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51
p. 427-428
SUR UNE GAGEURE.
Début :
En voyant mille attraits parer votre visage, [...]
Mots clefs :
Gageure, Mariage, Victoire, Beauté, Hyménée , Vertu, Destinée
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texteReconnaissance textuelle : SUR UNE GAGEURE.
SUR UNE GAGEURE..
EN voyant mille attraits parer votre visage ,
Et mille Amans à vos genoux ;
Je gageai que le mariage ,
Etoit , belle Caton , à quatre pas de vous :
Et qu'avant la fin de l'année ,
Le charmant Dieu de l'Hymenée ,
Formant pour vous les noeuds les plus beaux ,
plus doux ,
Uniroit votre destinée
Au plus fortuné des Epoux.
Vous fûtes assez témeraire ,
Four oser gager le contraire
Et vous l'emportez cependant ;
Ce jour où l'on se renouvelle ,
Vous trouve encore Demoiselle ,.
Vous avez gagné , je me rends.
Je sçavois bien que la victoire ,
De vous suivre en tous lieux faisoit profession }
Mais aussi qui n'auroit du croire ,
Qu'elle vous manqueroit en cette occasion ?
Vainement s'excuseroit- elle ,
Sur sa longue habitude à marcher sur vos pas ,
Ce n'étoit point ici le cas ,
De vous paroître si fidele ;
?
less
Et
428 MERCURE DE FRANCE.
Et j'ai peine à lui pardonner ,
Une si grossiere méprise ,
Car en votre personne il n'est rien qui ne dise,
Que je méritois de gagner.
On y trouve un beau caractère.
Un coeur grand , genereux , sincere ,
La vertu , l'esprit , la beauté ,
Les graces et la majesté ,
Les agrémens de la jeunesse ,
Les traits de la délicatesse ,
J'en dirois cent fois plus que j'en dirois trop peų;
Mais enfin plus je considere ,
Moins je vois comment j'ai pû faire ,
Pour perdre avec un si beau jeu.
EN voyant mille attraits parer votre visage ,
Et mille Amans à vos genoux ;
Je gageai que le mariage ,
Etoit , belle Caton , à quatre pas de vous :
Et qu'avant la fin de l'année ,
Le charmant Dieu de l'Hymenée ,
Formant pour vous les noeuds les plus beaux ,
plus doux ,
Uniroit votre destinée
Au plus fortuné des Epoux.
Vous fûtes assez témeraire ,
Four oser gager le contraire
Et vous l'emportez cependant ;
Ce jour où l'on se renouvelle ,
Vous trouve encore Demoiselle ,.
Vous avez gagné , je me rends.
Je sçavois bien que la victoire ,
De vous suivre en tous lieux faisoit profession }
Mais aussi qui n'auroit du croire ,
Qu'elle vous manqueroit en cette occasion ?
Vainement s'excuseroit- elle ,
Sur sa longue habitude à marcher sur vos pas ,
Ce n'étoit point ici le cas ,
De vous paroître si fidele ;
?
less
Et
428 MERCURE DE FRANCE.
Et j'ai peine à lui pardonner ,
Une si grossiere méprise ,
Car en votre personne il n'est rien qui ne dise,
Que je méritois de gagner.
On y trouve un beau caractère.
Un coeur grand , genereux , sincere ,
La vertu , l'esprit , la beauté ,
Les graces et la majesté ,
Les agrémens de la jeunesse ,
Les traits de la délicatesse ,
J'en dirois cent fois plus que j'en dirois trop peų;
Mais enfin plus je considere ,
Moins je vois comment j'ai pû faire ,
Pour perdre avec un si beau jeu.
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Résumé : SUR UNE GAGEURE.
Le texte décrit une gageure entre deux individus concernant le mariage de Caton. Le narrateur parie que Caton se mariera avant la fin de l'année, tandis que Caton parie le contraire. À la fin de l'année, Caton reste célibataire, remportant ainsi la gageure. Le narrateur reconnaît sa défaite et exprime son étonnement. Il souligne les nombreuses qualités admirables de Caton, telles qu'un beau caractère, un cœur généreux, de la sincérité, de la vertu, de l'esprit, de la beauté, des grâces, de la majesté, des agréments de jeunesse et des traits de délicatesse. Il se demande comment il a pu perdre la gageure malgré ces qualités.
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52
p. 2331-2333
L'HABILE FAUVETTE. CONTE.
Début :
Il ne faut pas s'arrêter à la mine : [...]
Mots clefs :
Fauvette, Beauté, Raison, Oiseau
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texteReconnaissance textuelle : L'HABILE FAUVETTE. CONTE.
L'HABILE FAUVETTE.
CONTE.
I L ne faut pas s'arrêter à la mine :
Ce vieux Proverbe enferme une Doctrine
Que peu de gens sçavent mettre à profit
La Beauté plaît , nôtre coeur nous séduit ,
Et la raison devient enfin muette.
Si l'on ne sçait comme fit ma Fauvette ,
Prendre d'abord un genereux Parti
Ecoutez- en le conte , le voici ,
Certain Oiseau , bien fait , beau de Plumage
A la Fauvette offroit son tendre hommage ,
Et lui contoit , que son coeur amoureux
Plein de désirs , brûlant de mille feux ,
No
2332 MERCURE DE FRANCE
Ne pouvoit plus se réduire au Mystere :
Ah ! disoit- il , si jamais de vous plaire
Je possedois le solide bonheur ,
Point ne verriez éteindre mon 'ardeur ,
Mais bien plutôt seroit - elle augmentée
Par le plaisir de la voir acceptée.
Je suis charmant , doux , sincere et discret ,
Accommodant.... bref , sans aller au fait ,
Il enfiloit très longue Kyrielle
De ses vertus lorsqu'enfin la Donselle
L'arrêta court , et lui dit : croyez- moi ,
De nos Oiseauxvous pourriez être Roy ,
Vous êtes beau , d'agréable encolure ,
Vives couleurs ornent vôtre parure ,
Je le vois bien : mais ( soit dit entre nous )
C'est peu pour moi , si c'est beaucoup pour vous,
En cûssiez -vous une plus forte doze ,
Car en amour , beauté c'est quelque chose J
Mais n'est pas tout. Auriez -vous , dites- moi ,
Ce grand talent ? .... vous m'entendez , je croy
Las ! que trop bien , ce n'est - là mon mérite ,
Répond l'Oiseau , ma chevance est petite ,
Et ne voudrois sur ce point vous leurrer ,
Puisqu'aussi-bien , je n'en pourrois tirer
Que peu de fruit...... d'or vous parlez , beau Sirej
Ecoutez donc ce que je vais vous dire ;
Yous connoîtrez que sincere à mon tour
Pas
OCTO BRE . - 1731 2335,
Pas n'ay dessein d'amuser vôtre amour :
Il est ici , dans ce chrrmant Boccage
Mille Moineaux faits pour le Badinage
S'ils ne sont point aussi parez que vous ,
Peu nous en chault , la parure chez nous
N'est d'aucun prix : mais aussi la Nature
En négligeant leur petite figure ,
Les a comblez de ces rares faveurs ,
Qui de tout temps ont sçû gagner les coeurs
Toûjours tout prêts pour l'amoureux mystere ,
Vous les verriez revenir de Cythere ,
Y retourner chaque jour tant de fois ,
Que nous n'avons aucun lieu dans ce Bois
Qui n'aît été témoin de leur courage :
'Adonc , voyez que je serois peu sage
Si je m'allois , dans mes besoins urgents
Broüiller pour vous avec de telles gens ;
Rien n'en ferai , je suis par trop prudente :
Mais puisqu'enfin ma conquête vous tente ,
Retranchez -vous à la bonne amitié ,
Car il est vray que de vous j'ai pitié ,
Et ne voudrois du tout vous éconduire :
Or voyez donc si cela peut vous duire ;
Pour y penser , je vous donne du temps ,
Consolez -vous ; Adieu jusqu'au Printemps.
P. M. F. L.
CONTE.
I L ne faut pas s'arrêter à la mine :
Ce vieux Proverbe enferme une Doctrine
Que peu de gens sçavent mettre à profit
La Beauté plaît , nôtre coeur nous séduit ,
Et la raison devient enfin muette.
Si l'on ne sçait comme fit ma Fauvette ,
Prendre d'abord un genereux Parti
Ecoutez- en le conte , le voici ,
Certain Oiseau , bien fait , beau de Plumage
A la Fauvette offroit son tendre hommage ,
Et lui contoit , que son coeur amoureux
Plein de désirs , brûlant de mille feux ,
No
2332 MERCURE DE FRANCE
Ne pouvoit plus se réduire au Mystere :
Ah ! disoit- il , si jamais de vous plaire
Je possedois le solide bonheur ,
Point ne verriez éteindre mon 'ardeur ,
Mais bien plutôt seroit - elle augmentée
Par le plaisir de la voir acceptée.
Je suis charmant , doux , sincere et discret ,
Accommodant.... bref , sans aller au fait ,
Il enfiloit très longue Kyrielle
De ses vertus lorsqu'enfin la Donselle
L'arrêta court , et lui dit : croyez- moi ,
De nos Oiseauxvous pourriez être Roy ,
Vous êtes beau , d'agréable encolure ,
Vives couleurs ornent vôtre parure ,
Je le vois bien : mais ( soit dit entre nous )
C'est peu pour moi , si c'est beaucoup pour vous,
En cûssiez -vous une plus forte doze ,
Car en amour , beauté c'est quelque chose J
Mais n'est pas tout. Auriez -vous , dites- moi ,
Ce grand talent ? .... vous m'entendez , je croy
Las ! que trop bien , ce n'est - là mon mérite ,
Répond l'Oiseau , ma chevance est petite ,
Et ne voudrois sur ce point vous leurrer ,
Puisqu'aussi-bien , je n'en pourrois tirer
Que peu de fruit...... d'or vous parlez , beau Sirej
Ecoutez donc ce que je vais vous dire ;
Yous connoîtrez que sincere à mon tour
Pas
OCTO BRE . - 1731 2335,
Pas n'ay dessein d'amuser vôtre amour :
Il est ici , dans ce chrrmant Boccage
Mille Moineaux faits pour le Badinage
S'ils ne sont point aussi parez que vous ,
Peu nous en chault , la parure chez nous
N'est d'aucun prix : mais aussi la Nature
En négligeant leur petite figure ,
Les a comblez de ces rares faveurs ,
Qui de tout temps ont sçû gagner les coeurs
Toûjours tout prêts pour l'amoureux mystere ,
Vous les verriez revenir de Cythere ,
Y retourner chaque jour tant de fois ,
Que nous n'avons aucun lieu dans ce Bois
Qui n'aît été témoin de leur courage :
'Adonc , voyez que je serois peu sage
Si je m'allois , dans mes besoins urgents
Broüiller pour vous avec de telles gens ;
Rien n'en ferai , je suis par trop prudente :
Mais puisqu'enfin ma conquête vous tente ,
Retranchez -vous à la bonne amitié ,
Car il est vray que de vous j'ai pitié ,
Et ne voudrois du tout vous éconduire :
Or voyez donc si cela peut vous duire ;
Pour y penser , je vous donne du temps ,
Consolez -vous ; Adieu jusqu'au Printemps.
P. M. F. L.
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Résumé : L'HABILE FAUVETTE. CONTE.
Le conte 'L'Habile Fauvette' relate une interaction entre oiseaux pour transmettre une leçon morale. Un oiseau séduisant courtise une fauvette en mettant en avant sa beauté, sa douceur et sa sincérité. La fauvette, bien que reconnaissant ces qualités, affirme que l'amour nécessite plus que la beauté. Elle interroge l'oiseau sur ses talents, mais celui-ci avoue en manquer. La fauvette préfère alors les moineaux, qui, malgré leur apparence moins attrayante, possèdent des qualités qui conquèrent les cœurs. Elle suggère à l'oiseau de se contenter d'une amitié et lui accorde du temps pour réfléchir, lui souhaitant de se consoler jusqu'au printemps.
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53
p. 147-149
LA FESTE D'IRIS, CANTATILLE, Mise en Musique, par M. RAILLARD.
Début :
Tendres amours, quittez Cythere, [...]
Mots clefs :
Yeux, Amours, Iris, Beauté
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texteReconnaissance textuelle : LA FESTE D'IRIS, CANTATILLE, Mise en Musique, par M. RAILLARD.
CANTATIL LE.»
Mise en Musique, par M. Rununnä
TEndres amours , quittez Cythete,
Suivez les graces et les Ris;
Ils abandonnent votre Mere ,
Pour briller chez la belle Iris.
M ,
On celebre aujounÿhui sa Fête,
Vole? . allez cueillir des fleurs 5
Hâtcz-vous , couronnez sa tête,
Bac: "lui présenter des coeurs,
Tendres amours . quittez Cytherc ,‘
suivez les graces et lesllis,
118 abandonnent votre tnetc ,
Pour brille: chez la belle Iris
1
145” MERCURAË DË ËR ÀNCÈ
' Les Enfans de Venus exaucent ma priere ,
Mes yeux sont éblouis quel éclat de lumiere!
Je voi voler ces Dieux chatmans ,
Dans leur rapide Cours , ils devancent les Vents.)
Its amours vous. rendent hommage;
Iris , votre beauté mérite des Autêls :
Le don de plaire est votre doux partage g
Triomphez de tous les mortels.
Les amours vous rendent hommage ,
. a I _
Iris , votre beauté mente des Auteis.
âië
Les habitans Je ces Boeages ; '
Font entendre de doux Concerts;
lt les petits Oyseaux unissent leurs ramages,‘
A ces Chants qui {tapent les Airs.
i?! . ‘ _
Belle Iris gregnez‘ sans cesse,
Sur les Bergers de ces lieux;
Le tendre amour qui les blesse,‘
Fait son séjour dans vos yeux.
N « a M
Les doux‘ traits que ce Dieu lance ,
Attcndrissent tous les coeurs ;
Rien ne leur fait résistance; *
yos yeux les rendent vainqueurs.‘
Belle
JAN V I E R. 1733.‘ r45
pelle Iris , regnez sans‘ cesse,’ '
Sur les Bergers de ces lieux ;
Le tendre amour qui les blesse,
Fait son séjour dans vos yeux, _[_
Par M. Pfljficbafll.
Mise en Musique, par M. Rununnä
TEndres amours , quittez Cythete,
Suivez les graces et les Ris;
Ils abandonnent votre Mere ,
Pour briller chez la belle Iris.
M ,
On celebre aujounÿhui sa Fête,
Vole? . allez cueillir des fleurs 5
Hâtcz-vous , couronnez sa tête,
Bac: "lui présenter des coeurs,
Tendres amours . quittez Cytherc ,‘
suivez les graces et lesllis,
118 abandonnent votre tnetc ,
Pour brille: chez la belle Iris
1
145” MERCURAË DË ËR ÀNCÈ
' Les Enfans de Venus exaucent ma priere ,
Mes yeux sont éblouis quel éclat de lumiere!
Je voi voler ces Dieux chatmans ,
Dans leur rapide Cours , ils devancent les Vents.)
Its amours vous. rendent hommage;
Iris , votre beauté mérite des Autêls :
Le don de plaire est votre doux partage g
Triomphez de tous les mortels.
Les amours vous rendent hommage ,
. a I _
Iris , votre beauté mente des Auteis.
âië
Les habitans Je ces Boeages ; '
Font entendre de doux Concerts;
lt les petits Oyseaux unissent leurs ramages,‘
A ces Chants qui {tapent les Airs.
i?! . ‘ _
Belle Iris gregnez‘ sans cesse,
Sur les Bergers de ces lieux;
Le tendre amour qui les blesse,‘
Fait son séjour dans vos yeux.
N « a M
Les doux‘ traits que ce Dieu lance ,
Attcndrissent tous les coeurs ;
Rien ne leur fait résistance; *
yos yeux les rendent vainqueurs.‘
Belle
JAN V I E R. 1733.‘ r45
pelle Iris , regnez sans‘ cesse,’ '
Sur les Bergers de ces lieux ;
Le tendre amour qui les blesse,
Fait son séjour dans vos yeux, _[_
Par M. Pfljficbafll.
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Résumé : LA FESTE D'IRIS, CANTATILLE, Mise en Musique, par M. RAILLARD.
Le poème « CANTATIL LE. » est mis en musique par M. Rununnä. Il commence par une invocation aux « tendres amours » de quitter Cythère pour suivre les grâces et les ris, abandonnant leur mère pour briller chez la belle Iris. Le texte célèbre la fête d'Iris, invitant à cueillir des fleurs pour la couronner et lui présenter des cœurs. Les enfants de Vénus exaucent une prière, et Mercure décrit une scène où les dieux charmants volent rapidement, devançant les vents. Iris est louée pour sa beauté, qui mérite des autels, et son don de plaire. Les habitants des bois et les oiseaux unissent leurs chants pour célébrer Iris. Le poème se termine par une répétition de l'invitation à Iris de régner sans cesse sur les bergers, soulignant que le tendre amour réside dans ses yeux. La date mentionnée est janvier 1733, et le poème est signé par M. Pfljficbafll.
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54
p. 431-434
ELEGIE, Par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croisic en Bretagne.
Début :
Tel qu'au bord du Méandre un Cigne languissant, [...]
Mots clefs :
Amour, Coeur, Voix, Flamme, Yeux, Beauté
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texteReconnaissance textuelle : ELEGIE, Par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croisic en Bretagne.
ELEGIE ,
Par Me de Malcrais de la Vigne
du Croisic en Bretagne.
TEl
El qu'au bord du Méandre un Cigne lan
guissant ,
Annonce son trépas par un lugubre chant ,
Tel , prêt à terminer une importune vie ,
Déchû de mon bonheur , oublié de Silvie ,
Mes tourmens aujourd'hui pour la derniere fois ,
Dans ces lieux désolez font entendre ma voix.
:
Tout est changé pour moi je vis hier l'ingrate ,
L'unique objet , hélas ! dont la beauté me flate
Eile
32 MERCURE DE FRANCE
1
Elle qui me juroit mille fois chaque jour ,
Qu'elle bruloit pour moi d'un immuable amour
Je la vis ; par l'Amour la Belle ailleurs conduite
M'apperçut , et soudain voulut prendre la fuite ,
Sans un civil égard qui retenant ses pas ,
La tourna vers celui qu'elle ne cherchoit pas.
L'infidele aussi- tôt à mon abord émuë ,
Rougit , pâlit , me parle en détournant la vûë ;
Et puis m'envisageant , semble à son air gêné ,
Plaindre un leger moment autre part destiné,
Dans ses yeux incertains son inconstance est
peinte.
'Alors du désespoir sentant la vive atteinté ,
Confus , m'abandonnant aux plus âpres douleurs,
Serrant ses belles mains que je mouille de pleurs;
D'un si prompt changement je demande la cause ;
Ma flâme à sa froideur est tout ce que j'oppose ,
Mais l'ingrate éludant des propos superflús ,
Non, dit-elle , Tircis, non , je ne t'aime plus.
Je suis lasse à la fin de vivre en Esclavage ;
Puis donnant un prétexte à son humeur volage ;
Retourne où l'on t'a vû , retourne chez Cloris ,
Vanter le nouveau feu dont ton coeur est épris,
A ces mots de mes bras elle s'est échappée .
Ce discours me surprend , mon ame en est frap
pée ,
Je frémis , et ma voix étouffée en mon sein ,
Refuse de m'aider à plaindre mon destin.
SemMARS.
1723.
4༢༣
Semblable au malheureux éfleuré par la foudre ,
Quoiqu'il vive , il se croit déja réduit en poudre,
Il demeure immobile , et son oeil ne sçait pas ,
Si c'est le jour qu'il voit , ou la nuit du trépas .
L'ai- je bien entendu ? quoi , d'un amour si tendre,
C'étoit donc là le fruit que je devois attendre ?
Allez , crédules coeurs , trop fideles Amans ,
Fiez-vous désormais aux transports , aux sermens:
On vous joue à la fin par une indigne ruse ;
C'est vous que l'on trahit , et c'est vous qu'on
accuse .
Ah ! puisque vers Silvie il n'est plus de retour ,
Mourons , fermons les yeux à la clarté du jour,"
Un Amant plus aimable occupe sa pensée ,
Elle rit avec lui de ma flâme insensée .
Mais toi , cruel Amour , d'une inutile ardeur ,
Veux-tu toujours bruler mon déplorable coeur ?
Non , barbare Tyran, Venus n'est point ta Mere,
Sur les Rives du Stix un Dragon fut ton pere ,
Une Hydre te porta dans son horrible flanc ,
Alecton te nourrit de poison et de sang ,
Et contre les Humains s'armant à force ouverte,
Le Tartare béant te vomit pour leur perte.
Mais , que fais - je ? et pourquoi ces outrageu
propos ?
Servent-ils à calmer la rigueur de mes maux ?
Veux -je encor de l'Amour irriter la colere?
Aimable et puissant Dieu que l'Univers révére ,
B Pardonne
434 MERCURE DE FRANCE /
Pardonne , Amour , pardonne à mes cruels tourmens
,
L'excès injurieux de mes emportemens.
Tu sçais le triste état où l'on est quand on aimes
De tes traits autrefois tu t'es blessé toi - même ;
La beauté de Psiché fut le brillant flambeau ,
Dont l'éclat se fit voir à travers ton bandeau,
Tu l'aimas tendrement et tu sentis pour elle ,
Ce qu'aujourd'hui je sens pour Silvie infidele,
Tu n'as qu'à commmander , tu pourras . , și t
yeux ,
Dans son coeur refroidi ressusciter tes feux.
'A tes divines loix mon ame est asservie ;
Mais s'il te plaît enfin de conserver ma vie ;
De mon coeur malheureux , vien briser le lien
Ou par un juste effort y ratacher le sien.
C'étoit dans la saison nouvelle ,
Que la solitaire Malcrais ,
Près d'un buisson cachée étoit assise au frais
Mille refléxions rouloient en sa cervelle ;
Quand la voix d'un Berger sur le champ la frappa
Sensible à son cruel martire ,
Elle écouta , plaignit , voulut ensuite écrire ,
Mais son foible crayon de ses doigts échappa.
Cependant de ce trouble où la pitié l'engage ,
La sévere Raison rappellant son esprit ,
Elle s'approcha davantage ,
Pour tracer ce fidele et douloureux récit.
Par Me de Malcrais de la Vigne
du Croisic en Bretagne.
TEl
El qu'au bord du Méandre un Cigne lan
guissant ,
Annonce son trépas par un lugubre chant ,
Tel , prêt à terminer une importune vie ,
Déchû de mon bonheur , oublié de Silvie ,
Mes tourmens aujourd'hui pour la derniere fois ,
Dans ces lieux désolez font entendre ma voix.
:
Tout est changé pour moi je vis hier l'ingrate ,
L'unique objet , hélas ! dont la beauté me flate
Eile
32 MERCURE DE FRANCE
1
Elle qui me juroit mille fois chaque jour ,
Qu'elle bruloit pour moi d'un immuable amour
Je la vis ; par l'Amour la Belle ailleurs conduite
M'apperçut , et soudain voulut prendre la fuite ,
Sans un civil égard qui retenant ses pas ,
La tourna vers celui qu'elle ne cherchoit pas.
L'infidele aussi- tôt à mon abord émuë ,
Rougit , pâlit , me parle en détournant la vûë ;
Et puis m'envisageant , semble à son air gêné ,
Plaindre un leger moment autre part destiné,
Dans ses yeux incertains son inconstance est
peinte.
'Alors du désespoir sentant la vive atteinté ,
Confus , m'abandonnant aux plus âpres douleurs,
Serrant ses belles mains que je mouille de pleurs;
D'un si prompt changement je demande la cause ;
Ma flâme à sa froideur est tout ce que j'oppose ,
Mais l'ingrate éludant des propos superflús ,
Non, dit-elle , Tircis, non , je ne t'aime plus.
Je suis lasse à la fin de vivre en Esclavage ;
Puis donnant un prétexte à son humeur volage ;
Retourne où l'on t'a vû , retourne chez Cloris ,
Vanter le nouveau feu dont ton coeur est épris,
A ces mots de mes bras elle s'est échappée .
Ce discours me surprend , mon ame en est frap
pée ,
Je frémis , et ma voix étouffée en mon sein ,
Refuse de m'aider à plaindre mon destin.
SemMARS.
1723.
4༢༣
Semblable au malheureux éfleuré par la foudre ,
Quoiqu'il vive , il se croit déja réduit en poudre,
Il demeure immobile , et son oeil ne sçait pas ,
Si c'est le jour qu'il voit , ou la nuit du trépas .
L'ai- je bien entendu ? quoi , d'un amour si tendre,
C'étoit donc là le fruit que je devois attendre ?
Allez , crédules coeurs , trop fideles Amans ,
Fiez-vous désormais aux transports , aux sermens:
On vous joue à la fin par une indigne ruse ;
C'est vous que l'on trahit , et c'est vous qu'on
accuse .
Ah ! puisque vers Silvie il n'est plus de retour ,
Mourons , fermons les yeux à la clarté du jour,"
Un Amant plus aimable occupe sa pensée ,
Elle rit avec lui de ma flâme insensée .
Mais toi , cruel Amour , d'une inutile ardeur ,
Veux-tu toujours bruler mon déplorable coeur ?
Non , barbare Tyran, Venus n'est point ta Mere,
Sur les Rives du Stix un Dragon fut ton pere ,
Une Hydre te porta dans son horrible flanc ,
Alecton te nourrit de poison et de sang ,
Et contre les Humains s'armant à force ouverte,
Le Tartare béant te vomit pour leur perte.
Mais , que fais - je ? et pourquoi ces outrageu
propos ?
Servent-ils à calmer la rigueur de mes maux ?
Veux -je encor de l'Amour irriter la colere?
Aimable et puissant Dieu que l'Univers révére ,
B Pardonne
434 MERCURE DE FRANCE /
Pardonne , Amour , pardonne à mes cruels tourmens
,
L'excès injurieux de mes emportemens.
Tu sçais le triste état où l'on est quand on aimes
De tes traits autrefois tu t'es blessé toi - même ;
La beauté de Psiché fut le brillant flambeau ,
Dont l'éclat se fit voir à travers ton bandeau,
Tu l'aimas tendrement et tu sentis pour elle ,
Ce qu'aujourd'hui je sens pour Silvie infidele,
Tu n'as qu'à commmander , tu pourras . , și t
yeux ,
Dans son coeur refroidi ressusciter tes feux.
'A tes divines loix mon ame est asservie ;
Mais s'il te plaît enfin de conserver ma vie ;
De mon coeur malheureux , vien briser le lien
Ou par un juste effort y ratacher le sien.
C'étoit dans la saison nouvelle ,
Que la solitaire Malcrais ,
Près d'un buisson cachée étoit assise au frais
Mille refléxions rouloient en sa cervelle ;
Quand la voix d'un Berger sur le champ la frappa
Sensible à son cruel martire ,
Elle écouta , plaignit , voulut ensuite écrire ,
Mais son foible crayon de ses doigts échappa.
Cependant de ce trouble où la pitié l'engage ,
La sévere Raison rappellant son esprit ,
Elle s'approcha davantage ,
Pour tracer ce fidele et douloureux récit.
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Résumé : ELEGIE, Par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croisic en Bretagne.
L'élégie de Madame de Malcrais de la Vigne, intitulée 'ELEGIE', exprime la douleur et le désespoir du poète face à l'infidélité de Silvie. Le poète compare son état à celui d'un cygne annonçant sa mort pour décrire sa souffrance après avoir vu Silvie avec un autre homme. Silvie, qui avait autrefois déclaré un amour immuable, avoue ne plus l'aimer et lui conseille de retourner auprès de Cloris. Cette révélation plonge le poète dans la stupeur et la douleur, se comparant à un homme foudroyé. Il met en garde contre la crédulité en amour et exprime son désir de mourir. Le poète maudit ensuite l'Amour, le décrivant comme un tyran cruel, avant de lui demander pardon. Le texte se conclut par la description de Malcrais, inspiré par la voix d'un berger, écrivant cette élégie pour exprimer son martyre.
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55
p. 772-773
Nouvelles Estampes, [titre d'après la table]
Début :
Il paroît depuis peu, chez la veuve Chereau, ruë S. Jacques, aux deux Pilliers d'or ; et chez [...]
Mots clefs :
Estampe, Peintre, Beauté
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Nouvelles Estampes, [titre d'après la table]
Il paroît depuis peu , chez la veuve Chereau
rue S. Jacques , aux deux Pilliers d'or ; et chez
Surrugues , Graveur du Roy , rue des Noyers ,
une Estampe nouvellement gravée d'après un
des plus beaux Tableaux de fen Watteau , Peintre
Flamand , de l'Academie Royale de Peinture
et de Sculpture. Le Sujet aussi galand qu'allégorique
, represente l'Embarquement des Pellerins
pour l'Isle de Cithere . Le Tableau original est
d'une grande composition et d'un effet charmant
; il est dans le Cabinet de M. de Jullienne,
lequel continue depuis plus de douze années à
faire graver tous les Ouvrages de ce gracieux
Peintre , nous pouvons assurer que celui - cy est
un de ceux qui fait le plus de plaisir. Il est tresheureusement
gravé par le sieur Tardieu , grande
Estampe en largeur.
Il paroît aussi une nouvelle Estampe en large ;
gravée par le sieur L. Desplaces , d'après un Tableau
du Parmesan , représentant Venus et l'Amour.
Elle se vend chez l'Auteur , ruë de la Jussienne.
Il paroît encore depuis peu deux fort belles
Estampes en large , qui ont un fort grand débit ,
chez le sieur Odieuvre , Marchand d'Estampes
sur le Quay de l'Ecole , vis -à - vis la Samaritaine
. Les Sujets sont la Naissance et la Mort dAdonis
tres- bien gravez , par le S Aubert , d'après
deux Tableaux originaux de M. Boucher ,
dont le Pinceau et le Dessein répondent à la
beauté de la composition.
r
L'Estam
AVRIL. 1733. 773
L'Estampe de la Dille Sallé , dont on a parlé
dans le dernier Mercure , pag. 54. a tres-bien
réussi , et fait tres - grand plaisir aux Curieux .
Cette admirable Danseuse est representée dansant
au son de quatre Instrumens , et suivie do
trois autres Danseuses , dans un beau Païsage
orné d'un riche morceau d'Architecture. Cette
Planche , qui fait directement pendant à celle de
la Dile Camargo, est tres - bien gravée par le sieur
Delarmessin , d'après l'original , peint par le sieur
Lancret , Peintre distingué de l'Académie. On
lit ces Vers au bas :
Maîtresse de cet Art , que guide l'Harmonie ,
Je peins les passions , j'exprime la gayeté ;
Je joints des pas brillans , au feu de mon génie ,
Les Graces , la Justesse et la Légereté ,
Sans offenser l'aimable modestie ,
Qui de mon sexe augmente la beauté.
Cette Estampe se vend chez le sieur Lancrer
à l'entrée du Quay de la Ferraille , à la Croix de
Perles ; chez N. Delarmessin , ruë du Platre ; et
chez la veuve Chereau , ruë S Jacques.
rue S. Jacques , aux deux Pilliers d'or ; et chez
Surrugues , Graveur du Roy , rue des Noyers ,
une Estampe nouvellement gravée d'après un
des plus beaux Tableaux de fen Watteau , Peintre
Flamand , de l'Academie Royale de Peinture
et de Sculpture. Le Sujet aussi galand qu'allégorique
, represente l'Embarquement des Pellerins
pour l'Isle de Cithere . Le Tableau original est
d'une grande composition et d'un effet charmant
; il est dans le Cabinet de M. de Jullienne,
lequel continue depuis plus de douze années à
faire graver tous les Ouvrages de ce gracieux
Peintre , nous pouvons assurer que celui - cy est
un de ceux qui fait le plus de plaisir. Il est tresheureusement
gravé par le sieur Tardieu , grande
Estampe en largeur.
Il paroît aussi une nouvelle Estampe en large ;
gravée par le sieur L. Desplaces , d'après un Tableau
du Parmesan , représentant Venus et l'Amour.
Elle se vend chez l'Auteur , ruë de la Jussienne.
Il paroît encore depuis peu deux fort belles
Estampes en large , qui ont un fort grand débit ,
chez le sieur Odieuvre , Marchand d'Estampes
sur le Quay de l'Ecole , vis -à - vis la Samaritaine
. Les Sujets sont la Naissance et la Mort dAdonis
tres- bien gravez , par le S Aubert , d'après
deux Tableaux originaux de M. Boucher ,
dont le Pinceau et le Dessein répondent à la
beauté de la composition.
r
L'Estam
AVRIL. 1733. 773
L'Estampe de la Dille Sallé , dont on a parlé
dans le dernier Mercure , pag. 54. a tres-bien
réussi , et fait tres - grand plaisir aux Curieux .
Cette admirable Danseuse est representée dansant
au son de quatre Instrumens , et suivie do
trois autres Danseuses , dans un beau Païsage
orné d'un riche morceau d'Architecture. Cette
Planche , qui fait directement pendant à celle de
la Dile Camargo, est tres - bien gravée par le sieur
Delarmessin , d'après l'original , peint par le sieur
Lancret , Peintre distingué de l'Académie. On
lit ces Vers au bas :
Maîtresse de cet Art , que guide l'Harmonie ,
Je peins les passions , j'exprime la gayeté ;
Je joints des pas brillans , au feu de mon génie ,
Les Graces , la Justesse et la Légereté ,
Sans offenser l'aimable modestie ,
Qui de mon sexe augmente la beauté.
Cette Estampe se vend chez le sieur Lancrer
à l'entrée du Quay de la Ferraille , à la Croix de
Perles ; chez N. Delarmessin , ruë du Platre ; et
chez la veuve Chereau , ruë S Jacques.
Fermer
Résumé : Nouvelles Estampes, [titre d'après la table]
En avril 1733, plusieurs estampes notables ont été mises en vente à Paris. Une estampe gravée par Tardieu, d'après un tableau de Jean-Antoine Watteau, représentant 'L'Embarquement pour l'île de Cythère', est disponible chez la veuve Chereau et chez Surrugues. Ce tableau, appartenant à M. de Jullienne, est considéré comme l'un des plus plaisants de Watteau. Une autre estampe, gravée par L. Desplaces d'après un tableau du Parmesan représentant Vénus et l'Amour, est vendue par son auteur rue de la Jussienne. Deux estampes représentant la Naissance et la Mort d'Adonis, gravées par Aubert d'après des tableaux de François Boucher, sont disponibles chez Odieuvre sur le Quay de l'Ecole. Enfin, une estampe de la danseuse Dille Sallé, gravée par Delarmessin d'après un original de Lancret, est également en vente chez plusieurs marchands. Cette estampe montre Dille Sallé dansant au son de quatre instruments, accompagnée de trois autres danseuses, dans un paysage orné d'architecture.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
56
p. 1581-1592
Anecdotes de la Cour de Phil. Auguste, [titre d'après la table]
Début :
Nous avons donné dans le second Volume du Mercure du mois de [...]
Mots clefs :
Alix de Rosoit, Comte de Rethel, Philippe Auguste, Coeur, Esprit, Coucy, Grâces, Beauté, Cour, Passion
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Anecdotes de la Cour de Phil. Auguste, [titre d'après la table]
Ous avons donné dans le second
Volume du Mercure du mois de
Juin , page 1376. un Extrait circonstancié
et assez étendu des Anecdotes de la
Cour de Philippe Augustes il nous est revenu
que le Lecteur en a été très- satisfait
, mais qu'il auroit désiré qu'en rendant
1582 MERCURE DE FRANCE
dant compte de cet Ouvrage on fut entré
un peu plus dans le détail des situations
interessantes , qu'on eut donné
quelques Portraits , quelques Fragmens
de conversations , quelques refléxions et
enfin quelques morceaux qui pûssent faire
connoître non- seulement le génie de
l'Auteur , mais encore ses sentimens , ses
lumieres et son stile. Nous allons tâcher
de satisfaire à ce qu'on éxige de
nous.
Dans la Cour et au Camp du Duc de
Bourgogne à Dijon , le Comte de Rethel
et le Sire de Couci s'attiroient l'attention
generale. Cette distinction étoit le fruit
de leurs conversations ; tantôt avec le
Duc , tantôt avec les personnes les plus
graves de sa Cour. On ne sçavoit en faveur
de qui des deux l'on devoit décider :
la solidité de leur esprit , l'étenduë de
leurs lumieres , l'usage moderé qu'ils en
faisoient , les rendoient égaux en mérite.
Ils ne conservoient pas cette même égalité
chez les Dames. Raoul de Couci y
étoit toujours vif , léger et galant ; Roger
de Rechel , étoit plus sérieux et plusretenu.
La joye animoit tous les discours
de l'un ; un air réservé , qui tenoit plus
de la tristesse que de la timidité , rendoit
tout ce que l'autre disoit moins brillant.
Les
JUILLET . 1733- 1583
·
Les Dames jouissoient de tout l'esprit de
Raoul , et se plaignoient de ne pas jouir
de tout l'esprit de Roger : dans le peu
qu'il disoit , elles sentoient combien il
en avoit , et elles étoient curieuses de pénétrer
ce qui pouvoit l'empêcher d'en
faire le même usage que Raoul. Malgré
cette difference, elles disputoient avec
chaleur qui des deux étoit supérieur à
l'autre , mais sans jamais pouvoir terminer
le différent. L'amour propre , peutêtre
, assez bien fondé , persuade au beau
Sexe qu'il lui appartient de juger du mérite
des hommes ; et de prévoir même
les succès que leur promettent les grandes
qualitez qu'elles apperçoivent en
eux. Cependant malgré le privilege que
les Dames s'arrogent en ce genre , elles
n'osoient prononcer entre Roger et
Raoul : elles convenoient de bonne foi
que la simple sympathie pouvoit déterminer
pour l'un ou pour l'autre ; car si
Roger avoit l'avantage d'être mieux fait
que Raoul , si sa phisionomie avoit quelque
chose de plus tendre , Raoul avoit
F'esprit plus brillant , et l'imagination
plus vive , source de son goût pour la
Poësie. L'esprit de galanterie , et l'amour
délicat , le forcerent à faire des Vers , et
il se trouva grand et excellent Poëte , sans
avoir
1584 MERCURE DE FRANCE
avoir jamais songé à le devenir. Il céda
avec d'autant moins de peine à ce penchant
, que dans ces tems reculez , les
personnes de la plus haute qualité se faisoient
un mérite de bien faire des Vers ,
et pouvoient , sans rougir , se donner
pour Auteurs en ce genre. Ce talent le
rendoit agréable au Roi , à la Reine Adélaïde
de Champagne , Mere de Philippe ,
et à la jeune Reine Elisabeth de Henaût.
Roger et Raoul s'aimoient dès leur enfance
; la plus tendre amitié leur avoit
presque fait oublier qu'ils étoient unis
par le sang , & c.
Enguerrand de Couci , surnommé le
Grand , avoit été Favori de Louis le
Jeune : il en étoit digne par l'étenduë de
son génie , par sa prudence , par sa profonde
politique , par une fermeté d'ame
héroïque , enfin par sa probité. Ennemi
de la flaterie , il osoit montrer à son Roi
la verité quelque désagréable qu'elle
fut , il la présentoit toute nue , quand
sa vuë devoit produire un effet , ou utile
ou glorieux , comme il sçavoit la cacher
lorsque son aspect ne pouvoit causer que
des désirs impuissans , ou des regrets superflus
, &c.
A la page 63 de ce premier vol . Roger
parle dans son entretien avec Raoul ,
du
JUILLET. 1733. 1585
du séjour qu'il fit à Rethel , des visites
qu'il rendit à ses voisins ; je vis de vieux
Seigneurs , dit- il , herissés de leur noblesse
, de leur probité , et de leurs Forteresses
, où ils se croyoient de petits
Souverains je vis des Meres fieres de la
beauté de leurs filles , sans être humiliées
de la perte de la leur : je vis des filles belles
sans agrémens , dont les figures et
l'esprit manquoient de graces. Mon Pere,
à qui je disois librement ce que je pensois
m'écoutoit , rioit , et alloit toujours
en avant. Nous arrivâmes enfin
chez le Seigneur de Rosoi , j'y trouvai
l'opposé de tout ce que j'avois vû . Je vis
un vieux Seigneur , qui laissoit aux
autres le soin de se souvenir de ce qu'il
étoit ; qui avoit cette politesse et cette
fine galanterie , dont la Cour est l'unique
Ecole ; qui avoit l'esprit vif et moderé.
Je vis une Mere , qui , sans être hamiliée
de la beauté surprenante de sa fille ,
étoit fiere de la sienne.
>
Le Comte de Rethel , passionément
amoureux d'Alix de Rosoi , lui parle en
ces termes : la permission que vous avez ,
Mademoiselle , de ne me point haïr , ne
vous donne-t'elle pas celle de me laisser
voir si je suis assez heureux pour que
votre coeur ne murmure point contre la
>
F VO1586
MERCURE DE FRANCE
volonté d'un Pere ? Voyant qu'elle rou.
gissoit , que son embarras étoit extrême ,
que même elle cherchoit à m'échapper ,
j'ajoûtai d'un ton plus animé : Hé ! quoi ,
Madlle , vous n'osez répondre ! Vous
pouvez rompre ce cruel silence sans
crime ; et vous le gardez sans pitié ! Ah !
yous craignés , sans doute ,de m'apprendre
que je suis le plus malheureux de tous
les hommes. Vous craignés par cet aveu
de montrer de la désobeïssance à un Pere :
hé bien Mademoiselle , je vais lui dire
que vous me haïssez , et qu'il nous remdroit,
infortunez en nous unissant. Arrêtez
, me dit Alix , n'allez pas abuser mon
Pere , et m'attirer un ressentiment que
je ne mérite pas. Ces paroles prononcées
avec émotion me causerent un transport
si vif , que je me jettai aux pieds d'Alix ,
dont je pris une main que j'osai baiser ,
Dans cet instant , Mad . de Rosoi entra ;
elle parut surprise et offensée de me trouver
aux genoux de sa fille ; elle nous regarda
d'un oeil severe. Alix , dont le désordre
avoit encore augmenté à la vuë
de sa Mere , fût à elle , et en se jettant à
ses pieds , elle lui dit toute tremblante :
Aurois-je fait un crime , de laisser voir
au Comte de Rethel que j'obéïrai sans
répugnance à vos ordres et à ceux de
mon
JUILLET . 1733. 1587
mon Pere ? Mad . de Rooi , avec un air
froid , dit à sa fille : je croi qu'il auroit
suffi d'instruire de vos sentimens ceux qui
vous ont permis de ne pas les combattre :
la modestie ne vous le deffendoit pas ;
mais elle devoit vous faire désaprouver
l'action trop passionnée de Monsieur
qui manque par cette licence au respect
qu'il vous doit.
Le Comte de Rethel s'exprime ainsi
en apprenant que Mad. de Rosoi est la
Rivale d'Alix , sa fille : mon désespoir
se change en une douleur si accablante
qu'il me reste à peine la force de mè
plaindre. Non , je ne vois plus les maux
dont me menace une Mere insensée ; je
ne vois que Mile de Rosoi victime de
notre innocente tendresse. Helas ! pourquoi
est- elle sensible à ma passion ? Qu'il
va lui en coûter cher ! Hé bien ! divine
Alix , reprenez ce coeur , qui seul peut
faire ma felicité. Affreuse situation ! m'écriai-
je en adorant Alix , l'Amour même
me force à désirer son indifférence.
Voici les exclamations de Mad . de
Rosoi : Que je suis injuste ! Que je suis
barbare ! Quoi! J'exige de ma fille plus
que je ne puis obtenir de moi- même ! Je
veux qu'elle renonce à ce qu'elle aime !
Fij Quel
1538 MERCURE DE FRANC
Quel est son malheur ! ou plutôt quel est
le mien ! Ce qu'elle aime est l'objet que
j'adore , et je nel'adore que pour porter ,
à l'un et à l'autre , le poignard dans le
sein. Roger part désesperé , l'excès de sa
passion , que je n'ai que trop vû , ne me
permet aucune espérance. En qul état
affreux mon injustice nous plonge- t'elle
tous les trois ? Quoi ! ne pourrai- je étouf
fer ma tendresse , quand ma gloire , mon
repos , celui de ma fille , l'impossibilité
d'être jamais heureuse , et le bonheur de
ce que j'aime , m'en font voir la dure nécessité.
Que dis - je ! la vertu de ma fille
ne devoit elle pás me suffire
der la mienne , & c.
pour rappel-
C'étoit moins la beauté de Mad. de
Camplit qui l'avoit renduë maîtresse absolue
du coeur et de l'esprit de Hugues de
Bourgogne , que beaucoup d'habileté :
ses manieres caressantes , un badinage léger
, une raillerie fine , des saillies heureuses
, un pinceau vif et brillant , pour
peindre ou les caracteres ou les ridicules ,
des idées singulieres , et singulierement
renduës ; tout cela réuni ensemble , en
faisoit une femme charmante. Elle étoit
trop attentive à conserver sa conquête
pour laisser le Duc de Bourgogne dans
une tranquillité dangereuses aussi ne
s'arJUILLET.
1735 1589
s'armoit- elle jamais d'une sincerité qui
auroit éloigné ceux que ses appas captivoient.
Elle vouloit des victimes toujours
toutes prêtes à immoler à la jalousie
du Duc ; jalousie qu'elle sçavoit faire
naître , nourrir et arrêter , selon qu'elle
le jugeoit à propos. Son grand art étoit
de ne jamais paroître exiger rien de lui ,
que pour sa propre gloire ; son interêt se
tenoit toujours caché sous le voile de celui
du Duc de Bourgogne . Elle se servoit
du prétexte d'aimer les Fêtes et les Spectacles
, pour l'amuser sans cesse. Ce Prince
croyoit s'acquerir des créatures , en
répandant des graces ; mais ces mêmes
graces affermissoient toujours le pouvoir
de Mad. de Camplit , qui seule , malgré
le juste discernement de Hugues
décidoit qui le meritoit le mieux : ainsi
le sujet revêtu d'une nouvelle dignité
ou accablé des liberalitez du Duc,croyoit
tout tenir de Mad. de Camplit.
La Belle Gabrielle de Vergi manquoit
à cette brillante et superbe Assemblée
pour lui donner le dernier éclat. Les femmes
ne la regrettoient point : sa présence
les humilioit , et sa modestie qui rehaussoit
de beaucoup tous ses charmes naissans
, leur sembloit un Censeur muet de
leur dissipation . Enfin , Gabrielle de Ver-
F iij
,
gi
1590 MERCURE DE FRANCE
gi parut , ses graces naturelles et simples,
sa beauté , qu'elle sembloit ignorer , sa
douceur noble et importante , attacherent
d'abord tous les yeux sur elle . Le
Sire de Couci , occupé seulement du
plaisir d'amuser Madame de Camplit ,
ne la remarqua que très - légerement ;
mais le Seigneur de Fajel , malgré les
efforts qu'il faisoit pour dissimuler , et
peut-être pour se vaincre , ne pouvoit
s'empêcher de l'admirer.
Cependant je lui sçais gré d'avoir pû
vous taire sa passion , disoit le Sire de
Couci au Comte de Rethel , en lui
parlant de Mad . de Rosoi. La mienne ,
dont elle voyoit toute la violence , reprit
le Comte , l'horreur que la sienne
m'auroit inspirée , les reproches outrageans
qu'elle craignoit d'essuyer ; la honte
de prononcer un je vous aime , au moment
que j'étois àses pieds pour lui demander
Alix, ou la mort ; sa vanité enfin ,
qui la soutenoit contre sa propre foiblesse
voilà les raisons qui ont donné
à Mad . de Rosoi la force de se taire......
Sans se croire Reine , on peut avoüer
qu'on aime , si nous croyons ce que nous
aimons libre de tout engagements alors
l'espérance triomphe de la vanité : mais
la certitude d'une forte passion dans le
coeur
JUILLET. 1733. 1591
coeur de ce que nous adorons , en irritant
la nôtre , nous donne la force de nous
taire.
Pendant l'absence de Roger , Philippe
Auguste trouva occasion de dire bas à
Alix , Mlle , nous veillons ensemble à la
conservation de deux choses bien précieuses
pour le Comte de Rethel ; je lui
garde votre main , et vous lui gardés votre
coeur. Qu'il sera heureux quand il
possedera l'un et l'autre ! Votre Majesté ,
répondit Mlle de Rosoi , avec une noble
modestie , ne s'occupe que du soin de
faire des heureux .
Le Comte de Rethel au comble de ses
voeux , s'écrioit avec transport , en ap
percevant les murailles de Nantes : je vais
voir Alix ; je vais la voir , maîtresse de
me rendre le plus fortuné des hommes :
il la vit , cette charmante Alix . Qu'elle
lui parut belle ! L'habit simple et lugubre
dont elle étoit revêtuë , sembloit imposer
à tous deux la dure loi de retenir
leurs transports. Comment faire sentir
quels furent ces heureux transports ?
Comment rendre des discours sans ordre
Ces discours n'ont de charmes que
pour ceux qui les tiennent . Questions
réponses , souvent peu justes , et plus
souvent interrompues ; regards , embar
?
Fiii! ras
>
>
1592 MERCURE DE FRANCE
ras , silence , tout dans cette premiere
entrevuë , les assura mutuellement de la
plus vive tendresse , sans que le mot de
je vous aime fut prononcé ni par l'un ni
par l'autre.
