait tres-bien , avec tout le
monde , que l'abus de cette liqueur & de
tout ce qu'il y a de meilleur dans la vie ,
eft pernicieux : Vulgatiffimum eft nullum
effe bonum quod præpoftero ufu malum non
fiat.
que
Il ne s'agit donc de faire voir par
l'autorité ( vous nous avez mis dans ce
gout ) par la raiſon & l'experience , que
l'Eau- de- Vie s'étant introduite dans l'art
de guérir , ne fçauroit paffer fcrupuleufement
2370 MERCURE DE FRANCE
fement pour une Eau de mort. Je vous
entends , ce n'eft point dont il eft queftion
, & vous avoüez ( dites vous ) que
( a ) l'ufage moderé de cette liqueur eft
loüable dans la fanté & dans la maladie.
Quoique maintenant la conformité de
nos fentimens paroiffe dans tout fon jour,
qu'il me foit permis de paffer en revue
toutes les raifons que vous alleguez cantre
notre critique , que M. le Hoc auroit
pû éviter , s'il eut ainfi rangé la conclufion
de fa Théfe , donc l'abus de l'Eau- de- ›
Vie eft pernicieux à l'homme , car je le prie
de me dire , fi cette conclufion énoncée
en ces termes , donc l'Eau-de-Vie eſt une
Eau de morts ne donne point à entendre
que quelqu'ufage qu'on faffe de cette liqueur
, foit en fanté ou en maladie , elle
eft toujours une Eau de mort ? Quoiqu'il
en foit, nous l'avons conçue & nous l'avons
priſe en ce fens , il fuffit qu'on nous
en ait donné lieu pour nous rendre excufables
, dans le temps que tout le tort fe
tourne du côté de l'Auteur de la Théfe .
L'Eau-de-Vie eft un extrait des parties
fpiritueufes du vin , donc ( dites vous ).
elle en renferme les qualitez , avec d'autant
plus d'énergie que fes principes font
(a) Confultez Hip . Gal . Fern ,Egin . Heurm
& Comm. Varanda . Senn. &c.
réünis
NOVE MBRE. 1730. 2371
réunis fous un moindre volume , ce qui
n'eft pas bien feur ; car de même que
nous voiyons tous les jours des mixtes de
compofez où les fubftances qu'ils ont fournies
par la violence du feu , privées de la
vertu du mixte dans fon entier , foit
qu'on les examine féparément ou bien
toutes enfemble ; de même le vin dans
fon état naturel avec tout ce qui le compoſe
, ne pourroit- il pas produire un effet
different de celui des principes qu'on en
a tirés ? ( Cela foit dit en paffant ) ce qui
vous donne occafion de fubftituer les
effets du Vin à ceux de l'Eau -de-Vie.
Le Vin , dit Fernel ( prenez garde que,
cet Auteur parle icy de fon ufage moderé
) rend le poulx grand , fort , vite &
frequent , ajoutés comme lui & d'affez
courte durée , par confequent peu dangereux
à la vie , & peu contraire à notrecritique.
Vous expliquez enfuite ingénieufement
toutes ces differences de poulx par
l'expenfion tres-confidérable du fang que
le fouffre volatil du Vin occafionne , &
le changement des fouffres du Vin en
efprits animaux. On pourroit bien icy
donner d'autres raifons plus fimples &
plus naturelles de cette expenfion , mais
cela nous écarteroit trop de notre fujet ;
d'ailleurs croiyez - vous de bonne foy ce
changement des fouffres du Vin en efprits.
par
ani
2372 MERCURE DE FRANCE
animaux ; pour moi j'aimerois mieux , fi
j'étois à votre place , n'en point admettre
du tout , que de les réparer par la
quinteffence de cette liqueur que vous
voulez faire paffer pour une Eau de mort.
C'eft icy où nous avons fujet d'appeller
de l'injuftice , fur l'opinion que vous
avez de nous , en difant , avec Fernel ,
qu'à force de s'en fervir fans ménagement
, elle rend le poulx inégal , déréglé ;
vous pouviez dire bien davantage en un
feul mot , qu'elle tuë , & nous vous aurions
crû fur votre parole , fans avoir
recours à l'autorité de Fernel : Abufus
enim omnium rerum eft peffimus.
Votre réponſe en cet endroit , me fournit
l'occafion de vous dire une feconde
fois , qu'il ne s'agit point icy des effets
que l'abus de cette liqueur, produit ,
mais de ceux que l'ufage moderé laiffe
appercevoir avec plaifir aux perfonnes
qui en ufent , foit en fanté ou en maladie
; & que Sydenham même que vous
avez porté contre nous , ne défaprouve
pas dans le même paffage , puifqu'après
avoir dit : Plut à Dieu que l'on s'abſtint
totalement de l'Eau- de-Vie ; il s'eft comme
repris lui - même en continuant : Où
qu'on ne s'en fervit que pour réparer fes
forces dans la fanté altérée pour la rendre
vigoureufe dans la maladie , les affections
NOVEMBRE . 1730. 2373
tions loporeules , & c . pour réparer les
forces, Sydenham en permet l'ufage moderé
dans la fanté & la maladie , où il s'agit
de réparer les forces . Vous concluez
vous-même touchant les bons effets de
l'Eau- de-Vie dans les maladies , qu'on
peut s'en fervir comme remede , Phar
maca funt venena ; eft- ce donc une Eau de
mort , comme vous prétendez ?
Il feroit honteux à des gens qui font
profeffion de la faine Médecine , de ne
pas fçavoir que l'abus que le commun des
hommes fait de cette liqueur , donne origine
à mille maux , à la mort même qu'el
le anticipe ; & n'eft - ce pas fans fondement
que vous nous accuſez ( fans doute
fans y avoir pris garde ) de favorifer
cibus ,en difant toujours contre nous
cobien de maladies ne produira pas la
compilation de ces deux caufes dans le
dérangement & l'inégalité du poulx qu'on
remarque , à force d'en ufer fans menagement.
,
Suivant toujours de près votre réponſe,
n'a -t- on pas lieu de dire maintenant que
quand même on feroit affuré que le foufre
volatil de l'Eau - de- Vie , n'eft autre
chofe qu'un acide embarraffé fortement,
concentré avec un peu de terre & de
phlégme , la circulation & la chaleur de
tout le corps ne fuffiroit pas pour déveloper
2374 MERCURE DE FRANCE
:
loper une feule molecule ou partie intégrante
de cette liqueur , pour mettre
en liberté cet acide ,& par là en état d'agir
fur le fang ?
La foif, à la vérité , la bouche pateuſe ,
le gout défagréable , que l'on a le lende
main d'une débauche , prouvent pour vous
le féjour de ce poifon , igné de ce foufre
du vin qui fe change en clprits animaux ;
vous avez raifon , les effets de l'yvreffe
font paffez le lendemain , à l'abattement
près , & la cauſe refte conftamment malgré
fa volatilité dans le corps oifeufe ;
pour moi j'aurois crû que la foif , la bouche
pateufe , prouveroit plutôt la diffipation
, parce que le fang , felon vousmême
, étant dépouillé de fa partie ſéreufe
, échapée fous la forme d'infenfible
tranfpiration augmentée , pour lors les
glandes falivales font fruftrées de la juſte
quantité de liquide , pour délayer la falive
, qui a pris d'autres routes ; c'eſt ce
que nous obfervons dans les hydropiques,
ou dans ceux qui fouffrent des évacuations
féreufes immodérées.
Voyons préfentement fi nous feront
affez heureux pour fatisfaire à ces deux
points que vous nous propofez ; puifque
fuivant votre fentiment , le volatile du
vin , dites - vous , ne féjourne que peu de
temps dans les vaiffeaux , il ne peut produire
NOVEMM BRE. 1730. 2375
duire qu'un effet peu fenfible ; donc les
vieillards , & les gens de travail ne peuvent
en tirer d'utilité que dans l'ufage
réïteré. C'eft précilément ce qui leur arrive
en s'accoutumant peu à peu à l'ufage
de cette liqueur ; loin de l'abus , ce qui
ne leur eft point un grand mal ; mais il
n'en feroit pas de même ( a ) fi on les
en privoit. On demande enfuite fi nous
voudrions nous mettre dans le rifque
d'ufer d'un mauvais remede ou d'un aliment
dangereux , fous prétexte qu'il n'agit
que peu fur le Corps ; on reconnoît
d'abord une méprife de la part de l'Apologifte
, dans le mot de mauvais , qu'ilau
roit mieux fait de retrancher. Nous répondons
à cela en diftinguant , fous un
prétexre comme le nôtre , fondé fur l'authorité
, la raifon & l'experience , quel
danger y auroit- il ? Je foutiens la gagueure
, fous un prétexte extravagant ,
comme feroit tout autre ; je la renvoye
avec le remede , à celui qui voudroit favorifer
l'extravagance de ce prétexte.
N'a-t- on pas donné fujet à la conclufion
de la coagulation des liqueurs hors
du corps , à la coagulation des liqueurs
au dedans ? Pourquoi fe plaindre donc du
droit que l'on s'en eft fait.
(a ) Hipp. Aph. 49. & 50, Sect. 11.
Pour
2376 MERCURE DE FRANCE
Pour prouver l'épaiffiffement des liqueurs,
vous avez recours tantôt au mouvement
augmenté du fang à fa divifion ,
en faifant raprocher les Globules par la
tranfpiration , augmentée de la partie féreufe
qui entretient la fluidité de la maffe;
tantôt cette explication ne vous plaît
plus , & vous appellez votre acide concentré
, que la circulation , dites vous , ne
peut manquer de developer, & qui ne peut
que coaguler le fang. Enfin vous croyez
que ce foufre volatil ou acide concentré ,
n'épaiffit point les liqueurs , mais que ces
liqueurs font fuivies de l'épaiffiffement ,
vous auriez pû aifément mieux expliquer
votre penſée , qui peut être fort bonne ,
toute obfcure qu'elle eft.
L'objection du critique, tirée de l'avantage
qui revient de l'ufage de l'Eau- de- Vie
aux viellards , & à ceux qui font un violent
exercice du corps , prouve fortement
contre l'auteur de la théfe . Je demande làdeflus
à mon tour. 1º . Si ceux de fes ouvriers
qui travaillent aux champs , & c.
qui boivent du vin bien trempé ,ont moins
de force que ceux qui ne boivent que de
l'eau ? Qu'en penfe-t- on ?
2. S'il oferoit affurer que l'ufage moderé
du Vin ou de l'Eau- de- Vie leur nuit
à la longue, fon Apologiſte du moins n'en
feroit rien ; En effet , M. vous approuvez
l'ufage
NOVEMBRE. 1730. 2377
-
l'uſage moderé duVin & de l'Eau- de Vic.
Vous croyez même qu'on ne fçauroit s'en
paffer dans la Flandre & dans tous les Païs
où on fe fert de la Bierre pour boiffon ordinaire
, que les conftitutions humides
s'en accommodent très- bien dans l'ufage
un peu réïteré qu'on en fait toujours ,
loin de l'abus blamable ; que dans certaines
maladies & dans l'état de convar
leſcence les malades s'en trouvent bien
& le remettent plutôt en fanté ; ce qui
arrive infailliblement en fortifiant le
Ton des fibres de l'Eftomac , rétabliſſant
ainfi les digeſtions , ouvrant , débouchant
les conduits embourbez , faiſant tranſ
pirer ou prendre d'autres routes aux matieres
impures , qui furchargent le fang ;
vous prétendez que les Vieillards reffentent
auffi fes bons effets. Comment après
cela accorderez - vous le paffage de Sydenham
que vous n'avez cité contre nous
que pour perfuader que cette liqueur eft
une Eau de mort ?
Enfin feroit-il furprenant que le vin
changé en efprit de vin par le plus violent,
agent qu'on puiffe trouver , eut perdu
dans les altérations qu'il a fouffertes par le
feu , quelque fubftance eſſentielle à la nature
, enforte que produifant un tel effet
étant vin , il en produifit un autre étant
devenu Efprit de vin? Ce qu'on peut dire
C auffi
2378 MERCURE DE FRANCE
auffi de l'Eau- de- Vie , dont on fait l'Efprit
de Vin ; d'ailleurs une fcrupuleufe
exactitude dans les expériences doit-elle
paffer pour une chicane ou une querelle
des l'Illipuciens ? Nous ne fçaurions trop
nous tenir en garde contre les deffauts de
nos fens & contre l'erreur qu'ils nous of
frent fouvent fous l'apparence de la vérité
, & que la précipitation ou l'inadvertance
fait toujours adopter.
·
Je finirai par ces paroles de Varandeus :
Vinum igitur naturâfuâ & viribus calidum
ficcumque , calefacit , concoctionem juvat ,
facilimè mutatur , fubftantia humoralis &
fpirituofa damna citò reparat , & naturam
fanguinis fubit , ut pote fimilarium partium
& benè concoctarum , fuarum etiam tenuitate
partium avador & alimenti diftributionem
adjuvat , fi mediocritas accefferit
tam in qualitate , quantitate , quàm utendi
tempore , qualitate quidem fi temperatum
Lymphifque refractum fumatur , quod violen
tius & generofius eft , unde Hipp. Aphor.
quinquagefimo fexto , fectionis feptime , &
alibi οἶνος ἴσος ἴσῳ πινόμενος , aqualiter
aqua permixtum , & juvat fanos , & agros.
multos curat , quantitate , &c.
Voilà , Monfieur , ce que j'ai crû mériter
les nouvelles attentions de M. Bruhier
d'Ablancourt , Medecin , que j'eftime.
infiniment , par l'honneur qu'il a bien
youlu
NOVEMBRE. 1770. 2379
voulu nous faire , de répondre à nos Réfléxions
contre la Théfe de M. Hoc. Je
fuis , &c.
Fermer
Résumé : RÉPONSE de M. Barrés, Docteur en Médecine de Montpellier, aux Réfléxions de M. Bruhiers d'Ablaincourt, sur l'Eau-de-Vie, inserées dans le Mercure d'Aoust 1730.
M. Barrès, docteur en médecine de Montpellier, répond aux réflexions de M. Brahiers d'Ablaincourt sur l'eau-de-vie, publiées dans le Mercure d'août 1730. Il reconnaît les dangers de l'abus d'eau-de-vie mais affirme que son usage modéré peut être bénéfique pour la santé et dans le traitement des maladies. M. Barrès critique l'affirmation de M. Brahiers selon laquelle l'eau-de-vie serait une 'eau de mort', jugeant cette conclusion exagérée et injuste. Il examine les arguments de M. Brahiers, notamment ceux tirés des écrits de Fernel et Sydenham, et montre que ces auteurs permettent également l'usage modéré de l'eau-de-vie. M. Barrès souligne que l'eau-de-vie, en tant qu'extrait spirituel du vin, peut avoir des effets différents de ceux du vin en raison de sa concentration. Il conclut en affirmant que l'eau-de-vie, utilisée avec modération, peut renforcer les forces et aider à la récupération dans certaines maladies. Pour appuyer son point de vue, il cite Varandeus, qui souligne les bienfaits du vin et de l'eau-de-vie lorsqu'ils sont consommés avec mesure.
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211
p. 2379
A MADAME DE B...
Début :
Madame, vous voyez qu'à vos ordres fidele [...]
Mots clefs :
Maîtresse, Amant
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texteReconnaissance textuelle : A MADAME DE B...
A MADAME DE B ...
Madame , vous voyez qu'à vos ordres fidele
J'ai fait de ma Maitreffe un aimable tableau :
Celui de votre Amant eſt mille fois plus beau ;
Mais vous peignez un Dieu , je peins une mor
telle
Dont en vous counoiffant on connoît le modele.
Madame , vous voyez qu'à vos ordres fidele
J'ai fait de ma Maitreffe un aimable tableau :
Celui de votre Amant eſt mille fois plus beau ;
Mais vous peignez un Dieu , je peins une mor
telle
Dont en vous counoiffant on connoît le modele.
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212
p. 2379-2380
PORTRAIT DE L'AMANT. Fait par Madame de B...
Début :
Des yeux noirs & de blonds cheveux, [...]
Mots clefs :
Amant, Portrait, Nature
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texteReconnaissance textuelle : PORTRAIT DE L'AMANT. Fait par Madame de B...
PORTRAIT DE L'AMANT.
Fait
par
Madame de B ...
DEs yeux noirs & de blonds cheveur ,
Des dents blanches comme l'yvoire ,
Un fouris doux & gracieux ,
De l'efprit & de la mémoire ,
Se préfenter très- noblement ;
C'est le portrait de mon Amant
Une élégante propreté
Fait tout le foin de ſa parure ;
• Il n'eft rien en lui d'affecté ,
On y voit la fimple nature
Cij
Sans
2380 MERCURE DE FRANCE
Sans détour , fans déguiſement ;
C'eft le portrait de mon Amant.
Sçavoir tout & parler fort bien
Exceller dans l'art de fe taire ,
Ne décider jamais fur rien ,
Se prêter au difcours vulgaire ,
N'avoir jamais d'entêtement ;
C'eſt le portrait de mon Amant.
'Amant conftant , fidele ami
Genereux , difcret & fincere
Ne fervir jamais à demi ,
Délicat dans le doux miſtere ,
Des feftins faire l'ornement ;"
C'eft le portrait de mon Amant.
4
L'on doit aimer jufqu'au tombeau
Ce Chef-d'oeuvre de la nature ;
Vit- on jamais rien de fi beau ?
D'un Dieu même c'eft la peinture,
Ne choififfez point autrement ,
Belles , qui voulez un Amant.
Fait
par
Madame de B ...
DEs yeux noirs & de blonds cheveur ,
Des dents blanches comme l'yvoire ,
Un fouris doux & gracieux ,
De l'efprit & de la mémoire ,
Se préfenter très- noblement ;
C'est le portrait de mon Amant
Une élégante propreté
Fait tout le foin de ſa parure ;
• Il n'eft rien en lui d'affecté ,
On y voit la fimple nature
Cij
Sans
2380 MERCURE DE FRANCE
Sans détour , fans déguiſement ;
C'eft le portrait de mon Amant.
Sçavoir tout & parler fort bien
Exceller dans l'art de fe taire ,
Ne décider jamais fur rien ,
Se prêter au difcours vulgaire ,
N'avoir jamais d'entêtement ;
C'eſt le portrait de mon Amant.
'Amant conftant , fidele ami
Genereux , difcret & fincere
Ne fervir jamais à demi ,
Délicat dans le doux miſtere ,
Des feftins faire l'ornement ;"
C'eft le portrait de mon Amant.
4
L'on doit aimer jufqu'au tombeau
Ce Chef-d'oeuvre de la nature ;
Vit- on jamais rien de fi beau ?
D'un Dieu même c'eft la peinture,
Ne choififfez point autrement ,
Belles , qui voulez un Amant.
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Résumé : PORTRAIT DE L'AMANT. Fait par Madame de B...
Madame de B... décrit un amant idéalisé doté de traits physiques distinctifs : yeux noirs, cheveux blonds, dents blanches et un front gracieux. Il se distingue par une élégante propreté et une absence d'affectation, incarnant simplicité et authenticité. Son esprit et sa mémoire sont remarquables, et il excelle dans l'art du silence, évitant les décisions hâtives. Fidèle, constant, généreux, discret et sincère, il ne sert jamais à moitié et se montre délicat dans les moments intimes, ajoutant de l'éclat aux festins. Le texte le qualifie de chef-d'œuvre de la nature, digne d'amour jusqu'au tombeau, et le compare à la perfection d'un dieu. Les femmes sont encouragées à ne pas chercher autre chose si elles souhaitent un amant.
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213
p. 2381-2382
PORTRAIT DE LA MAITRESSE. Fait par M. d'Hautefeuille.
Début :
Deux rangs de perles dans la bouche, [...]
Mots clefs :
Portrait, Maîtresse, Plaire
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : PORTRAIT DE LA MAITRESSE. Fait par M. d'Hautefeuille.
PORTRAIT DE LA MAITRESSE
Y
Fait
par M. d'Hautefeuilles
D
>
Eux rangs de perles dans la bouche,
Des cheveux noirs , de beaux yeux bleus
Un teint où la rofe fe couche
Un fourire miſterieux ,
L'air plein d'une fage nobleffe ;
C'eſt le portrait de ma Maîtreffe.
Toujours parée & fans parure ,
"Au -deffus des fecrets de l'art ,
-Des feules mains de la nature'
Elle fçait compofer fon fard
L'efprit ſouple & de la juſteſſe ;
Geft le portrait de ma Maitreffe.
Sans bruit , fans humeur , fans caprice }
Śçachant le monde fans l'aimer ;
Et n'ayant pour moi d'autre vice
Que de plaire & de tout charmer;
Un coeur neuf, & que feul je bleſſe
C'eſt le portrait de ma Maitreffe.
Douce , difcrete , genéreufe ,
Contente d'un engagement ,
Dans fa tendreffe ingénieufe
Cij
Elle
2382 MERCURE DE FRANCE
&
Elle fixeroit un Amant
Par fa feule délicateffe ;
C'eft le portrait de ma Maîtreffe.
La Mere du Dieu de Cythere
Fut moins aimée , eut moins d'attraits
Que la Beauté qui m'a fçû plaire ,
Et dont j'ébauche quelques traits :
Ne faites choix , tendre Jeuneffe ,
Que d'une pareille Maîtreffe.
Y
Fait
par M. d'Hautefeuilles
D
>
Eux rangs de perles dans la bouche,
Des cheveux noirs , de beaux yeux bleus
Un teint où la rofe fe couche
Un fourire miſterieux ,
L'air plein d'une fage nobleffe ;
C'eſt le portrait de ma Maîtreffe.
Toujours parée & fans parure ,
"Au -deffus des fecrets de l'art ,
-Des feules mains de la nature'
Elle fçait compofer fon fard
L'efprit ſouple & de la juſteſſe ;
Geft le portrait de ma Maitreffe.
Sans bruit , fans humeur , fans caprice }
Śçachant le monde fans l'aimer ;
Et n'ayant pour moi d'autre vice
Que de plaire & de tout charmer;
Un coeur neuf, & que feul je bleſſe
C'eſt le portrait de ma Maitreffe.
Douce , difcrete , genéreufe ,
Contente d'un engagement ,
Dans fa tendreffe ingénieufe
Cij
Elle
2382 MERCURE DE FRANCE
&
Elle fixeroit un Amant
Par fa feule délicateffe ;
C'eft le portrait de ma Maîtreffe.
La Mere du Dieu de Cythere
Fut moins aimée , eut moins d'attraits
Que la Beauté qui m'a fçû plaire ,
Et dont j'ébauche quelques traits :
Ne faites choix , tendre Jeuneffe ,
Que d'une pareille Maîtreffe.
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Résumé : PORTRAIT DE LA MAITRESSE. Fait par M. d'Hautefeuille.
Le texte décrit une maîtresse, telle que la perçoit M. d'Hautefeuilles. Elle se distingue par des traits physiques marquants : des perles dans la bouche, des cheveux noirs, des yeux bleus, un teint rosé et un sourire énigmatique. Son élégance est naturelle et sans ostentation. Son esprit est flexible et équitable. Elle navigue dans la société sans l'apprécier vraiment, son seul défaut étant de vouloir plaire et charmer. Elle réserve son cœur au narrateur, se montrant douce, discrète et généreuse. Sa beauté et ses qualités surpassent celles de la mère du dieu de Cythère. Le narrateur recommande aux jeunes femmes de choisir une maîtresse de cette trempe.
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214
p. 2382-2398
LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
Début :
Lorsque vous m'avez fait l'honneur, Monsieur, de me proposer la question [...]
Mots clefs :
Poètes, Poésie, Orateur, Éloquence, Discours, Homère, Expression, Force, Vérité, Racine, Homme, Esprit, Âme, Discours
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
LETTRE fur la gloire des Orateurs
& des Poëtes.
Lorfque vous m'avez fait l'honneur
Monfieur , de me propofer la queftion
, fçavoir : Si la gloire des Orateurs eft
preferable à celle des Poëtes , je l'avois déja
lue dans le Mercure du mois du Juin
premier Volume. Il eft certain que ceux
qui excellent dans des fujets difficiles , &
en même-tems très utiles , & très agréa
bles , acquierent plus de gloire & d'honneur
que ceux qui excellent dans des fujets
qui le font beaucoup moins. Pour ju
ger plus fainement de la queſtion dont il
s'agit , il fuffit d'examiner deux chofes ;
la
NOVEMBRE . 1730. 2383
la premiere
quel eft celui de ces deux
genres du Difcours ou de la Poëfie qui
demande plus de talens
pour y exceller
& la feconde : quel eft le plus utile & le
plus agréable.
*
a Les Poëtes comme les Orateurs fe
propofent
d'inftruire
& de plaire , tous leurs efforts tendent à cette même fin
mais ils y arrivent les uns & les autres
par des voyes bien differentes . b L'inven
tion , la difpofition
, l'élocution
, la mémoire
& la prononciation
font tout le mérite des Orateurs. La Poëfie eft affujetie
à un bien plus grand nombre de regles.
Le Poëte Epique doit d'abord former
un plan ingénieux
de toute la fuite
de fon action , en tranfportant
dès l'entrée
fon Lecteur au milieu , ou prefque à la fin
du fujet , en lui laiffant croire qu'il n'a
plus qu'un pas à faire pour voir la conclufion
de l'action , en faifant naître enfuite
mille obftacles qui la reculent , &
qui irritent les defirs du Lecteur , en lui
rappellant
les évenemens
qui ont précedé
,
, par des récits placés avec bienfeance,
en les amenant enfin avec des liaiſons &
à Cic. de Oratore.
b Quintil.
* Arift. Poët.
Horat. Art. Poët.
-
Defpr. Art. Poës.
Cüiti des
2384 MERCURE DE FRANCE
des préparations qui reveillent fa curiofité
, qui l'intereffent de plus en plus ,
qui l'entretiennent dans une douce inquiétude
, & le menent de ſurpriſe en
furprife jufqu'au dénouement ; récits cu
rieux , expreffions vives & furprenantes ,
defcriptions riches & agréables , compa
raifons nobles , difcours touchans , incidens
nouveaux , rencontres inopinées ,
paffions bien peintes ; joignez à cela une
ingénieufe diftribution de toutes ces parties
, avec une verfification harmonieuſe ,
pure & variée ; voilà des beautés prefque
toutes inconnuës à l'Orateur . * Ciceron
lui - même , d'ailleurs fi rempli d'eſtime
pour l'Eloquence , ne peut pas s'empêcher
de mettre la Poëfie beaucoup au- deffus
de la Profe : elle eft , dit- il , un enthoufiafme
un tranfport divin qui éleve
P'homme au- deffus de lui-même ; les vers
que nous avons de lui , quoique mauvais
, nous font bien voir le cas qu'il
faifoit de la Poëfie , il fit auffi tout ce qu'il
pût pour y réuffir ; mais tout grand Órateur
qu'il étoit, il n'avoit pas affez d'imagination
, & il manquoit des autres talens
neceffaires pour devenir un bon
Poëte.
,
Il faut affurément de grands talens
* De Orati
pour
NOVEMBRE . 1730. •
238 5
pour faire un bon Orateur , de la fécondité
dans l'invention , de la nobleffe dans
les idées & dans les fentimens , de l'ima
gination , de la magnificence & de la hardieffe
dans les expreffions . Les mêmes talens
font neceffaires à la Poëfie ; mais il
faut les poffeder dans un degré bien plus.
parfait pour y réuffir ; elle cherche les
penfées & les expreffions les plus nobles,
elle accumule les figures les plus hardies,
elle multiplie les comparaifons & les
images les plus vives , elle parcourt la
nature , & en épuife les richeffes pour
peindre ce qu'elle fent , elle ſe plaît à im→
primer à fes paroles le nombre , la mefu
re & la cadence ; la Poëfie doit être élevée
& foutenue par tout ce qu'on peut imaginer
de plus vif & de plus ingenieux ; en
un mot , elle change tout , mais elle le
change en beau:
* Là pour nous enchanter tout eft mis en
usage ;
Tout prend un corps , une ame , un eſprit , un
viſage ;
·Chaque vertu devient une Divinité ;
Minerve eft la prudence , & Venus la beauté,
Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerres
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre .
Un orage terrible aux yeux des Matelois
* Defer. Art. Poët. Chant 111.
(
C v C'efe
2386 MERCURE DE FRANCE
Ceft Neptune en couroux qui gourmande les
flots.
Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentiffe,
C'est une Nymphe en pleurs qui fe plaint de
Narciffe.
'Ainfi dans cet amas de nobles fictions
Le Poëte s'égaye en mille inventions ,
Orne , éleve , embellit , agrandit toutes chofes,
Et trouve fous fa main des fleurs toujours éclo
Jes
La Profe n'oblige pas à tant de frais ,
& ne prépare pas à tant de chofes ; au
contraire il faut que l'imagination regne
dans les Vers , & s'ils ne font rehauffés
par quelque penfées fublimes , ou fines &
délicates , ils font froids & languiffans ; la
Poëfie ne fouffre rien de médiocre : ainfi
ce n'eſt pas fans raison que l'on a comparé
les Poëtes aux Cavaliers à caufe du feu &
de la rapidité qui animent la Poëſie , &
les Orateurs aux Fantaffins qui marchent
plus tranquilement & avec moins de bruit.
D'ailleurs la Poëfie s'exerce fur toutes
fortes de genres , le badin , le férieux , le
comique le tragique , l'héroïque. Le
foin des troupeaux , les beautés de la nature
& les plaifirs ruftiques en font fouvent
les plus nobles fujets. Enfin Moïſe
Ifaïe , David ne trouverent que la Poëfie
digne de chanter les louanges du Créa-
,
teur
NOVEMBRE . 1730. 2387
teur , de relever fes divins attributs & de
celebrer fes bienfaits ; les Dieux de la Fa
ble , les Héros , les fondateurs des Villes
& les liberateurs de la Patrie auroient
dédaigné tout autre langage ; la Poëfic
feule étoit capable de celebrer leur gloire
& leurs exploits. * Auffi ne fe fervoit- on
anciennement que de la Poëfie : tout jufqu'à
l'hipire même étoit écrit en Vers ,
& l'on ne commença que fort tard à employer
la Profe . La Nature comme épuifée
ne pouvant plus foutenir le langage
fublime de la Poëfie , fut obligée d'avoir
recours à un Difcours moins cadencé &
moins difficile.
Tous les bons connoiffeurs , entr'autres
le P. Bouhours , le P. Rapin , le P. Le
Boffu & M. Daubignac conviennent que
le Poëme Epique eft le chef- d'oeuvre de
l'efprit humain. Avons - nous quelque
harrangue où il y ait tant de fublime ,
d'élevation & de jugement que dans
P'Iliade ou l'Eneide. L'Eloquence ellemême
n'est jamais employée avec plus
d'éclat & plus de fuccès que lors qu'elle
eft foutenue par la Poëffe. Y a - t'il en
effet quelque genre d'Eloquence dont les
Poëmes d'Homere ne fourniffent des mo
deles parfaits ? c'eft chez lui que les Ora-
* Plutarq
C vj teurs
2388 MERCURE DE FRANCE
teurs ont puifé les regles & les beautés
de leur art , ce n'eft qu'en l'imitant qu'ils
ont acquis de la gloire . Pour fe convaincre
de cette verité il fuffit de jetter les
yeux fur quelques unes de fes Harangues
, & l'on conviendra fans peine qu'elles
font au- deffus des plus belles de Ciceron
& de Demofthenes auffi bien que des Modernes.
Les Harangues d'Uliffe de Phenix
& d'Ajax qui furent députés par
l'Armée des Grecs vers Achile pour l'engager
à reprendre les armes , font de ce
genre. Il faut voir a l'art admirable avec
lequel Homere fait parler le Prince d'Ithaque
: il paroît d'abord embaraffé & timide
, les yeux fixes & baiffés , fans geſte
& fans mouvement , ayant affaire à un
homme difficile & intraitable , il employe
des manieres infinuantes , douces & touchantes
; mais quand il s'eft animé ce n'eſt
plus le même homme , & femblable à un
torrent qui tombe avec impétuofité du
haut d'un rocher , il entraîne tous les efprits
par la force de fon éloquence. Les
deux autres ne parlent pas avec moins
d'art moins de force & d'adreffe , & il
eft remarquable que chaque perfonage
parle toujours felon fon caractere , ce qui¹
fait une des principales beautés du Poëa
Il. III. 2. 16. 224
me
NOVEMBRE . 1730 : 238 g*
me Epique. Rien n'eft plus éloquent que
le petit Difcours d'Antiloque à Achile ,
par lequel il lui apprend la mort de Pa
trocle . L'endroit a où Hector prêt d'aller
au combat, fait ſes adieux à Andromaque
& embraffe Aftianax , eft un des plus
beaux & des plus touchans. M. Racine
en a imité une partie dans l'endroit où
Andromaque parle ainfi à ſa confidente :
bab ! de quel fouvenir viens- tu frapper mon
ame !
Quoi ! Cephife , j'irai voir expirer encor
Ce fils , ma feule joye , & l'image d'Hector ?
Ce fils que de fa flamme il me laiſſa pourgage?
Helas je m'en fonviens , le jour que son courage
Lui fit chercher Achille , ou plutôt le trépas ,
Il demanda fon fils , & le prit dans fes bras :
Chere Epouse ( dit- il , en effuyant mes larmes )
J'ignore quelfuccès lè fort garde à mes armes ,
Je te laiffe mon fils , pour gage de ma fòi ;
S'il me perdje prétends qu'il me retrouve en
toi;
Si d'un heureux hymen la mémoire t'eſt chere
Montre au fils à quel point tu chériffois le
pere.
Le Difcours de Priam à Achille
a Il VI. 390. 494 •
b Androm . Act. 117. Scen. VIII.
, par
lequel
2390 MERCURE DE FRANCE
lequel il lui demande le corps de fon fils
Hector , renferme encore des beautés admirables.
Pour les bien fentir il faut fe
rappeller le caractere d'Achille , brufque,
violent & intraitable ; mais il étoit fils
& avoit un pere , & c'eft par où Priam
commence & finit fon difcours . Etant entré
dans la tente d'Achille , il ſe jette à
fes genoux , lui baife la main ; Achille
eft fort furpris d'un fpectacle fi imprévu ,
tous ceux qui l'environnent font dans le
même étonnement & gardent un profond
filence . Alors Priam prenant la parole :
Divin Achille , dit-il , fouvenez - vous
que vous avez un pere avancé en âge comme
moi , & peut- être de même accablé de
maux , fans fecours & fans appui ; mais il
fait que vous vivez , & la douce efperance
de revoir bientôt un fils tendrement aimé le
foutient & le confole : & moi le plus infortuné
des peres de cette troupe nombreufe d'enfans
dont j'étois environné , je n'en ai confervé
aucun : j'en avois cinquante quand les
Grecs aborderent fur ce rivage , le cruel Mars
me les aprefque tous ravis : l'unique qui me
reftoit , feule reffource de ma famille & de
Troye , mon cher Hector , vient d'expirer
fous votre bras vainqueur en deffendant genereuſementfa
Patrie. Je viens ici chargé de
* II. XXIV. 48ĥ
préfens
4
NOVEMBRE. 1730. 239T
prefens pour racheter fon corps : Achille
Taiffez- vous fléchir par le fouvenir de votre
pere , par le refpect que vous devez aux
Dieux , par la vie de mes cruels malheurs
Fut-il jamais un pere plus à plaindre que
moi qui fuis obligé de baifer une main bomicide
, encore fumante du fang de mes enfans.
par
C'eſt la nature même qui s'exprime
la bouche de ce venerable Vieillard
& quelque impitoyable que fut Achille ,
Il ne pût refifter à un Difcours fi touchant,
le doux nom de pere lui arracha des lar
mes. Il eft aifé de comprendre que la Profe
fait perdre à ce Difcours une partie de fa
beauté , il a bien plus de grace & de force
revêtu de tout l'éclat des expreffions
Poëtiques. Il y a dans Homere une infinité
d'autres endroits , peut- être encore
plus beaux ; mais il faut fe borner.
L'éloquence de la Chaire & du Barreau
font affurément d'une grande utilité,
& il faut convenir qu'on a bien de l'obligation
à ceux qui veulent bien y em-
.ployer leurs talens. Mais après tout tous
nos Orateurs enfemble ne fourniroient
pas un endroit qui exprimât avec tant,
d'éclat , de nobleffe & d'élevation la gran
deur & la puiffance du fouverain Maître
de l'Univers que ces Vers de Racine.
Que
2392 MERCURE DE FRANCE
a Que peuvent contre lui tous les Rois de la
terre i
En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre,
Pour diffiper leur ligue il n'a qu'à ſe montrer ;
Il parle , dans la poudre il les fait tous renfrer.
Au feul fon de fa voix la mer fuit , le Ciel
tremble ;
Il voit comme un néant tout l'Univers enfemble
,
Et les foibles Mortels , vains jouets du trépas ,
Sont tous devant fes yeux comme s'ils n'étoienz
pas.
Que de grandeur ! que de nobleffe !
qui ne fent que les mêmes penfées tournées
en Profe par une habile main perdroient
toute leur grace & toute leur force.
Voici un endroit dans le même goût,
tiré d'un de nos plus celebres Orateurs.
O Dieu terrible , mais jufte dans vos confeils
fur les enfans des hommes , vous difpofez
& des Vainqueurs & des Victoires pour
accomplir vos volontés & faire craindre vos
jugemens votre puiſſance renverse ceux que
votre puissance avoit élevés : vous immolez
à votre fouveraine grandeur de grandes victimes
, & vous frappez quand il vous plaît
ces têtes illuftres que vous avez tant de fois
couronnées..
a Efther Att. II. Scen. K
Cee
NOVEMBRE. 1730. 2393
Cet endroit , quoique grand , eft bien
au-deffous des Vers de Racine , c'eſt cependant
un des plus grands efforts de
l'éloquence de M. Flechier, a Cet autre
trait du même Poëte , quoiqu'en un feul
Vers , n'eſt pas moins inimitable à l'Orateur.
b Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point
d'autre crainte.
Pour prouver fans réplique combien
la Poëfie prête à PEloquence , que l'on
mette en Profe les morceaux les plus éloquens
des Poëtes , qu'on les revête de
toutes les expreffions les plus brillantes ;
& l'on jugera aifément combien ils per
dent dans ce changement. Je pourrois
en donner des exemples d'Homere , de
Sophocle & des autres Poëtes , & citer
tous nos Traducteurs ; mais je renvoye
au feul récit de Theramene dans la Tragédie
de Phedre de Racine , & je prie les
partifans de l'éloquence de la Profe de le
rendre fans l'harmonie des Vers auffi touchant
, auffi vif , j'ajoûte même auffi effrayant
qu'il l'eft dans ce Poëte. Qu'un
habile Poëte, au contraire , prenne les endroits
les plus éloquens & les plus pathe
a Oraif. Funebre de M. de Turr.
b Athalie , A &t . 1. Scen. X.
tiques
2394 MERCURE DE FRANCE
tiques de Demofthenes & de Ciceron
qu'il les pare de tous les ornemens de ce
même recit de Theramene , & l'on juge
ra alors combien ils y auront gagné.
Y a t'il quelque chofe qui foit fi propre
à infpirer des fentimens nobles & genereux
fur la Religion que ce que Cor
neille fait dire à Polieucte ; les mêmes Y
chofes en Profe feroient belles, fans doute,
mais bien plus froides & plus languiffantes.
Quelle eft la Harangue qui renferme
une plus belle morale que celle que
Rouffeau a inferée dans fon Ode fur la
Fortune ? trouve- t'on quelque part la ve
tité accompagnée de tant d'agrémens &
de tant de force.
Fortune dont la main couronné
Les forfaits les plus inoùis ,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis ;
Jufques à quand , trompeuſe Idole
D'un culte honteux & frivole
Honorerons- nous tes Autels ?
Verra t'on toujours tes caprices
Confacrés par les facrifices ,
Et par l'hommage des mortels . &c.
Toute la fuite de cette Ode renfermé
une infinité de traits admirables ; je pourois
NOVEMBRE. 1730. 2395
rois ajoûter encore les Odes facrées du
même Auteur qui font bien au - deffus de
celle ci , les Pleaumes de Madame Des
Houllieres , ceux de Malherbe &c . où l'on
trouve des traits que l'éloquence la plus
vive ne sçauroit imiter. Mais fi on vouloit
rapporter tout ce qu'il y a de plus
beau tant en Vers qu'en Proſe , on ne finiroit
point.
On s'ennuye du moins en beaucoup
d'endroits d'un beau Sermon qui contient
les mêmes penſées fur les mêmes fujets
, qui annonce les mêmes verités
qu'une Piece de Poëfie , les vers nous y
rendent beaucoup plus fenfibles , on eſt
plus
plus touché , on entre plus dans toutes
les paffions du Poëte , on s'efforce de la
fuivre , on ſe plaît à fes expreffions , on
aime fes penfées qu'on tâche de retenir ,
on fe fait même un plaifir & un honneur
de les reciter. L'éloquence férieuſe de
F'Orateur fait bien moins d'impreffion
que ces peintures vives & naturelles
du vice que
le Poëte fçait rendre fi méprifable
, & ce n'eft
fans raifon que
Rouffeau a dit que
pas
Des fictions la vive liberté
Peint fouvent mieux l'austere verité
Que neferoit la froideur Monacale
D'une lugubre & pefante morale.
En
2396 MERCURE DE FRANCË
cette
En effet , rien ne touche le coeur de
l'homme , rien n'eft capable de lui faire
impreffion que ce qui lui plaît ; la Poëfie
nous montre la verité avec un viſage
doux & riant , par là elle l'infinue adroitement
entraînés par le plaifir , nous
entrons infenfiblement dans les fentimens
du Poëte , dans fes maximes ; nous prenons
de lui cette nobleffe , cette grandeur
d'ame , ce défintereffement
haine de l'injuftice & cet amour de la
vertu qui éclatent de toutes parts dans
fes Vers. La verité , au contraire , dite
par un Orateur , nous paroît bien plus
fevere , elle n'eft pas accompagnée de ces
graces , de ces ornemens , enfin de toutes
čes beautés qui la rendent aimable , l'efprit
fe ferme à fa voix , & fi quelquefois
on l'écoute , ce n'eft que par un grand
effort de la raifon. Quelqu'un dira peutêtre
que l'éloquence oratoire eft plus utile
à l'Orateur pour fa fortune , & on aura
raifon de dire comme Bachaumont :
a Non non , les doctes damoiselles
N'eurent jamais un bon morceau
Et ces vieilles fempiternelles
Ne burent jamais que de l'eau.
Les Poëtes ont toujours été bien éloia
Voyage de Bach. & de la Chapelle.
gnés
NOVEMBRE. 1730. 2397
grés de cette avidité qui fait dire à tant
de
gens
•
Quærenda pecunia primùm eft
Virtus poft nummos.
Je ne doute point que les gens d'efprit
& de bon goût , les Heros & fur tout le
beau fexe, à qui la Poëfie a fait tant d'honneur
, & dont elle a fi fouvent relevé la
beauté & le mérite , ne préferent la gloire
des Poëtes à celle des Orateurs , &
quand je n'aurois que leur fuffrage j'aurois
toujours celui de la plus brillante
partie du monde . Au refte , on peut encore
juger de la gloire des Poëtes par l'eftime
& la veneration qu'ont eûs pour eux
de tout tems les hommes les plus illuftres
& les plus grands Princes. b Ptolomée
Philopator fit élever un Temple à Homere
; il l'y plaça fur un Trône , & fit repréfenter
autour de lui les fept Villes qui
Te difputoient l'honneur de fa naiffance.
c. Alexandre avoit toujours l'Iliade fous
le chevet de fon lit , enfermé dans la caffete
de Cyrus. d Hyparque , Prince des
Athéniens , envoya une Galere exprès
chercher Anacréon pour faire honneur à
b Elien.
Plutarq. in Vita Alexand.
Elien,
yous
2398 MERCURE DE FRANCE
fa Patrie. Hyeron de Syracufe voulut
avoir Pindare & Simonide à fa Cour .
& perfonne n'ignore que dans le fac
de Thebes Alexandre ordonna qu'on
épargnat la maiſon & la famille du pre
mier des deux Poëtes que je viens de nommer.
On fçait le crédit qu'eurent Virgile
& Horace à la Cour d'Augufte , & enfin
l'eftime particuliere dont Louis XIV. a
toujours honoré nos Poëtes François , Mais
pourquoi chercher de nouvelles preuves?
Le langage des hommes égalera- t'il jamais
le langage des Dieux ? Je fens bien
que je dois me borner à ce petit nombre
de réfléxions , quoiqu'il foit difficile d'être
court en parlant des beautés de la
Poëfie , où l'on trouve tant de choſes qui
enchantent que l'on en pourroit dire ce
que difoit Tibulle de toutes les actions
de fa Maîtreffe
Componit furtim , fubfequiturque decor.
J'ai l'honneur d'être & c .
& des Poëtes.
Lorfque vous m'avez fait l'honneur
Monfieur , de me propofer la queftion
, fçavoir : Si la gloire des Orateurs eft
preferable à celle des Poëtes , je l'avois déja
lue dans le Mercure du mois du Juin
premier Volume. Il eft certain que ceux
qui excellent dans des fujets difficiles , &
en même-tems très utiles , & très agréa
bles , acquierent plus de gloire & d'honneur
que ceux qui excellent dans des fujets
qui le font beaucoup moins. Pour ju
ger plus fainement de la queſtion dont il
s'agit , il fuffit d'examiner deux chofes ;
la
NOVEMBRE . 1730. 2383
la premiere
quel eft celui de ces deux
genres du Difcours ou de la Poëfie qui
demande plus de talens
pour y exceller
& la feconde : quel eft le plus utile & le
plus agréable.
*
a Les Poëtes comme les Orateurs fe
propofent
d'inftruire
& de plaire , tous leurs efforts tendent à cette même fin
mais ils y arrivent les uns & les autres
par des voyes bien differentes . b L'inven
tion , la difpofition
, l'élocution
, la mémoire
& la prononciation
font tout le mérite des Orateurs. La Poëfie eft affujetie
à un bien plus grand nombre de regles.
Le Poëte Epique doit d'abord former
un plan ingénieux
de toute la fuite
de fon action , en tranfportant
dès l'entrée
fon Lecteur au milieu , ou prefque à la fin
du fujet , en lui laiffant croire qu'il n'a
plus qu'un pas à faire pour voir la conclufion
de l'action , en faifant naître enfuite
mille obftacles qui la reculent , &
qui irritent les defirs du Lecteur , en lui
rappellant
les évenemens
qui ont précedé
,
, par des récits placés avec bienfeance,
en les amenant enfin avec des liaiſons &
à Cic. de Oratore.
b Quintil.
* Arift. Poët.
Horat. Art. Poët.
-
Defpr. Art. Poës.
Cüiti des
2384 MERCURE DE FRANCE
des préparations qui reveillent fa curiofité
, qui l'intereffent de plus en plus ,
qui l'entretiennent dans une douce inquiétude
, & le menent de ſurpriſe en
furprife jufqu'au dénouement ; récits cu
rieux , expreffions vives & furprenantes ,
defcriptions riches & agréables , compa
raifons nobles , difcours touchans , incidens
nouveaux , rencontres inopinées ,
paffions bien peintes ; joignez à cela une
ingénieufe diftribution de toutes ces parties
, avec une verfification harmonieuſe ,
pure & variée ; voilà des beautés prefque
toutes inconnuës à l'Orateur . * Ciceron
lui - même , d'ailleurs fi rempli d'eſtime
pour l'Eloquence , ne peut pas s'empêcher
de mettre la Poëfie beaucoup au- deffus
de la Profe : elle eft , dit- il , un enthoufiafme
un tranfport divin qui éleve
P'homme au- deffus de lui-même ; les vers
que nous avons de lui , quoique mauvais
, nous font bien voir le cas qu'il
faifoit de la Poëfie , il fit auffi tout ce qu'il
pût pour y réuffir ; mais tout grand Órateur
qu'il étoit, il n'avoit pas affez d'imagination
, & il manquoit des autres talens
neceffaires pour devenir un bon
Poëte.
,
Il faut affurément de grands talens
* De Orati
pour
NOVEMBRE . 1730. •
238 5
pour faire un bon Orateur , de la fécondité
dans l'invention , de la nobleffe dans
les idées & dans les fentimens , de l'ima
gination , de la magnificence & de la hardieffe
dans les expreffions . Les mêmes talens
font neceffaires à la Poëfie ; mais il
faut les poffeder dans un degré bien plus.
parfait pour y réuffir ; elle cherche les
penfées & les expreffions les plus nobles,
elle accumule les figures les plus hardies,
elle multiplie les comparaifons & les
images les plus vives , elle parcourt la
nature , & en épuife les richeffes pour
peindre ce qu'elle fent , elle ſe plaît à im→
primer à fes paroles le nombre , la mefu
re & la cadence ; la Poëfie doit être élevée
& foutenue par tout ce qu'on peut imaginer
de plus vif & de plus ingenieux ; en
un mot , elle change tout , mais elle le
change en beau:
* Là pour nous enchanter tout eft mis en
usage ;
Tout prend un corps , une ame , un eſprit , un
viſage ;
·Chaque vertu devient une Divinité ;
Minerve eft la prudence , & Venus la beauté,
Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerres
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre .
Un orage terrible aux yeux des Matelois
* Defer. Art. Poët. Chant 111.
(
C v C'efe
2386 MERCURE DE FRANCE
Ceft Neptune en couroux qui gourmande les
flots.
Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentiffe,
C'est une Nymphe en pleurs qui fe plaint de
Narciffe.
'Ainfi dans cet amas de nobles fictions
Le Poëte s'égaye en mille inventions ,
Orne , éleve , embellit , agrandit toutes chofes,
Et trouve fous fa main des fleurs toujours éclo
Jes
La Profe n'oblige pas à tant de frais ,
& ne prépare pas à tant de chofes ; au
contraire il faut que l'imagination regne
dans les Vers , & s'ils ne font rehauffés
par quelque penfées fublimes , ou fines &
délicates , ils font froids & languiffans ; la
Poëfie ne fouffre rien de médiocre : ainfi
ce n'eſt pas fans raison que l'on a comparé
les Poëtes aux Cavaliers à caufe du feu &
de la rapidité qui animent la Poëſie , &
les Orateurs aux Fantaffins qui marchent
plus tranquilement & avec moins de bruit.
D'ailleurs la Poëfie s'exerce fur toutes
fortes de genres , le badin , le férieux , le
comique le tragique , l'héroïque. Le
foin des troupeaux , les beautés de la nature
& les plaifirs ruftiques en font fouvent
les plus nobles fujets. Enfin Moïſe
Ifaïe , David ne trouverent que la Poëfie
digne de chanter les louanges du Créa-
,
teur
NOVEMBRE . 1730. 2387
teur , de relever fes divins attributs & de
celebrer fes bienfaits ; les Dieux de la Fa
ble , les Héros , les fondateurs des Villes
& les liberateurs de la Patrie auroient
dédaigné tout autre langage ; la Poëfic
feule étoit capable de celebrer leur gloire
& leurs exploits. * Auffi ne fe fervoit- on
anciennement que de la Poëfie : tout jufqu'à
l'hipire même étoit écrit en Vers ,
& l'on ne commença que fort tard à employer
la Profe . La Nature comme épuifée
ne pouvant plus foutenir le langage
fublime de la Poëfie , fut obligée d'avoir
recours à un Difcours moins cadencé &
moins difficile.
Tous les bons connoiffeurs , entr'autres
le P. Bouhours , le P. Rapin , le P. Le
Boffu & M. Daubignac conviennent que
le Poëme Epique eft le chef- d'oeuvre de
l'efprit humain. Avons - nous quelque
harrangue où il y ait tant de fublime ,
d'élevation & de jugement que dans
P'Iliade ou l'Eneide. L'Eloquence ellemême
n'est jamais employée avec plus
d'éclat & plus de fuccès que lors qu'elle
eft foutenue par la Poëffe. Y a - t'il en
effet quelque genre d'Eloquence dont les
Poëmes d'Homere ne fourniffent des mo
deles parfaits ? c'eft chez lui que les Ora-
* Plutarq
C vj teurs
2388 MERCURE DE FRANCE
teurs ont puifé les regles & les beautés
de leur art , ce n'eft qu'en l'imitant qu'ils
ont acquis de la gloire . Pour fe convaincre
de cette verité il fuffit de jetter les
yeux fur quelques unes de fes Harangues
, & l'on conviendra fans peine qu'elles
font au- deffus des plus belles de Ciceron
& de Demofthenes auffi bien que des Modernes.
Les Harangues d'Uliffe de Phenix
& d'Ajax qui furent députés par
l'Armée des Grecs vers Achile pour l'engager
à reprendre les armes , font de ce
genre. Il faut voir a l'art admirable avec
lequel Homere fait parler le Prince d'Ithaque
: il paroît d'abord embaraffé & timide
, les yeux fixes & baiffés , fans geſte
& fans mouvement , ayant affaire à un
homme difficile & intraitable , il employe
des manieres infinuantes , douces & touchantes
; mais quand il s'eft animé ce n'eſt
plus le même homme , & femblable à un
torrent qui tombe avec impétuofité du
haut d'un rocher , il entraîne tous les efprits
par la force de fon éloquence. Les
deux autres ne parlent pas avec moins
d'art moins de force & d'adreffe , & il
eft remarquable que chaque perfonage
parle toujours felon fon caractere , ce qui¹
fait une des principales beautés du Poëa
Il. III. 2. 16. 224
me
NOVEMBRE . 1730 : 238 g*
me Epique. Rien n'eft plus éloquent que
le petit Difcours d'Antiloque à Achile ,
par lequel il lui apprend la mort de Pa
trocle . L'endroit a où Hector prêt d'aller
au combat, fait ſes adieux à Andromaque
& embraffe Aftianax , eft un des plus
beaux & des plus touchans. M. Racine
en a imité une partie dans l'endroit où
Andromaque parle ainfi à ſa confidente :
bab ! de quel fouvenir viens- tu frapper mon
ame !
Quoi ! Cephife , j'irai voir expirer encor
Ce fils , ma feule joye , & l'image d'Hector ?
Ce fils que de fa flamme il me laiſſa pourgage?
Helas je m'en fonviens , le jour que son courage
Lui fit chercher Achille , ou plutôt le trépas ,
Il demanda fon fils , & le prit dans fes bras :
Chere Epouse ( dit- il , en effuyant mes larmes )
J'ignore quelfuccès lè fort garde à mes armes ,
Je te laiffe mon fils , pour gage de ma fòi ;
S'il me perdje prétends qu'il me retrouve en
toi;
Si d'un heureux hymen la mémoire t'eſt chere
Montre au fils à quel point tu chériffois le
pere.
Le Difcours de Priam à Achille
a Il VI. 390. 494 •
b Androm . Act. 117. Scen. VIII.
, par
lequel
2390 MERCURE DE FRANCE
lequel il lui demande le corps de fon fils
Hector , renferme encore des beautés admirables.
Pour les bien fentir il faut fe
rappeller le caractere d'Achille , brufque,
violent & intraitable ; mais il étoit fils
& avoit un pere , & c'eft par où Priam
commence & finit fon difcours . Etant entré
dans la tente d'Achille , il ſe jette à
fes genoux , lui baife la main ; Achille
eft fort furpris d'un fpectacle fi imprévu ,
tous ceux qui l'environnent font dans le
même étonnement & gardent un profond
filence . Alors Priam prenant la parole :
Divin Achille , dit-il , fouvenez - vous
que vous avez un pere avancé en âge comme
moi , & peut- être de même accablé de
maux , fans fecours & fans appui ; mais il
fait que vous vivez , & la douce efperance
de revoir bientôt un fils tendrement aimé le
foutient & le confole : & moi le plus infortuné
des peres de cette troupe nombreufe d'enfans
dont j'étois environné , je n'en ai confervé
aucun : j'en avois cinquante quand les
Grecs aborderent fur ce rivage , le cruel Mars
me les aprefque tous ravis : l'unique qui me
reftoit , feule reffource de ma famille & de
Troye , mon cher Hector , vient d'expirer
fous votre bras vainqueur en deffendant genereuſementfa
Patrie. Je viens ici chargé de
* II. XXIV. 48ĥ
préfens
4
NOVEMBRE. 1730. 239T
prefens pour racheter fon corps : Achille
Taiffez- vous fléchir par le fouvenir de votre
pere , par le refpect que vous devez aux
Dieux , par la vie de mes cruels malheurs
Fut-il jamais un pere plus à plaindre que
moi qui fuis obligé de baifer une main bomicide
, encore fumante du fang de mes enfans.
par
C'eſt la nature même qui s'exprime
la bouche de ce venerable Vieillard
& quelque impitoyable que fut Achille ,
Il ne pût refifter à un Difcours fi touchant,
le doux nom de pere lui arracha des lar
mes. Il eft aifé de comprendre que la Profe
fait perdre à ce Difcours une partie de fa
beauté , il a bien plus de grace & de force
revêtu de tout l'éclat des expreffions
Poëtiques. Il y a dans Homere une infinité
d'autres endroits , peut- être encore
plus beaux ; mais il faut fe borner.
L'éloquence de la Chaire & du Barreau
font affurément d'une grande utilité,
& il faut convenir qu'on a bien de l'obligation
à ceux qui veulent bien y em-
.ployer leurs talens. Mais après tout tous
nos Orateurs enfemble ne fourniroient
pas un endroit qui exprimât avec tant,
d'éclat , de nobleffe & d'élevation la gran
deur & la puiffance du fouverain Maître
de l'Univers que ces Vers de Racine.
Que
2392 MERCURE DE FRANCE
a Que peuvent contre lui tous les Rois de la
terre i
En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre,
Pour diffiper leur ligue il n'a qu'à ſe montrer ;
Il parle , dans la poudre il les fait tous renfrer.
Au feul fon de fa voix la mer fuit , le Ciel
tremble ;
Il voit comme un néant tout l'Univers enfemble
,
Et les foibles Mortels , vains jouets du trépas ,
Sont tous devant fes yeux comme s'ils n'étoienz
pas.
Que de grandeur ! que de nobleffe !
qui ne fent que les mêmes penfées tournées
en Profe par une habile main perdroient
toute leur grace & toute leur force.
Voici un endroit dans le même goût,
tiré d'un de nos plus celebres Orateurs.
O Dieu terrible , mais jufte dans vos confeils
fur les enfans des hommes , vous difpofez
& des Vainqueurs & des Victoires pour
accomplir vos volontés & faire craindre vos
jugemens votre puiſſance renverse ceux que
votre puissance avoit élevés : vous immolez
à votre fouveraine grandeur de grandes victimes
, & vous frappez quand il vous plaît
ces têtes illuftres que vous avez tant de fois
couronnées..
a Efther Att. II. Scen. K
Cee
NOVEMBRE. 1730. 2393
Cet endroit , quoique grand , eft bien
au-deffous des Vers de Racine , c'eſt cependant
un des plus grands efforts de
l'éloquence de M. Flechier, a Cet autre
trait du même Poëte , quoiqu'en un feul
Vers , n'eſt pas moins inimitable à l'Orateur.
b Je crains Dieu , cher Abner , & n'ai point
d'autre crainte.
Pour prouver fans réplique combien
la Poëfie prête à PEloquence , que l'on
mette en Profe les morceaux les plus éloquens
des Poëtes , qu'on les revête de
toutes les expreffions les plus brillantes ;
& l'on jugera aifément combien ils per
dent dans ce changement. Je pourrois
en donner des exemples d'Homere , de
Sophocle & des autres Poëtes , & citer
tous nos Traducteurs ; mais je renvoye
au feul récit de Theramene dans la Tragédie
de Phedre de Racine , & je prie les
partifans de l'éloquence de la Profe de le
rendre fans l'harmonie des Vers auffi touchant
, auffi vif , j'ajoûte même auffi effrayant
qu'il l'eft dans ce Poëte. Qu'un
habile Poëte, au contraire , prenne les endroits
les plus éloquens & les plus pathe
a Oraif. Funebre de M. de Turr.
b Athalie , A &t . 1. Scen. X.
tiques
2394 MERCURE DE FRANCE
tiques de Demofthenes & de Ciceron
qu'il les pare de tous les ornemens de ce
même recit de Theramene , & l'on juge
ra alors combien ils y auront gagné.
Y a t'il quelque chofe qui foit fi propre
à infpirer des fentimens nobles & genereux
fur la Religion que ce que Cor
neille fait dire à Polieucte ; les mêmes Y
chofes en Profe feroient belles, fans doute,
mais bien plus froides & plus languiffantes.
Quelle eft la Harangue qui renferme
une plus belle morale que celle que
Rouffeau a inferée dans fon Ode fur la
Fortune ? trouve- t'on quelque part la ve
tité accompagnée de tant d'agrémens &
de tant de force.
Fortune dont la main couronné
Les forfaits les plus inoùis ,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis ;
Jufques à quand , trompeuſe Idole
D'un culte honteux & frivole
Honorerons- nous tes Autels ?
Verra t'on toujours tes caprices
Confacrés par les facrifices ,
Et par l'hommage des mortels . &c.
Toute la fuite de cette Ode renfermé
une infinité de traits admirables ; je pourois
NOVEMBRE. 1730. 2395
rois ajoûter encore les Odes facrées du
même Auteur qui font bien au - deffus de
celle ci , les Pleaumes de Madame Des
Houllieres , ceux de Malherbe &c . où l'on
trouve des traits que l'éloquence la plus
vive ne sçauroit imiter. Mais fi on vouloit
rapporter tout ce qu'il y a de plus
beau tant en Vers qu'en Proſe , on ne finiroit
point.
On s'ennuye du moins en beaucoup
d'endroits d'un beau Sermon qui contient
les mêmes penſées fur les mêmes fujets
, qui annonce les mêmes verités
qu'une Piece de Poëfie , les vers nous y
rendent beaucoup plus fenfibles , on eſt
plus
plus touché , on entre plus dans toutes
les paffions du Poëte , on s'efforce de la
fuivre , on ſe plaît à fes expreffions , on
aime fes penfées qu'on tâche de retenir ,
on fe fait même un plaifir & un honneur
de les reciter. L'éloquence férieuſe de
F'Orateur fait bien moins d'impreffion
que ces peintures vives & naturelles
du vice que
le Poëte fçait rendre fi méprifable
, & ce n'eft
fans raifon que
Rouffeau a dit que
pas
Des fictions la vive liberté
Peint fouvent mieux l'austere verité
Que neferoit la froideur Monacale
D'une lugubre & pefante morale.
En
2396 MERCURE DE FRANCË
cette
En effet , rien ne touche le coeur de
l'homme , rien n'eft capable de lui faire
impreffion que ce qui lui plaît ; la Poëfie
nous montre la verité avec un viſage
doux & riant , par là elle l'infinue adroitement
entraînés par le plaifir , nous
entrons infenfiblement dans les fentimens
du Poëte , dans fes maximes ; nous prenons
de lui cette nobleffe , cette grandeur
d'ame , ce défintereffement
haine de l'injuftice & cet amour de la
vertu qui éclatent de toutes parts dans
fes Vers. La verité , au contraire , dite
par un Orateur , nous paroît bien plus
fevere , elle n'eft pas accompagnée de ces
graces , de ces ornemens , enfin de toutes
čes beautés qui la rendent aimable , l'efprit
fe ferme à fa voix , & fi quelquefois
on l'écoute , ce n'eft que par un grand
effort de la raifon. Quelqu'un dira peutêtre
que l'éloquence oratoire eft plus utile
à l'Orateur pour fa fortune , & on aura
raifon de dire comme Bachaumont :
a Non non , les doctes damoiselles
N'eurent jamais un bon morceau
Et ces vieilles fempiternelles
Ne burent jamais que de l'eau.
Les Poëtes ont toujours été bien éloia
Voyage de Bach. & de la Chapelle.
gnés
NOVEMBRE. 1730. 2397
grés de cette avidité qui fait dire à tant
de
gens
•
Quærenda pecunia primùm eft
Virtus poft nummos.
Je ne doute point que les gens d'efprit
& de bon goût , les Heros & fur tout le
beau fexe, à qui la Poëfie a fait tant d'honneur
, & dont elle a fi fouvent relevé la
beauté & le mérite , ne préferent la gloire
des Poëtes à celle des Orateurs , &
quand je n'aurois que leur fuffrage j'aurois
toujours celui de la plus brillante
partie du monde . Au refte , on peut encore
juger de la gloire des Poëtes par l'eftime
& la veneration qu'ont eûs pour eux
de tout tems les hommes les plus illuftres
& les plus grands Princes. b Ptolomée
Philopator fit élever un Temple à Homere
; il l'y plaça fur un Trône , & fit repréfenter
autour de lui les fept Villes qui
Te difputoient l'honneur de fa naiffance.
c. Alexandre avoit toujours l'Iliade fous
le chevet de fon lit , enfermé dans la caffete
de Cyrus. d Hyparque , Prince des
Athéniens , envoya une Galere exprès
chercher Anacréon pour faire honneur à
b Elien.
Plutarq. in Vita Alexand.
Elien,
yous
2398 MERCURE DE FRANCE
fa Patrie. Hyeron de Syracufe voulut
avoir Pindare & Simonide à fa Cour .
& perfonne n'ignore que dans le fac
de Thebes Alexandre ordonna qu'on
épargnat la maiſon & la famille du pre
mier des deux Poëtes que je viens de nommer.
On fçait le crédit qu'eurent Virgile
& Horace à la Cour d'Augufte , & enfin
l'eftime particuliere dont Louis XIV. a
toujours honoré nos Poëtes François , Mais
pourquoi chercher de nouvelles preuves?
Le langage des hommes égalera- t'il jamais
le langage des Dieux ? Je fens bien
que je dois me borner à ce petit nombre
de réfléxions , quoiqu'il foit difficile d'être
court en parlant des beautés de la
Poëfie , où l'on trouve tant de choſes qui
enchantent que l'on en pourroit dire ce
que difoit Tibulle de toutes les actions
de fa Maîtreffe
Componit furtim , fubfequiturque decor.
J'ai l'honneur d'être & c .
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Résumé : LETTRE sur la gloire des Orateurs & des Poëtes.
La lettre compare la gloire des orateurs à celle des poètes, en soulignant que ceux qui excellent dans des sujets difficiles, utiles et agréables acquièrent plus de renommée. Pour évaluer cette question, l'auteur propose d'examiner le talent requis et l'utilité de chaque domaine. Les poètes et les orateurs visent à instruire et à plaire, mais par des moyens différents. Les orateurs se distinguent par l'invention, la disposition, l'élocution, la mémoire et la prononciation. La poésie, quant à elle, est soumise à plus de règles et nécessite un plan ingénieux, des descriptions riches et des expressions vives. Cicéron, bien qu'il admire l'éloquence, reconnaît la supériorité de la poésie, qu'il décrit comme un enthousiasme divin. La poésie demande des talents plus élevés, tels que la fécondité dans l'invention, la noblesse des idées et une imagination riche. Elle transforme tout en beauté et utilise des fictions nobles pour enchanter le lecteur. La poésie s'exerce dans divers genres, du badin au sérieux, et a été utilisée par des figures bibliques comme Moïse et David pour chanter les louanges du Créateur. Les anciens utilisaient la poésie pour tous les écrits, y compris l'histoire, et n'ont commencé à utiliser la prose que plus tard. Des experts comme le Père Bouhours et le Père Rapin conviennent que le poème épique est le chef-d'œuvre de l'esprit humain. Les harangues d'Homère sont citées comme des modèles parfaits d'éloquence, surpassant même celles de Cicéron et Démosthène. Par exemple, la harangue d'Ulysse à Achille est louée pour son art et sa force. Enfin, la lettre compare des extraits de la poésie de Racine et de l'éloquence de Flechier, concluant que les pensées poétiques, même traduites en prose, perdent de leur grâce et de leur force. La poésie est ainsi présentée comme supérieure en termes de sublimité, d'élévation et de jugement.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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215
p. 2399
SUR LE VOYAGE AUX EAUX De Me la Comtesse de Chateautiery. MADRIGAL.
Début :
Vous qui cherchez aux Eaux du rafraîchissement, [...]
Mots clefs :
Eaux , Buveurs, Comtesse
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUR LE VOYAGE AUX EAUX De Me la Comtesse de Chateautiery. MADRIGAL.
SUR LE VOYAGE AUX EAUX
V
De Me la
Comteffe de
Chateautiery.
MADRIGAL.
Ous qui cherchez aux Eaux du rafraîchiffe
ment ,
Soit par breuvage ou par leffive ,
Hâtez-vous , buvez promtement
Avant que la Comteffe arrive :
Cette Beauté chez vous va jouer fi beau jeu
Qu'en prétextant fievre ou migraine
Elle va d'abord mettre en feu
Buveurs , Medecins & Fontaine.
M. de Senecé.
V
De Me la
Comteffe de
Chateautiery.
MADRIGAL.
Ous qui cherchez aux Eaux du rafraîchiffe
ment ,
Soit par breuvage ou par leffive ,
Hâtez-vous , buvez promtement
Avant que la Comteffe arrive :
Cette Beauté chez vous va jouer fi beau jeu
Qu'en prétextant fievre ou migraine
Elle va d'abord mettre en feu
Buveurs , Medecins & Fontaine.
M. de Senecé.
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216
p. 2399-2417
DÉFENSE des Remarques de M. Dauvergne sur un Livre de M. Billecocq, intitulé : Les Principes du Droit François sur les Fiefs.
Début :
J'ai attendu jusqu'à présent que le corespondant ou l'ami à qui M. Billecocq [...]
Mots clefs :
Coutume, Seigneur, Fiefs, Droit, Usage, Observations, Seigneuries, Hommage, Maximes
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texteReconnaissance textuelle : DÉFENSE des Remarques de M. Dauvergne sur un Livre de M. Billecocq, intitulé : Les Principes du Droit François sur les Fiefs.
DEFENSE des Remarques de M.
Dauvergne fur un Livre de M. Billecocq
, intitulé : Les Principes du Droit
François fur les Fiefs .
'Ai attendu jufqu'à préfent que le corefpondant
ou l'ami à qui M. Billecocq
a adreffe fa Réponse à mes Remarques
530104
2400 MERCURE DE FRANCI
ques a publiât fon ſentiment en faveur
de l'Ouvrage , & contre ma Critique ,
ainfi que l'Auteur fembloit le lui demander
; mais puifque ni l'approbation ni la
cenfure ne paroiffent pas , & que le perfonnage
de qui je croyois qu'elles pourroient
venir , n'existe peut- être pas plus
réellement que les Climenes & les Philis
pour qui les Poëtes feignent de foupirer ,
je ne difererai plus à montrer que mes
Obfervations font juftes. M. Billecocq
trouvera bon que je borne la durée du
plaifir qu'il goûte apparemment de penfer
que je les abandonne ; je crois de l'en
avoir laiffé jouir affez long- tems , pour
demeurer quitte envers lui des complimens
dont il m'a gratifié dans fa Réponſe.
Deux points font principalement en
conteftation entre lui & moi . Le premier,
fi ceux qui acheteroient fon Livre y
trouveroient autant qu'il promet par le
Titre & dans la Préface. Le fecond , s'il
ne vaut pas mieux , ne plus rien écrire fur
la Jurifprudence, que de ne compofer que
des Ouvrages dans le goût de l'Ecrit de
cet Auteur.
Le titre de Principes du Droit François
fur les Fiefs n'annonce pas fimplement
a Les Remarques font dans le Mercure de
France de Janvier 1730. & la Réponse dans
celui du mois de Mai de la méme année .
des
NOVEMBRE. 1730. 2401
des définitions & des divifions fuivies de
quelques maximes également en ufage
dans toutes les Provinces. Ce font là ,
la verité , des principes , mais des principes
genéraux qui fe trouvent par tout,
& pour le petit nombre defquels il n'eft
pas à croire pour cette raiſon que l'on
veuille faire de nouveaux Livres. La
promeffe tombe donc fur les principes
particuliers qui font infinis , qui varient
fuivant la diverfité des ftatuts de chaque
Contrée , & dont le détail eft d'autant
plus neceffaire, que la multitude embaraffe
davantage. Il confifte principalement ce
détail à ranger toutes les Coûtumes du
Royaume fous certaines Claffes , à indiquer
la difference des unes aux autres , à
expliquer de quelles façons oppofées les
principales queftions fe décident le plus
communément fous chaque efpece de
Coûtumes , & à donner des notions fuffifantes
pour conduire à faire les diftinctions
convenables entre toutes ces diverfes
Coûtumes fur les autres difficultés.
Voilà à peu près la maniere dont Coquille
a procedé , & qui a été fuivie par ceux
qui , après lui , nous ont donné des Inftitutions
au Droit François , & ce qu'on a
lieu d'attendre avec plus de perfection
encore de ceux qui , annonçant de nou.
veaux principes , font entendre qu'ils
D donnent
2402 MERCURE DE FRANCE
donnent quelque chofe de meilleur que
e que l'on a déja en ce genre.
Or il ne le trouve rien de femblable
dans le Livre de M. Billecocq , qui , quelque
chofe qu'il lui plaife d'en dire dans
fa Réponſe à mes Remarques , s'eft démenti
lui-même fur cela dans fon Epitre
Dédicatoire & dans fa Préface , où il avoue
qu'il a réduit fes principes à la feule Coûtume
de Peronne. Ainfi de fon propre
aveu le titre qu'il a choifi fait illufion au
Public. En Poitou & en Bretagne on achetera
le Livre de M. Billecocq fur la foi
du Titre , & dans Fefperance que l'on en
concevra d'avoir des principes qui conviennent
à ces Provinces comme à toutes
les autres ; mais on ne l'aura pas plutôr
qu'on y verra que l'Auteur dit lui-même
qu'il n'y donne rien que pour la Coûttume
particuliere de fon Pays. L'abus fi
fréquent de ces titres trop genéraux ne
ceffera- t'il donc jamais & laiffera- t'on
toujours le Public en bute à ces fortes de
fupercheries ?
Le Livre dont je parle eft- il du moins
un Commentaire fur la Coûtume de Peronne
Mondidier & Roye , comme
l'annoncent l'Epitre Dédicatoire & l'Avis
au Lecteur ? je ne veux encore pour preu
ve de la négative que l'aveu de notre Magiftrat
; il demeure d'accord que la def
cription
NOVEMBRE. 1730. 2495
cription que j'ai faite de la maniere de
faire un Commentaire de Coûtume , c
conforme aux idées que l'on doit s'en for
mer. D'un autre côté , il déclare qu'il n'a
point prétendu écrire fur un plan fi grand ,
& dans lequel les difcuffions font fineceffaires
; donc fon Livre n'eft point un
Commentaire ; donc il en a voulu donner
une idée trop avantageuſe , lorſqu'il a die
L'Ouvrage que j'ai fait fur les Fiefs ... eft
un Commentaire fur la Coûtume de Peronne
& c.
En remarquant l'inutilité d'un Com
mentaire qui contient tout auffi peu , &
quelquefois moins que l'article contefté
j'ai ajoûté que c'étoit le défaut dominant
du Commentaire prétendu de M. Billacocq.
Ce reproche eft trop vague , répond
l'Auteur , pour que je fois en état
de m'en juftifier. C'eſt ſe tirer en habile
homme d'un mauvais pas ; on a bien plutôt
fait , & il est bien plus commode &
bien plus avantageux d'imputer ainfi à la
Critique un défaut de jufteffe & de précifion
trop grand pour qu'elle foit fufceptible
d'une Réponſe , que d'en tenter
la réfutation. Il faudroit parmi les articles
que l'on prétend avoir commentés ,
en tirer un certain nombre au hazard . &
faire voir que l'on a donné la décifion de
toutes les difficultés qui naiffent du texte
Dij он
3404 MERCURE DE FRANCE
ou du moins de la plus grande partie ;
& peut- être le hazard n'offriroit- il rien :
de favorable ? La peine que l'on prendroit.
de feiiilleter l'Ouvrage d'un bout à l'au
tre pourroit même ne produire rien de
mieux , & ne préfenter par tout que,
l'occafion ou de fe fouvenir de ce que
dit M. de Saint Evremont , a que les Li
vres font dans la Bibliotheque d'un fameux
Avocat , comme on voit dans la Mer les
Poiffons , dont une partie mange l'autre ,
ou d'appliquer ce qu'on lit dans M. le
Clerc , b qu'il y a une Nation , d'ailleurs
Sçavante & féconde en habiles gens , qui n'eſt
que trop accoutumée à copier , & qui ne
fait que peu d'ufage de fan efprit dans la plupart
des Livres que l'on en voit. Que l'on
connoît que bien des gens lifent en
ce Pays là non pour s'inftruire , pour fe
former l'efprit & le ftile , pour je mettre
en état de juger par eux-mêmes de ce qu'ils
lifent , ou de découvrir quelque chofe de nouveau,
mais pour faire de gros Recueils , &
tirer de tems en tems de ce cabos des Volnmes
indigeftes , & remplis de citations intiles.
par
›
là
Le fingulier eft que l'application fe
trouve faite par M. Billecocq lui-même.
a S. Evremoniana pag. 357.
b Eiblioth. Univ, T. 16. pag. 197.
Je
NOVEMBRE. 1730. 2405
Je n'avois travaillé à ce Recueil , dit- il a
que pour mon inftruction particuliere …..
& en le faifant imprimer par le confeil
de perfonnes judicieuſes qui ont eſtimé
felon la Coûtume ) qu'il pourroit être
utile au Public , je l'ai préſenté tel qu'il
-étoit.
Cela eft excellent dans le Commerce
-ordinaire. On y regarde communément
comme le meilleur ce que chacun a fait
pour fon propre ufage. Mais il en eſt autrement
dans la République des Lettres ;
ce qu'un Auteur a compofé pour lui eft
juftement ce qui y paffe pour valoir le
moins , & pour être le moins eftimable.
Le Public n'y trouve digne de lui que
ce qui a été fait pour lui , convaincu qu'il´
el
eft que qui ne l'a pas en vûë , n'eft pas
fuffilamment excité à fe donner tous les
foins & toutes les peines qui font néceffaires
pour approcher de la perfection :
fur cela le goût eft genéral , & il ſe trouve
ici juftifié par l'inéxactitude , dont j'ai
cité quelques exemples dans mes Obfervations.
M. Billecocq veut , à la verité , que je
mefois trompé , & il n'a rien oublié pour
l'infinuer ; mais je doute qu'il ait réuffi
auprès de ceux qui fe trouvant à portée
a Mercure de Mai , pag: 851,
Diij
de
2406 MERCURE DE FRANCE
de verifier , s'en feront donné la peine.
Sur le premier article , fur tout , il ne
Faut qu'un Du Pleffis & des yeux. M.
