Résultats : 514 texte(s)
Accéder à la liste des mots clefs.
Détail
Liste
403
p. 102
AUTRE. Air : V'là c'que c'est qu'd'aller au bois.
Début :
Fier préjugé, je t'ai vaincu ; [...]
Mots clefs :
Amour
404
p. 36-44
FLORENCE ET BLANCHEFLEUR, OU LA COUR D'AMOUR. Conte tiré d'un manuscrit du treizième siécle, conservé dans l'Abbaye Saint Germain des Prés, cotté No 1830.
Début :
Vous m'avez paru contente, Madame, des différens morceaux que je [...]
Mots clefs :
Amour, Église, Chevaliers, Dieu, Cour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : FLORENCE ET BLANCHEFLEUR, OU LA COUR D'AMOUR. Conte tiré d'un manuscrit du treizième siécle, conservé dans l'Abbaye Saint Germain des Prés, cotté No 1830.
FLORENCE ET BLANCHEFLEUR ,
OU LA COUR D'AMOUR.
Conte tiré d'un manuſcrit du treizièmeſiècle ,
confervé dans l'Abbaye Saint Germain des
Prés , cotté N° 1830 .
Vo
Ous m'avez paru contente , Madame
, des différens morceaux que je
vous ai fait lire ; & vous y avez trouvé ,
dites - vous , la preuve que je vous avois
produite de la naïveté de nos peres . Je me
fuis encore engagé à vous convaincre qu'ils
avoient de l'imagination dans leurs ouvrages.
Je crois que le petit extrait de la
Cour d'Amour qui contient environ trois
cens cinquante vers , vous donnera une
idée de celle qu'ils employoient quelquefois
; car il ne me feroit pas facile, malgré
toute ma bonne volonté , de repéter fouvent
ces fortes d'exemples : les traits d'efprit
& d'imagination fe trouvent , il eft
vrai , dans leurs ouvrages , mais ils font
épars & noyés dans des longueurs infupportables
; leur objet même eft rarement
agréable , ce font le plus ordinairement
des moralités qui ne font qu'ennuyeufes ,
ou des contes à la vérité fort jolis , mais fi
DECEMBRE. 1754
37
S
libres que je n'oferois vous les préfenter.
Au refte vous ne ferez point étonnée de
la conclufion de ce petit ouvrage , fi vous
vous rappellez que les Chevaliers fçavoient
à peine lire dans les fiécles qui piquent
aujourd'hui votre curiofité , & que les Pretres
& les Moines étoient les feuls qui
fçuffent écrire. Il faut cependant convenir
que ces Auteurs étoient peu conféquens &
peu fixes dans leurs idées. Ils promettent
des chofes qu'ils ne tiennent pas , ils né
s'embarraffent point de remplir celles qu'ils
ont avancées. L'auteur que vous allez lire
abandonne , par exemple , l'image de l'Amour
comme Dieu , par laquelle il débute ,
pour en parler enfuite comme d'un Roi ,
par la feule raifon que l'imitation d'une
Cour lui étoit plus facile , & fe trouvoit
plus à fa portée. Il y auroit bien d'autres
obfervations à faire fur les inconféquences
de fond & de détail que ces Auteurs
préfentent à chaque pas . Mais ce n'eft point.
une critique que j'ai l'honneur de vous
envoyer ; c'eſt un exemple : heureux s'il
peut vous amufer encore !
Ce qui eft en italique eft traduit litté
salement .
L'Auteur commence par dire qu'il ne
faut point entretenir lespokrons , les pay- :
38 MERCURE DE FRANCE.
fans & ceux quife donnent des airs , de tout
ce qui peut regarder l'amour ; mais il ajoute
que ces propos conviennent aux gens
d'Eglife & aux Chevaliers , & fur- toùt aux
filles douces & aimables aufquelles ils font
fort néceffaires.
Florence & Blanchefleur , jeunes filles ,
de grande naiffance & douées de tous les
agrémens poffibles , entrerent un jour d'été
dans un verger des plus agréables pour fe
divertir enfemble , & jouir des beautés de
la nature & de la faifon ; elles avoient des
manteaux chamarrés de fleurs , & principalement
de rofes les plus fraîches ; l'étoffe étoit
d'amour , les attaches de chants d'oiseaux.
Elles trouverent , après avoir fait quelque
pas dans le verger , un ruiffeau , dans lequel
elles regarderent leurs visages dont l'amour
alteroit fouvent les couleurs ; elles fe repoferent
enfuite au pied des oliviers dont le
bord étoit planté. Florence prit la parole &
dit : Qui feroit feule ici avec fen amant fans
que perfonne en put être inftruit ! Si les
nôtres arrivoient dans le moment , nous ne
pourrions les empêcher de nous embraffer , de
nous careffer & de jouir du plaifir d'être avec
nous , pourvû que la chofe n'allât pas plus ·
loin , car nous ne le voudrions pas autrement :
nous ne devons jamais donner la moindre
prife furnous , & quand un arbre a perdu
DECEMBRE. 1754. 39
fes feuilles il a bien perdu de fa beauté.
Blanchefleur lui répondit qu'elle avoit raifon
, & que l'honneur étoit préférable à toutes
les richeffes. Elles s'amuferent tout le jour ,
elles s'entretinrent , mais en général , des
Sentimens dont leur coeur étoit occupé. Cette
bonne intelligence ne dura que jufques au
foir ; elles fe brouillerent & devinrent furieufes
l'une contre l'autre par la raiſon
fuivante.
Florence demanda doucement à Blanchefleur
: à qui avez - vous donné ce coeur qui me
paroît fi bon &fi fincere Blanchefleur rougit
& pâlit , & lui répondit : je veux bien
vous avouer que j'ai donné mon coeur &
tout ce qui dépend de moi à un jeune homme
d'Eglife , charmant de fa figure , mais dont le
caractere eft encore préférable à la beauté.
Il me feroit impoffible , ajoûta- t- elle , de
louer la bonté de fon coeur & la politeffe
de fon efprit autant qu'elles le méritent.
Florence lui répondit avec furprife , comment
avez - vous pû vous déterminer à
prendre un homme d'Eglife pour ami ?
Quand le mien va dans un tournoi & qu'il
abbat un Chevalier , il vient me préfenter
fon cheval. Les Chevaliers font eftimés de
tout le monde , les gens d'Eglife font méprifés
; il faut affurément que votre eſprit
foit dérangé d'avoir fait choix d'une telle
efpece,
40 MERCURE DE FRANCE.
Blanchefleur ne put foutenir ces propos
infultans , & lui dit avec une colere mêlée
d'impatience , qu'elle avoit tort de dire du
mal de fon ami , qu'elle ne le fouffriroit point ,
& qu'il étoit plus fot à elle d'aimer un Chevalier
; & dans fa colere elle fit la critique
& le portrait de la pauvreté & des befoins
ordinaires des Chevaliers. Elle finit par
dire qu'elle prouveroit devant toute la
terre que les
gens d'Eglife étoient les feuls
que l'on dût aimer , qu'ils étoient plus polis
&plus remplis deprobité que les Chevaliers.
Florence lui répliqua que tout ce qu'elle
difoit étoit faux , & lui propofa d'aller
faire juger leur différend à la cour du Dieu
d'Amour. D'accord fur ce point , elles fortirent
du verger fans fe dire un mot & fans
fe regarder.
Elles furent exactes à fe mettre en marche
le jour dont elles étoient convenues.
Elles partirent en même-tems , & fe rencontrerent
non fans être piquées de fe
trouver toutes deux fi belles & fi bien parées.
En effet jamais parures n'eurent autant
d'éclat & de véritables agrémens .
Leurs robes étoient faites des rofes les plus
fraiches , leurs ceintures de violettes que les
amours avoient arrangées pour leur plaiſir ,
leurs fouliers étoient couverts de fleurs jaunes,
leurs coeffures étoient d'églantier 2
DECEMBRE. 1754 41
auffi l'odeur en étoit parfaite . Elles montoient
deux chevaux plus blancs que la
neige , & auffi beaux que magnifiquement
parés ; car l'yvoire & l'ambre étoient employés
avec profufion fur leurs harnois.
Ces beaux chevaux avoient le poitrail orné
de fonnettes d'or & d'argent , & par un
enchantement de l'amour elles fonnoient des
airs nouveaux , plus doux que ne le fut jamais
le chant d'aucun oiseau. Quelque malade
qu'un homme eût été , cette mélodie l'auroit
auffi-tôt guéri.
Florence & Blanchefleur firent le voyage
enfemble , & découvrirent fur le midi
la tour & le palais que le Dieu d'Amour
habitoit s il étoit fur un lit tout couvert de
rofes , & dont les rideaux étoient galamment
attachés avec des clous de girofle
parfaitement arrangés.
Les deux Demoifelles mirent pied à ter
re fous un pin , dans une prairie charmante
qui formoit l'ayant- cour du château. Deux
oifeaux volerent à elles , & les conduisirent
au château , d'autres eurent foin de pren
dre leurs chevaux .
Quand le Dieu d'Amour les apperçut
il fe leva de fon lit avec empreffement ,
les falua avec toutes les graces dont il eft
capable , les prit l'une & l'autre par la
main , les fit affeoir auprès de lui , & leur
42 MERCURE DE FRANCE.
ger
demanda le fujet de leur voyage . Blanche-
Aeur lui en rendit compte , & le pria de juleur
différend . Auffi -tôt le Roi donna
ordre qu'on fit affembler les oiſeaux , fes
barons , pour décider la queftion . Il leur
conta la difpuie des deux Belles , & leur dit
de lui donner franchement leur avis.
L'Epervier parla le premier , & dit que
les Chevaliers étoient plus polis & plus
honnêtes que les gens d'Eglife.
La Huppe dit que cela n'étoit pas vrai ,
& que jamais on ne pouvoit comparer un
Chevalier avec un Clerc , par rapport
mattreſſe.
Le Faucon fe leva en pied , & donna le
démenti à la Huppe , en l'affurant qu'il
n'y avoit ni Clerc ni Prêtre qui pût en îça
voir autant en amour qu'un Chevalièr .
L'Alouette contredit l'avis du Faucon ,
affurant que l'homme d'Eglife devoit mieux
aimer.
Le Geai laiffa à peine le tems à l'Alouette
de donner fon avis , tant il étoit preſſé
de parler en faveur des Chevaliers , affurant
qu'ils étoient les plus aimables , ajoutant
que les gens d'Eglife ne devoient point aimer,
que leur état les engageoit à fonner les cloches
& à prier pour les ames , & que les Chevaliers
devoient au contraire aimer les Da
mes. fut
DECEMBRE. 1754. 43
Le Roffignol fe leva & demanda audience
: Les amours , dit - il , m'ont fait leur
confeiller , j'ofe donc déclarer , ſelon ma
penfée , que perfonne ne peut fi bien aimer
qu'un homme d'Eglife , & je m'offre à le
prouver par les armes.
Le Perroquet fe leva , & après avoir dit
deux fois , écoutez , écoutez ; il ajoûta , le
Roffignol ment , j'accepte le combat : en difant
ces mots , il jetta fon gant : le Roile prit;
le Reffignol vint a lui & lui donna lefien ,
pour prouver qu'il acceptoit la bataille.
Auffi - tôt ils allerent prendre leurs armes
; & quoiqu'elles ne fuffent que de
fleurs , le combat fut très - vif & fort difputé.
Cependant aucun des combattans
n'y périt ; mais le Perroquet fut terraffé ,
obligé de rendre fon épée , & de convenir
que les gens
gens d'Eglife foni braves & honnêtes ,
& plus dignes d'avoir des maîtreffes que les
hommes de tout autre état , & par confequent
que les Chevaliers.
Florence au defefpoir de fe voir 'condamnée
, s'arracha les cheveux , tordit fes
poings , & ne demanda à Dieu que le bonbeur
de mourir ; elle s'évanouit trois fois , &
la quatriéme elle mourut.
Tous les oifeaux furent convoqués pour
lui faire des obfeques magnifiques ; ils
répandirent une prodigieufe quantité de
44 MERCURE DE FRANCE.
fleurs fur fon tombeau , fur lequel ils placerent
cette épitaphe : Ci git Florence qui
préféra le Chevalier.
L'Auteur , après avoir fait parler la Kalande
, qui eft une efpece d'Alouette huppée
, fait auffi- tôt après paroître une autre
Alouette. J'ai pris la licence de faire intervenir
un autre oifeau dans le Confeil.
Sans prétendre faire aucune comparaiſon ,
la Fontaine m'a autorifé fur le fait de Maiwe
Alaciel , & j'ai crû pouvoir ſuivre ſon
exemple fur le compte d'une Alouette.
J'ai l'honneur d'être , Madame.
OU LA COUR D'AMOUR.
Conte tiré d'un manuſcrit du treizièmeſiècle ,
confervé dans l'Abbaye Saint Germain des
Prés , cotté N° 1830 .
Vo
Ous m'avez paru contente , Madame
, des différens morceaux que je
vous ai fait lire ; & vous y avez trouvé ,
dites - vous , la preuve que je vous avois
produite de la naïveté de nos peres . Je me
fuis encore engagé à vous convaincre qu'ils
avoient de l'imagination dans leurs ouvrages.
Je crois que le petit extrait de la
Cour d'Amour qui contient environ trois
cens cinquante vers , vous donnera une
idée de celle qu'ils employoient quelquefois
; car il ne me feroit pas facile, malgré
toute ma bonne volonté , de repéter fouvent
ces fortes d'exemples : les traits d'efprit
& d'imagination fe trouvent , il eft
vrai , dans leurs ouvrages , mais ils font
épars & noyés dans des longueurs infupportables
; leur objet même eft rarement
agréable , ce font le plus ordinairement
des moralités qui ne font qu'ennuyeufes ,
ou des contes à la vérité fort jolis , mais fi
DECEMBRE. 1754
37
S
libres que je n'oferois vous les préfenter.
Au refte vous ne ferez point étonnée de
la conclufion de ce petit ouvrage , fi vous
vous rappellez que les Chevaliers fçavoient
à peine lire dans les fiécles qui piquent
aujourd'hui votre curiofité , & que les Pretres
& les Moines étoient les feuls qui
fçuffent écrire. Il faut cependant convenir
que ces Auteurs étoient peu conféquens &
peu fixes dans leurs idées. Ils promettent
des chofes qu'ils ne tiennent pas , ils né
s'embarraffent point de remplir celles qu'ils
ont avancées. L'auteur que vous allez lire
abandonne , par exemple , l'image de l'Amour
comme Dieu , par laquelle il débute ,
pour en parler enfuite comme d'un Roi ,
par la feule raifon que l'imitation d'une
Cour lui étoit plus facile , & fe trouvoit
plus à fa portée. Il y auroit bien d'autres
obfervations à faire fur les inconféquences
de fond & de détail que ces Auteurs
préfentent à chaque pas . Mais ce n'eft point.
une critique que j'ai l'honneur de vous
envoyer ; c'eſt un exemple : heureux s'il
peut vous amufer encore !
Ce qui eft en italique eft traduit litté
salement .
L'Auteur commence par dire qu'il ne
faut point entretenir lespokrons , les pay- :
38 MERCURE DE FRANCE.
fans & ceux quife donnent des airs , de tout
ce qui peut regarder l'amour ; mais il ajoute
que ces propos conviennent aux gens
d'Eglife & aux Chevaliers , & fur- toùt aux
filles douces & aimables aufquelles ils font
fort néceffaires.
Florence & Blanchefleur , jeunes filles ,
de grande naiffance & douées de tous les
agrémens poffibles , entrerent un jour d'été
dans un verger des plus agréables pour fe
divertir enfemble , & jouir des beautés de
la nature & de la faifon ; elles avoient des
manteaux chamarrés de fleurs , & principalement
de rofes les plus fraîches ; l'étoffe étoit
d'amour , les attaches de chants d'oiseaux.
Elles trouverent , après avoir fait quelque
pas dans le verger , un ruiffeau , dans lequel
elles regarderent leurs visages dont l'amour
alteroit fouvent les couleurs ; elles fe repoferent
enfuite au pied des oliviers dont le
bord étoit planté. Florence prit la parole &
dit : Qui feroit feule ici avec fen amant fans
que perfonne en put être inftruit ! Si les
nôtres arrivoient dans le moment , nous ne
pourrions les empêcher de nous embraffer , de
nous careffer & de jouir du plaifir d'être avec
nous , pourvû que la chofe n'allât pas plus ·
loin , car nous ne le voudrions pas autrement :
nous ne devons jamais donner la moindre
prife furnous , & quand un arbre a perdu
DECEMBRE. 1754. 39
fes feuilles il a bien perdu de fa beauté.
Blanchefleur lui répondit qu'elle avoit raifon
, & que l'honneur étoit préférable à toutes
les richeffes. Elles s'amuferent tout le jour ,
elles s'entretinrent , mais en général , des
Sentimens dont leur coeur étoit occupé. Cette
bonne intelligence ne dura que jufques au
foir ; elles fe brouillerent & devinrent furieufes
l'une contre l'autre par la raiſon
fuivante.
Florence demanda doucement à Blanchefleur
: à qui avez - vous donné ce coeur qui me
paroît fi bon &fi fincere Blanchefleur rougit
& pâlit , & lui répondit : je veux bien
vous avouer que j'ai donné mon coeur &
tout ce qui dépend de moi à un jeune homme
d'Eglife , charmant de fa figure , mais dont le
caractere eft encore préférable à la beauté.
Il me feroit impoffible , ajoûta- t- elle , de
louer la bonté de fon coeur & la politeffe
de fon efprit autant qu'elles le méritent.
Florence lui répondit avec furprife , comment
avez - vous pû vous déterminer à
prendre un homme d'Eglife pour ami ?
Quand le mien va dans un tournoi & qu'il
abbat un Chevalier , il vient me préfenter
fon cheval. Les Chevaliers font eftimés de
tout le monde , les gens d'Eglife font méprifés
; il faut affurément que votre eſprit
foit dérangé d'avoir fait choix d'une telle
efpece,
40 MERCURE DE FRANCE.
Blanchefleur ne put foutenir ces propos
infultans , & lui dit avec une colere mêlée
d'impatience , qu'elle avoit tort de dire du
mal de fon ami , qu'elle ne le fouffriroit point ,
& qu'il étoit plus fot à elle d'aimer un Chevalier
; & dans fa colere elle fit la critique
& le portrait de la pauvreté & des befoins
ordinaires des Chevaliers. Elle finit par
dire qu'elle prouveroit devant toute la
terre que les
gens d'Eglife étoient les feuls
que l'on dût aimer , qu'ils étoient plus polis
&plus remplis deprobité que les Chevaliers.
Florence lui répliqua que tout ce qu'elle
difoit étoit faux , & lui propofa d'aller
faire juger leur différend à la cour du Dieu
d'Amour. D'accord fur ce point , elles fortirent
du verger fans fe dire un mot & fans
fe regarder.
Elles furent exactes à fe mettre en marche
le jour dont elles étoient convenues.
Elles partirent en même-tems , & fe rencontrerent
non fans être piquées de fe
trouver toutes deux fi belles & fi bien parées.
En effet jamais parures n'eurent autant
d'éclat & de véritables agrémens .
Leurs robes étoient faites des rofes les plus
fraiches , leurs ceintures de violettes que les
amours avoient arrangées pour leur plaiſir ,
leurs fouliers étoient couverts de fleurs jaunes,
leurs coeffures étoient d'églantier 2
DECEMBRE. 1754 41
auffi l'odeur en étoit parfaite . Elles montoient
deux chevaux plus blancs que la
neige , & auffi beaux que magnifiquement
parés ; car l'yvoire & l'ambre étoient employés
avec profufion fur leurs harnois.
Ces beaux chevaux avoient le poitrail orné
de fonnettes d'or & d'argent , & par un
enchantement de l'amour elles fonnoient des
airs nouveaux , plus doux que ne le fut jamais
le chant d'aucun oiseau. Quelque malade
qu'un homme eût été , cette mélodie l'auroit
auffi-tôt guéri.
Florence & Blanchefleur firent le voyage
enfemble , & découvrirent fur le midi
la tour & le palais que le Dieu d'Amour
habitoit s il étoit fur un lit tout couvert de
rofes , & dont les rideaux étoient galamment
attachés avec des clous de girofle
parfaitement arrangés.
Les deux Demoifelles mirent pied à ter
re fous un pin , dans une prairie charmante
qui formoit l'ayant- cour du château. Deux
oifeaux volerent à elles , & les conduisirent
au château , d'autres eurent foin de pren
dre leurs chevaux .
Quand le Dieu d'Amour les apperçut
il fe leva de fon lit avec empreffement ,
les falua avec toutes les graces dont il eft
capable , les prit l'une & l'autre par la
main , les fit affeoir auprès de lui , & leur
42 MERCURE DE FRANCE.
ger
demanda le fujet de leur voyage . Blanche-
Aeur lui en rendit compte , & le pria de juleur
différend . Auffi -tôt le Roi donna
ordre qu'on fit affembler les oiſeaux , fes
barons , pour décider la queftion . Il leur
conta la difpuie des deux Belles , & leur dit
de lui donner franchement leur avis.
L'Epervier parla le premier , & dit que
les Chevaliers étoient plus polis & plus
honnêtes que les gens d'Eglife.
La Huppe dit que cela n'étoit pas vrai ,
& que jamais on ne pouvoit comparer un
Chevalier avec un Clerc , par rapport
mattreſſe.
Le Faucon fe leva en pied , & donna le
démenti à la Huppe , en l'affurant qu'il
n'y avoit ni Clerc ni Prêtre qui pût en îça
voir autant en amour qu'un Chevalièr .
L'Alouette contredit l'avis du Faucon ,
affurant que l'homme d'Eglife devoit mieux
aimer.
Le Geai laiffa à peine le tems à l'Alouette
de donner fon avis , tant il étoit preſſé
de parler en faveur des Chevaliers , affurant
qu'ils étoient les plus aimables , ajoutant
que les gens d'Eglife ne devoient point aimer,
que leur état les engageoit à fonner les cloches
& à prier pour les ames , & que les Chevaliers
devoient au contraire aimer les Da
mes. fut
DECEMBRE. 1754. 43
Le Roffignol fe leva & demanda audience
: Les amours , dit - il , m'ont fait leur
confeiller , j'ofe donc déclarer , ſelon ma
penfée , que perfonne ne peut fi bien aimer
qu'un homme d'Eglife , & je m'offre à le
prouver par les armes.
Le Perroquet fe leva , & après avoir dit
deux fois , écoutez , écoutez ; il ajoûta , le
Roffignol ment , j'accepte le combat : en difant
ces mots , il jetta fon gant : le Roile prit;
le Reffignol vint a lui & lui donna lefien ,
pour prouver qu'il acceptoit la bataille.
Auffi - tôt ils allerent prendre leurs armes
; & quoiqu'elles ne fuffent que de
fleurs , le combat fut très - vif & fort difputé.
Cependant aucun des combattans
n'y périt ; mais le Perroquet fut terraffé ,
obligé de rendre fon épée , & de convenir
que les gens
gens d'Eglife foni braves & honnêtes ,
& plus dignes d'avoir des maîtreffes que les
hommes de tout autre état , & par confequent
que les Chevaliers.
Florence au defefpoir de fe voir 'condamnée
, s'arracha les cheveux , tordit fes
poings , & ne demanda à Dieu que le bonbeur
de mourir ; elle s'évanouit trois fois , &
la quatriéme elle mourut.
Tous les oifeaux furent convoqués pour
lui faire des obfeques magnifiques ; ils
répandirent une prodigieufe quantité de
44 MERCURE DE FRANCE.
fleurs fur fon tombeau , fur lequel ils placerent
cette épitaphe : Ci git Florence qui
préféra le Chevalier.
L'Auteur , après avoir fait parler la Kalande
, qui eft une efpece d'Alouette huppée
, fait auffi- tôt après paroître une autre
Alouette. J'ai pris la licence de faire intervenir
un autre oifeau dans le Confeil.
Sans prétendre faire aucune comparaiſon ,
la Fontaine m'a autorifé fur le fait de Maiwe
Alaciel , & j'ai crû pouvoir ſuivre ſon
exemple fur le compte d'une Alouette.
J'ai l'honneur d'être , Madame.
Fermer
Résumé : FLORENCE ET BLANCHEFLEUR, OU LA COUR D'AMOUR. Conte tiré d'un manuscrit du treizième siécle, conservé dans l'Abbaye Saint Germain des Prés, cotté No 1830.
Le texte présente un conte médiéval intitulé 'Florence et Blanchefleur, ou La Cour d'Amour', extrait d'un manuscrit du XIIIe siècle conservé à l'Abbaye Saint-Germain-des-Prés. L'auteur vise à montrer que les écrivains du Moyen Âge possédaient une imagination fertile, malgré les longueurs et les moralités souvent ennuyeuses de leurs œuvres. Le conte raconte l'histoire de deux jeunes filles, Florence et Blanchefleur, qui se disputent sur la supériorité des Chevaliers ou des gens d'Église en matière d'amour. Un jour d'été, dans un verger, Blanchefleur révèle à Florence avoir donné son cœur à un jeune homme d'Église. Florence, choquée, préfère les Chevaliers et propose de soumettre leur différend à la cour du Dieu d'Amour. Les deux jeunes filles se rendent au palais du Dieu d'Amour, où un débat est organisé entre divers oiseaux représentant les deux camps. Après un combat symbolique, le Perroquet, représentant les Chevaliers, est vaincu et reconnaît la supériorité des gens d'Église en amour. Florence, désespérée par cette défaite, meurt de chagrin. Les oiseaux lui rendent des honneurs funèbres et placent une épitaphe sur sa tombe. L'auteur mentionne également l'intervention d'une autre alouette dans le conte, s'inspirant de La Fontaine.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
405
p. 44-46
A MADAME P.. Sur son voyage à Argenteuil.
Début :
Venus, à l'insçu de son fils, [...]
Mots clefs :
Argenteuil, Voyage, Peuple, Amour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : A MADAME P.. Sur son voyage à Argenteuil.
A MADAME P ..
Surfon voyage à Argenteuil.
Enus , à l'infçu de fon fils ,
Ayant réfolu de réduire
Un nouveau peuple à fon empire ,
Projetta de quitter Paris.
Elle en vouloit faire un myſtere
A ce Dieu jaloux de fes droits ,
Qui penfe à la nature entiere
Pouvoir lui feul donner des loix.
Pour ne rien faire à l'aventure ,
La Déeffe crut cette fois
Devoir , en changeant de figure ,
Et ne confultant que fon choix ,
DECEMBRE . 1754.
45
En prendre une dont le minois
Répondît à la conjoncture .
Voulant s'aflurer du fuccès ,
Et ne point faire de mépriſe ,
De P.. elle prend les traits
Sûre que parfon entremife
Et le fecours de fes attraits ,
Elle achevera l'entrepriſe.
L'Amour informé du ſecret ,
Et piqué de voir que fa mere
N'empruntoit pas fon miniftere ,
Jura de rompre le projet.
Animé par la jaloufie
Et par un téméraire orgueil ,
Ce Dieu , précédé de l'envie ,
Part & fe rend dans Argenteuil.
Dans ces lieux peu faits pour les charmes ,
Ileft un peuple de guerriers ;
Pour devife on lit fur leurs armes ,
Point de myrtes , mais des lauriers.
C'étoit à ce peuple infenfible
Que Venus deftinoit des fers ,
Afin que tout dans l'univers
Connût fon pouvoir invincible.
Au mépris de fes intérêts ,
L'Amour balançoit fa puiffance ;
Il n'écoutoit que la vengeance
Et que fes ferments indifcrets.
Il avoit devancé fa mere ,
46 MERCURE DE FRANCE.
Et déja par plus d'un propos ,
Quoiqu'il fût fûr de lui déplaire,
Il avoit féduit ces héros , ^
Qui tous attachés à la gloire
Ne fuivoient que ſes étendarts ;
Et fiers de plus d'une victoire ,
Défioient les plus grands hazards.
P.. paroît , tout rend les armes ,
Tout céde à fes attraits vainqueurs ;
Et l'hommage de tous les coeurs
Fait le triomphe de fes charmes.
L'Amour en paroît irrité ;
Il fuit ces lieux avec colere ,
Et dit en partant pour Cythere ;
Tout eft facile à la beauté.
Surfon voyage à Argenteuil.
Enus , à l'infçu de fon fils ,
Ayant réfolu de réduire
Un nouveau peuple à fon empire ,
Projetta de quitter Paris.
Elle en vouloit faire un myſtere
A ce Dieu jaloux de fes droits ,
Qui penfe à la nature entiere
Pouvoir lui feul donner des loix.
Pour ne rien faire à l'aventure ,
La Déeffe crut cette fois
Devoir , en changeant de figure ,
Et ne confultant que fon choix ,
DECEMBRE . 1754.
45
En prendre une dont le minois
Répondît à la conjoncture .
Voulant s'aflurer du fuccès ,
Et ne point faire de mépriſe ,
De P.. elle prend les traits
Sûre que parfon entremife
Et le fecours de fes attraits ,
Elle achevera l'entrepriſe.
L'Amour informé du ſecret ,
Et piqué de voir que fa mere
N'empruntoit pas fon miniftere ,
Jura de rompre le projet.
Animé par la jaloufie
Et par un téméraire orgueil ,
Ce Dieu , précédé de l'envie ,
Part & fe rend dans Argenteuil.
Dans ces lieux peu faits pour les charmes ,
Ileft un peuple de guerriers ;
Pour devife on lit fur leurs armes ,
Point de myrtes , mais des lauriers.
C'étoit à ce peuple infenfible
Que Venus deftinoit des fers ,
Afin que tout dans l'univers
Connût fon pouvoir invincible.
Au mépris de fes intérêts ,
L'Amour balançoit fa puiffance ;
Il n'écoutoit que la vengeance
Et que fes ferments indifcrets.
Il avoit devancé fa mere ,
46 MERCURE DE FRANCE.
Et déja par plus d'un propos ,
Quoiqu'il fût fûr de lui déplaire,
Il avoit féduit ces héros , ^
Qui tous attachés à la gloire
Ne fuivoient que ſes étendarts ;
Et fiers de plus d'une victoire ,
Défioient les plus grands hazards.
P.. paroît , tout rend les armes ,
Tout céde à fes attraits vainqueurs ;
Et l'hommage de tous les coeurs
Fait le triomphe de fes charmes.
L'Amour en paroît irrité ;
Il fuit ces lieux avec colere ,
Et dit en partant pour Cythere ;
Tout eft facile à la beauté.
Fermer
Résumé : A MADAME P.. Sur son voyage à Argenteuil.
Le texte décrit un projet de Vénus visant à conquérir un peuple à Argenteuil. Pour éviter l'ingérence de Jupiter, elle adopte l'apparence de Madame P., espérant ainsi réussir grâce aux attraits de cette dernière. Cependant, l'Amour, jaloux de n'avoir pas été sollicité, décide de contrecarrer le plan. Il se rend à Argenteuil, un lieu peu propice aux charmes, et y trouve un peuple de guerriers symbolisés par des lauriers. Animé par la jalousie et l'orgueil, l'Amour persuade les guerriers de suivre ses étendards. Lorsque Madame P. apparaît, tous succombent à ses charmes, irritant l'Amour. Il quitte alors les lieux en colère, déclarant que tout est facile pour la beauté.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
406
p. 72-83
THELANIRE ET ISMENE.
Début :
Un Satyre pour célébrer son arrivée dans un bois, donnoit aux hôtes voisins [...]
Mots clefs :
Amour, Coeur, Dieux, Bonheur, Amitié, Ciel, Yeux, Amant, Pieds, Nymphe, Plaisir, Oracle
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : THELANIRE ET ISMENE.
THELANIRE ET ISMENE.
N Satyre pour célébrer fon arrivée
UNdans un bois , donnoit aux hôtes voi
fins une fête l'habitant des forêts y invita
auffi le jeune Thelanire & la charmante
Ifmene. Thelanire , quoique citadin ,
ne dédaigna pas l'offre du Sylvain ; fon
refus eût pû l'affliger , c'étoit affez pour
déterminer Thelanire à s'y rendre. Le ciel
connoiffoit fon intention , & pour l'en récompenfer
il y envoya Ifmene. La Nymphe
ſe préfenta dans une noble fimplicité
, elle donnoit de l'éclat à fa parure :
elle n'étoit qu'Ifmene , mais elle étoit Ifmene.
Thelanire la vit , il l'aima . Un tendre
embarras s'empara de fon ame , tout
lui
DECEMBRE. 1754. 75
lui fembloit inftruit de fon amour : if
croyoit voir l'univers occupé de fa tendieffe
, & rire de fa timidité.
Grands Dieux ! difoit - il , de quoi me
puniffez vous n'ai je pas affermi votre
culte en travaillant à étouffer la fuperfti
tion ? ne vous ai - je pas rendu de continuels
hommages ? mon coeur n'a écouté
que le cri de l'humanité , & ma premiere
crainte a été d'affliger le foible & le malheureux.
Je ne vous demande pas de m'ôter
mon amour , mais de me rendre la parole.
Un grand bruit fe fit entendre ( les Sa
tyres prennent le tumulte pour la gaité ) ,
& on annonça à Thelanire' que l'heure du
répas étoit arrivée.
Les Satyres croyent que rien n'eft comparable
à un Satyre ; cependant Ifmene
étoit fi belle qu'ils la jugerent dignes d'eux.
Ils eurent la gloire de fervir la Nymphe ,
& Thelanire le chagrin de les voir au comble
du bonheur. Il aimoit , il falloit le
faire entendre : Thelanire étoit épris pour
la premiere fois ; Thelanire pour la premiere
fois étoit timide.
Votre bonheur s'accroît de jour en jour ,
difoit-il au Satyre voifin d'Ifmene ; hier
Cidalyfe vous adoroit , & maintenant vous
baifez les pieds d'Ifmene.
11. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Que vous êtes heureux ! difoit-il à un.
autre , vous obligez Ifmene , laiffez- moi
partager vos légeres peines & vos immenfes
plaifirs .
Cependant on voyoit la délicateffe prendre
la place de la profufion : on entendoit
les échos répeter les plus tendres fons ;
Thelanire feul ne voyoit & n'entendoit
qu'lfmene.
La Nymphe étoit fenfible , & Thelanire
lui plaifoit : elle croyoit n'aimer que fon
eſprit .
Tout s'efforçoit de contenter Ifmene ;
les Satyres épuifoient leur champêtre ga
lanterie. Cruels , difoit Thelanire , pourquoi
prenez-vous tant de peines ? pourquoi
m'ôtez- vous mes plaifirs ? La joie &
les flacons difparurent enfin , & le bonheur
de Thelanire commença. Affis aux
pieds d'Ifmene , Thelanire admira & fe
tût. Ifmene , dit Thelanire en foupirant :
Thelanire , reprit Ifmene en tremblant.
Ifmene .... eh bien : il baifoit fes mains ,
il les arrofoit de fes larmes. Que faitesvous
, lui dit Ifmene ? avez-vous perdu
l'ufage de la raifon hélas ! peu s'en faut ,
s'écria Thelanire , je fuis amoureux . Thelanire
trembla . Ifmene baiffa les yeux ,
& le filence fuccéda aux plus tendres em
braffemens. Ifmene n'ofoit jetter les yeux
DECEMBRE. 1754 75
far Thelanite , & Thelanire craignoit de
rencontrer les regards d'lfmene . Araminte
eft fans doute celle dont vous êtes épris ,
lui dit Ifmene en fouriant ; elle n'eſt pas ,
il est vrai , dans la premiere jeuneffe , mais
elle eft raisonnable .
Hélas ! reprit Thelanire , puiffe le ciel
pour punir les lâches adorateurs d'Araminte
, les condamner à n'aimer jamais que
des coeurs comme le fien.
Orphiſe & fes immenfes appas font donc
l'objet de vos'ardeurs ?
Hélas ! s'écria Thelanire , fi mon coeur
étoit affez bas pour foupiter après Orphi
fe , je fupplierois les Dieux de m'ôter le
plus précieux de leurs dons , je les prierois
de me rendre infenfible. De la beauté
qui m'enflamme , ajouta Thelanire , je vais
vous ébaucher le portrait ; je la peindrai
charmante , digne du plus grand des Dieux
ou d'un mortel fenfible & vertueux ; l'univers
à ces traits va la reconnoître , Ifmene
feule la méconnoîtra.
Elle n'eft point fille des Graces , elle
n'eft pas inême leur rivale , car les Graces
ne le lui difputent pas.
Talens , appas , la nature lui prodigua
tous les dons , jufqu'à celui d'ignorer qu'el
le eft aimable.
Qui la voit , foupire ; qui ceffe de la voir,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
gémit , pour l'adorer quand il la reverral
Grands Dieux ! dit Ifmene , en foupirant
, quelle erreur étoit la mienne ! je me
croyois aimée , le cruel vient de me defabufer.
Ifmene ! ma chere Ifmene , c'eft
vous , ce font vos traits que je viens de
tracer je vous adore , & vous feriez fenfible
? Non , reprit Ifmene , d'un air embarraffé
, je n'ai point d'amour pour vous :
fi vous parlez , il eft vrai , vous m'occupez ;
vous taifez- vous ? vous m'occupez encore ;
mais je n'ai point d'amour pour vous.
Sommes-nous feuls ? je vous écoute ; quelqu'un
furvient , il me paroît importun ;
mais je n'ai point d'amour pour vous.
L'amitié , ce fentiment qui fait honneur à
T'humanité , ce fentiment incapable d'affadir
mon coeur , eft le feul lien qui m'attache à
mon cher Thelanire. Cruelle amitié ! s'écria
Thelanire ; barbare Ifmene , le ciel
vous a faite pour l'amour ; laiffez au tems
le foin de vous faire pour l'amitié. Des
jours viendront où la charmante Ifmene
ne fera plus que la refpectable Ifinenc ,
c'eft alors que les douceurs de l'amitié vous
tiendront lieu des voluptés de l'amour.
Ifmene n'eût pas été difficile à perfua
der ; déja elle craignoit Thelanire, lorf
qu'elle difparut.
Déja depuis long- tems Thelanire ne
DECEMBRE. 1754. 77
pouvoit plus appercevoir Ifmene , que fon
amoureufe imagination la lui faifoit voir
encore. Inquiet , affligé , mille raifons le
portoient à interpréter en fa faveur cette
fuite précipitée ; une feule lui difoit le
contraire , c'étoit affez pour le rendre malheureux.
Cependant Thelanire confidéroit
le féjour qu'Ifmene venoit d'abandonner
, tout lui paroiffoit un motif de confolation
pour fon ame abattue ; le gazon ,
une fleur , tout étoit intéreffant pour Thelanire.
Içi , difoit- il , Ifmene me tendit
une main , que d'un air embarraſſé elle retira
à l'inftant. Là je la vis arracher une
fleur qu'elle s'amufoit à déchirer , pour me
cacher fon innocente timidité . C'étoit près
de ce feuillage qu'Ifmene , en foupirant ,
me regarda , pour baiffer fes yeux fi-tôt
qu'elle rencontra les miens. Ifmene , ajoû
toit-il , Ifmene , vous me fuyez parce que
j'ai dit je vous aime ; mais où pourrezvous
aller fans en entendre autant ? L'humble
habitant de ces deferts glacés , où le
re du jour ſemble porter à regret fa lumiere
, vous admirera parce qu'il n'aura jamais
vû de beauté. Le fuperbe Américain
s'empreffera à vos genoux , parce que mille
beautés qu'il aura vûes lui feront fentir
le mérite d'Ifmene.
pe-
Cependant Thelanire incertain réſolut
Dirj
78 MERCURE DE FRANCE.
d'aller confulter l'Oracle de Venus fur le
fuccès de fon amour. Il vole à Paphos là
fur les bords d'une onde tranquille dont
le murmure fe marie agréablement aux gazouillement
des oifeaux , eft un temple
commencé par la nature & embelli par le
tems. L'efpoir & le plaifir en font les foutiens
inébranlables : l'amour y peignit de
fa main fes victoires les plus fignalées. Ici
la timide Aricie enchaîne avec des fleurs
Hyppolite , qui n'ofe lui réfifter. Surpriſe
& fiere de fa victoire , elle le regarde , &
s'en applaudit.
Là Pénelope , au milieu de fes amans
empreffés , foupire pour Ulyffe fon époux.
Un jour avantageux , digne effet de la
puiffance de l'amour , prête des graces
aux mortels qui habitent ce palais ; tout y
paroît charmant. La Déeffe n'y tient pas la
foudre à la main. Ses regards n'annoncent
pas la fierté ; le badinage & l'enjouement
ne font pas bannis de ces lieux. C'eſt aux
pieds de Venus que Thelanire prononça
ces mots : Déeffe des Amours , je ne viens
pas vous demander fi j'aime , mon coeur
me le dit affez ; daignez m'apprendre feulement
que je fuis aimé d'Ifmene.
Ifimene avoit été conduite au temple
par le même defir que fon amant. La fupercherie
ne déplaît pas à Venus. Ifmene
DECEMBRE . 1754 79
réfolut de profiter de l'occafion pour s'affurer
du coeur de Thelanire. Elle court fe
cacher derriere l'autel de la Déeffe , & elle
rend cette réponſe à fon amant . De quel
front ofes-tu , mortel impofteur , apporter
le menfonge jufques dans mon fanctuaire?
Ifmene te plaît , mais tu n'as pas
d'amour pour elle . Hélas ! dit Thelanire ,
puiffe le ciel pour me punir , fi je n'ai pas
dit la vérité , abandonner ma main au crime
, & mon coeur aux remords dévorans :
puiffent les Dieux m'ôter toutes mes confolations
, & me priver du plaifir de défendre
le foible opprimé par le puiffant.
Tu n'aimes point Ifmene , reprit la voix :
Ifmene t'écoute , tu n'ofes lui parler : Ilmene
fuit , & tu la laiffes échapper ; vas , tu
n'aimes point Ifmene.
Thelanire effrayé des premieres paroles
d'Ifmene , n'avoit pas reconnu fa voix . Ifmene
, c'est vous qui me parlez , dit- il , en
élevant fes yeux qui n'apperçurent que l'image
de Venus. Ifmene ! ... mais hélas !
je m'abuſe , tout me rappelle Ifmene , tout
la retrace à mon ame attendrie . Ifmene
que vous me caufez de peines ! Quand je
fuis avec vous , je tremble de voir arriver
l'inftant qui doit nous féparer. Me quittez-
vous ? je crains de ne vous revoir jamais.
Amour , je ne te demande pas
d'a-
D iiij
30 MERCURE DE FRANCE.
bandonner mon coeur , mais de dompter
le fien. Cependant Ifmene , qui croyoit
avoir été reconnue , avoit pris la fuite.
Thelanire , ennuyé d'interroger en vain
l'oracle qui ne répondoit plus , erroit à l'aventure
dans le temple , lorfqu'lfmene
s'offrit à fa vûe.
Ifmene , s'écria-t-il , Ifmene , non les
Dieux ne connoiffent pas le coeur des morrels
, les cruels m'ont dit ce que vous ne
croirez pas , ce que je ne crois pas moimême
; ils m'ont dit que je fuis un parjure ,
que le bonheur n'eſt pas fait pour moi ,
ont ofé me dire , tu n'as pas d'amour pour
Ifmene , & pour comble d'horreur les
barbares m'ont laiffé la vie.
ils
Ifmene jouiffoit du trouble de fon amant
fans ofer proférer une parole. Injufte Ifmene
, lui dit Thelanire , quoi ! vous ne
les accufez pas , ces Dieux ! ils font moins
injuftes que vous ; ils n'ont point vu Thelanire
interdit à leurs pieds. Thelanire n'a
pas pleuré lorfqu'il les a vûs , Thelanire
n'a pas pleuré lorsqu'il a ceffé de les voir.
Ingrate Ifmene , vous doutez de mon coeur,
parce que vous êtes für du vôtre ; & vous
jugez Thelanire impofteur , parce qu'lfmene
eft infenfible . Ifmene eût voulu
der plus long- tems le filence ; les reproches
de Thelanire développoient les fengarDECEMBRE.
81 1754.
timens de fon coeur : cependant elle l'interrompit
ainfi . Qui de nous a droit d'être
en courroux ? les Dieux ont dit que vous
ne m'aimez pas , mais ont - ils prononcé
qu'Ifmene n'a point d'amour pour vous ?
De quoi pouvez- vous m'accufer ? qu'exigez-
vous d'Ifmene ? Hélas ! reprit Thelanire
, je defire qu'elle foit plus juſte que
les Dieux , qu'elle en croye mon coeur &
non pas un oracle menfonger. Ifmene , dites-
moi , je vous aime , je n'irai pas interroger
les Dieux. Thelanire yous jure qu'il
vous adore , croyez- le , il en eft plus für
qu'un oracle infenfible. Venez , je veux
vous montrer aux Dieux , ils fentiront fi
l'on peut voir Ifmene fans en être épris.
F
La langueur de Thelanire paffoit dans
le coeur d'Ifmene . Attendrie & confuſe ,
elle oppofoit de foibles raiſons aux tranſports
de fon amant qu'elle ne vouloit pas
convaincre .
Notre amour finira , difoit - elle à The-
Janire ; qui peut répondre de la durée de
fon ardeur perfonne. Je ne le fens que
trop ; carje n'oferois jurer àmon cher Thelanire
que je l'aimerai éternellement.
-Encore fi nos ardeurs s'éteignoient en
même tems : mais non , Ifmene fidele verra
du fein des douleurs les plaiſirs affiéger
en foule Thelanire inconftant ; car The 12
·
D v
82 MERCURE DE FRANCE:
lanire changera le premier. Moi changer ,
chere Ifmene ! eh , le puis - je ! vos yeux
font de fûrs garans de mon amour ; votre
coeur vous répond de mon amitié ; elle
pourra s'accroître aux dépens de l'amour ,
mais jamais l'amour n'altérera notre amitié.
Thelanire cependant ferroit Ifmene entre
fes bras, il eut voulu la contenir toute enviere
dans fes mains . Vous m'aimez donc ,
lui dit Ifmene en foupirant ? Si je vous
aime ? reprit Thelanire , vous feule m'avez
fait voir que je n'avois jamais aimé ;
Philis me plaifoit , j'avois du goût pour
Cidalife ; mais je n'ai jamais aimé qu'lfmene.
Baifer fes mains . eft pour moi la
fource d'une volupté que je n'ai pas même
trouvée dans les dernieres faveurs des
autres. Mais vous , Ifmene , eft-il poffible
que Thelanire ait fçu vous plaire ? Hélas !
dit Ifmene ; Almanzor m'amufoit ; Daph
nis me faifoit rire ; je n'ai foupiré que pour
Thelanire , que j'ai évité. Ifmene , ma chere
Ifmene , ce jour eft le plus beau de ma vie ;
mais qu'il foit pour moi le dernier , s'il doit
coûter des pleurs à ma chère Imene ....
Ah ! Thelanire , fans doute , ce jour coût
tera des larmes à Ifmene ; car finene taimera
toujours: mais , Thelanire ! ...The
lanire comptera les jours de fon exiſtence
par ceux qu'il aura employés à faire le bon
DECEMBRE . 1754. 83
heur d'Ifmene . Un Roi , dira -t-il , pere de
fon peuple , plus amoureux du bien de fes
fujets que d'une gloire qui ira toujours audevant
de lui , leur procura les douceurs
de la paix le jour que Thelanire préféra
aux richeffes d'Elife la poffeffion tranquille
d'Ifmene. Le ciel donna à un peuple
de freres l'efpoir d'un maître & d'un
appui le jour que Thelanire aida Ifmene
à fecourir un infortuné. Ifmene , nos
amours feront éternels ; car vous ne changerez
pas. Ifmene s'efforçoit en vain de
répondre fa voix mourante fur fes levres
s'éteignoit dans les embraffemens de Thelanire
. La langueur avoit paffé dans fon
fein , elle gagna bientôt fon amant . Je vis
la tendreffe , l'amour , le plaifir & le bonheur
, mais je ne vis plus Thelanire ni If
mene : ils avoient ceffé d'exifter , ou plutôc
ils commençoient à fentir le bonheur d'être.
:
Depuis ce jour Thelanire foupire pour
Ifmene , qui l'adore ; Ifmene eft fans ceffe
occupée de Thelanire , qui ne pense qu'à
Ifmene.
Ifmene obligée de préfider aux Fêtes de
Bacchus , a quitté pour un tems fon cher
Thelanire. Ifmene pleure , Thelanire gé
mit , & ils trouvent du plaifir dans leurs
larmes.
1
D.
Par M. d'Igeon,
N Satyre pour célébrer fon arrivée
UNdans un bois , donnoit aux hôtes voi
fins une fête l'habitant des forêts y invita
auffi le jeune Thelanire & la charmante
Ifmene. Thelanire , quoique citadin ,
ne dédaigna pas l'offre du Sylvain ; fon
refus eût pû l'affliger , c'étoit affez pour
déterminer Thelanire à s'y rendre. Le ciel
connoiffoit fon intention , & pour l'en récompenfer
il y envoya Ifmene. La Nymphe
ſe préfenta dans une noble fimplicité
, elle donnoit de l'éclat à fa parure :
elle n'étoit qu'Ifmene , mais elle étoit Ifmene.
Thelanire la vit , il l'aima . Un tendre
embarras s'empara de fon ame , tout
lui
DECEMBRE. 1754. 75
lui fembloit inftruit de fon amour : if
croyoit voir l'univers occupé de fa tendieffe
, & rire de fa timidité.
Grands Dieux ! difoit - il , de quoi me
puniffez vous n'ai je pas affermi votre
culte en travaillant à étouffer la fuperfti
tion ? ne vous ai - je pas rendu de continuels
hommages ? mon coeur n'a écouté
que le cri de l'humanité , & ma premiere
crainte a été d'affliger le foible & le malheureux.
Je ne vous demande pas de m'ôter
mon amour , mais de me rendre la parole.
Un grand bruit fe fit entendre ( les Sa
tyres prennent le tumulte pour la gaité ) ,
& on annonça à Thelanire' que l'heure du
répas étoit arrivée.
Les Satyres croyent que rien n'eft comparable
à un Satyre ; cependant Ifmene
étoit fi belle qu'ils la jugerent dignes d'eux.
Ils eurent la gloire de fervir la Nymphe ,
& Thelanire le chagrin de les voir au comble
du bonheur. Il aimoit , il falloit le
faire entendre : Thelanire étoit épris pour
la premiere fois ; Thelanire pour la premiere
fois étoit timide.
Votre bonheur s'accroît de jour en jour ,
difoit-il au Satyre voifin d'Ifmene ; hier
Cidalyfe vous adoroit , & maintenant vous
baifez les pieds d'Ifmene.
11. Vol. D
74 MERCURE DE FRANCE.
Que vous êtes heureux ! difoit-il à un.
autre , vous obligez Ifmene , laiffez- moi
partager vos légeres peines & vos immenfes
plaifirs .
Cependant on voyoit la délicateffe prendre
la place de la profufion : on entendoit
les échos répeter les plus tendres fons ;
Thelanire feul ne voyoit & n'entendoit
qu'lfmene.
La Nymphe étoit fenfible , & Thelanire
lui plaifoit : elle croyoit n'aimer que fon
eſprit .
Tout s'efforçoit de contenter Ifmene ;
les Satyres épuifoient leur champêtre ga
lanterie. Cruels , difoit Thelanire , pourquoi
prenez-vous tant de peines ? pourquoi
m'ôtez- vous mes plaifirs ? La joie &
les flacons difparurent enfin , & le bonheur
de Thelanire commença. Affis aux
pieds d'Ifmene , Thelanire admira & fe
tût. Ifmene , dit Thelanire en foupirant :
Thelanire , reprit Ifmene en tremblant.
Ifmene .... eh bien : il baifoit fes mains ,
il les arrofoit de fes larmes. Que faitesvous
, lui dit Ifmene ? avez-vous perdu
l'ufage de la raifon hélas ! peu s'en faut ,
s'écria Thelanire , je fuis amoureux . Thelanire
trembla . Ifmene baiffa les yeux ,
& le filence fuccéda aux plus tendres em
braffemens. Ifmene n'ofoit jetter les yeux
DECEMBRE. 1754 75
far Thelanite , & Thelanire craignoit de
rencontrer les regards d'lfmene . Araminte
eft fans doute celle dont vous êtes épris ,
lui dit Ifmene en fouriant ; elle n'eſt pas ,
il est vrai , dans la premiere jeuneffe , mais
elle eft raisonnable .
Hélas ! reprit Thelanire , puiffe le ciel
pour punir les lâches adorateurs d'Araminte
, les condamner à n'aimer jamais que
des coeurs comme le fien.
Orphiſe & fes immenfes appas font donc
l'objet de vos'ardeurs ?
Hélas ! s'écria Thelanire , fi mon coeur
étoit affez bas pour foupiter après Orphi
fe , je fupplierois les Dieux de m'ôter le
plus précieux de leurs dons , je les prierois
de me rendre infenfible. De la beauté
qui m'enflamme , ajouta Thelanire , je vais
vous ébaucher le portrait ; je la peindrai
charmante , digne du plus grand des Dieux
ou d'un mortel fenfible & vertueux ; l'univers
à ces traits va la reconnoître , Ifmene
feule la méconnoîtra.
Elle n'eft point fille des Graces , elle
n'eft pas inême leur rivale , car les Graces
ne le lui difputent pas.
Talens , appas , la nature lui prodigua
tous les dons , jufqu'à celui d'ignorer qu'el
le eft aimable.
Qui la voit , foupire ; qui ceffe de la voir,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
gémit , pour l'adorer quand il la reverral
Grands Dieux ! dit Ifmene , en foupirant
, quelle erreur étoit la mienne ! je me
croyois aimée , le cruel vient de me defabufer.
Ifmene ! ma chere Ifmene , c'eft
vous , ce font vos traits que je viens de
tracer je vous adore , & vous feriez fenfible
? Non , reprit Ifmene , d'un air embarraffé
, je n'ai point d'amour pour vous :
fi vous parlez , il eft vrai , vous m'occupez ;
vous taifez- vous ? vous m'occupez encore ;
mais je n'ai point d'amour pour vous.
Sommes-nous feuls ? je vous écoute ; quelqu'un
furvient , il me paroît importun ;
mais je n'ai point d'amour pour vous.
L'amitié , ce fentiment qui fait honneur à
T'humanité , ce fentiment incapable d'affadir
mon coeur , eft le feul lien qui m'attache à
mon cher Thelanire. Cruelle amitié ! s'écria
Thelanire ; barbare Ifmene , le ciel
vous a faite pour l'amour ; laiffez au tems
le foin de vous faire pour l'amitié. Des
jours viendront où la charmante Ifmene
ne fera plus que la refpectable Ifinenc ,
c'eft alors que les douceurs de l'amitié vous
tiendront lieu des voluptés de l'amour.
Ifmene n'eût pas été difficile à perfua
der ; déja elle craignoit Thelanire, lorf
qu'elle difparut.
Déja depuis long- tems Thelanire ne
DECEMBRE. 1754. 77
pouvoit plus appercevoir Ifmene , que fon
amoureufe imagination la lui faifoit voir
encore. Inquiet , affligé , mille raifons le
portoient à interpréter en fa faveur cette
fuite précipitée ; une feule lui difoit le
contraire , c'étoit affez pour le rendre malheureux.
Cependant Thelanire confidéroit
le féjour qu'Ifmene venoit d'abandonner
, tout lui paroiffoit un motif de confolation
pour fon ame abattue ; le gazon ,
une fleur , tout étoit intéreffant pour Thelanire.
Içi , difoit- il , Ifmene me tendit
une main , que d'un air embarraſſé elle retira
à l'inftant. Là je la vis arracher une
fleur qu'elle s'amufoit à déchirer , pour me
cacher fon innocente timidité . C'étoit près
de ce feuillage qu'Ifmene , en foupirant ,
me regarda , pour baiffer fes yeux fi-tôt
qu'elle rencontra les miens. Ifmene , ajoû
toit-il , Ifmene , vous me fuyez parce que
j'ai dit je vous aime ; mais où pourrezvous
aller fans en entendre autant ? L'humble
habitant de ces deferts glacés , où le
re du jour ſemble porter à regret fa lumiere
, vous admirera parce qu'il n'aura jamais
vû de beauté. Le fuperbe Américain
s'empreffera à vos genoux , parce que mille
beautés qu'il aura vûes lui feront fentir
le mérite d'Ifmene.
pe-
Cependant Thelanire incertain réſolut
Dirj
78 MERCURE DE FRANCE.
d'aller confulter l'Oracle de Venus fur le
fuccès de fon amour. Il vole à Paphos là
fur les bords d'une onde tranquille dont
le murmure fe marie agréablement aux gazouillement
des oifeaux , eft un temple
commencé par la nature & embelli par le
tems. L'efpoir & le plaifir en font les foutiens
inébranlables : l'amour y peignit de
fa main fes victoires les plus fignalées. Ici
la timide Aricie enchaîne avec des fleurs
Hyppolite , qui n'ofe lui réfifter. Surpriſe
& fiere de fa victoire , elle le regarde , &
s'en applaudit.
Là Pénelope , au milieu de fes amans
empreffés , foupire pour Ulyffe fon époux.
Un jour avantageux , digne effet de la
puiffance de l'amour , prête des graces
aux mortels qui habitent ce palais ; tout y
paroît charmant. La Déeffe n'y tient pas la
foudre à la main. Ses regards n'annoncent
pas la fierté ; le badinage & l'enjouement
ne font pas bannis de ces lieux. C'eſt aux
pieds de Venus que Thelanire prononça
ces mots : Déeffe des Amours , je ne viens
pas vous demander fi j'aime , mon coeur
me le dit affez ; daignez m'apprendre feulement
que je fuis aimé d'Ifmene.
Ifimene avoit été conduite au temple
par le même defir que fon amant. La fupercherie
ne déplaît pas à Venus. Ifmene
DECEMBRE . 1754 79
réfolut de profiter de l'occafion pour s'affurer
du coeur de Thelanire. Elle court fe
cacher derriere l'autel de la Déeffe , & elle
rend cette réponſe à fon amant . De quel
front ofes-tu , mortel impofteur , apporter
le menfonge jufques dans mon fanctuaire?
Ifmene te plaît , mais tu n'as pas
d'amour pour elle . Hélas ! dit Thelanire ,
puiffe le ciel pour me punir , fi je n'ai pas
dit la vérité , abandonner ma main au crime
, & mon coeur aux remords dévorans :
puiffent les Dieux m'ôter toutes mes confolations
, & me priver du plaifir de défendre
le foible opprimé par le puiffant.
Tu n'aimes point Ifmene , reprit la voix :
Ifmene t'écoute , tu n'ofes lui parler : Ilmene
fuit , & tu la laiffes échapper ; vas , tu
n'aimes point Ifmene.
Thelanire effrayé des premieres paroles
d'Ifmene , n'avoit pas reconnu fa voix . Ifmene
, c'est vous qui me parlez , dit- il , en
élevant fes yeux qui n'apperçurent que l'image
de Venus. Ifmene ! ... mais hélas !
je m'abuſe , tout me rappelle Ifmene , tout
la retrace à mon ame attendrie . Ifmene
que vous me caufez de peines ! Quand je
fuis avec vous , je tremble de voir arriver
l'inftant qui doit nous féparer. Me quittez-
vous ? je crains de ne vous revoir jamais.
Amour , je ne te demande pas
d'a-
D iiij
30 MERCURE DE FRANCE.
bandonner mon coeur , mais de dompter
le fien. Cependant Ifmene , qui croyoit
avoir été reconnue , avoit pris la fuite.
Thelanire , ennuyé d'interroger en vain
l'oracle qui ne répondoit plus , erroit à l'aventure
dans le temple , lorfqu'lfmene
s'offrit à fa vûe.
Ifmene , s'écria-t-il , Ifmene , non les
Dieux ne connoiffent pas le coeur des morrels
, les cruels m'ont dit ce que vous ne
croirez pas , ce que je ne crois pas moimême
; ils m'ont dit que je fuis un parjure ,
que le bonheur n'eſt pas fait pour moi ,
ont ofé me dire , tu n'as pas d'amour pour
Ifmene , & pour comble d'horreur les
barbares m'ont laiffé la vie.
ils
Ifmene jouiffoit du trouble de fon amant
fans ofer proférer une parole. Injufte Ifmene
, lui dit Thelanire , quoi ! vous ne
les accufez pas , ces Dieux ! ils font moins
injuftes que vous ; ils n'ont point vu Thelanire
interdit à leurs pieds. Thelanire n'a
pas pleuré lorfqu'il les a vûs , Thelanire
n'a pas pleuré lorsqu'il a ceffé de les voir.
Ingrate Ifmene , vous doutez de mon coeur,
parce que vous êtes für du vôtre ; & vous
jugez Thelanire impofteur , parce qu'lfmene
eft infenfible . Ifmene eût voulu
der plus long- tems le filence ; les reproches
de Thelanire développoient les fengarDECEMBRE.
81 1754.
timens de fon coeur : cependant elle l'interrompit
ainfi . Qui de nous a droit d'être
en courroux ? les Dieux ont dit que vous
ne m'aimez pas , mais ont - ils prononcé
qu'Ifmene n'a point d'amour pour vous ?
De quoi pouvez- vous m'accufer ? qu'exigez-
vous d'Ifmene ? Hélas ! reprit Thelanire
, je defire qu'elle foit plus juſte que
les Dieux , qu'elle en croye mon coeur &
non pas un oracle menfonger. Ifmene , dites-
moi , je vous aime , je n'irai pas interroger
les Dieux. Thelanire yous jure qu'il
vous adore , croyez- le , il en eft plus für
qu'un oracle infenfible. Venez , je veux
vous montrer aux Dieux , ils fentiront fi
l'on peut voir Ifmene fans en être épris.
F
La langueur de Thelanire paffoit dans
le coeur d'Ifmene . Attendrie & confuſe ,
elle oppofoit de foibles raiſons aux tranſports
de fon amant qu'elle ne vouloit pas
convaincre .
Notre amour finira , difoit - elle à The-
Janire ; qui peut répondre de la durée de
fon ardeur perfonne. Je ne le fens que
trop ; carje n'oferois jurer àmon cher Thelanire
que je l'aimerai éternellement.
-Encore fi nos ardeurs s'éteignoient en
même tems : mais non , Ifmene fidele verra
du fein des douleurs les plaiſirs affiéger
en foule Thelanire inconftant ; car The 12
·
D v
82 MERCURE DE FRANCE:
lanire changera le premier. Moi changer ,
chere Ifmene ! eh , le puis - je ! vos yeux
font de fûrs garans de mon amour ; votre
coeur vous répond de mon amitié ; elle
pourra s'accroître aux dépens de l'amour ,
mais jamais l'amour n'altérera notre amitié.
Thelanire cependant ferroit Ifmene entre
fes bras, il eut voulu la contenir toute enviere
dans fes mains . Vous m'aimez donc ,
lui dit Ifmene en foupirant ? Si je vous
aime ? reprit Thelanire , vous feule m'avez
fait voir que je n'avois jamais aimé ;
Philis me plaifoit , j'avois du goût pour
Cidalife ; mais je n'ai jamais aimé qu'lfmene.
Baifer fes mains . eft pour moi la
fource d'une volupté que je n'ai pas même
trouvée dans les dernieres faveurs des
autres. Mais vous , Ifmene , eft-il poffible
que Thelanire ait fçu vous plaire ? Hélas !
dit Ifmene ; Almanzor m'amufoit ; Daph
nis me faifoit rire ; je n'ai foupiré que pour
Thelanire , que j'ai évité. Ifmene , ma chere
Ifmene , ce jour eft le plus beau de ma vie ;
mais qu'il foit pour moi le dernier , s'il doit
coûter des pleurs à ma chère Imene ....
Ah ! Thelanire , fans doute , ce jour coût
tera des larmes à Ifmene ; car finene taimera
toujours: mais , Thelanire ! ...The
lanire comptera les jours de fon exiſtence
par ceux qu'il aura employés à faire le bon
DECEMBRE . 1754. 83
heur d'Ifmene . Un Roi , dira -t-il , pere de
fon peuple , plus amoureux du bien de fes
fujets que d'une gloire qui ira toujours audevant
de lui , leur procura les douceurs
de la paix le jour que Thelanire préféra
aux richeffes d'Elife la poffeffion tranquille
d'Ifmene. Le ciel donna à un peuple
de freres l'efpoir d'un maître & d'un
appui le jour que Thelanire aida Ifmene
à fecourir un infortuné. Ifmene , nos
amours feront éternels ; car vous ne changerez
pas. Ifmene s'efforçoit en vain de
répondre fa voix mourante fur fes levres
s'éteignoit dans les embraffemens de Thelanire
. La langueur avoit paffé dans fon
fein , elle gagna bientôt fon amant . Je vis
la tendreffe , l'amour , le plaifir & le bonheur
, mais je ne vis plus Thelanire ni If
mene : ils avoient ceffé d'exifter , ou plutôc
ils commençoient à fentir le bonheur d'être.
:
Depuis ce jour Thelanire foupire pour
Ifmene , qui l'adore ; Ifmene eft fans ceffe
occupée de Thelanire , qui ne pense qu'à
Ifmene.
Ifmene obligée de préfider aux Fêtes de
Bacchus , a quitté pour un tems fon cher
Thelanire. Ifmene pleure , Thelanire gé
mit , & ils trouvent du plaifir dans leurs
larmes.
1
D.
Par M. d'Igeon,
Fermer
Résumé : THELANIRE ET ISMENE.
Le texte raconte l'histoire d'amour entre Thelanire et Ismène, deux personnages invités à une fête dans un bois par un habitant des forêts. Thelanire, citadin, accepte l'invitation et y rencontre Ismène, qu'il trouve charmante. Il tombe amoureux d'elle, mais son amour le rend timide et embarrassé. Lors du repas, Thelanire observe Ismène et les Satyres qui la servent, ce qui accentue son chagrin. Ismène, sensible à Thelanire, croit d'abord n'aimer que son esprit. La fête se poursuit avec des moments de tendresse et de confusion. Thelanire, désespéré, finit par avouer son amour à Ismène, qui lui répond qu'elle n'a que de l'amitié pour lui. Malgré sa douleur, Thelanire continue de chercher des signes d'amour dans les actions d'Ismène. Il décide de consulter l'oracle de Vénus pour connaître les sentiments d'Ismène. Ismène, également présente, se cache et répond à l'oracle en feignant d'être une voix divine. Thelanire, troublé, finit par retrouver Ismène et lui avoue à nouveau son amour. Ismène, touchée, reconnaît finalement ses sentiments pour Thelanire. Ils discutent de la durée de leur amour et de la fidélité, et finissent par se réconcilier. Par la suite, le texte décrit l'amour profond entre Thelanire et Ismène, désormais nommée Ifmene. Thelanire choisit la paix et la tranquillité avec Ifmene plutôt que les richesses d'Élise. Leur amour est si profond qu'ils trouvent du bonheur même dans leurs séparations, comme lors des fêtes de Bacchus où Ifmene doit présider, laissant Thelanire en larmes. Leur amour est éternel et réciproque, chacun étant constamment préoccupé par le bien-être de l'autre. Leur passion est si intense qu'elle conduit à leur mort, où ils commencent à ressentir le bonheur d'exister ensemble. Leur amour transcende la vie terrestre, les rendant éternels dans leur tendresse et leur bonheur partagé.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
407
p. 84-85
EPITRE A un ami qui partoit pour l'Amérique.
Début :
Rendez-vous dans l'appartement [...]
Mots clefs :
Dieux, Amour, Amérique
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EPITRE A un ami qui partoit pour l'Amérique.
EPITRE
A un ami qui partoit pour l'Amérique:
Rendez - vous dans l'appartement
D'un petit héros de finance ,
Qui , grace aux Dieux , déja commence
De cultiver l'heureux talent
Qui tire un homme du néant
Et le fait vivre avec aiſance.
En attendant ce jour brillant ,
Qui me verra dans l'opulence ,
Accourez avec confiance
Au déjeuner que fans apprêts
Vous prépare mon indigence.
Là vous verrez tous les regrets
Que va me caufer votre abfence :
Là vous recevrez mes adieux .....
Vous partez. Ah ! dans cette plage
Où vous allez porter vos Dieux ;
Fuyez ce foin trop ennuyeux ,
De devenir un perfonnage ;
Ne defirez d'autre avantage
Que celui d'être ... & d'être heureux ;
On l'eft toujours quand on eſt ſage.
Mais n'allez pas être un Caton ,
Je vous preferis cette raison
DECEMBRE.
85 17541
Dont Ariftipe fit ufage ;
Une raiſon fans étalage ,
Qui fe prêtant à nos defirs ,
Nous éclaire fur les plaifirs.
Si les foucis font du
voyage ,
Que j'ai pour vous à craindre encor !
Hélas ! dans ce pays fauvage
Vous ne trouverez que de l'or.
L'or feul fait-il notre partage ?
Des plaiſirs la troupe volage ,
L'urbanité , l'efprit , le goût ,
L'agréable libertinage ,
Enfin tous les Dieux du bel âge
N'ont point de temples au Pérou.
On n'y rit point ; là l'homme eft fou ;
Sans agrément , fans badinage.
» Mais Amour , Amour eft par- tout ;
» Ce Dieu par- tout a des hommages.
L'Amour est donc fur ces rivages.
Adieu , partez , vous aurez tout.
A un ami qui partoit pour l'Amérique:
Rendez - vous dans l'appartement
D'un petit héros de finance ,
Qui , grace aux Dieux , déja commence
De cultiver l'heureux talent
Qui tire un homme du néant
Et le fait vivre avec aiſance.
En attendant ce jour brillant ,
Qui me verra dans l'opulence ,
Accourez avec confiance
Au déjeuner que fans apprêts
Vous prépare mon indigence.
Là vous verrez tous les regrets
Que va me caufer votre abfence :
Là vous recevrez mes adieux .....
Vous partez. Ah ! dans cette plage
Où vous allez porter vos Dieux ;
Fuyez ce foin trop ennuyeux ,
De devenir un perfonnage ;
Ne defirez d'autre avantage
Que celui d'être ... & d'être heureux ;
On l'eft toujours quand on eſt ſage.
Mais n'allez pas être un Caton ,
Je vous preferis cette raison
DECEMBRE.
85 17541
Dont Ariftipe fit ufage ;
Une raiſon fans étalage ,
Qui fe prêtant à nos defirs ,
Nous éclaire fur les plaifirs.
Si les foucis font du
voyage ,
Que j'ai pour vous à craindre encor !
Hélas ! dans ce pays fauvage
Vous ne trouverez que de l'or.
L'or feul fait-il notre partage ?
Des plaiſirs la troupe volage ,
L'urbanité , l'efprit , le goût ,
L'agréable libertinage ,
Enfin tous les Dieux du bel âge
N'ont point de temples au Pérou.
On n'y rit point ; là l'homme eft fou ;
Sans agrément , fans badinage.
» Mais Amour , Amour eft par- tout ;
» Ce Dieu par- tout a des hommages.
L'Amour est donc fur ces rivages.
Adieu , partez , vous aurez tout.
Fermer
Résumé : EPITRE A un ami qui partoit pour l'Amérique.
L'épître est adressée à un ami partant pour l'Amérique. L'auteur évoque un 'petit héros de finance' qui cultive un talent prometteur pour échapper au néant et vivre avec aisance. Avant son départ, l'auteur invite son ami à un déjeuner modeste pour exprimer ses regrets et ses adieux. Il conseille à son ami de fuir l'ambition de devenir un personnage important et de rechercher simplement le bonheur et la sagesse. L'auteur met en garde contre les soucis du voyage et les dangers de l'Amérique, où l'on ne trouvera que de l'or, mais pas les plaisirs, l'urbanité, l'esprit, ni les agréments de la vie. Il souligne que l'Amour, cependant, est présent partout. L'auteur conclut en souhaitant à son ami de trouver tout ce qu'il cherche, malgré les défis du voyage.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
408
p. 192-196
Extrait de la Naissance d'Osiris, ou la Fête Pamilie.
Début :
La naissance de Monseigneur le Duc de Berry, les différens spectacles qu'on préparoit [...]
Mots clefs :
Naissance du Duc de Berry, Bergers, Amour, Ciel
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Extrait de la Naissance d'Osiris, ou la Fête Pamilie.
Extrait de la Naiffance d'Ofiris , on la Fête
Pamilie.
La naiffance de Monfeigneur le Duc de
Berry , les différens fpectacles qu'on préparoit
pour leurs Majeftés , les cris de joie
d'un peuple heureux du bonheur de fes
maîtres , voilà ce que l'auteur de ce ballet
nouveau paroît s'être propofé de peindre
par une allégorie . On n'a point la reffource
des louanges directes auprès d'un
Roi auffi modefte que bienfaifant .
Une femme de Thebes , nommée Pamilie
, en fortant du temple de Jupiter , entendit
une voix qui lui annonçoit la naiffance
d'un héros qui devoit faire un jour
la félicité de l'Egypte . C'étoit Ofiris , qu'elle
éleva , & qui fut dans les fuites un des
plus illuftres bienfacteurs de l'humanité.
Pour conferver la mémoire de cet événement
, les Egyptiens inftituerent la Fête
Pamilie , dans laquelle on avoit le foin de
leretracer , & c'eft fur cette ancienne fable
que M. de Cahufac a bâti la fienne.
Le théatre repréfente le devant du temple
de Jupiter. Une troupe de bergers célebre
par leurs danfes & leurs chants la paix
dont ils jouiffent. Pour être parfaitement
heureux , il ne leur manque qu'un feul
bien : mais , difent-ils ,
Chaque
DECEMBRE.
1754. 193
Chaque inftant vole & nous l'amene.
C'est dans ce premier
divertiffement
que Mlle Fel , qui repréfentoit le rolle de
Pamilie , chantoit cette Ariette , dont le
chant fimple exprime d'une maniere ſi
neuve la naïveté des paroles.
Non , non , une flamme volage
Ne peut me ravir mon berger ;
Ce n'eft point un goût paffager
Qui nous enchaîne & nous engage ,
Qui pourroit l'aimer davantage ?
Que gagneroit-il à changer ?
Tout-à - coup un bruit éclatant de tonherre
trouble la fète . Les bergers s'écrient.
du ton dont M. Rameau fçait peindre les
grands mouvemens.
Jupiter s'arme de la foudre ;
Son char brulant s'élance & roule dans les airs:
Quels coups redoublés ! quels éclairs !
O Dieux ! le feu du ciel va nous réduire en poudre
Pendant ce choeur , la danfe ( qu'il ne doit
pas être permis à M. de Cahufac de laiſſer
oifive ou inutile dans fes ballets ) , formoit
des tableaux rapides d'effroi , qui donnoient
une force nouvelle à cette fituation .
Cependant les bergers effrayés & prêts
à partir , font retenus par le Grand Prêtre
du Dieu dont ils redoutoient la colere.
Raffurés par fa préfence & par fes difcours ,
une nouvelle harmonie les frappe & les ar-
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
rête. Ce font des éclats de tonnerre mêlés
de traits de fymphonie les plus mélodieux.
Le ciel s'ouvre ; Jupiter paroît dans tout
l'éclat de fa gloire , ayant à fes pieds les
graces & l'amour , & il dit :
Qu'il eft doux de regner dans une paix profonde !
Que le fort aux mortels prépare de beaux jours !
Rien ne peut plus troubler le ciel , la terre &
l'onde ,
L'amour qui me feconde ,
De leur félicité vient d'affûrer le cours.
Il eſt né , ce héros que vos voeux me demandent
&c.
Les bergers lui répondent par un choeur
d'allégreffe ; les Prêtres lui rendent hommage
par leurs danfes , & Pamilie & fon
berger lui adreffent les vers fuivans.
Enfemble.
Paroiffez , doux tranfports , éclatez en ce jour
Aux regards d'un Dieu qui nous aime.
Pamilie.
L'éclat de la grandeur fuprême
Le flate moins que notre amour.
Enfemble.
Il bannit loin de nous la difcorde & la guerre
Offrons lui tous les jeux que raflemble la paix.
Pamilie.
Qu'il jouiffe de ſes bienfaits ,
En voyant le bonheur qu'il répand fur la terre?
DECEMBRE . 1754 195
Jupiter alors s'exprime ainfi :
Mortels , le foin de ma grandeur
Au féjour des Dieux me rappelle ;
Mais la terre eft l'objet le plus cher à mon coeur :
Je lui laiffe l'Amour. Il en fait le bonheur ;
Que fans ceffe il régne fur elle.
Au moment qu'il remonte dans les cieux ,
l'Amour & les Graces defcendent fur la
terre. Les Bergers les environnent ; mais
l'Amour qui veut lancer fes fléches fur eux ,
les effraye. Une jeune Bergere affronte le
danger , & lui réfifte : il la pourfuit ; il eſt
fur le point de l'atteindre , lorfqu'elle a l'adreffe
de lui ravir la flèche dont il vouloit
la bleffer. Déja la Bergere triomphe ; mais
l'Amour faifit un nouveau trait. Ils levent
tous deux le bras , & font prêts à fe frapper
, lorfque Pamilie les fépare , en difant :
Régne , Amour , fans nous alarmer ;
Quitte tes armes : tout foupire .
Tu n'as befoin pour nous charmer ,
Que de folâtrer & de rire , & c.
Ce premier tableau de danfe , exécuté
par Mile Puvigné , repréfentant la Bergere,
& Mlle Catinon , repréfentant l'Amour ,
ne pouvoit pas manquer de produire un
effet agréable , & il en amenoit naturellement
un fecond , qui termine fort heureufement
cette fête .
L'Amour fe laiffe défarmer : les Graces
Lij
196 MERCURE DE FRANCE.
lui préfentent des guirlandes de fleurs . Il
leur ordonne d'en faire des chaînes pour
les Bergers , & il en prend une qu'il offre à
la jeune Bergere : elle la reçoit avec ingé,
nuité , & dans le moment que l'Amour y
fongé le moins , elle en forme une chaîne
pour lui-même. Tous les Bergers alors les
entourent & les reconduifent , comme en
triomphe , hors du théâtre.
Tel eft ce ballet allégorique , dont la
fimplicité de l'action , l'analogie du fait antique
avec les circonftances du moment ,
le choix des perfonnages , concourent pour
en rendre la compofition heureufe , & l'application
facile.
Pamilie.
La naiffance de Monfeigneur le Duc de
Berry , les différens fpectacles qu'on préparoit
pour leurs Majeftés , les cris de joie
d'un peuple heureux du bonheur de fes
maîtres , voilà ce que l'auteur de ce ballet
nouveau paroît s'être propofé de peindre
par une allégorie . On n'a point la reffource
des louanges directes auprès d'un
Roi auffi modefte que bienfaifant .
Une femme de Thebes , nommée Pamilie
, en fortant du temple de Jupiter , entendit
une voix qui lui annonçoit la naiffance
d'un héros qui devoit faire un jour
la félicité de l'Egypte . C'étoit Ofiris , qu'elle
éleva , & qui fut dans les fuites un des
plus illuftres bienfacteurs de l'humanité.
Pour conferver la mémoire de cet événement
, les Egyptiens inftituerent la Fête
Pamilie , dans laquelle on avoit le foin de
leretracer , & c'eft fur cette ancienne fable
que M. de Cahufac a bâti la fienne.
Le théatre repréfente le devant du temple
de Jupiter. Une troupe de bergers célebre
par leurs danfes & leurs chants la paix
dont ils jouiffent. Pour être parfaitement
heureux , il ne leur manque qu'un feul
bien : mais , difent-ils ,
Chaque
DECEMBRE.
1754. 193
Chaque inftant vole & nous l'amene.
C'est dans ce premier
divertiffement
que Mlle Fel , qui repréfentoit le rolle de
Pamilie , chantoit cette Ariette , dont le
chant fimple exprime d'une maniere ſi
neuve la naïveté des paroles.
Non , non , une flamme volage
Ne peut me ravir mon berger ;
Ce n'eft point un goût paffager
Qui nous enchaîne & nous engage ,
Qui pourroit l'aimer davantage ?
Que gagneroit-il à changer ?
Tout-à - coup un bruit éclatant de tonherre
trouble la fète . Les bergers s'écrient.
du ton dont M. Rameau fçait peindre les
grands mouvemens.
Jupiter s'arme de la foudre ;
Son char brulant s'élance & roule dans les airs:
Quels coups redoublés ! quels éclairs !
O Dieux ! le feu du ciel va nous réduire en poudre
Pendant ce choeur , la danfe ( qu'il ne doit
pas être permis à M. de Cahufac de laiſſer
oifive ou inutile dans fes ballets ) , formoit
des tableaux rapides d'effroi , qui donnoient
une force nouvelle à cette fituation .
Cependant les bergers effrayés & prêts
à partir , font retenus par le Grand Prêtre
du Dieu dont ils redoutoient la colere.
Raffurés par fa préfence & par fes difcours ,
une nouvelle harmonie les frappe & les ar-
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
rête. Ce font des éclats de tonnerre mêlés
de traits de fymphonie les plus mélodieux.
Le ciel s'ouvre ; Jupiter paroît dans tout
l'éclat de fa gloire , ayant à fes pieds les
graces & l'amour , & il dit :
Qu'il eft doux de regner dans une paix profonde !
Que le fort aux mortels prépare de beaux jours !
Rien ne peut plus troubler le ciel , la terre &
l'onde ,
L'amour qui me feconde ,
De leur félicité vient d'affûrer le cours.
Il eſt né , ce héros que vos voeux me demandent
&c.
Les bergers lui répondent par un choeur
d'allégreffe ; les Prêtres lui rendent hommage
par leurs danfes , & Pamilie & fon
berger lui adreffent les vers fuivans.
Enfemble.
Paroiffez , doux tranfports , éclatez en ce jour
Aux regards d'un Dieu qui nous aime.
Pamilie.
L'éclat de la grandeur fuprême
Le flate moins que notre amour.
Enfemble.
Il bannit loin de nous la difcorde & la guerre
Offrons lui tous les jeux que raflemble la paix.
Pamilie.
Qu'il jouiffe de ſes bienfaits ,
En voyant le bonheur qu'il répand fur la terre?
DECEMBRE . 1754 195
Jupiter alors s'exprime ainfi :
Mortels , le foin de ma grandeur
Au féjour des Dieux me rappelle ;
Mais la terre eft l'objet le plus cher à mon coeur :
Je lui laiffe l'Amour. Il en fait le bonheur ;
Que fans ceffe il régne fur elle.
Au moment qu'il remonte dans les cieux ,
l'Amour & les Graces defcendent fur la
terre. Les Bergers les environnent ; mais
l'Amour qui veut lancer fes fléches fur eux ,
les effraye. Une jeune Bergere affronte le
danger , & lui réfifte : il la pourfuit ; il eſt
fur le point de l'atteindre , lorfqu'elle a l'adreffe
de lui ravir la flèche dont il vouloit
la bleffer. Déja la Bergere triomphe ; mais
l'Amour faifit un nouveau trait. Ils levent
tous deux le bras , & font prêts à fe frapper
, lorfque Pamilie les fépare , en difant :
Régne , Amour , fans nous alarmer ;
Quitte tes armes : tout foupire .
Tu n'as befoin pour nous charmer ,
Que de folâtrer & de rire , & c.
Ce premier tableau de danfe , exécuté
par Mile Puvigné , repréfentant la Bergere,
& Mlle Catinon , repréfentant l'Amour ,
ne pouvoit pas manquer de produire un
effet agréable , & il en amenoit naturellement
un fecond , qui termine fort heureufement
cette fête .
L'Amour fe laiffe défarmer : les Graces
Lij
196 MERCURE DE FRANCE.
lui préfentent des guirlandes de fleurs . Il
leur ordonne d'en faire des chaînes pour
les Bergers , & il en prend une qu'il offre à
la jeune Bergere : elle la reçoit avec ingé,
nuité , & dans le moment que l'Amour y
fongé le moins , elle en forme une chaîne
pour lui-même. Tous les Bergers alors les
entourent & les reconduifent , comme en
triomphe , hors du théâtre.
Tel eft ce ballet allégorique , dont la
fimplicité de l'action , l'analogie du fait antique
avec les circonftances du moment ,
le choix des perfonnages , concourent pour
en rendre la compofition heureufe , & l'application
facile.
Fermer
Résumé : Extrait de la Naissance d'Osiris, ou la Fête Pamilie.
Le texte présente un ballet intitulé 'La Naissance d'Ofiris, ou la Fête Pamilie', qui commémore la naissance du Duc de Berry. L'auteur utilise une allégorie pour éviter les louanges directes au roi. L'intrigue s'inspire d'une légende égyptienne où Pamilie, une femme de Thèbes, apprend la naissance d'Ofiris, un héros destiné à apporter la félicité à l'Égypte. Les Égyptiens instituèrent la Fête Pamilie pour célébrer cet événement. Le ballet se déroule devant le temple de Jupiter. Une troupe de bergers célèbre la paix, mais attend un bien supplémentaire. Mlle Fel, interprétant Pamilie, chante une ariette exprimant la naïveté et la sincérité de l'amour. Un bruit de tonnerre interrompt la fête, et Jupiter apparaît, annonçant la naissance du héros et la paix durable. Les bergers et les prêtres rendent hommage à Jupiter, qui laisse l'Amour régner sur terre. L'Amour et les Grâces descendent sur terre, et une bergère affronte l'Amour, qui finit par se désarmer. Le ballet se termine par une danse où l'Amour et la bergère sont triomphalement reconduits hors du théâtre. La simplicité de l'action et l'analogie avec les circonstances contemporaines rendent la composition du ballet heureuse et son application facile.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
409
p. 197-203
Extrait d'Anacréon, nouveau Ballet en un Acte, de MM. de Cabusac & Rameau.
Début :
On s'est proposé dans ce ballet de peindre un caractere ; & celui d'Anacréon, le [...]
Mots clefs :
Ballet, Amour, Plaisir
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Extrait d'Anacréon, nouveau Ballet en un Acte, de MM. de Cabusac & Rameau.
Extrait d'Anacréon , nouveau Ballet en un
Acte , de MM. de Cabufac & Rameau.jį
On s'eft propofé dans ce ballet de peindre
un caractere ; & celui d'Anacréon , le
Poëte des graces & de l'enjouement , n'étoit
pas aifé à développer fur le théâtre lyrique.
Le nom d'Anacréon nous repréſenté
l'idée d'un vieillard , fort aimable à la vé-
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
rité , mais c'est toujours l'idée d'un vieillard
; & un pareil perfonnage amoureux ,
ou comme le dit M. de C. , jouant fans
celle avec les Amours , touche de bien près
au comique , peut - être même au ridicule.
Il falloit éviter ce premier écueil . On a
mis en scène , à côté même d'Anacréon ,
Batyle , ce perfonnage fi connu dans les
chroniques du Parnaffe . Il étoit indifpenfable
d'imaginer des prétextes honnêtes
qui puffent autorifer une pareille entreprife
, & c'eft ce qu'on a eu l'art de faire
ici , par un ppllaann tthhééaattrraall , qui a tout le mérite
de la difficulté adroitement vaincue .