Nous ne croyons pas devoir pousser
cet Extrait plus loin , quelque attrayante
que soit la matiere ; le second et le troisiéme
Volume sont encore plus interessans
, et le stile en est aussi brillant et
aussi sage. Ce Livre en trois vol . in 12 .
a un fort grand débit , chez la veuve
Pissot , Quai de Conti , à la Croix d'or.
Volume du Mercure du mois de
Juin , page 1376. un Extrait circonstancié
et assez étendu des Anecdotes de la
Cour de Philippe Augustes il nous est revenu
que le Lecteur en a été très- satisfait
, mais qu'il auroit désiré qu'en rendant
1582 MERCURE DE FRANCE
dant compte de cet Ouvrage on fut entré
un peu plus dans le détail des situations
interessantes , qu'on eut donné
quelques Portraits , quelques Fragmens
de conversations , quelques refléxions et
enfin quelques morceaux qui pûssent faire
connoître non- seulement le génie de
l'Auteur , mais encore ses sentimens , ses
lumieres et son stile. Nous allons tâcher
de satisfaire à ce qu'on éxige de
nous.
Dans la Cour et au Camp du Duc de
Bourgogne à Dijon , le Comte de Rethel
et le Sire de Couci s'attiroient l'attention
generale. Cette distinction étoit le fruit
de leurs conversations ; tantôt avec le
Duc , tantôt avec les personnes les plus
graves de sa Cour. On ne sçavoit en faveur
de qui des deux l'on devoit décider :
la solidité de leur esprit , l'étenduë de
leurs lumieres , l'usage moderé qu'ils en
faisoient , les rendoient égaux en mérite.
Ils ne conservoient pas cette même égalité
chez les Dames. Raoul de Couci y
étoit toujours vif , léger et galant ; Roger
de Rechel , étoit plus sérieux et plusretenu.
La joye animoit tous les discours
de l'un ; un air réservé , qui tenoit plus
de la tristesse que de la timidité , rendoit
tout ce que l'autre disoit moins brillant.
Les
JUILLET . 1733- 1583
·
Les Dames jouissoient de tout l'esprit de
Raoul , et se plaignoient de ne pas jouir
de tout l'esprit de Roger : dans le peu
qu'il disoit , elles sentoient combien il
en avoit , et elles étoient curieuses de pénétrer
ce qui pouvoit l'empêcher d'en
faire le même usage que Raoul. Malgré
cette difference, elles disputoient avec
chaleur qui des deux étoit supérieur à
l'autre , mais sans jamais pouvoir terminer
le différent. L'amour propre , peutêtre
, assez bien fondé , persuade au beau
Sexe qu'il lui appartient de juger du mérite
des hommes ; et de prévoir même
les succès que leur promettent les grandes
qualitez qu'elles apperçoivent en
eux. Cependant malgré le privilege que
les Dames s'arrogent en ce genre , elles
n'osoient prononcer entre Roger et
Raoul : elles convenoient de bonne foi
que la simple sympathie pouvoit déterminer
pour l'un ou pour l'autre ; car si
Roger avoit l'avantage d'être mieux fait
que Raoul , si sa phisionomie avoit quelque
chose de plus tendre , Raoul avoit
F'esprit plus brillant , et l'imagination
plus vive , source de son goût pour la
Poësie. L'esprit de galanterie , et l'amour
délicat , le forcerent à faire des Vers , et
il se trouva grand et excellent Poëte , sans
avoir
1584 MERCURE DE FRANCE
avoir jamais songé à le devenir. Il céda
avec d'autant moins de peine à ce penchant
, que dans ces tems reculez , les
personnes de la plus haute qualité se faisoient
un mérite de bien faire des Vers ,
et pouvoient , sans rougir , se donner
pour Auteurs en ce genre. Ce talent le
rendoit agréable au Roi , à la Reine Adélaïde
de Champagne , Mere de Philippe ,
et à la jeune Reine Elisabeth de Henaût.
Roger et Raoul s'aimoient dès leur enfance
; la plus tendre amitié leur avoit
presque fait oublier qu'ils étoient unis
par le sang , & c.
Enguerrand de Couci , surnommé le
Grand , avoit été Favori de Louis le
Jeune : il en étoit digne par l'étenduë de
son génie , par sa prudence , par sa profonde
politique , par une fermeté d'ame
héroïque , enfin par sa probité. Ennemi
de la flaterie , il osoit montrer à son Roi
la verité quelque désagréable qu'elle
fut , il la présentoit toute nue , quand
sa vuë devoit produire un effet , ou utile
ou glorieux , comme il sçavoit la cacher
lorsque son aspect ne pouvoit causer que
des désirs impuissans , ou des regrets superflus
, &c.
A la page 63 de ce premier vol . Roger
parle dans son entretien avec Raoul ,
du
JUILLET. 1733. 1585
du séjour qu'il fit à Rethel , des visites
qu'il rendit à ses voisins ; je vis de vieux
Seigneurs , dit- il , herissés de leur noblesse
, de leur probité , et de leurs Forteresses
, où ils se croyoient de petits
Souverains je vis des Meres fieres de la
beauté de leurs filles , sans être humiliées
de la perte de la leur : je vis des filles belles
sans agrémens , dont les figures et
l'esprit manquoient de graces. Mon Pere,
à qui je disois librement ce que je pensois
m'écoutoit , rioit , et alloit toujours
en avant. Nous arrivâmes enfin
chez le Seigneur de Rosoi , j'y trouvai
l'opposé de tout ce que j'avois vû . Je vis
un vieux Seigneur , qui laissoit aux
autres le soin de se souvenir de ce qu'il
étoit ; qui avoit cette politesse et cette
fine galanterie , dont la Cour est l'unique
Ecole ; qui avoit l'esprit vif et moderé.
Je vis une Mere , qui , sans être hamiliée
de la beauté surprenante de sa fille ,
étoit fiere de la sienne.
>
Le Comte de Rethel , passionément
amoureux d'Alix de Rosoi , lui parle en
ces termes : la permission que vous avez ,
Mademoiselle , de ne me point haïr , ne
vous donne-t'elle pas celle de me laisser
voir si je suis assez heureux pour que
votre coeur ne murmure point contre la
>
F VO1586
MERCURE DE FRANCE
volonté d'un Pere ? Voyant qu'elle rou.
gissoit , que son embarras étoit extrême ,
que même elle cherchoit à m'échapper ,
j'ajoûtai d'un ton plus animé : Hé ! quoi ,
Madlle , vous n'osez répondre ! Vous
pouvez rompre ce cruel silence sans
crime ; et vous le gardez sans pitié ! Ah !
yous craignés , sans doute ,de m'apprendre
que je suis le plus malheureux de tous
les hommes. Vous craignés par cet aveu
de montrer de la désobeïssance à un Pere :
hé bien Mademoiselle , je vais lui dire
que vous me haïssez , et qu'il nous remdroit,
infortunez en nous unissant. Arrêtez
, me dit Alix , n'allez pas abuser mon
Pere , et m'attirer un ressentiment que
je ne mérite pas. Ces paroles prononcées
avec émotion me causerent un transport
si vif , que je me jettai aux pieds d'Alix ,
dont je pris une main que j'osai baiser ,
Dans cet instant , Mad . de Rosoi entra ;
elle parut surprise et offensée de me trouver
aux genoux de sa fille ; elle nous regarda
d'un oeil severe. Alix , dont le désordre
avoit encore augmenté à la vuë
de sa Mere , fût à elle , et en se jettant à
ses pieds , elle lui dit toute tremblante :
Aurois-je fait un crime , de laisser voir
au Comte de Rethel que j'obéïrai sans
répugnance à vos ordres et à ceux de
mon
JUILLET . 1733. 1587
mon Pere ? Mad . de Rooi , avec un air
froid , dit à sa fille : je croi qu'il auroit
suffi d'instruire de vos sentimens ceux qui
vous ont permis de ne pas les combattre :
la modestie ne vous le deffendoit pas ;
mais elle devoit vous faire désaprouver
l'action trop passionnée de Monsieur
qui manque par cette licence au respect
qu'il vous doit.
Le Comte de Rethel s'exprime ainsi
en apprenant que Mad. de Rosoi est la
Rivale d'Alix , sa fille : mon désespoir
se change en une douleur si accablante
qu'il me reste à peine la force de mè
plaindre. Non , je ne vois plus les maux
dont me menace une Mere insensée ; je
ne vois que Mile de Rosoi victime de
notre innocente tendresse. Helas ! pourquoi
est- elle sensible à ma passion ? Qu'il
va lui en coûter cher ! Hé bien ! divine
Alix , reprenez ce coeur , qui seul peut
faire ma felicité. Affreuse situation ! m'écriai-
je en adorant Alix , l'Amour même
me force à désirer son indifférence.
Voici les exclamations de Mad . de
Rosoi : Que je suis injuste ! Que je suis
barbare ! Quoi! J'exige de ma fille plus
que je ne puis obtenir de moi- même ! Je
veux qu'elle renonce à ce qu'elle aime !
Fij Quel
1538 MERCURE DE FRANC
Quel est son malheur ! ou plutôt quel est
le mien ! Ce qu'elle aime est l'objet que
j'adore , et je nel'adore que pour porter ,
à l'un et à l'autre , le poignard dans le
sein. Roger part désesperé , l'excès de sa
passion , que je n'ai que trop vû , ne me
permet aucune espérance. En qul état
affreux mon injustice nous plonge- t'elle
tous les trois ? Quoi ! ne pourrai- je étouf
fer ma tendresse , quand ma gloire , mon
repos , celui de ma fille , l'impossibilité
d'être jamais heureuse , et le bonheur de
ce que j'aime , m'en font voir la dure nécessité.
Que dis - je ! la vertu de ma fille
ne devoit elle pás me suffire
der la mienne , & c.
pour rappel-
C'étoit moins la beauté de Mad. de
Camplit qui l'avoit renduë maîtresse absolue
du coeur et de l'esprit de Hugues de
Bourgogne , que beaucoup d'habileté :
ses manieres caressantes , un badinage léger
, une raillerie fine , des saillies heureuses
, un pinceau vif et brillant , pour
peindre ou les caracteres ou les ridicules ,
des idées singulieres , et singulierement
renduës ; tout cela réuni ensemble , en
faisoit une femme charmante. Elle étoit
trop attentive à conserver sa conquête
pour laisser le Duc de Bourgogne dans
une tranquillité dangereuses aussi ne
s'arJUILLET.
1735 1589
s'armoit- elle jamais d'une sincerité qui
auroit éloigné ceux que ses appas captivoient.
Elle vouloit des victimes toujours
toutes prêtes à immoler à la jalousie
du Duc ; jalousie qu'elle sçavoit faire
naître , nourrir et arrêter , selon qu'elle
le jugeoit à propos. Son grand art étoit
de ne jamais paroître exiger rien de lui ,
que pour sa propre gloire ; son interêt se
tenoit toujours caché sous le voile de celui
du Duc de Bourgogne . Elle se servoit
du prétexte d'aimer les Fêtes et les Spectacles
, pour l'amuser sans cesse. Ce Prince
croyoit s'acquerir des créatures , en
répandant des graces ; mais ces mêmes
graces affermissoient toujours le pouvoir
de Mad. de Camplit , qui seule , malgré
le juste discernement de Hugues
décidoit qui le meritoit le mieux : ainsi
le sujet revêtu d'une nouvelle dignité
ou accablé des liberalitez du Duc,croyoit
tout tenir de Mad. de Camplit.
La Belle Gabrielle de Vergi manquoit
à cette brillante et superbe Assemblée
pour lui donner le dernier éclat. Les femmes
ne la regrettoient point : sa présence
les humilioit , et sa modestie qui rehaussoit
de beaucoup tous ses charmes naissans
, leur sembloit un Censeur muet de
leur dissipation . Enfin , Gabrielle de Ver-
F iij
,
gi
1590 MERCURE DE FRANCE
gi parut , ses graces naturelles et simples,
sa beauté , qu'elle sembloit ignorer , sa
douceur noble et importante , attacherent
d'abord tous les yeux sur elle . Le
Sire de Couci , occupé seulement du
plaisir d'amuser Madame de Camplit ,
ne la remarqua que très - légerement ;
mais le Seigneur de Fajel , malgré les
efforts qu'il faisoit pour dissimuler , et
peut-être pour se vaincre , ne pouvoit
s'empêcher de l'admirer.
Cependant je lui sçais gré d'avoir pû
vous taire sa passion , disoit le Sire de
Couci au Comte de Rethel , en lui
parlant de Mad . de Rosoi. La mienne ,
dont elle voyoit toute la violence , reprit
le Comte , l'horreur que la sienne
m'auroit inspirée , les reproches outrageans
qu'elle craignoit d'essuyer ; la honte
de prononcer un je vous aime , au moment
que j'étois àses pieds pour lui demander
Alix, ou la mort ; sa vanité enfin ,
qui la soutenoit contre sa propre foiblesse
voilà les raisons qui ont donné
à Mad . de Rosoi la force de se taire......
Sans se croire Reine , on peut avoüer
qu'on aime , si nous croyons ce que nous
aimons libre de tout engagements alors
l'espérance triomphe de la vanité : mais
la certitude d'une forte passion dans le
coeur
JUILLET. 1733. 1591
coeur de ce que nous adorons , en irritant
la nôtre , nous donne la force de nous
taire.
Pendant l'absence de Roger , Philippe
Auguste trouva occasion de dire bas à
Alix , Mlle , nous veillons ensemble à la
conservation de deux choses bien précieuses
pour le Comte de Rethel ; je lui
garde votre main , et vous lui gardés votre
coeur. Qu'il sera heureux quand il
possedera l'un et l'autre ! Votre Majesté ,
répondit Mlle de Rosoi , avec une noble
modestie , ne s'occupe que du soin de
faire des heureux .
Le Comte de Rethel au comble de ses
voeux , s'écrioit avec transport , en ap
percevant les murailles de Nantes : je vais
voir Alix ; je vais la voir , maîtresse de
me rendre le plus fortuné des hommes :
il la vit , cette charmante Alix . Qu'elle
lui parut belle ! L'habit simple et lugubre
dont elle étoit revêtuë , sembloit imposer
à tous deux la dure loi de retenir
leurs transports. Comment faire sentir
quels furent ces heureux transports ?
Comment rendre des discours sans ordre
Ces discours n'ont de charmes que
pour ceux qui les tiennent . Questions
réponses , souvent peu justes , et plus
souvent interrompues ; regards , embar
?
Fiii! ras
>
>
1592 MERCURE DE FRANCE
ras , silence , tout dans cette premiere
entrevuë , les assura mutuellement de la
plus vive tendresse , sans que le mot de
je vous aime fut prononcé ni par l'un ni
par l'autre.
Nous ne croyons pas devoir pousser
cet Extrait plus loin , quelque attrayante
que soit la matiere ; le second et le troisiéme
Volume sont encore plus interessans
, et le stile en est aussi brillant et
aussi sage. Ce Livre en trois vol . in 12 .
a un fort grand débit , chez la veuve
Pissot , Quai de Conti , à la Croix d'or.
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Résumé : Anecdotes de la Cour de Phil. Auguste, [titre d'après la table]
Le Mercure de France de juillet 1733 présente un extrait des 'Anecdotes de la Cour de Philippe Auguste', où les lecteurs expriment leur désir de plus de détails sur les situations intéressantes, les portraits, les conversations et les réflexions sur le style de l'auteur. Le texte se concentre sur la cour du Duc de Bourgogne à Dijon, mettant en lumière le Comte de Rethel et le Sire de Couci. Raoul de Couci est décrit comme vif et galant, tandis que Roger de Rethel est plus sérieux et réservé. Les dames de la cour apprécient l'esprit de Raoul mais sont intriguées par la retenue de Roger. Raoul est également un poète talentueux, apprécié par le roi et les reines. Enguerrand de Couci, favori de Louis le Jeune, est connu pour sa prudence, sa politique et sa probité. Roger de Rethel partage ses impressions sur les visites aux seigneurs voisins et leurs manières. Le Comte de Rethel est amoureux d'Alix de Rosoi, ce qui conduit à une scène tendue avec la mère d'Alix, Madame de Rosoi, également amoureuse du Comte. Cette situation est complexe et douloureuse pour les trois personnages. Le texte mentionne également Madame de Camplit, maîtresse du Duc de Bourgogne, et Gabrielle de Vergi, admirée pour sa modestie et sa beauté. Le Sire de Couci et le Comte de Rethel discutent des passions et des silences des dames de la cour. Philippe Auguste assure Alix de Rosoi de sa protection jusqu'au retour de Roger de Rethel. Leur première rencontre est marquée par une tendresse muette. Le texte se conclut en mentionnant la disponibilité des volumes du livre chez la veuve Pissot.
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57
p. 1710-1713
L'AMOUR ET LA BEAUTÉ, CANTATE A DEUX VOIX, A mettre en Musique.
Début :
L'Amour. / C'est à toi, charmante Beauté, [...]
Mots clefs :
Amour, Beauté, Plaisirs
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'AMOUR ET LA BEAUTÉ, CANTATE A DEUX VOIX, A mettre en Musique.
L'AMOUR ET LA BEAUTE' ,
ANTATE A DEUX VOIX ,
3
"A mettre en Musique.
L'Amour, 200
C'Est à toi , charmante Beauté ,
Que je dois mon immense Empire ;
Par toi tout souffre mon martyre,
Ou goûte ma félicité.
J
Mortels, qui redoutés le pouvoir de mes armes
Redoutés plutôt ses attraits.
Ce sont là mes feux et mes traits ,
Mes chaînes , mon carquois , mes plaisirs et mes
larmes.
sirdangLaw Beautés sang rebus mus
Tendre et cruel Enfant , dont tout chérit les
fers ,
Si c'est de mes attraits que tu tiens ta puissance
,
N'est-ce pas par tes soins qu'à l'envi l'on m'encense
Sur la Terre , dans l'Onde , aux Cieux , dans
les Enfers ?
Jeunes
AOUST. 1733- 1711
Jeunes coeurs , venés rendre hommage
Au plus puissant des immortels .
Ignorer son tendre esclavage ,
C'est perdre les seuls biens réels.
L'Amour.
«Et vous , tendres Amans , qui vivés dans mes
chaînes ,
Sans cesse à la Beauté prodigués votre Encens
:
Ne vous piqués jamais de ces constances vaines
,
Qui font de mes plaisirs de trop cruels tourmens.
C'est à ses charmes seuls que je dois l'éxistence
;
Oû je ne les vois plus , j'expire dans l'instant.
Et ce n'est que par l'inconstance ,
Qu'un coeur peut devenir constant.
Beauté , porte par tout mes flammes ,
Prens soin d'un Dieu qui t'est soumis
C'est faire le bonheur des ames ,
Que d'y faire régner ton Fils.
Ensemble.
Unissons à jamais nos charmes ,
Partageons l'empire des coeurs ;
Leur pouvoir triomphe des armes
Des plus redoutables Vainqueurs.
B
i
La
1712 MERCURE
DE FRANCE
La Beauté.
Au succès de tes feux , mon bonheur s'inte
resse ;
Je m'immole moi même à leurs vives ardeurs.
Helas ! je ne serois , sans l'aimable tendresse ,
Qu'un Printems dépouillé de fleurs,
Vole sur mes traces ,
Vole , tendre Amour.
Les Jeux , et les Graces ,
Vont former ta Cour,
C'est moi qui t'appelle ,
Cours ; vienm'emflamer.]
Déja Philoméle
Me parle d'aimer.
Elle te prépare
Un nouveau flambeau ,
Tandis que je pare
Ton heureux bandeau.
L'Amour.
Comment pourrois- je füir le seul objet que
{ _j'aime ?
Sans relâche je suis à te suivre empressé.
Où tu portes tes pas , on y voit l'Amour même,
Je ne suis point ailleurs , ou j'y suis déguisé. ▲
Je
AOUST. 1733.
1713
Je trouverois des coeurs rébelles ,
Qui mépriseroient mon carquois ,
Si mes Conquêtes les plus belles ,
N'étoient celles que je te dois ,
Les beaux Lauriers qui me couronnent
Far toi seul ont été cueillis ;
Et tous les feux qui m'environnent ,
Par ton éclat sont réfléchis .
Ensemble.
L'Univers nous doit sa naissance
Ainsi que ses plus doux plaisirs ;
Et pour toute reconnoissance
Nous n'éxigeons que ses désirs.
Par M. de S. R.
ANTATE A DEUX VOIX ,
3
"A mettre en Musique.
L'Amour, 200
C'Est à toi , charmante Beauté ,
Que je dois mon immense Empire ;
Par toi tout souffre mon martyre,
Ou goûte ma félicité.
J
Mortels, qui redoutés le pouvoir de mes armes
Redoutés plutôt ses attraits.
Ce sont là mes feux et mes traits ,
Mes chaînes , mon carquois , mes plaisirs et mes
larmes.
sirdangLaw Beautés sang rebus mus
Tendre et cruel Enfant , dont tout chérit les
fers ,
Si c'est de mes attraits que tu tiens ta puissance
,
N'est-ce pas par tes soins qu'à l'envi l'on m'encense
Sur la Terre , dans l'Onde , aux Cieux , dans
les Enfers ?
Jeunes
AOUST. 1733- 1711
Jeunes coeurs , venés rendre hommage
Au plus puissant des immortels .
Ignorer son tendre esclavage ,
C'est perdre les seuls biens réels.
L'Amour.
«Et vous , tendres Amans , qui vivés dans mes
chaînes ,
Sans cesse à la Beauté prodigués votre Encens
:
Ne vous piqués jamais de ces constances vaines
,
Qui font de mes plaisirs de trop cruels tourmens.
C'est à ses charmes seuls que je dois l'éxistence
;
Oû je ne les vois plus , j'expire dans l'instant.
Et ce n'est que par l'inconstance ,
Qu'un coeur peut devenir constant.
Beauté , porte par tout mes flammes ,
Prens soin d'un Dieu qui t'est soumis
C'est faire le bonheur des ames ,
Que d'y faire régner ton Fils.
Ensemble.
Unissons à jamais nos charmes ,
Partageons l'empire des coeurs ;
Leur pouvoir triomphe des armes
Des plus redoutables Vainqueurs.
B
i
La
1712 MERCURE
DE FRANCE
La Beauté.
Au succès de tes feux , mon bonheur s'inte
resse ;
Je m'immole moi même à leurs vives ardeurs.
Helas ! je ne serois , sans l'aimable tendresse ,
Qu'un Printems dépouillé de fleurs,
Vole sur mes traces ,
Vole , tendre Amour.
Les Jeux , et les Graces ,
Vont former ta Cour,
C'est moi qui t'appelle ,
Cours ; vienm'emflamer.]
Déja Philoméle
Me parle d'aimer.
Elle te prépare
Un nouveau flambeau ,
Tandis que je pare
Ton heureux bandeau.
L'Amour.
Comment pourrois- je füir le seul objet que
{ _j'aime ?
Sans relâche je suis à te suivre empressé.
Où tu portes tes pas , on y voit l'Amour même,
Je ne suis point ailleurs , ou j'y suis déguisé. ▲
Je
AOUST. 1733.
1713
Je trouverois des coeurs rébelles ,
Qui mépriseroient mon carquois ,
Si mes Conquêtes les plus belles ,
N'étoient celles que je te dois ,
Les beaux Lauriers qui me couronnent
Far toi seul ont été cueillis ;
Et tous les feux qui m'environnent ,
Par ton éclat sont réfléchis .
Ensemble.
L'Univers nous doit sa naissance
Ainsi que ses plus doux plaisirs ;
Et pour toute reconnoissance
Nous n'éxigeons que ses désirs.
Par M. de S. R.
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Résumé : L'AMOUR ET LA BEAUTÉ, CANTATE A DEUX VOIX, A mettre en Musique.
Le texte 'L'AMOUR ET LA BEAUTE' est une antate à deux voix destinée à être mise en musique. Il présente un dialogue entre l'Amour et la Beauté. L'Amour reconnaît que son pouvoir et son empire proviennent de la Beauté, qui inspire à la fois souffrance et félicité. Il met en garde les mortels contre les attraits de l'amour plutôt que ses armes. La Beauté affirme que son bonheur dépend du succès des feux de l'Amour et se décrit comme un printemps fleuri grâce à la tendresse de l'Amour. L'Amour déclare qu'il ne peut fuir l'objet de son amour et suit la Beauté partout, même déguisé. Ensemble, ils reconnaissent que l'univers doit sa naissance et ses plaisirs à leur union et qu'ils n'exigent en retour que les désirs des hommes. Le texte est daté d'août 1733 et a été publié dans le Mercure de France en 1712.
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58
p. 1862-1864
VAUDEVILLE.
Début :
Que les Mortels redoutent le trépas, [...]
Mots clefs :
Vaudeville, Beauté, Âges, Surprendre, Étonner
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : VAUDEVILLE.
VAUDEVILLE .
Ue les Mortels redoutent le trépas ,
Et que tout homme ait grande envie
De joüir long-temps de la vie ,
Cela ne me surprend pas :
Mais que chacun à l'abréger s'adonne ,
Et que pour en hâter le cours ,
Leur intempérance ait recours
Aux expédiens les plus courts ,
C'est-là ce qui m'étonne.
►
Que le Mari d'un Objet sans appas ,
Cherche un amusement aimable ,
Quoiqu'au fond il soit très - blâmable ,
Cela ne me surprend pas :
Mais que l'Epoux d'une Beauté mignonne ;
Qui de bien vivre a le renom
La quitte pour une Guenon ,
Qui jamais ne répondit non ,
1
C'est-là ce qui m'étonne.
Qu'à s'ajuster du haut jusques en bas ;
Iris , pour paroître jolie ,
Passe les trois quarts de sa vie "
Cela ne me surprend pas :
Mais qu'un Abbé tous les jours s'amidonne ,
Et
AOUST. 1733 . 1863
Et qu'à pas comptez ce Poupin ;
Sur la pointe de l'escarpin ,
Marche toujours droit comme un Pin ;
C'est-là ce qui m'étonne.
Qu'un Soupirant prodigue les ducats ,
Quand chez la Beauté qui le picque ,
Il est le premier et l'unique ,
Cela ne me surprend pas ;
Mais qu'au Pays où l'on danse et fredonne ;
Une foule d'enchérisseurs ,
Se ruinent pour des douceurs ,
Qu'ont goûté tant de Précurseurs ,
C'est-là ce qui m'étonne.
來
Que dans Alger on trouve des ingrats ;
Et que chez le Peuple Tartare ,
La reconnoissance soit rare ,
Cela ne me surprend pas :
Mais qu'à Paris mainte et mainte personne ,
Qui vint vous demander Lundi ,
Un plaisir qu'on lui fit Mardi ,
N'y pense plus le Mercredi ,
C'est- là ce qui m'étonne .
Cette Piece est terminée par un Ballet Pantomime
, inti ulé les Ages , représenté par quatre
differentes Entrées qui les caractérisent , et exe-
Hv cuté
1864 MERCURE DE FRANCE
cuté par de très- bons Sujets qui sont fort applaudis.
On trouvera l'Air noté du Vaudeville
au bas de la Chanson.
Ue les Mortels redoutent le trépas ,
Et que tout homme ait grande envie
De joüir long-temps de la vie ,
Cela ne me surprend pas :
Mais que chacun à l'abréger s'adonne ,
Et que pour en hâter le cours ,
Leur intempérance ait recours
Aux expédiens les plus courts ,
C'est-là ce qui m'étonne.
►
Que le Mari d'un Objet sans appas ,
Cherche un amusement aimable ,
Quoiqu'au fond il soit très - blâmable ,
Cela ne me surprend pas :
Mais que l'Epoux d'une Beauté mignonne ;
Qui de bien vivre a le renom
La quitte pour une Guenon ,
Qui jamais ne répondit non ,
1
C'est-là ce qui m'étonne.
Qu'à s'ajuster du haut jusques en bas ;
Iris , pour paroître jolie ,
Passe les trois quarts de sa vie "
Cela ne me surprend pas :
Mais qu'un Abbé tous les jours s'amidonne ,
Et
AOUST. 1733 . 1863
Et qu'à pas comptez ce Poupin ;
Sur la pointe de l'escarpin ,
Marche toujours droit comme un Pin ;
C'est-là ce qui m'étonne.
Qu'un Soupirant prodigue les ducats ,
Quand chez la Beauté qui le picque ,
Il est le premier et l'unique ,
Cela ne me surprend pas ;
Mais qu'au Pays où l'on danse et fredonne ;
Une foule d'enchérisseurs ,
Se ruinent pour des douceurs ,
Qu'ont goûté tant de Précurseurs ,
C'est-là ce qui m'étonne.
來
Que dans Alger on trouve des ingrats ;
Et que chez le Peuple Tartare ,
La reconnoissance soit rare ,
Cela ne me surprend pas :
Mais qu'à Paris mainte et mainte personne ,
Qui vint vous demander Lundi ,
Un plaisir qu'on lui fit Mardi ,
N'y pense plus le Mercredi ,
C'est- là ce qui m'étonne .
Cette Piece est terminée par un Ballet Pantomime
, inti ulé les Ages , représenté par quatre
differentes Entrées qui les caractérisent , et exe-
Hv cuté
1864 MERCURE DE FRANCE
cuté par de très- bons Sujets qui sont fort applaudis.
On trouvera l'Air noté du Vaudeville
au bas de la Chanson.
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Résumé : VAUDEVILLE.
Le texte est un vaudeville intitulé 'VAUDEVILLE' daté d'août 1733 et réédité en 1863 et 1864. Il explore diverses situations humaines absurdes mais compréhensibles. Le vaudeville commence par la contradiction entre le désir de vivre longtemps et les comportements qui abrègent la vie. Il aborde ensuite des thèmes tels que l'infidélité, les efforts excessifs pour la beauté et les dépenses extravagantes. Le texte mentionne également l'ingratitude dans différentes cultures et la volatilité des relations humaines à Paris. La pièce se termine par un ballet pantomime intitulé 'Les Âges', représenté par quatre entrées distinctes et exécuté par des sujets très applaudis. L'air du vaudeville est noté au bas de la chanson.
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59
p. 1990-2002
REFLEXIONS.
Début :
Les hommes ne sçavent ni donner ni perdre à propos. [...]
Mots clefs :
Hommes, Mal, Mérite, Beauté, Politesse, Bienfaits, Esprit, Homme, Femmes, Justice, Grandeur, Paraître, Vertu, Réflexions, Défauts, Monde
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS.
Lperdre à
propos .
Es hommes ne sçavent ni donner ni
Pecuniam in loco negligere , maximum interdum
lucrum est. Terence . Adelph.
L'esprit de l'homme se connoît à ses
paroles et sa naissance ou son éducation
à ses actions.
C'est le destin de l'homme de ne jamais
SEPTEMBRE . 1733. 1991
mais connoîce Son vrai bien , et de chercher
courant à être plus mal , pour vou
mieux.
Il est plus aisé d'abuser les hommes
par une narration où il entre du merveilleux
, que de les instruire par un
récit simple et naïf.
Nous sommes presque tous de telle
condition , que nous sommes fâchez d'être
ce que nous sommes.
On ne doit jamais parler de soi ni en
bien , parce qu'on ne nous croit point ,
ni en mal , parce qu'on en croit plus
qu'on n'en dit.
Les hommes prétendent que les femmes
leur sont fort inferieures en mérite , cependant
ils ne veulent leur passer aucun
défaut , et ils éclatent en mauvaise
humeur quand elles en remarquent quelqu'un
marqué en eux . Ils devroient opter
, s'appliquer à avoir moins de défauts
qu'elles , ou avoir moins de sévérité pour
les leurs.
Un homme toujours satisfait de luimême
, l'est peu souvent des autres ; rarement
on l'est de lui.
On
1992 MERCURE DE FRANCE
On trouve bien des hommes qui s'avoient
avares , vindicatifs , yvrognes ,
orgueilleux , poltrons même ; mais l'en
vie et l'ingratitude sont des passions si
lâches et si odieuses, que jamais personne
n'en demeura d'accord. Il n'y a point
de vertus compatibles avec les vices , et
point de crimes ausquels elles ne puissent
conduire.
La plupart des hommes ont bien plus
d'affectation et d'adresse pour excuser
leurs fautes , que d'attention pour n'en
point commettre.
Quand on paroît aimable aux yeux
des hommes , on paroît à leur esprit
tout ce qu'on veut .
Il n'est pas plus dangereux de faire du
mal à la plupart des hommes , que de
leur faire trop de bien .
Les hommes ont plus d'interêt à cor
riger les défauts de l'esprit , que ceux du
corps ; ils agissent cependant comme s'ile
étoi.nt persuadez du contraire.
Les hommes ont une application continuelle
à cacher et à déguiser leurs vices
СБ
SEPTEMBRE. 1733. 1993
et leurs défauts ; ils auroient peut- être
moins de peine à s'en corriger.
La vertu est souvent voilée par la modestie
, et le vice par l'hypocrisie ; ainsi
il est bien difficile de pouvoir penetrer
l'interieur des hommes.
Il est aussi avantageux aux hommes
de publier les bienfaits qu'ils reçoivent,
u'il leur est desavantageux de se plaindre
de leurs disgraces.
qu'il
Les hommes sont aveugles dans leurs
desirs , leurs pensées sont trompeuses ,
leurs discours et leurs esperances folles ,
et leurs apétits dereglez. Omnes decipimur
specie recti , dit Horace . Car à plusieurs
une blessure a procuré la santé ,
et l'on s'est trouvé quelquefois au comble
de la gloire , quand on ne devoit attendre
que l'infamie ou la mort.
Les hommes ne sont pas obligez d'être
bien faits , d'êtres riches ; ils sont obligez
d'avoir de la probité et de l'honneur,
Les hommes trouvent presque toujours
la peine , quand ils la fuyent avec
trop d'empressement.
Etre
1994 MERCURE DE FRANCE
Etre utile au Public , est un call tere
brillant ; ne nuire à personne , est un
état de vertu obscur , mais for rava Il
faudroit que les hommes avant que d'êtres
utiles au Public , cessassent de nuire
à qui que ce soit.
On doit plaindre presque également
un homme riche qui n'a qu'une bonne table
, et un pauvre qui n'a que de l'apétit.
C'est une grande foiblesse à un Prince
de n'oser refuser justement ce qu'on ose
bien lui demander sans avoir égard à
la justice.
Les Grands , pour l'ordinaire , se contentent
de sentir qu'on leur est agréàble
, sans approfondir si on mérite de
l'être. Leur plus importante occupation
cependant devroit être de connoître les
hommes , puisqu'ils veulent passer pour
les images de la divinité ; mais ils craignent
en cela de se détromper , de peur
de trouver souvent leurs Favoris indignes
de leurs bontez , et les autres hommes
qu'ils ne regardent pas , dignes de
plus de distinction .
Les Souverains se picquent d'ordinaire
de
SEPTEMBRE. 1733. 1995
7
de constance ; ils condamneroient plutôt
leurs propres Enfans que de blâmer
un Sujet choisi de leur main . Ils ne crais
tant de paroître malheureux
dat leur famille
Pears
jugemens.
, que mal- habiles dans
Ifatti de Principi , hanno ogn'altra facsia
che la vera.
Il est bien rare que les Grands n'abusent
pas de leur grandeur.
Il y a cette difference entre le Peuple
et les Grands ; que celui - là perd fa- .
cilement le souvenir des bienfaits et des
injures , au lieu que celui- cy oublie facilement
les plaisirs reçûs , et se souvient
toujours des injures.
Plusieurs méprisent la grandeur , afin
de s'élever dans leur imagination audessus
des Grands et de se bâtir ainsi une
grandeur imaginaire. De même qu'en
méprisant les richesses, c'est souvent pour
se faire un petit trésor de vanité , qui
tienne lieu de ce qu'on n'a pas.
Les Princes doivent être extrémement
attentifs à moderer tellement , même
leurs
1996 MERCURE DE FRANCE
à
leurs vertus , que l'une ne nuise pas
l'autre par son excès . Prendre garde sur
tout que leur justice et leur bonté ne
s'entre- détruise ; car à vouloir êne trop
juste , on devient odieux ; à vouloir être
trop bon , on devient méprisable.
L'estime des Grands est quelquefois
facile à acquerir , mais elle est toujours
difficile à conserver.
Selon le sentiment d'Epicure , il doit
être plus agréable de donner que de recevoir.
L'ingratitude même ne doit pas nous
empêcher de faire du bien , car il vaut
encore mieux que les bienfaits se perdent
dans les mains des ingrats , que
dans les nôtres.
Rien ne s'achette plus cherement que
ce qu'on achette par les prieres.
L'avidité de recevoir un nouveau bien--
fait , fait oublier celui qu'on a déja reçû .
Cupiditas accipiendorum oblivionem facit
acceptorum. Seneq .
Nous traçons sur la poussiere les bienfaits
SEPTEMBRE . 1733. 1997
faits que nous recevons , et nous gravons
sur le marbre le mal qu'on nous
fait , dit un Ancien.
Un bienfait desaprouvé n'est gra
ce que pour un seul , et c'est une injure
pour plusieurs.
Le bienfait n'est tel que par le bon
usage qu'en fait celui qui le reçoit .
De toutes les choses du monde , celle
qui vieillit le plus aisément et le plu
tôt , c'est le bienfair.
- Plusieurs sçavent perdre leurs biens ;
mais peu les sçavent donner .
Faire du bien aux méchants
souvent faire du mal aux bons.
c'est
Presque toujours lorsque les bienfaits
vont trop loin , la haine prend la place
de la reconnoissance.
Il y a des plaisirs dont on se paye par
ses mains ; celui d'en faire aux autres
est de cette nature.
I Beneficii ordinariamente si vedono
E contra
1998 MERCURE DE FRANCE
sontra cambiati , con ingratitudine infinita ;
più per l'impertinenza che il Benef
usa nell'esigere la gratitudine del of
altrui , che per la discortesia di d
il beneficio.
Gli Beneficii si ricevano sempre volentieri
, ma non sempre volentieri si vede il
Benefattore.
Nous sommes toujours extrémement
agréables à ceux à qui nous donnons
occasion de l'être.
Une femme ne trouve rien de si diffi
cile à faire que de s'accoûtumer à n'être
plus belle , quand elle l'a été pare
faitement,
Il n'y a pas de femme , si laide soitelle
, qui ne se trouve quelque trait de
beauté.
Sibi quaque videtur amanda,
Pessima sit , nulli non sua forma placet.
Ovid. de Art. Am. L. 23
La beauté dans le Sexe expose à tant
de périls , qu'il est bien difficile qu'on
ne succombe pas à quelques- uns .
Les
SEPTEMBRE. 1733. 1999
gou-
Les femmes ont souvent raison de vouloir
, à quelque prix que ce soit , paroître
belies, puisque c'est tout ce que les hommes
leur ont laissé ; car , point de
vernement pour elles , point d'autorité
absoluë , point de conduite d'ames , point
de pouvoir dans l'Eglise , point de possession
de Charges , point d'entrée dans
le Secret des affaires d'Etat.Il semble même
qu'on leur veuille ôter jusqu'à l'esprit
, en traitant de précieuses celles qui
en font paroître. Laissons -leur donc la
beauté , et quand elles n'en ont point ,
laissons - leur du moins le plaisir de croire
qu'elles en ont.
La laideur fait quelquefois présumer la
vertu où elle n'est pas ; et la beauté a
cela de funeste , qu'on croit les belles
personnes capables de toutes les foiblesses
qu'elles causent .
La beauté sans la grace, est un apas sans
hameçon.
En désirant trop ardemment de plaire,
on ne se rend pas plus aimable.
La réputation qui vient de la beauté
est quelque chose de si délicat parmi les
E ij
Fem-
885481
2000 MERCURE DE FRANCE
Femmes, qu'encore qu'elles ayent la plus
grande indifférence du monde pour quel
qu'un , jamais pourtant cette indirerence
n'ira jusqu'à vouloir que ce quelqu'un
porte ailleurs ses hommages et ses soupirs.
Tant de fierté qu'on voudra , une
belle personne regarde toujours la fuite
d'un amant sans mérite si on veut , et
qu'elle n'estime pas , comme autant de
diminué sur son empire.
Il
y
des beautez si engageantes , que
si on ne fuit , sans hésiter, on ne fuit pas
loin. On ne peut aller tout au plus que
de la longueur de ses chaînes.
Le véritable Efprit de Politesse consiste
dans une certaine attention à faire ensorte
que par nos paroles et par nos manieres
, les autres soient contens de nous
et d'eux -mêmes.
L'incivilité n'est pas un vice de l'ame ;
elle est l'effet de plusieurs vices ; de la
sotte vanité , de l'ignorance de ses devoirs
, de la paresse , de la stupidité , de
la distraction , du mépris des autres de
la jalousie , & c.
Rien n'est plus contraire à la véritable
poSEPTEMDA
E. *733• 2001
politesse et à la bienséance , que
de l'observer
avec trop d'affectation ; c'est s'incommoder
, c'est s'embarrasser , pour incommoder
, pour embarrasser les autres.
Il eft presqu'autant contre la bienséance
de se cachet en faisant le bien , que de
chercher à se faire voir en faisant le mal.
Tel croit mériter le nom de Poli , qui
ne mérite que celui de Dameret ou de
Pindariseur. La vraie Politesse est souvent
confondue avec des qualitez qui
méritent plus de blâme que de loüange.
On doit obeir sans cesse à la Loy des
usages et des bienséances ; il n'y a que
les Loix de la necessité qui nous dispensent
de toutes les autres.
On voit beaucoup de gens qui sçavent
comme on vit , mais fort peu qui sçachent
vivre ; c'est qu'on est trop curieux
de sçavoir ce que le monde fait , et qu'on
ne l'est pas assez de ce qu'il devroit
Faire.
La Politesse ne donne pas le mérite ,
mais elle le rend agréable , sans elle ildevient
presque insupportable , car il est
farauche et sans agrément. E iij
2002 MERCURE DE FRANCE
"
On perd presque tout le mérite du
bien,si on le fait sans Politesse ; unc mauvaise
maniere gâte tout , elle, défigure
même la justice et la raison .
Le chef- d'oeuvre de la Politesse est de
n'insulter jamais à ceux qui en manquent,
et de se contenter de les instruire par
l'exemple , sans rien faire davantage .
Lperdre à
propos .
Es hommes ne sçavent ni donner ni
Pecuniam in loco negligere , maximum interdum
lucrum est. Terence . Adelph.
L'esprit de l'homme se connoît à ses
paroles et sa naissance ou son éducation
à ses actions.
C'est le destin de l'homme de ne jamais
SEPTEMBRE . 1733. 1991
mais connoîce Son vrai bien , et de chercher
courant à être plus mal , pour vou
mieux.
Il est plus aisé d'abuser les hommes
par une narration où il entre du merveilleux
, que de les instruire par un
récit simple et naïf.
Nous sommes presque tous de telle
condition , que nous sommes fâchez d'être
ce que nous sommes.
On ne doit jamais parler de soi ni en
bien , parce qu'on ne nous croit point ,
ni en mal , parce qu'on en croit plus
qu'on n'en dit.
Les hommes prétendent que les femmes
leur sont fort inferieures en mérite , cependant
ils ne veulent leur passer aucun
défaut , et ils éclatent en mauvaise
humeur quand elles en remarquent quelqu'un
marqué en eux . Ils devroient opter
, s'appliquer à avoir moins de défauts
qu'elles , ou avoir moins de sévérité pour
les leurs.
Un homme toujours satisfait de luimême
, l'est peu souvent des autres ; rarement
on l'est de lui.
On
1992 MERCURE DE FRANCE
On trouve bien des hommes qui s'avoient
avares , vindicatifs , yvrognes ,
orgueilleux , poltrons même ; mais l'en
vie et l'ingratitude sont des passions si
lâches et si odieuses, que jamais personne
n'en demeura d'accord. Il n'y a point
de vertus compatibles avec les vices , et
point de crimes ausquels elles ne puissent
conduire.
La plupart des hommes ont bien plus
d'affectation et d'adresse pour excuser
leurs fautes , que d'attention pour n'en
point commettre.
Quand on paroît aimable aux yeux
des hommes , on paroît à leur esprit
tout ce qu'on veut .
Il n'est pas plus dangereux de faire du
mal à la plupart des hommes , que de
leur faire trop de bien .
Les hommes ont plus d'interêt à cor
riger les défauts de l'esprit , que ceux du
corps ; ils agissent cependant comme s'ile
étoi.nt persuadez du contraire.
Les hommes ont une application continuelle
à cacher et à déguiser leurs vices
СБ
SEPTEMBRE. 1733. 1993
et leurs défauts ; ils auroient peut- être
moins de peine à s'en corriger.
La vertu est souvent voilée par la modestie
, et le vice par l'hypocrisie ; ainsi
il est bien difficile de pouvoir penetrer
l'interieur des hommes.
Il est aussi avantageux aux hommes
de publier les bienfaits qu'ils reçoivent,
u'il leur est desavantageux de se plaindre
de leurs disgraces.
qu'il
Les hommes sont aveugles dans leurs
desirs , leurs pensées sont trompeuses ,
leurs discours et leurs esperances folles ,
et leurs apétits dereglez. Omnes decipimur
specie recti , dit Horace . Car à plusieurs
une blessure a procuré la santé ,
et l'on s'est trouvé quelquefois au comble
de la gloire , quand on ne devoit attendre
que l'infamie ou la mort.
Les hommes ne sont pas obligez d'être
bien faits , d'êtres riches ; ils sont obligez
d'avoir de la probité et de l'honneur,
Les hommes trouvent presque toujours
la peine , quand ils la fuyent avec
trop d'empressement.
Etre
1994 MERCURE DE FRANCE
Etre utile au Public , est un call tere
brillant ; ne nuire à personne , est un
état de vertu obscur , mais for rava Il
faudroit que les hommes avant que d'êtres
utiles au Public , cessassent de nuire
à qui que ce soit.
On doit plaindre presque également
un homme riche qui n'a qu'une bonne table
, et un pauvre qui n'a que de l'apétit.
C'est une grande foiblesse à un Prince
de n'oser refuser justement ce qu'on ose
bien lui demander sans avoir égard à
la justice.
Les Grands , pour l'ordinaire , se contentent
de sentir qu'on leur est agréàble
, sans approfondir si on mérite de
l'être. Leur plus importante occupation
cependant devroit être de connoître les
hommes , puisqu'ils veulent passer pour
les images de la divinité ; mais ils craignent
en cela de se détromper , de peur
de trouver souvent leurs Favoris indignes
de leurs bontez , et les autres hommes
qu'ils ne regardent pas , dignes de
plus de distinction .
Les Souverains se picquent d'ordinaire
de
SEPTEMBRE. 1733. 1995
7
de constance ; ils condamneroient plutôt
leurs propres Enfans que de blâmer
un Sujet choisi de leur main . Ils ne crais
tant de paroître malheureux
dat leur famille
Pears
jugemens.
, que mal- habiles dans
Ifatti de Principi , hanno ogn'altra facsia
che la vera.
Il est bien rare que les Grands n'abusent
pas de leur grandeur.
Il y a cette difference entre le Peuple
et les Grands ; que celui - là perd fa- .
cilement le souvenir des bienfaits et des
injures , au lieu que celui- cy oublie facilement
les plaisirs reçûs , et se souvient
toujours des injures.
Plusieurs méprisent la grandeur , afin
de s'élever dans leur imagination audessus
des Grands et de se bâtir ainsi une
grandeur imaginaire. De même qu'en
méprisant les richesses, c'est souvent pour
se faire un petit trésor de vanité , qui
tienne lieu de ce qu'on n'a pas.
Les Princes doivent être extrémement
attentifs à moderer tellement , même
leurs
1996 MERCURE DE FRANCE
à
leurs vertus , que l'une ne nuise pas
l'autre par son excès . Prendre garde sur
tout que leur justice et leur bonté ne
s'entre- détruise ; car à vouloir êne trop
juste , on devient odieux ; à vouloir être
trop bon , on devient méprisable.
L'estime des Grands est quelquefois
facile à acquerir , mais elle est toujours
difficile à conserver.
Selon le sentiment d'Epicure , il doit
être plus agréable de donner que de recevoir.
L'ingratitude même ne doit pas nous
empêcher de faire du bien , car il vaut
encore mieux que les bienfaits se perdent
dans les mains des ingrats , que
dans les nôtres.
Rien ne s'achette plus cherement que
ce qu'on achette par les prieres.
L'avidité de recevoir un nouveau bien--
fait , fait oublier celui qu'on a déja reçû .
Cupiditas accipiendorum oblivionem facit
acceptorum. Seneq .
Nous traçons sur la poussiere les bienfaits
SEPTEMBRE . 1733. 1997
faits que nous recevons , et nous gravons
sur le marbre le mal qu'on nous
fait , dit un Ancien.
Un bienfait desaprouvé n'est gra
ce que pour un seul , et c'est une injure
pour plusieurs.
Le bienfait n'est tel que par le bon
usage qu'en fait celui qui le reçoit .
De toutes les choses du monde , celle
qui vieillit le plus aisément et le plu
tôt , c'est le bienfair.
- Plusieurs sçavent perdre leurs biens ;
mais peu les sçavent donner .
Faire du bien aux méchants
souvent faire du mal aux bons.
c'est
Presque toujours lorsque les bienfaits
vont trop loin , la haine prend la place
de la reconnoissance.
Il y a des plaisirs dont on se paye par
ses mains ; celui d'en faire aux autres
est de cette nature.
I Beneficii ordinariamente si vedono
E contra
1998 MERCURE DE FRANCE
sontra cambiati , con ingratitudine infinita ;
più per l'impertinenza che il Benef
usa nell'esigere la gratitudine del of
altrui , che per la discortesia di d
il beneficio.
