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1
p. 191-199
RELATION de ce qui s'est passé cette année en Canada.
Début :
La frégate du Roi la Syrene, partie de Québec le 8 Novembre, & arrivée [...]
Mots clefs :
Canada, Vaisseaux anglais, Combat terrestre, Belle-Rivière, Sa Majesté anglaise, Troupes canadiennes, Attaques, Les sauvages, Baron de Dieskaw, Frontières
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texteReconnaissance textuelle : RELATION de ce qui s'est passé cette année en Canada.
RELATION de ce qui s'eft paffé cette année
en Canada.
La frégate du Roi la Syrene , partie de Québec
le 8 Novembre , & arrivée à Brest le 10 Décembre
, a apporté des lettres qui contiennent les détails
de ce qui s'eft paffé cette année en Canada ,
rélativement aux entreprifes des Anglois contre
cette Colonie.
Indépendamment des forces navales que les
Anglois ont envoyées dès le commencement du
printemps dans les mers de l'Amérique feptentrionale
, afin d'intercepter les Vaiffeaux François
qui feroient destinés pour le Canada & pour l'ife
Royale ; ils avoient raffemblé dans leurs Colonies
plufieurs corps de troupes , pour attaquer le
Canada tout à la fois par les frontieres de l'Acadie ,
par le Lac Champlain , par le Lac Ontario , & du
côté de la Belle Riviere.
Le corps de troupes deſtiné à agir contre les
frontieres du côté de l'Acadie , & compolé d'environ
dix-huit cens hommes , fe rendit dans les
premiers jours du mois de Juin avec un train confidérable
d'artillerie de toute efpece , au fond de la
Baye Françoiſe , & attaqua tout d'un coup le Fort
de Beauféjour , qui , par les effets du canon & des
bombes , fe trouva en peu de jours hors d'état de
défenſe. La garnifon , qui n'étoit que de deux
compagnies de einquante hommes chacune , fur
obligée de capituler , aux conditions qu'elle forti
192 MERCURE DE FRANCE.
roit avec armes & bagages , tambour battant ;
qu'elle feroit tranfportée à Louisbourg , & qu'elle
ne porteroit point les armes en Amérique pendant
le terme de fix mois . Les Anglois fommerent
tout de fuite l'Officier François qui commandoit
à Gafpareaux , pofte fitué à quelques lieues de
Beauféjour , & où il n'y avoit qu'un détachement
de vingt hommes , & cet Officier fe rendit aux
mêmes conditions de la capitulation de Beauféjour.
Après cette expédition , les Anglois marcherent
du côté de la riviere Saint -Jean. Il n'y avoit
fur cette riviere qu'un petit Fort très-anciennement
bâti . L'Officier qui y commandoit & qui
n'avoit que quelques foldats , prit le parti de le
brûler & de fe retirer chez des habitans établis
dans ce canton , où il s'eft maintenu ; & il n'y a
eu de ce côté là que quelques efcarmouches , dans
lefquelles les Anglois ont toujours été battus par
les François & les Sauvages qui ont joint cet
Officier.
Le corps de troupes qui avoit été raffemblé
pour agir du côté de la Belle Riviere , étoit compofé
des Régimens de troupes reglées , qui avoient
été envoyés d'Angleterre à la Virginie , & des régimens
de Milices , qui avoient été formés tant
dans cette Colonie que dans les Colonies voisines.
Il fe trouvoit compofé de trois mille hommes ,
lorfque le Général Braddock en prit le commandement
pour marcher contre le Fort du Quefne.
Le fieur de Contrecoeur , Capitaine dans les troupes
du Canada , qui commandoit dans ce Fort ,
avoit été informé qu'on faifoit des préparatifs en
Virginie ; mais il ne s'attendoit pas à devoir être
attaqué par des forces fi confidérables . Ayant envoyé
différens détachemens fur la route des Anglois,
il apprit le & Juillet qu'ils n'étoient qu'à
fix
JANVIER. 1756. 193
Gx lieues du Fort , & qu'ils marchoient fur trois
colonnes. Il forma fur le champ un détachement
de tout ce qu'il crut pouvoir mettre hors du Fort
pour aller à leur rencontre. Ce détachement fe
trouva compofé de deux cens cinquante François
& de fix cens cinquante Sauvages ; & M. de
Beaujeu qui le commandoit , avoit avec lui
MM. Dumas & Ligneris , tous deux Capitaines ,
& quelques autres Officiers fubalternes . Il partit
à huit heures du matin , & dès midi & demi , il
fe trouva en préſence des Anglois à environ trois
lieues du Fort. Il les attaqua fur le champ avec
beaucoup de vivacité . Les deux premieres décharges
de leur artillerie firent un peu reculer fa petite
troupe ; mais à la troifieme où il eut le malheur
d'être tué , M. Dumas , qui prit le commandement
, M. de Ligneris & les autres Officiers
, fuivis des François & des Sauvages , tomberent
avec tant de vigueur fur les Anglois , qu'ils
les firent plier à leur tour. Ceux-ci le défendirent
encore quelque tems en faifant très-bonne contenance
; mais enfin après quatre heures d'un grand
feu , ils fe débanderent , & la déroute fut générale .
On les pourfuivit pendant quelque tems ; mais
M. Dumas ayant appris que le Général Braddock
avoit laiffé à quelques lieues de - là un corps de
fept cens hommes fous les ordres du Colonel
Dumbar , il fit ceffer la pourfuite. Les Anglois
ont perdu dans cette affaire près de dix- fept cens
hommes. Prefque tous leurs Officiers ont été tués ,
& le Général Braddock eft mort peu de jours après
de fes bleffures . On a pris tous leurs équipages
qui étoient fort confidérables , leurs vivres , leur
artillerie , qui étoit compofée de huit pieces de
canon , fept mortiers & uftenciles de toute efpece
, beaucoup d'armes & de munitions de guerre ,
I,Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE .
leur caiffe militaire , & généralement toutes leurs
provisions . On a trouvé auffi les inftructions qui
avoient été données en Angleterre au Général
Braddock , avec plufieurs lettres qu'il avoit écrites
aux Miniftres du Roi de la Grande- Bretagne , pour
leur rendre compte des difpofitions qu'il faifoit
pour l'exécution des projets dont il avoit été
chargé en fa qualité de Commandant en chef
de toutes les troupes de Sa Majesté Britannique
dans l'Amérique feptentrionale. M. de Contrecoeur
eft resté enfuite fur la défenfive dans fon
Fort , après s'être affuré de la retraite du corps
de troupes du Colonel Dumbar . Mais quelques
partis Sauvages ont fait des incurfions fur les
frontieres des Colonies Angloifes.
Les deux autres corps de troupes Angloifes s'étoient
auffi mis en marche , l'un compofé d'environ
cinq mille hommes vers le Lac Ontario
pour attaquer le Fort de Niagara & le Fort Frontenac
, & l'autre encore plus confidérable vers le
Lac Champlain pour affiéger le Fort Saint -Fréderic
. M. de Vaudreuil , Gouverneur & Lieutenant
Général de la Nouvelle France , ayant d'abord
été informé que le fieur Shirley , Gouver
neur de la Nouvelle Angleterre , étoit déja rendu
avec une partie du premier de ces deux corps à
Choueguen , pofte Anglois établi depuis quelques
années au Sud du Lac Ontario , il prit le parti de
faire marcher un Détachement des Troupes &
des Milices de Canada , les quatre Bataillons de la
Reine , de Languedoc , de Guyenne & de Béarn ,
que le Roi a fait paffer cette année à Quebec , &
un certain nombre de Sauvages , pour aller couvrir
les Forts de Niagara & de Frontenac , & il
donna le commandement du tout au Baron de
Dieskaw , Maréchal de Camp. Mais ayant été
JANVIER. 1756. 195
inftruit peu de jours après , que le Colonel
Jonhlon étoit en pleine marche à la tête de
L'autre Corps , pour attaquer le Fort Saint- Frederic
, & qu'il avoit même déja établi plufieurs poftes
d'entrepôt fur la route , il envoya un courier
au Baron de Dieskaw, pour l'informer de ces avis ,
& du parti qu'il prenoit de faire marcher en diligence
un Detachement de Troupes & de Milices
avec des Sauvages , pour aller au fecours du
Fort Saint- Frederic. Le Baron de Dieskaw y marcha
lui -même , & amena avec lui les Bataillons
de la Reine & de Languedoc , qui ne ſe trouvoient
compofés que de neuf Compagnies chacun. A
fon arrivée au Fort Saint- Frederic , il jugea à propos
d'aller au-devant des Anglois , & le 1r de Septembre
il fe trouva à huit lieues en avant de ce
Fort , à un endroit appellé Carillon . Il s'arrêtalà
, & ayant envoyé à la découverte de différens
côtés , il apprit que les Anglois étoient occupés
à conftruire un Fort à quelques lieues de - là ;
qu'il y avoit déja dans ce Fort , qui fe trouvoit
très- avancé , une Garnifon de cinq cens hommes;
qu'on y attendoit inceffamment un renfort
confidérable de troupes ; & que le Colonel
Jonhlon étoit avec fon Corps d'armée au fond
du Lac Saint-Sacrement. Sur ce rapport le Baron
de Dieskaw prit le parti de marcher en diligence
, pour tâcher de furprendre ce même Fort à
la tête de quinze cens hommes ; fçavoir , fix cens
Sauvages fous les ordres de M. de Saint - Pierre ,
fix cens Canadiens fous les ordres de M. de Repentigny
, & trois cens hommes de troupes , y
compris les deux Compagnies de Grenadiers des
Bataillons de la Reine & de Languedoc avec
trois Piquets de la Compagnie de Canonniers
de la Colonic. Il envoya le refte de ces deux
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Bataillons fous les ordres de M. de Roquemaure
, Commandant de celui de la Reine , à
l'endroit nommé les Deux Rochers , afin de fe replier
fur lui en cas qu'il fût obligé de ſe retirer
; & il fit marcher M. de Celoron Major ,
commandant les Troupes & Milices de la Colonie
, avec le reftant de fon Corps , vers la chute
du Lac Saint - Sacrement , pour empêcher les
Anglois de tenter une entreprife de ce côté- là.
En conféquence de ces difpofitions , il marcha
depuis le 4 jufqu'au 7 Septembre qu'il fe trouva
à environ une lieue du Fort Anglois . Comme la
fin du jour approchoit , il s'arrêta avec la troupe
, & envoya un Détachement de Sauvages
commandé par le fieur de Saint - Pierre , pour reconnoître
les lieux . Les Sauvages tuerent un
courier que le Colonel Jonhfon envoyoit au
Commandant du Fort pour l'avertir de la marche
des François. Ils s'emparerent auffi de quelques
charriots, qui y portoient de l'artillerie & des munitions
, mais dont quelques-uns des conducteurs
fe fauverent. Comme il n'étoit plus douteux que
le Fort Anglois étoit averti , le Baron de Diefkaw
fit propofer aux Sauvages l'option , ou de
fuivre le projet d'aller attaquer ce Fort , ou de
marcher contre le Camp du Colonel Jonhion ,
n'étoit qui ,fuivant tous les avis qu'on avoit eus ,
qu'à cinq ou fix lieues de- là avec un Corps de
troupes de trois mille hommes . Les Sauvages
opinerent tous pour cette derniere entrepriſe.
Le 8 on partit de grand matin fur cinq colonnes
dans l'ordre fuivant ; les troupes de France ,
& les canonniers au centre , une colonne de Canadiens
, & une autre de Sauvages à la droite ,
deux autres Colonnes femblables à la gauche.
Dès dix heures du matin , on ne fe trouva qu'à
&
JANVIER. 1756. 197
une lieue du Camp . Des prifonniers qui furent
faits par les Sauvages , déclarerent que , par le
chemin où marchoit l'Armée , il venoit des charriots
que les Anglois envoyoient à leur Fort , &
que ces chatriots étoient efcortés par un Détachement
confidérable. Le Baron de Dieskaw fit paffer
fur la gauche du chemin les Canadiens & les
Sauvages , avec ordre de laiffer engager les Anglois
, & de ne tirer fur eux que lorfque les troupes
reglées , qui continueroient leur marche par
le chemin , auroient commencé l'attaque . Quelques
minutes après , on entendit des coups de fufil
, & le feu s'anima entre les Sauvages qui marchoient
devant , & les Anglois. Les Canadiens
coururent fur le champ à leur fecours . Les Anglois
prirent la fuite. On les pourfuivit juſqu'à la
vae de leurs tentes ; & ce détachement qui étoit
de buit à neuf cens hommes , fut prefque tout détrait
: il en rentra fort peu dans le Camp ; & c'eſt
dans ce choc que M. de Saint - Pierre fut tué.
Le Baron de Dieskaw marchoit toujours par le
chemin , pendant que l'Ennemi fe battoit en retraite.
Quoique les Canadiens & les Sauvages fe
trouvaffent fort fatigués , il crut que le meilleur
moyen de les engager à le fuivre étoit de hâter fa
marche , pour profiter de la confufion que la défaite
de ce détachement devoit occafionner parmi
les troupes du Camp du Colonel Jonhfon. Il ne
fut pas longtems fans être en préfence . On lui
fit remarquer qu'il n'avoit point de colonne à la
droite pour le foutenir. Alors une petite troupe
de Canadiens s'étendit de ce côté-là , & fit un trèsgrand
feu fur les Anglois . Mais le Camp fe trouvant
retranché avec des bateaux , des charriots &
de gros arbres : l'infanterie des François , qui étoit
en front , eut un fi grand feu d'artillerie & de
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
moufqueterie à effuyer, qu'elle fut obligée de reculer,
& de s'emparer de quelques arbres : elle y
refta pendant deux heures à fufiller avec le refte
des troupes , qui ne confiftoit pas en plus de cinq
cens hommes dans cette attaque , parce qu'il n'y
avoit qu'une partie des Canadiens , qui avoit fuivi,
& que les Sauvages s'étoient arrêtés. Ce fut- là que
le Baron de Dieskaw fut d'abord bleflé à la jambe ,
& que peu de tems après il reçut une balle qui lui
perça le genouil droit , & lui paffa dans les chairs
de la cuiffe gauche ; ce qui l'obligea de fe laiffer
porter à quelques pas de - là pour s'affeoir. Il ordonna
au Chevalier de Montreuil , Major général,
& Commandant en fecond , de le laiffer là , &
d'aller voir fi on ne pouvoit pas pénétrer dans le
Camp. Le Chevalier de Montreuil en vit l'impoffibilité
:les troupes étoient trop fatiguées , en trop
petit nombre , & trop maltraitées par le feu qu'elles
avoient effuyé. Il prit le parti de la retraite.
Il y eut d'abord quelque confufion ; mais la Troupe
fe rendit en bon ordre au lieu où l'on avoit laiffé
les bateaux. La perte des Anglois a été de plus
de fept cens hommes dans le détachement qui a
été attaqué par les Sauvages & les Canadiens , fans
compter les bleffés qui font rentrés dans le camp ,
& l'on ignore la perte qu'ils ont dû faire dans les
retranchemens . Celle des François n'a été que de
quatre-vingt-quinze hommes tués , tant officiers ,
feldats , que Canadiens & Sauvages , & cent- trente
bleffés de tous ces différens corps. Le Baron de
Dieskaw a été pris & conduit à Orange avec le
fieur Bernier fon Aide- de - Camp , & deux officiciers
de milice , tous trois bleffés comme lui.
Il ne s'est rien paffé depuis de ce côté-là . La
perte que le Colonel Jonshfon avoit faite , & la
préfence des troupes Françoifes , qui fe font enJANVIER.
1756. 199
fuite retranchées aux environs du FortSaint- Frédéric
, lui ont fait abandonner l'exécution de fon
projet contre ce Fort.
Les fecours que M. de Vaudreuil avoit envoyés
aux Forts Frontenac & de Niagara , en ont
impofé auffi au Gouverneur Shirley , qui s'eft retiré
avec les troupes , à l'exception d'une Garnifon
nombreufe qu'il a laiffée à Chouegen avec un
train confidérable d'artillerie. La défaite du Général
Braddok , & le mauvais fuccès du Colonel
Jonshfon doivent avoir contribué à lui faire prendre
ce parti ; car toutes ces différentes entrepriſes
avoient été combinées enfemble.
en Canada.
La frégate du Roi la Syrene , partie de Québec
le 8 Novembre , & arrivée à Brest le 10 Décembre
, a apporté des lettres qui contiennent les détails
de ce qui s'eft paffé cette année en Canada ,
rélativement aux entreprifes des Anglois contre
cette Colonie.
Indépendamment des forces navales que les
Anglois ont envoyées dès le commencement du
printemps dans les mers de l'Amérique feptentrionale
, afin d'intercepter les Vaiffeaux François
qui feroient destinés pour le Canada & pour l'ife
Royale ; ils avoient raffemblé dans leurs Colonies
plufieurs corps de troupes , pour attaquer le
Canada tout à la fois par les frontieres de l'Acadie ,
par le Lac Champlain , par le Lac Ontario , & du
côté de la Belle Riviere.
Le corps de troupes deſtiné à agir contre les
frontieres du côté de l'Acadie , & compolé d'environ
dix-huit cens hommes , fe rendit dans les
premiers jours du mois de Juin avec un train confidérable
d'artillerie de toute efpece , au fond de la
Baye Françoiſe , & attaqua tout d'un coup le Fort
de Beauféjour , qui , par les effets du canon & des
bombes , fe trouva en peu de jours hors d'état de
défenſe. La garnifon , qui n'étoit que de deux
compagnies de einquante hommes chacune , fur
obligée de capituler , aux conditions qu'elle forti
192 MERCURE DE FRANCE.
roit avec armes & bagages , tambour battant ;
qu'elle feroit tranfportée à Louisbourg , & qu'elle
ne porteroit point les armes en Amérique pendant
le terme de fix mois . Les Anglois fommerent
tout de fuite l'Officier François qui commandoit
à Gafpareaux , pofte fitué à quelques lieues de
Beauféjour , & où il n'y avoit qu'un détachement
de vingt hommes , & cet Officier fe rendit aux
mêmes conditions de la capitulation de Beauféjour.
Après cette expédition , les Anglois marcherent
du côté de la riviere Saint -Jean. Il n'y avoit
fur cette riviere qu'un petit Fort très-anciennement
bâti . L'Officier qui y commandoit & qui
n'avoit que quelques foldats , prit le parti de le
brûler & de fe retirer chez des habitans établis
dans ce canton , où il s'eft maintenu ; & il n'y a
eu de ce côté là que quelques efcarmouches , dans
lefquelles les Anglois ont toujours été battus par
les François & les Sauvages qui ont joint cet
Officier.
Le corps de troupes qui avoit été raffemblé
pour agir du côté de la Belle Riviere , étoit compofé
des Régimens de troupes reglées , qui avoient
été envoyés d'Angleterre à la Virginie , & des régimens
de Milices , qui avoient été formés tant
dans cette Colonie que dans les Colonies voisines.
Il fe trouvoit compofé de trois mille hommes ,
lorfque le Général Braddock en prit le commandement
pour marcher contre le Fort du Quefne.
Le fieur de Contrecoeur , Capitaine dans les troupes
du Canada , qui commandoit dans ce Fort ,
avoit été informé qu'on faifoit des préparatifs en
Virginie ; mais il ne s'attendoit pas à devoir être
attaqué par des forces fi confidérables . Ayant envoyé
différens détachemens fur la route des Anglois,
il apprit le & Juillet qu'ils n'étoient qu'à
fix
JANVIER. 1756. 193
Gx lieues du Fort , & qu'ils marchoient fur trois
colonnes. Il forma fur le champ un détachement
de tout ce qu'il crut pouvoir mettre hors du Fort
pour aller à leur rencontre. Ce détachement fe
trouva compofé de deux cens cinquante François
& de fix cens cinquante Sauvages ; & M. de
Beaujeu qui le commandoit , avoit avec lui
MM. Dumas & Ligneris , tous deux Capitaines ,
& quelques autres Officiers fubalternes . Il partit
à huit heures du matin , & dès midi & demi , il
fe trouva en préſence des Anglois à environ trois
lieues du Fort. Il les attaqua fur le champ avec
beaucoup de vivacité . Les deux premieres décharges
de leur artillerie firent un peu reculer fa petite
troupe ; mais à la troifieme où il eut le malheur
d'être tué , M. Dumas , qui prit le commandement
, M. de Ligneris & les autres Officiers
, fuivis des François & des Sauvages , tomberent
avec tant de vigueur fur les Anglois , qu'ils
les firent plier à leur tour. Ceux-ci le défendirent
encore quelque tems en faifant très-bonne contenance
; mais enfin après quatre heures d'un grand
feu , ils fe débanderent , & la déroute fut générale .
On les pourfuivit pendant quelque tems ; mais
M. Dumas ayant appris que le Général Braddock
avoit laiffé à quelques lieues de - là un corps de
fept cens hommes fous les ordres du Colonel
Dumbar , il fit ceffer la pourfuite. Les Anglois
ont perdu dans cette affaire près de dix- fept cens
hommes. Prefque tous leurs Officiers ont été tués ,
& le Général Braddock eft mort peu de jours après
de fes bleffures . On a pris tous leurs équipages
qui étoient fort confidérables , leurs vivres , leur
artillerie , qui étoit compofée de huit pieces de
canon , fept mortiers & uftenciles de toute efpece
, beaucoup d'armes & de munitions de guerre ,
I,Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE .
leur caiffe militaire , & généralement toutes leurs
provisions . On a trouvé auffi les inftructions qui
avoient été données en Angleterre au Général
Braddock , avec plufieurs lettres qu'il avoit écrites
aux Miniftres du Roi de la Grande- Bretagne , pour
leur rendre compte des difpofitions qu'il faifoit
pour l'exécution des projets dont il avoit été
chargé en fa qualité de Commandant en chef
de toutes les troupes de Sa Majesté Britannique
dans l'Amérique feptentrionale. M. de Contrecoeur
eft resté enfuite fur la défenfive dans fon
Fort , après s'être affuré de la retraite du corps
de troupes du Colonel Dumbar . Mais quelques
partis Sauvages ont fait des incurfions fur les
frontieres des Colonies Angloifes.
Les deux autres corps de troupes Angloifes s'étoient
auffi mis en marche , l'un compofé d'environ
cinq mille hommes vers le Lac Ontario
pour attaquer le Fort de Niagara & le Fort Frontenac
, & l'autre encore plus confidérable vers le
Lac Champlain pour affiéger le Fort Saint -Fréderic
. M. de Vaudreuil , Gouverneur & Lieutenant
Général de la Nouvelle France , ayant d'abord
été informé que le fieur Shirley , Gouver
neur de la Nouvelle Angleterre , étoit déja rendu
avec une partie du premier de ces deux corps à
Choueguen , pofte Anglois établi depuis quelques
années au Sud du Lac Ontario , il prit le parti de
faire marcher un Détachement des Troupes &
des Milices de Canada , les quatre Bataillons de la
Reine , de Languedoc , de Guyenne & de Béarn ,
que le Roi a fait paffer cette année à Quebec , &
un certain nombre de Sauvages , pour aller couvrir
les Forts de Niagara & de Frontenac , & il
donna le commandement du tout au Baron de
Dieskaw , Maréchal de Camp. Mais ayant été
JANVIER. 1756. 195
inftruit peu de jours après , que le Colonel
Jonhlon étoit en pleine marche à la tête de
L'autre Corps , pour attaquer le Fort Saint- Frederic
, & qu'il avoit même déja établi plufieurs poftes
d'entrepôt fur la route , il envoya un courier
au Baron de Dieskaw, pour l'informer de ces avis ,
& du parti qu'il prenoit de faire marcher en diligence
un Detachement de Troupes & de Milices
avec des Sauvages , pour aller au fecours du
Fort Saint- Frederic. Le Baron de Dieskaw y marcha
lui -même , & amena avec lui les Bataillons
de la Reine & de Languedoc , qui ne ſe trouvoient
compofés que de neuf Compagnies chacun. A
fon arrivée au Fort Saint- Frederic , il jugea à propos
d'aller au-devant des Anglois , & le 1r de Septembre
il fe trouva à huit lieues en avant de ce
Fort , à un endroit appellé Carillon . Il s'arrêtalà
, & ayant envoyé à la découverte de différens
côtés , il apprit que les Anglois étoient occupés
à conftruire un Fort à quelques lieues de - là ;
qu'il y avoit déja dans ce Fort , qui fe trouvoit
très- avancé , une Garnifon de cinq cens hommes;
qu'on y attendoit inceffamment un renfort
confidérable de troupes ; & que le Colonel
Jonhlon étoit avec fon Corps d'armée au fond
du Lac Saint-Sacrement. Sur ce rapport le Baron
de Dieskaw prit le parti de marcher en diligence
, pour tâcher de furprendre ce même Fort à
la tête de quinze cens hommes ; fçavoir , fix cens
Sauvages fous les ordres de M. de Saint - Pierre ,
fix cens Canadiens fous les ordres de M. de Repentigny
, & trois cens hommes de troupes , y
compris les deux Compagnies de Grenadiers des
Bataillons de la Reine & de Languedoc avec
trois Piquets de la Compagnie de Canonniers
de la Colonic. Il envoya le refte de ces deux
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Bataillons fous les ordres de M. de Roquemaure
, Commandant de celui de la Reine , à
l'endroit nommé les Deux Rochers , afin de fe replier
fur lui en cas qu'il fût obligé de ſe retirer
; & il fit marcher M. de Celoron Major ,
commandant les Troupes & Milices de la Colonie
, avec le reftant de fon Corps , vers la chute
du Lac Saint - Sacrement , pour empêcher les
Anglois de tenter une entreprife de ce côté- là.
En conféquence de ces difpofitions , il marcha
depuis le 4 jufqu'au 7 Septembre qu'il fe trouva
à environ une lieue du Fort Anglois . Comme la
fin du jour approchoit , il s'arrêta avec la troupe
, & envoya un Détachement de Sauvages
commandé par le fieur de Saint - Pierre , pour reconnoître
les lieux . Les Sauvages tuerent un
courier que le Colonel Jonhfon envoyoit au
Commandant du Fort pour l'avertir de la marche
des François. Ils s'emparerent auffi de quelques
charriots, qui y portoient de l'artillerie & des munitions
, mais dont quelques-uns des conducteurs
fe fauverent. Comme il n'étoit plus douteux que
le Fort Anglois étoit averti , le Baron de Diefkaw
fit propofer aux Sauvages l'option , ou de
fuivre le projet d'aller attaquer ce Fort , ou de
marcher contre le Camp du Colonel Jonhion ,
n'étoit qui ,fuivant tous les avis qu'on avoit eus ,
qu'à cinq ou fix lieues de- là avec un Corps de
troupes de trois mille hommes . Les Sauvages
opinerent tous pour cette derniere entrepriſe.
Le 8 on partit de grand matin fur cinq colonnes
dans l'ordre fuivant ; les troupes de France ,
& les canonniers au centre , une colonne de Canadiens
, & une autre de Sauvages à la droite ,
deux autres Colonnes femblables à la gauche.
Dès dix heures du matin , on ne fe trouva qu'à
&
JANVIER. 1756. 197
une lieue du Camp . Des prifonniers qui furent
faits par les Sauvages , déclarerent que , par le
chemin où marchoit l'Armée , il venoit des charriots
que les Anglois envoyoient à leur Fort , &
que ces chatriots étoient efcortés par un Détachement
confidérable. Le Baron de Dieskaw fit paffer
fur la gauche du chemin les Canadiens & les
Sauvages , avec ordre de laiffer engager les Anglois
, & de ne tirer fur eux que lorfque les troupes
reglées , qui continueroient leur marche par
le chemin , auroient commencé l'attaque . Quelques
minutes après , on entendit des coups de fufil
, & le feu s'anima entre les Sauvages qui marchoient
devant , & les Anglois. Les Canadiens
coururent fur le champ à leur fecours . Les Anglois
prirent la fuite. On les pourfuivit juſqu'à la
vae de leurs tentes ; & ce détachement qui étoit
de buit à neuf cens hommes , fut prefque tout détrait
: il en rentra fort peu dans le Camp ; & c'eſt
dans ce choc que M. de Saint - Pierre fut tué.
Le Baron de Dieskaw marchoit toujours par le
chemin , pendant que l'Ennemi fe battoit en retraite.
Quoique les Canadiens & les Sauvages fe
trouvaffent fort fatigués , il crut que le meilleur
moyen de les engager à le fuivre étoit de hâter fa
marche , pour profiter de la confufion que la défaite
de ce détachement devoit occafionner parmi
les troupes du Camp du Colonel Jonhfon. Il ne
fut pas longtems fans être en préfence . On lui
fit remarquer qu'il n'avoit point de colonne à la
droite pour le foutenir. Alors une petite troupe
de Canadiens s'étendit de ce côté-là , & fit un trèsgrand
feu fur les Anglois . Mais le Camp fe trouvant
retranché avec des bateaux , des charriots &
de gros arbres : l'infanterie des François , qui étoit
en front , eut un fi grand feu d'artillerie & de
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
moufqueterie à effuyer, qu'elle fut obligée de reculer,
& de s'emparer de quelques arbres : elle y
refta pendant deux heures à fufiller avec le refte
des troupes , qui ne confiftoit pas en plus de cinq
cens hommes dans cette attaque , parce qu'il n'y
avoit qu'une partie des Canadiens , qui avoit fuivi,
& que les Sauvages s'étoient arrêtés. Ce fut- là que
le Baron de Dieskaw fut d'abord bleflé à la jambe ,
& que peu de tems après il reçut une balle qui lui
perça le genouil droit , & lui paffa dans les chairs
de la cuiffe gauche ; ce qui l'obligea de fe laiffer
porter à quelques pas de - là pour s'affeoir. Il ordonna
au Chevalier de Montreuil , Major général,
& Commandant en fecond , de le laiffer là , &
d'aller voir fi on ne pouvoit pas pénétrer dans le
Camp. Le Chevalier de Montreuil en vit l'impoffibilité
:les troupes étoient trop fatiguées , en trop
petit nombre , & trop maltraitées par le feu qu'elles
avoient effuyé. Il prit le parti de la retraite.
Il y eut d'abord quelque confufion ; mais la Troupe
fe rendit en bon ordre au lieu où l'on avoit laiffé
les bateaux. La perte des Anglois a été de plus
de fept cens hommes dans le détachement qui a
été attaqué par les Sauvages & les Canadiens , fans
compter les bleffés qui font rentrés dans le camp ,
& l'on ignore la perte qu'ils ont dû faire dans les
retranchemens . Celle des François n'a été que de
quatre-vingt-quinze hommes tués , tant officiers ,
feldats , que Canadiens & Sauvages , & cent- trente
bleffés de tous ces différens corps. Le Baron de
Dieskaw a été pris & conduit à Orange avec le
fieur Bernier fon Aide- de - Camp , & deux officiciers
de milice , tous trois bleffés comme lui.
Il ne s'est rien paffé depuis de ce côté-là . La
perte que le Colonel Jonshfon avoit faite , & la
préfence des troupes Françoifes , qui fe font enJANVIER.
1756. 199
fuite retranchées aux environs du FortSaint- Frédéric
, lui ont fait abandonner l'exécution de fon
projet contre ce Fort.
Les fecours que M. de Vaudreuil avoit envoyés
aux Forts Frontenac & de Niagara , en ont
impofé auffi au Gouverneur Shirley , qui s'eft retiré
avec les troupes , à l'exception d'une Garnifon
nombreufe qu'il a laiffée à Chouegen avec un
train confidérable d'artillerie. La défaite du Général
Braddok , & le mauvais fuccès du Colonel
Jonshfon doivent avoir contribué à lui faire prendre
ce parti ; car toutes ces différentes entrepriſes
avoient été combinées enfemble.
Fermer
Résumé : RELATION de ce qui s'est passé cette année en Canada.
