Résultats : 1508 texte(s)
Détail
Liste
1051
p. 110-113
LOGOGRYPHE EN VAUDEVILLES. Air : De tous les Capucins du monde.
Début :
Je suis native de la Gréce ; [...]
Mots clefs :
Métromanie
1052
p. 129
SONNET EN LOGOGRYPHE.
Début :
Pour bien connoître mon essence, [...]
Mots clefs :
Sonnet
1053
p. 101
ENIGMES EN VAUDEVILLES. Air : A notre bonheur l'Amour préside.
Début :
On me donne pour sceptre à l'enfance, [...]
Mots clefs :
Sifflet
1054
p. 19-28
CONVERSATION SINGULIERE.
Début :
Je passois en Allemagne, il n'y a pas long-tems. Mes affaires me retinrent [...]
Mots clefs :
Philosophe, Adam, Feuille périodique, Conversation
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texteReconnaissance textuelle : CONVERSATION SINGULIERE.
CONVERSATION SINGULIERE.
E paffois en Allemagne , il n'y a pas
long - tems . Mes affaires me retinrent
quelques jours dans une ville d'Univerfité ,
dont le nom n'importe pas à la choſe. Je
fus introduit dans la plus fine aſſemblée
de la ville : on y parloit François. Le jeune
Atys , avec qui j'avois fait une partie de
mon voyage , y fut auffi conduit : il cherchoit
à rire, & j'obſervois.
L'objet le plus remarquable de la compagnie
étoit le grave & profond Marfonius
, Profeffeur en langues orientales ,
perfonnage refpectable , dont la tête accablée
fous le poids de la ſcience & des années
, étoit ombragée fous le vafte contour
d'un feutre large & détrouffé , qui s'en20
MERCURE DE FRANCE.
fon
fonçoit fur une perruque vénérable par
antiquité. Son menton à triple étage defcendoit
avec grace fur une fraife ample &
craffeufe , qui contraftoit peu avec un habit
dont le tems avoir rendu la couleur
indécife entre le blanc & le noir. Sa fcience
étoit fur-tout reconnoiffable , par la
profonde empreinte qu'avoit laiffée fur fon
nez une paire d'énormes lunettes. 11 eft ,
dit - on , fort érudit. Cela fe peut ; mais làdeffus
il eft fi facile d'en impofer ! Du bon
fens vous en jugerez.
Le refte de la compagnie étoit compofé
d'un affez grand nombre de devots admirateurs
de M. Marfonius , & de deux ou trois
gens d'efprit qui s'en moquoient.
On eut bientôt épuifé les annales du
beau tems , la chronique du quartier & la
littérature des Romans ; car on en parle
même en Allemagne. On propofa des queftions
, on difputa , & le parti de M. Marfonius
fut toujours le plus fort , parce que
les autres raifonnoient , & qu'il citoit des
autorités d'un ton haut & décifif , ce qui
impofoit un filence de pitié aux gens d'efprit
& d'admiration aux fots .
Je ne fçai par quel hazard quelqu'un s'avifa
de parler de la feuille périodique d'Adam
, fils d'Adam . On fe récria fur la bizarrerie
du titre. Que le Spectateur Anglois
DECEMBRE. 1754. 21
fe foit intitulé Socrate moderne , cela eft
raifonnable , Socrate étoit bon obfervateur...
Oui fans doute , interrompit brufquement
Atys , Socrate étoit un habile
homme , je l'entends citer tous les jours :
mais, Adam ! Adam n'étoit pas Philofophe .
Adam n'étoit pas Philofophe ! s'écria notre
Théologien en fureur, & mettant les poings
fur les côtés : où avez - vous pris cela ? Je
vous foutiens avec le fçavant George Hornius
, qu'Adam avoit par infufion toutes
les fciences , tout comme je vous prouverai
auffi que Socrate n'a jamais écrit .
Pour Socrate , répartit vivement Atys ,
je vous l'abandonne ; mais , Monfieur , faites-
moi la grace de me dire fi Adam étoit
Ariftotelicien , Cartéfien , Sceptique , Académicien
, Newtonien , Stoïcien , Pirrhonien
, Pithagoricien , Cynique ? ce qu'il
penfoit du mouvement de la terre , de la
chaleur , du froid , des couleurs , du magnétifme
, des particules organiques , de
l'origine des idées , de l'électricité , des
longitudes & de toutes ces matieres fur lefquelles
nos Philofophes modernes difputent
fans fin .
Notre Sçavant ne fe poffédoit pas pendant
toute cette tirade ; il l'auroit interrompue
plufieurs fois , fi l'impétuofité avec
laquelle elle fut prononcée le lui eût per
22 MERCURE DE FRANCE.
mis ; mais enfin elle fe termina d'ellemême
, & laiffa le tems à M. Marfonius
de refpirer. Oh ! prodige d'ignorance ,
s'écria - t - il , en levant les yeux au ciel ,
Adam pouvoit - il fçavoir ce qui n'a été
trouvé que long-tems après lui ? Pour mon
ignorance , je l'avoue , interrompit le jeune
homme ; mais , Monfieur , il ne s'agit pas
de la mienne , il s'agit d'Adam ; faitesmoi
la grace de me dire ce qu'il fçavoit. Il
fçavoit , répondit le docte Théologien , la
Médecine , l'Hiftoire naturelle , l'Architecture
, les Mathématiques , l'Aftronomie
, l'Aftrologie , l'Agriculture , en un
mot toutes les ſciences . Cela eft fort poffible
& fort vraisemblable , répliqua d'un
ton railleur le jeune étourdi ; mais , Monfieur
, toutes ces fciences ont été inventées
& perfectionnées bien long-tems après le
déluge. O pectora caca ! s'écria M. Marfonius
; cela eft-il poffible ! Je vous dis
iterum atque iterum , que cela eft certain ,
d'une certitude morale , phyfique & métaphyfique
, & que la Philofophie antediluvienne
étoit beaucoup plus avancée que
la nôtre.
Fort bien , répartit Atys , je ne vous
avois pas d'abord compris. Voilà ce que
c'eft que d'expliquer tranquillement fes
raifons , on s'éclaircit toujours. Les PatriarDECEMBRE.
1754. 23
1.
S
ches étoient fans doute de très - fçavans
hommes. Mais , Monfieur , quel fyſtême
fuivoit- on dans ce tems-là ? car il n'eft
pas poffible de s'en paffer. Qu'il y eût un
fyfteme reçu & fuivi , répondit M. le Profeffeur
, c'eft de quoi on ne fçauroit douter.
Tout comme auffi on doit fe perfuader
néceffairement que le fyftême d'Adam
triomphoit comme le plus ancien .
Atys. Adam avoit donc un fyftême ?
Marfonius. Cela eft hors de doute ; car
il étoit non feulement Philofophe , mais
encore Prophete & de plus Théologien :
les Juifs lui attribuent le Pfeaume XCII .
Le Pape Gelafe a connu quelques livres
que les Gnoftiques lui fuppofoient. Le P.
Salian cite là - deffus Mafius , & enfin il eft
certain que les Arabes parlent de plus de
vingt volumes écrits de fa main. Vous pouvez
confulter là- deffus , non 'feulement
Hottinger , mais encore Reland , de religione
Mahumedanâ.
Atys. Ah , Monfieur , des livres d'Adam !
en quelle langue les fit- il imprimer ? n'en
auriez-vous point ? pourriez-vous me les
faire voir ?
Marf. Voilà , voilà les jeunes gens , ils
font toujours dans les extrêmes . Je ne vous
dis
pas que les Juifs , les Gnoftiques , ni
les Arabes en doivent être crus fur leur
24 MERCURE DE FRANCE.
parole , je prétens feulement qu'il y a làdeffus
une tradition conftante qui doit
avoir néceſſairement quelque fondement
réel .
Atys. Oh ! pour votre tradition , Monfieur
, je n'y ai pas la foi ; tout cela font
des rêveries.
Marfonius. Des rêveries. Je crois , petit
mirmidon , que vous prétendez ici m'infulter
; il vous fied bien à votre âge de vous
oppofer au fentiment d'un homme qui étudie
depuis quarante- cinq ans les langues
orientales. Apprenez , jeune préfomptueux ,
que vous devez refpecter ma fcience , mes
cheveux gris & ma charge. Souvenez- vous
qu'avec ce ton décifif & ce petit orgueil ,
Vous courez droit à l'impieté.
Eh ! de grace , M. le Profeffeur , reprit
Atys , d'un ton hypocrite , ne vous fâchez
pas , mon deffein n'étoit pas de vous offenfer
; je recevrai , puifqu'il le faut , la tradition
, non feulement antediluvienne
mais même préadamique.
Marfonius. Je vois avec plaifir que vous
vous rendez à mes raiſons , auffi je veux
bien vous inftruire des véritables argumens
fur lefquels nous nous fondons , pour
croire qu'Adam étoit philofophe. Vous
avez lu la Geneſe ?
Atys. Oui vraiment .
Marf.
DECEMBRE.
1754. 25
Marf. Vous y avez donc lû que le premier
homme fortit parfait des mains du
Créateur ?
Atys . Non , Monfieur.
Marf. Quelle mémoire ! N'y avez - vous
pas lû que le premier homme fut fait à l'image
de Dieu ?
Atys. Affurément.
Marf.Eh bien ! ne s'enfuit-il pas de là
qu'Adam avoit par infufion toutes les
fciences ?
Ays. La conféquence vous paroît - elle
juſte ?
Mars. En doutez-vous ?
Atys. Il faut donc bien la recevoir.
Que je fuis charmé , repartit M. Marfonius
, de vous voir fi docile ! il faut que
je vous embraffe. Là deffus le grave Profeffeur
s'approche , le ferre étroitement
dans fes bras , l'étouffe , le dérange & lui
donne un baifer ; mais un baifer ! ... 11
fe feroit bien paffé de cette accolade ; il la
fouffrit cependant , afin d'être initié dans
tous les myfteres. En effet , quand la gravité
de M. Marfonius eut repris fon équilibre
: voici , dit- il , l'argument des argumens
, la preuve des preuves , en faveur
du fyftême de la Philofophie adamique.
Vous fçavez que Dieu fit paffer en revûe
en préfence d'Adam tous les animaux , &
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
qu'il leur donna à chacun leur nom ?
Atys. Je m'en fouviens très-bien . Et cela
prouve ?..
Marf.Cela prouve. Attendez donc le
fçavant Bochart a fait voir dans un de fes
fermons , que ces noms des animaux défignent
leurs qualités effentielles . Cela ne
prouve-t-il pas qu'Adam avoit une connoiffance
exacte de l'Hiftoire naturelle &
même de la logique , fuivant le ſentiment
d'Eufebe ?
Atys. Eufebe & Bochart ! Cela eft clair ;
il n'y a rien à dire.
Marf. J'ai cependant oui raifonner des
fçavans qui n'étoient pas de ce fentiment ,
& même j'ai là deffus depuis dix ans une
correfpondance fort intéreffante avec un
Profeffeur de .. J'en vais publier l'abrégé
en deux volumes in folio , fous ce titre :
Adami doctrina adverfus reluctantium incurfiones
vindicata, five Mularius confutatus ,
c. Il eft certain qu'il aura du deffous ; car
fes lettres , quoique je les aye mifes toutes
entieres , ne rempliffent pas vingt pages.
L'ouvrage est tout prêt , & il ne s'agit plus
que de trouver un Libraire qui veuille's'en
charger.
Atys. Ce n'eft pas l'embarras mais
Monfieur , que peut répondre votre antagoniſte
à tant de preuves ? Il faut qu'il foit
DECEMBRE. 1754. 27
bien opiniâtre & bien peu fubtil.
Marf.Il dit qu'il n'eft pas certain qu'Adam
parlât Hébreu , que cependant Bochart
a pofé fur ce principe ; peut- être les
animaux n'ont pas pris leur nom des qualités
qu'ils ont , mais que ces qualités ont
été ainſi appellées à caufe des animaux qui
les avoient. Que tout le fyftême porte fur
la fcience des étymologies qui eft i fouvent
chimerique ; il ajoute je ne fçai combien
d'autres fadaifes , qui ne méritent pas
qu'on s'y arrête , d'autant mieux qu'elles
tendent à foutenir une opinion dangereuſe.
Atys. Enforte , Monfieur , que celui qui
attaque la Philofophie d'Adam , attaque
Dieu , la religion , & qui plus eft les fçavans.
Mais jufqu'où , je vous prie , alloit
la fcience de notre premier pere ?
Ce point , répondit Marfonius , en baiffant
les yeux par orgueil , n'eft pas abfolument
décidé. Il y a dans cette question
importante deux principaux écueils à éviter
; l'un où eft tombé Henri de Haffia ,
qui prétend qu'Adam n'étoit pas plus fçavant
qu'Ariftote ; l'autre vers lequel inclinent
les Rabbins , qui mettent Adam audeffus
de Moïfe , de Salomon & des Anges
même. L'un péche en défaut , comme vous
voyez , & l'autre en excès.
B ij
28 MERCURE DE FRANCE.
Atys , qui fe trouvoit tout auffi inftruit
après cette converfation qu'on a coutume
de l'être après une difpute publique , prit
alors le ton d'un écolier qui vient d'oppo
fer à une theſe , & faifant une profonde
revérence : je vous rends grace , dit - il ,
fçavantiffime , illuftriffime , doctiffime ,
vigilantiffime Profeffeur , de ce que vous
avez daigné éclaircir mes doutes ; je continue
à faire des voeux pour la fanté de
votre corps , pour celle de votre efprit &
pour l'heureuſe organiſation de votre cerveau.
M. Marfonius étoit fi content de lui ,
que fans s'appercevoir qu'on le railloit , il
alloit remercier par le compliment le plus
emphatique , lorfqu'il fut déconcerté par
un éclat de rire prodigieux qu'Atys entonna,
& qui fut repété par quelques - uns même
des adorateurs de M. Marfonius. Les
autres regardoient le jeune étranger avec
des yeux de flamme , & méditoient fans
doute une vengeance éclatante , lorſqu'il
prit prudemment le parti de la retraite . Je
le fuivis , & nous vînmes écrire enſemble
ce fingulier dialogue.
E paffois en Allemagne , il n'y a pas
long - tems . Mes affaires me retinrent
quelques jours dans une ville d'Univerfité ,
dont le nom n'importe pas à la choſe. Je
fus introduit dans la plus fine aſſemblée
de la ville : on y parloit François. Le jeune
Atys , avec qui j'avois fait une partie de
mon voyage , y fut auffi conduit : il cherchoit
à rire, & j'obſervois.
L'objet le plus remarquable de la compagnie
étoit le grave & profond Marfonius
, Profeffeur en langues orientales ,
perfonnage refpectable , dont la tête accablée
fous le poids de la ſcience & des années
, étoit ombragée fous le vafte contour
d'un feutre large & détrouffé , qui s'en20
MERCURE DE FRANCE.
fon
fonçoit fur une perruque vénérable par
antiquité. Son menton à triple étage defcendoit
avec grace fur une fraife ample &
craffeufe , qui contraftoit peu avec un habit
dont le tems avoir rendu la couleur
indécife entre le blanc & le noir. Sa fcience
étoit fur-tout reconnoiffable , par la
profonde empreinte qu'avoit laiffée fur fon
nez une paire d'énormes lunettes. 11 eft ,
dit - on , fort érudit. Cela fe peut ; mais làdeffus
il eft fi facile d'en impofer ! Du bon
fens vous en jugerez.
Le refte de la compagnie étoit compofé
d'un affez grand nombre de devots admirateurs
de M. Marfonius , & de deux ou trois
gens d'efprit qui s'en moquoient.
On eut bientôt épuifé les annales du
beau tems , la chronique du quartier & la
littérature des Romans ; car on en parle
même en Allemagne. On propofa des queftions
, on difputa , & le parti de M. Marfonius
fut toujours le plus fort , parce que
les autres raifonnoient , & qu'il citoit des
autorités d'un ton haut & décifif , ce qui
impofoit un filence de pitié aux gens d'efprit
& d'admiration aux fots .
Je ne fçai par quel hazard quelqu'un s'avifa
de parler de la feuille périodique d'Adam
, fils d'Adam . On fe récria fur la bizarrerie
du titre. Que le Spectateur Anglois
DECEMBRE. 1754. 21
fe foit intitulé Socrate moderne , cela eft
raifonnable , Socrate étoit bon obfervateur...
Oui fans doute , interrompit brufquement
Atys , Socrate étoit un habile
homme , je l'entends citer tous les jours :
mais, Adam ! Adam n'étoit pas Philofophe .
Adam n'étoit pas Philofophe ! s'écria notre
Théologien en fureur, & mettant les poings
fur les côtés : où avez - vous pris cela ? Je
vous foutiens avec le fçavant George Hornius
, qu'Adam avoit par infufion toutes
les fciences , tout comme je vous prouverai
auffi que Socrate n'a jamais écrit .
Pour Socrate , répartit vivement Atys ,
je vous l'abandonne ; mais , Monfieur , faites-
moi la grace de me dire fi Adam étoit
Ariftotelicien , Cartéfien , Sceptique , Académicien
, Newtonien , Stoïcien , Pirrhonien
, Pithagoricien , Cynique ? ce qu'il
penfoit du mouvement de la terre , de la
chaleur , du froid , des couleurs , du magnétifme
, des particules organiques , de
l'origine des idées , de l'électricité , des
longitudes & de toutes ces matieres fur lefquelles
nos Philofophes modernes difputent
fans fin .
Notre Sçavant ne fe poffédoit pas pendant
toute cette tirade ; il l'auroit interrompue
plufieurs fois , fi l'impétuofité avec
laquelle elle fut prononcée le lui eût per
22 MERCURE DE FRANCE.
mis ; mais enfin elle fe termina d'ellemême
, & laiffa le tems à M. Marfonius
de refpirer. Oh ! prodige d'ignorance ,
s'écria - t - il , en levant les yeux au ciel ,
Adam pouvoit - il fçavoir ce qui n'a été
trouvé que long-tems après lui ? Pour mon
ignorance , je l'avoue , interrompit le jeune
homme ; mais , Monfieur , il ne s'agit pas
de la mienne , il s'agit d'Adam ; faitesmoi
la grace de me dire ce qu'il fçavoit. Il
fçavoit , répondit le docte Théologien , la
Médecine , l'Hiftoire naturelle , l'Architecture
, les Mathématiques , l'Aftronomie
, l'Aftrologie , l'Agriculture , en un
mot toutes les ſciences . Cela eft fort poffible
& fort vraisemblable , répliqua d'un
ton railleur le jeune étourdi ; mais , Monfieur
, toutes ces fciences ont été inventées
& perfectionnées bien long-tems après le
déluge. O pectora caca ! s'écria M. Marfonius
; cela eft-il poffible ! Je vous dis
iterum atque iterum , que cela eft certain ,
d'une certitude morale , phyfique & métaphyfique
, & que la Philofophie antediluvienne
étoit beaucoup plus avancée que
la nôtre.
Fort bien , répartit Atys , je ne vous
avois pas d'abord compris. Voilà ce que
c'eft que d'expliquer tranquillement fes
raifons , on s'éclaircit toujours. Les PatriarDECEMBRE.
1754. 23
1.
S
ches étoient fans doute de très - fçavans
hommes. Mais , Monfieur , quel fyſtême
fuivoit- on dans ce tems-là ? car il n'eft
pas poffible de s'en paffer. Qu'il y eût un
fyfteme reçu & fuivi , répondit M. le Profeffeur
, c'eft de quoi on ne fçauroit douter.
Tout comme auffi on doit fe perfuader
néceffairement que le fyftême d'Adam
triomphoit comme le plus ancien .
Atys. Adam avoit donc un fyftême ?
Marfonius. Cela eft hors de doute ; car
il étoit non feulement Philofophe , mais
encore Prophete & de plus Théologien :
les Juifs lui attribuent le Pfeaume XCII .
Le Pape Gelafe a connu quelques livres
que les Gnoftiques lui fuppofoient. Le P.
Salian cite là - deffus Mafius , & enfin il eft
certain que les Arabes parlent de plus de
vingt volumes écrits de fa main. Vous pouvez
confulter là- deffus , non 'feulement
Hottinger , mais encore Reland , de religione
Mahumedanâ.
Atys. Ah , Monfieur , des livres d'Adam !
en quelle langue les fit- il imprimer ? n'en
auriez-vous point ? pourriez-vous me les
faire voir ?
Marf. Voilà , voilà les jeunes gens , ils
font toujours dans les extrêmes . Je ne vous
dis
pas que les Juifs , les Gnoftiques , ni
les Arabes en doivent être crus fur leur
24 MERCURE DE FRANCE.
parole , je prétens feulement qu'il y a làdeffus
une tradition conftante qui doit
avoir néceſſairement quelque fondement
réel .
Atys. Oh ! pour votre tradition , Monfieur
, je n'y ai pas la foi ; tout cela font
des rêveries.
Marfonius. Des rêveries. Je crois , petit
mirmidon , que vous prétendez ici m'infulter
; il vous fied bien à votre âge de vous
oppofer au fentiment d'un homme qui étudie
depuis quarante- cinq ans les langues
orientales. Apprenez , jeune préfomptueux ,
que vous devez refpecter ma fcience , mes
cheveux gris & ma charge. Souvenez- vous
qu'avec ce ton décifif & ce petit orgueil ,
Vous courez droit à l'impieté.
Eh ! de grace , M. le Profeffeur , reprit
Atys , d'un ton hypocrite , ne vous fâchez
pas , mon deffein n'étoit pas de vous offenfer
; je recevrai , puifqu'il le faut , la tradition
, non feulement antediluvienne
mais même préadamique.
Marfonius. Je vois avec plaifir que vous
vous rendez à mes raiſons , auffi je veux
bien vous inftruire des véritables argumens
fur lefquels nous nous fondons , pour
croire qu'Adam étoit philofophe. Vous
avez lu la Geneſe ?
Atys. Oui vraiment .
Marf.
DECEMBRE.
1754. 25
Marf. Vous y avez donc lû que le premier
homme fortit parfait des mains du
Créateur ?
Atys . Non , Monfieur.
Marf. Quelle mémoire ! N'y avez - vous
pas lû que le premier homme fut fait à l'image
de Dieu ?
Atys. Affurément.
Marf.Eh bien ! ne s'enfuit-il pas de là
qu'Adam avoit par infufion toutes les
fciences ?
Ays. La conféquence vous paroît - elle
juſte ?
Mars. En doutez-vous ?
Atys. Il faut donc bien la recevoir.
Que je fuis charmé , repartit M. Marfonius
, de vous voir fi docile ! il faut que
je vous embraffe. Là deffus le grave Profeffeur
s'approche , le ferre étroitement
dans fes bras , l'étouffe , le dérange & lui
donne un baifer ; mais un baifer ! ... 11
fe feroit bien paffé de cette accolade ; il la
fouffrit cependant , afin d'être initié dans
tous les myfteres. En effet , quand la gravité
de M. Marfonius eut repris fon équilibre
: voici , dit- il , l'argument des argumens
, la preuve des preuves , en faveur
du fyftême de la Philofophie adamique.
Vous fçavez que Dieu fit paffer en revûe
en préfence d'Adam tous les animaux , &
1. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
qu'il leur donna à chacun leur nom ?
Atys. Je m'en fouviens très-bien . Et cela
prouve ?..
Marf.Cela prouve. Attendez donc le
fçavant Bochart a fait voir dans un de fes
fermons , que ces noms des animaux défignent
leurs qualités effentielles . Cela ne
prouve-t-il pas qu'Adam avoit une connoiffance
exacte de l'Hiftoire naturelle &
même de la logique , fuivant le ſentiment
d'Eufebe ?
Atys. Eufebe & Bochart ! Cela eft clair ;
il n'y a rien à dire.
Marf. J'ai cependant oui raifonner des
fçavans qui n'étoient pas de ce fentiment ,
& même j'ai là deffus depuis dix ans une
correfpondance fort intéreffante avec un
Profeffeur de .. J'en vais publier l'abrégé
en deux volumes in folio , fous ce titre :
Adami doctrina adverfus reluctantium incurfiones
vindicata, five Mularius confutatus ,
c. Il eft certain qu'il aura du deffous ; car
fes lettres , quoique je les aye mifes toutes
entieres , ne rempliffent pas vingt pages.
L'ouvrage est tout prêt , & il ne s'agit plus
que de trouver un Libraire qui veuille's'en
charger.
Atys. Ce n'eft pas l'embarras mais
Monfieur , que peut répondre votre antagoniſte
à tant de preuves ? Il faut qu'il foit
DECEMBRE. 1754. 27
bien opiniâtre & bien peu fubtil.
Marf.Il dit qu'il n'eft pas certain qu'Adam
parlât Hébreu , que cependant Bochart
a pofé fur ce principe ; peut- être les
animaux n'ont pas pris leur nom des qualités
qu'ils ont , mais que ces qualités ont
été ainſi appellées à caufe des animaux qui
les avoient. Que tout le fyftême porte fur
la fcience des étymologies qui eft i fouvent
chimerique ; il ajoute je ne fçai combien
d'autres fadaifes , qui ne méritent pas
qu'on s'y arrête , d'autant mieux qu'elles
tendent à foutenir une opinion dangereuſe.
Atys. Enforte , Monfieur , que celui qui
attaque la Philofophie d'Adam , attaque
Dieu , la religion , & qui plus eft les fçavans.
Mais jufqu'où , je vous prie , alloit
la fcience de notre premier pere ?
Ce point , répondit Marfonius , en baiffant
les yeux par orgueil , n'eft pas abfolument
décidé. Il y a dans cette question
importante deux principaux écueils à éviter
; l'un où eft tombé Henri de Haffia ,
qui prétend qu'Adam n'étoit pas plus fçavant
qu'Ariftote ; l'autre vers lequel inclinent
les Rabbins , qui mettent Adam audeffus
de Moïfe , de Salomon & des Anges
même. L'un péche en défaut , comme vous
voyez , & l'autre en excès.
B ij
28 MERCURE DE FRANCE.
Atys , qui fe trouvoit tout auffi inftruit
après cette converfation qu'on a coutume
de l'être après une difpute publique , prit
alors le ton d'un écolier qui vient d'oppo
fer à une theſe , & faifant une profonde
revérence : je vous rends grace , dit - il ,
fçavantiffime , illuftriffime , doctiffime ,
vigilantiffime Profeffeur , de ce que vous
avez daigné éclaircir mes doutes ; je continue
à faire des voeux pour la fanté de
votre corps , pour celle de votre efprit &
pour l'heureuſe organiſation de votre cerveau.
M. Marfonius étoit fi content de lui ,
que fans s'appercevoir qu'on le railloit , il
alloit remercier par le compliment le plus
emphatique , lorfqu'il fut déconcerté par
un éclat de rire prodigieux qu'Atys entonna,
& qui fut repété par quelques - uns même
des adorateurs de M. Marfonius. Les
autres regardoient le jeune étranger avec
des yeux de flamme , & méditoient fans
doute une vengeance éclatante , lorſqu'il
prit prudemment le parti de la retraite . Je
le fuivis , & nous vînmes écrire enſemble
ce fingulier dialogue.
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Résumé : CONVERSATION SINGULIERE.
Le texte décrit une conversation qui se déroule en Allemagne, dans une ville universitaire, entre le narrateur, Atys et une assemblée parlant français. La figure centrale de cette assemblée est Marfonius, un professeur de langues orientales respecté pour ses connaissances, mais dont l'apparence et les manières sont ridicules. Marfonius est entouré de dévots admirateurs et de quelques esprits moqueurs. La discussion porte sur la feuille périodique d'Adam, fils d'Adam. Atys critique l'idée qu'Adam était philosophe, ce qui provoque la colère de Marfonius. Ce dernier affirme qu'Adam possédait toutes les sciences par infusion divine. Atys remet en question les connaissances supposées d'Adam sur des sujets modernes à travers une série de questions. Marfonius, irrité, insiste sur la tradition constante qui attribue à Adam une grande érudition. Atys, pour éviter un conflit, feint la soumission et accepte les arguments de Marfonius. Satisfait, Marfonius embrasse Atys et lui expose ses preuves, notamment l'idée que les noms donnés par Adam aux animaux prouvent sa connaissance de l'histoire naturelle et de la logique. Atys, après avoir écouté Marfonius, prend congé en le raillant subtilement. Marfonius, ne s'apercevant pas de la moquerie, est sur le point de le remercier lorsque Atys et le narrateur quittent l'assemblée, laissant derrière eux une atmosphère tendue.
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1055
p. 35
Feu M. de la Motte avoit fait les deux vers suivans.
Début :
C'est que déja l'enfant est homme, [...]
Mots clefs :
Enfant, Homme
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texteReconnaissance textuelle : Feu M. de la Motte avoit fait les deux vers suivans.
Feu M. de la Motte avoit fait les
deux vers fuivans .
C
'Eft que déja l'enfant eſt homme ,
Et que l'homme eft encore enfant.
Trouvant difficile de les amener par deux
autres auffi heureux , il invita plufieurs gens
d'efprit à effayer de le faire. Deux Poëtes célebres
lefirent de la maniere ſuivante..
L'homme pour moins que rien , l'enfant pour une
pomme ,
Rit , pleure , attaque & fe défend.
C'eft que déja l'enfant eft homme ,
Et
que l'homme eft encore enfant.
L'enfant fur fes pareils veut emporter la pomme ;
L'homme s'abat pour rien , pour rien eſt triomphant.
.
C'eft que déja l'enfant eft homme ,
i Et que l'homme eft encore enfant.
deux vers fuivans .
C
'Eft que déja l'enfant eſt homme ,
Et que l'homme eft encore enfant.
Trouvant difficile de les amener par deux
autres auffi heureux , il invita plufieurs gens
d'efprit à effayer de le faire. Deux Poëtes célebres
lefirent de la maniere ſuivante..
L'homme pour moins que rien , l'enfant pour une
pomme ,
Rit , pleure , attaque & fe défend.
C'eft que déja l'enfant eft homme ,
Et
que l'homme eft encore enfant.
L'enfant fur fes pareils veut emporter la pomme ;
L'homme s'abat pour rien , pour rien eſt triomphant.
.
C'eft que déja l'enfant eft homme ,
i Et que l'homme eft encore enfant.
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Résumé : Feu M. de la Motte avoit fait les deux vers suivans.
M. de la Motte a composé deux vers et invité des poètes à les compléter. Deux continuations ont été proposées. La première décrit des réactions opposées entre l'homme et l'enfant. La seconde explore des comportements similaires. Les deux continuations se concluent par les vers initiaux.
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1056
p. 36-44
FLORENCE ET BLANCHEFLEUR, OU LA COUR D'AMOUR. Conte tiré d'un manuscrit du treizième siécle, conservé dans l'Abbaye Saint Germain des Prés, cotté No 1830.
Début :
Vous m'avez paru contente, Madame, des différens morceaux que je [...]
Mots clefs :
Amour, Église, Chevaliers, Dieu, Cour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : FLORENCE ET BLANCHEFLEUR, OU LA COUR D'AMOUR. Conte tiré d'un manuscrit du treizième siécle, conservé dans l'Abbaye Saint Germain des Prés, cotté No 1830.
FLORENCE ET BLANCHEFLEUR ,
OU LA COUR D'AMOUR.
Conte tiré d'un manuſcrit du treizièmeſiècle ,
confervé dans l'Abbaye Saint Germain des
Prés , cotté N° 1830 .
Vo
Ous m'avez paru contente , Madame
, des différens morceaux que je
vous ai fait lire ; & vous y avez trouvé ,
dites - vous , la preuve que je vous avois
produite de la naïveté de nos peres . Je me
fuis encore engagé à vous convaincre qu'ils
avoient de l'imagination dans leurs ouvrages.
Je crois que le petit extrait de la
Cour d'Amour qui contient environ trois
cens cinquante vers , vous donnera une
idée de celle qu'ils employoient quelquefois
; car il ne me feroit pas facile, malgré
toute ma bonne volonté , de repéter fouvent
ces fortes d'exemples : les traits d'efprit
& d'imagination fe trouvent , il eft
vrai , dans leurs ouvrages , mais ils font
épars & noyés dans des longueurs infupportables
; leur objet même eft rarement
agréable , ce font le plus ordinairement
des moralités qui ne font qu'ennuyeufes ,
ou des contes à la vérité fort jolis , mais fi
DECEMBRE. 1754
37
S
libres que je n'oferois vous les préfenter.
Au refte vous ne ferez point étonnée de
la conclufion de ce petit ouvrage , fi vous
vous rappellez que les Chevaliers fçavoient
à peine lire dans les fiécles qui piquent
aujourd'hui votre curiofité , & que les Pretres
& les Moines étoient les feuls qui
fçuffent écrire. Il faut cependant convenir
que ces Auteurs étoient peu conféquens &
peu fixes dans leurs idées. Ils promettent
des chofes qu'ils ne tiennent pas , ils né
s'embarraffent point de remplir celles qu'ils
ont avancées. L'auteur que vous allez lire
abandonne , par exemple , l'image de l'Amour
comme Dieu , par laquelle il débute ,
pour en parler enfuite comme d'un Roi ,
par la feule raifon que l'imitation d'une
Cour lui étoit plus facile , & fe trouvoit
plus à fa portée. Il y auroit bien d'autres
obfervations à faire fur les inconféquences
de fond & de détail que ces Auteurs
préfentent à chaque pas . Mais ce n'eft point.
une critique que j'ai l'honneur de vous
envoyer ; c'eſt un exemple : heureux s'il
peut vous amufer encore !
Ce qui eft en italique eft traduit litté
salement .
L'Auteur commence par dire qu'il ne
faut point entretenir lespokrons , les pay- :
38 MERCURE DE FRANCE.
fans & ceux quife donnent des airs , de tout
ce qui peut regarder l'amour ; mais il ajoute
que ces propos conviennent aux gens
d'Eglife & aux Chevaliers , & fur- toùt aux
filles douces & aimables aufquelles ils font
fort néceffaires.
Florence & Blanchefleur , jeunes filles ,
de grande naiffance & douées de tous les
agrémens poffibles , entrerent un jour d'été
dans un verger des plus agréables pour fe
divertir enfemble , & jouir des beautés de
la nature & de la faifon ; elles avoient des
manteaux chamarrés de fleurs , & principalement
de rofes les plus fraîches ; l'étoffe étoit
d'amour , les attaches de chants d'oiseaux.
Elles trouverent , après avoir fait quelque
pas dans le verger , un ruiffeau , dans lequel
elles regarderent leurs visages dont l'amour
alteroit fouvent les couleurs ; elles fe repoferent
enfuite au pied des oliviers dont le
bord étoit planté. Florence prit la parole &
dit : Qui feroit feule ici avec fen amant fans
que perfonne en put être inftruit ! Si les
nôtres arrivoient dans le moment , nous ne
pourrions les empêcher de nous embraffer , de
nous careffer & de jouir du plaifir d'être avec
nous , pourvû que la chofe n'allât pas plus ·
loin , car nous ne le voudrions pas autrement :
nous ne devons jamais donner la moindre
prife furnous , & quand un arbre a perdu
DECEMBRE. 1754. 39
fes feuilles il a bien perdu de fa beauté.
Blanchefleur lui répondit qu'elle avoit raifon
, & que l'honneur étoit préférable à toutes
les richeffes. Elles s'amuferent tout le jour ,
elles s'entretinrent , mais en général , des
Sentimens dont leur coeur étoit occupé. Cette
bonne intelligence ne dura que jufques au
foir ; elles fe brouillerent & devinrent furieufes
l'une contre l'autre par la raiſon
fuivante.
Florence demanda doucement à Blanchefleur
: à qui avez - vous donné ce coeur qui me
paroît fi bon &fi fincere Blanchefleur rougit
& pâlit , & lui répondit : je veux bien
vous avouer que j'ai donné mon coeur &
tout ce qui dépend de moi à un jeune homme
d'Eglife , charmant de fa figure , mais dont le
caractere eft encore préférable à la beauté.
Il me feroit impoffible , ajoûta- t- elle , de
louer la bonté de fon coeur & la politeffe
de fon efprit autant qu'elles le méritent.
Florence lui répondit avec furprife , comment
avez - vous pû vous déterminer à
prendre un homme d'Eglife pour ami ?
Quand le mien va dans un tournoi & qu'il
abbat un Chevalier , il vient me préfenter
fon cheval. Les Chevaliers font eftimés de
tout le monde , les gens d'Eglife font méprifés
; il faut affurément que votre eſprit
foit dérangé d'avoir fait choix d'une telle
efpece,
40 MERCURE DE FRANCE.
Blanchefleur ne put foutenir ces propos
infultans , & lui dit avec une colere mêlée
d'impatience , qu'elle avoit tort de dire du
mal de fon ami , qu'elle ne le fouffriroit point ,
& qu'il étoit plus fot à elle d'aimer un Chevalier
; & dans fa colere elle fit la critique
& le portrait de la pauvreté & des befoins
ordinaires des Chevaliers. Elle finit par
dire qu'elle prouveroit devant toute la
terre que les
gens d'Eglife étoient les feuls
que l'on dût aimer , qu'ils étoient plus polis
&plus remplis deprobité que les Chevaliers.
Florence lui répliqua que tout ce qu'elle
difoit étoit faux , & lui propofa d'aller
faire juger leur différend à la cour du Dieu
d'Amour. D'accord fur ce point , elles fortirent
du verger fans fe dire un mot & fans
fe regarder.
Elles furent exactes à fe mettre en marche
le jour dont elles étoient convenues.
Elles partirent en même-tems , & fe rencontrerent
non fans être piquées de fe
trouver toutes deux fi belles & fi bien parées.
En effet jamais parures n'eurent autant
d'éclat & de véritables agrémens .
Leurs robes étoient faites des rofes les plus
fraiches , leurs ceintures de violettes que les
amours avoient arrangées pour leur plaiſir ,
leurs fouliers étoient couverts de fleurs jaunes,
leurs coeffures étoient d'églantier 2
DECEMBRE. 1754 41
auffi l'odeur en étoit parfaite . Elles montoient
deux chevaux plus blancs que la
neige , & auffi beaux que magnifiquement
parés ; car l'yvoire & l'ambre étoient employés
avec profufion fur leurs harnois.
Ces beaux chevaux avoient le poitrail orné
de fonnettes d'or & d'argent , & par un
enchantement de l'amour elles fonnoient des
airs nouveaux , plus doux que ne le fut jamais
le chant d'aucun oiseau. Quelque malade
qu'un homme eût été , cette mélodie l'auroit
auffi-tôt guéri.
Florence & Blanchefleur firent le voyage
enfemble , & découvrirent fur le midi
la tour & le palais que le Dieu d'Amour
habitoit s il étoit fur un lit tout couvert de
rofes , & dont les rideaux étoient galamment
attachés avec des clous de girofle
parfaitement arrangés.
Les deux Demoifelles mirent pied à ter
re fous un pin , dans une prairie charmante
qui formoit l'ayant- cour du château. Deux
oifeaux volerent à elles , & les conduisirent
au château , d'autres eurent foin de pren
dre leurs chevaux .
Quand le Dieu d'Amour les apperçut
il fe leva de fon lit avec empreffement ,
les falua avec toutes les graces dont il eft
capable , les prit l'une & l'autre par la
main , les fit affeoir auprès de lui , & leur
42 MERCURE DE FRANCE.
ger
demanda le fujet de leur voyage . Blanche-
Aeur lui en rendit compte , & le pria de juleur
différend . Auffi -tôt le Roi donna
ordre qu'on fit affembler les oiſeaux , fes
barons , pour décider la queftion . Il leur
conta la difpuie des deux Belles , & leur dit
de lui donner franchement leur avis.
L'Epervier parla le premier , & dit que
les Chevaliers étoient plus polis & plus
honnêtes que les gens d'Eglife.
La Huppe dit que cela n'étoit pas vrai ,
& que jamais on ne pouvoit comparer un
Chevalier avec un Clerc , par rapport
mattreſſe.
Le Faucon fe leva en pied , & donna le
démenti à la Huppe , en l'affurant qu'il
n'y avoit ni Clerc ni Prêtre qui pût en îça
voir autant en amour qu'un Chevalièr .
L'Alouette contredit l'avis du Faucon ,
affurant que l'homme d'Eglife devoit mieux
aimer.
Le Geai laiffa à peine le tems à l'Alouette
de donner fon avis , tant il étoit preſſé
de parler en faveur des Chevaliers , affurant
qu'ils étoient les plus aimables , ajoutant
que les gens d'Eglife ne devoient point aimer,
que leur état les engageoit à fonner les cloches
& à prier pour les ames , & que les Chevaliers
devoient au contraire aimer les Da
mes. fut
DECEMBRE. 1754. 43
Le Roffignol fe leva & demanda audience
: Les amours , dit - il , m'ont fait leur
confeiller , j'ofe donc déclarer , ſelon ma
penfée , que perfonne ne peut fi bien aimer
qu'un homme d'Eglife , & je m'offre à le
prouver par les armes.
Le Perroquet fe leva , & après avoir dit
deux fois , écoutez , écoutez ; il ajoûta , le
Roffignol ment , j'accepte le combat : en difant
ces mots , il jetta fon gant : le Roile prit;
le Reffignol vint a lui & lui donna lefien ,
pour prouver qu'il acceptoit la bataille.
Auffi - tôt ils allerent prendre leurs armes
; & quoiqu'elles ne fuffent que de
fleurs , le combat fut très - vif & fort difputé.
Cependant aucun des combattans
n'y périt ; mais le Perroquet fut terraffé ,
obligé de rendre fon épée , & de convenir
que les gens
gens d'Eglife foni braves & honnêtes ,
& plus dignes d'avoir des maîtreffes que les
hommes de tout autre état , & par confequent
que les Chevaliers.
Florence au defefpoir de fe voir 'condamnée
, s'arracha les cheveux , tordit fes
poings , & ne demanda à Dieu que le bonbeur
de mourir ; elle s'évanouit trois fois , &
la quatriéme elle mourut.
Tous les oifeaux furent convoqués pour
lui faire des obfeques magnifiques ; ils
répandirent une prodigieufe quantité de
44 MERCURE DE FRANCE.
fleurs fur fon tombeau , fur lequel ils placerent
cette épitaphe : Ci git Florence qui
préféra le Chevalier.
L'Auteur , après avoir fait parler la Kalande
, qui eft une efpece d'Alouette huppée
, fait auffi- tôt après paroître une autre
Alouette. J'ai pris la licence de faire intervenir
un autre oifeau dans le Confeil.
Sans prétendre faire aucune comparaiſon ,
la Fontaine m'a autorifé fur le fait de Maiwe
Alaciel , & j'ai crû pouvoir ſuivre ſon
exemple fur le compte d'une Alouette.
J'ai l'honneur d'être , Madame.
OU LA COUR D'AMOUR.
Conte tiré d'un manuſcrit du treizièmeſiècle ,
confervé dans l'Abbaye Saint Germain des
Prés , cotté N° 1830 .
Vo
Ous m'avez paru contente , Madame
, des différens morceaux que je
vous ai fait lire ; & vous y avez trouvé ,
dites - vous , la preuve que je vous avois
produite de la naïveté de nos peres . Je me
fuis encore engagé à vous convaincre qu'ils
avoient de l'imagination dans leurs ouvrages.
Je crois que le petit extrait de la
Cour d'Amour qui contient environ trois
cens cinquante vers , vous donnera une
idée de celle qu'ils employoient quelquefois
; car il ne me feroit pas facile, malgré
toute ma bonne volonté , de repéter fouvent
ces fortes d'exemples : les traits d'efprit
& d'imagination fe trouvent , il eft
vrai , dans leurs ouvrages , mais ils font
épars & noyés dans des longueurs infupportables
; leur objet même eft rarement
agréable , ce font le plus ordinairement
des moralités qui ne font qu'ennuyeufes ,
ou des contes à la vérité fort jolis , mais fi
DECEMBRE. 1754
37
S
libres que je n'oferois vous les préfenter.
Au refte vous ne ferez point étonnée de
la conclufion de ce petit ouvrage , fi vous
vous rappellez que les Chevaliers fçavoient
à peine lire dans les fiécles qui piquent
aujourd'hui votre curiofité , & que les Pretres
& les Moines étoient les feuls qui
fçuffent écrire. Il faut cependant convenir
que ces Auteurs étoient peu conféquens &
peu fixes dans leurs idées. Ils promettent
des chofes qu'ils ne tiennent pas , ils né
s'embarraffent point de remplir celles qu'ils
ont avancées. L'auteur que vous allez lire
abandonne , par exemple , l'image de l'Amour
comme Dieu , par laquelle il débute ,
pour en parler enfuite comme d'un Roi ,
par la feule raifon que l'imitation d'une
Cour lui étoit plus facile , & fe trouvoit
plus à fa portée. Il y auroit bien d'autres
obfervations à faire fur les inconféquences
de fond & de détail que ces Auteurs
préfentent à chaque pas . Mais ce n'eft point.
une critique que j'ai l'honneur de vous
envoyer ; c'eſt un exemple : heureux s'il
peut vous amufer encore !
Ce qui eft en italique eft traduit litté
salement .
L'Auteur commence par dire qu'il ne
faut point entretenir lespokrons , les pay- :
38 MERCURE DE FRANCE.
fans & ceux quife donnent des airs , de tout
ce qui peut regarder l'amour ; mais il ajoute
que ces propos conviennent aux gens
d'Eglife & aux Chevaliers , & fur- toùt aux
filles douces & aimables aufquelles ils font
fort néceffaires.
Florence & Blanchefleur , jeunes filles ,
de grande naiffance & douées de tous les
agrémens poffibles , entrerent un jour d'été
dans un verger des plus agréables pour fe
divertir enfemble , & jouir des beautés de
la nature & de la faifon ; elles avoient des
manteaux chamarrés de fleurs , & principalement
de rofes les plus fraîches ; l'étoffe étoit
d'amour , les attaches de chants d'oiseaux.
Elles trouverent , après avoir fait quelque
pas dans le verger , un ruiffeau , dans lequel
elles regarderent leurs visages dont l'amour
alteroit fouvent les couleurs ; elles fe repoferent
enfuite au pied des oliviers dont le
bord étoit planté. Florence prit la parole &
dit : Qui feroit feule ici avec fen amant fans
que perfonne en put être inftruit ! Si les
nôtres arrivoient dans le moment , nous ne
pourrions les empêcher de nous embraffer , de
nous careffer & de jouir du plaifir d'être avec
nous , pourvû que la chofe n'allât pas plus ·
loin , car nous ne le voudrions pas autrement :
nous ne devons jamais donner la moindre
prife furnous , & quand un arbre a perdu
DECEMBRE. 1754. 39
fes feuilles il a bien perdu de fa beauté.
Blanchefleur lui répondit qu'elle avoit raifon
, & que l'honneur étoit préférable à toutes
les richeffes. Elles s'amuferent tout le jour ,
elles s'entretinrent , mais en général , des
Sentimens dont leur coeur étoit occupé. Cette
bonne intelligence ne dura que jufques au
foir ; elles fe brouillerent & devinrent furieufes
l'une contre l'autre par la raiſon
fuivante.
Florence demanda doucement à Blanchefleur
: à qui avez - vous donné ce coeur qui me
paroît fi bon &fi fincere Blanchefleur rougit
& pâlit , & lui répondit : je veux bien
vous avouer que j'ai donné mon coeur &
tout ce qui dépend de moi à un jeune homme
d'Eglife , charmant de fa figure , mais dont le
caractere eft encore préférable à la beauté.
Il me feroit impoffible , ajoûta- t- elle , de
louer la bonté de fon coeur & la politeffe
de fon efprit autant qu'elles le méritent.
Florence lui répondit avec furprife , comment
avez - vous pû vous déterminer à
prendre un homme d'Eglife pour ami ?
Quand le mien va dans un tournoi & qu'il
abbat un Chevalier , il vient me préfenter
fon cheval. Les Chevaliers font eftimés de
tout le monde , les gens d'Eglife font méprifés
; il faut affurément que votre eſprit
foit dérangé d'avoir fait choix d'une telle
efpece,
40 MERCURE DE FRANCE.
Blanchefleur ne put foutenir ces propos
infultans , & lui dit avec une colere mêlée
d'impatience , qu'elle avoit tort de dire du
mal de fon ami , qu'elle ne le fouffriroit point ,
& qu'il étoit plus fot à elle d'aimer un Chevalier
; & dans fa colere elle fit la critique
& le portrait de la pauvreté & des befoins
ordinaires des Chevaliers. Elle finit par
dire qu'elle prouveroit devant toute la
terre que les
gens d'Eglife étoient les feuls
que l'on dût aimer , qu'ils étoient plus polis
&plus remplis deprobité que les Chevaliers.
Florence lui répliqua que tout ce qu'elle
difoit étoit faux , & lui propofa d'aller
faire juger leur différend à la cour du Dieu
d'Amour. D'accord fur ce point , elles fortirent
du verger fans fe dire un mot & fans
fe regarder.
Elles furent exactes à fe mettre en marche
le jour dont elles étoient convenues.
Elles partirent en même-tems , & fe rencontrerent
non fans être piquées de fe
trouver toutes deux fi belles & fi bien parées.
En effet jamais parures n'eurent autant
d'éclat & de véritables agrémens .
Leurs robes étoient faites des rofes les plus
fraiches , leurs ceintures de violettes que les
amours avoient arrangées pour leur plaiſir ,
leurs fouliers étoient couverts de fleurs jaunes,
leurs coeffures étoient d'églantier 2
DECEMBRE. 1754 41
auffi l'odeur en étoit parfaite . Elles montoient
deux chevaux plus blancs que la
neige , & auffi beaux que magnifiquement
parés ; car l'yvoire & l'ambre étoient employés
avec profufion fur leurs harnois.
Ces beaux chevaux avoient le poitrail orné
de fonnettes d'or & d'argent , & par un
enchantement de l'amour elles fonnoient des
airs nouveaux , plus doux que ne le fut jamais
le chant d'aucun oiseau. Quelque malade
qu'un homme eût été , cette mélodie l'auroit
auffi-tôt guéri.
Florence & Blanchefleur firent le voyage
enfemble , & découvrirent fur le midi
la tour & le palais que le Dieu d'Amour
habitoit s il étoit fur un lit tout couvert de
rofes , & dont les rideaux étoient galamment
attachés avec des clous de girofle
parfaitement arrangés.
Les deux Demoifelles mirent pied à ter
re fous un pin , dans une prairie charmante
qui formoit l'ayant- cour du château. Deux
oifeaux volerent à elles , & les conduisirent
au château , d'autres eurent foin de pren
dre leurs chevaux .
Quand le Dieu d'Amour les apperçut
il fe leva de fon lit avec empreffement ,
les falua avec toutes les graces dont il eft
capable , les prit l'une & l'autre par la
main , les fit affeoir auprès de lui , & leur
42 MERCURE DE FRANCE.
ger
demanda le fujet de leur voyage . Blanche-
Aeur lui en rendit compte , & le pria de juleur
différend . Auffi -tôt le Roi donna
ordre qu'on fit affembler les oiſeaux , fes
barons , pour décider la queftion . Il leur
conta la difpuie des deux Belles , & leur dit
de lui donner franchement leur avis.
L'Epervier parla le premier , & dit que
les Chevaliers étoient plus polis & plus
honnêtes que les gens d'Eglife.
La Huppe dit que cela n'étoit pas vrai ,
& que jamais on ne pouvoit comparer un
Chevalier avec un Clerc , par rapport
mattreſſe.
Le Faucon fe leva en pied , & donna le
démenti à la Huppe , en l'affurant qu'il
n'y avoit ni Clerc ni Prêtre qui pût en îça
voir autant en amour qu'un Chevalièr .
L'Alouette contredit l'avis du Faucon ,
affurant que l'homme d'Eglife devoit mieux
aimer.
Le Geai laiffa à peine le tems à l'Alouette
de donner fon avis , tant il étoit preſſé
de parler en faveur des Chevaliers , affurant
qu'ils étoient les plus aimables , ajoutant
que les gens d'Eglife ne devoient point aimer,
que leur état les engageoit à fonner les cloches
& à prier pour les ames , & que les Chevaliers
devoient au contraire aimer les Da
mes. fut
DECEMBRE. 1754. 43
Le Roffignol fe leva & demanda audience
: Les amours , dit - il , m'ont fait leur
confeiller , j'ofe donc déclarer , ſelon ma
penfée , que perfonne ne peut fi bien aimer
qu'un homme d'Eglife , & je m'offre à le
prouver par les armes.
Le Perroquet fe leva , & après avoir dit
deux fois , écoutez , écoutez ; il ajoûta , le
Roffignol ment , j'accepte le combat : en difant
ces mots , il jetta fon gant : le Roile prit;
le Reffignol vint a lui & lui donna lefien ,
pour prouver qu'il acceptoit la bataille.
Auffi - tôt ils allerent prendre leurs armes
; & quoiqu'elles ne fuffent que de
fleurs , le combat fut très - vif & fort difputé.
Cependant aucun des combattans
n'y périt ; mais le Perroquet fut terraffé ,
obligé de rendre fon épée , & de convenir
que les gens
gens d'Eglife foni braves & honnêtes ,
& plus dignes d'avoir des maîtreffes que les
hommes de tout autre état , & par confequent
que les Chevaliers.
Florence au defefpoir de fe voir 'condamnée
, s'arracha les cheveux , tordit fes
poings , & ne demanda à Dieu que le bonbeur
de mourir ; elle s'évanouit trois fois , &
la quatriéme elle mourut.
Tous les oifeaux furent convoqués pour
lui faire des obfeques magnifiques ; ils
répandirent une prodigieufe quantité de
44 MERCURE DE FRANCE.
fleurs fur fon tombeau , fur lequel ils placerent
cette épitaphe : Ci git Florence qui
préféra le Chevalier.
L'Auteur , après avoir fait parler la Kalande
, qui eft une efpece d'Alouette huppée
, fait auffi- tôt après paroître une autre
Alouette. J'ai pris la licence de faire intervenir
un autre oifeau dans le Confeil.
Sans prétendre faire aucune comparaiſon ,
la Fontaine m'a autorifé fur le fait de Maiwe
Alaciel , & j'ai crû pouvoir ſuivre ſon
exemple fur le compte d'une Alouette.
J'ai l'honneur d'être , Madame.
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Résumé : FLORENCE ET BLANCHEFLEUR, OU LA COUR D'AMOUR. Conte tiré d'un manuscrit du treizième siécle, conservé dans l'Abbaye Saint Germain des Prés, cotté No 1830.
Le texte présente un conte médiéval intitulé 'Florence et Blanchefleur, ou La Cour d'Amour', extrait d'un manuscrit du XIIIe siècle conservé à l'Abbaye Saint-Germain-des-Prés. L'auteur vise à montrer que les écrivains du Moyen Âge possédaient une imagination fertile, malgré les longueurs et les moralités souvent ennuyeuses de leurs œuvres. Le conte raconte l'histoire de deux jeunes filles, Florence et Blanchefleur, qui se disputent sur la supériorité des Chevaliers ou des gens d'Église en matière d'amour. Un jour d'été, dans un verger, Blanchefleur révèle à Florence avoir donné son cœur à un jeune homme d'Église. Florence, choquée, préfère les Chevaliers et propose de soumettre leur différend à la cour du Dieu d'Amour. Les deux jeunes filles se rendent au palais du Dieu d'Amour, où un débat est organisé entre divers oiseaux représentant les deux camps. Après un combat symbolique, le Perroquet, représentant les Chevaliers, est vaincu et reconnaît la supériorité des gens d'Église en amour. Florence, désespérée par cette défaite, meurt de chagrin. Les oiseaux lui rendent des honneurs funèbres et placent une épitaphe sur sa tombe. L'auteur mentionne également l'intervention d'une autre alouette dans le conte, s'inspirant de La Fontaine.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1057
p. 78-88
ETAT De la Poësie Dramatique en Allemagne.
Début :
Michel Sachse, Historien Allemand, nous apprend dans la quatrieme [...]
Mots clefs :
Hans Wurst, Théâtre, Acteurs, Comédie, Jean Saucisse, Allemagne, Poésie dramatique
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texteReconnaissance textuelle : ETAT De la Poësie Dramatique en Allemagne.
ETAT
De la Poëfie Dramatique en Allemagne.
M
Ichel Sachfe , Hiftorien Allemand ,
nous apprend dans la quatrieme
partie de fa Chronique des Empereurs ,
que la premiere Comédie fur jouée en
Allemagne en 1497 ; que Reuchlin en fut
l'auteur ; qu'il la compofa en l'honneur
de Jean de Dalberg , Evêque de Worms
& que le peuple la regarda comme un prodige
: c'eft là la premiere trace de l'origine
des fpectacles en Allemagne. L'ufage ne
peut gueres en avoir été plus ancien en
>
DECEMBRE . 1754. 79
France puifque fous François I on y
jouoit des comédies faintes , qui , autant
qu'on en peut juger par les titres , devoient
être monftrueufes. Il eft vrai que
fi l'on remonte à cet Anfelme Faidet dont
parle M. de Fontenelle dans fon Hiftoire
du Théatre François , & qui après avoir
promené fes tragédies & fes comédies
avec un grand fuccès dans plufieurs Cours ,
mourut en 1220 , le fpectacle fe trouvera
au moins de 277 ans plus ancien en France
qu'en Allemagne.
La principale caufe qui a empêché le
théatre allemand d'acquerir le dégré de
perfection auquel font parvenus les théâtres
d'Italie , d'Angleterre , & fur-tout celui
de France ; c'eft qu'ayant été en proye
à des troupes de bâteleurs errans , qui couroient
de foire en foire par toute l'Allemagne
, jouant de mauvaiſes farces pour
amufer la populace , les honnêtes gens fe
font revoltés contre cette forte de fpectacles
, & l'Eglife les a condamnés comme
propres par leur indécence , à corrompre
les moeurs. Il ne s'eft pas trouvé un homme
du monde , pas un génie d'un certain
ordre qui ait voulu travailler pour de pareils
hiftrions.
Le premier vice du théatre allemand
étoit donc de manquer de bonnes pieces ;
D iiij
So MERCURE DE FRANCE.
celles qu'on y repréfentoit , devenoient
également odieufes , & par le plan & par
l'exécution . On n'y voyoit jamais une
époque de la vie , un événement développé
; c'étoit toujours des hiftoires , quelquefois
de plufieurs fiécles : les régles du
dramatique y étoient tout- à - fait inconnues
, & les Comédiens donnoient une
pleine carriere à leur imagination.
La comédie qu'on jouoit le plus univerfellement
, c'étoit Adam & Eve , ou la
chute du premier homme ; elle n'eft pas encore
tout -à - fait profcrite , & il n'y a que
quelques années qu'on l'a repréfentée à
Strasbourg. On y voit une groffe Eve ,
dont le corps eft couvert d'une fimple
toile couleur de chair , exactement collée
fur la peau avec une petite ceinture de
feuilles de figuier , ce qui forme une nudité
très dégoûtante . Adam eft fagoté de
même. Le pere Eternel paroît avec une
vieille robe de chambre , affeublé d'une
vafte perruque & d'une grande barbe blanche
; les diables font les bouffons & les
mauvais plaifans.
Une autre piece que les Comédiens regardoient
comme une tragédie fublime ,
& qu'ils nommoient dans leurs affiches ,
une action d'éclat & d'état , c'eft Bajazet
Tamerlan. Après que ces deux rivaux
DECEMBRE. 1754. 81
de la tyrannie fe font fait dire par leurs
Ambaffadeurs , les invectives les plus atroces
& les faletés les plus groffieres , ils en
viennent à la bataille qui fe donne fur le
théatre. On voit Tamerlan qui terraffe
Bajazet : ces Princes fe prennent à braffecorps
, & font des efforts terribles pour s'étrangler
mutuellement , en jettant des cris
& des hurlemens affreux .
Dans une tragédie , intitulée Diocletien
, cet Empereur , grand perfécuteur des
Chrétiens , apprend que la belle Dorothée
a embraffé en cachette le Chriftianifme :
tranſporté de colere il fait venir fon Général
Antonin ; & lui commande de violer publiquement
cette Princeffe.Bien loin d'exécuter
cet étrange ordre , Antonin conçoit
pour elle un amour refpectueux & tâche de
la fauver. L'Empereur féduit par les mauvais
confeils de fon Chancelier , fait couper
la tête à la Princeffe , & cette exécution fe
paffe fur le théatre à la vûe des fpectateurs.
Dioclétien ne tarde point à fe repentir
de fon crime ; mais un moment
après il eft englouti par la terre. Le Général
Antonin perd la raifon de defefpoir , &
fait mille extravagances ; il s'endort à la
fin : Arlequin furvient , & le réveille avec
un jeu de cartes , en lui criant aux oreilles :
quatre matadors & fans prendre.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Le bouffon ou plaiſant de la véritable
comédie allemande eft appellé Jean fauciffe
( Hans-Wurft ) ; c'eft une efpéce de
balourd. Pour être parfait en fon genre ,
on veut qu'il ait l'accent Saltzbourgeois ; il
a le privilége de dire des faletés : au prix
de lui le Polichinel François eft très- poli .
Dans une piece intitulée Charles XII ,
Roi de Suede , le Général Fierabras commande
dans la fortereffe de Friderichshall
; il paroît fur les remparts , provoque
Charles XII , lui chante pouille , & l'appelle
fanfaron. Charles de fon côté le menace
qu'il le fera hacher menu comme
chair a pâté. Sur quoi le Roi va reconnoître
la ville. Jean Sauciffe qui est en faction ,
lui crie : Qui va là ? Le Roi répond , Charles
XII , & ajoute : Et toi , qui es -tu ?
Jean Sauciffe XIII , lui replique le bouffon
, en lui faifant la généalogie des Jean
Sauciffe. A la fin Charles fe met de mauvaiſe
humeur & fait commencer la canonnade
; mais il est bientôt étendu fur le
carreau. Fierabras fuivi de Jean Sauciffe ,
fort de la place ; & après avoir chanté victoire
fur le cadavre du Roi Suédois , il regagne
la ville , & la piece finit.
Ce n'eft pas que parmi tant de fottifes
on ne voye de tems en tems fur l'ancien
théatre allemand quelques bluettes d'efDECEMBRE
. 1754- 85
prit , quelques faillies plaifantes. Il y a
certainement des traits qui font rire , même
les honnêtes gens ; mais ils font rares &
prefque toujours défigurés par des poliffonneries
groffieres , ou par le noeud ridicule
de la piece.
Un autre défaut de ces anciennes pieces
allemandes , & qui n'eft pas des moindres ,
c'eft qu'elles ne font pas écrites d'un bout
à l'autre. Les Comédiens pour l'ordinaire
n'en ont que le cannevas , & jouent le
refte d'imagination . Jean Sauciffe fur-tout
y trouve unbeau champ pour donner carriere
à fes plaifanteries.
Au refte tout étoit mauffade dans ce
fpectacle : une mauvaiſe cabanne de planches
fervoit de maifon ; les décorations y
étoient pitoyables ; les acteurs vêtus de
de haillons & coëffés de grandes & vieilles
perruques , reflembloient à des fiacres
habillés en héros : en un mot , la comédie
étoit un divertiffement abandonné à la lie
du peuple.
Au milieu de cette barbarie une femme
aimable ofa concevoir le deffein d'épurer
le théatre allemand , de lui donner une
forme raisonnable , & de le porter , s'il étoit
Foffible , à la perfection ; but que les ef-
Frits d'un certain ordre fe propofent toujours
dans leurs entrepriſes. Cette femme
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
étoit Madame Neuber , épouſe d'un affez
mauvais Comédien , mais bonne actrice :
outre fon talent pour le théatre , elle en a
beaucoup pour la Poëfie , fuite du génie &
du goût avec lefquels elle eft née . Ses premiers
fuccès furent d'abord très- brillans ;
elle commença par s'affarer de plufieurs
bons acteurs , & en forma d'autres . Ce ne
fut pas une petite acquifition que celle
qu'elle fit en Monfieur Koch , Comédien ,
qui auroit paffé même à Paris pour excellent
, s'il avoit fçu la langue Françoiſe
auffi bien qu'il poffedoit l'Allemande : c'étoit
d'ailleurs un homme d'efprit qui avoit
de bonnes études , & qui dans la fuite a
traduit en vers allemands quelques-unes
des meilleures pieces Françoifes.
Mais ce n'étoit pas le tout d'avoir de
bons acteurs ; Madame Neuber crut avec
raifon qu'il falloit auffi fe pourvoir de
bonnes pieces , & rien n'étoit plus difficile
par les raifons qu'on vient de rapporter.
Elle s'avifa du meilleur expédient qu'elle
pût prendre , & réfolut de commencer par
donner au public de bonnes traductions
avant que de fonger à lui préfenter des
originaux. Son premier début fut en Saxe ,
& elle y trouva des fecours . M. Gottſched
accorda une espece de protection à ce théatre
naiflant , & le fournit non feulement
DECEMBRE . 1754. 85
de quelques bonnes verfions de pieces
françoifes , mais auffi de plufieurs Comédies
de fa façon ou de celle de fes amis ,
& entr'autres d'une tragédie qui feroit
belle dans toutes les langues du monde ;
c'eſt la mort de Caton , imitée en partie
de l'Anglois de M. Addiffon , & en partie
de l'invention de M. Gottfched. M. Koch
travailla auffi de fon côté avec fuccès à la
traduction des meilleures pieces du théatre
François , & le public goûta avec avidité
ces beautés nouvelles qui parurent fur
la fcene allemande .
Le théatre de Madame Neuber avoit
déja fait de grands progrès , lorqu'elle vint
débuter à Hambourg ; elle y trouva des
perfonnes de goût & des gens de lettres ,
amateurs des beaux Arts , dont les travaux
contribuerent beaucoup aux progrès dramatiques.
M. de Stuven dont les talens ont
été employés depuis plus utilement par
deux grands Princes , fut excité par fon
beau génie à confacrer fes momens de loifir
aux ouvrages dramatiques Il traduifit
en peu de tems , avec autant d'élégance que
de fidélité , Phédre & Hippolyte , Britannicus
, le Comte d'Effex , Brutus & Alzire. Il
a été depuis imité par plufieurs de fes compatriotes
; & peu s'en faut qu'on n'ait aujourd'hui
en Allemand les meilleures pie86
MERCURE DE FRANCE.
ces de Corneille , de Racine , de Voltaire ,
de Crébillon , de Campiftron , de Moliere ,
de Regnard , de Deftouches , en un mot
des plus célebres tragiques & comiques
François. Les Allemands font à cet égard
auffi riches que les Anglois , qui ont approprié
à leur théatre des traductions des plus
excellentes pieces Françoifes.
Ceux qui font au fait des détails du
théatre , fçavent combien il faut de dépenfes
& de goût pour l'habillement des
acteurs , pour les décorations & pour mille
autres befoins , dont le fpectateur s'apperçoit
à peine , mais qui font ruineux pour
les entrepreneurs. Mme Neuber n'eut pour
fubvenir à tous ces frais & pour la réuffite
de toutes fes entrepriſes , que la générosité
de quelques particuliers & les reffources
de fon efprit. Mais le croira- t- on ? Cette
femme à laquelle on ne fçauroit difputer
la gloire d'avoir produit en Allemagne le
premier théatre raisonnable , a été pendant
plufieurs années en bute à la fatyre la plus
noire & la plus amere , & fe trouve maintenant
réduite par les perfécutions de fes
ennemis à un état d'indigence , qui fait
honte au fiécle & à la nation. Au lieu de
reconnoiffance & d'encouragement, elle n'a
rencontré que des traverfes & de l'envie.
La defunion s'eft mife auffi dans fa troupe ,
DECEMBRE. 1754. 87
& plufieurs autres circonstances ont concouru
à la décadence de ce théatre , chacun
des principaux acteurs ayant eu l'ambition
d'être chef de troupe , & de fe former une
compagnie féparée. Cette mefintelligence
a tout ruiné. Du fein de la troupe de Mme
Neuber font forties celles de Schonemann
de Koch , de Shuch & d'autres , qui fe n
fant réciproquement n'ont pu s'élever chacune
en particulier à la perfection qu'elles
auroient atteinte fi elles fuffent demeurées
unies. Aujourd'hui chacune de ces troupes
eft défectueufe par quelque endroit , &
fur-tout par les acteurs , qui faifant de leur
art une fimple profeffion méchanique
jouent pour l'ordinaire fans efprit & fans
ame. Ils font ou froids à glacer, ou furieux.
Ce qui choque d'ailleurs beaucoup fur la
ene allemande , c'eft la façon mauffade
& prefque indécente dont s'habillent , fe
chauffent & fe coëffent les Comédiens Allemands
, fur-tout les femmes : on n'y
trouve point ce goût & ces graces fi néceffaires
pour plaire au public raifonnable .
Tout cet expofé prouve qu'il feroit poffible
de porter le théatre allemand à un
certain dégré de perfection ; mais il fait
voir en même tems que la chofe ne fe fera
jamais à moins que quelque Prince éclairé
ne s'en mêle , & n'entretienne à fes dépens
38 MERCURE DE FRANCE.
une bonne troupe , dirigée par un de ſes
courtifans , qui foit au fait du fpectacle.
De la Poëfie Dramatique en Allemagne.
M
Ichel Sachfe , Hiftorien Allemand ,
nous apprend dans la quatrieme
partie de fa Chronique des Empereurs ,
que la premiere Comédie fur jouée en
Allemagne en 1497 ; que Reuchlin en fut
l'auteur ; qu'il la compofa en l'honneur
de Jean de Dalberg , Evêque de Worms
& que le peuple la regarda comme un prodige
: c'eft là la premiere trace de l'origine
des fpectacles en Allemagne. L'ufage ne
peut gueres en avoir été plus ancien en
>
DECEMBRE . 1754. 79
France puifque fous François I on y
jouoit des comédies faintes , qui , autant
qu'on en peut juger par les titres , devoient
être monftrueufes. Il eft vrai que
fi l'on remonte à cet Anfelme Faidet dont
parle M. de Fontenelle dans fon Hiftoire
du Théatre François , & qui après avoir
promené fes tragédies & fes comédies
avec un grand fuccès dans plufieurs Cours ,
mourut en 1220 , le fpectacle fe trouvera
au moins de 277 ans plus ancien en France
qu'en Allemagne.
La principale caufe qui a empêché le
théatre allemand d'acquerir le dégré de
perfection auquel font parvenus les théâtres
d'Italie , d'Angleterre , & fur-tout celui
de France ; c'eft qu'ayant été en proye
à des troupes de bâteleurs errans , qui couroient
de foire en foire par toute l'Allemagne
, jouant de mauvaiſes farces pour
amufer la populace , les honnêtes gens fe
font revoltés contre cette forte de fpectacles
, & l'Eglife les a condamnés comme
propres par leur indécence , à corrompre
les moeurs. Il ne s'eft pas trouvé un homme
du monde , pas un génie d'un certain
ordre qui ait voulu travailler pour de pareils
hiftrions.
Le premier vice du théatre allemand
étoit donc de manquer de bonnes pieces ;
D iiij
So MERCURE DE FRANCE.
celles qu'on y repréfentoit , devenoient
également odieufes , & par le plan & par
l'exécution . On n'y voyoit jamais une
époque de la vie , un événement développé
; c'étoit toujours des hiftoires , quelquefois
de plufieurs fiécles : les régles du
dramatique y étoient tout- à - fait inconnues
, & les Comédiens donnoient une
pleine carriere à leur imagination.
La comédie qu'on jouoit le plus univerfellement
, c'étoit Adam & Eve , ou la
chute du premier homme ; elle n'eft pas encore
tout -à - fait profcrite , & il n'y a que
quelques années qu'on l'a repréfentée à
Strasbourg. On y voit une groffe Eve ,
dont le corps eft couvert d'une fimple
toile couleur de chair , exactement collée
fur la peau avec une petite ceinture de
feuilles de figuier , ce qui forme une nudité
très dégoûtante . Adam eft fagoté de
même. Le pere Eternel paroît avec une
vieille robe de chambre , affeublé d'une
vafte perruque & d'une grande barbe blanche
; les diables font les bouffons & les
mauvais plaifans.
Une autre piece que les Comédiens regardoient
comme une tragédie fublime ,
& qu'ils nommoient dans leurs affiches ,
une action d'éclat & d'état , c'eft Bajazet
Tamerlan. Après que ces deux rivaux
DECEMBRE. 1754. 81
de la tyrannie fe font fait dire par leurs
Ambaffadeurs , les invectives les plus atroces
& les faletés les plus groffieres , ils en
viennent à la bataille qui fe donne fur le
théatre. On voit Tamerlan qui terraffe
Bajazet : ces Princes fe prennent à braffecorps
, & font des efforts terribles pour s'étrangler
mutuellement , en jettant des cris
& des hurlemens affreux .
Dans une tragédie , intitulée Diocletien
, cet Empereur , grand perfécuteur des
Chrétiens , apprend que la belle Dorothée
a embraffé en cachette le Chriftianifme :
tranſporté de colere il fait venir fon Général
Antonin ; & lui commande de violer publiquement
cette Princeffe.Bien loin d'exécuter
cet étrange ordre , Antonin conçoit
pour elle un amour refpectueux & tâche de
la fauver. L'Empereur féduit par les mauvais
confeils de fon Chancelier , fait couper
la tête à la Princeffe , & cette exécution fe
paffe fur le théatre à la vûe des fpectateurs.
Dioclétien ne tarde point à fe repentir
de fon crime ; mais un moment
après il eft englouti par la terre. Le Général
Antonin perd la raifon de defefpoir , &
fait mille extravagances ; il s'endort à la
fin : Arlequin furvient , & le réveille avec
un jeu de cartes , en lui criant aux oreilles :
quatre matadors & fans prendre.
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Le bouffon ou plaiſant de la véritable
comédie allemande eft appellé Jean fauciffe
( Hans-Wurft ) ; c'eft une efpéce de
balourd. Pour être parfait en fon genre ,
on veut qu'il ait l'accent Saltzbourgeois ; il
a le privilége de dire des faletés : au prix
de lui le Polichinel François eft très- poli .
Dans une piece intitulée Charles XII ,
Roi de Suede , le Général Fierabras commande
dans la fortereffe de Friderichshall
; il paroît fur les remparts , provoque
Charles XII , lui chante pouille , & l'appelle
fanfaron. Charles de fon côté le menace
qu'il le fera hacher menu comme
chair a pâté. Sur quoi le Roi va reconnoître
la ville. Jean Sauciffe qui est en faction ,
lui crie : Qui va là ? Le Roi répond , Charles
XII , & ajoute : Et toi , qui es -tu ?
Jean Sauciffe XIII , lui replique le bouffon
, en lui faifant la généalogie des Jean
Sauciffe. A la fin Charles fe met de mauvaiſe
humeur & fait commencer la canonnade
; mais il est bientôt étendu fur le
carreau. Fierabras fuivi de Jean Sauciffe ,
fort de la place ; & après avoir chanté victoire
fur le cadavre du Roi Suédois , il regagne
la ville , & la piece finit.
Ce n'eft pas que parmi tant de fottifes
on ne voye de tems en tems fur l'ancien
théatre allemand quelques bluettes d'efDECEMBRE
. 1754- 85
prit , quelques faillies plaifantes. Il y a
certainement des traits qui font rire , même
les honnêtes gens ; mais ils font rares &
prefque toujours défigurés par des poliffonneries
groffieres , ou par le noeud ridicule
de la piece.
Un autre défaut de ces anciennes pieces
allemandes , & qui n'eft pas des moindres ,
c'eft qu'elles ne font pas écrites d'un bout
à l'autre. Les Comédiens pour l'ordinaire
n'en ont que le cannevas , & jouent le
refte d'imagination . Jean Sauciffe fur-tout
y trouve unbeau champ pour donner carriere
à fes plaifanteries.
Au refte tout étoit mauffade dans ce
fpectacle : une mauvaiſe cabanne de planches
fervoit de maifon ; les décorations y
étoient pitoyables ; les acteurs vêtus de
de haillons & coëffés de grandes & vieilles
perruques , reflembloient à des fiacres
habillés en héros : en un mot , la comédie
étoit un divertiffement abandonné à la lie
du peuple.
Au milieu de cette barbarie une femme
aimable ofa concevoir le deffein d'épurer
le théatre allemand , de lui donner une
forme raisonnable , & de le porter , s'il étoit
Foffible , à la perfection ; but que les ef-
Frits d'un certain ordre fe propofent toujours
dans leurs entrepriſes. Cette femme
D vj
84 MERCURE DE FRANCE .
étoit Madame Neuber , épouſe d'un affez
mauvais Comédien , mais bonne actrice :
outre fon talent pour le théatre , elle en a
beaucoup pour la Poëfie , fuite du génie &
du goût avec lefquels elle eft née . Ses premiers
fuccès furent d'abord très- brillans ;
elle commença par s'affarer de plufieurs
bons acteurs , & en forma d'autres . Ce ne
fut pas une petite acquifition que celle
qu'elle fit en Monfieur Koch , Comédien ,
qui auroit paffé même à Paris pour excellent
, s'il avoit fçu la langue Françoiſe
auffi bien qu'il poffedoit l'Allemande : c'étoit
d'ailleurs un homme d'efprit qui avoit
de bonnes études , & qui dans la fuite a
traduit en vers allemands quelques-unes
des meilleures pieces Françoifes.
Mais ce n'étoit pas le tout d'avoir de
bons acteurs ; Madame Neuber crut avec
raifon qu'il falloit auffi fe pourvoir de
bonnes pieces , & rien n'étoit plus difficile
par les raifons qu'on vient de rapporter.
Elle s'avifa du meilleur expédient qu'elle
pût prendre , & réfolut de commencer par
donner au public de bonnes traductions
avant que de fonger à lui préfenter des
originaux. Son premier début fut en Saxe ,
& elle y trouva des fecours . M. Gottſched
accorda une espece de protection à ce théatre
naiflant , & le fournit non feulement
DECEMBRE . 1754. 85
de quelques bonnes verfions de pieces
françoifes , mais auffi de plufieurs Comédies
de fa façon ou de celle de fes amis ,
& entr'autres d'une tragédie qui feroit
belle dans toutes les langues du monde ;
c'eſt la mort de Caton , imitée en partie
de l'Anglois de M. Addiffon , & en partie
de l'invention de M. Gottfched. M. Koch
travailla auffi de fon côté avec fuccès à la
traduction des meilleures pieces du théatre
François , & le public goûta avec avidité
ces beautés nouvelles qui parurent fur
la fcene allemande .
Le théatre de Madame Neuber avoit
déja fait de grands progrès , lorqu'elle vint
débuter à Hambourg ; elle y trouva des
perfonnes de goût & des gens de lettres ,
amateurs des beaux Arts , dont les travaux
contribuerent beaucoup aux progrès dramatiques.
M. de Stuven dont les talens ont
été employés depuis plus utilement par
deux grands Princes , fut excité par fon
beau génie à confacrer fes momens de loifir
aux ouvrages dramatiques Il traduifit
en peu de tems , avec autant d'élégance que
de fidélité , Phédre & Hippolyte , Britannicus
, le Comte d'Effex , Brutus & Alzire. Il
a été depuis imité par plufieurs de fes compatriotes
; & peu s'en faut qu'on n'ait aujourd'hui
en Allemand les meilleures pie86
MERCURE DE FRANCE.
ces de Corneille , de Racine , de Voltaire ,
de Crébillon , de Campiftron , de Moliere ,
de Regnard , de Deftouches , en un mot
des plus célebres tragiques & comiques
François. Les Allemands font à cet égard
auffi riches que les Anglois , qui ont approprié
à leur théatre des traductions des plus
excellentes pieces Françoifes.
Ceux qui font au fait des détails du
théatre , fçavent combien il faut de dépenfes
& de goût pour l'habillement des
acteurs , pour les décorations & pour mille
autres befoins , dont le fpectateur s'apperçoit
à peine , mais qui font ruineux pour
les entrepreneurs. Mme Neuber n'eut pour
fubvenir à tous ces frais & pour la réuffite
de toutes fes entrepriſes , que la générosité
de quelques particuliers & les reffources
de fon efprit. Mais le croira- t- on ? Cette
femme à laquelle on ne fçauroit difputer
la gloire d'avoir produit en Allemagne le
premier théatre raisonnable , a été pendant
plufieurs années en bute à la fatyre la plus
noire & la plus amere , & fe trouve maintenant
réduite par les perfécutions de fes
ennemis à un état d'indigence , qui fait
honte au fiécle & à la nation. Au lieu de
reconnoiffance & d'encouragement, elle n'a
rencontré que des traverfes & de l'envie.
La defunion s'eft mife auffi dans fa troupe ,
DECEMBRE. 1754. 87
& plufieurs autres circonstances ont concouru
à la décadence de ce théatre , chacun
des principaux acteurs ayant eu l'ambition
d'être chef de troupe , & de fe former une
compagnie féparée. Cette mefintelligence
a tout ruiné. Du fein de la troupe de Mme
Neuber font forties celles de Schonemann
de Koch , de Shuch & d'autres , qui fe n
fant réciproquement n'ont pu s'élever chacune
en particulier à la perfection qu'elles
auroient atteinte fi elles fuffent demeurées
unies. Aujourd'hui chacune de ces troupes
eft défectueufe par quelque endroit , &
fur-tout par les acteurs , qui faifant de leur
art une fimple profeffion méchanique
jouent pour l'ordinaire fans efprit & fans
ame. Ils font ou froids à glacer, ou furieux.
Ce qui choque d'ailleurs beaucoup fur la
ene allemande , c'eft la façon mauffade
& prefque indécente dont s'habillent , fe
chauffent & fe coëffent les Comédiens Allemands
, fur-tout les femmes : on n'y
trouve point ce goût & ces graces fi néceffaires
pour plaire au public raifonnable .
Tout cet expofé prouve qu'il feroit poffible
de porter le théatre allemand à un
certain dégré de perfection ; mais il fait
voir en même tems que la chofe ne fe fera
jamais à moins que quelque Prince éclairé
ne s'en mêle , & n'entretienne à fes dépens
38 MERCURE DE FRANCE.
une bonne troupe , dirigée par un de ſes
courtifans , qui foit au fait du fpectacle.
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Résumé : ETAT De la Poësie Dramatique en Allemagne.
Le texte aborde l'évolution du théâtre dramatique en Allemagne. La première comédie allemande connue date de 1497, écrite par Reuchlin en l'honneur de Jean de Dalberg, évêque de Worms. En France, des comédies étaient déjà jouées sous François Ier, avec des spectacles remontant même à 1220, comme ceux d'Anselme Fadet. En Allemagne, le théâtre était longtemps dominé par des troupes de bateleurs errants, ce qui lui a valu une mauvaise réputation et une condamnation par l'Église. Les pièces étaient souvent de mauvaise qualité, mélangeant des histoires de différentes époires sans respecter les règles dramatiques. Des comédies comme 'Adam et Eve' ou des tragédies comme 'Bajazet Tamerlan' et 'Dioclétien' étaient courantes, caractérisées par leur indécence et leur manque de réalisme. Madame Neuber, actrice et poétesse, a tenté de réformer le théâtre allemand en engageant de bons acteurs et en traduisant des pièces françaises célèbres. Elle a reçu le soutien de M. Gottsched et d'autres intellectuels, permettant au théâtre allemand de progresser. Cependant, des querelles internes et des persécutions ont conduit à la décadence de son théâtre. Les troupes allemandes actuelles souffrent de désunion et de manque de professionnalisme, avec des acteurs jouant sans esprit ni âme. Le texte conclut que pour atteindre un certain degré de perfection, le théâtre allemand nécessiterait le soutien d'un prince éclairé.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1058
p. 96-99
« PUBLII Virgilii Maronis opera ordine perpetuo, interpretationibus Gallicis & dictionariis [...] »
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PUBLII Virgilii Maronis opera ordine perpetuo, interpretationibus Gallicis & dictionariis [...]
Mots clefs :
Virgile, Signification
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texteReconnaissance textuelle : « PUBLII Virgilii Maronis opera ordine perpetuo, interpretationibus Gallicis & dictionariis [...] »
PUBLII Virgilii Maronis opera ordine
perpetuo , interpretationibus Gallicis & dictionariis
illuftrabat Antonius Bourgeois
Parochus Sancti Germani , & in Collegio
Crefpiaco
DECEMBRE . 1754. 27
Crefpiaco Vallenfi primarius ; ad ufum Scholarum.
Sylvanecti , apud Nicolaum Defroques
; Parifiis , apud Carolum Hochereau
natu-majorem , ripâ de Conti , 1754 ,
I vol. in- 8°.
Quelque Auteur latin , quelque recueil
même , dit M. Bourgeois , que l'on
mette entre les mains des commençans ,
ils y trouveront toujours des difficultés
de cinq fortes , & qui confiftent , 1 °. à
faire ou à retenir la conftruction de chaque
phrafe. 2°. A trouver de foi - même les
mots fous- entendus. 3 °. A trouver la fignification
propre des expreffions figurées.
4. A choifir dans un dictionnaire la fignification
propre de chaque mot. 5 ° . Enfin
à trouver un tour françois convenable
pour traduire les phrafes latines , qu'on
peut rendre mot à mot . M. Bourgeois s'eft
appliqué à faire difparoître ces difficultés ;
voici comment il s'y eft pris.
y
1º . A côté & vis- à-vis du texte eft la
conſtruction de chaque phrafe. Les mots
font à peu près rangés comme ils doivent
l'être pour former une phrafe françoife
, quand on les aura traduits les uns
après les autres . L'auteur ne s'écarte de ce
fentier que par rapport aux mots qu'on ne
peut déranger fans pécher contre les régles
de la Grammaire , qui apprend elle-
1.Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
même où il faut les placer quand il eſt
question de traduire. La même conſtruction
offre encore tous les mots fous- entendus
dans le texte.
2º. Avec le fecours des interprétations
placées au bas des pages , il fera aifé d'apprendre
la fignification jufte des expreffions
figurées. Elles y font toutes expliquées
& traduites d'abord à la lettre , & ramenées
enfuite au fens naturel & fimple.
3° . Des remarques fur le fujet , fur les
perfonnages & fur le texte de chaque églogue
compofent la troifieme partie de l'ouvrage
de M. Bourgeois . Comme elle eſt
inutile aux commençans , l'Auteur l'a écrite
en latin . On y trouve de la fagacité , des
idées neuves & des fyltêmes vraisemblables
.
4°. La quatrieme difficulté qui confifte
à trouver dans un dictionnaire la fignification
propre de chaque mot , eft tout- àfait
infurmontable pour les commençans
,
à caufe du grand nombre des fignifications
diverfes dont le même mot eft communément
fuivi. Pour remédier à cet inconvénient
, M. Bourgeois a compofé le petit
dictionnaire qui termine le volume , &
ne laiffe rien à défirer à la jeuneffe . Ce
dictionnaire , outre qu'il eft fort exact , eſt
encore fait de façon qu'on ne peut fe tromDECEMBRE.
1754. 99.
per dans le choix de la fignification dont
on a befoin.
Nous croyons en avoir affez dit pour
faire fentir le mérite du travail de M.
Bourgeois. Il y a apparence que l'Auteur
qui ne publie aujourd'hui que les Eglogues
, fera encouragé par des fuffrages
importans & décififs à nous donner tout
le Virgile.
LES livres de Ciceron , de la Vieilleffe
de l'Amitié , traduction nouvelle ; fur l'édition
latine de Grævius , avec le latin à'
côté. A Paris , chez Jofeph Barbou , rue S.
Jacques , près la Fontaine S. Benoît , aux
Cicognes , 1754 , in - 12 .
fi
On ne fçauroit trop multiplier les traductions
des bons livres , des livres de morale
fur- tout. Il eft rare que le bien reſte
long- tems dans l'efprit , fans tomber ,
l'on peut parler ainfi , dans le coeur. Combien
de fois n'eft- il pas arrivé qu'une lecture
qui n'avoit été entreprise que par curiofité
, foit devenue une leçon de vertù ?
Nous fouhaitons cette deftinée à la traduction
que nous annonçons .
perpetuo , interpretationibus Gallicis & dictionariis
illuftrabat Antonius Bourgeois
Parochus Sancti Germani , & in Collegio
Crefpiaco
DECEMBRE . 1754. 27
Crefpiaco Vallenfi primarius ; ad ufum Scholarum.
Sylvanecti , apud Nicolaum Defroques
; Parifiis , apud Carolum Hochereau
natu-majorem , ripâ de Conti , 1754 ,
I vol. in- 8°.
Quelque Auteur latin , quelque recueil
même , dit M. Bourgeois , que l'on
mette entre les mains des commençans ,
ils y trouveront toujours des difficultés
de cinq fortes , & qui confiftent , 1 °. à
faire ou à retenir la conftruction de chaque
phrafe. 2°. A trouver de foi - même les
mots fous- entendus. 3 °. A trouver la fignification
propre des expreffions figurées.
4. A choifir dans un dictionnaire la fignification
propre de chaque mot. 5 ° . Enfin
à trouver un tour françois convenable
pour traduire les phrafes latines , qu'on
peut rendre mot à mot . M. Bourgeois s'eft
appliqué à faire difparoître ces difficultés ;
voici comment il s'y eft pris.
y
1º . A côté & vis- à-vis du texte eft la
conſtruction de chaque phrafe. Les mots
font à peu près rangés comme ils doivent
l'être pour former une phrafe françoife
, quand on les aura traduits les uns
après les autres . L'auteur ne s'écarte de ce
fentier que par rapport aux mots qu'on ne
peut déranger fans pécher contre les régles
de la Grammaire , qui apprend elle-
1.Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
même où il faut les placer quand il eſt
question de traduire. La même conſtruction
offre encore tous les mots fous- entendus
dans le texte.
2º. Avec le fecours des interprétations
placées au bas des pages , il fera aifé d'apprendre
la fignification jufte des expreffions
figurées. Elles y font toutes expliquées
& traduites d'abord à la lettre , & ramenées
enfuite au fens naturel & fimple.
3° . Des remarques fur le fujet , fur les
perfonnages & fur le texte de chaque églogue
compofent la troifieme partie de l'ouvrage
de M. Bourgeois . Comme elle eſt
inutile aux commençans , l'Auteur l'a écrite
en latin . On y trouve de la fagacité , des
idées neuves & des fyltêmes vraisemblables
.
4°. La quatrieme difficulté qui confifte
à trouver dans un dictionnaire la fignification
propre de chaque mot , eft tout- àfait
infurmontable pour les commençans
,
à caufe du grand nombre des fignifications
diverfes dont le même mot eft communément
fuivi. Pour remédier à cet inconvénient
, M. Bourgeois a compofé le petit
dictionnaire qui termine le volume , &
ne laiffe rien à défirer à la jeuneffe . Ce
dictionnaire , outre qu'il eft fort exact , eſt
encore fait de façon qu'on ne peut fe tromDECEMBRE.
1754. 99.
per dans le choix de la fignification dont
on a befoin.
Nous croyons en avoir affez dit pour
faire fentir le mérite du travail de M.
Bourgeois. Il y a apparence que l'Auteur
qui ne publie aujourd'hui que les Eglogues
, fera encouragé par des fuffrages
importans & décififs à nous donner tout
le Virgile.
LES livres de Ciceron , de la Vieilleffe
de l'Amitié , traduction nouvelle ; fur l'édition
latine de Grævius , avec le latin à'
côté. A Paris , chez Jofeph Barbou , rue S.
Jacques , près la Fontaine S. Benoît , aux
Cicognes , 1754 , in - 12 .
fi
On ne fçauroit trop multiplier les traductions
des bons livres , des livres de morale
fur- tout. Il eft rare que le bien reſte
long- tems dans l'efprit , fans tomber ,
l'on peut parler ainfi , dans le coeur. Combien
de fois n'eft- il pas arrivé qu'une lecture
qui n'avoit été entreprise que par curiofité
, foit devenue une leçon de vertù ?
Nous fouhaitons cette deftinée à la traduction
que nous annonçons .