Gli Beneficii si ricevano sempre volentieri
, ma non sempre volentieri si vede il
Benefattore.
Nous sommes toujours extrémement
agréables à ceux à qui nous donnons
occasion de l'être.
Une femme ne trouve rien de si diffi
cile à faire que de s'accoûtumer à n'être
plus belle , quand elle l'a été pare
faitement,
Il n'y a pas de femme , si laide soitelle
, qui ne se trouve quelque trait de
beauté.
Sibi quaque videtur amanda,
Pessima sit , nulli non sua forma placet.
Ovid. de Art. Am. L. 23
La beauté dans le Sexe expose à tant
de périls , qu'il est bien difficile qu'on
ne succombe pas à quelques- uns .
Les
SEPTEMBRE. 1733. 1999
gou-
Les femmes ont souvent raison de vouloir
, à quelque prix que ce soit , paroître
belies, puisque c'est tout ce que les hommes
leur ont laissé ; car , point de
vernement pour elles , point d'autorité
absoluë , point de conduite d'ames , point
de pouvoir dans l'Eglise , point de possession
de Charges , point d'entrée dans
le Secret des affaires d'Etat.Il semble même
qu'on leur veuille ôter jusqu'à l'esprit
, en traitant de précieuses celles qui
en font paroître. Laissons -leur donc la
beauté , et quand elles n'en ont point ,
laissons - leur du moins le plaisir de croire
qu'elles en ont.
La laideur fait quelquefois présumer la
vertu où elle n'est pas ; et la beauté a
cela de funeste , qu'on croit les belles
personnes capables de toutes les foiblesses
qu'elles causent .
La beauté sans la grace, est un apas sans
hameçon.
En désirant trop ardemment de plaire,
on ne se rend pas plus aimable.
La réputation qui vient de la beauté
est quelque chose de si délicat parmi les
E ij
Fem-
885481
2000 MERCURE DE FRANCE
Femmes, qu'encore qu'elles ayent la plus
grande indifférence du monde pour quel
qu'un , jamais pourtant cette indirerence
n'ira jusqu'à vouloir que ce quelqu'un
porte ailleurs ses hommages et ses soupirs.
Tant de fierté qu'on voudra , une
belle personne regarde toujours la fuite
d'un amant sans mérite si on veut , et
qu'elle n'estime pas , comme autant de
diminué sur son empire.
Il
y
des beautez si engageantes , que
si on ne fuit , sans hésiter, on ne fuit pas
loin. On ne peut aller tout au plus que
de la longueur de ses chaînes.
Le véritable Efprit de Politesse consiste
dans une certaine attention à faire ensorte
que par nos paroles et par nos manieres
, les autres soient contens de nous
et d'eux -mêmes.
L'incivilité n'est pas un vice de l'ame ;
elle est l'effet de plusieurs vices ; de la
sotte vanité , de l'ignorance de ses devoirs
, de la paresse , de la stupidité , de
la distraction , du mépris des autres de
la jalousie , & c.
Rien n'est plus contraire à la véritable
poSEPTEMDA
E. *733• 2001
politesse et à la bienséance , que
de l'observer
avec trop d'affectation ; c'est s'incommoder
, c'est s'embarrasser , pour incommoder
, pour embarrasser les autres.
Il eft presqu'autant contre la bienséance
de se cachet en faisant le bien , que de
chercher à se faire voir en faisant le mal.
Tel croit mériter le nom de Poli , qui
ne mérite que celui de Dameret ou de
Pindariseur. La vraie Politesse est souvent
confondue avec des qualitez qui
méritent plus de blâme que de loüange.
On doit obeir sans cesse à la Loy des
usages et des bienséances ; il n'y a que
les Loix de la necessité qui nous dispensent
de toutes les autres.
On voit beaucoup de gens qui sçavent
comme on vit , mais fort peu qui sçachent
vivre ; c'est qu'on est trop curieux
de sçavoir ce que le monde fait , et qu'on
ne l'est pas assez de ce qu'il devroit
Faire.
La Politesse ne donne pas le mérite ,
mais elle le rend agréable , sans elle ildevient
presque insupportable , car il est
farauche et sans agrément. E iij
2002 MERCURE DE FRANCE
"
On perd presque tout le mérite du
bien,si on le fait sans Politesse ; unc mauvaise
maniere gâte tout , elle, défigure
même la justice et la raison .
Le chef- d'oeuvre de la Politesse est de
n'insulter jamais à ceux qui en manquent,
et de se contenter de les instruire par
l'exemple , sans rien faire davantage .
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Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore diverses réflexions sur la nature humaine et les comportements sociaux. Il met en lumière la difficulté des hommes à reconnaître et à rechercher leur véritable bien, souvent préférant le malheur. Les récits merveilleux trompent plus facilement les hommes que les récits simples. La plupart des gens sont insatisfaits de leur condition et évitent de parler de leurs défauts. Les hommes critiquent les femmes pour leurs défauts tout en étant intolérants aux remarques sur les leurs. Les vices comme l'avarice et l'ingratitude sont rarement admis par ceux qui les possèdent. Les hommes cachent et déguisent leurs défauts plutôt que de les corriger. La vertu est souvent voilée par la modestie, tandis que le vice l'est par l'hypocrisie. Il est avantageux de publier les bienfaits reçus et désavantageux de se plaindre des malheurs. Les hommes sont aveugles dans leurs désirs et leurs pensées sont trompeuses. Les grands et les souverains ont souvent des comportements contradictoires, abusant de leur pouvoir et étant intolérants aux critiques. Les bienfaits sont souvent oubliés rapidement, tandis que les injures sont gravées dans la mémoire. La beauté chez les femmes expose à des périls et est souvent la seule chose qu'elles peuvent utiliser pour se distinguer. La véritable politesse consiste à rendre les autres contents d'eux-mêmes et de soi, sans affectation. L'incivilité est l'effet de plusieurs vices, et la politesse rend le mérite agréable.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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60
p. 2585-2586
LE TRIOMPHE DE L'AMOUR, A CLORIS.
Début :
Un jour l'Enfant aîlé qu'on adore à Cythere, [...]
Mots clefs :
Amour, Cloris, Triomphe, Beauté
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE TRIOMPHE DE L'AMOUR, A CLORIS.
LE TRIOMPHE DE L'AMOUR ;
A CLORIS.
UN jour l'Enfant allé qu'on adore à Cythere
Pour qui les Dieux et les Mortels
Elevent dans leurs coeurs des Temples, des Autels,
Fut disgracié par sa Mere ;
Plein de dépit et de colere ,
1. Vol.
D'un
2586 MERCURE DE FRANCE
D'un vol leger l'Amour vint à Paris ,
Suivi des Jeux , des
graces et
des Ris :
Il inspira par tout l'Art d'aimer et de plaire.
Faisons naître , dit-il , dans ce charmant séjour,
Pour le Triomphe de l'Amour ,
Une Beauté frappante , une Venus nouvelle ,
Dont les attraits me vengent des mépris
De la trop altiere Cypris ;
Par un petit batement d'aîle ,
Il vous donna le jour , belle Cloris.
Les Immortels du haut de l'Empirée ,
Admirerent en vous une autre Cytheréc.
Plein de ravissement en cet aimable jour
Chaque Dieu fut d'intelligence
A faire éclater sa puissance ,
Pour rendre plus parfait l'ouvrage de l'Amour?
Jupiter vous fit don d'une ame genereuse ;
Junon vous décora d'une noble fierté ;
Le Dieu des Vers vous fit la faveur précieuse ;
De parler et d'écrire avec solidité ;
Le Destin vous rendit heureuse,
Enfin , Cloris , en vous , talens , félicité ,
Tout égale votre beauté .
Par M. L'Affichards
A CLORIS.
UN jour l'Enfant allé qu'on adore à Cythere
Pour qui les Dieux et les Mortels
Elevent dans leurs coeurs des Temples, des Autels,
Fut disgracié par sa Mere ;
Plein de dépit et de colere ,
1. Vol.
D'un
2586 MERCURE DE FRANCE
D'un vol leger l'Amour vint à Paris ,
Suivi des Jeux , des
graces et
des Ris :
Il inspira par tout l'Art d'aimer et de plaire.
Faisons naître , dit-il , dans ce charmant séjour,
Pour le Triomphe de l'Amour ,
Une Beauté frappante , une Venus nouvelle ,
Dont les attraits me vengent des mépris
De la trop altiere Cypris ;
Par un petit batement d'aîle ,
Il vous donna le jour , belle Cloris.
Les Immortels du haut de l'Empirée ,
Admirerent en vous une autre Cytheréc.
Plein de ravissement en cet aimable jour
Chaque Dieu fut d'intelligence
A faire éclater sa puissance ,
Pour rendre plus parfait l'ouvrage de l'Amour?
Jupiter vous fit don d'une ame genereuse ;
Junon vous décora d'une noble fierté ;
Le Dieu des Vers vous fit la faveur précieuse ;
De parler et d'écrire avec solidité ;
Le Destin vous rendit heureuse,
Enfin , Cloris , en vous , talens , félicité ,
Tout égale votre beauté .
Par M. L'Affichards
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Résumé : LE TRIOMPHE DE L'AMOUR, A CLORIS.
Le poème 'Le Triomphe de l'Amour' relate la quête de l'Amour, rejeté par sa mère, qui se rend à Paris pour enseigner l'art d'aimer et de plaire. Pour se venger des dédains de la déesse Cypris, il crée Cloris, une nouvelle beauté, grâce à un battement d'aile. Les Immortels admirent les attraits de Cloris. Chaque dieu contribue à la perfectionner : Jupiter lui offre une âme généreuse, Junon une noble fierté, et le dieu des Vers, le don de parler et d'écrire avec solidité. Le Destin lui accorde enfin le bonheur, faisant de Cloris une personne dont les talents et la félicité égalent sa beauté.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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61
p. 2759-2776
LETTRE de M. de Ponsan, Trésorier de France, à Toulouse, à Madame *** sur l'Amitié préférable à l'Amour ; lûë dans l'Académie des Jeux Floraux.
Début :
Il est tres-vrai, comme vous le dites, MADAME, qu'un véritable Ami est [...]
Mots clefs :
Amour, Amitié, Amants, Sentiments, Coeur, Charmes, Beauté, Mérite, Esprit, Honneur, Qualités, Personnes, Monde, Vertu
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. de Ponsan, Trésorier de France, à Toulouse, à Madame *** sur l'Amitié préférable à l'Amour ; lûë dans l'Académie des Jeux Floraux.
LETTRE de M. de Ponsan , Trésorier
de France , à Toulouse , à Madame
* * * sur l' Amitié préférable à l'Amours
Inë dans l'Académie des Jeux Floraux.
I'
L est tres - vrai , comme vous le dites ,
MADAME , qu'un véritable Ami est
d'une grande ressource pour soulager nos
peines et nos maux , c'est le trésor le plus
précieux et le plus rare , sur tout pour les
personnes de votre Sexe ; celles qui ont
assez de mérite pour dédaigner l'amour.
craignent , avec raison , en se livrant à
l'amitié , les jugemens du public , ce Tribunal
redoutable , qui ne voit rien qu'il
ne croye être de sa compétence , et qui
décide de tout sans examen ; la plupart
II. Vol. A iiij
des
2760 MERCURE DE FRANCE
gens sont toujours disposez à former des
soupçons injurieux , sur les sentimens
qu'on a pour les Dames ; j'ai éprouvé
cette injustice ; peu s'en est fallu qu'elle
ne m'ait été funeste auprès de vous ; tout
le monde en ces occasions , fait le tort à
l'amitié de la prendre pour l'amour ;
les Dames favorisent une erreur qui les
flatte du côté de leurs charmes et de leur
beauté,pourroient - elles éviter cet Ecueil?
Une vanité mal entendue les engage à
sapplaudir , de grossir le nombre des vils
Esclaves de l'Amour , aux dépens des illustres
sujets de l'Amitié ; plusieurs qui
ne peuvent avoir que des Amans, se font
honneur de confondre avec elles ces
personnes distinguées , qui ont sçu s'attacher
un ami fidele ; une infinité d'Experiences
n'ont pû les convaincre que l'amour
qu'elles inspirent ne suppose en
elles aucun mérite , et ne peut pas même
leur répondre qu'elles ayent de la beauté;
les vûës de leurs Adorateurs , et les motifs
qui les animent , devroient faire regarder
leurs empressemens avec mépris ,
et rendre l'amitié plus chere et plus respectable
; ses plaisirs sont purs , tranquiles
et innocens ; elle n'en goute ni n'en
recherche jamais d'autres ; la générosité
en est la source féconde ; Venus a les
11. Vol. GraDECEMBRE.
1733. 2761
Graces pour compagnes , et l'Amitié les
vertus ; mais ce qui marque bien la supériorité
de celle- cy , et qui fait le plus
éclater son triomphe , c'est que l'Amour
emprunte quelquefois son langage et se
cache sous ses dehors ; il a recours à ce
tour rafiné quand il a épuisé toutes ses
ruses et toutes ses supercheries. Ce déguisement
est l'hipocrisie de l'amour , il
aime mieux alors se trahir lui- même plutôt
que d'échoüer ; ' sa défiance décéle sa
foiblesse et sa honte ; il en fait par là un
aveu forcé N'est - ce pas un hommage
qu'il rend à l'Amitié ? Rappellez - vous ,
Madame , la belle ( 1 ) Sentence de M.de
la Rochefoucaut , que vous avez si souvent
admirée ; vous remarquerez , avec
plaisir , que ce qu'il dit du vice et de la
vertu , convient parfaitement à mon sujet
; cette conformité est aussi honteuse
pour l'amour , qu'elle est glorieuse pour
l'amitié ; elle justifie d'une maniere victorieuse
l'équité de mes invectives et de
mes éloges.
Pour s'assurer d'un accueil favorable
auprès des personnes les plus vertueuses
, l'Amitié n'a qu'à se présenter ; ce
qu'elle a de plus à craindre , c'est d'être
(1) L'Hypocrisie est un hommage que le vice:
rend à la vertu,
II.Vol. A v prise
2762 MERCURE DE FRANCE
prise pour l'Amour, et de devenir la victime
de cette erreur ; cette seule méprise
lui attire toutes les brusqueries qu'el
le essuye ; glorieuses humiliations ! Il lui
suffit d'étre reconnuë, et que tous les honneurs
soient pour elle. Tâchez , Madame,
de la distinguer à des traits certains , pour
vous épargner le chagrin où vous seriez
de lui avoir fait quelque affront; vous remarquerez
dans ses heureux favoris un
merveilleux assemblage des principales
qualitez du coeur et de l'esprit. Un Poëte
distingué a dit hardiment qu'un sot
ne sçauroit être un honnête homme ;
qualité inséparable d'un bon Ami .
Les liaisons d'une tendre amitié sont
entretenues par un commerce doux et
tranquille ; ses attentions , ses bons offices.
s'étendent aux choses importantes et sériuses
, sans oublier ni négliger les bagatelles
, ni les absences , ni les changemens
de fortune ne diminuent en rien
son ardeur ; les pertes de la beauté et de
la jeunesse serrent ses noeuds ; les vrais
amis soulagent leur douleur à la vûë
de ces infortunes per les occasions qu'elles
leur fournissent de signaler leur affection
, et de faire éclater leur tendresse.
Bien opposé à cet aimable caractère , le
temeraire Amour est toujours orageux
H.Vd. C'est
DECEMBRE. 1733. 2763
c'est le Dieu des Catastrophes , son origine
est des plus honteuses ; il doit sa
naissance à l'amour propre , source féconde
de la corruption du coeur , et des
travers de l'esprit ; digne fils d'un tel
Pere , il ne dégenere. pas ; il est aussi pervers
que son principe ; la fourberie , la
supercherie , et l'imposture sont les ressorts
cachez de toutes ses entreprises; tous
ses projets sont des crimes ; l'amitié illustre
et immortalise ses sujets , l'amour
déshonore et dégrade ses Esclaves , il est
P'ennemi irréconciliable de la bonne foy ;
leurs démêlez violens et journaliers les
ont forcez de jurer entre eux un divorce
éternel ; l'amour pur est une chimere ,
' où s'il en fut jamais , ce Phénix n'a pû
jouir du privilege de sa cendre ; on l'a
comparé justement à l'apparition des Esprits
dont tout le monde parle , quoique
personne n'en ait vu ; l'amour enfin est
le partage de la jeunesse , c'est la passion
favorite de cet âge , qui s'est arrogé
le droit d'être relevé de ses fautes, et qui
a la hardiesse de qualifier du nom d'amusemens
excusables , ses attentats les
plus criminels ; peu de gens , sans rien
cacher , ni déguiser , seroient en état ,
après leur jeunesse , de fournir une Enquête
honorable de vie et moeurs. Jose
11. Vol
A vi le
2764 MERCURE DE FRANCE
le dire , après vous , Madame , combien
d'hommes , si tous les mysteres d'iniquité
étoient expo ez au grand jour , seroient
obligez d'implorer lá clemence du
Prince pour ne pas subir la tigurur des
Loix ! Et n'oubliez pas , en faveur de votre
sexe , le sens general du nom d'homme
; la multitude des coupables leur
procure l'impunité , plusieurs abusant de
ce privilege honteux , perpétuent leur
minorité , et se rendent par là d'autant
plus criminels qu'il ne leur reste plus ni
frivoles prétextes , ni indignes excuses ;
je ne dois pas craindre de faire tort à l'amour
en le chargeant de tous les crimes
de la jeunesse , il en est presque toujours
l'auteur ou le complice..
?
La divine Amitié , ce présent du ciel ,
est de tous les âges , et de tous les Etats ;
elle en fit la gloire de tout temps ; ses far
yeurs inépuisables ne sont jamais accompagnées
de dégoûts ;, avec elle on n'a pas
à craindre de parvenir à la derniere ; les
présentes en annoncent toujours de nouvelles
, dont elles sont les infaillibles ga
rans, rien n'est capable d'en fixer le nom
bre, ni d'en borner le cours ; les vrais amis
trouvent à tous momens de nouveaux
charmes dans leur douce société ; mille
sujets interressans soutiennent et animent
II. Vola
leurs
DECEMBRE. 1733. 2765
leurs entretiens ; la délicieuse confiance
fournit toujours sans s'épuiser ; cette ressource
est plus sûre et plus grande que
celle de l'esprit. En tout genre ce qui
mérite le mépris est plus commun que ce
qui est digne d'estime ; ce caractere , matque
infaillible de leur véritable valeur
manque bien moins aux Amis qu'aux
Amans ; rien n'est plus ordinaire que l'amour
, même violent ; rien ne l'est moins
que l'amitié , même médiocre ; on peut
dire à l'honneur de celle cy qu'elle est
tout au moins aussi rare que la vertu ; ce
n'est pas- là le seul rapport qui la rend digne
de cette glorieuse comparaison.
·
Tout retentit des Eloges magnifiques
qu'on donne de toutes parts à l'Amitié ;
permettez- moy , de grace , Madame , de
les appeller des Eloges funébres , puisque
peu s'en faut qu'on ne parle d'une chose
qui n'existe plus ; on ne sçauroit , il
est vrai , faire un plus juste et plus noble
usage de la loüange ; mais l'amour propre,
qui trouve par tout des droits à exercer ,
ne s'oublie pas dans cette occasion ; le Panégiriste
, en publiant des sentimens d'estime
et de vénération pour elle , pense
souvent à s'illustrer lui - même ; on croit
se rendre recommandable par le cas
qu'on fait de cette vertu ; stériles éloges !
II. Vol. puis
2766 MERCURE DE FRANCE
puisqu'on ne voit que tres- peu de gens
qui connoissent les devoirs de l'amitié, et
bien moins qui les observent !
3
Tout le monde se glorifie de posseder
les qualitez propres à former un bon
ami , si nous en croyons les hommes sur
leur parole , il ne manque à chacun
d'eux , pour devenir des modeles de l'amitié
la plus parfaite , que de trouver
quelqu'un qui veuille les seconder dans
leurs prétendues dispositions ; ils souffrent
de ne pouvoir pas mettre en oeuvre
leurs sentimiens ; ceux dont le coeur est le
moins compatissant et le plus dur, livrez
à l'idolatrie la plus honteuse , qui est celle
de soi- même , dont l'interêt et l'amour
propre dirigent toutes les démarches 3
sont ordinairement ceux mêmes qui forment
sur cette matiere les regrets les plus
fréquens ; ils ont même le front de se
déchaîner contre les ingrats que leur
aveuglement est étrange ! où sont les
malheureux que leurs bons offices ont
prévenus et soulagez ? Sur qui se sont
répandus leurs bienfaits ? Qu'ils attendent
du moins , pour être en droit de
déclamer contre l'ingratitude et la dureté
, qu'il y ait quelqu'un dans l'Univers
qui puisse être ingrat à leur égard et qui
ait éprouvé leur sensibilité.
11. Vol
Ов
DECEMBRE. 1733. 2767
On trouve des gens qui voudroient
faire entendre que ce qui les arrête , et les
empêche de suivre leur panchant , c'est
la craipte d'être trompez , ou le danger
de faire des avances , auxquelles on ne
réponde pas ; ne soyons pas les dupes de
ces réfléxions trop prévoyantes ; quand
on est si prudent et si circonspect sur
cette matiere à s'assurer des premiers pas,
on n'est guere disposé à fiire les seconds ;
qui ne sçait point être généreux , ne sera
jamais reconnoissant; ces vertus adorables.
marchent toujours ensemble ; c'est les
détruire que de les séparer.
Vous me fournissez Madame , la
preuve de cette verité ; toutes les qualitez
d'une solide Amie se trouvent
réunies en vous ; à peine en eû je fair
l'heureuse découverte que ce merveil
leux assemblage me remplit d'admiration
, et détourna mes yeux de ce qui
attire d'abord sur vous ceux de tout le
monde , il me parut que ce seroit avilir
votre beauté d'en fire usage pour inspirer
des passions ; c'étoit une chose trop
aisée lui faire honneur , je voyois
pour
en vous avec complaisance tout ce qui
pouvoit servir de lustre à l'amitié , et lui
faire remporter sur l'amour la victoire la
plus éclatante ce ne fut pas sans des
II. Vol
efforts.
2768 MERCURE DE FRANCE
efforts puissants et redoublez que je
m'obstinai à approfondir ces idées ; les
réfléxions que je fis là- dessus furent le
plus sublime effort de ma Philosophie ;
sans leur secours j'aurois éprouvé le sort
commun , et vous m'auriez infailliblement
vû langur , comme mille autres, au
nombre de vos Amans , si vous ne m'aviez
paru mériter quelque chose de mieux
que de l'amour ; dès que je connus votre
coeur et toutes les qualitez qui le rendent
propre à faire gouter les douceurs et les
charmes de l'amitié , j'aurois rougi du
seul projet d'en faire un autre usage ; je
me suis mille fois glorifié de mon choix,
je lui do's l'heureuse préférence dont
vous m'avez honoré , et je vois bien que
c'étoit par là seulement que je pouvois
en obtenir de vous.
Mes soins assidus firent prendre le
change à vos Amans ; ils m'ont honoré
de leur jalousie , les plus clair- voyans, reconnoissant
la méprise , crurent être en
droit de faire peu de cas de mes sentimens
et de m'en faire un crime ; ils ignoroient
qu'on pouvoit vous rendre un
hommage plus digne de vous que les
leurs ; je ne me suis point allarmé , et ne
leur ai cédé en rien ; l'attachement que
j'avois pour vous étoit en état de soute-
II. Vol. Dis
DECEMBRE. 1733. 2769
nir toute comparaison ; mon amitié a
souvent fait rougir leur amour ; le vain
titre d'Amans dont ils faisoient tant de
gloire ,, a perdu tout son éclat à l'aspect
d'un véritable
ami ; ce parallele
en a détruit
tout le faux brillant.
Le succès n'ayant pas répondu à leur
attente , ils ont malicieusement affecté
de me traiter en Rival ; leur feinte jalousie
a tenté de vous faire entrer en défiance
sur mes sentimens. Ils ont essayé d'allarmer
votre délicatesse sur les jugemens
du public. C'est sur les choses qui
peuvent avoir quelque rapport à la galanterie
, que la licence des soupçons et
des propos est la plus effrénée ; le mensonge
et la médisance , la calomnie et l'imposture
s'exercent à l'envi sur cette matiere
, c'est là leur sujet favori ; ce champ
est le plus vaste qu'elles ayent pour triom
pher de l'innocence , parce qu'il est souvant
difficile de se justifier avec évidence
; les indices équivoques , les soupçons
injustes tiennent lieu de preuves completes
; le petit nombre de ceux qui tâ,
chent de sauver les apparences , tire peu
de fruit de leur contrainte, on aime mieux
tout croire étourdiment que de souffrir
que quelqu'un jouisse du fruit de ses
attentions.
II. Vol. Mal
2770 MERCURE DE FRANCE
Malgré cette funeste disposition , le
public , chez qui l'avis le plus favorable
n'a jimais prévalu , a été forcé , après
avoir quelque temps varié dans ses ju
gemens , de rendre témoignage à la vérité
; il s'est fait la violence de déclarer
que l'amitié seule formoit les noeuds qui
nous unfssoient ; cette décision fur pour
moi une victoire éclatante ; rarement on
en obtient de pareille devant un Juge
qui met ordinairement les apparences et
les préventions à la place des lumieres.
Vos Amans déconcertez se sont répandus
en murmures , ils ont donné à votre
coeur des qualifications injurieuses ; ils
l'ont traité d'insensible et de dur ; pour
ménager leur orgueil ils ont voulu vous
faire un crime du peu de cas que vous
ávez fait de leur amour ; injuste accusation
! Ils n'ont jamais été fondez à vous
reprocher votre prétendue insensibilité ,
vous vous êtes à cet égard pleinement
justifiée en faisant voir que vous réserviez
vos sentimens pour un plus digne
et plus noble usage que celui qu'ils leur
destinoient ; mal à propos ils ont appellé
dureté ce qui étoit en vous l'effet de la
glorieuse préférence que vous avez toujours
donnée à l'amitié Pour mériter et
pour obtenir toutes ses faveurs , vous lui
II. Vol. avez
DECEMBR E. 1733. 2771
avez offert les prémices de votre coeur ;
pour vous conserver digne d'elle , vous
n'avez jamais voulu la compromettre
avec l'amour ; vous avez la gloire , Madame
, d'avoir commencé par où bien
d'autres personnes de votre sexe ne peu
vent pas même finir ; leurs charmes et
avec eux leurs Amans les abandonnentils!
elles ne peuvent abandonner l'amour :
les dégoûts qu'elles ont alors à essuyer
les informent fréquemment que le temps
de plaire est passé ; s'il leur restoit quelque
mérite après avoir perdu leur beau.
elles pourroient se dédommager de
leurs pertes par le secours de l'amitié ; elles
n'auroient rien à regreter, si du débris de
leurs adorateurs elles avoient pû se ménager
un bon et fidele Arai , leur bonheur
seroit grand de connoître le prix
d'un échange si avantageux.
Ce parti ne sera jamais celui du grand
nombre ; les éclats souvent scandaleux ,
sont les dénouemens ordinaires des.commerces
galans : par le funeste panchant
des choses d'ic bas , tout tend à la corruption
, bien- plutôt qu'à la perfection ;
On voit souvent que l'amitié dégénére en
amour , mais il est bien rare que l'amour
ait la gloire de se convertir en amitié ;
cette route détournée et peu frayée a ton-
II. Vol.
jours
2772 MERCURE DE FRANCE
jours supposé d'excellentes qualitez dans
les personnes qui l'ont suivie avec succès;
revenus de la passion qui les aveugloit ,
les Amans conservent difficilement l'estime
mutuelle , sans laquelle l'amitié ne
sçauroit subsister; ceux qui ont cet avantage
ont sans doute un mérite éminent ;
on peut dire d'eux qu'ils étoient faits
pour l'amitié , quoiqu'ils ayent commencé
par l'amour ; ils méritent qu'on les
excuse d'avoir marché quelque temps
dans un sentier dont le terme a été aussi
heureux ; on doit croire , en leur faveur
qu'il y a eu de la surprise ; l'amour qui
ne connoît pas de meilleur titre que Pu
surpation pour étendre son empire , n'a
pas manqué de s'approprier des sujets de
Pamitié , qui s'étoient égarez , et a sçû
même quelquefois abuser de leur erreur ;
il n'a jamais été délicat sur les moyens de
parvenir à ses fins ; mais dès que ces
Amans privilégiez ont reconnu la méprise
, ils sont rentrez dans leur chemin ;
l'amitié leur a offert une retraite honorable
, elle a été pour eux un port tranquille
et assuré où ils ont goûté mille
délices et prévenu ou réparé de dangereux
naufrages.
Etes vous satisfaite , Madame ? trou
vez - vous que j'aye assez dégradé l'amour
II. Vol. et
DECEMBRE . 1733. 2773
pas
et exalté l'amitié ? Convenez que je n'ai
été inutilement à votre école ; si j'ai
quelques idées saines sur cette matiere
c'est à vous à qui je les dois , vos judisieuses
et profondes reflexions m'ont soutenu
dans mes sentimens ; vous m'avez
appris par vos discours la Theorie de la
Philosophie , et j'en ai appris la pratique
par les efforts que j'ai faits pour me borner
en vous voyant à la simple admiration
on est doublement Philosophe
quand on le devient auprès de vous ; vos
yeux sont de pressantes objections contre
les principes d'une science , qui fait consister
sa plus grande gloire à gourmander
les passions ; votre présence donne beau
coup d'éclat au mépris qu'on a pour l'amour
; vous sçavez qu'il a été mille fois
le funeste écueil des Philosophes les plus
aguerris , et que leur confiance n'a guere
été impunément temeraire ; mais , j'ose
le dire , je suis assuré de vous faire par là
ma cour; les charmes de vos discours ont
vaincu ceux de votre personne ; toutes
ces difficultez ont cedé à la solidité de
yos raisonnemens ; votre éloquence a
triomphe de votre beauté , nouveau genre
de victoire et le seul auquel vous êtes
sensible ! N'esperez pas que cet exemple
soit suivi ; vous êtes la premiere , et vous
11. Vol. screz
2774 MERCURE DE FRANCE
serez peut- être la derniere de votre sexe ,
qui , comblée des libéralitez de la nature,
emploira toute la finesse et la force d'un
génie heureux à faire comprendre aux
hommes que la beauté ne merite pas
leurs hommages ; ceux qui s'obstinent ,
malgré vous , à la regarder avec trop
d'admiration , vous paroissent manquer
de jugement, il a fallu pour mériter votre
estime , prendre la seule route que vous
offriez ; j'ai fuï ce que vous de extiez ,
j'ai haï l'amour , parce que vous haissiez
les Amans ; le souverain mépris que
vous marquez pour eux , m'a rendu ce
titre odieux ; mais vous m'avez appris
que je devois faire par raison , ce que je
ne faisois que pour me conformer à vos
idées .
Pardonnez , Madame , la liberté que je
me donne de parler de vos charmes , ils
font trop d'honneur à vos sentimens pour
pouvoir s'en dispenser ; vous devez même
me passer une espece de galanterie ,
qui se borne à peindre les obstacles que
j'ai eu à surmonter , pour me conserver
à vos yeux , digne de quelque preference
; vous m'avez permis de me parer du
glorieux titre de votre conquête , mais je
n'ai obtenu cette faveur qu'au nom de
l'amitié que vous sçavez être de tous les
11. Vol.
temps,
DECEM DAD. * 755° 4775
temps , au rang des vertus. Ceux qui
ont interessé l'amour auprès de vous se
sont bien- tôt apperçus du peu de crédit
qu'il avoit sur votre esprit; vous ne leur
avez pas laissé ignorer qu'étant compris
dans la liste des passions , vous n'hésitiez
pas de le mettre au rang des vices.
Je m'apperçois un peu tard,Madame
que je vais vous engager à une lecture
bien longue ; mais n'oubliez pas mon
excuse ; souvenez - vous que vous m'avez
demandé un volume , plaignez- vous si
vous voulez d'être trop obéïe ; pour moi
je ferai toujours gloire de me conformer
à vos volontez ; il m'importe d'ailleurs
que vous ne soyez pas obligée , pour vous
amuser plus long temps , de lire ma Lettre
plus d'une fois , comme vous m'en
aviez menacé , vous pourrez du moins
tirer un avantage de son excessive longueur,
elle vous servira à vous vanger de
Pennui que vous causent vos voisins ; il
ne faut pour cela que les obliger de la
lire.
इ VICT S
Sans doute , Madame , qu'à l'avenir
vous serez plus réservée à me demander
de longues Lettres vous voyez qu'il ne
faut pas se jouer à moy , je suis determi
né à executer aveuglément tout ce que
vous souhaiterez à mes périls et fortu-
11. Vol. ne
2776 MERCURE DE FRANCE
ne ; je n'ignore pas qu'en vous écrivant
aussi longuement je sacrifie les interêts
de mon esprit à ceux de mon coeur ; faites
moi la grace de croire que ce sacrifice
ne me coûte pas bien cher ; je me sens
disposé à vous en faire de beaucoup plus
considérables ; soyez persuadée que je
Vous aurai une obligation infinie toutes
les fois que vous voudrez bien me fournir
les occasions de vous donner de nouvelles
preuves du respectueux et sincere
attachement avec lequel j'ai l'honneur
d'être , &c.
de France , à Toulouse , à Madame
* * * sur l' Amitié préférable à l'Amours
Inë dans l'Académie des Jeux Floraux.
I'
L est tres - vrai , comme vous le dites ,
MADAME , qu'un véritable Ami est
d'une grande ressource pour soulager nos
peines et nos maux , c'est le trésor le plus
précieux et le plus rare , sur tout pour les
personnes de votre Sexe ; celles qui ont
assez de mérite pour dédaigner l'amour.
craignent , avec raison , en se livrant à
l'amitié , les jugemens du public , ce Tribunal
redoutable , qui ne voit rien qu'il
ne croye être de sa compétence , et qui
décide de tout sans examen ; la plupart
II. Vol. A iiij
des
2760 MERCURE DE FRANCE
gens sont toujours disposez à former des
soupçons injurieux , sur les sentimens
qu'on a pour les Dames ; j'ai éprouvé
cette injustice ; peu s'en est fallu qu'elle
ne m'ait été funeste auprès de vous ; tout
le monde en ces occasions , fait le tort à
l'amitié de la prendre pour l'amour ;
les Dames favorisent une erreur qui les
flatte du côté de leurs charmes et de leur
beauté,pourroient - elles éviter cet Ecueil?
Une vanité mal entendue les engage à
sapplaudir , de grossir le nombre des vils
Esclaves de l'Amour , aux dépens des illustres
sujets de l'Amitié ; plusieurs qui
ne peuvent avoir que des Amans, se font
honneur de confondre avec elles ces
personnes distinguées , qui ont sçu s'attacher
un ami fidele ; une infinité d'Experiences
n'ont pû les convaincre que l'amour
qu'elles inspirent ne suppose en
elles aucun mérite , et ne peut pas même
leur répondre qu'elles ayent de la beauté;
les vûës de leurs Adorateurs , et les motifs
qui les animent , devroient faire regarder
leurs empressemens avec mépris ,
et rendre l'amitié plus chere et plus respectable
; ses plaisirs sont purs , tranquiles
et innocens ; elle n'en goute ni n'en
recherche jamais d'autres ; la générosité
en est la source féconde ; Venus a les
11. Vol. GraDECEMBRE.
1733. 2761
Graces pour compagnes , et l'Amitié les
vertus ; mais ce qui marque bien la supériorité
de celle- cy , et qui fait le plus
éclater son triomphe , c'est que l'Amour
emprunte quelquefois son langage et se
cache sous ses dehors ; il a recours à ce
tour rafiné quand il a épuisé toutes ses
ruses et toutes ses supercheries. Ce déguisement
est l'hipocrisie de l'amour , il
aime mieux alors se trahir lui- même plutôt
que d'échoüer ; ' sa défiance décéle sa
foiblesse et sa honte ; il en fait par là un
aveu forcé N'est - ce pas un hommage
qu'il rend à l'Amitié ? Rappellez - vous ,
Madame , la belle ( 1 ) Sentence de M.de
la Rochefoucaut , que vous avez si souvent
admirée ; vous remarquerez , avec
plaisir , que ce qu'il dit du vice et de la
vertu , convient parfaitement à mon sujet
; cette conformité est aussi honteuse
pour l'amour , qu'elle est glorieuse pour
l'amitié ; elle justifie d'une maniere victorieuse
l'équité de mes invectives et de
mes éloges.
Pour s'assurer d'un accueil favorable
auprès des personnes les plus vertueuses
, l'Amitié n'a qu'à se présenter ; ce
qu'elle a de plus à craindre , c'est d'être
(1) L'Hypocrisie est un hommage que le vice:
rend à la vertu,
II.Vol. A v prise
2762 MERCURE DE FRANCE
prise pour l'Amour, et de devenir la victime
de cette erreur ; cette seule méprise
lui attire toutes les brusqueries qu'el
le essuye ; glorieuses humiliations ! Il lui
suffit d'étre reconnuë, et que tous les honneurs
soient pour elle. Tâchez , Madame,
de la distinguer à des traits certains , pour
vous épargner le chagrin où vous seriez
de lui avoir fait quelque affront; vous remarquerez
dans ses heureux favoris un
merveilleux assemblage des principales
qualitez du coeur et de l'esprit. Un Poëte
distingué a dit hardiment qu'un sot
ne sçauroit être un honnête homme ;
qualité inséparable d'un bon Ami .
Les liaisons d'une tendre amitié sont
entretenues par un commerce doux et
tranquille ; ses attentions , ses bons offices.
s'étendent aux choses importantes et sériuses
, sans oublier ni négliger les bagatelles
, ni les absences , ni les changemens
de fortune ne diminuent en rien
son ardeur ; les pertes de la beauté et de
la jeunesse serrent ses noeuds ; les vrais
amis soulagent leur douleur à la vûë
de ces infortunes per les occasions qu'elles
leur fournissent de signaler leur affection
, et de faire éclater leur tendresse.
Bien opposé à cet aimable caractère , le
temeraire Amour est toujours orageux
H.Vd. C'est
DECEMBRE. 1733. 2763
c'est le Dieu des Catastrophes , son origine
est des plus honteuses ; il doit sa
naissance à l'amour propre , source féconde
de la corruption du coeur , et des
travers de l'esprit ; digne fils d'un tel
Pere , il ne dégenere. pas ; il est aussi pervers
que son principe ; la fourberie , la
supercherie , et l'imposture sont les ressorts
cachez de toutes ses entreprises; tous
ses projets sont des crimes ; l'amitié illustre
et immortalise ses sujets , l'amour
déshonore et dégrade ses Esclaves , il est
P'ennemi irréconciliable de la bonne foy ;
leurs démêlez violens et journaliers les
ont forcez de jurer entre eux un divorce
éternel ; l'amour pur est une chimere ,
' où s'il en fut jamais , ce Phénix n'a pû
jouir du privilege de sa cendre ; on l'a
comparé justement à l'apparition des Esprits
dont tout le monde parle , quoique
personne n'en ait vu ; l'amour enfin est
le partage de la jeunesse , c'est la passion
favorite de cet âge , qui s'est arrogé
le droit d'être relevé de ses fautes, et qui
a la hardiesse de qualifier du nom d'amusemens
excusables , ses attentats les
plus criminels ; peu de gens , sans rien
cacher , ni déguiser , seroient en état ,
après leur jeunesse , de fournir une Enquête
honorable de vie et moeurs. Jose
11. Vol
A vi le
2764 MERCURE DE FRANCE
le dire , après vous , Madame , combien
d'hommes , si tous les mysteres d'iniquité
étoient expo ez au grand jour , seroient
obligez d'implorer lá clemence du
Prince pour ne pas subir la tigurur des
Loix ! Et n'oubliez pas , en faveur de votre
sexe , le sens general du nom d'homme
; la multitude des coupables leur
procure l'impunité , plusieurs abusant de
ce privilege honteux , perpétuent leur
minorité , et se rendent par là d'autant
plus criminels qu'il ne leur reste plus ni
frivoles prétextes , ni indignes excuses ;
je ne dois pas craindre de faire tort à l'amour
en le chargeant de tous les crimes
de la jeunesse , il en est presque toujours
l'auteur ou le complice..
?
La divine Amitié , ce présent du ciel ,
est de tous les âges , et de tous les Etats ;
elle en fit la gloire de tout temps ; ses far
yeurs inépuisables ne sont jamais accompagnées
de dégoûts ;, avec elle on n'a pas
à craindre de parvenir à la derniere ; les
présentes en annoncent toujours de nouvelles
, dont elles sont les infaillibles ga
rans, rien n'est capable d'en fixer le nom
bre, ni d'en borner le cours ; les vrais amis
trouvent à tous momens de nouveaux
charmes dans leur douce société ; mille
sujets interressans soutiennent et animent
II. Vola
leurs
DECEMBRE. 1733. 2765
leurs entretiens ; la délicieuse confiance
fournit toujours sans s'épuiser ; cette ressource
est plus sûre et plus grande que
celle de l'esprit. En tout genre ce qui
mérite le mépris est plus commun que ce
qui est digne d'estime ; ce caractere , matque
infaillible de leur véritable valeur
manque bien moins aux Amis qu'aux
Amans ; rien n'est plus ordinaire que l'amour
, même violent ; rien ne l'est moins
que l'amitié , même médiocre ; on peut
dire à l'honneur de celle cy qu'elle est
tout au moins aussi rare que la vertu ; ce
n'est pas- là le seul rapport qui la rend digne
de cette glorieuse comparaison.
·
Tout retentit des Eloges magnifiques
qu'on donne de toutes parts à l'Amitié ;
permettez- moy , de grace , Madame , de
les appeller des Eloges funébres , puisque
peu s'en faut qu'on ne parle d'une chose
qui n'existe plus ; on ne sçauroit , il
est vrai , faire un plus juste et plus noble
usage de la loüange ; mais l'amour propre,
qui trouve par tout des droits à exercer ,
ne s'oublie pas dans cette occasion ; le Panégiriste
, en publiant des sentimens d'estime
et de vénération pour elle , pense
souvent à s'illustrer lui - même ; on croit
se rendre recommandable par le cas
qu'on fait de cette vertu ; stériles éloges !
II. Vol. puis
2766 MERCURE DE FRANCE
puisqu'on ne voit que tres- peu de gens
qui connoissent les devoirs de l'amitié, et
bien moins qui les observent !
3
Tout le monde se glorifie de posseder
les qualitez propres à former un bon
ami , si nous en croyons les hommes sur
leur parole , il ne manque à chacun
d'eux , pour devenir des modeles de l'amitié
la plus parfaite , que de trouver
quelqu'un qui veuille les seconder dans
leurs prétendues dispositions ; ils souffrent
de ne pouvoir pas mettre en oeuvre
leurs sentimiens ; ceux dont le coeur est le
moins compatissant et le plus dur, livrez
à l'idolatrie la plus honteuse , qui est celle
de soi- même , dont l'interêt et l'amour
propre dirigent toutes les démarches 3
sont ordinairement ceux mêmes qui forment
sur cette matiere les regrets les plus
fréquens ; ils ont même le front de se
déchaîner contre les ingrats que leur
aveuglement est étrange ! où sont les
malheureux que leurs bons offices ont
prévenus et soulagez ? Sur qui se sont
répandus leurs bienfaits ? Qu'ils attendent
du moins , pour être en droit de
déclamer contre l'ingratitude et la dureté
, qu'il y ait quelqu'un dans l'Univers
qui puisse être ingrat à leur égard et qui
ait éprouvé leur sensibilité.
11. Vol
Ов
DECEMBRE. 1733. 2767
On trouve des gens qui voudroient
faire entendre que ce qui les arrête , et les
empêche de suivre leur panchant , c'est
la craipte d'être trompez , ou le danger
de faire des avances , auxquelles on ne
réponde pas ; ne soyons pas les dupes de
ces réfléxions trop prévoyantes ; quand
on est si prudent et si circonspect sur
cette matiere à s'assurer des premiers pas,
on n'est guere disposé à fiire les seconds ;
qui ne sçait point être généreux , ne sera
jamais reconnoissant; ces vertus adorables.
marchent toujours ensemble ; c'est les
détruire que de les séparer.
Vous me fournissez Madame , la
preuve de cette verité ; toutes les qualitez
d'une solide Amie se trouvent
réunies en vous ; à peine en eû je fair
l'heureuse découverte que ce merveil
leux assemblage me remplit d'admiration
, et détourna mes yeux de ce qui
attire d'abord sur vous ceux de tout le
monde , il me parut que ce seroit avilir
votre beauté d'en fire usage pour inspirer
des passions ; c'étoit une chose trop
aisée lui faire honneur , je voyois
pour
en vous avec complaisance tout ce qui
pouvoit servir de lustre à l'amitié , et lui
faire remporter sur l'amour la victoire la
plus éclatante ce ne fut pas sans des
II. Vol
efforts.
2768 MERCURE DE FRANCE
efforts puissants et redoublez que je
m'obstinai à approfondir ces idées ; les
réfléxions que je fis là- dessus furent le
plus sublime effort de ma Philosophie ;
sans leur secours j'aurois éprouvé le sort
commun , et vous m'auriez infailliblement
vû langur , comme mille autres, au
nombre de vos Amans , si vous ne m'aviez
paru mériter quelque chose de mieux
que de l'amour ; dès que je connus votre
coeur et toutes les qualitez qui le rendent
propre à faire gouter les douceurs et les
charmes de l'amitié , j'aurois rougi du
seul projet d'en faire un autre usage ; je
me suis mille fois glorifié de mon choix,
je lui do's l'heureuse préférence dont
vous m'avez honoré , et je vois bien que
c'étoit par là seulement que je pouvois
en obtenir de vous.
Mes soins assidus firent prendre le
change à vos Amans ; ils m'ont honoré
de leur jalousie , les plus clair- voyans, reconnoissant
la méprise , crurent être en
droit de faire peu de cas de mes sentimens
et de m'en faire un crime ; ils ignoroient
qu'on pouvoit vous rendre un
hommage plus digne de vous que les
leurs ; je ne me suis point allarmé , et ne
leur ai cédé en rien ; l'attachement que
j'avois pour vous étoit en état de soute-
II. Vol. Dis
DECEMBRE. 1733. 2769
nir toute comparaison ; mon amitié a
souvent fait rougir leur amour ; le vain
titre d'Amans dont ils faisoient tant de
gloire ,, a perdu tout son éclat à l'aspect
d'un véritable
ami ; ce parallele
en a détruit
tout le faux brillant.
Le succès n'ayant pas répondu à leur
attente , ils ont malicieusement affecté
de me traiter en Rival ; leur feinte jalousie
a tenté de vous faire entrer en défiance
sur mes sentimens. Ils ont essayé d'allarmer
votre délicatesse sur les jugemens
du public. C'est sur les choses qui
peuvent avoir quelque rapport à la galanterie
, que la licence des soupçons et
des propos est la plus effrénée ; le mensonge
et la médisance , la calomnie et l'imposture
s'exercent à l'envi sur cette matiere
, c'est là leur sujet favori ; ce champ
est le plus vaste qu'elles ayent pour triom
pher de l'innocence , parce qu'il est souvant
difficile de se justifier avec évidence
; les indices équivoques , les soupçons
injustes tiennent lieu de preuves completes
; le petit nombre de ceux qui tâ,
chent de sauver les apparences , tire peu
de fruit de leur contrainte, on aime mieux
tout croire étourdiment que de souffrir
que quelqu'un jouisse du fruit de ses
attentions.
II. Vol. Mal
2770 MERCURE DE FRANCE
Malgré cette funeste disposition , le
public , chez qui l'avis le plus favorable
n'a jimais prévalu , a été forcé , après
avoir quelque temps varié dans ses ju
gemens , de rendre témoignage à la vérité
; il s'est fait la violence de déclarer
que l'amitié seule formoit les noeuds qui
nous unfssoient ; cette décision fur pour
moi une victoire éclatante ; rarement on
en obtient de pareille devant un Juge
qui met ordinairement les apparences et
les préventions à la place des lumieres.
Vos Amans déconcertez se sont répandus
en murmures , ils ont donné à votre
coeur des qualifications injurieuses ; ils
l'ont traité d'insensible et de dur ; pour
ménager leur orgueil ils ont voulu vous
faire un crime du peu de cas que vous
ávez fait de leur amour ; injuste accusation
! Ils n'ont jamais été fondez à vous
reprocher votre prétendue insensibilité ,
vous vous êtes à cet égard pleinement
justifiée en faisant voir que vous réserviez
vos sentimens pour un plus digne
et plus noble usage que celui qu'ils leur
destinoient ; mal à propos ils ont appellé
dureté ce qui étoit en vous l'effet de la
glorieuse préférence que vous avez toujours
donnée à l'amitié Pour mériter et
pour obtenir toutes ses faveurs , vous lui
II. Vol. avez
DECEMBR E. 1733. 2771
avez offert les prémices de votre coeur ;
pour vous conserver digne d'elle , vous
n'avez jamais voulu la compromettre
avec l'amour ; vous avez la gloire , Madame
, d'avoir commencé par où bien
d'autres personnes de votre sexe ne peu
vent pas même finir ; leurs charmes et
avec eux leurs Amans les abandonnentils!
elles ne peuvent abandonner l'amour :
les dégoûts qu'elles ont alors à essuyer
les informent fréquemment que le temps
de plaire est passé ; s'il leur restoit quelque
mérite après avoir perdu leur beau.
elles pourroient se dédommager de
leurs pertes par le secours de l'amitié ; elles
n'auroient rien à regreter, si du débris de
leurs adorateurs elles avoient pû se ménager
un bon et fidele Arai , leur bonheur
seroit grand de connoître le prix
d'un échange si avantageux.