Billecocq ayant dit a qu'en l'absence du
mari , ou à fon refus , la femme qui eft en
communauté avec lui peut fe faire autorifer
par Juftice , pour faire la foi & hom
mage des Fiefs à elle échûs pendant le
mariage ; jai remarqué qu'il avoit d'au-
Tant moins de raifon de nous donner cette
maxime comme indubitable , fur la foi
du feul de Heu , que la regle étoit fauffe,
& que Du Pleffis l'avoit fuffifamment fait
entendre de la forte dans le Chapitre même
, dont l'Auteur s'étoit là approprié
Ja meilleure partie. Sur cela il fait le furpris,
parce , dit- il , que les termes dont
Il a fait ufage fe trouvent à peu de chofe
près dans Du Pleffis ; mais il ne dit pas
que Du Pleffis a ajoûté , du moins felon
les Editions de 1702 , de 1709 & de 1728.
car je n'ai pas fous la main la premiere de
16.98. qu'il y a pourtant difficulté à la regle
qu'il venoit de pofer.
La réticence eft fine en mettant fousles
yeux du Public ces dernieres expreffions
, il n'y auroit pas eu moyen de demander
comment je pouvois dire que Da
Pleffis penfoit autrement que de Hen , au
a Liv. 2, Ch. 4 BEEF. 66
lieu
NOVEMBRE. 1930. 1407
Heu qu'en les taifant , & en ne rappor
tant prudemment que ce qui précede y
on s'eft acquis le droit d'avancer hautement
que ma premiere Remarqueute
mak
imaginée , & de la donner pour un début
qui fait porter de la fuite un jugement
défavantageux.
Mais n'imitons pas ces Scholaftiques
qui recherchoient uniquement ce qu'Afiftote
avoit dit fans fe mettre en peine
de ce qu'il auroit du dire , & voyons qui
il faut croire , ou de M. Billecocq qut
continue d'affuter que fon principe eft
inconteftable , ou de Du Pleffis qui a écrit
qu'il étoit très fujet à conteſtation .
La premiere idée qui fe préfente fur
éela eft celle de la diftinction , fi natu
relle entre l'abſence du mari , & ſon refus
de faire la foi & hommage , entre l'abfence
légitime & neceffaire & celle qui
ne feroit affectée que pour éluder de remi
plir ce devoir du vaffelage.
Lorfque l'abfence eft neceffaire , &
qu'elle a pour motif le fervice de l'Etat,
Fattachement à un emploi dont les fonc
tions ne peuvent pas être abandonnées ,
avantl'expiration du tems fixé pour porter
la foi , la difficulté n'eft pas grande. L'E
poufe , de l'hommage de laquelle ce Seigneur
ne veut pas ſe contenter , a la voye
de lui demander fouffrance , c'est- à- dire,
D iiij de
2408 MERCURE DE FRANCE
de requerir qu'il attende que l'empêchement
foit ceffe , & que le mari puiſſe venir
en perfonne s'acquiter de la premiere
obligation que les Loix Féodales
lui impofent. C'eft en ce cas ce que le
Suzerain ne fçauroit refufer , on l'obtiendroit
des Juges malgré lui ; auffi tôt le
droit de faifir eft arrêté pour tout le tems
que doit durer la caufe de l'abfence , &
fila faifie avoit précedé , la main levée
en feroit acquife. Voilà la reffource que
M. Billecocq croit fi impoffible, d'imagi
ner , celle cependant qu'il a dû voir dans
la note fur l'endroit en queftion que MM .
Delauriere & Berroyer ont crû la plus
réguliere , celle enfin pour laquelle Du
Pleffis lui- même a fait affez fentir qu'il
panchoit , lorfqu'il a avoué qu'il trouvoit
de la difficulté à décider qu'en l'abſence
du mari & le délai fatal preffant , la femme
pût fe faire autorifer par juftice pour
porter la foi , fans faire prononcer au
cune féparation.
L'Epoufe peut , & elle doit même faire
la foi & hommage pour les Fiefs qui
lui appartienent , lorfque le Seigneur veut
qu'elle y fatisfaffe pour le mari abfent :
ce n'eft pasfur quoi tombe le doute ; mais
lui donner le droit de mettre à profit
l'éloignement de fon mari pour l'exemter
de la foi , & pour en prendre malgré
le
NOVEMBRE. 1730. 2409
fe
le Seigneur toute la charge fur elle , nonobftant
que ce dernier veuille bien attendre
que l'excufe du mari ceffe , ce leroit
troubler tout l'ordre féodal..
: Car fi l'ufage qui a ſubſiſté aſſez longtems
a d'obliger , autant qu'on le pouvoit
, les filles qui avoient des Fiefs à ne
fe marier que de l'agrément du Seigneur
dans la mouvance de qui ces Fiefs fe
trouvoient , eft abrogé , fi les Suzerains
ont perdu cette prérogative , dont le mo
tif étoit de les préferver de l'inconvenient
d'avoir des vaffaux qui ne leur fuffent
point agréables , ou qui euffent des interêts
oppofés aux leurs , ils fe font du
moins confervé le droit de s'affurer par
un acte de foi & hommage de la fidelité
des nouveaux Feudataires que leur donnent
leurs Vaffales. La décifion s'en trouve
en leur faveur dans toutes les Coûtumes
, dans les unes a , en termes exprès,
& dans les autres , par la conféquence
qui réfulte du principe , que tout nouveau
vaffal , comme le devient le mari qui
a Voyez la Charte de S. Louis du mois de Mai
1246. à la fin du nouvel Examen de l'uſage genéral
des Fiefs. Par M. Druffel , page 35 .
b Eftempes art. 6. Clermont 87. Laon 168 .
Châlons 178. S. Pol 11. Normandie 99. Bretagne
351. Anjou 96. &c . Quelques uns mettent
auffi celle de Paris dans la même Claffe.
Dv exerce
2410 MERCURE DE FRANCE
exerce tous les droits de Seigneurie des
Fiefs de fa femme , doit la foi & hommage
au Seigneur Suzerain , & la doit en per
Sonne.
Delà vient que fi l'abfence n'a point de
cauſe indiſpenſable , & telle qu'il faut
qu'elle foit pour donner lieu à la fouffrance
, la femme ne peut pas non plus
obliger de la recevoir,à porter la foi pour
fon mari , parce qu'elle ne pourroit y
être admife que comme fondée de la pro
turation du mari , puiſque c'est lui qui
eft perſonellement tenu de ce devoir , &
qu'il n'y a qu'une caufe légitime qui puiſfe
donner le privilege de s'en acquiter par
Procureur , fi ce n'eſt dans quelques Coû
tumes particulieres a dont je ne parle
point ici. Vigier 6 rapporte un Arrêt qui
Pa jugé de la forte contre une femme
dont les offres de faire la foi & hommage
y ont été rejettées , quoique ce fut
pour un Fief qui lui appartenoit , &
qu'elle eut une procuration de fon mariy
qui demeuroit dans une autre Province
que
celle du Fief dominant ; & c'eſt auffi
fe fentiment de M. Boucheul . c
b
L'Epoufe fera-t'elle donc fans reffource
Contre la négligence ou le caprice d'un
a Chauny, art. 104.
bsur l'Art 23. de la Coûtume d'Angonmoiss
€ Sur l'art. 144, de la Cratume du Poirou.
mari
NOVEMBRE. 1730. 241T
mhari qui s'obſtinera à ne pas vouloir re-
Venir porter la foi & hommage , ou qui ,
quoique fur les lieux , refufeta fans taifon
d'en faire la démarche ? Et faudra- t'il
qu'en voyant enlever par la faifie qu'un
femblable procede autorife , des revenus
deftinés à un tout autre uſage , dans l'indigence
& la défolation où cette perte la
jette , elle s'en tienne à des plaintes fte
Files & infructueuſes ?
Non : fi la perte des fruits eft un objet
affez confiderable pour mettre du défordre
dans les affaires des deux Epoux ,
pour en caufer le dérangement , la femme
a alors la liberté d'agir contre fon mari
en feparation ; elle recouvre par là l'ad
miniftration de fon bien , elle retire du
mari la Seigneurie des Fiefs qu'elle lui
avoit apporté , & rentre dans le droit
d'en faire feule l'hommage. Mais tant
qu'elle refte en communauté , qu'elle
trouve fon compte à n'en pas pourfuivre
la diffolution , tant que la joüiffance de
fes Fiefs & des droits de Seigneurie qui y
font attachés demeure à fon mari , la Loi
veut que ce foit lui qui faffe l'hommage
fous peine de la perte des fruits. a
Il y a quelques Coûtumes où le refus du
mari de faire la foi & hommage pourles Fiefs
de fa femme, ne produit que le droit de faifir s
le Seigneur ne gagne pas les fruits , il ne pears
D vj
A
2412 MERCURE DE FRANCE
A la verité , cette perte , lorfqu'il y
donne lieu , eft une diffipation , mais qui
fe réduit à ce qui tombe dans la commu
nauté , & qui eft en fon pouvoir , tant
qu'elle ne va point à un affez grand excès
pour donner matiere à la féparation. II
peut difpofer abſolument des effets com
muns , s'en jouer , les perdre & les diffiper
. La femme n'a que la voye de le fou
frir ou de fe féparer.
Voilà les différentes efpeces qui ont été
confondues par les Auteurs , dont M.
Billecocq réclame le fuffrage , & aufquels
il en auroit pû joindre plufieurs autres
qui fe font tous auffi fucceffivement copiés
, fans prendre garde qu'on ne fçauroit
admettre ainfi indiſtinctement la
femme à la foi & hommage pour l'abfence
ou le refus de fon mari , fans donner
atteinte aux Conftitutions féodales .
L'étendue que j'ai été obligé de donner
à ce premier point me fera paffer plus
legerement fur les autres. Heureuſement
il n'y eft pas befoin de tant de difcuffion .
Quiconque ouvrira le Commentaire de
la Villete fur l'article 173. de la Coûtume
de Peronne , y en trouvera affez pour
juger que M. Billecocq a fait une bevûë
que les féqueftrer jufqu'à la prestation de
P'hommage qui lui eft dû. Amiens , art. 9. Bou
enois 47. Chauny.
en
NOVEMBRE. 1730. 2413
en préferant à l'opinion qu'a tenue M.
d'Argentré , que les cadets ne doivent
pas de chambellage à leur frere aîné , là
décifion contraire de la Coûtume de Laon
dont les maximes , qui doivent conduire
à prononcer fur cela , font toutes differentes
de celles de la Coûtume de Peronne
, & qu'il n'a ainfi donné dans l'erreur
que pour avoir négligé de confulter
les Commentateurs de la Coûtume mê
me qu'il vouloit expliquer.
Il fuffit auffi de lire ce qui a été écrit
par Du Moulin , a pour s'appercevoir
qu'une partie des maximes que M. Billecocq
a pofées comme genérales fur la foi
& hommage du Fief contefté entre plufieurs
perfonnes , font fufceptibles de
diverfes exceptions , qu'il ne peut laiffer
ignorer aux vaffaux & aux Seigneurs de
Fief dont il a principalement l'inftruction
en vûë , fans expofer les uns à s'entêter
de prétentions déraifonables , & fans engager
les autres à abandonner les droits
les plus légitimes. C'eft là l'effet de la
préference qu'il a donnée aux compilateurs
modernes fur les Auteurs originaux,
& de fon goût particulier pour le texte
des Coûtumes voifines de la frenne .
Je n'examine point le plus ou le moins
a In Confuetud. Parif. §. 33 , quest , 27.
de
414 MERCURE DE FRANCE
de jufteffe des préjugés fur lefquels ce
goût eft fondé , ni fi la façon dont on
fçait que la redaction des Coûtumes s'eft:
faite , laiffe lieu aux éloges que notre Auteur
leur diftribue. J'aurai occafion d'en
parler dans un Ouvrage plus étendu . If
n'eft queſtion ici que des fuites ou des
effets du plan que M. Billecocq s'eft for
mé.
Son attachement fcrupuleux aux ex-"
preffions des Coûtumes de Champagne ,
qui y font fes favorites , le fait tomber
d'une faute dans une autre. J'ai remarqué
dans mes Obfervations , que pour nous
apprendre fi le Seigneur qui veut retenir
un Fief de fa mouvance , dont le nouvel
acheteur vient lui demander l'inveftiture,
peut déduire , fur le prix de la vente qu'il
eft obligé de rembourfer , le montant des
Droits Féodaux , il apporte pour toute
décifion un texte de la Coûtume de Vermandois
qui ne parle proprement que du
cas , qui ne fait pas de difficulté , auquel
Pacheteur étoit chargé du payement de
ces droits , & qu'ainfi il nous laiffoit
dans l'incertitude fur ce qui doit s'obſerver
lors , ce qui eft le.cas le plus épineux,
que le vendeur eft engagé à l'acquit de
ces droits. Et la remarque eft jufte , parce
que , quoiqu'en dife M. Billecocq , le
texte cité ne préſente rien qui donne lieu
d'ap
NOVEMBRE. 1730. 2415
d'appliquer à d'autre efpece qu'à la pre
miere dont j'ai parlé , la maxime que le
Retrait Seigneurial & lesDroitsFéodauxfont
incompatibles , & ne peuvent pas être pris:
enfemble fur un même Fief.
Dans fa défenſe , déterminé enfin à
nous inftruire plus clairement fi cette Loi
doit auffi être fuivie , lorfque par le contract
de vente le vendeur eft refté chargé
du payement des Droits Féodaux , il
nous dit qu'oül , que cela ne peut pas
former le moindre doute , & il en appor
te en preuve la Coûtume de Rheims
avec le fentiment de quelques Auteurs
qui ont crû, dit- il , que les Coûtumes a ,
qui contiennent des difpofitions contraires
font injuftes , & doivent être reffer
rées dans les bornes de leurs territoires.
Mais c'eft une feconde faute , d'autant
plus inexcufable que la premiere, que l'on
eft exposé à de plus grands maux , par
la prévention pour de fauffes maximes
que par la fimple ignorance des verita-
Bles. Il n'eft rien moins qu'incontefta-
Ble que le vendeur qui eft obligé au
payement des Droits Seigneuriaux pour
la vente qu'il a faite , en devienne déchargé
, & que fa condition change fi le
Seigneur retire des mains de l'acheteur
a Chaumont,art 17 -Amiens,38, Ponthieu ,69%
Ce
2416 MERCURE DE FRANCE
ce qui a été vendu ; de frivoles railonnemens
font le fondement unique d'un privilege
qui feroit fi extraordinaire. Je ne
ferai point de differtation pour le prouver
; la démonftration fe trouve toute
faite dans le Chapitre 3. des Obfervations
Notables fur le Droit Coûtumier , que M.
Bruffel qui n'y laiffe rien à defirer fur
cela , a fait imprimer à S. Omer en 1724.
& dont le fentiment peut être d'ailleurs
appuyé de celui de Pillecart a de Ricard b,
. & de M. De Laitre c
On voit affez que fi je trouve à redire
aux déciſions & aux principes de M. Bil
lecocq , ce n'eft point , comme il l'écrit
à fon ami , parce qu'ils ne font pas affez.
démontrés, mais parce qu'ils ne font point
affez vrais. C'eſt parcequ'il donne continuellement
pour certain ce qui eft au moins
très douteux , pour univerfellement reconnu
ce qui eft le plus contefté , & pour
genéral ce qui eft fufceptible de plufieurs
exceptions .
Une infinité de gens , nous dit l'Auteur
, feront bien contens de trouver d'un
coup d'oeil dans ce Livre la décifion des
difficultés qui fe préfentent ; mais fatif
faction de bien peu de durée pour le
a Sur l'art 216. de la Coût . de Châlons
b Sur l'art 235. de Senlis .
• Sur l'art. 17. de Chaumont,
LecNOVEMBRE
. 1730. 2417 .
Lecteur qui fe donnera la peine d'aller
aux fources , & bien funefte par l'évenement
pour ceux qui , par pareffe de remonter
à ces premieres fources , ou par
ignorance qu'il y en ait de plus pures , fe
feront prévenus & entêtés des idées qu'ils
auront prifes dans une collection fiimparfaite.
Il vaudroit autant pour les premiers
que la compilation fut encore dans
l'obfcurité , & qu'elle n'eut pas été miſe
au jour : Et cela feroit plus avantageux
pour les derniers. C'eſt ce que j'avois à
démontrer.
Dauvergne fur un Livre de M. Billecocq
, intitulé : Les Principes du Droit
François fur les Fiefs .
'Ai attendu jufqu'à préfent que le corefpondant
ou l'ami à qui M. Billecocq
a adreffe fa Réponse à mes Remarques
530104
2400 MERCURE DE FRANCI
ques a publiât fon ſentiment en faveur
de l'Ouvrage , & contre ma Critique ,
ainfi que l'Auteur fembloit le lui demander
; mais puifque ni l'approbation ni la
cenfure ne paroiffent pas , & que le perfonnage
de qui je croyois qu'elles pourroient
venir , n'existe peut- être pas plus
réellement que les Climenes & les Philis
pour qui les Poëtes feignent de foupirer ,
je ne difererai plus à montrer que mes
Obfervations font juftes. M. Billecocq
trouvera bon que je borne la durée du
plaifir qu'il goûte apparemment de penfer
que je les abandonne ; je crois de l'en
avoir laiffé jouir affez long- tems , pour
demeurer quitte envers lui des complimens
dont il m'a gratifié dans fa Réponſe.
Deux points font principalement en
conteftation entre lui & moi . Le premier,
fi ceux qui acheteroient fon Livre y
trouveroient autant qu'il promet par le
Titre & dans la Préface. Le fecond , s'il
ne vaut pas mieux , ne plus rien écrire fur
la Jurifprudence, que de ne compofer que
des Ouvrages dans le goût de l'Ecrit de
cet Auteur.
Le titre de Principes du Droit François
fur les Fiefs n'annonce pas fimplement
a Les Remarques font dans le Mercure de
France de Janvier 1730. & la Réponse dans
celui du mois de Mai de la méme année .
des
NOVEMBRE. 1730. 2401
des définitions & des divifions fuivies de
quelques maximes également en ufage
dans toutes les Provinces. Ce font là ,
la verité , des principes , mais des principes
genéraux qui fe trouvent par tout,
& pour le petit nombre defquels il n'eft
pas à croire pour cette raiſon que l'on
veuille faire de nouveaux Livres. La
promeffe tombe donc fur les principes
particuliers qui font infinis , qui varient
fuivant la diverfité des ftatuts de chaque
Contrée , & dont le détail eft d'autant
plus neceffaire, que la multitude embaraffe
davantage. Il confifte principalement ce
détail à ranger toutes les Coûtumes du
Royaume fous certaines Claffes , à indiquer
la difference des unes aux autres , à
expliquer de quelles façons oppofées les
principales queftions fe décident le plus
communément fous chaque efpece de
Coûtumes , & à donner des notions fuffifantes
pour conduire à faire les diftinctions
convenables entre toutes ces diverfes
Coûtumes fur les autres difficultés.
Voilà à peu près la maniere dont Coquille
a procedé , & qui a été fuivie par ceux
qui , après lui , nous ont donné des Inftitutions
au Droit François , & ce qu'on a
lieu d'attendre avec plus de perfection
encore de ceux qui , annonçant de nou.
veaux principes , font entendre qu'ils
D donnent
2402 MERCURE DE FRANCE
donnent quelque chofe de meilleur que
e que l'on a déja en ce genre.
Or il ne le trouve rien de femblable
dans le Livre de M. Billecocq , qui , quelque
chofe qu'il lui plaife d'en dire dans
fa Réponſe à mes Remarques , s'eft démenti
lui-même fur cela dans fon Epitre
Dédicatoire & dans fa Préface , où il avoue
qu'il a réduit fes principes à la feule Coûtume
de Peronne. Ainfi de fon propre
aveu le titre qu'il a choifi fait illufion au
Public. En Poitou & en Bretagne on achetera
le Livre de M. Billecocq fur la foi
du Titre , & dans Fefperance que l'on en
concevra d'avoir des principes qui conviennent
à ces Provinces comme à toutes
les autres ; mais on ne l'aura pas plutôr
qu'on y verra que l'Auteur dit lui-même
qu'il n'y donne rien que pour la Coûttume
particuliere de fon Pays. L'abus fi
fréquent de ces titres trop genéraux ne
ceffera- t'il donc jamais & laiffera- t'on
toujours le Public en bute à ces fortes de
fupercheries ?
Le Livre dont je parle eft- il du moins
un Commentaire fur la Coûtume de Peronne
Mondidier & Roye , comme
l'annoncent l'Epitre Dédicatoire & l'Avis
au Lecteur ? je ne veux encore pour preu
ve de la négative que l'aveu de notre Magiftrat
; il demeure d'accord que la def
cription
NOVEMBRE. 1730. 2495
cription que j'ai faite de la maniere de
faire un Commentaire de Coûtume , c
conforme aux idées que l'on doit s'en for
mer. D'un autre côté , il déclare qu'il n'a
point prétendu écrire fur un plan fi grand ,
& dans lequel les difcuffions font fineceffaires
; donc fon Livre n'eft point un
Commentaire ; donc il en a voulu donner
une idée trop avantageuſe , lorſqu'il a die
L'Ouvrage que j'ai fait fur les Fiefs ... eft
un Commentaire fur la Coûtume de Peronne
& c.
En remarquant l'inutilité d'un Com
mentaire qui contient tout auffi peu , &
quelquefois moins que l'article contefté
j'ai ajoûté que c'étoit le défaut dominant
du Commentaire prétendu de M. Billacocq.
Ce reproche eft trop vague , répond
l'Auteur , pour que je fois en état
de m'en juftifier. C'eſt ſe tirer en habile
homme d'un mauvais pas ; on a bien plutôt
fait , & il est bien plus commode &
bien plus avantageux d'imputer ainfi à la
Critique un défaut de jufteffe & de précifion
trop grand pour qu'elle foit fufceptible
d'une Réponſe , que d'en tenter
la réfutation. Il faudroit parmi les articles
que l'on prétend avoir commentés ,
en tirer un certain nombre au hazard . &
faire voir que l'on a donné la décifion de
toutes les difficultés qui naiffent du texte
Dij он
3404 MERCURE DE FRANCE
ou du moins de la plus grande partie ;
& peut- être le hazard n'offriroit- il rien :
de favorable ? La peine que l'on prendroit.
de feiiilleter l'Ouvrage d'un bout à l'au
tre pourroit même ne produire rien de
mieux , & ne préfenter par tout que,
l'occafion ou de fe fouvenir de ce que
dit M. de Saint Evremont , a que les Li
vres font dans la Bibliotheque d'un fameux
Avocat , comme on voit dans la Mer les
Poiffons , dont une partie mange l'autre ,
ou d'appliquer ce qu'on lit dans M. le
Clerc , b qu'il y a une Nation , d'ailleurs
Sçavante & féconde en habiles gens , qui n'eſt
que trop accoutumée à copier , & qui ne
fait que peu d'ufage de fan efprit dans la plupart
des Livres que l'on en voit. Que l'on
connoît que bien des gens lifent en
ce Pays là non pour s'inftruire , pour fe
former l'efprit & le ftile , pour je mettre
en état de juger par eux-mêmes de ce qu'ils
lifent , ou de découvrir quelque chofe de nouveau,
mais pour faire de gros Recueils , &
tirer de tems en tems de ce cabos des Volnmes
indigeftes , & remplis de citations intiles.
par
›
là
Le fingulier eft que l'application fe
trouve faite par M. Billecocq lui-même.
a S. Evremoniana pag. 357.
b Eiblioth. Univ, T. 16. pag. 197.
Je
NOVEMBRE. 1730. 2405
Je n'avois travaillé à ce Recueil , dit- il a
que pour mon inftruction particuliere …..
& en le faifant imprimer par le confeil
de perfonnes judicieuſes qui ont eſtimé
felon la Coûtume ) qu'il pourroit être
utile au Public , je l'ai préſenté tel qu'il
-étoit.
Cela eft excellent dans le Commerce
-ordinaire. On y regarde communément
comme le meilleur ce que chacun a fait
pour fon propre ufage. Mais il en eſt autrement
dans la République des Lettres ;
ce qu'un Auteur a compofé pour lui eft
juftement ce qui y paffe pour valoir le
moins , & pour être le moins eftimable.
Le Public n'y trouve digne de lui que
ce qui a été fait pour lui , convaincu qu'il´
el
eft que qui ne l'a pas en vûë , n'eft pas
fuffilamment excité à fe donner tous les
foins & toutes les peines qui font néceffaires
pour approcher de la perfection :
fur cela le goût eft genéral , & il ſe trouve
ici juftifié par l'inéxactitude , dont j'ai
cité quelques exemples dans mes Obfervations.
M. Billecocq veut , à la verité , que je
mefois trompé , & il n'a rien oublié pour
l'infinuer ; mais je doute qu'il ait réuffi
auprès de ceux qui fe trouvant à portée
a Mercure de Mai , pag: 851,
Diij
de
2406 MERCURE DE FRANCE
de verifier , s'en feront donné la peine.
Sur le premier article , fur tout , il ne
Faut qu'un Du Pleffis & des yeux. M.
Billecocq ayant dit a qu'en l'absence du
mari , ou à fon refus , la femme qui eft en
communauté avec lui peut fe faire autorifer
par Juftice , pour faire la foi & hom
mage des Fiefs à elle échûs pendant le
mariage ; jai remarqué qu'il avoit d'au-
Tant moins de raifon de nous donner cette
maxime comme indubitable , fur la foi
du feul de Heu , que la regle étoit fauffe,
& que Du Pleffis l'avoit fuffifamment fait
entendre de la forte dans le Chapitre même
, dont l'Auteur s'étoit là approprié
Ja meilleure partie. Sur cela il fait le furpris,
parce , dit- il , que les termes dont
Il a fait ufage fe trouvent à peu de chofe
près dans Du Pleffis ; mais il ne dit pas
que Du Pleffis a ajoûté , du moins felon
les Editions de 1702 , de 1709 & de 1728.
car je n'ai pas fous la main la premiere de
16.98. qu'il y a pourtant difficulté à la regle
qu'il venoit de pofer.
La réticence eft fine en mettant fousles
yeux du Public ces dernieres expreffions
, il n'y auroit pas eu moyen de demander
comment je pouvois dire que Da
Pleffis penfoit autrement que de Hen , au
a Liv. 2, Ch. 4 BEEF. 66
lieu
NOVEMBRE. 1930. 1407
Heu qu'en les taifant , & en ne rappor
tant prudemment que ce qui précede y
on s'eft acquis le droit d'avancer hautement
que ma premiere Remarqueute
mak
imaginée , & de la donner pour un début
qui fait porter de la fuite un jugement
défavantageux.
Mais n'imitons pas ces Scholaftiques
qui recherchoient uniquement ce qu'Afiftote
avoit dit fans fe mettre en peine
de ce qu'il auroit du dire , & voyons qui
il faut croire , ou de M. Billecocq qut
continue d'affuter que fon principe eft
inconteftable , ou de Du Pleffis qui a écrit
qu'il étoit très fujet à conteſtation .
La premiere idée qui fe préfente fur
éela eft celle de la diftinction , fi natu
relle entre l'abſence du mari , & ſon refus
de faire la foi & hommage , entre l'abfence
légitime & neceffaire & celle qui
ne feroit affectée que pour éluder de remi
plir ce devoir du vaffelage.
Lorfque l'abfence eft neceffaire , &
qu'elle a pour motif le fervice de l'Etat,
Fattachement à un emploi dont les fonc
tions ne peuvent pas être abandonnées ,
avantl'expiration du tems fixé pour porter
la foi , la difficulté n'eft pas grande. L'E
poufe , de l'hommage de laquelle ce Seigneur
ne veut pas ſe contenter , a la voye
de lui demander fouffrance , c'est- à- dire,
D iiij de
2408 MERCURE DE FRANCE
de requerir qu'il attende que l'empêchement
foit ceffe , & que le mari puiſſe venir
en perfonne s'acquiter de la premiere
obligation que les Loix Féodales
lui impofent. C'eft en ce cas ce que le
Suzerain ne fçauroit refufer , on l'obtiendroit
des Juges malgré lui ; auffi tôt le
droit de faifir eft arrêté pour tout le tems
que doit durer la caufe de l'abfence , &
fila faifie avoit précedé , la main levée
en feroit acquife. Voilà la reffource que
M. Billecocq croit fi impoffible, d'imagi
ner , celle cependant qu'il a dû voir dans
la note fur l'endroit en queftion que MM .
Delauriere & Berroyer ont crû la plus
réguliere , celle enfin pour laquelle Du
Pleffis lui- même a fait affez fentir qu'il
panchoit , lorfqu'il a avoué qu'il trouvoit
de la difficulté à décider qu'en l'abſence
du mari & le délai fatal preffant , la femme
pût fe faire autorifer par juftice pour
porter la foi , fans faire prononcer au
cune féparation.
L'Epoufe peut , & elle doit même faire
la foi & hommage pour les Fiefs qui
lui appartienent , lorfque le Seigneur veut
qu'elle y fatisfaffe pour le mari abfent :
ce n'eft pasfur quoi tombe le doute ; mais
lui donner le droit de mettre à profit
l'éloignement de fon mari pour l'exemter
de la foi , & pour en prendre malgré
le
NOVEMBRE. 1730. 2409
fe
le Seigneur toute la charge fur elle , nonobftant
que ce dernier veuille bien attendre
que l'excufe du mari ceffe , ce leroit
troubler tout l'ordre féodal..
: Car fi l'ufage qui a ſubſiſté aſſez longtems
a d'obliger , autant qu'on le pouvoit
, les filles qui avoient des Fiefs à ne
fe marier que de l'agrément du Seigneur
dans la mouvance de qui ces Fiefs fe
trouvoient , eft abrogé , fi les Suzerains
ont perdu cette prérogative , dont le mo
tif étoit de les préferver de l'inconvenient
d'avoir des vaffaux qui ne leur fuffent
point agréables , ou qui euffent des interêts
oppofés aux leurs , ils fe font du
moins confervé le droit de s'affurer par
un acte de foi & hommage de la fidelité
des nouveaux Feudataires que leur donnent
leurs Vaffales. La décifion s'en trouve
en leur faveur dans toutes les Coûtumes
, dans les unes a , en termes exprès,
& dans les autres , par la conféquence
qui réfulte du principe , que tout nouveau
vaffal , comme le devient le mari qui
a Voyez la Charte de S. Louis du mois de Mai
1246. à la fin du nouvel Examen de l'uſage genéral
des Fiefs. Par M. Druffel , page 35 .
b Eftempes art. 6. Clermont 87. Laon 168 .
Châlons 178. S. Pol 11. Normandie 99. Bretagne
351. Anjou 96. &c . Quelques uns mettent
auffi celle de Paris dans la même Claffe.
Dv exerce
2410 MERCURE DE FRANCE
exerce tous les droits de Seigneurie des
Fiefs de fa femme , doit la foi & hommage
au Seigneur Suzerain , & la doit en per
Sonne.
Delà vient que fi l'abfence n'a point de
cauſe indiſpenſable , & telle qu'il faut
qu'elle foit pour donner lieu à la fouffrance
, la femme ne peut pas non plus
obliger de la recevoir,à porter la foi pour
fon mari , parce qu'elle ne pourroit y
être admife que comme fondée de la pro
turation du mari , puiſque c'est lui qui
eft perſonellement tenu de ce devoir , &
qu'il n'y a qu'une caufe légitime qui puiſfe
donner le privilege de s'en acquiter par
Procureur , fi ce n'eſt dans quelques Coû
tumes particulieres a dont je ne parle
point ici. Vigier 6 rapporte un Arrêt qui
Pa jugé de la forte contre une femme
dont les offres de faire la foi & hommage
y ont été rejettées , quoique ce fut
pour un Fief qui lui appartenoit , &
qu'elle eut une procuration de fon mariy
qui demeuroit dans une autre Province
que
celle du Fief dominant ; & c'eſt auffi
fe fentiment de M. Boucheul . c
b
L'Epoufe fera-t'elle donc fans reffource
Contre la négligence ou le caprice d'un
a Chauny, art. 104.
bsur l'Art 23. de la Coûtume d'Angonmoiss
€ Sur l'art. 144, de la Cratume du Poirou.
mari
NOVEMBRE. 1730. 241T
mhari qui s'obſtinera à ne pas vouloir re-
Venir porter la foi & hommage , ou qui ,
quoique fur les lieux , refufeta fans taifon
d'en faire la démarche ? Et faudra- t'il
qu'en voyant enlever par la faifie qu'un
femblable procede autorife , des revenus
deftinés à un tout autre uſage , dans l'indigence
& la défolation où cette perte la
jette , elle s'en tienne à des plaintes fte
Files & infructueuſes ?
Non : fi la perte des fruits eft un objet
affez confiderable pour mettre du défordre
dans les affaires des deux Epoux ,
pour en caufer le dérangement , la femme
a alors la liberté d'agir contre fon mari
en feparation ; elle recouvre par là l'ad
miniftration de fon bien , elle retire du
mari la Seigneurie des Fiefs qu'elle lui
avoit apporté , & rentre dans le droit
d'en faire feule l'hommage. Mais tant
qu'elle refte en communauté , qu'elle
trouve fon compte à n'en pas pourfuivre
la diffolution , tant que la joüiffance de
fes Fiefs & des droits de Seigneurie qui y
font attachés demeure à fon mari , la Loi
veut que ce foit lui qui faffe l'hommage
fous peine de la perte des fruits. a
Il y a quelques Coûtumes où le refus du
mari de faire la foi & hommage pourles Fiefs
de fa femme, ne produit que le droit de faifir s
le Seigneur ne gagne pas les fruits , il ne pears
D vj
A
2412 MERCURE DE FRANCE
A la verité , cette perte , lorfqu'il y
donne lieu , eft une diffipation , mais qui
fe réduit à ce qui tombe dans la commu
nauté , & qui eft en fon pouvoir , tant
qu'elle ne va point à un affez grand excès
pour donner matiere à la féparation. II
peut difpofer abſolument des effets com
muns , s'en jouer , les perdre & les diffiper
. La femme n'a que la voye de le fou
frir ou de fe féparer.
Voilà les différentes efpeces qui ont été
confondues par les Auteurs , dont M.
Billecocq réclame le fuffrage , & aufquels
il en auroit pû joindre plufieurs autres
qui fe font tous auffi fucceffivement copiés
, fans prendre garde qu'on ne fçauroit
admettre ainfi indiſtinctement la
femme à la foi & hommage pour l'abfence
ou le refus de fon mari , fans donner
atteinte aux Conftitutions féodales .
L'étendue que j'ai été obligé de donner
à ce premier point me fera paffer plus
legerement fur les autres. Heureuſement
il n'y eft pas befoin de tant de difcuffion .
Quiconque ouvrira le Commentaire de
la Villete fur l'article 173. de la Coûtume
de Peronne , y en trouvera affez pour
juger que M. Billecocq a fait une bevûë
que les féqueftrer jufqu'à la prestation de
P'hommage qui lui eft dû. Amiens , art. 9. Bou
enois 47. Chauny.
en
NOVEMBRE. 1730. 2413
en préferant à l'opinion qu'a tenue M.
d'Argentré , que les cadets ne doivent
pas de chambellage à leur frere aîné , là
décifion contraire de la Coûtume de Laon
dont les maximes , qui doivent conduire
à prononcer fur cela , font toutes differentes
de celles de la Coûtume de Peronne
, & qu'il n'a ainfi donné dans l'erreur
que pour avoir négligé de confulter
les Commentateurs de la Coûtume mê
me qu'il vouloit expliquer.
Il fuffit auffi de lire ce qui a été écrit
par Du Moulin , a pour s'appercevoir
qu'une partie des maximes que M. Billecocq
a pofées comme genérales fur la foi
& hommage du Fief contefté entre plufieurs
perfonnes , font fufceptibles de
diverfes exceptions , qu'il ne peut laiffer
ignorer aux vaffaux & aux Seigneurs de
Fief dont il a principalement l'inftruction
en vûë , fans expofer les uns à s'entêter
de prétentions déraifonables , & fans engager
les autres à abandonner les droits
les plus légitimes. C'eft là l'effet de la
préference qu'il a donnée aux compilateurs
modernes fur les Auteurs originaux,
& de fon goût particulier pour le texte
des Coûtumes voifines de la frenne .
Je n'examine point le plus ou le moins
a In Confuetud. Parif. §. 33 , quest , 27.
de
414 MERCURE DE FRANCE
de jufteffe des préjugés fur lefquels ce
goût eft fondé , ni fi la façon dont on
fçait que la redaction des Coûtumes s'eft:
faite , laiffe lieu aux éloges que notre Auteur
leur diftribue. J'aurai occafion d'en
parler dans un Ouvrage plus étendu . If
n'eft queſtion ici que des fuites ou des
effets du plan que M. Billecocq s'eft for
mé.
Son attachement fcrupuleux aux ex-"
preffions des Coûtumes de Champagne ,
qui y font fes favorites , le fait tomber
d'une faute dans une autre. J'ai remarqué
dans mes Obfervations , que pour nous
apprendre fi le Seigneur qui veut retenir
un Fief de fa mouvance , dont le nouvel
acheteur vient lui demander l'inveftiture,
peut déduire , fur le prix de la vente qu'il
eft obligé de rembourfer , le montant des
Droits Féodaux , il apporte pour toute
décifion un texte de la Coûtume de Vermandois
qui ne parle proprement que du
cas , qui ne fait pas de difficulté , auquel
Pacheteur étoit chargé du payement de
ces droits , & qu'ainfi il nous laiffoit
dans l'incertitude fur ce qui doit s'obſerver
lors , ce qui eft le.cas le plus épineux,
que le vendeur eft engagé à l'acquit de
ces droits. Et la remarque eft jufte , parce
que , quoiqu'en dife M. Billecocq , le
texte cité ne préſente rien qui donne lieu
d'ap
NOVEMBRE. 1730. 2415
d'appliquer à d'autre efpece qu'à la pre
miere dont j'ai parlé , la maxime que le
Retrait Seigneurial & lesDroitsFéodauxfont
incompatibles , & ne peuvent pas être pris:
enfemble fur un même Fief.
Dans fa défenſe , déterminé enfin à
nous inftruire plus clairement fi cette Loi
doit auffi être fuivie , lorfque par le contract
de vente le vendeur eft refté chargé
du payement des Droits Féodaux , il
nous dit qu'oül , que cela ne peut pas
former le moindre doute , & il en appor
te en preuve la Coûtume de Rheims
avec le fentiment de quelques Auteurs
qui ont crû, dit- il , que les Coûtumes a ,
qui contiennent des difpofitions contraires
font injuftes , & doivent être reffer
rées dans les bornes de leurs territoires.
Mais c'eft une feconde faute , d'autant
plus inexcufable que la premiere, que l'on
eft exposé à de plus grands maux , par
la prévention pour de fauffes maximes
que par la fimple ignorance des verita-
Bles. Il n'eft rien moins qu'incontefta-
Ble que le vendeur qui eft obligé au
payement des Droits Seigneuriaux pour
la vente qu'il a faite , en devienne déchargé
, & que fa condition change fi le
Seigneur retire des mains de l'acheteur
a Chaumont,art 17 -Amiens,38, Ponthieu ,69%
Ce
2416 MERCURE DE FRANCE
ce qui a été vendu ; de frivoles railonnemens
font le fondement unique d'un privilege
qui feroit fi extraordinaire. Je ne
ferai point de differtation pour le prouver
; la démonftration fe trouve toute
faite dans le Chapitre 3. des Obfervations
Notables fur le Droit Coûtumier , que M.
Bruffel qui n'y laiffe rien à defirer fur
cela , a fait imprimer à S. Omer en 1724.
& dont le fentiment peut être d'ailleurs
appuyé de celui de Pillecart a de Ricard b,
. & de M. De Laitre c
On voit affez que fi je trouve à redire
aux déciſions & aux principes de M. Bil
lecocq , ce n'eft point , comme il l'écrit
à fon ami , parce qu'ils ne font pas affez.
démontrés, mais parce qu'ils ne font point
affez vrais. C'eſt parcequ'il donne continuellement
pour certain ce qui eft au moins
très douteux , pour univerfellement reconnu
ce qui eft le plus contefté , & pour
genéral ce qui eft fufceptible de plufieurs
exceptions .
Une infinité de gens , nous dit l'Auteur
, feront bien contens de trouver d'un
coup d'oeil dans ce Livre la décifion des
difficultés qui fe préfentent ; mais fatif
faction de bien peu de durée pour le
a Sur l'art 216. de la Coût . de Châlons
b Sur l'art 235. de Senlis .
• Sur l'art. 17. de Chaumont,
LecNOVEMBRE
. 1730. 2417 .
Lecteur qui fe donnera la peine d'aller
aux fources , & bien funefte par l'évenement
pour ceux qui , par pareffe de remonter
à ces premieres fources , ou par
ignorance qu'il y en ait de plus pures , fe
feront prévenus & entêtés des idées qu'ils
auront prifes dans une collection fiimparfaite.
Il vaudroit autant pour les premiers
que la compilation fut encore dans
l'obfcurité , & qu'elle n'eut pas été miſe
au jour : Et cela feroit plus avantageux
pour les derniers. C'eſt ce que j'avois à
démontrer.
Fermer
Résumé : DÉFENSE des Remarques de M. Dauvergne sur un Livre de M. Billecocq, intitulé : Les Principes du Droit François sur les Fiefs.
Le texte est une défense des remarques de M. Dauvergne concernant le livre de M. Billecocq intitulé 'Les Principes du Droit François fur les Fiefs'. M. Dauvergne a attendu une réponse de M. Billecocq ou de son correspondant avant de réagir, mais n'ayant rien reçu, il décide de justifier ses observations. Deux points principaux sont en contention : la pertinence du contenu du livre par rapport à son titre et la valeur de l'ouvrage pour la jurisprudence. M. Dauvergne critique le titre du livre, qui promet des principes généraux mais ne les fournit pas. Il souligne que les principes particuliers varient selon les coutumes locales et que le livre de M. Billecocq se limite à la coutume de Peronne, contrairement à ce que le titre laisse entendre. Il accuse également M. Billecocq de ne pas fournir un commentaire complet et utile sur la coutume de Peronne, comme annoncé. M. Dauvergne reproche à M. Billecocq de ne pas avoir commenté suffisamment les articles de la coutume, se contentant souvent de répéter le texte sans ajouter de valeur. Il cite des exemples d'inexactitudes et de manque de précision dans le livre. M. Billecocq, en réponse, affirme que les remarques de M. Dauvergne sont trop vagues pour être réfutées. Le texte aborde également des questions spécifiques de droit féodal, comme le droit de la femme de faire la foi et hommage en l'absence de son mari. M. Dauvergne critique la position de M. Billecocq sur ce point, en se référant à des auteurs comme Du Pleffis et en soulignant les distinctions entre l'absence légitime et l'absence affectée. Il conclut que la position de M. Billecocq trouble l'ordre féodal et ne respecte pas les droits des seigneurs. En outre, le texte traite des obligations féodales, notamment la foi et hommage, et des droits des femmes dans ce contexte. En l'absence de cause indispensable, une femme ne peut pas être obligée de recevoir la foi et hommage à la place de son mari, car ce devoir incombe personnellement à ce dernier. Cependant, si la négligence ou le caprice du mari cause un préjudice financier significatif, la femme peut demander une séparation et récupérer l'administration de ses biens, y compris les fiefs, et effectuer seule l'hommage. Certaines coutumes permettent au seigneur de ne pas perdre les fruits en cas de refus du mari, mais cette perte reste une dissipation des biens communs. Le texte critique également les erreurs de M. Billecocq, qui a mal interprété certaines coutumes et maximes féodales, en se basant sur des compilations modernes plutôt que sur les auteurs originaux. Il souligne l'importance de consulter les sources primaires pour éviter les erreurs et les préjugés.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
217
p. 2417-2419
ODE SUR LA NAISSANCE DE MONSEIGNEUR LE DUC D'ANJOU.
Début :
Approchez, Enfans de la Lyre ; [...]
Mots clefs :
Naissance, Duc d'Anjou, Roi, Monarque, France, Dieu
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ODE SUR LA NAISSANCE DE MONSEIGNEUR LE DUC D'ANJOU.
ODE
SUR LA NAISSANCE
DE MONSEIGNEUR
LE DUC D'ANJOU
APprochez , Enfans de la Lyre ;
Uniffez vos fons à mon chant :
Un Dieu redoutable m'infpire
D'annoncer un Héros naiffant.
Lucine à qui la France eſt chere ,
Au préfent qu'elle vient de faire
Ajoute de nouveaux bienfaits.
Оные
2418 MERCURE DE FRANCE
Que l'Anjou treffaille de joye ;
Un Prince que le Ciel envoye
Comble en ce jour tous les fouhairs
Agde qu'on vit fi plein de zele
Pour le premier né de LOUIS ,
Que ton ardeur ſe renouvelle
A l'afpect de fon fecond fils.
L'un précieux fruit de nos larmes
Vint au plus fort de nos allarmes
Calmer notre jufte frayeur.
Digne objet de notre tendreffe ,
Celui- ci naît dans l'allegreffe
Pour confirmer notre bonheur.
Pour le Monarque , pour le Trône ,
Qu'avons-nous à craindre aujourd'hui a
De fon Sceptre , de ſa Couronne
Les Dieux font eux - mêmes l'appui.
C'est par leur faveur falutaire
Que LOUIS eft devenu pere
Du Dauphin , l'objet de nos voeux
Si fon augufte Race augmente ,
Peuple , c'eft à leur main paillante
Que tu dois ce fæccès heureur.
Grand Dieu , ce que ta main commence ;
Elle feule peut l'achever ;
Tu
NOVEMBRE. 1730. 2419
Tu donnes des Rois à la France ;
C'eft à toi de les conferver.
Fais croître ces Enfans aimables
Qui fur des Peuples redoutables
Feront un jour regner tes Loix :
Et dès leur plus tendre jeuneffe
Infpire -leur cette fageffe
Qui feule forme les grands Rois.
L'Abbé L.. d'Agde:
SUR LA NAISSANCE
DE MONSEIGNEUR
LE DUC D'ANJOU
APprochez , Enfans de la Lyre ;
Uniffez vos fons à mon chant :
Un Dieu redoutable m'infpire
D'annoncer un Héros naiffant.
Lucine à qui la France eſt chere ,
Au préfent qu'elle vient de faire
Ajoute de nouveaux bienfaits.
Оные
2418 MERCURE DE FRANCE
Que l'Anjou treffaille de joye ;
Un Prince que le Ciel envoye
Comble en ce jour tous les fouhairs
Agde qu'on vit fi plein de zele
Pour le premier né de LOUIS ,
Que ton ardeur ſe renouvelle
A l'afpect de fon fecond fils.
L'un précieux fruit de nos larmes
Vint au plus fort de nos allarmes
Calmer notre jufte frayeur.
Digne objet de notre tendreffe ,
Celui- ci naît dans l'allegreffe
Pour confirmer notre bonheur.
Pour le Monarque , pour le Trône ,
Qu'avons-nous à craindre aujourd'hui a
De fon Sceptre , de ſa Couronne
Les Dieux font eux - mêmes l'appui.
C'est par leur faveur falutaire
Que LOUIS eft devenu pere
Du Dauphin , l'objet de nos voeux
Si fon augufte Race augmente ,
Peuple , c'eft à leur main paillante
Que tu dois ce fæccès heureur.
Grand Dieu , ce que ta main commence ;
Elle feule peut l'achever ;
Tu
NOVEMBRE. 1730. 2419
Tu donnes des Rois à la France ;
C'eft à toi de les conferver.
Fais croître ces Enfans aimables
Qui fur des Peuples redoutables
Feront un jour regner tes Loix :
Et dès leur plus tendre jeuneffe
Infpire -leur cette fageffe
Qui feule forme les grands Rois.
L'Abbé L.. d'Agde:
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Résumé : ODE SUR LA NAISSANCE DE MONSEIGNEUR LE DUC D'ANJOU.
L'ode célèbre la naissance du Duc d'Anjou, fils du roi Louis, en novembre 1730. L'auteur, l'abbé d'Agde, invite les poètes à proclamer cet événement joyeux. La France est bénie par cette naissance, qui apporte joie et sécurité. Le Duc d'Anjou est décrit comme un prince céleste destiné à combler les désirs et apaiser les craintes. Sa venue est perçue comme un signe de bonheur et de continuité pour le trône. Les dieux sont appelés à protéger et guider le jeune prince, afin qu'il devienne un roi sage et redoutable, capable de régner sur la France et de faire respecter les lois divines.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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218
p. 2419
« L'Enigme du mois dernier a dû être expliquée par l'Enigme même, le premier [...] »
Début :
L'Enigme du mois dernier a dû être expliquée par l'Enigme même, le premier [...]
Mots clefs :
Énigme, Dauphin, Ambroise
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « L'Enigme du mois dernier a dû être expliquée par l'Enigme même, le premier [...] »
L'Enigme du mois dernier a dû être
expliquée par l'Enigme même , le premier
Logogryphe par Dauphin , & le
focond par Ambroise.
expliquée par l'Enigme même , le premier
Logogryphe par Dauphin , & le
focond par Ambroise.
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219
p. 2419-2420
ENIGME.
Début :
Je m'étens en longueur, de même qu'en largeur ; [...]
Mots clefs :
Ombre
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ENIGME.
ENIGM E.
E m'étens en longueur , de même qu'en lar
geur ;
1
Mais fans avoir de profondeur ;
J'ai des jambes , des bras ; je cours & me repofe
Suivant la loi que l'on m'impoſe.
Je ne fuis pas pourtant un corps :
Et la nuit & le jour on peut me voir paroître
Je ne quitte jamais celui qui me fait naître ;
2420 MERCURE DE FRANCÉ
En vain pour me chaffer il feroit des efforts.
L'air , la pluye ou les vents ne fçauroient me détruire
,
Et l'éclair,quoique promt ,peut fort bien me produire.
J'ai donné la naiſſance à l'art le plus fameux ,
Dont je releve encor l'éclat ingénieux.
Mais , Lecteur , à ce trait tu vas me reconnoîtrej
Fais bien attention à ce que je te dis :
Toutes les fois que tu me vois paroître ,
Ce n'eft qu'en te cachant ma mere que je ſuis;
E m'étens en longueur , de même qu'en lar
geur ;
1
Mais fans avoir de profondeur ;
J'ai des jambes , des bras ; je cours & me repofe
Suivant la loi que l'on m'impoſe.
Je ne fuis pas pourtant un corps :
Et la nuit & le jour on peut me voir paroître
Je ne quitte jamais celui qui me fait naître ;
2420 MERCURE DE FRANCÉ
En vain pour me chaffer il feroit des efforts.
L'air , la pluye ou les vents ne fçauroient me détruire
,
Et l'éclair,quoique promt ,peut fort bien me produire.
J'ai donné la naiſſance à l'art le plus fameux ,
Dont je releve encor l'éclat ingénieux.
Mais , Lecteur , à ce trait tu vas me reconnoîtrej
Fais bien attention à ce que je te dis :
Toutes les fois que tu me vois paroître ,
Ce n'eft qu'en te cachant ma mere que je ſuis;
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220
p. 2420-2421
LOGOGRIPHE.
Début :
Je ne suis composé que de cinq pieds divers ; [...]
Mots clefs :
Ombre
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texteReconnaissance textuelle : LOGOGRIPHE.
LOGO GRIPHE.
E ne fuis compofé que de cinq pieds divers ;
Rarement on m'employe à terminer des Vers.
Sans me rien retrancher , faites mon Anagrame
Dans un Livre facré vous trouverez mon nom ;
Vous verrez que d'un Roi j'aurois été la femine,
Si mon Pere jaloux d'une belle action .
N'eut pas retracté fa parole ,
Et d'un heureux Vainqueur rendu l'eſpoir frivole.
Coupez mon col , mettez à la fin mon milieu ,
Là , Moïfe jadis converfoit avec Dieu.
Alors en renverfant mes deux lettres dernieres ,
C'eft le nom d'une Ville & de quatre Rivieres ,
Qu'on trouve en des Climats divers.
Sans
NOVEMBRE. 1730. 2421
Sans mon milieu , pour chef ma penultiéme ,
J'ai fous mes loix rangé tout l'Univers.
Retranchant toujours la troifiéme ,
Pour chef mon col , laiffant les dernieres de même,
Je ne fuis pas fort agréable à voir ;
Pour Laquais cependant on ſe plaît à m'avoir.
Encore fans milieu , pour col l'avant -derniere ,
Souvent de plus d'une Bergere
Je fers le tendre amour , j'écoute les ferments ,
Et me trouve chargé du nom de fes Amans .
Rien que ma pénultiéme unie avec ma tête
O ! combien de Mortels chériffent ma conquête
Et pour me poffeder fe donnent des tourmens.
Mon col , ma pénultiéme étant après ma queuë ,
L'on fait fur moi tous les jours mainte lieuë ,
Quoique je fois fertile en triftes accidens,
Enfin en me donnant une tête nouvelle ,
Qu'on n'exprime pas en parlant ,
Je deviens un amuſement
Qu'a fait prefqu'oublier un autre moins fçavant
Dont s'occupe plus d'une Belle ,
Ou peut -être , Lecteur , tu perds bien de l'argent,
E ne fuis compofé que de cinq pieds divers ;
Rarement on m'employe à terminer des Vers.
Sans me rien retrancher , faites mon Anagrame
Dans un Livre facré vous trouverez mon nom ;
Vous verrez que d'un Roi j'aurois été la femine,
Si mon Pere jaloux d'une belle action .
N'eut pas retracté fa parole ,
Et d'un heureux Vainqueur rendu l'eſpoir frivole.
Coupez mon col , mettez à la fin mon milieu ,
Là , Moïfe jadis converfoit avec Dieu.
Alors en renverfant mes deux lettres dernieres ,
C'eft le nom d'une Ville & de quatre Rivieres ,
Qu'on trouve en des Climats divers.
Sans
NOVEMBRE. 1730. 2421
Sans mon milieu , pour chef ma penultiéme ,
J'ai fous mes loix rangé tout l'Univers.
Retranchant toujours la troifiéme ,
Pour chef mon col , laiffant les dernieres de même,
Je ne fuis pas fort agréable à voir ;
Pour Laquais cependant on ſe plaît à m'avoir.
Encore fans milieu , pour col l'avant -derniere ,
Souvent de plus d'une Bergere
Je fers le tendre amour , j'écoute les ferments ,
Et me trouve chargé du nom de fes Amans .
Rien que ma pénultiéme unie avec ma tête
O ! combien de Mortels chériffent ma conquête
Et pour me poffeder fe donnent des tourmens.
Mon col , ma pénultiéme étant après ma queuë ,
L'on fait fur moi tous les jours mainte lieuë ,
Quoique je fois fertile en triftes accidens,
Enfin en me donnant une tête nouvelle ,
Qu'on n'exprime pas en parlant ,
Je deviens un amuſement
Qu'a fait prefqu'oublier un autre moins fçavant
Dont s'occupe plus d'une Belle ,
Ou peut -être , Lecteur , tu perds bien de l'argent,
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221
p. 2422-2423
AUTRE.
Début :
En sept traits mon nom se partage ; [...]
Mots clefs :
Courage
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texteReconnaissance textuelle : AUTRE.
AUTRE.
EN fept traits mon nom ſe partage ;
Je me trouve toujours parmi les grands Guer
riers ;
J'ai fans ceffe la Cour , & je fais toujours rage
Quand il faut cueillir des lauriers ,
Ou faire le plus rade ouvrage.
Les trois premiers traits de mon nom
Marquent une partie aux hommes neceffaire.
Par les quatre derniers on me fera tout faire
Contre la rime & la raison.
Tournez -les d'une autre façon ,
Javertis les paffans du danger qui s'aprête.
A ces traits fi l'on veut ajoûter le fecond ,
Avant d'y rien changer ,je tonne , je tempête .
Je deviens un fruit long & rond;
Mais d'une petiteffe extrême.
Si des cinq traits que j'ai l'on ôte le troisième ,
Pris dans le premier fens je fuis bien plus fécond
Car tranchant la cinquième lettre ,
Ou me renverfant tout entier ,
Deux fruits différens vont paroître.
Ce n'eft pas tout ; divifez le dernier ,
Par les trois premiers traits on prouve quelque
chofe.
Joignez le quatrième , un Poëte fameux
Va
NOVEMRBE. 1730. 2423
3
2
Va fe préfenter à vos yeux,
Les cinq derniers feront la beauté de la rofe.
Si l'on avoit êté trois lettres du milicu
En mettant le reſte en fon lieu ,
On eut vû des Oiseaux la demeure ordinaire.
Ce fruit pris en entier a dequoi fatisfaire ,
Dequor rebuter le gourmand.
En le combinant feulement ,
Le Méchanicien y trouve un Inftrument
Le Chaffeur deux ; par lui l'Amant
Peut trouver grace auprès d'une vieille Clarice
L'Abbé rencontre un Benefice ,
Le Peintre des couleurs : mais ce n'eſt
Lecteur , cherches - en davantage.
pas la tout,
Et fi de me trouver tu veux venir à bout
Sois patient & prend courage,
EN fept traits mon nom ſe partage ;
Je me trouve toujours parmi les grands Guer
riers ;
J'ai fans ceffe la Cour , & je fais toujours rage
Quand il faut cueillir des lauriers ,
Ou faire le plus rade ouvrage.
Les trois premiers traits de mon nom
Marquent une partie aux hommes neceffaire.
Par les quatre derniers on me fera tout faire
Contre la rime & la raison.
Tournez -les d'une autre façon ,
Javertis les paffans du danger qui s'aprête.
A ces traits fi l'on veut ajoûter le fecond ,
Avant d'y rien changer ,je tonne , je tempête .
Je deviens un fruit long & rond;
Mais d'une petiteffe extrême.
Si des cinq traits que j'ai l'on ôte le troisième ,
Pris dans le premier fens je fuis bien plus fécond
Car tranchant la cinquième lettre ,
Ou me renverfant tout entier ,
Deux fruits différens vont paroître.
Ce n'eft pas tout ; divifez le dernier ,
Par les trois premiers traits on prouve quelque
chofe.
Joignez le quatrième , un Poëte fameux
Va
NOVEMRBE. 1730. 2423
3
2
Va fe préfenter à vos yeux,
Les cinq derniers feront la beauté de la rofe.
Si l'on avoit êté trois lettres du milicu
En mettant le reſte en fon lieu ,
On eut vû des Oiseaux la demeure ordinaire.
Ce fruit pris en entier a dequoi fatisfaire ,
Dequor rebuter le gourmand.
En le combinant feulement ,
Le Méchanicien y trouve un Inftrument
Le Chaffeur deux ; par lui l'Amant
Peut trouver grace auprès d'une vieille Clarice
L'Abbé rencontre un Benefice ,
Le Peintre des couleurs : mais ce n'eſt
Lecteur , cherches - en davantage.
pas la tout,
Et fi de me trouver tu veux venir à bout
Sois patient & prend courage,
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222
p. [2551]-2554
ARIANE ET THESÉE. CANTATE.
Début :
Dans l'Isle de Naxos quel bruit vien-je d'entendre ? [...]
Mots clefs :
Amour, Amant, Amante
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ARIANE ET THESÉE. CANTATE.
ARTANE ET THESE'E.
D
CANTATE.
Ans l'Ile de Naxos quel bruit vienje
d'entendre ?
Quel tumulte agite les flots ?
Sur les bords de la Mer , quel mortel va ſe rendre
?
C'eft le Grec qu'a fuivi la fille de Minos.
Ce Héros qui lui doit tout l'éclat de fa gloire
1. Vela AN Va
2552 MERCURE DE FRANCE
Và payer en ce jour
Le plus fidele amour
Far la cruauté la plus noires
語
Fuyez l'amour , jeunes coeurs ;
Quoiqu'il préfente des charmes
De fes plaifirs impofteurs ,
Coule une fource de larmes.
Sous fes pas naiffent des Aeurs ,
Qui furprennent notre vûë ;
De leurs mortelles odeurs
S'exhale un venin qui tuë.
Fayez l'amour , &c.
W
Je le vois ce perfide amant ,
Sur un Rocher affreux conduire fon amante ,
Infenfible à fes pleurs , à fa voix gémiffante
Il s'enyvre à longs traits de fon cruel tourment ;
Envain pour l'arêter Ariane abuſée ,
Par fes embraffemens , veut amolir fon coeur ,
L'Ingrat en s'échapant fe rit de fa langueur,
Elle ne verra plus Thefée.
Un facile amour déplaît,
Un Rigoureux nous engage ,
1. Vol.
DECEMBRE. 1730. 2553
Un coeur trop tôt fatisfait ,
Vous méprife ou vous outrage,
Pour conferver un amant
Marquez de l'indifference ,
En amour , le plus content
A moins de reconnoiffance,
Un facile , & c.
Sur la rive agitée , en détournant les yeux
Ariane du coeur cherche encor l'infidelle ; ·
Mais il ne paroit plus . A fa douleur mortelle
Succedent des tranfports tendres & furieux ,
Non , à mon lâche coeur , tu n'es pas odieux
Hélas ! & malgré ton parjure ,
Barbare ,je t'appele , &je voudrois te voir...
Approche ... ses regards hâtent mon defefpoir
,
Et je fens terminer les tourmens que fendure
Elle dit , & foudain à la clarté des Cieux ,
Ferme fa paupiere mourante ,
En laiffant par l'ordre des Dieux ,
Cet unique Tableau d'une fidelle amante.
Non , on ne voit plus aimer
Avec tant de violence ;
Iv Val. Aviij
On
2554 MERCURE DE FRANCE
On confent de fe charmer
Sans fe piquer de conftance.
Le plaifir eft de changer;
Se fixer eft efclavage :
L'amant veut fe dégager,
Et l'amante fe dégage.
Non , on ne , &c.
Le Chevalier DE MONTADOR.
D
CANTATE.
Ans l'Ile de Naxos quel bruit vienje
d'entendre ?
Quel tumulte agite les flots ?
Sur les bords de la Mer , quel mortel va ſe rendre
?
C'eft le Grec qu'a fuivi la fille de Minos.
Ce Héros qui lui doit tout l'éclat de fa gloire
1. Vela AN Va
2552 MERCURE DE FRANCE
Và payer en ce jour
Le plus fidele amour
Far la cruauté la plus noires
語
Fuyez l'amour , jeunes coeurs ;
Quoiqu'il préfente des charmes
De fes plaifirs impofteurs ,
Coule une fource de larmes.
Sous fes pas naiffent des Aeurs ,
Qui furprennent notre vûë ;
De leurs mortelles odeurs
S'exhale un venin qui tuë.
Fayez l'amour , &c.
W
Je le vois ce perfide amant ,
Sur un Rocher affreux conduire fon amante ,
Infenfible à fes pleurs , à fa voix gémiffante
Il s'enyvre à longs traits de fon cruel tourment ;
Envain pour l'arêter Ariane abuſée ,
Par fes embraffemens , veut amolir fon coeur ,
L'Ingrat en s'échapant fe rit de fa langueur,
Elle ne verra plus Thefée.
Un facile amour déplaît,
Un Rigoureux nous engage ,
1. Vol.
DECEMBRE. 1730. 2553
Un coeur trop tôt fatisfait ,
Vous méprife ou vous outrage,
Pour conferver un amant
Marquez de l'indifference ,
En amour , le plus content
A moins de reconnoiffance,
Un facile , & c.
Sur la rive agitée , en détournant les yeux
Ariane du coeur cherche encor l'infidelle ; ·
Mais il ne paroit plus . A fa douleur mortelle
Succedent des tranfports tendres & furieux ,
Non , à mon lâche coeur , tu n'es pas odieux
Hélas ! & malgré ton parjure ,
Barbare ,je t'appele , &je voudrois te voir...
Approche ... ses regards hâtent mon defefpoir
,
Et je fens terminer les tourmens que fendure
Elle dit , & foudain à la clarté des Cieux ,
Ferme fa paupiere mourante ,
En laiffant par l'ordre des Dieux ,
Cet unique Tableau d'une fidelle amante.
Non , on ne voit plus aimer
Avec tant de violence ;
Iv Val. Aviij
On
2554 MERCURE DE FRANCE
On confent de fe charmer
Sans fe piquer de conftance.
Le plaifir eft de changer;
Se fixer eft efclavage :
L'amant veut fe dégager,
Et l'amante fe dégage.
Non , on ne , &c.
Le Chevalier DE MONTADOR.
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Résumé : ARIANE ET THESÉE. CANTATE.
La cantate 'Artane et Thésée', publiée dans le Mercure de France en décembre 1730, se déroule sur l'île de Naxos. Thésée, après avoir fui, abandonne Ariane, qui se retrouve seule et désespérée. Malgré sa douleur, Ariane exprime encore son amour pour Thésée, qu'elle qualifie de 'perfide amant'. Thésée, insensible à ses pleurs et supplications, se réjouit de son tourment. Ariane, dans sa souffrance, appelle Thésée et souhaite le voir une dernière fois avant de succomber à sa douleur. Le texte se conclut par la mort d'Ariane, illustrant son amour fidèle. La cantate explore également les dangers de l'amour, mettant en garde contre ses charmes trompeurs et ses conséquences mortelles.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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223
p. 2554-2576
SETIEME LETRE sur la bibliotèque des enfans, et sur l'atirail literaire du bureau tipografique.
Début :
MONSIEUR, Je n'aurois jamais osé doner dans le Mercure de France la suite de l'atirail literaire [...]
Mots clefs :
Enfants, Lettres, Latin, Méthode, Cartes, Mots, Français, Voyelle, Exercice, Apprentissage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SETIEME LETRE sur la bibliotèque des enfans, et sur l'atirail literaire du bureau tipografique.
SETIEME LETRE sur la bibliotèque
des enfans , et sur l'atirail literaire
du bureau tipografique.
MONSIEUR ,
Je n'aurois jamais osé doner dans le
Mercare de France la suite de l'atirail literaire
d'un enfant , si des pèrsones de
merite ne m'avoient fait remarquer que
ce journal étoit plus nécessaire et plus
instructif dans les provinces et dans les
patis étrangers que dans la capitale , et
que mon scrupule étoit mal fondé. Tous
les livres , m'a- t- on dit, ne peuvent ni ne
doivent ètre livres amusans , de mode
de
passage , et d'une seule espece de lec
teurs , come les voyages de Gulliver , etc.
I. Fel.
Votre
DECEMBRE. 1730. 2333
Votre ouvrage contient la premiere doc
trine , l'érudition élémentaire , cela sufit ,
m'a-t-on repliqué , pour justifier le motif
de vos petits essais literaires ; les parens
et les maîtres curieus en fait d'éducation
le penseront ainsi ,à Paris mème . Dailleurs
les provinces demandent des bureaus ; il
est donc mieus de leur donér la manière
de les faire faire chès eus à bon marché
que de les mètre dans la nécessité d'en
faire venir de plus chèrs , lentement et à
grans frais. Ces raisons m'ont facilement
détèrminé à tâcher de mètre le lecteur
atentif au fait de la construction , del'intelligence
, et de l'usage des petits meubles
literaires que je propose de livrér de
bone heure aus jeunes enfans , et aus autres
enfans de tout age qui ont le malheur
d'avoir été négligés ou retardés pendant
bien des anées.
§ . 1. Cassète abecédique , pour un enfant
de dens à trois ans , et de tout age.
La cassète abécédique , est le premier
meuble litéraire qu'il faudroit livrer à un
enfant de deus à trois ans . Cete cassète doit
ètre de carton; on peut la renforcer d'une
toile colée en dehors , et mètre des bandes
de parchemin à tous les angles exte
rieurs : la charniere de la cassète doit ètre
de toile , de parchemin , ou de peau , afin
A iiij qu'elle I. Vol.
2556 MERCURE DE FRANCE
qu'elle puisse resister aus mouvemens
Continuels ausquels elle sera exposée ..
Après avoir compassé , coupé , cousu
COlé
, et façoné cète cassète , il faudra l'habiller
de lètres , et de silabes ; enjoliver
tous les coins et toutes les bordures avec
du papier doré , marbré , ou tel autre
qu'on voudra y mètre , pour marquer le
quaré , ou le cadre des faces de la cas
sète. On donera au comancement de l'A
B , C latin , et en petit caractère , la
feuille des premières combinaisons élémantaires
, qu'il faudra faire imprimer
d'un caractère proportioné à la grandeur
de la cassète. Cète feuille est , pour ainsi.
dire , l'abrégé de l'a ,b, c latin , et l'on ne
sauroit y tenir un petit enfant trop lontems
pourvu qu'on ait soin de lui faire
lire sur sa cassète les combinaisons , non
seulement de gauche à droite , mais encore
de droite à gauche ; de haut en bas ,
et de bas en haut , ou en colones , etc.
Le premier des deus petits cotés à
droite , contient les lètres du grand A,B,
C latin , avec leur dénomination , ou le
nom doné et preté à chaque consone pour
rendre selon cète nouvèle métode l'art.
de lire plus aisé : On met donc dans ce
quaré de la cassète , n ° . 1. les voyèles
grandes et petites , et les lètres capitales.
avec leurs noms , Aa , Ee , Ii , Oo ,
I.Vok U u
DECEMBRE. 1730. 2357
3
U u. A , Be , Ceke , De , E , Fe , etc.
que
Le segond des deus petits cotés de la
cassète , à gauche , contient le petit a , b,c
latin , à coté du grand , lètre à lètre ; afin
l'enfant qui conoit bien les grandes
lètres , puisse facilement et presque de lui
mème aprendre ensuite à distinguer les
petites : On met donc , n ° . z . A a , Bb ,
Cc , Dd , etc. on y ajoute les principales
Higatures , les lètres doubles , et quelques
abreviations , sur lesquèles il est inutile
de s'arèter beaucoup de peur de dégouter
l'enfant.
La premiere des grandes faces de la
cassète et sur le devant , contiènt , n° . 3 .
en deus colones , les combinaisons élémentaires
du Ab , eb , ib , ob , ub , etc..
Le dessous de la cassète pouroit avoir
: quatre clous de léton , rivés en dedans ;;
savoir un à chaque angle pour servir de
pié et conserver cete face , sur laquelle ,
et sur cèle du couvercle en dedans , on
peut mètre une bèle crois de JESUS,come
La base , le principe , et la fin de toute action
cretiène.
Le deriere de la cassète contiendra , nº
4.et en deus colones , les combinaisons
du Ba , be , bi , bo , bu , etc. dans lesque
les on fera remarquer les changemiens .
qu'on a crit necessaires pour doner de
bons principes sur les combinaisons , Ca
: bokeb AV fo
2558 MERCURE DE FRANCE
fe , fi , co , qu ; Ga , je , ji , go , gu ; Ja ,
ge , gi , jo , ju ; Sa , ce , ci , fo , fu ; Ta ,
te , tici , to , tu , etc.
Le dessus du couvercle de la cassète
contiendra , nº. 5. n ° . 6. les combinaisons
du Bla , ble , bli , blo , blu , etc. et cèles
du Bra , bre , bri , bro , bru , etc ... N° 7.
les combinaisons des quatre petites lètres
ressemblantes , b , d , p , q , combinées
avec leurs quatre capitales, et ensuite avec
les cinq voyeles , come Bb , Dd , Pp ,
Qq , etc. Ba , de , pi , qu , bo , etc.
No. 8. des sons particuliers à la langue
françoise. A l'égard des cinq faces qui restent
au dedans de la cassète , il sufit qu'èles
solent couvertes de papier blanc , pour
faire mieus paroitre les lètres des cartes
que l'enfant y tiendra.
1
Cète cassète servira à faire dire la leçon
en badinant , et à tenir les cartons et les
jeus des cartes abecediques , qui ont servi
de premier amusement à l'enfant, et qu'il
peut ranger sur une table en les nomant
, jusqu'à ce qu'il soit en état d'avoir
le petit bureau tipografique , sur lequel
il rangera les premieres combinalsons,
Ab , eb , ib , ob , ub , etc. On poura
lui doner ces premieres combinaisons
avec un petit casseau de carton et de sis
logetes , qui entrera dans la cassète , de
mème que les petits cartons élémentaires ,
|
1. Vol. sur
DECEMBRE . 1730. 2559
sur lesquels on aura fait coler les quarés
de la feuille imprimée pour habiller la
cassete ; elle poura aussi servir à tenir une
garniture de bureau pour les persones
curieuses de ce petit atirail literaire.
§ . 2. Foureau ou Tablier du petit bõhome ,
pour l'usage du bureau.
L'on fera à l'enfant un tablier de quelque
bone toile rousse ou grise , afin de
conserver ses habits . Ce tablier poura s'apeler
en badinant , la bavète ou le tablier de
docteur ; il est necessaire pour y faire deus
poches , l'une servira à metre les cartes
des letres et des mots en rouge pour le
latin , et l'autre servira à mèrre les cartes
en noir pour le françois , lorsque l'enfant
comencera de travailler à la table du
bureau de laquèle au reste il ne faut pas
oublier de bien faire abatre la vive arète,à
cause du frotement continuel de l'enfant.
§. 3. Description du premier et petit bureaus
qui sert à la premiere claffe.
Dès qu'un enfant conoit bien les lètres
par l'exercice des jeus de cartes abécédiques
et de la cassete , on peut lui doner
un petit bureau semblable à ceus dont les
directeurs et les comis de la Poste se servent
en province pour ranger les lètres
missives qu'ils mèrent en colones vis - à-
1. Fol.
Αν
via
2560 MERCURE DE FRANCE
vis les lètres initiales des noms ausquels
les missives sont adressées. il faut donc
avoir une table de la largeur de cinq ou
sis cartes rangées , ensorte que cèles des
c'nq voyeles A , E , I , O , U , et des
combinaisons Ab , eb , ib , ob , ub , etc..
puissent ètre mises en colones sur la largeur
de ce bureau . il doit avoir la longueur
de trente cartes rangées de suite,
plus ou moins , selon le nombre des logetes
que l'on voudra doner à la caisse
de l'imprimerie ; et selon la grandeur des
cartes dont on se servira pour garnir le
bureau . La largeur de la table sera divisée
par quatre ou cinq lignes paralèles , qui
dans la suite serviront d'alignement et:
de reglèt à l'enfant qui doit imprimer oa
composer son tème sur cète table.
و
On peut doner à la table la longueurde
trente cassetins outre l'épaisseur
des montans ou du bois de séparation ;,
ce qu'il est aisé de mesurer : ensuite on
fait les trois liteaus , bandes , regles ou
rebors de la hauteur d'environ quatre pou
ces , ou de la hauteur d'une carte , l'un
de la longueur , et les autres deus pour la
largeur du bureau. Avant que de poserd'une
maniere fixe ou mobile à discretion,.
la tringle , la regle , le long liteau ou rebord
du derriere de la table , il faut lediviser
en trente parties , et marquer le
& Fet milicu
DECEMBRE. 1730. 2560
milieu de chaque partie d'une des lètres de
FABC, observant d'y imprimer la grandeet
la petite lètre ensemble , l'une sous.
Pautre , c'est- à- dire le grand A , sur le
petit as le B capital sur le petit b , et
ainsi de tout l'A BC , depuis les lètres.
Aa , Bb , jusqu'à cèles du Zz , sans oublier
l'Ex , l'a , ni les lètres doubles ,.
&t , ft , fl , etc. de même que les chifres et
les caracteres ou lès signes de la ponctua
tion , etc. que Fon rangera selon l'ordreobservé
dans la planche du bureau tipo
grafique que j'ai fait graver exprès. il sera.
peut-être mieus de doner à l'enfant un
casseau d'un seul rang de logètes , où il
puisse tenir les grandes et les petites kètress ,
Page et la taille décideront entre la trin
gle et le casseau d'un rang de logètes..
Les deus petits liteaus , rebors ou consoles
des cotés n'étant que pour retenir les
cartes , rendre le bureau plus solide , et
pour fermer la caisse , on peut arondir er:
façoner ces deus consoles par le bout , afin
que l'enfant ne puisse en ètre incomode :
après quoi l'on peut clouer les liteaus ou
rebors et metre ce bureau contre un mur
sur deus chaises , sur un chassis , sur deus
petits bancs ou deus petits traitaus dont
les piés soient solides et proportionés à
La taille de l'enfant. On poura , si l'on
eur, metre de petits tiroirs à ce bureau:
La bata
1
2562 MERCURE DE FRANCE
et couvrir la table , d'une basane , d'un
maroquin noir ou d'une toile cirée ; ce qui
n'est pas absolument necessaire, si le bois
est neuf, sans noeuds et bien uni : d'ailleurs
on pouroit faire la table de ce bureau
brisée en deus ; ce qui serviroit pour
les diferens ages et les diferens tèmes de
l'enfant , et mème pour ètre plus facilement
placé contre la muraille et transporté
de la vile à la campagne , come une
table brisée , qui ensuite relevée , ferme
roit la caisse du colombier literaire , et
ocuperoìt moins de place. On poura mètre
un petit rideau de tafetas ou de toile
pour couvrir le colombier quand on ne
s'en servira pas , une toile cirée sera peutètre
d'un mème usage , on doit en tout
chercher l'utilité , la comodité et la propreté.
S. 4. Casse d'imprimerie en colombier à
quatre rans de trente cassetins chacun.
3
Quand l'enfant sera fort sur l'exercice
de la cassète et du premier bureau , on
peut encore pour le divertir en l'instruisant
, lui doner une casse d'imprimerie ,
avec laquèle il composera et décomposera
les silabes , les mots , et les lignes qu'on
lui présentera écrites ou imprimées ; er
cela s'apelera l'exercice du tème en lat`n ou
en françois , selon les lignes et les tèmes
I. Vol.
qu'on
DECEMBRE. 1730. 2563
qu'on lui donera par la suite en ces langues-
là . Cète imprimerie en colombier
est composée d'un casseau qu'on met sur
la table du premier et petit bureau contre
le plus long liteau ou le deriere de cète
table , y étant assés fixe par
des crochets ,
des pitons , des clous à vis , des boutons
ou des chevilles de fer qui traversent l'épaisseur
des deus petits liteaus ou consoles
, et le bois de la premiere et de la derniere
celule : cete casse est divisée en soissante
compartimens, cassetìns, celules , logetes
ou boulins ; c'est-à-dire en deus
rans de trente celules quarées chacun , et
c'est-là le segond bureau ou casseau de la
segonde classe pour le latin , en atendant
la troisième aussi de soissante cassetins
pour le françois , les chiftes , la ponctuation
, l'ortografe des lètres et des sons et
pour la troisiéme classe.
On passera ensuite au quatrième casseau
ou bureau pour le rudiment pratique de
la quatrième classe. Le bureau complet
sera donc de sis rangées de trente cassetins
chacune ; quatre pour l'imprimerie
du latin et du françois , et deus pour le
rudiment. On poura le faire faire tout
d'un tems pour épargner le bois , la hau
teur et la façon du bureau ; en couvrant
d'une housse les rangées superieures
dont l'enfant n'aura pas d'abord l'usage :
I. Vol.
ce
2564 MERCURE DE FRANCE
ce voile piquera sa curiosité et lui donera
de l'impatience pour l'usage des autres
rangées , ainsi qu'on l'a déja dit dans les
letres sur le bureau tipografique , inserées.
dans les mercures des mois de Juin et
de Juillet 1730.