En 1755, les Britanniques lancèrent plusieurs offensives contre le Canada. Dès le printemps, ils déployèrent des forces navales pour intercepter les vaisseaux français destinés au Canada et à l'Île Royale. Ils rassemblèrent également des troupes pour attaquer le Canada par différentes frontières : l'Acadie, le Lac Champlain, le Lac Ontario et la Belle Rivière. En juin, les Britanniques capturèrent le Fort de Beaufort en Acadie après quelques jours de bombardements. La garnison française capitula avec honneurs militaires et fut transportée à Louisbourg. Les Britanniques s'emparèrent ensuite du poste de Gaspareaux, où un détachement français se rendit également. Ils avancèrent vers la rivière Saint-Jean, où un petit fort fut incendié par les Français. Sur la Belle Rivière, le Général Braddock mena trois mille hommes contre le Fort Duquesne. Le Capitaine de Contrecoeur, commandant du fort, envoya un détachement de 250 Français et 550 Amérindiens à leur rencontre. Lors de la bataille, les Britanniques subirent de lourdes pertes, y compris la mort du Général Braddock. Les Français capturèrent une grande quantité de matériel et de provisions britanniques. Simultanément, deux autres corps de troupes britanniques avancèrent : l'un vers le Lac Ontario pour attaquer les forts Niagara et Frontenac, et l'autre vers le Lac Champlain pour assiéger le Fort Saint-Frédéric. Le Gouverneur Vaudreuil envoya des renforts pour défendre ces forts. Le Baron de Dieskau, commandant les troupes françaises, affronta les Britanniques près du Fort Saint-Frédéric. Après une bataille intense, les Britanniques furent repoussés, mais les Français durent se retirer en raison de leurs pertes et de la fatigue. Les Britanniques perdirent plus de 700 hommes dans cette confrontation. Le texte décrit également les événements militaires entre les Français et les Britanniques en janvier 1756. Lors d'un affrontement, les pertes françaises s'élèvent à quatre-vingt-quinze hommes tués et cent-trente blessés, incluant des officiers, des soldats, des Canadiens et des Amérindiens. Le Baron de Dieskau et le sieur Bernier, aide-de-camp, ainsi que deux officiers de milice, ont été capturés et blessés. Depuis cet événement, aucune autre action militaire n'a été signalée. La perte subie par le Colonel Johnson et la présence des troupes françaises retranchées près du Fort Saint-Frédéric ont conduit Johnson à abandonner son projet contre ce fort. Les renforts envoyés par M. de Vaudreuil aux Forts Frontenac et Niagara ont également contraint le Gouverneur Shirley à se retirer, laissant une garnison nombreuse à Chouegen avec un train d'artillerie conséquent. La défaite du Général Braddock et l'échec du Colonel Johnson ont probablement influencé cette décision, car ces entreprises étaient coordonnées.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 221-235
RELATION de ce qui s'est passé cette année en Canada, avec le journal historique du siege des Forts de Chouëguen ou Oswego, commencé le 11 Août 1756, & fini le 14 par la prise de ces Forts.
Début :
Les nouveaux préparatifs que les Anglois ont faits pour envahir nos possessions [...]
Mots clefs :
Amérique, Anglais, Canada, Français, Montréal, Marquis de Montcalm, Défense des frontières, Les sauvages, Marquis de Vaudreuil, Forts, Lac Ontario, Gouverneurs, Troupes, Mouvements des troupes, Bataillons, Régiments, Officiers, Rivières, Morts
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texteReconnaissance textuelle : RELATION de ce qui s'est passé cette année en Canada, avec le journal historique du siege des Forts de Chouëguen ou Oswego, commencé le 11 Août 1756, & fini le 14 par la prise de ces Forts.
RELATION de ce qui s'eft paffé cette
année en Canada , avec le journal hiſtorique
du fiege des Forts de Choueguen ou
Ofwego, commencé le 11 Août 1756, co
fini le 14 par la prise de ces Forts.
LE
Es nouveaux préparatifs que les Anglois ont
faits pour envahir nos poffeffions en Amérique ,
malgré le mauvais fuccès de leurs entreprifes de
P'année derniere , ont été auffi publics en Europe
que dans le nouveau monde. On s'y étoit attendu
& dans les premiers jours d'Avril dernier , le Roi
fit partir , pour le Canada , un renfort de troupes
commandé par le Marquis de Montcalm ,
Maréchal de Camp.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
En attendant l'arrivée de ce fecours , & dès la
fin de la campagne derniere , le Marquis de Vaudreuil
, Gouverneur & Lieutenant Général de la
Nouvelle France , avoit pris de juftes meſures
pour la défenſe de nos frontieres. Ses arrangemens
avoient eu même pour objet de faire harceler
les Anglois dans leurs propres Colonies. Il a
tenu des détachemens en campagne durant tout
l'hyver. Les Sauvages ont tué beaucoup de monde ,
on a enlevé une quantité confiderable de beftiaux :
ily a eu un grand nombre de maifons & de magafins
brulés ; les campagnes ont été abandonnées
dans plufieurs endroits des frontieres des Colonies
Angloifes. Ces mouvemens divers ont efficacement
fervi , non feulement à augmenter le mécontentement
qu'avoit caufé parmi elles l'injuftice
des projets de leurs Gouverneurs , mais encore à
faire naître des embarras & des difficultés qui ont
empêché l'exécution de ces projets dans le printemps.
Le Marquis de Vaudreuil ne s'en eft pas tenu
là . Tandis que nos Partis fe fuccedoient fans
relâche fur les frontieres des Anglois , expofées à
leurs courſes , & défoloient furtout la Pensilvanie
, la Virginie & le Mariland , un Corps de nos
troupes , qu'il avoit placé fur la riviere S. Jean ,
y recueilloit les reftes épars des Acadiens chalés
de leurs habitations par les Anglois , & dont une
partie erroit alors dans les bois. La défenſe du
Fort du Quêne & de l'Ohio , ou de la belle Riviere
, étoit confiée à un corps de Canadiens & de
Sauvages commandés par le Sieur Dumas. Un
autre detachement d'environ 500 hommes , obfervoit
l'ennemi du côté du Fort Lydius . Le bataillon
du Régiment de la Reine & celui du Régiment
de Languedoc , campoient devant le Fort
2
N
༡༩.R
te
P
¿
C
DECEMBRE. 1756 . 223
de Carrillon , vers le Lac du Saint- Sacrement. Le
bataillon de Bearn étoit deſtiné pour le Fort de
Niagara , & celui de Guyenne pour le Fort Frontenac
, afin de défendre ces deux poftes importans
dont les ennemis paroiffoient méditer. l'attaque
pendant le cours de la campagne prête à s'ouvrir.
Dès le commencement de l'hyver , le Marquis
de Vaudreuil avoit été informé que , pour l'exécution
de ce projet , les Anglois faifoient raffembler
des troupes avec des provifions confidérables
dans les Forts de Choueguen près du Lac
Ontario ; & c'eft en conféquence de cet avis
qu'au mois de Mars dernier le fieur de Léry attaqua
par fes ordres un Fort où étoit le principal
entrepôt de ces approvifionnemens . Ce Fort
fut enlevé d'affaut & détruit avec tous les bâtimens
qui en dependoient ; & toutes les munitions
qui s'y trouvoient en grande quantité ,
furent enlevées , brûlées , ou jettées dans la Riviere.
Dans la vue de profiter de ce premier
fuccès , le Gouverneur- Général fit un autre détachement
de 700 hommes , Canadiens & Sauvages
, fous les ordres du fieur de Villiers , Capitaine
de la Colonie , pour refferrer les ennemis
de ce côté-là , obferver leurs mouvemens , &
intercepter les tranfports qu'ils pourroient faire
fur la riviere de Choueguen.
Ainfi tout étoit difpofé par le Marquis de Vaudreuil
pour une défenfive vigoureuſe dans les différentes
parties du Canada , fur les lacs Champlain
& du St. Sacrement , vers la Belle - Riviere , &
furtout du côté du lac Ontario , où la défenſe
de nos Forts & même l'attaque des poftes Anglois
avoient été fon objet principal dans la diftribution
des forces de la Colonie.
Tout le monde fçait que l'établiffement des
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Anglois fur le lac Ontario eft une invafion qu'ils
ont faite en pleine paix. Il n'étoit queftion d'abord
de leur part que d'une fimple Maiſon de
commerce. C'eft fous ce feul point de vue qu'ils
en firent la propofition en 1728 , aux Sauvages
Iroquois , qui ne les auroient pas vus tranquillement
fe fortifier tout d'un coup dans le voifinage
de leurs Habitations . On fentit cependant
dès - lors en Canada quel étoit leur véritable objet
dans cet Etabliffèment , qui devoit les mettre
à portée non feulement d'envahir le commerce
des Lacs que les François n'avoient jamais
partagé avec aucune Nation Européenne , mais
encore de couper , par le centre même de la
Colonie de Canada , la communication des poftes
qui en dépendent. Les Gouverneurs François
fe contenterent cependant de réclamer contre
cette ufurpation. Le Roi en fit porter dans
le temps des plaintes à la Cour Britanique , où
elles ont été conſtamment renouvellées dans toutes
les occafions . Mais les Anglois , fans ſe mettre
en peine de la juftice de ces plaintes , &
abufant toujours de l'efprit de paix qui a réglé
dans tous les temps la conduite de la France ,
ie font fortifiés peu à peu à Choueguen , de
maniere qu'ils y avoient établi trois Forts ,
fçavoir :
1º. Le Fort Ontario placé à la droite de la
Riviere , au milieu d'un plateau fort élevé. Il
confiftoit en un quatré de trente toifes de côté ,
dont les faces brifées par le milieu étoient flanquées
par un rédan placé à l'endroit de la brifure.
Il étoit fait de pieux de dix - huit pouces
de diametre applanis fur deux faces , parfaitement
bien joints l'un à l'autre , & fortans de terre de
de huit à neuf pieds . Le follé qui entouroit le
1
1
1
1
DECEMBRE . 1756. 225
Fort avoit dix-huit pieds de largeur fur huit de
profondeur. Les terres qu'on en avoit tirées
avoient été rejettées en glacis fur la contrefcarpe
& en talud fort roide fur la berme. On
avoit pratiqué des creneaux & des embrafures
dans les pieux à fleur de terre rejettée fur la
berme , & un échafaudage de charpente régnoit
tout autour , afin de tirer pardeffus . Il y avoit
huit canons & quatre mortiers à doubles grenades,
2 °. Le vieux Fort de Choueguen , fitué fur
la rive gauche de la Riviere , confiftant en une
Maifon à machicoulis & crénelée au rez de chauf
fée & au premier étage , dont les murs avoient
trois pieds d'épaiffeur & étoient entourés
à trois toiles de diftance d'une autre muraille
de quatre pieds d'épaiffeur fur dix de hauteur
, crénelée & flanquée par deux groffes tours
quarrées. Il y avoit de plus un retranchement
qui entouroit , du côté de la campagne , le
Fort où les Ennemis avoient placés dix- huit
pieces de canon & quinze mortiers & obufiers .
3°. Le Fort Georges , fitué à 300 toifes endelà
de celui de Choueguen fur une hauteur qui
le dominoit. Il étoit de pieux & aſſez mal retranché
en terre fur deux faces .
C'eft principalement au moyen des avantages
que cet Etabliffement donnoit aux Anglois ,
qu'ils s'étoient flattés d'envahir le Canada . Leur
deffein étoit d'abord , ainfi qu'on l'a dit , de
s'emparer du Fort de Niagara & de celui de Frontenac
. Maîtres de ces deux poftes , ils auroient coupé
abfolument la communication , non feulement
des Pays d'en haut , mais encore de la Louifiane
: ils auroient fait tomber une des principales
branches du commerce de Canada ; &
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
en enlevant à cette Colonie une partie de fes
Sauvages alliés , ils fe feroient trouvés à portée
de l'attaquer de toutes parts dans tous les Etabliflemens.
Telles étoient les vues , du moins apparentes
, des Anglois , & les difpofitions faites de notre
part , lorfque les troupes Françoiſes commandées
par le Marquis de Montcalm arriverent au
mois de Mai.
Dès que le Marquis de Vaudreuil eut reça
ce renfort , il envoya fur le lac du St. Sacrement
le bataillon de Royal Rouffillon qui en
faifoit partie. Le Bataillon de la Sarre fut envoyé
à Frontenac avec les deux Ingénieurs François
nouvellement débarqués , aux ordres du fieur
de Bourlamaque Colonel d'Infanterie , pour former
devant cette Place un Camp retranché. Le
Chevalier de Levis , Brigadier , fut deftiné à commander
fur le lac du St. Sacrement ; & le Marquis
de Montcalm devoit fe porter aux lieux
que les ennemis paroîtroient menacer le plus.
Vers le mois de Juin , il parut clairement
par le rapport des Sauvages envoyés à la découverte
, par les dépofitions de plufieurs prifonniers
, & par les préparatifs immenfes faits à
Albany & au Fort Lydius , que les Anglois
avoient des projets d'offenfive du côté de la
Pointe ou du lac du St. Sacrement. Ces nouvelles
confirmerent les Commandans François dans
le deffein d'une diverfion fur le lac Ontario ,
qui devenoit néceffaite pour attirer de ce côtélà
une partie des forces ennemies. Le Marquis
de Montcalm propofa de s'en charger , & même
de tenter , s'il étoit poffible , une entreprife
fur les Etabliffemens Anglois : entrepriſe
deja projettée depuis quelque temps par le Gou
་
་
DECEMBRE. 1756. 227
verneur- Général , qui n'avoit jamais perdu de
vue le fiege des Forts de Choueguen , dont il
connoiffoit toute l'importance. Ce Siege fut réfolu
par le Marquis de Vaudreuil , au cas que
l'état de la Place , & la lenteur des ennemis
permiffent de le former dans cette campagne ,
dont la faifon commençoit à s'avancer. Mais
une pareille expédition exigeoit de grands préparatifs
; les diftances étoient confidérables ; &
les tranfports ne pouvoient s'exécuter qu'avec
des peines & des longueurs infinies , à travers un
pays qui n'a d'autres chemins que des rivieres
remplies de fauts & de rapides , & des lacs où
la violence des vagues rend quelquefois la navigation
prefqu'impoffible . On ne pouvoit donc
fe flatter de réufhir dans ce projet qu'autant qu'il
ne feroit pas pénétré par les ennemis ; & qu'on
ne leur donneroit pas le temps de faire paffer
à Choueguen les nouveaux fecours qu'ils deftineroient
eux-mêmes pour l'attaque des deux
Forts François,
En conféquence le Marquis de Vaudreuil priv
toutes les mesures qui pouvoient accélérer nos
difpofitions & en cacher l'objet . Le fieur Bigot
Intendant du Canada vint à Montreal , & fe char--
gea d'amaffer des munitions de guerre & debouche
, d'en diligenter les convois & de les entretenir
fans interruption. Le fieur Rigaud de
Vaudreuil , Gouverneur des trois Rivieres , fut envoyé
avec un renfort de Canadiens & de Sauvages
, pour prendre le commandement du Camp
du fieur de Villiers . En même temps le fieur de
Bourlamaque reçut ordre de commencer à Frontenac
les préparatifs qu'on jugea néceffaires. Le
fieur de Combles Ingénieur , fut chargé d'aller
avec un détachement reconnoître Choi eguen. E
K. vj
228 MERCURE DE FRANCE.
tandis que tout fe difpofoit ainfi pour cette attaque
, dans la vue de donner le change aux
ennemis , le Marquis de Montcalm partit le 27
de Juin pour le Fort de Carrillon avec le Chevalier
de Levis. Les pofitions à prendre au fujet
de la défenfive dans cette partie , les fortifications
alors commencées à Carrillon , & les
mouvemens des Anglois à Albany , paroiffoient
en effet des raifons fuffifantes pour autorifer la
préfence du Marquis de Montcalm fur le lac
du St. Sacrement , comme dans le pofte où devoient
fe paffer les opérations les plus intéres-
Santes. Ce Général n'y étant resté que le temps
néceffaire pour préparer l'effentiel , & s'attirer
l'attention des Anglois , remit la défenſe de cette
Frontiere au Chevalier de Levis , en lui laiffant
un Corps de trois mille hommes , & reprit le
quinze de Juillet la route de Montreal , où il arriva
le dix -neuf du même mois. Il y reçut fes
dernieres inftructions pour l'entrepriſe contre
les Forts de Choueguen , à laquelle le Marquis
de Vaudreuil fe trouvoit engagé de plus en plus
par la nouvelle toute récente d'un fuccès qui
fembloit en faciliter l'exécution . C'eft celle de
l'échec que les ennemis avoient reçu dans les
premiers jours de Juillet fur le lac Ontario , où
le fieur de Villiers venoit de détruire un convoi
d'environ deux cens bâtimens , & de tuer
u de prendre prifonniers plus de cinq cens
hommes.
Le Marquis de Montcalm repartit de Montreal
le 21 de Juillet , & arriva le ving neuf
à Frontenac , où il trouva tout raffemblé , à
l'exception du détachement commandé par le fieur
Rigaud de Vaudreuil. Ce Corps s'étoit deja
porté fur la Riviere de Choueguen à la Baie
a
t
I
DECEMBRE. 1756. 229
de Niaouré , où le Marquis de Vaudreuil avoit
marqué le rendez -vous général des troupes deftinées
pour l'expédition .
Ces troupes formoient un Corps de trois
mille hommes , y compris le détachement du
fieur de Rigaud , qui devoit fervir d'avant- garde.
Elles étoient compofées des Bataillons de la Sarre
, Guyenne , & Bearn , ne faifant enfemble
que treize cens hommes , & d'environ dix- fept
cens foldats de la Colonie , Miliciens & Sauvages .
Le Marquis de Montcalm n'a pas perdu de
temps pour le mettre en état de partir du Fort
Frontenac. Aprés avoir fait dans cette Place les
préparatifs inféparables d'une opération nouvelle
en ce Pays , & qui préfentoit des difficultés
inconnues en Europe ; après avoir en même
temps pourvu aux difpofitions néceffaires
pour affurer la retraite , en cas que des forces
fupérieures la rendiffent inévitable , il a donné
ordre à deux barques armées fur le Lac Ontario
, l'une de douze , & l'autre de feize canons ,
de fe mettre en croifiere dans les parages de
Chouëguen. Il a établi une chaîne de découvreurs
, Canadiens & Sauvages , fur le chemin
de cette Place à la Ville d'Albanie , pour y intercepter
les Couriers ; & dès le 4 Août il s'eft
embarqué à Frontenac avec la premiere divifion
de fes Troupes , compofée du Bataillon de
la Sarre & de celui de Guyenne , avec 4 pieces
de canon , & eft arrivé le 6 à la Baie de
Niaouré , où la feconde divifion compofée du
Bataillon de Béarn , de Miliciens , & des Bateaux
chargés de l'Artillerie & des vivres , s'eft rendue
le huit.
Le même jour , le Marquis de Montcalm fit
partir l'avant-garde , commandée par le Sieur de
230 MERCURE DE FRANCE.
Rigaud , pour s'avancer à trois lieues de Chouëguen
dans une Anfe nommée l'Anfe- aux -Cabannes.
La premiere divifion y étant arrivée le 10 à
deux heures du matin , Pavant - garde fe porta
quatre heures après par terre & au travers des
bois , à une autre Anfe fituée à une demi- lieue
de Choueguen , pour y favorifer le débarquement
de l'artillerie & des troupes. La premiere divifion
fe rendit à minuit dans cette même Anfe. Le
Marquis de Montcalm parvint à faire établir
auffi -tôt une batterie fur le Lac Ontario , & les
troupes pafferent la nuit au bivouac à la tête des
bateaux.
Le 11 , à la pointe du jour , les Canadiens &
les Sauvages s'avancerent à un quart de lieue do
Fort Ontario , fitué , comme on l'a dit , fur la rive
droite de la Riviere de Chouëguen , & en formoient
l'inveftiffement. Le Sieur de Combles ,
Ingénieur , qui avoit été envoyé à trois heures du
matin pour déterminer cet inveſtiſſement & le
front de l'attaque , fut tué , en revenant de fa découverte
, par un de nos Sauvages qui l'avoit efcorté
, & qui dans l'obcurité le prit malheureuſement
pour un Anglois . Le Sieur Defandrouins ,
autre Ingénieur , qui par-là reftoit ſeul , traça â
travers des bois , en partie marécageux , un chemin
reconnu la veille , pour y conduire de l'Artillerie
; & ce chemin commencé le rr au matin ,
fut pouffé avec tant de vivacité, qu'il fe trouva perfectionné
le lendemain. On avoit en même temps
établi le Camp, la droite appuyée au Lac Ontario
, couverte par la batterie établie la veille , &
qui mettoit les Bateaux hors d'infulte ; & la gauche
à un marais impraticable.
La marche des François , que la précaution de
que de nuit, & d'entrer pour faire halte dans
n'aller
DECEMBRE . 1756. 13 .
les rivieres qui les couvroient , avoit jufqu'alors
dérobée aux Ennemis , leur fut annoncée le même
jour par les Sauvages , qui allerent fufiller juf
qu'au pied du Fort . Trois barques armées fortirent
à midi de la Riviere de Choueguen , vinrent
croifer devant le Camp, firent quelques décharges
de leur Artillerie ; mais le feu de notre batterie
les força de s'éloigner
Le 12 , à la pointe du jour, le Bataillon de Béarn
arriva avec les Bateaux de l'Artillerie & des vivres.
La décharge de ces Bateaux fut faite fur le champ,
en préfence des Barques Angloifes qui croifoient
devant le Camp : la batterie de la greve fut augmentée
le parc de l'Artillerie , & le dépôt des
vivres furent établis ; & le Sieur Pouchot , Capitaine
au Régiment de Béarn , reçut ordre de
faire fonction d'Ingénieur pendant le fiege. La
difpofition fut faite pour l'ouverture de la tranchée
le foir même le Marquis de Montcalm en
donna la direction au Sieur de Bourlamaque
Colonel d'Infanterie , & commanda fix piquets
de travailleurs de cinquante hommes chacun
pour cette nuit , avec deux compagnies de Grenadiers
& trois piquets pour les foutenir .
Avec toute la diligence poffible , on ne put
commencer qu'à minuit le travail de cette tranchée
, qui étoit plutôt une parallele d'environ ico
toifes de front , ouverte à 90 toifes du foffé du
Fort , dans un terrein embarraffé d'abattis & de
troncs d'arbres.Cette parallele achevée à cinq heures
du matin , fut perfectionnée par les travailleurs
du jour , qui y firent les chemins de communication
, & commencerent l'établiſſement des batteries
. Le feu des ennemis qui depuis la pointe du
jour avoit été très-vif , ceffa vers les fix heures
dufoir; & l'on s'apperçut que la Garniſon avoid
232 MERCURE DE FRANCE.
évacué le Fort Ontario , & paflé de l'autre côté
de la riviere dans celui de Choueguen. Elle abandonna
, en fe retirant , 8 pieces de canon & 4
mortiers.
Le Fort ayant auffitôt été occupé par les Grenadiers
de tranchée , des travailleurs furent commandés
pour continuer la communication de la
parallele au bord de la Riviere , où , dès l'entrée
de la nuit , on commença une grande batterie
placée de façon à pouvoir, non feulement battre
le Fort Choueguen & le chemin de ce Fort au Fort
Georges , mais encore prendre à revers le retranchement
qui entouroit le premier de ces Forts.
Vingt pieces de canon furent chariées à bras
d'hommes pendant la nuit ; & ce travail employa
toutes les troupes , à l'exception des piquets &
Gardes du camp.
Le 14 , à la pointe du jour , le Marquis de Montcalm
ordonna au Sieur de Rigaud de paffer à gué
de l'autre côté de la Riviere avec les Canadiens &
les Sauvages , de fe porter dans les bois , & d'inquiéter
la communication au Fort Georges où les
Ennemis paroiffoient faire de grandes difpofitions.
Le Sieur de Rigaud exécuta cet ordre fur le champ.
Quoiqu'il y ait beaucoup d'eau dans cette Riviere,
& que le courant en foit très- rapide , il s'y jetta ,
la traverfa avec les Canadiens & les Sauvages , les
uns à la nage , d'autres dans l'eau jufqu'à la ceinture
ou jufqu'au cou , & fe rendit à fa deftination
, fans que le feu de l'Ennemi fût capable d'arrêter
un feul Canadien , ni Sauvage.
A neuf heures , les Affiégeans eurent neuf pieces
de canon en état de tirer ; & quoique jufqu'alors
le feu des Affiégés eût été fupérieur , ils arborerent
à dix heures le Drapeau blanc . Le Sieur de
Rigaud renvoya au Marquis de Montcalm deux
DECEMBRE . 1756. 23.3
Officiers que le Commandant du Fort lui avoit
adreffés pour demander à capituler. Le Marquis
de Montcalm envoya le Sr de Bougainville , l'un
de fes Aides de Camp , pour fervir d'ôtage , &
propofer les articles de la capitulation , qui furent
que la Garnifon fe rendroit prifonniere de guerre,
& que les troupes Françoifes prendroient fur le
champ poffeffion des Forts . On a déja dit qu'elles
avoient occupé la veille celui d'Ontario . Čes articles
ayant été acceptés par le Commandant Anglois
, le Sieur de la Pauze , Aide-Major au Régiment
de Guyenne , faifant fonction de Major Général
, fut chargé par le Marquis de Montcalm de
les aller rédiger ; & le Sieur de Bourlamaque
nommé Commandant des Forts Georges & Chouëguen
, en prit poffeffion avec deux compagnies de
Grenadiers & les piquets de la tranchée. Il fut
chargé de la démolition de tous les Forts , & du
déblaiement de l'Artillerie , & des munitions de
guerre & de bouche qui s'y trouverent .
La célérité de nos ouvrages dans un terrein que
les Ennemis avoient jugé impraticable , l'établiſ
fement de nos batteries fait fi rapidement , l'idée
que ces travaux ont donnée du nombre des troupes
Françoifes , la mort du Colonel Mercer , Commandant
de Chouëguen , tué à huit heures du marin
, & plus que tout encore , la manoeuvre hardie
du Sieur de Rigaud , & li crainte des Canadiens
& des Sauvages qui faifoient déja feu fur le
Fort , ont fans doute déterminé les Aſſiégés à ne
pas faire une plus longue défenfe .
Ils ont perdu cent cinquante-deux hommes , y
compris quelques Soldats tués par les Sauvages en
voulant fe fauver dans les bois . Le nombre des prifonniers
a été de plus de feize cens , dont quatrevingts
Officiers. On a pris auffi ſept Bâtimens de
234 MERCURE DE FRANCE.
guerre , dont un de dix- huit canons , un de quatorze
, un de dix , un de huit , & les trois autres
armés de pierriers , outre deux cens bâtimens de
tranfport ; & les Officiers & Equipages de ces bâtimens
ont été compris dans la capitulation de la
Garnifon , qui étoit compofée de deux Régimens
de troupes réglées , de Shirley & de Pepperel , &
du Régiment de Milice de Shuyler. L'Artillerie
qu'on a prife , confifte en cent cinquante-cinq pieces
de canon , quatorze mortiers , cinq obuliers
& quarante-fept pierriers , qu'on a enlevés avec
une grande quantité de boulets , bombes , balles
& poudre , & un amas confidérable de vivres.
Le Marquis de Montcalm n'a perdu que trois
hommes , fçavoir un Canadien , un Soldat & un
Canonnier , outre la perte du Sieur de Combles ,
& il n'y a eu dans les différens corps de troupes ,
qui étoient fous fes ordres , qu'environ vingt
bleffés , qui tous le font fort légèrement. Le Sieur
de Bourlamaque & les Sieurs de Palmarol , Capitaine
de Grenadiers , & Duparquet , Capitaine au
Régiment de la Sarre , font de ce nombre.
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Le 21 du même mois d'Août , toutes les démolitions
étant achevées , le tranfport des prifonniers
, de l'artillerie & des vivres fait , le Marquis
de Montcalm fe rembarqua avec les troupes , &
fe rendit fur trois divifions à la Baie de Niaouré ,
d'où les différens Corps fe font portés aux deftinations
refpectives que leur avoit indiquées le Marquis
de Vaudreuil , qui a fait dépofer dans les
Eglifes de Québec &des trois Rivieres , avec les ]
cérémonies ordinaires , les quatre Drapeaux des
Régimens de troupes réglées de Shirley & Pepperel
, & celui du Régiment de Milices de Shuyler.
Le fuccès de cette expédition a répandu une
joie générale dans la Colonie , où l'on en connoît
C DECEMBRE. 1756. 235
plus qu'ailleurs tous les avantages . Elle fe trouve
par la délivrée des juftes inquiétudes que lui donnoit
l'établiffement de Choueguen. Elle voit la
communication avec le pays d'enhaut & avec
toutes les Nations Sauvages fes alliées , à l'abri
des troubles auxquels elle étoit expofee . Elle ne
craint plus d'être attaquée de ce côté - là , du
moins avec la fupériorité que donnoit aux Anglois
l'établiſſement qu'on vient de leur enlever ,
& qui les mettoit en état de dominer fur les Lacs ,
où ils avoient déja formé une Marine. Elle eft en
état déformais de réunir fes forces pour la défenſe
de fes frontieres , & elle a la fatisfaction de devoir
cet heureux changement dans fa fituation , aux
fecours puiffans que le Roi a eu la bonté de lui
envoyer.
Elle a fait éclater les fentimens les plus touchans
de refpect & de reconnoiffance pour ces
nouvelles marques de la protection de Sa Majefté ,
& elle feconde avec tout le zele qu'on peut attendre
du peuple le plus fidele & le plus attaché à fon
Prince , les foins infatigables que fe donnent
pour fa défenfe le Marquis de Vaudreuil , ainfi
que le Marquis de Montcalm , & les autres Officiers
qui en font chargés fous les ordres de ce
Gouverneur.
année en Canada , avec le journal hiſtorique
du fiege des Forts de Choueguen ou
Ofwego, commencé le 11 Août 1756, co
fini le 14 par la prise de ces Forts.
LE
Es nouveaux préparatifs que les Anglois ont
faits pour envahir nos poffeffions en Amérique ,
malgré le mauvais fuccès de leurs entreprifes de
P'année derniere , ont été auffi publics en Europe
que dans le nouveau monde. On s'y étoit attendu
& dans les premiers jours d'Avril dernier , le Roi
fit partir , pour le Canada , un renfort de troupes
commandé par le Marquis de Montcalm ,
Maréchal de Camp.
Kiij
222 MERCURE DE FRANCE.
En attendant l'arrivée de ce fecours , & dès la
fin de la campagne derniere , le Marquis de Vaudreuil
, Gouverneur & Lieutenant Général de la
Nouvelle France , avoit pris de juftes meſures
pour la défenſe de nos frontieres. Ses arrangemens
avoient eu même pour objet de faire harceler
les Anglois dans leurs propres Colonies. Il a
tenu des détachemens en campagne durant tout
l'hyver. Les Sauvages ont tué beaucoup de monde ,
on a enlevé une quantité confiderable de beftiaux :
ily a eu un grand nombre de maifons & de magafins
brulés ; les campagnes ont été abandonnées
dans plufieurs endroits des frontieres des Colonies
Angloifes. Ces mouvemens divers ont efficacement
fervi , non feulement à augmenter le mécontentement
qu'avoit caufé parmi elles l'injuftice
des projets de leurs Gouverneurs , mais encore à
faire naître des embarras & des difficultés qui ont
empêché l'exécution de ces projets dans le printemps.
Le Marquis de Vaudreuil ne s'en eft pas tenu
là . Tandis que nos Partis fe fuccedoient fans
relâche fur les frontieres des Anglois , expofées à
leurs courſes , & défoloient furtout la Pensilvanie
, la Virginie & le Mariland , un Corps de nos
troupes , qu'il avoit placé fur la riviere S. Jean ,
y recueilloit les reftes épars des Acadiens chalés
de leurs habitations par les Anglois , & dont une
partie erroit alors dans les bois. La défenſe du
Fort du Quêne & de l'Ohio , ou de la belle Riviere
, étoit confiée à un corps de Canadiens & de
Sauvages commandés par le Sieur Dumas. Un
autre detachement d'environ 500 hommes , obfervoit
l'ennemi du côté du Fort Lydius . Le bataillon
du Régiment de la Reine & celui du Régiment
de Languedoc , campoient devant le Fort
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DECEMBRE. 1756 . 223
de Carrillon , vers le Lac du Saint- Sacrement. Le
bataillon de Bearn étoit deſtiné pour le Fort de
Niagara , & celui de Guyenne pour le Fort Frontenac
, afin de défendre ces deux poftes importans
dont les ennemis paroiffoient méditer. l'attaque
pendant le cours de la campagne prête à s'ouvrir.