On fuppofe qu'Anacréon a élevé Batyle
& Chloé , avec tous les foins & la tendreffe
de l'amitié. Ces jeunes enfans inf
truits par cet aimable Maître , faits l'un
pour l'autre , ne fe quittant jamais , s'aiment
, fe le difent , & croyent leur liaiſon
tout-à fait ignorée. Anacréon a facilement
apperçu leur intelligence , il en eft flaté ,
& il s'en amufe. Voici comme il en parle
dans le monologue qui ouvre la fcène .
Myrtes fleuris , naiffant feuillage ,
Où Flore & les Amours ont fixé les zéphirs ;
Berceaux charmans , que votre ombrage
Me promet encor de plaifirs !
Deux cecurs que j'ai formés , qu'un doux penchant
engage ,
Penfent qu'Anacréon ignore leurs foupirs.
DECEMBRE. 1754. 199
D'ici je vois leur trouble , & j'entens leur langage;
J'alarme tour à tour & fate leurs défirs
J'aime à jouir de mon ouvrage ;
Et cet innocent badinage
De l'hyver de mes ans embellit les loifirs.
Une grande fête fe prépare , Chloé &
& Batyle doivent y chanter des vers nouveaux
d'Anacréon ; mais on ignore quel
eft l'objet fecret de tous ces préparatifs :
Chloé arrive pour s'en informer.
Anacreon , qui dans fon monologue a
déja annoncé une partie de fon projet , ne
lui répond que d'une maniere détournée ,
& par des galanteries legeres . Il lui dit enfin
qu'elle eft appellée par l'hymen pour
former une chaîne digne d'elle , & bientôt
après :
En vain le poids des ans me preffe,
Mon coeur n'eft jamais fans defirs ;
Au charme de vos yeux , au feu de ma tendreffe
Je dois ma vie & mes plaifirs.
C'eſt Hébé , fous vos traits , qui me rend la jeu◄
neffe.
Chloé , qui connoît Anacréon , craint
avec raifon que cet hymen ne le regarde :
le vieillard jouit de fon trouble , & pour
l'augmenter , il lui adreffe ce difcours équivoque
en la quittant :
Auprès de cent beautés que j'aimai tour à tour
L'amour a comblé mon attente ;
I iiij
100 MERCURE DE FRANCE.
Mais ce jour eft mon plus beau jour ,
Chloé , j'y veux former une chaîne conſtante ,
Qui de tous fes bienfaits m'acquitte envers l'amour.
Au moment qu'Anacréon fort , Batyle
paroît dans l'enchantement que lui caufent
les vers dont Anacréon l'a chargé pour
la fère qu'on prépare , il apperçoit Chloé ,
& dans fon enthoufiafme , il lui dit :
Ah ma Chloé , daignez entendre
Ce que je chante dans nos jeux.
Et tout de fuite il chante :
» Des zéphirs que Flore rappelle \
» Je voulois chanter le retour.
» Je vis Chloé : qu'elle étoit belle !
» Je ne pus chanter que l'amour.
» Je lui confacrai dès ce jour
>> Tous mes voeux , mes vers , & malyre.
C'est pour Chloé que je refpire ,
Je ne chante qu'elle & l'amour.
Batyle alors tourne fes regards fur elle :
il la voit fondante en larmes ; il frémit. Elle
lui déclare le deffein d'Anacréon . Les vers
que Batyle vient de chanter , le lui confirment
; ceux qu'elle doit chanter elle - même
en font une preuve nouvelle . Ils font en
effet , les uns & les autres , tournés de façon
qu'ils peuvent convenir & à la pofition
qu'ils craignent , & au but fecret d'Anacréon.
Cette fcène vive & touchante eft
DECEMBRE . 1754. 201
interrompue par la fète. La jeuneffe de
Théos environne Anacréon qui joue de fa
lyre , le couronne de rofes , & le pare de
fleurs nouvelles . C'est là qu'on a place
quelques traits de la philofophie aimable
d'Anacréon. Il dit au milieu de cette jeuneffe
, que le plaifir anime :
Mettre à profit tous les inftans
Eft l'unique foin du vrai fage.
11 naît des fleurs dans tous les tems ;
Il eft des plaifirs à tout âge.
Et plus bas ,
Des caprices du fort je crains peu les retours ;
Je jouis du préfent , j'en connois l'avantage.
Je retrouve au déclin de l'âge
Les jeux rians de mes beaux jours.
Livrons au doux plaifir chaque inftant qui nous
refte ,
Et courons au terme funefte ,
En jouant avec les Amours .
Cependant Anacréon ne perd point de
vûe Batyle & Chloé : ils font l'un & l'autre
dans un trouble dont il fe plaît à jouir.
Tous ces préparatifs , ces fleurs dont on le
pare , les vers qu'ils font chargés de chanter
, leur infpirent des alarmes qu'il redouble
en preffant Chloé de commencer .
Il y a dans cet endroit une fcène de trèspeu
de vers , tendre & badine de la part
d'Anacréon , théatrale & naïve de la part
Iy
202 MERCURE DE FRANCE
des deux jeunes amans , qui conduit enfin
à l'explication fuivante.
Anacréon.
J'ai voulu quelque tems jouir de vos foupirs.
Rendre heureux ce qu'on aime eft l'amour de mor
âge.
Qu'a former vos deux coeurs j'ai goûté de plaifirs !
Mais c'eſt en comblant vos defirs
Que je couronne mon ouvrage.
En chantant les derniers vers , il les unit;
& ce dénouement heureux eft fuivi d'un
divertiffement auffi neuf que faillant.
La Ferme du fond s'ouvre. Une terraffe
qui forme un fecond théâtre eft remplie
de jeunes Danfeurs qui fuivent les mouvemens
du ballet qu'on voit fur le devant
du théatre. Cette fète eft formée par une
troupe de jeunes Théoniens , qui repréfentent
une orgie galante . Le ballet , dans lequel
on a vû fucceffivement des pas de 2 , de
3 , de 4 , & de 7 , fort ingénieux , & trèsgais
, fans ceffer d'être nobles , eft pour la
mufique & la danfe , de la plus forte & de
la plus agréable compofition , & il eft terminé
par un choeur de bacchanales , digne
de la réputation de M. Rameau. Ce font
MM. de Chaffé & Jeliote qui ont rempli
les rolles d'Anacréon & de Batyle. Mile
Fel étoit chargée de celui de Chloé.
Le 26 , Anacréon fut donné
pour
la for
DECEMBRE . 1754 203
-
conde fois avec Cenie , comédie de Mad.
de Graffigni ; & le 29 l'Opéra , fans avoir
befoin d'une plus longue préparation , repréfenta
pour la premiere fois Daphnis &
Alcimadure , paftorale Languedocienne ,
en trois actes , précédée d'un prologue.
Acte , de MM. de Cabufac & Rameau.jį
On s'eft propofé dans ce ballet de peindre
un caractere ; & celui d'Anacréon , le
Poëte des graces & de l'enjouement , n'étoit
pas aifé à développer fur le théâtre lyrique.
Le nom d'Anacréon nous repréſenté
l'idée d'un vieillard , fort aimable à la vé-
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
rité , mais c'est toujours l'idée d'un vieillard
; & un pareil perfonnage amoureux ,
ou comme le dit M. de C. , jouant fans
celle avec les Amours , touche de bien près
au comique , peut - être même au ridicule.
Il falloit éviter ce premier écueil . On a
mis en scène , à côté même d'Anacréon ,
Batyle , ce perfonnage fi connu dans les
chroniques du Parnaffe . Il étoit indifpenfable
d'imaginer des prétextes honnêtes
qui puffent autorifer une pareille entreprife
, & c'eft ce qu'on a eu l'art de faire
ici , par un ppllaann tthhééaattrraall , qui a tout le mérite
de la difficulté adroitement vaincue .
On fuppofe qu'Anacréon a élevé Batyle
& Chloé , avec tous les foins & la tendreffe
de l'amitié. Ces jeunes enfans inf
truits par cet aimable Maître , faits l'un
pour l'autre , ne fe quittant jamais , s'aiment
, fe le difent , & croyent leur liaiſon
tout-à fait ignorée. Anacréon a facilement
apperçu leur intelligence , il en eft flaté ,
& il s'en amufe. Voici comme il en parle
dans le monologue qui ouvre la fcène .
Myrtes fleuris , naiffant feuillage ,
Où Flore & les Amours ont fixé les zéphirs ;
Berceaux charmans , que votre ombrage
Me promet encor de plaifirs !
Deux cecurs que j'ai formés , qu'un doux penchant
engage ,
Penfent qu'Anacréon ignore leurs foupirs.
DECEMBRE. 1754. 199
D'ici je vois leur trouble , & j'entens leur langage;
J'alarme tour à tour & fate leurs défirs
J'aime à jouir de mon ouvrage ;
Et cet innocent badinage
De l'hyver de mes ans embellit les loifirs.
Une grande fête fe prépare , Chloé &
& Batyle doivent y chanter des vers nouveaux
d'Anacréon ; mais on ignore quel
eft l'objet fecret de tous ces préparatifs :
Chloé arrive pour s'en informer.
Anacreon , qui dans fon monologue a
déja annoncé une partie de fon projet , ne
lui répond que d'une maniere détournée ,
& par des galanteries legeres . Il lui dit enfin
qu'elle eft appellée par l'hymen pour
former une chaîne digne d'elle , & bientôt
après :
En vain le poids des ans me preffe,
Mon coeur n'eft jamais fans defirs ;
Au charme de vos yeux , au feu de ma tendreffe
Je dois ma vie & mes plaifirs.
C'eſt Hébé , fous vos traits , qui me rend la jeu◄
neffe.
Chloé , qui connoît Anacréon , craint
avec raifon que cet hymen ne le regarde :
le vieillard jouit de fon trouble , & pour
l'augmenter , il lui adreffe ce difcours équivoque
en la quittant :
Auprès de cent beautés que j'aimai tour à tour
L'amour a comblé mon attente ;
I iiij
100 MERCURE DE FRANCE.
Mais ce jour eft mon plus beau jour ,
Chloé , j'y veux former une chaîne conſtante ,
Qui de tous fes bienfaits m'acquitte envers l'amour.
Au moment qu'Anacréon fort , Batyle
paroît dans l'enchantement que lui caufent
les vers dont Anacréon l'a chargé pour
la fère qu'on prépare , il apperçoit Chloé ,
& dans fon enthoufiafme , il lui dit :
Ah ma Chloé , daignez entendre
Ce que je chante dans nos jeux.
Et tout de fuite il chante :
» Des zéphirs que Flore rappelle \
» Je voulois chanter le retour.
» Je vis Chloé : qu'elle étoit belle !
» Je ne pus chanter que l'amour.
» Je lui confacrai dès ce jour
>> Tous mes voeux , mes vers , & malyre.
C'est pour Chloé que je refpire ,
Je ne chante qu'elle & l'amour.
Batyle alors tourne fes regards fur elle :
il la voit fondante en larmes ; il frémit. Elle
lui déclare le deffein d'Anacréon . Les vers
que Batyle vient de chanter , le lui confirment
; ceux qu'elle doit chanter elle - même
en font une preuve nouvelle . Ils font en
effet , les uns & les autres , tournés de façon
qu'ils peuvent convenir & à la pofition
qu'ils craignent , & au but fecret d'Anacréon.
Cette fcène vive & touchante eft
DECEMBRE . 1754. 201
interrompue par la fète. La jeuneffe de
Théos environne Anacréon qui joue de fa
lyre , le couronne de rofes , & le pare de
fleurs nouvelles . C'est là qu'on a place
quelques traits de la philofophie aimable
d'Anacréon. Il dit au milieu de cette jeuneffe
, que le plaifir anime :
Mettre à profit tous les inftans
Eft l'unique foin du vrai fage.
11 naît des fleurs dans tous les tems ;
Il eft des plaifirs à tout âge.
Et plus bas ,
Des caprices du fort je crains peu les retours ;
Je jouis du préfent , j'en connois l'avantage.
Je retrouve au déclin de l'âge
Les jeux rians de mes beaux jours.
Livrons au doux plaifir chaque inftant qui nous
refte ,
Et courons au terme funefte ,
En jouant avec les Amours .
Cependant Anacréon ne perd point de
vûe Batyle & Chloé : ils font l'un & l'autre
dans un trouble dont il fe plaît à jouir.
Tous ces préparatifs , ces fleurs dont on le
pare , les vers qu'ils font chargés de chanter
, leur infpirent des alarmes qu'il redouble
en preffant Chloé de commencer .
Il y a dans cet endroit une fcène de trèspeu
de vers , tendre & badine de la part
d'Anacréon , théatrale & naïve de la part
Iy
202 MERCURE DE FRANCE
des deux jeunes amans , qui conduit enfin
à l'explication fuivante.
Anacréon.
J'ai voulu quelque tems jouir de vos foupirs.
Rendre heureux ce qu'on aime eft l'amour de mor
âge.
Qu'a former vos deux coeurs j'ai goûté de plaifirs !
Mais c'eſt en comblant vos defirs
Que je couronne mon ouvrage.
En chantant les derniers vers , il les unit;
& ce dénouement heureux eft fuivi d'un
divertiffement auffi neuf que faillant.
La Ferme du fond s'ouvre. Une terraffe
qui forme un fecond théâtre eft remplie
de jeunes Danfeurs qui fuivent les mouvemens
du ballet qu'on voit fur le devant
du théatre. Cette fète eft formée par une
troupe de jeunes Théoniens , qui repréfentent
une orgie galante . Le ballet , dans lequel
on a vû fucceffivement des pas de 2 , de
3 , de 4 , & de 7 , fort ingénieux , & trèsgais
, fans ceffer d'être nobles , eft pour la
mufique & la danfe , de la plus forte & de
la plus agréable compofition , & il eft terminé
par un choeur de bacchanales , digne
de la réputation de M. Rameau. Ce font
MM. de Chaffé & Jeliote qui ont rempli
les rolles d'Anacréon & de Batyle. Mile
Fel étoit chargée de celui de Chloé.
Le 26 , Anacréon fut donné
pour
la for
DECEMBRE . 1754 203
-
conde fois avec Cenie , comédie de Mad.
de Graffigni ; & le 29 l'Opéra , fans avoir
befoin d'une plus longue préparation , repréfenta
pour la premiere fois Daphnis &
Alcimadure , paftorale Languedocienne ,
en trois actes , précédée d'un prologue.
Fermer
Résumé : Extrait d'Anacréon, nouveau Ballet en un Acte, de MM. de Cabusac & Rameau.
Le ballet 'Anacréon', créé par MM. de Cabufac et Rameau, met en scène Anacréon, un poète connu pour ses grâces et son enjouement. Pour éviter les aspects comiques ou ridicules d'un vieillard amoureux, les auteurs introduisent Batyle et Chloé, deux jeunes personnes élevés par Anacréon et secrètement amoureux l'un de l'autre. Anacréon, conscient de leur amour, décide de les unir. L'intrigue se déroule lors d'une grande fête où Chloé et Batyle doivent chanter des vers d'Anacréon. Par des monologues et des discours équivoques, Anacréon laisse entendre à Chloé qu'elle est destinée à un hymen, augmentant ainsi son trouble. Batyle, en chantant les vers d'Anacréon, révèle involontairement ses sentiments à Chloé. La fête est interrompue par des danses et des chants, durant lesquels Anacréon exprime sa philosophie de jouir du présent et de profiter de chaque instant. Finalement, Anacréon révèle son plan de les unir, comblant ainsi leurs désirs. Le ballet se termine par un divertissement avec des danses et des chants, mettant en scène des jeunes Théoniens dans une orgie galante. Les rôles principaux sont interprétés par MM. de Chaffé et Jeliote, ainsi que Mlle Fel. Le ballet a été représenté pour la première fois le 26 décembre 1754, suivi de la pastorale 'Daphnis et Alcimadure' le 29 décembre.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
410
p. 203-211
Extrait de Daphnis & Alcimadure.
Début :
Cet opéra nouveau nous rappelle le premier âge en France des lettres & des arts. [...]
Mots clefs :
Opéra, Amour, Coeur, Prologue, Langage, Chants, Peuple, Divertissement
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Extrait de Daphnis & Alcimadure.
Extrait de Daphnis & Alcimadure.
Cet opéra nouveau nous rappelle le premier
âge en France des lettres & des arts.
M. Mondonville , poëte tout à la fois &.
muficien , eft l'auteur des paroles & de
la mufique tels étoient autrefois nos fameux
Troubadours.
La paftorale eft écrite en langage Tou-,
loufain , le prologue l'eft en notre langue.
L'inftitution des Jeux Floraux , que nous,
devons à Clémence Ifaure , eft le fujet du
prologue , & ce perfonnage eft le feul
chantant qui y paroiffe. Ifaure eft entourée
de peuples , de jardiniers & de jardi
nieres , & elle dit :
Dans ce féjour riant & fortuné
Phébus , Flore & l'Amour ont fixé leur empire
On y voit de leurs mains le printems couronné
Les coeurs font adoucis par l'air qu'on y reſpire.
On n'y craint point la rigueur des hyvers ,
On n'y craint point l'inconftance des belles ;
Nos arbres y font toujours verds ,,
Et nos amans toujours fideles.
Ces chants d'Ifaure très- bien rendus pa
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Mlle Chevalier , & coupés de danſes &
de choeurs , amenent le développement du
projet qu'elle a formé ; elle dit :
Peuples , il faut dans ce beau jour ,
D'un fiécle fi chéri tranſmettre la mémoire ,
Et je veux que des prix couronnent la victoire
De ceux qui fçauront mieux chanter le tendre
amour.
On voit paroître en effet les nobles , formant
une entrée , & portant les différens
prix que la célébre Académie de Toulouſe
diftribue tous les ans. Ifaure enfuite propofe
de retracer en langage du pays , les
amours de Daphnis & d'Alcimadure ; elle
dit :
Traçons par quel bonheur
Daphnis fçut attendrir la fiere Alcimadure :
De leur fimplicité la naïve peinture
Eft l'image de notre coeur ..
Les peuples lui répondent par des chants
de triomphe & d'allégreffe , & c'eft ainfi
que finit d'une maniere fort noble ce joli
prologue.
La Paftorale roule fur trois acteurs :
Daphnis , qui aime Alcimadure ; celle - ci
qui n'aime encore rien , & qui s'eft dé cidée
pour fuir toujours l'amour ; & Jean net
fon frere , perfonnage toujours gai , qui
prend vivement les intérêts de fa foeur
qui cherche en s'amufant à lui ménager un
&
DECEMBRE . 1754. 205
établiffement qu'il croit fort convenable.
Daphnis en fe montrant , développe la
fituation de fon ame par un monologue ,
dont le chant peint fort bien la tendreffe
naïve des paroles.
Hélas ! pauret que farey jou !
Tant m'a blaffat l'ou Dion d'amou.
Defpey que l'el d'Alcimadouro
A dedins mon cor amourous
Allucat milo fougairous ,
Souffri la peno la pu duro.
Hélas ! & c.
Alcimadure paroît , & il s'éloigne pour
découvrir ce qui l'amene . Voici la maniere
vive dont elle s'anonce.
Gazouillats , auzelets , à l'umbro del feuillatge ;
Quant bous fiulats moun cor es encantat.
Entendi bé qué din boftré lengatgé .
Bous célébrats la libertat .
El' es lou plazé de ma bido ,
Car y ou la canti coumo bous.
Tabé fan ceflo èlo mé crido
Qu'elo foulo pot rend' huroux .
Après cette ariette d'un chant léger &
très-agréable , Daphnis paroît , & ces deux
perfonnages foutiennent dans la fcene , l'un
le ton de la tendreffe , l'autre le ton de
gaieté que leurs monologues avoient annoncé.
Daphnis y déclare fon amour ; Alcimadure
l'écoute fans le croire , elle le
206 MERCURE DE FRANCE.
rebute même , & paroît refolue à le fuir ,
mais il l'arrête en lui propofant une petite
fête où l'on doit danfer pour elle , & court
chercher les bergers du village pour la lui
donner. Jeannet , frere d'Alcimadure , arrive
alors ; elle lui fait confidence d'un
amour dont elle fe feroit bien paffée. Il combat
cette répugnance , & trouve Daphnis
un parti fortable ; mais Alcimadure n'entend
point raifon fur ce point ; elle dit :
L'ou plazé de la bido
A cos la gayetat ;
E quand on fe marido
On perdla libertat ..
Et plus bas.
Nou boli pas douna moun cor
A qui pot de reni boulatgé.
Qui fe contento de fon for
Nou defiro res dabantagé.
Jeannet infifte , & il fe propofe s'il
rencontre Daphnis dont il n'eft pas connu ,
de l'éprouver fi bien , qu'il ne lui fera pas
poffible de le tromper . Alors le divertiffement
annoncé dans la fcene précédente
arrive. Il eft compofé de bergers & de
bergeres, & les chants qui coupent la danfe
font tous adroitement placés dans la bouche
de Daphnis , & relatifs à la fituation
de fon coeur.-
་
DECEMBRE . 1754. 207
Qui bey la bello Alcimaduro
Bey l'aftré lou pu bel ;
Per charma touto la naturo
Nou li cal qu'un cop d'el.
Per aquelo Benus noubelo
On bey lous amours enfantets
Boultija fan ceffo après elo
Coumo une troupo d'auzelets.
Cette jolie chanfon eft bientôt fuivie
d'une autre , qui peint une image tout auffi
agréable.
Bezets Pourmel per las flouretos
Boulega fous jouinés ramels.
Efcoutats des pichots auzels
Las amouroufos canfounetos.
Per tout charma lou Diu nenet
Tiro fan ceffo de l'arquet.
N'oublido res dins la naturo ,
Hormis lou cor d'Alcimaduro .
Daphnis ne fe laffe point de chanter
l'amour. Ce refrein paroît déplaire à Alcimadure
; elle interrompt brufquement la
fête , & prend pour prétexte qu'elle eft
obligée d'aller joindre fon frere , ce qui
termine le premier acte.
Le ſecond débute par une troupe de vil
lageois conduits par Jeannet , armés pour
une chaffe au loup. Iis s'animent par un
choeur brillant à la chaffe qu'ils doivent
faire , & Jeannet les renvoye après , en
leur difant fierement de l'avertir lofqu'it
208 MERCURE DE FRANCE.
faudra commencer d'entrer en danfe . Avec
les armes qu'il porte , il fe flate d'en impofer
affez à Daphnis pour éprouver fon
amour , & il fe propofe de le fervir auprès
de fa foeur , s'il le trouve fidéle . Daphnis
paroît ; l'explication fe fait par des difcours
naïfs de la part de l'un , & par des bravades
de la part de l'autre . M. M. pour varier
, a voulu jetter du comique dans ce
perfonnage fort bien chanté par M. Delatour.
Sur ce que Daphnis lui dit des
rigueurs qu'il éprouve , il lui répond :
On pot , quand on es malhuroux ,
Se difpenfa d'eftré fidelo .
'Anats , benets , paffejats bous ,
Arpentats coulinos , montagnos ;
Per eftr' encaro pus hurous
Fazets tres ou quatré campagnos.
Daphnis lui réplique :
A qué tout aquo ferbira ,
Per-tout l'amour me ſeguira.
Jeannet fait alors l'étonné. Quoi ! lui
dit-il , vous n'avez jamais vû de batailles ,
de canons , de bombes , &c ?
Daphnis.
Ni lous clarins , ni las troumpetos
Nou troublon pas noftrés hamels.
L'écho n'es rébeillat que per noftros muzetos
E lou ramargé des auzels :
DECEMBRE. 1754 209
Lous els fouls de las paftouretos
Blaffoun lou cor des paftourels.
L'éclairciffement arrive enfuite . Jeannet
feint d'être fur le point de fe marier
avec Alcimadure ; on juge de l'effet d'une
pareille confidence fur Daphnis . Il déclare
avec fermeté qu'il aime cette cruelle. Jeannet
veut le forcer à n'y plus penfer ; il
leve le bras & fon épieu pour l'y contraindre
: mais le berger fidele aime mieux mourir
.... Dans ce moment on entend crier
au fecours : c'eft Alcimadure poursuivie
par un loup prêt à la dévorer . Daphnis arrache
des mains de Jeannet , qui s'enfuit ,
l'épieu dont il étoit armé , combat le loup ,
le tue , revient , & trouve Alcimadure
évanouie. Il lui parle , lui dit que le loup eft
mort , & s'efforce de l'attendrir. Elle n'eft
que reconnoiffante & point tendre. Jeannet
furvient pour faire une nouvelle fanfaronade
tout le village le fuit , & il fe
forme alors un divertiffement qui a pour
objet de célébrer la valeur de Daphnis .
Alcimadure & Jeannet , par ce moyen , fe
trouvent chargés de toutes les chanfons
que M. M. y a placées. L'acte finit par le
projet d'aller préfenter Daphnis en triomphe
au Seigneur du village.
Alcimadure ouvre le troifiéme acte par
un monologue , dans lequel fon coeur dif210
MERCURE DE FRANCE.
pute encore contre l'amour. Jeannet qui
arrive , lui apprend qu'il a éprouvé fon
amant , tâche de vaincre fon indifférence
n'y réuffit pas , & fe retire appercevant
Daphnis. Celui ci fait de nouveaux efforts
, il parle de mourir : Alcimadure fe
trouble , & fe plaint d'avoir été quittée
par Jeannet. A ce nom , que Daphnis croit
être celui de fon rival , il fort au defef
poir , bien réfolu de ne plus vivre. C'eft
alors qu'Alcimadure ne fuit plus que les
mouvemens de fon coeur ; fon amour fe
déclare par fes craintes. Jeannet revient ,
& lui affure que Daphnis eft mort. Elle
ne fe poffede plus à cette nouvelle ; elle
part pour aller percer fon fein du même
couteau qui a percé le coeur de fon amant .
Daphnis paroît alors . Le defefpoir
d'Alcimadure fe change en une joie auffi
vive que tendre. Un duo charmant couronne
le plaifir que caufe tout cet acte ,
& un divertiffement formé par les compagnons
de Daphnis & les compagnes d'Alcimadure
, termine fort heureufement cet
ouvrage , qui joint le piquant de la fingularité
aux graces naïves d'un genre toutà-
fait inconnu . Nous avons déja dit la maniere
dont Mr Delatour s'eft acquitté du
rolle de Jeannet ; ceux d'Alcimadure & de
Daphnis ont été rendus par Mlle Fel & Mr
DE CEM BR E.
1754. 211
Jeliote. Ils font fi fupérieurs l'un & l'autre
, lorfqu'ils chantent le François , qu'il
eft aifé de juger du charme de leur voix ,
de la fineffe de leur expreffion , de la
fection de leurs traits , en rendant le langage
du pays riant auquel nous devons
leur naiffance.
Cet opéra nouveau nous rappelle le premier
âge en France des lettres & des arts.
M. Mondonville , poëte tout à la fois &.
muficien , eft l'auteur des paroles & de
la mufique tels étoient autrefois nos fameux
Troubadours.
La paftorale eft écrite en langage Tou-,
loufain , le prologue l'eft en notre langue.
L'inftitution des Jeux Floraux , que nous,
devons à Clémence Ifaure , eft le fujet du
prologue , & ce perfonnage eft le feul
chantant qui y paroiffe. Ifaure eft entourée
de peuples , de jardiniers & de jardi
nieres , & elle dit :
Dans ce féjour riant & fortuné
Phébus , Flore & l'Amour ont fixé leur empire
On y voit de leurs mains le printems couronné
Les coeurs font adoucis par l'air qu'on y reſpire.
On n'y craint point la rigueur des hyvers ,
On n'y craint point l'inconftance des belles ;
Nos arbres y font toujours verds ,,
Et nos amans toujours fideles.
Ces chants d'Ifaure très- bien rendus pa
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
Mlle Chevalier , & coupés de danſes &
de choeurs , amenent le développement du
projet qu'elle a formé ; elle dit :
Peuples , il faut dans ce beau jour ,
D'un fiécle fi chéri tranſmettre la mémoire ,
Et je veux que des prix couronnent la victoire
De ceux qui fçauront mieux chanter le tendre
amour.
On voit paroître en effet les nobles , formant
une entrée , & portant les différens
prix que la célébre Académie de Toulouſe
diftribue tous les ans. Ifaure enfuite propofe
de retracer en langage du pays , les
amours de Daphnis & d'Alcimadure ; elle
dit :
Traçons par quel bonheur
Daphnis fçut attendrir la fiere Alcimadure :
De leur fimplicité la naïve peinture
Eft l'image de notre coeur ..
Les peuples lui répondent par des chants
de triomphe & d'allégreffe , & c'eft ainfi
que finit d'une maniere fort noble ce joli
prologue.
La Paftorale roule fur trois acteurs :
Daphnis , qui aime Alcimadure ; celle - ci
qui n'aime encore rien , & qui s'eft dé cidée
pour fuir toujours l'amour ; & Jean net
fon frere , perfonnage toujours gai , qui
prend vivement les intérêts de fa foeur
qui cherche en s'amufant à lui ménager un
&
DECEMBRE . 1754. 205
établiffement qu'il croit fort convenable.
Daphnis en fe montrant , développe la
fituation de fon ame par un monologue ,
dont le chant peint fort bien la tendreffe
naïve des paroles.
Hélas ! pauret que farey jou !
Tant m'a blaffat l'ou Dion d'amou.
Defpey que l'el d'Alcimadouro
A dedins mon cor amourous
Allucat milo fougairous ,
Souffri la peno la pu duro.
Hélas ! & c.
Alcimadure paroît , & il s'éloigne pour
découvrir ce qui l'amene . Voici la maniere
vive dont elle s'anonce.
Gazouillats , auzelets , à l'umbro del feuillatge ;
Quant bous fiulats moun cor es encantat.
Entendi bé qué din boftré lengatgé .
Bous célébrats la libertat .
El' es lou plazé de ma bido ,
Car y ou la canti coumo bous.
Tabé fan ceflo èlo mé crido
Qu'elo foulo pot rend' huroux .
Après cette ariette d'un chant léger &
très-agréable , Daphnis paroît , & ces deux
perfonnages foutiennent dans la fcene , l'un
le ton de la tendreffe , l'autre le ton de
gaieté que leurs monologues avoient annoncé.
Daphnis y déclare fon amour ; Alcimadure
l'écoute fans le croire , elle le
206 MERCURE DE FRANCE.
rebute même , & paroît refolue à le fuir ,
mais il l'arrête en lui propofant une petite
fête où l'on doit danfer pour elle , & court
chercher les bergers du village pour la lui
donner. Jeannet , frere d'Alcimadure , arrive
alors ; elle lui fait confidence d'un
amour dont elle fe feroit bien paffée. Il combat
cette répugnance , & trouve Daphnis
un parti fortable ; mais Alcimadure n'entend
point raifon fur ce point ; elle dit :
L'ou plazé de la bido
A cos la gayetat ;
E quand on fe marido
On perdla libertat ..
Et plus bas.
Nou boli pas douna moun cor
A qui pot de reni boulatgé.
Qui fe contento de fon for
Nou defiro res dabantagé.
Jeannet infifte , & il fe propofe s'il
rencontre Daphnis dont il n'eft pas connu ,
de l'éprouver fi bien , qu'il ne lui fera pas
poffible de le tromper . Alors le divertiffement
annoncé dans la fcene précédente
arrive. Il eft compofé de bergers & de
bergeres, & les chants qui coupent la danfe
font tous adroitement placés dans la bouche
de Daphnis , & relatifs à la fituation
de fon coeur.-
་
DECEMBRE . 1754. 207
Qui bey la bello Alcimaduro
Bey l'aftré lou pu bel ;
Per charma touto la naturo
Nou li cal qu'un cop d'el.
Per aquelo Benus noubelo
On bey lous amours enfantets
Boultija fan ceffo après elo
Coumo une troupo d'auzelets.
Cette jolie chanfon eft bientôt fuivie
d'une autre , qui peint une image tout auffi
agréable.
Bezets Pourmel per las flouretos
Boulega fous jouinés ramels.
Efcoutats des pichots auzels
Las amouroufos canfounetos.
Per tout charma lou Diu nenet
Tiro fan ceffo de l'arquet.
N'oublido res dins la naturo ,
Hormis lou cor d'Alcimaduro .
Daphnis ne fe laffe point de chanter
l'amour. Ce refrein paroît déplaire à Alcimadure
; elle interrompt brufquement la
fête , & prend pour prétexte qu'elle eft
obligée d'aller joindre fon frere , ce qui
termine le premier acte.
Le ſecond débute par une troupe de vil
lageois conduits par Jeannet , armés pour
une chaffe au loup. Iis s'animent par un
choeur brillant à la chaffe qu'ils doivent
faire , & Jeannet les renvoye après , en
leur difant fierement de l'avertir lofqu'it
208 MERCURE DE FRANCE.
faudra commencer d'entrer en danfe . Avec
les armes qu'il porte , il fe flate d'en impofer
affez à Daphnis pour éprouver fon
amour , & il fe propofe de le fervir auprès
de fa foeur , s'il le trouve fidéle . Daphnis
paroît ; l'explication fe fait par des difcours
naïfs de la part de l'un , & par des bravades
de la part de l'autre . M. M. pour varier
, a voulu jetter du comique dans ce
perfonnage fort bien chanté par M. Delatour.
Sur ce que Daphnis lui dit des
rigueurs qu'il éprouve , il lui répond :
On pot , quand on es malhuroux ,
Se difpenfa d'eftré fidelo .
'Anats , benets , paffejats bous ,
Arpentats coulinos , montagnos ;
Per eftr' encaro pus hurous
Fazets tres ou quatré campagnos.
Daphnis lui réplique :
A qué tout aquo ferbira ,
Per-tout l'amour me ſeguira.
Jeannet fait alors l'étonné. Quoi ! lui
dit-il , vous n'avez jamais vû de batailles ,
de canons , de bombes , &c ?
Daphnis.
Ni lous clarins , ni las troumpetos
Nou troublon pas noftrés hamels.
L'écho n'es rébeillat que per noftros muzetos
E lou ramargé des auzels :
DECEMBRE. 1754 209
Lous els fouls de las paftouretos
Blaffoun lou cor des paftourels.
L'éclairciffement arrive enfuite . Jeannet
feint d'être fur le point de fe marier
avec Alcimadure ; on juge de l'effet d'une
pareille confidence fur Daphnis . Il déclare
avec fermeté qu'il aime cette cruelle. Jeannet
veut le forcer à n'y plus penfer ; il
leve le bras & fon épieu pour l'y contraindre
: mais le berger fidele aime mieux mourir
.... Dans ce moment on entend crier
au fecours : c'eft Alcimadure poursuivie
par un loup prêt à la dévorer . Daphnis arrache
des mains de Jeannet , qui s'enfuit ,
l'épieu dont il étoit armé , combat le loup ,
le tue , revient , & trouve Alcimadure
évanouie. Il lui parle , lui dit que le loup eft
mort , & s'efforce de l'attendrir. Elle n'eft
que reconnoiffante & point tendre. Jeannet
furvient pour faire une nouvelle fanfaronade
tout le village le fuit , & il fe
forme alors un divertiffement qui a pour
objet de célébrer la valeur de Daphnis .
Alcimadure & Jeannet , par ce moyen , fe
trouvent chargés de toutes les chanfons
que M. M. y a placées. L'acte finit par le
projet d'aller préfenter Daphnis en triomphe
au Seigneur du village.
Alcimadure ouvre le troifiéme acte par
un monologue , dans lequel fon coeur dif210
MERCURE DE FRANCE.
pute encore contre l'amour. Jeannet qui
arrive , lui apprend qu'il a éprouvé fon
amant , tâche de vaincre fon indifférence
n'y réuffit pas , & fe retire appercevant
Daphnis. Celui ci fait de nouveaux efforts
, il parle de mourir : Alcimadure fe
trouble , & fe plaint d'avoir été quittée
par Jeannet. A ce nom , que Daphnis croit
être celui de fon rival , il fort au defef
poir , bien réfolu de ne plus vivre. C'eft
alors qu'Alcimadure ne fuit plus que les
mouvemens de fon coeur ; fon amour fe
déclare par fes craintes. Jeannet revient ,
& lui affure que Daphnis eft mort. Elle
ne fe poffede plus à cette nouvelle ; elle
part pour aller percer fon fein du même
couteau qui a percé le coeur de fon amant .
Daphnis paroît alors . Le defefpoir
d'Alcimadure fe change en une joie auffi
vive que tendre. Un duo charmant couronne
le plaifir que caufe tout cet acte ,
& un divertiffement formé par les compagnons
de Daphnis & les compagnes d'Alcimadure
, termine fort heureufement cet
ouvrage , qui joint le piquant de la fingularité
aux graces naïves d'un genre toutà-
fait inconnu . Nous avons déja dit la maniere
dont Mr Delatour s'eft acquitté du
rolle de Jeannet ; ceux d'Alcimadure & de
Daphnis ont été rendus par Mlle Fel & Mr
DE CEM BR E.
1754. 211
Jeliote. Ils font fi fupérieurs l'un & l'autre
, lorfqu'ils chantent le François , qu'il
eft aifé de juger du charme de leur voix ,
de la fineffe de leur expreffion , de la
fection de leurs traits , en rendant le langage
du pays riant auquel nous devons
leur naiffance.
Fermer
Résumé : Extrait de Daphnis & Alcimadure.
L'opéra 'Daphnis & Alcimadure' de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville illustre le premier âge des lettres et des arts en France. Mondonville, à la fois poète et musicien, en est l'auteur des paroles et de la musique, s'inspirant des troubadours d'antan. La pastorale est écrite en langage toulousain, tandis que le prologue est en français. Ce prologue célèbre l'institution des Jeux Floraux, fondée par Clémence Isaure, et la met en scène entourée de peuples, de jardiniers et de jardinières. Clémence Isaure propose de célébrer l'amour à travers des concours de chant et de poésie. L'intrigue se concentre sur trois personnages principaux : Daphnis, amoureux d'Alcimadure, Alcimadure, qui refuse l'amour, et Jeannet, le frère d'Alcimadure, toujours gai et bienveillant. Daphnis exprime son amour pour Alcimadure, qui le repousse initialement. Jeannet tente de convaincre Alcimadure des qualités de Daphnis, mais elle reste réticente, préférant sa liberté. Une fête est organisée, durant laquelle Daphnis chante son amour. Alcimadure interrompt la fête, prétextant devoir rejoindre son frère. Dans le second acte, Jeannet et des villageois partent chasser le loup. Jeannet rencontre Daphnis et le défie, mais finit par reconnaître la sincérité de son amour. Alcimadure est attaquée par un loup, et Daphnis la sauve. Le village célèbre alors la bravoure de Daphnis. Dans le troisième acte, Alcimadure lutte contre ses sentiments amoureux. Jeannet révèle à Alcimadure que Daphnis est mort, la poussant à vouloir se suicider. Daphnis réapparaît, et Alcimadure, folle de joie, lui avoue son amour. Un duo charmant et un divertissement final concluent l'opéra, mettant en scène les compagnons de Daphnis et les compagnes d'Alcimadure. Les rôles de Jeannet, Alcimadure et Daphnis sont interprétés par des artistes dont les performances sont saluées pour leur charme et leur authenticité.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
411
p. 15-17
DAPHNÉ. ROMANCE.
Début :
L'Amour m'a fait la peinture [...]
Mots clefs :
Amour, Romance, Amant
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DAPHNÉ. ROMANCE.
DAPHN É.
ROMANCE.
' Amour m'a fait la peinture
De Daphné , de fes malheurs.
J'en vais tracer l'aventure :
Puiffe la race future
L'entendre & verfer des pleurs.
16 MERCURE DE FRANCE.
Daphné fut fenfible & belle ,
Apollon fenfible & beau ;
Sur eux l'Amour , d'un coup d'aîle ,
Fi: voler une étincelle
De fon dangereux flambeau ..
Daphné d'abord interdite ,
Rougit , voyant Apollon ;
Il approche , elle l'évite :
Mais fuyoit- elle bien vîte ?
L'Amour affure que non.
Le Dieu qui vole à ſa ſuite ,
De fa lenteur s'applaudit ;
Elle balance , elle héſite ;
La pudeur hâte fa fuite ,
Le defir la ralentit.
Il la pourfuit à latrace ,
It eft prêt à la faifir ;
Elle va demander grace.
Une Nymphe et bientôt laffe
Lo rfqu'elle fuit le plaifir.
Et
Elle defire , elle n'oſe ;
Son pere voit fes combats ,
par fa métamorphofe ,
A fa défaite il s'oppofe :
Daphné ne l'en prioit pas.
JANVIER.
17 1755 .
C'eft Apollon qu'elle implore ,
Sa vûe adoucit fes maux ,
Et vers l'amant qu'elle adore
Ses bras s'étendent encore ,
En fe changeant en rameaux.
Quel objet pour la tendreffe
De ce malheureux vainqueur !
C'eft un arbre qu'il careffe ;
Mais fous l'écorce qu'il preffe
Il fent palpiter un coeur..
Ce coeur ne fut point févere ,
Et fon dernier mouvement
Fut , fi l'amour eft fincere ,
Un reproche pour fon pere ,
Un regret pour fon amant.
On trouvera la mufique de cette Romance
à la fin du Livre.
ROMANCE.
' Amour m'a fait la peinture
De Daphné , de fes malheurs.
J'en vais tracer l'aventure :
Puiffe la race future
L'entendre & verfer des pleurs.
16 MERCURE DE FRANCE.
Daphné fut fenfible & belle ,
Apollon fenfible & beau ;
Sur eux l'Amour , d'un coup d'aîle ,
Fi: voler une étincelle
De fon dangereux flambeau ..
Daphné d'abord interdite ,
Rougit , voyant Apollon ;
Il approche , elle l'évite :
Mais fuyoit- elle bien vîte ?
L'Amour affure que non.
Le Dieu qui vole à ſa ſuite ,
De fa lenteur s'applaudit ;
Elle balance , elle héſite ;
La pudeur hâte fa fuite ,
Le defir la ralentit.
Il la pourfuit à latrace ,
It eft prêt à la faifir ;
Elle va demander grace.
Une Nymphe et bientôt laffe
Lo rfqu'elle fuit le plaifir.
Et
Elle defire , elle n'oſe ;
Son pere voit fes combats ,
par fa métamorphofe ,
A fa défaite il s'oppofe :
Daphné ne l'en prioit pas.
JANVIER.
17 1755 .
C'eft Apollon qu'elle implore ,
Sa vûe adoucit fes maux ,
Et vers l'amant qu'elle adore
Ses bras s'étendent encore ,
En fe changeant en rameaux.
Quel objet pour la tendreffe
De ce malheureux vainqueur !
C'eft un arbre qu'il careffe ;
Mais fous l'écorce qu'il preffe
Il fent palpiter un coeur..
Ce coeur ne fut point févere ,
Et fon dernier mouvement
Fut , fi l'amour eft fincere ,
Un reproche pour fon pere ,
Un regret pour fon amant.
On trouvera la mufique de cette Romance
à la fin du Livre.
Fermer
Résumé : DAPHNÉ. ROMANCE.
Le poème 'Daphné', publié dans le Mercure de France en janvier 1755, narre l'histoire de Daphné, une jeune femme sensible et belle, et d'Apollon, un dieu également sensible et beau. L'Amour, sous la forme d'une étincelle, enflamme leur désir mutuel. Daphné, d'abord interdite, rougit en voyant Apollon et tente de fuir, partagée entre la pudeur et le désir. Apollon la poursuit, et elle finit par demander grâce, affirmant qu'elle fuit le plaisir. Son père, voyant ses tourments, la transforme en laurier pour éviter sa défaite. Transformée en arbre, Daphné implore Apollon, et ses bras se tendent vers lui en devenant des rameaux. Apollon, malgré la transformation, sent encore battre le cœur de Daphné sous l'écorce. Ce cœur, avant de cesser de battre, exprime un reproche pour son père et un regret pour son amant. La musique de cette romance est disponible à la fin du livre.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
412
p. 36-46
PANDORE, OU L'ORIGINE DES PASSIONS ET DES CRIMES. * PAR M. YON.
Début :
Avant que le fils de Japet [...]
Mots clefs :
Homme, Pandore, Dieux, Yeux, Vertu, Esprits, Amour, Coeur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : PANDORE, OU L'ORIGINE DES PASSIONS ET DES CRIMES. * PAR M. YON.
PANDORE ,
OU L'ORIGINE DES PASSIONS .
ET DES CRIME S.
V
PAR M. YO N.
Avant Vant que le fils de Japet
Eut dérobé le feu célefte ,
Et que par un zéle indiſcret
Son audace à l'homme funefte ,
Eût fait éclore fa raiſon ,
En prenant chez les Dieux un dangereux rayon
De leur fuprême intelligence ,
L'homme innocent , dans un heureux filence
Se livroit au penchant du naïf ſentiment ;
Et ne diftinguant point les vertus ni les vices
Sans crainte & fans remords , il fuivoit les ca→
prices
Que le Ciel imprima fur fon tempérament.
On s'entendoit pourtant ; & dans ce premier âge
Le coeur dictoit aux yeux un ingénu langage .
* Cette allégorie excéde un peu les bornes que je
me fuis preferites pour les piéces en vers ; mais j'ai
cru que les beautés dont elle m'a paru remplie , méritoient
une diftinction . J'efpere que ceux qui la liront
, me fauront gré d'avoir franchi la régle en
fa faveur.
JANVIE R. 1755 . 37
On y lifoit fes befoins , fes defirs ,
Et la belle pouvoit ſe fier aux ſoupirs
Qu'elle voyoit fortir du coeur
De l'Amant qu'elle avoit choisi pour fon vain
queur.
Mais l'attentat de Promethée
Alluma bientôt contre nous
Le feu du céleſte couroux ,
Et fa vengeance concertée
Commit le foin aux Cyclopes brulans ,
De rebattre fur leur enclume ,
De la foudre la noire écume ,
Et d'en forger , pour éblouir nos fens ,
Un monftre orné des dons les plus brillans.
L'Olympe entier prit plaifir à répandre
Sur fon vifage féminin
Ces charmes féduifans , cet air piquant & fin
Qui fecondés d'un oeil fubtil & tendre ,
Fournit à ce fexe malin ,
En fe jouant , l'art de tout entreprendre,
Et comme au ciel tout concourut ,
Pour mieux déguifer l'impofture ,
Chaque Divinité tira de ſa nature
Le plus éclatant attribut.
Phébus lui montra fur fon luth ,
Des beaux chants & des vers le flateur affemblage .
Junon lui fouffla fur le front
L'art de rougir pour paroître plus fage ,
Qui , joint au don des pleurs , fait un effet fi
prompt
35 MERCURE DE FRANCE.
Dans les refforts d'un beau vifage ,
Qu'il n'eft point de couroux que ne puiffe fléchir
L'artifice trompeur de ce double avantage.
Pour achaver de l'embellir ,
Hébé compofa fa coëlfure ,
Et la Mere d'amour lui prêta fa ceinture .
Enfin le traître Amour ſe logea dans les yeux ,
Pour la guider dans ces terreftres lieux.
Tel éclata ce brillant météore
Aux regards des mortels , fous le nom de Pandore.
Jufque là le pouvoir du ciel
Avoit décoré ce fantôme ;
Mais il falloit que l'infernal Royaume
Contribuât par un préfent cruel
Qu'Alcalaphe apporta de la part des furies ,
Chef-d'oeuvre de leurs mains impics ,
Ouvrage éblouiffant , compofé d'un métal
Que depuis l'avarice arracha de la terre ,
D'où fortit le germe fatal
De la difcorde & de la guerre.
Peux-tu , miferable univers ,
Réfifter aux efforts des cieux & des enfers ?
Ils ont remis aux mains d'une beauté divine
Le foin de leurs deffeins vengeurs :
La foif de l'or va caufer ta iuine ;
Son éclat & celui de deux yeux enchanteurs
Vont pour jamais caufer tous tes malheurs.
Enfin , Pandore arrive , & fa bouche vermeille
Fit d'abord éclater fur nos fens étonnés ,
JANVIER. 1755 39
De fa touchante voix la fonore merveille .
Soudain les hommes profternés ,
A ce charme prêtent l'oreille.
Les femmes , de la voix admirant les talens ,
Déja cherchent des fons dans leurs bouches béantes
,
Et leurs levres impatientes
Précipitant leurs mouvemens ,
S'efforcent de faifir le don de la parole.
Pendant que tous enchantés & furpris ,
Soupirent aux pieds de l'idole ;
Elle pour s'acquitter de fon perfide rolle ,
Fit briller aux regards des hommes éblouis
Ce métal dangereux , cette boîte infernale ,
Qui frappant leurs efprits de curiofité ,
Se fit des yeux aux coeurs une route fatale
Pour y développer la cauſe initiale
De l'humaine cupidité.
L'effet fut prompt , & l'ardeur de connoître
Soudain bouillonne en leurs coeurs embrafés
Leurs regards pétillans , leurs geftes empreffés
Exigent fans retard que l'on faffe paroître
Ce que contient ce vaſe en fes brillans contours.
Je comprens vos defirs ; écoutez , dit Pandore ,
Jupiter ne veut plus que l'univers ignore
Ce qui doit augmenter le bonheur de vos jours.
Il vous enjoint de déchirer la terre ,
De percer , s'il fe peut , juſqu'aux bords d'Acheron
,
40 MERCURE DE FRANCE .
C'eft par de tels fentiers que votre ambition
Doit découvrir cetterare matiere :
Or eft fon nom ; fouillez , creufez pour en avoir;
Rien n'eft égal à fon pouvoir :
Celui qui plus avide en aura davantage ,
Sur les pareils régnera deformais .
Ce n'est point tout , pour comble de bienfaits
Ouvrez la bouche , & recevez l'ufage
De l'inftrument artifte de la voix.
Cet infatigable mobile ,
De vos plaifirs panégyrifte habile ,
Souinis aux paffions , en défendra les droits :
Et quand d'un fier cenfeur la morale ennemie
D'une vertu bizarre alléguera les loix ,
Qu'un grand nombre de mots étouffe fous leurs
poids
Les noirs accès de fa miſantropie ,
En criant plus que lui vous mettrez aux abois
Sa raifon étourdie .
Enfin , pour exciter les mortels généreux ,
J'ordonne que ce vaſe , objet de votre envie ,
Soit le prix du plus fort ou du plus courageux.
Ainfi parla Pandore à la muette troupe ;
Et de langues foudain un effain bourdonnant ,
En prenant l'air , s'échappe de la coupe.
Chacune au hazard ſe lançant ,
Dans les gofiers ouverts fe greffe & s'enracine,
D'abord les animaux par des cris menaçans ,
JANVIER . 1755.
De leurs foibles tyrans confpirent la ruine ;
Ils ne prétendent plas que l'homme les domine ;
Ils dédaignent déja ſes ordres impuiffans.
Le taureau révolté , briſe fon joug , rumines
Le lion indigné de fon abaiffement ,
Etincelle , rugit , bat fes flancs & s'anime ;
Et pour fignal de fon foulevement ,
Fait de fon maître la victime.
Le ferpent s'applaudit par un fier fifflement ;
Des poiſons dont fa langue s'envenime ;
Et l'homme s'énonçant pour la premiere fois ,
Sur le tien & le mien , fait l'effai de ſa voix.
L'air retentit de cris , écho rompt le filence ;
Mais le fexe fur- tout eft le plus éloquent :
On dit même qu'en débutant
Il inventa la médiſance ,
Et fut prompt à faifir le tour infinuant
D'une mordante & badine élégance ,
Pour décrier plus finement
La plus frivole impertinence ;
Même il trouva dans fon tempérament
Cette cauftique nonchalance ,
Qui prête un faux air d'innocence
Au trait le plus piquant.
Bientôt fon altiere éloquence ,
Organe impérieux de fon reffentiment ,
A l'aveugle bravoure enjoignit la vengeance
D'un mot fur les appas lâché trop hardiment.
Courez , mortels , prenez les armes ,
42 MERCURE DE FRANCE.
Faites - vous égorger pour l'honneur de fes char
mes ;
Ces mêmes auraits outragés ,
Vont devenir le prix de votre frénéfie ,
Et la pudeur fe facrifie
Au plaifir de les voir vengés.
Lorfque Pandore vit que l'humaine lignée ,
Par le double préfent des langues & de l'or ,
Ne pouvoit éviter de vivre infortunée ,
En fouriant , elle prit fon effor
Vers les céleftes lieux , & fes perfides mains ,
Pour confommer fes noirs deffeins ,
Laifferent échapper ce pernicieux vafe
De nos malheurs l'origine & la bafe.
11 eft à moi , dit l'un , car je fuis le plus fort :
Soumettez- vous aux loix de la Déeffe ;
Qui de le difputer aura la hardieffe ,
De ce bras recevra la mort .
Ce titre feul vous rend tous mes efclaves.
Crois-tu , s'écrie un autre , infpirer de l'effroit
Ta force n'y fait rien , & ce font les plus braves
Qui , maîtres de cet or doivent donner la loi.
Ainfi l'on vit & la force & l'audace
Dans leurs premiers accens exhaler la menace :
L'or en fut le motif , & pour peupler l'enfer
Dès cet inftant l'or éguifa le fer.
Dès lors auffi l'égalité bannie ,
Fit place aux plus noirs attentats ,
JANVIER. 1755. 43.
Et la farouche tyrannie
Se faifant précéder du démon des combats ,
Un poignard à la main , fe traça des Etats. ,
Mais pour faire aux humains refpecter fa furie ,
Elle s'appropria le beau nom de patrie.
Ce nom facré fubjuguant les efprits ,
Cimenta fur l'honneur fon altier defpotifme.
De leurs droits confondus , l'homme de coeur épris,
Par des routes de fang courut à l'héroïſme ,
Et plein d'amour il fut , en barbare appareil ,
A fa chere patrie immoler fon pareil .
Avec moins de fracas , & plus d'adreffe encore
Pour l'ufage commun , les langues font éclore
Du fond des coeurs des vices inconnus.
En politique adroit , l'amour propre à leur tête ,
Les entremêle avec quelques vertus.
L'efprit lui-même eft bientôt fa conquête,
Et vil adulateur , il prête fes talens
2
A la tendreffe opiniâtre
Dont cet orgueilleux idolâtre
Ses plus monftrueux fentimens.
En vain la vérité plaintive & gémiffante ,
S'éleve dans l'intérieur ,
L'indomptable tyran étouffe la lueur
De far emontrance impuiffante.
Déja le menteur effronté
Traite l'homme vrai d'imbécile ,
Et , felon lui , la verité
7
44 MERCURE DE FRANCE.
N'eft qu'une vertu puerile ,
Dont cependant le fourbe habile
Contrefait l'ingénuité ,
Pour fe gliffer en dangereux reptile ,
Dans le fein ouvert & facile
De la naïve probité.
Déja la noire calomnie ,
Pour déployer fes jalouſes fureurs ,
Broye en fecret les affreuſes couleurs
Dont elle va fouiller la plus illuftre vie.
Tel eft le fort d'un mérite éclatant ,
Que fa profpérité la choque & l'importune ,
Et fon inventive rancune
Ne fe taira qu'en le précipitant .
Dans la plus obfcure infortune .
Et vous , qui dans vos traits n'offrez rien de plus
beau
Que le modefte & fincere tableau
D'une ame généreufe & fage ,
Vous , de l'honneur , la plus aimable image ,
Chaftes beautés , tremblez à l'afpect du couteau
Que tient fur vous l'impofteur en fa rage ;
D'un coup il va percer le précieux bandeau
Dont la pudeur vous couvre le viſage.
Hélas ! la playe eft faite ; armez -vous de courage :
Ce ne fera peut- être qu'au tombeau
Que l'humaine équité vous rendra témoignage ;
Mais le crime ici - bas vous devoit eet outrage,
JANVIER . 1755 . 45
Et c'eft en vous plaçant à fon niveau ;
Qu'il vous punit d'ofer dans le bel âge
Porter , de la vertu , l'honorable fardeau.
A voir la langue en fa naiffance
Obfcurcir les vertus , & fervir les forfaits ,
Qui ne croiroit que fa licence
Ne peut pouffer plus loin fes rapides effais !
A peine cependant l'eſprit lui tend l'amorcę .
De l'orgueilleufe impiété ,
Que dès l'iftant elle s'efforce
D'en outrer la témérité ;
Et franchiffant la fphere trop obfcure
Qui la retient dans l'univers ,
Ses facrileges fons exhalent dans les airs ,
Et le blafphême & le parjure .
Ne croyez pas , Dieux immortels ,
Que fon audace épargne vos autels :
Ces monumens facrés , où la reconnoiffance
Brûle un refpectueux encens ,
D'un coeur féditieux choquent la dépendance ,
Et pour les renverfer attaquant votre eflence ,
La langue lui fournit ces rebelles accens.
L'ordre des cieux , le ciron , la lumiere ,
N'émanent point d'un Créateur ;
Un concours fortuit eft l'unique moteur
D'une éternelle & féconde matiere.
Ne craignez point des Dieux , leur culte n'eft
qu'un frein ;
46 MERCURE DE FRANCE.
Némefis , & ce noir Tartare
N'eft qu'une invention bizare
Pour contenir le genre humain
Dans la néceffité des devoirs fociables ;
Et les Législateurs armés d'un vain pouvoir ,
De ces fantômes redoutables ,
'Arrêtent par la crainte , & flatent par l'espoir
Ceux que l'oppreffion rend ici miférables .
Des fens voluptueux écoutez les tranfports ;
Qu'héfitez- vous ? laiffez à des efprits vulgaires
Le foin de fe forger des terreurs , des remords ;
Nos defirs font nos Dieux , & pour des efprits
forts
Le vice & la vertu font des mots arbitraires.
Le corps enfin eft notre unique bien ;
Et cette effence fantaſtique
Indéfiniffable & myſtique ,
Qu'on appelle ame , eft moins que rien.
C'est ainsi que l'impie enyvré d'un fyftême
Dont il voudroit étourdir fes frayeurs ,
D'un avenir affreux écartant les horreurs ,
Avec les Dieux , s'anéantit lui-même.
OU L'ORIGINE DES PASSIONS .
ET DES CRIME S.
V
PAR M. YO N.
Avant Vant que le fils de Japet
Eut dérobé le feu célefte ,
Et que par un zéle indiſcret
Son audace à l'homme funefte ,
Eût fait éclore fa raiſon ,
En prenant chez les Dieux un dangereux rayon
De leur fuprême intelligence ,
L'homme innocent , dans un heureux filence
Se livroit au penchant du naïf ſentiment ;
Et ne diftinguant point les vertus ni les vices
Sans crainte & fans remords , il fuivoit les ca→
prices
Que le Ciel imprima fur fon tempérament.
On s'entendoit pourtant ; & dans ce premier âge
Le coeur dictoit aux yeux un ingénu langage .
* Cette allégorie excéde un peu les bornes que je
me fuis preferites pour les piéces en vers ; mais j'ai
cru que les beautés dont elle m'a paru remplie , méritoient
une diftinction . J'efpere que ceux qui la liront
, me fauront gré d'avoir franchi la régle en
fa faveur.
JANVIE R. 1755 . 37
On y lifoit fes befoins , fes defirs ,
Et la belle pouvoit ſe fier aux ſoupirs
Qu'elle voyoit fortir du coeur
De l'Amant qu'elle avoit choisi pour fon vain
queur.
Mais l'attentat de Promethée
Alluma bientôt contre nous
Le feu du céleſte couroux ,
Et fa vengeance concertée
Commit le foin aux Cyclopes brulans ,
De rebattre fur leur enclume ,
De la foudre la noire écume ,
Et d'en forger , pour éblouir nos fens ,
Un monftre orné des dons les plus brillans.
L'Olympe entier prit plaifir à répandre
Sur fon vifage féminin
Ces charmes féduifans , cet air piquant & fin
Qui fecondés d'un oeil fubtil & tendre ,
Fournit à ce fexe malin ,
En fe jouant , l'art de tout entreprendre,
Et comme au ciel tout concourut ,
Pour mieux déguifer l'impofture ,
Chaque Divinité tira de ſa nature
Le plus éclatant attribut.
Phébus lui montra fur fon luth ,
Des beaux chants & des vers le flateur affemblage .
Junon lui fouffla fur le front
L'art de rougir pour paroître plus fage ,
Qui , joint au don des pleurs , fait un effet fi
prompt
35 MERCURE DE FRANCE.
Dans les refforts d'un beau vifage ,
Qu'il n'eft point de couroux que ne puiffe fléchir
L'artifice trompeur de ce double avantage.
Pour achaver de l'embellir ,
Hébé compofa fa coëlfure ,
Et la Mere d'amour lui prêta fa ceinture .
Enfin le traître Amour ſe logea dans les yeux ,
Pour la guider dans ces terreftres lieux.
Tel éclata ce brillant météore
Aux regards des mortels , fous le nom de Pandore.
Jufque là le pouvoir du ciel
Avoit décoré ce fantôme ;
Mais il falloit que l'infernal Royaume
Contribuât par un préfent cruel
Qu'Alcalaphe apporta de la part des furies ,
Chef-d'oeuvre de leurs mains impics ,
Ouvrage éblouiffant , compofé d'un métal
Que depuis l'avarice arracha de la terre ,
D'où fortit le germe fatal
De la difcorde & de la guerre.
Peux-tu , miferable univers ,
Réfifter aux efforts des cieux & des enfers ?
Ils ont remis aux mains d'une beauté divine
Le foin de leurs deffeins vengeurs :
La foif de l'or va caufer ta iuine ;
Son éclat & celui de deux yeux enchanteurs
Vont pour jamais caufer tous tes malheurs.
Enfin , Pandore arrive , & fa bouche vermeille
Fit d'abord éclater fur nos fens étonnés ,
JANVIER. 1755 39
De fa touchante voix la fonore merveille .
Soudain les hommes profternés ,
A ce charme prêtent l'oreille.
Les femmes , de la voix admirant les talens ,
Déja cherchent des fons dans leurs bouches béantes
,
Et leurs levres impatientes
Précipitant leurs mouvemens ,
S'efforcent de faifir le don de la parole.
Pendant que tous enchantés & furpris ,
Soupirent aux pieds de l'idole ;
Elle pour s'acquitter de fon perfide rolle ,
Fit briller aux regards des hommes éblouis
Ce métal dangereux , cette boîte infernale ,
Qui frappant leurs efprits de curiofité ,
Se fit des yeux aux coeurs une route fatale
Pour y développer la cauſe initiale
De l'humaine cupidité.
L'effet fut prompt , & l'ardeur de connoître
Soudain bouillonne en leurs coeurs embrafés
Leurs regards pétillans , leurs geftes empreffés
Exigent fans retard que l'on faffe paroître
Ce que contient ce vaſe en fes brillans contours.
Je comprens vos defirs ; écoutez , dit Pandore ,
Jupiter ne veut plus que l'univers ignore
Ce qui doit augmenter le bonheur de vos jours.
Il vous enjoint de déchirer la terre ,
De percer , s'il fe peut , juſqu'aux bords d'Acheron
,
40 MERCURE DE FRANCE .
C'eft par de tels fentiers que votre ambition
Doit découvrir cetterare matiere :
Or eft fon nom ; fouillez , creufez pour en avoir;
Rien n'eft égal à fon pouvoir :
Celui qui plus avide en aura davantage ,
Sur les pareils régnera deformais .
Ce n'est point tout , pour comble de bienfaits
Ouvrez la bouche , & recevez l'ufage
De l'inftrument artifte de la voix.
Cet infatigable mobile ,
De vos plaifirs panégyrifte habile ,
Souinis aux paffions , en défendra les droits :
Et quand d'un fier cenfeur la morale ennemie
D'une vertu bizarre alléguera les loix ,
Qu'un grand nombre de mots étouffe fous leurs
poids
Les noirs accès de fa miſantropie ,
En criant plus que lui vous mettrez aux abois
Sa raifon étourdie .
Enfin , pour exciter les mortels généreux ,
J'ordonne que ce vaſe , objet de votre envie ,
Soit le prix du plus fort ou du plus courageux.
Ainfi parla Pandore à la muette troupe ;
Et de langues foudain un effain bourdonnant ,
En prenant l'air , s'échappe de la coupe.
Chacune au hazard ſe lançant ,
Dans les gofiers ouverts fe greffe & s'enracine,
D'abord les animaux par des cris menaçans ,
JANVIER . 1755.
De leurs foibles tyrans confpirent la ruine ;
Ils ne prétendent plas que l'homme les domine ;
Ils dédaignent déja ſes ordres impuiffans.
Le taureau révolté , briſe fon joug , rumines
Le lion indigné de fon abaiffement ,
Etincelle , rugit , bat fes flancs & s'anime ;
Et pour fignal de fon foulevement ,
Fait de fon maître la victime.
Le ferpent s'applaudit par un fier fifflement ;
Des poiſons dont fa langue s'envenime ;
Et l'homme s'énonçant pour la premiere fois ,
Sur le tien & le mien , fait l'effai de ſa voix.
L'air retentit de cris , écho rompt le filence ;
Mais le fexe fur- tout eft le plus éloquent :
On dit même qu'en débutant
Il inventa la médiſance ,
Et fut prompt à faifir le tour infinuant
D'une mordante & badine élégance ,
Pour décrier plus finement
La plus frivole impertinence ;
Même il trouva dans fon tempérament
Cette cauftique nonchalance ,
Qui prête un faux air d'innocence
Au trait le plus piquant.
Bientôt fon altiere éloquence ,
Organe impérieux de fon reffentiment ,
A l'aveugle bravoure enjoignit la vengeance
D'un mot fur les appas lâché trop hardiment.
Courez , mortels , prenez les armes ,
42 MERCURE DE FRANCE.
Faites - vous égorger pour l'honneur de fes char
mes ;
Ces mêmes auraits outragés ,
Vont devenir le prix de votre frénéfie ,
Et la pudeur fe facrifie
Au plaifir de les voir vengés.
Lorfque Pandore vit que l'humaine lignée ,
Par le double préfent des langues & de l'or ,
Ne pouvoit éviter de vivre infortunée ,
En fouriant , elle prit fon effor
Vers les céleftes lieux , & fes perfides mains ,
Pour confommer fes noirs deffeins ,
Laifferent échapper ce pernicieux vafe
De nos malheurs l'origine & la bafe.
11 eft à moi , dit l'un , car je fuis le plus fort :
Soumettez- vous aux loix de la Déeffe ;
Qui de le difputer aura la hardieffe ,
De ce bras recevra la mort .
Ce titre feul vous rend tous mes efclaves.
Crois-tu , s'écrie un autre , infpirer de l'effroit
Ta force n'y fait rien , & ce font les plus braves
Qui , maîtres de cet or doivent donner la loi.
Ainfi l'on vit & la force & l'audace
Dans leurs premiers accens exhaler la menace :
L'or en fut le motif , & pour peupler l'enfer
Dès cet inftant l'or éguifa le fer.
Dès lors auffi l'égalité bannie ,
Fit place aux plus noirs attentats ,
JANVIER. 1755. 43.
Et la farouche tyrannie
Se faifant précéder du démon des combats ,
Un poignard à la main , fe traça des Etats. ,
Mais pour faire aux humains refpecter fa furie ,
Elle s'appropria le beau nom de patrie.
Ce nom facré fubjuguant les efprits ,
Cimenta fur l'honneur fon altier defpotifme.
De leurs droits confondus , l'homme de coeur épris,
Par des routes de fang courut à l'héroïſme ,
Et plein d'amour il fut , en barbare appareil ,
A fa chere patrie immoler fon pareil .
Avec moins de fracas , & plus d'adreffe encore
Pour l'ufage commun , les langues font éclore
Du fond des coeurs des vices inconnus.
En politique adroit , l'amour propre à leur tête ,
Les entremêle avec quelques vertus.
L'efprit lui-même eft bientôt fa conquête,
Et vil adulateur , il prête fes talens
2
A la tendreffe opiniâtre
Dont cet orgueilleux idolâtre
Ses plus monftrueux fentimens.
En vain la vérité plaintive & gémiffante ,
S'éleve dans l'intérieur ,
L'indomptable tyran étouffe la lueur
De far emontrance impuiffante.
Déja le menteur effronté
Traite l'homme vrai d'imbécile ,
Et , felon lui , la verité
7
44 MERCURE DE FRANCE.
N'eft qu'une vertu puerile ,
Dont cependant le fourbe habile
Contrefait l'ingénuité ,
Pour fe gliffer en dangereux reptile ,
Dans le fein ouvert & facile
De la naïve probité.
Déja la noire calomnie ,
Pour déployer fes jalouſes fureurs ,
Broye en fecret les affreuſes couleurs
Dont elle va fouiller la plus illuftre vie.
Tel eft le fort d'un mérite éclatant ,
Que fa profpérité la choque & l'importune ,
Et fon inventive rancune
Ne fe taira qu'en le précipitant .
Dans la plus obfcure infortune .
Et vous , qui dans vos traits n'offrez rien de plus
beau
Que le modefte & fincere tableau
D'une ame généreufe & fage ,
Vous , de l'honneur , la plus aimable image ,
Chaftes beautés , tremblez à l'afpect du couteau
Que tient fur vous l'impofteur en fa rage ;
D'un coup il va percer le précieux bandeau
Dont la pudeur vous couvre le viſage.
Hélas ! la playe eft faite ; armez -vous de courage :
Ce ne fera peut- être qu'au tombeau
Que l'humaine équité vous rendra témoignage ;
Mais le crime ici - bas vous devoit eet outrage,
JANVIER . 1755 . 45
Et c'eft en vous plaçant à fon niveau ;
Qu'il vous punit d'ofer dans le bel âge
Porter , de la vertu , l'honorable fardeau.
A voir la langue en fa naiffance
Obfcurcir les vertus , & fervir les forfaits ,
Qui ne croiroit que fa licence
Ne peut pouffer plus loin fes rapides effais !
A peine cependant l'eſprit lui tend l'amorcę .
De l'orgueilleufe impiété ,
Que dès l'iftant elle s'efforce
D'en outrer la témérité ;
Et franchiffant la fphere trop obfcure
Qui la retient dans l'univers ,
Ses facrileges fons exhalent dans les airs ,
Et le blafphême & le parjure .
Ne croyez pas , Dieux immortels ,
Que fon audace épargne vos autels :
Ces monumens facrés , où la reconnoiffance
Brûle un refpectueux encens ,
D'un coeur féditieux choquent la dépendance ,
Et pour les renverfer attaquant votre eflence ,
La langue lui fournit ces rebelles accens.
L'ordre des cieux , le ciron , la lumiere ,
N'émanent point d'un Créateur ;
Un concours fortuit eft l'unique moteur
D'une éternelle & féconde matiere.
Ne craignez point des Dieux , leur culte n'eft
qu'un frein ;
46 MERCURE DE FRANCE.
Némefis , & ce noir Tartare
N'eft qu'une invention bizare
Pour contenir le genre humain
Dans la néceffité des devoirs fociables ;
Et les Législateurs armés d'un vain pouvoir ,
De ces fantômes redoutables ,
'Arrêtent par la crainte , & flatent par l'espoir
Ceux que l'oppreffion rend ici miférables .
Des fens voluptueux écoutez les tranfports ;
Qu'héfitez- vous ? laiffez à des efprits vulgaires
Le foin de fe forger des terreurs , des remords ;
Nos defirs font nos Dieux , & pour des efprits
forts
Le vice & la vertu font des mots arbitraires.
Le corps enfin eft notre unique bien ;
Et cette effence fantaſtique
Indéfiniffable & myſtique ,
Qu'on appelle ame , eft moins que rien.
C'est ainsi que l'impie enyvré d'un fyftême
Dont il voudroit étourdir fes frayeurs ,
D'un avenir affreux écartant les horreurs ,
Avec les Dieux , s'anéantit lui-même.
Fermer
Résumé : PANDORE, OU L'ORIGINE DES PASSIONS ET DES CRIMES. * PAR M. YON.
Le texte 'Pandore, ou l'origine des passions et des crimes' raconte une allégorie sur l'origine des maux humains. Avant que Prométhée ne vole le feu divin, les hommes vivaient innocemment, guidés par leurs sentiments naturels et sans distinction entre vertus et vices. La création de Pandore, un être doté de multiples talents et beautés par les dieux, marque un tournant. Pandore, accompagnée d'une boîte contenant des maux, est envoyée sur Terre. Elle séduit les hommes et leur montre un métal précieux, l'or, éveillant ainsi leur curiosité et leur cupidité. Pandore révèle ensuite que l'or et la parole sont des dons divins, incitant les hommes à creuser la terre pour en obtenir davantage. Cette action provoque la discorde et la guerre. Les animaux, inspirés par les nouvelles capacités humaines, se révoltent contre leurs maîtres. Les hommes, dotés de la parole, inventent la médisance et l'éloquence pour justifier leurs actions. La tyrannie et les conflits naissent, souvent au nom de la patrie. Les langues humaines, libérées par Pandore, révèlent des vices cachés et des vertus mêlées à l'amour-propre. La vérité est étouffée, et la calomnie, la flatterie et l'imposture prospèrent. La langue humaine, dans sa licence, outrepasse ses limites, blasphémant même les dieux et niant leur existence. Les hommes, guidés par leurs désirs, considèrent le vice et la vertu comme des concepts arbitraires, et réduisent leur essence à la matérialité du corps.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
413
p. 49-58
ADELAÏDE, OU LA FEMME MORTE D'AMOUR. Histoire singuliere, mais qui n'est pas moins vraie.
Début :
Cette aventure est arrivée en 1678, & paroîtra peut-être incroyable en 1755. [...]
Mots clefs :
Marquis, Marquise , Amour, Femme, Vertu, Fortune, Passion, Couvent
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ADELAÏDE, OU LA FEMME MORTE D'AMOUR. Histoire singuliere, mais qui n'est pas moins vraie.
A DELAÏDE ,
OU LA FEMME MORTE D'AMOUR.
Hiftoirefinguliere , mais qui n'eft pas moins
C
vraie.
Ette aventure eſt arrivée en 1678 , &
paroîtra peut-être incroyable en 1755 .
Soixante- dix -fept ans ont fait de fi grands
changemens dans nos moeurs , que l'amour
conjugal , qui étoit alors refpecté ,
eft devenu aujourd'hui un ridicule ; il
paffe même pour une chimere , on n'y
croit plus. Cependant l'hiftoire d'Adelaïde
eft accompagnée de circonftances fi naturelles
, elle porte un caractere de vérité fi
frappant & fi naïf , qu'elle doit perfuader
l'efprit du plus incrédule , toute furprenante
qu'elle eft. Le lecteur en jugera : la
voici.
La Marquife de Ferval s'étant dégoûtée
du monde , fe retira en province dans une
de fes terrres , & ne s'y occupa que du
foin d'élever fa famille. Elle étoit veuve
d'un homme de qualité , qui n'avoit foutenu
fon rang que par les grands biens
qu'il tenoit d'elle. Il lui avoit laiffé une
fille de feize ans ; elle l'aimoit tendre-
C
so MERCURE DE FRANCE.
ment ; & comme elle vivoit ifolée , elle
fit deffein de mettre auprès d'elle une jeune
perfonne du même âge , pour lui tenir
compagnie. Elle n'eut pas beaucoup
de peine à faire ce choix le caractere
d'Adelaïde lui avoit plû. Cette aimable
fille voyoit fort fouvent la fienne , & la
Marquife de Ferval ne lui eut pas plutôr
témoigné l'envie qu'elle avoit de la retenir
, qu'elle eut tout lieu d'être fatisfaite
de fa complaifance. L'occafion étoit favorable
pour Adelaïde ; elle étoit orpheline :
comme elle ne tenoit de la fortune que
le titre de Demoifelle , elle trouvoit un
grand avantage à être reçue en qualité
d'amie , dans une maifon auffi diftinguée
que l'étoit celle de la Marquife. Elle y
étoit déja fort aimée , & fes manieres
honnêtes pour tous ceux avec qui elle avoit
à vivre , eurent bientôt achevé de lui
gagner
tous les coeurs. Ce qui lui avoit par
ticulierement acquis l'eftime de la Marquife,
c'étoit un fond de modeftie & de
vertu qu'on ne pouvoit affez admirer dans
une fi grande jeuneffe , & avec une beau-"
té dont toute autre auroit été vaine. Madame
de Ferval ne pouvoit mieux choifir
ni donner à fa fille un exemple plus digne
d'être fuivi. Mais en plaçant Adelaïde
auprès d'elle , elle n'avoit pas
fait at
JANVIER. 1755. SI
tention qu'elle avoit un fils , que ce
fils n'étoit pas d'un âge à demeurer infenfible
, & que l'expofer à voir à toute heute
une perfonne fi aimable , c'étoit en quelque
façon le livrer aux charmes les plus
dangereux qu'on pût avoir à craindre pour
lui. En effet , fi le jeune Marquis n'eût
d'abord que de la politeffe pour Adelaïde
il ne fut pas long- tems le maître de n'avoir
rien de plus fort.Quoiqu'il fut fouvent avec
fa foeur, il auroit voulu en être inféparable .
Adelaïde ne difoit rien qui ne lui femblât
dit de la meilleure grace du monde ; Adedaïde
ne faifoit rien qu'il n'approuvât ,.
& parmi les louanges qu'il lui donnoit , il
lui échappoit toujours quelque chofe qui
avoit affez de l'air d'une déclaration d'amour
. Adelaïde , de ſon côté , n'étoit pas
aveugle fur le mérite du jeune Ferval : il
lui paroiffoit digne de toute l'estime qu'elle
avoit pour lui ; & quand elle s'examinoit
un peu rigoureufement , elle fe trouvoit
des difpofitions fi favorables à faire plus
que l'eftimer , qu'elle n'étoit pas peu embarraffée
dans fes fentimens : mais fi elle
avoit de la peine à les régler , elle s'en
rendoit fi bien la maîtreffe , qu'il étoit impoffible
de les découvrir. Elle connoiffoit
la Marquife pour une femme impérieuſe ,
qui ayant apporté tout le bien qui étoit
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE,
dans cette maifon , formoit de grands projets
pour l'établiffement de fon fils , & lui
deftinoit un parti fort confidérable. Ainfi
quoiqu'elle fût d'une naiffance à ne pas
lui faire de deshonneur s'il l'aimoit affez
pour l'époufer , elle voyoit tant d'obſta
cles à ce deffein , qu'elle ne trouvoit point
de meilleur parti à prendre que celui de
ne point engager fon coeur. Cependant
elle tâcha inutilement de le défendre ; fon
penchant l'emporta fur fa raifon , & fi elle
oppofa quelque fierté aux premiers aveus
que le Marquis lui fit de fa tendreffe , ce
fut une fierté fi engageante , qu'elle ne l'éloigna
point de la réfolution qu'il avoit
prife de l'aimer éternellement . Elle évita
quelque tems toutes fortes de converfations
particulieres avec lui , mais elle ne put
empêcher que fes regards ne parlaffent : ils
lui expliquoient fi fortement fon amour ,
qu'il lui étoit impoffible de n'en être pas
perfuadée . Enfin le hazard voulut qu'il la
rencontrât feule un jour fous le berceau
d'un jardin , où elle s'abandonnoit quelquefois
à fes rêveries : elle interrompit les
premieres affurances qu'il lui réitéra de fa
paffion ; mais il la conjura fi férieufement
de l'écouter , qu'elle crut lui devoir cette
complaifance. Ce fut là qu'il lui peignit
tout ce qu'il fentoit pour elle , & qu'il
JANVIÉ R. 1755 . 53
l'affura de la maniere la plus touchante
que fi elle vouloit agréer fes foins , il feroit
fon unique félicité de la poffeffion de
fon coeur. Adelaiïde rougit , & s'étant remife
d'un premier trouble , qui donnoit
un nouvel éclat à fa beauté , elle lui dit
avec une modeftie charmante , que fi elle
étoit d'une fortune égale à la fienne , il
auroit tout lieu d'être fatisfait de fa ré
ponfe ; mais que dans l'état où fe trou
voient les chofes , elle ne voyoit pas qu'if
pût lui être permis de s'expliquer ; qu'elle
avoit trop
bonne opinion de lui , pour croi
re qu'il eût conçu des efpérances dont elle
dût avoir fujet de fe plaindre , & qu'elle ·
enviſageoit tant de malheurs pour lui dans
une paffion légitime , qu'elle croiroit ne
pas mériter les fentimens qu'il avoit pour
elle fi elle ne lui confeilloit de les étouf
fer ; qu'elle lui prêteroit tout le fecours
dont il pourroit avoir befoin pour le faire ,
& qu'elle éviteroit fa vûe avec tant de
foin , qu'il connoîtroit fi fon
que
peu de
fortune ne lui permettoit pas de prétendre
à fon amour , elle étoit digne au moins
qu'il lui confervât toute fon eftime.
Tant de vertu fut pour le Marquis un
nouveau fujet d'engagement. Il parla de
mariage , pria Adelaïde de lui laiſſer ménager
l'efprit de fa mere , & fe fépara
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
d'elle fr charmé , qu'il n'y eut jamais unë
paffion plus violente. Il fit ce qu'il lui avoit
promis , & rendit des devoirs fi refpectueux
& fi complaifans à la Marquife , qu'il
ne defefpéra pas d'obtenir fon confentement.
Adelaïde ne fut pas moins ponctuelle
à tenir la parole ; elle prit foin d'éviter
le Marquis , & tâcha de lui faire quit,
terun deffein dont elle voyoit le fuccès horsd'apparence
. Mais leur destinée étoit de s'aimer
; & comme un fort amour ne peut être
long- tems fecret , la Marquife , qui s'en
apperçut , fit quelques railleries à fon fils.
II
prit la chofe au férieux ; mais dès qu'il
eut commencé à exagérer le mérite d'Adelaïde
, elle prévint la déclaration qu'il fe
préparoit à lui faire , par des défenfes fi
abfolues d'avoir jamais aucune penſée pour
elle , qu'il vit bien qu'il n'étoit pas encore
tems de s'expliquer . Elle fit plus. La campagne
alloit s'ouvrir ; le Marquis étoit dans
les Moufquetaires , elle ne lui donna qu'un
jour pour partir : il fallut céder.
Son pere n'avoit pas laiffé de quoi Latiffaire
fes créanciers , & il ne pouvoit efperer
de bien que par elle : il partit après
avoir conjuré Adelaïde de l'aimer toujours
, & l'avoir affurée d'une fidélité inviolable
.
Pendant fon abfence , un Gentilhom
JAN VIÉR. 1755 55
me voifin devient amoureux d'Adelaïde ;
il fe déclare à la Marquife qui , pour
mettre fon fils hors de peril , promet un
préfent de nôce confidérable , & conclut
l'affaire. Le jeune Ferval en eft averti. On
entroit en quartier d'hyver. Il prend la
pofte , & arrive dans le tems qu'on preffoit
fa maîtreffe de prendre jour. Il fe
jette aux pieds de fa mere , la conjure de
ne pas le mettre au defeſpoir , & ne lus
cache plus le deffein qu'il a d'époufer Adelaïde.
La Marquife éclate contre lui. La
foumiffion de fon fils ne peut la fléchir ,
& cette brouillerie fait tant d'éclat , que le
Gentilhomme qui apprend l'amour réciproque
du Marquis & d'Adelaide , retire
fa parole , & rompt le mariage arrêté. Cetre
rupture acheve d'irriter la Marquife. Elle
défend fa maifon à Adelaïde , & toutes
les prieres du Marquis ne peuvent rien
obtenir. Il eft caufe de la difgrace de ce
qu'il aime , & il ſe réfout à la réparer. Il
l'épouſe , malgré toutes les menaces de fa
mere. Elle l'apprend , le deshérite , & jure
de ne lui pardonner jamais . Un enfant naît
de ce mariage ; on le porte à la Marquife.
Point de pitié ; elle demeure inexorable ,
& pour comble de malheur ils perdent ce
précieux gage de leur amour. Ils paffent
trois ou quatre années prefqu'abandonnés
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
de tout le monde , & ne fubfiftant qu'avec
peine ; ils font réduits enfin à la néceffité
de fe féparer. Le Marquis en fait la
propofition à fa femme . Elle n'a pas moins
de courage que de fageffe , & confent à
s'enfermer dans un Cloître , comme il ſe
détermine à entrer dans un Couvent. I
vend quelques bijoux qui lui reftent , &
en donne l'argent à fa chere Adelaïde. Elle
va trouver une Abbeffe , auffi recommendable
par fa vertu que par fa naiffance .
Elle eft reçue , on lui donne le voile , &
cette cérémonie n'eft pas plutôt faite , que
le Marquis fe rend à Paris , & renonçant
pour jamais au monde , prend l'habit dans
un Ordre très- auftere .
La fortune n'étoit pas encore laffe de
perfécuter Adelaide. Quelques filles du
Monaftere qu'elle avoit choifi , apprennent
fon hiftoire ; & foit envie ou malignité ,
elles cabalent avec tant d'adreffe , qu'elles
trouvent des raifons plaufibles pour
lui faire donner l'exclufion : elle a beau verfer
des larmes , elle eft obligée de fortir .
Une Religieufe de ce Couvent touchée
de fon état , lui donne des legres de recommendation
pour fon pere , qui étoit
Officier d'une Princeffe . Elle part , vient à
Paris ; & pendant que cet Officier lui fait
chercher un lieu de retraite pour toute
JANVIER. 1755. 57
fa vie , elle envoye avertir le Marquis de
fon arrivée , & lui fait demander une heure
pour lui parler. La nouvelle difgrace d'Adelaïde
eft un coup fenfible pour lui . Ik
F'aime toujours , il craint l'entretien qu'elle
fouhaite , & la fait prier de lui vouloir
épargner une vûe qui ne peut qu'être pré-;
judiciable au repos de l'un & de l'autre.
Adelaïde , quoique détachée du monde ,
ne l'eft point affez d'un mari qu'elle a tant
aimé , pour n'être point touchée de ce refis
; il ne fert qu'à augmenter l'envie
qu'elle a de le voir.
Elle va au Couvent , entre d'abord dans
P'Eglife , & le premier objet qui la frappe, eſt
le Marquis fon époux , occupé à un exercice
pieux avec toute fa Communauté . Cet
habit de pénitence la touche ; elle fe montre
, il la voit , il baiffe les yeux , & quelque
effort qu'elle faffé pour attirer les regards
, il n'en tourne plus aucun fur elle
Quoiqu'elle pénétre le motif de la violence
qu'il fe fait , elle y trouve quelquechofe
de fi cruel , qu'elle en eft faifie de la
plus vive douleur. Elle tombe évanouie ;
on l'emporte , elle ne revient à elle que
pour demander fon cher Ferval. On court
l'avertir que fa femme eft mourante . Son
Supérieur lui ordonne de la venir confo--
ler ; & elle expire par la force de fon fai-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
fiffement , avant qu'il fe foit rendu auprès
d'elle .
Toute la vertu du Marquis ne fuffic
point pour retenir les larmes que fa tendreffe
l'oblige de donner à cette mort. Ce
premier mouvement eft fuivi d'une rêve
rie profonde , qui le rend quelque tems
immobile. Il revient enfin à lui -même , &
après avoir remercié ceux qui ont pris foin
de fa chere Adelaïde , il fe retire dans fon:
Couvent , où à force d'auftérités , il tâche
de reparer ce que fa paffion quoique
légitime , peut avoir eu de trop violent
OU LA FEMME MORTE D'AMOUR.
