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p. 212-216
LETTRE à Madame de ***, sur une Fête donnée à Brest.
Début :
Je vous l'avois bien dit, Madame, avant de partir de Paris, que vous seriez [...]
Mots clefs :
Fête, Brest, Marquis de Constant, Navire, Fleurs, Colonnes, Décors, Baldaquins, Beauté, Buste du roi, Statues, Musique, Bal, Banquets
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE à Madame de ***, sur une Fête donnée à Brest.
LETTRE à Madame de *** ſur une
Fête donnée à Breft.
JE vous l'avois bien dit , Madame , avant de
partir de Paris , que vous feriez bientôt furieuſe
de n'avoir pas été de notre voyage , & je gage que
vous allez l'être. Me voilà arrivée à Brest. Vous
croyez peut- être que je vais vous parler de la mer,
& des préparatifs formidables que l'on fait dans
ce port contre les Anglois ? J'ai vraiment bien
d'autres merveilles à vous conter . Je fors d'un palais
des Fées , d'une maison de campagne fur l'eau :
j'y ai vu des jardins , des bois . Oh ! je voudrois
tout vous dire à la fois , ou plutôt je voudrois y
être encore. Laiffez -moi du moins vous donner
une idée des charmes d'une fête que les Graces
feules devroient décrire , & qu'un Général feul
de mer peut donner. M. le Marquis de Conflans
qui commande l'eſcadre qui eft en rade , vient
de donner cette fête en l'honneur de celle de
NOVEMBRE. 1756. 213
Roi. C'eft de fon vaiffeau que je fors : voilà le
château enchanté. Il y avoit invité toutes les
- femmes de cette ville , avec plufieurs étrangeres
voyageuses comme moi. Nous y fûmes toutes
avec lui dans une petite flotte de canots le plus
galamment équipés , & aufli leftes que nos cabriolets.
En vérité , ce font des magiciens que ces Meffieurs
les Marins : j'imaginois devoir entrer en
arrivant à bord du Soleil royal , dans une citadelle
de bois , hériffée de quatre - vingts canons , &
- c'eft fur le gazon d'abord que j'ai marché. Pai
levé les yeux pour appercevoir une girouette , j'étois
fous un lambri de feuillages émaillés de
fleurs ; enfin dans une allée de myrthes & de lauriers.
Le paffavant ( je vous prie de croire que
je fuis déja un peu marine ; & que j'en fçais les
termes ; je vous les expliquerai à mon retour ) ,
le paffavant donc étoit métamorphofé en cette
belle allée qui régnoit tout autour du vaiffeau ; &
- en faifoit une promenade délicieufe : les vents
ne fouffloient ce jour- là que pour répandre l'efprit
des fleurs dont tout le vaiffeau étoit paré.
L'intervalle qui fépare les deux paffavants , étoit
rempli par un plancher très- uni , & formoit un
fallon fpacieux. Ce fut dans ce fallon que j'entrai
enfuite trois de fes côtés étoient ornés de co-
-lonnes d'ifs dans l'ordre Ionique , entrelaffés de
gairlandes de fleurs ; leurs chapiteaux foutenoient
une galerie auffi militaire qu'elle étoit agréable
aux yeux par tous les trophées de Neptune &
de Mars , dont on l'avoit décorée : le fond du
fallon étoit terminé par un baldaquin de verdure
; on y voyoit le portrait du Roi peint de
grandeur naturelle , & appuyé fur une pouppe de
vaiffeau, Près de lui la Renommée lui préfentoit
214 MERCURE DE FRANCE.
d'une main des lauriers , fe foutenant de l'autre
fur l'épaule du Miniftre de la marine , indiqué par
La caffette des Sceaux : tout l'enſemble de ce tableau
repréfentoit très bien l'emblême de la
gloire que notre augufte Monarque vient d'acquérir
fur la mer.
-
Le Général enchanté des éloges que tout le
monde donnoit à cette maniere ingénieuſe de célébrer
les victoires du Roi & les fuccès de fa
marine triomphante même en renaiffant , nous
conduifit delà dans une autre falle auffi vafte ,
mais décorée différemment ; c'est le gaillard d'arriere
où nous étions ( je vous déroute furieufement
, Madame , par tous ces noms- là , mais
je vous l'ai promis , je vous les apprendrai tous ) :
elle étoit tendue de blanc , vous auriez dit d'une
mouffeline ; ce font leurs pavillons de fignaux.