Dès le commencement de l'hyver , le Marquis
de Vaudreuil avoit été informé que , pour l'exécution
de ce projet , les Anglois faifoient raffembler
des troupes avec des provifions confidérables
dans les Forts de Choueguen près du Lac
Ontario ; & c'eft en conféquence de cet avis
qu'au mois de Mars dernier le fieur de Léry attaqua
par fes ordres un Fort où étoit le principal
entrepôt de ces approvifionnemens . Ce Fort
fut enlevé d'affaut & détruit avec tous les bâtimens
qui en dependoient ; & toutes les munitions
qui s'y trouvoient en grande quantité ,
furent enlevées , brûlées , ou jettées dans la Riviere.
Dans la vue de profiter de ce premier
fuccès , le Gouverneur- Général fit un autre détachement
de 700 hommes , Canadiens & Sauvages
, fous les ordres du fieur de Villiers , Capitaine
de la Colonie , pour refferrer les ennemis
de ce côté-là , obferver leurs mouvemens , &
intercepter les tranfports qu'ils pourroient faire
fur la riviere de Choueguen.
Ainfi tout étoit difpofé par le Marquis de Vaudreuil
pour une défenfive vigoureuſe dans les différentes
parties du Canada , fur les lacs Champlain
& du St. Sacrement , vers la Belle - Riviere , &
furtout du côté du lac Ontario , où la défenſe
de nos Forts & même l'attaque des poftes Anglois
avoient été fon objet principal dans la diftribution
des forces de la Colonie.
Tout le monde fçait que l'établiffement des
Kiv
224 MERCURE DE FRANCE.
Anglois fur le lac Ontario eft une invafion qu'ils
ont faite en pleine paix. Il n'étoit queftion d'abord
de leur part que d'une fimple Maiſon de
commerce. C'eft fous ce feul point de vue qu'ils
en firent la propofition en 1728 , aux Sauvages
Iroquois , qui ne les auroient pas vus tranquillement
fe fortifier tout d'un coup dans le voifinage
de leurs Habitations . On fentit cependant
dès - lors en Canada quel étoit leur véritable objet
dans cet Etabliffèment , qui devoit les mettre
à portée non feulement d'envahir le commerce
des Lacs que les François n'avoient jamais
partagé avec aucune Nation Européenne , mais
encore de couper , par le centre même de la
Colonie de Canada , la communication des poftes
qui en dépendent. Les Gouverneurs François
fe contenterent cependant de réclamer contre
cette ufurpation. Le Roi en fit porter dans
le temps des plaintes à la Cour Britanique , où
elles ont été conſtamment renouvellées dans toutes
les occafions . Mais les Anglois , fans ſe mettre
en peine de la juftice de ces plaintes , &
abufant toujours de l'efprit de paix qui a réglé
dans tous les temps la conduite de la France ,
ie font fortifiés peu à peu à Choueguen , de
maniere qu'ils y avoient établi trois Forts ,
fçavoir :
1º. Le Fort Ontario placé à la droite de la
Riviere , au milieu d'un plateau fort élevé. Il
confiftoit en un quatré de trente toifes de côté ,
dont les faces brifées par le milieu étoient flanquées
par un rédan placé à l'endroit de la brifure.
Il étoit fait de pieux de dix - huit pouces
de diametre applanis fur deux faces , parfaitement
bien joints l'un à l'autre , & fortans de terre de
de huit à neuf pieds . Le follé qui entouroit le
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DECEMBRE . 1756. 225
Fort avoit dix-huit pieds de largeur fur huit de
profondeur. Les terres qu'on en avoit tirées
avoient été rejettées en glacis fur la contrefcarpe
& en talud fort roide fur la berme. On
avoit pratiqué des creneaux & des embrafures
dans les pieux à fleur de terre rejettée fur la
berme , & un échafaudage de charpente régnoit
tout autour , afin de tirer pardeffus . Il y avoit
huit canons & quatre mortiers à doubles grenades,
2 °. Le vieux Fort de Choueguen , fitué fur
la rive gauche de la Riviere , confiftant en une
Maifon à machicoulis & crénelée au rez de chauf
fée & au premier étage , dont les murs avoient
trois pieds d'épaiffeur & étoient entourés
à trois toiles de diftance d'une autre muraille
de quatre pieds d'épaiffeur fur dix de hauteur
, crénelée & flanquée par deux groffes tours
quarrées. Il y avoit de plus un retranchement
qui entouroit , du côté de la campagne , le
Fort où les Ennemis avoient placés dix- huit
pieces de canon & quinze mortiers & obufiers .
3°. Le Fort Georges , fitué à 300 toifes endelà
de celui de Choueguen fur une hauteur qui
le dominoit. Il étoit de pieux & aſſez mal retranché
en terre fur deux faces .
C'eft principalement au moyen des avantages
que cet Etabliffement donnoit aux Anglois ,
qu'ils s'étoient flattés d'envahir le Canada . Leur
deffein étoit d'abord , ainfi qu'on l'a dit , de
s'emparer du Fort de Niagara & de celui de Frontenac
. Maîtres de ces deux poftes , ils auroient coupé
abfolument la communication , non feulement
des Pays d'en haut , mais encore de la Louifiane
: ils auroient fait tomber une des principales
branches du commerce de Canada ; &
Kv
226 MERCURE DE FRANCE.
en enlevant à cette Colonie une partie de fes
Sauvages alliés , ils fe feroient trouvés à portée
de l'attaquer de toutes parts dans tous les Etabliflemens.
Telles étoient les vues , du moins apparentes
, des Anglois , & les difpofitions faites de notre
part , lorfque les troupes Françoiſes commandées
par le Marquis de Montcalm arriverent au
mois de Mai.
Dès que le Marquis de Vaudreuil eut reça
ce renfort , il envoya fur le lac du St. Sacrement
le bataillon de Royal Rouffillon qui en
faifoit partie. Le Bataillon de la Sarre fut envoyé
à Frontenac avec les deux Ingénieurs François
nouvellement débarqués , aux ordres du fieur
de Bourlamaque Colonel d'Infanterie , pour former
devant cette Place un Camp retranché. Le
Chevalier de Levis , Brigadier , fut deftiné à commander
fur le lac du St. Sacrement ; & le Marquis
de Montcalm devoit fe porter aux lieux
que les ennemis paroîtroient menacer le plus.
Vers le mois de Juin , il parut clairement
par le rapport des Sauvages envoyés à la découverte
, par les dépofitions de plufieurs prifonniers
, & par les préparatifs immenfes faits à
Albany & au Fort Lydius , que les Anglois
avoient des projets d'offenfive du côté de la
Pointe ou du lac du St. Sacrement. Ces nouvelles
confirmerent les Commandans François dans
le deffein d'une diverfion fur le lac Ontario ,
qui devenoit néceffaite pour attirer de ce côtélà
une partie des forces ennemies. Le Marquis
de Montcalm propofa de s'en charger , & même
de tenter , s'il étoit poffible , une entreprife
fur les Etabliffemens Anglois : entrepriſe
deja projettée depuis quelque temps par le Gou
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DECEMBRE. 1756. 227
verneur- Général , qui n'avoit jamais perdu de
vue le fiege des Forts de Choueguen , dont il
connoiffoit toute l'importance. Ce Siege fut réfolu
par le Marquis de Vaudreuil , au cas que
l'état de la Place , & la lenteur des ennemis
permiffent de le former dans cette campagne ,
dont la faifon commençoit à s'avancer. Mais
une pareille expédition exigeoit de grands préparatifs
; les diftances étoient confidérables ; &
les tranfports ne pouvoient s'exécuter qu'avec
des peines & des longueurs infinies , à travers un
pays qui n'a d'autres chemins que des rivieres
remplies de fauts & de rapides , & des lacs où
la violence des vagues rend quelquefois la navigation
prefqu'impoffible . On ne pouvoit donc
fe flatter de réufhir dans ce projet qu'autant qu'il
ne feroit pas pénétré par les ennemis ; & qu'on
ne leur donneroit pas le temps de faire paffer
à Choueguen les nouveaux fecours qu'ils deftineroient
eux-mêmes pour l'attaque des deux
Forts François,
En conféquence le Marquis de Vaudreuil priv
toutes les mesures qui pouvoient accélérer nos
difpofitions & en cacher l'objet . Le fieur Bigot
Intendant du Canada vint à Montreal , & fe char--
gea d'amaffer des munitions de guerre & debouche
, d'en diligenter les convois & de les entretenir
fans interruption. Le fieur Rigaud de
Vaudreuil , Gouverneur des trois Rivieres , fut envoyé
avec un renfort de Canadiens & de Sauvages
, pour prendre le commandement du Camp
du fieur de Villiers . En même temps le fieur de
Bourlamaque reçut ordre de commencer à Frontenac
les préparatifs qu'on jugea néceffaires. Le
fieur de Combles Ingénieur , fut chargé d'aller
avec un détachement reconnoître Choi eguen. E
K. vj
228 MERCURE DE FRANCE.
tandis que tout fe difpofoit ainfi pour cette attaque
, dans la vue de donner le change aux
ennemis , le Marquis de Montcalm partit le 27
de Juin pour le Fort de Carrillon avec le Chevalier
de Levis. Les pofitions à prendre au fujet
de la défenfive dans cette partie , les fortifications
alors commencées à Carrillon , & les
mouvemens des Anglois à Albany , paroiffoient
en effet des raifons fuffifantes pour autorifer la
préfence du Marquis de Montcalm fur le lac
du St. Sacrement , comme dans le pofte où devoient
fe paffer les opérations les plus intéres-
Santes. Ce Général n'y étant resté que le temps
néceffaire pour préparer l'effentiel , & s'attirer
l'attention des Anglois , remit la défenſe de cette
Frontiere au Chevalier de Levis , en lui laiffant
un Corps de trois mille hommes , & reprit le
quinze de Juillet la route de Montreal , où il arriva
le dix -neuf du même mois. Il y reçut fes
dernieres inftructions pour l'entrepriſe contre
les Forts de Choueguen , à laquelle le Marquis
de Vaudreuil fe trouvoit engagé de plus en plus
par la nouvelle toute récente d'un fuccès qui
fembloit en faciliter l'exécution . C'eft celle de
l'échec que les ennemis avoient reçu dans les
premiers jours de Juillet fur le lac Ontario , où
le fieur de Villiers venoit de détruire un convoi
d'environ deux cens bâtimens , & de tuer
u de prendre prifonniers plus de cinq cens
hommes.
Le Marquis de Montcalm repartit de Montreal
le 21 de Juillet , & arriva le ving neuf
à Frontenac , où il trouva tout raffemblé , à
l'exception du détachement commandé par le fieur
Rigaud de Vaudreuil. Ce Corps s'étoit deja
porté fur la Riviere de Choueguen à la Baie
a
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DECEMBRE. 1756. 229
de Niaouré , où le Marquis de Vaudreuil avoit
marqué le rendez -vous général des troupes deftinées
pour l'expédition .
Ces troupes formoient un Corps de trois
mille hommes , y compris le détachement du
fieur de Rigaud , qui devoit fervir d'avant- garde.
Elles étoient compofées des Bataillons de la Sarre
, Guyenne , & Bearn , ne faifant enfemble
que treize cens hommes , & d'environ dix- fept
cens foldats de la Colonie , Miliciens & Sauvages .
Le Marquis de Montcalm n'a pas perdu de
temps pour le mettre en état de partir du Fort
Frontenac. Aprés avoir fait dans cette Place les
préparatifs inféparables d'une opération nouvelle
en ce Pays , & qui préfentoit des difficultés
inconnues en Europe ; après avoir en même
temps pourvu aux difpofitions néceffaires
pour affurer la retraite , en cas que des forces
fupérieures la rendiffent inévitable , il a donné
ordre à deux barques armées fur le Lac Ontario
, l'une de douze , & l'autre de feize canons ,
de fe mettre en croifiere dans les parages de
Chouëguen. Il a établi une chaîne de découvreurs
, Canadiens & Sauvages , fur le chemin
de cette Place à la Ville d'Albanie , pour y intercepter
les Couriers ; & dès le 4 Août il s'eft
embarqué à Frontenac avec la premiere divifion
de fes Troupes , compofée du Bataillon de
la Sarre & de celui de Guyenne , avec 4 pieces
de canon , & eft arrivé le 6 à la Baie de
Niaouré , où la feconde divifion compofée du
Bataillon de Béarn , de Miliciens , & des Bateaux
chargés de l'Artillerie & des vivres , s'eft rendue
le huit.
Le même jour , le Marquis de Montcalm fit
partir l'avant-garde , commandée par le Sieur de
230 MERCURE DE FRANCE.
Rigaud , pour s'avancer à trois lieues de Chouëguen
dans une Anfe nommée l'Anfe- aux -Cabannes.
La premiere divifion y étant arrivée le 10 à
deux heures du matin , Pavant - garde fe porta
quatre heures après par terre & au travers des
bois , à une autre Anfe fituée à une demi- lieue
de Choueguen , pour y favorifer le débarquement
de l'artillerie & des troupes. La premiere divifion
fe rendit à minuit dans cette même Anfe. Le
Marquis de Montcalm parvint à faire établir
auffi -tôt une batterie fur le Lac Ontario , & les
troupes pafferent la nuit au bivouac à la tête des
bateaux.
Le 11 , à la pointe du jour , les Canadiens &
les Sauvages s'avancerent à un quart de lieue do
Fort Ontario , fitué , comme on l'a dit , fur la rive
droite de la Riviere de Chouëguen , & en formoient
l'inveftiffement. Le Sieur de Combles ,
Ingénieur , qui avoit été envoyé à trois heures du
matin pour déterminer cet inveſtiſſement & le
front de l'attaque , fut tué , en revenant de fa découverte
, par un de nos Sauvages qui l'avoit efcorté
, & qui dans l'obcurité le prit malheureuſement
pour un Anglois . Le Sieur Defandrouins ,
autre Ingénieur , qui par-là reftoit ſeul , traça â
travers des bois , en partie marécageux , un chemin
reconnu la veille , pour y conduire de l'Artillerie
; & ce chemin commencé le rr au matin ,
fut pouffé avec tant de vivacité, qu'il fe trouva perfectionné
le lendemain. On avoit en même temps
établi le Camp, la droite appuyée au Lac Ontario
, couverte par la batterie établie la veille , &
qui mettoit les Bateaux hors d'infulte ; & la gauche
à un marais impraticable.
La marche des François , que la précaution de
que de nuit, & d'entrer pour faire halte dans
n'aller
DECEMBRE . 1756. 13 .
les rivieres qui les couvroient , avoit jufqu'alors
dérobée aux Ennemis , leur fut annoncée le même
jour par les Sauvages , qui allerent fufiller juf
qu'au pied du Fort . Trois barques armées fortirent
à midi de la Riviere de Choueguen , vinrent
croifer devant le Camp, firent quelques décharges
de leur Artillerie ; mais le feu de notre batterie
les força de s'éloigner
Le 12 , à la pointe du jour, le Bataillon de Béarn
arriva avec les Bateaux de l'Artillerie & des vivres.
La décharge de ces Bateaux fut faite fur le champ,
en préfence des Barques Angloifes qui croifoient
devant le Camp : la batterie de la greve fut augmentée
le parc de l'Artillerie , & le dépôt des
vivres furent établis ; & le Sieur Pouchot , Capitaine
au Régiment de Béarn , reçut ordre de
faire fonction d'Ingénieur pendant le fiege. La
difpofition fut faite pour l'ouverture de la tranchée
le foir même le Marquis de Montcalm en
donna la direction au Sieur de Bourlamaque
Colonel d'Infanterie , & commanda fix piquets
de travailleurs de cinquante hommes chacun
pour cette nuit , avec deux compagnies de Grenadiers
& trois piquets pour les foutenir .
Avec toute la diligence poffible , on ne put
commencer qu'à minuit le travail de cette tranchée
, qui étoit plutôt une parallele d'environ ico
toifes de front , ouverte à 90 toifes du foffé du
Fort , dans un terrein embarraffé d'abattis & de
troncs d'arbres.Cette parallele achevée à cinq heures
du matin , fut perfectionnée par les travailleurs
du jour , qui y firent les chemins de communication
, & commencerent l'établiſſement des batteries
. Le feu des ennemis qui depuis la pointe du
jour avoit été très-vif , ceffa vers les fix heures
dufoir; & l'on s'apperçut que la Garniſon avoid
232 MERCURE DE FRANCE.
évacué le Fort Ontario , & paflé de l'autre côté
de la riviere dans celui de Choueguen. Elle abandonna
, en fe retirant , 8 pieces de canon & 4
mortiers.
Le Fort ayant auffitôt été occupé par les Grenadiers
de tranchée , des travailleurs furent commandés
pour continuer la communication de la
parallele au bord de la Riviere , où , dès l'entrée
de la nuit , on commença une grande batterie
placée de façon à pouvoir, non feulement battre
le Fort Choueguen & le chemin de ce Fort au Fort
Georges , mais encore prendre à revers le retranchement
qui entouroit le premier de ces Forts.
Vingt pieces de canon furent chariées à bras
d'hommes pendant la nuit ; & ce travail employa
toutes les troupes , à l'exception des piquets &
Gardes du camp.
Le 14 , à la pointe du jour , le Marquis de Montcalm
ordonna au Sieur de Rigaud de paffer à gué
de l'autre côté de la Riviere avec les Canadiens &
les Sauvages , de fe porter dans les bois , & d'inquiéter
la communication au Fort Georges où les
Ennemis paroiffoient faire de grandes difpofitions.
Le Sieur de Rigaud exécuta cet ordre fur le champ.
Quoiqu'il y ait beaucoup d'eau dans cette Riviere,
& que le courant en foit très- rapide , il s'y jetta ,
la traverfa avec les Canadiens & les Sauvages , les
uns à la nage , d'autres dans l'eau jufqu'à la ceinture
ou jufqu'au cou , & fe rendit à fa deftination
, fans que le feu de l'Ennemi fût capable d'arrêter
un feul Canadien , ni Sauvage.
A neuf heures , les Affiégeans eurent neuf pieces
de canon en état de tirer ; & quoique jufqu'alors
le feu des Affiégés eût été fupérieur , ils arborerent
à dix heures le Drapeau blanc . Le Sieur de
Rigaud renvoya au Marquis de Montcalm deux
DECEMBRE . 1756. 23.3
Officiers que le Commandant du Fort lui avoit
adreffés pour demander à capituler. Le Marquis
de Montcalm envoya le Sr de Bougainville , l'un
de fes Aides de Camp , pour fervir d'ôtage , &
propofer les articles de la capitulation , qui furent
que la Garnifon fe rendroit prifonniere de guerre,
& que les troupes Françoifes prendroient fur le
champ poffeffion des Forts . On a déja dit qu'elles
avoient occupé la veille celui d'Ontario . Čes articles
ayant été acceptés par le Commandant Anglois
, le Sieur de la Pauze , Aide-Major au Régiment
de Guyenne , faifant fonction de Major Général
, fut chargé par le Marquis de Montcalm de
les aller rédiger ; & le Sieur de Bourlamaque
nommé Commandant des Forts Georges & Chouëguen
, en prit poffeffion avec deux compagnies de
Grenadiers & les piquets de la tranchée. Il fut
chargé de la démolition de tous les Forts , & du
déblaiement de l'Artillerie , & des munitions de
guerre & de bouche qui s'y trouverent .
La célérité de nos ouvrages dans un terrein que
les Ennemis avoient jugé impraticable , l'établiſ
fement de nos batteries fait fi rapidement , l'idée
que ces travaux ont donnée du nombre des troupes
Françoifes , la mort du Colonel Mercer , Commandant
de Chouëguen , tué à huit heures du marin
, & plus que tout encore , la manoeuvre hardie
du Sieur de Rigaud , & li crainte des Canadiens
& des Sauvages qui faifoient déja feu fur le
Fort , ont fans doute déterminé les Aſſiégés à ne
pas faire une plus longue défenfe .
Ils ont perdu cent cinquante-deux hommes , y
compris quelques Soldats tués par les Sauvages en
voulant fe fauver dans les bois . Le nombre des prifonniers
a été de plus de feize cens , dont quatrevingts
Officiers. On a pris auffi ſept Bâtimens de
234 MERCURE DE FRANCE.
guerre , dont un de dix- huit canons , un de quatorze
, un de dix , un de huit , & les trois autres
armés de pierriers , outre deux cens bâtimens de
tranfport ; & les Officiers & Equipages de ces bâtimens
ont été compris dans la capitulation de la
Garnifon , qui étoit compofée de deux Régimens
de troupes réglées , de Shirley & de Pepperel , &
du Régiment de Milice de Shuyler. L'Artillerie
qu'on a prife , confifte en cent cinquante-cinq pieces
de canon , quatorze mortiers , cinq obuliers
& quarante-fept pierriers , qu'on a enlevés avec
une grande quantité de boulets , bombes , balles
& poudre , & un amas confidérable de vivres.
Le Marquis de Montcalm n'a perdu que trois
hommes , fçavoir un Canadien , un Soldat & un
Canonnier , outre la perte du Sieur de Combles ,
& il n'y a eu dans les différens corps de troupes ,
qui étoient fous fes ordres , qu'environ vingt
bleffés , qui tous le font fort légèrement. Le Sieur
de Bourlamaque & les Sieurs de Palmarol , Capitaine
de Grenadiers , & Duparquet , Capitaine au
Régiment de la Sarre , font de ce nombre.
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Le 21 du même mois d'Août , toutes les démolitions
étant achevées , le tranfport des prifonniers
, de l'artillerie & des vivres fait , le Marquis
de Montcalm fe rembarqua avec les troupes , &
fe rendit fur trois divifions à la Baie de Niaouré ,
d'où les différens Corps fe font portés aux deftinations
refpectives que leur avoit indiquées le Marquis
de Vaudreuil , qui a fait dépofer dans les
Eglifes de Québec &des trois Rivieres , avec les ]
cérémonies ordinaires , les quatre Drapeaux des
Régimens de troupes réglées de Shirley & Pepperel
, & celui du Régiment de Milices de Shuyler.
Le fuccès de cette expédition a répandu une
joie générale dans la Colonie , où l'on en connoît
C DECEMBRE. 1756. 235
plus qu'ailleurs tous les avantages . Elle fe trouve
par la délivrée des juftes inquiétudes que lui donnoit
l'établiffement de Choueguen. Elle voit la
communication avec le pays d'enhaut & avec
toutes les Nations Sauvages fes alliées , à l'abri
des troubles auxquels elle étoit expofee . Elle ne
craint plus d'être attaquée de ce côté - là , du
moins avec la fupériorité que donnoit aux Anglois
l'établiſſement qu'on vient de leur enlever ,
& qui les mettoit en état de dominer fur les Lacs ,
où ils avoient déja formé une Marine. Elle eft en
état déformais de réunir fes forces pour la défenſe
de fes frontieres , & elle a la fatisfaction de devoir
cet heureux changement dans fa fituation , aux
fecours puiffans que le Roi a eu la bonté de lui
envoyer.
Elle a fait éclater les fentimens les plus touchans
de refpect & de reconnoiffance pour ces
nouvelles marques de la protection de Sa Majefté ,
& elle feconde avec tout le zele qu'on peut attendre
du peuple le plus fidele & le plus attaché à fon
Prince , les foins infatigables que fe donnent
pour fa défenfe le Marquis de Vaudreuil , ainfi
que le Marquis de Montcalm , & les autres Officiers
qui en font chargés fous les ordres de ce
Gouverneur.
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Résumé : RELATION de ce qui s'est passé cette année en Canada, avec le journal historique du siege des Forts de Chouëguen ou Oswego, commencé le 11 Août 1756, & fini le 14 par la prise de ces Forts.
En 1756, les Britanniques préparaient une invasion des possessions françaises en Amérique. En réponse, le roi de France envoya des renforts commandés par le Marquis de Montcalm. Le Marquis de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, avait déjà pris des mesures pour défendre les frontières et harceler les colonies britanniques. Des détachements français opérèrent durant l'hiver, perturbant les projets britanniques par des attaques sur les colons, le bétail et les maisons. Vaudreuil organisa la défense des forts et la protection des Acadiens déplacés. Il plaça des troupes stratégiquement, notamment sur la rivière Saint-Jean pour défendre le Fort du Quêne et l'Ohio, et observa les mouvements ennemis près du Fort Lydius. Les bataillons de la Reine et de Languedoc campaient près du Fort Carrillon, tandis que ceux de Bearn et de Guyenne étaient destinés aux forts Niagara et Frontenac. En mars, le Sieur de Léry attaqua et détruisit un fort britannique près du lac Ontario, capturant des munitions. Le Gouverneur général envoya ensuite 700 hommes sous les ordres du Sieur de Villiers pour observer les mouvements ennemis et intercepter leurs transports. Les Britanniques avaient établi trois forts à Choueguen (Oswego) sur le lac Ontario, violant les accords de paix et cherchant à contrôler le commerce des lacs et couper les communications françaises. À l'arrivée des troupes françaises commandées par Montcalm en mai, les préparatifs français étaient déjà en place. Le bataillon de Royal Roussillon fut envoyé sur le lac Saint-Sacrement, et celui de la Sarre à Frontenac. Le Chevalier de Lévis commanda sur le lac Saint-Sacrement, tandis que Montcalm se dirigea vers les zones menacées. En juin, des rapports indiquèrent que les Britanniques préparaient une offensive près du lac Saint-Sacrement. Les Français décidèrent de lancer une diversion sur le lac Ontario pour attirer les forces ennemies. Montcalm proposa de s'en charger et de tenter une attaque sur les établissements britanniques, notamment les forts de Choueguen. Le siège des forts de Choueguen fut résolu, mais les préparatifs nécessitaient du temps et de la discrétion. Le Sieur Bigot organisa les munitions et les convois. Le Sieur Rigaud de Vaudreuil prit le commandement du camp du Sieur de Villiers, et le Sieur de Bourlamaque commença les préparatifs à Frontenac. Le Sieur de Combles, ingénieur, fut envoyé en reconnaissance à Choueguen. Le 4 août, Montcalm s'embarqua à Frontenac avec la première division de ses troupes, composée des bataillons de la Sarre et de Guyenne, ainsi que quatre pièces de canon. Le 11 août, les Canadiens et les Sauvages investirent Fort Ontario. Le 12 août, le bataillon de Béarn arriva avec l'artillerie et les vivres. Une tranchée fut ouverte malgré les obstacles, et la garnison évacua Fort Ontario, abandonnant huit pièces de canon et quatre mortiers. Le 14 août, les assiégés arborèrent le drapeau blanc et acceptèrent la capitulation. La garnison ennemie perdit 152 hommes et plus de 620 prisonniers furent faits, incluant 80 officiers. Sept bâtiments de guerre et 200 bâtiments de transport furent capturés. Montcalm perdit trois hommes et environ vingt blessés légers. Le 21 août, après avoir achevé les démolitions et transporté les prisonniers, l'artillerie et les vivres, Montcalm se rembarqua avec les troupes. Cette expédition fut perçue comme un succès majeur, délivrant la colonie des inquiétudes causées par l'établissement de Choueguen et permettant de réunir les forces pour la défense des frontières.
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3
p. 206-208
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Montréal, le 6 Novembre.
Début :
Pendant que M. le Marquis de Montcalm faisoit, avec trois bataillons & 1500 hommes [...]
Mots clefs :
Montréal, Marquis de Montcalm, Siège de Chouagen, Chevalier de Leris, Bataillons, Camp de Carillon, Frontières, Les sauvages, Anglais, Français, Amérique
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texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre écrite de Montréal, le 6 Novembre.
EXTRAIT d'une Lettre écrite de Montréal
, le 6 Novembre .
PENDANT ENDANT que M. le Marquis de Montcalm faifoit
, avec trois bataillons & 1500 hommes de la
Colonie , le fiege de Chouagen , M. le Chevalier
de Leris , avec un corps de 3000 hommes , défendoit
la frontiere du Lac S. Sacrement. Une partie
de fes troupes étoit employée à y conſtruire le
Fort de Carillon , & l'autre occupoit en avant différens
poftes capables d'arrêter l'ennemi , s'il eût
voulu tenter l'exécution de projets annoncés dès la
campagne derniere . ; -
Le 6 Septembre , M. le Marquis de Montcalm
vint prendre le commandement du camp de Carillon
, & y amena deux des bataillons qui avoient
fait le fiege de Chouagen. Toutes les vues des ennemis
, depuis la perte de cette Place furtout ,
étoient dirigées vers cette frontiere . Ils y avoient
porté toutes leurs forces , & des préparatifs confidérables
fembloient annoncer qu'ils vouloient
nous venir attaquer avec un corps de 10 à 12000
hommes. Quoique nous n'en euffions pas plus de
4000 , nous étions prêts à les bien recevoir , &
leurs mouvemens ne nous ont jamais fait interrompre
les travaux de Carillon objet important
pour nous.
Tout s'eft enfin borné de part & d'autre à la
petite guerre. Nous y avons perdu 30 hommes environ,
prifonniers ou chevelures levées , & nos
MAR S. 1757. 207
A
Partis en ont pris ou tué près de 300. Un détachement
dans lequel j'avois été envoyé avec les
Sauvages , pour reconnoître le Fort Georges fitué
au fond du Lac S. Sacrement , a contraint les ennemis
d'abandonner des Illes qu'ils occupoient
dans ce Lac , & ayant rencontré un parti de 58
hommes à deux lieues du Fort , en a tué ou pris
57.
Les glaces ne permettent plus de tenir la campagne.
Norre arriere- garde , conduite par M. le
Chevalier de Leris , fe repliera du 10 au 15 : le
Fort de Carillon fera pour - lors en état de recevoir
& loger fa garnifon. Il eſt en vérité temps d'entrer
en quartier. J'ai fait dans mon particulier près de
soo lieues depuis mon arrivée en Canada.
Du côté de la belle riviere nous avons eu tout
l'avantage. Nos Sauvages ont fait abandonner les
habitations femées dans les vallées qui féparent les
chaînes des Apalaches , & forcé les Virginiens à ſe
retirer fur les bords de la mer . Les Anglois avoient
Jevées 1000 hommes équipés & matachés en
Sauvages , pour faire des courfes de ce côté. Cette
levée qui leur a coûté beaucoup , a aboutie à un
détachement qui eft venu mettre le feu à un Village
de Loups , & dont une partie a péri de mifere
dans les bois ; les autres ont été chaudement pourfuivis
par nos Sauvages , qui , je crois , leur ôteront
l'envie de les contrefaire .
Le corps que nous avions dans l'Acadie , s'eſt
foutenu toute la campagne , & a même pris aux
Anglois une grande quantité de beftiaux . Le Pere
Germain a raffemblé fur la Riviere & dans l'Ifle
S. Jean, environ 1500 Acadiens, que Penthoufiafme
du Miffionnaire anime . Des vaiffeaux de guerre
Anglois ont deux fois tenté une defcente à la
Baie de Gafpé : ils ont été repouffés avec perte
208 MERCURE DE FRANCE.
& nous sommes toujours maîtres de ce pofte im
portant. Les Sauvages des Pays d'en haut , excités .
par la prife de Chouagen , ont accepté la Hache
contre le Frere Coflar , & viendront nous joindre
će printemps. On dit même qu'il fe fait des mouvemens
en notre faveur dans le Confeil des cinq
Nations.
Telle a été la campagne en Amérique . Quoiqué
partout très- inférieurs en nombre aux ennemis ,
nous leur avons fermé les Pays d'en haut , en les
chaffant du Lac Ontario ; nous les avons empêché
d'exécuter leurs projets fur la frontiere du Lac S.
Sacrement , qu'ils menacent depuis trois ans , &
nous leur avons tué ou pris près de 4500 hommes
fans en perdre 100.
, le 6 Novembre .
