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1
p. 266-271
LETTRE DE GAS, Epagneul de Madame Des-houlieres. A Monsieur le Comte de L. T.
Début :
Cette Illustre Académie a esté rompuë depuis que / Pour vous marquer mon couroux, [...]
Mots clefs :
Épagneul, Femmes, Académie, Parnasse, Maîtresse, Dents
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE DE GAS, Epagneul de Madame Des-houlieres. A Monsieur le Comte de L. T.
Cette Illufl:re Académie
a efl:é rompuë depuis que
Monfieur l'AbbédeVille.
ferain a efl:6 nommé à l'E.
vefché deSenés. On a voit
eu dcf1è1n quelguc temps
at1paravant d'y faire entrer
des Fcn11nes, & 1'011 pro.
11ofoit Mada1nc de Ville.
dieu, dont les Ouvragei
font tous les jours tant de
bruir. 0 n co1nptoit au!T1
Mada1ne la Marquife de
Guibcr111eny , Fille de
Mor1fieur le Marquis_ de
GALANT. 167
~'Haines : Elle a l 'ef prit
>enéi:rant: & délicat, &
on ne peut·affez la loüer.
)n n ·oubliait pas Maiame la Marquife Def1oulicres : Vous en avez
)iiy parler, Mada1ne, car
~on grand 1nérite la fait
:on11oifl:rc par tout; elle
!crit trcs
- polîment en
Jrofc & en V ers, & c· efl:
~nfi11 un Efprit du i1rcmier ordre. Il court de
recites Pieces galanres de
l'on Cl1ien, qu' 011 appelle
Gas : Il s 'cfl: fait depuis
peu Poë~e excellent, &
z ij
i6S LE MERCURE
' . [es Ouvrages mer1ten
bien d ' eftre imprimez
Cette Dame en èl fait le
Ccrbere du Parnatfe, pom
c;n défendre l'entrée a~
n1auvais Poëtes. Voicy de
[es Vers , & vous pourc~
par là juger de fon cf prit.
J.JE.T1~ RE DE G ASI
Epagneul de Madame
D ef-l1ouliercs.
A Monfieur le Coin te de L. T.
P OurvorM marquer mon cou·
rlittX,
l' ay mil la plume J la patte;
GALANT. 169
fl ej} temps que contre vou
route 111,t colerc éclate.
Vol/4 m'av·e1"' rendu i.iloux;
Entre nou autres To#/Dll4',
Wotu fo_mmes ià·deff 114 tl/ htnntNI"'
fort délicate :
l{'ot1r fa bien metJ~e avec IUJIM,
~nvain le Biondinno1'4 /Ltte,
N otM n'en (omma .p44 p/114 doux>
'Nora mordons jafqN''4l' Ep.oux.
ff alg,ré ce naturel i11commHh &
farouche,
f e votl4 écoutois fans dépit
;t,oücr de m.'l Maijlreffe &les
yeux, &la /;o#cht;
Ne croyant ces doNcears qu'un
jimple jeu d:~fi>rit, . . Sans m' oppoftr à rien,, 1''! dormo/.I
far (on Lit.
Si ce (ouvenir votl4 to11cht,
Ne ionue"'-plt14 4 m~ ojler JV-~ z ii)
79
80
i.70 LE MERCURE
.La place que je p~ffede:
Croye7çVotu la mériter l
(,,'roye7.,;:VOttt! que je la ce de!
Sept foi.! l'ain1able Printemps
Afàit reverdir les Champs,
Sept fais la trijle froidure
En a chaflé ta ~erdure,
DepWt! le hienheureux jour
J2.!!..e je foi.! Chien d' AmariUe ..
.A .fes pie.ds j'ay veû l.:t Cour,
A fas pieds j'ay veû la VzUe
r ainement 6rtiler d',tmour;
Seul j'ay .fieû parmonadreffe·
Dans fan infan(i6fe cœur
Faire :1aiftre li tendr~(fa.
Ne trouhlezPl1umo116onheur:
!J..f!..•!nd pourvang,er fo11 honneur>
Le petit D~ett Jilborncur
Q.;:_'cn to115 ficux eUe Jitrmonte,
Dècideroit ,è m.t honte
Sur/ci droits que je pr,:tcnsj_
GALANT. 1:71
J'çit.chez.., nojlre iUrtjirc Comte,
Q.ff.Ej' dY de fort 6onnes dents.
GAS. Je croy, Madan1e, qut
vous n'avez gttere veû de
Vers plus naturels, ny de
Cl1iens plus l1abiles. J'en
fçay bien la raif on; c· eft
que tous les Epagneuls
n'ont pas des Maifireffi:s
fi fpirirttelfes
a efl:é rompuë depuis que
Monfieur l'AbbédeVille.
ferain a efl:6 nommé à l'E.
vefché deSenés. On a voit
eu dcf1è1n quelguc temps
at1paravant d'y faire entrer
des Fcn11nes, & 1'011 pro.
11ofoit Mada1nc de Ville.
dieu, dont les Ouvragei
font tous les jours tant de
bruir. 0 n co1nptoit au!T1
Mada1ne la Marquife de
Guibcr111eny , Fille de
Mor1fieur le Marquis_ de
GALANT. 167
~'Haines : Elle a l 'ef prit
>enéi:rant: & délicat, &
on ne peut·affez la loüer.
)n n ·oubliait pas Maiame la Marquife Def1oulicres : Vous en avez
)iiy parler, Mada1ne, car
~on grand 1nérite la fait
:on11oifl:rc par tout; elle
!crit trcs
- polîment en
Jrofc & en V ers, & c· efl:
~nfi11 un Efprit du i1rcmier ordre. Il court de
recites Pieces galanres de
l'on Cl1ien, qu' 011 appelle
Gas : Il s 'cfl: fait depuis
peu Poë~e excellent, &
z ij
i6S LE MERCURE
' . [es Ouvrages mer1ten
bien d ' eftre imprimez
Cette Dame en èl fait le
Ccrbere du Parnatfe, pom
c;n défendre l'entrée a~
n1auvais Poëtes. Voicy de
[es Vers , & vous pourc~
par là juger de fon cf prit.
J.JE.T1~ RE DE G ASI
Epagneul de Madame
D ef-l1ouliercs.
A Monfieur le Coin te de L. T.
P OurvorM marquer mon cou·
rlittX,
l' ay mil la plume J la patte;
GALANT. 169
fl ej} temps que contre vou
route 111,t colerc éclate.
Vol/4 m'av·e1"' rendu i.iloux;
Entre nou autres To#/Dll4',
Wotu fo_mmes ià·deff 114 tl/ htnntNI"'
fort délicate :
l{'ot1r fa bien metJ~e avec IUJIM,
~nvain le Biondinno1'4 /Ltte,
N otM n'en (omma .p44 p/114 doux>
'Nora mordons jafqN''4l' Ep.oux.
ff alg,ré ce naturel i11commHh &
farouche,
f e votl4 écoutois fans dépit
;t,oücr de m.'l Maijlreffe &les
yeux, &la /;o#cht;
Ne croyant ces doNcears qu'un
jimple jeu d:~fi>rit, . . Sans m' oppoftr à rien,, 1''! dormo/.I
far (on Lit.
Si ce (ouvenir votl4 to11cht,
Ne ionue"'-plt14 4 m~ ojler JV-~ z ii)
79
80
i.70 LE MERCURE
.La place que je p~ffede:
Croye7çVotu la mériter l
(,,'roye7.,;:VOttt! que je la ce de!
Sept foi.! l'ain1able Printemps
Afàit reverdir les Champs,
Sept fais la trijle froidure
En a chaflé ta ~erdure,
DepWt! le hienheureux jour
J2.!!..e je foi.! Chien d' AmariUe ..
.A .fes pie.ds j'ay veû l.:t Cour,
A fas pieds j'ay veû la VzUe
r ainement 6rtiler d',tmour;
Seul j'ay .fieû parmonadreffe·
Dans fan infan(i6fe cœur
Faire :1aiftre li tendr~(fa.
Ne trouhlezPl1umo116onheur:
!J..f!..•!nd pourvang,er fo11 honneur>
Le petit D~ett Jilborncur
Q.;:_'cn to115 ficux eUe Jitrmonte,
Dècideroit ,è m.t honte
Sur/ci droits que je pr,:tcnsj_
GALANT. 1:71
J'çit.chez.., nojlre iUrtjirc Comte,
Q.ff.Ej' dY de fort 6onnes dents.
GAS. Je croy, Madan1e, qut
vous n'avez gttere veû de
Vers plus naturels, ny de
Cl1iens plus l1abiles. J'en
fçay bien la raif on; c· eft
que tous les Epagneuls
n'ont pas des Maifireffi:s
fi fpirirttelfes
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Résumé : LETTRE DE GAS, Epagneul de Madame Des-houlieres. A Monsieur le Comte de L. T.
Le texte aborde l'Académie et ses membres, notamment Madame de Ville et Madame de Guibérillien, fille du marquis de Galant. L'Académie a été réactivée après la nomination de l'abbé de Ville à l'évêché de Sens. Des discussions ont eu lieu pour intégrer des femmes, telles que Madame de Ville et Madame de Guibérillien, reconnue pour son esprit et ses talents. Madame de Sévigné est également mentionnée pour son écriture polie et son esprit remarquable. Le texte évoque des pièces galantes de Monsieur de Clénian, surnommé Gas, décrit comme un poète excellent. Madame de Sévigné est présentée comme le censeur du Parnasse, défendant l'entrée contre les mauvais poètes. Un poème intitulé 'Le Roi de Gas' est inclus, écrit par l'épagneul de Madame de Sévigné et adressé au comte de L. T. Ce poème exprime l'amour et la fidélité du chien. Le texte se termine par une appréciation des vers naturels et des chiens habiles, soulignant que tous les épagneuls n'ont pas des maîtresses aussi spirituelles.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 16-40
Histoire de Roüen. [titre d'après la table]
Début :
Il faudroit n'estre pas Homme pour n'en point avoir [...]
Mots clefs :
Rouen, Chevalier, Mort, Maîtresse, Surprise, Château, Conseiller, Amour, Procès, Fantôme, Abbé, Ombre, Mariages
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Histoire de Roüen. [titre d'après la table]
Il faudroit n'eſtre
pas Homme pour n'en point avoir ; mais elle a quelquefois des effets bien dangereux , &
vous l'allez voir par ce qui eft arrivé depuis peu de temps à
une aimable Heritiere d'une des
meilleures Familles de Roüen.
Elle avoit pris de la tendreſſe
pour un jeune Chevalier qui
GALANT. 1.3
Laimoit avec paffion. Soit pour la naiſſance , foit pour le bien,
ils eſtoient aſſez le fait l'un de
l'autre; & comme l'Amour s'en
meſloit , il n'auroit pas eſté dif- ficile au Chevalier de ſe rendre
heureux, fi l'employ qu'il avoit à l'Armée ne l'euft obligé d'at- tendre à demander. l'agrément de ſes Parens au retour de la
Campagne , qu'il ne ſe pouvoit diſpenſer de faire. Il ſervoit en Allemagne fous Monfieur le Mareſchal de Créquy , &ayant eſté commandé dans une oсcaſion où nous perdîmes quel- que monde, il fut compte au nombre des Morts, La nouvelle
s'en répandit dans la Province.
Elle vint aux oreilles de laDemoifelle qui en fut inconfolable.
Elle pleura , foûpira, parla con- tinuellement de ſes bonnes qua
14 LE MERCVRE
litez , & ſe le mit ſi fortement dans l'eſprit, qu'elle croyoit le voir paroiſtre devant elle à tous
momens. Pour divertir un peu ſa douleur , on l'envoya chez une Dame de ſes Parentes qui avoit un Chaſteau au Païs de
Caux. C'eſtoitune Veuve d'un
eſprit fort agreable , &qui ayant encorde la jeuneffe & de la beauté , attiroit chez elle tout ce qu'il y avoit d'honneſtes Gens
dansſon voiſinage. LabelleAf- Aigée ytrouva quelquefoulage- ment à ſes déplaiſirs , elle n'en pût oublier la cauſe , &elle ſe déroboit tous les jours pour ve- nir reſver ſolitairement dans le
Jardin à la perte qu'elle avoit faite. Cependant le Chevalier n'eſtoit pas ſi bienmort, qu'il ne fit connoiſtre preſque auffi-toft qu'il avoit encor part àla vie.On
GALAN T. 15 viſita ſes bleſſures. Elles furent
trouvées dangereuſes , mais non pas de telle forte qu'il n'en puſt guerir. On en prit ſoin , &il fut eneſtat de quiter l'Armée dans
le temps que les Troupes entroient en Quartier d'Hyver. II
revient en Normandie. Grande
joye pour ſes Amis qui l'ont pleuré mort. Il s'informe de ſa Maiſtreſſe. On luy apprend où elle eft, &à quelles extremitez ſa douleur l'avoit portée. Son amour redouble par la connoif- fancequ'onluydonne deſes dé- plaiſirs. Il meurt d'impatience de la revoir , &luy veut porter luy-meſme la nouvelle de ſon retour à la vie. Comme il s'en
connoiſt fortement aimé , il ſe
faitunejoyeſenſiblede l'agrea- ble ſurpriſe que ſa veuëluy doit caufer,& fans la faire tirer de
16 LE MERCVRE
l'erreur où le bruit de ſa fauffe
mort l'a miſe , il part de Roüen avec un Confeiller &un Abbé
de ſes Amis. Aucun d'eux ne
connoiſſoit la Dame chez qui elle eſtoit , &ceła faciliteledeffein qu'ils ont de faire paſſer pour une rencontre du hazard ce qui est une occafion recher- chée. Il pouvoiteſtre onze heu- res du foir. Ils arriventau Chaſteau , feignent d'ignorer à qui il eft , le demandent au Portier
qui leur vient ouvrir; &ſur ſa -réponſe , ils le prient de fairedi- re àla Dame , qu'un Conſeiller duParlementqui s'eſt égaré en allant à Dieppe , la ſupplie de luy vouloir donner une Cham- bre à luy & à deuxde ſes Amis,
..poury attendre le jour. La Dame avoit un Procés ,& le cre
dit d'un Conſeiller qui peut ou
GALANT. I17 eſtre fon Juge , ou folliciter pour elle , luy paroiſt un ſecours en- voyéduCiel. Elle leur fait faire excuſe de ce qu'eſtant déja coit- chée,elle est contrainte d'attendre juſqu'au lendemain à les voir. Cependant les ordres ſe donnent , & on n'oublie rien
pourles recevoir obligeamment.
La nuit ſe paffe. Ils demandent à quelle heure ils pourront re- mercier la Dame de ſes bontez..
On leur répond qu'elle s'habil- le; &pendant ce temps,le Con feiller & l'Abbé defcendent à
l'Ecurie pour ſçavoir ſi on a en ſoinde leurs Chevaux. Le Chevalier qui ne fonge qu'à fon amour , obferve la ſituationdes
lieux qui font habitez , & ayant pris garde qu'ils donnent fur le Jardin , il y entre dans l'eſperan- ce que faMaiſtreſſe paroiſtra à
18 LE MERCVRE
4
quelque feneftre. Iln'y apas fait trente pas qu'il lavoit fortird'u- ne Allée couverte. Elley eftoit venuë comme elle avoit accouſtumé de le faire tous les matins,&dans ce momentelle effuyoit quelques larmes qu'elle avoit encor données au ſouvenirde ſa mort. Il s'avance. Elle
l'apperçoit ; &comme elle en avoit l'imagination toute rem- plie , elle le prend pour fon Phantoſme, fait des cris épou- vantables , & s'enfuit vers une
Salle qu'elle avoit laiſſée ouver- te. Il court apres elle pour taf- cher de l'arreſter , mais fa diligence eſt vaine. Elle redouble fes cris , & a plûtoſt fermé la Porte qu'il ne l'a pû joindre.
Cette action est remarquée d'un Domeſtique qui entroit dans le
Jardin. Il enva donneravis àla
GALANT. 19
Dame. Elle deſcend dans la
Salle , trouve ſa belle Parente
- évanoüie; & comme elle estoit
Heritiere , & qu'on avoit déja fait courir le bruit de quelque projet pour l'enlever , elle ne doute point qu'on n'ait voulu enveniràl'execution ,&que ce qu'on luy eſt venu dire le jour precedent du Conſeiller égaré,
n'ait efté un artifice pour don- ner une entrée aux Raviſſeurs.
Tout la confirme dans cette
croyance. On a ven courir un
Homme apres la Demoiselle quine s'en eſt ſauvée qu'en s'en- fermant , & on la trouve évanoüie de frayeurs. Ses deux A- mis qui s'arreſtent à voir leurs
Chevaux , femblent avoir eu deſſein de ſe tenir preſts à fuir quand il ſeroit venu à bout de
fon entrepriſe , & il n'y a rien
-
20 LE MERCVRE
I
autre choſe àpenſer de ce qui s'eſt fait. Tandis qu'on prend foin de la belle Evanoüie , la
Dame envoye chercher du Se- cours , fait armer ſes Gens , &
enmoins de rien vingt. Hom- mes , avec des Moufquetons &
des Halebardes vont àl'Ecurie,
oùle Chevalier eſtoit venu ren
de compte à ſes deuxAmísde la rencontre qu'ilavoit faite. Ils font ſurpris de ſe voir coucher enjouë,&d'entendre dire qu'il n'y a pointde quartier pour eux s'ils neſe laiſſent conduire dans
-un Cabinet grillé oùla Dame a
-donnéordre qu'on les enferme.
Ils ont beau demander la cauſe
de l'infulte qu'on leur fait , & fe
plaindre du peu dereſpect qu'on apourunConſeiller.Ce nomde
Conſeiller qui avoit fait de ſi
grands effets quand ils arrive-
GALANT. 21
rent,n'eſt plus d'aucune confi- deration ,&ils font à peine dans leCabineroù cette Troupe mu- tine les garde , que la Dame leur vient dire qu'apres les avoir fait recevoir chez elle de la maniere la plus obligeante , elle n'auroit jamais creu qu'ils euf- ſent voulu luy faire l'outrage dont elle prétend reparation. Le Conſeiller prend la parole , &
s'eſtant plaint ſans trop d'ai- greur de la violence qu'on luy a
faite , il adjoûte qu'il ne voit pas de quel mauvais deſſein on a pû le tenir ſuſpect , quand il vient avecunAbbé dont le caractere le doit faire croire incapable d'y preſter la main. La Dame répond que la partie ef- toit bien- faite , &qu'on ne vou- loit pas aller loin ſans mettre les choſes en estat deſe pacifier par
22 LE MERCVRE
le Mariage. Cette réponſe &
quelques autres paroles luy font comprendre qu'on les ſoupçon- nede n'eſtre venusau Chaſteau
quepour enlever ſa Parente. Le Chevalier qui ne devine point pourquoy on leurimpute cedef- fein ſur la frayeur qu'il ſçait que ſa veuë a cauſée àſaMaiſtreſſe,
dit qu'il eſt vray qu'une Demoi- ſelle a pris la fuite toute effrayée de l'avoir trouvé dans le Jardin,
mais qu'on la luy faſſe voir , &
qu'il eſt fort aſſuré qu'elle ne le reconnoiſtra point pour un Ra- viſſeur. Il conjure la Dame avee tant d'inſtance de luy accorder cette grace , qu'elle les quitte pour aller ſçavoir ſi ſa Parente eſt enestatde venir.Elle la trouve revenuë de fon Evanoüiffement , mais ſi interdite de ce
qu'elle a veu , quele troublede
GALANT. 23
ſon ameparoiſt encorpeintdans ſes regards. Cette belle Perſon- ne la prévient , &d'abord qu'el- le lavoit entrer elle luy dit qu'el- le ne ſçait comme elle eſt de- meurée vivante apres quel'Om- bre du Chevalier qu'elle a tant aimé luy eſt apparuë. LaDame perfuadéeque la frayeur qu'elle a euë de la pourſuite d'un Ra- viſſeur afait égarer ſa raiſon , la prie dela fuivre , &l'affurequ'- elle luy fera faire entiere ſatis- faction de l'injure qu'elle a re- çeuë. Elle entre dans leCabinet ſans ſçavoir pourquoyſa prefen- ce yeft neceſſaire , & elle n'a pas plûtoſt jetté les yeux fur leChe- valier qu'elle pouffe de nouveaux cris , & retombe preſque dans le meſme eſtat d'où elle
vientd'eſtre retirée. LeChevaliers'approche, & ſe plaint d'u-
,
24 LE MERCVRE
ne maniere fi tendredu malheur
qu'il a de ne pouvoir paroiſtre devat elle fans l'éfrayer,qu'enfin quoy qu'avec beaucoupde pei- ne , elle trouve affez de voix
pourluydemanders'il peuteſtre vray qu'il ne ſoit pas mort. Il répond qu'il ne ſçait ſi elle a
donné un ordre abſolu de le tuer à ceux qui l'ont amené dans le Cabinet avecdes Halebardes &
des Mousquetons , mais que fi elle veut bien conſentir qu'il vi- ve , il vivra tout à elle comme il
a fait juſque là , &toûjours dans les ſentimens paſſionnez qu'elle ne condamnoit pas avant qu'il la quittât pour l'Armée. Il n'en fallut pas davantage pour faire connoiſtre àla Dame ce qu'elle n'avoit pû démeſler d'abord. Ju- gez de ſa ſurpriſe. Elle entend nommerle Chevalier, & voyantla
GALANT. 25 joye éclater ſur le viſage de ſa Parente , elle tombe dans une
confufion dont elle ne fort que par les choſes agreables que le Conſeiller commence à luydire fur cettemépriſe. Elle luy en fait mille excuſes , &ſe ſertpource- la de termes ſi obligeans , que commeelle eſtoit tres-bien faite
de ſa perſonne, le Conſeiller s'en laiſſe toucher. Elle le prie de re- mettre ſon Voyage de Dieppe,
& de demeurer quelques jours chez elle pour luy donner lieu dereparer ce que fon inconfide- rée précipitation luy avoit fait faire d'injuſte. Outre que c'ef- toit ce que le Conſeiller avoit pretendu , il trouvoit tant d'ef- prit & d'agrément dans l'aima- ble Veuve , qu'il ne fut pas fa- ché de faire pour elle ce qu'un commencement d'amour luy
Tome IX. B
26 LE MERCVRE
faiſoit déja ſecrettement ſouhai- ter. Il paſſa donctrois ou quatre jours dans le Chaſteau , & l'en- tretiende cette aimable Perſonne eurde fi doux charmes pour luy, qu'iln'yparoiffoit pasmoins attaché que le Chevalier l'eſtoit àrenouveller àſa Maiſtreſſe les
proteſtations du plus tendre amour. L'Abbé s'aperçeut de l'engagement que le Confeiller prenoit pour la Dame ; & com- me il ne pouvoitſemettredela converfation d'aucun coſté fans
troubler un teſte-a-teſte , il leur dit enfin en riant qu'il s'ennu- yoit d'eſtre ſans employ , tandis qu'il les voyoit tousquatre ff agreablement occupez. Je ne ſçay ſi cet avis donna lieu au Conſeillerde s'expliquer ſerien- ſement , mais l'intelligence con- tinua ,les affaires ſe conclurent,
GALAINT.
27 & l'Abbé fut appellé quelque temps apres pour la Ceremonie des deux Mariages. Le grand oüy qu'il a fait prononcer à ces quatresAmans, les amisdans un eftat fi heureux , quepourl'en récompenfer il luy ſouhaitent tous les jours une Mitre
pas Homme pour n'en point avoir ; mais elle a quelquefois des effets bien dangereux , &
vous l'allez voir par ce qui eft arrivé depuis peu de temps à
une aimable Heritiere d'une des
meilleures Familles de Roüen.
Elle avoit pris de la tendreſſe
pour un jeune Chevalier qui
GALANT. 1.3
Laimoit avec paffion. Soit pour la naiſſance , foit pour le bien,
ils eſtoient aſſez le fait l'un de
l'autre; & comme l'Amour s'en
meſloit , il n'auroit pas eſté dif- ficile au Chevalier de ſe rendre
heureux, fi l'employ qu'il avoit à l'Armée ne l'euft obligé d'at- tendre à demander. l'agrément de ſes Parens au retour de la
Campagne , qu'il ne ſe pouvoit diſpenſer de faire. Il ſervoit en Allemagne fous Monfieur le Mareſchal de Créquy , &ayant eſté commandé dans une oсcaſion où nous perdîmes quel- que monde, il fut compte au nombre des Morts, La nouvelle
s'en répandit dans la Province.
Elle vint aux oreilles de laDemoifelle qui en fut inconfolable.
Elle pleura , foûpira, parla con- tinuellement de ſes bonnes qua
14 LE MERCVRE
litez , & ſe le mit ſi fortement dans l'eſprit, qu'elle croyoit le voir paroiſtre devant elle à tous
momens. Pour divertir un peu ſa douleur , on l'envoya chez une Dame de ſes Parentes qui avoit un Chaſteau au Païs de
Caux. C'eſtoitune Veuve d'un
eſprit fort agreable , &qui ayant encorde la jeuneffe & de la beauté , attiroit chez elle tout ce qu'il y avoit d'honneſtes Gens
dansſon voiſinage. LabelleAf- Aigée ytrouva quelquefoulage- ment à ſes déplaiſirs , elle n'en pût oublier la cauſe , &elle ſe déroboit tous les jours pour ve- nir reſver ſolitairement dans le
Jardin à la perte qu'elle avoit faite. Cependant le Chevalier n'eſtoit pas ſi bienmort, qu'il ne fit connoiſtre preſque auffi-toft qu'il avoit encor part àla vie.On
GALAN T. 15 viſita ſes bleſſures. Elles furent
trouvées dangereuſes , mais non pas de telle forte qu'il n'en puſt guerir. On en prit ſoin , &il fut eneſtat de quiter l'Armée dans
le temps que les Troupes entroient en Quartier d'Hyver. II
revient en Normandie. Grande
joye pour ſes Amis qui l'ont pleuré mort. Il s'informe de ſa Maiſtreſſe. On luy apprend où elle eft, &à quelles extremitez ſa douleur l'avoit portée. Son amour redouble par la connoif- fancequ'onluydonne deſes dé- plaiſirs. Il meurt d'impatience de la revoir , &luy veut porter luy-meſme la nouvelle de ſon retour à la vie. Comme il s'en
connoiſt fortement aimé , il ſe
faitunejoyeſenſiblede l'agrea- ble ſurpriſe que ſa veuëluy doit caufer,& fans la faire tirer de
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l'erreur où le bruit de ſa fauffe
mort l'a miſe , il part de Roüen avec un Confeiller &un Abbé
de ſes Amis. Aucun d'eux ne
connoiſſoit la Dame chez qui elle eſtoit , &ceła faciliteledeffein qu'ils ont de faire paſſer pour une rencontre du hazard ce qui est une occafion recher- chée. Il pouvoiteſtre onze heu- res du foir. Ils arriventau Chaſteau , feignent d'ignorer à qui il eft , le demandent au Portier
qui leur vient ouvrir; &ſur ſa -réponſe , ils le prient de fairedi- re àla Dame , qu'un Conſeiller duParlementqui s'eſt égaré en allant à Dieppe , la ſupplie de luy vouloir donner une Cham- bre à luy & à deuxde ſes Amis,
..poury attendre le jour. La Dame avoit un Procés ,& le cre
dit d'un Conſeiller qui peut ou
GALANT. I17 eſtre fon Juge , ou folliciter pour elle , luy paroiſt un ſecours en- voyéduCiel. Elle leur fait faire excuſe de ce qu'eſtant déja coit- chée,elle est contrainte d'attendre juſqu'au lendemain à les voir. Cependant les ordres ſe donnent , & on n'oublie rien
pourles recevoir obligeamment.
La nuit ſe paffe. Ils demandent à quelle heure ils pourront re- mercier la Dame de ſes bontez..
On leur répond qu'elle s'habil- le; &pendant ce temps,le Con feiller & l'Abbé defcendent à
l'Ecurie pour ſçavoir ſi on a en ſoinde leurs Chevaux. Le Chevalier qui ne fonge qu'à fon amour , obferve la ſituationdes
lieux qui font habitez , & ayant pris garde qu'ils donnent fur le Jardin , il y entre dans l'eſperan- ce que faMaiſtreſſe paroiſtra à
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4
quelque feneftre. Iln'y apas fait trente pas qu'il lavoit fortird'u- ne Allée couverte. Elley eftoit venuë comme elle avoit accouſtumé de le faire tous les matins,&dans ce momentelle effuyoit quelques larmes qu'elle avoit encor données au ſouvenirde ſa mort. Il s'avance. Elle
l'apperçoit ; &comme elle en avoit l'imagination toute rem- plie , elle le prend pour fon Phantoſme, fait des cris épou- vantables , & s'enfuit vers une
Salle qu'elle avoit laiſſée ouver- te. Il court apres elle pour taf- cher de l'arreſter , mais fa diligence eſt vaine. Elle redouble fes cris , & a plûtoſt fermé la Porte qu'il ne l'a pû joindre.
Cette action est remarquée d'un Domeſtique qui entroit dans le
Jardin. Il enva donneravis àla
GALANT. 19
Dame. Elle deſcend dans la
Salle , trouve ſa belle Parente
- évanoüie; & comme elle estoit
Heritiere , & qu'on avoit déja fait courir le bruit de quelque projet pour l'enlever , elle ne doute point qu'on n'ait voulu enveniràl'execution ,&que ce qu'on luy eſt venu dire le jour precedent du Conſeiller égaré,
n'ait efté un artifice pour don- ner une entrée aux Raviſſeurs.
Tout la confirme dans cette
croyance. On a ven courir un
Homme apres la Demoiselle quine s'en eſt ſauvée qu'en s'en- fermant , & on la trouve évanoüie de frayeurs. Ses deux A- mis qui s'arreſtent à voir leurs
Chevaux , femblent avoir eu deſſein de ſe tenir preſts à fuir quand il ſeroit venu à bout de
fon entrepriſe , & il n'y a rien
-
20 LE MERCVRE
I
autre choſe àpenſer de ce qui s'eſt fait. Tandis qu'on prend foin de la belle Evanoüie , la
Dame envoye chercher du Se- cours , fait armer ſes Gens , &
enmoins de rien vingt. Hom- mes , avec des Moufquetons &
des Halebardes vont àl'Ecurie,
oùle Chevalier eſtoit venu ren
de compte à ſes deuxAmísde la rencontre qu'ilavoit faite. Ils font ſurpris de ſe voir coucher enjouë,&d'entendre dire qu'il n'y a pointde quartier pour eux s'ils neſe laiſſent conduire dans
-un Cabinet grillé oùla Dame a
-donnéordre qu'on les enferme.
Ils ont beau demander la cauſe
de l'infulte qu'on leur fait , & fe
plaindre du peu dereſpect qu'on apourunConſeiller.Ce nomde
Conſeiller qui avoit fait de ſi
grands effets quand ils arrive-
GALANT. 21
rent,n'eſt plus d'aucune confi- deration ,&ils font à peine dans leCabineroù cette Troupe mu- tine les garde , que la Dame leur vient dire qu'apres les avoir fait recevoir chez elle de la maniere la plus obligeante , elle n'auroit jamais creu qu'ils euf- ſent voulu luy faire l'outrage dont elle prétend reparation. Le Conſeiller prend la parole , &
s'eſtant plaint ſans trop d'ai- greur de la violence qu'on luy a
faite , il adjoûte qu'il ne voit pas de quel mauvais deſſein on a pû le tenir ſuſpect , quand il vient avecunAbbé dont le caractere le doit faire croire incapable d'y preſter la main. La Dame répond que la partie ef- toit bien- faite , &qu'on ne vou- loit pas aller loin ſans mettre les choſes en estat deſe pacifier par
22 LE MERCVRE
le Mariage. Cette réponſe &
quelques autres paroles luy font comprendre qu'on les ſoupçon- nede n'eſtre venusau Chaſteau
quepour enlever ſa Parente. Le Chevalier qui ne devine point pourquoy on leurimpute cedef- fein ſur la frayeur qu'il ſçait que ſa veuë a cauſée àſaMaiſtreſſe,
dit qu'il eſt vray qu'une Demoi- ſelle a pris la fuite toute effrayée de l'avoir trouvé dans le Jardin,
mais qu'on la luy faſſe voir , &
qu'il eſt fort aſſuré qu'elle ne le reconnoiſtra point pour un Ra- viſſeur. Il conjure la Dame avee tant d'inſtance de luy accorder cette grace , qu'elle les quitte pour aller ſçavoir ſi ſa Parente eſt enestatde venir.Elle la trouve revenuë de fon Evanoüiffement , mais ſi interdite de ce
qu'elle a veu , quele troublede
GALANT. 23
ſon ameparoiſt encorpeintdans ſes regards. Cette belle Perſon- ne la prévient , &d'abord qu'el- le lavoit entrer elle luy dit qu'el- le ne ſçait comme elle eſt de- meurée vivante apres quel'Om- bre du Chevalier qu'elle a tant aimé luy eſt apparuë. LaDame perfuadéeque la frayeur qu'elle a euë de la pourſuite d'un Ra- viſſeur afait égarer ſa raiſon , la prie dela fuivre , &l'affurequ'- elle luy fera faire entiere ſatis- faction de l'injure qu'elle a re- çeuë. Elle entre dans leCabinet ſans ſçavoir pourquoyſa prefen- ce yeft neceſſaire , & elle n'a pas plûtoſt jetté les yeux fur leChe- valier qu'elle pouffe de nouveaux cris , & retombe preſque dans le meſme eſtat d'où elle
vientd'eſtre retirée. LeChevaliers'approche, & ſe plaint d'u-
,
24 LE MERCVRE
ne maniere fi tendredu malheur
qu'il a de ne pouvoir paroiſtre devat elle fans l'éfrayer,qu'enfin quoy qu'avec beaucoupde pei- ne , elle trouve affez de voix
pourluydemanders'il peuteſtre vray qu'il ne ſoit pas mort. Il répond qu'il ne ſçait ſi elle a
donné un ordre abſolu de le tuer à ceux qui l'ont amené dans le Cabinet avecdes Halebardes &
des Mousquetons , mais que fi elle veut bien conſentir qu'il vi- ve , il vivra tout à elle comme il
a fait juſque là , &toûjours dans les ſentimens paſſionnez qu'elle ne condamnoit pas avant qu'il la quittât pour l'Armée. Il n'en fallut pas davantage pour faire connoiſtre àla Dame ce qu'elle n'avoit pû démeſler d'abord. Ju- gez de ſa ſurpriſe. Elle entend nommerle Chevalier, & voyantla
GALANT. 25 joye éclater ſur le viſage de ſa Parente , elle tombe dans une
confufion dont elle ne fort que par les choſes agreables que le Conſeiller commence à luydire fur cettemépriſe. Elle luy en fait mille excuſes , &ſe ſertpource- la de termes ſi obligeans , que commeelle eſtoit tres-bien faite
de ſa perſonne, le Conſeiller s'en laiſſe toucher. Elle le prie de re- mettre ſon Voyage de Dieppe,
& de demeurer quelques jours chez elle pour luy donner lieu dereparer ce que fon inconfide- rée précipitation luy avoit fait faire d'injuſte. Outre que c'ef- toit ce que le Conſeiller avoit pretendu , il trouvoit tant d'ef- prit & d'agrément dans l'aima- ble Veuve , qu'il ne fut pas fa- ché de faire pour elle ce qu'un commencement d'amour luy
Tome IX. B
26 LE MERCVRE
faiſoit déja ſecrettement ſouhai- ter. Il paſſa donctrois ou quatre jours dans le Chaſteau , & l'en- tretiende cette aimable Perſonne eurde fi doux charmes pour luy, qu'iln'yparoiffoit pasmoins attaché que le Chevalier l'eſtoit àrenouveller àſa Maiſtreſſe les
proteſtations du plus tendre amour. L'Abbé s'aperçeut de l'engagement que le Confeiller prenoit pour la Dame ; & com- me il ne pouvoitſemettredela converfation d'aucun coſté fans
troubler un teſte-a-teſte , il leur dit enfin en riant qu'il s'ennu- yoit d'eſtre ſans employ , tandis qu'il les voyoit tousquatre ff agreablement occupez. Je ne ſçay ſi cet avis donna lieu au Conſeillerde s'expliquer ſerien- ſement , mais l'intelligence con- tinua ,les affaires ſe conclurent,
GALAINT.
27 & l'Abbé fut appellé quelque temps apres pour la Ceremonie des deux Mariages. Le grand oüy qu'il a fait prononcer à ces quatresAmans, les amisdans un eftat fi heureux , quepourl'en récompenfer il luy ſouhaitent tous les jours une Mitre
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Résumé : Histoire de Roüen. [titre d'après la table]
Le texte relate l'histoire d'une jeune héritière de Rouen qui sombre dans le désespoir après avoir appris la mort de son amant, un jeune chevalier. Pour la distraire, on l'envoie chez une parente veuve, réputée pour son esprit agréable et sa beauté, qui attire de nombreuses personnes honorables. Malgré les efforts pour la divertir, la jeune femme continue de pleurer la perte de son amant. Cependant, le chevalier n'est pas mort et, après avoir guéri de ses blessures, il revient en Normandie. Apprenant la douleur de sa maîtresse, il décide de lui annoncer son retour en personne. Accompagné d'un conseiller et d'un abbé, il se rend au château de la parente, se faisant passer pour un conseiller égaré. La dame, pensant qu'il s'agit d'un ravisseur, les enferme après que la jeune femme, en voyant le chevalier, s'évanouit de frayeur. Le chevalier explique la situation, et la dame, comprenant la méprise, s'excuse. La jeune femme, revenue à elle, reconnaît son amant et se réjouit. Le conseiller, charmé par la veuve, décide de rester et finit par se marier avec elle. L'abbé, témoin de la situation, suggère une solution qui aboutit à deux mariages. Par ailleurs, le texte mentionne une cérémonie organisée par une personne pour quatre amoureux, qui prononcent des vœux. Ces amoureux se trouvent dans un état de bonheur extrême. En guise de récompense pour cet acte, ils expriment chaque jour le souhait que cette personne obtienne une mitre, un couvre-chef ecclésiastique symbolisant une haute dignité religieuse.
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3
p. 296-298
REPONSE DE GRISETTE A TATA.
Début :
Comment osez.vous me conter [...]
Mots clefs :
Amour, Chatte, Coeur, Maîtresse
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texteReconnaissance textuelle : REPONSE DE GRISETTE A TATA.
REPONSE
DE GRISETTE.
A TATA.
cOmment oft.-OU.s¡n conter
Lespertes que nom avezfaites?
En amour ccjlmal débuter,
Et je ne flot) que moy qui voulust
écouter
Vnpareil(jonteur defleurettes. Ifa!fy(diroientnonchalamment
rn tas de Chattesprétieuses)
Fy,mes Cheres, d'un telAmant;
Crsij'ose, TAt¡t, vousparler librement,
Chattes aux airspanchez font lesplus
amoureuses.
Mdthcurchez,elles auxMatous
AuJJï disgraciezquevous.
Tour moy qu'un heureux sortfit
naiflre tendre sage,
le "rous quitte aisémentdessolides
plaisirs.
jFdifom de nostreamourunplusgalant
Il cft un
c
harmant badinage
Qui ne taritjamais lasource desdesîrs.
Jerenoncepour vous à toutes les GouttiereSy
Où(joit dit en pdrint)je riayjamais
esté.
le fuis de ces MinetteslÙres
Quidonnent auxgrands airs, aux galantes maniérés.
I-feLti! ce futpar L; que mon cœurfut
tenté.
Quandj'appris ce qu'avoit contê
De yos appas, de vostre adresse,
Jrcjlre incomparable Maistresse,
Depuis ce dangereux moment,
PLine de vous autant qu'on lepeut
estre,
le fis dessein de vousfaire connoistre
Par un doucereux compliment,
L'amour que dans mon cœur ce recit
afait naistre. ( 7rers
Vous mavezconfirmépar d'agréailes
Tout ce qu'on m'avoit ditde vos charmes divers.
.A[a,ç:rto,/lÎe fllfte tr:p.?fje,
Onyvoit, cher Tata,briller un air
galant.
Lesmiensrépondrontmal à leur dêlicatesse,
Ecrire bienn'estpas nostretalent.
Ilestrare,diton, parmy les sommes
mesine.
Mais dequoyvais-je m'allarmer?
Vousyverrez que je yous aime,
C'est assez pour quisçait aimer.
DE GRISETTE.
A TATA.
cOmment oft.-OU.s¡n conter
Lespertes que nom avezfaites?
En amour ccjlmal débuter,
Et je ne flot) que moy qui voulust
écouter
Vnpareil(jonteur defleurettes. Ifa!fy(diroientnonchalamment
rn tas de Chattesprétieuses)
Fy,mes Cheres, d'un telAmant;
Crsij'ose, TAt¡t, vousparler librement,
Chattes aux airspanchez font lesplus
amoureuses.
Mdthcurchez,elles auxMatous
AuJJï disgraciezquevous.
Tour moy qu'un heureux sortfit
naiflre tendre sage,
le "rous quitte aisémentdessolides
plaisirs.
jFdifom de nostreamourunplusgalant
Il cft un
c
harmant badinage
Qui ne taritjamais lasource desdesîrs.
Jerenoncepour vous à toutes les GouttiereSy
Où(joit dit en pdrint)je riayjamais
esté.
le fuis de ces MinetteslÙres
Quidonnent auxgrands airs, aux galantes maniérés.
I-feLti! ce futpar L; que mon cœurfut
tenté.
Quandj'appris ce qu'avoit contê
De yos appas, de vostre adresse,
Jrcjlre incomparable Maistresse,
Depuis ce dangereux moment,
PLine de vous autant qu'on lepeut
estre,
le fis dessein de vousfaire connoistre
Par un doucereux compliment,
L'amour que dans mon cœur ce recit
afait naistre. ( 7rers
Vous mavezconfirmépar d'agréailes
Tout ce qu'on m'avoit ditde vos charmes divers.
.A[a,ç:rto,/lÎe fllfte tr:p.?fje,
Onyvoit, cher Tata,briller un air
galant.
Lesmiensrépondrontmal à leur dêlicatesse,
Ecrire bienn'estpas nostretalent.
Ilestrare,diton, parmy les sommes
mesine.
Mais dequoyvais-je m'allarmer?
Vousyverrez que je yous aime,
C'est assez pour quisçait aimer.
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Résumé : REPONSE DE GRISETTE A TATA.
Dans une lettre d'amour, Grisette s'adresse à Tata, exprimant d'abord son regret des pertes subies par cette dernière et son désir de lui parler librement. Grisette affirme que les chattes aux airs penchés sont les plus amoureuses et qu'elle a choisi de quitter des plaisirs solides pour un amour plus galant et un badinage charmant. Elle renonce pour Tata à toutes les gouttières où elle n'a jamais été et fuit les minettes légères. Grisette révèle que son cœur a été tenté après avoir entendu parler des appas et de l'adresse de Tata. Depuis, elle a décidé de lui faire connaître son amour par un compliment doux. Tata a confirmé les charmes divers qu'on lui avait décrits, et Grisette a vu briller un air galant en elle. Bien que Grisette reconnaisse que ses lettres ne sont pas délicates, elle assure à Tata qu'elle l'aime, ce qui suffit pour être aimée en retour.
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4
p. 306-311
MITIN, CHAT DE Mlle BOQUET, A GRISETTE.
Début :
Grisette, vous faites du bruit, [...]
Mots clefs :
Bruit, Amour, Souris, Chat, Maîtresse, Galant
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texteReconnaissance textuelle : MITIN, CHAT DE Mlle BOQUET, A GRISETTE.
MITIfTNl)
CHAT DE MlleBOQUET,
A GRISETTE.
G7?!f'tte,Vousfaitesdubruit,
Non de en bruit quefontd>'.r£tlan
Les AU:-'-testropamoureuses,-
C'esi' un bruitquelagloire fuity
Et quefont
en tout temps prétieuses. les Chattes
o bruit eft*tenujufqt:à moy,
-
Il a
troublé masolitude;
l'e yiyo/i libre, exempt de l'amoureuse
loy,
Etjefinsde l'inquiétude.
lime revient de tous costez
gvcyous avez cent raresqualitez
On dit que vous avezle regard doux
(.?" tendre,
et quepour enfaire comprendre
La charmantedouceur, (JF le brillant
éclat,
Vous n),¡)?e'{plU desyeux de Chat.
On dit quela Nature adroite Cg- bienfaisante,
Vous afaitdesa main uneRobe luisante
D'unpetitgris beaucoupplusfin
Que lepetitgris deLapin ;
gue vous ¡¡,,"'e'{ dYeC cent tours d14.
dresse
Chasser lesplusfâcheux ennuis,
Faire des jours heureux, d'agreables nuits
A vostresçavante Maistresse.
On vous voit quelquefoisd'un manege
leger
Sauter, bondir, Cg, voltiger,
Et quelquefois engalante Minete
Vous drejprsur vos piedspour atteindre au Miroir,
Trendreplaisir à vousy voir, Tonfaltervos traitsen illustre Co1
quette,
En Chatted'importance, nonpas en Grisette.
Vousn'aVe^ rien de brutalvde bas.
On ne vous vit jamaissoüiller v os
pates
Innocentes (y* délicates,
Dusangdes Sourisvdes Rats.
En amour vous "t'{ les plusb:!L-$
manieres ;
VousriaUe^pointpar des crisscandaleux
Promenersur les toits la honte de vos
f-u*,
Ny vous livreraux Matous des Gouttieres.
Par un tendre miolement
Vous expliquez vostre tourment,
Etvoussçavezsibien, dans l'ardeur
qui vousprejje
Touchervostre illustre Maiflro/fi,
Qu'elleprendsoin de vosplaifîrs*
Etd'un digneGalantrégalevos desirs.
J'en,pourrois dire davantage
Sur le bruitqu'onfait tous lesjours
De yos charmans appas de yos tendres
amours;
On n'endit que trop, dontj'enrage.
l'enrage de bon cœur, Grisette, quand
jevoy
Tant d'appas tant d'amour, qui ne
sontpas pour moy.
Je sensque le bruit quevousfaites
Allume dans mon cœur des passions
secretes,
Que dans tout lePaïsdesplus tendres
Matous
Il Nulle autre n'allume que vous.
Mais il est temps évidenceenfin de mettre en
Et m':'s talens v mes exploits.
JWrfolitude -9^monsïlence
M'ont oflc- jttfyu'icy l'honneur de
"ro/lr!: choix.
Ilfaut vousfaire ma peinture,
J-^OUJ dire que je suis un Chat des
mieux appris;
C'esttrop languirdasune vie obscure;
Et comme en la nuit tous Chats
sontgris, ilfautmettre aujour mafigure.
J'ay la mine areî. haute, C~ l'airfort
glorieux;
Tantd'eclat brille dans mes yeux,
Qu'onprendmes ardentesprunelles
Pour des Astres ou des Chandelles.
Je ne suis pointsujet aux facheux accidens
Où tombentles Chatsimprudens,
Ma conduite n'a rien de brutal, de
sauvage,
Et je nefis jamais aucun mauvais
usage
De mesgriffes, ny de mesdents,
Quoy que mon sérieux marque trop
dsfaZ*JP>
Et me donne tout l'aird'unsevere
Docteur,
Quandilfautplaire à ma Maistresse,
Jesuis badin,jesuis flateur,
Je la baise,je la (Arejft,
Etlaplus enjoüéevbrillatejeunesse
L'est bien moins que ma belle humeur.
Sf\'e{-"faits de quel air discretv
raisonnable
J'ay mapart dans un bon Repas ?
J'apuye adroitemetma patesurles bras
De ceux quisont assis à table.
Si leurfaim est inéxorable,
Mafaim neserebutepas,
Et d'un air toujours agreable
Je tire du moins charitable
Lesmorceauxlesplus délicats.
/<,uoJ que je fois servy d'une main
liberale, e) Et que jesois un Chat des mieux
nourris,
Je chasse d'une ardeurqui n'eutjamais
d'égale;
JSLUIMatou mieux que moy ne chasse
dans Paris,
Et je prétens qu'un jour mon amour
"fOus régale
D'unebécatomhe de Souris.
CHAT DE MlleBOQUET,
A GRISETTE.
G7?!f'tte,Vousfaitesdubruit,
Non de en bruit quefontd>'.r£tlan
Les AU:-'-testropamoureuses,-
C'esi' un bruitquelagloire fuity
Et quefont
en tout temps prétieuses. les Chattes
o bruit eft*tenujufqt:à moy,
-
Il a
troublé masolitude;
l'e yiyo/i libre, exempt de l'amoureuse
loy,
Etjefinsde l'inquiétude.
lime revient de tous costez
gvcyous avez cent raresqualitez
On dit que vous avezle regard doux
(.?" tendre,
et quepour enfaire comprendre
La charmantedouceur, (JF le brillant
éclat,
Vous n),¡)?e'{plU desyeux de Chat.
On dit quela Nature adroite Cg- bienfaisante,
Vous afaitdesa main uneRobe luisante
D'unpetitgris beaucoupplusfin
Que lepetitgris deLapin ;
gue vous ¡¡,,"'e'{ dYeC cent tours d14.
dresse
Chasser lesplusfâcheux ennuis,
Faire des jours heureux, d'agreables nuits
A vostresçavante Maistresse.
On vous voit quelquefoisd'un manege
leger
Sauter, bondir, Cg, voltiger,
Et quelquefois engalante Minete
Vous drejprsur vos piedspour atteindre au Miroir,
Trendreplaisir à vousy voir, Tonfaltervos traitsen illustre Co1
quette,
En Chatted'importance, nonpas en Grisette.
Vousn'aVe^ rien de brutalvde bas.
On ne vous vit jamaissoüiller v os
pates
Innocentes (y* délicates,
Dusangdes Sourisvdes Rats.
En amour vous "t'{ les plusb:!L-$
manieres ;
VousriaUe^pointpar des crisscandaleux
Promenersur les toits la honte de vos
f-u*,
Ny vous livreraux Matous des Gouttieres.
Par un tendre miolement
Vous expliquez vostre tourment,
Etvoussçavezsibien, dans l'ardeur
qui vousprejje
Touchervostre illustre Maiflro/fi,
Qu'elleprendsoin de vosplaifîrs*
Etd'un digneGalantrégalevos desirs.
J'en,pourrois dire davantage
Sur le bruitqu'onfait tous lesjours
De yos charmans appas de yos tendres
amours;
On n'endit que trop, dontj'enrage.
l'enrage de bon cœur, Grisette, quand
jevoy
Tant d'appas tant d'amour, qui ne
sontpas pour moy.
Je sensque le bruit quevousfaites
Allume dans mon cœur des passions
secretes,
Que dans tout lePaïsdesplus tendres
Matous
Il Nulle autre n'allume que vous.
Mais il est temps évidenceenfin de mettre en
Et m':'s talens v mes exploits.
JWrfolitude -9^monsïlence
M'ont oflc- jttfyu'icy l'honneur de
"ro/lr!: choix.
Ilfaut vousfaire ma peinture,
J-^OUJ dire que je suis un Chat des
mieux appris;
C'esttrop languirdasune vie obscure;
Et comme en la nuit tous Chats
sontgris, ilfautmettre aujour mafigure.
J'ay la mine areî. haute, C~ l'airfort
glorieux;
Tantd'eclat brille dans mes yeux,
Qu'onprendmes ardentesprunelles
Pour des Astres ou des Chandelles.
Je ne suis pointsujet aux facheux accidens
Où tombentles Chatsimprudens,
Ma conduite n'a rien de brutal, de
sauvage,
Et je nefis jamais aucun mauvais
usage
De mesgriffes, ny de mesdents,
Quoy que mon sérieux marque trop
dsfaZ*JP>
Et me donne tout l'aird'unsevere
Docteur,
Quandilfautplaire à ma Maistresse,
Jesuis badin,jesuis flateur,
Je la baise,je la (Arejft,
Etlaplus enjoüéevbrillatejeunesse
L'est bien moins que ma belle humeur.