Ce parti ne sera jamais celui du grand
nombre ; les éclats souvent scandaleux ,
sont les dénouemens ordinaires des.commerces
galans : par le funeste panchant
des choses d'ic bas , tout tend à la corruption
, bien- plutôt qu'à la perfection ;
On voit souvent que l'amitié dégénére en
amour , mais il est bien rare que l'amour
ait la gloire de se convertir en amitié ;
cette route détournée et peu frayée a ton-
II. Vol.
jours
2772 MERCURE DE FRANCE
jours supposé d'excellentes qualitez dans
les personnes qui l'ont suivie avec succès;
revenus de la passion qui les aveugloit ,
les Amans conservent difficilement l'estime
mutuelle , sans laquelle l'amitié ne
sçauroit subsister; ceux qui ont cet avantage
ont sans doute un mérite éminent ;
on peut dire d'eux qu'ils étoient faits
pour l'amitié , quoiqu'ils ayent commencé
par l'amour ; ils méritent qu'on les
excuse d'avoir marché quelque temps
dans un sentier dont le terme a été aussi
heureux ; on doit croire , en leur faveur
qu'il y a eu de la surprise ; l'amour qui
ne connoît pas de meilleur titre que Pu
surpation pour étendre son empire , n'a
pas manqué de s'approprier des sujets de
Pamitié , qui s'étoient égarez , et a sçû
même quelquefois abuser de leur erreur ;
il n'a jamais été délicat sur les moyens de
parvenir à ses fins ; mais dès que ces
Amans privilégiez ont reconnu la méprise
, ils sont rentrez dans leur chemin ;
l'amitié leur a offert une retraite honorable
, elle a été pour eux un port tranquille
et assuré où ils ont goûté mille
délices et prévenu ou réparé de dangereux
naufrages.
Etes vous satisfaite , Madame ? trou
vez - vous que j'aye assez dégradé l'amour
II. Vol. et
DECEMBRE . 1733. 2773
pas
et exalté l'amitié ? Convenez que je n'ai
été inutilement à votre école ; si j'ai
quelques idées saines sur cette matiere
c'est à vous à qui je les dois , vos judisieuses
et profondes reflexions m'ont soutenu
dans mes sentimens ; vous m'avez
appris par vos discours la Theorie de la
Philosophie , et j'en ai appris la pratique
par les efforts que j'ai faits pour me borner
en vous voyant à la simple admiration
on est doublement Philosophe
quand on le devient auprès de vous ; vos
yeux sont de pressantes objections contre
les principes d'une science , qui fait consister
sa plus grande gloire à gourmander
les passions ; votre présence donne beau
coup d'éclat au mépris qu'on a pour l'amour
; vous sçavez qu'il a été mille fois
le funeste écueil des Philosophes les plus
aguerris , et que leur confiance n'a guere
été impunément temeraire ; mais , j'ose
le dire , je suis assuré de vous faire par là
ma cour; les charmes de vos discours ont
vaincu ceux de votre personne ; toutes
ces difficultez ont cedé à la solidité de
yos raisonnemens ; votre éloquence a
triomphe de votre beauté , nouveau genre
de victoire et le seul auquel vous êtes
sensible ! N'esperez pas que cet exemple
soit suivi ; vous êtes la premiere , et vous
11. Vol. screz
2774 MERCURE DE FRANCE
serez peut- être la derniere de votre sexe ,
qui , comblée des libéralitez de la nature,
emploira toute la finesse et la force d'un
génie heureux à faire comprendre aux
hommes que la beauté ne merite pas
leurs hommages ; ceux qui s'obstinent ,
malgré vous , à la regarder avec trop
d'admiration , vous paroissent manquer
de jugement, il a fallu pour mériter votre
estime , prendre la seule route que vous
offriez ; j'ai fuï ce que vous de extiez ,
j'ai haï l'amour , parce que vous haissiez
les Amans ; le souverain mépris que
vous marquez pour eux , m'a rendu ce
titre odieux ; mais vous m'avez appris
que je devois faire par raison , ce que je
ne faisois que pour me conformer à vos
idées .
Pardonnez , Madame , la liberté que je
me donne de parler de vos charmes , ils
font trop d'honneur à vos sentimens pour
pouvoir s'en dispenser ; vous devez même
me passer une espece de galanterie ,
qui se borne à peindre les obstacles que
j'ai eu à surmonter , pour me conserver
à vos yeux , digne de quelque preference
; vous m'avez permis de me parer du
glorieux titre de votre conquête , mais je
n'ai obtenu cette faveur qu'au nom de
l'amitié que vous sçavez être de tous les
11. Vol.
temps,
DECEM DAD. * 755° 4775
temps , au rang des vertus. Ceux qui
ont interessé l'amour auprès de vous se
sont bien- tôt apperçus du peu de crédit
qu'il avoit sur votre esprit; vous ne leur
avez pas laissé ignorer qu'étant compris
dans la liste des passions , vous n'hésitiez
pas de le mettre au rang des vices.
Je m'apperçois un peu tard,Madame
que je vais vous engager à une lecture
bien longue ; mais n'oubliez pas mon
excuse ; souvenez - vous que vous m'avez
demandé un volume , plaignez- vous si
vous voulez d'être trop obéïe ; pour moi
je ferai toujours gloire de me conformer
à vos volontez ; il m'importe d'ailleurs
que vous ne soyez pas obligée , pour vous
amuser plus long temps , de lire ma Lettre
plus d'une fois , comme vous m'en
aviez menacé , vous pourrez du moins
tirer un avantage de son excessive longueur,
elle vous servira à vous vanger de
Pennui que vous causent vos voisins ; il
ne faut pour cela que les obliger de la
lire.
इ VICT S
Sans doute , Madame , qu'à l'avenir
vous serez plus réservée à me demander
de longues Lettres vous voyez qu'il ne
faut pas se jouer à moy , je suis determi
né à executer aveuglément tout ce que
vous souhaiterez à mes périls et fortu-
11. Vol. ne
2776 MERCURE DE FRANCE
ne ; je n'ignore pas qu'en vous écrivant
aussi longuement je sacrifie les interêts
de mon esprit à ceux de mon coeur ; faites
moi la grace de croire que ce sacrifice
ne me coûte pas bien cher ; je me sens
disposé à vous en faire de beaucoup plus
considérables ; soyez persuadée que je
Vous aurai une obligation infinie toutes
les fois que vous voudrez bien me fournir
les occasions de vous donner de nouvelles
preuves du respectueux et sincere
attachement avec lequel j'ai l'honneur
d'être , &c.
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Résumé : LETTRE de M. de Ponsan, Trésorier de France, à Toulouse, à Madame *** sur l'Amitié préférable à l'Amour ; lûë dans l'Académie des Jeux Floraux.
La lettre de M. de Ponsan, Trésorier de France à Toulouse, adressée à une dame, met en avant la supériorité de l'amitié sur l'amour. L'auteur souligne que l'amitié est une ressource précieuse, particulièrement pour les femmes méritantes qui craignent les jugements publics. Il observe que l'amour et l'amitié sont souvent confondus, ce qui peut nuire à l'amitié. L'amour est motivé par la vanité et la beauté, tandis que l'amitié repose sur la générosité et les vertus. L'auteur note que l'amour peut emprunter le langage de l'amitié par hypocrisie. Il insiste sur la pureté et la tranquillité des plaisirs de l'amitié, contrastant avec les tumultes de l'amour. L'amitié persiste à travers les épreuves et les changements de fortune, renforçant les liens entre les amis. En revanche, l'amour est décrit comme orageux et corrupteur, né de l'amour-propre et source de crimes. L'auteur admire les qualités de la dame, qui incarnent une amitié solide et véritable, et se félicite de son choix de préférer l'amitié à l'amour. Il mentionne également les jaloux qui ont tenté de semer la défiance, mais son amitié est restée inébranlable. La lettre, publiée dans le Mercure de France en décembre 1733, exalte l'amitié comme seule capable de former des liens authentiques. L'auteur relate comment le public, après des jugements variés, a finalement reconnu la supériorité de l'amitié. Elle décrit les réactions de ses anciens amants, qui l'ont accusée d'insensibilité et de dureté, mais se justifie en expliquant qu'elle réservait ses sentiments pour un usage plus noble. L'auteur souligne que l'amitié est souvent compromise par l'amour, mais que l'inverse est rare. Elle loue les personnes capables de transformer leur amour en amitié, les qualifiant de méritantes. Elle exprime sa gratitude envers une dame dont les réflexions philosophiques l'ont influencée. Elle admire cette dame pour son intelligence et sa beauté, mais surtout pour son mépris de l'amour et son attachement à l'amitié. L'auteur conclut en affirmant son dévouement et son respect pour cette dame, prêt à sacrifier ses intérêts pour lui prouver son attachement sincère.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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63
p. 29
ENVOI.
Début :
Beauté pour qui ces vers sont faits, [...]
Mots clefs :
Amant, Beauté
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ENVOI.
E NVO I.
Eauté pour qui ces vers font faits ;
Et que mon coeur connoît pour fouveraine ;
Marquez vos jours par vos bienfaits ,
N'affectez point d'être inhumaine.
Couronnez un fincere amant ,
Qui dès long- tems pour vous foupire ,
Et que de votre aimable empire ,
La bonté foit le fondement.
De Rouen , ce 26 Juin 1754.
Eauté pour qui ces vers font faits ;
Et que mon coeur connoît pour fouveraine ;
Marquez vos jours par vos bienfaits ,
N'affectez point d'être inhumaine.
Couronnez un fincere amant ,
Qui dès long- tems pour vous foupire ,
Et que de votre aimable empire ,
La bonté foit le fondement.
De Rouen , ce 26 Juin 1754.
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64
p. 42-43
STANCES IRRÉGULIERES, A Miss L'été C....
Début :
Je vis Lété, mon coeur en fut épris ; [...]
Mots clefs :
Coeur, Amour, Dieu, Beauté
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : STANCES IRRÉGULIERES, A Miss L'été C....
STANCES IRRÉGULIERES ,
J
A Mifs Lété C ....
E vis Lété , mon coeur en fut épris ;
Elle parla , je l'aimai davantage ;
Du Dieu des arts elle avoit le langage
Et les traits ingénus de l'enfant de Cypris.
J'approche ; fon front fe colore ,
Son embarras augmente fa beauté ;
Je lui peins les tranfports de mon coeur agité ;
Je l'offenfai , Lété parut plus belle encore.
L'amour lui -même avec des fleurs
Entrelaçoit fa blonde chevelure ;
Charmes touchans , innocente parure ,
Qui flatte les regards & captive les coeurs !
T
JUI N. 17556 43
Un fard coupable enfant du crime ,
Ne ternit point la blancheur de fon teint ;
Si, fes yeux embrafent mon fein ,
C'est la pudeur qui les anime.
Amour des plus lointains climats ,
Tu l'amenas aux rives de la France ;
Minerve parmi nous a formé fon enfance :
Regne aujourd'hui fur fes appas.
Dieu de Paphos , Iphis t'implore ,
Peins à Lété les maux que je reffens
Sa beauté captive mes ſens ,
Et c'eft fon ame que j'adore .
Iphis , me répondit l'Amour ,
Lété craint les amans qui peuplent ces rivages ;
Préfomptueux , faux & yolages ,
Méritent-ils un doux retour ?
Dans les climats qu'illuftra fa naiffance ,
L'aftre brûlant des cieux tempere fes ardeurs :
Mais mon flambeau divin que foutient la conftance
Plus ardent qu'à Cythere y confume les coeurs,
Heureux Iphis , de ta patrie
Tu n'a point pris le goût pervers ;
Lété connoit les maux que ton coeur a ſoufferts ;
Tu peux tout efpérer , Lété s'eft attendrie.
* L'Irlande , pays froid,
J
A Mifs Lété C ....
E vis Lété , mon coeur en fut épris ;
Elle parla , je l'aimai davantage ;
Du Dieu des arts elle avoit le langage
Et les traits ingénus de l'enfant de Cypris.
J'approche ; fon front fe colore ,
Son embarras augmente fa beauté ;
Je lui peins les tranfports de mon coeur agité ;
Je l'offenfai , Lété parut plus belle encore.
L'amour lui -même avec des fleurs
Entrelaçoit fa blonde chevelure ;
Charmes touchans , innocente parure ,
Qui flatte les regards & captive les coeurs !
T
JUI N. 17556 43
Un fard coupable enfant du crime ,
Ne ternit point la blancheur de fon teint ;
Si, fes yeux embrafent mon fein ,
C'est la pudeur qui les anime.
Amour des plus lointains climats ,
Tu l'amenas aux rives de la France ;
Minerve parmi nous a formé fon enfance :
Regne aujourd'hui fur fes appas.
Dieu de Paphos , Iphis t'implore ,
Peins à Lété les maux que je reffens
Sa beauté captive mes ſens ,
Et c'eft fon ame que j'adore .
Iphis , me répondit l'Amour ,
Lété craint les amans qui peuplent ces rivages ;
Préfomptueux , faux & yolages ,
Méritent-ils un doux retour ?
Dans les climats qu'illuftra fa naiffance ,
L'aftre brûlant des cieux tempere fes ardeurs :
Mais mon flambeau divin que foutient la conftance
Plus ardent qu'à Cythere y confume les coeurs,
Heureux Iphis , de ta patrie
Tu n'a point pris le goût pervers ;
Lété connoit les maux que ton coeur a ſoufferts ;
Tu peux tout efpérer , Lété s'eft attendrie.
* L'Irlande , pays froid,
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Résumé : STANCES IRRÉGULIERES, A Miss L'été C....
Le poème 'Stances irrégulières' est dédié à Lété, une personne que le narrateur, Iphis, rencontre durant l'été. Iphis est captivé par la beauté de Lété, son langage divin et son innocence. Lors de leur rencontre, il observe que Lété rougit et semble embarrassée, ce qui ne fait que renforcer son attrait. Il décrit ses charmes naturels, comparant sa chevelure à des fleurs et soulignant sa pureté. Iphis admire Lété pour sa pudeur et son absence de maquillage artificiel. Il remercie l'Amour d'avoir amené Lété en France et implore le dieu de Paphos de peindre à Lété les maux qu'il ressent. Cependant, Lété craint les amants locaux, jugés présomptueux et volages. L'Amour rassure Iphis en lui disant que Lété connaît ses souffrances et qu'elle s'est attendrie. Le poème se termine par une référence à l'Irlande, pays froid.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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65
p. 69-77
« MADAME FAGNAN, qui s'est annoncée avantageusement il y a quelques années [...] »
Début :
MADAME FAGNAN, qui s'est annoncée avantageusement il y a quelques années [...]
Mots clefs :
Conte, Princesses, Beauté, Miroir
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « MADAME FAGNAN, qui s'est annoncée avantageusement il y a quelques années [...] »
MADAME FAGNAN , qui s'eft annoncée
avantageufement
il y a quelques années
par un petit conte foi-difant traduit du
Lauvage , vient d'en mettre un autre au'
jour fous le titre du Miroir des Princeffes
orientales , dédié à Madame de Pompa->
dour.
Il paroît que Mme Fagnan s'eft proposée
de prouver que les belles qualités de l'ame ,
celles du coeur & de l'efprit , en un mot les
vertus morales fans le fecours de la beauté ,
font plus propres à former les grandes pafhions
& les attachemens vrais & durables ,
que la beauté feule , même la beauté jointe
aux agrémens de l'efprit. Cette propofition
Lon traite affez volontiers de paradoxe
, n'a rien en elle-même que de trèspoffible
& même de très- agréable : elle
confole celles qui ne fe piquent pas de
beauté , & n'afflige point celles qui y prétendentli
que
L'auteur met en jeu trois Princelles de
Perfe , dont l'une n'a que la beauté en partage.
Elle ne peut fixer long-tems un amant
volage devenu fon époux ; elle en meurt
de douleur en peu de tems.
Une feconde Princeffe , fille de cette premiere
tout auffi belle & plus fpirituelle ,
ne trouve pas mieux le fecret de: fixer un
inconftant ; mais elle foutient mieux fa
70 MERCURE DE FRANCE.
difgrace ; elle en tire parri , & fournit une
carriere plus longue & moins douloureuſe..
La troifieme met dans le plus beau jour
la propofition que l'auteur a eu pour objet.
Cette princeffe , qui n'a d'autre beauté que
celle de l'ame , & qui réunir toutes les
qualités du coeur & de l'efprit , infpire au
prince, qui devient fon époux , un attachement
aufli parfait & auffi conftant que fon
caractere en eft digne.
Les événemens qui décident du fort de
ces princeffes font amenés & développés
par le moyen d'un miroir magique , dont
an enchanteur mécontent des mépris de la
premiere , lui avoit fait un préfent deftiné
paffer à toutes les princeffes qui defcendroient
d'elle . 2107
Ce miroir leur dévoiloit les fentimens
le's plus cachés de tous ceux qui fe préfentoient
à elles devant cette glace , & il n'avoit
que pour elles cette vertu ; il devoit
fe brifer entre les mains de celle dont le
mérite fixeroit pendant une année le print
ce dontelle auroit fait choix : il ne fe brifa
qu'entre les mains de la troifieme , & s'y
caffa de la meilleure grace du monde. Ce
dénonciateur en amenant les événemens
principaux , produit auffi les épifodiques ;
& donne lieu à tout ce que l'auteur a voulu
faire entrer dans la compofition de fon
JUIN. 1755. 71
roman , foit à titre de portraits ou d'anec
dores.
Si l'idée d'un miroit magique n'a plus
le mérite d'ême finguliere , Mme Fagnan
l'a employée d'une façon ingénieufe , & la
vertu qu'elle attribue à ce miroir lui donne
un air de nouveauté qui rajeunic du moins
la bordure. Ce roman nous paroît mériter
de l'eftime par les fentimens honnêtes , &
par la décence qui le caractérisent.v .
LABAGUETTE MYSTÉRIEUSE OU
Abizai. Deux parties in- 12 . Se trouve à
Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques , au
Temple du goût , 1755 .
Comme on a déja fait ailleurs l'extrait &
Féloge de cette féerie , qu'on a même obfervé
que la baguette mystérieuse n'eft pas
plus neuve que le miroir magique , j'ajou
terai feulement qu'elle joue le même rôle
avec un peu moins de modeftie , & qu'elle
a même un faux air de l'Ecumoire de
Tanzaï.
OBSERVATIONS fur l'hiftoire natu
relle , fur la phyfique & fur la peinture ,
avec des planches imprimées en couleur ;
par M. Gautier , de l'Académie des Sciences
& Belles LettresdeDijon , penfionnaire
de Sa Majefté , 4 volin- 4 A Paris , chez.
Delaguette . Les planches s'impriment , 80
2
72 MERCURE DE FRANCE.
7
fe diftribuent chez l'Auteur , rue de la
Harpe , près la rue Poupée.
Le même ouvrage eft imprimé in- 12. en
fix volumes on trouve à la tête de cette
édition la nouvelle phyfique de l'auteur ,
& la Chroagenefie , ou génération des couleurs
, contre l'optique de M. Newton fon
dée fur de nouvelles expériences .
M. Gautier fe propofe de continuer fes
Obfervations in -4°. pour lefquelles on
foufcrit annuellement chez lui , & va
donner des volumes de planches jufqu'à
ce qu'il ait formé des fuites affez completes
de morceaux les plus intéreffans . Il fufpendra
pendant quelque tems fes differtations
, & les fupprimera des années 1755
& 1756 , ce qui lui procurera la facilité
de donner le double des morceaux de
gravûres en couleur qu'il avoit promis.
Le volume qui eft actuellement fous preffe,
contient les parties internes du coq & de
fa poule , la formation & l'incubation de
l'oeuf depuis l'approche du coq jufqu'à la
fortie du poulet , & plufieurs autres planches
fort curieuſes.
P
OBSERVATIONS d'hiftoire naturelle
faites avec le microſcope für un grand
nombre d'infectes , & fur les animalcules
qui fe trouvent dans les liqueurs préparées
&
JUIN. 1755.
73
& dans celles qui ne le font pas , & c. avec
la defcription & les ufages des différens
microfcopes , 2 vol. in- 4° . avec un grand
nombre de figures . A Paris , chez Briaffon,
Libraire , rue S. Jacques , à la Science .
Une partie de ces obfervations a été déjà
publiée par feu M. Joblot , Profeffeur en
Mathématiques, de l'Académie de Peinture
& de Sculpture ; l'autre a été rédigée fur
fes obfervations poftérieures. Nous devons
ici un jufte éloge aux foins du Libraire ; il
a la double attention & le double mérite
de ne donner que des éditions de bons
livres , & de ne rien épargner pour les
rendre belles & correctes .
DISSERTATION fur la caufe qui corrompt
& noircit les grains de bled dans les
épis , & fur les moyens de prévenir ces
accidens ; par M. Tiller , de Bordeaux
Directeur de la Monnoie de Troyes . Se
trouve chez le même Libraire . ~
›
Cette Differtation a remporté le prix au
jugement de l'Académie des Belles- Lettres,
Sciences & Arts de Bordeaux , ainfi que la
fuite des Expériences & Réflexions relati
ves à la même matiere , laquelle fe vend
auffi chez Briaffon.
EXAMEN philofophique de la liaifon
11.Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
réelle qu'il y a entre les fciences & les
mours ; chez le même Libraire.
On trouve dans cet écrit la ſolution de
la vieille difpute de M. Rouffeau , de Genêve
, avec fes adverfaires , fur la queſtion
propofée par l'Académie de Dijon , au
fujet du bien & du mal que les fciences
ont occafionné dans les moeurs .
PANÉGYRIQUES des Saints, précedés
de réflexions fur l'éloquence en général
& fur celle de la chaire en particulier ; par
M. l'Abbé Trublet , Archidiacre & Chanoine
de S. Malo. A Paris , chez Briaffon ,
1755
Il nous femble que ces réflexions ne
démentent point les Effais de littérature &
de morale du même Auteur. Nous en
parlerons plus au long.
Le cinquieme tome de la TABLE GÉNÉ-
RALE des matieres contenues dans le Journal
des fçavans , de l'édition de Paris , depuis
1665 qu'il a commencé , jufqu'en
1750 inclufivement , avec les noms des
Auteurs , les titres de leurs ouvrages &
l'extrait des jugemens qu'on en la portés ,
vient de paroître chez le même Libraire.
On peut dire que cette table inftructive
forme feule un bon livre : on ne peut
trop louer le travail des Auteurs ,
>
JUIN. 1755. 75
MEMOIRE pour le Prince héréditaire
Landgrave de Heffe - Darmftat, contre les
repréfentans de la Comteffe de Naffau . A
Paris , de l'impreffion de Delaguette , 1755 .
L La question eft de fçavoir fi à la mort
de Jean- René III , dernier Comte de Henau
, la Comteffe de Naffau , fa foeur , devoit
recueillir les anciens fiefs d'Empire de
la maifon de Lichtemberg , à l'exclufion
de Heffe-Darmftat , fille unique de Jean-
René III , qui en avoit obtenu du Roi l'inveftiture
pour elle , par des Lettres patentes
du mois de Février 1717. La Comtelle
de Naſſau ayant attaqué ces Lettres comme
obreptices , a prétendu que c'étoit elle qui
étoit appellée à recueillir les fiefs en queftion
, & que la Princeffe de Heffe , fa niece,
n'y avoit aucun droit. Ce Mémoire tend à
détruire fa prétention , & part d'une bonne
main.
>
NOUVEAUX motifs pour porter la
France à rendre libre le commerce du Levant
; par M. Ange G *** 1755. Se trouvent
chez Duchefne , rue S. Jacques , &
chez Babuty , fils , quai des Auguftins.
L'Auteur y joint des réflexions fur les
moyens de foutenir les manufactures en
Languedoc , fans fixer les fabriquans,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLÉMENT aux tablettes dramatiques
de M. le Chevalier de Mouhy , de
l'Académie des Belles - Lettres de Dijon ,
pour 1754 & 1755. A Paris , chez Jorry s
quai des Auguftins ; Lambert , rue de la
Comédie , & Duchefne , rue S. Jacques.
Ce Supplément contient les pieces remifes
, les pieces imprimées , les débuts ,
les anecdotes du théâtre depuis le dernier
fupplément , les ballets , les auteurs & les
acteurs morts en 1754 & en 1755 .
- L'Auteur vient de publier une nouvelle
brochure , intitulée l'Amante anonyme , où
fe trouve l'hiſtoire fecrette de la volupté ,
avec des contes nouveaux de Fées . Ce roman
dont il paroît deux parties , fe vend
chez Jorry. Nous en donnerons l'extrait .
< TABLETTES de Thémis , premiere
partie. A Paris , chez Legras , grand'falle
du Palais ; la veuve Legras , Galerie des
prifonniers au Palais ; la veuve Lameſle ,
Fue vieille Bouclerie , à la Minerve ; Lam
bert , rue de la Comédie , & Duchefne , rue
S. Jacques.
Cet ouvrage utile comprend la fucceffion
chronologique avec le blafon des armes
des Chanceliers & Gardes des Sceaux
Secrétaires d'Etat , Surintendans , Contrê
leurs généraux , Directeurs & Intendans
JUIN. 1755. 77
des Finances , les Intendans des Provinces
depuis 1700 , les Maîtres des Requêtes
dès leur origine , les Préfidens , Avocats &
Procureurs généraux du grand Confeil.
avantageufement
il y a quelques années
par un petit conte foi-difant traduit du
Lauvage , vient d'en mettre un autre au'
jour fous le titre du Miroir des Princeffes
orientales , dédié à Madame de Pompa->
dour.
Il paroît que Mme Fagnan s'eft proposée
de prouver que les belles qualités de l'ame ,
celles du coeur & de l'efprit , en un mot les
vertus morales fans le fecours de la beauté ,
font plus propres à former les grandes pafhions
& les attachemens vrais & durables ,
que la beauté feule , même la beauté jointe
aux agrémens de l'efprit. Cette propofition
Lon traite affez volontiers de paradoxe
, n'a rien en elle-même que de trèspoffible
& même de très- agréable : elle
confole celles qui ne fe piquent pas de
beauté , & n'afflige point celles qui y prétendentli
que
L'auteur met en jeu trois Princelles de
Perfe , dont l'une n'a que la beauté en partage.
Elle ne peut fixer long-tems un amant
volage devenu fon époux ; elle en meurt
de douleur en peu de tems.
Une feconde Princeffe , fille de cette premiere
tout auffi belle & plus fpirituelle ,
ne trouve pas mieux le fecret de: fixer un
inconftant ; mais elle foutient mieux fa
70 MERCURE DE FRANCE.
difgrace ; elle en tire parri , & fournit une
carriere plus longue & moins douloureuſe..
La troifieme met dans le plus beau jour
la propofition que l'auteur a eu pour objet.
Cette princeffe , qui n'a d'autre beauté que
celle de l'ame , & qui réunir toutes les
qualités du coeur & de l'efprit , infpire au
prince, qui devient fon époux , un attachement
aufli parfait & auffi conftant que fon
caractere en eft digne.
Les événemens qui décident du fort de
ces princeffes font amenés & développés
par le moyen d'un miroir magique , dont
an enchanteur mécontent des mépris de la
premiere , lui avoit fait un préfent deftiné
paffer à toutes les princeffes qui defcendroient
d'elle . 2107
Ce miroir leur dévoiloit les fentimens
le's plus cachés de tous ceux qui fe préfentoient
à elles devant cette glace , & il n'avoit
que pour elles cette vertu ; il devoit
fe brifer entre les mains de celle dont le
mérite fixeroit pendant une année le print
ce dontelle auroit fait choix : il ne fe brifa
qu'entre les mains de la troifieme , & s'y
caffa de la meilleure grace du monde. Ce
dénonciateur en amenant les événemens
principaux , produit auffi les épifodiques ;
& donne lieu à tout ce que l'auteur a voulu
faire entrer dans la compofition de fon
JUIN. 1755. 71
roman , foit à titre de portraits ou d'anec
dores.
Si l'idée d'un miroit magique n'a plus
le mérite d'ême finguliere , Mme Fagnan
l'a employée d'une façon ingénieufe , & la
vertu qu'elle attribue à ce miroir lui donne
un air de nouveauté qui rajeunic du moins
la bordure. Ce roman nous paroît mériter
de l'eftime par les fentimens honnêtes , &
par la décence qui le caractérisent.v .
LABAGUETTE MYSTÉRIEUSE OU
Abizai. Deux parties in- 12 . Se trouve à
Paris , chez Duchefne , rue S. Jacques , au
Temple du goût , 1755 .
Comme on a déja fait ailleurs l'extrait &
Féloge de cette féerie , qu'on a même obfervé
que la baguette mystérieuse n'eft pas
plus neuve que le miroir magique , j'ajou
terai feulement qu'elle joue le même rôle
avec un peu moins de modeftie , & qu'elle
a même un faux air de l'Ecumoire de
Tanzaï.
OBSERVATIONS fur l'hiftoire natu
relle , fur la phyfique & fur la peinture ,
avec des planches imprimées en couleur ;
par M. Gautier , de l'Académie des Sciences
& Belles LettresdeDijon , penfionnaire
de Sa Majefté , 4 volin- 4 A Paris , chez.
Delaguette . Les planches s'impriment , 80
2
72 MERCURE DE FRANCE.
7
fe diftribuent chez l'Auteur , rue de la
Harpe , près la rue Poupée.
Le même ouvrage eft imprimé in- 12. en
fix volumes on trouve à la tête de cette
édition la nouvelle phyfique de l'auteur ,
& la Chroagenefie , ou génération des couleurs
, contre l'optique de M. Newton fon
dée fur de nouvelles expériences .
M. Gautier fe propofe de continuer fes
Obfervations in -4°. pour lefquelles on
foufcrit annuellement chez lui , & va
donner des volumes de planches jufqu'à
ce qu'il ait formé des fuites affez completes
de morceaux les plus intéreffans . Il fufpendra
pendant quelque tems fes differtations
, & les fupprimera des années 1755
& 1756 , ce qui lui procurera la facilité
de donner le double des morceaux de
gravûres en couleur qu'il avoit promis.
Le volume qui eft actuellement fous preffe,
contient les parties internes du coq & de
fa poule , la formation & l'incubation de
l'oeuf depuis l'approche du coq jufqu'à la
fortie du poulet , & plufieurs autres planches
fort curieuſes.
P
OBSERVATIONS d'hiftoire naturelle
faites avec le microſcope für un grand
nombre d'infectes , & fur les animalcules
qui fe trouvent dans les liqueurs préparées
&
JUIN. 1755.
73
& dans celles qui ne le font pas , & c. avec
la defcription & les ufages des différens
microfcopes , 2 vol. in- 4° . avec un grand
nombre de figures . A Paris , chez Briaffon,
Libraire , rue S. Jacques , à la Science .
Une partie de ces obfervations a été déjà
publiée par feu M. Joblot , Profeffeur en
Mathématiques, de l'Académie de Peinture
& de Sculpture ; l'autre a été rédigée fur
fes obfervations poftérieures. Nous devons
ici un jufte éloge aux foins du Libraire ; il
a la double attention & le double mérite
de ne donner que des éditions de bons
livres , & de ne rien épargner pour les
rendre belles & correctes .
DISSERTATION fur la caufe qui corrompt
& noircit les grains de bled dans les
épis , & fur les moyens de prévenir ces
accidens ; par M. Tiller , de Bordeaux
Directeur de la Monnoie de Troyes . Se
trouve chez le même Libraire . ~
›
Cette Differtation a remporté le prix au
jugement de l'Académie des Belles- Lettres,
Sciences & Arts de Bordeaux , ainfi que la
fuite des Expériences & Réflexions relati
ves à la même matiere , laquelle fe vend
auffi chez Briaffon.
EXAMEN philofophique de la liaifon
11.Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
réelle qu'il y a entre les fciences & les
mours ; chez le même Libraire.
On trouve dans cet écrit la ſolution de
la vieille difpute de M. Rouffeau , de Genêve
, avec fes adverfaires , fur la queſtion
propofée par l'Académie de Dijon , au
fujet du bien & du mal que les fciences
ont occafionné dans les moeurs .
PANÉGYRIQUES des Saints, précedés
de réflexions fur l'éloquence en général
& fur celle de la chaire en particulier ; par
M. l'Abbé Trublet , Archidiacre & Chanoine
de S. Malo. A Paris , chez Briaffon ,
1755
Il nous femble que ces réflexions ne
démentent point les Effais de littérature &
de morale du même Auteur. Nous en
parlerons plus au long.
Le cinquieme tome de la TABLE GÉNÉ-
RALE des matieres contenues dans le Journal
des fçavans , de l'édition de Paris , depuis
1665 qu'il a commencé , jufqu'en
1750 inclufivement , avec les noms des
Auteurs , les titres de leurs ouvrages &
l'extrait des jugemens qu'on en la portés ,
vient de paroître chez le même Libraire.
On peut dire que cette table inftructive
forme feule un bon livre : on ne peut
trop louer le travail des Auteurs ,
>
JUIN. 1755. 75
MEMOIRE pour le Prince héréditaire
Landgrave de Heffe - Darmftat, contre les
repréfentans de la Comteffe de Naffau . A
Paris , de l'impreffion de Delaguette , 1755 .
L La question eft de fçavoir fi à la mort
de Jean- René III , dernier Comte de Henau
, la Comteffe de Naffau , fa foeur , devoit
recueillir les anciens fiefs d'Empire de
la maifon de Lichtemberg , à l'exclufion
de Heffe-Darmftat , fille unique de Jean-
René III , qui en avoit obtenu du Roi l'inveftiture
pour elle , par des Lettres patentes
du mois de Février 1717. La Comtelle
de Naſſau ayant attaqué ces Lettres comme
obreptices , a prétendu que c'étoit elle qui
étoit appellée à recueillir les fiefs en queftion
, & que la Princeffe de Heffe , fa niece,
n'y avoit aucun droit. Ce Mémoire tend à
détruire fa prétention , & part d'une bonne
main.
>
NOUVEAUX motifs pour porter la
France à rendre libre le commerce du Levant
; par M. Ange G *** 1755. Se trouvent
chez Duchefne , rue S. Jacques , &
chez Babuty , fils , quai des Auguftins.
L'Auteur y joint des réflexions fur les
moyens de foutenir les manufactures en
Languedoc , fans fixer les fabriquans,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
SUPPLÉMENT aux tablettes dramatiques
de M. le Chevalier de Mouhy , de
l'Académie des Belles - Lettres de Dijon ,
pour 1754 & 1755. A Paris , chez Jorry s
quai des Auguftins ; Lambert , rue de la
Comédie , & Duchefne , rue S. Jacques.
Ce Supplément contient les pieces remifes
, les pieces imprimées , les débuts ,
les anecdotes du théâtre depuis le dernier
fupplément , les ballets , les auteurs & les
acteurs morts en 1754 & en 1755 .
- L'Auteur vient de publier une nouvelle
brochure , intitulée l'Amante anonyme , où
fe trouve l'hiſtoire fecrette de la volupté ,
avec des contes nouveaux de Fées . Ce roman
dont il paroît deux parties , fe vend
chez Jorry. Nous en donnerons l'extrait .
< TABLETTES de Thémis , premiere
partie. A Paris , chez Legras , grand'falle
du Palais ; la veuve Legras , Galerie des
prifonniers au Palais ; la veuve Lameſle ,
Fue vieille Bouclerie , à la Minerve ; Lam
bert , rue de la Comédie , & Duchefne , rue
S. Jacques.
Cet ouvrage utile comprend la fucceffion
chronologique avec le blafon des armes
des Chanceliers & Gardes des Sceaux
Secrétaires d'Etat , Surintendans , Contrê
leurs généraux , Directeurs & Intendans
JUIN. 1755. 77
des Finances , les Intendans des Provinces
depuis 1700 , les Maîtres des Requêtes
dès leur origine , les Préfidens , Avocats &
Procureurs généraux du grand Confeil.
Fermer
Résumé : « MADAME FAGNAN, qui s'est annoncée avantageusement il y a quelques années [...] »
Madame Fagnan, célèbre pour un conte traduit du Lavange, a publié un nouveau récit intitulé 'Le Miroir des Princesses orientales', dédié à Madame de Pompadour. Dans cet ouvrage, elle affirme que les qualités morales, telles que celles du cœur et de l'esprit, sont plus efficaces pour inspirer des passions durables et authentiques que la beauté physique seule. Cette idée, souvent perçue comme un paradoxe, est illustrée à travers les histoires de trois princesses de Perse. La première princesse, dotée uniquement de beauté, ne parvient pas à retenir son époux volage et en meurt de chagrin. La seconde, plus spirituelle mais tout aussi belle, subit une disgrâce mais la surmonte mieux. La troisième princesse, belle de l'âme et réunissant toutes les qualités du cœur et de l'esprit, inspire un amour constant et parfait chez son époux. Les événements de leurs vies sont révélés par un miroir magique, offert par un enchanteur mécontent. Ce miroir dévoile les sentiments cachés de ceux qui se présentent devant lui et se brise entre les mains de celle dont le mérite fixe un prince pendant une année. Le miroir se casse finalement entre les mains de la troisième princesse, confirmant ainsi la proposition de l'auteur. Le roman est apprécié pour ses sentiments honnêtes et sa décence. Madame Fagnan utilise le miroir magique de manière ingénieuse, lui attribuant une vertu qui rajeunit l'intrigue.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
66
p. 9-22
LE MOI. HISTOIRE TRÈS-ANCIENNE.
Début :
La nature & la Fortune sembloient avoir conspiré au bonheur d'Alcibiade. [...]
Mots clefs :
Amour, Amant, Veuve, Beauté, Coeur, Hymen, Délicatesse, Désirs
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE MOI. HISTOIRE TRÈS-ANCIENNE.
LE MO I.
HISTOIRE TRE'S - ANCIENNE.
L
A nature & la Fortune fembloient
avoir confpiré au bonheur d'Alcibiade.
Richeffes , talens , beauté , naiffance , la
fleur de l'âge & de la fanté , que de titres
pour avoir tous les ridicules ! Alcibiade
n'en avoit qu'un : il vouloit être aimé pour
lui-même. Depuis la coqueterie jufqu'à la
fagefle il avoit tout féduit dans Athènes ;
mais en lui étoit- ce bien lui qu'on aimoit ?
Cette délicateffe lui prit un matin comme
il venoit de faire fa cour à une prude. C'eft
le moment des réflexions. Alcibiade en fit
fur ce qu'on appelle le fentiment pur , la
métaphyfique de l'amour. Je fuis bien
duppe , difoit-il , de prodiguer mes foins à
une femme qui ne m'aime peut- être que
pour elle- même ! Je le fçaurai de par tous
les dieux , & s'il en eft ainfi , elle peut chercher
parmi nos athlétes un foupirant qui
me remplace.
La belle prude , fuivant l'ufage , oppofoit
toujours quelque foible réfiftance aux
defirs d'Alcibiade . C'étoit une chofe épouvantable.
Elle ne pouvoit s'y accoutumer.
Il falloit aimer comme elle aimoit pour s'y
A v
to MERCURE DE FRANCE.
réfoudre. Elle auroit voulu pour tout au
monde qu'il fut moins jeune & moins
empreffé. Alcibiade la prit au mot. Je vois
bien , Madame , lui dit il un jour , que ces
complaifances vous coutent ; hé bien , je
veux vous donner une preuve de l'amour
le plus parfait . Oui je confens , puifque
vous le voulez , que nos ames feules foient
unies , & je vous donne ma parole de
n'exiger rien de plus.
La prude loua cette réfolution d'un air
bien capable de la faire évanouir , mais
Alcibiade tint bon . Elle en fur furpriſe , &
piquée , cependant il fallut diffimuler .
Le jour fuivant tout ce que le deshabillé
peut avoir d'agaçant fut mis en ufage . La
vivacité du defir brilloit dans les yeax de
la prude , dans fon maintien , la nonchalance
& la volupté , les voiles les plus
legers , le défordre le plus favorable , tout
en elle invitoit Alcibiade à s'oublier . Ilapperçut
le piege. Quel triomphe , lui dit- il ,
Madame , quel triomphe à remporter fur
moi- même ! Je vois bien que l'amour m'éprouve
, & je m'en applaudis : la délicateffe
de mes fentimens en éclatera davantage.
Ces voiles tranfparens & légers , ces
couffins dont la volupté femble avoir formé
fon trône , votre beauté , mes defirs ;
combien d'ennemis à vaincre. Ulyffe n'y
SEPTEMBRE. 1755. 11
échapperoit pas , Hercule y fuccomberoit.
Je ferai plus fage qu'Ulyffe & moins fragile
qu'Hercule . Oui , je vous prouverai que
le feul plaifir d'aimer peut tenir lieu de
tous les plaifirs. Vous êtes charmant , lui
dit-elle , & je puis me flatter d'avoir un
amant unique ; je ne crains qu'une chofe ,
c'eft que votre amour ne s'affoibliffe par la
rigueur . Au contraire , interrompit vivement
Alcibiade , il n'en fera que plus ardent.
Mais , mon cher enfant , vous êtes
jeune , il eft des momens où l'on n'eft pas
maître de foi , & je crois votre fidélité bien
hafardée , fi je vous livre à vos defirs.
Soyez tranquille , Madame : je vous réponds
de tout . Puifque je puis vaincre mes
defirs auprès de vous , auprès de qui n'en
ferai- je pas le maître. Vous me promettez
du moins que s'ils deviennent trop preffans
vous m'en ferez l'aveu . Je ne veux
point qu'une mauvaiſe honte vous retienne.
Ne vous piquez pas de me tenir parole,
il n'eft rien que je ne vous pardonne plutôt
qu'une infidélité. Oui , Madame , je
vous avouerai ma foibleffe de la meilleure
foi du monde , quand je ferai prêt d'y fuccomber:
mais laiffez - moi du moins éprouver
mes forces : je fens qu'elles iront encore
loin , & j'efpere que l'amour m'en
donnera de nouvelles . La prude étoit
A vi
12 MERCURE
DE FRANCE.
furieufe , mais fans fe démentir elle ne
pouvoit fe plaindre , elle fe contraignit
encore , dans l'efpoir qu'à une nouvelle
épreuve Alcibiade fuccomberoit. Il reçut
le lendemain à fon réveil un billet conçu
en ces termes : « J'ai paffé la plus cruelle
» nuit , venez me voir . Je ne puis vivre
» fans vous .
Il arrive chez la prude. Les rideaux des
fenêtres n'étoient qu'entr'ouverts un jour
tendre fe gliffoit dans l'appartement à tra
vers des ondes de pourpre. La prude étoit
encore dans un lit parfemé de rofes. Venez,
lui dit- elle d'une voix plaintive , venez
calmer mes inquiétudes . Un fonge affreux
m'a tourmentée cette nuit , j'ai cru vous
voir aux genoux d'une rivale. Ah j'en frémis
encore ? Je vous l'ai dit Alcibiade , je
ne puis vivre dans la crainte que vous ne
foyez infidelle , mon malheur feroit d'autant
plus fenfible que j'en ferois moi-même
la caufe , & je veux du moins n'avoir rien
à me reprocher. Vous avez beau me promettre
de vous vaincre ; vous êtes trop
jeune pour le pouvoir long- tems, Ne vous
connois-je pas je fens que j'ai trop exigê
de vous , je fens qu'il y a de l'imprudence
& de la cruauté à vous impoſer une loi fi
dure. Comme elle parloit ainfi de l'air du
monde le plus touchant , Alcibiade fe jetta
?
SEPTEMBRE . 1755 13
:
à fes pieds je fuis bien malheureux , lui
dit- il , Madame , fi vous ne m'estimez pas
affez pour me croire capable de m'attacher
à vous par les feuls liens du fentiment !
Après tout de quoi me fuis - je privé ? de ce
qui deshonore l'amour. Je rougis de voir
que vous comptiez ce facrifice pour quelque
chofe. Mais fut- il auffi grand que vous
vous l'imaginez , je n'en aurai que plus de
gloire. Non , mon cher Alcibiade , lui dit
la prude , en lui tendant la main , je ne
veux point d'un facrifice qui te coûte , je
fuis trop fure & trop flattée de l'amour pur
& délicat que tu m'as fibien témoigné.
Sois heureux , j'y confens . Je le fuis , Madame
, s'écria- t-il , du bonheur de vivre
pour vous , ceffez de me foupçonner & de
me plaindre , vous voyez l'amant le plus
fidele , le plus tendre , le plus refpectueux ...
& le plus fot , interrompit- elle , en tirant
brufquement fes rideaux , & elle appella
fes efclaves. Alcibiade fortit furieux de
n'avoir été aimé que comme un autre ,
bien réfolu de ne plus revoir une femme
qui ne l'avoit pris que pour fon plaifir. Ce
n'eft pas ainfi , dit- il , qu'on aime dans l'âge
de l'innocence , & fi la jeune Glicérie
éprouvoit pour
pour moi ce que fes yeux femblent
me dire , je fuis bien certain que ce
feroit-là de l'amour pur.
&
14 MERCURE DE FRANCE.
Glicérie dans fa quinzieme année , atti
roit déja les voeux de la plus brillante jeuneffe.
Qu'on imagine une rofe au moment
de s'épanouir , tels étoient la fraîcheur &
l'éclat de fa beauté.
Alcibiade fe préfenta & fes rivaux fe
diffiperent. Ce n'étoit point encore l'ufage
à Athènes de s'époufer pour fe haïr & pour
fe méprifer le lendemain , & l'on donnoit
aux jeunes gens avant l'hymen , le loifir de
fe voir & de fe parler avec une liberté décente.
Les filles ne fe repofoient pas fur
leurs gardiens du foin de leur vertu . Elles
fe donnoient la peine d'être fages ellesmêmes.
La pudeur n'a commencé à combattre
foiblement , que depuis qu'on lui a
dérobé les honneurs de la victoire. Celle
de Glicérie fit la plus belle défenfe . Alcibiade
n'oublia rien pour la furprendre out
pour la gagner. Il loua la jeune Athénienne
fur fes talens , fes graces , fa beauté , il
lui fit fentir dans tout ce qu'elle difoit
une fineffe qu'elle n'y avoit pas mife , &
une délicateffe dont elle ne fe doutoit pas.
Quel dommage qu'avec tant de charmes ,
elle n'eut pas un coeur fenfible ! je vous
adore , lui difoit- il , & je fuis heureux fi
vous m'aimez. Ne craignez pas de me le
dire , une candeur ingénue eft la vertu de
votre âge , on a beau donner le nom de
រ
SEPTEMBRE. 1755 1-8
prudence à la diffimulation , cette belle
bouche n'eft pas faite pour trahir les fentimens
de votre coeur : qu'elle foit l'organe
de l'amour , c'eft pour lui -même qu'il l'a
formée. Si vous voulez que je fois fincere,
lui répondit Glicérie , avec une modeſtie
mêlée de tendreffe , faites du moins que je
puiffe l'être fans rougir Je veux bien ne
pas trahir mon coeur , mais je veux auffi ne
pas trahir mon devoir , & je trahirois l'un
ou l'autre fi j'en difois davantage. Glicérie
vouloit avant de s'expliquer , que leur
himen fut conclu . Alcibiade vouloit qu'elle
s'expliquât avant de penfer à l'himen.
Il fera bien tems , difoit- il de m'affurer
de votre amour , quand l'himen vous en
aura fait un devoir , & que je vous aurai
réduite à la néceffité de feindre. C'eſt
aujourd'hui que vous êtes libre , qu'il feroit
flateur pour moi d'entendre de votre
bouche l'aveu défintéreffé d'un fentiment
naturel & pur. Hé bien , foyez content , &
ne me reprochez plus de n'avoir pas un
coeur fenfible : il l'eft du moins depuis que
je vous vois. Je vous estime affez pour vous
confier mon fecret , mais à préfent qu'il
m'eft échappé , j'exige de vous une complaifance
, c'eft de ne plus me parler tête à
tête , que vous ne foyez d'accord avec ceux
dont je dépends. L'aveu qu'Alcibiade ve16
MERCURE DE FRANCE.
noit d'obtenir , auroit fair le bonheur d'un
amant moins difficile , mais fa chimere
l'occupoit. Il voulut voir jufqu'au bout
s'il étoit aimé pour lui -même. Je ne vous
diffimulerai lui dit-il , que
pas ,
la démarche
que je vais faire peut avoir un mauvais.
fuccès. Vos parens me reçoivent avec une
politeffe froide que j'aurois pris pour un
congé , fi le plaifir de vous voir n'eut vaincu
ma délicateffe ; mais fi j'oblige votre
pere à s'expliquer , il ne fera plus tems de
feindre . Il eft membre de l'Aréopage , Socrate
, le plus vertueux des hommes , y eft
fufpect & odieux : je fuis l'ami & le difciple
de Socrate , & je crains bien que la
haine qu'on a pour lui , ne s'étende jufqu'à
moi . Mes craintes vont trop loin peut-être ;
mais enfin , fi votre pere nous facrifie à fa
politique , s'il me refufe votre main ; à
quoi vous déterminez - vous . A être malheureuſe
, lui répondit Glicérie , & à céder
à ma deftinée. Vous ne me verrez donc
plus ? Si l'on me deffend de vous voir , il
faudra bien que j'obéiffe . Vous obéïrez
donc auffi , fi l'on vous propofe un autre
époux ? Je ferai la victime de mon devoir.