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Résumé : « PUBLII Virgilii Maronis opera ordine perpetuo, interpretationibus Gallicis & dictionariis [...] »
Le texte présente une édition de l'œuvre de Publius Virgilius Maro, réalisée par Antonius Bourgeois, curé de Saint-Germain et membre du Collège de Crèfpiaco, en décembre 1754. Cette édition est destinée aux étudiants et est disponible à Sylvanecti chez Nicolaum Defroques et à Paris chez Carolus Hochereau. Bourgeois met en lumière les difficultés rencontrées par les débutants en latin, telles que la construction des phrases, la compréhension des mots usuels, l'interprétation des expressions figurées, le choix des significations dans un dictionnaire et la traduction en français. Pour surmonter ces obstacles, Bourgeois a structuré son ouvrage de manière pédagogique. Chaque phrase est présentée avec les mots rangés pour faciliter la traduction en français. Des interprétations au bas des pages expliquent et traduisent les expressions figurées. Des remarques sur les sujets, personnages et textes des églogues sont incluses en latin pour les lecteurs avancés. Un dictionnaire précis et clair termine le volume, aidant les débutants à choisir la bonne signification des mots. Le texte mentionne également une nouvelle traduction des livres de Cicéron sur la Vieillesse et l'Amitié, publiée à Paris chez Joseph Barbou, soulignant l'importance des traductions des ouvrages moraux pour leur impact durable sur l'esprit et le cœur.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1059
p. 147-149
LETTRE écrite à M. le Chevalier de Mouhy, de l'Académie des Belles-Lettres de Dijon ; par M. le Marquis d'Argens, Chambellan de Sa Majesté le Roi de Prusse.
Début :
J'ai été vivement mortifié, Monsieur, en apprenant le juste sujet que vous [...]
Mots clefs :
Académie des belles-lettres de Dijon, Lettres juives
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite à M. le Chevalier de Mouhy, de l'Académie des Belles-Lettres de Dijon ; par M. le Marquis d'Argens, Chambellan de Sa Majesté le Roi de Prusse.
LETTRE écrite à M. le Chevalier de
Mouhy , de l'Académie des Belles - Lettres
de Dijon ; par M. le Marquis d'Argens
Chambellan de Sa Majesté le Roi de
Pruffe.
J
'Ai été vivement mortifié , Monfieur ,
en apprenant le jufte fujet que vous
avez de vous plaindre de ce qui fe trouve
encore dans la nouvelle édition des
Lettres Juives dont vous me parlez . Je
vous jure , Monfieur , que je n'ai eu aucune
connoiffance de cette édition ; & elle
Gij
TS MERCURE DE FRANCE.
me furprend d'autant plus , que j'étois à la
veille d'en faire faire une par un Libraire
d'Amfterdam , qui a acheté le droit de copie
de cet ouvrage , & à qui cet accident
ne peut être que très- defavantageux . J'avois
réfolu de mettre à la tête de mon ouvrage
une préface que j'ai déja envoyée
en Hollande , dans laquelle je rends à votre
mérite perfonnel , à vos talens & à votre
politeffe la juftice que leur doit tout
homme équitable & éclairé. Mais comme
il pourroit arriver aujourd'hui que l'édition
d'Amfterdam fût retardée , & que je
fuis intéreffé encore plus que vous ne l'êtes
, que ma façon de penfer foit connue
du public , & qu'il fçache que la réflexion ,
un jugement plus mûr & la lecture de plufieurs
ouvrages très - ingénieux que vous
avez composés depuis quinze ans , m'ont
évidemment convaincu de la précipitation
& du peu de jufteffe de mon jugement ; je
vous prie , Monfieur , de vouloir communiquer
la lettre que j'ai l'honneur de vous
écrire , àM. l'Abbé Raynal , qui me fait la
grace de m'accorder fon amitié , & qui aura
la bonté de vouloir la faire inférer dans
le premier Mercure.
Je ne fçaurois vous exprimer , Monfieur ,
quel est mon chagrin . Je me rappelle fans:
celle que bien éloigné de fuivre la maxime:
DECEMBRE . 1754 149
des Auteurs qui cherchent à accabler d'injures
ceux qui ont ofé blâmer leurs ouvrages
, j'ai toujours trouvé en vous , Monfieur
, un défenfeur ; & dans le tems que
vous aviez à vous plaindre de moi , vous
ne vous en vengiez qu'en me rendant fervice
. Votre conduite , Monfieur , m'a plus
puni de mon impoliteffe que les réponfes
les plus piquantes , & elle m'a convaincu
que je ne pouvois trop dans toutes les
occafions vous donner des marques de mon
fincere attachement. Jugez donc de ma
douleur , lorsque j'ai vû que l'imprudence
de certains Libraires , en imprimant un
livre fans confulter l'Auteur , renouvelloit
une chofe que je voudrois mettre , s'il étoit
poffible , dans un éternel oubli .
J'ai l'honneur d'être , & c.
Le Marquis d'Argens.
A Poftdam, ces Octobre 1754.
Mouhy , de l'Académie des Belles - Lettres
de Dijon ; par M. le Marquis d'Argens
Chambellan de Sa Majesté le Roi de
Pruffe.
J
'Ai été vivement mortifié , Monfieur ,
en apprenant le jufte fujet que vous
avez de vous plaindre de ce qui fe trouve
encore dans la nouvelle édition des
Lettres Juives dont vous me parlez . Je
vous jure , Monfieur , que je n'ai eu aucune
connoiffance de cette édition ; & elle
Gij
TS MERCURE DE FRANCE.
me furprend d'autant plus , que j'étois à la
veille d'en faire faire une par un Libraire
d'Amfterdam , qui a acheté le droit de copie
de cet ouvrage , & à qui cet accident
ne peut être que très- defavantageux . J'avois
réfolu de mettre à la tête de mon ouvrage
une préface que j'ai déja envoyée
en Hollande , dans laquelle je rends à votre
mérite perfonnel , à vos talens & à votre
politeffe la juftice que leur doit tout
homme équitable & éclairé. Mais comme
il pourroit arriver aujourd'hui que l'édition
d'Amfterdam fût retardée , & que je
fuis intéreffé encore plus que vous ne l'êtes
, que ma façon de penfer foit connue
du public , & qu'il fçache que la réflexion ,
un jugement plus mûr & la lecture de plufieurs
ouvrages très - ingénieux que vous
avez composés depuis quinze ans , m'ont
évidemment convaincu de la précipitation
& du peu de jufteffe de mon jugement ; je
vous prie , Monfieur , de vouloir communiquer
la lettre que j'ai l'honneur de vous
écrire , àM. l'Abbé Raynal , qui me fait la
grace de m'accorder fon amitié , & qui aura
la bonté de vouloir la faire inférer dans
le premier Mercure.
Je ne fçaurois vous exprimer , Monfieur ,
quel est mon chagrin . Je me rappelle fans:
celle que bien éloigné de fuivre la maxime:
DECEMBRE . 1754 149
des Auteurs qui cherchent à accabler d'injures
ceux qui ont ofé blâmer leurs ouvrages
, j'ai toujours trouvé en vous , Monfieur
, un défenfeur ; & dans le tems que
vous aviez à vous plaindre de moi , vous
ne vous en vengiez qu'en me rendant fervice
. Votre conduite , Monfieur , m'a plus
puni de mon impoliteffe que les réponfes
les plus piquantes , & elle m'a convaincu
que je ne pouvois trop dans toutes les
occafions vous donner des marques de mon
fincere attachement. Jugez donc de ma
douleur , lorsque j'ai vû que l'imprudence
de certains Libraires , en imprimant un
livre fans confulter l'Auteur , renouvelloit
une chofe que je voudrois mettre , s'il étoit
poffible , dans un éternel oubli .
J'ai l'honneur d'être , & c.
Le Marquis d'Argens.
A Poftdam, ces Octobre 1754.
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Résumé : LETTRE écrite à M. le Chevalier de Mouhy, de l'Académie des Belles-Lettres de Dijon ; par M. le Marquis d'Argens, Chambellan de Sa Majesté le Roi de Prusse.
Le Marquis d'Argens écrit au Chevalier de Mouhy pour exprimer sa surprise et sa mortification après avoir découvert une nouvelle édition des 'Lettres Juives' contenant des éléments dont Mouhy se plaint. D'Argens affirme ignorer cette édition, alors qu'il préparait une nouvelle version via un libraire d'Amsterdam, incluant une préface pour rendre hommage au mérite, aux talents et à la politesse de Mouhy. Craignant que ses réflexions actuelles soient publiées, il demande à Mouhy de transmettre sa lettre à l'Abbé Raynal pour publication dans le Mercure de France. D'Argens admire la conduite de Mouhy, qui malgré les raisons de se plaindre, a toujours défendu d'Argens et lui a rendu service. Il condamne l'imprudence des libraires qui impriment sans consulter l'auteur, renouvelant une situation qu'il souhaiterait oublier.
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1060
p. 172-174
« L'Académie royale de Musique continue les Fêtes de Thalie. Ce spectacle, depuis le brillant [...] »
Début :
L'Académie royale de Musique continue les Fêtes de Thalie. Ce spectacle, depuis le brillant [...]
Mots clefs :
Comédiens-Français, Tragédie, Rôle, Académie royale de musique
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « L'Académie royale de Musique continue les Fêtes de Thalie. Ce spectacle, depuis le brillant [...] »
'Académie royale de Mufique continue les Fé
tes de Thalie. Ce fpectacle , depuis le brillant
début de Mile Cohendet , attire plus de monde
qu'il n'en attiroit d'abord. Le goût du Public
pour la voix & le talent de la nouvelle Actrice eft
toujours très-vif. On retirera le 3 Décembre les
Fêtes de Thalie , pour mettre Thésée.
Les Comédiens François font tous réunis depuis
le 18 de Novembre. Tandis qu'une partie faifoit
les délices de la Cour à Fontainebleau , ceux qui
étoient restés à Paris , foutenoient le théatre avec
fuccès ; & ils avoient de très-fortes repréfentations,
quoiqu'ils ne donnaffent que des pieces de répertoire
. Mlle Clairon a beaucoup joué , & toujours
fupérieurement. Les rolles qu'elle a repréſentés
pendant l'abfence , font Agrippine dans Britannicus
, Zaire , Roxane dans Bajazet , Cléopatre dans
Rodogune , Ariane , Pauline dans Polieudte , Phédre
, la Reine dans Guftave , Alzire , Penelope &
Médée. Ces deux dernieres tragédies font très -médiocres
; on les donne moins fréquemment que
celles des bons Auteurs . Penelope eut une chute
marquée dans la nouveauté , à peine put-elle fupporter
fix représentations , & elle a eu bien de la
peine à fe relever. Il y a apparence que cette tragédie
auroit été abandonnée, fi Baron , à la rentrée
au théatre , n'avoit voulu jouer les trois reconnoiffances
qui fe trouvent dans le rolle d'U
lyffe . Les deux premiers actes de Penelope font
extrêmement froids , la verfification de toute la
DECEMBRE. 1754 173
piece eft dure , profaïque & prefque toujours platte
, les rolles épifodiques font infupportables ; il y
a un perfonnage d'Yphife qu'on devroit fupprimer,
il eft abfolument inutile ; & l'amour de Telemaque
pour cette Princefle eft ridicule. Il y a des endroits
touchans dans les trois derniers actes ; la
reconnoiffance du cinquiéme fait fur- tout un
grand effet. Cette piece eft difficile à bien rendre ;
elle exige le plus grand foin de la part des Ateurs
, & principalement de la part de Penelope .
Mlle Clairon y ravit tous les fpectateurs . M. La-
Doue qui eft chargé du rolle d'Ulyſſe , s'en acquitte
auffi très-bien . Le dénouement de Penelope
devroit être en action au lieu d'être en récit. Il
y a un autre défaut dans ce dénouement , c'eſt
qu'Ulyffe n'y paroît pas : on feroit bien aife de le
revoir triomphant de fes ennemis , & paifible poffeffeur
de fes Etats .
Il nous paroît que les connoiffeurs eftiment plus.
Médée que Penelope ; les deux grands refforts de
la tragédie , la terreur & la pitié , s'y font fentir
plus vivement. Il n'y a point de perfonnage épi
fodique ; l'action en eft fimple & grande , & le
fujet bien traité. Il y a des beautés dans tous les
actes. Le quatrieme eft frappant. Médée prête à
poignarder fes enfans , & retenue par l'amour maternel
, remplit tous les fpectateurs d'effroi . Il
feroit à fouhaiter que le rolle de Jafon fût moins
foible & moins odieux . Les prétextes dont il fe
fert abandonner Médée , font miférables ;
ils excitent une indignation générale . Les rolles
de Créon & de Créufe ne font gueres mieux faits ,
Longepierre a tout facrifié à celui de Médée. Il
ya quelquefois de l'élévation dans les vers de
cette piece, il y a même des tours naturels & heureux
, mais le ftyle n'eft pas foutenu . On voit que
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE:
P'Auteur s'eft fatigué quand il a voulu mettre de la
force & de la nobleffe dans l'expreffion ; fon imagination
s'épuife promptement . La tragédie de
Médée fut reçue froidement lorfqu'elle fut mife
au théatre en 1694 , & cet ouvrage étoit preſque
oublié , lorfque les Comédiens en rifquerent une
repriſe au mois de Septembre 1728. Mlle Balicour
y rempliffoit le principal rolle , & le fuccès
en fut prodigieux , quoiqu'on ne le repréfentât
que les Mardis & Vendredis , les deux jours de
fa femaine ou la Comédie eft le moins fréquentée.
Depuis la retraite de Mlle Balicour , la tragédie
de Médée s'eft foutenue par les talens de Miles
Dumefnil & Clairon ; & tant qu'il y aura de grandes
Actrices au théatre , elle s'y maintiendra.
M. Molé a continué fon début par les rollesd'Horace
dans l'Ecole des femmes , de Seleucus
dans Rodogune , de Fréderic dans Guſtave , du
Chevalier dans le Diftrait , & de Charmant dans
l'Oracle,
On a donné le Samedi 16 , à la fuite du Ma
homet de M. de Voltaire , la petite Comédie de
la Pupille. Mlle Guéant y a débuté pour la troifieme
fois par le rolle de la Pupille ; elle a joué le
lendemain Mélite dans le Philofophe marié. On
a trouvé qu'elle avoit la figure plus agréable &
plus noble que jamais , & qu'elle avoit beaucoup
acquis du côté du fentiment & de l'expreffion . Le
public paroît defirer qu'elle foit reçue pour les
rolles de feconde amoureuſe.
tes de Thalie. Ce fpectacle , depuis le brillant
début de Mile Cohendet , attire plus de monde
qu'il n'en attiroit d'abord. Le goût du Public
pour la voix & le talent de la nouvelle Actrice eft
toujours très-vif. On retirera le 3 Décembre les
Fêtes de Thalie , pour mettre Thésée.
Les Comédiens François font tous réunis depuis
le 18 de Novembre. Tandis qu'une partie faifoit
les délices de la Cour à Fontainebleau , ceux qui
étoient restés à Paris , foutenoient le théatre avec
fuccès ; & ils avoient de très-fortes repréfentations,
quoiqu'ils ne donnaffent que des pieces de répertoire
. Mlle Clairon a beaucoup joué , & toujours
fupérieurement. Les rolles qu'elle a repréſentés
pendant l'abfence , font Agrippine dans Britannicus
, Zaire , Roxane dans Bajazet , Cléopatre dans
Rodogune , Ariane , Pauline dans Polieudte , Phédre
, la Reine dans Guftave , Alzire , Penelope &
Médée. Ces deux dernieres tragédies font très -médiocres
; on les donne moins fréquemment que
celles des bons Auteurs . Penelope eut une chute
marquée dans la nouveauté , à peine put-elle fupporter
fix représentations , & elle a eu bien de la
peine à fe relever. Il y a apparence que cette tragédie
auroit été abandonnée, fi Baron , à la rentrée
au théatre , n'avoit voulu jouer les trois reconnoiffances
qui fe trouvent dans le rolle d'U
lyffe . Les deux premiers actes de Penelope font
extrêmement froids , la verfification de toute la
DECEMBRE. 1754 173
piece eft dure , profaïque & prefque toujours platte
, les rolles épifodiques font infupportables ; il y
a un perfonnage d'Yphife qu'on devroit fupprimer,
il eft abfolument inutile ; & l'amour de Telemaque
pour cette Princefle eft ridicule. Il y a des endroits
touchans dans les trois derniers actes ; la
reconnoiffance du cinquiéme fait fur- tout un
grand effet. Cette piece eft difficile à bien rendre ;
elle exige le plus grand foin de la part des Ateurs
, & principalement de la part de Penelope .
Mlle Clairon y ravit tous les fpectateurs . M. La-
Doue qui eft chargé du rolle d'Ulyſſe , s'en acquitte
auffi très-bien . Le dénouement de Penelope
devroit être en action au lieu d'être en récit. Il
y a un autre défaut dans ce dénouement , c'eſt
qu'Ulyffe n'y paroît pas : on feroit bien aife de le
revoir triomphant de fes ennemis , & paifible poffeffeur
de fes Etats .
Il nous paroît que les connoiffeurs eftiment plus.
Médée que Penelope ; les deux grands refforts de
la tragédie , la terreur & la pitié , s'y font fentir
plus vivement. Il n'y a point de perfonnage épi
fodique ; l'action en eft fimple & grande , & le
fujet bien traité. Il y a des beautés dans tous les
actes. Le quatrieme eft frappant. Médée prête à
poignarder fes enfans , & retenue par l'amour maternel
, remplit tous les fpectateurs d'effroi . Il
feroit à fouhaiter que le rolle de Jafon fût moins
foible & moins odieux . Les prétextes dont il fe
fert abandonner Médée , font miférables ;
ils excitent une indignation générale . Les rolles
de Créon & de Créufe ne font gueres mieux faits ,
Longepierre a tout facrifié à celui de Médée. Il
ya quelquefois de l'élévation dans les vers de
cette piece, il y a même des tours naturels & heureux
, mais le ftyle n'eft pas foutenu . On voit que
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE:
P'Auteur s'eft fatigué quand il a voulu mettre de la
force & de la nobleffe dans l'expreffion ; fon imagination
s'épuife promptement . La tragédie de
Médée fut reçue froidement lorfqu'elle fut mife
au théatre en 1694 , & cet ouvrage étoit preſque
oublié , lorfque les Comédiens en rifquerent une
repriſe au mois de Septembre 1728. Mlle Balicour
y rempliffoit le principal rolle , & le fuccès
en fut prodigieux , quoiqu'on ne le repréfentât
que les Mardis & Vendredis , les deux jours de
fa femaine ou la Comédie eft le moins fréquentée.
Depuis la retraite de Mlle Balicour , la tragédie
de Médée s'eft foutenue par les talens de Miles
Dumefnil & Clairon ; & tant qu'il y aura de grandes
Actrices au théatre , elle s'y maintiendra.
M. Molé a continué fon début par les rollesd'Horace
dans l'Ecole des femmes , de Seleucus
dans Rodogune , de Fréderic dans Guſtave , du
Chevalier dans le Diftrait , & de Charmant dans
l'Oracle,
On a donné le Samedi 16 , à la fuite du Ma
homet de M. de Voltaire , la petite Comédie de
la Pupille. Mlle Guéant y a débuté pour la troifieme
fois par le rolle de la Pupille ; elle a joué le
lendemain Mélite dans le Philofophe marié. On
a trouvé qu'elle avoit la figure plus agréable &
plus noble que jamais , & qu'elle avoit beaucoup
acquis du côté du fentiment & de l'expreffion . Le
public paroît defirer qu'elle foit reçue pour les
rolles de feconde amoureuſe.
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Résumé : « L'Académie royale de Musique continue les Fêtes de Thalie. Ce spectacle, depuis le brillant [...] »
En décembre 1754, les activités théâtrales étaient marquées par plusieurs événements notables. L'Académie royale de Musique poursuivait les 'Fêtes de Thalie', attirant un public de plus en plus nombreux grâce à la performance de Mile Cohendet. Cependant, à partir du 3 décembre, ces fêtes ont été remplacées par la représentation de 'Thésée'. Parallèlement, les Comédiens Français, réunis depuis le 18 novembre, ont donné des représentations tant à la cour de Fontainebleau qu'à Paris, malgré un répertoire limité. Ces représentations ont été couronnées de succès. Mlle Clairon a interprété plusieurs rôles prestigieux, notamment dans 'Britannicus', 'Zaire', 'Bajazet', 'Rodogune', 'Polyeucte', 'Gustave', 'Alzire', 'Pénélope' et 'Médée'. Parmi ces pièces, les tragédies 'Pénélope' et 'Médée' ont reçu des critiques mitigées. 'Pénélope' a été accueillie tièdement et a été sauvée par l'interprétation de Baron. La pièce a été critiquée pour sa versification dure et ses rôles épisodiques insupportables. En revanche, 'Médée' a été mieux appréciée pour ses effets de terreur et de pitié, bien que certains rôles aient été jugés faibles. Cette tragédie a connu un succès renouvelé grâce à des actrices comme Mlle Balicour, Duménil et Clairon. M. Molé a également interprété plusieurs rôles avec succès. Quant à Mlle Guéant, elle a fait ses débuts dans 'La Pupille' et 'Mélite', recevant des éloges pour son jeu et son expression.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1061
p. 174-185
« Les Comédiens Italiens ont fait l'ouverture de leur théatre le Mercredi 13 Novembre par l'Heureux [...] »
Début :
Les Comédiens Italiens ont fait l'ouverture de leur théatre le Mercredi 13 Novembre par l'Heureux [...]
Mots clefs :
Comédiens-Italiens, Air, Capitaine, Servante, Vieillard, Chocolat, Personnages, Maître, Époux, Yeux
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texteReconnaissance textuelle : « Les Comédiens Italiens ont fait l'ouverture de leur théatre le Mercredi 13 Novembre par l'Heureux [...] »
Les Comédiens Italiens ont fait l'ouverture de
leur théatre le Mercredi 13 Novembre par l'Heu
reux ftratagême , très -ingénieufe Comédie Françoife
, en trois actes , de M. de Marivaux ; elle a
été fuivie de Baftien de Baftienne . Le Jeudi 14
DECEMBRE. 1754. 175
ils ont repris , toujours avec fuccès , la Servante
Maitreffe, dont voici l'extrait .
ACTEURS.
Pandolfe , vieillard ,
Zerbine , fa fervante ,
Scapin , fon valet ,
M. Rochard.
Mlle Favart.
Perfonnage muet.
Pandolfe ouvre la fcene par le monologue fuivant
; il eſt affis devant une petite table.
AIR.
Long-tems attendre
Sans voir venir ;
Au lit s'étendre ,
Ne point dormir ;
Grand'peine prendre
Sans parvenir ;
Sont trois fujets d'aller fe pendre.
C'eft auffi ſe mocquer des gens ;
Voilà trois heures que j'attends
Que ma fervante enfin m'apporte
Mon chocolat ; elle n'a pas le tems.
Cependant il faut que je forte :
Elle me dira , que m'importe ?
Oh ! c'en eft trop ; je fuis trop bon ;
Mais je vais prendre un autre ton .
Le vieillard appelle Zerbine de toutes les for
ces. En fe retournant il apperçoit Scapin , qui eft
entré fans dire mot , & qui fe tient tranquillement
derriere lui. Comme malgré les cris de fon
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE .
maître , il ne s'empreffe pas d'aller chercher Zerbine
, Pandolphe eft obligé de le pouffer dehors
par les épaules. Il continue enfuite de fe plaindre
de fa fervante.
Récitatif accompagné .
Voilà pourtant , voilà comment
On fait foi-même fon tourment.
Je trouve cette enfant qui me paroît gentille ;
Je la demande à fa famille ;
On ! me la donne , & depuis ce moment
Je l'éleve comme ma fille .
Que m'en revient-il à préfent ?
Mes bontés l'ont rendue à tel point infolente ,
Capricieuſe , impertinente ,
Qu'il faut avant qu'il foit long- tems ,
S'attendre enfin que la fervante
Sera la maîtreffe céans.
Oh ! tout ceci m'impatiente.
Zerbine entre en difputant avec Scapin , & lui
dit :
AIR.
Eh bien , finiras - tu , deux fois , trois fois ;.
Je n'en ai pas le tems , cela te doit fuffire.
Fort bien.
Pandolfe , à part.
Zerbine.
Combien de fois faut-il te le redire ?
DECEMBRE. 1754. 177
Si ton maître eft preffé faut- il que je le fois
A merveille.
Pandolfe , à part.
Zerbine.
Finis , Scapin , fi tu m'en crois ,
Ma patience enfin ſe laffe ;
Si tu la réduis aux abois ,
Je vais faire pleuvoir vingt foufflets fur ta face.
Elle fe met en devoir de fouffleter Scapin :
Pandolfe l'arrête , & lui demande ce qui peut la
mettre fi fort en courroux ; elle lui répond qu'elle
ne veut pas fouffrir que Scapin lui donne des leçons.
Pandolfe a beau lui dire que c'eſt de fa
part , & qu'il veut avoir fon chocolat . Ce chocolat
n'eft point fait , & Zerbine n'a pas le tems
d'en faire . Pandolfe impatienté , & hors de luimême
, fait beaucoup rire Scapin ; Zerbine s'en
offenfe , & Pandolfe avoue qu'on a raiſon de ſe
mocquer de lui , mais il affure que tout ceci finira.
AIR.
Sans fin , fans ceffe ,
Nouveaux procès ;
Et fi , & mais ,
Et oui , & non ,
Tout fur ce ton ;
Jamais , jamais , au grand jamais ,
On n'eft en paix,
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Mais que t'en femble à toi ?
Dois-je en crever , moi ?
Non , par ma foi.
Un jour viendra ,
Qu'on fe plaindra ,
Qu'on gémira ,
Quand on fera
Dans la détreffe ;
On maudira
à Scapin.
Son trifte fort ,
On fentira
Qu'on avoit tort .
à Scapin
Qu'en penfes-tu ? n'eft - il pas vrai è
Hai ,
Dis , toi ,
Quoi !
Oui , oui fur ma foi.
Sans fin , fans ceffe , & c:
Pandolfe demande à Scapin fa canne & fon épée
pour fortir. Zerbine 's'y oppofe ; il faut encore
que le vieillard en paffe par là. L'infolence de fa
fervante lui fait prendre la réfolution de fe marier
, fût-ce à une guenon. Zerbine le raille fur
ce prétendu mariage , & lui dit que s'il fe marie
, il n'aura pas d'autre femme qu'elle . Cette
imprudence redouble la colere de Pandolfe ; Zerbine
infifte fur fon projet.
DECEMBRE. 1754 179
Duo en Dialogue.
Je devine
Zerbine.
A ces yeux , à cette mine
Fine ,
Lutine ,
Affaffine ;
Vous avez beau dire non ;
Bon , bon ;
Vos yeux me difent que fi ,
Et je veux le croire ainfi .
Pandolfe.
Ma divine ,
Vous vous trompez à ma mine
Très-fort ;
Prenez un peu moins l'effor ,
Mes yeux avec moi d'accord ,
Vous diront vous avez tort.
Zerbine.
Mais comment ! mais pourquoi
Je fuis jolie ,
Mais très-jolie ,
Douce , polie :
Voulez-vous de l'agrément , de la fineffe
Des bons airs de toute espéce ,
Gentilleffe ,,
Nobleffe ?
Regardez-moi.
Hvj
480. MERCURE DE FRANCE.
Pandolfe , à part.
Sur mon ame , elle me tente ;
Elle eft charmante.
Zerbine , à
part.
Pour le coup il devient tendre .
Il faut fe rendre.
Pandolfe.
Ah ! laiffes-moi.
Zerbine.
Il faut me prendre.
Pandolfe.
Tu rêves , je crois.
Zerbine.
à Pandolfe.
Tu veux en vain t'en défendre :
11 faut que tu fois à moi.
Zerbine,
Je t'aime ,
Je fuis à toi ,
Sois donc à moi.
Pandolfe?
O peine extrême !
Je fuis , ma foi ,
Tout hors de moi.
Le fecond acte commence par un air que
Zerbine chante feule , & dont les paroles conviennent
à toutes les filles qui pourront fe trouves
dans le cas où elle est.
DECEMBRE. 1754. 181
AIR.
Vous gentilles ,
Jeunes filles ,
'Aux vieillards qui tendez vos filets ;
Qui cherchez des maris , beaux ou laids ,
Apprenez , retenez bien mes fecrets ;
Vous allez voir comme je fais.
Tour à tour avec adreffe ,
Je menace , je careffe ;
Quelque tems
Je me défends ,
Mais enfin je me rends.
Elle a mis Scapin dans fes intérêts ; il confent
à faire le perfonnage d'un Capitaine déguifé qui
la demande en mariage. Zerbine appercevant
Pandolfe , fait femblant de fe repentir de fes infolences
& de fa témérité , & elle lui dit qu'elle eft
recherchée par le Capitaine Tempête , auquel
elle a promis fa foi . Elle chante enfuite les paroles
qui fuivent.
Récitatif accompagné .
Jouiffez cependant du deftin le plus doux ;
Soyez long- tems l'heureux époux
De celle que le Ciel aujourd'hui vous deftine .
Souvenez -vous quelquefois de Zerbine ,
Qui tant qu'elle vivra ſe ſouviendra de vous .
AIR , tendrement.
A Zerbine laiff ez , par grace,
Sz MERCURE DEFRANCE,
Quelque place
En votre fouvenir ;
L'en bannir ;
Quelle difgrace !
Eh comment la foutenir ?
Pandolfe s'attendrit par dégrés , & veut cacherfo
attendrisjement.
Zerbine à part , gaiement.
Il eft , ma foi , dupe de ma grimace ,
Je le vois déja s'attendrir.
à Pandolfe , tendrement.
De Zerbine gardez , par grace
Quelque trace ;
L'oublier , quelle diſgrace !
Eh , comment le foutenir ?
* part , gaiement
Il y va venir.
Pandolfe s'attendrit de plus en pluss
Il ne peut long-tems tenir.
Pandolfe , tendrement.
Si je fus impertinente ,
Contrariante ,
Vous m'en voyez repentante ,
Pardonnez-moi.
Elle fejette auxgenoux de Pandolfe , qui luiprend
la main comme en cachette.
à part , gaiement.
Mais..... il me prend la main ,
DECEMBRE. 1754 183
Ma foi l'affaire eft en bon train.
Zerbine demande enfuite à Pandolfe la permiffion
de lui préfenter fon prétendu ; Pandolfe y
confent. Cet homme lui fait peur par fon air
bourru & par les grimaces. Le vieillard commence
à plaindre Zerbine de tomber en de pareilles
mains. Le Capitaine garde un filence obftiné
en préfence de Pandolfe , qui s'en étonne.
Zerbine promet en le tirant à l'écart de le faire
parler ; la réponſe qu'elle rapporte eft que le Capitaine
demande à Pandolfe la dot de fa future ,
puifqu'il lui a tenu lieu de pere : Pandolfe , plus
furpris quejamais , dit qu'il aille fe promener . Le
faux Capitaine fait femblant d'entrer en fureur , &
menace Pandolfe en grinçant les dents . Pandolfe
appelle Scapin à fon fecours : Scapin qui ne
fonge plus au perfonnage de Capitaine qu'il étoit
obligé de faire , veut accourir , & Zerbine le retient.
Pandolfe qui a perdu tout à fait la tête , fe
propofe pour époux à Zerbine fi elle veut congé
dier le Capitaine.
Zerbine , en le regardant tendrement.
Vous , Monfieur !
Pandolfe , vivement .
Oui , ma chere , il n'eft plus tems de feindre
A cet aveu tu fçais à la fin me contraindre.
Je t'aime , je t'adore , & je fuis comme un fou :
Prends ma main , prends mon coeur , prends mon
bien , & renvoie
Ce maudit fpadaffin , ce franc oifeau de proie
A qui Satan puiffe tordre le cou.
184 MERCURE DE FRANCE,
Zerbine.
Ah ! mon cher maître , en confcience ,
Vous méritez la préférence ;
Je vous la donne , & c'eft de très -grand coeur :
Voilà ma main , vous êtes le vainqueur.
Pandolfe.
Il ne faut pas non plus braver le Capitaine ;
Attends qu'il foit forti de ma maifon.
Zerbine.
Oh ! ne vous mettez pas en peine ;
Je vais d'un mot le mettre à la raiſon.
à Scapin.
Scapin , tu peux quitter cet attirail fantafque ;
Nous n'avons plus befoin de maſque.
Scapin fe découvre en riant aux éclats.
Pandolfe.
Comment , coquin , c'est toi !
Zerbine.
De quoi vous plaignez-vous ;
Quand vous devez ma main à ſon adreſſe ?
Pandolfe.
left vrai , je ne puis me fàcher d'une piece
Qui met le comble à mesvoeux les plus doux.
DECEMBRE , 1754. 185
Zerbine.
Elle remplit auffi les miens , mon cher époux.
à part.
J'étois fervante , & je deviens maîtrefle.
La piece finit par un duo en dialogue de Pan-
'dolfe & de Zerbine.
Tous les amateurs ont été fi contens de la traduction
de la Serva padrona , qu'ils invitent M.
Borans à vouloir bien traduire les autres intermedes
Italiens qui ont réuſſi .
leur théatre le Mercredi 13 Novembre par l'Heu
reux ftratagême , très -ingénieufe Comédie Françoife
, en trois actes , de M. de Marivaux ; elle a
été fuivie de Baftien de Baftienne . Le Jeudi 14
DECEMBRE. 1754. 175
ils ont repris , toujours avec fuccès , la Servante
Maitreffe, dont voici l'extrait .
ACTEURS.
Pandolfe , vieillard ,
Zerbine , fa fervante ,
Scapin , fon valet ,
M. Rochard.
Mlle Favart.
Perfonnage muet.
Pandolfe ouvre la fcene par le monologue fuivant
; il eſt affis devant une petite table.
AIR.
Long-tems attendre
Sans voir venir ;
Au lit s'étendre ,
Ne point dormir ;
Grand'peine prendre
Sans parvenir ;
Sont trois fujets d'aller fe pendre.
C'eft auffi ſe mocquer des gens ;
Voilà trois heures que j'attends
Que ma fervante enfin m'apporte
Mon chocolat ; elle n'a pas le tems.
Cependant il faut que je forte :
Elle me dira , que m'importe ?
Oh ! c'en eft trop ; je fuis trop bon ;
Mais je vais prendre un autre ton .
Le vieillard appelle Zerbine de toutes les for
ces. En fe retournant il apperçoit Scapin , qui eft
entré fans dire mot , & qui fe tient tranquillement
derriere lui. Comme malgré les cris de fon
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE .
maître , il ne s'empreffe pas d'aller chercher Zerbine
, Pandolphe eft obligé de le pouffer dehors
par les épaules. Il continue enfuite de fe plaindre
de fa fervante.
Récitatif accompagné .
Voilà pourtant , voilà comment
On fait foi-même fon tourment.
Je trouve cette enfant qui me paroît gentille ;
Je la demande à fa famille ;
On ! me la donne , & depuis ce moment
Je l'éleve comme ma fille .
Que m'en revient-il à préfent ?
Mes bontés l'ont rendue à tel point infolente ,
Capricieuſe , impertinente ,
Qu'il faut avant qu'il foit long- tems ,
S'attendre enfin que la fervante
Sera la maîtreffe céans.
Oh ! tout ceci m'impatiente.
Zerbine entre en difputant avec Scapin , & lui
dit :
AIR.
Eh bien , finiras - tu , deux fois , trois fois ;.
Je n'en ai pas le tems , cela te doit fuffire.
Fort bien.
Pandolfe , à part.
Zerbine.
Combien de fois faut-il te le redire ?
DECEMBRE. 1754. 177
Si ton maître eft preffé faut- il que je le fois
A merveille.
Pandolfe , à part.
Zerbine.
Finis , Scapin , fi tu m'en crois ,
Ma patience enfin ſe laffe ;
Si tu la réduis aux abois ,
Je vais faire pleuvoir vingt foufflets fur ta face.
Elle fe met en devoir de fouffleter Scapin :
Pandolfe l'arrête , & lui demande ce qui peut la
mettre fi fort en courroux ; elle lui répond qu'elle
ne veut pas fouffrir que Scapin lui donne des leçons.
Pandolfe a beau lui dire que c'eſt de fa
part , & qu'il veut avoir fon chocolat . Ce chocolat
n'eft point fait , & Zerbine n'a pas le tems
d'en faire . Pandolfe impatienté , & hors de luimême
, fait beaucoup rire Scapin ; Zerbine s'en
offenfe , & Pandolfe avoue qu'on a raiſon de ſe
mocquer de lui , mais il affure que tout ceci finira.
AIR.
Sans fin , fans ceffe ,
Nouveaux procès ;
Et fi , & mais ,
Et oui , & non ,
Tout fur ce ton ;
Jamais , jamais , au grand jamais ,
On n'eft en paix,
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
Mais que t'en femble à toi ?
Dois-je en crever , moi ?
Non , par ma foi.
Un jour viendra ,
Qu'on fe plaindra ,
Qu'on gémira ,
Quand on fera
Dans la détreffe ;
On maudira
à Scapin.
Son trifte fort ,
On fentira
Qu'on avoit tort .
à Scapin
Qu'en penfes-tu ? n'eft - il pas vrai è
Hai ,
Dis , toi ,
Quoi !
Oui , oui fur ma foi.
Sans fin , fans ceffe , & c:
Pandolfe demande à Scapin fa canne & fon épée
pour fortir. Zerbine 's'y oppofe ; il faut encore
que le vieillard en paffe par là. L'infolence de fa
fervante lui fait prendre la réfolution de fe marier
, fût-ce à une guenon. Zerbine le raille fur
ce prétendu mariage , & lui dit que s'il fe marie
, il n'aura pas d'autre femme qu'elle . Cette
imprudence redouble la colere de Pandolfe ; Zerbine
infifte fur fon projet.
DECEMBRE. 1754 179
Duo en Dialogue.
Je devine
Zerbine.
A ces yeux , à cette mine
Fine ,
Lutine ,
Affaffine ;
Vous avez beau dire non ;
Bon , bon ;
Vos yeux me difent que fi ,
Et je veux le croire ainfi .
Pandolfe.
Ma divine ,
Vous vous trompez à ma mine
Très-fort ;
Prenez un peu moins l'effor ,
Mes yeux avec moi d'accord ,
Vous diront vous avez tort.
Zerbine.
Mais comment ! mais pourquoi
Je fuis jolie ,
Mais très-jolie ,
Douce , polie :
Voulez-vous de l'agrément , de la fineffe
Des bons airs de toute espéce ,
Gentilleffe ,,
Nobleffe ?
Regardez-moi.
Hvj
480. MERCURE DE FRANCE.
Pandolfe , à part.
Sur mon ame , elle me tente ;
Elle eft charmante.
Zerbine , à
part.
Pour le coup il devient tendre .
Il faut fe rendre.
Pandolfe.
Ah ! laiffes-moi.
Zerbine.
Il faut me prendre.
Pandolfe.
Tu rêves , je crois.
Zerbine.
à Pandolfe.
Tu veux en vain t'en défendre :
11 faut que tu fois à moi.
Zerbine,
Je t'aime ,
Je fuis à toi ,
Sois donc à moi.
Pandolfe?
O peine extrême !
Je fuis , ma foi ,
Tout hors de moi.
Le fecond acte commence par un air que
Zerbine chante feule , & dont les paroles conviennent
à toutes les filles qui pourront fe trouves
dans le cas où elle est.
DECEMBRE. 1754. 181
AIR.
Vous gentilles ,
Jeunes filles ,
'Aux vieillards qui tendez vos filets ;
Qui cherchez des maris , beaux ou laids ,
Apprenez , retenez bien mes fecrets ;
Vous allez voir comme je fais.
Tour à tour avec adreffe ,
Je menace , je careffe ;
Quelque tems
Je me défends ,
Mais enfin je me rends.
Elle a mis Scapin dans fes intérêts ; il confent
à faire le perfonnage d'un Capitaine déguifé qui
la demande en mariage. Zerbine appercevant
Pandolfe , fait femblant de fe repentir de fes infolences
& de fa témérité , & elle lui dit qu'elle eft
recherchée par le Capitaine Tempête , auquel
elle a promis fa foi . Elle chante enfuite les paroles
qui fuivent.
Récitatif accompagné .
Jouiffez cependant du deftin le plus doux ;
Soyez long- tems l'heureux époux
De celle que le Ciel aujourd'hui vous deftine .
Souvenez -vous quelquefois de Zerbine ,
Qui tant qu'elle vivra ſe ſouviendra de vous .
AIR , tendrement.
A Zerbine laiff ez , par grace,
Sz MERCURE DEFRANCE,
Quelque place
En votre fouvenir ;
L'en bannir ;
Quelle difgrace !
Eh comment la foutenir ?
Pandolfe s'attendrit par dégrés , & veut cacherfo
attendrisjement.
Zerbine à part , gaiement.
Il eft , ma foi , dupe de ma grimace ,
Je le vois déja s'attendrir.
à Pandolfe , tendrement.
De Zerbine gardez , par grace
Quelque trace ;
L'oublier , quelle diſgrace !
Eh , comment le foutenir ?
* part , gaiement
Il y va venir.
Pandolfe s'attendrit de plus en pluss
Il ne peut long-tems tenir.
Pandolfe , tendrement.
Si je fus impertinente ,
Contrariante ,
Vous m'en voyez repentante ,
Pardonnez-moi.
Elle fejette auxgenoux de Pandolfe , qui luiprend
la main comme en cachette.
à part , gaiement.
Mais..... il me prend la main ,
DECEMBRE. 1754 183
Ma foi l'affaire eft en bon train.
Zerbine demande enfuite à Pandolfe la permiffion
de lui préfenter fon prétendu ; Pandolfe y
confent. Cet homme lui fait peur par fon air
bourru & par les grimaces. Le vieillard commence
à plaindre Zerbine de tomber en de pareilles
mains. Le Capitaine garde un filence obftiné
en préfence de Pandolfe , qui s'en étonne.
Zerbine promet en le tirant à l'écart de le faire
parler ; la réponſe qu'elle rapporte eft que le Capitaine
demande à Pandolfe la dot de fa future ,
puifqu'il lui a tenu lieu de pere : Pandolfe , plus
furpris quejamais , dit qu'il aille fe promener . Le
faux Capitaine fait femblant d'entrer en fureur , &
menace Pandolfe en grinçant les dents . Pandolfe
appelle Scapin à fon fecours : Scapin qui ne
fonge plus au perfonnage de Capitaine qu'il étoit
obligé de faire , veut accourir , & Zerbine le retient.
Pandolfe qui a perdu tout à fait la tête , fe
propofe pour époux à Zerbine fi elle veut congé
dier le Capitaine.
Zerbine , en le regardant tendrement.
Vous , Monfieur !
Pandolfe , vivement .
Oui , ma chere , il n'eft plus tems de feindre
A cet aveu tu fçais à la fin me contraindre.
Je t'aime , je t'adore , & je fuis comme un fou :
Prends ma main , prends mon coeur , prends mon
bien , & renvoie
Ce maudit fpadaffin , ce franc oifeau de proie
A qui Satan puiffe tordre le cou.
184 MERCURE DE FRANCE,
Zerbine.
Ah ! mon cher maître , en confcience ,
Vous méritez la préférence ;
Je vous la donne , & c'eft de très -grand coeur :
Voilà ma main , vous êtes le vainqueur.
Pandolfe.
Il ne faut pas non plus braver le Capitaine ;
Attends qu'il foit forti de ma maifon.
Zerbine.
Oh ! ne vous mettez pas en peine ;
Je vais d'un mot le mettre à la raiſon.
à Scapin.
Scapin , tu peux quitter cet attirail fantafque ;
Nous n'avons plus befoin de maſque.
Scapin fe découvre en riant aux éclats.
Pandolfe.
Comment , coquin , c'est toi !
Zerbine.
De quoi vous plaignez-vous ;
Quand vous devez ma main à ſon adreſſe ?
Pandolfe.
left vrai , je ne puis me fàcher d'une piece
Qui met le comble à mesvoeux les plus doux.
DECEMBRE , 1754. 185
Zerbine.
Elle remplit auffi les miens , mon cher époux.
à part.
J'étois fervante , & je deviens maîtrefle.
La piece finit par un duo en dialogue de Pan-
'dolfe & de Zerbine.
Tous les amateurs ont été fi contens de la traduction
de la Serva padrona , qu'ils invitent M.
Borans à vouloir bien traduire les autres intermedes
Italiens qui ont réuſſi .
Fermer
Résumé : « Les Comédiens Italiens ont fait l'ouverture de leur théatre le Mercredi 13 Novembre par l'Heureux [...] »
Les Comédiens Italiens ont inauguré leur théâtre le 13 novembre 1754 avec la pièce 'Le Faux Fratagem' de Marivaux, suivie de 'Bastien et Bastienne'. Le 14 décembre 1754, ils ont repris avec succès 'La Servante Maîtresse' de Marivaux. Cette pièce met en scène trois personnages principaux : Pandolfe, un vieillard, Zerbine, sa servante, et Scapin, le valet de Zerbine. Pandolfe, impatient d'attendre son chocolat, se plaint de l'insolence de Zerbine. Zerbine et Scapin se disputent, et Zerbine menace de le gifler. Exaspéré, Pandolfe décide de se marier, même avec une guenon. Zerbine le raille et insiste sur son projet. Dans le deuxième acte, Zerbine chante un air où elle conseille aux jeunes filles de se défendre tout en se rendant. Elle manipule Pandolfe en lui faisant croire qu'un capitaine, en réalité Scapin déguisé, la demande en mariage. Pandolfe, attendri, finit par avouer son amour à Zerbine. Zerbine accepte et révèle que Scapin était déguisé. La pièce se termine par un duo entre Pandolfe et Zerbine, qui deviennent mari et femme. Les spectateurs ont apprécié la traduction de 'La Servante Maîtresse' et souhaitent que d'autres intermèdes italiens soient traduits.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
1062
p. 163-173
« TRAITÉ de la Diction, par M. Esteve, de la Société royale des Sciences de Montpellier [...] »
Début :
TRAITÉ de la Diction, par M. Esteve, de la Société royale des Sciences de Montpellier [...]
Mots clefs :
Diction, Style, Rhétorique, Manière de bien parler, Phrase, Grammaire
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « TRAITÉ de la Diction, par M. Esteve, de la Société royale des Sciences de Montpellier [...] »
TRAITÉ de la Diction , par M. Eſteve ,
de la Société royale des Sciences de Montpellier
, vol. in - 12 , 1755. A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques , &c .
Il ne faut rien moins qu'un efprit exercé
dans les fciences abftraites pour faire de
nouvelles découvertes fur la diction . Arif.
rote , Ciceron , Quintilien ont également
écrit fur cette matiere . Au jugement de
M. de Fenelon , nous ne pouvons mieux
faire que de copier ce que ces Auteurs en
ont dit ; mais ce que nos écrivains modernes
n'avoient pas feulement vû , M.
Efteve vient de l'exécuter. Son ouvrage
-eft divifé en deux livres ; le premier traite
des principes effentiels de la diction , &
le fecond des différens ftyles . Il recherche
quelles font les vraies perfections des élémens
de la phrafe ; enfuite il examine la
phrafe en elle-même. Ce font là les matériaux
dont il fait ufage pour conftruire le
fyſtème général des diverfes manieres de
s'énoncer. Ce n'eft pas ici un ouvrage de
grammaire , mais plutôt un traité philofophique
fur l'art de bien parler & de bien
écrite dans toutes fortes de langues. On
164 MERCURE DE FRANCE.
trouve dans cette production antant de
méthode que dans un ouvrage de Géométrie
, & autant de clarté que dans un ouvrage
pur agrément : pour l'invention
on ne fçauroit la difputer à l'auteur , car
il n'y a aucun modele en ce genre.
de
Nous avons dit qu'il falloit diftinguer
cette production philofophique de tout ce
qu'on nous a donné jufqu'à préfent fur la
grammaire : nous allons rapporter ce qu'en
dit l'Auteur. Ce ne font point ici les
principes raifonnés de la grammaire ni
l'art de parler correctement ces con-
» noiffances préliminaires , je les fuppofe
» dans mes lecteurs, La déclinaifon des
» verbes & des noms , les irrégularités , en
» un mot tout ce qui appartient à la grammaire
doit être connu. Dans un traité de
la peinture il n'eft point néceffaire de re-
» chercher la nature des diverfes couleurs ,
il faut les fuppofer déja broyées & arrangées
fur la palette : nous en ufons de
même dans le traité de l'art de la diction.
Auffi tout ce que nous y difons
peut également convenir à la Langue La-
» tine , Françoife ou Allemande , ou plus
» généralement à toutes les langues anciennes
& modernes.
Le peu d'étendue que nous donnons à
mos extraits ne nous permet pas de fuivre
DECEMBRE. 1754. 165
l'Auteur dans toutes les réflexions qui naiffent
fous fa plume ; nous nous contenterons
de citer quelques morceaux , qui feront
connoître le ftyle & la maniere dont
cet ouvrage eft exécuté .
n
"
En parlant de l'harmonie du difcours ,
l'Auteur compare une période à un air de
mufique. » Ne faut-il point dans une pe-
»riode diftribuer certains repos pour la
voix , exprimer un fentiment , n'introduire
aucune difparate entre les fons qui
doivent fe fuivre , faire annoncer les
» dénominations les unes par les autres ,
ne préfenter les plus grands effets qu'après
ceux qui doivent les préparer , enfin
répandre un accord & une unité d'expreffion
? &c. « Cette comparaifon ainfi
détaillée , eft neuve , & retrace au jufte la
plus grande partie des regles que l'écrivain
doit fe prefcrire. Dans le premier livre
l'Auteur parle des images , de la chaleur
qu'on doit leur donner , des termes
figurés , de la métaphore , de l'allégorie ,
de la périphrafe , des termes négatifs , des
épithetes , des adjectifs , comme auffi des
inverfions & des tours de phrafe , de
l'harmonie du difcours , & de la variété
dans le ftyle. Le fecond Livre , ainſi que
nous l'avons déja dit , traite de toutes les
différentes efpéces de ſtyle qui ont du ca- `
166 MERCURE DE FRANCE.
ractere. Le premier dont il eſt queſtion , eſt
le ftyle fimple. Voici comme l'Auteur entre
en matiere.
»
n
30
» Les anciens ont fait des éloges éton-
» nans du ftyle fimple , qu'ils appelloient
Attique : ils lui donnerent ce nom , par-
» ce que c'étoit le feul territoire d'Athènes
» qui le produifoit . Lorfque les Athéniens
»repréfentoient les Graces , ils les laif-
»foient toutes nûes , fans aucune forte de
» vêtement ; voilà le modele de leur fty-
» le .... Le ftyle fimple pourroit être appellé
le langage de la pure raifon . Rempli
de fentimens nobles & vrais , il ne
»fe permet ni les antithèfes froides & érudiées
, ni les comparaifons fauffes & déplacées
, ni l'enchantement puerile des
figures brillantes d'une fauffe Rhétorique
la peinture exacte des objets , la
» nobleffe & l'élégance de la diction , la
force du raifonnement , la beauté effentielle
du fujet ; voilà la diftinction en-
» tiere du langage que devroient parler les
"
93
"
"
39
hommes.
Cé ftyle fimple eft divifé par l'Auteur
en ftyle fublime & ftyle naïf ; chacun de
ces ftyles eft traité dans un chapitre en particulier.
Dans celui qui traite du ftyle fublime
, l'Auteur compare la maniere d'écrire
de Racine avec celle de Corneille. Après
DECEMBRE. 1754. 167
»
avoir cité plufieurs exemples de l'un & de
l'autre écrivain , M. Efteve dit : » voilà
» encore une peinture ( il eft queftion de
quelques vers de Racine ) , mais faite
dans un autre goût que celle de Cor-
» neille. Ce dernier eft un torrent qui ravage
tout , & précipite fa courfe , la for-
» ce de fon
éloquence l'entraîne fans ceffe
» malgré lui même , on diroit que les mots
» ne font que le fuivre de loin ; mais Ra-
» cine
développe fes couleurs , il les étend ,
» il colorie , il
répréfente au vrai tout ce
» qu'il peint , il fait par les feuls mots des
répréfentations plus
parfaites que ce
» qu'on croiroit pouvoir jamais attendre
de l'art de la diction.
33
» Rien n'eft au -deffus des
fentimens
» élevés que Corneille donne à fes héros :
c'eft la nature dans fa plus grande force
» & dans fa plus belle
fimplicité ; car je
» ne parle ici que des grands traits de gé-
" nie , qui lui affurent
l'admiration de tous
» les fiécles ; il eft vrai que la vive lumiere
» de fon
éloquence s'eft
quelquefois éclip-
» fée. Ces hommes qu'il fait parler & dont
» l'ame paroît dans certains
intervalles fi
grande , fi éclairée , & fi fublime , nẹ
» fe
foutiennent pas
toujours dans cette
région élevée &
lumineufe : on les ap-
» perçoit affez ſouvent
defcendre parmi le
"
168 MERCURE DE FRANCE.
»vulgaire ; alors ils ne font plus une fource
de vive lumiere qui éclaire tout ce
qui les approche , on diroit plutôt qu'ils
» ne fe conduifent que par une lueur foi-
» ble & empruntée.
Nous ne pouvons qu'annoncer les idées
de l'Auteur. Il parcourt tous les ftyles , il
en montre les beautés & les défauts. Le
ftyle ingénieux , le ftyle brillant , le ſtyle
fleuri , le ftyle qui peint , le ftyle qui ne
peint point , le ftyle oriental , le ftyle découfu
, tout eft traité par ordre & avec
précifion . Nous nous contenterons de citer
un des traits qui terminent l'ouvrage , &
dont le lecteur pourra faire aisément l'application.
» S'il y avoit une nation qui , peu capable
de raifonnemens fuivis , ne recherchât
jamais la jufteffe dans la fucceffion
des idées ; fi une feule phrafe bien tour-
» née fuffifoit à la capacité de cette na-
» tion , le ſtyle découfu y paroîtroit avan-
» tageufement. Un écrivain , pour con-
» tenter le lecteur , négligeroit le plan &
la fuite de l'ouvrage , pour ne s'occuper
* que du tour brillant d'une penfée. A
cette premiere penfée , il feroit fuccéder
» celle qui fe préfenteroit d'abord à fon
imagination , quoiqu'elle n'eût fouvent
aucun rapport avec celle qui doit la pré-
33
céder
DECEMBRE. 1754. 169
céder ; ce feroit là le grand art d'amufer
»des efprits frivoles. Car une imagination
légere préferera toujours l'éclat d'une
phrafe ifolée à un difcours fuivi , dont
toutes les parties font faites les unes pour
les autres , & qui par- tout également vif
» & preffant , ne montre pas mal à propos
des ombres qui fervent à relever une
fauffe lumiere.
HISTOIRE & commerce des Colonies
'Angloifes dans l'Amérique feptentrionale.
ALondres ; & fe trouve à Paris , chez Lebreton
, Defaint , Piffot , Lambert. 1754
in-12. 1 vol.
Il nous paroît qu'on n'a pas faifi jufqu'ici
la vraie maniere d'écrire l'hiftoire des colonies
: on n'a prefque parlé que des guerres
qui avoient été entreprifes pour s'y établir
, ou qu'on a été forcé de foutenir pour
s'y maintenir. Comme le but de ces établiſſemens
eft moins la gloire que l'utilité ,
il auroit fallu paffer rapidement fur les événemens
militaires , & s'arrêter à la fituation
, aux productions , aux moeurs , au
gouvernement , à tous les avantages qu'on
retire & qu'on pourroit retirer des pays
éloignés dont on parle. L'Auteur de l'hiftoire
des Colonies Angloifes a parfaitement
rempli l'idée que nous propofons. Il dit
11. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
tout ce que les négocians & les politiques
peuvent defirer de fçavoir fur le fujet qu'il
traite , & il le dit d'une maniere convenable
à la matiere qu'il traite. Nous connoillons
affez les fources où il a puifé ,
pour affurer quelles font très bonnes. Cet
Ecrivain , ou quelqu'autre auffi inftruir ,
devroit bien nous donner dans le même.
goûtd'hiftoire de nos lles fous le vent , les
plus belles colonies de l'univers , fans en
excepter le Pérou & le Mexique.
NOUVEAU Commentaire fur les ordonhances
des mois d'Août 1669 , & Mars
1673 , enſemble fur l'édit du mois de
Mars 1673 , touchant les épices. Par M.
***. Confeiller au Préfidial d'Orléans. A
Paris , chez Debure l'aîné , quai des Auguftins.
1754. in- 12. 1 vol. Ce livre fe
vend liv. 12 fols.
L'Ordonnance de 1669 traite des évocations
, des réglemens de Juges en matiere
civile & criminelle , des Committimus ,
des Lettres d'Etat & de répit. L'Ordonnance
de 1673 a pour objet le commerce.
Elle traite des apprentifs négocians & marchands
, des agens de banque , & courtiers
, des livres & registres des négocians
, marchands & banquiers , des faciétés
, des lettres & billets de change & proDECEMBRE.
1754. 175
melles d'en fournir , des intérêts de change
& de rechange , des contraintes par
corps , des féparations de biens , des défenfes
& lettres de répi , des ceffions de
biens , des faillies & banqueroutes , de la
jurifdiction des Confuls. Le même auteur
nous a donné il y a deux ans des commentaires
courts , clairs , & très- inftructifs fur
les ordonnances civiles & criminelles.
Ces quatre ordonnances feront toujours
regardées comme un des plus beaux monumens
du regne de Louis XIV. L'Europe entiere
en a fenti le prix , & en a retiré les plus
grands avantages. Il faut efpérer que l'étude
de nos loix ne tardera pas à nous paroître un
objet digne de nous occuper. Notre nation
a pouffé fi loin depuis vingt ans la théorie
& la pratique des finances , du commerce
, de la guerre , de la politique ,, de toutes
les connoiffances qui peuvent intéreffer
fa gloire , fon bonheur ou fon opulence
, qu'elle est devenue dans les chofes importantes
, comme elle l'a toujours été dans
lés agréables , un objet d'émulation pour
les peuples qui fe conduifent avec le plus
de circonfpection & de fagefle . On nous
reproche cependant encore avec raifon l'ignorance
de notre droit public & de notre
jurifprudence. Les fecours fürs & faciles
qu'on nous préfente , nous détermineront
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
fans doute à acquerir des lumieres qu'il
eft honteux & très- dangereux de ne pas
avoir.
Le bon Jardinier , Almanach pour l'année
1755 , contenant une idée générale
des quatre fortes de jardins , les regles pour
les cultiver , & la maniere d'élever les plus
belles fleurs. A Paris , chez Guillin , quai
des Auguftins , au Lys d'or. 1755 .
Cet Almanach qui n'étoit prefque l'an
dernier qu'un catalogue , eft devenu un
Quvrage plein de recherches & de détails
agréables fur la matiere qui y eft traitée.
On y trouvera de l'inftruction & de l'amufement.
LE College des Jéfuites de Toulouſe , où
les études font excellentes , a faifi l'occafion
de la diftribution des prix pour faire
représenter une paftorale héroïque à la
louange du Roi. Le P. Badon qui , à ce
qu'il nous paroît , eft chargé ordinairement
de ces actions d'éclat , & qui juftifie
le choix qu'on fait de lui , fait célébrer par
les bergers qu'il introduit fur la fcene , la
juftice des armes du Roi , fa douceur , fa
modération dans la victoire , fes conquêtes
, la journée de Fontenoy , la paix d'Aix-
12- Chapelle , la nobleffe accordée aux Of
DECEMBRE. 1754. 173
ficiers , l'établiſſement de l'Ecole Militaire
, &c. Les éloges de la Reine , de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame la Dau
phine , de Mefdames fuivent naturelle
ment. La paftorale eft terminée par la joie
générale que la naiffance de Monfeigneur
le Duc de Berri a répandu parmi les François
, & par des voeux pour la gloire de
ce jeune Prince.
de la Société royale des Sciences de Montpellier
, vol. in - 12 , 1755. A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue S. Jacques , &c .
Il ne faut rien moins qu'un efprit exercé
dans les fciences abftraites pour faire de
nouvelles découvertes fur la diction . Arif.
rote , Ciceron , Quintilien ont également
écrit fur cette matiere . Au jugement de
M. de Fenelon , nous ne pouvons mieux
faire que de copier ce que ces Auteurs en
ont dit ; mais ce que nos écrivains modernes
n'avoient pas feulement vû , M.
Efteve vient de l'exécuter. Son ouvrage
-eft divifé en deux livres ; le premier traite
des principes effentiels de la diction , &
le fecond des différens ftyles . Il recherche
quelles font les vraies perfections des élémens
de la phrafe ; enfuite il examine la
phrafe en elle-même. Ce font là les matériaux
dont il fait ufage pour conftruire le
fyſtème général des diverfes manieres de
s'énoncer. Ce n'eft pas ici un ouvrage de
grammaire , mais plutôt un traité philofophique
fur l'art de bien parler & de bien
écrite dans toutes fortes de langues. On
164 MERCURE DE FRANCE.
trouve dans cette production antant de
méthode que dans un ouvrage de Géométrie
, & autant de clarté que dans un ouvrage
pur agrément : pour l'invention
on ne fçauroit la difputer à l'auteur , car
il n'y a aucun modele en ce genre.
de
Nous avons dit qu'il falloit diftinguer
cette production philofophique de tout ce
qu'on nous a donné jufqu'à préfent fur la
grammaire : nous allons rapporter ce qu'en
dit l'Auteur. Ce ne font point ici les
principes raifonnés de la grammaire ni
l'art de parler correctement ces con-
» noiffances préliminaires , je les fuppofe
» dans mes lecteurs, La déclinaifon des
» verbes & des noms , les irrégularités , en
» un mot tout ce qui appartient à la grammaire
doit être connu. Dans un traité de
la peinture il n'eft point néceffaire de re-
» chercher la nature des diverfes couleurs ,
il faut les fuppofer déja broyées & arrangées
fur la palette : nous en ufons de
même dans le traité de l'art de la diction.
Auffi tout ce que nous y difons
peut également convenir à la Langue La-
» tine , Françoife ou Allemande , ou plus
» généralement à toutes les langues anciennes
& modernes.
Le peu d'étendue que nous donnons à
mos extraits ne nous permet pas de fuivre
DECEMBRE. 1754. 165
l'Auteur dans toutes les réflexions qui naiffent
fous fa plume ; nous nous contenterons
de citer quelques morceaux , qui feront
connoître le ftyle & la maniere dont
cet ouvrage eft exécuté .
n
"
En parlant de l'harmonie du difcours ,
l'Auteur compare une période à un air de
mufique. » Ne faut-il point dans une pe-
»riode diftribuer certains repos pour la
voix , exprimer un fentiment , n'introduire
aucune difparate entre les fons qui
doivent fe fuivre , faire annoncer les
» dénominations les unes par les autres ,
ne préfenter les plus grands effets qu'après
ceux qui doivent les préparer , enfin
répandre un accord & une unité d'expreffion
? &c. « Cette comparaifon ainfi
détaillée , eft neuve , & retrace au jufte la
plus grande partie des regles que l'écrivain
doit fe prefcrire. Dans le premier livre
l'Auteur parle des images , de la chaleur
qu'on doit leur donner , des termes
figurés , de la métaphore , de l'allégorie ,
de la périphrafe , des termes négatifs , des
épithetes , des adjectifs , comme auffi des
inverfions & des tours de phrafe , de
l'harmonie du difcours , & de la variété
dans le ftyle. Le fecond Livre , ainſi que
nous l'avons déja dit , traite de toutes les
différentes efpéces de ſtyle qui ont du ca- `
166 MERCURE DE FRANCE.
ractere. Le premier dont il eſt queſtion , eſt
le ftyle fimple. Voici comme l'Auteur entre
en matiere.
»
n
30
» Les anciens ont fait des éloges éton-
» nans du ftyle fimple , qu'ils appelloient
Attique : ils lui donnerent ce nom , par-
» ce que c'étoit le feul territoire d'Athènes
» qui le produifoit . Lorfque les Athéniens
»repréfentoient les Graces , ils les laif-
»foient toutes nûes , fans aucune forte de
» vêtement ; voilà le modele de leur fty-
» le .... Le ftyle fimple pourroit être appellé
le langage de la pure raifon . Rempli
de fentimens nobles & vrais , il ne
»fe permet ni les antithèfes froides & érudiées
, ni les comparaifons fauffes & déplacées
, ni l'enchantement puerile des
figures brillantes d'une fauffe Rhétorique
la peinture exacte des objets , la
» nobleffe & l'élégance de la diction , la
force du raifonnement , la beauté effentielle
du fujet ; voilà la diftinction en-
» tiere du langage que devroient parler les
"
93
"
"
39
hommes.
Cé ftyle fimple eft divifé par l'Auteur
en ftyle fublime & ftyle naïf ; chacun de
ces ftyles eft traité dans un chapitre en particulier.
Dans celui qui traite du ftyle fublime
, l'Auteur compare la maniere d'écrire
de Racine avec celle de Corneille. Après
DECEMBRE. 1754. 167
»
avoir cité plufieurs exemples de l'un & de
l'autre écrivain , M. Efteve dit : » voilà
» encore une peinture ( il eft queftion de
quelques vers de Racine ) , mais faite
dans un autre goût que celle de Cor-
» neille. Ce dernier eft un torrent qui ravage
tout , & précipite fa courfe , la for-
» ce de fon
éloquence l'entraîne fans ceffe
» malgré lui même , on diroit que les mots
» ne font que le fuivre de loin ; mais Ra-
» cine
développe fes couleurs , il les étend ,
» il colorie , il
répréfente au vrai tout ce
» qu'il peint , il fait par les feuls mots des
répréfentations plus
parfaites que ce
» qu'on croiroit pouvoir jamais attendre
de l'art de la diction.
33
» Rien n'eft au -deffus des
fentimens
» élevés que Corneille donne à fes héros :
c'eft la nature dans fa plus grande force
» & dans fa plus belle
fimplicité ; car je
» ne parle ici que des grands traits de gé-
" nie , qui lui affurent
l'admiration de tous
» les fiécles ; il eft vrai que la vive lumiere
» de fon
éloquence s'eft
quelquefois éclip-
» fée. Ces hommes qu'il fait parler & dont
» l'ame paroît dans certains
intervalles fi
grande , fi éclairée , & fi fublime , nẹ
» fe
foutiennent pas
toujours dans cette
région élevée &
lumineufe : on les ap-
» perçoit affez ſouvent
defcendre parmi le
"
168 MERCURE DE FRANCE.
»vulgaire ; alors ils ne font plus une fource
de vive lumiere qui éclaire tout ce
qui les approche , on diroit plutôt qu'ils
» ne fe conduifent que par une lueur foi-
» ble & empruntée.
Nous ne pouvons qu'annoncer les idées
de l'Auteur. Il parcourt tous les ftyles , il
en montre les beautés & les défauts. Le
ftyle ingénieux , le ftyle brillant , le ſtyle
fleuri , le ftyle qui peint , le ftyle qui ne
peint point , le ftyle oriental , le ftyle découfu
, tout eft traité par ordre & avec
précifion . Nous nous contenterons de citer
un des traits qui terminent l'ouvrage , &
dont le lecteur pourra faire aisément l'application.
» S'il y avoit une nation qui , peu capable
de raifonnemens fuivis , ne recherchât
jamais la jufteffe dans la fucceffion
des idées ; fi une feule phrafe bien tour-
» née fuffifoit à la capacité de cette na-
» tion , le ſtyle découfu y paroîtroit avan-
» tageufement. Un écrivain , pour con-
» tenter le lecteur , négligeroit le plan &
la fuite de l'ouvrage , pour ne s'occuper
* que du tour brillant d'une penfée. A
cette premiere penfée , il feroit fuccéder
» celle qui fe préfenteroit d'abord à fon
imagination , quoiqu'elle n'eût fouvent
aucun rapport avec celle qui doit la pré-
33
céder
DECEMBRE. 1754. 169
céder ; ce feroit là le grand art d'amufer
»des efprits frivoles. Car une imagination
légere préferera toujours l'éclat d'une
phrafe ifolée à un difcours fuivi , dont
toutes les parties font faites les unes pour
les autres , & qui par- tout également vif
» & preffant , ne montre pas mal à propos
des ombres qui fervent à relever une
fauffe lumiere.
HISTOIRE & commerce des Colonies
'Angloifes dans l'Amérique feptentrionale.
ALondres ; & fe trouve à Paris , chez Lebreton
, Defaint , Piffot , Lambert. 1754
in-12. 1 vol.
Il nous paroît qu'on n'a pas faifi jufqu'ici
la vraie maniere d'écrire l'hiftoire des colonies
: on n'a prefque parlé que des guerres
qui avoient été entreprifes pour s'y établir
, ou qu'on a été forcé de foutenir pour
s'y maintenir. Comme le but de ces établiſſemens
eft moins la gloire que l'utilité ,
il auroit fallu paffer rapidement fur les événemens
militaires , & s'arrêter à la fituation
, aux productions , aux moeurs , au
gouvernement , à tous les avantages qu'on
retire & qu'on pourroit retirer des pays
éloignés dont on parle. L'Auteur de l'hiftoire
des Colonies Angloifes a parfaitement
rempli l'idée que nous propofons. Il dit
11. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
tout ce que les négocians & les politiques
peuvent defirer de fçavoir fur le fujet qu'il
traite , & il le dit d'une maniere convenable
à la matiere qu'il traite. Nous connoillons
affez les fources où il a puifé ,
pour affurer quelles font très bonnes. Cet
Ecrivain , ou quelqu'autre auffi inftruir ,
devroit bien nous donner dans le même.
goûtd'hiftoire de nos lles fous le vent , les
plus belles colonies de l'univers , fans en
excepter le Pérou & le Mexique.
NOUVEAU Commentaire fur les ordonhances
des mois d'Août 1669 , & Mars
1673 , enſemble fur l'édit du mois de
Mars 1673 , touchant les épices. Par M.
***. Confeiller au Préfidial d'Orléans. A
Paris , chez Debure l'aîné , quai des Auguftins.
1754. in- 12. 1 vol. Ce livre fe
vend liv. 12 fols.
L'Ordonnance de 1669 traite des évocations
, des réglemens de Juges en matiere
civile & criminelle , des Committimus ,
des Lettres d'Etat & de répit. L'Ordonnance
de 1673 a pour objet le commerce.
Elle traite des apprentifs négocians & marchands
, des agens de banque , & courtiers
, des livres & registres des négocians
, marchands & banquiers , des faciétés
, des lettres & billets de change & proDECEMBRE.
1754. 175
melles d'en fournir , des intérêts de change
& de rechange , des contraintes par
corps , des féparations de biens , des défenfes
& lettres de répi , des ceffions de
biens , des faillies & banqueroutes , de la
jurifdiction des Confuls. Le même auteur
nous a donné il y a deux ans des commentaires
courts , clairs , & très- inftructifs fur
les ordonnances civiles & criminelles.
Ces quatre ordonnances feront toujours
regardées comme un des plus beaux monumens
du regne de Louis XIV. L'Europe entiere
en a fenti le prix , & en a retiré les plus
grands avantages. Il faut efpérer que l'étude
de nos loix ne tardera pas à nous paroître un
objet digne de nous occuper. Notre nation
a pouffé fi loin depuis vingt ans la théorie
& la pratique des finances , du commerce
, de la guerre , de la politique ,, de toutes
les connoiffances qui peuvent intéreffer
fa gloire , fon bonheur ou fon opulence
, qu'elle est devenue dans les chofes importantes
, comme elle l'a toujours été dans
lés agréables , un objet d'émulation pour
les peuples qui fe conduifent avec le plus
de circonfpection & de fagefle . On nous
reproche cependant encore avec raifon l'ignorance
de notre droit public & de notre
jurifprudence. Les fecours fürs & faciles
qu'on nous préfente , nous détermineront
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
fans doute à acquerir des lumieres qu'il
eft honteux & très- dangereux de ne pas
avoir.
Le bon Jardinier , Almanach pour l'année
1755 , contenant une idée générale
des quatre fortes de jardins , les regles pour
les cultiver , & la maniere d'élever les plus
belles fleurs. A Paris , chez Guillin , quai
des Auguftins , au Lys d'or. 1755 .
Cet Almanach qui n'étoit prefque l'an
dernier qu'un catalogue , eft devenu un
Quvrage plein de recherches & de détails
agréables fur la matiere qui y eft traitée.
On y trouvera de l'inftruction & de l'amufement.
LE College des Jéfuites de Toulouſe , où
les études font excellentes , a faifi l'occafion
de la diftribution des prix pour faire
représenter une paftorale héroïque à la
louange du Roi. Le P. Badon qui , à ce
qu'il nous paroît , eft chargé ordinairement
de ces actions d'éclat , & qui juftifie
le choix qu'on fait de lui , fait célébrer par
les bergers qu'il introduit fur la fcene , la
juftice des armes du Roi , fa douceur , fa
modération dans la victoire , fes conquêtes
, la journée de Fontenoy , la paix d'Aix-
12- Chapelle , la nobleffe accordée aux Of
DECEMBRE. 1754. 173
ficiers , l'établiſſement de l'Ecole Militaire
, &c. Les éloges de la Reine , de Monfeigneur
le Dauphin , de Madame la Dau
phine , de Mefdames fuivent naturelle
ment. La paftorale eft terminée par la joie
générale que la naiffance de Monfeigneur
le Duc de Berri a répandu parmi les François
, & par des voeux pour la gloire de
ce jeune Prince.
Fermer
Résumé : « TRAITÉ de la Diction, par M. Esteve, de la Société royale des Sciences de Montpellier [...] »
Le texte présente plusieurs ouvrages et sujets divers. Le 'Traité de la Diction' de M. Esteve, membre de la Société royale des Sciences de Montpellier, publié en 1755, explore les principes essentiels de la diction et les différents styles. Divisé en deux livres, le premier traite des éléments de la phrase et de la construction du discours, tandis que le second examine les diverses espèces de style, telles que le style simple, sublime et naïf. Esteve compare la diction à la musique, soulignant l'importance de l'harmonie et de la variété dans le discours. Il distingue également les styles de Racine et de Corneille, mettant en avant leurs approches différentes de l'éloquence. Le texte mentionne également d'autres publications, comme l''Histoire & commerce des Colonies Angloises dans l'Amérique septentrionale', qui se concentre sur les aspects utilitaires des colonies plutôt que sur les conflits militaires. Un 'Nouveau Commentaire' sur les ordonnances des mois d'août 1669 et mars 1673, ainsi que sur l'édit de mars 1673 concernant les épices, est également présenté. Cet ouvrage traite des réglements juridiques et commerciaux sous le règne de Louis XIV. Enfin, le texte évoque le 'Bon Jardinier', un almanach pour l'année 1755, qui offre des conseils sur la culture des jardins et l'élevage des fleurs. Il mentionne également une pastorale héroïque représentée par le Collège des Jésuites de Toulouse, célébrant les vertus et les conquêtes du roi.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
1063
p. 187-189
« L'Académie royale de Musique a donné le Dimanche premier Décembre, la [...] »
Début :
L'Académie royale de Musique a donné le Dimanche premier Décembre, la [...]
Mots clefs :
Comédiens-Français, Comédiens-Italiens, Académie royale de musique
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « L'Académie royale de Musique a donné le Dimanche premier Décembre, la [...] »
Académie royale de Mufique a donné
le Dimanche premier Décembre , la
derniere repréſentation des Fêtes de Thalie.
M. Vallée avoit débuté dans ce ballet , le
19 Novembre , par un air qu'on avoit
ajouté dans le troifiéme acte , & il a depuis
chanté dans le prologue . Le nouvel acteur
peut , avec beaucoup de travail & le fecours
des bons maîtres , devenir une jolie haute-
contre.
Le public commençoit à trouver un peu
lents les progrès de Mlle Davaux , dont la
figure , la voix & le talent avoient d'abord
donné de fi grandes efpérances. Cette actrice
a fait de fes cenfeurs autant de partifans
, le 19 Novembre . Elle a ce jour- là , &
les repréſentations fuivantes , fi bien chanté
& joué avec tant de fineffe & d'intelligence
le rolle de Califte dans le troifieme acte
des Fêtes de Thalie , qu'elle a réuni tous les
188 MERCURE DE FRANCE.
fuffrages. Nous efperons que Mlle Davaux
ne regardera pas ce fuccès comme une
preuve qu'elle ait atteint le point de perfection
qu'on defiroit d'elle , mais comme
une certitude qu'elle y arrivera , fi elle
continue à travailler opiniâtrément , & à
fe livrer avec docilité aux foins de l'excellent
maître qui la dirige.
LES Comédiens François ont repris le
Mercredi 20 Novembre , les Troyennes, Tragédie
de M. de Châteaubrun , mife pour
la premiere fois au théatre avec un fuccès
éclatant , le Lundi 11 Mars de cette année.
On ne l'a jouée que cinq fois à cette reprife.
Le Samedi 30 , jour de la derniere
repréſentation , il s'eft préfenté an fpectacle
trois fois plus de monde que la falle
n'en pouvoit contenir. Tout eft naturel
dans cette Tragédie ; il n'y a ni de ces coups
imprévus ni de ces fituations forcées qui
éblouiffent d'abord & qui révoltent enfuite.
La vérité , qui doit être l'effence de tout
poëme dramatique , eft peinte dans tous
les actes , avec une fimplicité noble & touchante
. On s'attendrit par dégrés. Les malheurs
dont la famille de Priam eft accablée,
fe fuccédent fans effort les uns aux autres ,
& les Spectateurs croyent être transportés
devant Troye brûlée & faccagée.
. DECEMBRE . 1754. 189
Nous avons remarqué une chofe qui
doit paroître extraordinaire , & qui prouve
que les acteurs de la Comédie Françoife
font tous leurs efforts pour varier les amufemens
du public . Ils ont repréfenté vingtfept
tragédies depuis le 22 Avril , jour de
l'ouverture du théatre , jufques & compris
le 2 Décembre ; fçavoir , le Cid , les Horaces
, Rodogune , & Polieucte , de Pierre
Corneille ; Andromaque , Britannicus
Bajazet , Mithridate , Phédre , & Athalie
de Racine ; Ariane , de Thomas Corneille ;
Fénelope , de l'Abbé Geneft ; Manlius , de
la Foffe ; Médée , de Longepierre ; Inès de
Caftro , de Lamotte ; Radamiſte & Zénobie
, de M. de Crébillon ; OEdipe , Herode
& Mariamne , Brutus , Zaïre , Ālzire , Mérope,
& Mahomet , de M. de Voltaire ; Guftave
, de M. Piron ; Didon , de M. Lefranc ;
les Troyennes , de M. de Châteaubrun ; &
Amalazonte , de M. le Marquis de Ximenès.
LES Comédiens Italiens continuent avec
un fuccès toujours foutenu , la Servante
maîtreffe. Cet ouvrage eft à fa quarantieme
repréſentation .
le Dimanche premier Décembre , la
derniere repréſentation des Fêtes de Thalie.
M. Vallée avoit débuté dans ce ballet , le
19 Novembre , par un air qu'on avoit
ajouté dans le troifiéme acte , & il a depuis
chanté dans le prologue . Le nouvel acteur
peut , avec beaucoup de travail & le fecours
des bons maîtres , devenir une jolie haute-
contre.
Le public commençoit à trouver un peu
lents les progrès de Mlle Davaux , dont la
figure , la voix & le talent avoient d'abord
donné de fi grandes efpérances. Cette actrice
a fait de fes cenfeurs autant de partifans
, le 19 Novembre . Elle a ce jour- là , &
les repréſentations fuivantes , fi bien chanté
& joué avec tant de fineffe & d'intelligence
le rolle de Califte dans le troifieme acte
des Fêtes de Thalie , qu'elle a réuni tous les
188 MERCURE DE FRANCE.
fuffrages. Nous efperons que Mlle Davaux
ne regardera pas ce fuccès comme une
preuve qu'elle ait atteint le point de perfection
qu'on defiroit d'elle , mais comme
une certitude qu'elle y arrivera , fi elle
continue à travailler opiniâtrément , & à
fe livrer avec docilité aux foins de l'excellent
maître qui la dirige.
LES Comédiens François ont repris le
Mercredi 20 Novembre , les Troyennes, Tragédie
de M. de Châteaubrun , mife pour
la premiere fois au théatre avec un fuccès
éclatant , le Lundi 11 Mars de cette année.
On ne l'a jouée que cinq fois à cette reprife.
Le Samedi 30 , jour de la derniere
repréſentation , il s'eft préfenté an fpectacle
trois fois plus de monde que la falle
n'en pouvoit contenir. Tout eft naturel
dans cette Tragédie ; il n'y a ni de ces coups
imprévus ni de ces fituations forcées qui
éblouiffent d'abord & qui révoltent enfuite.
La vérité , qui doit être l'effence de tout
poëme dramatique , eft peinte dans tous
les actes , avec une fimplicité noble & touchante
. On s'attendrit par dégrés. Les malheurs
dont la famille de Priam eft accablée,
fe fuccédent fans effort les uns aux autres ,
& les Spectateurs croyent être transportés
devant Troye brûlée & faccagée.
. DECEMBRE . 1754. 189
Nous avons remarqué une chofe qui
doit paroître extraordinaire , & qui prouve
que les acteurs de la Comédie Françoife
font tous leurs efforts pour varier les amufemens
du public . Ils ont repréfenté vingtfept
tragédies depuis le 22 Avril , jour de
l'ouverture du théatre , jufques & compris
le 2 Décembre ; fçavoir , le Cid , les Horaces
, Rodogune , & Polieucte , de Pierre
Corneille ; Andromaque , Britannicus
Bajazet , Mithridate , Phédre , & Athalie
de Racine ; Ariane , de Thomas Corneille ;
Fénelope , de l'Abbé Geneft ; Manlius , de
la Foffe ; Médée , de Longepierre ; Inès de
Caftro , de Lamotte ; Radamiſte & Zénobie
, de M. de Crébillon ; OEdipe , Herode
& Mariamne , Brutus , Zaïre , Ālzire , Mérope,
& Mahomet , de M. de Voltaire ; Guftave
, de M. Piron ; Didon , de M. Lefranc ;
les Troyennes , de M. de Châteaubrun ; &
Amalazonte , de M. le Marquis de Ximenès.
LES Comédiens Italiens continuent avec
un fuccès toujours foutenu , la Servante
maîtreffe. Cet ouvrage eft à fa quarantieme
repréſentation .
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Résumé : « L'Académie royale de Musique a donné le Dimanche premier Décembre, la [...] »
L'Académie royale de Musique a présenté la dernière représentation des 'Fêtes de Thalie' le 1er décembre. M. Vallée, débutant le 19 novembre, a montré un potentiel prometteur en tant que haute-contre. Mlle Davaux, après des progrès jugés lents, a gagné des partisans en interprétant le rôle de Calife avec finesse et intelligence. Les Comédiens Français ont repris 'Les Troyennes' de M. de Châteaubrun le 20 novembre, après un succès initial le 11 mars. La dernière représentation, le 30 novembre, a attiré trois fois plus de monde que la salle ne pouvait en contenir. La tragédie se distingue par sa naturalité et sa simplicité touchante, transportant les spectateurs devant Troie en flammes. Depuis l'ouverture du théâtre le 22 avril, les Comédiens Français ont représenté vingt-sept tragédies différentes. Les Comédiens Italiens continuent de présenter 'La Servante maîtresse' avec succès, à sa quarantième représentation.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1064
p. 190-191
SPECTACLES DE FONTAINEBLEAU; pendant le sejour de leurs Majestés en 1754.
Début :
Le goût, la magnificience & le zèle se sont réunis cette année pour rendre [...]
Mots clefs :
Spectacles, Fontainebleau
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texteReconnaissance textuelle : SPECTACLES DE FONTAINEBLEAU; pendant le sejour de leurs Majestés en 1754.
SPECTACLES DE FONTAINEBLEAU ;
pendant lefejour de leurs Majeftés en 1754.
L
Egoût , la magnificence & le zéle ſe
font réunis cette année pour rendre
les différens fpectacles qu'on a donnés à
Fontainebleau , auffi agréables à la Cour
qu'honorables pour les lettres , les talens
& les arts. Les fuccès qu'ils ont mérité ,
ont déja éclaté aux yeux du public ; il doit
être avide d'en connoître les détails , nous
nous hâtons de le fatisfaire.
Le 8 Octobre , les Comédiens François
repréſenterent le Curieux impertinent , Comédie
en vers de M. Deftouches , qui fut
fuivie de l'Etourderie , Comédie en profe
de M. Fagan.
Le 9 , les Comédiens Italiens repréſenterent
le Joueur , Comédie italienne en
trois actes.
Le 10 , le Duc de Foix , Tragédie de M.
de Voltaire , de l'Académie Françoiſe ; & le
Rendez-vous , petite piece de M. Fagan ,
furent repréſentés par les acteurs de la Comédie
Françoiſe.
Ce ne fut que le Samedi 12 que l'Opéra
commença fes premieres repréfentations
. Le théatre de Fontainebleau n'a été
1
DECEMBRE. 1754. 191
fait
que pour y jouer la Comédie , & l'efpace
qu'il occupe eft refferré par de gros
murs , dont l'extérieur tient à la décoration
générale du Château : mais les recherches
& les efforts de l'art ont furmonté les obf
tacles qui naiffoient de la petiteffe forcée
du local ; & le théatre , tout refferré qu'il
eſt , a été mis en état de fournir au jeu des
différentes machines que l'exécution de
l'Opéra François exige.
L'ouverture de ce fpectacle fut faite par
uhe premiererepréſentation de la Naiſſance
d'Ofiris , ballet allégorique nouveau , en
un acte ; de l'acte des Incas , un de ceux
des Indesgalantes , & de Pigmalion.
Ces deux derniers ouvrages font déja
fort connus & dans une poffeffion conftante
de plaire : il fuffit de dire à leur
égard qu'ils furent parfaitement rendus
par M. de Chaffé , qui étoit chargé du
rolle de l'Inca ; par Mlle Chevalier , qui
repréfentoit celui de Phanny ; & par M.
Jeliote , qui jouoit le rolle de Pigmalion .
Mais nous croyons devoir entrer dans
le détail du premier , dont M. de Cahufac
, de l'Académie royale des Sciences &
Belles Lettres de Pruffe , & M. Rameau
font les auteurs .
pendant lefejour de leurs Majeftés en 1754.
L
Egoût , la magnificence & le zéle ſe
font réunis cette année pour rendre
les différens fpectacles qu'on a donnés à
Fontainebleau , auffi agréables à la Cour
qu'honorables pour les lettres , les talens
& les arts. Les fuccès qu'ils ont mérité ,
ont déja éclaté aux yeux du public ; il doit
être avide d'en connoître les détails , nous
nous hâtons de le fatisfaire.
Le 8 Octobre , les Comédiens François
repréſenterent le Curieux impertinent , Comédie
en vers de M. Deftouches , qui fut
fuivie de l'Etourderie , Comédie en profe
de M. Fagan.
Le 9 , les Comédiens Italiens repréſenterent
le Joueur , Comédie italienne en
trois actes.
Le 10 , le Duc de Foix , Tragédie de M.
de Voltaire , de l'Académie Françoiſe ; & le
Rendez-vous , petite piece de M. Fagan ,
furent repréſentés par les acteurs de la Comédie
Françoiſe.
Ce ne fut que le Samedi 12 que l'Opéra
commença fes premieres repréfentations
. Le théatre de Fontainebleau n'a été
1
DECEMBRE. 1754. 191
fait
que pour y jouer la Comédie , & l'efpace
qu'il occupe eft refferré par de gros
murs , dont l'extérieur tient à la décoration
générale du Château : mais les recherches
& les efforts de l'art ont furmonté les obf
tacles qui naiffoient de la petiteffe forcée
du local ; & le théatre , tout refferré qu'il
eſt , a été mis en état de fournir au jeu des
différentes machines que l'exécution de
l'Opéra François exige.
L'ouverture de ce fpectacle fut faite par
uhe premiererepréſentation de la Naiſſance
d'Ofiris , ballet allégorique nouveau , en
un acte ; de l'acte des Incas , un de ceux
des Indesgalantes , & de Pigmalion.
Ces deux derniers ouvrages font déja
fort connus & dans une poffeffion conftante
de plaire : il fuffit de dire à leur
égard qu'ils furent parfaitement rendus
par M. de Chaffé , qui étoit chargé du
rolle de l'Inca ; par Mlle Chevalier , qui
repréfentoit celui de Phanny ; & par M.
Jeliote , qui jouoit le rolle de Pigmalion .
Mais nous croyons devoir entrer dans
le détail du premier , dont M. de Cahufac
, de l'Académie royale des Sciences &
Belles Lettres de Pruffe , & M. Rameau
font les auteurs .
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Résumé : SPECTACLES DE FONTAINEBLEAU; pendant le sejour de leurs Majestés en 1754.
En 1754, les spectacles de Fontainebleau ont combiné goût, magnificence et zèle pour offrir des divertissements agréables à la cour et honorables pour les lettres, les talents et les arts. Les succès obtenus ont suscité l'intérêt du public, avide de connaître les détails. Le 8 octobre, les Comédiens Français ont joué 'Le Curieux impertinent' de Destouches et 'L'Étourderie' de Fagan. Le 9 octobre, les Comédiens Italiens ont représenté 'Le Joueur'. Le 10 octobre, les acteurs de la Comédie Française ont interprété 'Le Duc de Foix' de Voltaire et 'Le Rendez-vous' de Fagan. L'Opéra a commencé ses représentations le 12 octobre. Le théâtre de Fontainebleau, initialement conçu pour la comédie, a été adapté pour accueillir les machines nécessaires à l'Opéra Français. La première représentation a inclus 'La Naissance d'Osiris', un ballet allégorique nouveau, ainsi que des extraits des 'Incas', des 'Indes galantes' et de 'Pigmalion'. Ces derniers ouvrages, déjà connus et appréciés, ont été parfaitement interprétés par Chassé, Mlle Chevalier et Jéliote. Le ballet 'La Naissance d'Osiris' a été créé par Cahusac et Rameau.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1065
p. 192-196
Extrait de la Naissance d'Osiris, ou la Fête Pamilie.
Début :
La naissance de Monseigneur le Duc de Berry, les différens spectacles qu'on préparoit [...]
Mots clefs :
Naissance du Duc de Berry, Bergers, Amour, Ciel
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texteReconnaissance textuelle : Extrait de la Naissance d'Osiris, ou la Fête Pamilie.
Extrait de la Naiffance d'Ofiris , on la Fête
Pamilie.
La naiffance de Monfeigneur le Duc de
Berry , les différens fpectacles qu'on préparoit
pour leurs Majeftés , les cris de joie
d'un peuple heureux du bonheur de fes
maîtres , voilà ce que l'auteur de ce ballet
nouveau paroît s'être propofé de peindre
par une allégorie . On n'a point la reffource
des louanges directes auprès d'un
Roi auffi modefte que bienfaifant .
Une femme de Thebes , nommée Pamilie
, en fortant du temple de Jupiter , entendit
une voix qui lui annonçoit la naiffance
d'un héros qui devoit faire un jour
la félicité de l'Egypte . C'étoit Ofiris , qu'elle
éleva , & qui fut dans les fuites un des
plus illuftres bienfacteurs de l'humanité.
Pour conferver la mémoire de cet événement
, les Egyptiens inftituerent la Fête
Pamilie , dans laquelle on avoit le foin de
leretracer , & c'eft fur cette ancienne fable
que M. de Cahufac a bâti la fienne.
Le théatre repréfente le devant du temple
de Jupiter. Une troupe de bergers célebre
par leurs danfes & leurs chants la paix
dont ils jouiffent. Pour être parfaitement
heureux , il ne leur manque qu'un feul
bien : mais , difent-ils ,
Chaque
DECEMBRE.
1754. 193
Chaque inftant vole & nous l'amene.
C'est dans ce premier
divertiffement
que Mlle Fel , qui repréfentoit le rolle de
Pamilie , chantoit cette Ariette , dont le
chant fimple exprime d'une maniere ſi
neuve la naïveté des paroles.
Non , non , une flamme volage
Ne peut me ravir mon berger ;
Ce n'eft point un goût paffager
Qui nous enchaîne & nous engage ,
Qui pourroit l'aimer davantage ?
Que gagneroit-il à changer ?
Tout-à - coup un bruit éclatant de tonherre
trouble la fète . Les bergers s'écrient.
du ton dont M. Rameau fçait peindre les
grands mouvemens.
Jupiter s'arme de la foudre ;
Son char brulant s'élance & roule dans les airs:
Quels coups redoublés ! quels éclairs !
O Dieux ! le feu du ciel va nous réduire en poudre
Pendant ce choeur , la danfe ( qu'il ne doit
pas être permis à M. de Cahufac de laiſſer
oifive ou inutile dans fes ballets ) , formoit
des tableaux rapides d'effroi , qui donnoient
une force nouvelle à cette fituation .