Sf\'e{-"faits de quel air discretv
raisonnable
J'ay mapart dans un bon Repas ?
J'apuye adroitemetma patesurles bras
De ceux quisont assis à table.
Si leurfaim est inéxorable,
Mafaim neserebutepas,
Et d'un air toujours agreable
Je tire du moins charitable
Lesmorceauxlesplus délicats.
/<,uoJ que je fois servy d'une main
liberale, e) Et que jesois un Chat des mieux
nourris,
Je chasse d'une ardeurqui n'eutjamais
d'égale;
JSLUIMatou mieux que moy ne chasse
dans Paris,
Et je prétens qu'un jour mon amour
"fOus régale
D'unebécatomhe de Souris.
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Résumé : MITIN, CHAT DE Mlle BOQUET, A GRISETTE.
La lettre est adressée par un chat à Grisette, une chatte reconnue pour ses nombreuses qualités. Le narrateur admire Grisette pour son regard doux et tendre, ainsi que pour sa robe grise fine et élégante. Il la décrit comme une compagne agréable, capable de chasser les ennuis et de rendre sa maîtresse heureuse. Grisette est également dépeinte comme une chatte raffinée, évitant les comportements brutaux et indécents, et utilisant des manières tendres et respectueuses en amour. Jaloux des attentions que Grisette reçoit, le narrateur décide de se révéler à elle. Il se décrit comme un chat bien élevé, avec une mine altière et des yeux brillants. Il vante sa conduite sage et son savoir-vivre, notamment lors des repas où il sait se comporter discrètement et obtenir les meilleurs morceaux. Il se présente aussi comme un chasseur exceptionnel, prétendant pouvoir offrir à Grisette une abondance de souris.
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5
p. 184-200
Histoire, [titre d'après la table]
Début :
J'ay à vous apprendre une Avanture que vous trouverez fort [...]
Mots clefs :
Veuve, Tante, Cavalier, Mariage, Nièce, Amour, Galant, Sentiments, Estime, Coeur, Maîtresse, Déclaration, Amants, Chagrin
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Histoire, [titre d'après la table]
J'ay à vous apprendre une
Avanture que vous trouverez
fort fingulière. Elle eft arrivée
icy depuis peu de temps . Un Cavalier
fort bien fait , fpirituel ,´
jeune & riche , aprés avoir joüé
pendant cinq ou fix années , tous
les perfonnages que
font aupres
des belles Perfonnes , ceux qui
font prodigues de douceurs , &
que les plus fortes proteftations
qu'ils viennent de faire , n'empefchent
point de jurer encore
ailleurs qu'ils ont de l'amour , fe
fentit enfin veritablement touché
de la beauté d'une aimable Brune
qu'il trouva un jour chez une
Veuve , qui quoy qu'elle paffaft
GALANT.
185
quarante ans , n'en avoüoit que
vingt huit , & qui par de certains
airs du monde qui luy étoient
naturels , reparoit avec affez d'agrément
ce qui luy manquoit du
cofté de la jeuneffe . La belle
Brune joignoit à des traits piquans
, une modeſtie qui charma
le Cavalier. Il fçut auffitoft qu'elle
eftoit voifine de la Veuve , &
les fentimens d'eftime qu'il prit
dés l'abord pour elle , l'engageant
à fouhaiter d'avoir un entier
éclairciffement fur ce qui la regardoit
, il apprit par ceux qu'il
chargea du foin de s'en informer,
qu'elle dépendoit d'un Pere affez
peu accommodé , qui ne fouffroit
point qu'elle reçuft de vifites ;
qu'on ne la voyoit que chez une
vieille Tante qui eftant fort riche
, prometoit de luy donner
une Partie de fon bien ; qu'ainfi
}
186 MERCURE
1
•
tout ce qu'elle avoit d'Amans
faifoit la cour à la Tante , & que
c'eftoit d'elle qu'il faloit obtenir.
Le Cavalier inftruit de ces chofes
, voulut connoiftre le coeur
de la Belle, avant que de prendre
aucunes mefures . Sçachant qu'elle
voyoit fort ſouvent la Veuve ,
il fe rendit affidu chez elle . Toutes
ſes viſites furent reçues agréablement
, & l'on vit avec plaifir
qu'elles devenoient fréquentes.
La Belle fe trouvoit de temps en
temps avec fon Amie , qui l'eftoit
auffi de la vieille Tante , & tout
ce qu'elle difoit , faifoit paroître
tant de jugement , & tant de fageffe
au Cavalier que quoy qu'il
ne marquaft rien qui puft décou
vrir ce qui fe paffoit dans fon
coeur pour elle , il s'affermiffoit
de plus en plus dans la réfolution
d'en faire fon unique attacheGALANT.
187
ment . Cependant à force de voir
la Veuve , il ne s'appercevoit pas
qu'il luy donnoit lieu de croire
qu'il en eftoit amoureux. Elle en
demeura perfuadée , & pour l'obliger
à fe déclarer plus fortement
, elle faifoit pour luy dest
avances , dont il auroit connu le
deffein , s'il n'eut pas efté remply
d'une paffion qui l'aveugloit
1 fur toute autre chofe. Apres
quelques entreveuës , dans lefaquelles
il crût avoir remarqué
que faperfonne ne déplaifoit pas
à la belle Brune , il réfolut de luy
faire part de fon deffein , & de
fçavoir d'elle- même , quels fentimens
elle avoit pour luy. Dans
cette penſée il alla l'attendre à
une Eglife , où il apprit qu'elle
alloit tous les matins , & l'abordant
lors qu'elle en fortoit , il la
remena chez elle , & pendant ce
1.
188 MERCURE
1
temps , il luy fit une fi tendre & fi
férieufe déclaration , qu'elle connût
aifément qu'un véritable &
fincére amour le faifoit parler.
Le party luy eftoit affez avantageux
de toutes maniéres pour
l'engager à répondre avec des
marques d'eftime qui luy fiffent
concevoir qu'il n'auroit aucune
peine à luy infpirer quelque chofe
de plus fort. Elle luy dit qu'el
le dépendoit d'un Pere à qui
elle obéiroit fans répugnance
en tout ce qu'il luy voudroit ordonner
en fa faveur , mais qu'il
n'étoit pas le feul qu'il y euft à
s'acquerir dans une affaire de
cette importance ; qu'une Tante
qui luy promettoit de partager
fon bien avec elle , s'étoit chargée
en quelque façon du ſoin de
la marier , & que toutes les démarches
que l'on pourroit faire
GALANT. 189
pour réüffir dans ce qu'il luy propofoit
, feroient inutiles , fi l'on
n'avoit fon confentement.Le Cavalier
fort ravy de voir que fa
Maîtreffe ne s'oppofoit point à fon
bonheur , ne fongea plus qu'à
gagner la Tante. Ce qui luy donnoit
de l'inquietude , c'eft qu'il
avoit fçeu qu'elle aimoit le monde
, & qu'elle amuſoit tous ceux
qui pretendoient à fa Niéce , par
le plaifir de fe voir long - temps
faire la Cour. Il crût cependant
qu'étant plus riche que tous fes
Rivaux , & peut- eftre auffi plus
confiderable par d'autres endroits
, on pourroit craindre de
le laiffer échaper , & que cette
crainte feroit terminer plûtoft fes
affaires. Pour les avancer ,
il ne
trouva point de plus fur moyen
que de parler à la Veuve , qui
pouvoit beaucoup fur l'efprit de
190 MERCURE
cette Tante . Ainfi la rencontrant
feule dés le mefme jour , il
luy dit avec des yeux tout brillans
du feu qui l'animoit , qu'il
avoit pris chez elle un mal dangereux
, dont la guerifon dépen
doit de fon fecours , & qu'il efperoit
qu'ayant pour luy autant de
bonté qu'elle en avoit toûjours
fait paroiftre , elle voudroit bien
entrer dans les fentimens pour le
fuccés d'un deffein tres - legitime .
La Veuve perfuadée par les affi
duitez du Cavalier , qu'elle eftoit
l'objet de tous fes defirs , eut tant
de joye de luy entendre tenir ce
langage , que fans luy donner le
temps de s'expliquer mieux , elle
l'interrompit pour luy dire , que
ce qu'il avoit à luy apprendre ,
luy étoit déja connu qu'elle
n'étoit point d'un âge à s'effrayer
d'une declaration d'amour ; que
GALANT. 191
fes foins l'avoient inftruite de fa
paffion ; que l'état de Veuve la
mettant en droit de difpofer d'elle-
mefme , elle y répondoit avec
plaifir , & qu'elle ne ſouhaitoit
autre choſe de fa complaifance,
finon que pour quelque intereft
de famille qu'elle achevoit de regler.
il vouluft bien attendre trois
mois à faire le Mariage ; que cependant
elle luy donnoit ,parole
de n'écouter perfonne à fon prejudice
& qu'elle eftoit prefte à
bannir tous ceux dont les vifites
luy feroient ſuſpectes . Imaginezvous
dans quelle furpriſe fe trouva
le Cavalier. Elle fut telle que
ne la pouvant cacher tout- à- fait,
il fe trouva obligé de s'excufer de
fon trouble fur fon exceffive joye,
qui en refferrant fon coeur , le
rendoit comme interdit. Vous
jugez bien qu'il confentit fans
1.92
MERCURE
aucune peine que fon pretendu
Mariage avec la Veuve fuft differé
de trois mois. Il luy laiffa un
pouvoir entier fur cet article , mais
il vit en mefme temps tous les
embarras que luy cauferoit le
peu de précaution qu'il avoit pris
avec elle. Il n'y avoit plus à eſperer
qu'elle le ferviſt auprès de la
Tante . Au contraire , il luy étoit
important que cette Tante ne
fçuſt rien de fon amour. La Veuve
auroit pû l'apprendre par elle,
& c'euft efté s'attirer une Ennemie
qui euft tout mis en ufage ,
pour empefcher qu'on ne l'euft
rendu heureux . Parmy toutes ces
contraintes , il devint réveur &
inquiet , & il le fut encore plus
quand la belle Brune, ne voulant
pas qu'il s'imaginaſt que la declaration
qu'il luy avoit faite, luy
fift chercher avec plus d'empreffement
GALANT. 193
fement l'occafion de le voir , rendit
à la Veuve des vifites moins
frequentes. Il en devina la cauſe
par les manieres honneftes &
pleines d'eftime qu'elle avoit
pour luy , toutes les fois qu'il la
trouvoit à l'Eglife , & ne pût blâmer
une referve qui marquoit un
coeur fenfible à la gloire.La Veuamour
,
qui remarquoit fon chagrin ,
ne l'impuroit qu'aux trois mois
de terme qu'elle avoit voulu qu'il
luy donnaſt , & touchée de l'impatience
où elle s'imaginoit qu'un
fi long retardement euft mis fon
elle tâchoit d'adoucir fa
peine , en l'affurant que fes diligences
redoublées la tireroient
d'embarras plûtoft qu'elle n'avoit
crû. Toutes ces chofes porterent
le Cavalier à prendre une refolution
qui le délivraft de crainte.
Il communiqua à ſa Maîtreffe le
Ianvier 1685. I
194
MERCURE
deffein où il étoit de l'époufer,
fans en rien dire à fa Tante , &
de renoncer aux avantages qu'elle
en pouvoit efperer , parce
qu'en l'avertiffant de fa recherche,
la Veuve qui le fçauroit auffitoft
, l'obligeroit de traîner fon
Mariage en longueur ; à quoy la
Tante feroit affez portée d'ellemefme
pour fon intereft particulier
, & peut - eftre mefme obtiendroit
d'elle qu'elle fe declaraft
contre luy. Il s'épargnoit par
là beaucoup de traverſes , ou du
moins plufieurs reproches , qu'il
ne craignoit point quand il feroit
marié. La Belle ayant confenty
à ce qu'il vouloit , il alla trouver
fon Pere , luy exagera la force de
fon amour,le conjura de luy vouloir
accorder fa Fille , & luy expliqua
toutes les raifons qui luy
faifoient fouhaiter un entier fe
GALANT. 195
cret fur fon Mariage . Le Pere qui
connoiffoit les grands Biens du
Cavalier , ne balança rien à conclure
toutes chofes de la manicře
qu'il le propofoit . Le Notaire
vint,& le Contract fut figné ,fans
que perfonne en eût connoiffance.
Cependant , comme il n'y a
rien de fi caché qui ne le découvre
, le jour qui preceda celuy
qu'on avoit choisi pour le
Mariage , une Servante de cette
Maiſon ayant foupçonné la verité
à quelques aprefts que
l'on y
faifoit , en inftruific la Suivante
de la Veuve , qui alla en meſme
temps le redire à fa Maîtreffe ,
avec qui la Veuve étoit . L'une
& l'autre fut dans une colere
inconcevable. La Veuve , qui
pretendoit que le Cavalier luy
euft engagé fa foy, traita fa nouvelle
paffion de trahison & de
1 2
196 MERCURE
·
perfidie ; & la Tante ne pouvoit
fe confoler de ce qu'ayant promis
de faire à fa Niéce de grands
avantages, on la marioit fans luy
en parler. Elle jura que fi elle
ne pouvoit venir à bout de rompre
le Mariage , du moins les
longs obftacles qu'elle trouveroit
moyen d'y mettre , feroient foufrir
ceux qui oublioient ce qu'on
luy devoit. Elle réva quelque
temps, & quitta la Veuve , en luy
difant qu'elle viendroit luy donner
de les nouvelles le foir ,
quelque heure que ce fuft . Sitoft
qu'elle fut fortie , elle mit des
Efpions en campagne , & aprit
enfin avec certitude , que le Mariage
fe devoit faire à deux heures
apres minuit . Lors qu'il en fut
dix du foir , elle monta en Carroffe
, & fe rendit chez fa Niéce.
La Belle apprenant qu'elle eftoit
GALANT. .197
à la porte, fe trouva embarraffée,
par la crainte que fa vifite ne
fuft un peu longue , & ne retardaft
quelques petits foins qu'elle
avoit à prendre . Elle fut tirée de
fon embarras , lors qu'on la vint
avertir que fa Tante la prioit de
luy venir parler un moment. Elle
y courut auffi- toft , & entra dans
fon Carroffe , pour entendre ce
qu'elle avoit à luy dire . Elle n'y
fut pas plûtoft , que le Cocher
qu'on avoit inftruit , pouffa fes
Chevaux à toute bride , paffa
par diverfes Ruës , pour tromper
ceux qui auroient voulu le fuivre
, & vint s'arrefter à la porte
de la Veuve , chez qui la Tante
fit entrer la Niece. Ce qui venoit
d'arriver l'avoit jettée dans une
grande furprife ; mais elle augmenta
beaucoup , lors qu'étant
montée , elles luy firent toutes
I
3
198 MERCURE
deux connoiftre qu'elles eftoient
informées de fon Mariage.Je paffe
les reproches qu'on luy fit fur
cette Affaire. La Tante , qui la
laiffa en la garde de la Veuve , retourna
chez elle , où l'on vint
luy demander ce que fa Niéce
eftoit devenue. Elle répondit
qu'elle en rendroit compte quand
il feroit temps , & qu'elle prenoit
affez d'intereft en elle , pour ne
l'avoir confiée qu'à des Perfonnes
chez qui elle eftoit en fûreté . Le
Cavalier apprenant ce changemét,
tomba dans un defefpoir qui
ne fe peut croire.ll alla trouver la
Tante , luy fit les foûmiffions les
plus capables de la toucher , &
noublia rien de ce qui pouvoit la
fatisfaire ; mais elle fut inflexible
à fes prieres & à fon amour. Le
Pere qui eftoit bien aiſe d'éviter
l'éclat , employa toutes les voyes
GALANT 199
de douceur qui
à la gagner. Pendant
LYO
Cervir
imps ,
la Tante & la Veuve inventérent
mille chofes pour noircir le Ca
valier auprés de la Belle ; mais
rien ne put effacer dans fon efprit
les favorables impreffions que fon
amour & fon mérite y avoient
faites. Elle perfifta dans fes premiers
fentimens pour luy ; & enfin
malgré toutes les précautions
que l'on avoit prifes pour cacher
le lieu où elle eftoit , les Domeftiques
parlérent . Si - tôt qu'on
fçût qu'elle avoit efté laiffée entre
les mains de la Veuve , il ne fut
pas malaifé de l'obliger à la rendre.
Elle la remit entre celles de
fon Pere , qui fit de nouveaux
efforts pour apaifer la colere de
la Tante ; mais tout cela s'eftant
trouvé inutile , on ne garda plus
aucun fecret pour le Mariage . On
I 4.
200 MERCURE
en arrefta le jour , & il fut fait
avec autant de joye des Amans
traverſez injuftement , que de
chagrin pour la Tante & pour la
Veuve.
Avanture que vous trouverez
fort fingulière. Elle eft arrivée
icy depuis peu de temps . Un Cavalier
fort bien fait , fpirituel ,´
jeune & riche , aprés avoir joüé
pendant cinq ou fix années , tous
les perfonnages que
font aupres
des belles Perfonnes , ceux qui
font prodigues de douceurs , &
que les plus fortes proteftations
qu'ils viennent de faire , n'empefchent
point de jurer encore
ailleurs qu'ils ont de l'amour , fe
fentit enfin veritablement touché
de la beauté d'une aimable Brune
qu'il trouva un jour chez une
Veuve , qui quoy qu'elle paffaft
GALANT.
185
quarante ans , n'en avoüoit que
vingt huit , & qui par de certains
airs du monde qui luy étoient
naturels , reparoit avec affez d'agrément
ce qui luy manquoit du
cofté de la jeuneffe . La belle
Brune joignoit à des traits piquans
, une modeſtie qui charma
le Cavalier. Il fçut auffitoft qu'elle
eftoit voifine de la Veuve , &
les fentimens d'eftime qu'il prit
dés l'abord pour elle , l'engageant
à fouhaiter d'avoir un entier
éclairciffement fur ce qui la regardoit
, il apprit par ceux qu'il
chargea du foin de s'en informer,
qu'elle dépendoit d'un Pere affez
peu accommodé , qui ne fouffroit
point qu'elle reçuft de vifites ;
qu'on ne la voyoit que chez une
vieille Tante qui eftant fort riche
, prometoit de luy donner
une Partie de fon bien ; qu'ainfi
}
186 MERCURE
1
•
tout ce qu'elle avoit d'Amans
faifoit la cour à la Tante , & que
c'eftoit d'elle qu'il faloit obtenir.
Le Cavalier inftruit de ces chofes
, voulut connoiftre le coeur
de la Belle, avant que de prendre
aucunes mefures . Sçachant qu'elle
voyoit fort ſouvent la Veuve ,
il fe rendit affidu chez elle . Toutes
ſes viſites furent reçues agréablement
, & l'on vit avec plaifir
qu'elles devenoient fréquentes.
La Belle fe trouvoit de temps en
temps avec fon Amie , qui l'eftoit
auffi de la vieille Tante , & tout
ce qu'elle difoit , faifoit paroître
tant de jugement , & tant de fageffe
au Cavalier que quoy qu'il
ne marquaft rien qui puft décou
vrir ce qui fe paffoit dans fon
coeur pour elle , il s'affermiffoit
de plus en plus dans la réfolution
d'en faire fon unique attacheGALANT.
187
ment . Cependant à force de voir
la Veuve , il ne s'appercevoit pas
qu'il luy donnoit lieu de croire
qu'il en eftoit amoureux. Elle en
demeura perfuadée , & pour l'obliger
à fe déclarer plus fortement
, elle faifoit pour luy dest
avances , dont il auroit connu le
deffein , s'il n'eut pas efté remply
d'une paffion qui l'aveugloit
1 fur toute autre chofe. Apres
quelques entreveuës , dans lefaquelles
il crût avoir remarqué
que faperfonne ne déplaifoit pas
à la belle Brune , il réfolut de luy
faire part de fon deffein , & de
fçavoir d'elle- même , quels fentimens
elle avoit pour luy. Dans
cette penſée il alla l'attendre à
une Eglife , où il apprit qu'elle
alloit tous les matins , & l'abordant
lors qu'elle en fortoit , il la
remena chez elle , & pendant ce
1.
188 MERCURE
1
temps , il luy fit une fi tendre & fi
férieufe déclaration , qu'elle connût
aifément qu'un véritable &
fincére amour le faifoit parler.
Le party luy eftoit affez avantageux
de toutes maniéres pour
l'engager à répondre avec des
marques d'eftime qui luy fiffent
concevoir qu'il n'auroit aucune
peine à luy infpirer quelque chofe
de plus fort. Elle luy dit qu'el
le dépendoit d'un Pere à qui
elle obéiroit fans répugnance
en tout ce qu'il luy voudroit ordonner
en fa faveur , mais qu'il
n'étoit pas le feul qu'il y euft à
s'acquerir dans une affaire de
cette importance ; qu'une Tante
qui luy promettoit de partager
fon bien avec elle , s'étoit chargée
en quelque façon du ſoin de
la marier , & que toutes les démarches
que l'on pourroit faire
GALANT. 189
pour réüffir dans ce qu'il luy propofoit
, feroient inutiles , fi l'on
n'avoit fon confentement.Le Cavalier
fort ravy de voir que fa
Maîtreffe ne s'oppofoit point à fon
bonheur , ne fongea plus qu'à
gagner la Tante. Ce qui luy donnoit
de l'inquietude , c'eft qu'il
avoit fçeu qu'elle aimoit le monde
, & qu'elle amuſoit tous ceux
qui pretendoient à fa Niéce , par
le plaifir de fe voir long - temps
faire la Cour. Il crût cependant
qu'étant plus riche que tous fes
Rivaux , & peut- eftre auffi plus
confiderable par d'autres endroits
, on pourroit craindre de
le laiffer échaper , & que cette
crainte feroit terminer plûtoft fes
affaires. Pour les avancer ,
il ne
trouva point de plus fur moyen
que de parler à la Veuve , qui
pouvoit beaucoup fur l'efprit de
190 MERCURE
cette Tante . Ainfi la rencontrant
feule dés le mefme jour , il
luy dit avec des yeux tout brillans
du feu qui l'animoit , qu'il
avoit pris chez elle un mal dangereux
, dont la guerifon dépen
doit de fon fecours , & qu'il efperoit
qu'ayant pour luy autant de
bonté qu'elle en avoit toûjours
fait paroiftre , elle voudroit bien
entrer dans les fentimens pour le
fuccés d'un deffein tres - legitime .
La Veuve perfuadée par les affi
duitez du Cavalier , qu'elle eftoit
l'objet de tous fes defirs , eut tant
de joye de luy entendre tenir ce
langage , que fans luy donner le
temps de s'expliquer mieux , elle
l'interrompit pour luy dire , que
ce qu'il avoit à luy apprendre ,
luy étoit déja connu qu'elle
n'étoit point d'un âge à s'effrayer
d'une declaration d'amour ; que
GALANT. 191
fes foins l'avoient inftruite de fa
paffion ; que l'état de Veuve la
mettant en droit de difpofer d'elle-
mefme , elle y répondoit avec
plaifir , & qu'elle ne ſouhaitoit
autre choſe de fa complaifance,
finon que pour quelque intereft
de famille qu'elle achevoit de regler.
il vouluft bien attendre trois
mois à faire le Mariage ; que cependant
elle luy donnoit ,parole
de n'écouter perfonne à fon prejudice
& qu'elle eftoit prefte à
bannir tous ceux dont les vifites
luy feroient ſuſpectes . Imaginezvous
dans quelle furpriſe fe trouva
le Cavalier. Elle fut telle que
ne la pouvant cacher tout- à- fait,
il fe trouva obligé de s'excufer de
fon trouble fur fon exceffive joye,
qui en refferrant fon coeur , le
rendoit comme interdit. Vous
jugez bien qu'il confentit fans
1.92
MERCURE
aucune peine que fon pretendu
Mariage avec la Veuve fuft differé
de trois mois. Il luy laiffa un
pouvoir entier fur cet article , mais
il vit en mefme temps tous les
embarras que luy cauferoit le
peu de précaution qu'il avoit pris
avec elle. Il n'y avoit plus à eſperer
qu'elle le ferviſt auprès de la
Tante . Au contraire , il luy étoit
important que cette Tante ne
fçuſt rien de fon amour. La Veuve
auroit pû l'apprendre par elle,
& c'euft efté s'attirer une Ennemie
qui euft tout mis en ufage ,
pour empefcher qu'on ne l'euft
rendu heureux . Parmy toutes ces
contraintes , il devint réveur &
inquiet , & il le fut encore plus
quand la belle Brune, ne voulant
pas qu'il s'imaginaſt que la declaration
qu'il luy avoit faite, luy
fift chercher avec plus d'empreffement
GALANT. 193
fement l'occafion de le voir , rendit
à la Veuve des vifites moins
frequentes. Il en devina la cauſe
par les manieres honneftes &
pleines d'eftime qu'elle avoit
pour luy , toutes les fois qu'il la
trouvoit à l'Eglife , & ne pût blâmer
une referve qui marquoit un
coeur fenfible à la gloire.La Veuamour
,
qui remarquoit fon chagrin ,
ne l'impuroit qu'aux trois mois
de terme qu'elle avoit voulu qu'il
luy donnaſt , & touchée de l'impatience
où elle s'imaginoit qu'un
fi long retardement euft mis fon
elle tâchoit d'adoucir fa
peine , en l'affurant que fes diligences
redoublées la tireroient
d'embarras plûtoft qu'elle n'avoit
crû. Toutes ces chofes porterent
le Cavalier à prendre une refolution
qui le délivraft de crainte.
Il communiqua à ſa Maîtreffe le
Ianvier 1685. I
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MERCURE
deffein où il étoit de l'époufer,
fans en rien dire à fa Tante , &
de renoncer aux avantages qu'elle
en pouvoit efperer , parce
qu'en l'avertiffant de fa recherche,
la Veuve qui le fçauroit auffitoft
, l'obligeroit de traîner fon
Mariage en longueur ; à quoy la
Tante feroit affez portée d'ellemefme
pour fon intereft particulier
, & peut - eftre mefme obtiendroit
d'elle qu'elle fe declaraft
contre luy. Il s'épargnoit par
là beaucoup de traverſes , ou du
moins plufieurs reproches , qu'il
ne craignoit point quand il feroit
marié. La Belle ayant confenty
à ce qu'il vouloit , il alla trouver
fon Pere , luy exagera la force de
fon amour,le conjura de luy vouloir
accorder fa Fille , & luy expliqua
toutes les raifons qui luy
faifoient fouhaiter un entier fe
GALANT. 195
cret fur fon Mariage . Le Pere qui
connoiffoit les grands Biens du
Cavalier , ne balança rien à conclure
toutes chofes de la manicře
qu'il le propofoit . Le Notaire
vint,& le Contract fut figné ,fans
que perfonne en eût connoiffance.
Cependant , comme il n'y a
rien de fi caché qui ne le découvre
, le jour qui preceda celuy
qu'on avoit choisi pour le
Mariage , une Servante de cette
Maiſon ayant foupçonné la verité
à quelques aprefts que
l'on y
faifoit , en inftruific la Suivante
de la Veuve , qui alla en meſme
temps le redire à fa Maîtreffe ,
avec qui la Veuve étoit . L'une
& l'autre fut dans une colere
inconcevable. La Veuve , qui
pretendoit que le Cavalier luy
euft engagé fa foy, traita fa nouvelle
paffion de trahison & de
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196 MERCURE
·
perfidie ; & la Tante ne pouvoit
fe confoler de ce qu'ayant promis
de faire à fa Niéce de grands
avantages, on la marioit fans luy
en parler. Elle jura que fi elle
ne pouvoit venir à bout de rompre
le Mariage , du moins les
longs obftacles qu'elle trouveroit
moyen d'y mettre , feroient foufrir
ceux qui oublioient ce qu'on
luy devoit. Elle réva quelque
temps, & quitta la Veuve , en luy
difant qu'elle viendroit luy donner
de les nouvelles le foir ,
quelque heure que ce fuft . Sitoft
qu'elle fut fortie , elle mit des
Efpions en campagne , & aprit
enfin avec certitude , que le Mariage
fe devoit faire à deux heures
apres minuit . Lors qu'il en fut
dix du foir , elle monta en Carroffe
, & fe rendit chez fa Niéce.
La Belle apprenant qu'elle eftoit
GALANT. .197
à la porte, fe trouva embarraffée,
par la crainte que fa vifite ne
fuft un peu longue , & ne retardaft
quelques petits foins qu'elle
avoit à prendre . Elle fut tirée de
fon embarras , lors qu'on la vint
avertir que fa Tante la prioit de
luy venir parler un moment. Elle
y courut auffi- toft , & entra dans
fon Carroffe , pour entendre ce
qu'elle avoit à luy dire . Elle n'y
fut pas plûtoft , que le Cocher
qu'on avoit inftruit , pouffa fes
Chevaux à toute bride , paffa
par diverfes Ruës , pour tromper
ceux qui auroient voulu le fuivre
, & vint s'arrefter à la porte
de la Veuve , chez qui la Tante
fit entrer la Niece. Ce qui venoit
d'arriver l'avoit jettée dans une
grande furprife ; mais elle augmenta
beaucoup , lors qu'étant
montée , elles luy firent toutes
I
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deux connoiftre qu'elles eftoient
informées de fon Mariage.Je paffe
les reproches qu'on luy fit fur
cette Affaire. La Tante , qui la
laiffa en la garde de la Veuve , retourna
chez elle , où l'on vint
luy demander ce que fa Niéce
eftoit devenue. Elle répondit
qu'elle en rendroit compte quand
il feroit temps , & qu'elle prenoit
affez d'intereft en elle , pour ne
l'avoir confiée qu'à des Perfonnes
chez qui elle eftoit en fûreté . Le
Cavalier apprenant ce changemét,
tomba dans un defefpoir qui
ne fe peut croire.ll alla trouver la
Tante , luy fit les foûmiffions les
plus capables de la toucher , &
noublia rien de ce qui pouvoit la
fatisfaire ; mais elle fut inflexible
à fes prieres & à fon amour. Le
Pere qui eftoit bien aiſe d'éviter
l'éclat , employa toutes les voyes
GALANT 199
de douceur qui
à la gagner. Pendant
LYO
Cervir
imps ,
la Tante & la Veuve inventérent
mille chofes pour noircir le Ca
valier auprés de la Belle ; mais
rien ne put effacer dans fon efprit
les favorables impreffions que fon
amour & fon mérite y avoient
faites. Elle perfifta dans fes premiers
fentimens pour luy ; & enfin
malgré toutes les précautions
que l'on avoit prifes pour cacher
le lieu où elle eftoit , les Domeftiques
parlérent . Si - tôt qu'on
fçût qu'elle avoit efté laiffée entre
les mains de la Veuve , il ne fut
pas malaifé de l'obliger à la rendre.
Elle la remit entre celles de
fon Pere , qui fit de nouveaux
efforts pour apaifer la colere de
la Tante ; mais tout cela s'eftant
trouvé inutile , on ne garda plus
aucun fecret pour le Mariage . On
I 4.
200 MERCURE
en arrefta le jour , & il fut fait
avec autant de joye des Amans
traverſez injuftement , que de
chagrin pour la Tante & pour la
Veuve.
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Résumé : Histoire, [titre d'après la table]
Un jeune cavalier, riche et spirituel, est séduit par une aimable brune rencontrée chez une veuve charmante. La brune, modeste et belle, dépend d'un père sévère et d'une tante riche. Le cavalier, désirant connaître ses sentiments, lui déclare son amour et obtient une réponse favorable, sous réserve du consentement de son père et de sa tante. Il cherche alors à gagner la faveur de la tante en passant par la veuve, qui accepte de l'aider mais impose un délai de trois mois pour le mariage. La brune, pour éviter les soupçons, réduit ses visites à la veuve. Le cavalier décide d'épouser la brune sans informer la tante pour éviter les obstacles. Il obtient le consentement du père de la brune et signe le contrat de mariage en secret. Cependant, une servante découvre la vérité et informe la veuve, qui entre en colère. La tante, furieuse, enlève la brune et la confie à la veuve pour contrecarrer le mariage. Le cavalier tente en vain de raisonner la tante et le père. La tante et la veuve cherchent à discréditer le cavalier auprès de la brune, mais celle-ci reste fidèle à ses sentiments. Finalement, la brune est rendue à son père, et le mariage est célébré malgré les tentatives de la tante et de la veuve pour l'empêcher.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 98-100
SUR L'AMOUR.
Début :
Il est passé cet âge heureux [...]
Mots clefs :
Amour, Tendresse, Sagesse, Maîtresse, Amant, Galant
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUR L'AMOUR.
SUR L'AMOUR.
ILeft paffé cet âge heureux
De la primitive tendreffe ,
Où le refpect , la fageffe
Gouvernoient les cœurs
amoureux .
La Maiſtreffe tousjours fevere ,
Tenoit l'Amant tousjours
foumis :
GALANT. 99
Que le pauvre efclave euſt
commis
Une offenſe la plus legere ,
Auffi-toft penitence auftere ,
Exil en deſert tenebreux ,
Jeûne exact , long & rigoureux.
Brefc'eftoit ferveur de Novices ,
Pour le fexe quelles delices ?
Il eft paffé cet âge heureux ,
Un air plus froid qu'à l'ordinaire ,
Un rien defefpereroit l'AI ij
100 MERCURE
mant ,
Aujourd'huy c'est tout autrement ,
Sur un rien le galand efpere.
ILeft paffé cet âge heureux
De la primitive tendreffe ,
Où le refpect , la fageffe
Gouvernoient les cœurs
amoureux .
La Maiſtreffe tousjours fevere ,
Tenoit l'Amant tousjours
foumis :
GALANT. 99
Que le pauvre efclave euſt
commis
Une offenſe la plus legere ,
Auffi-toft penitence auftere ,
Exil en deſert tenebreux ,
Jeûne exact , long & rigoureux.
Brefc'eftoit ferveur de Novices ,
Pour le fexe quelles delices ?
Il eft paffé cet âge heureux ,
Un air plus froid qu'à l'ordinaire ,
Un rien defefpereroit l'AI ij
100 MERCURE
mant ,
Aujourd'huy c'est tout autrement ,
Sur un rien le galand efpere.
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Résumé : SUR L'AMOUR.
Le texte relate l'évolution des relations amoureuses. Autrefois, les amants respectaient et vénéraient leurs maîtresses, acceptant des pénitences sévères pour des offenses mineures. Aujourd'hui, les amants s'irritent facilement, marquant une ère plus froide.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 3-45
LA BLONDE BRUNE femme & maistresse.
Début :
Une Dame jolie, enjoüée, & de beaucoup d'esprit, vertueuse [...]
Mots clefs :
Blonde, Brune, Languedoc, Mari absent, Galanterie, Maîtresse, Soupçon, Amant jaloux, Convalescence, Paris, Abbesse, Conseiller, Amour, Carrosse, Abbaye, Veuve, Couvent, Tromperie, Jalousie, Cheveux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LA BLONDE BRUNE femme & maistresse.
LA BLONDE BRUNE
femme & maistreffe.
UNeDame jolie , enjouée , & de beaucoup
d'efprit , vertueufe dans
le fond , mais aimant le
Septembre 1712. Aij
4 MERCURE
monde , & les amufe->
ments d'une galanterie
fans vice , ne put s'empefcher de fuivre cette
maniere de vie pendant
l'abfence de fon mary ,
que d'importantes affai
res avoient appellé dans
le Languedoc pour quelque temps. Il eftoit tresnouveau marić , & avoit
épousé la femme par un
accommodement de famille , & ne l'avoit pas
veuë plus de deux outrois
GALANT.
jours avant ſon mariage,
& avoit efté contraint de
partir peu de jours après.
Il aima d'abord cette
femme ; mais foit jaloufic , foit delicateffe fcrupuleufe fur le point
d'honneuril eftoit un
peu trop fevere für fa
conduite ; & il luy recommanda en partant
une regularité devivie
fort efloignée des innocentes libertez qu'elle s'eftoit donnée eftant fille ,
Aiij
6 MERCURE
& qu'elle s'eftoit promis
de continuer après fon
mariage , ainfi fe voyant
maitreffe de fes actions
par ce départ , elle oùblia tous les fcrupules
qu'onlui avoit donnez en
partant , elle eftoit née
pour la vie agréable ,
l'occafion eftoit belle
elle crut qu'il luy eftoit
permis de s'en fervir ,
pourveu qu'elle évitaft
l'éclat ; elle ne vouloit
point recevoir de vifites
GALANT.
7
chez elle , mais elle avoit
des amis & des amies de
fon humeur , on la vit ,
elle plut & n'en fut point
fafchée. On lui fit de tendres déclarations , elle les
reçeut en femme d'efprit
qui veut eftre aimée &
ne point aimer, elle ne fe
faſchoit de rien, pourveu
qu'onne paffaft point les
bornes qu'elles s'eftoit
prefcrites conformément
à un fond de fageffe qui
ne pourroit eftre alteré ,
*
A iiij
8 MERCURE
les plus médifans one
pouvoient avoir que des
foupçons mal fondez , &
ceux qui eftoient les plus
entreprenans s'aperceurent bien - toft qu'il n'y
avoit à efperer d'elle que
l'agrément de la focieté
generale , ils l'en eſtimerent davantage & n'en
curent pas moins d'empreffement à la voir, car
elle plaifoit , mefme aux
femmes qui fe fentoient
un merite inferieur au
GALANT
fien , tout alloit bien jufque là mais un de ces
jeunes conquerants qui
ne veulent des femmes
que la gloire de s'en eſtre
fait aimer , prétendit un
jour eftre aimé d'elle
plus férieufement qu'elle
ne vouloit , elle le regarada fierement , changea
de ftile , prit un air fevere
& rabbatit tellement fa
vanité , qu'elle s'en fit un
ennemi tres- dangereux
il examina de prés toutes
10 MERCURE
fes demarches , la vit de
facile accès à tous ceux
qu'il regardoit comme
fes rivaux , & fans fonger qu'ils ne luy avoient
pas donné les mefmes fujets de plainte que luy , il
les mit tous fur fon compte , il prit confeil de fa
jaloufie , & ne fongea
plus qu'à fe vanger , il en
trouva une occafion toute autre qu'il ne l'efpe
roit.
La Dame eftoit allée à
GALANT.
IF
une Campagne pour
quelques jours avec une
amie;
par malheur pour
elle fon mary revint
justement de Languedoc le lendemain du
départ de fa femme , &
fut fort défagreablement
furpris de nela point
trouver chez elle en arrivant. Le premier homme qu'il vit en fortant
de chez luy ce fut l'amant jaloux , avec qui
il avoit toujours vécu
12 MERCURE
affez familierement , le
mary luy confia le chagrin qu'il avoit contre ſa
femme; il prit cette occafionpour la juftifier de la
maniere dont les prudes
medifent ordinairement
de leurs émules , c'eſtà- dire en excufant malignement les fautes qu'on
ignoreroit fans elle; il entra dans le détail de toutes les connoiffances qu
elleavoit faites depuisfon
départ , & de toutes les
GALANT. 13
parties où elles'étoit trouvée, en louant une vertu
qui pouvoit eftre à l'épreuve de tout cela , mais
cette vertu eftoit ce qui
frappoit moins le mary
les épreuves où elle s'eftoit mife le frappoient
bien davantage , en un
motil l'enviſageacomme
tres-coupable, il s'emporte, il fulmine, & il auroit
pris quelque refolution
violente, fi quelques amis
mieux intentionnez
MERCURE
n'cuffent un peu adouci
le venin que le premier
avoit infinue dans le
cœur de ce pauvre mari ,
cependant tout ce que
ceux- cy purent gagner
ce fut qu'en attendant
un éclairciſſement plus
ample cette femme iroit,
fous quelque prétexte
qu'ils trouverent , paffer
quelques femaines dans
un Couvent à quinze
lieues de Paris , dont par
bonheur l'Abeffe fe trouE
GALANT. S
foeur d'un de ces prudents amis , & la femme
va
executa cette retraite demivolontaire dès qu'elle
fut de retour ; & deux
parentes du maryfechargerent de l'y conduire.
La voila donc dans le
Couvent , fes manieres
engageantes & flateufes
la rendirent bien- toft intime amie de l'Abbeffe ,
elle fe fit aimer de tout le
Couvent, c'eftoit une neceffité pour elle que la
stoleg
16 MERCURE
vie gaye , elle fe fit des
plaifirs de tout ce qui en
peut donner dans la retraite , & elle fit amitié
avec une jeune Provençale, parente de l'Abbeſſe
qui eftoit aufli dans le
Couvent pour paſſer la
premiere année de fon
veuvage, mais elle eftoit
auffi gaye que celle - cy
qui n'eftoit pas veuve
celle - cy eut une fantaifie fi forte d'apprendre
le Provençal qu'elle le
parloit
GALANT. 17
parloit au bout de quelque temps auffi bien que
cette veuve qu'elle ne
quittoit pas d'un moment.
Le temps de cette retraite dura prés d'une an
née au lieu de quelques
femaines › parce que le
mary fut obligé de retourner en Languedoc
& qu'il ne voulut pas la
laiffer feule à Paris une
feconde fois. Pendant ce
temps là elle eut la petite
Septembre 1712. B
18 MERCURE
verole , & n'en fut prefque point marquée, mais
il fe fit un petit changementdans les traits defon
de temps vifage , en peu
la convalefcence joignit
de l'embonpoint à fa taille qui eftoit fort menuë ;
& fon teint s'éclaircit
beaucoup , elle perdit de
beaux cheveux blonds
qu'elle avoit , en forte
que mettant un jour en
badinant une coifure de
la veuve , qui eftoit bru
GALANT 19
ne , elle fe trouva fi jolic
en brun & en mefme
temps fi diférente de ce
qu'elle eftoit en blond
avant fa petite verolo
que joignant à cela le
langage Provençal, qu'el
le s'eftoit rendu naturel ,
ellecrutpouvoir fatisfaire
une fantaiſie qui luyvint;
c'eftoit d'accompagner
fan amie dans un pe
tit voyage qu'elle alloit
faire à Paris , & d'y paſfer
incognito pour une Pra
Bij
20 MERCURE
vençale parente de cette
veuve , elle en obtint la
permiffion de l'Abbeffe
& du frere de cetteAbbef
fe, qui eftoit, commej'ay
dit , le vray ami de confiance du mary , & qui
avoit mefme affez d'af1
cendant fur luy pour ſe
charger de ce qui pourroit arriver , lorſque par
hazard elle feroit reconnuë par quelqu'un. En
unmot , il ne put refuſer
cette petite confolation
GALANT. 28
d'aller voir Paris , à une
femme qu'il fçavoit innocente , & que fon mary qui menaçoit d'eftre
encore trois mois en Lan
guedoc, avoit déja laiffé
un an dans le Couvent ,
il partit donc avec la veritable & la fauffe brune,
qu'il mena en arrivant à
Paris chez unvieux Confeiller dont la femme eftoit tres vertueuse , il ne
pouvoit la placer mieux
pour la fureté du mary.
22 MERCURE
Il fit croire aifément au
vieux Confeiller & à fa
femme qu'elle eftoit Provençale & parente de la
veuve.
Nos deux brunes firent pendant quelques
jours l'admiration du petit nombre de gens que
voyoit la Confeillere , &
elles eftoient un jourtoutes trois avec le Confeiller dans fon Cabinet en
fortant de Table , lorfqu'un Soliciteur impa
}
GALANT. 27
que
tes
tient ne trouvant perfonne pour l'annoncer, parce
gens difnoient
entra dans le Cabinet du
Confeiller. Qui pourroit
imaginer la bizarerie de
cette incident , le mary
jaloux eftoit revenu en
poſté pour un procèsimportant dont ce Confeil
ler venoit d'eftre nommé
Rapporteur , il eſtoit encore aux compliments
avec le Confeiller quand
la parole luy manqua
&
24 MERCURE
tout à coup , par la ref
femblance eftonnante
qui le frappa malgré les
changemens dont j'ay
parlé ; le Conſeiller luy
dit ce qu'il croyoit de
bonne foy , que cette
belle Provençale eftoit
arrivée de Provence depuis deux jours avec la
veuve. Le mary ne put
s'empefcher contre lá
bienséance mefme de s'avancer vers les deux Dames , il leur marqua là
caufe
GALANT.
caufedefoneftonnement,
& il cuftfansdoutereconneu fa femme fans la préfence d'efprit qu'elle cut
de neparler que Provençal , comme fi elle n'euft
pas fceu bien parler
François , ce jargon dépayfa encore le mary qui
s'en tint à l'eftonnement
d'une telle reffemblance
entre une brune & fa
femme qui eftoit blonde.
En ce moment l'ami qui
avoit difné avec les DaSeptembre 1712, C
26 MERCURE
mes, & qui eftoit reſté un
moment dans le Jardin ,
fut eftonnéen remontant
de trouver dans l'antichambre un Laquais de
fon ami qu'il croyoit encore en Languedoc , &
fut bien plus furpris encore quand ce Laquais
lui dit que fon Maiſtre
eftoit dans le Cabinet du
Confeiller , il entra fort
allarmé , mais la fcene
qu'il y trouva l'ayant un
peu raffuré , lui fit naiſtre
GALANT
. 17
en grossune idée qu'il
perfectionna dans la fuite , & aprés avoir appuyé
ta folicitation de fon ami
auprès du Conſeiller , il
fortit avec luy , le fortifia dans l'idée de la
reffemblance , & lui promit pour la rareté dufait
de luy faire voir le lende-
-main cette brune, & dès
le foir mefme il prévint
ola Confeillere en lui contant la verité de tout , &
luy faiſant approuver le
C ij
& MERCURE
deffein qu'il avoit , car
foupçonnoit desja le mary d cftre un peu amoureux de fa femme traveftie. ?
La vifite du lendemain
fe pafla plus gayement
que la premiere entreveuë, car la femme ayant
concertéfon perfonnage,
le fouftint à merveille, &
dit à fon mary en langage Provençal cent jolies
chofes , que la veuve lui
interpretoit à mefure ,
GALANT. 29
elle interpretoit enfuite
la femme ce que fon mary lui difoit bon François : ce jeu donna à l'amyla fene du monde la
en
plus divertiflante , & le
maryfortit delà fì amouBeux , que fon amy n'en
douta plus ; mais il fe
garda bien de lui tefmoi
gner qu'il s'en apperceut,
de peur de le de le contraindre. Le fingulier de cett
avanture , c'eft qu'en certains momens le maryreCij
30 MERCURE
connoiffoit fi fort fa femme, que cela refroidiffoit
un peueu fon amour, toutes les differences qu'il
trouvoit le frappant , enfuite fon amour redoubloit , & les fcrupules lui
prenoient , il vit ainfi plufieurs fois fa femme, mais
le jour de fon départ eftoit arrivé , on dit hautement qu'elle retournoit
en Provence, & elle partit
pour fe rendre au Cou
vent.
ALANT 31
Ce départ mit le mary
dans un tel abbatement
qu'il ne put s'empeſcher
de faire confidence àa fon
amy du cruel cftat où
cette feparation l'avoit
que
mis. Alors Famylui confeilla de profiter de la reffemblance, de taſcher
fa femme remplaçaft cette perte dans fon cœur.
Ils partirent tous deux
pour aller au Couvent ,
où la femme redevenue
blonde , prit des ajuſte
C iiij
32 MERCURI
ments if differents de
ceux qu'elle avoit cftant
brune , que le mary crup
voirune autre perfonne ,
il y trouvoit pourtant
quelques uns des mefmes
charmes , mais celle - cy
ne fervoit qu'à lui faire
regreter l'autre , en lus
en reveillant lidée. vio
Sur ces entrefaites un
courier vint apporter une
lettre à l'amy & cette
lettre eftoit de la veuve,
qui de concert avec lui
CALANTI #
cftoit allée à une terre
qu'avoit le Confeiller à
quatre lieues du Cou
vent, cette lettre portoit,
que la belle brune s'erant
trouvée indifposée &
cette femme fe trouvant
fur la route du Langue
doc elle y séjourneroit
deux où trois jours. Il
montra le commencement de cette lettre au
mary , qui en lut en mef.
me temps la fin , où la
veuve marquoit à l'amy
34 MERCURE
comme par une espece de
confidence , que l'indif
pofition de la brune n'eftoit qu'un prétexte pour
taſcher de retournerà Paris , pour revoir fon amy
pour qui elle avoit le
cœur pris. Jugez de l'effet que cette fin de lettre
fit fur le pauvre mary .
l'amy reprit fa lettre fans
lui parler davantage de
la veuve ni de fa compagne , & dit enfuite qu'ef
tant obligé de refter deux
GALANT. 35
ou trois jours avec la
foeur Abbeffe ; il lui
donnoit fon Caroffe pour
s'en retourner à Paris ; le
mary fut charmé de cet
incident & profita du
Caroffe , il gagna le Cocher & marcha droit
vers la terre où il croyoit
trouver la brune , & c'eft
ce que l'amy avoit prévû,
la blonde partit àl'inftant
par un chemin de traverfe avec une Chaife de
pofte , & l'amy à Che-
36 MERCURE
val , ils arriverent une
heure avant le Caroffe
dont le Cocher avoit ordre d'aller fort douce,
ment, & la blonde cut
tout le loifir de le faire
brune ,
avant que fon
maryfuftarrivé, l'amyfe
fit cacher dans le Chaf
teau , & cette entreveuë
fut fi vive qu'il y eut déclaration d'amour depart
&
d'autre , car le mary
eut la tefte fi troublée de
puis la lecture de la lettre,
GALANT. 37-
qu'il fut incapable d'aucune reflexion fur l'infi- .
delitéqu'il faifoit à fa femme dans le moment
qu'ils eftoient dans le fort
de leur tendreffe l'amy
parut , la brune feignit
?
d'eftre furpriſe & troublée , fe retira avec précipitation & laiffa les
deux amis feuls enfemble , alors l'amy prenant
un ton fort fevere , dite
au mary qu'il s'etoit bien
douté de l'infidelité qu'il
38 MERCURE
vouloit faire à fa femme,
& qu'il lui avoit exprés
laiffé fon Carroffe pour
avoir lieu de le furprendre , & de lui faire cent
reproches des mauvais
procedez qu'il avoit eus
avec fa femme fur de
fimples apparences , lorf
qu'il eftoit réellement infidelle. Ce mary fut tres
honteux , fon amy avoit
beaucoupd'afcendant fur
fon efprit , il lui fit promettre qu'il ne reverroit
CALANT. 39
pas
་
jamaistla brune ?, ible
promit , mais ce n'eftoit
là ce qu'on vouloit
de lui , l'amy reprit avec
lui le chemin de l'Abbaye , & le détermina à
reprendre fa femme pour
la remener à Paris , il le
promit , mais il eut befoin de toute fa raiſon &
de toute celle de fon amy
pour faire un tel effort
fur lui-mefme. Il arriva à
l'Abbaye dans un eſtat
qui cuft fait pitié à tout
40 MERCURE
a
autre qu'à cet amy. Ils
prirent leurs mefures en
arrivant à l'Abbaye pour
pouvoir partir le lendemain pour Paris , la femme eftoit à l'Abbaye avant eux , & par le mefme chemin qu'elle avoit
pris pour aller , elle en
eftoit revenue , & reparut en blonde , mais ce
n'eftoit plus cette blonde
foumife , gracieuſe , &
fuppliante que le maryy
avoit laiffée le matin , elle
prit
GALANT 41
prit un autre ton , elle fit
la ferme jaloufe , & en
prétence de l'Abbofle dé
clara qu'elle fçavoit l'in ,
fidelité de fon mary , l'amy & l'Abbele joue
rent fr bien leur perfonnage , & feconderent fi
bien les juftes reproches
de la femme irritée , quo
le mary veritablement
convaincu de fon tort refolut fincerement de tafa
cher debien vivre avec fa
femme & d'oublier la
Septembre 1712.
