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1
p. 1376-1392
Anecdotes de la Cour de Philippe Auguste, [titre d'après la table]
Début :
Il vient de paroître un nouvel Ouvrage, en 3 vol. in 12. que nous avons [...]
Mots clefs :
Roger, Philippe Auguste, Cour, Roi, Anecdotes, Raoul, Amour, Roman, Coucy, Gloire, Coeur, Père, Alix de Rosoit, Champagne, Adélaïde, Nature, Sentiments
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texteReconnaissance textuelle : Anecdotes de la Cour de Philippe Auguste, [titre d'après la table]
L vient de paroître un nouvel Ouvrage
, en 3 vol. in 12, que nous avons
déja annoncé sous ce Titre : Anecdotes de
la Cour de Philippe - Auguste. Il se vend
à Paris , chez la veuve Pissot , au bout du
Pont-NeufQuai de Conti , à la Croix d'or.
Le prix est de 6 liv . broché.
Dans le temps que nous nous dispo-
II. Vol. sions
JUI N. 1733 .
1377
sions à donner un Extrait de cet Ouvrage
, nous avons reçû d'un Anonyme ,
celui que nous inserons icy .
Si l'accueil favorable que l'on fait à un
Ouvrage dès qu'il paroît , si le débit le
plus rapide étoient les Titres assurés de
son mérite , il seroit tres- inutile de parler
des Anecdotes de la Cour de Philippe-
Auguste; ce Livre joüit pleinement dès sa
naissance de ce double avantage.
Mais il arrive assez souvent que la
nouveauté éblouisse , sur tout dans un
genre d'écrire inconnu , et original ;
et que la curiosité , honteuse en quelque
façon , d'avoir d'abord été seduite
pour s'être trop livrée , se refroidisse
bien- tôt , si même elle ne dégenere
ou en mépris , ou en satire.
Icy , les applaudissemens universels de
la Cour , de la Ville , des Gens de Let
tres , des Judicieux Critiques , se son
réunis en faveur de ce dernier Ouvrage
de Mademoiselle de Lussan; et cette voix
ou plutôt cette clameur unanime con
tient les Personnes même de mauvaise
humeur , qui font toujours les difficiles ,
et qui peut- être ne soutiennent l'idée
qu'elles veulent donner de leur discer
nement et de leur bon goût , qu'en refusant
aux meilleures choses , d'un ton
11. Vol.
Fija sé1378
MERCURE DE FRANCE
severe, ou qu'en leur disputant, au moins
avec un scrupule affecté , les justes et
sinceres éloges , dont elles sont veritablement
dignes.
C'est beaucoup hazarder que d'oser
faire la planche d'un nouveau genre d'écrire
!L'autheur s'est ouvert des routes
peu connues , en liant à un fond d'Histoire
bien choisi , et tres convenable
des Episodes , qui sans sortir du vrai ton
historique , servent à rendre son sujet ét
plus interressant et plus instructif. Le
vrai et le vrai semblable se perdent dans
un mélange imperceptible ; et à la faveur
de cette liberté du Théatre Tragique ,
l'Autheur retranche d'un côté les longueurs
, les froideurs , les mauvais exemples
qui tiennent souvent à une histoire
exacte ; et de l'autre , il se ménage mille
beautez amenées , avec un art infini ,bien
jointes , par tout soutenuës ; elles naissent
les unes des autres , sans qu'on apperçoive
la chaîne ; et cela , par l'attention
qu'a euë l'Autheur de jetter à propos
les fonds éloignez des évenemens que
l'on voit se développer et éclore avec un
ordre admirable , et chacuns dans leurs
places naturelles. Aussi peut on dire
que la structure du corps de l'Ouvrage
est parfaite en son genre ; qu'elle ne pou-
-
II. Vol. voit
JUIN. 1379 1733.
voit être mieux proportionnée au dessein
, et qu'elle passera toujours pour un
modele.
Le sujet est pris dans les premieres années
du Regne de Philippe - Auguste ,
aussi surnommé le Conquerant. L'on sçait
ce que la France a dû à ce Monarque ; il
monta sur le Thrône à quinze ans , et dèslors
il entra avec tant de maturité dans
le Gouvernement , que les Historiens disent
de lui : Qu'il ne fut jamais jeune , et
que la sagesse l'avoit fait aller audevant
de Pexperience.
Les Grands Rois font les grands Hommes.
La Cour de Philippe en fut une
preuve : C'est dans les secrets et dans les
Evenemens de cette Cour si distinguée ,
que l'Autheur entre pour en faire connoître
la délicatesse et l'élevation . L'on
y voit des Héros qui ont réelement existé
; on les voit partagez entre la Gloire et
l'Amour ; mais dans le vrai, sans que rien
se ressente ni du Roman , ni de ses avantures.
Comme les interêts sont et multipliez
et variez , et relatifs tout ensemble
, le Titre d'Anecdoctes d'une Cour , où
l'Autheur puise ses sujets pour en former
un tout semble un Titre tiré du
fond même de ce qu'il traite. Il est bien
vrai que les plus grands jours viennent
>
II. Vol. Fiij fcap1380
MERCURE DE FRANCE
frapper Roger de Champagne , Comte
de Réthel , mais il s'en faut bien qu'il ne
les absorbe tous ; ils sont distribuez sur
beaucoup d'illustres sujets qui composoient
la Cour de Philippe : On les y voit
placez à des points de vûë tres- interessans
; et ils y représentent , avec un éclat
marqué , sur tout Raoul , Sire de Couci ,
marche de pair , d'un bout à l'autre avec
Roger de Champagne ; l'addresse de
l'Auteur à unir ces deux jeunes Héros par
les liens d'une amitié de l'ordre de celles
que les Anciens ont consacrées , et par
les prochains rapports des inclinations
propres des grands Hommes, fait paroître
Roger et Raoul comme ne faisant ensemble
qu'un coeur ,qu'une ame et qu'une
même vertu. Aussi sont - ils toujours
peints des mêmes couleurs , sans être
confondus ; et si Roger a quelques nuances
de plus , ce plus est presque insensible.
Alberic du Mez , Maréchal de France,
fils de Robert Clement , Gouverneur du
Roy et premier Ministre , le Comte des
Barres , connu sous le nom de Rochefort,
Grand Sénéchal , suivent de près les deux
premiers ; ils courent en tout genre les
mêmes Carrieres , et l'Autheur entrelasse
tellement tous leurs interêts , que
11. Vol. le
JUIN. 1733. 1381
le Lecteur toujours en attente , est sans
cesse dans l'impatience de voir les Eve
nemens qu'il ne peut deviner , mais qui
l'étonnent et le satisfont enfin par tout.
Si l'on voit en Hommes ce que la
Cour de Philippe avoit de plus considerable
, l'on y voit en Femmes ce qu'elle
avoit de plus distingué ; et ce qu'on vit
peut-être jamais de plus surprenant . Alix
de Rosoi , sa mere , la Comtesse de Rosoi
, Adelaide de Couci , fille d'Enguerrand
, surnommé le Grand , et soeur de
Raoul , Sire de Couci , Mademoiselle du
Mez , fille de Robert Clement , soeur
d'Alberic du Mez , tous deux Maréchaux
de France , dans un temps où cette Dignité
étoit unique ; toutes ces Personnes,
dont la beauté faisoit le moindre ornement,
jettent dans l'Ouvrage un inte
rêt infini:Elles étoient les premiers Partis
du Royaume , et les noeuds des plus belles
Alliances , où l'on pouvoit aspirer ;
mais les coeurs ne se commandent pas , et
leurs penchants ou leurs répugnances ,
que l'Autheur connoît à fond et sçait
manier d'une main de maître , lui ouvrent
un champ où il épuise les douceurs
, et les maux , les esperances et les
desespoirs de l'amour , sans avoir jamais à
rougird'en avoir flatté ses foiblesses.Quels
II. Vol.
Fiiij mor1382
MERCURE DE FRANCE
morceaux , quelles situations , quels coups
de Theatre ne pourroit- on pas rapporter,
si l'Analise de cet Ouvrage précis, et par
tout d'une chaleur égale , étoit possible !
mais il faut taire tout , ou tout rapporter
; ou plutôt il faut tout lire : Bien des
personnes relisent plus d'une fois , et se
rendent propre cet Ouvrage , après ne
Pavoir qu'emprunté pour l'essaier .
que
Tout le monde publie qu'on ne peut
mieux peindre les actions , elles sont dans
le naturel , et l'on diroit l'Autheur
en écrivant , coppie sur la nature même .
L'on vante sur tout ses carracteres , leur
variété , leur opposition , leur vérité , et
plus que tout le reste , leur consistance ;
ils ne se démentent pas . Qui a jamais
ressemblé à l'indomptable Enguerrand de
Couci , pere de Raoul , et d'Adelaide ?
L'on voit dans lui un vieux Seigneur
plein d'une ancienne probité , qui le rend
infléxible dans ses devoirs , immuable
dans sa parole , absolu dans sa famille
et incapable de pardonner une faute ; on
le craint , on l'estime , on le respecte , on
l'aime peut-être. Thibault de Champagne
, pere de Roger , ne ressemble ‘ en
rien à Enguerrand , et il est aussi Seigneur
, aussi droit , aussi maître , aussi
pere que lui ; on l'adore , mais par de
›
II. Vol. difJUIN.
1733. 1384
1
différens principes. Henry , oncle de Ro
ger , son Maître et son premier Conducteur
à la Guerre , placé vis - à - vis d'Enguerrand
, paroît son contraste , et l'Autheur
fait douter lequel l'emporte pour
le fond du mérite et de la vertu . Peut on
omettre le Portrait que le Vicomte de
Melun, Ambassadeur auprès de Fréderic,
fait à cet Empereur , du Maréchal du
Mez , Gouverneur de Philippe ? C'est l'éloge
du Vicomte d'avoir été l'ami du-
Maréchal ; mais que celui du Maréchal
est bien placé dans la bouche d'un homme
vertueux , qui l'avoit connu et péné
tré ! Le recit que fait le Vicomte de Melun
, et du caractere , et des maximes du
Maréchal , est l'abrégé le plus parfait des
grandes qualitez , comme des
sages Leçons
d'un vrai Gouverneur de Roy. Il
n'en faut pas davantage pour faire et un
grand Homme d'Etat , et un grand Monarque.