Et par devoir vous aimerez l'époux qu'on
vous aura choifi ? Je tâcherai de ne le
point haïr ; mais quelles queftions vous
me faites ? Que penferiez - vous de moi
SEPTEMBRE. 1755. 17
j'avois d'autres fentimens ? Je penferois
que vous m'aimez. Il eft trop vrai que je
vous aime. Non , Glicérie , l'amour ne
connoît point de loi ; il eft au- deffus' de
tous les obftacles ; mais je vous rends juf
tice , ce fentiment eft trop fort pour votre
âge , il veut des ames fermes & courageufes
que les difficultés irritent & que les revers
n'étonnent pas . Un tel amour eft rare
je l'avoue . Vouloir un état , un nom , une
fortune dont on difpofe , fe jetter enfin
dans les bras d'un mari pour fe fauver de
fes parens , voilà ce qu'on appelle amour ,
& voilà ce que j'appelle defir de l'indépendance.
Vous êtes bien le maître , lui
dit-elle , les larmes aux yeux , d'ajouter
l'injure au reproche. Je ne vous ai rien dit
que de tendre & d'honnête. Ai-je balancé
un moment à vous facrifier vos rivaux ?
Ai-je hésité à vous avouer votre triomphe?
Que me demandez -vous de plus ? Je vous
demande , lui dit- il , de me jurer une conftance
à toute épreuve , de me jurer que
vous ferez à moi , quoiqu'il arrive , & que
vous ne ferez qu'à moi. En vérité , Seigneur
, c'eft ce que je ne ferai jamais . En
vérité , Madame , je devois m'attendre à
cette réponſe & je rougis de m'y être expofé.
A ces mots , il fe retira outré de colere
, & fe difant à lui -même , j'étois bien
+ MERCURE DE FRANCE.
bon d'aimer un enfant qui n'a point d'ame
& dont le coeur ne fe donne que par avis
de parens.
il y avoit dans Athenes une jeune veuve
qui paroiffoit inconfolable de la perte de
fon époux. Alcibiade lui rendit comme tout
le monde , les premiers devoirs avec le
férieux que la bienféance , impofe auprès
des perfonnes affligées. La veuve trouva
un foulagement fenfible dans les entretiens
de ce difciple de Socrate , & Alcibiade un
charme inexprimable dans les larmes de la
yeuve, Cependant leur morale s'égayoit de
jour en jour. On fit l'éloge des bonnes qualités
du défunt , & puis on convint des
mauvaiſes , c'étoit bien le plus honnête
homme du monde ; mais il n'avoit précifement
que le fens commun. Il étoit affez
bien de figure , mais fans élégance & fans
grace ; rempli d'attentions & de foins ,
mais d'une affiduité fatigante. Enfin , on
étoit au défefpoir d'avoir perdu un fi bon
mari ; mais bien réfolue à n'en pas prendre
un fecond. Eh ! quoi , dit Alcibiade , à
votre âge, renoncer à l'himen ! Je vous
avoue , répondit la veuve , qu'autant l'eſclavage
me répugne , autant la liberté m'effraye.
A mon âge , livrée àmoi- même , &
ne tenant à rien , que vais-je devenir ? Alcibiade
ne manqua pas de lui infinuer
SEPTEMBRE . 1755. 19
qu'entre l'esclavage de l'himen & l'abandon
du veuvage , il y auroit un milieu à
prendre , & qu'à l'égard des bienféances ,
rien au monde n'étoit plus facile à concilier
avec un tendre attachement. On fut
révoltée de cette propofition . On eut mieux
aimémourir. Mourir dans l'âge des amours
& des graces ! il étoit facile de faire voir
le ridicule d'un tel projet , & la veuve ne
craignoit rien tant que de fe donner des
ridicules. Il fut donc réfolu qu'elle ne
mourroit pas ; il étoit déja décidé qu'elle
ne pouvoit vivre , fans tenir à quelque
chofe , ce quelque chofe devoit être un
amant , & fans prévention elle ne connoiffoit
point d'homme plus digne qu'Alci
biade de lui plaire & de l'attacher . Il redoubla
fes affiduités , d'abord elle s'en plaignit
, bientôt elle s'y accoutuma , enfin elle
y exigea du miftere , & pour éviter les im
prudences , on s'arrangea décemment.
Alcibiade étoit au comble de fes voeux.
Ce n'étoit ni les plaiſirs de l'amour , ni les
avantages de l'hymen qu'on aimoit en lui ;
c'étoit lui - même ; du moins le croyoit-il
ainfi . Il triomphoit de la douleur , de la
fageffe , de la fierté d'une femme qui n'exigeoit
de lui que du fecret & de l'amour.
La veuve de fon côté s'applaudiffoit de
tenir fous fes loix l'objet de la jaloufie de
20 MERCURE DE FRANCE.
1
toutes les beautés de la Grece. Mais com
bien peu de perfonnes fçavent jouir fans
confidens ! Alcibiade amant fecret , n'étoit
qu'un amant comme un autre , & le plus
beau triomphe n'eft flatteur qu'autant qu'il
eft folemnel. Un auteur a dit que ce n'eft
pas tout d'être dans une belle campagne ,
fi l'on n'a quelqu'un à qui l'on puiffe dire,la
belle campagne! La veuve trouva de même
que ce n'étoit pas affez d'avoir Alcibiade
pour amant , fi elle ne pouvoit dire à quelqu'un
, j'ai pour amant Alcibiade. Elle en
fit donc la confidence à une amie intime
qui le dit à fon amant , & celui - ci à toute
la Grece. Alcibiade étonné qu'on publiât
fon aventure , crut devoir en avertir la
veuve qui l'accufa d'indifcrétion . Si j'en
étois capable , lui dit-il , je laifferois courir
des bruits que j'aurois voulu répandre ,
& je ne fouhaite rien tant que de les faire
évanouir. Obfervons- nous avec foin , évitons
en public , de nous trouver enſemble ,
& quand le hafard nous réunira . Ne vous
offenfez point de l'air diftrait & diffipé
que j'affecterai auprès de vous. La veuve
reçut tout cela d'affez mauvaife humeur.
Je fens bien , lui dit-elle , que vous en
ferez plus à votre aife : les affiduités , les
attentions vous gênent , & vous ne demandez
pas mieux que de pouvoir voltiger.
f
SEPTEMBRE . 1755 28
Mais moi , quelle contenance voulez-vous
que je tienne. Je ne fçaurois prendre fur
moi d'être coquette : ennuyée de tout en
votre abfence rêveufe & embarraſſée
,
auprès de vous , j'aurai l'air d'être jouée ,
& je le ferai peut- être en effet. Si l'on eſt
perfuadé que vous m'avez , il n'y a plus
aucun remede , le public ne revient pas.
Quel fera donc le fruit de ce prétendu
miftere. Nous aurons l'air , vous , d'un
amant détaché , moi , d'une amante délaiffée.
Cette réponſe de la veuve furprit Alcibiade
, la conduite qu'elle tint acheva de
le confondre . Chaque jour elle fe donnoit
plus d'aifance & de liberté. Au fpectacle ,
elle exigeoit qu'il fut affis derriere elle ,
qu'il lui donnât la main pour aller au Temple
, qu'il fut de fes promenades & de ſes
foupers. Elle affectoit fur- tout de fe trouver
avec fes rivales , & au milieu de ce
concours elle vouloit qu'il ne vit qu'elle.
Elle lui commandoit d'un ton abfolu , le
regardoit avec miftere , lui fourioit d'un
air d'intelligence , & lui parloit à l'oreille
avec cette familiarité qui annonce au public
qu'on eft d'accord. Il vit bien qu'elle
le menoit partout , comme un efclave enchaîné
à fon char . J'ai pris des airs pour
des fentimens , dit-il , avec un foupir , ce
n'eſt pas moi qu'elle aime , c'eſt l'éclat do
22 MERCURE DE FRANCE.
ma conquête ; elle me mépriferoit , fi elle
n'avoit point de rivales . Apprenons- lui que
la vanité n'eft pas digne de fixer l'amour.
On donnera la fuite le mais prochain.
HISTOIRE TRE'S - ANCIENNE.
L
A nature & la Fortune fembloient
avoir confpiré au bonheur d'Alcibiade.
Richeffes , talens , beauté , naiffance , la
fleur de l'âge & de la fanté , que de titres
pour avoir tous les ridicules ! Alcibiade
n'en avoit qu'un : il vouloit être aimé pour
lui-même. Depuis la coqueterie jufqu'à la
fagefle il avoit tout féduit dans Athènes ;
mais en lui étoit- ce bien lui qu'on aimoit ?
Cette délicateffe lui prit un matin comme
il venoit de faire fa cour à une prude. C'eft
le moment des réflexions. Alcibiade en fit
fur ce qu'on appelle le fentiment pur , la
métaphyfique de l'amour. Je fuis bien
duppe , difoit-il , de prodiguer mes foins à
une femme qui ne m'aime peut- être que
pour elle- même ! Je le fçaurai de par tous
les dieux , & s'il en eft ainfi , elle peut chercher
parmi nos athlétes un foupirant qui
me remplace.
La belle prude , fuivant l'ufage , oppofoit
toujours quelque foible réfiftance aux
defirs d'Alcibiade . C'étoit une chofe épouvantable.
Elle ne pouvoit s'y accoutumer.
Il falloit aimer comme elle aimoit pour s'y
A v
to MERCURE DE FRANCE.
réfoudre. Elle auroit voulu pour tout au
monde qu'il fut moins jeune & moins
empreffé. Alcibiade la prit au mot. Je vois
bien , Madame , lui dit il un jour , que ces
complaifances vous coutent ; hé bien , je
veux vous donner une preuve de l'amour
le plus parfait . Oui je confens , puifque
vous le voulez , que nos ames feules foient
unies , & je vous donne ma parole de
n'exiger rien de plus.
La prude loua cette réfolution d'un air
bien capable de la faire évanouir , mais
Alcibiade tint bon . Elle en fur furpriſe , &
piquée , cependant il fallut diffimuler .
Le jour fuivant tout ce que le deshabillé
peut avoir d'agaçant fut mis en ufage . La
vivacité du defir brilloit dans les yeax de
la prude , dans fon maintien , la nonchalance
& la volupté , les voiles les plus
legers , le défordre le plus favorable , tout
en elle invitoit Alcibiade à s'oublier . Ilapperçut
le piege. Quel triomphe , lui dit- il ,
Madame , quel triomphe à remporter fur
moi- même ! Je vois bien que l'amour m'éprouve
, & je m'en applaudis : la délicateffe
de mes fentimens en éclatera davantage.
Ces voiles tranfparens & légers , ces
couffins dont la volupté femble avoir formé
fon trône , votre beauté , mes defirs ;
combien d'ennemis à vaincre. Ulyffe n'y
SEPTEMBRE. 1755. 11
échapperoit pas , Hercule y fuccomberoit.
Je ferai plus fage qu'Ulyffe & moins fragile
qu'Hercule . Oui , je vous prouverai que
le feul plaifir d'aimer peut tenir lieu de
tous les plaifirs. Vous êtes charmant , lui
dit-elle , & je puis me flatter d'avoir un
amant unique ; je ne crains qu'une chofe ,
c'eft que votre amour ne s'affoibliffe par la
rigueur . Au contraire , interrompit vivement
Alcibiade , il n'en fera que plus ardent.
Mais , mon cher enfant , vous êtes
jeune , il eft des momens où l'on n'eft pas
maître de foi , & je crois votre fidélité bien
hafardée , fi je vous livre à vos defirs.
Soyez tranquille , Madame : je vous réponds
de tout . Puifque je puis vaincre mes
defirs auprès de vous , auprès de qui n'en
ferai- je pas le maître. Vous me promettez
du moins que s'ils deviennent trop preffans
vous m'en ferez l'aveu . Je ne veux
point qu'une mauvaiſe honte vous retienne.
Ne vous piquez pas de me tenir parole,
il n'eft rien que je ne vous pardonne plutôt
qu'une infidélité. Oui , Madame , je
vous avouerai ma foibleffe de la meilleure
foi du monde , quand je ferai prêt d'y fuccomber:
mais laiffez - moi du moins éprouver
mes forces : je fens qu'elles iront encore
loin , & j'efpere que l'amour m'en
donnera de nouvelles . La prude étoit
A vi
12 MERCURE
DE FRANCE.
furieufe , mais fans fe démentir elle ne
pouvoit fe plaindre , elle fe contraignit
encore , dans l'efpoir qu'à une nouvelle
épreuve Alcibiade fuccomberoit. Il reçut
le lendemain à fon réveil un billet conçu
en ces termes : « J'ai paffé la plus cruelle
» nuit , venez me voir . Je ne puis vivre
» fans vous .
Il arrive chez la prude. Les rideaux des
fenêtres n'étoient qu'entr'ouverts un jour
tendre fe gliffoit dans l'appartement à tra
vers des ondes de pourpre. La prude étoit
encore dans un lit parfemé de rofes. Venez,
lui dit- elle d'une voix plaintive , venez
calmer mes inquiétudes . Un fonge affreux
m'a tourmentée cette nuit , j'ai cru vous
voir aux genoux d'une rivale. Ah j'en frémis
encore ? Je vous l'ai dit Alcibiade , je
ne puis vivre dans la crainte que vous ne
foyez infidelle , mon malheur feroit d'autant
plus fenfible que j'en ferois moi-même
la caufe , & je veux du moins n'avoir rien
à me reprocher. Vous avez beau me promettre
de vous vaincre ; vous êtes trop
jeune pour le pouvoir long- tems, Ne vous
connois-je pas je fens que j'ai trop exigê
de vous , je fens qu'il y a de l'imprudence
& de la cruauté à vous impoſer une loi fi
dure. Comme elle parloit ainfi de l'air du
monde le plus touchant , Alcibiade fe jetta
?
SEPTEMBRE . 1755 13
:
à fes pieds je fuis bien malheureux , lui
dit- il , Madame , fi vous ne m'estimez pas
affez pour me croire capable de m'attacher
à vous par les feuls liens du fentiment !
Après tout de quoi me fuis - je privé ? de ce
qui deshonore l'amour. Je rougis de voir
que vous comptiez ce facrifice pour quelque
chofe. Mais fut- il auffi grand que vous
vous l'imaginez , je n'en aurai que plus de
gloire. Non , mon cher Alcibiade , lui dit
la prude , en lui tendant la main , je ne
veux point d'un facrifice qui te coûte , je
fuis trop fure & trop flattée de l'amour pur
& délicat que tu m'as fibien témoigné.
Sois heureux , j'y confens . Je le fuis , Madame
, s'écria- t-il , du bonheur de vivre
pour vous , ceffez de me foupçonner & de
me plaindre , vous voyez l'amant le plus
fidele , le plus tendre , le plus refpectueux ...
& le plus fot , interrompit- elle , en tirant
brufquement fes rideaux , & elle appella
fes efclaves. Alcibiade fortit furieux de
n'avoir été aimé que comme un autre ,
bien réfolu de ne plus revoir une femme
qui ne l'avoit pris que pour fon plaifir. Ce
n'eft pas ainfi , dit- il , qu'on aime dans l'âge
de l'innocence , & fi la jeune Glicérie
éprouvoit pour
pour moi ce que fes yeux femblent
me dire , je fuis bien certain que ce
feroit-là de l'amour pur.
&
14 MERCURE DE FRANCE.
Glicérie dans fa quinzieme année , atti
roit déja les voeux de la plus brillante jeuneffe.
Qu'on imagine une rofe au moment
de s'épanouir , tels étoient la fraîcheur &
l'éclat de fa beauté.
Alcibiade fe préfenta & fes rivaux fe
diffiperent. Ce n'étoit point encore l'ufage
à Athènes de s'époufer pour fe haïr & pour
fe méprifer le lendemain , & l'on donnoit
aux jeunes gens avant l'hymen , le loifir de
fe voir & de fe parler avec une liberté décente.
Les filles ne fe repofoient pas fur
leurs gardiens du foin de leur vertu . Elles
fe donnoient la peine d'être fages ellesmêmes.
La pudeur n'a commencé à combattre
foiblement , que depuis qu'on lui a
dérobé les honneurs de la victoire. Celle
de Glicérie fit la plus belle défenfe . Alcibiade
n'oublia rien pour la furprendre out
pour la gagner. Il loua la jeune Athénienne
fur fes talens , fes graces , fa beauté , il
lui fit fentir dans tout ce qu'elle difoit
une fineffe qu'elle n'y avoit pas mife , &
une délicateffe dont elle ne fe doutoit pas.
Quel dommage qu'avec tant de charmes ,
elle n'eut pas un coeur fenfible ! je vous
adore , lui difoit- il , & je fuis heureux fi
vous m'aimez. Ne craignez pas de me le
dire , une candeur ingénue eft la vertu de
votre âge , on a beau donner le nom de
រ
SEPTEMBRE. 1755 1-8
prudence à la diffimulation , cette belle
bouche n'eft pas faite pour trahir les fentimens
de votre coeur : qu'elle foit l'organe
de l'amour , c'eft pour lui -même qu'il l'a
formée. Si vous voulez que je fois fincere,
lui répondit Glicérie , avec une modeſtie
mêlée de tendreffe , faites du moins que je
puiffe l'être fans rougir Je veux bien ne
pas trahir mon coeur , mais je veux auffi ne
pas trahir mon devoir , & je trahirois l'un
ou l'autre fi j'en difois davantage. Glicérie
vouloit avant de s'expliquer , que leur
himen fut conclu . Alcibiade vouloit qu'elle
s'expliquât avant de penfer à l'himen.
Il fera bien tems , difoit- il de m'affurer
de votre amour , quand l'himen vous en
aura fait un devoir , & que je vous aurai
réduite à la néceffité de feindre. C'eſt
aujourd'hui que vous êtes libre , qu'il feroit
flateur pour moi d'entendre de votre
bouche l'aveu défintéreffé d'un fentiment
naturel & pur. Hé bien , foyez content , &
ne me reprochez plus de n'avoir pas un
coeur fenfible : il l'eft du moins depuis que
je vous vois. Je vous estime affez pour vous
confier mon fecret , mais à préfent qu'il
m'eft échappé , j'exige de vous une complaifance
, c'eft de ne plus me parler tête à
tête , que vous ne foyez d'accord avec ceux
dont je dépends. L'aveu qu'Alcibiade ve16
MERCURE DE FRANCE.
noit d'obtenir , auroit fair le bonheur d'un
amant moins difficile , mais fa chimere
l'occupoit. Il voulut voir jufqu'au bout
s'il étoit aimé pour lui -même. Je ne vous
diffimulerai lui dit-il , que
pas ,
la démarche
que je vais faire peut avoir un mauvais.
fuccès. Vos parens me reçoivent avec une
politeffe froide que j'aurois pris pour un
congé , fi le plaifir de vous voir n'eut vaincu
ma délicateffe ; mais fi j'oblige votre
pere à s'expliquer , il ne fera plus tems de
feindre . Il eft membre de l'Aréopage , Socrate
, le plus vertueux des hommes , y eft
fufpect & odieux : je fuis l'ami & le difciple
de Socrate , & je crains bien que la
haine qu'on a pour lui , ne s'étende jufqu'à
moi . Mes craintes vont trop loin peut-être ;
mais enfin , fi votre pere nous facrifie à fa
politique , s'il me refufe votre main ; à
quoi vous déterminez - vous . A être malheureuſe
, lui répondit Glicérie , & à céder
à ma deftinée. Vous ne me verrez donc
plus ? Si l'on me deffend de vous voir , il
faudra bien que j'obéiffe . Vous obéïrez
donc auffi , fi l'on vous propofe un autre
époux ? Je ferai la victime de mon devoir.
Et par devoir vous aimerez l'époux qu'on
vous aura choifi ? Je tâcherai de ne le
point haïr ; mais quelles queftions vous
me faites ? Que penferiez - vous de moi
SEPTEMBRE. 1755. 17
j'avois d'autres fentimens ? Je penferois
que vous m'aimez. Il eft trop vrai que je
vous aime. Non , Glicérie , l'amour ne
connoît point de loi ; il eft au- deffus' de
tous les obftacles ; mais je vous rends juf
tice , ce fentiment eft trop fort pour votre
âge , il veut des ames fermes & courageufes
que les difficultés irritent & que les revers
n'étonnent pas . Un tel amour eft rare
je l'avoue . Vouloir un état , un nom , une
fortune dont on difpofe , fe jetter enfin
dans les bras d'un mari pour fe fauver de
fes parens , voilà ce qu'on appelle amour ,
& voilà ce que j'appelle defir de l'indépendance.
Vous êtes bien le maître , lui
dit-elle , les larmes aux yeux , d'ajouter
l'injure au reproche. Je ne vous ai rien dit
que de tendre & d'honnête. Ai-je balancé
un moment à vous facrifier vos rivaux ?
Ai-je hésité à vous avouer votre triomphe?
Que me demandez -vous de plus ? Je vous
demande , lui dit- il , de me jurer une conftance
à toute épreuve , de me jurer que
vous ferez à moi , quoiqu'il arrive , & que
vous ne ferez qu'à moi. En vérité , Seigneur
, c'eft ce que je ne ferai jamais . En
vérité , Madame , je devois m'attendre à
cette réponſe & je rougis de m'y être expofé.
A ces mots , il fe retira outré de colere
, & fe difant à lui -même , j'étois bien
+ MERCURE DE FRANCE.
bon d'aimer un enfant qui n'a point d'ame
& dont le coeur ne fe donne que par avis
de parens.
il y avoit dans Athenes une jeune veuve
qui paroiffoit inconfolable de la perte de
fon époux. Alcibiade lui rendit comme tout
le monde , les premiers devoirs avec le
férieux que la bienféance , impofe auprès
des perfonnes affligées. La veuve trouva
un foulagement fenfible dans les entretiens
de ce difciple de Socrate , & Alcibiade un
charme inexprimable dans les larmes de la
yeuve, Cependant leur morale s'égayoit de
jour en jour. On fit l'éloge des bonnes qualités
du défunt , & puis on convint des
mauvaiſes , c'étoit bien le plus honnête
homme du monde ; mais il n'avoit précifement
que le fens commun. Il étoit affez
bien de figure , mais fans élégance & fans
grace ; rempli d'attentions & de foins ,
mais d'une affiduité fatigante. Enfin , on
étoit au défefpoir d'avoir perdu un fi bon
mari ; mais bien réfolue à n'en pas prendre
un fecond. Eh ! quoi , dit Alcibiade , à
votre âge, renoncer à l'himen ! Je vous
avoue , répondit la veuve , qu'autant l'eſclavage
me répugne , autant la liberté m'effraye.
A mon âge , livrée àmoi- même , &
ne tenant à rien , que vais-je devenir ? Alcibiade
ne manqua pas de lui infinuer
SEPTEMBRE . 1755. 19
qu'entre l'esclavage de l'himen & l'abandon
du veuvage , il y auroit un milieu à
prendre , & qu'à l'égard des bienféances ,
rien au monde n'étoit plus facile à concilier
avec un tendre attachement. On fut
révoltée de cette propofition . On eut mieux
aimémourir. Mourir dans l'âge des amours
& des graces ! il étoit facile de faire voir
le ridicule d'un tel projet , & la veuve ne
craignoit rien tant que de fe donner des
ridicules. Il fut donc réfolu qu'elle ne
mourroit pas ; il étoit déja décidé qu'elle
ne pouvoit vivre , fans tenir à quelque
chofe , ce quelque chofe devoit être un
amant , & fans prévention elle ne connoiffoit
point d'homme plus digne qu'Alci
biade de lui plaire & de l'attacher . Il redoubla
fes affiduités , d'abord elle s'en plaignit
, bientôt elle s'y accoutuma , enfin elle
y exigea du miftere , & pour éviter les im
prudences , on s'arrangea décemment.
Alcibiade étoit au comble de fes voeux.
Ce n'étoit ni les plaiſirs de l'amour , ni les
avantages de l'hymen qu'on aimoit en lui ;
c'étoit lui - même ; du moins le croyoit-il
ainfi . Il triomphoit de la douleur , de la
fageffe , de la fierté d'une femme qui n'exigeoit
de lui que du fecret & de l'amour.
La veuve de fon côté s'applaudiffoit de
tenir fous fes loix l'objet de la jaloufie de
20 MERCURE DE FRANCE.
1
toutes les beautés de la Grece. Mais com
bien peu de perfonnes fçavent jouir fans
confidens ! Alcibiade amant fecret , n'étoit
qu'un amant comme un autre , & le plus
beau triomphe n'eft flatteur qu'autant qu'il
eft folemnel. Un auteur a dit que ce n'eft
pas tout d'être dans une belle campagne ,
fi l'on n'a quelqu'un à qui l'on puiffe dire,la
belle campagne! La veuve trouva de même
que ce n'étoit pas affez d'avoir Alcibiade
pour amant , fi elle ne pouvoit dire à quelqu'un
, j'ai pour amant Alcibiade. Elle en
fit donc la confidence à une amie intime
qui le dit à fon amant , & celui - ci à toute
la Grece. Alcibiade étonné qu'on publiât
fon aventure , crut devoir en avertir la
veuve qui l'accufa d'indifcrétion . Si j'en
étois capable , lui dit-il , je laifferois courir
des bruits que j'aurois voulu répandre ,
& je ne fouhaite rien tant que de les faire
évanouir. Obfervons- nous avec foin , évitons
en public , de nous trouver enſemble ,
& quand le hafard nous réunira . Ne vous
offenfez point de l'air diftrait & diffipé
que j'affecterai auprès de vous. La veuve
reçut tout cela d'affez mauvaife humeur.
Je fens bien , lui dit-elle , que vous en
ferez plus à votre aife : les affiduités , les
attentions vous gênent , & vous ne demandez
pas mieux que de pouvoir voltiger.
f
SEPTEMBRE . 1755 28
Mais moi , quelle contenance voulez-vous
que je tienne. Je ne fçaurois prendre fur
moi d'être coquette : ennuyée de tout en
votre abfence rêveufe & embarraſſée
,
auprès de vous , j'aurai l'air d'être jouée ,
& je le ferai peut- être en effet. Si l'on eſt
perfuadé que vous m'avez , il n'y a plus
aucun remede , le public ne revient pas.
Quel fera donc le fruit de ce prétendu
miftere. Nous aurons l'air , vous , d'un
amant détaché , moi , d'une amante délaiffée.
Cette réponſe de la veuve furprit Alcibiade
, la conduite qu'elle tint acheva de
le confondre . Chaque jour elle fe donnoit
plus d'aifance & de liberté. Au fpectacle ,
elle exigeoit qu'il fut affis derriere elle ,
qu'il lui donnât la main pour aller au Temple
, qu'il fut de fes promenades & de ſes
foupers. Elle affectoit fur- tout de fe trouver
avec fes rivales , & au milieu de ce
concours elle vouloit qu'il ne vit qu'elle.
Elle lui commandoit d'un ton abfolu , le
regardoit avec miftere , lui fourioit d'un
air d'intelligence , & lui parloit à l'oreille
avec cette familiarité qui annonce au public
qu'on eft d'accord. Il vit bien qu'elle
le menoit partout , comme un efclave enchaîné
à fon char . J'ai pris des airs pour
des fentimens , dit-il , avec un foupir , ce
n'eſt pas moi qu'elle aime , c'eſt l'éclat do
22 MERCURE DE FRANCE.
ma conquête ; elle me mépriferoit , fi elle
n'avoit point de rivales . Apprenons- lui que
la vanité n'eft pas digne de fixer l'amour.
On donnera la fuite le mais prochain.
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Résumé : LE MOI. HISTOIRE TRÈS-ANCIENNE.
Le texte décrit les expériences amoureuses d'Alcibiade, un homme riche, talentueux et beau, à Athènes. Alcibiade aspire à être aimé pour lui-même et non pour ses qualités extérieures. Il engage une relation avec une prude qui oppose une résistance feinte à ses avances. Alcibiade décide de ne pas exiger de relation physique, voulant prouver que l'amour pur peut suffire. La prude, frustrée, tente de le séduire, mais Alcibiade résiste, trouvant un triomphe dans cette épreuve. La prude, exaspérée, finit par le rejeter brutalement. Alcibiade se tourne ensuite vers Glicérie, une jeune femme de quinze ans, dont il admire la beauté et les talents. Il cherche à obtenir un aveu d'amour avant le mariage, mais Glicérie souhaite attendre la conclusion de l'hymen. Alcibiade, insistant, finit par se retirer, déçu par son manque de spontanéité. Enfin, Alcibiade rencontre une jeune veuve inconsolable. Leur relation évolue, et Alcibiade suggère une liaison sans engagement formel. La veuve refuse, préférant la liberté au nouvel esclavage du mariage. Alcibiade tente de la convaincre, mais elle reste ferme dans son refus. Le texte relate également une histoire d'amour secrète entre la veuve et Alcibiade. Initialement, la veuve ne souhaitait pas mourir et décida qu'elle ne pouvait vivre sans un amant, choisissant Alcibiade. Leur relation devint officielle, mais la veuve désirait la rendre publique. Elle confia leur secret à une amie, qui le révéla à son tour, provoquant une indiscrétion. Alcibiade, surpris, conseilla à la veuve de rester discrets en public. Cependant, la veuve, mécontente, continua de se comporter de manière ostentatoire, exigeant la présence d'Alcibiade en public et affichant leur complicité. Alcibiade réalisa alors que la veuve était motivée par la vanité et la jalousie des autres femmes, plutôt que par un véritable amour. Il conclut que la vanité n'était pas une base suffisante pour l'amour. La veuve et Alcibiade devaient se séparer prochainement.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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67
p. 65-66
LES OEUILLETS. Bouquet à Mme la Comtesse de B....
Début :
La jeune Flore hier visitant son empire, [...]
Mots clefs :
Oeillets, Bouquet, Flore, Fleurs, Reine, Beauté
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LES OEUILLETS. Bouquet à Mme la Comtesse de B....
LES CUILLETS.
Bouquet à Mme la Comteffe de B ....
LA jeune Flore hier vifitant ſon empire ,
Apperçut des oeuillets favoris de zéphire ,
Qui par le viféclat de leurs riches couleurs
66 MERCURE DE FRANCE.
Paroiffoient l'emporter fur le refte des fleurs .
Elle les cueille , & veut de leur tige fleurie
En faire à quelque nymphe une galanterie .
Pour mériter pareil bouquet
Par plus d'un trait il falloit être aimable ,
Avoir un efprit fin , un propos agréable ,
Vif enjouement , caractere parfait ,
yeux tels Beaux
que les a la Reine de Cythere ,
Et ce je ne fçai quoi charmant ,
Ce foûris gracieux , cet air plein d'agrément
Qui même à la beauté donne le droit de plaire .
Où rencontrer un fi rare ſujet ?
Flore n'a vu que vous , adorable Glycere ,
Qui fuffiez digne en tout de ce nouveau bouquet,
Oui , ces heureux talens qui font votre appanage ,
Vos graces , vos traits féducteurs
Engagent la Reine des fleurs
A vous rendre en ce jour le plus fincere hommage.
C'eft pour vous qu'elle a fait le brillant affemblage
De ces cuillets dont l'oeil eft enchanté ,
Vous avez droit d'en tirer avantage ,
C'eft un préfent qu'a mérité
Dans vous , B ... l'efprit & la beauté.
Guidi.
Bouquet à Mme la Comteffe de B ....
LA jeune Flore hier vifitant ſon empire ,
Apperçut des oeuillets favoris de zéphire ,
Qui par le viféclat de leurs riches couleurs
66 MERCURE DE FRANCE.
Paroiffoient l'emporter fur le refte des fleurs .
Elle les cueille , & veut de leur tige fleurie
En faire à quelque nymphe une galanterie .
Pour mériter pareil bouquet
Par plus d'un trait il falloit être aimable ,
Avoir un efprit fin , un propos agréable ,
Vif enjouement , caractere parfait ,
yeux tels Beaux
que les a la Reine de Cythere ,
Et ce je ne fçai quoi charmant ,
Ce foûris gracieux , cet air plein d'agrément
Qui même à la beauté donne le droit de plaire .
Où rencontrer un fi rare ſujet ?
Flore n'a vu que vous , adorable Glycere ,
Qui fuffiez digne en tout de ce nouveau bouquet,
Oui , ces heureux talens qui font votre appanage ,
Vos graces , vos traits féducteurs
Engagent la Reine des fleurs
A vous rendre en ce jour le plus fincere hommage.
C'eft pour vous qu'elle a fait le brillant affemblage
De ces cuillets dont l'oeil eft enchanté ,
Vous avez droit d'en tirer avantage ,
C'eft un préfent qu'a mérité
Dans vous , B ... l'efprit & la beauté.
Guidi.
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Résumé : LES OEUILLETS. Bouquet à Mme la Comtesse de B....
Le poème 'Les Cuillets' est dédié à Mme la Comtesse de B..., surnommée Glycere. La déesse Flore, en visitant son domaine, découvre des œillets exceptionnels et décide d'en faire un bouquet pour une nymphe. Pour mériter ce bouquet, il faut être aimable, avoir un esprit fin, un propos agréable, un caractère parfait et des yeux beaux comme ceux de la Reine de Cythère. Flore estime que seule Glycere possède toutes ces qualités. Elle loue les talents, les grâces et les traits séduisants de Glycere, justifiant ainsi l'hommage de la Reine des fleurs. Le bouquet d'œillets est offert à Glycere en reconnaissance de son esprit et de sa beauté.
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68
p. 177-187
PEINTURE. Réflexions sommaires sur les ouvrages exposés au Louvre cette année.
Début :
C'est à l'émulation que les artistes doivent leurs succès, mais c'est des [...]
Mots clefs :
Louvre, Tableaux, Ouvrage, Beauté, Portrait, Succès, Dessin, Composition, Public
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : PEINTURE. Réflexions sommaires sur les ouvrages exposés au Louvre cette année.
PEINTURE.
Réflexionsfommaires fur les ouvrages expofes
C
au Louvre cette année.
EST à l'émulation que les artiſtes
doivent leurs fuccès , mais c'eſt des
connoiffeurs qu'ils en attendent la récompenfe.
Peu flattés des éloges que leur prodigue
l'ignorance , parce qu'elle admire
tout fans choix , & qu'elle confond dans
le tribut injurieux qu'elle offre aux talens ,
le beau & le médiocre , peu touchés des
efforts de la malignité & de l'envie , qui
fufcitent contr'eux des écrivains plus indigens
qu'éclairés , ils méprifent également
les louanges immoderées des panégyriſtes ,
& la licence effrénée de leurs Zoïles . Trop
grands pour être agités par ces petites paffions
qui ne caracterifentque les hommes
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
médiocres , ils n'emploient point un tems
entierement dévoué aux arts , à écouter
ces rumeurs inutiles , ou à y répondre le
génie , le gout enfante leurs travaux ; c'eſt
du genie , c'est du gout qu'ils s'efforcent
de mériter l'hommage. L'encens dont ils
les honorent eft précieux , la critique épurée
à ces rayons eft utile à la perfection
de leur art . L'un leur fert à marcher avec
encore plus de fuccès dans la route heureufe
qu'ils fe font tracée , l'autre leur
fait éviter dans la fuite les écueils où ils
font tombés. Ainfi tout jufqu'à leurs fautes
même leur devient utile. C'est dans cette
vue que fe fait l'expofition des peintures ,
fculptures & gravures . Dans les éloges que
l'on donne ici aux chefs -d'oeuvre en tout
genre qui s'y font faits remarquer , on a
le bonheur d'être à la fois l'interprete du
public & l'organe de la verité.
On a vu avec plaifir dans les tableaux de
M. Reftout ce même feu qui diftingue fi
bien tous fes ouvrages ; cette chaleur dans
la compofition digne de l'illuftre Jouvenet
fon oncle , cette grande ordonnance ,
cette belle difpofition fe font admirer dans
un grand tableau de cet auteur , repréfentant
Jesus-Chrift qui lave les pieds aux
Apôtres. Tout y eft digne de la grandeur
du fujer .
NOVEMBRE. 1755. 179
M. Carlo- Vanloo , déja fi connu par la
beauté de fon pinceau , & la vigueur de fon
coloris , eft digne des plus grands éloges.
Qu'on trouve de dignité dans fes deux
grands tableaux , dont l'an repréfente le
Baptême de S. Auguftin , celui d'Alipe
fon ami , & d'Adeodat fon fils ; l'autre le
même Docteur prechant devant Valere ,
Evêque d'Hyppone ! Le caractere de nobletfe
qui paroît fur le front des deux Evêques
qui font dans ce tableau , eft tel qu'on
fe fent pénetré de refpect & de veneration
à leur vue. Dans le premier de ces tableaux
on a reconnu facilement l'auteur
fous la figure d'un Acolyte , tenant un livre
à la main. Le public , quoiqu'accoutumé
depuis long- tems à ne rien voir que
d'admirable fortir des mains de ce maître ,
n'a vu cependant qu'avec furprife un tableau
de chevalet , réprefentant une converſation
. Il n'eft pas poffible de faire un
tableau mieux peint , plus galant & plus
gracieufement traité . Ce tableau auroit
fait honneur à Wandeik pour la couleur ,
& à Netfcher pour le fini. On peut donner
les mêmes éloges à deux deffus de porte
du même auteur , dont l'un reprefente
deux Sultanes travaillant à la tapifferie , &
l'autre une Sultane prenant du caffé.
MM. Collin de Vermont & Natoire fou-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
tiennent dignement la réputation qu'ils fe
font acquife par la nobleffe de leur compofition
, & par l'élegance & la préciſion
de leur deffein .
On ne peut donner que
des
applaudiffemens
à M. Jeaurat . Semblable aux
grands Poëtes tragiques, qui ne dédaignent
point de prendre le brodequin après avoir
long- tems chauffé le Cothurne , on l'a vu
avec plaifir remporter la palme dans un
genre moins élevé que le fien , mais qui
n'a cependant pas moins de difficultés . Il
a rendu avec verité ces petits évenemens
qui fe multiplient fi fouvent dans la vie
populaire . Dans l'un de fes tableaux on
voit un Commiffaire vengeur de l'honnêteté
publique violée ; dans l'autre , un demenagement
troublé par des créanciers
importuns ; l'attelier du Peintre n'a pas
été moins applaudi.
M. Halle parcourt fa carriere avec
gloire. Il foutient avec fuccès un nom
déja cher aux amateurs . Le tableau de cet
auteur reprefentant les Difciples d'Emmaüs
eft bien compofé , & fait un bel
effet.
Le merite de M. Vien a peut - être été
encore plutôt connu que fa perfonne A
peine fes premiers ouvrages ont-ils paruque
le fuccès les a couronnés ? La repuNOVEMBRE
. 1755. 181
tation de cet artifte eft déja faite dans un
âge , où il eſt beau de l'avoir commencée.
Chacun de ſes tableaux a réuni les fuftrages
. On a rendu juftice à la beauté du
deffein , & à la fageffe de la compofition
dans le tableau repréfentant S. Germain &
S. Vincent. Sa maniere de traiter l'hiftoire
nous paroît la meilleure : elle eft vraie &
fimple .
L'illufion ne fe diffipe qu'à peine en
touchant le tableau de M. Chardin , imitant
un bas- relief de bronze.
Dans la foule des portaits dont le fallon
étoit decoré , celui de M. Elvetius , par M.
Louis- Michel Vanloo , m'a frappé ainfi que
la multitude . Il a le merite de la reffemblance
; on peut dire qu'il eft bien portrait
. On apperçoit d'ailleurs dans le deffein
une jufteffe qui décele aux yeux des
connoiffeurs le peintre d'hiftoire. Le portrait
de feue Madame Henriette de France
eft auffi parfaitement reffemblant , & fait
honneur au pinceau de M. Nattier. M.
Tocqué a foutenu fa grande réputation par
le portrait de M. le Duc de Chartres &
par celui de M. le Marquis de Marigny.
L'un eft d'une verité exacte , & l'autre
d'une force de pinceau finguliere. M. Jelyotte
peint en Apollon , ajoute un nouveau
rayon à la gloire de ce Maître. M.
182 MERCURE DE FRANCE.
de la Tour dans le portrait de Madame de
Pompadour , a montré la fuperiorité de
fes talens déja tant de fois applaudis . Il a
égalé fon fujet par la maniere habile dont
il l'a traité. Plus on a vu ce portrait, plus
on l'a eftimé. Il forme un tableau de la
plus grande beauté , & qui gagne à l'examen.
Tous les détails & les ornemens en
font finis .
M. Aved ne s'eft pas moins diftingué.
On a trouvé l'ordonnance & la compofition
du portrait de M. l'Evêque de Meaux
noble & belle , l'exécution heureufe , le
coloris vigoureux & la reffemblance parfaite.
Les regards du public fe font auth
arrêtés fur fes autres tableaux auxquels on
a rendu la juftice qu'ils meritoient.
Un grand tableau peint en cire , fuivant
la découverte ou procedé de M. Bachelier
, qu'il appelle inuftion , c'eſt-àdire
cire brulée , a recueilli toutes les voix .
Deja connu par des talens précieux , mais
moins grands, moins developpés que ceux
qu'il préfente aujourd'hui , il rend la perte
de M. Oudry moins amere ; & la peinture
defolée d'avoir perdu fou la Fontaine
féche fes pleurs en trouvant fon fucceffeur
dans M. Bachelier. Ce tableau repréſente
la fable du cheval & du loup.
L'oeil s'eft fixé avec bien de la fatisfacNOVEMBRE.
1755. 183
tion fur cinq tableaux de M. Vernet. Deux
d'entr'eux reprefentent deux différentes
vues du port du Marfeille ; le troiſieme
une vue du port neuf , ou de l'arfenal de
Toulon ; le quatrieme une pêche du thon ;
& le dernier une tempête. Que de beautés
dans tous ces tableaux , & qu'ils font ingénieufement
variés ! Ce n'eft point une
peinture , ce n'eft plus une repréfentation
d'objets , c'eft l'exiftence , c'eft la réalité
même. Vous y voyez ces ouvrages admirables
fi utiles au commerce de la nation .
Vous y voyez les habitans des quatre parties
du monde reunis par l'interêt & le
bien public agir , commercer enſemble. Le
deffein de l'auteur eft digne du Pouffin . Le
fpectateur eft effrayé à la vue de la tempê
te & du naufrage . Les vagues irritées engloutiffent
les débris d'un vaiffeau dont
quelques hommes s'échappent à peine. Les
figures de ce tableau paroiffent être de la
main de Salvator Roze.
L'art de la miniature s'embellit , & devient
un grand talent dans celles de M.
Venevault .
M. de La Grenée , jeune peintre d'hiftoire
, expofe dans une âge où l'on ne donne
guere que de grandes efperances , des
ouvrages qui font deja les fruits de la maturité
du genie.
184 MERCURE DE FRANCE.
MM. Roflin & Dronais le fils , tiennerit
un rang dittingué dans leur genre.
Dans fes payfages M. Juliard rend bien
les effets de la nature .
M. Antoine Le Bel a auffi fon merite.
M. de la Rue marche fur les pas du fameux
Parrocel , dont les connoiffeurs regretteront
long- tems la perte. M. Greuze
nourri par l'étude des Peintres Flamans ,
ces hommes fi habiles à faifir la nature ,
& fi propres à arracher de la bouche du
fpectateur ce cri d'admiration , qu'on ne
peut refufer à la verité de l'expreffion &
de l'imitation , n'eft point inférieur à ces
grands Maîtres. Il eft tout-à- la fois imitateur
heureux , & créateur aimable .
La Sculpture n'a montré que peu d'ouvrages.
Le bufte de M. le Marechal de
Coigny nous a paru d'une grande vérité ,
& digne de M. Confton.
Dans le Milon Crotoniate de M.Falconnet
, on a admiré la beauté du deffein , la
jufteffe des contours & la force du cifeau .
Ce morceau de fculpture repréſente un
lion devorant l'athlete . Il remplit à la fois
de terreur & de compaffion . M. Michel-
Ange Slodiz a expofé l'efquiffe d'un grouppe
de la victoire qui ramene la paix ,
d'une très- belle compofition , ainfi que le
projet d'une chaire de Prédicateur pour S.
NOVEMBRE . 1755. 185
Sulpice , qui en fait fouhaiter l'exécution.
Par quelle fatalité les Bouchardons , les
Pigalles fe refufent- ils à nos applaudiffemens
? Faits pour les obtenir tous , nous
priveront- ils encore long- tems des fruits
de leurs cifeaux ? *
* Nous fommes également fondés à former
cette plainte à l'égard de la peinture . M. Boucher
nous a tenu rigueur à ce fallon , de même que M.
Pierre. La plus belle moitié du public a foupiré de
n'y rien voir de ce Peintre aimable , qui eft le fien ,
puifqu'il eft celui des graces & de la beauté. On
foupçonne que ces petits écrits furtifs , que l'envie
ou le befoin produifent contre le talent à chaque
expofition , en font la caufe fecrete . On craint
même que les autres artiftes du premier ordre
comme lui , ne fuivent fon exemple. Tous fe plaignent
, dit- on , que ces fatyres , quelques méprifables
qu'elles foient, font impreffion dans la province
, & y nuifent à leur gloire , comme à leur
intérêt . On voit bien que les Peintres ne font pas
aguerris ainfi que les auteurs. Il est vrai qu'ils
difent pour leurs raifons que les ouvrages de ces
derniers vont partout en même tems que leurs
critiques , & leur fervent de contre-poifon ; au
lieu que leurs tableaux reſtent dans les cabinets
de la capitale , & que les libelles qui les déchirent
, courent feuls la province. La crainte que
j'ai de nous voir privés par là des nouveaux tréfors
dont ces grands Maîtres peuvent nous enrichir
, m'oblige à leur répondre , pour les raffurer,
que la gravure vient à leur fecours . Elle devient
chaque jour fi parfaite , qu'on peut l'appeller une
traduction auffi fidelle qu'élégante de leurs ta
186, MERCURE DE FRANCE.
Le genie de M. Cochin fait pour les délices
de la nation , l'enchante fans l'étonner.
L'imagination & l'agrément animent
à la fois fon crayon & fon burin .
MM. Cars, Surugue , Le Bas , Tardieu ;
Dupuis, & autres artistes anffi diftingués par
leurs talens , ne laiffent rien à defirer
que
de nouvelles productions de leur part. M.
Guay fait revivre le gout antique dont fes
ouvrages ont toute la beauté. Il excelle
dans un art négligé depuis long-tems, mais
cultivé auparavant avec fuccès par ces
bleaux. Elle en rend l'efprit avec les traits ; les
eftampes que fon burin met au jour d'après leur
pinceau , fe répandent dans toute la France , &
font partout leur apologie. Ces Meffieurs m'objecteront
peut-être que leurs grands tableaux ne
font pas traduits , & que d'ailleurs il refte toujours
une partie effentielle fur laquelle ils ne
font pas juftifiés , qui eft la couleur que la gravure
ne peut jamais rendre. Mais pour y fuppléer
les Journaux publics avertiffent les provinces &
même les pays étrangers où ils parviennent , du
mépris qu'on doit faire de ces critiques informes,
& du difcrédit où elles font à Paris . Tous ces petits
faifeurs de brochures peuvent inquietter un
moment nos Appelles françois , ou leur faire
tout au plus une piquure paflagere ; mais ces infectes
n'exiftent qu'un Automne. Le premier
froid de Phyver les tue heureufement & nous en
délivre , tandis que les chefs - d'oeuvres qu'ils attaquent
font confacrés par les années , & durent
éternellement.
NOVEMBRE . 1755. 187
hommes rares qui confacroient leurs travaux
à immortalifer les traits d'un Cefar ,
d'un Trajan . Il en fait un auffi bel ufage
qu'eux. Il les confacre à retracer à la pofterité
ceux d'un Monarque auffi grand que
ces heros. Siecle heureux , où tout concourt
à la gloire des arts , où il fe trouve
des hommes qui les cultivent , des connoiffeurs
qui les aiment , un Mecene qui
les encourage , & un Prince qui les recompenſe
!
Réflexionsfommaires fur les ouvrages expofes
C
au Louvre cette année.
EST à l'émulation que les artiſtes
doivent leurs fuccès , mais c'eſt des
connoiffeurs qu'ils en attendent la récompenfe.
Peu flattés des éloges que leur prodigue
l'ignorance , parce qu'elle admire
tout fans choix , & qu'elle confond dans
le tribut injurieux qu'elle offre aux talens ,
le beau & le médiocre , peu touchés des
efforts de la malignité & de l'envie , qui
fufcitent contr'eux des écrivains plus indigens
qu'éclairés , ils méprifent également
les louanges immoderées des panégyriſtes ,
& la licence effrénée de leurs Zoïles . Trop
grands pour être agités par ces petites paffions
qui ne caracterifentque les hommes
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
médiocres , ils n'emploient point un tems
entierement dévoué aux arts , à écouter
ces rumeurs inutiles , ou à y répondre le
génie , le gout enfante leurs travaux ; c'eſt
du genie , c'est du gout qu'ils s'efforcent
de mériter l'hommage. L'encens dont ils
les honorent eft précieux , la critique épurée
à ces rayons eft utile à la perfection
de leur art . L'un leur fert à marcher avec
encore plus de fuccès dans la route heureufe
qu'ils fe font tracée , l'autre leur
fait éviter dans la fuite les écueils où ils
font tombés. Ainfi tout jufqu'à leurs fautes
même leur devient utile. C'est dans cette
vue que fe fait l'expofition des peintures ,
fculptures & gravures . Dans les éloges que
l'on donne ici aux chefs -d'oeuvre en tout
genre qui s'y font faits remarquer , on a
le bonheur d'être à la fois l'interprete du
public & l'organe de la verité.