Cependant les bergers effrayés & prêts
à partir , font retenus par le Grand Prêtre
du Dieu dont ils redoutoient la colere.
Raffurés par fa préfence & par fes difcours ,
une nouvelle harmonie les frappe & les ar-
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
rête. Ce font des éclats de tonnerre mêlés
de traits de fymphonie les plus mélodieux.
Le ciel s'ouvre ; Jupiter paroît dans tout
l'éclat de fa gloire , ayant à fes pieds les
graces & l'amour , & il dit :
Qu'il eft doux de regner dans une paix profonde !
Que le fort aux mortels prépare de beaux jours !
Rien ne peut plus troubler le ciel , la terre &
l'onde ,
L'amour qui me feconde ,
De leur félicité vient d'affûrer le cours.
Il eſt né , ce héros que vos voeux me demandent
&c.
Les bergers lui répondent par un choeur
d'allégreffe ; les Prêtres lui rendent hommage
par leurs danfes , & Pamilie & fon
berger lui adreffent les vers fuivans.
Enfemble.
Paroiffez , doux tranfports , éclatez en ce jour
Aux regards d'un Dieu qui nous aime.
Pamilie.
L'éclat de la grandeur fuprême
Le flate moins que notre amour.
Enfemble.
Il bannit loin de nous la difcorde & la guerre
Offrons lui tous les jeux que raflemble la paix.
Pamilie.
Qu'il jouiffe de ſes bienfaits ,
En voyant le bonheur qu'il répand fur la terre?
DECEMBRE . 1754 195
Jupiter alors s'exprime ainfi :
Mortels , le foin de ma grandeur
Au féjour des Dieux me rappelle ;
Mais la terre eft l'objet le plus cher à mon coeur :
Je lui laiffe l'Amour. Il en fait le bonheur ;
Que fans ceffe il régne fur elle.
Au moment qu'il remonte dans les cieux ,
l'Amour & les Graces defcendent fur la
terre. Les Bergers les environnent ; mais
l'Amour qui veut lancer fes fléches fur eux ,
les effraye. Une jeune Bergere affronte le
danger , & lui réfifte : il la pourfuit ; il eſt
fur le point de l'atteindre , lorfqu'elle a l'adreffe
de lui ravir la flèche dont il vouloit
la bleffer. Déja la Bergere triomphe ; mais
l'Amour faifit un nouveau trait. Ils levent
tous deux le bras , & font prêts à fe frapper
, lorfque Pamilie les fépare , en difant :
Régne , Amour , fans nous alarmer ;
Quitte tes armes : tout foupire .
Tu n'as befoin pour nous charmer ,
Que de folâtrer & de rire , & c.
Ce premier tableau de danfe , exécuté
par Mile Puvigné , repréfentant la Bergere,
& Mlle Catinon , repréfentant l'Amour ,
ne pouvoit pas manquer de produire un
effet agréable , & il en amenoit naturellement
un fecond , qui termine fort heureufement
cette fête .
L'Amour fe laiffe défarmer : les Graces
Lij
196 MERCURE DE FRANCE.
lui préfentent des guirlandes de fleurs . Il
leur ordonne d'en faire des chaînes pour
les Bergers , & il en prend une qu'il offre à
la jeune Bergere : elle la reçoit avec ingé,
nuité , & dans le moment que l'Amour y
fongé le moins , elle en forme une chaîne
pour lui-même. Tous les Bergers alors les
entourent & les reconduifent , comme en
triomphe , hors du théâtre.
Tel eft ce ballet allégorique , dont la
fimplicité de l'action , l'analogie du fait antique
avec les circonftances du moment ,
le choix des perfonnages , concourent pour
en rendre la compofition heureufe , & l'application
facile.
Pamilie.
La naiffance de Monfeigneur le Duc de
Berry , les différens fpectacles qu'on préparoit
pour leurs Majeftés , les cris de joie
d'un peuple heureux du bonheur de fes
maîtres , voilà ce que l'auteur de ce ballet
nouveau paroît s'être propofé de peindre
par une allégorie . On n'a point la reffource
des louanges directes auprès d'un
Roi auffi modefte que bienfaifant .
Une femme de Thebes , nommée Pamilie
, en fortant du temple de Jupiter , entendit
une voix qui lui annonçoit la naiffance
d'un héros qui devoit faire un jour
la félicité de l'Egypte . C'étoit Ofiris , qu'elle
éleva , & qui fut dans les fuites un des
plus illuftres bienfacteurs de l'humanité.
Pour conferver la mémoire de cet événement
, les Egyptiens inftituerent la Fête
Pamilie , dans laquelle on avoit le foin de
leretracer , & c'eft fur cette ancienne fable
que M. de Cahufac a bâti la fienne.
Le théatre repréfente le devant du temple
de Jupiter. Une troupe de bergers célebre
par leurs danfes & leurs chants la paix
dont ils jouiffent. Pour être parfaitement
heureux , il ne leur manque qu'un feul
bien : mais , difent-ils ,
Chaque
DECEMBRE.
1754. 193
Chaque inftant vole & nous l'amene.
C'est dans ce premier
divertiffement
que Mlle Fel , qui repréfentoit le rolle de
Pamilie , chantoit cette Ariette , dont le
chant fimple exprime d'une maniere ſi
neuve la naïveté des paroles.
Non , non , une flamme volage
Ne peut me ravir mon berger ;
Ce n'eft point un goût paffager
Qui nous enchaîne & nous engage ,
Qui pourroit l'aimer davantage ?
Que gagneroit-il à changer ?
Tout-à - coup un bruit éclatant de tonherre
trouble la fète . Les bergers s'écrient.
du ton dont M. Rameau fçait peindre les
grands mouvemens.
Jupiter s'arme de la foudre ;
Son char brulant s'élance & roule dans les airs:
Quels coups redoublés ! quels éclairs !
O Dieux ! le feu du ciel va nous réduire en poudre
Pendant ce choeur , la danfe ( qu'il ne doit
pas être permis à M. de Cahufac de laiſſer
oifive ou inutile dans fes ballets ) , formoit
des tableaux rapides d'effroi , qui donnoient
une force nouvelle à cette fituation .
Cependant les bergers effrayés & prêts
à partir , font retenus par le Grand Prêtre
du Dieu dont ils redoutoient la colere.
Raffurés par fa préfence & par fes difcours ,
une nouvelle harmonie les frappe & les ar-
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
rête. Ce font des éclats de tonnerre mêlés
de traits de fymphonie les plus mélodieux.
Le ciel s'ouvre ; Jupiter paroît dans tout
l'éclat de fa gloire , ayant à fes pieds les
graces & l'amour , & il dit :
Qu'il eft doux de regner dans une paix profonde !
Que le fort aux mortels prépare de beaux jours !
Rien ne peut plus troubler le ciel , la terre &
l'onde ,
L'amour qui me feconde ,
De leur félicité vient d'affûrer le cours.
Il eſt né , ce héros que vos voeux me demandent
&c.
Les bergers lui répondent par un choeur
d'allégreffe ; les Prêtres lui rendent hommage
par leurs danfes , & Pamilie & fon
berger lui adreffent les vers fuivans.
Enfemble.
Paroiffez , doux tranfports , éclatez en ce jour
Aux regards d'un Dieu qui nous aime.
Pamilie.
L'éclat de la grandeur fuprême
Le flate moins que notre amour.
Enfemble.
Il bannit loin de nous la difcorde & la guerre
Offrons lui tous les jeux que raflemble la paix.
Pamilie.
Qu'il jouiffe de ſes bienfaits ,
En voyant le bonheur qu'il répand fur la terre?
DECEMBRE . 1754 195
Jupiter alors s'exprime ainfi :
Mortels , le foin de ma grandeur
Au féjour des Dieux me rappelle ;
Mais la terre eft l'objet le plus cher à mon coeur :
Je lui laiffe l'Amour. Il en fait le bonheur ;
Que fans ceffe il régne fur elle.
Au moment qu'il remonte dans les cieux ,
l'Amour & les Graces defcendent fur la
terre. Les Bergers les environnent ; mais
l'Amour qui veut lancer fes fléches fur eux ,
les effraye. Une jeune Bergere affronte le
danger , & lui réfifte : il la pourfuit ; il eſt
fur le point de l'atteindre , lorfqu'elle a l'adreffe
de lui ravir la flèche dont il vouloit
la bleffer. Déja la Bergere triomphe ; mais
l'Amour faifit un nouveau trait. Ils levent
tous deux le bras , & font prêts à fe frapper
, lorfque Pamilie les fépare , en difant :
Régne , Amour , fans nous alarmer ;
Quitte tes armes : tout foupire .
Tu n'as befoin pour nous charmer ,
Que de folâtrer & de rire , & c.
Ce premier tableau de danfe , exécuté
par Mile Puvigné , repréfentant la Bergere,
& Mlle Catinon , repréfentant l'Amour ,
ne pouvoit pas manquer de produire un
effet agréable , & il en amenoit naturellement
un fecond , qui termine fort heureufement
cette fête .
L'Amour fe laiffe défarmer : les Graces
Lij
196 MERCURE DE FRANCE.
lui préfentent des guirlandes de fleurs . Il
leur ordonne d'en faire des chaînes pour
les Bergers , & il en prend une qu'il offre à
la jeune Bergere : elle la reçoit avec ingé,
nuité , & dans le moment que l'Amour y
fongé le moins , elle en forme une chaîne
pour lui-même. Tous les Bergers alors les
entourent & les reconduifent , comme en
triomphe , hors du théâtre.
Tel eft ce ballet allégorique , dont la
fimplicité de l'action , l'analogie du fait antique
avec les circonftances du moment ,
le choix des perfonnages , concourent pour
en rendre la compofition heureufe , & l'application
facile.
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Résumé : Extrait de la Naissance d'Osiris, ou la Fête Pamilie.
Le texte présente un ballet intitulé 'La Naissance d'Ofiris, ou la Fête Pamilie', qui commémore la naissance du Duc de Berry. L'auteur utilise une allégorie pour éviter les louanges directes au roi. L'intrigue s'inspire d'une légende égyptienne où Pamilie, une femme de Thèbes, apprend la naissance d'Ofiris, un héros destiné à apporter la félicité à l'Égypte. Les Égyptiens instituèrent la Fête Pamilie pour célébrer cet événement. Le ballet se déroule devant le temple de Jupiter. Une troupe de bergers célèbre la paix, mais attend un bien supplémentaire. Mlle Fel, interprétant Pamilie, chante une ariette exprimant la naïveté et la sincérité de l'amour. Un bruit de tonnerre interrompt la fête, et Jupiter apparaît, annonçant la naissance du héros et la paix durable. Les bergers et les prêtres rendent hommage à Jupiter, qui laisse l'Amour régner sur terre. L'Amour et les Grâces descendent sur terre, et une bergère affronte l'Amour, qui finit par se désarmer. Le ballet se termine par une danse où l'Amour et la bergère sont triomphalement reconduits hors du théâtre. La simplicité de l'action et l'analogie avec les circonstances contemporaines rendent la composition du ballet heureuse et son application facile.
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1066
p. 196-197
« Le 14 du même mois d'Octobre, les Comédiens François représenterent le [...] »
Début :
Le 14 du même mois d'Octobre, les Comédiens François représenterent le [...]
Mots clefs :
Comédiens-Français, Comédiens-Italiens
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Le 14 du même mois d'Octobre, les Comédiens François représenterent le [...] »
Le 14 du même mois d'Octobre , les
Comédiens François repréfenterent le
Muet , de Brueys , avec Crifpin Medecin ,
de Hauteroche.
L'Opera donna le 15 une feconde repréfentation
de la Naiſſance d'Ofiris , de
' Acte des Incas , & de Pigmalion.
Le 16 Herode & Mariamne , tragédie
de M. de Voltaire , & le Legs , petite comé
die de M. de Marivaux , un des quarante
de l'Académie Françoife , furent repréfentées
par les Comédiens François.
Le Vendredi 18 , on repréfenta Thefee,
célébre Opéra de Quinault & de Lulli
avec la plus grande magnificence , & avec
DECEMBRE . 1754. 197
toute la dignité dont cet excellent ouvrage
eft fufceptible . On avoit pris le foin de
l'embellir encore par quelques morceaux
de chant , & plufieurs fymphonies du choix
de MM. Rebel & Francoeur , dont le public
a fi fouvent applaudi le goût , l'intelligence
, & les talens. Les principaux rolles
en furent remplis avec tout le pathétique
, la nobleffe , & l'énergie qu'on eft en
droit d'attendre des talens fupérieurs ; fçavoir
, Médée , par Mlle Chevalier ; Eglé ,
par Mlle Fel ; Théfee , par M. Jeliote ;
Egée , par M. de Chaffé.
Le Lundi fuivant 21 , on exécuta le même
fpectacle avec autant de zéle & de
fuccès.
Le 23 l'Opéra repréfenta Anacréon ,
ballet héroïque nouveau en un acte , précédé
du Mari garçon , Comédie de M. de
Boiffy , de l'Académie Françoife , qui fut
repréfentée par les Comédiens Italiens.
Comédiens François repréfenterent le
Muet , de Brueys , avec Crifpin Medecin ,
de Hauteroche.
L'Opera donna le 15 une feconde repréfentation
de la Naiſſance d'Ofiris , de
' Acte des Incas , & de Pigmalion.
Le 16 Herode & Mariamne , tragédie
de M. de Voltaire , & le Legs , petite comé
die de M. de Marivaux , un des quarante
de l'Académie Françoife , furent repréfentées
par les Comédiens François.
Le Vendredi 18 , on repréfenta Thefee,
célébre Opéra de Quinault & de Lulli
avec la plus grande magnificence , & avec
DECEMBRE . 1754. 197
toute la dignité dont cet excellent ouvrage
eft fufceptible . On avoit pris le foin de
l'embellir encore par quelques morceaux
de chant , & plufieurs fymphonies du choix
de MM. Rebel & Francoeur , dont le public
a fi fouvent applaudi le goût , l'intelligence
, & les talens. Les principaux rolles
en furent remplis avec tout le pathétique
, la nobleffe , & l'énergie qu'on eft en
droit d'attendre des talens fupérieurs ; fçavoir
, Médée , par Mlle Chevalier ; Eglé ,
par Mlle Fel ; Théfee , par M. Jeliote ;
Egée , par M. de Chaffé.
Le Lundi fuivant 21 , on exécuta le même
fpectacle avec autant de zéle & de
fuccès.
Le 23 l'Opéra repréfenta Anacréon ,
ballet héroïque nouveau en un acte , précédé
du Mari garçon , Comédie de M. de
Boiffy , de l'Académie Françoife , qui fut
repréfentée par les Comédiens Italiens.
Fermer
Résumé : « Le 14 du même mois d'Octobre, les Comédiens François représenterent le [...] »
Du 14 au 23 octobre, une série de représentations théâtrales et musicales ont été organisées. Le 14 octobre, les Comédiens Français ont joué 'Le Muet' de Brueys et 'Crispin Médecin' de Hauteroche. Le 15 octobre, l'Opéra a présenté 'La Naissance d'Osiris', 'Acte des Incas' et 'Pigmalion'. Le 16 octobre, les Comédiens Français ont interprété 'Hérode et Mariamne' de Voltaire et 'Le Legs' de Marivaux, membre de l'Académie Française. Le 18 octobre, l'Opéra a donné une représentation somptueuse de 'Théée', œuvre de Quinault et Lully, enrichie de morceaux de chant et de symphonies de Rebel et Francoeur. Les rôles principaux ont été interprétés par Mlle Chevalier, Mlle Fel, M. Jéliote et M. de Chassé. Le 21 octobre, cette représentation a été répétée avec succès. Le 23 octobre, l'Opéra a présenté 'Anacréon', ballet héroïque en un acte, précédé de 'Le Mari garçon', comédie de Boissy, interprétée par les Comédiens Italiens.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1067
p. 211-215
« Le lendemain 30 Octobre, la Comédie Françoise représenta Cinna, de P. Corneille [...] »
Début :
Le lendemain 30 Octobre, la Comédie Françoise représenta Cinna, de P. Corneille [...]
Mots clefs :
Comédie-Française, Opéra
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texteReconnaissance textuelle : « Le lendemain 30 Octobre, la Comédie Françoise représenta Cinna, de P. Corneille [...] »
Le lendemain 30 Octobre , la Comédie
Françoife repréfenta Cinna , de P. Corneille
; & le Fat puni , petite piece , en un acte
& en profe de M ****
Les Fêtes de la Touffaint
fufpendirent
pour peu de jours le cours de tous ces brillans
fpectacles . On le reprit le 4 Novembre
, par une feconde
repréſentation d'Alcimadure
, dans laquelle on chanta deux
fois le duo du dernier acte , ainfi que la
Cour avoit paru le defirer .
Le 7 , c'est- à-dire après deux jours d'intervalle
feulement , on repréſenta Alcefte
ou le Triomphe d'Alcide , un des plus beaux
Opéra de Quinault & de Lulli.
du
Cet ouvrage a un mérite qui lui eft
propre
, & qui lui avoit toujours été contraire.
On ne l'avoit gueres envisagé que
côté du tendre intérêt dont il eft rempli ,
fans s'appercevoir que Quinault avoit en
le deffein d'en faire un chef- d'oeuvre de
grand fpectacle. Ainfi , foit défaut de goût ,
foit économie mal raiſonnée , les différens
212 MERCURE DE FRANCE.
objets que ce bel Opéra raffemble n'avoient
point encore été foignés avec l'habileté
qu'ils exigent , on en avoit toujours
négligé certaines parties ; celles qui dans
l'exécution avoient paru trop difficiles
avoient été mutilées ; quelques autres qui
demandent de la dépenſe , avoient été fupprimées
; d'autres enfin , telles que le Siége
de Scyros , n'avoient été rendues que
d'une maniere ou peu noble ou ridicule .
Les fautes paffées ont été réparées cette
année , & ce bel Opéra a été enfin exécuté
, comme Quinault auroit mérité de le
voir & de l'entendre.
L'orage fufcité par Thétis & calmé par Eole
, traité en grand ; le fiége de Scyros formé
de plufieurs belles manoeuvres de guerre
des anciens , conduit avec art, exécuté avec
chaleur ; les fleuves des enfers & la barque
à Caron préfentés fous des couleurs impofantes
, qui ennobliffoient par un chef.
d'oeuvre de l'art cette fituation hazardée ;
le paffage rapide du rivage fombre au palais
éclatant de Pluton ; les rideaux du fond
prolongeant toujours les perfpectives ; une
derniere décoration de génie , les ballets
animés de tout ce que la danfe peut fournir
de plus pittorefque & de plus brillant ,
la magnificence & la variété des habits ,
le jeu exact des machines , l'accord furDECEMBRE.
1754 213
prenant d'une foule d'exécutans en fousordre
, l'expreffion , les talens marqués &
le feu des premiers acteurs , tout s'eft réuni
pour faire d'Alcefte le fpectacle le mieux
ordonné & le plus étonnant qui eût encore
paru fur les théatres de la nation .
Mile Chevalier & Mile Fel repréſentoient
les rolles d'Alcefte & de Céphife.
Mr de Chaffé , celui d'Alcide ; & Mr Jéliote
, celui d'Admete .
Le lendemain de cette repréſentation
brillante , les Comédiens François donnerent
le Complaifant , Comédie en cinq actes
en profe , du même auteur que celle du
Fat puni ; & l'Impromptu de campagne , de
Poiffon.
Le 9 , l'Opéra repréfenta une feconde
fois Alcefte , avec cet enſemble admirable
dont on avoit été frappé à la premiere repréfentation
; auffi le fuccès fut- il égal . Ik
auroit été plus grand , s'il avoit
tre.
pu croî
On préparoit cependant l'Opéra de Thétis
, qui avoit été demandé quelques jours
auparavant. Rien n'eft impoffible au vrai
zéle ; car après que le 12 , la Comédie
Françoiſe eut repréfenté Amalazonte , Tra→
gédie de M. le Marquis de Ximenès , & le
Préjugé vaincu , petite Comédie de Mr
de Marivaux , on prit deux jours pour l'ar
214 MERCURE DE FRANCE.
rangement du théatre ; & le 14 Thétis &
Pélée , Opéra de M. de Fontenelle & de
Colaffe , fut repréſenté avec tout fon fpectacle
, comme ſi on avoit eu beaucoup
de tems pour le préparer . La fcene du fecond
acte dans laquelle le tonnerre , s'il
eft permis de s'exprimer ainfi , joue un fi
beau rolle , n'a jamais peut- être été rendue
avec tant de feu , de précifion & de
tendreffe , qu'elle le fut par Mlle Chevalier
& Mr Jéliore. Les principaux rolles
de cet Opéra furent exécutés ; fçavoir ,
Thétis par Mlle Chevalier , Doris par
Mlle Fel , Jupiter par Mr Gelin , Neptune
par Mr de Chaffé , & Pélée par Mr
Jéliote .
Le is , la Comédie Françoife repréfenta
les Debors trompeurs , Comédie en vers ,
en cinqactes , de Mr de Boiffy ; & le Mariage
fait & rompu , Comédie en vers , en
trois actes , de Dufrefni ; & le 16 l'Opéra
fit la clôture du théatre par une feconde
repréſentation de Thétis & Pélée , dont
l'exécution fut auffi agréable que la premiere
.
..MM. Slodtz , de l'Académie royale de
Peinture & de Sculpture , Décorateurs des
théatres de S. M , ont été les Décorateurs
de tous ces fpectacles.
Mr. Arnoult Machiniſte du Roi , a
7
DECEMBRE.
1754. 215
conftruit & fait jouer les belles machines
qu'on y a vûes.
Mr de Laval , Compofiteur des ballets
de S. M , a fait les ballets des cinq premiers
Opéras ; & Mr de Laval fon fils eft
entré pour moitié dans la compofition de
ceux de Thétis .
MM . Rebel & Francoeur , Surintendans
de la Mufique du Roi , qui ont fait le
choix des differens morceaux de chant ou
de fymphonies dont on a embelli les ouvrages
anciens , étoient chargés de l'exécution.
Tous ces différens fpectacles ont été ordonnés
par M. le Duc d'Aumont , premier
Gentilhomme de la Chambre de S. M , en
exercice ; & conduits par les foins de M.
Blondel de Gagny , Intendant des menus
plaifirs du Roi , en exercice .
Françoife repréfenta Cinna , de P. Corneille
; & le Fat puni , petite piece , en un acte
& en profe de M ****
Les Fêtes de la Touffaint
fufpendirent
pour peu de jours le cours de tous ces brillans
fpectacles . On le reprit le 4 Novembre
, par une feconde
repréſentation d'Alcimadure
, dans laquelle on chanta deux
fois le duo du dernier acte , ainfi que la
Cour avoit paru le defirer .
Le 7 , c'est- à-dire après deux jours d'intervalle
feulement , on repréſenta Alcefte
ou le Triomphe d'Alcide , un des plus beaux
Opéra de Quinault & de Lulli.
du
Cet ouvrage a un mérite qui lui eft
propre
, & qui lui avoit toujours été contraire.
On ne l'avoit gueres envisagé que
côté du tendre intérêt dont il eft rempli ,
fans s'appercevoir que Quinault avoit en
le deffein d'en faire un chef- d'oeuvre de
grand fpectacle. Ainfi , foit défaut de goût ,
foit économie mal raiſonnée , les différens
212 MERCURE DE FRANCE.
objets que ce bel Opéra raffemble n'avoient
point encore été foignés avec l'habileté
qu'ils exigent , on en avoit toujours
négligé certaines parties ; celles qui dans
l'exécution avoient paru trop difficiles
avoient été mutilées ; quelques autres qui
demandent de la dépenſe , avoient été fupprimées
; d'autres enfin , telles que le Siége
de Scyros , n'avoient été rendues que
d'une maniere ou peu noble ou ridicule .
Les fautes paffées ont été réparées cette
année , & ce bel Opéra a été enfin exécuté
, comme Quinault auroit mérité de le
voir & de l'entendre.
L'orage fufcité par Thétis & calmé par Eole
, traité en grand ; le fiége de Scyros formé
de plufieurs belles manoeuvres de guerre
des anciens , conduit avec art, exécuté avec
chaleur ; les fleuves des enfers & la barque
à Caron préfentés fous des couleurs impofantes
, qui ennobliffoient par un chef.
d'oeuvre de l'art cette fituation hazardée ;
le paffage rapide du rivage fombre au palais
éclatant de Pluton ; les rideaux du fond
prolongeant toujours les perfpectives ; une
derniere décoration de génie , les ballets
animés de tout ce que la danfe peut fournir
de plus pittorefque & de plus brillant ,
la magnificence & la variété des habits ,
le jeu exact des machines , l'accord furDECEMBRE.
1754 213
prenant d'une foule d'exécutans en fousordre
, l'expreffion , les talens marqués &
le feu des premiers acteurs , tout s'eft réuni
pour faire d'Alcefte le fpectacle le mieux
ordonné & le plus étonnant qui eût encore
paru fur les théatres de la nation .
Mile Chevalier & Mile Fel repréſentoient
les rolles d'Alcefte & de Céphife.
Mr de Chaffé , celui d'Alcide ; & Mr Jéliote
, celui d'Admete .
Le lendemain de cette repréſentation
brillante , les Comédiens François donnerent
le Complaifant , Comédie en cinq actes
en profe , du même auteur que celle du
Fat puni ; & l'Impromptu de campagne , de
Poiffon.
Le 9 , l'Opéra repréfenta une feconde
fois Alcefte , avec cet enſemble admirable
dont on avoit été frappé à la premiere repréfentation
; auffi le fuccès fut- il égal . Ik
auroit été plus grand , s'il avoit
tre.
pu croî
On préparoit cependant l'Opéra de Thétis
, qui avoit été demandé quelques jours
auparavant. Rien n'eft impoffible au vrai
zéle ; car après que le 12 , la Comédie
Françoiſe eut repréfenté Amalazonte , Tra→
gédie de M. le Marquis de Ximenès , & le
Préjugé vaincu , petite Comédie de Mr
de Marivaux , on prit deux jours pour l'ar
214 MERCURE DE FRANCE.
rangement du théatre ; & le 14 Thétis &
Pélée , Opéra de M. de Fontenelle & de
Colaffe , fut repréſenté avec tout fon fpectacle
, comme ſi on avoit eu beaucoup
de tems pour le préparer . La fcene du fecond
acte dans laquelle le tonnerre , s'il
eft permis de s'exprimer ainfi , joue un fi
beau rolle , n'a jamais peut- être été rendue
avec tant de feu , de précifion & de
tendreffe , qu'elle le fut par Mlle Chevalier
& Mr Jéliore. Les principaux rolles
de cet Opéra furent exécutés ; fçavoir ,
Thétis par Mlle Chevalier , Doris par
Mlle Fel , Jupiter par Mr Gelin , Neptune
par Mr de Chaffé , & Pélée par Mr
Jéliote .
Le is , la Comédie Françoife repréfenta
les Debors trompeurs , Comédie en vers ,
en cinqactes , de Mr de Boiffy ; & le Mariage
fait & rompu , Comédie en vers , en
trois actes , de Dufrefni ; & le 16 l'Opéra
fit la clôture du théatre par une feconde
repréſentation de Thétis & Pélée , dont
l'exécution fut auffi agréable que la premiere
.
..MM. Slodtz , de l'Académie royale de
Peinture & de Sculpture , Décorateurs des
théatres de S. M , ont été les Décorateurs
de tous ces fpectacles.
Mr. Arnoult Machiniſte du Roi , a
7
DECEMBRE.
1754. 215
conftruit & fait jouer les belles machines
qu'on y a vûes.
Mr de Laval , Compofiteur des ballets
de S. M , a fait les ballets des cinq premiers
Opéras ; & Mr de Laval fon fils eft
entré pour moitié dans la compofition de
ceux de Thétis .
MM . Rebel & Francoeur , Surintendans
de la Mufique du Roi , qui ont fait le
choix des differens morceaux de chant ou
de fymphonies dont on a embelli les ouvrages
anciens , étoient chargés de l'exécution.
Tous ces différens fpectacles ont été ordonnés
par M. le Duc d'Aumont , premier
Gentilhomme de la Chambre de S. M , en
exercice ; & conduits par les foins de M.
Blondel de Gagny , Intendant des menus
plaifirs du Roi , en exercice .
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Résumé : « Le lendemain 30 Octobre, la Comédie Françoise représenta Cinna, de P. Corneille [...] »
Du 30 octobre au 16 décembre 1754, une série de représentations théâtrales et opératiques ont été organisées. Le 30 octobre, la Comédie-Française a présenté 'Cinna' de Pierre Corneille et 'Le Fat puni'. Les festivités de la Toussaint ont interrompu les spectacles pendant quelques jours. Le 4 novembre, 'Alcimadure' a été joué, avec des reprises de duos. Le 7 novembre, 'Alceste ou le Triomphe d'Alcide' de Quinault et Lully a été représenté, avec des améliorations notables dans la mise en scène et les décors. Les acteurs principaux étaient Mlle Chevalier, Mlle Fel, Mr de Chassé et Mr Jéliote. Le 8 novembre, la Comédie-Française a présenté 'Le Complaisant' et 'L'Impromptu de campagne'. Le 9 novembre, 'Alceste' a été rejoué avec le même succès. Le 14 novembre, l'opéra 'Thétis et Pélée' de Fontenelle et Colasse a été représenté, avec une scène du tonnerre particulièrement remarquée. Les 15 et 16 novembre, la Comédie-Française a joué 'Les Dehors trompeurs' et 'Le Mariage fait et rompu', tandis que l'Opéra a clôturé avec une seconde représentation de 'Thétis et Pélée'. Les décorations étaient réalisées par MM. Slodtz, les machines par Mr. Arnoult, et les ballets par Mr. de Laval et son fils. La musique était dirigée par MM. Rebel et Francoeur, sous la supervision de M. le Duc d'Aumont et M. Blondel de Gagny.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1068
p. 215
Avertissement de M. l'Abbé Raynal.
Début :
Les infirmités de feu M. Fuzelier & l'absence de feu M. de Labruere ont fait [...]
Mots clefs :
Mercure, Ouvrage périodique
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Avertissement de M. l'Abbé Raynal.
Avertiffement de M. l'Abbé Raynal.
Es infirmités de feu M. Fuzelier &
LESl'abfence de feu M. de Labruere ont fait
que j'ai été chargé feul , durant quatre ans
& demi , du Mercure. Cet Ouvrage périodique
paffe par brevet à M. de Boiffy , dont
l'efprit & le goût font généralement connus.
Perfonne ne paroît plus propre que
cet Académicien à porter le Mercure au
degré de perfection dont il eft fufceptible.
Es infirmités de feu M. Fuzelier &
LESl'abfence de feu M. de Labruere ont fait
que j'ai été chargé feul , durant quatre ans
& demi , du Mercure. Cet Ouvrage périodique
paffe par brevet à M. de Boiffy , dont
l'efprit & le goût font généralement connus.
Perfonne ne paroît plus propre que
cet Académicien à porter le Mercure au
degré de perfection dont il eft fufceptible.
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1069
p. iii-xii
AVANT-PROPOS.
Début :
De tous les ouvrages périodiques, le Mercure de France est [...]
Mots clefs :
Mercure de France, Public, Donneau de Visé, Charles-Antoine Leclerc de la Bruère, Articles, Arrangement, Diversité
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AVANT-PROPOS.
AVANT- PROPOS.
E tous les ouvrages périodiques
, le Mercure de France eft
le plus difficile ; on lui impoſe les
loix les plus rigoureuſes. Il embraffe
tout , mais il ne peut rien traiter , ni
rien approfondir . On lui fait un crime
de penfer ; à peine lui permeton
de donner un précis des écrits
qui paroiffent. S'il approuve , il n'eft
qu'un louangeur fade & banal ; s'il
ofe critiquer , il bleffe l'amour propre
délicat des Auteurs. Le Public
lui- même le trouve mauvais , & dit
que le Mercure fort de fa fphere ;
qu'il doit fe borner à marquer fimplement
le jour qu'une piece dramatique
a été jouée pour la premiere
fois , avec le nombre de fes repréfentations
; ou s'il paroît un livre nouveau
, qu'il doit fe contenter d'annoncer
modeftement fon titre & le
nom du Libraire qui le vend. On le
A ij
iv AVANT-PROPOS.
condamne non feulement à ne
qu'un froid Journaliſte , mais on veut
le reftreindre encore à la féchereffe
d'un faifeur d'affiches. Ses privileges
néanmoins font les mieux fondés
& doivent être les plus étendus. Le
Journal des Sçavans eft le feul qui
puiffe lui difputer le droit d'ancienneté
tous les autres lui font poftérieurs
cependant tout leur devient
permis . Ils font toujours les premiers
à fe faifir des matieres qui font de
fon reffort , & à crier en même tems
que c'eft lui qui entreprend fur les
autres , & qu'il paffe les limites qu'on
lui a prefcrites. Cette plainte eft d'autant
plus injufte , que ces Journaux ,
fous différens titres , fe multiplient
tous les jours à fes dépens , & que fon
droit exclufif eft de n'avoir point de
bornes . Les Belles-Lettres , les Sciences
& les Arts , tous les genres font
de fon domaine : il doit en prendre la
fleur ; elle conftitue fon effence , &
la diverfité forme fon caractere . Voilà
pourquoi je choisis l'une pour
AVANT-PROPOS.
régle , & l'autre pour deviſe.
Comme il n'eft qu'une collection
ou qu'un ouvrage de découpures, il ŋe
peut être riche que du bien des autres.
Son plus grand mérite dépend
du choix : mais pour le bien faire ,
il faut avoir de quoi choifir . Mal→
heureuſement pour moi , mes prédéceffeurs
ont épuifé les premieres
fources: je fuis dans l'obligation d'inviter
tous les gens de lettres à m'ouvrir
de nouveaux tréfors . Je prie furtout
ceux qui font les plus intéreſſés
à rendre mon livre meilleur , à les enrichir
de morceaux qui puiffent le
faire lire de mon côté , je leur
promets
d'appliquer tous mes foins à les
mettre en bonne compagnie. Je fçai
que plufieurs ont de la répugnance
à fe voir imprimés dans un ouvrage
dégradé par la Bruyere , auteur des
caracteres ; mais depuis que les Voltaire
& les Fontenelle n'ont pas dédaigné
d'y tenir un rang , aucun de
leurs confreres ne doit plus rougir
d'y paroître. La pudeur d'un Ecrivain
A iij
vj AVANTPROPOS.
doit confifter à ne pas donner de mauvaifes
productions : qu'elles foient
marquées au bon coin , la place n'y
fait rien ; elles lui feront toujours honneur
, dans quelque endroit qu'elles
foient mifes. J'ai fouvent remarqué
que les nouveaux nobles craignent
plus de fe compromettre que les
vrais Gentilshommes. Fondé fur ce
principe , j'efpere que les meilleurs
Auteurs feront les plus hardis à décorer
mon recueil , fans avoir peur de
déroger. Je me ferai d'ailleurs une loi
très rigide de ne pas les nommer
quand ils voudront être anonymes.
-
A l'égard de ceux qui n'ont compofé
que des piéces fugitives , c'eft
une obligation pour eux de vuider
leur porte-feuille en ma faveur. Tous
les écrits détachés , qui n'ont pas
affez d'étendue pour faire un Cuvre
en forme , & devenir un livre ,
appartiennent de droit au Mercure
c'eft un bien qu'on lui retient ; ils
doivent y être dépofés comme dans
les archives de la littérature ; s'il
AVANT-PROPOS.
vij
ne leur affure pas une gloire immortelle
, il les tire du moins de l'obfcurité
, & leur donne une célébrité paffagere
. Il eſt même du devoir d'un
bon citoyen de rendre publics fes
amuſemens , quand ils peuvent tourner
au profit ou au plaifir de la fociété.
De Vifé avoit fait du Mercure
un ouvrage purement agréable. Ses
fucceffeurs , par degrés , font parvenus
au point d'en faire un livre éga
lement utile. M. de la Bruere y a le
plus contribué.
Qu'on me permette ici de quitter
un inftant mon fujet pour rendre
juftice à fon mérite , c'eft le moins
que je dois à la mémoire d'un Auteur
eſtimable , à qui je fuccéde ; je
puis dire fans bleffer la vérité , qu'il
étoit fait pour perfectionner tout ce
qu'il dirigeoit . La folidité de fon efprit
, & la jufteffe de fon goût égaloient
la douceur de fon caractere.
Il réuniffoit même les talens oppofés
, & n'a pas moins réuffi dans l'art
A iiig
viij
AVANT-PROPOS.
de négocier que dans l'art d'écrire.
En France , il a fait honneur aux
Belles Lettres par les différens écrits
qu'il a mis au jour. A Rome , il s'eft
diftingué dans les affaires dont il a
été chargé , par la maniere fage dont
il les a conduites. La confidération
qu'il s'étoit juſtement acquife dans
une Cour auffi difficile , eft le plus
beau trait de louange que je puiffe lui
donner. La confiance pleine d'eftime
M. le Duc de Nivernois a touque
jours eue pour lui pendant fa vie , &
les regrets finceres dont il l'honore
après la mort mettent le comble à
fon éloge.
Pour revenir à l'ouvrage qu'il a
augmenté par fes foins , ou par le travail
de ceux qui l'ont conduit en fon
abfence , je ne me fuis point écarté
de la forme qu'ils lui ont donnée.
J'ai fait feulement quelques additions
particulieres , pour mettre plus
d'ordre dans les matieres qui le compofent.
Je le divife en fix articles . !
201
1
AVANT-PROPOS. ix
Le premier contient les Piéces fugitives
en vers & en profe . Je n'y fais
entrer que les morceaux d'imagination
& de pur agrément : Poëĥies ,
Contes , Fables , Romans , Hiftorietes
, Chanſons , Enigmes & Logogryphes
.
Le fecond renferme les Nouvelles
Littéraires, où je place les féances publiques
des Académies de Paris & de ,
Province. J'annonce dans ce même ·
article tous les livres nouveaux , dont
je donne un précis , c'eſt-à- dire un
précis des ouvrages fçavans ; car je
donnerai un extrait en forme des
Romans qui auront quelque célébrité
; l'amuſant & le frivole étant à
moi fans reſtriction .
Le troifieme concerne les Sciences
& Belles- Lettres. On y mettra alternativement
différens morceaux*fur
* Je dois avertir ici le public que c'est moins un
ngagement que je prens avec lui , qu'une invita
A v
AVANT PROPOS.
la Phyfique , la Géométrie , la Jurif
prudence , la Politique , la Guerre ,
le Commerce , la Finance , la Médecine
, fur la Chronologie , l'Hiftoire
& les Medailles. Je porterai fouvent
à la fin de cet article les Séances publiques
des Académies des Sciences
& des Belles - Lettres , ainfi que de
celle de Chirurgie , avec un extrait
des mémoires qu'on y aura lûs , quand
l'article des Nouvelles littéraires fera
trop abondant.
Le quatrieme eft réſervé pour les
Beaux Arts , que je partage en Arts
agréables , tels que la Peinture , la
Sculpture , la Gravure , la Mufique ,
laDanfe ; & en Arts utiles , tels que
tion que je fais aux Sçavans de me faire part de
leurs productions de tout genre. Je les prie en même
tems de réduire les morceaux qu'ils m'enverront à
une extrême préciſion ; elle est un devoir pour moi ,
il faut que je m'y foumette , d'autant plus que la
multiplicité des matieres laiffe à chacune trop pess
de place pour les pouvoir mettre dans toute leur
étendue.
AVANT-PROPOS.
xj
l'Architecture , les Manufactures
l'Horlogerie , &c.
Le cinquieme article regarde les
Spectacles , où feront les extraits des
piéces de théatre , & tout ce qui
concerne les deux Comédies, les deux
Opéra , le Concert fpirituel , & les
Drames de Collége, Je ferai également
fobre fur la louange & fur la
cenfure. Je tâcherai fur-tout de ne
mettre jamais mon fentiment particulier
à la place de celui du public , &
de ne rien dire qui puiffe humilier ou
décourager les Auteurs . Des critiques
qu'on m'enverra fur les nouveautés
qui réuffiront , je n'admettrai que
celles qui feront juftes & ménagées ,
où il n'entrera rien de perfonnel. Les
traits de la critique doivent toujours
porter fur l'ouvrage , & ne bleffer
jamais l'Ecrivain.
Le fixieme & dernier article raffemble
à l'ordinaire les Nouvelles
Etrangeres & celles de France , les
A vj
xij AAVVAANNTTPPRROOPPOOSS..
Naiffances , les Morts , les Edits ,
les Déclarations , & Arrêts , avec les
Avis . Par cet arrangement , auquel
je ferai toujours fidele , chacun trou
vera d'abord la partie qu'il préfe
re, ou le morceau qui l'intéreffe .
E tous les ouvrages périodiques
, le Mercure de France eft
le plus difficile ; on lui impoſe les
loix les plus rigoureuſes. Il embraffe
tout , mais il ne peut rien traiter , ni
rien approfondir . On lui fait un crime
de penfer ; à peine lui permeton
de donner un précis des écrits
qui paroiffent. S'il approuve , il n'eft
qu'un louangeur fade & banal ; s'il
ofe critiquer , il bleffe l'amour propre
délicat des Auteurs. Le Public
lui- même le trouve mauvais , & dit
que le Mercure fort de fa fphere ;
qu'il doit fe borner à marquer fimplement
le jour qu'une piece dramatique
a été jouée pour la premiere
fois , avec le nombre de fes repréfentations
; ou s'il paroît un livre nouveau
, qu'il doit fe contenter d'annoncer
modeftement fon titre & le
nom du Libraire qui le vend. On le
A ij
iv AVANT-PROPOS.
condamne non feulement à ne
qu'un froid Journaliſte , mais on veut
le reftreindre encore à la féchereffe
d'un faifeur d'affiches. Ses privileges
néanmoins font les mieux fondés
& doivent être les plus étendus. Le
Journal des Sçavans eft le feul qui
puiffe lui difputer le droit d'ancienneté
tous les autres lui font poftérieurs
cependant tout leur devient
permis . Ils font toujours les premiers
à fe faifir des matieres qui font de
fon reffort , & à crier en même tems
que c'eft lui qui entreprend fur les
autres , & qu'il paffe les limites qu'on
lui a prefcrites. Cette plainte eft d'autant
plus injufte , que ces Journaux ,
fous différens titres , fe multiplient
tous les jours à fes dépens , & que fon
droit exclufif eft de n'avoir point de
bornes . Les Belles-Lettres , les Sciences
& les Arts , tous les genres font
de fon domaine : il doit en prendre la
fleur ; elle conftitue fon effence , &
la diverfité forme fon caractere . Voilà
pourquoi je choisis l'une pour
AVANT-PROPOS.
régle , & l'autre pour deviſe.
Comme il n'eft qu'une collection
ou qu'un ouvrage de découpures, il ŋe
peut être riche que du bien des autres.
Son plus grand mérite dépend
du choix : mais pour le bien faire ,
il faut avoir de quoi choifir . Mal→
heureuſement pour moi , mes prédéceffeurs
ont épuifé les premieres
fources: je fuis dans l'obligation d'inviter
tous les gens de lettres à m'ouvrir
de nouveaux tréfors . Je prie furtout
ceux qui font les plus intéreſſés
à rendre mon livre meilleur , à les enrichir
de morceaux qui puiffent le
faire lire de mon côté , je leur
promets
d'appliquer tous mes foins à les
mettre en bonne compagnie. Je fçai
que plufieurs ont de la répugnance
à fe voir imprimés dans un ouvrage
dégradé par la Bruyere , auteur des
caracteres ; mais depuis que les Voltaire
& les Fontenelle n'ont pas dédaigné
d'y tenir un rang , aucun de
leurs confreres ne doit plus rougir
d'y paroître. La pudeur d'un Ecrivain
A iij
vj AVANTPROPOS.
doit confifter à ne pas donner de mauvaifes
productions : qu'elles foient
marquées au bon coin , la place n'y
fait rien ; elles lui feront toujours honneur
, dans quelque endroit qu'elles
foient mifes. J'ai fouvent remarqué
que les nouveaux nobles craignent
plus de fe compromettre que les
vrais Gentilshommes. Fondé fur ce
principe , j'efpere que les meilleurs
Auteurs feront les plus hardis à décorer
mon recueil , fans avoir peur de
déroger. Je me ferai d'ailleurs une loi
très rigide de ne pas les nommer
quand ils voudront être anonymes.
-
A l'égard de ceux qui n'ont compofé
que des piéces fugitives , c'eft
une obligation pour eux de vuider
leur porte-feuille en ma faveur. Tous
les écrits détachés , qui n'ont pas
affez d'étendue pour faire un Cuvre
en forme , & devenir un livre ,
appartiennent de droit au Mercure
c'eft un bien qu'on lui retient ; ils
doivent y être dépofés comme dans
les archives de la littérature ; s'il
AVANT-PROPOS.
vij
ne leur affure pas une gloire immortelle
, il les tire du moins de l'obfcurité
, & leur donne une célébrité paffagere
. Il eſt même du devoir d'un
bon citoyen de rendre publics fes
amuſemens , quand ils peuvent tourner
au profit ou au plaifir de la fociété.
De Vifé avoit fait du Mercure
un ouvrage purement agréable. Ses
fucceffeurs , par degrés , font parvenus
au point d'en faire un livre éga
lement utile. M. de la Bruere y a le
plus contribué.
Qu'on me permette ici de quitter
un inftant mon fujet pour rendre
juftice à fon mérite , c'eft le moins
que je dois à la mémoire d'un Auteur
eſtimable , à qui je fuccéde ; je
puis dire fans bleffer la vérité , qu'il
étoit fait pour perfectionner tout ce
qu'il dirigeoit . La folidité de fon efprit
, & la jufteffe de fon goût égaloient
la douceur de fon caractere.
Il réuniffoit même les talens oppofés
, & n'a pas moins réuffi dans l'art
A iiig
viij
AVANT-PROPOS.
de négocier que dans l'art d'écrire.
En France , il a fait honneur aux
Belles Lettres par les différens écrits
qu'il a mis au jour. A Rome , il s'eft
diftingué dans les affaires dont il a
été chargé , par la maniere fage dont
il les a conduites. La confidération
qu'il s'étoit juſtement acquife dans
une Cour auffi difficile , eft le plus
beau trait de louange que je puiffe lui
donner. La confiance pleine d'eftime
M. le Duc de Nivernois a touque
jours eue pour lui pendant fa vie , &
les regrets finceres dont il l'honore
après la mort mettent le comble à
fon éloge.
Pour revenir à l'ouvrage qu'il a
augmenté par fes foins , ou par le travail
de ceux qui l'ont conduit en fon
abfence , je ne me fuis point écarté
de la forme qu'ils lui ont donnée.
J'ai fait feulement quelques additions
particulieres , pour mettre plus
d'ordre dans les matieres qui le compofent.
Je le divife en fix articles . !
201
1
AVANT-PROPOS. ix
Le premier contient les Piéces fugitives
en vers & en profe . Je n'y fais
entrer que les morceaux d'imagination
& de pur agrément : Poëĥies ,
Contes , Fables , Romans , Hiftorietes
, Chanſons , Enigmes & Logogryphes
.
Le fecond renferme les Nouvelles
Littéraires, où je place les féances publiques
des Académies de Paris & de ,
Province. J'annonce dans ce même ·
article tous les livres nouveaux , dont
je donne un précis , c'eſt-à- dire un
précis des ouvrages fçavans ; car je
donnerai un extrait en forme des
Romans qui auront quelque célébrité
; l'amuſant & le frivole étant à
moi fans reſtriction .
Le troifieme concerne les Sciences
& Belles- Lettres. On y mettra alternativement
différens morceaux*fur
* Je dois avertir ici le public que c'est moins un
ngagement que je prens avec lui , qu'une invita
A v
AVANT PROPOS.
la Phyfique , la Géométrie , la Jurif
prudence , la Politique , la Guerre ,
le Commerce , la Finance , la Médecine
, fur la Chronologie , l'Hiftoire
& les Medailles. Je porterai fouvent
à la fin de cet article les Séances publiques
des Académies des Sciences
& des Belles - Lettres , ainfi que de
celle de Chirurgie , avec un extrait
des mémoires qu'on y aura lûs , quand
l'article des Nouvelles littéraires fera
trop abondant.
Le quatrieme eft réſervé pour les
Beaux Arts , que je partage en Arts
agréables , tels que la Peinture , la
Sculpture , la Gravure , la Mufique ,
laDanfe ; & en Arts utiles , tels que
tion que je fais aux Sçavans de me faire part de
leurs productions de tout genre. Je les prie en même
tems de réduire les morceaux qu'ils m'enverront à
une extrême préciſion ; elle est un devoir pour moi ,
il faut que je m'y foumette , d'autant plus que la
multiplicité des matieres laiffe à chacune trop pess
de place pour les pouvoir mettre dans toute leur
étendue.
AVANT-PROPOS.
xj
l'Architecture , les Manufactures
l'Horlogerie , &c.
Le cinquieme article regarde les
Spectacles , où feront les extraits des
piéces de théatre , & tout ce qui
concerne les deux Comédies, les deux
Opéra , le Concert fpirituel , & les
Drames de Collége, Je ferai également
fobre fur la louange & fur la
cenfure. Je tâcherai fur-tout de ne
mettre jamais mon fentiment particulier
à la place de celui du public , &
de ne rien dire qui puiffe humilier ou
décourager les Auteurs . Des critiques
qu'on m'enverra fur les nouveautés
qui réuffiront , je n'admettrai que
celles qui feront juftes & ménagées ,
où il n'entrera rien de perfonnel. Les
traits de la critique doivent toujours
porter fur l'ouvrage , & ne bleffer
jamais l'Ecrivain.
Le fixieme & dernier article raffemble
à l'ordinaire les Nouvelles
Etrangeres & celles de France , les
A vj
xij AAVVAANNTTPPRROOPPOOSS..
Naiffances , les Morts , les Edits ,
les Déclarations , & Arrêts , avec les
Avis . Par cet arrangement , auquel
je ferai toujours fidele , chacun trou
vera d'abord la partie qu'il préfe
re, ou le morceau qui l'intéreffe .
Fermer
Résumé : AVANT-PROPOS.
Le Mercure de France est un périodique littéraire et scientifique soumis à diverses contraintes et critiques. Il doit éviter de critiquer ou d'approuver les œuvres, se limitant souvent à annoncer les publications et les représentations théâtrales. Malgré ces limitations, le Mercure possède des privilèges bien établis et doit couvrir un large éventail de sujets, allant des Belles-Lettres aux Sciences et aux Arts. L'auteur reconnaît que le Mercure est une collection de découpures, dépendant du choix des meilleurs morceaux. Il invite les gens de lettres à contribuer, promettant de bien les présenter. Des auteurs prestigieux comme Voltaire et Fontenelle ont déjà contribué, ce qui devrait encourager d'autres écrivains à participer. Le périodique est structuré en six articles : pièces fugitives, nouvelles littéraires, sciences et Belles-Lettres, Beaux-Arts, spectacles, et nouvelles étrangères et françaises. Chaque article est conçu pour offrir une variété de contenus, allant des poèmes aux extraits de livres, en passant par les comptes rendus des académies et les critiques théâtrales. L'auteur s'engage à maintenir un ton équilibré, évitant de blesser les auteurs tout en fournissant des critiques justes et constructives.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1070
s. p.
AVERTISSEMENT.
Début :
Le Bureau du Mercure est chez M. Lutton, Avocat, & Greffier-Commis au Greffe Civil du [...]
Mots clefs :
Bureau du Mercure, Abonnement, Auteur du Mercure
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AVERTISSEMENT.
AVERTISSEMENT.
LE
E Bureau du Mercure eft chez M. Lutton , Avocat
, Greffier-Commis au Greffe Civil du
Parlement , Commis au Recouvrement du Mercure ,
rue Sainte Anne , butte S. Roch , entre deux Selliers.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , franes de port,
les paquets & lettres , pour les remettre , quant à la
partie littéraire , à M. de Boiffy , Auteur du Mercure.
Le prix eft de 30 fols , & l'on payera d'avance ,
en s'abonnant , ou 10 liv . 10 folspour unfemeftre ,
on 21 livres pour l'année , à raison de 14 volumes ,
ainfi qu'il eft d'ufage pour les autres Journaux . Les
volumes d'extraordinaire feront également de 30
fols , fe payeront avec le femeftre , ou l'année qui
les fuivront.
L'abonnement pour les perfonnes de province ,
fera de 31 livres 10 fols par année , ou de la moitié
par femefire , à caufe des frais de lapofte , & autres
extraordinaires.
On les fupplie d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit fait d'a
vance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis , refteront
au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état de répondre
chez le Sr Lutton ; il obfervera de refter
à fon Bureau , les Mardi , Mercredi & Jeudi de
chaque Semaine après-midi.
LE
E Bureau du Mercure eft chez M. Lutton , Avocat
, Greffier-Commis au Greffe Civil du
Parlement , Commis au Recouvrement du Mercure ,
rue Sainte Anne , butte S. Roch , entre deux Selliers.
C'eft à lui que l'on prie d'adreffer , franes de port,
les paquets & lettres , pour les remettre , quant à la
partie littéraire , à M. de Boiffy , Auteur du Mercure.
Le prix eft de 30 fols , & l'on payera d'avance ,
en s'abonnant , ou 10 liv . 10 folspour unfemeftre ,
on 21 livres pour l'année , à raison de 14 volumes ,
ainfi qu'il eft d'ufage pour les autres Journaux . Les
volumes d'extraordinaire feront également de 30
fols , fe payeront avec le femeftre , ou l'année qui
les fuivront.
L'abonnement pour les perfonnes de province ,
fera de 31 livres 10 fols par année , ou de la moitié
par femefire , à caufe des frais de lapofte , & autres
extraordinaires.
On les fupplie d'envoyer par la pofte , en payant
le droit , le prix de leur abonnement , ou de donner
leurs ordres , afin que le payement en foit fait d'a
vance au Bureau.
Les paquets qui ne feront pas affranchis , refteront
au rebut.
L'on trouvera toujours quelqu'un en état de répondre
chez le Sr Lutton ; il obfervera de refter
à fon Bureau , les Mardi , Mercredi & Jeudi de
chaque Semaine après-midi.
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Résumé : AVERTISSEMENT.
Le document est un avertissement concernant la distribution du Mercure. Le Bureau du Mercure est situé chez M. Lutton, avocat et greffier-commis au greffe civil du Parlement, rue Sainte Anne, butte S. Roch. Les paquets et lettres doivent être adressés à M. Lutton, qui les transmettra à M. de Boiffy, auteur du Mercure. Le prix de l'abonnement est de 30 sols par volume. Les options de paiement anticipé incluent 10 livres 10 sols pour un semestre ou 21 livres pour l'année, couvrant 14 volumes. Les volumes extraordinaires coûtent également 30 sols et sont payés avec le semestre ou l'année suivante. Pour les personnes de province, l'abonnement est de 31 livres 10 sols par an ou la moitié pour un semestre, en raison des frais de poste. Les paiements doivent être effectués à l'avance, soit par envoi postal avec le droit acquitté, soit par ordre préalable au Bureau. Les paquets non affranchis seront rejetés. M. Lutton est disponible à son bureau les mardi, mercredi et jeudi après-midi.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1071
p. 62-69
NOUVEAU DIALOGUE DES MORTS. SOCRATE, ALEXANDRE LE GRAND.
Début :
ALEXANDRE. Oui, je sens toujours, Socrate, un [...]
Mots clefs :
Socrate, Alexandre le Grand, Spectacle, Shakespeare, Nature, Héros, Poète
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : NOUVEAU DIALOGUE DES MORTS. SOCRATE, ALEXANDRE LE GRAND.
NOUVEAU DIALOGUE
DES MORT S.
SOCRATE , ALEXANDRE LE GRAND:
ALEXANDRE.
UI, je fens toujours , Socrate , un
nouveau plaifir à m'entretenir avec
vous ; mais que je ne vous contraigne
pas , je vous prie : vous étiez avec une
Ombre qui paroiffoit mériter toute votre
attention..
SOCRATE
C'eft , fans contredit , un Mort des plus:
diftingués ; mais je fçais le refpect que
je dois au fils du Roi de Macédoine : l'om
bre du Poëte tragique que je viens de
quitter , peut- elle entrer en comparaifon
avec celle d'un héros ? S'ils font les pieces
, n'eft- ce pas vous , Meffieurs , qui en
fourniffez les fujets ? Cet article feul décide
la préférence ; le modele doit paffer
avant le Peintre.
ALEXANDRE.
Socrate aime quelquefois à s'égayer
JANVIER. 1755.
mais je n'aurois pas imaginé que ce dût
être en faveur d'un Poëte qu'il fit rire à
mes dépens.
SOCRATE.
Pourquoi non , s'il vous plaît pouvons-
nous trop accueillir ces génies privilégiés
que le ciel accorde à la terre pour
lui procurer les plus nobles amuſemens ?
ALEXANDRE.
Vous avez donc un goût bien décidé
pour les Spectacles ?
SOCRAT B.
Je préfère encore ( vous le voyez ) ceuxqui
les donnent.
ALEXANDRE.
Un Philofophe du premier ordre , un
Sage dont la réputation s'eft étendue dans
tous les tems , & chez toutes les nations ,
s'amufe des jeux frivoles de la fcène , &
des vaines repréſentations des foibleffes ,
& des excès de l'humanité.
SOCRATE..
Voilà précisément ce qui fait que le
théâtre étoit mon école , & que j'affiftois
aux pieces de Sophocle & d'Euripide , mê64
MERCURE DE FRANCE.
me à celles d'Ariftophane , pour apprendre
à commencer par moi le cours de mes leçons.
C'est au théâtre que l'on puife la
théorie du coeur & de l'efprit humain ; le
commerce du monde n'en donne que la
pratique . Vous ne fçauriez imaginer , par
exemple , jufques à quel point je trouve
à profiter avec le célebre Shakespear , que
j'ai quitté pour vous fuivre , & combien ik
exerce & cultive le goût que j'ai pour la
Philofophie.
ALEXANDR E..
Je vous pardonnerois ces éloges pour les
Corneille , les Racine , les Crebillon , les Voltaire
, & leurs imitateurs ;; mais
kespear..
·S.O⋅CRATE..
pour Sha-
Quand vous feriez François , vous ne
parleriez pas autrement ; mais ils donnent
eux-mêmes de grands éloges au premier:
Tragique de l'Angleterre .
ALEXANDRE.
C'eft une fuite d'un certain goût que las
mode &.les faux airs ont , dit-on , accrédité
depuis quelque tems , & que j'ai oui
nommer l'Anglomanie..
JANVIER. 1795 .
SOCRATE.
La manie conſiſte à tout adopter , à tout
préférer , pourvû que ce foit de l'Anglois ;
mais non pas à combler de louanges ce
qui le mérite. La baffe jaloufie ne feroit
pas moins blâmable qu'une folle prévention
les grands talens appartiennent à
tous les pays , & les grands hommes fot
les citoyens du monde .
ALEXANDRE.
Vous louez exceffivement un Poëte plus
étonnant qu'admirable , plus fingulier que
fublime , & qui , par le bizarre affemblage
qu'il a fait des Rois & des foffoyeurs ,
des buveurs de bierre & des héros , a préfenté
des tableaux qu'il faut plûtôt confidérer
comme d'affreux grotefques , que
comme la peinture de la nature & de la
vérité.
SOCRAT E.
Il fe peut en effet qu'il ait vû dans ces
occafions la nature de trop près , & qu'il
l'ait peinte un peu trop fortement : mais
n'est- ce pas
la nature , après tout ?
ALEXANDRE,
Ce n'eft pas du moins celle qu'il faut
peindre.
66 MERCURE DE FRANCE.
SOCRATE.
Cela n'eft pas fans doute dans les régles
du théâtre ; mais celles de la véritable
grandeur font - elles mieux obfervécs
par les Héros que les Poëtes repréfentent ?
Et fi Shakespear a bleffé les principes d'Ariftote
, n'avez-vous jamais été contre les
maximes de Pythagore & de Platon.
ALEXANDRE.
Quel parallele nous faites- vous là
SOCRATE.
Il eſt plus raiſonnable que vous ne le
penfez . Vous autres grands Conquérans ,
vous ne voulez rien pardonner aux grands
Poëtes ; mais en relevant fi bien les irrégu
larités qui fe gliffent dans leurs ouvrages ,
n'avez-vous jamais apperçu celles qui fe
trouvent dans vos actions ? n'avez-vous
jamais fait d'écarts , pour exiger qu'ils en
foient exempts ? Et pour ne vous pas perdre
de vûe , Seigneur Alexandre , croyezvous
que la manie de paffer pour le fils
de Jupiter , le meurtre de Clytus , l'hiftoire
de Bucephale , & les excès du vin , figurent
mieux à côté du paffage du Granique , de
la conquête de l'Afie , & de vos nobles
procédés pour la famille de Darius , que,
JANVIER. 1755. 67
dans une Tragédie les forciers , les foffoyeurs
, & les mauvais propos de gens qui
fe font enyvrés
ALEXANDRE.
Les Peintres & les Poëtes font faits pour
peindre la nature , mais c'eft de la belle
qu'ils doivent faire choix , & non pas l'envifager
du côté méprifable & rebutant.
SOCRATE.
Eh ! ne devons- nous pas fuivre les mêmes
principes dans le choix des goûts :
des moeurs , des paffions même , puifqu'il
en faut nous ne craignons point d'errer
à nos propres yeux , parce qu'ils font indulgens
; nous redoutons ceux d'autrui ,,
parce qu'ils ne nous font point de grace.
ALEXANDRE.
Nous fommes en cela moins coupables
que malheureux , & par conféquent plus
plaindre qu'à blâmer .
SOCRATE.
Cela feroit vrai , fi nous ne tournions
pas contre les autres nos propres défauts,
On raconte qu'un homme extrêmement
laid , voulut un jour fe faire peindre par
Appelles Ce Peintre célebre vit le danger
68. MERCURE DE FRANCE.
de l'ouvrage , & s'en défendit long- teins.
L'homme infiftoit ; le Peintre fe rendit.
Celui qu'il avoit trop bien peint ne put
fe réfoudre à fe reconnoître ; il porta
mê- me l'injuftice
jufqu'à
parler
mal du talent
de l'artifte
. Regardez
- vous
, dit Ap- pelles
, en lui préfentant
un miroir
, & voyez fi j'ai pû vous peindre
en beau
: ce n'eſt
pas le pinceau
, ce font
vos traits
qu'il
faut changer
.
ALEXANDRE.
Un apologue n'eſt
pas une démonftra
tion.
SOCRATE.
C'eſt du moins une raifon de conclure
que vous devez excufer Shakespear d'a
voir mêlé le grotefque au fublime , & les
éclats de rire aux pleurs ; on voit fi fouvent
dans le monde la petiteffe à côté de
la grandeur , & les impertinences de l'hom
me auprès des volontés da Dieu.
ALEXANDRE.
Peindre en grand l'humanité , c'eft l'honorer
, c'est l'embellir encore ; la repréſenrer
defavantageufement , c'est l'avilir fans
la réformer.
JANVIER. 1755 . 6.9.
SOCRATE .
Je vous entends , Seigneur Alexandre ;
Vous voulez bien avoir des défauts , mais
vous trouvez mauvais que l'on en parle.
Vous ne reffemblez pas mal à ces Comédiens
enorgueillis des rôles fublimes qu'ils
repréfentent : ils font tout honteux qu'on
les rencontre en habit Bourgeois .
DES MORT S.
SOCRATE , ALEXANDRE LE GRAND:
ALEXANDRE.
UI, je fens toujours , Socrate , un
nouveau plaifir à m'entretenir avec
vous ; mais que je ne vous contraigne
pas , je vous prie : vous étiez avec une
Ombre qui paroiffoit mériter toute votre
attention..
SOCRATE
C'eft , fans contredit , un Mort des plus:
diftingués ; mais je fçais le refpect que
je dois au fils du Roi de Macédoine : l'om
bre du Poëte tragique que je viens de
quitter , peut- elle entrer en comparaifon
avec celle d'un héros ? S'ils font les pieces
, n'eft- ce pas vous , Meffieurs , qui en
fourniffez les fujets ? Cet article feul décide
la préférence ; le modele doit paffer
avant le Peintre.
ALEXANDRE.
Socrate aime quelquefois à s'égayer
JANVIER. 1755.
mais je n'aurois pas imaginé que ce dût
être en faveur d'un Poëte qu'il fit rire à
mes dépens.
SOCRATE.
Pourquoi non , s'il vous plaît pouvons-
nous trop accueillir ces génies privilégiés
que le ciel accorde à la terre pour
lui procurer les plus nobles amuſemens ?
ALEXANDRE.
Vous avez donc un goût bien décidé
pour les Spectacles ?
SOCRAT B.
Je préfère encore ( vous le voyez ) ceuxqui
les donnent.
ALEXANDRE.
Un Philofophe du premier ordre , un
Sage dont la réputation s'eft étendue dans
tous les tems , & chez toutes les nations ,
s'amufe des jeux frivoles de la fcène , &
des vaines repréſentations des foibleffes ,
& des excès de l'humanité.
SOCRATE..
Voilà précisément ce qui fait que le
théâtre étoit mon école , & que j'affiftois
aux pieces de Sophocle & d'Euripide , mê64
MERCURE DE FRANCE.
me à celles d'Ariftophane , pour apprendre
à commencer par moi le cours de mes leçons.
C'est au théâtre que l'on puife la
théorie du coeur & de l'efprit humain ; le
commerce du monde n'en donne que la
pratique . Vous ne fçauriez imaginer , par
exemple , jufques à quel point je trouve
à profiter avec le célebre Shakespear , que
j'ai quitté pour vous fuivre , & combien ik
exerce & cultive le goût que j'ai pour la
Philofophie.
ALEXANDR E..
Je vous pardonnerois ces éloges pour les
Corneille , les Racine , les Crebillon , les Voltaire
, & leurs imitateurs ;; mais
kespear..
·S.O⋅CRATE..
pour Sha-
Quand vous feriez François , vous ne
parleriez pas autrement ; mais ils donnent
eux-mêmes de grands éloges au premier:
Tragique de l'Angleterre .
ALEXANDRE.
C'eft une fuite d'un certain goût que las
mode &.les faux airs ont , dit-on , accrédité
depuis quelque tems , & que j'ai oui
nommer l'Anglomanie..
JANVIER. 1795 .
SOCRATE.
La manie conſiſte à tout adopter , à tout
préférer , pourvû que ce foit de l'Anglois ;
mais non pas à combler de louanges ce
qui le mérite. La baffe jaloufie ne feroit
pas moins blâmable qu'une folle prévention
les grands talens appartiennent à
tous les pays , & les grands hommes fot
les citoyens du monde .
ALEXANDRE.
Vous louez exceffivement un Poëte plus
étonnant qu'admirable , plus fingulier que
fublime , & qui , par le bizarre affemblage
qu'il a fait des Rois & des foffoyeurs ,
des buveurs de bierre & des héros , a préfenté
des tableaux qu'il faut plûtôt confidérer
comme d'affreux grotefques , que
comme la peinture de la nature & de la
vérité.
SOCRAT E.
Il fe peut en effet qu'il ait vû dans ces
occafions la nature de trop près , & qu'il
l'ait peinte un peu trop fortement : mais
n'est- ce pas
la nature , après tout ?
ALEXANDRE,
Ce n'eft pas du moins celle qu'il faut
peindre.
66 MERCURE DE FRANCE.
SOCRATE.
Cela n'eft pas fans doute dans les régles
du théâtre ; mais celles de la véritable
grandeur font - elles mieux obfervécs
par les Héros que les Poëtes repréfentent ?
Et fi Shakespear a bleffé les principes d'Ariftote
, n'avez-vous jamais été contre les
maximes de Pythagore & de Platon.
ALEXANDRE.
Quel parallele nous faites- vous là
SOCRATE.
Il eſt plus raiſonnable que vous ne le
penfez . Vous autres grands Conquérans ,
vous ne voulez rien pardonner aux grands
Poëtes ; mais en relevant fi bien les irrégu
larités qui fe gliffent dans leurs ouvrages ,
n'avez-vous jamais apperçu celles qui fe
trouvent dans vos actions ? n'avez-vous
jamais fait d'écarts , pour exiger qu'ils en
foient exempts ? Et pour ne vous pas perdre
de vûe , Seigneur Alexandre , croyezvous
que la manie de paffer pour le fils
de Jupiter , le meurtre de Clytus , l'hiftoire
de Bucephale , & les excès du vin , figurent
mieux à côté du paffage du Granique , de
la conquête de l'Afie , & de vos nobles
procédés pour la famille de Darius , que,
JANVIER. 1755. 67
dans une Tragédie les forciers , les foffoyeurs
, & les mauvais propos de gens qui
fe font enyvrés
ALEXANDRE.
Les Peintres & les Poëtes font faits pour
peindre la nature , mais c'eft de la belle
qu'ils doivent faire choix , & non pas l'envifager
du côté méprifable & rebutant.
SOCRATE.
Eh ! ne devons- nous pas fuivre les mêmes
principes dans le choix des goûts :
des moeurs , des paffions même , puifqu'il
en faut nous ne craignons point d'errer
à nos propres yeux , parce qu'ils font indulgens
; nous redoutons ceux d'autrui ,,
parce qu'ils ne nous font point de grace.
ALEXANDRE.
Nous fommes en cela moins coupables
que malheureux , & par conféquent plus
plaindre qu'à blâmer .
SOCRATE.
Cela feroit vrai , fi nous ne tournions
pas contre les autres nos propres défauts,
On raconte qu'un homme extrêmement
laid , voulut un jour fe faire peindre par
Appelles Ce Peintre célebre vit le danger
68. MERCURE DE FRANCE.
de l'ouvrage , & s'en défendit long- teins.
L'homme infiftoit ; le Peintre fe rendit.
Celui qu'il avoit trop bien peint ne put
fe réfoudre à fe reconnoître ; il porta
mê- me l'injuftice
jufqu'à
parler
mal du talent
de l'artifte
. Regardez
- vous
, dit Ap- pelles
, en lui préfentant
un miroir
, & voyez fi j'ai pû vous peindre
en beau
: ce n'eſt
pas le pinceau
, ce font
vos traits
qu'il
faut changer
.
ALEXANDRE.
Un apologue n'eſt
pas une démonftra
tion.
SOCRATE.
C'eſt du moins une raifon de conclure
que vous devez excufer Shakespear d'a
voir mêlé le grotefque au fublime , & les
éclats de rire aux pleurs ; on voit fi fouvent
dans le monde la petiteffe à côté de
la grandeur , & les impertinences de l'hom
me auprès des volontés da Dieu.
ALEXANDRE.
Peindre en grand l'humanité , c'eft l'honorer
, c'est l'embellir encore ; la repréſenrer
defavantageufement , c'est l'avilir fans
la réformer.
JANVIER. 1755 . 6.9.
SOCRATE .
Je vous entends , Seigneur Alexandre ;
Vous voulez bien avoir des défauts , mais
vous trouvez mauvais que l'on en parle.
Vous ne reffemblez pas mal à ces Comédiens
enorgueillis des rôles fublimes qu'ils
repréfentent : ils font tout honteux qu'on
les rencontre en habit Bourgeois .
Fermer
Résumé : NOUVEAU DIALOGUE DES MORTS. SOCRATE, ALEXANDRE LE GRAND.
Le texte relate un dialogue imaginaire entre Socrate et Alexandre le Grand. Alexandre exprime son plaisir de rencontrer Socrate, mais ce dernier est occupé avec l'ombre d'un poète tragique. Socrate reconnaît la distinction d'Alexandre et affirme que les poètes fournissent les sujets que les héros incarnent. Alexandre est surpris par l'intérêt de Socrate pour le théâtre et les poètes. Socrate explique que le théâtre est son école et qu'il y puise des leçons sur la nature humaine, citant des dramaturges comme Sophocle, Euripide, Aristophane et Shakespeare. Alexandre critique Shakespeare, le qualifiant de singulier plutôt que sublime, et parle de l'anglomanie. Socrate défend Shakespeare en soulignant que les grands talents appartiennent à tous les pays. Alexandre reproche à Shakespeare de mélanger le grotesque et le sublime, mais Socrate argue que cela reflète la nature humaine. Alexandre insiste sur le fait que les peintres et les poètes doivent choisir la belle nature, tandis que Socrate compare cela au choix des goûts et des passions. Alexandre conclut en disant que représenter l'humanité de manière défavorable l'avilit sans la réformer. Socrate comprend qu'Alexandre préfère ne pas voir ses défauts exposés.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1072
p. 71-102
LE MIROIR. Par M. DE MARIVAUX.
Début :
Si vous aimez, Monsieur, les aventures un peu singulieres, en voici une [...]
Mots clefs :
Aventure singulière, Esprits, Esprit, Hommes, Idées, Auteur, Génies, Homme, Sophocole, Racine, Corneille, Jean Chapelain, Miroir, Mérite, Estime, Poème, Cicéron
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texteReconnaissance textuelle : LE MIROIR. Par M. DE MARIVAUX.
LE MIROIR.
Par M. DE MARIVAU X.
vous aimez , Monfieur , les aventures
un peu fingulieres , en voici une
qui a dequoi vous contenter : je ne vous
prefferai point de la croire ; vous pouvez
la regarder comme un pur jeu d'efprit ,
elle a l'air de cela ; cependant c'eſt à moi
qu'elle est arrivée.
Je ne vous dirai point au refte dans quel
endroit de la terre j'ai vû ce que je vais
vous dire. C'eft un pays dont les Géographes
n'ont jamais fait mention , non qu'il
ne foit très- fréquenté ; tout le monde y va ,
vous y avez fouvent voyagé vous- même ,
& c'est l'envie de m'y amufer qui m'y a
infenfiblement conduit. Commençons.
Il y avoit trois ou quatre jours que j'étois
à ma campagne , quand je m'avifai
un matin de me promener dans une allée
de mon parc ; retenez bien cette allée ,
car c'eft de la d'où je fuis parti pour le
voyage dont j'ai à vous entretenir.
Dans cette allée je lifois un livre dont
la lecture me jetta dans de profondes réflexions
fur les hommes,
Et de réflexions en réflexions , tou72
MERCURE DE FRANCE.
jours marchant , toujours allant , je mar
chai tant , j'allai tant , je réfléchis tant , &
fi diverſement , que fans prendre garde à
ce que je devenois , fans obferver par où
je paffois , je me trouvai infenfiblement
dans le pays dont je parlois tout à l'heure ,
où j'achevai de m'oublier , pour me livrer
tout entier au plaifir d'examiner ce qui
s'offroit à mes regards , & en effet le ſpectacle
étoit curieux. Il me fembla donc ;
mais je dis mal , il ne me fembla point :
je vis fûrement une infinité de fourneaux
plus ou moins ardens , mais dont le feune
m'incommodait point , quoique j'en
approchaffe de fort près.
Je ne vous dirai pas à préſent à quoi
ils fervoient ; il n'eft pas encore tems .
Ce n'eft pas là tout ; j'ai bien d'autres
chofes à vous raconter. Au milieu de tous
les fourneaux étoit une perfonne , ou , fi
vous voulez , une Divinité , dont il me feroit
inutile d'entreprendre le portrait , auſſi
n'y tâcherai-je point.
Qu'il vous fuffife de fçavoir que cette
perfonne ou cette Divinité , qui en gros
me parut avoir l'air jeune , & cependant
antique , étoit dans un mouvement perpétuel
, & en même tems fi rapide , qu'il
me fut impoffible de la confiderer en face.
Ce qui eft de certain , c'eft que dans le
mouvement
JANVIER. 1755 . 73
mouvement qui l'agitoit , je la vis fous
tant d'afpects , que je crus voir fucceffivement
paffer toutes les phifionomies du
monde , fans pouvoir faifir la fienne , qui
apparemment les contenoit toutes.
Ce que je démêlai le mieux , & ce que
je ne perdis jamais de vue , malgré fon
agitation continuelle , ce fut une efpece
de bandeau , ou de diadême , qui lui ceignoit
le front, & fur lequel on voyoit écrit
LA NATURE.
Ce bandeau étoit large , élevé , & comme
partagé en deux Miroirs éclatans ,
dans l'un defquels on voyoit une repréfentation
inexplicable de l'étendue en gé
néral , & de tous les myfteres ; je veux
dire des vertus occultes de la matiere , de
l'efpace qu'elle occupe , du reffort qui la
meut , de fa divifibilité à l'infini ; en un
mot de tous les attributs dont nous ne
connoiffons qu'une partie.
L'autre miroir qui n'étoit féparé du
premier que d'une ligne extrêmement déliée
, repréſentoit un être encore plus indéfiniffable.
C'étoit comme une image de l'ame , ou
de la penſée en général ; car j'y vis toutes
les façons poffibles de penfer & de fentir
des hommes , avec la fubdivifion de tous
les degrés d'efprit & de fentiment , de vices
D
74 MERCURE DE FRANCE.
& de vertus , de courage & de foibleffe ,
de malice & de bonté , de vanité & de
fimplicité que nous pouvons avoir.
Enfin tout ce que les hommes font ,
tout ce qu'ils peuvent être , & tout ce
qu'ils ont été , fe trouvoit dans cet exemplaire
des grandeurs & des miferes de l'ane
humaine.
J'y vis , je ne fçai comment , tout ce
qu'en fait d'ouvrages , l'efprit de l'homme
avoit jufqu'ici produit ou rêvé , c'eſt-àdire
j'y vis depuis le plus mauvais conte
de Fée , jufqu'aux fyftêmes anciens & modernes
les plus ingénieufement imaginés
; depuis le plus plat écrivain jufqu'à
l'auteur des Mondes : c'étoit y trouver les
deux extrêmités. J'y remarquai l'obſcure
Philofophie d'Ariftote ; & malgré fon obfcurité
, j'en admirai l'auteur , dont l'efprit
n'a point eu d'autres bornes que celles que
l'efprit humain avoit de fon tems ; il me
fembla même qu'il les avoit paffées .
J'y obfervai l'incompréhenfible & merveilleux
tour d'imagination de ceux qui
durant tant de fiécles ont cru non feulement
qu'Ariftote avoit tout connu , tout
expliqué , tout entendu , mais qui ont encore
cru tout comprendre eux - mêmes ,
& pouvoir rendre raifon de tout d'après
lui.
JANVIER. 1755. 75
J'y trouvai cette idée du Pere Mallebranche
, ou , fi vous voulez , cette viſion
auffi raifonnée que fubtile & finguliere ,
& qui n'a pu s'arranger qu'avec tant d'efprit
, qui eft que nous voyons tout en
Dieu .
Le fyftême du fameux Defcartes , cet
homme unique , à qui tous les hommes
des fiécles à venir auront l'éternelle obligation
de fçavoir penfer , & de penfer
mieux que lui ; cet homme qui a éclairé
la terre , qui a détruit cette ancienne idole
de notre ignorance ; je veux dire le tiſſu
de fuppofitions , refpecté depuis fi longtems
, qu'on appelloit Philofophie , & qui
n'en étoit pas moins l'ouvrage des meil,
leurs génies de l'antiquité ; cet homme
enfin qui , même en s'écartant quelquefois
de la vérité , ne s'en écarte plus en
enfant comme on faifoit avant lui , mais
en homme , mais en Philofophe , qui nous
a appris à remarquer quand il s'en écarte
qui nous a laiffé le fecret de nous redreffer
nous mêmes ; qui , d'enfans que nous
étions , nous a changés en hommes à notre
tour, & qui, n'eût- il fait qu'un excellent Roman
, comme quelques- uns le difent , nous
a du moins mis en état de n'en plus faire .
Le fyftême du célebre , du grand
Newton , & par la fagacité de fes dé-
D ij
75 MERCURE DE FRANCE.
couvertes , peut-être plus grand que Defcartes
même , s'il n'avoit pas été bien plus
aifé d'être Newton après Defcartes , que
d'être Defcartes fans le fecours de perfonne
, & fi ce n'étoit pas avec les forces
que ce dernier a données à l'efprit humain
, qu'on peut aujourd'hui furpaffer
Defcartes même. Auffi voyois- je qu'il y a
des génies admirables , pourvû qu'ils viennent
après d'autres , & qu'il y en a de faits
pour venir les premiers. Les uns changent
l'état de l'efprit humain , ils caufent une
révolution dans les idées. Les autres , pour
être à leur place , ont befoin de trouver
cette révolution toute arrivée , ils en corrigent
les Auteurs , & cependant ils ne l'auroient
pas faite .
J'obfervai tous les Poëmes qu'on appelle
épiques , celui de l'Iliade dont je ne
juge point , parce que je n'en fuis pas digne
, attendu que je ne l'ai lû qu'en françois
, & que ce n'eft pas la le connoître
mais qu'on met le premier de tous , &
qui auroit bien de la peine à ne pas l'être ,
parce qu'il eft Grec , & le plus ancien, Celui
de l'Enéide qui a tort de n'être venu
que le fecond , & dont j'admirai l'éléganla
fageffe & la majefté ; mais qui eft
ce ,
un peu long.
Celui du Taffe qui eft fi intéressant ,
JANVIER. 1755 77
qui eft un ouvrage fi bien fait , qu'on lit
encore avec tant de plaifir dans la derniere
traduction françoife qu'un habile
Académicien en a faite ; qui y a conſervé
tant de graces; qui ne vous enleve pas ,
mais qui vous mene avec douceur , par un
attrait moins apperçu que fenti ; enfin qui
vous gagne , & que vous aimez à fuivre ,
en françois comme en italien , malgré
quelques petits conchettis qu'on lui reproche
, & qui ne font pas fréquens.
Celui de Milton , qui eft peut - être le
plus fuivi , le plus contagieux , le plus fublime
écart de l'imagination qu'on ait ja
mais vû jufques ici
J'y vis le Paradis terreftre , imité de Mil
ron , par Madame Du .. Bo ... ouvrage
dont Milton même eut infailliblement
adopté la fageffe & les corrections , &
qui prouve que les forces de l'efprit humain
n'ont point de fexe . Ouvrage enfin
fait par un auteur qui par-tout y a laiffé
l'empreinte d'un efprit à fon tour créateur
de ce qu'il imite , & qui tient en lui , quand
il voudra , de quoi mériter l'honneur d'être
imité lui-même.
Celui de la Henriade , ce Poëme fi agréa
blement irrégulier , & qui à force de
beautés vives , jeunes , brillantes & continues
, nous a prouvé qu'il y a une magie
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
d'efprit , au moyen de laquelle un ouvrage
peut avoir des défauts fans conféquence.
J'oubliois celui de Lucain qui mérite
attention, & où je trouvai une fierté tantôt
Romaine & tantôt Gafconne , qui m'amufa
beaucoup.
Je n'aurois jamais fait fi je voulois parler
de tous les Poëmes que je vis ; mais
j'avoue que je confiderai quelque tems
celui de Chapelain , cette Pucelle fi fameufe
& fi admirée avant qu'elle parut ,
& fi ridicule dès qu'elle fe montra .
L'efprit que Chapelain avoit en de fon
vivant , étoit là auffi bien que fon Poëme ,
& il me fembla que le Poëme étoit bien
au deffous de l'efprit.
J'examinai en même tems d'où cela ve
noit , & je compris , à n'en pouvoir douter
, que fi Chapelain n'avoit fçu que la
moitié de la bonne opinion qu'on avoit
de lui , fon Poëme auroit été meilleur , ou
moins mauvais.
·
Mais cet auteur , fur la foi de fa réputation
, conçut une fi grande & fi férieuſe
vénération pour lui-même , fe crut obligé
d'être fi merveilleux , qu'en cet état il n'y
eut point de vers fur lequel il ne s'appefantit
gravement pour le mieux faire ,
point de raffinement difficile & bizarre
dont il ne s'avisất ; & qu'enfin il ne fir
JANVIER, 1755. 79
plus que des efforts de miférable pédant ,
qui prend les contorfions de fon efprit
pour de l'art , fon froid orgueil pour de la
capacité , & fes recherches hétéroclites
pour du fublime.
Et je voyois que tout cela ne lui feroit
point arrivé , s'il avoit ignoré l'admiration
qu'on avoit eue d'avance pour fa Pucelle .
Je voyois que Chapelain moins eftimé
en feroit devenu plus eftimable ; car dans
le fond il avoit beaucoup d'efprit , mais il
n'en avoit pas affez pour voir clair à travers
tout l'amour propre qu'on lui donna ;
& ce fut un malheur pour lui d'avoir été
mis à une fi forte épreuve que bien d'autres
que lui n'ont pas foutenue.
Il n'y a gueres que les hommes abfolument
fupérieurs qui la foutiennent, & qui
en profitent , parce qu'ils ne prennent jamais
de ce fentiment d'amour propre que
ce qu'il leur en faut pour encourager leur
efprit .
Auffi le public peut-il préfumer de ceuxlà
tant qu'il voudra , il n'y fera point
trompé , & ils n'en feront que mieux . Ce
n'eft qu'en les admirant un peu d'avance ,
qu'il les met en état de devenir admirables
; ils n'oferoient pas l'être fans cela ,
on peut- être ignoreroient- ils combien ils
peuvent l'être.
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Voici encore des hommes d'une autre
efpece à cet égard là , & que je vis auffi
dans la glace . L'eftime du public perdit
Chapelain , elle fut caufe qu'il s'excéda
pour s'élever au deffus de la haute idée
qu'on avoit de lui , & il y périt : ceux- ci
au contraire fe relâchent en pareil cas ;
dès que le public eft prévenu d'une cer
taine maniere en leur faveur , ils ofent en
conclure qu'il le fera toujours , & qu'ils
ont tant d'efprit , que même en le laiffant
aller cavalierement à ce qui leur en viendra
, fans tant fe fatiguer, ils ne fçauroient
manquer d'en avoir affez & de reite , pour
continuer de plaire à ce public déja fr
prévenu.
Là- deffus ils fe négligent , & ils tombent.
Ce n'eft pas là tout. Veulent - ils fe
corriger de cet excès de confiance qui leur
a nui ? je compris qu'ils s'en corrigent
tant , qu'après cela ils ne fçavent plus où
ils en font. Je vis que dans la peur qui
les prend de mal faire , ils ne peuvent plus
fe remettre à cet heureux point de hardieffe
& de retenue , où ils étoient avant
leur chûte , & qui a fait le fuccès de leurs
premiers ouvrages.
C'est comme un équilibre qu'ils ne re
trouvent plus , & quand ils le retrouve
roient , le public ne s'en apperçoit pas d'a
JANVIER. 1755.
8'r
bord : il renonce difficilement à fe mocquer
d'eux ; il aime à prendre fa revanche de
l'eftime qu'il leur a accordée ; leur chûte
eft une bonne fortune pour lui.
Il faut pourtant faire une obfervation :
c'est que parmi ceux dont je parle , il y en
a quelques- uns que leur difgrace fcandalife
plus qu'elle ne les abbat , & qui ramaffant
fierement leurs forces , lancent ,
pour ainfi dire , un ouvrage qui fait taire
les rieurs , & qui rétablit l'ordre.
En voilà affez là - deffus : je me fuis:
peut-être un peu trop arrêté fur cette matere
; mais on fait volontiers de trop longues,
relations des chofes qu'on a confidérées
avec attention .
Venons à d'autres objets : j'en remar
quai quatre ou cinq qui me frapperent ,
& quí , chacun dans leur genre , étoient
d'une beauté fublime :
C'étoit l'inimitable élégance de Racine ,
le puiffant génie de Corneille , la fagacité
de l'efprit de la Motte , l'emportement admirable
du fentiment de l'auteur de Rhadamifte
, & le charme des graces de l'auteur
de Zaïre .
Je m'attendriffois avec Racine , je me
trouvois grand avec Corneille ; j'aimois
mes foibleffes avec l'un , elles m'auroient:
deshonoré avec l'autre,
D vi
82 MERCURE DE FRANCE.
L'auteur de Zaïre ennobliffoit mes idées
celui de Rhadamifte m'infpiroit des paffions
terribles ; il fondoit les profondeurs
de mon ame , & je penfois avec la Motte.
Permettez-moi de m'arrêter un peu
fur ce
dernier.
C'étoit un excellent homme , quoiqu'il
ait eu tant de contradicteurs : on l'a mis
au deffous de gens qui étoient bien audeffous
de lui , & le miroir m'a appris d'où
cela venoit en partie .
C'eft qu'il étoit bon à tout , ce qui eft un
grand défaut il vaut mieux , avec les hommes
, n'être bon qu'à quelque chofe , & la
Motte avoit ce tort.
Qu'est- ce que c'eft qu'un homme qui ne
fe contente pas d'être un des meilleurs
efprits du monde en profe , & qui veut
encore faire des opera , des tragédies , des
odes pindariques , anacréontiques , des
comédies même , & qui réuffit en tout
ce que je dis là , qui plus eft cela eſt ri—·
dicule.
Il faut prendre un état dans la République
des Lettres , & ce n'eft pas en avoir
un que d'y faire le métier de tout le
monde ; auffi fes critiques ont- ils habilement
découvert que la Motte avec toute fa.
capacité prétendue , n'étoit qu'un Philofophe
adroit qui fçavoit fe déguifer en ce qu'il
JANVIER. 1755 .
83
vouloit être , au point que fans fon excellent
efprit, qui le trahiffoit quelquefois ,
on l'auroit pris pour un très -bel efprit ;
c'étoit comme un fage qui auroit très - bien
contrefait le petit maître .
On dit que la premiere tragédie dont
on ignoroit qu'il fut l'auteur , paſſa d'abord
pour être un ouvrage pofthume de
Racine.
Dans fes fables même qu'on a tant décriées
, il y en a quelques- unes où il abufe
tant de fa foupleffe , que des gens d'ef
prit qui les avoient lûes fans plaifit dans
le recueil , mais qui ne s'en reffouvenoient
plus , & à qui un mauvais plaifant , quel
que tems après , les récitoit comme de la
Fontaine , les trouverent admirables , &
crurent en effet. que c'étoit la Fontaine qui
les avoit faites. Voilà le plus fouvent comme
on juge, & cependant on croit juger,
Car pourquoi leur avoient- elles paru mauvaifes
la premiere fois qu'ils les avoient
lues : c'eft que la mode étoit que l'auteur
ne réuffit pas; c'eft qu'ils fçavoient alors
que la Motte en étoit l'auteur ; c'eft qu'à la
tête du livre ils avoient vû le nom d'un
homme qui vouloit avoir trop de fortes
de mérite à la fois , qui effectivement les
auroit eus , fi on n'avoit pas empêché le
public de s'y méprendre , & qui même n'a
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
pas laiffé de les avoir à travers les contra--
dictions qu'il a éprouvées ; car on l'a plus
perfécuté que détruit , malgré l'efpece d'oftracifme
qu'on a exercé contre lui , & qu'il'
méritoit bien.
Il faut pourtant convenir qu'on lui fait
un reproche affez juſte , c'eſt qu'il remuoit
moins qu'il n'éclairoit ; qu'il parloit
plus à l'homme intelligent qu'à l'hom
me fenfible ; ce qui eft un defavantage:
avec nous , qu'un auteur ne peut affectionner
ni rendre attentifs à l'efprit qu'il nous.
préfente , qu'en donnant , pour ainfi dire ,
des chairs à fes idées ; ne nous donner
que des lumieres , ce n'eft encore embraffer
que la moitié de ce que nous fommes ,
& même la moitié qui nous eft la plus indifférente
: nous nous fouçions bien moins
de connoître que de jouir , & en pareit
cas l'ame jouit quand elle fent.
Mais je fais une reflexion ; je vous ai
parlé de la Motte , de Corneille , de Racine
, des Poëmes d'Homere , de Virgile ,
du Taffe , de Milton , de Chapelain , des
fyftèmes des Philofophes paffés , & il n'y
a pas de mal à cela.
pas
Beaucoup de gens , je penfe , ne feront
de l'avis du Miroir , & je m'y attends ,
par hazard vous montrez mes relations
comme je vous permets de le faire.
fi
JANVIER. 1755. 85
Mais en ce cas , fupprimez- en , je vous
prie , tout ce qui regardera les auteurs vivans.
Je connois ces Meffieurs là , ils ne
feroient pas même contens des éloges que
j'ai trouvés pour eux.
Je veux pourtant bien qu'ils fçachent
que je les épargne , & qu'il ne tiendroit
qu'à moi de rapporter leurs défauts qui fe
trouvoient auffi ; qu'à la vérité , j'ai vu
moins diftinctement que leurs beautés ,
parce que je n'ai pas voulu m'y arrêter ,
& que je n'ai fait que les appercevoir.