On comprend à peine comment
Autheur a pû resserrer ainsi toute l'éducation
Royale , et active et passive ;
mais Philippe a bien justifié que les impressions
qu'il avoit reçuës du Maréchal ,
toutes contenues dans ce petit Tableau
suffisoient pour rendre complette et la
gloire d'une telle instruction , et la gloire
d'une telle éducation ,
"
II. Vol. La Fy
384 MERCURE DE FRANCE
pre-
La même diversité de caracteres conserve
une égale beauté dans les Femmes.
Alix de Rosoi , et Adelaide de Couci
sont ce que leur sexe a de plus rare , de
plus accompli , de plus charmant ; la
miere plonge , par sa mort , Roger de
Champagne , dans le dernier excès de
douleurs ; eh ! comment n'y succombet-
il pas ? Quelques années après , la seconde
le captive au même point; elles ont
été toutes deux les seules qui ont successivement
trouvé la route de son coeur
elles y ont toutes deux regné souverainement
toutes deux , également vertueuses
, forment deux caracteres diamétralement
opposez . La Comtesse de
Rosoi , mere d'Alix , devenuë rivale de
sa fille , donne un spectacle étonnant.
L'on apperçoit dans elle le fond d'un riche
caractere , mais l'on ne s'attend pas
jusques à quel point son injuste passion
va le développer ou plutôt le défigurer !
Elle ne pousse pas le crime si loin qu'une
Phédre , mais elle la passe en addresse ,
en détours , en embuches , pour parvenir
à ses fins ; à quelles indignitez ne
descend- t- elle pas pour écarter à jamais
sa fille de Roger , et pour le raprocher
d'elle ? Après tant d'efforts , elle échouë ;
ses regrets , son desespoir , creusent son
II. Vol.
TomJUIN.
17336 1385
-
Tombeau ; elle meurt. Par quel art l'Au
theur fait il encore pleurer une mort
de cette nature ? C'est l'effet d'un repens
tir que l'on a rendu aussi touchant qu'il
est , et bien imaginé , et bien placé. Madame
de Rosoi expie , en mourant , les
cruels artifices du délire de son amour
et elle meurt vertueuse , parce qu'elle
meurt repentante ; sa vertu rachettée à
ce prix , ne la laissant plus voir que fort
à plaindre , elle emporte la compassion ,
qui efface tout autre sentiment.
و
Au milieu des agitations que l'amour
excite dans cette Cour aimable, Philippe
toujours égal à lui- même , toujours maî
tre des mouvemens de son coeur et de
son esprit , est attentif ou à parer les funestes
effets de cette dangereuse passion ,
ou à maintenir avec dignité le bon ordre,
en se prêtant aux grandes alliances qui
l'interessent, ou comme un Roy , ou comme
un Pere , ou même comme un ami
reconnoissant. Il sçait tout , mais il ne
paroît sçavoir que ce que son rang et sa
vertu lui permettent de regler par luimême.
Tel est le principe de ses bontez
pour Roger de Champagne , pour Adċlaide
de Couci , dont le mérite, la sages
se et la fermeté le touchent , pour Albe
ric du Mez , pour sa soeur, tous deux en
AI. Vol
Fvi fans
1386 MERCURE DE FRANCE
fans d'un Gouverneur , dont le souvenír
lui est si précieux ; il entre dans les établissemens
convenables , ausquels leurs
penchants semblent les disposer. Mais il
paroît toujours et par tout ignorer les
sentimens réciproques de Raoul de Couci
, et de Madame de Fajel , qu'un devoir
austere ne sçauroit approuver.
Ces attentions domestiques de Philip
pe , ne lui font rien perdre de celles qu'il
doit au bien de l'Etat et à sa gloire. Il esɛ
présent par d'autres lui - même, au Camp
que Hugues , Duc de Bourgogne , a assemblé
sous les Murs de Dijon ; il pénétre
ses projets au travers de cette Fête
Militaire , d'une simple ostentation exterieure
; il mesure ses forces. Si la Guerre
l'appelle , alors ceux que l'amour avoit
occuppez dans la Paix , n'écoutent plus
que la gloire. Philippe marche à leur
tête, tantôt contre le Comte de Flandres,
son oncle, son parrain et son tuteur,dont
il humilie l'orgueil , il réprime l'abus
qu'il avoit fait de toute sa confiance s
tantôt en Berri, contre Henry , Roy d'Angleterre
, et Richard , son fils ; il les divise,
il en triomphe; tantôt dans le Maine
et la Touraine , contre les mêmes Ennemis.
Si Philippe donne par hazard dans
une Ambuscade dangereuse , l'on trouve
II. Vela dans
JUIN. 1733. 1387
D
dans ce Roy un Soldat qui paye de sa
personne , et qui au péril de sa vie , seconde
le grand Senechal , à qui il venoit
de la devoir. S'il passe en Palestine , on le
voit le premier à l'assaut de la Ville d'Acre
, et il se signale sur ses Ramparts
comme le Vainqueur de Tyr , sar ceux
de cette Place de résistance. Enfin , l'Autheur
represente par tout Philippe , justifiant
des ses commencemens , les grandes
esperances qu'il remplit, en se rendant
de plus en plus digne des surnoms d'Auguste
et de Conquerant , qu'il sçut roujours
soutenir et au dedans , et au dehors.
Roger le suit de près ; c'est un de ceux
dont la prudence , et la valeur fondent
la confiance du Roy dans ses grands
projets. L'on voit Roger sous Henry de
Champagne , son oncle , faire l'apprentissage
de la guerre aux dépens du Com
te de Flandre. Quel maître , et quel disciple
! il conduit , et jette lui - même des
Troupes dans une Ville assiégée par le
Comte ; action inutilement tentée par
ses égaux. Il suit le Roy dans les guerres
du Berri er du Maine ; il se distingue par
tout , et peu s'en faut qu'il ne paye de sa
vie la gloire dont il se couvre à la prise
de Tours , où il est dangereusement bles-
II. Vol.
sé.
7388 MERCURE DE FRANCE
sé. Il passe avec Philippe en Palestine ;
lai et Raoul couvrent de leurs corps la
personne du Roy sur les murs de la Vild'Acre
, et si dans un péril commun
Raoul reçoit le coup mortel , qu'un Sarazin
portoit au Roy, Roger y étoit aussi
exposé que Raoul , et le hazard seul en
décide ; mais la séparation de ces deux
amis est le plus parfait triomphe de l'amitié;
qu'elle est touchante! Rien n'est au
dessus que les sentimens de Raoul, et l'étrange
présent dont il couronne son amour
pour l'infortunée Madame de Fajel.
Aucun Capitaine ne fait ombrage à
Roger du côté de la gloire des Armes ;
mais il est des personnes qui du côté de
l'amour ne lui trouvent pas assés de délicatesse
ces personnes d'un entêtement
chimerique en faveur des avantures romanesques
, voudroient voir Roger éteindre
de son sang la belle flame qu'Alix de
Rosoi avoit si bien allumée dans son coeur ;
elles ne peuvent voir mourir Alix et Ro
ger vivre encore ; elles ne lui pardonnent
pas son passage à un autre objet , quelque
charmant qu'il puisse être;mais l'Autheur
, dont les idées sont bien éloignées.
de tout ce qui ressent le Roman , n'écou
te et ne suit que les Loix de la nature.
Roger livré à toute l'horreur de sa perte
11. Vol. dans
JUIN. 1733. 1389
dans Alix, n'a plus rien qui l'attache à la
vie. Mais un Pere ; et quel Pere encore !
Un Pere dont il fait l'unique esperance ,
le conjure de vivre pour lui. Roger qui
ne peut ni vivre ni mourir , porte par
tout le trait dont il a été blessé ; et insuportable
à lui-même , il quitte à l'insçû
de tout le monde sa Patrie , alors trop pacifique,
pour aller chercher dans des Terres
Étrangeres des périls qui ne l'épargneront
pas. Il passe en inconnu , et sous
un nom emprunté , au service de Frédéric
, alors en guerre avec tous ses voisins;
mais les périls qu'il cherche ne sont pour
lui qu'une source de gloire . Sa valeur et
sa prudence se font jour , et font soupçonner
dans lui une naissance plus relevéc
que celle qu'il se donne ; il est découvert
, son Roy le reclame , son Pere
l'appelle ; Roger revient , et malgré la
dissipation d'un service tres agité pendant
plus de deux ans , Alix n'est pas effacée
de son coeur. Il semble que l'amour
veuille la lui rendre dans Adelaide de
Couci , dont les traits , la taille et le port
majestueux lui représentent en tout sa
chere Alix : Il s'y accoutume d'abord ,
sous le prétexte de cette parfaite ressemblance
; des difficultez insurmontables et
-pressantes viennent encore irriter l'amour
JI. Vol.
nais1390
MERCURE DE FRANCE
naissant de Roger ; il aime enfin , et il est
aimé. Que la folie du Roman condamne,
puisqu'il lui plaît, une telle conduite , li
sagesse de la nature l'approuvera toujours
et l'expérience de tous les hommes , de
tous les temps la justifiera , elle est dans
l'ordre du coeur humain .