On a vu avec plaifir dans les tableaux de
M. Reftout ce même feu qui diftingue fi
bien tous fes ouvrages ; cette chaleur dans
la compofition digne de l'illuftre Jouvenet
fon oncle , cette grande ordonnance ,
cette belle difpofition fe font admirer dans
un grand tableau de cet auteur , repréfentant
Jesus-Chrift qui lave les pieds aux
Apôtres. Tout y eft digne de la grandeur
du fujer .
NOVEMBRE. 1755. 179
M. Carlo- Vanloo , déja fi connu par la
beauté de fon pinceau , & la vigueur de fon
coloris , eft digne des plus grands éloges.
Qu'on trouve de dignité dans fes deux
grands tableaux , dont l'an repréfente le
Baptême de S. Auguftin , celui d'Alipe
fon ami , & d'Adeodat fon fils ; l'autre le
même Docteur prechant devant Valere ,
Evêque d'Hyppone ! Le caractere de nobletfe
qui paroît fur le front des deux Evêques
qui font dans ce tableau , eft tel qu'on
fe fent pénetré de refpect & de veneration
à leur vue. Dans le premier de ces tableaux
on a reconnu facilement l'auteur
fous la figure d'un Acolyte , tenant un livre
à la main. Le public , quoiqu'accoutumé
depuis long- tems à ne rien voir que
d'admirable fortir des mains de ce maître ,
n'a vu cependant qu'avec furprife un tableau
de chevalet , réprefentant une converſation
. Il n'eft pas poffible de faire un
tableau mieux peint , plus galant & plus
gracieufement traité . Ce tableau auroit
fait honneur à Wandeik pour la couleur ,
& à Netfcher pour le fini. On peut donner
les mêmes éloges à deux deffus de porte
du même auteur , dont l'un reprefente
deux Sultanes travaillant à la tapifferie , &
l'autre une Sultane prenant du caffé.
MM. Collin de Vermont & Natoire fou-
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
tiennent dignement la réputation qu'ils fe
font acquife par la nobleffe de leur compofition
, & par l'élegance & la préciſion
de leur deffein .
On ne peut donner que
des
applaudiffemens
à M. Jeaurat . Semblable aux
grands Poëtes tragiques, qui ne dédaignent
point de prendre le brodequin après avoir
long- tems chauffé le Cothurne , on l'a vu
avec plaifir remporter la palme dans un
genre moins élevé que le fien , mais qui
n'a cependant pas moins de difficultés . Il
a rendu avec verité ces petits évenemens
qui fe multiplient fi fouvent dans la vie
populaire . Dans l'un de fes tableaux on
voit un Commiffaire vengeur de l'honnêteté
publique violée ; dans l'autre , un demenagement
troublé par des créanciers
importuns ; l'attelier du Peintre n'a pas
été moins applaudi.
M. Halle parcourt fa carriere avec
gloire. Il foutient avec fuccès un nom
déja cher aux amateurs . Le tableau de cet
auteur reprefentant les Difciples d'Emmaüs
eft bien compofé , & fait un bel
effet.
Le merite de M. Vien a peut - être été
encore plutôt connu que fa perfonne A
peine fes premiers ouvrages ont-ils paruque
le fuccès les a couronnés ? La repuNOVEMBRE
. 1755. 181
tation de cet artifte eft déja faite dans un
âge , où il eſt beau de l'avoir commencée.
Chacun de ſes tableaux a réuni les fuftrages
. On a rendu juftice à la beauté du
deffein , & à la fageffe de la compofition
dans le tableau repréfentant S. Germain &
S. Vincent. Sa maniere de traiter l'hiftoire
nous paroît la meilleure : elle eft vraie &
fimple .
L'illufion ne fe diffipe qu'à peine en
touchant le tableau de M. Chardin , imitant
un bas- relief de bronze.
Dans la foule des portaits dont le fallon
étoit decoré , celui de M. Elvetius , par M.
Louis- Michel Vanloo , m'a frappé ainfi que
la multitude . Il a le merite de la reffemblance
; on peut dire qu'il eft bien portrait
. On apperçoit d'ailleurs dans le deffein
une jufteffe qui décele aux yeux des
connoiffeurs le peintre d'hiftoire. Le portrait
de feue Madame Henriette de France
eft auffi parfaitement reffemblant , & fait
honneur au pinceau de M. Nattier. M.
Tocqué a foutenu fa grande réputation par
le portrait de M. le Duc de Chartres &
par celui de M. le Marquis de Marigny.
L'un eft d'une verité exacte , & l'autre
d'une force de pinceau finguliere. M. Jelyotte
peint en Apollon , ajoute un nouveau
rayon à la gloire de ce Maître. M.
182 MERCURE DE FRANCE.
de la Tour dans le portrait de Madame de
Pompadour , a montré la fuperiorité de
fes talens déja tant de fois applaudis . Il a
égalé fon fujet par la maniere habile dont
il l'a traité. Plus on a vu ce portrait, plus
on l'a eftimé. Il forme un tableau de la
plus grande beauté , & qui gagne à l'examen.
Tous les détails & les ornemens en
font finis .
M. Aved ne s'eft pas moins diftingué.
On a trouvé l'ordonnance & la compofition
du portrait de M. l'Evêque de Meaux
noble & belle , l'exécution heureufe , le
coloris vigoureux & la reffemblance parfaite.
Les regards du public fe font auth
arrêtés fur fes autres tableaux auxquels on
a rendu la juftice qu'ils meritoient.
Un grand tableau peint en cire , fuivant
la découverte ou procedé de M. Bachelier
, qu'il appelle inuftion , c'eſt-àdire
cire brulée , a recueilli toutes les voix .
Deja connu par des talens précieux , mais
moins grands, moins developpés que ceux
qu'il préfente aujourd'hui , il rend la perte
de M. Oudry moins amere ; & la peinture
defolée d'avoir perdu fou la Fontaine
féche fes pleurs en trouvant fon fucceffeur
dans M. Bachelier. Ce tableau repréſente
la fable du cheval & du loup.
L'oeil s'eft fixé avec bien de la fatisfacNOVEMBRE.
1755. 183
tion fur cinq tableaux de M. Vernet. Deux
d'entr'eux reprefentent deux différentes
vues du port du Marfeille ; le troiſieme
une vue du port neuf , ou de l'arfenal de
Toulon ; le quatrieme une pêche du thon ;
& le dernier une tempête. Que de beautés
dans tous ces tableaux , & qu'ils font ingénieufement
variés ! Ce n'eft point une
peinture , ce n'eft plus une repréfentation
d'objets , c'eft l'exiftence , c'eft la réalité
même. Vous y voyez ces ouvrages admirables
fi utiles au commerce de la nation .
Vous y voyez les habitans des quatre parties
du monde reunis par l'interêt & le
bien public agir , commercer enſemble. Le
deffein de l'auteur eft digne du Pouffin . Le
fpectateur eft effrayé à la vue de la tempê
te & du naufrage . Les vagues irritées engloutiffent
les débris d'un vaiffeau dont
quelques hommes s'échappent à peine. Les
figures de ce tableau paroiffent être de la
main de Salvator Roze.
L'art de la miniature s'embellit , & devient
un grand talent dans celles de M.
Venevault .
M. de La Grenée , jeune peintre d'hiftoire
, expofe dans une âge où l'on ne donne
guere que de grandes efperances , des
ouvrages qui font deja les fruits de la maturité
du genie.
184 MERCURE DE FRANCE.
MM. Roflin & Dronais le fils , tiennerit
un rang dittingué dans leur genre.
Dans fes payfages M. Juliard rend bien
les effets de la nature .
M. Antoine Le Bel a auffi fon merite.
M. de la Rue marche fur les pas du fameux
Parrocel , dont les connoiffeurs regretteront
long- tems la perte. M. Greuze
nourri par l'étude des Peintres Flamans ,
ces hommes fi habiles à faifir la nature ,
& fi propres à arracher de la bouche du
fpectateur ce cri d'admiration , qu'on ne
peut refufer à la verité de l'expreffion &
de l'imitation , n'eft point inférieur à ces
grands Maîtres. Il eft tout-à- la fois imitateur
heureux , & créateur aimable .
La Sculpture n'a montré que peu d'ouvrages.
Le bufte de M. le Marechal de
Coigny nous a paru d'une grande vérité ,
& digne de M. Confton.
Dans le Milon Crotoniate de M.Falconnet
, on a admiré la beauté du deffein , la
jufteffe des contours & la force du cifeau .
Ce morceau de fculpture repréſente un
lion devorant l'athlete . Il remplit à la fois
de terreur & de compaffion . M. Michel-
Ange Slodiz a expofé l'efquiffe d'un grouppe
de la victoire qui ramene la paix ,
d'une très- belle compofition , ainfi que le
projet d'une chaire de Prédicateur pour S.
NOVEMBRE . 1755. 185
Sulpice , qui en fait fouhaiter l'exécution.
Par quelle fatalité les Bouchardons , les
Pigalles fe refufent- ils à nos applaudiffemens
? Faits pour les obtenir tous , nous
priveront- ils encore long- tems des fruits
de leurs cifeaux ? *
* Nous fommes également fondés à former
cette plainte à l'égard de la peinture . M. Boucher
nous a tenu rigueur à ce fallon , de même que M.
Pierre. La plus belle moitié du public a foupiré de
n'y rien voir de ce Peintre aimable , qui eft le fien ,
puifqu'il eft celui des graces & de la beauté. On
foupçonne que ces petits écrits furtifs , que l'envie
ou le befoin produifent contre le talent à chaque
expofition , en font la caufe fecrete . On craint
même que les autres artiftes du premier ordre
comme lui , ne fuivent fon exemple. Tous fe plaignent
, dit- on , que ces fatyres , quelques méprifables
qu'elles foient, font impreffion dans la province
, & y nuifent à leur gloire , comme à leur
intérêt . On voit bien que les Peintres ne font pas
aguerris ainfi que les auteurs. Il est vrai qu'ils
difent pour leurs raifons que les ouvrages de ces
derniers vont partout en même tems que leurs
critiques , & leur fervent de contre-poifon ; au
lieu que leurs tableaux reſtent dans les cabinets
de la capitale , & que les libelles qui les déchirent
, courent feuls la province. La crainte que
j'ai de nous voir privés par là des nouveaux tréfors
dont ces grands Maîtres peuvent nous enrichir
, m'oblige à leur répondre , pour les raffurer,
que la gravure vient à leur fecours . Elle devient
chaque jour fi parfaite , qu'on peut l'appeller une
traduction auffi fidelle qu'élégante de leurs ta
186, MERCURE DE FRANCE.
Le genie de M. Cochin fait pour les délices
de la nation , l'enchante fans l'étonner.
L'imagination & l'agrément animent
à la fois fon crayon & fon burin .
MM. Cars, Surugue , Le Bas , Tardieu ;
Dupuis, & autres artistes anffi diftingués par
leurs talens , ne laiffent rien à defirer
que
de nouvelles productions de leur part. M.
Guay fait revivre le gout antique dont fes
ouvrages ont toute la beauté. Il excelle
dans un art négligé depuis long-tems, mais
cultivé auparavant avec fuccès par ces
bleaux. Elle en rend l'efprit avec les traits ; les
eftampes que fon burin met au jour d'après leur
pinceau , fe répandent dans toute la France , &
font partout leur apologie. Ces Meffieurs m'objecteront
peut-être que leurs grands tableaux ne
font pas traduits , & que d'ailleurs il refte toujours
une partie effentielle fur laquelle ils ne
font pas juftifiés , qui eft la couleur que la gravure
ne peut jamais rendre. Mais pour y fuppléer
les Journaux publics avertiffent les provinces &
même les pays étrangers où ils parviennent , du
mépris qu'on doit faire de ces critiques informes,
& du difcrédit où elles font à Paris . Tous ces petits
faifeurs de brochures peuvent inquietter un
moment nos Appelles françois , ou leur faire
tout au plus une piquure paflagere ; mais ces infectes
n'exiftent qu'un Automne. Le premier
froid de Phyver les tue heureufement & nous en
délivre , tandis que les chefs - d'oeuvres qu'ils attaquent
font confacrés par les années , & durent
éternellement.
NOVEMBRE . 1755. 187
hommes rares qui confacroient leurs travaux
à immortalifer les traits d'un Cefar ,
d'un Trajan . Il en fait un auffi bel ufage
qu'eux. Il les confacre à retracer à la pofterité
ceux d'un Monarque auffi grand que
ces heros. Siecle heureux , où tout concourt
à la gloire des arts , où il fe trouve
des hommes qui les cultivent , des connoiffeurs
qui les aiment , un Mecene qui
les encourage , & un Prince qui les recompenſe
!
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Résumé : PEINTURE. Réflexions sommaires sur les ouvrages exposés au Louvre cette année.
En 1755, le Louvre a accueilli des expositions de peintures, sculptures et gravures, où les artistes cherchaient l'émulation et la reconnaissance des connaisseurs, valorisant les critiques constructives et les éloges mérités. Plusieurs artistes ont été particulièrement remarqués pour leurs œuvres. M. Restout a été loué pour son tableau représentant Jésus-Christ lavant les pieds des Apôtres. M. Carlo Vanloo a été admiré pour ses tableaux du Baptême de Saint Augustin et de Saint Augustin prêchant devant Valère. M. Jeaurat a été apprécié pour ses scènes de la vie populaire. M. Halle a été salué pour son tableau des Disciples d'Emmaüs. M. Vien a été reconnu pour son tableau de Saint Germain et Saint Vincent. M. Chardin a impressionné avec son imitation de bas-relief en bronze. Les portraits de M. Elvetius par Louis-Michel Vanloo, de Madame Henriette de France par Nattier, et de Madame de Pompadour par La Tour ont également été remarqués pour leur ressemblance et leur qualité. M. Bachelier a été félicité pour son tableau en cire représentant la fable du cheval et du loup. M. Vernet a été acclamé pour ses tableaux de vues maritimes et de tempêtes. En sculpture, les œuvres de M. Falconet et de M. Michel-Ange Slodtz ont été admirées. Le texte déplore l'absence de certaines figures emblématiques comme Boucher et Pigalle, attribuant cela à des critiques malveillantes. La gravure a été saluée pour sa capacité à diffuser les œuvres des peintres et à contrer les critiques provinciales. Enfin, le texte célèbre un siècle où les arts sont cultivés, aimés, encouragés et récompensés.
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69
p. 212-216
LETTRE à Madame de ***, sur une Fête donnée à Brest.
Début :
Je vous l'avois bien dit, Madame, avant de partir de Paris, que vous seriez [...]
Mots clefs :
Fête, Brest, Marquis de Constant, Navire, Fleurs, Colonnes, Décors, Baldaquins, Beauté, Buste du roi, Statues, Musique, Bal, Banquets
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE à Madame de ***, sur une Fête donnée à Brest.
LETTRE à Madame de *** ſur une
Fête donnée à Breft.
JE vous l'avois bien dit , Madame , avant de
partir de Paris , que vous feriez bientôt furieuſe
de n'avoir pas été de notre voyage , & je gage que
vous allez l'être. Me voilà arrivée à Brest. Vous
croyez peut- être que je vais vous parler de la mer,
& des préparatifs formidables que l'on fait dans
ce port contre les Anglois ? J'ai vraiment bien
d'autres merveilles à vous conter . Je fors d'un palais
des Fées , d'une maison de campagne fur l'eau :
j'y ai vu des jardins , des bois . Oh ! je voudrois
tout vous dire à la fois , ou plutôt je voudrois y
être encore. Laiffez -moi du moins vous donner
une idée des charmes d'une fête que les Graces
feules devroient décrire , & qu'un Général feul
de mer peut donner. M. le Marquis de Conflans
qui commande l'eſcadre qui eft en rade , vient
de donner cette fête en l'honneur de celle de
NOVEMBRE. 1756. 213
Roi. C'eft de fon vaiffeau que je fors : voilà le
château enchanté. Il y avoit invité toutes les
- femmes de cette ville , avec plufieurs étrangeres
voyageuses comme moi. Nous y fûmes toutes
avec lui dans une petite flotte de canots le plus
galamment équipés , & aufli leftes que nos cabriolets.
En vérité , ce font des magiciens que ces Meffieurs
les Marins : j'imaginois devoir entrer en
arrivant à bord du Soleil royal , dans une citadelle
de bois , hériffée de quatre - vingts canons , &
- c'eft fur le gazon d'abord que j'ai marché. Pai
levé les yeux pour appercevoir une girouette , j'étois
fous un lambri de feuillages émaillés de
fleurs ; enfin dans une allée de myrthes & de lauriers.
Le paffavant ( je vous prie de croire que
je fuis déja un peu marine ; & que j'en fçais les
termes ; je vous les expliquerai à mon retour ) ,
le paffavant donc étoit métamorphofé en cette
belle allée qui régnoit tout autour du vaiffeau ; &
- en faifoit une promenade délicieufe : les vents
ne fouffloient ce jour- là que pour répandre l'efprit
des fleurs dont tout le vaiffeau étoit paré.
L'intervalle qui fépare les deux paffavants , étoit
rempli par un plancher très- uni , & formoit un
fallon fpacieux. Ce fut dans ce fallon que j'entrai
enfuite trois de fes côtés étoient ornés de co-
-lonnes d'ifs dans l'ordre Ionique , entrelaffés de
gairlandes de fleurs ; leurs chapiteaux foutenoient
une galerie auffi militaire qu'elle étoit agréable
aux yeux par tous les trophées de Neptune &
de Mars , dont on l'avoit décorée : le fond du
fallon étoit terminé par un baldaquin de verdure
; on y voyoit le portrait du Roi peint de
grandeur naturelle , & appuyé fur une pouppe de
vaiffeau, Près de lui la Renommée lui préfentoit
214 MERCURE DE FRANCE.
d'une main des lauriers , fe foutenant de l'autre
fur l'épaule du Miniftre de la marine , indiqué par
La caffette des Sceaux : tout l'enſemble de ce tableau
repréfentoit très bien l'emblême de la
gloire que notre augufte Monarque vient d'acquérir
fur la mer.
-
Le Général enchanté des éloges que tout le
monde donnoit à cette maniere ingénieuſe de célébrer
les victoires du Roi & les fuccès de fa
marine triomphante même en renaiffant , nous
conduifit delà dans une autre falle auffi vafte ,
mais décorée différemment ; c'est le gaillard d'arriere
où nous étions ( je vous déroute furieufement
, Madame , par tous ces noms- là , mais
je vous l'ai promis , je vous les apprendrai tous ) :
elle étoit tendue de blanc , vous auriez dit d'une
mouffeline ; ce font leurs pavillons de fignaux.
Le grand mât du vaiffeau qui eft au milieu ,
& qui féparoit ces deux falles , étoit revêtu de
myrthes touffus , dans lefquels on avoit pratiqué
avec art une niche en verdure fleurie , où étoit
placé le bufte du Roi fur un piédeſtal élégamment
orné. Nous appellâmes ces deux falles , l'une
de Mars , & l'autre de l'Amour. Ce fut là qu'on
fervit un repas avec autant de magnificence que
de goût ; une table immenfe étoit couverte des
cryftaux les plus joliment imaginés du monde.
Je fçais bien , pour moi , que j'étois devant le
fiege de Mahon , & tout auprès d'une efcadre
Françoife , dont nos vaiffeaux défignés par de petits
pavillons de taffetas blanc , faifoient prefque
fortir à force de voiles , une troupe de pavillons
rouges qui s'enfuyoient devant eux.
Une bonne fymphonie , que l'on n'appercevoir
point , anima tout le dîner ; fur le foir on chanta
folemnellement un Te Deum en musique. Il fut
NOVEMBRE. 1756. 215
Tuivi d'une falve de moufqueterie & de canons, que
tirerent tous les vaiffeaux de la rade : mais de façon
à nous donner l'image d'un combat naval
fpectacle auffi gracieux à poudre feulement , qu'il
doit être terrible à boulets . Je l'ai donc vu auffi ,
Madame, & avec la même gaieté que je fus enfuite
au bal . Le foleil ne fe coucha point , ou celui
où nous étions prit fa place : mille bougies allumées
parmi les feuillages , furent les feux que jetta
le foleil royal & jamais illumination plus brillante
n'avoit éclairé un bal plus galant, ni mieux ordonné.
Les favoris d'Amphitrite vont fans doute dans
leurs voyages de temps en temps à Paphos ou à
Idalie . Ils ne font point du tout Loups de mer , &
j'apperçus dans nos allées de myrthes une foule de
jeunes marins , qui me fembloient conter leurs
peines , & s'y prendre comme à Paris : croyez
qu'ils fçavent galamment chanter leur Roi & leurs
maîtreffes. Lifez plutôt cette chanſon , ou chantez-
là : car je vous l'envoie notée . C'est une production
marine d'un des Officiers du vaiſſeau , &
une efquiffe de la fête , & de ma rélation aufli.
Mais je vais la finir pour ne pas achever de vous
défefpérer de n'être pas venue.
Le bal ne fut interrompu que par un ambigu
fervi avec une profufion & une délicateffe qui ne
laiffoient rien à défirer . Nous y fûmes d'une folie......
Les Dames de Breft furtout étoient d'une
gaieté charmante , & bien faites pour en infpirer,
bien dignes auffi de la fête que nous célébrions.
Elles n'aiment pas le Roi , elles en font amoureufes.
Nous y aurions paffé la nuit , fi les inftrumens
ne nous euffent rappellé dans la falle du bal, qui recommença
avec encore plus de vivacité & de plaifir
qu'auparavant. Je n'en fuis fortie qu'au jour . J'ai
fini par danſer la Mahon , & je ſuis revenye vîte
216 MERCURE DE FRANCE.
vous écrire au ſon des violons qui , j'imagine ,
frappent encore mes oreilles . Adieu , Madame. Je
pars au premier jour pour revenir vous voir. Que
je vais vous parler marine ! Ce fera le fruit de mes
voyages : mais vous qui les aimez fi peu , ne faites
pas de même au moins d'une voyageufe que vous
fçavez vous être attachée bien fincérement , toute
charmante & toute jolie que vous êtes.
Fête donnée à Breft.
JE vous l'avois bien dit , Madame , avant de
partir de Paris , que vous feriez bientôt furieuſe
de n'avoir pas été de notre voyage , & je gage que
vous allez l'être. Me voilà arrivée à Brest. Vous
croyez peut- être que je vais vous parler de la mer,
& des préparatifs formidables que l'on fait dans
ce port contre les Anglois ? J'ai vraiment bien
d'autres merveilles à vous conter . Je fors d'un palais
des Fées , d'une maison de campagne fur l'eau :
j'y ai vu des jardins , des bois . Oh ! je voudrois
tout vous dire à la fois , ou plutôt je voudrois y
être encore. Laiffez -moi du moins vous donner
une idée des charmes d'une fête que les Graces
feules devroient décrire , & qu'un Général feul
de mer peut donner. M. le Marquis de Conflans
qui commande l'eſcadre qui eft en rade , vient
de donner cette fête en l'honneur de celle de
NOVEMBRE. 1756. 213
Roi. C'eft de fon vaiffeau que je fors : voilà le
château enchanté. Il y avoit invité toutes les
- femmes de cette ville , avec plufieurs étrangeres
voyageuses comme moi. Nous y fûmes toutes
avec lui dans une petite flotte de canots le plus
galamment équipés , & aufli leftes que nos cabriolets.
En vérité , ce font des magiciens que ces Meffieurs
les Marins : j'imaginois devoir entrer en
arrivant à bord du Soleil royal , dans une citadelle
de bois , hériffée de quatre - vingts canons , &
- c'eft fur le gazon d'abord que j'ai marché. Pai
levé les yeux pour appercevoir une girouette , j'étois
fous un lambri de feuillages émaillés de
fleurs ; enfin dans une allée de myrthes & de lauriers.
Le paffavant ( je vous prie de croire que
je fuis déja un peu marine ; & que j'en fçais les
termes ; je vous les expliquerai à mon retour ) ,
le paffavant donc étoit métamorphofé en cette
belle allée qui régnoit tout autour du vaiffeau ; &
- en faifoit une promenade délicieufe : les vents
ne fouffloient ce jour- là que pour répandre l'efprit
des fleurs dont tout le vaiffeau étoit paré.
L'intervalle qui fépare les deux paffavants , étoit
rempli par un plancher très- uni , & formoit un
fallon fpacieux. Ce fut dans ce fallon que j'entrai
enfuite trois de fes côtés étoient ornés de co-
-lonnes d'ifs dans l'ordre Ionique , entrelaffés de
gairlandes de fleurs ; leurs chapiteaux foutenoient
une galerie auffi militaire qu'elle étoit agréable
aux yeux par tous les trophées de Neptune &
de Mars , dont on l'avoit décorée : le fond du
fallon étoit terminé par un baldaquin de verdure
; on y voyoit le portrait du Roi peint de
grandeur naturelle , & appuyé fur une pouppe de
vaiffeau, Près de lui la Renommée lui préfentoit
214 MERCURE DE FRANCE.
d'une main des lauriers , fe foutenant de l'autre
fur l'épaule du Miniftre de la marine , indiqué par
La caffette des Sceaux : tout l'enſemble de ce tableau
repréfentoit très bien l'emblême de la
gloire que notre augufte Monarque vient d'acquérir
fur la mer.
-
Le Général enchanté des éloges que tout le
monde donnoit à cette maniere ingénieuſe de célébrer
les victoires du Roi & les fuccès de fa
marine triomphante même en renaiffant , nous
conduifit delà dans une autre falle auffi vafte ,
mais décorée différemment ; c'est le gaillard d'arriere
où nous étions ( je vous déroute furieufement
, Madame , par tous ces noms- là , mais
je vous l'ai promis , je vous les apprendrai tous ) :
elle étoit tendue de blanc , vous auriez dit d'une
mouffeline ; ce font leurs pavillons de fignaux.
Le grand mât du vaiffeau qui eft au milieu ,
& qui féparoit ces deux falles , étoit revêtu de
myrthes touffus , dans lefquels on avoit pratiqué
avec art une niche en verdure fleurie , où étoit
placé le bufte du Roi fur un piédeſtal élégamment
orné. Nous appellâmes ces deux falles , l'une
de Mars , & l'autre de l'Amour. Ce fut là qu'on
fervit un repas avec autant de magnificence que
de goût ; une table immenfe étoit couverte des
cryftaux les plus joliment imaginés du monde.
Je fçais bien , pour moi , que j'étois devant le
fiege de Mahon , & tout auprès d'une efcadre
Françoife , dont nos vaiffeaux défignés par de petits
pavillons de taffetas blanc , faifoient prefque
fortir à force de voiles , une troupe de pavillons
rouges qui s'enfuyoient devant eux.
Une bonne fymphonie , que l'on n'appercevoir
point , anima tout le dîner ; fur le foir on chanta
folemnellement un Te Deum en musique. Il fut
NOVEMBRE. 1756. 215
Tuivi d'une falve de moufqueterie & de canons, que
tirerent tous les vaiffeaux de la rade : mais de façon
à nous donner l'image d'un combat naval
fpectacle auffi gracieux à poudre feulement , qu'il
doit être terrible à boulets . Je l'ai donc vu auffi ,
Madame, & avec la même gaieté que je fus enfuite
au bal . Le foleil ne fe coucha point , ou celui
où nous étions prit fa place : mille bougies allumées
parmi les feuillages , furent les feux que jetta
le foleil royal & jamais illumination plus brillante
n'avoit éclairé un bal plus galant, ni mieux ordonné.
Les favoris d'Amphitrite vont fans doute dans
leurs voyages de temps en temps à Paphos ou à
Idalie . Ils ne font point du tout Loups de mer , &
j'apperçus dans nos allées de myrthes une foule de
jeunes marins , qui me fembloient conter leurs
peines , & s'y prendre comme à Paris : croyez
qu'ils fçavent galamment chanter leur Roi & leurs
maîtreffes. Lifez plutôt cette chanſon , ou chantez-
là : car je vous l'envoie notée . C'est une production
marine d'un des Officiers du vaiſſeau , &
une efquiffe de la fête , & de ma rélation aufli.
Mais je vais la finir pour ne pas achever de vous
défefpérer de n'être pas venue.
Le bal ne fut interrompu que par un ambigu
fervi avec une profufion & une délicateffe qui ne
laiffoient rien à défirer . Nous y fûmes d'une folie......
Les Dames de Breft furtout étoient d'une
gaieté charmante , & bien faites pour en infpirer,
bien dignes auffi de la fête que nous célébrions.
Elles n'aiment pas le Roi , elles en font amoureufes.
Nous y aurions paffé la nuit , fi les inftrumens
ne nous euffent rappellé dans la falle du bal, qui recommença
avec encore plus de vivacité & de plaifir
qu'auparavant. Je n'en fuis fortie qu'au jour . J'ai
fini par danſer la Mahon , & je ſuis revenye vîte
216 MERCURE DE FRANCE.
vous écrire au ſon des violons qui , j'imagine ,
frappent encore mes oreilles . Adieu , Madame. Je
pars au premier jour pour revenir vous voir. Que
je vais vous parler marine ! Ce fera le fruit de mes
voyages : mais vous qui les aimez fi peu , ne faites
pas de même au moins d'une voyageufe que vous
fçavez vous être attachée bien fincérement , toute
charmante & toute jolie que vous êtes.
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Résumé : LETTRE à Madame de ***, sur une Fête donnée à Brest.
La lettre relate une fête somptueuse organisée par le Marquis de Conflans à Brest, à bord de son vaisseau, en novembre 1756, en l'honneur des victoires du Roi. L'auteure, après avoir voyagé à Brest, met en avant les merveilles observées plutôt que les préparatifs militaires contre les Anglais. Le vaisseau, transformé en palais enchanté, accueillait des femmes de la ville et des étrangères, transportées en canots élégamment équipés. Les invités découvraient un décor enchanteur avec des jardins, des bois et des allées de myrtes et de lauriers. Le pont principal, métamorphosé en promenade délicieuse, était paré de fleurs et de verdure. Un salon spacieux, orné de colonnes et de trophées, abritait un portrait du Roi et des symboles de la gloire maritime. La fête se poursuivait dans une autre salle, tendue de blanc, où un repas somptueux a été servi. Une symphonie et un Te Deum animaient le dîner, suivi d'une salve de mousqueterie et de canons imitant un combat naval. La soirée se concluait par un bal illuminé par des bougies, avec des marins chantant des chansons en l'honneur du Roi et de leurs maîtresses. Les dames de Brest, particulièrement gaies et charmantes, participaient avec enthousiasme à la fête, qui se prolongeait jusqu'au matin.
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70
p. 212
AUTRE.
Début :
Les sieurs Stoucrad & compagnie, ci-devant logés dans la maison de M. Titon, [...]
Mots clefs :
Toiles, Imitation d'étoffes, Tapisserie, Solidité, Beauté
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AUTRE.
AUTRE.
Les fieurs Stoucrad & compagnie , ci- devant
logés dans la maifon de M. Titon , rue Montreuil,
continuent la fabrique des toiles dorées & argentées
à deffein , imitant les étoffes riches de France
, des Indes , de la Chine , & les damas de toutes
fortes de couleurs. Ces toiles font très-propres
pour tapiffer des antichambres , falles à manger ,
garde- robes & cabinets ; on en fait des paravents
& des écrans leur éclat eft auffi brillant , que
leur folidité reconnue. Nous pouvons l'attefter
par expérience. Il demeure rue de Charenton , à
l'hôtel de Gournay , la derniere porte cochere à
gauche , en entrant par la porte Saint Antoine.
Les fieurs Stoucrad & compagnie , ci- devant
logés dans la maifon de M. Titon , rue Montreuil,
continuent la fabrique des toiles dorées & argentées
à deffein , imitant les étoffes riches de France
, des Indes , de la Chine , & les damas de toutes
fortes de couleurs. Ces toiles font très-propres
pour tapiffer des antichambres , falles à manger ,
garde- robes & cabinets ; on en fait des paravents
& des écrans leur éclat eft auffi brillant , que
leur folidité reconnue. Nous pouvons l'attefter
par expérience. Il demeure rue de Charenton , à
l'hôtel de Gournay , la derniere porte cochere à
gauche , en entrant par la porte Saint Antoine.
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Résumé : AUTRE.
Stoucrad & compagnie fabrique des toiles dorées et argentées à Deffein, imitant les étoffes riches de France, des Indes et de la Chine, ainsi que les damas colorés. Ces toiles tapissent des antichambres, salles à manger, garde-robes et cabinets, et servent aussi pour des paravents et écrans. La société garantit la brillance et la solidité de ses produits. Elle est située rue de Charenton, à l'hôtel de Gournay, accessible par la dernière porte cochère à gauche en entrant par la porte Saint-Antoine.
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71
p. 257-258
GRAVURE.
Début :
Nous annonçâmes en 1758, deux estampes gravées par M. Gaillard, d'après M. Boucher, [...]
Mots clefs :
Estampes, Grâce, Beauté, Tableaux, Plaisir, Nouveautés
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : GRAVURE.
GRAVURE.
Nous annonçâmes en 1758 , deux eftampest
gravées par M. Gaillard , d'après M. Boucher ,
& qui ont pour titre , les amansfurpris , & l'agréa
ble leçon. Le gracieux de ces eftampes , ayant
parfaitement imité la beauté des tableaux , le
Public a marqué combien elles lui faifoient de
258 MERCURE DE FRANCE.
plaifir , par le prompt débit qui s'en eft fait . Ainfi
on a lieu d'efpérer , qu'il recevra avec le même
agrément deux autres nouvelles Eftampes , gravées
par la même main , d'après le mêine grand
Peintre , & de la forme des précédentes . Elles ont
pour titre , le Berger récompenfé , & le Panier
mystérieux.
Elles fe vendent chez l'Auteur , rue S. Jacques ,
au-deilus des Jacobins , entre un Perruquier &
une Lingére.
Nous annonçâmes en 1758 , deux eftampest
gravées par M. Gaillard , d'après M. Boucher ,
& qui ont pour titre , les amansfurpris , & l'agréa
ble leçon. Le gracieux de ces eftampes , ayant
parfaitement imité la beauté des tableaux , le
Public a marqué combien elles lui faifoient de
258 MERCURE DE FRANCE.
plaifir , par le prompt débit qui s'en eft fait . Ainfi
on a lieu d'efpérer , qu'il recevra avec le même
agrément deux autres nouvelles Eftampes , gravées
par la même main , d'après le mêine grand
Peintre , & de la forme des précédentes . Elles ont
pour titre , le Berger récompenfé , & le Panier
mystérieux.
Elles fe vendent chez l'Auteur , rue S. Jacques ,
au-deilus des Jacobins , entre un Perruquier &
une Lingére.
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Résumé : GRAVURE.
En 1758, M. Gaillard publie deux gravures inspirées par Boucher : 'Les amants surpris' et 'L'agréable leçon'. Leur succès commercial est rapide. Deux autres gravures, 'Le Berger récompensé' et 'Le Panier mystérieux', sont annoncées. Elles sont disponibles chez l'auteur, rue Saint-Jacques, entre un perruquier et une lingère.
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72
p. 206
« Le sieur Sire Jacob donne avis au Publix, que son père, Indien de Nation, lui a laissé, [...] »
Début :
Le sieur Sire Jacob donne avis au Publix, que son père, Indien de Nation, lui a laissé, [...]
Mots clefs :
Indien, Carmin des Indes, Brillance, Beauté, Peinture
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texteReconnaissance textuelle : « Le sieur Sire Jacob donne avis au Publix, que son père, Indien de Nation, lui a laissé, [...] »
Le fieur Sire Jacob donne avis au Public , que
fon père , Indien de Nation , lui a laiffé , avant que
de mourir , le fecret du parfait Carmin des Indes,
qa'il vient de mettre au jour , & après l'avoir fait
examiner par MM . de l'Académie Royale des
Peintres ; MM . Aved & Chardin de la fufdite Académie
, lui ont dit , qu'il n'y avoit rien de plus
beau & de plus brillant que fon Carmin , & qu'ils
lui permettoient , non feulement de citer leurs
noms , dans tous les billets qu'il diftribuera ;
mais même dans tout ce qu'il jugereit à propos.
Il fait auffi le rouge le plus parfait à l'ufage des
Dames ; comme auffi l'Opiat & le Corail , à l'épine
vinette, pour les dents . Le fieur Sire Jacob demeure
place du Puits d'Amour , chez le fieur Selle , marchand
Teinturier , rue la grande Truanderie , & fa
boutique eft au jardin du Palais Royal , vis-à-vis
le Caffé de Foi .
fon père , Indien de Nation , lui a laiffé , avant que
de mourir , le fecret du parfait Carmin des Indes,
qa'il vient de mettre au jour , & après l'avoir fait
examiner par MM . de l'Académie Royale des
Peintres ; MM . Aved & Chardin de la fufdite Académie
, lui ont dit , qu'il n'y avoit rien de plus
beau & de plus brillant que fon Carmin , & qu'ils
lui permettoient , non feulement de citer leurs
noms , dans tous les billets qu'il diftribuera ;
mais même dans tout ce qu'il jugereit à propos.
Il fait auffi le rouge le plus parfait à l'ufage des
Dames ; comme auffi l'Opiat & le Corail , à l'épine
vinette, pour les dents . Le fieur Sire Jacob demeure
place du Puits d'Amour , chez le fieur Selle , marchand
Teinturier , rue la grande Truanderie , & fa
boutique eft au jardin du Palais Royal , vis-à-vis
le Caffé de Foi .
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Résumé : « Le sieur Sire Jacob donne avis au Publix, que son père, Indien de Nation, lui a laissé, [...] »
Le sieur Sire Jacob a hérité de son père le secret du parfait carmin des Indes, approuvé par MM. Aved et Chardin. Il fabrique également un rouge pour dames, de l'opiat et du corail à l'épine vinette. Il réside place du Puits d'Amour et sa boutique est au jardin du Palais Royal.
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73
p. 210-211
« Le sieur Beauvarlet, Graveur, rue S. Jacques, vis-à-vis celle des Mathurins, vient de mettre au jour deux [...] »
Début :
Le sieur Beauvarlet, Graveur, rue S. Jacques, vis-à-vis celle des Mathurins, vient de mettre au jour deux [...]
Mots clefs :
Graveur, Estampes, Artiste, Talents, Tableau, Beauté, Morceaux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Le sieur Beauvarlet, Graveur, rue S. Jacques, vis-à-vis celle des Mathurins, vient de mettre au jour deux [...] »
Le Geur BEAUVARLET , Graveur, rue S. Jacques,
vis- à - vis celle des Mathurins , vient de mettre
au jour deux Eftampes qui justifient les grandes
efpérances que ce jeune Artie , plein de feu &.
d'émulation , a déja fait concevoir de les talens .
L'une eft intitulée Action métamorphofé en Cerf,
elle elt dédiée à M. le Cote de Coigny , gra-,
vée de même grandeur que le Tableau , dont les
figures font peintes par Rothenhames , & le
Paysage par Benghel de Velours . L'autre eft
un Colin-Maillard, qui fait le pendant à la baf
cule , qui eft aujou depuis quelque temps. Cerie.
Etampe eft des plus he reufes pour la compofition,
Le Graveur a fçu conferver la fraîcheur &
la touche du pinceau ; leafemble eft , on ne peut,
plus agréable . Noas ofons préfumer que les Con
noilleurs ne pourront qu'en admirer le faire ,
tout à la fois favant & gracieux. Tel eft l'effet
AOUST. 1760. 211
4
que produit celle qui a pour titre , Adéon métamorphofé
en Cerf : plus on la regarde , plus elle
plait , plus elle fatisfait , tant par le précieux que
par le fini.
Nous croyons devoir avertir le Public , que le
même Artiſte a entrepris quatre grands morceaux
d'après Luc Jourdans : il eft après le premier, dont
le fujet eft L'enlevement des Sabines . Quand il
l'aura fini & mis au jour , il propofera les trois
autres par foufcription . Il a cru devoir en agir
ainfi , afin de mettre les Amateurs, à portée de fe
décider plus fûrement. Ceux qui defireroient voir
les admirables Tableaux dont il s'agit , peuvent
fe fatisfaire en allant chez le fieur Beauvarlet ,
qui fe fait un plaifir de les faire voir.
vis- à - vis celle des Mathurins , vient de mettre
au jour deux Eftampes qui justifient les grandes
efpérances que ce jeune Artie , plein de feu &.
d'émulation , a déja fait concevoir de les talens .
L'une eft intitulée Action métamorphofé en Cerf,
elle elt dédiée à M. le Cote de Coigny , gra-,
vée de même grandeur que le Tableau , dont les
figures font peintes par Rothenhames , & le
Paysage par Benghel de Velours . L'autre eft
un Colin-Maillard, qui fait le pendant à la baf
cule , qui eft aujou depuis quelque temps. Cerie.
Etampe eft des plus he reufes pour la compofition,
Le Graveur a fçu conferver la fraîcheur &
la touche du pinceau ; leafemble eft , on ne peut,
plus agréable . Noas ofons préfumer que les Con
noilleurs ne pourront qu'en admirer le faire ,
tout à la fois favant & gracieux. Tel eft l'effet
AOUST. 1760. 211
4
que produit celle qui a pour titre , Adéon métamorphofé
en Cerf : plus on la regarde , plus elle
plait , plus elle fatisfait , tant par le précieux que
par le fini.
Nous croyons devoir avertir le Public , que le
même Artiſte a entrepris quatre grands morceaux
d'après Luc Jourdans : il eft après le premier, dont
le fujet eft L'enlevement des Sabines . Quand il
l'aura fini & mis au jour , il propofera les trois
autres par foufcription . Il a cru devoir en agir
ainfi , afin de mettre les Amateurs, à portée de fe
décider plus fûrement. Ceux qui defireroient voir
les admirables Tableaux dont il s'agit , peuvent
fe fatisfaire en allant chez le fieur Beauvarlet ,
qui fe fait un plaifir de les faire voir.
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Résumé : « Le sieur Beauvarlet, Graveur, rue S. Jacques, vis-à-vis celle des Mathurins, vient de mettre au jour deux [...] »
Le graveur Geur Beauvarlet, résidant rue Saint-Jacques, a récemment publié deux estampes. La première, 'Action métamorphosé en Cerf', dédiée à M. le Comte de Coigny, reproduit un tableau avec des figures peintes par Rothenhames et un paysage par Benghel de Velours. La seconde, 'Colin-Maillard', est appréciée pour sa composition, sa fraîcheur et sa touche. En août 1760, 'Action métamorphosé en Cerf' est saluée pour son attrait croissant, sa précision et son fini. Beauvarlet travaille également sur quatre grandes œuvres d'après Luc Jourdans, dont la première, 'L'enlèvement des Sabines', est en cours. Les trois autres seront proposées par souscription. Les tableaux originaux peuvent être consultés chez le sieur Beauvarlet.
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74
p. 187-203
Suite de la Relation de tout ce qui s'est passé depuis.
Début :
L'Opera que l'on représenta, est composé de trois Actes ; il est intitulé [...]
Mots clefs :
Opéra, Amour, Hymen, Dieux, Querelles, Humanité, Destin, Campagne, Mer, Nymphe, Conseils, Magnificence, Enchantements, Merveilles, Fête, Noblesse, Ministres étrangers, Comte, Dîner, Marquis, Cérémonie, Mariage, Escadrons, Église, Décorations, Cortège, Ornements, Argent, Or, Étoffes, Arcades, Nef, Lumières, Sanctuaire, Hallebardiers, Chevaux, Capitaine, Carosse, Anneaux, Salle, Repas, Plats, Palais, Union, Temple, Jardins, Colonnes, Pyramides, Beauté, Clémence, Fécondité, Douceur, Figures, Dignité, Intelligence, Fontaines, Illuminations, Feu d'artifice, Guirlandes, Fleurs, Bal, Archiduchesse, Officiers, Chevaliers
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Suite de la Relation de tout ce qui s'est passé depuis.
Suite de la Relation de tout ce qui s'eft
paffé depuis.
L'Opera que l'on repréſenta , eft compofé de
trois Actes ; il eft intitulé les Fétes de L'Hymen
pour les nôces de LL. AA. RR. &c. il eft précédé
d'un Prologue.
Ce Prologue , qui a pour Titre le Triomphe de
PAmour , eft une querelle que les Dieux font à
l'Amour , fur les maux qu'il ne ceffe de faire
aux hommes . L'Amour convient de toutes ces
fauces, & obtient fon pardon en faveur de l'Union ,
qu'il vient de faire de la vertu & de la beauté,
188 MERCURE DE FRANCE.
Les fajets des trois Actes qui compofent l'Opéra
font féparés. C'est une licence que l'on a cru
devoir prendre à caufe du merveilleux & de la
galanterie qu'apportent avec eux des fujers fabuleux
& variés , qui femblent mieux convenir à la
Fête qu'on a célébrée .
L'Acte d'Aris eft le premier. L'Amour par ordre
du Deftin , ceffe d'être aveugle ; il jette fes premiers
regards fur Iris , & en devient amoureux ;
Iris le prend pour le Zéphire ; mais revenue de
fon erreur, elle en devient éprife , diffipe les nuages
qu'Aquilon jaloux lui oppofe fans ceffe , &
sunit à l'Amour pour rendre au monde les jours
les plus beaux & les plus fereins.
Le fecond Acte , eft celui de Sapho . Le Poëte
a feint cette dixiéme Muſe , amoureufe d'Alcée
celèbre Poëte Lyrique natif de Lesbos : il a
feint aufli Doris , fils de Neptune , amant de Sapho
, qui fe voyant préferer fon rival , a recours
a fon pére , & le prie de le vanger par la mort
de l'un & de l'autre. Neptune écoute les voeux
de fon fiis ; & par le fecours d'Eole , & des vents
fouléve tellement les eaux , que les habitans de
la campagne craignent d'ètre fubmergés : 1
paroît lui-même fur une vague qui s'élève beaucoup
au defius des autres ; menace de tour
inonder , fi dans une heure , Sapho n'eft pas fenible
à l'amour de fon fils il rentre dans le fein
de la mer , qui continue dans la plus grande
agitation .
Sapho invoque Apollon , & l'Amour. Une
Lyre defcend du Ciel attachée à des guirlandes
de fleurs ; un arc s'élève dans la Mer à l'endroit
où elle doit avoir fes bornes , & les lui marque
pour l'avenir.
Sapho prend la Lyre : à mesure qu'elle chante
les prodiges opérés par Apollon , & l'Amour ;
OCTOBRE. 1760. 189
la Mer fe calme & fe retire au lieu où elle
étoit avant le débordement ; remplie des infpirations
divines , & de l'enthousiasme poétique ,
elle voit dans l'avenir la fuitte nombreufe des
héros , dont elle doit célébrer l'alliance , annonce
le bonheur dont l'Univers doit jouir ; & par fon
mariage avec Alcée , accomplit le triomphe de
l'harmonie , & de l'amour.
Le troifiéme Acte eft intitulé Eglé. Cette Nymphe
eft amoureufe de Chromis ; Alcée fa compagne
l'eft de Lincée .Elles fe plaifent enſemble
à faire foupirer leurs Amants , en leur cachant
leur tendreffe ; enfin Eglé dit à Chromis qu'elle
l'aimera , lorfqu'elle verra les eaux d'un torrent
enchaînées ; Alcée promet à Lincée de l'aimer
quand Eglé aimera Chromis.
Ces deux jeunes Faunes , déſeſpérés , fe confultent
enſemble , & vont trouver Silene pour qu'il
les aide de fes confeils . Ce vieillard leur demande
où ils ont laillé Eglé & Alcée ; ils répondent
qu'elles font à cueillir des mûres pour lui
teindre le vifage, lorfqu'elles le trouveront endormi
. Silene confole les deux Faunes, leur ordonne
de ſe retirer , leur promet de les fervir , & fe
met fur un lit de gazon où il feint de dormir
en attendant les deux Nymphes. Elles arrivent
avec des guirlandes de fleurs , en enchaînent Si-
Lene qu'elles croyent endormi ; elles le pouffents
il feint de s'éveiller & montre de la colere :
mais bien-tôt après il leur conte la fable d'Acis
& Galatée. Au milieu de cette fable , il s'arrête
comme infpiré , & leur conſeille d'aller trouver
Prothée , de le furprendre endormi , & de l'enchaîner
fans s'épouvanter des différentes formes
qu'il prendra , parce qu'à la fin il parlera , & leur
apprendra des chofes merveilleules.
Elles remercient Silene , & le quittent pour al190
MERCURE DE FRANCE:
ler chercher Prothée ; Chromis & Lincée les accoma
pagnent. Elles le furprennent , l'enchaînent , &
ferrent toujours plus fes liens , à mesure qu'il change
de forme ; il fe change enfin en un Torrent
qui refte immobile : toutes les Nymphes admirent
ce prodige . Silene arrive , rapelle à Eglé le ferment
qu'elle a fait d'être à Chromis lorſqu'elle
verra enchaîner un torrent ; Eglé confent à être
unie à Chromis , & Alcée tient auffi fa parole à
Lincée ; les Faunes & les Nymphes applaudiffent
à cette union,& Silene; au lieu de finir la fable qu'il
fe fouvient d'avoir commencée , ordonne aux Faunes,
& aux Nymphes, de célébrer cet heureux jour,
en repréfentant par leurs danfes , les amours
d'Acis , & Galatée.
L'Italie a vû dans cette occafion renaître fur la
fcène les enchantemens , & la nouveauté de ce
fpectacle digne de l'admiration des étrangers , par
la magnificence , la vérité , & le bon goût qui eft
diftribué dans l'exécution de toutes ces parties. Les
machines employées aux différens prodiges amenés
par le Sujet , ont eu le plus grand fuccès ;
& le Théâtre actuellement difpofé par les machines
à recevoir tout ce que l'imagination peut fournir
de plus merveilleux , retracera chaque fois le
fouvenir de la fête pour laquelle il fert la premiere
fois.