Le grand mât du vaiffeau qui eft au milieu ,
& qui féparoit ces deux falles , étoit revêtu de
myrthes touffus , dans lefquels on avoit pratiqué
avec art une niche en verdure fleurie , où étoit
placé le bufte du Roi fur un piédeſtal élégamment
orné. Nous appellâmes ces deux falles , l'une
de Mars , & l'autre de l'Amour. Ce fut là qu'on
fervit un repas avec autant de magnificence que
de goût ; une table immenfe étoit couverte des
cryftaux les plus joliment imaginés du monde.
Je fçais bien , pour moi , que j'étois devant le
fiege de Mahon , & tout auprès d'une efcadre
Françoife , dont nos vaiffeaux défignés par de petits
pavillons de taffetas blanc , faifoient prefque
fortir à force de voiles , une troupe de pavillons
rouges qui s'enfuyoient devant eux.
Une bonne fymphonie , que l'on n'appercevoir
point , anima tout le dîner ; fur le foir on chanta
folemnellement un Te Deum en musique. Il fut
NOVEMBRE. 1756. 215
Tuivi d'une falve de moufqueterie & de canons, que
tirerent tous les vaiffeaux de la rade : mais de façon
à nous donner l'image d'un combat naval
fpectacle auffi gracieux à poudre feulement , qu'il
doit être terrible à boulets . Je l'ai donc vu auffi ,
Madame, & avec la même gaieté que je fus enfuite
au bal . Le foleil ne fe coucha point , ou celui
où nous étions prit fa place : mille bougies allumées
parmi les feuillages , furent les feux que jetta
le foleil royal & jamais illumination plus brillante
n'avoit éclairé un bal plus galant, ni mieux ordonné.
Les favoris d'Amphitrite vont fans doute dans
leurs voyages de temps en temps à Paphos ou à
Idalie . Ils ne font point du tout Loups de mer , &
j'apperçus dans nos allées de myrthes une foule de
jeunes marins , qui me fembloient conter leurs
peines , & s'y prendre comme à Paris : croyez
qu'ils fçavent galamment chanter leur Roi & leurs
maîtreffes. Lifez plutôt cette chanſon , ou chantez-
là : car je vous l'envoie notée . C'est une production
marine d'un des Officiers du vaiſſeau , &
une efquiffe de la fête , & de ma rélation aufli.
Mais je vais la finir pour ne pas achever de vous
défefpérer de n'être pas venue.
Le bal ne fut interrompu que par un ambigu
fervi avec une profufion & une délicateffe qui ne
laiffoient rien à défirer . Nous y fûmes d'une folie......
Les Dames de Breft furtout étoient d'une
gaieté charmante , & bien faites pour en infpirer,
bien dignes auffi de la fête que nous célébrions.
Elles n'aiment pas le Roi , elles en font amoureufes.
Nous y aurions paffé la nuit , fi les inftrumens
ne nous euffent rappellé dans la falle du bal, qui recommença
avec encore plus de vivacité & de plaifir
qu'auparavant. Je n'en fuis fortie qu'au jour . J'ai
fini par danſer la Mahon , & je ſuis revenye vîte
216 MERCURE DE FRANCE.
vous écrire au ſon des violons qui , j'imagine ,
frappent encore mes oreilles . Adieu , Madame. Je
pars au premier jour pour revenir vous voir. Que
je vais vous parler marine ! Ce fera le fruit de mes
voyages : mais vous qui les aimez fi peu , ne faites
pas de même au moins d'une voyageufe que vous
fçavez vous être attachée bien fincérement , toute
charmante & toute jolie que vous êtes.
Fête donnée à Breft.