Hiftoirefinguliere , mais qui n'eft pas moins
C
vraie.
Ette aventure eſt arrivée en 1678 , &
paroîtra peut-être incroyable en 1755 .
Soixante- dix -fept ans ont fait de fi grands
changemens dans nos moeurs , que l'amour
conjugal , qui étoit alors refpecté ,
eft devenu aujourd'hui un ridicule ; il
paffe même pour une chimere , on n'y
croit plus. Cependant l'hiftoire d'Adelaïde
eft accompagnée de circonftances fi naturelles
, elle porte un caractere de vérité fi
frappant & fi naïf , qu'elle doit perfuader
l'efprit du plus incrédule , toute furprenante
qu'elle eft. Le lecteur en jugera : la
voici.
La Marquife de Ferval s'étant dégoûtée
du monde , fe retira en province dans une
de fes terrres , & ne s'y occupa que du
foin d'élever fa famille. Elle étoit veuve
d'un homme de qualité , qui n'avoit foutenu
fon rang que par les grands biens
qu'il tenoit d'elle. Il lui avoit laiffé une
fille de feize ans ; elle l'aimoit tendre-
C
so MERCURE DE FRANCE.
ment ; & comme elle vivoit ifolée , elle
fit deffein de mettre auprès d'elle une jeune
perfonne du même âge , pour lui tenir
compagnie. Elle n'eut pas beaucoup
de peine à faire ce choix le caractere
d'Adelaïde lui avoit plû. Cette aimable
fille voyoit fort fouvent la fienne , & la
Marquife de Ferval ne lui eut pas plutôr
témoigné l'envie qu'elle avoit de la retenir
, qu'elle eut tout lieu d'être fatisfaite
de fa complaifance. L'occafion étoit favorable
pour Adelaïde ; elle étoit orpheline :
comme elle ne tenoit de la fortune que
le titre de Demoifelle , elle trouvoit un
grand avantage à être reçue en qualité
d'amie , dans une maifon auffi diftinguée
que l'étoit celle de la Marquife. Elle y
étoit déja fort aimée , & fes manieres
honnêtes pour tous ceux avec qui elle avoit
à vivre , eurent bientôt achevé de lui
gagner
tous les coeurs. Ce qui lui avoit par
ticulierement acquis l'eftime de la Marquife,
c'étoit un fond de modeftie & de
vertu qu'on ne pouvoit affez admirer dans
une fi grande jeuneffe , & avec une beau-"
té dont toute autre auroit été vaine. Madame
de Ferval ne pouvoit mieux choifir
ni donner à fa fille un exemple plus digne
d'être fuivi. Mais en plaçant Adelaïde
auprès d'elle , elle n'avoit pas
fait at
JANVIER. 1755. SI
tention qu'elle avoit un fils , que ce
fils n'étoit pas d'un âge à demeurer infenfible
, & que l'expofer à voir à toute heute
une perfonne fi aimable , c'étoit en quelque
façon le livrer aux charmes les plus
dangereux qu'on pût avoir à craindre pour
lui. En effet , fi le jeune Marquis n'eût
d'abord que de la politeffe pour Adelaïde
il ne fut pas long- tems le maître de n'avoir
rien de plus fort.Quoiqu'il fut fouvent avec
fa foeur, il auroit voulu en être inféparable .
Adelaïde ne difoit rien qui ne lui femblât
dit de la meilleure grace du monde ; Adedaïde
ne faifoit rien qu'il n'approuvât ,.
& parmi les louanges qu'il lui donnoit , il
lui échappoit toujours quelque chofe qui
avoit affez de l'air d'une déclaration d'amour
. Adelaïde , de ſon côté , n'étoit pas
aveugle fur le mérite du jeune Ferval : il
lui paroiffoit digne de toute l'estime qu'elle
avoit pour lui ; & quand elle s'examinoit
un peu rigoureufement , elle fe trouvoit
des difpofitions fi favorables à faire plus
que l'eftimer , qu'elle n'étoit pas peu embarraffée
dans fes fentimens : mais fi elle
avoit de la peine à les régler , elle s'en
rendoit fi bien la maîtreffe , qu'il étoit impoffible
de les découvrir. Elle connoiffoit
la Marquife pour une femme impérieuſe ,
qui ayant apporté tout le bien qui étoit
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE,
dans cette maifon , formoit de grands projets
pour l'établiffement de fon fils , & lui
deftinoit un parti fort confidérable. Ainfi
quoiqu'elle fût d'une naiffance à ne pas
lui faire de deshonneur s'il l'aimoit affez
pour l'époufer , elle voyoit tant d'obſta
cles à ce deffein , qu'elle ne trouvoit point
de meilleur parti à prendre que celui de
ne point engager fon coeur. Cependant
elle tâcha inutilement de le défendre ; fon
penchant l'emporta fur fa raifon , & fi elle
oppofa quelque fierté aux premiers aveus
que le Marquis lui fit de fa tendreffe , ce
fut une fierté fi engageante , qu'elle ne l'éloigna
point de la réfolution qu'il avoit
prife de l'aimer éternellement . Elle évita
quelque tems toutes fortes de converfations
particulieres avec lui , mais elle ne put
empêcher que fes regards ne parlaffent : ils
lui expliquoient fi fortement fon amour ,
qu'il lui étoit impoffible de n'en être pas
perfuadée . Enfin le hazard voulut qu'il la
rencontrât feule un jour fous le berceau
d'un jardin , où elle s'abandonnoit quelquefois
à fes rêveries : elle interrompit les
premieres affurances qu'il lui réitéra de fa
paffion ; mais il la conjura fi férieufement
de l'écouter , qu'elle crut lui devoir cette
complaifance. Ce fut là qu'il lui peignit
tout ce qu'il fentoit pour elle , & qu'il
JANVIÉ R. 1755 . 53
l'affura de la maniere la plus touchante
que fi elle vouloit agréer fes foins , il feroit
fon unique félicité de la poffeffion de
fon coeur. Adelaiïde rougit , & s'étant remife
d'un premier trouble , qui donnoit
un nouvel éclat à fa beauté , elle lui dit
avec une modeftie charmante , que fi elle
étoit d'une fortune égale à la fienne , il
auroit tout lieu d'être fatisfait de fa ré
ponfe ; mais que dans l'état où fe trou
voient les chofes , elle ne voyoit pas qu'if
pût lui être permis de s'expliquer ; qu'elle
avoit trop
bonne opinion de lui , pour croi
re qu'il eût conçu des efpérances dont elle
dût avoir fujet de fe plaindre , & qu'elle ·
enviſageoit tant de malheurs pour lui dans
une paffion légitime , qu'elle croiroit ne
pas mériter les fentimens qu'il avoit pour
elle fi elle ne lui confeilloit de les étouf
fer ; qu'elle lui prêteroit tout le fecours
dont il pourroit avoir befoin pour le faire ,
& qu'elle éviteroit fa vûe avec tant de
foin , qu'il connoîtroit fi fon
que
peu de
fortune ne lui permettoit pas de prétendre
à fon amour , elle étoit digne au moins
qu'il lui confervât toute fon eftime.
Tant de vertu fut pour le Marquis un
nouveau fujet d'engagement. Il parla de
mariage , pria Adelaïde de lui laiſſer ménager
l'efprit de fa mere , & fe fépara
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
d'elle fr charmé , qu'il n'y eut jamais unë
paffion plus violente. Il fit ce qu'il lui avoit
promis , & rendit des devoirs fi refpectueux
& fi complaifans à la Marquife , qu'il
ne defefpéra pas d'obtenir fon confentement.
Adelaïde ne fut pas moins ponctuelle
à tenir la parole ; elle prit foin d'éviter
le Marquis , & tâcha de lui faire quit,
terun deffein dont elle voyoit le fuccès horsd'apparence
. Mais leur destinée étoit de s'aimer
; & comme un fort amour ne peut être
long- tems fecret , la Marquife , qui s'en
apperçut , fit quelques railleries à fon fils.
II
prit la chofe au férieux ; mais dès qu'il
eut commencé à exagérer le mérite d'Adelaïde
, elle prévint la déclaration qu'il fe
préparoit à lui faire , par des défenfes fi
abfolues d'avoir jamais aucune penſée pour
elle , qu'il vit bien qu'il n'étoit pas encore
tems de s'expliquer . Elle fit plus. La campagne
alloit s'ouvrir ; le Marquis étoit dans
les Moufquetaires , elle ne lui donna qu'un
jour pour partir : il fallut céder.
Son pere n'avoit pas laiffé de quoi Latiffaire
fes créanciers , & il ne pouvoit efperer
de bien que par elle : il partit après
avoir conjuré Adelaïde de l'aimer toujours
, & l'avoir affurée d'une fidélité inviolable
.
Pendant fon abfence , un Gentilhom
JAN VIÉR. 1755 55
me voifin devient amoureux d'Adelaïde ;
il fe déclare à la Marquife qui , pour
mettre fon fils hors de peril , promet un
préfent de nôce confidérable , & conclut
l'affaire. Le jeune Ferval en eft averti. On
entroit en quartier d'hyver. Il prend la
pofte , & arrive dans le tems qu'on preffoit
fa maîtreffe de prendre jour. Il fe
jette aux pieds de fa mere , la conjure de
ne pas le mettre au defeſpoir , & ne lus
cache plus le deffein qu'il a d'époufer Adelaïde.
La Marquife éclate contre lui. La
foumiffion de fon fils ne peut la fléchir ,
& cette brouillerie fait tant d'éclat , que le
Gentilhomme qui apprend l'amour réciproque
du Marquis & d'Adelaide , retire
fa parole , & rompt le mariage arrêté. Cetre
rupture acheve d'irriter la Marquife. Elle
défend fa maifon à Adelaïde , & toutes
les prieres du Marquis ne peuvent rien
obtenir. Il eft caufe de la difgrace de ce
qu'il aime , & il ſe réfout à la réparer. Il
l'épouſe , malgré toutes les menaces de fa
mere. Elle l'apprend , le deshérite , & jure
de ne lui pardonner jamais . Un enfant naît
de ce mariage ; on le porte à la Marquife.
Point de pitié ; elle demeure inexorable ,
& pour comble de malheur ils perdent ce
précieux gage de leur amour. Ils paffent
trois ou quatre années prefqu'abandonnés
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
de tout le monde , & ne fubfiftant qu'avec
peine ; ils font réduits enfin à la néceffité
de fe féparer. Le Marquis en fait la
propofition à fa femme . Elle n'a pas moins
de courage que de fageffe , & confent à
s'enfermer dans un Cloître , comme il ſe
détermine à entrer dans un Couvent. I
vend quelques bijoux qui lui reftent , &
en donne l'argent à fa chere Adelaïde. Elle
va trouver une Abbeffe , auffi recommendable
par fa vertu que par fa naiffance .
Elle eft reçue , on lui donne le voile , &
cette cérémonie n'eft pas plutôt faite , que
le Marquis fe rend à Paris , & renonçant
pour jamais au monde , prend l'habit dans
un Ordre très- auftere .
La fortune n'étoit pas encore laffe de
perfécuter Adelaide. Quelques filles du
Monaftere qu'elle avoit choifi , apprennent
fon hiftoire ; & foit envie ou malignité ,
elles cabalent avec tant d'adreffe , qu'elles
trouvent des raifons plaufibles pour
lui faire donner l'exclufion : elle a beau verfer
des larmes , elle eft obligée de fortir .
Une Religieufe de ce Couvent touchée
de fon état , lui donne des legres de recommendation
pour fon pere , qui étoit
Officier d'une Princeffe . Elle part , vient à
Paris ; & pendant que cet Officier lui fait
chercher un lieu de retraite pour toute
JANVIER. 1755. 57
fa vie , elle envoye avertir le Marquis de
fon arrivée , & lui fait demander une heure
pour lui parler. La nouvelle difgrace d'Adelaïde
eft un coup fenfible pour lui . Ik
F'aime toujours , il craint l'entretien qu'elle
fouhaite , & la fait prier de lui vouloir
épargner une vûe qui ne peut qu'être pré-;
judiciable au repos de l'un & de l'autre.
Adelaïde , quoique détachée du monde ,
ne l'eft point affez d'un mari qu'elle a tant
aimé , pour n'être point touchée de ce refis
; il ne fert qu'à augmenter l'envie
qu'elle a de le voir.
Elle va au Couvent , entre d'abord dans
P'Eglife , & le premier objet qui la frappe, eſt
le Marquis fon époux , occupé à un exercice
pieux avec toute fa Communauté . Cet
habit de pénitence la touche ; elle fe montre
, il la voit , il baiffe les yeux , & quelque
effort qu'elle faffé pour attirer les regards
, il n'en tourne plus aucun fur elle
Quoiqu'elle pénétre le motif de la violence
qu'il fe fait , elle y trouve quelquechofe
de fi cruel , qu'elle en eft faifie de la
plus vive douleur. Elle tombe évanouie ;
on l'emporte , elle ne revient à elle que
pour demander fon cher Ferval. On court
l'avertir que fa femme eft mourante . Son
Supérieur lui ordonne de la venir confo--
ler ; & elle expire par la force de fon fai-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
fiffement , avant qu'il fe foit rendu auprès
d'elle .
Toute la vertu du Marquis ne fuffic
point pour retenir les larmes que fa tendreffe
l'oblige de donner à cette mort. Ce
premier mouvement eft fuivi d'une rêve
rie profonde , qui le rend quelque tems
immobile. Il revient enfin à lui -même , &
après avoir remercié ceux qui ont pris foin
de fa chere Adelaïde , il fe retire dans fon:
Couvent , où à force d'auftérités , il tâche
de reparer ce que fa paffion quoique
légitime , peut avoir eu de trop violent
Fermer
Résumé : ADELAÏDE, OU LA FEMME MORTE D'AMOUR. Histoire singuliere, mais qui n'est pas moins vraie.
En 1678, Adélaïde devient la compagne de la fille de la marquise de Ferval. Elle est appréciée pour sa modestie et sa vertu. Le fils de la marquise, le jeune marquis de Ferval, tombe amoureux d'Adélaïde. Bien que les sentiments soient réciproques, Adélaïde hésite à s'engager en raison de la différence de fortune entre eux. Le marquis, persistant, parle de mariage. La marquise, opposée à cette union, force son fils à partir. Pendant son absence, elle arrange un mariage pour Adélaïde avec un gentilhomme voisin. À son retour, le marquis révèle son amour à sa mère, qui refuse catégoriquement. Le gentilhomme annule le mariage, et la marquise chasse Adélaïde. Malgré l'opposition de sa mère, le marquis épouse Adélaïde, qui les déshérite. Ils vivent dans la pauvreté et finissent par se séparer. Adélaïde entre dans un couvent, tandis que le marquis rejoint un ordre austère. Exclue du couvent, Adélaïde cherche à voir le marquis, mais il refuse. Elle meurt de chagrin en le voyant prier dans l'église du couvent. Le marquis, malgré sa douleur, continue sa vie de pénitence.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
414
p. 60-61
EPITRE. A UNE VEUVE. Par M. le Chevalier de Laurès.
Début :
Pourquoi, Philis, dans les ténébres [...]
Mots clefs :
Amour, Ruisseau, Fleur, Dieux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EPITRE. A UNE VEUVE. Par M. le Chevalier de Laurès.
E PITRE
A UNE VEU V E.
Par M. le Chevalier de Laurèsă-
Pourquoi , Philis , dans fes ténébres
Cacher tant de traits enchanteurs ?
Pourquoi ces images funebres ,
Ces foupirs , ces plaintes , ces pleurs ,,
Dont vous nourriffez vos douleurs ? .
Si l'objet de votre tendreffe
A fermé les yeux pour jamais ,
Faut-il que
la nature ceffe
De s'embellir de vos attraits -
Les Dieux juftes dans leurs bienfaits ,
Pour tous les regards font éclore ,
Et l'émail parfumé de Flore ,.
Et la verdure des forêts.
La fleur de rubis éclatante ,
Qui d'un feul ruiffeau qui l'enchante:
Reçoit la vie & la couleur ,,
JANVIER. 1755 GB
Voit bientôt fa beauté flétrie..
Si du ruiffeau l'onde eft tarie ,
Et fi , conftante en fon ardeur
Pour tout autre dans la prairie
Elle conferve fa rigueur..
Mais , fi d'une fource nouvelle
Son fein eft enfin abreuvé ,
Dieux ! quel jour pur brille fur elle. ??
Le bonheur qu'elle a retrouvé
La rend encor cent fois plus belle..
Fille des Graces , cette fleur
Offre un confeil à votre coeur ;
Vous n'avez reçu tant de charmes ,
Que pour plaire & que pour aimer ::
L'Amour a cauſé vos allarmes ,
C'eft à l'Amour de les calmer..
A UNE VEU V E.
Par M. le Chevalier de Laurèsă-
Pourquoi , Philis , dans fes ténébres
Cacher tant de traits enchanteurs ?
Pourquoi ces images funebres ,
Ces foupirs , ces plaintes , ces pleurs ,,
Dont vous nourriffez vos douleurs ? .
Si l'objet de votre tendreffe
A fermé les yeux pour jamais ,
Faut-il que
la nature ceffe
De s'embellir de vos attraits -
Les Dieux juftes dans leurs bienfaits ,
Pour tous les regards font éclore ,
Et l'émail parfumé de Flore ,.
Et la verdure des forêts.
La fleur de rubis éclatante ,
Qui d'un feul ruiffeau qui l'enchante:
Reçoit la vie & la couleur ,,
JANVIER. 1755 GB
Voit bientôt fa beauté flétrie..
Si du ruiffeau l'onde eft tarie ,
Et fi , conftante en fon ardeur
Pour tout autre dans la prairie
Elle conferve fa rigueur..
Mais , fi d'une fource nouvelle
Son fein eft enfin abreuvé ,
Dieux ! quel jour pur brille fur elle. ??
Le bonheur qu'elle a retrouvé
La rend encor cent fois plus belle..
Fille des Graces , cette fleur
Offre un confeil à votre coeur ;
Vous n'avez reçu tant de charmes ,
Que pour plaire & que pour aimer ::
L'Amour a cauſé vos allarmes ,
C'eft à l'Amour de les calmer..
Fermer
Résumé : EPITRE. A UNE VEUVE. Par M. le Chevalier de Laurès.
Le poème 'E PITRE A UNE VEUVE' a été écrit par le Chevalier de Laurès en janvier 1755. L'auteur s'adresse à une veuve nommée Philis, s'interrogeant sur les raisons de sa tristesse et de la dissimulation de ses attraits. Il observe que la nature continue de s'embellir malgré les deuils, comme les fleurs qui refleurissent après la pluie. Le poète compare Philis à une fleur qui retrouve sa beauté après avoir été arrosée. Il l'encourage à ne pas laisser la tristesse l'envahir et à se rappeler que ses charmes sont destinés à plaire et à aimer. L'Amour, qui a causé ses alarmes, doit également les apaiser.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
415
p. 120-124
« AH ! QUEL CONTE ! Conte politique & astronomique, qui a pour épigraphe : O [...] »
Début :
AH ! QUEL CONTE ! Conte politique & astronomique, qui a pour épigraphe : O [...]
Mots clefs :
Conte politique, Conte astronomique, Amour, Prince, Roi
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « AH ! QUEL CONTE ! Conte politique & astronomique, qui a pour épigraphe : O [...] »
AH ! QUEL CONTE ! Conte politique &
aftronomique , qui a pour épigraphe : 0
quantum eft in rebus inane ! Perfe. A Bruxelles
, chez les freres l'affe , Libraires. On
le trouve à Paris , chez Lambert.
EXTRAIT OU PRÉCIS.
Il paroît que ce conte eft une fuite
du Sopha ; on y voit un Sultan toujours
bête , interrompre fon Vifir toujours fpirituel.
Ce Miniftre , pour fervir fon Maître
felon fon goût , ou fuivant fa portée , lui
raconte des faits très- abfurdes ; mais pour
plaire au public François , il les accompagne
de réflexions très- ingénieufes , dont
ils ne font que le prétexte : s'il en étoit
fouvent un peu plus fobre , avec moins
d'efprit il amuferoir peut- être davantage .
Schezaddin Telaïfe , Souverain d'Ifma ,
eft le héros du conte dont je vais donner
l'extrait. Ce Prince , quoique fort jeune
& fort aimable ( ce font les expreffions
de l'auteur) , s'obftinoit à vivre dans le célibat
malgré les voeux de fes fujets , &
dans l'indifférence malgré les defirs de fes
fujettes. Soit qu'il eût l'efprit gâté par la
lecture des romans , ou qu'il fût né romanefque
, il croyoit qu'une véritable paffion
eft toujours prédite à notre coeur par
des événemens finguliers ; il étoit perfuadé
qu'on
JANVIER. 1755. 125
qu'on n'aime point , lorfque dès la premiere
vûe on ne fe fent point entraîné par
un penchant irrésistible , & que toutes les
fois qu'on s'engage hors de ce cas , on fe
donne un ridicule d'autant moins pardonnable
, que l'on n'en eft pas dédommagé
par les plaifirs. Une Fée , auffi jolie que
coquette , voulut avoir la gloire de le détromper.
Pour y réuffir plus fûrement , elle
eut recours au miniftere des fonges : ellemême
fe plaça la nuit à côté du Prince
endormi , afin de les mieux diriger , &
d'être mieux à portée de s'affurer & de
jouir de fon triomphe.
Un premier rêve offrit à Schezaddin les
traits d'une nimphe piquante , qui lui fit
des agaceries fi vives que fon ame en fut
échauffée , & que le plaifir la difpofa par
degrés à recevoir l'impreffion de l'amour.
Tout ou rien , ( c'eſt le nom de la Fée )
dans un nouveau fonge , fe préfenta ellemême
dans toute fa beauté à Schezaddin ;
fes charmes le toucherent fi fort qu'il fe
réveilla vraiment amoureux d'elle fans la
connoître. Il découvre fon état à Taciturne
fon confident , homme froid &
cauftique , plus bleffé des travers des femmes
, qu'il n'étoit fenfible à leurs agrémens.
Ce favori combla fon amour , &
l'ofe traiter de vifionnaire ; mais la chi-
F
122 MERCURE DE FRANCE,
mere eft bientôt réalifée. La Fée fait annoncer
fon retour au Roi d'Ifma. Comme
elle avoit un palais voifin des Etats de
ce Prince , il s'y rendit avec une cour
nombreuſe : l'agréable furprife ! il reconnoît
dans la Fée la feconde beauté qu'il
a vûe en fonge , & dont il chérit l'image.
Il prend cette rencontre pour un coup du
deftin , qui le force d'aimer ; fon ardeur en
redouble ; le Roi paffe de l'indifférence à
la paffion la plus violente , & la Fée , du
fein de la coquetterie , à l'amour le plus
vrai. Leur bonheur eft parfait ; mais il eſt
bientôt troublé par l'imprudence de Tour
ou rien. Dans un de ces momens où les
amans fe difent tout , même ce qu'ils ont
le plus d'intérêt à fe cacher , l'indifcrette
Fée avoua à Schezaddin que l'amour qu'il
avoit elle étoit moins l'ouvrage de la
pour
deftinée que celui de fon adreffe , & lui
raconta les moyens qu'elle avoit employés
pour le féduire.
L'amour propre du Prince fut bleffe
de la fupercherie , il la regarda moins
comme l'effet d'une tendreffe ingénieufe
que comme une mauvaiſe plaifanterie
& comme un ridicule qu'elle vouloit lui
donner, Le feu de fon amour s'éteignit
par degrés. Comme il redoutoit le pouvoir
de la Fée , il n'ofa pas la quitter brufJANVIER.
1755. 123
quement ; il prit le parti détourné de l'obliger
elle-même à le congédier à force de
froideurs , de caprices extravagans , & de
jaloufies ridicules il y réuffit à la fin.
Tout ou rien excédée , rompit avec lui
& lui dit en le quittant , d'un ton ironique
, que puifqu'il ne pouvoit aimer fans
ce coup de foudre qui arrive fi rarement ,
elle tâcheroit d'obtenir du deftin qu'il le
lai procurât , & que le choix qu'il lui feroit
faire le couvrît d'autant de gloire
qu'il devoit le combler de plaifir. Schezaddin
alarmé du perfiflage de Tout ou
rien , voulut lui répondre ; mais il fe fentit
enlever du palais de la Fée , & fe
tetrouva en peu d'inftans dans le fien .
Quelques jours après la nuit le furprit
dans une forêt avec Taciturne ; comme ils
étoient embarraffés du chemin qu'ils tiendroient
, ils virent tout à coup fortir du
fein de la terre une prodigieufe quantité
de flambeaux allumés. Malgré leur étonnement
ils fuivirent la route que ces flambeaux
leur traçoient , & qui les conduifit
à une grande falle de verdure ; elle étoit
éclairée par plus de fix mille luftres de
diamant ,, qui pendoient aux branches des
arbres . Une fymphonie raviffante s'y faifoit
entendre ; ils y virent ce qu'ailleurs
ón n'a jamais vû , des grues en habit de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
bal , des oifeaux qui battoient la meſure ,
& qui chantoient entre leurs dents , une
autruche mâle en perruque quarrée , une
autruche femelle en chauve - fouris , qui
avoit le vifage couvert de mouches & de
rouge ; une jeune oye en domino couleur
de rofe , dont le premier regard fubjugua
le Roi ; un dindon mufqué , frifé ,
qui lui donnoit la main , & qui danfa
un menuet avec elle. Mais le plus furprenant
eft le récit des exploits d'une tête à
perruque , qui conduifoit une armée , dont
elle étoit le Général , & devant qui rien
ne réſiſtoit : étonné de ces merveilles , je
m'arrête là.
On promet la fuite qui eft fous preſſe.
Ce n'eft ici qu'un léger extrait des quatre
premieres parties . Je crois qu'il doit fuffire
pour faire voir que l'auteur de ce
conte en a parfaitement rempli le titre &
l'épigraphe.
aftronomique , qui a pour épigraphe : 0
quantum eft in rebus inane ! Perfe. A Bruxelles
, chez les freres l'affe , Libraires. On
le trouve à Paris , chez Lambert.
EXTRAIT OU PRÉCIS.
Il paroît que ce conte eft une fuite
du Sopha ; on y voit un Sultan toujours
bête , interrompre fon Vifir toujours fpirituel.
Ce Miniftre , pour fervir fon Maître
felon fon goût , ou fuivant fa portée , lui
raconte des faits très- abfurdes ; mais pour
plaire au public François , il les accompagne
de réflexions très- ingénieufes , dont
ils ne font que le prétexte : s'il en étoit
fouvent un peu plus fobre , avec moins
d'efprit il amuferoir peut- être davantage .
Schezaddin Telaïfe , Souverain d'Ifma ,
eft le héros du conte dont je vais donner
l'extrait. Ce Prince , quoique fort jeune
& fort aimable ( ce font les expreffions
de l'auteur) , s'obftinoit à vivre dans le célibat
malgré les voeux de fes fujets , &
dans l'indifférence malgré les defirs de fes
fujettes. Soit qu'il eût l'efprit gâté par la
lecture des romans , ou qu'il fût né romanefque
, il croyoit qu'une véritable paffion
eft toujours prédite à notre coeur par
des événemens finguliers ; il étoit perfuadé
qu'on
JANVIER. 1755. 125
qu'on n'aime point , lorfque dès la premiere
vûe on ne fe fent point entraîné par
un penchant irrésistible , & que toutes les
fois qu'on s'engage hors de ce cas , on fe
donne un ridicule d'autant moins pardonnable
, que l'on n'en eft pas dédommagé
par les plaifirs. Une Fée , auffi jolie que
coquette , voulut avoir la gloire de le détromper.
Pour y réuffir plus fûrement , elle
eut recours au miniftere des fonges : ellemême
fe plaça la nuit à côté du Prince
endormi , afin de les mieux diriger , &
d'être mieux à portée de s'affurer & de
jouir de fon triomphe.
Un premier rêve offrit à Schezaddin les
traits d'une nimphe piquante , qui lui fit
des agaceries fi vives que fon ame en fut
échauffée , & que le plaifir la difpofa par
degrés à recevoir l'impreffion de l'amour.
Tout ou rien , ( c'eſt le nom de la Fée )
dans un nouveau fonge , fe préfenta ellemême
dans toute fa beauté à Schezaddin ;
fes charmes le toucherent fi fort qu'il fe
réveilla vraiment amoureux d'elle fans la
connoître. Il découvre fon état à Taciturne
fon confident , homme froid &
cauftique , plus bleffé des travers des femmes
, qu'il n'étoit fenfible à leurs agrémens.
Ce favori combla fon amour , &
l'ofe traiter de vifionnaire ; mais la chi-
F
122 MERCURE DE FRANCE,
mere eft bientôt réalifée. La Fée fait annoncer
fon retour au Roi d'Ifma. Comme
elle avoit un palais voifin des Etats de
ce Prince , il s'y rendit avec une cour
nombreuſe : l'agréable furprife ! il reconnoît
dans la Fée la feconde beauté qu'il
a vûe en fonge , & dont il chérit l'image.
Il prend cette rencontre pour un coup du
deftin , qui le force d'aimer ; fon ardeur en
redouble ; le Roi paffe de l'indifférence à
la paffion la plus violente , & la Fée , du
fein de la coquetterie , à l'amour le plus
vrai. Leur bonheur eft parfait ; mais il eſt
bientôt troublé par l'imprudence de Tour
ou rien. Dans un de ces momens où les
amans fe difent tout , même ce qu'ils ont
le plus d'intérêt à fe cacher , l'indifcrette
Fée avoua à Schezaddin que l'amour qu'il
avoit elle étoit moins l'ouvrage de la
pour
deftinée que celui de fon adreffe , & lui
raconta les moyens qu'elle avoit employés
pour le féduire.
L'amour propre du Prince fut bleffe
de la fupercherie , il la regarda moins
comme l'effet d'une tendreffe ingénieufe
que comme une mauvaiſe plaifanterie
& comme un ridicule qu'elle vouloit lui
donner, Le feu de fon amour s'éteignit
par degrés. Comme il redoutoit le pouvoir
de la Fée , il n'ofa pas la quitter brufJANVIER.
1755. 123
quement ; il prit le parti détourné de l'obliger
elle-même à le congédier à force de
froideurs , de caprices extravagans , & de
jaloufies ridicules il y réuffit à la fin.
Tout ou rien excédée , rompit avec lui
& lui dit en le quittant , d'un ton ironique
, que puifqu'il ne pouvoit aimer fans
ce coup de foudre qui arrive fi rarement ,
elle tâcheroit d'obtenir du deftin qu'il le
lai procurât , & que le choix qu'il lui feroit
faire le couvrît d'autant de gloire
qu'il devoit le combler de plaifir. Schezaddin
alarmé du perfiflage de Tout ou
rien , voulut lui répondre ; mais il fe fentit
enlever du palais de la Fée , & fe
tetrouva en peu d'inftans dans le fien .
Quelques jours après la nuit le furprit
dans une forêt avec Taciturne ; comme ils
étoient embarraffés du chemin qu'ils tiendroient
, ils virent tout à coup fortir du
fein de la terre une prodigieufe quantité
de flambeaux allumés. Malgré leur étonnement
ils fuivirent la route que ces flambeaux
leur traçoient , & qui les conduifit
à une grande falle de verdure ; elle étoit
éclairée par plus de fix mille luftres de
diamant ,, qui pendoient aux branches des
arbres . Une fymphonie raviffante s'y faifoit
entendre ; ils y virent ce qu'ailleurs
ón n'a jamais vû , des grues en habit de
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
bal , des oifeaux qui battoient la meſure ,
& qui chantoient entre leurs dents , une
autruche mâle en perruque quarrée , une
autruche femelle en chauve - fouris , qui
avoit le vifage couvert de mouches & de
rouge ; une jeune oye en domino couleur
de rofe , dont le premier regard fubjugua
le Roi ; un dindon mufqué , frifé ,
qui lui donnoit la main , & qui danfa
un menuet avec elle. Mais le plus furprenant
eft le récit des exploits d'une tête à
perruque , qui conduifoit une armée , dont
elle étoit le Général , & devant qui rien
ne réſiſtoit : étonné de ces merveilles , je
m'arrête là.
On promet la fuite qui eft fous preſſe.
Ce n'eft ici qu'un léger extrait des quatre
premieres parties . Je crois qu'il doit fuffire
pour faire voir que l'auteur de ce
conte en a parfaitement rempli le titre &
l'épigraphe.
Fermer
Résumé : « AH ! QUEL CONTE ! Conte politique & astronomique, qui a pour épigraphe : O [...] »
Le texte présente un conte politique et astronomique intitulé 'AH! QUEL CONTE!', publié à Bruxelles et disponible à Paris. Ce conte est la suite du 'Sopha' et met en scène un sultan stupide et son vizir spirituel. Le vizir raconte des faits absurdes au sultan, accompagnés de réflexions ingénieuses pour plaire au public français. Le héros du conte est Schezaddin Telaïfe, souverain d'Isma, un jeune prince aimable mais obstiné à vivre dans le célibat malgré les désirs de ses sujets. Influencé par des romans, il croit que l'amour véritable est prédit par des événements singuliers. Une fée, Tout ou rien, décide de le détromper en utilisant des songes pour le séduire. Dans ses rêves, Schezaddin rencontre d'abord une nymphe, puis la fée elle-même, ce qui le fait tomber amoureux. La fée se révèle ensuite au prince en chair et en os, et ils tombent amoureux. Leur bonheur est troublé lorsque la fée avoue à Schezaddin que son amour est le résultat de ses manipulations. Blessé dans son orgueil, le prince se montre froid et capricieux, forçant la fée à le quitter. Avant de partir, la fée lui promet de lui trouver un amour digne de lui. Quelques jours plus tard, Schezaddin se retrouve dans une forêt avec son confident Taciturne. Ils suivent une route tracée par des flambeaux et découvrent une clairière éclairée par des lustres de diamant, où ils assistent à des scènes surréalistes impliquant des animaux habillés et dansant. Le récit s'arrête là, promettant une suite.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
416
p. 134-142
« DICTIONNAIRE DES POSTES, contenant le nom de toutes les villes, bourgs, paroisses [...] »
Début :
DICTIONNAIRE DES POSTES, contenant le nom de toutes les villes, bourgs, paroisses [...]
Mots clefs :
Lettres, Postes, Bureau des postes, Dictionnaire, Adresse, Amour, Retard des lettres, Commerce des lettres, Perte des lettres
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « DICTIONNAIRE DES POSTES, contenant le nom de toutes les villes, bourgs, paroisses [...] »
DICTIONNAIRE DES POSTES , contenant
le nom de toutes les villes , bourgs , par
roiffes , abbayes , & principaux châteaux
du Royaume de France & du Duché de-
Lorraine , les provinces où ils font fitués ,
& le nom du plus prochain bureau des
poftes où les lettres doivent être adreffées
pour chacun defdits endroits , les villes de
JANVIER. 1755. T3S
FEurope , les Etats où elles font fituées ,
& la diſtinction de celles pour lesquelles
il est néceffaire d'affranchir , différentes
obfervations utiles à tous ceux qui font en
commerce de lettres. Livre utile & nécef,
faire à toutes perfonnes , pour adreffer avec
fûreté leurs lettres , & éviter la perte ou le
retard ,, que le défaut de bonne adreffe
peut leur occafionner , 1. vol . in -4° . Par
M. Guyot , Employé au bureau des Poſtes
à Paris. A Paris , chez la veuve Delatour ,.
Imprimeur des Poftes.
La compagnie des Poftes a toujours vu
avec peine que le public n'eft que trop
dans l'ufage de rejetter für elle ou fur fes
Directeurs le défaut de remife des lettres à
leur deftination , quoique ce défaut vienne
prefque toujours du vice de l'adreffe qui
eft fauffe ; la quantité immenfe de rebuts
qu'on renvoyoit à Paris de tout le royaume
en étoit une preuve. >
La maniere dont la partie des rebuts
avoit été gérée jufqu'en 1748 , avoit été
en partie la caufe de ces deux inconvé
niens ; en effet , une lettre mal adreffée ,
après avoir féjourné pendant quatre mois
dans un bureau , étoit renvoyée à Paris ,
d'où l'on tentoit ordinairement de la faire:
paffer en d'autres bureaux , elle en revenoit
fans fuccès ; & après avoir fait inuti136
MERCURE DE FRANCE .
lement un circuit immenfe , on la gardoir
à Paris , fans que le public eût connoiſſance
des foins qu'on s'étoit donné pour faire
enforte de la faire parvenir à fa vraie deftination
, & fans qu'il fe doutât que c'étoit
prefque toujours à lui feul qu'il devoit
attribuer le défaut de remife de fa lettre
parce que l'adreffe en étoit vicieuſe.
D'un autre côté , lorfqu'il reclamoit un
paquet perdu , on ne pouvoit en faire la
recherche que dans les rebuts du bureau
où il auroit dû être adreffé , & c'étoit précifément
là où il ne fe trouvoit pas dès que
l'adreffe n'en étoit pas jufte ; & comme il
n'étoit pas poffible de fouiller fans une perte
de tems confidérable & fans un grand
nombre de Commis , dans la prodigieufe
quantité de rebuts , on étoit forcé d'en
abandonner la recherche.
Pour y remédier , on ordonna aux Directeurs
des poftes de tout le royaume de
Tenvoyer à Paris tous les mois les lettres
qu'ils n'auroient pu diftribuer. Il fut établi
un nouveau bureau pour faire un triage
général de ces lettres , & les renvoyer
dans les lieux d'où elles étoient parties.
MM. les Adminiftrateurs Généraux des
poftes ont vû avec fatisfaction que les auteurs
des lettres , à portée par ce moyen de
réclamer celles qu'ils avoient intérêt de
JANVIER. 1755. 137
retirer , en ont repété une quantité aflez
confidérable ; & que lorfqu'ils avoient négligé
pendant un tems de le faire , on étoit
en état à Paris d'en faire aifément la recherche
, parce qu'on les avoit rangées fous
le nom des bureaux d'où elles étoient par
ties & timbrées.
Cet arrangement a remédié à la vérité à
la perte des lettres ; mais il reftoit encore
un vice à déraciner ( s'il étoit poffible d'y
parvenir ) , c'eft le retardement de l'arrivée
d'une lettre à fa deftination , lorfque
par
le défaut d'indication de la route , ou
pour mieux dire du bureau de poftes par
lequel elle doit être envoyée , les Commis
des poftes ne fçavent dans quel paquet ils
la doivent mettre , fur- tout lorfqu'il y a
plufieurs lieux du même nom dans le
royaume , ce qui par malheur n'eft que
trop ordinaire ; en effet , ce défaut d'indication
les force à fe déterminer au hazard ;
& comment peuvent- ils fçavoir , par exemple
, fi une lettre adreffée fimplement à
Aire , eft pour Aire en Artois , ou pour Aire
en Gascogne , qui reçoit ces lettres par le
Mont de Marfan ?
Un Dictionnaire général , non feulement
de la France , mais encore des villes
de l'étranger , à chaque article duquel on
défignât la province , & le bureau de pof38
MERCURE DE FRANCE.
tes par où les lettres doivent être adreffées ,
a paru à l'Auteur le feul moyen propre à
mettre le public en état d'éviter ces retards ,
& même de prévenir la perte de ces lettres
; la partie des rebuts dont il eft chargé
, l'a mis à portée de connoître cet inconvénient
, & fon zele lui a infpiré le
projet de former le Dictionnaire qu'il préfente
au public.
Il indique même dans ce Dictionnaire
les villes pour lesquelles on doit néceffairement
affranchir , parce que par le défaut
d'affranchiffement les lettres destinées pour
ces villes ne partent point pour leur deſtination.
Le prix de ce Dictionnaire broché eſt
de 8 livres , & relié 10 livres. Dans les
provinces on remettra le montant des exemplaires
à MM. les Directeurs des poftes ,
qui voudront bien le faire paffer à l'auteur,
qui en enverra auffi - tôt lefdits exemplaires
francs de port ; MM . les Adminiftrateurs.
généraux des poftes ayant bien voulu , accorder
cette fatisfaction au public , en confidération
de ce que cet ouvrage leur a
paru très propre à remplir l'objet que l'au
teur s'eft propofé .
JOSEPH BAR BOU , Libraire - Imprimeur
à Paris , rue S. Jacques , aux Cico
JANVIER 1755. 139
gnes , annonce que le premier tome du Recueil
périodique de Médecine , de Chirur
gie & de Pharmacie , qui a commencé au
mois de Juillet dernier , fe trouve complet
par le recueil du mois de Décembre , qu'il
vient de mettre en vente ; il continuera à
en donner un nouveau tous les mois : il
invite les perfonnes qui ont des pieces fur
ces matieres , de vouloir bien les lui communiquer.
ALMANACH JEUNE , ou Calendrier
pour l'année 1755 ; fe vend chez le même
Libraire.
ge
ETRENNES HISTORIQUES à l'ufade
la Breffe , dans lesquelles on trouve
les événemens remarquables de l'hiſtoire
de cette province , fes ufages , fes productions
, fon gouvernement , fon étendue , &
une table du lever & du coucher du foleil ,
calculée pour la latitude de Bourg , 46 deg.
12 min. 31 fec. pour Pannée 1755, chez
Jombert.
ALMANACH HISTORIQUE DE TOURAINE
pour l'année 1755 , imprimé pour
cette province. A Tours , chez François
Lambert , Imprimeur du Roi , grande rue ,
près le College..
On mettra bientôt toutes les Sciences &
140 MERCURE DE FRANCE .
tous les Arts en Almanachs ou en Dictionnaires
pour la commodité du plus grand
nombre , qui veut avoir l'air inftruit à peu
de frais , promptement & fans étude ; par
ce moyen , chacun en lifant deux ou trois
articles le matin , aura fa provifion d'eſprit
ou d'érudition pour la journée.
LA FOLIE ET L'AMOUR , Comẻ-
die en un acte & en vers , repréſentée pour
la premiere fois par les Comédiens François
ordinaires du Roi , le 2 Octobre 1754-
Le prix eft de 24 fols . A Paris , chez Duchefne
, Libraire , rue S. Jacques , au Temple
du Goût.
L'honneur que M. Yon m'a fait de me
dédier cet ouvrage , m'ôte la liberté d'en
donner un extrait . Les éloges que ie crois
qu'il mérite , malgré fon peu de fuccès ,
paroîtroient fufpects de ma part. Je me
borne à mettre ici la fin de fa préface , qui
fervira de précis .
Tout le monde connoît la fable ingénieufe
de La Fontaine , qui a fourni le fujet
de cette petite piece. L'Auteur a imaginé
qu'étant mife en action elle pourroit préfenter
une image affez riante ; mais il falloit
fauver aux yeux du Spectateur l'aveuglement
réel de l'amour caufé par un emportement
de la folie ; c'eft ce qui a été
JANVIER. 1755. 141
exécuté le plus adroitement qu'il a été poffible
à l'Auteur. La fuppofition d'une conjuration
tramée par la Folie , & concertée
entre l'Amour , Momus & Jupiter même ,
contre les moeurs aufteres de l'Olympe ,
eft le moyen qui amene l'aveuglement
feint de l'Amour ; & l'Oracle qui ordonne
que la Folie lui fervira de guide , & fera
fon époufe , eft l'époque qui met fin à
l'âge d'or. Voilà en peu de mots le programme
de cette petite Comédie. Que
l'homme d'efprit daigne la lire , & qu'il
prononce.
Je vais joindre à ce précis l'approbation
de M. de Crebillon , mon confrere. Son
fuffrage eft le plus grand éloge qu'on
puiffe faire de la piece , & la meilleure
apologie que je puiffe donner de mon fentiment.
39
J'ai lu , par l'ordre de Mgr le Chance-
» lier , une Comédie , qui a pour titre la
» Folie & l'Amour. Cette piece , que plu-
»fieurs connoiffeurs avoient jugée digne
du fort le plus brillant , regagnera fans
» doute à la lecture les fuffrages qu'elle
» auroit dû trouver au théatre , & je crois
» que l'on peut en permettre l'impreffion.
» Če 19 Octobre , 1754. Crebillon.
Ce
و ر
Le peu de place qui refte à ce volume ,
142 MERCURE DE FRANCE.
m'oblige à remettre en Février Pextrait des
Mémoires de Benavidès , annoncés en Décembre
avec éloge par M. l'Abbé Raynal.
fera le premier de ceux que je fuis dans
la néceffité de retarder.
le nom de toutes les villes , bourgs , par
roiffes , abbayes , & principaux châteaux
du Royaume de France & du Duché de-
Lorraine , les provinces où ils font fitués ,
& le nom du plus prochain bureau des
poftes où les lettres doivent être adreffées
pour chacun defdits endroits , les villes de
JANVIER. 1755. T3S
FEurope , les Etats où elles font fituées ,
& la diſtinction de celles pour lesquelles
il est néceffaire d'affranchir , différentes
obfervations utiles à tous ceux qui font en
commerce de lettres. Livre utile & nécef,
faire à toutes perfonnes , pour adreffer avec
fûreté leurs lettres , & éviter la perte ou le
retard ,, que le défaut de bonne adreffe
peut leur occafionner , 1. vol . in -4° . Par
M. Guyot , Employé au bureau des Poſtes
à Paris. A Paris , chez la veuve Delatour ,.
Imprimeur des Poftes.
La compagnie des Poftes a toujours vu
avec peine que le public n'eft que trop
dans l'ufage de rejetter für elle ou fur fes
Directeurs le défaut de remife des lettres à
leur deftination , quoique ce défaut vienne
prefque toujours du vice de l'adreffe qui
eft fauffe ; la quantité immenfe de rebuts
qu'on renvoyoit à Paris de tout le royaume
en étoit une preuve. >
La maniere dont la partie des rebuts
avoit été gérée jufqu'en 1748 , avoit été
en partie la caufe de ces deux inconvé
niens ; en effet , une lettre mal adreffée ,
après avoir féjourné pendant quatre mois
dans un bureau , étoit renvoyée à Paris ,
d'où l'on tentoit ordinairement de la faire:
paffer en d'autres bureaux , elle en revenoit
fans fuccès ; & après avoir fait inuti136
MERCURE DE FRANCE .
lement un circuit immenfe , on la gardoir
à Paris , fans que le public eût connoiſſance
des foins qu'on s'étoit donné pour faire
enforte de la faire parvenir à fa vraie deftination
, & fans qu'il fe doutât que c'étoit
prefque toujours à lui feul qu'il devoit
attribuer le défaut de remife de fa lettre
parce que l'adreffe en étoit vicieuſe.
D'un autre côté , lorfqu'il reclamoit un
paquet perdu , on ne pouvoit en faire la
recherche que dans les rebuts du bureau
où il auroit dû être adreffé , & c'étoit précifément
là où il ne fe trouvoit pas dès que
l'adreffe n'en étoit pas jufte ; & comme il
n'étoit pas poffible de fouiller fans une perte
de tems confidérable & fans un grand
nombre de Commis , dans la prodigieufe
quantité de rebuts , on étoit forcé d'en
abandonner la recherche.
Pour y remédier , on ordonna aux Directeurs
des poftes de tout le royaume de
Tenvoyer à Paris tous les mois les lettres
qu'ils n'auroient pu diftribuer. Il fut établi
un nouveau bureau pour faire un triage
général de ces lettres , & les renvoyer
dans les lieux d'où elles étoient parties.
MM. les Adminiftrateurs Généraux des
poftes ont vû avec fatisfaction que les auteurs
des lettres , à portée par ce moyen de
réclamer celles qu'ils avoient intérêt de
JANVIER. 1755. 137
retirer , en ont repété une quantité aflez
confidérable ; & que lorfqu'ils avoient négligé
pendant un tems de le faire , on étoit
en état à Paris d'en faire aifément la recherche
, parce qu'on les avoit rangées fous
le nom des bureaux d'où elles étoient par
ties & timbrées.
Cet arrangement a remédié à la vérité à
la perte des lettres ; mais il reftoit encore
un vice à déraciner ( s'il étoit poffible d'y
parvenir ) , c'eft le retardement de l'arrivée
d'une lettre à fa deftination , lorfque
par
le défaut d'indication de la route , ou
pour mieux dire du bureau de poftes par
lequel elle doit être envoyée , les Commis
des poftes ne fçavent dans quel paquet ils
la doivent mettre , fur- tout lorfqu'il y a
plufieurs lieux du même nom dans le
royaume , ce qui par malheur n'eft que
trop ordinaire ; en effet , ce défaut d'indication
les force à fe déterminer au hazard ;
& comment peuvent- ils fçavoir , par exemple
, fi une lettre adreffée fimplement à
Aire , eft pour Aire en Artois , ou pour Aire
en Gascogne , qui reçoit ces lettres par le
Mont de Marfan ?
Un Dictionnaire général , non feulement
de la France , mais encore des villes
de l'étranger , à chaque article duquel on
défignât la province , & le bureau de pof38
MERCURE DE FRANCE.
tes par où les lettres doivent être adreffées ,
a paru à l'Auteur le feul moyen propre à
mettre le public en état d'éviter ces retards ,
& même de prévenir la perte de ces lettres
; la partie des rebuts dont il eft chargé
, l'a mis à portée de connoître cet inconvénient
, & fon zele lui a infpiré le
projet de former le Dictionnaire qu'il préfente
au public.
Il indique même dans ce Dictionnaire
les villes pour lesquelles on doit néceffairement
affranchir , parce que par le défaut
d'affranchiffement les lettres destinées pour
ces villes ne partent point pour leur deſtination.
Le prix de ce Dictionnaire broché eſt
de 8 livres , & relié 10 livres. Dans les
provinces on remettra le montant des exemplaires
à MM. les Directeurs des poftes ,
qui voudront bien le faire paffer à l'auteur,
qui en enverra auffi - tôt lefdits exemplaires
francs de port ; MM . les Adminiftrateurs.
généraux des poftes ayant bien voulu , accorder
cette fatisfaction au public , en confidération
de ce que cet ouvrage leur a
paru très propre à remplir l'objet que l'au
teur s'eft propofé .
JOSEPH BAR BOU , Libraire - Imprimeur
à Paris , rue S. Jacques , aux Cico
JANVIER 1755. 139
gnes , annonce que le premier tome du Recueil
périodique de Médecine , de Chirur
gie & de Pharmacie , qui a commencé au
mois de Juillet dernier , fe trouve complet
par le recueil du mois de Décembre , qu'il
vient de mettre en vente ; il continuera à
en donner un nouveau tous les mois : il
invite les perfonnes qui ont des pieces fur
ces matieres , de vouloir bien les lui communiquer.
ALMANACH JEUNE , ou Calendrier
pour l'année 1755 ; fe vend chez le même
Libraire.
ge
ETRENNES HISTORIQUES à l'ufade
la Breffe , dans lesquelles on trouve
les événemens remarquables de l'hiſtoire
de cette province , fes ufages , fes productions
, fon gouvernement , fon étendue , &
une table du lever & du coucher du foleil ,
calculée pour la latitude de Bourg , 46 deg.
12 min. 31 fec. pour Pannée 1755, chez
Jombert.
ALMANACH HISTORIQUE DE TOURAINE
pour l'année 1755 , imprimé pour
cette province. A Tours , chez François
Lambert , Imprimeur du Roi , grande rue ,
près le College..
On mettra bientôt toutes les Sciences &
140 MERCURE DE FRANCE .
tous les Arts en Almanachs ou en Dictionnaires
pour la commodité du plus grand
nombre , qui veut avoir l'air inftruit à peu
de frais , promptement & fans étude ; par
ce moyen , chacun en lifant deux ou trois
articles le matin , aura fa provifion d'eſprit
ou d'érudition pour la journée.
LA FOLIE ET L'AMOUR , Comẻ-
die en un acte & en vers , repréſentée pour
la premiere fois par les Comédiens François
ordinaires du Roi , le 2 Octobre 1754-
Le prix eft de 24 fols . A Paris , chez Duchefne
, Libraire , rue S. Jacques , au Temple
du Goût.
L'honneur que M. Yon m'a fait de me
dédier cet ouvrage , m'ôte la liberté d'en
donner un extrait . Les éloges que ie crois
qu'il mérite , malgré fon peu de fuccès ,
paroîtroient fufpects de ma part. Je me
borne à mettre ici la fin de fa préface , qui
fervira de précis .
Tout le monde connoît la fable ingénieufe
de La Fontaine , qui a fourni le fujet
de cette petite piece. L'Auteur a imaginé
qu'étant mife en action elle pourroit préfenter
une image affez riante ; mais il falloit
fauver aux yeux du Spectateur l'aveuglement
réel de l'amour caufé par un emportement
de la folie ; c'eft ce qui a été
JANVIER. 1755. 141
exécuté le plus adroitement qu'il a été poffible
à l'Auteur. La fuppofition d'une conjuration
tramée par la Folie , & concertée
entre l'Amour , Momus & Jupiter même ,
contre les moeurs aufteres de l'Olympe ,
eft le moyen qui amene l'aveuglement
feint de l'Amour ; & l'Oracle qui ordonne
que la Folie lui fervira de guide , & fera
fon époufe , eft l'époque qui met fin à
l'âge d'or. Voilà en peu de mots le programme
de cette petite Comédie. Que
l'homme d'efprit daigne la lire , & qu'il
prononce.
Je vais joindre à ce précis l'approbation
de M. de Crebillon , mon confrere. Son
fuffrage eft le plus grand éloge qu'on
puiffe faire de la piece , & la meilleure
apologie que je puiffe donner de mon fentiment.
39
J'ai lu , par l'ordre de Mgr le Chance-
» lier , une Comédie , qui a pour titre la
» Folie & l'Amour. Cette piece , que plu-
»fieurs connoiffeurs avoient jugée digne
du fort le plus brillant , regagnera fans
» doute à la lecture les fuffrages qu'elle
» auroit dû trouver au théatre , & je crois
» que l'on peut en permettre l'impreffion.
» Če 19 Octobre , 1754. Crebillon.
Ce
و ر
Le peu de place qui refte à ce volume ,
142 MERCURE DE FRANCE.
m'oblige à remettre en Février Pextrait des
Mémoires de Benavidès , annoncés en Décembre
avec éloge par M. l'Abbé Raynal.
fera le premier de ceux que je fuis dans
la néceffité de retarder.
Fermer
Résumé : « DICTIONNAIRE DES POSTES, contenant le nom de toutes les villes, bourgs, paroisses [...] »
Le 'DICTIONNAIRE DES POSTES' publié en janvier 1755 répertorie les villes, bourgs, paroisses, abbayes et principaux châteaux du Royaume de France et du Duché de Lorraine, ainsi que les bureaux des postes correspondants. Cet ouvrage vise à aider le public à adresser correctement les lettres, évitant ainsi les pertes ou retards causés par des adresses incorrectes. La compagnie des Postes a souvent été critiquée pour la non-livraison des lettres, bien que cela soit souvent dû à des erreurs d'adressage. Avant 1748, les lettres mal adressées étaient renvoyées à Paris après quatre mois, entraînant des circuits inutiles et des recherches infructueuses. Pour résoudre ce problème, les directeurs des postes ont été instruits d'envoyer mensuellement à Paris les lettres non distribuées. Un nouveau bureau a été créé pour trier et renvoyer ces lettres. Cependant, des retards subsistaient en raison de l'absence d'indication des routes ou des bureaux de poste appropriés, surtout lorsque plusieurs lieux portaient le même nom. L'auteur du dictionnaire, M. Guyot, a proposé un dictionnaire général des villes de France et de l'étranger, indiquant les provinces et les bureaux de poste pour chaque lieu. Ce dictionnaire signale également les villes nécessitant un affranchissement obligatoire. Le prix du dictionnaire est de 8 livres broché et 10 livres relié. Les administrateurs généraux des postes ont soutenu cet ouvrage, le jugeant utile pour améliorer l'adressage des lettres.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
417
p. 5-8
EPITRE A Mme LA COMTESSE DE J**. SUR SON MARIAGE. PAR M. DE M***.
Début :
Vous l'avez dit, belle Sophie, [...]
Mots clefs :
Mariage, Plaisirs, Amour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EPITRE A Mme LA COMTESSE DE J**. SUR SON MARIAGE. PAR M. DE M***.
EPITRE
A Mme LACOMTESSE DE J **.
V
SUR SON MARIAGE.
PAR M. DE M ***.
Ous l'avez dit , belle Sophie ,
Ce mot décififpour la vie ,
Dont jamais on ne fe dédit,
A iij
6. MERCURE DE FRANCE.
Tout haut l'Hymen s'en glorifie ;
Tout bas l'Amour s'en applaudit.
Votre ame à ces Dieux facrifie !
En vous voyant qui l'eût prédit ,
Modefte & timide Sophie ,
Qu'enfin .... qu'enfin vous l'auriez dit
Trompé par la candeur naïve
De vos regards & de vos traits ,
?
» Non , difois-je , elle eft trop craintive ,
» Elle ne l'ofera jamais.
Amour , ton heure décifive
N'attend ni les fi , ni les mais
Et tout eft dit lorfqu'elle arrive.
Peut-être au moment que j'écris,
Le plus fortuné des maris . ...
Ah ! qui n'envîroit fon partage !
C'eſt lettre clofe ; mais je gage
Qu'il en connoît trop bien le prix
Pour n'en pas tirer avantage .
Avouez que le mariage
Eft plaiſamment imaginé ;
Auriez-vous jamais deviné
Tous les myſteres du ménage ?
La veille tout eft défendu :
On eft avec fon prétendu
D'un maintien plus froid qu'une image.
Le jour arrive , on vous bénic ;
FEVRIER.
17550 7
L'amour s'en mêle & vous unit :
Autre maintien , nouveau langage.
Sans rougir on entend les voeux
De l'amant dont on eft charmée :
La pudeur , loin d'être allarmée ,
Sourit aux plaifirs amoureux :
La nouvelle Eve eft animée ,
Le nouvel Adam eft heureux.
Tout change , & fous de doux aufpices ,
Du fameux jardin des délices
La porte s'ouvre encor pour eux.
Là cette aimable ſympathie
De goûts , d'humeurs & de defirs ;
Là , cette tendre modeftie ,
Voile & parure des plaifirs ;
Là , cette confiance intime ,
Fille & compagne de l'eftime ,
Viennent charmer d'heureux loifirs.
Deux coeurs , d'une paix fortunée ,
Refferrent les noeuds tour à tour ;
Et la volupté dans fa cour
Reçoit la vertu couronnée
Des fleurs que fait naître l'Amour ,
Et que moiffonne l'Hymenée.
Tel eft ce riant paradis
Où vous venez d'être introduite :
Mieux que moi vous êtes inftruite
De tout ce que je vous en dis.
&
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
Sur la foi d'autrui j'imagine
Le bonheur que vous refientez ,
Et cette demeure divine ,
Je la décris , vous l'habitez ,
Des plaifirs & de la fortune ,
Les Poëtes parlent fouvent ;
Nous y voyageons en rêvant
Comme Cyrano dans la Lune.
Vous , pour qui ces liens ne
font
pas ,
Comme pour nous , un vain menſonge ,
Goûtez long-tems tous les appas
D'un féjour que je vois en fonge.
Un fruit de cet arbre fatal
Qui l'inftruifit trop bien du mal ,
En a chaffé la premiere Eve.
Hélas ! elle y feroit encor ;
Et pour elle cet âge d'or
N'eût point difparu comme un rêve ,
Si , comme vous , elle avoit eu
Pour guide l'auftere vertu * *
Dont vous êtes la digne éleve.
** Madame H **.
A Mme LACOMTESSE DE J **.
V
SUR SON MARIAGE.
PAR M. DE M ***.
Ous l'avez dit , belle Sophie ,
Ce mot décififpour la vie ,
Dont jamais on ne fe dédit,
A iij
6. MERCURE DE FRANCE.
Tout haut l'Hymen s'en glorifie ;
Tout bas l'Amour s'en applaudit.
Votre ame à ces Dieux facrifie !
En vous voyant qui l'eût prédit ,
Modefte & timide Sophie ,
Qu'enfin .... qu'enfin vous l'auriez dit
Trompé par la candeur naïve
De vos regards & de vos traits ,
?
» Non , difois-je , elle eft trop craintive ,
» Elle ne l'ofera jamais.
Amour , ton heure décifive
N'attend ni les fi , ni les mais
Et tout eft dit lorfqu'elle arrive.
Peut-être au moment que j'écris,
Le plus fortuné des maris . ...
Ah ! qui n'envîroit fon partage !
C'eſt lettre clofe ; mais je gage
Qu'il en connoît trop bien le prix
Pour n'en pas tirer avantage .
Avouez que le mariage
Eft plaiſamment imaginé ;
Auriez-vous jamais deviné
Tous les myſteres du ménage ?
La veille tout eft défendu :
On eft avec fon prétendu
D'un maintien plus froid qu'une image.
Le jour arrive , on vous bénic ;
FEVRIER.
17550 7
L'amour s'en mêle & vous unit :
Autre maintien , nouveau langage.
Sans rougir on entend les voeux
De l'amant dont on eft charmée :
La pudeur , loin d'être allarmée ,
Sourit aux plaifirs amoureux :
La nouvelle Eve eft animée ,
Le nouvel Adam eft heureux.
Tout change , & fous de doux aufpices ,
Du fameux jardin des délices
La porte s'ouvre encor pour eux.
Là cette aimable ſympathie
De goûts , d'humeurs & de defirs ;
Là , cette tendre modeftie ,
Voile & parure des plaifirs ;
Là , cette confiance intime ,
Fille & compagne de l'eftime ,
Viennent charmer d'heureux loifirs.
Deux coeurs , d'une paix fortunée ,
Refferrent les noeuds tour à tour ;
Et la volupté dans fa cour
Reçoit la vertu couronnée
Des fleurs que fait naître l'Amour ,
Et que moiffonne l'Hymenée.
Tel eft ce riant paradis
Où vous venez d'être introduite :
Mieux que moi vous êtes inftruite
De tout ce que je vous en dis.
&
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
Sur la foi d'autrui j'imagine
Le bonheur que vous refientez ,
Et cette demeure divine ,
Je la décris , vous l'habitez ,
Des plaifirs & de la fortune ,
Les Poëtes parlent fouvent ;
Nous y voyageons en rêvant
Comme Cyrano dans la Lune.
Vous , pour qui ces liens ne
font
pas ,
Comme pour nous , un vain menſonge ,
Goûtez long-tems tous les appas
D'un féjour que je vois en fonge.
Un fruit de cet arbre fatal
Qui l'inftruifit trop bien du mal ,
En a chaffé la premiere Eve.
Hélas ! elle y feroit encor ;
Et pour elle cet âge d'or
N'eût point difparu comme un rêve ,
Si , comme vous , elle avoit eu
Pour guide l'auftere vertu * *
Dont vous êtes la digne éleve.
** Madame H **.
Fermer
Résumé : EPITRE A Mme LA COMTESSE DE J**. SUR SON MARIAGE. PAR M. DE M***.
L'épître célèbre le mariage de Mme Lacomtesse de J** et exprime la surprise de l'auteur face à l'engagement de Sophie, décrite comme modeste et timide. L'auteur imagine Sophie vivant un bonheur partagé avec son époux, qui apprécie la valeur de cet engagement. Le texte explore les mystères du mariage, contrastant la froideur de la veille avec l'amour du jour des noces. La pudeur et la confiance intime accompagnent les plaisirs partagés, unissant les cœurs dans une paix durable et un bonheur fondé sur la volupté et la vertu. L'auteur espère que Sophie savourera longuement les joies de son foyer, comparant cette situation à l'âge d'or perdu par Ève, et souhaitant que Sophie, grâce à sa vertu, évite les erreurs du passé.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
418
p. 37-49
LA DORMEUSE INDISCRETE, NOUVELLE.
Début :
Doris & Celiante étoient unies d'une amitié sincere, & l'on peut dire qu'elles [...]
Mots clefs :
Amour, Mari, Vertu, Ami, Campagne, Coeur, Silence, Amant, Songe
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LA DORMEUSE INDISCRETE, NOUVELLE.
LA DORMEUSE INDISCRETE.
NOUVELLE.
Doris & Celiante étoient unies d'une
amitié fincere , & l'on peut dire qu'elles
s'aimoient comme deux honnêtes gens ;
Auffi avoient- elles un excellent caractere .
Doris , pour être vertueufe , n'étoit pas
moins liante ; fi elle étoit fevere pour ellemême
, elle étoit indulgente pour les autres
; & ce qui donnoit un nouveau prix à
tant de fageffe , elle avoit tout ce qui peut
attirer des féducteurs .
" Celiante étoit d'un naturel aimable
mais plus afforti aux moeurs du fiécle. Si
elle n'avoit point toutes les qualités qui
font une femme de bien , elle poffédoit
celles qui forment un parfaitement honnête
homine. Elle avoit l'efprit bienfait , l'efprit
droit & les manieres charmantes : en
un mot , fon plus grand défaut ( fi c'en eft
un aujourd'hui ) étoit d'avoir plus de fenfibilité
que de conftance.
Je ne m'amuferai point ici à détailler
leurs charmes particuliers ; on a dépeint
tant de beautés différentes , que je ne fçaurois
plus faire que des portraits ufés. Je me
contenterai de dire qu'elles étoient toutes
38 MERCURE DE FRANCE.
deux d'une grande beauté , fans être d'une
extrême jeuneffe ; & ce qui eft préférable ,
elles avoient les graces en partage . Celiante
avoit plus d'enjouement & de vivacité.
Doris avoit plus de douceur , & fa modeftie
impofoit aux plus hardis . Elles étoient mariées
l'une & l'autre. La premiere avoit
pour époux un vieux goutteux qu'elle haiffoit
parfaitement , moins parce qu'il étoit
fon mari , qu'à caufe qu'il étoit infiniment
haïffable. Celui de Doris étoit plus jeune ;
elle l'avoit pris fans inclination , mais fans
répugnance . Comme il avoit un amour
tendre pour elle , elle y répondoit par
beaucoup de bonnes manieres , & le regardoit
comme fon meilleur ami . Le mari qui
connoiffoit fon infenfibilité naturelle &
qui étoit fûr de n'avoir point de rival , fe
contentoit d'une fi froide amitié . L'une vivoit
dans l'indifférence que lui prefcrivoit
fa vertu ; & l'autre , fuivant le doux
penchant qui la conduiſoit , étoit à fa troiheme
paffion.
Doris ne put voir l'inconftance de fon
amie fans lui en faire doucement la guerre.
Celiante fe défendit avec fa gaieté ordinaire
, & lui dit qu'elle prît garde à elle ,
que
fon heure d'aimer viendroit , qu'elle
n'étoit peut-être pas loin . Je ne crains rien ,
repartit Doris , j'ai paffé l'âge dangereux
FEVRIER. 1755. 39
des paffions , & j'ai vû d'un oeil indifférent
tout ce que la ville a de plus aimable. Puifque
vous m'en défiez , pourfuivit Celiante
, je vous attends à la campagne ; c'eſt là
que l'amour attaque la vertu avec plus
d'avantage , & c'eft là qu'il vous punira de
votre vanité ; l'âge ni la raiſon ne vous garantiront
pas. Tremblez , ajoûta-t -elle en
badinant , c'eft lui-même qui m'infpire &
qui vous parle par ma bouche. Doris ne fit
que rire de la prédiction . Celiante mit de
la confidence Clarimont , qu'elle aimoit
depuis fix mois , & lui demanda s'il ne
connoîtroit pas quelqu'un qui pût adoucir
l'auftere vertu de fon amie.
Clarimont lai dit qu'elle ne pouvoit
mieux s'adreffer qu'à lui ; que Lifidor avec
qui il étoit lié , étoit fait exprès pour plaire
à Doris ; qu'il étoit beau , bienfait , infenfible
comme elle. Le printems , ajoûtat-
il , favoriſe notre deſſein , & votre maifon
de campagne eft le lieu le plus propre
à filer une paffion . Amenez- y Doris , &
j'engagerai Lifidor à vous y aller voir avec
moi. Je veux être haï de vous , s'ils ne font
tous deux le plus joli Roman qu'on ait encore
vû , & dans peu on n'aura rien à vous
reprocher.
Celiante propofa la partie à Doris , qui
Faccepta. Elles partirent , & deux jours
40 MERCURE DE FRANCE.
la
après Clarimont les fuivit , accompagne
de Lifidor. Elles fe promenoient dans un
jardin , que l'art & la nature avoient rendu
le plus charmant du monde , & Doris
ne pouvoit fe laffer d'y admirer l'un &
Pautre , quand ils arriverent. Sa beauté
frappa Lifidor , & fa modeftie acheva de
le charmer. La Dame , de fon côté , trouva
le Cavalier à fon gré , & fon air de fageffe
lui donna de l'eftime pour lui. Plus ils fe
connurent , plus ils fe goûterent , & tout
fembla confpirer à enflammer des amans
de ce caractère , la liberté de fe voir tous
les jours & de fe parler à toute heure ,
folitude & la tranquillité de la campagne , le
printems qui étoit dans fa force , & la beauté
du lieu où ils étoient ; ils eurent beau réfifter
, l'amour fe rendit le maître , & fe déclara
fi fort dans huit jours , qu'ils avoient
de la peine à le cacher. Des foupirs leur
échappoient malgré eux , & ils ne pouvoient
fe regarder fans rougir. Clarimont & Celiante
qui les obfervoient , s'en apperçurent
un foir qu'ils étoient à la promenade , &
fe dirent à l'oreille : ils font pris au piége ;
les voilà qui rougiffent . Pour s'éclaircir
de leur doute , ils s'éloignerent adroitement
, & les laifferent feuls , fans pourtant
les perdre de vûe.
Doris friffonna de fe voir tête à tête avec
FEVRIER. 1755 . 41
un homme qu'elle craignoit d'aimer , & le
timide Lifidor parut lui - même embarraſſé ;
mais à la fin il rompit le filence , & jettant
fur Doris un regard tendre & refpectueux
, lui parla dans ces termes . J'ai toujours
fait gloire de mon indifférence , &
j'ai , pour ainsi dire , infulté au beau fexe ;
mais pardonnez à mon orgueil , Madame ,
je ne vous avois point vûe , vous m'en
puniffez trop bien.
A ce difcours elle fe fentit plus émue ;
& craignant l'effet de fon émotion , elle
prit le parti de la fuite. Voilà un tour que
Celiante m'a joué , répondit - elle , en le
quittant , je vais lui en faire des reproches.
Lifidor fut fi étourdi de cette réponſe , qu'il
demeura immobile . Doris rejoignit Celiante
, & la tirant à part , lui dit : c'eft
ainfi que vous apoftez des gens contre
moi. Dequoi vous plaignez-vous , répliqua
Celiante ? vous m'en avez défiée ; je
ne fuis pas noire , je vous en avertis . Pendant
ce tems- là Lifidor étoit refté dans la
même poſture où Doris l'avoit laiffé , & je
crois qu'il y feroit encore fi Clarimont
n'avoit été le defenchanter , en le tirant
par la main.
Nos amans furent raillés à fouper. Doris
en fut fi déconcertée , qu'elle feignit
un grand mal de tête , & fortit de table
42 MERCURE DE FRANCE.
.
pour s'aller mettre au lit. Quand Celiante
qui couchoit avec elle , entra dans fa chambre
, elle la trouva endormie , & l'entendit
qui fe plaignoit tout haut , & qui nommoit
Lifidor. L'amour qui ne veut rien
perdre , & qui avoit fouffert de la violence
qu'on lui avoit faite pendant le jour ,
profita de la nuit pour éclater , & le fommeil
, de concert avec lui , trahit la vertu
de Doris.
Dès qu'elle fut réveillée , fon amie lui
dit ce qu'elle venoit d'entendre. Il eft vrai ,
répondit- elle en pleurant , j'aime malgré
moi , & vous êtes vengée ; mais je mourrai
plutôt que de céder à ma paffion. Celiante
qui avoit le coeur fenfible , en fut attendrie
, & l'affura que fi elle avoit cru
que la chofe dût devenir auffi férieufe ,
elle n'auroit eu garde d'y fonger,
Le lendemain Lifidor redoubla d'empreffement
auprès de Doris , & fe jettant à
fes pieds , la pria de ne pas defefperer un
amant qui n'étoit pas tout -à-fait indigne
d'elle. Je vous offre , dit- il , un coeur tout
neuf, qui n'a jamais rien aimé que vous ,
& dont les fentimens font auffi purs que
votre vertu même ; ne le refufez pas , je
vous en conjure. Elle l'obligea de fe relever
, & lui répondit que des noeuds facrés
la lioient à un autre , qu'il ne pouvoit
FEVRIER. 1755. 43
brûler pour elle d'un feu légitime ; & que
s'il lui parloit une feconde fois de fon
amour , elle lui quitteroit la place , & réprendroit
le chemin de la ville .
Notre amant fut épouvanté d'une menace
ſi terrible ; il n'ofoit plus l'entretenir ,
à peine avoit-il le courage de la regarder ?
La trifteffe s'empara de fon ame , & bientôt
il ne fut plus reconnoiffable ; le plus
pareffeux des hommes devint le plus matinal
, lui qui paffoit auparavant les trois
quarts de la vie au lit , devançoit tous les
jours l'aurore . Clarimont l'en railla , &
lui dit ces vers de Quinault :
Vous vous éveillez fi matin ,
Que vous ferez croire à la fin
Que c'eft l'amour qui vous éveille.
Un matin qu'il le trouva dans un bois
écarté , un livre à la main , il lui demanda
ce qu'il lifoit. C'eſt Abailard , répondit- il ,
j'admire fes amours , & j'envie fon bonheur.
Je vous confeille d'en excepter la
cataſtrophe , répliqua Clarimont en riant ;
mais à parler férieufement , vous n'êtes pas
fort éloigné de fon bonheur ; vous aimez
& s'il faut en juger par les apparences ,
vous n'êtes point hai. Eh ! s'il étoit vrai ,
interrompit Lifidor , m'auroit-on impofé
>
44 MERCURE DE FRANCE.
filence , & m'auroit- on défendu d'efperer ?
Croyez-moi , reprit fon ami , ne vous découragez
point , & vous verrez que la fé
vere Doris ne vous a fermé la bouche que
parce qu'elle craint de vous entendre & de
vous aimer. Je fçai même de Celiante
qu'elle fouffre la nuit des efforts qu'elle fe
fait le jour. Si elle refufe de vous parler
éveillée , elle vous entretient en dormant ,
elle foupire , & vous nomme tout haut .
Elle eft indifpofée depuis hier au foir , &
je fuis für que fon mal ne vient que d'un
filence forcé , ou d'une réticence d'amour.
Allez la voir , fon indifpofition vous fervira
d'excufe & de prétexte.
Lifidor fe laiffa perfuader , & tourna fes
pas vers la chambre de fon amante ; if entra
, & ouvrit les rideaux d'une main tremblante
: elle dormoit dans ce moment ; &
pleine d'un fonge qui la féduifoit , elle lui
fit entendre ces douces paroles.
Oui , Lifidor , je vous aime , le mot eft
prononcé , il faut que je vous quitte , mon
devoir me l'ordonne , & ma vertu rifqueroit
trop contre votre mérite. Dans cet embraffement
recevez mon dernier adieu .
En même tems elle lui tend deux bras
charmans , qu'il mouroit d'envie de baifer,
& fe jette à fon col. Lifidor , comme
on peut penfer , n'eut garde de reculer.
FEVRIER . 1755. 45
Quelle agréable furprife pour un amant
qui fe croyoit difgracié ! O bienheureux
fommeil difoit - il en lui-même dans ces
momens délicieux , endors fì bien ma Doris
, qu'elle ne s'éveille de long- tems : mais
par malheur Celiante qui furvint , fit du
bruit , & la réveilla comme elle le tenoit
encore embraffé . Elle fut fi honteufe de
fe voir entre les bras d'un homme furtout
en préfence de fon amie , que repouffant
Lifidor d'un air effrayé , elle s'enfonça
dans fon lit , & s'enveloppa la tête
de la couverture , en s'écriant qu'elle
étoit indigne de voir le jour. Lifidor confus
, foupira d'un fi cruel réveil ; d'un excès
de plaifir il retomba dans la crainte &
dans l'abattement , & fortit comme il étoit
entré.
Ċeliante eût ri volontiers d'une fi plaifante
aventure ; mais Doris étoit fi defolée
qu'elle en eut pitié , & qu'elle tâcha de la
confoler , en lui repréfentant qu'on n'étoit
point refponfable des folies qu'on pouvoir
faire en dormant , & que de pareils écarts
étoient involontaires.
Non , interrompit Doris en pleurs , je
ne dormirai plus qu'en tremblant , & le
repos va me devenir odieux. Que l'amour
eft cruel il ne m'a épargnée juſqu'ici que
pour mieux montrer fon pouvoir , & que
46 MERCURE DE FRANCE.
pour rendre ma défaite plus honteufe . J'ai
toujours vécu fage à la ville , & je deviens
folle à la campagne ; il faut l'abandonner ,
l'air y eft contagieux pour moi . Ma chere ,
répartit Celiante , que vous êtes rigoureufe
à vous- même ! Après tout eft- ce un fi grand
mal que d'aimer ? Oui , pour moi qui fuis
liée , pourfuivit Doris , la fuite eft ma
feule reffource , & je pars aujourd'hui.
Aujourd'hui s'écria Celiante furpriſe
voilà un départ bien précipité. Aujour
d'hui même , reprit - elle , ou demain au
plûtard .
Celiante jugea qu'elle n'en feroit rien ,
puifqu'elle remettoit au lendemain , &
Celiante jugea bien . Lifidor à qui on dit
cette nouvelle , prit fon tems fi à propos ,
& s'excufa fi pathétiquement , qu'elle n'eut
pas le courage de partir. Depuis ce moment
il redoubla fes foins , & couvrit toujours
fon amour da voile du refpect. Le
tigre s'apprivoifa. Doris confentit d'écouter
fon amour, pourvu qu'il lui donnât le nom
d'eftime.
Enfin il n'étoit plus queftion que du
mot , quand le mari s'ennuya de l'abſence
de fa femme , & la vint voir . Il n'étoit pas
attendu , & encore moins fouhaité . Elle le
reçut d'un air fi froid & fi contraint , qu'il
fe fût bien apperçu qu'il étoit de trop s'il
FEVRIER. 1755. 47
avoit pû la foupçonner d'une foibleffe.
Lifidor fut confterné du contre- tems , & ne
put s'empêcher de le témoigner à Doris , &
de lui dire tout bas :
Quelle arrivée ! Madame , & quelle
nuit s'apprête pour moi ! Que je fuis jaloux
du fort de votre mari , & que mon
amour eft à plaindre !
Elle n'étoit pas dans un état plus tranquille.
La raifon lui reprochoit fon égarement
, & lui faifoit fentir des remords qui
la déchiroient. Elle ne pouvoit regarder
fon mari fans rougir , & elle voyoit finir
le jour à regret ; elle craignoit que le fommeil
ne lui revélât les fottifes de fon coeur .
Plufieurs n'ont pas cette peur , elles s'arrangent
de façon pendant la journée qu'elles
n'ont rien à craindre des aveux de la nuit .
Quand on a tout dit avant de fe coucher ,
on eft für de fe taire en dormant ; il n'y
a que les paffions contraintes qui parlent
dans le repos . Doris l'éprouva .
A peine fut-elle endormie , qu'un fonge
malin la trahit à fon ordinaire , & offrit
Lifidor à fon imagination égarée. Dans les
douces vapeurs d'un rêve fi agréable , elle
rencontra la main de fon mari , qu'elle
prit pour celle de fon amant , & la preffant
avec tendreffe , elle dit en foupirant :
Ah ! mon cher Lifidor , à quel excès d'a48
MERCURE DE FRANCE.
mour vous m'avez amenée , & qu'ai - je
fait de toute ma fageffe : Vous avez beau
me faire valoir la pureté de vos feux , je
n'en fuis pas moins coupable ; c'eft toujours
un crime que de les fouffrir , & c'eſt
y répondre que de les écouter. Que diroit
mon mari s'il venoit à lire dans mon
coeur l'amour que vous y avez fait naître ?
Cette feule penfée me tue , & je crois entendre
fes juftes reproches.
Qui fut étonné ce fut ce mari qui ne
dormoit pas. Quel difcours pour un homme
qui adoroit fa femme , & qui avoit
jufqu'alors admiré fa vertu ! Elle avoit
parlé avec tant d'action qu'elle s'éveilla ,
& il étoit fi troublé qu'il garda long-tems
le filence enfuite il le rompit avec ces
mots :
Je ne fçais , Madame , ce que vous avez
dans l'efprit , mais il travaille furieuſement
quand vous dormez. Il n'y a qu'un moment
que vous parliez tout haut , vous
avez même prononcé le nom de Lifidor ;
& s'il en faut croire votre fonge , il eft
fortement dans votre fouvenir. Une Coquette
auroit badiné là- deſſus , & raillé
fon mari de s'allarmer d'un fonge lorfque
tant d'autres s'inquiettent fi peu de la réalité
; mais Doris étoit trop vertueuse pour
fe jouer ainfi de la vérité qui la preifoit.
Elle
FEVRIER. 1755. 49
Elle ne répondit que par un torrent de larmes
, & voulut fe lever , en difant qu'elle
n'étoit plus digne de l'amitié de fon mari.
Il fut touché de fes pleurs , & la retint.
Après quelques reproches il fe laiffa perfuader
qu'il n'y avoit que fon coeur qui
fût coupable , & lui pardonna ; mais il exigea
d'elle qu'elle quitteroit la campagne
fur le champ , & ne verroit plus Lifidor.
Elle jura de lui obéir , & fit honneur à fon
ferment. Dès qu'il fut jour , elle prit congé
de fon amie , & la chargea d'un billet pour
Lifidor , qu'elle ne voulut point voir. Enfuite
elle partit avec fon époux.
Lifidor n'eut pas reçu le billet de Doris
qu'il l'ouvrit avec précipitation , & y luc
ces mots : Ma raifon & mon devoir font
à la fin les plus forts. Je pars & vous ne me
verrez plus. Il penfa mourir de douleur.
Non , s'écria -t- il , je ne vous croirai point,
trop fevere Doris , & je vous reverrai ,
quand ce ne feroit que pour expirer à votre
vûe. Auffi-tôt fe livrant au tranfport
qui l'entraînoit , il fuivit les pas de Doris
, & laiffa Celiante avec Clarimont goûter
la douceur d'un amour plus tranquille
& moins traverfé . Mais toutes fes démarches
furent inutiles. Doris fut inflexible
& ne voulut plus le voir ni l'écouter . Voici
des vers qu'on a faits fur cette aventure.
NOUVELLE.
Doris & Celiante étoient unies d'une
amitié fincere , & l'on peut dire qu'elles
s'aimoient comme deux honnêtes gens ;
Auffi avoient- elles un excellent caractere .
Doris , pour être vertueufe , n'étoit pas
moins liante ; fi elle étoit fevere pour ellemême
, elle étoit indulgente pour les autres
; & ce qui donnoit un nouveau prix à
tant de fageffe , elle avoit tout ce qui peut
attirer des féducteurs .
" Celiante étoit d'un naturel aimable
mais plus afforti aux moeurs du fiécle. Si
elle n'avoit point toutes les qualités qui
font une femme de bien , elle poffédoit
celles qui forment un parfaitement honnête
homine. Elle avoit l'efprit bienfait , l'efprit
droit & les manieres charmantes : en
un mot , fon plus grand défaut ( fi c'en eft
un aujourd'hui ) étoit d'avoir plus de fenfibilité
que de conftance.
Je ne m'amuferai point ici à détailler
leurs charmes particuliers ; on a dépeint
tant de beautés différentes , que je ne fçaurois
plus faire que des portraits ufés. Je me
contenterai de dire qu'elles étoient toutes
38 MERCURE DE FRANCE.
deux d'une grande beauté , fans être d'une
extrême jeuneffe ; & ce qui eft préférable ,
elles avoient les graces en partage . Celiante
avoit plus d'enjouement & de vivacité.
Doris avoit plus de douceur , & fa modeftie
impofoit aux plus hardis . Elles étoient mariées
l'une & l'autre. La premiere avoit
pour époux un vieux goutteux qu'elle haiffoit
parfaitement , moins parce qu'il étoit
fon mari , qu'à caufe qu'il étoit infiniment
haïffable. Celui de Doris étoit plus jeune ;
elle l'avoit pris fans inclination , mais fans
répugnance . Comme il avoit un amour
tendre pour elle , elle y répondoit par
beaucoup de bonnes manieres , & le regardoit
comme fon meilleur ami . Le mari qui
connoiffoit fon infenfibilité naturelle &
qui étoit fûr de n'avoir point de rival , fe
contentoit d'une fi froide amitié . L'une vivoit
dans l'indifférence que lui prefcrivoit
fa vertu ; & l'autre , fuivant le doux
penchant qui la conduiſoit , étoit à fa troiheme
paffion.
Doris ne put voir l'inconftance de fon
amie fans lui en faire doucement la guerre.
Celiante fe défendit avec fa gaieté ordinaire
, & lui dit qu'elle prît garde à elle ,
que
fon heure d'aimer viendroit , qu'elle
n'étoit peut-être pas loin . Je ne crains rien ,
repartit Doris , j'ai paffé l'âge dangereux
FEVRIER. 1755. 39
des paffions , & j'ai vû d'un oeil indifférent
tout ce que la ville a de plus aimable. Puifque
vous m'en défiez , pourfuivit Celiante
, je vous attends à la campagne ; c'eſt là
que l'amour attaque la vertu avec plus
d'avantage , & c'eft là qu'il vous punira de
votre vanité ; l'âge ni la raiſon ne vous garantiront
pas. Tremblez , ajoûta-t -elle en
badinant , c'eft lui-même qui m'infpire &
qui vous parle par ma bouche. Doris ne fit
que rire de la prédiction . Celiante mit de
la confidence Clarimont , qu'elle aimoit
depuis fix mois , & lui demanda s'il ne
connoîtroit pas quelqu'un qui pût adoucir
l'auftere vertu de fon amie.
Clarimont lai dit qu'elle ne pouvoit
mieux s'adreffer qu'à lui ; que Lifidor avec
qui il étoit lié , étoit fait exprès pour plaire
à Doris ; qu'il étoit beau , bienfait , infenfible
comme elle. Le printems , ajoûtat-
il , favoriſe notre deſſein , & votre maifon
de campagne eft le lieu le plus propre
à filer une paffion . Amenez- y Doris , &
j'engagerai Lifidor à vous y aller voir avec
moi. Je veux être haï de vous , s'ils ne font
tous deux le plus joli Roman qu'on ait encore
vû , & dans peu on n'aura rien à vous
reprocher.