Cet Ouvrage honore infiniment son
Autheur , et poussé au dégré de perfec
tion où on le voit , il doit l'honorer doublement
en faveur de son sexe. Que Madamoiselle
de Lussan rende , comme elle
a fait dans la vie de Madame de Gondés ,
la fidelle image du commerce des honnê
tes gens d'aujourd'hui , et cela sur le ton
de la bonne compagnie , c'est ce qu'on
pouvoit attendre de son esprit et d'un
long usage du monde. Que pour diver
tir són imagination avant que de divertir
celle des autres , elle lui ait donné
carriere dans ses Veillées de Thessalie, pour
instruire les jeunes personnes en les amu
sant ; c'est un utile et élégant badinage ,
digne d'occuper ses loisirs ; mais un Ŏuvrage
de la force de celui dont il s'agit
icy , monté sur le vrai ton héroïque , et
sur celui de la Cour , soutenu par un langage
digne de la noblesse des sentimens
qui y regne , il faut dans elle un grand
courage pour l'avoir entrepris , il faut
11. Vol.
qu'el
JUIN. 1733 . 1391
qu'elle soit bien supérieure à son sexe
pour l'avoir conduit et exécuté comme
elle l'a fait. De se former un systême nouveau
où l'Histoire, le Dramme, l'Epopée
se marient ensemble, et font un tout à la
faveur d'un langage propre de ces trois
genres. Langage vrai , tendre , disert¸
vigoureux, militaire , s'il le faut , et toujours
proportionné à l'objet present , c'est
quelque chose de tres - singulier. Le stile
en est élevé sans emphase , choisi sans recherche
et sans avoir rien de précieux ;
il plaira toujours tandis que bien d'au
tres Ecrits où l'on court après l'esprit ,
qu'on veut captiver dans des mots imaginez
pour lui , passeront peut- être .Quoique
l'Ouvrage soit plein d'esprit , il se
trouve tellement mêlé avec le sentiment,
qu'on croiroit qu'il n'a sa source que dans
le coeur. Les Dialogues y sont licz , leurs
passages si doux , si mesurez à la hauteur
de ceux qui parlent, que l'on diroit qu'ils
n'ont rien coûté à l'autheurs et que la
simple nature en a fait sans effort et sans
étude tous les frais , sur tout dans les endroits
qui tirent à conséquence , et qui
semblent décisifs : en vérité l'on voit des
Scenes dignes du grand Théatre , elles
sont si vivement écrites et renduës avec
tant de dignité et d'énergie , que la lettre
II. Vol. sup1392
MERCURE DE FRANCE
supplé à la représentation, et que le Lecteur
conçoit tout ce qui frapperoit un
Spectateur. Ceux qui ont crû que la Tragédie
en p ose pourroit avoir autant d'effet
qu'en Vers , trouveront dans les bel
les e frequentes Scenes de cet Ouvrage
qui semblent toutes appeller la Poësie ,
des raisons pour appuyer leurs sentimens.
Ainsi les Historiens , les Poetes , et Dramatiques
et Epiques , pourront y trouver
leur compte ; mais l'avantage général
qu'en peuvent tirer les Lecteurs de tout
Sexe et de tous Etats , capable de bien lire
et de bien entendre , regarde et l'esprit ,
et le coeur et les moeurs , également instruits
par cet Ouvrage , rempli des plus
grands principes en tout genre.
, en 3 vol. in 12, que nous avons
déja annoncé sous ce Titre : Anecdotes de
la Cour de Philippe - Auguste. Il se vend
à Paris , chez la veuve Pissot , au bout du
Pont-NeufQuai de Conti , à la Croix d'or.
Le prix est de 6 liv . broché.
Dans le temps que nous nous dispo-
II. Vol. sions
JUI N. 1733 .
1377
sions à donner un Extrait de cet Ouvrage
, nous avons reçû d'un Anonyme ,
celui que nous inserons icy .
Si l'accueil favorable que l'on fait à un
Ouvrage dès qu'il paroît , si le débit le
plus rapide étoient les Titres assurés de
son mérite , il seroit tres- inutile de parler
des Anecdotes de la Cour de Philippe-
Auguste; ce Livre joüit pleinement dès sa
naissance de ce double avantage.
Mais il arrive assez souvent que la
nouveauté éblouisse , sur tout dans un
genre d'écrire inconnu , et original ;
et que la curiosité , honteuse en quelque
façon , d'avoir d'abord été seduite
pour s'être trop livrée , se refroidisse
bien- tôt , si même elle ne dégenere
ou en mépris , ou en satire.
Icy , les applaudissemens universels de
la Cour , de la Ville , des Gens de Let
tres , des Judicieux Critiques , se son
réunis en faveur de ce dernier Ouvrage
de Mademoiselle de Lussan; et cette voix
ou plutôt cette clameur unanime con
tient les Personnes même de mauvaise
humeur , qui font toujours les difficiles ,
et qui peut- être ne soutiennent l'idée
qu'elles veulent donner de leur discer
nement et de leur bon goût , qu'en refusant
aux meilleures choses , d'un ton
11. Vol.
Fija sé1378
MERCURE DE FRANCE
severe, ou qu'en leur disputant, au moins
avec un scrupule affecté , les justes et
sinceres éloges , dont elles sont veritablement
dignes.
C'est beaucoup hazarder que d'oser
faire la planche d'un nouveau genre d'écrire
!L'autheur s'est ouvert des routes
peu connues , en liant à un fond d'Histoire
bien choisi , et tres convenable
des Episodes , qui sans sortir du vrai ton
historique , servent à rendre son sujet ét
plus interressant et plus instructif. Le
vrai et le vrai semblable se perdent dans
un mélange imperceptible ; et à la faveur
de cette liberté du Théatre Tragique ,
l'Autheur retranche d'un côté les longueurs
, les froideurs , les mauvais exemples
qui tiennent souvent à une histoire
exacte ; et de l'autre , il se ménage mille
beautez amenées , avec un art infini ,bien
jointes , par tout soutenuës ; elles naissent
les unes des autres , sans qu'on apperçoive
la chaîne ; et cela , par l'attention
qu'a euë l'Autheur de jetter à propos
les fonds éloignez des évenemens que
l'on voit se développer et éclore avec un
ordre admirable , et chacuns dans leurs
places naturelles. Aussi peut on dire
que la structure du corps de l'Ouvrage
est parfaite en son genre ; qu'elle ne pou-
-
II. Vol. voit
JUIN. 1379 1733.
voit être mieux proportionnée au dessein
, et qu'elle passera toujours pour un
modele.
Le sujet est pris dans les premieres années
du Regne de Philippe - Auguste ,
aussi surnommé le Conquerant. L'on sçait
ce que la France a dû à ce Monarque ; il
monta sur le Thrône à quinze ans , et dèslors
il entra avec tant de maturité dans
le Gouvernement , que les Historiens disent
de lui : Qu'il ne fut jamais jeune , et
que la sagesse l'avoit fait aller audevant
de Pexperience.
Les Grands Rois font les grands Hommes.
La Cour de Philippe en fut une
preuve : C'est dans les secrets et dans les
Evenemens de cette Cour si distinguée ,
que l'Autheur entre pour en faire connoître
la délicatesse et l'élevation . L'on
y voit des Héros qui ont réelement existé
; on les voit partagez entre la Gloire et
l'Amour ; mais dans le vrai, sans que rien
se ressente ni du Roman , ni de ses avantures.
Comme les interêts sont et multipliez
et variez , et relatifs tout ensemble
, le Titre d'Anecdoctes d'une Cour , où
l'Autheur puise ses sujets pour en former
un tout semble un Titre tiré du
fond même de ce qu'il traite. Il est bien
vrai que les plus grands jours viennent
>
II. Vol. Fiij fcap1380
MERCURE DE FRANCE
frapper Roger de Champagne , Comte
de Réthel , mais il s'en faut bien qu'il ne
les absorbe tous ; ils sont distribuez sur
beaucoup d'illustres sujets qui composoient
la Cour de Philippe : On les y voit
placez à des points de vûë tres- interessans
; et ils y représentent , avec un éclat
marqué , sur tout Raoul , Sire de Couci ,
marche de pair , d'un bout à l'autre avec
Roger de Champagne ; l'addresse de
l'Auteur à unir ces deux jeunes Héros par
les liens d'une amitié de l'ordre de celles
que les Anciens ont consacrées , et par
les prochains rapports des inclinations
propres des grands Hommes, fait paroître
Roger et Raoul comme ne faisant ensemble
qu'un coeur ,qu'une ame et qu'une
même vertu. Aussi sont - ils toujours
peints des mêmes couleurs , sans être
confondus ; et si Roger a quelques nuances
de plus , ce plus est presque insensible.
Alberic du Mez , Maréchal de France,
fils de Robert Clement , Gouverneur du
Roy et premier Ministre , le Comte des
Barres , connu sous le nom de Rochefort,
Grand Sénéchal , suivent de près les deux
premiers ; ils courent en tout genre les
mêmes Carrieres , et l'Autheur entrelasse
tellement tous leurs interêts , que
11. Vol. le
JUIN. 1733. 1381
le Lecteur toujours en attente , est sans
cesse dans l'impatience de voir les Eve
nemens qu'il ne peut deviner , mais qui
l'étonnent et le satisfont enfin par tout.