Après l'Opéra l'Infant & Madame Infante Iſabelle,
furent à l'hôtel Palavicini où M. le Prince de
Lichtenſtein avoit fait préparer une Fête, à laquelle
toute la Nobleſſe fut invitée ; plufieurs tables furent
abondamment ſervies , ainſi que quantité de
rafraîchiffemens. On y danſa juſqu'au matin.
1
Le lendemain, M. le Prince de Lichtenſtein donna
un fuperbe dîner à tous les Miniftres étrangers ,
& à la Nobleffe la plus confidérable de l'Etat , &
Etrangere . Le foir il y eut Opéra.
OCTOBRE. 1760. Iol
Le Vendredi cinq , M. le Comte de Rochechouart
donna un grand dîner à M. le Prince de
Lichtenſtein & aux mêmes perfonnes qui avoient
dîné chez lui la veille . Il y eut Opéra le foir.
Le Samedi fix , M. de Lichtenſtein le Prince
dîna chez M. le Marquis de Revilla . Il y eut le foir
affemblée au Palais.
Le Dimanche ſept, jour fixé pour la Cérémonie
du Mariage , les Troupes prirent les Armes dès le
matin ; deux bataillons du Régiment de Parme &
quatorze Compagnies de Grenadiers borderent
les rues par où le Cortége devoit paffer.
Six cens Carabiniers formèrent quatre eſcadrons
fur la place , deux defquelles y retterent , jufques
après que le cortége y eut paffé ; les deux autres
furent repartis pour fermer toutes les rues qui
viennent aboutir à celles par où les Princes pafferent:
chaque troupe étoit formée fur deux rangs ,
à trente pas derriere l'Infanterie qui occupoit le
débouché de la rue.
" L'Eglife Cathédrale , où fe fit la cérémonie ,
étoit magnifiquement décorée. Les Peintures du
Corrége , & des autres excellents Maîtres dont ce
vafte Edifice fe trouve orné dans les voutes , &
dans les frifes , donnant des bornes à la richeffe
de la décoration projettée pour cette Augufte cérémonie
; on fut obligé de fe contenter d'orner
les pilaftres , les arcades , & les baffes nefs de damas
cramoifi à fleurs , enrichis de grandes lames
d'étoffes d'argent , de deux pieds de large; lefquelles
interrompoient fymétriquenient , d'espace
en efpace, le cours du damas d'une maniere agréable
& gracieufe; les impoftes fur lesquelles repofent
les arcades , étoient entourées d'une riche
pente du même damas , pliffée & terminée par
une frange d'or , ainfi que les rideaux qui ornoient
le dedans des arcades , & qui étoient retrouffés
192 MERCURE DE FRANCE.
vers l'impofte , pour donner lieu de découvrir la
décoration des chapelles , & des nefs laterales . Aux
deux côtés de la porte de lagrande nef étoient deur
orcheftres , parées dans le même goût que le refte
de l'Eglife : elles étoient remplies de trente Muficiens
que l'on avoit fait venir pour jouer des
fanfares , depuis le moment où les Princes defcen➡
dirent de carolles , juſqu'a celui où ils furent entrés
dans le fanctuaire ; les deux tribunes qui fe'
trouvent près du Maître Autel , étoient remplies
des Muficiens de la Chambre de S. A. R. qui exé-'
cuterent fupérieurement d'excellentes fymphonies
à deux choeurs.
Le Maître-Autel , beaucoup plus étendu qu'à
l'ordinaire , le trouvoit richement paré d'étoffe
d'or , & couvert d'une quantité de lumieres . Du
côté de l'Evangile , étoit le dais de S. A. R. du
côté de l'Epitre , étoit la Cathetra , deftinée pour
l'Evêque de Plaifance , qui devoit faire la cérémonie.
Au milieu du Sanctuaire , qui étoit couvert de
tapis de la Savonerie , étoit un prie- Dieu , cou-'
vert d'un grand tapis de velours cramoihi galonné
d'or , ainfi que trois couffins , qui étoient pofés
au bas.
Les latereaux du Sanctuaire , furent remplis
par un nombre infini de Nobleffe. Aux deux côtés ,
en face du Maître - Autel , étoient deux grands parquets
décorés dans la même ordonnance de l'Eglife
, l'un defquels étoit deftiné pour tous les
Miniftres Etrangers , l'autre pour les Dames de
la premiere diftinction .
Le Sanctuaire étoit gardé par les Gardes du
Corps de S. A. R. le veftibule du Sanctuaire ainfi
que les degrés qui defcendent à la grande nef
& toute cette nef jufqu'à la porte de l'Eglife
étoir bordée par la garde des Hallebardiers
Royaux. M.
OCTOBRE. 1760.
M.Je Prince de Lichtenſtein partit à 11 heures de
195
l'Hôtel Palavicini où il étoit logé pour le rendre à
la Cathédrale,fon cortége marchoit dans le même
ordre que le jour de fon Audience publique ; il fut
reçu à la porte de L'Eglife par le Chapitre qui le
complimenta. Sa Livrée entra dans la nef du milieu
& fe rangea des deux côtés devant les Hailebardiers
Royaux.
Pendant ce tems- là le cortége de la Cour s'étoit
mis en mrcche dans l'ordre fuivant.
Quarante Hallebardiers Royaux ouvroient la
marche ; la mufique de cette Compagnie étoit à
la tête.
Le Commandant de l'Ecurie & deux Officiers
de l'Ecurie à cheval , quatre Palfreniers les fuivoient
à pied .
I caroffe à fix chevaux pour le Maître des
Cérémonies & trois
Majordomes.
I caroffe à fix chevaux , quatre Gentilshommes
de la Chambre.
I caroffe à fix chevaux, quatre Dames du Palais.
I caroffe à fix chevaux , quatre Dames du Palais.
I caroffe àfix chevaux , quatre
Gentilshommes
de la Chambre.
I caroffe à 8 chevaux. Le Gentilhomme de la
Chambre de fervice à l'Infant.
Le premier Ecuyer , le Majordome de ſervice.
I caroffe à huit chevaux . Le ſervice de Madame
Infante Ifabelle.
Les trompettes & timballes des Gardes du
Corps , avec feize Gardes.
1 caroffe à huit chevaux , l'Infant.
Le Capitaine des Gardes , le Grand Ecuyer.
I caroffe à 8 chevaux ,¡Madame InfanteÏfabelle,
Madame de Gonzales , Madame de Siſſa .
La Compagnie des Gardes du Corps ayant à
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
leur tête le Lieutenant , l'Enſeigne , & huic
Exempts.
2 caroffes de refpect vuidės , attelés à 8 chevaux.
I caroffe à fix chevaux , quatre Gentilshommes
de la Chambre.
Tous les Pages marchoient à pied aux deux côtés
des caroffes des Princes .
On arriva dans cet ordre à la porte de l'Eglife :
on marchoit lentement pour donner aux perfonnes
qui étoient dans les caroffes qui précédoient
ceux des Princes , le temps de defcendre .
M.le Prince de Lichtenſtein attendoit à la porte
de l'Eglife.
Pendant que l'Infant defcendoit de fon carolle,
Le Maître desCérémonies fut prendre M.le Prince
Liechtenſtein & le conduifit à la portiere du caroffe
de Madame Infantelfabelle . L'Infant s'en aprocha
auffi & reçut la main droite de Madame fa fille en
defcendant du caroffe;M. le Prince reçur la main
gauche.
Ils marcherent ainfi jufqu'au prie- Dieu qui fe
trouvoit dans le Sanctuaire en face du Maître-
Autel , où ils fe mirent à genoux fur les couffins
qui étoient au bas de ce prie- Dieu. L'Infant occupa
celui de la droite ; Madame Ifabelle celui
du milieu ; M. de Lichtenſtein celui de la gauche.
Ils fe leverent un moment après , & s'approcherent
des degrés de l'Autel ; l'Evêque déranda
à M. le Prince s'il avoit le pouvoir d'épouler Mae
InfanteIfabelle, au nom de l'Archiduc Jofeph ; fes
Pouvoirs furent lus à haute voix par un Secretaire
impérial , après quoi le Chancelier de l'Evêché
lutauffi à haute voix la Difpenfe du Pape .
Le refte de la Cérémonie fut exécutée ſuivant le
Rituel ordinaire de l'Eglife , excepté que l'anneau
fut préfenté à Madame l'Archiduchelle par M. le
Prince de Lichtenftein , fur une foucoupe , & qu'elle
le mit elle-même à fon doigt.
OCTOBRE. 1760.
195
Après cette cérémonie , Madame l'Archiducheffe
retourna au Pri - Dieu , ayant toujours M.
de Lichtenſtein à la gauche. Après une courte
priere , les Princes fe remirent en marche pour
fortir de l'Eglife dans le même ordre qu'ils y
étoient entrés ; l'Infant & M. de Lichtenttein
donnerent la main à Madaine
l'Archiducheffe
pour monter dans fon carolle , l'Infant monta
dans le fien , & M. le Prince fut joindre les
équipages qui l'attendoient à une des portes latérales
de l'Eglife.
l'on
On le mit en marche pour retourner au Palais
par un chemin plus long que celui
avoit fait en venant du Palais à la Cathédrale
que
afin que tout le Peuple , & une quantité prodigieufe
d'Etrangers qui s'étoient rendus à Parme
pullent voir la magnificence , de cette marche.
Le Cortége de M. le Prince de Lichtenſtein
précédoit celui de la Cour , de 60 ou 80 pas . Les
Troupes qui bordoient les rues lui préfenterent
les armes , les tambours rappelloient , & les
Officiers le faluerent du chapeau .
Pendant l'efpace qui étoit entre le caroffe de
M. de Lichtenftein & celui de l'Infant , l'Infanterie
mit la bayonnette au bout du fufl. Lorsqu'ils
pafferent , on préſenta les armes , les tambours
battirent au champ , & les Officiers faluerent de
l'eſponton .
M. de Lichtenſtein defcendit à la porte du Palais
pour y attendre Madame l'Archiducheſſe ;
l'Infant aufuôt arrivé defcendit de fon caroffe ,
& s'avança à la portiere de celui de Madame
l'Archiducheffe fa fille pour lui donner la main.
Elle fut conduite à ſon
appartement par l'Infant
& M. de Lichtenftein toujours dans l'ordre
obfervé
précédemment , c'eft à dire l'Infant à
fa droite , & M. de Lichtenſtein à la gauche ;
I j
196 MERCURE DE FRANCE.
yne quantité prodigieufe de Nobleffe rem pliffoit
le Palais .
S. A. R. l'Infant fe retira dans fon appartement
, après avoir reſté un moment dans celui
de la fille ; qui , après que l'Infant fut retiré
donna fa main à baifer à tous les Sujets de la
Maifon d'Autriche qui fe trouverent préfens.
L'heure du repas étant arrivée , le Maître des
Cérémonies fut avertir l'Infant , & marcha devant
lui jufques à l'appartement de Madame
l'Archiducheffe , où S. A. R. s'étoit propofée de
l'aller prendre pour la conduire à la table de
nôces.
2
Cette table étoit préparée dans la falle d'audience
, de façon que les trois fiéges fe trouvoient
fous le dais ; il n'y avoit pas de fauteuil ,
mais trois chaifes à dos parfaitement égales.
Madame l'Archiducheſſe entra dans la falle &
fut conduite à table par Monfeigneur l'Infant à
qui elle donnoit la main droite , & M. le Prince
de Lichtenſtein à qui elle donnoit la main gauche
; elle fe plaça au milieu , l'Infant à fa droite ,
& M. de Lichtenftein à fa gauche ; le Maître des
Cérémonies avoit toujours précédé les Princes jufques
à la table.
M. le Comte de S. Vital , Gouverneur de la
Maifon de S. A. R. avec tous les Majordomes ,
excepté celui qui étoit de fervice , furent prendre
lés plats au buffet , & les apporterent ſur la table
dans l'ordre ci-après.
L'Huifier des viandes entre deux Gardes du
Corps , la carabine fur l'épaule : les Gardes s'arrêterent
à la porte de la falle .
Le Maître des Cérémonies marchoit feul quatre
pas après l'Huiffier des viandes.
Douze Pages , portant chacun un plat.
Six Majordomes , portant chacun un plat.
OCTOBRE. 1760. 197
M. le Comte de S. Vital , marchant feul immédiatement
après ,
Le Contrôleur de la Bouche.
Quatre Gardes du Corps la carabine fur l'épaule
, qui fe font arrêtés au même endroit que
les deux premiers.
Le Majordome de fervice prit les plats des
mains des autres Majordomes , & des Pages , &
les arrangea fur la table. Pendant ce temps ,
M. de S. Vital fut fe mettre derriere les Princes
pour fervir Madame l'Archiducheffe , il lui ap
procha fa chaife , celle de l'Infant fut approchée
par un Majordone , & celle de M. le Prince de
Lichtentein par un Gentilhomme de la Maiſon
de S. A R. Madame l'Archiducheffe fut fervie
par M. de S. Vital , l'infant le fut à l'ordinaire
par le entilhomme de la Chambre de fervice ,
& M. le Prince de Lichtenſtein par un Gentilhomme
de la Maiſon.
Ce repas fut fervi avec toute la magnificence
& tout le goût imaginable.
Au fortir de table , Madame l'Archiducheffe
fut reconduite dans fon appartement dans le mê -
me ordre qui avoit été observé en venant à table.
Il n'y eut plus rien jufqu'au foir.
L
Toute la Nobleffe étoit invitée de fe rendre à
huit heures du foir au Palais du Jardin , pour de
là , voir tirer un feu d'artifice , & voir en même
temps une fuperbe illumination difpofée dans le
Jardin . L'ordonnance en étoit riche & galante.
Le Palais du jardin fut dès fept heures rempli
d'un grand nombre de Nobleffe. M. le Prince de
Lichtenftein s'y rendit à fept heures & demie. Le
Prince Ferdinand & Madame Louife , s'y rendirent
peu après , & l'Infant & Madame l'Archiduchefle
y arriverent à huit heures précifes.
Le feu d'artifice fut appliqué à un monument
· Iiij
198 MERCURE DE FRANCE.
Hlevé au milieu d'une très- grande place dans le
jardin de Parme , & faifoit face au Palais où les
Princes fe tranfportérent pour en voir l'effet .
Il repréfentoit l'union de l'Amour & de l'hymen
dans le Temple de Minerve. Ce Temple
étoit élevé fur un grand fondement amtique , dont
la forme étoit ovale , de quatre - vingt - dix - huit
pieds de longueur , fur foixante- quatre pieds de
large ; un grand focle de porphyre , comprenant.
dans fa hauteur les gradins qui formoient les deux
entrées principales du Temple , s'élevoit au-delfus
de ce fondement , & contournoit la baſe de ce
monument , qui étoit orné de vingt- quatre colonnes
d'ordre Dorique entourées de guirlandes
de fleurs. Il avoit quatre faces égales , & fes angles
étoient flanqués de quatre pyramides ifolées
dédiées aux Arts & portant leurs attributs en trophées.
Ces Pyramides étoient environnées de quatre
colonnes du même ordre , formant des avantcorne
à jour , rachetés fur les angles du quarré
du Temple , en forme de tours ou de baftions.
L'entablement étoit décoré de guirlandes de
fleurs dans la frife , & les quatre avant- corps. de
colonnes qui couvroient les Pyramides , foutenoient
fur chaque face des médaillons , en tout au
nombre de ſeize , moitié appuyés ſur la frife &
l'architrave de cet ordre , & moitié tombant dans
le vuide de l'entre- colonne. Ils repréſentoient
des tableaux où étoient peintes les qualités vertueufes
de l'Archiduc & de Madame Iſabelle
comme la nobleffe , la magnanimité , la Majesté
Royale , la libéralité , la jeunelle , la beauté , la
bonté , la clémence , la fécondité , la douceur ,
l'amour de la gloire , l'amour de la Patrie , l'amour
des Sciences , l'amour des Arts , l'enjoûment
& l'affabilité .
Au- deffus des quatre tours des Colonnes , s'élevoir
OCTOBRE. 1760. 199
au milieu des trophées Militaires, un piédeftal portant
des renommées,fur les quatre portes ou Arcades
de ce Temple étoient les Écuffons de l'Archiduc
& de Madame Ifabelle , au milieu de deux
vales ,de Parfums , & appuyé fur le focle qui couronnait
la Corniche .
Au -dellus de ce Socle, dont le plan étoit quarré
comme le Temple , s'élevoit une attique ronde
en forme de Piédeftal couronnée d'un dôme ouvert
par le haur & décoré de guirlandes de fleurs .
Ce Piédeſtal fervita porterautour dela Naillance
du dôme 12 Figures réprefentant les Jeux , les
Ris, & les Plairs , danfant & formant une chaîne
de guirlandes autour de ce monument.
Les quatre portes du Temple étoient décorées &
comme gardées par huit Figures repréſentantes la
vigilance , la dignité , l'Intelligence , la pureté ,
le filence , la douceur , & le courage , qui compo.
fept enfemble toutes les vertus qui caractérisent.
la fagelle.
Au milieu de ce temple dont la forme intérieure.
étoit octogone rachetant une voûte ronde & farbaillée
, étoit la Figure de Minerve fur différens
plans de quées , réuniffant entre fes bras les Figures
de l'Amour & de l'Hymen.
Sur les deux aîles du focle qui joignoit toute la
longueur du fondement ovale , & qui comprenoit
toute la hauteur des perrons , étoient de chaque
côté les autels de l'Amour & de l'Hymen .
Quatre fontaines de feu élevées fur des rochers
qui fortoient de terre contribuoient à la richeſſe de
la bafe de ce monument , en même tems qu'elles
augmentoient l'effet des différens tableaux de feu
qui fortoient de cet édifice deftiné à faire éclater
la joie publique que procure cet événement.
L'Illumination générale de cette machine d'Artifice
fur accompagnée de deux Phénomènes qui
I iv
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif :
tance du feu & comme dans le lointain. Ils montroient
chacun le Globe du Monde tranfparent
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage
. Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir ſur le ſommer du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illumination
générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & baſſes ; les miroirs de feu , les
pots à-feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen
tes avenues en étoile , qui y conduifent ; enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête augufte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe fe ren lit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal mafqué.
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plane
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée .
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui feparent les Loges , &
de
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryftal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlan
des de fleurs , qui ornoient le devant des Loges .
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui par
devant , & on defcendoit de-là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Turquie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle ,
pår une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheffe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danferent enſemble : Madame l'Archiduchefe
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenſtein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenſtein
prit fon Audience de congé ; tout fut obſervé à
cette Audience comme à celle de la demande ,
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fur à celle de
I v
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif
tance du feu & comme dans le lointain. Ils mon
troient chacun le Globe du Monde tranſparent
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage.
Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir fur le fommer du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illu
mination générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & balles ; les miroirs de feu , les
pots à- feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face à
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen➡
tes avenues en étoile , qui y conduifent ; enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête auguſte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame :
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe fe ren lit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal mafqué.
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plan
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
de gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui feparent les Loges , &
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryftal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlan
des de fleurs , qui ornoient le devant des Loges.
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui pardevant
, & on defcendoit de -là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Tur
quie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle ,
par une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheffe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danſerent enſemble : Madame l'Archiduchele
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenſtein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenftein
prit fon Audience de congé ; tout fut obfervé à
cette Audience comme à celle de la demande 9
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fur à celle de
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200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif
tance du feu & comme dans le lointain. Ils montroient
chacun le Globe du Monde tranfparent , '
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage
. Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir fur le fommet du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illu
mination générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & baffes ; les miroirs de feu , les
pots à-feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face à
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen
tes avenues en étoile , qui y conduifent enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête augufte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe ſe ren fit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal maſqué .
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plan
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
de gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui ſéparent les Loges , &
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryſtal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlandes
de fleurs , qui ornoient le devant des Loges.
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui pardevant
, & on defcendoit de -là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Turquie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle
pår une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheſſe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danferent enſemble : Madame l'Archiduchele
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenftein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenftein
prit fon Audience de congé ; tout fut obfervé à
cette Audience comme à celle de la demande ,
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fut à celle de
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Madame l'Archiducheffe , avant d'être conduit à
celle du Prince Ferdinand.
Après l'Audience de Madame Louife , M. le
Prince , au lieu de retourner dans fon appartement
a la Cour , defcendit par le grand efcalier ,
& fut monter dans fon Caroffe qui l'attendoit a la
porte du Palais , pour le ramener à l'Hôtel Palavicini
.
Le Maître des Cérémonies l'accompagna juf
qu'au bas de l'efcalier , M. de Palavicini & M.
Introducteur jufques à la portiere de la voiture ,
qui ne fur fermée que quand ces Meffieurs fe futent
retirés.
Le foir , il y eut Opéra.
Le 9. l'Infant fut dîner chez M. de Lichtenſtein.
Lé foir , il y eut Opéra.
Le to M. le Prince de Lichtenſtein dina chez M.
Dutillot , & partit après dîner pour Cafalmajor.
Le foir , il y eut Aflemblée au Paļais .
Le 11. au matin tous les Corps de l'Etat , le
Militaire , la Nobleffe , & la Maifon de S. A R.
eurent l'honneur de baifer la main à Madame
l'Archiducheffe .
Il y eut Opéra , le ſoir.
Le .les Princes n'ont reçu perfonne .
Le 13. S. A. R. Madame l'Archiducheffe partit
à dix heures du matin pour le rendre à Cafalmajor:
elle y a été accompagnée par Madame de
Gonzales , Madame de Silla , quatre Dames du
Pálais , des Majordomes , & huit Gentilshommes
de la Chambre ; elle étoit faivîe d'un nombre de
Pages , d'Ecuyers , de fon premier fervice , & defon
fervice du fecond Ordre , du Commandant de
l'Ecurie de deux Officiers des Ecuries , du Sellier >
du Maréchal , du Charron & de 24 Palfreniers à
Cheval;elle étoit éfcortée par des Gardes du Corps.
Les rues par lesquelles elle a pallé, étoient bordées
OCTOBRE , 1760. 203
de troupes , on avoit difpofé des Détachemens de
Cavalerie & d'Infanterie fur différens endroits de
la roure.
Des Bataillons Provinciaux , fix Compagnies de
Grenadiers, un Bataillon du Régiment de Parme ,
& les deux Compagnies de Grenadiers de inême
Régiment, étoient difpofées fur les bords du Pô ,
en deçà de la tête du Pont. Elle y a trouvé des
Elcadrons de Gardes du Corps & de Cavalerie. Elle
eft arrivée à Cafalmajor à midi & deux minutes.
M. le Comte de S. Vital eft chargé de la Cérémonie
de la remife , un Secrétaire du Cabinet de
l'Acte de certe ' remiſe .
S. A. R. s'arrête demain à Cafalmajor pour y
donner la main à bailer aux Deputés de la Lombardie
Autrichienne , aux Chambres Souveraines ,
& à la Nobleffe. Le lundi elle ira à Mantoue, où elle
s'arrêtera encore un jour, pour un objet ſemblable.
paffé depuis.
L'Opera que l'on repréſenta , eft compofé de
trois Actes ; il eft intitulé les Fétes de L'Hymen
pour les nôces de LL. AA. RR. &c. il eft précédé
d'un Prologue.
Ce Prologue , qui a pour Titre le Triomphe de
PAmour , eft une querelle que les Dieux font à
l'Amour , fur les maux qu'il ne ceffe de faire
aux hommes . L'Amour convient de toutes ces
fauces, & obtient fon pardon en faveur de l'Union ,
qu'il vient de faire de la vertu & de la beauté,
188 MERCURE DE FRANCE.
Les fajets des trois Actes qui compofent l'Opéra
font féparés. C'est une licence que l'on a cru
devoir prendre à caufe du merveilleux & de la
galanterie qu'apportent avec eux des fujers fabuleux
& variés , qui femblent mieux convenir à la
Fête qu'on a célébrée .
L'Acte d'Aris eft le premier. L'Amour par ordre
du Deftin , ceffe d'être aveugle ; il jette fes premiers
regards fur Iris , & en devient amoureux ;
Iris le prend pour le Zéphire ; mais revenue de
fon erreur, elle en devient éprife , diffipe les nuages
qu'Aquilon jaloux lui oppofe fans ceffe , &
sunit à l'Amour pour rendre au monde les jours
les plus beaux & les plus fereins.
Le fecond Acte , eft celui de Sapho . Le Poëte
a feint cette dixiéme Muſe , amoureufe d'Alcée
celèbre Poëte Lyrique natif de Lesbos : il a
feint aufli Doris , fils de Neptune , amant de Sapho
, qui fe voyant préferer fon rival , a recours
a fon pére , & le prie de le vanger par la mort
de l'un & de l'autre. Neptune écoute les voeux
de fon fiis ; & par le fecours d'Eole , & des vents
fouléve tellement les eaux , que les habitans de
la campagne craignent d'ètre fubmergés : 1
paroît lui-même fur une vague qui s'élève beaucoup
au defius des autres ; menace de tour
inonder , fi dans une heure , Sapho n'eft pas fenible
à l'amour de fon fils il rentre dans le fein
de la mer , qui continue dans la plus grande
agitation .
Sapho invoque Apollon , & l'Amour. Une
Lyre defcend du Ciel attachée à des guirlandes
de fleurs ; un arc s'élève dans la Mer à l'endroit
où elle doit avoir fes bornes , & les lui marque
pour l'avenir.
Sapho prend la Lyre : à mesure qu'elle chante
les prodiges opérés par Apollon , & l'Amour ;
OCTOBRE. 1760. 189
la Mer fe calme & fe retire au lieu où elle
étoit avant le débordement ; remplie des infpirations
divines , & de l'enthousiasme poétique ,
elle voit dans l'avenir la fuitte nombreufe des
héros , dont elle doit célébrer l'alliance , annonce
le bonheur dont l'Univers doit jouir ; & par fon
mariage avec Alcée , accomplit le triomphe de
l'harmonie , & de l'amour.
Le troifiéme Acte eft intitulé Eglé. Cette Nymphe
eft amoureufe de Chromis ; Alcée fa compagne
l'eft de Lincée .Elles fe plaifent enſemble
à faire foupirer leurs Amants , en leur cachant
leur tendreffe ; enfin Eglé dit à Chromis qu'elle
l'aimera , lorfqu'elle verra les eaux d'un torrent
enchaînées ; Alcée promet à Lincée de l'aimer
quand Eglé aimera Chromis.
Ces deux jeunes Faunes , déſeſpérés , fe confultent
enſemble , & vont trouver Silene pour qu'il
les aide de fes confeils . Ce vieillard leur demande
où ils ont laillé Eglé & Alcée ; ils répondent
qu'elles font à cueillir des mûres pour lui
teindre le vifage, lorfqu'elles le trouveront endormi
. Silene confole les deux Faunes, leur ordonne
de ſe retirer , leur promet de les fervir , & fe
met fur un lit de gazon où il feint de dormir
en attendant les deux Nymphes. Elles arrivent
avec des guirlandes de fleurs , en enchaînent Si-
Lene qu'elles croyent endormi ; elles le pouffents
il feint de s'éveiller & montre de la colere :
mais bien-tôt après il leur conte la fable d'Acis
& Galatée. Au milieu de cette fable , il s'arrête
comme infpiré , & leur conſeille d'aller trouver
Prothée , de le furprendre endormi , & de l'enchaîner
fans s'épouvanter des différentes formes
qu'il prendra , parce qu'à la fin il parlera , & leur
apprendra des chofes merveilleules.
Elles remercient Silene , & le quittent pour al190
MERCURE DE FRANCE:
ler chercher Prothée ; Chromis & Lincée les accoma
pagnent. Elles le furprennent , l'enchaînent , &
ferrent toujours plus fes liens , à mesure qu'il change
de forme ; il fe change enfin en un Torrent
qui refte immobile : toutes les Nymphes admirent
ce prodige . Silene arrive , rapelle à Eglé le ferment
qu'elle a fait d'être à Chromis lorſqu'elle
verra enchaîner un torrent ; Eglé confent à être
unie à Chromis , & Alcée tient auffi fa parole à
Lincée ; les Faunes & les Nymphes applaudiffent
à cette union,& Silene; au lieu de finir la fable qu'il
fe fouvient d'avoir commencée , ordonne aux Faunes,
& aux Nymphes, de célébrer cet heureux jour,
en repréfentant par leurs danfes , les amours
d'Acis , & Galatée.
L'Italie a vû dans cette occafion renaître fur la
fcène les enchantemens , & la nouveauté de ce
fpectacle digne de l'admiration des étrangers , par
la magnificence , la vérité , & le bon goût qui eft
diftribué dans l'exécution de toutes ces parties. Les
machines employées aux différens prodiges amenés
par le Sujet , ont eu le plus grand fuccès ;
& le Théâtre actuellement difpofé par les machines
à recevoir tout ce que l'imagination peut fournir
de plus merveilleux , retracera chaque fois le
fouvenir de la fête pour laquelle il fert la premiere
fois.
Après l'Opéra l'Infant & Madame Infante Iſabelle,
furent à l'hôtel Palavicini où M. le Prince de
Lichtenſtein avoit fait préparer une Fête, à laquelle
toute la Nobleſſe fut invitée ; plufieurs tables furent
abondamment ſervies , ainſi que quantité de
rafraîchiffemens. On y danſa juſqu'au matin.
1
Le lendemain, M. le Prince de Lichtenſtein donna
un fuperbe dîner à tous les Miniftres étrangers ,
& à la Nobleffe la plus confidérable de l'Etat , &
Etrangere . Le foir il y eut Opéra.
OCTOBRE. 1760. Iol
Le Vendredi cinq , M. le Comte de Rochechouart
donna un grand dîner à M. le Prince de
Lichtenſtein & aux mêmes perfonnes qui avoient
dîné chez lui la veille . Il y eut Opéra le foir.
Le Samedi fix , M. de Lichtenſtein le Prince
dîna chez M. le Marquis de Revilla . Il y eut le foir
affemblée au Palais.
Le Dimanche ſept, jour fixé pour la Cérémonie
du Mariage , les Troupes prirent les Armes dès le
matin ; deux bataillons du Régiment de Parme &
quatorze Compagnies de Grenadiers borderent
les rues par où le Cortége devoit paffer.
Six cens Carabiniers formèrent quatre eſcadrons
fur la place , deux defquelles y retterent , jufques
après que le cortége y eut paffé ; les deux autres
furent repartis pour fermer toutes les rues qui
viennent aboutir à celles par où les Princes pafferent:
chaque troupe étoit formée fur deux rangs ,
à trente pas derriere l'Infanterie qui occupoit le
débouché de la rue.
" L'Eglife Cathédrale , où fe fit la cérémonie ,
étoit magnifiquement décorée. Les Peintures du
Corrége , & des autres excellents Maîtres dont ce
vafte Edifice fe trouve orné dans les voutes , &
dans les frifes , donnant des bornes à la richeffe
de la décoration projettée pour cette Augufte cérémonie
; on fut obligé de fe contenter d'orner
les pilaftres , les arcades , & les baffes nefs de damas
cramoifi à fleurs , enrichis de grandes lames
d'étoffes d'argent , de deux pieds de large; lefquelles
interrompoient fymétriquenient , d'espace
en efpace, le cours du damas d'une maniere agréable
& gracieufe; les impoftes fur lesquelles repofent
les arcades , étoient entourées d'une riche
pente du même damas , pliffée & terminée par
une frange d'or , ainfi que les rideaux qui ornoient
le dedans des arcades , & qui étoient retrouffés
192 MERCURE DE FRANCE.
vers l'impofte , pour donner lieu de découvrir la
décoration des chapelles , & des nefs laterales . Aux
deux côtés de la porte de lagrande nef étoient deur
orcheftres , parées dans le même goût que le refte
de l'Eglife : elles étoient remplies de trente Muficiens
que l'on avoit fait venir pour jouer des
fanfares , depuis le moment où les Princes defcen➡
dirent de carolles , juſqu'a celui où ils furent entrés
dans le fanctuaire ; les deux tribunes qui fe'
trouvent près du Maître Autel , étoient remplies
des Muficiens de la Chambre de S. A. R. qui exé-'
cuterent fupérieurement d'excellentes fymphonies
à deux choeurs.
Le Maître-Autel , beaucoup plus étendu qu'à
l'ordinaire , le trouvoit richement paré d'étoffe
d'or , & couvert d'une quantité de lumieres . Du
côté de l'Evangile , étoit le dais de S. A. R. du
côté de l'Epitre , étoit la Cathetra , deftinée pour
l'Evêque de Plaifance , qui devoit faire la cérémonie.
Au milieu du Sanctuaire , qui étoit couvert de
tapis de la Savonerie , étoit un prie- Dieu , cou-'
vert d'un grand tapis de velours cramoihi galonné
d'or , ainfi que trois couffins , qui étoient pofés
au bas.
Les latereaux du Sanctuaire , furent remplis
par un nombre infini de Nobleffe. Aux deux côtés ,
en face du Maître - Autel , étoient deux grands parquets
décorés dans la même ordonnance de l'Eglife
, l'un defquels étoit deftiné pour tous les
Miniftres Etrangers , l'autre pour les Dames de
la premiere diftinction .
Le Sanctuaire étoit gardé par les Gardes du
Corps de S. A. R. le veftibule du Sanctuaire ainfi
que les degrés qui defcendent à la grande nef
& toute cette nef jufqu'à la porte de l'Eglife
étoir bordée par la garde des Hallebardiers
Royaux. M.
OCTOBRE. 1760.
M.Je Prince de Lichtenſtein partit à 11 heures de
195
l'Hôtel Palavicini où il étoit logé pour le rendre à
la Cathédrale,fon cortége marchoit dans le même
ordre que le jour de fon Audience publique ; il fut
reçu à la porte de L'Eglife par le Chapitre qui le
complimenta. Sa Livrée entra dans la nef du milieu
& fe rangea des deux côtés devant les Hailebardiers
Royaux.
Pendant ce tems- là le cortége de la Cour s'étoit
mis en mrcche dans l'ordre fuivant.
Quarante Hallebardiers Royaux ouvroient la
marche ; la mufique de cette Compagnie étoit à
la tête.
Le Commandant de l'Ecurie & deux Officiers
de l'Ecurie à cheval , quatre Palfreniers les fuivoient
à pied .
I caroffe à fix chevaux pour le Maître des
Cérémonies & trois
Majordomes.
I caroffe à fix chevaux , quatre Gentilshommes
de la Chambre.
I caroffe à fix chevaux, quatre Dames du Palais.
I caroffe à fix chevaux , quatre Dames du Palais.
I caroffe àfix chevaux , quatre
Gentilshommes
de la Chambre.
I caroffe à 8 chevaux. Le Gentilhomme de la
Chambre de fervice à l'Infant.
Le premier Ecuyer , le Majordome de ſervice.
I caroffe à huit chevaux . Le ſervice de Madame
Infante Ifabelle.
Les trompettes & timballes des Gardes du
Corps , avec feize Gardes.
1 caroffe à huit chevaux , l'Infant.
Le Capitaine des Gardes , le Grand Ecuyer.
I caroffe à 8 chevaux ,¡Madame InfanteÏfabelle,
Madame de Gonzales , Madame de Siſſa .
La Compagnie des Gardes du Corps ayant à
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
leur tête le Lieutenant , l'Enſeigne , & huic
Exempts.
2 caroffes de refpect vuidės , attelés à 8 chevaux.
I caroffe à fix chevaux , quatre Gentilshommes
de la Chambre.
Tous les Pages marchoient à pied aux deux côtés
des caroffes des Princes .
On arriva dans cet ordre à la porte de l'Eglife :
on marchoit lentement pour donner aux perfonnes
qui étoient dans les caroffes qui précédoient
ceux des Princes , le temps de defcendre .
M.le Prince de Lichtenſtein attendoit à la porte
de l'Eglife.
Pendant que l'Infant defcendoit de fon carolle,
Le Maître desCérémonies fut prendre M.le Prince
Liechtenſtein & le conduifit à la portiere du caroffe
de Madame Infantelfabelle . L'Infant s'en aprocha
auffi & reçut la main droite de Madame fa fille en
defcendant du caroffe;M. le Prince reçur la main
gauche.
Ils marcherent ainfi jufqu'au prie- Dieu qui fe
trouvoit dans le Sanctuaire en face du Maître-
Autel , où ils fe mirent à genoux fur les couffins
qui étoient au bas de ce prie- Dieu. L'Infant occupa
celui de la droite ; Madame Ifabelle celui
du milieu ; M. de Lichtenſtein celui de la gauche.
Ils fe leverent un moment après , & s'approcherent
des degrés de l'Autel ; l'Evêque déranda
à M. le Prince s'il avoit le pouvoir d'épouler Mae
InfanteIfabelle, au nom de l'Archiduc Jofeph ; fes
Pouvoirs furent lus à haute voix par un Secretaire
impérial , après quoi le Chancelier de l'Evêché
lutauffi à haute voix la Difpenfe du Pape .
Le refte de la Cérémonie fut exécutée ſuivant le
Rituel ordinaire de l'Eglife , excepté que l'anneau
fut préfenté à Madame l'Archiduchelle par M. le
Prince de Lichtenftein , fur une foucoupe , & qu'elle
le mit elle-même à fon doigt.
OCTOBRE. 1760.
195
Après cette cérémonie , Madame l'Archiducheffe
retourna au Pri - Dieu , ayant toujours M.
de Lichtenſtein à la gauche. Après une courte
priere , les Princes fe remirent en marche pour
fortir de l'Eglife dans le même ordre qu'ils y
étoient entrés ; l'Infant & M. de Lichtenttein
donnerent la main à Madaine
l'Archiducheffe
pour monter dans fon carolle , l'Infant monta
dans le fien , & M. le Prince fut joindre les
équipages qui l'attendoient à une des portes latérales
de l'Eglife.
l'on
On le mit en marche pour retourner au Palais
par un chemin plus long que celui
avoit fait en venant du Palais à la Cathédrale
que
afin que tout le Peuple , & une quantité prodigieufe
d'Etrangers qui s'étoient rendus à Parme
pullent voir la magnificence , de cette marche.
Le Cortége de M. le Prince de Lichtenſtein
précédoit celui de la Cour , de 60 ou 80 pas . Les
Troupes qui bordoient les rues lui préfenterent
les armes , les tambours rappelloient , & les
Officiers le faluerent du chapeau .
Pendant l'efpace qui étoit entre le caroffe de
M. de Lichtenftein & celui de l'Infant , l'Infanterie
mit la bayonnette au bout du fufl. Lorsqu'ils
pafferent , on préſenta les armes , les tambours
battirent au champ , & les Officiers faluerent de
l'eſponton .
M. de Lichtenſtein defcendit à la porte du Palais
pour y attendre Madame l'Archiducheſſe ;
l'Infant aufuôt arrivé defcendit de fon caroffe ,
& s'avança à la portiere de celui de Madame
l'Archiducheffe fa fille pour lui donner la main.
Elle fut conduite à ſon
appartement par l'Infant
& M. de Lichtenftein toujours dans l'ordre
obfervé
précédemment , c'eft à dire l'Infant à
fa droite , & M. de Lichtenſtein à la gauche ;
I j
196 MERCURE DE FRANCE.
yne quantité prodigieufe de Nobleffe rem pliffoit
le Palais .
S. A. R. l'Infant fe retira dans fon appartement
, après avoir reſté un moment dans celui
de la fille ; qui , après que l'Infant fut retiré
donna fa main à baifer à tous les Sujets de la
Maifon d'Autriche qui fe trouverent préfens.
L'heure du repas étant arrivée , le Maître des
Cérémonies fut avertir l'Infant , & marcha devant
lui jufques à l'appartement de Madame
l'Archiducheffe , où S. A. R. s'étoit propofée de
l'aller prendre pour la conduire à la table de
nôces.
2
Cette table étoit préparée dans la falle d'audience
, de façon que les trois fiéges fe trouvoient
fous le dais ; il n'y avoit pas de fauteuil ,
mais trois chaifes à dos parfaitement égales.
Madame l'Archiducheſſe entra dans la falle &
fut conduite à table par Monfeigneur l'Infant à
qui elle donnoit la main droite , & M. le Prince
de Lichtenſtein à qui elle donnoit la main gauche
; elle fe plaça au milieu , l'Infant à fa droite ,
& M. de Lichtenftein à fa gauche ; le Maître des
Cérémonies avoit toujours précédé les Princes jufques
à la table.
M. le Comte de S. Vital , Gouverneur de la
Maifon de S. A. R. avec tous les Majordomes ,
excepté celui qui étoit de fervice , furent prendre
lés plats au buffet , & les apporterent ſur la table
dans l'ordre ci-après.
L'Huifier des viandes entre deux Gardes du
Corps , la carabine fur l'épaule : les Gardes s'arrêterent
à la porte de la falle .
Le Maître des Cérémonies marchoit feul quatre
pas après l'Huiffier des viandes.
Douze Pages , portant chacun un plat.
Six Majordomes , portant chacun un plat.
OCTOBRE. 1760. 197
M. le Comte de S. Vital , marchant feul immédiatement
après ,
Le Contrôleur de la Bouche.
Quatre Gardes du Corps la carabine fur l'épaule
, qui fe font arrêtés au même endroit que
les deux premiers.
Le Majordome de fervice prit les plats des
mains des autres Majordomes , & des Pages , &
les arrangea fur la table. Pendant ce temps ,
M. de S. Vital fut fe mettre derriere les Princes
pour fervir Madame l'Archiducheffe , il lui ap
procha fa chaife , celle de l'Infant fut approchée
par un Majordone , & celle de M. le Prince de
Lichtentein par un Gentilhomme de la Maiſon
de S. A R. Madame l'Archiducheffe fut fervie
par M. de S. Vital , l'infant le fut à l'ordinaire
par le entilhomme de la Chambre de fervice ,
& M. le Prince de Lichtenſtein par un Gentilhomme
de la Maiſon.
Ce repas fut fervi avec toute la magnificence
& tout le goût imaginable.
Au fortir de table , Madame l'Archiducheffe
fut reconduite dans fon appartement dans le mê -
me ordre qui avoit été observé en venant à table.
Il n'y eut plus rien jufqu'au foir.
L
Toute la Nobleffe étoit invitée de fe rendre à
huit heures du foir au Palais du Jardin , pour de
là , voir tirer un feu d'artifice , & voir en même
temps une fuperbe illumination difpofée dans le
Jardin . L'ordonnance en étoit riche & galante.
Le Palais du jardin fut dès fept heures rempli
d'un grand nombre de Nobleffe. M. le Prince de
Lichtenftein s'y rendit à fept heures & demie. Le
Prince Ferdinand & Madame Louife , s'y rendirent
peu après , & l'Infant & Madame l'Archiduchefle
y arriverent à huit heures précifes.
Le feu d'artifice fut appliqué à un monument
· Iiij
198 MERCURE DE FRANCE.
Hlevé au milieu d'une très- grande place dans le
jardin de Parme , & faifoit face au Palais où les
Princes fe tranfportérent pour en voir l'effet .
Il repréfentoit l'union de l'Amour & de l'hymen
dans le Temple de Minerve. Ce Temple
étoit élevé fur un grand fondement amtique , dont
la forme étoit ovale , de quatre - vingt - dix - huit
pieds de longueur , fur foixante- quatre pieds de
large ; un grand focle de porphyre , comprenant.
dans fa hauteur les gradins qui formoient les deux
entrées principales du Temple , s'élevoit au-delfus
de ce fondement , & contournoit la baſe de ce
monument , qui étoit orné de vingt- quatre colonnes
d'ordre Dorique entourées de guirlandes
de fleurs. Il avoit quatre faces égales , & fes angles
étoient flanqués de quatre pyramides ifolées
dédiées aux Arts & portant leurs attributs en trophées.
Ces Pyramides étoient environnées de quatre
colonnes du même ordre , formant des avantcorne
à jour , rachetés fur les angles du quarré
du Temple , en forme de tours ou de baftions.
L'entablement étoit décoré de guirlandes de
fleurs dans la frife , & les quatre avant- corps. de
colonnes qui couvroient les Pyramides , foutenoient
fur chaque face des médaillons , en tout au
nombre de ſeize , moitié appuyés ſur la frife &
l'architrave de cet ordre , & moitié tombant dans
le vuide de l'entre- colonne. Ils repréſentoient
des tableaux où étoient peintes les qualités vertueufes
de l'Archiduc & de Madame Iſabelle
comme la nobleffe , la magnanimité , la Majesté
Royale , la libéralité , la jeunelle , la beauté , la
bonté , la clémence , la fécondité , la douceur ,
l'amour de la gloire , l'amour de la Patrie , l'amour
des Sciences , l'amour des Arts , l'enjoûment
& l'affabilité .
Au- deffus des quatre tours des Colonnes , s'élevoir
OCTOBRE. 1760. 199
au milieu des trophées Militaires, un piédeftal portant
des renommées,fur les quatre portes ou Arcades
de ce Temple étoient les Écuffons de l'Archiduc
& de Madame Ifabelle , au milieu de deux
vales ,de Parfums , & appuyé fur le focle qui couronnait
la Corniche .
Au -dellus de ce Socle, dont le plan étoit quarré
comme le Temple , s'élevoit une attique ronde
en forme de Piédeftal couronnée d'un dôme ouvert
par le haur & décoré de guirlandes de fleurs .
Ce Piédeſtal fervita porterautour dela Naillance
du dôme 12 Figures réprefentant les Jeux , les
Ris, & les Plairs , danfant & formant une chaîne
de guirlandes autour de ce monument.
Les quatre portes du Temple étoient décorées &
comme gardées par huit Figures repréſentantes la
vigilance , la dignité , l'Intelligence , la pureté ,
le filence , la douceur , & le courage , qui compo.
fept enfemble toutes les vertus qui caractérisent.
la fagelle.
Au milieu de ce temple dont la forme intérieure.
étoit octogone rachetant une voûte ronde & farbaillée
, étoit la Figure de Minerve fur différens
plans de quées , réuniffant entre fes bras les Figures
de l'Amour & de l'Hymen.
Sur les deux aîles du focle qui joignoit toute la
longueur du fondement ovale , & qui comprenoit
toute la hauteur des perrons , étoient de chaque
côté les autels de l'Amour & de l'Hymen .
Quatre fontaines de feu élevées fur des rochers
qui fortoient de terre contribuoient à la richeſſe de
la bafe de ce monument , en même tems qu'elles
augmentoient l'effet des différens tableaux de feu
qui fortoient de cet édifice deftiné à faire éclater
la joie publique que procure cet événement.
L'Illumination générale de cette machine d'Artifice
fur accompagnée de deux Phénomènes qui
I iv
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif :
tance du feu & comme dans le lointain. Ils montroient
chacun le Globe du Monde tranfparent
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage
. Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir ſur le ſommer du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illumination
générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & baſſes ; les miroirs de feu , les
pots à-feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen
tes avenues en étoile , qui y conduifent ; enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête augufte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe fe ren lit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal mafqué.
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plane
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée .
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui feparent les Loges , &
de
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryftal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlan
des de fleurs , qui ornoient le devant des Loges .
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui par
devant , & on defcendoit de-là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Turquie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle ,
pår une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheffe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danferent enſemble : Madame l'Archiduchefe
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenſtein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenſtein
prit fon Audience de congé ; tout fut obſervé à
cette Audience comme à celle de la demande ,
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fur à celle de
I v
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif
tance du feu & comme dans le lointain. Ils mon
troient chacun le Globe du Monde tranſparent
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage.
Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir fur le fommer du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illu
mination générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & balles ; les miroirs de feu , les
pots à- feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face à
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen➡
tes avenues en étoile , qui y conduifent ; enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête auguſte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame :
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe fe ren lit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal mafqué.
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plan
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
de gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui feparent les Loges , &
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryftal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlan
des de fleurs , qui ornoient le devant des Loges.
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui pardevant
, & on defcendoit de -là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Tur
quie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle ,
par une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheffe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danſerent enſemble : Madame l'Archiduchele
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenſtein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenftein
prit fon Audience de congé ; tout fut obfervé à
cette Audience comme à celle de la demande 9
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fur à celle de
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200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif
tance du feu & comme dans le lointain. Ils montroient
chacun le Globe du Monde tranfparent , '
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage
. Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir fur le fommet du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illu
mination générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & baffes ; les miroirs de feu , les
pots à-feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face à
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen
tes avenues en étoile , qui y conduifent enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête augufte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe ſe ren fit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal maſqué .
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plan
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
de gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui ſéparent les Loges , &
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryſtal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlandes
de fleurs , qui ornoient le devant des Loges.
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui pardevant
, & on defcendoit de -là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Turquie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle
pår une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheſſe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danferent enſemble : Madame l'Archiduchele
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenftein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenftein
prit fon Audience de congé ; tout fut obfervé à
cette Audience comme à celle de la demande ,
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fut à celle de
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Madame l'Archiducheffe , avant d'être conduit à
celle du Prince Ferdinand.
Après l'Audience de Madame Louife , M. le
Prince , au lieu de retourner dans fon appartement
a la Cour , defcendit par le grand efcalier ,
& fut monter dans fon Caroffe qui l'attendoit a la
porte du Palais , pour le ramener à l'Hôtel Palavicini
.
Le Maître des Cérémonies l'accompagna juf
qu'au bas de l'efcalier , M. de Palavicini & M.