D.
42 MERCURE
Provençale , il le promit,
mais la femme feignit de
ne fe fier pas à fes promeffes , de vouloir refter
au Couvent , & fe retira
fierement. L'Abbeffe, l'a
my, & le mary difnerent
fort triftement , & on le
fit refter à table autant de
temps qu'il fallut pour
donner le loifir à la blonde de redevenir brune ;
elle n'oublia rien cette
derniere fois pour plaire
à fon amant mary , il fut
GALANT
fort furpris de la voir entrer dans le parloir où ils
mangcoient, l'Abbeffe &
l'amyfeignirent auffi d'eftre furpris , la fcene qui
fe paffa s'imagine mieux
qu'elle ne fe peut écrire ,
jamais mary ne s'eft trou
vé dans un pareil embar
ras , car l'Abbeffe & l'amyne pouvoient traiter
la chofe fi férieuſement
qu'ils ne leur échapaft
quelques éclats de rire ,
ils eftoient dans cette fi
Dij
44 MERCURE
tuation lorfque la Pro
vençale commença à par
ler bon François , & à
déclarer ouvertementfon
amour , fans lui dire encore qu'elle eftoit fa fenrme, & ils firentprudem
ment de tromper le mari
par degrez, car s'ileuft appris tout d'un coup que
celle qu'il aimoit fi pafs
fionnément alloit eftre en
fa poffeffion , il en feroit
mort de joye. Enfin le
dénouement fut mené
GALANT. 45
de maniere , que le mary
fut auffi amoureux aprés
Féclairciffement , & mef
me plus qu'il ne l'avoit
eftéavant & dans la fuitele mary devenant
moins amoureux &
moins jaloux , & la femme devenant plus refervée cela fit un très bon
menage : enfin l'amy fut
remercié de la tromperie
innocente comme du
meilleure office qu'il
pouvoit rendre au mary
& à la femme
femme & maistreffe.
UNeDame jolie , enjouée , & de beaucoup
d'efprit , vertueufe dans
le fond , mais aimant le
Septembre 1712. Aij
4 MERCURE
monde , & les amufe->
ments d'une galanterie
fans vice , ne put s'empefcher de fuivre cette
maniere de vie pendant
l'abfence de fon mary ,
que d'importantes affai
res avoient appellé dans
le Languedoc pour quelque temps. Il eftoit tresnouveau marić , & avoit
épousé la femme par un
accommodement de famille , & ne l'avoit pas
veuë plus de deux outrois
GALANT.
jours avant ſon mariage,
& avoit efté contraint de
partir peu de jours après.
Il aima d'abord cette
femme ; mais foit jaloufic , foit delicateffe fcrupuleufe fur le point
d'honneuril eftoit un
peu trop fevere für fa
conduite ; & il luy recommanda en partant
une regularité devivie
fort efloignée des innocentes libertez qu'elle s'eftoit donnée eftant fille ,
Aiij
6 MERCURE
& qu'elle s'eftoit promis
de continuer après fon
mariage , ainfi fe voyant
maitreffe de fes actions
par ce départ , elle oùblia tous les fcrupules
qu'onlui avoit donnez en
partant , elle eftoit née
pour la vie agréable ,
l'occafion eftoit belle
elle crut qu'il luy eftoit
permis de s'en fervir ,
pourveu qu'elle évitaft
l'éclat ; elle ne vouloit
point recevoir de vifites
GALANT.
7
chez elle , mais elle avoit
des amis & des amies de
fon humeur , on la vit ,
elle plut & n'en fut point
fafchée. On lui fit de tendres déclarations , elle les
reçeut en femme d'efprit
qui veut eftre aimée &
ne point aimer, elle ne fe
faſchoit de rien, pourveu
qu'onne paffaft point les
bornes qu'elles s'eftoit
prefcrites conformément
à un fond de fageffe qui
ne pourroit eftre alteré ,
*
A iiij
8 MERCURE
les plus médifans one
pouvoient avoir que des
foupçons mal fondez , &
ceux qui eftoient les plus
entreprenans s'aperceurent bien - toft qu'il n'y
avoit à efperer d'elle que
l'agrément de la focieté
generale , ils l'en eſtimerent davantage & n'en
curent pas moins d'empreffement à la voir, car
elle plaifoit , mefme aux
femmes qui fe fentoient
un merite inferieur au
GALANT
fien , tout alloit bien jufque là mais un de ces
jeunes conquerants qui
ne veulent des femmes
que la gloire de s'en eſtre
fait aimer , prétendit un
jour eftre aimé d'elle
plus férieufement qu'elle
ne vouloit , elle le regarada fierement , changea
de ftile , prit un air fevere
& rabbatit tellement fa
vanité , qu'elle s'en fit un
ennemi tres- dangereux
il examina de prés toutes
10 MERCURE
fes demarches , la vit de
facile accès à tous ceux
qu'il regardoit comme
fes rivaux , & fans fonger qu'ils ne luy avoient
pas donné les mefmes fujets de plainte que luy , il
les mit tous fur fon compte , il prit confeil de fa
jaloufie , & ne fongea
plus qu'à fe vanger , il en
trouva une occafion toute autre qu'il ne l'efpe
roit.
La Dame eftoit allée à
GALANT.
IF
une Campagne pour
quelques jours avec une
amie;
par malheur pour
elle fon mary revint
justement de Languedoc le lendemain du
départ de fa femme , &
fut fort défagreablement
furpris de nela point
trouver chez elle en arrivant. Le premier homme qu'il vit en fortant
de chez luy ce fut l'amant jaloux , avec qui
il avoit toujours vécu
12 MERCURE
affez familierement , le
mary luy confia le chagrin qu'il avoit contre ſa
femme; il prit cette occafionpour la juftifier de la
maniere dont les prudes
medifent ordinairement
de leurs émules , c'eſtà- dire en excufant malignement les fautes qu'on
ignoreroit fans elle; il entra dans le détail de toutes les connoiffances qu
elleavoit faites depuisfon
départ , & de toutes les
GALANT. 13
parties où elles'étoit trouvée, en louant une vertu
qui pouvoit eftre à l'épreuve de tout cela , mais
cette vertu eftoit ce qui
frappoit moins le mary
les épreuves où elle s'eftoit mife le frappoient
bien davantage , en un
motil l'enviſageacomme
tres-coupable, il s'emporte, il fulmine, & il auroit
pris quelque refolution
violente, fi quelques amis
mieux intentionnez
MERCURE
n'cuffent un peu adouci
le venin que le premier
avoit infinue dans le
cœur de ce pauvre mari ,
cependant tout ce que
ceux- cy purent gagner
ce fut qu'en attendant
un éclairciſſement plus
ample cette femme iroit,
fous quelque prétexte
qu'ils trouverent , paffer
quelques femaines dans
un Couvent à quinze
lieues de Paris , dont par
bonheur l'Abeffe fe trouE
GALANT. S
foeur d'un de ces prudents amis , & la femme
va
executa cette retraite demivolontaire dès qu'elle
fut de retour ; & deux
parentes du maryfechargerent de l'y conduire.
La voila donc dans le
Couvent , fes manieres
engageantes & flateufes
la rendirent bien- toft intime amie de l'Abbeffe ,
elle fe fit aimer de tout le
Couvent, c'eftoit une neceffité pour elle que la
stoleg
16 MERCURE
vie gaye , elle fe fit des
plaifirs de tout ce qui en
peut donner dans la retraite , & elle fit amitié
avec une jeune Provençale, parente de l'Abbeſſe
qui eftoit aufli dans le
Couvent pour paſſer la
premiere année de fon
veuvage, mais elle eftoit
auffi gaye que celle - cy
qui n'eftoit pas veuve
celle - cy eut une fantaifie fi forte d'apprendre
le Provençal qu'elle le
parloit
GALANT. 17
parloit au bout de quelque temps auffi bien que
cette veuve qu'elle ne
quittoit pas d'un moment.
Le temps de cette retraite dura prés d'une an
née au lieu de quelques
femaines › parce que le
mary fut obligé de retourner en Languedoc
& qu'il ne voulut pas la
laiffer feule à Paris une
feconde fois. Pendant ce
temps là elle eut la petite
Septembre 1712. B
18 MERCURE
verole , & n'en fut prefque point marquée, mais
il fe fit un petit changementdans les traits defon
de temps vifage , en peu
la convalefcence joignit
de l'embonpoint à fa taille qui eftoit fort menuë ;
& fon teint s'éclaircit
beaucoup , elle perdit de
beaux cheveux blonds
qu'elle avoit , en forte
que mettant un jour en
badinant une coifure de
la veuve , qui eftoit bru
GALANT 19
ne , elle fe trouva fi jolic
en brun & en mefme
temps fi diférente de ce
qu'elle eftoit en blond
avant fa petite verolo
que joignant à cela le
langage Provençal, qu'el
le s'eftoit rendu naturel ,
ellecrutpouvoir fatisfaire
une fantaiſie qui luyvint;
c'eftoit d'accompagner
fan amie dans un pe
tit voyage qu'elle alloit
faire à Paris , & d'y paſfer
incognito pour une Pra
Bij
20 MERCURE
vençale parente de cette
veuve , elle en obtint la
permiffion de l'Abbeffe
& du frere de cetteAbbef
fe, qui eftoit, commej'ay
dit , le vray ami de confiance du mary , & qui
avoit mefme affez d'af1
cendant fur luy pour ſe
charger de ce qui pourroit arriver , lorſque par
hazard elle feroit reconnuë par quelqu'un. En
unmot , il ne put refuſer
cette petite confolation
GALANT. 28
d'aller voir Paris , à une
femme qu'il fçavoit innocente , & que fon mary qui menaçoit d'eftre
encore trois mois en Lan
guedoc, avoit déja laiffé
un an dans le Couvent ,
il partit donc avec la veritable & la fauffe brune,
qu'il mena en arrivant à
Paris chez unvieux Confeiller dont la femme eftoit tres vertueuse , il ne
pouvoit la placer mieux
pour la fureté du mary.
22 MERCURE
Il fit croire aifément au
vieux Confeiller & à fa
femme qu'elle eftoit Provençale & parente de la
veuve.
Nos deux brunes firent pendant quelques
jours l'admiration du petit nombre de gens que
voyoit la Confeillere , &
elles eftoient un jourtoutes trois avec le Confeiller dans fon Cabinet en
fortant de Table , lorfqu'un Soliciteur impa
}
GALANT. 27
que
tes
tient ne trouvant perfonne pour l'annoncer, parce
gens difnoient
entra dans le Cabinet du
Confeiller. Qui pourroit
imaginer la bizarerie de
cette incident , le mary
jaloux eftoit revenu en
poſté pour un procèsimportant dont ce Confeil
ler venoit d'eftre nommé
Rapporteur , il eſtoit encore aux compliments
avec le Confeiller quand
la parole luy manqua
&
24 MERCURE
tout à coup , par la ref
femblance eftonnante
qui le frappa malgré les
changemens dont j'ay
parlé ; le Conſeiller luy
dit ce qu'il croyoit de
bonne foy , que cette
belle Provençale eftoit
arrivée de Provence depuis deux jours avec la
veuve. Le mary ne put
s'empefcher contre lá
bienséance mefme de s'avancer vers les deux Dames , il leur marqua là
caufe
GALANT.
caufedefoneftonnement,
& il cuftfansdoutereconneu fa femme fans la préfence d'efprit qu'elle cut
de neparler que Provençal , comme fi elle n'euft
pas fceu bien parler
François , ce jargon dépayfa encore le mary qui
s'en tint à l'eftonnement
d'une telle reffemblance
entre une brune & fa
femme qui eftoit blonde.
En ce moment l'ami qui
avoit difné avec les DaSeptembre 1712, C
26 MERCURE
mes, & qui eftoit reſté un
moment dans le Jardin ,
fut eftonnéen remontant
de trouver dans l'antichambre un Laquais de
fon ami qu'il croyoit encore en Languedoc , &
fut bien plus furpris encore quand ce Laquais
lui dit que fon Maiſtre
eftoit dans le Cabinet du
Confeiller , il entra fort
allarmé , mais la fcene
qu'il y trouva l'ayant un
peu raffuré , lui fit naiſtre
GALANT
. 17
en grossune idée qu'il
perfectionna dans la fuite , & aprés avoir appuyé
ta folicitation de fon ami
auprès du Conſeiller , il
fortit avec luy , le fortifia dans l'idée de la
reffemblance , & lui promit pour la rareté dufait
de luy faire voir le lende-
-main cette brune, & dès
le foir mefme il prévint
ola Confeillere en lui contant la verité de tout , &
luy faiſant approuver le
C ij
& MERCURE
deffein qu'il avoit , car
foupçonnoit desja le mary d cftre un peu amoureux de fa femme traveftie. ?
La vifite du lendemain
fe pafla plus gayement
que la premiere entreveuë, car la femme ayant
concertéfon perfonnage,
le fouftint à merveille, &
dit à fon mary en langage Provençal cent jolies
chofes , que la veuve lui
interpretoit à mefure ,
GALANT. 29
elle interpretoit enfuite
la femme ce que fon mary lui difoit bon François : ce jeu donna à l'amyla fene du monde la
en
plus divertiflante , & le
maryfortit delà fì amouBeux , que fon amy n'en
douta plus ; mais il fe
garda bien de lui tefmoi
gner qu'il s'en apperceut,
de peur de le de le contraindre. Le fingulier de cett
avanture , c'eft qu'en certains momens le maryreCij
30 MERCURE
connoiffoit fi fort fa femme, que cela refroidiffoit
un peueu fon amour, toutes les differences qu'il
trouvoit le frappant , enfuite fon amour redoubloit , & les fcrupules lui
prenoient , il vit ainfi plufieurs fois fa femme, mais
le jour de fon départ eftoit arrivé , on dit hautement qu'elle retournoit
en Provence, & elle partit
pour fe rendre au Cou
vent.
ALANT 31
Ce départ mit le mary
dans un tel abbatement
qu'il ne put s'empeſcher
de faire confidence àa fon
amy du cruel cftat où
cette feparation l'avoit
que
mis. Alors Famylui confeilla de profiter de la reffemblance, de taſcher
fa femme remplaçaft cette perte dans fon cœur.
Ils partirent tous deux
pour aller au Couvent ,
où la femme redevenue
blonde , prit des ajuſte
C iiij
32 MERCURI
ments if differents de
ceux qu'elle avoit cftant
brune , que le mary crup
voirune autre perfonne ,
il y trouvoit pourtant
quelques uns des mefmes
charmes , mais celle - cy
ne fervoit qu'à lui faire
regreter l'autre , en lus
en reveillant lidée. vio
Sur ces entrefaites un
courier vint apporter une
lettre à l'amy & cette
lettre eftoit de la veuve,
qui de concert avec lui
CALANTI #
cftoit allée à une terre
qu'avoit le Confeiller à
quatre lieues du Cou
vent, cette lettre portoit,
que la belle brune s'erant
trouvée indifposée &
cette femme fe trouvant
fur la route du Langue
doc elle y séjourneroit
deux où trois jours. Il
montra le commencement de cette lettre au
mary , qui en lut en mef.
me temps la fin , où la
veuve marquoit à l'amy
34 MERCURE
comme par une espece de
confidence , que l'indif
pofition de la brune n'eftoit qu'un prétexte pour
taſcher de retournerà Paris , pour revoir fon amy
pour qui elle avoit le
cœur pris. Jugez de l'effet que cette fin de lettre
fit fur le pauvre mary .
l'amy reprit fa lettre fans
lui parler davantage de
la veuve ni de fa compagne , & dit enfuite qu'ef
tant obligé de refter deux
GALANT. 35
ou trois jours avec la
foeur Abbeffe ; il lui
donnoit fon Caroffe pour
s'en retourner à Paris ; le
mary fut charmé de cet
incident & profita du
Caroffe , il gagna le Cocher & marcha droit
vers la terre où il croyoit
trouver la brune , & c'eft
ce que l'amy avoit prévû,
la blonde partit àl'inftant
par un chemin de traverfe avec une Chaife de
pofte , & l'amy à Che-
36 MERCURE
val , ils arriverent une
heure avant le Caroffe
dont le Cocher avoit ordre d'aller fort douce,
ment, & la blonde cut
tout le loifir de le faire
brune ,
avant que fon
maryfuftarrivé, l'amyfe
fit cacher dans le Chaf
teau , & cette entreveuë
fut fi vive qu'il y eut déclaration d'amour depart
&
d'autre , car le mary
eut la tefte fi troublée de
puis la lecture de la lettre,
GALANT. 37-
qu'il fut incapable d'aucune reflexion fur l'infi- .
delitéqu'il faifoit à fa femme dans le moment
qu'ils eftoient dans le fort
de leur tendreffe l'amy
parut , la brune feignit
?
d'eftre furpriſe & troublée , fe retira avec précipitation & laiffa les
deux amis feuls enfemble , alors l'amy prenant
un ton fort fevere , dite
au mary qu'il s'etoit bien
douté de l'infidelité qu'il
38 MERCURE
vouloit faire à fa femme,
& qu'il lui avoit exprés
laiffé fon Carroffe pour
avoir lieu de le furprendre , & de lui faire cent
reproches des mauvais
procedez qu'il avoit eus
avec fa femme fur de
fimples apparences , lorf
qu'il eftoit réellement infidelle. Ce mary fut tres
honteux , fon amy avoit
beaucoupd'afcendant fur
fon efprit , il lui fit promettre qu'il ne reverroit
CALANT. 39
pas
་
jamaistla brune ?, ible
promit , mais ce n'eftoit
là ce qu'on vouloit
de lui , l'amy reprit avec
lui le chemin de l'Abbaye , & le détermina à
reprendre fa femme pour
la remener à Paris , il le
promit , mais il eut befoin de toute fa raiſon &
de toute celle de fon amy
pour faire un tel effort
fur lui-mefme. Il arriva à
l'Abbaye dans un eſtat
qui cuft fait pitié à tout
40 MERCURE
a
autre qu'à cet amy. Ils
prirent leurs mefures en
arrivant à l'Abbaye pour
pouvoir partir le lendemain pour Paris , la femme eftoit à l'Abbaye avant eux , & par le mefme chemin qu'elle avoit
pris pour aller , elle en
eftoit revenue , & reparut en blonde , mais ce
n'eftoit plus cette blonde
foumife , gracieuſe , &
fuppliante que le maryy
avoit laiffée le matin , elle
prit
GALANT 41
prit un autre ton , elle fit
la ferme jaloufe , & en
prétence de l'Abbofle dé
clara qu'elle fçavoit l'in ,
fidelité de fon mary , l'amy & l'Abbele joue
rent fr bien leur perfonnage , & feconderent fi
bien les juftes reproches
de la femme irritée , quo
le mary veritablement
convaincu de fon tort refolut fincerement de tafa
cher debien vivre avec fa
femme & d'oublier la
Septembre 1712.
D.
42 MERCURE
Provençale , il le promit,
mais la femme feignit de
ne fe fier pas à fes promeffes , de vouloir refter
au Couvent , & fe retira
fierement. L'Abbeffe, l'a
my, & le mary difnerent
fort triftement , & on le
fit refter à table autant de
temps qu'il fallut pour
donner le loifir à la blonde de redevenir brune ;
elle n'oublia rien cette
derniere fois pour plaire
à fon amant mary , il fut
GALANT
fort furpris de la voir entrer dans le parloir où ils
mangcoient, l'Abbeffe &
l'amyfeignirent auffi d'eftre furpris , la fcene qui
fe paffa s'imagine mieux
qu'elle ne fe peut écrire ,
jamais mary ne s'eft trou
vé dans un pareil embar
ras , car l'Abbeffe & l'amyne pouvoient traiter
la chofe fi férieuſement
qu'ils ne leur échapaft
quelques éclats de rire ,
ils eftoient dans cette fi
Dij
44 MERCURE
tuation lorfque la Pro
vençale commença à par
ler bon François , & à
déclarer ouvertementfon
amour , fans lui dire encore qu'elle eftoit fa fenrme, & ils firentprudem
ment de tromper le mari
par degrez, car s'ileuft appris tout d'un coup que
celle qu'il aimoit fi pafs
fionnément alloit eftre en
fa poffeffion , il en feroit
mort de joye. Enfin le
dénouement fut mené
GALANT. 45
de maniere , que le mary
fut auffi amoureux aprés
Féclairciffement , & mef
me plus qu'il ne l'avoit
eftéavant & dans la fuitele mary devenant
moins amoureux &
moins jaloux , & la femme devenant plus refervée cela fit un très bon
menage : enfin l'amy fut
remercié de la tromperie
innocente comme du
meilleure office qu'il
pouvoit rendre au mary
& à la femme
Fermer
Résumé : LA BLONDE BRUNE femme & maistresse.
Le texte raconte l'histoire d'une femme mariée, décrite comme jolie, enjouée et spirituelle, mais vertueuse. En septembre 1712, son mari, nouvellement marié et parti pour le Languedoc, lui recommande de mener une vie régulière. Libérée de la surveillance de son mari, la femme oublie les recommandations et profite de sa liberté tout en évitant les scandales. Elle reçoit des déclarations d'amour mais reste maîtresse de ses actions. Un jeune homme, jaloux et offensé par son refus, décide de se venger en révélant au mari les fréquentations de sa femme. Furieux, le mari envoie sa femme dans un couvent. Là, elle se lie d'amitié avec une jeune veuve provençale et apprend le provençal. Après avoir contracté la variole, elle change d'apparence et décide de se faire passer pour une Provençale. Avec l'aide de l'abbé et du frère de l'abbesse, elle retourne à Paris incognito. Par un hasard extraordinaire, son mari la rencontre sans la reconnaître. Grâce à une lettre trompeuse, le mari découvre la supercherie et retrouve sa femme. L'histoire se termine par une réconciliation et une déclaration d'amour entre les époux. Parallèlement, une intrigue complexe implique le mari, sa femme et un ami. Lors d'un moment d'intimité entre le mari et sa femme, cette dernière, déguisée en brune, feint la surprise et se retire, laissant les deux amis seuls. L'ami, prenant un ton sévère, accuse le mari d'infidélité et lui révèle qu'il a laissé son carrosse pour le surprendre. Le mari, honteux, promet de ne plus revoir la brune. L'ami le convainc de reprendre sa femme pour la ramener à Paris. À l'abbaye, la femme, désormais blonde, joue la jalouse et accuse son mari d'infidélité. L'ami et l'abbé jouent leur rôle pour convaincre le mari de son tort. La femme feint de ne pas croire aux promesses du mari et se retire au couvent. Pendant le dîner, la femme redevient brune et surprend son mari. L'ami et l'abbesse parviennent à tromper le mari par degrés, révélant progressivement l'amour de la femme. Finalement, le mari devient encore plus amoureux après l'éclaircissement. La situation évolue vers un ménage harmonieux, avec le mari moins jaloux et la femme plus réservée. L'ami est remercié pour sa tromperie innocente, considérée comme un service précieux rendu au couple.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 3-79
AVANTURE nouvelle.
Début :
Un jeune Comte, d'une des meilleures Maisons du Royaume, [...]
Mots clefs :
Comte, Marquise , Conseiller, Amant, Coeur, Mari, Passion, Amour, Reproches, Monde, Liberté, Parti, Italien, Maîtresse, Caractère, Charmes, Mérite, Prétexte, Heureux, Colère, Jeu, Espérer, Nouvelles, Lettre, Campagne, Faveur, Commerce, Fidélité, Femmes, Raison
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AVANTURE nouvelle.
AVANTUR
nouvelle.
U
LYON
N jeune Comte ,
d'une des meilleures
Maifons
du Royaume , s'étant
nouvellement établi das
Avril 1714. A ij
4 MERCURE
un quartier où le jeu &
la galanterie regnoient
également , fut obligé
d'y prendre parti comme
les autres ; & parce
que fon coeur avoit des
engagemens ailleurs , il
fe declara pour le jeu ,
comme pour fa paffion
dominante mais le peu
d'empreffement qu'il y
avoit , faifoit affez voir
qu'il fe contraignoit , &
l'on jugea que c'étoir un
homme qui ne s'attaGALANT
.
S
choit à rien , & qui dans
la neceffité de choiſir
avoit encore mieux aimé
cet amuſement, que
de dire à quelque belle
ce qu'il ne fentoit pas .
Un jour une troupe de
jeunes Dames qui ne
joüoient point , l'entreprit
fur fon humeur indifferente.
Il s'en défendit
le mieux qu'il put ,
alleguant fon peu de
merite , & le peu d'ef
perance qu'il auroit d'ê-
A iij
6 MERCURE
tre heureux en amour :
mais on lui dit que
quand il fe connoîtroit
affez mal pour avoir une
fi méchante opinion de
lui - même , cette raiſon
feroit foible contre la
vûë d'une belle perfonne
; & là - deffus on le
menaça des charmes d'u
ne jeune Marquife , qui
demeuroit dans le voifinage
, & qu'on attendoit.
Il ne manqua pas de leur
repartir qu'elles-mêmes
GALANT.
7.
ne fe connoiffoient point
affez , & que s'il pouvoit
échaper au peril où il
fe trouvoit alors , il ne
devoit plus rien craindre
pour fon coeur . Pour
réponse à fa galanterie ,
elles lui montrerent la
Dame dont il étoit queftion
, qui entroit dans
ce moment . Nous parlions
de vous , Madame ,
lui dirent - elles en l'appercevant
. Voici un indifferent
que nous vous
A iiij
8 MERCURE
donnons à convertir :
Vous y êtes engagée
d'honneur ; car il femble
yous défier auffi - bien
que nous. La Dame &
le jeune Comte ſe reconnurent
, pour s'être
vûs quelquefois à la campagne
chez une de leurs
amies . Elle étoit fort convaincuë
qu'il ne meritoit
rien moins que le
reproche qu'on luy faifoit
, & il n'étoit que
trop ſenſible à ſon gré :
GALANT. 9
mais elle avoit les raifons
pour feindre de croire
ce qu'on lui difoit.
C'étoit une occafion de
commerce avec un homme
, fur lequel depuis
long - temps elle avoit
fait des deffeins qu'elle
n'avoit pû executer . Elle
lui trouvoit de l'efprit
& de l'enjouement , &
elle avoit hazardé des
complaisāces pour beaucoup
de gens qui afſurément
ne le valoient
to MERCURE
pas : mais fon plus grand
merite étoit l'opinion
qu'elle avoit qu'il fût aimé
d'une jeune Demoifelle
qu'elle haïffoit , &
dont elle vouloit fe vanger.
Elle prit donc fans
balancer le parti qu'on
lui offroit ; & aprés lui
avoit dit qu'il faloit qu'-
on ne le crût pas bien
endurci , puis qu'on s'adreffoit
à elle pour le
toucher , elle entreprit
de faire un infidele , fous
GALANT . 11
pretexte de convertir un
indifferent. Le Comte
aimoit paffionsément la
Demoiſelle dont on le
croyoit aimé, & il tenoit
à elle par des
engagemens
fi puiffans
, qu'il
ne craignoit
pas que rien
l'en pût détacher
. Sur
tout il fe croyoit
fort en
fûreté contre les charmes
de la Marquife. Il
la connoiffoit pour une
de ces coquettes de profeffion
qui veulent , à
12 MERCURE
quelque prix que ce ſoit ,
engager tout le monde ,
& qui ne trouvent rien
de plus honteux que de
manquer une conquête .
Il fçavoit encore quedepuis
peu elle avoit un
amant , dont la nouveauté
faifoit le plus grand
merite , & pour qui elle
avoit rompu avec un
autre qu'elle aimoit depuis
long - temps , & à
qui elle avoit des obligations
effentielles . Ces
と
GALANT .
13
connoiffances lui fmbloient
un remede affuré
contre les tentations
les plus preffantes. La
Dame l'avoit affez veu
pour connoître quel étoit
fon éloignement
pour des femmes
de fon
caractere
: mais cela ne
fit que flater fa vanité.
Elle trouva plus de gloire
à triompher
d'un
coeur qui devoit être fi
bien défendu. Elle lui
fit d'abord
des reproches
14 MERCURE
de ne l'eftre pas venu
voir depuis qu'il étoit
dans le quartier , & l'engagea
à reparer fa faute
dés le lendemain . Il
alla chez elle , & s'y fit
introduire par un Confeiller
de fes amis , avec
qui il logcoit , & qui
avoit des liaiſons étroites
avec le mari de la
Marquife, Les honneftetez
qu'elle lui fit l'obligerent
enfuite d'y aller
plufieurs fois fans inGALANT.
15
troducteur ; & à chaque
yifite la Dame mit en
ufage tout ce qu'elle
crut de plus propre à .
l'engager. Elle trouva
d'abord toute la refiftance
qu'elle avoit attendue.
Ses foins , loin .
de faire effet , ne lui attirerent
pas feulement
une parole qui tendît à
une declaration : mais
elle ne defefpera point
pour cela du pouvoir de
fes charmes ; ils l'avoient
16 MERCURE
fervie trop fidelement en
d'autres occafions
, pour
ne lui donner pas lieu
de fe flater d'un pareil
fuccés en celle - ci ; elle
crut mefme remarquer
bientôt qu'elle ne s'étoit
pas trompée. Les vifites
du Comte furent
plus frequentes : elle lui
trouvoit un enjouëment
que l'on n'a point quand
on n'a aucun deffein de
plaire.Mille railleries divertissantes
qu'il faifoit
fur
+
GALANT . 17
für fon nouvel amant ;
le chagrin qu'il témoignoit
quand il ne pouvoit
eftre feul avec elle ;
Fattention qu'il preftoit.
aux moindres chofes
qu'il luy voyoit faire :
tout cela lui parut d'un
augure merveilleux , &
il eft certain que fi elle
n'avoit pas encore le
coeur de ce pretendu indifferent
, elle occupoit.
du moins fon efprit . Ih
alloit plus rarement chez
Avril 1714. B :
18 MERCURE
la Demoiſelle qu'il aimoit
, & quand il étoit
avec elle, il n'avoit point
d'autre foin , que de faire
tomber le difcours fur
la Marquife . Il aimoit
mieux railler d'elle que
de n'en rien dire . Enfin
foit qu'il fût feul , ou
en compagnie , fon idée
ne l'abandonnoit jamais
. Quel dommage ,
difoit - il quelquefois
que le Ciel ait répandu
tant de graces dans une
,
GALANT . 19
coquette ? Faut - il que la
voyant fi aimable , on
ait tant de raiſon de ne
point l'aimer ? Il ne pouvoit
lui pardonner tous
fes charmes ; & plus il
lui en trouvoit , plus il
croyoit la haïr. Il s'oublia
même un foir jufques
à lui reprocher fa
conduite , mais avec une
aigreur qu'elle n'auroit,
pas ofé efperer fitoft. A
quoy bon , lui dit- il ,
Madame , toutes ces oil-
Bij
20 MERCURE
lades & ces manieres étu
diées que chacun regarde
, & dont tant de gens
fe donnent le droit de
parler Ces foins de
chercher à plaire à tout
le monde , ne font pardonnables
qu'à celles à
qui ils tiennent lieu de
beauté . Croyez - moy ,
Madame , quittez des
affectations qui font indignes
de vous. C'étoit
où on l'attendoit . La
Dame étoit trop habile
GALANT. 2ม1
pour ne diftinguer past
les confeils de l'amitié
des reproches de la jaloufie
. Elle lui en marqua
de la reconnoiſſance
, & tâcha enfuite de
lui perfuader que ce qui
paroiffoit coquetterie ,
n'étoit en elle que la
crainte
d'un veritable
attachement ; que du
naturel dont elle fe connoiffoit
, elle ne pourroit
être heureufe dans.
un engagement , parce
22 MERCURE
qu'elle ne ſe verroit jamais
aimée , ni avec la
même fincerité , ni avec
la même delicateſſe dont
elle fouhaiteroit de l'être
, & dont elle fçavoit
bien qu'elle aimeroit .
Enfin elle lui fit an faux
portrait de fon coeur , qui
fut pour lui un veritable
poifon. Il ne pouvoit
croire tout à fait qu'elle
fût fincere : mais il ne
pouvoit s'empefcher de
le fouhaiter. Il cherGALANT.
23
choit des
apparences
ce qu'elle
lui difoit , &
il lui rappelloit
mille actions
qu'il lui avoit vû
faire , afin qu'elle les juſtifiât
; & en effet , fe fervant
du pouvoir qu'elle
commençoit à prendre
fur lui , elle y donna
des couleurs qui diffiperent
une partie de fes
foupçons mais qui
pourtant n'auroient pas
trompé un homme qui
cuft moins fouhaité de
24 MERCURE
l'eftre. Cependant, ajouta-
t- elle d'un air enjoüé ,
je ne veux pas tout à fait
difconvenir d'un défaut
qui peut me donner lieu
de vous avoir quelque
obligation . Vous fçavez
ce que j'ai entrepris pour
vous corriger de celui
qu'on vous reprochoit .
Le peu de fuccés que j'ai
eu ne vous diſpenſe pas
de reconnoître mes bonnes
intentions , & vous
me devez les mefmes
foins.
GALANT. 25
foins . Voyons fi vous ne
ferez pas plus heureux à
fixer une inconftante ,
que je l'ay été à toucher
un infenfible. Cette propofition
, quoique faite
en riant , le fit rentrer en
lui - mefme , & alarma
d'abord fa fidelité . Il vit
qu'elle n'avoit peut - eftre
que trop reüffi dans
fon entrepriſe , & il reconnut
le danger où il
étoit : mais fon penchant
commençant à lui ren-
Avril 1714.
C
26 MERCURE
dre ces reflexions facheuſes
, il tâcha bientôt
à s'en délivrer . Il
penfa avec plaifir que fa
crainte étoit indigne de
lui , & de la perfonne
qu'il aimoit depuis fi
long- temps . Sa delicateffe
alla meſme juſqu'à
fe la reprocher
comme
une infidelité
; & aprés
s'eftre dit à foy- meſme
,
que c'étoit déja eſtre inconftant
que de craindre
de changer , il embraſſa
GALANT . 27
avec joye le parti qu'on
lui offroit . Ce fut un
commerce fort agreable
de part & d'autre. Le
pretexte qu'ils prenoient
rendant leur empreffement
un jeu , ils goutoient
des plaifirs qui
n'étoient troublez d'aucuns
fcrupules. L'Italien
, qu'ils fçavoient tous
deux , étoit l'interprete :
de leurs tendres fentimens.
Ils ne fe voyoient
jamais qu'ils n'euffent à
Cij
28 MERCURE
fe donner un billet en
cette langue ; car pour
plus grande feureté, ils
étoient convenus qu'ils
ne s'enverroient jamais
leurs lettres . Sur - tout
elle lui avoit défendu dé
parler de leur commerce
au Confeiller avec qui
il logcoit , parce qu'il
étoit beaucoup plus des
amis de fon mari que des
fiens , & qu'autrefois ,
fur de moindres apparences,
il lui avoit donné
GALANT . 29
des foupçons d'elle fort
defavantageux . Elle lui
marqua même des heures
où il pouvoit le moins
craindre de les rencontrer
chez elle l'un ou
l'autre , & ils convinrent
de certains fignes d'intelligence
pour les temps
qu'ilsyferoient. Cemyf
tere étoit un nouveau
charme pour le jeune
Comte. La Marquife
prit enfuite des manieres
fiéloignées d'une co-
C
iij
30 MERCURE
quette , qu'elle acheva
bientoft
de le perdre
.
Jufques là elle avoit eu
un de ces caracteres enjoüez
, qui reviennent
quafi à tout le monde ,
mais qui deſeſperent un
amant ; & elle le quitta
pour en prendre un tout
oppofé , fans le lui faire
valoir comme un facri.
fice . Elle écarta fon nouvel
amant , qui étoit un
Cavalier fort bien fait .
Enfin loin d'aimer l'éGALANT.
31
clat , toute fon application
étoit d'empêcher
qu'on ne s'apperçût de
l'attachement que le
Comte avoit pour elle :
mais malgré tous fes
foins, il tomba unjour de
ſes poches une lettre que
fon mari ramaffa fans
qu'elle y prît garde . 11
n'en connut point le caractere
, & n'en entendit
pas le langage : mais ne
doutant pas que ce ne
fût de l'Italien , il courut
Ciiij
32 MERCURE
chez le Conſeiller , qu'il
fçavoit bien n'être pas
chez lui , feignant de lui
vouloir
communiquer
quelque affaire . C'étoit
afin d'avoir occafion de
parler au Comte , qu'il
ne foupçonnoit point
d'être l'auteur de la lettre
, parce qu'elle étoit
d'une autre main. Pour
prévenir les malheurs
qui arrivent quelquefois
des lettres perduës , le
Comte faifoit écrire touGALANT
. 33
tes celles qu'il donnoit à
la Marquise par une perfonne
dont le caractere
étoit inconnu . Il lui avoit
porté le jour precedent
le billet Italien
dont il s'agiffoit. Il étoit
écrit fur ce qu'elle avoit
engagé le Confeiller à
lui donner
à fouper ce
même jour- là ; & parce
qu'elle avoit fçû qu'il
devoit aller avec fon mari
à deux lieuës de Paris
l'apréfdînée , & qu'ils
34 MERCURE
n'en reviendroient que
fort tard , elle étoit convenue
avec ſon amant
qu'elle fe rendroit chez
lui avant leur retour. La
lettre du Comte étoit
pour l'en faire fouvenir ,
& comme un avantgoût
de la fatisfaction qu'ils
promettoient cette fe
foirée. Le mari n'ayant
point trouvé le Confeiller
, demanda le Comte .
Dés qu'il le vit , il tira
de fa poche d'un air emGALANT
.
35
preffé quantité de papiers
, & le pria de les
lui remettre quand il
féroit revenu. Parmi ces
papiers étoit celui qui
lui donnoit tant d'agitation
. En voici un , lui
dit- il en feignant de s'être
mépris , qui n'en eſt
pas. Je ne fçai ce que
c'eft , voyez fi vous l'entendrez
mieux que moy :
& l'ayant ouvert , il en
lut lui - mefme les premie-i
res lignes , de peur que
36 MERCURE
le Comte
jettant les
yeux fur la fuite , ne connût
la part que la Marquife
y pouvoit avoir ,
& que la crainte de lui
apprendre de fâcheufes
nouvelles , ne l'obligeât
à lui déguifer la verité.
Le Comte fut fort furpris
quand il reconnut
fa lettre. Untrouble foudain
s'empara de fon efprit
, & il eut befoin que
le mari fût occupé de fa
lecture , pour lui donner
(
GALANT. 37
le temps de fe remettre .
Aprés en avoir entendu
le commencement : Voila
, dit - il , contrefaifant
¡ l'étonné , ce que je chersche
depuis long - temps .
C'est le rôle d'une fille
qui ne fçait que l'Italien ,
- & qui parle à ſon amant
qui ne l'entend pas . Vous
a
aurez veu cela dans une
Comedie Françoiſe qui
a paru cet hyver. Mille
gens me l'ont demandé ,
& il faut que vous me
38.
MERCURE
faffiez le plaifir de me
le laiffer. J'y confens , lui
répondit le mari , pourveu
que vous le rendiez
à ma femme , car je croy
qu'il eft à elle. Quand le
jeune Comte crut avoir
porté affez loin la crédulité
du mari , il n'y
eut pas un mot dans ce
prétendu rôle Italien ,
dont il ne lui voulût faire
entendre l'explication
: mais le mari ayant
ce qu'il fouhaitoit , béGALANT.
39
nit le Ciel en lui - mefme
de s'être trompé fi
heureuſement , & s'en
alla où l'appelloient fes
affaires . Auffitôt qu'il
e fut forti , le Comte courut
à l'Eglife , où il étoit
fûr de trouver la Dame ,
qu'il avertit par un bilelet
, qu'il lui donna ſecretement
, de ce qui ve-
-noit de fe paffer , & de
1
l'artifice dont il s'étoit
fervi pour retirer fa let
tre. Elle ne fut pas fitôt
40 MERCURE
rentrée chez elle , qu'elle
.mit tous les domeſtiques
à la quête du papier , &
fon mari étant de retour,
elle lui demanda . Il lui
avoüa qu'il l'avoit trouvé
, & que le Comte en
ayant beſoin , il lui avoit
laiffé entre les mains .
Me voyez- vous des curiofitez
femblables pour
les lettres que vous recevez
, lui répondit- elle
d'un ton qui faifoit paroître
un peu de colere ?
Si
GALANT 41
Si c'étoit un billet tendre
, fi c'étoit un rendezvous
que l'on me donnât
, feroit - il , agréable.
que vous nous vinffiez
troubler ? Son mari lui
dic en l'embraffant , qu'il
fçavoit fort bien ce que
c'étoit ; & pour l'empêcher
de croire qu'il l'eût
foupçonnée , il l'affura
qu'il avoit cru ce papier
à lui lors qu'il l'avoit ramaffe.
La Dame ne borna
pas fon reffentiment
Avril 1714. D
42 MERCURE
à une raillerie de cette
nature . Elle fe rendit
chez le Comte de meilleure
heure qu'elle n'auroit
fait . La commodité
d'un jardin dans cette
maiſon étoit un
pretexte
pour y aller avant le
temps du foupé. La jaloufie
dans un mari eft
un défaut fi blâmable ,
quand elle n'eft pas bien
fondée , qu'elle fe fit un
devoir de juftifier ce que
le fien lui en avoit fait
J
GALANT. 43
paroître. Tout favorifoit
un fi beau deffein ;
toutes fortes de témoins
étoient éloignez , & le
Comte & la Marquiſe
pouvoient le parler en
liberté. Ce n'étoit plus
par des lettres & par des
fignes qu'ils exprimoient
leur tendreffe . Loin d'avoir
recours à une langue
étrangere , à peine
trouvoient - ils qu'ils
fçuffent affez bien le
François pour fe dire
Dij
44 MERCURE
tout ce qu'ils fentoient ;
& la défiance du mari
leur rendant tout légitime
, la Dame eut des
complaifances pour le
jeune Comte , qu'il n'auroit
pas ofé efperer. Le
mari & le Confeiller étant
arrivez fort tard ,
leur firent de grandes excufes
de les avoir fait fi
long - temps attendre.
On n'eut pas de peine à
les recevoir
, parce que
jamais on ne
s'étoit
4.
GALANT . 45
moins impatienté . Pendant
le foupé leurs yeux
firent leur devoir admirablement
; & la contrainte
où ils fe trouvoient
par la préſence
de deux témoins incommodes
, prêtoit à leurs
regards une éloquence
qui les confoloit de ne
pouvoir s'expliquer avec
plus de liberté. Le mari :
gea
ayant quelque chofe à
dire au Comte
, l'engaà
venir faire avec lui
46 MERCURE
un tour de jardin . Le
Comte en marqua par
un coup d'oeil fon déplaifir
à la Dame , & la.
Dame lui fit connoître
par un autre figne combien
l'entretien du Confeiller
alloit la faire fouffrir.
On fe fepara . Jamais
le Comte n'avoit
trouvé de fi doux momens
que ceux qu'il paffa
dans fon tête - à - tête
avec la Marquife . Il la
quitta fatisfait au derGALANT
. 47
nier point :mais dés qu'il
fut ſeul , il ne put s'abandonner
à lui mefme
fans reffentir les plus
cruelles agitations. Que
n'eut- il point à fe dire
fur l'état où il furprenoit
fon coeur ! Il n'en étoit
pas à connoître que fon
trop de confiance lui avoit
fait faire plus de
chemin qu'il ne lui étoit
permis : mais il s'étoit
imaginé jufques là qu'-
un amuſement avec une
48 MERCURE
coquete ne pouvoit bleffer
en rien la fidelité qu'il
devoit à fa maîtreffe
. Il
s'étoit toujours repofé
fur ce qu'une femme qui
ne pourroit lui donner
qu'un coeur partagé , ne
feroit jamais capable
d'inſpirer au fien un vrai
amour ; & alors il commença
à voir que ce qu'il
avoit traité d'amufement
, étoit devenu une
paffion dont il n'étoit
plus le maitre. Aprés ce
qui
GALANT 49
qui s'étoit paffé avec la
Marquife
, il fe fût flaté
inutilement de l'efperance
de n'en être point
aimé uniquement , & de
bonne foy: Peut - être
même que des doutes
là - deffus auroient été
d'un foible fecours . Il
fongeoit fans ceffe à tout
ce qu'il lupavoit trouvé
de paffion , à cet air vif
& touchant qu'elle don-*
noit à toutes les actions ;
& 'ces réflexions enfin
Avril 1714.
*
E
fo MERCURE
jointes au peu de fuccés
qu'il avoit eu dans l'attachement
qu'il avoit
pris pour la premiere
maîtreffe , mirent fa raifon
dans le parti de fon
coeur, & diffiperent tous
fes remords. Ainfi il s'abandonna
fans fcrupule
à ſon penchant , & ne
fongea plus qu'à fe ménager
mille nouvelles
douceurs avec la Marquife
; mais la jalouſic
les vinte troubler lors
GALANT. S1
qu'il s'y étoit le moins
attendu. Un jour il la
furprit feule avec l'amant
qu'il croyoit qu'el
le cût banni ; & le Cavalier
ne l'eut pas fitôt
quittée , qu'il lui en fic
des reproches , comme
d'un outrage qui ne pouvoit
être pardonné . Vous
n'avez pû long - temps
vous démentir , lui ditil
, Madame. Lorfque
vous m'avez crû affez
engagé , vous avez cellé
E ij
52 MERCURE
de vous faire violence .
J'avoue que j'applaudif
fois à ma paſſion , d'avoir
pû changer vôtre
naturel ; mais des femmes
comme
vous ne
changent jamais. J'avois
tort d'efperer un miracle
en ma faveur . Il la pria
enfuite de ne ſe plus contraindre
pour lui , & l'aſfura
qu'il la laifferoit en
liberté de recevoir toutes
les vifites qu'il lui
plairoit . La Dame fe
GALANT.
$3
connoiffoit trop bien en
dépit , pour rien apprehender
de celui - là . Elle
en tira de nouvelles affurances
de fon pouvoir
fur le jeune Comte ; &
affectant une colere qu'-
elle n'avoit pas , elle lui
fic comprendre qu'elle
ne daignoit pas ſe juſtifier
, quoy qu'elle eût de
bonnes raifons , qu'elle
lui cachoit pour le punir.
Elle lui fit même
promettre plus pofitive-
E iij
$4 MERCURE
ment qc'il n'avoit fait ,
de ne plus revenir chez
elle. Ce fut là où il put
s'appercevoir combien il
étoit peu maître de ſa
paffion . Dans un moment
il fe trouva le feul
criminel ; & plus affligé
de l'avoir irritée par les
reproches , que de la trahifon
qu'il penfoit lui
eftre faite , il fe jetta à
fes genoux , trop heureux
de pouvoir efperer
le pardon , qu'il croyoit
GALANT .
$$
auparavant qu'on lui devoit
demander
. Par quelles
foumiffions ne tâcha
t- il point de le meriter !
Bien loin de lui remetles
tre devant les yeux
marques de paffion qu'il
avoit reçues d'elle , &
qui fembloient lui donner
le droit de ſe plaindre
, il paroiffoit les avoir
oubliées , ou s'il s'en
refſouvenoit , ce n'étoit
que pour le trouver cent
fois plus coupable . Il
E mij
56 MERCURE
n'alleguoit que l'excés
de fon amour qui le faifoit
ceder à la jalousie ,
& quien de pareilles occafions
ne s'explique jamais
mieux que par la
colere. Quand elle crut
avoir pouffé fon triomphe
affez loin , elle lui
jetta un regard plein de
douceur , qui en un moment
rendit à fon ame
toute fa tranquilité . C'eft
affez me contraindre ,
lui dit- elle ; auffi bien ma
•
"
GALANT. SZ
joye & mon amour commencent
à me trahir.
Non , mon cher Comte
, ne craignez point
que je me plaigne de vôtre
colere. Je me plaindrois
bien plutôt fi vous
n'en aviez point eu . Vos
reproches il est vrai ,
>
bleffent ma fidelité : mais
je leur pardonne ce qu'ils
ont d'injurieux , en faveur
de ce qu'ils ont de
paffionné. Ces affurances
de vôtre tendreffe m'é58
MERCURE
toient fi cheres , qu'elles
ont arrefté jufqu'ici l'im
patience que j'avois de
me juftifier. Là - deffus
elle lui fit connoître
combien ſes ſoupçons étoient
indignes d'elle &
de lui ; que n'ayant point
défendu au Cavalier de
venir chez elle , elle n'avoit
pu refufer de le voir;
qu'un tel refus auroit été
une faveur pour lui ; que.
s'il le
fouhaitoit pourtant
, elle lui défendroit
V
GALANT. 59
fa maiſon pour jamais :
mais qu'il confiderât
combien il feroit peu
agreable pour elle , qu'-
un homme de cette forte
s'allât vanter dans le
monde qu'elle cuft rompu
avec lui , & laiſsât
croire qu'il y euft des
gens à qui il donnoit de
l'ombrage. L'amoureux
Comte étoit fi touché
des marques de tendreſſe
qu'on venoit de lui donner
, qu'il ſe feroit vo60
MERCURE
>
lontiers payé d'une plus
méchante raiſon . Il eut
honte de fes foupçons ,
& la pria lui- meſine de
ne point changer de conduite
. Il paffa ainfi quelques
jours à recevoir fans
ceffe de nouvelles affurances
qu'il étoit aimé ,
& il merita dans peu
qu'on lui accordât une
entrevue fecrete la nuit .
Le mari étoit à la campagne
pour quelque
temps ; & la Marquife ,
*
1
GALANT. 61
maîtreffe alors d'ellemeſme
, ne voulut pas
perdre une occafion fi
favorable de voir fon a
mant avec liberté . Le
jour que le Comte étoit
attendu chez elle fur les
neuf heures du foir , le
Confeiller foupant avec
lui , ( ce qu'il faifoit fort
fouvent ) voulut le mener
à une affemblée de
femmes du voisinage ,
qu'on regaloit d'un concert
de voix & d'inftru62
MERCURE
mens. Le Comte s'en
excufa , & ayant laiffé
fortir le Confeiller , qui
le preffa inutilement de
venir jouir de ce regal ,
il fe rendit chez la Dame
, qui les reçut avec
beaucoup de marques
d'amour
. Aprés quatre
heures d'une converfation
trés-tendre , il falut
fe féparer. Le Comte cut
fait à peine dix pas dans
la ruë , qu'il ſe vit ſuivi
d'un homme qui avoit le
GALANT. 63
vifage envelopé d'un
manteau . Il marcha toujours
; & s'il le regarda
comme un efpion , il eut
du moins le plaifir de
remarquer
qu'il étoit
trop grand pour être le
mari de la Marquife . En
rentrant chez lui , il trouva
encore le pretendu
cfpion , qu'il reconnut
enfin pour le Confeiller.
Les refus du jeune Comte
touchant le concert
de voix , lui avoit fait
64 MERCURE
croire qu'il avoit un rendez-
vous. Il le foupçonnoit
déja d'aimer la Marquife
, & fur ce foupçon
il etoit venu l'attendre à
quelques pas de fa porte
, & l'avoit vû fe couler
chez elle. Il y avoit
frapé auffitôt , & la fui-:
vante lui étoit venu dire
de la part de fa maîtreffe,
qu'un grand mal de tête
l'obligeoit à fe coucher ,
& qu'il lui étoit impoffible
de le recevoir. Par
cette
GALANT. 65
cette réponſe il avoit
compris tout le myftere.
Il fuivit le Comte dans
fa chambre , & lui ayam
declaré ce qu'il avoit fait
depuis qu'ils s'étoient
quittez : Vous avez pris ,
lui dit - il , de l'engagement
pour la Marquife ;
il faut qu'en fincere ami
je vous la faffe connoître.