Mais c'eft affez que d'appercevoir des
défauts pour les avoir bien vûs , on a malgré
foi de fi bons yeux là - deffus. Il n'y a
que le mérite des gens qui a befoin d'être
extrêmement confidéré pour être connu ; on
croit toujours s'être trompé quand on n'a
fait que le voir. Quoiqu'il en foit , j'ai remarqué
les défauts de nos auteurs , & je
m'abſtiens de les dire . Il me femble même
les avoir oubliés : mais ce font encore là
de ces chofes qu'on oublie toujours affez
mal , & je me les rappellerois bien s'il
le falloit ; qu'on ne me fache pas ..
A propos d'Auteurs ou de Poëtes , j'apperçus
un Poëme intitulé le Bonheur , qui
n'a point encore paru , & qui vient d'un
génie qui ne s'eft point encore montré an
public , qui s'eft formé dans le filence ,
86 MERCURE DE FRANCE.
& qui menaceroit nos plus grands Poëtes
de l'apparition la plus brillante : il iroit
de pair avec eux , ou , pour me fervir de
l'expreffion de Racine , il marcheroit du
moins leur égal , fi le plaifir de penfer philofophiquement
en profe ne le débauche
pas , comme j'en ai peur.
Il étoit fur la ligne des meilleurs efprits ;
il y occupoit même une place à part , &
étoit là comme en réferve fous une trèsaimable
figure , mais en même tems fi
modefte qu'il ne tint pas à lui que je ne
le viffe point.
Mais venons à d'autres objets ; je parle
des génies du tems paffé ou de ceux d'au
jourd'hui , fuivant que leur article fe préfente
à ma mémoire ; ne m'en demandez
pas davantage. Il y en aura beaucoup d'autres
, tant auteurs tragiques que comiques
, dont je ferai mention dans la fuite
de ma relation .
Entre tous ceux de l'antiquité qu'on
admire encore > & par l'excellence de
leurs talens , & par une ancienne tradition
d'eftime qui s'eft confervée pour eux ; enfin
par une fage précaution contre le mérite
des modernes , car il entre de tout
cela dans cette perpétuité d'admiration qui
fe foutient en leur faveur.
Entre tant de beaux génies , dis -je , Eus
JANVIE R. 1755 . 87
ripide & Sophocle furent de ceux que je
diftinguai les plus dans le miroir.
Je les confiderai donc fort attentivement
& avec grand plaifir , fans les trouver
, je l'avoue , auffi inimitables qu'ils le
font dans l'opinion des partifans des anciens.
L'idée qui me les a montrés n'eft
d'aucun parti , elle leur fait auffi beaucoup
plus d'honneur que ne leur en font les
partifans des modernes.
Il eft vrai que le fentiment de ceux- ci
ne fera jamais le plus généralement applaudi
; car ils difent qu'on peut valoir les anciens
, ce qui eft déja bien hardi ; ils difent
qu'on peut valoir mieux , ce qui eſt encore
pis.
Ils foutiennent que des gens de notre
nation , que nous avons vûs ou que nous
aurions pû voir ; en un mot , que des modernes
qui vivoient il n'y a gueres plus
d'un demi-fiécle , les ont furpaffés ; voilà
qui eft bien mal entendu .
Car cette poffibilité de les valoir , &
même de valoir mieux , une fois bien établie
, & tirée d'après des modernes qui
vivoient il n'y a pas long- tems , pourquoi
nos illuftres modernes d'aujourd'hui ne
pourroient- ils pas à leur tour leur être
égaux , & même leur être fupérieurs ? il
ne feroit pas ridicule de le penfer ; il ne
SS MERCURE DE FRANCE.
fe feroit pas même de regarder la chofe
comme arrivée ; mais ce qui eft ridicule
& même infenfé , à ce que marque la glace
, c'eft d'efperer que cette poffibilité &
fes conféquences puiffent jamais paffer.
Quoi , nous aurons parmi nous des
hommes qu'il feroit raifonnable d'honorer"
autant & plus que d'anciens Grecs ou d'anciens
Romains !
Eh mais , que feroit- on d'eux dans la fociété
: & quel fcandale ne feroit -ce point là ?
Comment ! des hommes à qui on ne'
pourroit plus faire que de très- humbles
repréſentations fur leurs ouvrages , & non
pas des critiques de pair à pair comme en
font tant de gens du monde , qui pour'
n'être point auteurs , ne prétendent pas
en avoir moins d'efprit que ceux qui le
font , & qui ont peut- être raifon ?
Des hommes vis- à vis de qui tant de
fçavans auteurs & traducteurs des anciens
ne feroient plus rien , & perdroient leus
état ? car ils en ont un très- diftingué , &
qu'ils meritent , à l'excès près des privileges
qu'ils fe donnent. Un fçavant eft
exempt d'admirer les plus grands génies
de fon tems ; il tient leur mérite en échec ,
il leur fait face ; il en a bien vû d'autres.
Des hommes enfin qui romproient tout
équilibre dans la république des Lettres 2:
JAN VIE K. 1755.
qui laifferoient une diſtance trop décidée
entr'eux & leurs confreres ? diftance qui a
toujours plus l'air d'une opinion que d'un
fait.
Non , Monfieur , jamais il n'y eut de
pareils modernes , & il n'y en aura jamais .
La nature elle-même eft trop fage pour
avoir permis que les grands hommes de
chaque fiécle affiftaffent en perfonne à la
plénitude des éloges qu'ils méritent , &
qu'on pourra leur donner quelque jour
il feroit indécent pour eux & injurieux
pour les autres qu'ils en fuffent témoins .
Auffi dans tous les âges ont- ils affaire
à un public fait exprès pour les tenir en
refpect , & dont je vais en deux mots vous
définir le caractere.
Je commence par vous dire que c'eft le
public de leur tems ; voilà déja fa définition
bien avancée .
Ce public , tout à la fois juge & partie
de ces grands hommes qu'il aime & qu'il
humilie ; ce public , tout avide qu'il eft
des plaifirs qu'ils s'efforcent de lui donner
, & qu'en effet ils lui donnent , eft ce--
pendant aflez curieux de les voir manquer
leur coup , & l'on diroit qu'il manque
le fien , quand il eft content d'eux.
Au furplus la glace m'a convaincu d'une
shofe ; c'eft que la poftérité , fi nos grands
90 MERCURE DE FRANCE.
}
hommes parviennent juſqu'à elle , ne ſçaura
ni fi bien , nifi exactement ce qu'ils valent
que nous pouvons le fçavoir aujourd'hui .
Cette poftérité , faite comme toutes les poftérités
du monde , aura infailliblement le
défaut de les louer trop , elle voudra qu'ils
foient incomparables ; elle s'imaginera fentir
qu'ils le font , fans fe douter que ce
ne fera là qu'une malice de fa part pour
mortifier fes illuftres modernes , & pour
fe difpenfer de leur rendre juftice. Or je
vous le demande , dans de pareilles difpofitions
pourra-t- elle apprécier nos modernes
qui feront fes anciens le mérite
imaginaire qu'elle voudra leur trouver , ne
l'empêchera-t- il pas de difcerner le mérite
réel qu'ils auront ? Qui eft-ce qui pourra
démêler alors à quel dégré d'eftime on
s'arrêteroit pour eux , fi on n'avoit pas
envie de les eftimer tant au lieu qu'au
jourd'hui je fçais à peu près au jufte la
véritable opinion qu'on a d'eux , & je fuis
fûr que je le fçais bien , car il me l'a dit ,
à moins qu'elle ne lui échappe.
Je pourrois m'y tromper fi je n'en croyois
que la diverfité des difcours qu'il tient
mais il fe hâte d'acheter & de lire leurs
ouvrages , mais il court aux parodies qu'on
en fait , mais il eft avide de toutes les critiques
bien ou mal tournées qu'on répand
1
JANVIER. 1755. 91
contr'eux ; & qu'est- ce que tout cela fignifie
finon beaucoup d'eftime qu'on
ne veut pas déclarer franchement.
Eh ! ne fommes nous pas toujours de cette
humeur là ? n'aimons nous pas mieux vanter
un étranger qu'un compatriote ? un homme
abfent qu'un homme préfent ? Prenez-y.
garde , avons-nous deux citoyens également
illuftres celui dont on eft le plus
voifin eft celui qu'on loue le plus fobrement.
Si Euripide & Sophocle , fi Virgile &
le divin Homere lui-même revenoient au
monde , je ne dis pas avec l'efprit de leur
tems , car il ne fuffiroit peut-être pas aujourd'hui
pour nous ; mais avec la même
capacité d'efprit qu'ils avoient, précisément
avec le même cerveau , qui fe rempliroit
des idées de notre âge ; fi fans nous avertir
de ce qu'ils ont été , ils devenoient nos
contemporains , dans l'efpérance de nous
ravir & de nous enchanter encore , en s'adonnant
au même genre d'ouvrage auquel
ils s'adonnerent autrefois , ils feroient
bien étourdis de voir qu'il faudroit qu'ils
s'humiliaffent devant ce qu'ils furent; qu'ils
ne pourroient plus entrer en comparaiſon
avec eux-mêmes , à quelque fublimité d'efprit
qu'ils s'élevaffent ; bien étourdis de fe
trouver de fumples modernes apparemment
2 MERCURE DE FRANCE.
bons ou excellens , mais cependant des
Poëtes médiocres auprès de l'Euripide ,
du Sophocle , du Virgile , & de l'Homere
d'autrefois , qui leur paroîtroient , fuivant
toute apparence, bien inférieurs à ce qu'ils
feroient alors. Car comment , diroient-ils ,
ne ferions-nous pas à préfent plus habiles
que nous ne l'étions ? Ce n'eft pas la capa
cité qui nous manque' ; on n'a rien changé
à la tête excellente que nous avions , &
qui fait dire à nos partifans qu'il n'y en a
plus de pareilles. L'efprit humain dont nous.
avons aujourd'hui notre part , auroit- il
baiffé ? au contraire il doit être plus avancé
que jamais ; il y a fi long- tems qu'il féjourne
fur la terre , & qu'il y voyage , &
qu'il s'y inftruit ; il y a vu tant de chofes
, & il s'y eft fortifié de tant d'expériences
, diroient- ils .... Vous riez , Monfieur
; voilà pourtant ce qui leur arrive
roit , & ce qu'ils diroient . Je vous parle
d'après la glace , d'où je recueille tout ce
que je vous dis-là,
Il ne faut pas croire que les plus grands'
hommes de l'antiquité ayent joui dans'
leur tems de cette admiration que nous
avons pour eux , & qui eft devenue avec
juftice , comme un dogme de religion litréraire.
Il ne faut pas croire que Demof
thene & que Ciceron ( & c'eft ce que nous
JANVIER. 1755. 93
avons de plus grand ) n'ayent pas fçu à
leur tour ce que c'étoit que d'être modernes,
& n'ayent pas effuyé les contradictions
attachées à cette condition- là ? Figurezvous
, Monfieur , qu'il n'y a pas un homine
illuftre à qui fon fiécle ait pardonné l'eftime
& la réputation qu'il y a acquifes , &
qu'enfin jamais le mérite n'a été impuné
ment contemporain .
Quelques vertus , quelques qualités
qu'on ait , par quelque talent qu'on ſe diftingue
, c'est toujours en pareil cas un
grand défaut que de vivre.
Je ne fçache que les Rois , qui de leur
tems même & pendant qu'ils regnent, ayent
le privilege d'être d'avance un peu anciens;
encore l'hommage que nous leur rendons
alors , eft-il bien inférieur à celui qu'on
leur rend cent ans après eux. On ne fçauroit
croire jufqu'où va là deffus la force ,
le bénéfice & le preftige des diftances .
Leur effet s'étend fi loin , qu'il n'y a point
aujourd'hui de femme qu'on n'honorât,
qu'on ne patût flater en la comparant à
Helene ; & je vous garantis , fur la foi
de la glace , qu'Helene , dans fon-tems , fut
extrêmement critiquée , & qu'on vantoit
alors quelque ancienne beauté qu'on mettoit
bien au- deffus d'elle , parce qu'on ne
la voyoit plus , & qu'on voyoit Helene ,
94 MERCURE DE FRANCE.
Je vous affure que nous avons actuellement
d'auffi belles femmes que les plus
belles de l'antiquité ; mais fuffent - elles
des Anges dans leur fexe ( & je ris moimême
de ce que je vais dire ) ce font des
Anges qui ont le tort d'être vifibles , &
qui dans notre opinion jalouſe ne ſçauroient
approcher des beautés anciennes que
nous ne faifons qu'imaginer , & que nous
avons la malice ou la duperie de nous repréfenter
comme des prodiges fans retour.
Revenons à Sophocle & à Euripide dont
j'ai déja parlé ; & achevons d'en rapporter
ce que le miroir m'en a appris.
C'eft qu'ils ont été , pour le moins , les
Corneille , les Racine , les Crébillon &
les Voltaire de leur tems , & qu'ils auroient
été tout cela du nôtre ; de même
que nos modernes , à ce que je voyois auffi
, auroient été à peu près les SSoophocle
& les Euripide du tems paffé.
Je dis à peu près , car je ne veux blafphêmer
dans l'efprit d'aucun amateur des
anciens : il eſt vrai que ce n'eft pas là mé
nager les modernes , mais je ne fais pas
tant de façon avec eux qu'avec les partifans
des anciens , qui n'entendent pas raillerie
fur cet article - ci ; au lieu que les
autres , en leur qualité de modernes & de
gens moins favorifés , font plus accommoJANVIER.
1755. 95
dans , & le prennent fur un ton moins fier .
J'avouerai pourtant que la glace n'eft pas
de l'avis des premiers fur le prétendu affoibliffement
des efprits d'aujourd'hui .
Non, Monfieur, la nature n'eft pas fur fon
déclin, du moins ne reffemblons - nous guere
à des vieillards , & la force de nos paſſions ,
de nos folies , & la médiocrité de nos connoiffances
, malgré les progrès qu'elles ont
faites , devroient nous faire foupçonner que
cette nature est encore bien jeune en nous.
Quoiqu'il en foit , nous ne fçavons pas
l'âge qu'elle a , peut - être n'en a- t -elle point,
& le miroir ne m'a rien appris là - deſſus.
Mais ce que j'y ai remarqué , c'eft que
depuis les tems fi renommés de Rome &
d'Athenes , il n'y a pas eu de fiécle où il n'y
ait eu d'auffi grands efprits qu'il en fut
jamais , où il n'y ait eu d'auffi bonnes têtes
que l'étoient celles de Ciceron , de Démofthene
, de Virgile , de Sophocle , d'Euripide
, d'Homere même , de cet homme
divin , que je fuis comme effrayé de ne pas
voir excepté dans la glace , mais enfin qui
ne l'eft point.
Voilà qui eft bien fort, m'allez-vous dire
comment donc votre glace l'entend- elle ?
Où font ces grands efprits , comparables
à ceux de l'antiquité & depuis les Grecs
& les Romains , où prendrez- vous ces Ci96
MERCURE DE FRANCE.
1
ceron , ces Démofthene , &c. dont vous
parlez ?
Sera -ce dans notre nation , chez qui ,
pendant je ne fçais combien de fiécles &
jufqu'à celui de Louis XIV , il n'a paru en
fait de Belles- Lettres , que de mauvais ouvrages
, que des ouvrages ridicules ?
Oui , Monfieur , vous avez raifon , trèsridicules
, le miroir lui- même en convient,
& n'en fait pas plus de cas que vous ; &
cependant il affure qu'il y eut alors des génies
fupérieurs , des hommes de la plus
grande capacité..
Que firent- ils donc ? de mauvais - ouvrages
auffi , tant en vers qu'en profe ; mais
des infiniment moins mauvais ,
ouvrages
( pefez ce que je vous dis là ) infiniment
moins ridicules que ceux de leurs contemporains.
Et la capacité qu'il fallut avoir alors
pour n'y laiffer que le degré de ridicule
dont je parle , auroit fuffi dans d'autres
tems pour les rendre admirables .
N'imputez point à leurs Auteurs ce
qu'il y refta de vicieux , prenez - vous en
aux fiécles barbares où ces grands efprits
arriverent , & à la déteſtable éducation
qu'ils y recurent en fait d'ouvrages d'efprit .
Ils auroient été les premiers efprits d'un
autre fiécle , comme ils furent les premiers
efprits
JANVIER. 1755 . 97
efprits du left ; il ne falloit pas pour cela
qu'ils fuffent plus forts , il falloit feulement
qu'ils fuffent mieux placés .
Ciceron auffi mal élevé , auffi peu encouragé
qu'eux , né comme eux dans un fiécle
groffier , où il n'auroit trouvé ni cette
tribune aux harangues , ni ce Sénat , ni ces
affemblées du peuple devant qui il s'agiffoit
des plus grands intérêts du monde , ni
enfin toute cette forme de gouvernement
qui foumettoit la fortune des nations &
des Rois au pouvoir & à l'autorité de l'éloquence
, & qui déféroit les honneurs &
les dignités à l'orateur qui fçavoit le mieux
parler.
Ciceron privé des reffources que je viens
de dire , ne s'en feroit pas mieux tiré que
ceux dont il eft queftion ; & quoiqu'infailliblement
il eut été l'homme de fon tems
le plus éloquent , l'homme le plus éloquent
de ce tems là ne feroit pas aujourd'hui
l'objet de notre admiration ; il nous paroîtroit
bien étrange que la glace en fit un
homme fupérieur , & ce feroit pourtant
Ciceron , c'est -à- dire un des plus grands
hommes du monde, que nous n'eftimerions
pas plus que ceux dont nous parlons , & à
qui , comme je l'ai dit , il n'a manqué que
d'avoir été mieux placés.
Quand je dis mieux placés , je n'entends
E
93 MERCURE DE FRANCE.
pas que l'efprit manquât dans les fiécles que
j'appelle barbares. Jamais encore il n'y en
avoit eu tant de répandu ni d'amaffé parmi
les hommes , comme j'ai remarqué que
l'auroient dit Euripide & Sophocle que
j'ai fait parler plus bas.
Jamais l'efprit humain n'avoit encore
été le produit de tant d'efprits , c'est une
vérité que la glace m'a rendu fenfible .
J'y ai vû que l'accroiffement de l'efprit
eft une fuite infaillible de la durée du
monde , & qu'il en auroit toujours été
nné fuite , à la vérité plus lente , quand
Fécriture d'abord , enfuite l'imprimerie
n'auroient jamais été inventées.
Il feroit en effet impoffible , Monfieur ,
que tant de générations d'hommes euffent
paffé fur la terre fans y verfer de nouvelles
idées , & fans y en verfer beaucoup plus
que les révolutions , ou d'autres accidens ,
n'ont pû en anéantir ou en diffiper.
Ajoûtez que les idées qui fe diffipent ou
qui s'éteignent , ne font pas comme fi elles
n'avoient jamais été ; elles ne difparoiffent
pas en pure perte ; l'impreffion en refte
dans l'humanité , qui en vaut mieux feulement
de les avoir eues , & qui leur doit
une infinité d'idées qu'elle n'auroit pas
fans elles.
eue
Le plus ftupide ou le plus borné de tous
JANVIER. 1755 . ୭୭
les peuples d'aujourd'hui , l'eft beaucoup
moins que ne l'étoit le plus borné de tous
les peuples d'autrefois .
La difette d'efprit dans le monde connu ,
n'eft nulle part à préfent auffi grande qu'elle
l'a été , ce n'eft plus la même difette.
La glace va plus loin. Par- tout où il y a
des hommes bien ou mal affemblés , ditelle
, quelqu'inconnus qu'ils foient au reſte
de la terre , ils fe fuffifent à eux - mêmes
pour acquerir des idées ; ils en ont aujourd'hui
plus qu'ils n'en avoient il y a deux
mille ans , l'efprit n'a pû demeurer chez
eux dans le même état .
Comparez , fi vous voulez , cet efprit
à un infiniment petit , qui par un accroiffement
infiniment lent , perd toujours quelque
chofe de fa petiteffe.
Enfin , je le repéte encore , l'humanité
en général reçoit toujours plus d'idées
qu'il ne lui en échappe , & fes malheurs
même lui en donnent fouvent plus qu'ils
ne lui en enlevent.
La quantité d'idées qui étoit dans le
monde avant que les Romains l'euffent
foumis , & par conféquent tant agité , étoit
bien au-deffous de la quantité d'idées qui
y entra par l'infolente profpérité des vainqueurs
, & par le trouble & l'abaiffement
du monde vaincu..
E ij
335236
100 MERCURE DE FRANCE.
Chacun de ces états enfanta un nouvel
efprit , & fut une expérience de plus pour.
la terre.
Et de même qu'on n'a pas encore trouvé
toutes les formes dont la matiere eſt
fufceptible , l'ame humaine n'a pas encore
montré tout ce qu'elle peut être ; toutes
fes façons poffibles de penfer & de fentir
ne font pas épuifées .
Et de ce que les hommes ont toujours
les mêmes pailions , les mêmes vices & les
mêmes vertus , il ne faut pas en conclure
qu'ils ne font plus que fe repérer.
Il en eft de cela comme des vifages ; il
n'y en a pas un qui n'ait un nez , une bouche
& des yeux ; mais auffi pas un qui n'ait
tout ce que je dis là avec des différences
& des fingularités qui l'empêchent de reffembler
exactement à tout autre vifage.
Mais revenons à ces efprits fupérieurs
de notre nation , qui firent de mauvais
ouvrages dans les fiécles paflés.
J'ai dit qu'ils y trouverent plus d'idées
qu'il n'y en avoit dans les précédens , mais
malheureufement ils n'y trouverent point
de goût ; de forte qu'ils n'en eurent que
plus d'efpace pour s'égarer.
La quantité d'idées en pareil cas , Monfieur
, eft un inconvénient , & non pas
un fecours ; elle empêche d'être fimple ,
JANVIER. 1755 . TOI'
& fournit abondamment les moyens d'être
tidicule.
Mettez beaucoup de ticheffes entre les
mains d'un homme qui ne fçait pas s'en
fervir , toutes les dépenfes ne feront que
des folies.
Et les anciens n'avoient pas de quoi être
auffi fous , auffi ridicules qu'il ne tierdroit
qu'à nous de l'être.
En revanche jamais ils n'ont été fimples.
avec autant de magnificence que nous ; il
en faut convenir. C'eft du moins le fentiment
de la glace , qui en louant la fimplicité
des anciens, dit qu'elle eft plus litterale
que la nôtre , & que la nôtre eft plus riche
; c'eft fimplicité de grand Seigneur .
Attendez , me direz - vous encore , vous
parlez de fiécles où il n'y avoit point de
goût , quoiqu'il y eût plus d'efprit & plus
d'idées que jamais ; cela n'implique-t- il pas
quelque contradiction ?
Non , Monfieur , fi j'en crois la glace ;
une grande quantité d'idées & une grande
difette de goût dans les ouvrages d'efprit ,
peuvent fort bien fe rencontrer enfemble ,
& ne font point du tout incompatibles.
L'augmentation des idées eft une fuite infaillible
de la durée du monde : la fource
de cette augmentation ne tarit point tant
qu'ily a des hommes qui fe fuccédent , &
E iij
101 MERCURE DE FRANCE.
des aventures qui leur arrivent.
:
Mais l'art d'employer les idées pour des
ouvrages d'efprit , pent fe perdre les lettres
tombent , la critique & le goût difpa-
.roiffent ; les Auteurs deviennent ridicules
ou groffiers , pendant que le fond de l'efprit
humain va toujours croiffant parmi les
hommes.
Par M. DE MARIVAU X.
vous aimez , Monfieur , les aventures
un peu fingulieres , en voici une
qui a dequoi vous contenter : je ne vous
prefferai point de la croire ; vous pouvez
la regarder comme un pur jeu d'efprit ,
elle a l'air de cela ; cependant c'eſt à moi
qu'elle est arrivée.
Je ne vous dirai point au refte dans quel
endroit de la terre j'ai vû ce que je vais
vous dire. C'eft un pays dont les Géographes
n'ont jamais fait mention , non qu'il
ne foit très- fréquenté ; tout le monde y va ,
vous y avez fouvent voyagé vous- même ,
& c'est l'envie de m'y amufer qui m'y a
infenfiblement conduit. Commençons.
Il y avoit trois ou quatre jours que j'étois
à ma campagne , quand je m'avifai
un matin de me promener dans une allée
de mon parc ; retenez bien cette allée ,
car c'eft de la d'où je fuis parti pour le
voyage dont j'ai à vous entretenir.
Dans cette allée je lifois un livre dont
la lecture me jetta dans de profondes réflexions
fur les hommes,
Et de réflexions en réflexions , tou72
MERCURE DE FRANCE.
jours marchant , toujours allant , je mar
chai tant , j'allai tant , je réfléchis tant , &
fi diverſement , que fans prendre garde à
ce que je devenois , fans obferver par où
je paffois , je me trouvai infenfiblement
dans le pays dont je parlois tout à l'heure ,
où j'achevai de m'oublier , pour me livrer
tout entier au plaifir d'examiner ce qui
s'offroit à mes regards , & en effet le ſpectacle
étoit curieux. Il me fembla donc ;
mais je dis mal , il ne me fembla point :
je vis fûrement une infinité de fourneaux
plus ou moins ardens , mais dont le feune
m'incommodait point , quoique j'en
approchaffe de fort près.
Je ne vous dirai pas à préſent à quoi
ils fervoient ; il n'eft pas encore tems .
Ce n'eft pas là tout ; j'ai bien d'autres
chofes à vous raconter. Au milieu de tous
les fourneaux étoit une perfonne , ou , fi
vous voulez , une Divinité , dont il me feroit
inutile d'entreprendre le portrait , auſſi
n'y tâcherai-je point.
Qu'il vous fuffife de fçavoir que cette
perfonne ou cette Divinité , qui en gros
me parut avoir l'air jeune , & cependant
antique , étoit dans un mouvement perpétuel
, & en même tems fi rapide , qu'il
me fut impoffible de la confiderer en face.
Ce qui eft de certain , c'eft que dans le
mouvement
JANVIER. 1755 . 73
mouvement qui l'agitoit , je la vis fous
tant d'afpects , que je crus voir fucceffivement
paffer toutes les phifionomies du
monde , fans pouvoir faifir la fienne , qui
apparemment les contenoit toutes.
Ce que je démêlai le mieux , & ce que
je ne perdis jamais de vue , malgré fon
agitation continuelle , ce fut une efpece
de bandeau , ou de diadême , qui lui ceignoit
le front, & fur lequel on voyoit écrit
LA NATURE.
Ce bandeau étoit large , élevé , & comme
partagé en deux Miroirs éclatans ,
dans l'un defquels on voyoit une repréfentation
inexplicable de l'étendue en gé
néral , & de tous les myfteres ; je veux
dire des vertus occultes de la matiere , de
l'efpace qu'elle occupe , du reffort qui la
meut , de fa divifibilité à l'infini ; en un
mot de tous les attributs dont nous ne
connoiffons qu'une partie.
L'autre miroir qui n'étoit féparé du
premier que d'une ligne extrêmement déliée
, repréſentoit un être encore plus indéfiniffable.
C'étoit comme une image de l'ame , ou
de la penſée en général ; car j'y vis toutes
les façons poffibles de penfer & de fentir
des hommes , avec la fubdivifion de tous
les degrés d'efprit & de fentiment , de vices
D
74 MERCURE DE FRANCE.
& de vertus , de courage & de foibleffe ,
de malice & de bonté , de vanité & de
fimplicité que nous pouvons avoir.
Enfin tout ce que les hommes font ,
tout ce qu'ils peuvent être , & tout ce
qu'ils ont été , fe trouvoit dans cet exemplaire
des grandeurs & des miferes de l'ane
humaine.
J'y vis , je ne fçai comment , tout ce
qu'en fait d'ouvrages , l'efprit de l'homme
avoit jufqu'ici produit ou rêvé , c'eſt-àdire
j'y vis depuis le plus mauvais conte
de Fée , jufqu'aux fyftêmes anciens & modernes
les plus ingénieufement imaginés
; depuis le plus plat écrivain jufqu'à
l'auteur des Mondes : c'étoit y trouver les
deux extrêmités. J'y remarquai l'obſcure
Philofophie d'Ariftote ; & malgré fon obfcurité
, j'en admirai l'auteur , dont l'efprit
n'a point eu d'autres bornes que celles que
l'efprit humain avoit de fon tems ; il me
fembla même qu'il les avoit paffées .
J'y obfervai l'incompréhenfible & merveilleux
tour d'imagination de ceux qui
durant tant de fiécles ont cru non feulement
qu'Ariftote avoit tout connu , tout
expliqué , tout entendu , mais qui ont encore
cru tout comprendre eux - mêmes ,
& pouvoir rendre raifon de tout d'après
lui.
JANVIER. 1755. 75
J'y trouvai cette idée du Pere Mallebranche
, ou , fi vous voulez , cette viſion
auffi raifonnée que fubtile & finguliere ,
& qui n'a pu s'arranger qu'avec tant d'efprit
, qui eft que nous voyons tout en
Dieu .
Le fyftême du fameux Defcartes , cet
homme unique , à qui tous les hommes
des fiécles à venir auront l'éternelle obligation
de fçavoir penfer , & de penfer
mieux que lui ; cet homme qui a éclairé
la terre , qui a détruit cette ancienne idole
de notre ignorance ; je veux dire le tiſſu
de fuppofitions , refpecté depuis fi longtems
, qu'on appelloit Philofophie , & qui
n'en étoit pas moins l'ouvrage des meil,
leurs génies de l'antiquité ; cet homme
enfin qui , même en s'écartant quelquefois
de la vérité , ne s'en écarte plus en
enfant comme on faifoit avant lui , mais
en homme , mais en Philofophe , qui nous
a appris à remarquer quand il s'en écarte
qui nous a laiffé le fecret de nous redreffer
nous mêmes ; qui , d'enfans que nous
étions , nous a changés en hommes à notre
tour, & qui, n'eût- il fait qu'un excellent Roman
, comme quelques- uns le difent , nous
a du moins mis en état de n'en plus faire .
Le fyftême du célebre , du grand
Newton , & par la fagacité de fes dé-
D ij
75 MERCURE DE FRANCE.
couvertes , peut-être plus grand que Defcartes
même , s'il n'avoit pas été bien plus
aifé d'être Newton après Defcartes , que
d'être Defcartes fans le fecours de perfonne
, & fi ce n'étoit pas avec les forces
que ce dernier a données à l'efprit humain
, qu'on peut aujourd'hui furpaffer
Defcartes même. Auffi voyois- je qu'il y a
des génies admirables , pourvû qu'ils viennent
après d'autres , & qu'il y en a de faits
pour venir les premiers. Les uns changent
l'état de l'efprit humain , ils caufent une
révolution dans les idées. Les autres , pour
être à leur place , ont befoin de trouver
cette révolution toute arrivée , ils en corrigent
les Auteurs , & cependant ils ne l'auroient
pas faite .
J'obfervai tous les Poëmes qu'on appelle
épiques , celui de l'Iliade dont je ne
juge point , parce que je n'en fuis pas digne
, attendu que je ne l'ai lû qu'en françois
, & que ce n'eft pas la le connoître
mais qu'on met le premier de tous , &
qui auroit bien de la peine à ne pas l'être ,
parce qu'il eft Grec , & le plus ancien, Celui
de l'Enéide qui a tort de n'être venu
que le fecond , & dont j'admirai l'éléganla
fageffe & la majefté ; mais qui eft
ce ,
un peu long.
Celui du Taffe qui eft fi intéressant ,
JANVIER. 1755 77
qui eft un ouvrage fi bien fait , qu'on lit
encore avec tant de plaifir dans la derniere
traduction françoife qu'un habile
Académicien en a faite ; qui y a conſervé
tant de graces; qui ne vous enleve pas ,
mais qui vous mene avec douceur , par un
attrait moins apperçu que fenti ; enfin qui
vous gagne , & que vous aimez à fuivre ,
en françois comme en italien , malgré
quelques petits conchettis qu'on lui reproche
, & qui ne font pas fréquens.
Celui de Milton , qui eft peut - être le
plus fuivi , le plus contagieux , le plus fublime
écart de l'imagination qu'on ait ja
mais vû jufques ici
J'y vis le Paradis terreftre , imité de Mil
ron , par Madame Du .. Bo ... ouvrage
dont Milton même eut infailliblement
adopté la fageffe & les corrections , &
qui prouve que les forces de l'efprit humain
n'ont point de fexe . Ouvrage enfin
fait par un auteur qui par-tout y a laiffé
l'empreinte d'un efprit à fon tour créateur
de ce qu'il imite , & qui tient en lui , quand
il voudra , de quoi mériter l'honneur d'être
imité lui-même.
Celui de la Henriade , ce Poëme fi agréa
blement irrégulier , & qui à force de
beautés vives , jeunes , brillantes & continues
, nous a prouvé qu'il y a une magie
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
d'efprit , au moyen de laquelle un ouvrage
peut avoir des défauts fans conféquence.
J'oubliois celui de Lucain qui mérite
attention, & où je trouvai une fierté tantôt
Romaine & tantôt Gafconne , qui m'amufa
beaucoup.
Je n'aurois jamais fait fi je voulois parler
de tous les Poëmes que je vis ; mais
j'avoue que je confiderai quelque tems
celui de Chapelain , cette Pucelle fi fameufe
& fi admirée avant qu'elle parut ,
& fi ridicule dès qu'elle fe montra .
L'efprit que Chapelain avoit en de fon
vivant , étoit là auffi bien que fon Poëme ,
& il me fembla que le Poëme étoit bien
au deffous de l'efprit.
J'examinai en même tems d'où cela ve
noit , & je compris , à n'en pouvoir douter
, que fi Chapelain n'avoit fçu que la
moitié de la bonne opinion qu'on avoit
de lui , fon Poëme auroit été meilleur , ou
moins mauvais.
·
Mais cet auteur , fur la foi de fa réputation
, conçut une fi grande & fi férieuſe
vénération pour lui-même , fe crut obligé
d'être fi merveilleux , qu'en cet état il n'y
eut point de vers fur lequel il ne s'appefantit
gravement pour le mieux faire ,
point de raffinement difficile & bizarre
dont il ne s'avisất ; & qu'enfin il ne fir
JANVIER, 1755. 79
plus que des efforts de miférable pédant ,
qui prend les contorfions de fon efprit
pour de l'art , fon froid orgueil pour de la
capacité , & fes recherches hétéroclites
pour du fublime.
Et je voyois que tout cela ne lui feroit
point arrivé , s'il avoit ignoré l'admiration
qu'on avoit eue d'avance pour fa Pucelle .
Je voyois que Chapelain moins eftimé
en feroit devenu plus eftimable ; car dans
le fond il avoit beaucoup d'efprit , mais il
n'en avoit pas affez pour voir clair à travers
tout l'amour propre qu'on lui donna ;
& ce fut un malheur pour lui d'avoir été
mis à une fi forte épreuve que bien d'autres
que lui n'ont pas foutenue.
Il n'y a gueres que les hommes abfolument
fupérieurs qui la foutiennent, & qui
en profitent , parce qu'ils ne prennent jamais
de ce fentiment d'amour propre que
ce qu'il leur en faut pour encourager leur
efprit .
Auffi le public peut-il préfumer de ceuxlà
tant qu'il voudra , il n'y fera point
trompé , & ils n'en feront que mieux . Ce
n'eft qu'en les admirant un peu d'avance ,
qu'il les met en état de devenir admirables
; ils n'oferoient pas l'être fans cela ,
on peut- être ignoreroient- ils combien ils
peuvent l'être.
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Voici encore des hommes d'une autre
efpece à cet égard là , & que je vis auffi
dans la glace . L'eftime du public perdit
Chapelain , elle fut caufe qu'il s'excéda
pour s'élever au deffus de la haute idée
qu'on avoit de lui , & il y périt : ceux- ci
au contraire fe relâchent en pareil cas ;
dès que le public eft prévenu d'une cer
taine maniere en leur faveur , ils ofent en
conclure qu'il le fera toujours , & qu'ils
ont tant d'efprit , que même en le laiffant
aller cavalierement à ce qui leur en viendra
, fans tant fe fatiguer, ils ne fçauroient
manquer d'en avoir affez & de reite , pour
continuer de plaire à ce public déja fr
prévenu.
Là- deffus ils fe négligent , & ils tombent.
Ce n'eft pas là tout. Veulent - ils fe
corriger de cet excès de confiance qui leur
a nui ? je compris qu'ils s'en corrigent
tant , qu'après cela ils ne fçavent plus où
ils en font. Je vis que dans la peur qui
les prend de mal faire , ils ne peuvent plus
fe remettre à cet heureux point de hardieffe
& de retenue , où ils étoient avant
leur chûte , & qui a fait le fuccès de leurs
premiers ouvrages.
C'est comme un équilibre qu'ils ne re
trouvent plus , & quand ils le retrouve
roient , le public ne s'en apperçoit pas d'a
JANVIER. 1755.
8'r
bord : il renonce difficilement à fe mocquer
d'eux ; il aime à prendre fa revanche de
l'eftime qu'il leur a accordée ; leur chûte
eft une bonne fortune pour lui.
Il faut pourtant faire une obfervation :
c'est que parmi ceux dont je parle , il y en
a quelques- uns que leur difgrace fcandalife
plus qu'elle ne les abbat , & qui ramaffant
fierement leurs forces , lancent ,
pour ainfi dire , un ouvrage qui fait taire
les rieurs , & qui rétablit l'ordre.
En voilà affez là - deffus : je me fuis:
peut-être un peu trop arrêté fur cette matere
; mais on fait volontiers de trop longues,
relations des chofes qu'on a confidérées
avec attention .
Venons à d'autres objets : j'en remar
quai quatre ou cinq qui me frapperent ,
& quí , chacun dans leur genre , étoient
d'une beauté fublime :
C'étoit l'inimitable élégance de Racine ,
le puiffant génie de Corneille , la fagacité
de l'efprit de la Motte , l'emportement admirable
du fentiment de l'auteur de Rhadamifte
, & le charme des graces de l'auteur
de Zaïre .
Je m'attendriffois avec Racine , je me
trouvois grand avec Corneille ; j'aimois
mes foibleffes avec l'un , elles m'auroient:
deshonoré avec l'autre,
D vi
82 MERCURE DE FRANCE.
L'auteur de Zaïre ennobliffoit mes idées
celui de Rhadamifte m'infpiroit des paffions
terribles ; il fondoit les profondeurs
de mon ame , & je penfois avec la Motte.
Permettez-moi de m'arrêter un peu
fur ce
dernier.
C'étoit un excellent homme , quoiqu'il
ait eu tant de contradicteurs : on l'a mis
au deffous de gens qui étoient bien audeffous
de lui , & le miroir m'a appris d'où
cela venoit en partie .
C'eft qu'il étoit bon à tout , ce qui eft un
grand défaut il vaut mieux , avec les hommes
, n'être bon qu'à quelque chofe , & la
Motte avoit ce tort.
Qu'est- ce que c'eft qu'un homme qui ne
fe contente pas d'être un des meilleurs
efprits du monde en profe , & qui veut
encore faire des opera , des tragédies , des
odes pindariques , anacréontiques , des
comédies même , & qui réuffit en tout
ce que je dis là , qui plus eft cela eſt ri—·
dicule.
Il faut prendre un état dans la République
des Lettres , & ce n'eft pas en avoir
un que d'y faire le métier de tout le
monde ; auffi fes critiques ont- ils habilement
découvert que la Motte avec toute fa.
capacité prétendue , n'étoit qu'un Philofophe
adroit qui fçavoit fe déguifer en ce qu'il
JANVIER. 1755 .
83
vouloit être , au point que fans fon excellent
efprit, qui le trahiffoit quelquefois ,
on l'auroit pris pour un très -bel efprit ;
c'étoit comme un fage qui auroit très - bien
contrefait le petit maître .
On dit que la premiere tragédie dont
on ignoroit qu'il fut l'auteur , paſſa d'abord
pour être un ouvrage pofthume de
Racine.
Dans fes fables même qu'on a tant décriées
, il y en a quelques- unes où il abufe
tant de fa foupleffe , que des gens d'ef
prit qui les avoient lûes fans plaifit dans
le recueil , mais qui ne s'en reffouvenoient
plus , & à qui un mauvais plaifant , quel
que tems après , les récitoit comme de la
Fontaine , les trouverent admirables , &
crurent en effet. que c'étoit la Fontaine qui
les avoit faites. Voilà le plus fouvent comme
on juge, & cependant on croit juger,
Car pourquoi leur avoient- elles paru mauvaifes
la premiere fois qu'ils les avoient
lues : c'eft que la mode étoit que l'auteur
ne réuffit pas; c'eft qu'ils fçavoient alors
que la Motte en étoit l'auteur ; c'eft qu'à la
tête du livre ils avoient vû le nom d'un
homme qui vouloit avoir trop de fortes
de mérite à la fois , qui effectivement les
auroit eus , fi on n'avoit pas empêché le
public de s'y méprendre , & qui même n'a
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
pas laiffé de les avoir à travers les contra--
dictions qu'il a éprouvées ; car on l'a plus
perfécuté que détruit , malgré l'efpece d'oftracifme
qu'on a exercé contre lui , & qu'il'
méritoit bien.
Il faut pourtant convenir qu'on lui fait
un reproche affez juſte , c'eſt qu'il remuoit
moins qu'il n'éclairoit ; qu'il parloit
plus à l'homme intelligent qu'à l'hom
me fenfible ; ce qui eft un defavantage:
avec nous , qu'un auteur ne peut affectionner
ni rendre attentifs à l'efprit qu'il nous.
préfente , qu'en donnant , pour ainfi dire ,
des chairs à fes idées ; ne nous donner
que des lumieres , ce n'eft encore embraffer
que la moitié de ce que nous fommes ,
& même la moitié qui nous eft la plus indifférente
: nous nous fouçions bien moins
de connoître que de jouir , & en pareit
cas l'ame jouit quand elle fent.
Mais je fais une reflexion ; je vous ai
parlé de la Motte , de Corneille , de Racine
, des Poëmes d'Homere , de Virgile ,
du Taffe , de Milton , de Chapelain , des
fyftèmes des Philofophes paffés , & il n'y
a pas de mal à cela.
pas
Beaucoup de gens , je penfe , ne feront
de l'avis du Miroir , & je m'y attends ,
par hazard vous montrez mes relations
comme je vous permets de le faire.
fi
JANVIER. 1755. 85
Mais en ce cas , fupprimez- en , je vous
prie , tout ce qui regardera les auteurs vivans.
Je connois ces Meffieurs là , ils ne
feroient pas même contens des éloges que
j'ai trouvés pour eux.
Je veux pourtant bien qu'ils fçachent
que je les épargne , & qu'il ne tiendroit
qu'à moi de rapporter leurs défauts qui fe
trouvoient auffi ; qu'à la vérité , j'ai vu
moins diftinctement que leurs beautés ,
parce que je n'ai pas voulu m'y arrêter ,
& que je n'ai fait que les appercevoir.
Mais c'eft affez que d'appercevoir des
défauts pour les avoir bien vûs , on a malgré
foi de fi bons yeux là - deffus. Il n'y a
que le mérite des gens qui a befoin d'être
extrêmement confidéré pour être connu ; on
croit toujours s'être trompé quand on n'a
fait que le voir. Quoiqu'il en foit , j'ai remarqué
les défauts de nos auteurs , & je
m'abſtiens de les dire . Il me femble même
les avoir oubliés : mais ce font encore là
de ces chofes qu'on oublie toujours affez
mal , & je me les rappellerois bien s'il
le falloit ; qu'on ne me fache pas ..
A propos d'Auteurs ou de Poëtes , j'apperçus
un Poëme intitulé le Bonheur , qui
n'a point encore paru , & qui vient d'un
génie qui ne s'eft point encore montré an
public , qui s'eft formé dans le filence ,
86 MERCURE DE FRANCE.
& qui menaceroit nos plus grands Poëtes
de l'apparition la plus brillante : il iroit
de pair avec eux , ou , pour me fervir de
l'expreffion de Racine , il marcheroit du
moins leur égal , fi le plaifir de penfer philofophiquement
en profe ne le débauche
pas , comme j'en ai peur.
Il étoit fur la ligne des meilleurs efprits ;
il y occupoit même une place à part , &
étoit là comme en réferve fous une trèsaimable
figure , mais en même tems fi
modefte qu'il ne tint pas à lui que je ne
le viffe point.
Mais venons à d'autres objets ; je parle
des génies du tems paffé ou de ceux d'au
jourd'hui , fuivant que leur article fe préfente
à ma mémoire ; ne m'en demandez
pas davantage. Il y en aura beaucoup d'autres
, tant auteurs tragiques que comiques
, dont je ferai mention dans la fuite
de ma relation .
Entre tous ceux de l'antiquité qu'on
admire encore > & par l'excellence de
leurs talens , & par une ancienne tradition
d'eftime qui s'eft confervée pour eux ; enfin
par une fage précaution contre le mérite
des modernes , car il entre de tout
cela dans cette perpétuité d'admiration qui
fe foutient en leur faveur.
Entre tant de beaux génies , dis -je , Eus
JANVIE R. 1755 . 87
ripide & Sophocle furent de ceux que je
diftinguai les plus dans le miroir.
Je les confiderai donc fort attentivement
& avec grand plaifir , fans les trouver
, je l'avoue , auffi inimitables qu'ils le
font dans l'opinion des partifans des anciens.
L'idée qui me les a montrés n'eft
d'aucun parti , elle leur fait auffi beaucoup
plus d'honneur que ne leur en font les
partifans des modernes.
Il eft vrai que le fentiment de ceux- ci
ne fera jamais le plus généralement applaudi
; car ils difent qu'on peut valoir les anciens
, ce qui eft déja bien hardi ; ils difent
qu'on peut valoir mieux , ce qui eſt encore
pis.
Ils foutiennent que des gens de notre
nation , que nous avons vûs ou que nous
aurions pû voir ; en un mot , que des modernes
qui vivoient il n'y a gueres plus
d'un demi-fiécle , les ont furpaffés ; voilà
qui eft bien mal entendu .
Car cette poffibilité de les valoir , &
même de valoir mieux , une fois bien établie
, & tirée d'après des modernes qui
vivoient il n'y a pas long- tems , pourquoi
nos illuftres modernes d'aujourd'hui ne
pourroient- ils pas à leur tour leur être
égaux , & même leur être fupérieurs ? il
ne feroit pas ridicule de le penfer ; il ne
SS MERCURE DE FRANCE.
fe feroit pas même de regarder la chofe
comme arrivée ; mais ce qui eft ridicule
& même infenfé , à ce que marque la glace
, c'eft d'efperer que cette poffibilité &
fes conféquences puiffent jamais paffer.
Quoi , nous aurons parmi nous des
hommes qu'il feroit raifonnable d'honorer"
autant & plus que d'anciens Grecs ou d'anciens
Romains !
Eh mais , que feroit- on d'eux dans la fociété
: & quel fcandale ne feroit -ce point là ?
Comment ! des hommes à qui on ne'
pourroit plus faire que de très- humbles
repréſentations fur leurs ouvrages , & non
pas des critiques de pair à pair comme en
font tant de gens du monde , qui pour'
n'être point auteurs , ne prétendent pas
en avoir moins d'efprit que ceux qui le
font , & qui ont peut- être raifon ?
Des hommes vis- à vis de qui tant de
fçavans auteurs & traducteurs des anciens
ne feroient plus rien , & perdroient leus
état ? car ils en ont un très- diftingué , &
qu'ils meritent , à l'excès près des privileges
qu'ils fe donnent. Un fçavant eft
exempt d'admirer les plus grands génies
de fon tems ; il tient leur mérite en échec ,
il leur fait face ; il en a bien vû d'autres.
Des hommes enfin qui romproient tout
équilibre dans la république des Lettres 2:
JAN VIE K. 1755.
qui laifferoient une diſtance trop décidée
entr'eux & leurs confreres ? diftance qui a
toujours plus l'air d'une opinion que d'un
fait.
Non , Monfieur , jamais il n'y eut de
pareils modernes , & il n'y en aura jamais .
La nature elle-même eft trop fage pour
avoir permis que les grands hommes de
chaque fiécle affiftaffent en perfonne à la
plénitude des éloges qu'ils méritent , &
qu'on pourra leur donner quelque jour
il feroit indécent pour eux & injurieux
pour les autres qu'ils en fuffent témoins .
Auffi dans tous les âges ont- ils affaire
à un public fait exprès pour les tenir en
refpect , & dont je vais en deux mots vous
définir le caractere.
Je commence par vous dire que c'eft le
public de leur tems ; voilà déja fa définition
bien avancée .
Ce public , tout à la fois juge & partie
de ces grands hommes qu'il aime & qu'il
humilie ; ce public , tout avide qu'il eft
des plaifirs qu'ils s'efforcent de lui donner
, & qu'en effet ils lui donnent , eft ce--
pendant aflez curieux de les voir manquer
leur coup , & l'on diroit qu'il manque
le fien , quand il eft content d'eux.
Au furplus la glace m'a convaincu d'une
shofe ; c'eft que la poftérité , fi nos grands
90 MERCURE DE FRANCE.
}
hommes parviennent juſqu'à elle , ne ſçaura
ni fi bien , nifi exactement ce qu'ils valent
que nous pouvons le fçavoir aujourd'hui .
Cette poftérité , faite comme toutes les poftérités
du monde , aura infailliblement le
défaut de les louer trop , elle voudra qu'ils
foient incomparables ; elle s'imaginera fentir
qu'ils le font , fans fe douter que ce
ne fera là qu'une malice de fa part pour
mortifier fes illuftres modernes , & pour
fe difpenfer de leur rendre juftice. Or je
vous le demande , dans de pareilles difpofitions
pourra-t- elle apprécier nos modernes
qui feront fes anciens le mérite
imaginaire qu'elle voudra leur trouver , ne
l'empêchera-t- il pas de difcerner le mérite
réel qu'ils auront ? Qui eft-ce qui pourra
démêler alors à quel dégré d'eftime on
s'arrêteroit pour eux , fi on n'avoit pas
envie de les eftimer tant au lieu qu'au
jourd'hui je fçais à peu près au jufte la
véritable opinion qu'on a d'eux , & je fuis
fûr que je le fçais bien , car il me l'a dit ,
à moins qu'elle ne lui échappe.
Je pourrois m'y tromper fi je n'en croyois
que la diverfité des difcours qu'il tient
mais il fe hâte d'acheter & de lire leurs
ouvrages , mais il court aux parodies qu'on
en fait , mais il eft avide de toutes les critiques
bien ou mal tournées qu'on répand
1
JANVIER. 1755. 91
contr'eux ; & qu'est- ce que tout cela fignifie
finon beaucoup d'eftime qu'on
ne veut pas déclarer franchement.
Eh ! ne fommes nous pas toujours de cette
humeur là ? n'aimons nous pas mieux vanter
un étranger qu'un compatriote ? un homme
abfent qu'un homme préfent ? Prenez-y.
garde , avons-nous deux citoyens également
illuftres celui dont on eft le plus
voifin eft celui qu'on loue le plus fobrement.
Si Euripide & Sophocle , fi Virgile &
le divin Homere lui-même revenoient au
monde , je ne dis pas avec l'efprit de leur
tems , car il ne fuffiroit peut-être pas aujourd'hui
pour nous ; mais avec la même
capacité d'efprit qu'ils avoient, précisément
avec le même cerveau , qui fe rempliroit
des idées de notre âge ; fi fans nous avertir
de ce qu'ils ont été , ils devenoient nos
contemporains , dans l'efpérance de nous
ravir & de nous enchanter encore , en s'adonnant
au même genre d'ouvrage auquel
ils s'adonnerent autrefois , ils feroient
bien étourdis de voir qu'il faudroit qu'ils
s'humiliaffent devant ce qu'ils furent; qu'ils
ne pourroient plus entrer en comparaiſon
avec eux-mêmes , à quelque fublimité d'efprit
qu'ils s'élevaffent ; bien étourdis de fe
trouver de fumples modernes apparemment
2 MERCURE DE FRANCE.
bons ou excellens , mais cependant des
Poëtes médiocres auprès de l'Euripide ,
du Sophocle , du Virgile , & de l'Homere
d'autrefois , qui leur paroîtroient , fuivant
toute apparence, bien inférieurs à ce qu'ils
feroient alors. Car comment , diroient-ils ,
ne ferions-nous pas à préfent plus habiles
que nous ne l'étions ? Ce n'eft pas la capa
cité qui nous manque' ; on n'a rien changé
à la tête excellente que nous avions , &
qui fait dire à nos partifans qu'il n'y en a
plus de pareilles. L'efprit humain dont nous.
avons aujourd'hui notre part , auroit- il
baiffé ? au contraire il doit être plus avancé
que jamais ; il y a fi long- tems qu'il féjourne
fur la terre , & qu'il y voyage , &
qu'il s'y inftruit ; il y a vu tant de chofes
, & il s'y eft fortifié de tant d'expériences
, diroient- ils .... Vous riez , Monfieur
; voilà pourtant ce qui leur arrive
roit , & ce qu'ils diroient . Je vous parle
d'après la glace , d'où je recueille tout ce
que je vous dis-là,
Il ne faut pas croire que les plus grands'
hommes de l'antiquité ayent joui dans'
leur tems de cette admiration que nous
avons pour eux , & qui eft devenue avec
juftice , comme un dogme de religion litréraire.
Il ne faut pas croire que Demof
thene & que Ciceron ( & c'eft ce que nous
JANVIER. 1755. 93
avons de plus grand ) n'ayent pas fçu à
leur tour ce que c'étoit que d'être modernes,
& n'ayent pas effuyé les contradictions
attachées à cette condition- là ? Figurezvous
, Monfieur , qu'il n'y a pas un homine
illuftre à qui fon fiécle ait pardonné l'eftime
& la réputation qu'il y a acquifes , &
qu'enfin jamais le mérite n'a été impuné
ment contemporain .
Quelques vertus , quelques qualités
qu'on ait , par quelque talent qu'on ſe diftingue
, c'est toujours en pareil cas un
grand défaut que de vivre.
Je ne fçache que les Rois , qui de leur
tems même & pendant qu'ils regnent, ayent
le privilege d'être d'avance un peu anciens;
encore l'hommage que nous leur rendons
alors , eft-il bien inférieur à celui qu'on
leur rend cent ans après eux. On ne fçauroit
croire jufqu'où va là deffus la force ,
le bénéfice & le preftige des diftances .
Leur effet s'étend fi loin , qu'il n'y a point
aujourd'hui de femme qu'on n'honorât,
qu'on ne patût flater en la comparant à
Helene ; & je vous garantis , fur la foi
de la glace , qu'Helene , dans fon-tems , fut
extrêmement critiquée , & qu'on vantoit
alors quelque ancienne beauté qu'on mettoit
bien au- deffus d'elle , parce qu'on ne
la voyoit plus , & qu'on voyoit Helene ,
94 MERCURE DE FRANCE.
Je vous affure que nous avons actuellement
d'auffi belles femmes que les plus
belles de l'antiquité ; mais fuffent - elles
des Anges dans leur fexe ( & je ris moimême
de ce que je vais dire ) ce font des
Anges qui ont le tort d'être vifibles , &
qui dans notre opinion jalouſe ne ſçauroient
approcher des beautés anciennes que
nous ne faifons qu'imaginer , & que nous
avons la malice ou la duperie de nous repréfenter
comme des prodiges fans retour.
Revenons à Sophocle & à Euripide dont
j'ai déja parlé ; & achevons d'en rapporter
ce que le miroir m'en a appris.
C'eft qu'ils ont été , pour le moins , les
Corneille , les Racine , les Crébillon &
les Voltaire de leur tems , & qu'ils auroient
été tout cela du nôtre ; de même
que nos modernes , à ce que je voyois auffi
, auroient été à peu près les SSoophocle
& les Euripide du tems paffé.
Je dis à peu près , car je ne veux blafphêmer
dans l'efprit d'aucun amateur des
anciens : il eſt vrai que ce n'eft pas là mé
nager les modernes , mais je ne fais pas
tant de façon avec eux qu'avec les partifans
des anciens , qui n'entendent pas raillerie
fur cet article - ci ; au lieu que les
autres , en leur qualité de modernes & de
gens moins favorifés , font plus accommoJANVIER.
1755. 95
dans , & le prennent fur un ton moins fier .
J'avouerai pourtant que la glace n'eft pas
de l'avis des premiers fur le prétendu affoibliffement
des efprits d'aujourd'hui .
Non, Monfieur, la nature n'eft pas fur fon
déclin, du moins ne reffemblons - nous guere
à des vieillards , & la force de nos paſſions ,
de nos folies , & la médiocrité de nos connoiffances
, malgré les progrès qu'elles ont
faites , devroient nous faire foupçonner que
cette nature est encore bien jeune en nous.
Quoiqu'il en foit , nous ne fçavons pas
l'âge qu'elle a , peut - être n'en a- t -elle point,
& le miroir ne m'a rien appris là - deſſus.
Mais ce que j'y ai remarqué , c'eft que
depuis les tems fi renommés de Rome &
d'Athenes , il n'y a pas eu de fiécle où il n'y
ait eu d'auffi grands efprits qu'il en fut
jamais , où il n'y ait eu d'auffi bonnes têtes
que l'étoient celles de Ciceron , de Démofthene
, de Virgile , de Sophocle , d'Euripide
, d'Homere même , de cet homme
divin , que je fuis comme effrayé de ne pas
voir excepté dans la glace , mais enfin qui
ne l'eft point.
Voilà qui eft bien fort, m'allez-vous dire
comment donc votre glace l'entend- elle ?
Où font ces grands efprits , comparables
à ceux de l'antiquité & depuis les Grecs
& les Romains , où prendrez- vous ces Ci96
MERCURE DE FRANCE.
1
ceron , ces Démofthene , &c. dont vous
parlez ?
Sera -ce dans notre nation , chez qui ,
pendant je ne fçais combien de fiécles &
jufqu'à celui de Louis XIV , il n'a paru en
fait de Belles- Lettres , que de mauvais ouvrages
, que des ouvrages ridicules ?
Oui , Monfieur , vous avez raifon , trèsridicules
, le miroir lui- même en convient,
& n'en fait pas plus de cas que vous ; &
cependant il affure qu'il y eut alors des génies
fupérieurs , des hommes de la plus
grande capacité..
Que firent- ils donc ? de mauvais - ouvrages
auffi , tant en vers qu'en profe ; mais
des infiniment moins mauvais ,
ouvrages
( pefez ce que je vous dis là ) infiniment
moins ridicules que ceux de leurs contemporains.
Et la capacité qu'il fallut avoir alors
pour n'y laiffer que le degré de ridicule
dont je parle , auroit fuffi dans d'autres
tems pour les rendre admirables .
N'imputez point à leurs Auteurs ce
qu'il y refta de vicieux , prenez - vous en
aux fiécles barbares où ces grands efprits
arriverent , & à la déteſtable éducation
qu'ils y recurent en fait d'ouvrages d'efprit .
Ils auroient été les premiers efprits d'un
autre fiécle , comme ils furent les premiers
efprits
JANVIER. 1755 . 97
efprits du left ; il ne falloit pas pour cela
qu'ils fuffent plus forts , il falloit feulement
qu'ils fuffent mieux placés .
Ciceron auffi mal élevé , auffi peu encouragé
qu'eux , né comme eux dans un fiécle
groffier , où il n'auroit trouvé ni cette
tribune aux harangues , ni ce Sénat , ni ces
affemblées du peuple devant qui il s'agiffoit
des plus grands intérêts du monde , ni
enfin toute cette forme de gouvernement
qui foumettoit la fortune des nations &
des Rois au pouvoir & à l'autorité de l'éloquence
, & qui déféroit les honneurs &
les dignités à l'orateur qui fçavoit le mieux
parler.
Ciceron privé des reffources que je viens
de dire , ne s'en feroit pas mieux tiré que
ceux dont il eft queftion ; & quoiqu'infailliblement
il eut été l'homme de fon tems
le plus éloquent , l'homme le plus éloquent
de ce tems là ne feroit pas aujourd'hui
l'objet de notre admiration ; il nous paroîtroit
bien étrange que la glace en fit un
homme fupérieur , & ce feroit pourtant
Ciceron , c'est -à- dire un des plus grands
hommes du monde, que nous n'eftimerions
pas plus que ceux dont nous parlons , & à
qui , comme je l'ai dit , il n'a manqué que
d'avoir été mieux placés.
Quand je dis mieux placés , je n'entends
E
93 MERCURE DE FRANCE.
pas que l'efprit manquât dans les fiécles que
j'appelle barbares. Jamais encore il n'y en
avoit eu tant de répandu ni d'amaffé parmi
les hommes , comme j'ai remarqué que
l'auroient dit Euripide & Sophocle que
j'ai fait parler plus bas.
Jamais l'efprit humain n'avoit encore
été le produit de tant d'efprits , c'est une
vérité que la glace m'a rendu fenfible .
J'y ai vû que l'accroiffement de l'efprit
eft une fuite infaillible de la durée du
monde , & qu'il en auroit toujours été
nné fuite , à la vérité plus lente , quand
Fécriture d'abord , enfuite l'imprimerie
n'auroient jamais été inventées.
Il feroit en effet impoffible , Monfieur ,
que tant de générations d'hommes euffent
paffé fur la terre fans y verfer de nouvelles
idées , & fans y en verfer beaucoup plus
que les révolutions , ou d'autres accidens ,
n'ont pû en anéantir ou en diffiper.
Ajoûtez que les idées qui fe diffipent ou
qui s'éteignent , ne font pas comme fi elles
n'avoient jamais été ; elles ne difparoiffent
pas en pure perte ; l'impreffion en refte
dans l'humanité , qui en vaut mieux feulement
de les avoir eues , & qui leur doit
une infinité d'idées qu'elle n'auroit pas
fans elles.
eue
Le plus ftupide ou le plus borné de tous
JANVIER. 1755 . ୭୭
les peuples d'aujourd'hui , l'eft beaucoup
moins que ne l'étoit le plus borné de tous
les peuples d'autrefois .
La difette d'efprit dans le monde connu ,
n'eft nulle part à préfent auffi grande qu'elle
l'a été , ce n'eft plus la même difette.
La glace va plus loin. Par- tout où il y a
des hommes bien ou mal affemblés , ditelle
, quelqu'inconnus qu'ils foient au reſte
de la terre , ils fe fuffifent à eux - mêmes
pour acquerir des idées ; ils en ont aujourd'hui
plus qu'ils n'en avoient il y a deux
mille ans , l'efprit n'a pû demeurer chez
eux dans le même état .
Comparez , fi vous voulez , cet efprit
à un infiniment petit , qui par un accroiffement
infiniment lent , perd toujours quelque
chofe de fa petiteffe.
Enfin , je le repéte encore , l'humanité
en général reçoit toujours plus d'idées
qu'il ne lui en échappe , & fes malheurs
même lui en donnent fouvent plus qu'ils
ne lui en enlevent.
La quantité d'idées qui étoit dans le
monde avant que les Romains l'euffent
foumis , & par conféquent tant agité , étoit
bien au-deffous de la quantité d'idées qui
y entra par l'infolente profpérité des vainqueurs
, & par le trouble & l'abaiffement
du monde vaincu..
E ij
335236
100 MERCURE DE FRANCE.
Chacun de ces états enfanta un nouvel
efprit , & fut une expérience de plus pour.
la terre.
Et de même qu'on n'a pas encore trouvé
toutes les formes dont la matiere eſt
fufceptible , l'ame humaine n'a pas encore
montré tout ce qu'elle peut être ; toutes
fes façons poffibles de penfer & de fentir
ne font pas épuifées .
Et de ce que les hommes ont toujours
les mêmes pailions , les mêmes vices & les
mêmes vertus , il ne faut pas en conclure
qu'ils ne font plus que fe repérer.
Il en eft de cela comme des vifages ; il
n'y en a pas un qui n'ait un nez , une bouche
& des yeux ; mais auffi pas un qui n'ait
tout ce que je dis là avec des différences
& des fingularités qui l'empêchent de reffembler
exactement à tout autre vifage.
Mais revenons à ces efprits fupérieurs
de notre nation , qui firent de mauvais
ouvrages dans les fiécles paflés.
J'ai dit qu'ils y trouverent plus d'idées
qu'il n'y en avoit dans les précédens , mais
malheureufement ils n'y trouverent point
de goût ; de forte qu'ils n'en eurent que
plus d'efpace pour s'égarer.
La quantité d'idées en pareil cas , Monfieur
, eft un inconvénient , & non pas
un fecours ; elle empêche d'être fimple ,
JANVIER. 1755 . TOI'
& fournit abondamment les moyens d'être
tidicule.
Mettez beaucoup de ticheffes entre les
mains d'un homme qui ne fçait pas s'en
fervir , toutes les dépenfes ne feront que
des folies.
Et les anciens n'avoient pas de quoi être
auffi fous , auffi ridicules qu'il ne tierdroit
qu'à nous de l'être.
En revanche jamais ils n'ont été fimples.
avec autant de magnificence que nous ; il
en faut convenir. C'eft du moins le fentiment
de la glace , qui en louant la fimplicité
des anciens, dit qu'elle eft plus litterale
que la nôtre , & que la nôtre eft plus riche
; c'eft fimplicité de grand Seigneur .
Attendez , me direz - vous encore , vous
parlez de fiécles où il n'y avoit point de
goût , quoiqu'il y eût plus d'efprit & plus
d'idées que jamais ; cela n'implique-t- il pas
quelque contradiction ?
Non , Monfieur , fi j'en crois la glace ;
une grande quantité d'idées & une grande
difette de goût dans les ouvrages d'efprit ,
peuvent fort bien fe rencontrer enfemble ,
& ne font point du tout incompatibles.
L'augmentation des idées eft une fuite infaillible
de la durée du monde : la fource
de cette augmentation ne tarit point tant
qu'ily a des hommes qui fe fuccédent , &
E iij
101 MERCURE DE FRANCE.
des aventures qui leur arrivent.
:
Mais l'art d'employer les idées pour des
ouvrages d'efprit , pent fe perdre les lettres
tombent , la critique & le goût difpa-
.roiffent ; les Auteurs deviennent ridicules
ou groffiers , pendant que le fond de l'efprit
humain va toujours croiffant parmi les
hommes.
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Résumé : LE MIROIR. Par M. DE MARIVAUX.
Le texte 'Le Miroir' de Marivaux relate une aventure singulière vécue par le narrateur lors d'une promenade dans son parc. Il se retrouve dans un pays inconnu où il observe des fourneaux ardents sans en être incommodé. Au milieu de ces fourneaux, il aperçoit une entité en perpétuel mouvement, portant un bandeau avec l'inscription 'LA NATURE', divisé en deux miroirs. Le premier miroir représente les mystères de la matière, tandis que le second montre les différentes façons de penser et de sentir des hommes, ainsi que leurs œuvres et leurs vertus. Le narrateur observe divers systèmes philosophiques et littéraires, des philosophes anciens comme Aristote aux modernes comme Descartes et Newton. Il admire des poèmes épiques tels que l'Iliade, l'Énéide, et le Paradis perdu, ainsi que des œuvres contemporaines comme la Henriade. Il critique la Pucelle de Chapelain, soulignant les dangers de l'excès d'admiration. Le texte explore également les dangers de l'excès de confiance et de la peur de mal faire, qui peuvent empêcher les auteurs de retrouver leur équilibre créatif. Le narrateur mentionne des qualités littéraires telles que l'élégance de Racine, le génie de Corneille, et le charme de Voltaire. Il critique la mode et les préjugés qui influencent les jugements littéraires, soulignant que les critiques peuvent être injustes et influencées par des opinions préconçues. Le texte aborde la difficulté de juger équitablement les auteurs contemporains, notant que les défauts sont souvent mieux perçus que les qualités. Il mentionne un poème intitulé 'Le Bonheur', écrit par un génie prometteur mais encore inconnu. La réflexion se poursuit sur les grands auteurs de l'antiquité, comme Euripide et Sophocle, dont les œuvres sont admirées pour leur excellence et leur tradition d'estime. L'auteur critique ceux qui pensent que les modernes peuvent égaler ou surpasser les anciens, estimant que cette idée est ridicule et injuste envers les anciens. Il explore également la nature du public et de la postérité, notant que les grands hommes sont souvent mieux appréciés après leur mort. Le texte conclut en soulignant la difficulté de juger équitablement les œuvres littéraires en raison des préjugés et des modes.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1073
p. 120-124
« AH ! QUEL CONTE ! Conte politique & astronomique, qui a pour épigraphe : O [...] »
Début :
AH ! QUEL CONTE ! Conte politique & astronomique, qui a pour épigraphe : O [...]
Mots clefs :
Conte politique, Conte astronomique, Amour, Prince, Roi
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « AH ! QUEL CONTE ! Conte politique & astronomique, qui a pour épigraphe : O [...] »
AH ! QUEL CONTE ! Conte politique &
aftronomique , qui a pour épigraphe : 0
quantum eft in rebus inane ! Perfe. A Bruxelles
, chez les freres l'affe , Libraires. On
le trouve à Paris , chez Lambert.
EXTRAIT OU PRÉCIS.
Il paroît que ce conte eft une fuite
du Sopha ; on y voit un Sultan toujours
bête , interrompre fon Vifir toujours fpirituel.
Ce Miniftre , pour fervir fon Maître
felon fon goût , ou fuivant fa portée , lui
raconte des faits très- abfurdes ; mais pour
plaire au public François , il les accompagne
de réflexions très- ingénieufes , dont
ils ne font que le prétexte : s'il en étoit
fouvent un peu plus fobre , avec moins
d'efprit il amuferoir peut- être davantage .
Schezaddin Telaïfe , Souverain d'Ifma ,
eft le héros du conte dont je vais donner
l'extrait. Ce Prince , quoique fort jeune
& fort aimable ( ce font les expreffions
de l'auteur) , s'obftinoit à vivre dans le célibat
malgré les voeux de fes fujets , &
dans l'indifférence malgré les defirs de fes
fujettes. Soit qu'il eût l'efprit gâté par la
lecture des romans , ou qu'il fût né romanefque
, il croyoit qu'une véritable paffion
eft toujours prédite à notre coeur par
des événemens finguliers ; il étoit perfuadé
qu'on
JANVIER. 1755. 125
qu'on n'aime point , lorfque dès la premiere
vûe on ne fe fent point entraîné par
un penchant irrésistible , & que toutes les
fois qu'on s'engage hors de ce cas , on fe
donne un ridicule d'autant moins pardonnable
, que l'on n'en eft pas dédommagé
par les plaifirs. Une Fée , auffi jolie que
coquette , voulut avoir la gloire de le détromper.
Pour y réuffir plus fûrement , elle
eut recours au miniftere des fonges : ellemême
fe plaça la nuit à côté du Prince
endormi , afin de les mieux diriger , &
d'être mieux à portée de s'affurer & de
jouir de fon triomphe.
Un premier rêve offrit à Schezaddin les
traits d'une nimphe piquante , qui lui fit
des agaceries fi vives que fon ame en fut
échauffée , & que le plaifir la difpofa par
degrés à recevoir l'impreffion de l'amour.
Tout ou rien , ( c'eſt le nom de la Fée )
dans un nouveau fonge , fe préfenta ellemême
dans toute fa beauté à Schezaddin ;
fes charmes le toucherent fi fort qu'il fe
réveilla vraiment amoureux d'elle fans la
connoître. Il découvre fon état à Taciturne
fon confident , homme froid &
cauftique , plus bleffé des travers des femmes
, qu'il n'étoit fenfible à leurs agrémens.
Ce favori combla fon amour , &
l'ofe traiter de vifionnaire ; mais la chi-
F
122 MERCURE DE FRANCE,
mere eft bientôt réalifée. La Fée fait annoncer
fon retour au Roi d'Ifma. Comme
elle avoit un palais voifin des Etats de
ce Prince , il s'y rendit avec une cour
nombreuſe : l'agréable furprife ! il reconnoît
dans la Fée la feconde beauté qu'il
a vûe en fonge , & dont il chérit l'image.
Il prend cette rencontre pour un coup du
deftin , qui le force d'aimer ; fon ardeur en
redouble ; le Roi paffe de l'indifférence à
la paffion la plus violente , & la Fée , du
fein de la coquetterie , à l'amour le plus
vrai. Leur bonheur eft parfait ; mais il eſt
bientôt troublé par l'imprudence de Tour
ou rien. Dans un de ces momens où les
amans fe difent tout , même ce qu'ils ont
le plus d'intérêt à fe cacher , l'indifcrette
Fée avoua à Schezaddin que l'amour qu'il
avoit elle étoit moins l'ouvrage de la
pour
deftinée que celui de fon adreffe , & lui
raconta les moyens qu'elle avoit employés
pour le féduire.
L'amour propre du Prince fut bleffe
de la fupercherie , il la regarda moins
comme l'effet d'une tendreffe ingénieufe
que comme une mauvaiſe plaifanterie
& comme un ridicule qu'elle vouloit lui
donner, Le feu de fon amour s'éteignit
par degrés. Comme il redoutoit le pouvoir
de la Fée , il n'ofa pas la quitter brufJANVIER.
1755. 123
quement ; il prit le parti détourné de l'obliger
elle-même à le congédier à force de
froideurs , de caprices extravagans , & de
jaloufies ridicules il y réuffit à la fin.
Tout ou rien excédée , rompit avec lui
& lui dit en le quittant , d'un ton ironique
, que puifqu'il ne pouvoit aimer fans
ce coup de foudre qui arrive fi rarement ,
elle tâcheroit d'obtenir du deftin qu'il le
lai procurât , & que le choix qu'il lui feroit
faire le couvrît d'autant de gloire
qu'il devoit le combler de plaifir. Schezaddin
alarmé du perfiflage de Tout ou
rien , voulut lui répondre ; mais il fe fentit
enlever du palais de la Fée , & fe
tetrouva en peu d'inftans dans le fien .
Quelques jours après la nuit le furprit
dans une forêt avec Taciturne ; comme ils
étoient embarraffés du chemin qu'ils tiendroient
, ils virent tout à coup fortir du
fein de la terre une prodigieufe quantité
de flambeaux allumés. Malgré leur étonnement
ils fuivirent la route que ces flambeaux
leur traçoient , & qui les conduifit
à une grande falle de verdure ; elle étoit
éclairée par plus de fix mille luftres de
diamant ,, qui pendoient aux branches des
arbres . Une fymphonie raviffante s'y faifoit
entendre ; ils y virent ce qu'ailleurs
ón n'a jamais vû , des grues en habit de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
bal , des oifeaux qui battoient la meſure ,
& qui chantoient entre leurs dents , une
autruche mâle en perruque quarrée , une
autruche femelle en chauve - fouris , qui
avoit le vifage couvert de mouches & de
rouge ; une jeune oye en domino couleur
de rofe , dont le premier regard fubjugua
le Roi ; un dindon mufqué , frifé ,
qui lui donnoit la main , & qui danfa
un menuet avec elle. Mais le plus furprenant
eft le récit des exploits d'une tête à
perruque , qui conduifoit une armée , dont
elle étoit le Général , & devant qui rien
ne réſiſtoit : étonné de ces merveilles , je
m'arrête là.
On promet la fuite qui eft fous preſſe.
Ce n'eft ici qu'un léger extrait des quatre
premieres parties . Je crois qu'il doit fuffire
pour faire voir que l'auteur de ce
conte en a parfaitement rempli le titre &
l'épigraphe.
aftronomique , qui a pour épigraphe : 0
quantum eft in rebus inane ! Perfe. A Bruxelles
, chez les freres l'affe , Libraires. On
le trouve à Paris , chez Lambert.
EXTRAIT OU PRÉCIS.
Il paroît que ce conte eft une fuite
du Sopha ; on y voit un Sultan toujours
bête , interrompre fon Vifir toujours fpirituel.
Ce Miniftre , pour fervir fon Maître
felon fon goût , ou fuivant fa portée , lui
raconte des faits très- abfurdes ; mais pour
plaire au public François , il les accompagne
de réflexions très- ingénieufes , dont
ils ne font que le prétexte : s'il en étoit
fouvent un peu plus fobre , avec moins
d'efprit il amuferoir peut- être davantage .
Schezaddin Telaïfe , Souverain d'Ifma ,
eft le héros du conte dont je vais donner
l'extrait. Ce Prince , quoique fort jeune
& fort aimable ( ce font les expreffions
de l'auteur) , s'obftinoit à vivre dans le célibat
malgré les voeux de fes fujets , &
dans l'indifférence malgré les defirs de fes
fujettes. Soit qu'il eût l'efprit gâté par la
lecture des romans , ou qu'il fût né romanefque
, il croyoit qu'une véritable paffion
eft toujours prédite à notre coeur par
des événemens finguliers ; il étoit perfuadé
qu'on
JANVIER. 1755. 125
qu'on n'aime point , lorfque dès la premiere
vûe on ne fe fent point entraîné par
un penchant irrésistible , & que toutes les
fois qu'on s'engage hors de ce cas , on fe
donne un ridicule d'autant moins pardonnable
, que l'on n'en eft pas dédommagé
par les plaifirs. Une Fée , auffi jolie que
coquette , voulut avoir la gloire de le détromper.
Pour y réuffir plus fûrement , elle
eut recours au miniftere des fonges : ellemême
fe plaça la nuit à côté du Prince
endormi , afin de les mieux diriger , &
d'être mieux à portée de s'affurer & de
jouir de fon triomphe.
Un premier rêve offrit à Schezaddin les
traits d'une nimphe piquante , qui lui fit
des agaceries fi vives que fon ame en fut
échauffée , & que le plaifir la difpofa par
degrés à recevoir l'impreffion de l'amour.
Tout ou rien , ( c'eſt le nom de la Fée )
dans un nouveau fonge , fe préfenta ellemême
dans toute fa beauté à Schezaddin ;
fes charmes le toucherent fi fort qu'il fe
réveilla vraiment amoureux d'elle fans la
connoître. Il découvre fon état à Taciturne
fon confident , homme froid &
cauftique , plus bleffé des travers des femmes
, qu'il n'étoit fenfible à leurs agrémens.
Ce favori combla fon amour , &
l'ofe traiter de vifionnaire ; mais la chi-
F
122 MERCURE DE FRANCE,
mere eft bientôt réalifée. La Fée fait annoncer
fon retour au Roi d'Ifma. Comme
elle avoit un palais voifin des Etats de
ce Prince , il s'y rendit avec une cour
nombreuſe : l'agréable furprife ! il reconnoît
dans la Fée la feconde beauté qu'il
a vûe en fonge , & dont il chérit l'image.
Il prend cette rencontre pour un coup du
deftin , qui le force d'aimer ; fon ardeur en
redouble ; le Roi paffe de l'indifférence à
la paffion la plus violente , & la Fée , du
fein de la coquetterie , à l'amour le plus
vrai. Leur bonheur eft parfait ; mais il eſt
bientôt troublé par l'imprudence de Tour
ou rien. Dans un de ces momens où les
amans fe difent tout , même ce qu'ils ont
le plus d'intérêt à fe cacher , l'indifcrette
Fée avoua à Schezaddin que l'amour qu'il
avoit elle étoit moins l'ouvrage de la
pour
deftinée que celui de fon adreffe , & lui
raconta les moyens qu'elle avoit employés
pour le féduire.
L'amour propre du Prince fut bleffe
de la fupercherie , il la regarda moins
comme l'effet d'une tendreffe ingénieufe
que comme une mauvaiſe plaifanterie
& comme un ridicule qu'elle vouloit lui
donner, Le feu de fon amour s'éteignit
par degrés. Comme il redoutoit le pouvoir
de la Fée , il n'ofa pas la quitter brufJANVIER.
1755. 123
quement ; il prit le parti détourné de l'obliger
elle-même à le congédier à force de
froideurs , de caprices extravagans , & de
jaloufies ridicules il y réuffit à la fin.
Tout ou rien excédée , rompit avec lui
& lui dit en le quittant , d'un ton ironique
, que puifqu'il ne pouvoit aimer fans
ce coup de foudre qui arrive fi rarement ,
elle tâcheroit d'obtenir du deftin qu'il le
lai procurât , & que le choix qu'il lui feroit
faire le couvrît d'autant de gloire
qu'il devoit le combler de plaifir. Schezaddin
alarmé du perfiflage de Tout ou
rien , voulut lui répondre ; mais il fe fentit
enlever du palais de la Fée , & fe
tetrouva en peu d'inftans dans le fien .
Quelques jours après la nuit le furprit
dans une forêt avec Taciturne ; comme ils
étoient embarraffés du chemin qu'ils tiendroient
, ils virent tout à coup fortir du
fein de la terre une prodigieufe quantité
de flambeaux allumés. Malgré leur étonnement
ils fuivirent la route que ces flambeaux
leur traçoient , & qui les conduifit
à une grande falle de verdure ; elle étoit
éclairée par plus de fix mille luftres de
diamant ,, qui pendoient aux branches des
arbres . Une fymphonie raviffante s'y faifoit
entendre ; ils y virent ce qu'ailleurs
ón n'a jamais vû , des grues en habit de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
bal , des oifeaux qui battoient la meſure ,
& qui chantoient entre leurs dents , une
autruche mâle en perruque quarrée , une
autruche femelle en chauve - fouris , qui
avoit le vifage couvert de mouches & de
rouge ; une jeune oye en domino couleur
de rofe , dont le premier regard fubjugua
le Roi ; un dindon mufqué , frifé ,
qui lui donnoit la main , & qui danfa
un menuet avec elle. Mais le plus furprenant
eft le récit des exploits d'une tête à
perruque , qui conduifoit une armée , dont
elle étoit le Général , & devant qui rien
ne réſiſtoit : étonné de ces merveilles , je
m'arrête là.
On promet la fuite qui eft fous preſſe.
Ce n'eft ici qu'un léger extrait des quatre
premieres parties . Je crois qu'il doit fuffire
pour faire voir que l'auteur de ce
conte en a parfaitement rempli le titre &
l'épigraphe.
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Résumé : « AH ! QUEL CONTE ! Conte politique & astronomique, qui a pour épigraphe : O [...] »
Le texte présente un conte politique et astronomique intitulé 'AH! QUEL CONTE!', publié à Bruxelles et disponible à Paris. Ce conte est la suite du 'Sopha' et met en scène un sultan stupide et son vizir spirituel. Le vizir raconte des faits absurdes au sultan, accompagnés de réflexions ingénieuses pour plaire au public français. Le héros du conte est Schezaddin Telaïfe, souverain d'Isma, un jeune prince aimable mais obstiné à vivre dans le célibat malgré les désirs de ses sujets. Influencé par des romans, il croit que l'amour véritable est prédit par des événements singuliers. Une fée, Tout ou rien, décide de le détromper en utilisant des songes pour le séduire. Dans ses rêves, Schezaddin rencontre d'abord une nymphe, puis la fée elle-même, ce qui le fait tomber amoureux. La fée se révèle ensuite au prince en chair et en os, et ils tombent amoureux. Leur bonheur est troublé lorsque la fée avoue à Schezaddin que son amour est le résultat de ses manipulations. Blessé dans son orgueil, le prince se montre froid et capricieux, forçant la fée à le quitter. Avant de partir, la fée lui promet de lui trouver un amour digne de lui. Quelques jours plus tard, Schezaddin se retrouve dans une forêt avec son confident Taciturne. Ils suivent une route tracée par des flambeaux et découvrent une clairière éclairée par des lustres de diamant, où ils assistent à des scènes surréalistes impliquant des animaux habillés et dansant. Le récit s'arrête là, promettant une suite.
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1074
p. 142-145
SEANCE PUBLIQUE DE L'ACADÉMIE FRANÇOISE.
Début :
Mr. Dalembert ayant été élû par l'Académie Françoise à la place M. l'Evêque [...]
Mots clefs :
Académie française, Séance publique, Éloquence, Jean Le Rond d'Alembert, Éloquence
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SEANCE PUBLIQUE DE L'ACADÉMIE FRANÇOISE.
SEANCE PUBLIQUE
DE L'ACADÉmie françoise.
R. Dalembert
été élû par l'AMcadémie
Françoife à la place M. l'Evêque
de Vence , y prit féance le 19 Décembre.
L'applaudiffement unanime d'une
affemblée nombreufe , confirma le choix
de cette Compagnie , & le Difcours que
M. Dalembert prononça auroit fuffi pour
le juftifier. Il eft plein de cette éloquence
des chofes qui caractériſe le vrai Philofophe
, ou l'homme qui penfe , & qui fait
feul le grand écrivain . Ceux qui ne connoiffent
pas ce Difcours , pourront juger
de fa beauté par les endroits que j'en vais
citer. C'eft ainfi qu'il parle de l'éloquence
& du génie , dont il eft lui-même inſpiré.
» L'éloquence eft le talent de faire paffer
rapidement , & d'imprimer avec for-
» ce dans l'ame des autres , le fentiment"
profond dont on eft pénétré ; ce talent
précieux a fon germe dans une fenfibiJANVIER
1755. 143
>>
3
99
lité rare pour le grand , l'honnête & le
vrai ; la même agitation de l'ame , capable
d'exciter en nous une émotion vi-
» ve , fuffit pour en faire fortir l'image au
dehors. Il n'y a donc point d'art pour
l'éloquence ; il n'y en a point pour fentir.
Ce n'eft point à produire des beautés
, c'eft à faire éviter les fautes , que
les grands maîtres ont deftiné les régles.
La nature forme les hommes de
génie , comme elle forme au fein de la
» terre les métaux précieux , brutes , informes
, pleins d'alliage & de matieres
étrangeres . L'art ne fait pour le génie
que ce qu'il fait pour ces métaux ; il
n'ajoute rien à la fubftance , il les dé-
" gage de ce qu'ils ont d'étranger , & dé-
» couvre l'ouvrage de la nature .
"
""
n
» Suivant ces principes , qui font les vôtres
, Meffieurs , il n'y a de vraiment
éloquent que ce qui conferve ce ca-
» ractère en paffant d'une langue dans
» une autre ; le fublime fe traduit tou-
» jours , prefque jamais le ftyle. Pourquoi
les Ciceron & les Démofthene intéreſ-
» fent- ils celui même qui les lit dans une
autre langue que la leur , quoique trop
» fouvent dénaturés & travestis ? Le génie
» de ces grands hommes y refpire encore ;
» & , fi l'on peut parler ainfi , l'empreinte
de leur ame y refte attachée.
144 MERCURE DE FRANCE.
L'exemple prouve cette vérité . Cor .
neille perd moins à être traduit que Racine.
M. Dalembert donne à M. l'Evêque de
Vence un beau trait de louange , qui réjaillit
fur toute la littérature. » IÎ fur ,
22
و د
ود
"
dit-il , fur-tout bien éloigné de ce zéle
» aveugle & barbare , qui cherche l'impiété
où elle n'eft pas , & qui moins ami
» de la Religion qu'ennemi des Sciences
» & des Lettres , outrage & noircit des
» hommes irréprochables dans leur con-
» duite & dans leurs écrits. Où pourrai-
» je , Meffieurs , réclamer avec plus de
»force & de fuccès contre cette injuftice
cruelle , qu'au milieu d'une Compagnie
» qui renferme ce que la Religion a de
plus refpectable , l'Etat de plus grand ,
» les Lettres de plus célébre ? La Reli-
» gion doit aux Lettres & à la Philofophie
l'affermiffement de fes principes ,
» les Souverains l'affermiffement de leurs
droits , combattus & violés dans des fié-
» cles d'ignorance ; les peuples cette lumiere
générale qui rend l'autorité plus
» douce , & l'obéiffance plus fidéle.
""
M. Greffet , Directeur de l'Académie ,
dans fa réponſe , met le comble à l'éloge
de ce vertueux Prélat , en s'exprimant ainfi.
» La gloire, qu'il ne cherchoit pas , vint
» le
JANVIER. 1755 . 145
">
le trouver dans fa folitude , & l'illuftrer
fans changer fes moeurs . Arrivé à
l'Epifcopat fans brigues , fans baffeffes
»& fans hypocrifie , il y vécut fans fafte ,
» fans hauteur & fans négligence.... Dé-
» voué tout entier à l'inftruction des peuples
confiés à fon zéle , il leur confacra
» tous fes talens , tous fes foins , tous fes
» jours. Paſteur d'autant plus cher à fon
troupeau , que ne le quittant pas il en
» étoit plus connu . Louange rarement
» donnée , & bien digne d'être remarquée
» dans vingt ans d'Epifcopat..
Enfin plein d'années , de vertus & de
gloire , il eft mort pleuré des fiens , com-
» me un pere tendre , honoré & chéri ,
expire au milieu des gémiffemens d'une
» famille éplorée , dont il emporte l'eftime
, la reconnoiffance & les regrets.
»
Les Académies de province m'excuseront
fi je ne mets ce mois- ci aucun de leurs extraits
; ils m'ont été remis trop tard. Mon volume
étoit rempli , je n'en puis faire uſage que
pour le mois prochain .
DE L'ACADÉmie françoise.
R. Dalembert
été élû par l'AMcadémie
Françoife à la place M. l'Evêque
de Vence , y prit féance le 19 Décembre.
L'applaudiffement unanime d'une
affemblée nombreufe , confirma le choix
de cette Compagnie , & le Difcours que
M. Dalembert prononça auroit fuffi pour
le juftifier. Il eft plein de cette éloquence
des chofes qui caractériſe le vrai Philofophe
, ou l'homme qui penfe , & qui fait
feul le grand écrivain . Ceux qui ne connoiffent
pas ce Difcours , pourront juger
de fa beauté par les endroits que j'en vais
citer. C'eft ainfi qu'il parle de l'éloquence
& du génie , dont il eft lui-même inſpiré.
» L'éloquence eft le talent de faire paffer
rapidement , & d'imprimer avec for-
» ce dans l'ame des autres , le fentiment"
profond dont on eft pénétré ; ce talent
précieux a fon germe dans une fenfibiJANVIER
1755. 143
>>
3
99
lité rare pour le grand , l'honnête & le
vrai ; la même agitation de l'ame , capable
d'exciter en nous une émotion vi-
» ve , fuffit pour en faire fortir l'image au
dehors. Il n'y a donc point d'art pour
l'éloquence ; il n'y en a point pour fentir.
Ce n'eft point à produire des beautés
, c'eft à faire éviter les fautes , que
les grands maîtres ont deftiné les régles.
La nature forme les hommes de
génie , comme elle forme au fein de la
» terre les métaux précieux , brutes , informes
, pleins d'alliage & de matieres
étrangeres . L'art ne fait pour le génie
que ce qu'il fait pour ces métaux ; il
n'ajoute rien à la fubftance , il les dé-
" gage de ce qu'ils ont d'étranger , & dé-
» couvre l'ouvrage de la nature .
"
""
n
» Suivant ces principes , qui font les vôtres
, Meffieurs , il n'y a de vraiment
éloquent que ce qui conferve ce ca-
» ractère en paffant d'une langue dans
» une autre ; le fublime fe traduit tou-
» jours , prefque jamais le ftyle. Pourquoi
les Ciceron & les Démofthene intéreſ-
» fent- ils celui même qui les lit dans une
autre langue que la leur , quoique trop
» fouvent dénaturés & travestis ? Le génie
» de ces grands hommes y refpire encore ;
» & , fi l'on peut parler ainfi , l'empreinte
de leur ame y refte attachée.
144 MERCURE DE FRANCE.
L'exemple prouve cette vérité . Cor .
neille perd moins à être traduit que Racine.
M. Dalembert donne à M. l'Evêque de
Vence un beau trait de louange , qui réjaillit
fur toute la littérature. » IÎ fur ,
22
و د
ود
"
dit-il , fur-tout bien éloigné de ce zéle
» aveugle & barbare , qui cherche l'impiété
où elle n'eft pas , & qui moins ami
» de la Religion qu'ennemi des Sciences
» & des Lettres , outrage & noircit des
» hommes irréprochables dans leur con-
» duite & dans leurs écrits. Où pourrai-
» je , Meffieurs , réclamer avec plus de
»force & de fuccès contre cette injuftice
cruelle , qu'au milieu d'une Compagnie
» qui renferme ce que la Religion a de
plus refpectable , l'Etat de plus grand ,
» les Lettres de plus célébre ? La Reli-
» gion doit aux Lettres & à la Philofophie
l'affermiffement de fes principes ,
» les Souverains l'affermiffement de leurs
droits , combattus & violés dans des fié-
» cles d'ignorance ; les peuples cette lumiere
générale qui rend l'autorité plus
» douce , & l'obéiffance plus fidéle.