PENDANT ENDANT que M. le Marquis de Montcalm faifoit
, avec trois bataillons & 1500 hommes de la
Colonie , le fiege de Chouagen , M. le Chevalier
de Leris , avec un corps de 3000 hommes , défendoit
la frontiere du Lac S. Sacrement. Une partie
de fes troupes étoit employée à y conſtruire le
Fort de Carillon , & l'autre occupoit en avant différens
poftes capables d'arrêter l'ennemi , s'il eût
voulu tenter l'exécution de projets annoncés dès la
campagne derniere . ; -
Le 6 Septembre , M. le Marquis de Montcalm
vint prendre le commandement du camp de Carillon
, & y amena deux des bataillons qui avoient
fait le fiege de Chouagen. Toutes les vues des ennemis
, depuis la perte de cette Place furtout ,
étoient dirigées vers cette frontiere . Ils y avoient
porté toutes leurs forces , & des préparatifs confidérables
fembloient annoncer qu'ils vouloient
nous venir attaquer avec un corps de 10 à 12000
hommes. Quoique nous n'en euffions pas plus de
4000 , nous étions prêts à les bien recevoir , &
leurs mouvemens ne nous ont jamais fait interrompre
les travaux de Carillon objet important
pour nous.
Tout s'eft enfin borné de part & d'autre à la
petite guerre. Nous y avons perdu 30 hommes environ,
prifonniers ou chevelures levées , & nos
MAR S. 1757. 207
A
Partis en ont pris ou tué près de 300. Un détachement
dans lequel j'avois été envoyé avec les
Sauvages , pour reconnoître le Fort Georges fitué
au fond du Lac S. Sacrement , a contraint les ennemis
d'abandonner des Illes qu'ils occupoient
dans ce Lac , & ayant rencontré un parti de 58
hommes à deux lieues du Fort , en a tué ou pris
57.
Les glaces ne permettent plus de tenir la campagne.
Norre arriere- garde , conduite par M. le
Chevalier de Leris , fe repliera du 10 au 15 : le
Fort de Carillon fera pour - lors en état de recevoir
& loger fa garnifon. Il eſt en vérité temps d'entrer
en quartier. J'ai fait dans mon particulier près de
soo lieues depuis mon arrivée en Canada.
Du côté de la belle riviere nous avons eu tout
l'avantage. Nos Sauvages ont fait abandonner les
habitations femées dans les vallées qui féparent les
chaînes des Apalaches , & forcé les Virginiens à ſe
retirer fur les bords de la mer . Les Anglois avoient
Jevées 1000 hommes équipés & matachés en
Sauvages , pour faire des courfes de ce côté. Cette
levée qui leur a coûté beaucoup , a aboutie à un
détachement qui eft venu mettre le feu à un Village
de Loups , & dont une partie a péri de mifere
dans les bois ; les autres ont été chaudement pourfuivis
par nos Sauvages , qui , je crois , leur ôteront
l'envie de les contrefaire .
Le corps que nous avions dans l'Acadie , s'eſt
foutenu toute la campagne , & a même pris aux
Anglois une grande quantité de beftiaux . Le Pere
Germain a raffemblé fur la Riviere & dans l'Ifle
S. Jean, environ 1500 Acadiens, que Penthoufiafme
du Miffionnaire anime . Des vaiffeaux de guerre
Anglois ont deux fois tenté une defcente à la
Baie de Gafpé : ils ont été repouffés avec perte
208 MERCURE DE FRANCE.
& nous sommes toujours maîtres de ce pofte im
portant. Les Sauvages des Pays d'en haut , excités .
par la prife de Chouagen , ont accepté la Hache
contre le Frere Coflar , & viendront nous joindre
će printemps. On dit même qu'il fe fait des mouvemens
en notre faveur dans le Confeil des cinq
Nations.
Telle a été la campagne en Amérique . Quoiqué
partout très- inférieurs en nombre aux ennemis ,
nous leur avons fermé les Pays d'en haut , en les
chaffant du Lac Ontario ; nous les avons empêché
d'exécuter leurs projets fur la frontiere du Lac S.
Sacrement , qu'ils menacent depuis trois ans , &
nous leur avons tué ou pris près de 4500 hommes
fans en perdre 100.
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Résumé : EXTRAIT d'une Lettre écrite de Montréal, le 6 Novembre.
En novembre 1757, le Marquis de Montcalm assiégeait Chouagen avec trois bataillons et 1500 hommes, tandis que le Chevalier de Leris défendait la frontière du Lac Saint-Sacrement avec 3000 hommes. Une partie de ces troupes construisait le Fort de Carillon, l'autre occupait des postes avancés. Le 6 septembre, Montcalm prit le commandement du camp de Carillon, renforcé par deux bataillons. Les ennemis, après avoir perdu Chouagen, concentraient leurs forces sur cette frontière, avec des préparatifs indiquant une attaque imminente par 10 000 à 12 000 hommes. Malgré leur infériorité numérique, les Français étaient prêts à défendre Carillon. Les affrontements se limitèrent à des escarmouches, avec environ 30 hommes français tués et près de 300 ennemis capturés ou tués. Un détachement français força les ennemis à abandonner des îles sur le Lac Saint-Sacrement et captura ou tua 57 hommes près du Fort Georges. Avec l'arrivée de l'hiver, les troupes se replièrent. Les Français et leurs alliés autochtones repoussèrent les Virginiens à la Belle Rivière et résistèrent aux attaques anglaises en Acadie. Les vaisseaux de guerre anglais tentèrent deux descentes à la Baie de Gaspé, mais furent repoussés. Les autochtones des Pays d'en haut se préparaient à rejoindre les Français au printemps. La campagne se conclut par une défense réussie des territoires français malgré leur infériorité numérique.
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4
p. 177-201
Nouvelles de la Cour, de Paris, &c.
Début :
Le 9 Octobre, sur les cinq heures de l'après-midi, Madame la Dauphine commença à sentir [...]
Mots clefs :
Naissance du Prince, Comte d'Artois, Famille royale, Cérémonie, Madame la Dauphine, Accession à des charges, Serment, Troupes, Actes de piété et démonstrations de joies, Députés, Canada, Anglais, Nouvelle France, Campagne militaire, Ennemis, Marquis de Vaudreuil, Forts, Expéditions, Batailles, Lieutenant, Colonel, Marquis de Montcalm, Capitaine, Soldats, Chevalier, Milices, Défense, Les sauvages, Camps, Protections, Artillerie, Siège, Victoire, M. Passemant, Miroir, Corsaires , Navires, Marchandises
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texteReconnaissance textuelle : Nouvelles de la Cour, de Paris, &c.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
I
E 9 Octobre , fur les cinq heures de l'aprèsmidi
, Madame la Dauphine commença à fentir
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
des douleurs. Vers les fept heures du foir , cette
Princeffe accoucha d'un Prince , que le Roi a nom.
mé Comte d'Artois. M. l'Abbé de Bouillé , Comtede
Lyon , & premier Aumônier de Sa Majeſté ,
fit , à fept heures un quart , la cérémonie de l'ondoyement
, en préfence du Curé de la Paroiffe da
Château . Monfieur Rouillé , Miniftre d'Etat , Sur
Intendant général des Poftes , & grand Tréforier
de l'Ordre du S. Elprit , ayant apporté le Cordon
de cet Ordre , eut l'honneur de le paffer au col
du Prince . Monfeigneur le Comte d'Artois fut enfuite
remis à la Comteffe de Marfan , Gouvernante.
des Enfans de France ; & elle le porta à l'appartement
qui lui étoit deſtiné . Ce Prince y fut conduit
par le Maréchal Duc de Luxembourg , Capitaine
des Gardes du Corps.
Le Roi & la Reine , accompagnés de la Famille
Royale , ainfi que des Princes & Princeffes du
Sang , des grands Officiers de la Couronne , des.
Miniftres , des Seigneurs & Dames de la Cour
& précédés des deux Huiffiers de la Chambre quis
portoient leurs maffes , fe rendirent le lendemain
à la Chapelle. Leurs Majeftés y entendirent la
Meffe , pendant laquelle M. Colin de Blamont ,
Chevalier de l'Ordre de S. Michel , & Sur- Intendant
de la Mufique de la Chambre , fit exécuter le
Te Deum en mufique , de fa compofition . Cette
Hymne fut entonnée par M. l'Abbé Gergois, Chapelain
ordinaire de la Chapelle- Mufique.
Après la Meffe , le Roi & la Reine , Monfeigneur
le Dauphin , Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
Monfeigneur le Duc de Berry , Monfeigneur le
Comte de Provence , Madame Infante Duchellede
Parme , Madame ,. & Mefdames Victoire , Sophie
& Louife , reçurent dans leurs appartemens
les révérences des Dames de la Cour , à l'occafion
NOVEMBRE. 1757 179
des couches de Madame la Dauphine , & de la
naiffance du Prince.
On tira le foir un bouquet d'artifice devant les
fenêtres du Roi.
Sa Majefté a fait partir Monfieur Pernot- du
Buat , un de fes Gentilshommes ordinaires
pour aller à Luneville donner part de la naiffance
de Monfeigneur le Comte d'Artois au Roi de Pologne
, Duc de Lorraine & de Bar.
Madame la Dauphine & le jeune Prince fe por--
tent auffi bien qu'on puiffe le défirer.
9"
Sur le premier avis que Madame la Dauphine:
avoit reffenti quelques douleurs , le Corps - de-Ville
s'étoit affemblé. A huit heures & demie du foir
le fieur d'Amfreville , Chefde Brigade des Gardes.
du Corps , vint lui apprendre , de la part du Roi,.
la naiffance d'un Prince. Auffi -tôt les Prevôt des
Marchands & Echevins firent annoncer à toute la
Ville , par une falve générale de l'artillerie , & par
la cloche de l'Hôtel- de-Ville , qui a fonné jufqu'au
lendemain minuit , la nouvelle faveur qu'il
a plu à Dieu d'accorder au Roi & à la Nation. On
tira le même foir dans la place de l'Hôtel - de-Ville :
un grand nombre de fufées volantes,
Le ro , les officiers des cérémonies étant ab--
fens , le fieur Ourfin de Soligny , Maître d'hôtel
du Roi , remit au Corps - de- Ville une lettre de Sa
Majefté. Il fut fait deux falves générales de l'artil
lerie , l'une dès le matin , l'autre vers les fix heu--
res du foir , après laquelle les Prevôt des Marchands
& Echevins allumerent,avec les cérémonies
accoutumées , le bucher qui avoit été dreffé dans
la place devant l'Hôtel- de- Villé . Ce feu fut accom.-
pagné d'une grande quantité d'artifice : On fit couler
dans la place plufieurs fontaines de vin , & l'on
diftribua du pain &. des. viandes au peuple . Des.
H.vj.
180 MERCURE DE FRANCE.
orcheftres remplis de muficiens , mêlerent le foa
de leurs inftrumens aux acclamations dictées paa
Palégretle publique. La façade de l'Hôtel- de-
Ville fut illuminée par plufieurs filets de terrines ,
ainfi que l'hotel du Prevôt des Marchands , & les
mailons des Echevins & Officiers du Bureau de la
Ville.
Le Roi a accordé à M. le Marquis de la Tour-
Dupin de Paulin le régiment de Guyenne , vacant
par la mort de M. le Conte de Montmorenci-
Laval , tué à la bataille de Haftembecke .
a
Le Roi ayant admis dans fon Confeil des Dépêches
les fieurs Gilber de Voyfins & Berryer , Confeillers
d'Etat , le 16 octobre ils eurent l'honneur
de faire leurs remerciemens à Sa Majeſté.
Sa Majesté a donné le gouvernement général de
l'Orléanois , vacant par la mort de M. le Duc d'Antin
, au Comte de Rochecouart , fon Miniftre
Plénipotentiaire à la Cour de Parme.
Le 19 , M. le Duc de Duras prêta ferment entre
les mains du Roi pour la charge de premier Gentilhomme
de la Chambre , vacante par la mort du
Duc de Gefvres.
Le même jour, M. le Marquis de Gontaut prêta
ferment entre les mains de Sa Majeſté , pour la
Lieutenance générale du Languedoc , vacante par
la mort de M. le Maréchal Duc de Mirepoix.
Le Roi a difpofé en faveur du Prince de Beauveau
, de la charge de Capitaine des Gardes du
Corps , qu'avoit auffi le feu Maréchal Duc de Mirepoix
Sa Majesté a accordé au Vicomte de Noë,
Chambellan du Duc d'Orléans , & Capitaine de
vaiffeau , un brevet de Colonel à la ſuite du régiment
d'Orléans cavalerie.
M. de Lamoignon de Bafville a obteau da
A
a.
I
fo
P
ve
G
M
G:
NOVEMBRE . 1757. 181
Roi l'agrément de la charge de Préſident du Par
lement , dont le fieur Molé , premier Préfident ,
étoit revêtu.
Le Roi a nommé M. le Comte des Salles, Capitaine
de Cavalerie dans le régiment d'Harcourt ,
à la place deColoneldans lesGrenadiers de France,
vacante par la nomination de M. le Marquis de la
Tour - Dupin de Paulin au régiment de Guyenne.
Les troupes de la Maiſon du Roi , qui avoient
été détachées pour la défenſe de nos côtes , ne
font point arrivées à leur deftination , par la
prompte retraite des Anglois , & ont eu ordre de
revenir. Les Gardes Françoifes & les Gardes Suiffes
qui étoient reftées à Tours , à Saumur & à
Blois , doivent fe rendre ici fucceffivement dans
Fla fin d'octobre , & au commencement de novembre.
Les détachemens des Gardes du Corps ,
Gendarmes de la Garde , Chevaux- Légers , &
Moufquetaires de la premiere Compagnie , font
tous partis le 19 octobre , d'Orléans , d'Eftampes ,
d'Arpajon & de Chartres , où ils étoient reftés. La
feconde Compagnie des Moufquetaires , & les
Grenadiers à cheval , qui avoient reçu des contreordres
à temps , n'ont point quitté leurs quartiers.
Madame la Dauphine étant accouchée d'un
Prince le 9 d'octobre , M. le Marquis de Paulmy ,
Miniftre & Sécretaire d'Etat , expédia fur le champ.
un courier aux Députés des Etats de la Province
d'Artois
, pour leur faire fçavoir que le Roi avoit
nommé le nouveau Prince , Comte de cette Pro-,
vince. Auffitôt que cette nouvelle fut portée à
Arras , Capitale de l'Artois , toutes les cloches de
la Ville fonnerent , les habitans fermerent d'euxmêmes
leurs boutiques , & coururent en foule à
P'Eglife , pour y rendre à Dieu des actions.de.gra
182 MERCURE DE FRANCE.
ees de l'heureuſe délivrance de Madame la Dau
phine , & lui demander la conſervation d'un
Prince qui leur eft d'autant plus cher , que la
Province , depuis cinq hecles , a été privée de
Phonneur de voir fon nom porté par un Prince
de la Maiſon Royale. Ces actes de piété furent
fuivis des démonftrations de la joie la plus vive.
La nouvelle fut bientôt répandue jufqu'aux extrê
mités de l'Artois ; & tous les peuples , à l'envi de
la Capitale , s'emprefferent de faire éclater lear
reconnoiffance & leur alegreffe . Les Etats de la
province s'affemblerent extraordinairement , &
éfolurent de nommer une députation folemnelle,
formée de trois perfonnes de chaque ordre , pour
aller , conjointement avec les députés ordinaires
qui réfident cette année à la fuite de la Cour , remercier
le Roi de lafaveur fignalée que Sa Majesté
vient d'accorder à l'Artois , & pour la féliciter ,
ainfi que la Famille royale , fur cet heureux évé
nement. Cette députation s'étant rendue à Verfailles
le Dimanche 16 d'octobre , elle fut admife
à l'audience du Roi , de la Reine , de Monseigneur
le Dauphin , de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, de Monfeigneur le Duc de Berry , de Mon
feigneur le Comte de Provence , de Monfeigneur
le Comte d'Artois , de Madame Infante Ducheffe
de Parme , de Madame , & de Meſdames Victoire ,
Sophie & Louife. Les Députés furent préfentés
par M. le Marquis de Paulmy , Miniftre & Secresaire
d'Etat , ayant le département de la Province,
& conduits par M. Defgranges , Maître des Céré
monies. La députation étoit compofée de MM. les
Evêques d'Arras , de Saint - Omer , l'Abbé de
Saint-Waak & l'Abbé de Cry , Chanoine de is
Cathédrale d'Arras , pour le Clergé ; de MM. le
Marquis de Creny , le Comte d'Houchin , k
Bar
記
acc
Co
On
La
Pa
4
#1
NOVEMBRE . 1757. 183:
Baron de Wifmes , & le Baron d'Haynin , pour la
Nobleffe ; de MM. de Canchy , Echevin de la ville
de Saint - Omer ; Cornuel & Goffes , Echevins de
la ville d'Arras , & de Gouves , Procureur du Roi
de la même ville , pour le Tiers - Etat. Elle étoit
accompagnée de M. le Premier Préfident & du .
Confeil Provincial d'Artois . M. l'Evêque de Saint-
Omer porta la parole , & exprima d'une maniere:
touchante les fentimens de joie , d'amour , de
refpect & de reconnoiffance, communs à tous les
habitans de l'Artois. Cette Province fut réunie à
la Couronne en 1199 , par Philippe Augufte. Il
Périgea en Comté , & la donna à fon fils aîné , depuis
Louis VIII . Ce Comté paffa enfuite à Robert,.
fecond fils de Louis , qui porta le nom de Comte:
d'Artois , & fut tué à la bataille de la Maffoure,
Philippe le Bel en 1297 érigea l'Artois en Comté
Pairie.
La Princeffe de Condé eft accouchée heureufe--
ment les d'Octobre d'une Princeffe.
Les mauvais fuccès que les Anglois ont éprouvés
dans les entreprifes qu'ils ont tentées , foit dans le
fein de la paix , foit depuis la déclaration de la
guerre , pour envahir le Canada , ne les ont point
rebutés . Perfonne n'ignore les préparatifs im
menfes qu'ils avoient faits pour l'attaquer cette
année tout à la fois par mer & du côté des
terres. Les forces navales , que le Roi a deſtinées
pour la défenſe de cette colonie , ont fait échouer
leur projet du côté de la mer; & les difpofitions:
qui ont été faites dans le pays , les ont mis éga
lement hors d'état de faire aucune tentative fur les
frontieres.
Dès la fin de la campagne de l'année derniere ,,
M. le Marquis de Vaudreuil, Gouverneur & Lieute
pant-Général de la Nouvelle France , s'occupa de
184 MERCURE DE FRANCE.
tous les arrangemens qu'il pouvoit y avoir à pren
dre pour le mettre en état de les repouffer de toutes
parts.
Il prit des mefures pour avoir des partis de Canadiens
& de Sauvages continuellement en cam.
pagne durant l'hyver. Les incurfions que ces détachemens
ont faites fur les ennemis leur ont ré
beaucoup de monde , & donné l'alarme à leurs
colonies, où ils ont fait beaucoup de ravages.
M. le Marquis de Vaudreuil s'eft appliqué authà
ménager les bonnes difpofitions des Nations Sauvages
, qui en général font foulevées contre l'iajuftice
des prétentions & la violence des procédés
des Anglois. Celles qui font anciennement alliées
de la France n'ont point ceffé de donner de nouvelles
preuves de leur fidélité , & ont été continuellement
en parti contre les ennemis. D'autres
Nations nombreuſes font entrées dans cette alliance
, & ont pris part à la guerre. Les Iroquois
eux-mêmes , ces Nations que les Anglois repréſen
tent à l'Europe comme leurs fujettes , animés des
mêmes motifs que les autres Sauvages , ont pris le
même parti , malgré les efforts de toute espece
que les Gouverneurs Anglois ont faits pour obtenir
d'eux qu'ils s'en tinffent à la neutralité qu'ils
avoient obfervée dans les guerres précédentes
d'entre la France & l'Angleterre.
C'eſt relativement aux avantages que M. le Marquis
de Vaudreuil s'eft vu en état de tirer des difpofitions
de toutes ces Nations , qu'il a réglé fes
opérations.
Il avoit jugé que les ennemis tourneroient leurs
principaux efforts du côté du Lac Saint- Sacrearent
& du Lac Champlain ; & il a donné une
attention particuliere à munir les Forts qui défendent
cette frontiere. Les ennemis ayant été infor
NOVEMBRE. 1757 . 185
més qu'on devoit faire pafler du Fort Saint-Fre
déric au Fort de Carillon quelques provifions fous
l'escorte d'un petit détachement , en envoyere t
un de quatre-vingts hommes d'élite , qui enleva les
premieres traînes de ce convoi & fept Soldats ;
mais le Commandant du Fort Saint- Frédéric fit
marcher un nouveau détachement qui coupa celui
des ennemis dans fon chemin , le défit entiérerement
, à l'exception de trois hommes qui fe
fauverent , & reprit les traînes dont les ennemis
s'étoient emparés , & trois Soldats qui reftoient
de ceux qui avoient été enlevés . Cette action fe
pafla au mois de Janvier. MM . de Bafferode & de
la Grandville , Capitaines aux Régimens de Languedoc
& de la Reine , y eurent la principale
part.
M. le Marquis de Vaudreuil apprit dans le même
temps que les ennemis avoient raflemblé au
Fort Georges fitué fur le Lac Saint -Sacrement ,
des approvifionnemens confidérables de toures
les efpeces , & qu'ils avoient fait conftruire fous
le canon de ce Fort un très -grand nombre de barques
, de bateaux & d'autres bâtimens , non-feulement
pour le tranfport de ces approvifionnemens
, mais encore pour s'affurer la navigation de
ce Lac. Il jugea que tous ces préparatifs étoient
deftinés pour des entreprifes que les ennemis fe
propofoient d'exécuter au printems. Pour leur en
ôter les moyens , il fit , matcher au mois de Mars
un détachement de quinze cens hommes de troupes
réglées , Canadiens & Sauvages , fous les ordres
de M. Rigaud- de Vaudreuil , Gouverneur
des Trois - Rivieres , qui réuffit fi bien dans fon
expédition , qu'il parvint à brûler tous les bâtimens
de mer , tous les magafins qui étoient rem➡
plis de toutes fortes de munitions & d'uftenfiles
186 MERCURE DE FRANCE.
pour une armée de quinze mille hommes , & généralement
tout ce que les ennemis avoient raſ◄
femblé fous le Fort , lequel refta ifolé.
M. le Marquis de Vaudreuil ne fe contenta
pas des obftacles qu'il oppofoit par- là à l'exécution
des projets des ennemis du côté du Lac Saint-Sacrement
, il fortifia de nouveau les garnifons des
poftes qui font fur cette frontiere ; & au moyen
du renfort de troupes & des autres fecours que le
Roi a fait paffer en Canada , ce Gouverneur s'eft
trouvé en état d'agir offenfivement contre les ennemis.
Du côté de la Belle Riviere , il a fait détruire
plufieurs petits Forts qu'ils y avoient établis .
Pour profiter efficacement des avantages de
Pexpédition de M. Rigaud , & de ceux de la fituation
où le trouvoit la colonie du côté de la mer ,
il a formé le projet de s'emparer du Fort Georges.
L'établiffement de ce Fort , qui n'avoit été fait
que depuis peu de temps, étoit une de ces invaſions
que les Anglois font dans l'ufage de faire en tems
de paix fur les poffeflions de leurs voisins ; & il
leur donnoit les plus grandes facilités pour atta
quer le Canada par fon centre.
M. le Marquis de Vaudreuil a chargé de cette
importante expédition M. le Marquis de Montcalm
, Maréchal de Camp. Le corps de troupes
qu'il y a deftiné , étoit compofé de fix bataillons
de troupes de terre , d'un détachement des
troupes réglées de la colonie , de plufieurs détachemens
de milices , & de plufieurs partis de
Sauvages. Toutes ces troupes ont été raſſemblées
le 20 Juillet à Carrillon , où M. de Bourlamaque
, Colonel d'Infanterie , avoit déja fait les dif
pofitions préliminaires pour la marche de l'armée.
M. le Marquis de Montcalm s'y étoit rende
Σ
&
C
C
f
C
་
NOVEMBRE. 1757. 187
quelque temps auparavant. En attendant que l'armée
pût le mettre en marche , il avoit détaché
M. de Rigaud- de Vaudreuil , pour s'emparer de
la tête du portage du Lac Saint- Sacrement , avec
un corps de troupes de la colonie , de Canadiens
& de Sauvages.
M. Kigaud- de Vaudreuil s'étant établi dans ce
pofte , il envoya trois détachemens à la découverte.
Le premier , qui n'étoit que de dix hommes ,
fut attaqué fur le Lac Saint- Saciement par plufieurs
canots , dans lefquels il y avoit cent vinge
à cent trente Anglois . Quoique M. de Saint-
Ours , Lieutenant des troupes de la Colonie ,
qui le commandoit , fût bleffé à la premiere décharge
, il fe défendit avec tant de fermeté , qu'il
obligea les ennemis à fe retirer.
Le fecond , qui étoit affez confidérable , fut
commandé par M. Marin , autre Lieutenant , quis
fe fit précéder par huit Sauvages qui faifoient fon
avant-garde , lefquels fe trouverent vis - àvis quarante
Anglois. Dès le premier abord , ils firent :
leur décharge fur les ennemis , tuerent leur Com
mandant , & mirent le refte en fuite. M. Marin ,,
ayant rejoint fon avant-garde , réduifit fon détachement
à cent cinquante hommes d'élite . Il fe
porta près du Fort Edouard , éloigné de quelques.
lieues du Fort Georges , fans être découvert. Il défit
d'abord une patrouille de dix hommes , enfuite
une garde ordinaire de cinquante hommes ,
& plufieurs travailleurs. Il fe préfenta à la vue da
camp des ennemis , qui fortirent au nombre de
trois mille hommes faifant feu fur lui . Il le foutine
pendant deux heures. Ce ne fut même qu'avec
peine qu'il obligea les Sauvages qui étoient avec
ui , à fe retirer, Il tua dans certe action plus de
"
H
188 MERCURE DE FRANCE. Re
*
cent cinquante hommes , à quarante defquels les
Sauvages leverent la chevelure. Il n'en perdit pas
un feul & il n'y eut de bleffés que deux Sauvages.
Le troifieme détachement , commandé par M.
Corbiere , autre Officier de la Colonie , fe tint
embufqué pendant une journée. Au commencement
de la nuit , il apperçut fur le Lac vingt Berges
& deux Efquifs , dans lefquels il y avoit plus
de trois cens cinquante Anglois , commandés par
le Colonel Parker , cinq Capitaines , & fix autres
Officiers. Les Sauvages qui étoient avec lui firent
leur cri & leur décharge en même temps. Les
ennemis firent une foible réſiſtance. Deux feules
Berges fe fauverent , les autres furent prifes ou
coulées à fond. M. Corbier revint avec ceat
foixante-un prifonniers . Il y eut plus de cent cinquante
Anglois tués ou noyés ; & dans le détachement
François , il n'y eut qu'un Sauvage blee
affez légèrement .
M. le Marquis de Montcalm s'occupoit cependant
des difpofitions de fa marche . Il diftribua les
miliciens en plufieurs bataillons , dont il donnale
commandement à des Officiers des troupes de la
Colonie ; & des compagnies détachées de ces treapes
, il compofa un bataillon pour rouler avec
ceux des troupes de terre . H donna auffi à M. de
Villiers , Capitaine de celles de la Colonie , &
connu par plufieurs expéditions qu'il a exécutées
dans cette guerre , un corps de trois cens volontaires
Canadiens ; de maniere que l'armée le
trouva compofée de trois brigades de troupes ré-
'glées , qui étoient la brigade de la Reine , formée
des bataillons de la Reine & Languedoc , &
de celui des troupes de la Colonie ; la Brigade de
Sarre , des bataillons de la Sarre & de Guyen
d
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fa:
Ca
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Sa
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&
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སྒོ་
de
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9-
E
NOVEMBRE . 1757. 189
celle de Royal- Rouffillon , des bataillons de
Royal- Rouffillon & Bearn ; de fix brigades de
milices , des trois cens volontaires de Villiers , &
d'un détachement d'artillerie & de génie , compofé
de fept Officiers , & d'environ cent vingt
canonniers , bombardiers ou ouvriers . Tous ces
corps ne faifoient cependant enſemble que cinq
mille cinq cens combattans , non compris les
Sauvages qui étoient au nombre d'environ dixhuit
cens , parce que M. le Marquis de Montcalm
fut obligé de prendre dans les troupes quelques
détachemens , tant pour la garnifon du Fort de
Carillon , que pour quelques autres poftes .
Il étoit queftion de tranfporter par terre & à
bras d'hommes , depuis Carillon jufqu'au Lac
Saint-Sacrement , non feulement l'artillerie & les
munitions de guerre & de bouche de toute espece,
mais encore plus de quatre cens bateaux & canots ;
& cette opération fut fuivie avec tant de foin ,
qu'elle fut achevée la nuit du 31 Juillet au premier
Août.
Dès le 30 Juillet M. le Marquis de Montcalm
avoit fait partir M. le Chevalier de Levis , Brigadier
, à la tête d'un corps de deux mille cinq cens
hommes compofé de fix compagnies de Grenadiers
, huit piquets des volontaires de Villiers ,
d'environ mille Canadiens , & cinq cens Sauvages
, pour marcher au travers des bois , affurer
la navigation de l'armée , reconnoître & couvrir
fes débarquemens. Malgré les difficultés & les
fatigues de cette marche , cet Officier prit pofte
dès le lendemain au foir à la Baie de Ganaouské ,
qui n'eft qu'à quatre lieues du Fort Georges.
Le premier Août l'armée s'embarqua , & arriva
le 2 à trois heures du matin dans cette même
Baic. M. le Chevalier de Levis en repartit avec
190 MERCURE DE FRANCE.
fon détachement à dix heures , fe porta à une anfe
éloignée du Fort Anglois d'environ une lieue , &
fut reconnoître le Fort , la pofition des ennemis ,
& le débarquement propre à l'artillerie L'armée
arriva fur les onze heures du foir à cette même
anfe , & tout le monde reſta au bivouac .
Des prifonniers , qui furent faits pendant la
nuit des Canadiens & des Sauvages , rappor
par
terent que le nombre des ennemis pouvoit monter
à trois mille hommes , dont cinq cens étoient actuellement
dans le Fort , & le refte dans un camp
retranché qui étoit placé fur une hauteur à deux
cens toiles du Fort & à portée d'en rafraîchir continuellement
la garnifon. Ils ajouterent qu'au fignal
d'un coup de canon , toutes les troupes devoient
prendre les armes.
Sur ce rapport , qui s'accordoit avec les connoiffances
que M. le Chevalier de Levis avoit pri
fes fur la polition des ennemis , M. le Marquis de
Montcalm donna fur le champ l'ordre de marche
de l'armée , dont la difpofition fut faite pour recevoir
les ennemis , en cas qu'ils vinfſent à fa rencontre
, & pour , dans le cas où ils ne viendroient
pas , inveftir la place , & même attaquer le camp
retranché , s'il étoit jugé fufceptible d'une attaque
de vive force .
Le 3 à la pointe du jour , l'armée ſe mit en
marche.
M. le Chevalier de Levis faifoit l'avant-garde
avec fon corps , une partie des milices & tous les
Sauvages. Les bataillons & le refte des milices
marchoient enfuite en colonne , M. Rigaud-de
Vaudreuil à la droite , M. de Bourlamaque à la
gauche , & M. le Marquis de Montcalm dans le
centre. M. de Privat , Lieutenant- Colonel , avoit
été placé avec cinq cens hommes de troupes &
NOVEMBRE. 1757. 198
ane brigade de milices à la garde des bateaux &
de l'artillerie.
A midi , l'inveſtiſſement fut entierement formé
M. le Marquis de Montcalm , qui s'étoit porté à
l'avant -garde , ayant reconnu qu'il ne pouvoit at
taquer les retranchemens des ennemis , fans trop
compromettte fes forces , envoya ordre à M. de
Bourlamaque d'affeoir le camp de l'armée , la
gauche au Lac , la droite à des ravines preſque
inacceffibles , & d'y conduire fur le champ les
brigades de la Sarre & de Royal- Rouffillon . Pour
lui , avec la brigade de la Reine & une brigade de
milices , il paffa la nuit au bivouac , à portée de
foutenir le camp que M. le Chevalier de Levis occupoit
avec l'avant-garde fur le chemin du Forg
Gorges au Fort Edouard.