Les logetes doivent ètre un peu plus.
profondes que la longueur des cartes ;
savoir , les trente celules pour ranger et
mètre les petites lètres , les lètres dou-
Bles , etc. et les trente autres celules ou
cassetins pour les grandes lètres ou capitales
, etc. le quaré des celules doit ètre
proportioné à la longueur et à la largeur
des cartes dont on veut se servir ; ensorte:
que l'enfant puisse mètre aisément sa main
dans chaque celule pour y poser ou en
prendre les cartes : on parlera ci - dessous ;
des autresrans de logetes.il faudra marquer
abécédiquement au bureau latin chaque
celule d'en bas de sa petite lètre, et cèle d'ens
haut de sa lètre capitale : après quoi l'on
peut montrer à l'enfant l'art d'imprimer
le tème qu'on lui dicte , ou qu'on lui
done sur une carte ou sur un papier mis
assés haut sur un petit pupitre à jour et
de fil d'archal au milieu de son imprimerie
ou sur la table mème du bureau ; l'on
fera séparer tous les mots avec une carte:
blanche ou par une petite distance , pour
aprendre à l'enfant à distinguer les mots..
La Vali
On
DECEMBRE. 1730. 2565
On ne sauroit croire combien il profite
en imprimant quelques mots sous le dictamen
des uns et des autres , cela lui for
me l'oreille, et lui done ensuite une gran
de facilité pour l'ortografe des ïeus er
d'usage.
,
Il faut qu'il y ait au moins quinze ou
vint lètres dans chaque celule et un
plus grand nombre de voyèles , de liquides
et de certaines consones de plus d'usage
, afin de pouvoir composer plusieurs
lignes de tème tout de suite. Pour rendre
plus large la table du bureau , à mesure
que l'enfant croitra en age et en sience
on peut reculer la caisse de l'imprimerie
ou l'exhausser pour l'apuyer sur le deriere
du bureau , ou pour la metre contre le
mur d'un cabinet , de la chambre de l'enfant
ou autre lieu convenable. Je crois ce
pendant qu'il est mieus que le tout soit
isolé et portatif même au milieu de la
chambre ou du cabinet de l'enfant.
On aura des cartes marquées d'une virgule
pour séparer les mots au comencement
de l'exercice tipografique , afin
d'en rendre à l'enfant la lecture plus aisée
, moins confuse , et de lui aprendre
à distinguer les mots ; il faut mème que
l'enfant lise ou qu'il apèle les virgules et
les poins qui se trouvent dans ses leçons
ce qui l'acoutumera à observér les pauses.
Ja Vola ik
2566 MERCURE DE FRANCE
il ne sera pas mal aussi qu'il nome la quant
tième des pages , à la vue des chifres dont
elles sont cotées : cela sera d'autant plus
alsé , que les chifres entrent dans la com
position des tèmes , et que l'enfant de
trois ans quatre mois dont on a parlé
s'en servolt come il se servott des letres
, quoique tous les chifres fussent en
core dans une seule logere du petit bureau
latin . Le maître pour soulager l'enfant ,
lira à son tour jusqu'à la virgule ou jus
qu'au point.
Tous ceus qui vèront ce bureau et cite
imprimerie pouront dicter et faire imprimer
leurs noms, ou quelques autres mots
et encourager l'enfant à l'exercice du bus
reau qu'il faut continuer pendant lontems
quoique dans la suite l'enfant se serve de
livres pour dire sa leçon en latin et en
François. Le téme étant fait , on regarde
s'il n'y a point de fautes , et l'on montre
à l'enfant la manière de les coriger et de
distribuer les lètres , ou de les remetre
chacune dans sa celule , ce qu'il trouvera
facile aprés avoir su les ranger sur la table
du premier bureau .
S.§. 5. Description du bureau tipografique
latin-françois.
Les montans ou le bois qui forme les
celules
DECEMBRE. 1730. 2567
(
celules de haut en bas en ligne pèrpendiculaire
n'est que de deus à trois lignes
d'épaisseur , excepté le premier et le dernier
qui auront neuf lignes pour fortifier
la caisse , l'assemblage ou le bâti exterieur
; et les traverses ou le bois qui le
croise horisontalement et en rayons est
alternativement , c'est à dire le premier ,
le troisième , le cinquième , et le sétième
de neuf lignes , ou de la hauteur des letres
capitales. si l'enfant est déja un peu
grand , on poura doner neuf lignes à toutes
les traverses pour la comodité des étiquetes
de tous les rans de cassetins , chaque
celule à vide a en tout sens le quaré
long d'une carte tant pour la hauteur que
pour la largeur à vide , avec l'aisance nécessaire
pour le jeu tipografique. La profondeur
d'une celule est come l'étui de
quatre à cinq jeus de cartes ; de manière
que la main puisse les y mètre et les en
tirer facilement . Enfin les dimensions des
cartes doivent regler cèles du bureau et
des casseaus de l'imprimerie , ce qu'un
menuisier doit bien observer , en mesurant
avec exactitude une carte pour chaque
logète, ceus qui ne voudront pas
doner tant de longueur au bureau regleront
les dimensions de leurs cartes
par cèles des logétes du bureau qu'ils comanderont
selon l'endroit où ils le voudront
8
I. Vol.
2568 MERCURE DE FRANCE
€
dront placer , car il faut que la carte ou
la log te donent les dimensions l'une de
l'autre , et c'est ainsi qu'on l'a pratiqué
dans un grand colège pour le bureau d'un
jeune seigneur.
L'auteur dans une planche gravée exprès
done le plan , la description , le dessein
du bureau, des celules ; et des exemples
de la garniture de letres , afin qu'on
voie plus facilement de quèle manière on
doit les distribuer.chacun peut se faire un
plan sans s'asservir à l'abécédique ; si
P'on suit cet ordre , c'est pour faciliter à
-un enfant l'usage des dictionaires , et de
la table des matières des livres qui suivent
aussi l'ordre abécédique .
>
Le premier rang des celules d'en bas ,
- est pour les petites letres apelées ordinal
: rement letres du bas ou mineures ; c'est
pourquoi on l'apèle aussi le petit ordinaìre.
Après les logetes du z , de l' , de
P'è ouvert et de l'é fermé , on metra dans
· la vintneuvième logete les cartes ou les
tèmes donés sur l'histoire , sur la bible ,
sur les génealogies , sur la cronologie et sur
la géografie , et dans la trentième logere
les tèmes qui roulent sur la France , sur
l'Europe etc.
Le segond rang contient les grandes
letres apelées capitales , majeures ou majuscules
que les espagnols apelent aussi
I.Vol
verfales
DECEMBRE. 1730. 2569
versales ; c'est pourquoi on l'apele le grand.
ordinaire la vintneuvième logete sera.
pour les époques , l'histoire sainte , les listes
etc. la trentième pour les époques
P'histoire profane , la fable etc. ou bien on
se contentera de metre en haut les deus
étiquetes hist. s. hist . p. et en bas les autres
deus étiquetes géogr. fable.
5
Le troisième rang est pour toutes les
combinaisons de letres qui donent les mèmes
sons simples qu'exprime le rang des
letres ordinaires ; c'est pourquoi on l'apele
le premier rang composé ; ainsi à la cofone
de l'o et à la logete du 3 rang , on
met les diftongues oculaires au , ean , qui
en deus ou en trois letres expriment le
pur son de l'o , cette distinction et cet
ordre métodique donent d'abord à l'enfant
des idées inconues à la plupart des
maitres d'école . car s'il m'est permis de
le dire , on ne rougit pas d'ignorer l'algebre
; mais on est très honteus d'ignorer
ce qu'un petit enfant aprend d'abord
au bureau , sur la nature des letres et des
sons de la langue françoise , et ce que
tous les maîtres , tous les regens , et tous
les professeurs devroient savoir . Pour profiter
des logetes de reste , on met à la se
èt à la colone du H le mot magasin expliqué
ailleurs ; à la 10 tèmes à faire ; à
la 11 tèmes faits à la colone du Z , on
DANI. Vol.
met
2570 MERCURE DE FRANCE
met nombres , chifres ou livret ; et aus deus
dernieres les poins de suspension , d'interuption
.... , les paragrafes §§ , les piés
de mouche ¶¶ , les guillemets « » , les
signes de plus , de moins ,
d'égalité , et les traits ou tiréts
que les imprimeurs apelent division , qui
coupent, replient et divisent les mots qu'on;
n'a pu achever au bout de la ligne , ou qui
lient des mots composés, come porte-feuille,
tourne-broche etc. on tiendra tous les autres
signes et les asterisques dans ces deus
derniéres logetes du troisième rang de
cassetins .
Le quatrième rang est pour des sons.
diférens , placés néanmoins dans la colone
de la letre avec laquele ils ont le plus de
raport à l'oreille où à l'euil ; le reste come
poins , virgules , apostrofes , parentèses ,
crochets etc. est mis à discretion dans les
celules vides du 4 rang qu'on apele le
segond rang composé , ensorte que les deus
premiers rans sont dits simples , parceque
leurs celules contiènent les simples letres,
et les deus autres rans sont dits composés ,
parceque leurs celules contiènent de dou
bles consones , de doubles letres , de doubles
sons , et enfin des diftongues par
raport à l'euil ou à l'oreille. Pour profiter
du vide des colones M, N, on y a mis
les diftongues oi et ni , qui reviènent sou
GAL. Vol.
vent
DECEMBRE. 1730. 2571
vent dans les mots des tèmes , des frases ,
ou du discours , et pour distinguer le son
de la voyele è ou of du mot il conoìt , de
la diftongue oi du mot roi , on emploie
l'ì grave , come dans les mots il avoit , ils
portoient etc. et l'on emploie l'i ordinaìre
dans les mots loi , roi etc. ensorte que 1ì
grave servira à indiquer l'è ouvert composé
de deus letres dans les mots françois,
maitre , peine etc. et l'i algu indiquera l'ẻ
fermé composé aussi de deus letres dans
les mots j'ai , je ferai plaisir etc. ce qui
şera tres utile non seulement à l'enfant ,
mais encore aus étrangers et aus gens de
province peu au fait de la prononciation
des e simples , ou composés de plusieurs
letres.
On metra aussi au quatrième rang la
voyele eu au haut de la colone e ,
d'autant
que la prononciation en est presque come
cèle de l'é muet françois ou soutenu et
d'une seule lètre ; au lieu que la difton
gue oculaire eu est dans un sens l'e fran
çois soutenu de deus letres ... Le son
gne françois sera mis à la 7 celule au
haut de la colone g , parceque le mot copar
un g ; en Espagne et en portugal
on le metroit au fi ou au nh , colone
du n...Le son che françois , au mème
rang , et au haut de la colone du jou du
sonjeja , parceque le son françois che ost
I. Vol.
mence
le
2372 MERCURE DE FRANCE
le son fort du foible jes en Alemagne ,
on metroit le che à la colone du sch , parceque
les Alemans n'ont point de jou
le son du ge dans leur langue ... Les sons
ill , lh , ille mouillés , au haut de la colonel
, par raport à l'euil plutot qu'à l'oreille
; car en Italie on le metroit au gli ,
colone du g ... La voyele on au haut de
la colone o , par raport à l'euil plutot qu'à
l'oreilles en Italie , en Efpagne , en Âlemagne
, on metroit l'ou à la colone de l'u
qu'on y prononce on . ceci doit fe pratiquer
de mème pour le grec , l'ebreu
Parabe , et toutes les langues .
> > > , >
On doit metre les cinq voyeles nasales
ã‚é‚í‚õ‚ú¸ avant les chifres , et tout
de suite , pour en faciliter l'usage à l'enfant
qui compose sur la table du bureau .
Les dis chifres arabes seront mis aus dis
dernieres logétes avec des chifres romains
pour composer en françois et en latin .
c'est cète rangée de trente cassetins qui
a obligé à en doner autant aus autres
rans. on doit encore dire ici qu'on ne
sépare pas toujours par des virgules ou
par des poins les diférentes combinat
sons ou les diférens signes indiqués pour
la mème logete dans la planche du bureau
, parceque l'on a craint que le lecteur
n'imaginât ces virgules et ces poins
être nécessaires sur les cartes des mèmes
I. Vol.
logetes,
DECEMBRE. 1730. 257 3
logètes , come , par exemple, le point des
cartes marquées d'un c. au dessous de
la logete des chifres VI , 6.
La logète du magasin , du suplement.
ou du plein bureau , apelée la bureaulade
sert à l'enfant pour mètre les mots et les
tèmes composés , lorsque la table du bureau
est pleine , ou que l'enfant pressé
permet qu'un autre range les cartes après
qu'il a lui seul composé le tème , le tout
pour diversifier , et plaire en instruisant,
bien loin de dégouter. on trouvera à
peu près de mème la raison de chaque
chose , si l'on veut bien se doner la peìne
d'y faire un peu d'atention , come on
l'a déja dit bien des fois dans la manière
d'apeler les letres et les sons simples ou
composés par raport aus ieus ou à l'oreille.
§. 6. Garniture ou assortiment de cartes
Pour les quatre rans de casseins du bureau
tipografique.
Pour garnir le bureau tipografique , il
faudra mètre sur des cartes séparément
non seulement les lètres , mais encore
leurs diférentes combinaisons pour exprimer
les sons simples ou composés , ce qui
servira beaucoup à l'ortografe des ieus et
de l'oreille , et donera plus de facilité et
de varieté pour le jeu tipografique , que
I. Vol. B n'en
2574 MERCURE DE FRANCE
n'en pouroit doner une imprimerie ordinaire.
D'ailleurs l'avantage de pouvoir
lire et composer en latin et en françois
dès le premier jour de l'exercice , est un
avantage qui fera toujours taire les esprits
prévenus , incapables avec les métodes
vulgaires de montrer l'ortografe et
le latin à un petit enfant , avant qu'il
comance d'aprendre à écrire un autre
avantage du bureau , c'est de soulager les
maitres, les régens, et les professeurs , en
leur formant de bons écoliers , et les rendant
en moins de tems plus fermes sur
la téorie et sur la pratique des premiers
élemens literaires, que ne le sont ordinalrement
la plupart des enfans condanés à
Particulation des anciènes métodes , ce
qui démontre l'utilité et la compatibilité
de l'exercice du bureau avec tous les devoirs
des meilleurs colèges.
TABLE des letres , des sons simples ;
des sons composés et des combinaisons
necessaires pour la garniture du bureau
tipografique.
GARNITURE,
Logetes.
a
aa. à. á. â. a. ǎ. af. ha. has. aë.
ê.
с ce. è . é. ë.
iii. . . . . . I. if. hi. ic,
e. ĕ. ef. he.
I
I. Vol.
DECEMBRE. 1730. 2575
ô. ō. ŏ. ef. ho. hof. au. cau. haw
ooo. ò. 6.
u uu. ù. ú. ü. û. ũ . ŭ, uſ. hu. huſ, cu. ".
b bb. be, bd..hr .
с cc. ç . &t . c'. ce.
ddd. d'. de. 2ª.
fff. ph. ft. fs. ff. fi . ffi . ft. ft. pht. phth. phr.
phl. phe.
ggggu. ga. go . gh. ghe, gue.
hha. he, hi. hơ. hư. hy . heu . hai. hon.
kke. ky. que. ca, co. cu. qu.
1 11. P. le .
mmm. m. m³, m². m. m²®, m¹è, me, m², meat.
n
Me. MM .
nn. ñ. n'. n ° . n. ne.
P PP. pe. pn. pt. ps. PP.
q cq. qua, que , qui, quo . qu. qu'. quæ . q;, qui
r rr. rh. r'. re. " . RR..
iss. fl. fs, sl. fc. fç.fl. ff. sph. fph. fg. fi . fm.
ſp. ſq. ſqu. ft. fth . ffi. se. ſe. ci. ce. i. S. st.
• fee SS. ç.
t tt. th. thrh.thl. t '. te. .. a. &e. Ato. Au.
V v. w. W. ve. Ve.
Je. j'.ge. gi. ginta.
X x. xc. gz. kf. xc. xfc.
yhy. ys. yf. hys. ii. iï.-ÿ.
Z z. ze.
ง.0
ès. èf. cis. ci. ey. al. ay. ais. aî. aient.oiens
oi. oy. hai. hay. ols. oit.
é aí . oe. oe. &. &. ét. Æ. E.
eu eû. eus . heu . `oeu. oei,
I. Vol. Bij
OW
2576 MERCURE DE FRANCE
Ou ou. où. ouf. oû . hou.
ch ch. che,
gn gn. gn. gne. gne.
lh_lhe . il. ill. ille . lle. 1.
ã an. a. é: hen. em . han. hã. aën, aon , ham,
èn. èm. ein . èí. eim. hin . hĩ ein .
1 in. im. ain aim. aĩ. ein . eĩ. ìn , ain.
Õ on . om, hon . hõ . hom
ū un. um . hum . hun , hũ, cũ .
Diftongues.
Oi ois. oĩ. oin. oy. hoi . hoy oic.
ui uis. uĩ. uin, uy. hui. huy. uic.
Suplement.
a
ante 60ante. 20ª.
i 20leme , ier.
f Fin. Finis.
Įginta 30. 40ginia .
Ponctuation. , ; : . ? !
Chifres. 0. 1. 2. ༣. 4.
·
+
5. 6. 7. 8.
I. II. III. IV. V. VI. VII . VIII.
9. 0. 10 .....
IX. X.
31. & c.
XXXI. & c.
Signes . ( ) .. [ ] *. §. ¶. + ----
တ
& &c.
des enfans , et sur l'atirail literaire
du bureau tipografique.
MONSIEUR ,
Je n'aurois jamais osé doner dans le
Mercare de France la suite de l'atirail literaire
d'un enfant , si des pèrsones de
merite ne m'avoient fait remarquer que
ce journal étoit plus nécessaire et plus
instructif dans les provinces et dans les
patis étrangers que dans la capitale , et
que mon scrupule étoit mal fondé. Tous
les livres , m'a- t- on dit, ne peuvent ni ne
doivent ètre livres amusans , de mode
de
passage , et d'une seule espece de lec
teurs , come les voyages de Gulliver , etc.
I. Fel.
Votre
DECEMBRE. 1730. 2333
Votre ouvrage contient la premiere doc
trine , l'érudition élémentaire , cela sufit ,
m'a-t-on repliqué , pour justifier le motif
de vos petits essais literaires ; les parens
et les maîtres curieus en fait d'éducation
le penseront ainsi ,à Paris mème . Dailleurs
les provinces demandent des bureaus ; il
est donc mieus de leur donér la manière
de les faire faire chès eus à bon marché
que de les mètre dans la nécessité d'en
faire venir de plus chèrs , lentement et à
grans frais. Ces raisons m'ont facilement
détèrminé à tâcher de mètre le lecteur
atentif au fait de la construction , del'intelligence
, et de l'usage des petits meubles
literaires que je propose de livrér de
bone heure aus jeunes enfans , et aus autres
enfans de tout age qui ont le malheur
d'avoir été négligés ou retardés pendant
bien des anées.
§ . 1. Cassète abecédique , pour un enfant
de dens à trois ans , et de tout age.
La cassète abécédique , est le premier
meuble litéraire qu'il faudroit livrer à un
enfant de deus à trois ans . Cete cassète doit
ètre de carton; on peut la renforcer d'une
toile colée en dehors , et mètre des bandes
de parchemin à tous les angles exte
rieurs : la charniere de la cassète doit ètre
de toile , de parchemin , ou de peau , afin
A iiij qu'elle I. Vol.
2556 MERCURE DE FRANCE
qu'elle puisse resister aus mouvemens
Continuels ausquels elle sera exposée ..
Après avoir compassé , coupé , cousu
COlé
, et façoné cète cassète , il faudra l'habiller
de lètres , et de silabes ; enjoliver
tous les coins et toutes les bordures avec
du papier doré , marbré , ou tel autre
qu'on voudra y mètre , pour marquer le
quaré , ou le cadre des faces de la cas
sète. On donera au comancement de l'A
B , C latin , et en petit caractère , la
feuille des premières combinaisons élémantaires
, qu'il faudra faire imprimer
d'un caractère proportioné à la grandeur
de la cassète. Cète feuille est , pour ainsi.
dire , l'abrégé de l'a ,b, c latin , et l'on ne
sauroit y tenir un petit enfant trop lontems
pourvu qu'on ait soin de lui faire
lire sur sa cassète les combinaisons , non
seulement de gauche à droite , mais encore
de droite à gauche ; de haut en bas ,
et de bas en haut , ou en colones , etc.
Le premier des deus petits cotés à
droite , contient les lètres du grand A,B,
C latin , avec leur dénomination , ou le
nom doné et preté à chaque consone pour
rendre selon cète nouvèle métode l'art.
de lire plus aisé : On met donc dans ce
quaré de la cassète , n ° . 1. les voyèles
grandes et petites , et les lètres capitales.
avec leurs noms , Aa , Ee , Ii , Oo ,
I.Vok U u
DECEMBRE. 1730. 2357
3
U u. A , Be , Ceke , De , E , Fe , etc.
que
Le segond des deus petits cotés de la
cassète , à gauche , contient le petit a , b,c
latin , à coté du grand , lètre à lètre ; afin
l'enfant qui conoit bien les grandes
lètres , puisse facilement et presque de lui
mème aprendre ensuite à distinguer les
petites : On met donc , n ° . z . A a , Bb ,
Cc , Dd , etc. on y ajoute les principales
Higatures , les lètres doubles , et quelques
abreviations , sur lesquèles il est inutile
de s'arèter beaucoup de peur de dégouter
l'enfant.
La premiere des grandes faces de la
cassète et sur le devant , contiènt , n° . 3 .
en deus colones , les combinaisons élémentaires
du Ab , eb , ib , ob , ub , etc..
Le dessous de la cassète pouroit avoir
: quatre clous de léton , rivés en dedans ;;
savoir un à chaque angle pour servir de
pié et conserver cete face , sur laquelle ,
et sur cèle du couvercle en dedans , on
peut mètre une bèle crois de JESUS,come
La base , le principe , et la fin de toute action
cretiène.
Le deriere de la cassète contiendra , nº
4.et en deus colones , les combinaisons
du Ba , be , bi , bo , bu , etc. dans lesque
les on fera remarquer les changemiens .
qu'on a crit necessaires pour doner de
bons principes sur les combinaisons , Ca
: bokeb AV fo
2558 MERCURE DE FRANCE
fe , fi , co , qu ; Ga , je , ji , go , gu ; Ja ,
ge , gi , jo , ju ; Sa , ce , ci , fo , fu ; Ta ,
te , tici , to , tu , etc.
Le dessus du couvercle de la cassète
contiendra , nº. 5. n ° . 6. les combinaisons
du Bla , ble , bli , blo , blu , etc. et cèles
du Bra , bre , bri , bro , bru , etc ... N° 7.
les combinaisons des quatre petites lètres
ressemblantes , b , d , p , q , combinées
avec leurs quatre capitales, et ensuite avec
les cinq voyeles , come Bb , Dd , Pp ,
Qq , etc. Ba , de , pi , qu , bo , etc.
No. 8. des sons particuliers à la langue
françoise. A l'égard des cinq faces qui restent
au dedans de la cassète , il sufit qu'èles
solent couvertes de papier blanc , pour
faire mieus paroitre les lètres des cartes
que l'enfant y tiendra.
1
Cète cassète servira à faire dire la leçon
en badinant , et à tenir les cartons et les
jeus des cartes abecediques , qui ont servi
de premier amusement à l'enfant, et qu'il
peut ranger sur une table en les nomant
, jusqu'à ce qu'il soit en état d'avoir
le petit bureau tipografique , sur lequel
il rangera les premieres combinalsons,
Ab , eb , ib , ob , ub , etc. On poura
lui doner ces premieres combinaisons
avec un petit casseau de carton et de sis
logetes , qui entrera dans la cassète , de
mème que les petits cartons élémentaires ,
|
1. Vol. sur
DECEMBRE . 1730. 2559
sur lesquels on aura fait coler les quarés
de la feuille imprimée pour habiller la
cassete ; elle poura aussi servir à tenir une
garniture de bureau pour les persones
curieuses de ce petit atirail literaire.
§ . 2. Foureau ou Tablier du petit bõhome ,
pour l'usage du bureau.
L'on fera à l'enfant un tablier de quelque
bone toile rousse ou grise , afin de
conserver ses habits . Ce tablier poura s'apeler
en badinant , la bavète ou le tablier de
docteur ; il est necessaire pour y faire deus
poches , l'une servira à metre les cartes
des letres et des mots en rouge pour le
latin , et l'autre servira à mèrre les cartes
en noir pour le françois , lorsque l'enfant
comencera de travailler à la table du
bureau de laquèle au reste il ne faut pas
oublier de bien faire abatre la vive arète,à
cause du frotement continuel de l'enfant.
§. 3. Description du premier et petit bureaus
qui sert à la premiere claffe.
Dès qu'un enfant conoit bien les lètres
par l'exercice des jeus de cartes abécédiques
et de la cassete , on peut lui doner
un petit bureau semblable à ceus dont les
directeurs et les comis de la Poste se servent
en province pour ranger les lètres
missives qu'ils mèrent en colones vis - à-
1. Fol.
Αν
via
2560 MERCURE DE FRANCE
vis les lètres initiales des noms ausquels
les missives sont adressées. il faut donc
avoir une table de la largeur de cinq ou
sis cartes rangées , ensorte que cèles des
c'nq voyeles A , E , I , O , U , et des
combinaisons Ab , eb , ib , ob , ub , etc..
puissent ètre mises en colones sur la largeur
de ce bureau . il doit avoir la longueur
de trente cartes rangées de suite,
plus ou moins , selon le nombre des logetes
que l'on voudra doner à la caisse
de l'imprimerie ; et selon la grandeur des
cartes dont on se servira pour garnir le
bureau . La largeur de la table sera divisée
par quatre ou cinq lignes paralèles , qui
dans la suite serviront d'alignement et:
de reglèt à l'enfant qui doit imprimer oa
composer son tème sur cète table.
و
On peut doner à la table la longueurde
trente cassetins outre l'épaisseur
des montans ou du bois de séparation ;,
ce qu'il est aisé de mesurer : ensuite on
fait les trois liteaus , bandes , regles ou
rebors de la hauteur d'environ quatre pou
ces , ou de la hauteur d'une carte , l'un
de la longueur , et les autres deus pour la
largeur du bureau. Avant que de poserd'une
maniere fixe ou mobile à discretion,.
la tringle , la regle , le long liteau ou rebord
du derriere de la table , il faut lediviser
en trente parties , et marquer le
& Fet milicu
DECEMBRE. 1730. 2560
milieu de chaque partie d'une des lètres de
FABC, observant d'y imprimer la grandeet
la petite lètre ensemble , l'une sous.
Pautre , c'est- à- dire le grand A , sur le
petit as le B capital sur le petit b , et
ainsi de tout l'A BC , depuis les lètres.
Aa , Bb , jusqu'à cèles du Zz , sans oublier
l'Ex , l'a , ni les lètres doubles ,.
&t , ft , fl , etc. de même que les chifres et
les caracteres ou lès signes de la ponctua
tion , etc. que Fon rangera selon l'ordreobservé
dans la planche du bureau tipo
grafique que j'ai fait graver exprès. il sera.
peut-être mieus de doner à l'enfant un
casseau d'un seul rang de logètes , où il
puisse tenir les grandes et les petites kètress ,
Page et la taille décideront entre la trin
gle et le casseau d'un rang de logètes..
Les deus petits liteaus , rebors ou consoles
des cotés n'étant que pour retenir les
cartes , rendre le bureau plus solide , et
pour fermer la caisse , on peut arondir er:
façoner ces deus consoles par le bout , afin
que l'enfant ne puisse en ètre incomode :
après quoi l'on peut clouer les liteaus ou
rebors et metre ce bureau contre un mur
sur deus chaises , sur un chassis , sur deus
petits bancs ou deus petits traitaus dont
les piés soient solides et proportionés à
La taille de l'enfant. On poura , si l'on
eur, metre de petits tiroirs à ce bureau:
La bata
1
2562 MERCURE DE FRANCE
et couvrir la table , d'une basane , d'un
maroquin noir ou d'une toile cirée ; ce qui
n'est pas absolument necessaire, si le bois
est neuf, sans noeuds et bien uni : d'ailleurs
on pouroit faire la table de ce bureau
brisée en deus ; ce qui serviroit pour
les diferens ages et les diferens tèmes de
l'enfant , et mème pour ètre plus facilement
placé contre la muraille et transporté
de la vile à la campagne , come une
table brisée , qui ensuite relevée , ferme
roit la caisse du colombier literaire , et
ocuperoìt moins de place. On poura mètre
un petit rideau de tafetas ou de toile
pour couvrir le colombier quand on ne
s'en servira pas , une toile cirée sera peutètre
d'un mème usage , on doit en tout
chercher l'utilité , la comodité et la propreté.
S. 4. Casse d'imprimerie en colombier à
quatre rans de trente cassetins chacun.
3
Quand l'enfant sera fort sur l'exercice
de la cassète et du premier bureau , on
peut encore pour le divertir en l'instruisant
, lui doner une casse d'imprimerie ,
avec laquèle il composera et décomposera
les silabes , les mots , et les lignes qu'on
lui présentera écrites ou imprimées ; er
cela s'apelera l'exercice du tème en lat`n ou
en françois , selon les lignes et les tèmes
I. Vol.
qu'on
DECEMBRE. 1730. 2563
qu'on lui donera par la suite en ces langues-
là . Cète imprimerie en colombier
est composée d'un casseau qu'on met sur
la table du premier et petit bureau contre
le plus long liteau ou le deriere de cète
table , y étant assés fixe par
des crochets ,
des pitons , des clous à vis , des boutons
ou des chevilles de fer qui traversent l'épaisseur
des deus petits liteaus ou consoles
, et le bois de la premiere et de la derniere
celule : cete casse est divisée en soissante
compartimens, cassetìns, celules , logetes
ou boulins ; c'est-à-dire en deus
rans de trente celules quarées chacun , et
c'est-là le segond bureau ou casseau de la
segonde classe pour le latin , en atendant
la troisième aussi de soissante cassetins
pour le françois , les chiftes , la ponctuation
, l'ortografe des lètres et des sons et
pour la troisiéme classe.
On passera ensuite au quatrième casseau
ou bureau pour le rudiment pratique de
la quatrième classe. Le bureau complet
sera donc de sis rangées de trente cassetins
chacune ; quatre pour l'imprimerie
du latin et du françois , et deus pour le
rudiment. On poura le faire faire tout
d'un tems pour épargner le bois , la hau
teur et la façon du bureau ; en couvrant
d'une housse les rangées superieures
dont l'enfant n'aura pas d'abord l'usage :
I. Vol.
ce
2564 MERCURE DE FRANCE
ce voile piquera sa curiosité et lui donera
de l'impatience pour l'usage des autres
rangées , ainsi qu'on l'a déja dit dans les
letres sur le bureau tipografique , inserées.
dans les mercures des mois de Juin et
de Juillet 1730.
Les logetes doivent ètre un peu plus.
profondes que la longueur des cartes ;
savoir , les trente celules pour ranger et
mètre les petites lètres , les lètres dou-
Bles , etc. et les trente autres celules ou
cassetins pour les grandes lètres ou capitales
, etc. le quaré des celules doit ètre
proportioné à la longueur et à la largeur
des cartes dont on veut se servir ; ensorte:
que l'enfant puisse mètre aisément sa main
dans chaque celule pour y poser ou en
prendre les cartes : on parlera ci - dessous ;
des autresrans de logetes.il faudra marquer
abécédiquement au bureau latin chaque
celule d'en bas de sa petite lètre, et cèle d'ens
haut de sa lètre capitale : après quoi l'on
peut montrer à l'enfant l'art d'imprimer
le tème qu'on lui dicte , ou qu'on lui
done sur une carte ou sur un papier mis
assés haut sur un petit pupitre à jour et
de fil d'archal au milieu de son imprimerie
ou sur la table mème du bureau ; l'on
fera séparer tous les mots avec une carte:
blanche ou par une petite distance , pour
aprendre à l'enfant à distinguer les mots..
La Vali
On
DECEMBRE. 1730. 2565
On ne sauroit croire combien il profite
en imprimant quelques mots sous le dictamen
des uns et des autres , cela lui for
me l'oreille, et lui done ensuite une gran
de facilité pour l'ortografe des ïeus er
d'usage.
,
Il faut qu'il y ait au moins quinze ou
vint lètres dans chaque celule et un
plus grand nombre de voyèles , de liquides
et de certaines consones de plus d'usage
, afin de pouvoir composer plusieurs
lignes de tème tout de suite. Pour rendre
plus large la table du bureau , à mesure
que l'enfant croitra en age et en sience
on peut reculer la caisse de l'imprimerie
ou l'exhausser pour l'apuyer sur le deriere
du bureau , ou pour la metre contre le
mur d'un cabinet , de la chambre de l'enfant
ou autre lieu convenable. Je crois ce
pendant qu'il est mieus que le tout soit
isolé et portatif même au milieu de la
chambre ou du cabinet de l'enfant.
On aura des cartes marquées d'une virgule
pour séparer les mots au comencement
de l'exercice tipografique , afin
d'en rendre à l'enfant la lecture plus aisée
, moins confuse , et de lui aprendre
à distinguer les mots ; il faut mème que
l'enfant lise ou qu'il apèle les virgules et
les poins qui se trouvent dans ses leçons
ce qui l'acoutumera à observér les pauses.
Ja Vola ik
2566 MERCURE DE FRANCE
il ne sera pas mal aussi qu'il nome la quant
tième des pages , à la vue des chifres dont
elles sont cotées : cela sera d'autant plus
alsé , que les chifres entrent dans la com
position des tèmes , et que l'enfant de
trois ans quatre mois dont on a parlé
s'en servolt come il se servott des letres
, quoique tous les chifres fussent en
core dans une seule logere du petit bureau
latin . Le maître pour soulager l'enfant ,
lira à son tour jusqu'à la virgule ou jus
qu'au point.
Tous ceus qui vèront ce bureau et cite
imprimerie pouront dicter et faire imprimer
leurs noms, ou quelques autres mots
et encourager l'enfant à l'exercice du bus
reau qu'il faut continuer pendant lontems
quoique dans la suite l'enfant se serve de
livres pour dire sa leçon en latin et en
François. Le téme étant fait , on regarde
s'il n'y a point de fautes , et l'on montre
à l'enfant la manière de les coriger et de
distribuer les lètres , ou de les remetre
chacune dans sa celule , ce qu'il trouvera
facile aprés avoir su les ranger sur la table
du premier bureau .
S.§. 5. Description du bureau tipografique
latin-françois.
Les montans ou le bois qui forme les
celules
DECEMBRE. 1730. 2567
(
celules de haut en bas en ligne pèrpendiculaire
n'est que de deus à trois lignes
d'épaisseur , excepté le premier et le dernier
qui auront neuf lignes pour fortifier
la caisse , l'assemblage ou le bâti exterieur
; et les traverses ou le bois qui le
croise horisontalement et en rayons est
alternativement , c'est à dire le premier ,
le troisième , le cinquième , et le sétième
de neuf lignes , ou de la hauteur des letres
capitales. si l'enfant est déja un peu
grand , on poura doner neuf lignes à toutes
les traverses pour la comodité des étiquetes
de tous les rans de cassetins , chaque
celule à vide a en tout sens le quaré
long d'une carte tant pour la hauteur que
pour la largeur à vide , avec l'aisance nécessaire
pour le jeu tipografique. La profondeur
d'une celule est come l'étui de
quatre à cinq jeus de cartes ; de manière
que la main puisse les y mètre et les en
tirer facilement . Enfin les dimensions des
cartes doivent regler cèles du bureau et
des casseaus de l'imprimerie , ce qu'un
menuisier doit bien observer , en mesurant
avec exactitude une carte pour chaque
logète, ceus qui ne voudront pas
doner tant de longueur au bureau regleront
les dimensions de leurs cartes
par cèles des logétes du bureau qu'ils comanderont
selon l'endroit où ils le voudront
8
I. Vol.
2568 MERCURE DE FRANCE
€
dront placer , car il faut que la carte ou
la log te donent les dimensions l'une de
l'autre , et c'est ainsi qu'on l'a pratiqué
dans un grand colège pour le bureau d'un
jeune seigneur.
L'auteur dans une planche gravée exprès
done le plan , la description , le dessein
du bureau, des celules ; et des exemples
de la garniture de letres , afin qu'on
voie plus facilement de quèle manière on
doit les distribuer.chacun peut se faire un
plan sans s'asservir à l'abécédique ; si
P'on suit cet ordre , c'est pour faciliter à
-un enfant l'usage des dictionaires , et de
la table des matières des livres qui suivent
aussi l'ordre abécédique .
>
Le premier rang des celules d'en bas ,
- est pour les petites letres apelées ordinal
: rement letres du bas ou mineures ; c'est
pourquoi on l'apèle aussi le petit ordinaìre.
Après les logetes du z , de l' , de
P'è ouvert et de l'é fermé , on metra dans
· la vintneuvième logete les cartes ou les
tèmes donés sur l'histoire , sur la bible ,
sur les génealogies , sur la cronologie et sur
la géografie , et dans la trentième logere
les tèmes qui roulent sur la France , sur
l'Europe etc.
Le segond rang contient les grandes
letres apelées capitales , majeures ou majuscules
que les espagnols apelent aussi
I.Vol
verfales
DECEMBRE. 1730. 2569
versales ; c'est pourquoi on l'apele le grand.
ordinaire la vintneuvième logete sera.
pour les époques , l'histoire sainte , les listes
etc. la trentième pour les époques
P'histoire profane , la fable etc. ou bien on
se contentera de metre en haut les deus
étiquetes hist. s. hist . p. et en bas les autres
deus étiquetes géogr. fable.
5
Le troisième rang est pour toutes les
combinaisons de letres qui donent les mèmes
sons simples qu'exprime le rang des
letres ordinaires ; c'est pourquoi on l'apele
le premier rang composé ; ainsi à la cofone
de l'o et à la logete du 3 rang , on
met les diftongues oculaires au , ean , qui
en deus ou en trois letres expriment le
pur son de l'o , cette distinction et cet
ordre métodique donent d'abord à l'enfant
des idées inconues à la plupart des
maitres d'école . car s'il m'est permis de
le dire , on ne rougit pas d'ignorer l'algebre
; mais on est très honteus d'ignorer
ce qu'un petit enfant aprend d'abord
au bureau , sur la nature des letres et des
sons de la langue françoise , et ce que
tous les maîtres , tous les regens , et tous
les professeurs devroient savoir . Pour profiter
des logetes de reste , on met à la se
èt à la colone du H le mot magasin expliqué
ailleurs ; à la 10 tèmes à faire ; à
la 11 tèmes faits à la colone du Z , on
DANI. Vol.
met
2570 MERCURE DE FRANCE
met nombres , chifres ou livret ; et aus deus
dernieres les poins de suspension , d'interuption
.... , les paragrafes §§ , les piés
de mouche ¶¶ , les guillemets « » , les
signes de plus , de moins ,
d'égalité , et les traits ou tiréts
que les imprimeurs apelent division , qui
coupent, replient et divisent les mots qu'on;
n'a pu achever au bout de la ligne , ou qui
lient des mots composés, come porte-feuille,
tourne-broche etc. on tiendra tous les autres
signes et les asterisques dans ces deus
derniéres logetes du troisième rang de
cassetins .
Le quatrième rang est pour des sons.
diférens , placés néanmoins dans la colone
de la letre avec laquele ils ont le plus de
raport à l'oreille où à l'euil ; le reste come
poins , virgules , apostrofes , parentèses ,
crochets etc. est mis à discretion dans les
celules vides du 4 rang qu'on apele le
segond rang composé , ensorte que les deus
premiers rans sont dits simples , parceque
leurs celules contiènent les simples letres,
et les deus autres rans sont dits composés ,
parceque leurs celules contiènent de dou
bles consones , de doubles letres , de doubles
sons , et enfin des diftongues par
raport à l'euil ou à l'oreille. Pour profiter
du vide des colones M, N, on y a mis
les diftongues oi et ni , qui reviènent sou
GAL. Vol.
vent
DECEMBRE. 1730. 2571
vent dans les mots des tèmes , des frases ,
ou du discours , et pour distinguer le son
de la voyele è ou of du mot il conoìt , de
la diftongue oi du mot roi , on emploie
l'ì grave , come dans les mots il avoit , ils
portoient etc. et l'on emploie l'i ordinaìre
dans les mots loi , roi etc. ensorte que 1ì
grave servira à indiquer l'è ouvert composé
de deus letres dans les mots françois,
maitre , peine etc. et l'i algu indiquera l'ẻ
fermé composé aussi de deus letres dans
les mots j'ai , je ferai plaisir etc. ce qui
şera tres utile non seulement à l'enfant ,
mais encore aus étrangers et aus gens de
province peu au fait de la prononciation
des e simples , ou composés de plusieurs
letres.
On metra aussi au quatrième rang la
voyele eu au haut de la colone e ,
d'autant
que la prononciation en est presque come
cèle de l'é muet françois ou soutenu et
d'une seule lètre ; au lieu que la difton
gue oculaire eu est dans un sens l'e fran
çois soutenu de deus letres ... Le son
gne françois sera mis à la 7 celule au
haut de la colone g , parceque le mot copar
un g ; en Espagne et en portugal
on le metroit au fi ou au nh , colone
du n...Le son che françois , au mème
rang , et au haut de la colone du jou du
sonjeja , parceque le son françois che ost
I. Vol.
mence
le
2372 MERCURE DE FRANCE
le son fort du foible jes en Alemagne ,
on metroit le che à la colone du sch , parceque
les Alemans n'ont point de jou
le son du ge dans leur langue ... Les sons
ill , lh , ille mouillés , au haut de la colonel
, par raport à l'euil plutot qu'à l'oreille
; car en Italie on le metroit au gli ,
colone du g ... La voyele on au haut de
la colone o , par raport à l'euil plutot qu'à
l'oreilles en Italie , en Efpagne , en Âlemagne
, on metroit l'ou à la colone de l'u
qu'on y prononce on . ceci doit fe pratiquer
de mème pour le grec , l'ebreu
Parabe , et toutes les langues .
> > > , >
On doit metre les cinq voyeles nasales
ã‚é‚í‚õ‚ú¸ avant les chifres , et tout
de suite , pour en faciliter l'usage à l'enfant
qui compose sur la table du bureau .
Les dis chifres arabes seront mis aus dis
dernieres logétes avec des chifres romains
pour composer en françois et en latin .
c'est cète rangée de trente cassetins qui
a obligé à en doner autant aus autres
rans. on doit encore dire ici qu'on ne
sépare pas toujours par des virgules ou
par des poins les diférentes combinat
sons ou les diférens signes indiqués pour
la mème logete dans la planche du bureau
, parceque l'on a craint que le lecteur
n'imaginât ces virgules et ces poins
être nécessaires sur les cartes des mèmes
I. Vol.
logetes,
DECEMBRE. 1730. 257 3
logètes , come , par exemple, le point des
cartes marquées d'un c. au dessous de
la logete des chifres VI , 6.
La logète du magasin , du suplement.
ou du plein bureau , apelée la bureaulade
sert à l'enfant pour mètre les mots et les
tèmes composés , lorsque la table du bureau
est pleine , ou que l'enfant pressé
permet qu'un autre range les cartes après
qu'il a lui seul composé le tème , le tout
pour diversifier , et plaire en instruisant,
bien loin de dégouter. on trouvera à
peu près de mème la raison de chaque
chose , si l'on veut bien se doner la peìne
d'y faire un peu d'atention , come on
l'a déja dit bien des fois dans la manière
d'apeler les letres et les sons simples ou
composés par raport aus ieus ou à l'oreille.
§. 6. Garniture ou assortiment de cartes
Pour les quatre rans de casseins du bureau
tipografique.
Pour garnir le bureau tipografique , il
faudra mètre sur des cartes séparément
non seulement les lètres , mais encore
leurs diférentes combinaisons pour exprimer
les sons simples ou composés , ce qui
servira beaucoup à l'ortografe des ieus et
de l'oreille , et donera plus de facilité et
de varieté pour le jeu tipografique , que
I. Vol. B n'en
2574 MERCURE DE FRANCE
n'en pouroit doner une imprimerie ordinaire.
D'ailleurs l'avantage de pouvoir
lire et composer en latin et en françois
dès le premier jour de l'exercice , est un
avantage qui fera toujours taire les esprits
prévenus , incapables avec les métodes
vulgaires de montrer l'ortografe et
le latin à un petit enfant , avant qu'il
comance d'aprendre à écrire un autre
avantage du bureau , c'est de soulager les
maitres, les régens, et les professeurs , en
leur formant de bons écoliers , et les rendant
en moins de tems plus fermes sur
la téorie et sur la pratique des premiers
élemens literaires, que ne le sont ordinalrement
la plupart des enfans condanés à
Particulation des anciènes métodes , ce
qui démontre l'utilité et la compatibilité
de l'exercice du bureau avec tous les devoirs
des meilleurs colèges.
TABLE des letres , des sons simples ;
des sons composés et des combinaisons
necessaires pour la garniture du bureau
tipografique.
GARNITURE,
Logetes.
a
aa. à. á. â. a. ǎ. af. ha. has. aë.
ê.
с ce. è . é. ë.
iii. . . . . . I. if. hi. ic,
e. ĕ. ef. he.
I
I. Vol.
DECEMBRE. 1730. 2575
ô. ō. ŏ. ef. ho. hof. au. cau. haw
ooo. ò. 6.
u uu. ù. ú. ü. û. ũ . ŭ, uſ. hu. huſ, cu. ".
b bb. be, bd..hr .
с cc. ç . &t . c'. ce.
ddd. d'. de. 2ª.
fff. ph. ft. fs. ff. fi . ffi . ft. ft. pht. phth. phr.
phl. phe.
ggggu. ga. go . gh. ghe, gue.
hha. he, hi. hơ. hư. hy . heu . hai. hon.
kke. ky. que. ca, co. cu. qu.
1 11. P. le .
mmm. m. m³, m². m. m²®, m¹è, me, m², meat.
n
Me. MM .
nn. ñ. n'. n ° . n. ne.
P PP. pe. pn. pt. ps. PP.
q cq. qua, que , qui, quo . qu. qu'. quæ . q;, qui
r rr. rh. r'. re. " . RR..
iss. fl. fs, sl. fc. fç.fl. ff. sph. fph. fg. fi . fm.
ſp. ſq. ſqu. ft. fth . ffi. se. ſe. ci. ce. i. S. st.
• fee SS. ç.
t tt. th. thrh.thl. t '. te. .. a. &e. Ato. Au.
V v. w. W. ve. Ve.
Je. j'.ge. gi. ginta.
X x. xc. gz. kf. xc. xfc.
yhy. ys. yf. hys. ii. iï.-ÿ.
Z z. ze.
ง.0
ès. èf. cis. ci. ey. al. ay. ais. aî. aient.oiens
oi. oy. hai. hay. ols. oit.
é aí . oe. oe. &. &. ét. Æ. E.
eu eû. eus . heu . `oeu. oei,
I. Vol. Bij
OW
2576 MERCURE DE FRANCE
Ou ou. où. ouf. oû . hou.
ch ch. che,
gn gn. gn. gne. gne.
lh_lhe . il. ill. ille . lle. 1.
ã an. a. é: hen. em . han. hã. aën, aon , ham,
èn. èm. ein . èí. eim. hin . hĩ ein .
1 in. im. ain aim. aĩ. ein . eĩ. ìn , ain.
Õ on . om, hon . hõ . hom
ū un. um . hum . hun , hũ, cũ .
Diftongues.
Oi ois. oĩ. oin. oy. hoi . hoy oic.
ui uis. uĩ. uin, uy. hui. huy. uic.
Suplement.
a
ante 60ante. 20ª.
i 20leme , ier.
f Fin. Finis.
Įginta 30. 40ginia .
Ponctuation. , ; : . ? !
Chifres. 0. 1. 2. ༣. 4.
·
+
5. 6. 7. 8.
I. II. III. IV. V. VI. VII . VIII.
9. 0. 10 .....
IX. X.
31. & c.
XXXI. & c.
Signes . ( ) .. [ ] *. §. ¶. + ----
တ
& &c.
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Résumé : SETIEME LETRE sur la bibliotèque des enfans, et sur l'atirail literaire du bureau tipografique.
La septième lettre traite de la bibliothèque des enfants et de l'atelier littéraire du bureau typographique. L'auteur, encouragé par des personnes de mérite, décide de publier des essais littéraires destinés aux enfants, jugés nécessaires et instructifs, notamment dans les provinces et à l'étranger. Ces ouvrages visent à fournir une éducation élémentaire et à répondre à la demande des parents et des maîtres curieux d'éducation. L'auteur décrit plusieurs outils pédagogiques : 1. **Cassette abécédique** : Destinée aux enfants de deux à trois ans, elle est fabriquée en carton renforcé et contient des lettres et des syllabes. Elle permet d'apprendre les combinaisons élémentaires de manière ludique. 2. **Tablier du petit bonhomme** : Un tablier avec des poches pour ranger les cartes des lettres et des mots, utile pour protéger les habits de l'enfant pendant ses activités. 3. **Premier petit bureau** : Similaire à ceux utilisés par les directeurs de la Poste, il permet de ranger les lettres et les combinaisons syllabiques. Il est conçu pour être adapté à la taille de l'enfant et peut être fixé contre un mur. 4. **Casse d'imprimerie en colombier** : Utilisée pour composer et décomposer les syllabes, les mots et les lignes. Elle est divisée en compartiments pour organiser les lettres et les signes de ponctuation. L'auteur insiste sur l'importance de ces outils pour l'éducation des enfants, en les rendant accessibles et pratiques. Le bureau typographique est conçu pour l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Il est organisé en cellules contenant des lettres et des signes typographiques, classées abécédiquement avec les petites lettres en bas et les lettres capitales en haut. L'enfant peut imprimer des mots dictés ou donnés sur des cartes, en séparant les mots par des cartes blanches ou des distances pour apprendre à les distinguer. Le bureau évolue avec l'enfant, en reculant ou en exhaussant la caisse de l'imprimerie pour agrandir la table. Des cartes marquées de virgules et de points facilitent la lecture et apprennent les pauses. L'enfant peut également nommer la quantité des pages et utiliser les chiffres, qui entrent dans la composition des thèmes. Les cellules sont organisées en rangs pour les petites lettres, les lettres capitales, les combinaisons de lettres produisant des sons simples, et les sons différents. Des signes typographiques comme les points de suspension, les paragraphes, les guillemets, et les traits d'union sont également inclus. Le texte mentionne l'utilité du bureau pour l'apprentissage de l'orthographe et la facilité qu'il offre pour lire et composer en latin et en français dès le premier jour. Il soulage les maîtres en formant de bons écoliers plus rapidement et efficacement que les méthodes traditionnelles.
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224
p. 2577-2581
LES HYRONDELES, IDILLE, Par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croisic en Bretagne.
Début :
Vos petits becs, Hirondeles badines, [...]
Mots clefs :
Hirondelles, Amour, Coeur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LES HYRONDELES, IDILLE, Par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croisic en Bretagne.
LES HYRONDELES ,
IDILLE,
Par Me de Malcrais de la Vigne , du
Croific en Bretagne.
Vos petits becs , Hirondeles badines ,
Donnent à ma fenêtre en vain cent petits coups;
Vous croyez m'éveiller , moi qui dors moins que
vous :
Mais vous allez partir , aimables Pelerines.
Helas ! votre départ annonce à nos climats
Le retour des glaçons , des vents & des frimats.
Quand on aime, dort-on ? fur cela j'interroge
Tout ce qu'Amour peut bleffer de ſes traits ;
Dans le coeur , dans les yeux ce Dieu fubtil fe
loge ,
Et quelque part qu'il aille , il en bannit la paix.
Ah ! que j'aime à vous voir l'une à l'autre fideles
,
Vous donner en partant cent baifers favoureux ;
Et d'un leger battement d'aîles ,
Exprimer à l'envi les ardeurs mutuelles
Qui brulent vos coeurs amoureux !
1. Vol. Bij Rai2578
MERCURE DE FRANCE
Raifon vainement attentive ,
Pourquoi viens - tu mêler aux plus charmans plaifrs
De tes fâcheux conſeils l'amertume tardive
Nous fuivons malgré toi la pente des défirs
Où nous porte en naiffant l'humeur qui nous
domine ,
Et ta trifte lueur , cette lueur divine
N'éclaire que nos repentirs.
>
Habitantes des airs , Hirondeles legeres ,
Qu'à bon droit les Mortels devroient être jaloux
De l'inftinct qui vous rend plus heureufes que
nous?
Du déchirant remors les bleffures améres ,
Les foupçons délicats , les volages dégouts
Ne corrompent jamais vos unions finceres ;
Ce n'est pas l'or qui joint l'Epoule avec l'Epoux.
De ces parens atrabilaires ,
Par caprice à nos voeux le plus fouvent contraires
,
Vous ne craignez point le couroux.
L'Amour feul dont les loix ne font pas mercenaires
Préfide à vos tendres miſteres ,
C'est le coeur qu'il confulte en agiffant fur vous ›
Et vos noeuds toujours volontaires ,
Forment l'enchaînement d'un fort tranquile &
doux.
I. Vol "L'HiDECEMBRE.
1730. 2579
L'Hirondelle à fon pair paroît jeune à tout âge ,
La vieilleffe fur nous déployant fes rigueurs ,
Trop fortunés Oiſeaux , ne vous fait point d'outrages
Ses doigtslour ds & crochus, fur votre beau plu
mage,
Ne viennent point coucher d'odieufes couleurs ;
Sexe infortuné que nous fommes !
Quatre Luftres complets font à peine écoulés ,
Que , mauvais connoiffeur , le caprice des hommes
,
Croit les Ris & les Jeux loin de nous envolés ;
A trente ans on eft furannée ,
A quarante il devient honteux
Qu'on penfe qu'une amé bien née
Puiffe encore de l'amour fentir les moindres feux,
Cependant cet amour peureux
Qui veut & ne peut point éclore ,
En eft toujours plus allumé ;
Un brafier trop long- tems fous la cendre enfetmé
,
Soi-même à la fin fe dévore.
Et c'est ainsi qu'un coeur , en fecret enflammé ,.
Après avoir langui meurt en vain confumé ;
D'un défordre pareil la nature affligée
Murmure avec l'amour de fe voir negligée ,
Et qu'un honneur fondé fur de bizarres Loix ,
Retranche impunément la moitié de fes droits.
L Vo! B iiij Inflé2580
MERCURE DE FRANCE
Infléxible Raifon qui nous tiens à la gêne ,
Faite pour les Humains , tu parois inhumaine ;
Nos coeurs tirannifés par tes reflexions
Ne font qu'aller de peine en peine.
Couverne , j'y confens , les autres paffions ;
Tu peux les opprimer fous ta loi la plus dure ,
Semblable à l'horrible Vautour
Qui ronge Promethée & la nuit & le jour ;
Mais laiffe au moins à la Nature
A régler celle de l'Amour.
Cherchez un autre Ciel , aimables Hirondeles ,
Où le Soleil chaffant les pareffeux Hyvers ,
Entretienne en vos coeurs des chaleurs éternelles.
Hélas ! que n'ai -je auffi des aîles
Pour vous fuivre au milieu des airs !
Puiffiez- vous fans péril paffer les vaſtes mers !
Puiffe Eole , à votre paffage ,
'Ainfi qu'aux jours heureux où regne l'Alcion ,
Dans fes antres profonds emprifonner la rage
Des Enfans du Septentrion .
Mais fi malgré mes voeux les efforts de l'orage
Dans les flots contre vous armés ,
Vous ouvroient un tombeau , vous auriez l'avantage
D'embraffer en faifant naufrage
L'Hirondele que vous aimez,
I. Vol.
Le
DECEMBRE. 1730. 2581
Le plus charmant Mortel qui fut jamais au
monde ,
Et dont j'adore les liens ,
Le beau Clidamis eft fur l'Onde ,
En expoſant ſes jours , il a riſqué les miens
Si fur ces Plaines inconftantes
Vous voyez le Vaiffeau qui porte mon Amant
Allez fur fes Voiles flotantes
Prendre haleine au moins un moment.
Si par vous , cheres confidentes ,
Le fecours de ma voix pouvoit être emprunté ,
Yous lui raconteriez les peines que j'endure ,
Vous lui feriez une peinture
De mon efprit inquieté ;
Vous diriez qu'auffi -tôt qu'un Vaiſſeau nous arrive
Je vais d'un pas précipité ,
De mon cher Clidamis m'informer fur la rive
Le coeur entre la crainte & l'eſpoir agité ;
Que vers l'Element redouté
Je tourne inceffament la vue ;
"
Que pour peu qu'à mes yeux l'onde paroiffe
émuë ,
Je fuis prête à mourir d'effroi ;
Qu'il peut par fon retour terminer mon fuplice
Et qu'en attendant ſon Uliffe
Penélope jamais ne fouffrit tant que moi.
IDILLE,
Par Me de Malcrais de la Vigne , du
Croific en Bretagne.
Vos petits becs , Hirondeles badines ,
Donnent à ma fenêtre en vain cent petits coups;
Vous croyez m'éveiller , moi qui dors moins que
vous :
Mais vous allez partir , aimables Pelerines.
Helas ! votre départ annonce à nos climats
Le retour des glaçons , des vents & des frimats.
Quand on aime, dort-on ? fur cela j'interroge
Tout ce qu'Amour peut bleffer de ſes traits ;
Dans le coeur , dans les yeux ce Dieu fubtil fe
loge ,
Et quelque part qu'il aille , il en bannit la paix.
Ah ! que j'aime à vous voir l'une à l'autre fideles
,
Vous donner en partant cent baifers favoureux ;
Et d'un leger battement d'aîles ,
Exprimer à l'envi les ardeurs mutuelles
Qui brulent vos coeurs amoureux !
1. Vol. Bij Rai2578
MERCURE DE FRANCE
Raifon vainement attentive ,
Pourquoi viens - tu mêler aux plus charmans plaifrs
De tes fâcheux conſeils l'amertume tardive
Nous fuivons malgré toi la pente des défirs
Où nous porte en naiffant l'humeur qui nous
domine ,
Et ta trifte lueur , cette lueur divine
N'éclaire que nos repentirs.
>
Habitantes des airs , Hirondeles legeres ,
Qu'à bon droit les Mortels devroient être jaloux
De l'inftinct qui vous rend plus heureufes que
nous?
Du déchirant remors les bleffures améres ,
Les foupçons délicats , les volages dégouts
Ne corrompent jamais vos unions finceres ;
Ce n'est pas l'or qui joint l'Epoule avec l'Epoux.
De ces parens atrabilaires ,
Par caprice à nos voeux le plus fouvent contraires
,
Vous ne craignez point le couroux.
L'Amour feul dont les loix ne font pas mercenaires
Préfide à vos tendres miſteres ,
C'est le coeur qu'il confulte en agiffant fur vous ›
Et vos noeuds toujours volontaires ,
Forment l'enchaînement d'un fort tranquile &
doux.
I. Vol "L'HiDECEMBRE.
1730. 2579
L'Hirondelle à fon pair paroît jeune à tout âge ,
La vieilleffe fur nous déployant fes rigueurs ,
Trop fortunés Oiſeaux , ne vous fait point d'outrages
Ses doigtslour ds & crochus, fur votre beau plu
mage,
Ne viennent point coucher d'odieufes couleurs ;
Sexe infortuné que nous fommes !
Quatre Luftres complets font à peine écoulés ,
Que , mauvais connoiffeur , le caprice des hommes
,
Croit les Ris & les Jeux loin de nous envolés ;
A trente ans on eft furannée ,
A quarante il devient honteux
Qu'on penfe qu'une amé bien née
Puiffe encore de l'amour fentir les moindres feux,
Cependant cet amour peureux
Qui veut & ne peut point éclore ,
En eft toujours plus allumé ;
Un brafier trop long- tems fous la cendre enfetmé
,
Soi-même à la fin fe dévore.
Et c'est ainsi qu'un coeur , en fecret enflammé ,.
Après avoir langui meurt en vain confumé ;
D'un défordre pareil la nature affligée
Murmure avec l'amour de fe voir negligée ,
Et qu'un honneur fondé fur de bizarres Loix ,
Retranche impunément la moitié de fes droits.
L Vo! B iiij Inflé2580
MERCURE DE FRANCE
Infléxible Raifon qui nous tiens à la gêne ,
Faite pour les Humains , tu parois inhumaine ;
Nos coeurs tirannifés par tes reflexions
Ne font qu'aller de peine en peine.
Couverne , j'y confens , les autres paffions ;
Tu peux les opprimer fous ta loi la plus dure ,
Semblable à l'horrible Vautour
Qui ronge Promethée & la nuit & le jour ;
Mais laiffe au moins à la Nature
A régler celle de l'Amour.
Cherchez un autre Ciel , aimables Hirondeles ,
Où le Soleil chaffant les pareffeux Hyvers ,
Entretienne en vos coeurs des chaleurs éternelles.
Hélas ! que n'ai -je auffi des aîles
Pour vous fuivre au milieu des airs !
Puiffiez- vous fans péril paffer les vaſtes mers !
Puiffe Eole , à votre paffage ,
'Ainfi qu'aux jours heureux où regne l'Alcion ,
Dans fes antres profonds emprifonner la rage
Des Enfans du Septentrion .
Mais fi malgré mes voeux les efforts de l'orage
Dans les flots contre vous armés ,
Vous ouvroient un tombeau , vous auriez l'avantage
D'embraffer en faifant naufrage
L'Hirondele que vous aimez,
I. Vol.
Le
DECEMBRE. 1730. 2581
Le plus charmant Mortel qui fut jamais au
monde ,
Et dont j'adore les liens ,
Le beau Clidamis eft fur l'Onde ,
En expoſant ſes jours , il a riſqué les miens
Si fur ces Plaines inconftantes
Vous voyez le Vaiffeau qui porte mon Amant
Allez fur fes Voiles flotantes
Prendre haleine au moins un moment.
Si par vous , cheres confidentes ,
Le fecours de ma voix pouvoit être emprunté ,
Yous lui raconteriez les peines que j'endure ,
Vous lui feriez une peinture
De mon efprit inquieté ;
Vous diriez qu'auffi -tôt qu'un Vaiſſeau nous arrive
Je vais d'un pas précipité ,
De mon cher Clidamis m'informer fur la rive
Le coeur entre la crainte & l'eſpoir agité ;
Que vers l'Element redouté
Je tourne inceffament la vue ;
"
Que pour peu qu'à mes yeux l'onde paroiffe
émuë ,
Je fuis prête à mourir d'effroi ;
Qu'il peut par fon retour terminer mon fuplice
Et qu'en attendant ſon Uliffe
Penélope jamais ne fouffrit tant que moi.
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Résumé : LES HYRONDELES, IDILLE, Par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croisic en Bretagne.
Le poème 'Les Hirondelles, Idylle' de Madame de Malcrais de la Vigne, publié en décembre 1730 dans le Mercure de France, compare les hirondelles à des amants. Ces oiseaux, symbolisant le départ de l'été et l'arrivée de l'hiver, sont admirés pour leur fidélité et leur amour mutuel. Le poète exalte leur union sincère et volontaire, guidée par un amour pur, exempt de remords, de soupçons et de dégoûts. Le texte oppose la vie des hirondelles à celle des humains, en particulier des femmes, qui subissent les outrages du temps et les jugements sociaux. À trente ans, une femme est perçue comme surannée, et à quarante ans, il est honteux qu'elle ressente encore les feux de l'amour. Le poète déplore cette situation où l'honneur et les lois sociales étouffent les sentiments naturels. Le poème se conclut par une invocation aux hirondelles, leur souhaitant un ciel plus clément et exprimant le désir de les suivre. Le poète évoque également un amant, Clidamis, en danger sur les mers, et exprime son angoisse en attendant son retour.
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225
p. 2582-2596
DEFENSE de la Lettre écrite à M. l'Abbé de Cheret, & inserée dans le Mercure du mois de May 1729. au sujet du Projet du nouveau Missel, à l'usage du Diocèse de Chartres ; en reponse à un Article des Memoires de Trevoux, du mois d'Aoust de la même année.
Début :
Premierement, l'Auteur de cette Lettre avertit le Public qu'il s'y est glissé [...]
Mots clefs :
Missel, Mémoires de Trévoux, Diocèse de Chartres, Église, Sacrifice, Jésus, Prêtre, Dieu, Médiateur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DEFENSE de la Lettre écrite à M. l'Abbé de Cheret, & inserée dans le Mercure du mois de May 1729. au sujet du Projet du nouveau Missel, à l'usage du Diocèse de Chartres ; en reponse à un Article des Memoires de Trevoux, du mois d'Aoust de la même année.
DEFFENSE de la Lettre écrite à
M.l'Abbé de Cheret , & inferée dans le
Mercure du mois de May 1729. au´ſujet
du Projet du nouveau Miffel , à l'ufage
du Diocèfe de Chartres ; en reponse à un
Article des Memoires de Trevoux , du
mois d'Aouft de la même année.:
page
Remierement,l'Auteur de cette Let-
P tre avertit le Public qu'il s'y eft glif
fé plufieurs fautes d'Impreffion.Par exemple,
au lieu de Sauveau , il faut lire Fauveau
, c'eft le nom de l'Auteur. A la
864. ligne 1ere , au lieu des trois Mages ,
lifez le trois May. A la page 867.ligne 10.
il faut lire pofita , au lieu de pofita ; fans
compter les fautes de ponctuation , qui
alterent fouvent le fens.
Secondement , l'Imprimeur a'oublié de
marquer à la niarge,vis- à- vis l'endroit où
il eft parlé de Maldonat ; le monument
public , d'où l'on a tiré les Paffages Extraits
de cet Auteur , qui eft la 29 des
Lettres choifies de M. Simon , du Tome
2. de l'édition de 1704. A Roterdam
chez Reinier Leers , pages 180 & 181 .
Les Curieux liront fans doute cette Lettre.
M. Simon y fait l'Analyſe du Traité
I.Vol. manuf
DECEMBRE . 1730. 2583
manufcrit de Maldonat qu'il avoit , fur
les ceremonies en general ; & en particulier
fur les ceremonies de la Meffe . On
y trouvera mot à mot les paffages latins ,
citez dans la Lettre cy - deſſus , & que Maldonat
eft réellement & authentiquement
la caution de la Critique du Doyen de Maintenon.
Quoiqu'on en dife dans les Mémoires
impriméz à Trevoux, au mois d'Aouſt
1729. page 1475. On y trouvera auffi que
ce Sçavant Jéfuite y tient le même langage
,que l'on femble relever dans le Pere
le Brun de l'Oratoire , lorſqu'on cite l'endroit
où il a dit , que toutes les anciennes.
Collectes s'addreffent à Dieu le Pers ; ầ
moins que des gens exceffivement clairvoyans
, ne prétendent que cette Propofition
du P. le Brun , eft plus hardie &
moins ménagée que celle- cy de Maldonat
, rapportée par M. Simon , dans fa
Lettre cy - deffus citée. Numquam Ecclefia
direxit fuas orationes nifi ad Deum
Patrem quod à Chrifio fponfo fuo didicit.
On jugera par cet endroit dont on n'avoit
point parlé; fi loin d'avoir ajouté ,
on n'a pas au contraire fupprimé les
termes de Maldonat , qui pouvoient paroître
un peu forts , & un peu trop étendus
, pour le renfermer dans les Oraifons
& Collectes de la Meffe.
Il ne manque rien à l'Exemplaire que
I. Vol. B¯`vj j'ai
2584 MERCURE DE FRANCE
j'ai dit : M.Simon , dans la derniere page
de cette même Lettre 29. qui commence
à la page 174. & finit à la page 186.
On peut encore lire la Lettre 17. du 1er
tome , du même Auteur. ( C'eft apparemment
la même que Bayle cite , la i 、e
de l'édition de Trévoux , à l'article de
Maldonat ; ) on y trouvera plufieurs particularitez
affez curieufes au fujet des Ouvrages
MS S. de Maldonat. Comme les
Continuateurs de Morery nous affurent
dans l'édition de 1725. que M. Simon
a laiffé en mourant , fes Ecrits & fes Papiers
à la Bibliotheque de la Cathedrale
de Rouen. Le Manufcrit en queſtion de
M. Simon pourroit peut - être s'y trouver.
D'ailleurs , puifque M. Simon dans fa
17 Lettre cy-deffus , nous marque , qu'il
n'a rien vû de plus exact fur les Ouvrages
MSS. de Maldonat , qu'un Recueil
qu'il a vû , & qui étoit entre les mains
de M. Dubois , Docteur de Sorbonne ,
qui a fait imprimer quelques opufcules
de Maldonat en 1677. & qui eft l'Auteur
de l'Epître dédicatoire , & du Difcours
qui fuit , qui font à la tête de ces Opufcules.
On peut vérifier les citations cydeffus
, fur ce Recueil de M. Dubois , en
s'informant de ceux qui en font les Poffeffeurs
: Mais , au refte , fi malgré tout cela,
on ne vouloir point encore que Maldo-
1. Vol.
nat
DECEMBRE . 1730. 2585
nat fut notre caution , on en trouvera
d'autres qui le valent bien , & qui ne le
tier.dront point à deshonneur,
3° . On remarquera que l'Auteur de la
Lettre à M. l'Abbé de Cheret , n'ayant
pû , dans les bornes étroites de fa Lettre ,
renfermer toutes les preuves & authori
tez qu'il avoit en main , pour appuyer la
propofition qu'il a avancée , que les Colfectes
de la Meffe , doivent réguliérement
s'addreffer au Pere Eternel . Il pric
le public d'y fuppléer , en recourant à
l'excellent Traité de Ritibus Ecclefia du
Préfident Duranti , Auteur dont l'Ouvrage
eft generalement cftimé & regardé
comme un des meilleurs dans ce genre
de Litterature.
Duranti , dans le chap. 16. du 2. Liv.
de Ritibus Ecclefie , num. 12. 13. 14. 15.
16. & 17. de l'Edition de Cologne en
1592. pag. 385. auffi-bien que dans le ch.
31. du même livre , num. 8. pag. 464.
comme encore , ch . 33. num . 2. pag.49 3 .
& ch. 48. n. 1. pag. 635. foutient cette
même Theſe , & la prouve à fon ordinaire,
par les authoritez des Peres & des Auteurs
Eccléfiaftiques , des différens fiécles
de l'Eglife , en faifant voir la Tradition
fur ce dogme. On peut bien croire , qu'il
n'oublie pas le Capitule 23. du 3 Concile
I. Vol. de
2586 MERCURE DE FRANCE
de Carthage , que l'on a cité dans la Lettre
de M. l'Abbé de Cheret.
Mais afin que l'on ne croye pas que ce
foit là un Reglement des Evêques d'Af
frique , fur un point de difcipline , qui
ait changé dans les fiecles fuivans ; on
trouvera dans cet Auteur des Palages
tres-formels de prefque tous les fiecles de
l'Eglife , depuis ce Concile , qui tiennent
le même langage, Comme ont fait S.Fulgence
, lib. 2. ad Monimum , quaft. 1 .
Charlemagne , in fragmentis de Ritibus
Ecclefia veteris. Alcuin , femel atq . iterùm
de Divinis Officiis . cap. de celebratione
Miffa. Radulphus Tungrefis , de Canonis
obferv . prop. 23. Florus Magifter in Exegefi
Miffa: Micrologus : Stephanus Eduenfis.
lib. de Sacram. Altaris. Odo Cameracenfis
in expof. facri Canonis . S. Bernardus
, ou plutôt Guill. à S. Theodorico ,
lib. de amore Dei , cap. 8. & plures alii.
Je me contenterai de rapporter icy
quelques-uns de ces paffages , qui font fi
formels & fi précis , pour la preuve de la
propofition dont il s'agit , que je n'ai pas
la force de les fupprimer. Ils m'échappent
malgré moi. Voici comme parle , aunom
de tous les autres , Florus Magifter , in expofitione
Miffa fur ces mots : Te igitur ,
clementiffime Pater. Dirigiturhac oratio , dit
I. Vol.
cet
DECEMBRE. 1730. 2587
1
tet Auteur : Sicut reliqua Orationes juxta
Regulam fidei & morem Ecclefiæ ad Clementiffimum
Patrem ...... & hoc perJefum
Chriftum Filium tuum , Dominum noftrum ,
per quem , omnis fupplicatio , & petitio noftra
, ad Deum dirigi debet , tanquam per
verum mediatorem, & æternum Sacerdotem .
Le même Auteur , fur ces mots : Per
Dominum noftrum , de l'Oraiſon : Libera
nos , ajoute encore , quod utique certâ ras
tione ut fæpè dictum eft , Catholica concelebrat
Ecclefia, propter illud utique Sacramen▾
tum , quod Mediator Dei & hominum
factus eft homo Chriftus , & c.
,
L'Auteur , nommé Micrologue , ch. 5.
Oratio quidem ad Patrem dirigenda eft.
Juxta Domini Praeceptum , & c. Le même
Auteur , au ch. 6. de Conclufione oratio
dit encore : Concludimus orationes
per Dominum noftrum videlicet Patrem
orando
per Filium , juxta ejufdem Filii preceptum.
Le même Duranti , lib . 2. cap.48.pag.
635. rapporte encore un long Paffage ,
tiré des Capitulaires de Charlemagne , qui
femble être comme la bafe & le fondement
de cette Théologie des anciens.
Carolus Magnus in fragmentis de Ritibus
veteris Ecclefia : ut ad folum Patrem dirigatur
oratio : cùm totius fanita Trinitatis ,
ficnt una eft deitas , ita aqualis honor &
I. Vol. glori
2588 MERCURE DE FRANCE
glorificatio debeatur. Id Apoftoli, per eos,ordinante
Spiritu , fanxerunt , ut qui multorum
Deorum errores , unius Dei Pradicatione
, nitebantur evellere , fub Trinitatis
Sacramento , uni Perfona , in Sacrificiorum
ritu , fupplicare decernerent rectif
fime ergo conftitutum , ut quia Pater, &
Filius , & Spiritusfanctus , unius deitatis ,
unius naturæ , unius ſubſtantia , unius de- .
nique poteftatis exiftant , una ex eis Perfona,
propter unitatis Myfterium retinendum,
in facrificio invocaretur.
·
J
Combien de Dogmes , fur lefquels la
tradition n'eft pas plus claire , plus précife
& plus conftante ? Ne voit - on pas
d'abord que fi l'Auteur de l'Article en
queftion , des Mémoires de Trévoux
croit avoir droit de foupçonner l'Au--
teur de la Lettre , de croire que le Nom
de Dieu et proprement affecté au Pere,
& ne fe peut donner directement au Fils,
& de chercher à favorifer les nouveaux
Ariens ou Sociniens , pour avoir foutenus
la Theſe cy-deffus ( quoiqu'il ait répeté
plufieurs fois dans fa Lettre , que le
Fils étoit également Dieu comme le
Pere ; fi cela ne fuffit pas , on ajoutera
encore qu'il eft confubftantiel au Pere ,
& qu'il eft prêt de verfer fon fang ,
pour la confeffion de cette verité capi
tale de notre Foy. Ne voit- on pas , dis-
I.Vol.
je ,
DECEMBRE. 1730. 2589
›
je , que ce reproche & ces foupçons doivent
tomber également fur tous les Auteurs
cy- deffus citez ; & même à plus jufte titre
? Mais S. Fulgence , lib. 2. ad Monimum
, quæft. 1. raiſonnoit bien differemment
, fuivant en cela les Regles d'une
dialectique , bien plus conforme à l'efprit
de l'Evangile , & à la doctrine des
Saints Peres. Voicy comme il réfutoit ces
fauffes conféquences : Neque enim, dit il
prajudicium Filio , vel Spiritui fan &to comparatur,
dùm ad Patris perfonam precatio
ab offerente dirigitur , cujus confummatio
dum Filii & Spiritus fancti complectitur
nomen ; oftendit nullum effe in Trinitate difcrimen;
quia dùm ad folius Patris perfonam,
honoris fermo dirigitur , benè credentis fede ,
tota Trinitas honoratur , & cum ad Patrem
litantis deftinatur intentio , facrificii munus ,
omni Trinitati , uno eodemque offertur litantis
officio. Ne peut- on pas , après cela ,
en fe plaignant , fe fervir des termes
d'Optat de Mileve : Paganum vocas , ditil
, eum qui Deum Patrem per Filium ejus
ante altare oraverit , lib. 3 .
On voit par tous ces Paffages & par
les authoritez cy- deffus rapportées
que ces anciens Auteurs ne s'embaraf
foient guere des objections que l'on fait
dans les Mémoires de Trevoux , contre
cette Theſe , en difant que ce raiſonne-
I. Vol. ment
2590 MERCURE DE FRANCE
...
ment meneroit trop loin , qu'on doit
avoir égard non feulement au Sacrifice ,
mais encore au Sacrement , qui eft lié
étroitement au Sacrifice..
qu'on
doit trouver bon que des Collectes , où
l'on a en vûë le fruit du Sacrement , &
la participation à la victime , foient
quelquefois addreffées à JESUS- CHRIST
&c. Comme ces anciens font les garants
de l'Auteur de la Lettre , c'eft à eux ,
pour ainsi dire , à répondre pour lui
s'il eft neceffaire.
Mais s'il paroît que la principale objection
qu'on propofe avec un air de
triomphe & de confiance contre la Thefe
de l'Auteur de la Lettre , qu'apparemment
on a cru être une idée nouvelle
& particuliere , & n'avoir , aucun font
dement dans l'antiquité & la tradition
de l'Eglife. Il' paroît , dis -je , que la prin
cipale objection que l'on fait , & que l'on
croioit ne retomber que fur l'Auteur de
cette Lettre , eft que l'on addreffe à J.C.
en toutes les Meffes , les trois Oraifons
qui précedent immédiatement la Com
munion du Prêtre , & que c'eſt encore à
J. C. que s'addreffe l'Agnus Dei , & la
priere : Corpus tuum quodfumpfi.
Pour répondre à cette objection , il
eft bon de faire attention , 1°. à une remarque
que nous fait faire le Micrologue,
1. Vol. &
DECEMBRE 1730. 2391
,
& après lui Raoul ou Radulphe de Tongres
, fur ces mêmes Orailons. On ne
manqueroit pas de la trouver trop hardie
, fi on l'avançoit aujourd'hui pour la
premiere fois , dira - t- on ; cependant
que les fiecles où ont vécu ces Auteurs
fuffent trop délicats , & trop critiques.
Orationem dit Radulphe de Tongres,
quam inclinati dicimus , antequam communiamus
, non ex ordine , fed ex Religioforum
traditione habemus fcilicet hanc Domine
Jefu Chrifte , qui, &c. ac illud Corpus
& Sanguis Domini noftri Jefu Chrifti , quod
dicimus cum aliis Euchariftiam diftribuimus.