Si l'on voit en Hommes ce que la
Cour de Philippe avoit de plus considerable
, l'on y voit en Femmes ce qu'elle
avoit de plus distingué ; et ce qu'on vit
peut-être jamais de plus surprenant . Alix
de Rosoi , sa mere , la Comtesse de Rosoi
, Adelaide de Couci , fille d'Enguerrand
, surnommé le Grand , et soeur de
Raoul , Sire de Couci , Mademoiselle du
Mez , fille de Robert Clement , soeur
d'Alberic du Mez , tous deux Maréchaux
de France , dans un temps où cette Dignité
étoit unique ; toutes ces Personnes,
dont la beauté faisoit le moindre ornement,
jettent dans l'Ouvrage un inte
rêt infini:Elles étoient les premiers Partis
du Royaume , et les noeuds des plus belles
Alliances , où l'on pouvoit aspirer ;
mais les coeurs ne se commandent pas , et
leurs penchants ou leurs répugnances ,
que l'Autheur connoît à fond et sçait
manier d'une main de maître , lui ouvrent
un champ où il épuise les douceurs
, et les maux , les esperances et les
desespoirs de l'amour , sans avoir jamais à
rougird'en avoir flatté ses foiblesses.Quels
II. Vol.
Fiiij mor1382
MERCURE DE FRANCE
morceaux , quelles situations , quels coups
de Theatre ne pourroit- on pas rapporter,
si l'Analise de cet Ouvrage précis, et par
tout d'une chaleur égale , étoit possible !
mais il faut taire tout , ou tout rapporter
; ou plutôt il faut tout lire : Bien des
personnes relisent plus d'une fois , et se
rendent propre cet Ouvrage , après ne
Pavoir qu'emprunté pour l'essaier .
que
Tout le monde publie qu'on ne peut
mieux peindre les actions , elles sont dans
le naturel , et l'on diroit l'Autheur
en écrivant , coppie sur la nature même .
L'on vante sur tout ses carracteres , leur
variété , leur opposition , leur vérité , et
plus que tout le reste , leur consistance ;
ils ne se démentent pas . Qui a jamais
ressemblé à l'indomptable Enguerrand de
Couci , pere de Raoul , et d'Adelaide ?
L'on voit dans lui un vieux Seigneur
plein d'une ancienne probité , qui le rend
infléxible dans ses devoirs , immuable
dans sa parole , absolu dans sa famille
et incapable de pardonner une faute ; on
le craint , on l'estime , on le respecte , on
l'aime peut-être. Thibault de Champagne
, pere de Roger , ne ressemble ‘ en
rien à Enguerrand , et il est aussi Seigneur
, aussi droit , aussi maître , aussi
pere que lui ; on l'adore , mais par de
›
II. Vol. difJUIN.
1733. 1384
1
différens principes. Henry , oncle de Ro
ger , son Maître et son premier Conducteur
à la Guerre , placé vis - à - vis d'Enguerrand
, paroît son contraste , et l'Autheur
fait douter lequel l'emporte pour
le fond du mérite et de la vertu . Peut on
omettre le Portrait que le Vicomte de
Melun, Ambassadeur auprès de Fréderic,
fait à cet Empereur , du Maréchal du
Mez , Gouverneur de Philippe ? C'est l'éloge
du Vicomte d'avoir été l'ami du-
Maréchal ; mais que celui du Maréchal
est bien placé dans la bouche d'un homme
vertueux , qui l'avoit connu et péné
tré ! Le recit que fait le Vicomte de Melun
, et du caractere , et des maximes du
Maréchal , est l'abrégé le plus parfait des
grandes qualitez , comme des
sages Leçons
d'un vrai Gouverneur de Roy. Il
n'en faut pas davantage pour faire et un
grand Homme d'Etat , et un grand Monarque.
On comprend à peine comment
Autheur a pû resserrer ainsi toute l'éducation
Royale , et active et passive ;
mais Philippe a bien justifié que les impressions
qu'il avoit reçuës du Maréchal ,
toutes contenues dans ce petit Tableau
suffisoient pour rendre complette et la
gloire d'une telle instruction , et la gloire
d'une telle éducation ,
"
II. Vol. La Fy
384 MERCURE DE FRANCE
pre-
La même diversité de caracteres conserve
une égale beauté dans les Femmes.
Alix de Rosoi , et Adelaide de Couci
sont ce que leur sexe a de plus rare , de
plus accompli , de plus charmant ; la
miere plonge , par sa mort , Roger de
Champagne , dans le dernier excès de
douleurs ; eh ! comment n'y succombet-
il pas ? Quelques années après , la seconde
le captive au même point; elles ont
été toutes deux les seules qui ont successivement
trouvé la route de son coeur
elles y ont toutes deux regné souverainement
toutes deux , également vertueuses
, forment deux caracteres diamétralement
opposez . La Comtesse de
Rosoi , mere d'Alix , devenuë rivale de
sa fille , donne un spectacle étonnant.
L'on apperçoit dans elle le fond d'un riche
caractere , mais l'on ne s'attend pas
jusques à quel point son injuste passion
va le développer ou plutôt le défigurer !
Elle ne pousse pas le crime si loin qu'une
Phédre , mais elle la passe en addresse ,
en détours , en embuches , pour parvenir
à ses fins ; à quelles indignitez ne
descend- t- elle pas pour écarter à jamais
sa fille de Roger , et pour le raprocher
d'elle ? Après tant d'efforts , elle échouë ;
ses regrets , son desespoir , creusent son
II. Vol.
TomJUIN.
17336 1385
-
Tombeau ; elle meurt. Par quel art l'Au
theur fait il encore pleurer une mort
de cette nature ? C'est l'effet d'un repens
tir que l'on a rendu aussi touchant qu'il
est , et bien imaginé , et bien placé. Madame
de Rosoi expie , en mourant , les
cruels artifices du délire de son amour
et elle meurt vertueuse , parce qu'elle
meurt repentante ; sa vertu rachettée à
ce prix , ne la laissant plus voir que fort
à plaindre , elle emporte la compassion ,
qui efface tout autre sentiment.
و
Au milieu des agitations que l'amour
excite dans cette Cour aimable, Philippe
toujours égal à lui- même , toujours maî
tre des mouvemens de son coeur et de
son esprit , est attentif ou à parer les funestes
effets de cette dangereuse passion ,
ou à maintenir avec dignité le bon ordre,
en se prêtant aux grandes alliances qui
l'interessent, ou comme un Roy , ou comme
un Pere , ou même comme un ami
reconnoissant. Il sçait tout , mais il ne
paroît sçavoir que ce que son rang et sa
vertu lui permettent de regler par luimême.
Tel est le principe de ses bontez
pour Roger de Champagne , pour Adċlaide
de Couci , dont le mérite, la sages
se et la fermeté le touchent , pour Albe
ric du Mez , pour sa soeur, tous deux en
AI. Vol
Fvi fans
1386 MERCURE DE FRANCE
fans d'un Gouverneur , dont le souvenír
lui est si précieux ; il entre dans les établissemens
convenables , ausquels leurs
penchants semblent les disposer. Mais il
paroît toujours et par tout ignorer les
sentimens réciproques de Raoul de Couci
, et de Madame de Fajel , qu'un devoir
austere ne sçauroit approuver.
Ces attentions domestiques de Philip
pe , ne lui font rien perdre de celles qu'il
doit au bien de l'Etat et à sa gloire. Il esɛ
présent par d'autres lui - même, au Camp
que Hugues , Duc de Bourgogne , a assemblé
sous les Murs de Dijon ; il pénétre
ses projets au travers de cette Fête
Militaire , d'une simple ostentation exterieure
; il mesure ses forces. Si la Guerre
l'appelle , alors ceux que l'amour avoit
occuppez dans la Paix , n'écoutent plus
que la gloire. Philippe marche à leur
tête, tantôt contre le Comte de Flandres,
son oncle, son parrain et son tuteur,dont
il humilie l'orgueil , il réprime l'abus
qu'il avoit fait de toute sa confiance s
tantôt en Berri, contre Henry , Roy d'Angleterre
, et Richard , son fils ; il les divise,
il en triomphe; tantôt dans le Maine
et la Touraine , contre les mêmes Ennemis.
Si Philippe donne par hazard dans
une Ambuscade dangereuse , l'on trouve
II. Vela dans
JUIN. 1733. 1387
D
dans ce Roy un Soldat qui paye de sa
personne , et qui au péril de sa vie , seconde
le grand Senechal , à qui il venoit
de la devoir. S'il passe en Palestine , on le
voit le premier à l'assaut de la Ville d'Acre
, et il se signale sur ses Ramparts
comme le Vainqueur de Tyr , sar ceux
de cette Place de résistance. Enfin , l'Autheur
represente par tout Philippe , justifiant
des ses commencemens , les grandes
esperances qu'il remplit, en se rendant
de plus en plus digne des surnoms d'Auguste
et de Conquerant , qu'il sçut roujours
soutenir et au dedans , et au dehors.
Roger le suit de près ; c'est un de ceux
dont la prudence , et la valeur fondent
la confiance du Roy dans ses grands
projets. L'on voit Roger sous Henry de
Champagne , son oncle , faire l'apprentissage
de la guerre aux dépens du Com
te de Flandre. Quel maître , et quel disciple
! il conduit , et jette lui - même des
Troupes dans une Ville assiégée par le
Comte ; action inutilement tentée par
ses égaux. Il suit le Roy dans les guerres
du Berri er du Maine ; il se distingue par
tout , et peu s'en faut qu'il ne paye de sa
vie la gloire dont il se couvre à la prise
de Tours , où il est dangereusement bles-
II. Vol.
sé.
7388 MERCURE DE FRANCE
sé. Il passe avec Philippe en Palestine ;
lai et Raoul couvrent de leurs corps la
personne du Roy sur les murs de la Vild'Acre
, et si dans un péril commun
Raoul reçoit le coup mortel , qu'un Sarazin
portoit au Roy, Roger y étoit aussi
exposé que Raoul , et le hazard seul en
décide ; mais la séparation de ces deux
amis est le plus parfait triomphe de l'amitié;
qu'elle est touchante! Rien n'est au
dessus que les sentimens de Raoul, et l'étrange
présent dont il couronne son amour
pour l'infortunée Madame de Fajel.
Aucun Capitaine ne fait ombrage à
Roger du côté de la gloire des Armes ;
mais il est des personnes qui du côté de
l'amour ne lui trouvent pas assés de délicatesse
ces personnes d'un entêtement
chimerique en faveur des avantures romanesques
, voudroient voir Roger éteindre
de son sang la belle flame qu'Alix de
Rosoi avoit si bien allumée dans son coeur ;
elles ne peuvent voir mourir Alix et Ro
ger vivre encore ; elles ne lui pardonnent
pas son passage à un autre objet , quelque
charmant qu'il puisse être;mais l'Autheur
, dont les idées sont bien éloignées.
de tout ce qui ressent le Roman , n'écou
te et ne suit que les Loix de la nature.