J'ai commencé à l'aimer
avant que vous yinfficz
loger avec moy , &
quand elle a fçû nôtre
Avril 1714.
F
66 MERCURE
liaifon , elle m'a fait promettre
par tant de fermens
, que je vous ferois
un fecret de cet amour ,
que je n'ai ofé vous en
parler . Vous fçavez , me
difoit - elle , qu'il aime
une perfonne qui me hait
mortellement . Il ne manquera
jamais de lui apprendre
combien mon
coeur eft foible pour
vous. La diſcretion qu'-
on doit à un ami ne tient
guere contre la joye que
GALANT. 67
l'on a quand on croit
pouvoir divertir une
maîtreffe. La perfide
vouloit même que je lui
fuffe obligé de ce qu'elle
conſentoit à recevoir
vos vifites. Elle me recommandoit
fans ceffe
de n'aller jamais la voir
avec vous ; & quand
vous arriviez , elle affectoit
un air chagrin dont
je me plaignois quelquefois
à elle , & qu'apparemment
elle vous laif,
F ij
68 MERCURE
foit expliquer favorablement
pour vous . Mille
fignes & mille geſtes ,
qu'elle faifoit dans ces
temps - là , nous étoient
t
fans doute communs . Je
rappelle préfentement
une infinité de chofes
que je croyois alors indifferentes
, & je ne doute
point qu'elle ne fe foit
fait un merite auprés de
vous , de la partie qu'elle
fit il y a quelque temps
de fouper ici . Cependant
GALANT . 69
quand elle vous vit engagé
dans le jardin avec
fon mari , quels tendres
reproches ne me fit- elle
point d'être revenu ' fi
tard de la campagne , &
de l'avoir laiffée filongtemps
avec un homme
qu'elle n'aimoit pas !
Hier même encore qu'-
elle me préparoit avec
vous une trahiſon ſi noire
elle eut le front de
vous faire porteur d'une
lettre , par laquelle elle
70 MERCURE
me donnoit un rendezvous
pour ce matin ,
vous difant que c'étoit
un papier que fon mari
l'avoit chargée en partant
de me remettre. Le
Comte étoit fi troublé
de tout ce que le Confeiller
lui difoit , qu'il
n'eut pas la force de l'interrompre.
Dés qu'il fut
remis , il lui apprit comme
fon amour au commencement
n'étoit qu'
un jeu , & comme dés
GALANT. 71
S
lors la Marquife lui avoit
fait les mêmes loix
de difcretion qu'à lui.
Ils firent enfuite d'autres
éclairciffemens , qui
découvrirent au Comte
qu'il ne devoit qu'à la
coquetterie de la Dame
ce qu'il croyoit devoir à
fa paffion ; car c'étoit le
Confeiller qui avoit exigé
d'elle qu'elle ne vît
plus tant de monde , &
fur- tout qu'elle éloignât
fon troifiéme amant ; &
72 MERCURE
ils trouverent que quand
elle l'eut rappellé , elle
avoit allegué le même
pretexte
au Confeiller
qu'au Comte , pour continuer
de le voir. Il n'y
a gueres
d'amour
à l'épreuve
d'une telle perfidie
; auffi ne fe piquerent-
ils pas de conftance
pour une femme qui la
méritoit fi peu . Le Comte
honteux de la trahifon
qui'l avoit faite à fa premiere
maitreſſe , refolut
de
GALANT .
73
de n'avoir plus d'affiduitez
que pour elle feule ,
& le Confeiller fut bientôt
determiné fur les mefures
qu'il avoit à prendre
mais quelque promeffe
qu'ils fe fillent l'un
à l'autre de ne plus voir
la Marquife , ils ne purent
fe refufer le foulagement
de lui faire des reproches.
Dés qu'il leur
parut qu'ils la trouveroient
levée , ils fe tendirent
chez elle . Le
Avril
1714.
G
74 MERCURE
Comte lui dit d'abord ,
que le Confeiller étant
fon ami , l'avoit voulu
faire profiter du rendezvous
qu'elle lui avoit
donné , & qu'ainſi elle
ne devoit pas s'étonner
s'ils venoient enſemble .
Le Conſeiller prit aufſi.
tôt la parole , & n'oublia
rien de tout ce qu'il
crut capable de faire
honte à la Dame , & de
le vanger de fon infidelité.
Il lui remit devant
M
GALANT . 75
les yeux l'ardeur fincere
avec laquelle il l'avoit
aimée , les marques de
paffion qu'il avoit reçûës
d'elle , & les fermens
: qu'elle lui avoit tant de
I fois reiterez de n'aimer
jamais que lui . Elle l'écouta
fans l'interrompre
; & ayant pris fon
parti pendant qu'il parloit
: Il eft vrai , lui ré-
#pondit - elle d'un air
moins embaraffé que jamais
, je vous avois pro-
Gij
76 MERCURE
mis de n'aimer que vous :
mais vous avez attiré
Monfieur le Comte dans
ce quartier , vous l'avez
amené chez moy , & il
eft venu à m'aimer .D'ailleurs
, de quoy pouvezvous
vous plaindre ?
Tout ce qui a dépendu
de moy pour vous rendre
heureux , je l'ai fait.
Vous fçavez vous - même
quelles précautions
j'ai prifes pour vous cacher
l'un à l'autre vôtre
GALANT . 77
paffion . Si vous l'aviez
fçûë , vôtre amitié vous
auroit coûté des violences
ou des remords , que
ma bonté & ma prudence
vous ont épargnez .
N'eft- il pas vrai qu'avant
cette nuit , que vous aviez
épić Monfieur le
Comte , vous étiez tous
deux les amans du monde
les plus contens ? Suisje
coupable de vôtre indifcrétion
Pourquoy me
venir chercher le foir ?
Giij
78 MERCURE
Ne vous avois - je pas averti
par une lettre que
je donnai à Monfieur le
Comte , de ne venir que
ce matin ? Tout cela fut
dit d'une maniere fi lipeu
déconcerbre
, &
fi
tée
, que
ce
trait
leur
fit
connoître la Dame encore
mieux qu'ils n'avoient
fait . Ils admirerent
un caractere fi particulier
, & laifferent à
qui le voulut la liberté
d'en être la dupe . La
"
GALANT. 79
Marquife fe confola de
leur perte , en faiſant
croire au troifieme amant
nouvellement rappellé
, qu'elle les avoit
bannis pour lui ; & comme
elle ne pouvoit vivre
fans intrigue , elle en fit
· bientôt une nouvelle .
nouvelle.
U
LYON
N jeune Comte ,
d'une des meilleures
Maifons
du Royaume , s'étant
nouvellement établi das
Avril 1714. A ij
4 MERCURE
un quartier où le jeu &
la galanterie regnoient
également , fut obligé
d'y prendre parti comme
les autres ; & parce
que fon coeur avoit des
engagemens ailleurs , il
fe declara pour le jeu ,
comme pour fa paffion
dominante mais le peu
d'empreffement qu'il y
avoit , faifoit affez voir
qu'il fe contraignoit , &
l'on jugea que c'étoir un
homme qui ne s'attaGALANT
.
S
choit à rien , & qui dans
la neceffité de choiſir
avoit encore mieux aimé
cet amuſement, que
de dire à quelque belle
ce qu'il ne fentoit pas .
Un jour une troupe de
jeunes Dames qui ne
joüoient point , l'entreprit
fur fon humeur indifferente.
Il s'en défendit
le mieux qu'il put ,
alleguant fon peu de
merite , & le peu d'ef
perance qu'il auroit d'ê-
A iij
6 MERCURE
tre heureux en amour :
mais on lui dit que
quand il fe connoîtroit
affez mal pour avoir une
fi méchante opinion de
lui - même , cette raiſon
feroit foible contre la
vûë d'une belle perfonne
; & là - deffus on le
menaça des charmes d'u
ne jeune Marquife , qui
demeuroit dans le voifinage
, & qu'on attendoit.
Il ne manqua pas de leur
repartir qu'elles-mêmes
GALANT.
7.
ne fe connoiffoient point
affez , & que s'il pouvoit
échaper au peril où il
fe trouvoit alors , il ne
devoit plus rien craindre
pour fon coeur . Pour
réponse à fa galanterie ,
elles lui montrerent la
Dame dont il étoit queftion
, qui entroit dans
ce moment . Nous parlions
de vous , Madame ,
lui dirent - elles en l'appercevant
. Voici un indifferent
que nous vous
A iiij
8 MERCURE
donnons à convertir :
Vous y êtes engagée
d'honneur ; car il femble
yous défier auffi - bien
que nous. La Dame &
le jeune Comte ſe reconnurent
, pour s'être
vûs quelquefois à la campagne
chez une de leurs
amies . Elle étoit fort convaincuë
qu'il ne meritoit
rien moins que le
reproche qu'on luy faifoit
, & il n'étoit que
trop ſenſible à ſon gré :
GALANT. 9
mais elle avoit les raifons
pour feindre de croire
ce qu'on lui difoit.
C'étoit une occafion de
commerce avec un homme
, fur lequel depuis
long - temps elle avoit
fait des deffeins qu'elle
n'avoit pû executer . Elle
lui trouvoit de l'efprit
& de l'enjouement , &
elle avoit hazardé des
complaisāces pour beaucoup
de gens qui afſurément
ne le valoient
to MERCURE
pas : mais fon plus grand
merite étoit l'opinion
qu'elle avoit qu'il fût aimé
d'une jeune Demoifelle
qu'elle haïffoit , &
dont elle vouloit fe vanger.
Elle prit donc fans
balancer le parti qu'on
lui offroit ; & aprés lui
avoit dit qu'il faloit qu'-
on ne le crût pas bien
endurci , puis qu'on s'adreffoit
à elle pour le
toucher , elle entreprit
de faire un infidele , fous
GALANT . 11
pretexte de convertir un
indifferent. Le Comte
aimoit paffionsément la
Demoiſelle dont on le
croyoit aimé, & il tenoit
à elle par des
engagemens
fi puiffans
, qu'il
ne craignoit
pas que rien
l'en pût détacher
. Sur
tout il fe croyoit
fort en
fûreté contre les charmes
de la Marquife. Il
la connoiffoit pour une
de ces coquettes de profeffion
qui veulent , à
12 MERCURE
quelque prix que ce ſoit ,
engager tout le monde ,
& qui ne trouvent rien
de plus honteux que de
manquer une conquête .
Il fçavoit encore quedepuis
peu elle avoit un
amant , dont la nouveauté
faifoit le plus grand
merite , & pour qui elle
avoit rompu avec un
autre qu'elle aimoit depuis
long - temps , & à
qui elle avoit des obligations
effentielles . Ces
と
GALANT .
13
connoiffances lui fmbloient
un remede affuré
contre les tentations
les plus preffantes. La
Dame l'avoit affez veu
pour connoître quel étoit
fon éloignement
pour des femmes
de fon
caractere
: mais cela ne
fit que flater fa vanité.
Elle trouva plus de gloire
à triompher
d'un
coeur qui devoit être fi
bien défendu. Elle lui
fit d'abord
des reproches
14 MERCURE
de ne l'eftre pas venu
voir depuis qu'il étoit
dans le quartier , & l'engagea
à reparer fa faute
dés le lendemain . Il
alla chez elle , & s'y fit
introduire par un Confeiller
de fes amis , avec
qui il logcoit , & qui
avoit des liaiſons étroites
avec le mari de la
Marquife, Les honneftetez
qu'elle lui fit l'obligerent
enfuite d'y aller
plufieurs fois fans inGALANT.
15
troducteur ; & à chaque
yifite la Dame mit en
ufage tout ce qu'elle
crut de plus propre à .
l'engager. Elle trouva
d'abord toute la refiftance
qu'elle avoit attendue.
Ses foins , loin .
de faire effet , ne lui attirerent
pas feulement
une parole qui tendît à
une declaration : mais
elle ne defefpera point
pour cela du pouvoir de
fes charmes ; ils l'avoient
16 MERCURE
fervie trop fidelement en
d'autres occafions
, pour
ne lui donner pas lieu
de fe flater d'un pareil
fuccés en celle - ci ; elle
crut mefme remarquer
bientôt qu'elle ne s'étoit
pas trompée. Les vifites
du Comte furent
plus frequentes : elle lui
trouvoit un enjouëment
que l'on n'a point quand
on n'a aucun deffein de
plaire.Mille railleries divertissantes
qu'il faifoit
fur
+
GALANT . 17
für fon nouvel amant ;
le chagrin qu'il témoignoit
quand il ne pouvoit
eftre feul avec elle ;
Fattention qu'il preftoit.
aux moindres chofes
qu'il luy voyoit faire :
tout cela lui parut d'un
augure merveilleux , &
il eft certain que fi elle
n'avoit pas encore le
coeur de ce pretendu indifferent
, elle occupoit.
du moins fon efprit . Ih
alloit plus rarement chez
Avril 1714. B :
18 MERCURE
la Demoiſelle qu'il aimoit
, & quand il étoit
avec elle, il n'avoit point
d'autre foin , que de faire
tomber le difcours fur
la Marquife . Il aimoit
mieux railler d'elle que
de n'en rien dire . Enfin
foit qu'il fût feul , ou
en compagnie , fon idée
ne l'abandonnoit jamais
. Quel dommage ,
difoit - il quelquefois
que le Ciel ait répandu
tant de graces dans une
,
GALANT . 19
coquette ? Faut - il que la
voyant fi aimable , on
ait tant de raiſon de ne
point l'aimer ? Il ne pouvoit
lui pardonner tous
fes charmes ; & plus il
lui en trouvoit , plus il
croyoit la haïr. Il s'oublia
même un foir jufques
à lui reprocher fa
conduite , mais avec une
aigreur qu'elle n'auroit,
pas ofé efperer fitoft. A
quoy bon , lui dit- il ,
Madame , toutes ces oil-
Bij
20 MERCURE
lades & ces manieres étu
diées que chacun regarde
, & dont tant de gens
fe donnent le droit de
parler Ces foins de
chercher à plaire à tout
le monde , ne font pardonnables
qu'à celles à
qui ils tiennent lieu de
beauté . Croyez - moy ,
Madame , quittez des
affectations qui font indignes
de vous. C'étoit
où on l'attendoit . La
Dame étoit trop habile
GALANT. 2ม1
pour ne diftinguer past
les confeils de l'amitié
des reproches de la jaloufie
. Elle lui en marqua
de la reconnoiſſance
, & tâcha enfuite de
lui perfuader que ce qui
paroiffoit coquetterie ,
n'étoit en elle que la
crainte
d'un veritable
attachement ; que du
naturel dont elle fe connoiffoit
, elle ne pourroit
être heureufe dans.
un engagement , parce
22 MERCURE
qu'elle ne ſe verroit jamais
aimée , ni avec la
même fincerité , ni avec
la même delicateſſe dont
elle fouhaiteroit de l'être
, & dont elle fçavoit
bien qu'elle aimeroit .
Enfin elle lui fit an faux
portrait de fon coeur , qui
fut pour lui un veritable
poifon. Il ne pouvoit
croire tout à fait qu'elle
fût fincere : mais il ne
pouvoit s'empefcher de
le fouhaiter. Il cherGALANT.
23
choit des
apparences
ce qu'elle
lui difoit , &
il lui rappelloit
mille actions
qu'il lui avoit vû
faire , afin qu'elle les juſtifiât
; & en effet , fe fervant
du pouvoir qu'elle
commençoit à prendre
fur lui , elle y donna
des couleurs qui diffiperent
une partie de fes
foupçons mais qui
pourtant n'auroient pas
trompé un homme qui
cuft moins fouhaité de
24 MERCURE
l'eftre. Cependant, ajouta-
t- elle d'un air enjoüé ,
je ne veux pas tout à fait
difconvenir d'un défaut
qui peut me donner lieu
de vous avoir quelque
obligation . Vous fçavez
ce que j'ai entrepris pour
vous corriger de celui
qu'on vous reprochoit .
Le peu de fuccés que j'ai
eu ne vous diſpenſe pas
de reconnoître mes bonnes
intentions , & vous
me devez les mefmes
foins.
GALANT. 25
foins . Voyons fi vous ne
ferez pas plus heureux à
fixer une inconftante ,
que je l'ay été à toucher
un infenfible. Cette propofition
, quoique faite
en riant , le fit rentrer en
lui - mefme , & alarma
d'abord fa fidelité . Il vit
qu'elle n'avoit peut - eftre
que trop reüffi dans
fon entrepriſe , & il reconnut
le danger où il
étoit : mais fon penchant
commençant à lui ren-
Avril 1714.
C
26 MERCURE
dre ces reflexions facheuſes
, il tâcha bientôt
à s'en délivrer . Il
penfa avec plaifir que fa
crainte étoit indigne de
lui , & de la perfonne
qu'il aimoit depuis fi
long- temps . Sa delicateffe
alla meſme juſqu'à
fe la reprocher
comme
une infidelité
; & aprés
s'eftre dit à foy- meſme
,
que c'étoit déja eſtre inconftant
que de craindre
de changer , il embraſſa
GALANT . 27
avec joye le parti qu'on
lui offroit . Ce fut un
commerce fort agreable
de part & d'autre. Le
pretexte qu'ils prenoient
rendant leur empreffement
un jeu , ils goutoient
des plaifirs qui
n'étoient troublez d'aucuns
fcrupules. L'Italien
, qu'ils fçavoient tous
deux , étoit l'interprete :
de leurs tendres fentimens.
Ils ne fe voyoient
jamais qu'ils n'euffent à
Cij
28 MERCURE
fe donner un billet en
cette langue ; car pour
plus grande feureté, ils
étoient convenus qu'ils
ne s'enverroient jamais
leurs lettres . Sur - tout
elle lui avoit défendu dé
parler de leur commerce
au Confeiller avec qui
il logcoit , parce qu'il
étoit beaucoup plus des
amis de fon mari que des
fiens , & qu'autrefois ,
fur de moindres apparences,
il lui avoit donné
GALANT . 29
des foupçons d'elle fort
defavantageux . Elle lui
marqua même des heures
où il pouvoit le moins
craindre de les rencontrer
chez elle l'un ou
l'autre , & ils convinrent
de certains fignes d'intelligence
pour les temps
qu'ilsyferoient. Cemyf
tere étoit un nouveau
charme pour le jeune
Comte. La Marquife
prit enfuite des manieres
fiéloignées d'une co-
C
iij
30 MERCURE
quette , qu'elle acheva
bientoft
de le perdre
.
Jufques là elle avoit eu
un de ces caracteres enjoüez
, qui reviennent
quafi à tout le monde ,
mais qui deſeſperent un
amant ; & elle le quitta
pour en prendre un tout
oppofé , fans le lui faire
valoir comme un facri.
fice . Elle écarta fon nouvel
amant , qui étoit un
Cavalier fort bien fait .
Enfin loin d'aimer l'éGALANT.
31
clat , toute fon application
étoit d'empêcher
qu'on ne s'apperçût de
l'attachement que le
Comte avoit pour elle :
mais malgré tous fes
foins, il tomba unjour de
ſes poches une lettre que
fon mari ramaffa fans
qu'elle y prît garde . 11
n'en connut point le caractere
, & n'en entendit
pas le langage : mais ne
doutant pas que ce ne
fût de l'Italien , il courut
Ciiij
32 MERCURE
chez le Conſeiller , qu'il
fçavoit bien n'être pas
chez lui , feignant de lui
vouloir
communiquer
quelque affaire . C'étoit
afin d'avoir occafion de
parler au Comte , qu'il
ne foupçonnoit point
d'être l'auteur de la lettre
, parce qu'elle étoit
d'une autre main. Pour
prévenir les malheurs
qui arrivent quelquefois
des lettres perduës , le
Comte faifoit écrire touGALANT
. 33
tes celles qu'il donnoit à
la Marquise par une perfonne
dont le caractere
étoit inconnu . Il lui avoit
porté le jour precedent
le billet Italien
dont il s'agiffoit. Il étoit
écrit fur ce qu'elle avoit
engagé le Confeiller à
lui donner
à fouper ce
même jour- là ; & parce
qu'elle avoit fçû qu'il
devoit aller avec fon mari
à deux lieuës de Paris
l'apréfdînée , & qu'ils
34 MERCURE
n'en reviendroient que
fort tard , elle étoit convenue
avec ſon amant
qu'elle fe rendroit chez
lui avant leur retour. La
lettre du Comte étoit
pour l'en faire fouvenir ,
& comme un avantgoût
de la fatisfaction qu'ils
promettoient cette fe
foirée. Le mari n'ayant
point trouvé le Confeiller
, demanda le Comte .
Dés qu'il le vit , il tira
de fa poche d'un air emGALANT
.
35
preffé quantité de papiers
, & le pria de les
lui remettre quand il
féroit revenu. Parmi ces
papiers étoit celui qui
lui donnoit tant d'agitation
. En voici un , lui
dit- il en feignant de s'être
mépris , qui n'en eſt
pas. Je ne fçai ce que
c'eft , voyez fi vous l'entendrez
mieux que moy :
& l'ayant ouvert , il en
lut lui - mefme les premie-i
res lignes , de peur que
36 MERCURE
le Comte
jettant les
yeux fur la fuite , ne connût
la part que la Marquife
y pouvoit avoir ,
& que la crainte de lui
apprendre de fâcheufes
nouvelles , ne l'obligeât
à lui déguifer la verité.
Le Comte fut fort furpris
quand il reconnut
fa lettre. Untrouble foudain
s'empara de fon efprit
, & il eut befoin que
le mari fût occupé de fa
lecture , pour lui donner
(
GALANT. 37
le temps de fe remettre .
Aprés en avoir entendu
le commencement : Voila
, dit - il , contrefaifant
¡ l'étonné , ce que je chersche
depuis long - temps .
C'est le rôle d'une fille
qui ne fçait que l'Italien ,
- & qui parle à ſon amant
qui ne l'entend pas . Vous
a
aurez veu cela dans une
Comedie Françoiſe qui
a paru cet hyver. Mille
gens me l'ont demandé ,
& il faut que vous me
38.
MERCURE
faffiez le plaifir de me
le laiffer. J'y confens , lui
répondit le mari , pourveu
que vous le rendiez
à ma femme , car je croy
qu'il eft à elle. Quand le
jeune Comte crut avoir
porté affez loin la crédulité
du mari , il n'y
eut pas un mot dans ce
prétendu rôle Italien ,
dont il ne lui voulût faire
entendre l'explication
: mais le mari ayant
ce qu'il fouhaitoit , béGALANT.
39
nit le Ciel en lui - mefme
de s'être trompé fi
heureuſement , & s'en
alla où l'appelloient fes
affaires . Auffitôt qu'il
e fut forti , le Comte courut
à l'Eglife , où il étoit
fûr de trouver la Dame ,
qu'il avertit par un bilelet
, qu'il lui donna ſecretement
, de ce qui ve-
-noit de fe paffer , & de
1
l'artifice dont il s'étoit
fervi pour retirer fa let
tre. Elle ne fut pas fitôt
40 MERCURE
rentrée chez elle , qu'elle
.mit tous les domeſtiques
à la quête du papier , &
fon mari étant de retour,
elle lui demanda . Il lui
avoüa qu'il l'avoit trouvé
, & que le Comte en
ayant beſoin , il lui avoit
laiffé entre les mains .
Me voyez- vous des curiofitez
femblables pour
les lettres que vous recevez
, lui répondit- elle
d'un ton qui faifoit paroître
un peu de colere ?
Si
GALANT 41
Si c'étoit un billet tendre
, fi c'étoit un rendezvous
que l'on me donnât
, feroit - il , agréable.
que vous nous vinffiez
troubler ? Son mari lui
dic en l'embraffant , qu'il
fçavoit fort bien ce que
c'étoit ; & pour l'empêcher
de croire qu'il l'eût
foupçonnée , il l'affura
qu'il avoit cru ce papier
à lui lors qu'il l'avoit ramaffe.
La Dame ne borna
pas fon reffentiment
Avril 1714. D
42 MERCURE
à une raillerie de cette
nature . Elle fe rendit
chez le Comte de meilleure
heure qu'elle n'auroit
fait . La commodité
d'un jardin dans cette
maiſon étoit un
pretexte
pour y aller avant le
temps du foupé. La jaloufie
dans un mari eft
un défaut fi blâmable ,
quand elle n'eft pas bien
fondée , qu'elle fe fit un
devoir de juftifier ce que
le fien lui en avoit fait
J
GALANT. 43
paroître. Tout favorifoit
un fi beau deffein ;
toutes fortes de témoins
étoient éloignez , & le
Comte & la Marquiſe
pouvoient le parler en
liberté. Ce n'étoit plus
par des lettres & par des
fignes qu'ils exprimoient
leur tendreffe . Loin d'avoir
recours à une langue
étrangere , à peine
trouvoient - ils qu'ils
fçuffent affez bien le
François pour fe dire
Dij
44 MERCURE
tout ce qu'ils fentoient ;
& la défiance du mari
leur rendant tout légitime
, la Dame eut des
complaifances pour le
jeune Comte , qu'il n'auroit
pas ofé efperer. Le
mari & le Confeiller étant
arrivez fort tard ,
leur firent de grandes excufes
de les avoir fait fi
long - temps attendre.
On n'eut pas de peine à
les recevoir
, parce que
jamais on ne
s'étoit
4.
GALANT . 45
moins impatienté . Pendant
le foupé leurs yeux
firent leur devoir admirablement
; & la contrainte
où ils fe trouvoient
par la préſence
de deux témoins incommodes
, prêtoit à leurs
regards une éloquence
qui les confoloit de ne
pouvoir s'expliquer avec
plus de liberté. Le mari :
gea
ayant quelque chofe à
dire au Comte
, l'engaà
venir faire avec lui
46 MERCURE
un tour de jardin . Le
Comte en marqua par
un coup d'oeil fon déplaifir
à la Dame , & la.
Dame lui fit connoître
par un autre figne combien
l'entretien du Confeiller
alloit la faire fouffrir.
On fe fepara . Jamais
le Comte n'avoit
trouvé de fi doux momens
que ceux qu'il paffa
dans fon tête - à - tête
avec la Marquife . Il la
quitta fatisfait au derGALANT
. 47
nier point :mais dés qu'il
fut ſeul , il ne put s'abandonner
à lui mefme
fans reffentir les plus
cruelles agitations. Que
n'eut- il point à fe dire
fur l'état où il furprenoit
fon coeur ! Il n'en étoit
pas à connoître que fon
trop de confiance lui avoit
fait faire plus de
chemin qu'il ne lui étoit
permis : mais il s'étoit
imaginé jufques là qu'-
un amuſement avec une
48 MERCURE
coquete ne pouvoit bleffer
en rien la fidelité qu'il
devoit à fa maîtreffe
. Il
s'étoit toujours repofé
fur ce qu'une femme qui
ne pourroit lui donner
qu'un coeur partagé , ne
feroit jamais capable
d'inſpirer au fien un vrai
amour ; & alors il commença
à voir que ce qu'il
avoit traité d'amufement
, étoit devenu une
paffion dont il n'étoit
plus le maitre. Aprés ce
qui
GALANT 49
qui s'étoit paffé avec la
Marquife
, il fe fût flaté
inutilement de l'efperance
de n'en être point
aimé uniquement , & de
bonne foy: Peut - être
même que des doutes
là - deffus auroient été
d'un foible fecours . Il
fongeoit fans ceffe à tout
ce qu'il lupavoit trouvé
de paffion , à cet air vif
& touchant qu'elle don-*
noit à toutes les actions ;
& 'ces réflexions enfin
Avril 1714.
*
E
fo MERCURE
jointes au peu de fuccés
qu'il avoit eu dans l'attachement
qu'il avoit
pris pour la premiere
maîtreffe , mirent fa raifon
dans le parti de fon
coeur, & diffiperent tous
fes remords. Ainfi il s'abandonna
fans fcrupule
à ſon penchant , & ne
fongea plus qu'à fe ménager
mille nouvelles
douceurs avec la Marquife
; mais la jalouſic
les vinte troubler lors
GALANT. S1
qu'il s'y étoit le moins
attendu. Un jour il la
furprit feule avec l'amant
qu'il croyoit qu'el
le cût banni ; & le Cavalier
ne l'eut pas fitôt
quittée , qu'il lui en fic
des reproches , comme
d'un outrage qui ne pouvoit
être pardonné . Vous
n'avez pû long - temps
vous démentir , lui ditil
, Madame. Lorfque
vous m'avez crû affez
engagé , vous avez cellé
E ij
52 MERCURE
de vous faire violence .
J'avoue que j'applaudif
fois à ma paſſion , d'avoir
pû changer vôtre
naturel ; mais des femmes
comme
vous ne
changent jamais. J'avois
tort d'efperer un miracle
en ma faveur . Il la pria
enfuite de ne ſe plus contraindre
pour lui , & l'aſfura
qu'il la laifferoit en
liberté de recevoir toutes
les vifites qu'il lui
plairoit . La Dame fe
GALANT.
$3
connoiffoit trop bien en
dépit , pour rien apprehender
de celui - là . Elle
en tira de nouvelles affurances
de fon pouvoir
fur le jeune Comte ; &
affectant une colere qu'-
elle n'avoit pas , elle lui
fic comprendre qu'elle
ne daignoit pas ſe juſtifier
, quoy qu'elle eût de
bonnes raifons , qu'elle
lui cachoit pour le punir.
Elle lui fit même
promettre plus pofitive-
E iij
$4 MERCURE
ment qc'il n'avoit fait ,
de ne plus revenir chez
elle. Ce fut là où il put
s'appercevoir combien il
étoit peu maître de ſa
paffion . Dans un moment
il fe trouva le feul
criminel ; & plus affligé
de l'avoir irritée par les
reproches , que de la trahifon
qu'il penfoit lui
eftre faite , il fe jetta à
fes genoux , trop heureux
de pouvoir efperer
le pardon , qu'il croyoit
GALANT .
$$
auparavant qu'on lui devoit
demander
. Par quelles
foumiffions ne tâcha
t- il point de le meriter !
Bien loin de lui remetles
tre devant les yeux
marques de paffion qu'il
avoit reçues d'elle , &
qui fembloient lui donner
le droit de ſe plaindre
, il paroiffoit les avoir
oubliées , ou s'il s'en
refſouvenoit , ce n'étoit
que pour le trouver cent
fois plus coupable . Il
E mij
56 MERCURE
n'alleguoit que l'excés
de fon amour qui le faifoit
ceder à la jalousie ,
& quien de pareilles occafions
ne s'explique jamais
mieux que par la
colere. Quand elle crut
avoir pouffé fon triomphe
affez loin , elle lui
jetta un regard plein de
douceur , qui en un moment
rendit à fon ame
toute fa tranquilité . C'eft
affez me contraindre ,
lui dit- elle ; auffi bien ma
•
"
GALANT. SZ
joye & mon amour commencent
à me trahir.
Non , mon cher Comte
, ne craignez point
que je me plaigne de vôtre
colere. Je me plaindrois
bien plutôt fi vous
n'en aviez point eu . Vos
reproches il est vrai ,
>
bleffent ma fidelité : mais
je leur pardonne ce qu'ils
ont d'injurieux , en faveur
de ce qu'ils ont de
paffionné. Ces affurances
de vôtre tendreffe m'é58
MERCURE
toient fi cheres , qu'elles
ont arrefté jufqu'ici l'im
patience que j'avois de
me juftifier. Là - deffus
elle lui fit connoître
combien ſes ſoupçons étoient
indignes d'elle &
de lui ; que n'ayant point
défendu au Cavalier de
venir chez elle , elle n'avoit
pu refufer de le voir;
qu'un tel refus auroit été
une faveur pour lui ; que.
s'il le
fouhaitoit pourtant
, elle lui défendroit
V
GALANT. 59
fa maiſon pour jamais :
mais qu'il confiderât
combien il feroit peu
agreable pour elle , qu'-
un homme de cette forte
s'allât vanter dans le
monde qu'elle cuft rompu
avec lui , & laiſsât
croire qu'il y euft des
gens à qui il donnoit de
l'ombrage. L'amoureux
Comte étoit fi touché
des marques de tendreſſe
qu'on venoit de lui donner
, qu'il ſe feroit vo60
MERCURE
>
lontiers payé d'une plus
méchante raiſon . Il eut
honte de fes foupçons ,
& la pria lui- meſine de
ne point changer de conduite
. Il paffa ainfi quelques
jours à recevoir fans
ceffe de nouvelles affurances
qu'il étoit aimé ,
& il merita dans peu
qu'on lui accordât une
entrevue fecrete la nuit .
Le mari étoit à la campagne
pour quelque
temps ; & la Marquife ,
*
1
GALANT. 61
maîtreffe alors d'ellemeſme
, ne voulut pas
perdre une occafion fi
favorable de voir fon a
mant avec liberté . Le
jour que le Comte étoit
attendu chez elle fur les
neuf heures du foir , le
Confeiller foupant avec
lui , ( ce qu'il faifoit fort
fouvent ) voulut le mener
à une affemblée de
femmes du voisinage ,
qu'on regaloit d'un concert
de voix & d'inftru62
MERCURE
mens. Le Comte s'en
excufa , & ayant laiffé
fortir le Confeiller , qui
le preffa inutilement de
venir jouir de ce regal ,
il fe rendit chez la Dame
, qui les reçut avec
beaucoup de marques
d'amour
. Aprés quatre
heures d'une converfation
trés-tendre , il falut
fe féparer. Le Comte cut
fait à peine dix pas dans
la ruë , qu'il ſe vit ſuivi
d'un homme qui avoit le
GALANT. 63
vifage envelopé d'un
manteau . Il marcha toujours
; & s'il le regarda
comme un efpion , il eut
du moins le plaifir de
remarquer
qu'il étoit
trop grand pour être le
mari de la Marquife . En
rentrant chez lui , il trouva
encore le pretendu
cfpion , qu'il reconnut
enfin pour le Confeiller.
Les refus du jeune Comte
touchant le concert
de voix , lui avoit fait
64 MERCURE
croire qu'il avoit un rendez-
vous. Il le foupçonnoit
déja d'aimer la Marquife
, & fur ce foupçon
il etoit venu l'attendre à
quelques pas de fa porte
, & l'avoit vû fe couler
chez elle. Il y avoit
frapé auffitôt , & la fui-:
vante lui étoit venu dire
de la part de fa maîtreffe,
qu'un grand mal de tête
l'obligeoit à fe coucher ,
& qu'il lui étoit impoffible
de le recevoir. Par
cette
GALANT. 65
cette réponſe il avoit
compris tout le myftere.
Il fuivit le Comte dans
fa chambre , & lui ayam
declaré ce qu'il avoit fait
depuis qu'ils s'étoient
quittez : Vous avez pris ,
lui dit - il , de l'engagement
pour la Marquife ;
il faut qu'en fincere ami
je vous la faffe connoître.
J'ai commencé à l'aimer
avant que vous yinfficz
loger avec moy , &
quand elle a fçû nôtre
Avril 1714.
F
66 MERCURE
liaifon , elle m'a fait promettre
par tant de fermens
, que je vous ferois
un fecret de cet amour ,
que je n'ai ofé vous en
parler . Vous fçavez , me
difoit - elle , qu'il aime
une perfonne qui me hait
mortellement . Il ne manquera
jamais de lui apprendre
combien mon
coeur eft foible pour
vous. La diſcretion qu'-
on doit à un ami ne tient
guere contre la joye que
GALANT. 67
l'on a quand on croit
pouvoir divertir une
maîtreffe. La perfide
vouloit même que je lui
fuffe obligé de ce qu'elle
conſentoit à recevoir
vos vifites. Elle me recommandoit
fans ceffe
de n'aller jamais la voir
avec vous ; & quand
vous arriviez , elle affectoit
un air chagrin dont
je me plaignois quelquefois
à elle , & qu'apparemment
elle vous laif,
F ij
68 MERCURE
foit expliquer favorablement
pour vous . Mille
fignes & mille geſtes ,
qu'elle faifoit dans ces
temps - là , nous étoient
t
fans doute communs . Je
rappelle préfentement
une infinité de chofes
que je croyois alors indifferentes
, & je ne doute
point qu'elle ne fe foit
fait un merite auprés de
vous , de la partie qu'elle
fit il y a quelque temps
de fouper ici . Cependant
GALANT . 69
quand elle vous vit engagé
dans le jardin avec
fon mari , quels tendres
reproches ne me fit- elle
point d'être revenu ' fi
tard de la campagne , &
de l'avoir laiffée filongtemps
avec un homme
qu'elle n'aimoit pas !
Hier même encore qu'-
elle me préparoit avec
vous une trahiſon ſi noire
elle eut le front de
vous faire porteur d'une
lettre , par laquelle elle
70 MERCURE
me donnoit un rendezvous
pour ce matin ,
vous difant que c'étoit
un papier que fon mari
l'avoit chargée en partant
de me remettre. Le
Comte étoit fi troublé
de tout ce que le Confeiller
lui difoit , qu'il
n'eut pas la force de l'interrompre.
Dés qu'il fut
remis , il lui apprit comme
fon amour au commencement
n'étoit qu'
un jeu , & comme dés
GALANT. 71
S
lors la Marquife lui avoit
fait les mêmes loix
de difcretion qu'à lui.
Ils firent enfuite d'autres
éclairciffemens , qui
découvrirent au Comte
qu'il ne devoit qu'à la
coquetterie de la Dame
ce qu'il croyoit devoir à
fa paffion ; car c'étoit le
Confeiller qui avoit exigé
d'elle qu'elle ne vît
plus tant de monde , &
fur- tout qu'elle éloignât
fon troifiéme amant ; &
72 MERCURE
ils trouverent que quand
elle l'eut rappellé , elle
avoit allegué le même
pretexte
au Confeiller
qu'au Comte , pour continuer
de le voir. Il n'y
a gueres
d'amour
à l'épreuve
d'une telle perfidie
; auffi ne fe piquerent-
ils pas de conftance
pour une femme qui la
méritoit fi peu . Le Comte
honteux de la trahifon
qui'l avoit faite à fa premiere
maitreſſe , refolut
de
GALANT .
73
de n'avoir plus d'affiduitez
que pour elle feule ,
& le Confeiller fut bientôt
determiné fur les mefures
qu'il avoit à prendre
mais quelque promeffe
qu'ils fe fillent l'un
à l'autre de ne plus voir
la Marquife , ils ne purent
fe refufer le foulagement
de lui faire des reproches.
Dés qu'il leur
parut qu'ils la trouveroient
levée , ils fe tendirent
chez elle . Le
Avril
1714.
G
74 MERCURE
Comte lui dit d'abord ,
que le Confeiller étant
fon ami , l'avoit voulu
faire profiter du rendezvous
qu'elle lui avoit
donné , & qu'ainſi elle
ne devoit pas s'étonner
s'ils venoient enſemble .
Le Conſeiller prit aufſi.
tôt la parole , & n'oublia
rien de tout ce qu'il
crut capable de faire
honte à la Dame , & de
le vanger de fon infidelité.
Il lui remit devant
M
GALANT . 75
les yeux l'ardeur fincere
avec laquelle il l'avoit
aimée , les marques de
paffion qu'il avoit reçûës
d'elle , & les fermens
: qu'elle lui avoit tant de
I fois reiterez de n'aimer
jamais que lui . Elle l'écouta
fans l'interrompre
; & ayant pris fon
parti pendant qu'il parloit
: Il eft vrai , lui ré-
#pondit - elle d'un air
moins embaraffé que jamais
, je vous avois pro-
Gij
76 MERCURE
mis de n'aimer que vous :
mais vous avez attiré
Monfieur le Comte dans
ce quartier , vous l'avez
amené chez moy , & il
eft venu à m'aimer .D'ailleurs
, de quoy pouvezvous
vous plaindre ?
Tout ce qui a dépendu
de moy pour vous rendre
heureux , je l'ai fait.
Vous fçavez vous - même
quelles précautions
j'ai prifes pour vous cacher
l'un à l'autre vôtre
GALANT . 77
paffion . Si vous l'aviez
fçûë , vôtre amitié vous
auroit coûté des violences
ou des remords , que
ma bonté & ma prudence
vous ont épargnez .
N'eft- il pas vrai qu'avant
cette nuit , que vous aviez
épić Monfieur le
Comte , vous étiez tous
deux les amans du monde
les plus contens ? Suisje
coupable de vôtre indifcrétion
Pourquoy me
venir chercher le foir ?
Giij
78 MERCURE
Ne vous avois - je pas averti
par une lettre que
je donnai à Monfieur le
Comte , de ne venir que
ce matin ? Tout cela fut
dit d'une maniere fi lipeu
déconcerbre
, &
fi
tée
, que
ce
trait
leur
fit
connoître la Dame encore
mieux qu'ils n'avoient
fait . Ils admirerent
un caractere fi particulier
, & laifferent à
qui le voulut la liberté
d'en être la dupe . La
"
GALANT. 79
Marquife fe confola de
leur perte , en faiſant
croire au troifieme amant
nouvellement rappellé
, qu'elle les avoit
bannis pour lui ; & comme
elle ne pouvoit vivre
fans intrigue , elle en fit
· bientôt une nouvelle .
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Résumé : AVANTURE nouvelle.
En avril 1714, un jeune comte, issu d'une famille prestigieuse du Royaume, s'installe dans un quartier de Lyon où le jeu et la galanterie dominent. Bien qu'il préfère le jeu, il n'y joue pas avec passion. Un groupe de jeunes dames tente de l'intéresser à l'amour, mais il se défend en invoquant son manque de mérite et d'espoir en amour. Elles lui parlent alors d'une jeune marquise voisine qu'elles attendent. Un jour, les jeunes dames montrent au comte la marquise en question, qui entre dans la pièce. Le comte et la marquise se reconnaissent, ayant déjà été présentés à la campagne chez une amie commune. La marquise, convaincue que le comte ne mérite pas les reproches qu'on lui fait, décide de profiter de cette occasion pour engager une relation avec lui. Elle voit en lui un homme d'esprit et d'enjouement, et elle est motivée par le désir de se venger d'une jeune demoiselle qu'elle hait et dont elle croit que le comte est amoureux. Le comte, quant à lui, est passionnément amoureux de cette demoiselle et ne craint pas de se laisser séduire par la marquise, qu'il connaît pour une coquette professionnelle. Cependant, la marquise, flattée par le défi, entreprend de le séduire. Elle l'invite chez elle et utilise divers stratagèmes pour le charmer. Le comte, malgré ses résistances initiales, finit par se laisser séduire par les attentions de la marquise. La marquise utilise des billets en italien pour communiquer avec le comte, évitant ainsi les soupçons. Elle prend des précautions pour éviter que leur relation ne soit découverte, notamment en fixant des heures où ils peuvent se voir sans risque. Le comte, de son côté, fait écrire ses lettres par une personne dont l'écriture est inconnue pour éviter les malentendus. Un jour, le mari de la marquise trouve une lettre italienne dans les poches de sa femme. Ne comprenant pas l'italien, il la montre au comte, feignant de ne pas savoir de quoi il s'agit. Le comte, pris de court, doit improviser une explication. La lettre est en réalité un message du comte à la marquise, lui rappelant un rendez-vous qu'ils doivent avoir. Le mari, sans se douter de la vérité, remet la lettre au comte, qui doit alors trouver une manière de se sortir de cette situation délicate. Le mari, un conseiller, découvre la liaison en suivant le comte jusqu'à la maison de la marquise. Il confronte le comte et révèle qu'il aime également la marquise depuis longtemps. Le comte est troublé mais apprend que la marquise avait imposé la discrétion à tous deux. Ils décident de clarifier leurs sentiments et leurs actions passées. La marquise avait été contrainte par le conseiller de se séparer de son troisième amant, mais elle avait continué à le voir en utilisant le même prétexte auprès du conseiller et du comte. Lorsque le comte et le conseiller découvrirent cette perfidie, ils décidèrent de ne plus avoir confiance en elle. Le comte, honteux de sa trahison envers sa première maîtresse, résolut de n'avoir plus d'attache que pour elle. Le conseiller prit également des mesures, mais malgré leurs promesses de ne plus voir la marquise, ils ne purent s'empêcher de lui faire des reproches.
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9
p. 217-218
SONNET.
Début :
Autre Piece. C'est un Sonnet en Bouts-rimez qu'un Amant / Malgré ma Muse & l'almanach, [...]
Mots clefs :
Sonnet, Fête, Amant, Maîtresse
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texteReconnaissance textuelle : SONNET.
Autre Piece. etefi un Sonnet
en Bouts-rimez qu'un Amant
envoye à sa Maistresse
,
qui
luy avoit demandé un Bou-
,
quet en vers le jour de sa Fête.
SONNET.
MaigrémaMuse&l' almanach ,
Vous voulez qu'il soit vôtre fête,
Etquebien ou mal je m' apprête
A rimer ab hoc & ab hac-
Sile coeur ne m'eut fait tic tac,
Je n'avois plus de rime prête
Et je la cherchois dans ma tête
Lorsqu'un de mes doigts a fait
crac,
Oüy ma muse étoit si rebelle
Que si vous n'eussiez été bellea
J'étais au bout de mon rollet*
ilpaypenrécenttoisenrevange
en Bouts-rimez qu'un Amant
envoye à sa Maistresse
,
qui
luy avoit demandé un Bou-
,
quet en vers le jour de sa Fête.
SONNET.
MaigrémaMuse&l' almanach ,
Vous voulez qu'il soit vôtre fête,
Etquebien ou mal je m' apprête
A rimer ab hoc & ab hac-
Sile coeur ne m'eut fait tic tac,
Je n'avois plus de rime prête
Et je la cherchois dans ma tête
Lorsqu'un de mes doigts a fait
crac,
Oüy ma muse étoit si rebelle
Que si vous n'eussiez été bellea
J'étais au bout de mon rollet*
ilpaypenrécenttoisenrevange
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Résumé : SONNET.
Un amant compose un sonnet pour la fête de sa maîtresse, évoquant les difficultés rencontrées. Il souligne l'importance de son inspiration et de la beauté de sa maîtresse pour trouver des rimes. Le poème se termine par une allusion à une plume prenant sa revanche, symbolisant un renouveau.
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10
p. 2379
A MADAME DE B...
Début :
Madame, vous voyez qu'à vos ordres fidele [...]
Mots clefs :
Maîtresse, Amant
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texteReconnaissance textuelle : A MADAME DE B...
A MADAME DE B ...
Madame , vous voyez qu'à vos ordres fidele
J'ai fait de ma Maitreffe un aimable tableau :
Celui de votre Amant eſt mille fois plus beau ;
Mais vous peignez un Dieu , je peins une mor
telle
Dont en vous counoiffant on connoît le modele.
Madame , vous voyez qu'à vos ordres fidele
J'ai fait de ma Maitreffe un aimable tableau :
Celui de votre Amant eſt mille fois plus beau ;
Mais vous peignez un Dieu , je peins une mor
telle
Dont en vous counoiffant on connoît le modele.
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11
p. 2381-2382
PORTRAIT DE LA MAITRESSE. Fait par M. d'Hautefeuille.
Début :
Deux rangs de perles dans la bouche, [...]
Mots clefs :
Portrait, Maîtresse, Plaire
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texteReconnaissance textuelle : PORTRAIT DE LA MAITRESSE. Fait par M. d'Hautefeuille.
PORTRAIT DE LA MAITRESSE
Y
Fait
par M. d'Hautefeuilles
D
>
Eux rangs de perles dans la bouche,
Des cheveux noirs , de beaux yeux bleus
Un teint où la rofe fe couche
Un fourire miſterieux ,
L'air plein d'une fage nobleffe ;
C'eſt le portrait de ma Maîtreffe.
Toujours parée & fans parure ,
"Au -deffus des fecrets de l'art ,
-Des feules mains de la nature'
Elle fçait compofer fon fard
L'efprit ſouple & de la juſteſſe ;
Geft le portrait de ma Maitreffe.
Sans bruit , fans humeur , fans caprice }
Śçachant le monde fans l'aimer ;
Et n'ayant pour moi d'autre vice
Que de plaire & de tout charmer;
Un coeur neuf, & que feul je bleſſe
C'eſt le portrait de ma Maitreffe.
Douce , difcrete , genéreufe ,
Contente d'un engagement ,
Dans fa tendreffe ingénieufe
Cij
Elle
2382 MERCURE DE FRANCE
&
Elle fixeroit un Amant
Par fa feule délicateffe ;
C'eft le portrait de ma Maîtreffe.
La Mere du Dieu de Cythere
Fut moins aimée , eut moins d'attraits
Que la Beauté qui m'a fçû plaire ,
Et dont j'ébauche quelques traits :
Ne faites choix , tendre Jeuneffe ,
Que d'une pareille Maîtreffe.
Y
Fait
par M. d'Hautefeuilles
D
>
Eux rangs de perles dans la bouche,
Des cheveux noirs , de beaux yeux bleus
Un teint où la rofe fe couche
Un fourire miſterieux ,
L'air plein d'une fage nobleffe ;
C'eſt le portrait de ma Maîtreffe.
Toujours parée & fans parure ,
"Au -deffus des fecrets de l'art ,
-Des feules mains de la nature'
Elle fçait compofer fon fard
L'efprit ſouple & de la juſteſſe ;
Geft le portrait de ma Maitreffe.
Sans bruit , fans humeur , fans caprice }
Śçachant le monde fans l'aimer ;
Et n'ayant pour moi d'autre vice
Que de plaire & de tout charmer;
Un coeur neuf, & que feul je bleſſe
C'eſt le portrait de ma Maitreffe.
Douce , difcrete , genéreufe ,
Contente d'un engagement ,
Dans fa tendreffe ingénieufe
Cij
Elle
2382 MERCURE DE FRANCE
&
Elle fixeroit un Amant
Par fa feule délicateffe ;
C'eft le portrait de ma Maîtreffe.
La Mere du Dieu de Cythere
Fut moins aimée , eut moins d'attraits
Que la Beauté qui m'a fçû plaire ,
Et dont j'ébauche quelques traits :
Ne faites choix , tendre Jeuneffe ,
Que d'une pareille Maîtreffe.
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Résumé : PORTRAIT DE LA MAITRESSE. Fait par M. d'Hautefeuille.
Le texte décrit une maîtresse, telle que la perçoit M. d'Hautefeuilles. Elle se distingue par des traits physiques marquants : des perles dans la bouche, des cheveux noirs, des yeux bleus, un teint rosé et un sourire énigmatique. Son élégance est naturelle et sans ostentation. Son esprit est flexible et équitable. Elle navigue dans la société sans l'apprécier vraiment, son seul défaut étant de vouloir plaire et charmer. Elle réserve son cœur au narrateur, se montrant douce, discrète et généreuse. Sa beauté et ses qualités surpassent celles de la mère du dieu de Cythère. Le narrateur recommande aux jeunes femmes de choisir une maîtresse de cette trempe.
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12
p. 3024-3036
Spectacles, le Chevalier Bayard, Comédie [titre d'après la table]
Début :
Avec l'Extrait de la Comédie Héroïque du Chevalier Bayard, que [...]
Mots clefs :
Chevalier, Amour, Amitié, Maîtresse, Auteur, Monologue
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Spectacles, le Chevalier Bayard, Comédie [titre d'après la table]
Aroique du Chevalier Bayard , que
nous avons annoncé dans le premier volume
du Mercure de ce mois , nous donnerons
ici quelques traits de l'Histoire ,
qui ont servi de matiere à cette Piece.
Au second Siege de Bresse , où la Ville.
fut prise d'assaut , une Mere éperdue se
jettant aux pieds de Bayard , lui offrit en
don sa maison , et tout ce qui étoit dedans
; lui demandant pour toute grace
qu'il conservât l'honneur de deux belles
Filles qu'elle avoit , sur quoi le Chevalier
prit tous les soins qu'il falloit pour
Jui mettre l'esprit en repos ; et , loin de
vouloir profiter de ses offres , il fit payer.
exactement tout ce que l'on prit dans le
II. Vol.
Logis
DECEMBRE 1731. 3025
1
Logis tant qu'il y resta ; et en sortant , il
partagea avec les deux Belles la rançon ,
le Pere et la Mere l'avoient contraint
d'accepter.
que
>
Plusieurs de nos Historiens ont rap-.
porté avec de grands Eloges sa continen
ce auprès d'une autre jeune et très-belle
personne , que sa Mere pressée par le
besoin avoit voulu livrer à ses plaisirs .