Introducteur jufques à la portiere de la voiture ,
qui ne fur fermée que quand ces Meffieurs fe futent
retirés.
Le foir , il y eut Opéra.
Le 9. l'Infant fut dîner chez M. de Lichtenſtein.
Lé foir , il y eut Opéra.
Le to M. le Prince de Lichtenſtein dina chez M.
Dutillot , & partit après dîner pour Cafalmajor.
Le foir , il y eut Aflemblée au Paļais .
Le 11. au matin tous les Corps de l'Etat , le
Militaire , la Nobleffe , & la Maifon de S. A R.
eurent l'honneur de baifer la main à Madame
l'Archiducheffe .
Il y eut Opéra , le ſoir.
Le .les Princes n'ont reçu perfonne .
Le 13. S. A. R. Madame l'Archiducheffe partit
à dix heures du matin pour le rendre à Cafalmajor:
elle y a été accompagnée par Madame de
Gonzales , Madame de Silla , quatre Dames du
Pálais , des Majordomes , & huit Gentilshommes
de la Chambre ; elle étoit faivîe d'un nombre de
Pages , d'Ecuyers , de fon premier fervice , & defon
fervice du fecond Ordre , du Commandant de
l'Ecurie de deux Officiers des Ecuries , du Sellier >
du Maréchal , du Charron & de 24 Palfreniers à
Cheval;elle étoit éfcortée par des Gardes du Corps.
Les rues par lesquelles elle a pallé, étoient bordées
OCTOBRE , 1760. 203
de troupes , on avoit difpofé des Détachemens de
Cavalerie & d'Infanterie fur différens endroits de
la roure.
Des Bataillons Provinciaux , fix Compagnies de
Grenadiers, un Bataillon du Régiment de Parme ,
& les deux Compagnies de Grenadiers de inême
Régiment, étoient difpofées fur les bords du Pô ,
en deçà de la tête du Pont. Elle y a trouvé des
Elcadrons de Gardes du Corps & de Cavalerie. Elle
eft arrivée à Cafalmajor à midi & deux minutes.
M. le Comte de S. Vital eft chargé de la Cérémonie
de la remife , un Secrétaire du Cabinet de
l'Acte de certe ' remiſe .
S. A. R. s'arrête demain à Cafalmajor pour y
donner la main à bailer aux Deputés de la Lombardie
Autrichienne , aux Chambres Souveraines ,
& à la Nobleffe. Le lundi elle ira à Mantoue, où elle
s'arrêtera encore un jour, pour un objet ſemblable.
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Résumé : Suite de la Relation de tout ce qui s'est passé depuis.
Le texte relate les festivités entourant le mariage des Altesses Royales, notamment Madame l'Archiduchesse à Parme. Les célébrations incluent la représentation de l'opéra 'Les Fêtes de l'Hymen', composé de trois actes indépendants précédés d'un prologue intitulé 'Le Triomphe de l'Amour'. Ce prologue met en scène une querelle entre les dieux et l'Amour, qui obtient leur pardon pour l'union de la vertu et de la beauté. Les trois actes de l'opéra sont 'Aris', 'Sapho' et 'Eglé', chacun racontant des histoires d'amour et d'interventions divines. Les festivités comprennent des réceptions et des dîners offerts par des nobles tels que le Prince de Liechtenstein et le Comte de Rochechouart, avec des représentations d'opéra et des danses. La cérémonie de mariage à la cathédrale est décrite avec une décoration somptueuse et une procession ordonnée. Les troupes et les gardes assurent la sécurité, et la cérémonie religieuse suit le rituel ordinaire avec quelques adaptations spécifiques. Après la cérémonie, les princes retournent au palais dans le même ordre qu'à l'arrivée. Les événements incluent également un feu d'artifice et une illumination dans le jardin du palais, représentant l'union de l'Amour et de l'Hymen, suivi d'un bal masqué au théâtre. Madame l'Archiduchesse ouvre le bal avec le Prince François. Le lendemain, le Prince de Liechtenstein prend congé selon les cérémonies protocolaires. Les festivités se poursuivent avec des audiences et des repas officiels. Le 11 octobre, divers corps de l'État rendent hommage à Madame l'Archiduchesse. Le 13 octobre, elle quitte pour Casalmaggiore, escortée par des troupes et des dignitaires, et arrive à midi. Elle prévoit de s'arrêter à Casalmaggiore et à Mantoue pour saluer les députés et la noblesse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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75
p. 204
« Le sieur Prevôt, Marchand Fabriquant de Castors, rue [...] »
Début :
Le sieur Prevôt, Marchand Fabriquant de Castors, rue [...]
Mots clefs :
Marchand, Castors, Chapeaux, Beauté, Soie
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texteReconnaissance textuelle : « Le sieur Prevôt, Marchand Fabriquant de Castors, rue [...] »
Le fieur PREVÔT , Marchand Fabriquant de
Caftors , rue Guénégaud , à Paris , donne avis au
Public , qu'il vient d'inventer une compofition de
Chapeaux , qui par un mélange parfait de caftor
& defoye , ont acquis un degré de beauté , d'ufage
& de perfection que cette marchandiſe n'avoit pas
eu jufqu'à ce jour , il en fabrique depuis 1 liv.
jufqu'à 24.
Caftors , rue Guénégaud , à Paris , donne avis au
Public , qu'il vient d'inventer une compofition de
Chapeaux , qui par un mélange parfait de caftor
& defoye , ont acquis un degré de beauté , d'ufage
& de perfection que cette marchandiſe n'avoit pas
eu jufqu'à ce jour , il en fabrique depuis 1 liv.
jufqu'à 24.
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76
p. 56
EPIGRAMMES SUR un vieux Bibliothéquaire ignorant.
Début :
СЕТ ignorant porte perruque [...]
Mots clefs :
Perruque, Eunuque, Beauté
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EPIGRAMMES SUR un vieux Bibliothéquaire ignorant.
EPIGRAMMES
SUR un vieux Bibliothéquaire ignorant.
СЕТ CET ignorant porte perruque
De ta Bibliothéque a voulu fe charger ,
Apparemment pour nous prouver
Que le loin du Serrail appartient à l'Eunuque.
G.... de Nevers.
AIRI S.
CHARMANTE Iris , quitte le foin frivole
De nous offrir un minois moucheté ;
31
> Chaque mouche en toi nous déſole
Puifqu'elle cache un trait de ta beauté.
Par le même.
SUR un vieux Bibliothéquaire ignorant.
СЕТ CET ignorant porte perruque
De ta Bibliothéque a voulu fe charger ,
Apparemment pour nous prouver
Que le loin du Serrail appartient à l'Eunuque.
G.... de Nevers.
AIRI S.
CHARMANTE Iris , quitte le foin frivole
De nous offrir un minois moucheté ;
31
> Chaque mouche en toi nous déſole
Puifqu'elle cache un trait de ta beauté.
Par le même.
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77
p. 32-42
MAL-A-PROPOS, OU L'EXIL DE LA PUDEUR, Traduction libre d'un petit Poëme trouvé dans les ruines de la Grèce.
Début :
PREMIER CHANT. TOUS les Dieux , favorables au vœu de l'Amour [...]
Mots clefs :
Amour, Beauté, Palais, Hymen, Pudeur, Volupté, Grâces
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : MAL-A-PROPOS, OU L'EXIL DE LA PUDEUR, Traduction libre d'un petit Poëme trouvé dans les ruines de la Grèce.
MAL- A - PROPOS ,
OU L'EXIL DE LA PUDEUR,
Traduction libre d'un petit Poëme
trouvé dans les ruines de la Grèce.
PREMIER CHAN T.
TOUS ous les Dieux , favorables au voeu
de l'Amour , avoient calmé la jalouſẹ
colere de Vénus. Dès que le Deſtin
eut prononcé le bonheur de Psyché
l'Amour lança fur la terre un regard
enflâmé ; & plus rapidement que la
vapeur légère eft attirée vers le foleil ,
FEVRIER. 1763.
33
auffitôt Psyché fut élevée à la plus
haute Région des airs. A la voix de ce
Dieu , les Portes dorées de l'Olympe
s'ouvrirent , pour recevoir la Beauté
qui alloit l'embellir d'un nouvel éclat.
Quelles Portes ont jamais reſiſté à l'Amour
? Il tend à fon Amante une main
bienfaictrice , & de l'autre il éffuye les
derniers pleurs échappés de fes beaux
yeux ; lui-même la conduit au trône
de Jupiter. Le Maître de l'Univers
devoit trop à l'Amour pour ne pas fe
hâter de remplir fes defirs. Il appelle le
Dieu d'Hymen , & la main qui lance
le tonnerre allume les flambeaux d'Hymenée.
Il fait avancer les deux Epoux ,
on les couronne de fleurs immortelles.
LAmour approcha fes lévres divines
des lévres de Pfyché , & de la
cîme impénétrable de l'Olympe , le
Deftin cria Pfyché eft immortelle.
Toute la Cour célefte étoit affemblée ;
la jeune Pfyché y parut comme ces
aftres nouveaux que le Firmament momtre
quelquefois à la terre. La Reine
des Cieux , la fuperbe Junon , jettoit
un coup d'oeil de côté fur Vénus
& Junon fe croyoit vengée de l'outrage
de Paris ; mais Vénus dont
l'ame molle & tendre ne peut receler
ا و
B v
34 MERCURE DE FRANCE .
des haines éternelles , comme les autres
Divinités , Vénus voyoit alors avec complaifance
dans la belle Pfyché l'époufe
de fon fils. En la conſidérant, la Déeffe
imaginoit ne voir qu'elle-même dans
cette Beauté ; Pfyché regarda l'Amour ;
Vénus crut voir encore mieux qu'ellemême.
Tandis que le Ciel retentiffoit de
l'Hymne facrée , dont la Reprife étoit ,
La Beauté pour jamais eft unie à l'Amour
: l'Amour a rendu la Beauté immortelle
; la jeune Epoufe prenoit l'ambrofie
des mains de Comus , & de celles
d'Hébé elle recevoit la coupe du nectar.
Je crois connoître , dit Pfyché en
fouriant à la Jeuneffe , oui je connois
déja cette éffence de la Divinité , je l'ai
goûtée fur les lévres de l'Amour.
Après ectte célébration de l'Hymenée ,
Vénus demanda aux Dieux qu'il s'achevât
fur la terre . Je veux que mà
nouvelle fille foit reconnue dans mon
empire ; je veux qu'elle tienne ma pla→
ce fur mes autels. La nouveauté rallumera
l'encens de mes fujets ; & l'encens
qui brulera pour la nouvelle Déeffe
ne fera pour moi qu'un hommage de
plus qui affermira mon culte. Il faut
que toute ma Cour accompagne l'éFEVRIER.
1763. 35
poufe de mon fils ; la Cour de Vénus
eft celle de la Beauté. Elle dit , & tournant
fa tête enchantereffe , pour appeller
les Grâces , les boucles d'or de fa
chevelure vinrent toucher un côté dé
fon fein d'ivoire . Si un feul mouvement
des yeux de Jupiter fait trembler l'Olympe
; à ce tour de tête de Vénus ;
l'Olympe éprouve toujours un doux frémiffement
& les Immortels ont en
cet inftant un fentiment plus intime
de la divinité de leur être.
Un coup d'oeil dé Vénus a bientôt
raffemblé les Grâces autour d'elle. La
Déeffe remit Pfyché entre leurs mains ,
& les chargea du foin de fa parure .
La vénérable Pudeur , préfentée par
' Hymen à qui elle faifoit affidument
la cour , fut donnée à la jeune Époufe
pour premiere compagne. ( a ) Ainfi
tout difpofé , il fut arrêté que le cortége
de cette nôce célefte fe rendroit
fur la terre. Paphos , où la volupté
avec les jeux & les plaifirs , étoit déja
arrivée , fut le lieu défigné par Vénus
pour achever les nôces de l'Amour &
pour en célébrer les fêtes .
( a ) Ce qui , dans nos moeurs & dans no
langage fignifieroit. Dame d'Honneur.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
DEUXIEME CHANT.
Tout Paphos attendoit la nouvelle
Déïté. La Renommée, fi prompte à fervir
l'Amour fouvent même fans attendre fes
ordres , la Renommée avoit été chargée .
de l'annoncer. Les Prêtreffes avoient orné
le Temple ; auparavant elles s'étoient
parées de tout ce qu'elles avoient de
plus brillant. L'encens fumoit fur les
autels ; l'encens de Paphos eft d'un
parfum plus exquis que celui qui brûle
dans les autres Temples. En s'élevant
par de longs tourbillons à la hauteur
des nues , il fe joignoit aux divins parfums
, dont fillonnoit les airs la céleſte
troupe fur fon paffage. Le fpectacle de
cette marche étoit invifible aux prophanes
mortels ; mais l'odeur délicieufe
des parfums portoit au loin la volupté
dans les ames. Les Voyageurs , navigans
fur ces Côtes , étoient faifis d'une
myftique yvreffe , dont ils ignoroient
la caufe , qui faifoit abandonner au
Pilote le foin de fa manoeuvre , & détefter
au Paffager la rapidité des flots
qui l'écartoient de ce rivage.
Les Peuples heureux de l'Empire de
Vénus , accourus en foule autour de
fon autel , apperçurent bientôt une coFEVRIER.
1763. 37
lonne lumineufe , d'un feu doux &
pur , qui defcendoit par l'ouverture de
la coupole , fur le piedeſtal facré , d'où
la Déeffe dicte ordinairement fes loix
& fes oracles. La colonne fe diffipe
& découvre à tous les yeux la nouvelle
Immortelle ; à fes côtés font
Hymen & l'Amour qui l'éclairent chacun
de leur flambeau. Mais le reflet
de celui de l'Amour est le plus fenfible
fur cette jeune Beauté. A fa vue
rout eft faifi d'un faint & tendre refpect
. Tel eft le pouvoir de la Beauté ,
que dès qu'elle paroît , tous les Peuples
Fadorent. Vénus, du haut des Cieux jouit
de la ferveur qu'elle-même elle infpire.
C'est alors fon ouvrage , elle n'en eft
plus irritée. Chaque amante , dans Paphos
, tremble en fecret que fon amant
ne devienne , quoique fans efpoir , le
rival de l'Amour. Dans les accès d'un
nouveau zéle les jeunes habitans de
Paphos volent aux pieds de Pfyché ,
porter en offrande les tendres dons que
d'imprudentes Beautés leur ont faits
foit en parures , foit en bracelets de
cheveux
, beaucoup plus chers à la
tendreffe que les plus riches ornemens.
Après avoir reçu l'adoration des mortels
, l'Amour conduifit fa nouvelle
?
38 MERCURE DE FRANCE .
époufe dans le Palais qui joint le Temple.
Les arts à l'envi ont décoré ce voluptueux
& brillant féjour. La Troupe
nuptiale parcourt quelques momens les
principales Piéces de ce Palais , d'où
l'on paffe bientôt dans les Jardins. C'eft
ici que les Mufes n'ont point de crayons
pour peindre ce que ces lieux renferment
de délices. Quel oil peut pénétrer
dans les bofquets de Paphos ! Tout
y refpire , tout y foufle l'efprit ineffable
des myftères de la Divinité qui les habite.
C'est tout ce qu'il eft permis à un
Mortel d'en décrire ; c'eft tout ce qu'il
eft permis aux prophanes d'en fçavoir.
Entre ces bofquets enchantés , s'élévent
, affez près l'un de l'autre , deux
Palais inférieurs au Palais principal
où la feule galanterie a fuivi les ordres
de la volupté . L'un de ces Palais appartient
plus particulierement à l'Amour.
C'eſt le Dieu même qui en a donne les
plans , c'eft lui qui en a dirigé la diftribution.
Comme en ce lieu tout parloit
à Pfyché de fon amant , foit par
un fouvenir de fes peines paffées , foit
par un fentiment de fon bonheur préfent
, elle fentit en y entrant une fecrete
émotion. L'Hymen, qui ne connoit que
trop ce lieu féducteur , en fouffioit im
>
FEVRIER. 1763 . 39
patiemment le féjour ; & la Pudeur toujours
attentive à lui complaire , cherchoit
à en faire éloigner la jeune Époufe:
l'Amours'en apperçût ; un regard de dépit
fit fentir à la vénérable Compagne
qu'il n'aimoit pas les contradictions :
mais l'Hymen méritoit des égards ( au
moins dans ces premiers jours )
, ,
Pfyché ne fut arrêtée dans ce Palais
qu'autant qu'il falloit pour lui donner
une idée de fes charmes. L'Amour la
promena dans les parterres qui environnent
fes cabinets. Là naiffent & fe
renouvellent en toutes faifons les
plus agréables fleurs du Printemps. La
tendre Pfyché y remarqua des rofes
admirables qui fe tournoient d'ellesmêmes
vers l'Amour & qui en prenoient
une fraicheur nouvelle . L'Amour,
dit- elle , eft l'Aftre qui fait éclore les
Rofes ; c'eſt fon influence qui conferve
leur beauté.
TROISIEME CHANT .
On communique par les parterres
du Palais fecret de l'Amour , à celui
où Venus vient fouvent étudier ce qui
peut faire fentir aux Mortels quelque
nouvel effet de fon pouvoir. Ce lieu
eft agréablement magique . LaCoquet40
MERCURE DE FRANCE .
,
terie y travaille fans ceffe à mille fe
crets au-deffus de l'imagination humaine.
Ce que l'induftrieufe abeille
fait pour l'utilité des hommes une
troupe d'enfans aîlés , par un art furnaturel
, l'exécute pour la toilette de leur
Souveraine. Lorſque l'aurore annonce
le Dieu de la lumière , & lorfqu'il rentre
dans les Palais de Thétis , ces enfans
voltigent autour des plantes & des
fleurs ; ils en tirent tout ce qui eft
propre à leur galante chymie . On dépofe
la précieufe récolte dans des corbeilles
d'or ; à travers les tiffus plus ou
moins ferrés de ce métal , on fépare , on
diftingue ce qui convient à chaque opération.
Ici , par l'agitation de leurs
aîles , ils éxcitent , à divers degrés , le
feu de leurs flambeaux , pour échauffer
des vafes , dans lefquels la fermentation
produit d'un côté des Beaumes & des
Effences ; de l'autre , des eaux limpides ,
chargées néanmoins de particules les
plus odoriférantes . Là par d'autres
moyens , de fucs épaiffis , paîtris avec
l'émail des perles , ils compofent des
pomades , qui donnent à la peau un
éclat dont la Nature même envieroit le
fecret. Dans un autre endroit des mains
fubtiles préparent des poudres d'un
FEVRIER . 1763. 41
S
S
C
parfum exquis , tandis que dans un
lieu plus réſervé on broye la matière
qui donne aux rofes leur incarnat , &
qui fert fi bien à réparer celui dont
brille la Beauté. Jufqu'aux infectes entrent
dans leurs magiques compofitions.
On extrait leur fombre couleur ;
on l'applique fur des tiffus de foie découpés
; on les feme comme des taches
fur un beau tein , dont ce contrafte fait
valoir la blancheur. Pardonne , ô Vénus
fi je viens de mettre au jour quelques
foibles notions des mystères que tu m'as
révélés ; nos jeunes Grecques ne pourront
en concevoir ni l'ufage ni le ſecret.
Des Prêtreffes , d'un ordre particulier,
ont la garde & la direction de ce Palais.
Elles vinrent au-devant des nouveaux
Epoux avec des parfums & des
guirlandes de fleurs . La fuite de l'Hymen
& celle de l'Amour y entrerent avec
eux. On invita la belle Pfyché à uſer
des bains que les Amours avoient préparés
de concert avec les Prêtreffes . La
Volupté , ordonnatrice de ces nôces ,
n'avoit pas négligé cette partie. Sous
des berceaux de myrthes & de jaſmins ,
inacceffibles à la chaleur du jour , des
baffins d'un criſtal auffi pur que le dia42
MERCURE DE FRANCE .
mant contiennent une onde auffi brillante
que les baffins mêmes, Des paliffades
de rofes & d'orangers en forment
les lambris . On fit entrer d'abord Pfyché
dans des cabinets prochains , que
la lumière ne pénetre pas , où la pudeur
elle- même difputa aux Prêtreffes l'honneur
de deshabiller la jeune Epoufe..
Quand il fut queftion de l'introduire
dans le lieu où l'onde devoit baigner
fon corps immortel , les Prêtreffes , un
peu jaloufes de l'air impérieux de
la Pudeur & du fervice qu'elle venoit
de leur enlever , parlerent de
lui interdire l'entrée du Bain : mais Pfyché
ne voulut point en être féparée ; elle
pria les Graces de lui donner la main .
La Pudeur rougit légérement ; les Gráces
lui fourirent , & toutes quatre réunies
dépoferent dans l'eau leur nouvelle
Maîtreffe.
Dans des Bains non moins délicieux
une troupe riante & légere avoit conduit
l'Amour. L'Hymen y accompagnoit
fon frère , tandis que les Plaifirs , difperfés
de toutes parts dans ces beaux
lieux , fe difpofoient aux fêtes qui devoient
remplir la foirée d'un fi grand
jour.
La fuite au Mercure prochain.
OU L'EXIL DE LA PUDEUR,
Traduction libre d'un petit Poëme
trouvé dans les ruines de la Grèce.
PREMIER CHAN T.
TOUS ous les Dieux , favorables au voeu
de l'Amour , avoient calmé la jalouſẹ
colere de Vénus. Dès que le Deſtin
eut prononcé le bonheur de Psyché
l'Amour lança fur la terre un regard
enflâmé ; & plus rapidement que la
vapeur légère eft attirée vers le foleil ,
FEVRIER. 1763.
33
auffitôt Psyché fut élevée à la plus
haute Région des airs. A la voix de ce
Dieu , les Portes dorées de l'Olympe
s'ouvrirent , pour recevoir la Beauté
qui alloit l'embellir d'un nouvel éclat.
Quelles Portes ont jamais reſiſté à l'Amour
? Il tend à fon Amante une main
bienfaictrice , & de l'autre il éffuye les
derniers pleurs échappés de fes beaux
yeux ; lui-même la conduit au trône
de Jupiter. Le Maître de l'Univers
devoit trop à l'Amour pour ne pas fe
hâter de remplir fes defirs. Il appelle le
Dieu d'Hymen , & la main qui lance
le tonnerre allume les flambeaux d'Hymenée.
Il fait avancer les deux Epoux ,
on les couronne de fleurs immortelles.
LAmour approcha fes lévres divines
des lévres de Pfyché , & de la
cîme impénétrable de l'Olympe , le
Deftin cria Pfyché eft immortelle.
Toute la Cour célefte étoit affemblée ;
la jeune Pfyché y parut comme ces
aftres nouveaux que le Firmament momtre
quelquefois à la terre. La Reine
des Cieux , la fuperbe Junon , jettoit
un coup d'oeil de côté fur Vénus
& Junon fe croyoit vengée de l'outrage
de Paris ; mais Vénus dont
l'ame molle & tendre ne peut receler
ا و
B v
34 MERCURE DE FRANCE .
des haines éternelles , comme les autres
Divinités , Vénus voyoit alors avec complaifance
dans la belle Pfyché l'époufe
de fon fils. En la conſidérant, la Déeffe
imaginoit ne voir qu'elle-même dans
cette Beauté ; Pfyché regarda l'Amour ;
Vénus crut voir encore mieux qu'ellemême.
Tandis que le Ciel retentiffoit de
l'Hymne facrée , dont la Reprife étoit ,
La Beauté pour jamais eft unie à l'Amour
: l'Amour a rendu la Beauté immortelle
; la jeune Epoufe prenoit l'ambrofie
des mains de Comus , & de celles
d'Hébé elle recevoit la coupe du nectar.
Je crois connoître , dit Pfyché en
fouriant à la Jeuneffe , oui je connois
déja cette éffence de la Divinité , je l'ai
goûtée fur les lévres de l'Amour.
Après ectte célébration de l'Hymenée ,
Vénus demanda aux Dieux qu'il s'achevât
fur la terre . Je veux que mà
nouvelle fille foit reconnue dans mon
empire ; je veux qu'elle tienne ma pla→
ce fur mes autels. La nouveauté rallumera
l'encens de mes fujets ; & l'encens
qui brulera pour la nouvelle Déeffe
ne fera pour moi qu'un hommage de
plus qui affermira mon culte. Il faut
que toute ma Cour accompagne l'éFEVRIER.
1763. 35
poufe de mon fils ; la Cour de Vénus
eft celle de la Beauté. Elle dit , & tournant
fa tête enchantereffe , pour appeller
les Grâces , les boucles d'or de fa
chevelure vinrent toucher un côté dé
fon fein d'ivoire . Si un feul mouvement
des yeux de Jupiter fait trembler l'Olympe
; à ce tour de tête de Vénus ;
l'Olympe éprouve toujours un doux frémiffement
& les Immortels ont en
cet inftant un fentiment plus intime
de la divinité de leur être.
Un coup d'oeil dé Vénus a bientôt
raffemblé les Grâces autour d'elle. La
Déeffe remit Pfyché entre leurs mains ,
& les chargea du foin de fa parure .
La vénérable Pudeur , préfentée par
' Hymen à qui elle faifoit affidument
la cour , fut donnée à la jeune Époufe
pour premiere compagne. ( a ) Ainfi
tout difpofé , il fut arrêté que le cortége
de cette nôce célefte fe rendroit
fur la terre. Paphos , où la volupté
avec les jeux & les plaifirs , étoit déja
arrivée , fut le lieu défigné par Vénus
pour achever les nôces de l'Amour &
pour en célébrer les fêtes .
( a ) Ce qui , dans nos moeurs & dans no
langage fignifieroit. Dame d'Honneur.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
DEUXIEME CHANT.
Tout Paphos attendoit la nouvelle
Déïté. La Renommée, fi prompte à fervir
l'Amour fouvent même fans attendre fes
ordres , la Renommée avoit été chargée .
de l'annoncer. Les Prêtreffes avoient orné
le Temple ; auparavant elles s'étoient
parées de tout ce qu'elles avoient de
plus brillant. L'encens fumoit fur les
autels ; l'encens de Paphos eft d'un
parfum plus exquis que celui qui brûle
dans les autres Temples. En s'élevant
par de longs tourbillons à la hauteur
des nues , il fe joignoit aux divins parfums
, dont fillonnoit les airs la céleſte
troupe fur fon paffage. Le fpectacle de
cette marche étoit invifible aux prophanes
mortels ; mais l'odeur délicieufe
des parfums portoit au loin la volupté
dans les ames. Les Voyageurs , navigans
fur ces Côtes , étoient faifis d'une
myftique yvreffe , dont ils ignoroient
la caufe , qui faifoit abandonner au
Pilote le foin de fa manoeuvre , & détefter
au Paffager la rapidité des flots
qui l'écartoient de ce rivage.
Les Peuples heureux de l'Empire de
Vénus , accourus en foule autour de
fon autel , apperçurent bientôt une coFEVRIER.
1763. 37
lonne lumineufe , d'un feu doux &
pur , qui defcendoit par l'ouverture de
la coupole , fur le piedeſtal facré , d'où
la Déeffe dicte ordinairement fes loix
& fes oracles. La colonne fe diffipe
& découvre à tous les yeux la nouvelle
Immortelle ; à fes côtés font
Hymen & l'Amour qui l'éclairent chacun
de leur flambeau. Mais le reflet
de celui de l'Amour est le plus fenfible
fur cette jeune Beauté. A fa vue
rout eft faifi d'un faint & tendre refpect
. Tel eft le pouvoir de la Beauté ,
que dès qu'elle paroît , tous les Peuples
Fadorent. Vénus, du haut des Cieux jouit
de la ferveur qu'elle-même elle infpire.
C'est alors fon ouvrage , elle n'en eft
plus irritée. Chaque amante , dans Paphos
, tremble en fecret que fon amant
ne devienne , quoique fans efpoir , le
rival de l'Amour. Dans les accès d'un
nouveau zéle les jeunes habitans de
Paphos volent aux pieds de Pfyché ,
porter en offrande les tendres dons que
d'imprudentes Beautés leur ont faits
foit en parures , foit en bracelets de
cheveux
, beaucoup plus chers à la
tendreffe que les plus riches ornemens.
Après avoir reçu l'adoration des mortels
, l'Amour conduifit fa nouvelle
?
38 MERCURE DE FRANCE .
époufe dans le Palais qui joint le Temple.
Les arts à l'envi ont décoré ce voluptueux
& brillant féjour. La Troupe
nuptiale parcourt quelques momens les
principales Piéces de ce Palais , d'où
l'on paffe bientôt dans les Jardins. C'eft
ici que les Mufes n'ont point de crayons
pour peindre ce que ces lieux renferment
de délices. Quel oil peut pénétrer
dans les bofquets de Paphos ! Tout
y refpire , tout y foufle l'efprit ineffable
des myftères de la Divinité qui les habite.
C'est tout ce qu'il eft permis à un
Mortel d'en décrire ; c'eft tout ce qu'il
eft permis aux prophanes d'en fçavoir.
Entre ces bofquets enchantés , s'élévent
, affez près l'un de l'autre , deux
Palais inférieurs au Palais principal
où la feule galanterie a fuivi les ordres
de la volupté . L'un de ces Palais appartient
plus particulierement à l'Amour.
C'eſt le Dieu même qui en a donne les
plans , c'eft lui qui en a dirigé la diftribution.
Comme en ce lieu tout parloit
à Pfyché de fon amant , foit par
un fouvenir de fes peines paffées , foit
par un fentiment de fon bonheur préfent
, elle fentit en y entrant une fecrete
émotion. L'Hymen, qui ne connoit que
trop ce lieu féducteur , en fouffioit im
>
FEVRIER. 1763 . 39
patiemment le féjour ; & la Pudeur toujours
attentive à lui complaire , cherchoit
à en faire éloigner la jeune Époufe:
l'Amours'en apperçût ; un regard de dépit
fit fentir à la vénérable Compagne
qu'il n'aimoit pas les contradictions :
mais l'Hymen méritoit des égards ( au
moins dans ces premiers jours )
, ,
Pfyché ne fut arrêtée dans ce Palais
qu'autant qu'il falloit pour lui donner
une idée de fes charmes. L'Amour la
promena dans les parterres qui environnent
fes cabinets. Là naiffent & fe
renouvellent en toutes faifons les
plus agréables fleurs du Printemps. La
tendre Pfyché y remarqua des rofes
admirables qui fe tournoient d'ellesmêmes
vers l'Amour & qui en prenoient
une fraicheur nouvelle . L'Amour,
dit- elle , eft l'Aftre qui fait éclore les
Rofes ; c'eſt fon influence qui conferve
leur beauté.
TROISIEME CHANT .
On communique par les parterres
du Palais fecret de l'Amour , à celui
où Venus vient fouvent étudier ce qui
peut faire fentir aux Mortels quelque
nouvel effet de fon pouvoir. Ce lieu
eft agréablement magique . LaCoquet40
MERCURE DE FRANCE .
,
terie y travaille fans ceffe à mille fe
crets au-deffus de l'imagination humaine.
Ce que l'induftrieufe abeille
fait pour l'utilité des hommes une
troupe d'enfans aîlés , par un art furnaturel
, l'exécute pour la toilette de leur
Souveraine. Lorſque l'aurore annonce
le Dieu de la lumière , & lorfqu'il rentre
dans les Palais de Thétis , ces enfans
voltigent autour des plantes & des
fleurs ; ils en tirent tout ce qui eft
propre à leur galante chymie . On dépofe
la précieufe récolte dans des corbeilles
d'or ; à travers les tiffus plus ou
moins ferrés de ce métal , on fépare , on
diftingue ce qui convient à chaque opération.
Ici , par l'agitation de leurs
aîles , ils éxcitent , à divers degrés , le
feu de leurs flambeaux , pour échauffer
des vafes , dans lefquels la fermentation
produit d'un côté des Beaumes & des
Effences ; de l'autre , des eaux limpides ,
chargées néanmoins de particules les
plus odoriférantes . Là par d'autres
moyens , de fucs épaiffis , paîtris avec
l'émail des perles , ils compofent des
pomades , qui donnent à la peau un
éclat dont la Nature même envieroit le
fecret. Dans un autre endroit des mains
fubtiles préparent des poudres d'un
FEVRIER . 1763. 41
S
S
C
parfum exquis , tandis que dans un
lieu plus réſervé on broye la matière
qui donne aux rofes leur incarnat , &
qui fert fi bien à réparer celui dont
brille la Beauté. Jufqu'aux infectes entrent
dans leurs magiques compofitions.
On extrait leur fombre couleur ;
on l'applique fur des tiffus de foie découpés
; on les feme comme des taches
fur un beau tein , dont ce contrafte fait
valoir la blancheur. Pardonne , ô Vénus
fi je viens de mettre au jour quelques
foibles notions des mystères que tu m'as
révélés ; nos jeunes Grecques ne pourront
en concevoir ni l'ufage ni le ſecret.
Des Prêtreffes , d'un ordre particulier,
ont la garde & la direction de ce Palais.
Elles vinrent au-devant des nouveaux
Epoux avec des parfums & des
guirlandes de fleurs . La fuite de l'Hymen
& celle de l'Amour y entrerent avec
eux. On invita la belle Pfyché à uſer
des bains que les Amours avoient préparés
de concert avec les Prêtreffes . La
Volupté , ordonnatrice de ces nôces ,
n'avoit pas négligé cette partie. Sous
des berceaux de myrthes & de jaſmins ,
inacceffibles à la chaleur du jour , des
baffins d'un criſtal auffi pur que le dia42
MERCURE DE FRANCE .
mant contiennent une onde auffi brillante
que les baffins mêmes, Des paliffades
de rofes & d'orangers en forment
les lambris . On fit entrer d'abord Pfyché
dans des cabinets prochains , que
la lumière ne pénetre pas , où la pudeur
elle- même difputa aux Prêtreffes l'honneur
de deshabiller la jeune Epoufe..
Quand il fut queftion de l'introduire
dans le lieu où l'onde devoit baigner
fon corps immortel , les Prêtreffes , un
peu jaloufes de l'air impérieux de
la Pudeur & du fervice qu'elle venoit
de leur enlever , parlerent de
lui interdire l'entrée du Bain : mais Pfyché
ne voulut point en être féparée ; elle
pria les Graces de lui donner la main .
La Pudeur rougit légérement ; les Gráces
lui fourirent , & toutes quatre réunies
dépoferent dans l'eau leur nouvelle
Maîtreffe.
Dans des Bains non moins délicieux
une troupe riante & légere avoit conduit
l'Amour. L'Hymen y accompagnoit
fon frère , tandis que les Plaifirs , difperfés
de toutes parts dans ces beaux
lieux , fe difpofoient aux fêtes qui devoient
remplir la foirée d'un fi grand
jour.
La fuite au Mercure prochain.
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Résumé : MAL-A-PROPOS, OU L'EXIL DE LA PUDEUR, Traduction libre d'un petit Poëme trouvé dans les ruines de la Grèce.
Le poème 'Mal à propos, ou l'exil de la pudeur' raconte l'union de Psyché et de l'Amour, favorisée par les dieux après que la jalousie de Vénus ait été apaisée. L'Amour élève Psyché dans les airs et la conduit au trône de Jupiter, où ils sont mariés en présence de toute la cour céleste. Psyché est acclamée comme une nouvelle divinité et Vénus, malgré ses anciennes rancœurs, reconnaît en Psyché une beauté qui lui rappelle la sienne, la considérant comme l'épouse de son fils. Après la célébration, Vénus demande que Psyché soit reconnue sur terre et qu'elle tienne sa place dans son empire. La cour de Vénus, accompagnée des Grâces, prépare Psyché pour son voyage sur terre. La Pudeur est désignée comme sa première compagne. Le cortège se rend à Paphos, où les noces doivent être achevées. À Paphos, la Renommée annonce l'arrivée de la nouvelle déité. Les prêtres et le peuple se préparent pour l'accueillir. Psyché descend sous forme d'une colonne lumineuse, accompagnée de l'Amour et d'Hymen. Elle est adorée par les habitants, qui lui offrent des présents. L'Amour conduit ensuite Psyché dans un palais décoré par les arts, où ils parcourent les jardins enchantés. Le poème décrit également les mystères et les secrets de la coquetterie et de la beauté, gardés par des prêtresses. Psyché et l'Amour prennent des bains préparés par les Amours et les prêtresses, sous des berceaux de myrtes et de jasmins. La Pudeur, malgré les tentatives des prêtresses de l'exclure, accompagne Psyché dans le bain.
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78
p. 35-38
CRISTALLIDE LA CURIEUSE, CONTE tiré des MILLE ET UNE NUITS.
Début :
QUI veut garder une femme, s'abuse ; [...]
Mots clefs :
Jaloux, Ruse, Fragilité, Sexe féminin, Beauté
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texteReconnaissance textuelle : CRISTALLIDE LA CURIEUSE, CONTE tiré des MILLE ET UNE NUITS.
CRISTALLIDE LA CURIEUSE ,
CONTE tiré des MILLE ET UNE
QUI
NUITS.
UI veut garder une femme ,s'abufe ;
L'art de tromper fut de tout temps leur lot ;
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
La moins fubtile a toujours quelque rufe ;
Et le jaloux finit par être for.
De leur vertu repofez-vous fur elle.
Mais en ce cas feront- elles fidéles ?
Oui- dà ! peut-être ; mais du moins
Vous vous épargnerez des foins.
Schariar , Roi de l'Inde & Schagenan fon frere,
Tous deux beaux & bienfaits , furprirent un matin
Leurs très -chaftes moitiés s'embarquant pour Cythère
,
L'une avec un Faquir , & l'autre avec un Nain .
Sur ces couples galans tous deux firent mainbaſſe
;
C'étoit trop de rigueur : chez nous on eût fait
grace
A la fragilité du Séxe féminin ;
Mais fur les bords groffiers du Gange ,
De Joconde & du Roi Lombard
Le cas dut fembler fort étrange ,
Si tel cas doit pourtant étonner quelque part.
Tout vengé qu'il étoit , Schariar plein de rage ,
Ne pouvoit digérer qu'on eût fait cet outrage
Au front augufte d'un Sultan.
Mon cher frére , dit-il , un jour à Schagenan ,
Sortons de ce Palais où cette horrible image
Sans ceffe eft préſente à mes yeux .
Les voilà tous deux en voyage.
Près des bords de la mer un bois délicieux
Par fa fraicheur & fon ombrage
MARS. 1763. 37
Contre les traits du jour leur prêtoit du couverr ;
Lorfque du fein des flors ouvert ,
Ils virent à grand bruit s'élever jufqu'aux nues
Un Coloffe éffrayant , qui d'écume couvert
Traverſoit les ondes émues.
D'un haut cédre à l'inftant ils gagnent le fommer,
Non fans invoquer Mahomet.
Le Coloffe aborde & prend tèrre.
Des noirs enfans d'Eblis c'étoit le plus hideur s
Son dos étoit chargé d'une caiſſe de vèrre.
Il la poſe à quelques pas d'eur ,
Ouvre avec quatre clefs tout autant de ferrures.
Il en fort une Déité
Brillante de l'éclat des plus belles parures ,
Plus brillante cent fois encor de fa beauté.
>> Dame qui plaifez feule à mon âme enchantée ,
Dit notre Poly phême à cette Galatée :
» Séyez-vous près de moi , j'ai besoin de repost
La Belle , à ce galant propos ,
S'affit ; & le Monftre difforme
Des genoux de Vénus faifant fon oreiller ,
Il repofe fa tête énorme ,
S'endort & bientôt ronfle à faire tout trembler..
La Dame étoit très - éveillée :
Sur le faîte de l'arbre elle apperçoit nos gens ,
Qui fe cachoient fous la feuillée..
Par mille geftes obligeans,,
A defcendre elle les convie.
Bux de s'en excufer , en montrant le Génie
38 MERCURE DE FRANCE.
A ce Monftre auffitôt dérobant fes genoux ,
Elle fe léve , accourt , & leur dit en courroux :
Ou defcendez , ou je l'éveille.
Ils defcendirent donc . Alors , d'un ton plus doux :
Profitons du temps qu'il fommeille.
Voyez- vous ce gazon... puis fans dire le refte ,
En rougiffant elle y guida leurs pas ;
Mais que ce fût une rougeur modeſte ,
Ami Lecteur , vous ne le croirez pas.
La Dame étoit grande caufeuſe ;
Mais je fupprime l'entretien :
Suffit qu'elle prouva très bien
Qu'on ne la nommoit pas pour rien
Criftallide la Curieufe .
De chaque Prince enfuite exigeant un anneau
En voici cent , dit - elle , en y joignant les vôtres ,
Cent de bon compte qui font nôtres ,
Cent qu'à caufer aînſi j'ai gagné bien & beau ,
Et j'efpére en gagner bien d'autres,
Malgré les foins jaloux de ce vilain brutal ;
Malgré fa prifon de criftal.
Adieu , Prince , partez , Mahomet vous le rende ;
Son paradis fans doute a des plaifirs bien doux ; .
Mais croyez-moi , tromper un furveillant jaloux >
Il n'eft point ici-bas de volupté plus grande :
C'eſt vrai plaifir de femme & le premier de tous.
Elle court à ces mots rejoindre le Génie ,
Souléve fa tête endormie ,
Et la remet fur les genoux.
CONTE tiré des MILLE ET UNE
QUI
NUITS.
UI veut garder une femme ,s'abufe ;
L'art de tromper fut de tout temps leur lot ;
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
La moins fubtile a toujours quelque rufe ;
Et le jaloux finit par être for.
De leur vertu repofez-vous fur elle.
Mais en ce cas feront- elles fidéles ?
Oui- dà ! peut-être ; mais du moins
Vous vous épargnerez des foins.
Schariar , Roi de l'Inde & Schagenan fon frere,
Tous deux beaux & bienfaits , furprirent un matin
Leurs très -chaftes moitiés s'embarquant pour Cythère
,
L'une avec un Faquir , & l'autre avec un Nain .
Sur ces couples galans tous deux firent mainbaſſe
;
C'étoit trop de rigueur : chez nous on eût fait
grace
A la fragilité du Séxe féminin ;
Mais fur les bords groffiers du Gange ,
De Joconde & du Roi Lombard
Le cas dut fembler fort étrange ,
Si tel cas doit pourtant étonner quelque part.
Tout vengé qu'il étoit , Schariar plein de rage ,
Ne pouvoit digérer qu'on eût fait cet outrage
Au front augufte d'un Sultan.
Mon cher frére , dit-il , un jour à Schagenan ,
Sortons de ce Palais où cette horrible image
Sans ceffe eft préſente à mes yeux .
Les voilà tous deux en voyage.
Près des bords de la mer un bois délicieux
Par fa fraicheur & fon ombrage
MARS. 1763. 37
Contre les traits du jour leur prêtoit du couverr ;
Lorfque du fein des flors ouvert ,
Ils virent à grand bruit s'élever jufqu'aux nues
Un Coloffe éffrayant , qui d'écume couvert
Traverſoit les ondes émues.
D'un haut cédre à l'inftant ils gagnent le fommer,
Non fans invoquer Mahomet.
Le Coloffe aborde & prend tèrre.
Des noirs enfans d'Eblis c'étoit le plus hideur s
Son dos étoit chargé d'une caiſſe de vèrre.
Il la poſe à quelques pas d'eur ,
Ouvre avec quatre clefs tout autant de ferrures.
Il en fort une Déité
Brillante de l'éclat des plus belles parures ,
Plus brillante cent fois encor de fa beauté.
>> Dame qui plaifez feule à mon âme enchantée ,
Dit notre Poly phême à cette Galatée :
» Séyez-vous près de moi , j'ai besoin de repost
La Belle , à ce galant propos ,
S'affit ; & le Monftre difforme
Des genoux de Vénus faifant fon oreiller ,
Il repofe fa tête énorme ,
S'endort & bientôt ronfle à faire tout trembler..
La Dame étoit très - éveillée :
Sur le faîte de l'arbre elle apperçoit nos gens ,
Qui fe cachoient fous la feuillée..
Par mille geftes obligeans,,
A defcendre elle les convie.
Bux de s'en excufer , en montrant le Génie
38 MERCURE DE FRANCE.
A ce Monftre auffitôt dérobant fes genoux ,
Elle fe léve , accourt , & leur dit en courroux :
Ou defcendez , ou je l'éveille.
Ils defcendirent donc . Alors , d'un ton plus doux :
Profitons du temps qu'il fommeille.
Voyez- vous ce gazon... puis fans dire le refte ,
En rougiffant elle y guida leurs pas ;
Mais que ce fût une rougeur modeſte ,
Ami Lecteur , vous ne le croirez pas.
La Dame étoit grande caufeuſe ;
Mais je fupprime l'entretien :
Suffit qu'elle prouva très bien
Qu'on ne la nommoit pas pour rien
Criftallide la Curieufe .
De chaque Prince enfuite exigeant un anneau
En voici cent , dit - elle , en y joignant les vôtres ,
Cent de bon compte qui font nôtres ,
Cent qu'à caufer aînſi j'ai gagné bien & beau ,
Et j'efpére en gagner bien d'autres,
Malgré les foins jaloux de ce vilain brutal ;
Malgré fa prifon de criftal.
Adieu , Prince , partez , Mahomet vous le rende ;
Son paradis fans doute a des plaifirs bien doux ; .
Mais croyez-moi , tromper un furveillant jaloux >
Il n'eft point ici-bas de volupté plus grande :
C'eſt vrai plaifir de femme & le premier de tous.
Elle court à ces mots rejoindre le Génie ,
Souléve fa tête endormie ,
Et la remet fur les genoux.
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Résumé : CRISTALLIDE LA CURIEUSE, CONTE tiré des MILLE ET UNE NUITS.
Le conte 'Cristallide la curieuse' des Mille et Une Nuits explore la difficulté de garder une femme fidèle et les dangers de la jalousie. Les rois Schariar et Schagenan, frères et souverains de l'Inde, découvrent leurs épouses avec des amants. Indignés, ils quittent leur palais et se cachent près de la mer. Ils observent un colosse effrayant transportant une caisse de verre, d'où sort une déité magnifique nommée Cristallide. Elle invite les princes à descendre et les conduit à un endroit isolé pour prouver sa réputation de grande causeuse. Cristallide exige un anneau de chaque prince en échange de ses faveurs, affirmant en avoir déjà cent. Elle les encourage à profiter des plaisirs de la vie et à tromper les jaloux, avant de rejoindre le colosse endormi.
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79
p. 44-45
A Son Excellence MARIE PAWLOVNA NARISKIN VERS à l'occasion des Fêtes pour le Couronnement de CATHERINE II, Impératrice de toutes les Russies.
Début :
EST- CE Vénus, ou Terpsicore, [...]
Mots clefs :
Vénus, Amours, Terpsichore, Volupté, Beauté
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texteReconnaissance textuelle : A Son Excellence MARIE PAWLOVNA NARISKIN VERS à l'occasion des Fêtes pour le Couronnement de CATHERINE II, Impératrice de toutes les Russies.
A Son Excellence MARIE PAWLOVNA
NARISKIN
VERS à l'occafion des Fêtes pour le
Couronnement de CATHERINE II ,
Impératrice de toutes les Ruffies.
EST- CE ST - Cв Vénus , ou Terpficore ,
Qui frappe nos regards dans ce cercle enchanté ?
Sous les pas elle fait éclore
Les Amours & la Volupté.
C'eft la taille d'Hébé , la fraîcheur de l'Aurore ,
La vivacité de Flore ,
D'Eglé la légéreté.
C'eft Nariskin , c'eft plus encore :
Elle unit tout , les grâces , la beauté.
Sous quelque forme différente ,
Qu'elle cherche à le déguifer ,
Toujours noble , toujours charmante ,
Rien ne fauroit la métamorphofer.
Chacun s'écrie , en la voyant paroître ,
Le mafque en vain veut nous cacher les traits
AVRIL. 1763. 45
" C'eſt Nariskin ! qui peut la méconnoître ?
Nulle autre n'a fon air & fes attraits .
Par M. RAOULT.
NARISKIN
VERS à l'occafion des Fêtes pour le
Couronnement de CATHERINE II ,
Impératrice de toutes les Ruffies.
EST- CE ST - Cв Vénus , ou Terpficore ,
Qui frappe nos regards dans ce cercle enchanté ?
Sous les pas elle fait éclore
Les Amours & la Volupté.
C'eft la taille d'Hébé , la fraîcheur de l'Aurore ,
La vivacité de Flore ,
D'Eglé la légéreté.
C'eft Nariskin , c'eft plus encore :
Elle unit tout , les grâces , la beauté.
Sous quelque forme différente ,
Qu'elle cherche à le déguifer ,
Toujours noble , toujours charmante ,
Rien ne fauroit la métamorphofer.
Chacun s'écrie , en la voyant paroître ,
Le mafque en vain veut nous cacher les traits
AVRIL. 1763. 45
" C'eſt Nariskin ! qui peut la méconnoître ?
Nulle autre n'a fon air & fes attraits .
Par M. RAOULT.
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Résumé : A Son Excellence MARIE PAWLOVNA NARISKIN VERS à l'occasion des Fêtes pour le Couronnement de CATHERINE II, Impératrice de toutes les Russies.
Le poème de M. Raoult, daté d'avril 1763, est dédié à Marie Pawlovna Nariskin lors du couronnement de Catherine II. Il la compare à des figures divines, soulignant sa grâce, beauté, fraîcheur, vivacité et légèreté. Nariskin est décrite comme noble et charmante, unique en son genre.
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80
p. 147-148
LOGOGRYPHE.
Début :
Je régne sans effort, mon joug est passager, [...]
Mots clefs :
Beauté