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TROISIÈME ENIGME.
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Un Tableau d'ordinaire est toûjours attaché, [...]
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Bannière
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p. 261-284
DISSERTATION sur les Enseignes Militaires des François, par M. Beneton de Perrin, Ecuyer, ancien Gendarme de la Garde du Roi.
Début :
PREMIERE PARTIE. Depuis que les hommes poussés par l'ambition [...]
Mots clefs :
Père Martin, Enseignes militaires, Rois, Bannière, Église, Symboles, Guerre, Religion, Reliques, Français, Saints, Militaires, Étendards, Romains, Royaume, Drapeaux, Peuples, Dévotion, Figures, Protection, Armées
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texteReconnaissance textuelle : DISSERTATION sur les Enseignes Militaires des François, par M. Beneton de Perrin, Ecuyer, ancien Gendarme de la Garde du Roi.
DISSERTATION sur les Enseignes
Militaires des François , par M. Beneton
de Perrin , Ecuyer , ancien Gendarme
de la Garde du Roi.
PREMIERE PARTIE.
Dambition curent songé à dominer
les uns sur les autres , et qu'en conséquence
ils se furent assemblés en troupes
pour attaquer , ou pour se deffendre
ils prirent des marques militaires , soit
Epuis que les hommes poussés par
262 MERCURE DE FRANCE
en couleurs , soit en figures pour se reconnoître
dans les Combats , et ce sont
ces marques qu'on peut encore appeller
signes et symboles , qu'on a ensuite nom
més Enseignes , Drapeaux et Etendarts.
Chaque Nation regarda les siennes
avec un respect et une veneration infinie
, elles servoient à exciter en eux la
valeur et l'envie de bien faire , pour éviter
la honte de les laisser tomber en la
puissance de l'ennemi ; leur perte fut regardée
comme un affront insigne , et ceux
qui les portoient étoient punis de mort
quand ils les perdoient par négligence ou
par lâcheté.
Les Juifs eurent des Enseignes , chacu
ne des douze Tribus avoit la sienne d'une
couleur particuliere , et sur laquelle
étoit le Symbole , qui la désignoit,suivant
la Prophetie de Jacob.
Dans l'Ecriture , et en particulier dans
les Pseaumes , il est souvent parlé en ´un
sens allegorique du Lion de la Tribu de
Juda , du Navire de Zabulon , des Etoiles
ou du Firmament d'Isachar.
Du tems des Machabées les Drapeaux
Hebreux étoient chargés de quatre lettres
équivalentes à celles- ci , MCBI,
qui signifioient selon quelques Commentateurs
, quis sicut tn in Diis Domine ? La
force
FEVRIER. 1733. 253
force de la Guerre est dans le Seigneur
nul n'est égale à lui . Ce sont ces quatre
lettres qui firent donner le nom de Machabée
à la race de celui qui le premier
les fit mettre sur les Etendarts qu'il leva
pour la deffense de la vraie Religion .
C'était dès ces tems- là , et ça été toujours
depuis l'usage des Juifs , de faire des
noms artificiels avec les premieres` lettres
des differens mots qui doivent entrer
dans les noms propres . De là sont venus
les termes de Radaq , de Ralbag
de
Rambana , &c. pour Rabbi David Kimchi
, Rabbi Levi - ben- genson , et Rabbi
Moses ben-maïmon , qui semblent ne rien
signifier à ceux qui ne sçavent pas ces
sortes d'Anagrames; plusieurs autres semblables
mots, dont on a ignoré la veritable
signification , ont fourni aux Cabba
listes les noms qu'ils ont donné aux intelligences
superieures .
Semiramis , Reine des Assyriens étoit
appellée en langage du pays Chemirmor ,
mot qui signifioit aussi une Colombe
de-là vient que les Enseignes de cet Empite
étoient chargées de ces Oyseaux pour
conserver le souvenir de l'Heroïne , de
qui il tenoit son premier éclat ; et quand
les Prophetes exhortoient les Juifs à la
pénitence , ils les menaçoient de cette
Colom
264 MERCURE DE FRANCE
<
Colombe Assyrienne , comme du fleau
de la vengeance Divine le plus à crain
dre.
Semiramis pourroit bien être la Venus
de Phenicie , que les Poëtes nous représentent
sur un Char traîné par des Colombes.
Selon que les Peuples ont été plus ou
moins policés, ils ont aussi employé pour
Drapeaux , ou Etendarts , des choses plus
ou moins recherchées.
Les Romains dans les commencemens
se contentoient de mettre un paquet
d'herbes au bout d'une picque . On sçait
que les Tartares se sont servi de queues
de Cheval , ce qui est encore en usage
chez les Turcs.
Lorsqu'on découvrit l'Amérique , les
habitans de ces vastes contrées n'avoient
pour Enseignes que de grands bâtons ornés
de plumes d'Oyseaux qu'ils appelloient
Calumets.
Les Romains mitent ensuite au bout de
la picque des représentations d'animaux ,
comme celles du Loup , du Cheval , du
Sanglier , du Minotaure , &c. C'est Pline
( L. X. C. IV. ) qui nous l'apprend ,
et ses Commentateurs donnent pour la
plûpart des raisons politiques de ces usages
; ils prétendent, par exemple, que le
Mino
FEVRIER, 1733. 265
Minotaure devoit faire ressouvenir les
gens de Guerre de garder le silence sur les
Entreprises projettées , et ce seroit apparemment
dans cet esprit que Festus appelle
la principale vertu militaire , la Religion
du secret.
Je suis persuadé que tous les animaux
qui servoient d'Enseignes aux Romains
n'étoient que les signes emblématiques
des Divinitez de l'Etat, et c'est pour cela,
sans doute , que l'Aigle étant le Symbole
de Jupiter , le Consul Marius voulut.
qu'elle eut le premier rang parmi les Etendarts.
Les Romains alloient donc à la Guerre
avec ces Symboles de leur culte , et lors
qu'ils eurent pris la coûtume de déïfier
leurs Empereurs , les Portraits de ces Princes
formerent chez eux de nouveaux Etendarts
, qu'ils joignirent aux anciens. Le
respect que les Soldats rendoient à leurs
Enseignes montroit qu'ils les regardoient
comme quelque chose de sacré .
C'étoit devant elles que se faisoient les
Sermens de fidelité , et les engagemens du
Service Militaire ; on les prenoit à témoins
des Traitez de Paix , et des promesses
faites aux Etrangers , on les encençoit
, et on les honoroit de plusieurs
autres cerémonies de Religion.
Le
266 MERCURE DE FRANCE:
Le bois, ou le métail étoient les matieres
dont on faisoit les Enseignes , et pour
la forme elles étoient en Sculpture entiere
, ou en bas relief, dans des Médaillons
au-dessous desquelles pendoit en forme
de Banniere un petit morceau d'Etoffe
quarré , dont la couleur distinguoit
les Légions les unes des autres.
Il y avoit aussi des Drapeaux d'Etoffe
sans aucunes figures , et ils étoient de
differentes couleurs ; cela s'apprend par
la maniere que les Romains avoient d'enrôler
des Soldats dans les pressans besoins
.
Le Géneral que la République avoit
désigné pour commander l'Armée montoit
au Capitole ; là il élevoit deux de ses
Drapeaux , l'un rouge qui étoit la mar
que de l'Infanterie , l'autre bleu qui étoit
celle de la Cavalerie ; ensuite à haute
voix il prononçoit ces paroles : Que ceuse
qui aiment le salut de la République ne tarà
me suivre. dent
pas
Ceux qui vouloient aller à la Guerre
chacun, suivant son inclination de servir
à pied , ou à cheval , se rangeoient sous
l'un des deux Drapeaux , et cette maniere
de faire des levées extraordinaires se nom
moit évocation.
Jusqu'au tems de Constantin il n'y
·
et
FEVRIER. 1733. 267
eut point de changement dans les Enseignes
Romaines : mais alors le Christianisme
, qui s'établissoit par tout l'Empire,
y en apporta. Les , Aigles , et les Croix
allerent de compagnie ; il se fit un mêlange
des usages de la vieille Religion
avec ceux de la nouvelle , et les Fideles.
étant alors absolument désabusés des erreurs
du Paganisme , et se trouvant en
très-grand nombre dans les Armées de
Constantin , et de ses Successeurs , il n'y
avoit plus à craindre qu'ils prostituassent
leur adoration aux Symboles des anciennes
Divinitez , comme ils avoient fait
auparavant.
Par là s'introduisit une espèce d'indifférence
pour toutes sortes d'Etendarts , et
au milieu du Christianis me même on
retint ces Symboles , inventés autrefois
par les Payens , qu'on jugea toujours utiles
pour la distinction , et qui devenoient
sans conséquence pour des Soldats Chré
tiens , instruits , et constans dans leur
Religion
Les Empereurs depuis Constantin eurent
pour principale Enseigne de Guerre
le Labarum qui étoit une petite Banniere
de couleur de pourpre , sur laquelle
étoit brodé le Monograme de
CHRIST ,
228 MERCURE DE FRANCE
CHRIST, Signe adorable de notre Rédemp
tion .
*
Les autres Nations Etrangeres que les
Romains nous ont fait connoître avoient
aussi leurs Signes Militaires. Tacite nous
apprend que ceux des Germains étoient
Les figures des bêtes communes dans les
Forêts que les peuples habitoient , et selon
le Pere Martin , ces bêtes étoient aussi
les Symboles de leurs Divinitez . On sçait
que c'est de l'union de ces Peuples ligués
ensemble qu'a été formée la Nation Françoise
ce qui fit que cette Nation eut
pendant long- tems differens Symboles
sur ses Etendarts , on y voyoit des Lions ,
des Serpens et des Crapeaux .
Tout cela sert à expliquer la prétenduë
Prophetie de Sainte Hildegarde , qui dans
ses révélations , en parlant de la ruine de
Rome par les Nations de la Germanie
assûre que Dieu donnera aux Francs le
Camp des prostituez , et que le Lion brisera
l'Aigle avec le secours du Serpent.
Cela servira encore à faire voir que
dans le XII . siécle , où vivoit cette Sainte
, les François n'avoient pas perdu la
* Dom Jacques Martin , dans son Livre sur la
Religion des Gaulois.
con :
FEVRIER. 1733 269
connoissance de leurs anciens Symboles
militaires et sur quels fondemens nos
vieux Historiens ont crû que les premieres
Armes du Royaume avoient été des
Crapaux.
:
Quand les François entrerent dans les
Gaules , ils étoient déja partagés en deux,
branches , l'une dite des Ripuaires , et
l'autre des Sicambres. Chacune de ces
branches avoit son Symbole celui de
la premiere étoit l'Epée , qui désignoit
Mars , Dieu principal de la Nation ; et la
seconde avoit pour le sien une tête de
Boeuf , ou un Apis , Dieu des Egyptiens ,
dont une partie des Francs tiroit son
origine.
J'ai montré dans ma Dissertation sur .
l'origine des François , que Sesostris ayant
poussé ses Conquêtes jusqu'aux Palus méo-´
tides , laissa plusieurs Egyptiens et Cananéens
qui s'établirent dans ces Contrées
d'où ils se sont répandus en differens tems
dans la Pannonie , et jusques dans la Germanie
, après s'être mêlés avec les Scytes
, et d'autres Peuples Septentrionaux.
Le Tombeau de Childeric découvert au
siécle passé , et dans lequel se trouverent
plusieursTêtes d'Apis, prouve que leSymbole
de ce Dicu étoit un des signes militaires
des François ; ainsi les Fleurs de
D lys
>
270 MERCURE DE FRANCE
lys qui sont depuis long- tems le caracte→
re distinctif de notre Nation , pouvoient
être aussi- bien des Lotus Egyptiens que
des Iris , ou des Flambes des Marais de
Batavie.
L'Ecriture des premiers Empires étoit
en caracteres symboliques , Les Caldéens
et les Egyptiens avoient des hierogliphes
pour exprimer leurs pensées , et les termes
des Sciences qu'ils cultivoient , surtout
de l'Astronomie ; cela se prouve par
les figures d'animaux dont ils marquoient
les Constellations célestes , que nous mar
quons encore des mêmes figures depuis
eux .
Les grands Empires de l'Orient ont
conservé depuis leur fondation jusqu'à
présent des Symboles distinctifs.Les Turcs!
ont le Croissant , les Persans ont un
Lion surmonté d'un Soleil Levant.
Le principal Kam des Tartares a un
Hibou , l'Empereur de la Chine un Dragon
, et les Mandarins qui sont les
Grands de cet Empire , portent sur leurs
habits des figures d'Oyseaux , et d'animaux
pour distinguer les differentes classes
que composent ces Seigneurs , ce qui
fait la même distinction que font les
marques particulieres de chacun de nos
Ordres de Chevalerie,
Les
FEVRIER. 17330 271
Les François garderent les Symboles
dont je viens de parler jusqu'au tems de
Clovis ; mais ce Roi après sa conversion ,
profitant du conseil salutaire que lui avoit
donné S. Remy : Mitis depone colla sicam
ber : adora quod incendisti , incende quod
adorasti , d'adorer ce qu'il avoit brûlé
et de brûler ce qu'il avoit adoré , fit mettre
des Croix sur ses Etendarts , et donna
à ce Signe respectable de la Religion qu'il
venoit d'embrasser , la premiere place sur
tous les autres dont sa Nation s'étoit servi
jusqu'alors.