Sunt & alia multe orationes , quafquidem
ad Pacem & Communionem , privatim frequentant,
fed fecundum Micrologum, cap.18,
diligentiores antiquarum traditionum obfer
vatores , nos in hujufmodi privatis oratio.
nibus , brevitati ftudere docuerunt : potiuf
que publicis Precibus , in officio Miffa occupare
voluerunt. Nam B. Innocentius
Papa fcribens B. Auguftino & Aurelis
Epifcopis , afferit , quod nos plus communibus
& publicis , quam fingularibus & privatis
orationibus proficere poterimus.
On peut inférer de cette obfervation,
que ces Oraifons ne fe difoient pas encore
à la Meffe du temps du troifiéme
Concile de Carthage , & qu'ainfi fon Or
donnance du Capitule 23.cy- deffus citée,
I.Vol. n'étoit
2592 MERCURE DE FRANCE
n'étoit point encore contredite , par la
forme & la difpofition de ces Oraifons de
la Communion qui s'addreffent à Jefus-
Chrift. Auffi le Pere le Brun foutient - il
que ces trois Oraiſons n'ont pas plus de
fept à huit cens ans d'antiquité.
2.Ces Oraifons femblent être particulie
res pour la perfonne même du Prêtre ,
qui étant fur le point de communier
quitte , pour ainfi dire , l'action du Sacrifice
, & le perfonage de Sacrificateur,
pour adorer & prier Jefus- Chrift pour
foy même, avant que de le recevoir. C'eſt
pour cela apparemment , qu'il parle au
fingulier dans ces Oraifons ; l'Eglife qui
a adopté ces Prieres , qui nous viennent
des pratiques de dévotion de quelques
particuliers , felon les deux Auteurs cydeffus
: Non ex ordine , fed ex Religioforum
traditione, n'a pas cru apparemment qu'elles
fuffent à rejetter & condamnables ,
pour cela feul , qu'elles n'entrent peut-être
pas fi parfaitement dans l'action & le caractere
du Sacrifice , que les autres Collectes
& Oraifons , dans lefquelles le Peuple
s'unit au Prêtre , & s'affocie avec lui
pour offrir & participer au Sacrifice . Or il
ne s'agit que des Collectes & Oraifons de
la Meffe , lefquelles doivent exprimer les
voeux & les priéres de l'Eglife & du peuple.
I.Vol. De
DECEMBRE . 1730. 259 3
De même encore l'Agnus Dei , étant
une adoration de Jefus- Chriſt , comme
Agneau qui efface les péchez du monde ,
l'invocation n'en doit point être féparée ;
autrement on ſembleroit ignorer ſa Divinité
, & ne l'a pas reconnoître. Par cette
priére de l'Agnus Dei, & par ces Oraifons
de la Communion du Prêtre , nous pratiquons
ce que demande S. Auguftin , fur
le Pleaume 98. comme le remarque Duranti
, page 685. Sane hâc précatione obfervamus
quod Auguftinus ad Pfalmum 98 .
feribit , nemo carnem Chrifti manducat , nifi
priùs adoraverit : adorationem autem , &
oratio confequitur,quare hanc precationem &
eas que fequuntur,ad ipfum Chriftum conver
timus , dicentes : Agnus Dei , qui tollis peccata
mundi .
Au reste , quoique Fuxta Regulam fidei.
& morem Ecclefia , comme parlent les
Auteurs cy - deffus , les Oraifons de la
Meffe doivent s'adreffer au Pere Eternel ;
s'enfuit-il de - là qu'on ne puiffe jamais
adreffer fes Prieres à Jefus-Chrift ? Nullement
; car puifqu'il eft également Dieu ,
comme le Pere , il mérite également nos
voeux , nos hommages & nos Prieres . On
vient de le voir dans les Paffages de Charlemagne
& de S. Fulgence , cy- deffus rapportez
; mais c'est qu'il y a , felon les faints
Peres & les Théologiens , une certaine
oeconomie à obſerver. L'ex2594
MERCURE DE FRANCE
L'extrême difproportion & la diftance
infinie qu'il y a de notre baffeffe , notre
néant , notre indignité , à la Divinité
qui feule peut remplir nos befoins , a formé
la néceffité d'un Médiateur , pour
nous approcher de Dieu , & en être
pour ainfi-dire, plus à portée. Jefus Chriſt
Dieu & Homme , eft ce Médiateur qui
touche & joint ces deux extrémitez : Vnus
Médiator Dei & hominum , homo Chrif
tus Jefus. C'eſt lui qui nous fert comme
de degré pour nous élever & nous faire
arriver jufqu'à Dieu . Or c'eft précisément
felon fon humanité & en tant qu'homme,
que J.C. nous rend cet office, fuivant
S. Auguftin , Lib. de Peccato Originali ,
Cap. 28. Per hoc prodeft Chriftus , quia eft
Mediator ad vitam ; non autem per hoc Mediator
eft , quod aqualis eft Patri ; per hoc
enim , quantum Pater, tantùm & ipfe diftat
à nobis : & quomodo erit medietas , ubi
eadem diftantia eft. Ideò Apoftolus non ait ,
unus Mediator Dei & hominum Chriftus
Fefus , fed homo Chriftus Jefus : per hoc ergo
Mediator, per quod homo , &c. Si nous
confiderons Jefus - Chrift comme Dieu ,
la Priere qui lui eft adreffée eft alors ,
per ipfum implenda , comme parlent les
Théologiens ; fi nous le regardons comme
homme, la Priere eft alors , per ipfum impetranda.
Comme donc c'eft proprement .
7
L. Vol.
dans
DECEMBRE. 1730. 2595
1
dans le faint Sacrifice de la Mefle que J.C.
exerce cet office de Médiateur ; que fon
humanité , qui y eft le Sacrifice , eft la
médiatrice & la caufe méritoire ; il s'enfuit
que l'on confidere principalement
alors Jefus- Chrift fous le refpect & la
précifion d'homme , & qu'ainfi ce n'eft
point directement à J. C. mais par J. C.
qu'on doit alors adreffer les Prieres à Dieu
le Pere , autrement c'eſt ſortir du caractere
& de l'economie de ce Sacrifice ;
c'eft à Dieu le Pere , ou fi l'on veut à toute
la fainte Trinité , qu'on offre le Sacrifice
pour obtenir des graces & des
bienfaits , par la médiation de l'humanité
de J. C. qui y eft immolée , lequel on ne
confidere alors , à proprement parler ,
que comme Agneau , Victime , Holocaufte
, Prêtre , Ambaffadeur , Suppliant
Médiateur , & c.
Or n'eft-ce pas , pour ainfi - dire , pren
dre le change & varier , que de s'adreffer
dans cette action , à l'Agneau , à la
Victime , à l'Holocaufte , au Suppliant
même? & c. Les Collectes de la Melle font
comme des Actes de pouvoir & des pro-.
curations que le Peuple donne au Prêtre
d'agir en fon nom , pour négocier , pour
ainfi dire , la paix avec Dieu ; elles pechent
donc dans la forme & elles font
défectueufes quand elles ne s'adreffent
à celui avec qui on a à traiter,
pas
2596 MERCURE DE FRANCE
-. Enfin c'eft par Jefus- Chrift , en lui
& avec lui , que l'on offre ce Sacrifice
à Dieu le Pere , mais non pas à Jefus-
Chrift même , qui foutient alors un
caractere tout different , comme on l'a
déja dit tant de fois . Per ipfum , & cum
ipfo , & in ipfo , eft tibi Deo Patri , &c.
Lefquelles paroles Duranti regarde comme
la conclufion & l'abregé du Canon de
la Meffe : Ecce , dit- il , præclara Canonis
conclufio , quâ ex ordine , qua in hoc Sacrificio
peraguntur , compreffius recenfentur.
Par cette oeconomie , l'action du Sacrifice
en eft plus clairement exprimée ; car comme
dans le Sacrifice , le Prêtre , le Suppliant
, le Médiateur , &c . doivent être
diftinguez de celui à qui on facrifie , en
addreffant le Sacrifice à Dieu le Pere , par
Jefus- Chriſt , Prêtre Suppliant , Médiateur
; cette diftinction fe fait mieux fentir
que fi ce Sacrifice étoit addreffé par
Jeſus- Chrift, à Jeſus- Chrift même en tant
que Dieu.
Voilà les Reflexions que l'Auteur de
la Lettre à M. l'Abbé de Cheret , a crû
devoir communiquer au Public fur cette
matiere , tant pour fa propre juftification ,
que pour un plus grand éclairciffement
de la theſe qu'on a avancée , fans vouloir,
aù refte , s'écarter en tout ceci de la regle.
d'une parfaite foumiffion au jugement
de l'Eglife.
ODE
M.l'Abbé de Cheret , & inferée dans le
Mercure du mois de May 1729. au´ſujet
du Projet du nouveau Miffel , à l'ufage
du Diocèfe de Chartres ; en reponse à un
Article des Memoires de Trevoux , du
mois d'Aouft de la même année.:
page
Remierement,l'Auteur de cette Let-
P tre avertit le Public qu'il s'y eft glif
fé plufieurs fautes d'Impreffion.Par exemple,
au lieu de Sauveau , il faut lire Fauveau
, c'eft le nom de l'Auteur. A la
864. ligne 1ere , au lieu des trois Mages ,
lifez le trois May. A la page 867.ligne 10.
il faut lire pofita , au lieu de pofita ; fans
compter les fautes de ponctuation , qui
alterent fouvent le fens.
Secondement , l'Imprimeur a'oublié de
marquer à la niarge,vis- à- vis l'endroit où
il eft parlé de Maldonat ; le monument
public , d'où l'on a tiré les Paffages Extraits
de cet Auteur , qui eft la 29 des
Lettres choifies de M. Simon , du Tome
2. de l'édition de 1704. A Roterdam
chez Reinier Leers , pages 180 & 181 .
Les Curieux liront fans doute cette Lettre.
M. Simon y fait l'Analyſe du Traité
I.Vol. manuf
DECEMBRE . 1730. 2583
manufcrit de Maldonat qu'il avoit , fur
les ceremonies en general ; & en particulier
fur les ceremonies de la Meffe . On
y trouvera mot à mot les paffages latins ,
citez dans la Lettre cy - deſſus , & que Maldonat
eft réellement & authentiquement
la caution de la Critique du Doyen de Maintenon.
Quoiqu'on en dife dans les Mémoires
impriméz à Trevoux, au mois d'Aouſt
1729. page 1475. On y trouvera auffi que
ce Sçavant Jéfuite y tient le même langage
,que l'on femble relever dans le Pere
le Brun de l'Oratoire , lorſqu'on cite l'endroit
où il a dit , que toutes les anciennes.
Collectes s'addreffent à Dieu le Pers ; ầ
moins que des gens exceffivement clairvoyans
, ne prétendent que cette Propofition
du P. le Brun , eft plus hardie &
moins ménagée que celle- cy de Maldonat
, rapportée par M. Simon , dans fa
Lettre cy - deffus citée. Numquam Ecclefia
direxit fuas orationes nifi ad Deum
Patrem quod à Chrifio fponfo fuo didicit.
On jugera par cet endroit dont on n'avoit
point parlé; fi loin d'avoir ajouté ,
on n'a pas au contraire fupprimé les
termes de Maldonat , qui pouvoient paroître
un peu forts , & un peu trop étendus
, pour le renfermer dans les Oraifons
& Collectes de la Meffe.
Il ne manque rien à l'Exemplaire que
I. Vol. B¯`vj j'ai
2584 MERCURE DE FRANCE
j'ai dit : M.Simon , dans la derniere page
de cette même Lettre 29. qui commence
à la page 174. & finit à la page 186.
On peut encore lire la Lettre 17. du 1er
tome , du même Auteur. ( C'eft apparemment
la même que Bayle cite , la i 、e
de l'édition de Trévoux , à l'article de
Maldonat ; ) on y trouvera plufieurs particularitez
affez curieufes au fujet des Ouvrages
MS S. de Maldonat. Comme les
Continuateurs de Morery nous affurent
dans l'édition de 1725. que M. Simon
a laiffé en mourant , fes Ecrits & fes Papiers
à la Bibliotheque de la Cathedrale
de Rouen. Le Manufcrit en queſtion de
M. Simon pourroit peut - être s'y trouver.
D'ailleurs , puifque M. Simon dans fa
17 Lettre cy-deffus , nous marque , qu'il
n'a rien vû de plus exact fur les Ouvrages
MSS. de Maldonat , qu'un Recueil
qu'il a vû , & qui étoit entre les mains
de M. Dubois , Docteur de Sorbonne ,
qui a fait imprimer quelques opufcules
de Maldonat en 1677. & qui eft l'Auteur
de l'Epître dédicatoire , & du Difcours
qui fuit , qui font à la tête de ces Opufcules.
On peut vérifier les citations cydeffus
, fur ce Recueil de M. Dubois , en
s'informant de ceux qui en font les Poffeffeurs
: Mais , au refte , fi malgré tout cela,
on ne vouloir point encore que Maldo-
1. Vol.
nat
DECEMBRE . 1730. 2585
nat fut notre caution , on en trouvera
d'autres qui le valent bien , & qui ne le
tier.dront point à deshonneur,
3° . On remarquera que l'Auteur de la
Lettre à M. l'Abbé de Cheret , n'ayant
pû , dans les bornes étroites de fa Lettre ,
renfermer toutes les preuves & authori
tez qu'il avoit en main , pour appuyer la
propofition qu'il a avancée , que les Colfectes
de la Meffe , doivent réguliérement
s'addreffer au Pere Eternel . Il pric
le public d'y fuppléer , en recourant à
l'excellent Traité de Ritibus Ecclefia du
Préfident Duranti , Auteur dont l'Ouvrage
eft generalement cftimé & regardé
comme un des meilleurs dans ce genre
de Litterature.
Duranti , dans le chap. 16. du 2. Liv.
de Ritibus Ecclefie , num. 12. 13. 14. 15.
16. & 17. de l'Edition de Cologne en
1592. pag. 385. auffi-bien que dans le ch.
31. du même livre , num. 8. pag. 464.
comme encore , ch . 33. num . 2. pag.49 3 .
& ch. 48. n. 1. pag. 635. foutient cette
même Theſe , & la prouve à fon ordinaire,
par les authoritez des Peres & des Auteurs
Eccléfiaftiques , des différens fiécles
de l'Eglife , en faifant voir la Tradition
fur ce dogme. On peut bien croire , qu'il
n'oublie pas le Capitule 23. du 3 Concile
I. Vol. de
2586 MERCURE DE FRANCE
de Carthage , que l'on a cité dans la Lettre
de M. l'Abbé de Cheret.
Mais afin que l'on ne croye pas que ce
foit là un Reglement des Evêques d'Af
frique , fur un point de difcipline , qui
ait changé dans les fiecles fuivans ; on
trouvera dans cet Auteur des Palages
tres-formels de prefque tous les fiecles de
l'Eglife , depuis ce Concile , qui tiennent
le même langage, Comme ont fait S.Fulgence
, lib. 2. ad Monimum , quaft. 1 .
Charlemagne , in fragmentis de Ritibus
Ecclefia veteris. Alcuin , femel atq . iterùm
de Divinis Officiis . cap. de celebratione
Miffa. Radulphus Tungrefis , de Canonis
obferv . prop. 23. Florus Magifter in Exegefi
Miffa: Micrologus : Stephanus Eduenfis.
lib. de Sacram. Altaris. Odo Cameracenfis
in expof. facri Canonis . S. Bernardus
, ou plutôt Guill. à S. Theodorico ,
lib. de amore Dei , cap. 8. & plures alii.
Je me contenterai de rapporter icy
quelques-uns de ces paffages , qui font fi
formels & fi précis , pour la preuve de la
propofition dont il s'agit , que je n'ai pas
la force de les fupprimer. Ils m'échappent
malgré moi. Voici comme parle , aunom
de tous les autres , Florus Magifter , in expofitione
Miffa fur ces mots : Te igitur ,
clementiffime Pater. Dirigiturhac oratio , dit
I. Vol.
cet
DECEMBRE. 1730. 2587
1
tet Auteur : Sicut reliqua Orationes juxta
Regulam fidei & morem Ecclefiæ ad Clementiffimum
Patrem ...... & hoc perJefum
Chriftum Filium tuum , Dominum noftrum ,
per quem , omnis fupplicatio , & petitio noftra
, ad Deum dirigi debet , tanquam per
verum mediatorem, & æternum Sacerdotem .
Le même Auteur , fur ces mots : Per
Dominum noftrum , de l'Oraiſon : Libera
nos , ajoute encore , quod utique certâ ras
tione ut fæpè dictum eft , Catholica concelebrat
Ecclefia, propter illud utique Sacramen▾
tum , quod Mediator Dei & hominum
factus eft homo Chriftus , & c.
,
L'Auteur , nommé Micrologue , ch. 5.
Oratio quidem ad Patrem dirigenda eft.
Juxta Domini Praeceptum , & c. Le même
Auteur , au ch. 6. de Conclufione oratio
dit encore : Concludimus orationes
per Dominum noftrum videlicet Patrem
orando
per Filium , juxta ejufdem Filii preceptum.
Le même Duranti , lib . 2. cap.48.pag.
635. rapporte encore un long Paffage ,
tiré des Capitulaires de Charlemagne , qui
femble être comme la bafe & le fondement
de cette Théologie des anciens.
Carolus Magnus in fragmentis de Ritibus
veteris Ecclefia : ut ad folum Patrem dirigatur
oratio : cùm totius fanita Trinitatis ,
ficnt una eft deitas , ita aqualis honor &
I. Vol. glori
2588 MERCURE DE FRANCE
glorificatio debeatur. Id Apoftoli, per eos,ordinante
Spiritu , fanxerunt , ut qui multorum
Deorum errores , unius Dei Pradicatione
, nitebantur evellere , fub Trinitatis
Sacramento , uni Perfona , in Sacrificiorum
ritu , fupplicare decernerent rectif
fime ergo conftitutum , ut quia Pater, &
Filius , & Spiritusfanctus , unius deitatis ,
unius naturæ , unius ſubſtantia , unius de- .
nique poteftatis exiftant , una ex eis Perfona,
propter unitatis Myfterium retinendum,
in facrificio invocaretur.
·
J
Combien de Dogmes , fur lefquels la
tradition n'eft pas plus claire , plus précife
& plus conftante ? Ne voit - on pas
d'abord que fi l'Auteur de l'Article en
queftion , des Mémoires de Trévoux
croit avoir droit de foupçonner l'Au--
teur de la Lettre , de croire que le Nom
de Dieu et proprement affecté au Pere,
& ne fe peut donner directement au Fils,
& de chercher à favorifer les nouveaux
Ariens ou Sociniens , pour avoir foutenus
la Theſe cy-deffus ( quoiqu'il ait répeté
plufieurs fois dans fa Lettre , que le
Fils étoit également Dieu comme le
Pere ; fi cela ne fuffit pas , on ajoutera
encore qu'il eft confubftantiel au Pere ,
& qu'il eft prêt de verfer fon fang ,
pour la confeffion de cette verité capi
tale de notre Foy. Ne voit- on pas , dis-
I.Vol.
je ,
DECEMBRE. 1730. 2589
›
je , que ce reproche & ces foupçons doivent
tomber également fur tous les Auteurs
cy- deffus citez ; & même à plus jufte titre
? Mais S. Fulgence , lib. 2. ad Monimum
, quæft. 1. raiſonnoit bien differemment
, fuivant en cela les Regles d'une
dialectique , bien plus conforme à l'efprit
de l'Evangile , & à la doctrine des
Saints Peres. Voicy comme il réfutoit ces
fauffes conféquences : Neque enim, dit il
prajudicium Filio , vel Spiritui fan &to comparatur,
dùm ad Patris perfonam precatio
ab offerente dirigitur , cujus confummatio
dum Filii & Spiritus fancti complectitur
nomen ; oftendit nullum effe in Trinitate difcrimen;
quia dùm ad folius Patris perfonam,
honoris fermo dirigitur , benè credentis fede ,
tota Trinitas honoratur , & cum ad Patrem
litantis deftinatur intentio , facrificii munus ,
omni Trinitati , uno eodemque offertur litantis
officio. Ne peut- on pas , après cela ,
en fe plaignant , fe fervir des termes
d'Optat de Mileve : Paganum vocas , ditil
, eum qui Deum Patrem per Filium ejus
ante altare oraverit , lib. 3 .
On voit par tous ces Paffages & par
les authoritez cy- deffus rapportées
que ces anciens Auteurs ne s'embaraf
foient guere des objections que l'on fait
dans les Mémoires de Trevoux , contre
cette Theſe , en difant que ce raiſonne-
I. Vol. ment
2590 MERCURE DE FRANCE
...
ment meneroit trop loin , qu'on doit
avoir égard non feulement au Sacrifice ,
mais encore au Sacrement , qui eft lié
étroitement au Sacrifice..
qu'on
doit trouver bon que des Collectes , où
l'on a en vûë le fruit du Sacrement , &
la participation à la victime , foient
quelquefois addreffées à JESUS- CHRIST
&c. Comme ces anciens font les garants
de l'Auteur de la Lettre , c'eft à eux ,
pour ainsi dire , à répondre pour lui
s'il eft neceffaire.
Mais s'il paroît que la principale objection
qu'on propofe avec un air de
triomphe & de confiance contre la Thefe
de l'Auteur de la Lettre , qu'apparemment
on a cru être une idée nouvelle
& particuliere , & n'avoir , aucun font
dement dans l'antiquité & la tradition
de l'Eglife. Il' paroît , dis -je , que la prin
cipale objection que l'on fait , & que l'on
croioit ne retomber que fur l'Auteur de
cette Lettre , eft que l'on addreffe à J.C.
en toutes les Meffes , les trois Oraifons
qui précedent immédiatement la Com
munion du Prêtre , & que c'eſt encore à
J. C. que s'addreffe l'Agnus Dei , & la
priere : Corpus tuum quodfumpfi.
Pour répondre à cette objection , il
eft bon de faire attention , 1°. à une remarque
que nous fait faire le Micrologue,
1. Vol. &
DECEMBRE 1730. 2391
,
& après lui Raoul ou Radulphe de Tongres
, fur ces mêmes Orailons. On ne
manqueroit pas de la trouver trop hardie
, fi on l'avançoit aujourd'hui pour la
premiere fois , dira - t- on ; cependant
que les fiecles où ont vécu ces Auteurs
fuffent trop délicats , & trop critiques.
Orationem dit Radulphe de Tongres,
quam inclinati dicimus , antequam communiamus
, non ex ordine , fed ex Religioforum
traditione habemus fcilicet hanc Domine
Jefu Chrifte , qui, &c. ac illud Corpus
& Sanguis Domini noftri Jefu Chrifti , quod
dicimus cum aliis Euchariftiam diftribuimus.
Sunt & alia multe orationes , quafquidem
ad Pacem & Communionem , privatim frequentant,
fed fecundum Micrologum, cap.18,
diligentiores antiquarum traditionum obfer
vatores , nos in hujufmodi privatis oratio.
nibus , brevitati ftudere docuerunt : potiuf
que publicis Precibus , in officio Miffa occupare
voluerunt. Nam B. Innocentius
Papa fcribens B. Auguftino & Aurelis
Epifcopis , afferit , quod nos plus communibus
& publicis , quam fingularibus & privatis
orationibus proficere poterimus.
On peut inférer de cette obfervation,
que ces Oraifons ne fe difoient pas encore
à la Meffe du temps du troifiéme
Concile de Carthage , & qu'ainfi fon Or
donnance du Capitule 23.cy- deffus citée,
I.Vol. n'étoit
2592 MERCURE DE FRANCE
n'étoit point encore contredite , par la
forme & la difpofition de ces Oraifons de
la Communion qui s'addreffent à Jefus-
Chrift. Auffi le Pere le Brun foutient - il
que ces trois Oraiſons n'ont pas plus de
fept à huit cens ans d'antiquité.
2.Ces Oraifons femblent être particulie
res pour la perfonne même du Prêtre ,
qui étant fur le point de communier
quitte , pour ainfi dire , l'action du Sacrifice
, & le perfonage de Sacrificateur,
pour adorer & prier Jefus- Chrift pour
foy même, avant que de le recevoir. C'eſt
pour cela apparemment , qu'il parle au
fingulier dans ces Oraifons ; l'Eglife qui
a adopté ces Prieres , qui nous viennent
des pratiques de dévotion de quelques
particuliers , felon les deux Auteurs cydeffus
: Non ex ordine , fed ex Religioforum
traditione, n'a pas cru apparemment qu'elles
fuffent à rejetter & condamnables ,
pour cela feul , qu'elles n'entrent peut-être
pas fi parfaitement dans l'action & le caractere
du Sacrifice , que les autres Collectes
& Oraifons , dans lefquelles le Peuple
s'unit au Prêtre , & s'affocie avec lui
pour offrir & participer au Sacrifice . Or il
ne s'agit que des Collectes & Oraifons de
la Meffe , lefquelles doivent exprimer les
voeux & les priéres de l'Eglife & du peuple.
I.Vol. De
DECEMBRE . 1730. 259 3
De même encore l'Agnus Dei , étant
une adoration de Jefus- Chriſt , comme
Agneau qui efface les péchez du monde ,
l'invocation n'en doit point être féparée ;
autrement on ſembleroit ignorer ſa Divinité
, & ne l'a pas reconnoître. Par cette
priére de l'Agnus Dei, & par ces Oraifons
de la Communion du Prêtre , nous pratiquons
ce que demande S. Auguftin , fur
le Pleaume 98. comme le remarque Duranti
, page 685. Sane hâc précatione obfervamus
quod Auguftinus ad Pfalmum 98 .
feribit , nemo carnem Chrifti manducat , nifi
priùs adoraverit : adorationem autem , &
oratio confequitur,quare hanc precationem &
eas que fequuntur,ad ipfum Chriftum conver
timus , dicentes : Agnus Dei , qui tollis peccata
mundi .
Au reste , quoique Fuxta Regulam fidei.
& morem Ecclefia , comme parlent les
Auteurs cy - deffus , les Oraifons de la
Meffe doivent s'adreffer au Pere Eternel ;
s'enfuit-il de - là qu'on ne puiffe jamais
adreffer fes Prieres à Jefus-Chrift ? Nullement
; car puifqu'il eft également Dieu ,
comme le Pere , il mérite également nos
voeux , nos hommages & nos Prieres . On
vient de le voir dans les Paffages de Charlemagne
& de S. Fulgence , cy- deffus rapportez
; mais c'est qu'il y a , felon les faints
Peres & les Théologiens , une certaine
oeconomie à obſerver. L'ex2594
MERCURE DE FRANCE
L'extrême difproportion & la diftance
infinie qu'il y a de notre baffeffe , notre
néant , notre indignité , à la Divinité
qui feule peut remplir nos befoins , a formé
la néceffité d'un Médiateur , pour
nous approcher de Dieu , & en être
pour ainfi-dire, plus à portée. Jefus Chriſt
Dieu & Homme , eft ce Médiateur qui
touche & joint ces deux extrémitez : Vnus
Médiator Dei & hominum , homo Chrif
tus Jefus. C'eſt lui qui nous fert comme
de degré pour nous élever & nous faire
arriver jufqu'à Dieu . Or c'eft précisément
felon fon humanité & en tant qu'homme,
que J.C. nous rend cet office, fuivant
S. Auguftin , Lib. de Peccato Originali ,
Cap. 28. Per hoc prodeft Chriftus , quia eft
Mediator ad vitam ; non autem per hoc Mediator
eft , quod aqualis eft Patri ; per hoc
enim , quantum Pater, tantùm & ipfe diftat
à nobis : & quomodo erit medietas , ubi
eadem diftantia eft. Ideò Apoftolus non ait ,
unus Mediator Dei & hominum Chriftus
Fefus , fed homo Chriftus Jefus : per hoc ergo
Mediator, per quod homo , &c. Si nous
confiderons Jefus - Chrift comme Dieu ,
la Priere qui lui eft adreffée eft alors ,
per ipfum implenda , comme parlent les
Théologiens ; fi nous le regardons comme
homme, la Priere eft alors , per ipfum impetranda.
Comme donc c'eft proprement .
7
L. Vol.
dans
DECEMBRE. 1730. 2595
1
dans le faint Sacrifice de la Mefle que J.C.
exerce cet office de Médiateur ; que fon
humanité , qui y eft le Sacrifice , eft la
médiatrice & la caufe méritoire ; il s'enfuit
que l'on confidere principalement
alors Jefus- Chrift fous le refpect & la
précifion d'homme , & qu'ainfi ce n'eft
point directement à J. C. mais par J. C.
qu'on doit alors adreffer les Prieres à Dieu
le Pere , autrement c'eſt ſortir du caractere
& de l'economie de ce Sacrifice ;
c'eft à Dieu le Pere , ou fi l'on veut à toute
la fainte Trinité , qu'on offre le Sacrifice
pour obtenir des graces & des
bienfaits , par la médiation de l'humanité
de J. C. qui y eft immolée , lequel on ne
confidere alors , à proprement parler ,
que comme Agneau , Victime , Holocaufte
, Prêtre , Ambaffadeur , Suppliant
Médiateur , & c.
Or n'eft-ce pas , pour ainfi - dire , pren
dre le change & varier , que de s'adreffer
dans cette action , à l'Agneau , à la
Victime , à l'Holocaufte , au Suppliant
même? & c. Les Collectes de la Melle font
comme des Actes de pouvoir & des pro-.
curations que le Peuple donne au Prêtre
d'agir en fon nom , pour négocier , pour
ainfi dire , la paix avec Dieu ; elles pechent
donc dans la forme & elles font
défectueufes quand elles ne s'adreffent
à celui avec qui on a à traiter,
pas
2596 MERCURE DE FRANCE
-. Enfin c'eft par Jefus- Chrift , en lui
& avec lui , que l'on offre ce Sacrifice
à Dieu le Pere , mais non pas à Jefus-
Chrift même , qui foutient alors un
caractere tout different , comme on l'a
déja dit tant de fois . Per ipfum , & cum
ipfo , & in ipfo , eft tibi Deo Patri , &c.
Lefquelles paroles Duranti regarde comme
la conclufion & l'abregé du Canon de
la Meffe : Ecce , dit- il , præclara Canonis
conclufio , quâ ex ordine , qua in hoc Sacrificio
peraguntur , compreffius recenfentur.
Par cette oeconomie , l'action du Sacrifice
en eft plus clairement exprimée ; car comme
dans le Sacrifice , le Prêtre , le Suppliant
, le Médiateur , &c . doivent être
diftinguez de celui à qui on facrifie , en
addreffant le Sacrifice à Dieu le Pere , par
Jefus- Chriſt , Prêtre Suppliant , Médiateur
; cette diftinction fe fait mieux fentir
que fi ce Sacrifice étoit addreffé par
Jeſus- Chrift, à Jeſus- Chrift même en tant
que Dieu.
Voilà les Reflexions que l'Auteur de
la Lettre à M. l'Abbé de Cheret , a crû
devoir communiquer au Public fur cette
matiere , tant pour fa propre juftification ,
que pour un plus grand éclairciffement
de la theſe qu'on a avancée , fans vouloir,
aù refte , s'écarter en tout ceci de la regle.
d'une parfaite foumiffion au jugement
de l'Eglife.
ODE
Fermer
Résumé : DEFENSE de la Lettre écrite à M. l'Abbé de Cheret, & inserée dans le Mercure du mois de May 1729. au sujet du Projet du nouveau Missel, à l'usage du Diocèse de Chartres ; en reponse à un Article des Memoires de Trevoux, du mois d'Aoust de la même année.
Le texte est une défense d'une lettre adressée à l'abbé de Cheret concernant un projet de nouveau missel pour le diocèse de Chartres, en réponse à un article des Mémoires de Trévoux d'août 1729. L'auteur signale plusieurs fautes d'impression et de ponctuation dans la lettre et mentionne que l'imprimeur a omis de référencer Maldonat, dont les extraits proviennent des Lettres choisies de M. Simon, tome 2, édition de 1704. Il invite les lecteurs à consulter cette lettre pour l'analyse du traité manuscrit de Maldonat sur les cérémonies de la messe. L'auteur souligne que Maldonat et le père Le Brun de l'Oratoire partagent la même critique concernant les collectes de la messe adressées à Dieu le Père. Il précise que l'exemplaire de la lettre de M. Simon est complet et que d'autres preuves peuvent être trouvées dans le traité de Ritibus Ecclesiae du président Duranti, qui soutient que les collectes de la messe doivent être adressées au Père Éternel, appuyé par des autorités ecclésiastiques et des traditions de l'Église. L'auteur réfute les objections des Mémoires de Trévoux en citant des auteurs anciens comme Florus, Charlemagne et Alcuin, qui confirment cette tradition. Il conclut en affirmant que les objections des Mémoires de Trévoux ne tiennent pas compte des traditions anciennes et des pratiques liturgiques établies. Le texte traite également des prières et des oraisons dans la liturgie de la messe, en particulier celles adressées à Jésus-Christ. L'Église a adopté ces prières, issues des pratiques de dévotion de certains particuliers, sans les rejeter ou les condamner, bien qu'elles ne s'intègrent pas parfaitement dans l'action et le caractère du sacrifice. Les collectes et oraisons de la messe doivent exprimer les vœux et les prières de l'Église et du peuple. L'Agnus Dei, une adoration de Jésus-Christ comme Agneau qui efface les péchés du monde, ne doit pas être séparée de l'invocation. Les prières de la communion du prêtre et de l'Agnus Dei suivent les enseignements de saint Augustin, qui insiste sur l'adoration de Jésus-Christ avant de recevoir son corps. Les oraisons de la messe doivent s'adresser au Père Éternel, mais cela n'exclut pas de prier Jésus-Christ, qui est également Dieu et mérite nos vœux et nos hommages. Jésus-Christ, en tant que Médiateur, permet aux humains de s'approcher de Dieu. Dans le sacrifice de la messe, c'est l'humanité de Jésus-Christ qui est considérée comme médiatrice et cause méritoire. Les prières doivent donc être adressées à Dieu le Père par l'intermédiaire de Jésus-Christ, conformément à l'économie du sacrifice. Les collectes de la messe sont des actes de pouvoir et des procurations que le peuple donne au prêtre pour négocier avec Dieu. Elles doivent s'adresser à celui avec qui on a à traiter, c'est-à-dire Dieu le Père, par l'intermédiaire de Jésus-Christ. Cette distinction est essentielle pour exprimer clairement l'action du sacrifice. L'auteur de la lettre à M. l'Abbé de Cheret communique ces réflexions pour justifier sa position et éclairer la thèse avancée, tout en restant soumis au jugement de l'Église.
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226
p. 2597-1602
ODE Sur la gloire des Saints, à l'occasion de la Ceremonie faite pour la Canonisation des S. S. Stanislas Kostka & Louis de Gonzague.
Début :
Esclaves de la renomée, [...]
Mots clefs :
Canonisation, Louis de Gonzague, Stanislas Kostka, Saints
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texteReconnaissance textuelle : ODE Sur la gloire des Saints, à l'occasion de la Ceremonie faite pour la Canonisation des S. S. Stanislas Kostka & Louis de Gonzague.
O DE
Sur la gloire des Saints , à l'occafion de la
Ceremonie faite pour la Canonifation des
SS. Stanislas Koftka & Louis de Gonzague.
Esclaves de la
renommée ,
Dont la frivole paffion ,
N'a point d'autre occupation ,
Que de pourfuivre une fumée ;
Que votre fort me ſemble dur ,
Quand l'efpoir d'un nom moins obſcur
De votre fang vous rend prodigues ;
Quand pour vivre dans l'avenir
Vous trainez parmi les fatigues ,
Des jours que les regrets ne font plus revenir,
Couverts d'une noble pouffiere ,
En vain vous cherchez les hazards ,
En vain vous voit -on des beaux arts;
-Courir l'épineuſe carriere ;
Souvent l'honneur capricieux ,
Echappe aux voeux ambitieux ,
Qui s'obftinent à le pourſuivre ;'
De fes partifans empreffez ,
I. Vol. C Com
2598 MERCURE DE FRANCE
Combien en voyons- nous furvivre ,
A leur gloire expirante , à leurs noms éclipfez !
>
Mais je veux que les Deftinées ,
Vous réfervent un fort plus doux ,
Qu'honoré long-temps après vous
Votre nom brave les années ;
O foins ! O déplorable effort ,
Qui n'a pour objet que le fort
D'un Cefar , ou d'un Alexandre !
Eh ! que fervent à ces Héros ,
Les honneurs qu'on rend à leur cendre ,
Quand l'ire du Seigneur les inonde à grands flots ?
W
Venez , venez ; de plus furs guides
Vous découvriront en ce jour ,
La route qui mené au ſéjour ,
Des biens , & des honneurs folides ,
Voyez STANISLAS , & LOUIS ,
Offrir à VOS yeux éblouis ,
La vraye image de la gloire ;
Tandis qu'à l'envi nos Autels ,
Confacrent ici leur mémoire ,
Ils regnent dans l'Olimpe , heureux, grands , immortels.
Ils n'ont point tenté ces conquêtes ,
Qui font triompher nos Guerriers :
1. Vol. Ils
DECEMBRE . 1730. 2599
Ils ont dédaigné ces Lauriers ,
Dont nos Sçavans parent leurs têtes
Chercher Dieu dans l'obfcurité ,
Gouter fa paix , ſa verité ,
Voilà leur fçavoir , leur étude :
Ils n'ont combatu que leur coeur :
Guerre de toutes la plus rude ,
Où l'ennemi qu'on frappe eft cher à ſon vainqueur
?
L'un dans la fleur de fa jeuneffe ,
Voit avec un noble dédain
Et le titre de Souverain ,
Et les droits flateurs de l'aineffe .
Il rougiroit de s'abaiffer
A des grandeurs qu'on voit paſſer
Comme l'éclair qui fend la nuë.
Pour arriver à la fplendeur ,
Que l'oeil mortel n'a point connue ,
C'est dans l'abbaiffement qu'il cherche fa gran
deur.
Victime de l'Amour Célefte ,
L'autre a tout ſouffert , tout quitté ;
Haï tour à tour , & flatté ,
D'un monde que fon coeur détefte.
Non , l'Enfer & tous les affauts ,
Ni tous les biens , ni tous les maux ,
N'ébranleront point fa conftance :
1. Vole Cij 31
2600 MERCURE DE FRANCE
Il franchit tout , il eft au port ,
Mais , redoublant ta violence ,
Là , tu l'attens, Amour, pour lui donner la moit.
潞
Il eſt donc jufte qu'en nos Faſtes ,
Leurs noms occupent déformais ,
Un rang que n'obtinrent jamais
Les grands exploits , les projets vaftes.
S'ils n'euffent tendu vers les Cieux ,
De tant de Princes leurs Ayeux ,
Ils auroient fubi la fortune ,
Et dans un éternel oubli ,
Peut-être une tombe commune ,
Tiendroit avec leur corps leur nom enſeveli.
Aujourd'hui du haut de leurs Trônes ;
Combien verront - ils à leurs pieds ,
De Souverains humiliez ,
Venir déposer leurs Couronnes !
C'est pour eux que brillent ces feux ,
Que l'air retentit de nos voeux ,
Que cette pompe orne nos Temples .
Et par mille organes divers ,
C'eſt leur gloire , c'eſt leurs exemples ,
Que la voix du Seigneur propoſe à l'Univers.
O qui me donnera des aîles,
I. Vol. Pour
DECEMRBE . 1730. 2601
"
Pour m'élever jufqu'au féjour ,
Où le Jufte enyvré d'amour ,
Brille de fplendeurs éternelles !
Lieux éclatans d'or & d'azur ,
Quand donc s'écroulera le mur
Qui me fépare de vos fêtes !
Jamais ne verrai - je , grands Saints ,
Ces Diadêmes fur vos têtes ,
Que de fa propre main l'Eternel vous a ceints !
來
Mais votre voix fe fait entendre !
► Mortel , au bonheur des Elus
"
>
•
» Apprends que tes voeux fuperflus ,
» Sans efforts ne peuvent prétendre.
" .. Qui donc t'arrête ? . hâte toi :
» Armé de courage & de foi ,
» Marche , cours , vole fur nos traces
» Et fçache qu'aux Céleftes Choeurs ,
Les enfans d'Adam n'ont de places ,
Qu'à titre de foldats, d'athletes, de vainqueurs
來
C'en eft fait , & mon coeur docile
Se foumet à tout fans regret ;
Trop long- temps il fuivit l'attrait
Des faux biens , de l'honneur fragile.
Brifez-vous , fers injurieux ,
Fers , dont le poids impérieux ,
I. Vo!. Ciij Me
2602 MERCURE DE FRANCE
Me tenoit courbé vers la Terre.
Monde pervers , fens ennemis >
Je vous déclare à tous la guerre :
Qu'attendrois-je de vous quand le Ciel m'eft
promis.
J. F. FLEURIAU , de la Compagnie
de J fus.
Sur la gloire des Saints , à l'occafion de la
Ceremonie faite pour la Canonifation des
SS. Stanislas Koftka & Louis de Gonzague.
Esclaves de la
renommée ,
Dont la frivole paffion ,
N'a point d'autre occupation ,
Que de pourfuivre une fumée ;
Que votre fort me ſemble dur ,
Quand l'efpoir d'un nom moins obſcur
De votre fang vous rend prodigues ;
Quand pour vivre dans l'avenir
Vous trainez parmi les fatigues ,
Des jours que les regrets ne font plus revenir,
Couverts d'une noble pouffiere ,
En vain vous cherchez les hazards ,
En vain vous voit -on des beaux arts;
-Courir l'épineuſe carriere ;
Souvent l'honneur capricieux ,
Echappe aux voeux ambitieux ,
Qui s'obftinent à le pourſuivre ;'
De fes partifans empreffez ,
I. Vol. C Com
2598 MERCURE DE FRANCE
Combien en voyons- nous furvivre ,
A leur gloire expirante , à leurs noms éclipfez !
>
Mais je veux que les Deftinées ,
Vous réfervent un fort plus doux ,
Qu'honoré long-temps après vous
Votre nom brave les années ;
O foins ! O déplorable effort ,
Qui n'a pour objet que le fort
D'un Cefar , ou d'un Alexandre !
Eh ! que fervent à ces Héros ,
Les honneurs qu'on rend à leur cendre ,
Quand l'ire du Seigneur les inonde à grands flots ?
W
Venez , venez ; de plus furs guides
Vous découvriront en ce jour ,
La route qui mené au ſéjour ,
Des biens , & des honneurs folides ,
Voyez STANISLAS , & LOUIS ,
Offrir à VOS yeux éblouis ,
La vraye image de la gloire ;
Tandis qu'à l'envi nos Autels ,
Confacrent ici leur mémoire ,
Ils regnent dans l'Olimpe , heureux, grands , immortels.
Ils n'ont point tenté ces conquêtes ,
Qui font triompher nos Guerriers :
1. Vol. Ils
DECEMBRE . 1730. 2599
Ils ont dédaigné ces Lauriers ,
Dont nos Sçavans parent leurs têtes
Chercher Dieu dans l'obfcurité ,
Gouter fa paix , ſa verité ,
Voilà leur fçavoir , leur étude :
Ils n'ont combatu que leur coeur :
Guerre de toutes la plus rude ,
Où l'ennemi qu'on frappe eft cher à ſon vainqueur
?
L'un dans la fleur de fa jeuneffe ,
Voit avec un noble dédain
Et le titre de Souverain ,
Et les droits flateurs de l'aineffe .
Il rougiroit de s'abaiffer
A des grandeurs qu'on voit paſſer
Comme l'éclair qui fend la nuë.
Pour arriver à la fplendeur ,
Que l'oeil mortel n'a point connue ,
C'est dans l'abbaiffement qu'il cherche fa gran
deur.
Victime de l'Amour Célefte ,
L'autre a tout ſouffert , tout quitté ;
Haï tour à tour , & flatté ,
D'un monde que fon coeur détefte.
Non , l'Enfer & tous les affauts ,
Ni tous les biens , ni tous les maux ,
N'ébranleront point fa conftance :
1. Vole Cij 31
2600 MERCURE DE FRANCE
Il franchit tout , il eft au port ,
Mais , redoublant ta violence ,
Là , tu l'attens, Amour, pour lui donner la moit.
潞
Il eſt donc jufte qu'en nos Faſtes ,
Leurs noms occupent déformais ,
Un rang que n'obtinrent jamais
Les grands exploits , les projets vaftes.
S'ils n'euffent tendu vers les Cieux ,
De tant de Princes leurs Ayeux ,
Ils auroient fubi la fortune ,
Et dans un éternel oubli ,
Peut-être une tombe commune ,
Tiendroit avec leur corps leur nom enſeveli.
Aujourd'hui du haut de leurs Trônes ;
Combien verront - ils à leurs pieds ,
De Souverains humiliez ,
Venir déposer leurs Couronnes !
C'est pour eux que brillent ces feux ,
Que l'air retentit de nos voeux ,
Que cette pompe orne nos Temples .
Et par mille organes divers ,
C'eſt leur gloire , c'eſt leurs exemples ,
Que la voix du Seigneur propoſe à l'Univers.
O qui me donnera des aîles,
I. Vol. Pour
DECEMRBE . 1730. 2601
"
Pour m'élever jufqu'au féjour ,
Où le Jufte enyvré d'amour ,
Brille de fplendeurs éternelles !
Lieux éclatans d'or & d'azur ,
Quand donc s'écroulera le mur
Qui me fépare de vos fêtes !
Jamais ne verrai - je , grands Saints ,
Ces Diadêmes fur vos têtes ,
Que de fa propre main l'Eternel vous a ceints !
來
Mais votre voix fe fait entendre !
► Mortel , au bonheur des Elus
"
>
•
» Apprends que tes voeux fuperflus ,
» Sans efforts ne peuvent prétendre.
" .. Qui donc t'arrête ? . hâte toi :
» Armé de courage & de foi ,
» Marche , cours , vole fur nos traces
» Et fçache qu'aux Céleftes Choeurs ,
Les enfans d'Adam n'ont de places ,
Qu'à titre de foldats, d'athletes, de vainqueurs
來
C'en eft fait , & mon coeur docile
Se foumet à tout fans regret ;
Trop long- temps il fuivit l'attrait
Des faux biens , de l'honneur fragile.
Brifez-vous , fers injurieux ,
Fers , dont le poids impérieux ,
I. Vo!. Ciij Me
2602 MERCURE DE FRANCE
Me tenoit courbé vers la Terre.
Monde pervers , fens ennemis >
Je vous déclare à tous la guerre :
Qu'attendrois-je de vous quand le Ciel m'eft
promis.
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de J fus.
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Résumé : ODE Sur la gloire des Saints, à l'occasion de la Ceremonie faite pour la Canonisation des S. S. Stanislas Kostka & Louis de Gonzague.
Le poème célèbre la canonisation des saints Stanislas Kostka et Louis de Gonzague, en critiquant la quête de la renommée terrestre, jugée frivole et éphémère. Il oppose cette gloire passagère à la véritable gloire spirituelle. Les saints sont décrits comme des modèles de vertu, ayant préféré l'humilité et la dévotion aux honneurs mondains. Stanislas Kostka a rejeté les titres et les grandeurs terrestres pour chercher la splendeur divine dans l'abbaisement. Louis de Gonzague a souffert et renoncé à tout pour son amour céleste, restant inébranlable face aux tentations et aux épreuves. Le poème invite les lecteurs à suivre l'exemple des saints, à se libérer des chaînes terrestres et à aspirer à la gloire éternelle. Les noms des saints doivent désormais occuper une place d'honneur, surpassant les exploits terrestres. Leur canonisation est célébrée comme un moment où leur gloire et leurs exemples sont proposés à l'univers.
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227
p. 2602-2614
REFLEXIONS sur ces paroles d'Hippoctates, Aphorisme XXXIII. Section II. In omni morbo mente valere bonum est ; contrarium vero malum.
Début :
Puisque nous voyons tous les jours que les moindres passions de l'ame [...]
Mots clefs :
Corps, Tension, Passions, Organes, Malade, Maladie, Imagination, Affection, Remède, Médecine, Hippocrate
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS sur ces paroles d'Hippoctates, Aphorisme XXXIII. Section II. In omni morbo mente valere bonum est ; contrarium vero malum.
REFLEXIONS fur ces paroles
d'Hippoctates , Aphorifme XXXIII.
Section II. In omni morbo mente valere
bonum eft ; contrarium vero malum.
Puifque Uifque nous voyons tous les jours
les moindres paffions de l'ame
occafionnent dans la fanté la mieux établie
mille dérangemens dangereux pour
la vie; pouvons- nous douter que la crainte
ou l'appréhenfion de mourir ne faſſe
de plus grands defordres dans un Malade?
Mais plutôt qui d'entre les hommes , le
plus intrépide même , lorſque le mal eſt
affez férieux , fe fent à l'abri des troubles
qu'une penſée fi affreuſe jette dans
tout le corps ? L'on ne doit donc point
refufer , pour peu que le bien des Malades
tienne à coeur , une attention particuliere
à ces mouvemens de l'ame qui
I. Vol. agiffent
DECEMBRE . 1730. 2603
3.
agiffent fi puiffamment à nos yeux , &
la faine pratique de Medecine ne fçauroit
les abandonner à eux- mêmes fans rendre
les meilleurs remedes de l'Art , ou inutiles
ou pernicieux dans leur ufage. C'eft fur
un fondement fi folide qu'on eft porté à
croire que la plupart des Maladies ne deviennent
ferieufes , intraitables même, que
parce que la crainte , l'abattement , la
frayeur & le defefpoir , font toujours aux
trouffes des pauvres Malades; & que la fermeté
en enleveroit un plus grand nombre à
la Parque, que les Remedes les plus fpecifi
ques,qui ne meritent pas fouvent un nom
fi impofant : de- là vient qu'on a tout fujet
de penfer que dans les moins dangereufes
maladies comme dans celles qui le font
veritablement , on épargneroit plus de
vies au genre humain , fi on s'attachoit
moins àdonner des remedes, qu'à raffures
l'efprit allarmé des Malades.
Pour le convaincre de ce que nous ve
nons d'avancer , il ne faut que jetter les
yeux fur ces mélancoliques hypocondriaques
, fujets à des prétendues vapeurs qui
ne reconnoiffent pour caufe que le vice
de leur imagination ; c'eft ainfi que nous
trouvons quelquefois dans notre pratique
de ces hommes que les biens & les honneurs
inondent de toutes parts , au milieu
des plaifirs , qu'une fanté parfaite-
Cij ment I. Vol.
2604 MERCURE DE FRANCE
&
ment bonne & vigoureufe laiffe gouter
paifiblement à la fleur de leur âge , tomber
tout à coup dans un abattement &
dans une langueur toujours funefte à la
vie , fe rendre infupportables aux autres ,
le devenir à eux mêmes , fe laiffer aller
à des contentions trop longues , à des afflictions
extrêmes ; en un mot , ſe montrer
le jouet de leur imagination par ces récits
ennuyeux des plus legeres circonftances
de leurs maux dont ils accablent ceux
qu'ils engagent férieufement à les entendre
. Des Malades de cette efpece peuventils
trouver du fecours dans l'adminiftration
des remedes , & ne feroit- ce pas pour
lors réfifter à l'experience qui apprend
conftamment au prix de la vie de ceux
qui la confient aux ignorans , que l'abattement
, la langueur de l'efprit , fe guerit
moins par l'ufage des remedes , que par
la diverfité des idées , les converfations ,
les Affemblées des perfonnes enjoüées ,
& fur tout par la fermeté ou le courage
que les bons Medecins ne manquent
jamais de préferer falutairement à tout
autre fecours ? d'ailleurs comme l'oifiveté
leur donne occafion de fe trop écouter
les exercices moderez du corps ne feroient
ils pas pour ces Malades un bon régime.
de vie ? peut être même que la reflexion
fuivante auroit affez de force pour
I. Vol.
préDECEMBRE
. 1730. 2605
prévenir & détourner la foibleffe de leur
imagination .
Il n'eft pas poffible que cette foule de
fonctions qui s'exercent par tant de differens
inftrumens dans une machine auffi délicate
que le corps
de l'homme
, ſe faffent
dans
la fanté
même
la plus
parfaite
d'une
égale
jufteffe
, puifque
tout
de même
que
dans
une
Montre
ou dans
des machines
femblables
le peu de folidité
de la matiere
dont
on conſtruit
les differentes
pieces
qui
les compofent
, les frottemens
des roues
de
leurs
arbres
qui
touchent
par
plufieurs
points
à des furfaces
jamais
planes
ou unies
;
en un mot,mille
caufes
, tant
internes
qu'externes
, font
de très- grands
obftacles
à la
perfection
de leurs
mouvemens
; de même
dans
le corps
humain
les roues
qu'on
y
découvre
, ou , pour
mieux
dire, les mouvemens
circulaires
, foit
dans
les folides
foit
dans
les liquides
, les leviers
, les puiffances
& leur
point
d'appui
, dans
le tems
que
tout
eft en jeu , fe trouvent
fujets
aux
mêmes
imperfections
que
les rouës
& les refforts
de la montre
en mouvement
;
& ces obftacles
font
d'autant
plus
fenfibles
à l'homme
,que
ceux
qui vivent
dans
une
fcrupuleufe
attention
fur
ce qui fe
pafle
au dedans
du corps
, ne fe croyent
malades
que
pour les trop
écouter
.
Si ceux qui fe montrent moins occupez
I. Vol. Cy dans
2606 MERCURE DE FRANCE
dans la pratique de Medecine à guerir
l'efprit,fouvent plus allarmé que le corps
n'eft malade , faifoient attention qu'on
doit toujours envifager dans un malade
la guérifon de deux maladies , dont la
violence ou la durée de tous les tems
qu'elles parcourent , fe répondent exactement
, & que chacune d'elles exige des
fecours differens , fuivant la fuperiorité
que l'une gagne fur l'autre , ils fe défabuferoient
avec plaifir de ce grand nombre
inutile ou meurtrier de remedes , que
Pandore a laiffé échaper , que l'avarice
fait employer , que l'honneur de la profeffion
défaprouve , & que la feule fermeté
dont les malades ont befoin ordi
nairement , ne permet jamais qu'on lui
préfere , fans reprocher les funeftes fuites
d'une fi injufte préférence à ceux qui ne
connoiffent point l'union ou la dépendance
mutuelle de ces deux fubftances qui
compofent l'homme.
Quoique l'union de l'ame avec le corps
doive plutôt paffer pour un fecret réfervé
à la Toute puiffance Divine , que pour
une connoiffance dûe aux plus profondes
recherches de l'efprit humain ; l'heureuſe
témerité des fçavans dans leurs découvertes
a fçû nous engager trop avant , pour
pouvoir nous difpenfer maintenant de
propofer nos conjectures . Cependant pour
I.Vol
AC
DECEMBRE . 1730. 2607
ne pas priver de leurs droits ceux qui pré
tendent en avoir fur cette queftion , nous
ne prendrons que ce qu'il nous faut pour
fatisfaire à notre projet.
Les Loix uniformes , & les raports réciproques
que l'Auteur de la nature a établis
dans l'union de l'ame & du corps ,
maintiennent ces deux fubftances dans
une dépendance mutuelle ; ce qui fait que
l'ame a des affections à l'occafion de certains
mouvemens du Corps, & que celui - ci
exécute des mouvemens , à l'occafion de
certaines affections de l'ame. La vivacité
de ces affections dépend de la violence des
impreffions, des objets externes fur les or
ganes du corps , & l'énergie de la puiffance
de l'ame fur le corps , de la vivacité
de fes affections; l'ame fera parconfequent
d'autant plus vivement affectée que le
.corps fera fortement émû; & le corps fera
d'autant plus puiffamment émû , que l'a
me fera vivement affectée ; le fentiment
interieur & l'expérience journaliere ne
nous permettent point de refufer notre
confentement à des véritez fi fenfibles &
fi connues.
C'eft à la faveur du genre nerveux que
les impreffions des objets externes fur les
organes du corps, d'où dépendent les fenfations
, fe tranfmettent dans le cerveau
jufqu'à l'origine des nerfs . C'eft auffi par
C vi I. Vol.
2608 MERCURE DE FRANCE
les mêmes voyes que les paffions de l'ame
agiffent fur la machine .
On peut donc regarder le genre nerveux
, comme un affemblage de petits
cordons difperfez par tout le corps ,
dans
un certain dégré de tenfion que la nature
leur a donné , réünis à la baze du crane ,
dans cet endroit du cerveau , qu'on nomme
moëlle allongée , & que nous appellerons
dans la fuite Emporeum. C'eft- là où
toutes les impreffions faites fur les organes
du corps aboutiffent , qu'on peut
placer le fiége des perceptions de l'âme.
Mais découvre-t- on dans cette parque
tie ? fi ce n'eft un tas de fibrilles fufceptibles
de vibration , capables de fe redreffer
& de fe remettre lorſque la cauſe
qui en a fait perdre la direction , ceſſe
d'agir ? Comment peut- il donc fe faire
que l'ame foit affectée dans les fenfations,
à l'occafion des impreffions faites par les
objets externes fur les organes
du corps ,
ou agir elle-même fur la machine dans,
les paffions ? une fubftance fpirituelle n'eftelle
point à l'abri des atteintes de la matiere
? Et celle - cy fouffrira-t- elle quelque
changement de la part de l'autre ? J'avouë
prefentement , que fi les fçavans fe
payoient moins de raifonnemens ingénieux
, que d'aveus finceres de la foibleffe
du génie , je n'aurois point de hon-
I.Vol
DECEMBRE . 1730. 2609
coup
te de la déclarer à des hommes dans cette
occafion , mais comme elles doivent beauà
la témérité des curieux , elles veulent
encore leur être plus redevables ; ) le
corps ne pouvant donc point agir materiellement
fur l'ame, ni l'ame fur le corps ,
il faut que le Créateur dans l'union de ces
deux fubftances , ait voulu , fuivant les
décrets immuables , qu'à l'occafion d'un
tel mouvement , où bien d'une vibration
plus ou moins forte des fibres de l'Emporeum
, l'ame fut plus ou moins vivement
ébranlée ; & qu'à l'occafion de certaines
perceptions de l'ame , il furvint à ces mêmes
fibres des vibrations dont la force
répondit exactement à la vivacité de ces
perceptions , pour lors le cordon de
nerf continu à la fibre vibrée , fera plus
ou moins tiraillé auffi-bien que les divifions
& les rameaux qui en partent, & qui
vont fe perdre dans les parties du corps.
Ainfi fuppofé maintenant que l'ame foit
vivement affectée ( comme il lui arrive
dans differentes paffions , mais fur tout
dans la crainte ou l'apprehenfion de mourir
) la vibration d'une , ou de plufieurs
fibres de l'Emporeum fera violente, le tiraillement
du cordon de nerf ne le fera
pas
moins, &fes filamens diviſez ,diſperſez dans
a machine , donneront bien - tôt des marques
tres- fenfibles de leur défordre , icy
L. Vol par
2610 MERCURE DE FRANCE
par la tenfion exceffive des membranes ,
par le retréciffement du diametre des
vaiffeaux dont les parois font devenuës
moins dociles aux caufes pulcifiques ; là,
par les douleurs infupportables , les convulfions
d'une ou de plufieurs parties , &
par l'état tonique qui fe prend au reffort
des folides ; d'où fuit le trouble, l'inégalité
de la circulation du fang , de la lymphe ,
leur féjour dans les chairs , ou dans les
vifceres qui s'enflamment , les fécretions
fufpendues , les coctions léfées , abolies
même ; enfin le bouleverfement de tout
le corps , qui fera toujours d'autant plus
puiffant fur les caufes de la vie , que le
moindre effet mentionné fuffit pour la
faire perdre.
il
Il ne fera pas difficile à prefent , de rendre
raifon des differens dégrez de dérangement
& de défordre , qui arrivent au
Corps humain ,à l'occafion des paffions de
l'ame , pour peu qu'on donne fes atten
tions à leur vivacité , à la difpofition des
fibres de l'Emporeum, & à l'état du corps
fain ou malade.
Nous avons déja vû que les affections
de l'ame occafionnent des vibrations dans
les fibres de l'Emporeum , fuivant donc le
different dégré de tenfion , de foupleffe
de rigidité , & de reffort , que la nature
feur a donné , elles font plus ou moins
I. Vol. vibraDECEMBRE
. 1730. 2611
vibratiles. Par exemple : Si l'ame eft vivement
affectée , la vibration que cette affection
occafionnera d'abord dans une ou
plufieurs fibres fera violente ; & fi les
fibres vibrées fe trouvent bien tenduës
naturellement , la force d'une telle fecouffe
produira un double effet. Il en eft à
peu près de même des autres qualitez ,
qu'on attribue à ces fibres qui varient
dans des fujets differens , par rapport au
fexe , à l'âge , au temperamment , & à la
maniere de vivre , & quelquefois dans le
même homme,à raifon de bien des circonftances,
mais fur tout de la frequence des
vibrations , d'où elles ont acquis la difpofition
d'obéir au moindre tremouffement.
Si les organes du corps fe trouvent
dans l'état le plus éloigné de la maladie ,
& que l'imagination ne foit que peu dérangée
, il eft clair que le corps n'en fera
pas fort incommodé ; delà vient qu'on'
voit une foule de mélancoliques , fe
porter d'ailleurs le mieux du monde ;
mais fi dans ce cas l'imagination eft conſiderablement
détraquée, le corps s'appro
chera pour lors de l'état malade , à proportion
que le dérangemeut de l'efprit
fera grand ; je crois même , que ce ne
feroit point fans fondement , fil'on avançoit
que l'imagination vivement frappée
de trifteffe , de crainte , &c . a affez de
I. Vol.
pou2612
MERCURE DE FRANCE
pouvoir fur la machine , pour en occafionner
la ruine.
Si dans un corps peu malade , l'imagination
n'eft que peu allarmée ; ces deux
maladies enſemble ne font point à crain
dre , on s'en releve facilement ; mais fi
dans ce même cas , l'ame eft fortement
agitée , le trouble dans la Machine fera
très -dangereux ; on voit bien fouvent des
malades guériffables par la nature du
mal , devenir incurables , fe défefpérer &
périr malheureuſement par la préférence
qu'on a fait des remedes quelquefois fort
violens , à cette fermeté dont le retour de
la fanté ne pouvoit fe paffer fans la perte
de la vie.
Enfin fi l'imagination & le corps font
tres dérangez , dans un pareil cas le malade
fera défefpéré , pour peu qu'on néglige
de lui donner du courage , ouqu'on
fe ferve des remedes qui le tour
mentent trop.
On voit par toute cetteThéorie que dans
le concours de ces cauſes , l'ame doit agir
fur la Machine , avec un pouvoir inſurmontable
, dont les effets feront par conféquent
très -funeftes.
On reconnoît encore d'où vient que
certaines perfonnes font plus fufceptibles
de chagrin , de trifteffe , d'abattement
de crainte & de defefpoir que bien d'au-
1. Vol. tres
DECEMBRE . 1730. 2613
tres , & en reffentent de plus grands maux
dans l'ufage de la vie.
Puifqu'on ne fçauroit à prefent difconvenir
que la trifteffe & la langueur de
l'efprit, ne dérangent confidérablement la
fanté la plus affurée , & que la crainte &
l'apprehenfion de mourir n'occafionne de
nouveaux défordres dans un malade ;
n'a- t-on pas raifon de penfer que les malades
auroient moins de mal s'ils avoient
moins de peur ? In omni morbo mente valere
bonum eft , contrarium verò malum.
C'eft fur ce principe de la veritable
Médecine , où tout ce que l'avarice de
l'homme a de plus haïffable , & de plus
dangereux dans les moyens qu'elle offre
pour affouvir le défir de groffir fes richeffes
, n'a aucune part , que nous avons
prétendu faire voir :
Premierement , que les gens de notre profeffion
moins ambitieux des biens que jaloux
de leur honneur , doivent s'attirer
des malades de la confiance, plutôt par une
jufte réputation que par une effronterie
odieufe , qui ne peut tourner qu'à leur
confuſion & au malheur de ceux qui ne
diftinguant point le vrai mérite , apprennent
par leur mort violente , à des héritiers
à ne pas les fuivre dans leur funefte
choix .
Secondement , que
I. Vol.
dans les maladies férieu2614
MERCURE DE FRANCE
rieuſes , où les malades craignent fort
pour leur vie , la préfence fréquente ,
mais jamais importune , du Medecin de
confiance , eft plus falutaire qu'un grand
appareil de remedes .
3mt, Et qu'ainfi on ne doit pas faire dif
Aculté de bannir , de retrancher de la
Médecine un grand nombre de remedes ,
non feulement comme inutiles , mais encore
comme très - pernicieux , & le malade
fera guéri pour lors à moins de frais &
plus furement.
Enfin , qu'on n'a confulté , dans le def
fein de mettre au jour ce petit Ouvrage ,
que l'honneur de la profeffion , & le verible
bien des malades.
Par G B. Barrés , de Pezenas , Docteur
en Médecine, de la Faculté de Montpellier.
d'Hippoctates , Aphorifme XXXIII.
Section II. In omni morbo mente valere
bonum eft ; contrarium vero malum.
Puifque Uifque nous voyons tous les jours
les moindres paffions de l'ame
occafionnent dans la fanté la mieux établie
mille dérangemens dangereux pour
la vie; pouvons- nous douter que la crainte
ou l'appréhenfion de mourir ne faſſe
de plus grands defordres dans un Malade?
Mais plutôt qui d'entre les hommes , le
plus intrépide même , lorſque le mal eſt
affez férieux , fe fent à l'abri des troubles
qu'une penſée fi affreuſe jette dans
tout le corps ? L'on ne doit donc point
refufer , pour peu que le bien des Malades
tienne à coeur , une attention particuliere
à ces mouvemens de l'ame qui
I. Vol. agiffent
DECEMBRE . 1730. 2603
3.
agiffent fi puiffamment à nos yeux , &
la faine pratique de Medecine ne fçauroit
les abandonner à eux- mêmes fans rendre
les meilleurs remedes de l'Art , ou inutiles
ou pernicieux dans leur ufage. C'eft fur
un fondement fi folide qu'on eft porté à
croire que la plupart des Maladies ne deviennent
ferieufes , intraitables même, que
parce que la crainte , l'abattement , la
frayeur & le defefpoir , font toujours aux
trouffes des pauvres Malades; & que la fermeté
en enleveroit un plus grand nombre à
la Parque, que les Remedes les plus fpecifi
ques,qui ne meritent pas fouvent un nom
fi impofant : de- là vient qu'on a tout fujet
de penfer que dans les moins dangereufes
maladies comme dans celles qui le font
veritablement , on épargneroit plus de
vies au genre humain , fi on s'attachoit
moins àdonner des remedes, qu'à raffures
l'efprit allarmé des Malades.
Pour le convaincre de ce que nous ve
nons d'avancer , il ne faut que jetter les
yeux fur ces mélancoliques hypocondriaques
, fujets à des prétendues vapeurs qui
ne reconnoiffent pour caufe que le vice
de leur imagination ; c'eft ainfi que nous
trouvons quelquefois dans notre pratique
de ces hommes que les biens & les honneurs
inondent de toutes parts , au milieu
des plaifirs , qu'une fanté parfaite-
Cij ment I. Vol.
2604 MERCURE DE FRANCE
&
ment bonne & vigoureufe laiffe gouter
paifiblement à la fleur de leur âge , tomber
tout à coup dans un abattement &
dans une langueur toujours funefte à la
vie , fe rendre infupportables aux autres ,
le devenir à eux mêmes , fe laiffer aller
à des contentions trop longues , à des afflictions
extrêmes ; en un mot , ſe montrer
le jouet de leur imagination par ces récits
ennuyeux des plus legeres circonftances
de leurs maux dont ils accablent ceux
qu'ils engagent férieufement à les entendre
. Des Malades de cette efpece peuventils
trouver du fecours dans l'adminiftration
des remedes , & ne feroit- ce pas pour
lors réfifter à l'experience qui apprend
conftamment au prix de la vie de ceux
qui la confient aux ignorans , que l'abattement
, la langueur de l'efprit , fe guerit
moins par l'ufage des remedes , que par
la diverfité des idées , les converfations ,
les Affemblées des perfonnes enjoüées ,
& fur tout par la fermeté ou le courage
que les bons Medecins ne manquent
jamais de préferer falutairement à tout
autre fecours ? d'ailleurs comme l'oifiveté
leur donne occafion de fe trop écouter
les exercices moderez du corps ne feroient
ils pas pour ces Malades un bon régime.
de vie ? peut être même que la reflexion
fuivante auroit affez de force pour
I. Vol.
préDECEMBRE
. 1730. 2605
prévenir & détourner la foibleffe de leur
imagination .
Il n'eft pas poffible que cette foule de
fonctions qui s'exercent par tant de differens
inftrumens dans une machine auffi délicate
que le corps
de l'homme
, ſe faffent
dans
la fanté
même
la plus
parfaite
d'une
égale
jufteffe
, puifque
tout
de même
que
dans
une
Montre
ou dans
des machines
femblables
le peu de folidité
de la matiere
dont
on conſtruit
les differentes
pieces
qui
les compofent
, les frottemens
des roues
de
leurs
arbres
qui
touchent
par
plufieurs
points
à des furfaces
jamais
planes
ou unies
;
en un mot,mille
caufes
, tant
internes
qu'externes
, font
de très- grands
obftacles
à la
perfection
de leurs
mouvemens
; de même
dans
le corps
humain
les roues
qu'on
y
découvre
, ou , pour
mieux
dire, les mouvemens
circulaires
, foit
dans
les folides
foit
dans
les liquides
, les leviers
, les puiffances
& leur
point
d'appui
, dans
le tems
que
tout
eft en jeu , fe trouvent
fujets
aux
mêmes
imperfections
que
les rouës
& les refforts
de la montre
en mouvement
;
& ces obftacles
font
d'autant
plus
fenfibles
à l'homme
,que
ceux
qui vivent
dans
une
fcrupuleufe
attention
fur
ce qui fe
pafle
au dedans
du corps
, ne fe croyent
malades
que
pour les trop
écouter
.
Si ceux qui fe montrent moins occupez
I. Vol. Cy dans
2606 MERCURE DE FRANCE
dans la pratique de Medecine à guerir
l'efprit,fouvent plus allarmé que le corps
n'eft malade , faifoient attention qu'on
doit toujours envifager dans un malade
la guérifon de deux maladies , dont la
violence ou la durée de tous les tems
qu'elles parcourent , fe répondent exactement
, & que chacune d'elles exige des
fecours differens , fuivant la fuperiorité
que l'une gagne fur l'autre , ils fe défabuferoient
avec plaifir de ce grand nombre
inutile ou meurtrier de remedes , que
Pandore a laiffé échaper , que l'avarice
fait employer , que l'honneur de la profeffion
défaprouve , & que la feule fermeté
dont les malades ont befoin ordi
nairement , ne permet jamais qu'on lui
préfere , fans reprocher les funeftes fuites
d'une fi injufte préférence à ceux qui ne
connoiffent point l'union ou la dépendance
mutuelle de ces deux fubftances qui
compofent l'homme.
Quoique l'union de l'ame avec le corps
doive plutôt paffer pour un fecret réfervé
à la Toute puiffance Divine , que pour
une connoiffance dûe aux plus profondes
recherches de l'efprit humain ; l'heureuſe
témerité des fçavans dans leurs découvertes
a fçû nous engager trop avant , pour
pouvoir nous difpenfer maintenant de
propofer nos conjectures . Cependant pour
I.Vol
AC
DECEMBRE . 1730. 2607
ne pas priver de leurs droits ceux qui pré
tendent en avoir fur cette queftion , nous
ne prendrons que ce qu'il nous faut pour
fatisfaire à notre projet.
Les Loix uniformes , & les raports réciproques
que l'Auteur de la nature a établis
dans l'union de l'ame & du corps ,
maintiennent ces deux fubftances dans
une dépendance mutuelle ; ce qui fait que
l'ame a des affections à l'occafion de certains
mouvemens du Corps, & que celui - ci
exécute des mouvemens , à l'occafion de
certaines affections de l'ame. La vivacité
de ces affections dépend de la violence des
impreffions, des objets externes fur les or
ganes du corps , & l'énergie de la puiffance
de l'ame fur le corps , de la vivacité
de fes affections; l'ame fera parconfequent
d'autant plus vivement affectée que le
.corps fera fortement émû; & le corps fera
d'autant plus puiffamment émû , que l'a
me fera vivement affectée ; le fentiment
interieur & l'expérience journaliere ne
nous permettent point de refufer notre
confentement à des véritez fi fenfibles &
fi connues.
C'eft à la faveur du genre nerveux que
les impreffions des objets externes fur les
organes du corps, d'où dépendent les fenfations
, fe tranfmettent dans le cerveau
jufqu'à l'origine des nerfs . C'eft auffi par
C vi I. Vol.
2608 MERCURE DE FRANCE
les mêmes voyes que les paffions de l'ame
agiffent fur la machine .
On peut donc regarder le genre nerveux
, comme un affemblage de petits
cordons difperfez par tout le corps ,
dans
un certain dégré de tenfion que la nature
leur a donné , réünis à la baze du crane ,
dans cet endroit du cerveau , qu'on nomme
moëlle allongée , & que nous appellerons
dans la fuite Emporeum. C'eft- là où
toutes les impreffions faites fur les organes
du corps aboutiffent , qu'on peut
placer le fiége des perceptions de l'âme.
Mais découvre-t- on dans cette parque
tie ? fi ce n'eft un tas de fibrilles fufceptibles
de vibration , capables de fe redreffer
& de fe remettre lorſque la cauſe
qui en a fait perdre la direction , ceſſe
d'agir ? Comment peut- il donc fe faire
que l'ame foit affectée dans les fenfations,
à l'occafion des impreffions faites par les
objets externes fur les organes
du corps ,
ou agir elle-même fur la machine dans,
les paffions ? une fubftance fpirituelle n'eftelle
point à l'abri des atteintes de la matiere
? Et celle - cy fouffrira-t- elle quelque
changement de la part de l'autre ? J'avouë
prefentement , que fi les fçavans fe
payoient moins de raifonnemens ingénieux
, que d'aveus finceres de la foibleffe
du génie , je n'aurois point de hon-
I.Vol
DECEMBRE . 1730. 2609
coup
te de la déclarer à des hommes dans cette
occafion , mais comme elles doivent beauà
la témérité des curieux , elles veulent
encore leur être plus redevables ; ) le
corps ne pouvant donc point agir materiellement
fur l'ame, ni l'ame fur le corps ,
il faut que le Créateur dans l'union de ces
deux fubftances , ait voulu , fuivant les
décrets immuables , qu'à l'occafion d'un
tel mouvement , où bien d'une vibration
plus ou moins forte des fibres de l'Emporeum
, l'ame fut plus ou moins vivement
ébranlée ; & qu'à l'occafion de certaines
perceptions de l'ame , il furvint à ces mêmes
fibres des vibrations dont la force
répondit exactement à la vivacité de ces
perceptions , pour lors le cordon de
nerf continu à la fibre vibrée , fera plus
ou moins tiraillé auffi-bien que les divifions
& les rameaux qui en partent, & qui
vont fe perdre dans les parties du corps.
Ainfi fuppofé maintenant que l'ame foit
vivement affectée ( comme il lui arrive
dans differentes paffions , mais fur tout
dans la crainte ou l'apprehenfion de mourir
) la vibration d'une , ou de plufieurs
fibres de l'Emporeum fera violente, le tiraillement
du cordon de nerf ne le fera
pas
moins, &fes filamens diviſez ,diſperſez dans
a machine , donneront bien - tôt des marques
tres- fenfibles de leur défordre , icy
L. Vol par
2610 MERCURE DE FRANCE
par la tenfion exceffive des membranes ,
par le retréciffement du diametre des
vaiffeaux dont les parois font devenuës
moins dociles aux caufes pulcifiques ; là,
par les douleurs infupportables , les convulfions
d'une ou de plufieurs parties , &
par l'état tonique qui fe prend au reffort
des folides ; d'où fuit le trouble, l'inégalité
de la circulation du fang , de la lymphe ,
leur féjour dans les chairs , ou dans les
vifceres qui s'enflamment , les fécretions
fufpendues , les coctions léfées , abolies
même ; enfin le bouleverfement de tout
le corps , qui fera toujours d'autant plus
puiffant fur les caufes de la vie , que le
moindre effet mentionné fuffit pour la
faire perdre.
il
Il ne fera pas difficile à prefent , de rendre
raifon des differens dégrez de dérangement
& de défordre , qui arrivent au
Corps humain ,à l'occafion des paffions de
l'ame , pour peu qu'on donne fes atten
tions à leur vivacité , à la difpofition des
fibres de l'Emporeum, & à l'état du corps
fain ou malade.
Nous avons déja vû que les affections
de l'ame occafionnent des vibrations dans
les fibres de l'Emporeum , fuivant donc le
different dégré de tenfion , de foupleffe
de rigidité , & de reffort , que la nature
feur a donné , elles font plus ou moins
I. Vol. vibraDECEMBRE
. 1730. 2611
vibratiles. Par exemple : Si l'ame eft vivement
affectée , la vibration que cette affection
occafionnera d'abord dans une ou
plufieurs fibres fera violente ; & fi les
fibres vibrées fe trouvent bien tenduës
naturellement , la force d'une telle fecouffe
produira un double effet. Il en eft à
peu près de même des autres qualitez ,
qu'on attribue à ces fibres qui varient
dans des fujets differens , par rapport au
fexe , à l'âge , au temperamment , & à la
maniere de vivre , & quelquefois dans le
même homme,à raifon de bien des circonftances,
mais fur tout de la frequence des
vibrations , d'où elles ont acquis la difpofition
d'obéir au moindre tremouffement.
Si les organes du corps fe trouvent
dans l'état le plus éloigné de la maladie ,
& que l'imagination ne foit que peu dérangée
, il eft clair que le corps n'en fera
pas fort incommodé ; delà vient qu'on'
voit une foule de mélancoliques , fe
porter d'ailleurs le mieux du monde ;
mais fi dans ce cas l'imagination eft conſiderablement
détraquée, le corps s'appro
chera pour lors de l'état malade , à proportion
que le dérangemeut de l'efprit
fera grand ; je crois même , que ce ne
feroit point fans fondement , fil'on avançoit
que l'imagination vivement frappée
de trifteffe , de crainte , &c . a affez de
I. Vol.
pou2612
MERCURE DE FRANCE
pouvoir fur la machine , pour en occafionner
la ruine.
Si dans un corps peu malade , l'imagination
n'eft que peu allarmée ; ces deux
maladies enſemble ne font point à crain
dre , on s'en releve facilement ; mais fi
dans ce même cas , l'ame eft fortement
agitée , le trouble dans la Machine fera
très -dangereux ; on voit bien fouvent des
malades guériffables par la nature du
mal , devenir incurables , fe défefpérer &
périr malheureuſement par la préférence
qu'on a fait des remedes quelquefois fort
violens , à cette fermeté dont le retour de
la fanté ne pouvoit fe paffer fans la perte
de la vie.