""
M. Greffet , Directeur de l'Académie ,
dans fa réponſe , met le comble à l'éloge
de ce vertueux Prélat , en s'exprimant ainfi.
» La gloire, qu'il ne cherchoit pas , vint
» le
JANVIER. 1755 . 145
">
le trouver dans fa folitude , & l'illuftrer
fans changer fes moeurs . Arrivé à
l'Epifcopat fans brigues , fans baffeffes
»& fans hypocrifie , il y vécut fans fafte ,
» fans hauteur & fans négligence.... Dé-
» voué tout entier à l'inftruction des peuples
confiés à fon zéle , il leur confacra
» tous fes talens , tous fes foins , tous fes
» jours. Paſteur d'autant plus cher à fon
troupeau , que ne le quittant pas il en
» étoit plus connu . Louange rarement
» donnée , & bien digne d'être remarquée
» dans vingt ans d'Epifcopat..
Enfin plein d'années , de vertus & de
gloire , il eft mort pleuré des fiens , com-
» me un pere tendre , honoré & chéri ,
expire au milieu des gémiffemens d'une
» famille éplorée , dont il emporte l'eftime
, la reconnoiffance & les regrets.
»
Les Académies de province m'excuseront
fi je ne mets ce mois- ci aucun de leurs extraits
; ils m'ont été remis trop tard. Mon volume
étoit rempli , je n'en puis faire uſage que
pour le mois prochain .
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Résumé : SEANCE PUBLIQUE DE L'ACADÉMIE FRANÇOISE.
Le 19 décembre, l'Académie française a élu R. Dalembert pour succéder à l'Évêque de Vence. Cette élection a été accueillie par des applaudissements unanimes de l'assemblée, renforcés par le discours de Dalembert. Dans son allocution, Dalembert a défini l'éloquence comme le talent de transmettre rapidement et profondément un sentiment, soulignant qu'elle ne s'apprend pas mais se manifeste naturellement. Il a également affirmé que le génie est formé par la nature et affiné par l'art, comparant ce processus à celui des métaux précieux. Dalembert a rendu hommage à l'Évêque de Vence, le félicitant pour son éloignement du zèle aveugle qui outrage injustement les hommes de lettres. M. Greffet, Directeur de l'Académie, a ajouté que l'Évêque de Vence avait vécu et travaillé avec dévouement, sans chercher la gloire. Il a été pleuré comme un père à sa mort, après vingt ans d'épiscopat.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1075
p. 173-177
SEANCE PUBLIQUE De l'Académie des inscriptions & Belles-Lettres.
Début :
L'Académie royale des Inscriptions & Belles-Lettres rentra publiquement [...]
Mots clefs :
Académie des inscriptions et Belles-Lettres, Prix, M. de Bougainville, Grèce
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texteReconnaissance textuelle : SEANCE PUBLIQUE De l'Académie des inscriptions & Belles-Lettres.
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des infcriptions & Belles
Lettres.
' Académie royale des Infcriptions &
Belles Lettres rentra publiquement
le 12 Novembre 1754. M. de Bougainville
fon Secrétaire perpétuel , annonça
qu'elle propofoit pour le fujet du prix *
qui doit être diftribué en 1756 , d'examiner
quel fut l'état des villes & des répu
bliques fituées dans le continent de la
Grece Européenne , depuis la mort d'Ale
xandre jufqu'au tems qu'elle a été réduite
en province par les Romains. Après
cette annonce , il dit : » En rendant com-
» pre dans notre derniere affemblée publique
de la nouvelle fondation faite
par
»M. le Comte de Caylus , nous avons informé
les fçavans qu'elle avoit pour objet
» les antiquités proprement dites , & que
» le prix feroit une médaille d'or de la va-
"
leur de cinq cens livres. Nous ajoûtons
» aujourd'hui que le but de cette fondation
littéraire étant de ranimer l'étude
» des anciens monumens , l'Académie a
* Ce prix a été fondé par le Préfident Durey
de Noinville.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
>> cru ne pouvoir mieux entrer dans les
» vûes du fondateur , qu'en faifant de la
» médaille même qu'elle adjugera , un mo-
» nument glorieux aux Auteurs , & capa-
» ble d'exciter leur émulation . C'eſt dans
» cet efprit qu'en compofant cette mé-
» daille , elle ne s'eft pas bornée à marquer
l'époque & l'objet de l'établiffement :
elle a voulu qu'un des côtés fût orné
» d'un type honorable pour le fçavant
» qu'elle couronneroit , & que fon nom
gravé tous les ans dans l'exergue , pût
s'y tranfmettre à la poftérité. Par là on
rappellera en quelque forte ces infcrip-
» tions que la Grece confacroit à la gloi-
» re des athletes couronnés dans fes jeux.
Voici quelle fera la médaille du nou-
» veau prix , laquelle a été deffinée par M.
Bouchardon. Elle repréfentera d'un côté
» une couronne de lauriers , dans laquelle
> on lira cette infcription : Aufpiciis L-
» dovici XV , pramium folemne in regia Infcript.
& human . Litter. Academia conf-
» titutum , anno MDCCLIV. Autour de la
→ couronne feront pour légende ces mots :
» Promovendo veterum monumentorum ftudio
. Sur le revers une mufe couronnée
» de lauriers , tenant d'une main une pal-
» me , & s'appuyant de l'autre fur un type ,
avec cette légende : Certamen ecumenicum.
33
JANVIER. 1755. 175
» On laiffera pour l'exergue un efpace qui
» puiffe contenir deux ou trois lignes d'é-
» criture , & où l'on gravera tous les ans
» au burin le nom de l'auteur couronné ,
» avec la date de fa piece . L'Académie in-
» vite en conféquence ceux qui voudront
» concourir , à donner exactement dans le
» papier cacheté , leurs noms de famille &
» de baptême.
M. de Bougainville fit enfuite la lecture
de l'éloge hiftorique de M. Secouffe , penfionnaire
de l'Académie , mort le Is Mars
1754. On peut juger du mérite particulier
de cet Académicien & de l'élégance de fon
Panégyrifte par le morceau fuivant .
29
» Le feul art que connut M. Secouffe ,
& qu'il ait voulu pratiquer en traitant
» l'Hiſtoire , étoit celui d'analyfer les cir-
≫conftances d'un événement , de combiner
» les textes , & de les apprécier avec une
fcrupuleufe fidélité : c'eft la maniere de
» Tillemont ; il l'avoit prife pour modele ,
» par des motifs dont il a rendu compte
» dans un difcours qui fert d'introduction
» à fes mémoires. Le mérite de cette mé→
> thode eft de n'égarer jamais l'efprit ; il
eft vrai qu'elle le fatigue , en le menant
» par des chemins rudes & tortueux , dans
lefquels il eft obligé de difcuter le terrein
pas à pas. Mais rien ne rebutoit la
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE .
conftance de M. Secouffe , ou plutôt it
» n'avoit pas befoin de conftance , parce
» que tout intéreffe dans l'objet aimé , &
» qu'il aimoit paffionnément l'hiſtoire de
fa nation. Par une fuite de fon enthoufiafine
, il fuppofoit à fes lecteurs les
» fentimens dont il étoit animé , du moins
» les croyoit- il affez équitables pour l'ap
» prouver par réflexion , & nous remarque-
» rons comme un trait qui le caracteriſe ,
»que moins attaché à fes opinions qu'à fes
goûts , il fouffroit volontiers la difpute
lorfqu'elle pouvoit conduire à la fo-
» lution d'une difficulté hiftorique , mais
» qu'il auroit fouffert impatiemment qu'un
»François n'eût pas fait prefque autant de
» cas que lui-même de toutes les fortes de
» recherches qui peuvent jetter quelques
»lumieres fur les plus petites branches de
> l'Hiftoire de France.
DD
90
Après cet éloge , M. de Bougainville
parla du tableau préfenté par M. le Comte
de Caylus. M. l'Abbé Raynal a traité fi bien
cet article dans le premier volume de Décembre
, qu'il ne m'a rien laiffé à dire .
M. Danville lut une differtation fur la
nation des Geres , & fur le Pontife qui
étoit adoré chez ce peuple.
M. l'Abbé Belley termina la féance par
F'explication d'une pierre gravée du cabi-
•
h
JAN VIER. 1755. 177
net de M. le Duc d'Orleans. Cette pierre
eft une agathe blanche , gravée en creux :
elle repréfente la tête d'un Empereur Romain
, pofée en regard de celles d'une Impératrice
& d'un jeune Prince. Au milieu
eft une urne , d'où fortent deux palmes.
M. l'Abbé Belley prouva que cette pierre
avoit été gravée àl'occafion des jeux chryfantins
, que la ville de Sarde, en Lydie , fit
célébrer en l'honneur de l'Empereur Pertinax
, de l'Impératrice Titiana fa femme ,
& du jeune Pertinax leur fils .
De l'Académie des infcriptions & Belles
Lettres.
' Académie royale des Infcriptions &
Belles Lettres rentra publiquement
le 12 Novembre 1754. M. de Bougainville
fon Secrétaire perpétuel , annonça
qu'elle propofoit pour le fujet du prix *
qui doit être diftribué en 1756 , d'examiner
quel fut l'état des villes & des répu
bliques fituées dans le continent de la
Grece Européenne , depuis la mort d'Ale
xandre jufqu'au tems qu'elle a été réduite
en province par les Romains. Après
cette annonce , il dit : » En rendant com-
» pre dans notre derniere affemblée publique
de la nouvelle fondation faite
par
»M. le Comte de Caylus , nous avons informé
les fçavans qu'elle avoit pour objet
» les antiquités proprement dites , & que
» le prix feroit une médaille d'or de la va-
"
leur de cinq cens livres. Nous ajoûtons
» aujourd'hui que le but de cette fondation
littéraire étant de ranimer l'étude
» des anciens monumens , l'Académie a
* Ce prix a été fondé par le Préfident Durey
de Noinville.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
>> cru ne pouvoir mieux entrer dans les
» vûes du fondateur , qu'en faifant de la
» médaille même qu'elle adjugera , un mo-
» nument glorieux aux Auteurs , & capa-
» ble d'exciter leur émulation . C'eſt dans
» cet efprit qu'en compofant cette mé-
» daille , elle ne s'eft pas bornée à marquer
l'époque & l'objet de l'établiffement :
elle a voulu qu'un des côtés fût orné
» d'un type honorable pour le fçavant
» qu'elle couronneroit , & que fon nom
gravé tous les ans dans l'exergue , pût
s'y tranfmettre à la poftérité. Par là on
rappellera en quelque forte ces infcrip-
» tions que la Grece confacroit à la gloi-
» re des athletes couronnés dans fes jeux.
Voici quelle fera la médaille du nou-
» veau prix , laquelle a été deffinée par M.
Bouchardon. Elle repréfentera d'un côté
» une couronne de lauriers , dans laquelle
> on lira cette infcription : Aufpiciis L-
» dovici XV , pramium folemne in regia Infcript.
& human . Litter. Academia conf-
» titutum , anno MDCCLIV. Autour de la
→ couronne feront pour légende ces mots :
» Promovendo veterum monumentorum ftudio
. Sur le revers une mufe couronnée
» de lauriers , tenant d'une main une pal-
» me , & s'appuyant de l'autre fur un type ,
avec cette légende : Certamen ecumenicum.
33
JANVIER. 1755. 175
» On laiffera pour l'exergue un efpace qui
» puiffe contenir deux ou trois lignes d'é-
» criture , & où l'on gravera tous les ans
» au burin le nom de l'auteur couronné ,
» avec la date de fa piece . L'Académie in-
» vite en conféquence ceux qui voudront
» concourir , à donner exactement dans le
» papier cacheté , leurs noms de famille &
» de baptême.
M. de Bougainville fit enfuite la lecture
de l'éloge hiftorique de M. Secouffe , penfionnaire
de l'Académie , mort le Is Mars
1754. On peut juger du mérite particulier
de cet Académicien & de l'élégance de fon
Panégyrifte par le morceau fuivant .
29
» Le feul art que connut M. Secouffe ,
& qu'il ait voulu pratiquer en traitant
» l'Hiſtoire , étoit celui d'analyfer les cir-
≫conftances d'un événement , de combiner
» les textes , & de les apprécier avec une
fcrupuleufe fidélité : c'eft la maniere de
» Tillemont ; il l'avoit prife pour modele ,
» par des motifs dont il a rendu compte
» dans un difcours qui fert d'introduction
» à fes mémoires. Le mérite de cette mé→
> thode eft de n'égarer jamais l'efprit ; il
eft vrai qu'elle le fatigue , en le menant
» par des chemins rudes & tortueux , dans
lefquels il eft obligé de difcuter le terrein
pas à pas. Mais rien ne rebutoit la
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE .
conftance de M. Secouffe , ou plutôt it
» n'avoit pas befoin de conftance , parce
» que tout intéreffe dans l'objet aimé , &
» qu'il aimoit paffionnément l'hiſtoire de
fa nation. Par une fuite de fon enthoufiafine
, il fuppofoit à fes lecteurs les
» fentimens dont il étoit animé , du moins
» les croyoit- il affez équitables pour l'ap
» prouver par réflexion , & nous remarque-
» rons comme un trait qui le caracteriſe ,
»que moins attaché à fes opinions qu'à fes
goûts , il fouffroit volontiers la difpute
lorfqu'elle pouvoit conduire à la fo-
» lution d'une difficulté hiftorique , mais
» qu'il auroit fouffert impatiemment qu'un
»François n'eût pas fait prefque autant de
» cas que lui-même de toutes les fortes de
» recherches qui peuvent jetter quelques
»lumieres fur les plus petites branches de
> l'Hiftoire de France.
DD
90
Après cet éloge , M. de Bougainville
parla du tableau préfenté par M. le Comte
de Caylus. M. l'Abbé Raynal a traité fi bien
cet article dans le premier volume de Décembre
, qu'il ne m'a rien laiffé à dire .
M. Danville lut une differtation fur la
nation des Geres , & fur le Pontife qui
étoit adoré chez ce peuple.
M. l'Abbé Belley termina la féance par
F'explication d'une pierre gravée du cabi-
•
h
JAN VIER. 1755. 177
net de M. le Duc d'Orleans. Cette pierre
eft une agathe blanche , gravée en creux :
elle repréfente la tête d'un Empereur Romain
, pofée en regard de celles d'une Impératrice
& d'un jeune Prince. Au milieu
eft une urne , d'où fortent deux palmes.
M. l'Abbé Belley prouva que cette pierre
avoit été gravée àl'occafion des jeux chryfantins
, que la ville de Sarde, en Lydie , fit
célébrer en l'honneur de l'Empereur Pertinax
, de l'Impératrice Titiana fa femme ,
& du jeune Pertinax leur fils .
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Résumé : SEANCE PUBLIQUE De l'Académie des inscriptions & Belles-Lettres.
Lors d'une séance publique de l'Académie royale des Inscriptions & Belles Lettres le 12 novembre 1754, M. de Bougainville, Secrétaire perpétuel, annonça que le sujet du prix à décerner en 1756 serait l'examen de l'état des villes et des républiques situées dans le continent de la Grèce européenne, depuis la mort d'Alexandre jusqu'à leur réduction en province par les Romains. Ce prix, fondé par le Président Durey de Noinville, consistera en une médaille d'or d'une valeur de cinq cents livres, créée par M. Bouchardon. La médaille représentera une couronne de lauriers avec une inscription latine et une muse couronnée de lauriers tenant une palme et s'appuyant sur un type. L'exergue de la médaille gravera chaque année le nom de l'auteur couronné. M. de Bougainville lut ensuite l'éloge historique de M. Secouffe, pensionnaire de l'Académie, décédé le 1er mars 1754. Secouffe était connu pour son art d'analyser les circonstances des événements historiques, de combiner et d'apprécier les textes avec fidélité, suivant la méthode de Tillemont. Il était passionné par l'histoire de la France et appréciait les recherches approfondies sur les moindres détails historiques. La séance se poursuivit avec la présentation d'un tableau par M. le Comte de Caylus, une dissertation de M. Danville sur la nation des Gères et leur Pontife, et l'explication d'une pierre gravée par M. l'Abbé Belley. Cette pierre, une agathe blanche, représente les têtes de l'Empereur Pertinax, de l'Impératrice Titiana et de leur fils, gravée à l'occasion des jeux chrysanthins célébrés en leur honneur.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1076
p. 194-198
COMEDIE FRANÇOISE.
Début :
Le 11 Décembre les Comédiens François ont remis Nicomede, Tragédie du [...]
Mots clefs :
Comédiens-Français, Comédie-Française, Nicomède, Nanine, Tragédie, Comédie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COMEDIE FRANÇOISE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Le Décembre les Comédiens François
ont remis Nicomede , Tragédie du
grand Corneille , & très digne d'en être :
elle n'avoit point été reprife depuis la mort
du célébre Baron , arrivée en 1729 le 22
Décembre . Parmi la foule des beautés fu--
périeures dont cette piece étincelle , il fe
trouve beaucoup de chofes , ou plutôt d'expreffions
familieres , qu'on doit moins attribuer
à l'Auteur qu'au tems où il a vêcu .
Les deux premieres fois le public paroiffoit
indécis & comme partagé entre les éclats
de rire & les applaudiffemens , mais à la
troifiéme repréſentation ces familiarités ne
T'ont plus frappé , il n'a été fenfible qu'au
mérite fingulier de l'ouvrage , où la politique
joue le premier rôle , & qu'on peut
appeller une Tragédie de caractere. Nitomede
y paroît un digne éleve d'Annibal .
L'ironie eft fa figure favorite , il l'employe
fur-tout dans toute fa force vis- à vis de
Flaminius. Ce ton railleur paroît un peu
bleffer la dignité du cothurne ; le fpectateur
furpris n'a fçu d'abord s'il devoit applaudir
Nicomede comme un homme d'efprit
, ou l'admirer comme un grand homme.
Quelques-uns même l'ont qualifié de
JANVIER. 1755. 195
héros perfifleur , mais on a fenti par réflexion
que ce langage ironique partoit
d'une ame fiere , & qu'il convenoit à un
Prince jaloux de fes droits , & juftement
indigné de voir qu'un Romain vint impofer
la loi à Prufias fon pere , dans les propres
Etats. Il femble que Corneille ait voulu
dans cette piece , venger les Rois de la
fupériorité qu'il avoit donnée fur eux aux
Romains dans fes autres Tragédies. L'Ambaffadeur
de Rome y eft auffi petit devant
Nicomede que le Roi d'Egypte l'eft deyant
Cefar dans la mort de Pompée. M.
Grandval eft irès-bien dans le rôle de Nicomede
, & Mlle Clairon parfaitement
dans celui de Laodice . Le Samedi 15 , on
a joué cette Tragédie avec Nanine , Comédie
remife en trois actes , de M. de Voltaire.
Le Samedi 21 , on a redonné les
deux mêmes pieces. La chambrée étoit complette
pour parler le langage des Comédiens.
Le Lundi 23 , ils ont repréfenté pour la
premiere fois le Triumvirat , de M. de
Crébillon . Toute la France y étoit : il fut
écouté & reçu avec tous les égards , &
j'ofe dire , le reſpect qu'on doit au Sopho-
* Les Comédiens ont été les premiers à s'y méprendre
; ils ont affiché la piéce fous le titre nouveau
de Tragédie héroï- comique.
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
:
de
cle de nos jours. Il eft beau à 81 ans de
paroître encore dans la carriere : c'eſt un
fpectacle non-feulement digne de la curiofité
publique , mais encore de l'acclamation
univerfelle . On eft forcé d'avouer que
le quatriéme acte & une partie du cinquiéme
ont paru d'abord inférieurs aux trois
premiers , qui ont reçu de grands applau
diffemens. C'est peut-être la faute des Comédiens
, dont le feu s'eft rallenti : le froid
des Acteurs eft fouvent mis fur le compte
la piéce ; quand ils manquent de concert &
de chaleur , elle paroît manquer d'enfemble
& d'intérêt. Tullie eft le perfonnage qui
a le plus frappé faut- il s'en étonner ? c'eft
Mlle Clairon qui le joue. L'éloquence de
fon jeu y a peut-être autant contribué que
la fupériorité du rôle ; ce qui a fait dire
que la fille de Ciceron étoit plus diferte
que fon pere. Sextus eft encore un beau
caractere il fe montre un digne fils de
Pompée. Les connoiffeurs les plus rigides ,
mais qui jugent fans partialité , conviennent
tous qu'il y a dans cette tragédie des
béautés du premier ordre , & des traits
marqués au coin du grand maître. On y
reconnoît l'auteur d'Electre & de Rhadamifte
: c'est un beau foleil couchant , il
darde encore des rayons qui ont toute la
force de fon midi ; ils doivent échauffer le
public en fa faveur.
:
JANVIER. 1755. 197
Ils l'ont fait à la deuxième repréfentation.
La piece a été mieux jouée , en conféquence
mieux fentie . La cataſtrophe furtout
a fait la plus grande impreffion.
L'inftant où Fullie découvre le voile qui
cache la tête de fon pere fur la tribune
aux harangues , & la précifion admirable
avec laquelle l'actrice rend toute la
force de cette pofition terrible , former t
un coup de théatre qui arrache les lar-.
mes & qui déchire l'ame de tous les
fpectateurs. J'en parlerai plus au long le
mois prochain dans l'extrait que j'en donnerai.
On a oublié dans les deux derniers volumes
de Décembre de parler de la repriſe
des Tuteurs , qui ont été joués avec les
Troyennes. Sans entrer dans aucun détail , `
je vais fuppléer à ce filence. Cette Comédie
en deux actes , ou plutôt le talent qu'elle
annonce , mérite qu'on en faffe mention .
Les trois premieres fcenes montrent que
le jeune auteur de cette petite piéce eft appellé
au Comique , fon vers eft facile , &
fon dialogue naturel ; mais le difcours
qu'il adreffe à Madame la Comteffe de la
Marck prouve encore mieux fa vocation
pour ce genre. Quand on penfe à fon âge
auffi jufte fur l'art que l'on embraffe ,
& qu'on a comme lui le talent d'écrite ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
on eft für d'y faire un progrès rapide.
Le genre moyen de la Comédie , où les
moeurs purement bourgeoifes qu'il fe propofe
de traiter , me femblent comme à lui
les plus théatrales . Il faut fur la fcene des
ridicules de perfpective , fi j'ofe m'exprimer
ainfi ; il faut que leurs traits foient
gros pour exciter un vrai rire , ou un rire
machinal ; c'eft celui de la nature : ne rire
que de l'efprit , c'eft à peine fourire. J'aime
mieux pour mon amufement , rire avec
la bonne foi d'un bourgeois ingenu , ou la
groffe franchife d'un bon payfan , qu'avec
la circonfpection d'un homme du monde
qui craint d'éclater , & qui regle tous fes
mouvemens fur les loix exactes de la froide
décènce . Ce rire compaffé , qui en naiffant
expire fur les levres , ne part jamais
de l'ame , il n'eft qu'un raffinement de
l'art , ou plutôt qu'un ennui déguisé.
Le Décembre les Comédiens François
ont remis Nicomede , Tragédie du
grand Corneille , & très digne d'en être :
elle n'avoit point été reprife depuis la mort
du célébre Baron , arrivée en 1729 le 22
Décembre . Parmi la foule des beautés fu--
périeures dont cette piece étincelle , il fe
trouve beaucoup de chofes , ou plutôt d'expreffions
familieres , qu'on doit moins attribuer
à l'Auteur qu'au tems où il a vêcu .
Les deux premieres fois le public paroiffoit
indécis & comme partagé entre les éclats
de rire & les applaudiffemens , mais à la
troifiéme repréſentation ces familiarités ne
T'ont plus frappé , il n'a été fenfible qu'au
mérite fingulier de l'ouvrage , où la politique
joue le premier rôle , & qu'on peut
appeller une Tragédie de caractere. Nitomede
y paroît un digne éleve d'Annibal .
L'ironie eft fa figure favorite , il l'employe
fur-tout dans toute fa force vis- à vis de
Flaminius. Ce ton railleur paroît un peu
bleffer la dignité du cothurne ; le fpectateur
furpris n'a fçu d'abord s'il devoit applaudir
Nicomede comme un homme d'efprit
, ou l'admirer comme un grand homme.
Quelques-uns même l'ont qualifié de
JANVIER. 1755. 195
héros perfifleur , mais on a fenti par réflexion
que ce langage ironique partoit
d'une ame fiere , & qu'il convenoit à un
Prince jaloux de fes droits , & juftement
indigné de voir qu'un Romain vint impofer
la loi à Prufias fon pere , dans les propres
Etats. Il femble que Corneille ait voulu
dans cette piece , venger les Rois de la
fupériorité qu'il avoit donnée fur eux aux
Romains dans fes autres Tragédies. L'Ambaffadeur
de Rome y eft auffi petit devant
Nicomede que le Roi d'Egypte l'eft deyant
Cefar dans la mort de Pompée. M.
Grandval eft irès-bien dans le rôle de Nicomede
, & Mlle Clairon parfaitement
dans celui de Laodice . Le Samedi 15 , on
a joué cette Tragédie avec Nanine , Comédie
remife en trois actes , de M. de Voltaire.
Le Samedi 21 , on a redonné les
deux mêmes pieces. La chambrée étoit complette
pour parler le langage des Comédiens.
Le Lundi 23 , ils ont repréfenté pour la
premiere fois le Triumvirat , de M. de
Crébillon . Toute la France y étoit : il fut
écouté & reçu avec tous les égards , &
j'ofe dire , le reſpect qu'on doit au Sopho-
* Les Comédiens ont été les premiers à s'y méprendre
; ils ont affiché la piéce fous le titre nouveau
de Tragédie héroï- comique.
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
:
de
cle de nos jours. Il eft beau à 81 ans de
paroître encore dans la carriere : c'eſt un
fpectacle non-feulement digne de la curiofité
publique , mais encore de l'acclamation
univerfelle . On eft forcé d'avouer que
le quatriéme acte & une partie du cinquiéme
ont paru d'abord inférieurs aux trois
premiers , qui ont reçu de grands applau
diffemens. C'est peut-être la faute des Comédiens
, dont le feu s'eft rallenti : le froid
des Acteurs eft fouvent mis fur le compte
la piéce ; quand ils manquent de concert &
de chaleur , elle paroît manquer d'enfemble
& d'intérêt. Tullie eft le perfonnage qui
a le plus frappé faut- il s'en étonner ? c'eft
Mlle Clairon qui le joue. L'éloquence de
fon jeu y a peut-être autant contribué que
la fupériorité du rôle ; ce qui a fait dire
que la fille de Ciceron étoit plus diferte
que fon pere. Sextus eft encore un beau
caractere il fe montre un digne fils de
Pompée. Les connoiffeurs les plus rigides ,
mais qui jugent fans partialité , conviennent
tous qu'il y a dans cette tragédie des
béautés du premier ordre , & des traits
marqués au coin du grand maître. On y
reconnoît l'auteur d'Electre & de Rhadamifte
: c'est un beau foleil couchant , il
darde encore des rayons qui ont toute la
force de fon midi ; ils doivent échauffer le
public en fa faveur.
:
JANVIER. 1755. 197
Ils l'ont fait à la deuxième repréfentation.
La piece a été mieux jouée , en conféquence
mieux fentie . La cataſtrophe furtout
a fait la plus grande impreffion.
L'inftant où Fullie découvre le voile qui
cache la tête de fon pere fur la tribune
aux harangues , & la précifion admirable
avec laquelle l'actrice rend toute la
force de cette pofition terrible , former t
un coup de théatre qui arrache les lar-.
mes & qui déchire l'ame de tous les
fpectateurs. J'en parlerai plus au long le
mois prochain dans l'extrait que j'en donnerai.
On a oublié dans les deux derniers volumes
de Décembre de parler de la repriſe
des Tuteurs , qui ont été joués avec les
Troyennes. Sans entrer dans aucun détail , `
je vais fuppléer à ce filence. Cette Comédie
en deux actes , ou plutôt le talent qu'elle
annonce , mérite qu'on en faffe mention .
Les trois premieres fcenes montrent que
le jeune auteur de cette petite piéce eft appellé
au Comique , fon vers eft facile , &
fon dialogue naturel ; mais le difcours
qu'il adreffe à Madame la Comteffe de la
Marck prouve encore mieux fa vocation
pour ce genre. Quand on penfe à fon âge
auffi jufte fur l'art que l'on embraffe ,
& qu'on a comme lui le talent d'écrite ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
on eft für d'y faire un progrès rapide.
Le genre moyen de la Comédie , où les
moeurs purement bourgeoifes qu'il fe propofe
de traiter , me femblent comme à lui
les plus théatrales . Il faut fur la fcene des
ridicules de perfpective , fi j'ofe m'exprimer
ainfi ; il faut que leurs traits foient
gros pour exciter un vrai rire , ou un rire
machinal ; c'eft celui de la nature : ne rire
que de l'efprit , c'eft à peine fourire. J'aime
mieux pour mon amufement , rire avec
la bonne foi d'un bourgeois ingenu , ou la
groffe franchife d'un bon payfan , qu'avec
la circonfpection d'un homme du monde
qui craint d'éclater , & qui regle tous fes
mouvemens fur les loix exactes de la froide
décènce . Ce rire compaffé , qui en naiffant
expire fur les levres , ne part jamais
de l'ame , il n'eft qu'un raffinement de
l'art , ou plutôt qu'un ennui déguisé.
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Résumé : COMEDIE FRANÇOISE.
En décembre 1754, les comédiens français ont repris la tragédie 'Nicomède' de Pierre Corneille, qui n'avait pas été jouée depuis la mort de l'auteur en 1729. La pièce, riche en beautés littéraires, contient des expressions familières attribuables à l'époque de Corneille. Lors des premières représentations, le public était partagé entre le rire et les applaudissements, mais à la troisième représentation, il a reconnu le mérite de l'œuvre, qualifiée de tragédie de caractère où la politique joue un rôle central. Nicomède y apparaît comme un digne élève d'Annibal, utilisant l'ironie, notamment envers Flaminius. Certains spectateurs ont vu en lui un héros persifleur, mais cette ironie reflète la fierté et l'indignation d'un prince défendant ses droits. Corneille semble vouloir venger les rois dans cette pièce, contrairement à ses autres tragédies. Les acteurs M. Grandval et Mlle Clairon ont été particulièrement applaudis dans leurs rôles respectifs de Nicomède et Laodice. Le 15 janvier 1755, 'Nicomède' a été jouée avec 'Nanine', une comédie de Voltaire. Le 21 janvier, les deux pièces ont été rejouées devant une salle comble. Le 23 janvier, les comédiens ont présenté pour la première fois 'Le Triumvirat' de M. de Crébillon, reçu avec respect et admiration malgré des réserves sur les quatrième et cinquième actes. Mlle Clairon a particulièrement impressionné dans le rôle de Tullie, et Sextus a été salué pour son interprétation. La pièce a été mieux jouée lors de la deuxième représentation, notamment la catastrophe où Tullie découvre la tête de son père, suscitant une grande émotion chez les spectateurs. En décembre, la reprise des 'Tuteurs' a été omise, mais cette comédie en deux actes, écrite par un jeune auteur talentueux, mérite mention pour son dialogue naturel et son potentiel comique.
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1077
p. 198-200
COMEDIE ITALIENNE.
Début :
Les Comédiens Italiens ont donné le 5 Décembre, la premiere représentation [...]
Mots clefs :
Comédiens-Italiens, Opéra, Comédie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COMEDIE ITALIENNE.
COMEDIE ITALIENNE.
Les Comédiens Italiens ont donné le
Décembre , la premiere repréſentation
de la Fête d'Amour , petite piéce en un
acte , & en vers , avec un divertiſſement.
Elle eft de Madame Favart * . On peut dire
qu'elle en fait les honneurs , & que c'eft
fa propre fête , non - feulement par la fa-
Et de M. Chevalier qui l'a rimée.
*
1755. 199
JANVIER.
çon dont elle y joue , mais encore par l'amour
que le public a pour elle. Jamais
actrice n'en fut plus aimée , ni plus digne
de l'être . Comme Mme Favart a autant de
docilité que de connoiffance du théatre ,
elle a fait plufieurs corrections ou retranchemens
à fa Comédie dès la feconde repréfentation
; depuis ce jour la Fête d'Amour
a été auffi fuivie qu'applaudie , le
talent de l'actrice y fert bien l'efprit de
l'auteur ; on voit que , l'un & l'autre partent
du même fujet . M. Favart , fous le
titre de parodies , ou fous le nom d'opera
comiques , nous a donné d'agréables Bergeries
, & l'aimable Baftienne fa femme ,
pat une émulation louable , nous donne
de jolies payfanneries.
La Fête d'Amour eft conftamment accompagnée
de la Servanie Maitreffe , qui
fert fi bien les autres & qui ne s'ufe point.
Cette piece finguliere femble former un
nouveau genre , Comme le fonds eſt un vrai
fujet de Comédie , & que l'ariette ou le
chant y font mêlés au dialogue fimplement
déclamé , je trouve qu'elle mérite mieux
que le titre d'Opera comique , & qu'on
doit plutôt l'appeller Comédie Opera. On
la joue avec la Fête d'amour le Lundi , le
*
* Nous donnerons l'extrait de cette piece en
Fevrier.
Iiiij
200 MERCURE DE FRANCE.
Mercredi & le Samedi . On repréſente le
Jeudi & le Dimanche Coraline Magicienne
, Comédie Italienne remiſe , avec des
divertiffemens.
Ces divertiffemens font de M. Deheffe ;
ils font auffi agréables que diverfifiés . Le
dernier eft un Ballet Polonois parfaitement
caracterifé. Cet habile compofiteur eft non
feulement le Teniers , mais encore le Vateau
de la danfe. Dans tous fes tableaux , it
prend pour modele la nature , il eſt toujours
nouveau & varié comme elle .
Les Comédiens Italiens ont donné le
Décembre , la premiere repréſentation
de la Fête d'Amour , petite piéce en un
acte , & en vers , avec un divertiſſement.
Elle eft de Madame Favart * . On peut dire
qu'elle en fait les honneurs , & que c'eft
fa propre fête , non - feulement par la fa-
Et de M. Chevalier qui l'a rimée.
*
1755. 199
JANVIER.
çon dont elle y joue , mais encore par l'amour
que le public a pour elle. Jamais
actrice n'en fut plus aimée , ni plus digne
de l'être . Comme Mme Favart a autant de
docilité que de connoiffance du théatre ,
elle a fait plufieurs corrections ou retranchemens
à fa Comédie dès la feconde repréfentation
; depuis ce jour la Fête d'Amour
a été auffi fuivie qu'applaudie , le
talent de l'actrice y fert bien l'efprit de
l'auteur ; on voit que , l'un & l'autre partent
du même fujet . M. Favart , fous le
titre de parodies , ou fous le nom d'opera
comiques , nous a donné d'agréables Bergeries
, & l'aimable Baftienne fa femme ,
pat une émulation louable , nous donne
de jolies payfanneries.
La Fête d'Amour eft conftamment accompagnée
de la Servanie Maitreffe , qui
fert fi bien les autres & qui ne s'ufe point.
Cette piece finguliere femble former un
nouveau genre , Comme le fonds eſt un vrai
fujet de Comédie , & que l'ariette ou le
chant y font mêlés au dialogue fimplement
déclamé , je trouve qu'elle mérite mieux
que le titre d'Opera comique , & qu'on
doit plutôt l'appeller Comédie Opera. On
la joue avec la Fête d'amour le Lundi , le
*
* Nous donnerons l'extrait de cette piece en
Fevrier.
Iiiij
200 MERCURE DE FRANCE.
Mercredi & le Samedi . On repréſente le
Jeudi & le Dimanche Coraline Magicienne
, Comédie Italienne remiſe , avec des
divertiffemens.
Ces divertiffemens font de M. Deheffe ;
ils font auffi agréables que diverfifiés . Le
dernier eft un Ballet Polonois parfaitement
caracterifé. Cet habile compofiteur eft non
feulement le Teniers , mais encore le Vateau
de la danfe. Dans tous fes tableaux , it
prend pour modele la nature , il eſt toujours
nouveau & varié comme elle .
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Résumé : COMEDIE ITALIENNE.
En décembre 1755, les Comédiens Italiens ont présenté 'La Fête d'Amour', une pièce en un acte et en vers de Madame Favart, qui en joue également le rôle principal. La pièce, rimée par M. Chevalier, a été améliorée dès la seconde représentation, devenant très populaire. Madame Favart est louée pour son talent et sa docilité, complétant l'esprit de l'auteur. M. Favart a créé des bergeries agréables, tandis que Madame Favart offre des pastorales charmantes. 'La Fête d'Amour' est accompagnée de 'La Servante Maîtresse', interprétée par un acteur polyvalent, introduisant un nouveau genre de 'Comédie Opéra'. Cette pièce est jouée les lundis, mercredis et samedis. Les jeudis et dimanches, la troupe présente 'Coraline Magicienne', une comédie italienne révisée avec des divertissements composés par M. Deheffe, incluant un ballet polonais. M. Deheffe est comparé à Teniers et Vateau pour ses créations dansées, toujours inspirées par la nature et novatrices.
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1078
p. 200-201
SPECTACLES DE LA COUR.
Début :
Le 27 Novembre, les Comédiens Italiens donnerent en présence du Roi & [...]
Mots clefs :
Comédiens-Italiens, Ballet
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SPECTACLES DE LA COUR.
SPECTACLES DE LA COUR.
E 27 Novembre , les Comédiens Italiens
donnerent en préſence du Roi &
de toute la Famille royale , Arlequin veleur
, Prévôt & Juge.
:
Le 4 Décembre , le Retour d'Arlequin &
la Servante Maîtreffe. A la fin de la premiere
piece on donna un divertiffement
exécuté par Mlle Catinon & M. Balletti
cadet en pas de deux à la fin de la Servante
Maitreffe on ajouta le Colin maillard
, danfé par Mlle Camille & M. Billioni
, en pas de deux ; Mlle Marine feule
; Mlle Maffon & M. Berquelor en pas
de deux .
JANVIER. 1755. 201
Corps de Ballet.
MESSIEURS.
Rouſſeau ,
Martin ,
MESDEMOISELLES .
Gotton ,
Rouffelet ,
Foulquier , Granger
Giguet ,
Defmartins.
Rouffe ,
Verfian.
Le 11 , Monfeigneur le Dauphin fir
donner la repréſentation d'Arlequin perſecuté
par la Dame invisible . Hauteroche en
a tiré l'Esprit follet , que les Comédiens
François avoient donné huit jours auparavant.
Le 18 , on repréſenta les Déguisemens
amoureuxx Comédie Italienne en trois
actes.
E 27 Novembre , les Comédiens Italiens
donnerent en préſence du Roi &
de toute la Famille royale , Arlequin veleur
, Prévôt & Juge.
:
Le 4 Décembre , le Retour d'Arlequin &
la Servante Maîtreffe. A la fin de la premiere
piece on donna un divertiffement
exécuté par Mlle Catinon & M. Balletti
cadet en pas de deux à la fin de la Servante
Maitreffe on ajouta le Colin maillard
, danfé par Mlle Camille & M. Billioni
, en pas de deux ; Mlle Marine feule
; Mlle Maffon & M. Berquelor en pas
de deux .
JANVIER. 1755. 201
Corps de Ballet.
MESSIEURS.
Rouſſeau ,
Martin ,
MESDEMOISELLES .
Gotton ,
Rouffelet ,
Foulquier , Granger
Giguet ,
Defmartins.
Rouffe ,
Verfian.
Le 11 , Monfeigneur le Dauphin fir
donner la repréſentation d'Arlequin perſecuté
par la Dame invisible . Hauteroche en
a tiré l'Esprit follet , que les Comédiens
François avoient donné huit jours auparavant.
Le 18 , on repréſenta les Déguisemens
amoureuxx Comédie Italienne en trois
actes.
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Résumé : SPECTACLES DE LA COUR.
En novembre 1754 et janvier 1755, la cour a assisté à plusieurs spectacles. Les Comédiens Italiens ont joué 'Arlequin veleur, Prévôt & Juge' le 27 novembre et 'Le Retour d'Arlequin & la Servante Maîtreffe' le 4 décembre. En janvier 1755, 'Arlequin persecuté par la Dame invisible' et 'Les Déguisemens amoureux' ont été représentés. Divers danseurs et membres du corps de ballet ont participé à ces divertissements.
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1079
p. 33
VERS.
Début :
Plus n'est le tems où les bords d'Hypocrene [...]
Mots clefs :
Auteurs
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : VERS.
VERS.
PLus n'eft le tems où les bords d'Hypocrene
Etoient peuplés d'Auteurs laborieux ;
Ce qui leur coutoit tant de peine ,
Ne coute rien à leurs neveux .
Merveille n'eft , aucun plan ne les gêne "
Leurs vers font grouppés au hazard ,
C'eft la rime qui les amene ;
Cela ne couté qu'un écart.
Auffi fans méthode & fans art
Nos beaux efprits les font- ils par centaine.
Qu'en advient- il leurs écrits brillantés
Sont des maffifs de karats mal montés ,
Qui ne durent qu'une femaine .
PLus n'eft le tems où les bords d'Hypocrene
Etoient peuplés d'Auteurs laborieux ;
Ce qui leur coutoit tant de peine ,
Ne coute rien à leurs neveux .
Merveille n'eft , aucun plan ne les gêne "
Leurs vers font grouppés au hazard ,
C'eft la rime qui les amene ;
Cela ne couté qu'un écart.
Auffi fans méthode & fans art
Nos beaux efprits les font- ils par centaine.
Qu'en advient- il leurs écrits brillantés
Sont des maffifs de karats mal montés ,
Qui ne durent qu'une femaine .
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1080
p. 82
Avis de l'Auteur du Mercure.
Début :
Je réitere ici la priere que j'ai déja faite à tous nos bons écrivains, de vouloir bien [...]
Mots clefs :
Bons écrivains, Recueil
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Avis de l'Auteur du Mercure.
Avis de l'Auteur du Mercure.
JE réitere ici la priere que j'ai déja faite
à tous nos bons écrivains , de vouloir bien
enrichir mon recueil de quelques unes de
leurs productions. M M. de Montefquien
de Marivaux & Duclos viennent fucceffivement
de leur montrer l'exemple , que
MM . de Fontenelle & de Voltaire avoient
donné les premiers. Ils font tous faits pour
être fuivis.
JE réitere ici la priere que j'ai déja faite
à tous nos bons écrivains , de vouloir bien
enrichir mon recueil de quelques unes de
leurs productions. M M. de Montefquien
de Marivaux & Duclos viennent fucceffivement
de leur montrer l'exemple , que
MM . de Fontenelle & de Voltaire avoient
donné les premiers. Ils font tous faits pour
être fuivis.
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1081
p. 83-85
« JOURNAL ÉTRANGER, ouvrage périodique, Janvier 1755, qui a pour épigraphe, [...] »
Début :
JOURNAL ÉTRANGER, ouvrage périodique, Janvier 1755, qui a pour épigraphe, [...]
Mots clefs :
Journal, Abbé Prévost, Journal étranger
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « JOURNAL ÉTRANGER, ouvrage périodique, Janvier 1755, qui a pour épigraphe, [...] »
OURNAL ÉTRANGER , ouvrage périodique
, Janvier 1755 , qui a pour épigraphe
, Externo robore crefcit , Claud . &
qui fe vend à Paris , au Bureau du Journal
Étranger , rue Saint Louis au Marais ,
vis-à - vis le Bureau de la Régie des cartes ;
chez Piffot , quai de Conti ; Sangrain le
fils , & Duchefne , rue Saint Jacques.
M. l'Abbé Prévôt eft à préſent à la tête
de ce Journal , qui ne peut être rédigé
par une plume plus élégante ; elle embellit
tout ce qu'elle traite . Son Avertiffement
eft une pièce d'éloquence , les promeffes
qu'il y fait au public font magnifiques , &
perfonne n'eft plus en état de les remplir
que lui. Cet éloge de ma part eft d'autant,
moins fufpect , que je le loue à mon préjudice.
C'eft un nouveau Journal qui s'éleve
, pour ainfi dire , à mes frais & dépens
; il prend la même forme , il embraffe
, comme moi , tous les genres : il ne
fe borne pas à la littérature fçavante , il
étend fes courfes fur toute la partie agréable
, & même fur celle des fpectacles , qui
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
font mon domaine particulier. Comme il
ufurpe ainfi tous mes droits , il ne doit
pas trouver mauvais que je m'enrichie
quelquefois de fon butin , & que je falſe
ufage des extraits qu'il donnera des piéces
de Théatre , ou des Romans étrangers
pour les oppofer aux nôtres. Mon but eft
de mettre par là le lecteur françois à portée
de connoître l'efprit des autres nations ,
& de comparer leur goût avec le fien pour
en mieux fentir la différence ; c'eſt le plus
fûr moyen
de guérir les préventions trop
fortes pour ou contre les étrangers . Les
uns trouvent les feuls ouvrages anglois
admirables , ils font le fruit du génie :
les autres n'approuvent que les écrits françois
; ils font le modele du goût. Je crois
que ce goût pur & vrai reffemble à la
vertu , qu'il fuit les extrêmités , qu'il
n'eft ni en-deça ni au- delà , & qu'il refide
, comme elle , dans un milieu raifonnable.
N'en ayons jamais d'exclufif ; eftimons
les étrangers par où ils font eftimables
; fans nous déprimer , louons encore
moins notre efprit aux dépens du
leur ; ne les étudions que pour nous perfectionner
enrichiffons notre littérature
de leurs tréfors , & profitons de leurs beautés
fans imiter leurs défauts. Je com -
mence par le précis ou le programme de
FEVRIER. 1755. 85
Philoclée , tragédie angloife , dont M.
l'Abbé Prévôt a fait un extrait détaillé :
mais je le porte à l'article des Spectacles ,
il fera là mieux à fa place. Les piéces de
comparaifon y feront plus voifines ; j'y
renvoye le lecteur , il y trouvera Philoclée
après le Triumvirat .
, Janvier 1755 , qui a pour épigraphe
, Externo robore crefcit , Claud . &
qui fe vend à Paris , au Bureau du Journal
Étranger , rue Saint Louis au Marais ,
vis-à - vis le Bureau de la Régie des cartes ;
chez Piffot , quai de Conti ; Sangrain le
fils , & Duchefne , rue Saint Jacques.
M. l'Abbé Prévôt eft à préſent à la tête
de ce Journal , qui ne peut être rédigé
par une plume plus élégante ; elle embellit
tout ce qu'elle traite . Son Avertiffement
eft une pièce d'éloquence , les promeffes
qu'il y fait au public font magnifiques , &
perfonne n'eft plus en état de les remplir
que lui. Cet éloge de ma part eft d'autant,
moins fufpect , que je le loue à mon préjudice.
C'eft un nouveau Journal qui s'éleve
, pour ainfi dire , à mes frais & dépens
; il prend la même forme , il embraffe
, comme moi , tous les genres : il ne
fe borne pas à la littérature fçavante , il
étend fes courfes fur toute la partie agréable
, & même fur celle des fpectacles , qui
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
font mon domaine particulier. Comme il
ufurpe ainfi tous mes droits , il ne doit
pas trouver mauvais que je m'enrichie
quelquefois de fon butin , & que je falſe
ufage des extraits qu'il donnera des piéces
de Théatre , ou des Romans étrangers
pour les oppofer aux nôtres. Mon but eft
de mettre par là le lecteur françois à portée
de connoître l'efprit des autres nations ,
& de comparer leur goût avec le fien pour
en mieux fentir la différence ; c'eſt le plus
fûr moyen
de guérir les préventions trop
fortes pour ou contre les étrangers . Les
uns trouvent les feuls ouvrages anglois
admirables , ils font le fruit du génie :
les autres n'approuvent que les écrits françois
; ils font le modele du goût. Je crois
que ce goût pur & vrai reffemble à la
vertu , qu'il fuit les extrêmités , qu'il
n'eft ni en-deça ni au- delà , & qu'il refide
, comme elle , dans un milieu raifonnable.
N'en ayons jamais d'exclufif ; eftimons
les étrangers par où ils font eftimables
; fans nous déprimer , louons encore
moins notre efprit aux dépens du
leur ; ne les étudions que pour nous perfectionner
enrichiffons notre littérature
de leurs tréfors , & profitons de leurs beautés
fans imiter leurs défauts. Je com -
mence par le précis ou le programme de
FEVRIER. 1755. 85
Philoclée , tragédie angloife , dont M.
l'Abbé Prévôt a fait un extrait détaillé :
mais je le porte à l'article des Spectacles ,
il fera là mieux à fa place. Les piéces de
comparaifon y feront plus voifines ; j'y
renvoye le lecteur , il y trouvera Philoclée
après le Triumvirat .
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Résumé : « JOURNAL ÉTRANGER, ouvrage périodique, Janvier 1755, qui a pour épigraphe, [...] »
Le texte présente le 'Journal Étranger', une publication périodique de janvier 1755 dirigée par l'Abbé Prévôt. Ce journal est disponible à Paris dans plusieurs lieux, notamment au Bureau du Journal Étranger, chez Piffot, et chez Sangrain le fils et Duchefne. L'Abbé Prévôt est reconnu pour son élégance et son éloquence. Le texte mentionne un nouveau journal concurrent qui couvre divers genres, y compris la littérature savante, les sujets agréables et les spectacles. L'auteur du texte, tout en admettant la qualité de ce nouveau journal, souhaite enrichir son propre journal avec des extraits de pièces de théâtre ou de romans étrangers pour les comparer avec les œuvres françaises. Son objectif est de permettre aux lecteurs français de connaître l'esprit des autres nations et de comparer leurs goûts. Il prône un goût équilibré, ni exclusif ni dépréciatif, et encourage l'enrichissement de la littérature française par les trésors étrangers tout en évitant d'imiter leurs défauts. Le texte se conclut par une référence à un extrait détaillé de la tragédie anglaise 'Philoclée', renvoyé à la section des spectacles.
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1082
p. 85-98
« EXTRAIT DES MÉMOIRES DU MARQUIS DE BENAVIDÈS, en sept parties ; dédiés à [...] »
Début :
EXTRAIT DES MÉMOIRES DU MARQUIS DE BENAVIDÈS, en sept parties ; dédiés à [...]
Mots clefs :
Roman, Auteur, Grandeur, Roi, Corps, Mémoires, Sentiments, Académie des belles-lettres de Dijon, Chevalier de Mouhy
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « EXTRAIT DES MÉMOIRES DU MARQUIS DE BENAVIDÈS, en sept parties ; dédiés à [...] »
EXTRAIT DES MÉMOIRES DU MARQUIS
DE BENAVIDÈS , en fept parties ; dédiés à
S. A. S. Madame la Ducheffe d'Orléans .
Par M. le Chevalier de Mouhy , de l'Académie
des Belles- Lettres de Dijon.
J'ofe établir pour maxime qu'un Roman
ne fçauroit trop l'être. Il faut que les
incidens , pour frapper , fortent de l'ordre
commun ; que les fentimens , pour fe faire
admirer , paffent les bornes de la nature
ordinaire , & que les premiers perſonnages
, pour intéreffer , ayent un corps & une
ame d'une trempe fupérieure à celle des
autres hommes. Les Mémoires de Benavidès
ont ces trois qualités effentielles . Afin
de le prouver en regle , je vais les envifager
fous trois afpects différens qui en
feront l'extrait raifonné . La fingularité des
événemens dont ce Roman eft rempli , offrira
le premier point de vue . La grandeur
des fentimens qui les ont fait naître , préfentera
le fecond ; & l'excellence des di86
MERCURE DE FRANCE.
vers caracteres de fes héros , qu'ils doivent
à celle de leur complexion , mettra le troi--
fiéme dans tout fon jour.
Singularité des événemens.
Cette fingularité commence par la naiffance
du Marquis de Benavidès. Don Ro--
drigue , premier Miniftre d'Alfonfe , poignarde
Ifabelle fa femme , par un coup fingulier
, du defefpoir où il eft de la voir fteri
le ; elle eft fecourue , la bleffure n'eft pas
mortelle , elle en revient , & court fe cacher
dans une retraite , pour ſe fouftraire
aux fureurs de fon mari. Don Rodrigue ,
pénétré de remords & de tendreffe , la
cherche par- tout , & découvre enfin le
Couvent où elle s'eft retirée . Il enleve
fon épouſe , il obtient fon pardon , &
tous deux renouent avec l'ardeur de deux
amans qui s'adorent. De cette réunion furprenante
, naît Benavidès ; il court à la
gloire à pas de géant ; à feize ans il eft
fait Général : les héros ont une difpenfe
d'âge pour remplir les premiers poftes. Il
furprend l'Empereur de Maroc fur une
éminence , le fait prifonnier avec toute
fa maifon , & l'envoye captif à la Cour
d'Efpagne. De là il court affiéger Maroc ,
il y entre par furpriſe ; mais il eſt arrêté
par le nombre fupérieur des Africains.
FEVRIER. 1755. 877
11 - fe refugie avec les troupes dans une
Mofquée , dont il fait fermer les portes ;
tandis que les Maures les enfoncent , il
fait fortir habilement fes foldats par une
porte de derriere qu'il a pratiquée , & la
rebouche après. Les Maroquins fe jettent
dans la Mofquée par la grande porte.
Quand ils y font tous entrés , le Général
Eſpagnol la fait barrer avec de groffes poutres
; un gros des fiens empêche en mêmetems
, à coups de fabre , la fortie des en--
par la porte dérobée. Ils fe trou--
vent pris , comme d'un coup de filet , au
nombre de huit mille dans ce teinple ,
qu'il faut fuppofer très- vafte , & ils font
tous obligés de mettre bas les armes , & de
fortir l'un après l'autre , de peur d'être
brûlés tous enſemble.
nemis
La nouvelle de ce rare fait d'armes rem →
plit la Cour d'Eſpagne d'admiration ; il faut
avouer qu'il le mérite par fa nouveauté.
La fille d'Alfonfe y prit un intérêt plus
fenfible qu'elle n'auroit voulu : elle avoit
eu jufques- là un éloignement marqué pour
tous les hommes ; ce brillant exploit l'en
corrigea. Le héros étoit aimable , & fa
gloire lui devint chere. Les ennemis de
Benavidès voulurent la ternir , & foulever
le peuple , en répandant le bruit que Benavidès
, bien loin d'avoir fervi l'Etat , venoit
88 MERCURE DE FRANCE.
de le trahir , & qu'il devoit époufer la fille
du Calife ; mais la fageffe du Roi calma
cet orage , & la fauffeté de l'accufation
fut dévoilée . Don Sanche , Prince du Sang,
& Velafquès , fecond Miniftre , qui en
étoient les auteurs fecrets , employent deux
affaffins , l'un pour fe défaire de Benavidès
par le fer , & l'autre pour faire périr
le Roi par le poifon ; ce qui occafionne un
incident des plus neufs , il vaut la peine
d'être raconté : le voici.
Le bruit fe répand tout-à-coup que le
Roi eft malade ; perfonne ne pénetre dans
fon appartement que Don Sanche & fes
créatures ; l'Infante de Caftille n'en eft
pas exceptée. D. Rodrigue eft empoifonné.
Tout ce que peut faire Blanche , dans cette
cruelle pofition , c'eſt de ſe ſervir du miniftere
d'Hordès , auffi bon médecin que grand
politique ; il avoit à peu près l'âge & la
taille de fon vieil Ecuyer ( on a toujours
befoin de ces reffemblances , pour aider le
Roman ) . Elle lui fait prendre l'habit de
cet homme , & lui donne la main , va chez
le Roi , & trouve le moyen d'y entrer avec
fon faux Ecuyer , ferme les verroux , ouvre
les rideaux du lit de fon pere , le voit
pâle & les yeux fermés. Hordès lui tâte le
pouls , & dit à l'Infante que le Roi eft dans
un danger manifefte , mais qu'il pourroit
FEVRIER. 1755. 85
à
le fauver s'il étoit à portée de lui donnes
un fecours auffi prompt que néceffaire. Il
a heureuſement fur lui un élixir propre
rendre à un corps abbattu , pour quelques
momens , toutes fes forces . Il en donne à
Don Alfonfe , qui reprend connoiffance .
Comme Blanche reffemble parfaitement à
fon pere ( je parle d'après l'Auteur ) , elle
prend fes habillemens de nuit , lui donne
les fiens , le coëffe de maniere qu'à peine
entrevoit- on fon vifage , & fe met dans
fon lit. Hordès , qui le foutient , parvient
heureuſement à le faire fortir du Palais
fans rencontre fâcheufe , il le conduit en
chaife dans une maifon ifolée. A peine
le Roi est - il parti que l'Infante fe décou
vre à un garçon de la chambre nommé
Hyago , dont elle connoît la fidélité , fait
avertir par fon moyen fon Capitaine des
Gardes de fe mettre promptement en état
de la feconder dans fes projets ; & dès
qu'elle eft fûre de ce fecours , elle fair
dire à Don Sanche & à Velafquès que le
Roi vient d'expirer. Elle fe leve en même
tems , prend la robe de chambre de fon
pere , s'arme d'un poignard , & fe met dans
l'embrafure d'une croifée voisine de la
porte par où les traîtres doivent paſſer.
Velafquès qui entre avec D. Sanche, fe jette
aux pieds de ce Prince , pour être le pre90
MERCURE DE FRANCE .
du
mier à lui rendre hommage. D. Sanche
pour ne point laiffer un témoin de fes crime
, tire fon épée , la lui paffe au travers
corps . L'Infante au même inftant perce
D. Sanche ; il tombe , Hyago l'acheve.
Le Capitaine des Gardes de la Princeffe
arrive à point nommé avec fa troupe ,
fait main- baffe fur les conjurés. La fanté
du Roi fe rétablit , & tout rentre dans l'ordre.
D'autres incidens non moins tragiques
fe fuccedent rapidement .
&
Dans le même tems le Marquis de
Benavidès eft affaffiné en Afrique , par un
fcélérat , qui le frappe au moment qu'il eft
feul occupé à faire fes dépêches . I bleffe
fon meurtrier , qui a la force deffe fauver
par la fenêtre , & tombe noyé dans fon
fang il échappe à la mort , & revient à
la Cour. Zulime , fille du Calife , qu'il at
refufé d'époufer , prend l'occafion d'un bal
pour venger cette offenfe fur le Général
Efpagnol ; mais dans fa fureur elle prend
le Roi pour lui , & lui porte un coup de
poignard. Benavidès qui accompagne Alfonfe
, fe jette fur Zulime , lui arrache le
fer , & le plonge dans fon fein. Le Roi
guérit de fes bleffures , ainfi que Zulime ,
dont il eft amoureux , déclare la guerre aux
Anglois , qui avoient favorifé la révolte
d'un Prince de fon fang contre lui . BenaFEVRIER.
1755 . 91
vidès paffe en Angleterre , & fe rend maî--
tre des trois quarts de cette Iffe ; mais par
un revers de fortune il eft fait prifonnier.
D. Alfonfe traverfe lui-même les mers ,
rompt les fers de fon favori , foumet Londres
, convoque les Etats , & fait élire Benavidès
Roi d'Angleterre. Il retourne enfuite
en Eſpagne ; il accorde l'Infante fa
fille aux Ambaffadeurs du nouveau Monarque
de Londres , qui brûle pour elle
d'un amour mutuel ; & dans le tems que
celui qui eft chargé de l'époufer en fon
nom s'approche pour recevoir la main de
Blanche de Caftille , Benavidès qu'on croità
Londres , paroît tout à coup , & reçoit
lui-même cette main fi defirée.
Ce font là de ces coups inattendus qui
furprennent dans un Roman , & qui le
mettent au-deffus de l'hiftoire . Dans celle--
ci l'Ambaffadeur Anglois eût tout fimple
ment , à l'ordinaire , époufé la Princeffe
pour fon maître : on auroit même trouvé
mauvais que Benavides eût quitté fes Etats.
nouvellement conquis , & rifqué de les
perdre , pour fe fignaler par un trait de
galanterie déplacée, Mais ce qui feroit un
défaut dans des mémoires purement hifto
riques , devient une beauté dans des aventures
vraiment romanefques. C'eft là qu'il
eft beau, d'être fingulier , & de hazarder:
2 MERCURE DE FRANCE.
la perte d'un royaume , pour fuivre le
tranfport d'un amour empreffé.
Grandeur des fentimens.
Ces nobles écarts partent d'un coeur audeffus
du vulgaire , & de pareils inciden's
font éclater la grandeur des fentimens qui
les produifent. Cette grandeur héroïque
brille par-tout dans ce Roman ; elle caracterife
fes principaux perfonnages . Benavidès
, parmi plufieurs traits d'héroïfme , fe
diftingue par un des plus rares. Edouard ,
furieux de voir fon Royaume prêt d'être
entierement conquis par le Général Efpagnol
, lui envoye un cartel , que ce dernier
refufe. Benavides aime mieux facrifier
l'honneur de mefurer fon épée avec
celle d'un Roi , à la gloire plus folide de
ne pas compromettre les intérêts de fon
Prince. Il trouve plus noble de laiffer foupçonner
fa bravoure , que de mettre en rifque
la conquête d'un Etat qu'il eft für
d'affurer à D. Alfonfe avec le fecours de
fes troupes ; cela paffe le heros , voilà le
grand homme. Le Roi encherit de fon
côté fur ce procédé magnanime , en pla
çant Benavides fon fujet fur le trône d'Angleterre
, dont fa valeur l'a rendu maître.
Ce trait eft au-deffus d'un Monarque , il
eft digne d'un Dieu , qui mefure fes bienFEVRIER.
1755. 9 *
faits à fa grandeur , & au mérite de celui
qu'il récompenfe. Blanche de Caftille fe
ignale par un effort de tendreffe & de
courage , qui n'eft pas moins admirable.
Digne fille d'Alfonfe , pour arracher au
tombeau fon pere empoifonné , elle prend
fes habits , & fe met à fa place , comme je
viens de le dire. Elle fait plus , elle perce
de fa propre main le premier auteur d'un
crime fi noir , & brave la mort pour la
lui donner. Cet exploit furprenant illuftre
la Princeffe autant que la fille ; il en fait
une héroïne que je préfere à Jeanne d'Arc.
Excellence des caracteres,
Tout eft merveilleux , tout eft afſorti
dans les mémoires dont je parle . Si les
fentimens en font grands , par une fuite
naturelle les caracteres en font beaux &
foutenus. Ses héros en doivent l'excellen
ce à celle de leur complexion . Nos vertus ,
ainfi que nos vices , dépendent de la qualité
& de la circulation du fang. Pour nous
porter au bien , il faut qu'il coule pur &
fans obftacles dans nos veines. La régula
rité de fon cours influe le plus fouvent fur
celle de notre conduite ; quand il circule
mal , nous agiffons de même. Le mal -aife .
du corps donne de l'humeur à l'ame ; l'hu
meur rompt l'équilibre néceffaire ; elle al94
MERCURE DE FRANCE.
tere cette égalité d'efprit , mere des vertus.
Un Poëte célebre a dit ,
Bonne ou nrauvaiſe fanté
Fait notre philofophie.
Elle fait auffi notre héroïfme , ces deux
mots bien analyfés font fynonimes . Un
Grand infirme ou cacochyme fait fouffrir
fes inférieurs des maux qu'il fouffre luimême.
Il voit tous les objets dans un mauvais
jour: ils prennent à fes yeux la couleur
de l'humeur noire où le jettent fes fouffrances.
Quelques talens qu'il ait , ils font
ternis par cette humeur qui le rend injuſte,
bizarre & fouvent cruel , il n'a de l'efprit
que pour nuire : c'eſt le héros de Machiavel
, prêt d'immoler tout à fa fombre politique.
Le véritable héros eft tout différent.
Il ne confulte , il ne fuit que la générofité
; il la fait fouvent éclater aux dépens
de fa fortune & même de fa raiſon.
Tel eft Benavides , grace à l'heureux naturel
qu'il tient de la bonté de fon tempérament.
Je vais avancer à ce propos un fentiment
qui aura d'abord l'air d'une plaifanterie
, mais auquel je tiens très -férieuſement
, & qui bien examiné de près eft
d'une vérité inconteſtablę. Je maintiens
FEVRIER. 1755. 95
qu'un Romancier ne fçauroit être trop attentifà
donner une fanté robufte aux perfonnages
qu'il met en action. Dans les différens
combats qu'ils font obligés de livrer
, dans les coups qu'ils reçoivent , dans
les tourmens qu'ils éprouvent , ils ont befoin
d'un corps à toute épreuve. C'eſt un
point effentiel que M. le Chevalier de
Mouhy n'a point oublié ; tous fes héros font
bien conftitués . D. Alfonfe eft doué d'une
vigueur qui résiste au fer & au poifon . Be
navidès n'a pas moins de force : on a beau
le poignarder , il triomphe du couteau de
l'affaflin , & reparoît brillant de ſanté ,
quand on le croit au rang des morts. Zulime
, la fille du Calife , ne leur céde
point en bonté de complexion ; elle guérit
de fes bleffures auffi promptement qu'Alfonfe
, qui l'époufe , & qui la couronne.
•
Le ftyle ou le coloris répond au deffein de
l'ouvrage , ce qu'on doit eftimer dans l'auteur
; il va toujours à l'intérêt. S'il eft prodigue
, ce n'eft qu'en incidens. Il eft fobre
en réflexions , & préfere toujours un fait
fingulier à une penſée neuve. Par ce moyen
fa morale n'ennuie jamais , elle eſt toujours
en action. On doit lui en fçavoir
d'autant plus de gré , qu'aujourd'hui nos
Ecrivains ont la fureur de l'efprit , ou plu
tôt la prétention , fans en avoir fouvent
les titres.
46 MERCURE DE FRANCE.
Je confeille à tous les jeunes gens qui
prennent le parti des armes , d'acheter ces
mémoires ; leur lecture est une Ecole militaire.
Les premiers Officiers y font non
feulement briller toutes les vertus de leur
état , mais les guerriers fubalternes y donnent
encore des leçons de courage & de
magnanimité . Je crois ne pouvoir mieux
finir cet extrait que par l'action d'un foldat
, qui m'a paru trop belle pour la paffer
fous filence. Les Espagnols avoient affiégé
Northombrie. Ils avoient remarqué fous
le pont-levis de la place une bréche par
où l'on pouvoit y entrer . Plufieurs defcendent
dans le foffé . Deux heures après le
point du jour , les Anglois ayant baiffé le
pont , les Espagnols plantent auffi-tôt leurs
échelles , fautent deffus , & tombent fur
l'ennemi . Le Commandant de la Garde
ordonne aux fiens de lever le pont , quoiqu'il
puiffe en coûter. Les Efpagnols ont
beau combattre , le nombre les accable ,
une partie eft déja culbutée dans le foffé ,
l'autre eft investie , & preffée par une foule
d'ennemis qui vont enlever & baiffer le
pont . Un foldat qui s'en apperçoit , ramaffe
une cheville de fer qui fert à l'arrê
ter , & veut la paffer dans l'anneau : un
coup de fabre lui coupe le poignet , & la
lui
FEVRIER. 1755.
97
lui fait quitter * : ô valeur fans pareille !
L'intrépide Efpagnol releve la cheville de
F'autre main , & la place. Ce coup hardi
décide du fuccès de l'entrepriſe.
tôt
>
L'action , toute prodigieufe qu'elle eft ,
trouve fon modele dans l'hiftoire . Cynegire
, frere du fameux Efchile , Poëte tragique
, à la journée de Marathon , arrête
d'une main un vaiffeau des Perfes qui
avoient pris la fuite : ayant eu cette main
coupée , il le faifit alors de l'autre bras
qu'il perd encore dans ce combat , & pluque
de lâcher prife , il mord le vaiſſeau
pour le retenir. Il n'eft point encore vaincu
par la perte de fes deux mains , pour
me fervir des expreffions de Juftin , il
combat avec le tronc de fon corps & avec
fes dents même , comme un lion féroce
qui triomphe en expirant . L'Hiftorien ici
va plus loin que le Romancier , & la copie
eft beaucoup moins chargée que l'original.
Ce qui fait voir que M. de M. fçait
affujettir même le merveilleux aux loix de
la vraiſemblance ; s'il a fuivi Juſtin , c'eſt
pour le corriger , peut-être même s'eſt- il
rencontré avec lui fans avoir l'imitation
en vûe. Il eft affez fécond & affez riche
* Cette exclamation eft de l'Auteur ; je n'y
ajoûte rien.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
par lui- même pour n'avoir pas befoin d'emprunter
rien des autres.
Le catalogue de fes nouvelles oeuvres ,
que je vais joindre à cet extrait , eft un
garant de fon heureuſe abondance. Il eft
précédé d'un avertiffement que je mets ici
tel que l'Auteur l'a fait imprimer , & tel
qu'il me l'a envoyé .
DE BENAVIDÈS , en fept parties ; dédiés à
S. A. S. Madame la Ducheffe d'Orléans .
Par M. le Chevalier de Mouhy , de l'Académie
des Belles- Lettres de Dijon.
J'ofe établir pour maxime qu'un Roman
ne fçauroit trop l'être. Il faut que les
incidens , pour frapper , fortent de l'ordre
commun ; que les fentimens , pour fe faire
admirer , paffent les bornes de la nature
ordinaire , & que les premiers perſonnages
, pour intéreffer , ayent un corps & une
ame d'une trempe fupérieure à celle des
autres hommes. Les Mémoires de Benavidès
ont ces trois qualités effentielles . Afin
de le prouver en regle , je vais les envifager
fous trois afpects différens qui en
feront l'extrait raifonné . La fingularité des
événemens dont ce Roman eft rempli , offrira
le premier point de vue . La grandeur
des fentimens qui les ont fait naître , préfentera
le fecond ; & l'excellence des di86
MERCURE DE FRANCE.
vers caracteres de fes héros , qu'ils doivent
à celle de leur complexion , mettra le troi--
fiéme dans tout fon jour.
Singularité des événemens.
Cette fingularité commence par la naiffance
du Marquis de Benavidès. Don Ro--
drigue , premier Miniftre d'Alfonfe , poignarde
Ifabelle fa femme , par un coup fingulier
, du defefpoir où il eft de la voir fteri
le ; elle eft fecourue , la bleffure n'eft pas
mortelle , elle en revient , & court fe cacher
dans une retraite , pour ſe fouftraire
aux fureurs de fon mari. Don Rodrigue ,
pénétré de remords & de tendreffe , la
cherche par- tout , & découvre enfin le
Couvent où elle s'eft retirée . Il enleve
fon épouſe , il obtient fon pardon , &
tous deux renouent avec l'ardeur de deux
amans qui s'adorent. De cette réunion furprenante
, naît Benavidès ; il court à la
gloire à pas de géant ; à feize ans il eft
fait Général : les héros ont une difpenfe
d'âge pour remplir les premiers poftes. Il
furprend l'Empereur de Maroc fur une
éminence , le fait prifonnier avec toute
fa maifon , & l'envoye captif à la Cour
d'Efpagne. De là il court affiéger Maroc ,
il y entre par furpriſe ; mais il eſt arrêté
par le nombre fupérieur des Africains.
FEVRIER. 1755. 877
11 - fe refugie avec les troupes dans une
Mofquée , dont il fait fermer les portes ;
tandis que les Maures les enfoncent , il
fait fortir habilement fes foldats par une
porte de derriere qu'il a pratiquée , & la
rebouche après. Les Maroquins fe jettent
dans la Mofquée par la grande porte.
Quand ils y font tous entrés , le Général
Eſpagnol la fait barrer avec de groffes poutres
; un gros des fiens empêche en mêmetems
, à coups de fabre , la fortie des en--
par la porte dérobée. Ils fe trou--
vent pris , comme d'un coup de filet , au
nombre de huit mille dans ce teinple ,
qu'il faut fuppofer très- vafte , & ils font
tous obligés de mettre bas les armes , & de
fortir l'un après l'autre , de peur d'être
brûlés tous enſemble.
nemis
La nouvelle de ce rare fait d'armes rem →
plit la Cour d'Eſpagne d'admiration ; il faut
avouer qu'il le mérite par fa nouveauté.
La fille d'Alfonfe y prit un intérêt plus
fenfible qu'elle n'auroit voulu : elle avoit
eu jufques- là un éloignement marqué pour
tous les hommes ; ce brillant exploit l'en
corrigea. Le héros étoit aimable , & fa
gloire lui devint chere. Les ennemis de
Benavidès voulurent la ternir , & foulever
le peuple , en répandant le bruit que Benavidès
, bien loin d'avoir fervi l'Etat , venoit
88 MERCURE DE FRANCE.
de le trahir , & qu'il devoit époufer la fille
du Calife ; mais la fageffe du Roi calma
cet orage , & la fauffeté de l'accufation
fut dévoilée . Don Sanche , Prince du Sang,
& Velafquès , fecond Miniftre , qui en
étoient les auteurs fecrets , employent deux
affaffins , l'un pour fe défaire de Benavidès
par le fer , & l'autre pour faire périr
le Roi par le poifon ; ce qui occafionne un
incident des plus neufs , il vaut la peine
d'être raconté : le voici.
Le bruit fe répand tout-à-coup que le
Roi eft malade ; perfonne ne pénetre dans
fon appartement que Don Sanche & fes
créatures ; l'Infante de Caftille n'en eft
pas exceptée. D. Rodrigue eft empoifonné.
Tout ce que peut faire Blanche , dans cette
cruelle pofition , c'eſt de ſe ſervir du miniftere
d'Hordès , auffi bon médecin que grand
politique ; il avoit à peu près l'âge & la
taille de fon vieil Ecuyer ( on a toujours
befoin de ces reffemblances , pour aider le
Roman ) . Elle lui fait prendre l'habit de
cet homme , & lui donne la main , va chez
le Roi , & trouve le moyen d'y entrer avec
fon faux Ecuyer , ferme les verroux , ouvre
les rideaux du lit de fon pere , le voit
pâle & les yeux fermés. Hordès lui tâte le
pouls , & dit à l'Infante que le Roi eft dans
un danger manifefte , mais qu'il pourroit
FEVRIER. 1755. 85
à
le fauver s'il étoit à portée de lui donnes
un fecours auffi prompt que néceffaire. Il
a heureuſement fur lui un élixir propre
rendre à un corps abbattu , pour quelques
momens , toutes fes forces . Il en donne à
Don Alfonfe , qui reprend connoiffance .
Comme Blanche reffemble parfaitement à
fon pere ( je parle d'après l'Auteur ) , elle
prend fes habillemens de nuit , lui donne
les fiens , le coëffe de maniere qu'à peine
entrevoit- on fon vifage , & fe met dans
fon lit. Hordès , qui le foutient , parvient
heureuſement à le faire fortir du Palais
fans rencontre fâcheufe , il le conduit en
chaife dans une maifon ifolée. A peine
le Roi est - il parti que l'Infante fe décou
vre à un garçon de la chambre nommé
Hyago , dont elle connoît la fidélité , fait
avertir par fon moyen fon Capitaine des
Gardes de fe mettre promptement en état
de la feconder dans fes projets ; & dès
qu'elle eft fûre de ce fecours , elle fair
dire à Don Sanche & à Velafquès que le
Roi vient d'expirer. Elle fe leve en même
tems , prend la robe de chambre de fon
pere , s'arme d'un poignard , & fe met dans
l'embrafure d'une croifée voisine de la
porte par où les traîtres doivent paſſer.
Velafquès qui entre avec D. Sanche, fe jette
aux pieds de ce Prince , pour être le pre90
MERCURE DE FRANCE .
du
mier à lui rendre hommage. D. Sanche
pour ne point laiffer un témoin de fes crime
, tire fon épée , la lui paffe au travers
corps . L'Infante au même inftant perce
D. Sanche ; il tombe , Hyago l'acheve.
Le Capitaine des Gardes de la Princeffe
arrive à point nommé avec fa troupe ,
fait main- baffe fur les conjurés. La fanté
du Roi fe rétablit , & tout rentre dans l'ordre.
D'autres incidens non moins tragiques
fe fuccedent rapidement .
&
Dans le même tems le Marquis de
Benavidès eft affaffiné en Afrique , par un
fcélérat , qui le frappe au moment qu'il eft
feul occupé à faire fes dépêches . I bleffe
fon meurtrier , qui a la force deffe fauver
par la fenêtre , & tombe noyé dans fon
fang il échappe à la mort , & revient à
la Cour. Zulime , fille du Calife , qu'il at
refufé d'époufer , prend l'occafion d'un bal
pour venger cette offenfe fur le Général
Efpagnol ; mais dans fa fureur elle prend
le Roi pour lui , & lui porte un coup de
poignard. Benavidès qui accompagne Alfonfe
, fe jette fur Zulime , lui arrache le
fer , & le plonge dans fon fein. Le Roi
guérit de fes bleffures , ainfi que Zulime ,
dont il eft amoureux , déclare la guerre aux
Anglois , qui avoient favorifé la révolte
d'un Prince de fon fang contre lui . BenaFEVRIER.
1755 . 91
vidès paffe en Angleterre , & fe rend maî--
tre des trois quarts de cette Iffe ; mais par
un revers de fortune il eft fait prifonnier.
D. Alfonfe traverfe lui-même les mers ,
rompt les fers de fon favori , foumet Londres
, convoque les Etats , & fait élire Benavidès
Roi d'Angleterre. Il retourne enfuite
en Eſpagne ; il accorde l'Infante fa
fille aux Ambaffadeurs du nouveau Monarque
de Londres , qui brûle pour elle
d'un amour mutuel ; & dans le tems que
celui qui eft chargé de l'époufer en fon
nom s'approche pour recevoir la main de
Blanche de Caftille , Benavidès qu'on croità
Londres , paroît tout à coup , & reçoit
lui-même cette main fi defirée.
Ce font là de ces coups inattendus qui
furprennent dans un Roman , & qui le
mettent au-deffus de l'hiftoire . Dans celle--
ci l'Ambaffadeur Anglois eût tout fimple
ment , à l'ordinaire , époufé la Princeffe
pour fon maître : on auroit même trouvé
mauvais que Benavides eût quitté fes Etats.
nouvellement conquis , & rifqué de les
perdre , pour fe fignaler par un trait de
galanterie déplacée, Mais ce qui feroit un
défaut dans des mémoires purement hifto
riques , devient une beauté dans des aventures
vraiment romanefques. C'eft là qu'il
eft beau, d'être fingulier , & de hazarder:
2 MERCURE DE FRANCE.
la perte d'un royaume , pour fuivre le
tranfport d'un amour empreffé.
Grandeur des fentimens.
Ces nobles écarts partent d'un coeur audeffus
du vulgaire , & de pareils inciden's
font éclater la grandeur des fentimens qui
les produifent. Cette grandeur héroïque
brille par-tout dans ce Roman ; elle caracterife
fes principaux perfonnages . Benavidès
, parmi plufieurs traits d'héroïfme , fe
diftingue par un des plus rares. Edouard ,
furieux de voir fon Royaume prêt d'être
entierement conquis par le Général Efpagnol
, lui envoye un cartel , que ce dernier
refufe. Benavides aime mieux facrifier
l'honneur de mefurer fon épée avec
celle d'un Roi , à la gloire plus folide de
ne pas compromettre les intérêts de fon
Prince. Il trouve plus noble de laiffer foupçonner
fa bravoure , que de mettre en rifque
la conquête d'un Etat qu'il eft für
d'affurer à D. Alfonfe avec le fecours de
fes troupes ; cela paffe le heros , voilà le
grand homme. Le Roi encherit de fon
côté fur ce procédé magnanime , en pla
çant Benavides fon fujet fur le trône d'Angleterre
, dont fa valeur l'a rendu maître.
Ce trait eft au-deffus d'un Monarque , il
eft digne d'un Dieu , qui mefure fes bienFEVRIER.
1755. 9 *
faits à fa grandeur , & au mérite de celui
qu'il récompenfe. Blanche de Caftille fe
ignale par un effort de tendreffe & de
courage , qui n'eft pas moins admirable.
Digne fille d'Alfonfe , pour arracher au
tombeau fon pere empoifonné , elle prend
fes habits , & fe met à fa place , comme je
viens de le dire. Elle fait plus , elle perce
de fa propre main le premier auteur d'un
crime fi noir , & brave la mort pour la
lui donner. Cet exploit furprenant illuftre
la Princeffe autant que la fille ; il en fait
une héroïne que je préfere à Jeanne d'Arc.
Excellence des caracteres,
Tout eft merveilleux , tout eft afſorti
dans les mémoires dont je parle . Si les
fentimens en font grands , par une fuite
naturelle les caracteres en font beaux &
foutenus. Ses héros en doivent l'excellen
ce à celle de leur complexion . Nos vertus ,
ainfi que nos vices , dépendent de la qualité
& de la circulation du fang. Pour nous
porter au bien , il faut qu'il coule pur &
fans obftacles dans nos veines. La régula
rité de fon cours influe le plus fouvent fur
celle de notre conduite ; quand il circule
mal , nous agiffons de même. Le mal -aife .
du corps donne de l'humeur à l'ame ; l'hu
meur rompt l'équilibre néceffaire ; elle al94
MERCURE DE FRANCE.
tere cette égalité d'efprit , mere des vertus.
Un Poëte célebre a dit ,
Bonne ou nrauvaiſe fanté
Fait notre philofophie.
Elle fait auffi notre héroïfme , ces deux
mots bien analyfés font fynonimes . Un
Grand infirme ou cacochyme fait fouffrir
fes inférieurs des maux qu'il fouffre luimême.
Il voit tous les objets dans un mauvais
jour: ils prennent à fes yeux la couleur
de l'humeur noire où le jettent fes fouffrances.
Quelques talens qu'il ait , ils font
ternis par cette humeur qui le rend injuſte,
bizarre & fouvent cruel , il n'a de l'efprit
que pour nuire : c'eſt le héros de Machiavel
, prêt d'immoler tout à fa fombre politique.
Le véritable héros eft tout différent.
Il ne confulte , il ne fuit que la générofité
; il la fait fouvent éclater aux dépens
de fa fortune & même de fa raiſon.
Tel eft Benavides , grace à l'heureux naturel
qu'il tient de la bonté de fon tempérament.
Je vais avancer à ce propos un fentiment
qui aura d'abord l'air d'une plaifanterie
, mais auquel je tiens très -férieuſement
, & qui bien examiné de près eft
d'une vérité inconteſtablę. Je maintiens
FEVRIER. 1755. 95
qu'un Romancier ne fçauroit être trop attentifà
donner une fanté robufte aux perfonnages
qu'il met en action. Dans les différens
combats qu'ils font obligés de livrer
, dans les coups qu'ils reçoivent , dans
les tourmens qu'ils éprouvent , ils ont befoin
d'un corps à toute épreuve. C'eſt un
point effentiel que M. le Chevalier de
Mouhy n'a point oublié ; tous fes héros font
bien conftitués . D. Alfonfe eft doué d'une
vigueur qui résiste au fer & au poifon . Be
navidès n'a pas moins de force : on a beau
le poignarder , il triomphe du couteau de
l'affaflin , & reparoît brillant de ſanté ,
quand on le croit au rang des morts. Zulime
, la fille du Calife , ne leur céde
point en bonté de complexion ; elle guérit
de fes bleffures auffi promptement qu'Alfonfe
, qui l'époufe , & qui la couronne.
•
Le ftyle ou le coloris répond au deffein de
l'ouvrage , ce qu'on doit eftimer dans l'auteur
; il va toujours à l'intérêt. S'il eft prodigue
, ce n'eft qu'en incidens. Il eft fobre
en réflexions , & préfere toujours un fait
fingulier à une penſée neuve. Par ce moyen
fa morale n'ennuie jamais , elle eſt toujours
en action. On doit lui en fçavoir
d'autant plus de gré , qu'aujourd'hui nos
Ecrivains ont la fureur de l'efprit , ou plu
tôt la prétention , fans en avoir fouvent
les titres.
46 MERCURE DE FRANCE.
Je confeille à tous les jeunes gens qui
prennent le parti des armes , d'acheter ces
mémoires ; leur lecture est une Ecole militaire.
Les premiers Officiers y font non
feulement briller toutes les vertus de leur
état , mais les guerriers fubalternes y donnent
encore des leçons de courage & de
magnanimité . Je crois ne pouvoir mieux
finir cet extrait que par l'action d'un foldat
, qui m'a paru trop belle pour la paffer
fous filence. Les Espagnols avoient affiégé
Northombrie. Ils avoient remarqué fous
le pont-levis de la place une bréche par
où l'on pouvoit y entrer . Plufieurs defcendent
dans le foffé . Deux heures après le
point du jour , les Anglois ayant baiffé le
pont , les Espagnols plantent auffi-tôt leurs
échelles , fautent deffus , & tombent fur
l'ennemi . Le Commandant de la Garde
ordonne aux fiens de lever le pont , quoiqu'il
puiffe en coûter. Les Efpagnols ont
beau combattre , le nombre les accable ,
une partie eft déja culbutée dans le foffé ,
l'autre eft investie , & preffée par une foule
d'ennemis qui vont enlever & baiffer le
pont . Un foldat qui s'en apperçoit , ramaffe
une cheville de fer qui fert à l'arrê
ter , & veut la paffer dans l'anneau : un
coup de fabre lui coupe le poignet , & la
lui
FEVRIER. 1755.
97
lui fait quitter * : ô valeur fans pareille !
L'intrépide Efpagnol releve la cheville de
F'autre main , & la place. Ce coup hardi
décide du fuccès de l'entrepriſe.
tôt
>
L'action , toute prodigieufe qu'elle eft ,
trouve fon modele dans l'hiftoire . Cynegire
, frere du fameux Efchile , Poëte tragique
, à la journée de Marathon , arrête
d'une main un vaiffeau des Perfes qui
avoient pris la fuite : ayant eu cette main
coupée , il le faifit alors de l'autre bras
qu'il perd encore dans ce combat , & pluque
de lâcher prife , il mord le vaiſſeau
pour le retenir. Il n'eft point encore vaincu
par la perte de fes deux mains , pour
me fervir des expreffions de Juftin , il
combat avec le tronc de fon corps & avec
fes dents même , comme un lion féroce
qui triomphe en expirant . L'Hiftorien ici
va plus loin que le Romancier , & la copie
eft beaucoup moins chargée que l'original.
Ce qui fait voir que M. de M. fçait
affujettir même le merveilleux aux loix de
la vraiſemblance ; s'il a fuivi Juſtin , c'eſt
pour le corriger , peut-être même s'eſt- il
rencontré avec lui fans avoir l'imitation
en vûe. Il eft affez fécond & affez riche
* Cette exclamation eft de l'Auteur ; je n'y
ajoûte rien.
E
98 MERCURE DE FRANCE.
par lui- même pour n'avoir pas befoin d'emprunter
rien des autres.
Le catalogue de fes nouvelles oeuvres ,
que je vais joindre à cet extrait , eft un
garant de fon heureuſe abondance. Il eft
précédé d'un avertiffement que je mets ici
tel que l'Auteur l'a fait imprimer , & tel
qu'il me l'a envoyé .
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Résumé : « EXTRAIT DES MÉMOIRES DU MARQUIS DE BENAVIDÈS, en sept parties ; dédiés à [...] »
Le texte est un extrait des mémoires du marquis de Benavidès, rédigés par le chevalier de Mouhy. L'auteur soutient que les romans doivent exagérer les événements, les sentiments et les personnages pour captiver le lecteur. Les mémoires de Benavidès illustrent ces qualités par trois aspects : la singularité des événements, la grandeur des sentiments et l'excellence des caractères. La singularité des événements commence par la naissance du marquis de Benavidès. Don Rodrigue, premier ministre d'Alphonse, poignarde sa femme Isabelle par désespoir, mais elle survit et se cache. Don Rodrigue la retrouve, obtient son pardon, et ils renouent leur amour. De cette union naît Benavidès, qui devient général à seize ans. Il capture l'empereur du Maroc et ses troupes, puis assiège et prend Maroc par une ruse stratégique. À la cour d'Espagne, la fille d'Alphonse s'intéresse à Benavidès malgré son éloignement initial pour les hommes. Des ennemis de Benavidès tentent de le discréditer, mais leur complot est déjoué. Don Sanche et Velafquès, complices, tentent d'empoisonner le roi Alphonse et d'assassiner Benavidès. Blanche, l'infante, sauve son père en le faisant passer pour mort et en tuant les conspirateurs. Benavidès est ensuite attaqué en Afrique mais survit. Zulime, fille du calife, tente de le venger en poignardant le roi Alphonse, mais Benavidès la neutralise. Alphonse déclare la guerre aux Anglais et, après diverses péripéties, Benavidès devient roi d'Angleterre. Alphonse retourne en Espagne et marie l'infante Blanche à Benavidès. La grandeur des sentiments est illustrée par des actes héroïques. Benavidès refuse un duel avec le roi Édouard pour ne pas compromettre les intérêts de son prince. Alphonse le récompense en le nommant roi d'Angleterre. Blanche sauve son père empoisonné en prenant sa place et en tuant les conspirateurs. L'excellence des caractères est soulignée par la robustesse physique et morale des héros. Leur santé et leur tempérament influencent leurs actions et leurs vertus. Les personnages principaux, comme Benavidès, Alphonse et Zulime, montrent une grande résistance et une générosité exceptionnelle. Le style de l'œuvre est prodigue en incidents mais sobre dans son expression, toujours orienté vers l'intérêt du lecteur. Le texte discute également de la préférence pour les faits singuliers plutôt que les nouvelles pensées dans la morale, soulignant que cette approche rend la morale toujours en action et évite l'ennui. Il critique les écrivains contemporains pour leur prétention à l'esprit sans en avoir toujours les titres. L'auteur conseille aux jeunes gens prenant les armes d'acheter certains mémoires, décrivant leur lecture comme une école militaire. Ces mémoires mettent en avant les vertus des premiers officiers et les leçons de courage et de magnanimité des guerriers subalternes. Un exemple notable est l'action d'un soldat espagnol lors du siège de Northombrie, qui, après avoir eu la main coupée, utilise son autre main pour placer une cheville de fer, permettant ainsi de maintenir le pont baissé et de décider du succès de l'entreprise. Cette action est comparée à celle de Cynegire, frère d'Eschyle, qui à la bataille de Marathon, retient un vaisseau perse avec ses mains et ses dents après les avoir perdues. L'auteur souligne que l'historien va au-delà du romancier en rendant le récit plus vraisemblable.
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1083
p. 98-100
AVERTISSEMENT.
Début :
Le catalogue des Oeuvres de M. le Chevalier de Mouhy, demeurant à l'entrée de [...]
Mots clefs :
Académie des belles-lettres de Dijon, Catalogue, Chevalier de Mouhy
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AVERTISSEMENT.
AVERTISSEMENT.
Le catalogue des OEuvres de M. le Chevalier
de Mouhy , demeurant à l'entrée de
la rue des Cordeliers , près de la Comédie
Françoife , placé dans l'Almanach des
Beaux Arts , & à la fuite des derniers ouvrages
de cet Auteur , ayant perfuadé qu'on
les trouveroit chez lui , y ont fait envoyer
fi fouvent qu'il eft obligé d'annoncer ici ,
que les éditions de la plus grande partie de
fes anciennes productions font confommées
, & que celles qui ne le font pas encore
fe vendent chez les Libraires défignés
à la fuite des titres . Mais voulant éviter
la peine à l'avenir à une infinité de perfonnes
de venir inutilement chez lui , il
met ici les noms des nouveaux ouvrages
qu'il a fait imprimer depuis deux ans chez
Jorry , quai des Auguftins , que l'on vend
aufli chez Duchefne , rue S. Jacques ; &
FEVRIER. 1755. ୨୭
chez lui , rue des Cordeliers , afin qu'ils
fçachent où les trouver.
Nouveaux ouvrages de M. le Chevalier de
Mouby , de l'Académie des Belles- Lettres
de Dijon.
Les Tablettes dramatiques , contenant
le Dictionnaire du Théatre François , avec
l'abrégé de l'hiftoire de ce Théatre ; les vies
des Auteurs & des Acteurs , &c , in - 8 ° ,
avec les fupplémens qui fe donnent gratis
chaque année , broché 6 livres , relié 6 1 ,
12 f.
Les Délices du fentiment , 6 vol . in- 12 .
broché 10 l . 16 f. relié 15 liv .
Les Mémoires du Marquis de Benavidès
, Roman moral , 7 vol. in - 12 . broché.
huit livres huit fols , relié dix livres douze,
fols.