J'ai dit plus haut que les Romains regardoient
leurs Enseignes comme quelque
chose de sacré , ils n'étoient pas les
seuls qui fussent dans cet usage , les autres
Nations payennes l'avoient de même
, ce qui me donne occasion de distinguer
deux sortes de signes militaires , les
uns de dévotion , faits pour exciter la
pieté dans les Soldats , et pour les mieux
contenir par la vue de ces Signes misterieux
de la Religion qu'ils professoient.
Et les autres inventez pour exciter simplement
la valeur . Ainsi on portoit dans,
les Armées des marques sacrées , et des
marques d'honneurs ou de politique.
>
Cette distinction est de tous les tems ;
Dij ct
272 MERCURE DE FRANCE
&
et a été chez tous les Peuples qui n'alloient
point à la Guerre sans des objets visibles
de leur culte.
Les Perses adorateurs du Soleil y al
loient avec le feu perpetuel qu'ils entretenoient
soigneusement sur des Autels -portatifs
.
Les Israëlites depuis Moyse jusqu'au
tems des Rois, n'entreprenoient point de
Guerres que l'Arche d'Alliance ne fut
presque toujours portée , pour montrer
que c'étoit de l'ordre du Seigneur qu'ils
les entreprenoient et qu'ils mettoient en
lui toute leur confiance.
Les Empereurs Grecs faisoient porter
la vraie Croix de Jesus- Christ dans les
Armées destinées à combattre pour la
Religion , ce qui fit tomber plusieurs fois
cette sainte Relique au pouvoir de ses
ennemis . Tous les Souverains des Monarchies
qui se formerent des débris de l'Empire
Romain , si tôt qu'ils eurent embrassé
le Christianisme , se firent un devoir
de n'aller à la Guerre qu'avec des
Reliques , et principalement de celles des
Saints qu'ils reconnoissoient comme leurs
Apôtres , et dont ils se firent des Patrons
pour reclamer leurs secours dans les pres
sans besoins.
Les Gots du Royaume d'Arragon se
voyant
FÉVRIER. 1733. 273
voyant attaquez par Childebert Roi de
France , furent au-devant de lui avec les
Reliques de S. Vincent , pour obtenir
plus facilement la paix de ce Prince.
On portoit processionellement les Châsses
des Saints sur les murailles d'une Ville
assiegée , et les yeux de la foi faisoient
souvent appercevoir aux peuples, assiegez
ces saints Protecteurs en qui ils avoient
confiance , qui paroissoient armés pour
les deffendre .
Les Apôtres S. Pierre et S. Paul combatirent
visiblement pour le Pape saint
Léon , lors de l'irruption d'Attila ; et les
Chrétiens d'Espagne virent plusieurs fois
S. Jacques , l'épée à la main , leur aider à
repousser les Maures.
Il ne faut pas douter par tous ces exem →
ples que les Rois de France , Successeurs
de Clovis , n'ayent eu aussi le même usage
, et qu'outre les Enseignes chargées de
Croix , ces Princes ne fissent porter à la
Guerre des Châsses pleines de Reliques.
Auguste Galland , dans un Ouvrage
qu'il a composé sur le même sujet que je
traite , pour n'avoir pas senti la distinction
qu'il faut faire des Enseignes pieuses ,
de celles de pure politique , est tombé
dans l'erreur de croire que la Chape de
Diij S.
.
274 MERCURE DE FRANCE
S. Martin , portée autrefois dans les Armées
Françoises , étoit positivement le
Manteau de ce Saint , que l'on attachoit
à une picque pour en faire la principale
Enseigne. Débrouillons un peu ce que
c'étoit que cette Chape , et montrons
qu'elle étoit toute differente de ce qu'on
nommoit Enseigne principale , ou nationale
, et que si on lui veut conserver le
nom d'Enseigne , elle ne sera que du nombre
de celles que j'ai nommées sacrées
pour les distinguer des autres qui étoient
purement des Symboles propres à exciter.
la valeur & le courage .
Chaque Nation chrétienne en prenant
un Saint , pour reclamer sa protection auprès
de Dieu , en choisissoit ordinairement
un qui eut vêcu parmi eux , et à qui
elle fut redevable de sa conversion
cette raison auroit dû engager les François
à prendre pour Patron ,ou S. Irenée , ou
l'un des sept Evêques reconnus unanimement
pour les premiers Apôtres des Gaules
.
Mais comme il auroit été difficile de
s'accorder sur celui de ces Saints , qui auroit
merité la préférence , et que chaque
Province auroit voulu avoir le Saint de
qui elle tenoit la foi , on se détermina insensiblement
à faire choix de S. Martin
EvêFEVRIER.
1733 275
1
Evêque de Tours , dont le souvenir des
mérites éclatans se conservoit encore par
une tradition vivante , et par les miracles
qui s'opéroient à son Tombeau , qui
étoit devenu par là le lieu le plus saint, et
le plus fréquenté du Royaume , comme
nous l'apprenons de S. Grégoire , un de
ses Successeurs. La Ville de Tours étoit
le centre du Royaume , et une de ses
Villes capitales , tout cela acheva de déterminer
les François à regarder S. Martin
comme leur principal Patron , et à
lui donner le premier rang sur tous les
autres Saints Missionnaires , qui avoient
prêché la Foi en France.
Ce que je viens de dire n'est pas une
simple conjecture ; nos anciennes Histoires
font assez connoître que la dévotion
à S. Martin , étoit si grande dans les
premiers siècles de la Monarchie , qu'il
n'étoit appellé que le Saint et le tres - Saint,
sans autre addition de nom : Dominus ,
Sanctus Dominus , gloriosissimus Dominus ;
la mémoire de ce Saint devint en si grande
veneration par toute la France que
jour de sa Fête étoit l'Epoque du renouvellement
de toutes les affaires civiles :
c'est pourquoi l'on y joignoit les Festins , et
les Réjouissances publiques, comme pour
servir d'heureux présage de ce qui devoit
D iiij
le
ar276
MERCURE DE FRANCE
arriver pendant l'année. Les Grands Parlemens
ne s'assembloient que pendant
l'octave qui suivoit cette Fête.
La dévotion generale de tout le peuple
envers S. Martin , procura de si grands
biens à l'Eglise où étoit son Tombeau par
l'affluance des Pelerins qui y laissoient de
Riches offrandes , que lorsque cette Eglise
, qui étoit d'abord une Abbaye de
l'Ordre de S. Benoît , fut secularisée l'an
848. par l'Empereur Charles - le -Chauve ;
ce Prince , à l'exemple de ses Prédecesseurs
, se fit un devoir de s'en déclarer le
Protecteur, et peu de temps après il y mit
un Abbé laïc , pour en administrer le
temporel.
Tous les Souverains ont de droit la Garde
et la Protection des Grandes Eglises
de leurs Etats . Sans faire remonter l'origine
de ce droit à Constantin , je remarquerai
seulement que depuis que Pepin et
son Fils Charlemagne se furent rendus
les deffenseurs de l'Eglise Romaine contre
les Lombards , les Successeurs de ces deux
Princes ne crurent pas avilir leur dignité,
en y ajoutant quelquefois la qualité d'Avoué
des Eglises les plus celebres de leur
Royaume. Louis , Roy de Germanie , fut
Advoüé de l'Abbaye de S.Gal, en Suisse ,
et l'Empereur Othon I. de celle de Gemblou
, en Brabant,
Hus
FEVRIER . 1733 277
Hugues Capet étant monté sur le
Trône , se démit de la qualité d'Abbé
Laïc de S. Martin de Tours , que ses
Ancêtres avoient portée depuis le Prince
Robert le Fort , se réservant néanmoins
pour lui et ses Successcurs , le Titre de
Chanoine d'honneur, pour montrer qu'il
prétendoit toujours conserver le droit de
Protection , que les Rois , ses Prédeces
seurs avoient voulu avoir sur cette fameuse
Abbaye.
Les premiers de nos Monarques qui s'obligerent
par piété , à proteger l'Abbaye
de S. Martin , pour montrer publiquement
que la dévotion étoit le seul motif
qui les engageoit , mirent la Banniere de
cette Abbaye au nombre de leurs Enseignes
generales , et par là cette Banniere ,
qui n'auroit dû paroître que dans les occasions
où il falloit soûtenir le temporel
de l'Abbaye , ayant été portée dans toutes
les grandes Expeditions que nos Rois
entreprirent , elle devint bien-tôt la prin
cipale Enseigne de la Nation .
La dévotion de nos Princes envers saint
Martin ne se borna pas là ; mais par une
suite de l'ancien usage , toutes les fois que
la Banniere de ce Saint alloit à l'Armée ,
elle étoit suivie des Reliques du Saint
même ; on ne trouvera rien d'extraordi-
D v naire
278 MERCURE DE FRANCE
naire dans cette pratique , si on se souvient
des exemples que j'ai donnez cy dessus ,
elle se perpetua tant que durerent les
Guerres contre Is Sarasins et les Normands
, qui ravagerent la France pendant
les 8,5 et 10 siécles . Ces Gurres étant
toutes des Guerres de Religion , on sentoit
alors mieux que dans tout autre
temps , combien on avoit besoin des secours
du Ciel , et de l'intercession des
Saints Patrons pour les obtenir. -
On ignoreroit entierement ce que c'étoit
que ces Reliques de S. Martin , portées
à l'Armée , sans une des Formules de la
Collection de Marculfe , qui nous apprend
que nos Rois avoient toujours près d'eux
un Oratoire ou Châsse qui contenoit en
tr'autres Reliques , des Vêtemens de S.
Martin ; que cet Oratoire nommé Cappa
Sanci Martini , suivoit par tout les Rois,
et sur tout à l'Armée , et qu'on avoit coutume
de faire jurer dessus ceux qui vouloient
se purger des crimes dont ils étoient
accusés.
Le mot de Châsse dérivé de celui de
Capsa , présente toujours l'idée d'une
chos qui couvre , ou qui en renferme
une autres ainsi on peut dire également
des Reliques enchassées , ou enchappées.
Dans la suite ces Châsses ou Chappes ,
que
FEVRIER . 1733 279
que l'on portoit dans les voyages furent
appellées Chapelles ; on disoit la Messe
dessus dans les Campemens ; la Coutu
me de l'Eglise ayant toujours été d'offrir
le Sacrifice sur les Reliques des Saints , et
les Prêtres qui désservoient ces Chapelles
furent nommez Chapellains . Valafrid
Strabon confirme ce que j'avance , et dit
en termes précis , que le Titre de Chapelain
fut donné à ceux qui portoient la
Chappe de S. Martin , et les autres Reliques
; preuve entiere que par ce mot de
Chapelle , il ne s'agit que de Reliquaires
portés par des Prêtres destinés à ces
fonctions , et non pas d'un Etendart qui
ne doit être porté que par gens en état de
le deffendre.
Quand le Clergé d'une Eglise recevoit un
Avoué , ou un Abbé Laïc , ce n'étoit
point en lui présentant les ornemens
convenables au Sacerdoce . Un Abbé ,
Prêtre , étoit investi par la Crosse et l'Anneau
; pour l'Avoué il ne l'étoit que par
la Banniere de l'Eglise qu'on lui mettoit
à la main .
Le Pape Leon II. avant que de couronner
l'Empereur Charlemagne , l'établit
Deffenseur du Patrimoine de Saint
Pierre , en lui mettant en main l'Etendart
des Saints Apôtres , ou le Gonfalon
D vj de
280 MERCURE DE FRANCE
de l'Eglise , et de la Ville de Rome. Les
Comtes d'Auvergne prirent pour Armorries
la Banniere de l'Eglise de Brioude ,
depuis qu'ils eurent la protection de cette
Eglise .
Cette idée de protection a passé des
choses Saintes dans les Civiles ; et delà est
venu que dans plusieurs Républiques , le
Chef en est nommé Gonfaloniers qualité
Sinonime à celle de Protecteur et de
Conservateur des libertés du Peuple.
あ
Toutes les Cérémonies d'Eglise ayant
quelque chose d'auguste et de vénérable,
de-là les Deffenseurs de ces Eglises , qui
n'auroient dû se servir des Bannieres Écclésiastiques
que dans les occasions où il
s'agissoit de deffendre les biens du Saint
auquel ils étoient vouez . Ils ne laisserent
pas de se servir de ces Bannieres dans les
Guerres , qui ne les regardoient que directement
; ainsi par cette raison ( que j'al
déja dite ) les Rois de France faisoient
porter dans toutes leurs Guerres la Banniere
de S.Martin , et honoroient de cette
commission le premier Officier de leur
Couronne , pour montrer l'estime et le
respect qu'ils avoient pour cette Banniere
.