Celiante propofa la partie à Doris , qui
Faccepta. Elles partirent , & deux jours
40 MERCURE DE FRANCE.
la
après Clarimont les fuivit , accompagne
de Lifidor. Elles fe promenoient dans un
jardin , que l'art & la nature avoient rendu
le plus charmant du monde , & Doris
ne pouvoit fe laffer d'y admirer l'un &
Pautre , quand ils arriverent. Sa beauté
frappa Lifidor , & fa modeftie acheva de
le charmer. La Dame , de fon côté , trouva
le Cavalier à fon gré , & fon air de fageffe
lui donna de l'eftime pour lui. Plus ils fe
connurent , plus ils fe goûterent , & tout
fembla confpirer à enflammer des amans
de ce caractère , la liberté de fe voir tous
les jours & de fe parler à toute heure ,
folitude & la tranquillité de la campagne , le
printems qui étoit dans fa force , & la beauté
du lieu où ils étoient ; ils eurent beau réfifter
, l'amour fe rendit le maître , & fe déclara
fi fort dans huit jours , qu'ils avoient
de la peine à le cacher. Des foupirs leur
échappoient malgré eux , & ils ne pouvoient
fe regarder fans rougir. Clarimont & Celiante
qui les obfervoient , s'en apperçurent
un foir qu'ils étoient à la promenade , &
fe dirent à l'oreille : ils font pris au piége ;
les voilà qui rougiffent . Pour s'éclaircir
de leur doute , ils s'éloignerent adroitement
, & les laifferent feuls , fans pourtant
les perdre de vûe.
Doris friffonna de fe voir tête à tête avec
FEVRIER. 1755 . 41
un homme qu'elle craignoit d'aimer , & le
timide Lifidor parut lui - même embarraſſé ;
mais à la fin il rompit le filence , & jettant
fur Doris un regard tendre & refpectueux
, lui parla dans ces termes . J'ai toujours
fait gloire de mon indifférence , &
j'ai , pour ainsi dire , infulté au beau fexe ;
mais pardonnez à mon orgueil , Madame ,
je ne vous avois point vûe , vous m'en
puniffez trop bien.
A ce difcours elle fe fentit plus émue ;
& craignant l'effet de fon émotion , elle
prit le parti de la fuite. Voilà un tour que
Celiante m'a joué , répondit - elle , en le
quittant , je vais lui en faire des reproches.
Lifidor fut fi étourdi de cette réponſe , qu'il
demeura immobile . Doris rejoignit Celiante
, & la tirant à part , lui dit : c'eft
ainfi que vous apoftez des gens contre
moi. Dequoi vous plaignez-vous , répliqua
Celiante ? vous m'en avez défiée ; je
ne fuis pas noire , je vous en avertis . Pendant
ce tems- là Lifidor étoit refté dans la
même poſture où Doris l'avoit laiffé , & je
crois qu'il y feroit encore fi Clarimont
n'avoit été le defenchanter , en le tirant
par la main.
Nos amans furent raillés à fouper. Doris
en fut fi déconcertée , qu'elle feignit
un grand mal de tête , & fortit de table
42 MERCURE DE FRANCE.
.
pour s'aller mettre au lit. Quand Celiante
qui couchoit avec elle , entra dans fa chambre
, elle la trouva endormie , & l'entendit
qui fe plaignoit tout haut , & qui nommoit
Lifidor. L'amour qui ne veut rien
perdre , & qui avoit fouffert de la violence
qu'on lui avoit faite pendant le jour ,
profita de la nuit pour éclater , & le fommeil
, de concert avec lui , trahit la vertu
de Doris.
Dès qu'elle fut réveillée , fon amie lui
dit ce qu'elle venoit d'entendre. Il eft vrai ,
répondit- elle en pleurant , j'aime malgré
moi , & vous êtes vengée ; mais je mourrai
plutôt que de céder à ma paffion. Celiante
qui avoit le coeur fenfible , en fut attendrie
, & l'affura que fi elle avoit cru
que la chofe dût devenir auffi férieufe ,
elle n'auroit eu garde d'y fonger,
Le lendemain Lifidor redoubla d'empreffement
auprès de Doris , & fe jettant à
fes pieds , la pria de ne pas defefperer un
amant qui n'étoit pas tout -à-fait indigne
d'elle. Je vous offre , dit- il , un coeur tout
neuf, qui n'a jamais rien aimé que vous ,
& dont les fentimens font auffi purs que
votre vertu même ; ne le refufez pas , je
vous en conjure. Elle l'obligea de fe relever
, & lui répondit que des noeuds facrés
la lioient à un autre , qu'il ne pouvoit
FEVRIER. 1755. 43
brûler pour elle d'un feu légitime ; & que
s'il lui parloit une feconde fois de fon
amour , elle lui quitteroit la place , & réprendroit
le chemin de la ville .
Notre amant fut épouvanté d'une menace
ſi terrible ; il n'ofoit plus l'entretenir ,
à peine avoit-il le courage de la regarder ?
La trifteffe s'empara de fon ame , & bientôt
il ne fut plus reconnoiffable ; le plus
pareffeux des hommes devint le plus matinal
, lui qui paffoit auparavant les trois
quarts de la vie au lit , devançoit tous les
jours l'aurore . Clarimont l'en railla , &
lui dit ces vers de Quinault :
Vous vous éveillez fi matin ,
Que vous ferez croire à la fin
Que c'eft l'amour qui vous éveille.
Un matin qu'il le trouva dans un bois
écarté , un livre à la main , il lui demanda
ce qu'il lifoit. C'eſt Abailard , répondit- il ,
j'admire fes amours , & j'envie fon bonheur.
Je vous confeille d'en excepter la
cataſtrophe , répliqua Clarimont en riant ;
mais à parler férieufement , vous n'êtes pas
fort éloigné de fon bonheur ; vous aimez
& s'il faut en juger par les apparences ,
vous n'êtes point hai. Eh ! s'il étoit vrai ,
interrompit Lifidor , m'auroit-on impofé
>
44 MERCURE DE FRANCE.
filence , & m'auroit- on défendu d'efperer ?
Croyez-moi , reprit fon ami , ne vous découragez
point , & vous verrez que la fé
vere Doris ne vous a fermé la bouche que
parce qu'elle craint de vous entendre & de
vous aimer. Je fçai même de Celiante
qu'elle fouffre la nuit des efforts qu'elle fe
fait le jour. Si elle refufe de vous parler
éveillée , elle vous entretient en dormant ,
elle foupire , & vous nomme tout haut .
Elle eft indifpofée depuis hier au foir , &
je fuis für que fon mal ne vient que d'un
filence forcé , ou d'une réticence d'amour.
Allez la voir , fon indifpofition vous fervira
d'excufe & de prétexte.
Lifidor fe laiffa perfuader , & tourna fes
pas vers la chambre de fon amante ; if entra
, & ouvrit les rideaux d'une main tremblante
: elle dormoit dans ce moment ; &
pleine d'un fonge qui la féduifoit , elle lui
fit entendre ces douces paroles.
Oui , Lifidor , je vous aime , le mot eft
prononcé , il faut que je vous quitte , mon
devoir me l'ordonne , & ma vertu rifqueroit
trop contre votre mérite. Dans cet embraffement
recevez mon dernier adieu .
En même tems elle lui tend deux bras
charmans , qu'il mouroit d'envie de baifer,
& fe jette à fon col. Lifidor , comme
on peut penfer , n'eut garde de reculer.
FEVRIER . 1755. 45
Quelle agréable furprife pour un amant
qui fe croyoit difgracié ! O bienheureux
fommeil difoit - il en lui-même dans ces
momens délicieux , endors fì bien ma Doris
, qu'elle ne s'éveille de long- tems : mais
par malheur Celiante qui furvint , fit du
bruit , & la réveilla comme elle le tenoit
encore embraffé . Elle fut fi honteufe de
fe voir entre les bras d'un homme furtout
en préfence de fon amie , que repouffant
Lifidor d'un air effrayé , elle s'enfonça
dans fon lit , & s'enveloppa la tête
de la couverture , en s'écriant qu'elle
étoit indigne de voir le jour. Lifidor confus
, foupira d'un fi cruel réveil ; d'un excès
de plaifir il retomba dans la crainte &
dans l'abattement , & fortit comme il étoit
entré.
Ċeliante eût ri volontiers d'une fi plaifante
aventure ; mais Doris étoit fi defolée
qu'elle en eut pitié , & qu'elle tâcha de la
confoler , en lui repréfentant qu'on n'étoit
point refponfable des folies qu'on pouvoir
faire en dormant , & que de pareils écarts
étoient involontaires.
Non , interrompit Doris en pleurs , je
ne dormirai plus qu'en tremblant , & le
repos va me devenir odieux. Que l'amour
eft cruel il ne m'a épargnée juſqu'ici que
pour mieux montrer fon pouvoir , & que
46 MERCURE DE FRANCE.
pour rendre ma défaite plus honteufe . J'ai
toujours vécu fage à la ville , & je deviens
folle à la campagne ; il faut l'abandonner ,
l'air y eft contagieux pour moi . Ma chere ,
répartit Celiante , que vous êtes rigoureufe
à vous- même ! Après tout eft- ce un fi grand
mal que d'aimer ? Oui , pour moi qui fuis
liée , pourfuivit Doris , la fuite eft ma
feule reffource , & je pars aujourd'hui.
Aujourd'hui s'écria Celiante furpriſe
voilà un départ bien précipité. Aujour
d'hui même , reprit - elle , ou demain au
plûtard .
Celiante jugea qu'elle n'en feroit rien ,
puifqu'elle remettoit au lendemain , &
Celiante jugea bien . Lifidor à qui on dit
cette nouvelle , prit fon tems fi à propos ,
& s'excufa fi pathétiquement , qu'elle n'eut
pas le courage de partir. Depuis ce moment
il redoubla fes foins , & couvrit toujours
fon amour da voile du refpect. Le
tigre s'apprivoifa. Doris confentit d'écouter
fon amour, pourvu qu'il lui donnât le nom
d'eftime.
Enfin il n'étoit plus queftion que du
mot , quand le mari s'ennuya de l'abſence
de fa femme , & la vint voir . Il n'étoit pas
attendu , & encore moins fouhaité . Elle le
reçut d'un air fi froid & fi contraint , qu'il
fe fût bien apperçu qu'il étoit de trop s'il
FEVRIER. 1755. 47
avoit pû la foupçonner d'une foibleffe.
Lifidor fut confterné du contre- tems , & ne
put s'empêcher de le témoigner à Doris , &
de lui dire tout bas :
Quelle arrivée ! Madame , & quelle
nuit s'apprête pour moi ! Que je fuis jaloux
du fort de votre mari , & que mon
amour eft à plaindre !
Elle n'étoit pas dans un état plus tranquille.
La raifon lui reprochoit fon égarement
, & lui faifoit fentir des remords qui
la déchiroient. Elle ne pouvoit regarder
fon mari fans rougir , & elle voyoit finir
le jour à regret ; elle craignoit que le fommeil
ne lui revélât les fottifes de fon coeur .
Plufieurs n'ont pas cette peur , elles s'arrangent
de façon pendant la journée qu'elles
n'ont rien à craindre des aveux de la nuit .
Quand on a tout dit avant de fe coucher ,
on eft für de fe taire en dormant ; il n'y
a que les paffions contraintes qui parlent
dans le repos . Doris l'éprouva .
A peine fut-elle endormie , qu'un fonge
malin la trahit à fon ordinaire , & offrit
Lifidor à fon imagination égarée. Dans les
douces vapeurs d'un rêve fi agréable , elle
rencontra la main de fon mari , qu'elle
prit pour celle de fon amant , & la preffant
avec tendreffe , elle dit en foupirant :
Ah ! mon cher Lifidor , à quel excès d'a48
MERCURE DE FRANCE.
mour vous m'avez amenée , & qu'ai - je
fait de toute ma fageffe : Vous avez beau
me faire valoir la pureté de vos feux , je
n'en fuis pas moins coupable ; c'eft toujours
un crime que de les fouffrir , & c'eſt
y répondre que de les écouter. Que diroit
mon mari s'il venoit à lire dans mon
coeur l'amour que vous y avez fait naître ?
Cette feule penfée me tue , & je crois entendre
fes juftes reproches.
Qui fut étonné ce fut ce mari qui ne
dormoit pas. Quel difcours pour un homme
qui adoroit fa femme , & qui avoit
jufqu'alors admiré fa vertu ! Elle avoit
parlé avec tant d'action qu'elle s'éveilla ,
& il étoit fi troublé qu'il garda long-tems
le filence enfuite il le rompit avec ces
mots :
Je ne fçais , Madame , ce que vous avez
dans l'efprit , mais il travaille furieuſement
quand vous dormez. Il n'y a qu'un moment
que vous parliez tout haut , vous
avez même prononcé le nom de Lifidor ;
& s'il en faut croire votre fonge , il eft
fortement dans votre fouvenir. Une Coquette
auroit badiné là- deſſus , & raillé
fon mari de s'allarmer d'un fonge lorfque
tant d'autres s'inquiettent fi peu de la réalité
; mais Doris étoit trop vertueuse pour
fe jouer ainfi de la vérité qui la preifoit.
Elle
FEVRIER. 1755. 49
Elle ne répondit que par un torrent de larmes
, & voulut fe lever , en difant qu'elle
n'étoit plus digne de l'amitié de fon mari.
Il fut touché de fes pleurs , & la retint.
Après quelques reproches il fe laiffa perfuader
qu'il n'y avoit que fon coeur qui
fût coupable , & lui pardonna ; mais il exigea
d'elle qu'elle quitteroit la campagne
fur le champ , & ne verroit plus Lifidor.
Elle jura de lui obéir , & fit honneur à fon
ferment. Dès qu'il fut jour , elle prit congé
de fon amie , & la chargea d'un billet pour
Lifidor , qu'elle ne voulut point voir. Enfuite
elle partit avec fon époux.
Lifidor n'eut pas reçu le billet de Doris
qu'il l'ouvrit avec précipitation , & y luc
ces mots : Ma raifon & mon devoir font
à la fin les plus forts. Je pars & vous ne me
verrez plus. Il penfa mourir de douleur.
Non , s'écria -t- il , je ne vous croirai point,
trop fevere Doris , & je vous reverrai ,
quand ce ne feroit que pour expirer à votre
vûe. Auffi-tôt fe livrant au tranfport
qui l'entraînoit , il fuivit les pas de Doris
, & laiffa Celiante avec Clarimont goûter
la douceur d'un amour plus tranquille
& moins traverfé . Mais toutes fes démarches
furent inutiles. Doris fut inflexible
& ne voulut plus le voir ni l'écouter . Voici
des vers qu'on a faits fur cette aventure.
Fermer
Résumé : LA DORMEUSE INDISCRETE, NOUVELLE.
La nouvelle 'La dormeuse indiscrète' narre l'amitié entre Doris et Celiante, deux femmes mariées et vertueuses. Doris est sévère envers elle-même mais indulgente envers les autres, tandis que Celiante, plus encline aux mœurs du siècle, est sensible et charmante mais manque de constance. Doris est mariée à un homme plus jeune qu'elle respecte mais n'aime pas, tandis que Celiante est mariée à un vieillard qu'elle déteste. Lors d'un séjour à la campagne, Celiante prédit à Doris qu'elle tombera amoureuse et organise une rencontre entre Doris et Lifidor, un ami de Clarimont, l'amant de Celiante. Malgré leurs résistances initiales, Doris et Lifidor finissent par s'attirer mutuellement. Un jour, Doris, endormie, avoue son amour à Lifidor en rêve et il en profite pour l'embrasser. Réveillée par Celiante, Doris est horrifiée et décide de partir. Cependant, Lifidor la convainc de rester et redouble d'efforts pour gagner son cœur. Leur relation progresse discrètement jusqu'à l'arrivée inattendue du mari de Doris, qui perturbe leurs plans. Dans un épisode crucial, Doris, endormie, prend la main de son mari pour celle de Lifidor et exprime son amour pour ce dernier. Son mari, qui ne dormait pas, entend ses paroles et est profondément troublé. Doris, réveillée, est submergée par la culpabilité et les larmes. Son mari, bien qu'il lui pardonne, exige qu'elle quitte la campagne et ne revoie plus Lifidor. Doris obéit et part avec son époux dès le matin, laissant un billet à Lifidor où elle lui annonce qu'elle ne le verra plus. Lifidor, désespéré, tente de la retrouver, mais Doris reste inflexible et refuse de le revoir. La nouvelle se conclut par la mention de vers inspirés par cette aventure.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
419
p. 6
A MADAME LA M. DE S....
Début :
Je crains l'Amour, [...]
Mots clefs :
Amour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : A MADAME LA M. DE S....
A MADAME LA M. DE S ....
J E crains l'Amour ,
Je fuirai fon empire ,
Me difoit l'autre jour
La charmante Thémire.
Eh! pourquoi donc le redouter ainfi ?
Ses avantages font fans nombre ;
Raffurez-vous , ce n'eft pas un efprit ,
Vous vous effrayez de votre ombre.
Par M. de C. D.
J E crains l'Amour ,
Je fuirai fon empire ,
Me difoit l'autre jour
La charmante Thémire.
Eh! pourquoi donc le redouter ainfi ?
Ses avantages font fans nombre ;
Raffurez-vous , ce n'eft pas un efprit ,
Vous vous effrayez de votre ombre.
Par M. de C. D.
Fermer
420
p. 7-26
L'ORIGINE DES EVENTAILS, A MADEMOISELLE .....
Début :
J'ai cru long tems, avec vous, Mademoiselle, que les éventails n'étoient [...]
Mots clefs :
Éventail, Éventails, Amour, Flore, Dame, Déesse, Dieux, Homme, Bosquet, Nymphe, Origine, Zéphyr
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'ORIGINE DES EVENTAILS, A MADEMOISELLE .....
L'ORIGINE
DES EVENTAILS
A MADEMOISELLE ....
•
J'ai cru long moiſelle , qu-teemlses, aévveenctaviolussn,'éMtaodieen-t
autre chofe que l'invention de quelque artifan
affez habile pour avoir fçu (paffez- moi
la métamorphofe ) renfermer des zéphirs
dans un morceau de papier ou de taffetas.
Je n'y vois point d'autre avantage
Pour les Dames , que l'agrément
D'avoir à leur commandement
Le fouffle que zéphir avoit feul en partage
Avant que l'on eut l'art de captiver le vent.
Vous penfiez la même chofe , Mademoifelle
, mais nous ne connoiffions gueres
, ni l'un ni l'autre , la véritable origine
& les magnifiques propriétés des éventails .
J'ai été tiré d'erreur par l'aventure dont je
vous ai promis la narration ; elle vous paroîtra
merveilleufe , mais fongez que la
vérité même a fes merveilles , & que cette
hiftoire peut être vraie , quoiqu'elle ne
paroiffe pas tout-à-fait vraisemblable .
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
J'aime mieux , après tout , une plaifante fable ,
Qui peut mener l'efprit à quelque vérité ,
Que quelque hiftoire véritable ,
Sans but & fans moralité.
y aura un an l'été prochain , qu'après
m'être promené feul dans le Luxembourg
pendant un affez long tems , je fus me repofer
dans un bofquet de cet agréable jardin
, l'un des ornemens de Paris , quoique
la nature feule en faffe les frais , & que
l'art ne fe mette point en peine de le cultiver.
Il étoit près de huit heures du foir ; je
ne m'apperçus point en entrant dans le
bofquet que je marchois fur quelque chofe
; une efpéce de cri me fit regarder à
terre : un éventail fort joli étoit à mes
pieds ; je le ramaffai ; je ne fçais quel mouvement
fecret me fit defirer alors de connoître
la perfonne à qui cet éventail appartenoit.
Peut-être alors mon coeur étoit- il entraîné
Par ce doux inſtinct qui nous guide ,
Quand , par le moindre objet , l'homme eft déter
miné
A voler d'une aîle rapide
Wers le fexe enchanteur pour lequel il eft né.
Quoiqu'il en foit , je m'écriai fur le
MARS.
champ , & fans y penfer : à qui l'éventail ?
perfonne ne m'ayant répondu , j'allois le
mettre dans ma poche , lorfqu'une voix
me cria ; ami , que ne daignes-tu me demander
à moi -même à qui j'appartiens ?
Vous jugez bien , Mademoifelle , que
cette voix me furprit étrangement. Je regardai
de tous côtés , je ne découvris perfonne
l'épouvante commença à fuccéder
à l'étonnement : étoit- ce un démon ? étoitce
un génie ? les uns & les autres habitent
les bofquets. Cette voix n'avoit point un
corps , ou ce corps étoit invifible : dans
cette étrange conjoncture , je me rappellai
le fens du difcours , & mon étonnement
redoubla ; il paroiffoit même que l'éventail
m'avoit apoftrophé : nouveau fujet d'inquiétude
.
» Je vois ta ſurpriſe ( continua la voix ) ;
» c'eſt une preuve de ton ignorance.
Ami , tulanguis , je le voi ,
Dans les préjugés du vulgaire ;
Ton efprit ne recherche & ne découvre en moi
Qu'un inftrument fort ordinaire.
Je fçais qu'un éventail , pour un eſprit borné ,
N'eft qu'un morceau d'ivoire , un taffetas orné
D'une peinture inanimée :
Tandis qu'aux Dames deſtiné
Ce bijou , d'un zéphif , tient l'ame renfermée.
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Ainfi donc , ô mortels ! à l'écorce attachés ,
Vous voyez tout le refte avec indifférence ;
Etfous nombre d'objets fimples en apparence
Vous ne pénétrez pas quels tréfors font cachés .
La voix pourfuivit , affis -toi fur ce ga
zon , approches l'éventail de ton oreille
& redoubles d'attention .
L'éventail que tu tiens n'eft autre chofe
qu'un malheureux zéphir , à qui fon inconftance
a couté cher.
J'aimois Flore , & j'en étois aimé , lorfque
ma légereté naturelle me fit voler vers
Pomone ; je trouvai fon coeur occupé ,
Vertumne étoit heureux .
Après avoir parcouru les états de quelques
autres divinités , je revins à Flore ;
elle m'aimoit toujours , & elle me pardonna
ma petite infidélité.
En amour la défertion
Nous infpire fouvent une ferveur nouvelle
Pour le premier objet de notre paffion.
Ne craignons point l'impreffion
Qu'une infidelité fera fur une belle ,
Pourvû que le bon goût & la réflexion,
Sçache nous ramener à propos auprès d'elle :
De ne faire jamais qu'un choix ,
Belles, fi vos amans fe faifoient une affaire ;
MARS. II 1755.
Votre gloire y perdroit , c'eft une choſe claire ;
De quatre amans , foumis tour à tour à vos loix ,
Il faudroit en retrancher trois.
Il faut bien , pour vous fatisfaire ,
Que notre coeur ait quelquefois
Des facrifices à vous faire.
Suivant cette maxime , mon retour vers
La Déeffe ne me guérit point de l'inconftance
; on eût dit que j'étois né François .
Lorfque je revins à la cour de Flore , j'y
trouvai une jeune nymphe fort aimable ,
& que je n'avois pas encore vûe ; on la
nommoit Aglaé : la voir & l'aimer fut mon
premier mouvement ; le fecond fut de
chercher à lui plaire. Aglaé avoit un coeur
neuf : conquête flatteufe ! je n'épargnai
rien pour me la procurer ; mais ce n'étoit
pas fans précautions : mon humeur volage
avoit rendu Flore clairvoyante.
Ce n'étoit pas une merveille.
Un amour trop certain de fa félicité ,
S'affoupit dans les bras de la fécurité ;
Mais il s'agite & ſe réveille ,
Dès qu'il entend la voix de l'infidelité .
J'étois obfervé de fi près que je fus
bien huit jours entiers à brûler conftamment
fans pouvoir le déclarer à l'aimable
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Aglaé ; cependant au bout de ce long ter
me , Flore ayant été appellée au confeil
des Dieux , pour l'ornement d'une fête que
Jupiter vouloit donner , fon abſence me
laiffa la liberté d'entretenir mon adorable
nymphe : je ne fçais fi elle avoit deviné
que j'aurois à lui parler ; elle fe difpenfa ,
fur quelque prétexte , de fuivre la Déeffe.
Quant à moi je trouvai le fecret de m'échapper
de la falle du confeil olympique ,
& je volai vers Aglaé .
Elle fe promenoit dans les jardins del
Flore : eh quoi ! me dit- elle d'un air tout
charmant , vous n'êtes donc pas refté avec
la Déeffe ? croyez- vous , lui dis- je , ô mon
aimable Aglaé , qu'il y ait des fêtes pour
moi où vous n'êtes pas ? alors je me jettai
à fes genoux , & je lui déclarai avec tranfport
l'amour qu'elle m'avoit infpirée.
Que faites-vous ? s'écria-t elle , que deviendrois-
je fi Flore nous furprenoit enfemble
? Ne craignez rien , chere Aglaé ,
Flore eft retenue dans les cieux ; n'ayez
d'attention que pour un amant qui ne voit
que vous.
Ah ! par une crainte frivole
Pourquoi troublerons -nous ces momens fortunés ?
Déja cet heureux tems s'envole ,
Cruelle , & vous l'empoifonnez.
MARS. 1755 : 13
Hélas ! me répondit Aglaé , avec une
fimplicité trifte & naïve , je vous écoutois
il y a quelques jours parler à Flore , vous
fui juriez un amour éternel , & vous m'aimez
, dites-vous ? Oui , répliquai -je auffitôt
en prenant une de fes belles mains :
oui , belle Aglaé , je vous adore , & je
n'adore que vous feule ; êtes - vous déterminée
à m'ôter tout eſpoir , à moi , l'amant
le plus tendre & le plus fidele qui fut
jamais ?
Sur ces fermens , continua l'Eventail ,
en s'interrompant lui - même , vous me
croyez peut- être le plus traître de tous
les zéphirs , vous m'accufez de perfidie . t.
Mais ce feroit me faire injure ;
L'inconftance eft l'effet d'une invincible loi :
Et l'amant volage eſt parjure
Sans être de mauvaiſe foi.
Cependant le ceeur rempli de ma nouvelle
paffion , j'attendois aux pieds d'Aglaé
qu'elle daignât prononcer mon arrêt : Levez
-vous , me dit - elle , je tremble que
Flore ne furvienne . Eh ! quoi , lui répliquai-
je , toujours des craintes , & pas
le
moindre efpoir ! Que voulez- vous que je
vous dife , me répondit Aglaé , en tourmant
vers moi les plus beaux yeux du monde
? .... Ah ! Zephir , vous avez aimé
12 MERCURE DE FRANCE.
Aglaé ; cependant au bout de ce long ter
me , Flore ayant été appellée au confeil
des Dieux , pour l'ornement d'une fête que
Jupiter vouloit donner , fon abfence me
laiffa la liberté d'entretenir mon adorable
nymphe : je ne fçais fi elle avoit deviné
que j'aurois à lui parler ; elle fe difpenfa ,
fur quelque prétexte , de fuivre la Déeſſe.
Quant à moi je trouvai le fecret de m'échapper
de la falle du confeil olympique ,
& je volai vers Aglaé.
Élle ſe promenoit dans les jardins de
Flore : eh quoi ! me dit- elle d'un air tout
charmant , vous n'êtes donc pas refté avec
la Déeffe ? croyez- vous , lui dis- je , ô mon
aimable Aglaé , qu'il y ait des fêtes pour
moi où vous n'êtes pas ? alors je me jettai
à fes genoux , & je lui déclarai avec tranfport
l'amour qu'elle m'avoit infpirée.
Que faites-vous ? s'écria-t elle , que deviendrois-
je fi Flore nous furprenoit enfemble
? Ne craignez rien , chere Aglaé ,
Flore eft retenue dans les cieux ; n'ayez
d'attention que pour un amant qui ne voit
que vous.
Ah ! par une crainte frivole
Pourquoi troublerons-nous ces momens fortunés ?
Déja cet heureux tems s'envole ,
Cruelle , & vous l'empoifonnez.
MARS . 1755: 13
Hélas ! me répondit Aglaé , avec une
fimplicité trifte & naïve , je vous écoutois
il y a quelques jours parler à Flore , vous
fui
juriez un amour éternel , & vous m'aimez
, dites-vous ? Oui , répliquai-je auffitôt
en prenant une de fes belles mains
oui , belle Aglaé , je vous adore , & je
n'adore que vous feule ; êtes- vous déterminée
à m'ôter tout eſpoir , à moi , l'amant
le plus tendre & le plus fidele qui fut
jamais ?
Sur ces fermens , continua l'Eventail ,
en s'interrompant lui - même , vous me
croyez peut-être le plus traître de tous
les zéphirs , vous m'accufez de perfidie.
Mais ce feroit me faire injure ;
L'inconftance eft l'effet d'une invincible loi :
Et l'amant volage eft parjure
Sans être de mauvaiſe foi.
Cependant le ceeur rempli de ma nouvelle
paffion , j'attendois aux pieds d'Aglaé
qu'elle daignât prononcer mon arrêt : Levez
- vous , me dit - elle , je tremble que
Flore ne furvienne . Eh ! quoi , lui répliquai-
je , toujours des craintes , & pas
moindre efpoir ! Que voulez- vous que je
vous dife , me répondit Aglaé , en tourmant
vers moi les plus beaux yeux du monde
? .... Ah ! Zephir , vous avez aimé
le
14 MERCURE DE FRANCE.
1
Flore ..... que je ferois à plaindre fi vous
changiez une feconde fois ! A ces mots
elle difparut.
Depuis ce moment elle m'évitoit , elle
s'obfervoit elle - même , elle fembloit fe repentir
d'une indifcrétion ; enforte que je
fus quelques jours fans pouvoir m'affurer
plus pofitivement de fes difpofitions à mon
égard : peut-être , me répondrez - vous ,
qu'elle m'en avoit affez dit à
Mais quel eft l'aveu favorable
Qui foit , je ne dis pas égal , mais comparable
A ce je vous aime charmant
Que l'on trouve fi defirable ?
Ces trois mots échappés d'une bouche adorable ,
Peuvent feuls contenter la maîtreffe & l'amant .
L'attente d'un aveu fi cher m'avoit rendu
rêveur contre mon ordinaire . Ma rêverie
me conduifit un jour dans une allée
fombre où le promenoit Aglaé. Dès qu'elle
me vit , elle entra , pour m'éviter , dans un
cabinet de rofiers , voifin d'un bofquet de
myrtes , où Flore alloit quelquefois fe repofer.
La jeune Nymphe ne foupçonnoit
pas que je l'euffe apperçue : j'étois à fes
genoux avant qu'elle eût fongé à m'ordonner
de me retirer . Elle voulut fortir ; je
Parrêtai : Ne craignez rien , lui dis-je , belle
Aglaé !
MARS . 1755.
Que mon empreffement ne vous foit point fufpect
:
Ma tendreffe pour vous eft pure & légitime ;
Le véritable amour est fondé fur l'eftime ,
Et l'eftime eft fuivie en tout tems du reſpect.
- Elle parut fe raffurer : une défiance affectée
eft fouvent plus dangereufe dans ces
occafions qu'une noble confiance mêlée
d'une fierté qui en impoſe à l'amant le plus
empreffé.
Je me défierois d'une prude
Qui me quitteroit brufquement ,
Ou me chafferoit d'un air rude ;
La vertu bien fincere agit tout fimplement.
4
Nous nous mîmes à caufer tranquillement.
Aglaé continua de cueillir des rofes
pour s'en faire un bouquet. J'en avois apperçu
une , la plus belle du monde , dans
un coin du cabinet : j'allois la cueillir
lorfqu'une épine me piqua fi vivement
qu'il m'échappa une plainte que la tendre
Aglaé accompagna d'un cri,: tous deux
nous trahirent .
Hélas ! les rofes les plus belles ,
Et qui par leur éclat charment le plus nos yeux ,
Cachent aux regards curieux
Les épines les plus cruelles.
16 MERCURE DE FRANCE.
Le plus fage feroit de n'en point approcher.
Mais , quoi ! de tant d'attraits le ciel les a pour
vûes ,
Que du moment qu'on les a vûes
On rifque tout pour les toucher .
Flore dormoit dans le bofquet demyrte ;
le cri d'Aglaé la réveilla ; elle accourut dans
le cabinet des rofiers : Dieux ! quel fut fon
étonnement ! Aglaé étoit affife fur un banc
de gazon , j'étois à genoux devant elle ,
tandis qu'avec un mouchoir de mouffeline
, l'aimable Nymphe fe hâtoit d'étancher
le fang qui fortoit de la piquûre que
je m'étois faire : la bleffure en elle-même
étoit peu de chofe ; mais eft - il de légers
accidens en amour ? Aglaé découvroit dans
fon action cet empreffement mêlé de crainte
que l'on a dans ces fortes d'occafions
pour les perfonnes que l'on aime.
En amour , le péril eft la pierre de touche :
Alors , quoiqu'une belle ait formé le projet
De tenir en filence & fes yeux & fa bouche ;
Dans le moindre accident qui frappe un cher ob
jet ,
L'ame fe réunit à celle qui la touche , :
Et la beauté la plus farouche
De fes craintes bientôt découvre le fujet.
Cette entrevûe auffi fatale pour nous
MARS. 1755. 17
que pour la Déeffe , ne fit que juftifier des
foupçons qu'elle avoit déja conçus : elle
diffimula cependant , & parut même plus
tranquille fur mon compte ; mais elle méditoit
une vengeance qui devoir m'ôter
pour toujours le defir , ou , fi vous voulez
, le plaifir de changer .
Quelques jours après cet incident , Flore
fit avertir Aglaé de venir lui parler en
particulier la pauvre Nymphe obéit en
tremblant. Raffurez- vous , lui dit -elle , je
ne veux point vous faire de mal ; je fuis
charmée , puifque Zéphir m'abandonne
que ce foit du moins pour une perfonne
qui le mérite. Mais , Aglaé , quand vous
lui avez permis quelque efpérance , avez .
vous bien refléchi fur le caractere de votre
amant ? les fermens qu'il vous a faits fans
doute , ne me les avoit- il pas faits à moi
même ? que dis-je ? ne me les avoit- il pas
mille fois réitérés ? avez - vous plus d'em
pire fur lui que je crois en avoir ? & s'il
change encore quelle fera votre deftinée
?
>
Au commencement de ce difcours
Aglaé n'avoit reffenti que de la confufion :
ces derniers mots lui firent répandre des
larmes ; elles furent fa réponſe.
Je vous plains d'autant plus , continua
la Déeffe , que vous aimez de bonne foi
18 MERCURE DE FRANCE.
le plus volage de tous les amans ; il eft cependant
pour vous un moyen de prévenir
fon infidélité. On vient de me faire préfent
d'une petite baguette d'ivoire qui a
la vertu de fixer les inconftans : je vous
la donne , j'en aurois fait ufage pour moimême
, fi Zéphir ne m'eût point quittée
pour vous : il n'eft plus tems , & peut-être
même que demain il feroit trop tard pour
vous.
Incapable de trahisons ;
La fincere vertu l'eft auffi de foupçons.
Aglaé ne vit dans cette offre de Flore
qu'une marque de protection . Elle fortit
après avoir baifé la main de la Déeffe
avec le témoignage de la plus vive reconnoiſſance
. Hélas ! elle ne prévoyoit pas
combien ce préfent alloit nous être fatal
à tous les deux .
Elle accourut d'un air gai me faire part de
la prétendue clémence de Flore ; mais elle
ne me dit rien de la fatale baguette, dans la
crainte apparemment d'en empêcher l'effet .
Je ne me défiois de rien : la gaité d'Aglaé
me charmoit ; je me mis à folâtrer avec
elle : j'apperçus la petite baguette d'ivoire ,
je la trouvai jolie : je voulus la dérober ' ;
Aglaé la retint , elle m'en donna en badiMARS.
1755 . 19
nant de petits coups fur les ailes : funefte
badinage !
A peine cus-je été frappé du fatal préfent
de Flore , qu'il fe fit en moi une métamorphofe
auffi prompte que prodigieufe.
La baguette enchantée fe fendit en plu
fieurs petites languettes minces qui forment
les bâtons que vous tenez : mes aîles
s'étant réunies auffi - tôt , fe colerent fur
l'ivoire , & formerent ce que l'on appelle
vulgairement un éventail fuis toujours
Zéphir , quoique j'aie perdu mon ancienne
forme.
En fuis-je donc moins eftimable
N'ai- je pas confervé l'heureufe faculté
De répandre dans l'air cette fraîcheur aimable
Qui défend la beauté
Contre les chaleurs de l'été ?
En vain l'aftre du jour veut lui faire la guerre ,
J'ai l'art de l'en débarraffer.
Ce font toujours les fleurs que j'aime à careffer ;
Non celles qu'autrefois j'aimois dans un parterre ,
Mais celles que les Dieux ont pris foin de verfer
Sur le teint éclatant des Reines de la terre.
Mon changement en éventail fut pour
Aglaé le coup le plus terrible . J'ai fçu depuis
qu'elle n'avoit pû furvivre à mon
malheur , & j'ofe ajouter au fien . Pou
20 MERCURE DE FRANCE.
voit elle defirer de me fixer à ce prix ?
J'ai paffé en différentes mains depuis ma
métamorphofe ; les Dieux m'ont laiffé l'ufage
de la parole pour inftruire l'univers
de mon origine & de mes différentes propriétés.
Comment ( dis- je au Zéphir métamor
phofé ) , vous fervez donc à plus d'une
chofe ?
Que tu es novice , me répondit-il , Â
tu ignores en combien de manieres je puiš
être utile au beau fexe !
Vas , crois- moi , ce feroit trop peu pour
les Dames de n'avoir en moi qu'un zéphir
à leurs ordres , il eft des occafions où je
leur fuis d'une toute autre utilité.
Croirois-tu , par exemple , que j'ai bonne
part à certaines converfations ? Il y a
quelque tems que j'appartenois à une jeune
veuve , qui dans ces fortes de cas
fe fervoit de moi merveilleufement bien.
Comme elle a de la beauté , mais peu
d'efprit ,
S'entend-elle agacer par quelque compliment
Elle répond fuccintement ;
Mais elle fçait en récompenſe
Badiner fort éloquemment
Avec fon éventail , dont le jeu la difpenfe
De s'énoncer plus clairement :
MARS. 1755. 21
O! l'agréable truchement !
Sans faire plus grande dépenſe
Et d'efprit & de jugement ,
Dans un cercle , Cloris fe donne adroitement
L'air d'une perfonne qui penſe ;
Et l'évantail alors fert admirablement.
Elle le tient appuyé fur fes levres , à peu
près dans l'attitude du Dieu du filence repréfenté
tenant un cachet ou fon doigt fur
fa bouche. C'eft ainfi qu'une fotte rêverie
paffe pour une fpirituelle méditation .
Que de Dames fort eftimables d'ailleurs , à
qui il n'en a jamais coûté qu'une femblable
attitude , pour fe donner dans le monde
la réputation d'êtres penfans !
yeut-on de l'éventail faire quelqu'autre ufage ?
Que l'on me tienne déployé ,
Et qu'alors je fois employé
A cacher , de côté , la moitié du viſage :
Voilà dans un monde poli-,
Et le voile le plus modeſte ,
Et le mafque le plus joli
Pour en faire accroire de refte ,
Aux oncles , aux tuteurs , aux papas , aux ma
mans ,
Aux maris , & même aux amans, -
C'eft ainfi qu'à fa confidente ,
Ou bien à fon héros , une fille prudente
22 MERCURE DE FRANCE.
Parle à l'abri de l'éventail ;
Car on n'affiche plus l'amour à fon de trompe ,
Et ce n'eft plus en gros , meres , que l'on vous
trompe :
On aime à petit bruit , & l'on dupe en détail.
Cette façon de mafque eft encore à l'ufage
des Dames , qui fe difent à l'oreille
de jolis riens ; elles leur donnent par là
un air d'importance & de myftere. Autre
avantage que l'on retire de l'éventail,
Sur l'objet de fa paſſion ,
L'éloquence d'un homme aimable
Fait-elle quelque impreffion ?
On cache une rougeur ou fauffe ou véritable
Avec un éventail , dont on fçait ſe couvrir ;
Et quelquefois auffi c'eft un tour plein d'adrefle
Pour faire deviner des fignes de tendreffe
Que la bouche balance encore à découvrir.
Un jeune Cavalier , moins fage qu'amoureux ¿
Qu'un tendre aveu rend téméraire ,
Ofe-t-il hazarder quelque gefte contraire
A ce que la décence exige de fes feux
Mieux que par une réprimande ,
Par un coup d'éventail , le tendron irrité
En impofe au galant , qui s'étoit écarté
la raifon commande .
De ce que
Mais j'entends que l'on me demande
Si le coup d'éventail eft donné des plus lourds ;
MARS.
23 1755 .
Je réponds : des amans faifons la différence ,
On bat ceux que l'on voit avec indifférence
Mais on fait patte de velours
Sur le galant de préférence ,
Au furplus , cette partie de mon exer
cice eft celle qui demande le plus de précifion
l'amour eft un enfant bien malin ;
fouvent on l'agace en croyant le rebuter ;
c'eſt aux Dames à ne pas s'y méprendre .
:
Que vous dirai-je encore ? je connois
une vieille Marquife , dont la foibleſſe eſt
de vouloir être regardée : elle y réuffic
quelquefois par la fingularité de fon ajuſtement.
Il y a quelque tems qu'elle fe faufila
dans une compagnie de jeunes perfonnes
de l'un & de l'autre fexe ; elle quête
des regards , à peine y fait- on attention :
la pauvre
Marquife
étoit
ifolée
au milieu
de douze
perfonnes
. Pour
derniere
reffource
, elle laiſſe
tomber
fon éventail
;
un jeune
homme
le ramaffe
, le rend poliment
à la Marquife
, & fe tourne
de l'autre
côté. La formalité
remplie
, il ne fut
pas feulement
queſtion
d'un clin d'oeil
, il
fallut
fortir
fans avoir
eu le bonheur
de fe
faire
regarder.
Une jeune Agnès fe fert plus heureuſement
du même ſtratagême ; fon amant lui
écrit , elle fait une réponse ; l'embarras eft
24 MERCURE DE FRANCE.
de la donner fans que l'on s'en apperçoive
; on attend l'occafion que l'on foit à
côté l'un de l'autre : l'Agnès laiffe adroitement
tomber l'éventail , le jeune Cavalier
le ramaffe , le préfente à fa maîtreffe , qui
faifit l'inftant pour lui gliffer dans la main
le billet qu'elle tehoit tout prêt dans la
fienne .
Eh ! que d'autres beautés en uferoient
ainfi !
Quelquefois
il arrive auffi
Qu'avec un air diftrait & fimple en apparence ,
Mais au fond , avec un air fin ,
En fe mettant au jeu , l'on donne à ſon voiſin
L'éventail à garder : aimable préférence !
Enfuite on feint de l'oublier
Lorfqu'à s'expliquer on héfite ,
Et cet heureux oubli fournit au cavalier
Un pretexte innocent de premiere vifite..
En un mot , je n'aurois jamais fait fi je
voulois vous développer dans toutes fes
parties le fublime exercice de l'éventail :
il répond à ceux du chapeau , de la canne ,
& de la tabatiere ; c'eft tout dire.
Et je ne vous parle que de ce que je
fçais , fans compter les méthodes que je
puis ignorer , mes confreres les ayant imaginées
fans moi . Car il eft bon de vous
dire que plufieurs zéphirs ont été tentés ,
fur
MARS . 1755. 25
fur mon exemple d'être métamorphofés en
éventails ; quelques uns par malice , d'autres
pour réparer de bonne foi la réputation
de légereté qui les avoient perdus
auprès des Dames , par les fervices continuels
qu'ils leur rendent ; & les Dames ,
à leur tour , par un motif de reconnoiffance
ou d'intérêt , ne nous abandonnent
pas même dans la faifon où les zéphyrs
font de trop preuve remarquable de toutes
nos autres propriétés,
Que d'éventails grands & petits ,
Pourroient vous raconter la choſe ;
Si tous les inconftans étoient affujettis
A la même métamorphofe ?
On affure même , continua le zéphyr ,
que les Cavaliers François , & fur-tout les
petits-maîtres , ont imaginé depuis peu
de porter en été des éventails de poche .
Après avoir partagé avec les Dames les .
mouches , le rouge , & les ponpons , je ne
crois pas que ces Meffieurs rifquent de
paroître plus ridicules en partageant auffi
l'exercice de l'éventail.
A peine mon zéphyr hiftorien eut - il
achevé ces mots , que je fus abordé par
un grand jeune homme , qu'il me dit être
de robe : il me demanda fi dans ce même
endroit je n'avois pas trouvé par hazard
B
26 MERCURE DE FRANCE .
l'éventail qu'une Dame avoit égaré. Pendant
qu'il me faifoit une longue defcription
de l'éventail , le zéphyr me dit
à l'oreille : voilà le favori de ma maîtreffe ;
c'est une actrice fort aimable : ce jeune
Confeiller l'avoit accompagnée dans ce
bofquet ; mais dès qu'ils ont apperçu certain
plumet , concurrent redoutable pour
un homme de robe , ils fe font levés avec
tant de précipitation que l'éventail eft reſté
fur la place. Cela m'arrive fouvent dans les
tête-à-têtes. Adieu .
Je rendis au Confeiller l'éventail de fa
Déefle , & je me retirai plein de réflexions
qu'une matiere auffi intéreffante ne doit
pas manquer d'infpirer .
Voilà , Mademoiſelle , l'Origine des éventails.
Et voilà , foit dit entre nous •
Ce que je n'aurois point griffonné pour toute autre.
A propos d'éventail , fi l'Amour d'un air doux
Venoit fe mettre à vos genoux ,
Croyez-moi , fervez - vous du vôtre
Pour le repouffer loin de vous ;
Je le connois , le bon apôtre ,
Le plus fage fait bien des fous.
DES EVENTAILS
A MADEMOISELLE ....
•
J'ai cru long moiſelle , qu-teemlses, aévveenctaviolussn,'éMtaodieen-t
autre chofe que l'invention de quelque artifan
affez habile pour avoir fçu (paffez- moi
la métamorphofe ) renfermer des zéphirs
dans un morceau de papier ou de taffetas.
Je n'y vois point d'autre avantage
Pour les Dames , que l'agrément
D'avoir à leur commandement
Le fouffle que zéphir avoit feul en partage
Avant que l'on eut l'art de captiver le vent.
Vous penfiez la même chofe , Mademoifelle
, mais nous ne connoiffions gueres
, ni l'un ni l'autre , la véritable origine
& les magnifiques propriétés des éventails .
J'ai été tiré d'erreur par l'aventure dont je
vous ai promis la narration ; elle vous paroîtra
merveilleufe , mais fongez que la
vérité même a fes merveilles , & que cette
hiftoire peut être vraie , quoiqu'elle ne
paroiffe pas tout-à-fait vraisemblable .
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
J'aime mieux , après tout , une plaifante fable ,
Qui peut mener l'efprit à quelque vérité ,
Que quelque hiftoire véritable ,
Sans but & fans moralité.
y aura un an l'été prochain , qu'après
m'être promené feul dans le Luxembourg
pendant un affez long tems , je fus me repofer
dans un bofquet de cet agréable jardin
, l'un des ornemens de Paris , quoique
la nature feule en faffe les frais , & que
l'art ne fe mette point en peine de le cultiver.
Il étoit près de huit heures du foir ; je
ne m'apperçus point en entrant dans le
bofquet que je marchois fur quelque chofe
; une efpéce de cri me fit regarder à
terre : un éventail fort joli étoit à mes
pieds ; je le ramaffai ; je ne fçais quel mouvement
fecret me fit defirer alors de connoître
la perfonne à qui cet éventail appartenoit.
Peut-être alors mon coeur étoit- il entraîné
Par ce doux inſtinct qui nous guide ,
Quand , par le moindre objet , l'homme eft déter
miné
A voler d'une aîle rapide
Wers le fexe enchanteur pour lequel il eft né.
Quoiqu'il en foit , je m'écriai fur le
MARS.
champ , & fans y penfer : à qui l'éventail ?
perfonne ne m'ayant répondu , j'allois le
mettre dans ma poche , lorfqu'une voix
me cria ; ami , que ne daignes-tu me demander
à moi -même à qui j'appartiens ?
Vous jugez bien , Mademoifelle , que
cette voix me furprit étrangement. Je regardai
de tous côtés , je ne découvris perfonne
l'épouvante commença à fuccéder
à l'étonnement : étoit- ce un démon ? étoitce
un génie ? les uns & les autres habitent
les bofquets. Cette voix n'avoit point un
corps , ou ce corps étoit invifible : dans
cette étrange conjoncture , je me rappellai
le fens du difcours , & mon étonnement
redoubla ; il paroiffoit même que l'éventail
m'avoit apoftrophé : nouveau fujet d'inquiétude
.
» Je vois ta ſurpriſe ( continua la voix ) ;
» c'eſt une preuve de ton ignorance.
Ami , tulanguis , je le voi ,
Dans les préjugés du vulgaire ;
Ton efprit ne recherche & ne découvre en moi
Qu'un inftrument fort ordinaire.
Je fçais qu'un éventail , pour un eſprit borné ,
N'eft qu'un morceau d'ivoire , un taffetas orné
D'une peinture inanimée :
Tandis qu'aux Dames deſtiné
Ce bijou , d'un zéphif , tient l'ame renfermée.
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Ainfi donc , ô mortels ! à l'écorce attachés ,
Vous voyez tout le refte avec indifférence ;
Etfous nombre d'objets fimples en apparence
Vous ne pénétrez pas quels tréfors font cachés .
La voix pourfuivit , affis -toi fur ce ga
zon , approches l'éventail de ton oreille
& redoubles d'attention .
L'éventail que tu tiens n'eft autre chofe
qu'un malheureux zéphir , à qui fon inconftance
a couté cher.
J'aimois Flore , & j'en étois aimé , lorfque
ma légereté naturelle me fit voler vers
Pomone ; je trouvai fon coeur occupé ,
Vertumne étoit heureux .
Après avoir parcouru les états de quelques
autres divinités , je revins à Flore ;
elle m'aimoit toujours , & elle me pardonna
ma petite infidélité.
En amour la défertion
Nous infpire fouvent une ferveur nouvelle
Pour le premier objet de notre paffion.
Ne craignons point l'impreffion
Qu'une infidelité fera fur une belle ,
Pourvû que le bon goût & la réflexion,
Sçache nous ramener à propos auprès d'elle :
De ne faire jamais qu'un choix ,
Belles, fi vos amans fe faifoient une affaire ;
MARS. II 1755.
Votre gloire y perdroit , c'eft une choſe claire ;
De quatre amans , foumis tour à tour à vos loix ,
Il faudroit en retrancher trois.
Il faut bien , pour vous fatisfaire ,
Que notre coeur ait quelquefois
Des facrifices à vous faire.
Suivant cette maxime , mon retour vers
La Déeffe ne me guérit point de l'inconftance
; on eût dit que j'étois né François .
Lorfque je revins à la cour de Flore , j'y
trouvai une jeune nymphe fort aimable ,
& que je n'avois pas encore vûe ; on la
nommoit Aglaé : la voir & l'aimer fut mon
premier mouvement ; le fecond fut de
chercher à lui plaire. Aglaé avoit un coeur
neuf : conquête flatteufe ! je n'épargnai
rien pour me la procurer ; mais ce n'étoit
pas fans précautions : mon humeur volage
avoit rendu Flore clairvoyante.
Ce n'étoit pas une merveille.
Un amour trop certain de fa félicité ,
S'affoupit dans les bras de la fécurité ;
Mais il s'agite & ſe réveille ,
Dès qu'il entend la voix de l'infidelité .
J'étois obfervé de fi près que je fus
bien huit jours entiers à brûler conftamment
fans pouvoir le déclarer à l'aimable
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Aglaé ; cependant au bout de ce long ter
me , Flore ayant été appellée au confeil
des Dieux , pour l'ornement d'une fête que
Jupiter vouloit donner , fon abſence me
laiffa la liberté d'entretenir mon adorable
nymphe : je ne fçais fi elle avoit deviné
que j'aurois à lui parler ; elle fe difpenfa ,
fur quelque prétexte , de fuivre la Déeffe.
Quant à moi je trouvai le fecret de m'échapper
de la falle du confeil olympique ,
& je volai vers Aglaé .
Elle fe promenoit dans les jardins del
Flore : eh quoi ! me dit- elle d'un air tout
charmant , vous n'êtes donc pas refté avec
la Déeffe ? croyez- vous , lui dis- je , ô mon
aimable Aglaé , qu'il y ait des fêtes pour
moi où vous n'êtes pas ? alors je me jettai
à fes genoux , & je lui déclarai avec tranfport
l'amour qu'elle m'avoit infpirée.
Que faites-vous ? s'écria-t elle , que deviendrois-
je fi Flore nous furprenoit enfemble
? Ne craignez rien , chere Aglaé ,
Flore eft retenue dans les cieux ; n'ayez
d'attention que pour un amant qui ne voit
que vous.
Ah ! par une crainte frivole
Pourquoi troublerons -nous ces momens fortunés ?
Déja cet heureux tems s'envole ,
Cruelle , & vous l'empoifonnez.
MARS. 1755 : 13
Hélas ! me répondit Aglaé , avec une
fimplicité trifte & naïve , je vous écoutois
il y a quelques jours parler à Flore , vous
fui juriez un amour éternel , & vous m'aimez
, dites-vous ? Oui , répliquai -je auffitôt
en prenant une de fes belles mains :
oui , belle Aglaé , je vous adore , & je
n'adore que vous feule ; êtes - vous déterminée
à m'ôter tout eſpoir , à moi , l'amant
le plus tendre & le plus fidele qui fut
jamais ?
Sur ces fermens , continua l'Eventail ,
en s'interrompant lui - même , vous me
croyez peut- être le plus traître de tous
les zéphirs , vous m'accufez de perfidie . t.
Mais ce feroit me faire injure ;
L'inconftance eft l'effet d'une invincible loi :
Et l'amant volage eſt parjure
Sans être de mauvaiſe foi.
Cependant le ceeur rempli de ma nouvelle
paffion , j'attendois aux pieds d'Aglaé
qu'elle daignât prononcer mon arrêt : Levez
-vous , me dit - elle , je tremble que
Flore ne furvienne . Eh ! quoi , lui répliquai-
je , toujours des craintes , & pas
le
moindre efpoir ! Que voulez- vous que je
vous dife , me répondit Aglaé , en tourmant
vers moi les plus beaux yeux du monde
? .... Ah ! Zephir , vous avez aimé
12 MERCURE DE FRANCE.
Aglaé ; cependant au bout de ce long ter
me , Flore ayant été appellée au confeil
des Dieux , pour l'ornement d'une fête que
Jupiter vouloit donner , fon abfence me
laiffa la liberté d'entretenir mon adorable
nymphe : je ne fçais fi elle avoit deviné
que j'aurois à lui parler ; elle fe difpenfa ,
fur quelque prétexte , de fuivre la Déeſſe.
Quant à moi je trouvai le fecret de m'échapper
de la falle du confeil olympique ,
& je volai vers Aglaé.
Élle ſe promenoit dans les jardins de
Flore : eh quoi ! me dit- elle d'un air tout
charmant , vous n'êtes donc pas refté avec
la Déeffe ? croyez- vous , lui dis- je , ô mon
aimable Aglaé , qu'il y ait des fêtes pour
moi où vous n'êtes pas ? alors je me jettai
à fes genoux , & je lui déclarai avec tranfport
l'amour qu'elle m'avoit infpirée.
Que faites-vous ? s'écria-t elle , que deviendrois-
je fi Flore nous furprenoit enfemble
? Ne craignez rien , chere Aglaé ,
Flore eft retenue dans les cieux ; n'ayez
d'attention que pour un amant qui ne voit
que vous.
Ah ! par une crainte frivole
Pourquoi troublerons-nous ces momens fortunés ?
Déja cet heureux tems s'envole ,
Cruelle , & vous l'empoifonnez.
MARS . 1755: 13
Hélas ! me répondit Aglaé , avec une
fimplicité trifte & naïve , je vous écoutois
il y a quelques jours parler à Flore , vous
fui
juriez un amour éternel , & vous m'aimez
, dites-vous ? Oui , répliquai-je auffitôt
en prenant une de fes belles mains
oui , belle Aglaé , je vous adore , & je
n'adore que vous feule ; êtes- vous déterminée
à m'ôter tout eſpoir , à moi , l'amant
le plus tendre & le plus fidele qui fut
jamais ?
Sur ces fermens , continua l'Eventail ,
en s'interrompant lui - même , vous me
croyez peut-être le plus traître de tous
les zéphirs , vous m'accufez de perfidie.
Mais ce feroit me faire injure ;
L'inconftance eft l'effet d'une invincible loi :
Et l'amant volage eft parjure
Sans être de mauvaiſe foi.
Cependant le ceeur rempli de ma nouvelle
paffion , j'attendois aux pieds d'Aglaé
qu'elle daignât prononcer mon arrêt : Levez
- vous , me dit - elle , je tremble que
Flore ne furvienne . Eh ! quoi , lui répliquai-
je , toujours des craintes , & pas
moindre efpoir ! Que voulez- vous que je
vous dife , me répondit Aglaé , en tourmant
vers moi les plus beaux yeux du monde
? .... Ah ! Zephir , vous avez aimé
le
14 MERCURE DE FRANCE.
1
Flore ..... que je ferois à plaindre fi vous
changiez une feconde fois ! A ces mots
elle difparut.
Depuis ce moment elle m'évitoit , elle
s'obfervoit elle - même , elle fembloit fe repentir
d'une indifcrétion ; enforte que je
fus quelques jours fans pouvoir m'affurer
plus pofitivement de fes difpofitions à mon
égard : peut-être , me répondrez - vous ,
qu'elle m'en avoit affez dit à
Mais quel eft l'aveu favorable
Qui foit , je ne dis pas égal , mais comparable
A ce je vous aime charmant
Que l'on trouve fi defirable ?
Ces trois mots échappés d'une bouche adorable ,
Peuvent feuls contenter la maîtreffe & l'amant .
L'attente d'un aveu fi cher m'avoit rendu
rêveur contre mon ordinaire . Ma rêverie
me conduifit un jour dans une allée
fombre où le promenoit Aglaé. Dès qu'elle
me vit , elle entra , pour m'éviter , dans un
cabinet de rofiers , voifin d'un bofquet de
myrtes , où Flore alloit quelquefois fe repofer.
La jeune Nymphe ne foupçonnoit
pas que je l'euffe apperçue : j'étois à fes
genoux avant qu'elle eût fongé à m'ordonner
de me retirer . Elle voulut fortir ; je
Parrêtai : Ne craignez rien , lui dis-je , belle
Aglaé !
MARS . 1755.
Que mon empreffement ne vous foit point fufpect
:
Ma tendreffe pour vous eft pure & légitime ;
Le véritable amour est fondé fur l'eftime ,
Et l'eftime eft fuivie en tout tems du reſpect.
- Elle parut fe raffurer : une défiance affectée
eft fouvent plus dangereufe dans ces
occafions qu'une noble confiance mêlée
d'une fierté qui en impoſe à l'amant le plus
empreffé.
Je me défierois d'une prude
Qui me quitteroit brufquement ,
Ou me chafferoit d'un air rude ;
La vertu bien fincere agit tout fimplement.
4
Nous nous mîmes à caufer tranquillement.
Aglaé continua de cueillir des rofes
pour s'en faire un bouquet. J'en avois apperçu
une , la plus belle du monde , dans
un coin du cabinet : j'allois la cueillir
lorfqu'une épine me piqua fi vivement
qu'il m'échappa une plainte que la tendre
Aglaé accompagna d'un cri,: tous deux
nous trahirent .
Hélas ! les rofes les plus belles ,
Et qui par leur éclat charment le plus nos yeux ,
Cachent aux regards curieux
Les épines les plus cruelles.
16 MERCURE DE FRANCE.
Le plus fage feroit de n'en point approcher.
Mais , quoi ! de tant d'attraits le ciel les a pour
vûes ,
Que du moment qu'on les a vûes
On rifque tout pour les toucher .
Flore dormoit dans le bofquet demyrte ;
le cri d'Aglaé la réveilla ; elle accourut dans
le cabinet des rofiers : Dieux ! quel fut fon
étonnement ! Aglaé étoit affife fur un banc
de gazon , j'étois à genoux devant elle ,
tandis qu'avec un mouchoir de mouffeline
, l'aimable Nymphe fe hâtoit d'étancher
le fang qui fortoit de la piquûre que
je m'étois faire : la bleffure en elle-même
étoit peu de chofe ; mais eft - il de légers
accidens en amour ? Aglaé découvroit dans
fon action cet empreffement mêlé de crainte
que l'on a dans ces fortes d'occafions
pour les perfonnes que l'on aime.
En amour , le péril eft la pierre de touche :
Alors , quoiqu'une belle ait formé le projet
De tenir en filence & fes yeux & fa bouche ;
Dans le moindre accident qui frappe un cher ob
jet ,
L'ame fe réunit à celle qui la touche , :
Et la beauté la plus farouche
De fes craintes bientôt découvre le fujet.
Cette entrevûe auffi fatale pour nous
MARS. 1755. 17
que pour la Déeffe , ne fit que juftifier des
foupçons qu'elle avoit déja conçus : elle
diffimula cependant , & parut même plus
tranquille fur mon compte ; mais elle méditoit
une vengeance qui devoir m'ôter
pour toujours le defir , ou , fi vous voulez
, le plaifir de changer .
Quelques jours après cet incident , Flore
fit avertir Aglaé de venir lui parler en
particulier la pauvre Nymphe obéit en
tremblant. Raffurez- vous , lui dit -elle , je
ne veux point vous faire de mal ; je fuis
charmée , puifque Zéphir m'abandonne
que ce foit du moins pour une perfonne
qui le mérite. Mais , Aglaé , quand vous
lui avez permis quelque efpérance , avez .
vous bien refléchi fur le caractere de votre
amant ? les fermens qu'il vous a faits fans
doute , ne me les avoit- il pas faits à moi
même ? que dis-je ? ne me les avoit- il pas
mille fois réitérés ? avez - vous plus d'em
pire fur lui que je crois en avoir ? & s'il
change encore quelle fera votre deftinée
?
>
Au commencement de ce difcours
Aglaé n'avoit reffenti que de la confufion :
ces derniers mots lui firent répandre des
larmes ; elles furent fa réponſe.
Je vous plains d'autant plus , continua
la Déeffe , que vous aimez de bonne foi
18 MERCURE DE FRANCE.
le plus volage de tous les amans ; il eft cependant
pour vous un moyen de prévenir
fon infidélité. On vient de me faire préfent
d'une petite baguette d'ivoire qui a
la vertu de fixer les inconftans : je vous
la donne , j'en aurois fait ufage pour moimême
, fi Zéphir ne m'eût point quittée
pour vous : il n'eft plus tems , & peut-être
même que demain il feroit trop tard pour
vous.
Incapable de trahisons ;
La fincere vertu l'eft auffi de foupçons.
Aglaé ne vit dans cette offre de Flore
qu'une marque de protection . Elle fortit
après avoir baifé la main de la Déeffe
avec le témoignage de la plus vive reconnoiſſance
. Hélas ! elle ne prévoyoit pas
combien ce préfent alloit nous être fatal
à tous les deux .
Elle accourut d'un air gai me faire part de
la prétendue clémence de Flore ; mais elle
ne me dit rien de la fatale baguette, dans la
crainte apparemment d'en empêcher l'effet .
Je ne me défiois de rien : la gaité d'Aglaé
me charmoit ; je me mis à folâtrer avec
elle : j'apperçus la petite baguette d'ivoire ,
je la trouvai jolie : je voulus la dérober ' ;
Aglaé la retint , elle m'en donna en badiMARS.
1755 . 19
nant de petits coups fur les ailes : funefte
badinage !
A peine cus-je été frappé du fatal préfent
de Flore , qu'il fe fit en moi une métamorphofe
auffi prompte que prodigieufe.
La baguette enchantée fe fendit en plu
fieurs petites languettes minces qui forment
les bâtons que vous tenez : mes aîles
s'étant réunies auffi - tôt , fe colerent fur
l'ivoire , & formerent ce que l'on appelle
vulgairement un éventail fuis toujours
Zéphir , quoique j'aie perdu mon ancienne
forme.
En fuis-je donc moins eftimable
N'ai- je pas confervé l'heureufe faculté
De répandre dans l'air cette fraîcheur aimable
Qui défend la beauté
Contre les chaleurs de l'été ?
En vain l'aftre du jour veut lui faire la guerre ,
J'ai l'art de l'en débarraffer.
Ce font toujours les fleurs que j'aime à careffer ;
Non celles qu'autrefois j'aimois dans un parterre ,
Mais celles que les Dieux ont pris foin de verfer
Sur le teint éclatant des Reines de la terre.
Mon changement en éventail fut pour
Aglaé le coup le plus terrible . J'ai fçu depuis
qu'elle n'avoit pû furvivre à mon
malheur , & j'ofe ajouter au fien . Pou
20 MERCURE DE FRANCE.
voit elle defirer de me fixer à ce prix ?
J'ai paffé en différentes mains depuis ma
métamorphofe ; les Dieux m'ont laiffé l'ufage
de la parole pour inftruire l'univers
de mon origine & de mes différentes propriétés.
Comment ( dis- je au Zéphir métamor
phofé ) , vous fervez donc à plus d'une
chofe ?
Que tu es novice , me répondit-il , Â
tu ignores en combien de manieres je puiš
être utile au beau fexe !
Vas , crois- moi , ce feroit trop peu pour
les Dames de n'avoir en moi qu'un zéphir
à leurs ordres , il eft des occafions où je
leur fuis d'une toute autre utilité.
Croirois-tu , par exemple , que j'ai bonne
part à certaines converfations ? Il y a
quelque tems que j'appartenois à une jeune
veuve , qui dans ces fortes de cas
fe fervoit de moi merveilleufement bien.
Comme elle a de la beauté , mais peu
d'efprit ,
S'entend-elle agacer par quelque compliment
Elle répond fuccintement ;
Mais elle fçait en récompenſe
Badiner fort éloquemment
Avec fon éventail , dont le jeu la difpenfe
De s'énoncer plus clairement :
MARS. 1755. 21
O! l'agréable truchement !
Sans faire plus grande dépenſe
Et d'efprit & de jugement ,
Dans un cercle , Cloris fe donne adroitement
L'air d'une perfonne qui penſe ;
Et l'évantail alors fert admirablement.
Elle le tient appuyé fur fes levres , à peu
près dans l'attitude du Dieu du filence repréfenté
tenant un cachet ou fon doigt fur
fa bouche. C'eft ainfi qu'une fotte rêverie
paffe pour une fpirituelle méditation .
Que de Dames fort eftimables d'ailleurs , à
qui il n'en a jamais coûté qu'une femblable
attitude , pour fe donner dans le monde
la réputation d'êtres penfans !
yeut-on de l'éventail faire quelqu'autre ufage ?
Que l'on me tienne déployé ,
Et qu'alors je fois employé
A cacher , de côté , la moitié du viſage :
Voilà dans un monde poli-,
Et le voile le plus modeſte ,
Et le mafque le plus joli
Pour en faire accroire de refte ,
Aux oncles , aux tuteurs , aux papas , aux ma
mans ,
Aux maris , & même aux amans, -
C'eft ainfi qu'à fa confidente ,
Ou bien à fon héros , une fille prudente
22 MERCURE DE FRANCE.
Parle à l'abri de l'éventail ;
Car on n'affiche plus l'amour à fon de trompe ,
Et ce n'eft plus en gros , meres , que l'on vous
trompe :
On aime à petit bruit , & l'on dupe en détail.
Cette façon de mafque eft encore à l'ufage
des Dames , qui fe difent à l'oreille
de jolis riens ; elles leur donnent par là
un air d'importance & de myftere. Autre
avantage que l'on retire de l'éventail,
Sur l'objet de fa paſſion ,
L'éloquence d'un homme aimable
Fait-elle quelque impreffion ?
On cache une rougeur ou fauffe ou véritable
Avec un éventail , dont on fçait ſe couvrir ;
Et quelquefois auffi c'eft un tour plein d'adrefle
Pour faire deviner des fignes de tendreffe
Que la bouche balance encore à découvrir.
Un jeune Cavalier , moins fage qu'amoureux ¿
Qu'un tendre aveu rend téméraire ,
Ofe-t-il hazarder quelque gefte contraire
A ce que la décence exige de fes feux
Mieux que par une réprimande ,
Par un coup d'éventail , le tendron irrité
En impofe au galant , qui s'étoit écarté
la raifon commande .
De ce que
Mais j'entends que l'on me demande
Si le coup d'éventail eft donné des plus lourds ;
MARS.
23 1755 .
Je réponds : des amans faifons la différence ,
On bat ceux que l'on voit avec indifférence
Mais on fait patte de velours
Sur le galant de préférence ,
Au furplus , cette partie de mon exer
cice eft celle qui demande le plus de précifion
l'amour eft un enfant bien malin ;
fouvent on l'agace en croyant le rebuter ;
c'eſt aux Dames à ne pas s'y méprendre .
:
Que vous dirai-je encore ? je connois
une vieille Marquife , dont la foibleſſe eſt
de vouloir être regardée : elle y réuffic
quelquefois par la fingularité de fon ajuſtement.
Il y a quelque tems qu'elle fe faufila
dans une compagnie de jeunes perfonnes
de l'un & de l'autre fexe ; elle quête
des regards , à peine y fait- on attention :
la pauvre
Marquife
étoit
ifolée
au milieu
de douze
perfonnes
. Pour
derniere
reffource
, elle laiſſe
tomber
fon éventail
;
un jeune
homme
le ramaffe
, le rend poliment
à la Marquife
, & fe tourne
de l'autre
côté. La formalité
remplie
, il ne fut
pas feulement
queſtion
d'un clin d'oeil
, il
fallut
fortir
fans avoir
eu le bonheur
de fe
faire
regarder.
Une jeune Agnès fe fert plus heureuſement
du même ſtratagême ; fon amant lui
écrit , elle fait une réponse ; l'embarras eft
24 MERCURE DE FRANCE.
de la donner fans que l'on s'en apperçoive
; on attend l'occafion que l'on foit à
côté l'un de l'autre : l'Agnès laiffe adroitement
tomber l'éventail , le jeune Cavalier
le ramaffe , le préfente à fa maîtreffe , qui
faifit l'inftant pour lui gliffer dans la main
le billet qu'elle tehoit tout prêt dans la
fienne .
Eh ! que d'autres beautés en uferoient
ainfi !
Quelquefois
il arrive auffi
Qu'avec un air diftrait & fimple en apparence ,
Mais au fond , avec un air fin ,
En fe mettant au jeu , l'on donne à ſon voiſin
L'éventail à garder : aimable préférence !
Enfuite on feint de l'oublier
Lorfqu'à s'expliquer on héfite ,
Et cet heureux oubli fournit au cavalier
Un pretexte innocent de premiere vifite..
En un mot , je n'aurois jamais fait fi je
voulois vous développer dans toutes fes
parties le fublime exercice de l'éventail :
il répond à ceux du chapeau , de la canne ,
& de la tabatiere ; c'eft tout dire.
Et je ne vous parle que de ce que je
fçais , fans compter les méthodes que je
puis ignorer , mes confreres les ayant imaginées
fans moi . Car il eft bon de vous
dire que plufieurs zéphirs ont été tentés ,
fur
MARS . 1755. 25
fur mon exemple d'être métamorphofés en
éventails ; quelques uns par malice , d'autres
pour réparer de bonne foi la réputation
de légereté qui les avoient perdus
auprès des Dames , par les fervices continuels
qu'ils leur rendent ; & les Dames ,
à leur tour , par un motif de reconnoiffance
ou d'intérêt , ne nous abandonnent
pas même dans la faifon où les zéphyrs
font de trop preuve remarquable de toutes
nos autres propriétés,
Que d'éventails grands & petits ,
Pourroient vous raconter la choſe ;
Si tous les inconftans étoient affujettis
A la même métamorphofe ?
On affure même , continua le zéphyr ,
que les Cavaliers François , & fur-tout les
petits-maîtres , ont imaginé depuis peu
de porter en été des éventails de poche .
Après avoir partagé avec les Dames les .
mouches , le rouge , & les ponpons , je ne
crois pas que ces Meffieurs rifquent de
paroître plus ridicules en partageant auffi
l'exercice de l'éventail.
A peine mon zéphyr hiftorien eut - il
achevé ces mots , que je fus abordé par
un grand jeune homme , qu'il me dit être
de robe : il me demanda fi dans ce même
endroit je n'avois pas trouvé par hazard
B
26 MERCURE DE FRANCE .
l'éventail qu'une Dame avoit égaré. Pendant
qu'il me faifoit une longue defcription
de l'éventail , le zéphyr me dit
à l'oreille : voilà le favori de ma maîtreffe ;
c'est une actrice fort aimable : ce jeune
Confeiller l'avoit accompagnée dans ce
bofquet ; mais dès qu'ils ont apperçu certain
plumet , concurrent redoutable pour
un homme de robe , ils fe font levés avec
tant de précipitation que l'éventail eft reſté
fur la place. Cela m'arrive fouvent dans les
tête-à-têtes. Adieu .
Je rendis au Confeiller l'éventail de fa
Déefle , & je me retirai plein de réflexions
qu'une matiere auffi intéreffante ne doit
pas manquer d'infpirer .
Voilà , Mademoiſelle , l'Origine des éventails.
Et voilà , foit dit entre nous •
Ce que je n'aurois point griffonné pour toute autre.
A propos d'éventail , fi l'Amour d'un air doux
Venoit fe mettre à vos genoux ,
Croyez-moi , fervez - vous du vôtre
Pour le repouffer loin de vous ;
Je le connois , le bon apôtre ,
Le plus fage fait bien des fous.
Fermer
Résumé : L'ORIGINE DES EVENTAILS, A MADEMOISELLE .....
Le texte narre l'origine des éventails, racontée par un homme à une demoiselle. Initialement, l'homme pensait que les éventails servaient uniquement à capturer le vent pour le plaisir des dames. Cependant, il découvre la véritable origine des éventails à travers une aventure merveilleuse mais vraisemblable. Un jour, l'homme trouve un éventail dans un bosquet du Luxembourg. Une voix invisible, celle de l'éventail lui-même, lui raconte son histoire. L'éventail était autrefois un zéphyr, un vent léger, qui aimait la déesse Flore. Par inconstance, il tomba amoureux de Pomone, mais revint ensuite à Flore. Plus tard, il s'éprit de la nymphe Aglaé, ce qui provoqua la jalousie de Flore. Lors d'une fête des dieux, le zéphyr déclara son amour à Aglaé, mais celle-ci, craignant la colère de Flore, hésita. Finalement, Aglaé disparut, laissant le zéphyr malheureux. Pour punir son inconstance, le zéphyr fut transformé en éventail, emprisonnant ainsi son esprit volage dans un objet. La déesse Flore, jalouse, découvrit la relation entre Aglaé et Zéphir. Pour se venger, elle offrit à Aglaé une baguette d'ivoire enchantée, censée fixer les inconstants. Aglaé, ignorante des intentions malveillantes de Flore, accepta le présent. Zéphir, attiré par la baguette, la toucha et se métamorphosa en éventail. Cette transformation fut fatale pour Aglaé, qui ne survécut pas à la perte de Zéphir. L'éventail, doté de la parole, explique ses multiples usages et utilités. Il sert à dissimuler des émotions, à communiquer discrètement, et à jouer divers rôles dans les interactions sociales. Les dames l'utilisent pour se protéger des regards indiscrets et pour envoyer des signaux subtils. Le texte se termine par une réflexion sur les éventails et leurs rôles dans la société, illustrée par des anecdotes et des observations sur leur usage.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
421
p. 27-29
A MADEMOISELLE D. L. R.
Début :
Le tendre Dieu qu'on adore à Cythere, [...]
Mots clefs :
Traits, Yeux, Dieu, Amour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : A MADEMOISELLE D. L. R.
A MADEMOISELLE D. L. R.
LE tendte Dieu qu'on adore à Cythere ,
Des foins du trône un jour ſe trouva las :
Car fur le trône , en dépit du vulgaire ,
Le vrai bonheur ne fe rencontre pas.
L'Amour voyoit de fon heureux empire ,
De jour en jour les bornes s'élargir :
Le pauvre Dieu n'y pouvoit plus fuffire ,
Et ne fçavoit fur quel pied fe tenir.
On dit qu'enfin il fut trouver la mere ,
Qui repofoit , non pas entre deux draps ,
Mais fur un lit de naiffante fougere ;
En larmoyant il lui conte le cas .
Dans les beaux yeux la trifteffe étoit peinte ,
Il ne pouvoit en fupporter le poids.
Il termina fa touchante complainte
En dépofant & fleches & carquois.
Il eſpéroit , dans un rang plus modefte ,
Trouver enfin la fource du bonheur.
Vénus fourit , & fon fouris céleſte
De Cupidon allégea la douleur.
Allez , mon fils , retournez à Cythere ,
Dit la Déeffe , & dans peu mes bienfaits_
Vous apprendront que je fuis votre mere.
En d'autres mains je remettrai vos traits ;
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Ces traits vainqueurs , dont la trifte puiffance
A de foucis empoisonné vos jours .
2
2
Le Dieu content applaudit en filence ;
Puis embraffant la Reine des amours
Les yeux baiffés , s'envole à tire d'aîle ,
Rempli d'efpoir & de férénité ,
Se repofant fur bonté maternelle,
Vénus alors , avec tranquillité ,
Fit l'examen de l'affaire nouvelle ;
Et tôt après convoqua fon confeil..
Les ris , lesjeux , fon cortege fidele ,
Vinrent en foule en fuperbe appareil .
Enfuite on vit les trois Graces paroître ;
Sur leurs appas on les complimenta :
De la fleurette on eût paflé peut - être
A d'autres faits , quand Vénus arrêta
Les complimens . On fait un grand filence ;
Et la Déeffe expofe en abrégé
Le cas fufdit à toute l'affiftance .
Le fentiment ſe trouve partagé.
1
Nul n'eft d'accord ; on raifonne , on opine ;
Et le defordre alloit toujours croiffant :
Quand tout-à- coup , la fçavante Euphrofine
deux mots ceffer le différend .
Fit
par
Tel on nous peint le Mentor pacifique ,
Qui defarma la rage des foldats ,
Et fit enfin , par un trait politique ,
Naître la paix au milieu des combats.
Donnez , dit- elle , à la jeune Thémire ,
MARS . 29 1755.
De Cup idon les redoutables traits .
De fes beaux yeux , de fon tendre fourire ,
Ja plus d'un coeur a fenti les effets ;
Mais quand ces traits feront en ſa puiſſance ,
L'Amour fera de foins débarraffé .
Sur ce fujet ( foit dit fans conféquence )
C'eſt le parti , je crois , le plus fenfé.
Ainfi finit fon difcours laconique ,
Et de bon coeur tout le monde applaudit ;
Car en ce tems la jaloufe critique
Chez les Amours n'avoit aucun crédit.
On donna donc à l'aimable Thémire
Les traits d'Amour , & bientôt les mortels ,
Soumis aux loix de fon nouvel empire ,
Vinrent en foule encenfer fes autels.
LE tendte Dieu qu'on adore à Cythere ,
Des foins du trône un jour ſe trouva las :
Car fur le trône , en dépit du vulgaire ,
Le vrai bonheur ne fe rencontre pas.
L'Amour voyoit de fon heureux empire ,
De jour en jour les bornes s'élargir :
Le pauvre Dieu n'y pouvoit plus fuffire ,
Et ne fçavoit fur quel pied fe tenir.
On dit qu'enfin il fut trouver la mere ,
Qui repofoit , non pas entre deux draps ,
Mais fur un lit de naiffante fougere ;
En larmoyant il lui conte le cas .
Dans les beaux yeux la trifteffe étoit peinte ,
Il ne pouvoit en fupporter le poids.
Il termina fa touchante complainte
En dépofant & fleches & carquois.
Il eſpéroit , dans un rang plus modefte ,
Trouver enfin la fource du bonheur.
Vénus fourit , & fon fouris céleſte
De Cupidon allégea la douleur.
Allez , mon fils , retournez à Cythere ,
Dit la Déeffe , & dans peu mes bienfaits_
Vous apprendront que je fuis votre mere.
En d'autres mains je remettrai vos traits ;
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Ces traits vainqueurs , dont la trifte puiffance
A de foucis empoisonné vos jours .
2
2
Le Dieu content applaudit en filence ;
Puis embraffant la Reine des amours
Les yeux baiffés , s'envole à tire d'aîle ,
Rempli d'efpoir & de férénité ,
Se repofant fur bonté maternelle,
Vénus alors , avec tranquillité ,
Fit l'examen de l'affaire nouvelle ;
Et tôt après convoqua fon confeil..
Les ris , lesjeux , fon cortege fidele ,
Vinrent en foule en fuperbe appareil .
Enfuite on vit les trois Graces paroître ;
Sur leurs appas on les complimenta :
De la fleurette on eût paflé peut - être
A d'autres faits , quand Vénus arrêta
Les complimens . On fait un grand filence ;
Et la Déeffe expofe en abrégé
Le cas fufdit à toute l'affiftance .
Le fentiment ſe trouve partagé.
1
Nul n'eft d'accord ; on raifonne , on opine ;
Et le defordre alloit toujours croiffant :
Quand tout-à- coup , la fçavante Euphrofine
deux mots ceffer le différend .
Fit
par
Tel on nous peint le Mentor pacifique ,
Qui defarma la rage des foldats ,
Et fit enfin , par un trait politique ,
Naître la paix au milieu des combats.
Donnez , dit- elle , à la jeune Thémire ,
MARS . 29 1755.
De Cup idon les redoutables traits .
De fes beaux yeux , de fon tendre fourire ,
Ja plus d'un coeur a fenti les effets ;
Mais quand ces traits feront en ſa puiſſance ,
L'Amour fera de foins débarraffé .
Sur ce fujet ( foit dit fans conféquence )
C'eſt le parti , je crois , le plus fenfé.
Ainfi finit fon difcours laconique ,
Et de bon coeur tout le monde applaudit ;
Car en ce tems la jaloufe critique
Chez les Amours n'avoit aucun crédit.
On donna donc à l'aimable Thémire
Les traits d'Amour , & bientôt les mortels ,
Soumis aux loix de fon nouvel empire ,
Vinrent en foule encenfer fes autels.
Fermer
Résumé : A MADEMOISELLE D. L. R.
Le texte décrit une conversation entre Cupidon et Vénus. Cupidon, las de son rôle sur le trône de Cythère, exprime son désir de trouver le bonheur et remet ses flèches et son carquois à sa mère. Vénus, compréhensive, lui conseille de retourner à Cythère et lui promet des bienfaits. Elle décide de confier les traits de Cupidon à une jeune femme nommée Thémire, reconnue pour son influence sur les cœurs. Après un débat au sein du conseil de Vénus, la sage Euphrosine propose cette solution, qui est approuvée par tous. Thémire reçoit donc les traits de Cupidon, et les mortels se soumettent à son nouvel empire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
422
p. 5-7
EPITRE A M. DESMAHIS, Par M. ***
Début :
Quittez la palette légere, [...]
Mots clefs :
Amour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EPITRE A M. DESMAHIS, Par M. ***
EPITRE
A M. DES MAHIS ,
Qu
Par M. ***
Uittez la palette légere ,
Où l'amour broye encor vos plus belles couleurs;
Appellé par Thalie à de plus grands honneurs ,
Il eft tems qu'aujourd'hui d'une main plus févere,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Pour achever la peinture des moeurs
Vous repreniez le pinceau de Moliere.
Laiffez - moi des amans le tendre caractere ;
C'eſt à moi qu'il convient de chanter leurs douceurs
,
Moi qui toute la vie auprès d'une bergere
Ai porté la houlette & le chapeau de fleurs.
Tandis qu'au fein de la molleffe ,
Fuyant la table ouverte & le fouper prié ,
Vous accordez vos jours à l'amitié ,
Et confacrez vos nuits à la tendreffe ,
L'honnête homme en tous lieux ſe voit humilié
Par mille fots de toute espece.
Effain fâcheux qui , trop multiplié ,
Abuſe de votre pareſſe ,
Et qui par fes fuccès fe croit juftifié.
Voyez paffer Cléon , fa fuperbe voiture
Le mene avec fracas chez Life , chez T ....
C'eft , à l'entendre , encore une aventure ;
Sa vifite eft un rendez - vous ...
Et c'eft enfin pour lui qu'on les a quitté tous.
Regardez la jeune Glycere ,
Qui dans la crainte des jaloux ,
Ecoute en même tems l'Abbé , le Militaire ,
Le Magiftrat , l'homme d'affaire ,
Quelquefois même ſon époux ,
Sans les aimer & fans leur plaire.
Par cette efquifle trop légere
D'originaux qu'on ne peut corriger ,
AVRI L.
7: ∙1755.
Ami charmant , c'eft à vous de juger
Des portraits qu'il vous reſte à faire ,
Pour les punir & nous venger.
Peignez auffi l'infenfible coquette
Qui veut plaire toujours fans jamais s'engager ,
La dédaigneufe & l'indifcrette ,
L'ami trompeur , avec l'amant léger.
Si pourtant quelquefois , pour toucher une belle
Vous voulez peindre encor le tendre ſentiment ,
L'amour heureux avec l'amour fidele ,
-Venez chez moi , mon Eglé vous appelle ;
Vousy verrez avec quel agrément
Cette jeune beauté , toujours vive & nouvelle ,
Entre le goût & l'enjouement ,
Sçait enchanter les jours que je paffe auprès
d'elle .....
Mais je vois qu'infenfiblement
Je vous ramene à la tendreffe .
Ah ! pardonnez ce mouvement
D'un amant trop épris qui , plein de fon yvreffe ,
Vous écrit même en ce moment
Sur les genoux de fa maîtreffe.
A M. DES MAHIS ,
Qu
Par M. ***
Uittez la palette légere ,
Où l'amour broye encor vos plus belles couleurs;
Appellé par Thalie à de plus grands honneurs ,
Il eft tems qu'aujourd'hui d'une main plus févere,
A iij
6 MERCURE DE FRANCE .
Pour achever la peinture des moeurs
Vous repreniez le pinceau de Moliere.
Laiffez - moi des amans le tendre caractere ;
C'eſt à moi qu'il convient de chanter leurs douceurs
,
Moi qui toute la vie auprès d'une bergere
Ai porté la houlette & le chapeau de fleurs.
Tandis qu'au fein de la molleffe ,
Fuyant la table ouverte & le fouper prié ,
Vous accordez vos jours à l'amitié ,
Et confacrez vos nuits à la tendreffe ,
L'honnête homme en tous lieux ſe voit humilié
Par mille fots de toute espece.
Effain fâcheux qui , trop multiplié ,
Abuſe de votre pareſſe ,
Et qui par fes fuccès fe croit juftifié.
Voyez paffer Cléon , fa fuperbe voiture
Le mene avec fracas chez Life , chez T ....
C'eft , à l'entendre , encore une aventure ;
Sa vifite eft un rendez - vous ...
Et c'eft enfin pour lui qu'on les a quitté tous.
Regardez la jeune Glycere ,
Qui dans la crainte des jaloux ,
Ecoute en même tems l'Abbé , le Militaire ,
Le Magiftrat , l'homme d'affaire ,
Quelquefois même ſon époux ,
Sans les aimer & fans leur plaire.
Par cette efquifle trop légere
D'originaux qu'on ne peut corriger ,
AVRI L.
7: ∙1755.
Ami charmant , c'eft à vous de juger
Des portraits qu'il vous reſte à faire ,
Pour les punir & nous venger.
Peignez auffi l'infenfible coquette
Qui veut plaire toujours fans jamais s'engager ,
La dédaigneufe & l'indifcrette ,
L'ami trompeur , avec l'amant léger.