Enfin fi l'imagination & le corps font
tres dérangez , dans un pareil cas le malade
fera défefpéré , pour peu qu'on néglige
de lui donner du courage , ouqu'on
fe ferve des remedes qui le tour
mentent trop.
On voit par toute cetteThéorie que dans
le concours de ces cauſes , l'ame doit agir
fur la Machine , avec un pouvoir inſurmontable
, dont les effets feront par conféquent
très -funeftes.
On reconnoît encore d'où vient que
certaines perfonnes font plus fufceptibles
de chagrin , de trifteffe , d'abattement
de crainte & de defefpoir que bien d'au-
1. Vol. tres
DECEMBRE . 1730. 2613
tres , & en reffentent de plus grands maux
dans l'ufage de la vie.
Puifqu'on ne fçauroit à prefent difconvenir
que la trifteffe & la langueur de
l'efprit, ne dérangent confidérablement la
fanté la plus affurée , & que la crainte &
l'apprehenfion de mourir n'occafionne de
nouveaux défordres dans un malade ;
n'a- t-on pas raifon de penfer que les malades
auroient moins de mal s'ils avoient
moins de peur ? In omni morbo mente valere
bonum eft , contrarium verò malum.
C'eft fur ce principe de la veritable
Médecine , où tout ce que l'avarice de
l'homme a de plus haïffable , & de plus
dangereux dans les moyens qu'elle offre
pour affouvir le défir de groffir fes richeffes
, n'a aucune part , que nous avons
prétendu faire voir :
Premierement , que les gens de notre profeffion
moins ambitieux des biens que jaloux
de leur honneur , doivent s'attirer
des malades de la confiance, plutôt par une
jufte réputation que par une effronterie
odieufe , qui ne peut tourner qu'à leur
confuſion & au malheur de ceux qui ne
diftinguant point le vrai mérite , apprennent
par leur mort violente , à des héritiers
à ne pas les fuivre dans leur funefte
choix .
Secondement , que
I. Vol.
dans les maladies férieu2614
MERCURE DE FRANCE
rieuſes , où les malades craignent fort
pour leur vie , la préfence fréquente ,
mais jamais importune , du Medecin de
confiance , eft plus falutaire qu'un grand
appareil de remedes .
3mt, Et qu'ainfi on ne doit pas faire dif
Aculté de bannir , de retrancher de la
Médecine un grand nombre de remedes ,
non feulement comme inutiles , mais encore
comme très - pernicieux , & le malade
fera guéri pour lors à moins de frais &
plus furement.
Enfin , qu'on n'a confulté , dans le def
fein de mettre au jour ce petit Ouvrage ,
que l'honneur de la profeffion , & le verible
bien des malades.
Par G B. Barrés , de Pezenas , Docteur
en Médecine, de la Faculté de Montpellier.
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Résumé : REFLEXIONS sur ces paroles d'Hippoctates, Aphorisme XXXIII. Section II. In omni morbo mente valere bonum est ; contrarium vero malum.
Le texte explore l'impact des émotions et des pensées sur la santé physique, en s'appuyant sur les réflexions d'Hippocrate. Il met en évidence l'importance de la santé mentale dans toute maladie et souligne que les troubles émotionnels peuvent aggraver l'état du patient. Les passions de l'âme, même mineures, peuvent provoquer des désordres corporels dangereux. La crainte ou l'appréhension de la mort est particulièrement néfaste pour les malades. Même les individus les plus intrépides ne sont pas à l'abri des troubles émotionnels lorsqu'ils sont gravement malades. Les médecins doivent donc prêter attention aux mouvements de l'âme, car ils influencent fortement la santé physique. Les maladies deviennent souvent sérieuses et intraitables en raison de la peur, de l'abattement, de la frayeur et du désespoir qui accompagnent les patients. La fermeté et le courage sont souvent plus efficaces que les remèdes spécifiques pour guérir les malades. Le texte illustre cela avec des exemples de mélancoliques hypocondriaques, dont les troubles sont souvent causés par l'imagination plutôt que par des causes physiques. Pour ces patients, les remèdes médicaux sont moins efficaces que les distractions et les activités physiques modérées. Le texte compare également le corps humain à une machine délicate, où divers facteurs internes et externes peuvent perturber son fonctionnement. Il conclut en soulignant l'importance de traiter à la fois le corps et l'esprit dans la pratique médicale. Le texte traite également des interactions entre l'esprit et le corps dans les maladies, mettant en garde contre les tourments excessifs infligés aux malades, qui peuvent les rendre désespérés. La tristesse et la peur perturbent la santé, et les malades souffriraient moins s'ils avaient moins peur. L'auteur critique l'avarice dans la médecine et prône une approche éthique. Les médecins doivent gagner la confiance des patients par leur réputation plutôt que par des méthodes odieuses. Dans les maladies graves, la présence fréquente mais non importune du médecin est plus bénéfique qu'un grand nombre de remèdes. Le texte recommande de bannir les remèdes inutiles et pernicieux pour soigner les malades de manière plus économique et efficace. L'objectif est de promouvoir l'honneur de la profession médicale et le bien-être des patients. L'auteur est G. B. Barrés, Docteur en Médecine de la Faculté de Montpellier.
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228
p. 2614-2616
A MONSIEUR M. D. M. BOUQUET.
Début :
Illustre & cher ami, c'est aujourd'hui ta fête ; [...]
Mots clefs :
Ami, Amante, Coeur, Apollon
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : A MONSIEUR M. D. M. BOUQUET.
A MONSIEUR M. D. M.
B O V QV E T.
I Lluftre & cher ami , c'eft aujourd'hui ta fête ;
Faudra - t - il feulement la chomer dans nos
coeurs ?
A célébrer ce jour il faut que je m'apprête ;
Mais je ne puis t'offrir que des vers ou des
Aeurs.
1. Vola L'Amante
DECEMBRE . 1730. 2615
L'Amante de Zéphire accorde à ma requête
Ce qu'elle a de plus beau dans fes jardins charmans
;
Aufſi -tôt Apollon m'arrête :
Pourquoi , dit - il , des fleurs laiffe - les aux
Amans ;
Leur éclat eft fujet à l'empire du temps ;
Mes Lauriers immortels doivent orner la tête,
Et des Héros & des Sçavans.
Grand Apollon que je révére ,
Plus que la Déité qu'on adore à Cythére
;
Inſpirez moi done en ce jour ,
Des Vers dignes de vous , & dignes de M.... our
As-tu fur le Parnaffe acquis affez de gloire ?
M'a répondu , le Dieu de l'Hélicon
Pour chanter dignement un nom ,
Que j'ai gravé moi-même au Temple de Mé
moire
Tes foins deviendroient fuperflus ;
Contente- toy d'admirer fes ouvrages ,
Ingénieux , galans & fages ;
Car enfin il n'eſt point de ces Sçavans en Us
Difcoureurs ennuyeux , & pédans infipides ,
Dont les Graces jamais n'éclairciffent les rides.
Il fait fouvent fa cour à Minerve , à Venus ,
Et dans l'un & dans l'autre empire
On le recherche , on le défire.
I. Vol. Les
2616 MERCURE DE FRANCE
Les Mufes mieux que toy publieront ſes vertus.
Ami , pour n'être téЛnéraire ,
Il faut donc en fecret te louer & me taire
Souffre au moins
efprit ,
que mon coeur acquitte mon
Et qu'il te rendre un légitime hommage ,
Un coeur fincere te fuffit .
Le mien du moins a l'avantage ,
De fentir toujours ce qu'il dit.
PONCY DE NEUVILLE.
B O V QV E T.
I Lluftre & cher ami , c'eft aujourd'hui ta fête ;
Faudra - t - il feulement la chomer dans nos
coeurs ?
A célébrer ce jour il faut que je m'apprête ;
Mais je ne puis t'offrir que des vers ou des
Aeurs.
1. Vola L'Amante
DECEMBRE . 1730. 2615
L'Amante de Zéphire accorde à ma requête
Ce qu'elle a de plus beau dans fes jardins charmans
;
Aufſi -tôt Apollon m'arrête :
Pourquoi , dit - il , des fleurs laiffe - les aux
Amans ;
Leur éclat eft fujet à l'empire du temps ;
Mes Lauriers immortels doivent orner la tête,
Et des Héros & des Sçavans.
Grand Apollon que je révére ,
Plus que la Déité qu'on adore à Cythére
;
Inſpirez moi done en ce jour ,
Des Vers dignes de vous , & dignes de M.... our
As-tu fur le Parnaffe acquis affez de gloire ?
M'a répondu , le Dieu de l'Hélicon
Pour chanter dignement un nom ,
Que j'ai gravé moi-même au Temple de Mé
moire
Tes foins deviendroient fuperflus ;
Contente- toy d'admirer fes ouvrages ,
Ingénieux , galans & fages ;
Car enfin il n'eſt point de ces Sçavans en Us
Difcoureurs ennuyeux , & pédans infipides ,
Dont les Graces jamais n'éclairciffent les rides.
Il fait fouvent fa cour à Minerve , à Venus ,
Et dans l'un & dans l'autre empire
On le recherche , on le défire.
I. Vol. Les
2616 MERCURE DE FRANCE
Les Mufes mieux que toy publieront ſes vertus.
Ami , pour n'être téЛnéraire ,
Il faut donc en fecret te louer & me taire
Souffre au moins
efprit ,
que mon coeur acquitte mon
Et qu'il te rendre un légitime hommage ,
Un coeur fincere te fuffit .
Le mien du moins a l'avantage ,
De fentir toujours ce qu'il dit.
PONCY DE NEUVILLE.
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Résumé : A MONSIEUR M. D. M. BOUQUET.
L'auteur adresse une lettre poétique à son ami M. D. M. pour célébrer sa fête. Incapable de lui offrir autre chose, il propose des vers ou des chants. Une amante et Apollon, le dieu des arts, lui suggèrent d'offrir des lauriers immortels plutôt que des fleurs éphémères. Apollon reconnaît la gloire de l'ami et ses qualités littéraires, le décrivant comme ingénieux, galant et sage, apprécié par Minerve et Vénus. L'auteur affirme que les Muses publieront mieux les vertus de son ami et préfère louer cet ami en secret, laissant son cœur exprimer sa sincérité.
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229
p. 2616-2620
EXTRAIT d'une Lettre de Bourgogne sur le Journal de Paris sous les Regnes de Charles VI. & Charles VII.
Début :
Le Journal des évenemens arrivés à Paris sous les Regnes de Charles VI. [...]
Mots clefs :
Charles VI, Charles VII, Bourgogne, Histoire de France, Règne, Journal de Paris
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texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre de Bourgogne sur le Journal de Paris sous les Regnes de Charles VI. & Charles VII.
EXTRAIT d'une Lettre de Bourgogne
fur le Journal de Paris fous les Regnes de
Charles VI. & Charles VII.
L
E Journal des évenemens arrivés d
Paris fous les Regnes de Charles VI.
& de Charles VII . qui a paru depuis quelques
mois , n'eft pas , Monfieur , de ces
monumens dans lefquels on doive envifager
le ftile. Il n'y a que les faits & les
ufages du fiecle auquel il a été écrit qu'on
puiffe y confiderer avec quelque fatisfaction.
Le langage , quoiqu'ancien , ne l'eft
pas afſez pour fournir beaucoup dequoi
profiter à ceux qui recherchent les origines
de notre Langue. Je ne difcon-
I. Vol.
viendrai
DECEMBRE. 1730. 2617
}
viendrai point cependant qu'on ne puiffe
y trouver dequoi faire encore des Remarques
importantes par rapport à la Langue
Françoile ; mais le principal fruit que je
recueille de la lecture de ces fortes de Mémoires
eft d'y apprendre les Coûtumes
de nos Peres. Il feroit à fouhaiter que
nous euffions un détail auffi ſpecifié des
Régnes précedens : combien ne fçaurions
nous pas de chofes fur lefquelles nous
n'ofons parler que d'une maniere trèsincertaine
?
Le morceau qui eft joint à ce Journal ,
& qui nous repréſente une lifte des Officiers
des Ducs de Bourgogne , étant tiré
de la Chambre des Comptes de Dijon,
eft un bel exemple qu'on donne aux Archiviftes
des autres Chambres des Comptes
& de pareils dépots pour les engager
à enrichir le public de ſemblables détails
qui tous réunis enſemble contribueroient
à former une Hiftoire de France parfaite,
ou au moins plus circonftanciée qu'on
ne l'a cue encore jufqu'ici . C'eft une obligation
infigne que la Bourgogne a à l'Editeur
,d'avoir non-feulement rendu publique
cette lifte , mais encore de l'avoir augmentée
de Notes curieufes & très- inftructives
, & on lui feroit encore plus redevable
s'il en eut fait autant par rapport
au Journal de Paris.
1. Vol.
2618 MERCURE DE FRANCE
Si cet Editeur n'étoit pas décedé dans
le tems de l'impreffion de fon Ouvrage
on auroit pris la liberté de lui demander
quelques éclairciffemens fur certains endroits
de ce Journal , & il auroit pû nous
fatisfaire , en recourant à fon original ou
à celui fur lequel fon Manufcrit a été rédigé.
Un des endroits qui paroiffent exiger
quelque correction eft dans l'un des
Item de la page 200. à l'an 1444. on y
lit ce qui fuit : Item , en icelui tems vint
ung jeune Cordelier à Paris de la nation de
Troyes en Champagne ou d'environ , petit
homme trés-doux regard , & avoit un nommé
Jehan Crete , aagé de vingt & ung an
on environ , lequel fut tenu à ung
leurs prefcheurs qui oncques eut été à Paris
depuis cent ans. On diroit à ce langage
le Cordelier & Jehan Crete feroient
que
des meil
deux perfonnages differens ; cependant
il y a toute apparence que c'eft le même,
& le fens du Difcours paroît demander
que
cela foit ainsi , enforte qu'au lieu de
dire & avoit un nommé Jehan Crete , il
faut fans doute lire & avoit nom Jehan
Crete , ou bien & étoit nommé Jehan Crete.
Je me fuis fouvenu en lifant cet Article
du Journal que j'avois vû ce nom dans
un des Comptes de notre Ville parmi
les langues difertes du quinziéme fiecle ,
& en effet j'y ai trouvé cet éclairciffement
1. Vol.
dans
DECEMBRE. 1730. 2619
tons ,
dans le compte de Jean Vivien , à l'an
1452. au 27. Juin. A Frere Jehan Crete ,
Frere Mineur , Docteur en Théologie , cent
dix fols , pour ce qu'il a fejourné à Auxerre
quinze jours , durant lequel tems il a chacun
jour prefchié & fermoné pour toujours induire
le peuple à bien faire. Il n'y a point d'accent
fur les voyeles de fon nom , parcequ'alors
l'ufage n'étoit pas d'en mettre ;
mais il y a lieu de croire que ce nom devoit
être terminé par un é accentué , comme
on le prononce encore dans nos Cand'où
probablement ce Cordelier
étoit natif , c'est- à - dire d'entre Troyes &
Auxerre. Je ne m'arrête point à vous faire
remarquer que dans la Table de l'Edition
de ce Journal ce Religieux eft appellé
Jehan de Crete ; le de eft de la pure
liberalité de la perfonne qui a compofé
cette Table , & perfonne n'ambitionne
de fe dire originaire , encore moins natif
d'une Ifle que l'Apôtre a fi bien caracterifée
après les Auteurs Payens. Ceci , au
refte , n'eft qu'une minutie que vous ne
communiquerez qu'autant que vous le
jugerez à propos à celui qui a fuccedé à
l'Editeur du Livre dans la conduite de
l'impreffion .
Je n'acheve point la teneur de l'Article
dans lequel parmi les preuves de réminent
fçavoir de ce Francifcain , il eft
I. Vol.
dit
2620 MERCURE DE FRANCE
dit qu'il poffedoit toute la Legende dorée.
C'étoit alors le Livre favori , & on pouvoit
en débiter les fables fans crainte d'ê
tre critiqué. Heureux le fiecle où l'on
nous a appris à revenir de toutes ces fimplicités
; vous fçavez que c'eſt l'immenfe
travail commencé par le Pere Papebroch ,
Jefuite, & continué par d'autres Ecrivains
de fa Compagnie , qui a mis tous les Sçavans
en train de dérouiller les Legendes
qui avoient befoin de l'être , & de purger
les Hiftoires des Saints de quantité de
traits inventés à plaifir , & ajoûtés après
coup. &c.
Ce 21. Decembre 1729 .
fur le Journal de Paris fous les Regnes de
Charles VI. & Charles VII.
L
E Journal des évenemens arrivés d
Paris fous les Regnes de Charles VI.
& de Charles VII . qui a paru depuis quelques
mois , n'eft pas , Monfieur , de ces
monumens dans lefquels on doive envifager
le ftile. Il n'y a que les faits & les
ufages du fiecle auquel il a été écrit qu'on
puiffe y confiderer avec quelque fatisfaction.
Le langage , quoiqu'ancien , ne l'eft
pas afſez pour fournir beaucoup dequoi
profiter à ceux qui recherchent les origines
de notre Langue. Je ne difcon-
I. Vol.
viendrai
DECEMBRE. 1730. 2617
}
viendrai point cependant qu'on ne puiffe
y trouver dequoi faire encore des Remarques
importantes par rapport à la Langue
Françoile ; mais le principal fruit que je
recueille de la lecture de ces fortes de Mémoires
eft d'y apprendre les Coûtumes
de nos Peres. Il feroit à fouhaiter que
nous euffions un détail auffi ſpecifié des
Régnes précedens : combien ne fçaurions
nous pas de chofes fur lefquelles nous
n'ofons parler que d'une maniere trèsincertaine
?
Le morceau qui eft joint à ce Journal ,
& qui nous repréſente une lifte des Officiers
des Ducs de Bourgogne , étant tiré
de la Chambre des Comptes de Dijon,
eft un bel exemple qu'on donne aux Archiviftes
des autres Chambres des Comptes
& de pareils dépots pour les engager
à enrichir le public de ſemblables détails
qui tous réunis enſemble contribueroient
à former une Hiftoire de France parfaite,
ou au moins plus circonftanciée qu'on
ne l'a cue encore jufqu'ici . C'eft une obligation
infigne que la Bourgogne a à l'Editeur
,d'avoir non-feulement rendu publique
cette lifte , mais encore de l'avoir augmentée
de Notes curieufes & très- inftructives
, & on lui feroit encore plus redevable
s'il en eut fait autant par rapport
au Journal de Paris.
1. Vol.
2618 MERCURE DE FRANCE
Si cet Editeur n'étoit pas décedé dans
le tems de l'impreffion de fon Ouvrage
on auroit pris la liberté de lui demander
quelques éclairciffemens fur certains endroits
de ce Journal , & il auroit pû nous
fatisfaire , en recourant à fon original ou
à celui fur lequel fon Manufcrit a été rédigé.
Un des endroits qui paroiffent exiger
quelque correction eft dans l'un des
Item de la page 200. à l'an 1444. on y
lit ce qui fuit : Item , en icelui tems vint
ung jeune Cordelier à Paris de la nation de
Troyes en Champagne ou d'environ , petit
homme trés-doux regard , & avoit un nommé
Jehan Crete , aagé de vingt & ung an
on environ , lequel fut tenu à ung
leurs prefcheurs qui oncques eut été à Paris
depuis cent ans. On diroit à ce langage
le Cordelier & Jehan Crete feroient
que
des meil
deux perfonnages differens ; cependant
il y a toute apparence que c'eft le même,
& le fens du Difcours paroît demander
que
cela foit ainsi , enforte qu'au lieu de
dire & avoit un nommé Jehan Crete , il
faut fans doute lire & avoit nom Jehan
Crete , ou bien & étoit nommé Jehan Crete.
Je me fuis fouvenu en lifant cet Article
du Journal que j'avois vû ce nom dans
un des Comptes de notre Ville parmi
les langues difertes du quinziéme fiecle ,
& en effet j'y ai trouvé cet éclairciffement
1. Vol.
dans
DECEMBRE. 1730. 2619
tons ,
dans le compte de Jean Vivien , à l'an
1452. au 27. Juin. A Frere Jehan Crete ,
Frere Mineur , Docteur en Théologie , cent
dix fols , pour ce qu'il a fejourné à Auxerre
quinze jours , durant lequel tems il a chacun
jour prefchié & fermoné pour toujours induire
le peuple à bien faire. Il n'y a point d'accent
fur les voyeles de fon nom , parcequ'alors
l'ufage n'étoit pas d'en mettre ;
mais il y a lieu de croire que ce nom devoit
être terminé par un é accentué , comme
on le prononce encore dans nos Cand'où
probablement ce Cordelier
étoit natif , c'est- à - dire d'entre Troyes &
Auxerre. Je ne m'arrête point à vous faire
remarquer que dans la Table de l'Edition
de ce Journal ce Religieux eft appellé
Jehan de Crete ; le de eft de la pure
liberalité de la perfonne qui a compofé
cette Table , & perfonne n'ambitionne
de fe dire originaire , encore moins natif
d'une Ifle que l'Apôtre a fi bien caracterifée
après les Auteurs Payens. Ceci , au
refte , n'eft qu'une minutie que vous ne
communiquerez qu'autant que vous le
jugerez à propos à celui qui a fuccedé à
l'Editeur du Livre dans la conduite de
l'impreffion .
Je n'acheve point la teneur de l'Article
dans lequel parmi les preuves de réminent
fçavoir de ce Francifcain , il eft
I. Vol.
dit
2620 MERCURE DE FRANCE
dit qu'il poffedoit toute la Legende dorée.
C'étoit alors le Livre favori , & on pouvoit
en débiter les fables fans crainte d'ê
tre critiqué. Heureux le fiecle où l'on
nous a appris à revenir de toutes ces fimplicités
; vous fçavez que c'eſt l'immenfe
travail commencé par le Pere Papebroch ,
Jefuite, & continué par d'autres Ecrivains
de fa Compagnie , qui a mis tous les Sçavans
en train de dérouiller les Legendes
qui avoient befoin de l'être , & de purger
les Hiftoires des Saints de quantité de
traits inventés à plaifir , & ajoûtés après
coup. &c.
Ce 21. Decembre 1729 .
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Résumé : EXTRAIT d'une Lettre de Bourgogne sur le Journal de Paris sous les Regnes de Charles VI. & Charles VII.
L'auteur d'une lettre discute du 'Journal des évenemens arrivés à Paris sous les Regnes de Charles VI et de Charles VII'. Il souligne que ce journal, bien qu'il ne soit pas un monument littéraire, offre des faits et des usages du siècle auquel il a été écrit. Le langage ancien, bien que limité pour l'étude des origines de la langue française, permet de comprendre les coutumes des ancêtres. L'auteur regrette l'absence de détails similaires pour les règnes précédents, ce qui laisse de nombreuses incertitudes. Le journal inclut une liste des officiers des Ducs de Bourgogne, tirée de la Chambre des Comptes de Dijon. Cette liste sert d'exemple pour encourager d'autres archivistes à publier des détails similaires, contribuant ainsi à une histoire de France plus complète et circonstanciée. L'éditeur est loué pour avoir enrichi cette liste de notes curieuses et instructives. L'auteur mentionne un passage du journal nécessitant une correction, concernant un jeune Cordelier nommé Jehan Crete. Il trouve des éclaircissements dans les comptes de la ville, confirmant l'existence de ce religieux. Le texte discute également de l'usage des accents et de l'origine probable de Jehan Crete. Enfin, l'auteur note que le franciscain possédait 'La Légende dorée', un livre populaire à l'époque. Il mentionne également les efforts des écrivains pour purifier les histoires des saints des traits inventés.
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230
p. 2620-2621
VERS A M. de Fontenelle.
Début :
O Vous qui sçavez tout, modeste Fontenelle, [...]
Mots clefs :
Fontenelle, Savant
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : VERS A M. de Fontenelle.
VERS
A M. de Fontenelle.
Vous qui fçavez tout , modefte Fontenelle
Vous qui poffedez tous les tons
> De qui la veine ou la cervelle
Quand il vous plaît , égale celle
Des Virgiles ou des Newtons ,
Vous ignorez peut - être un trait à votre hiftoire.
Je voudrois vous le reciter ,
Et par bonheur je n'ai besoin que de mémoire ,
I. Vol.
Car
DECE MBRE. 1730. 262
Car je ne dois que répeter :
Tout au plus j'y fournis la rime ,
Mais pas le moindre coup de lime.
Certain Sçavant du Nord, à la grande Cité,
Uniquement pour vous entreprit un voyage ;
Vous avez maintes fois reçû pareil hommage ,
Sans en tirer de vanité ;
Auffi n'eft- ce pas la nouvelle
Que je veux vous apprendre ici ;
Mais de grace écoutez ceci.
Il arrive à Paris . Où loge Fontenelle ?
Dit- il , dès la Barriere au Commis qui l'ouvroit
Le Commis n'en fçait rien ; le Sçavant le qued
relle :
Surpris il croit qu'on le lui céle ,
Et penfoit qu'à Paris aucun ne l'ignoroit,
Voilà le fait tel qu'on l'a dit
Devant un Prince ( a ) en qui l'efprit ,
Heureux préfent de la Nature ,
Couronne mille autres beaux dons ;
11 dit de l'étranger qu'étonna l'avanture :
*Il nous louoit bien plus que nous ne méritons,
S. A. S. M. le Comte de Clermont,
A M. de Fontenelle.
Vous qui fçavez tout , modefte Fontenelle
Vous qui poffedez tous les tons
> De qui la veine ou la cervelle
Quand il vous plaît , égale celle
Des Virgiles ou des Newtons ,
Vous ignorez peut - être un trait à votre hiftoire.
Je voudrois vous le reciter ,
Et par bonheur je n'ai besoin que de mémoire ,
I. Vol.
Car
DECE MBRE. 1730. 262
Car je ne dois que répeter :
Tout au plus j'y fournis la rime ,
Mais pas le moindre coup de lime.
Certain Sçavant du Nord, à la grande Cité,
Uniquement pour vous entreprit un voyage ;
Vous avez maintes fois reçû pareil hommage ,
Sans en tirer de vanité ;
Auffi n'eft- ce pas la nouvelle
Que je veux vous apprendre ici ;
Mais de grace écoutez ceci.
Il arrive à Paris . Où loge Fontenelle ?
Dit- il , dès la Barriere au Commis qui l'ouvroit
Le Commis n'en fçait rien ; le Sçavant le qued
relle :
Surpris il croit qu'on le lui céle ,
Et penfoit qu'à Paris aucun ne l'ignoroit,
Voilà le fait tel qu'on l'a dit
Devant un Prince ( a ) en qui l'efprit ,
Heureux préfent de la Nature ,
Couronne mille autres beaux dons ;
11 dit de l'étranger qu'étonna l'avanture :
*Il nous louoit bien plus que nous ne méritons,
S. A. S. M. le Comte de Clermont,
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Résumé : VERS A M. de Fontenelle.
La lettre poétique est adressée à M. de Fontenelle, reconnu pour ses talents littéraires et scientifiques, comparables à ceux de Virgile et Newton. L'auteur évoque un événement survenu en décembre 1730, où un savant du Nord se rend à Paris pour rencontrer Fontenelle. À son arrivée, le savant demande à un commis où loge Fontenelle, mais le commis ignore la réponse. Surpris, le savant pense qu'on se moque de lui, croyant que tout le monde à Paris connaît Fontenelle. Cet épisode est relaté devant le Comte de Clermont, qui commente que le savant étranger loue Fontenelle plus que ce dernier ne le mérite.
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231
p. 2622
LETTRE écrite d'Aix le 30. Septembre 1730.
Début :
La prédilection, Monsieur, que j'ai toujours euë pour l'Ode du second [...]
Mots clefs :
Traduction, Horace
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite d'Aix le 30. Septembre 1730.
LETTRE écrite d'Aix le 30 .
Septembre 1730.
A prédilection , Monfieur , que j'ai
Ltoujours eue pour l'Ode du fecond euë
Livre d'Horace , qui commence par ces
mots Ehen ! fugaces & c. m'a fait lire avec
plaifir dans votre Mercure du mois de
Mars dernier l'Imitation qu'en a faite
M. Moreau de Mantour ; j'écrivis là- deffus
à M.le Marquis d'Eftrozzi de Margon,
avec lequel je fuis en relation de Belles-
Lettres depuis quelque- tems , pour fçavoir
fon fentiment fur cette Traduction,
le priant en même - tems d'avoir la complaifance
de m'en envoyer une de fa façon
en Vers François : la voici ; il fera
peut-être fâché que je la rende publique;
mais fi elle eft digne de votre approbation
, & d'être mife dans votre Mercure;
votre fuffrage me fera un motif fuffifant
calmer fon mécontentement envers
pour
moi . J'ai l'honneur d'être très parfaite
ment &c.
C. D. R.
Septembre 1730.
A prédilection , Monfieur , que j'ai
Ltoujours eue pour l'Ode du fecond euë
Livre d'Horace , qui commence par ces
mots Ehen ! fugaces & c. m'a fait lire avec
plaifir dans votre Mercure du mois de
Mars dernier l'Imitation qu'en a faite
M. Moreau de Mantour ; j'écrivis là- deffus
à M.le Marquis d'Eftrozzi de Margon,
avec lequel je fuis en relation de Belles-
Lettres depuis quelque- tems , pour fçavoir
fon fentiment fur cette Traduction,
le priant en même - tems d'avoir la complaifance
de m'en envoyer une de fa façon
en Vers François : la voici ; il fera
peut-être fâché que je la rende publique;
mais fi elle eft digne de votre approbation
, & d'être mife dans votre Mercure;
votre fuffrage me fera un motif fuffifant
calmer fon mécontentement envers
pour
moi . J'ai l'honneur d'être très parfaite
ment &c.
C. D. R.
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Résumé : LETTRE écrite d'Aix le 30. Septembre 1730.
Le 30 septembre 1730, l'auteur admire l'Ode II, 15 d'Horace et son imitation par Moreau de Mantour. Il sollicite l'avis du Marquis d'Eftrozzi de Margon sur cette traduction et lui demande sa propre version en vers français. L'auteur espère que l'approbation du destinataire apaisera le Marquis, potentiellement mécontent de la publication.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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232
p. 2623-2624
TRADUCTION D'une Ode d'Horace : Eheu ! fugaces, posthume, posthume, Labuntur anni &c.
Début :
Le tems fuit, l'âge nous presse, [...]
Mots clefs :
Horace, Vins
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : TRADUCTION D'une Ode d'Horace : Eheu ! fugaces, posthume, posthume, Labuntur anni &c.
TRADUCTION
D'une Ode d'Horace :
Eheu ! fugaces , pofthume , pofthume
Labuntur anni & c.
LEE tems fuit , l'âge nous preffe
Il s'écoule à tout moment ;
A la mort , à la vieilleffe
On court fans retardement.
Qu'à Pluton on facrifie
Trois cent victimes par jour ;
Pour Geryon , pour Titye ,
Pour tous il eſt ſans retour.
Tout ce qui vit & reſpire ,
Riches , Pauvres , Bergers , Rois ,
Vers fon tenebreux Empire
Doit naviger une fois.
C'eſt en vain qu'on fuit Bellone }
Le Dieu des Mers irrité ,
Et qu'on craint le vent d'Automne
Si nuifible à la fanté.
Il faut voir le noir Cocite ,
Le cours errant de feseaux ,
I, Vol. Dij
Do
2624 MERCURE DE FRANCE
Des Soeurs la race maudite ,
De Sifyphe les travaux .
On perd tout fur cette rive ,
Femme , maiſons , quels regrets !
Des Arbres que l'on cultive
Rien ne fuit que le cyprès.
Nos heritiers feront gloire
De diffiper tous nos vins ,
Ces vins qu'on ne devoit boire
Que dans les plus grands feftins.
D'une Ode d'Horace :
Eheu ! fugaces , pofthume , pofthume
Labuntur anni & c.
LEE tems fuit , l'âge nous preffe
Il s'écoule à tout moment ;
A la mort , à la vieilleffe
On court fans retardement.
Qu'à Pluton on facrifie
Trois cent victimes par jour ;
Pour Geryon , pour Titye ,
Pour tous il eſt ſans retour.
Tout ce qui vit & reſpire ,
Riches , Pauvres , Bergers , Rois ,
Vers fon tenebreux Empire
Doit naviger une fois.
C'eſt en vain qu'on fuit Bellone }
Le Dieu des Mers irrité ,
Et qu'on craint le vent d'Automne
Si nuifible à la fanté.
Il faut voir le noir Cocite ,
Le cours errant de feseaux ,
I, Vol. Dij
Do
2624 MERCURE DE FRANCE
Des Soeurs la race maudite ,
De Sifyphe les travaux .
On perd tout fur cette rive ,
Femme , maiſons , quels regrets !
Des Arbres que l'on cultive
Rien ne fuit que le cyprès.
Nos heritiers feront gloire
De diffiper tous nos vins ,
Ces vins qu'on ne devoit boire
Que dans les plus grands feftins.
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Résumé : TRADUCTION D'une Ode d'Horace : Eheu ! fugaces, posthume, posthume, Labuntur anni &c.
L'ode d'Horace médite sur la fugacité du temps et l'inévitabilité de la mort. Chaque jour, des victimes sont sacrifiées à Pluton, symbolisant la mort inéluctable pour tous, riches ou pauvres. La mort est inévitable, même en fuyant les dangers. Les damnés, comme Sisyphé, souffrent dans l'au-delà. Sur terre, on perd tout, y compris les biens matériels et les êtres chers. Les héritiers dilapident les biens accumulés.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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233
p. 2624-2628
LETTRE écrite aux Auteurs du Mercure, au sujet des anciens Réglemens sur les habits & sur la dépense de bouche, dont il est fait mention dans le Mercure de Septembre 1730.
Début :
Le Public doit vous sçavoir gré, Messieurs, de ce qu'à l'occasion des [...]
Mots clefs :
Règlement, Henri II, Charles IX, Luxe, Habits, Roi
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite aux Auteurs du Mercure, au sujet des anciens Réglemens sur les habits & sur la dépense de bouche, dont il est fait mention dans le Mercure de Septembre 1730.
LETTRE écrite aux Auteurs du Mercure
, au fujet des anciens Réglemens fur
les habits & fur la dépense de bouche
dont il eft fait mention dans le Mercure
de Septembre 1730,
E Public doit vous fçavoir gré
Meffieurs , de ce qu'à l'occafion des
modes actuellement en ufage dans les
habillemens , vous lui faites part des Reglemens
quefirent autrefois les Rois Henri
II. & Charles IX. pour reprimer le
luxe qui regnoit de leur tems , & pour
empêcher que les conditions & differens
I. Vol,
Etats
DECEMBRE. 1736. 2623
Etats ne fuflent confondus ; ce font des
Ordonnances qui ne fçauroient être trop
connues dans notre fiecle. En paffant
yous déclarez affez votre fentiment fur
les paniers des Dames , & vous l'aviez
déja fait en 1728. mais le petit coup que
vous leur donnez ne fera jamais capable
de les faire tomber . Il en fera comme de
ces eaux qui s'enflent à mesure qu'on les
frappe peut-être auffi qu'à force de s'enfler
il leur arrivera la même choſe qu'à
la Grenouille de la Fable ; il n'en faut
pas tout à fait defefperer.
On voit une infinité d'anciennes repréfentations
de Dames & de Demoiselles
aux vitrages des Eglifes & dans les Tapifferies
gothiques de deux à trois censt
ans ; mais je ne crois pas qu'il s'y en tronve
aucune habillée de la maniere dont eft
celle que vous avez fait graver . Une chofe
qui doit embaraffer ceux qui écrivent
en Latin l'Hiftoire des François & de
leurs ufages , eft le terme qu'ils employeront
pour fignifier cette forte d'habillement.
En vain le chercheroient- ils dans
les Ecrivains du fiecle d'Augufte. Je le
leur donne même à choisir parmi les quatre
cent mots ou environ que le Gloffaire
de la moyenne & bafle Latinité
rapporte à l'article de re veftiaria ; on
croit quelquefois avoir trouvé le mot
D iij fpe- 1. Vol
2626 MERCURE DE FRANCE
Specifique , & lorfque l'on a recours au
paffage d'où il eft tiré , on découvre que
ce qu'on prenoit pour un habit de femme
eft un habit d'homme . C'est ce que
j'ai reconnu au mot jupa qui m'avoit
frappé. En effet plufieurs perfonnes foutiennent
que les habits des hommes ont
été autrefois bien plus variés , plus amples
& plus fuperbes qu'ils ne font communément
, & que le luxe n'eft refté que
dans ceux des femmes. Permettez encore
M M. qu'à l'occafion de ce Catalogue
des anciens habits je vous dife ce qui m'eft
venu en penſée ; il ne feroit peut - être
pas inutile qu'à mesure que vous ferez
préfent au Public d'une nouvelle Eftampe
des modes courantes , quelqu'un d'entre
vous y ajoutât,pour la fatisfaction de ceux
qui font plus curieux des chofes paffées
que des prefentes , un petit éclairciffement
fur ces anciens habillemens ; la matiere
pourroit quelquefois réjouir les efprits
les plus mélancoliques . Pour moi ,
qui ne fuis pas moins curieux de connoître
les Reglemens qui ont été faits
pour moderer la dépenfe de la table que
ceux qui répriment le luxe des habits ou
qui en aboliffent certaines formes , je
fouhaiterois auffi très fort en voir une
compilation imprimée au bout de notre
Apicius François , ce feroit là fa place
I. Vol. naturelle
DECEMBRE . 1730. 2627
naturelle ; vous comprenez de quel Livre
je veux parler. Ce qui a irrité ma curio
fité fur cet article c'eft la lecture que je
viens de faire par hazard d'une Ordonnance
du Roi Philippe le Hardi de l'an
279. émanée à Paris dans fon Lit de
Juſtice , & rapportée en ces termes par
la Chronique de Rouen donnée par le
Pere Labbe : Statutum fuit in Parlamento
Parifiis à Domino Rege Philippo , & ejus
Baronibus , quod nullus poffit dare in fuo
convivio cum potagio præter duo fercula cum
quodam interferculo : & fuit poena appofita
contra omnes fuper hoc delinquentes. Voilà
un Reglement pour tous les Sujets du
Roi , défenſe d'avoir avec le potage au
delà de deux plats , avec un plat d'entremets.
La même défenſe fut réïterée
aux Gens d'Eglife dans un Concile de
Rheims au bout de quelques années ,
encore n'y eft il point fait mention d'entremets
: Statuimus , dit le Canon 5. de
ce Concile tenu en 1304. ut omnes &fingala
perfona Ecclefiaftica Remenfis Provin
cia in fingulis conviviis fint contente potagio
& duobus ferculis , nifi magnitudo perfonarumfupervenientium
aliud requirat. J'ai
traduit le mot ferculum par celui de plat ,
& je ne crois pas qu'on puiffe l'entendre
autrement , parceque s'il falloit rendre
mot par celui de fervice , le Roi ni le
I. Vol. D iiij Conr
2628 MERCURE DE FRANCE
Concile n'auroient pas impofé une grande
mortification en ordonnant de fe contenter
de trois fervices dans chaque repas,
puifqu'à chacun des trois fervices on peut
mettre cinq , fix , dix , douze , quinze
& vingt plats differens. Je fuis & c.
**
V
LA
Ce 13. Novembre 1730.
, au fujet des anciens Réglemens fur
les habits & fur la dépense de bouche
dont il eft fait mention dans le Mercure
de Septembre 1730,
E Public doit vous fçavoir gré
Meffieurs , de ce qu'à l'occafion des
modes actuellement en ufage dans les
habillemens , vous lui faites part des Reglemens
quefirent autrefois les Rois Henri
II. & Charles IX. pour reprimer le
luxe qui regnoit de leur tems , & pour
empêcher que les conditions & differens
I. Vol,
Etats
DECEMBRE. 1736. 2623
Etats ne fuflent confondus ; ce font des
Ordonnances qui ne fçauroient être trop
connues dans notre fiecle. En paffant
yous déclarez affez votre fentiment fur
les paniers des Dames , & vous l'aviez
déja fait en 1728. mais le petit coup que
vous leur donnez ne fera jamais capable
de les faire tomber . Il en fera comme de
ces eaux qui s'enflent à mesure qu'on les
frappe peut-être auffi qu'à force de s'enfler
il leur arrivera la même choſe qu'à
la Grenouille de la Fable ; il n'en faut
pas tout à fait defefperer.
On voit une infinité d'anciennes repréfentations
de Dames & de Demoiselles
aux vitrages des Eglifes & dans les Tapifferies
gothiques de deux à trois censt
ans ; mais je ne crois pas qu'il s'y en tronve
aucune habillée de la maniere dont eft
celle que vous avez fait graver . Une chofe
qui doit embaraffer ceux qui écrivent
en Latin l'Hiftoire des François & de
leurs ufages , eft le terme qu'ils employeront
pour fignifier cette forte d'habillement.
En vain le chercheroient- ils dans
les Ecrivains du fiecle d'Augufte. Je le
leur donne même à choisir parmi les quatre
cent mots ou environ que le Gloffaire
de la moyenne & bafle Latinité
rapporte à l'article de re veftiaria ; on
croit quelquefois avoir trouvé le mot
D iij fpe- 1. Vol
2626 MERCURE DE FRANCE
Specifique , & lorfque l'on a recours au
paffage d'où il eft tiré , on découvre que
ce qu'on prenoit pour un habit de femme
eft un habit d'homme . C'est ce que
j'ai reconnu au mot jupa qui m'avoit
frappé. En effet plufieurs perfonnes foutiennent
que les habits des hommes ont
été autrefois bien plus variés , plus amples
& plus fuperbes qu'ils ne font communément
, & que le luxe n'eft refté que
dans ceux des femmes. Permettez encore
M M. qu'à l'occafion de ce Catalogue
des anciens habits je vous dife ce qui m'eft
venu en penſée ; il ne feroit peut - être
pas inutile qu'à mesure que vous ferez
préfent au Public d'une nouvelle Eftampe
des modes courantes , quelqu'un d'entre
vous y ajoutât,pour la fatisfaction de ceux
qui font plus curieux des chofes paffées
que des prefentes , un petit éclairciffement
fur ces anciens habillemens ; la matiere
pourroit quelquefois réjouir les efprits
les plus mélancoliques . Pour moi ,
qui ne fuis pas moins curieux de connoître
les Reglemens qui ont été faits
pour moderer la dépenfe de la table que
ceux qui répriment le luxe des habits ou
qui en aboliffent certaines formes , je
fouhaiterois auffi très fort en voir une
compilation imprimée au bout de notre
Apicius François , ce feroit là fa place
I. Vol. naturelle
DECEMBRE . 1730. 2627
naturelle ; vous comprenez de quel Livre
je veux parler. Ce qui a irrité ma curio
fité fur cet article c'eft la lecture que je
viens de faire par hazard d'une Ordonnance
du Roi Philippe le Hardi de l'an
279. émanée à Paris dans fon Lit de
Juſtice , & rapportée en ces termes par
la Chronique de Rouen donnée par le
Pere Labbe : Statutum fuit in Parlamento
Parifiis à Domino Rege Philippo , & ejus
Baronibus , quod nullus poffit dare in fuo
convivio cum potagio præter duo fercula cum
quodam interferculo : & fuit poena appofita
contra omnes fuper hoc delinquentes. Voilà
un Reglement pour tous les Sujets du
Roi , défenſe d'avoir avec le potage au
delà de deux plats , avec un plat d'entremets.
La même défenſe fut réïterée
aux Gens d'Eglife dans un Concile de
Rheims au bout de quelques années ,
encore n'y eft il point fait mention d'entremets
: Statuimus , dit le Canon 5. de
ce Concile tenu en 1304. ut omnes &fingala
perfona Ecclefiaftica Remenfis Provin
cia in fingulis conviviis fint contente potagio
& duobus ferculis , nifi magnitudo perfonarumfupervenientium
aliud requirat. J'ai
traduit le mot ferculum par celui de plat ,
& je ne crois pas qu'on puiffe l'entendre
autrement , parceque s'il falloit rendre
mot par celui de fervice , le Roi ni le
I. Vol. D iiij Conr
2628 MERCURE DE FRANCE
Concile n'auroient pas impofé une grande
mortification en ordonnant de fe contenter
de trois fervices dans chaque repas,
puifqu'à chacun des trois fervices on peut
mettre cinq , fix , dix , douze , quinze
& vingt plats differens. Je fuis & c.
**
V
LA
Ce 13. Novembre 1730.
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Résumé : LETTRE écrite aux Auteurs du Mercure, au sujet des anciens Réglemens sur les habits & sur la dépense de bouche, dont il est fait mention dans le Mercure de Septembre 1730.
Dans une lettre datée de décembre 1736, adressée aux auteurs du Mercure, l'auteur exprime sa gratitude pour la publication des anciens règlements des rois Henri II et Charles IX, visant à réprimer le luxe vestimentaire et à maintenir la distinction entre les classes sociales. L'auteur commente les paniers portés par les dames, estimant que les critiques ne suffiront pas à les faire disparaître. Il mentionne des représentations anciennes de femmes dans les vitraux et les tapisseries, soulignant la difficulté de trouver un terme latin approprié pour décrire les habits modernes des femmes. L'auteur observe que les habits masculins étaient autrefois plus variés et luxueux. Il suggère aux auteurs du Mercure d'enrichir leurs publications en ajoutant des éclaircissements sur les anciens habits. Il manifeste également un intérêt pour les règlements concernant la dépense de bouche, citant une ordonnance de Philippe le Hardi en 1279 qui limitait les plats servis lors des repas. Une défense similaire fut réitérée lors d'un concile de Reims en 1304 pour les personnes ecclésiastiques. L'auteur traduit le terme 'ferculum' par 'plat' et estime que cette restriction n'imposait pas une grande mortification.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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234
p. 2628-2631
LA JEUNESSE. ODE.
Début :
Vers le Parnasse un doux penchant m'entraîne ; [...]
Mots clefs :
Jeunesse, Coeur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LA JEUNESSE. ODE.
LA
Ce 13. Novembre 1730.
XXXX* X *XX***
JEUNESSE,
O D E.
Ers le Parnaffe un doux penchant m'en
traîne ;
Mon coeur brule d'un feu nouveau ;
Apollon vient m'ouvrir la veine :
Pour feconder un feu fi beau ,
Je ne demande point cet efprit emphatique
Ces mots dont font enflez mille ouvrages divers,
Je ne veux qu'être véridique ;
C'eſt un rare agrément dans un faifeur de vers.
O mortels ! apprenez le fujet qui m'inſpire ;
Un feul , digne de moy , vient s'offrir à mes
yeux :
C'est la Jeuneffe ; ſon délire ,
Pour exercer ma mufe en un champ ſpacieux ;
1. Vola
J'entre
DECEMBRE . 1730. 2629
J'entreprens de prouver , jeuneffe trop aimables
Que tes plus finceres faveurs
Deviennent pour nous tous une fource effroya
ble ,
Des plus affreux malheurs,
Quelle eft cette mer orageufe ,
Qui fe prefente à mes regards ?
Les flots d'une onde impetueufe
M'environnent de toutes parts.
Ciel ! par
même ,
où me ſauver ? ... je me livre moi
Aux périls les plus éminens'::
'Ainfi pour les humains c'eſt une loy fuprême ,
Qu'ils foient de tous leurs maux les premiers
inftrumens..
Cette mer agitée eſt l'état où nous ſommes
Quand les vices en foule affailliffent nos coeurs
Les paffions font pour les hommes ,
Ce que les flots font pour les voyageurs.
En fuyant les Rochers , celebres en nauffrages ,
Le Voyageur fouvent évite le trépas ;
L'homme , au contraire , obéit à l'orage ,
Et parmi les écueils précipite fes pas.
Ce n'eft point l'enfance timide
Que je décrie en mes difcours ;;
Ir Volu Dy Cif
2630 MERCURE DE FRANCE
C'eft la jeuneffe qui pour guide
'Aime les paffions qui la flattent toujours ,
Qui dans une molleffe entiere
Laiffant couler le temps qui fuit ',
Trouve le repentir au bout de la carriere :
Du temps perdu , c'eft tout le fruit .
L'homme mene d'abord une vie innocente ;
L'enfance dans fon coeur n'excite aucuns défirs
L'âge fait naître en lui cette ardeur pétulante ,
Qui l'entraîne vers les plaifirs :
La vieilleffe paroît, les jeux prennent la fuite,
A ces mêmes plaiſirs il ſe voit arraché ,
Et fouffre avec regret que le peché le quitte ,
Ne pouvant le réfoudre à quitter le peché.
A d'auffi grands dangers l'expofe le jeune
âge ,
Venus s'empare de fon coeur ,
Le conduit à fa perte ; un honteux efclavage ,
Souvent devient pour lui le comble du malheur
Et comment pourroit - il éviter les difgraces,
Qui font le prix de fes emportemens ,
Puifque du vice il fuit les traces
Il en doit éprouver les juftes châtimens.
O toy , dont on chérit l'aimable joüiffance r
Toy, dont on vante les douceurs !
I. Vol.
Jeuneffe
DECEMBRE. 1730. 2631
Jeuneffe , je veux mettre en la même balance ,
Tes défagrémens , tes faveurs.
Mais que vois-je ..... les maux dont tu nous
rends la proye ,
Surpaffent de beaucoup tes plus charmans at
traits :
Ah ! que ne pouvons-nous te poffeder fans
joye ,
Pour épargner un jour d'inutiles regrets.
P...
Ce 13. Novembre 1730.
XXXX* X *XX***
JEUNESSE,
O D E.
Ers le Parnaffe un doux penchant m'en
traîne ;
Mon coeur brule d'un feu nouveau ;
Apollon vient m'ouvrir la veine :
Pour feconder un feu fi beau ,
Je ne demande point cet efprit emphatique
Ces mots dont font enflez mille ouvrages divers,
Je ne veux qu'être véridique ;
C'eſt un rare agrément dans un faifeur de vers.
O mortels ! apprenez le fujet qui m'inſpire ;
Un feul , digne de moy , vient s'offrir à mes
yeux :
C'est la Jeuneffe ; ſon délire ,
Pour exercer ma mufe en un champ ſpacieux ;
1. Vola
J'entre
DECEMBRE . 1730. 2629
J'entreprens de prouver , jeuneffe trop aimables
Que tes plus finceres faveurs
Deviennent pour nous tous une fource effroya
ble ,
Des plus affreux malheurs,
Quelle eft cette mer orageufe ,
Qui fe prefente à mes regards ?
Les flots d'une onde impetueufe
M'environnent de toutes parts.
Ciel ! par
même ,
où me ſauver ? ... je me livre moi
Aux périls les plus éminens'::
'Ainfi pour les humains c'eſt une loy fuprême ,
Qu'ils foient de tous leurs maux les premiers
inftrumens..
Cette mer agitée eſt l'état où nous ſommes
Quand les vices en foule affailliffent nos coeurs
Les paffions font pour les hommes ,
Ce que les flots font pour les voyageurs.
En fuyant les Rochers , celebres en nauffrages ,
Le Voyageur fouvent évite le trépas ;
L'homme , au contraire , obéit à l'orage ,
Et parmi les écueils précipite fes pas.
Ce n'eft point l'enfance timide
Que je décrie en mes difcours ;;
Ir Volu Dy Cif
2630 MERCURE DE FRANCE
C'eft la jeuneffe qui pour guide
'Aime les paffions qui la flattent toujours ,
Qui dans une molleffe entiere
Laiffant couler le temps qui fuit ',
Trouve le repentir au bout de la carriere :
Du temps perdu , c'eft tout le fruit .
L'homme mene d'abord une vie innocente ;
L'enfance dans fon coeur n'excite aucuns défirs
L'âge fait naître en lui cette ardeur pétulante ,
Qui l'entraîne vers les plaifirs :
La vieilleffe paroît, les jeux prennent la fuite,
A ces mêmes plaiſirs il ſe voit arraché ,
Et fouffre avec regret que le peché le quitte ,
Ne pouvant le réfoudre à quitter le peché.
A d'auffi grands dangers l'expofe le jeune
âge ,
Venus s'empare de fon coeur ,
Le conduit à fa perte ; un honteux efclavage ,
Souvent devient pour lui le comble du malheur
Et comment pourroit - il éviter les difgraces,
Qui font le prix de fes emportemens ,
Puifque du vice il fuit les traces
Il en doit éprouver les juftes châtimens.
O toy , dont on chérit l'aimable joüiffance r
Toy, dont on vante les douceurs !
I. Vol.
Jeuneffe
DECEMBRE. 1730. 2631
Jeuneffe , je veux mettre en la même balance ,
Tes défagrémens , tes faveurs.
Mais que vois-je ..... les maux dont tu nous
rends la proye ,
Surpaffent de beaucoup tes plus charmans at
traits :
Ah ! que ne pouvons-nous te poffeder fans
joye ,
Pour épargner un jour d'inutiles regrets.
P...
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Résumé : LA JEUNESSE. ODE.
Le poème 'Jeunesse', écrit en novembre et décembre 1730, exprime le désir de l'auteur de célébrer la jeunesse tout en mettant en garde contre ses dangers. L'auteur souhaite être véridique et éviter les mots emphatiques. Il décrit la jeunesse comme une mer orageuse et impétueuse, susceptible d'entraîner des malheurs. Les vices et les passions sont comparés aux flots qui entourent les voyageurs, poussant souvent l'homme vers les écueils. L'auteur critique la jeunesse qui se laisse guider par des passions flatteuses et trouve le repentir à la fin de sa vie. Il décrit l'évolution de l'homme, de l'innocence de l'enfance à l'ardeur des plaisirs, puis à la vieillesse où les plaisirs s'enfuient. La jeunesse est particulièrement exposée aux dangers, notamment ceux liés à Vénus, qui peuvent mener à un esclavage honteux. L'auteur conclut en soulignant que les maux causés par la jeunesse surpassent ses charmes et regrette de ne pas pouvoir la posséder sans joie pour éviter les regrets futurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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235
p. 2631-2641
DISCOURS sur ces paroles : Le vice lui-même est forcé de rendre hommage à la vertu.
Début :
Il est si beau d'être vertueux, & la droite raison trouve la vertu si conforme [...]
Mots clefs :
Vice, Vertu, Hommes, Mérite, Force, Vertueux, Ennemi, Hommage, Sentiments, Aveugle, Yeux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DISCOURS sur ces paroles : Le vice lui-même est forcé de rendre hommage à la vertu.
DISCOURS fur ces paroles Le
vice lui-même eft forcé de rendre hom
à la vertu.
mage
Left fi beau d'être vertueux , & la
I droite raifon trouve la vertu fi conforme
à fes premieres idées , qu'il n'y a
pas de quoi s'étonner fi les hommes dans
Tous les âges ont, à l'envi , fouhaité ou affecté
d'être vertueux , & s'ils ont accor
dé à la vertu les plus grands éloges..
L'amour de l'eftime & de la gloire, qui
remue avec tant d'empire & de fuccès les
refforts du coeur de l'homme , l'a toujours
déterminé à chercher fa véritable
grandeur dans le fein de la vertu , où
d'un Phantôme qu'il a pris pour elle.
Dvj Peut I.Vol
2632 MERCURE DE FRANCE
Peut- être que ces hommages confondus
avec les intérêts de l'amour propre , ne:
furent pas affez purs ; mais quoique la
vertu pût en reprouver les intentions
& les motifs , ils ont fervi à publier &
à étendre fa gloire.
i
L'Univers entier a confpiré à relever
fon excellence ; & ceux qui ont ignoré
Dieu même , fe font fait un merite de
la connoître & de la pratiquer.
Les Sages , les Philofophes , les Poë
tes , les Orateurs , les Guerriers & les Politiques
, tous ont voulu être du nombre
de fes amis. Les Arts & les Sciences ont
épuisé leurs talens , ont employé leurs
plus belles couleurs pour la peindre dans
tout fon éclat . Au milieu de tant de
gloire & d'honneur acquis à la vertu , ce
qui la diſtingue effentiellement , c'eſt de
n'avoir jamais trouvé d'autre ennemi que
le vice. Soit envie , chagrin , ou confufion
de la part de cet ennemi , l'oppofi
tion qui regne entre l'aimable vertu , &
ce monftre hydeux fera toujours une
fource de guerre : mais telle eft la fin de
Piniquité , elle fe dément elle- même , &
les traits injurieux du vice ne fervent
qu'à relever la vertu. C'eft ainfi que
contre fon intention il forme , façonne ,
embélit de ces propres mains la Cou
ronne dont il doit ceindre fa tête . Plus-
1. Vola il
DECEMBRE. 1730 : 3633
tâche à la déprifer , plus il la rend aimable
& précieufe , fes fatyres , & fes
dédains font pour elle un Panégyrique.
Ecoutons- le parler , pénétrons fes fentimens
, étudions fes démarches , nous le
verrons par tout forcé de rendre hom
mage à la vertu..
Il n'y a qu'à fe déprévenir , qu'à fixer
le veritable fens , & la valeur des expreffions
dont le vice fe fert pour dégrader
la vertu : Si nous les examinons de près ,
nous trouverons qu'au fond ces vaines
déclamations ne portent que fur l'erreur
& l'aveuglement , qui eft l'apanage du
vice. Ingénieux à fe féduire , il fe forme:
de foles chimeres qu'il prend plaifir à
combattre ; ainfi rehauffe t- il d'autant
plus l'éclatde la veritable vertu , qu'il s'ef
force de groffir les traits dont il peint ces
monftres difformes , qu'il voudroit con--
fondre avec elle. Aveugle , s'il ne peut entierement
fe cacher à fa vive lumiere , il
en détourne ce refte de vûë ; & cherchant
ailleurs les feules apparences de la vertu ,
il penfe triompher , s'il en montre le
vuide. Funefte illufion ! Que n'eft- il per--
mis à l'humble vertu de vaincre fa mo
deftie , elle triompheróit bien glorieufement
à fon tour de cet ennemi obſtiné
à lui nuire : mais il eft une victoire , qui
lui eft plus chere. Bien - tôt cet ennemi
Is-Kobo avouera
1634 MERCURE DE FRANCE
;
avouëra fa défaite, & fera forcé de préparer
le fuperbe Triomphe où il fera traîné
captif. En effet , il fe combat lui -même
& releve la vertu par où il femble voufoir
la détruire.
Il n'apperçoit pas , dit- il , de vraie vertu,
ce ne font que des apparences vaines, une
imitation frivole , un foible crayon qu'il
découvre , au lieu de ce parfait original ;
de cette réalité effective qu'il fe croyoit
en droit de trouver. Qu'if combatte tant
qu'il voudra ces apparences frivoles, qu'il
démafque cette imitation hipocrite , qu'il
confonde ce crayon imparfait. Qu'a- t'elle
à craindre , l'innocente vertu ou plutôt
qu'elle gloire pour elle ; que fon ennemi
apprenne aux hommes à reconnoître fes
véritables traits : & à la diftinguer de ces
phantômes qui ne lui reflemblent que
pour la trahir ! Non le vice ne l'attaque
point ouvertement ; il y auroit trop à
perdre pour lui , & trop de honte à ´effuyer
, de combatre à vifage découvert
contre la vertu , elle qui eft feule aimable
, & qui merite d'être adorée de toute
la terre.
Les combats qu'il lui livre font bien
differens des combats ordinaires. C'eft
par fes éloges qu'il l'attaque , c'est par
les portraits outrez & chimériques qu'il
en fait , qu'il veut l'élever au deffus de la
I. Vol
portée
DECEMBRE. 1730. 2635
portée des hommes , & dégouter ainfi de
fa fuivre fes amis les plus paffionez.
Envain cette fille du ciel vient- elle habiter
parmi les hommes : envain ſe montre-
t- elle avec cette majefté , cette grandeur
, cette nobleffe qui lui eft propre::
envain vient elle étaler aux yeux des
mortels , cette heureufe fimplicité, cette
innocence pure , ce défintereffement genereux
, toutes les qualitez qui forment
fon caractere ; fi elle ne paroît feule , le
vice , par les impoftures , s'atttibuë tout
fon mérite ,
, pour faire difparoitre à nos
yeux fes attraits raviffans.
Ne craignons pas pourtant qu'il lui
faffe du tort ; il ne la méconnoit qu'à
force d'en relever le mérite , & d'en concevoir
de brillantes idées. Conduite , à la
verité , injurieuſe à l'homme vertueux ,
mais toujours glorieufe à la vertu ; il veut
qu'elle foit fans deffaut , qu'elle brille de
toutes parts ,fans obfcurité , fans nuage ;
c'eft peut-être le feul endroit , par où le
vice entretient encore quelque commerce
avec la verité & la lumiere. Il a fauvé du
naufrage de toutes les idées du jufte & du
vrai la feule notion de l'integrité de la
vertu ; refte bien honorable pour elle.
Livrons lui donc fans crainte les
deffauts des hommes vertueux ; avouons
lui , s'il le faut , que malgré leurs efforts,
I.Vol.
ils
2636 MERCURE DE FRANCE
Ils ne peuvent point fe garantir de quelqu'une
de fes atteintes. Nous fçaurons
Bien-tôt les deffendré de ces réproches ;
mais qu'il foit forcé , ce perfécuteur in
jufte , de rendre hommage à la vraie
vertu , dont les deffauts des hommes ne
fçauroient jamais ternir l'éclat nila beauté.
Que dis-je , ne le rend- il pas cet hom-.
mage ? & puifque par tout où il recon →
noit fon empire , il dédaigne de retrouver
la vertu . N'avoue- t-il pas qu'elle lui
eft toujours contraire , & que l'augufte'
privilege dont elle joüit , c'eſt de ne pouvoir
jamais fouffrir aucun commerce , ni
aucune liaiſon avec lui.
Pénétrons encore'fes fentimens en faveur
de la vertu ; ils vont plus loin que
fes paroles ; & cet hommage , tout muet
qu'il eft , ne releve pas ſeulement la verta ,
il honore encore infiniment les hommes
vertueux .
Faifons au vice , pour un inftant , la
plus grande grace que nous puiffions lui
faire ; donnons- lui un peu de bonne foi
& de candeur. Qu'il mette au jour fes
fentimens les plus intimes. Amateurs de
la vertu , voici votre éloge , & un éloge
qui n'eft point flaté . Déja j'apperçois au
fond de fon coeur ce fentiment gravé en¹
caracteres inéfaçables : VOUS ESTES PLUS
JUSTE QUE MOY. La haine , le dépit , l'en--
J. Volo vie
DECEMBRE. 1730. 2637
vie , la jaloufie , n'ont pû étouffer ce cri
interieur. Qu'il eft doux à la vertu & à
fes Partifans , de trouver dans le fein du
vice , de quoi le faire rougir , & fans infulter
à fon impuiffante malice , de quoi
le confondre par un fimple regard.
,
Telle eft cependant la fituation du vice
& de fes efclaves , ils ont beau affecter une
contenance affurée un air content &
tranquille ; on les approfondit , & plus
on les penetre, plus on découvre que s'ils
font capables de tromper, ils ne trompent
pas long- temps , leur gêne & leur contrainte
les trahit.
Paroiffes ici , hommes vicieux , & fouf
frez qu'on voye ce qui fe paffe dans le
fond de votre ame. Eft -il vrai que vous
n'eftimés pas la vertu , & que fes Amateurs
font l'objet de vos mépris , comme
ils le font quelquefois
de vos railleries &
de vos infultes Sçavez -vous bien accor
der vos fentimens
avec vos difcours ?
Quelle contradiction
étrange ! Ils fe fati
guent , ils fuent , ils s'expofent , fe facrifient
pour leurs paffions ; fouvent tout les
contredit , & jamais rien ne les rebute ;
chargés de mille chaînes qui les captivent,
ils perdentleur liberté : n'importe ; habiles
à charmer leur aveugle fureur , ils lui
donnent les noms les plus honorables
;
habileté , grandeur d'ame , nobleffe de
I Vol . coeur
2638 MERCURE DE FRANCÉ
coeur ; eft-il rien qui l'égale ! Mais qu'it
eft douloureux pour eux de ne pouvoir
faire taire une voix importune & fecrete
qui leur rappelle les charmes de l'aima-
Ble vertu, de cette précieuſe indépendan→
ce que la feule vertu donne ! On peut
s'agiter , s'étourdir , détourner les yeux
de ce port , d'où l'on s'eft éloigné par
une fole & aveugle conduite ; mais malgré
foy le coeur y rappelle : tels que dans
ces torrens rapides qui ravagent tout ce
qui s'oppofe à leur courſe , on voit fe
former des tourbillons , où les eaux fe
tournant vers leur fource , femblent fe
repentir de leur violence & porter envie
à la noble tranquillité de ces Fleuves bien
faifants & paifibles , qui répandent par
tout & la fertilité & l'abondance.
L'ambitieux , efclave de fa fortune , facrifie
inutilemment à cette Divinité inconſtante
& aveugle , fon repos & fa vie .
Que ne va-t'il chercher dans la modération
de la vertu , un bonheur qu'il cherche
vainement ailleurs ? bonheur qu'il
apperçoit , qu'il eftime , qu'il honore &
qu'il ne peut fe déterminer de gouter en
paix.
Trifte condition de l'homme vicieux !
toujours contraint de fe fuir lui- même,
d'être toujours en guerre avec fa propre
confcience , & de n'en pouvoir fouf-
I. Vol. frir
DECEMBRE. 1730. 2639
frir le regard critique. C'eft l'hommage
le plus honorable que le vice puiffe fendre
à la vertu , qui en tout bien differente
de lui , s'enveloppe de fon propre mérite ,
& fans courir de dangers , ni effuyer de
fatigues , fans traverſer les mers , ni franchir
les montagnes pour acquerir du relief
, pour fixer fur elle les regards des
hommes , fçait captiver leur eftime ; &
par la même force le vice à fe revêtir
du moins de fes apparences pour fe fau
ver de l'opprobre qui lui eft dû.
Hommage public & intereffant pour
elle. Oui , le vice dont le pouvoir eſt ſi
étendu & fi defpotique , emprunte les
dehors & les démarches de la vertu pour
affermir fon empire.
Ici naît le penible embarras où nous
nous trouvons , lorfqu'il s'agit de diftin
guer au vrai la vertu folide du vice tra
vefti. Tout est égal à nos yeux dans l'un
& dans l'autre. La vertu ne fçauroit faire
un gefte que le vice ne prétende fe rendre
propre, & qu'il ne fçache imiter . Pourroit-
il mieux faire connoître qu'il en fent
le mérite , que de n'ofer fe produire que
fous ces dehors empruntez.
Ne diſons rien de ces Monftres d'iniquité
que le vice met au jour , Monſtres
dont il rougit & qu'il defavoûë ; laiffons
part ces horribles, forfaits que le Soà
I. Vol leil
2640 MERCURE DE FRANCE
leil n'éclaire qu'à regret. Il eft un autre
vice , pour ainfi dire , civilifé , qu'on ne
diftingue de la vertu que par l'intention
qui le fait agir & par les projets qui l'occupent
, c'eft ce vice ainfi déguifé qui
tend hommage à la vertu en fe cachant
fous la vettu même.
Voyez-vous cet homme affable , gracieux
, prévenant ; remarquez cet air em
preffé à vous fervir , cette modeftie dans
fes prétentions , ce dégagement de fes
propres interêts. Ne diriez-vous pas que
c'eft la feule vertu qui le guide ? Non , on
ne s'y trompe plus ; on le laiffe faire , H
cherche à s'élever en fe rabaiffant ; bientôt
, fi la fortune le favorife , il fçait fe
dédommager de tous les facrifices que fa
paffion lui coûte , & on le voit confacrer
au vice les récompenfes de la vertu.
Tout le monde le fçait , & le vice ne
l'ignore pas . La feule vertu a droit de
plaire , elle feule mérite d'être avoiiée de
l'homme né pour être vertueux. Ainfi à
quelque prix que ce foit il faut être vertueux
ou le paroître , fi l'on cherche à
regner dans l'efprit & le coeur des hommes.
Et qui eft- ce qui ne le cherche pas ?
Neceffité indifpenfable aux vicieux mêmes
, & de- là cet hommage forcé que le
vice rend à la vertu ; mais en eft- il moins
glorieux pour elle ?
I. Vol:
DECEMBRE . 1730. 2641
Il n'eft donc plus de prétexte qui autorife
l'homme à ne pas fe ranger du parti de
la vertu . Mille raifons concourent à
prouver fon mérite . Son feul ennemi . le
vice eft forcé de lui rendre hommage. Les
difcours , les fentimens , les oeuvres de
cet ennemi dépofent en fa faveur . Pourquoi
faut-il que nous méconnoiffions nos
vrais interêts ? notre veritable bonheur?
notre folide gloire ?
Videbunt recti & lætabuntur & omnis
iniquitas oppilabit os fuum, Pfal . 106. v. 429
vice lui-même eft forcé de rendre hom
à la vertu.
mage
Left fi beau d'être vertueux , & la
I droite raifon trouve la vertu fi conforme
à fes premieres idées , qu'il n'y a
pas de quoi s'étonner fi les hommes dans
Tous les âges ont, à l'envi , fouhaité ou affecté
d'être vertueux , & s'ils ont accor
dé à la vertu les plus grands éloges..
L'amour de l'eftime & de la gloire, qui
remue avec tant d'empire & de fuccès les
refforts du coeur de l'homme , l'a toujours
déterminé à chercher fa véritable
grandeur dans le fein de la vertu , où
d'un Phantôme qu'il a pris pour elle.
Dvj Peut I.Vol
2632 MERCURE DE FRANCE
Peut- être que ces hommages confondus
avec les intérêts de l'amour propre , ne:
furent pas affez purs ; mais quoique la
vertu pût en reprouver les intentions
& les motifs , ils ont fervi à publier &
à étendre fa gloire.
i
L'Univers entier a confpiré à relever
fon excellence ; & ceux qui ont ignoré
Dieu même , fe font fait un merite de
la connoître & de la pratiquer.
Les Sages , les Philofophes , les Poë
tes , les Orateurs , les Guerriers & les Politiques
, tous ont voulu être du nombre
de fes amis. Les Arts & les Sciences ont
épuisé leurs talens , ont employé leurs
plus belles couleurs pour la peindre dans
tout fon éclat . Au milieu de tant de
gloire & d'honneur acquis à la vertu , ce
qui la diſtingue effentiellement , c'eſt de
n'avoir jamais trouvé d'autre ennemi que
le vice. Soit envie , chagrin , ou confufion
de la part de cet ennemi , l'oppofi
tion qui regne entre l'aimable vertu , &
ce monftre hydeux fera toujours une
fource de guerre : mais telle eft la fin de
Piniquité , elle fe dément elle- même , &
les traits injurieux du vice ne fervent
qu'à relever la vertu. C'eft ainfi que
contre fon intention il forme , façonne ,
embélit de ces propres mains la Cou
ronne dont il doit ceindre fa tête . Plus-
1. Vola il
DECEMBRE. 1730 : 3633
tâche à la déprifer , plus il la rend aimable
& précieufe , fes fatyres , & fes
dédains font pour elle un Panégyrique.
Ecoutons- le parler , pénétrons fes fentimens
, étudions fes démarches , nous le
verrons par tout forcé de rendre hom
mage à la vertu..
Il n'y a qu'à fe déprévenir , qu'à fixer
le veritable fens , & la valeur des expreffions
dont le vice fe fert pour dégrader
la vertu : Si nous les examinons de près ,
nous trouverons qu'au fond ces vaines
déclamations ne portent que fur l'erreur
& l'aveuglement , qui eft l'apanage du
vice. Ingénieux à fe féduire , il fe forme:
de foles chimeres qu'il prend plaifir à
combattre ; ainfi rehauffe t- il d'autant
plus l'éclatde la veritable vertu , qu'il s'ef
force de groffir les traits dont il peint ces
monftres difformes , qu'il voudroit con--
fondre avec elle. Aveugle , s'il ne peut entierement
fe cacher à fa vive lumiere , il
en détourne ce refte de vûë ; & cherchant
ailleurs les feules apparences de la vertu ,
il penfe triompher , s'il en montre le
vuide. Funefte illufion ! Que n'eft- il per--
mis à l'humble vertu de vaincre fa mo
deftie , elle triompheróit bien glorieufement
à fon tour de cet ennemi obſtiné
à lui nuire : mais il eft une victoire , qui
lui eft plus chere. Bien - tôt cet ennemi
Is-Kobo avouera
1634 MERCURE DE FRANCE
;
avouëra fa défaite, & fera forcé de préparer
le fuperbe Triomphe où il fera traîné
captif. En effet , il fe combat lui -même
& releve la vertu par où il femble voufoir
la détruire.
Il n'apperçoit pas , dit- il , de vraie vertu,
ce ne font que des apparences vaines, une
imitation frivole , un foible crayon qu'il
découvre , au lieu de ce parfait original ;
de cette réalité effective qu'il fe croyoit
en droit de trouver. Qu'if combatte tant
qu'il voudra ces apparences frivoles, qu'il
démafque cette imitation hipocrite , qu'il
confonde ce crayon imparfait. Qu'a- t'elle
à craindre , l'innocente vertu ou plutôt
qu'elle gloire pour elle ; que fon ennemi
apprenne aux hommes à reconnoître fes
véritables traits : & à la diftinguer de ces
phantômes qui ne lui reflemblent que
pour la trahir ! Non le vice ne l'attaque
point ouvertement ; il y auroit trop à
perdre pour lui , & trop de honte à ´effuyer
, de combatre à vifage découvert
contre la vertu , elle qui eft feule aimable
, & qui merite d'être adorée de toute
la terre.
Les combats qu'il lui livre font bien
differens des combats ordinaires. C'eft
par fes éloges qu'il l'attaque , c'est par
les portraits outrez & chimériques qu'il
en fait , qu'il veut l'élever au deffus de la
I. Vol
portée
DECEMBRE. 1730. 2635
portée des hommes , & dégouter ainfi de
fa fuivre fes amis les plus paffionez.
Envain cette fille du ciel vient- elle habiter
parmi les hommes : envain ſe montre-
t- elle avec cette majefté , cette grandeur
, cette nobleffe qui lui eft propre::
envain vient elle étaler aux yeux des
mortels , cette heureufe fimplicité, cette
innocence pure , ce défintereffement genereux
, toutes les qualitez qui forment
fon caractere ; fi elle ne paroît feule , le
vice , par les impoftures , s'atttibuë tout
fon mérite ,
, pour faire difparoitre à nos
yeux fes attraits raviffans.
Ne craignons pas pourtant qu'il lui
faffe du tort ; il ne la méconnoit qu'à
force d'en relever le mérite , & d'en concevoir
de brillantes idées. Conduite , à la
verité , injurieuſe à l'homme vertueux ,
mais toujours glorieufe à la vertu ; il veut
qu'elle foit fans deffaut , qu'elle brille de
toutes parts ,fans obfcurité , fans nuage ;
c'eft peut-être le feul endroit , par où le
vice entretient encore quelque commerce
avec la verité & la lumiere. Il a fauvé du
naufrage de toutes les idées du jufte & du
vrai la feule notion de l'integrité de la
vertu ; refte bien honorable pour elle.
Livrons lui donc fans crainte les
deffauts des hommes vertueux ; avouons
lui , s'il le faut , que malgré leurs efforts,
I.Vol.
ils
2636 MERCURE DE FRANCE
Ils ne peuvent point fe garantir de quelqu'une
de fes atteintes. Nous fçaurons
Bien-tôt les deffendré de ces réproches ;
mais qu'il foit forcé , ce perfécuteur in
jufte , de rendre hommage à la vraie
vertu , dont les deffauts des hommes ne
fçauroient jamais ternir l'éclat nila beauté.
Que dis-je , ne le rend- il pas cet hom-.
mage ? & puifque par tout où il recon →
noit fon empire , il dédaigne de retrouver
la vertu . N'avoue- t-il pas qu'elle lui
eft toujours contraire , & que l'augufte'
privilege dont elle joüit , c'eſt de ne pouvoir
jamais fouffrir aucun commerce , ni
aucune liaiſon avec lui.
Pénétrons encore'fes fentimens en faveur
de la vertu ; ils vont plus loin que
fes paroles ; & cet hommage , tout muet
qu'il eft , ne releve pas ſeulement la verta ,
il honore encore infiniment les hommes
vertueux .
Faifons au vice , pour un inftant , la
plus grande grace que nous puiffions lui
faire ; donnons- lui un peu de bonne foi
& de candeur. Qu'il mette au jour fes
fentimens les plus intimes. Amateurs de
la vertu , voici votre éloge , & un éloge
qui n'eft point flaté . Déja j'apperçois au
fond de fon coeur ce fentiment gravé en¹
caracteres inéfaçables : VOUS ESTES PLUS
JUSTE QUE MOY. La haine , le dépit , l'en--
J. Volo vie
DECEMBRE. 1730. 2637
vie , la jaloufie , n'ont pû étouffer ce cri
interieur. Qu'il eft doux à la vertu & à
fes Partifans , de trouver dans le fein du
vice , de quoi le faire rougir , & fans infulter
à fon impuiffante malice , de quoi
le confondre par un fimple regard.
,
Telle eft cependant la fituation du vice
& de fes efclaves , ils ont beau affecter une
contenance affurée un air content &
tranquille ; on les approfondit , & plus
on les penetre, plus on découvre que s'ils
font capables de tromper, ils ne trompent
pas long- temps , leur gêne & leur contrainte
les trahit.
Paroiffes ici , hommes vicieux , & fouf
frez qu'on voye ce qui fe paffe dans le
fond de votre ame. Eft -il vrai que vous
n'eftimés pas la vertu , & que fes Amateurs
font l'objet de vos mépris , comme
ils le font quelquefois
de vos railleries &
de vos infultes Sçavez -vous bien accor
der vos fentimens
avec vos difcours ?
Quelle contradiction
étrange ! Ils fe fati
guent , ils fuent , ils s'expofent , fe facrifient
pour leurs paffions ; fouvent tout les
contredit , & jamais rien ne les rebute ;
chargés de mille chaînes qui les captivent,
ils perdentleur liberté : n'importe ; habiles
à charmer leur aveugle fureur , ils lui
donnent les noms les plus honorables
;
habileté , grandeur d'ame , nobleffe de
I Vol . coeur
2638 MERCURE DE FRANCÉ
coeur ; eft-il rien qui l'égale ! Mais qu'it
eft douloureux pour eux de ne pouvoir
faire taire une voix importune & fecrete
qui leur rappelle les charmes de l'aima-
Ble vertu, de cette précieuſe indépendan→
ce que la feule vertu donne ! On peut
s'agiter , s'étourdir , détourner les yeux
de ce port , d'où l'on s'eft éloigné par
une fole & aveugle conduite ; mais malgré
foy le coeur y rappelle : tels que dans
ces torrens rapides qui ravagent tout ce
qui s'oppofe à leur courſe , on voit fe
former des tourbillons , où les eaux fe
tournant vers leur fource , femblent fe
repentir de leur violence & porter envie
à la noble tranquillité de ces Fleuves bien
faifants & paifibles , qui répandent par
tout & la fertilité & l'abondance.