Comme ce pofte de l'avant -garde étoit trop
éloigné du ſiege , des bateaux & des vivres , elle
fe rapprocha le 4 au matin. M. le Marquis de
Montcalm ramena les deux brigades qu'il avoit
avec lui , prendre leur place dans le camp. L'ar
mée deſtinée à faire le fiege fe trouva alors poſtée ,
& compofée de fept bataillons de troupes , & de
deux brigades de milices. M. le Chevalier de Le
vis & M. Rigaud- de Vaudreuil , avec le refte des
milices , les volontaires de Villiers , & tous les
Sauvages , furent chargés de couvrir la droite du
camp , d'obferver les mouvemens des ennemis du
côté du chemin du Fort Edouard , & de leur don
ner à croire , par des mouvemens continuels , que
cette communication étoit encore occupée.
Dans l'après- midi du même jour 4 , on mar
qua le dépot de la tranchée. On fit le chemin de
ce dépôt au camp , les fafcines , gabions & fauciffons
néceffaires pour le travail de cette premiere
nuit ; & l'on mit en état une anfe , à laquelle le
192 MERCURE DE FRANCE.
dépôt aboutifloit , pour y pouvoir débarquer dans
la nuit l'artillerie à mesure qu'on en auroit befoin.
La nuit du 4 aus , on ouvrit la tranchée à 350
toiles du Fort d'attaque , embraffant le front du
Nord-Oueſt : cette tranchée étoit une espece de
premiere parallele. On commença auffi deux batteries
avec leur communication à la parallele.
Dans la journée dus , les travailleurs de jour
perfectionnerent les ouvrages de la nuit. Mais on
fut obligé de retirer un peu plus en arriere la gauche
du camp de l'armée , laquelle fe trouvoit trop
expofée au feu de la Place.
Le même jour , les Sauvages intercepterent
une lettre du Général Webb , écrite du Fort
Edquard en date du 4 à minuit . Il mandoit au
Commandant du Fort Georges , qu'auffitôt après
J'arrivée des milices des provinces auxquelles il
avoit envoyéordre devenir le joindre fur le champ,
il s'avanceroir pour combattre l'armée Françoife ;
que cependant , fi ces milices arrivoient trop tard
le Commandant fît enforte d'obtenir les meilleures
conditions qu'il pourroit. Cette lettre détermina
M. le Marquis de Montcalm à accélérer encore
la construction des batteries ; & le nombre
des travailleurs fut augmenté.
La nuit dus au6 , on acheva la batterie de la
gauche qui fut en état de tirer à la pointe du jour ;
elle étoit de huit pieces de canon & d'un mortier,
& elle battoit le front d'attaque & la rade des barques.
On acheva auſſi la communication de la batterie
de la droite avec la parallele , & l'on avança
confidérablement cette batterie.
La nuit du 6 au7 , on conduifit un boyau de
Iso toifes en avant fur la capitale du Baftion de
P'Ouest , & l'on acheva la batterie de la droite.
Elle étoit de huit pieces de canon , d'un mortier
&
te
fe
NOVEMBRE . 1757. 193
& de deux obufiers : elle battoit en écharpant le
front d'attaque , & à ricochet le camp retranché.
Elle fut démafquée à fept heures du matin ; &
après une double falve des deux batteries , M. le
Marquis de Montcalm jugea à propos de faire porter
au Commandant de la Place la lettre du Général
Webb , par M. de Bougainville un de fes Aides
de camp.
La nuit du 7 au 8 , les travailleurs cheminant
fur la Place , en continuant le boyau commencé
la veille , lequel fut conduit à 100 toifes du foffé,
ouvrirent auffi à l'extrêmité de ce boyau , un cro
chet pour y établir une troifieme batterie , & y
loger de la moufqueterie . Vers minuit , les enne
mis firent fortir trois cens hommes du camp retranché
. M. de Villiers tomba fur eux avec un
petit nombre de Canadiens & de Sauvages , leur
tua foixante hommes , fit deux prifonniers , &
força le refte à rentrer dans le camp.
Le travail de la nuit avoit conduit à un marais
P'environ so toifes de paffage , qu'un côteau qui
e bordoit mettoit à couvert des batteries de la
Place , à l'exception de 10 toifes de longueur ,
bendant lefquelles on étoit expoſé au feu de ces
batteries. Quoiqu'en plein jour , M. le Marquis
le Montcalm fit faire ce paffage comme celui
l'un foffé de place rempli d'eau , les fappeurs s'y
orterent avec tant de vivacité , que , malgré le
eu du canon & de la moufqueterie des ennemis ,
I fut achevé dans la matinée même , & qu'avant
a nuit une chauffée capable de fupporter l'artilleie
fe trouva pratiquée dans le marais. La moufueterie
des Canadiens & des Sauvages , qui tisient
aux embrafures du Fort , diminua beauoup
durant cette journée le feu des ennemis .
A quatre heures du foir , les Sauvages- Décou
I
194 MERCURE DE FRANCE.
vreurs rapporterent qu'un gros corps d'armée
marchoit au fecours de la place par le chemin du
Fort Edouard . M. le Chevalier de Levis s'y por
fur le champ avec la plus grande partie des Canadiens
& tous les Sauvages. M. le Marquis de
Montcalm ne tarda pas à le joindre avec la brigade
de la Reine & une brigade de milices . Il s'avançoit
en bataille prêt à recevoir l'ennemi ; les
bataillons en colone fur le grand chemin , les
Canadiens & les Sauvages fur les aîles dans les
bois , lorfqu'il apprit que la nouvelle étoit faufle.
Il fit rentrer les troupes dans leur camp . Ce mor
vement ne caufa aucun dérangement aux travar
du fiege ; & la promptitude avec laquelle il f
exécuté , fit un très -bon effet dans l'efprit des
Sauvages.
La nuit du 8 au 9 , on déboucha du marais pur
un boyau fervant de communication à la feconde
parallele qui fut ouverte fur la crête du côteau, &
fort avancée dans la nuit. C'eft de cette parallele
qu'on devoit partir pour établir les batteries de
breche , & en la prolongeant , envelopper le Fort
& couper la communication avec le retranche
ment , laquelle jufqu'alors avoit été libre. L
affiégés n'en donnerent pas le temps à huit he
res du matin ils arborerent pavillon blanc .
201
tro
le
fet
M. le Marquis de Montcalm dit au Colonel Co
Yong , envoyé par le Commandant pour trait
de la capitulation , qu'il ne pouvoit en fignera
cune fans en avoir auparavant communiqué les
ticles aux Sauvages. Deux motifs l'engageoiesti
ce ménagement pour eux : il croyoit le devoir
confiance & à la foumiffion avec lesquelles ils s
toient prêtés depuis le commencement de l'exp
dition à l'exécution des ordres qu'il leur avoit do
nés , & de toutes les propofitions qu'il leur apo
la
M
NOVEMBRE. 1757. 195
faites ; & il vouloit les mettre par -là dans l'obli
gation de ne rien faire de contraire à la capitulation
qui feroit arrêtée. Il convoqua donc fur le
champ un Confeil Général de tous les Sauvages.
Il expofa aux Chefs les conditions auxquelles les
Anglois offroient de fe rendre , & celles qu'il
étoit réfolu de leur accorder. Les Chefs s'en rapporterent
à tout ce qu'il feroit , & lui promirent
de s'y conformer , & d'empêcher que leurs jeunes
gens n'y contrevinffent directement ni indirectement.
M. le Marquis de Montcalm envoya immédia
tement après ce confeil , M. de Bougainville ,
pour rédiger la capitulation avec le Colonel Monro
, Commandant de la Place & du camp retran,
ché. Les principaux articles furent :
Que les troupes , tant de la garniſon que du
retranchement , fortiroient avec leurs bagages &
les honneurs de la guerre , & qu'elles fe retiroient
au Fort Edouard .
Que pour les garantir contre les Sauvages ,
elles feroient eſcortées par un détachement de
troupes Françoifes , & par les principaux Officiers
& interprêtes attachés aux Sauvages .
Qu'elles ne pourroient fervir de 18 mois , ni
contre le Roi , ni contre fes Alliés ;
Et que , dans l'efpace de trois mois , tous les
prifonniers François , Canadiens & Sauvages , faits
par terre dans l'Amérique feptentrionale , depuis
le commencement de la guerre par les Anglois ,
feroient conduits aux forts François de la frontiere.
Cette capitulation fut fignée à midi , & auffitôt
la garnifon fortit du fort pour joindre les troupes
du retranchement ; & M. de Bourlamaque prit
poffeffion du fort avec les troupes de la tranchée.
M. le Marquis de Montcalm envoya en même
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
temps au camp retranché , une garde que le Colo:
nel Monro lui avoit demandée , & il ordonna aux
Officiers & Interprêtes attachés aux Sauvages , dy
demeurer jufqu'au départ des Anglois , qui fe
trouvoient au nombre de 2264 hommes effectifs.
Malgré toutes ces précautions , & malgré les affu
rances que les Chefs Sauvages avoient données ,
lorfqu'il fut queftion de la capitulation , les Sauvages
firent du défordre dans le camp des Anglois.
M. le Marquis de Montcalm y accourut avec un
détachement de fes troupes. Les Sauvages avoient
déja fait un affez grand nombre de prifonniers ,&
en avoient même amené quelques-uns. Il fit rea
dre ceux qui reftoient , & M. le Marquis de Vaudreuil
a fait renvoyer les autres .
M. le Marquis de Montcalm a fait rafer le fort,
& détruire tout ce qui en dépendoit , conformé
ment aux inftructions qui lui avoient été données
par M. le Marquis de Vaudreuil. Il s'eft trouvé ,
tant dans le fort que dans le camp retranché , 23
pieces de canon , dont plufieurs de 32 livres , quatre
mortiers , un obufier , dix- fept pierriers , en
viron trente- fix milliers de poudre , beaucoup de
boulets , bombes , grenades , balles , avec tou
tes fortes de munitions & uftenfúles d'artillerie . On
y a trouvé auffi une provifion affez confidérable de
vivres , malgré le pillage que les Sauvages en ont
fait.
Les François n'ont eu que treize hommes de
tués & quarante de bleffés dans ce fiege. M. le
Febvre , Lieutenant des Grenadiers du régiment
Royal Rouflillon , eft du nombre des derniers par
un éclat de bombe : fa bleffure eft à la main. liby
point eu d'autres officiers tués ni bleſſés. Les enne .
mis y ont perdu cent huit hommes , & en ont eu
deux cens cinquante de blefiés,
Επ
le
C
tre
Aqde
B
NOVEMBRE. 1757. 197
"
Durant tout le fiége , l'armée a été prefque toute
entiere jour & nuit de fervice , foit à la tranchée ,
foit au camp , foit dans les bois , pour faire les
fafcines , gabions & fauciffons néceflaires . On a
fait avec la pioche , la hache & la fcie fix cens toifes
de tranchée aflez large pour y charroyer de
front deux pieces de canon les abattis , dont
tout le terrein étoit embarraffé, empêchant de les
faire paffer fur les revers. C'eſt à la fageffe des
difpofitions que M. le Marquis de Montcalm a
faites , & à l'activité avec laquelle il en a fuivi
l'exécution , que le fuccès de cette expédition eft
principalement dû. Il a été parfaitement fecondé
dans toutes les opérations par M. le Chevalier de
Levis , par M. Rigaud- de Vaudreuil , & par M,
de Bourlamaque. Les détails particuliers de l'artillerie
& du génie ont été très -bien remplis par M.
le Chevalier le Mercier , qui commandoit l'artillerie
, & par MM . Defaidouin & Lotbiniere ,
Ingénieur . Les Officiers & Soldats des troupes de
terre & de la colonie , ainfi que les milices & les
Officiers qui les commandoient , ont donné les
plus grandes marques de valeur & de bonne volonté
; & jamais les Sauvages n'avoient fait paroître
tant de fermeté & de conftance : ils avoient demandé
à monter à l'affaut avec les grenadiers , &
ils en attendoient le moment avec impatience.
Ce nouveau fuccès , qui a répandu une joie
générale dans la colonie de Canada , a animé
de plus en plus le zele avec lequel les habitans
s'efforcent de répondre aux mefures dont le Roi a
la bonté de s'occuper pour la défenfe de cette colonie
, & de feconder les foins que M. le Marquis
de Vaudreuil ne ceffe point de fe donner pour tout
ce qui peut y avoir rapport.
·
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
vent
trol
de
L
des
Le Roi ayant été informé que les paroiffesel
de Piriac & de Mefquer au Diocefe de Nantes
avoient été prefque entiérement ravagées le
27 juin dernier , par un orage mêlé de grêle
d'une groffeur extraordinaire , a fait toucher
aux Recteurs de ces deux paroiffes , la fomme de
fix mille livres pour être par eux employées en
achat de grains , & diftribuées fous l'inſpection
de M. le Comte de la Bourdonnaye- du Bois- Hullin
, Procureur- Général , Syndic des Etats de Bre- pe
tagne , tant pour enfemencer les terres , que pour
la nourriture des habitans dont les recoltes ont
été défolées par ce fléau . Cette nouvelle caracterife
notre Monarque plus glorieux encore par
fon humanité que par les victoires.
Co
I
M. Paffemant Ingénieur du Roi au Louvre ,
étoit déja connu pour Auteur de la fameufe
pendule couronnée d'une fphere mouvante , pla
cée en 1753 dans le cabinet du Roi à Verfailles
; fphere dont les révolutions font fi juftes , ue
qu'au jugement de l'Académie où l'on voit l'ertrait
page 183 de l'année 1749 de fes mémoires
, il n'y a pas en trois mil ans un feul degré
de différence avee les tables aftronomiques.
11 vient encore de finir pour le Roi deur
piéces uniques qu'on peut regarder comme chefd'oeuvres
, c'eft premiérement un grand miroir
de 45 pouces
de diametre qu'il a eu l'honneur
de préfenter au Roi le 13 août dernier , avec M.
de Bernieres , dans le pavillon conftruit par ordre
de Sa Majesté à la meute , pour le télescope ,
les ouvrages & les obfervations du pere Noël.
La glace de ce miroir a été courbée , par les
foins de M. de Buffon , dans un fourneau qu'i
avoit fait conftruire au Jardin Royal. M , Palle
mant l'a fait travailler au Louvre fous les yeur ,
M
174
Le
les
NOVEMBRE . 1757 . 199
& elle a été étamée d'une façon nouvelle , inventée
par M. de Bernieres , un des quatre Controlleurs
des ponts & chauflées.
Le Roi parut très - content des grands effets
de ce miroir. Si on y préfente des tableaux
même de fix pieds de grandeur , repréfentans
des vues de Paris , de Venife , des ports de
mer , des bâtimens , on croit voir de véritables
objets de grandeur naturelle : ainfi avec un fimple
deflein , on voit un bâtiment dans toute
la grandeur où il fera , & on juge de fon apparence
future. Un Peintre qui travaille à une
petite miniature , quelque petite qu'elle foit ,
peut la voir de grandeur naturelle , & peut par
conféquent fentir & corriger les moindres dé
fauts.
A
La chimie n'en tirera pas de moindres avantages.
On peut juger des grands effets de ce miroir
fur les métaux par la promptitude avec laquelle
il agit , l'argent a été fondu en trois fecondes.
M. Paffemant eut encore l'honneur de préfenter
au Roi un télescope aftéroftatique de fon invention
, dont il avoit lu un projet à l'Académie en
1746 , & qui avoit mérité fon approbation. Ce
télescope eft garni d'un midiometre : il fuit le
mouvement du ciel . Si on le met fur la lune , il
femble qu'elle foit fans mouvement ; fi on veut
voir enfuite une autre planete , il y a un ajuftement
qui le regle dans le moment pour cet aftre.
Il eft conduit par une mécanique toute nouvelle ,
fans aucun tremblement , ni agitation . Comme
les aftres paroiffent fixes , on peut obferver avec
une grande facilité : on peut placer les fils du midiometre
fur fes objets avec toute l'exactitude
poffible. Il eft propre à prendre la parallaxe de
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Mars en fecondes de degrés au lieu de fecondes
de temps ainfi au lieu de deux fecondes , on
aura trente fecondes de degrés ; on obfervera facilement
la route des cometes : il fera d'une
grande utilité pour les paffages de Mercure fut
le difque du foleil, en l'année 1761 ; obſervation
qui n'a été faite qu'une feule fois , & par un
feul Obfervateur en l'année 1639.
Le Pere Noël repéta devant Sa Majefté les erpériences
d'une machine pneumatique nouvelle ,
& de plufieurs autres inftrumens qu'il avoit eu
P'honneur de lui préfenter au mois de mars dernier.
Le Roi parut fatisfait de tous ces ouvrages ,
qu'il examina pendant une heure .
Mefdames de France vinrent enfuite , & paffe
rent près de trois heures pendant lefquelles les
mêmes chofes furent répétées en leur préfence *
à leur fatisfaction .
Le corfaire le Romieu , de Saint - Malo , com
mandé par le Capitaine Morel , a conduit en ce
port le navire Anglois la Pensilvanie de 250 ton
neaux , qui alloit de Philadelphie à Londres, avec
une cargaifon de bois de Campêche , de pellete
zies , de café & d'autres marchandiſes.
Un navire Anglois de 300 tonneaux , chargé de
tabac , a été pris par le corfaire Entreprenant ,
qui l'a fait conduire å Morlaix.
Le Capitaine la Lande , commandant un corfaire
de Bordeaux , appellé le Prevêt de Paris , s'eft
rendu maître du corfaire le Hazard de Grenezey,
ayant 6 canons , 8 pierriers & 37 hommes d'équi
page , & il a repris le navire l'Aimable Jolie de
Bordeaux , & un autre bâtiment du même port ,
dont les Anglois s'étoient emparés.
Les navires Anglois le Prince d'Orange , chargé
de bois de Campeche , & le Saint - Eustache , de
NOVEMBRE . 1757. 201
Saint-Eustache , dont la cargaifon confifte en fucre
& en café , ont été pris par les corfaires la
Marquise de Salba & le d'Etigny de Bayonne , ou
ils font arrivés .
Les corfaires la Favorite & la Providence , de
Saint-Jean -de-Luz , fe font rendus maîtres , Pun
du navire Anglois la Sufanne , de Malblebard ,
chargé de 2200 quintaux de morue , l'autre d'un
Senaw , qui a pour cargaifon 334 barriques de
fardines.
Le Capitaine Papin , commandant le corfaire
la Marquise de Beringhen , de Boulogne , s'eft
emparé à la côte d'Angleterre du navire Anglois
l'Endeavour , de 100 tonneaux , deftiné pour la
Barbade , où il portoit un chargement compofé
de cire blanche , de farine , de boeuf falé & de
fromage.
Le même corfaire a pris un bateau de 25 à 39
tonneaux , chargé de caffonnade , de poudre à
canon , de chanvre & de fuif.
Le corfaire Anglois l'Epervier , armé de 10 canons
, 12 pierriers , & so hommes d'équipage , a
été pris par le Capitaine Berlamont , commandant
le corfaire l'Afie , de Dunkerque , & il a été conduit
au Havre.
On mande de Nantes , qu'il y eft arrivé un
fenaw Anglois appellé le Caton , de Vhul , armé
de 6 canons & de 4 pierriers , & chargé pour la
Jamaïque de munitions de guerre & de bouche ,
d'armes & de marchandifes feches . Ce bâtiment
a été pris par le Capitaine Poitevin , commandant
le navire la France.
I
E 9 Octobre , fur les cinq heures de l'aprèsmidi
, Madame la Dauphine commença à fentir
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
des douleurs. Vers les fept heures du foir , cette
Princeffe accoucha d'un Prince , que le Roi a nom.
mé Comte d'Artois. M. l'Abbé de Bouillé , Comtede
Lyon , & premier Aumônier de Sa Majeſté ,
fit , à fept heures un quart , la cérémonie de l'ondoyement
, en préfence du Curé de la Paroiffe da
Château . Monfieur Rouillé , Miniftre d'Etat , Sur
Intendant général des Poftes , & grand Tréforier
de l'Ordre du S. Elprit , ayant apporté le Cordon
de cet Ordre , eut l'honneur de le paffer au col
du Prince . Monfeigneur le Comte d'Artois fut enfuite
remis à la Comteffe de Marfan , Gouvernante.
des Enfans de France ; & elle le porta à l'appartement
qui lui étoit deſtiné . Ce Prince y fut conduit
par le Maréchal Duc de Luxembourg , Capitaine
des Gardes du Corps.
Le Roi & la Reine , accompagnés de la Famille
Royale , ainfi que des Princes & Princeffes du
Sang , des grands Officiers de la Couronne , des.
Miniftres , des Seigneurs & Dames de la Cour
& précédés des deux Huiffiers de la Chambre quis
portoient leurs maffes , fe rendirent le lendemain
à la Chapelle. Leurs Majeftés y entendirent la
Meffe , pendant laquelle M. Colin de Blamont ,
Chevalier de l'Ordre de S. Michel , & Sur- Intendant
de la Mufique de la Chambre , fit exécuter le
Te Deum en mufique , de fa compofition . Cette
Hymne fut entonnée par M. l'Abbé Gergois, Chapelain
ordinaire de la Chapelle- Mufique.
Après la Meffe , le Roi & la Reine , Monfeigneur
le Dauphin , Monfeigneur le Duc de Bourgogne ,
Monfeigneur le Duc de Berry , Monfeigneur le
Comte de Provence , Madame Infante Duchellede
Parme , Madame ,. & Mefdames Victoire , Sophie
& Louife , reçurent dans leurs appartemens
les révérences des Dames de la Cour , à l'occafion
NOVEMBRE. 1757 179
des couches de Madame la Dauphine , & de la
naiffance du Prince.
On tira le foir un bouquet d'artifice devant les
fenêtres du Roi.
Sa Majefté a fait partir Monfieur Pernot- du
Buat , un de fes Gentilshommes ordinaires
pour aller à Luneville donner part de la naiffance
de Monfeigneur le Comte d'Artois au Roi de Pologne
, Duc de Lorraine & de Bar.
Madame la Dauphine & le jeune Prince fe por--
tent auffi bien qu'on puiffe le défirer.
9"
Sur le premier avis que Madame la Dauphine:
avoit reffenti quelques douleurs , le Corps - de-Ville
s'étoit affemblé. A huit heures & demie du foir
le fieur d'Amfreville , Chefde Brigade des Gardes.
du Corps , vint lui apprendre , de la part du Roi,.
la naiffance d'un Prince. Auffi -tôt les Prevôt des
Marchands & Echevins firent annoncer à toute la
Ville , par une falve générale de l'artillerie , & par
la cloche de l'Hôtel- de-Ville , qui a fonné jufqu'au
lendemain minuit , la nouvelle faveur qu'il
a plu à Dieu d'accorder au Roi & à la Nation. On
tira le même foir dans la place de l'Hôtel - de-Ville :
un grand nombre de fufées volantes,
Le ro , les officiers des cérémonies étant ab--
fens , le fieur Ourfin de Soligny , Maître d'hôtel
du Roi , remit au Corps - de- Ville une lettre de Sa
Majefté. Il fut fait deux falves générales de l'artil
lerie , l'une dès le matin , l'autre vers les fix heu--
res du foir , après laquelle les Prevôt des Marchands
& Echevins allumerent,avec les cérémonies
accoutumées , le bucher qui avoit été dreffé dans
la place devant l'Hôtel- de- Villé . Ce feu fut accom.-
pagné d'une grande quantité d'artifice : On fit couler
dans la place plufieurs fontaines de vin , & l'on
diftribua du pain &. des. viandes au peuple . Des.
H.vj.
180 MERCURE DE FRANCE.
orcheftres remplis de muficiens , mêlerent le foa
de leurs inftrumens aux acclamations dictées paa
Palégretle publique. La façade de l'Hôtel- de-
Ville fut illuminée par plufieurs filets de terrines ,
ainfi que l'hotel du Prevôt des Marchands , & les
mailons des Echevins & Officiers du Bureau de la
Ville.
Le Roi a accordé à M. le Marquis de la Tour-
Dupin de Paulin le régiment de Guyenne , vacant
par la mort de M. le Conte de Montmorenci-
Laval , tué à la bataille de Haftembecke .
a
Le Roi ayant admis dans fon Confeil des Dépêches
les fieurs Gilber de Voyfins & Berryer , Confeillers
d'Etat , le 16 octobre ils eurent l'honneur
de faire leurs remerciemens à Sa Majeſté.
Sa Majesté a donné le gouvernement général de
l'Orléanois , vacant par la mort de M. le Duc d'Antin
, au Comte de Rochecouart , fon Miniftre
Plénipotentiaire à la Cour de Parme.
Le 19 , M. le Duc de Duras prêta ferment entre
les mains du Roi pour la charge de premier Gentilhomme
de la Chambre , vacante par la mort du
Duc de Gefvres.
Le même jour, M. le Marquis de Gontaut prêta
ferment entre les mains de Sa Majeſté , pour la
Lieutenance générale du Languedoc , vacante par
la mort de M. le Maréchal Duc de Mirepoix.
Le Roi a difpofé en faveur du Prince de Beauveau
, de la charge de Capitaine des Gardes du
Corps , qu'avoit auffi le feu Maréchal Duc de Mirepoix
Sa Majesté a accordé au Vicomte de Noë,
Chambellan du Duc d'Orléans , & Capitaine de
vaiffeau , un brevet de Colonel à la ſuite du régiment
d'Orléans cavalerie.
M. de Lamoignon de Bafville a obteau da
A
a.
I
fo
P
ve
G
M
G:
NOVEMBRE . 1757. 181
Roi l'agrément de la charge de Préſident du Par
lement , dont le fieur Molé , premier Préfident ,
étoit revêtu.
Le Roi a nommé M. le Comte des Salles, Capitaine
de Cavalerie dans le régiment d'Harcourt ,
à la place deColoneldans lesGrenadiers de France,
vacante par la nomination de M. le Marquis de la
Tour - Dupin de Paulin au régiment de Guyenne.
Les troupes de la Maiſon du Roi , qui avoient
été détachées pour la défenſe de nos côtes , ne
font point arrivées à leur deftination , par la
prompte retraite des Anglois , & ont eu ordre de
revenir. Les Gardes Françoifes & les Gardes Suiffes
qui étoient reftées à Tours , à Saumur & à
Blois , doivent fe rendre ici fucceffivement dans
Fla fin d'octobre , & au commencement de novembre.
Les détachemens des Gardes du Corps ,
Gendarmes de la Garde , Chevaux- Légers , &
Moufquetaires de la premiere Compagnie , font
tous partis le 19 octobre , d'Orléans , d'Eftampes ,
d'Arpajon & de Chartres , où ils étoient reftés. La
feconde Compagnie des Moufquetaires , & les
Grenadiers à cheval , qui avoient reçu des contreordres
à temps , n'ont point quitté leurs quartiers.
Madame la Dauphine étant accouchée d'un
Prince le 9 d'octobre , M. le Marquis de Paulmy ,
Miniftre & Sécretaire d'Etat , expédia fur le champ.
un courier aux Députés des Etats de la Province
d'Artois
, pour leur faire fçavoir que le Roi avoit
nommé le nouveau Prince , Comte de cette Pro-,
vince. Auffitôt que cette nouvelle fut portée à
Arras , Capitale de l'Artois , toutes les cloches de
la Ville fonnerent , les habitans fermerent d'euxmêmes
leurs boutiques , & coururent en foule à
P'Eglife , pour y rendre à Dieu des actions.de.gra
182 MERCURE DE FRANCE.
ees de l'heureuſe délivrance de Madame la Dau
phine , & lui demander la conſervation d'un
Prince qui leur eft d'autant plus cher , que la
Province , depuis cinq hecles , a été privée de
Phonneur de voir fon nom porté par un Prince
de la Maiſon Royale. Ces actes de piété furent
fuivis des démonftrations de la joie la plus vive.
La nouvelle fut bientôt répandue jufqu'aux extrê
mités de l'Artois ; & tous les peuples , à l'envi de
la Capitale , s'emprefferent de faire éclater lear
reconnoiffance & leur alegreffe . Les Etats de la
province s'affemblerent extraordinairement , &
éfolurent de nommer une députation folemnelle,
formée de trois perfonnes de chaque ordre , pour
aller , conjointement avec les députés ordinaires
qui réfident cette année à la fuite de la Cour , remercier
le Roi de lafaveur fignalée que Sa Majesté
vient d'accorder à l'Artois , & pour la féliciter ,
ainfi que la Famille royale , fur cet heureux évé
nement. Cette députation s'étant rendue à Verfailles
le Dimanche 16 d'octobre , elle fut admife
à l'audience du Roi , de la Reine , de Monseigneur
le Dauphin , de Monfeigneur le Duc de Bourgogne
, de Monfeigneur le Duc de Berry , de Mon
feigneur le Comte de Provence , de Monfeigneur
le Comte d'Artois , de Madame Infante Ducheffe
de Parme , de Madame , & de Meſdames Victoire ,
Sophie & Louife. Les Députés furent préfentés
par M. le Marquis de Paulmy , Miniftre & Secresaire
d'Etat , ayant le département de la Province,
& conduits par M. Defgranges , Maître des Céré
monies. La députation étoit compofée de MM. les
Evêques d'Arras , de Saint - Omer , l'Abbé de
Saint-Waak & l'Abbé de Cry , Chanoine de is
Cathédrale d'Arras , pour le Clergé ; de MM. le
Marquis de Creny , le Comte d'Houchin , k
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4
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NOVEMBRE . 1757. 183:
Baron de Wifmes , & le Baron d'Haynin , pour la
Nobleffe ; de MM. de Canchy , Echevin de la ville
de Saint - Omer ; Cornuel & Goffes , Echevins de
la ville d'Arras , & de Gouves , Procureur du Roi
de la même ville , pour le Tiers - Etat. Elle étoit
accompagnée de M. le Premier Préfident & du .
Confeil Provincial d'Artois . M. l'Evêque de Saint-
Omer porta la parole , & exprima d'une maniere:
touchante les fentimens de joie , d'amour , de
refpect & de reconnoiffance, communs à tous les
habitans de l'Artois. Cette Province fut réunie à
la Couronne en 1199 , par Philippe Augufte. Il
Périgea en Comté , & la donna à fon fils aîné , depuis
Louis VIII . Ce Comté paffa enfuite à Robert,.
fecond fils de Louis , qui porta le nom de Comte:
d'Artois , & fut tué à la bataille de la Maffoure,
Philippe le Bel en 1297 érigea l'Artois en Comté
Pairie.
La Princeffe de Condé eft accouchée heureufe--
ment les d'Octobre d'une Princeffe.
Les mauvais fuccès que les Anglois ont éprouvés
dans les entreprifes qu'ils ont tentées , foit dans le
fein de la paix , foit depuis la déclaration de la
guerre , pour envahir le Canada , ne les ont point
rebutés . Perfonne n'ignore les préparatifs im
menfes qu'ils avoient faits pour l'attaquer cette
année tout à la fois par mer & du côté des
terres. Les forces navales , que le Roi a deſtinées
pour la défenſe de cette colonie , ont fait échouer
leur projet du côté de la mer; & les difpofitions:
qui ont été faites dans le pays , les ont mis éga
lement hors d'état de faire aucune tentative fur les
frontieres.
Dès la fin de la campagne de l'année derniere ,,
M. le Marquis de Vaudreuil, Gouverneur & Lieute
pant-Général de la Nouvelle France , s'occupa de
184 MERCURE DE FRANCE.
tous les arrangemens qu'il pouvoit y avoir à pren
dre pour le mettre en état de les repouffer de toutes
parts.
Il prit des mefures pour avoir des partis de Canadiens
& de Sauvages continuellement en cam.
pagne durant l'hyver. Les incurfions que ces détachemens
ont faites fur les ennemis leur ont ré
beaucoup de monde , & donné l'alarme à leurs
colonies, où ils ont fait beaucoup de ravages.
M. le Marquis de Vaudreuil s'eft appliqué authà
ménager les bonnes difpofitions des Nations Sauvages
, qui en général font foulevées contre l'iajuftice
des prétentions & la violence des procédés
des Anglois. Celles qui font anciennement alliées
de la France n'ont point ceffé de donner de nouvelles
preuves de leur fidélité , & ont été continuellement
en parti contre les ennemis. D'autres
Nations nombreuſes font entrées dans cette alliance
, & ont pris part à la guerre. Les Iroquois
eux-mêmes , ces Nations que les Anglois repréſen
tent à l'Europe comme leurs fujettes , animés des
mêmes motifs que les autres Sauvages , ont pris le
même parti , malgré les efforts de toute espece
que les Gouverneurs Anglois ont faits pour obtenir
d'eux qu'ils s'en tinffent à la neutralité qu'ils
avoient obfervée dans les guerres précédentes
d'entre la France & l'Angleterre.