La dignité de Maire du Palais ayant été
éteinte avec la premiere Race de nos
Rois,
FEVRIER. 1733. 281
-
Rois , le premier Officier de la Couronne
étoit le Grand - Sénéchal. Lorsque la
Banniere de S. Martin devint l'Enseigne
principale de la Nation , cette importan
tante Charge , qui étoit la premiere da
Royaume , depuis qu'il n'y avoit plus de
Maire duPalais ,étoit possedée par lesComtes
d'Anjou ; ce qui fit que ces Comtes fu
rent les premiers honorez de la Dignité
de Porte Banniere de S.Martin , qui étoit
fa même chose que Grand- Enseigne de la
Couronne.
Les trois Dignités de Comte , de Sénéchal
, et de Porte Enseigne n'étoient
entrées dans cette Maison que par commission
, comme l'étoient sous les deux
premieres Races toutes les Dignités de
PEtat ; mais ces Comtes , à l'exemple des
autres Grands Vassaux , ayant retenu ces
trois Charges à titre héréditaire , ils prétendirent
avoir acquis par là le droit de
Conprotection sur l'Eglise de S. Martin ;
et les derniers Rois de la seconde Race
ayant négligé de le leur contester , il s'en
mirent si- bien en possession , qu'ils commirent
à leur tour d'autres Gentilhommes
, comme les Seigneurs de Preüilly et
de Partenay , pour porter en leur nom la
Banniere de S. Martin .
Toutes ces nouveautés ne trouverent
point
282 MERCURE DE FRANCE
point d'obstacle dans leur éxécution ,
parce que les Rois de la troisiéme Race
n'ayant plus que la Suseraineté de l'Anjou
, de la Touraine , et des Provinces
voisines , ils se choisirent un autre S. Patron
plus près du lieu de leur demeure ;
pour n'être pas obligés d'en aller cher
cher un dans des Païs dont ils n'avoient
plus la domination en entier ; cela fit diminuer
peu à peu la dévotion envers Saint
Martin , sur tout dans les Provinces qui
resterent immédiatement soumises à la
Couronne ; et nos Rois , depuis Hugues-
Caper, ayant fixé leur séjour à Paris . Saint
Denis , Patron de leur Capitale , le fut
bien- tôt de tout le Royaume.
Avant que de finir cette premiere Partie
de ma Dissertation , je ferai encore remarquer
que si Auguste Galland avoit
bien examiné lesPassages dont il s'est servî
pour prouver que la Chappe de S. Martin
étoit une Enseigne de Guerre , il auroit
trouvé dans le Rituel même de cette
Eglise , ( qu'il cite souvent ) des preuves
contraires a son sentiment.
Ce Rituel , en parlant des prérogatives
de distinction que les Comtes d'Anjou
avoient sur l'Abbaïe de S. Martin , marque
celle- ci : Ipse habet vexillum beati
Martini quotiens vadit in bello. Aux autres
1
FEVRIER. 1733. 283
tres endroits de ce Rituel le mot de
Vexillum y est toujours employé quand il
s'agit de quelque Acte Militaire ; et celui
de Cappa n'est emploïé que pour les Actions
purement Ecclésiastiques .
Comment ne pas sentir que ces deux
mots signifioient deux choses differèn
tes ? Er comment de Sçavans Critiques,
ont - ils pû être incertains sur ce que l'on
devoit entendre par la Chappe de S. Mar
tins et pancher à croire que c'étoit un
Manteau qui servoit d'Eténdart ? Une
pareille opinion est bonne à faire croire
apocriphe l'Histoire de la Chemise du
Sultan Saladin , qui après la mort de ce
Sultan , fut mise ( dit on ) au bout d'une
Pique , et promenée par toute son Ar
mée , pendant qu'un Hérault qui préce
doit , crioit à haute voix : Voici tout ce
qui reste de ce grand Homme Les Historiens
qui ont suivi Galland dans son erreur
, ne l'ont fait que pour n'avoir pas
sçu les doubles Symboles Militaires dont
on se servoit dans les Armées, et quisont
l'origine de ce qui se pratique encore en
donnant l'Ordre , ou le mot du Guet , à
la Guerre , ou dans les Villes fermées , qui
est de mettre ensemble le nom d'un Saint
et le nom d'une Ville , comme S. George
et Vandôme , &c,
An284
MERCURE
DE FRANCE
Anciennement quand les Comtes et les
Barons menoient leurs Vassaux à la Guerre
, chacun de ces Seigneurs avoit son cri
particulier , pour ranimer le courage de sa
Troupe dans les dangers , et pour faciliter
le raliement dans une déroute ; ce cri
militaire étoit , ou le nom de famille du
Chef de la Troupe , ou un mot pris à sa
fantaisie , auquel on joignoit souvent le
nom d'un Saint à qui le Chef avoit dé
votion.Comme
Notre - Dame de Chartres,
pour les Comtes de Champagne ;et Montjoye
, S. Denis. Ce dernier cri étoit celui
des Rois de France. J'en donnerai
l'explication dans la seconde partie de
cette Dissertation , en continuant de parler
des Enseignes Militaires des François,
et sur tout du fameux Oriflamme , sur
lequel j'ai à dire des choses nouvelles .
Militaires des François , par M. Beneton
de Perrin , Ecuyer , ancien Gendarme
de la Garde du Roi.
PREMIERE PARTIE.
Dambition curent songé à dominer
les uns sur les autres , et qu'en conséquence
ils se furent assemblés en troupes
pour attaquer , ou pour se deffendre
ils prirent des marques militaires , soit
Epuis que les hommes poussés par
262 MERCURE DE FRANCE
en couleurs , soit en figures pour se reconnoître
dans les Combats , et ce sont
ces marques qu'on peut encore appeller
signes et symboles , qu'on a ensuite nom
més Enseignes , Drapeaux et Etendarts.
Chaque Nation regarda les siennes
avec un respect et une veneration infinie
, elles servoient à exciter en eux la
valeur et l'envie de bien faire , pour éviter
la honte de les laisser tomber en la
puissance de l'ennemi ; leur perte fut regardée
comme un affront insigne , et ceux
qui les portoient étoient punis de mort
quand ils les perdoient par négligence ou
par lâcheté.
Les Juifs eurent des Enseignes , chacu
ne des douze Tribus avoit la sienne d'une
couleur particuliere , et sur laquelle
étoit le Symbole , qui la désignoit,suivant
la Prophetie de Jacob.
Dans l'Ecriture , et en particulier dans
les Pseaumes , il est souvent parlé en ´un
sens allegorique du Lion de la Tribu de
Juda , du Navire de Zabulon , des Etoiles
ou du Firmament d'Isachar.
Du tems des Machabées les Drapeaux
Hebreux étoient chargés de quatre lettres
équivalentes à celles- ci , MCBI,
qui signifioient selon quelques Commentateurs
, quis sicut tn in Diis Domine ? La
force
FEVRIER. 1733. 253
force de la Guerre est dans le Seigneur
nul n'est égale à lui . Ce sont ces quatre
lettres qui firent donner le nom de Machabée
à la race de celui qui le premier
les fit mettre sur les Etendarts qu'il leva
pour la deffense de la vraie Religion .
C'était dès ces tems- là , et ça été toujours
depuis l'usage des Juifs , de faire des
noms artificiels avec les premieres` lettres
des differens mots qui doivent entrer
dans les noms propres . De là sont venus
les termes de Radaq , de Ralbag
de
Rambana , &c. pour Rabbi David Kimchi
, Rabbi Levi - ben- genson , et Rabbi
Moses ben-maïmon , qui semblent ne rien
signifier à ceux qui ne sçavent pas ces
sortes d'Anagrames; plusieurs autres semblables
mots, dont on a ignoré la veritable
signification , ont fourni aux Cabba
listes les noms qu'ils ont donné aux intelligences
superieures .
Semiramis , Reine des Assyriens étoit
appellée en langage du pays Chemirmor ,
mot qui signifioit aussi une Colombe
de-là vient que les Enseignes de cet Empite
étoient chargées de ces Oyseaux pour
conserver le souvenir de l'Heroïne , de
qui il tenoit son premier éclat ; et quand
les Prophetes exhortoient les Juifs à la
pénitence , ils les menaçoient de cette
Colom
264 MERCURE DE FRANCE
<
Colombe Assyrienne , comme du fleau
de la vengeance Divine le plus à crain
dre.
Semiramis pourroit bien être la Venus
de Phenicie , que les Poëtes nous représentent
sur un Char traîné par des Colombes.
Selon que les Peuples ont été plus ou
moins policés, ils ont aussi employé pour
Drapeaux , ou Etendarts , des choses plus
ou moins recherchées.
Les Romains dans les commencemens
se contentoient de mettre un paquet
d'herbes au bout d'une picque . On sçait
que les Tartares se sont servi de queues
de Cheval , ce qui est encore en usage
chez les Turcs.
Lorsqu'on découvrit l'Amérique , les
habitans de ces vastes contrées n'avoient
pour Enseignes que de grands bâtons ornés
de plumes d'Oyseaux qu'ils appelloient
Calumets.
Les Romains mitent ensuite au bout de
la picque des représentations d'animaux ,
comme celles du Loup , du Cheval , du
Sanglier , du Minotaure , &c. C'est Pline
( L. X. C. IV. ) qui nous l'apprend ,
et ses Commentateurs donnent pour la
plûpart des raisons politiques de ces usages
; ils prétendent, par exemple, que le
Mino
FEVRIER, 1733. 265
Minotaure devoit faire ressouvenir les
gens de Guerre de garder le silence sur les
Entreprises projettées , et ce seroit apparemment
dans cet esprit que Festus appelle
la principale vertu militaire , la Religion
du secret.
Je suis persuadé que tous les animaux
qui servoient d'Enseignes aux Romains
n'étoient que les signes emblématiques
des Divinitez de l'Etat, et c'est pour cela,
sans doute , que l'Aigle étant le Symbole
de Jupiter , le Consul Marius voulut.
qu'elle eut le premier rang parmi les Etendarts.
Les Romains alloient donc à la Guerre
avec ces Symboles de leur culte , et lors
qu'ils eurent pris la coûtume de déïfier
leurs Empereurs , les Portraits de ces Princes
formerent chez eux de nouveaux Etendarts
, qu'ils joignirent aux anciens. Le
respect que les Soldats rendoient à leurs
Enseignes montroit qu'ils les regardoient
comme quelque chose de sacré .
C'étoit devant elles que se faisoient les
Sermens de fidelité , et les engagemens du
Service Militaire ; on les prenoit à témoins
des Traitez de Paix , et des promesses
faites aux Etrangers , on les encençoit
, et on les honoroit de plusieurs
autres cerémonies de Religion.
Le
266 MERCURE DE FRANCE:
Le bois, ou le métail étoient les matieres
dont on faisoit les Enseignes , et pour
la forme elles étoient en Sculpture entiere
, ou en bas relief, dans des Médaillons
au-dessous desquelles pendoit en forme
de Banniere un petit morceau d'Etoffe
quarré , dont la couleur distinguoit
les Légions les unes des autres.
Il y avoit aussi des Drapeaux d'Etoffe
sans aucunes figures , et ils étoient de
differentes couleurs ; cela s'apprend par
la maniere que les Romains avoient d'enrôler
des Soldats dans les pressans besoins
.
Le Géneral que la République avoit
désigné pour commander l'Armée montoit
au Capitole ; là il élevoit deux de ses
Drapeaux , l'un rouge qui étoit la mar
que de l'Infanterie , l'autre bleu qui étoit
celle de la Cavalerie ; ensuite à haute
voix il prononçoit ces paroles : Que ceuse
qui aiment le salut de la République ne tarà
me suivre. dent
pas
Ceux qui vouloient aller à la Guerre
chacun, suivant son inclination de servir
à pied , ou à cheval , se rangeoient sous
l'un des deux Drapeaux , et cette maniere
de faire des levées extraordinaires se nom
moit évocation.
Jusqu'au tems de Constantin il n'y
·
et
FEVRIER. 1733. 267
eut point de changement dans les Enseignes
Romaines : mais alors le Christianisme
, qui s'établissoit par tout l'Empire,
y en apporta. Les , Aigles , et les Croix
allerent de compagnie ; il se fit un mêlange
des usages de la vieille Religion
avec ceux de la nouvelle , et les Fideles.
étant alors absolument désabusés des erreurs
du Paganisme , et se trouvant en
très-grand nombre dans les Armées de
Constantin , et de ses Successeurs , il n'y
avoit plus à craindre qu'ils prostituassent
leur adoration aux Symboles des anciennes
Divinitez , comme ils avoient fait
auparavant.