On dit qu'ayant apperçu en elle une véritable
douleur d'avoir été contrainte à
faire ce pas , il en fut si touché , et conserva
son honneur si exactement , qu'au
moment même qu'elle s'offrit à lui , quoi
qu'au milieu de la nuit , il la conduisit
chez une Dame de ses Parentes , à laquelle
il recommanda d'en avoir grand
soin , et l'en tira trois jours après pour
la marier , à ses propres dépens , à un
jeune homme qui la recherchoit , laissant
de plus , à la Mere de quoi la retirer de
la nécessité.
L'Auteur a réuni ces deux actions
pour accommoder la derniere au Théatre
avec décence , et il a pris le beau de celle-
cy pout faire le dénouement de sa
Piece.
De cette derniere Demoiselle on a fait
l'aînée des deux soeurs de Bresse . On lui
a donné , avec le nom de Julie , toutes,
II. Vol. les.
3026 MERCURE DE FRANCE
-
les belles qualitez qu'il falloit pour mériter
l'amour de Bayard . Et sous le nom
de Montfort , on a peint son Amant ,
un jeune Guerrier plein de valeur et de
mérite , et digne de devenir Ami intime
du Chevalier : voici la Fable de la Piecc ..
Le Seigneur Marc , Pere de Julie , et
son intime Ami , le Podestat , de la Ville
de Bresse , ouvrent là Scene . Celui - cy ,
Barbon très amoureux et très - jaloux ,
vient rendre visite à l'autre > pour le
prier de le faire parler au Chevalier
Bayard , son Hôte. On lui demande une
grosse rançon ; il veut la faire moderer.
Frontin paroit , ( c'est le Chirurgien , et
tout ensemble le Valet de Chambre de
Bayard . ) On s'informe à lui de l'état de
sa blessure ; Frontin , pour donner une
preuve qu'il en est bien guéri , dit qu'il
donne le Bal ce soir même aux deux
Soeurs , ce qui allarme la jalousie du Podestat.
Le Seigneur Marc , et lui sortent
pour aller trouver Bayard .
Pendant le séjour que fait Bayard chez
le Seigneur Marc , il devient amoureux
de Julie et Rival de Montfort sans le
sçavoir. Frontin , rusé Gascon , s'en apperçoit
, et en fait part à la Mere , femme
passionnée pour les François et pour tout
ce qui vient de France. Elle se fait une
IL Vol..
agréable,
DECEMBRE 1731. 3027
agréable idée des plaisirs que cet hymen
lui procureroit. Mais Frontin y voit un
grand obstacle ; c'est qu'il croit Montfort
aimé de Julie. Il n'y a point d'autre
moyen de la guérir , que de l'empêcherde
le voir , en le faisant passer pour mort.
La conjoncture est favorable pour ce des◄.
sein , et en effet , on le croit mort pendant
quelque temps dans le Logis ; mais
un incident qu'on va voir le ressuscitera .
Les filles paroissent seules. Clarice , la
Cadette , jeune Italienne très vive et
très- peu circonspecte , comme on est à
son âge , presse Julie de déclarer enfin
son amour à Montfort ; mais celle- cy ,
par prudence et par délicatesse craint
que cet aveu n'augmente la passion de
son Amant , qui n'est déja que trop vive ,
et dont elle prévoit le mauvais succès ,
par l'avarice de leur Pere;elle s'éforçe elle .
même d'éteindre som Amour. A l'appro
che du Podestat et de Bayard , elles se
retirent.
-
- Le Chevalier , après avoir promis au.
Podestat de parler en sa faveur , apprend
de lui , par hazard , que Montfort est
actuellement dans la Ville. Il est fortétonné
de n'avoir encore reçu aucune
visite de lui , après la tendre amitié qu'il
lui avoit autrefois témoignée. L'autre l'ex-
II. Vol.
cuse
3028 MERCURE DE FRANCE
euse sur quelques blessures qu'il a recues
à l'assaut , ( ce qu'il dit exprès pour écarter
l'idée de leur combat , ) mais dont il
le croit à present bien guéri , et en état
de sortir. Bayard , ¡ dans l'ardeur de le revoir
, fait partir sur le champ son Carosse,
`avec deux de ses Hommes d'Armes , pour
le conduire chez lui.
Le Chevalier reste seul , et attend Frontin.
Il fait connoître là qu'il aime Julie ,
mais qu'il veut s'embarquer prudemment
dans cet amour. Il a donné commission
secrette à Frontin de s'informer si ella
avoit le coeur libre ; il vient dans le moment
lui rendre réponse , et dans cette
Scene Frontin se confirme pleinement
par son adresse , dans l'opinion qu'it
avoit de l'amour de son Maître .
Le second Acte commence tristement.
Julie vient d'apprendre la mort de son
Amant , qu'elle croit certaine . Sa douleur
éclate. Montfort introduit au Logis , par
les Hommes d'Armes de Bayard , malgré
les soins de la Mere et de Frontin ,, entend
ses plaintes en secret , et apprend pour la
premiere fois qu'il est aimé. Clarice , en
la consolant à sa maniere , apperçoit
Montfort écoutant , et saisie de frayeur ,
prenant la réalité pour une apparition de
son ombre , elle s'enfuit avec de grands
Ha Vola cris
DECEMBRE
1731. 3029
cris. Julie plus courageuse , l'attend , et
reconnoit la fausseté de sa mort . Elle lui
marque d'abord quelque regret d'avoir
été entendue ; mais à la fin , dans une
Scene très tendre , elle cede aux raisons.
qu'elle a de l'aimer , blâme l'ingratitude
de ses Parens , lui recommande le secret
et l'exhorte à tout esperer de sa constance .
La Mere arrive , et très- surprise de les
trouver ensemble , après quelques réproches
, lui apprend que c'est pour le mettre
à couvert de la colere de Bayard , qu'elle
a fait courir elle-même le bruit de sa
mort . Qu'il se dispense de venir chez
elle , de crainte que le Chevalier ne découvre
en lui l'Auteur du Combat ; mais
le voyant arriver , elle se retire , ne pou
vant parer cette premiere visite .
L'enrrevue de deux Amis est fort tendre.
Le Chevalier s'informe d'abord du
succès d'un amour dont Montfort lui
avoit autrefois parlé ;; mmaaiiss apprenant
qu'il a perdu tous espoirs par l'avarice
d'un Pere , et qu'il ne songe plus au mariage,
Bayard le presse de changer de senti
ment. Il lui marque le regret qu'il a de
ne s'être pas marié à son âge , et de voir
finir en lui sa famille. Et sur ce que Monfort
lui rémontre qu'il est encore en état
d'y penser , il lui avoue qu'il y songe en
II. Vol. effet
3030 MERCURE DE FRANCE
effet , et qu'il a déja fait un choix qu'il·
lui déclarera dès qu'il verra quelque retour
de la part de la Belle. Touché de son
malheureux sort avec tant de mérite ,
son amitié s'échauffe pour lui de plus en
plus. Il lui promet de prendre soin désormais
lui- même de son avancement , et
de le mettre en état de vaincre l'avarice
du Père ; en effet il commence par le
faire son Lieutenant. Après cette faveur ,
il lui demande le nom de sa Maîtresse
que Monfort va lui dire , en le suppliant
auparavant de garder le secret qui leur
est important , et que sa Maîtresse lui a
fait jurer de ne jamais déclarer . Bayard
par discretion , l'arrête , et lui défend de
trahir son serment ; et par là , l'éclaircissement
est suspendu , et on est interessé
de voir Bayard s'efforcer de mettre
son Rival en état d'épouser sa propre
Maîtresse.
Le secret est prêt à tout moment à se
découvrir. Julie charmée de la faveur où
elle voit son Amant auprès du Chevalier,
et des marques sinceres d'amitié qu'elle
en reçoit elle - même , forme le dessein de
s'ouvrir à lui sur leur passion mutuelle
pour s'appuyer de son crédit sur l'esprit
de son avare Pere , dont il tient la fortune
entre ses mains . Elle choisit pour
II. Vol. cela
"
DECEMBRE . 1731. 3038
cela le temps du Bal qu'il donne , à ce
qu'on croit , en réjouissance du retour de
sa santé.
pas-
Au milieu de sa joye , Monfort lui vient
encore annoncer qu'il est sûr de faire sa
fortune dans quelques heures , par l'enlevement
d'un riche convoy qui doit
ser par le Pays Bressan ; il court chercher
le Chevalier pour lui demander les gens
dont il a besoin pour cette expédition.
Frontin armé de toutes Pieces , vient annoncer
par un récit gascon et comique ,
l'enlevement du convoy par lui et son
Compagnon Bayard .
Monfort arrive , il est au désespoir d'a
voir manqué l'occasion ; mais Julie , en
fille forte , le console , et redoublant sa
tendresse , rend bien - tôt le calme à son
coeur.
La nuit s'est passée dans l'intervale du
troisiéme au quatriéme Acte ; le Chevalier
qui ouvre le quatrième , ayant remarqué
le soir précedent à son retour ,
quelque chagrin sur le visage de Monfort
, s'informe de Frontin s'il n'en sçait
point la cause ; il apprend que c'est d'avoir
manqué le convoy. Bayard compatit
beaucoup à sa peine ; et le voyant arri
ver s'excuse de ne l'avoir pas mis au
moins de la partie , ne croyant pas sa
II. Vol. santé
3032 MERCURE DE FRANCE
>
santé assès rétablie pour l'exposer ainsi ;
mais pour le consoler , il lui en cede tout
le profit ; ( ce trait est de l'histoire ; ) et
pour lui donner une plus forte marque
d'amitié , lui ouvre tout son coeur et
lui apprend qu'il aime Julie . Monfort
est frappé du coup ; Bayard s'en apperçoit
, et l'attribuë à quelque reste de foi
blesse qui est passée sur le champ , dit
Monfort , qui s'efforce d'en cacher la
cause ; et son nouveau Rival lui dit avec
transport qu'il en va faire la demande au
Pere , aussi bien que celle de Clarice pour
St. Pol ; esperons , dit-il , de nous voir
bien tôt au comble de nos voeux , puisqu'à
present tu n'es plus en état d'être
refusé.
gue
· Monfort reste seul , dans un Monolotrès
- touchant exhale sa douleur. Julie
qui par Frontin a appris ce riche present
, vient au milieu de son désespoir
lui en marquer sa joye ; il a beau dissimuler
son chagrin , elle s'en apperçoit
et le poursuit pour en sçavoir la cause.
Bayard paroît avec le Seigneur Marc ,
qui lui accorde sa fille , mais qui réfuse
Clarice à S. Pol, parce qu'il s'est engagé de
donner au Podestat , sous peine d'un trèsgros
dédit , et se retire. St. Pol apprenant
le dédit et le réfus , ménace de faire per-
11. Vol
dre
DECEMBRE . 1931. 3033
are la tête au Podestat , s'il ne s'en désiste
, ayant trouvé dans ses Papiers des
preuves, qu'il a trempé dans la révolte de
Bresse ; mais le Chevalier , par bonté de
coeur , arréte sa colere , lui dit qu'il est
venu une Amnistie , et lui conseille seulement
de lui faire peur , pour en tirer lo
dédit. Et c'est ce que Frontin exécute ,
dans la Scene suivante, où le Pere est present
, où il apprend du Podestat , en colere
, que le Seigneur Marc trempe aussi
dans la Rebellion . Cet incident est préparéau
premiet Acte.
Cette découverte sert à Frontin , qui
conduit l'intrigue en faveur de son Maître
, à faire peur à la Mere à son tour ,
et l'oblige à presser son Epoux d'accorder
tout ce qu'elle lui demande , et pour leur
rançon , et pour la dot de ses Filles : ce
qu'elle obtient.
Julie ayant enfin appris d'un autre que
de Monfort l'amour de Bayard , lui en
fait un doux reproche . Son Amant , dans
cette Scene qui est très- tendre , la presse
par de bonnes et fortes raisons qui l'interessent
seule , à consentir à épouser le
Chevalier. Elle n'y peut répondre que
par des sentimens , et à la fin se détermine
à se jetter dans un saint azile , entre les
bras d'une sage Parente dont elle va im-
II. Vol. F plorer
3034 MERCURE DE FRANCE
plorer le secours , et d'y attendre le changement
de ses affaires.
ap-
La Mere survient qui entend sa réso
lution ; et pour l'en détourner lui
>
prend le péril où est son Pere. Monfort
la détermine lui-même au sacré devoir
de l'en retirer. Elle en prend la résolution
avec courage , dit un adieu trèsferme
et très touchant à Monfort ; la
Mere et lui se retirent , et la laissent seule
attendre la déclaration du Chevalier. Il
la lui vient faire d'un air assez gay , muni
de l'aveu de ses Parens , selon les moeurs
gauloises , mais pourtant en marquant un
peu de défiance. Elle l'assure qu'il doit
être sûr de lui plaire , venant , non-sculement
de la part de ses Parens , mais encore
de celle de Monfort , qui a acquis
sur elle autant de droit qu'ils en ont , en
lui sauvant l'honneur et la vie. Elle lui
déclare ensuite leur combat , et s'attendrit
au souvenir de l'état où Bayard l'avoit
mis. A ce récit , Bayard est frappé
d'étonnement et d'admiration , de l'effort
d'amitié de son Rival. Il est attendri luimême.
La Scene est trés- touchante. A la
fin il reste persuadé de la sincerité de Julie
, quipromet de l'aimer , et la prie d'aller
assurer le Pere du consentement qu'elle
donne à son bonheur , afin de le hâter.
11. Vol. Il
DECEMBRE. 1731. 3035
Il reste seul , et fait les réfléxions qu'un
homme aussi amoureux , mais aussi rai
sonnable que lui, doit faire. Il balance entre
l'amour et l'amitié , et pour l'aider à
se déterminer , ordonne à Frontin de faire
venir Monfort. St. Pol , qu'il a chargé de
faire les accords , vient lui annoncer que
tout est fini , et que la Mere va venir lui
présenter et rançon et dot. Elle arrive en
effet , et dans le temps qu'il lui rend graces
des genereux efforts qu'elle a faits en sa
faveur , Monfort paroît, à qui Bayard fait,
avec transport , part de son bonheur , en
lui demandant où en est le sien. Il répond
que sa Maîtresse , forcée par ses Parens ,
a couronné l'amour d'un plus digne Rival
, et que ne le quittant point par in,
constance , il n'a aucun sujet de s'en plaindre.
Puisque tu sors si content d'avec ta
Belle , lui dit Bayard , tu peux donc à present
me dire son nom; là- dessus Monfort le
prie de lui accorder de n'en parler jamais,
puisque ce n'est que par l'oubli qu'il peut
se consoler. Le Chevalier touché de Pétat
où il le voit , lui fait un reproche tendre
de lui avoir trop bien caché son amour ;
lui cede enfin Julie , partage la rançon
entre lui et St. Pol , et l'assure que l'amour
dans son coeur a laissé la place entiere à
l'amitié . Monfort pénetré de cette grace ,
II. Vol. Fij
se
036 MERCURE DE FRANCE
se jette à ses pieds. Il le releve , en le
priant de souffrir qu'il soit équitable à
son tour , et ne profite point d'un bien
qui lui appartient , et qu'il a acheté au
prix de son sang &c. et Julie finit la
Piece par un digne Eloge d'une action
héroïque , qui donne un Scipion à la
France .
Au reste , cette Piece est fort bien répresentée
par les Srs . Quinaut , Dufrene ,
Montmenil , Dangeville , Duchemin et
Armand , et par les Dlles La Motte , Labat
, et Quinaut , qui remplissent les
Rôles du Chevalier Bayard , de Monfort ,
de St. Pol , du Podestat , du Seigneur
Marc , et de Frontin , de Madame Marc ,
de Julie , et de Clarice.
"
Cette Comédie qui a eu six Représenta
tions , sera réjoüée ; l'Auteur travaille à
la rendre encore plus digne de son sujet ,
et de l'attention du Public.
nous avons annoncé dans le premier volume
du Mercure de ce mois , nous donnerons
ici quelques traits de l'Histoire ,
qui ont servi de matiere à cette Piece.
Au second Siege de Bresse , où la Ville.
fut prise d'assaut , une Mere éperdue se
jettant aux pieds de Bayard , lui offrit en
don sa maison , et tout ce qui étoit dedans
; lui demandant pour toute grace
qu'il conservât l'honneur de deux belles
Filles qu'elle avoit , sur quoi le Chevalier
prit tous les soins qu'il falloit pour
Jui mettre l'esprit en repos ; et , loin de
vouloir profiter de ses offres , il fit payer.
exactement tout ce que l'on prit dans le
II. Vol.
Logis
DECEMBRE 1731. 3025
1
Logis tant qu'il y resta ; et en sortant , il
partagea avec les deux Belles la rançon ,
le Pere et la Mere l'avoient contraint
d'accepter.
que
>
Plusieurs de nos Historiens ont rap-.
porté avec de grands Eloges sa continen
ce auprès d'une autre jeune et très-belle
personne , que sa Mere pressée par le
besoin avoit voulu livrer à ses plaisirs .
On dit qu'ayant apperçu en elle une véritable
douleur d'avoir été contrainte à
faire ce pas , il en fut si touché , et conserva
son honneur si exactement , qu'au
moment même qu'elle s'offrit à lui , quoi
qu'au milieu de la nuit , il la conduisit
chez une Dame de ses Parentes , à laquelle
il recommanda d'en avoir grand
soin , et l'en tira trois jours après pour
la marier , à ses propres dépens , à un
jeune homme qui la recherchoit , laissant
de plus , à la Mere de quoi la retirer de
la nécessité.
L'Auteur a réuni ces deux actions
pour accommoder la derniere au Théatre
avec décence , et il a pris le beau de celle-
cy pout faire le dénouement de sa
Piece.
De cette derniere Demoiselle on a fait
l'aînée des deux soeurs de Bresse . On lui
a donné , avec le nom de Julie , toutes,
II. Vol. les.
3026 MERCURE DE FRANCE
-
les belles qualitez qu'il falloit pour mériter
l'amour de Bayard . Et sous le nom
de Montfort , on a peint son Amant ,
un jeune Guerrier plein de valeur et de
mérite , et digne de devenir Ami intime
du Chevalier : voici la Fable de la Piecc ..
Le Seigneur Marc , Pere de Julie , et
son intime Ami , le Podestat , de la Ville
de Bresse , ouvrent là Scene . Celui - cy ,
Barbon très amoureux et très - jaloux ,
vient rendre visite à l'autre > pour le
prier de le faire parler au Chevalier
Bayard , son Hôte. On lui demande une
grosse rançon ; il veut la faire moderer.
Frontin paroit , ( c'est le Chirurgien , et
tout ensemble le Valet de Chambre de
Bayard . ) On s'informe à lui de l'état de
sa blessure ; Frontin , pour donner une
preuve qu'il en est bien guéri , dit qu'il
donne le Bal ce soir même aux deux
Soeurs , ce qui allarme la jalousie du Podestat.
Le Seigneur Marc , et lui sortent
pour aller trouver Bayard .
Pendant le séjour que fait Bayard chez
le Seigneur Marc , il devient amoureux
de Julie et Rival de Montfort sans le
sçavoir. Frontin , rusé Gascon , s'en apperçoit
, et en fait part à la Mere , femme
passionnée pour les François et pour tout
ce qui vient de France. Elle se fait une
IL Vol..
agréable,
DECEMBRE 1731. 3027
agréable idée des plaisirs que cet hymen
lui procureroit. Mais Frontin y voit un
grand obstacle ; c'est qu'il croit Montfort
aimé de Julie. Il n'y a point d'autre
moyen de la guérir , que de l'empêcherde
le voir , en le faisant passer pour mort.
La conjoncture est favorable pour ce des◄.
sein , et en effet , on le croit mort pendant
quelque temps dans le Logis ; mais
un incident qu'on va voir le ressuscitera .
Les filles paroissent seules. Clarice , la
Cadette , jeune Italienne très vive et
très- peu circonspecte , comme on est à
son âge , presse Julie de déclarer enfin
son amour à Montfort ; mais celle- cy ,
par prudence et par délicatesse craint
que cet aveu n'augmente la passion de
son Amant , qui n'est déja que trop vive ,
et dont elle prévoit le mauvais succès ,
par l'avarice de leur Pere;elle s'éforçe elle .
même d'éteindre som Amour. A l'appro
che du Podestat et de Bayard , elles se
retirent.
-
- Le Chevalier , après avoir promis au.
Podestat de parler en sa faveur , apprend
de lui , par hazard , que Montfort est
actuellement dans la Ville. Il est fortétonné
de n'avoir encore reçu aucune
visite de lui , après la tendre amitié qu'il
lui avoit autrefois témoignée. L'autre l'ex-
II. Vol.
cuse
3028 MERCURE DE FRANCE
euse sur quelques blessures qu'il a recues
à l'assaut , ( ce qu'il dit exprès pour écarter
l'idée de leur combat , ) mais dont il
le croit à present bien guéri , et en état
de sortir. Bayard , ¡ dans l'ardeur de le revoir
, fait partir sur le champ son Carosse,
`avec deux de ses Hommes d'Armes , pour
le conduire chez lui.
Le Chevalier reste seul , et attend Frontin.
Il fait connoître là qu'il aime Julie ,
mais qu'il veut s'embarquer prudemment
dans cet amour. Il a donné commission
secrette à Frontin de s'informer si ella
avoit le coeur libre ; il vient dans le moment
lui rendre réponse , et dans cette
Scene Frontin se confirme pleinement
par son adresse , dans l'opinion qu'it
avoit de l'amour de son Maître .
Le second Acte commence tristement.
Julie vient d'apprendre la mort de son
Amant , qu'elle croit certaine . Sa douleur
éclate. Montfort introduit au Logis , par
les Hommes d'Armes de Bayard , malgré
les soins de la Mere et de Frontin ,, entend
ses plaintes en secret , et apprend pour la
premiere fois qu'il est aimé. Clarice , en
la consolant à sa maniere , apperçoit
Montfort écoutant , et saisie de frayeur ,
prenant la réalité pour une apparition de
son ombre , elle s'enfuit avec de grands
Ha Vola cris
DECEMBRE
1731. 3029
cris. Julie plus courageuse , l'attend , et
reconnoit la fausseté de sa mort . Elle lui
marque d'abord quelque regret d'avoir
été entendue ; mais à la fin , dans une
Scene très tendre , elle cede aux raisons.
qu'elle a de l'aimer , blâme l'ingratitude
de ses Parens , lui recommande le secret
et l'exhorte à tout esperer de sa constance .
La Mere arrive , et très- surprise de les
trouver ensemble , après quelques réproches
, lui apprend que c'est pour le mettre
à couvert de la colere de Bayard , qu'elle
a fait courir elle-même le bruit de sa
mort . Qu'il se dispense de venir chez
elle , de crainte que le Chevalier ne découvre
en lui l'Auteur du Combat ; mais
le voyant arriver , elle se retire , ne pou
vant parer cette premiere visite .
L'enrrevue de deux Amis est fort tendre.
Le Chevalier s'informe d'abord du
succès d'un amour dont Montfort lui
avoit autrefois parlé ;; mmaaiiss apprenant
qu'il a perdu tous espoirs par l'avarice
d'un Pere , et qu'il ne songe plus au mariage,
Bayard le presse de changer de senti
ment. Il lui marque le regret qu'il a de
ne s'être pas marié à son âge , et de voir
finir en lui sa famille. Et sur ce que Monfort
lui rémontre qu'il est encore en état
d'y penser , il lui avoue qu'il y songe en
II. Vol. effet
3030 MERCURE DE FRANCE
effet , et qu'il a déja fait un choix qu'il·
lui déclarera dès qu'il verra quelque retour
de la part de la Belle. Touché de son
malheureux sort avec tant de mérite ,
son amitié s'échauffe pour lui de plus en
plus. Il lui promet de prendre soin désormais
lui- même de son avancement , et
de le mettre en état de vaincre l'avarice
du Père ; en effet il commence par le
faire son Lieutenant. Après cette faveur ,
il lui demande le nom de sa Maîtresse
que Monfort va lui dire , en le suppliant
auparavant de garder le secret qui leur
est important , et que sa Maîtresse lui a
fait jurer de ne jamais déclarer . Bayard
par discretion , l'arrête , et lui défend de
trahir son serment ; et par là , l'éclaircissement
est suspendu , et on est interessé
de voir Bayard s'efforcer de mettre
son Rival en état d'épouser sa propre
Maîtresse.
Le secret est prêt à tout moment à se
découvrir. Julie charmée de la faveur où
elle voit son Amant auprès du Chevalier,
et des marques sinceres d'amitié qu'elle
en reçoit elle - même , forme le dessein de
s'ouvrir à lui sur leur passion mutuelle
pour s'appuyer de son crédit sur l'esprit
de son avare Pere , dont il tient la fortune
entre ses mains . Elle choisit pour
II. Vol. cela
"
DECEMBRE . 1731. 3038
cela le temps du Bal qu'il donne , à ce
qu'on croit , en réjouissance du retour de
sa santé.
pas-
Au milieu de sa joye , Monfort lui vient
encore annoncer qu'il est sûr de faire sa
fortune dans quelques heures , par l'enlevement
d'un riche convoy qui doit
ser par le Pays Bressan ; il court chercher
le Chevalier pour lui demander les gens
dont il a besoin pour cette expédition.
Frontin armé de toutes Pieces , vient annoncer
par un récit gascon et comique ,
l'enlevement du convoy par lui et son
Compagnon Bayard .
Monfort arrive , il est au désespoir d'a
voir manqué l'occasion ; mais Julie , en
fille forte , le console , et redoublant sa
tendresse , rend bien - tôt le calme à son
coeur.
La nuit s'est passée dans l'intervale du
troisiéme au quatriéme Acte ; le Chevalier
qui ouvre le quatrième , ayant remarqué
le soir précedent à son retour ,
quelque chagrin sur le visage de Monfort
, s'informe de Frontin s'il n'en sçait
point la cause ; il apprend que c'est d'avoir
manqué le convoy. Bayard compatit
beaucoup à sa peine ; et le voyant arri
ver s'excuse de ne l'avoir pas mis au
moins de la partie , ne croyant pas sa
II. Vol. santé
3032 MERCURE DE FRANCE
>
santé assès rétablie pour l'exposer ainsi ;
mais pour le consoler , il lui en cede tout
le profit ; ( ce trait est de l'histoire ; ) et
pour lui donner une plus forte marque
d'amitié , lui ouvre tout son coeur et
lui apprend qu'il aime Julie . Monfort
est frappé du coup ; Bayard s'en apperçoit
, et l'attribuë à quelque reste de foi
blesse qui est passée sur le champ , dit
Monfort , qui s'efforce d'en cacher la
cause ; et son nouveau Rival lui dit avec
transport qu'il en va faire la demande au
Pere , aussi bien que celle de Clarice pour
St. Pol ; esperons , dit-il , de nous voir
bien tôt au comble de nos voeux , puisqu'à
present tu n'es plus en état d'être
refusé.
gue
· Monfort reste seul , dans un Monolotrès
- touchant exhale sa douleur. Julie
qui par Frontin a appris ce riche present
, vient au milieu de son désespoir
lui en marquer sa joye ; il a beau dissimuler
son chagrin , elle s'en apperçoit
et le poursuit pour en sçavoir la cause.
Bayard paroît avec le Seigneur Marc ,
qui lui accorde sa fille , mais qui réfuse
Clarice à S. Pol, parce qu'il s'est engagé de
donner au Podestat , sous peine d'un trèsgros
dédit , et se retire. St. Pol apprenant
le dédit et le réfus , ménace de faire per-
11. Vol
dre
DECEMBRE . 1931. 3033
are la tête au Podestat , s'il ne s'en désiste
, ayant trouvé dans ses Papiers des
preuves, qu'il a trempé dans la révolte de
Bresse ; mais le Chevalier , par bonté de
coeur , arréte sa colere , lui dit qu'il est
venu une Amnistie , et lui conseille seulement
de lui faire peur , pour en tirer lo
dédit. Et c'est ce que Frontin exécute ,
dans la Scene suivante, où le Pere est present
, où il apprend du Podestat , en colere
, que le Seigneur Marc trempe aussi
dans la Rebellion . Cet incident est préparéau
premiet Acte.
Cette découverte sert à Frontin , qui
conduit l'intrigue en faveur de son Maître
, à faire peur à la Mere à son tour ,
et l'oblige à presser son Epoux d'accorder
tout ce qu'elle lui demande , et pour leur
rançon , et pour la dot de ses Filles : ce
qu'elle obtient.
Julie ayant enfin appris d'un autre que
de Monfort l'amour de Bayard , lui en
fait un doux reproche . Son Amant , dans
cette Scene qui est très- tendre , la presse
par de bonnes et fortes raisons qui l'interessent
seule , à consentir à épouser le
Chevalier. Elle n'y peut répondre que
par des sentimens , et à la fin se détermine
à se jetter dans un saint azile , entre les
bras d'une sage Parente dont elle va im-
II. Vol. F plorer
3034 MERCURE DE FRANCE
plorer le secours , et d'y attendre le changement
de ses affaires.
ap-
La Mere survient qui entend sa réso
lution ; et pour l'en détourner lui
>
prend le péril où est son Pere. Monfort
la détermine lui-même au sacré devoir
de l'en retirer. Elle en prend la résolution
avec courage , dit un adieu trèsferme
et très touchant à Monfort ; la
Mere et lui se retirent , et la laissent seule
attendre la déclaration du Chevalier. Il
la lui vient faire d'un air assez gay , muni
de l'aveu de ses Parens , selon les moeurs
gauloises , mais pourtant en marquant un
peu de défiance. Elle l'assure qu'il doit
être sûr de lui plaire , venant , non-sculement
de la part de ses Parens , mais encore
de celle de Monfort , qui a acquis
sur elle autant de droit qu'ils en ont , en
lui sauvant l'honneur et la vie. Elle lui
déclare ensuite leur combat , et s'attendrit
au souvenir de l'état où Bayard l'avoit
mis. A ce récit , Bayard est frappé
d'étonnement et d'admiration , de l'effort
d'amitié de son Rival. Il est attendri luimême.
La Scene est trés- touchante. A la
fin il reste persuadé de la sincerité de Julie
, quipromet de l'aimer , et la prie d'aller
assurer le Pere du consentement qu'elle
donne à son bonheur , afin de le hâter.
11. Vol. Il
DECEMBRE. 1731. 3035
Il reste seul , et fait les réfléxions qu'un
homme aussi amoureux , mais aussi rai
sonnable que lui, doit faire. Il balance entre
l'amour et l'amitié , et pour l'aider à
se déterminer , ordonne à Frontin de faire
venir Monfort. St. Pol , qu'il a chargé de
faire les accords , vient lui annoncer que
tout est fini , et que la Mere va venir lui
présenter et rançon et dot. Elle arrive en
effet , et dans le temps qu'il lui rend graces
des genereux efforts qu'elle a faits en sa
faveur , Monfort paroît, à qui Bayard fait,
avec transport , part de son bonheur , en
lui demandant où en est le sien. Il répond
que sa Maîtresse , forcée par ses Parens ,
a couronné l'amour d'un plus digne Rival
, et que ne le quittant point par in,
constance , il n'a aucun sujet de s'en plaindre.
Puisque tu sors si content d'avec ta
Belle , lui dit Bayard , tu peux donc à present
me dire son nom; là- dessus Monfort le
prie de lui accorder de n'en parler jamais,
puisque ce n'est que par l'oubli qu'il peut
se consoler. Le Chevalier touché de Pétat
où il le voit , lui fait un reproche tendre
de lui avoir trop bien caché son amour ;
lui cede enfin Julie , partage la rançon
entre lui et St. Pol , et l'assure que l'amour
dans son coeur a laissé la place entiere à
l'amitié . Monfort pénetré de cette grace ,
II. Vol. Fij
se
036 MERCURE DE FRANCE
se jette à ses pieds. Il le releve , en le
priant de souffrir qu'il soit équitable à
son tour , et ne profite point d'un bien
qui lui appartient , et qu'il a acheté au
prix de son sang &c. et Julie finit la
Piece par un digne Eloge d'une action
héroïque , qui donne un Scipion à la
France .
Au reste , cette Piece est fort bien répresentée
par les Srs . Quinaut , Dufrene ,
Montmenil , Dangeville , Duchemin et
Armand , et par les Dlles La Motte , Labat
, et Quinaut , qui remplissent les
Rôles du Chevalier Bayard , de Monfort ,
de St. Pol , du Podestat , du Seigneur
Marc , et de Frontin , de Madame Marc ,
de Julie , et de Clarice.
"
Cette Comédie qui a eu six Représenta
tions , sera réjoüée ; l'Auteur travaille à
la rendre encore plus digne de son sujet ,
et de l'attention du Public.
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Résumé : Spectacles, le Chevalier Bayard, Comédie [titre d'après la table]
Le texte présente un résumé de l'histoire du Chevalier Bayard, en mettant en avant deux actions marquantes de sa vie. Lors du second siège de Bresse, une mère offrit sa maison et ses filles à Bayard pour préserver leur honneur. Bayard refusa les offres et paya pour tout ce qui fut pris dans la maison, partageant ensuite la rançon avec les filles. Une autre anecdote relate comment Bayard sauva l'honneur d'une jeune femme dont la mère l'avait offerte à lui. Touché par sa douleur, il la conduisit chez une parente et la maria à un jeune homme, offrant également de l'argent à la mère. L'auteur de la pièce a combiné ces deux actions pour créer une intrigue théâtrale. Dans la pièce, Julie, l'aînée des deux sœurs de Bresse, est amoureuse de Montfort, un jeune guerrier. Bayard, hôte du père de Julie, devient également amoureux de Julie sans le savoir. Frontin, le valet de Bayard, manipule la situation pour favoriser l'amour entre Julie et Montfort. La pièce se développe autour des intrigues et des malentendus entre les personnages, notamment la fausse nouvelle de la mort de Montfort et les efforts de Bayard pour aider son ami. Bayard finit par avouer son amour à Julie, mais elle lui révèle qu'elle aime Montfort. Touché par l'amitié de Montfort, Bayard accepte de les laisser se marier. La pièce se conclut par des révélations et des résolutions touchantes, mettant en avant les valeurs de l'honneur et de l'amitié. Dans une scène, Bayard convoque Montfort pour discuter de sa situation. St. Pol annonce que la mère de Julie va venir présenter la rançon et la dot pour sa libération. La mère arrive et Bayard la remercie pour ses efforts. Montfort apparaît et révèle que sa maîtresse l'a quitté pour un autre homme, mais il accepte cette situation avec dignité. Bayard, ému, lui demande le nom de sa maîtresse, mais Montfort préfère ne pas le divulguer pour se consoler plus facilement. Bayard, touché par la situation de Montfort, lui cède Julie et partage la rançon entre Montfort et St. Pol. Il affirme que l'amour a laissé place à l'amitié dans son cœur. Montfort, reconnaissant, se jette à ses pieds, mais Bayard le relève et insiste pour que Montfort profite du bien qu'il lui offre. La pièce se termine par un éloge de Julie sur l'action héroïque de Bayard. La pièce, intitulée 'Le Chevalier Bayard', est interprétée par des acteurs tels que Quinaut, Dufrene, Montmenil, Dangeville, Duchemin, Armand, ainsi que les demoiselles La Motte, Labat, et Quinaut. La comédie a eu six représentations et l'auteur travaille à l'améliorer pour une future réjouissance.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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13
p. 1529-1552
LE PRINCE JALOUX.
Début :
De toutes les passions de l'ame, il n'y en [...]
Mots clefs :
Prince jaloux, Jalousie, Passions de l'âme, Dom Rodrigue, Princesse d'Aragon, Delmire, Amour, Alarmes, Dom Pedre, Conquérir, Infidélité, Maîtresse, Lettre, Amant, Plaisir secret
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE PRINCE JALOUX.
LE PRINCE JALOUX.
E toutes les passions de l'ame , il
Da'yenapoint qui se fassent sentir
a
L
avec plus de violence que la jalousie.
Je parle ici de cette jalousie que l'amour
extrême produit ; il s'en faut beaucoup
que celle qui naît de l'ambition se porte
à des excès aussi grands. On a vû des
Rois jaloux de la puissance de leurs Voisins , mettre sur pied des Armées formidables pour envahir leurs Etats , et faire couler des fleuves de sang pour satisfaire leur ambition ; mais ce désir de
s'aggrandir n'alloit que rarement jusqu'à
la haine personnelle ; Alexandre donna
des farmes à la mort de Darius , et Darius lui toucha dans la main en signe d'amitié , sur le point de rendre le dernier
soupir. Il n'en est pas de même de la jadousie des Amans , c'est un mélange d'amour et de haine ; elle peut être définie
differemment selon les differens objets
qu'elle se propose : sçavoir , une crainte
de préférence , ou de partage du cœur de
la personne aimée ; ou une crainte de
préférence ou de partage des faveurs de
la
1530 MERCURE DE FRANCE
la personne aimée ; cette derniere est la
plus injurieuse à l'objet aimé , comme
nous l'allons voir dans l'histoire de Rodrigue , Roi de Valence.
ne furent
$
Les Royaumes d'Arragon et de Valence , qui ne sont aujourd'hui que comme des Provinces de la vaste Monarchie
d'Espagne , avoient jour d'une longue et
profonde paix , sous Dom Alphonse et
sous Dom Fernand , leurs Rois ; mais les
peuples de l'un et de l'autre Royaume
pas si heureux sous le Régne
des Enfans de ces Rois justes et pacifiques. Dom Pedro succeda à Dom Alphonse , et Dom Rodrigue hérita de la
Couronne de Dom Fernand. Dom Rodrigue plus impétueux que Dom Pedro ,
fut le premier à lever l'Etendart de la
guerre , fondé sur des prétextes que l'ambition ne manque jamais de trouver
quand elle veut exercer son empire , si
funeste aux peuples , qui en sont les innocentes victimes. La Fortune , Divinité
aveugle , se déclara d'abord pour la ..use
la plus injuste ; Dom Rodrigue qui fit
les premieres infractions aux traitez de
Paix , long-tems maintenus entre son
pere et celui de Dom Alphonse , porta
ses Conquêtes jusques dans la Capitale
d'Arragon ; Dom Pedro ne pouvant s'opposer
JUILLET. 1732 1537 ་
poser à ce torrent , fut obligé d'aller de mander du secours aux Princes ses Voisins , et le fit avec tant de précipitation
qu'il abandonna sa sœur au pouvoir du
ainqueur ; mais l'Amour entreprit de
réunir deux Rois que l'ambition avoit
divisez.
,
A peine Dom Rodrigue fut entré dans
l'Appartement de Delmire c'étoit le
nom de la Sœur de Dom Pedro , qu'il ne
découvrit que des objets capables de l'attendrir. La Princesse d'Arragon étoit évanouie entre les bras de sa Gouvernante , qui arrosoit son visage d'un torrent
de larmes , ses autres filles poussoient des
gémissemens à percer le cœur le plus insensible ; Rodrigue ne peut soutenir ce
spectacle sans émotion ; mais que devint
il quand il eut jetté les yeux sur l'objet
de ces tristes gémissemens. Il sentit dans
le fond de son cœur un frisson , avantcoureur de sa défaite ; Delmire n'entr'ouvoit un œil mourant que pour allumer
dang, on sein un feu qui ne devoit jamais s'éteindre. Elle ne pût regarder sans
indignation le cruel ennemi de son frere ,
le destructeur de sa Nation , et l'Auteur
de son esclavage ; mais l'air soumis et respectueux avec lequel son vainqueur l'aborda , ne tarda guére à la désarmer.
→Que
32 MERCURE DE FRANCE
Que je suis criminel , s'écria Rodrigue,
» en tombant à ses pieds ! j'ai pû réduire
à cet état pitoyable une Princesse digne
n de l'adoration de tous les Mortels ! Fa-
» tale ambition , à quoi m'as tu porté ?
» et comment pourrai-je expier mon crime ? Delmire ne répondit à ces mots
que par des pleurs ; elle détourna les
yeux , et ayant témoigné qu'elle avoit
besoin de repos , elle obligea Rodrigue
à se retirer , sans sçavoir si son repentir
lui avoit obtenu sa grace. Elle n'étoit pas
loin d'être accordée , cette grace que l'Amour demandoit ; les momens de repos
que Dom Rodrigue venoit de laisser à
son aimable Delmire , lui servirent plutôt à éxaminer le trouble que son ennemi avoit excité dans son cœur , qu'à goûter les douceurs d'un sommeil , que l'agitation de ce jour. fatal sembloit lui rendre nécessaire. Elle sentit des mouvemens
qui lui avoient été inconnus jusqu'alors.
Rodrigue désarmé , Rodrigue prosterné
à ses genoux , Rodrigue repentant cessa
de lui paroître criminel. En vain sa fierté
voulut s'opposer à des sentimens si favorables , elle ne lui parla que foiblement
contre lui , et l'Amour lui imposa bien-
-tôt silence.
Il s'accrut de part et d'autre cet Amour
qui
JUILLET. 1732 1533
"
venoit de naître au milieu des allarmes; la
dissension qui regnoit entre le frere et l'Amant ne diminua rien de la force qu'il acqueroit tous les jours; mais Rodrigue n'en
regla pas les mouvemens comme Delmire. La crainte de perdre ce qu'il aimoit lui
inspira des sentimens de jalousie qui allerent jusqu'à la fureur. Voicy ce qui donna lieu à la naissance de cette passion tyrannique.
Don Pedre , trahi par la fortune , et
ne trouvant pas dans ses Etats des forces
suffisantes à opposer à un ennemi aussi
redoutable que Rodrigue, avoit été réduit
à appeller ses voisins à son secours. Il s'étoit marié , à l'insçu même de sa sœur , et
ce mystere étoit une raison d'Etat ; l'éloignement qu'il témoignoit pour le mariage, laissoit esperer à tous les Princes, dont
le secours lui étoit necessaire , la succession du Royaume d'Arragon qui devoit
appartenir à Delmire , supposé que son
Frere persistât dans le dessein de garder
le célibat. Il n'avoit pas besoin de cette
feinte. Delmire seule , et sans emprunter
l'éclat d'une Couronne , étoit capable de
mettre toute l'Europe dans ses interêts; le
bruit de sa beauté lui avoitfait desAmans,
qui n'attendoient qu'une occasion de se
déclarer pour elle , et de la mettre en liberté de se choisir un Epoux.
D Les
7534 MERCURE DE FRANCE
Les Rois de Castille et de Leon furent
les premiers qui armerent pour elle ; d'autres Princes Souverains suivirent leur
exemple, et le Roy d'Arragon se vit bientôt à la tête d'une armée capable de faire
trembler l'Usurpateur de sa Couronne. Il
ne voulut pourtant en venir aux dernieres extrêmitez qu'après avoir tenté les
voïes de la douceur. Il écrivit à sa sœur ,
et lui fit entendre qu'il ne tiendroit qu'au
Roy de Valence de rendre la paix à toutes les Espagnes , en la renvoïant auprès
de lui , et en lui restituant toutes les Places qu'il avoit conquises dans une guerre
injuste.Delmire ne consultant que son devoir , fit sçavoir les prétentions de son
frere à son Amant, et le pressa de lui rendre la liberté. Que me demandez- vous,
» lui dit Rodrigue? Moi, je pourrois consentir à vous livrer à quelque heureux
» Rival ! Ah ! vous ne connoissez pas
»l'Amour , puisque vous croyez qu'un
cœur véritablement épris , peut ceder
»ce qu'il aime ; mais je m'abuse , pour-
» suivit-il , avec des yeux , que la jalousie
» enflamma d'un courroux dont il ne fut
» pas le maître. Vous ne le connoissez que
>> trop , cet amour qui m'attache à vous,
»et qui vous lie à quelqu'un de mes Ri-
» vaux ; vous brûlez , ingrate , de vous
» éloi-
JUILLET. 1732. 1535
éloigner de moi , pour vous rapprocher
» de celui qui veut vous arracher à mon
» amour , mais ne l'esperez qu'après ma
»mort. Non , je ne vous verrai pas entre
» les bras d'un autre ; et quelques formi-
» dables que soient les apprêts qu'on fait
» pour vous conquerir ; j'en ferai de plus
» grands pour vous conserver. Delmire
fut si surprise de ce premier transport de
jalousie , qu'elle resta quelque temps sans
repartie ; mais voïant son impétueux
Amant prêt à lui faire des reproches encore plus sanglans. » Arrêtez, lui dit elle,
» et n'attribuez mon silence qu'à l'éton-
» nement où votre injustice vient de me
jetter. Quoi ? poursuivit elle, c'est Don
» Rodrigue qui me soupçonne de l'avoir
trompé jusqu'aujourd'hui , qui me croit
capable d'en aimer un autre que lui ; Je
» le devrois , ingrat , continua-t-elle ; et
» vous meriteriez l'infidelité dont vous
» m'accusez. Ces paroles , suivies de quelques larmes qu'elle ne put retenir , rendirent un calme soudain au cœur du Roy
de Valence. » Pardonnez-moi , lui dit-il ,
>> Adorable Delmire , des sentimens que
» je désavouë , et n'en imputez le crime.
» qu'à l'excès de mon amour. C'est cet
» amour, aussi ardent qu'il en fut jamais ,
» qui m'ôtant tout à coup l'usage de la Dij >> rai-
1536 MERCURE DE FRANCE
» raison , ne m'a pas permis de vous ca-
» cher l'affreux désespoir où votre perte
» me réduiroit. Vous me la rendez cette
» raison ; elle m'éclaire sur l'injustice de
» mes prétentions ; si la guerre vous à fai29
te ma prisonniere , l'amour m'a fait vo-
»tre esclave ; oüi , ma raison me fait voir
que j'aurois dû vous laisser maîtresse
» de votre destin , dès le moment que je
» vous ai adorée. Vous pouvez partir, je ne
» vous retiens plus ; vous pouvez vous
> donner à l'heureux mortel à qui le Roy
>> votre Frere vous réserve; et quand vous
» vous seriez destinée vous- même à ce
»Rival , que j'abhorre sans le connoître
» ce ne seroit pas à moi à m'opposer au
penchant de votre cœur ; mais quelque
» soit celui qui doit posseder tant de
»charmes, qu'il ne se flatte pas que je
» le laisse tranquillement jouir d'une fé-
» licité où il ne m'est plus permis d'as-
»pirer votre frere a résolu ma mort
» mais je la rendrai fatale à votre Epoux ;
>> ma haine est aussi forte pour lui , que
» mon amour pour vous ; je ne respire
»que vengeance ; et je confonds dans ma
fureur tous les Princes du monde ; je les
regarde tous comme les Usurpateurs de
mon Trésor ; ces transports qui redoubloient à chaque instant , et dans le tems
>>
même
JUILLET. 1732 1537
même qu'il sembloit se repentir de les
avoir fait éclater , jetterent une douleur
mortelle dans le cœur de la tendre Delmire. » Ah! Seigneur , lui dit- elle , pour-
» quoi faut- il que vous m'aimiez ? que je
vais vous rendre malheureux ! je vois
» trop que le poison de la jalousie se ré-
» pandra sur tous les jours de votre vie, et
qu'il troublera votre tranquillité et la
»mienne ; cependant que dois- je faire
» dans la triste situation où je me trouve?
» dites-moi la réponse que je dois faire au
»Roy d'Arragon : Eh ! puis-je balancer
» un moment à la faire moi- même , lui
» dit l'impetueux Rodrigue ; qu'il vous
>> donne à moi , et qu'il reprenne tout ce
» que la victoire m'a fait conquerir sur
» lui ; je lui abandonne tout , et ce sa-
»crifice iroit jusqu'au don de ma Cou
ronne, si je ne la regardois comme vo-
» tre bien ; mais qu'il ne m'oblige pas
Ȉ reprendre les armes , par la honte
» d'un refus , que j'irois expier dans son ور «sang.
Cet amour , qui tenoit de la fureur , fit
trembler Delmire ; elle comprit bien que
Ja jalousie de son Amant ne finiroit qu'avec sa vie. Pour en calmer les transports ,
elle lui promit de ne rien oublier pour
porter le Roy d'Arragon à un Hymen
D iij qui
1538 MERCURE DE FRANCE
qui les rendroit tous deux infortunez.
Élle fit réponse à son frere avec les plus.
vives expressions que l'amour pût lui.
suggérer. Elle communiqua sa Lettre au
jaloux Rodrigue; il y en ajouta une de sa
main, qui n'étoit pas moins forte, et dont
Delmire auroit été charmée, si elle eût pû
se cacher que ce même amour qui s'exprimoit si tendrement , dégénéroit en implacable couroux , dès qu'il craignoit de
perdre l'objet aimé.
Les engagemens que Don Pedre avoit
pris avec ses Alliez, ne lui permettant pas
de faire assez- tôt une réponse positive aux
propositions de Don Rodrigue , réveil
lerent la jalousie de ce dernier ; il ne dou
ta point que sa perre ne fut résoluë ; il fit
de nouveaux préparatifs de guerre il écla❤
ta en reproches contre la malheureuse
Delmire ; il la soupçonna d'avoir part à
des retardemens qui lui annonçoient un
refus ;elle en soupira , elle en gémit, mais
le mal étoit sans remede ; elle aimoit
trop cet ingrat , qui l'accusoit d'en aimer
un autre. Elle redoubla ses empressemens
auprès de son Frere , et le fit avec tant de
succès , que la paix fut concluë entre les
deux Rois ennemis , et l'hymen arrêté
entre les deux Amans.Cette agréable nouvelle répandit une joie universelle dans
les
JUILLET. 1732. 1539
les Royaumes de Valence et d'Arragon ;
Rodrigue se livra tout entier à la douce
esperance de posseder bien-tôt sa chere
Princesse ; la seule Delmire s'abandonnoit à la douleur , tandis que tout ne res
piroit que bonheur ; elle n'ouvroit son
cœur qu'à deux de ses confidentes , dont
l'une avoit pris soin de son enfance , et l'autre vivoit dans une très-étroite familiarité avec elle. La premiere s'appelloit
Théodore , et l'autre Délie ; je les nomme
toutes deux , parce qu'elles doivent avoir
part à la suite de cette histoire ; Théodore lui conseilloit de fermer les yeux sur
tous les malheurs dont la jalousie de Rodrigue sembloient la menacer ; Délie au
contraire n'oublioit rien pour la détourner d'un hymen que cette affreuse jalou
sie lui rendroit funeste. L'un et l'autre
conseil partoient d'un cœur bien intentionné , mais la triste Delmire ne sçavoit lequel elle devoit suivre pour être
heureuse , l'amour avoit déja décidé de
son sort ; elle ne laissa pas de se précau
tionner autant qu'il dépendoit d'elle
contre les suites que pourroit avoir un
engagement qui devoit durer autant que
sa vie. Elle fit promettre à Don Rodrigue de se guérir de sa jalousie , et ne lui
promit de l'épouser qu'à cette condition.
D iiij Don
1540 MERCURE DE FRANCE
Don Rodrigue lui jura de n'être plus
jaloux. » Je ne l'étois, lui dit-il , que parce
» que je craignois de vous perdre ; vous
» serez bien-tôt à moi ; qu'ai-je à crain-
» dre ? Non , ajouta t- il, plus de défiance,
» Delmire se donne à moy , rien ne peut
» me la ravir , sa foy me rassure contre
toutes les prétentions de mes Rivaux;
» je suis le plus heureux de tous les hom-
» mes , et ma félicité me rend à jamais
❤ tranquille.