Roger livré à toute l'horreur de sa perte
11. Vol. dans
JUIN. 1733. 1389
dans Alix, n'a plus rien qui l'attache à la
vie. Mais un Pere ; et quel Pere encore !
Un Pere dont il fait l'unique esperance ,
le conjure de vivre pour lui. Roger qui
ne peut ni vivre ni mourir , porte par
tout le trait dont il a été blessé ; et insuportable
à lui-même , il quitte à l'insçû
de tout le monde sa Patrie , alors trop pacifique,
pour aller chercher dans des Terres
Étrangeres des périls qui ne l'épargneront
pas. Il passe en inconnu , et sous
un nom emprunté , au service de Frédéric
, alors en guerre avec tous ses voisins;
mais les périls qu'il cherche ne sont pour
lui qu'une source de gloire . Sa valeur et
sa prudence se font jour , et font soupçonner
dans lui une naissance plus relevéc
que celle qu'il se donne ; il est découvert
, son Roy le reclame , son Pere
l'appelle ; Roger revient , et malgré la
dissipation d'un service tres agité pendant
plus de deux ans , Alix n'est pas effacée
de son coeur. Il semble que l'amour
veuille la lui rendre dans Adelaide de
Couci , dont les traits , la taille et le port
majestueux lui représentent en tout sa
chere Alix : Il s'y accoutume d'abord ,
sous le prétexte de cette parfaite ressemblance
; des difficultez insurmontables et
-pressantes viennent encore irriter l'amour
JI. Vol.
nais1390
MERCURE DE FRANCE
naissant de Roger ; il aime enfin , et il est
aimé. Que la folie du Roman condamne,
puisqu'il lui plaît, une telle conduite , li
sagesse de la nature l'approuvera toujours
et l'expérience de tous les hommes , de
tous les temps la justifiera , elle est dans
l'ordre du coeur humain .
Cet Ouvrage honore infiniment son
Autheur , et poussé au dégré de perfec
tion où on le voit , il doit l'honorer doublement
en faveur de son sexe. Que Madamoiselle
de Lussan rende , comme elle
a fait dans la vie de Madame de Gondés ,
la fidelle image du commerce des honnê
tes gens d'aujourd'hui , et cela sur le ton
de la bonne compagnie , c'est ce qu'on
pouvoit attendre de son esprit et d'un
long usage du monde. Que pour diver
tir són imagination avant que de divertir
celle des autres , elle lui ait donné
carriere dans ses Veillées de Thessalie, pour
instruire les jeunes personnes en les amu
sant ; c'est un utile et élégant badinage ,
digne d'occuper ses loisirs ; mais un Ŏuvrage
de la force de celui dont il s'agit
icy , monté sur le vrai ton héroïque , et
sur celui de la Cour , soutenu par un langage
digne de la noblesse des sentimens
qui y regne , il faut dans elle un grand
courage pour l'avoir entrepris , il faut
11. Vol.
qu'el
JUIN. 1733 . 1391
qu'elle soit bien supérieure à son sexe
pour l'avoir conduit et exécuté comme
elle l'a fait. De se former un systême nouveau
où l'Histoire, le Dramme, l'Epopée
se marient ensemble, et font un tout à la
faveur d'un langage propre de ces trois
genres. Langage vrai , tendre , disert¸
vigoureux, militaire , s'il le faut , et toujours
proportionné à l'objet present , c'est
quelque chose de tres - singulier. Le stile
en est élevé sans emphase , choisi sans recherche
et sans avoir rien de précieux ;
il plaira toujours tandis que bien d'au
tres Ecrits où l'on court après l'esprit ,
qu'on veut captiver dans des mots imaginez
pour lui , passeront peut- être .Quoique
l'Ouvrage soit plein d'esprit , il se
trouve tellement mêlé avec le sentiment,
qu'on croiroit qu'il n'a sa source que dans
le coeur. Les Dialogues y sont licz , leurs
passages si doux , si mesurez à la hauteur
de ceux qui parlent, que l'on diroit qu'ils
n'ont rien coûté à l'autheurs et que la
simple nature en a fait sans effort et sans
étude tous les frais , sur tout dans les endroits
qui tirent à conséquence , et qui
semblent décisifs : en vérité l'on voit des
Scenes dignes du grand Théatre , elles
sont si vivement écrites et renduës avec
tant de dignité et d'énergie , que la lettre
II. Vol. sup1392
MERCURE DE FRANCE
supplé à la représentation, et que le Lecteur
conçoit tout ce qui frapperoit un
Spectateur. Ceux qui ont crû que la Tragédie
en p ose pourroit avoir autant d'effet
qu'en Vers , trouveront dans les bel
les e frequentes Scenes de cet Ouvrage
qui semblent toutes appeller la Poësie ,
des raisons pour appuyer leurs sentimens.
Ainsi les Historiens , les Poetes , et Dramatiques
et Epiques , pourront y trouver
leur compte ; mais l'avantage général
qu'en peuvent tirer les Lecteurs de tout
Sexe et de tous Etats , capable de bien lire
et de bien entendre , regarde et l'esprit ,
et le coeur et les moeurs , également instruits
par cet Ouvrage , rempli des plus
grands principes en tout genre.
Fermer
Résumé : Anecdotes de la Cour de Philippe Auguste, [titre d'après la table]
L'ouvrage 'Anecdotes de la Cour de Philippe-Auguste' a été publié en trois volumes in-12 et est disponible à Paris chez la veuve Pissot. L'auteur, Mademoiselle de Lussan, a reçu des éloges de la cour, de la ville, des gens de lettres et des critiques pour son innovation de mêler histoire et épisodes fictifs. Le récit se déroule durant les premières années du règne de Philippe-Auguste, surnommé le Conquérant, qui monta sur le trône à quinze ans et montra une grande maturité dans le gouvernement. L'ouvrage explore les secrets et événements de la cour de Philippe-Auguste, mettant en scène des héros réels partagés entre gloire et amour. Les personnages principaux incluent Roger de Champagne, Comte de Réthel, et Raoul, Sire de Couci, dont l'amitié est mise en avant. D'autres figures notables comme Alberic du Mez, Maréchal de France, et le Comte des Barres sont également présents. Les intrigues amoureuses et les alliances politiques sont détaillées avec précision, sans tomber dans le romanesque. Les femmes de la cour, telles qu'Alix de Rosoi et Adelaide de Couci, ajoutent un intérêt supplémentaire avec leurs beautés et leurs intrigues. Philippe-Auguste lui-même est dépeint comme un souverain maître de ses émotions, attentif aux affaires de l'État et à sa gloire. Il mène des campagnes militaires contre divers ennemis, comme le Comte de Flandres et le Roi d'Angleterre, et se distingue par son courage et sa stratégie. L'auteur a su créer des personnages variés et consistants, chacun avec des traits distincts et des oppositions marquées. Le récit est structuré de manière à maintenir l'intérêt du lecteur, avec des événements imprévus et des développements logiques. L'ouvrage est salué pour sa fidélité à la nature et la vérité de ses descriptions. Le texte relate également les exploits et les amours de Roger, connu pour sa prudence et sa valeur, qui sert fidèlement le roi et se distingue dans diverses batailles. Son amitié avec Raoul est soulignée, ainsi que son amour pour Alix de Rosoi. Après la mort d'Alix, Roger trouve un nouvel amour en la personne d'Adélaïde de Couci. L'ouvrage est loué pour son style élevé et son langage approprié aux sentiments nobles, combinant esprit et sentiment de manière naturelle et efficace.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
2
p. 1581-1592
Anecdotes de la Cour de Phil. Auguste, [titre d'après la table]
Début :
Nous avons donné dans le second Volume du Mercure du mois de [...]
Mots clefs :
Alix de Rosoit, Comte de Rethel, Philippe Auguste, Coeur, Esprit, Coucy, Grâces, Beauté, Cour, Passion
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Anecdotes de la Cour de Phil. Auguste, [titre d'après la table]
Ous avons donné dans le second
Volume du Mercure du mois de
Juin , page 1376. un Extrait circonstancié
et assez étendu des Anecdotes de la
Cour de Philippe Augustes il nous est revenu
que le Lecteur en a été très- satisfait
, mais qu'il auroit désiré qu'en rendant
1582 MERCURE DE FRANCE
dant compte de cet Ouvrage on fut entré
un peu plus dans le détail des situations
interessantes , qu'on eut donné
quelques Portraits , quelques Fragmens
de conversations , quelques refléxions et
enfin quelques morceaux qui pûssent faire
connoître non- seulement le génie de
l'Auteur , mais encore ses sentimens , ses
lumieres et son stile. Nous allons tâcher
de satisfaire à ce qu'on éxige de
nous.
Dans la Cour et au Camp du Duc de
Bourgogne à Dijon , le Comte de Rethel
et le Sire de Couci s'attiroient l'attention
generale. Cette distinction étoit le fruit
de leurs conversations ; tantôt avec le
Duc , tantôt avec les personnes les plus
graves de sa Cour. On ne sçavoit en faveur
de qui des deux l'on devoit décider :
la solidité de leur esprit , l'étenduë de
leurs lumieres , l'usage moderé qu'ils en
faisoient , les rendoient égaux en mérite.
Ils ne conservoient pas cette même égalité
chez les Dames. Raoul de Couci y
étoit toujours vif , léger et galant ; Roger
de Rechel , étoit plus sérieux et plusretenu.
La joye animoit tous les discours
de l'un ; un air réservé , qui tenoit plus
de la tristesse que de la timidité , rendoit
tout ce que l'autre disoit moins brillant.