Par là s'introduisit une espèce d'indifférence
pour toutes sortes d'Etendarts , et
au milieu du Christianis me même on
retint ces Symboles , inventés autrefois
par les Payens , qu'on jugea toujours utiles
pour la distinction , et qui devenoient
sans conséquence pour des Soldats Chré
tiens , instruits , et constans dans leur
Religion
Les Empereurs depuis Constantin eurent
pour principale Enseigne de Guerre
le Labarum qui étoit une petite Banniere
de couleur de pourpre , sur laquelle
étoit brodé le Monograme de
CHRIST ,
228 MERCURE DE FRANCE
CHRIST, Signe adorable de notre Rédemp
tion .
*
Les autres Nations Etrangeres que les
Romains nous ont fait connoître avoient
aussi leurs Signes Militaires. Tacite nous
apprend que ceux des Germains étoient
Les figures des bêtes communes dans les
Forêts que les peuples habitoient , et selon
le Pere Martin , ces bêtes étoient aussi
les Symboles de leurs Divinitez . On sçait
que c'est de l'union de ces Peuples ligués
ensemble qu'a été formée la Nation Françoise
ce qui fit que cette Nation eut
pendant long- tems differens Symboles
sur ses Etendarts , on y voyoit des Lions ,
des Serpens et des Crapeaux .
Tout cela sert à expliquer la prétenduë
Prophetie de Sainte Hildegarde , qui dans
ses révélations , en parlant de la ruine de
Rome par les Nations de la Germanie
assûre que Dieu donnera aux Francs le
Camp des prostituez , et que le Lion brisera
l'Aigle avec le secours du Serpent.
Cela servira encore à faire voir que
dans le XII . siécle , où vivoit cette Sainte
, les François n'avoient pas perdu la
* Dom Jacques Martin , dans son Livre sur la
Religion des Gaulois.
con :
FEVRIER. 1733 269
connoissance de leurs anciens Symboles
militaires et sur quels fondemens nos
vieux Historiens ont crû que les premieres
Armes du Royaume avoient été des
Crapaux.
:
Quand les François entrerent dans les
Gaules , ils étoient déja partagés en deux,
branches , l'une dite des Ripuaires , et
l'autre des Sicambres. Chacune de ces
branches avoit son Symbole celui de
la premiere étoit l'Epée , qui désignoit
Mars , Dieu principal de la Nation ; et la
seconde avoit pour le sien une tête de
Boeuf , ou un Apis , Dieu des Egyptiens ,
dont une partie des Francs tiroit son
origine.
J'ai montré dans ma Dissertation sur .
l'origine des François , que Sesostris ayant
poussé ses Conquêtes jusqu'aux Palus méo-´
tides , laissa plusieurs Egyptiens et Cananéens
qui s'établirent dans ces Contrées
d'où ils se sont répandus en differens tems
dans la Pannonie , et jusques dans la Germanie
, après s'être mêlés avec les Scytes
, et d'autres Peuples Septentrionaux.
Le Tombeau de Childeric découvert au
siécle passé , et dans lequel se trouverent
plusieursTêtes d'Apis, prouve que leSymbole
de ce Dicu étoit un des signes militaires
des François ; ainsi les Fleurs de
D lys
>
270 MERCURE DE FRANCE
lys qui sont depuis long- tems le caracte→
re distinctif de notre Nation , pouvoient
être aussi- bien des Lotus Egyptiens que
des Iris , ou des Flambes des Marais de
Batavie.
L'Ecriture des premiers Empires étoit
en caracteres symboliques , Les Caldéens
et les Egyptiens avoient des hierogliphes
pour exprimer leurs pensées , et les termes
des Sciences qu'ils cultivoient , surtout
de l'Astronomie ; cela se prouve par
les figures d'animaux dont ils marquoient
les Constellations célestes , que nous mar
quons encore des mêmes figures depuis
eux .
Les grands Empires de l'Orient ont
conservé depuis leur fondation jusqu'à
présent des Symboles distinctifs.Les Turcs!
ont le Croissant , les Persans ont un
Lion surmonté d'un Soleil Levant.
Le principal Kam des Tartares a un
Hibou , l'Empereur de la Chine un Dragon
, et les Mandarins qui sont les
Grands de cet Empire , portent sur leurs
habits des figures d'Oyseaux , et d'animaux
pour distinguer les differentes classes
que composent ces Seigneurs , ce qui
fait la même distinction que font les
marques particulieres de chacun de nos
Ordres de Chevalerie,
Les
FEVRIER. 17330 271
Les François garderent les Symboles
dont je viens de parler jusqu'au tems de
Clovis ; mais ce Roi après sa conversion ,
profitant du conseil salutaire que lui avoit
donné S. Remy : Mitis depone colla sicam
ber : adora quod incendisti , incende quod
adorasti , d'adorer ce qu'il avoit brûlé
et de brûler ce qu'il avoit adoré , fit mettre
des Croix sur ses Etendarts , et donna
à ce Signe respectable de la Religion qu'il
venoit d'embrasser , la premiere place sur
tous les autres dont sa Nation s'étoit servi
jusqu'alors.
J'ai dit plus haut que les Romains regardoient
leurs Enseignes comme quelque
chose de sacré , ils n'étoient pas les
seuls qui fussent dans cet usage , les autres
Nations payennes l'avoient de même
, ce qui me donne occasion de distinguer
deux sortes de signes militaires , les
uns de dévotion , faits pour exciter la
pieté dans les Soldats , et pour les mieux
contenir par la vue de ces Signes misterieux
de la Religion qu'ils professoient.
Et les autres inventez pour exciter simplement
la valeur . Ainsi on portoit dans,
les Armées des marques sacrées , et des
marques d'honneurs ou de politique.
>
Cette distinction est de tous les tems ;
Dij ct
272 MERCURE DE FRANCE
&
et a été chez tous les Peuples qui n'alloient
point à la Guerre sans des objets visibles
de leur culte.
Les Perses adorateurs du Soleil y al
loient avec le feu perpetuel qu'ils entretenoient
soigneusement sur des Autels -portatifs
.
Les Israëlites depuis Moyse jusqu'au
tems des Rois, n'entreprenoient point de
Guerres que l'Arche d'Alliance ne fut
presque toujours portée , pour montrer
que c'étoit de l'ordre du Seigneur qu'ils
les entreprenoient et qu'ils mettoient en
lui toute leur confiance.
Les Empereurs Grecs faisoient porter
la vraie Croix de Jesus- Christ dans les
Armées destinées à combattre pour la
Religion , ce qui fit tomber plusieurs fois
cette sainte Relique au pouvoir de ses
ennemis . Tous les Souverains des Monarchies
qui se formerent des débris de l'Empire
Romain , si tôt qu'ils eurent embrassé
le Christianisme , se firent un devoir
de n'aller à la Guerre qu'avec des
Reliques , et principalement de celles des
Saints qu'ils reconnoissoient comme leurs
Apôtres , et dont ils se firent des Patrons
pour reclamer leurs secours dans les pres
sans besoins.
Les Gots du Royaume d'Arragon se
voyant
FÉVRIER. 1733. 273
voyant attaquez par Childebert Roi de
France , furent au-devant de lui avec les
Reliques de S. Vincent , pour obtenir
plus facilement la paix de ce Prince.
On portoit processionellement les Châsses
des Saints sur les murailles d'une Ville
assiegée , et les yeux de la foi faisoient
souvent appercevoir aux peuples, assiegez
ces saints Protecteurs en qui ils avoient
confiance , qui paroissoient armés pour
les deffendre .
Les Apôtres S. Pierre et S. Paul combatirent
visiblement pour le Pape saint
Léon , lors de l'irruption d'Attila ; et les
Chrétiens d'Espagne virent plusieurs fois
S. Jacques , l'épée à la main , leur aider à
repousser les Maures.
Il ne faut pas douter par tous ces exem →
ples que les Rois de France , Successeurs
de Clovis , n'ayent eu aussi le même usage
, et qu'outre les Enseignes chargées de
Croix , ces Princes ne fissent porter à la
Guerre des Châsses pleines de Reliques.
Auguste Galland , dans un Ouvrage
qu'il a composé sur le même sujet que je
traite , pour n'avoir pas senti la distinction
qu'il faut faire des Enseignes pieuses ,
de celles de pure politique , est tombé
dans l'erreur de croire que la Chape de
Diij S.
.
274 MERCURE DE FRANCE
S. Martin , portée autrefois dans les Armées
Françoises , étoit positivement le
Manteau de ce Saint , que l'on attachoit
à une picque pour en faire la principale
Enseigne. Débrouillons un peu ce que
c'étoit que cette Chape , et montrons
qu'elle étoit toute differente de ce qu'on
nommoit Enseigne principale , ou nationale
, et que si on lui veut conserver le
nom d'Enseigne , elle ne sera que du nombre
de celles que j'ai nommées sacrées
pour les distinguer des autres qui étoient
purement des Symboles propres à exciter.
la valeur & le courage .
Chaque Nation chrétienne en prenant
un Saint , pour reclamer sa protection auprès
de Dieu , en choisissoit ordinairement
un qui eut vêcu parmi eux , et à qui
elle fut redevable de sa conversion
cette raison auroit dû engager les François
à prendre pour Patron ,ou S. Irenée , ou
l'un des sept Evêques reconnus unanimement
pour les premiers Apôtres des Gaules
.
Mais comme il auroit été difficile de
s'accorder sur celui de ces Saints , qui auroit
merité la préférence , et que chaque
Province auroit voulu avoir le Saint de
qui elle tenoit la foi , on se détermina insensiblement
à faire choix de S. Martin
EvêFEVRIER.
1733 275
1
Evêque de Tours , dont le souvenir des
mérites éclatans se conservoit encore par
une tradition vivante , et par les miracles
qui s'opéroient à son Tombeau , qui
étoit devenu par là le lieu le plus saint, et
le plus fréquenté du Royaume , comme
nous l'apprenons de S. Grégoire , un de
ses Successeurs. La Ville de Tours étoit
le centre du Royaume , et une de ses
Villes capitales , tout cela acheva de déterminer
les François à regarder S. Martin
comme leur principal Patron , et à
lui donner le premier rang sur tous les
autres Saints Missionnaires , qui avoient
prêché la Foi en France.
Ce que je viens de dire n'est pas une
simple conjecture ; nos anciennes Histoires
font assez connoître que la dévotion
à S. Martin , étoit si grande dans les
premiers siècles de la Monarchie , qu'il
n'étoit appellé que le Saint et le tres - Saint,
sans autre addition de nom : Dominus ,
Sanctus Dominus , gloriosissimus Dominus ;
la mémoire de ce Saint devint en si grande
veneration par toute la France que
jour de sa Fête étoit l'Epoque du renouvellement
de toutes les affaires civiles :
c'est pourquoi l'on y joignoit les Festins , et
les Réjouissances publiques, comme pour
servir d'heureux présage de ce qui devoit
D iiij
le
ar276
MERCURE DE FRANCE
arriver pendant l'année. Les Grands Parlemens
ne s'assembloient que pendant
l'octave qui suivoit cette Fête.
La dévotion generale de tout le peuple
envers S. Martin , procura de si grands
biens à l'Eglise où étoit son Tombeau par
l'affluance des Pelerins qui y laissoient de
Riches offrandes , que lorsque cette Eglise
, qui étoit d'abord une Abbaye de
l'Ordre de S. Benoît , fut secularisée l'an
848. par l'Empereur Charles - le -Chauve ;
ce Prince , à l'exemple de ses Prédecesseurs
, se fit un devoir de s'en déclarer le
Protecteur, et peu de temps après il y mit
un Abbé laïc , pour en administrer le
temporel.
Tous les Souverains ont de droit la Garde
et la Protection des Grandes Eglises
de leurs Etats . Sans faire remonter l'origine
de ce droit à Constantin , je remarquerai
seulement que depuis que Pepin et
son Fils Charlemagne se furent rendus
les deffenseurs de l'Eglise Romaine contre
les Lombards , les Successeurs de ces deux
Princes ne crurent pas avilir leur dignité,
en y ajoutant quelquefois la qualité d'Avoué
des Eglises les plus celebres de leur
Royaume. Louis , Roy de Germanie , fut
Advoüé de l'Abbaye de S.Gal, en Suisse ,
et l'Empereur Othon I. de celle de Gemblou
, en Brabant,
Hus
FEVRIER . 1733 277
Hugues Capet étant monté sur le
Trône , se démit de la qualité d'Abbé
Laïc de S. Martin de Tours , que ses
Ancêtres avoient portée depuis le Prince
Robert le Fort , se réservant néanmoins
pour lui et ses Successcurs , le Titre de
Chanoine d'honneur, pour montrer qu'il
prétendoit toujours conserver le droit de
Protection , que les Rois , ses Prédeces
seurs avoient voulu avoir sur cette fameuse
Abbaye.