Ces belles protestations , qu'il croyoit
aussi constantes que l'amour qui les lui
dictoit , ne tinrent pas contre le premier
sujet qu'il crut avoir de se défier de son
Amante: Voicy ce qui y donna occasion .
La Duchesse du Tirol , tendre amie de
la Princesse d'Arragon , dont elle avoit
vivement ressenti l'absence depuis que le
Roy de Valence l'avoit faite prisonniere ;
n'eût pas plutôt appris que la paix étoit conclue entre les deux Couronnes , et que
sa chere Delmire en alloit porter une ,
qu'elle lui écrivit pour lui témoigner la
part qu'elle prenoit à son bonheur , et
pour la prier de lui accorder la permission de venir à Valence, pour être témoin
d'un hymen qui faisoit la félicité de deux
Peuples. Delmire s'enferma dans son cabinet pour lui faire réponse ; elle avoit
pris
JUILLET. 1732. 1541
pris la précaution de deffendre que personne la vint troubler. L'amoureux Rodrigue se presenta à la porte de son appartement , dans le temps qu'elle achevoit sa Lettre ; quoique les ordres qu'elle
ávoit donnez qu'on la laissât seule , ne
fussent pas pour lui , Délie , celle de ses
Dames qu'elle affectionnoit le plus , et
qui n'approuvoit pas son hymen , à cause des suites fâcheuses qu'il pouvoit
avoir pour sa chere Maîtresse , eut la malice de vouloir mettre sa jalousie à l'épreuve , et lui dit que la Princesse ayant
des dépêches secretes à faire , avoit deffendu , sans excepter personne , qu'on
laissât entrer dans son appartement, »> Ces
» deffenses ne sont pas apparemment pour
»un Royqui doit bientôt être son Epoux,.
répondit D. Rodrigue , avec un souris.
» forcé , et je crois pouvoir prétendre à
>> l'honneur de sa confidence. Délie affecta
encore plus d'empressement. à l'empêcher d'entrer pour lui donner de plus:
grands soupçons; elle n'y réussit que trop
bien. D. Rodrigue avala à longs traits le
poison que cette artificieuse fille lui avoit
préparé ; il entra tout transporté , mais à.
peine eut-il apperçu Delmire que le res--
pect, que sa presence lui inspiroit, suspendit les mouvemens tumultueux qui ve
D v noient
1542 MERCURE DE FRANCE
1
noient de s'élever dans son ame; il se rapella la promesse qu'il lui avoit faite , de
n'être plus jaloux ; et la voïant attentive à
la Lettre qu'elle écrivoit , il s'avança sans
bruit et sans crainte d'être vû , attendu
qu'elle lui tournoit le dos; mais une glace
sur laquelle Delmire jetta les yeux et à
laquelle ce Prince jaloux ne fit nulle attention , tant il étoit occupé de ses soupçons , trahit le dessein qu'il avoit de lire
ce que la Princesse écrivoit. Delmire ne
l'eût pas plutôt apperçu qu'elle serra brusquement sa Lettre; et se tournant vers lui,
elle se plaignit du dessein qu'il avoit de la
surprendre. D. Rodrigue ne sçut d'abord
répondre à ce reproche; il craignoit
de faire entrevoir sa jalousie ; il lui demanda pardon de la liberté qu'il avoit
prise decontrevenir à des ordres qui peutêtre n'étoient pas moins pour lui que
pour tous les autres, quoique le nœud qui
devoit les unir à jamais le mit en droit
de se croire excepté. »Ce droit n'est pas
»encore si sûr que vous le
que
lui pensez ,
répondit Delmire, avec une petite émo-
»tion de colere, puisqu'il n'est fondé que
sur un hymen , auquelje n'ai consenti
»que conditionnellement; avez vous oubiié quelles sont nos conventions ? Vous
>m'avez promis de n'être plus jaloux ;
moi
JUILLET. 1732. 1543
moi,jaloux, s'écria D. Rodrigue;voulez-
» vous me faire un crime d'un mouvement
» de curiosité qui ne tire nullement à con-
» séquence. Eh bien , je vous en croi , lui
» répondit Delmire ; mais comme cette
»curiosité m'a induite à vous soupçonner d'infraction de traité , c'est par
» même que je veux vous punir ; pér-
» mettez donc que je ne la satisfasse pas ;
» vous ne sçauriez mieux me prouvervo
là
tre innocence ; le sacrifice que je vous
» demande n'est pas grand , et si vous
» sçavicz à qui s'addresse cette Lette que
» vous avez voulu lire à mon insçu , vous
» ne balanceriez pas un moment à m'ac-
» corder ce quej'exige de vous ; j'y sous-
» cris sans repugnance , lui répondit Ro
>> drigue , malgré l'envie secrette qu'il
» avoit d'apprendre ce que contenoit cette
» Lettre mysterieuse , que Delie lui avoit
» renduë suspecte ; vous me comblez de
» plaisir , lui dit Delmire, et je commen
ce à bien augurer de votre amende
» ment.
Elle demeura ferme dans sa résolution ,
quoique Rodrigue ne laissât pas de lui
faire entrevoir le desir qu'il avoit de sça--
voir ce qu'elle venoit d'écrire ; ils se sé→
parerent assez satisfaits l'un de l'autre en
apparence ; mais Rodrigue nourrissoit
Dvj dans
1544 MERCURE DE FRANCE
"
4
dans le cœur une inquiétude qu'il lui
falloit dévorer aux yeux de sa Princesse;
elle ne l'eut pas plutôt quitté , qu'il ne
songea qu'aux moyens de s'éclaircir d'un
doute qui troubloit son repos.
Il avoit , pour son malheur , un Confident qui flatoit sa jalousie , parce qu'il
n'étoit jamais plus en faveur auprès de
son Maître , que lors qu'il faisoit quelque
découverte qui l'entretenoit dans son
amoureuse défiance. Cette peste de Cour
s'appelloit Octave. Dom Rodrigue ne lui
eut pas plutôt communiqué ce qui venoit de se passer entre Delmire et lui ,
que ce dangereux Courtisan lui avoüa
qu'il croyoit que cette Lettre que la Princesse avoit écrite à son insçu , s'adressoit
à quelque Rival caché ; il s'offrit à l'intercepter ; Dom Rodrigue lui promit une
récompense proportionnée à ce service ;
mais comme il craignoit d'offenser sa Princesse , il lui ordonna d'éviter l'éclat dans
la commission dont il se chargeoit. Octave lui dit qu'il pouvoit s'en reposer sur
sa dexterité , et le quitta pour aller se
préparer à cette expedition.
Delmire , contente du petit sacrifice
que son Amant venoit de lui faire , chargea Délie de remettre le Billet qu'elle venoit d'écrire entre les mains de celui qui
lul
JUILLET.- 17328 1545
lui avoit apporté la Lettre de la Duchesse
de Tirol ; c'étoit un Amant de Delie ,
qui s'appelloit Florent. Elle executa les ordres de sa Maîtresse ; mais comme les
Amans ont toûjours quelque petit reproche à se faire , Florent ne voulut point
s'éloigner de Délie , sans se plaindre de
son indifference : Est-il possible , lui
dit - il que l'amitié soit plus empres-
»sée que l'Amour ? La Duchesse de Tirol
» n'a pas plutôt appris que le commerce
» n'est plus interrompu entre les Peuples
d'Arragon et ceux de Valence , qu'elle
»s'empresse d'écrire à la Princesse Delmire ; cette tendre amie n'est pas moins
» prompte à lui faire réponse , et Délies
>> pendint deux mois d'absence , ne peut :
>> trouver un seul moment pour donner:
»de ses nouvelles au plus passionné de
>> tous les Amans ! voici de quoi vous convaincre , lui répondit- elle , en tirant
>>de sa poche une Lettre qu'elle n'avoit
>> pû lui envoyer ; ce n'est point- là ton
» caractere , lui dit Florent , il est vrai ,
» répliqua Délie , c'est la Princesse même
» qui a eu la bonté de me préter sa main,
parce ce que je ne pouvois pas me servir
de la mienne , à cause d'une indisposi-
» tion.
Florent étoit si persuadé des bontez de
Del-
16 MERCURE DE FRANCE
Delmire pour Délie , qu'il ne douta point
qu'elle ne lui dît vrai , il la pria de lui
laisser cette chere Lettre , puisque c'étoit
à lui- même qu'elle s'adressoit , Délie n'en
fit aucune difficulté , et retourná auprès
de sa Maîtresse.
Florent ne fut pas plutôr seul qu'il ne
put résister à l'envie de lire ce que Délie
lui écrivoit ; il étoit si occupé de cette
lecture qu'il ne s'apperçut pas de l'arrivée
d'une personne masquée , soutenuë de
plusieurs autres qui devoient venir à son
secours en cas de besoin. C'étoit Octave
qui s'avançant par derriere , lui saisit la
Lettre de Délie. Florent se deffendit autant qu'il put , mais tous les efforts qu'il fie
n'empêcherent pas qu'Octave ne lui ravît
la moitié d'une Lettre qui lui étoit si
chere. Fatale moitié , dont nous verrons
bien-tôt les fun stes suites.
Florent ne pouvant tirer raison de
l'insulte qu'on venoit de lui faire , et ne
scachant qui il devoit en accuser , se con- sola de la perte de cette moitié de Lettre ,
et partir pour aller porter à la Duchesse du
Tirol , le Billet dont D'lie venoit de le
charger de la part de Delmire. Octave
content de son larcin , aila sur le champ
trouver D. Rodrigue , pour lui rendre
compte de l'heureux succès de son zele ;
voici
JUILLET. 1732. 1547
voici ce que contenoit cette moitié de
Lettre, qu'il remit entre les mains de son:
Maître.
L'Amour que vous m'avez autrefois jurée
me fait esperer que vous ne m'avez pas oubliée .
recevez donc ces nouvelles marques de ma tendresse ;
y serez-vous aussi sensible que vous le devez ?
vous êtes dans Saragosse et moi ,
cruelle et rigoureuse absence •
souvenez- vous que je n'aime que vous
que puisque je ne puis vivre sans mon cher ...
vous ne devez vivre que pour la tendre Del ·
Quels furent les transports du Roy de
Valence à cette fatale lecture. Ah! je
»ne m'étonne plus , s'écria-t'il¸ que Pina fidelle Delmire ait pris tant de précau
tion pour n'être point surprise quand
» elle traçoit ces tendres témoignages de
on coupable amour ; avec quelle adresse la peifide s'est prévalue du funeste
>> ascendant qu'elle a sur mon cœur , pour
»me dérober un secret dont la connoissance l'auroit perdue , mais elle ne m'aura pas trompé impunément ; elle ne
»dira plus que ma jalousie est injuste , et
»je n'ai que trop , pour mon malheur
de quoi la confondre.
Il ne s'arrêta pas long- temps à s'exhaler en vains reproches , il courut à l'Appartement de Delmire , pour la convaincre de son manque de foy.
1548 MERCURE DE FRANCE
La Princesse d'Arragon ne s'apperçût pas d'adord du trouble de son cœur ;
elle lui témoigna même combien elle
étoit satisfaite du petit sacrifice qu'il ve
noit de lui faire ; » vous osez encore in→
»sulter à ma crédulité , lui répondit le
» Roy jaloux , d'un ton à la faire trem-
»bler , il n'est que trop grand ce sacrifi-
>> ce dont vous voulez diminuer le prix';
» mais le Ciel , le juste Ciel , n'a pas permis que vous ayez recueilli le fruit de
»votre crime. De mon crime , répondit
» Delmire avec ce noblé courroux qu'ins-
» pire l'innocence accusée ; quoi ? c'est
»par Rodrigue que je suis si mortelle
"
ment outragée. Moi criminelle ! ache-
»vez , cruel persecuteur d'une Princesse
"que vous condamnez à des malheurs
Ȏternels ; apprenez- moi par quelle ac-
» tion j'ai pû meriter l'injure que vous
»faites à ma gloire.Ne croyez pas , poursuivit cet injuste Amant , m'imposer
» encore par ces trompeuses apparences de
»vertudont vous m'avez ébloui jusqu'au-
´» jourd'hui , mes yeux se sont ouverts , et
» plût au Ciel qu'ils fussent encore fer-
>> mez ; et que le hazard ne m'ût pas mis
>> entre les mains des témoins irrécusables
» de votre infidelité. Lisez, poursuivit- il,
» et démentez votre main , si vous l'osez.
»Je
JUILLET. 1732. 1549
» Je ne scaurois disconvenir , lui dit Del-
>> mire , après avoir jetté un regard d'in-
>> dignation sur l'Amant et sur la Lettre
qu'il lui présentoit , je ne sçaurois nier
»que ces mots ne soient tracez de ma
»main; mais avez- vous lieu d'en être ja-
>> loux ? oserez-vous me persuader , in-
»terrompit Rodrigue , que ces tendres
>>> sentimens s'adressent à moi ? L'Amant
»à qui vous écrivez est à Sarragoce ; quel
>> qu'il soit , lui répondit Delmire avec un
>> fier dédain , il est plus digne d'être aimé
»que vous , ces mots acheverent de
»rendre Rodrigue furieux. Quoi ? je
>>ne suis donc plus pour vous , lui dit-il,
» qu'un objet de mépris ! que dis- je ? je
»l'ai toûjours été. Cette absence que vous
» appellez cruelle et rigoureuse , n'a pas
» paré un moment votre perfide cœur de
>> cet heureux Rival , que vous mettez si
fort au- dessus de moi , et vous l'adoriez en secret dans le temps que vous
»me juriez une foi inviolable et un amour
» éternel. Ne poussons pas plus loin une
» erreur qui vous autorise à de nouveaux
»emportemens , lui dit enfin Delmire ; ils
seroient justes s'ils étoient fondez sur
la verité , il est temps de vous détrom-
» per ; mais c'est plutôt pour ma gloire ,
»ajouta- t'elle , que pour votre satisfac
sé-
»tion;
1550 MERCURE DE FRANCE
›
»tion. A ces mots elle ordonna qu'on
>> fit venir Délie ; elle fut obéïe sur le
champ ; Délie , qui se doutoit de ce
qui se passoit entre le Roy et la Princesse entra dans son Appartement
munie d'armes deffensives ; Florent, qui
ne faisoit que de venir de Sarragoce , l'avoit instruite de la violence qu'on lui avoit
faite. Elle tenoit dans sa main, la moitié
de Lettre qui étoit restée dans celle de
Florentin ; » j'ai pressenti , dit elle , en
»s'adressant à Delmire que vous pourriez avoir besoin de cette piece justificative échappée au larcin qu'on a fair
»à Florent. Donnez , répondit Delmire ,
»et vous , injuste Amant , joignez ces ca-
»racteres à ceux qui m'ont rendue si cou-
་
pable à vos yeux , et rougissez seul du
>> crime que vous avez voulu m'imputer.
»Que je crains d'avoir trop mérité votre
»colere ! s'écrie D. Rodrigue , en rece-
»vant d'une main tremblante le fatal
» papier que Delmire lui présentoit.com
»me l'Arrêt de sa condamnation. Je vous.
→crois innocente , continua- t'il , sans rien
>examiner de plus ; il ne suffit pas que
»vous me croyez innocente, lui répon-
»dit Delmire, avec beaucoup d'alteration ,
»il faut que vous soyez convaincu de
»votre crime, je vous laisse , ajoûta- t'elle,
» pour
JUILLET. 1732. 1351
» pour aller refléchir à loisir sur la peine
»qui vous est duë.
A ces mots Delmire le quitta sans
daigner le regarder , et ce qui le fit trembler davantage , c'est de voir qu'elle étoit
suivie de Délie, qu'il sçavoit n'être pas
trop bien intentionnée pour lui.
Sitôt qu'il fut seul , il rejoignit les deux
moitiez de Lettre , et y trouva ces mots.
L'amour que vous m'avez autrefois jurée , mon
ther Florent, et que je vous ai jurée à mon tour,
me fait esperer que vous ne m'avez pas oubliée
malgré la distance des lieux qui nous séparent ;
recevez donc ces nouvelles marques de ma tendresse , qui partent moins d'une plume empruntée que de mon cœur ; y serez vous aussi sensible que
vous le devez je n'ose presque l'esperer ; que sçai-jez
Vous êtes à Sarragosse et moi à Valence ; je ne
veis personne ; puis -je me flatter que vous fassiez de
même. Cruelle et rigoureuse absence ! que tu me
causes d'allarmes ! cependant , souvenez- vous que
je n'aime que vous ; n'aimez aussi que moi , et
songez sans cesse que puisque je ne puis vivre
sans mon cher Florent ; pour prix de tant de
fidelité , vous ne devez vivre que pour la tendre Delie.
Dans quel accablement la lecture de cette
Lettre ne laissa point le jaloux Rodrigue ?
Le plaisir secret qu'il sentit d'abord à se
voir convaincu de la fidelité de Delmire ,
ne put balancer le mortel regret de l'avoir offensée. La froideur avec laquelle'
sa
1552 MERCURE DE FRANCE
sa chere Princesse lui avoit dit en le quittant , qu'elle alloit refléchir à loisir sur
la peine qui lui étoit duë , lui donnoię
tout à craindre pour son amour ; il s'étoit soumis lui- même à cette peine par
la promesse qu'il lui avoit faite de n'être
plus jaloux , mais ce qui l'avoit induit à
l'être , étoit si vrai-semblable , qu'il ne
desespera pas de la fléchir.
E toutes les passions de l'ame , il
Da'yenapoint qui se fassent sentir
a
L
avec plus de violence que la jalousie.
Je parle ici de cette jalousie que l'amour
extrême produit ; il s'en faut beaucoup
que celle qui naît de l'ambition se porte
à des excès aussi grands. On a vû des
Rois jaloux de la puissance de leurs Voisins , mettre sur pied des Armées formidables pour envahir leurs Etats , et faire couler des fleuves de sang pour satisfaire leur ambition ; mais ce désir de
s'aggrandir n'alloit que rarement jusqu'à
la haine personnelle ; Alexandre donna
des farmes à la mort de Darius , et Darius lui toucha dans la main en signe d'amitié , sur le point de rendre le dernier
soupir. Il n'en est pas de même de la jadousie des Amans , c'est un mélange d'amour et de haine ; elle peut être définie
differemment selon les differens objets
qu'elle se propose : sçavoir , une crainte
de préférence , ou de partage du cœur de
la personne aimée ; ou une crainte de
préférence ou de partage des faveurs de
la
1530 MERCURE DE FRANCE
la personne aimée ; cette derniere est la
plus injurieuse à l'objet aimé , comme
nous l'allons voir dans l'histoire de Rodrigue , Roi de Valence.
ne furent
$
Les Royaumes d'Arragon et de Valence , qui ne sont aujourd'hui que comme des Provinces de la vaste Monarchie
d'Espagne , avoient jour d'une longue et
profonde paix , sous Dom Alphonse et
sous Dom Fernand , leurs Rois ; mais les
peuples de l'un et de l'autre Royaume
pas si heureux sous le Régne
des Enfans de ces Rois justes et pacifiques. Dom Pedro succeda à Dom Alphonse , et Dom Rodrigue hérita de la
Couronne de Dom Fernand. Dom Rodrigue plus impétueux que Dom Pedro ,
fut le premier à lever l'Etendart de la
guerre , fondé sur des prétextes que l'ambition ne manque jamais de trouver
quand elle veut exercer son empire , si
funeste aux peuples , qui en sont les innocentes victimes. La Fortune , Divinité
aveugle , se déclara d'abord pour la ..use
la plus injuste ; Dom Rodrigue qui fit
les premieres infractions aux traitez de
Paix , long-tems maintenus entre son
pere et celui de Dom Alphonse , porta
ses Conquêtes jusques dans la Capitale
d'Arragon ; Dom Pedro ne pouvant s'opposer
JUILLET. 1732 1537 ་
poser à ce torrent , fut obligé d'aller de mander du secours aux Princes ses Voisins , et le fit avec tant de précipitation
qu'il abandonna sa sœur au pouvoir du
ainqueur ; mais l'Amour entreprit de
réunir deux Rois que l'ambition avoit
divisez.
,
A peine Dom Rodrigue fut entré dans
l'Appartement de Delmire c'étoit le
nom de la Sœur de Dom Pedro , qu'il ne
découvrit que des objets capables de l'attendrir. La Princesse d'Arragon étoit évanouie entre les bras de sa Gouvernante , qui arrosoit son visage d'un torrent
de larmes , ses autres filles poussoient des
gémissemens à percer le cœur le plus insensible ; Rodrigue ne peut soutenir ce
spectacle sans émotion ; mais que devint
il quand il eut jetté les yeux sur l'objet
de ces tristes gémissemens. Il sentit dans
le fond de son cœur un frisson , avantcoureur de sa défaite ; Delmire n'entr'ouvoit un œil mourant que pour allumer
dang, on sein un feu qui ne devoit jamais s'éteindre. Elle ne pût regarder sans
indignation le cruel ennemi de son frere ,
le destructeur de sa Nation , et l'Auteur
de son esclavage ; mais l'air soumis et respectueux avec lequel son vainqueur l'aborda , ne tarda guére à la désarmer.
→Que
32 MERCURE DE FRANCE
Que je suis criminel , s'écria Rodrigue,
» en tombant à ses pieds ! j'ai pû réduire
à cet état pitoyable une Princesse digne
n de l'adoration de tous les Mortels ! Fa-
» tale ambition , à quoi m'as tu porté ?
» et comment pourrai-je expier mon crime ? Delmire ne répondit à ces mots
que par des pleurs ; elle détourna les
yeux , et ayant témoigné qu'elle avoit
besoin de repos , elle obligea Rodrigue
à se retirer , sans sçavoir si son repentir
lui avoit obtenu sa grace. Elle n'étoit pas
loin d'être accordée , cette grace que l'Amour demandoit ; les momens de repos
que Dom Rodrigue venoit de laisser à
son aimable Delmire , lui servirent plutôt à éxaminer le trouble que son ennemi avoit excité dans son cœur , qu'à goûter les douceurs d'un sommeil , que l'agitation de ce jour. fatal sembloit lui rendre nécessaire. Elle sentit des mouvemens
qui lui avoient été inconnus jusqu'alors.
Rodrigue désarmé , Rodrigue prosterné
à ses genoux , Rodrigue repentant cessa
de lui paroître criminel. En vain sa fierté
voulut s'opposer à des sentimens si favorables , elle ne lui parla que foiblement
contre lui , et l'Amour lui imposa bien-
-tôt silence.
Il s'accrut de part et d'autre cet Amour
qui
JUILLET. 1732 1533
"
venoit de naître au milieu des allarmes; la
dissension qui regnoit entre le frere et l'Amant ne diminua rien de la force qu'il acqueroit tous les jours; mais Rodrigue n'en
regla pas les mouvemens comme Delmire. La crainte de perdre ce qu'il aimoit lui
inspira des sentimens de jalousie qui allerent jusqu'à la fureur. Voicy ce qui donna lieu à la naissance de cette passion tyrannique.
Don Pedre , trahi par la fortune , et
ne trouvant pas dans ses Etats des forces
suffisantes à opposer à un ennemi aussi
redoutable que Rodrigue, avoit été réduit
à appeller ses voisins à son secours. Il s'étoit marié , à l'insçu même de sa sœur , et
ce mystere étoit une raison d'Etat ; l'éloignement qu'il témoignoit pour le mariage, laissoit esperer à tous les Princes, dont
le secours lui étoit necessaire , la succession du Royaume d'Arragon qui devoit
appartenir à Delmire , supposé que son
Frere persistât dans le dessein de garder
le célibat. Il n'avoit pas besoin de cette
feinte. Delmire seule , et sans emprunter
l'éclat d'une Couronne , étoit capable de
mettre toute l'Europe dans ses interêts; le
bruit de sa beauté lui avoitfait desAmans,
qui n'attendoient qu'une occasion de se
déclarer pour elle , et de la mettre en liberté de se choisir un Epoux.
D Les
7534 MERCURE DE FRANCE
Les Rois de Castille et de Leon furent
les premiers qui armerent pour elle ; d'autres Princes Souverains suivirent leur
exemple, et le Roy d'Arragon se vit bientôt à la tête d'une armée capable de faire
trembler l'Usurpateur de sa Couronne. Il
ne voulut pourtant en venir aux dernieres extrêmitez qu'après avoir tenté les
voïes de la douceur. Il écrivit à sa sœur ,
et lui fit entendre qu'il ne tiendroit qu'au
Roy de Valence de rendre la paix à toutes les Espagnes , en la renvoïant auprès
de lui , et en lui restituant toutes les Places qu'il avoit conquises dans une guerre
injuste.Delmire ne consultant que son devoir , fit sçavoir les prétentions de son
frere à son Amant, et le pressa de lui rendre la liberté. Que me demandez- vous,
» lui dit Rodrigue? Moi, je pourrois consentir à vous livrer à quelque heureux
» Rival ! Ah ! vous ne connoissez pas
»l'Amour , puisque vous croyez qu'un
cœur véritablement épris , peut ceder
»ce qu'il aime ; mais je m'abuse , pour-
» suivit-il , avec des yeux , que la jalousie
» enflamma d'un courroux dont il ne fut
» pas le maître. Vous ne le connoissez que
>> trop , cet amour qui m'attache à vous,
»et qui vous lie à quelqu'un de mes Ri-
» vaux ; vous brûlez , ingrate , de vous
» éloi-
JUILLET. 1732. 1535
éloigner de moi , pour vous rapprocher
» de celui qui veut vous arracher à mon
» amour , mais ne l'esperez qu'après ma
»mort. Non , je ne vous verrai pas entre
» les bras d'un autre ; et quelques formi-
» dables que soient les apprêts qu'on fait
» pour vous conquerir ; j'en ferai de plus
» grands pour vous conserver. Delmire
fut si surprise de ce premier transport de
jalousie , qu'elle resta quelque temps sans
repartie ; mais voïant son impétueux
Amant prêt à lui faire des reproches encore plus sanglans. » Arrêtez, lui dit elle,
» et n'attribuez mon silence qu'à l'éton-
» nement où votre injustice vient de me
jetter. Quoi ? poursuivit elle, c'est Don
» Rodrigue qui me soupçonne de l'avoir
trompé jusqu'aujourd'hui , qui me croit
capable d'en aimer un autre que lui ; Je
» le devrois , ingrat , continua-t-elle ; et
» vous meriteriez l'infidelité dont vous
» m'accusez. Ces paroles , suivies de quelques larmes qu'elle ne put retenir , rendirent un calme soudain au cœur du Roy
de Valence. » Pardonnez-moi , lui dit-il ,
>> Adorable Delmire , des sentimens que
» je désavouë , et n'en imputez le crime.
» qu'à l'excès de mon amour. C'est cet
» amour, aussi ardent qu'il en fut jamais ,
» qui m'ôtant tout à coup l'usage de la Dij >> rai-
1536 MERCURE DE FRANCE
» raison , ne m'a pas permis de vous ca-
» cher l'affreux désespoir où votre perte
» me réduiroit. Vous me la rendez cette
» raison ; elle m'éclaire sur l'injustice de
» mes prétentions ; si la guerre vous à fai29
te ma prisonniere , l'amour m'a fait vo-
»tre esclave ; oüi , ma raison me fait voir
que j'aurois dû vous laisser maîtresse
» de votre destin , dès le moment que je
» vous ai adorée. Vous pouvez partir, je ne
» vous retiens plus ; vous pouvez vous
> donner à l'heureux mortel à qui le Roy
>> votre Frere vous réserve; et quand vous
» vous seriez destinée vous- même à ce
»Rival , que j'abhorre sans le connoître
» ce ne seroit pas à moi à m'opposer au
penchant de votre cœur ; mais quelque
» soit celui qui doit posseder tant de
»charmes, qu'il ne se flatte pas que je
» le laisse tranquillement jouir d'une fé-
» licité où il ne m'est plus permis d'as-
»pirer votre frere a résolu ma mort
» mais je la rendrai fatale à votre Epoux ;
>> ma haine est aussi forte pour lui , que
» mon amour pour vous ; je ne respire
»que vengeance ; et je confonds dans ma
fureur tous les Princes du monde ; je les
regarde tous comme les Usurpateurs de
mon Trésor ; ces transports qui redoubloient à chaque instant , et dans le tems
>>
même
JUILLET. 1732 1537
même qu'il sembloit se repentir de les
avoir fait éclater , jetterent une douleur
mortelle dans le cœur de la tendre Delmire. » Ah! Seigneur , lui dit- elle , pour-
» quoi faut- il que vous m'aimiez ? que je
vais vous rendre malheureux ! je vois
» trop que le poison de la jalousie se ré-
» pandra sur tous les jours de votre vie, et
qu'il troublera votre tranquillité et la
»mienne ; cependant que dois- je faire
» dans la triste situation où je me trouve?
» dites-moi la réponse que je dois faire au
»Roy d'Arragon : Eh ! puis-je balancer
» un moment à la faire moi- même , lui
» dit l'impetueux Rodrigue ; qu'il vous
>> donne à moi , et qu'il reprenne tout ce
» que la victoire m'a fait conquerir sur
» lui ; je lui abandonne tout , et ce sa-
»crifice iroit jusqu'au don de ma Cou
ronne, si je ne la regardois comme vo-
» tre bien ; mais qu'il ne m'oblige pas
Ȉ reprendre les armes , par la honte
» d'un refus , que j'irois expier dans son ور «sang.
Cet amour , qui tenoit de la fureur , fit
trembler Delmire ; elle comprit bien que
Ja jalousie de son Amant ne finiroit qu'avec sa vie. Pour en calmer les transports ,
elle lui promit de ne rien oublier pour
porter le Roy d'Arragon à un Hymen
D iij qui
1538 MERCURE DE FRANCE
qui les rendroit tous deux infortunez.
Élle fit réponse à son frere avec les plus.
vives expressions que l'amour pût lui.
suggérer. Elle communiqua sa Lettre au
jaloux Rodrigue; il y en ajouta une de sa
main, qui n'étoit pas moins forte, et dont
Delmire auroit été charmée, si elle eût pû
se cacher que ce même amour qui s'exprimoit si tendrement , dégénéroit en implacable couroux , dès qu'il craignoit de
perdre l'objet aimé.
Les engagemens que Don Pedre avoit
pris avec ses Alliez, ne lui permettant pas
de faire assez- tôt une réponse positive aux
propositions de Don Rodrigue , réveil
lerent la jalousie de ce dernier ; il ne dou
ta point que sa perre ne fut résoluë ; il fit
de nouveaux préparatifs de guerre il écla❤
ta en reproches contre la malheureuse
Delmire ; il la soupçonna d'avoir part à
des retardemens qui lui annonçoient un
refus ;elle en soupira , elle en gémit, mais
le mal étoit sans remede ; elle aimoit
trop cet ingrat , qui l'accusoit d'en aimer
un autre. Elle redoubla ses empressemens
auprès de son Frere , et le fit avec tant de
succès , que la paix fut concluë entre les
deux Rois ennemis , et l'hymen arrêté
entre les deux Amans.Cette agréable nouvelle répandit une joie universelle dans
les
JUILLET. 1732. 1539
les Royaumes de Valence et d'Arragon ;
Rodrigue se livra tout entier à la douce
esperance de posseder bien-tôt sa chere
Princesse ; la seule Delmire s'abandonnoit à la douleur , tandis que tout ne res
piroit que bonheur ; elle n'ouvroit son
cœur qu'à deux de ses confidentes , dont
l'une avoit pris soin de son enfance , et l'autre vivoit dans une très-étroite familiarité avec elle. La premiere s'appelloit
Théodore , et l'autre Délie ; je les nomme
toutes deux , parce qu'elles doivent avoir
part à la suite de cette histoire ; Théodore lui conseilloit de fermer les yeux sur
tous les malheurs dont la jalousie de Rodrigue sembloient la menacer ; Délie au
contraire n'oublioit rien pour la détourner d'un hymen que cette affreuse jalou
sie lui rendroit funeste. L'un et l'autre
conseil partoient d'un cœur bien intentionné , mais la triste Delmire ne sçavoit lequel elle devoit suivre pour être
heureuse , l'amour avoit déja décidé de
son sort ; elle ne laissa pas de se précau
tionner autant qu'il dépendoit d'elle
contre les suites que pourroit avoir un
engagement qui devoit durer autant que
sa vie. Elle fit promettre à Don Rodrigue de se guérir de sa jalousie , et ne lui
promit de l'épouser qu'à cette condition.
D iiij Don
1540 MERCURE DE FRANCE
Don Rodrigue lui jura de n'être plus
jaloux. » Je ne l'étois, lui dit-il , que parce
» que je craignois de vous perdre ; vous
» serez bien-tôt à moi ; qu'ai-je à crain-
» dre ? Non , ajouta t- il, plus de défiance,
» Delmire se donne à moy , rien ne peut
» me la ravir , sa foy me rassure contre
toutes les prétentions de mes Rivaux;
» je suis le plus heureux de tous les hom-
» mes , et ma félicité me rend à jamais
❤ tranquille.
Ces belles protestations , qu'il croyoit
aussi constantes que l'amour qui les lui
dictoit , ne tinrent pas contre le premier
sujet qu'il crut avoir de se défier de son
Amante: Voicy ce qui y donna occasion .
La Duchesse du Tirol , tendre amie de
la Princesse d'Arragon , dont elle avoit
vivement ressenti l'absence depuis que le
Roy de Valence l'avoit faite prisonniere ;
n'eût pas plutôt appris que la paix étoit conclue entre les deux Couronnes , et que
sa chere Delmire en alloit porter une ,
qu'elle lui écrivit pour lui témoigner la
part qu'elle prenoit à son bonheur , et
pour la prier de lui accorder la permission de venir à Valence, pour être témoin
d'un hymen qui faisoit la félicité de deux
Peuples. Delmire s'enferma dans son cabinet pour lui faire réponse ; elle avoit
pris
JUILLET. 1732. 1541
pris la précaution de deffendre que personne la vint troubler. L'amoureux Rodrigue se presenta à la porte de son appartement , dans le temps qu'elle achevoit sa Lettre ; quoique les ordres qu'elle
ávoit donnez qu'on la laissât seule , ne
fussent pas pour lui , Délie , celle de ses
Dames qu'elle affectionnoit le plus , et
qui n'approuvoit pas son hymen , à cause des suites fâcheuses qu'il pouvoit
avoir pour sa chere Maîtresse , eut la malice de vouloir mettre sa jalousie à l'épreuve , et lui dit que la Princesse ayant
des dépêches secretes à faire , avoit deffendu , sans excepter personne , qu'on
laissât entrer dans son appartement, »> Ces
» deffenses ne sont pas apparemment pour
»un Royqui doit bientôt être son Epoux,.
répondit D. Rodrigue , avec un souris.
» forcé , et je crois pouvoir prétendre à
>> l'honneur de sa confidence. Délie affecta
encore plus d'empressement. à l'empêcher d'entrer pour lui donner de plus:
grands soupçons; elle n'y réussit que trop
bien. D. Rodrigue avala à longs traits le
poison que cette artificieuse fille lui avoit
préparé ; il entra tout transporté , mais à.
peine eut-il apperçu Delmire que le res--
pect, que sa presence lui inspiroit, suspendit les mouvemens tumultueux qui ve
D v noient
1542 MERCURE DE FRANCE
1
noient de s'élever dans son ame; il se rapella la promesse qu'il lui avoit faite , de
n'être plus jaloux ; et la voïant attentive à
la Lettre qu'elle écrivoit , il s'avança sans
bruit et sans crainte d'être vû , attendu
qu'elle lui tournoit le dos; mais une glace
sur laquelle Delmire jetta les yeux et à
laquelle ce Prince jaloux ne fit nulle attention , tant il étoit occupé de ses soupçons , trahit le dessein qu'il avoit de lire
ce que la Princesse écrivoit. Delmire ne
l'eût pas plutôt apperçu qu'elle serra brusquement sa Lettre; et se tournant vers lui,
elle se plaignit du dessein qu'il avoit de la
surprendre. D. Rodrigue ne sçut d'abord
répondre à ce reproche; il craignoit
de faire entrevoir sa jalousie ; il lui demanda pardon de la liberté qu'il avoit
prise decontrevenir à des ordres qui peutêtre n'étoient pas moins pour lui que
pour tous les autres, quoique le nœud qui
devoit les unir à jamais le mit en droit
de se croire excepté. »Ce droit n'est pas
»encore si sûr que vous le
que
lui pensez ,
répondit Delmire, avec une petite émo-
»tion de colere, puisqu'il n'est fondé que
sur un hymen , auquelje n'ai consenti
»que conditionnellement; avez vous oubiié quelles sont nos conventions ? Vous
>m'avez promis de n'être plus jaloux ;
moi
JUILLET. 1732. 1543
moi,jaloux, s'écria D. Rodrigue;voulez-
» vous me faire un crime d'un mouvement
» de curiosité qui ne tire nullement à con-
» séquence. Eh bien , je vous en croi , lui
» répondit Delmire ; mais comme cette
»curiosité m'a induite à vous soupçonner d'infraction de traité , c'est par
» même que je veux vous punir ; pér-
» mettez donc que je ne la satisfasse pas ;
» vous ne sçauriez mieux me prouvervo
là
tre innocence ; le sacrifice que je vous
» demande n'est pas grand , et si vous
» sçavicz à qui s'addresse cette Lette que
» vous avez voulu lire à mon insçu , vous
» ne balanceriez pas un moment à m'ac-
» corder ce quej'exige de vous ; j'y sous-
» cris sans repugnance , lui répondit Ro
>> drigue , malgré l'envie secrette qu'il
» avoit d'apprendre ce que contenoit cette
» Lettre mysterieuse , que Delie lui avoit
» renduë suspecte ; vous me comblez de
» plaisir , lui dit Delmire, et je commen
ce à bien augurer de votre amende
» ment.
Elle demeura ferme dans sa résolution ,
quoique Rodrigue ne laissât pas de lui
faire entrevoir le desir qu'il avoit de sça--
voir ce qu'elle venoit d'écrire ; ils se sé→
parerent assez satisfaits l'un de l'autre en
apparence ; mais Rodrigue nourrissoit
Dvj dans
1544 MERCURE DE FRANCE
"
4
dans le cœur une inquiétude qu'il lui
falloit dévorer aux yeux de sa Princesse;
elle ne l'eut pas plutôt quitté , qu'il ne
songea qu'aux moyens de s'éclaircir d'un
doute qui troubloit son repos.
Il avoit , pour son malheur , un Confident qui flatoit sa jalousie , parce qu'il
n'étoit jamais plus en faveur auprès de
son Maître , que lors qu'il faisoit quelque
découverte qui l'entretenoit dans son
amoureuse défiance. Cette peste de Cour
s'appelloit Octave. Dom Rodrigue ne lui
eut pas plutôt communiqué ce qui venoit de se passer entre Delmire et lui ,
que ce dangereux Courtisan lui avoüa
qu'il croyoit que cette Lettre que la Princesse avoit écrite à son insçu , s'adressoit
à quelque Rival caché ; il s'offrit à l'intercepter ; Dom Rodrigue lui promit une
récompense proportionnée à ce service ;
mais comme il craignoit d'offenser sa Princesse , il lui ordonna d'éviter l'éclat dans
la commission dont il se chargeoit. Octave lui dit qu'il pouvoit s'en reposer sur
sa dexterité , et le quitta pour aller se
préparer à cette expedition.
Delmire , contente du petit sacrifice
que son Amant venoit de lui faire , chargea Délie de remettre le Billet qu'elle venoit d'écrire entre les mains de celui qui
lul
JUILLET.- 17328 1545
lui avoit apporté la Lettre de la Duchesse
de Tirol ; c'étoit un Amant de Delie ,
qui s'appelloit Florent. Elle executa les ordres de sa Maîtresse ; mais comme les
Amans ont toûjours quelque petit reproche à se faire , Florent ne voulut point
s'éloigner de Délie , sans se plaindre de
son indifference : Est-il possible , lui
dit - il que l'amitié soit plus empres-
»sée que l'Amour ? La Duchesse de Tirol
» n'a pas plutôt appris que le commerce
» n'est plus interrompu entre les Peuples
d'Arragon et ceux de Valence , qu'elle
»s'empresse d'écrire à la Princesse Delmire ; cette tendre amie n'est pas moins
» prompte à lui faire réponse , et Délies
>> pendint deux mois d'absence , ne peut :
>> trouver un seul moment pour donner:
»de ses nouvelles au plus passionné de
>> tous les Amans ! voici de quoi vous convaincre , lui répondit- elle , en tirant
>>de sa poche une Lettre qu'elle n'avoit
>> pû lui envoyer ; ce n'est point- là ton
» caractere , lui dit Florent , il est vrai ,
» répliqua Délie , c'est la Princesse même
» qui a eu la bonté de me préter sa main,
parce ce que je ne pouvois pas me servir
de la mienne , à cause d'une indisposi-
» tion.
Florent étoit si persuadé des bontez de
Del-
16 MERCURE DE FRANCE
Delmire pour Délie , qu'il ne douta point
qu'elle ne lui dît vrai , il la pria de lui
laisser cette chere Lettre , puisque c'étoit
à lui- même qu'elle s'adressoit , Délie n'en
fit aucune difficulté , et retourná auprès
de sa Maîtresse.
Florent ne fut pas plutôr seul qu'il ne
put résister à l'envie de lire ce que Délie
lui écrivoit ; il étoit si occupé de cette
lecture qu'il ne s'apperçut pas de l'arrivée
d'une personne masquée , soutenuë de
plusieurs autres qui devoient venir à son
secours en cas de besoin. C'étoit Octave
qui s'avançant par derriere , lui saisit la
Lettre de Délie. Florent se deffendit autant qu'il put , mais tous les efforts qu'il fie
n'empêcherent pas qu'Octave ne lui ravît
la moitié d'une Lettre qui lui étoit si
chere. Fatale moitié , dont nous verrons
bien-tôt les fun stes suites.
Florent ne pouvant tirer raison de
l'insulte qu'on venoit de lui faire , et ne
scachant qui il devoit en accuser , se con- sola de la perte de cette moitié de Lettre ,
et partir pour aller porter à la Duchesse du
Tirol , le Billet dont D'lie venoit de le
charger de la part de Delmire. Octave
content de son larcin , aila sur le champ
trouver D. Rodrigue , pour lui rendre
compte de l'heureux succès de son zele ;
voici
JUILLET. 1732. 1547
voici ce que contenoit cette moitié de
Lettre, qu'il remit entre les mains de son:
Maître.
L'Amour que vous m'avez autrefois jurée
me fait esperer que vous ne m'avez pas oubliée .
recevez donc ces nouvelles marques de ma tendresse ;
y serez-vous aussi sensible que vous le devez ?
vous êtes dans Saragosse et moi ,
cruelle et rigoureuse absence •
souvenez- vous que je n'aime que vous
que puisque je ne puis vivre sans mon cher ...
vous ne devez vivre que pour la tendre Del ·
Quels furent les transports du Roy de
Valence à cette fatale lecture. Ah! je
»ne m'étonne plus , s'écria-t'il¸ que Pina fidelle Delmire ait pris tant de précau
tion pour n'être point surprise quand
» elle traçoit ces tendres témoignages de
on coupable amour ; avec quelle adresse la peifide s'est prévalue du funeste
>> ascendant qu'elle a sur mon cœur , pour
»me dérober un secret dont la connoissance l'auroit perdue , mais elle ne m'aura pas trompé impunément ; elle ne
»dira plus que ma jalousie est injuste , et
»je n'ai que trop , pour mon malheur
de quoi la confondre.
Il ne s'arrêta pas long- temps à s'exhaler en vains reproches , il courut à l'Appartement de Delmire , pour la convaincre de son manque de foy.
1548 MERCURE DE FRANCE
La Princesse d'Arragon ne s'apperçût pas d'adord du trouble de son cœur ;
elle lui témoigna même combien elle
étoit satisfaite du petit sacrifice qu'il ve
noit de lui faire ; » vous osez encore in→
»sulter à ma crédulité , lui répondit le
» Roy jaloux , d'un ton à la faire trem-
»bler , il n'est que trop grand ce sacrifi-
>> ce dont vous voulez diminuer le prix';
» mais le Ciel , le juste Ciel , n'a pas permis que vous ayez recueilli le fruit de
»votre crime. De mon crime , répondit
» Delmire avec ce noblé courroux qu'ins-
» pire l'innocence accusée ; quoi ? c'est
»par Rodrigue que je suis si mortelle
"
ment outragée. Moi criminelle ! ache-
»vez , cruel persecuteur d'une Princesse
"que vous condamnez à des malheurs
Ȏternels ; apprenez- moi par quelle ac-
» tion j'ai pû meriter l'injure que vous
»faites à ma gloire.Ne croyez pas , poursuivit cet injuste Amant , m'imposer
» encore par ces trompeuses apparences de
»vertudont vous m'avez ébloui jusqu'au-
´» jourd'hui , mes yeux se sont ouverts , et
» plût au Ciel qu'ils fussent encore fer-
>> mez ; et que le hazard ne m'ût pas mis
>> entre les mains des témoins irrécusables
» de votre infidelité. Lisez, poursuivit- il,
» et démentez votre main , si vous l'osez.
»Je
JUILLET. 1732. 1549
» Je ne scaurois disconvenir , lui dit Del-
>> mire , après avoir jetté un regard d'in-
>> dignation sur l'Amant et sur la Lettre
qu'il lui présentoit , je ne sçaurois nier
»que ces mots ne soient tracez de ma
»main; mais avez- vous lieu d'en être ja-
>> loux ? oserez-vous me persuader , in-
»terrompit Rodrigue , que ces tendres
>>> sentimens s'adressent à moi ? L'Amant
»à qui vous écrivez est à Sarragoce ; quel
>> qu'il soit , lui répondit Delmire avec un
>> fier dédain , il est plus digne d'être aimé
»que vous , ces mots acheverent de
»rendre Rodrigue furieux. Quoi ? je
>>ne suis donc plus pour vous , lui dit-il,
» qu'un objet de mépris ! que dis- je ? je
»l'ai toûjours été. Cette absence que vous
» appellez cruelle et rigoureuse , n'a pas
» paré un moment votre perfide cœur de
>> cet heureux Rival , que vous mettez si
fort au- dessus de moi , et vous l'adoriez en secret dans le temps que vous
»me juriez une foi inviolable et un amour
» éternel. Ne poussons pas plus loin une
» erreur qui vous autorise à de nouveaux
»emportemens , lui dit enfin Delmire ; ils
seroient justes s'ils étoient fondez sur
la verité , il est temps de vous détrom-
» per ; mais c'est plutôt pour ma gloire ,
»ajouta- t'elle , que pour votre satisfac
sé-
»tion;
1550 MERCURE DE FRANCE
›
»tion. A ces mots elle ordonna qu'on
>> fit venir Délie ; elle fut obéïe sur le
champ ; Délie , qui se doutoit de ce
qui se passoit entre le Roy et la Princesse entra dans son Appartement
munie d'armes deffensives ; Florent, qui
ne faisoit que de venir de Sarragoce , l'avoit instruite de la violence qu'on lui avoit
faite. Elle tenoit dans sa main, la moitié
de Lettre qui étoit restée dans celle de
Florentin ; » j'ai pressenti , dit elle , en
»s'adressant à Delmire que vous pourriez avoir besoin de cette piece justificative échappée au larcin qu'on a fair
»à Florent. Donnez , répondit Delmire ,
»et vous , injuste Amant , joignez ces ca-
»racteres à ceux qui m'ont rendue si cou-
་
pable à vos yeux , et rougissez seul du
>> crime que vous avez voulu m'imputer.
»Que je crains d'avoir trop mérité votre
»colere ! s'écrie D. Rodrigue , en rece-
»vant d'une main tremblante le fatal
» papier que Delmire lui présentoit.com
»me l'Arrêt de sa condamnation. Je vous.
→crois innocente , continua- t'il , sans rien
>examiner de plus ; il ne suffit pas que
»vous me croyez innocente, lui répon-
»dit Delmire, avec beaucoup d'alteration ,
»il faut que vous soyez convaincu de
»votre crime, je vous laisse , ajoûta- t'elle,
» pour
JUILLET. 1732. 1351
» pour aller refléchir à loisir sur la peine
»qui vous est duë.
A ces mots Delmire le quitta sans
daigner le regarder , et ce qui le fit trembler davantage , c'est de voir qu'elle étoit
suivie de Délie, qu'il sçavoit n'être pas
trop bien intentionnée pour lui.
Sitôt qu'il fut seul , il rejoignit les deux
moitiez de Lettre , et y trouva ces mots.
L'amour que vous m'avez autrefois jurée , mon
ther Florent, et que je vous ai jurée à mon tour,
me fait esperer que vous ne m'avez pas oubliée
malgré la distance des lieux qui nous séparent ;
recevez donc ces nouvelles marques de ma tendresse , qui partent moins d'une plume empruntée que de mon cœur ; y serez vous aussi sensible que
vous le devez je n'ose presque l'esperer ; que sçai-jez
Vous êtes à Sarragosse et moi à Valence ; je ne
veis personne ; puis -je me flatter que vous fassiez de
même. Cruelle et rigoureuse absence ! que tu me
causes d'allarmes ! cependant , souvenez- vous que
je n'aime que vous ; n'aimez aussi que moi , et
songez sans cesse que puisque je ne puis vivre
sans mon cher Florent ; pour prix de tant de
fidelité , vous ne devez vivre que pour la tendre Delie.
Dans quel accablement la lecture de cette
Lettre ne laissa point le jaloux Rodrigue ?
Le plaisir secret qu'il sentit d'abord à se
voir convaincu de la fidelité de Delmire ,
ne put balancer le mortel regret de l'avoir offensée. La froideur avec laquelle'
sa
1552 MERCURE DE FRANCE
sa chere Princesse lui avoit dit en le quittant , qu'elle alloit refléchir à loisir sur
la peine qui lui étoit duë , lui donnoię
tout à craindre pour son amour ; il s'étoit soumis lui- même à cette peine par
la promesse qu'il lui avoit faite de n'être
plus jaloux , mais ce qui l'avoit induit à
l'être , étoit si vrai-semblable , qu'il ne
desespera pas de la fléchir.
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Résumé : LE PRINCE JALOUX.
Le texte 'Le Prince jaloux' explore la passion destructrice de la jalousie, notamment dans le contexte amoureux. La jalousie amoureuse est décrite comme un mélange complexe d'amour et de haine, motivée par la crainte de perdre l'affection de l'être aimé. L'histoire se déroule dans les royaumes d'Arragon et de Valence, initialement en paix sous les règnes de Dom Alphonse et Dom Fernand. Leurs successeurs, Dom Pedro et Dom Rodrigue, mettent fin à cette paix. Dom Rodrigue, plus impulsif, déclenche une guerre fondée sur des prétextes ambitieux. Rodrigue conquiert la capitale d'Arragon et Dom Pedro abandonne sa sœur Delmire aux mains de Rodrigue. Rodrigue, ému par la détresse de Delmire, exprime son repentir. Delmire, initialement indignée, est désarmée par son attitude respectueuse et finit par céder à l'amour. Cependant, Rodrigue, consumé par la jalousie, craint de perdre Delmire. Dom Pedro, trahi par la fortune, cherche des alliés pour récupérer sa sœur et son royaume. Delmire transmet les demandes de son frère à Rodrigue, qui réagit avec fureur jalouse. Delmire parvient à calmer Rodrigue en lui rappelant son amour. Rodrigue accepte de libérer Delmire, mais menace de vengeance contre son rival. Delmire, consciente de la dangerosité de la jalousie de Rodrigue, promet de convaincre son frère d'accepter leur union. Les préparatifs de guerre reprennent, mais Delmire négocie la paix et leur mariage. Cependant, elle reste préoccupée par la jalousie de Rodrigue. Delmire partage ses inquiétudes avec ses confidentes, Théodore et Délie, qui la conseillent différemment sur son avenir avec Rodrigue. Delmire demande à Rodrigue de surmonter sa jalousie avant de l'épouser. Rodrigue jure de ne plus être jaloux, mais ses promesses sont rapidement mises à l'épreuve. Rodrigue tente de lire une lettre destinée à Florent, l'amant de Délie, une dame de Delmire. Cette lettre, partiellement lue par Rodrigue, semble prouver l'infidélité de Delmire. Rodrigue confronte Delmire, qui nie toute infidélité et accuse Rodrigue de mépriser sa gloire. Delmire convoque Délie pour prouver son innocence. Délie présente la moitié d'une lettre que Delmire complète avec celle en sa possession. Cette lettre prouve la fidélité de Delmire et l'amour de Florent. Rodrigue, convaincu de son erreur, regrette d'avoir offensé Delmire et craint pour leur relation.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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14
p. 2565-2566
Le Mardi chez M. de Morvan, sur l'air: en Cana, Festin notable, &c. ou bien, Croyez-vous que l'Amour m'attrape, &c.