Les
JUILLET . 1733- 1583
·
Les Dames jouissoient de tout l'esprit de
Raoul , et se plaignoient de ne pas jouir
de tout l'esprit de Roger : dans le peu
qu'il disoit , elles sentoient combien il
en avoit , et elles étoient curieuses de pénétrer
ce qui pouvoit l'empêcher d'en
faire le même usage que Raoul. Malgré
cette difference, elles disputoient avec
chaleur qui des deux étoit supérieur à
l'autre , mais sans jamais pouvoir terminer
le différent. L'amour propre , peutêtre
, assez bien fondé , persuade au beau
Sexe qu'il lui appartient de juger du mérite
des hommes ; et de prévoir même
les succès que leur promettent les grandes
qualitez qu'elles apperçoivent en
eux. Cependant malgré le privilege que
les Dames s'arrogent en ce genre , elles
n'osoient prononcer entre Roger et
Raoul : elles convenoient de bonne foi
que la simple sympathie pouvoit déterminer
pour l'un ou pour l'autre ; car si
Roger avoit l'avantage d'être mieux fait
que Raoul , si sa phisionomie avoit quelque
chose de plus tendre , Raoul avoit
F'esprit plus brillant , et l'imagination
plus vive , source de son goût pour la
Poësie. L'esprit de galanterie , et l'amour
délicat , le forcerent à faire des Vers , et
il se trouva grand et excellent Poëte , sans
avoir
1584 MERCURE DE FRANCE
avoir jamais songé à le devenir. Il céda
avec d'autant moins de peine à ce penchant
, que dans ces tems reculez , les
personnes de la plus haute qualité se faisoient
un mérite de bien faire des Vers ,
et pouvoient , sans rougir , se donner
pour Auteurs en ce genre. Ce talent le
rendoit agréable au Roi , à la Reine Adélaïde
de Champagne , Mere de Philippe ,
et à la jeune Reine Elisabeth de Henaût.
Roger et Raoul s'aimoient dès leur enfance
; la plus tendre amitié leur avoit
presque fait oublier qu'ils étoient unis
par le sang , & c.
Enguerrand de Couci , surnommé le
Grand , avoit été Favori de Louis le
Jeune : il en étoit digne par l'étenduë de
son génie , par sa prudence , par sa profonde
politique , par une fermeté d'ame
héroïque , enfin par sa probité. Ennemi
de la flaterie , il osoit montrer à son Roi
la verité quelque désagréable qu'elle
fut , il la présentoit toute nue , quand
sa vuë devoit produire un effet , ou utile
ou glorieux , comme il sçavoit la cacher
lorsque son aspect ne pouvoit causer que
des désirs impuissans , ou des regrets superflus
, &c.
A la page 63 de ce premier vol . Roger
parle dans son entretien avec Raoul ,
du
JUILLET. 1733. 1585
du séjour qu'il fit à Rethel , des visites
qu'il rendit à ses voisins ; je vis de vieux
Seigneurs , dit- il , herissés de leur noblesse
, de leur probité , et de leurs Forteresses
, où ils se croyoient de petits
Souverains je vis des Meres fieres de la
beauté de leurs filles , sans être humiliées
de la perte de la leur : je vis des filles belles
sans agrémens , dont les figures et
l'esprit manquoient de graces. Mon Pere,
à qui je disois librement ce que je pensois
m'écoutoit , rioit , et alloit toujours
en avant. Nous arrivâmes enfin
chez le Seigneur de Rosoi , j'y trouvai
l'opposé de tout ce que j'avois vû . Je vis
un vieux Seigneur , qui laissoit aux
autres le soin de se souvenir de ce qu'il
étoit ; qui avoit cette politesse et cette
fine galanterie , dont la Cour est l'unique
Ecole ; qui avoit l'esprit vif et moderé.
Je vis une Mere , qui , sans être hamiliée
de la beauté surprenante de sa fille ,
étoit fiere de la sienne.
>
Le Comte de Rethel , passionément
amoureux d'Alix de Rosoi , lui parle en
ces termes : la permission que vous avez ,
Mademoiselle , de ne me point haïr , ne
vous donne-t'elle pas celle de me laisser
voir si je suis assez heureux pour que
votre coeur ne murmure point contre la
>
F VO1586
MERCURE DE FRANCE
volonté d'un Pere ? Voyant qu'elle rou.
gissoit , que son embarras étoit extrême ,
que même elle cherchoit à m'échapper ,
j'ajoûtai d'un ton plus animé : Hé ! quoi ,
Madlle , vous n'osez répondre ! Vous
pouvez rompre ce cruel silence sans
crime ; et vous le gardez sans pitié ! Ah !
yous craignés , sans doute ,de m'apprendre
que je suis le plus malheureux de tous
les hommes. Vous craignés par cet aveu
de montrer de la désobeïssance à un Pere :
hé bien Mademoiselle , je vais lui dire
que vous me haïssez , et qu'il nous remdroit,
infortunez en nous unissant. Arrêtez
, me dit Alix , n'allez pas abuser mon
Pere , et m'attirer un ressentiment que
je ne mérite pas. Ces paroles prononcées
avec émotion me causerent un transport
si vif , que je me jettai aux pieds d'Alix ,
dont je pris une main que j'osai baiser ,
Dans cet instant , Mad . de Rosoi entra ;
elle parut surprise et offensée de me trouver
aux genoux de sa fille ; elle nous regarda
d'un oeil severe. Alix , dont le désordre
avoit encore augmenté à la vuë
de sa Mere , fût à elle , et en se jettant à
ses pieds , elle lui dit toute tremblante :
Aurois-je fait un crime , de laisser voir
au Comte de Rethel que j'obéïrai sans
répugnance à vos ordres et à ceux de
mon
JUILLET . 1733. 1587
mon Pere ? Mad . de Rooi , avec un air
froid , dit à sa fille : je croi qu'il auroit
suffi d'instruire de vos sentimens ceux qui
vous ont permis de ne pas les combattre :
la modestie ne vous le deffendoit pas ;
mais elle devoit vous faire désaprouver
l'action trop passionnée de Monsieur
qui manque par cette licence au respect
qu'il vous doit.
Le Comte de Rethel s'exprime ainsi
en apprenant que Mad. de Rosoi est la
Rivale d'Alix , sa fille : mon désespoir
se change en une douleur si accablante
qu'il me reste à peine la force de mè
plaindre. Non , je ne vois plus les maux
dont me menace une Mere insensée ; je
ne vois que Mile de Rosoi victime de
notre innocente tendresse. Helas ! pourquoi
est- elle sensible à ma passion ? Qu'il
va lui en coûter cher ! Hé bien ! divine
Alix , reprenez ce coeur , qui seul peut
faire ma felicité. Affreuse situation ! m'écriai-
je en adorant Alix , l'Amour même
me force à désirer son indifférence.
Voici les exclamations de Mad . de
Rosoi : Que je suis injuste ! Que je suis
barbare ! Quoi! J'exige de ma fille plus
que je ne puis obtenir de moi- même ! Je
veux qu'elle renonce à ce qu'elle aime !
Fij Quel
1538 MERCURE DE FRANC
Quel est son malheur ! ou plutôt quel est
le mien ! Ce qu'elle aime est l'objet que
j'adore , et je nel'adore que pour porter ,
à l'un et à l'autre , le poignard dans le
sein. Roger part désesperé , l'excès de sa
passion , que je n'ai que trop vû , ne me
permet aucune espérance. En qul état
affreux mon injustice nous plonge- t'elle
tous les trois ? Quoi ! ne pourrai- je étouf
fer ma tendresse , quand ma gloire , mon
repos , celui de ma fille , l'impossibilité
d'être jamais heureuse , et le bonheur de
ce que j'aime , m'en font voir la dure nécessité.
Que dis - je ! la vertu de ma fille
ne devoit elle pás me suffire
der la mienne , & c.
pour rappel-
C'étoit moins la beauté de Mad. de
Camplit qui l'avoit renduë maîtresse absolue
du coeur et de l'esprit de Hugues de
Bourgogne , que beaucoup d'habileté :
ses manieres caressantes , un badinage léger
, une raillerie fine , des saillies heureuses
, un pinceau vif et brillant , pour
peindre ou les caracteres ou les ridicules ,
des idées singulieres , et singulierement
renduës ; tout cela réuni ensemble , en
faisoit une femme charmante. Elle étoit
trop attentive à conserver sa conquête
pour laisser le Duc de Bourgogne dans
une tranquillité dangereuses aussi ne
s'arJUILLET.
1735 1589
s'armoit- elle jamais d'une sincerité qui
auroit éloigné ceux que ses appas captivoient.
Elle vouloit des victimes toujours
toutes prêtes à immoler à la jalousie
du Duc ; jalousie qu'elle sçavoit faire
naître , nourrir et arrêter , selon qu'elle
le jugeoit à propos. Son grand art étoit
de ne jamais paroître exiger rien de lui ,
que pour sa propre gloire ; son interêt se
tenoit toujours caché sous le voile de celui
du Duc de Bourgogne . Elle se servoit
du prétexte d'aimer les Fêtes et les Spectacles
, pour l'amuser sans cesse. Ce Prince
croyoit s'acquerir des créatures , en
répandant des graces ; mais ces mêmes
graces affermissoient toujours le pouvoir
de Mad. de Camplit , qui seule , malgré
le juste discernement de Hugues
décidoit qui le meritoit le mieux : ainsi
le sujet revêtu d'une nouvelle dignité
ou accablé des liberalitez du Duc,croyoit
tout tenir de Mad. de Camplit.
La Belle Gabrielle de Vergi manquoit
à cette brillante et superbe Assemblée
pour lui donner le dernier éclat. Les femmes
ne la regrettoient point : sa présence
les humilioit , et sa modestie qui rehaussoit
de beaucoup tous ses charmes naissans
, leur sembloit un Censeur muet de
leur dissipation . Enfin , Gabrielle de Ver-
F iij
,
gi
1590 MERCURE DE FRANCE
gi parut , ses graces naturelles et simples,
sa beauté , qu'elle sembloit ignorer , sa
douceur noble et importante , attacherent
d'abord tous les yeux sur elle . Le
Sire de Couci , occupé seulement du
plaisir d'amuser Madame de Camplit ,
ne la remarqua que très - légerement ;
mais le Seigneur de Fajel , malgré les
efforts qu'il faisoit pour dissimuler , et
peut-être pour se vaincre , ne pouvoit
s'empêcher de l'admirer.