Si pourtant quelquefois , pour toucher une belle
Vous voulez peindre encor le tendre ſentiment ,
L'amour heureux avec l'amour fidele ,
-Venez chez moi , mon Eglé vous appelle ;
Vousy verrez avec quel agrément
Cette jeune beauté , toujours vive & nouvelle ,
Entre le goût & l'enjouement ,
Sçait enchanter les jours que je paffe auprès
d'elle .....
Mais je vois qu'infenfiblement
Je vous ramene à la tendreffe .
Ah ! pardonnez ce mouvement
D'un amant trop épris qui , plein de fon yvreffe ,
Vous écrit même en ce moment
Sur les genoux de fa maîtreffe.
Fermer
Résumé : EPITRE A M. DESMAHIS, Par M. ***
L'épître est adressée à M. Des Mahis, l'incitant à abandonner les thèmes légers de l'amour pour se tourner vers des sujets plus nobles, tels que les mœurs, en s'inspirant de Molière. L'auteur se réserve le droit de traiter des douceurs des amants, ayant vécu auprès d'une bergère. Il décrit ensuite divers comportements des honnêtes gens, humiliés par leurs défauts, comme Cléon qui se vante de ses visites, et Glycère qui écoute plusieurs hommes sans les aimer. L'auteur suggère à Des Mahis de peindre ces portraits pour les punir et se venger. Il propose également de représenter des personnages tels que la coquette, la dédaigneuse, l'indifférente, l'ami trompeur et l'amant léger. Pour illustrer l'amour heureux et fidèle, l'auteur invite Des Mahis à observer Églé, une jeune beauté qui l'enchante. Enfin, l'auteur s'excuse de revenir à la tendresse, expliquant qu'il écrit sous l'influence de sa maîtresse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
423
p. 64-79
« LE SERIN DE CANARIE, Poëme, ouvrage dans un genre nouveau pour la [...] »
Début :
LE SERIN DE CANARIE, Poëme, ouvrage dans un genre nouveau pour la [...]
Mots clefs :
Genre, Poème, Genre nouveau, Serin, Amour, Auteur, Gloire, Époux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « LE SERIN DE CANARIE, Poëme, ouvrage dans un genre nouveau pour la [...] »
LE SERIN DE CANARIE , Poëme ;
ouvrage dans un genre nouveau pour la
Poësie françoife , qui , à l'aide de quelques
notes , forme un traité complet & très- fûr
AVRIL. 1755. 65
pour élever les ferins . A Londres , 1755.
Cet effai m'a paru mériter l'approbation
du public , par le fond qui eft agréable , &
par la forme qui he l'eft pas moins . Il me
femble que l'auteur qui a la modeftie de ne
pas fe nommer , a bien faifi le ton de verfification
convenable au genre de poëme
qu'il a entrepris ; c'eft cette élégante fimplicité
fi propre à peindre les petites chofes
, & qui feule à l'art de les ennoblir :
les anciens y excelloient ; il les a pris pour
modeles , & je trouve qu'il y a fouvent
réuffi . Pour juftifier mon fentiment , je vais
citer quelques endroits de fon poëme : je
commence par fon début .
a
Toi , dont les doux accens divertiffent ma Muſe ,
Dont l'organe enchanteur & l'infpire & l'amufe ,
Et qui montes ma lyre au fon de tes concerts ,
C'eſt toi , charmant ferin , que célébrent mes vers.
Mufe , chante avec moi fon port plein de nobleffe
,
Son air plein de candeur & mêlé de fineffe ,
Le doux feu de fes yeux ennemis du fommeil ,
Son plumage ſemblable au plus brillant vermeil ;
L'éclat de la blancheur à propos ménagée ,
Ses pannaches pompeux , fa taille dégagée :
Peux-tu trouver ailleurs un plus charmant plaifir
Mais fur toute l'efpéce , égayant ton loiſir ,
Apprens-moi le fecret d'étendre leur lignage ;
66 MERCURE DE FRANCE.
Enſeignes comment l'art embellit leur ramage ,
Comment leurs petits jeux peuvent dédommager
La main qui tous les jours leur préfente à manger ;
Et dans les tems obfcurs portant un oeil critique ,
Chante leur origine auffi noble qu'antique.
Voilà le plan de l'ouvrage heureusement
détaillé.
L'auteur fait ainfi l'éloge du mâle , qui
ne tourne pas à la gloire du beau fexe.
C'eſt du mâle fur-tout que l'humeur eft aimable.
Son épouſe fantafque & fouvent intraitable ,
Dans les mornes accès d'un bizarre courroux ,
Eteindroit les ardeurs d'un moins fidèle époux.
Tel que bien des maris , commodes par prudence ,
Il ronge fes chagrins dans un fage filence ;
Mais ce trouble finit quand les feux du printems
Excitent dans leur fein des tranfports plus conftans.
Ainfipour tous les coeurs engagés dans les chafnes
,
L'amour a fes plaiſirs , & l'amour a fes peines.
La femelle parmi les ferins commande
en reine , & l'époux eft chargé du ſoin de
tous les détails.
Les travaux affidus , les foucis du ménage ,
Suivent des premiers feux le leger badinage.
AVRI L.'
1755. 67
On pense à l'avenir , on prépare , on conftruit
L'aire où d'un chafte amour on doit loger le fruit.
De l'époux complaifant , l'épouſe induſtrieuſe ,
Habile à prévenir la voix impérieuſe
Qui lui marque le tems de décharger fon fein ,
D'une maiſon commode ordonne le deffein ;
Et fans bruit enfoncée au milieu du feuillage
D'un if propre à fixer une tête volage ,
Ou dans l'étroit contour du plus petit panier ,
Tranquille , & l'air rêveur , médite fur l'ofier.
Le mari travaille pendant ce tems là .
Il tranfporte , il fournit ; fa compagne y préſide ,
Et fuivant les confeils de l'inſtinct qui la guide
Les racines , la mouffe entourent la maiſon
Et l'on met au- dedans le duvet à foifon.
a
>
Mais jamais cette ardeur n'enfante le defordre.
S'ils s'entr'aident plufieurs , feule elle donne l'or
dre ....
L'un choifit le duvet , l'autre du coton fec ,
L'on donne , l'on reçoit : ainfi de bec en bec
Tout paffe au lieu marqué par l'inſtinct unanime ;
Le mur croît , l'oeuvre monte , & parvient à la
cime.
Tel que des ouvriers , par étage rangés ,
Entre deux longs fapins , en dégré , partagés ,
Reçoivent à leurs pieds ; élevent à leur tête
68 MERCURE DE FRANCE.
La pierre , le ciment qui montent juſqu'au faîte :
Tels nos ferins unis dès l'heure du réveil ,
Confomment leurs travaux fous le même foleil
A moins qu'un feu jaloux , enfanglantant la ferre ,
Ne porte dans l'état les horreurs de la guerre..
Le Poëte prudent nous avertit de ne pas
unir trop tôt les jeunes ferins. Ces mariages
précoces font , dit-il, funeftes , fur- tout
à la femelle. Il nous en apporte un exemple
tragique en vers touchans , par lefquels
je finirai ce précis.
Jonquille , encor trop jeune , époufe , & bientôt
mere ,
Victime de tendreffe , épuife en fon réduit
Un refte de chaleur , pour animer fon fruit.
Cinq citoyens nouveaux , donnés à la voliere , `
N'ont pas ouvert encor les yeux à la lumiere ,
Que dans fon fein flétri s'amortit la chaleur.
Ses petits languiffans augmentent fa douleur :
Elle çéde à fon mal ; tremblante , elle foupire ,
Palpite , ouvre le bec , ferme les yeux , expire ;
Et fous elle , glacés par le froid de la mort
Ses petits en un jour ont tous le même fort.
>
CONSIDERATIONS SUR LES
REVOLUTIONS DES ARTS , dédiées à Mgr
le Duc d'Orléans , premier Prince du Sang.
AVRIL. 1755. 69
A Paris , chez Brocas , Libraire , rue faint
Jacques , au chef S. Jean . 1755 .
Les principaux objets de ces confidérations
font la liaifon des Empires avec les
arts , & les influences réciproques des uns
& des autres , les caufes qui les ont donnés
à un peuple , & celles qui les lui ont ravis ;
les fources de leur renouvellement chez
quelques-uns , les dégrés où ils ont été
élevés ou abaiffés chez tous ; l'exacte connoiffance
des hommes puiffans qui les ont
protégés ; la jufte eftimation des hommes
de génie qui y ont excellé ; quelques traits
légers propres à caractériſer les hommes
d'efprit qui y ont réuffi ; enfin un examen
rapide de la nature des différens genres de
littérature , un petit nombre d'obfervations
fur les défauts qui pourroient nuire
aux progrès de nos jours , & quelques confeils
pour remédier à ces vices & augmenter
les fuccès. Voilà le précis ou le programme
que M. l'Abbé Mehegan donne luimême
de fon ouvrage dans la préface qu'il
a mis à la tête, je n'ai fait que le tranferire.
L'auteur divife ces confidérations par âge ;
il entend par ce mot une fuite non interrompue
de protecteurs & d'artistes , pendant
laquelle les arts font reftés à peu près
dans le même point. Il me paroît mériter
de la part du public beaucoup d'encoura-
(
70 MERCURE DE FRANCE.
gement. Son imagination pleine de feu
annonce un talent facile , peut - être même
fon plus grand défaut eft un excès en bien.
Il répand l'efprit avec profufion , & je ſuis
perfuadé qu'il plairoit encore davantage
s'il vouloit bien s'épargner la peine d'en
trop avoir.
HISTOIRE DE FRANCE , depuis l'établiffement
de la Monarchie jufqu'au regne de
Louis XIV , par M. l'Abbé Velly . A Paris
, chez Defaint & Saillant , rue S. Jean
de Beauvais , vis-à- vis le Collége. 1755 .
Il faut , dit l'auteur dans fa préface ,
que l'hiftoire écrite pour l'utilité commune
foit en même tems celle du Prince &
de l'Etat , de la politique & de la religion ,
des armes & des fciences , des exploits &
des inventions utiles & agréables , celle
enfin des moeurs & de l'efprit de la nation .
Cette hiſtoire nous manquoit , & nous aurons
l'obligation à M. l'Abbé Velly de
de nous enrichir d'un tréfor fi utile ; fes
deux premiers volumes qui ont déja paru ,
nous en font de fûrs garans . Il a eu l'art
de répandre le jour & l'intérêt fur les premieres
races de nos Rois , qui font la par
tie la plus obfcure & la plus feche de nos
faftes que ne devons - nous pas attendre
de la fuite ?
AVRIL. 1755. 71
LE FINANCIER ; par M. le Chevalier
de Mouhy , de l'Académie des Belles-
Lettres de Dijon , en fix parties. 1755. Se
trouve à Paris , chez Jorry , quai des Auguftins
, près le pont S. Michel , aux Cigognes.
C'eſt un Roman épifodique , dont le financier
, qui en eft le héros , répand fes libéralités
à pleine main fur tous les malheureux
que le hazard lui préfente , &
dont l'auteur raconte l'hiftoire en paffant.
Ce magnanime favori de Plutus va plus
loin ; quand la foule diverfe des indigens
ne s'offre pas à lui dans fon chemin , il
va les déterrer lui-même dans les réduits les
plus obfcurs , & monte jufqu'au cinquieme
étage pour exercer les devoirs de l'humanité
, & pour réparer fur-tout les torts
que la fortune aveugle a fait au mérite
plongé dans la mifere. C'eft un vrai Dom
Quichotte en générofité , ou plutôt le Titus
de la finance : il compte chaque heure
du jour par des bienfaits . Le ciel l'en récompenfe
; car il trouve au milieu de fa
courfe une femme digne de lui , & qui lui
apporte pour dot une beauté égale à fa
naiffance , avec un caractere auffi bienfaifant
que le fien . Tous les pauvres honteux
dont Paris abonde , feroient trop heureux
fi l'exemple de ce couple refpectable fai72
MERCURE DE FRANCE.
foit des imitateurs ; mais je doute qu'il
prenne dans le monde.
VOYAGE PITTORESQUE DES ENVIRONS
DE PARIS , ou Deſcription des maifons
royales , châteaux , & autres lieux de plaifance
fitués à quinze lieues aux environs de
cette, ville . Par M. D *** A Paris , chez
Debure l'aîné, Libraire, quai des Auguftins,
à S. Paul. 1755. Prix 3 livres relié.
Cet ouvrage m'a paru bien fait & bienécrit.
Voici quatre jolis vers , felon moi ,
fur la fontaine d'Hieres , près de Gros- bois.
La nymphe de cette fource les adreſſe à
ceux qui vont la viſiter.
Toujours vive , abondante & pure ,
Un doux penchant regle mon cours ;
Heureux l'ami de la nature
Qui voit ainfi couler les jours.
LES AMANS PHILOSOPHES , ou le Triomphe
de la raifon. A Paris , chez Hochereau
l'aîné , Libraire , quai de Conti , au
Phénix . 1755.
Ce roman eft de Mlle Brohon. Trois
fortes de recommendations parlent pour
elle ; une grande jeuneffe , elle n'a que
dix- huit ans ; une figure charmante , &
une douceur modefte qui prévient d'abord
en
AVRIL.
1755. 7%
.
en fa faveur tous ceux qui la voyent. Le
titre feul de fon ouvrage annonce fa fageffe
, & l'épigraphe dont elle a fait choix ,
Amare & fapere vix diis conceffum ) montre
qu'elle a refléchi de bonne heure , &
qu'elle connoît avant le tems tout le danger
d'une paffion qu'elle eft faite pour
infpirer & pour reffentir.
La demande qu'elle fait au public dans
un court avertiffement , eft fi raifonnable
qu'il ne peut la refufer fans injuftice. Une
critique outrée , dit-elle , abbar le courage ;
une cenfure jufte & menagée eft quelquefois
la mere du fuccès , fur-tout par rapport à
moi , dont le fexe augmente la timidité naturelle
à mon âge. Après une telle repréſentation
, il y auroit de la cruauté à juger
fon livre avec trop de rigueur ; j'en donnerai
l'extrait le mois prochain. Un auteur
fi aimable mérite d'être encouragé.
RECUEIL GÉNÉRAL HISTORIQUE
& critique de tout ce qui a été publié de
plus rare fur la ville d'Herculane , depuis
fa premiere découverte jufqu'à nos jours ,
tiré des auteurs les plus célébres d'Italie ,
tels que Venuti , Mafei , Quirini , Bellegrade
, Gori , & autres . A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques
au Temple du goût. 1755 .
D
74 MERCURE DE FRANCE.
"
Suivant l'avertiffement , on ne trouvera
rien dans cet ouvrage qui n'ait été fidelement
traduit des auteurs cités au titre. Si
l'on eft curieux de lire leurs écrits , on les
trouvera chez Tilliard , Libraire , quai des
Auguftins.
HISTOIRE D'UNE JEUNE FILLE SAUVAGE
trouvée dans les bois à l'âge de dix ans ;
publiée par Madame H.... T. A Paris ,
1755.
M. de la Condamine n'eft point l'auteur
de cette petite brochure , comme le bruit
s'en étoit répandu . Il m'écrit à ce fujet la
-lettre fuivante.
A M.de Boiffy, de l'Académie Françoise.
A Marfeille , le 15 Février 1755-
J'apprends , Monfieur , qu'on m'attribue
une brochure qui paroît à Paris depuis
peu , fous le titre d'Hiftoire d'une jeune fille
Sauvage ( aujourd'hui Mlle le Blanc ) trouvée
dans les bois à l'âge de dix ans . Get
ouvrage eft d'une Dame , veuve , qui demeure
près de Saint Marceau , & qui ayant
connu & pris cette fille en affection depuis
la mort de Mgr le Duc d'Orléans qui la
protégeoit , a pris la peine de rédiger fon
hiftoire , comme il eft dit dans l'ouvrage
C
AVRIL. 1755. 75
Ja
même , fur les queftions qu'elles lui a faites
en diverfes converfations , & à plufieurs
perfonnes qui l'ont connue peu de
tems après fon arrivée en France. Cette
Dame a feulement permis que l'on mît au
titre la premiere lettre de fon nom. Toute
part que j'ai à cette production eft d'avoir
fait quelques changemens au manuf
crit dont j'ai encore l'original , d'en avoir
retranché quelques faits qui n'étoient fondés
que fur des oui- dire , & dénués de vraifemblance
; d'avoir ajouté , à la fin furtout
, quelques conjectures à celles de Madame
H.... fur la maniere dont la jeune
fauvage & fa compagne ont pû fe trouver
tranfportées en France , & d'avoir facilité
l'impreffion de l'ouvrage au profit de la
Demoiſelle Le Blanc , dans la vûe de lui
procurer une fituation plus heureuſe , en
intéreffant à fon fort ceux qui liroient fon
aventure. Je vous prie , Monfieur , de
rendre cette déclaration publique , pour
defabufer ceux qui me feroient honneur
de ce qui ne m'appartient pas. J'ai celui
d'être , & c.
La Condamine.
L'ART DU CHANT , dédié à Madame
de Pompadour; par M. Berard. A Paris ,
-chez Deffaint & Saillant , rue Saint Jean de
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Beauvais ; chez Prault fils , quai de Conti ;
& chez Lambert , à côté de la Comédie
Françoife. 1755.
L'Auteur s'étonne avec raifon qu'on lui
ait laiffé la gloire de traiter le premier de
cet art , fur-tout dans un fiécle où le chant
eſt l'art à la mode , & domine au point
qu'il fait des enthouſiaftes , & forme des
fectes. M. Berard n'a rien épargné pour
s'en inftruire à fond , il ne ſe contente
pas d'en parler en maître de muſique , il
en raiſonne en Phyficien ; il a fait même
exprès un cours d'anatomie pour porter
l'analyfe dans tous les organes de nos fons :
ce font fes propres termes . Pour traiter
l'ouvrage méthodiquement , il le divife en
trois parties ; dans la premiere il confidere
la voix par rapport au chant ; dans
la deuxième il regarde la prononciation &
l'articulation , eu égard au chant ; & dans
la troifiéme il a pour objet la perfection
du chant. J'attendrai que les vrais connoiffeurs
en ce genre ayent prononcé , pour
m'en expliquer plus furement d'après eux ;
je m'étendrai particulierement fur la prononciation
& l'articulation : cette partie
eft un peu plus de ma compétence ; elle
ne fe borne point à la mufique , elle intéreffe
la chaire & le barreau , ainfi que le
théatre ; elle s'étend jufques fur la converAVRIL.
1755. 77
"
fation ; il n'eft prefque point d'état , il
n'eft point d'homme du monde , qui ne
doive ou qui ne veuille en être inſtruit.
M. Berard n'eût- il fait qu'ébaucher la matiere
, le public doit lui être obligé de
l'avoir mife en queftion : le premier qui
parle d'un art a toujours un grand mérite..
OBSERVATIONS SUR LE THEATRE , dans :
lefquelles on examine avec impartialité
l'état actuel des Spectacles de Paris ; par
M. de Chevrier. A Paris , chez Debure le
jeune , quai des Auguftins , à l'image S.
Germain . 1755.
Souvent l'auteur obſerve très - bien , mais
quelquefois il eft mal informé. Par exemple
, j'ouvre fa brochure , je tombe fur un
endroit qui regarde Dancourt , & j'y lis
ces mots Dancourt a joui des plus grands
fuccès ; ramené tous les jours fur la fcene , on
l'applaudit encore : ni fes comtemporains , ni
nos fâcheux n'ont écrit contre lui. Il me permettra
de lui dire que jamais auteur dramatique
n'a été de fon vivant plus traverfé
que Dancourt. Si l'on n'a pas écrit
contre lui , c'eft moins par eftime que par
un, fentiment contraire. Ses piéces étoient
non- feulement décriées par fes camarades ,
qui les jouoient à regret , mais encore
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
méprifées du public , même en réuffiffant ;
on les mettoit alors au - deffous de leur prix ,
on les défignoit par le titre peu flateur
de Dancourades. Quoiqu'on les revoye
aujourd'hui volontiers , on les apprécie à
peu près ce qu'elles valent : on convient
affez généralement que les Bourgeoifes à la
mode , les Bourgeoifes de qualité , & le
Chevalier à la mode , font les feules qui
méritent le nom de Comédie ; les autres ne
font que des farces bien dialoguées , qui fe
reffemblent prefque toutes ; on les reconnoît
à l'indécence , c'eſt leur air de famille.
Je remercie M. de Chevrier du bien
qu'il dit de moi , mais je fuis moins allarmé
que lui des décifions tranchantes de
M. R...... Il n'appartient ni à lui , ni
à aucun particulier de regler le rang des
auteurs ; le public a lui feul ce droit : ils
doivent s'en repofer fur,fes lumieres &
fur fon équité. Il met , quoique fouvent
un peu tard , chacun à fa place. Je confeille
, en qualité d'ancien , à M. de Chevrier
& à mes autres jeunes confreres ,
d'employer plutôt leur loifir à faire des
piéces pour le théatre , qui en a beſoin ,
que des obfervations dont Paris n'a que
faire ; il n'eft que trop éclairé fur les fpectacles
, & trop initié dans nos myfteres.
Pour fon amufement & pour leur gloire ,
AVRIL. 11755 79
qu'ils étudient fon goût pour le faifir , &,
s'ils fe difputent entr'eux , que ce foit de
talent & d'envie de lui plaire.
PINOLET , ou l'Aveugle parvenu , hif
toire véritable compofée fur les faits fournis
par Pinolet lui -même , actuellement
exiftant à Paris ; en quatre parties . 1755 .
Cetet ouvrage eft d'un genre qui me dif-,
penſe d'en faire l'extrait.
ÉLÉMENS DE CHYMIE , par Herman
Boerhaave , traduit du latin , en fix volumes
in- 12 . A Paris , chez Briaffon , rue
Saint Jacques ; & chez Guillyn , quai des
Auguftins .
C'eſt un vrai préfent que le Traducteur
nous a fait. Dire que Boerhaave en eft
l'auteur , peut-on faire un plus grand éloge
de l'ouvrage ?
On trouve auffi chez Briaffon la Ma
tiere Médicale , traduite du Latin de Cartheufer
, augmentée d'une table raiſonnée,
& d'une introduction ; quatre volumes
in-1 2. ainfi que la fuite des Conſultations
de médecine , traduites du latin de M.
Hoffman : elle contient quatre volumes in-
12. les 5 , 6 , 7 & 8.
ouvrage dans un genre nouveau pour la
Poësie françoife , qui , à l'aide de quelques
notes , forme un traité complet & très- fûr
AVRIL. 1755. 65
pour élever les ferins . A Londres , 1755.
Cet effai m'a paru mériter l'approbation
du public , par le fond qui eft agréable , &
par la forme qui he l'eft pas moins . Il me
femble que l'auteur qui a la modeftie de ne
pas fe nommer , a bien faifi le ton de verfification
convenable au genre de poëme
qu'il a entrepris ; c'eft cette élégante fimplicité
fi propre à peindre les petites chofes
, & qui feule à l'art de les ennoblir :
les anciens y excelloient ; il les a pris pour
modeles , & je trouve qu'il y a fouvent
réuffi . Pour juftifier mon fentiment , je vais
citer quelques endroits de fon poëme : je
commence par fon début .
a
Toi , dont les doux accens divertiffent ma Muſe ,
Dont l'organe enchanteur & l'infpire & l'amufe ,
Et qui montes ma lyre au fon de tes concerts ,
C'eſt toi , charmant ferin , que célébrent mes vers.
Mufe , chante avec moi fon port plein de nobleffe
,
Son air plein de candeur & mêlé de fineffe ,
Le doux feu de fes yeux ennemis du fommeil ,
Son plumage ſemblable au plus brillant vermeil ;
L'éclat de la blancheur à propos ménagée ,
Ses pannaches pompeux , fa taille dégagée :
Peux-tu trouver ailleurs un plus charmant plaifir
Mais fur toute l'efpéce , égayant ton loiſir ,
Apprens-moi le fecret d'étendre leur lignage ;
66 MERCURE DE FRANCE.
Enſeignes comment l'art embellit leur ramage ,
Comment leurs petits jeux peuvent dédommager
La main qui tous les jours leur préfente à manger ;
Et dans les tems obfcurs portant un oeil critique ,
Chante leur origine auffi noble qu'antique.
Voilà le plan de l'ouvrage heureusement
détaillé.
L'auteur fait ainfi l'éloge du mâle , qui
ne tourne pas à la gloire du beau fexe.
C'eſt du mâle fur-tout que l'humeur eft aimable.
Son épouſe fantafque & fouvent intraitable ,
Dans les mornes accès d'un bizarre courroux ,
Eteindroit les ardeurs d'un moins fidèle époux.
Tel que bien des maris , commodes par prudence ,
Il ronge fes chagrins dans un fage filence ;
Mais ce trouble finit quand les feux du printems
Excitent dans leur fein des tranfports plus conftans.
Ainfipour tous les coeurs engagés dans les chafnes
,
L'amour a fes plaiſirs , & l'amour a fes peines.
La femelle parmi les ferins commande
en reine , & l'époux eft chargé du ſoin de
tous les détails.
Les travaux affidus , les foucis du ménage ,
Suivent des premiers feux le leger badinage.
AVRI L.'
1755. 67
On pense à l'avenir , on prépare , on conftruit
L'aire où d'un chafte amour on doit loger le fruit.
De l'époux complaifant , l'épouſe induſtrieuſe ,
Habile à prévenir la voix impérieuſe
Qui lui marque le tems de décharger fon fein ,
D'une maiſon commode ordonne le deffein ;
Et fans bruit enfoncée au milieu du feuillage
D'un if propre à fixer une tête volage ,
Ou dans l'étroit contour du plus petit panier ,
Tranquille , & l'air rêveur , médite fur l'ofier.
Le mari travaille pendant ce tems là .
Il tranfporte , il fournit ; fa compagne y préſide ,
Et fuivant les confeils de l'inſtinct qui la guide
Les racines , la mouffe entourent la maiſon
Et l'on met au- dedans le duvet à foifon.
a
>
Mais jamais cette ardeur n'enfante le defordre.
S'ils s'entr'aident plufieurs , feule elle donne l'or
dre ....
L'un choifit le duvet , l'autre du coton fec ,
L'on donne , l'on reçoit : ainfi de bec en bec
Tout paffe au lieu marqué par l'inſtinct unanime ;
Le mur croît , l'oeuvre monte , & parvient à la
cime.
Tel que des ouvriers , par étage rangés ,
Entre deux longs fapins , en dégré , partagés ,
Reçoivent à leurs pieds ; élevent à leur tête
68 MERCURE DE FRANCE.
La pierre , le ciment qui montent juſqu'au faîte :
Tels nos ferins unis dès l'heure du réveil ,
Confomment leurs travaux fous le même foleil
A moins qu'un feu jaloux , enfanglantant la ferre ,
Ne porte dans l'état les horreurs de la guerre..
Le Poëte prudent nous avertit de ne pas
unir trop tôt les jeunes ferins. Ces mariages
précoces font , dit-il, funeftes , fur- tout
à la femelle. Il nous en apporte un exemple
tragique en vers touchans , par lefquels
je finirai ce précis.
Jonquille , encor trop jeune , époufe , & bientôt
mere ,
Victime de tendreffe , épuife en fon réduit
Un refte de chaleur , pour animer fon fruit.
Cinq citoyens nouveaux , donnés à la voliere , `
N'ont pas ouvert encor les yeux à la lumiere ,
Que dans fon fein flétri s'amortit la chaleur.
Ses petits languiffans augmentent fa douleur :
Elle çéde à fon mal ; tremblante , elle foupire ,
Palpite , ouvre le bec , ferme les yeux , expire ;
Et fous elle , glacés par le froid de la mort
Ses petits en un jour ont tous le même fort.
>
CONSIDERATIONS SUR LES
REVOLUTIONS DES ARTS , dédiées à Mgr
le Duc d'Orléans , premier Prince du Sang.
AVRIL. 1755. 69
A Paris , chez Brocas , Libraire , rue faint
Jacques , au chef S. Jean . 1755 .
Les principaux objets de ces confidérations
font la liaifon des Empires avec les
arts , & les influences réciproques des uns
& des autres , les caufes qui les ont donnés
à un peuple , & celles qui les lui ont ravis ;
les fources de leur renouvellement chez
quelques-uns , les dégrés où ils ont été
élevés ou abaiffés chez tous ; l'exacte connoiffance
des hommes puiffans qui les ont
protégés ; la jufte eftimation des hommes
de génie qui y ont excellé ; quelques traits
légers propres à caractériſer les hommes
d'efprit qui y ont réuffi ; enfin un examen
rapide de la nature des différens genres de
littérature , un petit nombre d'obfervations
fur les défauts qui pourroient nuire
aux progrès de nos jours , & quelques confeils
pour remédier à ces vices & augmenter
les fuccès. Voilà le précis ou le programme
que M. l'Abbé Mehegan donne luimême
de fon ouvrage dans la préface qu'il
a mis à la tête, je n'ai fait que le tranferire.
L'auteur divife ces confidérations par âge ;
il entend par ce mot une fuite non interrompue
de protecteurs & d'artistes , pendant
laquelle les arts font reftés à peu près
dans le même point. Il me paroît mériter
de la part du public beaucoup d'encoura-
(
70 MERCURE DE FRANCE.
gement. Son imagination pleine de feu
annonce un talent facile , peut - être même
fon plus grand défaut eft un excès en bien.
Il répand l'efprit avec profufion , & je ſuis
perfuadé qu'il plairoit encore davantage
s'il vouloit bien s'épargner la peine d'en
trop avoir.
HISTOIRE DE FRANCE , depuis l'établiffement
de la Monarchie jufqu'au regne de
Louis XIV , par M. l'Abbé Velly . A Paris
, chez Defaint & Saillant , rue S. Jean
de Beauvais , vis-à- vis le Collége. 1755 .
Il faut , dit l'auteur dans fa préface ,
que l'hiftoire écrite pour l'utilité commune
foit en même tems celle du Prince &
de l'Etat , de la politique & de la religion ,
des armes & des fciences , des exploits &
des inventions utiles & agréables , celle
enfin des moeurs & de l'efprit de la nation .
Cette hiſtoire nous manquoit , & nous aurons
l'obligation à M. l'Abbé Velly de
de nous enrichir d'un tréfor fi utile ; fes
deux premiers volumes qui ont déja paru ,
nous en font de fûrs garans . Il a eu l'art
de répandre le jour & l'intérêt fur les premieres
races de nos Rois , qui font la par
tie la plus obfcure & la plus feche de nos
faftes que ne devons - nous pas attendre
de la fuite ?
AVRIL. 1755. 71
LE FINANCIER ; par M. le Chevalier
de Mouhy , de l'Académie des Belles-
Lettres de Dijon , en fix parties. 1755. Se
trouve à Paris , chez Jorry , quai des Auguftins
, près le pont S. Michel , aux Cigognes.
C'eſt un Roman épifodique , dont le financier
, qui en eft le héros , répand fes libéralités
à pleine main fur tous les malheureux
que le hazard lui préfente , &
dont l'auteur raconte l'hiftoire en paffant.
Ce magnanime favori de Plutus va plus
loin ; quand la foule diverfe des indigens
ne s'offre pas à lui dans fon chemin , il
va les déterrer lui-même dans les réduits les
plus obfcurs , & monte jufqu'au cinquieme
étage pour exercer les devoirs de l'humanité
, & pour réparer fur-tout les torts
que la fortune aveugle a fait au mérite
plongé dans la mifere. C'eft un vrai Dom
Quichotte en générofité , ou plutôt le Titus
de la finance : il compte chaque heure
du jour par des bienfaits . Le ciel l'en récompenfe
; car il trouve au milieu de fa
courfe une femme digne de lui , & qui lui
apporte pour dot une beauté égale à fa
naiffance , avec un caractere auffi bienfaifant
que le fien . Tous les pauvres honteux
dont Paris abonde , feroient trop heureux
fi l'exemple de ce couple refpectable fai72
MERCURE DE FRANCE.
foit des imitateurs ; mais je doute qu'il
prenne dans le monde.
VOYAGE PITTORESQUE DES ENVIRONS
DE PARIS , ou Deſcription des maifons
royales , châteaux , & autres lieux de plaifance
fitués à quinze lieues aux environs de
cette, ville . Par M. D *** A Paris , chez
Debure l'aîné, Libraire, quai des Auguftins,
à S. Paul. 1755. Prix 3 livres relié.
Cet ouvrage m'a paru bien fait & bienécrit.
Voici quatre jolis vers , felon moi ,
fur la fontaine d'Hieres , près de Gros- bois.
La nymphe de cette fource les adreſſe à
ceux qui vont la viſiter.
Toujours vive , abondante & pure ,
Un doux penchant regle mon cours ;
Heureux l'ami de la nature
Qui voit ainfi couler les jours.
LES AMANS PHILOSOPHES , ou le Triomphe
de la raifon. A Paris , chez Hochereau
l'aîné , Libraire , quai de Conti , au
Phénix . 1755.
Ce roman eft de Mlle Brohon. Trois
fortes de recommendations parlent pour
elle ; une grande jeuneffe , elle n'a que
dix- huit ans ; une figure charmante , &
une douceur modefte qui prévient d'abord
en
AVRIL.
1755. 7%
.
en fa faveur tous ceux qui la voyent. Le
titre feul de fon ouvrage annonce fa fageffe
, & l'épigraphe dont elle a fait choix ,
Amare & fapere vix diis conceffum ) montre
qu'elle a refléchi de bonne heure , &
qu'elle connoît avant le tems tout le danger
d'une paffion qu'elle eft faite pour
infpirer & pour reffentir.
La demande qu'elle fait au public dans
un court avertiffement , eft fi raifonnable
qu'il ne peut la refufer fans injuftice. Une
critique outrée , dit-elle , abbar le courage ;
une cenfure jufte & menagée eft quelquefois
la mere du fuccès , fur-tout par rapport à
moi , dont le fexe augmente la timidité naturelle
à mon âge. Après une telle repréſentation
, il y auroit de la cruauté à juger
fon livre avec trop de rigueur ; j'en donnerai
l'extrait le mois prochain. Un auteur
fi aimable mérite d'être encouragé.
RECUEIL GÉNÉRAL HISTORIQUE
& critique de tout ce qui a été publié de
plus rare fur la ville d'Herculane , depuis
fa premiere découverte jufqu'à nos jours ,
tiré des auteurs les plus célébres d'Italie ,
tels que Venuti , Mafei , Quirini , Bellegrade
, Gori , & autres . A Paris , chez
Duchefne , Libraire , rue Saint Jacques
au Temple du goût. 1755 .
D
74 MERCURE DE FRANCE.
"
Suivant l'avertiffement , on ne trouvera
rien dans cet ouvrage qui n'ait été fidelement
traduit des auteurs cités au titre. Si
l'on eft curieux de lire leurs écrits , on les
trouvera chez Tilliard , Libraire , quai des
Auguftins.
HISTOIRE D'UNE JEUNE FILLE SAUVAGE
trouvée dans les bois à l'âge de dix ans ;
publiée par Madame H.... T. A Paris ,
1755.
M. de la Condamine n'eft point l'auteur
de cette petite brochure , comme le bruit
s'en étoit répandu . Il m'écrit à ce fujet la
-lettre fuivante.
A M.de Boiffy, de l'Académie Françoise.
A Marfeille , le 15 Février 1755-
J'apprends , Monfieur , qu'on m'attribue
une brochure qui paroît à Paris depuis
peu , fous le titre d'Hiftoire d'une jeune fille
Sauvage ( aujourd'hui Mlle le Blanc ) trouvée
dans les bois à l'âge de dix ans . Get
ouvrage eft d'une Dame , veuve , qui demeure
près de Saint Marceau , & qui ayant
connu & pris cette fille en affection depuis
la mort de Mgr le Duc d'Orléans qui la
protégeoit , a pris la peine de rédiger fon
hiftoire , comme il eft dit dans l'ouvrage
C
AVRIL. 1755. 75
Ja
même , fur les queftions qu'elles lui a faites
en diverfes converfations , & à plufieurs
perfonnes qui l'ont connue peu de
tems après fon arrivée en France. Cette
Dame a feulement permis que l'on mît au
titre la premiere lettre de fon nom. Toute
part que j'ai à cette production eft d'avoir
fait quelques changemens au manuf
crit dont j'ai encore l'original , d'en avoir
retranché quelques faits qui n'étoient fondés
que fur des oui- dire , & dénués de vraifemblance
; d'avoir ajouté , à la fin furtout
, quelques conjectures à celles de Madame
H.... fur la maniere dont la jeune
fauvage & fa compagne ont pû fe trouver
tranfportées en France , & d'avoir facilité
l'impreffion de l'ouvrage au profit de la
Demoiſelle Le Blanc , dans la vûe de lui
procurer une fituation plus heureuſe , en
intéreffant à fon fort ceux qui liroient fon
aventure. Je vous prie , Monfieur , de
rendre cette déclaration publique , pour
defabufer ceux qui me feroient honneur
de ce qui ne m'appartient pas. J'ai celui
d'être , & c.
La Condamine.
L'ART DU CHANT , dédié à Madame
de Pompadour; par M. Berard. A Paris ,
-chez Deffaint & Saillant , rue Saint Jean de
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Beauvais ; chez Prault fils , quai de Conti ;
& chez Lambert , à côté de la Comédie
Françoife. 1755.
L'Auteur s'étonne avec raifon qu'on lui
ait laiffé la gloire de traiter le premier de
cet art , fur-tout dans un fiécle où le chant
eſt l'art à la mode , & domine au point
qu'il fait des enthouſiaftes , & forme des
fectes. M. Berard n'a rien épargné pour
s'en inftruire à fond , il ne ſe contente
pas d'en parler en maître de muſique , il
en raiſonne en Phyficien ; il a fait même
exprès un cours d'anatomie pour porter
l'analyfe dans tous les organes de nos fons :
ce font fes propres termes . Pour traiter
l'ouvrage méthodiquement , il le divife en
trois parties ; dans la premiere il confidere
la voix par rapport au chant ; dans
la deuxième il regarde la prononciation &
l'articulation , eu égard au chant ; & dans
la troifiéme il a pour objet la perfection
du chant. J'attendrai que les vrais connoiffeurs
en ce genre ayent prononcé , pour
m'en expliquer plus furement d'après eux ;
je m'étendrai particulierement fur la prononciation
& l'articulation : cette partie
eft un peu plus de ma compétence ; elle
ne fe borne point à la mufique , elle intéreffe
la chaire & le barreau , ainfi que le
théatre ; elle s'étend jufques fur la converAVRIL.
1755. 77
"
fation ; il n'eft prefque point d'état , il
n'eft point d'homme du monde , qui ne
doive ou qui ne veuille en être inſtruit.
M. Berard n'eût- il fait qu'ébaucher la matiere
, le public doit lui être obligé de
l'avoir mife en queftion : le premier qui
parle d'un art a toujours un grand mérite..
OBSERVATIONS SUR LE THEATRE , dans :
lefquelles on examine avec impartialité
l'état actuel des Spectacles de Paris ; par
M. de Chevrier. A Paris , chez Debure le
jeune , quai des Auguftins , à l'image S.
Germain . 1755.
Souvent l'auteur obſerve très - bien , mais
quelquefois il eft mal informé. Par exemple
, j'ouvre fa brochure , je tombe fur un
endroit qui regarde Dancourt , & j'y lis
ces mots Dancourt a joui des plus grands
fuccès ; ramené tous les jours fur la fcene , on
l'applaudit encore : ni fes comtemporains , ni
nos fâcheux n'ont écrit contre lui. Il me permettra
de lui dire que jamais auteur dramatique
n'a été de fon vivant plus traverfé
que Dancourt. Si l'on n'a pas écrit
contre lui , c'eft moins par eftime que par
un, fentiment contraire. Ses piéces étoient
non- feulement décriées par fes camarades ,
qui les jouoient à regret , mais encore
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
méprifées du public , même en réuffiffant ;
on les mettoit alors au - deffous de leur prix ,
on les défignoit par le titre peu flateur
de Dancourades. Quoiqu'on les revoye
aujourd'hui volontiers , on les apprécie à
peu près ce qu'elles valent : on convient
affez généralement que les Bourgeoifes à la
mode , les Bourgeoifes de qualité , & le
Chevalier à la mode , font les feules qui
méritent le nom de Comédie ; les autres ne
font que des farces bien dialoguées , qui fe
reffemblent prefque toutes ; on les reconnoît
à l'indécence , c'eſt leur air de famille.
Je remercie M. de Chevrier du bien
qu'il dit de moi , mais je fuis moins allarmé
que lui des décifions tranchantes de
M. R...... Il n'appartient ni à lui , ni
à aucun particulier de regler le rang des
auteurs ; le public a lui feul ce droit : ils
doivent s'en repofer fur,fes lumieres &
fur fon équité. Il met , quoique fouvent
un peu tard , chacun à fa place. Je confeille
, en qualité d'ancien , à M. de Chevrier
& à mes autres jeunes confreres ,
d'employer plutôt leur loifir à faire des
piéces pour le théatre , qui en a beſoin ,
que des obfervations dont Paris n'a que
faire ; il n'eft que trop éclairé fur les fpectacles
, & trop initié dans nos myfteres.
Pour fon amufement & pour leur gloire ,
AVRIL. 11755 79
qu'ils étudient fon goût pour le faifir , &,
s'ils fe difputent entr'eux , que ce foit de
talent & d'envie de lui plaire.
PINOLET , ou l'Aveugle parvenu , hif
toire véritable compofée fur les faits fournis
par Pinolet lui -même , actuellement
exiftant à Paris ; en quatre parties . 1755 .
Cetet ouvrage eft d'un genre qui me dif-,
penſe d'en faire l'extrait.
ÉLÉMENS DE CHYMIE , par Herman
Boerhaave , traduit du latin , en fix volumes
in- 12 . A Paris , chez Briaffon , rue
Saint Jacques ; & chez Guillyn , quai des
Auguftins .
C'eſt un vrai préfent que le Traducteur
nous a fait. Dire que Boerhaave en eft
l'auteur , peut-on faire un plus grand éloge
de l'ouvrage ?
On trouve auffi chez Briaffon la Ma
tiere Médicale , traduite du Latin de Cartheufer
, augmentée d'une table raiſonnée,
& d'une introduction ; quatre volumes
in-1 2. ainfi que la fuite des Conſultations
de médecine , traduites du latin de M.
Hoffman : elle contient quatre volumes in-
12. les 5 , 6 , 7 & 8.
Fermer
Résumé : « LE SERIN DE CANARIE, Poëme, ouvrage dans un genre nouveau pour la [...] »
En avril 1755, plusieurs ouvrages ont été publiés, couvrant divers sujets littéraires et artistiques. 'Le Serin de Canarie' est un poème anonyme qui offre un traité complet sur l'élevage des serins. Il décrit les rôles distincts du mâle et de la femelle, mettant en garde contre les mariages précoces chez ces oiseaux. 'Considérations sur les révolutions des arts', dédié au Duc d'Orléans, explore les liens entre les empires et les arts, ainsi que les causes de leur développement ou déclin. L'Abbé Mehegan divise les arts en âges et propose des conseils pour améliorer leur progression. L''Histoire de France' par l'Abbé Velly couvre la monarchie jusqu'au règne de Louis XIV, intégrant des aspects politiques, religieux, militaires et scientifiques. 'Le Financier' est un roman épistolaire où le héros, un financier généreux, aide les malheureux et trouve une femme digne de lui. 'Voyage pittoresque des environs de Paris' décrit les maisons royales et châteaux à proximité de Paris, incluant des vers sur une fontaine. 'Les Amants philosophes' est un roman de Mlle Brohon, une jeune auteure de dix-huit ans, qui demande une critique juste et encourageante pour son œuvre. Le 'Recueil général historique et critique' compile des informations sur la ville d'Herculane, traduites fidèlement des auteurs italiens. 'Histoire d'une jeune fille sauvage' raconte l'histoire d'une fille trouvée dans les bois à l'âge de dix ans, rédigée par une dame veuve avec des contributions de M. de la Condamine. 'L'Art du chant', dédié à Madame de Pompadour, est écrit par M. Berard, qui combine des connaissances en musique et en physique pour approfondir l'étude du chant. L'ouvrage est divisé en trois parties : la voix par rapport au chant, la prononciation et l'articulation, et la perfection du chant. Le texte mentionne également des observations sur le théâtre par M. de Chevrier, qui examine l'état actuel des spectacles à Paris. L'auteur critique certaines affirmations de M. de Chevrier, notamment sur le succès de Dancourt, un dramaturge souvent décrié. Il conseille aux jeunes auteurs de se concentrer sur la création de pièces pour le théâtre plutôt que sur des observations critiques. Enfin, le texte cite des ouvrages comme 'Pinolet, ou l'Aveugle parvenu' et des traductions en français d'ouvrages scientifiques, tels que les 'Éléments de Chimie' de Herman Boerhaave.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
424
p. 180-193
EXTRAIT du Caprice amoureux, ou Ninette à la Cour.
Début :
Le théatre représente au premier acte une campagne agréable, coupée d'arbres [...]
Mots clefs :
Prince, Princesse, Coeur, Théâtre, Cour, Amour, Nature, Plaisir
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT du Caprice amoureux, ou Ninette à la Cour.
EXTRAIT du Caprice amoureux ,
Ninette àla Cour.
on
. Le théatre repréfente au premier acte
une campagne agréable , coupée d'arbres
fruitiers , avec des cabannes de païfans
fur les aîles. On les voit travailler à différens
ouvrages.
Ninette , en filant au rouer , ouvre la
premiere fcene avec Colas , & débute par
cette ariette .
Travaillons de bon courage ;
· La fraîcheur
De cet ombrage,.
La douceur
De ce ramage
Nous donne coeur
A l'ouvrage.
Près de l'objet, qui m'attendrit ,,
Je file à merveille ;
Quand la fatigue m'afſoupit ,.
L'amour me réveille.
Elle prie en même tems Colas d'aller
cueillir du fruit pour elle : il monte fur
un arbre , & voit la plaine couverte de
chiens & de piqueurs ; il defcend alors.
tour allarmé , & dit à Ninette :
Rentrez , rentsez morgué ces malins drilles ,,
AVRIL 1755. 181
Comme au gibier fefont la guerre aux filles.
Aftolphe , Roi de Lombardie , paroît
avec Fabrice , fon confident , & lui fait
l'aveu de fa paffion pour Ninette , par cette
jolie ariette ::
Oui , je l'aime pour jamais ;
Rien n'égale fes attraits.
De fon teint , la fleur naïve ,
Toujours fraîche , toujours vive ,
Confond les efforts de l'art.
C'eft la nature
Simple & pure ,
Elle enchante d'un regard.
Dans fon coeur eft l'innocence ';;
Dans les yeux eft la candeur ;
Sa parure eft la décence ,,
Et fon fard eft la pudeur.
Fabrice:fort , & Ninette revient em
chantant. Aftolphe lui témoigne fa furprife
de la voir fi contente dans un état fi
borné , & lui offre une fortune éclatante ,
en lui déclarant qu'il l'adore. Ninette qui
le prend pour un Officier de fa Cour , lui
répond naïvement que cette déclaration lui
fait grand plaifir gardez , lui dit-elle
Gardez tous vos tréfors ;je ne veux qu'une grace ;
• Vous fçavez que lpn chaffe
182 MERCURE DE FRANCE.
Tous les jours en ces lieux , du matin juſqu'au
foir.
Si vous avez quelque pouvoir ,
Parlez au Prince , afin que l'on nous débarraffe
De tout le train font fes gens.
que
Je ne comprens point quelle fievre
Peut faire ainfi courir les champs ;
Pour le plaifir de prendre un lievre
On ravage quarante arpens.
1 Elle le prie en conféquence de ne plus
revenir , en lui avouant franchement qu ' elle
aime Colas . Le Prince lui dit de mieux
placer fon ardeur , ajoutant qu'un fort
brillant l'attend à la Cour , & que les
charmes d'une toilette la rendront encore
plus belle. Qu'est- ce qu'une toilette , lui
demande Ninette ? Il lui en fait cette ingénieufe
defcription,
C'est un trône où triomphe Part :;
C'eft un autel que l'on érige aux graces;
C'est là qu'on peut , des tems rapprocher les ef
paces
Par l'heureux preftige d'un fard ,
Qui des ans applanit les traces.
Des couleurs du plaifir on ranime fon teint ;
Et le pinceau , rival de la nature ,
Par une agréable impofture , vrsti so'nd
Fait éclore la fleur d'un vilage enfantin.
AVRIL
$755. 183
Chaque jour on eft auf belle ;
D'un air plus triomphant la jeuneffe y fourit ,
La beauté même s'embellit
Se fixe , & devient immortelle .
Un tableau fi flateur pique la vanité curieufe
de Ninette ; mais elle craint de fâcher
Colas : il furvient dans cette irréfolution
, & fait éclater fa jalousie. Elle
l'avertit tout bas de la cacher , de
peur
d'irriter Aftolphe . Le Prince qui s'en apperçoit
, la raffure , en lui difant :
Si Colas vous eft cher , je deviens fon ami
Colas lui réplique : >
On n'eft guere ami du mari
Quand on yeut l'être de la femme.
Le Prince fort après avoir dit à Ni
-nette :
L'heureux Colas vous intéreſſe.
Paiffe-t-il mieux que moi faire votre bonheur !
Ninette reproche à Colas fa groffiereté ,
vis-à-vis d'un Seigneur fi poli , qui la veut
mener à la Cour : il lui répond qu'Aftolphe
lui parloit d'amour , & que cela ne
convient pas. Elle lui répart avec une ingénuité
rare aujourd'hui , même dans une
jeune païfanne.
184 MERCURE DE FRANCE .
Les Meffieurs de la Cour font trop bien élevés
Pour entreprendre rien contre la bienféance.
Colas qui apperçoit dans ce moment le
Prince qui revient , & qui la regarde de
loin , veut obliger Ninette à rentrer malgré
elle : elle refifte ; il la tire par le bras :
elle crie - alors , & chante avec toutes les
graces d'une jolie enfant qui pleure , cette
ariette fi , heureufement parodiée de Ber--
tholde à la Cour.
Ahi ahi ! il me fait grand mal ;:
Le brutal le brutal !
COLAS
Oui , je vous ai fait grand mal.
NINETTE.
Le Seigneur viant_ici ,
Ahi ! ahi ! puifqu'on me traite ainfi
Je vais me plaindre de ce pas..
COLAS.
Ninon..
NINETTENon
, non.
COLAS.
1
Morgué , quel embarras !
Ninon ,
A V.R IL
1.851 1755
Jte d'mande pardon. ,
NINETTE.
८
Non , non Y
Point de pardon.
Ahi ahi ! il m'a fait grand mal.
ASTOLPHE s'approchant , à Ninette.
Qu'avez -vous ?
NINETTE .
): Le brutal !
Ah ! qu'il m'a fait grand mal !
Ahi ! Ahi
NINETTE.
Ah ! j'ai bien du guignon . I'
ASTOLPH E.
O Dieux ! qu'avez-vous donc
NINETTE, ! |
Monfeigneur , c'eff Colas
Qui m'a , m'a , m'a demis le bras .
Hélas ! hélas !
à Colas.
Tu t'en repentiras.
Hélas ! hélas !
Oui , tu me le paîras.
KIM » Alii? ahiuvabi, le brash 10 4 alo
186 MERCURE DE FRANCE.
Aftolphe témoigne fa furprife en s'écriant
:
Eft-ce là ce tendre Colas ?
Colas veut s'emporter ; mais Fabrice lui
apprend qu'Aftolphe eft le Prince . Ninette
& Colas font furpris à leur tour . Le Prince
preffe Ninette de venir embellir fa Cour.
Elle y confent , en difant tout bas qu'elle
veut punir Colas fans lui manquer de foi .
Elle le quitte en lui adreffant cette Ariette
boufonne , qui commence par ces vers
Colas , je renonce au village ;
La cour me convient davantage.
& qui finit ainfi : JA
Quelque jour tu viendras
Tu verras. (bis.).
Sans ceffe
La preffe
Arrêtera tes pas ;
Et de loin , tu diras ,
Ah, Princeffe , Princeffe !
En t'inclinant bien bas
Protegez Colas ,
Ne l'oubliez pas.
Adieu , pauvre Colas,
1.
Colas fe defefpere , & veut fuivre NiAVRIL.
1755. 187
nette , mais il eft arrêté par une troupe de
chaffeurs . Ils le forcent à s'éloigner , &
forment une danfe qui termine le premier
acte. Il eſt brillant par le jeu & par le choix
des ariettes qui font parfaitement rendues
par Mme Favart & M. Rochart .
Le théatre change au fecond acte , & repréfente
un appartement du palais d'Aftolphe.
Ninette paroît en habit de Cour ; elle
eft fuivie de plufieurs femmes de chambre ,
qui portent chacune différentes parures ;
fan pannier l'embarraffe , & lui donne un
air gauche. Elle refufe le rouge dont on
veur l'embellir , & laiffe tomber les diamans
qu'on lui préfente, pour prendre des
fleurs artificielles , qu'elle jette un inſtant
après , en difant :
Elles ne fentent rien
Içi l'on ne doit rien qu'à l'arts
La beauté n'eft qu'une peinture ,
Jufqu'aux fleurs tout eſt impoſture.
Fabrice veut lui donner des leçons de
politeffe , mais elle le rebute , & prie le
Prince qui entre , de la débarrafler de cet
homme qui l'ennuie , ajoûtant qu'elle aimeroit
mieux voir Colas. Aftolphe lui répond
:
188 MERCURE DE FRANCE.
#
Vous allez voir Colas ; j'efpere qu'en ce jour
Vous mettrez entre nous un peu de différence ;
Je ne veux qu'à force d'amour
Lui difputer la préférence.
Il donne enfuite des ordres pour qu'on
montre à Ninette toute la magnificence
de fa Cour ; & voyant paroître la Princeffe
il fort pour l'éviter . Emilie ( c'eft le nom
de la Princeffe qui lui eft deftinée , ) tế-
moigne fes craintes à Clarice , fa confidente
, & la charge d'examiner les pas du Prince
& de Ninette. Elle exprime enfuite fes
fentimens par une ariette.
Viens , efpoir enchanteur ,
Viens confoler mon coeur , &c.
Voyant revenir Aftolphe avec fa petite
payfane , elle s'éloigne pour les obferver.
Le Prince demande à Ninette ce qu'elle
penfe de la Cour ; Ninette lui répond avec
une franchiſe fpirituelle.
J'ai vu de toute part de beaux petits objets
A talons rouges , en plumets ;
Ne font-ce pas des femmes en épées ?
J'ai vu trotter auffi de gentilles poupées ,
Qui portent des petits colets...
Ah ! que de plaifans perfonnages ,
AVRIL. 1755. 189
Crainte de déranger l'ordre de leurs vifages ,
Ils parlent tous comme des flageolets.
Tu , tu , tu tu. Dans nos villages -
2
Nous n'avons jamais vu de tels colifichets ,
Et puis j'ai vu de graves fréluquets ,
Qui prenoient un air d'importance.
Et de jolis vieillards coquets ,
Qui fembloient marcher en cadence ;
L'un d'eux , pour me voir de plus près ,
Jufques fous mon menton s'approche ,
En tirant un oeil de fa poche ;
C'eft un bijou , c'eft un Ange. Eh ! mais , mais..
Emilie s'avance , & fait un compliment
ironique à Ninette fur fes charmes , & la
félicite d'avoir fait la conquête d'Aſtolphe ,
qui s'en défend devant la Princeffe. Ninet
te répond qu'elle aime Colas . Le Prince
pour appuyer ce difcours , dit qu'il a donné
des ordres pour le faire venir. Ninette
réplique qu'elle aime mieux retourner au
village , & fort en chantant
ARI ETT E.
Dans nos prairies
Toujours fleuries ,
On voit fourire
Un doux zéphire , &c.
190 MERCURE DE FRANCE .
Le Prince raffare Emilie , & lui promet
de renvoyer Ninette ; mais dès qu'il eft
feul il peint fon irréfolution par une ariette.
Lé Nocher , loin du rivage
Lutte en vain contre l'orage , &c.
& fe retire fans fçavoir ce qu'il doit fai-
're.
Colas entre paré à peu - près comme Taler
dans Démocrite , & fe plaint comme
lui de la réception ridicule qu'on lui a
faite à la Cour . Ninette qui furvient , &
qui apperçoit Colas , baiffe fa coëffe , ſe
couvre le vifage de fon éventail , & contrefait
fa voix en grafféyant , pour éprou
ver Colas , & n'en être point reconnue .
Cette fcene a beſoin du jeu des acteurs
pour être fentie. Ninette en jouant les
vapeurs , déclare à Colas qu'elle eft épriſe
de fes charmes , & lui propofe de répondre
à fon ardeur , en l'affûrant que fa fortune
fera faite. Colas' qui la prend pour
une Dame de la Cour , répond qu'il y confent
, en difant tout bas :
Je ne veux qu'alarmer Ninette ,
Et le dépit me la ramenera.
Ninette alors fe dévoile , & fait éclater
fa colere contre Colas ; il a beau vouAVRIL
1755. 191
loir fe juſtifier , elle ne veut plus l'entendte.
Ce qui occafionne un duo dialogué
à l'Italienne , dont le contrafte toujours
foutenu , finit vivement le fecond acte.
20 Ninette ouvre feule le troifieme dans
le même appartement , où l'on voit des
lumieres fur une table. Elle fait entendre
dans une ariette qu'elle tirera bien-
-tôt vengeance d'un ingrat qui l'a trahie.
Fabrice vient l'avertir que le Prince doir
arriver dans un moment ; elle lui demande
fi Colas eft prévenu qu'elle doit parler
au Prince tête à tête ; Fabrice lui répond
qu'oui , & qu'il fait de gros foupirs . Emilie
entre , & paroit furpriſe de retrouver
encore Ninette , qui lui protefte qu'elle
eft à la Cour contre fon gré , & lui avoue
en riant qu'Aftolphe lui a demandé un
rendez - vous , qu'elle s'y trouvera , par la
raifon qu'une fille de bien ne craint rien.
Cette maxime n'eft pas toujours fure.
Comme on entend du bruit , Ninette en-
-gage la Princeffe à s'éloigner avec elle ,
ajoutant qu'elle a fur ce point un fecret
? à lui dire.
Colas arrive , guidé par fa jaloufie , & fe
cache fous la table pour entendre , › fans
cêtre vu l'entretien nocturne du Prince
avec Ninette , qui revient & qui éteint
les bougies en voyant entrer Aftolphe. Le
192 MERCURE DE FRANCE.
Prince lui en demande la raifon , & mon
tre une pudeur qu'elle paroît oublier. Elle
répond que fon coeur eft bien gardé la nuit
comme le jour , & le prie de lui apprendre
ce qu'il fouhaite d'elle. Il replique que fes
foupirs lui expliquent fes voeux : elle lui
repart qu'elle veut faire fon bonheur , &
qu'il attende un moment. Elle va chercher
la Princeffe ; & la met à fa place : le Prince
dit à Emilie , qu'il prend pour Ninette ,
J'ai defiré long-tems un coeur fans impofture ,
Un coeur fimple , ingenu , formé par la nature.
)
Ninette , en apportant des lumieres , répond
au Prince qu'il a trouvé ce thréfor
dans Emilie qui eft devant lui. Aftolphe ,
honteux de fon inconftance , rend fon
coeur à la Princeffe , qui lui pardonne. Colas
forti de deffous la table , paffe des plus
vives alarmes à la plus grande joie. Af-
-tolphe s'unit à la Princeffe , & Colas à Ninette.
Un bal dont nous avons rendu compte
, couronne agréablement ce troifieme
acte , dont le dénouement a paru moins
heureux que le refte de la piece : on peut
dire qu'elle eft pleine d'ingénieux détails ,
& qu'elle forme un recueil choisi d'ariettes
: italiennes en jolis vers françois.
Sila Servante Maîtrefle a fait des amans
paffionnés ,
AVRIL. 17558 193
paffionnés , Ninette à la Cour a trouvé
de zélés partifans ; chacune a fon mérite
particulier ; l'aînée eft peut - être mieux
faite , & la cadette eft plus fpirituelle.
Ninette àla Cour.
on
. Le théatre repréfente au premier acte
une campagne agréable , coupée d'arbres
fruitiers , avec des cabannes de païfans
fur les aîles. On les voit travailler à différens
ouvrages.
Ninette , en filant au rouer , ouvre la
premiere fcene avec Colas , & débute par
cette ariette .
Travaillons de bon courage ;
· La fraîcheur
De cet ombrage,.
La douceur
De ce ramage
Nous donne coeur
A l'ouvrage.
Près de l'objet, qui m'attendrit ,,
Je file à merveille ;
Quand la fatigue m'afſoupit ,.
L'amour me réveille.
Elle prie en même tems Colas d'aller
cueillir du fruit pour elle : il monte fur
un arbre , & voit la plaine couverte de
chiens & de piqueurs ; il defcend alors.
tour allarmé , & dit à Ninette :
Rentrez , rentsez morgué ces malins drilles ,,
AVRIL 1755. 181
Comme au gibier fefont la guerre aux filles.
Aftolphe , Roi de Lombardie , paroît
avec Fabrice , fon confident , & lui fait
l'aveu de fa paffion pour Ninette , par cette
jolie ariette ::
Oui , je l'aime pour jamais ;
Rien n'égale fes attraits.
De fon teint , la fleur naïve ,
Toujours fraîche , toujours vive ,
Confond les efforts de l'art.
C'eft la nature
Simple & pure ,
Elle enchante d'un regard.
Dans fon coeur eft l'innocence ';;
Dans les yeux eft la candeur ;
Sa parure eft la décence ,,
Et fon fard eft la pudeur.
Fabrice:fort , & Ninette revient em
chantant. Aftolphe lui témoigne fa furprife
de la voir fi contente dans un état fi
borné , & lui offre une fortune éclatante ,
en lui déclarant qu'il l'adore. Ninette qui
le prend pour un Officier de fa Cour , lui
répond naïvement que cette déclaration lui
fait grand plaifir gardez , lui dit-elle
Gardez tous vos tréfors ;je ne veux qu'une grace ;
• Vous fçavez que lpn chaffe
182 MERCURE DE FRANCE.
Tous les jours en ces lieux , du matin juſqu'au
foir.
Si vous avez quelque pouvoir ,
Parlez au Prince , afin que l'on nous débarraffe
De tout le train font fes gens.
que
Je ne comprens point quelle fievre
Peut faire ainfi courir les champs ;
Pour le plaifir de prendre un lievre
On ravage quarante arpens.
1 Elle le prie en conféquence de ne plus
revenir , en lui avouant franchement qu ' elle
aime Colas . Le Prince lui dit de mieux
placer fon ardeur , ajoutant qu'un fort
brillant l'attend à la Cour , & que les
charmes d'une toilette la rendront encore
plus belle. Qu'est- ce qu'une toilette , lui
demande Ninette ? Il lui en fait cette ingénieufe
defcription,
C'est un trône où triomphe Part :;
C'eft un autel que l'on érige aux graces;
C'est là qu'on peut , des tems rapprocher les ef
paces
Par l'heureux preftige d'un fard ,
Qui des ans applanit les traces.
Des couleurs du plaifir on ranime fon teint ;
Et le pinceau , rival de la nature ,
Par une agréable impofture , vrsti so'nd
Fait éclore la fleur d'un vilage enfantin.
AVRIL
$755. 183
Chaque jour on eft auf belle ;
D'un air plus triomphant la jeuneffe y fourit ,
La beauté même s'embellit
Se fixe , & devient immortelle .
Un tableau fi flateur pique la vanité curieufe
de Ninette ; mais elle craint de fâcher
Colas : il furvient dans cette irréfolution
, & fait éclater fa jalousie. Elle
l'avertit tout bas de la cacher , de
peur
d'irriter Aftolphe . Le Prince qui s'en apperçoit
, la raffure , en lui difant :
Si Colas vous eft cher , je deviens fon ami
Colas lui réplique : >
On n'eft guere ami du mari
Quand on yeut l'être de la femme.
Le Prince fort après avoir dit à Ni
-nette :
L'heureux Colas vous intéreſſe.
Paiffe-t-il mieux que moi faire votre bonheur !
Ninette reproche à Colas fa groffiereté ,
vis-à-vis d'un Seigneur fi poli , qui la veut
mener à la Cour : il lui répond qu'Aftolphe
lui parloit d'amour , & que cela ne
convient pas. Elle lui répart avec une ingénuité
rare aujourd'hui , même dans une
jeune païfanne.
184 MERCURE DE FRANCE .
Les Meffieurs de la Cour font trop bien élevés
Pour entreprendre rien contre la bienféance.
Colas qui apperçoit dans ce moment le
Prince qui revient , & qui la regarde de
loin , veut obliger Ninette à rentrer malgré
elle : elle refifte ; il la tire par le bras :
elle crie - alors , & chante avec toutes les
graces d'une jolie enfant qui pleure , cette
ariette fi , heureufement parodiée de Ber--
tholde à la Cour.
Ahi ahi ! il me fait grand mal ;:
Le brutal le brutal !
COLAS
Oui , je vous ai fait grand mal.
NINETTE.
Le Seigneur viant_ici ,
Ahi ! ahi ! puifqu'on me traite ainfi
Je vais me plaindre de ce pas..
COLAS.
Ninon..
NINETTENon
, non.
COLAS.
1
Morgué , quel embarras !
Ninon ,
A V.R IL
1.851 1755
Jte d'mande pardon. ,
NINETTE.
८
Non , non Y
Point de pardon.
Ahi ahi ! il m'a fait grand mal.
ASTOLPHE s'approchant , à Ninette.
Qu'avez -vous ?
NINETTE .
): Le brutal !
Ah ! qu'il m'a fait grand mal !
Ahi ! Ahi
NINETTE.
Ah ! j'ai bien du guignon . I'
ASTOLPH E.
O Dieux ! qu'avez-vous donc
NINETTE, ! |
Monfeigneur , c'eff Colas
Qui m'a , m'a , m'a demis le bras .
Hélas ! hélas !
à Colas.
Tu t'en repentiras.
Hélas ! hélas !
Oui , tu me le paîras.
KIM » Alii? ahiuvabi, le brash 10 4 alo
186 MERCURE DE FRANCE.
Aftolphe témoigne fa furprife en s'écriant
:
Eft-ce là ce tendre Colas ?
Colas veut s'emporter ; mais Fabrice lui
apprend qu'Aftolphe eft le Prince . Ninette
& Colas font furpris à leur tour . Le Prince
preffe Ninette de venir embellir fa Cour.
Elle y confent , en difant tout bas qu'elle
veut punir Colas fans lui manquer de foi .
Elle le quitte en lui adreffant cette Ariette
boufonne , qui commence par ces vers
Colas , je renonce au village ;
La cour me convient davantage.
& qui finit ainfi : JA
Quelque jour tu viendras
Tu verras. (bis.).
Sans ceffe
La preffe
Arrêtera tes pas ;
Et de loin , tu diras ,
Ah, Princeffe , Princeffe !
En t'inclinant bien bas
Protegez Colas ,
Ne l'oubliez pas.
Adieu , pauvre Colas,
1.
Colas fe defefpere , & veut fuivre NiAVRIL.
1755. 187
nette , mais il eft arrêté par une troupe de
chaffeurs . Ils le forcent à s'éloigner , &
forment une danfe qui termine le premier
acte. Il eſt brillant par le jeu & par le choix
des ariettes qui font parfaitement rendues
par Mme Favart & M. Rochart .
Le théatre change au fecond acte , & repréfente
un appartement du palais d'Aftolphe.
Ninette paroît en habit de Cour ; elle
eft fuivie de plufieurs femmes de chambre ,
qui portent chacune différentes parures ;
fan pannier l'embarraffe , & lui donne un
air gauche. Elle refufe le rouge dont on
veur l'embellir , & laiffe tomber les diamans
qu'on lui préfente, pour prendre des
fleurs artificielles , qu'elle jette un inſtant
après , en difant :
Elles ne fentent rien
Içi l'on ne doit rien qu'à l'arts
La beauté n'eft qu'une peinture ,
Jufqu'aux fleurs tout eſt impoſture.
Fabrice veut lui donner des leçons de
politeffe , mais elle le rebute , & prie le
Prince qui entre , de la débarrafler de cet
homme qui l'ennuie , ajoûtant qu'elle aimeroit
mieux voir Colas. Aftolphe lui répond
:
188 MERCURE DE FRANCE.
#
Vous allez voir Colas ; j'efpere qu'en ce jour
Vous mettrez entre nous un peu de différence ;
Je ne veux qu'à force d'amour
Lui difputer la préférence.
Il donne enfuite des ordres pour qu'on
montre à Ninette toute la magnificence
de fa Cour ; & voyant paroître la Princeffe
il fort pour l'éviter . Emilie ( c'eft le nom
de la Princeffe qui lui eft deftinée , ) tế-
moigne fes craintes à Clarice , fa confidente
, & la charge d'examiner les pas du Prince
& de Ninette. Elle exprime enfuite fes
fentimens par une ariette.
Viens , efpoir enchanteur ,
Viens confoler mon coeur , &c.
Voyant revenir Aftolphe avec fa petite
payfane , elle s'éloigne pour les obferver.
Le Prince demande à Ninette ce qu'elle
penfe de la Cour ; Ninette lui répond avec
une franchiſe fpirituelle.
J'ai vu de toute part de beaux petits objets
A talons rouges , en plumets ;
Ne font-ce pas des femmes en épées ?
J'ai vu trotter auffi de gentilles poupées ,
Qui portent des petits colets...
Ah ! que de plaifans perfonnages ,
AVRIL. 1755. 189
Crainte de déranger l'ordre de leurs vifages ,
Ils parlent tous comme des flageolets.
Tu , tu , tu tu. Dans nos villages -
2
Nous n'avons jamais vu de tels colifichets ,
Et puis j'ai vu de graves fréluquets ,
Qui prenoient un air d'importance.
Et de jolis vieillards coquets ,
Qui fembloient marcher en cadence ;
L'un d'eux , pour me voir de plus près ,
Jufques fous mon menton s'approche ,
En tirant un oeil de fa poche ;
C'eft un bijou , c'eft un Ange. Eh ! mais , mais..
Emilie s'avance , & fait un compliment
ironique à Ninette fur fes charmes , & la
félicite d'avoir fait la conquête d'Aſtolphe ,
qui s'en défend devant la Princeffe. Ninet
te répond qu'elle aime Colas . Le Prince
pour appuyer ce difcours , dit qu'il a donné
des ordres pour le faire venir. Ninette
réplique qu'elle aime mieux retourner au
village , & fort en chantant
ARI ETT E.
Dans nos prairies
Toujours fleuries ,
On voit fourire
Un doux zéphire , &c.
190 MERCURE DE FRANCE .
Le Prince raffare Emilie , & lui promet
de renvoyer Ninette ; mais dès qu'il eft
feul il peint fon irréfolution par une ariette.
Lé Nocher , loin du rivage
Lutte en vain contre l'orage , &c.
& fe retire fans fçavoir ce qu'il doit fai-
're.
Colas entre paré à peu - près comme Taler
dans Démocrite , & fe plaint comme
lui de la réception ridicule qu'on lui a
faite à la Cour . Ninette qui furvient , &
qui apperçoit Colas , baiffe fa coëffe , ſe
couvre le vifage de fon éventail , & contrefait
fa voix en grafféyant , pour éprou
ver Colas , & n'en être point reconnue .
Cette fcene a beſoin du jeu des acteurs
pour être fentie. Ninette en jouant les
vapeurs , déclare à Colas qu'elle eft épriſe
de fes charmes , & lui propofe de répondre
à fon ardeur , en l'affûrant que fa fortune
fera faite. Colas' qui la prend pour
une Dame de la Cour , répond qu'il y confent
, en difant tout bas :
Je ne veux qu'alarmer Ninette ,
Et le dépit me la ramenera.
Ninette alors fe dévoile , & fait éclater
fa colere contre Colas ; il a beau vouAVRIL
1755. 191
loir fe juſtifier , elle ne veut plus l'entendte.
Ce qui occafionne un duo dialogué
à l'Italienne , dont le contrafte toujours
foutenu , finit vivement le fecond acte.
20 Ninette ouvre feule le troifieme dans
le même appartement , où l'on voit des
lumieres fur une table. Elle fait entendre
dans une ariette qu'elle tirera bien-
-tôt vengeance d'un ingrat qui l'a trahie.
Fabrice vient l'avertir que le Prince doir
arriver dans un moment ; elle lui demande
fi Colas eft prévenu qu'elle doit parler
au Prince tête à tête ; Fabrice lui répond
qu'oui , & qu'il fait de gros foupirs . Emilie
entre , & paroit furpriſe de retrouver
encore Ninette , qui lui protefte qu'elle
eft à la Cour contre fon gré , & lui avoue
en riant qu'Aftolphe lui a demandé un
rendez - vous , qu'elle s'y trouvera , par la
raifon qu'une fille de bien ne craint rien.
Cette maxime n'eft pas toujours fure.
Comme on entend du bruit , Ninette en-
-gage la Princeffe à s'éloigner avec elle ,
ajoutant qu'elle a fur ce point un fecret
? à lui dire.
Colas arrive , guidé par fa jaloufie , & fe
cache fous la table pour entendre , › fans
cêtre vu l'entretien nocturne du Prince
avec Ninette , qui revient & qui éteint
les bougies en voyant entrer Aftolphe. Le
192 MERCURE DE FRANCE.
Prince lui en demande la raifon , & mon
tre une pudeur qu'elle paroît oublier. Elle
répond que fon coeur eft bien gardé la nuit
comme le jour , & le prie de lui apprendre
ce qu'il fouhaite d'elle. Il replique que fes
foupirs lui expliquent fes voeux : elle lui
repart qu'elle veut faire fon bonheur , &
qu'il attende un moment. Elle va chercher
la Princeffe ; & la met à fa place : le Prince
dit à Emilie , qu'il prend pour Ninette ,
J'ai defiré long-tems un coeur fans impofture ,
Un coeur fimple , ingenu , formé par la nature.
)
Ninette , en apportant des lumieres , répond
au Prince qu'il a trouvé ce thréfor
dans Emilie qui eft devant lui. Aftolphe ,
honteux de fon inconftance , rend fon
coeur à la Princeffe , qui lui pardonne. Colas
forti de deffous la table , paffe des plus
vives alarmes à la plus grande joie. Af-
-tolphe s'unit à la Princeffe , & Colas à Ninette.
Un bal dont nous avons rendu compte
, couronne agréablement ce troifieme
acte , dont le dénouement a paru moins
heureux que le refte de la piece : on peut
dire qu'elle eft pleine d'ingénieux détails ,
& qu'elle forme un recueil choisi d'ariettes
: italiennes en jolis vers françois.
Sila Servante Maîtrefle a fait des amans
paffionnés ,
AVRIL. 17558 193
paffionnés , Ninette à la Cour a trouvé
de zélés partifans ; chacune a fon mérite
particulier ; l'aînée eft peut - être mieux
faite , & la cadette eft plus fpirituelle.
Fermer
Résumé : EXTRAIT du Caprice amoureux, ou Ninette à la Cour.
L'extrait du 'Caprice amoureux' intitulé 'Ninette à la Cour' se compose de trois actes. Dans le premier acte, Ninette, une jeune fille vivant dans une campagne agréable, chante son amour pour Colas. Astolphe, roi de Lombardie, apparaît et avoue sa passion pour Ninette. Il lui propose une fortune et une vie à la cour, mais Ninette, fidèle à Colas, refuse et demande seulement que les chasseurs cessent de perturber leur village. Colas, jaloux, intervient et est rassuré par Astolphe. Ninette accepte finalement d'aller à la cour pour punir Colas, mais elle est arrêtée par des chasseurs et forcée de partir. Dans le deuxième acte, Ninette se trouve dans un appartement du palais d'Astolphe. Elle refuse les parures et les leçons de politesse, préférant la simplicité. Emilie, la princesse destinée à Astolphe, observe la situation et exprime ses craintes. Ninette décrit avec franchise et humour les personnages de la cour. Colas, déguisé, tente de séduire Ninette pour la tester, ce qui conduit à une dispute entre eux. Le troisième acte voit Ninette préparer sa vengeance contre Colas. Emilie et Astolphe se réconcilient après une méprise. Colas, caché, assiste à la scène et finit par se réjouir. Astolphe et Emilie se marient, et Colas se réconcilie avec Ninette. La pièce se termine par un bal. 'Ninette à la Cour' est décrite comme une pièce pleine d'ingéniosité et de détails, avec des ariettes italiennes en vers français.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
425
p. 18-20
STANCES A MLLE ***
Début :
De zéphir l'haleine légere [...]
Mots clefs :
Amour, Feux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : STANCES A MLLE ***
STANCES A MLLE ***
DEE zéphir l'haleine légere
Tempéroit les âpres chaleurs ;
Je m'amufois dans un parterre
A cueillir différentes fleurs.
Non loin étoit un lieu fauvage
Qu'un ruiffeau rendoit toujours frais ,
Et que plufieurs mýrtes épais
Couronnoient de leur verd feuillage.
P'approche , Iris , de cès boſquets ;
J'y vois le Dieu de la tendreffe
Qui , pour adoucir ma rudeffe ,
Aiguifoit méchamment les traits.
En vain , lui dis-je , de mon ame
Tu veux troubler la liberté ;
Une infenfible oifiveté
Vaut mieux que la plus vivė flamme.
M A I. 1755. 19
J'ai fçu , répond- il , tour -à-tour
Sur les Dieux gagner la victoire
Quel mortel ne mettroit fa gloire
A fentir les feux de l'amour ?
Ne fuis point un cher esclavage ;
Aime , mais tâche d'être aimé
De l'objet qui t'aura charmé ;
C'eft la fageffe de ton âge.
溺
Eh ! pourquoi gêner fes defirs ?
Ce font les biens de la jeuneffe.
Hélas ! le froid de la vieilleffe
Détruit affez tôt vos plaifirs.
Rends les armes à la plus belle ,
A tes yeux j'en laiffe le choix ;
Si tu la fléchis une fois ,
Ne lui deviens pas infidele.
Vous venez , Iris , dans ces lieux ;
Je vous vois , je rougis , foupire.
Je fens trop pour pouvoir rien dire ;
Mon trouble découvre mes feux.
20 MERCURE DE FRANCE.
N'allez point , par un air fevere ,
Me témoigner votre courroux ;
Notre bonhear dépend de vous ?
Voyez fi vous voulez le faire .
11. A
*
Exaucez aujourd'hui mes voeux !
Ce n'eft que pour les inhumaines
Que l'amour réferve fes peines .
Etre tendre , c'est être heureux.
Vons joignez le double avantage
De l'efprit & de la beauté ;
Et vous pourriez par la fierté
Ternir un fi rare aflemblage.
Cedez , & ne mépriſez pas
De mon coeur le fincere hommages
Si vous craignez qu'il foit volage ,
Ofez confulter vos appas.
Ad .... D'Arp ...
DEE zéphir l'haleine légere
Tempéroit les âpres chaleurs ;
Je m'amufois dans un parterre
A cueillir différentes fleurs.
Non loin étoit un lieu fauvage
Qu'un ruiffeau rendoit toujours frais ,
Et que plufieurs mýrtes épais
Couronnoient de leur verd feuillage.
P'approche , Iris , de cès boſquets ;
J'y vois le Dieu de la tendreffe
Qui , pour adoucir ma rudeffe ,
Aiguifoit méchamment les traits.
En vain , lui dis-je , de mon ame
Tu veux troubler la liberté ;
Une infenfible oifiveté
Vaut mieux que la plus vivė flamme.
M A I. 1755. 19
J'ai fçu , répond- il , tour -à-tour
Sur les Dieux gagner la victoire
Quel mortel ne mettroit fa gloire
A fentir les feux de l'amour ?
Ne fuis point un cher esclavage ;
Aime , mais tâche d'être aimé
De l'objet qui t'aura charmé ;
C'eft la fageffe de ton âge.
溺
Eh ! pourquoi gêner fes defirs ?
Ce font les biens de la jeuneffe.
Hélas ! le froid de la vieilleffe
Détruit affez tôt vos plaifirs.
Rends les armes à la plus belle ,
A tes yeux j'en laiffe le choix ;
Si tu la fléchis une fois ,
Ne lui deviens pas infidele.
Vous venez , Iris , dans ces lieux ;
Je vous vois , je rougis , foupire.
Je fens trop pour pouvoir rien dire ;
Mon trouble découvre mes feux.
20 MERCURE DE FRANCE.
N'allez point , par un air fevere ,
Me témoigner votre courroux ;
Notre bonhear dépend de vous ?
Voyez fi vous voulez le faire .
11. A
*
Exaucez aujourd'hui mes voeux !
Ce n'eft que pour les inhumaines
Que l'amour réferve fes peines .
Etre tendre , c'est être heureux.
Vons joignez le double avantage
De l'efprit & de la beauté ;
Et vous pourriez par la fierté
Ternir un fi rare aflemblage.
Cedez , & ne mépriſez pas
De mon coeur le fincere hommages
Si vous craignez qu'il foit volage ,
Ofez confulter vos appas.
Ad .... D'Arp ...
Fermer
Résumé : STANCES A MLLE ***
Le texte est un poème d'amour adressé à une demoiselle. Le narrateur se promène dans un jardin et rencontre le dieu de la tendresse, qui tente de troubler son âme. Initialement, le narrateur préfère une insensibilité tranquille à une passion ardente. Le dieu de la tendresse vante alors les mérites de l'amour, encourageant le narrateur à aimer et à être aimé, soulignant que c'est la sagesse de la jeunesse. Le narrateur exprime ses désirs et ses craintes, reconnaissant la beauté et l'esprit de la demoiselle. Il lui demande de ne pas mépriser ses hommages sincères et de ne pas craindre son inconstance, l'invitant à considérer ses charmes. Le poème se conclut par une supplique à la demoiselle de répondre favorablement à ses vœux, insistant sur le bonheur que l'amour tendre peut apporter.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
426
p. 39-57
HISTOIRE ANGLOISE. PAR MLLE DE L. A MADAME LA C... DE G....
Début :
Je vous devois une dédicace, pourrois-je mieux la placer qu'en vous adressant [...]
Mots clefs :
Kylemore, Château, Comte, Homme, Femme, Honneur, Vertu, Plaisir, Irlande, Histoire anglaise, Amour, Angleterre
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE ANGLOISE. PAR MLLE DE L. A MADAME LA C... DE G....
HISTOIRE ANGLOISE.
PAR MLLE DE L.
A MADAME LA C ... DE G ....
E vous devois une dédicace , pourrois-
Jje micus la placer qu'en vous adreffant
une hiftoire que vous avez defiré de voir
écrite il eft jufte de fervir vos defirs .
Ah ! peut-on vous dédier un ouvrage qui
vous foit plus propre que celui qui fait
l'éloge d'une femme qui a mérité toute la
confidération & toute l'eftime de fon mari
, vous qui faites la félicité du vôtre , &
le bonheur de tous vos amis ? Vous aimez
ce qui peint la vertu & l'amour honnête ;
j'ai écrit ce que vous avez bien voulu
m'en apprendre : heureuſe de vous écouter
quand je vous vois , & de m'occuper de
ce que vous m'avez dit quand je vous
perds de vûe. S'il vous eût plû de me dicter
cette hiftoire , j'aurois eu plus de plaifir
à l'écrire , & l'on en auroit eu davantage
à la lire ; recevez- la donc telle que je
l'ai reçue de vous , comme un gage de ma
complaifance pour ce qui peut vous plaire ,
& un hommage de ma tendre amitié.
40 MERCURE DE FRANCE.
Les Comtes de Kilmore , originairement
Irlandois , s'établirent en Angleterre
dès que ce royaume eut réuni fous les mêmes
loix l'Ecoffe & l'Irlande. Les grandes
alliances qu'ils firent dans l'Angleterre les
en rendirent comme citoyens. Poffeffeurs
de grandes terres dans ce royaume , elles
fe trouverent réunies fur la tête d'un feul
fous ce dernier regne. Le Comte de Kilmore
, unique héritier de tant de riches
fucceffions , ne fe fentit point flaté du defir
de conferver fon nom , prêt à s'éteindre .
Un dégoût univerfel pour tout ce pour tout ce qui peut
charmer un homme de fon âge & de fon
rang , lui fit envifager la Cour avec la
plus profonde indifférence ; il ne voulut
y entendre parler d'aucun établiſſement.
Uniquement occupé de l'étude en tous
genres , où la fagacité de fon efprit lui
faifoit faire chaque jour de nouvelles découvertes
, il réfolut de s'y livier tout entier
, & fe retira dans le Caernarvand , où
il avoit une fort belle terre . C'étoit un
château fort noble & fort ancien , fitué fur
le bord du canal de Menay , dont on découvroit
de loin la fameufe ifle d'Anglefei.
Lorfque le ciel étoit ferein , la mer ,
par fa vafte étendue , rendoit ce lieu trifte
, mais analogue aux penfées du Comte ;
de hautes montagnes couvertes de bois ou
MA I. 1755. 41
de petits villages , terminoient la vue de
l'autre côté , & offroient dans leurs gorges
de jolies prairies entrecoupées de petits
ruiffeaux. Cette fituation terrible &
fauvage parut fort agréable au Comte , il
s'y établit avec un plaifir d'autant plus
fenfible qu'il crut avec raifon qu'il ne ſeroit
point interrompu dans fes fçavantes
méditations.
Kilmore avoit déja paffé dix années
dans le château ; la philofophié le foutenoit
contre l'ennui de la folitude : un feul
ami lui étoit refté , qui de temps en tems
venoit partager la retraite ou ranimer la
converfation du Comte. Cet ami fe nommoit
Laflei.
Un jour que Kilmore & lui fe promenoient
fur une grande terraffe qui s'élevoit
au- deffus de la mer , & que Kilmore
admiroit avec fon ami la vaſte étendue
de cet élément , Laflei prit la parole :
j'approuve avec vous , Milord , lui ditil
, que les beautés de la nature , toutes
admirables & toutes diverfifiées qu'elles
font , portent l'ame à la trifteffe la plus
profonde. Cette mer , cette ifle que nous
appercevons là-bas , ces prairies , ces jolis
villages qui couvrent ces montagnes dont
la cime perce les nûes , tout cela , mon
cher Kilmore , eft au premier coup d'oeil
42 MERCURE DE FRANCE..
d'une beauté fans pareille ; mais cette
beauté eſt toujours la même : encore fi ,
comme dans les tems où les ténébres du
paganifme enveloppoient la terre , nous
voyions dans les bois des dryades , des
nymphes dans les prairies , des nayades
dans les fontaines , fur cette vafte mer
Neptune dans un char entouré de tritons
& de fes charmantes fyrenes , dont les
chants mélodieux raviffoient les mortels ,
tout cela , dis- je , animéroit votre folitu
de. Mais votre fage religion a fait mainbaffe
fur tous ces êtres divertiffans ; la
philofophie chrétienne nous a rendu la
nature fimple & dénuée de ces agrémens
que la folie des anciens avoit divinifés ;
un férieux noble & majeftueux en a pris
la place , & je ne conçois pas comment
depuis dix ans vous refiftez à la langueur
que cette folitude doit jetter dans.
votre ame. Kilmore fourit de l'enthoufiafme
de fon ami ; j'avoue , dit- il , qu'il
eft très- malheureux que votre univers foit
privé de tous les objets que vous venez de
décrire ; mais comme je ne fuis pas accoutumé
à les trouver , je ne me fuis pas
avifé de les regretter. Une fleur qui fe
développe , fon progrès , fa deftruction
un fruit que je cultive , un arbre que j'émonde
, & qui s'éleve à vûe d'oeil , me
3
M A I. 1755. 43
tiennent lieu de vos nymphes & de vos
dryades ; la république des oifeaux , celle
des fourmis ou des mouches à miel me
conduifent à des réflexions folides que vos
fyrenes dérangeroient fans doute ainfi ,
mon cher Laffei , je vis tranquille , &
mon ennui eft fi doux qu'il ne me pefe
point du tout. Il eft vrai qu'il me vient
quelquefois en penfée d'avoir quelques
témoins de mes découvertes , & par un
refte d'amitié pour le genre humain , je
fens que je ne ferois point fâché d'avoir
quelques amis , ou qui partageaffent mon
goût & mes connoiffances , ou qui me
donnaffent les leurs.