C'eſt relativement aux avantages que M. le Marquis
de Vaudreuil s'eft vu en état de tirer des difpofitions
de toutes ces Nations , qu'il a réglé fes
opérations.
Il avoit jugé que les ennemis tourneroient leurs
principaux efforts du côté du Lac Saint- Sacrearent
& du Lac Champlain ; & il a donné une
attention particuliere à munir les Forts qui défendent
cette frontiere. Les ennemis ayant été infor
NOVEMBRE. 1757 . 185
més qu'on devoit faire pafler du Fort Saint-Fre
déric au Fort de Carillon quelques provifions fous
l'escorte d'un petit détachement , en envoyere t
un de quatre-vingts hommes d'élite , qui enleva les
premieres traînes de ce convoi & fept Soldats ;
mais le Commandant du Fort Saint- Frédéric fit
marcher un nouveau détachement qui coupa celui
des ennemis dans fon chemin , le défit entiérerement
, à l'exception de trois hommes qui fe
fauverent , & reprit les traînes dont les ennemis
s'étoient emparés , & trois Soldats qui reftoient
de ceux qui avoient été enlevés . Cette action fe
pafla au mois de Janvier. MM . de Bafferode & de
la Grandville , Capitaines aux Régimens de Languedoc
& de la Reine , y eurent la principale
part.
M. le Marquis de Vaudreuil apprit dans le même
temps que les ennemis avoient raflemblé au
Fort Georges fitué fur le Lac Saint -Sacrement ,
des approvifionnemens confidérables de toures
les efpeces , & qu'ils avoient fait conftruire fous
le canon de ce Fort un très -grand nombre de barques
, de bateaux & d'autres bâtimens , non-feulement
pour le tranfport de ces approvifionnemens
, mais encore pour s'affurer la navigation de
ce Lac. Il jugea que tous ces préparatifs étoient
deftinés pour des entreprifes que les ennemis fe
propofoient d'exécuter au printems. Pour leur en
ôter les moyens , il fit , matcher au mois de Mars
un détachement de quinze cens hommes de troupes
réglées , Canadiens & Sauvages , fous les ordres
de M. Rigaud- de Vaudreuil , Gouverneur
des Trois - Rivieres , qui réuffit fi bien dans fon
expédition , qu'il parvint à brûler tous les bâtimens
de mer , tous les magafins qui étoient rem➡
plis de toutes fortes de munitions & d'uftenfiles
186 MERCURE DE FRANCE.
pour une armée de quinze mille hommes , & généralement
tout ce que les ennemis avoient raſ◄
femblé fous le Fort , lequel refta ifolé.
M. le Marquis de Vaudreuil ne fe contenta
pas des obftacles qu'il oppofoit par- là à l'exécution
des projets des ennemis du côté du Lac Saint-Sacrement
, il fortifia de nouveau les garnifons des
poftes qui font fur cette frontiere ; & au moyen
du renfort de troupes & des autres fecours que le
Roi a fait paffer en Canada , ce Gouverneur s'eft
trouvé en état d'agir offenfivement contre les ennemis.
Du côté de la Belle Riviere , il a fait détruire
plufieurs petits Forts qu'ils y avoient établis .
Pour profiter efficacement des avantages de
Pexpédition de M. Rigaud , & de ceux de la fituation
où le trouvoit la colonie du côté de la mer ,
il a formé le projet de s'emparer du Fort Georges.
L'établiffement de ce Fort , qui n'avoit été fait
que depuis peu de temps, étoit une de ces invaſions
que les Anglois font dans l'ufage de faire en tems
de paix fur les poffeflions de leurs voisins ; & il
leur donnoit les plus grandes facilités pour atta
quer le Canada par fon centre.
M. le Marquis de Vaudreuil a chargé de cette
importante expédition M. le Marquis de Montcalm
, Maréchal de Camp. Le corps de troupes
qu'il y a deftiné , étoit compofé de fix bataillons
de troupes de terre , d'un détachement des
troupes réglées de la colonie , de plufieurs détachemens
de milices , & de plufieurs partis de
Sauvages. Toutes ces troupes ont été raſſemblées
le 20 Juillet à Carrillon , où M. de Bourlamaque
, Colonel d'Infanterie , avoit déja fait les dif
pofitions préliminaires pour la marche de l'armée.
M. le Marquis de Montcalm s'y étoit rende
Σ
&
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་
NOVEMBRE. 1757. 187
quelque temps auparavant. En attendant que l'armée
pût le mettre en marche , il avoit détaché
M. de Rigaud- de Vaudreuil , pour s'emparer de
la tête du portage du Lac Saint- Sacrement , avec
un corps de troupes de la colonie , de Canadiens
& de Sauvages.
M. Kigaud- de Vaudreuil s'étant établi dans ce
pofte , il envoya trois détachemens à la découverte.
Le premier , qui n'étoit que de dix hommes ,
fut attaqué fur le Lac Saint- Saciement par plufieurs
canots , dans lefquels il y avoit cent vinge
à cent trente Anglois . Quoique M. de Saint-
Ours , Lieutenant des troupes de la Colonie ,
qui le commandoit , fût bleffé à la premiere décharge
, il fe défendit avec tant de fermeté , qu'il
obligea les ennemis à fe retirer.
Le fecond , qui étoit affez confidérable , fut
commandé par M. Marin , autre Lieutenant , quis
fe fit précéder par huit Sauvages qui faifoient fon
avant-garde , lefquels fe trouverent vis - àvis quarante
Anglois. Dès le premier abord , ils firent :
leur décharge fur les ennemis , tuerent leur Com
mandant , & mirent le refte en fuite. M. Marin ,,
ayant rejoint fon avant-garde , réduifit fon détachement
à cent cinquante hommes d'élite . Il fe
porta près du Fort Edouard , éloigné de quelques.
lieues du Fort Georges , fans être découvert. Il défit
d'abord une patrouille de dix hommes , enfuite
une garde ordinaire de cinquante hommes ,
& plufieurs travailleurs. Il fe préfenta à la vue da
camp des ennemis , qui fortirent au nombre de
trois mille hommes faifant feu fur lui . Il le foutine
pendant deux heures. Ce ne fut même qu'avec
peine qu'il obligea les Sauvages qui étoient avec
ui , à fe retirer, Il tua dans certe action plus de
"
H
188 MERCURE DE FRANCE. Re
*
cent cinquante hommes , à quarante defquels les
Sauvages leverent la chevelure. Il n'en perdit pas
un feul & il n'y eut de bleffés que deux Sauvages.
Le troifieme détachement , commandé par M.
Corbiere , autre Officier de la Colonie , fe tint
embufqué pendant une journée. Au commencement
de la nuit , il apperçut fur le Lac vingt Berges
& deux Efquifs , dans lefquels il y avoit plus
de trois cens cinquante Anglois , commandés par
le Colonel Parker , cinq Capitaines , & fix autres
Officiers. Les Sauvages qui étoient avec lui firent
leur cri & leur décharge en même temps. Les
ennemis firent une foible réſiſtance. Deux feules
Berges fe fauverent , les autres furent prifes ou
coulées à fond. M. Corbier revint avec ceat
foixante-un prifonniers . Il y eut plus de cent cinquante
Anglois tués ou noyés ; & dans le détachement
François , il n'y eut qu'un Sauvage blee
affez légèrement .
M. le Marquis de Montcalm s'occupoit cependant
des difpofitions de fa marche . Il diftribua les
miliciens en plufieurs bataillons , dont il donnale
commandement à des Officiers des troupes de la
Colonie ; & des compagnies détachées de ces treapes
, il compofa un bataillon pour rouler avec
ceux des troupes de terre . H donna auffi à M. de
Villiers , Capitaine de celles de la Colonie , &
connu par plufieurs expéditions qu'il a exécutées
dans cette guerre , un corps de trois cens volontaires
Canadiens ; de maniere que l'armée le
trouva compofée de trois brigades de troupes ré-
'glées , qui étoient la brigade de la Reine , formée
des bataillons de la Reine & Languedoc , &
de celui des troupes de la Colonie ; la Brigade de
Sarre , des bataillons de la Sarre & de Guyen
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NOVEMBRE . 1757. 189
celle de Royal- Rouffillon , des bataillons de
Royal- Rouffillon & Bearn ; de fix brigades de
milices , des trois cens volontaires de Villiers , &
d'un détachement d'artillerie & de génie , compofé
de fept Officiers , & d'environ cent vingt
canonniers , bombardiers ou ouvriers . Tous ces
corps ne faifoient cependant enſemble que cinq
mille cinq cens combattans , non compris les
Sauvages qui étoient au nombre d'environ dixhuit
cens , parce que M. le Marquis de Montcalm
fut obligé de prendre dans les troupes quelques
détachemens , tant pour la garnifon du Fort de
Carillon , que pour quelques autres poftes .
Il étoit queftion de tranfporter par terre & à
bras d'hommes , depuis Carillon jufqu'au Lac
Saint-Sacrement , non feulement l'artillerie & les
munitions de guerre & de bouche de toute espece,
mais encore plus de quatre cens bateaux & canots ;
& cette opération fut fuivie avec tant de foin ,
qu'elle fut achevée la nuit du 31 Juillet au premier
Août.
Dès le 30 Juillet M. le Marquis de Montcalm
avoit fait partir M. le Chevalier de Levis , Brigadier
, à la tête d'un corps de deux mille cinq cens
hommes compofé de fix compagnies de Grenadiers
, huit piquets des volontaires de Villiers ,
d'environ mille Canadiens , & cinq cens Sauvages
, pour marcher au travers des bois , affurer
la navigation de l'armée , reconnoître & couvrir
fes débarquemens. Malgré les difficultés & les
fatigues de cette marche , cet Officier prit pofte
dès le lendemain au foir à la Baie de Ganaouské ,
qui n'eft qu'à quatre lieues du Fort Georges.
Le premier Août l'armée s'embarqua , & arriva
le 2 à trois heures du matin dans cette même
Baic. M. le Chevalier de Levis en repartit avec
190 MERCURE DE FRANCE.
fon détachement à dix heures , fe porta à une anfe
éloignée du Fort Anglois d'environ une lieue , &
fut reconnoître le Fort , la pofition des ennemis ,
& le débarquement propre à l'artillerie L'armée
arriva fur les onze heures du foir à cette même
anfe , & tout le monde reſta au bivouac .
Des prifonniers , qui furent faits pendant la
nuit des Canadiens & des Sauvages , rappor
par
terent que le nombre des ennemis pouvoit monter
à trois mille hommes , dont cinq cens étoient actuellement
dans le Fort , & le refte dans un camp
retranché qui étoit placé fur une hauteur à deux
cens toiles du Fort & à portée d'en rafraîchir continuellement
la garnifon. Ils ajouterent qu'au fignal
d'un coup de canon , toutes les troupes devoient
prendre les armes.
Sur ce rapport , qui s'accordoit avec les connoiffances
que M. le Chevalier de Levis avoit pri
fes fur la polition des ennemis , M. le Marquis de
Montcalm donna fur le champ l'ordre de marche
de l'armée , dont la difpofition fut faite pour recevoir
les ennemis , en cas qu'ils vinfſent à fa rencontre
, & pour , dans le cas où ils ne viendroient
pas , inveftir la place , & même attaquer le camp
retranché , s'il étoit jugé fufceptible d'une attaque
de vive force .
Le 3 à la pointe du jour , l'armée ſe mit en
marche.
M. le Chevalier de Levis faifoit l'avant-garde
avec fon corps , une partie des milices & tous les
Sauvages. Les bataillons & le refte des milices
marchoient enfuite en colonne , M. Rigaud-de
Vaudreuil à la droite , M. de Bourlamaque à la
gauche , & M. le Marquis de Montcalm dans le
centre. M. de Privat , Lieutenant- Colonel , avoit
été placé avec cinq cens hommes de troupes &
NOVEMBRE. 1757. 198
ane brigade de milices à la garde des bateaux &
de l'artillerie.
A midi , l'inveſtiſſement fut entierement formé
M. le Marquis de Montcalm , qui s'étoit porté à
l'avant -garde , ayant reconnu qu'il ne pouvoit at
taquer les retranchemens des ennemis , fans trop
compromettte fes forces , envoya ordre à M. de
Bourlamaque d'affeoir le camp de l'armée , la
gauche au Lac , la droite à des ravines preſque
inacceffibles , & d'y conduire fur le champ les
brigades de la Sarre & de Royal- Rouffillon . Pour
lui , avec la brigade de la Reine & une brigade de
milices , il paffa la nuit au bivouac , à portée de
foutenir le camp que M. le Chevalier de Levis occupoit
avec l'avant-garde fur le chemin du Forg
Gorges au Fort Edouard.
Comme ce pofte de l'avant -garde étoit trop
éloigné du ſiege , des bateaux & des vivres , elle
fe rapprocha le 4 au matin. M. le Marquis de
Montcalm ramena les deux brigades qu'il avoit
avec lui , prendre leur place dans le camp. L'ar
mée deſtinée à faire le fiege fe trouva alors poſtée ,
& compofée de fept bataillons de troupes , & de
deux brigades de milices. M. le Chevalier de Le
vis & M. Rigaud- de Vaudreuil , avec le refte des
milices , les volontaires de Villiers , & tous les
Sauvages , furent chargés de couvrir la droite du
camp , d'obferver les mouvemens des ennemis du
côté du chemin du Fort Edouard , & de leur don
ner à croire , par des mouvemens continuels , que
cette communication étoit encore occupée.
Dans l'après- midi du même jour 4 , on mar
qua le dépot de la tranchée. On fit le chemin de
ce dépôt au camp , les fafcines , gabions & fauciffons
néceffaires pour le travail de cette premiere
nuit ; & l'on mit en état une anfe , à laquelle le
192 MERCURE DE FRANCE.
dépôt aboutifloit , pour y pouvoir débarquer dans
la nuit l'artillerie à mesure qu'on en auroit befoin.
La nuit du 4 aus , on ouvrit la tranchée à 350
toiles du Fort d'attaque , embraffant le front du
Nord-Oueſt : cette tranchée étoit une espece de
premiere parallele. On commença auffi deux batteries
avec leur communication à la parallele.
Dans la journée dus , les travailleurs de jour
perfectionnerent les ouvrages de la nuit. Mais on
fut obligé de retirer un peu plus en arriere la gauche
du camp de l'armée , laquelle fe trouvoit trop
expofée au feu de la Place.
Le même jour , les Sauvages intercepterent
une lettre du Général Webb , écrite du Fort
Edquard en date du 4 à minuit . Il mandoit au
Commandant du Fort Georges , qu'auffitôt après
J'arrivée des milices des provinces auxquelles il
avoit envoyéordre devenir le joindre fur le champ,
il s'avanceroir pour combattre l'armée Françoife ;
que cependant , fi ces milices arrivoient trop tard
le Commandant fît enforte d'obtenir les meilleures
conditions qu'il pourroit. Cette lettre détermina
M. le Marquis de Montcalm à accélérer encore
la construction des batteries ; & le nombre
des travailleurs fut augmenté.
La nuit dus au6 , on acheva la batterie de la
gauche qui fut en état de tirer à la pointe du jour ;
elle étoit de huit pieces de canon & d'un mortier,
& elle battoit le front d'attaque & la rade des barques.
On acheva auſſi la communication de la batterie
de la droite avec la parallele , & l'on avança
confidérablement cette batterie.
La nuit du 6 au7 , on conduifit un boyau de
Iso toifes en avant fur la capitale du Baftion de
P'Ouest , & l'on acheva la batterie de la droite.
Elle étoit de huit pieces de canon , d'un mortier
&
te
fe
NOVEMBRE . 1757. 193
& de deux obufiers : elle battoit en écharpant le
front d'attaque , & à ricochet le camp retranché.
Elle fut démafquée à fept heures du matin ; &
après une double falve des deux batteries , M. le
Marquis de Montcalm jugea à propos de faire porter
au Commandant de la Place la lettre du Général
Webb , par M. de Bougainville un de fes Aides
de camp.
La nuit du 7 au 8 , les travailleurs cheminant
fur la Place , en continuant le boyau commencé
la veille , lequel fut conduit à 100 toifes du foffé,
ouvrirent auffi à l'extrêmité de ce boyau , un cro
chet pour y établir une troifieme batterie , & y
loger de la moufqueterie . Vers minuit , les enne
mis firent fortir trois cens hommes du camp retranché
. M. de Villiers tomba fur eux avec un
petit nombre de Canadiens & de Sauvages , leur
tua foixante hommes , fit deux prifonniers , &
força le refte à rentrer dans le camp.
Le travail de la nuit avoit conduit à un marais
P'environ so toifes de paffage , qu'un côteau qui
e bordoit mettoit à couvert des batteries de la
Place , à l'exception de 10 toifes de longueur ,
bendant lefquelles on étoit expoſé au feu de ces
batteries. Quoiqu'en plein jour , M. le Marquis
le Montcalm fit faire ce paffage comme celui
l'un foffé de place rempli d'eau , les fappeurs s'y
orterent avec tant de vivacité , que , malgré le
eu du canon & de la moufqueterie des ennemis ,
I fut achevé dans la matinée même , & qu'avant
a nuit une chauffée capable de fupporter l'artilleie
fe trouva pratiquée dans le marais. La moufueterie
des Canadiens & des Sauvages , qui tisient
aux embrafures du Fort , diminua beauoup
durant cette journée le feu des ennemis .
A quatre heures du foir , les Sauvages- Décou
I
194 MERCURE DE FRANCE.
vreurs rapporterent qu'un gros corps d'armée
marchoit au fecours de la place par le chemin du
Fort Edouard . M. le Chevalier de Levis s'y por
fur le champ avec la plus grande partie des Canadiens
& tous les Sauvages. M. le Marquis de
Montcalm ne tarda pas à le joindre avec la brigade
de la Reine & une brigade de milices . Il s'avançoit
en bataille prêt à recevoir l'ennemi ; les
bataillons en colone fur le grand chemin , les
Canadiens & les Sauvages fur les aîles dans les
bois , lorfqu'il apprit que la nouvelle étoit faufle.
Il fit rentrer les troupes dans leur camp . Ce mor
vement ne caufa aucun dérangement aux travar
du fiege ; & la promptitude avec laquelle il f
exécuté , fit un très -bon effet dans l'efprit des
Sauvages.
La nuit du 8 au 9 , on déboucha du marais pur
un boyau fervant de communication à la feconde
parallele qui fut ouverte fur la crête du côteau, &
fort avancée dans la nuit. C'eft de cette parallele
qu'on devoit partir pour établir les batteries de
breche , & en la prolongeant , envelopper le Fort
& couper la communication avec le retranche
ment , laquelle jufqu'alors avoit été libre. L
affiégés n'en donnerent pas le temps à huit he
res du matin ils arborerent pavillon blanc .
201
tro
le
fet
M. le Marquis de Montcalm dit au Colonel Co
Yong , envoyé par le Commandant pour trait
de la capitulation , qu'il ne pouvoit en fignera
cune fans en avoir auparavant communiqué les
ticles aux Sauvages. Deux motifs l'engageoiesti
ce ménagement pour eux : il croyoit le devoir
confiance & à la foumiffion avec lesquelles ils s
toient prêtés depuis le commencement de l'exp
dition à l'exécution des ordres qu'il leur avoit do
nés , & de toutes les propofitions qu'il leur apo
la
M
NOVEMBRE. 1757. 195
faites ; & il vouloit les mettre par -là dans l'obli
gation de ne rien faire de contraire à la capitulation
qui feroit arrêtée. Il convoqua donc fur le
champ un Confeil Général de tous les Sauvages.
Il expofa aux Chefs les conditions auxquelles les
Anglois offroient de fe rendre , & celles qu'il
étoit réfolu de leur accorder. Les Chefs s'en rapporterent
à tout ce qu'il feroit , & lui promirent
de s'y conformer , & d'empêcher que leurs jeunes
gens n'y contrevinffent directement ni indirectement.
M. le Marquis de Montcalm envoya immédia
tement après ce confeil , M. de Bougainville ,
pour rédiger la capitulation avec le Colonel Monro
, Commandant de la Place & du camp retran,
ché. Les principaux articles furent :
Que les troupes , tant de la garniſon que du
retranchement , fortiroient avec leurs bagages &
les honneurs de la guerre , & qu'elles fe retiroient
au Fort Edouard .
Que pour les garantir contre les Sauvages ,
elles feroient eſcortées par un détachement de
troupes Françoifes , & par les principaux Officiers
& interprêtes attachés aux Sauvages .
Qu'elles ne pourroient fervir de 18 mois , ni
contre le Roi , ni contre fes Alliés ;
Et que , dans l'efpace de trois mois , tous les
prifonniers François , Canadiens & Sauvages , faits
par terre dans l'Amérique feptentrionale , depuis
le commencement de la guerre par les Anglois ,
feroient conduits aux forts François de la frontiere.
Cette capitulation fut fignée à midi , & auffitôt
la garnifon fortit du fort pour joindre les troupes
du retranchement ; & M. de Bourlamaque prit
poffeffion du fort avec les troupes de la tranchée.
M. le Marquis de Montcalm envoya en même
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
temps au camp retranché , une garde que le Colo:
nel Monro lui avoit demandée , & il ordonna aux
Officiers & Interprêtes attachés aux Sauvages , dy
demeurer jufqu'au départ des Anglois , qui fe
trouvoient au nombre de 2264 hommes effectifs.
Malgré toutes ces précautions , & malgré les affu
rances que les Chefs Sauvages avoient données ,
lorfqu'il fut queftion de la capitulation , les Sauvages
firent du défordre dans le camp des Anglois.
M. le Marquis de Montcalm y accourut avec un
détachement de fes troupes. Les Sauvages avoient
déja fait un affez grand nombre de prifonniers ,&
en avoient même amené quelques-uns. Il fit rea
dre ceux qui reftoient , & M. le Marquis de Vaudreuil
a fait renvoyer les autres .
M. le Marquis de Montcalm a fait rafer le fort,
& détruire tout ce qui en dépendoit , conformé
ment aux inftructions qui lui avoient été données
par M. le Marquis de Vaudreuil. Il s'eft trouvé ,
tant dans le fort que dans le camp retranché , 23
pieces de canon , dont plufieurs de 32 livres , quatre
mortiers , un obufier , dix- fept pierriers , en
viron trente- fix milliers de poudre , beaucoup de
boulets , bombes , grenades , balles , avec tou
tes fortes de munitions & uftenfúles d'artillerie . On
y a trouvé auffi une provifion affez confidérable de
vivres , malgré le pillage que les Sauvages en ont
fait.
Les François n'ont eu que treize hommes de
tués & quarante de bleffés dans ce fiege. M. le
Febvre , Lieutenant des Grenadiers du régiment
Royal Rouflillon , eft du nombre des derniers par
un éclat de bombe : fa bleffure eft à la main. liby
point eu d'autres officiers tués ni bleſſés. Les enne .
mis y ont perdu cent huit hommes , & en ont eu
deux cens cinquante de blefiés,
Επ
le
C
tre
Aqde
B
NOVEMBRE. 1757. 197
"
Durant tout le fiége , l'armée a été prefque toute
entiere jour & nuit de fervice , foit à la tranchée ,
foit au camp , foit dans les bois , pour faire les
fafcines , gabions & fauciffons néceflaires . On a
fait avec la pioche , la hache & la fcie fix cens toifes
de tranchée aflez large pour y charroyer de
front deux pieces de canon les abattis , dont
tout le terrein étoit embarraffé, empêchant de les
faire paffer fur les revers. C'eſt à la fageffe des
difpofitions que M. le Marquis de Montcalm a
faites , & à l'activité avec laquelle il en a fuivi
l'exécution , que le fuccès de cette expédition eft
principalement dû. Il a été parfaitement fecondé
dans toutes les opérations par M. le Chevalier de
Levis , par M. Rigaud- de Vaudreuil , & par M,
de Bourlamaque. Les détails particuliers de l'artillerie
& du génie ont été très -bien remplis par M.
le Chevalier le Mercier , qui commandoit l'artillerie
, & par MM . Defaidouin & Lotbiniere ,
Ingénieur . Les Officiers & Soldats des troupes de
terre & de la colonie , ainfi que les milices & les
Officiers qui les commandoient , ont donné les
plus grandes marques de valeur & de bonne volonté
; & jamais les Sauvages n'avoient fait paroître
tant de fermeté & de conftance : ils avoient demandé
à monter à l'affaut avec les grenadiers , &
ils en attendoient le moment avec impatience.
Ce nouveau fuccès , qui a répandu une joie
générale dans la colonie de Canada , a animé
de plus en plus le zele avec lequel les habitans
s'efforcent de répondre aux mefures dont le Roi a
la bonté de s'occuper pour la défenfe de cette colonie
, & de feconder les foins que M. le Marquis
de Vaudreuil ne ceffe point de fe donner pour tout
ce qui peut y avoir rapport.
·
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
vent
trol
de
L
des
Le Roi ayant été informé que les paroiffesel
de Piriac & de Mefquer au Diocefe de Nantes
avoient été prefque entiérement ravagées le
27 juin dernier , par un orage mêlé de grêle
d'une groffeur extraordinaire , a fait toucher
aux Recteurs de ces deux paroiffes , la fomme de
fix mille livres pour être par eux employées en
achat de grains , & diftribuées fous l'inſpection
de M. le Comte de la Bourdonnaye- du Bois- Hullin
, Procureur- Général , Syndic des Etats de Bre- pe
tagne , tant pour enfemencer les terres , que pour
la nourriture des habitans dont les recoltes ont
été défolées par ce fléau . Cette nouvelle caracterife
notre Monarque plus glorieux encore par
fon humanité que par les victoires.
Co
I
M. Paffemant Ingénieur du Roi au Louvre ,
étoit déja connu pour Auteur de la fameufe
pendule couronnée d'une fphere mouvante , pla
cée en 1753 dans le cabinet du Roi à Verfailles
; fphere dont les révolutions font fi juftes , ue
qu'au jugement de l'Académie où l'on voit l'ertrait
page 183 de l'année 1749 de fes mémoires
, il n'y a pas en trois mil ans un feul degré
de différence avee les tables aftronomiques.
11 vient encore de finir pour le Roi deur
piéces uniques qu'on peut regarder comme chefd'oeuvres
, c'eft premiérement un grand miroir
de 45 pouces
de diametre qu'il a eu l'honneur
de préfenter au Roi le 13 août dernier , avec M.
de Bernieres , dans le pavillon conftruit par ordre
de Sa Majesté à la meute , pour le télescope ,
les ouvrages & les obfervations du pere Noël.
La glace de ce miroir a été courbée , par les
foins de M. de Buffon , dans un fourneau qu'i
avoit fait conftruire au Jardin Royal. M , Palle
mant l'a fait travailler au Louvre fous les yeur ,
M
174
Le
les
NOVEMBRE . 1757 . 199
& elle a été étamée d'une façon nouvelle , inventée
par M. de Bernieres , un des quatre Controlleurs
des ponts & chauflées.
Le Roi parut très - content des grands effets
de ce miroir. Si on y préfente des tableaux
même de fix pieds de grandeur , repréfentans
des vues de Paris , de Venife , des ports de
mer , des bâtimens , on croit voir de véritables
objets de grandeur naturelle : ainfi avec un fimple
deflein , on voit un bâtiment dans toute
la grandeur où il fera , & on juge de fon apparence
future. Un Peintre qui travaille à une
petite miniature , quelque petite qu'elle foit ,
peut la voir de grandeur naturelle , & peut par
conféquent fentir & corriger les moindres dé
fauts.
A
La chimie n'en tirera pas de moindres avantages.
On peut juger des grands effets de ce miroir
fur les métaux par la promptitude avec laquelle
il agit , l'argent a été fondu en trois fecondes.
M. Paffemant eut encore l'honneur de préfenter
au Roi un télescope aftéroftatique de fon invention
, dont il avoit lu un projet à l'Académie en
1746 , & qui avoit mérité fon approbation. Ce
télescope eft garni d'un midiometre : il fuit le
mouvement du ciel . Si on le met fur la lune , il
femble qu'elle foit fans mouvement ; fi on veut
voir enfuite une autre planete , il y a un ajuftement
qui le regle dans le moment pour cet aftre.
Il eft conduit par une mécanique toute nouvelle ,
fans aucun tremblement , ni agitation . Comme
les aftres paroiffent fixes , on peut obferver avec
une grande facilité : on peut placer les fils du midiometre
fur fes objets avec toute l'exactitude
poffible. Il eft propre à prendre la parallaxe de
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Mars en fecondes de degrés au lieu de fecondes
de temps ainfi au lieu de deux fecondes , on
aura trente fecondes de degrés ; on obfervera facilement
la route des cometes : il fera d'une
grande utilité pour les paffages de Mercure fut
le difque du foleil, en l'année 1761 ; obſervation
qui n'a été faite qu'une feule fois , & par un
feul Obfervateur en l'année 1639.
Le Pere Noël repéta devant Sa Majefté les erpériences
d'une machine pneumatique nouvelle ,
& de plufieurs autres inftrumens qu'il avoit eu
P'honneur de lui préfenter au mois de mars dernier.
Le Roi parut fatisfait de tous ces ouvrages ,
qu'il examina pendant une heure .
Mefdames de France vinrent enfuite , & paffe
rent près de trois heures pendant lefquelles les
mêmes chofes furent répétées en leur préfence *
à leur fatisfaction .
Le corfaire le Romieu , de Saint - Malo , com
mandé par le Capitaine Morel , a conduit en ce
port le navire Anglois la Pensilvanie de 250 ton
neaux , qui alloit de Philadelphie à Londres, avec
une cargaifon de bois de Campêche , de pellete
zies , de café & d'autres marchandiſes.
Un navire Anglois de 300 tonneaux , chargé de
tabac , a été pris par le corfaire Entreprenant ,
qui l'a fait conduire å Morlaix.
Le Capitaine la Lande , commandant un corfaire
de Bordeaux , appellé le Prevêt de Paris , s'eft
rendu maître du corfaire le Hazard de Grenezey,
ayant 6 canons , 8 pierriers & 37 hommes d'équi
page , & il a repris le navire l'Aimable Jolie de
Bordeaux , & un autre bâtiment du même port ,
dont les Anglois s'étoient emparés.
Les navires Anglois le Prince d'Orange , chargé
de bois de Campeche , & le Saint - Eustache , de
NOVEMBRE . 1757. 201
Saint-Eustache , dont la cargaifon confifte en fucre
& en café , ont été pris par les corfaires la
Marquise de Salba & le d'Etigny de Bayonne , ou
ils font arrivés .
Les corfaires la Favorite & la Providence , de
Saint-Jean -de-Luz , fe font rendus maîtres , Pun
du navire Anglois la Sufanne , de Malblebard ,
chargé de 2200 quintaux de morue , l'autre d'un
Senaw , qui a pour cargaifon 334 barriques de
fardines.
Le Capitaine Papin , commandant le corfaire
la Marquise de Beringhen , de Boulogne , s'eft
emparé à la côte d'Angleterre du navire Anglois
l'Endeavour , de 100 tonneaux , deftiné pour la
Barbade , où il portoit un chargement compofé
de cire blanche , de farine , de boeuf falé & de
fromage.
Le même corfaire a pris un bateau de 25 à 39
tonneaux , chargé de caffonnade , de poudre à
canon , de chanvre & de fuif.
Le corfaire Anglois l'Epervier , armé de 10 canons
, 12 pierriers , & so hommes d'équipage , a
été pris par le Capitaine Berlamont , commandant
le corfaire l'Afie , de Dunkerque , & il a été conduit
au Havre.
On mande de Nantes , qu'il y eft arrivé un
fenaw Anglois appellé le Caton , de Vhul , armé
de 6 canons & de 4 pierriers , & chargé pour la
Jamaïque de munitions de guerre & de bouche ,
d'armes & de marchandifes feches . Ce bâtiment
a été pris par le Capitaine Poitevin , commandant
le navire la France.
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Résumé : Nouvelles de la Cour, de Paris, &c.