Début :
Nous volons de Fête en Fête; [...]
Mots clefs :
Fête, Bacchus, Amour, Morvan, Maîtresse
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texteReconnaissance textuelle : Le Mardi chez M. de Morvan, sur l'air: en Cana, Festin notable, &c. ou bien, Croyez-vous que l'Amour m'attrape, &c.
Le Mardi chez M. de Morvan , sur l'air:
en Cana , Festin notable , &c. ou bien
Croyez- vous que l'Amour m'attrape
&c.
Nous volons de Fête en Fête;
Par tout nouvelles douceurs ;
Bacchus nous bout dans la tête ,
L'Amour enflamme nos cœurs,
2566 MERCURE DE FRANCE
Quel sort charmant les assemble !
Quel aimable accord entr'eux !
Faisons-les bien vivre ensemble;
Is nous feront vivre heureux.
Haringthon chante , et soupire;
De sa belle Epouse épris.
L'Amour dans tout son Empire
N'a point d'Amans de leur prix.
L'Epoux dément l'axiome ,
Que prônent de sots Docteurs ,
Disant qu'à Table un grand homme ,
N'est pointungrand homme ailleurs.
Le Maître qui nous régale ,
Fait les honneurs à charmer ,
La Maitresse qui l'égale ,
En tout lieux se fait aimer.
Au Cabinet, à la Table ,
Que Morvan brille à propos ;
Là, par sa plume admirable ,
A Table par ses bons mots,
C
• Ancien Maire , Major de notre Ville , et
Subdélégué de M. l'Íntendant ; il est homme de
Lettres , et proche Parent de M. l'Abbé de Bellegarde,qui a écritplusieurs beaux Ouvrages en Prose,
en Cana , Festin notable , &c. ou bien
Croyez- vous que l'Amour m'attrape
&c.
Nous volons de Fête en Fête;
Par tout nouvelles douceurs ;
Bacchus nous bout dans la tête ,
L'Amour enflamme nos cœurs,
2566 MERCURE DE FRANCE
Quel sort charmant les assemble !
Quel aimable accord entr'eux !
Faisons-les bien vivre ensemble;
Is nous feront vivre heureux.
Haringthon chante , et soupire;
De sa belle Epouse épris.
L'Amour dans tout son Empire
N'a point d'Amans de leur prix.
L'Epoux dément l'axiome ,
Que prônent de sots Docteurs ,
Disant qu'à Table un grand homme ,
N'est pointungrand homme ailleurs.
Le Maître qui nous régale ,
Fait les honneurs à charmer ,
La Maitresse qui l'égale ,
En tout lieux se fait aimer.
Au Cabinet, à la Table ,
Que Morvan brille à propos ;
Là, par sa plume admirable ,
A Table par ses bons mots,
C
• Ancien Maire , Major de notre Ville , et
Subdélégué de M. l'Íntendant ; il est homme de
Lettres , et proche Parent de M. l'Abbé de Bellegarde,qui a écritplusieurs beaux Ouvrages en Prose,
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Résumé : Le Mardi chez M. de Morvan, sur l'air: en Cana, Festin notable, &c. ou bien, Croyez-vous que l'Amour m'attrape, &c.
Le texte relate une scène festive et harmonieuse chez M. de Morvan, où les invités savourent diverses douceurs et célébrations. Sous l'influence de Bacchus et de l'amour, l'atmosphère est agréable et unie. Harrington, particulièrement épris de sa belle épouse, exprime son amour de manière touchante. Le texte contredit les doctes qui affirment qu'un grand homme à table ne l'est pas nécessairement ailleurs. M. de Morvan, ancien maire et major de la ville, ainsi que subdélégué de l'intendant, est loué pour ses talents littéraires et ses qualités sociales. Il excelle autant par sa plume que par ses bons mots à table. De plus, il est mentionné comme étant un proche parent de l'abbé de Bellegarde, auteur de plusieurs beaux ouvrages en prose.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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15
p. 1428-1441
L'heureux Stratagême, Extrait, [titre d'après la table]
Début :
L'Heureux Stratageme, Comédie nouvelle en Prose, en trois Actes, de M. de [...]
Mots clefs :
Marivaux, Théâtre-Italien, Comtesse, Marquise , Dorante, Amour, Chevalier, Coeur, Feinte, Pièce, Valet, Mariage, Infidélité, Surprise, Maîtresse
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'heureux Stratagême, Extrait, [titre d'après la table]
L'Heureux Stratageme , Comédie nou
velle en Prose , en trois Actes , de M. de
Marivaux , représentée au Théatre Ita
lien , le 6 Juin 1733 .
ACTEURS.
La Comtesse ,
Dorante , Amante de la
Comtesse
La Marquise ,
Le Chevalier Damis ,
Gascon , Amant de la
› Marquise
Comtesse ,
La Dile Silvia:
Le S Romagnesy.
La Dile Thomassi
Lisette , Suivante de la
Arlequin, Valet de Dorante
,
Frontin , Valet du Che-
Le St Lélio.
La Dule Lélio.
valier , Le S Dominique.
JUIN.
1429 1733
Blaise , Jardinier de la
Comtesse , Le S' Mario.
La Scene est chez la Comtesse.
Les beautez qui sont répanduës dans
cette Piéce ne sont peut- être pas à la portée
de tout le monde ; mais ceux qui accusent
l'Autheur d'avoir trop d'esprit ,
ne laissent pas de convenir qu'il a une
parfaite connoissance du coeur humain ,
et que peu de gens font une plus exacte
Analise de ce qui se passe dans celui des
femmes . L'Héroïne de cette Comédie est
une Comtesse, qui traite d'abord la Fidelité
de chimere , parce qu'elle regarde
cette vertu comme un obstacle à la passion
si naturelle au beau sexe , qui est de
faire valoir ses droits sur tous.les coeurs ;
prévenue en faveur de ses attraits , elle
ne croit rien hazarder en volant de conquête
en conquête ; elle aime Dorante ,
mais elle n'est pas fâchée d'être aimée du
Chevalier Damis , et trouve fort mauvais
que son premier adorateur s'en formalise
; la maniere dont elle s'explique avec
Dorante , sur les reproches qu'il ose lui
faire de son nouvel engagement , acheve
de le désesperer. Il se croit véritablement
effacé du coeur de sa Maîtresse , quoiqu'il
ne soit que sacrifié à sa vanité ; une Mar
1 Vol. Hiiij quise
1430 MERCURE DE FRANCE
quise à qui la Comtesse a enlevé un Aman:
dont la perte ne lui tient pas , à beau
coup près , tant au coeur , que Dorante
est sensible à celle qu'il croit avoit faite
à l'amour de la Comtesse , lui vient ou
vrir les yeux ; je connois mon sexe , lui
dit- elle , la Comtesse n'est infidelle qu'en
apparence ; l'envie de faire une nouvell
conquête flatte son amour propre , mais
la crainte d'en perdre une , qu'elle a déja
faite , allarmera ce même amour propre ,
et vous le rendra pius tendre que jamais ;
ce sage conseil est suivi de la proposi
tion qu'elle lui fait de feindre un nouvel
amour dont elle veut bien paroître l'ob
jet ; la proposition rêvolte d'abord , mais
elle est enfin acceptée. La Comtesse ne
daigne pas même donner la moindre
croyance aux nouveaux engagemens
qu'on lui annonce que Dorante vient
de prendre ; elle ne croit pas la chose sérieuse
, parce qu'elle la croit impossible ;
elle croiroit dégrader ses attraits , si elle
s'abbaissoit jusqu'à la crainte ; elle fait
plus , elle découvre le piége qu'on lui
tend , mais elle ne laisse pas d'y donner
dans la suite ; en effet , elle pense juste ,
quand elle dit que Dorante feint d'aimer
la Comtesse pour la rendre jalouse , et
cependant elle va par dégrez , jusqu'à
I I. Vol. craindre
JUIN 1733
1431
craindre que cette feinte ne soit une vérité
, et de la crainte elle passe jusqu'à
la conviction.
se ,
A ce fond de Piece est joint un Episo
de , qui , peut être , a donné lieu de dire
que c'est une nouvelle surprise de l'Amour.
Le voici : Blaise, Jardinier de la Comtesdoit
marier Lisette , sa fille , avec Arlequin
, valet de Dorante ; il vient prier
Dorante de vouloir bien porter la Comtesse
à donner une centaine de livres à sa
fille , pour les frais de la nôce , et pour
l'aider à se mettre en ménage . Dorante
qui commence à se douter de l'infidelité
de la Comtesse, lui répond qu'il ne croit
plus avoir de crédit sur son esprit , parce
qu'il n'en a plus sur son coeur. Toute la
suite de cet Episode a beaucoup de conformité
avec celui de la premiere surprise
de l'amour ; mais cette ressemblance
d'Episodes n'empêche pas que le fond
ne soit tres différent. Finissons cette digression
, et reprenons le fil de la Piece.
Dorante, par le conseil de la Marquise ,
ordonne à Arlequin de ne plus voir Lisette
;la raison qui l'oblige à lui faire cette
deffense , c'est , dit- il , que la Comtesse
pourroit croire qu'il continue à voir la
Suivante , pour épier la Maîtresse . Arlequin
ne peut se résoudre à se priver de
II. Vol. . Hv
la
1432 MERCURE DE FRANCE
la vûë et de la conversation de sa chere
Lisette ; mais la promesse que son Maître
lui fait , de la lui rendre plus tendre
que jamais , le détermine à lui obéïr.
Voici ce que cette heureuse deffense produit
: Blaise se plaint à la Comtesse des
obstacles. que Madame la Marquise apporte
à l'établissement de sa fille ; en effet,
la Marquise a bien voulu prendre cela sur
son compte à la priere de Dorante, qui né
veut point que la Comtesse lui en fasse
un crime , ou du moins ne l'accuse d'impolitesse
, attendu que c'est elle- même
qui a arrangé le mariage du Valet , dans
le temps qu'elle vouloit épouser le Maître.
La Comtesse veut avoir un éclaircissement
avec Dorante; sur cet affront,qu'elle
fait servir de prétexte au désir secret qu'el
le a de rentrer dans les droits que sa beauté
lui a donnés sur son coeur , elle lui en
parle d'un ton de Maîtresse , et lui dit
qu'elle veut absolument que le mariage
qu'elle a projetté entre Arlequin et Lisette
, s'acheve. Dorante lui répond qu'il en
parlera à la Marquise; la Comtesse lui die
avec fierté , qu'elle n'a que faire du consentement
de la personne même qui l'offense
, et que c'est à lui à la vanger . Dorante
lui déclare que ses ordres pouvoient
tout sur lui autrefois , mais que
11. Vol. les
JUIN. 1733.
1433
les temps sont changez , puisqu'elle l'a
bien voulu , et qu'elle lui a montré un
exemple d'infidélité , dont il a cru devoir
profiter ; la Comtesse ne peut soûtenir
cette humiliation , et lui dit une seconde
fois , quoique d'un top un peu moins
ferme , qu'elle veut être obéie. Dorante
se retire sans lui rien promettre.
La Comtesse sent plus que jamais.combien
un exemple d'infidélité est dangereux
. Elle commence à croire que celle
de Dorante n'est pas une feinte , et s'en
plaint à Lisette.
Damis vient et la presse de le rendre
heureux; cette derniere conquête n'a plus
rien qui la flatte ; un coeur qu'elle a gagné
, n'a rien qui la dédommage de celur.
qu'elle a perdu elle n'en fait pourtant
fien connoître à Damis; elle feint au contraire
de plaindre Dorante , et dit au
Chevalier qu'il faut ménager sa douleur
en differant leur hymen . Damis a beau
la presser de l'achever , rien ne peut lui
faire changer une résolution que la pitié
lui inspire , bien moins que l'amour.
Dorante persuadé qu'il est aimé de fa
Comtesse , voudroit se jetter à ses pieds
pour lui demander pardon de sa feinte et
pour se reconcilier avec elle , mais la
Marquise lui fait entendre qu'il n'en est
11. Vol. H.vi pas
1434 MERCURE DE FRANCE
pas encore temps , et que si la Comtesse
s'apperçoit si-tôt de l'empire que sa beauté
lui donne sur lui , elle en abusera
d'une maniere à le rendre plus malheureux
que jamais. Elle lui conseille de
pousser la feinte aussi -loin qu'il se pourra
,et d'achever le stratagéme dont ils sont
convenus ensemble.
On va bien-tôt voir l'effet que produit
cette innocente supercherie. Dorante et
la Marquise font courir le bruit de leur
prochain mariage ; et ce qui picque plus
la Comtesse , c'est que c'est chez elle même
que le Contrat doit être signé ; elle
fait dire à Dorante qu'elle veut lui parler.
Dorante la fait prier de l'en dispen
ser , attendu qu'elle craint que la Marquise
ne le trouve mauvais et n'en prenne
de l'ombrage. Ce menagement acheve
de porter le desespoir dans le coeur de la
Comtesse. Dorante vient enfin avec là
Marquise; ils la prient tous deux de vouloir
bien leur permettre de se marier chez
elle : la présence de Damis ne peut empê
cher la Comtesse de se livrer à sa douleur
: elle dit à Damis qu'elle ne l'a jamais
aimé , et à Dorante , qu'elle lui a
toujours été fidelle ; Dorante ne tiendroit
pas contre un aveu si charmant , si la
Marquise ne l'encourageoit par sa présen-
II. Vol. ce
JUIN. 1733.
1435
à soutenir jusqu'au bout , une feinte
i lui a été si utile ; la Comtesse s'abisse
jusqu'à redemander à Dorante un
eur qu'il semble lui avoir ôté ; la Maruise
répond pour Dorante , qu'il n'en
st plus temps , puisque le Contrat est
ressé ; enfin le Notaire arrive , le Conat
à la main ; la Marquise prie la Comesse
de leur faire l'honneur d'y signer ;
Dorante lui fait la même priere , quoique
d'une voix tremblante ; la Comtesse
bar un dernier effort de fierté , prend la
olume , mais à peine a t- elle signé qu'elle
combe en défaillance entre les bras de
Lisette . Dorante ne pouvant plus tenir
contre cette marque d'amour , se jette à
ses pieds elle paroît agréablement surprise
de le trouver dans cette situation ;
Dorante lui dit que c'est son Hymen
avec lui - même qu'elle vient de signer ,
et la prie de vouloir bien le confirmer .
La Comtesse embrasse la Marquise et lui
Lend graces d'une tromperie qui lui rend
un si fidele Amant. Ce dénouement a
paru un des plus interressans qu'on ait
vûs au Théatre .
La Piéce ayant été imprimée 15 jours
après que nous en eûmes fait cet Extrait
d'après les premieres représentations
nous avons crû qu'il étoit à propos d'y
$
II. Vol.
ajou1436
MERCURE DE FRANCE
ajouter quelques fragmens , pour donne
une plus juste idée de la maniere dont
Sujet est traité. Voici une Scene entre
Comtesse et la Marquise ; c'est la troi
siéme du second Acte.
La Comtesse.
Je viens vous trouver moi même , Marquise ;
Comme vous me demandez un entretien parti
culier , il s'agit apparemment de quelque chos
de conséquence.
La Marquise.
Je n'ai pourtant qu'une question à vous faire
; et , comme vous êtes naturellement vraie ,
que vous êtes la franchise , la sincerité même ,
nous aurons bien- tôt terminé.
La Comtesse.
Je vous entends : Vous ne me croyez pas trop
sincere , mais votre éloge m'exhorte à l'être
N'est- ce pas ?-
La Marquise.
A cela près , le serez - vous?
La Comtesse.
Pour commencer à l'être , je vous dirai que je
n'en sçais rien .
La Marquise.
Si je vous demandois , le Chevalier vous aime
t-il ? Me diriez-vous ce qui en est ?
La Comtesse.
Non , Marquise , je ne veux pas me brouiller
11. Vol. avec
JUIN. 1733. 1437
ec vous ; et vous me haïriez , si je vous disois
vérité.
La
Marquise.
Je vous donne ma parole que non.
La Comtesse.
Vous ne pourriez pas me la tenir , je vous en
ispenserai moi - même ; il
y a des mouvemens
qui sont plus forts que nous.
La Marquise.
Mais pourquoi vous haïrois- je ?
La Comtesse.
N'a-t-on pas prétendu que le Chevalier vous
aimoit ?
La Marquise.
On a eu raison de le prétendre.
La Comtesse.
Nous y voilà , et peut - être l'avez - vous pensé
"yous-même.
Je l'avouë.
La Marquise.
La Comtesse.
Et après cela , je vous irois dire qu'il m'aime !
Vous ne me le conseilleriez pas.
* La Marquise.
N'est-ce que cela ? Eh ! je voudrois déja l'avoir
perdu , je souhaite de tout mon coeur qu'il vous
aime.
La Comtesse .
Oh ! sur ce pié- là , vous n'avez donc qu'à ren-
II. Vol. dre
1438 MERCURE DE FRANC
dre gracet au Ciel ; vos souhaits ne sçauro
être plus exaucez qu'ils le sont.
La Marquise.
Je vous certifie que j'en suis charmée.
La Comtesse.
Vous me rassurez.Ce n'est pas qu'il n'ait to:
Vous êtes si aimable qu'il ne devoit plus av
d'yeux pour personne, mais peut - être vous éton
il moins attaché qu'on n'a cru.
La Marquise.
Non , il me l'étoit beaucoup , mais je l'excus
quand je serois aimable , vous l'êtes encore pl
que moi, et vous sçavez l'être plus qu'une auir
La Comtesse.
+
Plus qu'une autre ! Ah ! vous n
n'êtes pas si cha
mée , Marquise ; je vous disois bien que vou
me manquerież de paroles ; vos éloges baissent
je m'accommode pourtant de celui - cy : j'y sen
une petite pointe de dépit , qui a son mérite
c'est la Jalousie qui me louë .
La Marquise.
Moi , de la jalousie ?
La Comtesse.
A votre avis , un compliment qui finiroit par
m'appeller Coquette , ne viendroit pas d'elle? Oh !
que si , Marquise , on le reconnoît.
La Marquise.
Je ne songeois pas à vous appeller Coquette;
La Comtesse.
Ce sont de ces choses qui se trouvent avant
qu'on y ait rêvé.
JUIN. 1733. 1439
La Marquise.
Mais , de bonne foy,ne l'êtes-vous pas un peu ?
La Comtesse.
*
Oui - dà , mais ce n'est pas assez qu'un peu
ne vous refusez pas le plaisir de me dire que je le
suis beaucoup , cela n'empêchera pas que vous ne
le soyez autant que moi.
La Marquise.
Je n'en donne pas tout - à -fait les mêmes
preuves.
La Comtesse.
C'est qu'on ne prouve que quand on réussit
le manque de succès met bien des coqueteries à
couvert , on se retire sans bruit , un peu humiliée
, mais inconnuë , c'est l'avantage qu'on a.
La Marquise.
Je réussirai , quand je voudrai , Comtesse;
vous le verrez , cela n'est pas difficile , et le Chevalier
ne vous seroit peut - être pas resté , sans le
peu de cas que j'ai fait de son coeur.
La Comtesse.
Je ne chicanerai pas ce dédain -là , mais ,
quand l'amour propre se sauve ,
voilà comme il
parle :
La Marquise.
Voulez-vous gager que cette avanture n'hu¬
miliera pas le mien , si je veux 2
La Comtesse.
Esperez- vous regagner le Chevalier ? Si vous le
pouvez , je vous le donne,
II.Vol
La
1440 MERCURE DE FRANCE
La Marquise.
Vous l'aimés , sans doute
La Comtesse.
Pas mal , mais je vais l'aimer davantage , afia
qu'il vous resiste mieux ; on a besoin de toutes
ses forces avec vous.
La Marquise.
Oh ! ne craignez rien , je vous le laisse ;
Adieu.
La Comtesse.
Eh ! pourquoi disputons-nous sa conquête ?
Mais pardonnez à celle qui l'emportera. Je ne
combat qu'à cette condition , afin que vous
n'ayez rien à me dire.
La Marquise.
Rien à vous dire ! Vous comptez
porter ?
La Comtesse .
donc l'em-
Ecoutez , je jouërois à plus beau jeu que vous.
La Marquise.
J'avois aussi- beau jeu que vous , quand vous
me l'avez ôté , je pourrois donc vous l'enlever
de même.
La Comtesse.
Tentez donc d'avoir votre revanche.
La Marquise.
Non , j'ai quelque chose de mieux à faire.
La Comtesse.
Peut- on vous demander ce que c'est ?
II.Vol. La
JUIN. 1733 1441
La Marquise.
Dorante vaut son prix , Comtesse : Adieu.
On voit par cette Scene avec quelle légéreté
et avec quelle finesse M. de Marivaux dialogue.
La Comtesse , effrayée de la sécurité de la Marquise
, commence à craindre qu'on ne lui enleve
Dorante , quoique son amour propre la flatte
que cela ne sera pas si facile que la Marquise paroît
se l'imaginer ; cette crainte se change enfin
en certitude, et lui arrache ces regrets : Elle parle
à sa suivante.
Je l'aime , et tu m'accables ! tu me penetres de
douleur ! Je l'ai maltraité , j'en conviens , j'ai tort ,
un tort affreux , un tort que je ne me pardonnerai
jamais, et qui ne merite pas que l'on l'oublie ; que
veux-tu que je te dise de plus ? Je me condamne ;
je me suis mal conduite , il est vrai , misérable
amour propre de femme ! misérable vanité d'être
aimée ! voilà ce que vous me coûtez ; j'ai voulu
plaire au Chevalier , comme s'il en avoit valu la
peine , j'ai voulu me donner cette preuve de mon
mêrite ; il manquoit cette honneur à mes charmes ;
les voilà bien glorieux ! J'ai fait la conquête us
Chevalier et j'ai perdu Dorante.
Nous aurions bien d'autres morceaux à citer ,
mais nous passerions les bornes prescrites à nos
Extraits , si nous insérions dans celui- ci tout ce
qui est digne de l'attention de nos Lecteurs
velle en Prose , en trois Actes , de M. de
Marivaux , représentée au Théatre Ita
lien , le 6 Juin 1733 .
ACTEURS.
La Comtesse ,
Dorante , Amante de la
Comtesse
La Marquise ,
Le Chevalier Damis ,
Gascon , Amant de la
› Marquise
Comtesse ,
La Dile Silvia:
Le S Romagnesy.
La Dile Thomassi
Lisette , Suivante de la
Arlequin, Valet de Dorante
,
Frontin , Valet du Che-
Le St Lélio.
La Dule Lélio.
valier , Le S Dominique.
JUIN.
1429 1733
Blaise , Jardinier de la
Comtesse , Le S' Mario.
La Scene est chez la Comtesse.
Les beautez qui sont répanduës dans
cette Piéce ne sont peut- être pas à la portée
de tout le monde ; mais ceux qui accusent
l'Autheur d'avoir trop d'esprit ,
ne laissent pas de convenir qu'il a une
parfaite connoissance du coeur humain ,
et que peu de gens font une plus exacte
Analise de ce qui se passe dans celui des
femmes . L'Héroïne de cette Comédie est
une Comtesse, qui traite d'abord la Fidelité
de chimere , parce qu'elle regarde
cette vertu comme un obstacle à la passion
si naturelle au beau sexe , qui est de
faire valoir ses droits sur tous.les coeurs ;
prévenue en faveur de ses attraits , elle
ne croit rien hazarder en volant de conquête
en conquête ; elle aime Dorante ,
mais elle n'est pas fâchée d'être aimée du
Chevalier Damis , et trouve fort mauvais
que son premier adorateur s'en formalise
; la maniere dont elle s'explique avec
Dorante , sur les reproches qu'il ose lui
faire de son nouvel engagement , acheve
de le désesperer. Il se croit véritablement
effacé du coeur de sa Maîtresse , quoiqu'il
ne soit que sacrifié à sa vanité ; une Mar
1 Vol. Hiiij quise
1430 MERCURE DE FRANCE
quise à qui la Comtesse a enlevé un Aman:
dont la perte ne lui tient pas , à beau
coup près , tant au coeur , que Dorante
est sensible à celle qu'il croit avoit faite
à l'amour de la Comtesse , lui vient ou
vrir les yeux ; je connois mon sexe , lui
dit- elle , la Comtesse n'est infidelle qu'en
apparence ; l'envie de faire une nouvell
conquête flatte son amour propre , mais
la crainte d'en perdre une , qu'elle a déja
faite , allarmera ce même amour propre ,
et vous le rendra pius tendre que jamais ;
ce sage conseil est suivi de la proposi
tion qu'elle lui fait de feindre un nouvel
amour dont elle veut bien paroître l'ob
jet ; la proposition rêvolte d'abord , mais
elle est enfin acceptée. La Comtesse ne
daigne pas même donner la moindre
croyance aux nouveaux engagemens
qu'on lui annonce que Dorante vient
de prendre ; elle ne croit pas la chose sérieuse
, parce qu'elle la croit impossible ;
elle croiroit dégrader ses attraits , si elle
s'abbaissoit jusqu'à la crainte ; elle fait
plus , elle découvre le piége qu'on lui
tend , mais elle ne laisse pas d'y donner
dans la suite ; en effet , elle pense juste ,
quand elle dit que Dorante feint d'aimer
la Comtesse pour la rendre jalouse , et
cependant elle va par dégrez , jusqu'à
I I. Vol. craindre
JUIN 1733
1431
craindre que cette feinte ne soit une vérité
, et de la crainte elle passe jusqu'à
la conviction.
se ,
A ce fond de Piece est joint un Episo
de , qui , peut être , a donné lieu de dire
que c'est une nouvelle surprise de l'Amour.
Le voici : Blaise, Jardinier de la Comtesdoit
marier Lisette , sa fille , avec Arlequin
, valet de Dorante ; il vient prier
Dorante de vouloir bien porter la Comtesse
à donner une centaine de livres à sa
fille , pour les frais de la nôce , et pour
l'aider à se mettre en ménage . Dorante
qui commence à se douter de l'infidelité
de la Comtesse, lui répond qu'il ne croit
plus avoir de crédit sur son esprit , parce
qu'il n'en a plus sur son coeur. Toute la
suite de cet Episode a beaucoup de conformité
avec celui de la premiere surprise
de l'amour ; mais cette ressemblance
d'Episodes n'empêche pas que le fond
ne soit tres différent. Finissons cette digression
, et reprenons le fil de la Piece.
Dorante, par le conseil de la Marquise ,
ordonne à Arlequin de ne plus voir Lisette
;la raison qui l'oblige à lui faire cette
deffense , c'est , dit- il , que la Comtesse
pourroit croire qu'il continue à voir la
Suivante , pour épier la Maîtresse . Arlequin
ne peut se résoudre à se priver de
II. Vol. . Hv
la
1432 MERCURE DE FRANCE
la vûë et de la conversation de sa chere
Lisette ; mais la promesse que son Maître
lui fait , de la lui rendre plus tendre
que jamais , le détermine à lui obéïr.
Voici ce que cette heureuse deffense produit
: Blaise se plaint à la Comtesse des
obstacles. que Madame la Marquise apporte
à l'établissement de sa fille ; en effet,
la Marquise a bien voulu prendre cela sur
son compte à la priere de Dorante, qui né
veut point que la Comtesse lui en fasse
un crime , ou du moins ne l'accuse d'impolitesse
, attendu que c'est elle- même
qui a arrangé le mariage du Valet , dans
le temps qu'elle vouloit épouser le Maître.
La Comtesse veut avoir un éclaircissement
avec Dorante; sur cet affront,qu'elle
fait servir de prétexte au désir secret qu'el
le a de rentrer dans les droits que sa beauté
lui a donnés sur son coeur , elle lui en
parle d'un ton de Maîtresse , et lui dit
qu'elle veut absolument que le mariage
qu'elle a projetté entre Arlequin et Lisette
, s'acheve. Dorante lui répond qu'il en
parlera à la Marquise; la Comtesse lui die
avec fierté , qu'elle n'a que faire du consentement
de la personne même qui l'offense
, et que c'est à lui à la vanger . Dorante
lui déclare que ses ordres pouvoient
tout sur lui autrefois , mais que
11. Vol. les
JUIN. 1733.
1433
les temps sont changez , puisqu'elle l'a
bien voulu , et qu'elle lui a montré un
exemple d'infidélité , dont il a cru devoir
profiter ; la Comtesse ne peut soûtenir
cette humiliation , et lui dit une seconde
fois , quoique d'un top un peu moins
ferme , qu'elle veut être obéie. Dorante
se retire sans lui rien promettre.
La Comtesse sent plus que jamais.combien
un exemple d'infidélité est dangereux
. Elle commence à croire que celle
de Dorante n'est pas une feinte , et s'en
plaint à Lisette.
Damis vient et la presse de le rendre
heureux; cette derniere conquête n'a plus
rien qui la flatte ; un coeur qu'elle a gagné
, n'a rien qui la dédommage de celur.
qu'elle a perdu elle n'en fait pourtant
fien connoître à Damis; elle feint au contraire
de plaindre Dorante , et dit au
Chevalier qu'il faut ménager sa douleur
en differant leur hymen . Damis a beau
la presser de l'achever , rien ne peut lui
faire changer une résolution que la pitié
lui inspire , bien moins que l'amour.
Dorante persuadé qu'il est aimé de fa
Comtesse , voudroit se jetter à ses pieds
pour lui demander pardon de sa feinte et
pour se reconcilier avec elle , mais la
Marquise lui fait entendre qu'il n'en est
11. Vol. H.vi pas
1434 MERCURE DE FRANCE
pas encore temps , et que si la Comtesse
s'apperçoit si-tôt de l'empire que sa beauté
lui donne sur lui , elle en abusera
d'une maniere à le rendre plus malheureux
que jamais. Elle lui conseille de
pousser la feinte aussi -loin qu'il se pourra
,et d'achever le stratagéme dont ils sont
convenus ensemble.
On va bien-tôt voir l'effet que produit
cette innocente supercherie. Dorante et
la Marquise font courir le bruit de leur
prochain mariage ; et ce qui picque plus
la Comtesse , c'est que c'est chez elle même
que le Contrat doit être signé ; elle
fait dire à Dorante qu'elle veut lui parler.
Dorante la fait prier de l'en dispen
ser , attendu qu'elle craint que la Marquise
ne le trouve mauvais et n'en prenne
de l'ombrage. Ce menagement acheve
de porter le desespoir dans le coeur de la
Comtesse. Dorante vient enfin avec là
Marquise; ils la prient tous deux de vouloir
bien leur permettre de se marier chez
elle : la présence de Damis ne peut empê
cher la Comtesse de se livrer à sa douleur
: elle dit à Damis qu'elle ne l'a jamais
aimé , et à Dorante , qu'elle lui a
toujours été fidelle ; Dorante ne tiendroit
pas contre un aveu si charmant , si la
Marquise ne l'encourageoit par sa présen-
II. Vol. ce
JUIN. 1733.
1435
à soutenir jusqu'au bout , une feinte
i lui a été si utile ; la Comtesse s'abisse
jusqu'à redemander à Dorante un
eur qu'il semble lui avoir ôté ; la Maruise
répond pour Dorante , qu'il n'en
st plus temps , puisque le Contrat est
ressé ; enfin le Notaire arrive , le Conat
à la main ; la Marquise prie la Comesse
de leur faire l'honneur d'y signer ;
Dorante lui fait la même priere , quoique
d'une voix tremblante ; la Comtesse
bar un dernier effort de fierté , prend la
olume , mais à peine a t- elle signé qu'elle
combe en défaillance entre les bras de
Lisette . Dorante ne pouvant plus tenir
contre cette marque d'amour , se jette à
ses pieds elle paroît agréablement surprise
de le trouver dans cette situation ;
Dorante lui dit que c'est son Hymen
avec lui - même qu'elle vient de signer ,
et la prie de vouloir bien le confirmer .
La Comtesse embrasse la Marquise et lui
Lend graces d'une tromperie qui lui rend
un si fidele Amant. Ce dénouement a
paru un des plus interressans qu'on ait
vûs au Théatre .
La Piéce ayant été imprimée 15 jours
après que nous en eûmes fait cet Extrait
d'après les premieres représentations
nous avons crû qu'il étoit à propos d'y
$
II. Vol.
ajou1436
MERCURE DE FRANCE
ajouter quelques fragmens , pour donne
une plus juste idée de la maniere dont
Sujet est traité. Voici une Scene entre
Comtesse et la Marquise ; c'est la troi
siéme du second Acte.
La Comtesse.
Je viens vous trouver moi même , Marquise ;
Comme vous me demandez un entretien parti
culier , il s'agit apparemment de quelque chos
de conséquence.
La Marquise.
Je n'ai pourtant qu'une question à vous faire
; et , comme vous êtes naturellement vraie ,
que vous êtes la franchise , la sincerité même ,
nous aurons bien- tôt terminé.
La Comtesse.
Je vous entends : Vous ne me croyez pas trop
sincere , mais votre éloge m'exhorte à l'être
N'est- ce pas ?-
La Marquise.
A cela près , le serez - vous?
La Comtesse.
Pour commencer à l'être , je vous dirai que je
n'en sçais rien .
La Marquise.
Si je vous demandois , le Chevalier vous aime
t-il ? Me diriez-vous ce qui en est ?
La Comtesse.
Non , Marquise , je ne veux pas me brouiller
11. Vol. avec
JUIN. 1733. 1437
ec vous ; et vous me haïriez , si je vous disois
vérité.
La
Marquise.
Je vous donne ma parole que non.
La Comtesse.
Vous ne pourriez pas me la tenir , je vous en
ispenserai moi - même ; il
y a des mouvemens
qui sont plus forts que nous.
La Marquise.
Mais pourquoi vous haïrois- je ?
La Comtesse.
N'a-t-on pas prétendu que le Chevalier vous
aimoit ?
La Marquise.
On a eu raison de le prétendre.
La Comtesse.
Nous y voilà , et peut - être l'avez - vous pensé
"yous-même.
Je l'avouë.
La Marquise.
La Comtesse.
Et après cela , je vous irois dire qu'il m'aime !
Vous ne me le conseilleriez pas.
* La Marquise.
N'est-ce que cela ? Eh ! je voudrois déja l'avoir
perdu , je souhaite de tout mon coeur qu'il vous
aime.
La Comtesse .
Oh ! sur ce pié- là , vous n'avez donc qu'à ren-
II. Vol. dre
1438 MERCURE DE FRANC
dre gracet au Ciel ; vos souhaits ne sçauro
être plus exaucez qu'ils le sont.
La Marquise.
Je vous certifie que j'en suis charmée.
La Comtesse.
Vous me rassurez.Ce n'est pas qu'il n'ait to:
Vous êtes si aimable qu'il ne devoit plus av
d'yeux pour personne, mais peut - être vous éton
il moins attaché qu'on n'a cru.
La Marquise.
Non , il me l'étoit beaucoup , mais je l'excus
quand je serois aimable , vous l'êtes encore pl
que moi, et vous sçavez l'être plus qu'une auir
La Comtesse.
+
Plus qu'une autre ! Ah ! vous n
n'êtes pas si cha
mée , Marquise ; je vous disois bien que vou
me manquerież de paroles ; vos éloges baissent
je m'accommode pourtant de celui - cy : j'y sen
une petite pointe de dépit , qui a son mérite
c'est la Jalousie qui me louë .
La Marquise.
Moi , de la jalousie ?
La Comtesse.
A votre avis , un compliment qui finiroit par
m'appeller Coquette , ne viendroit pas d'elle? Oh !
que si , Marquise , on le reconnoît.
La Marquise.
Je ne songeois pas à vous appeller Coquette;
La Comtesse.
Ce sont de ces choses qui se trouvent avant
qu'on y ait rêvé.
JUIN. 1733. 1439
La Marquise.
Mais , de bonne foy,ne l'êtes-vous pas un peu ?
La Comtesse.
*
Oui - dà , mais ce n'est pas assez qu'un peu
ne vous refusez pas le plaisir de me dire que je le
suis beaucoup , cela n'empêchera pas que vous ne
le soyez autant que moi.
La Marquise.
Je n'en donne pas tout - à -fait les mêmes
preuves.
La Comtesse.
C'est qu'on ne prouve que quand on réussit
le manque de succès met bien des coqueteries à
couvert , on se retire sans bruit , un peu humiliée
, mais inconnuë , c'est l'avantage qu'on a.
La Marquise.
Je réussirai , quand je voudrai , Comtesse;
vous le verrez , cela n'est pas difficile , et le Chevalier
ne vous seroit peut - être pas resté , sans le
peu de cas que j'ai fait de son coeur.
La Comtesse.
Je ne chicanerai pas ce dédain -là , mais ,
quand l'amour propre se sauve ,
voilà comme il
parle :
La Marquise.
Voulez-vous gager que cette avanture n'hu¬
miliera pas le mien , si je veux 2
La Comtesse.
Esperez- vous regagner le Chevalier ? Si vous le
pouvez , je vous le donne,
II.Vol
La
1440 MERCURE DE FRANCE
La Marquise.
Vous l'aimés , sans doute
La Comtesse.
Pas mal , mais je vais l'aimer davantage , afia
qu'il vous resiste mieux ; on a besoin de toutes
ses forces avec vous.
La Marquise.
Oh ! ne craignez rien , je vous le laisse ;
Adieu.
La Comtesse.
Eh ! pourquoi disputons-nous sa conquête ?
Mais pardonnez à celle qui l'emportera. Je ne
combat qu'à cette condition , afin que vous
n'ayez rien à me dire.
La Marquise.
Rien à vous dire ! Vous comptez
porter ?
La Comtesse .
donc l'em-
Ecoutez , je jouërois à plus beau jeu que vous.
La Marquise.
J'avois aussi- beau jeu que vous , quand vous
me l'avez ôté , je pourrois donc vous l'enlever
de même.
La Comtesse.
Tentez donc d'avoir votre revanche.
La Marquise.
Non , j'ai quelque chose de mieux à faire.
La Comtesse.
Peut- on vous demander ce que c'est ?
II.Vol. La
JUIN. 1733 1441
La Marquise.
Dorante vaut son prix , Comtesse : Adieu.
On voit par cette Scene avec quelle légéreté
et avec quelle finesse M. de Marivaux dialogue.
La Comtesse , effrayée de la sécurité de la Marquise
, commence à craindre qu'on ne lui enleve
Dorante , quoique son amour propre la flatte
que cela ne sera pas si facile que la Marquise paroît
se l'imaginer ; cette crainte se change enfin
en certitude, et lui arrache ces regrets : Elle parle
à sa suivante.
Je l'aime , et tu m'accables ! tu me penetres de
douleur ! Je l'ai maltraité , j'en conviens , j'ai tort ,
un tort affreux , un tort que je ne me pardonnerai
jamais, et qui ne merite pas que l'on l'oublie ; que
veux-tu que je te dise de plus ? Je me condamne ;
je me suis mal conduite , il est vrai , misérable
amour propre de femme ! misérable vanité d'être
aimée ! voilà ce que vous me coûtez ; j'ai voulu
plaire au Chevalier , comme s'il en avoit valu la
peine , j'ai voulu me donner cette preuve de mon
mêrite ; il manquoit cette honneur à mes charmes ;
les voilà bien glorieux ! J'ai fait la conquête us
Chevalier et j'ai perdu Dorante.
Nous aurions bien d'autres morceaux à citer ,
mais nous passerions les bornes prescrites à nos
Extraits , si nous insérions dans celui- ci tout ce
qui est digne de l'attention de nos Lecteurs
Fermer
Résumé : L'heureux Stratagême, Extrait, [titre d'après la table]
'L'Heureux Stratagème' est une comédie en prose de Marivaux, représentée pour la première fois au Théâtre Italien le 6 juin 1733. L'intrigue se déroule chez la Comtesse, qui est amoureuse de Dorante mais se laisse séduire par le Chevalier Damis. La Marquise, jalouse, conseille à Dorante de feindre un nouvel amour pour rendre la Comtesse jalouse. La Comtesse, d'abord sceptique, finit par croire à la feinte de Dorante et en souffre. La Marquise et Dorante font circuler la rumeur de leur prochain mariage, ce qui désespère la Comtesse. Lors de la signature du contrat de mariage, la Comtesse s'évanouit et Dorante lui révèle que le contrat est en réalité pour leur mariage. La pièce se conclut par la réconciliation des amants, avec la Comtesse reconnaissante envers la Marquise pour sa ruse. La pièce met également en scène une conversation entre la Marquise et la Comtesse au sujet de Dorante. La Marquise affirme qu'elle laissera Dorante à la Comtesse, mais cette dernière exprime sa crainte de le perdre malgré son amour-propre. La Comtesse avoue ensuite à sa suivante qu'elle regrette d'avoir maltraité Dorante par orgueil et vanité, reconnaissant ainsi son erreur. Elle exprime sa douleur et sa culpabilité pour avoir préféré plaire au Chevalier plutôt que de conserver l'amour de Dorante. La pièce est appréciée pour son analyse fine des sentiments humains, notamment ceux des femmes. Le dialogue de Marivaux est caractérisé par sa légèreté et sa finesse, illustrant les conflits internes et les regrets de la Comtesse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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16
p. 1835-1839
Molière imprimé à Londres, &c. [titre d'après la table]
Début :
Dans la troisiéme feuille du Pour et Contre, on promet une feuille tous les [...]
Mots clefs :
L'Avare, Molière, Mariane, Frédéric, Fielding, Anglais, Dénouement, Amant, Maîtresse
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Molière imprimé à Londres, &c. [titre d'après la table]
Dans la troisiéme feuille du Pour et
Contre , on promet une feuille tous les
Lundis de chaque semaine .
On apprend dans la quatriéme feüille ,
que les Oeuvres de Moliere viennent d'être
magnifiquement imprimées à Lon-
G iij dres
1836 MERCURE DE FRANCE
dres , avec des Préfaces honorables , avec
des Notes , et la Traduction Angloise à
côté du François ; mais comme si c'étoit
trop peu d'un seul nom , quelqu'Illustre
qu'il puisse être , pour servir de Frontispice
à tout l'Ouvrage , on a multiplié les
Dédicaces au même nombre que les Piéces
; de sorte que le Prince de Galles et
les principaux Seigneurs d'Angleterre
se trouvent interessez à la gloire de
Moliere. Le succès de cette belle Edition
prouve qu'il n'a pas moins de Partisans
dans les rangs inférieurs , & c.
Les Anglois ont traduit les Piéces de
Moliere , non seulement pour les lire ,
mais pour les représenter sur leurs Théatres
. Depuis moins de trois mois , l'Avare
a déja eu cet honneur 35 fois . A la verité
l'on Y a fait quelques changemens , pour
le mettre tout à fait au gout de la Nation
; car le Théatre des Anglois est encore
fort éloigné de ressembler au nôtre..
L'Auteur rend compte de ces changemens
, afin qu'on puisse juger si on embellit
Moliere ou si on le défigure.Il semble
que M. Fielding , dit il , Traducteur
de l'Avare , ait appréhendé principalement
que la simplicité du Sujet ne déplût
à ses compatriotes ; il l'a chargé autant
qu'il a pû , de nouveaux incidens , pour
renAOUST.
1733.
1837
rendre l'intrigue plus composée . Les Anglois
ne s'accommodent point de ce qui
est trop facile à comprendre. Il faut donner
par tout de l'exercice à leur raison .
Ainsi M. Fielding a pris le parti de changer
quelques Personnages , d'en introduire
de nouveaux , & par conséquent
de multiplier les interêts et les caracte
res , ce qui donne lieu à quantité d'événemens,
qui forment une Piéce plus étendue
et plus variée que celle de Moliere.
On sçait que l'intrigue roule dans Moliere
, sur les amours de la Fille et du Fils
de l'Avare, qui ne s'accordent point avec
les dessins de leur Pere. Ils emploient ,
pour les faire réussir , divers stratagêmes
qui mettent l'Avarice du Pere dans tout
son jour ; et le dénouement , qui n'est pas
des plus heureux , consiste dans la reconnoissance
de l'Amant de la Fille , et de la
Maîtresse du Fils , qui se trouvent Frere et
Soeur, mais Enfans d'Anselme , à qui l'Avare
destinoit sa fille,
M.Fielding a conservé ce double amour
pour en faire le fond de son intrigue ,
et il n'a fait qu'allonger la plupart des
Scenes qui y ont rapport ; mais peu satisfait
du dénouement de Moliere , il en
substitue un autre de son invention. Il
a fait de Mariane , Maîtresse de Frederic ,
G iiij
Fils
1838 MERCURE DE FRANCE
2
Fils de l'Avare, une Coquette fieffée , qui
aime néanmoins Frédéric ; mais qui par
une bisarrerie extraordinaire , se fait une
honte de l'avoüer . Non- seulement ce ca-
Factere fait naître plusieurs Scenes agréables
et d'un tour nouveau ; mais il fournit
à l'Auteur un dénouement fort naturel.
Mariane , piquée de ce que Harriette,
con Amie , et Soeur de Frederic , a
trahi le secret de son amour , fait semblant
dans son dépit de vouloir épouser
l'Avare , qui l'avoit demandée en mariage.
Elle se livre de nouveau aux conseils
de sa Mere, nouveau Personnage introduit
par M. Fielding ; et après avoir
tiré de l'Avare un dédit de cent mille
francs elle fixe le jour de ses Nôces avce
lui , ce qui m t Harriette et Fréde . ic dans
une mortelle inquiétude. Cependant comme
son dessein n'est que de les eff.aïer ,
et que voulant être à Frédéric elle se propose
de rompre avec le Pere ; voici de
qu'elle mani re elle s'y prend :
Le jour destiné pour les Fiançailles ,
elle porte son caractere de Coquette au
plus haut dégré , elle fait une dépense
effroiable en habits , bijoux , &c. Elle fait
appeller chez l'Avare tous les Marchands
de la Ville , avec lesquels elle s'engage
pour quelque chose. Tout est prodigué
dans
A O UST. 1733. 1839
dans la maison. L'Avare s'explique assez
brusquement avec elle ; mais elle lui déclare
que ce n'est que l'essai de sa conduite
future , et qu'il doit s'attendre à lui
voir mener le même train toute sa vie.
Des créanciers supposez viennent lui demander
des sommes considérables , que
le nouvel Epoux sera obligé de payer , suivant
les Loix d'Angleterre. Enfin le malheureux(
a ) Lovegold,à qui l'on a volé d'un
autre côté son trésor , se trouve dans un
tel excès de trouble et de désespoir , que
pour se délivrer de Mariane, qu'il regarde
comme une furie , et pour recouvrer
son argent qu'on lui offre à cette condition
, il consent qu'elle épouse son Fils
et qu'Harriette sa Fille , épouse son Amant.
Il abandonne même à Mariane les cent
mille franes de dédit , comme une perte
légere en comparaison de ce qu'il croit
sauver en se délivrant d'elle ,et cette somme
sert à Mariane pour établir sa fortune
avec Frederic ; pour l'Amant d'Harriette
, il ne demande rien au Pere de sa
Maîtresse , parce qu'il est assez riche
pour attendre son héritage jusqu'au tems
de sa mort.
( a ) Nom de l'Avare , dans la Traduction Angloise.
La Piéce est intitulée , Thémis..
Contre , on promet une feuille tous les
Lundis de chaque semaine .
On apprend dans la quatriéme feüille ,
que les Oeuvres de Moliere viennent d'être
magnifiquement imprimées à Lon-
G iij dres
1836 MERCURE DE FRANCE
dres , avec des Préfaces honorables , avec
des Notes , et la Traduction Angloise à
côté du François ; mais comme si c'étoit
trop peu d'un seul nom , quelqu'Illustre
qu'il puisse être , pour servir de Frontispice
à tout l'Ouvrage , on a multiplié les
Dédicaces au même nombre que les Piéces
; de sorte que le Prince de Galles et
les principaux Seigneurs d'Angleterre
se trouvent interessez à la gloire de
Moliere. Le succès de cette belle Edition
prouve qu'il n'a pas moins de Partisans
dans les rangs inférieurs , & c.
Les Anglois ont traduit les Piéces de
Moliere , non seulement pour les lire ,
mais pour les représenter sur leurs Théatres
. Depuis moins de trois mois , l'Avare
a déja eu cet honneur 35 fois . A la verité
l'on Y a fait quelques changemens , pour
le mettre tout à fait au gout de la Nation
; car le Théatre des Anglois est encore
fort éloigné de ressembler au nôtre..
L'Auteur rend compte de ces changemens
, afin qu'on puisse juger si on embellit
Moliere ou si on le défigure.Il semble
que M. Fielding , dit il , Traducteur
de l'Avare , ait appréhendé principalement
que la simplicité du Sujet ne déplût
à ses compatriotes ; il l'a chargé autant
qu'il a pû , de nouveaux incidens , pour
renAOUST.
1733.
1837
rendre l'intrigue plus composée . Les Anglois
ne s'accommodent point de ce qui
est trop facile à comprendre. Il faut donner
par tout de l'exercice à leur raison .
Ainsi M. Fielding a pris le parti de changer
quelques Personnages , d'en introduire
de nouveaux , & par conséquent
de multiplier les interêts et les caracte
res , ce qui donne lieu à quantité d'événemens,
qui forment une Piéce plus étendue
et plus variée que celle de Moliere.
On sçait que l'intrigue roule dans Moliere
, sur les amours de la Fille et du Fils
de l'Avare, qui ne s'accordent point avec
les dessins de leur Pere. Ils emploient ,
pour les faire réussir , divers stratagêmes
qui mettent l'Avarice du Pere dans tout
son jour ; et le dénouement , qui n'est pas
des plus heureux , consiste dans la reconnoissance
de l'Amant de la Fille , et de la
Maîtresse du Fils , qui se trouvent Frere et
Soeur, mais Enfans d'Anselme , à qui l'Avare
destinoit sa fille,
M.Fielding a conservé ce double amour
pour en faire le fond de son intrigue ,
et il n'a fait qu'allonger la plupart des
Scenes qui y ont rapport ; mais peu satisfait
du dénouement de Moliere , il en
substitue un autre de son invention. Il
a fait de Mariane , Maîtresse de Frederic ,
G iiij
Fils
1838 MERCURE DE FRANCE
2
Fils de l'Avare, une Coquette fieffée , qui
aime néanmoins Frédéric ; mais qui par
une bisarrerie extraordinaire , se fait une
honte de l'avoüer . Non- seulement ce ca-
Factere fait naître plusieurs Scenes agréables
et d'un tour nouveau ; mais il fournit
à l'Auteur un dénouement fort naturel.
Mariane , piquée de ce que Harriette,
con Amie , et Soeur de Frederic , a
trahi le secret de son amour , fait semblant
dans son dépit de vouloir épouser
l'Avare , qui l'avoit demandée en mariage.