Les Lettres du Commandeur , avec les
réponſes , fe vendront à l'avenir 6liv. brochées
les trois vol. & 8 liv . s L. reliées ,
parce qu'il n'y en a plus que fort peu qu'on
a fait revenir de Hollande , qui ont coûté
18 liv. de
port.
Le Répertoire des pieces reftées au théatre
françois , ou le petit Dictionnaire du
théatre françois , broché 15 f. relié 1 liv.
4. f.
Les Supplémens aux tablettes dramati-
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
ques pour les années 1752 , 1753 , 1754
& 1755 , diftribués gratis à ceux qui ont
acheté l'ouvrage , fe vendent 12 f. chacun ,
lorfqu'on le prend à part , c'eſt- à -dire fans
les Tablettes .
Le Financier , fous preffe , en quatre volumes.
Le catalogue des OEuvres de M. le Chevalier
de Mouhy , demeurant à l'entrée de
la rue des Cordeliers , près de la Comédie
Françoife , placé dans l'Almanach des
Beaux Arts , & à la fuite des derniers ouvrages
de cet Auteur , ayant perfuadé qu'on
les trouveroit chez lui , y ont fait envoyer
fi fouvent qu'il eft obligé d'annoncer ici ,
que les éditions de la plus grande partie de
fes anciennes productions font confommées
, & que celles qui ne le font pas encore
fe vendent chez les Libraires défignés
à la fuite des titres . Mais voulant éviter
la peine à l'avenir à une infinité de perfonnes
de venir inutilement chez lui , il
met ici les noms des nouveaux ouvrages
qu'il a fait imprimer depuis deux ans chez
Jorry , quai des Auguftins , que l'on vend
aufli chez Duchefne , rue S. Jacques ; &
FEVRIER. 1755. ୨୭
chez lui , rue des Cordeliers , afin qu'ils
fçachent où les trouver.
Nouveaux ouvrages de M. le Chevalier de
Mouby , de l'Académie des Belles- Lettres
de Dijon.
Les Tablettes dramatiques , contenant
le Dictionnaire du Théatre François , avec
l'abrégé de l'hiftoire de ce Théatre ; les vies
des Auteurs & des Acteurs , &c , in - 8 ° ,
avec les fupplémens qui fe donnent gratis
chaque année , broché 6 livres , relié 6 1 ,
12 f.
Les Délices du fentiment , 6 vol . in- 12 .
broché 10 l . 16 f. relié 15 liv .
Les Mémoires du Marquis de Benavidès
, Roman moral , 7 vol. in - 12 . broché.
huit livres huit fols , relié dix livres douze,
fols.
Les Lettres du Commandeur , avec les
réponſes , fe vendront à l'avenir 6liv. brochées
les trois vol. & 8 liv . s L. reliées ,
parce qu'il n'y en a plus que fort peu qu'on
a fait revenir de Hollande , qui ont coûté
18 liv. de
port.
Le Répertoire des pieces reftées au théatre
françois , ou le petit Dictionnaire du
théatre françois , broché 15 f. relié 1 liv.
4. f.
Les Supplémens aux tablettes dramati-
Eij
100 MERCURE DE FRANCE.
ques pour les années 1752 , 1753 , 1754
& 1755 , diftribués gratis à ceux qui ont
acheté l'ouvrage , fe vendent 12 f. chacun ,
lorfqu'on le prend à part , c'eſt- à -dire fans
les Tablettes .
Le Financier , fous preffe , en quatre volumes.
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Résumé : AVERTISSEMENT.
Le Chevalier de Mouhy, résidant à l'entrée de la rue des Cordeliers, près de la Comédie Française, informe que les éditions de la plupart de ses anciennes œuvres sont épuisées. Les exemplaires disponibles se trouvent chez des libraires spécifiques mentionnés à la suite des titres. Pour éviter des déplacements inutiles, il liste ses nouveaux ouvrages imprimés chez Jorry, quai des Augustins, également vendus chez Duchefne, rue Saint-Jacques, et chez lui. Les nouveaux ouvrages incluent 'Les Tablettes dramatiques', un dictionnaire du théâtre français avec des suppléments annuels gratuits, au prix de 6 livres broché ou 6 livres 12 sous relié. 'Les Délices du sentiment', en 6 volumes in-12, au prix de 10 livres 16 sous broché ou 15 livres relié. 'Les Mémoires du Marquis de Benavidès', un roman moral en 7 volumes in-12, au prix de 8 livres 8 sous broché ou 10 livres 12 sous relié. 'Les Lettres du Commandeur', avec les réponses, au prix de 6 livres broché ou 8 livres relié. 'Le Répertoire des pièces refusées au théâtre français', au prix de 15 sous broché ou 1 livre 4 sous relié. 'Les Suppléments aux tablettes dramatiques' pour les années 1752 à 1755, distribués gratuitement aux acheteurs de l'ouvrage principal, ou vendus 12 sous chacun s'ils sont achetés séparément. Enfin, 'Le Financier', en cours d'impression, en quatre volumes.
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1084
p. 116-117
SEANCE PUBLIQUE De l'Académie des Belles-Lettres de Marseille, 1754.
Début :
L'Académie des Belles-Lettres de Marseille tint fon assemblée publique , selon [...]
Mots clefs :
Académie des Belles-Lettres de Marseille, Prix
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texteReconnaissance textuelle : SEANCE PUBLIQUE De l'Académie des Belles-Lettres de Marseille, 1754.
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie des Belles - Lettres de
Marſeille , 1754.
'Académie des Belles-Lettres de Marfeille
tint fon affemblée publique , felon
l'ufage , le 25 Août , fête de S. Louis ,
dans la falle que le Roi lui a accordée dans
l'Arfenal. { :
M. le Marquis de Pennes , Chancelier
faifant fonction de Directeur en abſence ,
ouvrit la féance par un difcours relatif au
fujet de l'affemblée, or ind
a
M. de Sinety lut un chant dun Poeme
de M. le Marquis de Mirabeau , affocié de
P'Académie , abfent , intitulé L'Art de la
Guerre. M. Guys lur une differtation fur
les danfes des Grecs nfodernes , comparées
à celles des anciens , qui fait partie d'un
plus long ouvrage. M. Guteu lut un ouvrage
en vers , intitulé : La guérison obtenue
par l'amour & Remerciment à la famé.
M. Guys lut un ouvrage en vers , intitulé
: Le Philofophe irréfolu
L'Académie ayant cette année réſervé
le prix , en aura deux à diftribuer l'anmée
prochaine. Elle avertit donc le public
FEVRIER. 1755. 117
>
que le 25 Août , jour & fête de S. Louis
de l'année prochaine 1755 , elle adjugera
un de ces prix à un poëme à rimes plates ,
de cent cinquante vers au plus , & de cent
au moins , à l'exclufion de toute Ode , dont
le fujet fera , la réunion de la Provence à
la Couronne ; & l'autre de ces prix à un difcours
d'un quart-d'heure , ou tout au plus
d'une demi -heure de lecture , dont le fujet
fera , l'homme eft plus grand par l'usage des
talens que par les talens même .
Le prix qu'elle décerne eft une médaille
d'or , de la valeur de trois cens livres , portant
d'un côté le bufte de M. le Maréchal
Duc de Villars , fondateur & premier protecteur
de l'Académie ; & fur le revers ces
mots , Premium Academia Maffilienfis , entourés
d'une couronne de laurier.
On adreffera les ouvrages à M. de Chalamont
de la Vifcleve , Secrétaire perpétuel
de l'Académie des Belles - Lettres, de
Marſeille , rue de l'Evêché. On affranchira
les paquets à la pofte , fans quoi ils ne feront
point retirés. Ils ne feront reçus que
jufqu'au premier Mai inclufivement.
De l'Académie des Belles - Lettres de
Marſeille , 1754.
'Académie des Belles-Lettres de Marfeille
tint fon affemblée publique , felon
l'ufage , le 25 Août , fête de S. Louis ,
dans la falle que le Roi lui a accordée dans
l'Arfenal. { :
M. le Marquis de Pennes , Chancelier
faifant fonction de Directeur en abſence ,
ouvrit la féance par un difcours relatif au
fujet de l'affemblée, or ind
a
M. de Sinety lut un chant dun Poeme
de M. le Marquis de Mirabeau , affocié de
P'Académie , abfent , intitulé L'Art de la
Guerre. M. Guys lur une differtation fur
les danfes des Grecs nfodernes , comparées
à celles des anciens , qui fait partie d'un
plus long ouvrage. M. Guteu lut un ouvrage
en vers , intitulé : La guérison obtenue
par l'amour & Remerciment à la famé.
M. Guys lut un ouvrage en vers , intitulé
: Le Philofophe irréfolu
L'Académie ayant cette année réſervé
le prix , en aura deux à diftribuer l'anmée
prochaine. Elle avertit donc le public
FEVRIER. 1755. 117
>
que le 25 Août , jour & fête de S. Louis
de l'année prochaine 1755 , elle adjugera
un de ces prix à un poëme à rimes plates ,
de cent cinquante vers au plus , & de cent
au moins , à l'exclufion de toute Ode , dont
le fujet fera , la réunion de la Provence à
la Couronne ; & l'autre de ces prix à un difcours
d'un quart-d'heure , ou tout au plus
d'une demi -heure de lecture , dont le fujet
fera , l'homme eft plus grand par l'usage des
talens que par les talens même .
Le prix qu'elle décerne eft une médaille
d'or , de la valeur de trois cens livres , portant
d'un côté le bufte de M. le Maréchal
Duc de Villars , fondateur & premier protecteur
de l'Académie ; & fur le revers ces
mots , Premium Academia Maffilienfis , entourés
d'une couronne de laurier.
On adreffera les ouvrages à M. de Chalamont
de la Vifcleve , Secrétaire perpétuel
de l'Académie des Belles - Lettres, de
Marſeille , rue de l'Evêché. On affranchira
les paquets à la pofte , fans quoi ils ne feront
point retirés. Ils ne feront reçus que
jufqu'au premier Mai inclufivement.
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Résumé : SEANCE PUBLIQUE De l'Académie des Belles-Lettres de Marseille, 1754.
La séance publique de l'Académie des Belles-Lettres de Marseille s'est déroulée le 25 août 1754, à l'occasion de la fête de Saint-Louis, dans la salle de l'Arsenal. M. le Marquis de Pennes, Directeur par intérim, a ouvert la séance. M. de Sinety a lu un extrait du poème 'L'Art de la Guerre' de M. le Marquis de Mirabeau. M. Guys a présenté une dissertation sur les danses des Grecs modernes comparées à celles des anciens. M. Guteu a lu deux œuvres en vers : 'La guérison obtenue par l'amour & Remerciment à la fame' et 'Le Philosophe irréfléchi'. Pour 1755, l'Académie a annoncé deux prix : un pour un poème de 100 à 150 vers sur la réunion de la Provence à la Couronne, et un autre pour un discours de 15 à 30 minutes sur le thème 'l'homme est plus grand par l'usage des talents que par les talents eux-mêmes'. Chaque prix consiste en une médaille d'or valant 300 livres. Les œuvres doivent être envoyées à M. de Chalamont de la Vifcleve avant le 1er mai 1755.
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1085
p. 176-192
COMEDIE FRANÇOISE.
Début :
Les Comédiens François ont donné le 13 de ce mois la dixiéme représentation [...]
Mots clefs :
Cicéron, Sextus, César, Comédiens-Français, Père, Mécène, Yeux, Pompée, Fille, Mourir, Dieux, Octave
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COMEDIE FRANÇOISE.
COMEDIE FRANÇOISE.
Lis
Es Comédiens François ont donné le
13 de ce mois la dixiéme repréfentation
du Triumvirat. On peut dire qu'il a
eu ce fuccès d'estime que l'ouvrage &
l'auteur ont fi bien mérité , & qu'on refuſe
fouvent à des pieces plus heureufes , qui
comptent plus de repréfentations que de
fuffrages. Cette Tragédie eft imprimée
fous ce double titre : Le Triumvirat , ou la
mort de Ciceron , avec une épitre dédicatoire
à Mme Bignon , & une préface . Elle
fe vend chez Hochereau , quai de Conti , au
Phénix ; le prix eft de 30 f. en voici l'extrait .
EXTRAIT DU TRIUMVIRÁT.
Tullie , fille de Ciceron , ouvre feule
la fcene qui eft au Capitole , par un début
digne d'elle & du fujet. Elle s'écrie ,
Effroyable féjour des horreurs de la guerre ,
Lieux inondés du fang des maîtres de la terre ,
Lieux , dont le feul afpect fit trembler tant de
Rois ,
Palais où Ciceron triompha tant de fois ;
Deformais trop heureux de cacher ce grand homme
,
Sauvez le feul Romain qui foit encor dans Rome.
FEVRIER. 1755. 177
A
Elle ajoûte avec effroi , en jettant les
yeux fur le tableau des profcrits :
Que vois-je , à la lueur de ce cruel flambeau !
Ah ! que de noms facrés profcrits fur ce tableau !
Rome , il ne manque plus , pour combler ta mifere
,
Que d'y tracer le nom de mon malheureux pere.
Enfuite elle apoftrophe ainfi la ftatue de
Céfar.
Toi , qui fis en naiffant honneur à la nature ,
Sans avoir , des vertus , que l'heureufe impofture ,
Trop aimable tyran , illuftre ambitieux ,
Qui triomphas du fort , de Caton & des Dieux...
Sous un joug ennobli par l'éclat de tes armes ,
Nous refpirions du moins fans honte & fans allármes
:
Loin de rougir des fers qu'illuftroit ta valeur ,
On fe croyoit paré des lauriers du vainqueur.
Mais fous le joug honteux & d'Antoine & d'Octave
>
Rome , arbitre des Rois , va gémir en eſclave.
Se tournant après vers la ftatue de Pompée
, elle lui adreffe ces triftes paroles .
Ah ! Pompée , eft -ce là ce qui refte de toi
Miférables débris de la grandeur . humaine ,
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Douloureux monument de vengeance & de haine !
6
Pour nous venger d'Octave ,, accours , vaillant
Sextus ,,
A ce nouveau Céfar , fois un nouveau. Brutus.
Ce monologue me paroît admirable ; il
égale , à mon gré , celui d'Electre , s'il ne
le furpaffe pas , & forme la plus belle expofition
. Il eft terminé par l'arrivée de
Sextus , qui fe cache même aux yeux de
Tullie qu'il aime , fous le nom de Clodomir
, chef des Gaulois . Il lui fait un récit
affreux des horreurs du Triumvirat dont il
vient d'être le témoin , & finit un fi noir
tableau par ces beaux vers , qu'on croiroit
d'un auteur de trente ans , à la force du
coloris.
Un fils , prefque à mes yeux , vient de livrer fon
Le
pere ;
J'ai vu ce même fils égorgé par fa mere :
On ne voit que des corps mutilés & fanglans ,
Des efclaves traîner leurs maîtres expirans ;
affouvi réchauffe le carnage ;
carnage
J'ai vu des furieux dont la haine & la rage
Se difputoient des cours encor tout palpitans:
On diroit à les voir l'un l'autre s'excitans ,
Déployer à l'envi leur fureur meurtrière ,
Que c'est le derniér jour de la nature entiere. {
FEVRIER. , 1755. 179
que
Dans ce péril preffant il offre à Tullie une
retraite dans Oftie pour fon pere & pour
elle . Elle la refufe ; il frémit du danger
Ciceron va courir , fi près de Fulvie
qui a juré fa perte. Il exprime en même
tems la douleur qu'il a de la perdre & de
la voir près d'être unie aux jours d'Octave
qui l'aime , ajoutant que fon fang fcellera
cet hymen. Tullie le raffure fur cette crain--
te , en lui difant :
Un tyran à
Ne craignez rien d'Octave' :
mes yeux ne vaut pas un esclave.
Un rival plus heureux va caufer vos allarmes ...
Le fils du grand Pompée . Hélas ! que n'est- ce vous !!
Que j'euffe avec plaifir accepté mon époux !
Ces deux amans font interrompus par
Lepide qui entre : Clodomir fe retire . Le
Triumvir fait entendre à Tullie , que ne
pouvant chaffer de Rome fes collegues impies
, il prend le parti de s'en exiler luimême
, & qu'il va chercher un afyle en
Efpagne pour y fauver fa vertu. Tullie l'interrompt
par cette noble réponſe , qui a
toujours été fi juftement applaudie :
Ah ! la vertu quifuit ne vaut pas le courage
Du crime audacieux qui fçait braver l'orage .
Que peut craindre un Romain des,caprices.du fort,
Tant qu'il lui refte un bras pour fe donner la mort
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Avez-vous oublié que Rome eft votre mere
Demeurez , imitez l'exemple de mon pere ,
Et de votre vertu në nous vantez l'éclat
Qu'après une victoire , ou du moins un combat.
On n'encenfa jamais la vertu fugitive ,
Et celle d'un Romain doit être plus active.
On ne le reconnoît qu'à fon dernier foupir ;
Son honneur eft de vaincre , & vaincu de mourir.
ger
Elle fort.
Ciceron arrive. Lapide tâche de l'engaà
le fuivre pour fe dérober à la fureur
d'Antoine & de Fulvie , qui veulent le profcrire.
Ciceron rejette cette offre. Lepide le
quitte , en lui déclarant qu'il vient de rencontrer
Sextus , & qu'il l'a reconnu . Ce
Triumvir l'avertit d'en craindre la fuite ,
& de prendre garde à lui. Ciceron reſté
feul , dit qu'il eft tems qu'il apprenne
ce fecret à fa fille , que Clodomir devenu
le fils du grand Pompée , ne pourra l'en
blâmer , qu'il veut les unir & donner à Céfar
un rival , dont le nom feul pourra lui
devenir funefte.
Octave commence avec Mecene le fecond
acte. Après avoir d'abord tâché d'excufer
fes cruautés , il lui marque fon
amour pour Tullie , & fon eftime pour fon
pere , ajoûtant qu'il veut le fauver & fe
l'attacher. Mecene l'affermit dans ce defFEVRIER.
1755. 181
fein , & le laiffe avec Ciceron qui paroît ,
& qui lui témoigne ainfi fa furpriſe :
Céſar , en quel état vous offrez-vous à moi ?
Ah ! ce n'eft ni fon fils , ni Céfar que je vois.
O! Céfar , ce n'eft pas ton fang qui l'a fait naître :
Brutus qui l'a verfé , méritoit mieux d'en être.
Le meurtre des vaincus ne fouilloit point tes pas ;
Ta valeur fubjuguoit , mais ne profcrivoit pas.
Octave, pour fe juftifier , répond qu'il
pourfuit les meurtriers du grand Céfar , &
que fa vengeance eft légitime. Ciceron l'interrompt
pour lui reprocher l'abus affreux
qu'il fait de ce prétexte , & lui dit :
Rendre le glaive feul l'interprête des loix ,
Employer pour venger le meurtre de fon pere
Des flammes & du fer l'odieux miniftere ;
Donner à fes profcrits pour juges fes foldats ,
Du neveu de Céfar voilà les magiftrats.
Octave lui réplique que c'eft une néceffité
, que l'univers demande une forme
nouvelle , qu'il lui faut un Empereur , que
Ciceron doit le choifir , qu'ils doivent s'allier
pour mieux détruire Antoine ; il le
conjure enfin de l'aimer , & de devenir
fon
pere.
Abdique, je t'adopte , & ma fille eft à toi,
382 MERCURE DE FRANCE.
repart Ciceron. Des oreilles trop délicates
ont trouvé ce vers dur ; pour moi je ne le
trouve que fort ;je crois qu'un Romain ne
peut pas mieux répondre ni en moins de
mots . Tullie paroît , & fon pere fort eix
difant à Octave , qu'il la confulte ; & que
s'il l'aime , il la prenne pour modele .
Tullie traite Octave encore avec plus.
de fierté que n'a fait fon pere. Céfar , luis
dit-elle :
Regnez , fi vous l'ofez; mais croyez que Tullie
Sçaura bien ſe ſoustraire à votre tyrannie :
Si du fort des tyrans vous bravez les hazards
Il naîtra des Brutus autant que des Céfars.
Sur ce qu'il infifte , elle lui déclare fierement
qu'elle ne l'aime point , qu'elle eft
cependant prête à l'époufer , pourvû qu'il
renonce à l'Empire ; mais que s'il veut ufurper
l'autorité fuprême , il peut teindre le
diadême de fon fang. Cette hauteur romaine
oblige Octave de la quitter & de la
menacer de livrer fon pere à Fulvie. Sextus
, qu'elle reconnoît alors pour le fils de
Pompée , entre fur la fcéne , & demande à
Tullie le fujer de fa douleur. Elle l'inftruit
du danger preffant où font les jours de
fon pere , qui veut les unir avant fa mort.
Sextus finit le fecond acte , en la preffant
d'engager Ciceron à fuir fur fes vaiffeaux
FEVRIER. 1755. 183
-il eft honteux pour lui , ajoute-t- il , de fe
laiffer profcrire.
S'il veut m'accompagner je répons de fa vie,
El'amour couronné répondra de Tullie..
Il faut convenir que cet acte eft un peu
vuide d'action .
Ciceron , Tullie & Sextus ouvrent le troifieme.
Ciceron veut unir le fils de Pompée:
à fa fille ; mais elle s'y oppofe dans ce cruel
moment & le conjure de la fuivre en
Sicile avec Sextus il s'écrie ::
>-
Pour braver mes tyrans je veux mourir dáns Ro
me ;
En implorant les Dieux , c'eft moi fenl qu'elles
nomme:
Sextus lui parle alors en vrai fils de Pompée
, & lui dit :
Rome n'eft plus qu'un ſpectre , une ombre en Ita
lie ,
Dont le corps tout entier eft paffé dans l'Afie :
C'est là que noure honneur nous appelle aujour
d'hui ,
Rendons- nous à ſa voix , & marchons avec lui.
Ce n'eft pas le climat qui lui donna la vie;
C'eſt le coeur du Romain qui forme fa patrie.
184 MERCURE DE FRANCE.
2
Il vaut mieux fe flater d'un eſpoir téméraire
Que de céder au fort dès qu'il nous eft contraire.
Il faut du moins mourir les armes à la main ,
Le feul gente de mort digne d'un vrai Romain,
Mais mourir pour mourir n'eft qu'une folle
yvreffe ,
Trifte enfant de l'orgueil , que nourrit la pareffe.
où
Ciceron fort en leur difant qu'il ne
peut fe réfoudre à quitter l'Italie , mais
qu'il confent de fe rendre à Tufculum ,
il ira les joindre pour les unir enfemble ,
& qu'avant tout il veut revoir Mecene. A
peine eft- il parti qu'Octave entre ; & jaloux
de Sextus qu'il prend pour un chef
des Gaulois , il adreffe ainfi la parole à
Tullie .
Qu'il retourne en fon camp ,
C'eft parmi fes foldats qu'il trouvera fon rang,
Le faux Clodomir lui répond , avec une
fierté plus que Gauloife ,
Le fort de mes pareils ne dépend point de toi
Je ne releve ici que des Dieux & de moi.
Aux loix du grand Céfar nous rendîmes hommage
,
Mais ce ne fut jamais à titre d'efclavage.
Comme de la valeur il connoiffoit le prix ,
Il cftimoit en nous ce qui manque à ſon fils.
FEVRIER. 1755. 185
Octave à ces mots appelle les Licteurs ,
& il faut avouer que fon emportement
paroît fondé.
Tullie s'oppofe à fa rigueur , & prend
vivement la défenſe de Sextus . Le courroux
d'Octave en redouble ; il . lui répond
que ce Gaulois brave l'autorité des Triumvirs
, qu'il a fauvé plufieurs profcrits , &
qu'il mérite d'être puni comme un traître .
Sextus lui réplique :
Toi-même , applaudifſant à mes foins magnanimes
,
Tu devrois me louer de t'épargner des crimes ,
Et rougir , quand tu crois être au- deffus de moi ,
Qu'un Gaulois à tes yeux foit plus Romain que
toi,
Tullie lui demande fa vie. Octave forcé
par fon amour de la lui accorder , fe retire
en déguifant fon dépit. Sextus raffure Tullie
fur la crainte qu'elle a que fon rival
ne l'immole , & lui fait entendre qu'Octave
eft un tyran encore mal affermi, qu'il
le croit Gaulois , & qu'ayant beſoin du ſecours
de cette nation , il eft trop bon politique
pour ne la pas ménager. La frayeur
de Tullie s'accroît à l'afpect de Philippe ,
qu'elle prend pour un miniftre des vengeances
d'Octave. Philippe reconnoît Sex186
MERCURE DE FRANCE.
tus qu'il a élevé , & marque autant de
douleur que de furprife. Le fils de Pompée
reconnoît Philippe à fon tour , & lui
reproche d'avoir dégénéré de fa premiere
vertu. Cet affranchi fe jette à fes genoux ,
& lui dit qu'il ne les quittera pas qu'il n'ait
obtenu de lui la grace d'être écouté . Sextuş
le force de fe lever. Philippe lui raconte
qu'Octave inftruit de fa fidélité l'a pris
à fon fervice , mais qu'il n'a jamais trempé
dans fes forfaits. Il ajoute que ce Triumvir
ne croit plus que Sextus foit un Gaulois
, mais un ami de Brutus , & qu'il l'a
chargé du cruel emploi de l'affaffiner dans
la nuit . Il vient , continue- t-il , de paffer
chez Fulvie : je crains qu'il n'en coute la
vie à Ciceron .
Les momens nous font chers , & c'eſt fait de vos
jours ,
Și de ceux du tyran , je n'abrege le cours,
Choififfez du trépas de Célar , ou du vôtre ;-
Rien n'eft facré pour moi quand il s'agit de vous..
Sextus lui répond
L'affafinat , Philippe , eft indigne de nous
Avant que d'éclater il falloit l'entreprendre
Mais inftruit du projet je dois te le défendre .
Ce trait eft hiſtorique , & M. de Cré
FEVRIER. 1755. 187
billon s'en est heureufement fervi . Tullie
approuve Sextus , & termine l'acte en difant
:
Allons trouver mon pere , & remettons aux Dieux
Le foin de nous fauver de ces funeftes lieux.
Le quatrieme acte s'ouvre par un monologue
de Ciceron , qui jette les yeux fur
le tableau des profcriptions , & qui dit
avec tranſport , lorfqu'il y voir fon nom
Enfin je fuis profcrit , que mon ame eft ravie !
Je renais au moment qu'on m'arrache ma vie.
Mecene furvient , & le preffe de s'allier
à Céfar. Ciceron lui demande s'il lui fait
efperer que l'inftant de leur alliance fera la
fin de la profeription . Mecene lui répond
qu'Octave l'a fufpendue pour lui . Ciceron
pour réplique , lui montre fon nom écrit
fur le tableau.
Mecene fe récrie : ...
Dieux quelle trahison
S'il eft vrai que Céfar ait voulu vous proferire ,
Sur ce même tableau je vais me faire inferire.
Adieu : fi je ne puis vous fauver de fes coups ,
Vous me verrez combattre & mourir avec vous.
Octave paroît. Ciceron veut lui faire
189 MERCURE DE FRANCE.
de nouveaux reproches ; mais Octave lui
répond qu'il n'eft pas venu pour fe faire
juger , & qu'il lui demande Tullie pour
la derniere fois. Ciceron lui réplique que
c'eft moins fon amour que fa politique qui
lui fait fouhaiter la main de fa fille , &
qu'il veut par ce noeud les affocier à fes
fureurs. Octave offenfé , lui repart :
Ingrat , fi tu jouis de la clarté du jour ,
Apprens que tu ne dois ce bien qu'à mon amour .
Vois ton nom.
Ciceron lui dit avec un phlegme vraiment
Romain :
Je l'ai vû . Céfar , je t'en rends graces.
Octave alors fe dévoile tout entier , &
lui reproche qu'il protége Clodomir , &
qu'il veut l'unir à Tullie. Ciceron ne s'en
défend pas , & Céfar tranfporté de colere ,
fort en lui déclarant qu'il l'abandonne à
fon inimitié. Ciceron refté feul , dit qu'il
la préfere à une pitié qui deshonore celui
qu'elle épargne , & celui qui l'invoque. Il
eft inquiet fur le fort de fa fille & fur celui
de Sextus , mais il eft raffuré par leur
préfence ; il leur apprend qu'il eft profcrit.
Tous deux le conjurent de partir &
de profiter du moment qu'Octave lui laiſſe ;
FEVRIER. 1755.. 159
mais il s'obſtine à mourir . Philippe vient
avertir Sextus que fes amis font déja loin
des portes , & preffe Tullie de fuivre les
pas du fils de Pompée , en l'affurant qu'elle
n'a rien à craindre pour Ciceron , qu'il eft
chargé de veiller für fes jours , & qu'il va
le conduire à Tufculum. Ciceron quitte
Sextus & Tullie , en leur difant :
i
Adieu , triftes témoins de més voeux fuperflus.
Palais infortuné , je ne vous verrai plus.
Octave qui vient d'apprendre que le faux
Clodomir eft Sextus , fait éclater toute fa
colere , & jure d'immoler le fils de Pompée
, & Tullie même. Mecene entre tout
éploré. Octave effrayé , lui demande quel
eft le fujet de fa douleur. Mecene lui répond
, les yeux baignés de larmes :
Ingrat ! qu'avez-vous fait ?
Hélas ! hier encore il exiſtoit un homme
Qui fit par fes vertus les délices de Rome ;
Mémorable à jamais par fes talens divers ,
Dont le génie heureux éclairoit l'univers.
Il n'eft plus .... fon falut vous eût couvert de
gloire ,
Et de vos cruautés , effacé la mémoire.
Qu'ai -je beſoin encor de vous dire fon nom ?
Ahlaillez-moi vous fuir , & pleurer Ciceron.
190 MERCURE DE FRANCE.
Octave témoigne fa furprife , & rejette
ce crime fur Antoine. Mecene continue
ainfi :
L'intrepide Orateur a vu fans s'ébranler ,
Lever fur lui lebras qui l'alloit immoler :
C'eſt toi , Lena , dit-il ; que rien ne te retienne ;
J'ai défendu ta vie , atrache-moi la mienne.
Je ne me repens point d'avoir ſauvé tes jours ,
Puifque des miens , c'est toi qui dois trancher le
cours.
que
A ces mots , Ciceron lui préfente la tête ,
En s'écriant , Lena , frappe , la voilà prête.
Lena , tandis Pair retentiffoit de cris ,
L'abbat , court chez Fulvie en demander le prix.
Un objet fi touchant , loin d'attendrir ſon ame ,
N'a fait que redoubler le courroux qui l'enflam
me :
Les yeux étincelans de rage & de fureur ,
Elle embraffe Lena fans honte & fans pudeur ,
Saifit avec tranſport cette tête divine ,
Qui femble avec les Dieux difputer d'origine ,
En arrache . ... Epargnez à ma vive douleur
La fuite d'un récit qui vous feroit horreur.
Nous ne l'entendrons plus , du feu de fon génie ,
Répandre dans nos coeurs le charme & l'harmonie
:
Fulvie a déchiré de fes indignes mains
Cet objet précieux , l'oracle des humains.
Ce récit m'a paru trop beau pour en rien
FEVRIER. 1755. 191
retrancher. L'acteur * qui a joué le rolle de
Mecene , en a fenti tout le pathétique , &
l'a très-bien rendu. Tullie qui n'eft pas encore
inftruite de la mort de fon pere , vient
implorer pour lui la puiffance d'Octave ;
elle paroît un peu defcendre de fon caractere
, elle s'humilie même au point d'offrir ſa
main à Céfar, pourvû qu'elle foit le prix des
jours de Ciceron . Comme Octave ne peut
cacher fon embarras , & qu'il veut fortir ,
Tullie l'arrête ; & tournant fes regards
vers la tribune , elle s'écrie avec terreur :
Plus je l'ofe obferver , plus ma frayeur augmente.
Mecene ! la Tribune ... elle eſt toute fanglante.
Ce voile encor fumant cache quelque forfait.
N'importe , je veux voir. Dieux ! quel affreux
objet !
La tête de mon pere ! .. Ah! monftre impitoyable ,
A quels yeux offres- tu ce fpectacle effroyable ?
Elle fe tue , & tombe en expirant auprès
d'une tête fi chere.
Je n'ai point vû au théatre de dénoument
plus frappant ; je ne me laffe point
de le répéter . Ce tableau rendu par l'action
admirable de Mlle Clairon , infpire la terreur
la plus forte , & la pitié la plus tendre
. Ces deux fentimens réunis enfemble .
font la perfection du genre. La beauté du
M. de Bellecour
192 MERCURE DE FRANCE.
cinquiéme acte répond à celle du premier
& la catastrophe remplit tout ce que l'expofition
a promis ; elle a toute la force
Angloife , fans en avoir la licence. Pour
en convaincre le lecteur , je veux lui comparer
le dénouement de Philoclée , dont je
vais donner le programme , d'après l'extrait
inferé dans le Journal Etranger du
mois de Janvier.
Lis
Es Comédiens François ont donné le
13 de ce mois la dixiéme repréfentation
du Triumvirat. On peut dire qu'il a
eu ce fuccès d'estime que l'ouvrage &
l'auteur ont fi bien mérité , & qu'on refuſe
fouvent à des pieces plus heureufes , qui
comptent plus de repréfentations que de
fuffrages. Cette Tragédie eft imprimée
fous ce double titre : Le Triumvirat , ou la
mort de Ciceron , avec une épitre dédicatoire
à Mme Bignon , & une préface . Elle
fe vend chez Hochereau , quai de Conti , au
Phénix ; le prix eft de 30 f. en voici l'extrait .
EXTRAIT DU TRIUMVIRÁT.
Tullie , fille de Ciceron , ouvre feule
la fcene qui eft au Capitole , par un début
digne d'elle & du fujet. Elle s'écrie ,
Effroyable féjour des horreurs de la guerre ,
Lieux inondés du fang des maîtres de la terre ,
Lieux , dont le feul afpect fit trembler tant de
Rois ,
Palais où Ciceron triompha tant de fois ;
Deformais trop heureux de cacher ce grand homme
,
Sauvez le feul Romain qui foit encor dans Rome.
FEVRIER. 1755. 177
A
Elle ajoûte avec effroi , en jettant les
yeux fur le tableau des profcrits :
Que vois-je , à la lueur de ce cruel flambeau !
Ah ! que de noms facrés profcrits fur ce tableau !
Rome , il ne manque plus , pour combler ta mifere
,
Que d'y tracer le nom de mon malheureux pere.
Enfuite elle apoftrophe ainfi la ftatue de
Céfar.
Toi , qui fis en naiffant honneur à la nature ,
Sans avoir , des vertus , que l'heureufe impofture ,
Trop aimable tyran , illuftre ambitieux ,
Qui triomphas du fort , de Caton & des Dieux...
Sous un joug ennobli par l'éclat de tes armes ,
Nous refpirions du moins fans honte & fans allármes
:
Loin de rougir des fers qu'illuftroit ta valeur ,
On fe croyoit paré des lauriers du vainqueur.
Mais fous le joug honteux & d'Antoine & d'Octave
>
Rome , arbitre des Rois , va gémir en eſclave.
Se tournant après vers la ftatue de Pompée
, elle lui adreffe ces triftes paroles .
Ah ! Pompée , eft -ce là ce qui refte de toi
Miférables débris de la grandeur . humaine ,
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Douloureux monument de vengeance & de haine !
6
Pour nous venger d'Octave ,, accours , vaillant
Sextus ,,
A ce nouveau Céfar , fois un nouveau. Brutus.
Ce monologue me paroît admirable ; il
égale , à mon gré , celui d'Electre , s'il ne
le furpaffe pas , & forme la plus belle expofition
. Il eft terminé par l'arrivée de
Sextus , qui fe cache même aux yeux de
Tullie qu'il aime , fous le nom de Clodomir
, chef des Gaulois . Il lui fait un récit
affreux des horreurs du Triumvirat dont il
vient d'être le témoin , & finit un fi noir
tableau par ces beaux vers , qu'on croiroit
d'un auteur de trente ans , à la force du
coloris.
Un fils , prefque à mes yeux , vient de livrer fon
Le
pere ;
J'ai vu ce même fils égorgé par fa mere :
On ne voit que des corps mutilés & fanglans ,
Des efclaves traîner leurs maîtres expirans ;
affouvi réchauffe le carnage ;
carnage
J'ai vu des furieux dont la haine & la rage
Se difputoient des cours encor tout palpitans:
On diroit à les voir l'un l'autre s'excitans ,
Déployer à l'envi leur fureur meurtrière ,
Que c'est le derniér jour de la nature entiere. {
FEVRIER. , 1755. 179
que
Dans ce péril preffant il offre à Tullie une
retraite dans Oftie pour fon pere & pour
elle . Elle la refufe ; il frémit du danger
Ciceron va courir , fi près de Fulvie
qui a juré fa perte. Il exprime en même
tems la douleur qu'il a de la perdre & de
la voir près d'être unie aux jours d'Octave
qui l'aime , ajoutant que fon fang fcellera
cet hymen. Tullie le raffure fur cette crain--
te , en lui difant :
Un tyran à
Ne craignez rien d'Octave' :
mes yeux ne vaut pas un esclave.
Un rival plus heureux va caufer vos allarmes ...
Le fils du grand Pompée . Hélas ! que n'est- ce vous !!
Que j'euffe avec plaifir accepté mon époux !
Ces deux amans font interrompus par
Lepide qui entre : Clodomir fe retire . Le
Triumvir fait entendre à Tullie , que ne
pouvant chaffer de Rome fes collegues impies
, il prend le parti de s'en exiler luimême
, & qu'il va chercher un afyle en
Efpagne pour y fauver fa vertu. Tullie l'interrompt
par cette noble réponſe , qui a
toujours été fi juftement applaudie :
Ah ! la vertu quifuit ne vaut pas le courage
Du crime audacieux qui fçait braver l'orage .
Que peut craindre un Romain des,caprices.du fort,
Tant qu'il lui refte un bras pour fe donner la mort
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Avez-vous oublié que Rome eft votre mere
Demeurez , imitez l'exemple de mon pere ,
Et de votre vertu në nous vantez l'éclat
Qu'après une victoire , ou du moins un combat.
On n'encenfa jamais la vertu fugitive ,
Et celle d'un Romain doit être plus active.
On ne le reconnoît qu'à fon dernier foupir ;
Son honneur eft de vaincre , & vaincu de mourir.
ger
Elle fort.
Ciceron arrive. Lapide tâche de l'engaà
le fuivre pour fe dérober à la fureur
d'Antoine & de Fulvie , qui veulent le profcrire.
Ciceron rejette cette offre. Lepide le
quitte , en lui déclarant qu'il vient de rencontrer
Sextus , & qu'il l'a reconnu . Ce
Triumvir l'avertit d'en craindre la fuite ,
& de prendre garde à lui. Ciceron reſté
feul , dit qu'il eft tems qu'il apprenne
ce fecret à fa fille , que Clodomir devenu
le fils du grand Pompée , ne pourra l'en
blâmer , qu'il veut les unir & donner à Céfar
un rival , dont le nom feul pourra lui
devenir funefte.
Octave commence avec Mecene le fecond
acte. Après avoir d'abord tâché d'excufer
fes cruautés , il lui marque fon
amour pour Tullie , & fon eftime pour fon
pere , ajoûtant qu'il veut le fauver & fe
l'attacher. Mecene l'affermit dans ce defFEVRIER.
1755. 181
fein , & le laiffe avec Ciceron qui paroît ,
& qui lui témoigne ainfi fa furpriſe :
Céſar , en quel état vous offrez-vous à moi ?
Ah ! ce n'eft ni fon fils , ni Céfar que je vois.
O! Céfar , ce n'eft pas ton fang qui l'a fait naître :
Brutus qui l'a verfé , méritoit mieux d'en être.
Le meurtre des vaincus ne fouilloit point tes pas ;
Ta valeur fubjuguoit , mais ne profcrivoit pas.
Octave, pour fe juftifier , répond qu'il
pourfuit les meurtriers du grand Céfar , &
que fa vengeance eft légitime. Ciceron l'interrompt
pour lui reprocher l'abus affreux
qu'il fait de ce prétexte , & lui dit :
Rendre le glaive feul l'interprête des loix ,
Employer pour venger le meurtre de fon pere
Des flammes & du fer l'odieux miniftere ;
Donner à fes profcrits pour juges fes foldats ,
Du neveu de Céfar voilà les magiftrats.
Octave lui réplique que c'eft une néceffité
, que l'univers demande une forme
nouvelle , qu'il lui faut un Empereur , que
Ciceron doit le choifir , qu'ils doivent s'allier
pour mieux détruire Antoine ; il le
conjure enfin de l'aimer , & de devenir
fon
pere.
Abdique, je t'adopte , & ma fille eft à toi,
382 MERCURE DE FRANCE.
repart Ciceron. Des oreilles trop délicates
ont trouvé ce vers dur ; pour moi je ne le
trouve que fort ;je crois qu'un Romain ne
peut pas mieux répondre ni en moins de
mots . Tullie paroît , & fon pere fort eix
difant à Octave , qu'il la confulte ; & que
s'il l'aime , il la prenne pour modele .
Tullie traite Octave encore avec plus.
de fierté que n'a fait fon pere. Céfar , luis
dit-elle :
Regnez , fi vous l'ofez; mais croyez que Tullie
Sçaura bien ſe ſoustraire à votre tyrannie :
Si du fort des tyrans vous bravez les hazards
Il naîtra des Brutus autant que des Céfars.
Sur ce qu'il infifte , elle lui déclare fierement
qu'elle ne l'aime point , qu'elle eft
cependant prête à l'époufer , pourvû qu'il
renonce à l'Empire ; mais que s'il veut ufurper
l'autorité fuprême , il peut teindre le
diadême de fon fang. Cette hauteur romaine
oblige Octave de la quitter & de la
menacer de livrer fon pere à Fulvie. Sextus
, qu'elle reconnoît alors pour le fils de
Pompée , entre fur la fcéne , & demande à
Tullie le fujer de fa douleur. Elle l'inftruit
du danger preffant où font les jours de
fon pere , qui veut les unir avant fa mort.
Sextus finit le fecond acte , en la preffant
d'engager Ciceron à fuir fur fes vaiffeaux
FEVRIER. 1755. 183
-il eft honteux pour lui , ajoute-t- il , de fe
laiffer profcrire.
S'il veut m'accompagner je répons de fa vie,
El'amour couronné répondra de Tullie..
Il faut convenir que cet acte eft un peu
vuide d'action .
Ciceron , Tullie & Sextus ouvrent le troifieme.
Ciceron veut unir le fils de Pompée:
à fa fille ; mais elle s'y oppofe dans ce cruel
moment & le conjure de la fuivre en
Sicile avec Sextus il s'écrie ::
>-
Pour braver mes tyrans je veux mourir dáns Ro
me ;
En implorant les Dieux , c'eft moi fenl qu'elles
nomme:
Sextus lui parle alors en vrai fils de Pompée
, & lui dit :
Rome n'eft plus qu'un ſpectre , une ombre en Ita
lie ,
Dont le corps tout entier eft paffé dans l'Afie :
C'est là que noure honneur nous appelle aujour
d'hui ,
Rendons- nous à ſa voix , & marchons avec lui.
Ce n'eft pas le climat qui lui donna la vie;
C'eſt le coeur du Romain qui forme fa patrie.
184 MERCURE DE FRANCE.
2
Il vaut mieux fe flater d'un eſpoir téméraire
Que de céder au fort dès qu'il nous eft contraire.
Il faut du moins mourir les armes à la main ,
Le feul gente de mort digne d'un vrai Romain,
Mais mourir pour mourir n'eft qu'une folle
yvreffe ,
Trifte enfant de l'orgueil , que nourrit la pareffe.
où
Ciceron fort en leur difant qu'il ne
peut fe réfoudre à quitter l'Italie , mais
qu'il confent de fe rendre à Tufculum ,
il ira les joindre pour les unir enfemble ,
& qu'avant tout il veut revoir Mecene. A
peine eft- il parti qu'Octave entre ; & jaloux
de Sextus qu'il prend pour un chef
des Gaulois , il adreffe ainfi la parole à
Tullie .
Qu'il retourne en fon camp ,
C'eft parmi fes foldats qu'il trouvera fon rang,
Le faux Clodomir lui répond , avec une
fierté plus que Gauloife ,
Le fort de mes pareils ne dépend point de toi
Je ne releve ici que des Dieux & de moi.
Aux loix du grand Céfar nous rendîmes hommage
,
Mais ce ne fut jamais à titre d'efclavage.
Comme de la valeur il connoiffoit le prix ,
Il cftimoit en nous ce qui manque à ſon fils.
FEVRIER. 1755. 185
Octave à ces mots appelle les Licteurs ,
& il faut avouer que fon emportement
paroît fondé.
Tullie s'oppofe à fa rigueur , & prend
vivement la défenſe de Sextus . Le courroux
d'Octave en redouble ; il . lui répond
que ce Gaulois brave l'autorité des Triumvirs
, qu'il a fauvé plufieurs profcrits , &
qu'il mérite d'être puni comme un traître .
Sextus lui réplique :
Toi-même , applaudifſant à mes foins magnanimes
,
Tu devrois me louer de t'épargner des crimes ,
Et rougir , quand tu crois être au- deffus de moi ,
Qu'un Gaulois à tes yeux foit plus Romain que
toi,
Tullie lui demande fa vie. Octave forcé
par fon amour de la lui accorder , fe retire
en déguifant fon dépit. Sextus raffure Tullie
fur la crainte qu'elle a que fon rival
ne l'immole , & lui fait entendre qu'Octave
eft un tyran encore mal affermi, qu'il
le croit Gaulois , & qu'ayant beſoin du ſecours
de cette nation , il eft trop bon politique
pour ne la pas ménager. La frayeur
de Tullie s'accroît à l'afpect de Philippe ,
qu'elle prend pour un miniftre des vengeances
d'Octave. Philippe reconnoît Sex186
MERCURE DE FRANCE.
tus qu'il a élevé , & marque autant de
douleur que de furprife. Le fils de Pompée
reconnoît Philippe à fon tour , & lui
reproche d'avoir dégénéré de fa premiere
vertu. Cet affranchi fe jette à fes genoux ,
& lui dit qu'il ne les quittera pas qu'il n'ait
obtenu de lui la grace d'être écouté . Sextuş
le force de fe lever. Philippe lui raconte
qu'Octave inftruit de fa fidélité l'a pris
à fon fervice , mais qu'il n'a jamais trempé
dans fes forfaits. Il ajoute que ce Triumvir
ne croit plus que Sextus foit un Gaulois
, mais un ami de Brutus , & qu'il l'a
chargé du cruel emploi de l'affaffiner dans
la nuit . Il vient , continue- t-il , de paffer
chez Fulvie : je crains qu'il n'en coute la
vie à Ciceron .
Les momens nous font chers , & c'eſt fait de vos
jours ,
Și de ceux du tyran , je n'abrege le cours,
Choififfez du trépas de Célar , ou du vôtre ;-
Rien n'eft facré pour moi quand il s'agit de vous..
Sextus lui répond
L'affafinat , Philippe , eft indigne de nous
Avant que d'éclater il falloit l'entreprendre
Mais inftruit du projet je dois te le défendre .
Ce trait eft hiſtorique , & M. de Cré
FEVRIER. 1755. 187
billon s'en est heureufement fervi . Tullie
approuve Sextus , & termine l'acte en difant
:
Allons trouver mon pere , & remettons aux Dieux
Le foin de nous fauver de ces funeftes lieux.
Le quatrieme acte s'ouvre par un monologue
de Ciceron , qui jette les yeux fur
le tableau des profcriptions , & qui dit
avec tranſport , lorfqu'il y voir fon nom
Enfin je fuis profcrit , que mon ame eft ravie !
Je renais au moment qu'on m'arrache ma vie.
Mecene furvient , & le preffe de s'allier
à Céfar. Ciceron lui demande s'il lui fait
efperer que l'inftant de leur alliance fera la
fin de la profeription . Mecene lui répond
qu'Octave l'a fufpendue pour lui . Ciceron
pour réplique , lui montre fon nom écrit
fur le tableau.
Mecene fe récrie : ...
Dieux quelle trahison
S'il eft vrai que Céfar ait voulu vous proferire ,
Sur ce même tableau je vais me faire inferire.
Adieu : fi je ne puis vous fauver de fes coups ,
Vous me verrez combattre & mourir avec vous.
Octave paroît. Ciceron veut lui faire
189 MERCURE DE FRANCE.
de nouveaux reproches ; mais Octave lui
répond qu'il n'eft pas venu pour fe faire
juger , & qu'il lui demande Tullie pour
la derniere fois. Ciceron lui réplique que
c'eft moins fon amour que fa politique qui
lui fait fouhaiter la main de fa fille , &
qu'il veut par ce noeud les affocier à fes
fureurs. Octave offenfé , lui repart :
Ingrat , fi tu jouis de la clarté du jour ,
Apprens que tu ne dois ce bien qu'à mon amour .
Vois ton nom.
Ciceron lui dit avec un phlegme vraiment
Romain :
Je l'ai vû . Céfar , je t'en rends graces.
Octave alors fe dévoile tout entier , &
lui reproche qu'il protége Clodomir , &
qu'il veut l'unir à Tullie. Ciceron ne s'en
défend pas , & Céfar tranfporté de colere ,
fort en lui déclarant qu'il l'abandonne à
fon inimitié. Ciceron refté feul , dit qu'il
la préfere à une pitié qui deshonore celui
qu'elle épargne , & celui qui l'invoque. Il
eft inquiet fur le fort de fa fille & fur celui
de Sextus , mais il eft raffuré par leur
préfence ; il leur apprend qu'il eft profcrit.
Tous deux le conjurent de partir &
de profiter du moment qu'Octave lui laiſſe ;
FEVRIER. 1755.. 159
mais il s'obſtine à mourir . Philippe vient
avertir Sextus que fes amis font déja loin
des portes , & preffe Tullie de fuivre les
pas du fils de Pompée , en l'affurant qu'elle
n'a rien à craindre pour Ciceron , qu'il eft
chargé de veiller für fes jours , & qu'il va
le conduire à Tufculum. Ciceron quitte
Sextus & Tullie , en leur difant :
i
Adieu , triftes témoins de més voeux fuperflus.
Palais infortuné , je ne vous verrai plus.
Octave qui vient d'apprendre que le faux
Clodomir eft Sextus , fait éclater toute fa
colere , & jure d'immoler le fils de Pompée
, & Tullie même. Mecene entre tout
éploré. Octave effrayé , lui demande quel
eft le fujet de fa douleur. Mecene lui répond
, les yeux baignés de larmes :
Ingrat ! qu'avez-vous fait ?
Hélas ! hier encore il exiſtoit un homme
Qui fit par fes vertus les délices de Rome ;
Mémorable à jamais par fes talens divers ,
Dont le génie heureux éclairoit l'univers.
Il n'eft plus .... fon falut vous eût couvert de
gloire ,
Et de vos cruautés , effacé la mémoire.
Qu'ai -je beſoin encor de vous dire fon nom ?
Ahlaillez-moi vous fuir , & pleurer Ciceron.
190 MERCURE DE FRANCE.
Octave témoigne fa furprife , & rejette
ce crime fur Antoine. Mecene continue
ainfi :
L'intrepide Orateur a vu fans s'ébranler ,
Lever fur lui lebras qui l'alloit immoler :
C'eſt toi , Lena , dit-il ; que rien ne te retienne ;
J'ai défendu ta vie , atrache-moi la mienne.
Je ne me repens point d'avoir ſauvé tes jours ,
Puifque des miens , c'est toi qui dois trancher le
cours.
que
A ces mots , Ciceron lui préfente la tête ,
En s'écriant , Lena , frappe , la voilà prête.
Lena , tandis Pair retentiffoit de cris ,
L'abbat , court chez Fulvie en demander le prix.
Un objet fi touchant , loin d'attendrir ſon ame ,
N'a fait que redoubler le courroux qui l'enflam
me :
Les yeux étincelans de rage & de fureur ,
Elle embraffe Lena fans honte & fans pudeur ,
Saifit avec tranſport cette tête divine ,
Qui femble avec les Dieux difputer d'origine ,
En arrache . ... Epargnez à ma vive douleur
La fuite d'un récit qui vous feroit horreur.
Nous ne l'entendrons plus , du feu de fon génie ,
Répandre dans nos coeurs le charme & l'harmonie
:
Fulvie a déchiré de fes indignes mains
Cet objet précieux , l'oracle des humains.
Ce récit m'a paru trop beau pour en rien
FEVRIER. 1755. 191
retrancher. L'acteur * qui a joué le rolle de
Mecene , en a fenti tout le pathétique , &
l'a très-bien rendu. Tullie qui n'eft pas encore
inftruite de la mort de fon pere , vient
implorer pour lui la puiffance d'Octave ;
elle paroît un peu defcendre de fon caractere
, elle s'humilie même au point d'offrir ſa
main à Céfar, pourvû qu'elle foit le prix des
jours de Ciceron . Comme Octave ne peut
cacher fon embarras , & qu'il veut fortir ,
Tullie l'arrête ; & tournant fes regards
vers la tribune , elle s'écrie avec terreur :
Plus je l'ofe obferver , plus ma frayeur augmente.
Mecene ! la Tribune ... elle eſt toute fanglante.
Ce voile encor fumant cache quelque forfait.
N'importe , je veux voir. Dieux ! quel affreux
objet !
La tête de mon pere ! .. Ah! monftre impitoyable ,
A quels yeux offres- tu ce fpectacle effroyable ?
Elle fe tue , & tombe en expirant auprès
d'une tête fi chere.
Je n'ai point vû au théatre de dénoument
plus frappant ; je ne me laffe point
de le répéter . Ce tableau rendu par l'action
admirable de Mlle Clairon , infpire la terreur
la plus forte , & la pitié la plus tendre
. Ces deux fentimens réunis enfemble .
font la perfection du genre. La beauté du
M. de Bellecour
192 MERCURE DE FRANCE.
cinquiéme acte répond à celle du premier
& la catastrophe remplit tout ce que l'expofition
a promis ; elle a toute la force
Angloife , fans en avoir la licence. Pour
en convaincre le lecteur , je veux lui comparer
le dénouement de Philoclée , dont je
vais donner le programme , d'après l'extrait
inferé dans le Journal Etranger du
mois de Janvier.
Fermer
Résumé : COMEDIE FRANÇOISE.
Le texte critique la dixième représentation de la tragédie 'Le Triumvirat, ou la mort de Cicéron' par les Comédiens Français, qui a connu un succès mérité. La pièce, disponible chez Hochereau, raconte l'histoire de Tullie, fille de Cicéron, qui cherche à protéger son père des persécutions du Triumvirat. Tullie exprime son désespoir face aux horreurs de cette période et reproche à César et Pompée leurs actions. Elle révèle également la menace que représente Octave. Sextus, déguisé en Clodomir, propose une retraite à Tullie, mais elle refuse. Lepide suggère à Cicéron de s'exiler, mais Tullie l'encourage à rester et à affronter ses ennemis. Octave, accompagné de Mécène, tente de gagner la faveur de Cicéron en lui offrant de l'adopter et de protéger Tullie, mais ils rejettent ces propositions avec fierté. Sextus, reconnu comme le fils de Pompée, presse Cicéron de fuir. La pièce se poursuit avec des confrontations entre les personnages, chacun défendant ses valeurs et loyautés. Cicéron refuse de quitter Rome et exprime son désir de mourir en héros. Octave, jaloux de Sextus, menace de le punir, mais finit par lui accorder la vie. Philippe, un affranchi, révèle un complot contre Cicéron, et Sextus décide de le protéger. Tullie et Sextus se préparent à trouver Cicéron pour le sauver des dangers qui le menacent. La pièce se poursuit avec une confrontation dramatique entre Octave, Cicéron et d'autres personnages. Octave demande la main de Tullie, mais Cicéron refuse, accusant Octave de motivations politiques. Octave, offensé, rappelle à Cicéron qu'il lui doit la vie. Cicéron, imperturbable, avoue protéger Clodomir et vouloir l'unir à Tullie. Octave, furieux, déclare abandonner Cicéron à son inimitié. Cicéron, inquiet pour ses enfants, apprend qu'il est proscrit mais refuse de partir. Philippe avertit Sextus et Tullie de partir, assurant qu'il veillera sur Cicéron. Cicéron dit adieu à ses enfants et quitte le palais. Octave, apprenant que Sextus est le faux Clodomir, jure de les immoler. Mécène révèle à Octave la mort de Cicéron, tué par Lena sur ordre de Fulvie. Tullie, découvrant la tête de son père, meurt de chagrin. La pièce se conclut par un dénouement tragique, soulignant la terreur et la pitié inspirées par la mort de Cicéron.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1086
p. 192-199
PROGRAMME PHILOCLÉE, Tragédie Angloise.
Début :
Le théatre représente une forêt. Bazile, Roi d'Arcadie, renonçant aux affaires, [...]
Mots clefs :
Tragédie, Théâtre, Yeux, Baiser, Comédie-Française, Princesses, Tragédie anglaise
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : PROGRAMME PHILOCLÉE, Tragédie Angloise.
PROGRAMME DE PHILOCLÉE ,
Tragédie Angloife .
Lie ,Roi d'Arcadie , fenonçant aux af-
E théatre repréſente une forêt. Bazifaires
, s'eft retiré dans cette retraite avec
Ginecie fa feconde femme , & fes deux
filles , Philoclée & Pamela , qu'il a eues
d'un premier mariage. Il eſt défendu d'y
pénétrer fous peine de la vie , hors à des
bergers employés à leurs fervices . Il a déclaré
en même tems que ces deux Princeffes
ne feroient jamais mariées de fon
vivant , fans dévoiler le motif d'une rigueur
fi bizarre. Mais Mufidore , Prince
de Theffalie , a pénétré ce myftere . Le
Grand Prêtre de Delphes , gagné par fes
préfens , lui a révélé qu'on avoit prédit à
Bazile qu'il mourroit le jour même que
fes filles feroient mariées . Cet oracle eft
un
FEVRIER . 1755. 193
un vol qu'on a fait aux Danaïdes . Mufidore
, amoureux de Pamela , fe déguiſe en
berger pour s'introduire auprès d'elle ; &
Pyroclès fon ami , Prince de Macédoine ,
épris des charmes de Philoclée , vient d'arborer
auffi la houlette. Ils ont tous deux
formé le projet de déclarer leur amour à
ces Princeffes , & s'ils font écoutés , d'obtenir
leur aveu pour les enlever.
Pyroclès trouve le premier l'occafion favorable
: il voit dans un jardin Philoclée
endormie ; il exprime ainfi fon tranſport :
mes yeux ne me trompent point , c'eſt
» elle , couchée fur un lit de fleurs ... elle
» dort .... Son haleine eft plus douce que
» l'odeur qu'elles exhalent .... heureuſes
fleurs qui fervez d'oreiller à fes joues
» charmantes ! ah ! j'en vois une qui s'éleve
jufqu'à fa bouche vermeille ; elle
» s'efforce de la baifer. Embaumée de få
> refpiration , elle en reçoit plus de parfums
que Flore n'en a verfé fur toutes
» fes compagnes . Ah !
que ma main ja-
» louſe l'arrache de fa tige ! que je fuce
>> comme l'abeille cette précieufe rofée « .
Langage trop figuré pour une tragédie !
vers d'Idylle , & fituation d'opéra. Ce fommeil
paroît même copié d'après celui d'Iffé.
» Qui m'arrête ? ajoute- t-il , amant trop
timide , ne puis - je moi -même dérober
و ر
و د
...
I
194 MERCURE DE FRANCE.
"
» un baifer ? & ce tendre larcin diminuera-
t-il un tréfor où s'accumulent tant de
» charmes « réflexion fenfée qui le déter
mine à prendre un baifer. Cette liberté feroit
excufable dans une comédie ; mais le
tragique eft plus févere fur les bienséances.
Il permet , ou plutôt il adopte les plus
grands crimes , & ne pardonne pas les plus
petites familiarités. On peut empoifonner ,
& même poignarder aujourd'hui fur notre
théatre avec décence ; mais un baiſer
feroit fcandaleux , ou tout au moins ridi
cule dans une tragédie françoife. Le réveil
de Philoclée engage l'aveu que Pyroclès
lui fait de fa paffion & de fon rang ;
il est très-bien . reçu . Mufidore a le même
fuccès près de Pamela , à la faveur d'un
portrait & d'une médaille qui le repréfentent
, & qui occafionnent une déclara
tion . Petit moyen, accompagné d'autres incidens
, qui chargent la piece fans avancer
Faction. Je les fupprime pour arriver plu
tôt au point de comparaifon , c'eft-à -dire à
la fituation qui reffemble à la cataſtrophe
du Triumvirat. En conféquence , je paffe
à l'événement du troifiéme acte , qui doit
l'amener : c'eft où commence proprement
la tragédie comme l'a judicieuſement
remarqué M. l'Abbé P.
On apprend au Roi qu'Amphiale fon
FEVRIER. 1755. 195
neveu , qu'il n'a pas voulu accepter pour
gendre, vient d'enlever les deux Princefles ;
que Pyroclès a tué plufieurs des raviffeurs ,
mais qu'accablé fous le nombre , il a été
fait prifonnier. Le Roi fort de fa retraite
& court affiéger Amphiale dans un château
où il s'eft retiré avec fa proye. Ce Prince
foutient le fiége. Cecropie , fa mere , veut
qu'il époufe fur le champ , de force ou de
gré , l'une des deux Princeffes , ou qu'il les
faffe mourir. Comme toutes les deux refufent
fon fils , cette cruelle femme va trouver
Philoclée dans fon appartement , & lui
dit de choisir de cet hymen ou d'un prompt
fupplice. La Princeffe répond qu'elle préfere
la mort : eh bien , lui réplique Cecropie
, jette les yeux dans la cour , l'échafaud
eft dreffé ; vois dans le fort de ta foeur
celui qui t'attend. Elle donne le fignal , &
l'on fait voler une tête. A cette affreuſe
vûe , Philoclée s'évanouit. Un pareil fpectacle
me femble plus propre à repaître
les regards d'une populace cruelle , qu'à
étonner l'efprit , ou qu'à remuer le coeur
d'un public délicat .
Dans le cinquiéme acte un Officier vient
annoncer à Pyroclès , dans fa prifon , la
mort de Philoclée , & pour ne lui laiſſer
aucun doute , il lui dit de le fuivre . Le.
théatre change ; on voit au milieu d'une
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
fale tendue de noir , un corps expofé fut
un lit de parade : Pyroclès leve le drap qui
le couvre , & s'écrie : Dieux ! un tronc
fanglant ! quoi ! Philoclée ! ... Ah ! barbares
affaffins ! Il tombe faifi de douleur ,
& les fanglots lui coupent la parole . Cette
pofition et prefque la même que celle qui
termine le Triumvirat ; mais l'auteur Anglois
n'en demeure pas là . Dans le tems
que Pyroclès déplore la perte de la Princeffe
, elle paroît vêtue de blanc ; il la
prend pour fon ombre : elle le defabuſe ,
& lui apprend que ce corps mort eſt celui
d'une malheureufe confidente immolée à
la place , & fous les habits de Pamela ;
ftratagême imaginé par Cecropie , pour réfoudre
Philoclée à époufer fon fils , & plus
digne de figurer dans un tome de Caffandre
, d'où il a été pris , que d'être employé
dans une piéce dramatique. Pendant cet
éclairciffement on entend le bruit d'un
combat ; c'eft Mufidore qui vient de furprendre
le château , & de tuer Amphiale .
Les quatre amans fe trouvent réunis : on
leur apprend la mort de Cecropie , qui
s'eft précipitée du haut des murs , & celle
de Bazile , percé d'une fleche lancée au has
żard , au moment qu'il entroit dans la
place. C'eft ainfi que s'accomplit l'oracle ,
que finit la piece. Pour la Reine , on &
FEVRIER . 1755. 197
ne fçait , dit le Journaliſte , ce qu'elle eft
devenue. Les deux couples * fortunées ne
s'en embarraffent gueres , ni moi non plus ,
qui ai furprimé fon rôle.
Que l'on compare à préfent les deux cataftrophes
; l'une eft amenée à force d'incidens
romanefques , & compliquée audelà
de la vraisemblance ; l'autre eft prife
dans la nature , affortie à la vérite hiftorique
, & renfermée dans fa précifion : qu'on
juge en même tems les deux ouvrages.
On ne peut difconvenir qu'il n'y ait des
beautés fingulieres & des coups de force
dans le drame Anglois ; mais ils font frappés
fans deffein , & paroiffent ifolés ; c'eft
un pur roman , encore eſt-il mal tiffu , &
trop chargé. La piece françoife a des traits
qui n'ont pas moins d'audace , & qui fortent
mieux du fujet . C'eſt une vraie tragédie
; fi elle eft un peu foible d'action **,
elle eft forte de penſées , brillante par les
détails , & foutenue par les caracteres .
Pour tout dire , en un mot , Philoclée eft
* Je crois que ce mot couple eft maſculin dans
cette acception, & qu'on doit dire les deux couples
fortunés ; peut- être eft- ce une faute d'impreffion ?
** Le plus grand défaut du Triumvirat eft dans
le fujet, qui eft trop fimple ; la fuite de Ciceron en
fait tout le fond : partira-t-il ? ne partira-t-il
point ? voilà fur quoi roule toute l'action juſqu'au
dénouement.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
l'ouvrage du talent aux dépens de toutes
les regles ; le Triumvirat eft celui du génie
éclairé par l'art , & foumis aux bienféances.
M. l'Abbé P. nous apprend que cette
tragédie angloife eft le coup d'effai de M.
Machamara Morgan , jeune étudiant en
Droit ; il ajoute qu'on peut tout attendre
de lui , & qu'il s'empreffe d'en publier
l'augure ce préfage feroit plus flateur
pour nous , s'il nous annonçoit un digne
fucceffeur de M. de Crébillon & de M. de
Voltaire .
Le 19 , les Comédiens François ont remis
Efope à la Cour , comédie en cinq actes
& en vers , de Bourfault. Cette piece
eftimable
a reçu du public l'accueil favorable
qu'elle mérite. M. de Lanoue eft fupérieur
dans le rôle d'Efope ; on ne peut
pas le rendre avec plus d'efprit & de vérité.
Cette comédie eft intéreffante autant
que peut l'être une piéce épifodique. La
fcene de Rodope avec fa mere eft une des
plus touchantes qui foient au théatre , &
des mieux jouées par Mlle Gauffin & Mlle
Dumefnil. Après l'Andrienne voilà le premier
& le vrai modele du comique larmoyant
; il eft puifé dans la nature. Le
dénouement eft encore d'une grande beauré
, il laiffe pour l'auteur une forte imFEVRIER.
1755.. 199
preffion d'eftime. Je voudrois que Bourfault
n'eût pas bleffé le coftume en parlant
de Procureurs & de Greffiers , qui n'avoient
pas lieu heureuſement pour ce temslà.
Mes yeux font encore plus choqués que
les acteurs ne refpectent pas mieux ce même
coſtume , en habillant des Lydiens à la
Françoife : ils l'ont toujours fait ; mais un
abus de foixante dix ans n'eft pas moins
un abus ; ils ne font pas moins dans l'obligation
de s'en corriger.
Tragédie Angloife .
Lie ,Roi d'Arcadie , fenonçant aux af-
E théatre repréſente une forêt. Bazifaires
, s'eft retiré dans cette retraite avec
Ginecie fa feconde femme , & fes deux
filles , Philoclée & Pamela , qu'il a eues
d'un premier mariage. Il eſt défendu d'y
pénétrer fous peine de la vie , hors à des
bergers employés à leurs fervices . Il a déclaré
en même tems que ces deux Princeffes
ne feroient jamais mariées de fon
vivant , fans dévoiler le motif d'une rigueur
fi bizarre. Mais Mufidore , Prince
de Theffalie , a pénétré ce myftere . Le
Grand Prêtre de Delphes , gagné par fes
préfens , lui a révélé qu'on avoit prédit à
Bazile qu'il mourroit le jour même que
fes filles feroient mariées . Cet oracle eft
un
FEVRIER . 1755. 193
un vol qu'on a fait aux Danaïdes . Mufidore
, amoureux de Pamela , fe déguiſe en
berger pour s'introduire auprès d'elle ; &
Pyroclès fon ami , Prince de Macédoine ,
épris des charmes de Philoclée , vient d'arborer
auffi la houlette. Ils ont tous deux
formé le projet de déclarer leur amour à
ces Princeffes , & s'ils font écoutés , d'obtenir
leur aveu pour les enlever.
Pyroclès trouve le premier l'occafion favorable
: il voit dans un jardin Philoclée
endormie ; il exprime ainfi fon tranſport :
mes yeux ne me trompent point , c'eſt
» elle , couchée fur un lit de fleurs ... elle
» dort .... Son haleine eft plus douce que
» l'odeur qu'elles exhalent .... heureuſes
fleurs qui fervez d'oreiller à fes joues
» charmantes ! ah ! j'en vois une qui s'éleve
jufqu'à fa bouche vermeille ; elle
» s'efforce de la baifer. Embaumée de få
> refpiration , elle en reçoit plus de parfums
que Flore n'en a verfé fur toutes
» fes compagnes . Ah !
que ma main ja-
» louſe l'arrache de fa tige ! que je fuce
>> comme l'abeille cette précieufe rofée « .
Langage trop figuré pour une tragédie !
vers d'Idylle , & fituation d'opéra. Ce fommeil
paroît même copié d'après celui d'Iffé.
» Qui m'arrête ? ajoute- t-il , amant trop
timide , ne puis - je moi -même dérober
و ر
و د
...
I
194 MERCURE DE FRANCE.
"
» un baifer ? & ce tendre larcin diminuera-
t-il un tréfor où s'accumulent tant de
» charmes « réflexion fenfée qui le déter
mine à prendre un baifer. Cette liberté feroit
excufable dans une comédie ; mais le
tragique eft plus févere fur les bienséances.
Il permet , ou plutôt il adopte les plus
grands crimes , & ne pardonne pas les plus
petites familiarités. On peut empoifonner ,
& même poignarder aujourd'hui fur notre
théatre avec décence ; mais un baiſer
feroit fcandaleux , ou tout au moins ridi
cule dans une tragédie françoife. Le réveil
de Philoclée engage l'aveu que Pyroclès
lui fait de fa paffion & de fon rang ;
il est très-bien . reçu . Mufidore a le même
fuccès près de Pamela , à la faveur d'un
portrait & d'une médaille qui le repréfentent
, & qui occafionnent une déclara
tion . Petit moyen, accompagné d'autres incidens
, qui chargent la piece fans avancer
Faction. Je les fupprime pour arriver plu
tôt au point de comparaifon , c'eft-à -dire à
la fituation qui reffemble à la cataſtrophe
du Triumvirat. En conféquence , je paffe
à l'événement du troifiéme acte , qui doit
l'amener : c'eft où commence proprement
la tragédie comme l'a judicieuſement
remarqué M. l'Abbé P.
On apprend au Roi qu'Amphiale fon
FEVRIER. 1755. 195
neveu , qu'il n'a pas voulu accepter pour
gendre, vient d'enlever les deux Princefles ;
que Pyroclès a tué plufieurs des raviffeurs ,
mais qu'accablé fous le nombre , il a été
fait prifonnier. Le Roi fort de fa retraite
& court affiéger Amphiale dans un château
où il s'eft retiré avec fa proye. Ce Prince
foutient le fiége. Cecropie , fa mere , veut
qu'il époufe fur le champ , de force ou de
gré , l'une des deux Princeffes , ou qu'il les
faffe mourir. Comme toutes les deux refufent
fon fils , cette cruelle femme va trouver
Philoclée dans fon appartement , & lui
dit de choisir de cet hymen ou d'un prompt
fupplice. La Princeffe répond qu'elle préfere
la mort : eh bien , lui réplique Cecropie
, jette les yeux dans la cour , l'échafaud
eft dreffé ; vois dans le fort de ta foeur
celui qui t'attend. Elle donne le fignal , &
l'on fait voler une tête. A cette affreuſe
vûe , Philoclée s'évanouit. Un pareil fpectacle
me femble plus propre à repaître
les regards d'une populace cruelle , qu'à
étonner l'efprit , ou qu'à remuer le coeur
d'un public délicat .
Dans le cinquiéme acte un Officier vient
annoncer à Pyroclès , dans fa prifon , la
mort de Philoclée , & pour ne lui laiſſer
aucun doute , il lui dit de le fuivre . Le.
théatre change ; on voit au milieu d'une
I ij
196 MERCURE DE FRANCE .
fale tendue de noir , un corps expofé fut
un lit de parade : Pyroclès leve le drap qui
le couvre , & s'écrie : Dieux ! un tronc
fanglant ! quoi ! Philoclée ! ... Ah ! barbares
affaffins ! Il tombe faifi de douleur ,
& les fanglots lui coupent la parole . Cette
pofition et prefque la même que celle qui
termine le Triumvirat ; mais l'auteur Anglois
n'en demeure pas là . Dans le tems
que Pyroclès déplore la perte de la Princeffe
, elle paroît vêtue de blanc ; il la
prend pour fon ombre : elle le defabuſe ,
& lui apprend que ce corps mort eſt celui
d'une malheureufe confidente immolée à
la place , & fous les habits de Pamela ;
ftratagême imaginé par Cecropie , pour réfoudre
Philoclée à époufer fon fils , & plus
digne de figurer dans un tome de Caffandre
, d'où il a été pris , que d'être employé
dans une piéce dramatique. Pendant cet
éclairciffement on entend le bruit d'un
combat ; c'eft Mufidore qui vient de furprendre
le château , & de tuer Amphiale .
Les quatre amans fe trouvent réunis : on
leur apprend la mort de Cecropie , qui
s'eft précipitée du haut des murs , & celle
de Bazile , percé d'une fleche lancée au has
żard , au moment qu'il entroit dans la
place. C'eft ainfi que s'accomplit l'oracle ,
que finit la piece. Pour la Reine , on &
FEVRIER . 1755. 197
ne fçait , dit le Journaliſte , ce qu'elle eft
devenue. Les deux couples * fortunées ne
s'en embarraffent gueres , ni moi non plus ,
qui ai furprimé fon rôle.
Que l'on compare à préfent les deux cataftrophes
; l'une eft amenée à force d'incidens
romanefques , & compliquée audelà
de la vraisemblance ; l'autre eft prife
dans la nature , affortie à la vérite hiftorique
, & renfermée dans fa précifion : qu'on
juge en même tems les deux ouvrages.
On ne peut difconvenir qu'il n'y ait des
beautés fingulieres & des coups de force
dans le drame Anglois ; mais ils font frappés
fans deffein , & paroiffent ifolés ; c'eft
un pur roman , encore eſt-il mal tiffu , &
trop chargé. La piece françoife a des traits
qui n'ont pas moins d'audace , & qui fortent
mieux du fujet . C'eſt une vraie tragédie
; fi elle eft un peu foible d'action **,
elle eft forte de penſées , brillante par les
détails , & foutenue par les caracteres .
Pour tout dire , en un mot , Philoclée eft
* Je crois que ce mot couple eft maſculin dans
cette acception, & qu'on doit dire les deux couples
fortunés ; peut- être eft- ce une faute d'impreffion ?
** Le plus grand défaut du Triumvirat eft dans
le fujet, qui eft trop fimple ; la fuite de Ciceron en
fait tout le fond : partira-t-il ? ne partira-t-il
point ? voilà fur quoi roule toute l'action juſqu'au
dénouement.
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
l'ouvrage du talent aux dépens de toutes
les regles ; le Triumvirat eft celui du génie
éclairé par l'art , & foumis aux bienféances.
M. l'Abbé P. nous apprend que cette
tragédie angloife eft le coup d'effai de M.
Machamara Morgan , jeune étudiant en
Droit ; il ajoute qu'on peut tout attendre
de lui , & qu'il s'empreffe d'en publier
l'augure ce préfage feroit plus flateur
pour nous , s'il nous annonçoit un digne
fucceffeur de M. de Crébillon & de M. de
Voltaire .
Le 19 , les Comédiens François ont remis
Efope à la Cour , comédie en cinq actes
& en vers , de Bourfault. Cette piece
eftimable
a reçu du public l'accueil favorable
qu'elle mérite. M. de Lanoue eft fupérieur
dans le rôle d'Efope ; on ne peut
pas le rendre avec plus d'efprit & de vérité.
Cette comédie eft intéreffante autant
que peut l'être une piéce épifodique. La
fcene de Rodope avec fa mere eft une des
plus touchantes qui foient au théatre , &
des mieux jouées par Mlle Gauffin & Mlle
Dumefnil. Après l'Andrienne voilà le premier
& le vrai modele du comique larmoyant
; il eft puifé dans la nature. Le
dénouement eft encore d'une grande beauré
, il laiffe pour l'auteur une forte imFEVRIER.
1755.. 199
preffion d'eftime. Je voudrois que Bourfault
n'eût pas bleffé le coftume en parlant
de Procureurs & de Greffiers , qui n'avoient
pas lieu heureuſement pour ce temslà.
Mes yeux font encore plus choqués que
les acteurs ne refpectent pas mieux ce même
coſtume , en habillant des Lydiens à la
Françoife : ils l'ont toujours fait ; mais un
abus de foixante dix ans n'eft pas moins
un abus ; ils ne font pas moins dans l'obligation
de s'en corriger.
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Résumé : PROGRAMME PHILOCLÉE, Tragédie Angloise.
Le texte présente une critique de la tragédie 'Programme de Philoclée' d'un auteur anglois. L'intrigue se déroule dans une forêt où Bazile, roi d'Arcadie, s'est retiré avec sa femme Ginécie et ses deux filles, Philoclée et Pamela. Bazile a interdit l'accès à cette retraite et déclaré que ses filles ne se marieraient pas de son vivant, craignant une prédiction selon laquelle il mourrait le jour du mariage de ses filles. Deux princes, Mufidore de Thessalie et Pyroclès de Macédoine, amoureux respectivement de Pamela et Philoclée, se déguisent en bergers pour approcher les princesses. Pyroclès trouve Philoclée endormie et exprime son amour, recevant une réponse favorable. Mufidore obtient également l'affection de Pamela grâce à un portrait et une médaille. Le roi Bazile apprend que son neveu Amphiale a enlevé les princesses et que Pyroclès a été fait prisonnier. Bazile assiège Amphiale, qui refuse de se rendre. Cecropie, la mère d'Amphiale, ordonne de tuer Philoclée si elle refuse d'épouser son fils. Philoclée préfère la mort et s'évanouit à la vue d'une exécution simulée. Pyroclès, informé de la mort de Philoclée, est dévasté mais découvre que la morte est une confidente sacrifiée à sa place. Mufidore surprend Amphiale et le tue. Les couples amoureux se retrouvent, et l'oracle se réalise avec la mort de Bazile. La pièce se termine sans mentionner le sort de la reine. La critique compare cette tragédie à une autre œuvre, le 'Triumvirat', en soulignant les différences dans la construction des intrigues et la vraisemblance des événements.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1087
p. 199
COMEDIE ITALIENNE.
Début :
Les Comédiens Italiens ont donné le 25, la dix-huitiéme représentation de [...]
Mots clefs :
Comédiens-Italiens
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texteReconnaissance textuelle : COMEDIE ITALIENNE.
COMEDIE ITALIENNE.
L
Es Comédiens Italiens ont donné le
25 , la dix-huitiéme repréſentation de
la Fête de l'Amour , toujours fuivie de la
Servante Maîtreſſe , & précédée fucceffivement
des Incas , & des Amans inquiers ,
parodies repriſes . Voici des vers adreffés
à Mme Favard , en attendant l'extrait de
fa piece , que le peu d'efpace qui me reſte
m'oblige encore à remettre au mois de
Mars.
L
Es Comédiens Italiens ont donné le
25 , la dix-huitiéme repréſentation de
la Fête de l'Amour , toujours fuivie de la
Servante Maîtreſſe , & précédée fucceffivement
des Incas , & des Amans inquiers ,
parodies repriſes . Voici des vers adreffés
à Mme Favard , en attendant l'extrait de
fa piece , que le peu d'efpace qui me reſte
m'oblige encore à remettre au mois de
Mars.
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1088
p. 199-200
A Mme FAVARD.
Début :
Aimable Auteur, te falloit-il encore [...]
Mots clefs :
Actrice de l'opéra
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texteReconnaissance textuelle : A Mme FAVARD.
A Mme FA VAR D.
AImable Auteur , te falloit- il encore
Ce titre , pour charmer & la Ville & la Cour
Iiv
200 MERCURE DE FRANCE .
On trouve en toi Thalie & Terpfico re ,
Sous un maintien deffiné par l'Amour.
De ton art , la douce impoſture
Offre à mon efprit abuſe
Des images d'après nature ,
De maint caractere oppofé.
Mon coeur fe livre à chaque perſonnage
Qu'à mes yeux tu fais admirer ,
Et tu fçais le rendre volage ,
Sans qu'il cefle de t'adorer .
>
Cette penſée n'eft pas abfolument nouvelle
, mais elle eftrajeunie par l'expreffion.
On avoit donné autrefois la même
louange à une célébre actrice de l'Opera ;
mais je doute qu'elle l'eut mieux mérités
que Mme Favard.
AImable Auteur , te falloit- il encore
Ce titre , pour charmer & la Ville & la Cour
Iiv
200 MERCURE DE FRANCE .
On trouve en toi Thalie & Terpfico re ,
Sous un maintien deffiné par l'Amour.
De ton art , la douce impoſture
Offre à mon efprit abuſe
Des images d'après nature ,
De maint caractere oppofé.
Mon coeur fe livre à chaque perſonnage
Qu'à mes yeux tu fais admirer ,
Et tu fçais le rendre volage ,
Sans qu'il cefle de t'adorer .
>
Cette penſée n'eft pas abfolument nouvelle
, mais elle eftrajeunie par l'expreffion.
On avoit donné autrefois la même
louange à une célébre actrice de l'Opera ;
mais je doute qu'elle l'eut mieux mérités
que Mme Favard.
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Résumé : A Mme FAVARD.
L'auteur adresse une lettre à Mme Favard, actrice, pour louer ses talents. Il admire sa capacité à incarner divers personnages et à captiver le public. Son art crée des 'images d'après nature' et des 'caractères opposés'. L'auteur reconnaît avoir déjà exprimé cette pensée à une autre actrice célèbre de l'Opéra, mais estime que Mme Favard mérite davantage cette louange.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1089
p. 215
AVERTISSEMENT.
Début :
Ceux qui voudront voir leurs ouvrages insérés dans le Mercure du mois où ils les [...]
Mots clefs :
Mercure, Article
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texteReconnaissance textuelle : AVERTISSEMENT.
AVERTISSEMENT.
CEuxqui voudront voir leurs ouvrages
inférés dans le Mercure du mois où ils les
enverront , font priés de les adreffer à M.
Lutton avant le 10 ; paffé ce jour , je ferai
obligé de les remettre au mois fuivant ,
quelque envie que j'aie de répondre à leur
impatience. Le premier article fera alors
rempli , & le nouvel ordre que je me fuis
impofé ne me permet pas de placer ces
écrits ailleurs .
CEuxqui voudront voir leurs ouvrages
inférés dans le Mercure du mois où ils les
enverront , font priés de les adreffer à M.
Lutton avant le 10 ; paffé ce jour , je ferai
obligé de les remettre au mois fuivant ,
quelque envie que j'aie de répondre à leur
impatience. Le premier article fera alors
rempli , & le nouvel ordre que je me fuis
impofé ne me permet pas de placer ces
écrits ailleurs .
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1090
p. 32-40
DOUTES SUR L'EXISTENCE D'UN PUBLIC.
Début :
Y a-t-il un public ? n'y en a-t-il point ? C'est un problême qui devient chaque [...]
Mots clefs :
Public, Écrits périodiques, Brochures journalières, Esprit, Talent, Goût
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DOUTES SUR L'EXISTENCE D'UN PUBLIC.
DOUTES SUR L'EXISTENCE
Y
D'UN PUBLIC.
>
a-t-il un public n'y en a- t- il point ?
C'eft un problême qui devient chaque
jour plus difficile à réfoudre. Peut - être il
y a vingt ans qu'il en exiftoit un , & qu'on
pouvoit y croire. On le trouvoit aux fpectacles
; fa vóix alors s'y faifoit entendre
avec ce ton de liberté que donne l'indépendance.
Il prononçoit debout , mais fouverainement
fur les piéces de théatre
dont il faifoit lui feul la deftinée . Il donnoit
même le ton aux fpectateurs affis , &
la Chambre haute n'étoit que l'écho de celle
des Communes. On le trouvoit encore
dans le monde parmi la multitude des
lecteurs , qui décidoit d'un ouvrage d'agré
ment , fans efprit de cabale , d'après le
plaifir ou l'ennui que lui avoit caufé fa
lecture quand il paroiffoit un livre de
fcience , on reconnoiffoit auffi ce public
dans le grand nombre des vrais fcavans
qui feuls jugeoient de fon mérite fans en-
& faifoient fon fuccès avec connoiffance
de caufe. Juge né des arts , des
talens & des emplois , comme il appré-
و
MAR S. 1755. 33
cioit les premiers fans prévention , qu'il
protégeoit les feconds avec difcernement ,
& qu'il nommoit aux derniers fans partialité
, il étoit confulté pour être fuivi ;
tout reffortiffoit à fon tribunal . Mais infenfiblement
il s'eft élevé des jurifdictions
particulieres qui ont ufurpé fes
droits. Chaque fociété a prétendu être le
vrai public comme la bonne compagnie.
Paris s'eft partagé en différens partis. Par
cette divifion le bon goût eft devenu problématique
, la véritable croyance douteufe
, & l'autorité d'un public légitime a
ceffé d'être une . Elle fe trouve aujourd'hui
abforbée par la multiplicité des prétentions
fans titres , au point que les parti
culiers font tout , & que le public n'eft
rien . Chacun s'érige un tribunal qui méconnoît
tous les autres , ou s'il admet un
public , il le borne dans le cercle de fes
amis ou de fes connoiffances . Les fentimens
varient & fe croifent dans chaque
quartier de là vient , fur tout ce qui paroît
, cette diverfité d'opinions , & cette
incertitude de jugemens . Tous ces petits
publics , ou foi - difans tels , fe fuccédent
pour fe contredire . L'un exalte une piéce
ou un livre le matin , l'autre le profcrit
l'après - midi , un troifiéme le rétablit le
foir : ainfi le fuccès des ouvrages demeure
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
indécis , & les divers jugemens qu'on en
porte font nuls. Un arrêt caffe l'autre.
On en doit faire d'autant moins de cas
qu'ils font dictés par la mauvaiſe foi ou
par le mauvais goût , & fouvent par tous
les deux enfemble. Faut - il s'en étonner ?
Chaque juge tient à une fociété rivale
d'une autre ; c'eft dire qu'il eft partial . Le
grand nombre eft auteur par mode , conféquemment
pointilleux , faux bel efprit
& jaloux par état. On craignoit autrefois
d'afficher ce nom , on veut le porter aujourd'hui
en dépit de la nature. On s'eft
corrigé d'une fottife , on donne dans un
travers. L'efprit eft le fanatifme de la nation
: c'eſt un mal épidémique qui a gagné
la capitale , & qui de là s'eft répandu dans
la province ; il fe communique même aux
plus fots. Un homme qui pendant trente
ans aura paffé pour tel fans injuſtice , rentre
chez lui , s'endort fur une tragédie ; il
rêve qu'il eft poëte : ce fonge fe grave fi
profondément dans fon ame , qu'il le
croit en s'éveillant. Il s'étoit couché bête
la veille , il ſe leve bel efprit le lendemain .
Pour réalifer fon rêve , il écrit , il rime
une piéce ; il la fait jouer , qui pis eft , imprimer.
Il est vrai qu'on lui rend juſtice ,
on la fiffle , c'eft - à-dire qu'il fe trouve plus
fot qu'auparavant : il l'étoit obfcurément
MARS . 1755. 35
fans être affiché ; il l'eft alors en titre &
folemnellement. Tel rit de cet homme là ,
qui fait peut-être fon fecond tome.
Une autre caufe de la révolution ou du
renverſement qui s'eft fait dans la littérature
, & qui a donné une nouvelle atteinte
à l'autorité du public , c'eſt * la multitude
de brochures journalieres & des écrits périodiques.
Comme tout le monde lit &
que perfonne n'étudie , qu'on aime à voler
fur toutes les furfaces fans s'attacher à aucune
, & à raifonner de tout fans rien ap
profondir , on parcourt ces feuilles légerement
pour décider de même. On a la fureur
de juger , on eft le Perrin Dandin des
plaideurs on s'affolipit comme lui fur
l'inſtruction , on prononce à demi - endormi
, & on condamne un chien aux galeres .
>
C'eft ainfi que la fievre d'écrire & la
rage de décider partagent les efprits &
forment deux ordres différens dans l'empi
re des Lettres & des Arts : la claffe des
auteurs & des hommes à talens ; celle des
connoiffeurs qui les jugent , & des ama-
L'abus n'eft que dans le grand nombre. If
feroit à fouhaiter qu'on réduifft toutes ces feuiltes
à l'Année Littéraire . Le bon goût y regne avec
Félégance du ftyle ; elles pourroient alors fervir
d'école aux jeunes auteurs , & fouvent d'inftruc
tion aux perſonnes du monde.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
teurs qui les protegent . Ces derniers ont la
prééminence ; ils occupent , pour ainfi dire ,
le thrône de l'efprit ; ils en deviennent
quelquefois les tyrans .
Le beau fexe leur difpute le fceptre des
arts ; il étend même fa domination fur tou
te la littérature. S'il fe bornoit à la partie
agréable , on feroit charmé de l'avoir pour
maître & pour modele , même on lui par
donneroit de donner plufieurs heures de fon
loifir à la Phyfique expérimentale. Le plus
bel ornement de la nature eft fait pour en
apprendre tous les fecrets ; mais il veut
aflujettir les graces qui l'accompagnent au
compas de la géométrie , le fentiment qui
l'anime à l'analyſe trop fubtile de la Métaphyfique
, & les talens qu'il embellit au
calcul trop exact de l'Algebre : c'est dénaturer
les dons qu'il tient du ciel ; ils lui
fuffisent pour fubjuguer l'efprit comme le
coeur . Qu'il faffe regner le fentiment , tout
lui fera plus fûrement & plus généralement
affervi. Il eft dangereux de raifonner où il
faut fentir , & l'efprit philofophique propre
à nous éclairer fur tout le refte , doit
arrêter là fa lumiere , ou ne l'employer dans
ce point que pour mieux fuivre un inſtinct
plus fûr qu'elle. S'il veut pénétrer dans le
méchanifme du fentiment, que ce foit dans
un ouvrage à part , qui le décompofe fans
MARS. 1755. 37
le détruire . Tous les arts qui dépendent
de ce fentiment , ne brillent bien que par
les femmes, Ils gagneroient fans doute à
n'être jugés qu'aux tribunaux où elles préfident
, fi la féduction des hommes ne
prévenoient leurs jugemens : ils font prefque
toujours les auteurs fecrets de leurs
erreurs ou de leurs injuftices. C'eft pour les
croire & pour les favorifer qu'elles protégent
une médiocre piéce , ou qu'elles prônent
un mauvais livre , qu'elles en facilitent
le débit , & font coupables du fuccès.
La réuffite n'eft plus l'ouvrage du public
, elle est le fruit du manége des particuliers
. Ils la décident avant l'impreffion
ou la repréfentation : c'eft comme un arrangement
de famille.
Rien n'eft plus refpectable que les vrais
protecteurs. J'entends ceux qui le font
par leur place ou par leurs lumieres ; leurs
bienfaits encouragent les arts , & leurs
confeils les perfectionnent . Mais je ne puis
voir, fans prendre de l'humeur ou fans rire ,
(je choisis ce dernier parti comme le plus
fage ) je ne puis donc voir fans rire fortir
de deffous terre cette foule de petits protecteurs
, qui n'en ont ni l'étoffe ni le rang ,
& qui veulent donner des loix dans une
République où ils n'ont pas même acquis
le droit de bourgeoifie. Il refte encore une
38 MERCURE DE FRANCE.
diftinction à faire parmi les amateurs. Il
en eft plufieurs qui aident en citoyens
éclairés les talens naiffans qui ont besoin
d'appui ; ils leur donnent des maîtres pour
les former , fans autre vûe que celle d'enrichir
le théatre qui manque de fujets , &
je les honore. Il y en a même tels qui
brilleroient dans la claffe des auteurs , fi
les dangers attachés à ce titre n'arrê
toient leur plume , & ne nous privoient
de leurs productions. Mais comme les
meilleurs modeles font tous les jours de
mauvaiſes copies qui fe multiplient , il eft
arrivé qu'en imitation , ou plutôt en contradiction
de cette fage école , il s'en eft
élevé plufieurs autres qui tendent à rui
ner le goût & à décourager les vrais talens.