Le 9 octobre, la Dauphine donna naissance à un prince, nommé Comte d'Artois par le roi. L'abbé de Bouillé, comte de Lyon et premier aumônier du roi, procéda à l'ondoyement du prince en présence du curé de la paroisse du Château. Monsieur Rouillé, ministre d'État, apporta le cordon de l'Ordre du Saint-Esprit que le prince reçut. Le comte d'Artois fut ensuite confié à la comtesse de Marsan, gouvernante des enfants de France, et conduit à ses appartements par le maréchal duc de Luxembourg. Le lendemain, le roi, la reine et la famille royale assistèrent à une messe à la chapelle, durant laquelle le Te Deum fut chanté. Des festivités, incluant des feux d'artifice et des distributions de vin et de nourriture, furent organisées à Paris et dans la province d'Artois pour célébrer la naissance du prince. Le roi nomma également plusieurs personnes à des postes vacants et envoya des courriers pour annoncer la nouvelle à divers dignitaires. Les troupes de la Maison du Roi furent rappelées de la défense des côtes en raison du retrait des Anglais. La province d'Artois exprima sa joie et sa reconnaissance par des cérémonies religieuses et des démonstrations publiques. La princesse de Condé accoucha également d'une princesse le 10 octobre. En Amérique du Nord, le marquis de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, prit des mesures pour défendre le Canada contre les attaques anglaises, en s'appuyant sur les alliances avec les nations amérindiennes et en renforçant les fortifications. En mars, Vaudreuil envoya un détachement dirigé par Rigaud de Vaudreuil pour détruire les bâtiments ennemis autour du Lac Saint-Sacrement et du Fort Georges. Il renforça également les garnisons frontalières et détruisit des forts ennemis sur la Belle Rivière. Vaudreuil planifia ensuite la prise du Fort Georges, récemment construit par les Britanniques. Montcalm fut chargé de diriger un corps de troupes composé de bataillons réguliers, de milices et de Sauvages. Avant l'attaque principale, Rigaud de Vaudreuil mena plusieurs raids réussis contre les Britanniques, détruisant des bateaux et capturant des prisonniers. Le 3 août, l'armée française, dirigée par Montcalm, investit le Fort Georges. Malgré les préparatifs britanniques, les Français commencèrent le siège en ouvrant une tranchée et en construisant des batteries. Une lettre interceptée du Général Webb accéléra les travaux de siège. Les batteries furent prêtes à tirer dès le 7 août, marquant le début des hostilités. Entre le 7 et le 9 novembre 1757, les forces françaises, dirigées par le Marquis de Montcalm, assiégèrent une place forte. La nuit du 7 au 8 novembre, les travailleurs français creusèrent un boyau et établirent une batterie. Vers minuit, les ennemis tentèrent une sortie, mais furent repoussés par M. de Villiers, qui tua soixante hommes et fit deux prisonniers. Le travail nocturne permit de créer un passage à travers un marais, malgré le feu ennemi. Les Sauvages et les Canadiens réduisirent le feu ennemi durant la journée. Le 8 novembre, les Sauvages signalèrent l'approche d'une armée ennemie, mais l'alerte se révéla fausse. La nuit suivante, les Français ouvrirent une seconde parallèle et avancèrent leurs positions. Le matin du 9 novembre, les assiégés hissèrent un pavillon blanc, indiquant leur volonté de capituler. Montcalm consulta les chefs des Sauvages avant de signer la capitulation, qui permit aux troupes ennemies de se retirer avec les honneurs de la guerre et d'être escortées par des troupes françaises pour les protéger des Sauvages. Malgré les précautions, des Sauvages firent des prisonniers parmi les ennemis avant d'être arrêtés par Montcalm. Le siège se solda par la prise de 23 pièces de canon, des munitions et des vivres. Les Français perdirent 13 hommes et en blessèrent 40, tandis que les ennemis perdirent 108 hommes et en blessèrent 250. Le texte souligne la discipline et la bravoure des troupes françaises, des milices et des Sauvages, ainsi que l'efficacité des stratégies de Montcalm et de ses officiers. En novembre 1757, plusieurs actions navales notables furent rapportées. Le corsaire Hazard de Grenezey captura deux navires bordelais repris aux Anglais.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 192-201
Nouvelles de la Cour, de Paris, &c.
Début :
Le Roi a accordé à M. le Marquis de Brunoy, la charge de premier [...]
Mots clefs :
Roi, Nominations, Marquis, Ordonnances du roi, Troupes, Rations des soldats, Ingénieur, Régiments, Amérique, Victoires françaises, Marquis de Vaudreuil, Les sauvages, Expéditions, Fort Carillon, Vaisseaux, Corsaires , Navires anglais, Marchandises
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Nouvelles de la Cour, de Paris, &c.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE Roi a accordé à M. le Marquis de Brunoy, la
charge de premier Maître d'Hôtel de Sa Majesté ,
vacante par la mort de M. le Marquis de Livry.
Le 21 Mai , M. le Comte de. Fouquet , nommé
Lieutenant-Général du Pays Meffin , prêta ferment
entre les mains du Roi.
24 Sa Majesté a nommé M. le Marquis d'Efears,
Menin de Monfeigneur le Dauphin.
፡ Il y a trois nouvelles Ordonnances du Roi concernant
les Troupes.
La premiere , du premier Mai , accorde une
augmentation de quatre onces par chaque ration
de pain de munition , dont la fourniture fera faite ,
fant en campagne que dans les garniſons , à commen
cer
JUILLET. 1798. 193
Γ
mencer du premier Juillet prochain , aux Troupes
de Sa Majefté , Françoifes & Etrangeres ; à
l'exception des Officiers auxquels le pain continuera
d'être fourni en campagne fur le pied de
vingt- quatre onces par ration .
Par la feconde , du même jour , il eft réglé que
dans les cas où par la difficulté des fourrages la
ration de Cavalerie ne pourra être compofée de
dix-huit livres de foin , ou de quinze livres de
foin & de cinq livres de paille , elle le fera de
douze livres de foin & de dix livres de paille ,
ou de neufliv. de foin , & de quinze liv. de paille.
Que la ration d'Infanterie fera , dans le même cas',
réduite de feize livres de foin , ou de douze livres
de foin & de huit livres de paille , à dix livres
de foin & dix livres de paille , ou à fept livres
de foin & quinze livres de paille . Que dans tous
les cas où l'avoine exiftant dans les magaſins ,
ne pourroit fuffire pour la confommation de la
Cavalérie & de l'Infanterie , on en fera la diftribution
de préférence à la Cavalerie , & qu'ily fera
fuppléé par rapport à l'Infanterie , avec du feigle ,
de l'orge ou de l'efpaute en paille , & par préférence
avec cette dernier efpece.
La troifieme , dus Mai , porte que les Ingé
nieurs qui avoient été réunis par l'Ordonnance
du 8 Décembre 1755 , au Corps de l'Artillerie ,
fous la dénomination de Corps Royal de l'Artillerie
& du Génie , en feront défunis pour former
un Corps féparé fous la dénomination du Corps
des Ingénieurs. En conféquence les In énieurs
qui ont été incorporés dans les Bataillons du Corps
Royal , en vertu de l'Ordonnance du premier Dé
cembre 1756 , quitteront les charges & emplois
qu'ils rempliffent dans les Bataillons , & fe rendront
dans les réfidences qui leur feront affignées;
LVol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
Ils ne feront dans les places & dans les armées ;
que le fervice d'Ingénieurs , & ne s'occuperont
plus à l'avenir des détails de l'Artillerie . Leur uniforme
fera de drap couleur bleu de Roi , paremens
de velours noirs , doublure de ferge rouge
vefte & culotte rouges ; l'habit fera garni jufqu'à
la taille de boutons de cuivre doré , cinq
fur chaque poche , & autant fur les manches.
teau ,
>
Dans la féance de l'Académie Françoiſe , tennuele
22 Mai , M. de la Curne de Sainte- Palaye,
de l'Académie des Infcriptions,à été élu pour remplir
la place vacante par la mort de M. de Boiffy.
Le Roi fit le 30 de Mai , dans la cour du Châla
revue des deux Compagnies des Moufquetaires
de fa Garde. Sa Majefté paffa dans les
rangs , & après que les deux Compagnies eurent
fait l'exercice à pied , Elle les vit défiler à cheval.
Monfeigneur le Dauphin accompagnoit le
Roi. La Reine , Madame la Dauphine , Madame
& Mefdames Victoire , Sophie & Louiſe , virent
larevue d'un des appartemens du Château.
Sa Majefté tint le même jour le fceau , pour la
trentieme fois.
M. de Moras ayant donné fa démiffion de la
charge de Secrétaire d'Etat au Département de la
Marine , le Roi a confié ce Département à M.
de Maffiac , Lieutenant- Général de fes Armées
Navales , qui prêta ferment entre les mains de
Sa Majefté le premier de ce mois. Le Roi a confervé
à M. de Moras fa place dans les Confeils.
Le Roi a donné le Régiment de Cavalerie de
Lenoncourt à M. le Marquis de Touftain de Viray
, Capitaine de Cavalerie dans le Régiment
Royal- Pologne.
Le Roi a donné le Régiment de Champagne ,
vacant par la nomination de M. le Comte de
Gifors , à l'emploi de Meftre de Camp- Lieute◄
JUILLET. 1758. 195
nant du Régiment des Carabiniers , à M. le Marquis
de Juigné , Colonel dans les Grenadiers de
France.
Celui de Nice , vacant par la mort de M. le
le Comte de la Queuille , à M. le Vicomte de
Cambis , Colonel d'un Régiment d'Infanterie.
Celui de Cambis , à M. le Vicomte de la Tournelle
, Capitaine de Grenadiers dans le même Régiment.
Celui de Cambrefis , vacant par la démiffion
de M. le Marquis de la Châtre , à M. de la Galiffonniere
, Capitaine Aide-Major dans le Régi
ment du Roi , Infanterie.
Celui de Foix , vacant par la promotion de
M. le Chevalier de Grollier au grade de Maréchal
de Camp , à M. le Comte de Rougé
Capitaine dans le Régiment de Vermandois ;
Et celui de Berwick , Irlandois , vacant par la
mort de M. le Comte de Filts - James , au fecond
fils de M. le Duc de Filtz - James , à condition
qu'il n'en prendra le commandement
que lorfqu'il aura rempli le temps de fervice
exigé par le Réglement que le Roi a donné le
29 Avril dernier.
Le Roi a donné à M. le Baron de Wurmfer ,
l'Inſpection des Troupes Allemandes dans fes
Armées .
Sa Majefté a fait choix de M. le Normant
de Mezy , Intendant des Armées Navales , pour
aider M. de Maffiac , Secrétaire d'Etat au Département
de la Marine , dans les fonctions &
dans les détails de ce Département , & fous fes
ordres , avec le titre d'Intendant Général de la
Marine & des Colonies.
Les de Juin , la Maifon de Sorbonne fit dans
fon Eglife un Service folemnel pour Benoît XIV,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
MM. le Cardinal de Tavannes , le Nonce , &
l'Archevêque d'Embrun y affifterent avec toute
la Maiſon en corps. La Maifon de Sorbonne
n'eft point dans l'ufage de faire des Services à
la mort des Papes ; mais elle a reçu tant de
bienfaits de Benoît XIV , qu'elle a cru devoir
en cette occafion donner des marques particu
lieres de fa reconnoiffance pour lui , & de fon
attachement au Saint Siege. Le feu Pape a fair
préfent à la Maifon de Sorbonne de fon Portrait
, & de tous les Ouvrages.
Le Roi a nommé M. le Comte de Murinais
, premier Cornette des Chevaux - Légers
d'Aquitaine , a la Soulieutenance des Gendarmes
Anglois , vacante par la promotion de M.
le Comte de Bouville , au grade de Maréchal
de Camp.
M. le Comte de Coffé , Guidon des Gendar.
mes d'Aquitaine , à la premiere Cornette des
Chevaux- Legers d'Aquitaine ;
Et M. le Marquis de Montauban , Lieutenant
en fecond dans le Régiment d'Infanterie
du Roi , au Guidon des Gendarmes d'Aquitaine,
On vient d'apprendre par une Goelette expédiée
de Québec , qui a apporté des lettres du
Canada en date du 3 Mai dernier , les nouvelles
fuivantes.
Quoique les expéditions de cet hiver n'ayent
pas été confidérables , cependant les François
ont eu la fupériorité dans toutes les rencon
contres qu'ils ont eues avec les Anglois , foit
par les établiſſemens qu'ils leur ont détruites ,
Toit par les chevelures que leurs Sauvages ont
enlevées. Parmi une infinité de petites entreprifes
, on n'en rapportera que deux , qui ſuffitont
pour faire juger de la bravoure des Canadiens
& des Sauvages nos Alliés .
JUILLET. 1758. 197
M. le Marquis de Vandreuil s'étant détermi
né à faire attaquer le Village Anglois des
Emigrans , fitué fur la riviere de Corlak , fervant
d'entrepôt an ennemis , & rempli de toutes
fortes d'effets & munitions , y envoya M. de
Beletre , Lieutenant des Troupes de la Colonie
, avec un Détachement de trois cens Ca
nadiens & Sauvages. Malgré la rigueur de la
faifon , M. de Beletre arriva près de Corlak
après des peines incroyables ; il ramaffa fur fa
route plufieurs Sauvages des cinq Nations Iroquoifes
& des Onneyoutes qui fe joignirent à
lui , & ayant paffé la riviere , moitié à la nage
& moitié dans l'eau jufqu'au col , il fit tour
de fuite fon plan d'attaque. Le Village étoit
couvert de cinq petits Forts que les Anglois
avoient été contraints d'abandonner depuis la
démolition de Choueguen , mais dont ils s'étoient
remis en poffeffion . M. de Beletre entreprit
de les emporter d'affaut l'un après Pautre
, & il y réuffit part l'épouvante qu'il jetta
parmi les Anglois. Le Chef du Village , qui
commandoit dans le premier , s'étant rendu à
difcrétion , M. de Beletre fe rendit bientôt maître
des autres , & il y fit mettre le feu. Pendant
cete opération , une partie de fa Troupe
s'attacha à piller & à brûler le Village compofé
d'environ foixante maifons . Le pillage fut
très-confidérable : outre une grande quantité de
farines , & de toutes fortes de grains , de munitions
& d'effets de toute efpece , on prit quatre
mille bêtes à cornes , trois mille moutons
autant de cochons , & cinq cents chevaux ; ce
qui ne doit pas furprendre , attendu que les
Anglois avoient formé dans ce Village un magafin
, pour la traite des cinq Nations Iroquoi
Liij
198 MERCURE DE FRANCE.
fes & de celles d'enhaut. On affure que le Chef
feul a fait une perte de quatre cents mille livres
. Une partie de la Garniſon du Fort Kouary
s'étant miſe en marche , pour venir au fecours
des Anglois , fut contrainte de repaffer la riviere
à la nage , après avoir effuyé plufieurs décharges
de moufqueterie . Cette petite expédition
s'eft faite le 13 Novembre dernier , & elle
a été d'autant plus avantageufe , qu'elle a produit
un bon effet fur l'efprit des Sauvages . Les
Anglois y ont perdu cinquante hommes , & on
Jeur a fait cent foixante-dix prifonniers , dont
plufieurs Officiers . La perte des François a été
fort peu confidérable.
La deuxieme expédition s'eſt paffée du côté du
Fort Carillon . M. le Marquis de Vaudreuil ayant
été informé que les Anglois méditoient une entreprife
fur ce Fort , en fit fortir un détachement
d'environ deux cens Canadiens & Sauvages , fous
le commandement de M. du Rentay , Cadet dans
les troupes de la Colonie. A peine M. du Rentay
fut en campagne , qu'il apperçut un détachement
Anglois , dont le nombre étoit prefqu'égal au fien,
qui étoit pofté fur la montage Pelée : c'étoit un
détachement de Troupes d'élite & de coureurs de
bois , commandés par le Major Robert Roger ,
fameux Partifan . Malgré la pofition avantageuſe
de l'ennemi , M. du Rentay l'attaqua , & par une
fuite fimulée , engagea le Major Robert à defcendre
fur lui ; celui - ci donna dans le piege , & defcendit
de la montagne avec précipitation , croyant
pourſuivre des fuyards ; mais il fut bientôt enveloppé.
Le combat fut très-vif , & dura pendant
quatre heures ; les Sauvages leverent la chevelure
au Major Robert Roger , à huit Officiers & à cent
quarante Anglois . On croit que le refte du déta
JUILLET. 1758. 199
chement a péri miférablement , deux Officiers Anglois
ayant été obligés de venir fe réfugier dans
le Fort Carillon. Cette action eft d'autant plus
belle , qu'elle a été conduite par un Cadet , & que
fes camarades , ainfi que les Ĉanadiens & les Sauvages
, ont combattu fous fes ordres avec toute la
valeur & la fubordination poffibles . Il y a eu treize
Iroquois & un Népiffingue tués , & deux Cadets ,
quinze Iroquois , un Abenakife & un Canadien
bleffés dangereufement.
M. le Duc de Modene pour reconnoître les
bons fervices que M. le Comte de Mozone , fon
Plénipotentiaire au Congrès d'Aix- la Chapelle , &
fon Miniftre à la Cour de France , vient d'accorà
Madame la Comteffe de Mozone , fa veuve ,
5000 liv . de rente .
Le Vaiffeau du Roi le Triton & la Frégate la
Minerve , ont pris & conduit à Toulon un Corfaire
Anglois armé de 18 canons , & de 107 hommes
d'équipage .
Deux autres Corfaires Anglois appellés , l'un
la Minerve , de Jerzey , de 10 canons & de 70
hommes d'équipage ; l'autre le Mercure , du même
port , armé de 4 canons & de 31 hommes d'équipage
, ont été pris par la Frégate du Roi la
Félicité, & la Corvette la Tourterelle . Il y avoit fur
le premier de ces Corfaires cinq ôtages provenans
d'un pareil nombre de bâtiment François qu'il
avoit rançonnés.
Le Navire Anglois l'Heureux Retour , de 115
tonneaux , charg de charbon de terre , a été pris
par le Corfaire le Duc d'Ayen , de Boulogne , qui
l'a fait conduire au Havre.
Les Corfaires le Conquérant & l'Agrippe , de
Cherbourg , ont pris & conduit en ce port , l'un
un Brigantin Anglois chargé de lin , l'autre un
liv
200 MERCURE DE FRANCE.
Navire de 90 tonneaux chargé de tuiles.
Il eft de plus arrivé à Cherbourg un Navire
Anglois de 90 tonneaux , qui a été pris par le
Corfaire le Printemps , de Dunkerque , & qui eft
chargé de bled.
Les Corfaires le Comte de la Riviere & le Mefny,
de Granville , ont fait deux rançons , l'une de
200 livres fterlings , l'autre de 700 guinées.
Le Corfaire la Menette , de l'Orient , a pris &
conduit à Morlaix trois Bateaux Anglois , dont un
eft chargé de poiffon frais , & les deux autres de
grains.
>
Le Navire Anglois le Menavé , de 80 tonneaux,
chargé de boeuf, de lard & de beurre d'Irlande
a été pris par le Corfaire la Comteffe de Bentheim ,
qui l'a fait conduire au Port- Louis.
Le Capitaine Anglade , commandant le Corfaire
la Françoife , de Bayonne , a rançonné pour
2500 livres fterlings un Navire Anglois , dont il
s'étoit rendu maître..
La Gentille , autre Corfaire de Bayonne , s'eft
emparé d'un Navire Anglois chargé de harengs ,
qui a été conduit par relâche dans un port d'Efpagne.
La Frégate du Roi la Danaé , & la Corvette
l'Harmonie , fe font emparé d'un petit Corſaire
de Jerzey , armé de 4 canons , qui a été conduit
au Havre.
Le Senaw Anglois le Mairg , de 140 tonneaux
chargé de charbon de terre , a été pris par le
Corfaire l'Aventurier , de Dunkerque , où il eft
arrivé.
Le Corfaire le Don de Dieu y a auffi fait con
duire un Bateau Anglois qui étoit fur fon left , &
il a rançonné pour quatre - vingts- quinze guinées
un autre Bâtiment dont il s'étoit emparé..
JUILLET. 1758. ΣΟΥ
Le Corfaire le Duc d'Ayen a pris & conduit au
Havre le Navire Anglois le Prince Frédéric , de
120 tonneaux , chargé de raifins & de tartre.
On mande de Granville , que le Corfaire le
Machault , de ce port , a rançonné pour cinq
mille livres sterlings le Navire Anglois la Marie
dont il s'eft emparé.
Le Capitaine Avice , commandant le Corfaire
la Comteffe de Bentheim , s'eft rendu maître du
Corfaire Anglois la Tartare , de Briſtol , armé
de 24 canons & de 100 hommes d'équipage , & il
P'a fait conduire à Cherbourg.
Le même Corfaire a pris & conduit à Saint-
Malo le Navire Anglois la Conformation , de 275
tonneaux , chargé de 997 barrils de riz & de bois
d'acajou .
Il eft arrivé à Morlaix un Senaw Anglois appellé
la Bety , de 180 tonneaux , chargé de tabac ,
de merrain & de fer. Ce Bâtiment a été pris par
le Capitaine de Lille , commandant le Corfaire la
Fulvie , de Dunkerque.
LE Roi a accordé à M. le Marquis de Brunoy, la
charge de premier Maître d'Hôtel de Sa Majesté ,
vacante par la mort de M. le Marquis de Livry.
Le 21 Mai , M. le Comte de. Fouquet , nommé
Lieutenant-Général du Pays Meffin , prêta ferment
entre les mains du Roi.
24 Sa Majesté a nommé M. le Marquis d'Efears,
Menin de Monfeigneur le Dauphin.
፡ Il y a trois nouvelles Ordonnances du Roi concernant
les Troupes.
La premiere , du premier Mai , accorde une
augmentation de quatre onces par chaque ration
de pain de munition , dont la fourniture fera faite ,
fant en campagne que dans les garniſons , à commen
cer
JUILLET. 1798. 193
Γ
mencer du premier Juillet prochain , aux Troupes
de Sa Majefté , Françoifes & Etrangeres ; à
l'exception des Officiers auxquels le pain continuera
d'être fourni en campagne fur le pied de
vingt- quatre onces par ration .
Par la feconde , du même jour , il eft réglé que
dans les cas où par la difficulté des fourrages la
ration de Cavalerie ne pourra être compofée de
dix-huit livres de foin , ou de quinze livres de
foin & de cinq livres de paille , elle le fera de
douze livres de foin & de dix livres de paille ,
ou de neufliv. de foin , & de quinze liv. de paille.
Que la ration d'Infanterie fera , dans le même cas',
réduite de feize livres de foin , ou de douze livres
de foin & de huit livres de paille , à dix livres
de foin & dix livres de paille , ou à fept livres
de foin & quinze livres de paille . Que dans tous
les cas où l'avoine exiftant dans les magaſins ,
ne pourroit fuffire pour la confommation de la
Cavalérie & de l'Infanterie , on en fera la diftribution
de préférence à la Cavalerie , & qu'ily fera
fuppléé par rapport à l'Infanterie , avec du feigle ,
de l'orge ou de l'efpaute en paille , & par préférence
avec cette dernier efpece.
La troifieme , dus Mai , porte que les Ingé
nieurs qui avoient été réunis par l'Ordonnance
du 8 Décembre 1755 , au Corps de l'Artillerie ,
fous la dénomination de Corps Royal de l'Artillerie
& du Génie , en feront défunis pour former
un Corps féparé fous la dénomination du Corps
des Ingénieurs. En conféquence les In énieurs
qui ont été incorporés dans les Bataillons du Corps
Royal , en vertu de l'Ordonnance du premier Dé
cembre 1756 , quitteront les charges & emplois
qu'ils rempliffent dans les Bataillons , & fe rendront
dans les réfidences qui leur feront affignées;
LVol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
Ils ne feront dans les places & dans les armées ;
que le fervice d'Ingénieurs , & ne s'occuperont
plus à l'avenir des détails de l'Artillerie . Leur uniforme
fera de drap couleur bleu de Roi , paremens
de velours noirs , doublure de ferge rouge
vefte & culotte rouges ; l'habit fera garni jufqu'à
la taille de boutons de cuivre doré , cinq
fur chaque poche , & autant fur les manches.
teau ,
>
Dans la féance de l'Académie Françoiſe , tennuele
22 Mai , M. de la Curne de Sainte- Palaye,
de l'Académie des Infcriptions,à été élu pour remplir
la place vacante par la mort de M. de Boiffy.
Le Roi fit le 30 de Mai , dans la cour du Châla
revue des deux Compagnies des Moufquetaires
de fa Garde. Sa Majefté paffa dans les
rangs , & après que les deux Compagnies eurent
fait l'exercice à pied , Elle les vit défiler à cheval.
Monfeigneur le Dauphin accompagnoit le
Roi. La Reine , Madame la Dauphine , Madame
& Mefdames Victoire , Sophie & Louiſe , virent
larevue d'un des appartemens du Château.
Sa Majefté tint le même jour le fceau , pour la
trentieme fois.
M. de Moras ayant donné fa démiffion de la
charge de Secrétaire d'Etat au Département de la
Marine , le Roi a confié ce Département à M.
de Maffiac , Lieutenant- Général de fes Armées
Navales , qui prêta ferment entre les mains de
Sa Majefté le premier de ce mois. Le Roi a confervé
à M. de Moras fa place dans les Confeils.
Le Roi a donné le Régiment de Cavalerie de
Lenoncourt à M. le Marquis de Touftain de Viray
, Capitaine de Cavalerie dans le Régiment
Royal- Pologne.
Le Roi a donné le Régiment de Champagne ,
vacant par la nomination de M. le Comte de
Gifors , à l'emploi de Meftre de Camp- Lieute◄
JUILLET. 1758. 195
nant du Régiment des Carabiniers , à M. le Marquis
de Juigné , Colonel dans les Grenadiers de
France.
Celui de Nice , vacant par la mort de M. le
le Comte de la Queuille , à M. le Vicomte de
Cambis , Colonel d'un Régiment d'Infanterie.
Celui de Cambis , à M. le Vicomte de la Tournelle
, Capitaine de Grenadiers dans le même Régiment.
Celui de Cambrefis , vacant par la démiffion
de M. le Marquis de la Châtre , à M. de la Galiffonniere
, Capitaine Aide-Major dans le Régi
ment du Roi , Infanterie.
Celui de Foix , vacant par la promotion de
M. le Chevalier de Grollier au grade de Maréchal
de Camp , à M. le Comte de Rougé
Capitaine dans le Régiment de Vermandois ;
Et celui de Berwick , Irlandois , vacant par la
mort de M. le Comte de Filts - James , au fecond
fils de M. le Duc de Filtz - James , à condition
qu'il n'en prendra le commandement
que lorfqu'il aura rempli le temps de fervice
exigé par le Réglement que le Roi a donné le
29 Avril dernier.
Le Roi a donné à M. le Baron de Wurmfer ,
l'Inſpection des Troupes Allemandes dans fes
Armées .
Sa Majefté a fait choix de M. le Normant
de Mezy , Intendant des Armées Navales , pour
aider M. de Maffiac , Secrétaire d'Etat au Département
de la Marine , dans les fonctions &
dans les détails de ce Département , & fous fes
ordres , avec le titre d'Intendant Général de la
Marine & des Colonies.
Les de Juin , la Maifon de Sorbonne fit dans
fon Eglife un Service folemnel pour Benoît XIV,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
MM. le Cardinal de Tavannes , le Nonce , &
l'Archevêque d'Embrun y affifterent avec toute
la Maiſon en corps. La Maifon de Sorbonne
n'eft point dans l'ufage de faire des Services à
la mort des Papes ; mais elle a reçu tant de
bienfaits de Benoît XIV , qu'elle a cru devoir
en cette occafion donner des marques particu
lieres de fa reconnoiffance pour lui , & de fon
attachement au Saint Siege. Le feu Pape a fair
préfent à la Maifon de Sorbonne de fon Portrait
, & de tous les Ouvrages.
Le Roi a nommé M. le Comte de Murinais
, premier Cornette des Chevaux - Légers
d'Aquitaine , a la Soulieutenance des Gendarmes
Anglois , vacante par la promotion de M.
le Comte de Bouville , au grade de Maréchal
de Camp.
M. le Comte de Coffé , Guidon des Gendar.
mes d'Aquitaine , à la premiere Cornette des
Chevaux- Legers d'Aquitaine ;
Et M. le Marquis de Montauban , Lieutenant
en fecond dans le Régiment d'Infanterie
du Roi , au Guidon des Gendarmes d'Aquitaine,
On vient d'apprendre par une Goelette expédiée
de Québec , qui a apporté des lettres du
Canada en date du 3 Mai dernier , les nouvelles
fuivantes.
Quoique les expéditions de cet hiver n'ayent
pas été confidérables , cependant les François
ont eu la fupériorité dans toutes les rencon
contres qu'ils ont eues avec les Anglois , foit
par les établiſſemens qu'ils leur ont détruites ,
Toit par les chevelures que leurs Sauvages ont
enlevées. Parmi une infinité de petites entreprifes
, on n'en rapportera que deux , qui ſuffitont
pour faire juger de la bravoure des Canadiens
& des Sauvages nos Alliés .
JUILLET. 1758. 197
M. le Marquis de Vandreuil s'étant détermi
né à faire attaquer le Village Anglois des
Emigrans , fitué fur la riviere de Corlak , fervant
d'entrepôt an ennemis , & rempli de toutes
fortes d'effets & munitions , y envoya M. de
Beletre , Lieutenant des Troupes de la Colonie
, avec un Détachement de trois cens Ca
nadiens & Sauvages. Malgré la rigueur de la
faifon , M. de Beletre arriva près de Corlak
après des peines incroyables ; il ramaffa fur fa
route plufieurs Sauvages des cinq Nations Iroquoifes
& des Onneyoutes qui fe joignirent à
lui , & ayant paffé la riviere , moitié à la nage
& moitié dans l'eau jufqu'au col , il fit tour
de fuite fon plan d'attaque. Le Village étoit
couvert de cinq petits Forts que les Anglois
avoient été contraints d'abandonner depuis la
démolition de Choueguen , mais dont ils s'étoient
remis en poffeffion . M. de Beletre entreprit
de les emporter d'affaut l'un après Pautre
, & il y réuffit part l'épouvante qu'il jetta
parmi les Anglois. Le Chef du Village , qui
commandoit dans le premier , s'étant rendu à
difcrétion , M. de Beletre fe rendit bientôt maître
des autres , & il y fit mettre le feu. Pendant
cete opération , une partie de fa Troupe
s'attacha à piller & à brûler le Village compofé
d'environ foixante maifons . Le pillage fut
très-confidérable : outre une grande quantité de
farines , & de toutes fortes de grains , de munitions
& d'effets de toute efpece , on prit quatre
mille bêtes à cornes , trois mille moutons
autant de cochons , & cinq cents chevaux ; ce
qui ne doit pas furprendre , attendu que les
Anglois avoient formé dans ce Village un magafin
, pour la traite des cinq Nations Iroquoi
Liij
198 MERCURE DE FRANCE.
fes & de celles d'enhaut. On affure que le Chef
feul a fait une perte de quatre cents mille livres
. Une partie de la Garniſon du Fort Kouary
s'étant miſe en marche , pour venir au fecours
des Anglois , fut contrainte de repaffer la riviere
à la nage , après avoir effuyé plufieurs décharges
de moufqueterie . Cette petite expédition
s'eft faite le 13 Novembre dernier , & elle
a été d'autant plus avantageufe , qu'elle a produit
un bon effet fur l'efprit des Sauvages . Les
Anglois y ont perdu cinquante hommes , & on
Jeur a fait cent foixante-dix prifonniers , dont
plufieurs Officiers . La perte des François a été
fort peu confidérable.