JE vous l'avois bien dit , Madame , avant de
partir de Paris , que vous feriez bientôt furieuſe
de n'avoir pas été de notre voyage , & je gage que
vous allez l'être. Me voilà arrivée à Brest. Vous
croyez peut- être que je vais vous parler de la mer,
& des préparatifs formidables que l'on fait dans
ce port contre les Anglois ? J'ai vraiment bien
d'autres merveilles à vous conter . Je fors d'un palais
des Fées , d'une maison de campagne fur l'eau :
j'y ai vu des jardins , des bois . Oh ! je voudrois
tout vous dire à la fois , ou plutôt je voudrois y
être encore. Laiffez -moi du moins vous donner
une idée des charmes d'une fête que les Graces
feules devroient décrire , & qu'un Général feul
de mer peut donner. M. le Marquis de Conflans
qui commande l'eſcadre qui eft en rade , vient
de donner cette fête en l'honneur de celle de
NOVEMBRE. 1756. 213
Roi. C'eft de fon vaiffeau que je fors : voilà le
château enchanté. Il y avoit invité toutes les
- femmes de cette ville , avec plufieurs étrangeres
voyageuses comme moi. Nous y fûmes toutes
avec lui dans une petite flotte de canots le plus
galamment équipés , & aufli leftes que nos cabriolets.
En vérité , ce font des magiciens que ces Meffieurs
les Marins : j'imaginois devoir entrer en
arrivant à bord du Soleil royal , dans une citadelle
de bois , hériffée de quatre - vingts canons , &
- c'eft fur le gazon d'abord que j'ai marché. Pai
levé les yeux pour appercevoir une girouette , j'étois
fous un lambri de feuillages émaillés de
fleurs ; enfin dans une allée de myrthes & de lauriers.
Le paffavant ( je vous prie de croire que
je fuis déja un peu marine ; & que j'en fçais les
termes ; je vous les expliquerai à mon retour ) ,
le paffavant donc étoit métamorphofé en cette
belle allée qui régnoit tout autour du vaiffeau ; &
- en faifoit une promenade délicieufe : les vents
ne fouffloient ce jour- là que pour répandre l'efprit
des fleurs dont tout le vaiffeau étoit paré.
L'intervalle qui fépare les deux paffavants , étoit
rempli par un plancher très- uni , & formoit un
fallon fpacieux. Ce fut dans ce fallon que j'entrai
enfuite trois de fes côtés étoient ornés de co-
-lonnes d'ifs dans l'ordre Ionique , entrelaffés de
gairlandes de fleurs ; leurs chapiteaux foutenoient
une galerie auffi militaire qu'elle étoit agréable
aux yeux par tous les trophées de Neptune &
de Mars , dont on l'avoit décorée : le fond du
fallon étoit terminé par un baldaquin de verdure
; on y voyoit le portrait du Roi peint de
grandeur naturelle , & appuyé fur une pouppe de
vaiffeau, Près de lui la Renommée lui préfentoit
214 MERCURE DE FRANCE.
d'une main des lauriers , fe foutenant de l'autre
fur l'épaule du Miniftre de la marine , indiqué par
La caffette des Sceaux : tout l'enſemble de ce tableau
repréfentoit très bien l'emblême de la
gloire que notre augufte Monarque vient d'acquérir
fur la mer.
-
Le Général enchanté des éloges que tout le
monde donnoit à cette maniere ingénieuſe de célébrer
les victoires du Roi & les fuccès de fa
marine triomphante même en renaiffant , nous
conduifit delà dans une autre falle auffi vafte ,
mais décorée différemment ; c'est le gaillard d'arriere
où nous étions ( je vous déroute furieufement
, Madame , par tous ces noms- là , mais
je vous l'ai promis , je vous les apprendrai tous ) :
elle étoit tendue de blanc , vous auriez dit d'une
mouffeline ; ce font leurs pavillons de fignaux.
Le grand mât du vaiffeau qui eft au milieu ,
& qui féparoit ces deux falles , étoit revêtu de
myrthes touffus , dans lefquels on avoit pratiqué
avec art une niche en verdure fleurie , où étoit
placé le bufte du Roi fur un piédeſtal élégamment
orné. Nous appellâmes ces deux falles , l'une
de Mars , & l'autre de l'Amour. Ce fut là qu'on
fervit un repas avec autant de magnificence que
de goût ; une table immenfe étoit couverte des
cryftaux les plus joliment imaginés du monde.