Les premiers de nos Monarques qui s'obligerent
par piété , à proteger l'Abbaye
de S. Martin , pour montrer publiquement
que la dévotion étoit le seul motif
qui les engageoit , mirent la Banniere de
cette Abbaye au nombre de leurs Enseignes
generales , et par là cette Banniere ,
qui n'auroit dû paroître que dans les occasions
où il falloit soûtenir le temporel
de l'Abbaye , ayant été portée dans toutes
les grandes Expeditions que nos Rois
entreprirent , elle devint bien-tôt la prin
cipale Enseigne de la Nation .
La dévotion de nos Princes envers saint
Martin ne se borna pas là ; mais par une
suite de l'ancien usage , toutes les fois que
la Banniere de ce Saint alloit à l'Armée ,
elle étoit suivie des Reliques du Saint
même ; on ne trouvera rien d'extraordi-
D v naire
278 MERCURE DE FRANCE
naire dans cette pratique , si on se souvient
des exemples que j'ai donnez cy dessus ,
elle se perpetua tant que durerent les
Guerres contre Is Sarasins et les Normands
, qui ravagerent la France pendant
les 8,5 et 10 siécles . Ces Gurres étant
toutes des Guerres de Religion , on sentoit
alors mieux que dans tout autre
temps , combien on avoit besoin des secours
du Ciel , et de l'intercession des
Saints Patrons pour les obtenir. -
On ignoreroit entierement ce que c'étoit
que ces Reliques de S. Martin , portées
à l'Armée , sans une des Formules de la
Collection de Marculfe , qui nous apprend
que nos Rois avoient toujours près d'eux
un Oratoire ou Châsse qui contenoit en
tr'autres Reliques , des Vêtemens de S.
Martin ; que cet Oratoire nommé Cappa
Sanci Martini , suivoit par tout les Rois,
et sur tout à l'Armée , et qu'on avoit coutume
de faire jurer dessus ceux qui vouloient
se purger des crimes dont ils étoient
accusés.
Le mot de Châsse dérivé de celui de
Capsa , présente toujours l'idée d'une
chos qui couvre , ou qui en renferme
une autres ainsi on peut dire également
des Reliques enchassées , ou enchappées.
Dans la suite ces Châsses ou Chappes ,
que
FEVRIER . 1733 279
que l'on portoit dans les voyages furent
appellées Chapelles ; on disoit la Messe
dessus dans les Campemens ; la Coutu
me de l'Eglise ayant toujours été d'offrir
le Sacrifice sur les Reliques des Saints , et
les Prêtres qui désservoient ces Chapelles
furent nommez Chapellains . Valafrid
Strabon confirme ce que j'avance , et dit
en termes précis , que le Titre de Chapelain
fut donné à ceux qui portoient la
Chappe de S. Martin , et les autres Reliques
; preuve entiere que par ce mot de
Chapelle , il ne s'agit que de Reliquaires
portés par des Prêtres destinés à ces
fonctions , et non pas d'un Etendart qui
ne doit être porté que par gens en état de
le deffendre.
Quand le Clergé d'une Eglise recevoit un
Avoué , ou un Abbé Laïc , ce n'étoit
point en lui présentant les ornemens
convenables au Sacerdoce . Un Abbé ,
Prêtre , étoit investi par la Crosse et l'Anneau
; pour l'Avoué il ne l'étoit que par
la Banniere de l'Eglise qu'on lui mettoit
à la main .
Le Pape Leon II. avant que de couronner
l'Empereur Charlemagne , l'établit
Deffenseur du Patrimoine de Saint
Pierre , en lui mettant en main l'Etendart
des Saints Apôtres , ou le Gonfalon
D vj de
280 MERCURE DE FRANCE
de l'Eglise , et de la Ville de Rome. Les
Comtes d'Auvergne prirent pour Armorries
la Banniere de l'Eglise de Brioude ,
depuis qu'ils eurent la protection de cette
Eglise .
Cette idée de protection a passé des
choses Saintes dans les Civiles ; et delà est
venu que dans plusieurs Républiques , le
Chef en est nommé Gonfaloniers qualité
Sinonime à celle de Protecteur et de
Conservateur des libertés du Peuple.
あ
Toutes les Cérémonies d'Eglise ayant
quelque chose d'auguste et de vénérable,
de-là les Deffenseurs de ces Eglises , qui
n'auroient dû se servir des Bannieres Écclésiastiques
que dans les occasions où il
s'agissoit de deffendre les biens du Saint
auquel ils étoient vouez . Ils ne laisserent
pas de se servir de ces Bannieres dans les
Guerres , qui ne les regardoient que directement
; ainsi par cette raison ( que j'al
déja dite ) les Rois de France faisoient
porter dans toutes leurs Guerres la Banniere
de S.Martin , et honoroient de cette
commission le premier Officier de leur
Couronne , pour montrer l'estime et le
respect qu'ils avoient pour cette Banniere
.
La dignité de Maire du Palais ayant été
éteinte avec la premiere Race de nos
Rois,
FEVRIER. 1733. 281
-
Rois , le premier Officier de la Couronne
étoit le Grand - Sénéchal. Lorsque la
Banniere de S. Martin devint l'Enseigne
principale de la Nation , cette importan
tante Charge , qui étoit la premiere da
Royaume , depuis qu'il n'y avoit plus de
Maire duPalais ,étoit possedée par lesComtes
d'Anjou ; ce qui fit que ces Comtes fu
rent les premiers honorez de la Dignité
de Porte Banniere de S.Martin , qui étoit
fa même chose que Grand- Enseigne de la
Couronne.
Les trois Dignités de Comte , de Sénéchal
, et de Porte Enseigne n'étoient
entrées dans cette Maison que par commission
, comme l'étoient sous les deux
premieres Races toutes les Dignités de
PEtat ; mais ces Comtes , à l'exemple des
autres Grands Vassaux , ayant retenu ces
trois Charges à titre héréditaire , ils prétendirent
avoir acquis par là le droit de
Conprotection sur l'Eglise de S. Martin ;
et les derniers Rois de la seconde Race
ayant négligé de le leur contester , il s'en
mirent si- bien en possession , qu'ils commirent
à leur tour d'autres Gentilhommes
, comme les Seigneurs de Preüilly et
de Partenay , pour porter en leur nom la
Banniere de S. Martin .
Toutes ces nouveautés ne trouverent
point
282 MERCURE DE FRANCE
point d'obstacle dans leur éxécution ,
parce que les Rois de la troisiéme Race
n'ayant plus que la Suseraineté de l'Anjou
, de la Touraine , et des Provinces
voisines , ils se choisirent un autre S. Patron
plus près du lieu de leur demeure ;
pour n'être pas obligés d'en aller cher
cher un dans des Païs dont ils n'avoient
plus la domination en entier ; cela fit diminuer
peu à peu la dévotion envers Saint
Martin , sur tout dans les Provinces qui
resterent immédiatement soumises à la
Couronne ; et nos Rois , depuis Hugues-
Caper, ayant fixé leur séjour à Paris . Saint
Denis , Patron de leur Capitale , le fut
bien- tôt de tout le Royaume.
Avant que de finir cette premiere Partie
de ma Dissertation , je ferai encore remarquer
que si Auguste Galland avoit
bien examiné lesPassages dont il s'est servî
pour prouver que la Chappe de S. Martin
étoit une Enseigne de Guerre , il auroit
trouvé dans le Rituel même de cette
Eglise , ( qu'il cite souvent ) des preuves
contraires a son sentiment.
Ce Rituel , en parlant des prérogatives
de distinction que les Comtes d'Anjou
avoient sur l'Abbaïe de S. Martin , marque
celle- ci : Ipse habet vexillum beati
Martini quotiens vadit in bello. Aux autres
1
FEVRIER. 1733. 283
tres endroits de ce Rituel le mot de
Vexillum y est toujours employé quand il
s'agit de quelque Acte Militaire ; et celui
de Cappa n'est emploïé que pour les Actions
purement Ecclésiastiques .
Comment ne pas sentir que ces deux
mots signifioient deux choses differèn
tes ? Er comment de Sçavans Critiques,
ont - ils pû être incertains sur ce que l'on
devoit entendre par la Chappe de S. Mar
tins et pancher à croire que c'étoit un
Manteau qui servoit d'Eténdart ? Une
pareille opinion est bonne à faire croire
apocriphe l'Histoire de la Chemise du
Sultan Saladin , qui après la mort de ce
Sultan , fut mise ( dit on ) au bout d'une
Pique , et promenée par toute son Ar
mée , pendant qu'un Hérault qui préce
doit , crioit à haute voix : Voici tout ce
qui reste de ce grand Homme Les Historiens
qui ont suivi Galland dans son erreur
, ne l'ont fait que pour n'avoir pas
sçu les doubles Symboles Militaires dont
on se servoit dans les Armées, et quisont
l'origine de ce qui se pratique encore en
donnant l'Ordre , ou le mot du Guet , à
la Guerre , ou dans les Villes fermées , qui
est de mettre ensemble le nom d'un Saint
et le nom d'une Ville , comme S. George
et Vandôme , &c,
An284
MERCURE
DE FRANCE
Anciennement quand les Comtes et les
Barons menoient leurs Vassaux à la Guerre
, chacun de ces Seigneurs avoit son cri
particulier , pour ranimer le courage de sa
Troupe dans les dangers , et pour faciliter
le raliement dans une déroute ; ce cri
militaire étoit , ou le nom de famille du
Chef de la Troupe , ou un mot pris à sa
fantaisie , auquel on joignoit souvent le
nom d'un Saint à qui le Chef avoit dé
votion.Comme
Notre - Dame de Chartres,
pour les Comtes de Champagne ;et Montjoye
, S. Denis. Ce dernier cri étoit celui
des Rois de France. J'en donnerai
l'explication dans la seconde partie de
cette Dissertation , en continuant de parler
des Enseignes Militaires des François,
et sur tout du fameux Oriflamme , sur
lequel j'ai à dire des choses nouvelles .
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Résumé : DISSERTATION sur les Enseignes Militaires des François, par M. Beneton de Perrin, Ecuyer, ancien Gendarme de la Garde du Roi.
La dissertation de M. Beneton de Perrin, ancien gendarme de la Garde du Roi, explore l'histoire des enseignes militaires des Français. Les enseignes, initialement des marques militaires sous forme de couleurs ou de figures, servaient à reconnaître les troupes sur le champ de bataille. Chaque nation vénérait ses enseignes, et leur perte était considérée comme un affront majeur. Les Juifs, par exemple, avaient des enseignes spécifiques pour chaque tribu, et les drapeaux des Machabées portaient les lettres MCBI, symbolisant la force divine. Les enseignes variaient selon les cultures : les Romains utilisaient des paquets d'herbes ou des représentations d'animaux, tandis que les Tartares et les Turcs employaient des queues de cheval. Les Amérindiens utilisaient des calumets ornés de plumes. Après l'adoption du christianisme, les Romains intégrèrent des symboles chrétiens comme le labarum, une bannière pourpre avec le monogramme de Christ. Les Français, issus de l'union de divers peuples germains, avaient des symboles variés comme des lions, des serpents et des crapauds. Après la conversion de Clovis, les croix furent ajoutées aux enseignes. Les enseignes étaient souvent considérées comme sacrées et servaient à exciter la piété et la valeur des soldats. Les Perses, les Israélites et les Empereurs grecs portaient également des symboles religieux lors des combats. Les reliques et les bannières saintes étaient couramment utilisées dans les armées chrétiennes. Les Goths d'Arragon portaient les reliques de Saint Vincent pour obtenir la paix face à Childebert, roi de France. Les chrétiens voyaient souvent leurs saints protecteurs armés pour les défendre. Les Apôtres Saint Pierre et Saint Paul combattirent pour le pape Saint Léon contre Attila, et Saint Jacques aida les chrétiens d'Espagne contre les Maures. En France, les rois successeurs de Clovis portaient des châsses pleines de reliques à la guerre. Les nations chrétiennes choisissaient souvent un saint local comme protecteur. Les Français adoptèrent Saint Martin de Tours, dont le tombeau était un lieu de pèlerinage important. La dévotion à Saint Martin était si grande que son jour de fête marquait le renouvellement des affaires civiles et les réjouissances publiques. Les souverains avaient le droit de protéger les grandes églises de leurs États. Les rois francs, comme Pépin et Charlemagne, se déclarèrent défenseurs de l'Église romaine et protecteurs des abbayes célèbres. La bannière de Saint Martin devint l'enseigne principale de la nation française, portée dans toutes les grandes expéditions. Elle était accompagnée des reliques du saint, surtout lors des guerres contre les Sarrasins et les Normands. Les rois avaient un oratoire contenant des vêtements de Saint Martin, utilisé pour les serments. Les chapelles, dérivées du mot 'chape' (reliquaire), étaient des lieux de messe dans les campements. Les chapelains étaient les prêtres chargés de porter les reliques. Les défenseurs des églises utilisaient les bannières ecclésiastiques même dans les guerres non directement liées à la défense des biens saints. Les cris de ralliement étaient également utilisés pour encourager les troupes et faciliter le ralliement en cas de déroute. Ces cris pouvaient être le nom de famille du chef ou un mot de son choix, souvent accompagné du nom d'un saint auquel le chef était dévot. Par exemple, les Comtes de Champagne utilisaient 'Notre-Dame de Chartres', et les Rois de France utilisaient 'Montjoye' et 'Saint-Denis'. L'auteur prévoit d'expliquer davantage les enseignes militaires des Français, notamment l'Oriflamme, dans une seconde partie de sa dissertation.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 1050-1062
DISSERTATION sur les Enseignes Militaires des François. par M. Beneton-de-Perrin, Ecuyer, ancien Gendarme de la Garde du Roy. Seconde Partie.