L'ambitieux , efclave de fa fortune , facrifie
inutilemment à cette Divinité inconſtante
& aveugle , fon repos & fa vie .
Que ne va-t'il chercher dans la modération
de la vertu , un bonheur qu'il cherche
vainement ailleurs ? bonheur qu'il
apperçoit , qu'il eftime , qu'il honore &
qu'il ne peut fe déterminer de gouter en
paix.
Trifte condition de l'homme vicieux !
toujours contraint de fe fuir lui- même,
d'être toujours en guerre avec fa propre
confcience , & de n'en pouvoir fouf-
I. Vol. frir
DECEMBRE. 1730. 2639
frir le regard critique. C'eft l'hommage
le plus honorable que le vice puiffe fendre
à la vertu , qui en tout bien differente
de lui , s'enveloppe de fon propre mérite ,
& fans courir de dangers , ni effuyer de
fatigues , fans traverſer les mers , ni franchir
les montagnes pour acquerir du relief
, pour fixer fur elle les regards des
hommes , fçait captiver leur eftime ; &
par la même force le vice à fe revêtir
du moins de fes apparences pour fe fau
ver de l'opprobre qui lui eft dû.
Hommage public & intereffant pour
elle. Oui , le vice dont le pouvoir eſt ſi
étendu & fi defpotique , emprunte les
dehors & les démarches de la vertu pour
affermir fon empire.
Ici naît le penible embarras où nous
nous trouvons , lorfqu'il s'agit de diftin
guer au vrai la vertu folide du vice tra
vefti. Tout est égal à nos yeux dans l'un
& dans l'autre. La vertu ne fçauroit faire
un gefte que le vice ne prétende fe rendre
propre, & qu'il ne fçache imiter . Pourroit-
il mieux faire connoître qu'il en fent
le mérite , que de n'ofer fe produire que
fous ces dehors empruntez.
Ne diſons rien de ces Monftres d'iniquité
que le vice met au jour , Monſtres
dont il rougit & qu'il defavoûë ; laiffons
part ces horribles, forfaits que le Soà
I. Vol leil
2640 MERCURE DE FRANCE
leil n'éclaire qu'à regret. Il eft un autre
vice , pour ainfi dire , civilifé , qu'on ne
diftingue de la vertu que par l'intention
qui le fait agir & par les projets qui l'occupent
, c'eft ce vice ainfi déguifé qui
tend hommage à la vertu en fe cachant
fous la vettu même.
Voyez-vous cet homme affable , gracieux
, prévenant ; remarquez cet air em
preffé à vous fervir , cette modeftie dans
fes prétentions , ce dégagement de fes
propres interêts. Ne diriez-vous pas que
c'eft la feule vertu qui le guide ? Non , on
ne s'y trompe plus ; on le laiffe faire , H
cherche à s'élever en fe rabaiffant ; bientôt
, fi la fortune le favorife , il fçait fe
dédommager de tous les facrifices que fa
paffion lui coûte , & on le voit confacrer
au vice les récompenfes de la vertu.
Tout le monde le fçait , & le vice ne
l'ignore pas . La feule vertu a droit de
plaire , elle feule mérite d'être avoiiée de
l'homme né pour être vertueux. Ainfi à
quelque prix que ce foit il faut être vertueux
ou le paroître , fi l'on cherche à
regner dans l'efprit & le coeur des hommes.
Et qui eft- ce qui ne le cherche pas ?
Neceffité indifpenfable aux vicieux mêmes
, & de- là cet hommage forcé que le
vice rend à la vertu ; mais en eft- il moins
glorieux pour elle ?
I. Vol:
DECEMBRE . 1730. 2641
Il n'eft donc plus de prétexte qui autorife
l'homme à ne pas fe ranger du parti de
la vertu . Mille raifons concourent à
prouver fon mérite . Son feul ennemi . le
vice eft forcé de lui rendre hommage. Les
difcours , les fentimens , les oeuvres de
cet ennemi dépofent en fa faveur . Pourquoi
faut-il que nous méconnoiffions nos
vrais interêts ? notre veritable bonheur?
notre folide gloire ?
Videbunt recti & lætabuntur & omnis
iniquitas oppilabit os fuum, Pfal . 106. v. 429
Fermer
Résumé : DISCOURS sur ces paroles : Le vice lui-même est forcé de rendre hommage à la vertu.
Le discours met en avant la supériorité de la vertu sur le vice. La vertu est décrite comme intrinsèquement belle et conforme à la raison, ce qui explique pourquoi elle a été aspirée et louée par les hommes de tous les âges. L'amour de l'estime et de la gloire pousse les individus à rechercher la véritable grandeur dans la vertu, bien que leurs motivations puissent parfois être mêlées à l'amour-propre. Le vice, malgré ses tentatives de dénigrer la vertu, ne fait que la magnifier. Les arts, les sciences, les sages, les philosophes, les poètes, les orateurs, les guerriers et les politiques ont tous célébré la vertu. En s'opposant à la vertu, le vice ne fait que renforcer son éclat. Les attaques du vice contre la vertu se retournent contre lui-même, car elles mettent en lumière les qualités de la vertu. Le vice, aveuglé par son propre aveuglement, ne peut cacher la lumière de la vertu. Il est forcé de reconnaître la supériorité de la vertu, même s'il essaie de la déprécier. Les hommes vicieux, malgré leurs efforts pour se déguiser en vertueux, finissent par révéler leur véritable nature. La vertu, par sa simplicité et son innocence, reste inébranlable et mérite d'être adorée. Le texte conclut en affirmant que la vertu est indispensable pour le bonheur et la gloire des hommes. Même le vice, malgré ses efforts pour la dénigrer, est forcé de lui rendre hommage. Il n'y a donc aucune excuse pour ne pas embrasser la vertu, car elle est la seule voie vers le véritable bonheur et la gloire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
236
p. 2641-2645
IMITATION de l'Ode Latine du P. Sanadon, adressée aux Poëtes du College de Louis le Grand, pendant l'Octave de la Canonisatton des SS. Louis DE GONZAGUE & Stanislas KOSTKA.
Début :
Suivez les doux transports d'une celeste ivresse, [...]
Mots clefs :
Canonisation, Louis de Gonzague, Stanislas Kostka, Collège Louis le Grand, Coeur, Compagnie de Jésus
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texteReconnaissance textuelle : IMITATION de l'Ode Latine du P. Sanadon, adressée aux Poëtes du College de Louis le Grand, pendant l'Octave de la Canonisatton des SS. Louis DE GONZAGUE & Stanislas KOSTKA.
IMITATION de l'Ode Latine du
P. Sanadon , adreffée aux Poëtes du
College de Louis le Grand , pendant l'Oc
tave de la Canonifatton des S S. Louis
DE GONZAGUE Staniflas KOSTKA,
Suivez les doux tranfports d'une celeſte ivreffe
Vous dont l'amour du Créateur ,
Mieux que l'arbitre du Permeffe ,
Anime fans effort & l'efprit & le coeur.
Aux pieds du facré Tabernacle ,
Approchez ; un nouveau fpectacle ,
Doit fixer en ce jour vos regards affidus .
Deux Héros au fein de la Gloire
I. Vol. Cou
1642 MERCURE DE FRANCE
Goutent le prix de leur Victoire ,
Et l'Univers charmé célebre leurs vertus.
器
Sur les bords où le Pô répand fes eaux fertiles,
Et que Manto rendit fameux ,
Et dans ces climats plus ftériles ,
Que l'auftere Sarmate a rendu belliqueux ,
Deux Princes au printems de l'âge ,
Mériterent le tendre hommage ,
Qui fait en leur honneur ériger des Autels
La vertu leur fraïant les routes >
Ils fçurent aux céleſtes voutes ,
S'affurer un grand nom parmi les Immortels,
諾
A mes yeux ébloüis une lumiere pure ,
Ouvre les barrieres du Ciel :
Que vois-je foible créature ,
Tu brilles fur un Trône & tu vois l'Eternel
Exemt des malheurs & des vices ,
D'un torrent de faintes délices ,
GONZAGUEà chaque inftant fent inonder fon
coeur :
STANISLAS après une vie
Aux mêmes devoirs affervie ,
D'un vol précipité court au même bonheur.
IGNACE , qui forma leurs coeurs à la fageffe ,
1. Vol.
Dans
DECEMBRE. 1730. 2643
Dans l'étroit fentier des Elus ,
En eux , au gré de fa tendreffe ,
Couronne peu de jours & beaucoup de vertus,
Quelle fplendeur les accompagne ?
La gloire & l'appui de l'Eſpagne ,
XAVIER & BORGIA paroiffent à leur tour.
Au culte de l'efprit immonde,
L'un arracha le nouveau Monde ,
L'autre fçut méprifer les attraits de la Cour,
淡
Le modefte REGIS vers la troupe s'avance
Tel dans fon air & fon maintien ,
Qu'il fe montre aux yeux de la France
Dont il rappelle encor qu'il fut le citoyen.
A leur fuite combien d'Apôtres ,
Se fuccedent les uns aux autres ?
La plus pure vertu régle feule leur rang.
Malgré l'erreur & fes preftiges ,
La foi fur leurs facrés veftiges ,
Eclaira l'Univers inondé de leur fang.
諾
Dans GONZAGUE & KOSTKA tout l'Olympe
révere
Le zele & les talens divers ,
Qu'il a couronnés dans le pere ,
Et par qui les enfans défarment les Enfers.
Formés par les mêmes maximes ,
En ce jour fur des tons fublimes
I. Vol,
Chan
2644 MERCURE DE FRANCE
Chantres ingénieux , multipliés vos airs ,
Et , dociles à vos exemples ,
Que vos éleves dans nos Temples ,
Célebrent un fujet fi propre à leurs Concerts.
Héritiers d'un grand nom confacré dans l'hiftoire
;
On vit GONZAGUE & STANISLAS
Rougir d'un titre , dont la gloire
A le fort pour principe , & pour fin le trépas,
Nés dans le fein de la molleffe ,
Des préjugés de la Nobleffe ,
Leur coeur ne fe fit point un agréable écueil . *
Ils fçavoient que les Grands périſſent ,
Et qu'avec les Héros finiffent
Dans l'horreur du tombeau leur fafte & leur or
gueil.
La Grace qui parut , pour embellir leur ame
Epuifer fes riches tréfors ,
Par les traits d'une vive flamme ,
En dirigea toujours les dociles refforts,
En eux déja les connoiffances ,
Sondoient l'abîme des Sciences ,
Quant à l'efpoir public la mort vint les ravir
Telles à l'afpect de l'Aurore ,
Des rofes fe hâtent d'éclore ,
Que le même Soleil voit naître & fe flétrir,
1.Vol. Mais
DECEMBRE . 1730. 2645
Mais plus que le rapport d'état , d'âge ou d'étude,
Dans leurs penchants & dans leurs moeurs
Même attrait , même exactitude ,
Les rendit l'un & l'autre heureux imitateurs,
L'Ambition au coeur barbare ,
Le Plaifir , enfant du Ténáre ,
Effayerent en vain de captiver leur coeur ,
Leur innocence fous l'écorce ,
Démêla la fatale amorce ,
Qu'aux Mortels , qu'il féduit , offre le Tentateur,
Echappés aux dangers d'un Monde tyrannique ,
Sans crainte , au ſéjour de la paix ,
Dans le fein d'un Dieu magnifique ,
Le plus parfait bonheur les fixe pour jamais,
Tel un Marchand , à qui Porage ,
Dans l'attente d'un promt naufrage ;
A retracé cent fois les horreurs de la mort ,'
Exemt de terreurs & d'allarmes ,
Se livre fans réſerve aux charmes
De contempler fa barque à l'abri dans le porta
F. L. de la Compagnie de Jefus,
P. Sanadon , adreffée aux Poëtes du
College de Louis le Grand , pendant l'Oc
tave de la Canonifatton des S S. Louis
DE GONZAGUE Staniflas KOSTKA,
Suivez les doux tranfports d'une celeſte ivreffe
Vous dont l'amour du Créateur ,
Mieux que l'arbitre du Permeffe ,
Anime fans effort & l'efprit & le coeur.
Aux pieds du facré Tabernacle ,
Approchez ; un nouveau fpectacle ,
Doit fixer en ce jour vos regards affidus .
Deux Héros au fein de la Gloire
I. Vol. Cou
1642 MERCURE DE FRANCE
Goutent le prix de leur Victoire ,
Et l'Univers charmé célebre leurs vertus.
器
Sur les bords où le Pô répand fes eaux fertiles,
Et que Manto rendit fameux ,
Et dans ces climats plus ftériles ,
Que l'auftere Sarmate a rendu belliqueux ,
Deux Princes au printems de l'âge ,
Mériterent le tendre hommage ,
Qui fait en leur honneur ériger des Autels
La vertu leur fraïant les routes >
Ils fçurent aux céleſtes voutes ,
S'affurer un grand nom parmi les Immortels,
諾
A mes yeux ébloüis une lumiere pure ,
Ouvre les barrieres du Ciel :
Que vois-je foible créature ,
Tu brilles fur un Trône & tu vois l'Eternel
Exemt des malheurs & des vices ,
D'un torrent de faintes délices ,
GONZAGUEà chaque inftant fent inonder fon
coeur :
STANISLAS après une vie
Aux mêmes devoirs affervie ,
D'un vol précipité court au même bonheur.
IGNACE , qui forma leurs coeurs à la fageffe ,
1. Vol.
Dans
DECEMBRE. 1730. 2643
Dans l'étroit fentier des Elus ,
En eux , au gré de fa tendreffe ,
Couronne peu de jours & beaucoup de vertus,
Quelle fplendeur les accompagne ?
La gloire & l'appui de l'Eſpagne ,
XAVIER & BORGIA paroiffent à leur tour.
Au culte de l'efprit immonde,
L'un arracha le nouveau Monde ,
L'autre fçut méprifer les attraits de la Cour,
淡
Le modefte REGIS vers la troupe s'avance
Tel dans fon air & fon maintien ,
Qu'il fe montre aux yeux de la France
Dont il rappelle encor qu'il fut le citoyen.
A leur fuite combien d'Apôtres ,
Se fuccedent les uns aux autres ?
La plus pure vertu régle feule leur rang.
Malgré l'erreur & fes preftiges ,
La foi fur leurs facrés veftiges ,
Eclaira l'Univers inondé de leur fang.
諾
Dans GONZAGUE & KOSTKA tout l'Olympe
révere
Le zele & les talens divers ,
Qu'il a couronnés dans le pere ,
Et par qui les enfans défarment les Enfers.
Formés par les mêmes maximes ,
En ce jour fur des tons fublimes
I. Vol,
Chan
2644 MERCURE DE FRANCE
Chantres ingénieux , multipliés vos airs ,
Et , dociles à vos exemples ,
Que vos éleves dans nos Temples ,
Célebrent un fujet fi propre à leurs Concerts.
Héritiers d'un grand nom confacré dans l'hiftoire
;
On vit GONZAGUE & STANISLAS
Rougir d'un titre , dont la gloire
A le fort pour principe , & pour fin le trépas,
Nés dans le fein de la molleffe ,
Des préjugés de la Nobleffe ,
Leur coeur ne fe fit point un agréable écueil . *
Ils fçavoient que les Grands périſſent ,
Et qu'avec les Héros finiffent
Dans l'horreur du tombeau leur fafte & leur or
gueil.
La Grace qui parut , pour embellir leur ame
Epuifer fes riches tréfors ,
Par les traits d'une vive flamme ,
En dirigea toujours les dociles refforts,
En eux déja les connoiffances ,
Sondoient l'abîme des Sciences ,
Quant à l'efpoir public la mort vint les ravir
Telles à l'afpect de l'Aurore ,
Des rofes fe hâtent d'éclore ,
Que le même Soleil voit naître & fe flétrir,
1.Vol. Mais
DECEMBRE . 1730. 2645
Mais plus que le rapport d'état , d'âge ou d'étude,
Dans leurs penchants & dans leurs moeurs
Même attrait , même exactitude ,
Les rendit l'un & l'autre heureux imitateurs,
L'Ambition au coeur barbare ,
Le Plaifir , enfant du Ténáre ,
Effayerent en vain de captiver leur coeur ,
Leur innocence fous l'écorce ,
Démêla la fatale amorce ,
Qu'aux Mortels , qu'il féduit , offre le Tentateur,
Echappés aux dangers d'un Monde tyrannique ,
Sans crainte , au ſéjour de la paix ,
Dans le fein d'un Dieu magnifique ,
Le plus parfait bonheur les fixe pour jamais,
Tel un Marchand , à qui Porage ,
Dans l'attente d'un promt naufrage ;
A retracé cent fois les horreurs de la mort ,'
Exemt de terreurs & d'allarmes ,
Se livre fans réſerve aux charmes
De contempler fa barque à l'abri dans le porta
F. L. de la Compagnie de Jefus,
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Résumé : IMITATION de l'Ode Latine du P. Sanadon, adressée aux Poëtes du College de Louis le Grand, pendant l'Octave de la Canonisatton des SS. Louis DE GONZAGUE & Stanislas KOSTKA.
Le texte est une imitation d'une ode latine adressée aux poètes du Collège de Louis le Grand lors de la canonisation des saints Louis de Gonzague et Stanislas Kostka. L'ode les invite à célébrer les vertus de ces deux héros en se rapprochant du tabernacle sacré. Elle décrit les lieux de naissance et les vertus des saints, soulignant leur ascension vers les cieux et leur renommée immortelle. Ignace de Loyola est mentionné comme celui qui a formé leurs cœurs à la sagesse, ainsi que d'autres saints comme François Xavier et Alphonse de Liguori, qui ont contribué à la gloire de l'Espagne. L'ode évoque également le saint Jean-Baptiste de Régis et une succession d'apôtres dont la pure vertu éclaire l'univers. Elle met en lumière le zèle et les talents divers des saints, couronnés par l'Olympe, et leur formation par les mêmes maximes. Les saints Gonzague et Kostka sont décrits comme ayant rejeté les préjugés de la noblesse et ayant conscience de la mortalité des grands. Leur grâce les a dirigés vers des connaissances profondes, mais la mort les a ravis prématurément. Leur innocence et leur exactitude les ont rendus heureux imitateurs des vertus chrétiennes. Enfin, l'ode compare leur parcours à celui d'un marchand échappant aux dangers de la mer pour trouver un bonheur parfait dans le sein de Dieu. Le texte se conclut par une référence à la Compagnie de Jésus.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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237
p. 2646-2649
REFLEXIONS.
Début :
Il y a souvent plus de gloire à conserver les choses acquises qu'à les acquerir. [...]
Mots clefs :
Gloire
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS.
Ly a ſouvent plus de gloire à con-
Iferver
ferver les chofes acquifes qu'à les acquerir.
La gloria mondana finifee col mondo , e
per nonoi il mondo finiſce col la vita.
La gloire après laquelle on court avec
tant d'empreffement , eft pourtant d'un
foible fecours contre l'indigence.
Le Magnanime eft celui qui fe croit
digne des grandes chofes , & qui ne fe
trompe pas dans le jugement qu'il fair
de foi-même.
Pour conferver le fouvenir des belles
actions , il en faut continuellement rafraîchir
la memoire de nouvelles
,
par
Ön
peut prefque affurer que perfonne
ne parle de nous en notre prefence comme
il en parle en notre abfence , & que
très- peu d'amitiés fubfifteroient , même
des plus anciennes & des plus folidement
établies , fi chacun fçavoit au vrai ce que
J. Vol.
fon
DECEMBRE. 1730. 2647
fon ami dit quelquefois de lui , lorfqu'if
n'eft pas prefent.
Un efprit né cauftique & à qui les paroles
& les écrits coutent peu , reprend
tout ce qui lui donne occafion d'exercer
fon talent favori , Souvent il cenfure , il
blâme des chofes , moins parce qu'elles
lui paroiffent défectueules , que parce
qu'elles lui fourniffent un bon mot.
On ne doit pas être furpris fi nous
nous connoiffons fi peu nous - mêmes .
Quand on eft trop loin d'un objet, on ne
le voit que confufément & rarement tout
entier ; quand on en eft trop près , on ne
voit que lui , il offufque la vue , & on ne
le peut comparer avec les autres .
Les coeurs étroits , les génies bornez ,
mefurent d'ordinaire les chofes qui font
au delà de leur portée fur la mefure de leurs
foibles pénétrations , & fe mocquent des
entrepriſes d'éclat où leur prévoyance &
leurs lumieres ne fçauroient atteindre.
Il eft toûjours bien plus aifé de prévenir
les fautes que de les réparer.
A ne prévoir rien , on eft furpris &
fouvent embarraffé. A prévenir tout ,
1. Vol,
E ij sing
2648 MERCURE DE FRANCE
s'inquieter toûjours fur l'avenir ,
miferable.
C'eft le propre de la pénétration trop
rafinée , de creufer elle- même des précipices
, où ceux qui la prennent pour gui
de , s'égarent prefque toûjours.
Les hommes en general font des aveugles
; leurs deffeins les mieux concertez
en apparence , manquent , pour l'ordi
naire , par les endroits les moins prévus ,
& fouvent même par les moyens qu'on
avoit choifis pour les faire réüffir.
Il eft bien difficile de paroître prudent
lorfqu'on eft malheureux ; car comme on
ne s'attache qu'à l'apparence des chofes ,
l'évenement feul regle d'ordinaire les ju
gemens , & jamais un deffein ne paroît
bien formé ni bien fuivi , lorſque l'iffuë
n'en eft pas heureuſe .
La prévoyance , toute eftimable qu'elle
nous paroît , n'en eft pas moins fille
de la crainte. C'eft une vertu , mais qui
fuppofe la mifere de celui qui la poffede ,
& qui lui fait fentir fans ceffe fon indigence
prochaine,
Il vaut mieux s'expofer à être trompé
I, Vol. quelDECEMBRE.
1730. 2649
quelquefois , que d'avoir mauvaife optnion
de tout le monde. Une défiance
generale feroit même tomber dans plus
de fautes qu'un peu de crédulité.
On doit fe défier de fes doutes autant
que de fa crédulité ; car ceux qui croyent
trop difficilement , s'éloignent auffi fouvent
de la verité , que ceux qui fe livrent
à tout ce qu'on leur raconte.
Moftrare di credere sempre , e dubitar
Sempre , e il migliore ammaeftramente che fo
poffono infegnare per viver ficuro.
Dieu nous garde de ceux aufquels nous
hous fions , nous nous garderons bien
de ceux dont nous nous défions .
Les gens de bien ſont ſouvent la dupa
pe des méchans , pour n'avoir pas affez
mauvaiſe opinion d'eux.
Bien des gens apprennent aux autres
tromper , par la crainte & la défiance
qu'ils témoignent d'être trompez.
Ly a ſouvent plus de gloire à con-
Iferver
ferver les chofes acquifes qu'à les acquerir.
La gloria mondana finifee col mondo , e
per nonoi il mondo finiſce col la vita.
La gloire après laquelle on court avec
tant d'empreffement , eft pourtant d'un
foible fecours contre l'indigence.
Le Magnanime eft celui qui fe croit
digne des grandes chofes , & qui ne fe
trompe pas dans le jugement qu'il fair
de foi-même.
Pour conferver le fouvenir des belles
actions , il en faut continuellement rafraîchir
la memoire de nouvelles
,
par
Ön
peut prefque affurer que perfonne
ne parle de nous en notre prefence comme
il en parle en notre abfence , & que
très- peu d'amitiés fubfifteroient , même
des plus anciennes & des plus folidement
établies , fi chacun fçavoit au vrai ce que
J. Vol.
fon
DECEMBRE. 1730. 2647
fon ami dit quelquefois de lui , lorfqu'if
n'eft pas prefent.
Un efprit né cauftique & à qui les paroles
& les écrits coutent peu , reprend
tout ce qui lui donne occafion d'exercer
fon talent favori , Souvent il cenfure , il
blâme des chofes , moins parce qu'elles
lui paroiffent défectueules , que parce
qu'elles lui fourniffent un bon mot.
On ne doit pas être furpris fi nous
nous connoiffons fi peu nous - mêmes .
Quand on eft trop loin d'un objet, on ne
le voit que confufément & rarement tout
entier ; quand on en eft trop près , on ne
voit que lui , il offufque la vue , & on ne
le peut comparer avec les autres .
Les coeurs étroits , les génies bornez ,
mefurent d'ordinaire les chofes qui font
au delà de leur portée fur la mefure de leurs
foibles pénétrations , & fe mocquent des
entrepriſes d'éclat où leur prévoyance &
leurs lumieres ne fçauroient atteindre.
Il eft toûjours bien plus aifé de prévenir
les fautes que de les réparer.
A ne prévoir rien , on eft furpris &
fouvent embarraffé. A prévenir tout ,
1. Vol,
E ij sing
2648 MERCURE DE FRANCE
s'inquieter toûjours fur l'avenir ,
miferable.
C'eft le propre de la pénétration trop
rafinée , de creufer elle- même des précipices
, où ceux qui la prennent pour gui
de , s'égarent prefque toûjours.
Les hommes en general font des aveugles
; leurs deffeins les mieux concertez
en apparence , manquent , pour l'ordi
naire , par les endroits les moins prévus ,
& fouvent même par les moyens qu'on
avoit choifis pour les faire réüffir.
Il eft bien difficile de paroître prudent
lorfqu'on eft malheureux ; car comme on
ne s'attache qu'à l'apparence des chofes ,
l'évenement feul regle d'ordinaire les ju
gemens , & jamais un deffein ne paroît
bien formé ni bien fuivi , lorſque l'iffuë
n'en eft pas heureuſe .
La prévoyance , toute eftimable qu'elle
nous paroît , n'en eft pas moins fille
de la crainte. C'eft une vertu , mais qui
fuppofe la mifere de celui qui la poffede ,
& qui lui fait fentir fans ceffe fon indigence
prochaine,
Il vaut mieux s'expofer à être trompé
I, Vol. quelDECEMBRE.
1730. 2649
quelquefois , que d'avoir mauvaife optnion
de tout le monde. Une défiance
generale feroit même tomber dans plus
de fautes qu'un peu de crédulité.
On doit fe défier de fes doutes autant
que de fa crédulité ; car ceux qui croyent
trop difficilement , s'éloignent auffi fouvent
de la verité , que ceux qui fe livrent
à tout ce qu'on leur raconte.
Moftrare di credere sempre , e dubitar
Sempre , e il migliore ammaeftramente che fo
poffono infegnare per viver ficuro.
Dieu nous garde de ceux aufquels nous
hous fions , nous nous garderons bien
de ceux dont nous nous défions .
Les gens de bien ſont ſouvent la dupa
pe des méchans , pour n'avoir pas affez
mauvaiſe opinion d'eux.
Bien des gens apprennent aux autres
tromper , par la crainte & la défiance
qu'ils témoignent d'être trompez.
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Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore plusieurs aspects de la nature humaine, de la gloire et de la prudence. La gloire terrestre est décrite comme éphémère et inefficace contre la pauvreté. La magnanimité est définie comme la capacité de se juger digne de grandes actions sans erreur. Pour préserver la mémoire des belles actions, il est crucial de la rafraîchir régulièrement. Les conversations sur une personne en son absence peuvent nuire aux amitiés. Les esprits critiques cherchent souvent des occasions de censurer ou de blâmer. La connaissance de soi est complexe, car la perception peut être altérée par la distance ou la proximité. Les individus limités méprisent les entreprises qu'ils ne comprennent pas. Prévenir les fautes est plus facile que les réparer, mais une prévoyance excessive peut être nuisible. Les hommes sont souvent aveugles à leurs propres défauts, et la prévoyance est souvent motivée par la crainte. Il est préférable de risquer d'être trompé que de nourrir une défiance générale. La crédulité et la défiance excessive éloignent tous deux de la vérité. Les gens de bien peuvent être dupés par les méchants en raison de leur confiance. Enfin, la méfiance peut encourager les autres à tromper.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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238
p. 2650
EXPLICATION de l'Enigme & du Logogryphe du mois de Novembre.
Début :
Sous des détours énigmatiques, [...]
Mots clefs :
Ombre
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texteReconnaissance textuelle : EXPLICATION de l'Enigme & du Logogryphe du mois de Novembre.
EXPLICATION de l'Enigme & du
Logogryphe du mois de Novembre.
Ous des détours énigmatiques ,
Mercure , en vain tu crois cacher la verité
Mon efprit n'eft point démonté
Par aucun de tes fens obliques.
Sans te parler avec orgueil ,
Enigme , Logogryphe , il voit tout d'un coup
d'oeil ,
Et leur voile feroit trois fois encor plus fombre ,
Qu'à fon flambeau foudain difparoîtroit leur
ombre.
Logogryphe du mois de Novembre.
Ous des détours énigmatiques ,
Mercure , en vain tu crois cacher la verité
Mon efprit n'eft point démonté
Par aucun de tes fens obliques.
Sans te parler avec orgueil ,
Enigme , Logogryphe , il voit tout d'un coup
d'oeil ,
Et leur voile feroit trois fois encor plus fombre ,
Qu'à fon flambeau foudain difparoîtroit leur
ombre.
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239
p. 2650
« On a dû expliquer le second Logogryphe par Courage. [...] »
Début :
On a dû expliquer le second Logogryphe par Courage. [...]
Mots clefs :
Courage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « On a dû expliquer le second Logogryphe par Courage. [...] »
On a dû expliquer le fecond Logo
gryphe par Courage.
gryphe par Courage.
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240
p. 2650-2651
ENIGME.
Début :
Nous sommes bien des soeurs, mais loin d'être bornées [...]
Mots clefs :
Dents
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ENIGME.
ENIGM E.
Ous fommes bien des foeurs , mais loin d'ètre
bornées Nou
A ne fervir
que
d'ornement ,
Au plus preffant befoin nous fommes deftinées ;
Nous excellons fur tout par notre arrangement.
faire ,
De nos foins l'homme n'a que
Quand de fes ans il commence le cours ;
Mais il obtient notre fecours ,
Dès qu'il lui devient neceffaire,
I. Vol. Si
DECEMBRE. 1730. 2651
Si lorfque l'on nous perd nous pouvions revenir ,
O combien de Neftors paroîtroient rajeunir !
Des termes vainement on trouve l'élegance ;
Sans nous il n'eft point d'Orateurs ;
Voyez quelle eft notre puiſſance ,
Nous aidons à former ces fons vifs & flateurs ;
Dont pour perfuader ou pour toucher les coeurs,
Se fert la plus belle éloquence.
Voilà ce qu'on gagne avec nous..
Pour nous mettre au travail il eft certaines heures
Qui font communes prefqu'à tous :
Nous reffemblons aux fotifes des foux;
Les plus courtes font les meilleures.
Pour avoir differens emplois ,
Par la Nature & l'Art également formées ,
Notre nom paffe quelquefois ,
A des chofes inanimées,
Ous fommes bien des foeurs , mais loin d'ètre
bornées Nou
A ne fervir
que
d'ornement ,
Au plus preffant befoin nous fommes deftinées ;
Nous excellons fur tout par notre arrangement.
faire ,
De nos foins l'homme n'a que
Quand de fes ans il commence le cours ;
Mais il obtient notre fecours ,
Dès qu'il lui devient neceffaire,
I. Vol. Si
DECEMBRE. 1730. 2651
Si lorfque l'on nous perd nous pouvions revenir ,
O combien de Neftors paroîtroient rajeunir !
Des termes vainement on trouve l'élegance ;
Sans nous il n'eft point d'Orateurs ;
Voyez quelle eft notre puiſſance ,
Nous aidons à former ces fons vifs & flateurs ;
Dont pour perfuader ou pour toucher les coeurs,
Se fert la plus belle éloquence.
Voilà ce qu'on gagne avec nous..
Pour nous mettre au travail il eft certaines heures
Qui font communes prefqu'à tous :
Nous reffemblons aux fotifes des foux;
Les plus courtes font les meilleures.
Pour avoir differens emplois ,
Par la Nature & l'Art également formées ,
Notre nom paffe quelquefois ,
A des chofes inanimées,
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241
p. 2651
LOGOGRYPHE.
Début :
Ma premiere moitié ressemble à la derniere, [...]
Mots clefs :
Coucou
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LOGOGRYPHE.
LOGOGRYPHE.
MA premiere moitié reffemblé à la derniere
je
Choſe rare , j'ai double cou ,
ne fuis élevé par pere, ni par mere ;
Et paffe pour un franc filou.
J'habite les bois , les bruieres ,
On fçait qu'en dérobant je fais fouvent un don ,
Et quoique j'aye maints confreres ,
Perfonne cependant ne veut porter mon nom.
MA premiere moitié reffemblé à la derniere
je
Choſe rare , j'ai double cou ,
ne fuis élevé par pere, ni par mere ;
Et paffe pour un franc filou.
J'habite les bois , les bruieres ,
On fçait qu'en dérobant je fais fouvent un don ,
Et quoique j'aye maints confreres ,
Perfonne cependant ne veut porter mon nom.
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243
p. *2652-2652
AUTRE.
Début :
Dans l'Empire Romain je suis très remarquable, [...]
Mots clefs :
Aigle
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AUTRE.
AUTRE.
Ans l'Empire Romain je fuis très remar
quable ,
Mais l'on peut lire dans la Fable ,
Que je fuis placé près d'un Dieu ;
Le feu de mes yeux étincelle.
Orez ma lettre du milieu ,
Vous ne me verrez plus qu'une aile.
D'Orvilliers , de Vernon.
Ans l'Empire Romain je fuis très remar
quable ,
Mais l'on peut lire dans la Fable ,
Que je fuis placé près d'un Dieu ;
Le feu de mes yeux étincelle.
Orez ma lettre du milieu ,
Vous ne me verrez plus qu'une aile.
D'Orvilliers , de Vernon.
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244
p. [2761]-2770
LE ROMAN COMIQUE, CHAPITRE PREMIER. POEME.
Début :
Monsieur Phoebus, allant bon train, [...]
Mots clefs :
Roman comique, Char, Charette, Homme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE ROMAN COMIQUE, CHAPITRE PREMIER. POEME.
LE ROMAN COMIQUE ,
CHAPITRE PREMIER,
POEM E.
Une Troupe de Comediens arrive dans la
Ville du Mans.
Onfieur Phoebus , allant bon train ,
M Etoit plus d'à moitié chemin ;
ZOON Et fon Char penchant vers le Monde ,
Roulloit en s'approchant de l'Onde ;
Il ne tenoit qu'à fes Chevaux ,
ई
II. Vol. A ij D'entrer
2762 MERCURE DE FRANCE
D'entrer promptement dans les caux ?
Mais ils fecouoient leurs gourmettes
Et ne faifoient que des courbettes
En refpirant un air Marin ,
Qui ne fent pas le Romarin ;
?
Ce fameux Char , ou bien ce Coche ,
Avec l'attelage étoit proche
De la Mer , dans laquelle on dit ,
Que Maître Phoebus a fon lit
> Où toutes les nuits il repoſe
Peut-être y fait- il autre chofe.
Pour parler plus humainement
Et plus intelligiblement ,
Car tout ceci n'eft que pour rire
Il faut prefentement vous dire
En termes un peu plus concis ,
Qu'il étoit entre cinq & fix ,
Qu'on débitoit quelque Gazette
Lorfqu'à grand bruit une Charette,
Entra dans les Halles du Mans ;
ر ف
Que je fois pendu fi je ments ;
Jamais l'on ne vit telle entrée ;
Cette Charette étoit tirée ,
?
Par quatre Boeufs , dont la maigreur ,
Aux plus effrontez faifoit peur ,
Ces quatre Boeufs étoient derriere ,
Une Cavale pouliniere ,
Dont le Poulain alloit , venoit ,
II. Vol. Comme
DECEMRBE . 1736. 2763
Comme un petit fou qu'il étoit :
Des Paquets , des Coffres , des Malles ,
Toilles Peintes & Linges fales
Le tout entaffé par hazard ,
Rempliffoit ce fuperbe Char ;
Et formoit une Piramide ,
Ambulante & fort peu folide;
Puifque fouvent elle panchoit ;
Sur cette hauteur paroifſoit
Une espece de Damoiselle ,
Qui n'étoit ni laide ni belle ,
Mais d'un heureux temperament
Habillée affez plaiſamment ,
Moitié Campagne , moitié Ville ,
Avec tout l'air d'une Sybile ,
Mangeant un morceau de pain bis.
Un jeune homme , pauvre d'habits ,
Mais cependant riche de mine ,
Sur l'épaule une Carabine ,
Marchoit auprès du Chariot ,
Ce n'étoit pas un idiot ,
On n'en reçoit point au Théatre ;
Il avoit une grande emplatre ,
Sur l'oeil gauche , ou bien fur l'oeil droit.
Je ne fçai fur lequel c'étoit ,
Elle cachoit prefque ſa joüe ,
Et lui faifoit faire la moüe ,
Comme la feroit un profcrit ,
-11. Vol. A iij Ii
2764 MERCURE DE FRANCÉ
Il avoit pourtant de l'efprit ,
Sur tout il tiroit à merveilles ;
Plufieurs Geais , nombre de Corneilles ,
Dont il avoit été vainqueur ,
Faifoient voir qu'il étoit chaffeur ;
Il les portoit en Bandouliere ,
Qui pendoit fort bas par derriere ,
Avec une Poulle , un Oifon ,
Pris au bord de quelque maiſon ;
Il aimoit la petite guerre ,
Autant que Chaffeur de la Terre.
Sur fa tête , au lieu de Chapeau ,
Il portoit un Bonnet de peau ,
Epouventail à chenevieres ,
Entortillé de jarretieres ,
De cent differentes couleurs ,
Et de cent diverſes largeurs
Cependant cette bigarure ,
Sur cette plaifante Coëffure ,
Avec un gros noeud de ruban ,
Formoit un affez beau Turban
Auquel une habile Ouvriere ,
N'avoit pas
Y
mis la main derniere.
De Cravate il n'en portoit point ;
Il avoit au lieu de pourpoint ,
Par deffus une Chemiſette ,
Une Cafaque de griſette ,
Ceinte avec un morceau de cuir ,
II. Vol.
Qui
DECEMBRE. 1730. 2765
Qui lui fervoit à foutenir ,
Une grande & terrible brette ;
Qui certainement fans fourchette
Ne pouvoit fervir aisément ,
Si Meffire Scaron ne ment.
On voyoit fur lui mainte tache ,
Et fes chauffes à bas d'attache ,
Reffembloient parfaitement bien ,
A celles d'un Comédien ,
Qui dans une Piece tragique ,
Repréſente un Héros antique ;
Il avoit au lieu d'Eſcarpins ,
Une paire de Brodequins ,
Qui lui fervoient comme de Bottes ,
Car ils étoient couverts de crottes,
Jufqu'à la cheville du pié ,
Ou peut-être juſqu'à moitié ,
Du moins cela paroît probable ;
Un Vieillard affez venerable ,
Vétu plus régulierement ,
Quoique pourtant fort pauvrement
Marchoit à côté du jeune homme ,
Mais il n'eft pas temps que je nomme ,
Ici ces deux fameux Héros ,
Ce Vieillard portoit fur fon dos ,
Sa groffe Baffe de Violé ,
Attachée à quelque bricole ;
Comme il marchoit en dandinant ;
II. Vol.
Et
A iiij
2766 MERCURE DE FRANCE
Et qu'il fe courboit en marchant
Avec fa tête chauve & nuë ,
"' On l'eût pris pour une Tortuë ,
Qui fe promenoit fur deux pieds ,
Trop foibles & mal déliez ;
Peut-être ici quelque Critique ,
S'empreffe à me faire la nique ,
En blâmant ma Deſcription ,
Par le peu de proportion ,
D'un homme avec une Tortuë,
Mais hardiment je le faluë ,
Et prétends bien le confoler ,
En difant que j'entens parler ,
De ces groffes qu'on voit dans l'Inde ,
Morbleu fi je prens une Olinde ,
Mais , paix , je veux parler ainfi ,
bien qu'il s'en aille d'ici ,
Car je n'aime point la chicane.
Revenons à la Caravane ,
Elle paffa , dit notre Auteur ,
Avecque beaucoup de rumeur ,
Devant le Tripót de la Biche ,
Dont le Maître n'étoit pas riche ,
Parce qu'il aimoit le piot ;
A la porte de ce Tripot ,
Фи
Etoit une Troupe civile
Des plus gros Bourgeois de la Ville
Faineants en gros , en détail ;
II. Vol.
La
DECEMBRE. 1730. 2767.
1730.2767
* La nouvéauté de l'attirail ,
Et le grand bruit de la canaille ,
Que l'on peut appeller marmaille ,
Affemblée à l'entour du Char ,
Attirerent un prompt regard ,
De ces illuftres Bourguemeftres ,
Sur l'équipage & les pedeſtres ,
Ou Pietons , n'importe , auffi- tôt ,
Un fier Lieutenant de Prévôt ,
Nommé Monfieur la Rapiniere ;
Portant une longue rapiere ,.
Fut celui qui les aborda ,
Et cependant leur demanda ,
Avec l'autorité d'un Juge.,.
S'ils ne cherchoient point un réfuge
Enfin , quelles gens ils étoient ,
Et dans quel endroit ils alloient.
Auffi réfolu que Bartole ,
Le jeune homme prit la parole ,
Faifant
quatre pas en avant ,
Sans mettre les mains au Turban.,
Car la gauche étoit occupée ,
A retenir la longue épée ,
Qui batoit fur fes flageolets &
II.Vola Av Puil
2768 MERCURE DE FRANCE
Puifqu'il n'avoit point de molets ,
De l'autre aifément l'on devine ,
Qu'il tenoit une Carabine ,
Parce que je l'ai déja dit ,
Et cependant il répondit ,
Qu'ils étoient François de naiffance ,
Comédiens par excellence ,
Que fon nom étoit le Deſtin
Que celui du vieux Roquentin ,
Etoit Monfieur de la Rancune ,
Qui cherchoit à faire fortune,
Un peu tard , à la verité ;
Mais qu'il étoit de qualité ;
Que cette jeune Damoiselle ,
Du moins auffi fage que belle ,
Juchée ainsi qu'un Perroquet ,
En Charette fur un Paquet ,
Et plus brillante que lanterne ,
Portoit le nom de la Caverne ,
Ce nom bifare & peu commun
Fit d'abord éclater quelqu'un ,
Comme fi c'étoit baliverne ;
Hé! quoi le nom de la Caverne,
Adjoute le Comédien
II. Vol.
DoitDECEMBRE.
1730. 2769
Doit-il vous paroître plus chien ,
Que ceux de Meffieurs la Montagne ,
La Rofe , Lépine ou Champagne ,
De la Valée ou Pavillon ;
Enfin la converſation ,
Ne finit point fans incartade ,
On vit donner quelque gourmadé ,
Capable de caffer les dents ,
L'on entendit des juremens ,
A la tête de l'Equipage ,
Et l'on fut ému du ravage ;
C'étoit le Valet du Tripot ,
Qui ne paffoit pas pour un fot,
Il caroiffoit à coups de barre ,
Le bon Chartier , fans dire garre,
Parce que fes Boeufs , fa Jument ,
Ufoient un peu trop librement ,
D'un tas de foin devant la porte ;
Mais cependant l'on fit enforte ,
D'appaifer la noife , en un mot ,
La Maîtreffe dé ce Tripót ,
Qui Chériffoit la Comédie ,
Et goutoit une Tragédie ,
Bien plus que Vêpres ni Sermon
Appela fon Valet Démon ,
Et par une belle maniere
Rare chez une Tripotiere ,
Elle confentit de bon coeur ,
II. Vol. Qu'un A vj
2770 MERCURE DE FRANCE
>
Qu'un pauvre Chartier de malheur ,
Laiffât fes bêtes vivre à l'aiſe ;
Mais cependant , ne vous déplaiſe ,
L'Auteur prit un de
peu repos ,
Et rumina fort à propos ,
Ce qu'il vous diroit dans la ſuite .
Car pour à prefent il vous quitte.
Par M. le Tellier d'Orvilliers , Lieutenant
General d'Epée , à Vernon .
La fuite pour le Mercure Prochain.
CHAPITRE PREMIER,
POEM E.
Une Troupe de Comediens arrive dans la
Ville du Mans.
Onfieur Phoebus , allant bon train ,
M Etoit plus d'à moitié chemin ;
ZOON Et fon Char penchant vers le Monde ,
Roulloit en s'approchant de l'Onde ;
Il ne tenoit qu'à fes Chevaux ,
ई
II. Vol. A ij D'entrer
2762 MERCURE DE FRANCE
D'entrer promptement dans les caux ?
Mais ils fecouoient leurs gourmettes
Et ne faifoient que des courbettes
En refpirant un air Marin ,
Qui ne fent pas le Romarin ;
?
Ce fameux Char , ou bien ce Coche ,
Avec l'attelage étoit proche
De la Mer , dans laquelle on dit ,
Que Maître Phoebus a fon lit
> Où toutes les nuits il repoſe
Peut-être y fait- il autre chofe.
Pour parler plus humainement
Et plus intelligiblement ,
Car tout ceci n'eft que pour rire
Il faut prefentement vous dire
En termes un peu plus concis ,
Qu'il étoit entre cinq & fix ,
Qu'on débitoit quelque Gazette
Lorfqu'à grand bruit une Charette,
Entra dans les Halles du Mans ;
ر ف
Que je fois pendu fi je ments ;
Jamais l'on ne vit telle entrée ;
Cette Charette étoit tirée ,
?
Par quatre Boeufs , dont la maigreur ,
Aux plus effrontez faifoit peur ,
Ces quatre Boeufs étoient derriere ,
Une Cavale pouliniere ,
Dont le Poulain alloit , venoit ,
II. Vol. Comme
DECEMRBE . 1736. 2763
Comme un petit fou qu'il étoit :
Des Paquets , des Coffres , des Malles ,
Toilles Peintes & Linges fales
Le tout entaffé par hazard ,
Rempliffoit ce fuperbe Char ;
Et formoit une Piramide ,
Ambulante & fort peu folide;
Puifque fouvent elle panchoit ;
Sur cette hauteur paroifſoit
Une espece de Damoiselle ,
Qui n'étoit ni laide ni belle ,
Mais d'un heureux temperament
Habillée affez plaiſamment ,
Moitié Campagne , moitié Ville ,
Avec tout l'air d'une Sybile ,
Mangeant un morceau de pain bis.
Un jeune homme , pauvre d'habits ,
Mais cependant riche de mine ,
Sur l'épaule une Carabine ,
Marchoit auprès du Chariot ,
Ce n'étoit pas un idiot ,
On n'en reçoit point au Théatre ;
Il avoit une grande emplatre ,
Sur l'oeil gauche , ou bien fur l'oeil droit.
Je ne fçai fur lequel c'étoit ,
Elle cachoit prefque ſa joüe ,
Et lui faifoit faire la moüe ,
Comme la feroit un profcrit ,
-11. Vol. A iij Ii
2764 MERCURE DE FRANCÉ
Il avoit pourtant de l'efprit ,
Sur tout il tiroit à merveilles ;
Plufieurs Geais , nombre de Corneilles ,
Dont il avoit été vainqueur ,
Faifoient voir qu'il étoit chaffeur ;
Il les portoit en Bandouliere ,
Qui pendoit fort bas par derriere ,
Avec une Poulle , un Oifon ,
Pris au bord de quelque maiſon ;
Il aimoit la petite guerre ,
Autant que Chaffeur de la Terre.
Sur fa tête , au lieu de Chapeau ,
Il portoit un Bonnet de peau ,
Epouventail à chenevieres ,
Entortillé de jarretieres ,
De cent differentes couleurs ,
Et de cent diverſes largeurs
Cependant cette bigarure ,
Sur cette plaifante Coëffure ,
Avec un gros noeud de ruban ,
Formoit un affez beau Turban
Auquel une habile Ouvriere ,
N'avoit pas
Y
mis la main derniere.
De Cravate il n'en portoit point ;
Il avoit au lieu de pourpoint ,
Par deffus une Chemiſette ,
Une Cafaque de griſette ,
Ceinte avec un morceau de cuir ,
II. Vol.
Qui
DECEMBRE. 1730. 2765
Qui lui fervoit à foutenir ,
Une grande & terrible brette ;
Qui certainement fans fourchette
Ne pouvoit fervir aisément ,
Si Meffire Scaron ne ment.
On voyoit fur lui mainte tache ,
Et fes chauffes à bas d'attache ,
Reffembloient parfaitement bien ,
A celles d'un Comédien ,
Qui dans une Piece tragique ,
Repréſente un Héros antique ;
Il avoit au lieu d'Eſcarpins ,
Une paire de Brodequins ,
Qui lui fervoient comme de Bottes ,
Car ils étoient couverts de crottes,
Jufqu'à la cheville du pié ,
Ou peut-être juſqu'à moitié ,
Du moins cela paroît probable ;
Un Vieillard affez venerable ,
Vétu plus régulierement ,
Quoique pourtant fort pauvrement
Marchoit à côté du jeune homme ,
Mais il n'eft pas temps que je nomme ,
Ici ces deux fameux Héros ,
Ce Vieillard portoit fur fon dos ,
Sa groffe Baffe de Violé ,
Attachée à quelque bricole ;
Comme il marchoit en dandinant ;
II. Vol.
Et
A iiij
2766 MERCURE DE FRANCE
Et qu'il fe courboit en marchant
Avec fa tête chauve & nuë ,
"' On l'eût pris pour une Tortuë ,
Qui fe promenoit fur deux pieds ,
Trop foibles & mal déliez ;
Peut-être ici quelque Critique ,
S'empreffe à me faire la nique ,
En blâmant ma Deſcription ,
Par le peu de proportion ,
D'un homme avec une Tortuë,
Mais hardiment je le faluë ,
Et prétends bien le confoler ,
En difant que j'entens parler ,
De ces groffes qu'on voit dans l'Inde ,
Morbleu fi je prens une Olinde ,
Mais , paix , je veux parler ainfi ,
bien qu'il s'en aille d'ici ,
Car je n'aime point la chicane.
Revenons à la Caravane ,
Elle paffa , dit notre Auteur ,
Avecque beaucoup de rumeur ,
Devant le Tripót de la Biche ,
Dont le Maître n'étoit pas riche ,
Parce qu'il aimoit le piot ;
A la porte de ce Tripot ,
Фи
Etoit une Troupe civile
Des plus gros Bourgeois de la Ville
Faineants en gros , en détail ;
II. Vol.
La
DECEMBRE. 1730. 2767.
1730.2767
* La nouvéauté de l'attirail ,
Et le grand bruit de la canaille ,
Que l'on peut appeller marmaille ,
Affemblée à l'entour du Char ,
Attirerent un prompt regard ,
De ces illuftres Bourguemeftres ,
Sur l'équipage & les pedeſtres ,
Ou Pietons , n'importe , auffi- tôt ,
Un fier Lieutenant de Prévôt ,
Nommé Monfieur la Rapiniere ;
Portant une longue rapiere ,.
Fut celui qui les aborda ,
Et cependant leur demanda ,
Avec l'autorité d'un Juge.,.
S'ils ne cherchoient point un réfuge
Enfin , quelles gens ils étoient ,
Et dans quel endroit ils alloient.
Auffi réfolu que Bartole ,
Le jeune homme prit la parole ,
Faifant
quatre pas en avant ,
Sans mettre les mains au Turban.,
Car la gauche étoit occupée ,
A retenir la longue épée ,
Qui batoit fur fes flageolets &
II.Vola Av Puil
2768 MERCURE DE FRANCE
Puifqu'il n'avoit point de molets ,
De l'autre aifément l'on devine ,
Qu'il tenoit une Carabine ,
Parce que je l'ai déja dit ,
Et cependant il répondit ,
Qu'ils étoient François de naiffance ,
Comédiens par excellence ,
Que fon nom étoit le Deſtin
Que celui du vieux Roquentin ,
Etoit Monfieur de la Rancune ,
Qui cherchoit à faire fortune,
Un peu tard , à la verité ;
Mais qu'il étoit de qualité ;
Que cette jeune Damoiselle ,
Du moins auffi fage que belle ,
Juchée ainsi qu'un Perroquet ,
En Charette fur un Paquet ,
Et plus brillante que lanterne ,
Portoit le nom de la Caverne ,
Ce nom bifare & peu commun
Fit d'abord éclater quelqu'un ,
Comme fi c'étoit baliverne ;
Hé! quoi le nom de la Caverne,
Adjoute le Comédien
II. Vol.
DoitDECEMBRE.
1730. 2769
Doit-il vous paroître plus chien ,
Que ceux de Meffieurs la Montagne ,
La Rofe , Lépine ou Champagne ,
De la Valée ou Pavillon ;
Enfin la converſation ,
Ne finit point fans incartade ,
On vit donner quelque gourmadé ,
Capable de caffer les dents ,
L'on entendit des juremens ,
A la tête de l'Equipage ,
Et l'on fut ému du ravage ;
C'étoit le Valet du Tripot ,
Qui ne paffoit pas pour un fot,
Il caroiffoit à coups de barre ,
Le bon Chartier , fans dire garre,
Parce que fes Boeufs , fa Jument ,
Ufoient un peu trop librement ,
D'un tas de foin devant la porte ;
Mais cependant l'on fit enforte ,
D'appaifer la noife , en un mot ,
La Maîtreffe dé ce Tripót ,
Qui Chériffoit la Comédie ,
Et goutoit une Tragédie ,
Bien plus que Vêpres ni Sermon
Appela fon Valet Démon ,
Et par une belle maniere
Rare chez une Tripotiere ,
Elle confentit de bon coeur ,
II. Vol. Qu'un A vj
2770 MERCURE DE FRANCE
>
Qu'un pauvre Chartier de malheur ,
Laiffât fes bêtes vivre à l'aiſe ;
Mais cependant , ne vous déplaiſe ,
L'Auteur prit un de
peu repos ,
Et rumina fort à propos ,
Ce qu'il vous diroit dans la ſuite .
Car pour à prefent il vous quitte.
Par M. le Tellier d'Orvilliers , Lieutenant
General d'Epée , à Vernon .
La fuite pour le Mercure Prochain.
Fermer
Résumé : LE ROMAN COMIQUE, CHAPITRE PREMIER. POEME.
Le texte relate l'arrivée d'une troupe de comédiens dans la ville du Mans. Vers cinq ou six heures du soir, une charrette tirée par quatre bœufs maigres et une cavale poulinière entre bruyamment dans les halles. La charrette est chargée de divers objets, formant une pyramide instable. À bord se trouve une jeune femme ni laide ni belle, habillée de manière plaisante, mangeant du pain bis. Un jeune homme, pauvrement vêtu mais d'apparence riche, marche à côté avec une carabine en bandoulière et un bandeau sur l'œil. Il porte également des oiseaux de proie et un oison. Un vieillard respectable, portant un violon, les accompagne. La troupe attire l'attention des bourgeois et du lieutenant de prévôt, Monsieur la Rapinière, qui leur demande leur identité et leurs intentions. Le jeune homme répond qu'ils sont des comédiens français, nommés le Destin et Monsieur de la Rancune, cherchant à faire fortune. La jeune femme est nommée la Caverne. Une altercation survient avec le valet du tripot voisin, mais la maîtresse du tripot intervient pour apaiser la situation. L'auteur prend ensuite un moment de repos avant de continuer son récit.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
245
p. 2770-2800
SUITE de la setième lètre, sur la bibliotèque des enfans, etc.
Début :
§. 7. Casseau portatif de sis celules. En augmentant peu à peu les meubles [...]
Mots clefs :
Enfant, Enfants, Cartes, Jeu, Méthode, Apprentissage, Verbes, Déclinaison, Exercice, Dictionnaire, Bureau typographique, Bureau, Exemple, Latin, Français
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE de la setième lètre, sur la bibliotèque des enfans, etc.
SUITE de la setième lètre , sur la
bibliotèque des enfans , etc ..
§. 7. Casseau portatif de sis celules.
Ebles literaires de l'enfant , on augaugmentant
peu à peu les meumonte
en même tems le nombre de ses
idées ; on passe du simple au composé, et
du facile au dificile , ou au moins facile.
L'enfant reçoit encore avec plaisir un casseau
portatifde sis celules , trois en haut
et trois en bas , pour les tèmes à lire ou
à faire ; savoir , deus celules pour les
tèmes françois , deus pour les tèmes latins,
II.Vol
et
DECEMBRE. 1730. 2771
et deus pour les tèmes en caractères itafiques
ou manuscrits. Ce casseau poura
entrer dans la cassète , et servir à tenir
les premières cartes donées à l'enfant , et
mème à tenir ensuite le jeu des declinaisons
et des conjugaisons .
Il faut avoir soin de retirer de ces sis
logètes , et en l'absence de l'enfant, les tèmes
qu'il a bien lus, bien faits , et en faire
de petits jeus , dans lesquels on poura de
tems en tems le faire relire après avoir
batu , melé et doné à couper les cartes ,
come l'on a fait en lui montrant à conoltre
les lètres ; cète aparence de jeu
réussit toujours. D'ailleurs , si l'on ne retiroit
de tems en tems quelques tèmes
de ces log tes , le grand nombre pourolt
fatiguer l'élève et mème le dégouter. On
doit y laisser cependant les tèmes historiques
, conus et afectionés ; de peur de
facher l'enfant . très - sensible à l'enlevement
de ses petits éfets. Tout est digne
d'atention , quand on veut voir de grans
progrès , tels qu'on les a vus dans un enfant
qui à trois ans , et sans épeler ,
lisoit bien dans plusieurs livres latins et
françois, et mème dans des manuscrits .
On n'auroit jamais cru que dans quel
ques mois de plus , il ût pris plaísir à séparer
lui- mème les tèmes qu'il savoit bien
Lire , d'avec les autres , et de les mètre
13
II. Vola
dans .
2772 MERCURE DE FRANCE
dans des celules diférentes . L'enfant lisoit
seul distinctement et à haute vois , dans
divers petits livres et sur des cartons ,
pendant des heures entieres , et toujours
avec plaisir et en badinant , si l'on avoit
voulu le suivre il auroit lassé les autres ,
plutot que de se lasser lui- mème , il aìmolt
à lire à haute vois , quoique seul ; le
petit Guillot fait à peu près la mème chose
dans le fameus colège où il est à present
, avec son bureau tipografique. La
plupart des écoliers ne lisent pas volontiers
seuls , ils ont d'ailleurs peine à lire ,
faute d'avoir été bien montrés , ou pour
avoir été rebutés par les épines de la métode
vulgaire , ou faute d'habitude à pouvoir
lire à livre ouvert toute sorte de livres
françois et latins , en prose et en vers.
Au moindre dégout ou ennui qu'on apercevoit
dans le petit Candiac , on le menoit
d'abord ailleurs , et ce n'étoit que
par récompense qu'une autrefois on le remetoit
en possession de son cabinet ; on
ne le menaçoit de l'en faire fortir .que
pour le punir de quelque faute morale ,
et non literaire ; ce qui produisoit tout
l'éfet possible : le bureau étoit toujours
inocent , et cheri de l'enfant.
§ . 8. Porte-tèmes , sac , etc.
La métode du bureau tipografique est
II. Vol.
si
DECEMBRE . 1730. 2773
si amusante dans le plus fort de son instruction
, qu'elle fournit tous les jours
quelque idée nouvele et ingénieuse pour
augmenter le nombre des éfets et des
idées literaires de l'enfant. Il faudra lui
doner un petit sac dans lequel il puisse
tenir une centaine de cartes numerotées ,
qui seront autant de tèmes choisis sur
l'histoire et sur la fable. On poura aussi
faire à l'enfant un joli porte- tèmes de sis
poches , numerotées de bas en haut , I.
2. 3. 4. 5. 6. pour y tenir les tèmes d'une,
de deus , de trois , de quatre , de cinq
et de sis lignes. Ce porte- tèmes fait de
quelque étofe , peut être pendu à un
clou , à un crochet , et à la hauteur de
l'enfant, qui y tiendra ses tèmes les plus
beaus. Cète espece de trousse servira aussi
ensuite pour les sis cas des terminaisons ,
des noms , ou des declinaisons ; pour les
modes et les tems des verbes conjugués ,
etc. Le bureau de l'imprimerie devenant
familier à l'enfant , on doit songer à celui
du rudiment pratique , et à celui du dictionaire
que l'on ppeeuutt aussi réduire en
casserins , pour suivre la rapidité des progrès
literaires de l'enfant amusé et ocupé
des jeus tipografiques.
§. 9. Rudiment pratique.
Le rudiment composé d'un casseau
II.Vol.
de
1774 MERCURE DE FRANCE
de deus rans de cassetins , met aus cinq
premiers d'en bas les cinq declinaisons ,
ou les cas et leurs terminaisons a , a, am,
â; arum , abus , is , as , etc. us , i , 0,um,
eorum , is , os , etc. et au 6 cassetin on.
met encore de semblables terminaisons
pour les noms des cinq declinaisons ;
aus cinq logètes d'en haut on met les
cinq pronoms, ego, tu , ille, hic,qui, en latin
et en françois , chaque cas séparement
sur des cartes en noir et en rouge ou en
caractére manuscrit ; et à la 6 , les ter
minaisons enclitiques des pronoms.Exem
ple en latin ; nam , libet , etc. exemple en
françois , ci , la , - meme , etc..
Les cinq logètes suivantes sont pour
présent , l'imparfait , le passé ou le prétérit
parfait , le plusque parfait, et le fu
tur de l'indicatif ; et les cinq logètes d'en
bas sont pour les mèmes tems du subjonctif;
les deus suivantes d'en haut sont
l'une pour l'impératif , l'autre pour le
gérondif et les supins ; les deus d'en bas,
Fune pour l'infinitif et l'autre. pour les
participes actifs et passifs . Ensuite en haut
les figuratives ou les terminaisons actives
; et en bas les terminaisons passives
des verbes , quoiqu'il y en ait déja de distribuées
dans les logètes de tous les tems
de chaque mode.
· -
**
le
Les quatre logètes suivantes en haut et
.
II. Vol. en
DECEMBRE. 1730. 2775
en bas sont pour mètre des exemples des
verbes comuns , déponens , neutres , irégu
liers ,fubstantifs , vocatifs , défectifs , impersonels
, réciproques, etc. selon l'ordre que
chacun jugera le plus convenable , sans
s'asservir à aucun . On doit encore dire ici
que metant toutes les parties du discours
dans des logètes , c'est moins pour faciliter
à l'enfant l'expedition de son tème
que pour lui aprendre à conoìtre et
sentir l'usage de toutes ces diferentes parties
du discours , et cela dans un age propre
à saisir plutot par pratique que par
téorie le distinctif et la nature de tous
les mots apelés vulgairement parties d'oraison.
Si les maitres se flatent de pouvoir
bien endoctriner leurs élèves avec ·
ła seule métode des rudimens vulgaires;
à plus forte raison doivent- ils esperer de
le faire encore mieux , plus facilement
et plutot avec le nouveau secours du
bureau tipografique à cent quatre- vint
bouches toujours ouvertes pour l'ins
truction de l'enfant.
La logète suivante qui est à la colone
T, contient en haut les terminaisons
françoises des verbes, et en bas les terminaisons
françoises des noms , et des
et des pronoms.
Quand l'enfant saura distinguer les
verbes substantifs et auxiliaires je suis ,
etc. j'ai , etc. il faudra les distribuer dans
11. Vol..
Ies
2776 MERCURE DE FRANCE
و
les logètes des tems , de l'indicatif et du
fubjonctif, afin qu'il aprene à mieus connoitre
par pratique et par sentiment ,
les modes , les tems , les persones , et les
nombres des verbes. Des dis logètes suivantes
, la ie en haut contient le verbe
auxiliaire françois , je suis , tu es , il est ,
etc. et en bas le verbe auxiliaire ; j'ai ,
tu as , il a , etc. la 2º en haut , contient des
noms substantifs et en bas , l'article
françois le , la , les , etc. Cète logète de
l'article françois est d'un grand usage et
instruit de bone heure l'enfant , la 3e en
haut , contient des adjectifs , des positifs,
des comparatifs , et des superlatifs ; et
en bas , des terminaisons pour les dégrés
de comparaison ; exemp. ïor, ïus , ssimus ,
etc. la 4 , haut et bas , toute sorte de
pronoms , françois et latins , démonstratifs
et possessifs ; la se en haut , des verbes
françois ; et en bas , des participes
françois le 6 en haut est pour les participes
, les questions de lieu , les indéclinables
, adverbes , prépositions , conjonctions
, et interjections en latin; et en
bas pour
les mèmes mots françois, c'est-àdire
que les particules séparables et inséparables
pouront aussi y avoir place. Ces
mèmes mots passeront ensuite dans les
logètes du dictionaire , selon l'ordre abécédique.
Les quatre logètes suivantes en
;
II. Vol. haut
DECEMBRE. 1730. 2777
haut , sont pour les genres , les déclinaisons
, les conjugaisons
, et la sintaxe. On
peut y mètre bien des noms , des verbes
et les principales
regles de la métode de
MM. de P.R. ou de meilleures, en prose et
non en vers;ce qui fournira le sujet de plus
sieurs petits tèmes élementaires
, en latin
et en françois , en glose , mot à mot , ou
en interlinéaire
. Les quatre derniéres
logètes
d'en bas sont pour doner des exemples
de toutes ces regles , et de toutes ces
espèces
exemple
: Hic homo , inis. amo ,
avi. ego amo deum , etc. ce qui seroit trop
long à détailler
ici ; on prendra donc là
peine d'aler voir la garniture
et l'assortiment
de quelque bureau complet et ent
plein exercice,come celui du petit Guillot,
qui en sis mois , a apris à lire le latin
le françois , et le grec , et qui sans savoir
écrire s'ocupe
avec succès à la version
et à la composition
des tèmes qu'on lui
done sur des cartes ou sur des livres , et
qu'on tache de lui rendre sensibles par
la doctrine
tipografique
, et par la prati
que journalière
de la version interlinéaire
.
§ .10. Dictionaire
de sis rans de cassetins.
Le dictionaire composé d'un casseau de
sis rangées de 22 ou de go celules chacune ,
metra abecediquement dans la 1 rangée
en bas les verbes et les participes ; dans la
II.Vol.
2de
2778 MERCURE DE FRANCE
2 de, en montant on metra les noms adjec
tifs ; dans la 3e les noms apellatifs ; dans
la 4. les indeclinables , come adverbes ,
prépositions, conjonctions, interjections ;
dans la s . les noms propres qui sont autant
de racines historiques qu'il faut do
her et prodiguer à l'enfant selon son age ,
son état , sa condition et surtout relativement
à la profession à laquelle on le
destine. Dans la 6 rangée on y tiendra le
magasin abécedique des mots de toute
partie du discours , l'étiquete des rangées
sera mise perpendiculairement sur le bois
du premier montant à la tête de chaque
rang ; et l'on metra les letres de l'A , B
Chorisontalement au haut de chaque
colone sur le bois de la plus haute traver
, la letre K sera mise à coté du Qan
haut de sa colone , et les letres X , Y , Z
feront l'étiquete de la 22° colone qui est
la derniere du dictionaìre ; on pouroit se
passer des autres huit colones, suposé que
l'endroit ne permit pas toute la longueur
du dictionaire ou de la bibliotèque de
l'enfant. Les montans et les traversans
du dictionaire ne sont que de trois à
quatre
lignes d'épaisseur , excepté ceus de la
caisse ou du bâtis exterieur qui seront de
neuf lignes ou de la hauteur du corps
des lètres capitales qui doivent servir à
étiqueter les rans et les colones des cassetins.
Pour
DECEMBRE. 1730. 2779
Pour profiter des huit dernières logètes
de chaque rang , on poura mètre au haut
de la colone de la 23 logète , et sur le
bois de la traverse , l'étiquète du mot
noms ; et au bas de la colone sur le bois
de la plus basse travèrse on metra la lètre
a pour indiquer la logète de la 1 ° declinaison
; les autres trous de la colone
pouront également servir pour les autres
declinaisons ; et la 6. logète de cète colone
sera pour les noms de nombre. La
24. colone en haut sera marquée du mot
pronoms et le bas de la colone sera marqué
du mot ego ; les autres logètes de la colone
étant pour toute sorte de pronoms.
Les 25 et 26 colones en haut seront
marquées des mots verbes , verbes ; et au
plus bas elles seront marquées des mots
indicatif, subjonctif; ces logètes serviront
de suplément et de magasin pour tenir
les cartes qui ne pouront plus ètre mises
ou contenues dans les logètes du rudiment
, etc.
,
,
Les quatre dernieres colones en haut
et sur le bois de la traverse , seront marquées
des mots histoire , fable , géografie
cronologie quand le mot ne poura pas
ètre mis tout au long , on le metra en
abregé ou simplement en petites lètres
initiales ; au bas de ces quatre colones et
sur le bois de la traverse on metra les
mots
2-780 MERCURE DE FRANCE
mots bible , mitologie , sphere , époques , en
petites lètres initiales , files capitales ocupent
trop d'espace. La caisse de ce dictionaire
sera mise en long ou d'une maniere
brisée et en plusieurs lignes vis- àvis
du bureau tipografique , ou à coté
ou deriere et adossée selon que le lieu et
les fenètres de la chambre le permetront.
§ . 11. Claffes du bureau tipografique.
Je divise en quatre classes l'exercice du
bureau tipografique
,
Premiere classe.
Pour le jeu de la première classe , je
tire au hazard de la cassete abécédique
les cartes X , M , C , T , S , P , F , G , J
etc. après quoi je montre à un enfant de
deus à trois ans , ou à sa gouvernante la
manière de ranger ces mèmes cartes sur
la table du premier bureau abécédique
c'est à dire de les présenter et de les poser
vis à vis la mème letre ou figure marquée
sur chaque carte. Je mets donc la
carte X vis à vis la letre ou caractère X ,
la carte M vis à vis la letre M ; je fais
la mème chose des autres cartes tirées au
hazard , et je les présente tout le long de
1'4 BC etc. qui regne imprimé sur le lia
b c
2
II. Vol. teau ,
DECEMBRE. 1730. 2781
prateau
, la tringle ou la regle de bois qui
indique vis à vis de l'enfant le deriere
de la table abécédique , come on le
tique en province aus bureaus de la poste,
L'enfant qui ne sait pas encore le nom des
letres poura cependant présenter , et ranger
les cartes vis à vis les signes dont elles
sont marquées , en atendant qu'il sache
leur nom et leur vraie dénomination , ce
qui doit ètre estimé environ la moitié de
la silabisation . un enfant sourd et muet
peut être mis de bone heure à l'exercice
du bureau tipografique , et y aprendre
par les ieus la plupart des choses que les
autres aprènent par l'oreille.
2º Claffe.
Un enfant qui conoìt bien la figure
le vrai nom et la valeur réèle et efective
des letres doit ètre mis à l'exercice de la
segonde classe du bureau latin composé
de deus rans de logetes , l'un pour l'usage
des letres capitales , et l'autre pour
celui des petites letres . Je montre donc à
l'enfant et à son domestique la manière
de ranger , de composer , d'imprimer ou
d'écrire sur la table du bureau tipografique
les 16 cartes ou les 16 letres nécessaires
pour former la ligne des deus mots
latins dominus dominorum , et ensuite les
yint et une cartes ou letres nécessaires
44. Vol
pour
2781 MERCURE DE FRANCE
former une autre ligne composée
pour
de ces sis mots françois mon dieu , je vous
aime bien. Je fais pratiquer la mème chose
à l'égard des autres mots latins ou
françois , c'est à dire que l'enfant les imprime
et les écrit en quelque manière par
le moyen de l'ABC mouvant , en employant
, etrange ant sur la table en une
ligne autant de cartes qu'il y a de letres
dans chaque mot , ou dans chaque frase
qu'on lui done à imprimer.
fais
3º Claffe.
Lorsque l'enfant a travaillé avec succès
à l'exercice de la segonde classe , je le
passer au plutot au jeu de la troisième
classe ou du bureau françois latin , et je
lui montre pour lors la manière d'imprimer
les mots et les frases , non seulement
letre à letre , come le pratiquent
les imprimeurs ordinaires , mais encore
selon le sistème des sons de la langue françoise
; c'est à dire , que je lui enseigne à
chercher métodiquement les 16. cartes ou
les 16 letres nécessaires pour former la
mème ligne déja imprimée en 21. letres,
mon dieu , je vous aime bien , et c'est ici la
véritable et la principale classe où l'enfant
aprend par pratique et par téorie l'usage
des letres , des sons , des chifres , et des
signes employés dans l'impression des
II. Vollivres
DECEMBRE.
1730.
2791
livres ; c'est ici qu'il se forme dabord à
l'ortografe des sons et de l'oreille , en
atendant qu'il aprene l'ortografe des ieus
ou de l'usage vulgaire.
4. Classe.
Quand
l'enfant sait
imprimer letre
letre , et selon les sons de la langue , les
mots et les lignes qu'on lui dicte ou qu'on
lui done sur une carte , je le mets à la
quatrième classe . C'est cèle du casseau du
rudiment
pratique , et je lui montre à
imprimer non seulement letre à letre,sonà
son , mais encore mot à mot ,
employant
par exemple ,sis cartes pour former la mè
me ligne ci dessus ,mon dieu , je vous aime
bien , et ainsi des autres lignes en latin et
en
françois , come on l'a fait en composant
le tème gravé au bas de la planche
du bureau
tipografique §. 12 .
L'avantage des deus premieres classes
consiste à pouvoir amuser et instruire les
enfans de bone heure ; et par une métode
plus agréable , plus courte , plus facile et
plus sure que la métode vulgaire .
L'avantage de la troisième classe est de
mètre les petits enfans en état non seulement
de
travailler utilement seuls et en
l'absence des maitres , mais encore d'aprendre
de bone heure à conoìtre , à sentir,
et à distinguer les sons de chaque mot,
II. Vol.
Co
2792 MERCURE DE FRANCE
ce que bien des gramaìriens , s'il m'est
permis de le dire , ignorent toute leur vie.
L'avantage de la quatrième classe est de
metre un enfant en état d'aprendre les
langues mortes,avant que de savoir écrire,
en imprimant sur la table du bureau les
mots , les lignes et les tèmes qu'on lui aura
dictés ou qu'on lui aura donés sur des
cartes. Or tous ces avantages incomparablement
plus grans que les avantages des
métodes et des rudimens vulgaires, doivent
nécessairement influer en bien sur
la suite des études et même sur toute
la vie ; car par là on préserve les enfans:
de l'oisiveté , de la fénéantise etc. et on
leur épargne les dégouts et l'amertume
des métodes vulgaires , en un mot , on
leur done de bone heure le gout du travail
, du devoir , et des bones choses , ce
que l'experience a déja heureusement
confirmé sur plusieurs enfans.
,
§. 12. Exemple de deus petits tèmes gravés
sur laplanche de la bibliotèque des enfans,
et donés sur une carte à un enfant qui
doit les composer sur la table du les bure an
tipografique.
L'enfant aïant lu et relu ces tèmes ;
poura ensuite les composer sur la table
du bureau , de la mème maniere qu'il l'a
II. Vol.
praz
DECEMBRE. 1730 2793
pratiqué à l'égard des lètres , et des
mieres combinaisons en latin et en françois.
9
ab bo fli pru Bb
Dd Pp Qq & f
§ J'aime Dieu , parce qu'il
¶ Ego amo Deum , quia ille
eft bo ainfi foit - il.
eft bon Amen
A Paris ce 29. Jui
Parifiis die XXIX . Junii
1730. &c. Fin.
M. DCC. XXX. &c. Finis.
pre-
Pour lui montrer cet exercice , je prens
dans sa cassete les deus crois de pardieu
ou de Jesus , les dis combinaisons des
lètres qui ont servi de premier amusement
literaire , je range surla table les
dis cartes de ces dis combinaisons élementaires
; mais pour le tème interlinéaire
latin-françois , j'ai recours au
F
4
1
II. Vol Bij grand
2794 MERCURE DE FRANCE
·
grand bureau , et je prens dans les lọ-
gètes des signes le paragrafe §.et le pié de
mouche , ensuite je cherche le J' ou
lej capital apostrofé dans la celule du
J , ou dans cèle du pronom de la première
persone ( Ego ) J' , je du rudiment
pratique , que je continue toujours d'expliquer
à l'enfant. Je prens la diftongue
oculaire ai dans la troisième colone ou
celule des è ouverts composés de plusieurs
lètres et au- dessous de la celule des chifres
VII 7. ensuite le m et l'e muet dans leurs
celules , ce qui me done le premier mot
en quatre sons et en quatre cartes , que
je range à l'ordinaire . Ce seroit, par exemple
, une faute tipografique dans cète
classe , d'avoir employé les deus cartes a
pour le seul son de l'è ouvert du
et i
mot j'aime.
Pour le latin j'opère de- mème , je prens
en caracteres rouges italiques ou diferens
et manuscrits , le pronom Ego, dans la lo- gète
des pronoms
de la premiere
perso- ne et le mot amo dans le rudiment
ou
dans le dictionaire
pratique
, à la logète
des verbes ; ce que je montre
et explique
peu à peu à l'enfant , pour lui rendre
sensibles
toutes les parties du discours
. Dn poura composer
le françois
tout de
suite , et après cela le latin , ou chaque
langue mot à mot, ce qui fera plus d'im-
II. Vol. pres
DECEMBRE. 1730. 2795
de pression à l'enfant , et lui permetra
bien espacer les lètres et les mots , mais
il sera bon de pratiquer l'une et l'autre
manière pour varier l'exercice du jeu tipografique.
Je
prens le D capital
, la voyele
i et la
diftongue
oculaire
eu , dans
leurs
celules
,
et je range
ensuite
les trois
cartes
des trois
sons
du mot
Dien. Ce seroit
une faute
tipografique
dans
cette
classe
, d'employer
les deus
cartes
e et u pour
le seul son de
l'e françois
soutenu
en ; l'enfant
qui ,dans
la segonde
classe
, comence
d'imprimer
ou de composer
avec
le seul
premier
bureau
latin
, suivra
le sistème
des lètres
,
come
les imprimeurs
ordinaires
, mais
dès.
que l'enfant
sera mis au bureau
françoislatin
de la troisième
classe
, il doit
ètre
enseigné
et montré
selon
le sistème
des
sons. Je prens
le mot
Deus
dans
le dictionaire
à la celule
D des
noms
apellatifs
, et je mets un m sur le s du mot
Deus,
ou bien
je prens
um dans
la logète
des
terminaisons
des noms
, et je le mets
sur l'us
du mème
mot
Deus , ou bien
je prens
le
D , l'e et l'um
dans
leurs
logètes
, de mème
que les virgules
.
Je trouverai parceque dans le dictionalre
à la celule P des indéclinables , ou les
trois silabes par , ce , qu' , dans trois logètes
diferentes , savoir par , dans la lo-
II. Vol. B iij gète
2796 MERCURE DE FRANCE
gète des indeclinables du bureau tipografique;
ce, dans la celule du pronom hic, et
le qu'apostrofé dans cèle du pronom relatif
qui ou dans la troisiéme celule de la colone
q composé. Je trouve également il dans la
celule du pronom de la troisiéme persone.