La deuxieme expédition s'eſt paffée du côté du
Fort Carillon . M. le Marquis de Vaudreuil ayant
été informé que les Anglois méditoient une entreprife
fur ce Fort , en fit fortir un détachement
d'environ deux cens Canadiens & Sauvages , fous
le commandement de M. du Rentay , Cadet dans
les troupes de la Colonie. A peine M. du Rentay
fut en campagne , qu'il apperçut un détachement
Anglois , dont le nombre étoit prefqu'égal au fien,
qui étoit pofté fur la montage Pelée : c'étoit un
détachement de Troupes d'élite & de coureurs de
bois , commandés par le Major Robert Roger ,
fameux Partifan . Malgré la pofition avantageuſe
de l'ennemi , M. du Rentay l'attaqua , & par une
fuite fimulée , engagea le Major Robert à defcendre
fur lui ; celui - ci donna dans le piege , & defcendit
de la montagne avec précipitation , croyant
pourſuivre des fuyards ; mais il fut bientôt enveloppé.
Le combat fut très-vif , & dura pendant
quatre heures ; les Sauvages leverent la chevelure
au Major Robert Roger , à huit Officiers & à cent
quarante Anglois . On croit que le refte du déta
JUILLET. 1758. 199
chement a péri miférablement , deux Officiers Anglois
ayant été obligés de venir fe réfugier dans
le Fort Carillon. Cette action eft d'autant plus
belle , qu'elle a été conduite par un Cadet , & que
fes camarades , ainfi que les Ĉanadiens & les Sauvages
, ont combattu fous fes ordres avec toute la
valeur & la fubordination poffibles . Il y a eu treize
Iroquois & un Népiffingue tués , & deux Cadets ,
quinze Iroquois , un Abenakife & un Canadien
bleffés dangereufement.
M. le Duc de Modene pour reconnoître les
bons fervices que M. le Comte de Mozone , fon
Plénipotentiaire au Congrès d'Aix- la Chapelle , &
fon Miniftre à la Cour de France , vient d'accorà
Madame la Comteffe de Mozone , fa veuve ,
5000 liv . de rente .
Le Vaiffeau du Roi le Triton & la Frégate la
Minerve , ont pris & conduit à Toulon un Corfaire
Anglois armé de 18 canons , & de 107 hommes
d'équipage .
Deux autres Corfaires Anglois appellés , l'un
la Minerve , de Jerzey , de 10 canons & de 70
hommes d'équipage ; l'autre le Mercure , du même
port , armé de 4 canons & de 31 hommes d'équipage
, ont été pris par la Frégate du Roi la
Félicité, & la Corvette la Tourterelle . Il y avoit fur
le premier de ces Corfaires cinq ôtages provenans
d'un pareil nombre de bâtiment François qu'il
avoit rançonnés.
Le Navire Anglois l'Heureux Retour , de 115
tonneaux , charg de charbon de terre , a été pris
par le Corfaire le Duc d'Ayen , de Boulogne , qui
l'a fait conduire au Havre.
Les Corfaires le Conquérant & l'Agrippe , de
Cherbourg , ont pris & conduit en ce port , l'un
un Brigantin Anglois chargé de lin , l'autre un
liv
200 MERCURE DE FRANCE.
Navire de 90 tonneaux chargé de tuiles.
Il eft de plus arrivé à Cherbourg un Navire
Anglois de 90 tonneaux , qui a été pris par le
Corfaire le Printemps , de Dunkerque , & qui eft
chargé de bled.
Les Corfaires le Comte de la Riviere & le Mefny,
de Granville , ont fait deux rançons , l'une de
200 livres fterlings , l'autre de 700 guinées.
Le Corfaire la Menette , de l'Orient , a pris &
conduit à Morlaix trois Bateaux Anglois , dont un
eft chargé de poiffon frais , & les deux autres de
grains.
>
Le Navire Anglois le Menavé , de 80 tonneaux,
chargé de boeuf, de lard & de beurre d'Irlande
a été pris par le Corfaire la Comteffe de Bentheim ,
qui l'a fait conduire au Port- Louis.
Le Capitaine Anglade , commandant le Corfaire
la Françoife , de Bayonne , a rançonné pour
2500 livres fterlings un Navire Anglois , dont il
s'étoit rendu maître..
La Gentille , autre Corfaire de Bayonne , s'eft
emparé d'un Navire Anglois chargé de harengs ,
qui a été conduit par relâche dans un port d'Efpagne.
La Frégate du Roi la Danaé , & la Corvette
l'Harmonie , fe font emparé d'un petit Corſaire
de Jerzey , armé de 4 canons , qui a été conduit
au Havre.
Le Senaw Anglois le Mairg , de 140 tonneaux
chargé de charbon de terre , a été pris par le
Corfaire l'Aventurier , de Dunkerque , où il eft
arrivé.
Le Corfaire le Don de Dieu y a auffi fait con
duire un Bateau Anglois qui étoit fur fon left , &
il a rançonné pour quatre - vingts- quinze guinées
un autre Bâtiment dont il s'étoit emparé..
JUILLET. 1758. ΣΟΥ
Le Corfaire le Duc d'Ayen a pris & conduit au
Havre le Navire Anglois le Prince Frédéric , de
120 tonneaux , chargé de raifins & de tartre.
On mande de Granville , que le Corfaire le
Machault , de ce port , a rançonné pour cinq
mille livres sterlings le Navire Anglois la Marie
dont il s'eft emparé.
Le Capitaine Avice , commandant le Corfaire
la Comteffe de Bentheim , s'eft rendu maître du
Corfaire Anglois la Tartare , de Briſtol , armé
de 24 canons & de 100 hommes d'équipage , & il
P'a fait conduire à Cherbourg.
Le même Corfaire a pris & conduit à Saint-
Malo le Navire Anglois la Conformation , de 275
tonneaux , chargé de 997 barrils de riz & de bois
d'acajou .
Il eft arrivé à Morlaix un Senaw Anglois appellé
la Bety , de 180 tonneaux , chargé de tabac ,
de merrain & de fer. Ce Bâtiment a été pris par
le Capitaine de Lille , commandant le Corfaire la
Fulvie , de Dunkerque.
Fermer
Résumé : Nouvelles de la Cour, de Paris, &c.
Le document relate divers événements et nominations à la cour du roi. Le marquis de Brunoy a été nommé premier Maître d'Hôtel du roi, succédant au marquis de Livry. Le comte de Fouquet a prêté serment en tant que Lieutenant-Général du Pays Meffin, et le marquis d'Effears a été nommé Menin du Dauphin. Trois ordonnances royales concernant les troupes ont été publiées : la première augmente la ration de pain, la deuxième régule les rations de fourrage en cas de difficulté, et la troisième rétablit le corps des Ingénieurs séparément de l'Artillerie. À l'Académie Française, de la Curne de Sainte-Palaye a été élu pour remplacer Boiffy. Le roi a passé en revue les Mousquetaires et a tenu le sceau pour la trentième fois. Plusieurs changements ont eu lieu dans les départements et régiments, notamment au Département de la Marine avec Moras et Massiac, et dans divers régiments de cavalerie et d'infanterie. Des nouvelles du Canada rapportent des succès militaires des Français contre les Anglais. Le duc de Modène a accordé une rente à la veuve du comte de Mozone. Plusieurs prises de navires anglais par des vaisseaux français sont également mentionnées. En juillet 1758, plusieurs actions navales impliquant des corsaires français ont été rapportées. La Gentille, un corsaire de Bayonne, a capturé un navire anglais chargé de harengs, lequel a été conduit dans un port espagnol. La frégate royale Danaé et la corvette l'Harmonie ont pris un petit corsaire de Jersey armé de quatre canons, conduit au Havre. Le corsaire l'Aventurier, de Dunkerque, a capturé le senau anglais le Mairg, chargé de charbon, et l'a ramené à Dunkerque. Le corsaire le Don de Dieu a conduit un bateau anglais et a rançonné un autre bâtiment pour quatre-vingt-quinze guinées. Le corsaire le Duc d'Ayen a pris le navire anglais le Prince Frédéric, chargé de raisins et de tartre, et l'a conduit au Havre. À Granville, le corsaire le Machault a rançonné le navire anglais la Marie pour cinq mille livres sterlings. Le capitaine Avice, commandant le corsaire la Comtesse de Bentheim, a capturé le corsaire anglais la Tartare, armé de vingt-quatre canons et cent hommes d'équipage, et l'a conduit à Cherbourg. Le même corsaire a également pris le navire anglais la Conformation, chargé de riz et de bois d'acajou, et l'a conduit à Saint-Malo. Enfin, le corsaire la Fulvie, de Dunkerque, a capturé le senau anglais la Bety, chargé de tabac, de merrain et de fer, lequel a été conduit à Morlaix.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 198-203
Détail de l'affaire qui s'est passée le 8 Juillet entre les Troupes du Roi, commandées par M. le Marquis de Montcalm, & celles d'Angleterre, aux ordre du Général Abercromby.
Début :
M. le Marquis de Montcalm ayant été envoyé par M. le Marquis de Vaudreuil, [...]
Mots clefs :
Marquis de Montcalm, Colonies, Canada, Protection, Troupes, Anglais, Chevalier, Renforts, Lac Saint-Sacrement, Mouvements des troupes, Grenadiers, Lieutenant colonel, Régiments, Détachement, Bataille, Colonnes milliaires, Munitions, Secours, Pertes ennemies, Les sauvages, Officiers
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texteReconnaissance textuelle : Détail de l'affaire qui s'est passée le 8 Juillet entre les Troupes du Roi, commandées par M. le Marquis de Montcalm, & celles d'Angleterre, aux ordre du Général Abercromby.
Détail de l'affaire qui s'eſt paſſsée le 8 Juillet entre
les Troupes du Roi , commandées par M. le Marquis
de Montcalm , & celles d'Angleterre , aux
ordres du Général Abercromby.
M. le Marquis de Montcalm ayant été envoyé
par M. le Marquis de Vaudreuil , Gouverneur
Général du Canada, pour protéger la frontiere de
la Cólonie du côté du Lac Saint- Sacrement , fe
rendit à Carillon le 30 Juin. Il y trouva huit Bataillons
de troupes de terre , une compagnie de
Canonniers , deux à trois cens Ouvriers , & quelques
Sauvages. Il reçut quelques jours après un
renfort de quatre cens hommes des troupes de la
Colonie & des Canadiens , commandés par M. de
Remond , Capitaine. Il apprit à Carillon , que les
Anglois avoient aſſemblé au fonds du Lac Saint-
Sacrement , près des ruines du Fort Georges , une
armée compoſée de vingt mille hommes deMilice
, & de fix mille de troupes réglées , aux ordres
du Major Général Abercromby , & qu'elle devoit
ſe mettre en mouvement pour s'emparer du Fort
Carillon& envahir le Canada. Sur l'avis que M.
leMarquis de Montcalm en donna à M. le Marquisde
Vaudreuil ,& fur ceux que ce Gouverneur
en avoit déja reçus , il changea la deftination de
M. le Chevalier de Levis , qui avoit été détaché
du côté de Corlac ; il lui donna ordre de ſe joindre
à M. le Marquis de Montcalm , & fit les
diſpoſitions néceſſaires pour lui procurer d'autres
renforts.
M. le Marquis de Montcalm prit d'abord le
parti d'occuper le poſte de la Chute , fur le bord
du Lac Saint-Sacrement , pour retarder l'ennemi,
OCTOBRE. 1758.
ة ر و
Il y reſta juſqu'au 6 Juillet que les Anglois parurent
en force fur le Lac. M. le Marquis de Montcalm
repaſſa la riviere de la Chute avec toutes
fes troupes , pour venir camper ſous le Fort Carillon
, où il avoit déja fait tracer des retranchemens
. Il envoya en même temps différens détachemens
, pour harceler l'ennemi dans ſa deſcente.
Un de ces détachemens , commandé par MM. de
Trépezée & de Langis , s'étant égaré par la faure
des guides , tomba dans une colonne de l'armée
ennemie déja toute formée.
De ce détachement , qui étoit d'environ trois
cens hommes , il y eut deux Officiers tués , qua
tre Sauvages , & cent quatre-vingt- quatre foldats
desTroupes & Milices tués , ou priſonniers ; le
reſte joignit le corps de nos Troupes.
:
M. le Marquis de Montcalm n'avoit dans ſon
camp devant Carillon en y arrivant , qu'environ
deux mille huit cens hommes de troupes de France
, & quatre cens cinquante de la Colonie , encore
faut-il diſtraire de ce nombre un des batail
lons de Berry , lequel , à l'exception de ſa compagnie
deGrenadiers , fut occupé à la garde & au
ſervice du Fort .
2 Le 7 Juillet au masin , l'armée fut toute employé
au travail des abbatis , ſous la protection
des compagnies de Grenadiers & des Volontaires
qui la couvroient. Les Officiers , la hache à la
main, donnoient l'exemple , & les drapeaux étoient
plantés ſur l'ouvrage. La gauche occupée par les
bataillons de la Sarre & de Languedoc , étoit appuyée
à un eſcarpement diſtant de quatre- vingt
toiſes de la riviere de la Chute. Le fommet de
l'eſcarpement étoit couronné par un abbatis. Cet
abbatis flanquoit une trouée que gardoient de
front les deux compagnies de Volontaires de
1
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
me ,
Bernard&deDuprat. Derriere cette trouée , on
devoit placer fix pieces de canon. La droite gardée
par la Reine , Bearn &Guyenne, étoit également
appuyée à une hauteur dont la pente n'étoit pas
fi roide que celle de lagauche. Dans la plaine
entre cette hauteur & la riviere de Saint- Frederic
furent portés les Troupes de la Colonie & les
Canadiens , qui s'y retrancherent auſſi avec des
abbatis. Le canon du Fort étoit dirigé ſur cette
partie , ainſi que ſur le lieu où le débarquement
pouvoit ſe faire àla gauche de nos retranchemens.
Le centre ſuivoit les ſinuoſités du terrein , confervant
le ſommet des hauteurs , &toutes les parties
ſe flanquoient réciproquement. Ce centre étoit
formé par les bataillons de Royal Rouffillon &
par le premier bataillon de Berry. Dans tout le
front de la ligne , chaque bataillon avoit derriere
lui une compagnie de Grenadiers & un Piquet en
réſerve.
Ceseſpeces de retranchemens étoient faits de
zroncs d'arbres couchés les uns ſur les autres
ayant en avant des arbres renversés , dont les
branches coupées & pointues faifoient l'effet de
chevaux de frife .
Le 7 au foir , il arriva quatre cens hommes
d'élite des Troupes qui avoient d'abord eu une
deftination particuliere ſous les ordres de M. le
Chevalier de Levis. Leur arrivée répandit une
grande joie dans notte armée , & M. le Chevalier
de Levis arriva bientôt après avec M. de Sennezergues,
Lieutenant Colonel du Régiment de la Sarre.
M. le Marquis de Montcalm chargea le Chevalier
de Levis de la défenſe de la droite, le ſieur de
Bourlamaque de celle de la gauche , & il ſe réſerva
le commandement du centre , pour être plus à
portéede donner ſes ordres partout.
OCTOBRE. 1758. 201
L'armée coucha au bivouac. Le 8. à la pointe
du jour , on battit la générale , pour que toutes les
troupes puſſent connoître leurs poſtes. Après ce
mouvement , une partie fut employée à achever
l'abbatis , & l'autre à conſtruire les batteries .
Vers les dix heures du matin, les troupes legeres
des ennemis parurent de l'autre côté de la riviere
, & firent un grand feu , mais de fi loin , que
l'on continua le travail ſans leur répondre..
A midi & demi leur armée déboucha fur nous.
Nos gardes avancées , ainſi que les volontaires &
les compagnies de grenadiers , ſe replierent en bon
ordre,& rentrerent dans la ligne , ſans perdre un
ſeulhomme. Au moment même du ſignal convenu,
les travailleurs & toutes les troupes furent à leurs
armes& à leurs poſtes. La gauche fut la premiere
attaquée par deux colonnes , dont l'une cherchoit
à tourner le retranchement , & ſe trouva ſous le
feu du Régiment de la Sarre ; l'autre dirigea ſes
efforts ſur un angle ſaillant , entre Languedoc &
Berry. Le centre où étoit Royal Rouffillon , fut
attaqué preſqu'en même temps par une troiſieme
colonne,& une quatrieme porta ſon attaque vers
la droite , entre les Bataillons de Bearn & de la
Reine.
Comme les troupes de la Colonie & les Canadiens
, qui occupoient la plaine du côté de la riviere
de Saint - Frédéric ne furent point attaqués , ils
fortirent de leur retranchement , prirent en flanc
la colonne qui attaquoit notre droite ,& tomberent
deſſus avec la plus grande valeur ; çes troupes
étoient commandées par le ſieur de Remond , Capitaine.
Environ à cinq heures , la colonne qui avoit attaqué
les Bataillons de Royal Rouſillon , s'étoit
rejettée ſur l'angle ſaillant du retranchement , dé
Lv
202 MERCURE DE FRANCE.
fendu par le Bataillon de Guyenne & par la gauche
de celui de Bearn : la colonne qui avoit attaqué
les Bataillons de la Reine & de Bearn , s'y rejetta
auſſi , de forte que le danger devint très-grand
à cette attaque. M. le Chevalier de Levis s'y porta
avec quelques troupes de la droite : M. le Marquis
de Montcalm y accourut auſſi avec quelques
troupes de réſerve. Ils firent éprouver aux ennemis
une réſiſtance qui rallentit d'abord leur ardeur.
Le ſieur de Bourlamaque fut bleſſé à cette
attaque , & les ſieurs de Sennezergues & de Privat
, Lieutenans-Colonels , le ſuppléerent.
Vers les fix heures , les deux colonnes de la droite
abandonnerent leur attaque , vinrent faire encore
une tentative contre les Bataillons de Royal
Rouffillon & de Berry , &enfin tenterent un dernier
effort à la gauche.
Depuis fix heures juſqu'à ſept , l'armée ennemie
s'occupa de fa retraite , favoriſée par le feu de ſes
troupes légeres , qui dura juſqu'à la nuit.
Pendant l'action , le feu prit en pluſieurs endroits
; mais il fut éteint ſur le champ. On reçur
du Fort en munitions & en rafraîchiſſemens , tousles
ſecours néceſſaires .
L'obſcurité de la nuit , l'épuiſement & le petir
nombre de nos troupes , les forces de l'ennemi
qui , malgré ſa défaite , étoient encore bien ſupérieures
aux nôtres , la nature du pays dans lequel
on ne peut s'engager ſans guides , ne permirent
pas à nos troupes de pourſuivre lesAnglois. On
comptoit même qu'ils reviendroient le lendemain à
lacharge , mais ils avoient abandonné les poſtes
de la Chute & du Portage ; & M. le Chevalier de
Levis qui fut envoyé le lendemain pour les reconnoître
, ne trouva que des traces d'une fuite precipitée.
OCTOBRE. 1758 . 203
Ön eſtime la perte des ennemis d'après le rapport
de leurs priſonniers , à quatre mille hommes
tués ou bleſſés , parmi leſquels il y a pluſieurs
Officiers de marque. Le Lord How & le ſieur
Spitall , Major général des Troupes réglées , ont
été tués.
Cinq cens Sauvages qui étoient dans l'armée
Angloiſe , ſont toujours reſtés derriere , &n'ont
pas voulu prendre part à l'action .
Le ſuccès de cette journée eſt dû aux bonnes
diſpoſitions de M. le Marquis de Montcalm , &
à la valeur de nos troupes. MM. le Chevalier de
Levis & de Bourlamaque , ſe ſont diftingués dans
le commandement de la droite & de la gauche ;
le premier a eu pluſieurs coups de fufil dans fon
habit , & le ſecond a été bleſſé dangereuſement.
M. de Bougainville , Aide de Camp de M. le Marquis
de Montcalm & M. de Langis , ont été
bleſſés à ſes côtés. Tous les Officiers en général
méritent les plus grands éloges .
Nous avons perdu douze Officiers & quatrevingt-
douze foldats tués ſur le champ de bataille.
Il y a eu vingt- cinq Officiers , & deux cens quarante-
huit foldats bleſſés .
Le Corſaire le Moiſſonneur , eſt rentré dans le
port de Dunkerque avec une priſe Angloiſe eſtimée
vingt-deux mille livres , & une rançon de
deux cens cinquante guinées. Il va armer de nouveau
pour ſa troiſieme courſe , qui aura lieu à la
finde ce mois .
les Troupes du Roi , commandées par M. le Marquis
de Montcalm , & celles d'Angleterre , aux
ordres du Général Abercromby.
M. le Marquis de Montcalm ayant été envoyé
par M. le Marquis de Vaudreuil , Gouverneur
Général du Canada, pour protéger la frontiere de
la Cólonie du côté du Lac Saint- Sacrement , fe
rendit à Carillon le 30 Juin. Il y trouva huit Bataillons
de troupes de terre , une compagnie de
Canonniers , deux à trois cens Ouvriers , & quelques
Sauvages. Il reçut quelques jours après un
renfort de quatre cens hommes des troupes de la
Colonie & des Canadiens , commandés par M. de
Remond , Capitaine. Il apprit à Carillon , que les
Anglois avoient aſſemblé au fonds du Lac Saint-
Sacrement , près des ruines du Fort Georges , une
armée compoſée de vingt mille hommes deMilice
, & de fix mille de troupes réglées , aux ordres
du Major Général Abercromby , & qu'elle devoit
ſe mettre en mouvement pour s'emparer du Fort
Carillon& envahir le Canada. Sur l'avis que M.
leMarquis de Montcalm en donna à M. le Marquisde
Vaudreuil ,& fur ceux que ce Gouverneur
en avoit déja reçus , il changea la deftination de
M. le Chevalier de Levis , qui avoit été détaché
du côté de Corlac ; il lui donna ordre de ſe joindre
à M. le Marquis de Montcalm , & fit les
diſpoſitions néceſſaires pour lui procurer d'autres
renforts.
M. le Marquis de Montcalm prit d'abord le
parti d'occuper le poſte de la Chute , fur le bord
du Lac Saint-Sacrement , pour retarder l'ennemi,
OCTOBRE. 1758.
ة ر و
Il y reſta juſqu'au 6 Juillet que les Anglois parurent
en force fur le Lac. M. le Marquis de Montcalm
repaſſa la riviere de la Chute avec toutes
fes troupes , pour venir camper ſous le Fort Carillon
, où il avoit déja fait tracer des retranchemens
. Il envoya en même temps différens détachemens
, pour harceler l'ennemi dans ſa deſcente.
Un de ces détachemens , commandé par MM. de
Trépezée & de Langis , s'étant égaré par la faure
des guides , tomba dans une colonne de l'armée
ennemie déja toute formée.
De ce détachement , qui étoit d'environ trois
cens hommes , il y eut deux Officiers tués , qua
tre Sauvages , & cent quatre-vingt- quatre foldats
desTroupes & Milices tués , ou priſonniers ; le
reſte joignit le corps de nos Troupes.
:
M. le Marquis de Montcalm n'avoit dans ſon
camp devant Carillon en y arrivant , qu'environ
deux mille huit cens hommes de troupes de France
, & quatre cens cinquante de la Colonie , encore
faut-il diſtraire de ce nombre un des batail
lons de Berry , lequel , à l'exception de ſa compagnie
deGrenadiers , fut occupé à la garde & au
ſervice du Fort .
2 Le 7 Juillet au masin , l'armée fut toute employé
au travail des abbatis , ſous la protection
des compagnies de Grenadiers & des Volontaires
qui la couvroient. Les Officiers , la hache à la
main, donnoient l'exemple , & les drapeaux étoient
plantés ſur l'ouvrage. La gauche occupée par les
bataillons de la Sarre & de Languedoc , étoit appuyée
à un eſcarpement diſtant de quatre- vingt
toiſes de la riviere de la Chute. Le fommet de
l'eſcarpement étoit couronné par un abbatis. Cet
abbatis flanquoit une trouée que gardoient de
front les deux compagnies de Volontaires de
1
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
me ,
Bernard&deDuprat. Derriere cette trouée , on
devoit placer fix pieces de canon. La droite gardée
par la Reine , Bearn &Guyenne, étoit également
appuyée à une hauteur dont la pente n'étoit pas
fi roide que celle de lagauche. Dans la plaine
entre cette hauteur & la riviere de Saint- Frederic
furent portés les Troupes de la Colonie & les
Canadiens , qui s'y retrancherent auſſi avec des
abbatis. Le canon du Fort étoit dirigé ſur cette
partie , ainſi que ſur le lieu où le débarquement
pouvoit ſe faire àla gauche de nos retranchemens.
Le centre ſuivoit les ſinuoſités du terrein , confervant
le ſommet des hauteurs , &toutes les parties
ſe flanquoient réciproquement. Ce centre étoit
formé par les bataillons de Royal Rouffillon &
par le premier bataillon de Berry. Dans tout le
front de la ligne , chaque bataillon avoit derriere
lui une compagnie de Grenadiers & un Piquet en
réſerve.
Ceseſpeces de retranchemens étoient faits de
zroncs d'arbres couchés les uns ſur les autres
ayant en avant des arbres renversés , dont les
branches coupées & pointues faifoient l'effet de
chevaux de frife .
Le 7 au foir , il arriva quatre cens hommes
d'élite des Troupes qui avoient d'abord eu une
deftination particuliere ſous les ordres de M. le
Chevalier de Levis. Leur arrivée répandit une
grande joie dans notte armée , & M. le Chevalier
de Levis arriva bientôt après avec M. de Sennezergues,
Lieutenant Colonel du Régiment de la Sarre.
M. le Marquis de Montcalm chargea le Chevalier
de Levis de la défenſe de la droite, le ſieur de
Bourlamaque de celle de la gauche , & il ſe réſerva
le commandement du centre , pour être plus à
portéede donner ſes ordres partout.
OCTOBRE. 1758. 201
L'armée coucha au bivouac. Le 8. à la pointe
du jour , on battit la générale , pour que toutes les
troupes puſſent connoître leurs poſtes. Après ce
mouvement , une partie fut employée à achever
l'abbatis , & l'autre à conſtruire les batteries .
Vers les dix heures du matin, les troupes legeres
des ennemis parurent de l'autre côté de la riviere
, & firent un grand feu , mais de fi loin , que
l'on continua le travail ſans leur répondre..
A midi & demi leur armée déboucha fur nous.
Nos gardes avancées , ainſi que les volontaires &
les compagnies de grenadiers , ſe replierent en bon
ordre,& rentrerent dans la ligne , ſans perdre un
ſeulhomme. Au moment même du ſignal convenu,
les travailleurs & toutes les troupes furent à leurs
armes& à leurs poſtes. La gauche fut la premiere
attaquée par deux colonnes , dont l'une cherchoit
à tourner le retranchement , & ſe trouva ſous le
feu du Régiment de la Sarre ; l'autre dirigea ſes
efforts ſur un angle ſaillant , entre Languedoc &
Berry. Le centre où étoit Royal Rouffillon , fut
attaqué preſqu'en même temps par une troiſieme
colonne,& une quatrieme porta ſon attaque vers
la droite , entre les Bataillons de Bearn & de la
Reine.
Comme les troupes de la Colonie & les Canadiens
, qui occupoient la plaine du côté de la riviere
de Saint - Frédéric ne furent point attaqués , ils
fortirent de leur retranchement , prirent en flanc
la colonne qui attaquoit notre droite ,& tomberent
deſſus avec la plus grande valeur ; çes troupes
étoient commandées par le ſieur de Remond , Capitaine.
Environ à cinq heures , la colonne qui avoit attaqué
les Bataillons de Royal Rouſillon , s'étoit
rejettée ſur l'angle ſaillant du retranchement , dé
Lv
202 MERCURE DE FRANCE.
fendu par le Bataillon de Guyenne & par la gauche
de celui de Bearn : la colonne qui avoit attaqué
les Bataillons de la Reine & de Bearn , s'y rejetta
auſſi , de forte que le danger devint très-grand
à cette attaque. M. le Chevalier de Levis s'y porta
avec quelques troupes de la droite : M. le Marquis
de Montcalm y accourut auſſi avec quelques
troupes de réſerve. Ils firent éprouver aux ennemis
une réſiſtance qui rallentit d'abord leur ardeur.
Le ſieur de Bourlamaque fut bleſſé à cette
attaque , & les ſieurs de Sennezergues & de Privat
, Lieutenans-Colonels , le ſuppléerent.
Vers les fix heures , les deux colonnes de la droite
abandonnerent leur attaque , vinrent faire encore
une tentative contre les Bataillons de Royal
Rouffillon & de Berry , &enfin tenterent un dernier
effort à la gauche.
Depuis fix heures juſqu'à ſept , l'armée ennemie
s'occupa de fa retraite , favoriſée par le feu de ſes
troupes légeres , qui dura juſqu'à la nuit.
Pendant l'action , le feu prit en pluſieurs endroits
; mais il fut éteint ſur le champ. On reçur
du Fort en munitions & en rafraîchiſſemens , tousles
ſecours néceſſaires .
L'obſcurité de la nuit , l'épuiſement & le petir
nombre de nos troupes , les forces de l'ennemi
qui , malgré ſa défaite , étoient encore bien ſupérieures
aux nôtres , la nature du pays dans lequel
on ne peut s'engager ſans guides , ne permirent
pas à nos troupes de pourſuivre lesAnglois. On
comptoit même qu'ils reviendroient le lendemain à
lacharge , mais ils avoient abandonné les poſtes
de la Chute & du Portage ; & M. le Chevalier de
Levis qui fut envoyé le lendemain pour les reconnoître
, ne trouva que des traces d'une fuite precipitée.
OCTOBRE. 1758 . 203
Ön eſtime la perte des ennemis d'après le rapport
de leurs priſonniers , à quatre mille hommes
tués ou bleſſés , parmi leſquels il y a pluſieurs
Officiers de marque. Le Lord How & le ſieur
Spitall , Major général des Troupes réglées , ont
été tués.
Cinq cens Sauvages qui étoient dans l'armée
Angloiſe , ſont toujours reſtés derriere , &n'ont
pas voulu prendre part à l'action .
Le ſuccès de cette journée eſt dû aux bonnes
diſpoſitions de M. le Marquis de Montcalm , &
à la valeur de nos troupes. MM. le Chevalier de
Levis & de Bourlamaque , ſe ſont diftingués dans
le commandement de la droite & de la gauche ;
le premier a eu pluſieurs coups de fufil dans fon
habit , & le ſecond a été bleſſé dangereuſement.
M. de Bougainville , Aide de Camp de M. le Marquis
de Montcalm & M. de Langis , ont été
bleſſés à ſes côtés. Tous les Officiers en général
méritent les plus grands éloges .
Nous avons perdu douze Officiers & quatrevingt-
douze foldats tués ſur le champ de bataille.
Il y a eu vingt- cinq Officiers , & deux cens quarante-
huit foldats bleſſés .
Le Corſaire le Moiſſonneur , eſt rentré dans le
port de Dunkerque avec une priſe Angloiſe eſtimée
vingt-deux mille livres , & une rançon de
deux cens cinquante guinées. Il va armer de nouveau
pour ſa troiſieme courſe , qui aura lieu à la
finde ce mois .
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Résumé : Détail de l'affaire qui s'est passée le 8 Juillet entre les Troupes du Roi, commandées par M. le Marquis de Montcalm, & celles d'Angleterre, aux ordre du Général Abercromby.
Le 8 juillet, les troupes françaises dirigées par le Marquis de Montcalm affrontèrent les forces anglaises commandées par le Général Abercromby près du Fort Carillon. Montcalm, envoyé par le Gouverneur Général du Canada, le Marquis de Vaudreuil, avait pour mission de défendre la frontière du Lac Saint-Sacrement. Informé de l'approche d'une armée anglaise de vingt-cinq mille hommes, il prit position à la Chute et fit construire des retranchements autour du Fort Carillon. Le 7 juillet, les troupes françaises renforcèrent leurs défenses. Le 8 juillet, à l'aube, les Anglais lancèrent leur attaque. Les Français, bien positionnés, repoussèrent les assauts ennemis grâce à une défense organisée et à l'utilisation stratégique des abattis et des canons. Les Canadiens et les milices jouèrent un rôle crucial en prenant à revers une colonne ennemie. La bataille dura jusqu'au soir, avec des pertes importantes pour les Anglais, estimées à quatre mille hommes tués ou blessés, incluant plusieurs officiers de haut rang. Les Français perdirent douze officiers et quatre-vingt-douze soldats tués, et vingt-cinq officiers et deux cent quarante-huit soldats blessés. Après la bataille, les Anglais se retirèrent, laissant derrière eux des traces de fuite précipitée. Le succès français fut attribué aux stratégies de Montcalm et au courage des troupes.
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