Début :
Après avoir dit dans la premiere Partie de cet Ouvrage ce qui obligea [...]
Mots clefs :
Saint Denis, Comtes de Vexin, Abbaye de Saint-Denis, Église, Seigneurs, Prince, Églises, Bannière, Dévotion, Monastère, Enseignes militaires
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texteReconnaissance textuelle : DISSERTATION sur les Enseignes Militaires des François. par M. Beneton-de-Perrin, Ecuyer, ancien Gendarme de la Garde du Roy. Seconde Partie.
DISSERTATION sur les Enseignes
Militaires des François . par M. Benetonde-
Perrin , Ecuyer , ancien Gendarme
de la Garde du Roy. Seconde Partie .
A
Près avoir dit dans la premiere Partie
de cet Ouvrage ce qui obligea
les Rois de France à changer de Patron ,
et ce qui fit qu'à leur exemple le Peuple
diminua peu - à - peu sa dévotion a S.Martin
, pour la donner toute entiere à saint
Denis ; remontons présentement aux
temps qui ont précedé ce changement.
Sans entrer dans la fameuse dispute si
S. Denis , premier Evêque de Paris , est
le même que Denis l'Areopagite , converti
par
l'Apôtre S. Paul dans la Ville
d'Athénes , qui de Rome passa dans les
Gaules dès le premier siecle de l'Eglise ,
ou s'il est un autre Denis , qui , avec six
autres saints Missionnaires , ne vinrent dans
les Gaules qu'au temps de Décius ; il est
toujours certain qu'un S. Denis , Evêque,
fut le premier qui annonça aux Parisiens
les veritez de l'Evangile , et qu'il souffrit
le martyre avec deux de ses Compagnons
dans le lieu même où il avoit exercé sa
Mission .
Après
JUIN. 1733. 1051
Après la mort de ce Saint , une femme
vertueuse et riche , nommée Catule ,
devenue , sans doute , Chrétienne par les
´Sermons du Martyr, fit secrettement enlever
son Corps et ceux de ses Compagnons ,
et les fit inhumer tous trois dans un
Champ qui lui appartenoit , et qui à cause
d'elle fut appellé Catolacum , et Catalliacum.
Les Chrétiens , pour ne point oublier
l'endroit qui contenoit les Corps de
ces saints Martyrs , mirent dessus une
marque, ou Montjoye , et aussi tôt qu'ils
furent en liberté de faire quelque Acte
public de leur Religion , ils bâtirent sur
cet endroit une Oratoire ou petite Chapelle
, que sainte Géneviève changea en
Eglise et qui devint bien- tôt un Monastere
, puisque dès l'an 6c0 . sous Clotaire
second , il y avoit déja un Abbé
qui gouvernoit la Communauté Religicu
se de S. Denis .
Le Roy Dagobert fut le premier qui
donna à cette Abbaye de grandes possessions
en terres , et les Successcurs de ce
Prince se firent un mérite d'enrichir extraordinairement
le Monastere de S. Denis
, par de continuelles liberalitez , jusqu'au
temps de Charles le Chauve. Alors
les Normands étant venu aborder ent
Neustrie , et ces Barbares ayant remonté
1. Vol. Ay la
1052 MERCURE DE FRANCE
·
&
la Seine pour ravager les Païs voisins de
cette Riviete , les Religieux de S. Denys
recoururent à la protection des Rois ,
pour la conservation des biens qu'ils renoient
d'eux ; mais les Rois occupez aib
leurs, tant par les Guerres intestines , que
par les ravages que d'autres Normands
faisoient en attaquant le Royaume par
plusieurs endroits , et ne pouvant par
consequent s'engager à deffendre en personne
l'Abbaye de S. Denys ; ils commirent
ce soin aux Comtes du Véxin , qui
étoient leurs plus proches Officiers , et faisant
résidence aux environs de cette Abbaye;
par là plus à portée que tous autres
à veiller à sa deffense. Voilà l'origine et
l'établissement des premiers Avouez ou
Deffenseurs de S. Denys .
Les Comtes de Véxin étoient pour lors
des Officiers Amovibles , comme tous les
autres Comtes du Royaume ; ainsi l'Abbaye
de S.Denys changeoit d'Avoüé toutes
les fois que leVéxin changeoit de Gouverneur.
Cela dura jusqu'au Regne de Charles
le Simple, qui ayant cedé aux Normands
toute la Neustrie , avec une partie du
Véxin ; ceux qui devinrent Comtes de
l'autre partie de ce Païs , demeurée à la
France , s'en rendirent presque aussi-tôr
1. Vol.
SeiJUIN.
1733.
1053
Seigneurs proprietaires , et étendirent la
même propriété sur l'Avoüerie de S. Denys
, rendant ces deux Dignités héréditaires
dans leurs familles .
Les Historiens faute d'avoir mis de la
distinction entre la qualité de Comte et
celle d'Avoüé , ont cru que les derniers
Seigneurs du Véxin étoient Vassaux de
l'Abbaye de S. Denys pour leur Comté ;
ce qui n'est point mon sentiment.
Car si le Comté de Véxin eut relevé de
l'Abbaye de S. Denys , les Religieux auroient
été en droit d'exiger l'hommage
des Ducs de Normandie qui joüissoient
de la moitié de ce Comté; et l'on ne voit
point qu'aucun Prince Normand ait été
citté , ni se soit soumis à cet hommage.
Les premiers Comtes de Véxin n'ont
pas pû le faire; ils dépendoient entierement
des Rois qui n'auroient point souffert
que leurs Officiers allassent faire hommage
d'un Païs dont ils n'étoient que les
gardiens ; permettroit - on presentement
à un Gouverneur de Province ou de Ville
d'aller soumettre son Gouvernement
à une Eglise à laquelle il auroit dévotion ?
il en auroit été de même si les Comtes
de Véxin avoient voulu faire une semblable
démarche.
L'Abbaye de S. Denys n'a eu la Sei-
1. Vol.
A vj gneurie
1054 MERCURE DE FRANCE
gneurie du lieu où elle est scituée que par
la donation que lui en fit le Roy Robert,
l'an 996. En ce temps - là les Rois donnoient
assez aisément les Domaines utiles,
mais rarement les Justices et les Droits
Seigneuriaux ; ils éroient soigneux de se
les conserver ; ainsi il paroît peu croïable
qu'un Monastere qui n'étoit point Seigneur
du lieu où il étoit , pût avoir la Suseraineté
sur un territoire aussi considérable
que le Véxin , Les Rois avoient interêt
de soûtenir le droit de Suseraineté
sur ce territoire entier, parce que s'ils s'étoient
un peu relâchés , cela auroit servi
de prétexte aux Ducs de Normandie
lorsqu'ils furent devenus Rois d'Angleterre
, et les plus redoutables ennemis de
la France , pour soustraire une partie de
leur Domaine à l'hommage qu'ils devoient
à la Couronne , dans la prétention
qu'ils ne l'auroient dû qu'à l'Abbaye
de Saint Denys pour leur part du
Véxin.
,
Nos Rois connoissoient si bien que
leur interêt demandoit l'affoiblissement
des Comtes du Véxin , trop voisins de
Paris , que les derniers possesseurs de ce
Comté , étoient plutôt Comtes dans le
Païs , que Comtes du Païs , tant leur autorité
fut mitigée par les Rois , qui n'ai-
I. Vol. moient
JUIN. 1733 . 1055
moient point d'avoir un Vassal si puissant
à la porte de leur Capitale. Aussi
Philippe I. profita bien tôt de la mort ,
sans enfans , de Simon , surnommé le
Bienheureux , dernier de ces Comtes ,
arrivée l'an 1c88 . pour réünir à son Domaine
le Comté de Véxin , qu'il donna
ensuite à son fils , Loüis , surnommé le
Gros, et qui par ce moyen devint Avoüé
de S. Denys. C'est ce Prince , qui étant
Roy, fit un usage general de la Banniere
de l'Abbaye , dont il avoit l'Avouerie ,
et la fit porter dans toutes les Guerres
d'Etat qu'il entreprit. Après la réunion
du Véxin à la Couronne , la dévotion à
S. Denys devint si grande , que les Rois ,
successeurs de Louis le Gros , se firent
honneur d'être les premiers Avoüez de
l'Eglise de ce Saint.
Ils s'obligerent en cette qualité de
prendre les armes pour en conserver les
droits toutes les fois qu'il en seroit besoin
; et cette obligation leur fit naître
l'idée pieuse de se servir de la Banniere
de ce Monastere , non seulement dans les
occasions où il s'agiroit d'en deffendre les
biens , mais encore dans toutes celles où
il s'agiroit de la deffense de leur propre
Royaume , et d'avoir en cette Banniere
la nrême confiance que leurs Prédeces
1. Vol.
scurs
1056 MERCURE DE FRANCE
seurs avoient eue en celle de S. Martin ,
dont on ne faisoit plus d'usage .
L'Histoire nous a conservé la memoire
de ce qui se passa quand le Roy Louis
le Gros alla à S. Denys , l'an 1124. y lever
l'Oriflamme pour la premiere fois ,
afin de s'en servir dans la Guerre qu'il
alloit avoir contre l'Empereur Henry V.
,
La maniere dont ce Prince parla dans
l'Assemblée qui se tint à cette occasion ,
a donné lieu de croire qu'il y reconnut
n'avoir droit de se servir de la Banniere
de S. Denys , qu'en qualité de Vassal de
l'Abbaye , à cause du Comté de Vexin .
Voicy le discours du Roy , tiré d'une
Patente que Doublet nous a conservée
dans son Histoire de S.Denys. Liv. 3.
Presenti itaque Venerabili Abbate Prefata
Ecclesia Sugerio , quem fidelem et familiarem
optimatum nostrorum Vexillum de
altario beatorum Martyrum , ad quos comitatus
Vilcassini , quem nos ab ipsis infeodem
habemus , spectare dignoscitur , morem
antiquum antecessorum nostrorum servantes
et imitantes , signiferi jure , sicut Comites
Vilcassini soliti erant , suscepimus.
Ces termes qui ont paru décisifs à ceux
qui ont soutenu que le Roi fit alors hommage
du Comté de Vexin, ne me paroissent
pas tels ; cette preuve n'est point in-
I, Vol.
conJUIN.
1733 1057
contestable , selon moi ; la piété du Prince
, et sa grande dévotion à S. Denys , auroient
bien pû lui faire avancer des expressions
un peu fortes , sans distinguer
assez pourquoi les Comtes de Vexin rendoient
hommage ; confondant sa qualité
d'Avoué avec celle de Comte , et les termes
: De more Antecessorum suorum , peuvent
s'entendre que le Roy reconnoît
avoir , signiferi jure , le droit de porter
P'Enseigne de S. Denys , de même que les
Comtes de Vexin l'avoient en qualité
d'Avoüés , et par conséquent de Vassaux
de l'Abbaye en cette qualité.
Enfin , si on ne peut rien rabatre de la
forme des termes de cette reconnoissance
; la cause qui la fit faire ainsi , peut
être attribuée à l'usage où l'on étoit alors,
et qui avoit commencé dans le siecle précedent
, où le Seigneur d'un Fief croioit
faire un Acte de grande piété , en soumettant
volontairemént sa Terre à l'Eglise
d'un Saint , qu'il prenoit pour le:
Protecteur de sa famille.
On rendoit cette soumission , sans prétendre
préjudicier à celle qu'on devoit à
son Seigneur dominant, ce qui faisoit que
ce dernier la permettoit. Les Comtes de
Vexin auroient pû faire un pareil hommage
à S. Denys , sans préjudice de celui
qu'ils devoient aux Rois .
tos8 MERCURE DE FRANCE
Les Seigneurs de la Tour en Auvergne
soumirent leur Fief de la Tour à l'Abbaye
de Clugny , fauf ce qu'ils devoient
aux Comtes d'Auvergne leurs Souverains.
Munier , dans son Histoire d'Authun ;
rapporte les hommages que les Seigneurs
du Fief de Clugny lés - Authun , faisoient
devant l'Autel et la Chasse de S. Symphorien
de cette Ville , quoique ce Fief
de Clugny relevat d'un autre Seigneur.