La setiéme celule du plus haut rang où
est le tems present de l'indicatif , done
le verbe est , à moins qu'il ne soit encore
dans la celule du verbe substantif, qui est
dans le mème rang. Le mot bo , se prend
dans la logète du b , et dans cèle de la
voyele nazale , en deus cartes pour les
deus sons , au lieu d'en doner trois , qui
d'abord pourolent induire l'enfant en erreur
et lui faire lire b , o , ne , au lieu de
b, ō; ce qui est important pour faire bien
distinguer le n consone et le n nazal ;
distinction utile , qui ne doit point scandaliser
les témoins de cet exercice literaire
, puisque les voyeles nazales á , é ,
í , õ , ũ , où les voyeles à titres se trouvent
non - seulement dans de vieus livres,
mais encore dans des breviaires et dans
des HEURES de l'anée courante. Le latìn
se compose de mème , on prend quia
dans la celule des indéclinables du bureau
ou du dictionaire , et ille , est dans
leurs celules come en françois , de mème
que pour le mot bonus , qu'on trouvera
dans la celule B des noms adjectifs , ou
II.Vol.
bien
DECEMBRE. 1730. 2797
bien on prendra les lètres b , o , n , dans
leurs celules , et le bus ou le petit abregé
dans la troisième celule de la colone u .
Pour le mot composé ainsi soit- il , je
prens un ai d'une seule carte dans les
celules des voyèles nazales ; si , s , oit,-il,
dans leurs logères ; savoir , si , dans la
troisiéme logète de la colone f, qui me
done le s ; oit , dans les terminaisons des
verbes françois ; le tiret apelé division ,
dans les logères des signes , et il dans
cèle de la troisiéme persone . Le mot latin
amen , se trouvera dans la celule A des
indéclinables du dictionaire tipografique ;
les poins dans leur logète ; là accentué
dans la troisième logète de la colone a ;
pour le mot Paris , on cherchera et l'on
a toutes les lètres de ce mot ,a moins
qu'on ne l'ut mis dans la logète des noms
substantifs , dans la logète géografique , ou
dans la logète des noms propres à la lètre
P du dictionìare ; ce, dans la celule du
pronom hit ; 29. et 1730. en latin et en
françois dans la logète du livrèt , ou dans
la derniere des chifres . Ju , en trois cartes
pour les trois sons pris dans les trois celules
du J , u , 7 : etc. dans la troisieme
celule de la colone ; fi en deus cartes
pour les deus sons f, i , pris dans leurs celules
, et le mot finis dans la logète F
des mots apellatifs du dictionaire tipo-
1.
II. Vol. Bilj gra2798
MERCURE DE FRANCE
grafique. Le mot die latin est pris dans la
logète des paradigmes ou des exemples
de la cinquieme déclinaison , etc.
la
On voit par la composition de ce petit
tème , de quelle naniere on doit s'y prendre
pour tous les autres , l'essentiel est
de bien expliquer et de bien faire sentir
à l'enfant la nature , l'usage de chaque
partie du discours , en començant par
langue françoise et passant ensuite à la
langue latine , c'est ainsi qu'on montrera
peu à peu et en mème tems les raports
d'une langue à l'autre. Quand l'enfant
aura plusieurs fois le mème mot dans
son tème , il ne le trouvera qu'une fois
dans le dictionaìre de son bureau , et cela
sufit , ensuite il composera les autres avec
les lètres et les sons de l'A B C mouvant ,
selon les règles de la segonde et de la troisième
classe , je dis ceci par raport aus
mots de moins d'usage , et non pour les
verbes auxiliaires , les pronoms , les prépositions
, l'article et autres mots qui revienent
souvent. J'oubliois de dire que
quand le mot latin sera le mème que le
mot françois , à la terminaison près , il
sufira d'ajouter cète terminaison latine
sous le mot françois ; par exemple : pour
metre à l'acusatif les mots action , immortalité
, etc. on aprendra à l'enfant qu'il
sufit de metre les cartes onem sous l'o d'ac
II. Vol.
tion
DECEMBRE . 1730. 279 9
tion , et cèles d'atem , sous l'é du mot immortalité,
ce qui doit s'entendre et se pra
tiquer pour toutes les parties du discours
déclinables , indéclinables et conjugables,
qui ne seront distinguées du latin que
par les seules terminaisons , et c'est ici
que l'enfant comence de bone heure à
mieus apercevoir les raports et les diferences
de la langue latine et de la langue
françoise avantage téorique et pratique,
que ne peuvent doner aussi - tot les
rudimens ordinaires , fussent- ils tous les
jours articulés et récités sans faute depuis
le comencement jusqu'à la fin.
En voilà , je pense , bien assés pour
metre au fait les maitres judicieus et non
prévenus , qui n'ignorent pas tout à-fait
la doctrine des sons de la langue françoise ,
ceus qui n'en ont aucune conoìssance
pouront lire les essais de M. l'Abé de Dangeau
, et la grammaire du R. P. Buffier
suposé que ces maitres aiment l'analise des
choses et les reflexions sur cète matiere ,
sans quoi ils ne pouront jamais savoir ces
minuties à fond, l'étude én est cependant
nécessaire aus bons maitres qui se piquent
de bien montrer ; l'indiference ou le mépris
sur cet article ne peut jamais leur
faire honeur. Quelques petites que puissent
paroître ces minuties et ces reflexions
aus ïeus de ceus de certaines persones in-
II.Vel.
Bv Ca
2800 MERCURE DE FRANCE
capables de juger du pris et du vraì mérite
des petites choses , il n'en est pas
moins vrai que les maltres , les régens , et
les professeurs payés pour enseigner les
enfans , doivent ètre des premiers à
aprouver la métode du bureau tipografique
suposé qu'elle produise les efets
avantageus que je lui atribue , et qu'elle
alt en bien des choses la superiorité que
je luidone sur toute autre métode conue,
verité que je vais démontrer dans la huitiélètre
et que je ne crains point de publier
tous les jours au centre mème du pays latin,
en faveur des enfans de notre Empire et
des enfans de toute l'Europe . Je suis , etc.
Nota. Les persones curieuses de lire toutes
Les letres sur la biblioteque des enfans , prendront
la peine d'en comencer la lecture dans
le segond volume du Mercure du mois de
Juin 1730 .
On trouvera dans le Mereure de Janvier
un abregé somaire , ou une récapitulation de
tous les avantages de la métode du bureau.
pografique.
bibliotèque des enfans , etc ..
§. 7. Casseau portatif de sis celules.
Ebles literaires de l'enfant , on augaugmentant
peu à peu les meumonte
en même tems le nombre de ses
idées ; on passe du simple au composé, et
du facile au dificile , ou au moins facile.
L'enfant reçoit encore avec plaisir un casseau
portatifde sis celules , trois en haut
et trois en bas , pour les tèmes à lire ou
à faire ; savoir , deus celules pour les
tèmes françois , deus pour les tèmes latins,
II.Vol
et
DECEMBRE. 1730. 2771
et deus pour les tèmes en caractères itafiques
ou manuscrits. Ce casseau poura
entrer dans la cassète , et servir à tenir
les premières cartes donées à l'enfant , et
mème à tenir ensuite le jeu des declinaisons
et des conjugaisons .
Il faut avoir soin de retirer de ces sis
logètes , et en l'absence de l'enfant, les tèmes
qu'il a bien lus, bien faits , et en faire
de petits jeus , dans lesquels on poura de
tems en tems le faire relire après avoir
batu , melé et doné à couper les cartes ,
come l'on a fait en lui montrant à conoltre
les lètres ; cète aparence de jeu
réussit toujours. D'ailleurs , si l'on ne retiroit
de tems en tems quelques tèmes
de ces log tes , le grand nombre pourolt
fatiguer l'élève et mème le dégouter. On
doit y laisser cependant les tèmes historiques
, conus et afectionés ; de peur de
facher l'enfant . très - sensible à l'enlevement
de ses petits éfets. Tout est digne
d'atention , quand on veut voir de grans
progrès , tels qu'on les a vus dans un enfant
qui à trois ans , et sans épeler ,
lisoit bien dans plusieurs livres latins et
françois, et mème dans des manuscrits .
On n'auroit jamais cru que dans quel
ques mois de plus , il ût pris plaísir à séparer
lui- mème les tèmes qu'il savoit bien
Lire , d'avec les autres , et de les mètre
13
II. Vola
dans .
2772 MERCURE DE FRANCE
dans des celules diférentes . L'enfant lisoit
seul distinctement et à haute vois , dans
divers petits livres et sur des cartons ,
pendant des heures entieres , et toujours
avec plaisir et en badinant , si l'on avoit
voulu le suivre il auroit lassé les autres ,
plutot que de se lasser lui- mème , il aìmolt
à lire à haute vois , quoique seul ; le
petit Guillot fait à peu près la mème chose
dans le fameus colège où il est à present
, avec son bureau tipografique. La
plupart des écoliers ne lisent pas volontiers
seuls , ils ont d'ailleurs peine à lire ,
faute d'avoir été bien montrés , ou pour
avoir été rebutés par les épines de la métode
vulgaire , ou faute d'habitude à pouvoir
lire à livre ouvert toute sorte de livres
françois et latins , en prose et en vers.
Au moindre dégout ou ennui qu'on apercevoit
dans le petit Candiac , on le menoit
d'abord ailleurs , et ce n'étoit que
par récompense qu'une autrefois on le remetoit
en possession de son cabinet ; on
ne le menaçoit de l'en faire fortir .que
pour le punir de quelque faute morale ,
et non literaire ; ce qui produisoit tout
l'éfet possible : le bureau étoit toujours
inocent , et cheri de l'enfant.
§ . 8. Porte-tèmes , sac , etc.
La métode du bureau tipografique est
II. Vol.
si
DECEMBRE . 1730. 2773
si amusante dans le plus fort de son instruction
, qu'elle fournit tous les jours
quelque idée nouvele et ingénieuse pour
augmenter le nombre des éfets et des
idées literaires de l'enfant. Il faudra lui
doner un petit sac dans lequel il puisse
tenir une centaine de cartes numerotées ,
qui seront autant de tèmes choisis sur
l'histoire et sur la fable. On poura aussi
faire à l'enfant un joli porte- tèmes de sis
poches , numerotées de bas en haut , I.
2. 3. 4. 5. 6. pour y tenir les tèmes d'une,
de deus , de trois , de quatre , de cinq
et de sis lignes. Ce porte- tèmes fait de
quelque étofe , peut être pendu à un
clou , à un crochet , et à la hauteur de
l'enfant, qui y tiendra ses tèmes les plus
beaus. Cète espece de trousse servira aussi
ensuite pour les sis cas des terminaisons ,
des noms , ou des declinaisons ; pour les
modes et les tems des verbes conjugués ,
etc. Le bureau de l'imprimerie devenant
familier à l'enfant , on doit songer à celui
du rudiment pratique , et à celui du dictionaire
que l'on ppeeuutt aussi réduire en
casserins , pour suivre la rapidité des progrès
literaires de l'enfant amusé et ocupé
des jeus tipografiques.
§. 9. Rudiment pratique.
Le rudiment composé d'un casseau
II.Vol.
de
1774 MERCURE DE FRANCE
de deus rans de cassetins , met aus cinq
premiers d'en bas les cinq declinaisons ,
ou les cas et leurs terminaisons a , a, am,
â; arum , abus , is , as , etc. us , i , 0,um,
eorum , is , os , etc. et au 6 cassetin on.
met encore de semblables terminaisons
pour les noms des cinq declinaisons ;
aus cinq logètes d'en haut on met les
cinq pronoms, ego, tu , ille, hic,qui, en latin
et en françois , chaque cas séparement
sur des cartes en noir et en rouge ou en
caractére manuscrit ; et à la 6 , les ter
minaisons enclitiques des pronoms.Exem
ple en latin ; nam , libet , etc. exemple en
françois , ci , la , - meme , etc..
Les cinq logètes suivantes sont pour
présent , l'imparfait , le passé ou le prétérit
parfait , le plusque parfait, et le fu
tur de l'indicatif ; et les cinq logètes d'en
bas sont pour les mèmes tems du subjonctif;
les deus suivantes d'en haut sont
l'une pour l'impératif , l'autre pour le
gérondif et les supins ; les deus d'en bas,
Fune pour l'infinitif et l'autre. pour les
participes actifs et passifs . Ensuite en haut
les figuratives ou les terminaisons actives
; et en bas les terminaisons passives
des verbes , quoiqu'il y en ait déja de distribuées
dans les logètes de tous les tems
de chaque mode.
· -
**
le
Les quatre logètes suivantes en haut et
.
II. Vol. en
DECEMBRE. 1730. 2775
en bas sont pour mètre des exemples des
verbes comuns , déponens , neutres , irégu
liers ,fubstantifs , vocatifs , défectifs , impersonels
, réciproques, etc. selon l'ordre que
chacun jugera le plus convenable , sans
s'asservir à aucun . On doit encore dire ici
que metant toutes les parties du discours
dans des logètes , c'est moins pour faciliter
à l'enfant l'expedition de son tème
que pour lui aprendre à conoìtre et
sentir l'usage de toutes ces diferentes parties
du discours , et cela dans un age propre
à saisir plutot par pratique que par
téorie le distinctif et la nature de tous
les mots apelés vulgairement parties d'oraison.
Si les maitres se flatent de pouvoir
bien endoctriner leurs élèves avec ·
ła seule métode des rudimens vulgaires;
à plus forte raison doivent- ils esperer de
le faire encore mieux , plus facilement
et plutot avec le nouveau secours du
bureau tipografique à cent quatre- vint
bouches toujours ouvertes pour l'ins
truction de l'enfant.
La logète suivante qui est à la colone
T, contient en haut les terminaisons
françoises des verbes, et en bas les terminaisons
françoises des noms , et des
et des pronoms.
Quand l'enfant saura distinguer les
verbes substantifs et auxiliaires je suis ,
etc. j'ai , etc. il faudra les distribuer dans
11. Vol..
Ies
2776 MERCURE DE FRANCE
و
les logètes des tems , de l'indicatif et du
fubjonctif, afin qu'il aprene à mieus connoitre
par pratique et par sentiment ,
les modes , les tems , les persones , et les
nombres des verbes. Des dis logètes suivantes
, la ie en haut contient le verbe
auxiliaire françois , je suis , tu es , il est ,
etc. et en bas le verbe auxiliaire ; j'ai ,
tu as , il a , etc. la 2º en haut , contient des
noms substantifs et en bas , l'article
françois le , la , les , etc. Cète logète de
l'article françois est d'un grand usage et
instruit de bone heure l'enfant , la 3e en
haut , contient des adjectifs , des positifs,
des comparatifs , et des superlatifs ; et
en bas , des terminaisons pour les dégrés
de comparaison ; exemp. ïor, ïus , ssimus ,
etc. la 4 , haut et bas , toute sorte de
pronoms , françois et latins , démonstratifs
et possessifs ; la se en haut , des verbes
françois ; et en bas , des participes
françois le 6 en haut est pour les participes
, les questions de lieu , les indéclinables
, adverbes , prépositions , conjonctions
, et interjections en latin; et en
bas pour
les mèmes mots françois, c'est-àdire
que les particules séparables et inséparables
pouront aussi y avoir place. Ces
mèmes mots passeront ensuite dans les
logètes du dictionaire , selon l'ordre abécédique.
Les quatre logètes suivantes en
;
II. Vol. haut
DECEMBRE. 1730. 2777
haut , sont pour les genres , les déclinaisons
, les conjugaisons
, et la sintaxe. On
peut y mètre bien des noms , des verbes
et les principales
regles de la métode de
MM. de P.R. ou de meilleures, en prose et
non en vers;ce qui fournira le sujet de plus
sieurs petits tèmes élementaires
, en latin
et en françois , en glose , mot à mot , ou
en interlinéaire
. Les quatre derniéres
logètes
d'en bas sont pour doner des exemples
de toutes ces regles , et de toutes ces
espèces
exemple
: Hic homo , inis. amo ,
avi. ego amo deum , etc. ce qui seroit trop
long à détailler
ici ; on prendra donc là
peine d'aler voir la garniture
et l'assortiment
de quelque bureau complet et ent
plein exercice,come celui du petit Guillot,
qui en sis mois , a apris à lire le latin
le françois , et le grec , et qui sans savoir
écrire s'ocupe
avec succès à la version
et à la composition
des tèmes qu'on lui
done sur des cartes ou sur des livres , et
qu'on tache de lui rendre sensibles par
la doctrine
tipografique
, et par la prati
que journalière
de la version interlinéaire
.
§ .10. Dictionaire
de sis rans de cassetins.
Le dictionaire composé d'un casseau de
sis rangées de 22 ou de go celules chacune ,
metra abecediquement dans la 1 rangée
en bas les verbes et les participes ; dans la
II.Vol.
2de
2778 MERCURE DE FRANCE
2 de, en montant on metra les noms adjec
tifs ; dans la 3e les noms apellatifs ; dans
la 4. les indeclinables , come adverbes ,
prépositions, conjonctions, interjections ;
dans la s . les noms propres qui sont autant
de racines historiques qu'il faut do
her et prodiguer à l'enfant selon son age ,
son état , sa condition et surtout relativement
à la profession à laquelle on le
destine. Dans la 6 rangée on y tiendra le
magasin abécedique des mots de toute
partie du discours , l'étiquete des rangées
sera mise perpendiculairement sur le bois
du premier montant à la tête de chaque
rang ; et l'on metra les letres de l'A , B
Chorisontalement au haut de chaque
colone sur le bois de la plus haute traver
, la letre K sera mise à coté du Qan
haut de sa colone , et les letres X , Y , Z
feront l'étiquete de la 22° colone qui est
la derniere du dictionaìre ; on pouroit se
passer des autres huit colones, suposé que
l'endroit ne permit pas toute la longueur
du dictionaire ou de la bibliotèque de
l'enfant. Les montans et les traversans
du dictionaire ne sont que de trois à
quatre
lignes d'épaisseur , excepté ceus de la
caisse ou du bâtis exterieur qui seront de
neuf lignes ou de la hauteur du corps
des lètres capitales qui doivent servir à
étiqueter les rans et les colones des cassetins.
Pour
DECEMBRE. 1730. 2779
Pour profiter des huit dernières logètes
de chaque rang , on poura mètre au haut
de la colone de la 23 logète , et sur le
bois de la traverse , l'étiquète du mot
noms ; et au bas de la colone sur le bois
de la plus basse travèrse on metra la lètre
a pour indiquer la logète de la 1 ° declinaison
; les autres trous de la colone
pouront également servir pour les autres
declinaisons ; et la 6. logète de cète colone
sera pour les noms de nombre. La
24. colone en haut sera marquée du mot
pronoms et le bas de la colone sera marqué
du mot ego ; les autres logètes de la colone
étant pour toute sorte de pronoms.
Les 25 et 26 colones en haut seront
marquées des mots verbes , verbes ; et au
plus bas elles seront marquées des mots
indicatif, subjonctif; ces logètes serviront
de suplément et de magasin pour tenir
les cartes qui ne pouront plus ètre mises
ou contenues dans les logètes du rudiment
, etc.
,
,
Les quatre dernieres colones en haut
et sur le bois de la traverse , seront marquées
des mots histoire , fable , géografie
cronologie quand le mot ne poura pas
ètre mis tout au long , on le metra en
abregé ou simplement en petites lètres
initiales ; au bas de ces quatre colones et
sur le bois de la traverse on metra les
mots
2-780 MERCURE DE FRANCE
mots bible , mitologie , sphere , époques , en
petites lètres initiales , files capitales ocupent
trop d'espace. La caisse de ce dictionaire
sera mise en long ou d'une maniere
brisée et en plusieurs lignes vis- àvis
du bureau tipografique , ou à coté
ou deriere et adossée selon que le lieu et
les fenètres de la chambre le permetront.
§ . 11. Claffes du bureau tipografique.
Je divise en quatre classes l'exercice du
bureau tipografique
,
Premiere classe.
Pour le jeu de la première classe , je
tire au hazard de la cassete abécédique
les cartes X , M , C , T , S , P , F , G , J
etc. après quoi je montre à un enfant de
deus à trois ans , ou à sa gouvernante la
manière de ranger ces mèmes cartes sur
la table du premier bureau abécédique
c'est à dire de les présenter et de les poser
vis à vis la mème letre ou figure marquée
sur chaque carte. Je mets donc la
carte X vis à vis la letre ou caractère X ,
la carte M vis à vis la letre M ; je fais
la mème chose des autres cartes tirées au
hazard , et je les présente tout le long de
1'4 BC etc. qui regne imprimé sur le lia
b c
2
II. Vol. teau ,
DECEMBRE. 1730. 2781
prateau
, la tringle ou la regle de bois qui
indique vis à vis de l'enfant le deriere
de la table abécédique , come on le
tique en province aus bureaus de la poste,
L'enfant qui ne sait pas encore le nom des
letres poura cependant présenter , et ranger
les cartes vis à vis les signes dont elles
sont marquées , en atendant qu'il sache
leur nom et leur vraie dénomination , ce
qui doit ètre estimé environ la moitié de
la silabisation . un enfant sourd et muet
peut être mis de bone heure à l'exercice
du bureau tipografique , et y aprendre
par les ieus la plupart des choses que les
autres aprènent par l'oreille.
2º Claffe.
Un enfant qui conoìt bien la figure
le vrai nom et la valeur réèle et efective
des letres doit ètre mis à l'exercice de la
segonde classe du bureau latin composé
de deus rans de logetes , l'un pour l'usage
des letres capitales , et l'autre pour
celui des petites letres . Je montre donc à
l'enfant et à son domestique la manière
de ranger , de composer , d'imprimer ou
d'écrire sur la table du bureau tipografique
les 16 cartes ou les 16 letres nécessaires
pour former la ligne des deus mots
latins dominus dominorum , et ensuite les
yint et une cartes ou letres nécessaires
44. Vol
pour
2781 MERCURE DE FRANCE
former une autre ligne composée
pour
de ces sis mots françois mon dieu , je vous
aime bien. Je fais pratiquer la mème chose
à l'égard des autres mots latins ou
françois , c'est à dire que l'enfant les imprime
et les écrit en quelque manière par
le moyen de l'ABC mouvant , en employant
, etrange ant sur la table en une
ligne autant de cartes qu'il y a de letres
dans chaque mot , ou dans chaque frase
qu'on lui done à imprimer.
fais
3º Claffe.
Lorsque l'enfant a travaillé avec succès
à l'exercice de la segonde classe , je le
passer au plutot au jeu de la troisième
classe ou du bureau françois latin , et je
lui montre pour lors la manière d'imprimer
les mots et les frases , non seulement
letre à letre , come le pratiquent
les imprimeurs ordinaires , mais encore
selon le sistème des sons de la langue françoise
; c'est à dire , que je lui enseigne à
chercher métodiquement les 16. cartes ou
les 16 letres nécessaires pour former la
mème ligne déja imprimée en 21. letres,
mon dieu , je vous aime bien , et c'est ici la
véritable et la principale classe où l'enfant
aprend par pratique et par téorie l'usage
des letres , des sons , des chifres , et des
signes employés dans l'impression des
II. Vollivres
DECEMBRE.
1730.
2791
livres ; c'est ici qu'il se forme dabord à
l'ortografe des sons et de l'oreille , en
atendant qu'il aprene l'ortografe des ieus
ou de l'usage vulgaire.
4. Classe.
Quand
l'enfant sait
imprimer letre
letre , et selon les sons de la langue , les
mots et les lignes qu'on lui dicte ou qu'on
lui done sur une carte , je le mets à la
quatrième classe . C'est cèle du casseau du
rudiment
pratique , et je lui montre à
imprimer non seulement letre à letre,sonà
son , mais encore mot à mot ,
employant
par exemple ,sis cartes pour former la mè
me ligne ci dessus ,mon dieu , je vous aime
bien , et ainsi des autres lignes en latin et
en
françois , come on l'a fait en composant
le tème gravé au bas de la planche
du bureau
tipografique §. 12 .
L'avantage des deus premieres classes
consiste à pouvoir amuser et instruire les
enfans de bone heure ; et par une métode
plus agréable , plus courte , plus facile et
plus sure que la métode vulgaire .
L'avantage de la troisième classe est de
mètre les petits enfans en état non seulement
de
travailler utilement seuls et en
l'absence des maitres , mais encore d'aprendre
de bone heure à conoìtre , à sentir,
et à distinguer les sons de chaque mot,
II. Vol.
Co
2792 MERCURE DE FRANCE
ce que bien des gramaìriens , s'il m'est
permis de le dire , ignorent toute leur vie.
L'avantage de la quatrième classe est de
metre un enfant en état d'aprendre les
langues mortes,avant que de savoir écrire,
en imprimant sur la table du bureau les
mots , les lignes et les tèmes qu'on lui aura
dictés ou qu'on lui aura donés sur des
cartes. Or tous ces avantages incomparablement
plus grans que les avantages des
métodes et des rudimens vulgaires, doivent
nécessairement influer en bien sur
la suite des études et même sur toute
la vie ; car par là on préserve les enfans:
de l'oisiveté , de la fénéantise etc. et on
leur épargne les dégouts et l'amertume
des métodes vulgaires , en un mot , on
leur done de bone heure le gout du travail
, du devoir , et des bones choses , ce
que l'experience a déja heureusement
confirmé sur plusieurs enfans.
,
§. 12. Exemple de deus petits tèmes gravés
sur laplanche de la bibliotèque des enfans,
et donés sur une carte à un enfant qui
doit les composer sur la table du les bure an
tipografique.
L'enfant aïant lu et relu ces tèmes ;
poura ensuite les composer sur la table
du bureau , de la mème maniere qu'il l'a
II. Vol.
praz
DECEMBRE. 1730 2793
pratiqué à l'égard des lètres , et des
mieres combinaisons en latin et en françois.
9
ab bo fli pru Bb
Dd Pp Qq & f
§ J'aime Dieu , parce qu'il
¶ Ego amo Deum , quia ille
eft bo ainfi foit - il.
eft bon Amen
A Paris ce 29. Jui
Parifiis die XXIX . Junii
1730. &c. Fin.
M. DCC. XXX. &c. Finis.
pre-
Pour lui montrer cet exercice , je prens
dans sa cassete les deus crois de pardieu
ou de Jesus , les dis combinaisons des
lètres qui ont servi de premier amusement
literaire , je range surla table les
dis cartes de ces dis combinaisons élementaires
; mais pour le tème interlinéaire
latin-françois , j'ai recours au
F
4
1
II. Vol Bij grand
2794 MERCURE DE FRANCE
·
grand bureau , et je prens dans les lọ-
gètes des signes le paragrafe §.et le pié de
mouche , ensuite je cherche le J' ou
lej capital apostrofé dans la celule du
J , ou dans cèle du pronom de la première
persone ( Ego ) J' , je du rudiment
pratique , que je continue toujours d'expliquer
à l'enfant. Je prens la diftongue
oculaire ai dans la troisième colone ou
celule des è ouverts composés de plusieurs
lètres et au- dessous de la celule des chifres
VII 7. ensuite le m et l'e muet dans leurs
celules , ce qui me done le premier mot
en quatre sons et en quatre cartes , que
je range à l'ordinaire . Ce seroit, par exemple
, une faute tipografique dans cète
classe , d'avoir employé les deus cartes a
pour le seul son de l'è ouvert du
et i
mot j'aime.
Pour le latin j'opère de- mème , je prens
en caracteres rouges italiques ou diferens
et manuscrits , le pronom Ego, dans la lo- gète
des pronoms
de la premiere
perso- ne et le mot amo dans le rudiment
ou
dans le dictionaire
pratique
, à la logète
des verbes ; ce que je montre
et explique
peu à peu à l'enfant , pour lui rendre
sensibles
toutes les parties du discours
. Dn poura composer
le françois
tout de
suite , et après cela le latin , ou chaque
langue mot à mot, ce qui fera plus d'im-
II. Vol. pres
DECEMBRE. 1730. 2795
de pression à l'enfant , et lui permetra
bien espacer les lètres et les mots , mais
il sera bon de pratiquer l'une et l'autre
manière pour varier l'exercice du jeu tipografique.
Je
prens le D capital
, la voyele
i et la
diftongue
oculaire
eu , dans
leurs
celules
,
et je range
ensuite
les trois
cartes
des trois
sons
du mot
Dien. Ce seroit
une faute
tipografique
dans
cette
classe
, d'employer
les deus
cartes
e et u pour
le seul son de
l'e françois
soutenu
en ; l'enfant
qui ,dans
la segonde
classe
, comence
d'imprimer
ou de composer
avec
le seul
premier
bureau
latin
, suivra
le sistème
des lètres
,
come
les imprimeurs
ordinaires
, mais
dès.
que l'enfant
sera mis au bureau
françoislatin
de la troisième
classe
, il doit
ètre
enseigné
et montré
selon
le sistème
des
sons. Je prens
le mot
Deus
dans
le dictionaire
à la celule
D des
noms
apellatifs
, et je mets un m sur le s du mot
Deus,
ou bien
je prens
um dans
la logète
des
terminaisons
des noms
, et je le mets
sur l'us
du mème
mot
Deus , ou bien
je prens
le
D , l'e et l'um
dans
leurs
logètes
, de mème
que les virgules
.
Je trouverai parceque dans le dictionalre
à la celule P des indéclinables , ou les
trois silabes par , ce , qu' , dans trois logètes
diferentes , savoir par , dans la lo-
II. Vol. B iij gète
2796 MERCURE DE FRANCE
gète des indeclinables du bureau tipografique;
ce, dans la celule du pronom hic, et
le qu'apostrofé dans cèle du pronom relatif
qui ou dans la troisiéme celule de la colone
q composé. Je trouve également il dans la
celule du pronom de la troisiéme persone.
La setiéme celule du plus haut rang où
est le tems present de l'indicatif , done
le verbe est , à moins qu'il ne soit encore
dans la celule du verbe substantif, qui est
dans le mème rang. Le mot bo , se prend
dans la logète du b , et dans cèle de la
voyele nazale , en deus cartes pour les
deus sons , au lieu d'en doner trois , qui
d'abord pourolent induire l'enfant en erreur
et lui faire lire b , o , ne , au lieu de
b, ō; ce qui est important pour faire bien
distinguer le n consone et le n nazal ;
distinction utile , qui ne doit point scandaliser
les témoins de cet exercice literaire
, puisque les voyeles nazales á , é ,
í , õ , ũ , où les voyeles à titres se trouvent
non - seulement dans de vieus livres,
mais encore dans des breviaires et dans
des HEURES de l'anée courante. Le latìn
se compose de mème , on prend quia
dans la celule des indéclinables du bureau
ou du dictionaire , et ille , est dans
leurs celules come en françois , de mème
que pour le mot bonus , qu'on trouvera
dans la celule B des noms adjectifs , ou
II.Vol.
bien
DECEMBRE. 1730. 2797
bien on prendra les lètres b , o , n , dans
leurs celules , et le bus ou le petit abregé
dans la troisième celule de la colone u .
Pour le mot composé ainsi soit- il , je
prens un ai d'une seule carte dans les
celules des voyèles nazales ; si , s , oit,-il,
dans leurs logères ; savoir , si , dans la
troisiéme logète de la colone f, qui me
done le s ; oit , dans les terminaisons des
verbes françois ; le tiret apelé division ,
dans les logères des signes , et il dans
cèle de la troisiéme persone . Le mot latin
amen , se trouvera dans la celule A des
indéclinables du dictionaire tipografique ;
les poins dans leur logète ; là accentué
dans la troisième logète de la colone a ;
pour le mot Paris , on cherchera et l'on
a toutes les lètres de ce mot ,a moins
qu'on ne l'ut mis dans la logète des noms
substantifs , dans la logète géografique , ou
dans la logète des noms propres à la lètre
P du dictionìare ; ce, dans la celule du
pronom hit ; 29. et 1730. en latin et en
françois dans la logète du livrèt , ou dans
la derniere des chifres . Ju , en trois cartes
pour les trois sons pris dans les trois celules
du J , u , 7 : etc. dans la troisieme
celule de la colone ; fi en deus cartes
pour les deus sons f, i , pris dans leurs celules
, et le mot finis dans la logète F
des mots apellatifs du dictionaire tipo-
1.
II. Vol. Bilj gra2798
MERCURE DE FRANCE
grafique. Le mot die latin est pris dans la
logète des paradigmes ou des exemples
de la cinquieme déclinaison , etc.
la
On voit par la composition de ce petit
tème , de quelle naniere on doit s'y prendre
pour tous les autres , l'essentiel est
de bien expliquer et de bien faire sentir
à l'enfant la nature , l'usage de chaque
partie du discours , en començant par
langue françoise et passant ensuite à la
langue latine , c'est ainsi qu'on montrera
peu à peu et en mème tems les raports
d'une langue à l'autre. Quand l'enfant
aura plusieurs fois le mème mot dans
son tème , il ne le trouvera qu'une fois
dans le dictionaìre de son bureau , et cela
sufit , ensuite il composera les autres avec
les lètres et les sons de l'A B C mouvant ,
selon les règles de la segonde et de la troisième
classe , je dis ceci par raport aus
mots de moins d'usage , et non pour les
verbes auxiliaires , les pronoms , les prépositions
, l'article et autres mots qui revienent
souvent. J'oubliois de dire que
quand le mot latin sera le mème que le
mot françois , à la terminaison près , il
sufira d'ajouter cète terminaison latine
sous le mot françois ; par exemple : pour
metre à l'acusatif les mots action , immortalité
, etc. on aprendra à l'enfant qu'il
sufit de metre les cartes onem sous l'o d'ac
II. Vol.
tion
DECEMBRE . 1730. 279 9
tion , et cèles d'atem , sous l'é du mot immortalité,
ce qui doit s'entendre et se pra
tiquer pour toutes les parties du discours
déclinables , indéclinables et conjugables,
qui ne seront distinguées du latin que
par les seules terminaisons , et c'est ici
que l'enfant comence de bone heure à
mieus apercevoir les raports et les diferences
de la langue latine et de la langue
françoise avantage téorique et pratique,
que ne peuvent doner aussi - tot les
rudimens ordinaires , fussent- ils tous les
jours articulés et récités sans faute depuis
le comencement jusqu'à la fin.
En voilà , je pense , bien assés pour
metre au fait les maitres judicieus et non
prévenus , qui n'ignorent pas tout à-fait
la doctrine des sons de la langue françoise ,
ceus qui n'en ont aucune conoìssance
pouront lire les essais de M. l'Abé de Dangeau
, et la grammaire du R. P. Buffier
suposé que ces maitres aiment l'analise des
choses et les reflexions sur cète matiere ,
sans quoi ils ne pouront jamais savoir ces
minuties à fond, l'étude én est cependant
nécessaire aus bons maitres qui se piquent
de bien montrer ; l'indiference ou le mépris
sur cet article ne peut jamais leur
faire honeur. Quelques petites que puissent
paroître ces minuties et ces reflexions
aus ïeus de ceus de certaines persones in-
II.Vel.
Bv Ca
2800 MERCURE DE FRANCE
capables de juger du pris et du vraì mérite
des petites choses , il n'en est pas
moins vrai que les maltres , les régens , et
les professeurs payés pour enseigner les
enfans , doivent ètre des premiers à
aprouver la métode du bureau tipografique
suposé qu'elle produise les efets
avantageus que je lui atribue , et qu'elle
alt en bien des choses la superiorité que
je luidone sur toute autre métode conue,
verité que je vais démontrer dans la huitiélètre
et que je ne crains point de publier
tous les jours au centre mème du pays latin,
en faveur des enfans de notre Empire et
des enfans de toute l'Europe . Je suis , etc.
Nota. Les persones curieuses de lire toutes
Les letres sur la biblioteque des enfans , prendront
la peine d'en comencer la lecture dans
le segond volume du Mercure du mois de
Juin 1730 .
On trouvera dans le Mereure de Janvier
un abregé somaire , ou une récapitulation de
tous les avantages de la métode du bureau.
pografique.
Fermer
Résumé : SUITE de la setième lètre, sur la bibliotèque des enfans, etc.
Le texte présente diverses méthodes pédagogiques pour enseigner la lecture et l'écriture aux enfants, en utilisant des outils et techniques spécifiques. Un casseau portatif de six cellules permet d'organiser les thèmes à lire ou à faire, avec des cellules dédiées aux thèmes en français, en latin, et en caractères italiques ou manuscrits. Ce casseau peut également contenir des cartes et des jeux éducatifs. Les enfants reçoivent des thèmes à lire ou à compléter, et les thèmes bien réussis sont retirés pour éviter la fatigue et le dégoût. Les thèmes historiques, connus et appréciés, sont conservés pour ne pas frustrer l'enfant. L'apprentissage est rendu amusant et les progrès sont récompensés. D'autres outils mentionnés incluent un porte-thèmes avec six poches numérotées pour organiser les thèmes par nombre de lignes, et un rudiment pratique composé de deux rangées de cassetins pour apprendre les déclinaisons, les pronoms et les conjugaisons. Le dictionnaire est organisé en six rangées de cellules pour classer les verbes, les noms, les adjectifs, les indéclinables, les noms propres et divers mots de la langue. Le texte insiste sur l'importance de la pratique et de l'amusement dans l'apprentissage. Il mentionne des exemples d'enfants ayant rapidement appris à lire et à écrire grâce à ces méthodes. Les classes d'exercice du bureau typographique sont divisées en quatre catégories pour structurer l'apprentissage. La première classe permet aux enfants d'associer des cartes à des lettres ou des figures sur une table abécédique. La deuxième classe introduit l'usage des lettres capitales et petites pour composer des mots latins et français. La troisième classe enseigne la composition des mots selon les sons de la langue française, formant ainsi une base solide en orthographe. La quatrième classe permet aux enfants d'imprimer des mots et des phrases entières, en latin et en français, en utilisant des cartes et des sons. Le texte souligne également l'importance de la maîtrise des rudiments de la langue française pour les enseignants. Il recommande la lecture des essais de l'Abbé de Dangeau et de la grammaire du Père Buffier pour ceux qui ignorent la doctrine des sons de la langue française. Les enseignants doivent apprécier l'analyse et la réflexion sur cette matière pour en maîtriser les détails. La méthode du bureau typographique est présentée comme supérieure aux autres, et ses avantages sont détaillés dans la huitième lettre. Le texte se conclut par une invitation à consulter les lettres sur la bibliothèque des enfants dans le second volume du Mercure de juin 1730, et un abrégé des avantages de la méthode dans le Mercure de janvier.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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246
p. 2801-2803
VERTUMNE ET POMONE, CANTATE.
Début :
Dans les charmans Vergers qu'embellit sa presence, [...]
Mots clefs :
Coeur, Amour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : VERTUMNE ET POMONE, CANTATE.
VERTUMNE ET POMONE .
CANTATE.
Ans les charmans Vergers qu'embellit fa
D prefence ,
Pomone , peu fenfible au pouvoir de fes yeux ,
Affure par ces mots fa paifible innocence
Contre les Traits victorieux ,
Que l'Enfant de Cithere fance
Vous faites ma felicité ,
Bois épais , agréable ombrage ;
Sous votre aimable obfcurité ,
Je fais l'amoureux efclavage ,
Je fais gloire de ma fierté ,
A l'abri de votre feüillage.
Si nos coeurs vouloient réfifter ,
L'Amour n'auroit point de victoire
Nous lui cedons fans difputer ;
Notre foibleffe fait fa gloire.
Quelles féduifantes erreurs !
Accable de maux neceffaires ,
On peut ménager fes douleurs
On en cherche de volontaires,
Si nos coeurs , &c.
>
II.Vol. B vį Malgré
2802 MERCURE DE FRANCE
Malgré l'excès de fa rigueur ,
Vertumne , dès long- temps languiffant fous fa
chaine ,
Suit les traces de l'Inhumaine ,
#
Qu'il veut perfuader de fa fincere ardeur,
Et pour fléchir l'objet de fa tendreffe ,
Il emprunte foudain par un prompt changement ;
Le vifage de la Vieilleffe .
Vainement vous bravez le plus puissant des
Dieux ,
Dit-il en l'abordant , ceffex , jeune Pomone ,
De refufer des foins qu'exigent vos beaux yeux;
Au coeur que Vertumne vous donne .
N'oppofez plus de regards dédaigneux ;
La fincerité de fes feux ,
Mérite qu'àjamais votre ardeur les couronne.
Quand l'Amour nous fait languir ,
C'eft l'effet de ſa vengeance ;
Cédons lui fans réſiſtance ,
Ou redoutons de l'aigrir .
Loin la fiere indifference:
Un coeur en eft le martir ;
'Aimons , & loin de punir ,
Le petit Dieu récompenfe.
Quand l'Amour , &c
dl. Vol
DECEMBRE. 1730. 2803
Il parle un baiſer plein de flamme ,
Suit auffi -tôt fon diſcours enchanteur ,
L'Amour qui conſume ſon ame ,
A
Des levres de Pomone a coulé jufqu'au coeur ,
Il découvre ſes traits : la Belle qu'il enflamme ,
Pour le dédommager de fa longue rigueur ;
Entre fes bras tombe en langueur ;
Dans les doux tranſports qui la pâme ,
Le tendre Amant affure ſon bonheur
Elle eft forcée à chérir fon erreur.
Un coeur qui peut fe contraindre ,
Tôt ou tard fe fait aimer ;
Amans , fi vous fçavez feindre ;
Soyez certains de charmer..
Aimez-vous une Rebelle ?"
Confultez le tendre Amour ;
Il fe déguiſe auprès d'elle ,
Pour l'enchaîner à ſon tour
Un coeur , &c .
"
Le Chevalier de Montador
CANTATE.
Ans les charmans Vergers qu'embellit fa
D prefence ,
Pomone , peu fenfible au pouvoir de fes yeux ,
Affure par ces mots fa paifible innocence
Contre les Traits victorieux ,
Que l'Enfant de Cithere fance
Vous faites ma felicité ,
Bois épais , agréable ombrage ;
Sous votre aimable obfcurité ,
Je fais l'amoureux efclavage ,
Je fais gloire de ma fierté ,
A l'abri de votre feüillage.
Si nos coeurs vouloient réfifter ,
L'Amour n'auroit point de victoire
Nous lui cedons fans difputer ;
Notre foibleffe fait fa gloire.
Quelles féduifantes erreurs !
Accable de maux neceffaires ,
On peut ménager fes douleurs
On en cherche de volontaires,
Si nos coeurs , &c.
>
II.Vol. B vį Malgré
2802 MERCURE DE FRANCE
Malgré l'excès de fa rigueur ,
Vertumne , dès long- temps languiffant fous fa
chaine ,
Suit les traces de l'Inhumaine ,
#
Qu'il veut perfuader de fa fincere ardeur,
Et pour fléchir l'objet de fa tendreffe ,
Il emprunte foudain par un prompt changement ;
Le vifage de la Vieilleffe .
Vainement vous bravez le plus puissant des
Dieux ,
Dit-il en l'abordant , ceffex , jeune Pomone ,
De refufer des foins qu'exigent vos beaux yeux;
Au coeur que Vertumne vous donne .
N'oppofez plus de regards dédaigneux ;
La fincerité de fes feux ,
Mérite qu'àjamais votre ardeur les couronne.
Quand l'Amour nous fait languir ,
C'eft l'effet de ſa vengeance ;
Cédons lui fans réſiſtance ,
Ou redoutons de l'aigrir .
Loin la fiere indifference:
Un coeur en eft le martir ;
'Aimons , & loin de punir ,
Le petit Dieu récompenfe.
Quand l'Amour , &c
dl. Vol
DECEMBRE. 1730. 2803
Il parle un baiſer plein de flamme ,
Suit auffi -tôt fon diſcours enchanteur ,
L'Amour qui conſume ſon ame ,
A
Des levres de Pomone a coulé jufqu'au coeur ,
Il découvre ſes traits : la Belle qu'il enflamme ,
Pour le dédommager de fa longue rigueur ;
Entre fes bras tombe en langueur ;
Dans les doux tranſports qui la pâme ,
Le tendre Amant affure ſon bonheur
Elle eft forcée à chérir fon erreur.
Un coeur qui peut fe contraindre ,
Tôt ou tard fe fait aimer ;
Amans , fi vous fçavez feindre ;
Soyez certains de charmer..
Aimez-vous une Rebelle ?"
Confultez le tendre Amour ;
Il fe déguiſe auprès d'elle ,
Pour l'enchaîner à ſon tour
Un coeur , &c .
"
Le Chevalier de Montador
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Résumé : VERTUMNE ET POMONE, CANTATE.
Le texte décrit la cantate 'Vertumne et Pomone'. Pomone, déesse des fruits, exprime son bonheur et sa soumission à l'amour sous la protection des bois. Elle reconnaît la puissance de l'amour, auquel elle finit par céder malgré sa résistance initiale. Vertumne, dieu des saisons et des cultures, est amoureux de Pomone mais est repoussé par elle. Pour la convaincre, il se déguise en vieille femme et lui parle avec sincérité, l'exhortant à ne pas résister à l'amour. Il l'embrasse passionnément, révélant ainsi son véritable visage. Touché par ce geste, Pomone finit par succomber à l'amour de Vertumne. Le texte souligne que la résistance à l'amour est vaine et que feindre l'indifférence ne fait que renforcer la puissance de l'amour. Il conseille aux amants de consulter l'amour pour charmer une personne rebelle, car l'amour sait se déguiser pour conquérir les cœurs.
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247
p. 2804-2833
LETTRE de M. Treüillot de Ptoncour, Curé d'Ansacq, à Madame la Princesse de Conty, troisiéme Doüairiere, & Relation d'un Phénomene très extraordinaire, &c.
Début :
MADAME, J'ay crû avoir remarqué dans mes deux Voyages de l'Isle-Adam, que VOTRE ALTESSE [...]
Mots clefs :
Ansacq, Sabbat, Relation, Prince de Conti, Princesse de Conti, Village, Esprit, Campagne, Vallons, Phénomène extraordinaire, Maison, Voix, Bruits, Merveilleux, Voix humaine, Bruit extraordinaire, Phénomènes, Laboureur, Témoins
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. Treüillot de Ptoncour, Curé d'Ansacq, à Madame la Princesse de Conty, troisiéme Doüairiere, & Relation d'un Phénomene très extraordinaire, &c.
LETTRE de M.Treüillot de Ptoncour,
Curé d'Anfacq , à Madame la Princeffe
de Conty , troifiéme Douairiere , &
Relation d'un Phénomene très extraordinaire
, &c.
MADAM ADAME ,
Fay cru avoir remarqué dans mes deux
Voyages de l'Ile-Adam , queVOTRE Altesse
SERENISSIME n'y venoit de tems en tems que
poury gouter les amusemens de la Campagne
; une Ménagerie , la Chaffe , la Pêche ,
les Promenades , les ouvrages de l'aiguille
ou de la Tapiffèrie , & fur tout d'agréables
lectures , font , ce me femble , tout ce qui peut
former l'aimable varieté de vos innocens plaifirs.
Que je ferois heureux , MADAME ,
fi je pouvois y contribuer en quelque³ maniere,
& augmenter cette varieté par la petite
Relation que je prens la liberté de vous
prefenter!
Tout y refpire l'air de la Campagne ; tout
ce qui y eft contenu s'eft paffé à la Campagnes
c'eft fur le témoignage de gens de la Campagne
que le fait dont il s'agit eft appuyé ;
II. Fol. c'eft
DECEMBRE . 1730. 2803
c'est enfin un Curé , mais le Curé de toutes
vos Campagnes , le plus fidele , le plus zelé ,
& le plus refpectueux , qui a l'honneur de
vous la communiquer.
Le fujet de cette Relation , toute effrayant
qu'il ait parn aux gens de la Campagne qui
difent, en avoir été témoins , devient naturellement
pour les efprits folides , & fur tout
pour celui de V. A. S. un vrai divertiffement
& une matiere agréable de recherches ,
de reflexions, fuppofe fa réalité.
Il s'agit d'un bruit extraordinaire dans
Fair, qui a toutes les apparences d'un Prodige
; prefque tous les habitans du lieu où
il s'eft fait, affurent , jurent & protestent l'avoir
bien entendu.
Ces Témoins , comme gens de la Campagne
, appellent cet évenement un Sabbat ; les
efpritsforts l'appelleront comme ils voudront,
pourront raifonner , ou plutôt badiner à
Leur aife.
> Aux
Pour moi , dans la Differtation que j'ay
mife à la fin , je lui donne le nom grec d'Akoulmate
, pour fignifier une chofe extraor
dinaire qui s'entend dans l'air , comme on
donne le nom grec de Phénomene
chofes qui paroiffent extraordinairement
dans
te même Element ; mais je me garde bien de
rien décider fur le fond ni fur les cauſes .
Quoiqu'il en soit , Efprits , Lutins , Sorciers
, Magiciens , Météores , Conflictions
II. Vol .
de
2806 MERCURE DE FRANCË
de vapeurs , Combats d'Elemens ; je laiffe
aux Curieux à choisir ou à trouver d'autres
caufes : ilme fuffit d'affurer V.A.S. que les
Témoins de ce prétendu Prodige , m'ont paru
de bonne foi , & que les ayant interroge
plufieurs fois , & leur ayant donné tout le
tems de fe contredire & d'oublier dans leurs
deux , trois & quatrième dépofitions , ce qu'ils
m'avoient dit dans la premiere , ils se font
néanmoins foutenus à merveilles , & n'ont
point varié dans la moindre circonftance.
C'en eft affez pour mon deffein , qui fe
termine uniquement au divertiffement de
V. A. S. elle a dans fa Cour & à la suite
de Monfeigneur le PRINCE DE CONTY,
des R R. Peres Jefuites , qui font ordinairement
des perfonnes trés-lettrées & trés- verfées
dans les fecrets de la Nature : fi vous voulez
, MADAME , leur communiquer cette
Relation , & qu'ils veuillent bien en dire
leur fentiment, je ferai charmé de profiter de
leurs lumieres, & je m'engagerai même à rendre
publique leur opinion , avec leur permiffion,
s'entend, je ne voudrois pour toute chofe
au monde , jamais rien faire qui pût leur
déplaire.
Au refte , V. A. S. doit prendre d'autant
plus de part à cet évenement , qu'il eft arrivé
dans une de fes Terres.
Si ce font des Efprits de l'Air, comme les
Perdrix & les autres Oifeaux qui habitent
II. Vol. Le
DECEMBRE. 1730. 2807
le même Element dans l'étenduë du Territoire
d'Amfacq , appartiennent de droit à
V. A. S. fans doute que ces Efprits , pourvn
qu'ils foient familiers & bienfaifants , doivent
vous appartenir par la même raifon ;
en tout cas mon unique but n'eft , encore un
coup , MADAME , que de vous diver
tir, auffi-bien que Monfeigneur LE PRINCE
DE CONTY ; faffe le Ciel quej'y aye réuſſi
aujourd'huy , en attendant que je puiffe donner
des marques plus ferieufes de l'attachement
infini & du refpect profond avec lequel
je fuis de V. A. S. MADAME , & c.
RELATION d'un bruit extraordinaire
comme de voix humaines , entendu dans
l'Airpar plufieurs Particuliers de la Paroiffe
d'Anfacq , Diocéfe de Beauvais
la nuit du 27. au 28. Janvier 1730 .
E Samedi 28. Janvier de la prefente
Lannée , le bruit le répandit dans la
Paroiffe d'Anfacq , près Clermont en
Beauvoifis , que la nuit précédente plufieurs
Particuliers des deux fexes , avoient
entendu dans l'Air une multitude prodigieufe
comme de voix humaines de
differens tons , groffeurs & éclats , de tout
âge , de tout fexe , parlant & criant toutes
enfemble , fans néanmoins que ces Par-
IIV ol.
ticu1808
MERCURE DE FRANCE
ticuliers ayent pu rien diftinguer de ce
que les voix articuloient ; que parmi cette
confufion de voix , on en avoit reconnu
& diftingué un nombre infini qui pouffoit
des cris lugubres & lamentables , comme
de perfonnes affligées , d'autres des cris de
joye & des ris éclatans , comme de perfonnes
qui fe divertiffent ; quelques- uns
ajoûtent qu'ils ont clairement diftingué
parmi ces voix humaines , ſoit- diſant , les
fons de differens inftrumens.
Cette nouvelle vint bientôt jufqu'à
moi , & comme je n'ajoûte pas foi
aifément à ces fortes de bruits populai
res , & que je fuis affez pyrrhonien à l'égard
de tous les contes nocturnes qui fe
débitent fi fouvent dans l'apparition des
Efprits , des Sabbats & de tant d'autres
bagatelles de cette efpece , je me contentai
d'abord de rire de celle-cy & de la regarder
comme un effet ordinaire d'une
Imagination frappée & bleffée de la frayeur
qu'inſpirent ordinairement les tenebres
de la nuit , fur tout à des efprits groffiers
& ignorans , comme ceux de la plupart
gens de la Campagne , qui font nour
ris & élevés par leurs parens dans cette
perfuafion qu'il y a des Sorciers & des
Sabbats , & qui ajoûtent plus de foi aux
contes ridicules qui s'en débitent parmi
eux , qu'aux veritez effentielles de l'Evangile
& de la Religion.
des
DECEMBRE 1730. 2800
Je badinai ainfi jufqu'au lendemain Dimanche
29. dudit mois , me divertiffant
toujours à entendre raconter la chofe par
tous ceux & celles qui difoient l'avoir entenduë.
Entre ceux- là , deux de mes Paroiffiens,
des premiers du lieu , bons Laboureurs ,
gens d'honneur & de probité , beaucoup
plus éclairez & moins crédules que ne
le font ordinairement les gens de la Campagne
, me vinrent faire l'un après l'autre
leur Relation , comme ayant entendu
de près tout ce qui s'étoit paffé .
Ils m'affurerent qu'alors ils étoient dans
un bons fens parfait, qu'ils revenoient de
Senlis , environ à deux heures après minuit
, & qu'ils étoient fùrs d'avoir bien
entendu & fans être trop effrayez , tour
ce qui eft rapporté au commencement de
cette Relation .
Après les avoir bien interrogez & tour.
nez de toutes fortes de manieres , je tâchai
de leur perfuader qu'ils s'étoient trompez,
& que la crainte & la préoccupation leur
avoient fait prendre quelques cris d'Oifeaux
nocturnes pour des voix humaines;
mais leurs réponſes ont toujours été les
mêmes , fans fe les être communiquées
& je n'ai pû y découvrir ni malice , ni
tromperies , ni contradictions .
J'ai eu beau leur faire à chacun en
-II. Vol.
par2810
MERCURE DE FRANCE
particulier toutes les objections qui me
vinrent alors dans l'imagination , ils ont
toujours perfifté& perfiftent encore à affu
rer que lorfqu'en revenant de Senlis ils
s'entretenoient tranquilement d'une affai
re pour laquelle ils avoient été obligez d'aller
en cette Ville ; ils avoient tout à coup
entendu près d'eux un cri horrible d'une
voix lamentable , à laquelle répondit à
fix cens pas delà une voix femblable &
par un même cri , que ces deux cris furent
comme le prélude d'une confuſion
d'autres voix d'hommes , de femmes , de
vieillards , de jeunes gens , d'enfans, qu'ils
entendirent clairement dans l'efpace renfermé
entre les deux premieres voix ,
& que parmi cette confufion ils avoient
diftinctement reconnu les fons de dif
ferens inftrumens comme Violons
Baffes , Trompettes , Flutes , Tambours ,
&c.
Quoique tout cela n'ait pû me tirer
encore de mon pyrrhonifme , je n'ofe
néanmoins traiter de vifionnaires un fi
grand nombre de perfonnes raifonnables ,
entre lefquelles il s'en trouve fur tout
fept ou huit qu'on peut appeller gens
de mérite & de probité pour laCampagne
qui dépofent toutes unanimement la même
chofe , fans fe démentir ni fe contredire
en la moindre circonftance , quoi-,
II. Vol.
qu'elle
DECEMBRE. 1730. 2811
qu'elles ne fe foient ni parlé ni commu❤
niqué , étant logées dans differens quartiers
du Village éloignez l'un de l'autre
& la plupart defunies par des difcusions
d'interêt qui rompent en quelque maniere
entre elles le commerce ordinaire de la
focieté ; enforte que je ne vois nulle apparence
qu'il puiffe s'être formé entre
elles un complot pour me tromper ou
pour fe tromper elles- mêmes.
C'est ce qui m'a déterminé , à tout hazard
, à prendre la dépofition de chaque
Particulier qui dit avoir entendu les bruits
en queſtion , & d'en faire une efpece de
procès verbal , pour le communiquer à
des perfonnes plus éclairées que moi ,
moi , afin
que fuppofé le fait veritable , elles puiffent
exercer leurs efprits & leurs penetrations
à chercher les caufes naturelles
ou furnaturelles d'un évenement fi extraordinaire.
Quoique j'euffe pris d'abord cette réfo
lution , j'avois pourtant négligé de l'executer
, & le procès verbal que j'avois commencé
dès les premiers jours de Fevrier ,
étoit demeuré imparfait. Mais cette efpece
de prodige étant encore arrivé la nuit du
9. au 10. du mois de May , & plufieurs
perfonnes raisonnables en ayant été témoins
, je me fuis enfin déterminé tout à
fait à continuer avec foin cette efpece
d'enquête,
DE2812
MERCURE DE FRANCE
DEPOSITIONS.
Cejourd'hui 17. May 1730. a comparu
pardevant nous, Prêtre, Docteur en Théologie
, Curé d'Anfacq , le nommé Charles
Defcoulleurs , Laboureur , âgé d'environ
48. ans , lequel interrogé par nous ,
s'il étoit vrai qu'il eût entendu le bruit
extraordinaire qu'on difoit s'être fait dans
l'Air la nuit du 27. au 28. Janvier dernier
, & fommé de nous dire la verité
fans détours & fans déguiſemens.
>
A répondu , que cette nuit là , revenant
avec fon frere François Defcoulleurs , de la
Ville de Senlis , & ayant paffé par Mello ,
où ils auroient eu quelques affaires ; ils auroient
été obligez d'y refterjufques bien avant
dans la nuit, mais que voulant neanmoins
revenir coucher chez eux , ils feroient arrivez
environ à deux heures après minuit audeffus
des murs du Parc d'Anfacq , du côté
du Septentrion , & que prêts à defcendre la
Côte par un fentier qui cottoye ces murs , &
conduit au Village , s'entretenant de leurs
affaires , ils auroient été tout à coup interrompus
par une voix terrible , qui leur parut
éloignée d'eux environ de vingt pas ;
qu'une autre voix femblable à la premiere
auroit répondu fur le champ du fond d'une
gorge entre deux Montagnes , à l'autre exremité
du Village , & qu'immédiatement
II. Vol.
aprés
DECEMBRE. 1730. 281 }
leaprés
, une confufion d'autres voix comme
humaines , fe feroient fait entendre dans
Pefpace contenu entre les deux premieres
articulant certain jargon clapiſſant , que
dit Charles Defconlleurs dit n'avoir pû com
prendre , mais qu'il avoit clairement diftinqué
des voix de vieillards , de jeunes hommes
, defemmes ou de filles & d'enfans, &
parmi tout cela les fons de differens Inftru
mens.
Interrogé. Si ce bruit lui avoit paru éloigné
de lui & de fon frere ? A répondu
de quinze on vingt pas. Interrogé , fi ces
voix paroiffoient bien élevées dans l'Air ?
A répondu. A peu près à la hauteur de
vingt ou trente pieds , les unes plus , les autres
moins, & qu'il leur avoit femblé même
que quelques-unes n'étoient qu'à la hauteur
d'un homme ordinaire , & d'autres comme
fi elles fuffent forties de terre.
Interrogé. S'il n'auroit pas pris les cris
de quelques bandes d'Oyes fauvages , de
Canards , de Hyboux , de Renards , ou
les hurlemens de Loups , pour des voix
humaines ? A répondu. Qu'il étoit aufait
de tous ces fortes de cris , & qu'il n'étoit pas
homme ſi aisé à fe frapper , ni fi fufceptible
de crainte, pour prendre ainfi le change .
Interrogé. S'il n'y auroit pas eu un peu
de vin qui lui eut troublé la raiſon , auffibien
qu'à fon frere ? A répondu . Qu'ils
II. Vol étoient
1814 MERCURE DE FRANCE
étoient l'un & l'autre dans leur bon fens
& que bien loin d'avoir trop bû , ils étoient
au contraire dans un besoin preſſant de boire
& de manger, & qu'après le bruit ceffé , il
s'étoit rendu dans la maifon de fon frere , &
là buvant un coup , ils s'étoient entreteaus
de ce qui venoit de fe paffer , fortant de
tems-en-tems dans la cour pour écouter s'ils
'entendroient plus rien.
que
Interrogé. Si le bruit étoit fi grand qu'il
pût s'entendre de bien loin ? A répondu.
Qu'il étoit tel , que fon frere & lui avoient
eu peine à s'entendre l'un & l'autre en parlant
trés-haut.
Interrogé. Combien cela avoit duré ?
A répondu. Environ une demie heure.
Interrogé. Si lui & fon frere s'étoient
arrêtez & n'avoient pas voulu approcher
pour s'éclaircir davantage ? A répondu.
Que fon frere François avoit bien en le def
fein d'avancer & d'examiner dans l'endroit
ce que ce pouvoit être , mais que lui¸ Charles
, l'en avoit empêché.
Interrogé.Comment cela s'étoit terminé ?
Répondu. Que tout avoit fini par des éclats
de rire fenfibles , comme s'il y eût en trois
ou quatre cens perfonnes qui ſe miſſent à rire
de toute leur force.
Ces Articles lûs & relûs audit Charles
Defcoulleurs , a dit iceux contenir tous
verité , que ce n'étoit même qu'une par-
II. Vol. tic
DECEMBRE . 1730. 2815
tie de ce qu'il auroit entendu , qu'il ne
trouvoit point de termes affez forts pour
s'exprimer , qu'il juroit n'avoir rien mis
de fon invention , & que fi fa dépofition
étoit défectueufe , c'étoit plutôt pour n'avoir
pas tout dit , que pour avoir amplifié,
Et a figné à l'Original.
Ce 18. May 1730. a comparu , &c.
François Defcoulleurs , Laboureur d'Anfacq
, âgé de 38. ans, lequel interrogé s'il
auroit entendu le bruit furprenant de la
nuit du 27. au 28. Janvier dernier , a
répondu à chaque demande que nous lui
avons faites , les mêmes chofes , mot pour
mot , que Charles Defcoulleurs fon frere ;
enforte que lui ayant fait la lecture de
tous les articles contenus dans la dépofition
dudit Charles , a dit les reconnoître
pour veritables , n'ayant rien à y ajouter,
finon qu'à la fin de ce tumulte il s'étoit
fait deux bandes. féparées , fe répondant
l'une à l'autre par des cris & des éclats de
rire , que ledit François Defcoulleurs a
imitez devant nous , exprimant les ris des
vieillards par a, a , a , a , a ; tels que font
les ris des perfonnes décrépites à qui les
dents manquent ; les autres ris des jeunes
kommes , femmes & enfans , par ho ,
bo , bo
ho , bo ; hi , hi , hi , hi ; & cela d'une maniere
fi éclatante & avec une fi grande
confufion , que deux hommes auroient eu
...II Vol
•
1
1-
C peine
2816 MERCURE DE FRANCE
peine à le faire entendre dans une converfation
ordinaire ; lecture lui a été faite
de cette dépofition , a dit contenir verité ,
y a perfifté , & l'a fignée , auffi- bien que
celle de fon frere Charles , qu'il a voulu
figner avec la fienne.
Ce 23. May 1730. ont comparu Louis
Duchemin , Marchand Gantier , âgé de
30, ans , & Patrice Toüilly , Maître Maçon
, âgé de 58. ans , demeurant l'un &
L'autre à Anfacq , lefquels interrogez , ont
répondu : Que la nuit du 27. au 28. Fanvier
dernier , ils feraient partis enſemble environ
à deux heures aprés minuit , afin de
Se rendre au point du jour à Beauvais
diftant d'Anfacq de fix lieues ; qu'étant audeffus
de la Côte oppofée à celle où Charles
François Defconlleurs étoient à la même
heure revenant de Senlis , la Vallée d'Anfacq
entre les uns les autres , ils auroient
entendu le même bruit, & en même temps que
lefdits Defcoulleurs qu'eux Louis Duchemin
& Patrice Touilly , fe feroient arrêtez
d'abord pour écouter avec plus d'attention ,
que faifis de crainte , ils auroient déliberé
entre eux de retourner fur leurs pas ;
que comme il auroit fallu paffer dans l'endroit
où ces voixfe faifoient entendre , ils fe
feroient déterminez à s'en éloigner en continuant
leur voyage , toujours en tremblant :
qu'ils auroient entendu le même bruit pendant
mais
II, Vel
-une
DECEMBRE . 1730. 2817
une demie lieuë de chemin , mais foiblement
à mesure qu'ils s'éloignoient. Et ont figné
à
l'Original.
Le même jour a comparu pardevant
nous le fieur Claude Defcoulleurs , ancien
Garde de la Porte , & Penfionnaire de feu
M. le Duc d'Orleans , âgé de 56. ans , lequel
interrogé , a répondu : Que non -feulement
il avoit bien entendu ce bruit du mois de
Janvier , mais encore celui de la nuit du 9.
au 10. du prefent mois de May ; que lors
du premier il étoit bien éveillé & avoit oui
diftinctement tout ce qui s'étoit paffé : que
comme alors il faifoit froid, il ne s'étoit pas
levé pour cette raisons mais que comme la
porte de fa chambre eft vis-à-vis fon lit &
tournée à peu près du côté du Parc d'Anfacq
, il avoit auffi bien entendu que s'il eût
été dans fa cour & dans le lieu même ; que
le bruit étoit fi grand & fi extraordinaire,
que quoiqu'il fut bien enfermé , il n'avoit
pas laiffé d'être effrayé , & de reffentir dans
toutes les parties de fon corps un certain frémiffements
enforte que fes cheveux s'étoient
hériffez. Qu'à la feconde fois étant endormi,
le même bruit l'ayant éveillé en furſaut , il
feroit levé fur le champ ; mais que tandis
qu'il s'habilloit,la Troupe Aërienne avoit en
Le
temps
de s'éloigner; enforte que quand il
fut dans fa cour , il ne l'avoit plus entendrë
que de loin & foiblement , que cependant
11. Vol.
il
Cij
2818 MERCURE DE FRANCE
il en avoit oui affez defon lit & de fa chambre,
pourjuger & reconnoîtrefenfiblement que
ce fecond évenement étoit femblable en toutes
manieres au premier & de même nature.
Interrogé , s'il ne pourroit pas nous
donner une idée plus claire de cet évenement
par la comparaifon de quelque chofe
à peu près femblable , & tirée de
l'ordre ordinaire de la Nature & du Commerce
du Monde ? A répondu de cette.
maniere.
Il n'eft pas , Monfieur , dit-il , que vous
nayez vu plufieurs fois des Foires oufrancs
Marchez vous avez , fans doute, remarqué
que dans ces fortes de lieux deux ou trois
mille perfonnes forment une espece de cabos
ou de confufion de voix d'hommes , de femmes
, de vieillards , de jeunes gens & d'enfans
, où celui qui l'entend d'un peu loin ne
peut abfolument rien comprendre , quoique
chaque Particulier qui fait partie de la confufion
, articule clairement & fe faffe entendre
à ceux avec lesquels il traite de fes affaires
& de fon Commerce . Imaginez- vous donc
être à la porte des Hales à Paris unjour de
grand Marché , ou dans les Sales du Palais
avant l'Audience ; ou enfin à la Foire faint
Germain fur le foir , lorsqu'elle eft remplie
d'un monde infini , n'entend-on pas dans
tous ces lieux, & principalement dans le dernier
un charivari épouvantable , ( ce font fes
II Vol. mêmes
DECEMBRE. 1730. 28 19
›
mêmes termes ) dans lequel on ne comprend
rien en general, quoique chacun en particulier
parle clairement & ſe faſſe diſtinctement entendre?
ajoûtez à tout cela lesfons des Violons ,
des Baffes , Hautbois , Trompettes , Flutes
Tambours & de tous les autres Inftrumens
dont on joue dans les Loges des Spectacles
& qui fe mêlent à cette confufion de voix ,
vous aurez une idée jufte & naturelle des
bruits que j'ai entendus & dans lesquels j'ai
remarqué diftinctement des voix humaines en
nombre prodigieux , auffi - bien que les fons
de differens Inftrumens . Après la lecture
de fa dépofition , a dit , juré & protesté
contenir verité & a figné à l'Original .
ans ,
Le même jour a comparu Alexis Allou ,
. Clerc de la Paroiffe d'Anfacq , âgé de 34.
lequel interrogé &c . a répondu :
...que la même nuit étant couché & endormi,
Sa femme qui ne dormoit pas auroit été frappée
d'un grand bruit , comme d'un nombre
-prodigieux de perfonnes de tout fexe , de tout
age ; que faifie de frayeur , elle auroit éveillé
ledit Allou , fon mari , & qu'alors le même
bruit continuant & augmentant toujours ,
ils auroient crû l'un & l'autre que le feu étoit
à quelque maifon de la Paroiffe , & que les
cris provenoient des habitans accourus an
Secours que lui Allou dans cette perſuaſion
fe feroit levé avec précipitation ; mais qu'étant
prêt à fortir , & avant d'ouvrir fa
II. Vol. Cij porte
2820 MERCURE DE FRANCÉ
porte il auroit entendu paſſer devant fa
maifon une multitude innombrable de perfonnes
, les unes pouffant des cris amers
( ce font fes termes ) les autres des cris de
joye , & parmi tout cela les fons de differens
inftrumens que cette multitude lui avoit femblé
fuivre le long de la rue jufqu'à l'Eglife ,
mais qu'alors unfriſſon l'ayant faifi , il n'auroit
pas ofé écouter plus long- tems , & auroit
étéfe recoucher auffi tôt pour fe raffurer auffi
bien que fa femme qui trembloit de frayeur
dans fon lit. Et a figné à l'original.
Ce 24. May 1730. a comparu Nicolas
de la Place , Laboureur , âgé d'environ
45. ans , demeurant audit Anfacq , lequel
a déclaré : que la nuit du 27 au 28. Janvier
n'étant point encore endormi , il auroit tout
à
coup entendu un bruit extraordinaire , é
que croyant qu'il feroit arrivé quelque accident
dans la Paroiffe , il fe ferait levé nud
en chemife , & qu'après avoir ouvert la porte
de fa chambre , il auroit oùi comme un nombre
prodigieux de perfonnes , de tout âge &
de toutfexe , qui paffoient devant fa maison,
fife proche l'Eglife , & au milieu du Village
, formant un bruit confus , mais éclatant,
de voix comme humaines , mêlées de differens
inftrumens ; qu'alors la crainte & le
froid l'auroient obligé de refermer promtement
fa porte & de fe remettre au lit , d'où
il auroit encore entendu le même bruit & les
II. Vol.
mêmes.
DECEMBRE. 1730. 2821
mêmes voix , comme fi elles euffent monté
la ruë , & paffé devant la Maifon Pres
biterale. Et a figné à l'original.
Le même jour ont comparu Nicolas
Portier , Laboureur , âgé de 25. ans , &
Antoine Le Roi , garçon Marchand Gantier
, âgé d'environ 34. ans , lefquels ont
déposé que ladite nuit & à la même heure
ils auroient entendu paffer le long de la ruë,
dite d'Enbaut , qui conduit à Clermont , &
entre notre Maiſon Presbiterale & la leur,
comme une foule de monde , de tout âge , de
tout fexe , dont une partie pouffoit des cris
affreux , les autres parlant tous ensemble ,
& articulant certain jargon inintelligible s
que le bruit étoit fi grand & fi affreux que
leurs chiens qui étoient couchés dans la
Cour pour lagarde de la maiſon, en avoient
été tellement effrayés , que fans pouffer un
feul aboyement ils s'étoient jettes à la porte
de la chambre de ladite maifon , la mordant
& la rongeant comme pour la forcer , l'ouvrir
& fe mettre à couvert , fuivant l'instinct
naturel de ces animaux. Et ont figné à l'original.
Ce z. Juin 1730. ont comparu Jean
Defcoulleurs , âgé de 40. ans , Jacques
Daim , Etienne Baudart , Chriſtophe Denis
Deftrés , Jean Beugnet , Paul le Roi ,
Jean Caron & un grand nombre d'autres
perfonnes des deux fexes , lefquels ont
II. Vol. Cilj tous
2822 MERCURE DE FRANCÉ
་
tous déclaré d'avoir bien entendu nonfeulement
le bruit aërien du 27 au 28.
Janvier , mais encore celui du 9 au 10.
dé May dernier , fe rapportant tous dans
les mêmes circonftances ; enforte qué
leur ayant fait lecture de toutes les dépofitions
ci-deffus , ont dit icelles contenir
verité , & ont figné l'Original , ceux
qui fçavent écrire , n'ayant pas jugé à
propos de prendre les marques de plus
de vingt perfonnes qui dépofent toutes
les mêmes chofes , mais qui ont declaré
ne fçavoir figner.
Nous fouffigné , Prêtre , Docteur en
Theologie , Curé de S. Lucien d'Anfacq',
Diocèfe de Beauvais , certifions que toutes
les dépofitions ci-deſſus fontfidelles , & telles
qu'on nous les a fournies ; qu'elles font fignées
enforme dans l'Original , & que cette
copie lui eft conforme en toutes fes parties ,
que nous n'avons ajouté ni rien changé dans
Fun & dans l'autre que l'arrangement &
la diction , ayant fcrupuleufement Suivi toutes
les circonftances qui nous ont été données.
Fait à Anfacq , ce 26. Octobre 1730. figné
TREUILLOT DE PTONCOURT , Curé
d'Anfacq.
›
REFLEXIONS.
Avant que de rendre publique cette Relation
, j'ai crû devoir la communiquer à
11. Vol. quelques
DECEMBRE. 1730. 2823
quelques perfonnes éclairées & d'érudition
de mes amis particuliers , leurs ſuffrages
m'ont paru néceffaires pour la rendre
plus autentique , s'agiffant fur tout
d'un évenement qui tient trop du merveilleux
, pour ne pas devenir le fujet
des railleries & du mépris des efprits
forts.
Je fuis bien aife d'avertir ces Meffieurs
que j'ai été jufqu'ici de leur nombre &
leur confrere fidele en ce genre feulement;
mais quoique je ne fois pas encore bien
réfolu de faire faux- bon à leur confrairie
, je les fupplie néanmoins de me permettre
de demeurer neutre entre leur
parti & celui des crédules , jufqu'à ce
que des gens de poids pour la fcience &
pour la pénetration ayent décidé du fait.
dont il s'agit , & m'ayent tiré de la perplexité
où je refterai jufqu'à leur jugement,
Les efprits forts ne peuvent me refuſer
qu'injuftement cette fufpenfion ; je ne
fçai pas bien s'il ne feroit pas auffi injufte
& auffi ridicule de traiter de vifionaires
tant de gens de probité , quoique de
la Campagne , qui conviennent tous du
même fait , que de croire legérement tout
ce que le vulgaire ignorant débite fi fouvent
des fabbats & des autres fottifes de
ce genre.
II. Vol. Cy Quoi
2824 MERCURE DE FRANCE
Quoiqu'il en foit , mes amis , bien loin
de me diffuader de donner au Public cette
relation , avec le procès verbal fait en
conféquence , m'ont prié , au contraire ,
non feulement de ne point héfiter à
le faire , mais d'y joindre encore une
deſcription Topographique du Village
d'Anfacq , afin de donner lieu à ceux
qui croirone pouvoir expliquer cet évenement
par des caufes naturelles d'exercer
toute leur Phyfique & leur Philofophie.
En effet , fi les Phénoménes extraor
dinaires qui ont paru dans l'air depuis
cinq ans ont tant exercé les beaux efprits
& ont fait la matiere de plufieurs affemblées
de Meffieurs de l'Académie des
Sciences , pourquoi un événement qui
tombe fous un autre fens , qui n'eft pas
moins réél , ni moins effentiel à l'homme
le fens de la vûë , ne meritera- t'if
que
pas autant l'attention & la curiofité des
mêmes Sçavans !
>
Tout le monde fçait que Phénoméne
eft un mot Grec, que l'on a francifé comme
beaucoup d'autres , parce qu'il ne fe
trouve point dans notre Langue de termes
d'une fignification affez énergique ,
pour exprimer feul & par lui -même les
objets qui paroiffent extraordinairement
dans l'air. Notre Langue ne nous fournit
II. Vol. pas
DECEMBRE. 1730. 2825
pas non plus d'expreffions pour défigner
fes bruits extraordinaires qui fe font , où
qui pourroient fe faire entendre. Mais.
comme ces derniers font bien moins communs
que les premiers , on ne s'eft point
encore avifé jufqu'ici de francifer un mot
Grec pour les exprimer.
; .
L'évenement dont il s'agit , ne pourroit
il donc pas m'autorifer à le faire moimême
? & de même qu'il a plû à nos
Anciens d'appeller , Phénoménes , les
objets extraordinaires qui paroiffent dans
l'air ne pourroit-on pas , par la même
raifon , défigner le bruit étonnant & prodigieux
qui vient de fe faire entendre par
ce mot , Akoufméne , ou pour parler plus
regulierement Grec en François , Akousmate
? Le premier fignifie une chofe qui
paroît extraordinairement ; le fecond fi
gnifiera une chofe qui fe fait entendre
extraordinairement
.
Ce principe établi , je prétens que fi les
Phénoménes font du reffort de la curio
fité des Sçavans , les Akoufmates , ne le
font pas moins , fuppofé leur réalité . Or,
on ne peut guere douter de celui - ci : trop
de gens
raifonnables en font le rapport ,
& s'accordent trop dans les mêmes circonftances
, pour n'y pas ajouter foi .
On me dira peut être ,qu'il y a une grande
difference pour l'autenticité entre les Phe-
II. Vol. Cavi no
2826 MERCURE DE FRANCE
noménes & mes prétendus Akoufmates :
que lorfque les premiers paroiffent , tous
les hommes qui ont le même horiſon naturel
& même rationel , peuvent les appercevoir;
au lieu que les feconds , fuppofé
leur réalité , ne peuvent être entendus
que de peu de perfonnes , & de celles feulement
qui en font à portée & qui demeurent
dans le même lieu où ces Akoufmates arrivent.
Que par confequent un Phénoméne
qui eft apperçu par tous les Sunorifontaux ,
emporte avec foi une autenticité bien
plus grande , qu'un Akoufmate qui ne peut
être entendu que par un petit nombre de
particuliers habitans d'un même lieu.