Cependant je lui sçais gré d'avoir pû
vous taire sa passion , disoit le Sire de
Couci au Comte de Rethel , en lui
parlant de Mad . de Rosoi. La mienne ,
dont elle voyoit toute la violence , reprit
le Comte , l'horreur que la sienne
m'auroit inspirée , les reproches outrageans
qu'elle craignoit d'essuyer ; la honte
de prononcer un je vous aime , au moment
que j'étois àses pieds pour lui demander
Alix, ou la mort ; sa vanité enfin ,
qui la soutenoit contre sa propre foiblesse
voilà les raisons qui ont donné
à Mad . de Rosoi la force de se taire......
Sans se croire Reine , on peut avoüer
qu'on aime , si nous croyons ce que nous
aimons libre de tout engagements alors
l'espérance triomphe de la vanité : mais
la certitude d'une forte passion dans le
coeur
JUILLET. 1733. 1591
coeur de ce que nous adorons , en irritant
la nôtre , nous donne la force de nous
taire.
Pendant l'absence de Roger , Philippe
Auguste trouva occasion de dire bas à
Alix , Mlle , nous veillons ensemble à la
conservation de deux choses bien précieuses
pour le Comte de Rethel ; je lui
garde votre main , et vous lui gardés votre
coeur. Qu'il sera heureux quand il
possedera l'un et l'autre ! Votre Majesté ,
répondit Mlle de Rosoi , avec une noble
modestie , ne s'occupe que du soin de
faire des heureux .
Le Comte de Rethel au comble de ses
voeux , s'écrioit avec transport , en ap
percevant les murailles de Nantes : je vais
voir Alix ; je vais la voir , maîtresse de
me rendre le plus fortuné des hommes :
il la vit , cette charmante Alix . Qu'elle
lui parut belle ! L'habit simple et lugubre
dont elle étoit revêtuë , sembloit imposer
à tous deux la dure loi de retenir
leurs transports. Comment faire sentir
quels furent ces heureux transports ?
Comment rendre des discours sans ordre
Ces discours n'ont de charmes que
pour ceux qui les tiennent . Questions
réponses , souvent peu justes , et plus
souvent interrompues ; regards , embar
?
Fiii! ras
>
>
1592 MERCURE DE FRANCE
ras , silence , tout dans cette premiere
entrevuë , les assura mutuellement de la
plus vive tendresse , sans que le mot de
je vous aime fut prononcé ni par l'un ni
par l'autre.
Nous ne croyons pas devoir pousser
cet Extrait plus loin , quelque attrayante
que soit la matiere ; le second et le troisiéme
Volume sont encore plus interessans
, et le stile en est aussi brillant et
aussi sage. Ce Livre en trois vol . in 12 .
a un fort grand débit , chez la veuve
Pissot , Quai de Conti , à la Croix d'or.
Volume du Mercure du mois de
Juin , page 1376. un Extrait circonstancié
et assez étendu des Anecdotes de la
Cour de Philippe Augustes il nous est revenu
que le Lecteur en a été très- satisfait
, mais qu'il auroit désiré qu'en rendant
1582 MERCURE DE FRANCE
dant compte de cet Ouvrage on fut entré
un peu plus dans le détail des situations
interessantes , qu'on eut donné
quelques Portraits , quelques Fragmens
de conversations , quelques refléxions et
enfin quelques morceaux qui pûssent faire
connoître non- seulement le génie de
l'Auteur , mais encore ses sentimens , ses
lumieres et son stile. Nous allons tâcher
de satisfaire à ce qu'on éxige de
nous.
Dans la Cour et au Camp du Duc de
Bourgogne à Dijon , le Comte de Rethel
et le Sire de Couci s'attiroient l'attention
generale. Cette distinction étoit le fruit
de leurs conversations ; tantôt avec le
Duc , tantôt avec les personnes les plus
graves de sa Cour. On ne sçavoit en faveur
de qui des deux l'on devoit décider :
la solidité de leur esprit , l'étenduë de
leurs lumieres , l'usage moderé qu'ils en
faisoient , les rendoient égaux en mérite.
Ils ne conservoient pas cette même égalité
chez les Dames. Raoul de Couci y
étoit toujours vif , léger et galant ; Roger
de Rechel , étoit plus sérieux et plusretenu.
La joye animoit tous les discours
de l'un ; un air réservé , qui tenoit plus
de la tristesse que de la timidité , rendoit
tout ce que l'autre disoit moins brillant.
Les
JUILLET . 1733- 1583
·
Les Dames jouissoient de tout l'esprit de
Raoul , et se plaignoient de ne pas jouir
de tout l'esprit de Roger : dans le peu
qu'il disoit , elles sentoient combien il
en avoit , et elles étoient curieuses de pénétrer
ce qui pouvoit l'empêcher d'en
faire le même usage que Raoul. Malgré
cette difference, elles disputoient avec
chaleur qui des deux étoit supérieur à
l'autre , mais sans jamais pouvoir terminer
le différent. L'amour propre , peutêtre
, assez bien fondé , persuade au beau
Sexe qu'il lui appartient de juger du mérite
des hommes ; et de prévoir même
les succès que leur promettent les grandes
qualitez qu'elles apperçoivent en
eux. Cependant malgré le privilege que
les Dames s'arrogent en ce genre , elles
n'osoient prononcer entre Roger et
Raoul : elles convenoient de bonne foi
que la simple sympathie pouvoit déterminer
pour l'un ou pour l'autre ; car si
Roger avoit l'avantage d'être mieux fait
que Raoul , si sa phisionomie avoit quelque
chose de plus tendre , Raoul avoit
F'esprit plus brillant , et l'imagination
plus vive , source de son goût pour la
Poësie. L'esprit de galanterie , et l'amour
délicat , le forcerent à faire des Vers , et
il se trouva grand et excellent Poëte , sans
avoir
1584 MERCURE DE FRANCE
avoir jamais songé à le devenir. Il céda
avec d'autant moins de peine à ce penchant
, que dans ces tems reculez , les
personnes de la plus haute qualité se faisoient
un mérite de bien faire des Vers ,
et pouvoient , sans rougir , se donner
pour Auteurs en ce genre. Ce talent le
rendoit agréable au Roi , à la Reine Adélaïde
de Champagne , Mere de Philippe ,
et à la jeune Reine Elisabeth de Henaût.
Roger et Raoul s'aimoient dès leur enfance
; la plus tendre amitié leur avoit
presque fait oublier qu'ils étoient unis
par le sang , & c.
Enguerrand de Couci , surnommé le
Grand , avoit été Favori de Louis le
Jeune : il en étoit digne par l'étenduë de
son génie , par sa prudence , par sa profonde
politique , par une fermeté d'ame
héroïque , enfin par sa probité. Ennemi
de la flaterie , il osoit montrer à son Roi
la verité quelque désagréable qu'elle
fut , il la présentoit toute nue , quand
sa vuë devoit produire un effet , ou utile
ou glorieux , comme il sçavoit la cacher
lorsque son aspect ne pouvoit causer que
des désirs impuissans , ou des regrets superflus
, &c.
A la page 63 de ce premier vol . Roger
parle dans son entretien avec Raoul ,
du
JUILLET. 1733. 1585
du séjour qu'il fit à Rethel , des visites
qu'il rendit à ses voisins ; je vis de vieux
Seigneurs , dit- il , herissés de leur noblesse
, de leur probité , et de leurs Forteresses
, où ils se croyoient de petits
Souverains je vis des Meres fieres de la
beauté de leurs filles , sans être humiliées
de la perte de la leur : je vis des filles belles
sans agrémens , dont les figures et
l'esprit manquoient de graces. Mon Pere,
à qui je disois librement ce que je pensois
m'écoutoit , rioit , et alloit toujours
en avant. Nous arrivâmes enfin
chez le Seigneur de Rosoi , j'y trouvai
l'opposé de tout ce que j'avois vû . Je vis
un vieux Seigneur , qui laissoit aux
autres le soin de se souvenir de ce qu'il
étoit ; qui avoit cette politesse et cette
fine galanterie , dont la Cour est l'unique
Ecole ; qui avoit l'esprit vif et moderé.
Je vis une Mere , qui , sans être hamiliée
de la beauté surprenante de sa fille ,
étoit fiere de la sienne.
>
Le Comte de Rethel , passionément
amoureux d'Alix de Rosoi , lui parle en
ces termes : la permission que vous avez ,
Mademoiselle , de ne me point haïr , ne
vous donne-t'elle pas celle de me laisser
voir si je suis assez heureux pour que
votre coeur ne murmure point contre la
>
F VO1586
MERCURE DE FRANCE
volonté d'un Pere ? Voyant qu'elle rou.
gissoit , que son embarras étoit extrême ,
que même elle cherchoit à m'échapper ,
j'ajoûtai d'un ton plus animé : Hé ! quoi ,
Madlle , vous n'osez répondre ! Vous
pouvez rompre ce cruel silence sans
crime ; et vous le gardez sans pitié ! Ah !
yous craignés , sans doute ,de m'apprendre
que je suis le plus malheureux de tous
les hommes. Vous craignés par cet aveu
de montrer de la désobeïssance à un Pere :
hé bien Mademoiselle , je vais lui dire
que vous me haïssez , et qu'il nous remdroit,
infortunez en nous unissant. Arrêtez
, me dit Alix , n'allez pas abuser mon
Pere , et m'attirer un ressentiment que
je ne mérite pas. Ces paroles prononcées
avec émotion me causerent un transport
si vif , que je me jettai aux pieds d'Alix ,
dont je pris une main que j'osai baiser ,
Dans cet instant , Mad . de Rosoi entra ;
elle parut surprise et offensée de me trouver
aux genoux de sa fille ; elle nous regarda
d'un oeil severe. Alix , dont le désordre
avoit encore augmenté à la vuë
de sa Mere , fût à elle , et en se jettant à
ses pieds , elle lui dit toute tremblante :
Aurois-je fait un crime , de laisser voir
au Comte de Rethel que j'obéïrai sans
répugnance à vos ordres et à ceux de
mon
JUILLET . 1733. 1587
mon Pere ? Mad . de Rooi , avec un air
froid , dit à sa fille : je croi qu'il auroit
suffi d'instruire de vos sentimens ceux qui
vous ont permis de ne pas les combattre :
la modestie ne vous le deffendoit pas ;
mais elle devoit vous faire désaprouver
l'action trop passionnée de Monsieur
qui manque par cette licence au respect
qu'il vous doit.