Elle se livre de nouveau aux conseils
de sa Mere, nouveau Personnage introduit
par M. Fielding ; et après avoir
tiré de l'Avare un dédit de cent mille
francs elle fixe le jour de ses Nôces avce
lui , ce qui m t Harriette et Fréde . ic dans
une mortelle inquiétude. Cependant comme
son dessein n'est que de les eff.aïer ,
et que voulant être à Frédéric elle se propose
de rompre avec le Pere ; voici de
qu'elle mani re elle s'y prend :
Le jour destiné pour les Fiançailles ,
elle porte son caractere de Coquette au
plus haut dégré , elle fait une dépense
effroiable en habits , bijoux , &c. Elle fait
appeller chez l'Avare tous les Marchands
de la Ville , avec lesquels elle s'engage
pour quelque chose. Tout est prodigué
dans
A O UST. 1733. 1839
dans la maison. L'Avare s'explique assez
brusquement avec elle ; mais elle lui déclare
que ce n'est que l'essai de sa conduite
future , et qu'il doit s'attendre à lui
voir mener le même train toute sa vie.
Des créanciers supposez viennent lui demander
des sommes considérables , que
le nouvel Epoux sera obligé de payer , suivant
les Loix d'Angleterre. Enfin le malheureux(
a ) Lovegold,à qui l'on a volé d'un
autre côté son trésor , se trouve dans un
tel excès de trouble et de désespoir , que
pour se délivrer de Mariane, qu'il regarde
comme une furie , et pour recouvrer
son argent qu'on lui offre à cette condition
, il consent qu'elle épouse son Fils
et qu'Harriette sa Fille , épouse son Amant.
Il abandonne même à Mariane les cent
mille franes de dédit , comme une perte
légere en comparaison de ce qu'il croit
sauver en se délivrant d'elle ,et cette somme
sert à Mariane pour établir sa fortune
avec Frederic ; pour l'Amant d'Harriette
, il ne demande rien au Pere de sa
Maîtresse , parce qu'il est assez riche
pour attendre son héritage jusqu'au tems
de sa mort.
( a ) Nom de l'Avare , dans la Traduction Angloise.
La Piéce est intitulée , Thémis..
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Résumé : Molière imprimé à Londres, &c. [titre d'après la table]
Le texte du Mercure de France de 1836 traite de la publication des œuvres de Molière à Londres, soulignant la qualité de l'impression et la présence de préfaces honorables, de notes et d'une traduction anglaise à côté du texte français. Chaque pièce est dédiée à un personnage illustre, tel que le Prince de Galles et les principaux seigneurs d'Angleterre, ce qui démontre l'intérêt pour Molière outre-Manche. Les Anglais ne se contentent pas de traduire les pièces de Molière ; ils les représentent également sur leurs scènes théâtrales. Par exemple, 'L'Avare' a été joué 35 fois en moins de trois mois, bien que des modifications aient été apportées pour adapter la pièce au goût anglais. L'auteur du texte critique ces changements, notant que M. Fielding, le traducteur de 'L'Avare', a ajouté de nouveaux incidents et personnages pour rendre l'intrigue plus complexe. L'intrigue originale de Molière, centrée sur les amours de la fille et du fils de l'avare, est conservée par Fielding. Cependant, ce dernier modifie le dénouement. Dans la version de Fielding, Mariane, la maîtresse de Frédéric, le fils de l'avare, est une coquette qui aime Frédéric mais cache ses sentiments. Elle feint de vouloir épouser l'avare pour effrayer Frédéric et sa sœur Harriette. Finalement, l'avare, désespéré par les dépenses extravagantes de Mariane, accepte qu'elle épouse son fils et que Harriette épouse l'amant de cette dernière. La pièce est intitulée 'Thémis'.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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17
p. 2042-2046
EXTRAIT de la petite Comédie en Vers libres et en un Acte, joüée au Théatre Italien, qui a pour titre le Bouquet, annoncée dans le dernier Mercure.
Début :
Rosimont et le Chevalier Muguet, se rencontrent dans un Jardin public, [...]
Mots clefs :
Chevalier, Bouquet, Maîtresse, Bouquet, Rosimont, Florise, Amour, Inconstance, Valet, Théâtre-Italien
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texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT de la petite Comédie en Vers libres et en un Acte, joüée au Théatre Italien, qui a pour titre le Bouquet, annoncée dans le dernier Mercure.
EXTRAIT de la petite Comédie en
Vers libres et en un Acte , jouée an
Théatre Italien , qui apour titre le Bouquet
, annoncée dans le dernier Mercure
R
Osimont et le Chevalier Muguet , se
·rencontrent dans un Jardin public ,
où a Scene se passe Rosimont reproche
au chevalier , son ancien ami , de ne lui
avoir pas fait sçavoir plutôt son arrivée le
Chevalier s'excuse sur un nouvel amour
qui l'a occupé tour entier , malgré son
inconstance ordinaire ; Rosimont est surpris
d'un amour si sérieux ; le Chevalier
fait l'éloge de l'Inconstance , et Rosimont
celui de la Fidelité ; le premier proteste
que son nouvel amour sera constant , et
se flatte d'obtenir en mariage celle qui
en est l'objet ; il lui dit que ce jour étant
la Fête de sa nouvelle Maîtresse , il a
chargé Tricolor , son Valet , de lui présenter
un Bouquet de sa part. Tricolor
vient
SEPTEMBRE. 1733. 2043
fent avec le Bouquet ; Rosimont , en
'examinant , plaisante sur quelques Paillons
qui sont sur les fleurs , attendu
qu'ils sont le simbole de la légereté ; le
Chevalier lui dit que son inconstance
naturelle , exprimée dans son Bouquet ,
est un nouveau trophée pour la Beauté
qui en a triomphé ; il promet à Rosinont
de lui apprendre le succès de son
amour ,quand il en sera temps.
Rosimont doute fort de ce prétendu
succès, et quitte le Chevalier pour s'aller
promener dans une autre allée du Jardin,
dans l'esperance d'y rencontrer Florise
son ancienne Maîtresse. Violette , Suivante
de Jacinte , nouvelle Maîtresse du Che
valier , arrive ; le Chevalier lui demande
vec empressement des nouvelles de sa
Maîtresse ; Tricolor lui en demande d'ele
même ; le Chevalier Muguet lui ordonne
de se taire ; mais ce Valet lui ré
pond que c'est à lui à parler , puisqu'il
est l'Amant de Violette , et qu'il
n'auroit pas l'indiscrétion de l'interromare
s'il parloit à Jacinte , sa Maîtresse.
Le Chevalier se retire pour laisser son
Valet en liberté de faire le message dont
il l'a chargé. Aprés une conversation
courte et badine entre Tricolor et la
Soubrette , la Maîtresse arrive . Le Valet
2044 MERCURE DE FRANCE
let lui présente le Bouquet de son Maître
, Jacinte le reçoit avec plaisir , mais
y voyant briller quelques diamans , elle
veut le rendre à Tricolor . Violette s'en
saisit , de peur que sa Maîtresse ne le
refuse par bienséance . Jacinte qui craint
la sévérité de son pere , consent à le
garder , pourvû qu'elle puisse cacher
qu'il vient de la main d'un Amant. Elle
ordonne à Violette de le porter à sa cousine
Florise , Maîtresse de Rosimond ,
afin qu'elle paroisse l'Auteur de cette
galanterie ; ce projet est executé , Florise
veut pourtant avoir le plaisir de s'en
parer pour quelques heures . Rosimont ,
que le Chevalier a instruit du favorable
accueil que sa nouvelle Maîtresse a fait
à son Bouquet , sans pourtant lui apprendre
son nom , est très- surpris en
trouvant Florise , son Amante , de voir
ce fatal Bouquet sur son sein ; sa jalousie
ne peut s'empêcher d'éclater , il reproche
à Florise une infidélité dont elle
ose faire parade à ses yeux . Florise ne
comprend rien aux reproches qu'il lui
fait , et ne doute point qu'il ne prenne ,
d'une inconstance prétendue , un prétexte
pour en autoriser un veritable. Ils
se quittent très - mal satisfaits l'un de
Pautre , Florise sort.
Le
SEPTEMBRE. 1733- 2045
Le Chevalier arrive , transporté de
joye il vient joindre Rosimond , pour
lui dire que ses affaires vont à merveille,
que le Bouquet a été reçû favorablement,
et qu'il va posseder sa charmante Maîtresse
; Rosimont , peu satisfait de cette
confidence , lui répond d'un air sérieux
que cette nouvelle Maîtresse dont il vante
tant la fidelité , n'est qu'une volige ,
et que c'est lui , Rosimont , qu'elle aimoit
; le Chevalier rèpond d'un ton babadin
que cela pourroit bien être ; Rosirmont
qui prend ces discours pour une
plaisanterie , dit au Chevalier qu'il ne
lui enlevera pas impunément sa conquêté
; ils se querellent tout de bon , et prêts
à sortir pour aller terminer ailleurs leur
different à la pointe de l'épée , Florise
et Jacinte parée du Bouquet , arrivent ;
elles trouvent leurs Amans fort agitez , elles
leur demande le sujet de leur dispute;
Rosimont reproche à Florise d'aimer le
Chevalier , puisque c'est elle qui s'est parée
de son Bouquet ; le Chevalier ne
comprend rien à ce reproche , n'ayant
jamais vû , dit- il , Florise ; Jacinte reproche
aussi au Chevalier de courir de
Belle en Belle ; Violette, arrive , qui développe
1 : quiproquo du Bouquet , en
disant que Florise ne s'en étoit parée
G qu'à
2046 MERCURE DE FRANCE
qu'à la priere de sa Cousine , & c . Les
deux Amans conviennent de la bonne.
foi de leurs Maîtresses , se raccommodent
avec elles et sortent ensemble pour
aller demander le consentement à leurs
parens pour célebrer ce double Mariage.
Cette Piece , qui a été applaudie , est
des sieurs Romagnesy et Riccoboni ; elle
est terminée par une Fête très - galante'
mise en Musique par M. Mouret.
Vers libres et en un Acte , jouée an
Théatre Italien , qui apour titre le Bouquet
, annoncée dans le dernier Mercure
R
Osimont et le Chevalier Muguet , se
·rencontrent dans un Jardin public ,
où a Scene se passe Rosimont reproche
au chevalier , son ancien ami , de ne lui
avoir pas fait sçavoir plutôt son arrivée le
Chevalier s'excuse sur un nouvel amour
qui l'a occupé tour entier , malgré son
inconstance ordinaire ; Rosimont est surpris
d'un amour si sérieux ; le Chevalier
fait l'éloge de l'Inconstance , et Rosimont
celui de la Fidelité ; le premier proteste
que son nouvel amour sera constant , et
se flatte d'obtenir en mariage celle qui
en est l'objet ; il lui dit que ce jour étant
la Fête de sa nouvelle Maîtresse , il a
chargé Tricolor , son Valet , de lui présenter
un Bouquet de sa part. Tricolor
vient
SEPTEMBRE. 1733. 2043
fent avec le Bouquet ; Rosimont , en
'examinant , plaisante sur quelques Paillons
qui sont sur les fleurs , attendu
qu'ils sont le simbole de la légereté ; le
Chevalier lui dit que son inconstance
naturelle , exprimée dans son Bouquet ,
est un nouveau trophée pour la Beauté
qui en a triomphé ; il promet à Rosinont
de lui apprendre le succès de son
amour ,quand il en sera temps.
Rosimont doute fort de ce prétendu
succès, et quitte le Chevalier pour s'aller
promener dans une autre allée du Jardin,
dans l'esperance d'y rencontrer Florise
son ancienne Maîtresse. Violette , Suivante
de Jacinte , nouvelle Maîtresse du Che
valier , arrive ; le Chevalier lui demande
vec empressement des nouvelles de sa
Maîtresse ; Tricolor lui en demande d'ele
même ; le Chevalier Muguet lui ordonne
de se taire ; mais ce Valet lui ré
pond que c'est à lui à parler , puisqu'il
est l'Amant de Violette , et qu'il
n'auroit pas l'indiscrétion de l'interromare
s'il parloit à Jacinte , sa Maîtresse.
Le Chevalier se retire pour laisser son
Valet en liberté de faire le message dont
il l'a chargé. Aprés une conversation
courte et badine entre Tricolor et la
Soubrette , la Maîtresse arrive . Le Valet
2044 MERCURE DE FRANCE
let lui présente le Bouquet de son Maître
, Jacinte le reçoit avec plaisir , mais
y voyant briller quelques diamans , elle
veut le rendre à Tricolor . Violette s'en
saisit , de peur que sa Maîtresse ne le
refuse par bienséance . Jacinte qui craint
la sévérité de son pere , consent à le
garder , pourvû qu'elle puisse cacher
qu'il vient de la main d'un Amant. Elle
ordonne à Violette de le porter à sa cousine
Florise , Maîtresse de Rosimond ,
afin qu'elle paroisse l'Auteur de cette
galanterie ; ce projet est executé , Florise
veut pourtant avoir le plaisir de s'en
parer pour quelques heures . Rosimont ,
que le Chevalier a instruit du favorable
accueil que sa nouvelle Maîtresse a fait
à son Bouquet , sans pourtant lui apprendre
son nom , est très- surpris en
trouvant Florise , son Amante , de voir
ce fatal Bouquet sur son sein ; sa jalousie
ne peut s'empêcher d'éclater , il reproche
à Florise une infidélité dont elle
ose faire parade à ses yeux . Florise ne
comprend rien aux reproches qu'il lui
fait , et ne doute point qu'il ne prenne ,
d'une inconstance prétendue , un prétexte
pour en autoriser un veritable. Ils
se quittent très - mal satisfaits l'un de
Pautre , Florise sort.
Le
SEPTEMBRE. 1733- 2045
Le Chevalier arrive , transporté de
joye il vient joindre Rosimond , pour
lui dire que ses affaires vont à merveille,
que le Bouquet a été reçû favorablement,
et qu'il va posseder sa charmante Maîtresse
; Rosimont , peu satisfait de cette
confidence , lui répond d'un air sérieux
que cette nouvelle Maîtresse dont il vante
tant la fidelité , n'est qu'une volige ,
et que c'est lui , Rosimont , qu'elle aimoit
; le Chevalier rèpond d'un ton babadin
que cela pourroit bien être ; Rosirmont
qui prend ces discours pour une
plaisanterie , dit au Chevalier qu'il ne
lui enlevera pas impunément sa conquêté
; ils se querellent tout de bon , et prêts
à sortir pour aller terminer ailleurs leur
different à la pointe de l'épée , Florise
et Jacinte parée du Bouquet , arrivent ;
elles trouvent leurs Amans fort agitez , elles
leur demande le sujet de leur dispute;
Rosimont reproche à Florise d'aimer le
Chevalier , puisque c'est elle qui s'est parée
de son Bouquet ; le Chevalier ne
comprend rien à ce reproche , n'ayant
jamais vû , dit- il , Florise ; Jacinte reproche
aussi au Chevalier de courir de
Belle en Belle ; Violette, arrive , qui développe
1 : quiproquo du Bouquet , en
disant que Florise ne s'en étoit parée
G qu'à
2046 MERCURE DE FRANCE
qu'à la priere de sa Cousine , & c . Les
deux Amans conviennent de la bonne.
foi de leurs Maîtresses , se raccommodent
avec elles et sortent ensemble pour
aller demander le consentement à leurs
parens pour célebrer ce double Mariage.
Cette Piece , qui a été applaudie , est
des sieurs Romagnesy et Riccoboni ; elle
est terminée par une Fête très - galante'
mise en Musique par M. Mouret.
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Résumé : EXTRAIT de la petite Comédie en Vers libres et en un Acte, joüée au Théatre Italien, qui a pour titre le Bouquet, annoncée dans le dernier Mercure.
La pièce de théâtre 'Le Bouquet' se déroule dans un jardin public où Rosimont rencontre le Chevalier Muguet. Rosimont reproche à son ancien ami de ne pas lui avoir annoncé son arrivée plus tôt. Le Chevalier s'excuse en invoquant un nouvel amour qui l'a occupé. Rosimont est surpris par la constance de cet amour, tandis que le Chevalier vante l'inconstance. Il promet à Rosimont de lui révéler le succès de son amour en temps voulu. Tricolor, le valet du Chevalier, apporte un bouquet à Jacinte, la nouvelle maîtresse du Chevalier. Jacinte accepte le bouquet mais demande à le cacher, craignant la sévérité de son père. Elle envoie le bouquet à sa cousine Florise, la maîtresse de Rosimont, pour éviter les apparences. Rosimont, informé par le Chevalier de l'accueil favorable du bouquet, est jaloux en voyant Florise le porter. Une dispute éclate entre Rosimont et Florise, qui ne comprend pas les reproches. Le Chevalier arrive, joyeux, et annonce à Rosimont que ses affaires vont bien. Rosimont révèle que Florise est sa maîtresse, ce qui mène à une querelle entre les deux hommes. Florise et Jacinte interviennent, et Violette, la suivante de Jacinte, explique le quiproquo. Les amants se réconcilient et décident de demander le consentement de leurs parents pour célébrer un double mariage. La pièce, applaudie, est écrite par les sieurs Romagnesy et Riccoboni et se termine par une fête galante mise en musique par M. Mouret.
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18
p. 948-958
LA GRONDEUSE, Comédie nouvelle, représentée par les Comédiens François, le Jeudy 11. Fév. 1734. Extrait.
Début :
ACTEURS. Aminte, veuve, la Dlle Quinault. Cléante, Amant d'Aminte, [...]
Mots clefs :
Cléante, Aminte, Oronte, Dorine, Frère, Caractère, Temps, Grondeuse, Maîtresse, Maître
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texteReconnaissance textuelle : LA GRONDEUSE, Comédie nouvelle, représentée par les Comédiens François, le Jeudy 11. Fév. 1734. Extrait.
LA GRONDEUSE , Comédie
nouvelle , représentée par les Comédiens
François, le Jendy 11.Fév.1734.Extrait .
ACTEURS.
Aminte , veuve ,
Cléante
la Dlle Quinault.
Amant d'Aminte , le sieur
Grandval.
Dorine , Suivante d'Aminte , la Dlle
Dangeville.
M.
MAY. 1734. 949
M. Oronte , beau- frere d'Aminte , le sieur
Duchemin.
Dartimont , Voyageur , autre beau-frere,
le sieur Armand.
Le Candidat , jeune Medecin , fils d'O- ›
le sieur Dangeville: ronte ,
Crispin, Valet de Cleante , le Sr Poisson .
M. Double- Croche , Musicien , le sieur
le Grand.
La Scêne est dans la Maison d'Aminte.
Cette Piece , qui est de l'Auteur du
Rendez - vous , n'a pas eû le sort qu'elle
méritoit ; mais malgré son peu de réus
site , es Connoisseurs lui ont rendu justice
. L'Auteur y a soutenu , autant qu'il
est possible , le caractere principal ; il
est vrai que ce même caractere a parû
avec tant d'avantage dans le premier
Acte du Grondeur de M. Palapra , qu'il
étoit difficile d'y ajoûter de nouveaux
traits.. On a fait à sa Comédie le même
reproche qu'on fait encore tous les jours
aux deux derniers Actes du Grondeur ,
dont nous venons de parler ; c'est de
n'avoir pas toujours fourni à son principal
Acteur des occasions de gronder
injustement ; on verra le méme inconvenient
dans l'Extrait que nous allons
donner de la Grondeuse. Au reste pour
ne
950 MERCURE DE FRANCE
ne point enfraindre la loi que nous nous
les
sommes prescrite , nous ne serons que
échos des jugemens que le Public a portez
sur cet ingenieux Ouvrage.
pour
Oronte , beau- frere d'Aminte , ouvre la
Scêne avec Cleante , Amant de cette Veuve
. Elle est encore aimable et jeune , mais
par malheur Cléante elle a un défaut;
c'est d'être grondeuse. Oronte a beau
lui dire qu'il lui a dit cent fois lui - même
que les défauts qui ne sont que des
vices d'humeur , doivent se pardonner ;
il soutient toûjours qu'il y a quelque
chose de plus dans le coeur d'Aminte et
que sa mauvaise humeur part d'un fond
d'indifference et de mépris qu'elle a conçus
pour lui. L'Auteur a pris soin d'établir
dans cette premiere Scêne à quel
coin doit être marqué le veritable caractere
de Grondeur ou de Grondeuse ; on
le voit par ce fragment . C'est Oronte
qui parle.
Ce qu'il y a de certain , c'est que vous
•prenez pour mépris et indifference , une humeur
altiere et mutine qu'elle a eûë toute
sa vie. Cléante.
J'y suis trop interessé pour pouvoir m'y
tromper.
Oronte.
Enfin vous l'avez vûë et aimée avant
qu'elle
MAY. 1734.
951
2
qu'elle fut mariée à feu mon frere ; ne grondoit-
elle pas alors ?
Cleante .
Assurément on forçoit son inclination .
Oronte.
Mariée , tout le monde sçait ....
Cléante.
Peut-on vivre en paix avec un homme
qu'on épouse ?
Oronte.
Mais depuis qu'elle est veuve !
Cléante.
Ah ! le veuvage est un état si triste.
Oronte.
Il a réponse à tout.
Cléante.
Vous ne la verrez tranquille et contente
que quand l'ingrate sera unie à quelqu'un
qui lui plaise. Je m'étois flatté d'être ce
quelqu'un , mais les traitemens que j'ai reçûs
m'ont assez prouvé le contraire,
L'Auteur fait bien voir par ce morceau
de Dialogue , que sí le caractere dominant
de sa Piece n'est pas à la rigueur tel
qu'il devroit être , ce n'est pas faute de
l'avoir bien connu ; passons à l'action .
Oronte fait entendre à Cléante qu'il
veut absolument le réconcilier avec
Aminte ; il lui dit qu'en qualité de parent
du deffunt , il doit la presser
de se
remarier
952 MERCURE DE FRANCE
le
remarier avantageusement ; qu'il doit la
voir pour lui en faire la proposition ,
accompagné de son frere , vieux Voyaguur
, et de son fils le Candidat ; une
petite difficulté l'arrête ; c'est que par
Testament de son frere , Mary d'Aminte
, il est obligé de faire dix mille francs
de rente à Aminte , tant qu'elle ne se
remariera pas , et qu'en lui insinuant de
se marier , il lui deviendra suspect d'interêt.
Cléante lui répond qu'il n'a qu'à
lui offrir de lui continuer cette rente ,
même en se mariant , et que par un Acte
secret il s'engagera , lui Cléante , à lui
en tenir compte. Cette premiere difficulté
étant levée , Oronte s'en va pour
mettre en execution ce qu'il vient de
promettre à Cléante.
Crispin , Valet de Cléante , vient lui
dire qu'Aminte , chez qui il l'avoit envoyé
pour sçavoir si elle étoit visible ,
ne veut pas le voir. Dorine , vient lui confirmer
ce prétendu refus , en lui disant
pourtant qu'il peut entrer s'il veut ; mais
qu'il feroit mieux de revenir dans une
demie heure, parce que sa Maîtresse lui a
parû surprise qu'on vint chez elle si matin.
Cléante picqué , se retire.
Crispin s'amuse quelque temps avec
Dorine , qu'il plaint d'être au service.
d'une
MAY. 1734. 953.
d'une Maîtresse dont l'humeur est si difficile
Dorinc lui répond qu'il y a des
dédommagemens , et que si sa Maîtresse
gronde , elle paye bien et récompense
encore mieux ; elle le prie de se retirer ,
attendu qu'Aminte est intraitable sur
tout ce qui a l'air de galanterie et de rendez-
vous .
Aminte vient et demande à Dorine
d'un ton grondeur , pourquoi Cléante
ne paroît point; Dorine lui répond qu'elle
lui a dit de sa part de revenir dans un
autre temps ; de ma part ! lui dit sa Maîtresse
; la pauvre Suivante n'ose la contredire
absolument , et la laisse s'exhaler
en reproches par cette tirade : Ce sont
tous les jours nouvelles sottises. Sans juges
ment, sans adresse , sans sçavoir ; dans tout
ce qu'elle fait et dans tout ce qu'elle dit , il
semble qu'elle prenne plaisir à me desesperer.
J'excuse sans cesse ; sans cesse je pardonne
, et l'on me regarde encore comme une
femme difficile à contenter. Renvoyer Cléante!
me soutenir que c'est par mon ordre ! a
t'on jamais fait une plus lourde faute ? Et
après l'avoirfaite , l'a- t'on jamais appuyée
d'une plus grande effronterie ? Oh ! je vous
avoue qu'ilfaut bien prendre sur soi pour
souffrir sans rien dire de pareilles bévues.
Si toutes les Scénes de cette Piece,
F avoient
954 MERCURE DE FRANCE
avoient la valeur intrinseque de celle
cy , on ne pourroit pas disconvenir que
le caractere de Grondeuse ne fût parfaitement
rempli ; c'est là gronder veritablement
, quand on n'en a pas lieu ; puisque
Dorine n'a fait qu'executer ses ordres
en renvoyant son Amant , on pourroit
dire qu'elle nie d'avoir donné un
pareil ordre , et que sur ce fondement
elle a raison de gronder ; mais ne seroitce
pas llaa rreennddrree' trop déraisonnable que
de lui faire avouer qu'elle ne gronde
que pour le plaisir de gronder ; il est dif
ficile de tenir un juste milieu entre deux
extrémitez également vicieuses. Crispin
sort pour aller faire revenir son Maître ;
en l'attendant Aminte continuë à quereller
Dorine d'une maniere assez analogue
au caractere que l'Auteur lui a
donné .
Cléante revient ; il essuye de temps en
temps quelques traits de la mauvaise humeur
où Dorine a mis sa Maîtresse ; pour
achever de chagriner Aminte, M. Double-
Croche , son Maître à chanter , arrive ;
elle trouve très- mauvais qu'il ait si mal
pris son temps ; Cléante , pour appuyer
le reproche qu'elle fait au Musicien , lui
dit de se retirer ; Aminte est très choquée
de l'air d'autorité que Cléante ose
prendre
MAY. 1734. 955
prendre chez elle . Cléante voyant qu'il
commence à lui déplaire , prend congé
d'elles où allez- vous donc ? lui dit- elle ,
vous prenez un travers ; Cleante lui dit en
se retirant qu'il vient de se souvenir d'avoir
donné une parole qui l'oblige à la
quitter.
La Scéne suivante qui se passe entre
Aminte et son Maître à chanter est des
plus plaisantes ; il veut chanter malgré
elle , fondé sur le droit que sa Profession
lui donne ; elle ne veut ni chanter ni
l'entendre chanter ; il ne lais e pas d'aller
son train ; chaque mot qu'il chante est
accompagné d'une injure qui lui sert ,
pour ainsi dire , de basse - continuë ;
Double - Croche , se retire aussi mécontent
de son Ecoliere , qu'elle l'est de son
Maître.
·
Enfin , pour achever de pousser à bout
la patience d'Aminte , Oronte vient , suivi
de son frere et de son fils ; cette Scéne .
a parû d'autant moins à sa place , que
la Grondeuse y est la femme du monde
la plus patiente ; on pousse le désagrément
de cette Scéne délibérative , jusqu'à
citer des passages Latins pour appuyer
ce qu'on veut prouver , comme
Aminte s'est long- temps contrainte , elle
lâche la bonde à sa colere avec plus
Fij d'im
956 MERCURE DE FRANCE
d'impétuosité et dit à ces fastidieux harangueurs
: Ah ! je ne puis plus tenir à tant
d'impertinences ; non , non , c'est trop me
contraindre , je suis bien bonne d'écouter les
rêveries d'un radoteur , d'un imbécile et
d'un Invalide. Elle se retire après avoir
lâché ces obligeantes épithetes .
que
Cléante vient , Oronte lui dit qu'il
avoit bien raison, quand il lui soutenoit
que sa belle- soeur n'avoit pour lui qu'in
difference et que mépris ; les trois Orateurs
disgraciez s'en vont ; Cléante ne
doute plus des dispositions d'Aminte à
son égard. Pour le confirmer dans cette
croyance , Dorine vient lui dire qu'elle
n'a jamais vû sa Maîtresse dans une si
grande colere , l'indignation , ajoûte - t'elle,
peinte sur son visage , elle a mis la main
à la plume , et au milieu des plaintes et des
invectives , elle a tracé ce Billet qu'elle m'a
chargée de vous remettre, Cléante ne veut
pas recevoir le Billet , il le croit trop outrageant
pour son amour ; Crispin le reçoit
pour lui , en disant : je pourrois m'en
servir auprès de mon Maître , son amour a
quelque chose de périodique. Son Maître
étoit déja sorti quand il dir cela à Dorine ;
ils sont bien surpris tous deux de le voir
revenir avec Aminte , qui ne sçait pourquoi
il l'évite ; Cléante lui fait des re
proches
MAY . 1734.
957
proches auxquels elle ne comprend rien ,
après le Billet obligeant qu'elle vient de
lui faire remettre par Dorine ; elle lui
demande s'il a lû ce qu'elle lui a écrits
il lui dit qu'il n'a eû garde de lire des
injures ; Crispin dit à part : auroit- elle fait
le Billet tendre exprès pour se ménager une
occasion de gronder. Il donne ce Billet à
Cléante , qui y lit ce qui suit :
La proposition que l'on m'a faite de me
continuer ma pension me donne un soupçon
bien extraordinaire. Si ce que j'imagine est
vrai , vous ne méritez guere l'estime et l'in
clination qu'on a pour vous . Ceux qui m'ont
parlé sur ee ton ont trop peu de generosité ,
pour que je ne voye pas les arrangemens que
vous avez pris avec eux. Comment osezvous
me croire interessée , moi qui vous sacrifierois
tous les biens ? D'où partent des
sentimens si bizares après les assurances
que vous avez de mon coeur , et après m'avoir
déterminée à un second hymen, qui me
seroit odieux avec tout autre qu'avec vous ?
Cléante se jette à ses pieds pour lui
demander pardon ; mais l'Auteur lui fait
reprendre ici son caractere ; elle veut continuer
d'être fâchée ; elle lui dit en le
quittant qu'elle avoit pris soin de mander
le Notaire chez elle ; mais qu'elle
veut lui laisser le temps de refléchir sur
Fiij
ce
958 MERCURE DE FRANCE
ce qu'il doit faire ; Cléante la suit et ne
balance plus à l'épouser; J'aime, dit- il , et
je suis aimé , il faut ceder à ma destinée ,
quand il m'en cotteroit un peu de
repos...
Au reste , tous les Connoisseurs conviennent
que cette petite Comédie est
remplie de traits ingénieux , et l'on peut
juger de l'élegance du stile par les petits
morceaux que nous avons citez .
nouvelle , représentée par les Comédiens
François, le Jendy 11.Fév.1734.Extrait .
ACTEURS.
Aminte , veuve ,
Cléante
la Dlle Quinault.
Amant d'Aminte , le sieur
Grandval.
Dorine , Suivante d'Aminte , la Dlle
Dangeville.
M.
MAY. 1734. 949
M. Oronte , beau- frere d'Aminte , le sieur
Duchemin.
Dartimont , Voyageur , autre beau-frere,
le sieur Armand.
Le Candidat , jeune Medecin , fils d'O- ›
le sieur Dangeville: ronte ,
Crispin, Valet de Cleante , le Sr Poisson .
M. Double- Croche , Musicien , le sieur
le Grand.
La Scêne est dans la Maison d'Aminte.
Cette Piece , qui est de l'Auteur du
Rendez - vous , n'a pas eû le sort qu'elle
méritoit ; mais malgré son peu de réus
site , es Connoisseurs lui ont rendu justice
. L'Auteur y a soutenu , autant qu'il
est possible , le caractere principal ; il
est vrai que ce même caractere a parû
avec tant d'avantage dans le premier
Acte du Grondeur de M. Palapra , qu'il
étoit difficile d'y ajoûter de nouveaux
traits.. On a fait à sa Comédie le même
reproche qu'on fait encore tous les jours
aux deux derniers Actes du Grondeur ,
dont nous venons de parler ; c'est de
n'avoir pas toujours fourni à son principal
Acteur des occasions de gronder
injustement ; on verra le méme inconvenient
dans l'Extrait que nous allons
donner de la Grondeuse. Au reste pour
ne
950 MERCURE DE FRANCE
ne point enfraindre la loi que nous nous
les
sommes prescrite , nous ne serons que
échos des jugemens que le Public a portez
sur cet ingenieux Ouvrage.
pour
Oronte , beau- frere d'Aminte , ouvre la
Scêne avec Cleante , Amant de cette Veuve
. Elle est encore aimable et jeune , mais
par malheur Cléante elle a un défaut;
c'est d'être grondeuse. Oronte a beau
lui dire qu'il lui a dit cent fois lui - même
que les défauts qui ne sont que des
vices d'humeur , doivent se pardonner ;
il soutient toûjours qu'il y a quelque
chose de plus dans le coeur d'Aminte et
que sa mauvaise humeur part d'un fond
d'indifference et de mépris qu'elle a conçus
pour lui. L'Auteur a pris soin d'établir
dans cette premiere Scêne à quel
coin doit être marqué le veritable caractere
de Grondeur ou de Grondeuse ; on
le voit par ce fragment . C'est Oronte
qui parle.
Ce qu'il y a de certain , c'est que vous
•prenez pour mépris et indifference , une humeur
altiere et mutine qu'elle a eûë toute
sa vie. Cléante.
J'y suis trop interessé pour pouvoir m'y
tromper.
Oronte.
Enfin vous l'avez vûë et aimée avant
qu'elle
MAY. 1734.
951
2
qu'elle fut mariée à feu mon frere ; ne grondoit-
elle pas alors ?
Cleante .
Assurément on forçoit son inclination .
Oronte.
Mariée , tout le monde sçait ....
Cléante.
Peut-on vivre en paix avec un homme
qu'on épouse ?
Oronte.
Mais depuis qu'elle est veuve !
Cléante.
Ah ! le veuvage est un état si triste.
Oronte.
Il a réponse à tout.
Cléante.
Vous ne la verrez tranquille et contente
que quand l'ingrate sera unie à quelqu'un
qui lui plaise. Je m'étois flatté d'être ce
quelqu'un , mais les traitemens que j'ai reçûs
m'ont assez prouvé le contraire,
L'Auteur fait bien voir par ce morceau
de Dialogue , que sí le caractere dominant
de sa Piece n'est pas à la rigueur tel
qu'il devroit être , ce n'est pas faute de
l'avoir bien connu ; passons à l'action .
Oronte fait entendre à Cléante qu'il
veut absolument le réconcilier avec
Aminte ; il lui dit qu'en qualité de parent
du deffunt , il doit la presser
de se
remarier
952 MERCURE DE FRANCE
le
remarier avantageusement ; qu'il doit la
voir pour lui en faire la proposition ,
accompagné de son frere , vieux Voyaguur
, et de son fils le Candidat ; une
petite difficulté l'arrête ; c'est que par
Testament de son frere , Mary d'Aminte
, il est obligé de faire dix mille francs
de rente à Aminte , tant qu'elle ne se
remariera pas , et qu'en lui insinuant de
se marier , il lui deviendra suspect d'interêt.
Cléante lui répond qu'il n'a qu'à
lui offrir de lui continuer cette rente ,
même en se mariant , et que par un Acte
secret il s'engagera , lui Cléante , à lui
en tenir compte. Cette premiere difficulté
étant levée , Oronte s'en va pour
mettre en execution ce qu'il vient de
promettre à Cléante.
Crispin , Valet de Cléante , vient lui
dire qu'Aminte , chez qui il l'avoit envoyé
pour sçavoir si elle étoit visible ,
ne veut pas le voir. Dorine , vient lui confirmer
ce prétendu refus , en lui disant
pourtant qu'il peut entrer s'il veut ; mais
qu'il feroit mieux de revenir dans une
demie heure, parce que sa Maîtresse lui a
parû surprise qu'on vint chez elle si matin.
Cléante picqué , se retire.
Crispin s'amuse quelque temps avec
Dorine , qu'il plaint d'être au service.
d'une
MAY. 1734. 953.
d'une Maîtresse dont l'humeur est si difficile
Dorinc lui répond qu'il y a des
dédommagemens , et que si sa Maîtresse
gronde , elle paye bien et récompense
encore mieux ; elle le prie de se retirer ,
attendu qu'Aminte est intraitable sur
tout ce qui a l'air de galanterie et de rendez-
vous .
Aminte vient et demande à Dorine
d'un ton grondeur , pourquoi Cléante
ne paroît point; Dorine lui répond qu'elle
lui a dit de sa part de revenir dans un
autre temps ; de ma part ! lui dit sa Maîtresse
; la pauvre Suivante n'ose la contredire
absolument , et la laisse s'exhaler
en reproches par cette tirade : Ce sont
tous les jours nouvelles sottises. Sans juges
ment, sans adresse , sans sçavoir ; dans tout
ce qu'elle fait et dans tout ce qu'elle dit , il
semble qu'elle prenne plaisir à me desesperer.
J'excuse sans cesse ; sans cesse je pardonne
, et l'on me regarde encore comme une
femme difficile à contenter. Renvoyer Cléante!
me soutenir que c'est par mon ordre ! a
t'on jamais fait une plus lourde faute ? Et
après l'avoirfaite , l'a- t'on jamais appuyée
d'une plus grande effronterie ? Oh ! je vous
avoue qu'ilfaut bien prendre sur soi pour
souffrir sans rien dire de pareilles bévues.
Si toutes les Scénes de cette Piece,
F avoient
954 MERCURE DE FRANCE
avoient la valeur intrinseque de celle
cy , on ne pourroit pas disconvenir que
le caractere de Grondeuse ne fût parfaitement
rempli ; c'est là gronder veritablement
, quand on n'en a pas lieu ; puisque
Dorine n'a fait qu'executer ses ordres
en renvoyant son Amant , on pourroit
dire qu'elle nie d'avoir donné un
pareil ordre , et que sur ce fondement
elle a raison de gronder ; mais ne seroitce
pas llaa rreennddrree' trop déraisonnable que
de lui faire avouer qu'elle ne gronde
que pour le plaisir de gronder ; il est dif
ficile de tenir un juste milieu entre deux
extrémitez également vicieuses. Crispin
sort pour aller faire revenir son Maître ;
en l'attendant Aminte continuë à quereller
Dorine d'une maniere assez analogue
au caractere que l'Auteur lui a
donné .
Cléante revient ; il essuye de temps en
temps quelques traits de la mauvaise humeur
où Dorine a mis sa Maîtresse ; pour
achever de chagriner Aminte, M. Double-
Croche , son Maître à chanter , arrive ;
elle trouve très- mauvais qu'il ait si mal
pris son temps ; Cléante , pour appuyer
le reproche qu'elle fait au Musicien , lui
dit de se retirer ; Aminte est très choquée
de l'air d'autorité que Cléante ose
prendre
MAY. 1734. 955
prendre chez elle . Cléante voyant qu'il
commence à lui déplaire , prend congé
d'elles où allez- vous donc ? lui dit- elle ,
vous prenez un travers ; Cleante lui dit en
se retirant qu'il vient de se souvenir d'avoir
donné une parole qui l'oblige à la
quitter.
La Scéne suivante qui se passe entre
Aminte et son Maître à chanter est des
plus plaisantes ; il veut chanter malgré
elle , fondé sur le droit que sa Profession
lui donne ; elle ne veut ni chanter ni
l'entendre chanter ; il ne lais e pas d'aller
son train ; chaque mot qu'il chante est
accompagné d'une injure qui lui sert ,
pour ainsi dire , de basse - continuë ;
Double - Croche , se retire aussi mécontent
de son Ecoliere , qu'elle l'est de son
Maître.
·
Enfin , pour achever de pousser à bout
la patience d'Aminte , Oronte vient , suivi
de son frere et de son fils ; cette Scéne .
a parû d'autant moins à sa place , que
la Grondeuse y est la femme du monde
la plus patiente ; on pousse le désagrément
de cette Scéne délibérative , jusqu'à
citer des passages Latins pour appuyer
ce qu'on veut prouver , comme
Aminte s'est long- temps contrainte , elle
lâche la bonde à sa colere avec plus
Fij d'im
956 MERCURE DE FRANCE
d'impétuosité et dit à ces fastidieux harangueurs
: Ah ! je ne puis plus tenir à tant
d'impertinences ; non , non , c'est trop me
contraindre , je suis bien bonne d'écouter les
rêveries d'un radoteur , d'un imbécile et
d'un Invalide. Elle se retire après avoir
lâché ces obligeantes épithetes .
que
Cléante vient , Oronte lui dit qu'il
avoit bien raison, quand il lui soutenoit
que sa belle- soeur n'avoit pour lui qu'in
difference et que mépris ; les trois Orateurs
disgraciez s'en vont ; Cléante ne
doute plus des dispositions d'Aminte à
son égard. Pour le confirmer dans cette
croyance , Dorine vient lui dire qu'elle
n'a jamais vû sa Maîtresse dans une si
grande colere , l'indignation , ajoûte - t'elle,
peinte sur son visage , elle a mis la main
à la plume , et au milieu des plaintes et des
invectives , elle a tracé ce Billet qu'elle m'a
chargée de vous remettre, Cléante ne veut
pas recevoir le Billet , il le croit trop outrageant
pour son amour ; Crispin le reçoit
pour lui , en disant : je pourrois m'en
servir auprès de mon Maître , son amour a
quelque chose de périodique. Son Maître
étoit déja sorti quand il dir cela à Dorine ;
ils sont bien surpris tous deux de le voir
revenir avec Aminte , qui ne sçait pourquoi
il l'évite ; Cléante lui fait des re
proches
MAY . 1734.
957
proches auxquels elle ne comprend rien ,
après le Billet obligeant qu'elle vient de
lui faire remettre par Dorine ; elle lui
demande s'il a lû ce qu'elle lui a écrits
il lui dit qu'il n'a eû garde de lire des
injures ; Crispin dit à part : auroit- elle fait
le Billet tendre exprès pour se ménager une
occasion de gronder. Il donne ce Billet à
Cléante , qui y lit ce qui suit :
La proposition que l'on m'a faite de me
continuer ma pension me donne un soupçon
bien extraordinaire. Si ce que j'imagine est
vrai , vous ne méritez guere l'estime et l'in
clination qu'on a pour vous . Ceux qui m'ont
parlé sur ee ton ont trop peu de generosité ,
pour que je ne voye pas les arrangemens que
vous avez pris avec eux. Comment osezvous
me croire interessée , moi qui vous sacrifierois
tous les biens ? D'où partent des
sentimens si bizares après les assurances
que vous avez de mon coeur , et après m'avoir
déterminée à un second hymen, qui me
seroit odieux avec tout autre qu'avec vous ?
Cléante se jette à ses pieds pour lui
demander pardon ; mais l'Auteur lui fait
reprendre ici son caractere ; elle veut continuer
d'être fâchée ; elle lui dit en le
quittant qu'elle avoit pris soin de mander
le Notaire chez elle ; mais qu'elle
veut lui laisser le temps de refléchir sur
Fiij
ce
958 MERCURE DE FRANCE
ce qu'il doit faire ; Cléante la suit et ne
balance plus à l'épouser; J'aime, dit- il , et
je suis aimé , il faut ceder à ma destinée ,
quand il m'en cotteroit un peu de
repos...
Au reste , tous les Connoisseurs conviennent
que cette petite Comédie est
remplie de traits ingénieux , et l'on peut
juger de l'élegance du stile par les petits
morceaux que nous avons citez .
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Résumé : LA GRONDEUSE, Comédie nouvelle, représentée par les Comédiens François, le Jeudy 11. Fév. 1734. Extrait.
La pièce 'La Grondeuse' est une comédie jouée par les Comédiens Français le 11 février 1734. Elle met en scène Aminte, une jeune veuve aimable mais au caractère difficile, et Cléante, son amant. La pièce commence avec Oronte, le beau-frère d'Aminte, qui discute avec Cléante des défauts d'Aminte, qu'il attribue à une indifférence et un mépris envers Cléante. Aminte, malgré son amour pour Cléante, manifeste une humeur altière et mutine. Oronte souhaite réconcilier Cléante et Aminte et propose de lui trouver un nouveau mari. Cependant, un testament oblige à verser une rente à Aminte tant qu'elle ne se remarie pas. Cléante suggère de continuer cette rente par un acte secret. Oronte part alors mettre en œuvre cette proposition. Pendant ce temps, Crispin, valet de Cléante, et Dorine, suivante d'Aminte, échangent sur le caractère difficile de leur maîtresse. Aminte, mécontente, reproche à Dorine d'avoir renvoyé Cléante. Cléante revient et essuie les reproches d'Aminte, qui se montre de plus en plus irritable. La situation se complique avec l'arrivée de M. Double-Croche, le maître à chanter d'Aminte, et des beaux-frères d'Aminte, qui tentent de la convaincre de se remarier. Aminte finit par exploser de colère contre ses visiteurs et se retire. Cléante, après avoir reçu un billet d'Aminte, se jette à ses pieds pour lui demander pardon. Aminte, reprenant son caractère grondeur, lui laisse le temps de réfléchir avant de l'épouser. La pièce se termine sur la décision de Cléante d'accepter son destin et d'épouser Aminte. Les connaisseurs reconnaissent l'ingéniosité des traits de la pièce et l'élégance de son style.
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19
p. 70-72
COUPLETS A mettre en chant.
Début :
Dans ces bois où le sort m'amène, [...]
Mots clefs :
Chant, Douceur, Appas, Amour, Maîtresse, Bergère
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texteReconnaissance textuelle : COUPLETS A mettre en chant.
COUPLETS
DANS
A mettre en chant.
ANS ces bois où le fort m'amène ,
Sous ces ombrages frais ,
Tout me parle de l'inhumaine
Dont la beauté m'enchaîne ,
Tout m'en offre les traits.
Ce matin , en voyant éclore
Les rayons du Soleil ,
Je difois : ô riante Aurore ,
AVRIL. 1763. 71
De celle que j'adore
Tu me peins le réveil !
Tu charmes en vain ce boccage,
Roffignol enchanteur ;
Tu ne fçaurois dans ton ramage,
Dé fon brillant langage
Egaler lá douceur.
Il fort de fa bouche vermeille
Un miel plus précieux
Que ne l'eft celui de l'abeille ;
Elle charme l'oreille
Auffi bien que les
yeux.
Son efprit , fa raiſon égale
Ses appas féducteurs.
Outre la beauté qu'elle étale ,
Ainfi la rofe exhale
Les plus douces odeurs.
Hélas ! que cette fleur cruelle
Dont on craint d'approcher ,
Nous peint fidélement ma belle !
On foupire pour elle,
Et l'on n'ofe y toucher.
Viens fléchir fon coeur intraitable ,
Amour puis- je eſpérer :
72 MERCURE DE FRANCE.
Que tu la rende un jour capable
Du fentiment aimable
Qu'elle fçait inſpirer ?
Près de fa compagne charmante
Un jeune Tourtereau ,
(
Brulé du feu qui me tourmente ,
De fa voix gémiffante
Attriftoit ce coteau.
J'ai vu la farouche maîtreſſe
Méprifer les foupirs.
Touchée enfin de fa tendreffe
Voilà qu'elle s'empreſſe
De combler fes defirs.
Par cette agréable avanture
Mon fort femble éclairci.
Faut- il en accepter l'augure ?
Et les maux que j'endure
Finiront-ils ainfi ?
Oui , je fléchirai ma Bergère ;
Mes maux n'auront qu'un temps.
Quand l'hyver nous a fait la guerre,
Il laiffe en paix la Tèrre ,
Et fait place au Printemps.
Par M. GERMAIN DE CRAIN.
DANS
A mettre en chant.
ANS ces bois où le fort m'amène ,
Sous ces ombrages frais ,
Tout me parle de l'inhumaine
Dont la beauté m'enchaîne ,
Tout m'en offre les traits.
Ce matin , en voyant éclore
Les rayons du Soleil ,
Je difois : ô riante Aurore ,
AVRIL. 1763. 71
De celle que j'adore
Tu me peins le réveil !
Tu charmes en vain ce boccage,
Roffignol enchanteur ;
Tu ne fçaurois dans ton ramage,
Dé fon brillant langage
Egaler lá douceur.
Il fort de fa bouche vermeille
Un miel plus précieux
Que ne l'eft celui de l'abeille ;
Elle charme l'oreille
Auffi bien que les
yeux.
Son efprit , fa raiſon égale
Ses appas féducteurs.
Outre la beauté qu'elle étale ,
Ainfi la rofe exhale
Les plus douces odeurs.
Hélas ! que cette fleur cruelle
Dont on craint d'approcher ,
Nous peint fidélement ma belle !
On foupire pour elle,
Et l'on n'ofe y toucher.
Viens fléchir fon coeur intraitable ,
Amour puis- je eſpérer :
72 MERCURE DE FRANCE.
Que tu la rende un jour capable
Du fentiment aimable
Qu'elle fçait inſpirer ?
Près de fa compagne charmante
Un jeune Tourtereau ,
(
Brulé du feu qui me tourmente ,
De fa voix gémiffante
Attriftoit ce coteau.
J'ai vu la farouche maîtreſſe
Méprifer les foupirs.
Touchée enfin de fa tendreffe
Voilà qu'elle s'empreſſe
De combler fes defirs.
Par cette agréable avanture
Mon fort femble éclairci.
Faut- il en accepter l'augure ?
Et les maux que j'endure
Finiront-ils ainfi ?
Oui , je fléchirai ma Bergère ;
Mes maux n'auront qu'un temps.
Quand l'hyver nous a fait la guerre,
Il laiffe en paix la Tèrre ,
Et fait place au Printemps.
Par M. GERMAIN DE CRAIN.
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Résumé : COUPLETS A mettre en chant.
Le poème 'Couplets' de M. Germain de Crain, écrit en avril 1763, relate une promenade dans un bois où le narrateur observe des signes de la beauté d'une femme aimée. Il compare cette beauté à celle de l'aube et à la douceur du chant des oiseaux. Le narrateur admire l'esprit, la raison et la beauté de cette femme, mais la compare également à une fleur cruelle dont on craint de s'approcher. Il exprime son désir de voir son amour réciproque et raconte l'histoire d'un jeune tourtereau méprisé qui finit par voir sa maîtresse céder à ses avances. Le narrateur espère que son propre sort s'éclaircira de la même manière, que ses maux prendront fin, comme l'hiver laisse place au printemps.
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20
p. 69
MADRIGAL.
Début :
Je cherche à faire une maîtresse ; [...]
Mots clefs :
Maîtresse, Sagesse, Esprit, Vœux
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texteReconnaissance textuelle : MADRIGAL.
MADRIGAL.
Je cherche àfaire une maîtreſſe ;
E
Voila ce qui me rend rêveur :
Car je voudrois elprit , fagelfe ,
Beauté complette & ten fre coeur.
Lepuis que je vous vois , Thémire ,
Trois de mes voeux font bien remplis ;
Mais vous feule pouvez me dire ,
Si les quatre font accomplis.
Je cherche àfaire une maîtreſſe ;
E
Voila ce qui me rend rêveur :
Car je voudrois elprit , fagelfe ,
Beauté complette & ten fre coeur.
Lepuis que je vous vois , Thémire ,
Trois de mes voeux font bien remplis ;
Mais vous feule pouvez me dire ,
Si les quatre font accomplis.
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21
p. 154
LOGOGRYPHE.
Début :
Au Peuple, aux Artisans, aux Magistrats, aux Rois, [...]
Mots clefs :
Maîtresse
22
p. 103
LOGOGRYPHE.
Début :
Je suis dans mes neuf pieds un objet adoré ; [...]
Mots clefs :
Maîtresse
24
p. 148-149
CHARADE. AIR : O ma tendre Musette !
Début :
Charmante Catherine, [...]
Mots clefs :
Maîtresse
28
p. 51
LOGOGRIPHE.
Début :
Qu'un jeune homme au bonheur ait le droit de prétendre, [...]
Mots clefs :
Maîtresse
33
p. 55
CHARADE, sur l'Air : Vous qui d'amoureuse aventure.
Début :
Pour une amoureuse aventure, [...]
Mots clefs :
Maîtresse