Elles ont moins le bien général pour objet
que des fantaifies particulieres elles
dégénerent en parodies , elles deviennent
des charges , & ne femblent protéger que
pour rendre l'établiffement ridicule. La
plaifanterie va fi loin qu'il fe forme actuellement
des compagnies qui affurent un
talent comme on affure une maifon ; elles
font les fuccès & les réputations à leur gré.
Il est vrai que malgré leur garantie ces réputations
font ephemeres ; fouvent elles
expirent au bout d'un mois. Une cabale
contraire les détruit pour en établir de nouMARS.
1755 : 39
velles à leurs dépens . Celles- ci font défaites
à leur tour par un troifieme parti , qui
en éleve d'autres fur leurs débris . Quelque
peu que dure le regne de ces talens factices ,
les fuites n'en font pas moins pernicieuſes.
C'est ce qui brouille & renverfe tout ,
c'est ce qui porte enfin le dernier coup à
la puiffance du public . La vénalité des fuffrages
& la tyrannie des particuliers qui
les achetent , l'anéantiffent , en détruifant
fa liberté. Je parcours tous les théatres , où
il a toujours regné d'une façon plus fenfible
; je l'y cherche , & je ne l'y trouve
plus le parterre indépendant qui le compofoit
, n'y donne plus la loi . D'un côté je
n'y vois à fa place qu'une multitude efclave
& vendue à qui veut la foudoyer , & de
l'autre des fpectateurs d'habitude , qui ont
la fureur du fpectacle fans en avoir le goût ,
qui n'y vont avec affiduité que pour en faper
plus vite les fondemens par les faux
jugemens qu'ils y prononcent , par les divifions
qu'ils y font naître & par les
cabales qu'ils y fomentent. Je ne reconnois
plus un public à ces traits , & mes doutes
fur fon existence ne font que trop bien
fondés.
:
Mais les fpectacles , me dira- t- on , n'ont
jamais été plus fréquentés : j'en conviens ,
& ce qu'il y a de merveilleux , ils le font
40 MERCURE DE FRANCE.
fans auteurs qui les foutiennent , fans piéces
qui réuffiffent , fouvent fans acteurs qui
les jouent , & fans public qui les juge. Je
crains qu'ils ne brillent pour s'éteindre.
Quand le public devient nul , le théatre
eft dans un grand danger. Chacun veut
être le maître , fe néglige ou fe déplace .
Le déplacement amene l'anarchie , & l'anarchie
, la deftruction.
J'aurois inféré après ces doutes des réflexions
fur le goût , qui font d'un autre
auteur > & que j'ai reçues plus tard ;
mais comme elles roulent fur la même
matiere , j'ai crû devoir les éloigner &
garder ce dernier morceau pour le Mercure
prochain. Il me paroît venir de bonne
main , & je prie l'auteur de n'être point
fâché du retard : j'y fuis forcé par la variété
qu'exige mon recueil , & dont je me
fuis fait une loi inviolable .
Y
D'UN PUBLIC.
>
a-t-il un public n'y en a- t- il point ?
C'eft un problême qui devient chaque
jour plus difficile à réfoudre. Peut - être il
y a vingt ans qu'il en exiftoit un , & qu'on
pouvoit y croire. On le trouvoit aux fpectacles
; fa vóix alors s'y faifoit entendre
avec ce ton de liberté que donne l'indépendance.
Il prononçoit debout , mais fouverainement
fur les piéces de théatre
dont il faifoit lui feul la deftinée . Il donnoit
même le ton aux fpectateurs affis , &
la Chambre haute n'étoit que l'écho de celle
des Communes. On le trouvoit encore
dans le monde parmi la multitude des
lecteurs , qui décidoit d'un ouvrage d'agré
ment , fans efprit de cabale , d'après le
plaifir ou l'ennui que lui avoit caufé fa
lecture quand il paroiffoit un livre de
fcience , on reconnoiffoit auffi ce public
dans le grand nombre des vrais fcavans
qui feuls jugeoient de fon mérite fans en-
& faifoient fon fuccès avec connoiffance
de caufe. Juge né des arts , des
talens & des emplois , comme il appré-
و
MAR S. 1755. 33
cioit les premiers fans prévention , qu'il
protégeoit les feconds avec difcernement ,
& qu'il nommoit aux derniers fans partialité
, il étoit confulté pour être fuivi ;
tout reffortiffoit à fon tribunal . Mais infenfiblement
il s'eft élevé des jurifdictions
particulieres qui ont ufurpé fes
droits. Chaque fociété a prétendu être le
vrai public comme la bonne compagnie.
Paris s'eft partagé en différens partis. Par
cette divifion le bon goût eft devenu problématique
, la véritable croyance douteufe
, & l'autorité d'un public légitime a
ceffé d'être une . Elle fe trouve aujourd'hui
abforbée par la multiplicité des prétentions
fans titres , au point que les parti
culiers font tout , & que le public n'eft
rien . Chacun s'érige un tribunal qui méconnoît
tous les autres , ou s'il admet un
public , il le borne dans le cercle de fes
amis ou de fes connoiffances . Les fentimens
varient & fe croifent dans chaque
quartier de là vient , fur tout ce qui paroît
, cette diverfité d'opinions , & cette
incertitude de jugemens . Tous ces petits
publics , ou foi - difans tels , fe fuccédent
pour fe contredire . L'un exalte une piéce
ou un livre le matin , l'autre le profcrit
l'après - midi , un troifiéme le rétablit le
foir : ainfi le fuccès des ouvrages demeure
Bv
34 MERCURE DE FRANCE.
indécis , & les divers jugemens qu'on en
porte font nuls. Un arrêt caffe l'autre.
On en doit faire d'autant moins de cas
qu'ils font dictés par la mauvaiſe foi ou
par le mauvais goût , & fouvent par tous
les deux enfemble. Faut - il s'en étonner ?
Chaque juge tient à une fociété rivale
d'une autre ; c'eft dire qu'il eft partial . Le
grand nombre eft auteur par mode , conféquemment
pointilleux , faux bel efprit
& jaloux par état. On craignoit autrefois
d'afficher ce nom , on veut le porter aujourd'hui
en dépit de la nature. On s'eft
corrigé d'une fottife , on donne dans un
travers. L'efprit eft le fanatifme de la nation
: c'eſt un mal épidémique qui a gagné
la capitale , & qui de là s'eft répandu dans
la province ; il fe communique même aux
plus fots. Un homme qui pendant trente
ans aura paffé pour tel fans injuſtice , rentre
chez lui , s'endort fur une tragédie ; il
rêve qu'il eft poëte : ce fonge fe grave fi
profondément dans fon ame , qu'il le
croit en s'éveillant. Il s'étoit couché bête
la veille , il ſe leve bel efprit le lendemain .
Pour réalifer fon rêve , il écrit , il rime
une piéce ; il la fait jouer , qui pis eft , imprimer.
Il est vrai qu'on lui rend juſtice ,
on la fiffle , c'eft - à-dire qu'il fe trouve plus
fot qu'auparavant : il l'étoit obfcurément
MARS . 1755. 35
fans être affiché ; il l'eft alors en titre &
folemnellement. Tel rit de cet homme là ,
qui fait peut-être fon fecond tome.
Une autre caufe de la révolution ou du
renverſement qui s'eft fait dans la littérature
, & qui a donné une nouvelle atteinte
à l'autorité du public , c'eſt * la multitude
de brochures journalieres & des écrits périodiques.
Comme tout le monde lit &
que perfonne n'étudie , qu'on aime à voler
fur toutes les furfaces fans s'attacher à aucune
, & à raifonner de tout fans rien ap
profondir , on parcourt ces feuilles légerement
pour décider de même. On a la fureur
de juger , on eft le Perrin Dandin des
plaideurs on s'affolipit comme lui fur
l'inſtruction , on prononce à demi - endormi
, & on condamne un chien aux galeres .
>
C'eft ainfi que la fievre d'écrire & la
rage de décider partagent les efprits &
forment deux ordres différens dans l'empi
re des Lettres & des Arts : la claffe des
auteurs & des hommes à talens ; celle des
connoiffeurs qui les jugent , & des ama-
L'abus n'eft que dans le grand nombre. If
feroit à fouhaiter qu'on réduifft toutes ces feuiltes
à l'Année Littéraire . Le bon goût y regne avec
Félégance du ftyle ; elles pourroient alors fervir
d'école aux jeunes auteurs , & fouvent d'inftruc
tion aux perſonnes du monde.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE .
teurs qui les protegent . Ces derniers ont la
prééminence ; ils occupent , pour ainfi dire ,
le thrône de l'efprit ; ils en deviennent
quelquefois les tyrans .
Le beau fexe leur difpute le fceptre des
arts ; il étend même fa domination fur tou
te la littérature. S'il fe bornoit à la partie
agréable , on feroit charmé de l'avoir pour
maître & pour modele , même on lui par
donneroit de donner plufieurs heures de fon
loifir à la Phyfique expérimentale. Le plus
bel ornement de la nature eft fait pour en
apprendre tous les fecrets ; mais il veut
aflujettir les graces qui l'accompagnent au
compas de la géométrie , le fentiment qui
l'anime à l'analyſe trop fubtile de la Métaphyfique
, & les talens qu'il embellit au
calcul trop exact de l'Algebre : c'est dénaturer
les dons qu'il tient du ciel ; ils lui
fuffisent pour fubjuguer l'efprit comme le
coeur . Qu'il faffe regner le fentiment , tout
lui fera plus fûrement & plus généralement
affervi. Il eft dangereux de raifonner où il
faut fentir , & l'efprit philofophique propre
à nous éclairer fur tout le refte , doit
arrêter là fa lumiere , ou ne l'employer dans
ce point que pour mieux fuivre un inſtinct
plus fûr qu'elle. S'il veut pénétrer dans le
méchanifme du fentiment, que ce foit dans
un ouvrage à part , qui le décompofe fans
MARS. 1755. 37
le détruire . Tous les arts qui dépendent
de ce fentiment , ne brillent bien que par
les femmes, Ils gagneroient fans doute à
n'être jugés qu'aux tribunaux où elles préfident
, fi la féduction des hommes ne
prévenoient leurs jugemens : ils font prefque
toujours les auteurs fecrets de leurs
erreurs ou de leurs injuftices. C'eft pour les
croire & pour les favorifer qu'elles protégent
une médiocre piéce , ou qu'elles prônent
un mauvais livre , qu'elles en facilitent
le débit , & font coupables du fuccès.
La réuffite n'eft plus l'ouvrage du public
, elle est le fruit du manége des particuliers
. Ils la décident avant l'impreffion
ou la repréfentation : c'eft comme un arrangement
de famille.
Rien n'eft plus refpectable que les vrais
protecteurs. J'entends ceux qui le font
par leur place ou par leurs lumieres ; leurs
bienfaits encouragent les arts , & leurs
confeils les perfectionnent . Mais je ne puis
voir, fans prendre de l'humeur ou fans rire ,
(je choisis ce dernier parti comme le plus
fage ) je ne puis donc voir fans rire fortir
de deffous terre cette foule de petits protecteurs
, qui n'en ont ni l'étoffe ni le rang ,
& qui veulent donner des loix dans une
République où ils n'ont pas même acquis
le droit de bourgeoifie. Il refte encore une
38 MERCURE DE FRANCE.
diftinction à faire parmi les amateurs. Il
en eft plufieurs qui aident en citoyens
éclairés les talens naiffans qui ont besoin
d'appui ; ils leur donnent des maîtres pour
les former , fans autre vûe que celle d'enrichir
le théatre qui manque de fujets , &
je les honore. Il y en a même tels qui
brilleroient dans la claffe des auteurs , fi
les dangers attachés à ce titre n'arrê
toient leur plume , & ne nous privoient
de leurs productions. Mais comme les
meilleurs modeles font tous les jours de
mauvaiſes copies qui fe multiplient , il eft
arrivé qu'en imitation , ou plutôt en contradiction
de cette fage école , il s'en eft
élevé plufieurs autres qui tendent à rui
ner le goût & à décourager les vrais talens.
Elles ont moins le bien général pour objet
que des fantaifies particulieres elles
dégénerent en parodies , elles deviennent
des charges , & ne femblent protéger que
pour rendre l'établiffement ridicule. La
plaifanterie va fi loin qu'il fe forme actuellement
des compagnies qui affurent un
talent comme on affure une maifon ; elles
font les fuccès & les réputations à leur gré.
Il est vrai que malgré leur garantie ces réputations
font ephemeres ; fouvent elles
expirent au bout d'un mois. Une cabale
contraire les détruit pour en établir de nouMARS.
1755 : 39
velles à leurs dépens . Celles- ci font défaites
à leur tour par un troifieme parti , qui
en éleve d'autres fur leurs débris . Quelque
peu que dure le regne de ces talens factices ,
les fuites n'en font pas moins pernicieuſes.
C'est ce qui brouille & renverfe tout ,
c'est ce qui porte enfin le dernier coup à
la puiffance du public . La vénalité des fuffrages
& la tyrannie des particuliers qui
les achetent , l'anéantiffent , en détruifant
fa liberté. Je parcours tous les théatres , où
il a toujours regné d'une façon plus fenfible
; je l'y cherche , & je ne l'y trouve
plus le parterre indépendant qui le compofoit
, n'y donne plus la loi . D'un côté je
n'y vois à fa place qu'une multitude efclave
& vendue à qui veut la foudoyer , & de
l'autre des fpectateurs d'habitude , qui ont
la fureur du fpectacle fans en avoir le goût ,
qui n'y vont avec affiduité que pour en faper
plus vite les fondemens par les faux
jugemens qu'ils y prononcent , par les divifions
qu'ils y font naître & par les
cabales qu'ils y fomentent. Je ne reconnois
plus un public à ces traits , & mes doutes
fur fon existence ne font que trop bien
fondés.
:
Mais les fpectacles , me dira- t- on , n'ont
jamais été plus fréquentés : j'en conviens ,
& ce qu'il y a de merveilleux , ils le font
40 MERCURE DE FRANCE.
fans auteurs qui les foutiennent , fans piéces
qui réuffiffent , fouvent fans acteurs qui
les jouent , & fans public qui les juge. Je
crains qu'ils ne brillent pour s'éteindre.
Quand le public devient nul , le théatre
eft dans un grand danger. Chacun veut
être le maître , fe néglige ou fe déplace .
Le déplacement amene l'anarchie , & l'anarchie
, la deftruction.
J'aurois inféré après ces doutes des réflexions
fur le goût , qui font d'un autre
auteur > & que j'ai reçues plus tard ;
mais comme elles roulent fur la même
matiere , j'ai crû devoir les éloigner &
garder ce dernier morceau pour le Mercure
prochain. Il me paroît venir de bonne
main , & je prie l'auteur de n'être point
fâché du retard : j'y fuis forcé par la variété
qu'exige mon recueil , & dont je me
fuis fait une loi inviolable .
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Résumé : DOUTES SUR L'EXISTENCE D'UN PUBLIC.
Au milieu du XVIIIe siècle, la question de l'existence et de l'influence d'un public unifié dans les domaines littéraire et théâtral devient complexe. Autrefois, le public se manifestait clairement et exerçait une autorité souveraine, notamment lors des spectacles et parmi les lecteurs. Cependant, une fragmentation s'est produite, avec diverses sociétés et factions revendiquant chacune le titre de 'vrai public'. Cette division a rendu problématique la définition du bon goût et de l'autorité publique légitime, remplacée par une multiplicité de jugements partiaux et contradictoires. La prolifération de brochures et d'écrits périodiques a exacerbé ce phénomène. La lecture sans étude approfondie mène à des jugements hâtifs et superficiels. Cette situation a créé deux ordres distincts dans le monde des lettres et des arts : les auteurs et les connaisseurs. Le beau sexe, bien que capable de juger avec élégance et sentiment, est souvent influencé par les hommes, ce qui fausse les jugements. Les véritables protecteurs des arts, ceux qui le font par leur place ou leurs lumières, sont respectables. Cependant, une multitude de petits protecteurs, sans véritable autorité, cherchent à imposer leurs lois, contribuant à la confusion et à la dégradation du goût. Les cabales et les arrangements familiaux décident souvent du succès des œuvres avant même leur publication ou représentation, anéantissant la liberté du public. Les théâtres, autrefois lieux de l'expression publique indépendante, sont maintenant remplis de spectateurs esclaves et vendus, sans véritable goût pour les spectacles. Cette situation met en danger les théâtres et les arts, car l'anarchie et le manque de jugement public conduisent à la destruction.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1091
p. 45
LOGOGRYPHE.
Début :
Sous les pieds délicats d'une jeune bergere [...]
Mots clefs :
Poésie
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SoOuuss les pieds délicats d'une jeune bergere
J'ai fouvent opprimé l'innocente fougere ;
Je dois ma naiffance aux Dieux ;
Et mes peintures légeres
Ont fait briller à tes yeux
Mille beautés menfongeres .
Laiffant aujourd'hui l'erreur ;
Vérité , c'est ma devife .
Je vais faire l'analyſe
Des fix pieds d'un tout menteur,
Après un Pape , un Prophéte ,
S'offre un corps tout contrefait ,
Muni d'un efprit bienfait
Dont on ne fait point la fête ,
Ce qui d'un infecte adroit
Fait le domicile étroit.
Un oiſeau dont le plumago
Eft utile aux Ecrivains ,
Et celui dont le ramage
Etourdit tous les humains.
Jeunes mortels , dont le délire
Afpire à l'immortalité ,
Brûlez fur les autels dreffés dans mon empire
Un encens agréable à ma divinité,
SoOuuss les pieds délicats d'une jeune bergere
J'ai fouvent opprimé l'innocente fougere ;
Je dois ma naiffance aux Dieux ;
Et mes peintures légeres
Ont fait briller à tes yeux
Mille beautés menfongeres .
Laiffant aujourd'hui l'erreur ;
Vérité , c'est ma devife .
Je vais faire l'analyſe
Des fix pieds d'un tout menteur,
Après un Pape , un Prophéte ,
S'offre un corps tout contrefait ,
Muni d'un efprit bienfait
Dont on ne fait point la fête ,
Ce qui d'un infecte adroit
Fait le domicile étroit.
Un oiſeau dont le plumago
Eft utile aux Ecrivains ,
Et celui dont le ramage
Etourdit tous les humains.
Jeunes mortels , dont le délire
Afpire à l'immortalité ,
Brûlez fur les autels dreffés dans mon empire
Un encens agréable à ma divinité,
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1092
p. 49-62
SEANCE PUBLIQUE De l'Académie de Montauban.
Début :
L'Académie des Belles-Lettres de Montauban a célébré à son ordinaire, le [...]
Mots clefs :
Académie des belles-lettres de Montauban, Montauban, Dictionnaires, Lecteurs, Lettres, Hommes, Femmes, Ouvrage
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texteReconnaissance textuelle : SEANCE PUBLIQUE De l'Académie de Montauban.
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie de Montauban.
'Académie des Belles- Lettres de Mon-
L'auban a célébré à fon ordinaire , le
25 Août , la fête de S. Louis ; elle aſſiſta
le matin à une Meffe qui fut fuivie de
l'Exaudiat , pour le Roi , & du panégyrique
du Saint , prononcé par M. Court ,
Curé de Montricoux , Diocèſe de Cahors.
Elle tint l'après-midi une affemblée publique
dans la grande falle de l'Hôtel de
ville ; & M. Saint-Hubert de Gaujac , ancien
Capitaine de Cavalerie , Chevalier de
l'Ordre militaire de S. Louis , Directeur de
quartier , ouvrit la féance par un difcours
, où il ſe propoſa d'examiner fi
c'eft à leur coeur ou à leur efprit que
les femmes doivent la fupériorité qu'elles
ont fur les hommes dans plufieurs genres
d'écrire , & principalement dans le ſtyle
léger & épikolaire. Il prouva d'abord cette
C
60 MERCURE DE FRANCE.
fupériorité par des exemples décisifs , &
par des autorités refpectables. Il effaya
enfuite de l'expliquer , en obfervant qu'on
ne fçauroit difputer aux femmes qui ſe
font mêlées d'écrire , l'heureux choix des
expreffions , la délicateffe des fentimens ,
l'élégance , la précifion , &c. » Qui dou-
» te , ajouta-t- il , que l'imagination n'ouvre
une fource inépuifable d'agrémens
» & de beautés raviffantes , & que la vi-
» vacité , la variété & la fineffe de fon
ود
pinceau ne donnent au fujet qu'elle trai-
» te , l'air le plus noble , & les graces
les plus touchantes ? Or les femmes ont
» porté en naiffant un don fi précieux :
» auffi tout devient- il fous leurs mains ,
» fertile , gracieux & riant . .. .. . Si nous
»
ne les trouvons pas toujours propres à
» faire de grands tableaux & des ftatues
» coloffales , nous devons au moins convenir
que pour les ouvrages de petit
» point & de miniature , elles furpaſſent
» les Raphaël & les Phidias .... J'avoue
» qu'elles ont quelquefois un ftyle dé-
» coufu , plein de négligence & de faillies ,
» je dirois prefque un ftyle intermittent ;
mais c'eft ce qui en fait le charme , &
l'on feroit fâché d'y trouver plus d'or-
» dre & de méthode « . Quoique M. Saint-
Hubert fe fut plaint au commencement de
MARS. 1755.
S4
33
fon ouvrage , de manquer
des fecours
que
la lecture fournit aux auteurs de profeffion
, n'ayant pour lui difoit-il ., que
» le Code militaire , un peu d'imagina-
» tion , & malheureufement
beaucoup
trop
d'ufage du monde , « il ne laiffa pas de
répandre
dans fon difcours
plufieurs
traits
intéreffans
, qui montroient
que ce qu'il
avoit eu le tems ou l'occafion
de lire , il
l'avoit lû avec goût & avec réflexion
. C'eſt
par là qu'il tira un parti ingénieux
de quelques
lettres de Madame
de Sévigné
: mais
venant à rechercher
la caufe de cette fupériorité
qu'il reconnoiffoit
dans les femmes
il tenta de recourir , pour en indiquer la
fource , au méchaniſme
de la nature. » Les
»femmes , difoit- il , ont un corps plus dé-
» licatement
organifé ; c'eſt par là que la
» beauté , que les graces extérieures
leur
appartiennent
de droit. Ne feroit-ce point
auffi par là que leur imagination
eft plus
vive , & plus facile à remuer ? « Mais il
revint bientôt fur fes pas , en faifant réflexion
que dans les femmes , leur coeur
& leur efprit doivent
fe reffentir
égaledu
partage que la nature leur a fait
en ce genre. Il fe tourna alors du côté
de l'éducation
, & il demanda
fi la mariere
différente
dont on éleve les jeunes
perfonnes
de l'un & de l'autre fexe , n'of
ment
}
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
friroit pas la véritable caufe des différen
ces qui les diftinguent. Il caractériſa l'éducation
que les femmes reçoivent communément
, & il conjectura affez vraiſemblablement
, foit de la bienféance , de la
réferve & de la modeftie qu'on leur infpire
, foit du préjugé qui leur interdit les
études fortes & férieufes , qu'il eft naturel
d'une part qu'elles foient plus faites
& plus habiles que les hommes à trouver
ces tours ingénieux , où le fentiment ne paroît
fe cacher que pour être mieux apperçu ;
d'un autre côté , que leur imagination fe
trouvant débarraffée de la féchereffe d'un
travail long , affujettiffant & pénible , elle
conferve tout fon feu pour les objets agréables
& legers . Il abandonna cependant encore
cette explication , parce que l'éducation
, ajouta- t-il , influe également fur l'efprit
fur le coeur. Il fe borna donc à balancer
ici les raifons contradictoires qui forment
la difficulté de la queftion qu'il s'étoit
propofée ; & après avoir infinué que les
premieres apparences le portoient à penfer
que les femmes doivent à leur efprit
leur fupériorité fur les hommes dans les
ouvrages qui fortent de leur plume , parce
que c'eft leur efprit qui enfante ces ou
vrages ; que c'eft la maniere dont l'efprit
enviſage les objets qui décide de la maMARS.
1755.
53
niere dont on les peint ; & que les femmes
n'excellent dans le ftyle epiftolaire
que parce qu'elles ont fingulierement l'ef
prit de la converfation : il conclut enfin
» qu'en elles c'eſt le coeur qui donne le ton
» à l'efprit. En effet
En effet , continua- t- il , les
» ouvrages des femmes portent tous l'em-
»preinte du fentiment , qui eft chez elles
" fi vif & fi délicat. Les hommes raiſon-
» nent , mais les femmes fentent : voilà
» pourquoi les écrits de ceux -là font.com-
» munément plus fecs , plus arides , &c ...
» Le coeur eft la partie qui a plus d'action
dans les femmes ; il vivifie en quel-
» que forte tout ce qu'elles font , tout ce
qu'elles difent , tout ce qu'elles écri-
» vent .... D'où vient que les écrits des
femmes nous affectent d'une maniere
» particuliere ? ... c'eft qu'il n'y a que le
coeur qui ait droit de parler au coeur :
le coeur eft froid , il eft fourd , pour
» ainfi dire , au langage de l'efprit ....
Quand eft-ce que la lyre a rendu des
fons plus animés & plus tendres , fi ce
n'eft quand elle a été entre les mains
des femmes ? C'eft la nature elle -même
qui parie dans les poëfies des Sapho ,
des La Suze , des Deshoulieres , &c.
»On ne trouve nulle part des fentimens
fi vifs , fi variés , fi foutenus , fi déli-
"
"
"
»
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE .
» cats , fi touchans. Les hommes qui ont
voulu elfayer ce genre , fe font prefque
tous attirés le reproche d'avoir mis dans
leurs ouvrages un art capable de déceler
la violence qu'ils faifoient à leur
efprit , pour lui faire parler le langage
» du coeur , & c.
M. Bernoy lut enfuite deux odes , l'une
firée du Pfeaume CI . & l'autre du Pfeaume
CXLII. Il faudroit les tranfcrire ici en
entier , pour faire connoître avec quelle
fidélité l'auteur a fçu rendre les profonds
gémiffemens & la vive douleur du faint
Roi pénitent .
M. l'Abbé de Verthamon ; dans un
difcours contre l'envie , Sattacha à montrer
avec quel acharnement cette paffion
pourfuit ordinairement les grands hommes.
Après avoir fait un tableau de fes
fureurs , il entra dans le détail des funef
res effets qu'elle produit communément
parmi les gens de lettres. Il fit voir enfin
que dans tous les lieux & dans tous les
fiécles , les plus grands Poëtes & les plus
grands Orateurs ont été expofés aux traits
empoifonnés de l'envie .
M. de Claris , Préfident de la Chambre
des Comptes , Cour des Aides &
Finances de Montpellier Académicien
affocié , avoit envoyé à l'Académie des
,
MARS. 1755 .
vers qu'il avoit faits fur le mariage de M.
de **fous ce titre : le Triomphe de l'hymen
, & M. de Cathala en fit la lecture.
Depuis quelques années , nul genre
d'ouvrage ne s'eft autant multiplié que
les Dictionnaires ; & c'eft ce qui donna
lieu à M. l'Abbé Bellet d'examiner s'ilsfe
multiplient aujourd'hui pour le progrès ou
pour la ruine des lettres . Jamais , felon cer
Académicien , il ne fut plus vrai de dire
qu'on pourroit faire un Dictionnaire des
noms de tous les Dictionnaires qui exiftent.
Après avoir obfervé que chaque fcience ,
chaque art a le fien , il fe propofa de déterminer
le dégré de gloire qu'ils font ent
état de procurer à leurs auteurs , & les
avantages que les lecteurs peuvent en retirer……………
. Un dictionnaire n'eft point une
production du génie ..... c'eſt communé
ment un recueil , un registre , un magafir
d'actions ou de pensées étrangeres ... On
peut dire abfolument de la compofition
de ces fortes d'ouvrages , ce que La Bruyere
n'a dit de la critique qu'avec reftriction :
que c'est un métier où il faut plus de fanté
que d'efprit , plus de travail que de capacité
, plus d'habitude que de génie..... Le
choix des penfées eft une forte d'inven
tion , difoit encore l'auteur des Caracteres.
» Mais dans un dictionnaire on fe déter-
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
» mine plutôt à rapporter beaucoup de cho-
» fes que d'excellentes chofes ...... On
» diroit que l'auteur d'un dictionnaire
ود
craint de n'avoir pas le tems d'être diffus ,
» comme un bon auteur craint de n'avoir
→ pas le loifir d'être court ..... c'eſt le
chef- d'oeuvre de l'art de fçavoir cacher
»fon art. Mais il femble que l'auteur d'un
» dictionnaire faffe profeffion de bannir
toute forte d'art de fa compofition & de
fon ouvrage. Toujours uniforme dans fes
»tours & dans fes expreffions , il ſe borne à
» une forte de monotonie qui forme ſon ca-
» ractere .... il lui fuffit de coudre , pour
»ainfi dire , bout-à-bout ce qu'il a remar-
» qué dans le cours de, fes lectures.... En
» un mot , il n'a point l'honneur de l'in-
» vention dans ce qu'il dit , & il ne fonge
gueres à mettre les graces du ftyle dans
» la maniere dont il le dit. . ... M. l'Abbé
Bellet ne laiffa pas de rendre juftice au
genre de mérite qu'on ne peut s'empêcher
de reconnoître dans les auteurs de quelques
utiles compilations que nous avons ,
mais il crut devoir relever en même tems
les défauts effentiels qui dégradent plufieurs
dictionnaires ; il les caractériſa chacun
en particulier , il ajouta qu'un bon
vocabulaire eft la feule efpéce de dictionnaire
dont la compofition paroît exiger
>
My
MAR S. 1755. 57
un mérite plus réel & plus rare , & il en
donna plufieurs raifons .... » C'eſt ainsi ,
» continua-t- il , que l'auteur d'un Poë-
"me , prefque digne de Virgile * > avoit
» commencé un Dictionnaire latin deſtiné
» à effacer tous les autres. Nous lui avons
entendu dire qu'il ne fe propofoit pas
» moins que de faire fentir , fous chaque
mot françois , la fignification préciſe
& l'ufage particulier de ce grand nom-,
» bre de mots latins que le commun des
lecteurs regarde comme de parfaits fy
» nonimes. Un tel deffein fuppofoit en lui
autant de fineffe de goût que de lecture.
» Pour continuer fon ouvrage , en entrant
» dans fes vûes , on avoit befoin de l'hom-
» me ** d'efprit qui s'en eft chargé , &
» dont les talens font atteftés par une foule
de lauriers académiques ... " . Pallant
enfuite au fruit que l'on peut tirer de la
lecture des Dictionnaires , M. L. B. diſtingua
deux fortes de lecteurs ; des lecteurs
fuperficiels , & des lecteurs qui approfondiffent
tout : il en conclut que les dictionnaires
font un écueil pour l'ignorance
& pour la pareffe , & qu'ils ne font de
quelque fecours que pour ceux qui aiment
véritablement le travail. Il prouva
Le P. Vaniere.
** Le P. Lombard,
fucceffi-
Cv
$8 MERCURE DE FRANCE .
vement ces deux vérités , en montrant que
tous les dictionnaires font plus ou moins
fautifs ; qu'aux erreurs qu'on eft en droit
de leur reprocher , ils joignent , ainfi que
Bayle le difoit du fien , une infinité de péchés
d'omiffion , & que ce qu'ils rapportent
fe trouvant détaché de ce qui précéde &
de ce qui fait dans les auteurs qui l'ont
fourni , ou ils donnent de fauffes vûes ,
ou ils n'en donnent aucune qui foit bien
nette & bien précife ..... Si les dictionnairės
nuifent à celui dont ils bornent le
travail & les vues , ils font utiles à ceux
qui s'en fervent pour aller plus loin. ...
Dans le cours de fes études , un litté-
» rateur a ſouvent befoin , tantôt de préci-
» piter fa marche , tantôt de revenir en
quelque forte fur fes pas , pour recou-
» vrer ce que le tems enleve quelquefois à
» ſa mémoire . On ménage fon loifit , fon
» application , fes forces , en lui indiquant
, à mefure qu'il le fouhaite , la
route qu'il peut fuivre , en le remettant
fur la voie , & c. ... On peut comparer
un dictionnaire à la table d'un livre ;
elle eft utile à un écrivain laborieux
qui , pour ne point perdre de tems , veut
is quelquefois qu'on lui indique au plus
"vite la page précife où il eft queftion
» de l'objet dont il eſt actuellement occuMARS.
17556 59
pé ; mais cette table feroit évidemment
» un obftacle à la connoiffance de la vé-
» rité , pour quiconque fe contenteroit
و د
"3
de cette indication fuperficielle , &c……….
» Les dictionnaires peuvent donc être fu-
» neftes aux lecteurs indolens & fuperfi-
» ciels , parce qu'ils les arrêtent , pour
» ainfi dire , au milieu de leur courfe ;
» qu'ils les retiennent mal à propos endeça
des bornes qu'ils devroient fran-
» chir ; qu'ils leur perfuadent que de plus
amples recherches font inutiles ; qu'ils
»les accoutument à s'en rapporter à la pa-
» role d'un auteur unique , dont les inf
» tructions font communément imparfai-
»tes , &c. Mais après tout , la fortune des
» lettres dépend t -elle du commun des lecteurs
, qui ont moins recours aux livres
par le defir fincere d'augmenter leurs con
noiffances , que par le befoin preffant
» d'étourdir leur ennemi , & d'amufer leur
oifiveté ? L'avancement des ſciences &
des arts eft l'ouvrage de ceux qui les
cultivent. Les lettres font redevables de
leurs progrès & de leur gloire aux
productions des génies fupérieurs. Or
» ceux- ci ne feront jamais tentés de s'en
» tenir à des dictionnaires : on peut donc ,
» vis - à- vis d'eux , les varier , les multiplier
impunément ..... On ne dira donc
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
t
» pas précisément qu'on multiplie les dictionnaires
, ni pour la ruine ni pour le
»progrès des lettres : on craindroit d'un
» côté de leur faire trop de tort , & de
•
l'autre de leur faire trop d'honneur.
>> On ne les croit pas capables de caufer
»jamais , ni en bien , ni en mal , une ré-
» volution générale dans l'empire des let-
» tres , &c.
M. de la Mothe lut un dialogue en vers
intitulé : l'Hymen & l'Amour ; & M. P : adal
, Procureur Général à la Cour des Aides
, fit la lecture d'une Idylle qu'il adreffa
à M. de la Mothe , en lui donnant le titre
flateur d'Anacreon du Querci.
M. de Cathala , qui s'eft chargé du ſoin
de faire connoître les grands hommes que
cette province a produits , lut un effai fur
la langue gafconne , & fur quelques auteurs
* Gafcons. » Selon cet Académicien ,
» l'idiome qui eft en ufage dans les pro-
» vinces méridionales , & fur- tout à Touloufe
& à Montpellier , femble réunir
tous les caracteres des langues mortes &
» vivantes les plus eftimées. A l'abondance
de la grecque , il joint la cadence &
* M. de Mondonville vient d'en augmenter le
nombre , & va mettre cette langue à la mode
par fon Opéra Languedocien , que Paris applaudit.
MARS. 1755 61 . .
n
» oeuvre.
33
le
prefque la tournure de la latine ; à la
précifion & à la fageffe de la françoiſe ,
» il allie fans peine la légereté , la douceur
» & la molleffe de l'italienne . Propre à
tout , il offre fans effort des tours & des
» expreffions différentes , felon les diffé-
» rens befoins de ceux qui le mettent en
Pendant que la langue fran-
» çoiſe étoit plongée dans la barbarie ,
langage moundi brilloit dans les arts ,
» dans la chaire & au barreau ..... On a
» des fragmens d'une hiftoire manufcrite
» de la guerre des Albigeois , écrite en
» cette langue par un auteur contempo-
» rain ; il feroit à fouhaiter que les hifto-
» riens de la nation l'euffent connue ....
» Mais la langue gaſconne , ajouta M. de
» Cathala , eft encore plus propre à la
poësie qu'à tout autre genre. C'eft dans
» les vers qu'elle étale tous fes avantages ;
» fa poëfie eft bien antérieure à la françoife
long- tems avant les Meuns & les
» Lorris , une foule de Troubadours ou
» poëtes Provençaux , que quelques auteurs
ont dit être les inventeurs de la
» rime , brilloient dans les Cours des Souverains
.... « M. de Cathala donna enfuite
une notice de plufieurs Poëtes Gaf
cons , natifs du Querci ou du Rouergue ,
comme Raimond Jourdan , Hugues Bru-
و د
62 MERCURE DE FRANCE.
net , Albuzon , Pierre Vidal , Maître Mathieu
, & c. Il n'eut garde d'oublier la célébre
Clémence Ifaure , reftauratrice des
Jeux Floraux. Il fit une mention honorable
de Goudouli , nâtif de Toulouſe ; mais il
s'étendit davantage fur Valès , né en 1593
à Montech , petite ville du Languedoc ,
dans le Diocèfe de Montauban , & mort
Curé de cette Paroiffe , après avoir fait
en langage moundi deux traductions de
l'Eneïde , l'une en vers héroïques , & l'autre
en vers burlefques , toutes les deux
d'un mérite fingulier . Il avoit encore traduit
dans le même idiome les fept Pleaumes
de la Pénitence , & compofé une infinité
de pieces fugitives adreffées aux amis
qu'il avoit à Touloufe & à Montauban .
L'effai dont on rend compte eft deſtiné à
fervir de préface à ces divers ouvrages
quand on les donnera au public .
M. Saint-Hubert de Gaujac , Direc
teur , lut enfin des vers adreffés à l'affemblée
, aufquels tout le monde applaudit.
ON inférera le mois prochain la ſéance
de la Société royale des Sciences & Bel
les- Lettres de Nanci , & celle de la Société
littéraire d'Arras ; ainfi des autres fucceffivement
, par ordre de date .
De l'Académie de Montauban.
'Académie des Belles- Lettres de Mon-
L'auban a célébré à fon ordinaire , le
25 Août , la fête de S. Louis ; elle aſſiſta
le matin à une Meffe qui fut fuivie de
l'Exaudiat , pour le Roi , & du panégyrique
du Saint , prononcé par M. Court ,
Curé de Montricoux , Diocèſe de Cahors.
Elle tint l'après-midi une affemblée publique
dans la grande falle de l'Hôtel de
ville ; & M. Saint-Hubert de Gaujac , ancien
Capitaine de Cavalerie , Chevalier de
l'Ordre militaire de S. Louis , Directeur de
quartier , ouvrit la féance par un difcours
, où il ſe propoſa d'examiner fi
c'eft à leur coeur ou à leur efprit que
les femmes doivent la fupériorité qu'elles
ont fur les hommes dans plufieurs genres
d'écrire , & principalement dans le ſtyle
léger & épikolaire. Il prouva d'abord cette
C
60 MERCURE DE FRANCE.
fupériorité par des exemples décisifs , &
par des autorités refpectables. Il effaya
enfuite de l'expliquer , en obfervant qu'on
ne fçauroit difputer aux femmes qui ſe
font mêlées d'écrire , l'heureux choix des
expreffions , la délicateffe des fentimens ,
l'élégance , la précifion , &c. » Qui dou-
» te , ajouta-t- il , que l'imagination n'ouvre
une fource inépuifable d'agrémens
» & de beautés raviffantes , & que la vi-
» vacité , la variété & la fineffe de fon
ود
pinceau ne donnent au fujet qu'elle trai-
» te , l'air le plus noble , & les graces
les plus touchantes ? Or les femmes ont
» porté en naiffant un don fi précieux :
» auffi tout devient- il fous leurs mains ,
» fertile , gracieux & riant . .. .. . Si nous
»
ne les trouvons pas toujours propres à
» faire de grands tableaux & des ftatues
» coloffales , nous devons au moins convenir
que pour les ouvrages de petit
» point & de miniature , elles furpaſſent
» les Raphaël & les Phidias .... J'avoue
» qu'elles ont quelquefois un ftyle dé-
» coufu , plein de négligence & de faillies ,
» je dirois prefque un ftyle intermittent ;
mais c'eft ce qui en fait le charme , &
l'on feroit fâché d'y trouver plus d'or-
» dre & de méthode « . Quoique M. Saint-
Hubert fe fut plaint au commencement de
MARS. 1755.
S4
33
fon ouvrage , de manquer
des fecours
que
la lecture fournit aux auteurs de profeffion
, n'ayant pour lui difoit-il ., que
» le Code militaire , un peu d'imagina-
» tion , & malheureufement
beaucoup
trop
d'ufage du monde , « il ne laiffa pas de
répandre
dans fon difcours
plufieurs
traits
intéreffans
, qui montroient
que ce qu'il
avoit eu le tems ou l'occafion
de lire , il
l'avoit lû avec goût & avec réflexion
. C'eſt
par là qu'il tira un parti ingénieux
de quelques
lettres de Madame
de Sévigné
: mais
venant à rechercher
la caufe de cette fupériorité
qu'il reconnoiffoit
dans les femmes
il tenta de recourir , pour en indiquer la
fource , au méchaniſme
de la nature. » Les
»femmes , difoit- il , ont un corps plus dé-
» licatement
organifé ; c'eſt par là que la
» beauté , que les graces extérieures
leur
appartiennent
de droit. Ne feroit-ce point
auffi par là que leur imagination
eft plus
vive , & plus facile à remuer ? « Mais il
revint bientôt fur fes pas , en faifant réflexion
que dans les femmes , leur coeur
& leur efprit doivent
fe reffentir
égaledu
partage que la nature leur a fait
en ce genre. Il fe tourna alors du côté
de l'éducation
, & il demanda
fi la mariere
différente
dont on éleve les jeunes
perfonnes
de l'un & de l'autre fexe , n'of
ment
}
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
friroit pas la véritable caufe des différen
ces qui les diftinguent. Il caractériſa l'éducation
que les femmes reçoivent communément
, & il conjectura affez vraiſemblablement
, foit de la bienféance , de la
réferve & de la modeftie qu'on leur infpire
, foit du préjugé qui leur interdit les
études fortes & férieufes , qu'il eft naturel
d'une part qu'elles foient plus faites
& plus habiles que les hommes à trouver
ces tours ingénieux , où le fentiment ne paroît
fe cacher que pour être mieux apperçu ;
d'un autre côté , que leur imagination fe
trouvant débarraffée de la féchereffe d'un
travail long , affujettiffant & pénible , elle
conferve tout fon feu pour les objets agréables
& legers . Il abandonna cependant encore
cette explication , parce que l'éducation
, ajouta- t-il , influe également fur l'efprit
fur le coeur. Il fe borna donc à balancer
ici les raifons contradictoires qui forment
la difficulté de la queftion qu'il s'étoit
propofée ; & après avoir infinué que les
premieres apparences le portoient à penfer
que les femmes doivent à leur efprit
leur fupériorité fur les hommes dans les
ouvrages qui fortent de leur plume , parce
que c'eft leur efprit qui enfante ces ou
vrages ; que c'eft la maniere dont l'efprit
enviſage les objets qui décide de la maMARS.
1755.
53
niere dont on les peint ; & que les femmes
n'excellent dans le ftyle epiftolaire
que parce qu'elles ont fingulierement l'ef
prit de la converfation : il conclut enfin
» qu'en elles c'eſt le coeur qui donne le ton
» à l'efprit. En effet
En effet , continua- t- il , les
» ouvrages des femmes portent tous l'em-
»preinte du fentiment , qui eft chez elles
" fi vif & fi délicat. Les hommes raiſon-
» nent , mais les femmes fentent : voilà
» pourquoi les écrits de ceux -là font.com-
» munément plus fecs , plus arides , &c ...
» Le coeur eft la partie qui a plus d'action
dans les femmes ; il vivifie en quel-
» que forte tout ce qu'elles font , tout ce
qu'elles difent , tout ce qu'elles écri-
» vent .... D'où vient que les écrits des
femmes nous affectent d'une maniere
» particuliere ? ... c'eft qu'il n'y a que le
coeur qui ait droit de parler au coeur :
le coeur eft froid , il eft fourd , pour
» ainfi dire , au langage de l'efprit ....
Quand eft-ce que la lyre a rendu des
fons plus animés & plus tendres , fi ce
n'eft quand elle a été entre les mains
des femmes ? C'eft la nature elle -même
qui parie dans les poëfies des Sapho ,
des La Suze , des Deshoulieres , &c.
»On ne trouve nulle part des fentimens
fi vifs , fi variés , fi foutenus , fi déli-
"
"
"
»
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE .
» cats , fi touchans. Les hommes qui ont
voulu elfayer ce genre , fe font prefque
tous attirés le reproche d'avoir mis dans
leurs ouvrages un art capable de déceler
la violence qu'ils faifoient à leur
efprit , pour lui faire parler le langage
» du coeur , & c.
M. Bernoy lut enfuite deux odes , l'une
firée du Pfeaume CI . & l'autre du Pfeaume
CXLII. Il faudroit les tranfcrire ici en
entier , pour faire connoître avec quelle
fidélité l'auteur a fçu rendre les profonds
gémiffemens & la vive douleur du faint
Roi pénitent .
M. l'Abbé de Verthamon ; dans un
difcours contre l'envie , Sattacha à montrer
avec quel acharnement cette paffion
pourfuit ordinairement les grands hommes.
Après avoir fait un tableau de fes
fureurs , il entra dans le détail des funef
res effets qu'elle produit communément
parmi les gens de lettres. Il fit voir enfin
que dans tous les lieux & dans tous les
fiécles , les plus grands Poëtes & les plus
grands Orateurs ont été expofés aux traits
empoifonnés de l'envie .
M. de Claris , Préfident de la Chambre
des Comptes , Cour des Aides &
Finances de Montpellier Académicien
affocié , avoit envoyé à l'Académie des
,
MARS. 1755 .
vers qu'il avoit faits fur le mariage de M.
de **fous ce titre : le Triomphe de l'hymen
, & M. de Cathala en fit la lecture.
Depuis quelques années , nul genre
d'ouvrage ne s'eft autant multiplié que
les Dictionnaires ; & c'eft ce qui donna
lieu à M. l'Abbé Bellet d'examiner s'ilsfe
multiplient aujourd'hui pour le progrès ou
pour la ruine des lettres . Jamais , felon cer
Académicien , il ne fut plus vrai de dire
qu'on pourroit faire un Dictionnaire des
noms de tous les Dictionnaires qui exiftent.
Après avoir obfervé que chaque fcience ,
chaque art a le fien , il fe propofa de déterminer
le dégré de gloire qu'ils font ent
état de procurer à leurs auteurs , & les
avantages que les lecteurs peuvent en retirer……………
. Un dictionnaire n'eft point une
production du génie ..... c'eſt communé
ment un recueil , un registre , un magafir
d'actions ou de pensées étrangeres ... On
peut dire abfolument de la compofition
de ces fortes d'ouvrages , ce que La Bruyere
n'a dit de la critique qu'avec reftriction :
que c'est un métier où il faut plus de fanté
que d'efprit , plus de travail que de capacité
, plus d'habitude que de génie..... Le
choix des penfées eft une forte d'inven
tion , difoit encore l'auteur des Caracteres.
» Mais dans un dictionnaire on fe déter-
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
» mine plutôt à rapporter beaucoup de cho-
» fes que d'excellentes chofes ...... On
» diroit que l'auteur d'un dictionnaire
ود
craint de n'avoir pas le tems d'être diffus ,
» comme un bon auteur craint de n'avoir
→ pas le loifir d'être court ..... c'eſt le
chef- d'oeuvre de l'art de fçavoir cacher
»fon art. Mais il femble que l'auteur d'un
» dictionnaire faffe profeffion de bannir
toute forte d'art de fa compofition & de
fon ouvrage. Toujours uniforme dans fes
»tours & dans fes expreffions , il ſe borne à
» une forte de monotonie qui forme ſon ca-
» ractere .... il lui fuffit de coudre , pour
»ainfi dire , bout-à-bout ce qu'il a remar-
» qué dans le cours de, fes lectures.... En
» un mot , il n'a point l'honneur de l'in-
» vention dans ce qu'il dit , & il ne fonge
gueres à mettre les graces du ftyle dans
» la maniere dont il le dit. . ... M. l'Abbé
Bellet ne laiffa pas de rendre juftice au
genre de mérite qu'on ne peut s'empêcher
de reconnoître dans les auteurs de quelques
utiles compilations que nous avons ,
mais il crut devoir relever en même tems
les défauts effentiels qui dégradent plufieurs
dictionnaires ; il les caractériſa chacun
en particulier , il ajouta qu'un bon
vocabulaire eft la feule efpéce de dictionnaire
dont la compofition paroît exiger
>
My
MAR S. 1755. 57
un mérite plus réel & plus rare , & il en
donna plufieurs raifons .... » C'eſt ainsi ,
» continua-t- il , que l'auteur d'un Poë-
"me , prefque digne de Virgile * > avoit
» commencé un Dictionnaire latin deſtiné
» à effacer tous les autres. Nous lui avons
entendu dire qu'il ne fe propofoit pas
» moins que de faire fentir , fous chaque
mot françois , la fignification préciſe
& l'ufage particulier de ce grand nom-,
» bre de mots latins que le commun des
lecteurs regarde comme de parfaits fy
» nonimes. Un tel deffein fuppofoit en lui
autant de fineffe de goût que de lecture.
» Pour continuer fon ouvrage , en entrant
» dans fes vûes , on avoit befoin de l'hom-
» me ** d'efprit qui s'en eft chargé , &
» dont les talens font atteftés par une foule
de lauriers académiques ... " . Pallant
enfuite au fruit que l'on peut tirer de la
lecture des Dictionnaires , M. L. B. diſtingua
deux fortes de lecteurs ; des lecteurs
fuperficiels , & des lecteurs qui approfondiffent
tout : il en conclut que les dictionnaires
font un écueil pour l'ignorance
& pour la pareffe , & qu'ils ne font de
quelque fecours que pour ceux qui aiment
véritablement le travail. Il prouva
Le P. Vaniere.
** Le P. Lombard,
fucceffi-
Cv
$8 MERCURE DE FRANCE .
vement ces deux vérités , en montrant que
tous les dictionnaires font plus ou moins
fautifs ; qu'aux erreurs qu'on eft en droit
de leur reprocher , ils joignent , ainfi que
Bayle le difoit du fien , une infinité de péchés
d'omiffion , & que ce qu'ils rapportent
fe trouvant détaché de ce qui précéde &
de ce qui fait dans les auteurs qui l'ont
fourni , ou ils donnent de fauffes vûes ,
ou ils n'en donnent aucune qui foit bien
nette & bien précife ..... Si les dictionnairės
nuifent à celui dont ils bornent le
travail & les vues , ils font utiles à ceux
qui s'en fervent pour aller plus loin. ...
Dans le cours de fes études , un litté-
» rateur a ſouvent befoin , tantôt de préci-
» piter fa marche , tantôt de revenir en
quelque forte fur fes pas , pour recou-
» vrer ce que le tems enleve quelquefois à
» ſa mémoire . On ménage fon loifit , fon
» application , fes forces , en lui indiquant
, à mefure qu'il le fouhaite , la
route qu'il peut fuivre , en le remettant
fur la voie , & c. ... On peut comparer
un dictionnaire à la table d'un livre ;
elle eft utile à un écrivain laborieux
qui , pour ne point perdre de tems , veut
is quelquefois qu'on lui indique au plus
"vite la page précife où il eft queftion
» de l'objet dont il eſt actuellement occuMARS.
17556 59
pé ; mais cette table feroit évidemment
» un obftacle à la connoiffance de la vé-
» rité , pour quiconque fe contenteroit
و د
"3
de cette indication fuperficielle , &c……….
» Les dictionnaires peuvent donc être fu-
» neftes aux lecteurs indolens & fuperfi-
» ciels , parce qu'ils les arrêtent , pour
» ainfi dire , au milieu de leur courfe ;
» qu'ils les retiennent mal à propos endeça
des bornes qu'ils devroient fran-
» chir ; qu'ils leur perfuadent que de plus
amples recherches font inutiles ; qu'ils
»les accoutument à s'en rapporter à la pa-
» role d'un auteur unique , dont les inf
» tructions font communément imparfai-
»tes , &c. Mais après tout , la fortune des
» lettres dépend t -elle du commun des lecteurs
, qui ont moins recours aux livres
par le defir fincere d'augmenter leurs con
noiffances , que par le befoin preffant
» d'étourdir leur ennemi , & d'amufer leur
oifiveté ? L'avancement des ſciences &
des arts eft l'ouvrage de ceux qui les
cultivent. Les lettres font redevables de
leurs progrès & de leur gloire aux
productions des génies fupérieurs. Or
» ceux- ci ne feront jamais tentés de s'en
» tenir à des dictionnaires : on peut donc ,
» vis - à- vis d'eux , les varier , les multiplier
impunément ..... On ne dira donc
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
t
» pas précisément qu'on multiplie les dictionnaires
, ni pour la ruine ni pour le
»progrès des lettres : on craindroit d'un
» côté de leur faire trop de tort , & de
•
l'autre de leur faire trop d'honneur.
>> On ne les croit pas capables de caufer
»jamais , ni en bien , ni en mal , une ré-
» volution générale dans l'empire des let-
» tres , &c.
M. de la Mothe lut un dialogue en vers
intitulé : l'Hymen & l'Amour ; & M. P : adal
, Procureur Général à la Cour des Aides
, fit la lecture d'une Idylle qu'il adreffa
à M. de la Mothe , en lui donnant le titre
flateur d'Anacreon du Querci.
M. de Cathala , qui s'eft chargé du ſoin
de faire connoître les grands hommes que
cette province a produits , lut un effai fur
la langue gafconne , & fur quelques auteurs
* Gafcons. » Selon cet Académicien ,
» l'idiome qui eft en ufage dans les pro-
» vinces méridionales , & fur- tout à Touloufe
& à Montpellier , femble réunir
tous les caracteres des langues mortes &
» vivantes les plus eftimées. A l'abondance
de la grecque , il joint la cadence &
* M. de Mondonville vient d'en augmenter le
nombre , & va mettre cette langue à la mode
par fon Opéra Languedocien , que Paris applaudit.
MARS. 1755 61 . .
n
» oeuvre.
33
le
prefque la tournure de la latine ; à la
précifion & à la fageffe de la françoiſe ,
» il allie fans peine la légereté , la douceur
» & la molleffe de l'italienne . Propre à
tout , il offre fans effort des tours & des
» expreffions différentes , felon les diffé-
» rens befoins de ceux qui le mettent en
Pendant que la langue fran-
» çoiſe étoit plongée dans la barbarie ,
langage moundi brilloit dans les arts ,
» dans la chaire & au barreau ..... On a
» des fragmens d'une hiftoire manufcrite
» de la guerre des Albigeois , écrite en
» cette langue par un auteur contempo-
» rain ; il feroit à fouhaiter que les hifto-
» riens de la nation l'euffent connue ....
» Mais la langue gaſconne , ajouta M. de
» Cathala , eft encore plus propre à la
poësie qu'à tout autre genre. C'eft dans
» les vers qu'elle étale tous fes avantages ;
» fa poëfie eft bien antérieure à la françoife
long- tems avant les Meuns & les
» Lorris , une foule de Troubadours ou
» poëtes Provençaux , que quelques auteurs
ont dit être les inventeurs de la
» rime , brilloient dans les Cours des Souverains
.... « M. de Cathala donna enfuite
une notice de plufieurs Poëtes Gaf
cons , natifs du Querci ou du Rouergue ,
comme Raimond Jourdan , Hugues Bru-
و د
62 MERCURE DE FRANCE.
net , Albuzon , Pierre Vidal , Maître Mathieu
, & c. Il n'eut garde d'oublier la célébre
Clémence Ifaure , reftauratrice des
Jeux Floraux. Il fit une mention honorable
de Goudouli , nâtif de Toulouſe ; mais il
s'étendit davantage fur Valès , né en 1593
à Montech , petite ville du Languedoc ,
dans le Diocèfe de Montauban , & mort
Curé de cette Paroiffe , après avoir fait
en langage moundi deux traductions de
l'Eneïde , l'une en vers héroïques , & l'autre
en vers burlefques , toutes les deux
d'un mérite fingulier . Il avoit encore traduit
dans le même idiome les fept Pleaumes
de la Pénitence , & compofé une infinité
de pieces fugitives adreffées aux amis
qu'il avoit à Touloufe & à Montauban .
L'effai dont on rend compte eft deſtiné à
fervir de préface à ces divers ouvrages
quand on les donnera au public .
M. Saint-Hubert de Gaujac , Direc
teur , lut enfin des vers adreffés à l'affemblée
, aufquels tout le monde applaudit.
ON inférera le mois prochain la ſéance
de la Société royale des Sciences & Bel
les- Lettres de Nanci , & celle de la Société
littéraire d'Arras ; ainfi des autres fucceffivement
, par ordre de date .
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Résumé : SEANCE PUBLIQUE De l'Académie de Montauban.
Le 25 août, l'Académie des Belles-Lettres de Montauban a célébré la fête de Saint Louis. La journée a débuté par une messe suivie de prières pour le roi et d'un panégyrique du saint, prononcé par M. Court, curé de Montricoux. L'après-midi, une assemblée publique s'est tenue dans la grande salle de l'Hôtel de ville. M. Saint-Hubert de Gaujac, ancien capitaine de cavalerie et chevalier de l'Ordre militaire de Saint-Louis, a ouvert la séance en discutant de la supériorité des femmes dans certains genres d'écriture, notamment le style léger et épistolaire. Il a souligné leur choix des expressions, la délicatesse des sentiments, l'élégance et la précision, tout en reconnaissant que leur style peut parfois être décousu et négligent, ce qui en fait le charme. M. Bernoy a ensuite lu deux odes inspirées des Psaumes. L'abbé de Verthamon a prononcé un discours contre l'envie, décrivant ses effets destructeurs parmi les gens de lettres. M. de Claris, président de la Chambre des Comptes de Montpellier, a présenté des vers sur le mariage de M. de ** sous le titre 'Le Triomphe de l'hymen'. L'abbé Bellet a examiné la prolifération des dictionnaires, soulignant qu'ils ne sont pas des productions du génie mais des recueils de pensées étrangères. Il a critiqué leur monotonie et leur manque de grâce stylistique, tout en reconnaissant leur utilité pour les lecteurs sérieux. Les dictionnaires peuvent être nuisibles aux lecteurs superficiels, les empêchant d'approfondir leurs recherches. M. de la Mothe a lu un dialogue en vers intitulé 'L'Hymen & l'Amour', et M. Padal a présenté une idylle dédiée à M. de la Mothe. M. de Cathala a lu un essai sur la langue gasconne, soulignant ses richesses et son histoire. Il a également parlé de plusieurs poètes gascons, comme Raimond Jourdan, Hugues Brunet, et Clémence Isaure. M. de Cathala a particulièrement mis en avant Valès, qui a traduit l'Énéide et les sept Psaumes de la Pénitence en langue gasconne. M. Saint-Hubert de Gaujac a conclu la séance par des vers applaudis par l'assemblée. Le texte annonce la publication des comptes rendus des séances de la Société royale des Sciences et Belles-Lettres de Nancy et de la Société littéraire d'Arras.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
1093
p. 159-160
COMEDIE FRANÇOISE,
Début :
Les Comédiens François ont donné le 7 de ce mois le Tartuffe & les Folies [...]
Mots clefs :
Comédiens-Français, Roi
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COMEDIE FRANÇOISE,
COMEDIE FRANÇOISE.
L
Es Comédiens François ont donné le
de ce mois le Tartuffe & les Folies
amoureufes. Mme Novere , femme de M.
Novere , fi connu par le Ballet Chinois &
par celui de la Fontaine de Jouvence , a
débuté dans ces deux pièces , où elle joue
le rôle de la Soubrette. Le public lui a
fait un accueil favorable. Elle a repréſenté
fucceffivement Cléantis dans Démocrite ,
& Finettte dans le Philoſophe marié.
Le 8 , les mêmes Comédiens ont remis.
avec fuccès, Venceslas , tragédie de Rotrou..
160 MERCURE DE FRANCE.
Elle eft poftérieure au Cid , qui a été joué
en 1636. Venceflas n'a paru qu'en 1648 .
On voit par là que Rotrou , loin d'avoir
fervi de modele à Corneille , s'eft perfectionné
d'après lui . Cette piéce a de grandes
beautés. Le premier acte , le quatriéme
& le cinquiéme ne feroient pas indignes de
l'auteur de Cinna. Ladiflas eft un caractere
vraiment théatral ; il a ce mêlange de
vertus & de vices qui intéreffe fur la
fcene. Si ce Prince commet des crimes , le
feu de l'âge , & l'impétuofité d'une paffion
contredite , l'y forcent malgré lui ; le péril
même où ils le jettent , excitent en fa faveur
d'autant plus la pitié , qu'il ne tue fon
frere que par une méprife. Dans l'obfcurité
, il l'a pris pour Fédéric qu'il croyoit
fon rival. Venceflas qui lui pardonne
après l'avoir condamné , eft tout à la fois le
modele des peres & des monarques. Obligé
par fa juftice à punir Ladiflas , comme Roi
il prend l'héroïque parti de lui céder la
couronne , & de l'abfoudre alors comme
pere. Ce noble procédé forme un dénoument
d'autant plus heureux qu'il eft inattendu
, & qu'il eft en même tems dans la
nature. François de Roxas , auteur Efpagnol
, avoit traité , avant Rotrou , le même
fujet fous un titre moral qui l'annonce :
On ne peut être ✔ Roi.
L
Es Comédiens François ont donné le
de ce mois le Tartuffe & les Folies
amoureufes. Mme Novere , femme de M.
Novere , fi connu par le Ballet Chinois &
par celui de la Fontaine de Jouvence , a
débuté dans ces deux pièces , où elle joue
le rôle de la Soubrette. Le public lui a
fait un accueil favorable. Elle a repréſenté
fucceffivement Cléantis dans Démocrite ,
& Finettte dans le Philoſophe marié.
Le 8 , les mêmes Comédiens ont remis.
avec fuccès, Venceslas , tragédie de Rotrou..
160 MERCURE DE FRANCE.
Elle eft poftérieure au Cid , qui a été joué
en 1636. Venceflas n'a paru qu'en 1648 .
On voit par là que Rotrou , loin d'avoir
fervi de modele à Corneille , s'eft perfectionné
d'après lui . Cette piéce a de grandes
beautés. Le premier acte , le quatriéme
& le cinquiéme ne feroient pas indignes de
l'auteur de Cinna. Ladiflas eft un caractere
vraiment théatral ; il a ce mêlange de
vertus & de vices qui intéreffe fur la
fcene. Si ce Prince commet des crimes , le
feu de l'âge , & l'impétuofité d'une paffion
contredite , l'y forcent malgré lui ; le péril
même où ils le jettent , excitent en fa faveur
d'autant plus la pitié , qu'il ne tue fon
frere que par une méprife. Dans l'obfcurité
, il l'a pris pour Fédéric qu'il croyoit
fon rival. Venceflas qui lui pardonne
après l'avoir condamné , eft tout à la fois le
modele des peres & des monarques. Obligé
par fa juftice à punir Ladiflas , comme Roi
il prend l'héroïque parti de lui céder la
couronne , & de l'abfoudre alors comme
pere. Ce noble procédé forme un dénoument
d'autant plus heureux qu'il eft inattendu
, & qu'il eft en même tems dans la
nature. François de Roxas , auteur Efpagnol
, avoit traité , avant Rotrou , le même
fujet fous un titre moral qui l'annonce :
On ne peut être ✔ Roi.
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Résumé : COMEDIE FRANÇOISE,
En décembre, les Comédiens Français ont présenté plusieurs pièces. Le 20 décembre, ils ont joué 'Le Tartuffe' et 'Les Folies amoureuses', avec Mme Novere dans le rôle de la soubrette, puis dans 'Démocrite' et 'Le Philosophe marié'. Le 8 décembre, ils ont repris 'Venceslas', une tragédie de Jean de Rotrou écrite en 1648, après 'Le Cid' de Corneille. Rotrou s'est inspiré de Corneille pour perfectionner sa pièce. 'Venceslas' est acclamée pour ses qualités, notamment les actes premier, quatrième et cinquième, comparables à celles de 'Cinna' de Corneille. Ladislas, personnage théâtral, mêle vertus et vices, poussé par la passion et l'erreur à commettre des crimes. Venceslas incarne le modèle des pères et des monarques en pardonnant et en abdiquant en faveur de Ladislas. Le sujet de 'Venceslas' avait déjà été traité par l'auteur espagnol François de Roxas sous le titre 'On ne peut être Roi'.
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1094
p. 5-7
EPITRE A M. DESMAHIS, Par M. ***
Début :
Quittez la palette légere, [...]
Mots clefs :
Amour
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texteReconnaissance textuelle : EPITRE A M. DESMAHIS, Par M. ***
EPITRE
A M. DES MAHIS ,
Qu
Par M. ***
Uittez la palette légere ,
Où l'amour broye encor vos plus belles couleurs;
Appellé par Thalie à de plus grands honneurs ,
Il eft tems qu'aujourd'hui d'une main plus févere,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Pour achever la peinture des moeurs
Vous repreniez le pinceau de Moliere.
Laiffez - moi des amans le tendre caractere ;
C'eſt à moi qu'il convient de chanter leurs douceurs
,
Moi qui toute la vie auprès d'une bergere
Ai porté la houlette & le chapeau de fleurs.
Tandis qu'au fein de la molleffe ,
Fuyant la table ouverte & le fouper prié ,
Vous accordez vos jours à l'amitié ,
Et confacrez vos nuits à la tendreffe ,
L'honnête homme en tous lieux ſe voit humilié
Par mille fots de toute espece.
Effain fâcheux qui , trop multiplié ,
Abuſe de votre pareſſe ,
Et qui par fes fuccès fe croit juftifié.
Voyez paffer Cléon , fa fuperbe voiture
Le mene avec fracas chez Life , chez T ....
C'eft , à l'entendre , encore une aventure ;
Sa vifite eft un rendez - vous ...
Et c'eft enfin pour lui qu'on les a quitté tous.
Regardez la jeune Glycere ,
Qui dans la crainte des jaloux ,
Ecoute en même tems l'Abbé , le Militaire ,
Le Magiftrat , l'homme d'affaire ,
Quelquefois même ſon époux ,
Sans les aimer & fans leur plaire.
Par cette efquifle trop légere
D'originaux qu'on ne peut corriger ,
AVRI L.
7: ∙1755.
Ami charmant , c'eft à vous de juger
Des portraits qu'il vous reſte à faire ,
Pour les punir & nous venger.
Peignez auffi l'infenfible coquette
Qui veut plaire toujours fans jamais s'engager ,
La dédaigneufe & l'indifcrette ,
L'ami trompeur , avec l'amant léger.
Si pourtant quelquefois , pour toucher une belle
Vous voulez peindre encor le tendre ſentiment ,
L'amour heureux avec l'amour fidele ,
-Venez chez moi , mon Eglé vous appelle ;
Vousy verrez avec quel agrément
Cette jeune beauté , toujours vive & nouvelle ,
Entre le goût & l'enjouement ,
Sçait enchanter les jours que je paffe auprès
d'elle .....
Mais je vois qu'infenfiblement
Je vous ramene à la tendreffe .
Ah ! pardonnez ce mouvement
D'un amant trop épris qui , plein de fon yvreffe ,
Vous écrit même en ce moment
Sur les genoux de fa maîtreffe.
A M. DES MAHIS ,
Qu
Par M. ***
Uittez la palette légere ,
Où l'amour broye encor vos plus belles couleurs;
Appellé par Thalie à de plus grands honneurs ,
Il eft tems qu'aujourd'hui d'une main plus févere,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Pour achever la peinture des moeurs
Vous repreniez le pinceau de Moliere.
Laiffez - moi des amans le tendre caractere ;
C'eſt à moi qu'il convient de chanter leurs douceurs
,
Moi qui toute la vie auprès d'une bergere
Ai porté la houlette & le chapeau de fleurs.
Tandis qu'au fein de la molleffe ,
Fuyant la table ouverte & le fouper prié ,
Vous accordez vos jours à l'amitié ,
Et confacrez vos nuits à la tendreffe ,
L'honnête homme en tous lieux ſe voit humilié
Par mille fots de toute espece.
Effain fâcheux qui , trop multiplié ,
Abuſe de votre pareſſe ,
Et qui par fes fuccès fe croit juftifié.
Voyez paffer Cléon , fa fuperbe voiture
Le mene avec fracas chez Life , chez T ....
C'eft , à l'entendre , encore une aventure ;
Sa vifite eft un rendez - vous ...
Et c'eft enfin pour lui qu'on les a quitté tous.
Regardez la jeune Glycere ,
Qui dans la crainte des jaloux ,
Ecoute en même tems l'Abbé , le Militaire ,
Le Magiftrat , l'homme d'affaire ,
Quelquefois même ſon époux ,
Sans les aimer & fans leur plaire.
Par cette efquifle trop légere
D'originaux qu'on ne peut corriger ,
AVRI L.
7: ∙1755.
Ami charmant , c'eft à vous de juger
Des portraits qu'il vous reſte à faire ,
Pour les punir & nous venger.
Peignez auffi l'infenfible coquette
Qui veut plaire toujours fans jamais s'engager ,
La dédaigneufe & l'indifcrette ,
L'ami trompeur , avec l'amant léger.
Si pourtant quelquefois , pour toucher une belle
Vous voulez peindre encor le tendre ſentiment ,
L'amour heureux avec l'amour fidele ,
-Venez chez moi , mon Eglé vous appelle ;
Vousy verrez avec quel agrément
Cette jeune beauté , toujours vive & nouvelle ,
Entre le goût & l'enjouement ,
Sçait enchanter les jours que je paffe auprès
d'elle .....
Mais je vois qu'infenfiblement
Je vous ramene à la tendreffe .
Ah ! pardonnez ce mouvement
D'un amant trop épris qui , plein de fon yvreffe ,
Vous écrit même en ce moment
Sur les genoux de fa maîtreffe.
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Résumé : EPITRE A M. DESMAHIS, Par M. ***
L'épître est adressée à M. Des Mahis, l'incitant à abandonner les thèmes légers de l'amour pour se tourner vers des sujets plus nobles, tels que les mœurs, en s'inspirant de Molière. L'auteur se réserve le droit de traiter des douceurs des amants, ayant vécu auprès d'une bergère. Il décrit ensuite divers comportements des honnêtes gens, humiliés par leurs défauts, comme Cléon qui se vante de ses visites, et Glycère qui écoute plusieurs hommes sans les aimer. L'auteur suggère à Des Mahis de peindre ces portraits pour les punir et se venger. Il propose également de représenter des personnages tels que la coquette, la dédaigneuse, l'indifférente, l'ami trompeur et l'amant léger. Pour illustrer l'amour heureux et fidèle, l'auteur invite Des Mahis à observer Églé, une jeune beauté qui l'enchante. Enfin, l'auteur s'excuse de revenir à la tendresse, expliquant qu'il écrit sous l'influence de sa maîtresse.
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1095
p. 8-14
REFLEXIONS SUR LE GOUT.
Début :
La décadence du goût contre laquelle on avoit commencé à s'élever sur les [...]
Mots clefs :
Goût, Réflexions, Luxe, Talents, Musique, Poésie, Peinture
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS SUR LE GOUT.
REFLEXIONS
SUR LE GOU T.
A décadence du goût contre laquelle
L'on
on avoit commencé à s'élever fur les
dernieres années de Louis XIV , eft aujourd'hui
fenfible. La fcience eft devenue
portative , elle eft renfermée dans cinq
ou fix volumes in- 12 : on pourroit prédans
peu
elle ne formera qu'un
fumer que
almanach
.
M. de Voltaire fait à Colmar des livres
qui demeurent inconnus , ou ne parviennent
pas au -delà de Thanne & de Scheleftat
. Il continue à fon aife fes Annales de
l'Empire & fon Hiftoire univerfelle , fans
qu'on s'en embarraffe ; le titre même de
fes autres ouvrages eft ignoré.
Il ne paroit prefque plus de plus de livres
nouveaux. L'Auteur ou l'Imprimeur s'y
ruinent , felon que les frais de l'impreffion
tombent fur l'un ou fur l'autre .
La plupart des arts utiles ne fe confervent
que par la routine des vieux ouvriers ;
* Il me femble qu'on ne doit pas fe plaindre de
la quantité ni du débit ; c'eft fur la qualité qu'on
peut fe récrier.
AVRIL. 1755.
•
c'eft fur de tels appuis que roulent nos
manufactures. Les directeurs & les maîtres
ne fçauroient pas conduire leurs travaux
.
+
On fe plaint généralement du peu de
vigueur qu'on voit aujourd'hui dans la
circulation du commerce : il faudroit fe
plaindre du peu d'amour qu'on a pour les
arts * .
La recherche des commodités de la vie
& la jouiffance des plaifirs délicats font
devenues une occupation férieufe , & femblent
confondre prefque tous les états.
Quand un Artiſte a travaillé pour les
commodités d'autrui , il abandonne fon
talent , & emploie fon gain à faire travailler
pour les fiennes .
Les fages politiques qui ont cherché à
introduire le luxe , ont mal réuffi ....
( Пy a ici une lacune ) . ༡
L'excès du luxe ne peut pas nuire ;
cela n'eft vrai en bonne politique qu'en
fuppofant qu'an Marchand qui tiendra
table ouverte & donnera des concerts
ne fermera pas fa boutique ; qu'un Tailleur
qui roulera carroffe , ne ceffera pas
de faire des habits * ; mais le nombre des
Je crois que cette partie eft très- cultivée à
bien des égards .
* Le fameux P .... fait plus d'habits & d'envois
* A v
10 MERCURE DE FRANCE.
ouvriers diminuant tous les jours , on eft
obligé d'augmenter le prix des marchandifes'
, & là même d'en rendre la confompar
mation plus difficile . Rien ne prouve mieux
la richeffe d'un Etat , ou la circulation du
commerce , que le bon marché auquel on
achete tout ce qui fert aux befoins & aux
commodités de la vie . * Ainfi l'abus du
luxe ne confifte pas en ce qu'on dépenfe
trop ; mais en ce que , par un faux éclat
qu'on attache au luxe , on méprife , ou du
moins on délaiffe les arts , & on ne travaille
pas affez .
Le rapport intime d'un luxe exceffif
avec la décadence des arts , eft une de ces
vérités qui ne font pas affez connues ; les
conféquences de l'un à l'autre ne font
pas
auffi éloignées qu'elles le paroiffent.
A peine a-t- on acquis un état au-deffus
du commun du peuple , qu'on afpire à
fentir toute la fineffe que l'imagination a
inventée dans les plaifirs de pur agrément.
On veut être auffi -tôt Peintre , Poëte &
qu'il n'en a jamais faits , quoiqu'il ait depuis longtems
équipage , & le nombre de fes garçons augmente
toutes les années.
* Les provinces de France où on vit à meilleur
compte , font au contraire les moins riches , &
c'eft dans les villes où le commerce fleurit le
plus , que tout eft le plus cher.
AVRIL. 1755. II
Muficien : on aime ces talens , parce qu'ils
font rares , & qu'ils fervent beaucoup à la
parure de l'efprit : auffi nous donnent - ils
lieu de connoître la meſure des lumieres
générales , & la trempe du goût .
Rien n'eft plus commun que de trouver
ce qu'on appelle des connoiffeurs en Peinture
, en Poëfie & en Mufique , mais on
trouve rarement des gens qui fçachent
diftinguer feulement un tableau de Raphael
d'avec un de Teniers ; on parle de
coloris & de coftume fans fçavoir ce que
ces mots fignifient . En voici la preuve.
Vanloo ou Reftout trouveront deux mille
livres d'un ouvrage qui leur aura coûté
un an de travail : un barbouilleur de cabinets
& d'alcoves gagnera dix ou douze
mille livres dans cet intervalle. Tout Paris
s'empreffera de voir des peintures groffieres
qui tapifferont le bureau ou la falle
à manger d'un particulier * ; peu de monde
ira vifiter des chefs- d'oeuvres expofés au
vieux Louvre.
On fe pique de fe connoître en poëfie ,
& de l'aimer. M. de Crébillon donne une
tragédie nouvelle ; on en parle le premier
jour à un fouper : d'ailleurs on n'eft pas au
* Cette accufation eft exagérée . Le public a
couru voir en foule les tableaux expoſés dans le
dernier fallon.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
tant affecté de cet événement qu'on l'étoit
autrefois d'un quatrain de Benferade.
On s'attache encore plus à prouver fon
goût pour la mufique ; cependant l'auteur
de Titon & l'Aurore expofe au goût du
public une Paftorale languedocienne ; on
la trouve d'abord froide , languiffante , &
d'une bizarrerie infoutenable ; la falle du
fpectacle eft deferte pendant un tems.
Quelques perfonnes dont le bon goût ne
peut être contredit , ayant difcerné la tendreffe
naïve & touchante qui regne dans
cet agréable ouvrage , en ont empêché la
chûte.
Théfée fervira mieux d'exemple . En
vain les bons juges ont admiré la profonde
harmonie de cet Opéra mâle & vigoureux ,
ils n'ont pu garantir Lulli de l'infulte qu'on
a faite à fes cendres. On a écouté de fangfroid
les fons raviffans de la charmante
Fel & de l'incomparable Jeliotte , les nobles
tranfports de Mlle Chevalier , & les
reftes précieux des accens majestueux de
Chaffe ; à peine a-t-on encouragé par quelques
applaudiffemens Mlle Davaux , qui
par les progrès qu'elle a faits depuis quel
que tems , donne de fi grandes efpérances.
La mufique de Lulli a été goutée par trop
de monde ; c'est pourquoi elle ne l'eft plus
AVRIL. 1755.
13
tant aujourd'hui . S'il étoit auffi facile
d'acquerir les talens que de fe revêtir d'une
nouvelle parure , les arts changeroient
comme les modes ; le nombre des connoiffeurs
fe multiplieroit avec rapidité ; &
comme pour un bon connoiffeur il y en a
cent de mauvais , le goût feroit immolé ,
plutôt qu'il ne l'eft , à la pluralité des fuffrages
: car il ne faut pas croire ce qui fe
dit vulgairement , que les changemens du
goût font le fruit de l'inconftance ; nous
devons dire au contraire , que l'inconf
tance eft l'afyle du goût . La délicateſſe &
la fenfibilité qui le caractériſent , le rendent
incompatible avec cette foule tranchante
d'afpirans préfomptueux dont il eft affiégé :
il fuit , il fe déguife , il invente ; mais
toujours également pourfuivi , il eft contraint
de céder à la force , il difparoît.
La face de la terre fe couvre de ténébres.
A des fiécles éclairés fuccédent des
tems de barbarie , où les hommes connoiffent
à peine les loix de l'humanité. L'hiftoire
nous a laiffé deux époques d'un pareil
defordre qu'il feroit à fouhaiter que
la postérité n'eût pas à nous accufer d'avoir
commencé la troifiéme ! Pour éviter
cette accufation , nous ne fçaurions trop
nous attacher à connoître les véritables
talens , & à n'honorer & à ne récompen14
MERCURE DE FRANCE.
fer que ceux -là . Bien des perfonnes qui
vivent dans le découragement , feront valoir
des talens qu'ils facrifient à l'incerti
tude des récompenfes : nous mettrons un
frein au mauvais goût , ceux qui n'auront
point de talent pour un genre en embrafferont
quelque autre qui leur fera profitable,
&
peu à pen
, chacun
rentrant
dans
fa
fphere & confultant fon génie , travaillera
pour fa patrie en travaillant pour lui-même.
SUR LE GOU T.
A décadence du goût contre laquelle
L'on
on avoit commencé à s'élever fur les
dernieres années de Louis XIV , eft aujourd'hui
fenfible. La fcience eft devenue
portative , elle eft renfermée dans cinq
ou fix volumes in- 12 : on pourroit prédans
peu
elle ne formera qu'un
fumer que
almanach
.
M. de Voltaire fait à Colmar des livres
qui demeurent inconnus , ou ne parviennent
pas au -delà de Thanne & de Scheleftat
. Il continue à fon aife fes Annales de
l'Empire & fon Hiftoire univerfelle , fans
qu'on s'en embarraffe ; le titre même de
fes autres ouvrages eft ignoré.
Il ne paroit prefque plus de plus de livres
nouveaux. L'Auteur ou l'Imprimeur s'y
ruinent , felon que les frais de l'impreffion
tombent fur l'un ou fur l'autre .
La plupart des arts utiles ne fe confervent
que par la routine des vieux ouvriers ;
* Il me femble qu'on ne doit pas fe plaindre de
la quantité ni du débit ; c'eft fur la qualité qu'on
peut fe récrier.
AVRIL. 1755.
•
c'eft fur de tels appuis que roulent nos
manufactures. Les directeurs & les maîtres
ne fçauroient pas conduire leurs travaux
.
+
On fe plaint généralement du peu de
vigueur qu'on voit aujourd'hui dans la
circulation du commerce : il faudroit fe
plaindre du peu d'amour qu'on a pour les
arts * .
La recherche des commodités de la vie
& la jouiffance des plaifirs délicats font
devenues une occupation férieufe , & femblent
confondre prefque tous les états.
Quand un Artiſte a travaillé pour les
commodités d'autrui , il abandonne fon
talent , & emploie fon gain à faire travailler
pour les fiennes .
Les fages politiques qui ont cherché à
introduire le luxe , ont mal réuffi ....
( Пy a ici une lacune ) . ༡
L'excès du luxe ne peut pas nuire ;
cela n'eft vrai en bonne politique qu'en
fuppofant qu'an Marchand qui tiendra
table ouverte & donnera des concerts
ne fermera pas fa boutique ; qu'un Tailleur
qui roulera carroffe , ne ceffera pas
de faire des habits * ; mais le nombre des
Je crois que cette partie eft très- cultivée à
bien des égards .
* Le fameux P .... fait plus d'habits & d'envois
* A v
10 MERCURE DE FRANCE.
ouvriers diminuant tous les jours , on eft
obligé d'augmenter le prix des marchandifes'
, & là même d'en rendre la confompar
mation plus difficile . Rien ne prouve mieux
la richeffe d'un Etat , ou la circulation du
commerce , que le bon marché auquel on
achete tout ce qui fert aux befoins & aux
commodités de la vie . * Ainfi l'abus du
luxe ne confifte pas en ce qu'on dépenfe
trop ; mais en ce que , par un faux éclat
qu'on attache au luxe , on méprife , ou du
moins on délaiffe les arts , & on ne travaille
pas affez .
Le rapport intime d'un luxe exceffif
avec la décadence des arts , eft une de ces
vérités qui ne font pas affez connues ; les
conféquences de l'un à l'autre ne font
pas
auffi éloignées qu'elles le paroiffent.
A peine a-t- on acquis un état au-deffus
du commun du peuple , qu'on afpire à
fentir toute la fineffe que l'imagination a
inventée dans les plaifirs de pur agrément.
On veut être auffi -tôt Peintre , Poëte &
qu'il n'en a jamais faits , quoiqu'il ait depuis longtems
équipage , & le nombre de fes garçons augmente
toutes les années.
* Les provinces de France où on vit à meilleur
compte , font au contraire les moins riches , &
c'eft dans les villes où le commerce fleurit le
plus , que tout eft le plus cher.
AVRIL. 1755. II
Muficien : on aime ces talens , parce qu'ils
font rares , & qu'ils fervent beaucoup à la
parure de l'efprit : auffi nous donnent - ils
lieu de connoître la meſure des lumieres
générales , & la trempe du goût .
Rien n'eft plus commun que de trouver
ce qu'on appelle des connoiffeurs en Peinture
, en Poëfie & en Mufique , mais on
trouve rarement des gens qui fçachent
diftinguer feulement un tableau de Raphael
d'avec un de Teniers ; on parle de
coloris & de coftume fans fçavoir ce que
ces mots fignifient . En voici la preuve.
Vanloo ou Reftout trouveront deux mille
livres d'un ouvrage qui leur aura coûté
un an de travail : un barbouilleur de cabinets
& d'alcoves gagnera dix ou douze
mille livres dans cet intervalle. Tout Paris
s'empreffera de voir des peintures groffieres
qui tapifferont le bureau ou la falle
à manger d'un particulier * ; peu de monde
ira vifiter des chefs- d'oeuvres expofés au
vieux Louvre.
On fe pique de fe connoître en poëfie ,
& de l'aimer. M. de Crébillon donne une
tragédie nouvelle ; on en parle le premier
jour à un fouper : d'ailleurs on n'eft pas au
* Cette accufation eft exagérée . Le public a
couru voir en foule les tableaux expoſés dans le
dernier fallon.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
tant affecté de cet événement qu'on l'étoit
autrefois d'un quatrain de Benferade.
On s'attache encore plus à prouver fon
goût pour la mufique ; cependant l'auteur
de Titon & l'Aurore expofe au goût du
public une Paftorale languedocienne ; on
la trouve d'abord froide , languiffante , &
d'une bizarrerie infoutenable ; la falle du
fpectacle eft deferte pendant un tems.
Quelques perfonnes dont le bon goût ne
peut être contredit , ayant difcerné la tendreffe
naïve & touchante qui regne dans
cet agréable ouvrage , en ont empêché la
chûte.
Théfée fervira mieux d'exemple . En
vain les bons juges ont admiré la profonde
harmonie de cet Opéra mâle & vigoureux ,
ils n'ont pu garantir Lulli de l'infulte qu'on
a faite à fes cendres. On a écouté de fangfroid
les fons raviffans de la charmante
Fel & de l'incomparable Jeliotte , les nobles
tranfports de Mlle Chevalier , & les
reftes précieux des accens majestueux de
Chaffe ; à peine a-t-on encouragé par quelques
applaudiffemens Mlle Davaux , qui
par les progrès qu'elle a faits depuis quel
que tems , donne de fi grandes efpérances.
La mufique de Lulli a été goutée par trop
de monde ; c'est pourquoi elle ne l'eft plus
AVRIL. 1755.
13
tant aujourd'hui . S'il étoit auffi facile
d'acquerir les talens que de fe revêtir d'une
nouvelle parure , les arts changeroient
comme les modes ; le nombre des connoiffeurs
fe multiplieroit avec rapidité ; &
comme pour un bon connoiffeur il y en a
cent de mauvais , le goût feroit immolé ,
plutôt qu'il ne l'eft , à la pluralité des fuffrages
: car il ne faut pas croire ce qui fe
dit vulgairement , que les changemens du
goût font le fruit de l'inconftance ; nous
devons dire au contraire , que l'inconf
tance eft l'afyle du goût . La délicateſſe &
la fenfibilité qui le caractériſent , le rendent
incompatible avec cette foule tranchante
d'afpirans préfomptueux dont il eft affiégé :
il fuit , il fe déguife , il invente ; mais
toujours également pourfuivi , il eft contraint
de céder à la force , il difparoît.
La face de la terre fe couvre de ténébres.
A des fiécles éclairés fuccédent des
tems de barbarie , où les hommes connoiffent
à peine les loix de l'humanité. L'hiftoire
nous a laiffé deux époques d'un pareil
defordre qu'il feroit à fouhaiter que
la postérité n'eût pas à nous accufer d'avoir
commencé la troifiéme ! Pour éviter
cette accufation , nous ne fçaurions trop
nous attacher à connoître les véritables
talens , & à n'honorer & à ne récompen14
MERCURE DE FRANCE.
fer que ceux -là . Bien des perfonnes qui
vivent dans le découragement , feront valoir
des talens qu'ils facrifient à l'incerti
tude des récompenfes : nous mettrons un
frein au mauvais goût , ceux qui n'auront
point de talent pour un genre en embrafferont
quelque autre qui leur fera profitable,
&
peu à pen
, chacun
rentrant
dans
fa
fphere & confultant fon génie , travaillera
pour fa patrie en travaillant pour lui-même.
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Résumé : REFLEXIONS SUR LE GOUT.
Le texte 'Réflexions sur le goût' met en lumière une décadence du goût et de la science au début du XVIIIe siècle. La science, bien que devenue accessible, est souvent superficielle et réduite à des ouvrages portatifs. Voltaire, par exemple, écrit des livres qui restent inconnus ou ignorés. La publication de nouveaux ouvrages est en déclin, et les arts utiles se maintiennent grâce à la routine des anciens ouvriers. Le commerce et les manufactures souffrent d'un manque de vigueur et d'amour pour les arts. Le luxe est critiqué pour son impact négatif sur les arts et le commerce. L'excès de luxe ne nuit pas tant par la dépense excessive que par le mépris des arts et le manque de travail. Le texte note également une confusion entre les différents états sociaux et une dévaluation des vrais talents artistiques. Le goût pour les arts est superficiel, et les véritables connaisseurs sont rares. Le texte se conclut par un appel à reconnaître et récompenser les vrais talents pour éviter une nouvelle ère de barbarie.
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1096
p. 27-30
ODE SUR LA MORT DE M. DE MONTESQUIEU.
Début :
Aux destins d'ici bas si ton coeur s'intéresse, [...]
Mots clefs :
Mort de Montesquieu, Montesquieu, Mort
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ODE SUR LA MORT DE M. DE MONTESQUIEU.
ODE
SUR LA MORT
DE M. DE MONTESQUIEU,
Aux deftins d'ici bas fiton coeur s'intéreffe ,
Ux
S'il eft encor fenfible à d'illuftres malheurs :
Rouffeau , du haut des cieux viens fervir ma trif
teffe ,
Et feconder mes pleurs.
Ce n'eft point un guerrier mort au ſein du carnage
,
Ce n'eft point un grand Roi fous fon trône abbattu
: Bij
•
28 MERCURE DE FRANCE,
Le héros que je pleure eft un citoyen fage
Mort avec fa vertu .
Montefquieu n'eft plus. D'une trop belle vie ,
Votre main , Dieux jaloux , a terminé le cours ;
Immortel comme vous , fi l'éclat du génie
Eternifoit les jours.
En vain dans les fentiers d'un ténébreux Dédale ,
De la raifon fragile il dirigea les pas ;
Son efprit lumineux , de la loi générale
Ne le garantit pas.
C'eft lui , qui du flambeau de la vérité pure ,
Eclairant fûrement nos efprits & nos coeurs
Sçut apprécier l'homme , & charger la nature
De les propres erreurs .
Philofophe fans fafte , à l'humaine foiblefle
Son front n'oppofa point un ftoïque mépris ,
Et nouvel Ariſtipe , il trouva la ſageſfe
Dans les jeux & les ris .
Mais , quel art ingénu ! quel heureux badinage !
Quand du pinceau d'Afie empruntant les couleurs
,
Il fe plaît à tracer d'une main libre & ſage ,
Le tableau de nos moeurs ?
Tantôt , charmant Rica , fur nos erreurs légeres
Il verfe en fejouant un fel ingénieux ;
11
AVRIL. 29 1755 .
Tantôt , fublime Ufbek , il perce les mysteres
De la terre & des cieux.
Au pied du Capitole a- t -il pris la naiſſance ›
Ce juge fouverain , qui du peuple de Mars
Interroge la cendre , & met dans la balance
La gloire des Céfars.
L'immenfe antiquité n'a point de traits célébres
Qui ne femblent renaître en fes doctes difcours ;
Son efprit créateur fait fortir des ténébres.
• L'éclat des plus beaux jours.
Ami de l'univers , ce fagê politique
Fut toujours l'orateur de la fociété ,
Et bláma fortement toute loi tyrannique
Contre l'humanité .
Sa main marqua les' noeuds d'une chaîne durable ,
Entre le fier monarque & le peuple jaloux ,
Et plaça dans nos coeurs le lien refpectable
Qui nous enchaîne tous.
Tel que l'oifeau facré , miniftre du tonnerre
Parcourt en fon effor cent climats différens :
Tel dans fon vol hardi , cet aigle de la terre
Embraffe tous les tems.
Maintenant , trifte objet des larmes de la France ,
S'il eſt encor des rangs dans l'éternel repos ;
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Daignes nous dire au moins quelle eft la récompenfe
De tes rares travaux .
Sous des berceaux jonchés de myrtes & de roſes
,
Vas-tu joindre tes pas
à ceux d'Anacréon ?