Le Comte de Rethel s'exprime ainsi
en apprenant que Mad. de Rosoi est la
Rivale d'Alix , sa fille : mon désespoir
se change en une douleur si accablante
qu'il me reste à peine la force de mè
plaindre. Non , je ne vois plus les maux
dont me menace une Mere insensée ; je
ne vois que Mile de Rosoi victime de
notre innocente tendresse. Helas ! pourquoi
est- elle sensible à ma passion ? Qu'il
va lui en coûter cher ! Hé bien ! divine
Alix , reprenez ce coeur , qui seul peut
faire ma felicité. Affreuse situation ! m'écriai-
je en adorant Alix , l'Amour même
me force à désirer son indifférence.
Voici les exclamations de Mad . de
Rosoi : Que je suis injuste ! Que je suis
barbare ! Quoi! J'exige de ma fille plus
que je ne puis obtenir de moi- même ! Je
veux qu'elle renonce à ce qu'elle aime !
Fij Quel
1538 MERCURE DE FRANC
Quel est son malheur ! ou plutôt quel est
le mien ! Ce qu'elle aime est l'objet que
j'adore , et je nel'adore que pour porter ,
à l'un et à l'autre , le poignard dans le
sein. Roger part désesperé , l'excès de sa
passion , que je n'ai que trop vû , ne me
permet aucune espérance. En qul état
affreux mon injustice nous plonge- t'elle
tous les trois ? Quoi ! ne pourrai- je étouf
fer ma tendresse , quand ma gloire , mon
repos , celui de ma fille , l'impossibilité
d'être jamais heureuse , et le bonheur de
ce que j'aime , m'en font voir la dure nécessité.
Que dis - je ! la vertu de ma fille
ne devoit elle pás me suffire
der la mienne , & c.
pour rappel-
C'étoit moins la beauté de Mad. de
Camplit qui l'avoit renduë maîtresse absolue
du coeur et de l'esprit de Hugues de
Bourgogne , que beaucoup d'habileté :
ses manieres caressantes , un badinage léger
, une raillerie fine , des saillies heureuses
, un pinceau vif et brillant , pour
peindre ou les caracteres ou les ridicules ,
des idées singulieres , et singulierement
renduës ; tout cela réuni ensemble , en
faisoit une femme charmante. Elle étoit
trop attentive à conserver sa conquête
pour laisser le Duc de Bourgogne dans
une tranquillité dangereuses aussi ne
s'arJUILLET.
1735 1589
s'armoit- elle jamais d'une sincerité qui
auroit éloigné ceux que ses appas captivoient.
Elle vouloit des victimes toujours
toutes prêtes à immoler à la jalousie
du Duc ; jalousie qu'elle sçavoit faire
naître , nourrir et arrêter , selon qu'elle
le jugeoit à propos. Son grand art étoit
de ne jamais paroître exiger rien de lui ,
que pour sa propre gloire ; son interêt se
tenoit toujours caché sous le voile de celui
du Duc de Bourgogne . Elle se servoit
du prétexte d'aimer les Fêtes et les Spectacles
, pour l'amuser sans cesse. Ce Prince
croyoit s'acquerir des créatures , en
répandant des graces ; mais ces mêmes
graces affermissoient toujours le pouvoir
de Mad. de Camplit , qui seule , malgré
le juste discernement de Hugues
décidoit qui le meritoit le mieux : ainsi
le sujet revêtu d'une nouvelle dignité
ou accablé des liberalitez du Duc,croyoit
tout tenir de Mad. de Camplit.
La Belle Gabrielle de Vergi manquoit
à cette brillante et superbe Assemblée
pour lui donner le dernier éclat. Les femmes
ne la regrettoient point : sa présence
les humilioit , et sa modestie qui rehaussoit
de beaucoup tous ses charmes naissans
, leur sembloit un Censeur muet de
leur dissipation . Enfin , Gabrielle de Ver-
F iij
,
gi
1590 MERCURE DE FRANCE
gi parut , ses graces naturelles et simples,
sa beauté , qu'elle sembloit ignorer , sa
douceur noble et importante , attacherent
d'abord tous les yeux sur elle . Le
Sire de Couci , occupé seulement du
plaisir d'amuser Madame de Camplit ,
ne la remarqua que très - légerement ;
mais le Seigneur de Fajel , malgré les
efforts qu'il faisoit pour dissimuler , et
peut-être pour se vaincre , ne pouvoit
s'empêcher de l'admirer.
Cependant je lui sçais gré d'avoir pû
vous taire sa passion , disoit le Sire de
Couci au Comte de Rethel , en lui
parlant de Mad . de Rosoi. La mienne ,
dont elle voyoit toute la violence , reprit
le Comte , l'horreur que la sienne
m'auroit inspirée , les reproches outrageans
qu'elle craignoit d'essuyer ; la honte
de prononcer un je vous aime , au moment
que j'étois àses pieds pour lui demander
Alix, ou la mort ; sa vanité enfin ,
qui la soutenoit contre sa propre foiblesse
voilà les raisons qui ont donné
à Mad . de Rosoi la force de se taire......
Sans se croire Reine , on peut avoüer
qu'on aime , si nous croyons ce que nous
aimons libre de tout engagements alors
l'espérance triomphe de la vanité : mais
la certitude d'une forte passion dans le
coeur
JUILLET. 1733. 1591
coeur de ce que nous adorons , en irritant
la nôtre , nous donne la force de nous
taire.
Pendant l'absence de Roger , Philippe
Auguste trouva occasion de dire bas à
Alix , Mlle , nous veillons ensemble à la
conservation de deux choses bien précieuses
pour le Comte de Rethel ; je lui
garde votre main , et vous lui gardés votre
coeur. Qu'il sera heureux quand il
possedera l'un et l'autre ! Votre Majesté ,
répondit Mlle de Rosoi , avec une noble
modestie , ne s'occupe que du soin de
faire des heureux .
Le Comte de Rethel au comble de ses
voeux , s'écrioit avec transport , en ap
percevant les murailles de Nantes : je vais
voir Alix ; je vais la voir , maîtresse de
me rendre le plus fortuné des hommes :
il la vit , cette charmante Alix . Qu'elle
lui parut belle ! L'habit simple et lugubre
dont elle étoit revêtuë , sembloit imposer
à tous deux la dure loi de retenir
leurs transports. Comment faire sentir
quels furent ces heureux transports ?
Comment rendre des discours sans ordre
Ces discours n'ont de charmes que
pour ceux qui les tiennent . Questions
réponses , souvent peu justes , et plus
souvent interrompues ; regards , embar
?
Fiii! ras
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1592 MERCURE DE FRANCE
ras , silence , tout dans cette premiere
entrevuë , les assura mutuellement de la
plus vive tendresse , sans que le mot de
je vous aime fut prononcé ni par l'un ni
par l'autre.
Nous ne croyons pas devoir pousser
cet Extrait plus loin , quelque attrayante
que soit la matiere ; le second et le troisiéme
Volume sont encore plus interessans
, et le stile en est aussi brillant et
aussi sage. Ce Livre en trois vol . in 12 .
a un fort grand débit , chez la veuve
Pissot , Quai de Conti , à la Croix d'or.
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Résumé : Anecdotes de la Cour de Phil. Auguste, [titre d'après la table]
Le Mercure de France de juillet 1733 présente un extrait des 'Anecdotes de la Cour de Philippe Auguste', où les lecteurs expriment leur désir de plus de détails sur les situations intéressantes, les portraits, les conversations et les réflexions sur le style de l'auteur. Le texte se concentre sur la cour du Duc de Bourgogne à Dijon, mettant en lumière le Comte de Rethel et le Sire de Couci. Raoul de Couci est décrit comme vif et galant, tandis que Roger de Rethel est plus sérieux et réservé. Les dames de la cour apprécient l'esprit de Raoul mais sont intriguées par la retenue de Roger. Raoul est également un poète talentueux, apprécié par le roi et les reines. Enguerrand de Couci, favori de Louis le Jeune, est connu pour sa prudence, sa politique et sa probité. Roger de Rethel partage ses impressions sur les visites aux seigneurs voisins et leurs manières. Le Comte de Rethel est amoureux d'Alix de Rosoi, ce qui conduit à une scène tendue avec la mère d'Alix, Madame de Rosoi, également amoureuse du Comte. Cette situation est complexe et douloureuse pour les trois personnages. Le texte mentionne également Madame de Camplit, maîtresse du Duc de Bourgogne, et Gabrielle de Vergi, admirée pour sa modestie et sa beauté. Le Sire de Couci et le Comte de Rethel discutent des passions et des silences des dames de la cour. Philippe Auguste assure Alix de Rosoi de sa protection jusqu'au retour de Roger de Rethel. Leur première rencontre est marquée par une tendresse muette. Le texte se conclut en mentionnant la disponibilité des volumes du livre chez la veuve Pissot.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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