A cela je répons : que la Sphère d'activité
de la vûë étant bien plus étenduë
que celle de l'oüie , les Phénoménes & les
Akoufmates , ne requiérent pas le même
nombre de témoins pour les rendre autentiques
: que les premiers pouvant être apperçus
de tous les Sunorifontaux , il eſt
neceffaire que le plus grand nombre des
hommes qui habitent l'horifon fur lequel
un Phénoméne paroît , en rende témoignage
; au lieu que pour les feconds , il .
fuffit , ce me femble , qu'il ayent été entendus
par la plus grande & la plus faine
partie des habitans d'un même lieu , &
renfermés dans la Sphère d'activité de
l'oüie.
II. Vol.
Mais
DECEMBRE. 1730. 2827
le
Mais pour rendre le fait dont il s'agit
plus autentique encore , il fuffit de remarquer
que le fens de la vûë eft ordinairement
plus fujet à l'erreur & à l'illuſion ,
le fens de l'oüie . Il n'y a pour
que
prouver qu'à fe reffouvenir de toutes les
extravagances qui ſe débiterent à l'occafion
des derniers Phénoménes & fur tout
de celui du mois d'Octobre 1726.Combien
de gens cturent voir au milieu de l'efpece
de Dôme de feu qui parut alors , les uns
une Colombe ou S. Efprit , les autres un
Ange , un Autel , un Dragon , &c . toutes
chofes qui n'avoient de réalité que
dans leur imagination frappée , ou dans
leurs yeux fatigués & éblouis ?
Mais ici où il ne s'agit que du fens de
l'oiie , tant de gens raifonnables ont ils
pû fe tromper fi groffiérement , que de
s'imaginer entendre quelque chofe lorfqu'il
n'entendoient rien ? Un prétendu
bruit épouventable dans l'air qui n'auroit
confifté qu'en quelques hurlemens de
Loups fur la terre ? Une multitude infinie
de voix comme humaines mêlées de
differens fons d'inftrumens, qui n'auroient
été que des cris d'Oyes ou de Canards
Sauvages . Des perfonnes à dix pas du
lieu où fe paffoit ce charivari , des perfonnes
en voyages qui font arrêtées par
cet accident , & qui difent les avoir en-
II. Vol.
tendu
2828 MERCURE DE FRANCE
tendu finir par des éclats de rire de toute
efpece , tandis que d'autres pouffoient
des cris horribles ? Seroit-il poffible que
tant d'oreilles euffent été enchantées
pour ainfi dire , pour croire entendre ce
qu'elles n'entendoient pas ? C'eft ce que
je ne fçaurois jamais m'imaginer . Je ne
veux néanmoins m'attacher à aucun fentiment
, qu'autant qu'il fera celui de perfonnes
plus habiles que moi.
Defcription du Village.
ANacq cft fitué dans un Vallonformé par
deux Coteaux ou Montagnes , entre Clermont
en Bauvoifis au Nord - Eft , & le Bourg de
Mouy au Sud - Oueft. A peu près à la même diftance
de l'un & de l'autre; trois Gorges fort étroites
, l'une au Nord- Eft , celle du milieu au Nord,
& la troifiéme au Nord - Oueft , font comme les
racines du principal Vallon , forment une espéce
de patte d'Oye, & fe rapprochant, viennent le réünir
à un quart de lieuë d'Anfacq...
Sur la hauteur environ à fix cens pas communs
de la naiffance de ces Gorges ,, eft le commencement
de la Forêt de Haye , dite communément
la Forêt de la Neuville. La Seigneurie du
Pleffier Bilbault , de la Paroiffe d'Anfacq , eft fi
tuée proche la liziere de ladite Forêt , à 400. pas
ou environ de la naiffance de la Gorge du milieu
ou de celle du Nord..
Le Village commence du côté de Clermont
au Nord - Eft , par une rue affés longue , bâtie le
long de la côte Orientale , fur une douce pente,
& vient fe terminer à l'Eglife , dont le principal
II. Vol.
Portail
DECEMBRE . 1730. 2829'
Portail fait face du côté du Couchant , à une Pla
ce bordée de maiſons de part & d'autre , & terminée
par un petit ruiffeau , au delà duquel d'autres
maifons font face au Portail.
De l'Eglife , une autre rue conduit jufqu'aux
murs du Parc vers le Sud- Qüeft : & c'eft au bout
de cette rue , & en dedans du Parc , que les bruits
furprenans dont-il eft ici question , commencent
& le font entendre ordinairement. C'eft auffi audeffus
de l'extrémité de cette ruë , & vers les mêmes
murs , que Charles & François Defcoulleurs,
étoient placés , lorfqu'en revenant de Senlis , ils
furent obligés de s'arrêter , à caufe de ce bruit
étonnant.
>
On fe fouviendra encore de ce qui eft dit dans
la dépofition defdits Defcoulleurs , que deux cris
affreux furent comme le prélude de la confufion
qu'ils entendirent immédiatement après. Le premier
fe fit entendre du fond d'une des Gorges
qui fervent de racines au principal Vallon ,,
c'eft à dire , de la troifiéme qui eft vers le Nord-
Oueft , le fecond cris répondit au premier dans
le Parc , au bout de la rue même dont je viens
de parler , & à quinze ou viage pas de l'endroit
ou lefdits Defcoulleurs étoient. Le Vallon d'Anfacq
ainfi formé , comme je l'ai dit , par la jonc
tion des trois Gorges , continue à peu près de la
même largeur jufqu'au Parc & au Château , éloi
gné du Village environ de huit cent pas.
Le Parc qui peut contenir quatre cens arpens,.
eft un grand quarré long , dont la partie Orien
tale forme dans toute fa longueur du Nord au
Sad un Amphithéatre , ou deux grandes Terraffes
l'une far l'autre qui emportent environ la
moitié de fa largeur , & font ombragées par tout:
d'une petite fotaye de chênes , & en quelques ens
droits de buiffons épais & forts.
11. Vol.
Ꮮ e
2830 MERCURE DE FRANCE
Le Château d'un gout antique avec Tours &
Tourelles eft fitué à cent pas du pied de l'Amphithéatre
, entre deux Cours , dont celle d'entrée
& la principale , regarde le Couchant , l'autre
F'Orient , l'une & l'autre environnées de bâtimens
pour la commodité d'un Laboureur.
Prés du Château on trouve trois Jardins
entourés de Murs , lefquels coupant aflez bifarrement
l'endroit du Parc où ils font placés , forment
trois quarrés & differentes efpeces de chemins
couverts qui les féparent l'un de l'autre , &
conduifent à differentes portes , tant pour entrer
dans la principale Cour que pour ſortir du Parc ;
tout le refte confifte en pâturages , Aulnois ,
plans de faules & Arbres fruitiers.
>
De l'extrémité du Parc , du côté du Sud - Oueſt;
le Vallon continuë pendant une demie lieuë , &
va enfin fe rendre dans la grande Vallée de
Mouy. Il eft partagé dans toute fa longueur par
un petit Ruiffeau , formé par plufieurs fources
qui fortent du pied de la Montagne d'où naiffent
les trois Gorges. Ce Ruiffeau ombragé par
tout de bois aquatiques comme Saules , Peupliers
, Aulnes &c. vient paffer au- deffous des
Jardins de la rue de Clermont , bâtie , comme
je l'ai déja dit , fur la pente de la côte Orientale,
entre enfuite dans le Village par l'extrémité de
la Place qui fait face à l'Eglife , & continuant
fon cours vers le Sud - Oueft , il va fe rendre dans
le Parc ; delà toujours en ferpentant il va arrofer
le principal Jardin , d'où il tombe par une
efpece de petite Caſcade dans les foffez du Châ
teau qu'il parcourt fans les remplir , parceque
les digues en font rompues. Il fort enfuite des
foffez & de la grande Cour pour rentrer dans
l'autre partie du Parc , & cotoyant le pied de
PAmphithéatre il en reffort par le Sud- Ouest, &
II. Vol. va
DECEMBRE. 1730. 2831
a former à fix cens pas delà un petit étang
pour faire moudre un Moulin . En fortant du
Moulin , il fe recourbe un peu vers le Sud ou
Midi , & après une demie lieuë du refte de fon
cours il va fe rendre dans la grande Vallée , &
fe décharger dans la petite Riviere du Terrin ,
entre Mouy & Bury. Le Vallon d'Anfacq depuis
fes racines jufqu'à l'endroit où il fe rend
dans la grande Vallée peut avoir dans toute fa
longueur 3000. pas géometriques, ou une grande
lieuë de France.
༥༤ ་
Outre les trois Gorges dont j'ai parlé, il fe trouve
encore dans toute cette étendue pluſieurs cavées
ou chemins creux de part & d'autre qui
conduisent en differens endroits fur les deux coteaux
oppofés dont le Vallon eft formé.
Il faut obferver que dans toute la longueur da
Vallon il ne fe trouve point d'échos confiderables
qui fe renvoyant les fons les uns aux autres
puiffent fervir de fondement au fentiment de
ceux qui voudroient attribuer les bruits en queftion
à ces cauſes ordinaires & naturelles . C'eft
ce dont j'ai voulu moi - même faire l'experience
pendant une belle nuit & un tems calme , en fai
Tant marcher en même tems que moi plufieurs
perfonnes tant fur les côteaux que dans la Vallée,
& en les faifant crier de tems en tems. J'entêndis
bien les voix de plus de quinze perfonnes ,
hommes & petits garçons qui s'acquiterent parfaitement
de la commiffion que je leur avois donnée
, en criant quelquefois de toutes leurs forces ,
& en parlant de tems en tems , & tous enſemble
à voix haute ; mais cette experience ne produifit
rien qui pût m'éclaircir ; les principaux témoins
de notre prodige que j'avois avec moi , ne
convinrent jamais que ces voix en approchaffent,
& lui reffemblaffent en la moindre circonftance.
II Fol. Il
2832 MERCURE DE FRANCE
Il est vrai , me dirent -ils , que dans le Sabbat
que nous avons entendu , ( ce font leurs mêmes
termes ) il y avoit à peu près des voix ſemblables
mais en bien plus grand nombre , & qui formoient
une confufion horrible de cris lugubres ,
de cris de joye & de fons d'Inftrumens.Celles - cy,
continuoient- ils , font difperfées & à terre, aulieu
que les autres étoient toutes raffemblées , & la
plus grande partie dans l'Air ; nous entendons le
langage de ceux- cy , mais nous ne comprîmes
jamais rien dans le jargon des autres . Et d'ailleurs
quand ce que nous entendons actuellement approcheroit
en quelque forte de ce que nous avons
entendu;quelle apparence qu'un nombre fi prodigieux
de monde fe fût affemblé dans le Pare
d'Anfacq? Il auroit donc fallu pour cela que tous
les habitans , hommes , femmes , enfans & Menetriers
de tous les Villages à deux lieues à la
ronde , euffent formé ce complot ; & à quel ufa
ge : Les uns pour crier , chanter & rire ? Les autres
pour pleurer , fe plaindre & gémir ? Tel fue
le fruit de mon experience : une plus grande in→
certitude.
ADDITION
Le 31. Octobre dernier , veille de la Touffaint,
le même bruit fe fit entendre au- deffus du Parc
d'Anfacq , entre 9. & 10. heures du ſoir ; il fut fi
épouventable , que non- feulement une partie du
Village l'entendit , mais que des moutons parquez
auprés delà en furent fi effrayez , qu'ils forcerent
le Parc & fe répandirent par la Campagne , enforte
que le Berger fut obligé d'aller chercher
quelques Payfans des environs pour l'aider à raſfembler
fon Troupeau. La femme de ce même
Berger couchée avec lui dans fa Cabane , en fut
fépouventée qu'elle en eft tombée malade.
II. Vol. Comme
DECEMBRE. 1730. 283 3°
Comme j'avois ordonné qu'on m'avertit en
cas que ce même bruit fe fit entendre de nouveau,
on ne manqua pas de courir chez moi dans le
moment , mais ma maiſon étant un peu éloignée
du Parc d'Anfacq , quelque diligence que je puffe
faire pour me rendre fur le lieu , j'y arrivai trop
tard & ne puis rien entendre. J'ay chargé une
perfonne de veiller pendant tout l'hyver jufqu'à
minuit , afin de pouvoir être averti s'il arrivoit
que ce bruit fe fit encore entendre.
y
Ayant communiqué à plufieurs de mes amis ce
ce qui s'eft paffé dans ma Paroiffe ; un d'entre'
eux, homme de Lettres, & ayant une Charge dans
la Justice de Clermont en Beauvoifis , me dit qu'il
avoit quinze ans que paffant la nuit par le Village
d'Anfacq pour s'en retourner à Clermont
étant feul à cheval à quelque diftance dudit Vilge
, il entendit un bruit fi épouventable en l'Air
& fi prés de lui , qu'il en fut tranfi de frayeur . Il
fe jetta à bas de fon cheval & fe mit à genoux
en prieres jufques à ce que ce bruit fut paffé ,
aprés quoi il continua fon chemin. Arrivé chez
lui il eut honte de fa peur & n'oſa jamais ſe
vanter de ce qui lui étoit arrivé , de peur qu'on
ne le prêt pour un vifionaire , mais que puifque
cette avanture devenoit fi fréquente , il avoüoit
fans peine ce qu'il lui étoit arrivé.
Curé d'Anfacq , à Madame la Princeffe
de Conty , troifiéme Douairiere , &
Relation d'un Phénomene très extraordinaire
, &c.
MADAM ADAME ,
Fay cru avoir remarqué dans mes deux
Voyages de l'Ile-Adam , queVOTRE Altesse
SERENISSIME n'y venoit de tems en tems que
poury gouter les amusemens de la Campagne
; une Ménagerie , la Chaffe , la Pêche ,
les Promenades , les ouvrages de l'aiguille
ou de la Tapiffèrie , & fur tout d'agréables
lectures , font , ce me femble , tout ce qui peut
former l'aimable varieté de vos innocens plaifirs.
Que je ferois heureux , MADAME ,
fi je pouvois y contribuer en quelque³ maniere,
& augmenter cette varieté par la petite
Relation que je prens la liberté de vous
prefenter!
Tout y refpire l'air de la Campagne ; tout
ce qui y eft contenu s'eft paffé à la Campagnes
c'eft fur le témoignage de gens de la Campagne
que le fait dont il s'agit eft appuyé ;
II. Fol. c'eft
DECEMBRE . 1730. 2803
c'est enfin un Curé , mais le Curé de toutes
vos Campagnes , le plus fidele , le plus zelé ,
& le plus refpectueux , qui a l'honneur de
vous la communiquer.
Le fujet de cette Relation , toute effrayant
qu'il ait parn aux gens de la Campagne qui
difent, en avoir été témoins , devient naturellement
pour les efprits folides , & fur tout
pour celui de V. A. S. un vrai divertiffement
& une matiere agréable de recherches ,
de reflexions, fuppofe fa réalité.
Il s'agit d'un bruit extraordinaire dans
Fair, qui a toutes les apparences d'un Prodige
; prefque tous les habitans du lieu où
il s'eft fait, affurent , jurent & protestent l'avoir
bien entendu.
Ces Témoins , comme gens de la Campagne
, appellent cet évenement un Sabbat ; les
efpritsforts l'appelleront comme ils voudront,
pourront raifonner , ou plutôt badiner à
Leur aife.
> Aux
Pour moi , dans la Differtation que j'ay
mife à la fin , je lui donne le nom grec d'Akoulmate
, pour fignifier une chofe extraor
dinaire qui s'entend dans l'air , comme on
donne le nom grec de Phénomene
chofes qui paroiffent extraordinairement
dans
te même Element ; mais je me garde bien de
rien décider fur le fond ni fur les cauſes .
Quoiqu'il en soit , Efprits , Lutins , Sorciers
, Magiciens , Météores , Conflictions
II. Vol .
de
2806 MERCURE DE FRANCË
de vapeurs , Combats d'Elemens ; je laiffe
aux Curieux à choisir ou à trouver d'autres
caufes : ilme fuffit d'affurer V.A.S. que les
Témoins de ce prétendu Prodige , m'ont paru
de bonne foi , & que les ayant interroge
plufieurs fois , & leur ayant donné tout le
tems de fe contredire & d'oublier dans leurs
deux , trois & quatrième dépofitions , ce qu'ils
m'avoient dit dans la premiere , ils se font
néanmoins foutenus à merveilles , & n'ont
point varié dans la moindre circonftance.
C'en eft affez pour mon deffein , qui fe
termine uniquement au divertiffement de
V. A. S. elle a dans fa Cour & à la suite
de Monfeigneur le PRINCE DE CONTY,
des R R. Peres Jefuites , qui font ordinairement
des perfonnes trés-lettrées & trés- verfées
dans les fecrets de la Nature : fi vous voulez
, MADAME , leur communiquer cette
Relation , & qu'ils veuillent bien en dire
leur fentiment, je ferai charmé de profiter de
leurs lumieres, & je m'engagerai même à rendre
publique leur opinion , avec leur permiffion,
s'entend, je ne voudrois pour toute chofe
au monde , jamais rien faire qui pût leur
déplaire.
Au refte , V. A. S. doit prendre d'autant
plus de part à cet évenement , qu'il eft arrivé
dans une de fes Terres.
Si ce font des Efprits de l'Air, comme les
Perdrix & les autres Oifeaux qui habitent
II. Vol. Le
DECEMBRE. 1730. 2807
le même Element dans l'étenduë du Territoire
d'Amfacq , appartiennent de droit à
V. A. S. fans doute que ces Efprits , pourvn
qu'ils foient familiers & bienfaifants , doivent
vous appartenir par la même raifon ;
en tout cas mon unique but n'eft , encore un
coup , MADAME , que de vous diver
tir, auffi-bien que Monfeigneur LE PRINCE
DE CONTY ; faffe le Ciel quej'y aye réuſſi
aujourd'huy , en attendant que je puiffe donner
des marques plus ferieufes de l'attachement
infini & du refpect profond avec lequel
je fuis de V. A. S. MADAME , & c.
RELATION d'un bruit extraordinaire
comme de voix humaines , entendu dans
l'Airpar plufieurs Particuliers de la Paroiffe
d'Anfacq , Diocéfe de Beauvais
la nuit du 27. au 28. Janvier 1730 .
E Samedi 28. Janvier de la prefente
Lannée , le bruit le répandit dans la
Paroiffe d'Anfacq , près Clermont en
Beauvoifis , que la nuit précédente plufieurs
Particuliers des deux fexes , avoient
entendu dans l'Air une multitude prodigieufe
comme de voix humaines de
differens tons , groffeurs & éclats , de tout
âge , de tout fexe , parlant & criant toutes
enfemble , fans néanmoins que ces Par-
IIV ol.
ticu1808
MERCURE DE FRANCE
ticuliers ayent pu rien diftinguer de ce
que les voix articuloient ; que parmi cette
confufion de voix , on en avoit reconnu
& diftingué un nombre infini qui pouffoit
des cris lugubres & lamentables , comme
de perfonnes affligées , d'autres des cris de
joye & des ris éclatans , comme de perfonnes
qui fe divertiffent ; quelques- uns
ajoûtent qu'ils ont clairement diftingué
parmi ces voix humaines , ſoit- diſant , les
fons de differens inftrumens.
Cette nouvelle vint bientôt jufqu'à
moi , & comme je n'ajoûte pas foi
aifément à ces fortes de bruits populai
res , & que je fuis affez pyrrhonien à l'égard
de tous les contes nocturnes qui fe
débitent fi fouvent dans l'apparition des
Efprits , des Sabbats & de tant d'autres
bagatelles de cette efpece , je me contentai
d'abord de rire de celle-cy & de la regarder
comme un effet ordinaire d'une
Imagination frappée & bleffée de la frayeur
qu'inſpirent ordinairement les tenebres
de la nuit , fur tout à des efprits groffiers
& ignorans , comme ceux de la plupart
gens de la Campagne , qui font nour
ris & élevés par leurs parens dans cette
perfuafion qu'il y a des Sorciers & des
Sabbats , & qui ajoûtent plus de foi aux
contes ridicules qui s'en débitent parmi
eux , qu'aux veritez effentielles de l'Evangile
& de la Religion.
des
DECEMBRE 1730. 2800
Je badinai ainfi jufqu'au lendemain Dimanche
29. dudit mois , me divertiffant
toujours à entendre raconter la chofe par
tous ceux & celles qui difoient l'avoir entenduë.
Entre ceux- là , deux de mes Paroiffiens,
des premiers du lieu , bons Laboureurs ,
gens d'honneur & de probité , beaucoup
plus éclairez & moins crédules que ne
le font ordinairement les gens de la Campagne
, me vinrent faire l'un après l'autre
leur Relation , comme ayant entendu
de près tout ce qui s'étoit paffé .
Ils m'affurerent qu'alors ils étoient dans
un bons fens parfait, qu'ils revenoient de
Senlis , environ à deux heures après minuit
, & qu'ils étoient fùrs d'avoir bien
entendu & fans être trop effrayez , tour
ce qui eft rapporté au commencement de
cette Relation .
Après les avoir bien interrogez & tour.
nez de toutes fortes de manieres , je tâchai
de leur perfuader qu'ils s'étoient trompez,
& que la crainte & la préoccupation leur
avoient fait prendre quelques cris d'Oifeaux
nocturnes pour des voix humaines;
mais leurs réponſes ont toujours été les
mêmes , fans fe les être communiquées
& je n'ai pû y découvrir ni malice , ni
tromperies , ni contradictions .
J'ai eu beau leur faire à chacun en
-II. Vol.
par2810
MERCURE DE FRANCE
particulier toutes les objections qui me
vinrent alors dans l'imagination , ils ont
toujours perfifté& perfiftent encore à affu
rer que lorfqu'en revenant de Senlis ils
s'entretenoient tranquilement d'une affai
re pour laquelle ils avoient été obligez d'aller
en cette Ville ; ils avoient tout à coup
entendu près d'eux un cri horrible d'une
voix lamentable , à laquelle répondit à
fix cens pas delà une voix femblable &
par un même cri , que ces deux cris furent
comme le prélude d'une confuſion
d'autres voix d'hommes , de femmes , de
vieillards , de jeunes gens , d'enfans, qu'ils
entendirent clairement dans l'efpace renfermé
entre les deux premieres voix ,
& que parmi cette confufion ils avoient
diftinctement reconnu les fons de dif
ferens inftrumens comme Violons
Baffes , Trompettes , Flutes , Tambours ,
&c.
Quoique tout cela n'ait pû me tirer
encore de mon pyrrhonifme , je n'ofe
néanmoins traiter de vifionnaires un fi
grand nombre de perfonnes raifonnables ,
entre lefquelles il s'en trouve fur tout
fept ou huit qu'on peut appeller gens
de mérite & de probité pour laCampagne
qui dépofent toutes unanimement la même
chofe , fans fe démentir ni fe contredire
en la moindre circonftance , quoi-,
II. Vol.
qu'elle
DECEMBRE. 1730. 2811
qu'elles ne fe foient ni parlé ni commu❤
niqué , étant logées dans differens quartiers
du Village éloignez l'un de l'autre
& la plupart defunies par des difcusions
d'interêt qui rompent en quelque maniere
entre elles le commerce ordinaire de la
focieté ; enforte que je ne vois nulle apparence
qu'il puiffe s'être formé entre
elles un complot pour me tromper ou
pour fe tromper elles- mêmes.
C'est ce qui m'a déterminé , à tout hazard
, à prendre la dépofition de chaque
Particulier qui dit avoir entendu les bruits
en queſtion , & d'en faire une efpece de
procès verbal , pour le communiquer à
des perfonnes plus éclairées que moi ,
moi , afin
que fuppofé le fait veritable , elles puiffent
exercer leurs efprits & leurs penetrations
à chercher les caufes naturelles
ou furnaturelles d'un évenement fi extraordinaire.
Quoique j'euffe pris d'abord cette réfo
lution , j'avois pourtant négligé de l'executer
, & le procès verbal que j'avois commencé
dès les premiers jours de Fevrier ,
étoit demeuré imparfait. Mais cette efpece
de prodige étant encore arrivé la nuit du
9. au 10. du mois de May , & plufieurs
perfonnes raisonnables en ayant été témoins
, je me fuis enfin déterminé tout à
fait à continuer avec foin cette efpece
d'enquête,
DE2812
MERCURE DE FRANCE
DEPOSITIONS.
Cejourd'hui 17. May 1730. a comparu
pardevant nous, Prêtre, Docteur en Théologie
, Curé d'Anfacq , le nommé Charles
Defcoulleurs , Laboureur , âgé d'environ
48. ans , lequel interrogé par nous ,
s'il étoit vrai qu'il eût entendu le bruit
extraordinaire qu'on difoit s'être fait dans
l'Air la nuit du 27. au 28. Janvier dernier
, & fommé de nous dire la verité
fans détours & fans déguiſemens.
>
A répondu , que cette nuit là , revenant
avec fon frere François Defcoulleurs , de la
Ville de Senlis , & ayant paffé par Mello ,
où ils auroient eu quelques affaires ; ils auroient
été obligez d'y refterjufques bien avant
dans la nuit, mais que voulant neanmoins
revenir coucher chez eux , ils feroient arrivez
environ à deux heures après minuit audeffus
des murs du Parc d'Anfacq , du côté
du Septentrion , & que prêts à defcendre la
Côte par un fentier qui cottoye ces murs , &
conduit au Village , s'entretenant de leurs
affaires , ils auroient été tout à coup interrompus
par une voix terrible , qui leur parut
éloignée d'eux environ de vingt pas ;
qu'une autre voix femblable à la premiere
auroit répondu fur le champ du fond d'une
gorge entre deux Montagnes , à l'autre exremité
du Village , & qu'immédiatement
II. Vol.
aprés
DECEMBRE. 1730. 281 }
leaprés
, une confufion d'autres voix comme
humaines , fe feroient fait entendre dans
Pefpace contenu entre les deux premieres
articulant certain jargon clapiſſant , que
dit Charles Defconlleurs dit n'avoir pû com
prendre , mais qu'il avoit clairement diftinqué
des voix de vieillards , de jeunes hommes
, defemmes ou de filles & d'enfans, &
parmi tout cela les fons de differens Inftru
mens.
Interrogé. Si ce bruit lui avoit paru éloigné
de lui & de fon frere ? A répondu
de quinze on vingt pas. Interrogé , fi ces
voix paroiffoient bien élevées dans l'Air ?
A répondu. A peu près à la hauteur de
vingt ou trente pieds , les unes plus , les autres
moins, & qu'il leur avoit femblé même
que quelques-unes n'étoient qu'à la hauteur
d'un homme ordinaire , & d'autres comme
fi elles fuffent forties de terre.
Interrogé. S'il n'auroit pas pris les cris
de quelques bandes d'Oyes fauvages , de
Canards , de Hyboux , de Renards , ou
les hurlemens de Loups , pour des voix
humaines ? A répondu. Qu'il étoit aufait
de tous ces fortes de cris , & qu'il n'étoit pas
homme ſi aisé à fe frapper , ni fi fufceptible
de crainte, pour prendre ainfi le change .
Interrogé. S'il n'y auroit pas eu un peu
de vin qui lui eut troublé la raiſon , auffibien
qu'à fon frere ? A répondu . Qu'ils
II. Vol étoient
1814 MERCURE DE FRANCE
étoient l'un & l'autre dans leur bon fens
& que bien loin d'avoir trop bû , ils étoient
au contraire dans un besoin preſſant de boire
& de manger, & qu'après le bruit ceffé , il
s'étoit rendu dans la maifon de fon frere , &
là buvant un coup , ils s'étoient entreteaus
de ce qui venoit de fe paffer , fortant de
tems-en-tems dans la cour pour écouter s'ils
'entendroient plus rien.
que
Interrogé. Si le bruit étoit fi grand qu'il
pût s'entendre de bien loin ? A répondu.
Qu'il étoit tel , que fon frere & lui avoient
eu peine à s'entendre l'un & l'autre en parlant
trés-haut.
Interrogé. Combien cela avoit duré ?
A répondu. Environ une demie heure.
Interrogé. Si lui & fon frere s'étoient
arrêtez & n'avoient pas voulu approcher
pour s'éclaircir davantage ? A répondu.
Que fon frere François avoit bien en le def
fein d'avancer & d'examiner dans l'endroit
ce que ce pouvoit être , mais que lui¸ Charles
, l'en avoit empêché.
Interrogé.Comment cela s'étoit terminé ?
Répondu. Que tout avoit fini par des éclats
de rire fenfibles , comme s'il y eût en trois
ou quatre cens perfonnes qui ſe miſſent à rire
de toute leur force.
Ces Articles lûs & relûs audit Charles
Defcoulleurs , a dit iceux contenir tous
verité , que ce n'étoit même qu'une par-
II. Vol. tic
DECEMBRE . 1730. 2815
tie de ce qu'il auroit entendu , qu'il ne
trouvoit point de termes affez forts pour
s'exprimer , qu'il juroit n'avoir rien mis
de fon invention , & que fi fa dépofition
étoit défectueufe , c'étoit plutôt pour n'avoir
pas tout dit , que pour avoir amplifié,
Et a figné à l'Original.
Ce 18. May 1730. a comparu , &c.
François Defcoulleurs , Laboureur d'Anfacq
, âgé de 38. ans, lequel interrogé s'il
auroit entendu le bruit furprenant de la
nuit du 27. au 28. Janvier dernier , a
répondu à chaque demande que nous lui
avons faites , les mêmes chofes , mot pour
mot , que Charles Defcoulleurs fon frere ;
enforte que lui ayant fait la lecture de
tous les articles contenus dans la dépofition
dudit Charles , a dit les reconnoître
pour veritables , n'ayant rien à y ajouter,
finon qu'à la fin de ce tumulte il s'étoit
fait deux bandes. féparées , fe répondant
l'une à l'autre par des cris & des éclats de
rire , que ledit François Defcoulleurs a
imitez devant nous , exprimant les ris des
vieillards par a, a , a , a , a ; tels que font
les ris des perfonnes décrépites à qui les
dents manquent ; les autres ris des jeunes
kommes , femmes & enfans , par ho ,
bo , bo
ho , bo ; hi , hi , hi , hi ; & cela d'une maniere
fi éclatante & avec une fi grande
confufion , que deux hommes auroient eu
...II Vol
•
1
1-
C peine
2816 MERCURE DE FRANCE
peine à le faire entendre dans une converfation
ordinaire ; lecture lui a été faite
de cette dépofition , a dit contenir verité ,
y a perfifté , & l'a fignée , auffi- bien que
celle de fon frere Charles , qu'il a voulu
figner avec la fienne.
Ce 23. May 1730. ont comparu Louis
Duchemin , Marchand Gantier , âgé de
30, ans , & Patrice Toüilly , Maître Maçon
, âgé de 58. ans , demeurant l'un &
L'autre à Anfacq , lefquels interrogez , ont
répondu : Que la nuit du 27. au 28. Fanvier
dernier , ils feraient partis enſemble environ
à deux heures aprés minuit , afin de
Se rendre au point du jour à Beauvais
diftant d'Anfacq de fix lieues ; qu'étant audeffus
de la Côte oppofée à celle où Charles
François Defconlleurs étoient à la même
heure revenant de Senlis , la Vallée d'Anfacq
entre les uns les autres , ils auroient
entendu le même bruit, & en même temps que
lefdits Defcoulleurs qu'eux Louis Duchemin
& Patrice Touilly , fe feroient arrêtez
d'abord pour écouter avec plus d'attention ,
que faifis de crainte , ils auroient déliberé
entre eux de retourner fur leurs pas ;
que comme il auroit fallu paffer dans l'endroit
où ces voixfe faifoient entendre , ils fe
feroient déterminez à s'en éloigner en continuant
leur voyage , toujours en tremblant :
qu'ils auroient entendu le même bruit pendant
mais
II, Vel
-une
DECEMBRE . 1730. 2817
une demie lieuë de chemin , mais foiblement
à mesure qu'ils s'éloignoient. Et ont figné
à
l'Original.
Le même jour a comparu pardevant
nous le fieur Claude Defcoulleurs , ancien
Garde de la Porte , & Penfionnaire de feu
M. le Duc d'Orleans , âgé de 56. ans , lequel
interrogé , a répondu : Que non -feulement
il avoit bien entendu ce bruit du mois de
Janvier , mais encore celui de la nuit du 9.
au 10. du prefent mois de May ; que lors
du premier il étoit bien éveillé & avoit oui
diftinctement tout ce qui s'étoit paffé : que
comme alors il faifoit froid, il ne s'étoit pas
levé pour cette raisons mais que comme la
porte de fa chambre eft vis-à-vis fon lit &
tournée à peu près du côté du Parc d'Anfacq
, il avoit auffi bien entendu que s'il eût
été dans fa cour & dans le lieu même ; que
le bruit étoit fi grand & fi extraordinaire,
que quoiqu'il fut bien enfermé , il n'avoit
pas laiffé d'être effrayé , & de reffentir dans
toutes les parties de fon corps un certain frémiffements
enforte que fes cheveux s'étoient
hériffez. Qu'à la feconde fois étant endormi,
le même bruit l'ayant éveillé en furſaut , il
feroit levé fur le champ ; mais que tandis
qu'il s'habilloit,la Troupe Aërienne avoit en
Le
temps
de s'éloigner; enforte que quand il
fut dans fa cour , il ne l'avoit plus entendrë
que de loin & foiblement , que cependant
11. Vol.
il
Cij
2818 MERCURE DE FRANCE
il en avoit oui affez defon lit & de fa chambre,
pourjuger & reconnoîtrefenfiblement que
ce fecond évenement étoit femblable en toutes
manieres au premier & de même nature.
Interrogé , s'il ne pourroit pas nous
donner une idée plus claire de cet évenement
par la comparaifon de quelque chofe
à peu près femblable , & tirée de
l'ordre ordinaire de la Nature & du Commerce
du Monde ? A répondu de cette.
maniere.
Il n'eft pas , Monfieur , dit-il , que vous
nayez vu plufieurs fois des Foires oufrancs
Marchez vous avez , fans doute, remarqué
que dans ces fortes de lieux deux ou trois
mille perfonnes forment une espece de cabos
ou de confufion de voix d'hommes , de femmes
, de vieillards , de jeunes gens & d'enfans
, où celui qui l'entend d'un peu loin ne
peut abfolument rien comprendre , quoique
chaque Particulier qui fait partie de la confufion
, articule clairement & fe faffe entendre
à ceux avec lesquels il traite de fes affaires
& de fon Commerce . Imaginez- vous donc
être à la porte des Hales à Paris unjour de
grand Marché , ou dans les Sales du Palais
avant l'Audience ; ou enfin à la Foire faint
Germain fur le foir , lorsqu'elle eft remplie
d'un monde infini , n'entend-on pas dans
tous ces lieux, & principalement dans le dernier
un charivari épouvantable , ( ce font fes
II Vol. mêmes
DECEMBRE. 1730. 28 19
›
mêmes termes ) dans lequel on ne comprend
rien en general, quoique chacun en particulier
parle clairement & ſe faſſe diſtinctement entendre?
ajoûtez à tout cela lesfons des Violons ,
des Baffes , Hautbois , Trompettes , Flutes
Tambours & de tous les autres Inftrumens
dont on joue dans les Loges des Spectacles
& qui fe mêlent à cette confufion de voix ,
vous aurez une idée jufte & naturelle des
bruits que j'ai entendus & dans lesquels j'ai
remarqué diftinctement des voix humaines en
nombre prodigieux , auffi - bien que les fons
de differens Inftrumens . Après la lecture
de fa dépofition , a dit , juré & protesté
contenir verité & a figné à l'Original .
ans ,
Le même jour a comparu Alexis Allou ,
. Clerc de la Paroiffe d'Anfacq , âgé de 34.
lequel interrogé &c . a répondu :
...que la même nuit étant couché & endormi,
Sa femme qui ne dormoit pas auroit été frappée
d'un grand bruit , comme d'un nombre
-prodigieux de perfonnes de tout fexe , de tout
age ; que faifie de frayeur , elle auroit éveillé
ledit Allou , fon mari , & qu'alors le même
bruit continuant & augmentant toujours ,
ils auroient crû l'un & l'autre que le feu étoit
à quelque maifon de la Paroiffe , & que les
cris provenoient des habitans accourus an
Secours que lui Allou dans cette perſuaſion
fe feroit levé avec précipitation ; mais qu'étant
prêt à fortir , & avant d'ouvrir fa
II. Vol. Cij porte
2820 MERCURE DE FRANCÉ
porte il auroit entendu paſſer devant fa
maifon une multitude innombrable de perfonnes
, les unes pouffant des cris amers
( ce font fes termes ) les autres des cris de
joye , & parmi tout cela les fons de differens
inftrumens que cette multitude lui avoit femblé
fuivre le long de la rue jufqu'à l'Eglife ,
mais qu'alors unfriſſon l'ayant faifi , il n'auroit
pas ofé écouter plus long- tems , & auroit
étéfe recoucher auffi tôt pour fe raffurer auffi
bien que fa femme qui trembloit de frayeur
dans fon lit. Et a figné à l'original.
Ce 24. May 1730. a comparu Nicolas
de la Place , Laboureur , âgé d'environ
45. ans , demeurant audit Anfacq , lequel
a déclaré : que la nuit du 27 au 28. Janvier
n'étant point encore endormi , il auroit tout
à
coup entendu un bruit extraordinaire , é
que croyant qu'il feroit arrivé quelque accident
dans la Paroiffe , il fe ferait levé nud
en chemife , & qu'après avoir ouvert la porte
de fa chambre , il auroit oùi comme un nombre
prodigieux de perfonnes , de tout âge &
de toutfexe , qui paffoient devant fa maison,
fife proche l'Eglife , & au milieu du Village
, formant un bruit confus , mais éclatant,
de voix comme humaines , mêlées de differens
inftrumens ; qu'alors la crainte & le
froid l'auroient obligé de refermer promtement
fa porte & de fe remettre au lit , d'où
il auroit encore entendu le même bruit & les
II. Vol.
mêmes.
DECEMBRE. 1730. 2821
mêmes voix , comme fi elles euffent monté
la ruë , & paffé devant la Maifon Pres
biterale. Et a figné à l'original.
Le même jour ont comparu Nicolas
Portier , Laboureur , âgé de 25. ans , &
Antoine Le Roi , garçon Marchand Gantier
, âgé d'environ 34. ans , lefquels ont
déposé que ladite nuit & à la même heure
ils auroient entendu paffer le long de la ruë,
dite d'Enbaut , qui conduit à Clermont , &
entre notre Maiſon Presbiterale & la leur,
comme une foule de monde , de tout âge , de
tout fexe , dont une partie pouffoit des cris
affreux , les autres parlant tous ensemble ,
& articulant certain jargon inintelligible s
que le bruit étoit fi grand & fi affreux que
leurs chiens qui étoient couchés dans la
Cour pour lagarde de la maiſon, en avoient
été tellement effrayés , que fans pouffer un
feul aboyement ils s'étoient jettes à la porte
de la chambre de ladite maifon , la mordant
& la rongeant comme pour la forcer , l'ouvrir
& fe mettre à couvert , fuivant l'instinct
naturel de ces animaux. Et ont figné à l'original.
Ce z. Juin 1730. ont comparu Jean
Defcoulleurs , âgé de 40. ans , Jacques
Daim , Etienne Baudart , Chriſtophe Denis
Deftrés , Jean Beugnet , Paul le Roi ,
Jean Caron & un grand nombre d'autres
perfonnes des deux fexes , lefquels ont
II. Vol. Cilj tous
2822 MERCURE DE FRANCÉ
་
tous déclaré d'avoir bien entendu nonfeulement
le bruit aërien du 27 au 28.
Janvier , mais encore celui du 9 au 10.
dé May dernier , fe rapportant tous dans
les mêmes circonftances ; enforte qué
leur ayant fait lecture de toutes les dépofitions
ci-deffus , ont dit icelles contenir
verité , & ont figné l'Original , ceux
qui fçavent écrire , n'ayant pas jugé à
propos de prendre les marques de plus
de vingt perfonnes qui dépofent toutes
les mêmes chofes , mais qui ont declaré
ne fçavoir figner.
Nous fouffigné , Prêtre , Docteur en
Theologie , Curé de S. Lucien d'Anfacq',
Diocèfe de Beauvais , certifions que toutes
les dépofitions ci-deſſus fontfidelles , & telles
qu'on nous les a fournies ; qu'elles font fignées
enforme dans l'Original , & que cette
copie lui eft conforme en toutes fes parties ,
que nous n'avons ajouté ni rien changé dans
Fun & dans l'autre que l'arrangement &
la diction , ayant fcrupuleufement Suivi toutes
les circonftances qui nous ont été données.
Fait à Anfacq , ce 26. Octobre 1730. figné
TREUILLOT DE PTONCOURT , Curé
d'Anfacq.
›
REFLEXIONS.
Avant que de rendre publique cette Relation
, j'ai crû devoir la communiquer à
11. Vol. quelques
DECEMBRE. 1730. 2823
quelques perfonnes éclairées & d'érudition
de mes amis particuliers , leurs ſuffrages
m'ont paru néceffaires pour la rendre
plus autentique , s'agiffant fur tout
d'un évenement qui tient trop du merveilleux
, pour ne pas devenir le fujet
des railleries & du mépris des efprits
forts.
Je fuis bien aife d'avertir ces Meffieurs
que j'ai été jufqu'ici de leur nombre &
leur confrere fidele en ce genre feulement;
mais quoique je ne fois pas encore bien
réfolu de faire faux- bon à leur confrairie
, je les fupplie néanmoins de me permettre
de demeurer neutre entre leur
parti & celui des crédules , jufqu'à ce
que des gens de poids pour la fcience &
pour la pénetration ayent décidé du fait.
dont il s'agit , & m'ayent tiré de la perplexité
où je refterai jufqu'à leur jugement,
Les efprits forts ne peuvent me refuſer
qu'injuftement cette fufpenfion ; je ne
fçai pas bien s'il ne feroit pas auffi injufte
& auffi ridicule de traiter de vifionaires
tant de gens de probité , quoique de
la Campagne , qui conviennent tous du
même fait , que de croire legérement tout
ce que le vulgaire ignorant débite fi fouvent
des fabbats & des autres fottifes de
ce genre.
II. Vol. Cy Quoi
2824 MERCURE DE FRANCE
Quoiqu'il en foit , mes amis , bien loin
de me diffuader de donner au Public cette
relation , avec le procès verbal fait en
conféquence , m'ont prié , au contraire ,
non feulement de ne point héfiter à
le faire , mais d'y joindre encore une
deſcription Topographique du Village
d'Anfacq , afin de donner lieu à ceux
qui croirone pouvoir expliquer cet évenement
par des caufes naturelles d'exercer
toute leur Phyfique & leur Philofophie.
En effet , fi les Phénoménes extraor
dinaires qui ont paru dans l'air depuis
cinq ans ont tant exercé les beaux efprits
& ont fait la matiere de plufieurs affemblées
de Meffieurs de l'Académie des
Sciences , pourquoi un événement qui
tombe fous un autre fens , qui n'eft pas
moins réél , ni moins effentiel à l'homme
le fens de la vûë , ne meritera- t'if
que
pas autant l'attention & la curiofité des
mêmes Sçavans !
>
Tout le monde fçait que Phénoméne
eft un mot Grec, que l'on a francifé comme
beaucoup d'autres , parce qu'il ne fe
trouve point dans notre Langue de termes
d'une fignification affez énergique ,
pour exprimer feul & par lui -même les
objets qui paroiffent extraordinairement
dans l'air. Notre Langue ne nous fournit
II. Vol. pas
DECEMBRE. 1730. 2825
pas non plus d'expreffions pour défigner
fes bruits extraordinaires qui fe font , où
qui pourroient fe faire entendre. Mais.
comme ces derniers font bien moins communs
que les premiers , on ne s'eft point
encore avifé jufqu'ici de francifer un mot
Grec pour les exprimer.
; .
L'évenement dont il s'agit , ne pourroit
il donc pas m'autorifer à le faire moimême
? & de même qu'il a plû à nos
Anciens d'appeller , Phénoménes , les
objets extraordinaires qui paroiffent dans
l'air ne pourroit-on pas , par la même
raifon , défigner le bruit étonnant & prodigieux
qui vient de fe faire entendre par
ce mot , Akoufméne , ou pour parler plus
regulierement Grec en François , Akousmate
? Le premier fignifie une chofe qui
paroît extraordinairement ; le fecond fi
gnifiera une chofe qui fe fait entendre
extraordinairement
.
Ce principe établi , je prétens que fi les
Phénoménes font du reffort de la curio
fité des Sçavans , les Akoufmates , ne le
font pas moins , fuppofé leur réalité . Or,
on ne peut guere douter de celui - ci : trop
de gens
raifonnables en font le rapport ,
& s'accordent trop dans les mêmes circonftances
, pour n'y pas ajouter foi .
On me dira peut être ,qu'il y a une grande
difference pour l'autenticité entre les Phe-
II. Vol. Cavi no
2826 MERCURE DE FRANCE
noménes & mes prétendus Akoufmates :
que lorfque les premiers paroiffent , tous
les hommes qui ont le même horiſon naturel
& même rationel , peuvent les appercevoir;
au lieu que les feconds , fuppofé
leur réalité , ne peuvent être entendus
que de peu de perfonnes , & de celles feulement
qui en font à portée & qui demeurent
dans le même lieu où ces Akoufmates arrivent.
Que par confequent un Phénoméne
qui eft apperçu par tous les Sunorifontaux ,
emporte avec foi une autenticité bien
plus grande , qu'un Akoufmate qui ne peut
être entendu que par un petit nombre de
particuliers habitans d'un même lieu.
A cela je répons : que la Sphère d'activité
de la vûë étant bien plus étenduë
que celle de l'oüie , les Phénoménes & les
Akoufmates , ne requiérent pas le même
nombre de témoins pour les rendre autentiques
: que les premiers pouvant être apperçus
de tous les Sunorifontaux , il eſt
neceffaire que le plus grand nombre des
hommes qui habitent l'horifon fur lequel
un Phénoméne paroît , en rende témoignage
; au lieu que pour les feconds , il .
fuffit , ce me femble , qu'il ayent été entendus
par la plus grande & la plus faine
partie des habitans d'un même lieu , &
renfermés dans la Sphère d'activité de
l'oüie.
II. Vol.
Mais
DECEMBRE. 1730. 2827
le
Mais pour rendre le fait dont il s'agit
plus autentique encore , il fuffit de remarquer
que le fens de la vûë eft ordinairement
plus fujet à l'erreur & à l'illuſion ,
le fens de l'oüie . Il n'y a pour
que
prouver qu'à fe reffouvenir de toutes les
extravagances qui ſe débiterent à l'occafion
des derniers Phénoménes & fur tout
de celui du mois d'Octobre 1726.Combien
de gens cturent voir au milieu de l'efpece
de Dôme de feu qui parut alors , les uns
une Colombe ou S. Efprit , les autres un
Ange , un Autel , un Dragon , &c . toutes
chofes qui n'avoient de réalité que
dans leur imagination frappée , ou dans
leurs yeux fatigués & éblouis ?
Mais ici où il ne s'agit que du fens de
l'oiie , tant de gens raifonnables ont ils
pû fe tromper fi groffiérement , que de
s'imaginer entendre quelque chofe lorfqu'il
n'entendoient rien ? Un prétendu
bruit épouventable dans l'air qui n'auroit
confifté qu'en quelques hurlemens de
Loups fur la terre ? Une multitude infinie
de voix comme humaines mêlées de
differens fons d'inftrumens, qui n'auroient
été que des cris d'Oyes ou de Canards
Sauvages . Des perfonnes à dix pas du
lieu où fe paffoit ce charivari , des perfonnes
en voyages qui font arrêtées par
cet accident , & qui difent les avoir en-
II. Vol.
tendu
2828 MERCURE DE FRANCE
tendu finir par des éclats de rire de toute
efpece , tandis que d'autres pouffoient
des cris horribles ? Seroit-il poffible que
tant d'oreilles euffent été enchantées
pour ainfi dire , pour croire entendre ce
qu'elles n'entendoient pas ? C'eft ce que
je ne fçaurois jamais m'imaginer . Je ne
veux néanmoins m'attacher à aucun fentiment
, qu'autant qu'il fera celui de perfonnes
plus habiles que moi.
Defcription du Village.
ANacq cft fitué dans un Vallonformé par
deux Coteaux ou Montagnes , entre Clermont
en Bauvoifis au Nord - Eft , & le Bourg de
Mouy au Sud - Oueft. A peu près à la même diftance
de l'un & de l'autre; trois Gorges fort étroites
, l'une au Nord- Eft , celle du milieu au Nord,
& la troifiéme au Nord - Oueft , font comme les
racines du principal Vallon , forment une espéce
de patte d'Oye, & fe rapprochant, viennent le réünir
à un quart de lieuë d'Anfacq...
Sur la hauteur environ à fix cens pas communs
de la naiffance de ces Gorges ,, eft le commencement
de la Forêt de Haye , dite communément
la Forêt de la Neuville. La Seigneurie du
Pleffier Bilbault , de la Paroiffe d'Anfacq , eft fi
tuée proche la liziere de ladite Forêt , à 400. pas
ou environ de la naiffance de la Gorge du milieu
ou de celle du Nord..
Le Village commence du côté de Clermont
au Nord - Eft , par une rue affés longue , bâtie le
long de la côte Orientale , fur une douce pente,
& vient fe terminer à l'Eglife , dont le principal
II. Vol.
Portail
DECEMBRE . 1730. 2829'
Portail fait face du côté du Couchant , à une Pla
ce bordée de maiſons de part & d'autre , & terminée
par un petit ruiffeau , au delà duquel d'autres
maifons font face au Portail.
De l'Eglife , une autre rue conduit jufqu'aux
murs du Parc vers le Sud- Qüeft : & c'eft au bout
de cette rue , & en dedans du Parc , que les bruits
furprenans dont-il eft ici question , commencent
& le font entendre ordinairement. C'eft auffi audeffus
de l'extrémité de cette ruë , & vers les mêmes
murs , que Charles & François Defcoulleurs,
étoient placés , lorfqu'en revenant de Senlis , ils
furent obligés de s'arrêter , à caufe de ce bruit
étonnant.
>
On fe fouviendra encore de ce qui eft dit dans
la dépofition defdits Defcoulleurs , que deux cris
affreux furent comme le prélude de la confufion
qu'ils entendirent immédiatement après. Le premier
fe fit entendre du fond d'une des Gorges
qui fervent de racines au principal Vallon ,,
c'eft à dire , de la troifiéme qui eft vers le Nord-
Oueft , le fecond cris répondit au premier dans
le Parc , au bout de la rue même dont je viens
de parler , & à quinze ou viage pas de l'endroit
ou lefdits Defcoulleurs étoient. Le Vallon d'Anfacq
ainfi formé , comme je l'ai dit , par la jonc
tion des trois Gorges , continue à peu près de la
même largeur jufqu'au Parc & au Château , éloi
gné du Village environ de huit cent pas.
Le Parc qui peut contenir quatre cens arpens,.
eft un grand quarré long , dont la partie Orien
tale forme dans toute fa longueur du Nord au
Sad un Amphithéatre , ou deux grandes Terraffes
l'une far l'autre qui emportent environ la
moitié de fa largeur , & font ombragées par tout:
d'une petite fotaye de chênes , & en quelques ens
droits de buiffons épais & forts.
11. Vol.
Ꮮ e
2830 MERCURE DE FRANCE
Le Château d'un gout antique avec Tours &
Tourelles eft fitué à cent pas du pied de l'Amphithéatre
, entre deux Cours , dont celle d'entrée
& la principale , regarde le Couchant , l'autre
F'Orient , l'une & l'autre environnées de bâtimens
pour la commodité d'un Laboureur.
Prés du Château on trouve trois Jardins
entourés de Murs , lefquels coupant aflez bifarrement
l'endroit du Parc où ils font placés , forment
trois quarrés & differentes efpeces de chemins
couverts qui les féparent l'un de l'autre , &
conduifent à differentes portes , tant pour entrer
dans la principale Cour que pour ſortir du Parc ;
tout le refte confifte en pâturages , Aulnois ,
plans de faules & Arbres fruitiers.
>
De l'extrémité du Parc , du côté du Sud - Oueſt;
le Vallon continuë pendant une demie lieuë , &
va enfin fe rendre dans la grande Vallée de
Mouy. Il eft partagé dans toute fa longueur par
un petit Ruiffeau , formé par plufieurs fources
qui fortent du pied de la Montagne d'où naiffent
les trois Gorges. Ce Ruiffeau ombragé par
tout de bois aquatiques comme Saules , Peupliers
, Aulnes &c. vient paffer au- deffous des
Jardins de la rue de Clermont , bâtie , comme
je l'ai déja dit , fur la pente de la côte Orientale,
entre enfuite dans le Village par l'extrémité de
la Place qui fait face à l'Eglife , & continuant
fon cours vers le Sud - Oueft , il va fe rendre dans
le Parc ; delà toujours en ferpentant il va arrofer
le principal Jardin , d'où il tombe par une
efpece de petite Caſcade dans les foffez du Châ
teau qu'il parcourt fans les remplir , parceque
les digues en font rompues. Il fort enfuite des
foffez & de la grande Cour pour rentrer dans
l'autre partie du Parc , & cotoyant le pied de
PAmphithéatre il en reffort par le Sud- Ouest, &
II. Vol. va
DECEMBRE. 1730. 2831
a former à fix cens pas delà un petit étang
pour faire moudre un Moulin . En fortant du
Moulin , il fe recourbe un peu vers le Sud ou
Midi , & après une demie lieuë du refte de fon
cours il va fe rendre dans la grande Vallée , &
fe décharger dans la petite Riviere du Terrin ,
entre Mouy & Bury. Le Vallon d'Anfacq depuis
fes racines jufqu'à l'endroit où il fe rend
dans la grande Vallée peut avoir dans toute fa
longueur 3000. pas géometriques, ou une grande
lieuë de France.
༥༤ ་
Outre les trois Gorges dont j'ai parlé, il fe trouve
encore dans toute cette étendue pluſieurs cavées
ou chemins creux de part & d'autre qui
conduisent en differens endroits fur les deux coteaux
oppofés dont le Vallon eft formé.
Il faut obferver que dans toute la longueur da
Vallon il ne fe trouve point d'échos confiderables
qui fe renvoyant les fons les uns aux autres
puiffent fervir de fondement au fentiment de
ceux qui voudroient attribuer les bruits en queftion
à ces cauſes ordinaires & naturelles . C'eft
ce dont j'ai voulu moi - même faire l'experience
pendant une belle nuit & un tems calme , en fai
Tant marcher en même tems que moi plufieurs
perfonnes tant fur les côteaux que dans la Vallée,
& en les faifant crier de tems en tems. J'entêndis
bien les voix de plus de quinze perfonnes ,
hommes & petits garçons qui s'acquiterent parfaitement
de la commiffion que je leur avois donnée
, en criant quelquefois de toutes leurs forces ,
& en parlant de tems en tems , & tous enſemble
à voix haute ; mais cette experience ne produifit
rien qui pût m'éclaircir ; les principaux témoins
de notre prodige que j'avois avec moi , ne
convinrent jamais que ces voix en approchaffent,
& lui reffemblaffent en la moindre circonftance.
II Fol. Il
2832 MERCURE DE FRANCE
Il est vrai , me dirent -ils , que dans le Sabbat
que nous avons entendu , ( ce font leurs mêmes
termes ) il y avoit à peu près des voix ſemblables
mais en bien plus grand nombre , & qui formoient
une confufion horrible de cris lugubres ,
de cris de joye & de fons d'Inftrumens.Celles - cy,
continuoient- ils , font difperfées & à terre, aulieu
que les autres étoient toutes raffemblées , & la
plus grande partie dans l'Air ; nous entendons le
langage de ceux- cy , mais nous ne comprîmes
jamais rien dans le jargon des autres . Et d'ailleurs
quand ce que nous entendons actuellement approcheroit
en quelque forte de ce que nous avons
entendu;quelle apparence qu'un nombre fi prodigieux
de monde fe fût affemblé dans le Pare
d'Anfacq? Il auroit donc fallu pour cela que tous
les habitans , hommes , femmes , enfans & Menetriers
de tous les Villages à deux lieues à la
ronde , euffent formé ce complot ; & à quel ufa
ge : Les uns pour crier , chanter & rire ? Les autres
pour pleurer , fe plaindre & gémir ? Tel fue
le fruit de mon experience : une plus grande in→
certitude.
ADDITION
Le 31. Octobre dernier , veille de la Touffaint,
le même bruit fe fit entendre au- deffus du Parc
d'Anfacq , entre 9. & 10. heures du ſoir ; il fut fi
épouventable , que non- feulement une partie du
Village l'entendit , mais que des moutons parquez
auprés delà en furent fi effrayez , qu'ils forcerent
le Parc & fe répandirent par la Campagne , enforte
que le Berger fut obligé d'aller chercher
quelques Payfans des environs pour l'aider à raſfembler
fon Troupeau. La femme de ce même
Berger couchée avec lui dans fa Cabane , en fut
fépouventée qu'elle en eft tombée malade.
II. Vol. Comme
DECEMBRE. 1730. 283 3°
Comme j'avois ordonné qu'on m'avertit en
cas que ce même bruit fe fit entendre de nouveau,
on ne manqua pas de courir chez moi dans le
moment , mais ma maiſon étant un peu éloignée
du Parc d'Anfacq , quelque diligence que je puffe
faire pour me rendre fur le lieu , j'y arrivai trop
tard & ne puis rien entendre. J'ay chargé une
perfonne de veiller pendant tout l'hyver jufqu'à
minuit , afin de pouvoir être averti s'il arrivoit
que ce bruit fe fit encore entendre.
y
Ayant communiqué à plufieurs de mes amis ce
ce qui s'eft paffé dans ma Paroiffe ; un d'entre'
eux, homme de Lettres, & ayant une Charge dans
la Justice de Clermont en Beauvoifis , me dit qu'il
avoit quinze ans que paffant la nuit par le Village
d'Anfacq pour s'en retourner à Clermont
étant feul à cheval à quelque diftance dudit Vilge
, il entendit un bruit fi épouventable en l'Air
& fi prés de lui , qu'il en fut tranfi de frayeur . Il
fe jetta à bas de fon cheval & fe mit à genoux
en prieres jufques à ce que ce bruit fut paffé ,
aprés quoi il continua fon chemin. Arrivé chez
lui il eut honte de fa peur & n'oſa jamais ſe
vanter de ce qui lui étoit arrivé , de peur qu'on
ne le prêt pour un vifionaire , mais que puifque
cette avanture devenoit fi fréquente , il avoüoit
fans peine ce qu'il lui étoit arrivé.
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Résumé : LETTRE de M. Treüillot de Ptoncour, Curé d'Ansacq, à Madame la Princesse de Conty, troisiéme Doüairiere, & Relation d'un Phénomene très extraordinaire, &c.
En décembre 1730, le curé Treüillot de Ptoncour adresse une lettre à Madame la Princesse de Conty pour relater un phénomène extraordinaire survenu dans la paroisse d'Anfacq, près de Clermont-en-Beauvaisis. La nuit du 27 au 28 janvier 1730, plusieurs habitants ont entendu des voix humaines dans l'air, exprimant divers sentiments tels que la joie ou la tristesse. Le curé, initialement sceptique, a interrogé plusieurs témoins, dont deux laboureurs respectés, qui ont confirmé avoir entendu ces bruits. Les témoignages étaient cohérents et les témoins n'ont montré aucun signe de tromperie ou de contradiction. Le phénomène s'est répété la nuit du 9 au 10 mai 1730, incitant le curé à documenter les dépositions des témoins. Parmi les témoins, Charles Descouleurs et son frère François ont déclaré avoir entendu des éclats de rire provenant de centaines de personnes, imitant ceux des vieillards et des jeunes. Louis Duchemin et Patrice Touilly ont également entendu ces bruits en se rendant à Beauvais. Claude Descouleurs a mentionné avoir entendu des bruits similaires en janvier et en mai. Alexis Allou, Nicolas de la Place, Nicolas Portier et Antoine Le Roi ont tous décrit des bruits confus de voix humaines et d'instruments de musique. Le curé de Saint-Lucien d'Anfacq a certifié la fidélité des dépositions. Le texte discute également de la curiosité scientifique suscitée par les phénomènes aériens et propose d'étendre cette curiosité aux bruits extraordinaires, suggérant le terme 'Akoufmates' pour les désigner. L'auteur souligne que, bien que les phénomènes visuels soient plus facilement observables, les Akoufmates, bien que moins communs, méritent également l'attention des savants. Les témoignages sur ces bruits sont nombreux et concordants, rendant leur réalité difficile à nier. Le village d'Anfacq est situé dans un vallon formé par deux coteaux, entre Clermont et Mouy. Les bruits se manifestent principalement dans le parc et sont décrits comme une confusion de cris et de sons d'instruments. Une expérience personnelle visant à vérifier la présence d'échos naturels n'a pas abouti, renforçant ainsi le mystère des Akoufmates. Un incident récent rapporte que les bruits ont effrayé des moutons et une bergère, illustrant l'impact réel de ces phénomènes. L'auteur mentionne avoir entendu un bruit mystérieux près du Parc d'Anfacq et avoir chargé une personne de surveiller jusqu'à minuit durant l'hiver. Un ami, fonctionnaire à Clermont en Beauvoisis, révèle avoir entendu un bruit épouvantable quinze ans auparavant près du village d'Anfacq, alors qu'il passait à cheval. Terrifié, il tomba de son cheval et pria jusqu'à ce que le bruit cesse. Face à la fréquence croissante de tels événements, il avoue enfin ce qui lui est arrivé.
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248
p. 2834
EPIGRAMME. Pour répondre à M. L. G. A. D. L. O. S qui se plaignit par un Sonnet en Bouts-Rimez, imprimé dans le premier Volume du Mercure de Décembre 1729. que Mlle de Bellefont, eût donné sous son nom une Enigme sur les Bas, qu'il dit lui appartenir. Par Mlle de Malcrais de la Vigne.
Début :
La Demoiselle de Vernon, [...]
Mots clefs :
Poème
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texteReconnaissance textuelle : EPIGRAMME. Pour répondre à M. L. G. A. D. L. O. S qui se plaignit par un Sonnet en Bouts-Rimez, imprimé dans le premier Volume du Mercure de Décembre 1729. que Mlle de Bellefont, eût donné sous son nom une Enigme sur les Bas, qu'il dit lui appartenir. Par Mlle de Malcrais de la Vigne.
EPIGRAMME.
Pour répondre à M. L. G. A. D. L. O.S
qui fe plaignit par un Sonnet en Bouts-
Rimez , imprimé dans le premier Volume
du Mercure de Décembre 1729.
que Mile de Bellefont , eût donné fous
fon nom une Enigme fur les Bas , qu'il
dit lui appartenir . Par Mlle de Malcrais
de la Vigne.
LA Demoifelle de Vernon ,
Eut tort de donner fous fon nom ,
Votre Poëme Enigmatique ;
Mais avec le beau Sexe il faut filer plus doux ;
Vous fçavez que quand on fe pique,
Ce n'eft pas le moyen de réüffir chez nous .
Cependant radouciffez - vous.
Si votre Verve trop cauſtique ,
Pour un fi petit vol entre en fi grand couroux ,
Qu'eût elle fait , Monfieur , pour un Poëme
Epique.
Pour répondre à M. L. G. A. D. L. O.S
qui fe plaignit par un Sonnet en Bouts-
Rimez , imprimé dans le premier Volume
du Mercure de Décembre 1729.
que Mile de Bellefont , eût donné fous
fon nom une Enigme fur les Bas , qu'il
dit lui appartenir . Par Mlle de Malcrais
de la Vigne.
LA Demoifelle de Vernon ,
Eut tort de donner fous fon nom ,
Votre Poëme Enigmatique ;
Mais avec le beau Sexe il faut filer plus doux ;
Vous fçavez que quand on fe pique,
Ce n'eft pas le moyen de réüffir chez nous .
Cependant radouciffez - vous.
Si votre Verve trop cauſtique ,
Pour un fi petit vol entre en fi grand couroux ,
Qu'eût elle fait , Monfieur , pour un Poëme
Epique.
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Résumé : EPIGRAMME. Pour répondre à M. L. G. A. D. L. O. S qui se plaignit par un Sonnet en Bouts-Rimez, imprimé dans le premier Volume du Mercure de Décembre 1729. que Mlle de Bellefont, eût donné sous son nom une Enigme sur les Bas, qu'il dit lui appartenir. Par Mlle de Malcrais de la Vigne.
Mlle de Malcrais de la Vigne écrit une épigramme en réponse à M. L. G. A. D. L. O. S., qui accusait Mlle de Bellefont d'avoir publié une énigme lui appartenant. Elle critique Mlle de Vernon pour avoir publié ce poème sous son nom et conseille de traiter les femmes avec plus de délicatesse. Elle reconnaît l'offense de M. L. G. A. D. L. O. S. mais se questionne sur sa réaction face à un poème épique.
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248
249
p. 2834-2835
AUTRE.
Début :
Maître Perrin, gauffeur habile, [...]
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texteReconnaissance textuelle : AUTRE.
AUTRE .
MAître Perrin , gauffeur habile ;
Demandoit à certain Bâtier ,
Combien pouvoit par an lui valoir fon Métier ,
Si les afnes, Monfieur, qui marchent dans la Ville,
II. Vol. Etoient
DECEMBRE . 1730. 2835
Etoient , lui dit- il , tous bâtez ,
J'aurois mainte & mainte pratique ,
Et les écus chez nous pleuvant de tous côtez
Je fermerois bien-tôt boutique..
Par la même.
MAître Perrin , gauffeur habile ;
Demandoit à certain Bâtier ,
Combien pouvoit par an lui valoir fon Métier ,
Si les afnes, Monfieur, qui marchent dans la Ville,
II. Vol. Etoient
DECEMBRE . 1730. 2835
Etoient , lui dit- il , tous bâtez ,
J'aurois mainte & mainte pratique ,
Et les écus chez nous pleuvant de tous côtez
Je fermerois bien-tôt boutique..
Par la même.
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250
p. 2835-2839
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Lausanne, le premier Decembre 1730. par M. le Conseiller Seigneux, à M. de Veze, au sujet d'une forme singuliere de Jugement criminel, & sur un Phénoméne arrivé dans le même Païs au mois d'Octobre dernier.
Début :
Je sortis hier d'une fonction oratoire que je craignois un peu, comme ne [...]
Mots clefs :
Tribunal , Jugement, Meurtre, Verglas, Brouillard, Froid
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre écrite de Lausanne, le premier Decembre 1730. par M. le Conseiller Seigneux, à M. de Veze, au sujet d'une forme singuliere de Jugement criminel, & sur un Phénoméne arrivé dans le même Païs au mois d'Octobre dernier.
EXTRA IT d'une Lettre écrite de
Laufanne , le premier Decembre 1739 .
par M. le Confeiller Seigneux , à M. de
Veze , au fujet d'une forme finguliere de
Jugement criminel , & fur un Phénoméne
arrivé dans le même Pais au mois d'Oc
tobre dernier,
J
E fortis hier d'une fonction oratoire .
que je craignois un peu , comme ne
m'étant pas trop familieres. Nous avons
dans cette ville une forme de Jugement
criminel , quand il s'agit d'un meurtre ,
qui fe fait avec beaucoup de folemnité au
milieu de la Place publique , on y forme
par des barrieres une Salle ou Parc , en
quarré long , à la tête de laquelle font
trois Tribunaux élevez de quelques pieds
chacun. A droite & à gauche font placez
quatre vingt-dix - neuf Juges ; au devant
eft la Secretairerie ; il y a auffi un Magif-
II. Vol.
trat
2836 MERCURE DE FRANCE
trat debout, nommé Gros Saultier , tenant
un bâton d'argent , le Herault de la Ville
& beaucoup d'Huiffiers. Les trois Magiftrats
qui occupent les Tribunaux ont chacun
un Sceptre à la main. Au milieu du
Parquet font les habits fanglans de l'homme
mort , expofé fur une planche & formant
triftement une figure de corps giffant.
Aux quatre coins de la Salle font des
barrieres qui s'ouvrent & fe ferment pardes
Huiffiers qui en font les Gardes , c'eſt
là cque fe tiennent trois Affifes , deux dans
un même jour , & la troifiéme quinze
jours après . Les proclamations étant faites ,
fr l'accufé paroît , il entre armé dans le
Parc ! fi c'eft un Gentilhomme , il l'eſt de
toutes pieces , fuivi de fes parens & amis
qui restent à la porte du Parc.
L'Accufé étant entré feul , on le défarme;
il plaide ou fait plaider fa cauſe. Un
Avocat nommé par le Confeil plaide
pour le Lieutenant Criminel. fi après les
Plaidoyers & le jugement rendu , l'Accufé
eft abfous, on le revêt de fes armes , & il
fe retire fuivi d'un nombreux cortege ;
s'il eft condamné on le conduit droit au
fupplice , à moins qu'il n'ait recours à la
clémence des Juges qui peuvent lui accorder
fa grace.
On appelle cette Cour , Cour impériale ,
II. Vol, parce
DECEMBRE. 1730. 2837:
parce que la forme & le droit nous en
viennent des Empereurs, Elle s'affemble
affez rarement , parce qu'elle n'exerce
cette jurifdiction folemnelle que dans les
cas d'homicide , commis feulement dans
la ville de Lauzane.
C'est là où j'ai été appellé , & où
j'ai fait deux fonctions , d'abord un Difcours
à l'ouverture du Tribunal , &
quinze jours après un long plaidoyer ,dans
lequel après avoir expofé les raifons préfomptives
de l'Accufe qui étoit abfent , &
la difpofition des loix , j'ai enfin conclu
felon les circonstances du fait , les regles
de la Juftice , & le devoir de mon miniftere
, cette fonction répond affez à celle
d'Avocat General dans les Parlemens de
France.
Cette formalité , au refte , eft très -ancienne
; car quoi qu'on puiffe en rappor
ter l'établiffement au tems de la race Carlovingienne
, je crois qu'on peut en remonter
la premiere origine à ces Campi
Maji , Madii on Martii , dont parle du
Gange , qu'on appella enfuite , Mallum
Placitum generale , Conventus generalis
dans lefquels fe rendoient les jugemens
militaires ufitez chez les anciens Francs .
Voici une autre nouvelle d'une espece
bein differente : Nous avons vû dans les
hauteurs des environs , un Phénoméne
II. Vol
2838 MERCURE DE FRANCE
très- fingulier. La nuit du 14. au 15. Octobre
dernier , il fe fit par un brouillard
épais une gelée fi forte , que tous les arbres
, feuilles & fruits fe couvrirent d'un
verglas épais. Enforte que dans un Chàteau
de ma connoiffance , à quatre lieuës
d'ici , on fervit aufruit des poires , pommes
,prunes & pêches qui étoient abfolument
enchaffées dans une maniere de boëte
de criſtal d'environ un pouce d'épaiffeur.
C'étoit chez Madame ... foeur du
Vicomte de Bardonenches. Un leger cordeau
de fil tendu dans le Jardin y devint
au rapport de cette Dame , prefque de
l'épaiffeur du bras , parce qu'à mesure
que le brouillard diftilloit , une bife
des plus piquantes faifoit congeler ce
cordon.
*
Le 15. tout demeura abfolument glacé,
ce qui eutfait un très beau fpectacle fans
le froid extrême & la perte de la recolte.
Le 15 & le 16. quantité d'arbres furchargés
de ce poids de glace , fe rompirent
en éclats.
Au reste , pendant deux nuits , on entendit
un bruit affreux dans les bois , &
on vit enfuite la terre par tout couverte.
de leurs débris. Il y a telle petite Com,
munauté qui a perdu plus de mille écus .
par cet accident , ce fut un dégar des
plus triftes. On m'écrit que du côté d'Or-
RII. Vol. .be
DECEMBRE . 1730. 2839
be , Ville très - ancienne, le bruit que l'on
entendoit dans la Campagne reffembloit
à celui d'une bataille des plus acharnées .
Je n'ai pas encore eu le tems de m'infor
mer exactement de toutes les autres circonftances
& particularités ; mais je le
ferai , & cela en vaut , je crois , la peine .
L'Hiftoire nous apprend mille chofes
moins curieufes.
Laufanne , le premier Decembre 1739 .
par M. le Confeiller Seigneux , à M. de
Veze , au fujet d'une forme finguliere de
Jugement criminel , & fur un Phénoméne
arrivé dans le même Pais au mois d'Oc
tobre dernier,
J
E fortis hier d'une fonction oratoire .
que je craignois un peu , comme ne
m'étant pas trop familieres. Nous avons
dans cette ville une forme de Jugement
criminel , quand il s'agit d'un meurtre ,
qui fe fait avec beaucoup de folemnité au
milieu de la Place publique , on y forme
par des barrieres une Salle ou Parc , en
quarré long , à la tête de laquelle font
trois Tribunaux élevez de quelques pieds
chacun. A droite & à gauche font placez
quatre vingt-dix - neuf Juges ; au devant
eft la Secretairerie ; il y a auffi un Magif-
II. Vol.
trat
2836 MERCURE DE FRANCE
trat debout, nommé Gros Saultier , tenant
un bâton d'argent , le Herault de la Ville
& beaucoup d'Huiffiers. Les trois Magiftrats
qui occupent les Tribunaux ont chacun
un Sceptre à la main. Au milieu du
Parquet font les habits fanglans de l'homme
mort , expofé fur une planche & formant
triftement une figure de corps giffant.
Aux quatre coins de la Salle font des
barrieres qui s'ouvrent & fe ferment pardes
Huiffiers qui en font les Gardes , c'eſt
là cque fe tiennent trois Affifes , deux dans
un même jour , & la troifiéme quinze
jours après . Les proclamations étant faites ,
fr l'accufé paroît , il entre armé dans le
Parc ! fi c'eft un Gentilhomme , il l'eſt de
toutes pieces , fuivi de fes parens & amis
qui restent à la porte du Parc.
L'Accufé étant entré feul , on le défarme;
il plaide ou fait plaider fa cauſe. Un
Avocat nommé par le Confeil plaide
pour le Lieutenant Criminel. fi après les
Plaidoyers & le jugement rendu , l'Accufé
eft abfous, on le revêt de fes armes , & il
fe retire fuivi d'un nombreux cortege ;
s'il eft condamné on le conduit droit au
fupplice , à moins qu'il n'ait recours à la
clémence des Juges qui peuvent lui accorder
fa grace.
On appelle cette Cour , Cour impériale ,
II. Vol, parce
DECEMBRE. 1730. 2837:
parce que la forme & le droit nous en
viennent des Empereurs, Elle s'affemble
affez rarement , parce qu'elle n'exerce
cette jurifdiction folemnelle que dans les
cas d'homicide , commis feulement dans
la ville de Lauzane.
C'est là où j'ai été appellé , & où
j'ai fait deux fonctions , d'abord un Difcours
à l'ouverture du Tribunal , &
quinze jours après un long plaidoyer ,dans
lequel après avoir expofé les raifons préfomptives
de l'Accufe qui étoit abfent , &
la difpofition des loix , j'ai enfin conclu
felon les circonstances du fait , les regles
de la Juftice , & le devoir de mon miniftere
, cette fonction répond affez à celle
d'Avocat General dans les Parlemens de
France.
Cette formalité , au refte , eft très -ancienne
; car quoi qu'on puiffe en rappor
ter l'établiffement au tems de la race Carlovingienne
, je crois qu'on peut en remonter
la premiere origine à ces Campi
Maji , Madii on Martii , dont parle du
Gange , qu'on appella enfuite , Mallum
Placitum generale , Conventus generalis
dans lefquels fe rendoient les jugemens
militaires ufitez chez les anciens Francs .
Voici une autre nouvelle d'une espece
bein differente : Nous avons vû dans les
hauteurs des environs , un Phénoméne
II. Vol
2838 MERCURE DE FRANCE
très- fingulier. La nuit du 14. au 15. Octobre
dernier , il fe fit par un brouillard
épais une gelée fi forte , que tous les arbres
, feuilles & fruits fe couvrirent d'un
verglas épais. Enforte que dans un Chàteau
de ma connoiffance , à quatre lieuës
d'ici , on fervit aufruit des poires , pommes
,prunes & pêches qui étoient abfolument
enchaffées dans une maniere de boëte
de criſtal d'environ un pouce d'épaiffeur.
C'étoit chez Madame ... foeur du
Vicomte de Bardonenches. Un leger cordeau
de fil tendu dans le Jardin y devint
au rapport de cette Dame , prefque de
l'épaiffeur du bras , parce qu'à mesure
que le brouillard diftilloit , une bife
des plus piquantes faifoit congeler ce
cordon.
*
Le 15. tout demeura abfolument glacé,
ce qui eutfait un très beau fpectacle fans
le froid extrême & la perte de la recolte.
Le 15 & le 16. quantité d'arbres furchargés
de ce poids de glace , fe rompirent
en éclats.
Au reste , pendant deux nuits , on entendit
un bruit affreux dans les bois , &
on vit enfuite la terre par tout couverte.
de leurs débris. Il y a telle petite Com,
munauté qui a perdu plus de mille écus .
par cet accident , ce fut un dégar des
plus triftes. On m'écrit que du côté d'Or-
RII. Vol. .be
DECEMBRE . 1730. 2839
be , Ville très - ancienne, le bruit que l'on
entendoit dans la Campagne reffembloit
à celui d'une bataille des plus acharnées .
Je n'ai pas encore eu le tems de m'infor
mer exactement de toutes les autres circonftances
& particularités ; mais je le
ferai , & cela en vaut , je crois , la peine .
L'Hiftoire nous apprend mille chofes
moins curieufes.
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Résumé : EXTRAIT d'une Lettre écrite de Lausanne, le premier Decembre 1730. par M. le Conseiller Seigneux, à M. de Veze, au sujet d'une forme singuliere de Jugement criminel, & sur un Phénoméne arrivé dans le même Païs au mois d'Octobre dernier.
Dans une lettre datée du 1er décembre 1739, M. le Conseiller Seigneux décrit à M. de Veze une procédure judiciaire singulière à Lauzanne pour les jugements de meurtres. Cette procédure se déroule publiquement avec une grande solennité sur une place aménagée en salle par des barrières. Elle implique trois tribunaux élevés, quatre-vingt-dix-neuf juges et divers officiers. L'accusé, s'il est gentilhomme, entre armé et est accompagné de ses parents et amis. Après les plaidoyers, l'accusé est soit absous et quitte les lieux armé, soit condamné et conduit au supplice, sauf s'il obtient la grâce des juges. Cette cour, appelée Cour impériale, exerce sa juridiction solennelle uniquement en cas d'homicide dans la ville de Lauzanne. La lettre mentionne également un phénomène naturel survenu en octobre 1739 : une gelée intense a recouvert les arbres et les fruits d'un verglas épais, causant des dégâts considérables. Ce phénomène a transformé des fruits en objets semblables à des boîtes de cristal et a endommagé de nombreux arbres. Le bruit produit par les arbres se brisant ressemblait à celui d'une bataille. La lettre se termine par une promesse d'enquêter davantage sur cet événement.
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