Après que ces deux amis eurent longtems
cherché les moyens de rendre la folitude
de Kilmore plus animée fans qu'il
lui en coutât le chagrin de changer de
vie , celui-ci dit à Laflei qu'il avoit envie
d'écrire à quelques- uns des amis qu'il avoit
laiffés à Londres dans le tems qu'il y vivoit
, & de les prier de venir paffer avec
lui le tems qu'ils auroient de libre dans
l'année.
Cette idée , reprit Laflei , ne s'accorde
point du tout avec votre philofophie ; &
où, Milord , avez vous connu des hommes
qui fe fouviennent d'un ami qu'ils
n'ont pas vû depuis dix ans peut-être un
+
44 MERCURE DE FRANCE.
de ceux- là s'en fouvient , cela peut être ;
mais comptez-vous fur le refte , en bonne
foi ? avouez qu'en approfondiffant la nature
vous avez oublié les défauts de l'humanité
; d'ailleurs je veux que tous ceux qui
ont été vos amis en foient les chef-d'oeuvres
: croyez- vous , Milord , qu'après avoir
fait cent vingt- huit milles pour venir vous
voir par curiofité , ils y reviennent affidument
, & s'accommodent de ne vous voir
que des inftans dans la journée ? n'y comptez
pas mais mariez- vous ; voilà ce que
je crois plus poffible : ayez une femme
aimable qui tienne votre maiſon , annoncez-
le à vos amis , alors ils y viendront ,
& vous , maître de vous livrer à vos férieufes
occupations , vous le ferez auffi de
revenir chez votre femme aux heures qui
vous conviendront , & d'y trouver des
de vous délaffer , par une converfation
agréable , de la fatigue de votre camoyens
binet.
Il faut convenir , dit Kilmore , que
cette idée eft très -jufte & plus raifonnable
que la mienne . Je conviens , mon cher
Laflei , que vous avez raifon , & que c'eft
le feul parti que j'aie à prendre : choififfez-
moi une femme telle qu'il me la faut
je vous en ferai très -obligé.
Moi , choifir ! dit Laflei , vous n'y penMA
I. 1755. 45
fez
pas , Milord : je pourrois à peine en
choifir une pour moi-même ; jugez ſi je
le rifquerois pour vous. D'ailleurs j'ignore
ce qui vous convient ... Ah ! Milord , reprit
Kilmore , ni le bien , ni la naiffance
ne peuvent me déterminer . Pour le premier
article , vous fçavez que je fuis affez
riche pour me paffer des biens qu'une
femme m'apporteroit ; quant au fecond ,
je crois que ce n'eft pas toujours dans la
plus haute nobleffe qu'on trouve les femmes
les mieux nées ; cela arrive quelque
fois j'en conviens , mais les préjugés
qu'on a là - deffus font impertinens , & Dieu
merci , je m'en fuis garanti. Je fçai que
l'éducation peut beaucoup fur une belle'
ame ; mais qu'avance -t-elle fur celle qui
eft née fans vertu ?
>
Ces belles ames ont- elles le droit d'animer
feulement les filles de qualité ? elles
dérivent du même principe , & font départies
dans nos corps au hazard ; ainfi
l'on trouve également la vertu avec l'éducation
, comme la vertu fans éducation ;
fouvent même ces principes ne fervenţ
qu'à mafquer les défauts d'une jeune perfonne
, elle fe contraint inceffamment
les cacher au public , tandis qu'un mal- i
heureux mari eft le martyr de fa difcrette
moitié , qui fe fait un jeu de le deshopour
46 MERCURE DE FRANCE.
norer. Je ne veux donc point , mon cher
Laflei , de ces filles élevées avec tant de
foin , & qui en prendroient fi peu
de me.
rendre heureux. Je fçai qu'un homme fage,
ne fait pas dépendre fon honneur d'une
femme folle & imprudente ; mais le préjugé
eft contre lui , & tout homme raifonnable
doit éviter ce malheur : cherchez-
moi donc une fille fage & honnête ,
fur tout que fon humeur fympatife avec
la mienne , que vous fçavez n'être pas
bien extraordinaire.
Milord , reprit Laflei , je ne doute pas
qu'il n'y ait des femmes telles que vous
les defirez , mais je n'en connois point ,
& me garderois bien de vous confeiller
en pareil cas. Mais puifque vous êtes affez
philofophe pour paffer par-deffus le bien
& la qualité , voyez vous même autour
de vous : votre pafteur , par exemple , a
trois filles élevées fous fes yeux ; la fimplicité
de fes moeurs , la fageffe de fon
caractere répondent que fes filles n'ont
point reçu cette éducation redoutable qui
mafque l'art fous les traits de la nature.
Confultez votre coeur , & choififfez parmi
les jeunes filles laquelle il vous dictera de
prendre.
Ce n'eft point ici une affaire de coeur ,
reprit Kilmore , ne vous y trompez pas;
MA I. 1755. 47
c'eft une affaire jufte & raiſonnable : vous
avez bien imaginé , j'irai demain voir M.
Humfroy , & je lui demanderai une de
fes filles. Kilmore ayant pris ce parti
n'en parla plus de la foirée à fon ami , qui
le quitta après fouper pour retourner au
château qu'il avoit dans le voifinage , où
quelques affaires le demandoient.
Kilmore , ſuivant fon caractere , ne fe
leva pas le lendemain plutôt qu'à l'ordinaire.
Quand il fut habillé , il fit mettre
fes chevaux à une chaife pour aller à fon
village , diftant d'environ deux milles de
fon château , & fut defcendre droit au
prefbytere. Il trouva M. Humfroy corrigeant
un fermon qu'il devoit prêcher le
lendemain .
Surpris de voir fon Seigneur chez lui ,
honneur qu'il ne lui avoit jamais fait , M."
Humfroy le reçut avec toutes les marques
d'un profond refpect ; il cherchoit
dans fa tête de quoi il pourroit dignement
l'entretenir , lorfque Kilmore arrêta brufquement
la confufion de fes penfées , en
lui déclarant clairement le fujet qui l'amenoit
chez lui.
Si M. Humfroy avoit été étonné de
voir Kilmore , il le fut bien davantage
quand il apprit ce qui l'y amenoit. Comme
il étoit homme de bon fens , il ne fit
pas
48 MERCURE DE FRANCE.
d'autre réponſe que de lui demander s'il
avoit bien fongé à ce qu'il faifoit , & s'il
étoit poffible de croire qu'un homme de fa
naiffance voulût s'abaiffer jufqu'à faire une
pareille alliance ?
J'y ai très-fort fongé , reprit Kilmore ;
vos bonnes moeurs , votre vertu , m'ont fait
penfer que vos filles vous reffemblent ; je
ne veux pas pourtant contraindre leurs volontés
, je veux qu'un choix libre les détermine
faites-les venir , expofez leur le
fujer pour lequel vous les appellez : je
vous ai dit la façon dont je vis ; fi l'une
d'elles n'a aucune répugnance à partager
ma folitude , je fuis prêt à lui donner ma
foi tout à l'heure.
M. Humfroy ne douta plus que tout ce
que difoit Kilmore ne fûr certain ; il appella
fes filles qui , fimplement vêtues ,
mais très-proprement , vinrent aux ordres
de leur pere. M. Humfroy les fit affeoir
felon l'ordre de l'âge en face du Milord ,
il leur expofa nettement le fujet de fa vifite.
Ces trois filles , dont l'aînée avoit à
peine dix -huit ans , & les deux autres environ
feize & dix- fept , écouterent en grand
filence ce que difoit leur pere ; elles le
garderent même encore affez long- tems
après qu'il eut parlé : elles fe regarderent
les
MAI. 1755 . 49
les unes & les autres , & refterent les
yeux baiffés en attendant que leur pere les
interrogeât. Dès que M. Humfroy crut
leur avoir laiffé affez de tems pour refléchir
, il s'adreffa à l'aînée : Laure , lui ditil
, c'étoit le nom de cette belle fille , avez
vous penfé à ce que je viens de vous dire ?
& fi vous m'avez entendu , y confentezvous
? dites votre avis naturellement , fans'
crainte de me déplaire.
›
L'honneur que Milord nous fait , reprit
modeftement Laure me flate fenfiblement
; mais , mon pere , puifque vous me
permettez que je dife mon fentiment , je
n'ai point encore affez de connoiffance
des chofes du monde pour trouver qu'un
mariage fi honorable me rende plus heureufe
; je fuis contente de mon état , &
je vous fupplie de ne pas trouver mauvais
que je vous demande d'y refter .
Cette réponſe de la belle Laure fâcha
Kilmore ; il trouva qu'une perfonne qui
penfoit fi fagement , méritoit qu'on la regrettât
. Et vous , ma fille , dit M. Humfroy
à Julie , la feconde de fes filles , penfez-
vous comme votre foeur ? répondez ,
mais répondez felon ce que vous penfez.
Non , mon pere , répondit la jeune Julie
, je trouve ce mariage au- deffus de mon
attente ; mais je l'accepte dans l'idée où je
C
So MERCURE DE FRANCE.
fuis que Milord me rendra heureufe ;:
puifqu'il vient choifir parmi nous , & que.
vous l'agréez .
M. Humfroy prit alors fa fille par la
main , & la préfenta à Kilmore, qui l'affura ,
qu'il tâcheroit par toutes fortes de bons
procédés de juftifier les idées avantageufes
qu'elle avoit prife de lui. Alors il fut,
queftion d'appeller un Notaire ; M. Humfroy
y alla lui -même , & l'amena fur le
champ , avec un ancien Alderman qui avoit
une maifon dans le village , & qui voulut
bien fervir de témoin.
M. Humfroy étoit fi tranfporté du bonheur
qui arrivoit à fa fille , qu'il ne fe
connoiffoit plus ; il nommoit fes trois
filles à tous propos , embraffoit le Milord
& l'Alderman tour à tour fans fonger
qu'il troubloit le Notaire dans fa fonction.
Kilmore de fon côté voulant paroître
aimable à Julie , lui difoit, quelques
mots polis , & caufoit avec fes fours qui
avoient l'air plus gai & moins embarraſſe
qu'elle. Elimais fur- tout la plus jeune de
difoit mille chofes agréables à Julie
, qui fembloit enfevelie dans une profonde
rêverie.
toutes ,
Quand il fut queftion de lire le contrat,
il fe trouva qu'au lieu du nom de Julie le
Notaire y avoit fubftitué celui d'Elimaïs.
MAI 1755 SI
Ce contre-tems embarraffa fort le Milord,
qui avoit trouvé déja cet ouvrage fort
long , & qui s'impatientoit de ce qu'il
falloit le recommencer de point en point.
Cette difcuffion avoit arrêté toute la joie ;
chacun difoit fon avis , & perfonne no
convainquoit le Notaire , qui prouvoit
invinciblement qu'il falloit recommencer.
On alloit enfin céder à la vérité de cette
repréſentation , lorfque Julie fe leva , &
s'avançant vers fon pere ; cette affaire , lui
dit-elle avec un rouge modefte qui lui
couvrit les joues , peut aifément s'accommoder
; permettez , mon pere , que je céde
mes droits & l'honneur que me fait Milord
à ma foeur Elimaïs , tout fera dit alors,
& il n'y aura plus d'embarras. Comment
Julie , dit M. Humfroy , penfez- vous bien
à ce que vous faites ? oui , mon pere , reprit-
elle,; un engagement auffi grand me
fait peur , & je vous fupplie de permettre
que je m'en défifte. Elimaïs eft plus jeune ,
& par conféquent elle fera moins de réflexions
, d'ailleurs elle aura moins de tems
pour les écouter & .....Je n'entens point
cela , interrompit brufquement M. Humfroy
, vous avez donné votre parole de
bonne grace ; ainfi , Julie , je veux .....
Non , Monfieur , interrompit à fon tour
Kilmore , ma propofition n'eft faite qu'à
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
condition qu'elle fera acceptée fans nulle
répugnance. Julie la refufe , je vous prie
de ne la pas contraindre : interrogez la
belle Elimaïs , fi elle penfe comme fes
foeurs , rien ne fera fait , & je me retirerai
en vous remerciant de votre bonne volonté.
Eh bien , Elimaïs ! dit le bon Minif
refufes- tu comme Laure & Julie
Phonneur que Milord veut nous faire ?
répons , ma fille , & ne te troubles point
mais répons comine tu penfes ? Elimaïs
ne balança pas , elle répondit de trèsbonne
grace qu'elle fe faifoit un plaifir
d'obéir à fon pere ; alors jettant fur lui
un regard timide pour fçavoir fi ce qu'elle
avoit dit lui avoit plû ou non ; comme
elle le vit fourire , elle fe jetta à fon col
avec une grace enfantine & fi tendre que
les larmes en vinrent aux yeux du bon
homme ; Kilmore même fut ému , & ne
put s'empêcher de baifer la main de la
jeune Elimaïs , que M. Humfroy lui préfenta
. Milord prit au plus vite la plume &
la pria de vouloir ne pas différer de figner
fon bonheur. Elimaïs figna tout de fuite ;
tout le monde ayant figné à fon tour , Kilmore
& Elimaïs furent conduits à l'Eglife ,
où ils recurent la bénédiction nuptiale de
M. Humfroy , qui ne fe fentoit pas de joig
de voir Elimais fi bien établie .
M -A I
1755. 33
En fortant de la paroiffe , M. Humfroy
dit à fon gendre qu'il efpéroit qu'il voudroit
bien recevoir de lui un repas fimple
& frugal , n'ayant pas eu le tems de lui en
faire préparer un plus digne de lui.
Monfieur , dit Kilmore , j'accepterois
volontiers ce que vous voulez bien m'offrir
fi je n'étois preffé de mener ma femme
dans fon château , elle & moi aurons
cet honneur une autre fois , mais je vous
fupplie de ne pas vous oppofer en ce moment
-ci à l'empreffement que j'ai de la
rendre maîtreffe de mon château , ni elle
ni moi ne tarderons pas à venir vous rendre
ce que nous vous devons , & je vous
prie d'être perfuadé qu'en mon particulier
je n'y manquerai jamais . Cela dit , Kilmore
embraffa fon beau -pere & fes bellesfours.
M. Humfroy n'infifta pas davantage
fit une courte exhortation à Elimaïs
fur fes devoirs , & Milord lui donna la
main pour monter dans la chaife , où montant
après elle ils fortirent du village , &
arriverent bientôt chez lui.is , Hood brib
A
Le premier foin de Kilmore en arrivant,
fut de faire ouvrir le plus bel appartement
& d'y conduire Elimais voilà , dit- il
l'appartement que j'ai toujours deſtiné à
mon époufe , & j'efpere que vous voudrez
bien que je le partage feulement la nuit
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
*
avec vous. Elimaïs répondit naïvement
qu'il en étoit le maître. Madame , lui ditil
, vous voyez que je n'ai pas eu le tems
de me préparer à vous recevoir , ainfi je
n'ai à vous offrir ni bijoux , ni diamans ,
en un mot tout ce qui pourroit vous
plaire , mais vous ferez la maîtreffe d'en
faire l'emplette à votre goût , & comme il
vous plaira l'argent néceffaire vous fera
donné auffi-tôt que vous le voudrez . Milord
, reprit Elimaïs , je n'ai jamais conçu
que ces bagatelles puffent faire le vrai
bonheur , & par conféquent je ne les ai
jamais defirées : fi cependant elles doivent
m'aider à foutenir l'éclat du rang ou
Vous venez de m'élever , je ne refuſerai
rien de ce qui me pourra fervir à vous faire
honneur Kilmore trouva beaucoup de
bon fens & de fentiment honnête à cette
réponſes iben loua fon époufe , qui fur
étonnée qu'on louât une chofe qu'elle
Groyoit que tout le monde devoit penfer
naturellement. On vint leur dire que le
ils fe mirent à table , la
confervation ne fut pas fört animée. Après
qu'ils en furent fortis , Kilmore apporta
un petit rouet à fa femme. Vous aimez
peut-être à travailler , lui dit- il , je vous
apporte ce rouet pour vous prévenir contre
l'ennui de la defoccupation: Vous me
"
2
dîné étoit fer . Op m
MASI. 1755.
55
faites plaifir , lui dit- elle , je penfois déja
que j'aurois été bien aife d'envoyer chez
mon pere chercher ma quenouille ; alors
Elimaïs , d'une main adroite , mit en train
fon rouet , & fila de la meilleure grace du
monde.
Pendant ce tems Milord lut , écrivit ,
l'interrogea quelquefois fur fes goûts , fur
fes amufemens , fur la vie qu'elle menoit
chez fon pere ; à quoi elle répondit trèsjufte
, très-fenfément & en peu de mots.
Le foleil étant couché , Kilmore propofa
de s'aller promener , ce qu'Elimaïs accepta
avec plaifir. Ils entrerent enſemble dans le
jardin , elle en loua les beautés avec difcernement
; ce qui lui parut moins agréable
, elle le dit avec la même franchiſe ,
donnant des raifons très- conféquentes de
ce qu'elle difoit : elle prouva à Kilmore
qu'elle avoit autant d'efprit que de goût.
Comme la foirée étoit belle , les deux
époux le promenerent jufqu'à l'heure du
fouper ; en rentrant ils fe mirent à table.
Comme la journée n'avoit pas produit
de grands événemens , ils ne parlerent
gueres plus à fouper qu'ils avoient
fait à dîner. La. converfation d'après ne
fut pas plus intéreffante : quelques quefftions
entrecoupées , des réponfes laconiques
, voilà à quoi cela fe termina .
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Les femmes d'Elimaïs entrerent , fon mari
paffa dans un cabinet pour fe deshabiller
tandis qu'elle fe mettoit au lit ; & quand
on vint l'avertir qu'elle y étoit , il congédia
fes domeftiques , & vint fe mettre auprès
d'elle.
Il y étoit à peine , que fe mettant fur fon
féant , il fonna fes gens avec un grand
empreffement. Que vous plaît- il , Milord
lui demanda Elimaïs ? C'eft , dit- il , que j'ai
oublié quelque chofe : un valet entra dans
le moment ; ouvre mon rideau, dit Kilmore
à cet homme , allume mon bougeoir , &
m'apporte ma grande Bible & mes lunettes
: le domeftique obéit & fe retira.
Kilmore mit effectivement fes lunettes
& ouvrit fa grande Bible , où il fe mit à lire
apparemment tout haut. Elimaïs ne marqua
aucun étonnement de cette façon extraordinaire
de fe comporter : elle écouta paiſiblement
pendant une grande demi -heure
cette férieufe lecture ; mais à fon tour fe
mettant fur fon féant , elle fonna fes femmes.
Que voulez- vous , Madame , lui dit
Kilmore ? Ce n'eft rien , Milord , dit-elle ,
ne vous interrompez pas pour cela ; donnezmoi
mon rouet , dit- elle à fa fille qui entra.
Kilmore , à cette demande , éclata de
rire , & jettant la Bible , les lunettes & foufflant
le bougeoir , il renvoya la femme de
M A 57
*
I. 1755.
་
chambre avec le rouet & la lumiere ; &
fe jettant au col de fa femme , ma chere
Elimaïs , lui dit- il en l'embraffant , vous
êtes une perfonne charmante , ce dernier
trait d'efprit & d'attention pour moi vous
donne mon coeur à jamais ; je vous ai
éprouvé toute la journée ; vous n'êtes
fufceptible ni d'ennui , ni d'humeur ; vous
êtes celle qui devoit me rendre le plus
heureux des hommes ; ma chere Elimaïs ,
je vous adore. Alors Milord ferma fon rideau
, & nous le tirerons auffi fur le refte
de l'hiſtoire , pour ne point troubler les
myſteres de l'amour conjugal , dont la décence
& la modeſtie doivent faire l'appanage..
On a appris depuis cette relation écrite ,
très-vraie dans toutes fes circonstances , que
Milord Kilmore , enchanté de ſon choix &
des vertus de fa femme , ainfi de fes
que
agrémens , a abandonné fon goût pour la
retraite & pour la Philofophie. Uniquement
occupé de plaire à Elimaïs , il eft"
revenu à Londres avec elle ; leur union
fait l'envie & l'admiration de cette ville.
Ils y tiennent un grand état , & tout ce
qu'il y a de confidérable & d'aimable dans
l'un & l'autre fexe s'y raflemble journellement.
PAR MLLE DE L.
A MADAME LA C ... DE G ....
E vous devois une dédicace , pourrois-
Jje micus la placer qu'en vous adreffant
une hiftoire que vous avez defiré de voir
écrite il eft jufte de fervir vos defirs .
Ah ! peut-on vous dédier un ouvrage qui
vous foit plus propre que celui qui fait
l'éloge d'une femme qui a mérité toute la
confidération & toute l'eftime de fon mari
, vous qui faites la félicité du vôtre , &
le bonheur de tous vos amis ? Vous aimez
ce qui peint la vertu & l'amour honnête ;
j'ai écrit ce que vous avez bien voulu
m'en apprendre : heureuſe de vous écouter
quand je vous vois , & de m'occuper de
ce que vous m'avez dit quand je vous
perds de vûe. S'il vous eût plû de me dicter
cette hiftoire , j'aurois eu plus de plaifir
à l'écrire , & l'on en auroit eu davantage
à la lire ; recevez- la donc telle que je
l'ai reçue de vous , comme un gage de ma
complaifance pour ce qui peut vous plaire ,
& un hommage de ma tendre amitié.
40 MERCURE DE FRANCE.
Les Comtes de Kilmore , originairement
Irlandois , s'établirent en Angleterre
dès que ce royaume eut réuni fous les mêmes
loix l'Ecoffe & l'Irlande. Les grandes
alliances qu'ils firent dans l'Angleterre les
en rendirent comme citoyens. Poffeffeurs
de grandes terres dans ce royaume , elles
fe trouverent réunies fur la tête d'un feul
fous ce dernier regne. Le Comte de Kilmore
, unique héritier de tant de riches
fucceffions , ne fe fentit point flaté du defir
de conferver fon nom , prêt à s'éteindre .
Un dégoût univerfel pour tout ce pour tout ce qui peut
charmer un homme de fon âge & de fon
rang , lui fit envifager la Cour avec la
plus profonde indifférence ; il ne voulut
y entendre parler d'aucun établiſſement.
Uniquement occupé de l'étude en tous
genres , où la fagacité de fon efprit lui
faifoit faire chaque jour de nouvelles découvertes
, il réfolut de s'y livier tout entier
, & fe retira dans le Caernarvand , où
il avoit une fort belle terre . C'étoit un
château fort noble & fort ancien , fitué fur
le bord du canal de Menay , dont on découvroit
de loin la fameufe ifle d'Anglefei.
Lorfque le ciel étoit ferein , la mer ,
par fa vafte étendue , rendoit ce lieu trifte
, mais analogue aux penfées du Comte ;
de hautes montagnes couvertes de bois ou
MA I. 1755. 41
de petits villages , terminoient la vue de
l'autre côté , & offroient dans leurs gorges
de jolies prairies entrecoupées de petits
ruiffeaux. Cette fituation terrible &
fauvage parut fort agréable au Comte , il
s'y établit avec un plaifir d'autant plus
fenfible qu'il crut avec raifon qu'il ne ſeroit
point interrompu dans fes fçavantes
méditations.
Kilmore avoit déja paffé dix années
dans le château ; la philofophié le foutenoit
contre l'ennui de la folitude : un feul
ami lui étoit refté , qui de temps en tems
venoit partager la retraite ou ranimer la
converfation du Comte. Cet ami fe nommoit
Laflei.
Un jour que Kilmore & lui fe promenoient
fur une grande terraffe qui s'élevoit
au- deffus de la mer , & que Kilmore
admiroit avec fon ami la vaſte étendue
de cet élément , Laflei prit la parole :
j'approuve avec vous , Milord , lui ditil
, que les beautés de la nature , toutes
admirables & toutes diverfifiées qu'elles
font , portent l'ame à la trifteffe la plus
profonde. Cette mer , cette ifle que nous
appercevons là-bas , ces prairies , ces jolis
villages qui couvrent ces montagnes dont
la cime perce les nûes , tout cela , mon
cher Kilmore , eft au premier coup d'oeil
42 MERCURE DE FRANCE..
d'une beauté fans pareille ; mais cette
beauté eſt toujours la même : encore fi ,
comme dans les tems où les ténébres du
paganifme enveloppoient la terre , nous
voyions dans les bois des dryades , des
nymphes dans les prairies , des nayades
dans les fontaines , fur cette vafte mer
Neptune dans un char entouré de tritons
& de fes charmantes fyrenes , dont les
chants mélodieux raviffoient les mortels ,
tout cela , dis- je , animéroit votre folitu
de. Mais votre fage religion a fait mainbaffe
fur tous ces êtres divertiffans ; la
philofophie chrétienne nous a rendu la
nature fimple & dénuée de ces agrémens
que la folie des anciens avoit divinifés ;
un férieux noble & majeftueux en a pris
la place , & je ne conçois pas comment
depuis dix ans vous refiftez à la langueur
que cette folitude doit jetter dans.
votre ame. Kilmore fourit de l'enthoufiafme
de fon ami ; j'avoue , dit- il , qu'il
eft très- malheureux que votre univers foit
privé de tous les objets que vous venez de
décrire ; mais comme je ne fuis pas accoutumé
à les trouver , je ne me fuis pas
avifé de les regretter. Une fleur qui fe
développe , fon progrès , fa deftruction
un fruit que je cultive , un arbre que j'émonde
, & qui s'éleve à vûe d'oeil , me
3
M A I. 1755. 43
tiennent lieu de vos nymphes & de vos
dryades ; la république des oifeaux , celle
des fourmis ou des mouches à miel me
conduifent à des réflexions folides que vos
fyrenes dérangeroient fans doute ainfi ,
mon cher Laffei , je vis tranquille , &
mon ennui eft fi doux qu'il ne me pefe
point du tout. Il eft vrai qu'il me vient
quelquefois en penfée d'avoir quelques
témoins de mes découvertes , & par un
refte d'amitié pour le genre humain , je
fens que je ne ferois point fâché d'avoir
quelques amis , ou qui partageaffent mon
goût & mes connoiffances , ou qui me
donnaffent les leurs.
Après que ces deux amis eurent longtems
cherché les moyens de rendre la folitude
de Kilmore plus animée fans qu'il
lui en coutât le chagrin de changer de
vie , celui-ci dit à Laflei qu'il avoit envie
d'écrire à quelques- uns des amis qu'il avoit
laiffés à Londres dans le tems qu'il y vivoit
, & de les prier de venir paffer avec
lui le tems qu'ils auroient de libre dans
l'année.
Cette idée , reprit Laflei , ne s'accorde
point du tout avec votre philofophie ; &
où, Milord , avez vous connu des hommes
qui fe fouviennent d'un ami qu'ils
n'ont pas vû depuis dix ans peut-être un
+
44 MERCURE DE FRANCE.
de ceux- là s'en fouvient , cela peut être ;
mais comptez-vous fur le refte , en bonne
foi ? avouez qu'en approfondiffant la nature
vous avez oublié les défauts de l'humanité
; d'ailleurs je veux que tous ceux qui
ont été vos amis en foient les chef-d'oeuvres
: croyez- vous , Milord , qu'après avoir
fait cent vingt- huit milles pour venir vous
voir par curiofité , ils y reviennent affidument
, & s'accommodent de ne vous voir
que des inftans dans la journée ? n'y comptez
pas mais mariez- vous ; voilà ce que
je crois plus poffible : ayez une femme
aimable qui tienne votre maiſon , annoncez-
le à vos amis , alors ils y viendront ,
& vous , maître de vous livrer à vos férieufes
occupations , vous le ferez auffi de
revenir chez votre femme aux heures qui
vous conviendront , & d'y trouver des
de vous délaffer , par une converfation
agréable , de la fatigue de votre camoyens
binet.
Il faut convenir , dit Kilmore , que
cette idée eft très -jufte & plus raifonnable
que la mienne . Je conviens , mon cher
Laflei , que vous avez raifon , & que c'eft
le feul parti que j'aie à prendre : choififfez-
moi une femme telle qu'il me la faut
je vous en ferai très -obligé.
Moi , choifir ! dit Laflei , vous n'y penMA
I. 1755. 45
fez
pas , Milord : je pourrois à peine en
choifir une pour moi-même ; jugez ſi je
le rifquerois pour vous. D'ailleurs j'ignore
ce qui vous convient ... Ah ! Milord , reprit
Kilmore , ni le bien , ni la naiffance
ne peuvent me déterminer . Pour le premier
article , vous fçavez que je fuis affez
riche pour me paffer des biens qu'une
femme m'apporteroit ; quant au fecond ,
je crois que ce n'eft pas toujours dans la
plus haute nobleffe qu'on trouve les femmes
les mieux nées ; cela arrive quelque
fois j'en conviens , mais les préjugés
qu'on a là - deffus font impertinens , & Dieu
merci , je m'en fuis garanti. Je fçai que
l'éducation peut beaucoup fur une belle'
ame ; mais qu'avance -t-elle fur celle qui
eft née fans vertu ?
>
Ces belles ames ont- elles le droit d'animer
feulement les filles de qualité ? elles
dérivent du même principe , & font départies
dans nos corps au hazard ; ainfi
l'on trouve également la vertu avec l'éducation
, comme la vertu fans éducation ;
fouvent même ces principes ne fervenţ
qu'à mafquer les défauts d'une jeune perfonne
, elle fe contraint inceffamment
les cacher au public , tandis qu'un mal- i
heureux mari eft le martyr de fa difcrette
moitié , qui fe fait un jeu de le deshopour
46 MERCURE DE FRANCE.
norer. Je ne veux donc point , mon cher
Laflei , de ces filles élevées avec tant de
foin , & qui en prendroient fi peu
de me.
rendre heureux. Je fçai qu'un homme fage,
ne fait pas dépendre fon honneur d'une
femme folle & imprudente ; mais le préjugé
eft contre lui , & tout homme raifonnable
doit éviter ce malheur : cherchez-
moi donc une fille fage & honnête ,
fur tout que fon humeur fympatife avec
la mienne , que vous fçavez n'être pas
bien extraordinaire.
Milord , reprit Laflei , je ne doute pas
qu'il n'y ait des femmes telles que vous
les defirez , mais je n'en connois point ,
& me garderois bien de vous confeiller
en pareil cas. Mais puifque vous êtes affez
philofophe pour paffer par-deffus le bien
& la qualité , voyez vous même autour
de vous : votre pafteur , par exemple , a
trois filles élevées fous fes yeux ; la fimplicité
de fes moeurs , la fageffe de fon
caractere répondent que fes filles n'ont
point reçu cette éducation redoutable qui
mafque l'art fous les traits de la nature.
Confultez votre coeur , & choififfez parmi
les jeunes filles laquelle il vous dictera de
prendre.
Ce n'eft point ici une affaire de coeur ,
reprit Kilmore , ne vous y trompez pas;
MA I. 1755. 47
c'eft une affaire jufte & raiſonnable : vous
avez bien imaginé , j'irai demain voir M.
Humfroy , & je lui demanderai une de
fes filles. Kilmore ayant pris ce parti
n'en parla plus de la foirée à fon ami , qui
le quitta après fouper pour retourner au
château qu'il avoit dans le voifinage , où
quelques affaires le demandoient.
Kilmore , ſuivant fon caractere , ne fe
leva pas le lendemain plutôt qu'à l'ordinaire.
Quand il fut habillé , il fit mettre
fes chevaux à une chaife pour aller à fon
village , diftant d'environ deux milles de
fon château , & fut defcendre droit au
prefbytere. Il trouva M. Humfroy corrigeant
un fermon qu'il devoit prêcher le
lendemain .
Surpris de voir fon Seigneur chez lui ,
honneur qu'il ne lui avoit jamais fait , M."
Humfroy le reçut avec toutes les marques
d'un profond refpect ; il cherchoit
dans fa tête de quoi il pourroit dignement
l'entretenir , lorfque Kilmore arrêta brufquement
la confufion de fes penfées , en
lui déclarant clairement le fujet qui l'amenoit
chez lui.
Si M. Humfroy avoit été étonné de
voir Kilmore , il le fut bien davantage
quand il apprit ce qui l'y amenoit. Comme
il étoit homme de bon fens , il ne fit
pas
48 MERCURE DE FRANCE.
d'autre réponſe que de lui demander s'il
avoit bien fongé à ce qu'il faifoit , & s'il
étoit poffible de croire qu'un homme de fa
naiffance voulût s'abaiffer jufqu'à faire une
pareille alliance ?
J'y ai très-fort fongé , reprit Kilmore ;
vos bonnes moeurs , votre vertu , m'ont fait
penfer que vos filles vous reffemblent ; je
ne veux pas pourtant contraindre leurs volontés
, je veux qu'un choix libre les détermine
faites-les venir , expofez leur le
fujer pour lequel vous les appellez : je
vous ai dit la façon dont je vis ; fi l'une
d'elles n'a aucune répugnance à partager
ma folitude , je fuis prêt à lui donner ma
foi tout à l'heure.
M. Humfroy ne douta plus que tout ce
que difoit Kilmore ne fûr certain ; il appella
fes filles qui , fimplement vêtues ,
mais très-proprement , vinrent aux ordres
de leur pere. M. Humfroy les fit affeoir
felon l'ordre de l'âge en face du Milord ,
il leur expofa nettement le fujet de fa vifite.
Ces trois filles , dont l'aînée avoit à
peine dix -huit ans , & les deux autres environ
feize & dix- fept , écouterent en grand
filence ce que difoit leur pere ; elles le
garderent même encore affez long- tems
après qu'il eut parlé : elles fe regarderent
les
MAI. 1755 . 49
les unes & les autres , & refterent les
yeux baiffés en attendant que leur pere les
interrogeât. Dès que M. Humfroy crut
leur avoir laiffé affez de tems pour refléchir
, il s'adreffa à l'aînée : Laure , lui ditil
, c'étoit le nom de cette belle fille , avez
vous penfé à ce que je viens de vous dire ?
& fi vous m'avez entendu , y confentezvous
? dites votre avis naturellement , fans'
crainte de me déplaire.
›
L'honneur que Milord nous fait , reprit
modeftement Laure me flate fenfiblement
; mais , mon pere , puifque vous me
permettez que je dife mon fentiment , je
n'ai point encore affez de connoiffance
des chofes du monde pour trouver qu'un
mariage fi honorable me rende plus heureufe
; je fuis contente de mon état , &
je vous fupplie de ne pas trouver mauvais
que je vous demande d'y refter .
Cette réponſe de la belle Laure fâcha
Kilmore ; il trouva qu'une perfonne qui
penfoit fi fagement , méritoit qu'on la regrettât
. Et vous , ma fille , dit M. Humfroy
à Julie , la feconde de fes filles , penfez-
vous comme votre foeur ? répondez ,
mais répondez felon ce que vous penfez.
Non , mon pere , répondit la jeune Julie
, je trouve ce mariage au- deffus de mon
attente ; mais je l'accepte dans l'idée où je
C
So MERCURE DE FRANCE.
fuis que Milord me rendra heureufe ;:
puifqu'il vient choifir parmi nous , & que.
vous l'agréez .
M. Humfroy prit alors fa fille par la
main , & la préfenta à Kilmore, qui l'affura ,
qu'il tâcheroit par toutes fortes de bons
procédés de juftifier les idées avantageufes
qu'elle avoit prife de lui. Alors il fut,
queftion d'appeller un Notaire ; M. Humfroy
y alla lui -même , & l'amena fur le
champ , avec un ancien Alderman qui avoit
une maifon dans le village , & qui voulut
bien fervir de témoin.
M. Humfroy étoit fi tranfporté du bonheur
qui arrivoit à fa fille , qu'il ne fe
connoiffoit plus ; il nommoit fes trois
filles à tous propos , embraffoit le Milord
& l'Alderman tour à tour fans fonger
qu'il troubloit le Notaire dans fa fonction.
Kilmore de fon côté voulant paroître
aimable à Julie , lui difoit, quelques
mots polis , & caufoit avec fes fours qui
avoient l'air plus gai & moins embarraſſe
qu'elle. Elimais fur- tout la plus jeune de
difoit mille chofes agréables à Julie
, qui fembloit enfevelie dans une profonde
rêverie.
toutes ,
Quand il fut queftion de lire le contrat,
il fe trouva qu'au lieu du nom de Julie le
Notaire y avoit fubftitué celui d'Elimaïs.
MAI 1755 SI
Ce contre-tems embarraffa fort le Milord,
qui avoit trouvé déja cet ouvrage fort
long , & qui s'impatientoit de ce qu'il
falloit le recommencer de point en point.
Cette difcuffion avoit arrêté toute la joie ;
chacun difoit fon avis , & perfonne no
convainquoit le Notaire , qui prouvoit
invinciblement qu'il falloit recommencer.
On alloit enfin céder à la vérité de cette
repréſentation , lorfque Julie fe leva , &
s'avançant vers fon pere ; cette affaire , lui
dit-elle avec un rouge modefte qui lui
couvrit les joues , peut aifément s'accommoder
; permettez , mon pere , que je céde
mes droits & l'honneur que me fait Milord
à ma foeur Elimaïs , tout fera dit alors,
& il n'y aura plus d'embarras. Comment
Julie , dit M. Humfroy , penfez- vous bien
à ce que vous faites ? oui , mon pere , reprit-
elle,; un engagement auffi grand me
fait peur , & je vous fupplie de permettre
que je m'en défifte. Elimaïs eft plus jeune ,
& par conféquent elle fera moins de réflexions
, d'ailleurs elle aura moins de tems
pour les écouter & .....Je n'entens point
cela , interrompit brufquement M. Humfroy
, vous avez donné votre parole de
bonne grace ; ainfi , Julie , je veux .....
Non , Monfieur , interrompit à fon tour
Kilmore , ma propofition n'eft faite qu'à
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
condition qu'elle fera acceptée fans nulle
répugnance. Julie la refufe , je vous prie
de ne la pas contraindre : interrogez la
belle Elimaïs , fi elle penfe comme fes
foeurs , rien ne fera fait , & je me retirerai
en vous remerciant de votre bonne volonté.
Eh bien , Elimaïs ! dit le bon Minif
refufes- tu comme Laure & Julie
Phonneur que Milord veut nous faire ?
répons , ma fille , & ne te troubles point
mais répons comine tu penfes ? Elimaïs
ne balança pas , elle répondit de trèsbonne
grace qu'elle fe faifoit un plaifir
d'obéir à fon pere ; alors jettant fur lui
un regard timide pour fçavoir fi ce qu'elle
avoit dit lui avoit plû ou non ; comme
elle le vit fourire , elle fe jetta à fon col
avec une grace enfantine & fi tendre que
les larmes en vinrent aux yeux du bon
homme ; Kilmore même fut ému , & ne
put s'empêcher de baifer la main de la
jeune Elimaïs , que M. Humfroy lui préfenta
. Milord prit au plus vite la plume &
la pria de vouloir ne pas différer de figner
fon bonheur. Elimaïs figna tout de fuite ;
tout le monde ayant figné à fon tour , Kilmore
& Elimaïs furent conduits à l'Eglife ,
où ils recurent la bénédiction nuptiale de
M. Humfroy , qui ne fe fentoit pas de joig
de voir Elimais fi bien établie .
M -A I
1755. 33
En fortant de la paroiffe , M. Humfroy
dit à fon gendre qu'il efpéroit qu'il voudroit
bien recevoir de lui un repas fimple
& frugal , n'ayant pas eu le tems de lui en
faire préparer un plus digne de lui.
Monfieur , dit Kilmore , j'accepterois
volontiers ce que vous voulez bien m'offrir
fi je n'étois preffé de mener ma femme
dans fon château , elle & moi aurons
cet honneur une autre fois , mais je vous
fupplie de ne pas vous oppofer en ce moment
-ci à l'empreffement que j'ai de la
rendre maîtreffe de mon château , ni elle
ni moi ne tarderons pas à venir vous rendre
ce que nous vous devons , & je vous
prie d'être perfuadé qu'en mon particulier
je n'y manquerai jamais . Cela dit , Kilmore
embraffa fon beau -pere & fes bellesfours.
M. Humfroy n'infifta pas davantage
fit une courte exhortation à Elimaïs
fur fes devoirs , & Milord lui donna la
main pour monter dans la chaife , où montant
après elle ils fortirent du village , &
arriverent bientôt chez lui.is , Hood brib
A
Le premier foin de Kilmore en arrivant,
fut de faire ouvrir le plus bel appartement
& d'y conduire Elimais voilà , dit- il
l'appartement que j'ai toujours deſtiné à
mon époufe , & j'efpere que vous voudrez
bien que je le partage feulement la nuit
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
*
avec vous. Elimaïs répondit naïvement
qu'il en étoit le maître. Madame , lui ditil
, vous voyez que je n'ai pas eu le tems
de me préparer à vous recevoir , ainfi je
n'ai à vous offrir ni bijoux , ni diamans ,
en un mot tout ce qui pourroit vous
plaire , mais vous ferez la maîtreffe d'en
faire l'emplette à votre goût , & comme il
vous plaira l'argent néceffaire vous fera
donné auffi-tôt que vous le voudrez . Milord
, reprit Elimaïs , je n'ai jamais conçu
que ces bagatelles puffent faire le vrai
bonheur , & par conféquent je ne les ai
jamais defirées : fi cependant elles doivent
m'aider à foutenir l'éclat du rang ou
Vous venez de m'élever , je ne refuſerai
rien de ce qui me pourra fervir à vous faire
honneur Kilmore trouva beaucoup de
bon fens & de fentiment honnête à cette
réponſes iben loua fon époufe , qui fur
étonnée qu'on louât une chofe qu'elle
Groyoit que tout le monde devoit penfer
naturellement. On vint leur dire que le
ils fe mirent à table , la
confervation ne fut pas fört animée. Après
qu'ils en furent fortis , Kilmore apporta
un petit rouet à fa femme. Vous aimez
peut-être à travailler , lui dit- il , je vous
apporte ce rouet pour vous prévenir contre
l'ennui de la defoccupation: Vous me
"
2
dîné étoit fer . Op m
MASI. 1755.
55
faites plaifir , lui dit- elle , je penfois déja
que j'aurois été bien aife d'envoyer chez
mon pere chercher ma quenouille ; alors
Elimaïs , d'une main adroite , mit en train
fon rouet , & fila de la meilleure grace du
monde.
Pendant ce tems Milord lut , écrivit ,
l'interrogea quelquefois fur fes goûts , fur
fes amufemens , fur la vie qu'elle menoit
chez fon pere ; à quoi elle répondit trèsjufte
, très-fenfément & en peu de mots.
Le foleil étant couché , Kilmore propofa
de s'aller promener , ce qu'Elimaïs accepta
avec plaifir. Ils entrerent enſemble dans le
jardin , elle en loua les beautés avec difcernement
; ce qui lui parut moins agréable
, elle le dit avec la même franchiſe ,
donnant des raifons très- conféquentes de
ce qu'elle difoit : elle prouva à Kilmore
qu'elle avoit autant d'efprit que de goût.
Comme la foirée étoit belle , les deux
époux le promenerent jufqu'à l'heure du
fouper ; en rentrant ils fe mirent à table.
Comme la journée n'avoit pas produit
de grands événemens , ils ne parlerent
gueres plus à fouper qu'ils avoient
fait à dîner. La. converfation d'après ne
fut pas plus intéreffante : quelques quefftions
entrecoupées , des réponfes laconiques
, voilà à quoi cela fe termina .
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Les femmes d'Elimaïs entrerent , fon mari
paffa dans un cabinet pour fe deshabiller
tandis qu'elle fe mettoit au lit ; & quand
on vint l'avertir qu'elle y étoit , il congédia
fes domeftiques , & vint fe mettre auprès
d'elle.
Il y étoit à peine , que fe mettant fur fon
féant , il fonna fes gens avec un grand
empreffement. Que vous plaît- il , Milord
lui demanda Elimaïs ? C'eft , dit- il , que j'ai
oublié quelque chofe : un valet entra dans
le moment ; ouvre mon rideau, dit Kilmore
à cet homme , allume mon bougeoir , &
m'apporte ma grande Bible & mes lunettes
: le domeftique obéit & fe retira.
Kilmore mit effectivement fes lunettes
& ouvrit fa grande Bible , où il fe mit à lire
apparemment tout haut. Elimaïs ne marqua
aucun étonnement de cette façon extraordinaire
de fe comporter : elle écouta paiſiblement
pendant une grande demi -heure
cette férieufe lecture ; mais à fon tour fe
mettant fur fon féant , elle fonna fes femmes.
Que voulez- vous , Madame , lui dit
Kilmore ? Ce n'eft rien , Milord , dit-elle ,
ne vous interrompez pas pour cela ; donnezmoi
mon rouet , dit- elle à fa fille qui entra.
Kilmore , à cette demande , éclata de
rire , & jettant la Bible , les lunettes & foufflant
le bougeoir , il renvoya la femme de
M A 57
*
I. 1755.
་
chambre avec le rouet & la lumiere ; &
fe jettant au col de fa femme , ma chere
Elimaïs , lui dit- il en l'embraffant , vous
êtes une perfonne charmante , ce dernier
trait d'efprit & d'attention pour moi vous
donne mon coeur à jamais ; je vous ai
éprouvé toute la journée ; vous n'êtes
fufceptible ni d'ennui , ni d'humeur ; vous
êtes celle qui devoit me rendre le plus
heureux des hommes ; ma chere Elimaïs ,
je vous adore. Alors Milord ferma fon rideau
, & nous le tirerons auffi fur le refte
de l'hiſtoire , pour ne point troubler les
myſteres de l'amour conjugal , dont la décence
& la modeſtie doivent faire l'appanage..
On a appris depuis cette relation écrite ,
très-vraie dans toutes fes circonstances , que
Milord Kilmore , enchanté de ſon choix &
des vertus de fa femme , ainfi de fes
que
agrémens , a abandonné fon goût pour la
retraite & pour la Philofophie. Uniquement
occupé de plaire à Elimaïs , il eft"
revenu à Londres avec elle ; leur union
fait l'envie & l'admiration de cette ville.
Ils y tiennent un grand état , & tout ce
qu'il y a de confidérable & d'aimable dans
l'un & l'autre fexe s'y raflemble journellement.
Fermer
Résumé : HISTOIRE ANGLOISE. PAR MLLE DE L. A MADAME LA C... DE G....
L'œuvre 'Histoire Anglaise' est dédiée par Mlle de L. à Madame la C... de G..., qui apprécie les récits mettant en avant la vertu et l'amour honnête. L'histoire commence avec la famille des Comtes de Kilmore, une famille irlandaise installée en Angleterre après l'unification des lois entre l'Écosse et l'Irlande. Le Comte de Kilmore, unique héritier de vastes terres, se retire dans un château à Caernarvand pour se consacrer à l'étude, loin des plaisirs de la cour. Il y vit en solitaire, accompagné seulement de son ami Laflei. Un jour, en se promenant, Laflei exprime son admiration pour la beauté de la nature mais regrette l'absence de divinités païennes qui l'animaient autrefois. Kilmore, quant à lui, trouve du plaisir dans l'observation de la nature et des petites choses de la vie. Il avoue cependant ressentir parfois le besoin de partager ses découvertes avec des amis. Laflei suggère alors à Kilmore de se marier pour animer sa solitude. Kilmore accepte l'idée et demande à Laflei de lui trouver une femme sage et honnête, dont l'humeur soit compatible avec la sienne. Laflei propose que Kilmore choisisse parmi les filles de son pasteur, M. Humfroy, connues pour leur simplicité et leur sagesse. Kilmore décide de rendre visite à M. Humfroy pour lui demander la main de l'une de ses filles. Lors de cette visite, Kilmore expose son désir de mariage à M. Humfroy, qui est surpris mais accepte de présenter ses filles. Les trois filles, Laure, Julie et Henriette, écoutent en silence la proposition de leur père. Laure, l'aînée, décline poliment l'offre, préférant rester dans son état actuel. Kilmore est impressionné par la sagesse de Laure mais attend la réponse des autres sœurs. L'histoire se poursuit avec Julie et Elimaïs, filles de M. Humfroy, et Milord Kilmore. Julie accepte initialement un mariage avec Milord Kilmore, mais lors de la signature du contrat, une erreur du notaire révèle que le nom d'Elimaïs est inscrit à la place de celui de Julie. Julie, effrayée par l'engagement, propose de céder sa place à Elimaïs. Milord Kilmore accepte cette solution à condition que la jeune fille accepte de son plein gré. Elimaïs accepte avec grâce et tendresse, émouvant ainsi son père et Milord Kilmore. Le mariage est alors célébré, et le couple part pour le château de Milord. À leur arrivée, Milord Kilmore montre à Elimaïs l'appartement destiné à son épouse et lui offre de l'argent pour acheter des bijoux. Elimaïs répond qu'elle ne désire pas ces objets, mais accepte de les acquérir pour maintenir l'éclat de son rang. La journée se passe calmement, avec des conversations modérées. Le soir, après une promenade, Milord Kilmore simule une lecture de la Bible pour tester Elimaïs, qui reste imperturbable et demande son rouet. Touché par son attitude, Milord Kilmore lui avoue son amour et son admiration. Par la suite, on apprend que Milord Kilmore, enchanté par les vertus et les agréments d'Elimaïs, abandonne sa retraite et sa philosophie pour se consacrer à elle. Ils vivent à Londres dans l'opulence et reçoivent régulièrement des visiteurs distingués.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
427
p. 123
L'AMITIÉ. CANTATILLE.
Début :
Les zéphirs ont chassé l'hiver, [...]
Mots clefs :
Amitié, Amour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'AMITIÉ. CANTATILLE.
L'AMITIÉ .
CANTA TILL 1.
Lisszéphirs ont chaffé l'hiver ,
Leur haleine a reveillé Flore ;
Tout eft fenfible au premier verd
Qu'anime les pleurs de l'aurore .
L'oifeau dans ces heureux inftans ,
Croit qu'il renaît , parce qu'il aime :
Je me fens renaître de même ;
J'aime , je rentre en mon printems.
En vain l'âge glace mes fens ,
Le coeur ne vieillit point , le mien eſt toujours
tendre ;
L'amitié , de l'amour a tous les mouvemens :
Puifle Climene s'y méprendre !
L'amitié , fes purs fentimens
Valent bien un plaifir frivole ;
A l'amour même qui s'envole ,
Elle offre un aſyle en tout tems.
C'eft un feu doux qui , fans paroître ,'
Echauffe tout ce qui le fuit ;
La vive ardeur qu'amour fait naître
Brûle , confume , & fe détruit.
CANTA TILL 1.
Lisszéphirs ont chaffé l'hiver ,
Leur haleine a reveillé Flore ;
Tout eft fenfible au premier verd
Qu'anime les pleurs de l'aurore .
L'oifeau dans ces heureux inftans ,
Croit qu'il renaît , parce qu'il aime :
Je me fens renaître de même ;
J'aime , je rentre en mon printems.
En vain l'âge glace mes fens ,
Le coeur ne vieillit point , le mien eſt toujours
tendre ;
L'amitié , de l'amour a tous les mouvemens :
Puifle Climene s'y méprendre !
L'amitié , fes purs fentimens
Valent bien un plaifir frivole ;
A l'amour même qui s'envole ,
Elle offre un aſyle en tout tems.
C'eft un feu doux qui , fans paroître ,'
Echauffe tout ce qui le fuit ;
La vive ardeur qu'amour fait naître
Brûle , confume , & fe détruit.
Fermer
Résumé : L'AMITIÉ. CANTATILLE.
Le texte 'L'AMITIÉ' décrit le retour du printemps et la renaissance de la nature. Les oiseaux et le poète se sentent renaître par amour. L'amitié, comparée à l'amour, offre un refuge constant et pur. Elle est un feu doux, contrairement à l'amour qui peut brûler et se détruire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
428
p. 42-43
STANCES IRRÉGULIERES, A Miss L'été C....
Début :
Je vis Lété, mon coeur en fut épris ; [...]
Mots clefs :
Coeur, Amour, Dieu, Beauté
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : STANCES IRRÉGULIERES, A Miss L'été C....
STANCES IRRÉGULIERES ,
J
A Mifs Lété C ....
E vis Lété , mon coeur en fut épris ;
Elle parla , je l'aimai davantage ;
Du Dieu des arts elle avoit le langage
Et les traits ingénus de l'enfant de Cypris.
J'approche ; fon front fe colore ,
Son embarras augmente fa beauté ;
Je lui peins les tranfports de mon coeur agité ;
Je l'offenfai , Lété parut plus belle encore.
L'amour lui -même avec des fleurs
Entrelaçoit fa blonde chevelure ;
Charmes touchans , innocente parure ,
Qui flatte les regards & captive les coeurs !
T
JUI N. 17556 43
Un fard coupable enfant du crime ,
Ne ternit point la blancheur de fon teint ;
Si, fes yeux embrafent mon fein ,
C'est la pudeur qui les anime.
Amour des plus lointains climats ,
Tu l'amenas aux rives de la France ;
Minerve parmi nous a formé fon enfance :
Regne aujourd'hui fur fes appas.
Dieu de Paphos , Iphis t'implore ,
Peins à Lété les maux que je reffens
Sa beauté captive mes ſens ,
Et c'eft fon ame que j'adore .
Iphis , me répondit l'Amour ,
Lété craint les amans qui peuplent ces rivages ;
Préfomptueux , faux & yolages ,
Méritent-ils un doux retour ?
Dans les climats qu'illuftra fa naiffance ,
L'aftre brûlant des cieux tempere fes ardeurs :
Mais mon flambeau divin que foutient la conftance
Plus ardent qu'à Cythere y confume les coeurs,
Heureux Iphis , de ta patrie
Tu n'a point pris le goût pervers ;
Lété connoit les maux que ton coeur a ſoufferts ;
Tu peux tout efpérer , Lété s'eft attendrie.
* L'Irlande , pays froid,
J
A Mifs Lété C ....
E vis Lété , mon coeur en fut épris ;
Elle parla , je l'aimai davantage ;
Du Dieu des arts elle avoit le langage
Et les traits ingénus de l'enfant de Cypris.
J'approche ; fon front fe colore ,
Son embarras augmente fa beauté ;
Je lui peins les tranfports de mon coeur agité ;
Je l'offenfai , Lété parut plus belle encore.
L'amour lui -même avec des fleurs
Entrelaçoit fa blonde chevelure ;
Charmes touchans , innocente parure ,
Qui flatte les regards & captive les coeurs !
T
JUI N. 17556 43
Un fard coupable enfant du crime ,
Ne ternit point la blancheur de fon teint ;
Si, fes yeux embrafent mon fein ,
C'est la pudeur qui les anime.
Amour des plus lointains climats ,
Tu l'amenas aux rives de la France ;
Minerve parmi nous a formé fon enfance :
Regne aujourd'hui fur fes appas.
Dieu de Paphos , Iphis t'implore ,
Peins à Lété les maux que je reffens
Sa beauté captive mes ſens ,
Et c'eft fon ame que j'adore .
Iphis , me répondit l'Amour ,
Lété craint les amans qui peuplent ces rivages ;
Préfomptueux , faux & yolages ,
Méritent-ils un doux retour ?
Dans les climats qu'illuftra fa naiffance ,
L'aftre brûlant des cieux tempere fes ardeurs :
Mais mon flambeau divin que foutient la conftance
Plus ardent qu'à Cythere y confume les coeurs,
Heureux Iphis , de ta patrie
Tu n'a point pris le goût pervers ;
Lété connoit les maux que ton coeur a ſoufferts ;
Tu peux tout efpérer , Lété s'eft attendrie.
* L'Irlande , pays froid,
Fermer
Résumé : STANCES IRRÉGULIERES, A Miss L'été C....
Le poème 'Stances irrégulières' est dédié à Lété, une personne que le narrateur, Iphis, rencontre durant l'été. Iphis est captivé par la beauté de Lété, son langage divin et son innocence. Lors de leur rencontre, il observe que Lété rougit et semble embarrassée, ce qui ne fait que renforcer son attrait. Il décrit ses charmes naturels, comparant sa chevelure à des fleurs et soulignant sa pureté. Iphis admire Lété pour sa pudeur et son absence de maquillage artificiel. Il remercie l'Amour d'avoir amené Lété en France et implore le dieu de Paphos de peindre à Lété les maux qu'il ressent. Cependant, Lété craint les amants locaux, jugés présomptueux et volages. L'Amour rassure Iphis en lui disant que Lété connaît ses souffrances et qu'elle s'est attendrie. Le poème se termine par une référence à l'Irlande, pays froid.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
429
p. 64-65
VERS A Mlle Puvigné, dansant en Hébé dans l'Opera de Castor & Pollux.
Début :
Pollux va quitter l'Empirée, [...]
Mots clefs :
Opéra, Regards , Amour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : VERS A Mlle Puvigné, dansant en Hébé dans l'Opera de Castor & Pollux.
VERS
A Mile Puvigné , danfant en Hébé dans
l'Opera de Caftor & Pollux.
Pollux
Ollux va quitter l'Empirée ,
Et ravir fon frere au trépas.
Hebé , pour retenir les pas ,
Opofe à fa vûe égarée
Ses careffes & les apas ;
Le teint coloré de l'Aurore ,
Les regards de Vénus , les pas de Terpficore ,
Et la décence de Pallas.
Il s'émeut , il s'arrête , il contemple , il admire ;
Il fuit , il revient , il foupire ,
Il s'attendrit ; Caftor eft oublié :
N'en rougis point , Hebé te juſtifie .
Que vois-je tout- à- coup le Héros facrifie
Le plaifir au devoir , l'amour à l'amitié ;
Il cache des regrets qu'il ne fçauroit contraindre.
Digne à la fois d'eftime & de pitié ,
On doit le louer & le plaindre.
Mais quoi l'objet qui l'avoit enchaîné ,
N'eft point une Déeffe ,
C'eft la charmante Puvigné ,
Cette Danfeuſe enchantereffe ,
Qui par fes doux regards & fes talens divers ,
JUIN. 1755. 65
Etonne , ravit , intéreffe
Paris , la France & l'Univers.
Sur fes levres l'amour reſpire ;
Ses bras forment de tendres fers ;
Et je vois à fes pieds les aîles de Zéphire.
Des Graces elle a le fourire ,
Le port & la légereté ;
Elle peint le defir , même la volupté ,
Sans reffentir ce quelle infpire.
Pollux à tant d'attraits a-t- il dû réſiſter ?
A-t-il pû t'immoler à l'amour fraternelle ?
Non , Puvigné , je dois le détefter ,
Et tu rends à mes yeux fa vertu criminelle .
Mais par fa fuite & fes dédains ,
Si ta beauté fut outragée ,
Choifis entre tous les humains
Par qui tu veux être vengée.
Mailbol.
A Mile Puvigné , danfant en Hébé dans
l'Opera de Caftor & Pollux.
Pollux
Ollux va quitter l'Empirée ,
Et ravir fon frere au trépas.
Hebé , pour retenir les pas ,
Opofe à fa vûe égarée
Ses careffes & les apas ;
Le teint coloré de l'Aurore ,
Les regards de Vénus , les pas de Terpficore ,
Et la décence de Pallas.
Il s'émeut , il s'arrête , il contemple , il admire ;
Il fuit , il revient , il foupire ,
Il s'attendrit ; Caftor eft oublié :
N'en rougis point , Hebé te juſtifie .
Que vois-je tout- à- coup le Héros facrifie
Le plaifir au devoir , l'amour à l'amitié ;
Il cache des regrets qu'il ne fçauroit contraindre.
Digne à la fois d'eftime & de pitié ,
On doit le louer & le plaindre.
Mais quoi l'objet qui l'avoit enchaîné ,
N'eft point une Déeffe ,
C'eft la charmante Puvigné ,
Cette Danfeuſe enchantereffe ,
Qui par fes doux regards & fes talens divers ,
JUIN. 1755. 65
Etonne , ravit , intéreffe
Paris , la France & l'Univers.
Sur fes levres l'amour reſpire ;
Ses bras forment de tendres fers ;
Et je vois à fes pieds les aîles de Zéphire.
Des Graces elle a le fourire ,
Le port & la légereté ;
Elle peint le defir , même la volupté ,
Sans reffentir ce quelle infpire.
Pollux à tant d'attraits a-t- il dû réſiſter ?
A-t-il pû t'immoler à l'amour fraternelle ?
Non , Puvigné , je dois le détefter ,
Et tu rends à mes yeux fa vertu criminelle .
Mais par fa fuite & fes dédains ,
Si ta beauté fut outragée ,
Choifis entre tous les humains
Par qui tu veux être vengée.
Mailbol.
Fermer
Résumé : VERS A Mlle Puvigné, dansant en Hébé dans l'Opera de Castor & Pollux.
Le poème est dédié à Mile Puvigné, qui incarne Hébé dans l'opéra 'Castor et Pollux'. Pollux, prêt à quitter l'Empyrée pour sauver son frère Castor, est retenu par la beauté et les charmes d'Hébé. Mile Puvigné utilise ses attraits pour convaincre Pollux de rester. Ému, Pollux admire Hébé mais choisit finalement le devoir et l'amitié fraternelle. Le poème met en avant la beauté et le talent de Mile Puvigné, qui captivent Paris, la France et l'univers. Malgré ses efforts, Hébé ne parvient pas à retenir Pollux. Le texte se conclut par une invitation à Mile Puvigné de choisir un vengeur parmi les hommes, suggérant que sa beauté a été offensée par le départ de Pollux.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
430
p. 7-10
REPONSE DE M. DESMAHIS A M. de Margency.
Début :
Des jeux de mon esprit vous l'arbitre sévere, [...]
Mots clefs :
Amour, Esprit
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : REPONSE DE M. DESMAHIS A M. de Margency.
REPONSE
DE M. DESMAHIS
A M. de Margency.
Dis jeux de mon efprit vous l'arbitre févere ,
Des fecrets de mon coeur vous le dépofitaire ;
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
Vous pour qui la pareffe a des charmes fi doux ,
Qui fi légerement paffez dans tous vos goûts
Du defir à la négligence :
Pour mes autres défauts ami plein d'indulgence ,
Pourquoi reprendre en moi le feul qui foit en
vous ?
Rendu , par votre exemple , à vos leçons rebelle ,
Que ne puis je oublier ce qu'Apollon m'apprit !
La volupté naquit dans les bras d'une belle ,
Et l'inquiétude cruelle
Sur l'oreiller d'un bel efprit.
De ce monde frivole où tout n'eft qu'imposture ,
Où l'efprit n'eft qu'un froid jargon
Où le fentiment n'eſt qu'un nom ,
Vous me preffez en vain d'achever la peinture .
Ignoré du public , à l'abri des difcours ,
Loin de tous les travers je vis fans me contraindre
:
L'amour & l'amitié rempliffent tous mes jours ,
Et ne m'offrent jamais que des vertus à peindre.
Sur ces bords écartés , fous ce tilleul épais ,
L'amour qui fe repofe au frais ,
Abandonne pour vous le foin de fon empire ;
De graces entouré vous chantez les bienfaits ;
Tandis que plus loin je foupire.
Que fur l'écorce d'un cyprès ,
Avec la pointe de ſes traits ,
Je grave les vers qu'il m'infpire :
Le plus léger efpoir des biens que je defire
JUI N. 1755 .9 .
Me femble affez payer tous les maux qu'il m'a
C faits.
Reftons dans ce champêtre afyle ,
N'allons point à l'envi de mille auteurs jaloux
Difputer un laurier ſtérile ; '
Faifons de nos beaux jours un ufage plus doux ,
Cueillons d'une main plus habile
La fleur qui naît auprès de nous .
C
La gloire eft un fantôme , une ombre paffagere
Qu'on croit toujours atteindre & qu'on ne peut
faifir ;
Une coquette menfongere
Qui par le dépit même irritant le defir ,
Accompagne un refus d'une faveurlégere ,
Et fans jamais fe rendre , enchante & defefpere
Par le preftige du plaifir .
Ne fongeons qu'à jouir du moment où nous
fommes ,
Et nos jours les plus longs deviendront des inftans
:
Si de l'ufage de leur tems
Nous faifions rendre compte aux hommes ,
Le héros diroit , j'ai vaincu ;
Le bel efprit , j'ai fait un livre ,
Où j'apprens aux mortels le fecret de bien vivre ;
Le fage diroit , j'ai vêcu .
E rafte & Licidas , dévorés par l'envie ,
A meſurer des mots confumeront leur vie
Pour laiffer après eux le foible fouvenir ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Le bruit fourd d'un vain nom perdu dans l'avenir.
Exempts de cet orgueil à leur repos funefte ,
Du flambeau de l'amour ufons ce qui nous refte :
Que l'art charmant des vers qu'ils connoiffent fi
peu ,
Pour eux foit un travail , pour nous ne foit qu'un
jeu ;
Que cet art profané par tant de vains libelles ,
Nous ferve quelquefois à célebrer les belles ;
Et que notre amitié plus tendre chaque jour
S'accroiffe avec nos ans des pertes de l'amour .
DE M. DESMAHIS
A M. de Margency.
Dis jeux de mon efprit vous l'arbitre févere ,
Des fecrets de mon coeur vous le dépofitaire ;
A iv
8 MERCURE DE FRANCE .
Vous pour qui la pareffe a des charmes fi doux ,
Qui fi légerement paffez dans tous vos goûts
Du defir à la négligence :
Pour mes autres défauts ami plein d'indulgence ,
Pourquoi reprendre en moi le feul qui foit en
vous ?
Rendu , par votre exemple , à vos leçons rebelle ,
Que ne puis je oublier ce qu'Apollon m'apprit !
La volupté naquit dans les bras d'une belle ,
Et l'inquiétude cruelle
Sur l'oreiller d'un bel efprit.
De ce monde frivole où tout n'eft qu'imposture ,
Où l'efprit n'eft qu'un froid jargon
Où le fentiment n'eſt qu'un nom ,
Vous me preffez en vain d'achever la peinture .
Ignoré du public , à l'abri des difcours ,
Loin de tous les travers je vis fans me contraindre
:
L'amour & l'amitié rempliffent tous mes jours ,
Et ne m'offrent jamais que des vertus à peindre.
Sur ces bords écartés , fous ce tilleul épais ,
L'amour qui fe repofe au frais ,
Abandonne pour vous le foin de fon empire ;
De graces entouré vous chantez les bienfaits ;
Tandis que plus loin je foupire.
Que fur l'écorce d'un cyprès ,
Avec la pointe de ſes traits ,
Je grave les vers qu'il m'infpire :
Le plus léger efpoir des biens que je defire
JUI N. 1755 .9 .
Me femble affez payer tous les maux qu'il m'a
C faits.
Reftons dans ce champêtre afyle ,
N'allons point à l'envi de mille auteurs jaloux
Difputer un laurier ſtérile ; '
Faifons de nos beaux jours un ufage plus doux ,
Cueillons d'une main plus habile
La fleur qui naît auprès de nous .
C
La gloire eft un fantôme , une ombre paffagere
Qu'on croit toujours atteindre & qu'on ne peut
faifir ;
Une coquette menfongere
Qui par le dépit même irritant le defir ,
Accompagne un refus d'une faveurlégere ,
Et fans jamais fe rendre , enchante & defefpere
Par le preftige du plaifir .
Ne fongeons qu'à jouir du moment où nous
fommes ,
Et nos jours les plus longs deviendront des inftans
:
Si de l'ufage de leur tems
Nous faifions rendre compte aux hommes ,
Le héros diroit , j'ai vaincu ;
Le bel efprit , j'ai fait un livre ,
Où j'apprens aux mortels le fecret de bien vivre ;
Le fage diroit , j'ai vêcu .
E rafte & Licidas , dévorés par l'envie ,
A meſurer des mots confumeront leur vie
Pour laiffer après eux le foible fouvenir ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
Le bruit fourd d'un vain nom perdu dans l'avenir.
Exempts de cet orgueil à leur repos funefte ,
Du flambeau de l'amour ufons ce qui nous refte :
Que l'art charmant des vers qu'ils connoiffent fi
peu ,
Pour eux foit un travail , pour nous ne foit qu'un
jeu ;
Que cet art profané par tant de vains libelles ,
Nous ferve quelquefois à célebrer les belles ;
Et que notre amitié plus tendre chaque jour
S'accroiffe avec nos ans des pertes de l'amour .
Fermer
Résumé : REPONSE DE M. DESMAHIS A M. de Margency.
Dans une lettre à M. de Margency, M. Desmahis exprime son admiration et son amitié. Il avoue apprécier la paresse et la légèreté, tout en regrettant de ne pouvoir oublier les leçons d'Apollon. Il décrit un monde frivole où l'esprit et le sentiment sont dévalués. L'auteur préfère vivre à l'écart du public, loin des travers du monde, entouré de l'amour et de l'amitié. Il évoque les bienfaits de l'amour sous un tilleul et les souffrances de l'amour non partagé symbolisées par un cyprès. Il invite à profiter des beaux jours et à éviter la quête de la gloire, qu'il compare à un fantôme passager et trompeur. La lettre se conclut par un appel à jouir du moment présent, à éviter l'envie et l'orgueil, et à utiliser l'art des vers pour célébrer les belles et renforcer l'amitié.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
431
p. 21
VERS A Mademoiselle de Lussan, à l'occasion de sa pension sur le Mercure ; par un de ses amis.
Début :
Quand de l'amour vous chantiez les effets, [...]
Mots clefs :
Mercure, Amour, Dieu
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : VERS A Mademoiselle de Lussan, à l'occasion de sa pension sur le Mercure ; par un de ses amis.
VERS
A Mademoiselle de Luffan , à l'occafion defa
penfion fur le Mercure ; par un de ses amis.
Q
Uand de l'amour vous chantiez les effets ,
Et de fon doux poilon les dangereux progrès ;
De ce Dieu , fectateur fidele ,
Mercure alors eût dû couronner votre zele ;
C'est lui qui de l'amour enrichit les fuppôts.
Mais lorsque vos écrits célébrant les héros ,
Vous quittez pour Clio les Romans , la fêrie ;
Le don qu'il vient vous préfenter ,
A Charles , à Louis paroît fe rapporter.
<
Ce n'eft pourtant qu'une fupercherie ;
Il attendoit l'inftant , où fans effronterie
Il offriroit à vos talens
De fes tréfors les fecours bienfaifans .
Qui l'eût dit qu'une mufe , & fi noble & fi pure ,
Auroit un jour grace à rendre à Mercure ?
On ne peut de ce Dieu trop admirer les tours ;
Au nom de la vertu , dans plus d'une aventure
Il a fatisfait les amours.
A Mademoiselle de Luffan , à l'occafion defa
penfion fur le Mercure ; par un de ses amis.
Q
Uand de l'amour vous chantiez les effets ,
Et de fon doux poilon les dangereux progrès ;
De ce Dieu , fectateur fidele ,
Mercure alors eût dû couronner votre zele ;
C'est lui qui de l'amour enrichit les fuppôts.
Mais lorsque vos écrits célébrant les héros ,
Vous quittez pour Clio les Romans , la fêrie ;
Le don qu'il vient vous préfenter ,
A Charles , à Louis paroît fe rapporter.
<
Ce n'eft pourtant qu'une fupercherie ;
Il attendoit l'inftant , où fans effronterie
Il offriroit à vos talens
De fes tréfors les fecours bienfaifans .
Qui l'eût dit qu'une mufe , & fi noble & fi pure ,
Auroit un jour grace à rendre à Mercure ?
On ne peut de ce Dieu trop admirer les tours ;
Au nom de la vertu , dans plus d'une aventure
Il a fatisfait les amours.
Fermer
Résumé : VERS A Mademoiselle de Lussan, à l'occasion de sa pension sur le Mercure ; par un de ses amis.
Le poème célèbre Mademoiselle de Luffan, auteur sur l'amour et ses dangers. Mercure aurait dû la couronner pour son zèle. Elle passe des romans à l'histoire, évoquant Charles et Louis. Mercure, feignant l'attente, admire ses talents. Le poème admire les ruses de Mercure au nom de la vertu.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
432
p. 25-45
Voyage de Dijon à Paris, fait en 1746.
Début :
Amis, vous attendez sans doute [...]
Mots clefs :
Voyage, Paris, Dijon, Amour, Coeur, Feuillage, Plaisir, Flots, Prairie, Ruisseau, Larmes, Vin, Dieu, Fleurs
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Voyage de Dijon à Paris, fait en 1746.
Voyage de Dijon à Paris , fait en 1746.
A Mis , vous attendez fans doute
Que je vous faffe le récit
Bien détaillé , de ce qu'en route
J'ai vu , j'ai fçu , j'ai fait , j'ai dit :
Oui , je m'en vais fur mon hiftoire
De mon mieux vous entretenir ;
Sans peine vous pouvez me croire ,
Vous le fçavez , il eſt notoire
Qu'un Bourguignon ne peut mentir.
D'être par- tout bien véritable ,
Je ne le
promets pourtant pas :
Car bien fouvent il eft des cas ,
Où pour rendre plus agréable
La fatigante vérité ,
Il faut du manteau de la Fable
Couvrir fa trifte nudité.
Vous l'avouerez ; mais que ma Muſe
Et vous inftruiſe & vous amuſe ,
Hélas ! je n'ofe m'en flater ;
N'importe , plein de confiance ,
Pour répondre à votre eſpérance ,
J'oſe tout faire & tout tenter.
Attention , faites filence ;
Je prends la plume , je commence :
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
Or , vous plaît-il de m'écouter.
Je vous quittai avec tous les fentimens
d'une parfaite reconnoiffance & d'une
amitié fincere. MM ...... me reconduifirent
jufqu'au bas de Talent ; là je reçus
leurs adieux , & je les embraffai le regret
dans le coeur :
Mais nous voilà dans l'équipage ,
Des fouets l'air a retenti :
Santé conftante & bon voyage ;
Allons , cocher ; on eft parti.
Nous nous trouvâmes fept dans la voiture
; mais plaignez-moi avec ce nombre .
Pas un minois qu'on pût baiſer ;
Pas une femme un peu jolie ,
Vers qui tout bas l'on pût jafer ,
Dont je puffe pour m'amufer
Faire en chemin ma bonne amie.
C'étoit d'un côté un homme fort ennuyeux
, qui fe nommoit M. Chufer , avec
le Sr Taillard , dont tout Paris fans doute
connoîtra bientôt les talens fupérieurs qu'il
a pour la flûte. Une femme âgée occupoit
le fond .
A côté de cette vieille ama
JUIN.
27 1755 .
Etoit affis un Provençal ;
Du Provençal & de la Dame
Je ne dirai ni bien ni mal.
Mais fi j'ai mérité l'Enfer ,
Seigneur , modere ta juftice ,
Et ne mets pas pour mon fupplice ,
A mes côtés M. Chufer.
Sur ce qui refte il faut fe taire ;
Car nous ne sommes plus que trois ,
Qui font B ....moi , mon frere ,
Que bien vous connoiffez , je crois .
Arrivés au Val- de- Suzon , on nous fervit
à déjeûner.
Des écreviffes & des truites :
En ce pays , quoique petites ,
Cela fait un mets excellent ,
Quand dans du vin rouge ou du blanc
Au petit lard elles font cuites :
Nous allâmes dîner à Saint- Seine .
C'eſt-là que coule cette fource
Qui , répandant au loin fes flots,
Porte fes ondes aux Badauts ,
Et dans la mer finit la courfe.
Le foir nous arrivâmes à Chanceaux, ou
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
nous foupâmes de bon appétit : nous fumes
un peu furpris de voir notre hôte malade
d'une fievre maligne , chercher à la guérir
avec du vin qu'il buvoit avec une confiance
dont il devoit tout appréhender . Comme
nous lui en marquions notre étonnement ,
il nous répondit avec naïveté que ce qui
* faifor du bé ne pòvor fare du man ; & en
effet
Un Bourguignon peut-il penfer
Qu'un demi- Dieu , comme Efculape ;
En pouvoir puiffe ſurpaſſer
Le Dieu qui fait naître la grappe ?
Non , non ,
dans vos heureux climats
Le vin , cette liqueur divine
Préferve un homme du trépas ,
Lorfqu'en ceux-ci la Médecine
Les jette tous entre les bras
De la cruelle Libitine.
Je cheminois paifiblement , laiffant errer
avec volupté mes yeux fur les objets qui ,
à mesure que nous avancions , fe découvroient
à ma vûe : vous fçavez comme j'aime
la campagne , & combien je fuis touché
de fes agrémens . Qu'avec bien du
plaifir je promenai mes regards fur cette
* Patois Bourguignon , que ce qui faiſoit dų
bien ne pouvoit faire du mal,
JUIN. 1755 29
belle vallée qui s'offre fur la gauche en arrivant
à Montbard ! la variété des objets
en fait un très -beau lieu : on voit une chaî
ne de montagnes qui bornent l'horizon
mais qui s'étendant au loin & fe perdant
dans l'éloignement , font douter à l'azur
qui colore leur cîme n'eft point celui dont
s'embellit le firmament , tant les plus lointaines
extrêmités femblent fe confondre
avec le ciel. En revenant de fi loin , la vûe
fe ramene fur les collines , que les regards
avoient d'abord faifies . Sur leur penchant
on voit plufieurs maifons de Laboureurs
qui dominent une prairie riche de tout ce
qui rend une campagne belle & fertile.
Tout cela mériteroit fans doute les honneurs
de la Poëfie ; mais je n'ofe me croire
capable de peindre ces beautés d'une maniere
neuve & originale.
La Peinture , la Poëfie
Dans leurs payſages rians ,
Les miracles de la fêrie
N'ont pas des lieux auffi charmans,
O beaux vallons , où le Penée
Paifiblement roule fes eaux !
M'offririez -vous tous les tableaux
De cette rive fortunée ?
Quelle aimable diverfité !
Fontaines , bois , côteaux , montagnes ,
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Tout ce qu'ont d'attraits les campagnes
S'offroit à mon cel enchanté.
Une fi douce rêverie
Vint furprendre tous mes efprits :
Je fus fi tendrement épris
Des charmes de la bergerie ,
Qu'en vérité dans ma folie
J'eufle donné tout ce Paris
Pour un hameau dans la prairie
Qu'en Peintre vrai je vous décris .
Au milieu de ces idées j'eus la fantaiſie ,
malgré l'extrême chaleur , de voir de plus
près cette belle vallée : je deſcendis du car-
∙roffe , & après avoir adoré les Divinités du
pays , je m'avançai fous leurs aufpices vers
un petit bois , d'où pouvant confiderer tout
le champêtre des environs , je goûtai encore
la fraîcheur d'unefontaine qui y couloit
: ah ! dis- je , en me couchant fur l'herbe
qui tapiffoit fes bords ,
Ici Phoebus ne porte point ſes traits ;
Que je chéris cette humide fontaine ,
Où le tilleul fous un feuillage épais ,
Contre les feux m'offre une ombre certaine !
Ces bois , ces eaux ont pour moi mille attraits ;
Mais des vallons il s'éleve un vent frais
Qui fur les fleurs le joue & fe promene ;
Venez , Zéphir , je vous ouvre mon fein ,
JUIN. 1755. 31
.
Pénétrez-moi de vos fraiches haleines ,
Calmez l'ardeur qu'allume dans mes veines
De Syrius l'aftre aride & mal fain.
*
Si je chéris les bois & les prairies ,
Léger Zéphir , je n'y cherche que vous ;
Vous réparez mes forces affoiblies ,
1
Et je vous dois un repos qui m'eſt doux ;
En ce moment vous feul me rendez chere
Cette retraite obfcure & folitaire :
Loin des cités , dans le calme & la paix ,
Parmi les fleurs , la mouffe & la fougere ,
Pour refpirer votre vapeur légere ,
Toujours puiffai -je errer dans ces bofquets .
J'eus à peine achevé cette priere qu'un
air plus vif s'éleva autour de moi en frémiffant
légerement ; mais je fus bien furpris
, quand après quelques momens de repos
voulant m'éloigner & reprendre ma
route , je me fentis enveloppé par un tourbillon
& emporté dans les airs ,
d'où je
defcendis doucement près de la voiture ,
qui déja s'étoit fort éloignée ; je ne doupas
que Zéphyr par une faveur particuliere
, ne m'eût enlevé fur fes aîles , afin
de m'éviter un trajet que rendoit pénible
l'extrême chaleur.
tai
Je repris ma place dans la voiture en
* Etoile qui eft à la tête de la canicule.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
regrettant un fi beau lieu , & j'arrivai à
Montbard. Si vous prenez garde aux deux
mots qui compofent le nom de cette ville ,
vous préfumerez comme moi qu'elle étoit
jadis une retraite des anciens Bardes . Les
Bardes étoient tous Poëtes , & ils étoient
appellés Sages parmi les Gaulois : il y a
aujourd'hui bien du déchet ; mais avançons.
>
Pendant qu'on nous apprêtoit à dîner
nous allâmes voir la maifon de M. de B...
Gouverneur de Montbard . Tout y paroît
appartenir à un Philoſophe aimable ; des
appartemens nous montâmes à la terraffe ,
où nous vîmes à l'extrêmité d'un petit jardin
un joli fallon tout en coquilles de diverfes
couleurs ; il eft tout fimple d'imaginer
que c'eft la grotte de quelques Nymphes
du voisinage.
Oui , par ce tiffu de coquilles
Qui forme ce fallon charmant ,
On croit que c'est l'appartement
De quelques Nayades gentilles ,
Qui laffes de refter dans l'eau
Et de courir dans la prairie ,
Viennent par fois dans ce château
Egayer leur mélancolie .
Le lendemain nous arrivâmes à Auxerre
JUIN. 7755
33
où nous couchâmes , & qui me parut une
ville peu agréable ; Villeneuve- le - Roi où l'on
ne compte qu'une belle rue , me plairoit
mieux nous y foupâmes le lendemain ;
il faifoit extrêmement chaud . Dès que je
fus arrivé , je me fentis une envie preffante
de m'aller baigner ; je me rendis fur
les bords de l'Yonne , je vis le Dieu du
Aleuve qui fe promenoit avec une pompe
& un appareil qui m'en impoferent : je
craignis de trouver du danger où je
voyois tant de majeſté ; je me retirai &
je fus m'affeoir vers un petit ruiffeau ombragé
de faules qui venoit s'y rendre . Je
m'affis ; bientôt j'éprouvai ce calme & ce
filence intérieur où nous livre la folitude ;
mais comme l'idée de la galanterie vient
naturellement s'unir aux impreffions que
laiffe un lieu agréable , je me mis à rêver
à une volage , & de la fouhaiter à mes côtés
: je difois ,
Je viens m'affeoir fur le rivage
De ce ruiffeau lympide & frais ;
Recevez-moi , faules épais ,
Sous votre agréable feuillage :
Dans ce beau lieu je veux en paix
Goûter le charme de l'ombrage
Que ce lit de mouffe à d'attraits
Pour mon coeur né fenfible & tendre !
~
BV
34 MERCURE DE FRANCE.
Pour le plaifir qu'il eft bien fait !
D'un doux tranfport , à cet objet ,
Mes fens ne peuvent fe défendre.
Je rêve ! .... &pouffe des foupirs ! ....
Et pourquoi cette inquiétude ? .
Délicieufe folitude ,
Manque-t - il rien à vos plaifirs ? ....
Foulant tous deux cette herbe épaiffe ,
Je voudrois lire mon bonheur ,
Dans les beaux yeux de ma maîtreffe.
Amour !... fixe pour moi fon coeur.
Mais enfin , continuai - je , pourquoi
nourrir plus long- tems une paffion inutile
qui me caufe du trouble ? profitons plutôt
& fans diftraction des plaifirs fimples &
tranquilles que la nature me préfente.
Je m'entretenois ainfi ,
Quand j'apperçus à mes côtés
Une Nymphe , dont le corfage
Offroit aux yeux plus de beautés
Que n'en avoit fon beau vifage :
Avec de grands cheveux nattés ,
Des fleurs diverfes qu'on moiffonne
Sur ces rivages enchantés ,
Elle portoit une couronne.
Je regrettois une friponne ;
Une Nymphe offroit à mes fens
Ces appas qu'amour abandonne
JUIN.
35 1755.
Aux feux libertins des amans :
Pouvois- je donc pleurer long- tems ?
Cédant aux erreurs de mon âge ,
J'oubliai tout en les voyant ,
Et je goûtai cet avantage
D'aimer enfin moins triftement.
Pardonnez ce libertinage :
Mais au récit où je m'engage
De conter tout ingénument ,
Vous m'avouerez qu'il eft plus fage ,
Plus doux auffi , plus confolant ,
Quand une ingrate nous outrage
D'échapper à l'amour conſtant
Pour courir à l'amour volage .
Je vous connois ; oui , je le gage ,
Vous en auriez fait tout autant .
Mais néanmoins à cette vûe ,
Saifi de trouble & l'ame émue ,
Je me cachai dans les rofeaux :
Ne craignez rien , s'écria -t -elle ,
Berger , je fuis une immortelle ,
Fille du fouverain des flots ;
C'est moi qui dans cette prairie
Fais couler ce petit ruiſſeau ;
Venez , la fraîcheur de fon eau
A vous y baigner vous convie.
Rien ne peut-il calmer vos feux ,
Ajoûta-t-elle avec tendreffe ?
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
Ah ! queje hais cette maîtreffe
Qui fe refuſe à tous vos voeux.
Ne formez que d'aimables noeuds ;
Comme l'amour ayez des aîles ;
Jeune & difcret , loin des cruelles
Vous méritez d'être un heureux .
Vous le ferez , féchez vos larmes ,
Regnez fur mon coeur , fur ces lieux ;
Je n'ai peut-être pas fes charmes ,
Mais je fçaurai vous aimer mieux.
Qu'une Déeffe eft féduiſante !
Ah ! m'écriai -je , tout m'enchante ,
Tout me captive en ce féjour ;
Tout eft ici , Nymphe charmante ,
Digne de vous & de l'amour .
Vous voyez qu'à fon compliment
Où j'entrevis de la tendreffe ,
Je répondis à la Déeſſe
Par un propos affez galant .