Louis XI. Roy de France , fit hommage
pour lui et ses Successeurs Rois , du
Comté de Boulogne en Picardie , à Notre
Dame de la même Ville ; et Louis XIII. a
mis sa Couronne sons la protection de la
Sainte Vierge , par un voeu fait à l'Eglise
de Notre Dame de Paris ; toutes ces
soumissions volontaires et l'effet d'une
grande piété , ne tirent point à conséquence
, et ne peuvent point passer pour
de vraies sujettions.
que
Il faut penser la même chose de celle
les Comtes de Vexin devoient à Saint
Denys, et je suis persuadé que ces Comtes
ne la devoient que pour des Terres dépendantes
de l'Abbaye , dont ils jouissoient
en qualité d'Avoüez . En effet
qu'on examine bien la céremonie qui se
faisoit quand nos Rois alloient pren-
I. Vol.
dre
JUIN. 1733.
1059
dre l'Oriflame , on verra que ce n'étoit
qu'un Acte de dévotion qui n'avoit rien
qui sentit l'hommage juridique.
Le Roy après avoir fait sa priere devant
l'Autel sur lequel étoient les Chasses
des Martyrs , prenoit lui - même la Banniere
qui étoit aussi dessus l'Autel , pour
montrer qu'il ne tenoit le droit de la
prendre que de sa puissance , et que la
piété seule , qui l'engageoit à proteger le
Monastere , lui faisoit si fort estimer son
Enseigne, à cause du Saint à qui elle étoit
consacrée, qu'il esperoit par elle attirer la
protection du Ciel sur son Armée. Ensuite
le Roy tenant en main cette Enseigne
la remettoit à un des plus vaillans
Chevaliers de sa Cour , pour la porter en
son nom , pendant l'Expedition qu'on
alloit entreprendre , et ce Seigneur faisoit
serment de la deffendre au peril de
sa vie , et de la rapporter dans le lieu où
il la prenoit.
Je regarde les Porte - Oriflammes
comme les Vidâmes de nos Rois et les
Avoüés particuliers de Saint Denys.
J'ai déja dit que les Rois sont de droit
les Protecteurs et les Grands Avoüés de
toutes les Eglises de leur Royaume ; ils
avoient fait les Comtes d'Anjou et du
Vexin leurs Lieutenans dans celles de S.
I. Vol. Martin
1060 MERCURE DE FRANCE
Martin et de S. Denys , et ils ne firent
exercer ces Lieutenances par d'autres Seigneurs
, que quand la posterité mâle de
ces Comtes eut manqué.
Outre ces Lieutenans d'honneur , les
Grosses Abbayes avoient d'antres Avoüez
d'un plus bas étage pour avoir soin des
biens détachez et éloignez de ces Abbayes.
Ces Avouez particuliers se nommoient
Signiferi Ecclesiarum , Porte- Enseignes
des Eglises.
L'Abbaye de S.Denys en avoit plusieurs
à la fois , comme celui de Berneval en
Normandie , et les Seigneurs de Chevreuse
près Montfort. Ces derniers , l'an
1226 , remirent leur droit d'Avoüérie ,
moyennant une somme d'argent ; il falloit
cependant que par cette vente ils ne
se fussent pas dépouillez tout - à - fait de
l'honneur de contribuer à la deffense de
l'Abbaye de S. Denys , puisque les premiers
Porte Oriflammes connus , étoient
de cette famille , et qu'on n'en trouve
point qui ait exercé cet Ofice avant Anceau
, Sire de Chevreuse , qui perdit l'O
riflamme et la vie à la Bataille de Monsen
- Puelle , l'an 1304.
Chacun de ces Avoüez particuliers
avoit son Enseigne , comme cela se prouve
par le nom qu'on leur donnoit de
I. Vol. SiJUIN.
1733 1061
Signiferi Ecclesiarum ; ainsi l'Abbaye de
S. Denys ayant plusieurs Avoüez , devoit
avoir plusieurs Bannieres , qui toutes auroient
pû s'appeller Oriflammes , puisqu'elles
avoient toutes la même forme ,
par la raison que je vais dire ; cependant
on ne donna ce nom qu'à la principale ,
qui restoit dans l'Abbaye , et que l'on
regardoit proprement comme appartenante
aux Martyrs.
Toutes les Bannieres des Eglises dédiées
à des Saints de ce genre , étoient
rouges et frangées, de synope ou de verts
l'une de ces couleurs désignant les souffrances,
et l'autre l'esperance qui animoit
ces Saints en répandant leur sang pour
Jesus-Christ.
L'Eglise de Brioude en France , dédiée
à S. Julien Martyr, celles de Tubnigen
et de Bolbingen en Allemagne , de même
qu'une infinité d'autres Eglises qu'on me
dispensera de nommer , avoient de semblables
Bannieres ; l'Etendart des Dauphins
de Viennois étoit rouge , avec un
S. George representé dessus ; il servoit à
l'inauguration de chaque Dauphin . Après
qu'on avoit mis au nouveau Prince l'Epée
au côté , et l'Anneau au doigt , il
prenoit d'une main le Sceptre , et de
l'autre cet Etendart , qui après la cere-
1. Vol.
monie
1062 MERCURE DE FRANCE
monie étoit remis dans la Sacristie de l'Eglise
de S.André de Grenoble où il restoit
toujours en dépôt , comme l'ont remarqué
Jean Beneton , mon grand oncle , et
M. de Valbonnais dans leurs Mémoires
du Dauphiné.
Plusieurs Seigneurs qui se trouverent
Avoüez des Eglises lorsque l'on commençi
à prendre des Armoiries , s'en firent
avec les Bannieres qu'ils avoient droit de
porter ; telle est l'origine des Armes des
Comtes d'Auverge , des Seigneurs de Clin
champ en Normandie , et des Comtes de
Verdemberg en Allemagne . Ces trois
exemples suffiront pour prouver ce que
j'avance.
Le reste paroitra dans le Mercure pro¬
chain.
Militaires des François . par M. Benetonde-
Perrin , Ecuyer , ancien Gendarme
de la Garde du Roy. Seconde Partie .
A
Près avoir dit dans la premiere Partie
de cet Ouvrage ce qui obligea
les Rois de France à changer de Patron ,
et ce qui fit qu'à leur exemple le Peuple
diminua peu - à - peu sa dévotion a S.Martin
, pour la donner toute entiere à saint
Denis ; remontons présentement aux
temps qui ont précedé ce changement.
Sans entrer dans la fameuse dispute si
S. Denis , premier Evêque de Paris , est
le même que Denis l'Areopagite , converti
par
l'Apôtre S. Paul dans la Ville
d'Athénes , qui de Rome passa dans les
Gaules dès le premier siecle de l'Eglise ,
ou s'il est un autre Denis , qui , avec six
autres saints Missionnaires , ne vinrent dans
les Gaules qu'au temps de Décius ; il est
toujours certain qu'un S. Denis , Evêque,
fut le premier qui annonça aux Parisiens
les veritez de l'Evangile , et qu'il souffrit
le martyre avec deux de ses Compagnons
dans le lieu même où il avoit exercé sa
Mission .
Après
JUIN. 1733. 1051
Après la mort de ce Saint , une femme
vertueuse et riche , nommée Catule ,
devenue , sans doute , Chrétienne par les
´Sermons du Martyr, fit secrettement enlever
son Corps et ceux de ses Compagnons ,
et les fit inhumer tous trois dans un
Champ qui lui appartenoit , et qui à cause
d'elle fut appellé Catolacum , et Catalliacum.
Les Chrétiens , pour ne point oublier
l'endroit qui contenoit les Corps de
ces saints Martyrs , mirent dessus une
marque, ou Montjoye , et aussi tôt qu'ils
furent en liberté de faire quelque Acte
public de leur Religion , ils bâtirent sur
cet endroit une Oratoire ou petite Chapelle
, que sainte Géneviève changea en
Eglise et qui devint bien- tôt un Monastere
, puisque dès l'an 6c0 . sous Clotaire
second , il y avoit déja un Abbé
qui gouvernoit la Communauté Religicu
se de S. Denis .
Le Roy Dagobert fut le premier qui
donna à cette Abbaye de grandes possessions
en terres , et les Successcurs de ce
Prince se firent un mérite d'enrichir extraordinairement
le Monastere de S. Denis
, par de continuelles liberalitez , jusqu'au
temps de Charles le Chauve. Alors
les Normands étant venu aborder ent
Neustrie , et ces Barbares ayant remonté
1. Vol. Ay la
1052 MERCURE DE FRANCE
·
&
la Seine pour ravager les Païs voisins de
cette Riviete , les Religieux de S. Denys
recoururent à la protection des Rois ,
pour la conservation des biens qu'ils renoient
d'eux ; mais les Rois occupez aib
leurs, tant par les Guerres intestines , que
par les ravages que d'autres Normands
faisoient en attaquant le Royaume par
plusieurs endroits , et ne pouvant par
consequent s'engager à deffendre en personne
l'Abbaye de S. Denys ; ils commirent
ce soin aux Comtes du Véxin , qui
étoient leurs plus proches Officiers , et faisant
résidence aux environs de cette Abbaye;
par là plus à portée que tous autres
à veiller à sa deffense. Voilà l'origine et
l'établissement des premiers Avouez ou
Deffenseurs de S. Denys .
Les Comtes de Véxin étoient pour lors
des Officiers Amovibles , comme tous les
autres Comtes du Royaume ; ainsi l'Abbaye
de S.Denys changeoit d'Avoüé toutes
les fois que leVéxin changeoit de Gouverneur.
Cela dura jusqu'au Regne de Charles
le Simple, qui ayant cedé aux Normands
toute la Neustrie , avec une partie du
Véxin ; ceux qui devinrent Comtes de
l'autre partie de ce Païs , demeurée à la
France , s'en rendirent presque aussi-tôr
1. Vol.
SeiJUIN.
1733.
1053
Seigneurs proprietaires , et étendirent la
même propriété sur l'Avoüerie de S. Denys
, rendant ces deux Dignités héréditaires
dans leurs familles .
Les Historiens faute d'avoir mis de la
distinction entre la qualité de Comte et
celle d'Avoüé , ont cru que les derniers
Seigneurs du Véxin étoient Vassaux de
l'Abbaye de S. Denys pour leur Comté ;
ce qui n'est point mon sentiment.
Car si le Comté de Véxin eut relevé de
l'Abbaye de S. Denys , les Religieux auroient
été en droit d'exiger l'hommage
des Ducs de Normandie qui joüissoient
de la moitié de ce Comté; et l'on ne voit
point qu'aucun Prince Normand ait été
citté , ni se soit soumis à cet hommage.
Les premiers Comtes de Véxin n'ont
pas pû le faire; ils dépendoient entierement
des Rois qui n'auroient point souffert
que leurs Officiers allassent faire hommage
d'un Païs dont ils n'étoient que les
gardiens ; permettroit - on presentement
à un Gouverneur de Province ou de Ville
d'aller soumettre son Gouvernement
à une Eglise à laquelle il auroit dévotion ?
il en auroit été de même si les Comtes
de Véxin avoient voulu faire une semblable
démarche.
L'Abbaye de S. Denys n'a eu la Sei-
1. Vol.
A vj gneurie
1054 MERCURE DE FRANCE
gneurie du lieu où elle est scituée que par
la donation que lui en fit le Roy Robert,
l'an 996. En ce temps - là les Rois donnoient
assez aisément les Domaines utiles,
mais rarement les Justices et les Droits
Seigneuriaux ; ils éroient soigneux de se
les conserver ; ainsi il paroît peu croïable
qu'un Monastere qui n'étoit point Seigneur
du lieu où il étoit , pût avoir la Suseraineté
sur un territoire aussi considérable
que le Véxin , Les Rois avoient interêt
de soûtenir le droit de Suseraineté
sur ce territoire entier, parce que s'ils s'étoient
un peu relâchés , cela auroit servi
de prétexte aux Ducs de Normandie
lorsqu'ils furent devenus Rois d'Angleterre
, et les plus redoutables ennemis de
la France , pour soustraire une partie de
leur Domaine à l'hommage qu'ils devoient
à la Couronne , dans la prétention
qu'ils ne l'auroient dû qu'à l'Abbaye
de Saint Denys pour leur part du
Véxin.
,
Nos Rois connoissoient si bien que
leur interêt demandoit l'affoiblissement
des Comtes du Véxin , trop voisins de
Paris , que les derniers possesseurs de ce
Comté , étoient plutôt Comtes dans le
Païs , que Comtes du Païs , tant leur autorité
fut mitigée par les Rois , qui n'ai-
I. Vol. moient
JUIN. 1733 . 1055
moient point d'avoir un Vassal si puissant
à la porte de leur Capitale. Aussi
Philippe I. profita bien tôt de la mort ,
sans enfans , de Simon , surnommé le
Bienheureux , dernier de ces Comtes ,
arrivée l'an 1c88 . pour réünir à son Domaine
le Comté de Véxin , qu'il donna
ensuite à son fils , Loüis , surnommé le
Gros, et qui par ce moyen devint Avoüé
de S. Denys. C'est ce Prince , qui étant
Roy, fit un usage general de la Banniere
de l'Abbaye , dont il avoit l'Avouerie ,
et la fit porter dans toutes les Guerres
d'Etat qu'il entreprit. Après la réunion
du Véxin à la Couronne , la dévotion à
S. Denys devint si grande , que les Rois ,
successeurs de Louis le Gros , se firent
honneur d'être les premiers Avoüez de
l'Eglise de ce Saint.