Je fçais bien , pour moi , que j'étois devant le
fiege de Mahon , & tout auprès d'une efcadre
Françoife , dont nos vaiffeaux défignés par de petits
pavillons de taffetas blanc , faifoient prefque
fortir à force de voiles , une troupe de pavillons
rouges qui s'enfuyoient devant eux.
Une bonne fymphonie , que l'on n'appercevoir
point , anima tout le dîner ; fur le foir on chanta
folemnellement un Te Deum en musique. Il fut
NOVEMBRE. 1756. 215
Tuivi d'une falve de moufqueterie & de canons, que
tirerent tous les vaiffeaux de la rade : mais de façon
à nous donner l'image d'un combat naval
fpectacle auffi gracieux à poudre feulement , qu'il
doit être terrible à boulets . Je l'ai donc vu auffi ,
Madame, & avec la même gaieté que je fus enfuite
au bal . Le foleil ne fe coucha point , ou celui
où nous étions prit fa place : mille bougies allumées
parmi les feuillages , furent les feux que jetta
le foleil royal & jamais illumination plus brillante
n'avoit éclairé un bal plus galant, ni mieux ordonné.
Les favoris d'Amphitrite vont fans doute dans
leurs voyages de temps en temps à Paphos ou à
Idalie . Ils ne font point du tout Loups de mer , &
j'apperçus dans nos allées de myrthes une foule de
jeunes marins , qui me fembloient conter leurs
peines , & s'y prendre comme à Paris : croyez
qu'ils fçavent galamment chanter leur Roi & leurs
maîtreffes. Lifez plutôt cette chanſon , ou chantez-
là : car je vous l'envoie notée . C'est une production
marine d'un des Officiers du vaiſſeau , &
une efquiffe de la fête , & de ma rélation aufli.
Mais je vais la finir pour ne pas achever de vous
défefpérer de n'être pas venue.
Le bal ne fut interrompu que par un ambigu
fervi avec une profufion & une délicateffe qui ne
laiffoient rien à défirer . Nous y fûmes d'une folie......
Les Dames de Breft furtout étoient d'une
gaieté charmante , & bien faites pour en infpirer,
bien dignes auffi de la fête que nous célébrions.
Elles n'aiment pas le Roi , elles en font amoureufes.
Nous y aurions paffé la nuit , fi les inftrumens
ne nous euffent rappellé dans la falle du bal, qui recommença
avec encore plus de vivacité & de plaifir
qu'auparavant. Je n'en fuis fortie qu'au jour . J'ai
fini par danſer la Mahon , & je ſuis revenye vîte
216 MERCURE DE FRANCE.
vous écrire au ſon des violons qui , j'imagine ,
frappent encore mes oreilles . Adieu , Madame. Je
pars au premier jour pour revenir vous voir. Que
je vais vous parler marine ! Ce fera le fruit de mes
voyages : mais vous qui les aimez fi peu , ne faites
pas de même au moins d'une voyageufe que vous
fçavez vous être attachée bien fincérement , toute
charmante & toute jolie que vous êtes.
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Résumé : LETTRE à Madame de ***, sur une Fête donnée à Brest.
La lettre relate une fête somptueuse organisée par le Marquis de Conflans à Brest, à bord de son vaisseau, en novembre 1756, en l'honneur des victoires du Roi. L'auteure, après avoir voyagé à Brest, met en avant les merveilles observées plutôt que les préparatifs militaires contre les Anglais. Le vaisseau, transformé en palais enchanté, accueillait des femmes de la ville et des étrangères, transportées en canots élégamment équipés. Les invités découvraient un décor enchanteur avec des jardins, des bois et des allées de myrtes et de lauriers. Le pont principal, métamorphosé en promenade délicieuse, était paré de fleurs et de verdure. Un salon spacieux, orné de colonnes et de trophées, abritait un portrait du Roi et des symboles de la gloire maritime. La fête se poursuivait dans une autre salle, tendue de blanc, où un repas somptueux a été servi. Une symphonie et un Te Deum animaient le dîner, suivi d'une salve de mousqueterie et de canons imitant un combat naval. La soirée se concluait par un bal illuminé par des bougies, avec des marins chantant des chansons en l'honneur du Roi et de leurs maîtresses. Les dames de Brest, particulièrement gaies et charmantes, participaient avec enthousiasme à la fête, qui se prolongeait jusqu'au matin.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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