Après ces mots , plein d'affurance
Avec yvreffe je m'élance ,
Et me laiffe aller dans les bras
De mon aimable Néreïde ,
Qui vers la demeure liquide
Elle-même guida mes pas.
Les peupliers fur mon paffage
Sembloient doucement agiter
Et leurs rameaux & leur feuillage ,
JUIN. 37. 1755
Ils paroiffoient nous inviter
Arepofer fous leur ombrage.
D'un mouvement vif & léger
Les cignes avançoient fur l'onde ,
Et fans mourir ils frappoient l'air
Du chant le plus tendre du monde .
Parmi leurs fons mélodieux ,
Mais cependant moins gracieux
Que les accens de Jéliotte ,
Nous arrivâmes à la grotte
Où j'allois voir combler mes voeux.
Je pourrois en dire davantage ; mais ne
feroit ce pas manquer aux Dieux que de
revéler leurs myfteres à des profanes : j'a
joûte pourtant
Que cette jeune Déïté ,
Par fon doux & tendre langage ,
Tint long-tems mon coeur enchanté
Et fçut , quoique je fois né fage ,
Me faire aimer la volupté.
Le moment vint de nous féparer : que
ne fit- elle pas pour me retenir ! Calipfo ne !
mit pas enen ufage plus de charmes pour ar
rêter le fils du vieux Laërte : mais comme
ce héros , je fçus y réfifter ; je lui fis enfin
mes derniers adieux . Ses bras s'ouvrirent
pour m'embraffer : ah , dit - elle en verfant
les plus tendres larmes , je méritois
38 MERCURE DE FRANCE.
que vous euffiez voulu couler avec moi le
refte de vos jours ; fi vous m'avez chérie ,
continua - t- elle , ne me refufez pas ce baifer
; laiffez - moi ravir au fort qui vous
éloigne de moi , cette joie qui pour moi
fera la derniere. Adieu.
Chere Nymphe , m'écriai - je , je la regardois
dans ce moment :
Mais quelles furent mes alarmes
D'appercevoir ce corps fi beau ,
De mes mains s'écouler en larmes ,
Et ne plus être qu'un ruiffeau ;
Dont l'onde tranſparente & pure
Se ramaffant contre mon fein ,
Avec le plus trifte murmure
Autour de moi forme un baffin.
1
Je m'y plongeai avec tranſport , & après
m'y être baigné une heure j'en fortis avec
trifteffe . Que n'étions-nous au fiécle des
métamorphofes !
C Ainfi que
bien des malheureux
Qu'en fes écrits célebre Ovide ,
J'aurois pû demander aux Dieux
De devenir un corps fluide ,
Et j'euffe été fans doute heureux
En mêlant mes flots amoureux
Aux ondes que la Neréide
Epanchoit de fon fein humide ;
JUIN. 39 1755 .
Comme un fleuve majestueux ,
Qui voit croître en fon cours fa gloire & fa fortune
De mes deftins trop glorieux ,
On ne m'eût jamais vû dans le fein de Neptune ,
Porter des flots ambitieux ;
Mais , ruiffeau toujours grácieux ,
D'un cours égal , jamais rapide ,
Avec elle d'une eau lympide
J'euffe arrofé toujours ces lieux.
Mais , comme vous voyez , l'immortalité
me devenoit impoffible.
De maniere qu'en un moment
Je m'éloignai de la fontaine ,
Comme j'étois auparavant ,
Revêtu de ma forme humaine ;
Et P ..... tout uniment.
-
Je retournai à mon auberge , où je mangeai
de très - bonne grace : le fouper étoit
bon ; nous eûmes la précaution de mettre
une couple de poulets entre deux croûtes
pour en déjeûner le lendemain . Effectivement
, après avoir marché quelque tems ,
nous nous écartâmes de la voiture.
Puis fur la molle & tendre herbette ,
Sans nappe mife , fans affiette ,
A l'ombre d'un vieux chêne affis ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Des deux croûtes d'un pain raffis
N'ayant que mes doigts pour fourchette ;
Je tirai nos poulets rôtis .
En même tems de ma pochette
Je fis fortir un doux flacon
D'où j'aillit un vin bourguignon ,
Qui nous rafraîchit la luette .
Après avoir bû amplement à votre fanté
, nous regagnâmes le coche. Nous arrivâmes
le foir à Joigny pour en repartir le
lendemain avant le jour : on nous éveilla
à deux heures ; le ciel étoit pur & clair , &
promettoit une belle matinée. Je me propofai
d'examiner fi les defcriptions qu'en
font les Poëtes étoient exactes , d'en étudier
tous les momens & d'en fuivre les accidens
& les circonftances : une heure après
notre départ je me fis ouvrir la portiere ,
& laiffant mes compagnons de voyage
dormir profondément, je continuai la route
à pied.
Un crépuscule encor peu für
Ne laiffoit voir loin du village ,
Que le chaume & le faîte obfcur
Des cabanes du voifinage ,
Que quelques pins , dont le feuillage
S'étoit découpé fur l'azur
D'un ciel ſerein & fans nuage,
JUIN. 41 17558
Je difois , heureux laboureurs ,
Maintenant un fommeil paisible
Sur vous prodigue fes faveurs ;
Et fi l'amour eft dans vos coeurs ,
A l'amour feul il eft poffible
D'en interrompre les douceurs .
En s'éloignant des coeurs profanes
Cet enfant ne dédaigne pas
D'habiter vos humbles cabanes ;
Il aime à voler fur les pas ,
A folâtrer entre les bras
De ces gentilles payſannes ,
Dont lui-même orne les appas.
C'eft aux champs qu'amour prit naiffance ,
Il y lança fes premiers traits ;
Sur les habitans des forêts
Venus exerça fon enfance.
Eh ! qu'il acquit d'expérience !
Bientôt les hommes & les Dieux
Contre lui furent fans défenſe ;
Des bois il vola dans les cieux ;
Mais il chérit toujours les lieux ,
Premiers témoins de fa puiffance.
De l'Hefperus l'aftre brillant
Ne regne plus fur les étoiles ,
L'ombre s'éloigne , & dans fes voiles
Se précipite à l'occident .
Mais un rayon vif de lumiere
42 MERCURE DE FRANCE.
S'eft élancé de l'horizon ;
Voici l'époufe de Titon , •
Qui du jour ouvre la barriere.
Sur un char peint de cent couleurs
Viens , Aurore , avec tous tes charmes ,
Viens & répands de tendres larmes
Sur les gazons & fur les fleurs.
Que ces momens font enchanteurs !
Un verd plus frais , de ce feuillage
A ranimé le doux éclat ;
En reprenant ſon incarnat ,
La jeune fleur , au badinage
Du papillon vif & volage
Ouvre fon vafe délicat ;
Il fuit , & je vois cet ingrat
Porter à toutes fon hommage.
Que l'air eft pur ; quelle fraîcheur !
Du fein humide dés fougeres
S'exhale une fuave odeur ,
Qu'en frémiffant avec douceur ,
Au loin fur fes aîles légeres
Porte & difperfe un vent flateur.
Une langueur délicieuſe
Coule en mes fens .... ah ! quel plaifir !
Je ne fçais quoi vient me faifir
Qui rend mon ame plus heureuſe .
Mais la fauvette à fon reveil
Des bois a rompu le filence :
J'entends fa voix , & du ſoleil
JUIN.
43
1755-
Ses chants m'annoncent la préfence.
Déja brille fur les guerêts
Le fer aigu de la charrue ;
L'adroit chaffeur dans les forêts
Attend qu'épris des doux attraits
De l'herbette fraîche & menue
Le levreau vienne dans ſes rêts
Chercher une mort imprévûe.
Bientôt au fon des chalumeaux
Que les Bergeres font entendre
Les bercails s'ouvrent , les
agneaux
Sous la houlette vont ſe rendre ;
Je les vois fortir des hameaux ,
Et fous les yeux d'un chien fidele .
Couvrir les rives des ruiffeaux ,
Se répandre fur les côteaux
Où croit le thyn qui les appelle ,
Jufqu'au moment où la chaleur
En deffechant les pâturages ,
Les fera fuir dans les bocages
Pour goûter l'ombre & la fraîcheur ,
Cette belle matinée me caufa le plaifir le
plus pur que j'aie reffenti de ma vie . Ce
charme eft inexprimable : qu'avec admiration
mes yeux fe tournerent vers l'orient !
Flambeau du jour , aftre éclatant ,
D'un Dieu caché , viſible image ,
Vous m'avez vû dans ce moment
44 MERCURE DE FRANCE.
>
Par mes tranfports vous rendre hommage.
A ce fpectacle encor nouveau
O foleil ! je te fis entendre
Cet hymne digne de Rameau ,
Où fur leurs temples mis en cendre ,
Les Incas chantent leurs regrets ,
Et rendent grace à tes bienfaits
Toujours fur eux prêts à defcendre.
Bientôt je remontai dans le coche mieux
inftruit par la nature elle- même que par
tout ce que j'avois vû , & chez les anciens
& chez les modernes , & dans les Poëtes
& chez les Peintres.
Jufqu'à Melun il ne nous arriva rien
de particulier , finon qu'à Villeneuve - la-
Guyard nous vîmes arriver une chaife de
pofte , d'où fortirent un jeune homme de
fort bonne mine , & un autre qui paroiffoit
plus jeune ; mais le tein délicat de celui-
ci & le ton de fa voix nous firent deviner
que l'un étoit une jeune fille déguifée
, & l'autre fon amant.
C'étoit fans doute un féducteur ,
Qui loin du toît trifte & grondeur
D'une maman toujours mauvaiſe ,
De fa maîtreffe amant vainqueur ,
Avec elle fuyoit en chaife ,
Afin qu'il pût tout à fon aiſe
JUIN.
45 1755.
En poffeder le petit coeur.
Le lendemain nous dînâmes à Moret
d'où nous partîmes pour aller coucher ,
Melun. Nous traverfâmes la forêt de Fontainebleau
: qu'elle est belle ! Nous arrivâmes
de bonne heure à Melun , où ne fçachant
que faire nous allâmes voir les marionettes.
Polichinelle & Gigogne fa mie
Avoient l'heur de nous divertir :
Je l'avouerai , je pris quelque plaifir
A voir dans fa bouffonnerie
Un automate amufer mon loifir
Mieux qu'un trifte mortel dont le bon fens m'en
nuie.
Le lendemain nous arrivâmes fains &
gais à Paris.
Et c'eft de ce même Paris
Qu'imitant le gentil Chapelle ,
En profe , en vers je vous écris.
Adieu , je gagne ma ruelle ;
Bon foir , adieu , mes chers amis.
Je me fens flaté de ce titre ;
Et fuis , ma foi , par fentiment ,
Meffieurs , ce qu'au bout d'une épitre
On dit être par compliment.
P .....
A Mis , vous attendez fans doute
Que je vous faffe le récit
Bien détaillé , de ce qu'en route
J'ai vu , j'ai fçu , j'ai fait , j'ai dit :
Oui , je m'en vais fur mon hiftoire
De mon mieux vous entretenir ;
Sans peine vous pouvez me croire ,
Vous le fçavez , il eſt notoire
Qu'un Bourguignon ne peut mentir.
D'être par- tout bien véritable ,
Je ne le
promets pourtant pas :
Car bien fouvent il eft des cas ,
Où pour rendre plus agréable
La fatigante vérité ,
Il faut du manteau de la Fable
Couvrir fa trifte nudité.
Vous l'avouerez ; mais que ma Muſe
Et vous inftruiſe & vous amuſe ,
Hélas ! je n'ofe m'en flater ;
N'importe , plein de confiance ,
Pour répondre à votre eſpérance ,
J'oſe tout faire & tout tenter.
Attention , faites filence ;
Je prends la plume , je commence :
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
Or , vous plaît-il de m'écouter.
Je vous quittai avec tous les fentimens
d'une parfaite reconnoiffance & d'une
amitié fincere. MM ...... me reconduifirent
jufqu'au bas de Talent ; là je reçus
leurs adieux , & je les embraffai le regret
dans le coeur :
Mais nous voilà dans l'équipage ,
Des fouets l'air a retenti :
Santé conftante & bon voyage ;
Allons , cocher ; on eft parti.
Nous nous trouvâmes fept dans la voiture
; mais plaignez-moi avec ce nombre .
Pas un minois qu'on pût baiſer ;
Pas une femme un peu jolie ,
Vers qui tout bas l'on pût jafer ,
Dont je puffe pour m'amufer
Faire en chemin ma bonne amie.
C'étoit d'un côté un homme fort ennuyeux
, qui fe nommoit M. Chufer , avec
le Sr Taillard , dont tout Paris fans doute
connoîtra bientôt les talens fupérieurs qu'il
a pour la flûte. Une femme âgée occupoit
le fond .
A côté de cette vieille ama
JUIN.
27 1755 .
Etoit affis un Provençal ;
Du Provençal & de la Dame
Je ne dirai ni bien ni mal.
Mais fi j'ai mérité l'Enfer ,
Seigneur , modere ta juftice ,
Et ne mets pas pour mon fupplice ,
A mes côtés M. Chufer.
Sur ce qui refte il faut fe taire ;
Car nous ne sommes plus que trois ,
Qui font B ....moi , mon frere ,
Que bien vous connoiffez , je crois .
Arrivés au Val- de- Suzon , on nous fervit
à déjeûner.
Des écreviffes & des truites :
En ce pays , quoique petites ,
Cela fait un mets excellent ,
Quand dans du vin rouge ou du blanc
Au petit lard elles font cuites :
Nous allâmes dîner à Saint- Seine .
C'eſt-là que coule cette fource
Qui , répandant au loin fes flots,
Porte fes ondes aux Badauts ,
Et dans la mer finit la courfe.
Le foir nous arrivâmes à Chanceaux, ou
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
nous foupâmes de bon appétit : nous fumes
un peu furpris de voir notre hôte malade
d'une fievre maligne , chercher à la guérir
avec du vin qu'il buvoit avec une confiance
dont il devoit tout appréhender . Comme
nous lui en marquions notre étonnement ,
il nous répondit avec naïveté que ce qui
* faifor du bé ne pòvor fare du man ; & en
effet
Un Bourguignon peut-il penfer
Qu'un demi- Dieu , comme Efculape ;
En pouvoir puiffe ſurpaſſer
Le Dieu qui fait naître la grappe ?
Non , non ,
dans vos heureux climats
Le vin , cette liqueur divine
Préferve un homme du trépas ,
Lorfqu'en ceux-ci la Médecine
Les jette tous entre les bras
De la cruelle Libitine.
Je cheminois paifiblement , laiffant errer
avec volupté mes yeux fur les objets qui ,
à mesure que nous avancions , fe découvroient
à ma vûe : vous fçavez comme j'aime
la campagne , & combien je fuis touché
de fes agrémens . Qu'avec bien du
plaifir je promenai mes regards fur cette
* Patois Bourguignon , que ce qui faiſoit dų
bien ne pouvoit faire du mal,
JUIN. 1755 29
belle vallée qui s'offre fur la gauche en arrivant
à Montbard ! la variété des objets
en fait un très -beau lieu : on voit une chaî
ne de montagnes qui bornent l'horizon
mais qui s'étendant au loin & fe perdant
dans l'éloignement , font douter à l'azur
qui colore leur cîme n'eft point celui dont
s'embellit le firmament , tant les plus lointaines
extrêmités femblent fe confondre
avec le ciel. En revenant de fi loin , la vûe
fe ramene fur les collines , que les regards
avoient d'abord faifies . Sur leur penchant
on voit plufieurs maifons de Laboureurs
qui dominent une prairie riche de tout ce
qui rend une campagne belle & fertile.
Tout cela mériteroit fans doute les honneurs
de la Poëfie ; mais je n'ofe me croire
capable de peindre ces beautés d'une maniere
neuve & originale.
La Peinture , la Poëfie
Dans leurs payſages rians ,
Les miracles de la fêrie
N'ont pas des lieux auffi charmans,
O beaux vallons , où le Penée
Paifiblement roule fes eaux !
M'offririez -vous tous les tableaux
De cette rive fortunée ?
Quelle aimable diverfité !
Fontaines , bois , côteaux , montagnes ,
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Tout ce qu'ont d'attraits les campagnes
S'offroit à mon cel enchanté.
Une fi douce rêverie
Vint furprendre tous mes efprits :
Je fus fi tendrement épris
Des charmes de la bergerie ,
Qu'en vérité dans ma folie
J'eufle donné tout ce Paris
Pour un hameau dans la prairie
Qu'en Peintre vrai je vous décris .
Au milieu de ces idées j'eus la fantaiſie ,
malgré l'extrême chaleur , de voir de plus
près cette belle vallée : je deſcendis du car-
∙roffe , & après avoir adoré les Divinités du
pays , je m'avançai fous leurs aufpices vers
un petit bois , d'où pouvant confiderer tout
le champêtre des environs , je goûtai encore
la fraîcheur d'unefontaine qui y couloit
: ah ! dis- je , en me couchant fur l'herbe
qui tapiffoit fes bords ,
Ici Phoebus ne porte point ſes traits ;
Que je chéris cette humide fontaine ,
Où le tilleul fous un feuillage épais ,
Contre les feux m'offre une ombre certaine !
Ces bois , ces eaux ont pour moi mille attraits ;
Mais des vallons il s'éleve un vent frais
Qui fur les fleurs le joue & fe promene ;
Venez , Zéphir , je vous ouvre mon fein ,
JUIN. 1755. 31
.
Pénétrez-moi de vos fraiches haleines ,
Calmez l'ardeur qu'allume dans mes veines
De Syrius l'aftre aride & mal fain.
*
Si je chéris les bois & les prairies ,
Léger Zéphir , je n'y cherche que vous ;
Vous réparez mes forces affoiblies ,
1
Et je vous dois un repos qui m'eſt doux ;
En ce moment vous feul me rendez chere
Cette retraite obfcure & folitaire :
Loin des cités , dans le calme & la paix ,
Parmi les fleurs , la mouffe & la fougere ,
Pour refpirer votre vapeur légere ,
Toujours puiffai -je errer dans ces bofquets .
J'eus à peine achevé cette priere qu'un
air plus vif s'éleva autour de moi en frémiffant
légerement ; mais je fus bien furpris
, quand après quelques momens de repos
voulant m'éloigner & reprendre ma
route , je me fentis enveloppé par un tourbillon
& emporté dans les airs ,
d'où je
defcendis doucement près de la voiture ,
qui déja s'étoit fort éloignée ; je ne doupas
que Zéphyr par une faveur particuliere
, ne m'eût enlevé fur fes aîles , afin
de m'éviter un trajet que rendoit pénible
l'extrême chaleur.
tai
Je repris ma place dans la voiture en
* Etoile qui eft à la tête de la canicule.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
regrettant un fi beau lieu , & j'arrivai à
Montbard. Si vous prenez garde aux deux
mots qui compofent le nom de cette ville ,
vous préfumerez comme moi qu'elle étoit
jadis une retraite des anciens Bardes . Les
Bardes étoient tous Poëtes , & ils étoient
appellés Sages parmi les Gaulois : il y a
aujourd'hui bien du déchet ; mais avançons.
>
Pendant qu'on nous apprêtoit à dîner
nous allâmes voir la maifon de M. de B...
Gouverneur de Montbard . Tout y paroît
appartenir à un Philoſophe aimable ; des
appartemens nous montâmes à la terraffe ,
où nous vîmes à l'extrêmité d'un petit jardin
un joli fallon tout en coquilles de diverfes
couleurs ; il eft tout fimple d'imaginer
que c'eft la grotte de quelques Nymphes
du voisinage.
Oui , par ce tiffu de coquilles
Qui forme ce fallon charmant ,
On croit que c'est l'appartement
De quelques Nayades gentilles ,
Qui laffes de refter dans l'eau
Et de courir dans la prairie ,
Viennent par fois dans ce château
Egayer leur mélancolie .
Le lendemain nous arrivâmes à Auxerre
JUIN. 7755
33
où nous couchâmes , & qui me parut une
ville peu agréable ; Villeneuve- le - Roi où l'on
ne compte qu'une belle rue , me plairoit
mieux nous y foupâmes le lendemain ;
il faifoit extrêmement chaud . Dès que je
fus arrivé , je me fentis une envie preffante
de m'aller baigner ; je me rendis fur
les bords de l'Yonne , je vis le Dieu du
Aleuve qui fe promenoit avec une pompe
& un appareil qui m'en impoferent : je
craignis de trouver du danger où je
voyois tant de majeſté ; je me retirai &
je fus m'affeoir vers un petit ruiffeau ombragé
de faules qui venoit s'y rendre . Je
m'affis ; bientôt j'éprouvai ce calme & ce
filence intérieur où nous livre la folitude ;
mais comme l'idée de la galanterie vient
naturellement s'unir aux impreffions que
laiffe un lieu agréable , je me mis à rêver
à une volage , & de la fouhaiter à mes côtés
: je difois ,
Je viens m'affeoir fur le rivage
De ce ruiffeau lympide & frais ;
Recevez-moi , faules épais ,
Sous votre agréable feuillage :
Dans ce beau lieu je veux en paix
Goûter le charme de l'ombrage
Que ce lit de mouffe à d'attraits
Pour mon coeur né fenfible & tendre !
~
BV
34 MERCURE DE FRANCE.
Pour le plaifir qu'il eft bien fait !
D'un doux tranfport , à cet objet ,
Mes fens ne peuvent fe défendre.
Je rêve ! .... &pouffe des foupirs ! ....
Et pourquoi cette inquiétude ? .
Délicieufe folitude ,
Manque-t - il rien à vos plaifirs ? ....
Foulant tous deux cette herbe épaiffe ,
Je voudrois lire mon bonheur ,
Dans les beaux yeux de ma maîtreffe.
Amour !... fixe pour moi fon coeur.
Mais enfin , continuai - je , pourquoi
nourrir plus long- tems une paffion inutile
qui me caufe du trouble ? profitons plutôt
& fans diftraction des plaifirs fimples &
tranquilles que la nature me préfente.
Je m'entretenois ainfi ,
Quand j'apperçus à mes côtés
Une Nymphe , dont le corfage
Offroit aux yeux plus de beautés
Que n'en avoit fon beau vifage :
Avec de grands cheveux nattés ,
Des fleurs diverfes qu'on moiffonne
Sur ces rivages enchantés ,
Elle portoit une couronne.
Je regrettois une friponne ;
Une Nymphe offroit à mes fens
Ces appas qu'amour abandonne
JUIN.
35 1755.
Aux feux libertins des amans :
Pouvois- je donc pleurer long- tems ?
Cédant aux erreurs de mon âge ,
J'oubliai tout en les voyant ,
Et je goûtai cet avantage
D'aimer enfin moins triftement.
Pardonnez ce libertinage :
Mais au récit où je m'engage
De conter tout ingénument ,
Vous m'avouerez qu'il eft plus fage ,
Plus doux auffi , plus confolant ,
Quand une ingrate nous outrage
D'échapper à l'amour conſtant
Pour courir à l'amour volage .
Je vous connois ; oui , je le gage ,
Vous en auriez fait tout autant .
Mais néanmoins à cette vûe ,
Saifi de trouble & l'ame émue ,
Je me cachai dans les rofeaux :
Ne craignez rien , s'écria -t -elle ,
Berger , je fuis une immortelle ,
Fille du fouverain des flots ;
C'est moi qui dans cette prairie
Fais couler ce petit ruiſſeau ;
Venez , la fraîcheur de fon eau
A vous y baigner vous convie.
Rien ne peut-il calmer vos feux ,
Ajoûta-t-elle avec tendreffe ?
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
Ah ! queje hais cette maîtreffe
Qui fe refuſe à tous vos voeux.
Ne formez que d'aimables noeuds ;
Comme l'amour ayez des aîles ;
Jeune & difcret , loin des cruelles
Vous méritez d'être un heureux .
Vous le ferez , féchez vos larmes ,
Regnez fur mon coeur , fur ces lieux ;
Je n'ai peut-être pas fes charmes ,
Mais je fçaurai vous aimer mieux.
Qu'une Déeffe eft féduiſante !
Ah ! m'écriai -je , tout m'enchante ,
Tout me captive en ce féjour ;
Tout eft ici , Nymphe charmante ,
Digne de vous & de l'amour .
Vous voyez qu'à fon compliment
Où j'entrevis de la tendreffe ,
Je répondis à la Déeſſe
Par un propos affez galant .
Après ces mots , plein d'affurance
Avec yvreffe je m'élance ,
Et me laiffe aller dans les bras
De mon aimable Néreïde ,
Qui vers la demeure liquide
Elle-même guida mes pas.
Les peupliers fur mon paffage
Sembloient doucement agiter
Et leurs rameaux & leur feuillage ,
JUIN. 37. 1755
Ils paroiffoient nous inviter
Arepofer fous leur ombrage.
D'un mouvement vif & léger
Les cignes avançoient fur l'onde ,
Et fans mourir ils frappoient l'air
Du chant le plus tendre du monde .
Parmi leurs fons mélodieux ,
Mais cependant moins gracieux
Que les accens de Jéliotte ,
Nous arrivâmes à la grotte
Où j'allois voir combler mes voeux.
Je pourrois en dire davantage ; mais ne
feroit ce pas manquer aux Dieux que de
revéler leurs myfteres à des profanes : j'a
joûte pourtant
Que cette jeune Déïté ,
Par fon doux & tendre langage ,
Tint long-tems mon coeur enchanté
Et fçut , quoique je fois né fage ,
Me faire aimer la volupté.
Le moment vint de nous féparer : que
ne fit- elle pas pour me retenir ! Calipfo ne !
mit pas enen ufage plus de charmes pour ar
rêter le fils du vieux Laërte : mais comme
ce héros , je fçus y réfifter ; je lui fis enfin
mes derniers adieux . Ses bras s'ouvrirent
pour m'embraffer : ah , dit - elle en verfant
les plus tendres larmes , je méritois
38 MERCURE DE FRANCE.
que vous euffiez voulu couler avec moi le
refte de vos jours ; fi vous m'avez chérie ,
continua - t- elle , ne me refufez pas ce baifer
; laiffez - moi ravir au fort qui vous
éloigne de moi , cette joie qui pour moi
fera la derniere. Adieu.
Chere Nymphe , m'écriai - je , je la regardois
dans ce moment :
Mais quelles furent mes alarmes
D'appercevoir ce corps fi beau ,
De mes mains s'écouler en larmes ,
Et ne plus être qu'un ruiffeau ;
Dont l'onde tranſparente & pure
Se ramaffant contre mon fein ,
Avec le plus trifte murmure
Autour de moi forme un baffin.
1
Je m'y plongeai avec tranſport , & après
m'y être baigné une heure j'en fortis avec
trifteffe . Que n'étions-nous au fiécle des
métamorphofes !
C Ainfi que
bien des malheureux
Qu'en fes écrits célebre Ovide ,
J'aurois pû demander aux Dieux
De devenir un corps fluide ,
Et j'euffe été fans doute heureux
En mêlant mes flots amoureux
Aux ondes que la Neréide
Epanchoit de fon fein humide ;
JUIN. 39 1755 .
Comme un fleuve majestueux ,
Qui voit croître en fon cours fa gloire & fa fortune
De mes deftins trop glorieux ,
On ne m'eût jamais vû dans le fein de Neptune ,
Porter des flots ambitieux ;
Mais , ruiffeau toujours grácieux ,
D'un cours égal , jamais rapide ,
Avec elle d'une eau lympide
J'euffe arrofé toujours ces lieux.
Mais , comme vous voyez , l'immortalité
me devenoit impoffible.
De maniere qu'en un moment
Je m'éloignai de la fontaine ,
Comme j'étois auparavant ,
Revêtu de ma forme humaine ;
Et P ..... tout uniment.
-
Je retournai à mon auberge , où je mangeai
de très - bonne grace : le fouper étoit
bon ; nous eûmes la précaution de mettre
une couple de poulets entre deux croûtes
pour en déjeûner le lendemain . Effectivement
, après avoir marché quelque tems ,
nous nous écartâmes de la voiture.
Puis fur la molle & tendre herbette ,
Sans nappe mife , fans affiette ,
A l'ombre d'un vieux chêne affis ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Des deux croûtes d'un pain raffis
N'ayant que mes doigts pour fourchette ;
Je tirai nos poulets rôtis .
En même tems de ma pochette
Je fis fortir un doux flacon
D'où j'aillit un vin bourguignon ,
Qui nous rafraîchit la luette .
Après avoir bû amplement à votre fanté
, nous regagnâmes le coche. Nous arrivâmes
le foir à Joigny pour en repartir le
lendemain avant le jour : on nous éveilla
à deux heures ; le ciel étoit pur & clair , &
promettoit une belle matinée. Je me propofai
d'examiner fi les defcriptions qu'en
font les Poëtes étoient exactes , d'en étudier
tous les momens & d'en fuivre les accidens
& les circonftances : une heure après
notre départ je me fis ouvrir la portiere ,
& laiffant mes compagnons de voyage
dormir profondément, je continuai la route
à pied.
Un crépuscule encor peu für
Ne laiffoit voir loin du village ,
Que le chaume & le faîte obfcur
Des cabanes du voifinage ,
Que quelques pins , dont le feuillage
S'étoit découpé fur l'azur
D'un ciel ſerein & fans nuage,
JUIN. 41 17558
Je difois , heureux laboureurs ,
Maintenant un fommeil paisible
Sur vous prodigue fes faveurs ;
Et fi l'amour eft dans vos coeurs ,
A l'amour feul il eft poffible
D'en interrompre les douceurs .
En s'éloignant des coeurs profanes
Cet enfant ne dédaigne pas
D'habiter vos humbles cabanes ;
Il aime à voler fur les pas ,
A folâtrer entre les bras
De ces gentilles payſannes ,
Dont lui-même orne les appas.
C'eft aux champs qu'amour prit naiffance ,
Il y lança fes premiers traits ;
Sur les habitans des forêts
Venus exerça fon enfance.
Eh ! qu'il acquit d'expérience !
Bientôt les hommes & les Dieux
Contre lui furent fans défenſe ;
Des bois il vola dans les cieux ;
Mais il chérit toujours les lieux ,
Premiers témoins de fa puiffance.
De l'Hefperus l'aftre brillant
Ne regne plus fur les étoiles ,
L'ombre s'éloigne , & dans fes voiles
Se précipite à l'occident .
Mais un rayon vif de lumiere
42 MERCURE DE FRANCE.
S'eft élancé de l'horizon ;
Voici l'époufe de Titon , •
Qui du jour ouvre la barriere.
Sur un char peint de cent couleurs
Viens , Aurore , avec tous tes charmes ,
Viens & répands de tendres larmes
Sur les gazons & fur les fleurs.
Que ces momens font enchanteurs !
Un verd plus frais , de ce feuillage
A ranimé le doux éclat ;
En reprenant ſon incarnat ,
La jeune fleur , au badinage
Du papillon vif & volage
Ouvre fon vafe délicat ;
Il fuit , & je vois cet ingrat
Porter à toutes fon hommage.
Que l'air eft pur ; quelle fraîcheur !
Du fein humide dés fougeres
S'exhale une fuave odeur ,
Qu'en frémiffant avec douceur ,
Au loin fur fes aîles légeres
Porte & difperfe un vent flateur.
Une langueur délicieuſe
Coule en mes fens .... ah ! quel plaifir !
Je ne fçais quoi vient me faifir
Qui rend mon ame plus heureuſe .
Mais la fauvette à fon reveil
Des bois a rompu le filence :
J'entends fa voix , & du ſoleil
JUIN.
43
1755-
Ses chants m'annoncent la préfence.
Déja brille fur les guerêts
Le fer aigu de la charrue ;
L'adroit chaffeur dans les forêts
Attend qu'épris des doux attraits
De l'herbette fraîche & menue
Le levreau vienne dans ſes rêts
Chercher une mort imprévûe.
Bientôt au fon des chalumeaux
Que les Bergeres font entendre
Les bercails s'ouvrent , les
agneaux
Sous la houlette vont ſe rendre ;
Je les vois fortir des hameaux ,
Et fous les yeux d'un chien fidele .
Couvrir les rives des ruiffeaux ,
Se répandre fur les côteaux
Où croit le thyn qui les appelle ,
Jufqu'au moment où la chaleur
En deffechant les pâturages ,
Les fera fuir dans les bocages
Pour goûter l'ombre & la fraîcheur ,
Cette belle matinée me caufa le plaifir le
plus pur que j'aie reffenti de ma vie . Ce
charme eft inexprimable : qu'avec admiration
mes yeux fe tournerent vers l'orient !
Flambeau du jour , aftre éclatant ,
D'un Dieu caché , viſible image ,
Vous m'avez vû dans ce moment
44 MERCURE DE FRANCE.
>
Par mes tranfports vous rendre hommage.
A ce fpectacle encor nouveau
O foleil ! je te fis entendre
Cet hymne digne de Rameau ,
Où fur leurs temples mis en cendre ,
Les Incas chantent leurs regrets ,
Et rendent grace à tes bienfaits
Toujours fur eux prêts à defcendre.
Bientôt je remontai dans le coche mieux
inftruit par la nature elle- même que par
tout ce que j'avois vû , & chez les anciens
& chez les modernes , & dans les Poëtes
& chez les Peintres.
Jufqu'à Melun il ne nous arriva rien
de particulier , finon qu'à Villeneuve - la-
Guyard nous vîmes arriver une chaife de
pofte , d'où fortirent un jeune homme de
fort bonne mine , & un autre qui paroiffoit
plus jeune ; mais le tein délicat de celui-
ci & le ton de fa voix nous firent deviner
que l'un étoit une jeune fille déguifée
, & l'autre fon amant.
C'étoit fans doute un féducteur ,
Qui loin du toît trifte & grondeur
D'une maman toujours mauvaiſe ,
De fa maîtreffe amant vainqueur ,
Avec elle fuyoit en chaife ,
Afin qu'il pût tout à fon aiſe
JUIN.
45 1755.
En poffeder le petit coeur.
Le lendemain nous dînâmes à Moret
d'où nous partîmes pour aller coucher ,
Melun. Nous traverfâmes la forêt de Fontainebleau
: qu'elle est belle ! Nous arrivâmes
de bonne heure à Melun , où ne fçachant
que faire nous allâmes voir les marionettes.
Polichinelle & Gigogne fa mie
Avoient l'heur de nous divertir :
Je l'avouerai , je pris quelque plaifir
A voir dans fa bouffonnerie
Un automate amufer mon loifir
Mieux qu'un trifte mortel dont le bon fens m'en
nuie.
Le lendemain nous arrivâmes fains &
gais à Paris.
Et c'eft de ce même Paris
Qu'imitant le gentil Chapelle ,
En profe , en vers je vous écris.
Adieu , je gagne ma ruelle ;
Bon foir , adieu , mes chers amis.
Je me fens flaté de ce titre ;
Et fuis , ma foi , par fentiment ,
Meffieurs , ce qu'au bout d'une épitre
On dit être par compliment.
P .....
Fermer
Résumé : Voyage de Dijon à Paris, fait en 1746.
En 1746, un Bourguignon entreprend un voyage de Dijon à Paris. L'auteur s'engage à narrer ses aventures avec sincérité, tout en reconnaissant que la vérité peut être embellie par la fable. Il quitte Dijon avec gratitude et amitié, accompagné de sept personnes, dont un homme ennuyeux nommé M. Chufer et un musicien talentueux, le Sr Taillard. Le groupe fait plusieurs arrêts, notamment au Val-de-Suzon où ils déjeunent d'écrevisses et de truites, et à Saint-Seine où ils dînent près d'une source célèbre. L'auteur admire la beauté des paysages, notamment la vallée de Montbard, et exprime son amour pour la campagne. Il décrit une expérience mystique où il est emporté par le vent et retrouve la voiture plus loin. À Montbard, il visite la maison du gouverneur et admire une grotte artificielle. Le voyage se poursuit à Auxerre, une ville qu'il trouve peu agréable, et à Villeneuve-le-Roi. À Villeneuve-le-Roi, l'auteur se baigne dans l'Yonne et rencontre une nymphe qui l'invite à se baigner dans son ruisseau. La nymphe se révèle être une déesse des flots, qui l'emmène dans sa grotte aquatique. L'auteur passe un moment enchanteur avec elle avant de devoir se séparer. La déesse tente de le retenir, mais il résiste et lui fait ses adieux. Le texte relate également une profonde tristesse face à une séparation imminente, imaginant une métamorphose en fluide pour rester près de la personne aimée. L'auteur décrit un repas champêtre et une promenade matinale, admirant la beauté de la nature et les activités des paysans. Il observe les préparatifs agricoles et les premiers rayons du soleil, ressentant une langueur délicieuse. Il compose un hymne au soleil, inspiré par les Incas. Plus tard, il remarque un jeune couple fuyant ensemble dans une chaise de poste. Le voyage se poursuit jusqu'à Paris, où l'auteur assiste à un spectacle de marionnettes avant de regagner la ville. Le texte se conclut par des adieux amicaux et des compliments.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
433
p. 63-65
CHANSON DE TABLE, Sur l'air du Vaudeville d'Epicure.
Début :
O Vous que l'amitié rassemble, [...]
Mots clefs :
Amour, Amant, Bacchus, Buveurs, Vin, Bouteille
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : CHANSON DE TABLE, Sur l'air du Vaudeville d'Epicure.
CHANSON DE TABLE
O
Sur l'air du Vandeville d'Epicure.
Vous que l'amitié raffemble ,
Tendres amans heureux bûveurs ;
Des Dieux que nous fervons enfemble
Chantons tour à tour les faveurs.
Du nom du Dieu que l'Inde adore ,
Bûveurs rempliffez ce féjour ;
Et
vous , beautés jeunes encore ,
Sans le nommer , chantez l'amour.
2
Le loifir plaît à la tendreffe ;
Mais Bacchus fuit. un vil repos
Le bûveur peut jouir fans ceffe
L'amant ne jouit qu'à propos.
Le bûveur dans fa folle ivreffe
Se croit un Roi toujours vainqueurs,
L'amant foumis à fa maîtreffe ,
Ne veut regner que fur fon coeur.
Dans cette brillante fougere ,
Quand Tircis verfchum vin charmants mono'
I
64 MERCURE . DE FRANCE.
Amour , fur fa mouffe légere
Me peint les traits de mon amant.
Je réunis tout ce que j'aime ,
Ma bouche afpire la liqueur ,
Et fait paffer à l'inſtant même ,
Bacchus & l'amour dans mon coeur.
Ainfi que l'enfant de Cythere',
Le Dieu du vin eft délicat :
Tous les deux aiment le myftere ;
Tous les deux redoutent l'éclat.
Dès qu'une bouteille eft ouverte
Le vin s'évapore ou s'aigrit :
Dès qu'une intrigue eft découverte ,
L'amour s'éteint ou s'affoiblit.
Au Dieu qui fait múrir lá treille ;
Amour , tu dois fouvent ton prix ;
Sylvandre armé d'une bouteille ,
Sçut enfin attendrir Iris .
Le verre à la main , elle oublie
Et fon devoir & le danger :
L'amant triomphe , & Bacchus crie
>> Mon heure eft celle du Berger.
stillid $ 1.5
D'an amour délicat & tendre , but han
JUIN. 1755.
65
Chérs amis célébrons le prix.
Bûveurs imitez tous Sylvandre ,
Nous pourrons imiter Iris.
A Bacchus donnons la journée ;
Refervons les nuits à l'amour :
L'un peut renaître avec l'année ;
Quand l'autre fuit , c'eft fans retour.
Par A. H. Poinfinet , le jeune.
O
Sur l'air du Vandeville d'Epicure.
Vous que l'amitié raffemble ,
Tendres amans heureux bûveurs ;
Des Dieux que nous fervons enfemble
Chantons tour à tour les faveurs.
Du nom du Dieu que l'Inde adore ,
Bûveurs rempliffez ce féjour ;
Et
vous , beautés jeunes encore ,
Sans le nommer , chantez l'amour.
2
Le loifir plaît à la tendreffe ;
Mais Bacchus fuit. un vil repos
Le bûveur peut jouir fans ceffe
L'amant ne jouit qu'à propos.
Le bûveur dans fa folle ivreffe
Se croit un Roi toujours vainqueurs,
L'amant foumis à fa maîtreffe ,
Ne veut regner que fur fon coeur.
Dans cette brillante fougere ,
Quand Tircis verfchum vin charmants mono'
I
64 MERCURE . DE FRANCE.
Amour , fur fa mouffe légere
Me peint les traits de mon amant.
Je réunis tout ce que j'aime ,
Ma bouche afpire la liqueur ,
Et fait paffer à l'inſtant même ,
Bacchus & l'amour dans mon coeur.
Ainfi que l'enfant de Cythere',
Le Dieu du vin eft délicat :
Tous les deux aiment le myftere ;
Tous les deux redoutent l'éclat.
Dès qu'une bouteille eft ouverte
Le vin s'évapore ou s'aigrit :
Dès qu'une intrigue eft découverte ,
L'amour s'éteint ou s'affoiblit.
Au Dieu qui fait múrir lá treille ;
Amour , tu dois fouvent ton prix ;
Sylvandre armé d'une bouteille ,
Sçut enfin attendrir Iris .
Le verre à la main , elle oublie
Et fon devoir & le danger :
L'amant triomphe , & Bacchus crie
>> Mon heure eft celle du Berger.
stillid $ 1.5
D'an amour délicat & tendre , but han
JUIN. 1755.
65
Chérs amis célébrons le prix.
Bûveurs imitez tous Sylvandre ,
Nous pourrons imiter Iris.
A Bacchus donnons la journée ;
Refervons les nuits à l'amour :
L'un peut renaître avec l'année ;
Quand l'autre fuit , c'eft fans retour.
Par A. H. Poinfinet , le jeune.
Fermer
Résumé : CHANSON DE TABLE, Sur l'air du Vaudeville d'Epicure.
La 'Chanson de table' est un poème dédié à l'amitié, à l'amour et à la célébration des plaisirs de la vie. Les vers invitent les amis à chanter les faveurs des dieux tout en buvant et en célébrant l'amour. Le texte oppose le plaisir immédiat de la boisson à la jouissance plus contrôlée de l'amour. Le buveur, dans son ivresse, se croit invincible, tandis que l'amant est soumis à sa maîtresse. La poésie décrit également la délicatesse de l'amour et du vin, tous deux préférant le mystère à la lumière. Une bouteille ouverte ou une intrigue découverte peuvent ruiner ces plaisirs. Le poème se conclut par une célébration de Bacchus pendant la journée et de l'amour pendant la nuit, soulignant que l'amour peut renaître chaque année, contrairement à la boisson.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
434
p. 180-196
EXTRAIT DE PHILOCTETE.
Début :
Ulysse & Pyrrhus accompagnés de Démas, ouvrent la scene, qui est dans l'isle [...]
Mots clefs :
M. de Chateaubrun, Dieux, Amour, Grecs, Guerrier, Gloire, Héros, Seigneur, Comédie-Française
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT DE PHILOCTETE.
EXTRAIT DE PHILOCTETE.
Ulyffe & Pyrrhus accompagnés de Démas
, ouvrent la fcene , qui eft dans l'ifle
de Lemnos , à vue de la caverne qui fert
de retraite à Philoctete . Le premier dit au
fils d'Achille , que Philoctete refpire dans
ce defert affreux , & que les Grecs ne peuvent
triompher de Troye fans le bras de ce
guerrier , uni à la valeur de Pyrrhus. Les
Dieux l'ont déclaré par la bouche de Calchas'
; cet Oracle eft un arrêt dont on ne
peut appeller. Si Philoctete n'eft ramené
JUIN. 1755. 181
dans l'armée , elle va périr dans l'opprobre
& dans la mifere. Pyrrhus impatient veut
courir vers Philoctete , mais Ulyffe le retient
, & l'inftruit du jufte courroux de ce
Prince contre les Grecs . Il lui apprend que
dès les premiers jours du fiége d'Ilion ,
Un Troyen le bleffa d'un dard envenimé
Par d'horribles douleurs le poiſon ſe déclare :
Mais fon ardeur s'éteint dans un profond fommeil,
Et jamais la douleur ne fuccéde au réveil.
A peine ce guerrier revoit-il la lumière ,
Qu'il retrouve fa voix &. fa force premiere ;
Jufqu'à d'autres accès fans ceffe renaiſſans ,
L'art épuifa fur lui fes fecours impuiffans.
Ce mal cruel rendit Philoctete fi farouche
qu'il devint infupportable à tous les
chefs , & particulierement aux Atrides
qu'il accabloit de reproches amers. Le Roi
d'Itaque , pour les en délivrer , joua le mécontent,
engagea Philoctete à le fuivre dans
l'ifle de Lemnos où il feignit de fe retirer ,
& l'abandonna feul dans ce defert pendant
fon fommeil. Ulyffe , après ce récit
recommande à Pyrrhus de ne pas le nommer
il lui confeille , pour arracher ce héros
de fa retraite , de feindre que la tempête
l'a pouflé fur ce rivage , qu'il à quitté
182 MERCURE DE FRANCE.
le camp des Grecs , & qu'il retourne à Scyros
, révolté contre un fiége fi lent , & indigné
de l'avarice fordide des chefs qui
ont fruftré fa valeur de fes droits . Pyrrhus
réfifte d'abord à ce confeil , la feinte répugne
à fon grand coeur ; mais Ulyffe lui
en fait fentir la néceffité & s'éloigne
pour le laiffer agir .
›
Pyrrhus refte avec Démas , & s'écrie en
jettant les regards fur l'entrée de la caverne
,
Mon oeil foutient à peine
Cet horrible tableau de la miſere humaine ;
Quelques vafes groffiers que le befoin conftruit ,
Des feuilles , des lambeaux qui lui fervent de lit.
Il voit fortir du fond de cet antre fauvage
une jeune beauté ; il eft frappé de
fes charmes , il l'aborde , & apprend d'elle
que fon nom eft Sophie , & qu'elle eft la
fille de Philoctete. Så tendreffe l'a conduite
dans cette ifle déferte pour y partager
le malheur de fon pere ; elle y aborda par
un naufrage. Nous allions périr , dit- elle ,
Hercule nous fecourut .
Il retint dans nos coeurs notre ame fugitive ,
Et fon bras bienfaiſant nous pouffa fur la rive.
Nous appellons mon pere , il s'avance vers nous.
Que n'éprouvai -je point dans un moment fi doux !
Avec quelle tendreffe il efluya mes larmes ↓
JUIN.
183 1755.
Combien für mon état témoigna-t- il d'allarmes !
Quels mouvemens confus de joie & de pitié ,
De fanglots mutuels qu'exhaloit l'amitié !
Les périls de la mer , mes craintes , ma mifere ,
J'oubliai tout , Seigneur , en embraffant mon pere
;
Voilà le langage naïf de la nature. Les
vers les plus pompeux valent - ils ceux
qu'elle infpire ? Cette fimplicité charmante
qui rend fi bien le fentiment , n'eſtelle
pas la vraie éloquence ? Pyrrhus témoigne
le defir qu'il a de voir Philoctete
Sophie répond, qu'armé d'un arc qui pourvoit
à leur fubfiftance , il erre dans les
bois , & qu'elle va le chercher. Pyrrhus
devant Démas fait éclater pour Sophie une
pitié qui laiffe entrevoir le premier trait
de l'amour. Démas lui repréfente qu'il ne
doit s'occuper que du foin de rendre Philoctete
aux Grecs prêts à périr.
Philoctete paroît avec Sophie , & marque
fa furprife à Pyrrhus , qu'il n'a jamais
vu , de le voir dans des lieux fi fauvages.
11 exprime en même tems fon reffentiment
contre les chefs de la Grece , & leur ingratitude
, par ces deux vers juftement applaudis
,
Les bienfaits n'avoient pu m'attacher les Atrides
:
Je fous apprivoifer jufqu'aux monftres avides.
184 MERCURE DE FRANCE.
Pyrrhus fe nomme ; Philoctere montre
une joie très- vive de voir en lui le fils
d'Achille dont il a toujours été l'ami ; mais
apprenant la mort de ce héros par la bouche
de fon fils , il s'écrie avec douleur
2
Achille eft mort , grands Dieux , & les Atrides
vivent
! Y
7 25377
Pyrrhus s'offre à conduire Philoctete &
fa fille dans leur patrie. Ce guerrier y
confent ; mais dans le moment qu'il veut
partir , il eft arrêté par un accès de fon
mal , qui l'oblige à rentrer dans fon antre
, & qui termine le premier acte. Y
101-20
Pyrrhus ouvre le fecond acte par ce beau
monologue , qui peint avec des couleurs
fi touchantes l'état de mifere & de douleur
où il vient de voir Philoctete dans la
caverne , ayant près de lui fa fille qui arrofoit
fes mains de larmes. Quel contraſte ,
dit- il , avec l'éducation qu'on nous donne !
p , cody courqu
"P
On écarte de nous juſqu'à l'ombre des maux
On n'offre à nos regards que de fiants tableaux
Pour ne point nous déplaire , on nous cache à
nous - mêmes ; ovo zng , ol mbase C
On ne nous entretient que de grandeurs fupre
-kot mes.unim un saciera'n aistroid as S11
On ajoûte à nos noms des noms ambitieux :
Autant que l'on le peut on fait de nous des Dieur.
JUIN.
185
1755 .
Victimes des flateurs , malheureux que nous fom
mes ,
Que ne nous apprend-t-on que les Rois font des
hommes !
·Démas furvient ; il exhorte Pyrrhus à
diffimuler encore pour engager Philoctete
à partir. La générofité de Pyrrhus attendri
s'en offenfe , & marque un vrai remords
d'avoir employé la feinte . Philoctete paroît
avec Sophie , & veut fe rendre au rivage.
Pyrrhus l'arrête. Philoctete furpris , lui en
demande la raifon . Le fatal fecret échappe
de la bouche du fils d'Achille, qui rougit de
commettre une perfidie , & lui déclare
qu'il le méne aux Atrides . A cet aveu le Roi
d'Eubée devient furieux. Pyrrhus l'inftruit
de la pofition des Grecs , & du befoin
qu'ils ont de fon bras pour renverfer
Troye , & s'arracher à une mort honteuſe ;
il le preffe en même tems d'immoler fon
reffentiment au falut de l'Etat. Philoctete
refufe de fe rendre , & fait des imprécations
contre Ulyffe & les autres chefs. Pyrrhus
lui répond , qu'il ne peut fe venger plus
noblement d'eux qu'en faifant triompher
fa patrie , & qu'en voyant Agamemnon
lui-même ramper à fes pieds. Philoctete
perfifte à ne point prêter fon fecours au
Roi d'Argos ; mais il propofe à Pyrrhus
186 MERCURE DE FRANCE.
d'aller combattre avec leurs foldats , & d'a
voir feuls la gloire de vaincre les Troyens.
Pyrrhus approuve ce parti ; mais comme il
entend du bruit , il s'éloigne avec Philoctete.
Démas qui les écoutoit , veut inftruire
Ulyffe du projet que ces deux guerriers
viennent de former ; mais le Roi d'Itaque
lui dit que les Grecs cachés avec lui fous
un rocher l'ont entendu , qu'ils ont réſolu
de les en punir ; & que s'il n'eût retenu
leur fureur , ils alloient fondre fur eux &
les immoler. Démas ajoûte qu'il craint encore
plus la fille que le pere . Ulyffe lui en
demande la raifon ; l'autre lui répond
que Pyrrhus adore Sophie."
›
Ulyffe en paroit allarmé , & quitte la
fcene en difant qu'il va voir avec les
Grecs ce qu'on doit oppofer à ce fatal
amour qui peut tout détruire.
I
Ulyffe ouvre le troifieme acte avec Démas.
Il tient un papier à la main , & dit à
Démas que les Grecs veulent entraîner
au camp Philoctete mort ou vivant , que
tel eft l'arrêt qu'ils viennent de figner ; &
que fi ce Prince refifte , ils veulent exterminer
fa famille , & faire fubir à fa fille
le fort d'Iphigénie . Ulyffe craint que Pyrrhus
ne prenne leur défenſe ; mais Démas
lui répond que fa résistance fera vaine , &
JUIN 1755. 187
que les Grecs viennent d'envelopper Philoctete
de toutes parts:
Pyrrhus paroît ; Ulyffe le preffe de partir
fans Philoctete , en difant qu'il ne veut
pas lui-même qu'on emmene ce guerrier au
camp . Pyrrhus s'excufe fur la pitié. Ulyffe
lui dit que la pitié dont il eft ému , n'eft
qu'un amour déguifé. Le premier répond
que l'amour n'eft pas un crime. Non , réplique
le Roi d'Itaque ,
Quand élevant le coeur , loin de l'humilier ,
Aux régles du devoir l'amour fçait le plier ,
Et ne l'enyvre point de fon poifon funefte :
Il eft fublime alors , la fource en eft céleste ,
Et c'eſt de cet amour que les Dieux font heureux.
Mais , Seigneur , quand l'amour , le bandeau fur
les yeux ,
Enchaîne le devoir aux pieds d'une maîtreffe ,
A des coeurs généreux n'infpire que foibleffe ,
Tient fous un joug d'airain leur courage foumis ,
Leur fait facrifier gloire , patrie , amis ,
Et des droits les plus faints rompt le noeud légitime
;
Alors , Seigneur , alors cet amour eft an crime.
Pyrrhus veut fe juftifier en difant qu'Achille
aima comme lui . Ulyffe lui repart
qu'il n'aima point aux dépens de fa gloire ,
& qu'il quitta tout pour elle. Il lui fait en
188 MERCURE DE FRANCE.
même tems une peinture pathétique de
l'état affreux où l'armée des Grecs fe trouve
réduite , ajoûtant qu'il va la joindre ,
& mourir fur le tombeau d'Achille , tandis
que fon fils refte tranquille à Lemnos
par l'amour. Ce trait réveille le
courage de Pyrrhus , & l'adroit Ulyffe pour
achever de le déterminer à le fuivre , lui
rapporte ainfi les dernieres paroles d'Achille
expirant , après qu'il l'eut arraché
lui-même des mains des Troyens .
enchaîné
Cher ami , me dit-il , cache-moi tes alarmes ;
Et laiffe- moi mourir parmi le bruit des armes. T
Par tes foins je fuis libre , & je refpire encor
Tu m'épargnes l'affront dont je flétris Hector.:
Que mon fils à jamais en garde la mémoire ,
Et te rende les foins que tu prens de ma gloire.
Sers-lui de pere , amis qu'il te ferve de fils . ' ; i
Voilà fes derniers voeux ; les avez-vous remplis
:
Pyrrhus eft prêt à partir , quand la préfence
de Sophie le retient il fe trouve
alors entre la gloire & l'amour, La premiere
foutenue par l'art d'Ulyffe , femble
d'abord l'emporter ; mais l'amour mieux
déféndu par les larmes de Sophie ', triomphe
enfin de Pyrrhus , & l'entraîne de fon
côté. Ce jeune héros en tournant les yeux
vers elle , s'écrie :
JUIN.
183 1755.
Quoi vous pleurez , courons à votre pere.
Il vole fur les pas de Sophie. Ulyffe fo
retire avec Démas , en difant que Pyrrhus
va fe perdre & combler le malheur de
Philoctete & de fa fille . Ce troifiéme Acte
eft d'une grande beauté .
Z Sophie commence le quatriéme Acte avec
Palmire fa gouvernante , & lui dit que fans
Pyrrhus les Grecs auroient furpris & enlevé
fon pere. Elle avoue avec cette ingé
nuité qui accompagne l'innocence , que
ce jeune héros lui a déclaré qu'il l'adoroit
, & qu'elle y a été fenfible par reconnoiffance
pour
le fervice qu'il a rendu à
fon pere. Palmire l'avertit de redouter les
effets de fa beauté . Je n'ai pas oublié , lui
répond Sophie , vos fages leçons.
Hélas ! cette beauté , ce charme fouverain ;
Dont le fexe s'honore , & qui le rend fi vain
Si la vertu n'en fait un ornement célefte ,
Eft , des Dieux irrités , le don le plus funefte.
" Philoctete arrive , & dit à fa fille qu'il
faut fauver l'honneur d'un pere infortuné ,
& lui remet un poignard. Sophie lui demande
quel ufage elle en doit faire : il répond
qu'il a vécu comme Hercule , &
qu'il veut mourir de même , ajoutant que
Le poifon peut encore lui porter une at
190 MERCURE DE FRANCE.
teinte , que les Grecs pourroient faifir, ce
moment pour le charger de fers , & qu'elle
doit le fouftraire à leur fureur , en faisant
ce qu'Hercule exigea de fon fils. Elle frémit
de commettre un parricide . Philoctete
defeſpéré de ce refus , s'écrie
s'écrie que dans
cette extrêmité il va lancer ces flèches redoutables
qui portent d'inévitables coups ,
& qu'il va commencer par Pyrrhus . Sophie
allarmée l'arrête , & lui apprend que
c'eft le fecours de Pyrrhus qui l'a dérobé à
l'audace des Grecs , & qu'elle en eft aimée.
Philoctete raffuré par l'amour de Pyrrhus
pour fa fille , la preffe de lui déclarer que
La flamme eft connue de fon pere , qui l'approuve
; mais que fi ce jeune guerrier ne
fe joint à lui pour les venger ,
elle rejette
avec dédain les offres de fa foi. Sophie le
lui jure , en lui difant tendrement qu'après
avoir partagé fa gloire , il eft jufte qu'elle
partage fon affront. Philoctete qui voit
venir Pyrrhus, rentre dans fon afyle , & recommande
à Sophie d'éprouver le coeur de
fon amant.
Pyrrhus dit à Sophie qu'il a fait retirer
les foldats , mais qu'elle engage fon pere
à remplir leurs voeux ; que le falut public
doit être un de fes bienfaits,, & qu'il ofe à
çe motif preffant joindre l'intérêt de fon
amour. Elle lui répond que Philoctete eft
JUI N. 1755. 191*
·
inftruit de fes feux , qu'il confent que
l'hymen les couronne , mais qu'il veut que
ces noeuds foient formés dans fes états .
Pyrrhus lui réplique en foupirant , que la
Grece l'implore , & qu'il ne peut l'abandonner,
Elle l'interrompt en lui difant que
puifque l'intérêt de fon pere & le fien lui
font moins chers que celui des Atrides ,
elle rend à fon amour les fermens qui le
lient. Seigneur , ajoute- t -elle ':
Plus grands dans nos deferts que vous ,
trône ,
fur votre
L'honneur nous tiendra lieu de fceptre & de cou
ronne.
Partez , laiffez -nous feuls dans ces fauvages lieux
La vertų pour témoin n'a befoin que des Dieux..
Pyrrhus lui fait entendre que Philoctete
a tout à craindre de la rage des Grecs. Sophie
répond que fa main va mettre un
frein à leurs droits prétendus , que fon
pere vient de l'armer d'un poignard , &
que fi les Grecs s'avançoient pour le pren
are , elle a juré de le plonger dans le coeur
de Philoctete
,› pour prévenir fa honte.
Pourriez-vous , lui dit Pyrrhus , verfer le
fang d'un pere ? elle s'écrie :
Que fçais-je leurs fureurs me ferviront de guid
des ? >
191 MERCURE DE FRANCE.
Un mortel fans honneur n'eſt plus qu'un monſtrë
affreux ,
Que tout autre homme abhorre , & qui craint
tous les yeux ;
Chaque regard l'infulte , & réveillant fa honte ;
De fon honneur perdu , lui redemande compte
Lui fait baiffer la vûe , & femble l'avertir
De fuir dans le tombeau qui devroit l'engloutir.
Pyrrhus frappé de ce tableau promet à
Sophie de périr plutôt mille fois que de
fouffrir que leurs foldats en viennent à
cette violence . Elle le quitte en lui re-.
commandant ainſi les jours de fon pere :
Etes-vous à l'abri du deſtin qui l'accable ›
Si les hommes , hélas ! réfléchiffoient fur eux ;
Ils répandroient des pleurs fur tous les malheu
reux.
Ulyffe vient apprendre à Pyrrhus que
les Troyens inftruits de l'oracle , ont profité
du tems de fon abſence pour attaquer
le camp , qu'ils font près de forcer fi luimême
ne vole au fecours des Grecs ; qu'ils
ont déja bleffé plufieurs chefs de l'armée
& qu'ils ont fouillé dans le tombeau d'Achille
, & difperfé les reftes de fon corps ,
qui font devenus la proie des chiens & des
vautours.
JUIN. 1755. 193
yautours. Pyrrhus devient furieux à cette
nouvelle , & veut voler au camp . Ulyffe
infifte alors pour enlever Philoctete , &
montre les foldats qui l'ont fuivi pour
cette exécution. Mais Pyrrhus s'écrie qu'ils
n'avancent point , que Philoctete eft armé
des traits du defefpoir , & que fa mort va
tromper leur eſpérance. Il termine le quatriéme
acte , en difant qu'il va tenter un
dernier effort auprès du pere de Sophie ,
& qu'après il s'abandonne tout entier aux
confeils d'Ulyffe.
Pyrrhus paroît d'abord feul au cinquiéme
acte , & dit à Ulyffe qui furvient , qu'il
n'a pu fléchir Philoctete. Le Roi d'Itaque
lui montre l'arrêt que la Grece a dicté contre
ce guerrier indomptable. Pyrrhus lui
repréfente qu'en livrant Philoctete à la
mort on venge la patrie , mais qu'on ne
la fauve pas. Ulyffe répond qu'avant
d'exécuter l'arrêt , il veut tout effayer , &
qu'il veut voir Philoctete , qui arrive dans
ce moment avec Sophie. C'eft ici cette admirable
fcene qui forme non feulement
un dénouement des plus heureux , mais
qui fait encore elle feule un des plus beaux
cinquiémes actes qui foient au théâtre :
il faudroit la tranfcrire toute entiere pour
en faire fentir toutes les beautés . Philoctete
à l'afpect d'Ulyffe s'écrie dans fa fu-
II.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
reur qu'on lui rende fes armes. Ce der
nier lui donne les fiennes. Philoctete veut
l'en percer , mais Pyrrhus l'arrête . Ce
guerrier les brave par ces deux vers , dont
le dernier eft digne de Corneille :
Un oracle accablant vous à glacés d'effroi.
Vous vous trouvez preffés entre les Dieux & moi.
Ulyffe lui dit de ne punir que lai , &
d'avoir pitié de fa patrie :
Graces à mon exil , cruel je n'en ai plus ,
Lui répond Philoctete :
•
Je voue à vos fureurs les Grecs que je détefte ;
Dieux ! épargnez Pyrrhus & foudroyez le refte .
Le fils d'Achille eſt révolté de cette imprécation
; mais Ulyffe combat alors Philoctete
avec tous les traits de fon éloquen-.
ce. Il l'attaque par fon foible , c'eſt - à- dire
par l'endroit le plus fenfible à fa gloire.p
Vous ofez (lui dit- il ) confpirer contre votre pays...
Quand un homme a formé ce projet parricide ,
On dévoue aux tourmens ce citoyen perfide :
Son opprobre s'attache aux flancs qui l'ont posté ,
Et fa honte le fuit dans fa poftérité .
A fes concitoyens fon nom eft exécrable ;
On recherche avec foin les traces dy coupable.
JUIN. 1755. 195
Rebut de l'univers , à foi- même odieux :
Il vit errant , fans loix , fans amis & fans Dieux.
Son fupplice aux mortels offre un exemple horri
ble ;
Le tombeau lui refuſe un afyle paifible ,
Et la terre abandonne aux monftres dévorans ,
De fon corps déchiré , les reftes expirans.
Ses manes agités d'une éternelle rage ,
En vain parmi les morts fe cherchent un paffage ;
L'enfer même l'enfer fe rend fourd à fes cris.
Si vous l'ofez , cruel , vengez - vous à ce prix.
Philoctete eft effrayé de cette image.
Ulyffe pour achever de le defarmer , &
pour frapper le dernier coup , preffe Pyrrhus
de partir. Renvoyez , dit - il , des
vaiffeaux qui puiffent tranfporter ce héros
par-tout où il voudra aller :
Maître du fort des Grecs , qu'il le foit de lui- mê
me.
Emmenez tous nos Grecs ; je refte près de lui.
Philoctete à ces mots s'écrie :
Ulyffe près de moi ! retire-toi barbare .
Ulyffe lui fait cette réplique admirable ,
qui le met pour ainfi dire au pied du mur .
Si votre coeur pour moi ne peut être adouci ,
Suivez les Grecs , Seigneur , & me laiffez ici.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Philoctete à ce trait demeure interdit.
Sa fille fe joint à Ulyffe , & embraſſe ſes
genoux pour le fléchir . Ce guerrier attendri
par les larmes de fa fille , céde à cette
derniere inftance . Il lui facrifie fon reffentiment
, conſent de l'unir à Pyrrhus , &
termine la piece en difant :
Le Ciel m'ouvre les yeux fur la vertu d'Ulyffe ,
Et femble m'annoncer la fin de mon fupplice :
En marchant fur les pas au rivage Troyen ,
Nous fuivrons le grand homme & le vrai citoyen.
On ne peut pas conduire ni dénouer
une piece avec plus d'art. Que M. de Châteaubrun
a tiré fur tout un heureux parti
de l'épifode de Sophie ! 'que fon Ulyffe eft
beau ! & que M. de la Noue l'a bien
rendu !
Ulyffe & Pyrrhus accompagnés de Démas
, ouvrent la fcene , qui eft dans l'ifle
de Lemnos , à vue de la caverne qui fert
de retraite à Philoctete . Le premier dit au
fils d'Achille , que Philoctete refpire dans
ce defert affreux , & que les Grecs ne peuvent
triompher de Troye fans le bras de ce
guerrier , uni à la valeur de Pyrrhus. Les
Dieux l'ont déclaré par la bouche de Calchas'
; cet Oracle eft un arrêt dont on ne
peut appeller. Si Philoctete n'eft ramené
JUIN. 1755. 181
dans l'armée , elle va périr dans l'opprobre
& dans la mifere. Pyrrhus impatient veut
courir vers Philoctete , mais Ulyffe le retient
, & l'inftruit du jufte courroux de ce
Prince contre les Grecs . Il lui apprend que
dès les premiers jours du fiége d'Ilion ,
Un Troyen le bleffa d'un dard envenimé
Par d'horribles douleurs le poiſon ſe déclare :
Mais fon ardeur s'éteint dans un profond fommeil,
Et jamais la douleur ne fuccéde au réveil.
A peine ce guerrier revoit-il la lumière ,
Qu'il retrouve fa voix &. fa force premiere ;
Jufqu'à d'autres accès fans ceffe renaiſſans ,
L'art épuifa fur lui fes fecours impuiffans.
Ce mal cruel rendit Philoctete fi farouche
qu'il devint infupportable à tous les
chefs , & particulierement aux Atrides
qu'il accabloit de reproches amers. Le Roi
d'Itaque , pour les en délivrer , joua le mécontent,
engagea Philoctete à le fuivre dans
l'ifle de Lemnos où il feignit de fe retirer ,
& l'abandonna feul dans ce defert pendant
fon fommeil. Ulyffe , après ce récit
recommande à Pyrrhus de ne pas le nommer
il lui confeille , pour arracher ce héros
de fa retraite , de feindre que la tempête
l'a pouflé fur ce rivage , qu'il à quitté
182 MERCURE DE FRANCE.
le camp des Grecs , & qu'il retourne à Scyros
, révolté contre un fiége fi lent , & indigné
de l'avarice fordide des chefs qui
ont fruftré fa valeur de fes droits . Pyrrhus
réfifte d'abord à ce confeil , la feinte répugne
à fon grand coeur ; mais Ulyffe lui
en fait fentir la néceffité & s'éloigne
pour le laiffer agir .
›
Pyrrhus refte avec Démas , & s'écrie en
jettant les regards fur l'entrée de la caverne
,
Mon oeil foutient à peine
Cet horrible tableau de la miſere humaine ;
Quelques vafes groffiers que le befoin conftruit ,
Des feuilles , des lambeaux qui lui fervent de lit.
Il voit fortir du fond de cet antre fauvage
une jeune beauté ; il eft frappé de
fes charmes , il l'aborde , & apprend d'elle
que fon nom eft Sophie , & qu'elle eft la
fille de Philoctete. Så tendreffe l'a conduite
dans cette ifle déferte pour y partager
le malheur de fon pere ; elle y aborda par
un naufrage. Nous allions périr , dit- elle ,
Hercule nous fecourut .
Il retint dans nos coeurs notre ame fugitive ,
Et fon bras bienfaiſant nous pouffa fur la rive.
Nous appellons mon pere , il s'avance vers nous.
Que n'éprouvai -je point dans un moment fi doux !
Avec quelle tendreffe il efluya mes larmes ↓
JUIN.
183 1755.
Combien für mon état témoigna-t- il d'allarmes !
Quels mouvemens confus de joie & de pitié ,
De fanglots mutuels qu'exhaloit l'amitié !
Les périls de la mer , mes craintes , ma mifere ,
J'oubliai tout , Seigneur , en embraffant mon pere
;
Voilà le langage naïf de la nature. Les
vers les plus pompeux valent - ils ceux
qu'elle infpire ? Cette fimplicité charmante
qui rend fi bien le fentiment , n'eſtelle
pas la vraie éloquence ? Pyrrhus témoigne
le defir qu'il a de voir Philoctete
Sophie répond, qu'armé d'un arc qui pourvoit
à leur fubfiftance , il erre dans les
bois , & qu'elle va le chercher. Pyrrhus
devant Démas fait éclater pour Sophie une
pitié qui laiffe entrevoir le premier trait
de l'amour. Démas lui repréfente qu'il ne
doit s'occuper que du foin de rendre Philoctete
aux Grecs prêts à périr.
Philoctete paroît avec Sophie , & marque
fa furprife à Pyrrhus , qu'il n'a jamais
vu , de le voir dans des lieux fi fauvages.
11 exprime en même tems fon reffentiment
contre les chefs de la Grece , & leur ingratitude
, par ces deux vers juftement applaudis
,
Les bienfaits n'avoient pu m'attacher les Atrides
:
Je fous apprivoifer jufqu'aux monftres avides.
184 MERCURE DE FRANCE.
Pyrrhus fe nomme ; Philoctere montre
une joie très- vive de voir en lui le fils
d'Achille dont il a toujours été l'ami ; mais
apprenant la mort de ce héros par la bouche
de fon fils , il s'écrie avec douleur
2
Achille eft mort , grands Dieux , & les Atrides
vivent
! Y
7 25377
Pyrrhus s'offre à conduire Philoctete &
fa fille dans leur patrie. Ce guerrier y
confent ; mais dans le moment qu'il veut
partir , il eft arrêté par un accès de fon
mal , qui l'oblige à rentrer dans fon antre
, & qui termine le premier acte. Y
101-20
Pyrrhus ouvre le fecond acte par ce beau
monologue , qui peint avec des couleurs
fi touchantes l'état de mifere & de douleur
où il vient de voir Philoctete dans la
caverne , ayant près de lui fa fille qui arrofoit
fes mains de larmes. Quel contraſte ,
dit- il , avec l'éducation qu'on nous donne !
p , cody courqu
"P
On écarte de nous juſqu'à l'ombre des maux
On n'offre à nos regards que de fiants tableaux
Pour ne point nous déplaire , on nous cache à
nous - mêmes ; ovo zng , ol mbase C
On ne nous entretient que de grandeurs fupre
-kot mes.unim un saciera'n aistroid as S11
On ajoûte à nos noms des noms ambitieux :
Autant que l'on le peut on fait de nous des Dieur.
JUIN.
185
1755 .
Victimes des flateurs , malheureux que nous fom
mes ,
Que ne nous apprend-t-on que les Rois font des
hommes !
·Démas furvient ; il exhorte Pyrrhus à
diffimuler encore pour engager Philoctete
à partir. La générofité de Pyrrhus attendri
s'en offenfe , & marque un vrai remords
d'avoir employé la feinte . Philoctete paroît
avec Sophie , & veut fe rendre au rivage.
Pyrrhus l'arrête. Philoctete furpris , lui en
demande la raifon . Le fatal fecret échappe
de la bouche du fils d'Achille, qui rougit de
commettre une perfidie , & lui déclare
qu'il le méne aux Atrides . A cet aveu le Roi
d'Eubée devient furieux. Pyrrhus l'inftruit
de la pofition des Grecs , & du befoin
qu'ils ont de fon bras pour renverfer
Troye , & s'arracher à une mort honteuſe ;
il le preffe en même tems d'immoler fon
reffentiment au falut de l'Etat. Philoctete
refufe de fe rendre , & fait des imprécations
contre Ulyffe & les autres chefs. Pyrrhus
lui répond , qu'il ne peut fe venger plus
noblement d'eux qu'en faifant triompher
fa patrie , & qu'en voyant Agamemnon
lui-même ramper à fes pieds. Philoctete
perfifte à ne point prêter fon fecours au
Roi d'Argos ; mais il propofe à Pyrrhus
186 MERCURE DE FRANCE.
d'aller combattre avec leurs foldats , & d'a
voir feuls la gloire de vaincre les Troyens.
Pyrrhus approuve ce parti ; mais comme il
entend du bruit , il s'éloigne avec Philoctete.
Démas qui les écoutoit , veut inftruire
Ulyffe du projet que ces deux guerriers
viennent de former ; mais le Roi d'Itaque
lui dit que les Grecs cachés avec lui fous
un rocher l'ont entendu , qu'ils ont réſolu
de les en punir ; & que s'il n'eût retenu
leur fureur , ils alloient fondre fur eux &
les immoler. Démas ajoûte qu'il craint encore
plus la fille que le pere . Ulyffe lui en
demande la raifon ; l'autre lui répond
que Pyrrhus adore Sophie."
›
Ulyffe en paroit allarmé , & quitte la
fcene en difant qu'il va voir avec les
Grecs ce qu'on doit oppofer à ce fatal
amour qui peut tout détruire.
I
Ulyffe ouvre le troifieme acte avec Démas.
Il tient un papier à la main , & dit à
Démas que les Grecs veulent entraîner
au camp Philoctete mort ou vivant , que
tel eft l'arrêt qu'ils viennent de figner ; &
que fi ce Prince refifte , ils veulent exterminer
fa famille , & faire fubir à fa fille
le fort d'Iphigénie . Ulyffe craint que Pyrrhus
ne prenne leur défenſe ; mais Démas
lui répond que fa résistance fera vaine , &
JUIN 1755. 187
que les Grecs viennent d'envelopper Philoctete
de toutes parts:
Pyrrhus paroît ; Ulyffe le preffe de partir
fans Philoctete , en difant qu'il ne veut
pas lui-même qu'on emmene ce guerrier au
camp . Pyrrhus s'excufe fur la pitié. Ulyffe
lui dit que la pitié dont il eft ému , n'eft
qu'un amour déguifé. Le premier répond
que l'amour n'eft pas un crime. Non , réplique
le Roi d'Itaque ,
Quand élevant le coeur , loin de l'humilier ,
Aux régles du devoir l'amour fçait le plier ,
Et ne l'enyvre point de fon poifon funefte :
Il eft fublime alors , la fource en eft céleste ,
Et c'eſt de cet amour que les Dieux font heureux.
Mais , Seigneur , quand l'amour , le bandeau fur
les yeux ,
Enchaîne le devoir aux pieds d'une maîtreffe ,
A des coeurs généreux n'infpire que foibleffe ,
Tient fous un joug d'airain leur courage foumis ,
Leur fait facrifier gloire , patrie , amis ,
Et des droits les plus faints rompt le noeud légitime
;
Alors , Seigneur , alors cet amour eft an crime.
Pyrrhus veut fe juftifier en difant qu'Achille
aima comme lui . Ulyffe lui repart
qu'il n'aima point aux dépens de fa gloire ,
& qu'il quitta tout pour elle. Il lui fait en
188 MERCURE DE FRANCE.
même tems une peinture pathétique de
l'état affreux où l'armée des Grecs fe trouve
réduite , ajoûtant qu'il va la joindre ,
& mourir fur le tombeau d'Achille , tandis
que fon fils refte tranquille à Lemnos
par l'amour. Ce trait réveille le
courage de Pyrrhus , & l'adroit Ulyffe pour
achever de le déterminer à le fuivre , lui
rapporte ainfi les dernieres paroles d'Achille
expirant , après qu'il l'eut arraché
lui-même des mains des Troyens .
enchaîné
Cher ami , me dit-il , cache-moi tes alarmes ;
Et laiffe- moi mourir parmi le bruit des armes. T
Par tes foins je fuis libre , & je refpire encor
Tu m'épargnes l'affront dont je flétris Hector.:
Que mon fils à jamais en garde la mémoire ,
Et te rende les foins que tu prens de ma gloire.
Sers-lui de pere , amis qu'il te ferve de fils . ' ; i
Voilà fes derniers voeux ; les avez-vous remplis
:
Pyrrhus eft prêt à partir , quand la préfence
de Sophie le retient il fe trouve
alors entre la gloire & l'amour, La premiere
foutenue par l'art d'Ulyffe , femble
d'abord l'emporter ; mais l'amour mieux
déféndu par les larmes de Sophie ', triomphe
enfin de Pyrrhus , & l'entraîne de fon
côté. Ce jeune héros en tournant les yeux
vers elle , s'écrie :
JUIN.
183 1755.
Quoi vous pleurez , courons à votre pere.
Il vole fur les pas de Sophie. Ulyffe fo
retire avec Démas , en difant que Pyrrhus
va fe perdre & combler le malheur de
Philoctete & de fa fille . Ce troifiéme Acte
eft d'une grande beauté .
Z Sophie commence le quatriéme Acte avec
Palmire fa gouvernante , & lui dit que fans
Pyrrhus les Grecs auroient furpris & enlevé
fon pere. Elle avoue avec cette ingé
nuité qui accompagne l'innocence , que
ce jeune héros lui a déclaré qu'il l'adoroit
, & qu'elle y a été fenfible par reconnoiffance
pour
le fervice qu'il a rendu à
fon pere. Palmire l'avertit de redouter les
effets de fa beauté . Je n'ai pas oublié , lui
répond Sophie , vos fages leçons.
Hélas ! cette beauté , ce charme fouverain ;
Dont le fexe s'honore , & qui le rend fi vain
Si la vertu n'en fait un ornement célefte ,
Eft , des Dieux irrités , le don le plus funefte.
" Philoctete arrive , & dit à fa fille qu'il
faut fauver l'honneur d'un pere infortuné ,
& lui remet un poignard. Sophie lui demande
quel ufage elle en doit faire : il répond
qu'il a vécu comme Hercule , &
qu'il veut mourir de même , ajoutant que
Le poifon peut encore lui porter une at
190 MERCURE DE FRANCE.
teinte , que les Grecs pourroient faifir, ce
moment pour le charger de fers , & qu'elle
doit le fouftraire à leur fureur , en faisant
ce qu'Hercule exigea de fon fils. Elle frémit
de commettre un parricide . Philoctete
defeſpéré de ce refus , s'écrie
s'écrie que dans
cette extrêmité il va lancer ces flèches redoutables
qui portent d'inévitables coups ,
& qu'il va commencer par Pyrrhus . Sophie
allarmée l'arrête , & lui apprend que
c'eft le fecours de Pyrrhus qui l'a dérobé à
l'audace des Grecs , & qu'elle en eft aimée.
Philoctete raffuré par l'amour de Pyrrhus
pour fa fille , la preffe de lui déclarer que
La flamme eft connue de fon pere , qui l'approuve
; mais que fi ce jeune guerrier ne
fe joint à lui pour les venger ,
elle rejette
avec dédain les offres de fa foi. Sophie le
lui jure , en lui difant tendrement qu'après
avoir partagé fa gloire , il eft jufte qu'elle
partage fon affront. Philoctete qui voit
venir Pyrrhus, rentre dans fon afyle , & recommande
à Sophie d'éprouver le coeur de
fon amant.
Pyrrhus dit à Sophie qu'il a fait retirer
les foldats , mais qu'elle engage fon pere
à remplir leurs voeux ; que le falut public
doit être un de fes bienfaits,, & qu'il ofe à
çe motif preffant joindre l'intérêt de fon
amour. Elle lui répond que Philoctete eft
JUI N. 1755. 191*
·
inftruit de fes feux , qu'il confent que
l'hymen les couronne , mais qu'il veut que
ces noeuds foient formés dans fes états .
Pyrrhus lui réplique en foupirant , que la
Grece l'implore , & qu'il ne peut l'abandonner,
Elle l'interrompt en lui difant que
puifque l'intérêt de fon pere & le fien lui
font moins chers que celui des Atrides ,
elle rend à fon amour les fermens qui le
lient. Seigneur , ajoute- t -elle ':
Plus grands dans nos deferts que vous ,
trône ,
fur votre
L'honneur nous tiendra lieu de fceptre & de cou
ronne.
Partez , laiffez -nous feuls dans ces fauvages lieux
La vertų pour témoin n'a befoin que des Dieux..
Pyrrhus lui fait entendre que Philoctete
a tout à craindre de la rage des Grecs. Sophie
répond que fa main va mettre un
frein à leurs droits prétendus , que fon
pere vient de l'armer d'un poignard , &
que fi les Grecs s'avançoient pour le pren
are , elle a juré de le plonger dans le coeur
de Philoctete
,› pour prévenir fa honte.
Pourriez-vous , lui dit Pyrrhus , verfer le
fang d'un pere ? elle s'écrie :
Que fçais-je leurs fureurs me ferviront de guid
des ? >
191 MERCURE DE FRANCE.
Un mortel fans honneur n'eſt plus qu'un monſtrë
affreux ,
Que tout autre homme abhorre , & qui craint
tous les yeux ;
Chaque regard l'infulte , & réveillant fa honte ;
De fon honneur perdu , lui redemande compte
Lui fait baiffer la vûe , & femble l'avertir
De fuir dans le tombeau qui devroit l'engloutir.
Pyrrhus frappé de ce tableau promet à
Sophie de périr plutôt mille fois que de
fouffrir que leurs foldats en viennent à
cette violence . Elle le quitte en lui re-.
commandant ainſi les jours de fon pere :
Etes-vous à l'abri du deſtin qui l'accable ›
Si les hommes , hélas ! réfléchiffoient fur eux ;
Ils répandroient des pleurs fur tous les malheu
reux.
Ulyffe vient apprendre à Pyrrhus que
les Troyens inftruits de l'oracle , ont profité
du tems de fon abſence pour attaquer
le camp , qu'ils font près de forcer fi luimême
ne vole au fecours des Grecs ; qu'ils
ont déja bleffé plufieurs chefs de l'armée
& qu'ils ont fouillé dans le tombeau d'Achille
, & difperfé les reftes de fon corps ,
qui font devenus la proie des chiens & des
vautours.
JUIN. 1755. 193
yautours. Pyrrhus devient furieux à cette
nouvelle , & veut voler au camp . Ulyffe
infifte alors pour enlever Philoctete , &
montre les foldats qui l'ont fuivi pour
cette exécution. Mais Pyrrhus s'écrie qu'ils
n'avancent point , que Philoctete eft armé
des traits du defefpoir , & que fa mort va
tromper leur eſpérance. Il termine le quatriéme
acte , en difant qu'il va tenter un
dernier effort auprès du pere de Sophie ,
& qu'après il s'abandonne tout entier aux
confeils d'Ulyffe.
Pyrrhus paroît d'abord feul au cinquiéme
acte , & dit à Ulyffe qui furvient , qu'il
n'a pu fléchir Philoctete. Le Roi d'Itaque
lui montre l'arrêt que la Grece a dicté contre
ce guerrier indomptable. Pyrrhus lui
repréfente qu'en livrant Philoctete à la
mort on venge la patrie , mais qu'on ne
la fauve pas. Ulyffe répond qu'avant
d'exécuter l'arrêt , il veut tout effayer , &
qu'il veut voir Philoctete , qui arrive dans
ce moment avec Sophie. C'eft ici cette admirable
fcene qui forme non feulement
un dénouement des plus heureux , mais
qui fait encore elle feule un des plus beaux
cinquiémes actes qui foient au théâtre :
il faudroit la tranfcrire toute entiere pour
en faire fentir toutes les beautés . Philoctete
à l'afpect d'Ulyffe s'écrie dans fa fu-
II.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
reur qu'on lui rende fes armes. Ce der
nier lui donne les fiennes. Philoctete veut
l'en percer , mais Pyrrhus l'arrête . Ce
guerrier les brave par ces deux vers , dont
le dernier eft digne de Corneille :
Un oracle accablant vous à glacés d'effroi.
Vous vous trouvez preffés entre les Dieux & moi.
Ulyffe lui dit de ne punir que lai , &
d'avoir pitié de fa patrie :
Graces à mon exil , cruel je n'en ai plus ,
Lui répond Philoctete :
•
Je voue à vos fureurs les Grecs que je détefte ;
Dieux ! épargnez Pyrrhus & foudroyez le refte .
Le fils d'Achille eſt révolté de cette imprécation
; mais Ulyffe combat alors Philoctete
avec tous les traits de fon éloquen-.
ce. Il l'attaque par fon foible , c'eſt - à- dire
par l'endroit le plus fenfible à fa gloire.p
Vous ofez (lui dit- il ) confpirer contre votre pays...
Quand un homme a formé ce projet parricide ,
On dévoue aux tourmens ce citoyen perfide :
Son opprobre s'attache aux flancs qui l'ont posté ,
Et fa honte le fuit dans fa poftérité .
A fes concitoyens fon nom eft exécrable ;
On recherche avec foin les traces dy coupable.
JUIN. 1755. 195
Rebut de l'univers , à foi- même odieux :
Il vit errant , fans loix , fans amis & fans Dieux.
Son fupplice aux mortels offre un exemple horri
ble ;
Le tombeau lui refuſe un afyle paifible ,
Et la terre abandonne aux monftres dévorans ,
De fon corps déchiré , les reftes expirans.
Ses manes agités d'une éternelle rage ,
En vain parmi les morts fe cherchent un paffage ;
L'enfer même l'enfer fe rend fourd à fes cris.
Si vous l'ofez , cruel , vengez - vous à ce prix.
Philoctete eft effrayé de cette image.
Ulyffe pour achever de le defarmer , &
pour frapper le dernier coup , preffe Pyrrhus
de partir. Renvoyez , dit - il , des
vaiffeaux qui puiffent tranfporter ce héros
par-tout où il voudra aller :
Maître du fort des Grecs , qu'il le foit de lui- mê
me.
Emmenez tous nos Grecs ; je refte près de lui.
Philoctete à ces mots s'écrie :
Ulyffe près de moi ! retire-toi barbare .
Ulyffe lui fait cette réplique admirable ,
qui le met pour ainfi dire au pied du mur .
Si votre coeur pour moi ne peut être adouci ,
Suivez les Grecs , Seigneur , & me laiffez ici.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Philoctete à ce trait demeure interdit.
Sa fille fe joint à Ulyffe , & embraſſe ſes
genoux pour le fléchir . Ce guerrier attendri
par les larmes de fa fille , céde à cette
derniere inftance . Il lui facrifie fon reffentiment
, conſent de l'unir à Pyrrhus , &
termine la piece en difant :
Le Ciel m'ouvre les yeux fur la vertu d'Ulyffe ,
Et femble m'annoncer la fin de mon fupplice :
En marchant fur les pas au rivage Troyen ,
Nous fuivrons le grand homme & le vrai citoyen.