Ils s'obligerent en cette qualité de
prendre les armes pour en conserver les
droits toutes les fois qu'il en seroit besoin
; et cette obligation leur fit naître
l'idée pieuse de se servir de la Banniere
de ce Monastere , non seulement dans les
occasions où il s'agiroit d'en deffendre les
biens , mais encore dans toutes celles où
il s'agiroit de la deffense de leur propre
Royaume , et d'avoir en cette Banniere
la nrême confiance que leurs Prédeces
1. Vol.
scurs
1056 MERCURE DE FRANCE
seurs avoient eue en celle de S. Martin ,
dont on ne faisoit plus d'usage .
L'Histoire nous a conservé la memoire
de ce qui se passa quand le Roy Louis
le Gros alla à S. Denys , l'an 1124. y lever
l'Oriflamme pour la premiere fois ,
afin de s'en servir dans la Guerre qu'il
alloit avoir contre l'Empereur Henry V.
,
La maniere dont ce Prince parla dans
l'Assemblée qui se tint à cette occasion ,
a donné lieu de croire qu'il y reconnut
n'avoir droit de se servir de la Banniere
de S. Denys , qu'en qualité de Vassal de
l'Abbaye , à cause du Comté de Vexin .
Voicy le discours du Roy , tiré d'une
Patente que Doublet nous a conservée
dans son Histoire de S.Denys. Liv. 3.
Presenti itaque Venerabili Abbate Prefata
Ecclesia Sugerio , quem fidelem et familiarem
optimatum nostrorum Vexillum de
altario beatorum Martyrum , ad quos comitatus
Vilcassini , quem nos ab ipsis infeodem
habemus , spectare dignoscitur , morem
antiquum antecessorum nostrorum servantes
et imitantes , signiferi jure , sicut Comites
Vilcassini soliti erant , suscepimus.
Ces termes qui ont paru décisifs à ceux
qui ont soutenu que le Roi fit alors hommage
du Comté de Vexin, ne me paroissent
pas tels ; cette preuve n'est point in-
I, Vol.
conJUIN.
1733 1057
contestable , selon moi ; la piété du Prince
, et sa grande dévotion à S. Denys , auroient
bien pû lui faire avancer des expressions
un peu fortes , sans distinguer
assez pourquoi les Comtes de Vexin rendoient
hommage ; confondant sa qualité
d'Avoué avec celle de Comte , et les termes
: De more Antecessorum suorum , peuvent
s'entendre que le Roy reconnoît
avoir , signiferi jure , le droit de porter
P'Enseigne de S. Denys , de même que les
Comtes de Vexin l'avoient en qualité
d'Avoüés , et par conséquent de Vassaux
de l'Abbaye en cette qualité.
Enfin , si on ne peut rien rabatre de la
forme des termes de cette reconnoissance
; la cause qui la fit faire ainsi , peut
être attribuée à l'usage où l'on étoit alors,
et qui avoit commencé dans le siecle précedent
, où le Seigneur d'un Fief croioit
faire un Acte de grande piété , en soumettant
volontairemént sa Terre à l'Eglise
d'un Saint , qu'il prenoit pour le:
Protecteur de sa famille.
On rendoit cette soumission , sans prétendre
préjudicier à celle qu'on devoit à
son Seigneur dominant, ce qui faisoit que
ce dernier la permettoit. Les Comtes de
Vexin auroient pû faire un pareil hommage
à S. Denys , sans préjudice de celui
qu'ils devoient aux Rois .
tos8 MERCURE DE FRANCE
Les Seigneurs de la Tour en Auvergne
soumirent leur Fief de la Tour à l'Abbaye
de Clugny , fauf ce qu'ils devoient
aux Comtes d'Auvergne leurs Souverains.
Munier , dans son Histoire d'Authun ;
rapporte les hommages que les Seigneurs
du Fief de Clugny lés - Authun , faisoient
devant l'Autel et la Chasse de S. Symphorien
de cette Ville , quoique ce Fief
de Clugny relevat d'un autre Seigneur.
Louis XI. Roy de France , fit hommage
pour lui et ses Successeurs Rois , du
Comté de Boulogne en Picardie , à Notre
Dame de la même Ville ; et Louis XIII. a
mis sa Couronne sons la protection de la
Sainte Vierge , par un voeu fait à l'Eglise
de Notre Dame de Paris ; toutes ces
soumissions volontaires et l'effet d'une
grande piété , ne tirent point à conséquence
, et ne peuvent point passer pour
de vraies sujettions.
que
Il faut penser la même chose de celle
les Comtes de Vexin devoient à Saint
Denys, et je suis persuadé que ces Comtes
ne la devoient que pour des Terres dépendantes
de l'Abbaye , dont ils jouissoient
en qualité d'Avoüez . En effet
qu'on examine bien la céremonie qui se
faisoit quand nos Rois alloient pren-
I. Vol.
dre
JUIN. 1733.
1059
dre l'Oriflame , on verra que ce n'étoit
qu'un Acte de dévotion qui n'avoit rien
qui sentit l'hommage juridique.
Le Roy après avoir fait sa priere devant
l'Autel sur lequel étoient les Chasses
des Martyrs , prenoit lui - même la Banniere
qui étoit aussi dessus l'Autel , pour
montrer qu'il ne tenoit le droit de la
prendre que de sa puissance , et que la
piété seule , qui l'engageoit à proteger le
Monastere , lui faisoit si fort estimer son
Enseigne, à cause du Saint à qui elle étoit
consacrée, qu'il esperoit par elle attirer la
protection du Ciel sur son Armée. Ensuite
le Roy tenant en main cette Enseigne
la remettoit à un des plus vaillans
Chevaliers de sa Cour , pour la porter en
son nom , pendant l'Expedition qu'on
alloit entreprendre , et ce Seigneur faisoit
serment de la deffendre au peril de
sa vie , et de la rapporter dans le lieu où
il la prenoit.
Je regarde les Porte - Oriflammes
comme les Vidâmes de nos Rois et les
Avoüés particuliers de Saint Denys.
J'ai déja dit que les Rois sont de droit
les Protecteurs et les Grands Avoüés de
toutes les Eglises de leur Royaume ; ils
avoient fait les Comtes d'Anjou et du
Vexin leurs Lieutenans dans celles de S.
I. Vol. Martin
1060 MERCURE DE FRANCE
Martin et de S. Denys , et ils ne firent
exercer ces Lieutenances par d'autres Seigneurs
, que quand la posterité mâle de
ces Comtes eut manqué.
Outre ces Lieutenans d'honneur , les
Grosses Abbayes avoient d'antres Avoüez
d'un plus bas étage pour avoir soin des
biens détachez et éloignez de ces Abbayes.
Ces Avouez particuliers se nommoient
Signiferi Ecclesiarum , Porte- Enseignes
des Eglises.
L'Abbaye de S.Denys en avoit plusieurs
à la fois , comme celui de Berneval en
Normandie , et les Seigneurs de Chevreuse
près Montfort. Ces derniers , l'an
1226 , remirent leur droit d'Avoüérie ,
moyennant une somme d'argent ; il falloit
cependant que par cette vente ils ne
se fussent pas dépouillez tout - à - fait de
l'honneur de contribuer à la deffense de
l'Abbaye de S. Denys , puisque les premiers
Porte Oriflammes connus , étoient
de cette famille , et qu'on n'en trouve
point qui ait exercé cet Ofice avant Anceau
, Sire de Chevreuse , qui perdit l'O
riflamme et la vie à la Bataille de Monsen
- Puelle , l'an 1304.
Chacun de ces Avoüez particuliers
avoit son Enseigne , comme cela se prouve
par le nom qu'on leur donnoit de
I. Vol. SiJUIN.
1733 1061
Signiferi Ecclesiarum ; ainsi l'Abbaye de
S. Denys ayant plusieurs Avoüez , devoit
avoir plusieurs Bannieres , qui toutes auroient
pû s'appeller Oriflammes , puisqu'elles
avoient toutes la même forme ,
par la raison que je vais dire ; cependant
on ne donna ce nom qu'à la principale ,
qui restoit dans l'Abbaye , et que l'on
regardoit proprement comme appartenante
aux Martyrs.
Toutes les Bannieres des Eglises dédiées
à des Saints de ce genre , étoient
rouges et frangées, de synope ou de verts
l'une de ces couleurs désignant les souffrances,
et l'autre l'esperance qui animoit
ces Saints en répandant leur sang pour
Jesus-Christ.
L'Eglise de Brioude en France , dédiée
à S. Julien Martyr, celles de Tubnigen
et de Bolbingen en Allemagne , de même
qu'une infinité d'autres Eglises qu'on me
dispensera de nommer , avoient de semblables
Bannieres ; l'Etendart des Dauphins
de Viennois étoit rouge , avec un
S. George representé dessus ; il servoit à
l'inauguration de chaque Dauphin . Après
qu'on avoit mis au nouveau Prince l'Epée
au côté , et l'Anneau au doigt , il
prenoit d'une main le Sceptre , et de
l'autre cet Etendart , qui après la cere-
1. Vol.
monie
1062 MERCURE DE FRANCE
monie étoit remis dans la Sacristie de l'Eglise
de S.André de Grenoble où il restoit
toujours en dépôt , comme l'ont remarqué
Jean Beneton , mon grand oncle , et
M. de Valbonnais dans leurs Mémoires
du Dauphiné.
Plusieurs Seigneurs qui se trouverent
Avoüez des Eglises lorsque l'on commençi
à prendre des Armoiries , s'en firent
avec les Bannieres qu'ils avoient droit de
porter ; telle est l'origine des Armes des
Comtes d'Auverge , des Seigneurs de Clin
champ en Normandie , et des Comtes de
Verdemberg en Allemagne . Ces trois
exemples suffiront pour prouver ce que
j'avance.
Le reste paroitra dans le Mercure pro¬
chain.
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Résumé : DISSERTATION sur les Enseignes Militaires des François. par M. Beneton-de-Perrin, Ecuyer, ancien Gendarme de la Garde du Roy. Seconde Partie.
La dissertation de M. Benetonde-Perrin explore l'évolution de la dévotion des rois et du peuple français de saint Martin à saint Denis. Saint Denis, premier évêque de Paris, a annoncé l'Évangile aux Parisiens et a été martyr. Après sa mort, une femme vertueuse, Catule, a fait inhumer son corps et ceux de ses compagnons dans un champ nommé Catolacum. Les chrétiens ont marqué cet endroit et y ont construit une chapelle, devenue monastère sous Clotaire II. Le roi Dagobert a enrichi l'abbaye de Saint-Denis, et ses successeurs ont continué à la protéger contre les Normands. Les comtes du Vexin, officiers des rois, ont été chargés de défendre l'abbaye. Sous Charles le Simple, les comtes du Vexin sont devenus seigneurs propriétaires et ont rendu l'avouerie de Saint-Denis héréditaire. Les historiens ont souvent confondu les rôles de comte et d'avoué, mais l'abbaye n'a obtenu la seigneurie du lieu qu'en 996 par donation du roi Robert. Philippe I a réuni le comté du Vexin à la couronne et a fait de la bannière de Saint-Denis l'emblème royal. Louis VI a levé l'oriflamme à Saint-Denis en 1124 pour une guerre contre l'empereur Henri V. Cet acte était un geste de dévotion plutôt qu'un hommage juridique. Les rois ont continué à utiliser l'oriflamme comme symbole de protection divine pour leurs armées. Les porte-oriflammes étaient considérés comme les vidâmes des rois et les avoués particuliers de Saint-Denis. Le texte mentionne également les enseignes particulières appelées 'Avoüez' utilisées par certaines abbayes et églises. Chaque Avoüez avait une enseigne spécifique. L'Abbaye de Saint-Denis possédait plusieurs bannières appelées Oriflammes, bien que ce nom soit réservé à la principale. Ces bannières étaient rouges et frangées de synope ou de vert, symbolisant respectivement les souffrances et l'espérance des martyrs. Des églises dédiées à des saints martyrs, comme celle de Brioude en France et celles de Tübingen et de Bolbingen en Allemagne, possédaient des bannières similaires. L'étendard des Dauphins de Viennois était rouge avec une représentation de Saint Georges et servait lors de l'inauguration des Dauphins. Après la cérémonie, il était conservé dans la sacristie de l'église de Saint-André de Grenoble. Certains seigneurs, devenus Avoüez des églises, ont adopté les bannières comme armoiries, expliquant l'origine des armes des Comtes d'Auvergne, des Seigneurs de Clinchamp en Normandie et des Comtes de Verdemberg en Allemagne.
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