Et traitant librement du principe des chofes ,
Entretenir Platon ?
Au feul bruit de ton nom , l'école du Portique ,
Au-devant de tes pas s'empreffe avec reſpect ;
L'Elifée applaudit , & le héros d'Utique
Se taît à ton afpect.
Déja pour mériter l'honneur de ton fuffrage
Lycurgue a de fon front banni l'auſtérité :
E préfente à tes yeux, fous un pur affemblage ,
L'homme & l'humanité.
SUR LA MORT
DE M. DE MONTESQUIEU,
Aux deftins d'ici bas fiton coeur s'intéreffe ,
Ux
S'il eft encor fenfible à d'illuftres malheurs :
Rouffeau , du haut des cieux viens fervir ma trif
teffe ,
Et feconder mes pleurs.
Ce n'eft point un guerrier mort au ſein du carnage
,
Ce n'eft point un grand Roi fous fon trône abbattu
: Bij
•
28 MERCURE DE FRANCE,
Le héros que je pleure eft un citoyen fage
Mort avec fa vertu .
Montefquieu n'eft plus. D'une trop belle vie ,
Votre main , Dieux jaloux , a terminé le cours ;
Immortel comme vous , fi l'éclat du génie
Eternifoit les jours.
En vain dans les fentiers d'un ténébreux Dédale ,
De la raifon fragile il dirigea les pas ;
Son efprit lumineux , de la loi générale
Ne le garantit pas.
C'eft lui , qui du flambeau de la vérité pure ,
Eclairant fûrement nos efprits & nos coeurs
Sçut apprécier l'homme , & charger la nature
De les propres erreurs .
Philofophe fans fafte , à l'humaine foiblefle
Son front n'oppofa point un ftoïque mépris ,
Et nouvel Ariſtipe , il trouva la ſageſfe
Dans les jeux & les ris .
Mais , quel art ingénu ! quel heureux badinage !
Quand du pinceau d'Afie empruntant les couleurs
,
Il fe plaît à tracer d'une main libre & ſage ,
Le tableau de nos moeurs ?
Tantôt , charmant Rica , fur nos erreurs légeres
Il verfe en fejouant un fel ingénieux ;
11
AVRIL. 29 1755 .
Tantôt , fublime Ufbek , il perce les mysteres
De la terre & des cieux.
Au pied du Capitole a- t -il pris la naiſſance ›
Ce juge fouverain , qui du peuple de Mars
Interroge la cendre , & met dans la balance
La gloire des Céfars.
L'immenfe antiquité n'a point de traits célébres
Qui ne femblent renaître en fes doctes difcours ;
Son efprit créateur fait fortir des ténébres.
• L'éclat des plus beaux jours.
Ami de l'univers , ce fagê politique
Fut toujours l'orateur de la fociété ,
Et bláma fortement toute loi tyrannique
Contre l'humanité .
Sa main marqua les' noeuds d'une chaîne durable ,
Entre le fier monarque & le peuple jaloux ,
Et plaça dans nos coeurs le lien refpectable
Qui nous enchaîne tous.
Tel que l'oifeau facré , miniftre du tonnerre
Parcourt en fon effor cent climats différens :
Tel dans fon vol hardi , cet aigle de la terre
Embraffe tous les tems.
Maintenant , trifte objet des larmes de la France ,
S'il eſt encor des rangs dans l'éternel repos ;
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Daignes nous dire au moins quelle eft la récompenfe
De tes rares travaux .
Sous des berceaux jonchés de myrtes & de roſes
,
Vas-tu joindre tes pas
à ceux d'Anacréon ?
Et traitant librement du principe des chofes ,
Entretenir Platon ?
Au feul bruit de ton nom , l'école du Portique ,
Au-devant de tes pas s'empreffe avec reſpect ;
L'Elifée applaudit , & le héros d'Utique
Se taît à ton afpect.
Déja pour mériter l'honneur de ton fuffrage
Lycurgue a de fon front banni l'auſtérité :
E préfente à tes yeux, fous un pur affemblage ,
L'homme & l'humanité.
Fermer
Résumé : ODE SUR LA MORT DE M. DE MONTESQUIEU.
L'ode rend hommage à Montesquieu, récemment décédé. L'auteur exprime sa tristesse et appelle Rousseau à partager sa douleur. Montesquieu, décrit comme un sage citoyen, est mort avec ses vertus. Les dieux ont mis fin à sa vie trop belle et brillante. Malgré son génie, il n'a pas échappé à la mort. Il a éclairé les esprits et les cœurs avec la vérité, appréciant l'homme et révélant les erreurs de la nature. Philosophe sans faste, il a trouvé la sagesse dans les jeux et les rires. Son œuvre, comme les 'Lettres persanes' et 'L'Esprit des lois', a exploré les mœurs humaines et les mystères de l'univers. Montesquieu a été un juge souverain, un politique sage, et un ami de l'univers, blâmant les lois tyranniques. Il a lié le monarque et le peuple par un lien respectueux. Son esprit créateur a illuminé l'antiquité et embrassé tous les temps. L'auteur se demande quelle est la récompense des travaux de Montesquieu dans l'au-delà, imaginant qu'il pourrait se joindre à Anacréon ou entretenir Platon. Les philosophes grecs, comme Lycurgue et le stoïcien de Utique, respectent Montesquieu et présentent l'homme et l'humanité sous leur meilleur jour.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
1097
p. 31-44
FRAGMENT D'un Ouvrage de M. de Marivaux, qui a pour titre : Réflexions sur l'esprit humain, à l'occasion de Corneille & de Racine.
Début :
Il y a deux sortes de grands hommes à qui l'humanité doit ses connoissances & [...]
Mots clefs :
Corneille, Racine, Science, Sciences, Esprit, Esprit humain, Beaux esprits, Génie, Savoir, Société, Vérité, Hommes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : FRAGMENT D'un Ouvrage de M. de Marivaux, qui a pour titre : Réflexions sur l'esprit humain, à l'occasion de Corneille & de Racine.
FRAGMENT
D'un Ouvrage de M. de Marivaux ,
qui a pour titre : Réflexions fur
l'efprit humain , à l'occafion de
Corneille & de Racine.
L
Il y
a deux fortes de grands hommes à
qui l'humanité doit fes connoiffances &
fes moeurs , & fans qui le paffage de tant
de conquérans auroit condamné la terre
à refter ignorante & féroce : deux fortes
de grands hommes , qu'on peut appeller les
bienfaicteurs du monde , & les répara
teurs de fes vraies pertes.
J'entends par les uns , ces hommes immortels
qui ont pénétré dans la connoiffance
de la vérité , & dont les erreurs mê
me ont fouvent conduit à la lumiere. Ces
Philofophes , tant ceux de l'antiquité dont
les noms font affez connus , que ceux de
notre âge , tels que Defcartes , Newton ,
Mallebranche , Locke , &c .
J'entends par les autres , ces grands génies
qu'on appelle quelquefois beaux efprits
; ces critiques férieux ou badins de
ce que nous fommes ; ces peintres fubli-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
-
mes des grandeurs & des miferes de l'ame
humaine , & qui même en nous inftruifant
dans leurs ouvrages , nous perfuadent à
force de plaifir , qu'ils n'ont pour objet
que de nous plaire , & de charmer notre
loifir ; & je mets Corneille & Racine parmi
ce qu'il y a de plus refpectable dans
l'ordre de ceux- ci , fans parler de ceux de
nos jours , qu'il n'eft pas tems de nommer
en public , que la postérité dédommagera
du filence qu'il faut qu'on obſerve
aujourd'hui fur eux , & dont l'envie contemporaine
qui les loue à fa maniere , les
dédommage dès à préfent en s'irritant contre
eux.
Communément dans le monde , ce n'eſt
qu'avec une extrême admiration qu'on
parle de ceux que je nomme Philofophes ;
on va jufqu'à la vénération pour eux , &
c'eſt un hommage qui leur eft dû .
On ne va pas fi loin pour ces génies
entre lefquels j'ai compté Corneille &
Racine ; on leur donne cependant de trèsgrands
éloges : on a même auffi de l'admiration
pour eux , mais une admiration
bien moins férieuſe , bien plus familiere
qui les honore beaucoup moins que celle
dont on eft pénétré pour les Philofophes.
Et ce n'eft pas là leur rendre juftice ;
s'il n'y avoit que la raifon qui fe mêlât de
AVRIL. 1755 33
nos jugemens , elle defavoueroit cette inégalité
de ppaarrttaaggee qquuee les Philofophes même
, tout Philofophes qu'ils font , ne rejettent
pas , qu'il leur fiéroit pourtant
de rejetter , & qu'on ne peut attribuer
qu'à l'ignorance du commun des hommes.
Ces hommes , en général , ne cultivent
pas les fciences , ils n'en connoiffent que
le nom qui leur en impofe , & leur imagination
, refpectueufement étonnée des
grandes matieres qu'elles traitent , acheve
de leur tendre ces matieres encore plus
inacceffibles .
De là vient qu'ils regardent les Philofophes
comme des intelligences qui ont
approfondi des myfteres , & à qui feuls
il appartient de nous donner le merveil
leux fpectacle des forces & de la dignité
de l'efprit humain .
A l'égard des autres grands génies ,
pourquoi les met - on dans un ordre inférieur
pourquoi n'a- t-on pas la même
idée de la capacité dont ils ont befoin ?
'C'eft que leurs ouvrages ne font une
énigme pour perfonne ; c'eft que le fujet
fur lequel ils travaillent
, a le défaut d'être
à la portée de tous les hommes.
Il ne s'y agit que de nous , c'est -à - dire
de l'ame humaine que nous connoiffons
Bv .
34
MERCURE
DE FRANCE
.
tant par le moyen de la nôtre , qui nous
explique celle des autres .
Toutes les ames , depuis la plus foible
jufqu'à la plus forte , depuis la plus vile
jufqu'à la plus noble ; toutes les ames ont
une reffemblance générale : il y a de tout
dans chacune d'elles , nous avons tous des
commencemens de ce qui nous manque ,
par où nous fommes plus ou moins en
état de fentir & d'entendre les différences
qui nous diftinguent .
Et c'est là ce qui nous procurant quelques
lumieres communes avec les génies
dont je parle , nous mene à penfer que
leur fcience n'eft pas un grand myftere ,
& n'eft dans le fond que la fcience de
tout le monde.
Il eft vrai qu'on n'a pas comme eux l'heureux
talent d'écrire ce qu'on fçait ; mais à
ce talent près , qui n'eft qu'une maniere
d'avoir de l'efprit , rien n'empêche qu'on
n'en fçache autant qu'eux ; & on voit combien
ils perdent à cette opinion- là .
Auffi tout lecteur ou tout fpectateur ,
avant qu'il les admire , commence- t- il par
être leur juge , & prefque toujours leur
critique ; & de pareilles fonctions ne difpofent
pas l'admirateur à bien fentir la
fupériorité qu'ils ont fur lui ; il a fait trop
de comparaiſon avec eux pour être fort
A V RIL. 1755. 35
étonné de ce qu'ils valent. Et d'ailleurs
de quoi les loue- t- il ? ce n'eſt pas de l'inftruction
qu'il en tire , elle paffe en lui fans
qu'il s'en apperçoive ; c'eft de l'extrême
plaifir qu'ils lui font , & il eft fûr que
ce plaifir là leur nuit encore , ils en paroiffent
moins importans ; il n'y a point
affez de dignité à plaire : c'eft bien le
mérite le plus aimable , mais en général ,
ce n'eft pas le plus honoré.
On voit même des gens qui tiennent
au- deffons d'eux de s'occuper d'un ouvrage
d'efprit qui plaît ; c'eft à cette marque
là qu'ils le dédaignent comme frivole ,
& nos grands hommes pourroient bien devoir
à tout ce que je viens de dire , le titre
familier , & fouvent moqueur , de beaux
efprits , qu'on leur donne pendant qu'ils
vivent , qui , à la vérité , s'annoblit beaucoup
quand ils ne font plus , & qui d'ordinaire
fe convertit en celui de grands
génies , qu'on ne leur difpute pas alors.
Non qu'ils ayent enrichi le monde d'aucune
découverte , ce n'eft pas là ce qu'on
entend les belles chofes qu'ils nous difent
ne nous frappent pas même comme
nouvelles ; on croit toujours les reconnoître
, on les avoit déja entrevues , mais
jufqu'à eux on en étoit refté là , & jamais
on ne les avoit vûes d'affez près , ni affez
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
fixément pour pouvoir les dire ; eux feuls
ont fçu les faifir & les exprimer avec ane
vérité qui nous pénétre , & les ont rendues
conformément aux expériences les plus
intimes de notre ame : ce qui fait un accident
bien neuf & bien original . Voilà
ce qu'on leur attribue .
Ainfi ils ne font fublimes que d'après
nous qui le fommes foncierement autant
qu'eux , & c'eft dans leur fublimité que
nous nous imaginons contempler la nôtre.
Ainfi ils ne nous apprennent rien de nous
qui nous foit inconnu ; mais le portrait le
plus frappant qu'on nous ait donné de ce
que nous fommes , celui où nous voyons le
mieux combien nous fommes grands dans
nos vertus , terribles dans nos paſſions ,
celui où nous avons l'honneur de démêler
nos foibleſſes avec la fagacité la plus fine ,
& par conféquent la plus confolante ; celui
où nous nous fentons le plus fuperbement
étonnés de l'audace , & du courage
, de la fierté , de la fageffe , j'ofe
dire auffi de la redoutable iniquité dont
nous fommes capables ( car cette iniquité ,
même en nous faifant frémir , nous entretient
encore de nos forces ) ; enfin le portrait
qui nous peint le mieux l'importance
& la fingularité de cet être qu'on appelle
homme , & qui eft chacun de nous , c'eſt
AVRIL.' 1755 .
37
deux à qui nous le devons.
Ce font eux , à notre avis , qui nous
avertiffent de tout l'efprit qui eft en nous ,
qui y repofoit à notre infçu , & qui eft
une fecrette acquifition de lumiere & de
fentiment que nous croyons avoir faite ,
& dont nous ne jouiffons qu'avec eux ;
voilà ce que nous en penfons.
De forte que ce n'eft pas précisément
leur efprit qui nous furprend, c'eft l'induftrie
qu'ils ont de nous rappeller le nôtre
; voilà en quoi ils nous charment.
C'est-à-dire que nous les chériffons
parce qu'ils nous vantent , ou que nous
les admirons parce qu'ils nous valent ; au
lieu que nous refpectons les Philofophes
parce qu'ils nous humilient.
Et je n'attaque point ce refpect là , qui
n'eſt d'ailleurs fi humiliant qu'il le pa
pas.
roît.
Ce n'eft pas précisément devant les
Philofophes que nous nous humilions , ilne
faut pas qu'ils l'entendent ainfi ; c'eft
à l'efprit humain , dont chacun de nous a
fa portion , que nous entendons rendre
hommage.
Nous reffemblons à ces cadets qui ;
quoique réduits à une légitime , s'enorgueilliffent
pourtant dans leurs aînés de la
grandeur & des richeffes de leur maison.
38 MERCURE DE FRANCE.
Mais les autres grands génies font- ils
moins dans ce fens nos aînés que les Philofophes
& pour quitter toute comparaifon
, font- ils en effet partagés d'une capacité
de moindre valeur , ou d'une efpéce
inférieure ?
Nous le croyons , j'ai déja dit en paffant
ce qui nous mène à le croire ; ne ferionsnous
pas dans l'erreur ? il y a des choſes
qui ont un air de vérité , mais qui n'en
ont que l'air , & il fe pourroit bien que
nous fiffions injure au don d'efprit peutêtre
le plus rare , au genre de penfée qui
caractériſe le plus un être intelligent.
Je doute du moins que le vrai Philofophe
, & je ne parle pas du pur Géometre
ou du fimple Mathématicien , mais de
l'homme qui penfe , de l'homme capable
de mefurer la fublimité de ces deux différens
ordres d'efprit ; je doute que cet homme
fût de notre fentiment .
Au défaut des réflexions qu'il feroit
là - deffus , tenons- nous en à celles que le
plus fimple bon fens
dicter , & que je
vais rapporter , après avoir encore une fois
établi bien exactement la.queftion.
peut
Une ſcience , je dis celle de nos grands
génies , où nous fommes tous , difonsnous
, plus ou moins initiés , qui n'eft une
énigme pour perfonne , pas même dans fes
A V RI- L. ∙1755 .
39
>
profondeurs qu'on ne nous apprend point ,
qu'on ne fait que nous rappeller comme
fublimes , quand on nous les préfente , &
jamais comme inconnues ; une fcience , au
moyen de laquelle on peut bien nous charmer
mais non pas nous inftruire ; une
fcience qu'on apprend fans qu'on y penſe ,
fans qu'on fçache qu'on l'étudie , ne le cede-
t- elle pas à des fciences fi difficiles , que
le commun des hommes eft réduit à n'en
connoître que le nom , qui donnent à ceux
qui les fçavent , des connoiffances d'une
utilité admirable ; à des fciences apparemment
plus étrangeres à l'efprit humain en
général , puifqu'il faut expreffément & péniblement
les apprendre pour les fçavoir ,
& que peu de gens , après une étude même
affidue , y font du progrès ?
Voilà des objections qui paroiffent fortes
, & c'eſt leur force apparente qui fait
qu'on s'y repofe , & qu'on s'y fie.
Tâchons d'en démêler la valeur.
Le vrai Philofophe dont je parlois toutà-
l'heure , ne voudroit pas qu'on s'y trompât
même en fa faveur : une impoſture de
notre imagination , fi ce que nous penfons
en eft une , n'eft pas digne de lui,
A l'égard de ces hommes qui nous abandonneroient
volontiers à notre illufion làdeffus
, pour profiter de l'injufte & faux
40 MERCURE DE FRANCE.
honneur qu'elle leur feroit , ils ne méri
tent pas qu'on les ménage examinons
donc.
La fcience du coeur humain , qui eft
celle des grands génies , appellés d'abord
beaux efprits , n'eft , dit -on , une énigme
pour perfonne ; tout le monde l'entend
& qui plus eft , on l'apprend fans qu'on y
penſe d'accord. :
Mais de ce qu'il nous eft plus aifé de
l'apprendre que les autres fciences , en
doit-on conclure qu'elle eft par elle-même
moins difficile ou moins profonde que ces
autres fciences ? non , & c'eft ici où eft le
fophifme.
Car cette facilité que nous trouvons
a
l'apprendre
plus ou moins , & qui nous
diffimule fa profondeur
, ne vient point de
fa nature , mais bien de la nature de la
fociété que nous avons enfemble
.
Ce n'eft pas que cette fcience foit effectivement
plus aifée que les autres , c'eſt la
maniere dont nous l'apprenons , qui nous
la fait paroître telle , comme nous le verrons
dans un moment .
D'un autre côté , il faut étudier trèsexpreffément
& très- péniblement les autres
fciences , pour les fçavoir ; d'accord auffi .
Mais ce n'eft pas non plus qu'à force de
profondeur elles ayent par elles-mêmes le
AVRIL. 1755. 41
·
privilege particulier , & comme excluff ,
d'être plus difficiles que la fcience de nos
grands génies . C'eft encore la nature de
notre fociété qui produit cette difficulté
accidentelle , & le travail folitaire & affidu
qu'elles exigent ; on pourroit les acquerir
à moins de frais.
En un mot , c'eſt cette fociété qui nous
oblige à de très-grands efforts pour les fçavoir
, & qui ne nous ouvre point d'autre
voie.
C'eft auffi cette fociété qui nous difpen
fe de ces mêmes efforts pour fçavoir l'autre,
& je vais m'expliquer.
Figurons- nous une fcience d'une pratique
fi urgente , qu'il faut abfolument que
tout homme , quel qu'il foit , la fçache
plus ou moins & de très- bonne heure , fous
peine de ne pouvoir être admis à ce concours
d'intérêts , de relations , & de befoins
réciproques qui nous uniffent les uns & les
autres.
Mais en même tems figurons - nous une
fcience que par bonheur tous les hommes
apprennent inévitablement entr'eux.
Telle eft la fcience du coeur humain ,
celle des grands hommes dont il eft queftion
.
D'une part , la néceffité abfolue de la
fçavoir ; de l'autre , la continuité inévita42
MERCURE DE FRANCE.
ble des leçons qu'on en reçoit de toutes
parts , font qu'elle ne fçauroit refter une
énigme pour perſonne.
Comment , en effet , feroit - il poffible
qu'on ne la fçût pas plus ou moins.
Ce n'eft pas dans les livres qu'on l'apprend
, c'eft elle au contraire qui nous
explique les livres , & qui nous met en
état d'en profiter ; il faut d'avance la fçavoir
un peu pour les entendre .
pour vous en
Elle n'a pas non plus fes profeffeurs à
part , à peine fuffiroient - ils
donner la plus légere idée , & rien de ce
que je dis là n'en feroit une connoiffance
inévitable . C'eft la fociété , c'est toute l'humanité
même qui en tient la feule école
qui foit convenable , école toujours ouverte
, où tout homme étudie les autres ,
& en eft étudié à fon tour ; où tout homme
eſt tour à tour écolier & maître.
Cette fcience réfide dans le commerce
que nous avons tous , & fans exception ;
enfemble.
Nous en commençons l'infenfible & continuelle
étude prefqu'en voyant le jour.
t
Nous vivons avec les fujets de la fcience
, avec les hommes qui ne traitent que
d'elle , avec leurs paffions , qui l'enfeignent
aux nôtres , & qui même en nous
trompant nous l'enfeignent encore ; car c'eſt
AVRIL. 1755. 43
une inftruction de plus que d'y avoir été
trompé il n'y a rien à cet égard là de
perdu avec les hommes.
Voilà donc tout citoyen du monde , né
avec le fens commun , le plus fimple & le
plus médiocre ; le voilà prefque dans l'impoffibilité
d'ignorer totalement la fcience
dont il eft queſtion , puifqu'il en reçoit
des leçons continuelles , puifqu'elles le
pourfuivent , & qu'il ne peut les fuir.
Ce n'eft pas là tout , c'eft qu'à l'impoffibilité
comme infurmontable de ne pas
s'inftruire plus ou moins de cette fcience
qui n'eft que la connoiffance des hommes ,
fe joint pour lui une autre caufe d'inftruc
tion
que je crois encore plus fure , & c'eſt
une néceffité abfolue d'être attentif aux leçons
qu'on lui en donne .
Car où pourroit être fa place ? & que
deviendroit-il dans cette humanité affemblée
, s'il n'y pouvoit ni conquérir ni correfpondre
à rien de ce qui s'y paffe , s'il
n'entendoit rien aux moeurs de l'ame humaine
, ni à tant d'intérêts férieux ou frivoles
, généraux ou particuliers qui , tour
à tour , nous uniffent ou nous divifent ?
Que deviendroit- il fi faute de ces notions
de fentiment que nous prenons entre
nous & qui nous dirigent , fi dans l'ignorance
de ce qui nuit ou de ce qui fert
44 MERCURE DE FRANCE.
dans le monde , & fi par conféquent ex
pofé par là à n'agir prefque jamais qu'à
contre- fens , il alloit miferablement heurtant
tous les efprits , comme un aveugle
va heurtant tous les corps.
Il faut donc néceffairement qu'il con
noiffe les hommes , il ne fçauroit fe foute
tenir parmi eux qu'à cette condition là.
Il y va de tour pour lui d'être à certain
point au fait de ce qu'ils font pour ſçavoir
y accommoder ce qu'il eft , pour ju→
ger d'eux , finon finement , du moins au
dégré fuffifant de jufteffe qui convient à
fon état , & à la forte de liaifon ordinaire
ou fortuite qu'il a avec eux.
•
Ily ya toujours de fa fortune , toujours
de fon repos , fouvent de fon honneur
quelquefois de ſa vie ; quelquefois du re-
'pos , de l'honneur , de la fortune & de la
vie des autres.
D'un Ouvrage de M. de Marivaux ,
qui a pour titre : Réflexions fur
l'efprit humain , à l'occafion de
Corneille & de Racine.
L
Il y
a deux fortes de grands hommes à
qui l'humanité doit fes connoiffances &
fes moeurs , & fans qui le paffage de tant
de conquérans auroit condamné la terre
à refter ignorante & féroce : deux fortes
de grands hommes , qu'on peut appeller les
bienfaicteurs du monde , & les répara
teurs de fes vraies pertes.
J'entends par les uns , ces hommes immortels
qui ont pénétré dans la connoiffance
de la vérité , & dont les erreurs mê
me ont fouvent conduit à la lumiere. Ces
Philofophes , tant ceux de l'antiquité dont
les noms font affez connus , que ceux de
notre âge , tels que Defcartes , Newton ,
Mallebranche , Locke , &c .
J'entends par les autres , ces grands génies
qu'on appelle quelquefois beaux efprits
; ces critiques férieux ou badins de
ce que nous fommes ; ces peintres fubli-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
-
mes des grandeurs & des miferes de l'ame
humaine , & qui même en nous inftruifant
dans leurs ouvrages , nous perfuadent à
force de plaifir , qu'ils n'ont pour objet
que de nous plaire , & de charmer notre
loifir ; & je mets Corneille & Racine parmi
ce qu'il y a de plus refpectable dans
l'ordre de ceux- ci , fans parler de ceux de
nos jours , qu'il n'eft pas tems de nommer
en public , que la postérité dédommagera
du filence qu'il faut qu'on obſerve
aujourd'hui fur eux , & dont l'envie contemporaine
qui les loue à fa maniere , les
dédommage dès à préfent en s'irritant contre
eux.
Communément dans le monde , ce n'eſt
qu'avec une extrême admiration qu'on
parle de ceux que je nomme Philofophes ;
on va jufqu'à la vénération pour eux , &
c'eſt un hommage qui leur eft dû .
On ne va pas fi loin pour ces génies
entre lefquels j'ai compté Corneille &
Racine ; on leur donne cependant de trèsgrands
éloges : on a même auffi de l'admiration
pour eux , mais une admiration
bien moins férieuſe , bien plus familiere
qui les honore beaucoup moins que celle
dont on eft pénétré pour les Philofophes.
Et ce n'eft pas là leur rendre juftice ;
s'il n'y avoit que la raifon qui fe mêlât de
AVRIL. 1755 33
nos jugemens , elle defavoueroit cette inégalité
de ppaarrttaaggee qquuee les Philofophes même
, tout Philofophes qu'ils font , ne rejettent
pas , qu'il leur fiéroit pourtant
de rejetter , & qu'on ne peut attribuer
qu'à l'ignorance du commun des hommes.
Ces hommes , en général , ne cultivent
pas les fciences , ils n'en connoiffent que
le nom qui leur en impofe , & leur imagination
, refpectueufement étonnée des
grandes matieres qu'elles traitent , acheve
de leur tendre ces matieres encore plus
inacceffibles .
De là vient qu'ils regardent les Philofophes
comme des intelligences qui ont
approfondi des myfteres , & à qui feuls
il appartient de nous donner le merveil
leux fpectacle des forces & de la dignité
de l'efprit humain .
A l'égard des autres grands génies ,
pourquoi les met - on dans un ordre inférieur
pourquoi n'a- t-on pas la même
idée de la capacité dont ils ont befoin ?
'C'eft que leurs ouvrages ne font une
énigme pour perfonne ; c'eft que le fujet
fur lequel ils travaillent
, a le défaut d'être
à la portée de tous les hommes.
Il ne s'y agit que de nous , c'est -à - dire
de l'ame humaine que nous connoiffons
Bv .
34
MERCURE
DE FRANCE
.
tant par le moyen de la nôtre , qui nous
explique celle des autres .
Toutes les ames , depuis la plus foible
jufqu'à la plus forte , depuis la plus vile
jufqu'à la plus noble ; toutes les ames ont
une reffemblance générale : il y a de tout
dans chacune d'elles , nous avons tous des
commencemens de ce qui nous manque ,
par où nous fommes plus ou moins en
état de fentir & d'entendre les différences
qui nous diftinguent .
Et c'est là ce qui nous procurant quelques
lumieres communes avec les génies
dont je parle , nous mene à penfer que
leur fcience n'eft pas un grand myftere ,
& n'eft dans le fond que la fcience de
tout le monde.
Il eft vrai qu'on n'a pas comme eux l'heureux
talent d'écrire ce qu'on fçait ; mais à
ce talent près , qui n'eft qu'une maniere
d'avoir de l'efprit , rien n'empêche qu'on
n'en fçache autant qu'eux ; & on voit combien
ils perdent à cette opinion- là .
Auffi tout lecteur ou tout fpectateur ,
avant qu'il les admire , commence- t- il par
être leur juge , & prefque toujours leur
critique ; & de pareilles fonctions ne difpofent
pas l'admirateur à bien fentir la
fupériorité qu'ils ont fur lui ; il a fait trop
de comparaiſon avec eux pour être fort
A V RIL. 1755. 35
étonné de ce qu'ils valent. Et d'ailleurs
de quoi les loue- t- il ? ce n'eſt pas de l'inftruction
qu'il en tire , elle paffe en lui fans
qu'il s'en apperçoive ; c'eft de l'extrême
plaifir qu'ils lui font , & il eft fûr que
ce plaifir là leur nuit encore , ils en paroiffent
moins importans ; il n'y a point
affez de dignité à plaire : c'eft bien le
mérite le plus aimable , mais en général ,
ce n'eft pas le plus honoré.
On voit même des gens qui tiennent
au- deffons d'eux de s'occuper d'un ouvrage
d'efprit qui plaît ; c'eft à cette marque
là qu'ils le dédaignent comme frivole ,
& nos grands hommes pourroient bien devoir
à tout ce que je viens de dire , le titre
familier , & fouvent moqueur , de beaux
efprits , qu'on leur donne pendant qu'ils
vivent , qui , à la vérité , s'annoblit beaucoup
quand ils ne font plus , & qui d'ordinaire
fe convertit en celui de grands
génies , qu'on ne leur difpute pas alors.
Non qu'ils ayent enrichi le monde d'aucune
découverte , ce n'eft pas là ce qu'on
entend les belles chofes qu'ils nous difent
ne nous frappent pas même comme
nouvelles ; on croit toujours les reconnoître
, on les avoit déja entrevues , mais
jufqu'à eux on en étoit refté là , & jamais
on ne les avoit vûes d'affez près , ni affez
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
fixément pour pouvoir les dire ; eux feuls
ont fçu les faifir & les exprimer avec ane
vérité qui nous pénétre , & les ont rendues
conformément aux expériences les plus
intimes de notre ame : ce qui fait un accident
bien neuf & bien original . Voilà
ce qu'on leur attribue .
Ainfi ils ne font fublimes que d'après
nous qui le fommes foncierement autant
qu'eux , & c'eft dans leur fublimité que
nous nous imaginons contempler la nôtre.
Ainfi ils ne nous apprennent rien de nous
qui nous foit inconnu ; mais le portrait le
plus frappant qu'on nous ait donné de ce
que nous fommes , celui où nous voyons le
mieux combien nous fommes grands dans
nos vertus , terribles dans nos paſſions ,
celui où nous avons l'honneur de démêler
nos foibleſſes avec la fagacité la plus fine ,
& par conféquent la plus confolante ; celui
où nous nous fentons le plus fuperbement
étonnés de l'audace , & du courage
, de la fierté , de la fageffe , j'ofe
dire auffi de la redoutable iniquité dont
nous fommes capables ( car cette iniquité ,
même en nous faifant frémir , nous entretient
encore de nos forces ) ; enfin le portrait
qui nous peint le mieux l'importance
& la fingularité de cet être qu'on appelle
homme , & qui eft chacun de nous , c'eſt
AVRIL.' 1755 .
37
deux à qui nous le devons.
Ce font eux , à notre avis , qui nous
avertiffent de tout l'efprit qui eft en nous ,
qui y repofoit à notre infçu , & qui eft
une fecrette acquifition de lumiere & de
fentiment que nous croyons avoir faite ,
& dont nous ne jouiffons qu'avec eux ;
voilà ce que nous en penfons.
De forte que ce n'eft pas précisément
leur efprit qui nous furprend, c'eft l'induftrie
qu'ils ont de nous rappeller le nôtre
; voilà en quoi ils nous charment.
C'est-à-dire que nous les chériffons
parce qu'ils nous vantent , ou que nous
les admirons parce qu'ils nous valent ; au
lieu que nous refpectons les Philofophes
parce qu'ils nous humilient.
Et je n'attaque point ce refpect là , qui
n'eſt d'ailleurs fi humiliant qu'il le pa
pas.
roît.
Ce n'eft pas précisément devant les
Philofophes que nous nous humilions , ilne
faut pas qu'ils l'entendent ainfi ; c'eft
à l'efprit humain , dont chacun de nous a
fa portion , que nous entendons rendre
hommage.
Nous reffemblons à ces cadets qui ;
quoique réduits à une légitime , s'enorgueilliffent
pourtant dans leurs aînés de la
grandeur & des richeffes de leur maison.
38 MERCURE DE FRANCE.
Mais les autres grands génies font- ils
moins dans ce fens nos aînés que les Philofophes
& pour quitter toute comparaifon
, font- ils en effet partagés d'une capacité
de moindre valeur , ou d'une efpéce
inférieure ?
Nous le croyons , j'ai déja dit en paffant
ce qui nous mène à le croire ; ne ferionsnous
pas dans l'erreur ? il y a des choſes
qui ont un air de vérité , mais qui n'en
ont que l'air , & il fe pourroit bien que
nous fiffions injure au don d'efprit peutêtre
le plus rare , au genre de penfée qui
caractériſe le plus un être intelligent.
Je doute du moins que le vrai Philofophe
, & je ne parle pas du pur Géometre
ou du fimple Mathématicien , mais de
l'homme qui penfe , de l'homme capable
de mefurer la fublimité de ces deux différens
ordres d'efprit ; je doute que cet homme
fût de notre fentiment .
Au défaut des réflexions qu'il feroit
là - deffus , tenons- nous en à celles que le
plus fimple bon fens
dicter , & que je
vais rapporter , après avoir encore une fois
établi bien exactement la.queftion.
peut
Une ſcience , je dis celle de nos grands
génies , où nous fommes tous , difonsnous
, plus ou moins initiés , qui n'eft une
énigme pour perfonne , pas même dans fes
A V RI- L. ∙1755 .
39
>
profondeurs qu'on ne nous apprend point ,
qu'on ne fait que nous rappeller comme
fublimes , quand on nous les préfente , &
jamais comme inconnues ; une fcience , au
moyen de laquelle on peut bien nous charmer
mais non pas nous inftruire ; une
fcience qu'on apprend fans qu'on y penſe ,
fans qu'on fçache qu'on l'étudie , ne le cede-
t- elle pas à des fciences fi difficiles , que
le commun des hommes eft réduit à n'en
connoître que le nom , qui donnent à ceux
qui les fçavent , des connoiffances d'une
utilité admirable ; à des fciences apparemment
plus étrangeres à l'efprit humain en
général , puifqu'il faut expreffément & péniblement
les apprendre pour les fçavoir ,
& que peu de gens , après une étude même
affidue , y font du progrès ?
Voilà des objections qui paroiffent fortes
, & c'eſt leur force apparente qui fait
qu'on s'y repofe , & qu'on s'y fie.
Tâchons d'en démêler la valeur.
Le vrai Philofophe dont je parlois toutà-
l'heure , ne voudroit pas qu'on s'y trompât
même en fa faveur : une impoſture de
notre imagination , fi ce que nous penfons
en eft une , n'eft pas digne de lui,
A l'égard de ces hommes qui nous abandonneroient
volontiers à notre illufion làdeffus
, pour profiter de l'injufte & faux
40 MERCURE DE FRANCE.
honneur qu'elle leur feroit , ils ne méri
tent pas qu'on les ménage examinons
donc.
La fcience du coeur humain , qui eft
celle des grands génies , appellés d'abord
beaux efprits , n'eft , dit -on , une énigme
pour perfonne ; tout le monde l'entend
& qui plus eft , on l'apprend fans qu'on y
penſe d'accord. :
Mais de ce qu'il nous eft plus aifé de
l'apprendre que les autres fciences , en
doit-on conclure qu'elle eft par elle-même
moins difficile ou moins profonde que ces
autres fciences ? non , & c'eft ici où eft le
fophifme.
Car cette facilité que nous trouvons
a
l'apprendre
plus ou moins , & qui nous
diffimule fa profondeur
, ne vient point de
fa nature , mais bien de la nature de la
fociété que nous avons enfemble
.
Ce n'eft pas que cette fcience foit effectivement
plus aifée que les autres , c'eſt la
maniere dont nous l'apprenons , qui nous
la fait paroître telle , comme nous le verrons
dans un moment .
D'un autre côté , il faut étudier trèsexpreffément
& très- péniblement les autres
fciences , pour les fçavoir ; d'accord auffi .
Mais ce n'eft pas non plus qu'à force de
profondeur elles ayent par elles-mêmes le
AVRIL. 1755. 41
·
privilege particulier , & comme excluff ,
d'être plus difficiles que la fcience de nos
grands génies . C'eft encore la nature de
notre fociété qui produit cette difficulté
accidentelle , & le travail folitaire & affidu
qu'elles exigent ; on pourroit les acquerir
à moins de frais.
En un mot , c'eſt cette fociété qui nous
oblige à de très-grands efforts pour les fçavoir
, & qui ne nous ouvre point d'autre
voie.
C'eft auffi cette fociété qui nous difpen
fe de ces mêmes efforts pour fçavoir l'autre,
& je vais m'expliquer.
Figurons- nous une fcience d'une pratique
fi urgente , qu'il faut abfolument que
tout homme , quel qu'il foit , la fçache
plus ou moins & de très- bonne heure , fous
peine de ne pouvoir être admis à ce concours
d'intérêts , de relations , & de befoins
réciproques qui nous uniffent les uns & les
autres.
Mais en même tems figurons - nous une
fcience que par bonheur tous les hommes
apprennent inévitablement entr'eux.
Telle eft la fcience du coeur humain ,
celle des grands hommes dont il eft queftion
.
D'une part , la néceffité abfolue de la
fçavoir ; de l'autre , la continuité inévita42
MERCURE DE FRANCE.
ble des leçons qu'on en reçoit de toutes
parts , font qu'elle ne fçauroit refter une
énigme pour perſonne.
Comment , en effet , feroit - il poffible
qu'on ne la fçût pas plus ou moins.
Ce n'eft pas dans les livres qu'on l'apprend
, c'eft elle au contraire qui nous
explique les livres , & qui nous met en
état d'en profiter ; il faut d'avance la fçavoir
un peu pour les entendre .
pour vous en
Elle n'a pas non plus fes profeffeurs à
part , à peine fuffiroient - ils
donner la plus légere idée , & rien de ce
que je dis là n'en feroit une connoiffance
inévitable . C'eft la fociété , c'est toute l'humanité
même qui en tient la feule école
qui foit convenable , école toujours ouverte
, où tout homme étudie les autres ,
& en eft étudié à fon tour ; où tout homme
eſt tour à tour écolier & maître.
Cette fcience réfide dans le commerce
que nous avons tous , & fans exception ;
enfemble.
Nous en commençons l'infenfible & continuelle
étude prefqu'en voyant le jour.
t
Nous vivons avec les fujets de la fcience
, avec les hommes qui ne traitent que
d'elle , avec leurs paffions , qui l'enfeignent
aux nôtres , & qui même en nous
trompant nous l'enfeignent encore ; car c'eſt
AVRIL. 1755. 43
une inftruction de plus que d'y avoir été
trompé il n'y a rien à cet égard là de
perdu avec les hommes.
Voilà donc tout citoyen du monde , né
avec le fens commun , le plus fimple & le
plus médiocre ; le voilà prefque dans l'impoffibilité
d'ignorer totalement la fcience
dont il eft queſtion , puifqu'il en reçoit
des leçons continuelles , puifqu'elles le
pourfuivent , & qu'il ne peut les fuir.
Ce n'eft pas là tout , c'eft qu'à l'impoffibilité
comme infurmontable de ne pas
s'inftruire plus ou moins de cette fcience
qui n'eft que la connoiffance des hommes ,
fe joint pour lui une autre caufe d'inftruc
tion
que je crois encore plus fure , & c'eſt
une néceffité abfolue d'être attentif aux leçons
qu'on lui en donne .
Car où pourroit être fa place ? & que
deviendroit-il dans cette humanité affemblée
, s'il n'y pouvoit ni conquérir ni correfpondre
à rien de ce qui s'y paffe , s'il
n'entendoit rien aux moeurs de l'ame humaine
, ni à tant d'intérêts férieux ou frivoles
, généraux ou particuliers qui , tour
à tour , nous uniffent ou nous divifent ?
Que deviendroit- il fi faute de ces notions
de fentiment que nous prenons entre
nous & qui nous dirigent , fi dans l'ignorance
de ce qui nuit ou de ce qui fert
44 MERCURE DE FRANCE.
dans le monde , & fi par conféquent ex
pofé par là à n'agir prefque jamais qu'à
contre- fens , il alloit miferablement heurtant
tous les efprits , comme un aveugle
va heurtant tous les corps.
Il faut donc néceffairement qu'il con
noiffe les hommes , il ne fçauroit fe foute
tenir parmi eux qu'à cette condition là.
Il y va de tour pour lui d'être à certain
point au fait de ce qu'ils font pour ſçavoir
y accommoder ce qu'il eft , pour ju→
ger d'eux , finon finement , du moins au
dégré fuffifant de jufteffe qui convient à
fon état , & à la forte de liaifon ordinaire
ou fortuite qu'il a avec eux.
•
Ily ya toujours de fa fortune , toujours
de fon repos , fouvent de fon honneur
quelquefois de ſa vie ; quelquefois du re-
'pos , de l'honneur , de la fortune & de la
vie des autres.
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Résumé : FRAGMENT D'un Ouvrage de M. de Marivaux, qui a pour titre : Réflexions sur l'esprit humain, à l'occasion de Corneille & de Racine.
Dans son ouvrage 'Réflexions sur l'esprit humain, à l'occasion de Corneille et de Racine', Marivaux distingue deux catégories de grands hommes ayant contribué aux connaissances et aux mœurs humaines : les philosophes et les génies littéraires. Les philosophes, tels que Descartes, Newton, Malebranche et Locke, sont admirés pour leurs contributions intellectuelles et leurs découvertes de la vérité, même si leurs erreurs ont parfois conduit à la lumière. Les génies littéraires, que Marivaux appelle 'beaux esprits', sont des critiques sérieux ou badins de la condition humaine. Ils instruisent et plaisent à travers leurs œuvres, charmant les lecteurs par leur capacité à peindre les grandeurs et les misères de l'âme humaine. Corneille et Racine sont cités comme exemples éminents de cette catégorie. Cependant, le commun des hommes tend à admirer moins les génies littéraires que les philosophes, en raison de l'ignorance des sciences et de l'imagination respectueuse qu'ils inspirent. Les œuvres des génies littéraires ne sont pas perçues comme des énigmes, car elles traitent de sujets accessibles à tous, comme l'âme humaine. Marivaux souligne que cette distinction est injuste et découle de l'ignorance du public. Il argue que les génies littéraires, bien qu'ils ne découvrent pas de nouvelles vérités, ont le talent de formuler et d'exprimer avec vérité les expériences intimes de l'âme humaine, créant ainsi des œuvres originales et frappantes. En conclusion, Marivaux suggère que les génies littéraires, en rappelant aux hommes leur propre esprit, méritent autant de respect que les philosophes. Il invite à reconsidérer la valeur de ces deux types de contributions à la connaissance humaine.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1098
p. 45-46
EPITRE A M. DE CHATEAUBRUN, Maître-d'Hôtel de S. A. S. Mgr. le Duc d'Orléans.
Début :
Philosophe éloquent, dont les nouveaux écrits [...]
Mots clefs :
Maître d'Hôtel, Duc d'Orléans, Humanité, Coeur, Génie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EPITRE A M. DE CHATEAUBRUN, Maître-d'Hôtel de S. A. S. Mgr. le Duc d'Orléans.
EPITRE
A M. DE CHATEAUBRUN ,
Maître-d'Hôtel de S. 4. S. Mgr , le Duc
d'Orléans .
PHilofophe cloquent , dont les nouveaux écrits
Charment nos coeurs & nos oreilles ,
Des Sophocles & des Corneilles ,
Ramenent les beaux jours dans le fein de Paris.
Toi , dont la fimple modeftie ,
Plus rare encor que ton génie ,
Seule a pú durant quarante ans
Se fouftraire à la renommée
Et nous priver de tes talens .
Que d'un rayon divin ta grande ame eft formée !..
Le fceptre du théatre eft pénible à gagner :
C'estun prix bien flateur ; mais un effort fuprême
C'eft de s'en rendre digne & de le dédaigner.
Tu l'as fait. Ah ! c'eft dans toi-même
Que tu fçais les trouver ces fentimens fi grands
Qu'applaudit le vulgaire , & que le fage admire.
D'autres ont fur la fcene épuifé les romans ,.
Ont tracé les fureurs , l'yvreffe , le délire
Et les querelles des amans :
Ils laiffoient à ta veine une fource plus pure ,
Ou ton génie ofa puiſer.
46 MERCURE DE FRANCE .
Tu viens de peindre la nature ;
C'est d'après toi : ton coeur n'a pû ſe déguiſer
A l'humanité qui t'inſpire :
Donne à tes vers ce charme & ces attraits vain
queurs ,
Qui portent à ton gré la pitié dans les coeurs
Et confervent fur eux leur immuable empire.
Que de hautes leçons ! & quelle vérité !
Quels tableaux ! ta mufe rivale
De la naïve antiquité
Semble rapprocher l'intervalle
Des fuprêmes grandeurs & de l'humanité.
Que fes droits font puiffans , quand tu parles pour
elle !
Et qu'un héros humain devient grand dans tes
vers !
Ah ! je reconnois ton modele :
C'est le grand Prince que tu fers.
Ce 4 Mars 1755.
A M. DE CHATEAUBRUN ,
Maître-d'Hôtel de S. 4. S. Mgr , le Duc
d'Orléans .
PHilofophe cloquent , dont les nouveaux écrits
Charment nos coeurs & nos oreilles ,
Des Sophocles & des Corneilles ,
Ramenent les beaux jours dans le fein de Paris.
Toi , dont la fimple modeftie ,
Plus rare encor que ton génie ,
Seule a pú durant quarante ans
Se fouftraire à la renommée
Et nous priver de tes talens .
Que d'un rayon divin ta grande ame eft formée !..
Le fceptre du théatre eft pénible à gagner :
C'estun prix bien flateur ; mais un effort fuprême
C'eft de s'en rendre digne & de le dédaigner.
Tu l'as fait. Ah ! c'eft dans toi-même
Que tu fçais les trouver ces fentimens fi grands
Qu'applaudit le vulgaire , & que le fage admire.
D'autres ont fur la fcene épuifé les romans ,.
Ont tracé les fureurs , l'yvreffe , le délire
Et les querelles des amans :
Ils laiffoient à ta veine une fource plus pure ,
Ou ton génie ofa puiſer.
46 MERCURE DE FRANCE .
Tu viens de peindre la nature ;
C'est d'après toi : ton coeur n'a pû ſe déguiſer
A l'humanité qui t'inſpire :
Donne à tes vers ce charme & ces attraits vain
queurs ,
Qui portent à ton gré la pitié dans les coeurs
Et confervent fur eux leur immuable empire.
Que de hautes leçons ! & quelle vérité !
Quels tableaux ! ta mufe rivale
De la naïve antiquité
Semble rapprocher l'intervalle
Des fuprêmes grandeurs & de l'humanité.
Que fes droits font puiffans , quand tu parles pour
elle !
Et qu'un héros humain devient grand dans tes
vers !
Ah ! je reconnois ton modele :
C'est le grand Prince que tu fers.
Ce 4 Mars 1755.
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Résumé : EPITRE A M. DE CHATEAUBRUN, Maître-d'Hôtel de S. A. S. Mgr. le Duc d'Orléans.
L'épître est adressée à M. de Chateaubrun, Maître-d'Hôtel du Duc d'Orléans. Le texte loue Chateaubrun pour ses écrits philosophiques et ses talents dramatiques, comparés à ceux de Sophocle et Corneille. Il souligne la modestie de Chateaubrun, qui a évité la renommée pendant quarante ans, et admire sa capacité à mériter et à dédaigner le sceptre du théâtre. Chateaubrun est félicité pour avoir peint la nature avec authenticité, inspirée par l'humanité. Ses vers sont décrits comme ayant un charme et des attraits capables de susciter la pitié et de conserver leur empire sur les cœurs. Le texte met en avant les hautes leçons et la vérité de ses œuvres, ainsi que sa capacité à rapprocher les grandeurs suprêmes de l'humanité. Enfin, il reconnaît que Chateaubrun prend pour modèle un grand prince. L'épître est datée du 4 mars 1755.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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1099
p. 64-79
« LE SERIN DE CANARIE, Poëme, ouvrage dans un genre nouveau pour la [...] »
Début :
LE SERIN DE CANARIE, Poëme, ouvrage dans un genre nouveau pour la [...]
Mots clefs :
Genre, Poème, Genre nouveau, Serin, Amour, Auteur, Gloire, Époux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « LE SERIN DE CANARIE, Poëme, ouvrage dans un genre nouveau pour la [...] »
LE SERIN DE CANARIE , Poëme ;
ouvrage dans un genre nouveau pour la
Poësie françoife , qui , à l'aide de quelques
notes , forme un traité complet & très- fûr
AVRIL. 1755. 65
pour élever les ferins . A Londres , 1755.
Cet effai m'a paru mériter l'approbation
du public , par le fond qui eft agréable , &
par la forme qui he l'eft pas moins . Il me
femble que l'auteur qui a la modeftie de ne
pas fe nommer , a bien faifi le ton de verfification
convenable au genre de poëme
qu'il a entrepris ; c'eft cette élégante fimplicité
fi propre à peindre les petites chofes
, & qui feule à l'art de les ennoblir :
les anciens y excelloient ; il les a pris pour
modeles , & je trouve qu'il y a fouvent
réuffi . Pour juftifier mon fentiment , je vais
citer quelques endroits de fon poëme : je
commence par fon début .
a
Toi , dont les doux accens divertiffent ma Muſe ,
Dont l'organe enchanteur & l'infpire & l'amufe ,
Et qui montes ma lyre au fon de tes concerts ,
C'eſt toi , charmant ferin , que célébrent mes vers.
Mufe , chante avec moi fon port plein de nobleffe
,
Son air plein de candeur & mêlé de fineffe ,
Le doux feu de fes yeux ennemis du fommeil ,
Son plumage ſemblable au plus brillant vermeil ;
L'éclat de la blancheur à propos ménagée ,
Ses pannaches pompeux , fa taille dégagée :
Peux-tu trouver ailleurs un plus charmant plaifir
Mais fur toute l'efpéce , égayant ton loiſir ,
Apprens-moi le fecret d'étendre leur lignage ;
66 MERCURE DE FRANCE.
Enſeignes comment l'art embellit leur ramage ,
Comment leurs petits jeux peuvent dédommager
La main qui tous les jours leur préfente à manger ;
Et dans les tems obfcurs portant un oeil critique ,
Chante leur origine auffi noble qu'antique.
Voilà le plan de l'ouvrage heureusement
détaillé.
L'auteur fait ainfi l'éloge du mâle , qui
ne tourne pas à la gloire du beau fexe.
C'eſt du mâle fur-tout que l'humeur eft aimable.
Son épouſe fantafque & fouvent intraitable ,
Dans les mornes accès d'un bizarre courroux ,
Eteindroit les ardeurs d'un moins fidèle époux.
Tel que bien des maris , commodes par prudence ,
Il ronge fes chagrins dans un fage filence ;
Mais ce trouble finit quand les feux du printems
Excitent dans leur fein des tranfports plus conftans.
Ainfipour tous les coeurs engagés dans les chafnes
,
L'amour a fes plaiſirs , & l'amour a fes peines.
La femelle parmi les ferins commande
en reine , & l'époux eft chargé du ſoin de
tous les détails.
Les travaux affidus , les foucis du ménage ,
Suivent des premiers feux le leger badinage.
AVRI L.'
1755. 67
On pense à l'avenir , on prépare , on conftruit
L'aire où d'un chafte amour on doit loger le fruit.
De l'époux complaifant , l'épouſe induſtrieuſe ,
Habile à prévenir la voix impérieuſe
Qui lui marque le tems de décharger fon fein ,
D'une maiſon commode ordonne le deffein ;
Et fans bruit enfoncée au milieu du feuillage
D'un if propre à fixer une tête volage ,
Ou dans l'étroit contour du plus petit panier ,
Tranquille , & l'air rêveur , médite fur l'ofier.
Le mari travaille pendant ce tems là .
Il tranfporte , il fournit ; fa compagne y préſide ,
Et fuivant les confeils de l'inſtinct qui la guide
Les racines , la mouffe entourent la maiſon
Et l'on met au- dedans le duvet à foifon.
a
>
Mais jamais cette ardeur n'enfante le defordre.
S'ils s'entr'aident plufieurs , feule elle donne l'or
dre ....
L'un choifit le duvet , l'autre du coton fec ,
L'on donne , l'on reçoit : ainfi de bec en bec
Tout paffe au lieu marqué par l'inſtinct unanime ;
Le mur croît , l'oeuvre monte , & parvient à la
cime.
Tel que des ouvriers , par étage rangés ,
Entre deux longs fapins , en dégré , partagés ,
Reçoivent à leurs pieds ; élevent à leur tête
68 MERCURE DE FRANCE.
La pierre , le ciment qui montent juſqu'au faîte :
Tels nos ferins unis dès l'heure du réveil ,
Confomment leurs travaux fous le même foleil
A moins qu'un feu jaloux , enfanglantant la ferre ,
Ne porte dans l'état les horreurs de la guerre..
Le Poëte prudent nous avertit de ne pas
unir trop tôt les jeunes ferins. Ces mariages
précoces font , dit-il, funeftes , fur- tout
à la femelle. Il nous en apporte un exemple
tragique en vers touchans , par lefquels
je finirai ce précis.
Jonquille , encor trop jeune , époufe , & bientôt
mere ,
Victime de tendreffe , épuife en fon réduit
Un refte de chaleur , pour animer fon fruit.
Cinq citoyens nouveaux , donnés à la voliere , `
N'ont pas ouvert encor les yeux à la lumiere ,
Que dans fon fein flétri s'amortit la chaleur.
Ses petits languiffans augmentent fa douleur :
Elle çéde à fon mal ; tremblante , elle foupire ,
Palpite , ouvre le bec , ferme les yeux , expire ;
Et fous elle , glacés par le froid de la mort
Ses petits en un jour ont tous le même fort.
>
CONSIDERATIONS SUR LES
REVOLUTIONS DES ARTS , dédiées à Mgr
le Duc d'Orléans , premier Prince du Sang.
AVRIL. 1755. 69
A Paris , chez Brocas , Libraire , rue faint
Jacques , au chef S. Jean . 1755 .
Les principaux objets de ces confidérations
font la liaifon des Empires avec les
arts , & les influences réciproques des uns
& des autres , les caufes qui les ont donnés
à un peuple , & celles qui les lui ont ravis ;
les fources de leur renouvellement chez
quelques-uns , les dégrés où ils ont été
élevés ou abaiffés chez tous ; l'exacte connoiffance
des hommes puiffans qui les ont
protégés ; la jufte eftimation des hommes
de génie qui y ont excellé ; quelques traits
légers propres à caractériſer les hommes
d'efprit qui y ont réuffi ; enfin un examen
rapide de la nature des différens genres de
littérature , un petit nombre d'obfervations
fur les défauts qui pourroient nuire
aux progrès de nos jours , & quelques confeils
pour remédier à ces vices & augmenter
les fuccès. Voilà le précis ou le programme
que M. l'Abbé Mehegan donne luimême
de fon ouvrage dans la préface qu'il
a mis à la tête, je n'ai fait que le tranferire.
L'auteur divife ces confidérations par âge ;
il entend par ce mot une fuite non interrompue
de protecteurs & d'artistes , pendant
laquelle les arts font reftés à peu près
dans le même point. Il me paroît mériter
de la part du public beaucoup d'encoura-
(
70 MERCURE DE FRANCE.
gement. Son imagination pleine de feu
annonce un talent facile , peut - être même
fon plus grand défaut eft un excès en bien.
Il répand l'efprit avec profufion , & je ſuis
perfuadé qu'il plairoit encore davantage
s'il vouloit bien s'épargner la peine d'en
trop avoir.
HISTOIRE DE FRANCE , depuis l'établiffement
de la Monarchie jufqu'au regne de
Louis XIV , par M. l'Abbé Velly . A Paris
, chez Defaint & Saillant , rue S. Jean
de Beauvais , vis-à- vis le Collége. 1755 .
Il faut , dit l'auteur dans fa préface ,
que l'hiftoire écrite pour l'utilité commune
foit en même tems celle du Prince &
de l'Etat , de la politique & de la religion ,
des armes & des fciences , des exploits &
des inventions utiles & agréables , celle
enfin des moeurs & de l'efprit de la nation .
Cette hiſtoire nous manquoit , & nous aurons
l'obligation à M. l'Abbé Velly de
de nous enrichir d'un tréfor fi utile ; fes
deux premiers volumes qui ont déja paru ,
nous en font de fûrs garans . Il a eu l'art
de répandre le jour & l'intérêt fur les premieres
races de nos Rois , qui font la par
tie la plus obfcure & la plus feche de nos
faftes que ne devons - nous pas attendre
de la fuite ?
AVRIL. 1755. 71
LE FINANCIER ; par M. le Chevalier
de Mouhy , de l'Académie des Belles-
Lettres de Dijon , en fix parties. 1755. Se
trouve à Paris , chez Jorry , quai des Auguftins
, près le pont S. Michel , aux Cigognes.
C'eſt un Roman épifodique , dont le financier
, qui en eft le héros , répand fes libéralités
à pleine main fur tous les malheureux
que le hazard lui préfente , &
dont l'auteur raconte l'hiftoire en paffant.
Ce magnanime favori de Plutus va plus
loin ; quand la foule diverfe des indigens
ne s'offre pas à lui dans fon chemin , il
va les déterrer lui-même dans les réduits les
plus obfcurs , & monte jufqu'au cinquieme
étage pour exercer les devoirs de l'humanité
, & pour réparer fur-tout les torts
que la fortune aveugle a fait au mérite
plongé dans la mifere. C'eft un vrai Dom
Quichotte en générofité , ou plutôt le Titus
de la finance : il compte chaque heure
du jour par des bienfaits . Le ciel l'en récompenfe
; car il trouve au milieu de fa
courfe une femme digne de lui , & qui lui
apporte pour dot une beauté égale à fa
naiffance , avec un caractere auffi bienfaifant
que le fien . Tous les pauvres honteux
dont Paris abonde , feroient trop heureux
fi l'exemple de ce couple refpectable fai72
MERCURE DE FRANCE.
foit des imitateurs ; mais je doute qu'il
prenne dans le monde.
VOYAGE PITTORESQUE DES ENVIRONS
DE PARIS , ou Deſcription des maifons
royales , châteaux , & autres lieux de plaifance
fitués à quinze lieues aux environs de
cette, ville . Par M. D *** A Paris , chez
Debure l'aîné, Libraire, quai des Auguftins,
à S. Paul. 1755. Prix 3 livres relié.
Cet ouvrage m'a paru bien fait & bienécrit.
Voici quatre jolis vers , felon moi ,
fur la fontaine d'Hieres , près de Gros- bois.
La nymphe de cette fource les adreſſe à
ceux qui vont la viſiter.
Toujours vive , abondante & pure ,
Un doux penchant regle mon cours ;
Heureux l'ami de la nature
Qui voit ainfi couler les jours.
LES AMANS PHILOSOPHES , ou le Triomphe
de la raifon. A Paris , chez Hochereau
l'aîné , Libraire , quai de Conti , au
Phénix . 1755.
Ce roman eft de Mlle Brohon. Trois
fortes de recommendations parlent pour
elle ; une grande jeuneffe , elle n'a que
dix- huit ans ; une figure charmante , &
une douceur modefte qui prévient d'abord
en
AVRIL.
1755. 7%
.
en fa faveur tous ceux qui la voyent. Le
titre feul de fon ouvrage annonce fa fageffe
, & l'épigraphe dont elle a fait choix ,
Amare & fapere vix diis conceffum ) montre
qu'elle a refléchi de bonne heure , &
qu'elle connoît avant le tems tout le danger
d'une paffion qu'elle eft faite pour
infpirer & pour reffentir.
La demande qu'elle fait au public dans
un court avertiffement , eft fi raifonnable
qu'il ne peut la refufer fans injuftice. Une
critique outrée , dit-elle , abbar le courage ;
une cenfure jufte & menagée eft quelquefois
la mere du fuccès , fur-tout par rapport à
moi , dont le fexe augmente la timidité naturelle
à mon âge. Après une telle repréſentation
, il y auroit de la cruauté à juger
fon livre avec trop de rigueur ; j'en donnerai
l'extrait le mois prochain. Un auteur
fi aimable mérite d'être encouragé.
RECUEIL GÉNÉRAL HISTORIQUE
& critique de tout ce qui a été publié de
plus rare fur la ville d'Herculane , depuis
fa premiere découverte jufqu'à nos jours ,
tiré des auteurs les plus célébres d'Italie ,
tels que Venuti , Mafei , Quirini , Bellegrade
, Gori , & autres . A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques
au Temple du goût. 1755 .
D
74 MERCURE DE FRANCE.
"
Suivant l'avertiffement , on ne trouvera
rien dans cet ouvrage qui n'ait été fidelement
traduit des auteurs cités au titre. Si
l'on eft curieux de lire leurs écrits , on les
trouvera chez Tilliard , Libraire , quai des
Auguftins.
HISTOIRE D'UNE JEUNE FILLE SAUVAGE
trouvée dans les bois à l'âge de dix ans ;
publiée par Madame H.... T. A Paris ,
1755.
M. de la Condamine n'eft point l'auteur
de cette petite brochure , comme le bruit
s'en étoit répandu . Il m'écrit à ce fujet la
-lettre fuivante.
A M.de Boiffy, de l'Académie Françoise.
A Marfeille , le 15 Février 1755-
J'apprends , Monfieur , qu'on m'attribue
une brochure qui paroît à Paris depuis
peu , fous le titre d'Hiftoire d'une jeune fille
Sauvage ( aujourd'hui Mlle le Blanc ) trouvée
dans les bois à l'âge de dix ans . Get
ouvrage eft d'une Dame , veuve , qui demeure
près de Saint Marceau , & qui ayant
connu & pris cette fille en affection depuis
la mort de Mgr le Duc d'Orléans qui la
protégeoit , a pris la peine de rédiger fon
hiftoire , comme il eft dit dans l'ouvrage
C
AVRIL. 1755. 75
Ja
même , fur les queftions qu'elles lui a faites
en diverfes converfations , & à plufieurs
perfonnes qui l'ont connue peu de
tems après fon arrivée en France. Cette
Dame a feulement permis que l'on mît au
titre la premiere lettre de fon nom. Toute
part que j'ai à cette production eft d'avoir
fait quelques changemens au manuf
crit dont j'ai encore l'original , d'en avoir
retranché quelques faits qui n'étoient fondés
que fur des oui- dire , & dénués de vraifemblance
; d'avoir ajouté , à la fin furtout
, quelques conjectures à celles de Madame
H.... fur la maniere dont la jeune
fauvage & fa compagne ont pû fe trouver
tranfportées en France , & d'avoir facilité
l'impreffion de l'ouvrage au profit de la
Demoiſelle Le Blanc , dans la vûe de lui
procurer une fituation plus heureuſe , en
intéreffant à fon fort ceux qui liroient fon
aventure. Je vous prie , Monfieur , de
rendre cette déclaration publique , pour
defabufer ceux qui me feroient honneur
de ce qui ne m'appartient pas. J'ai celui
d'être , & c.
La Condamine.
L'ART DU CHANT , dédié à Madame
de Pompadour; par M. Berard. A Paris ,
-chez Deffaint & Saillant , rue Saint Jean de
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Beauvais ; chez Prault fils , quai de Conti ;
& chez Lambert , à côté de la Comédie
Françoife. 1755.
L'Auteur s'étonne avec raifon qu'on lui
ait laiffé la gloire de traiter le premier de
cet art , fur-tout dans un fiécle où le chant
eſt l'art à la mode , & domine au point
qu'il fait des enthouſiaftes , & forme des
fectes. M. Berard n'a rien épargné pour
s'en inftruire à fond , il ne ſe contente
pas d'en parler en maître de muſique , il
en raiſonne en Phyficien ; il a fait même
exprès un cours d'anatomie pour porter
l'analyfe dans tous les organes de nos fons :
ce font fes propres termes . Pour traiter
l'ouvrage méthodiquement , il le divife en
trois parties ; dans la premiere il confidere
la voix par rapport au chant ; dans
la deuxième il regarde la prononciation &
l'articulation , eu égard au chant ; & dans
la troifiéme il a pour objet la perfection
du chant. J'attendrai que les vrais connoiffeurs
en ce genre ayent prononcé , pour
m'en expliquer plus furement d'après eux ;
je m'étendrai particulierement fur la prononciation
& l'articulation : cette partie
eft un peu plus de ma compétence ; elle
ne fe borne point à la mufique , elle intéreffe
la chaire & le barreau , ainfi que le
théatre ; elle s'étend jufques fur la converAVRIL.
1755. 77
"
fation ; il n'eft prefque point d'état , il
n'eft point d'homme du monde , qui ne
doive ou qui ne veuille en être inſtruit.
M. Berard n'eût- il fait qu'ébaucher la matiere
, le public doit lui être obligé de
l'avoir mife en queftion : le premier qui
parle d'un art a toujours un grand mérite..
OBSERVATIONS SUR LE THEATRE , dans :
lefquelles on examine avec impartialité
l'état actuel des Spectacles de Paris ; par
M. de Chevrier. A Paris , chez Debure le
jeune , quai des Auguftins , à l'image S.
Germain . 1755.
Souvent l'auteur obſerve très - bien , mais
quelquefois il eft mal informé. Par exemple
, j'ouvre fa brochure , je tombe fur un
endroit qui regarde Dancourt , & j'y lis
ces mots Dancourt a joui des plus grands
fuccès ; ramené tous les jours fur la fcene , on
l'applaudit encore : ni fes comtemporains , ni
nos fâcheux n'ont écrit contre lui. Il me permettra
de lui dire que jamais auteur dramatique
n'a été de fon vivant plus traverfé
que Dancourt. Si l'on n'a pas écrit
contre lui , c'eft moins par eftime que par
un, fentiment contraire. Ses piéces étoient
non- feulement décriées par fes camarades ,
qui les jouoient à regret , mais encore
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
méprifées du public , même en réuffiffant ;
on les mettoit alors au - deffous de leur prix ,
on les défignoit par le titre peu flateur
de Dancourades. Quoiqu'on les revoye
aujourd'hui volontiers , on les apprécie à
peu près ce qu'elles valent : on convient
affez généralement que les Bourgeoifes à la
mode , les Bourgeoifes de qualité , & le
Chevalier à la mode , font les feules qui
méritent le nom de Comédie ; les autres ne
font que des farces bien dialoguées , qui fe
reffemblent prefque toutes ; on les reconnoît
à l'indécence , c'eſt leur air de famille.
Je remercie M. de Chevrier du bien
qu'il dit de moi , mais je fuis moins allarmé
que lui des décifions tranchantes de
M. R...... Il n'appartient ni à lui , ni
à aucun particulier de regler le rang des
auteurs ; le public a lui feul ce droit : ils
doivent s'en repofer fur,fes lumieres &
fur fon équité. Il met , quoique fouvent
un peu tard , chacun à fa place. Je confeille
, en qualité d'ancien , à M. de Chevrier
& à mes autres jeunes confreres ,
d'employer plutôt leur loifir à faire des
piéces pour le théatre , qui en a beſoin ,
que des obfervations dont Paris n'a que
faire ; il n'eft que trop éclairé fur les fpectacles
, & trop initié dans nos myfteres.
Pour fon amufement & pour leur gloire ,
AVRIL. 11755 79
qu'ils étudient fon goût pour le faifir , &,
s'ils fe difputent entr'eux , que ce foit de
talent & d'envie de lui plaire.
PINOLET , ou l'Aveugle parvenu , hif
toire véritable compofée fur les faits fournis
par Pinolet lui -même , actuellement
exiftant à Paris ; en quatre parties . 1755 .
Cetet ouvrage eft d'un genre qui me dif-,
penſe d'en faire l'extrait.
ÉLÉMENS DE CHYMIE , par Herman
Boerhaave , traduit du latin , en fix volumes
in- 12 . A Paris , chez Briaffon , rue
Saint Jacques ; & chez Guillyn , quai des
Auguftins .
C'eſt un vrai préfent que le Traducteur
nous a fait. Dire que Boerhaave en eft
l'auteur , peut-on faire un plus grand éloge
de l'ouvrage ?
On trouve auffi chez Briaffon la Ma
tiere Médicale , traduite du Latin de Cartheufer
, augmentée d'une table raiſonnée,
& d'une introduction ; quatre volumes
in-1 2. ainfi que la fuite des Conſultations
de médecine , traduites du latin de M.
Hoffman : elle contient quatre volumes in-
12. les 5 , 6 , 7 & 8.
ouvrage dans un genre nouveau pour la
Poësie françoife , qui , à l'aide de quelques
notes , forme un traité complet & très- fûr
AVRIL. 1755. 65
pour élever les ferins . A Londres , 1755.
Cet effai m'a paru mériter l'approbation
du public , par le fond qui eft agréable , &
par la forme qui he l'eft pas moins . Il me
femble que l'auteur qui a la modeftie de ne
pas fe nommer , a bien faifi le ton de verfification
convenable au genre de poëme
qu'il a entrepris ; c'eft cette élégante fimplicité
fi propre à peindre les petites chofes
, & qui feule à l'art de les ennoblir :
les anciens y excelloient ; il les a pris pour
modeles , & je trouve qu'il y a fouvent
réuffi . Pour juftifier mon fentiment , je vais
citer quelques endroits de fon poëme : je
commence par fon début .
a
Toi , dont les doux accens divertiffent ma Muſe ,
Dont l'organe enchanteur & l'infpire & l'amufe ,
Et qui montes ma lyre au fon de tes concerts ,
C'eſt toi , charmant ferin , que célébrent mes vers.
Mufe , chante avec moi fon port plein de nobleffe
,
Son air plein de candeur & mêlé de fineffe ,
Le doux feu de fes yeux ennemis du fommeil ,
Son plumage ſemblable au plus brillant vermeil ;
L'éclat de la blancheur à propos ménagée ,
Ses pannaches pompeux , fa taille dégagée :
Peux-tu trouver ailleurs un plus charmant plaifir
Mais fur toute l'efpéce , égayant ton loiſir ,
Apprens-moi le fecret d'étendre leur lignage ;
66 MERCURE DE FRANCE.
Enſeignes comment l'art embellit leur ramage ,
Comment leurs petits jeux peuvent dédommager
La main qui tous les jours leur préfente à manger ;
Et dans les tems obfcurs portant un oeil critique ,
Chante leur origine auffi noble qu'antique.
Voilà le plan de l'ouvrage heureusement
détaillé.
L'auteur fait ainfi l'éloge du mâle , qui
ne tourne pas à la gloire du beau fexe.
C'eſt du mâle fur-tout que l'humeur eft aimable.
Son épouſe fantafque & fouvent intraitable ,
Dans les mornes accès d'un bizarre courroux ,
Eteindroit les ardeurs d'un moins fidèle époux.
Tel que bien des maris , commodes par prudence ,
Il ronge fes chagrins dans un fage filence ;
Mais ce trouble finit quand les feux du printems
Excitent dans leur fein des tranfports plus conftans.
Ainfipour tous les coeurs engagés dans les chafnes
,
L'amour a fes plaiſirs , & l'amour a fes peines.
La femelle parmi les ferins commande
en reine , & l'époux eft chargé du ſoin de
tous les détails.
Les travaux affidus , les foucis du ménage ,
Suivent des premiers feux le leger badinage.
AVRI L.'
1755. 67
On pense à l'avenir , on prépare , on conftruit
L'aire où d'un chafte amour on doit loger le fruit.
De l'époux complaifant , l'épouſe induſtrieuſe ,
Habile à prévenir la voix impérieuſe
Qui lui marque le tems de décharger fon fein ,
D'une maiſon commode ordonne le deffein ;
Et fans bruit enfoncée au milieu du feuillage
D'un if propre à fixer une tête volage ,
Ou dans l'étroit contour du plus petit panier ,
Tranquille , & l'air rêveur , médite fur l'ofier.
Le mari travaille pendant ce tems là .
Il tranfporte , il fournit ; fa compagne y préſide ,
Et fuivant les confeils de l'inſtinct qui la guide
Les racines , la mouffe entourent la maiſon
Et l'on met au- dedans le duvet à foifon.
a
>
Mais jamais cette ardeur n'enfante le defordre.
S'ils s'entr'aident plufieurs , feule elle donne l'or
dre ....
L'un choifit le duvet , l'autre du coton fec ,
L'on donne , l'on reçoit : ainfi de bec en bec
Tout paffe au lieu marqué par l'inſtinct unanime ;
Le mur croît , l'oeuvre monte , & parvient à la
cime.
Tel que des ouvriers , par étage rangés ,
Entre deux longs fapins , en dégré , partagés ,
Reçoivent à leurs pieds ; élevent à leur tête
68 MERCURE DE FRANCE.
La pierre , le ciment qui montent juſqu'au faîte :
Tels nos ferins unis dès l'heure du réveil ,
Confomment leurs travaux fous le même foleil
A moins qu'un feu jaloux , enfanglantant la ferre ,
Ne porte dans l'état les horreurs de la guerre..
Le Poëte prudent nous avertit de ne pas
unir trop tôt les jeunes ferins. Ces mariages
précoces font , dit-il, funeftes , fur- tout
à la femelle. Il nous en apporte un exemple
tragique en vers touchans , par lefquels
je finirai ce précis.
Jonquille , encor trop jeune , époufe , & bientôt
mere ,
Victime de tendreffe , épuife en fon réduit
Un refte de chaleur , pour animer fon fruit.
Cinq citoyens nouveaux , donnés à la voliere , `
N'ont pas ouvert encor les yeux à la lumiere ,
Que dans fon fein flétri s'amortit la chaleur.
Ses petits languiffans augmentent fa douleur :
Elle çéde à fon mal ; tremblante , elle foupire ,
Palpite , ouvre le bec , ferme les yeux , expire ;
Et fous elle , glacés par le froid de la mort
Ses petits en un jour ont tous le même fort.
>
CONSIDERATIONS SUR LES
REVOLUTIONS DES ARTS , dédiées à Mgr
le Duc d'Orléans , premier Prince du Sang.
AVRIL. 1755. 69
A Paris , chez Brocas , Libraire , rue faint
Jacques , au chef S. Jean . 1755 .
Les principaux objets de ces confidérations
font la liaifon des Empires avec les
arts , & les influences réciproques des uns
& des autres , les caufes qui les ont donnés
à un peuple , & celles qui les lui ont ravis ;
les fources de leur renouvellement chez
quelques-uns , les dégrés où ils ont été
élevés ou abaiffés chez tous ; l'exacte connoiffance
des hommes puiffans qui les ont
protégés ; la jufte eftimation des hommes
de génie qui y ont excellé ; quelques traits
légers propres à caractériſer les hommes
d'efprit qui y ont réuffi ; enfin un examen
rapide de la nature des différens genres de
littérature , un petit nombre d'obfervations
fur les défauts qui pourroient nuire
aux progrès de nos jours , & quelques confeils
pour remédier à ces vices & augmenter
les fuccès. Voilà le précis ou le programme
que M. l'Abbé Mehegan donne luimême
de fon ouvrage dans la préface qu'il
a mis à la tête, je n'ai fait que le tranferire.
L'auteur divife ces confidérations par âge ;
il entend par ce mot une fuite non interrompue
de protecteurs & d'artistes , pendant
laquelle les arts font reftés à peu près
dans le même point. Il me paroît mériter
de la part du public beaucoup d'encoura-
(
70 MERCURE DE FRANCE.
gement. Son imagination pleine de feu
annonce un talent facile , peut - être même
fon plus grand défaut eft un excès en bien.
Il répand l'efprit avec profufion , & je ſuis
perfuadé qu'il plairoit encore davantage
s'il vouloit bien s'épargner la peine d'en
trop avoir.
HISTOIRE DE FRANCE , depuis l'établiffement
de la Monarchie jufqu'au regne de
Louis XIV , par M. l'Abbé Velly . A Paris
, chez Defaint & Saillant , rue S. Jean
de Beauvais , vis-à- vis le Collége. 1755 .
Il faut , dit l'auteur dans fa préface ,
que l'hiftoire écrite pour l'utilité commune
foit en même tems celle du Prince &
de l'Etat , de la politique & de la religion ,
des armes & des fciences , des exploits &
des inventions utiles & agréables , celle
enfin des moeurs & de l'efprit de la nation .
Cette hiſtoire nous manquoit , & nous aurons
l'obligation à M. l'Abbé Velly de
de nous enrichir d'un tréfor fi utile ; fes
deux premiers volumes qui ont déja paru ,
nous en font de fûrs garans . Il a eu l'art
de répandre le jour & l'intérêt fur les premieres
races de nos Rois , qui font la par
tie la plus obfcure & la plus feche de nos
faftes que ne devons - nous pas attendre
de la fuite ?
AVRIL. 1755. 71
LE FINANCIER ; par M. le Chevalier
de Mouhy , de l'Académie des Belles-
Lettres de Dijon , en fix parties. 1755. Se
trouve à Paris , chez Jorry , quai des Auguftins
, près le pont S. Michel , aux Cigognes.
C'eſt un Roman épifodique , dont le financier
, qui en eft le héros , répand fes libéralités
à pleine main fur tous les malheureux
que le hazard lui préfente , &
dont l'auteur raconte l'hiftoire en paffant.
Ce magnanime favori de Plutus va plus
loin ; quand la foule diverfe des indigens
ne s'offre pas à lui dans fon chemin , il
va les déterrer lui-même dans les réduits les
plus obfcurs , & monte jufqu'au cinquieme
étage pour exercer les devoirs de l'humanité
, & pour réparer fur-tout les torts
que la fortune aveugle a fait au mérite
plongé dans la mifere. C'eft un vrai Dom
Quichotte en générofité , ou plutôt le Titus
de la finance : il compte chaque heure
du jour par des bienfaits . Le ciel l'en récompenfe
; car il trouve au milieu de fa
courfe une femme digne de lui , & qui lui
apporte pour dot une beauté égale à fa
naiffance , avec un caractere auffi bienfaifant
que le fien . Tous les pauvres honteux
dont Paris abonde , feroient trop heureux
fi l'exemple de ce couple refpectable fai72
MERCURE DE FRANCE.
foit des imitateurs ; mais je doute qu'il
prenne dans le monde.
VOYAGE PITTORESQUE DES ENVIRONS
DE PARIS , ou Deſcription des maifons
royales , châteaux , & autres lieux de plaifance
fitués à quinze lieues aux environs de
cette, ville . Par M. D *** A Paris , chez
Debure l'aîné, Libraire, quai des Auguftins,
à S. Paul. 1755. Prix 3 livres relié.
Cet ouvrage m'a paru bien fait & bienécrit.
Voici quatre jolis vers , felon moi ,
fur la fontaine d'Hieres , près de Gros- bois.
La nymphe de cette fource les adreſſe à
ceux qui vont la viſiter.
Toujours vive , abondante & pure ,
Un doux penchant regle mon cours ;
Heureux l'ami de la nature
Qui voit ainfi couler les jours.
LES AMANS PHILOSOPHES , ou le Triomphe
de la raifon. A Paris , chez Hochereau
l'aîné , Libraire , quai de Conti , au
Phénix . 1755.
Ce roman eft de Mlle Brohon. Trois
fortes de recommendations parlent pour
elle ; une grande jeuneffe , elle n'a que
dix- huit ans ; une figure charmante , &
une douceur modefte qui prévient d'abord
en
AVRIL.
1755. 7%
.
en fa faveur tous ceux qui la voyent. Le
titre feul de fon ouvrage annonce fa fageffe
, & l'épigraphe dont elle a fait choix ,
Amare & fapere vix diis conceffum ) montre
qu'elle a refléchi de bonne heure , &
qu'elle connoît avant le tems tout le danger
d'une paffion qu'elle eft faite pour
infpirer & pour reffentir.
La demande qu'elle fait au public dans
un court avertiffement , eft fi raifonnable
qu'il ne peut la refufer fans injuftice. Une
critique outrée , dit-elle , abbar le courage ;
une cenfure jufte & menagée eft quelquefois
la mere du fuccès , fur-tout par rapport à
moi , dont le fexe augmente la timidité naturelle
à mon âge. Après une telle repréſentation
, il y auroit de la cruauté à juger
fon livre avec trop de rigueur ; j'en donnerai
l'extrait le mois prochain. Un auteur
fi aimable mérite d'être encouragé.
RECUEIL GÉNÉRAL HISTORIQUE
& critique de tout ce qui a été publié de
plus rare fur la ville d'Herculane , depuis
fa premiere découverte jufqu'à nos jours ,
tiré des auteurs les plus célébres d'Italie ,
tels que Venuti , Mafei , Quirini , Bellegrade
, Gori , & autres . A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques
au Temple du goût. 1755 .
D
74 MERCURE DE FRANCE.
"
Suivant l'avertiffement , on ne trouvera
rien dans cet ouvrage qui n'ait été fidelement
traduit des auteurs cités au titre. Si
l'on eft curieux de lire leurs écrits , on les
trouvera chez Tilliard , Libraire , quai des
Auguftins.
HISTOIRE D'UNE JEUNE FILLE SAUVAGE
trouvée dans les bois à l'âge de dix ans ;
publiée par Madame H.... T. A Paris ,
1755.
M. de la Condamine n'eft point l'auteur
de cette petite brochure , comme le bruit
s'en étoit répandu . Il m'écrit à ce fujet la
-lettre fuivante.
A M.de Boiffy, de l'Académie Françoise.
A Marfeille , le 15 Février 1755-
J'apprends , Monfieur , qu'on m'attribue
une brochure qui paroît à Paris depuis
peu , fous le titre d'Hiftoire d'une jeune fille
Sauvage ( aujourd'hui Mlle le Blanc ) trouvée
dans les bois à l'âge de dix ans . Get
ouvrage eft d'une Dame , veuve , qui demeure
près de Saint Marceau , & qui ayant
connu & pris cette fille en affection depuis
la mort de Mgr le Duc d'Orléans qui la
protégeoit , a pris la peine de rédiger fon
hiftoire , comme il eft dit dans l'ouvrage
C
AVRIL. 1755. 75
Ja
même , fur les queftions qu'elles lui a faites
en diverfes converfations , & à plufieurs
perfonnes qui l'ont connue peu de
tems après fon arrivée en France. Cette
Dame a feulement permis que l'on mît au
titre la premiere lettre de fon nom. Toute
part que j'ai à cette production eft d'avoir
fait quelques changemens au manuf
crit dont j'ai encore l'original , d'en avoir
retranché quelques faits qui n'étoient fondés
que fur des oui- dire , & dénués de vraifemblance
; d'avoir ajouté , à la fin furtout
, quelques conjectures à celles de Madame
H.... fur la maniere dont la jeune
fauvage & fa compagne ont pû fe trouver
tranfportées en France , & d'avoir facilité
l'impreffion de l'ouvrage au profit de la
Demoiſelle Le Blanc , dans la vûe de lui
procurer une fituation plus heureuſe , en
intéreffant à fon fort ceux qui liroient fon
aventure. Je vous prie , Monfieur , de
rendre cette déclaration publique , pour
defabufer ceux qui me feroient honneur
de ce qui ne m'appartient pas. J'ai celui
d'être , & c.
La Condamine.
L'ART DU CHANT , dédié à Madame
de Pompadour; par M. Berard. A Paris ,
-chez Deffaint & Saillant , rue Saint Jean de
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Beauvais ; chez Prault fils , quai de Conti ;
& chez Lambert , à côté de la Comédie
Françoife. 1755.
L'Auteur s'étonne avec raifon qu'on lui
ait laiffé la gloire de traiter le premier de
cet art , fur-tout dans un fiécle où le chant
eſt l'art à la mode , & domine au point
qu'il fait des enthouſiaftes , & forme des
fectes. M. Berard n'a rien épargné pour
s'en inftruire à fond , il ne ſe contente
pas d'en parler en maître de muſique , il
en raiſonne en Phyficien ; il a fait même
exprès un cours d'anatomie pour porter
l'analyfe dans tous les organes de nos fons :
ce font fes propres termes . Pour traiter
l'ouvrage méthodiquement , il le divife en
trois parties ; dans la premiere il confidere
la voix par rapport au chant ; dans
la deuxième il regarde la prononciation &
l'articulation , eu égard au chant ; & dans
la troifiéme il a pour objet la perfection
du chant. J'attendrai que les vrais connoiffeurs
en ce genre ayent prononcé , pour
m'en expliquer plus furement d'après eux ;
je m'étendrai particulierement fur la prononciation
& l'articulation : cette partie
eft un peu plus de ma compétence ; elle
ne fe borne point à la mufique , elle intéreffe
la chaire & le barreau , ainfi que le
théatre ; elle s'étend jufques fur la converAVRIL.
1755. 77
"
fation ; il n'eft prefque point d'état , il
n'eft point d'homme du monde , qui ne
doive ou qui ne veuille en être inſtruit.
M. Berard n'eût- il fait qu'ébaucher la matiere
, le public doit lui être obligé de
l'avoir mife en queftion : le premier qui
parle d'un art a toujours un grand mérite..
OBSERVATIONS SUR LE THEATRE , dans :
lefquelles on examine avec impartialité
l'état actuel des Spectacles de Paris ; par
M. de Chevrier. A Paris , chez Debure le
jeune , quai des Auguftins , à l'image S.
Germain . 1755.
Souvent l'auteur obſerve très - bien , mais
quelquefois il eft mal informé. Par exemple
, j'ouvre fa brochure , je tombe fur un
endroit qui regarde Dancourt , & j'y lis
ces mots Dancourt a joui des plus grands
fuccès ; ramené tous les jours fur la fcene , on
l'applaudit encore : ni fes comtemporains , ni
nos fâcheux n'ont écrit contre lui. Il me permettra
de lui dire que jamais auteur dramatique
n'a été de fon vivant plus traverfé
que Dancourt. Si l'on n'a pas écrit
contre lui , c'eft moins par eftime que par
un, fentiment contraire. Ses piéces étoient
non- feulement décriées par fes camarades ,
qui les jouoient à regret , mais encore
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
méprifées du public , même en réuffiffant ;
on les mettoit alors au - deffous de leur prix ,
on les défignoit par le titre peu flateur
de Dancourades. Quoiqu'on les revoye
aujourd'hui volontiers , on les apprécie à
peu près ce qu'elles valent : on convient
affez généralement que les Bourgeoifes à la
mode , les Bourgeoifes de qualité , & le
Chevalier à la mode , font les feules qui
méritent le nom de Comédie ; les autres ne
font que des farces bien dialoguées , qui fe
reffemblent prefque toutes ; on les reconnoît
à l'indécence , c'eſt leur air de famille.
Je remercie M. de Chevrier du bien
qu'il dit de moi , mais je fuis moins allarmé
que lui des décifions tranchantes de
M. R...... Il n'appartient ni à lui , ni
à aucun particulier de regler le rang des
auteurs ; le public a lui feul ce droit : ils
doivent s'en repofer fur,fes lumieres &
fur fon équité. Il met , quoique fouvent
un peu tard , chacun à fa place. Je confeille
, en qualité d'ancien , à M. de Chevrier
& à mes autres jeunes confreres ,
d'employer plutôt leur loifir à faire des
piéces pour le théatre , qui en a beſoin ,
que des obfervations dont Paris n'a que
faire ; il n'eft que trop éclairé fur les fpectacles
, & trop initié dans nos myfteres.
Pour fon amufement & pour leur gloire ,
AVRIL. 11755 79
qu'ils étudient fon goût pour le faifir , &,
s'ils fe difputent entr'eux , que ce foit de
talent & d'envie de lui plaire.
PINOLET , ou l'Aveugle parvenu , hif
toire véritable compofée fur les faits fournis
par Pinolet lui -même , actuellement
exiftant à Paris ; en quatre parties . 1755 .
Cetet ouvrage eft d'un genre qui me dif-,
penſe d'en faire l'extrait.
ÉLÉMENS DE CHYMIE , par Herman
Boerhaave , traduit du latin , en fix volumes
in- 12 . A Paris , chez Briaffon , rue
Saint Jacques ; & chez Guillyn , quai des
Auguftins .
C'eſt un vrai préfent que le Traducteur
nous a fait. Dire que Boerhaave en eft
l'auteur , peut-on faire un plus grand éloge
de l'ouvrage ?
On trouve auffi chez Briaffon la Ma
tiere Médicale , traduite du Latin de Cartheufer
, augmentée d'une table raiſonnée,
& d'une introduction ; quatre volumes
in-1 2. ainfi que la fuite des Conſultations
de médecine , traduites du latin de M.
Hoffman : elle contient quatre volumes in-
12. les 5 , 6 , 7 & 8.
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Résumé : « LE SERIN DE CANARIE, Poëme, ouvrage dans un genre nouveau pour la [...] »
En avril 1755, plusieurs ouvrages ont été publiés, couvrant divers sujets littéraires et artistiques. 'Le Serin de Canarie' est un poème anonyme qui offre un traité complet sur l'élevage des serins. Il décrit les rôles distincts du mâle et de la femelle, mettant en garde contre les mariages précoces chez ces oiseaux. 'Considérations sur les révolutions des arts', dédié au Duc d'Orléans, explore les liens entre les empires et les arts, ainsi que les causes de leur développement ou déclin. L'Abbé Mehegan divise les arts en âges et propose des conseils pour améliorer leur progression. L''Histoire de France' par l'Abbé Velly couvre la monarchie jusqu'au règne de Louis XIV, intégrant des aspects politiques, religieux, militaires et scientifiques. 'Le Financier' est un roman épistolaire où le héros, un financier généreux, aide les malheureux et trouve une femme digne de lui. 'Voyage pittoresque des environs de Paris' décrit les maisons royales et châteaux à proximité de Paris, incluant des vers sur une fontaine. 'Les Amants philosophes' est un roman de Mlle Brohon, une jeune auteure de dix-huit ans, qui demande une critique juste et encourageante pour son œuvre. Le 'Recueil général historique et critique' compile des informations sur la ville d'Herculane, traduites fidèlement des auteurs italiens. 'Histoire d'une jeune fille sauvage' raconte l'histoire d'une fille trouvée dans les bois à l'âge de dix ans, rédigée par une dame veuve avec des contributions de M. de la Condamine. 'L'Art du chant', dédié à Madame de Pompadour, est écrit par M. Berard, qui combine des connaissances en musique et en physique pour approfondir l'étude du chant. L'ouvrage est divisé en trois parties : la voix par rapport au chant, la prononciation et l'articulation, et la perfection du chant. Le texte mentionne également des observations sur le théâtre par M. de Chevrier, qui examine l'état actuel des spectacles à Paris. L'auteur critique certaines affirmations de M. de Chevrier, notamment sur le succès de Dancourt, un dramaturge souvent décrié. Il conseille aux jeunes auteurs de se concentrer sur la création de pièces pour le théâtre plutôt que sur des observations critiques. Enfin, le texte cite des ouvrages comme 'Pinolet, ou l'Aveugle parvenu' et des traductions en français d'ouvrages scientifiques, tels que les 'Éléments de Chimie' de Herman Boerhaave.
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1100
p. 177
OPERA.
Début :
L'Académie royale de musique a fermé son théatre le 15 Mars par Castor & [...]
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texteReconnaissance textuelle : OPERA.
OPERA.
114
'Académie royale de mufique a fermé
L for theatre le 15 Mars par Caftor &
Pollux , Tragédie qu'elle a donnée trois
fois pour les acteurs. Elle avoit repréſenté
la veille Thefée qu'elle continuera après
Pâques.
114
'Académie royale de mufique a fermé
L for theatre le 15 Mars par Caftor &
Pollux , Tragédie qu'elle a donnée trois
fois pour les acteurs. Elle avoit repréſenté
la veille Thefée qu'elle continuera après
Pâques.
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