On ne peut pas conduire ni dénouer
une piece avec plus d'art. Que M. de Châteaubrun
a tiré fur tout un heureux parti
de l'épifode de Sophie ! 'que fon Ulyffe eft
beau ! & que M. de la Noue l'a bien
rendu !
Fermer
Résumé : EXTRAIT DE PHILOCTETE.
L'extrait de 'Philoctète' se déroule sur l'île de Lemnos, où Ulysse et Pyrrhus discutent de la nécessité de ramener Philoctète, un guerrier essentiel à la victoire contre Troie. Philoctète, abandonné sur l'île en raison d'une blessure empoisonnée incurable, est décrit comme farouche et insupportable. Ulysse conseille à Pyrrhus de feindre un naufrage pour approcher Philoctète sans éveiller sa méfiance. Pyrrhus rencontre Sophie, la fille de Philoctète, et apprend son histoire. Philoctète apparaît ensuite, exprimant son ressentiment contre les Grecs. Pyrrhus se propose de les conduire, lui et Sophie, dans leur patrie, mais un accès de douleur oblige Philoctète à rentrer dans sa caverne. Dans le second acte, Pyrrhus exprime sa pitié pour la misère de Philoctète. Ulysse révèle à Pyrrhus que les Grecs sont prêts à tout pour ramener Philoctète. Philoctète, furieux, refuse de se rendre aux Grecs. Pyrrhus propose alors de combattre avec lui contre les Troyens, sans les autres Grecs. Dans le troisième acte, Ulysse et Démas discutent de la manière de capturer Philoctète. Pyrrhus, partagé entre son amour pour Sophie et son devoir, finit par choisir l'amour. Sophie avoue à sa gouvernante qu'elle aime Pyrrhus. Dans le quatrième acte, Sophie révèle à Philoctète l'amour de Pyrrhus et son aide contre les Grecs. Philoctète accepte leur union à condition que Pyrrhus les aide à se venger. Pyrrhus, pressé par Sophie, accepte de rejoindre Philoctète pour combattre les Troyens, malgré les appels de la Grèce. Dans le cinquième acte, Ulysse montre à Philoctète un arrêt de mort dicté par la Grèce. Philoctète, face à Ulysse, exige ses armes mais est arrêté par Pyrrhus. Ulysse utilise son éloquence pour convaincre Philoctète de renoncer à sa vengeance, en lui décrivant les horreurs réservées aux traîtres. Touché par les larmes de sa fille Sophie, Philoctète cède et accepte de se réconcilier. La pièce se termine par l'union de Sophie et Pyrrhus, et Philoctète reconnaît la vertu d'Ulysse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
435
p. 23-25
EPITRE A ÉGLÉ, Par Mademoiselle Loiseau.
Début :
C'est un peu tard acquitter ma parole ; [...]
Mots clefs :
Amour, Morphée, Sommeil
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EPITRE A ÉGLÉ, Par Mademoiselle Loiseau.
EPITRE
A ÉGLÉ ,
Par Mademoiselle Loifean.
C'Eft un peu tard acquitter ma parole ;
Mais , Eglé , le tems qui s'envole
A paffé trop rapidement.
L'excufe doit te paroître frivole ;
Abrégeons donc le compliment.
• Ecoute le récit d'un fait intéreffant ;
C'eft de tes agrémens l'époque curieuſe :
Ceci n'eft point hiftoire fabuleuse ,
Charmante Eglé , l'autre jour je l'appris,
De l'aimable fils de Cipris.
Morphée avec l'Amour eut de tout tems querellé
,
L'Amour le redoutoit plus que les autres Dieux ;
Le tranquille fommeil s'emparant d'une belle ,
Voiloit le charme de ſes yeux.
C'en étoit fait de ſa puiſſance i
24 MERCURE DE FRANCE.
Il ne faut qu'an regard d'une jeune beauté
Pour furprendre la liberté
D'un coeur qui veut en vain s'armer d'indiffé
rence.
Par un coup d'oeil l'inconftant arrêté ,
Ne fent plus le poids de fa chaîne ,
Et le plaifir qui le rameine
S'offre à lui fous les traits de la variété.
L'enfant aîlé quitte Cithere ;
Guidé par fon courroux , il voudroit de la terre
Bannir Morphée & fa trifte langueur :
Mais aux mortels il eſt trop néceffaire ,
Un teint fleuri lui doit ſa plus vive couleur ;
C'est lui qui des appas conferve la fraîcheur.
Que faire ? Amour , jaloux de foutenir ſa gloire ,
Imagine un moyen d'être enfin le vainqueur.
Les pavots deformais vont hâter la victoire ,
Et ferviront à dompter plus d'un coeur.
Pour triompher des ames les plus fieres ,
A la beauté , ce Dieu donna longues paupieres .
Une belle pour lors dans les bras du fommeil
Parut avoir de nouveaux charmes .
Ses attraits pour l'Amour font de nouvelles armes,
Et rendent plus touchant le moment du réveil.
L'aftre du jour à travers un feuillage ,
Fait briller fes rayons , mais leurs feux font plus
doux:
De deux beaux yeux il nous offre l'image :
Les paupieres font cet ombrage
Qui
JUILLET. 1755. 25
Qui rend certain le fuccès de leurs coups ,
Le regard s'attendrit & bleſſe davantage.
Depuis cette victoire , Amour n'a plus d'égal .
C'est ainsi que fon art triompha de Morphée ;
Il goûte le plaifir de foumettre un rival ,
Et fes pavots lui fervent de trophée.
Si de la fiction , permife dans les vers ,
Quelqu'un croît ici que j'abufe ;
Je puis convaincre l'univers ,
Eglé juſtifiera les tranfports de ma`muſe.
En la voyant , d'un Dieu l'on reffent tous les
traits.
Oui , belle Eglé , tes féduifans attraits ,
Jufques dans le fommeil confervent leur puiffance.
De fes douceurs jouis en affurance ,
L'Amour qui s'eft fixé pour jamais fous ta loi ,
Lorfque tu dors veille pour toi.
A ÉGLÉ ,
Par Mademoiselle Loifean.
C'Eft un peu tard acquitter ma parole ;
Mais , Eglé , le tems qui s'envole
A paffé trop rapidement.
L'excufe doit te paroître frivole ;
Abrégeons donc le compliment.
• Ecoute le récit d'un fait intéreffant ;
C'eft de tes agrémens l'époque curieuſe :
Ceci n'eft point hiftoire fabuleuse ,
Charmante Eglé , l'autre jour je l'appris,
De l'aimable fils de Cipris.
Morphée avec l'Amour eut de tout tems querellé
,
L'Amour le redoutoit plus que les autres Dieux ;
Le tranquille fommeil s'emparant d'une belle ,
Voiloit le charme de ſes yeux.
C'en étoit fait de ſa puiſſance i
24 MERCURE DE FRANCE.
Il ne faut qu'an regard d'une jeune beauté
Pour furprendre la liberté
D'un coeur qui veut en vain s'armer d'indiffé
rence.
Par un coup d'oeil l'inconftant arrêté ,
Ne fent plus le poids de fa chaîne ,
Et le plaifir qui le rameine
S'offre à lui fous les traits de la variété.
L'enfant aîlé quitte Cithere ;
Guidé par fon courroux , il voudroit de la terre
Bannir Morphée & fa trifte langueur :
Mais aux mortels il eſt trop néceffaire ,
Un teint fleuri lui doit ſa plus vive couleur ;
C'est lui qui des appas conferve la fraîcheur.
Que faire ? Amour , jaloux de foutenir ſa gloire ,
Imagine un moyen d'être enfin le vainqueur.
Les pavots deformais vont hâter la victoire ,
Et ferviront à dompter plus d'un coeur.
Pour triompher des ames les plus fieres ,
A la beauté , ce Dieu donna longues paupieres .
Une belle pour lors dans les bras du fommeil
Parut avoir de nouveaux charmes .
Ses attraits pour l'Amour font de nouvelles armes,
Et rendent plus touchant le moment du réveil.
L'aftre du jour à travers un feuillage ,
Fait briller fes rayons , mais leurs feux font plus
doux:
De deux beaux yeux il nous offre l'image :
Les paupieres font cet ombrage
Qui
JUILLET. 1755. 25
Qui rend certain le fuccès de leurs coups ,
Le regard s'attendrit & bleſſe davantage.
Depuis cette victoire , Amour n'a plus d'égal .
C'est ainsi que fon art triompha de Morphée ;
Il goûte le plaifir de foumettre un rival ,
Et fes pavots lui fervent de trophée.
Si de la fiction , permife dans les vers ,
Quelqu'un croît ici que j'abufe ;
Je puis convaincre l'univers ,
Eglé juſtifiera les tranfports de ma`muſe.
En la voyant , d'un Dieu l'on reffent tous les
traits.
Oui , belle Eglé , tes féduifans attraits ,
Jufques dans le fommeil confervent leur puiffance.
De fes douceurs jouis en affurance ,
L'Amour qui s'eft fixé pour jamais fous ta loi ,
Lorfque tu dors veille pour toi.
Fermer
Résumé : EPITRE A ÉGLÉ, Par Mademoiselle Loiseau.
Mademoiselle Loifean adresse une épître à Églé pour s'excuser de son retard. Elle relate une histoire mythologique où l'Amour et Morphée, le sommeil, sont rivaux. L'Amour craint que Morphée ne prenne le contrôle des belles en les endormant, affaiblissant ainsi son pouvoir. Pour contrer cela, l'Amour utilise les pavots afin que les beautés endormies soient encore plus attirantes au réveil, renforçant ainsi son emprise. Cette fiction est justifiée par la beauté d'Églé, qui conserve toute sa puissance même endormie. L'Amour veille constamment sur elle, même pendant son sommeil.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
436
p. 33-43
ÉLOGE DU MENSONGE. A Damon.
Début :
Vieillirons-nous dans les entraves, [...]
Mots clefs :
Mensonge, Yeux, Amour, Nature, Vérité, Coeurs, Âme, Fleurs, Destin
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ÉLOGE DU MENSONGE. A Damon.
ÉLOGE DU MENSONGE.
A Damon.
Vieillirons -nous dans les entraves ,
Martyrs de notre auftérité ?
Cher Damon , de la vérité
Ne verra-t-on que nous d'efclaves ?
De ce perfonnage onéreux
Abjurons la morgue importune ,
Et fans faire les rigoureux ,
Mentons , puifque tout ment , fuivons la loi
commune.
Tu ris : tu prens cette leçon
Pour un frivole badinage ;
Mais je prétens à ce foupçon
Faire fuccéder ton fuffrage.
Raifonnons. Entraîné par une vaine erreur ,
Tu crus la vérité digne de préférence ;
Mais par quel attrait féducteur
Mérite -t-elle ta conftance ?
Eft-ce par un air fec , un ton fouvent grondeur ?
Sans foupleffe , fans complaifance ,
Que fait- elle pour le bonheur ?
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
Peut- elle l'emporter fur un rival aimable ?
Le menfonge riant , ce zélé bienfaiteur
Au contraire toujours affable ,
Par de là nos defirs nous comble de faveurs .
C'eft lui dont la main fecourable
Sur un affreux deftin fçait répandre des fleurs ;
Il féduit les efprits , il enchaîne les coeurs :
Nous lui devons enfin l'utile & l'agréable.
Damon , je n'exagere point ;
Sui moi pour éclaircir ce point.
Cet eſpace inconnu d'où nous vient la lumiere ,
Où des foleils fans nombre étincellent fans fin ,
Fut jadis une mer de fubtile matiere ,
Où le noyoit l'efprit humain.
Mon impofteur par fa bonté féconde ,
Dans ce cahos vous fabriqua des cieux ;
Fit mieux encor ; il les peupla de Dieux
Qu'il enfanta pour régir ce bas-monde.
A chacun d'eux il impofa fes loix ;
Son premier-né fut armé du tonnerre ;
L'un fit aimer , l'autre alluma la guerre ;
Ainfi de tous il fixa les emplois.
Il leur bâtit des temples fur la terre ,
Sur leurs autels il fit fumer l'encens ;
Bref , il voulut que de ces Dieux naifans.
L'homme attendît les biens & la mifere.
De tel événement vulgaire
Qu'on croiroit digne de mépris ,
Souvent il fçut faire un mystere ,
JUILLE T. 1755. 35
Lui donnant à propos ce divin caractere ,
Qui du peuple étonné fubjugue les efprits .
Autrefois à fon gré les Vautours , les Corneilles
Prophétifoient dans l'air par d'utiles ébats ;
Le bourdonnement des abeilles
Préfageoit le fort des combats ,
Et cent fois il fixa le deftin des états
Par d'auffi burleſques merveilles .
Combien de conquérans & de héros fameux
Verroient retrancher de leur gloire ,
S'il laiffoit redire à l'hiſtoire
Ce que le fort a fait pour eux ;
S'il ne nous déguifoit leurs honteufes foibleffes ;
Et fi d'un voile généreux ,
Il ne couvroit leurs petiteffes.
Laiffant à part ces hauts objets ;
C'eft dans le commerce ordinaire ,
Que du menfonge néceffaire
Tu vas admirer les bienfaits .
Pour ne point offenſer notre délicateſſe ,
Il s'y montre toujours fous un titre emprunté ;
Gardant l'incognito fous ceux de politeffe ,
D'amitié, d'amour , de tendreffe ,
Souvent même de charité ,
Seul il fait tous les frais de la fociété .
Suppofons un moment que le ciel en colere
Contraignit les mortels par un arrêt févere ,
A peindre dans leurs moeurs & dans tớis lears
discours ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Ces fecrets fentimens dont ils gênent le cours ;
Quelle honte pour notre espece !
Paris plus effrayant que les antres des ours
Deviendroit un féjour d'horreur & de triſtelle !
Tu verrois , cher ami , les trois quarts des humains
S'accablant tour à tour de leur indifférence ;
De leur haine , de leurs dédains ,
S'annoncer par leur
arrogance
Qu'ils font prêts d'en venir aux mains.
Tu verrois des enfans , des héritiers avides ,
Sur des biens à venir trop lents
Attacher fans pudeur des regards dévorans
Et par des foupirs homicides
Compter les jours de leurs parens.
Dans les chaînes du mariage
Des captifs inquiets , victimes de P'humeur
Feroient par leur bifarre aigreur
Un enfer de leur esclavage.
Maint ami prétendu , léger , intéreſſé ,
Négligeant de voiler fon ame déteſtable ,
Ne fe montreroit empreffé
Que pour l'amuſement , la fortune & la table.
L'incorrigible protegé .
Dans les yeux du patron , ou glacés ou mauffades
,
Dans d'affligeantes rebuffades.
Liroit clairement fon congé..
Un amant brutal & volage
JUILLET. 1755 3.7 .
Sans prélude , fans petits foins ,
Offriroit à fa belle un infipide hommage
Toujours reglé fur fes befoins .
L'amante fans fard , fans fineffe ,
Soumise à fon vainqueur dès le premier inftant ,
Ne prendroit d'autre avis pour marquer la foibleffe
,
Que celui d'un groffier penchant.
Leurs defirs amortis diffipant toute ivreffe ,
Un prompt & fot dégoût finiroir le roman .
Tel feroit l'homme vrai guidé par ſa nature.
Mais détournons les yeux de ce tableau pervers ,
Et parcourons le bien que l'utile impofture
Fait en réformant l'univers .
L'intérêt , l'envie & la haine
Frémiffent vainement dans l'abîme des coeurs ;
La bienféance les enchaîne
Et dérobe au grand jour leurs perfides noirceurs.
L'homme , bien loin d'être farouche ,
D'un amour fraternel , prend les dehors ' trompeurs
;
Ses yeux font careffans , fes geftes font flateurs ,
Et le miel coule de ſa bouche.
A travers les égards , les doux empreffemens ,
Les foins refpectueux , la tendre inquiétude ;
Les yeux même les plus perçans
Pourroient - ils découvrir l'avide ingratitude
Des héritiers & des enfans ?
Şi maudire leur joug & perdre patience ,
38 MERCURE DE FRANCE.
Eft le deftin fecret d'une foule d'époux ,
Le fçavoir vivre & la décence
De la tendreffe encor confervent l'apparence ,
Et couvrent au moins les dégoûts.
D'équivoques amis le monde entier foiſonne
Mais le peu de fincérité ,
L'intérêt & la vanité
Dont à bon droit on les foupçonne
S'éclipfent fous l'amenité ,
Sous l'air fagement affecté
De n'en vouloir qu'à la perfonne.
Le moins fenfible protecteur
Sous un mafque riant déguifant fa froideur ,
D'une féduifante fumée
Sçait repaître l'ame affamée
D'un fuppliant perfécuteur .
L'amour ne feroit qu'un fonge ,
Une puérilité ;
Mais l'officieux menfonge ,
L'érige en divinité ;
Redoutable par les armes ,
Ou foumettant à fes charmes
Le coeur le plus indompté ,
Il change en idolâtrie
Notre goût pour la beauté.
L'art de la coquetterie
Fut lui feul inventé ,
par
Et fans la fupercherie
Seroit-il exécuté ?
JUILLET. 39 1755.
*
Pour obtenir douce chance ,
L'amant jure la conftance
Et projette un autre amour :
à fon tour ;
L'amante trompe
Feint une pudeur craintive ,
Et pour s'affurer d'un coeur ,
Cache Pardeur la plus vive
Sous l'air froid & la rigueur.
Friands de tendres premices
Cherchons-nous la nouveauté ?
Malgré leur habileté ,
Nos belles font les novices ;
Un ton de naïveté ,
Mille obligeans artifices
Flattent notre vanité.
Si l'ufage des délices
Eteint leur vivacité ;
Le jeu fçavant des caprices
Rameine la volupté.
C'eſt ainfi qu'une folie
Devient par la tricherie
Le plaifir le plus vanté.
C'eft ainfi que dans la vie
Mutuelle duperie ,
Fait notre, félicité.
Si tu veux ajoûter un dégré d'évidence
Aux preuves de mon fentiment ,
Suivons notre Protée exerçant fa puiffance
Sur ces arts renommés on regne l'agrément..
40 MERCURE DE FRANCE.
Sans lui que feroit l'éloquence
Un infupportable talent .
Prives la de fes fleurs ; elle eft fans véhémence ,
Elle rampe fans ornemens :
Mais ces brillantes fleurs , métaphore , hyperbole
,
Allégorie & parabole ,
Et cent noms qu'à citer je perdrois trop de tems ;
Du menfonge orateur font les noms différens .
En vain fa rare modeftie
Permet qu'on invoque Apollon ;
Je ne m'y méprens point ; il est le feul génie
Qui préfide au facré vallon .
Pere de toute illufion ,
Seul il peut fouffler la manie
De plaire par la fiction.
Vois- tu prendre aux vertus , à chaque paffion ,
Un corps , la parole & la vie ?
C'est lui qui les perfonnifie.
Il déraisonne enfin dans tout égarement
D'une bouillante fantaisie :
Qui , mentir agréablement
Fait tout l'art de la poëfie .
Que vois-je , cher Damon ? que d'objets raviffans
!
Arrêtons - nous à ce ſpectacle ,
Où tout eft chef- d'oeuvre & miracle ,
Où tout enleve l'ame en ſurprenant les fens.
Quel pouvoir divin ou magique
JUILLET. 1755. 41
Fait qu'une e pace fi borné
Paroît vafte à mes yeux , & le plus magnifique
Que jamais nature ait orné ?
Qui fçut y renfermer ces fuperbes montagnes ,
Ces rochers , ces fombres forêts ,
Ces fleuves effrayans , ces riantes campagnes ,
Ces riches temples , ces palais ?
Quel génie ou démon pour enchanter ma vûe ,
A fes ordres audacieux
Fit obéir le ciel , la terre & l'étendue ?
Sans doute , quelqu'il foit , c'eſt l'émule des
Dieux.
Une amufante fymphonie
Des chantres des forêts imite les accens !
Que dis- je ? roffignols , ah ! c'eft vous que j'entens
,
De vos tendres concerts la champêtre harmonie
Me fait goûter ici les charmes du printemps.
Des ruiffeaux , l'aimable murmure
Vient s'unir à vos fons dictés par la nature :
On ne me trompe point , tout eft vrai , je le fens .
Mais grands Dieux ! quel revers étrange !
Le plaifir fuit , la scène change ;
Eole à leur fureur abandonne les vents.
Quels effroyables fifflemens !
L'air mugit , le tonnerre gronde !
Un defordre bruyant , le choc des élémens ,
Tout femble m'annoncer le dernier jour da
monde !
42 MERCURE DE FRANCE .
Fuyons vers quelqu'antre écarté ,
Echappons , s'il fe peut , à ce cruel orage ..
Mais je rougis de ma fimplicité.
J'ai pris pour la réalité
Ce qui n'en étoit que l'image.
Ces murmures , ces bruits , ces champêtres concerts
,
Ne font dus qu'aux accords d'une adroite mufique
;
Et ces payfages divers
Sont les jeux d'un pinceau que dirigea l'optique.
Mais de ces arts ingénieux
Comment s'opperent les merveilles ?
Servandoni ment à nos yeux ,
Et Rameau ment à nos oreilles.
En un mot tout ment ici -bas ;
A cet ordre commun , il n'eft rien de rebelle .
Eh ! pourquoi l'univers ne mentiroit- il pas a
Il imite en ce point le plus parfait modele.
L'or des aftres , l'azur des cieux
Sont une éternelle impofture ;
Toute erreur invincible à nos fens curieux
Eft menfonge de la nature .
Mais tu verrois fans fin les preuves s'amaffer ,
Si j'approfondiffois un fujet fi fertile ;
Pour terminer en omets mille ,
Dans la crainte de te laffer..
Je te laiffe à pourſuivré une route facile ..
Réfléchis à loifir : & , tout bien médité ,
JUILLET. 1755 . 43
Tu diras comme moi que notre utilité
A prefque interdit tout azile
A l'impuiffante vérité.
Où fe reffugira cette illuftre bannie ?
L'abandonnerons-nous à tant d'ignominie ?
Non : retirons la par pitié.
Logeons la dans nos coeurs : que toute notre vie ,
Elle y préfide à l'amitié.
A Damon.
Vieillirons -nous dans les entraves ,
Martyrs de notre auftérité ?
Cher Damon , de la vérité
Ne verra-t-on que nous d'efclaves ?
De ce perfonnage onéreux
Abjurons la morgue importune ,
Et fans faire les rigoureux ,
Mentons , puifque tout ment , fuivons la loi
commune.
Tu ris : tu prens cette leçon
Pour un frivole badinage ;
Mais je prétens à ce foupçon
Faire fuccéder ton fuffrage.
Raifonnons. Entraîné par une vaine erreur ,
Tu crus la vérité digne de préférence ;
Mais par quel attrait féducteur
Mérite -t-elle ta conftance ?
Eft-ce par un air fec , un ton fouvent grondeur ?
Sans foupleffe , fans complaifance ,
Que fait- elle pour le bonheur ?
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
Peut- elle l'emporter fur un rival aimable ?
Le menfonge riant , ce zélé bienfaiteur
Au contraire toujours affable ,
Par de là nos defirs nous comble de faveurs .
C'eft lui dont la main fecourable
Sur un affreux deftin fçait répandre des fleurs ;
Il féduit les efprits , il enchaîne les coeurs :
Nous lui devons enfin l'utile & l'agréable.
Damon , je n'exagere point ;
Sui moi pour éclaircir ce point.
Cet eſpace inconnu d'où nous vient la lumiere ,
Où des foleils fans nombre étincellent fans fin ,
Fut jadis une mer de fubtile matiere ,
Où le noyoit l'efprit humain.
Mon impofteur par fa bonté féconde ,
Dans ce cahos vous fabriqua des cieux ;
Fit mieux encor ; il les peupla de Dieux
Qu'il enfanta pour régir ce bas-monde.
A chacun d'eux il impofa fes loix ;
Son premier-né fut armé du tonnerre ;
L'un fit aimer , l'autre alluma la guerre ;
Ainfi de tous il fixa les emplois.
Il leur bâtit des temples fur la terre ,
Sur leurs autels il fit fumer l'encens ;
Bref , il voulut que de ces Dieux naifans.
L'homme attendît les biens & la mifere.
De tel événement vulgaire
Qu'on croiroit digne de mépris ,
Souvent il fçut faire un mystere ,
JUILLE T. 1755. 35
Lui donnant à propos ce divin caractere ,
Qui du peuple étonné fubjugue les efprits .
Autrefois à fon gré les Vautours , les Corneilles
Prophétifoient dans l'air par d'utiles ébats ;
Le bourdonnement des abeilles
Préfageoit le fort des combats ,
Et cent fois il fixa le deftin des états
Par d'auffi burleſques merveilles .
Combien de conquérans & de héros fameux
Verroient retrancher de leur gloire ,
S'il laiffoit redire à l'hiſtoire
Ce que le fort a fait pour eux ;
S'il ne nous déguifoit leurs honteufes foibleffes ;
Et fi d'un voile généreux ,
Il ne couvroit leurs petiteffes.
Laiffant à part ces hauts objets ;
C'eft dans le commerce ordinaire ,
Que du menfonge néceffaire
Tu vas admirer les bienfaits .
Pour ne point offenſer notre délicateſſe ,
Il s'y montre toujours fous un titre emprunté ;
Gardant l'incognito fous ceux de politeffe ,
D'amitié, d'amour , de tendreffe ,
Souvent même de charité ,
Seul il fait tous les frais de la fociété .
Suppofons un moment que le ciel en colere
Contraignit les mortels par un arrêt févere ,
A peindre dans leurs moeurs & dans tớis lears
discours ,
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
Ces fecrets fentimens dont ils gênent le cours ;
Quelle honte pour notre espece !
Paris plus effrayant que les antres des ours
Deviendroit un féjour d'horreur & de triſtelle !
Tu verrois , cher ami , les trois quarts des humains
S'accablant tour à tour de leur indifférence ;
De leur haine , de leurs dédains ,
S'annoncer par leur
arrogance
Qu'ils font prêts d'en venir aux mains.
Tu verrois des enfans , des héritiers avides ,
Sur des biens à venir trop lents
Attacher fans pudeur des regards dévorans
Et par des foupirs homicides
Compter les jours de leurs parens.
Dans les chaînes du mariage
Des captifs inquiets , victimes de P'humeur
Feroient par leur bifarre aigreur
Un enfer de leur esclavage.
Maint ami prétendu , léger , intéreſſé ,
Négligeant de voiler fon ame déteſtable ,
Ne fe montreroit empreffé
Que pour l'amuſement , la fortune & la table.
L'incorrigible protegé .
Dans les yeux du patron , ou glacés ou mauffades
,
Dans d'affligeantes rebuffades.
Liroit clairement fon congé..
Un amant brutal & volage
JUILLET. 1755 3.7 .
Sans prélude , fans petits foins ,
Offriroit à fa belle un infipide hommage
Toujours reglé fur fes befoins .
L'amante fans fard , fans fineffe ,
Soumise à fon vainqueur dès le premier inftant ,
Ne prendroit d'autre avis pour marquer la foibleffe
,
Que celui d'un groffier penchant.
Leurs defirs amortis diffipant toute ivreffe ,
Un prompt & fot dégoût finiroir le roman .
Tel feroit l'homme vrai guidé par ſa nature.
Mais détournons les yeux de ce tableau pervers ,
Et parcourons le bien que l'utile impofture
Fait en réformant l'univers .
L'intérêt , l'envie & la haine
Frémiffent vainement dans l'abîme des coeurs ;
La bienféance les enchaîne
Et dérobe au grand jour leurs perfides noirceurs.
L'homme , bien loin d'être farouche ,
D'un amour fraternel , prend les dehors ' trompeurs
;
Ses yeux font careffans , fes geftes font flateurs ,
Et le miel coule de ſa bouche.
A travers les égards , les doux empreffemens ,
Les foins refpectueux , la tendre inquiétude ;
Les yeux même les plus perçans
Pourroient - ils découvrir l'avide ingratitude
Des héritiers & des enfans ?
Şi maudire leur joug & perdre patience ,
38 MERCURE DE FRANCE.
Eft le deftin fecret d'une foule d'époux ,
Le fçavoir vivre & la décence
De la tendreffe encor confervent l'apparence ,
Et couvrent au moins les dégoûts.
D'équivoques amis le monde entier foiſonne
Mais le peu de fincérité ,
L'intérêt & la vanité
Dont à bon droit on les foupçonne
S'éclipfent fous l'amenité ,
Sous l'air fagement affecté
De n'en vouloir qu'à la perfonne.
Le moins fenfible protecteur
Sous un mafque riant déguifant fa froideur ,
D'une féduifante fumée
Sçait repaître l'ame affamée
D'un fuppliant perfécuteur .
L'amour ne feroit qu'un fonge ,
Une puérilité ;
Mais l'officieux menfonge ,
L'érige en divinité ;
Redoutable par les armes ,
Ou foumettant à fes charmes
Le coeur le plus indompté ,
Il change en idolâtrie
Notre goût pour la beauté.
L'art de la coquetterie
Fut lui feul inventé ,
par
Et fans la fupercherie
Seroit-il exécuté ?
JUILLET. 39 1755.
*
Pour obtenir douce chance ,
L'amant jure la conftance
Et projette un autre amour :
à fon tour ;
L'amante trompe
Feint une pudeur craintive ,
Et pour s'affurer d'un coeur ,
Cache Pardeur la plus vive
Sous l'air froid & la rigueur.
Friands de tendres premices
Cherchons-nous la nouveauté ?
Malgré leur habileté ,
Nos belles font les novices ;
Un ton de naïveté ,
Mille obligeans artifices
Flattent notre vanité.
Si l'ufage des délices
Eteint leur vivacité ;
Le jeu fçavant des caprices
Rameine la volupté.
C'eſt ainfi qu'une folie
Devient par la tricherie
Le plaifir le plus vanté.
C'eft ainfi que dans la vie
Mutuelle duperie ,
Fait notre, félicité.
Si tu veux ajoûter un dégré d'évidence
Aux preuves de mon fentiment ,
Suivons notre Protée exerçant fa puiffance
Sur ces arts renommés on regne l'agrément..
40 MERCURE DE FRANCE.
Sans lui que feroit l'éloquence
Un infupportable talent .
Prives la de fes fleurs ; elle eft fans véhémence ,
Elle rampe fans ornemens :
Mais ces brillantes fleurs , métaphore , hyperbole
,
Allégorie & parabole ,
Et cent noms qu'à citer je perdrois trop de tems ;
Du menfonge orateur font les noms différens .
En vain fa rare modeftie
Permet qu'on invoque Apollon ;
Je ne m'y méprens point ; il est le feul génie
Qui préfide au facré vallon .
Pere de toute illufion ,
Seul il peut fouffler la manie
De plaire par la fiction.
Vois- tu prendre aux vertus , à chaque paffion ,
Un corps , la parole & la vie ?
C'est lui qui les perfonnifie.
Il déraisonne enfin dans tout égarement
D'une bouillante fantaisie :
Qui , mentir agréablement
Fait tout l'art de la poëfie .
Que vois-je , cher Damon ? que d'objets raviffans
!
Arrêtons - nous à ce ſpectacle ,
Où tout eft chef- d'oeuvre & miracle ,
Où tout enleve l'ame en ſurprenant les fens.
Quel pouvoir divin ou magique
JUILLET. 1755. 41
Fait qu'une e pace fi borné
Paroît vafte à mes yeux , & le plus magnifique
Que jamais nature ait orné ?
Qui fçut y renfermer ces fuperbes montagnes ,
Ces rochers , ces fombres forêts ,
Ces fleuves effrayans , ces riantes campagnes ,
Ces riches temples , ces palais ?
Quel génie ou démon pour enchanter ma vûe ,
A fes ordres audacieux
Fit obéir le ciel , la terre & l'étendue ?
Sans doute , quelqu'il foit , c'eſt l'émule des
Dieux.
Une amufante fymphonie
Des chantres des forêts imite les accens !
Que dis- je ? roffignols , ah ! c'eft vous que j'entens
,
De vos tendres concerts la champêtre harmonie
Me fait goûter ici les charmes du printemps.
Des ruiffeaux , l'aimable murmure
Vient s'unir à vos fons dictés par la nature :
On ne me trompe point , tout eft vrai , je le fens .
Mais grands Dieux ! quel revers étrange !
Le plaifir fuit , la scène change ;
Eole à leur fureur abandonne les vents.
Quels effroyables fifflemens !
L'air mugit , le tonnerre gronde !
Un defordre bruyant , le choc des élémens ,
Tout femble m'annoncer le dernier jour da
monde !
42 MERCURE DE FRANCE .
Fuyons vers quelqu'antre écarté ,
Echappons , s'il fe peut , à ce cruel orage ..
Mais je rougis de ma fimplicité.
J'ai pris pour la réalité
Ce qui n'en étoit que l'image.
Ces murmures , ces bruits , ces champêtres concerts
,
Ne font dus qu'aux accords d'une adroite mufique
;
Et ces payfages divers
Sont les jeux d'un pinceau que dirigea l'optique.
Mais de ces arts ingénieux
Comment s'opperent les merveilles ?
Servandoni ment à nos yeux ,
Et Rameau ment à nos oreilles.
En un mot tout ment ici -bas ;
A cet ordre commun , il n'eft rien de rebelle .
Eh ! pourquoi l'univers ne mentiroit- il pas a
Il imite en ce point le plus parfait modele.
L'or des aftres , l'azur des cieux
Sont une éternelle impofture ;
Toute erreur invincible à nos fens curieux
Eft menfonge de la nature .
Mais tu verrois fans fin les preuves s'amaffer ,
Si j'approfondiffois un fujet fi fertile ;
Pour terminer en omets mille ,
Dans la crainte de te laffer..
Je te laiffe à pourſuivré une route facile ..
Réfléchis à loifir : & , tout bien médité ,
JUILLET. 1755 . 43
Tu diras comme moi que notre utilité
A prefque interdit tout azile
A l'impuiffante vérité.
Où fe reffugira cette illuftre bannie ?
L'abandonnerons-nous à tant d'ignominie ?
Non : retirons la par pitié.
Logeons la dans nos coeurs : que toute notre vie ,
Elle y préfide à l'amitié.
Fermer
Résumé : ÉLOGE DU MENSONGE. A Damon.
Le texte 'Éloge du mensonge' explore la nécessité et les bienfaits du mensonge dans la société. L'auteur s'adresse à Damon pour démontrer que la vérité n'est pas toujours bénéfique et que le mensonge, sous diverses formes, joue un rôle essentiel dans les relations humaines et la vie quotidienne. Il argue que la vérité est souvent austère et intransigeante, tandis que le mensonge, plus aimable et flexible, contribue au bonheur et à l'harmonie sociale. L'auteur illustre son propos en montrant comment le mensonge structure l'univers et les croyances religieuses. Il explique que les dieux et leurs lois ont été créés par le mensonge pour régir le monde et donner un sens aux événements. Il cite également des exemples historiques où le mensonge a été utilisé pour exalter la gloire des conquérants et des héros en dissimulant leurs faiblesses. Dans la vie quotidienne, le mensonge est présenté comme indispensable pour maintenir la politesse, l'amitié, l'amour et la charité. Sans lui, les relations humaines seraient marquées par l'indifférence, la haine et les conflits. L'auteur décrit un scénario où les gens exprimeraient leurs véritables sentiments, conduisant à une société chaotique et hostile. Il conclut en affirmant que le mensonge est omniprésent et nécessaire dans les arts, la littérature et la poésie. Il cite des exemples comme l'éloquence, la coquetterie et les spectacles, où le mensonge enrichit et embellit la réalité. L'auteur invite Damon à reconnaître l'utilité du mensonge et à l'accepter comme une composante essentielle de la vie humaine.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
437
p. 47-52
DIALOGUE PAR M. DE BASTIDE.
Début :
La Duchesse Mazarin, Saint-Evremond. LA DUCHESSE. Voudrez-vous toujours [...]
Mots clefs :
Amour, Esprit, Duchesse, Hommes, Plaisirs
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DIALOGUE PAR M. DE BASTIDE.
DIALOGUE
PAR M. DE BASTIDE.
La Ducheffe Mazarin , Saint- Evremond.
V
LA DUCHESSE.
Oudrez-vous toujours me paroître
extraordinaire ? Que dans l'autre
monde vous ne fentiffiez pas le ridicule de
votre paffion , à la bonne heure ; cela n'eft
pas tout - à - fait inconcevable . Quoique
vieux & prefqu'ufé , vous pouviez eſpérer
de faire naître un caprice ; j'étois vive &
légere , vous aviez de l'efprit , de la complaifance
, de la fineffe , beaucoup d'uſage
des femmes , toutes chofes qui avec du
tems & de la patience peuvent produire
les révolutions les plus fingulieres dans un
coeur de la trempe du mien. Mais à préfent
que pouvez - vous attendre de vos
beaux fentimens ? il n'y a plus de caprice
à eſpérer .
SAINT-EVREMOND.
Vous avez jugé de ma paffion par l'opinion
que les hommes vous donnoient
48 MERCURE DE FRANCE.
de l'amour permettez moi de vous dire
que vous ne l'avez pas bien connue . Il eft
un amour général que tous les hommes
fentent , auquel ils donnent les titres les
plus nobles , & fans l'empire duquel ils
auroient à un certain âge peu de vrais
plaifirs & peut être peu de vrai mérite.
Cet amour là eft l'effet naturel du feu de
l'âge on le place honnêtement dans le
coeur; mais il n'eft que dans le fang &
dans l'imagination . Celui qui le fent lui
donne une origine illuftre , & prend de
bonne-foi fes fenfations pour des fentimens.
Celui qui l'examine le réduit à ce
qu'il eft , & ne le diftingue point du defir
machinal, mais déguilé dès faveurs. Ce qui
fait qu'il aura toujours en fa faveur la prévention
publique , & qu'on ne le connoîtra
jamais pour ce qu'il eft véritablement ,
ou que fi on le connoît fon empire n'en
fera pas plus défert . Il eft un autre amour
beaucoup plus noble & beaucoup plus rare
que le premier. Il fe forme de l'impreffion
délicate de la beauté , de l'eftime fympathique
des vertus & des talens , de l'attrait
féduifant de l'efprit , du rapport des ames
& de la douceur de l'habitude . Il naît ,
s'augmente & fe foutient par le feul attrait
qui la fait naître. Le defir des faveurs ne
lui eft ni néceſſaire , ni étranger ; il deſire
avec
JUILLET. 1755. 49
avec délicateffe & jouit avec oeconomie.
Cet amour là eft l'effet de l'honnêteté de
l'ame & des réfléxions de l'efprit. Dans le
printemps de la vie , on le regarde comme
une idée de roman ; dans l'âge mur , on le
chérit comme un fentiment délicieux . Voilà
l'amour que je fentois pour vous & que je
fens encore : il eft précisément dans l'ame ,
il a trouvé la mienne telle qu'il lui en falloir
une , & il s'y eft confervé.
LA DUCHESSE.
Je ne vous concevois pas tout à l'heure ;
je vous conçois encore moins à préfent .
Si vous fentiez véritablement cet amour
fi délicat à qui les faveurs ne font pas néceffaires
, pourquoi étiez- vous fi jaloux des
préférences que je paroiffois accorder à
d'autres qu'à vous ? vous voyez bien que
cette feule contradiction entre vos idées
& vos fentimens prouve que vous venez
de peindre une chimere.
SAINT-EVREMOND.
Je vous retrouve bien dans vos jugemens
; mais votre vivacité n'a plus fur
mon efprit ce pouvoir dont elle abuſoit ;
la mort a détruit l'inégalité qui étoit entre
nos efprits , la matiere n'agir plus , je puis
wous fuivre & vous arrêter. Souffrez que
*C
fo MERCURE DE FRANCE.
je vous defabuſe . De ce que l'on gâte une
chofe , doit-on conclurre qu'elle n'exiſte
pas ? je gâtois l'amour pur dont je brûlois
pour vous , parce que j'avois connu trop
tard un amour délicat ; l'habitude des
plaiſirs avoit donné le ton à la machine ;
j'étois jaloux , parce que lorfque l'on a
trop accordé à la matiere , elle ne cede
jamais tout à l'efprit ; mais dans le fond
de mon coeur je rougiffois de ma jaloufie ,
je ne me diffimulois pas que j'étois encore
loin de mériter , de fentir la noble ardeur
dont vous me pénétriez .
LA DUCHESSE .
Cette noble ardeur & toutes vos belles,
idées n'étoient qu'une erreur de votre efprit.
Un fi parfait amour feroit mieux
connu des hommes s'il exiftoit réellement ,
on en verroit quelques traces dans le
monde , & je ne l'ai encore vû que dans
vos métaphifiques raiſonnemens .
SAINT-EVREMOND.
Je ne dirai pas qu'il foit bien commun ;
mais il n'eft pas fi rare que vous vous
l'imaginez , il y a même des coeurs à qui
feul il convient.
LA DUCHESSE.
Tant pis pour ces coeurs là. Les hommes
JUILLE T. 1755-
51
font faits pour penfer tous de même ; ceux
qui fe féparent du corps général , fût- ce
pour penfer mieux , ont moins de plaifirs
& plus de peines ; ils trouvent plus de difficulté
à s'affortir , ils font heureux fans
témoins ; s'ils en ont , leur bonheur paffe
pour un ridicule , il faut qu'ils paffent leur
vie à le juftifier , ils trouvent à peine le
moment d'en jouir.
SAINT- EVREMOND.
Ils l'augmentent en le juftifiant , ou
bien ils dédaignent d'en prendre la peine ;
ils fe contentent d'être heureux en euxmêmes
. Croyez - vous que le bonheur ne
dans l'éclat ?
foit
que
.2 11
LA DUCHESSE.
Si ce que vous foutenez étoit vrai , je
trouverois tous les hommes à plaindre. Ils
ne feroient plus heureux qu'en particulier ,
il n'y auroit plus entr'eux cette fociété que
leurs plaifirs forment. Croyez moi , il faut
aux hommes plufieurs objets de bonheur :
fi vous diminuez le cercle de leurs plaifirs ,
vous diminuerez celui de leurs intérêts &
de leurs idées . Le monde entier ne fera
plus pour chacun qu'un très - petit efpace ;
à une ligne du point de leur félicité , il n'y
aura plus rien qui mérite leurs foins : le
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
monde ainfi divifé fera bientôt détruit ; il
faut que les chofes foient comme elles
font , elles n'auroient pas tant duré fi elles
n'étoient pas bien.
PAR M. DE BASTIDE.
La Ducheffe Mazarin , Saint- Evremond.
V
LA DUCHESSE.
Oudrez-vous toujours me paroître
extraordinaire ? Que dans l'autre
monde vous ne fentiffiez pas le ridicule de
votre paffion , à la bonne heure ; cela n'eft
pas tout - à - fait inconcevable . Quoique
vieux & prefqu'ufé , vous pouviez eſpérer
de faire naître un caprice ; j'étois vive &
légere , vous aviez de l'efprit , de la complaifance
, de la fineffe , beaucoup d'uſage
des femmes , toutes chofes qui avec du
tems & de la patience peuvent produire
les révolutions les plus fingulieres dans un
coeur de la trempe du mien. Mais à préfent
que pouvez - vous attendre de vos
beaux fentimens ? il n'y a plus de caprice
à eſpérer .
SAINT-EVREMOND.
Vous avez jugé de ma paffion par l'opinion
que les hommes vous donnoient
48 MERCURE DE FRANCE.
de l'amour permettez moi de vous dire
que vous ne l'avez pas bien connue . Il eft
un amour général que tous les hommes
fentent , auquel ils donnent les titres les
plus nobles , & fans l'empire duquel ils
auroient à un certain âge peu de vrais
plaifirs & peut être peu de vrai mérite.
Cet amour là eft l'effet naturel du feu de
l'âge on le place honnêtement dans le
coeur; mais il n'eft que dans le fang &
dans l'imagination . Celui qui le fent lui
donne une origine illuftre , & prend de
bonne-foi fes fenfations pour des fentimens.
Celui qui l'examine le réduit à ce
qu'il eft , & ne le diftingue point du defir
machinal, mais déguilé dès faveurs. Ce qui
fait qu'il aura toujours en fa faveur la prévention
publique , & qu'on ne le connoîtra
jamais pour ce qu'il eft véritablement ,
ou que fi on le connoît fon empire n'en
fera pas plus défert . Il eft un autre amour
beaucoup plus noble & beaucoup plus rare
que le premier. Il fe forme de l'impreffion
délicate de la beauté , de l'eftime fympathique
des vertus & des talens , de l'attrait
féduifant de l'efprit , du rapport des ames
& de la douceur de l'habitude . Il naît ,
s'augmente & fe foutient par le feul attrait
qui la fait naître. Le defir des faveurs ne
lui eft ni néceſſaire , ni étranger ; il deſire
avec
JUILLET. 1755. 49
avec délicateffe & jouit avec oeconomie.
Cet amour là eft l'effet de l'honnêteté de
l'ame & des réfléxions de l'efprit. Dans le
printemps de la vie , on le regarde comme
une idée de roman ; dans l'âge mur , on le
chérit comme un fentiment délicieux . Voilà
l'amour que je fentois pour vous & que je
fens encore : il eft précisément dans l'ame ,
il a trouvé la mienne telle qu'il lui en falloir
une , & il s'y eft confervé.
LA DUCHESSE.
Je ne vous concevois pas tout à l'heure ;
je vous conçois encore moins à préfent .
Si vous fentiez véritablement cet amour
fi délicat à qui les faveurs ne font pas néceffaires
, pourquoi étiez- vous fi jaloux des
préférences que je paroiffois accorder à
d'autres qu'à vous ? vous voyez bien que
cette feule contradiction entre vos idées
& vos fentimens prouve que vous venez
de peindre une chimere.
SAINT-EVREMOND.
Je vous retrouve bien dans vos jugemens
; mais votre vivacité n'a plus fur
mon efprit ce pouvoir dont elle abuſoit ;
la mort a détruit l'inégalité qui étoit entre
nos efprits , la matiere n'agir plus , je puis
wous fuivre & vous arrêter. Souffrez que
*C
fo MERCURE DE FRANCE.
je vous defabuſe . De ce que l'on gâte une
chofe , doit-on conclurre qu'elle n'exiſte
pas ? je gâtois l'amour pur dont je brûlois
pour vous , parce que j'avois connu trop
tard un amour délicat ; l'habitude des
plaiſirs avoit donné le ton à la machine ;
j'étois jaloux , parce que lorfque l'on a
trop accordé à la matiere , elle ne cede
jamais tout à l'efprit ; mais dans le fond
de mon coeur je rougiffois de ma jaloufie ,
je ne me diffimulois pas que j'étois encore
loin de mériter , de fentir la noble ardeur
dont vous me pénétriez .
LA DUCHESSE .
Cette noble ardeur & toutes vos belles,
idées n'étoient qu'une erreur de votre efprit.
Un fi parfait amour feroit mieux
connu des hommes s'il exiftoit réellement ,
on en verroit quelques traces dans le
monde , & je ne l'ai encore vû que dans
vos métaphifiques raiſonnemens .
SAINT-EVREMOND.
Je ne dirai pas qu'il foit bien commun ;
mais il n'eft pas fi rare que vous vous
l'imaginez , il y a même des coeurs à qui
feul il convient.
LA DUCHESSE.
Tant pis pour ces coeurs là. Les hommes
JUILLE T. 1755-
51
font faits pour penfer tous de même ; ceux
qui fe féparent du corps général , fût- ce
pour penfer mieux , ont moins de plaifirs
& plus de peines ; ils trouvent plus de difficulté
à s'affortir , ils font heureux fans
témoins ; s'ils en ont , leur bonheur paffe
pour un ridicule , il faut qu'ils paffent leur
vie à le juftifier , ils trouvent à peine le
moment d'en jouir.
SAINT- EVREMOND.
Ils l'augmentent en le juftifiant , ou
bien ils dédaignent d'en prendre la peine ;
ils fe contentent d'être heureux en euxmêmes
. Croyez - vous que le bonheur ne
dans l'éclat ?
foit
que
.2 11
LA DUCHESSE.
Si ce que vous foutenez étoit vrai , je
trouverois tous les hommes à plaindre. Ils
ne feroient plus heureux qu'en particulier ,
il n'y auroit plus entr'eux cette fociété que
leurs plaifirs forment. Croyez moi , il faut
aux hommes plufieurs objets de bonheur :
fi vous diminuez le cercle de leurs plaifirs ,
vous diminuerez celui de leurs intérêts &
de leurs idées . Le monde entier ne fera
plus pour chacun qu'un très - petit efpace ;
à une ligne du point de leur félicité , il n'y
aura plus rien qui mérite leurs foins : le
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
monde ainfi divifé fera bientôt détruit ; il
faut que les chofes foient comme elles
font , elles n'auroient pas tant duré fi elles
n'étoient pas bien.
Fermer
Résumé : DIALOGUE PAR M. DE BASTIDE.
Le dialogue entre la Duchesse Mazarin et Saint-Évremond porte sur la nature de l'amour et des passions. La Duchesse interroge Saint-Évremond sur la persistance de ses sentiments à son égard, qu'elle juge désormais inutiles. Saint-Évremond distingue deux types d'amour : un amour général, lié au désir et à l'imagination, et un amour plus noble, fondé sur l'admiration des vertus, des talents et de l'esprit. Il affirme ressentir ce dernier pour la Duchesse, un amour délicat et rare. La Duchesse, sceptique, argue que ses jalousies passées contredisent ses déclarations actuelles. Saint-Évremond reconnaît ses erreurs passées mais maintient la pureté de ses sentiments. La Duchesse reste incrédule, estimant que cet amour idéalisé n'existe pas réellement et que les hommes trouvent leur bonheur dans la société et les plaisirs partagés. Saint-Évremond rétorque que certains peuvent trouver le bonheur en eux-mêmes, sans besoin de validation extérieure. La Duchesse craint que cette vision isolée du bonheur ne conduise à la destruction de la société.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
438
p. 70
CHANSON.
Début :
Tircis voyant que sa Lisette [...]
Mots clefs :
Amour, Musette, Chants
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : CHANSON.
CHANSON.
Tircis voyant que fa Lifette
S'attendriffoit en l'écoutant ,
N'avoit recours qu'à ſa muſette ,
Et ne s'exprimoit qu'en chantant .
Tu m'enchantes , dit la folette ;
Mais veux-tu chanter tout le jour ?
Hé , quoi ! Tircis , le tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprête?
Vois-tu fous ce naiffant feuillage
Ces oifeaux badiner entr'eux ?
Ils interrompent leur ramage.
Pour prouver autrement leurs feux.
Tes tendres chants & ta mufette
Peuvent m'amufer à leur tour ,'
Mais , quoi ! Tircis , de tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprete ?
Sur l'Air du Majeur.
510
Amans , qui près d'une coquette
Croyez la charmer par vos fons ,
Sachez qu'ainfi que pour Lifette ,
Chanfons pour elle font chanſons.
Vos tendres chants , votre mufette ,
Peuvent l'amufer à leur tour ?
Mais pour mieux exprimer l'amour
Changez quelquefois d'interprete.
Tircis voyant que fa Lifette
S'attendriffoit en l'écoutant ,
N'avoit recours qu'à ſa muſette ,
Et ne s'exprimoit qu'en chantant .
Tu m'enchantes , dit la folette ;
Mais veux-tu chanter tout le jour ?
Hé , quoi ! Tircis , le tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprête?
Vois-tu fous ce naiffant feuillage
Ces oifeaux badiner entr'eux ?
Ils interrompent leur ramage.
Pour prouver autrement leurs feux.
Tes tendres chants & ta mufette
Peuvent m'amufer à leur tour ,'
Mais , quoi ! Tircis , de tendre amour
N'a-t-il donc pas d'autre interprete ?
Sur l'Air du Majeur.
510
Amans , qui près d'une coquette
Croyez la charmer par vos fons ,
Sachez qu'ainfi que pour Lifette ,
Chanfons pour elle font chanſons.
Vos tendres chants , votre mufette ,
Peuvent l'amufer à leur tour ?
Mais pour mieux exprimer l'amour
Changez quelquefois d'interprete.
Fermer
Résumé : CHANSON.
Tircis exprime son amour pour Lifette en jouant de la musette et en chantant. Lifette, séduite, suggère de varier les expressions d'amour, comme les oiseaux. La morale invite les amants à diversifier leurs moyens de charmer une coquette, au-delà des chansons et de la musette.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
439
p. 8-45
ROSALIE. Histoire véritable, par M. Y....
Début :
Le vice n'est jamais estimable, mais il cesse d'être odieux quand il n'a point [...]
Mots clefs :
Coeur, Amour, Honneur, Parents, Bonheur, Yeux, Vertu, Orgueil, Fortune, Famille, Passion, Amant, Moeurs, Larmes, Sensibilité, Confiance, Mains, Honte, Vérité, Conseils, Notaire, Générosité
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ROSALIE. Histoire véritable, par M. Y....
ROSAL I E.
Hiftoire véritable , par M.Y....
L'celle d'être odieux quand il n'a point
E vice n'eft jamais eftimable , mais il
:
étouffé les qualités de l'ame. Une foiblefle
de coeur prend auffi fouvent fon origine
dans une certaine facilité d'humeur que
dans l'attrait du plaifir. Un amant fe préfente
, ou il eft enjoué , ou il eft homie à
fentiment. Le premier eft le moins dangereux
, il ne féduit jamais qu'une étourdie ,
& il ne triomphe que dans une faillie téméraire
Le fecond , plus refpectueux en
apparence , va à fon but par la délicateſſe
vante fa conftance, déclame contre les perfides,
& finit par l'être. Que devient une jeune
perfonne qui dans l'ivreffe de la gaieté
s'eft laiffée furprendre , ou qui eft tonbée
dans le piége d'une paffion décorée extérieurement
par le fentiment ? ce que font prefque
toutes celles qui ont débuté par une
fragilité ; elles fe familiarifent avec le vice ,
elles s'y précipitent ; l'amour du luxe & de
l'oifeveté les y entretient ; elles ont des
modeles , elles veulent y atteindre ; incapables
d'un attachement fincere elles en
AOUS T 1755. 9.
affectent l'expreffion , elles ont été la dupe
d'un homme , & elles fe vengent fur
toute l'efpece. Heureufes celles dont le
le coeur n'eft point affez dépravé pour fe
refufer aux inftances de la vertu qui cherche
à y rentrer .
Telle étoit Rofalie , elle étoit galante
avec une forte de décence . Ses moeurs
étoient déréglées , mais elle fçavoit louer
& admirer la vertu . Ses yeux pleins de
douceur & de vérité annonçoient fa franchife.
On entrevoyoit bien dans fa démarche
, dans fes manieres le manege de
la coquetterie , mais fon langage étoit modefte
, & elle ne s'abandonna jamais à ces
intempérances de langue , qui caractériſent
fi baffement fes femblables. Fidele à fes
engagemens , elle les envifagea toujours
comme des liens qu'elle ne pouvoit rompre
fans ingratitude , & les conventions
faites , l'offre la plus éblouiffante n'auroit
pû la déterminer à une perfidie.
Elle ne fut jamais parjure la premiere.
Son coeur plus fenfible à la reconnoiffance
qu'à l'amour , étoit incapable de fe laiffer
féduire à l'appas de l'intérêt & aux charmes
de l'inconftance . Solitaire , laborieuſe ,
fobre , elle eût fait les délices d'un mari ,
fi une premiere foibleffe ne l'eût en quelque
façon fixée à un état dont elle ne
A v
To MERCURE DE FRANCE.
pouvoit parler fans rougir. Affable , compatiffante
, généreufe , elle ne voyoit ja→
mais un malheureux fans lui tendre une
main fecourable ; & quand on parloit de
fes bienfaits , on difoit que le vice étoit
devenu tributaire de la vertu . Des lectures
fenfées avoient ranimé dans fon coeur les .
germes d'un beau naturel . Elle y fentoit
renaître le defir d'une conduite raifonnable
, elle vouloit fe dégager , & elle méditoit
même depuis long-tems une retraite
qui la fauvât de la honte d'avoir mal vécu ,
& du ridicule de mieux vivre , mais elle
avoit été arrêtée par un obftacle , elle avoit
voulu fe faire une fortune qui put la mettre
à l'abri des tentations qu'elle infpiroit , &
des offres des féducteurs : enfin elle vouloit
être vertueufe à fon aife ; elle ambitionnoit
deux cens mille francs , & par
dégrés elle étoit parvenue à les avoir. Contente
de ce que la fortune & l'amour lui
avoient procuré , elle avoit congédié fon
dernier amant , elle fe préparoit à fuir loin
de Paris les occafions d'une rechûte.
Ce fut alors qu'un jeune Gentilhomme
nommé Terlieu , vint loger dans une petite
chambre qui étoit de plain pied à l'appartement
qu'elle occupoit. Il fortoit tous
les jours à fept heures du matin , il rentroit
à midi pour fe renfermer , & il borA
O UST. 1955. 11
noit à une révérence muette fon cérémonial
avec fa voifine. La fingularité de la
vie de ce jeune homme irrita la curiofité
de Rofalie. Un jour qu'il venoit de rentrer
, elle s'approche de la porte de fa
chambre , prête l'oreille , porte un regard
fur le trou de la ferrure , & voit l'infortuné
Terlieu qui dînoit avec du pain
fec , chaque morceau étoit accompagné
d'un gémiffement , & fes larmes en fai
foient l'affaifonnement. Quel fpectacle
pour une ame fenfible ! celle de Rofalie
en fut pénétrée de douleur . Dans ce mo
ment une autre avec les vûes les plus pures ,
eût été peut-être indiferette , elle fe für
écriée , & généreufement inhumaine elle
eût décelé la mifere de Terlieu ; mais Rofalie
qui fçavoit combien il eft douloureux
d'être furpris dans les befoins de l'indigen
ce, rentra promptement chez elle pour y attendre
l'occafion d'être fecourable avec le
refpect qu'on doit aux infortunés. Elle épia
le lendemain l'inftant où Terlieu étoit dans
l'habitude de fe retirer , & pour que fon
deffein parut être amené par le hazard
elle fit tranfporter fon métier de tapifferie
dans fon anti- chambre , dont elle eur
foin de tenir la porte ouverte.
Terlieu accablé de fatigue & de trifteffe
parur à fon heure ordinaire , fit fa révé-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
rence , & alloit fe jetter dans l'obfcurité
de fa petite chambre , lorfque Rofalie ,
avec ce ton de voix aifé & poli , qui eſt
naturel au beau fexe , lui dit : En vérité ,
Monfieur , j'ai en vous un étrange voifin ;
j'avois penfé qu'une femme , quelle qu'elle
fût, pouvoit mériter quelque chofe par-delà
une révérence. Ou vous êtes bien farouche
, ou je vous parois bien méprifable . Si
vous me connoiffez , j'ai tort de me, plaindre
, & votre dedain m'annonce un homme
de la vertu la plus fcrupuleuſe , & dèslors
j'en réclame les confeils & les fecours.
Seroit-ce auffi que cette févérité que je lis
fur votre front prendroit fa caufe de quelque
chagrin qui vous accable ? Souffrez
que je m'y intereffe. Entrez , Monfieur , je
Vous fupplie : que fçavons- nous fi le fort
ne nous raffemble point pour nous être
mutuellement utiles ? je fuis feule , mon
dîner eft prêt , faites moi , je vous conjure
, l'honneur de le partager avec moi :
j'ai quelquefois un peu de gaieté dans
l'efprit , je pourrai peut-être vous diffiper.
Mademoiſelle , répondit Terlieu , vous
méritez fans doute d'être connue , & l'accueil
dont vous m'honorez ,, annonce en
vous un beau caractere. Qui que vous
foyez , il m'eft bien doux de trouver quel
1
1
A O UST . 1755. 13
qu'un qui ait la générofité de s'appercevoir
que je fuis malheureux . Depuis quinze
jours que je fuis à Paris , je ne ceffe
d'importuner tous ceux fur la fenfibilité
defquels j'ai des droits , & vous êtes la
premiere perfonne qui m'ait favorisé de
quelques paroles de bienveillance . N'imputez
point de grace , Mademoiſelle , ni
à orgueil ni à mépris ma négligence à votre
égard : fi vous avez connu l'infortune ,
vous devez fçavoir qu'elle eft timide . On
fe préfente de mauvaife grace , quand le
coeur eft dans la peine. L'affliction appéfantit
l'efprit , elle défigure les traits , elle
dégrade le maintien , & elle verſe une
efpece de ridicule fur tout l'extérieur de
la perfonne qui fouffre . Vous êtes aimable
, vous êtes fpirituelle , vous me paroiffez
dans l'abondance ; me convenoit- il
de venir empoifonner les douceurs de votre
vie ? Si vous êtes généreufe , comme
j'ai lieu de le croire , vous auriez pris part
à mes maux je vous aurois attriftée .
Monfieur , répliqua Rofalie , je ne fuis
point affez vaine pour me flater du bonheur
de vous rendre fervice , mais je puis
me vanter que je ferois bien glorieufe fi
je pouvois contribuer à vous confoler , à
vous encourager. J'ai de grands défauts ,
mes moeurs ne font rien moins que régu14
MERCURE DE FRANCE.
lieres , mais mon coeur eft fenfible au fort
des malheureux ; il ne me refte que cette
vertu ; elle feule me foutient , me ranime ,
& me fait efperer le retour de celles que
j'ai négligées. Daignez , Monfieur , par
un peu de confiance , favorifer ce préfage.
Que rifquez- vous ? vos aveux ne feront
fûrement pas auffi humilians que les miens,
& cependant je vous ai donné l'exemple
d'une fincérité peu commune. Je ne puis
croire que ce foit votre mauvaiſe fortune
qui vous afflige. Avec de l'efprit , de la
jeuneffe , un extérieur auffi noble , on
manque rarement de reffources . Vous foupirez
? c'est donc l'honneur , c'est donc la
crainte d'y manquer , ou de le perdre qui
caufe la confternation où je vous vois.
Oui , cette peine eft la feule qui puiffe
ébranler celui qui en fait profeflion.
Voilà , s'écria Terlieu avec une forte
d'emportement , voilà l'unique motif de
mon défeſpoir , voilà ce qui déchire
mon coeur , voilà ce qui me rend la vic
infupportable . Vous defirez fçavoir mon
fecret , je ne réfifte point à la douceur
de vous le confier ; apprenez donc que
je n'ai rien , apprenez que je ne puis
fubfifter qu'en immolant aux befoins de
la vie cethonneur qui m'eft fi cher. Je fuis
Gentilhomme , j'ai fervi , je viens d'être
réformé je follicite , j'importune .... &
A O UST. 1755. 15
qui ! des gens qui portent mon nom , des
gens qui font dans l'abondance , dans les
honneurs , dans les dignités . Qu'en ai - je
obtenu ? des refus , des défaites , des dédains
, des hauteurs , le croirez - vous , Mademoiſelle
, le plus humain d'entr'eux ,
fans refpect pour lui- même , vient d'avoir
l'infolence de me propofer un emploi dans
les plus baffes fonctions de la Finance ! le
malheureux fembloit s'applaudir de l'indigne
faveur qu'il avoir obtenue pour moi .
Je l'avouerai , je n'ai pû être maître de
mon reffentiment. Confus , outré , j'ai déchiré
& jetté au vifage de mon lache bienfaiteur
le brevet humiliant qu'il a ofé me
préſenter. Heureux au moins d'avoir appris
à connoître les hommes , plus heureux
encore fi je puis parvenir à fuir , à
oublier , à détefter des parens qui veulent
que je deshonore le nom qu'ils portent. Je
fçais bien que ce n'eft point là le ton de
l'indigence ; que plus humble , plus modefte
, elle doit fe plier aux circonftances ;
que la nobleffe eft un malheur de plus
quand on eft pauvre , qu'enfin la fierté
eft déplacée quand les reffources de la vie
manquent. J'ai peut- être eu tort de rejetter
celles qui m'ont été offertes . J'avouerai
même que mon orgueil eut fléchi fi j'euffe
pû envifager dans l'exercice d'un pofté de
16 MERCURE DE FRANCE.
quoi fubfifter un peu honnêtement ; mais
s'avilir pour tourmenter laborieufement
les autres ; ah ! Mademoiſelle , c'eſt à quoi
je n'ai pû me réfoudre .
Monfieur , reprit Rofalie , je ne fçais fi
je dois applaudir à cette délicateffe , mais
je fens que je ne puis vous blâmer. Votre
fituation ne peut être plus fâcheufe .
Voici quelqu'un qui monte , remettezvous
, je vous prie , & tachez de vous
rendre aux graces de votre naturel ; il n'eft
pas convenable qu'on life dans vos yeux
l'abattement de votre coeur : fouffrez que
je me réſerve ſeule le trifte plaifir de vous
entendre , & de vous confoler . Ah ! c'eſt
Orphife , continua Rofalie fur le ton de la
gaieté , approche mon amie & félicitemoi
.... & de quoi , répliqua Orphife en
l'interrompant , eft- ce fur le parti fingulier
que tu prens d'abandonner Paris à la fleur
de ton âge , & d'aller te confiner en prude
prématurée dans la noble chaumiere dont
tu médites l'acquifition ? mais vraiment
tu vas embraffer un genre de vie fort attrayant.
Fort bien , répondit Rofalie , raille
, diverti- toi mais tes plaifanteries ne
me détourneront point du deffein que j'ai
pris. Je venois cependant te prier d'un
fouper.... Je ne foupe plus que chez moi ,
répliqua Rofalie. Mais toi - même tu me
?
}
AOUS T. 1755. 17
paroiffois déterminée à fuivre mon exemple.
C'étoit , répodit Orphiſe dans un accès
d'humeur , j'extravaguois. Une nouvelle
conquête m'a ramenée au fens commun.
Tant pis .... Ah ! point de morale.
Dînons. On fervit.
Pendant qu'elles furent à table , Orphiſe
parla feule , badina Rofalie , prit Terlicu
pour un fot , en conféquence le perfifa.
Pour lui il mangea peu : éroit- ce faute
d'appétit non , peut être ; mais il n'ofa
en avoir. Le caffé pris , Orphife fit fes
adieux , & fe recommanda ironiquement
aux prieres de la belle pénitente .
Rofalie débarraffée d'une visite auffi
choquante qu'importune , fit paffer Terlieu
dans fon fallon de compagnie. Après
un filence de quelques inftans , pendant
lequel Terlieu , les yeux baiffés , lui ménageoit
le plaifir de pouvoir le fixer avec
cette noble compaffion dont fe laiffent
toucher les belles ames à l'afpect des infor
tunés ; elle prit la parole , & lui dit ,
Monfieur , que je vous ai d'obligation ! la
confiance dont vous m'avez honorée , eft
de tous les événemens de ma vie celui qui
m'a le plus flatée , & l'impreffion qu'elle
fait fur mon coeur me caufe une joie ....
Pardonnez -moi ce mot, celle que je reffens
ne doit point vous affliger , elle ne peut
18 MERCURE DE FRANCE.
vous être injurieufe , je ne la tiens que
du bonheur de partager vos peines. Oui ,
Monfieur , ma fenfibilité pour votre fituation
me perfuade que j'étois née pour
la vertu ; mais que dis-je ? A quoi vous
peut être bon fon retour chez moi , fi
vous ne me croyez digne de vous en donner
des preuves. Vous rougiffez : hélas ,
je vois bien que je ne mérite point cette
gloire , foyez , je vous prie , plus génćreux
, ou du moins faites- moi la grace de
penfer qu'en me refufant vous m'humiliez
d'une façon bien cruelle.
• Vous êtes maîtreffe de mon fecret , répondit
Terlieu , ne me mettez point dans
Je cas de me repentir de vous l'avoir confié
: je ne m'en défends point , j'ai trouvé
quelques charmes à vous le révéler ; j'avouerai
même que mon coeur avoit un befoin
extrême de cette confolation : il me
femble que je refpire avec plus de facilité .
Je vous dois donc , Mademoiſelle , ce
commencement de foulagement ; c'est beaucoup
de fouffrir moins , quand on a beaucoup
fouffert. Permettez que je borne à
cette obligation toutes celles que je pourrois
efperer de votre générofité. Ne mefufez
point , je vous prie de la connoiffance
que vous avez de mon fort ; il ne
peut être plus cruel , mais je fçaurai le
-
AOUST. 1755. 19
fupporter fans en être accablé . C'en eft fair,
je reprens courage ; j'ai trouvé quelqu'un
qui me plaint. Au refte , Mademoiſelle ,
je manquerois à la reconnoiffance fi je
renonçois entierement à vos bontés ; &
puifque vous me permettez de vous voir ,
je viendrai vous inftruire tous les jours de
ce que mes démarches & mes follicitations
auront opéré je recevrai vos confeils
avec docilité , mais auflì c'est tout ce
qu'il vous fera permis de m'offrir , autrement
je cefferois .... N'achevez pas , répliqua
Rofalie en l'interrompant , je n'aime
point les menaces. Dites - moi , Monfieur
, eft-ce que l'infortune rend les hommes
intraitables ? eft - ce qu'elle répand
fur les moeurs , fur les manieres , une inquiétude
fauvage : eft- ce qu'elle prête au
langage de la féchereffe , de la dureté ?
s'il eft ainfi , elle eft bien à redouter. N'eftpas
vrai que vous n'étiez point tel dans
la prospérité ? vous n'euffiez point alors
rejetté une offre de fervice .
il
J'en conviens , répondit Terlieu , j'euſſeaccepté
parce que je pouvois efperer de rendre
, mais à préfent je ne le puis en confcience.
Quant à cette dureté que vous
me reprochez , j'avouerai que je la crois
honorable , néceſſaire même à celui qui eft
dans la peine. Elle annonce de la fermeté ,
20 MERCURE DE FRANCE.
elle repouffe l'orgueil de ceux qui font
dans l'opulence , elle fait refpecter le miférable.
L'humilité du maintien , la modeftie
, la timidité du langage donneroient
trop d'avantage à ceux qui ne font que
riches ; car enfin celui qui rampe , court
les rifques d'être écrasé.
Et vous êtes , reprit Rofalie , dans l'appréhenfion
que je ne me prévale des aveux
que vous m'avez fait : oui , dans mon dépit
vous me faites imaginer des fouhaits
extravagants je l'efpere au moins , votre
mauvaife fortune me vengera , vos parens
font de monftres ... que je ferois contente
s'ils vous rebutoient au point que vous
fuffiez forcé d'avoir recours à cette Rofalie
que vous dédaignez , puifque vous ne
la croyez point capable de vous obliger
dans le fecret de fa confcience.
Sur le point de quitter Paris je voulois
en fortir en faifant une action qui pût.
tranquilifer mes remors , & m'ouvrir la
route des vértus que je me propofe ; le hazard
, ou pour mieux dire , le ciel permet
que je falfe votre connoiffance ; je
crois que vous m'êtes adreffé pour vous ,
être fecourable , & je ne trouve en vous
que la fierté la plus inflexible . Hé bien ,
n'y fongeons plus . Cependant puis- je vous
demander fi vous envifagez quelques refA
OU ST. 1755. 21
fources plus fateufes que celles que vous
pourriez efperer de votre famille ?
Aucune , répondit Terlieu , j'ai bien
quelques amis ; mais comme je ne les
tiens que du plaifir , je n'y compte point.
Quoi ! reprit Rofalie , le néceffaire eft
prêt de vous manquer ,
& vous vous
amufez à folliciter des parens : c'est bien
mal à propos que l'on prétend que la néceffité
eft ingénieufe ! N'auriez - vous de
l'efprit que pour refléchir fur vos peines ?
que pour en méditer l'amertume ? Allez
Monfieur , allez faire un tour de promenade
: rêvez , imaginez , faites même ce
qu'on appelle des châteaux en Eſpagne ; il
eft quelquefois des illufions que la fortune
fe plaît à réalifer : il eft vrai qu'elles fe
réduifent prefque toujours à des chimeres ,
mais elles exercent l'efprit , elles amufent
l'imagination , elles bercent les chagrins ,
& c'eft autant de gagné fur les réflexions
affligeantes. Je vais de mon côté me donner
la torture : heureufe fi je fuis affez ingénieufe
pour trouver quelque expédient
qui puiffe adoucir vos peines , & contenter
l'envie extrême que j'ai de contribuer
à votre bonheur !
Terlieu fe leva pour fortir , & Roſalie
en le reconduifant le pria de venir manger
le foir un poulet avec elle , afin de
22 MERCURE DE FRANCE.
raifonner , & de concerter enfemble ce
que leur auroit fuggeré leur imagination ;
mais pour être plus fûre de l'exactitude de
Terlicu au rendez - vous , elle lui gliffa
adroitement une bourfe dans fa poche.
Terlieu alla s'enfoncer dans l'allée la plus
folitaire du Luxembourg , il y rêva beaucoup
& très infructueufement.
Tous les hommes ne font point féconds
en reffources ; les plus fpirituels font ordinairement
ceux qui en trouvent le moins.
Les idées , à force de fe multiplier , fe confondent
; d'ailleurs on voit trouble dans
l'infortune .
Il n'eft que deux fortes d'induſtrie ; l'une
légitime , c'eft celle des bras , du travail ,
& le préjugé y a attaché une honte : Terlieu
étoit Gentilhomme , il n'a donc pû en
être exemt.
L'autre induftrie , nommée par dégradation
l'induſtrie par excellence , eft celle
qui s'affigne des revenus fur la fottife , la
facilité , les foibleffes & les paffions d'autrui
; mais comme elle eft incompatible
avec la probité , Terlieu en étoit incapable.
Il y avoit deux heures que cet infortuné
Gentilhomme tourmenté par fon inquiétude,
marchoit à grands pas en croyant
fe promener , lorfque fouillant fans deffein
dans fa poche , il y fentit une bourſe.
AOUST. 1755. 23
Cette découverte décida promptement fon
retour ; le moindre délai pouvoit , felon
lui , faire fuppofer de l'incertitude dans
fon procédé ; il craignoit qu'on ne le foup.
çonnâc même d'avoir combattu contre la
tentation.
Il arrive effoufflé , franchit rapidement
l'efcalier de Rofalie , il entre ; celle - ci qui
le voit hors d'haleine , ne lui donne pas le
tems de s'expliquer , & débute par une
queftion vague ; lui fans parler , jette la
bourfe fur une table ; Rofalie affecte une
furpriſe de fatisfaction , & lui fait compli
ment fur le bonheur qu'il a eu de trouver
un ami généreux . Terlieu protefte très -férieufement
qu'il n'a parlé à qui que ce
fort ; celle- ci infifte fur l'heureuſe rencontre
qu'il a faite , Terlieu fe fâche , il eft ,
dit-il , outragé , il jure qu'il ne reverra de
fa vie Rofalie , fi elle ne reprend un argent
qui lui appartient : Elle s'en défend ,
elle en nie la proprieté , elle ofe foutenir
qu'elle ne fçait ce qu'on veut lui dire ;
quelle rare effronterie ! elle eut peut - être
pouffé plus loin l'opiniâtreté , fi elle ne fe
fut avifée de rougir . Rofalie rougir . Quoi!
une fille qui a vécu dans le defordre fe
laiffe démentir par le coloris involontaire
de la franchife? Hé pourquoi non ! quand
le motif en eft fi beau . On rougit bien des
24 MERCURE DE FRANCE.
mage
premieres paroles d'obfcénité qu'on entend
, parce que le coeur eft neuf ; celui
de Rofalie reprend fa premiere pureté ,
elle a donc pu rougir d'un menfonge généreux
, & rendre en même tems cet homà
la vérité. La conviction étoit trop
claire pour que fon obftination put durer
plus long - temps ; elle reprit fa bourſe
avec un dépit fi brufque qu'elle lui échappa
des mains , & qu'elle alla frapper conire
une commode où elle s'ouvrit en répandant
fur le parquet une cinquantaine
de louis. Comme Terlieu fe mit en devoir
de les ramaffer , Rofalie lui dit d'un ton
ironique & piqué : Monfieur , ne prenez
point cette peine , je fuis bien aiſe de ſçavoir
fi le compte y eft : vous m'avez pouffée
à bout par votre peu de confiance en
moi , il eft jufte qu'à mon tour j'en manque
à votre égard .
Je fais trop de cas de cette colere
pour
m'en offenfer , reprit Terlieu , le fond
m'en paroît trop refpectacle
. Puis- je , con- tinua - t-il , fans vous irriter , vous avertir
que j'apperçois
dans ce coin quelques
louis qui ont échappé
à vos recherches
? Puis- je , répliqua
Rofalie fur le même
ton , fans vous irriter , vous annoncer
que
vous êtes des mortels le plus bizarre & le
plus haïffable
? Refferrerai
-je , continua-telle
A O UST. 1755. 25
elle d'une voix modefte & attendrie l'ar-:
gent de cet ami du Luxembourg. Oui ,
Mademoiselle , répondit Terlieu d'un ton
ferme , je vous prie de le lui rendre , & de
le remercier de ma part.
la
Ils alloient continuer ces débats de générofité
mutuelle , lorqu'on vint avertir
que le fouper étoit fervi ; au moins , Monfieur
, dit Rofalie , vous me ferez peut -être
grace de me tenir campagnie très-volontiers
, répondit Terlieu , il y a trop à
gagner pour moi , & voilà le feul cas où
il peut m'être permis de vous montrer que
j'entends mes intérêts ; bien entendu cependant
que vous aurez moins d'humeur.
Je m'y engage , reprit- elle , pourvû que je
puiffe vous gronder , fi vous ne penfez pas
à ma fantaifie. Allons promptement manger
un morceau , je fuis fort impatiente
d'apprendre à quoi auront abouti les rêveries
de votre promenade . Vous parlerez
le premier , après quoi je vous ferai part
de mes idées , & nous verrons qui de nous
deux aura faifi le meilleur expédient.
Pendant le tems qu'ils furent à table ;
Rofalie déploya toutes les graces de fon
efprit pour égayer Terlicu , mais avec la
délicateffe dont on doit uſer avec un coeur
fermé à la joie , & avec cette circonfpection
qui met en défaut la malignité atten-
B
26- MERCURE DE FRANCE.
tive des domeftiques. Le deffert fervi elle
les renvoya en leur ordonnant de ne point
entrer qu'elle n'eut fonné. Ils eurent beau
raifonner entr'eux ; l'extérieur de Terlieu ,
l'accablement où ils le voyoient , & plus
que cela encore , la médiocrité très - négligée
de fon ajuftement dérouterent leurs.
conjectures.
Monfieur , dit alors Rofalie en reprenant
la parole , nota voilà feuls , perfonne
ne peut nous entendre ; faites- moi.
part , je vous prie , de ce que vous avez,
imaginé. Je ſerai bien charmée ſi vous me
mettez dans le cas de vous applaudir , plus
encore fi je puis ajouter quelques réflexions
utiles à vos projets .... parlez donc.
grace.q
de
Hé ! que puis- je vous dire , répondit-il ,
finon que dans l'état où je fuis il ne m'eft
pas poffible de penfer. J'ai eu beau creufer
ma tête , il n'en eft rien forti qui ne fut dé
raifonnable , extravagant , au-deffous du
fens commun. Jugez , Mademoiſelle , de
la mifere d'un efprit retréci par
l'infortu
ne ; il n'a pu me procurer que la reffource
de m'expatrier en entrant au fervice de la
Compagnie des Indes : qu'en penfez- vous ?>
ce parti vous paroît- il fi ridicule ?
Non , Monfieur , reprit- elle , je yous y
exhorterai même , dès que vous m'aurez
L
A OUST. 1755. 27
promis de mettre eu ufage l'expédient que
je vais vous donner : écoutez -moi attentivement
, ne m'interrompez pas , & furtout
point de faillie d'orgueil. Votre famille
, je le fçais , jouit de toutes les diftinctions
que donne l'opulence , & qu'on
accorde à celles qui ont bien mérité du
Prince & de la patrie. Je conçois qu'elle
pourra vous refufer de nouveau les fecours
que vous êtes en droit d'en exiger , mais
je ne puis penfer qu'elle fouffrit que vous
vous deshonorafliez . C'eft fur cette délicateffe
que j'établis l'efpoir dont je me flate
pour vous , & j'ofe croire que vous arracherez
de la vanité de vos parens ce que
vos inftances ne pourroient obtenir de
leur bienveillance . Dès demain , Monfieur ,
retournez les voir ; qu'ils lifent fur votre
front ce que la douleur a de plus attendriffant
: priez , preffez , humiliez - vous
même , & ne rougiffez point d'employer
les expreffions les plus foumifes. Si vous
ne les touchez point , s'ils font impitoyables
, ofez leur dire , avec la fureur dans
les yeux , que vous allez prendre un parti
fi indigne du nom qu'ils portent , que l'opprobre
en rejaillira fur eux . Oui, Monfieur,
menacez-les....Non , je crois vous connoître
, vous n'en aurez jamais la force . Par
grace , M. de Terlieu , prenez fur vous
Bij
28. MERCURE DE FRANCE.
de proférer des paroles feules capables
d'effrayer vos parens , & d'intéreffer en
votre faveur , je ne dis pas leur fenfibilité ,
mais au moins leur orgueil.
Qu'allez -vous me propofer , répliqua
Terlieu avec agitation ? vous me faites
frémir.
Ne craignez rien , répondit Rofalie , ce
n'eft qu'une menace dont le but eſt d'allarmer
des gens qui n'auroient point encore
renoncé à l'honneur , qui conféquemment
peut faire un grand effet , mais dont
je ferai toujours bien loin de vous confeiller
, ni même d'en fouffrir l'exécution. Baiffez
les yeux , ne me regardez point de grace;
je ne pourrois mettre au jour mon idée
fi vous me fixiez . Dès que vous aurez épuifé
tout ce que l'éloquence du befoin a de plus
pathétique ; dès que vous aurez déſeſpéré
d'émouvoir vos indignes parens , ofez leur
dire que leur barbarie vous détermine à
profiter de la fenfibilité d'une fille qui a
vécu dans le défordre , que Rofalie plus
généreuse qu'eux , ne peut fouffrir qu'an
homme comme vous paffe fes jours dans
la mifere , que Rofalie , .. hélas ! elle n'eft
que trop connue , que Rofalie vous offre
de partager fa fortune , & que vous êtes
prêt de contracter avec elle un mariage......
Je n'acheve point ; ce fera à vous , MonAOUST.
1755. 29
fieur , à finir le tableau , & à y mettre une
expreffion , & des couleurs dignes du fujet.
Terlieu alors leva les yeux , & Rofalie y
vit un trouble , & quelques larmes qu'elle
ne fit as femblant d'appercevoir. Qu'avez-
vous ? continua-t- elle , vos regards
m'inqui tent , & je crains fort que l'expédient
que je viens de vous propofer ne
vous révolte ; mais enfin , s'il réuffiffoit
m'en fçauriez-vous mauvais gré ? que rifquez-
vous d'en hafarder l'épreuve ?
Un malheur nouveau qui acheveroit de
m'accabler , s'écria Terlieu , mes cruels
parens ne manqueroient point d'attenter à
votre liberté , & je ferois la caufe & le prétexte
d'une barbarie.
Hé ! Monfieur , reprit elle , courons - en
les rifques , fi cette violence peut rendre
votre fort plus heureux. La perte de la
liberté n'eft point un fi grand mal pour quiconque
eft déterminé à renoncer au monde.
D'ailleurs il fuffira à ma juftification ,
& à la vôtre que l'on fçache que ce n'étoit
qu'une rufe imaginée pour amener vos
parens à la néceffité de vous rendre fervice ;
& comme il fera de l'intérêt de votre honneur
de défavouer un bruit auffi ridicule ,
l'amour qu'on vous connoît pour la vérité ,
ne laiffera aucun doute & nous nous
trouverons juſtifiés tous les deux .
,
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Ah Rofalie , Rofalie ! répliqua Terlieu ,
en foupirant , terminons un entretien dont
les fuites deviendroient trop à craindre
pour moi. Je vous quitte pénétré d'admiration
, & peut-être d'un fentiment encore
plus intéreffant. Oui , je ferai ufage de vos
confeils ; je verrai demain ma famille .....
Mais hélas ! je ne fçai fi vous ne me faites
point defirer d'être rebuté de nouveau . Je
ne puis dire ce que mon coeur reffent , mais
il vous refpecte déja , & vraisemblablement
il ne fe refufera pas long-temps à ce
que la tendreffe a de plus féduifant.
Monfieur , reprit Rofalie , allez vous
repofer , vous avez befoin de rafraîchir
votre fang ; vous venez de me prouver
qu'il eft un peu échauffé. Je préfume que
le fommeil vous rendra votre raison , &
qu'à votre reveil , où vous rirez , où vous
rougirez du petit délire de la veille.
Fort bien , répliqua Terlieu en fouriant,
voilà un agrément de plus dans votre ef
prit , & vous entendez fupérieurement la
raillerie . Oui , Rofalie , je vais me retirer ,
mais avec la certitude de ne point dormir ,
& comptez que fi le fommeil me furprend,
mon imagination , ou pour mieux dice ,
mon coeur ne fera occupé que de vous.
Terlieu tint parole , il ne ferma point
l'oeil de la nuit , & cependant il ne la trouA
O UST. 1755: 31
va pas longue. Le jour venu , il fut incertain
s'il iroit de nouveau importuner fa
famille , ou s'il fuivroit le penchant d'une
paffion que le mérite de Rofalie avoit fait
naître en fon coeur , & que les réflexions
ou peut-être les illufions de la nuit avoient
fortifiée. Après avoir combattu quelque
tems entre ces deux partis , le foin de fa
réputation l'emporta fur un amour que fa
raifon plus tranquille lui repréfentoit malgré
lui fous un point de vûe un peu déshonorant
. Quelle fituation ? l'amour , la pauvreté
, defirer d'être aimé , d'être heureux ,
& n'ofer fe livrer à des penchans fi naturels
! Partez Terlieu , vous avez promis ,
& votre honneur exige que vous faffiez du
moins encore une démarche avant de fonger
au coeur de Rofalie.
La fortune ne le fervit jamais mieux
qu'en lui faiſant effuyer des dédains nouveaux
de la part de fa famille. Les prieres ,
les inftances , les fupplications qu'il eut le
courage d'employer , ne lui attirerent que
des rebuts , que des outrages. Ses parens imputerent
à fa baffefle les larmes qu'il verfa.
Outré , défefpéré , il mit en oeuvre fa derniere
reffource ; il leur peignit avec les
couleurs les plus effrayantes l'alliance dont
il les menaça de fouiller leur nom ; ce tableau
ne fit qu'ajouter au mépris dont ils
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
l'accablerent , & l'un d'eux en parlant au
nom de tous , & fans en être défavoué
par
un feul , eut la lâcheté de lui dire : hé >
Monfieur , concluez ; que nous importe la
femme que vous prendrez , pourvu qu'elle
nous débarraffe de votre vûe , & de vos
importunités. Au refte , nous vous défavouons
dès ce jour pour parent , & fi vous
avez le front d'ofer dire que vous nous appartenez
, nous fçaurons réprimer votre
infolence.
Et moi , Meffieurs , répliqua fierement
Terlieu , je le publierai partout , non pas
que je tienne à honneur d'être votre plus
proche parent , mais afin que perfonne n'ignore
que vous êtes plus indignes que moimême
du fang qui coule dans nos veines ,
& que fi je fuis réduit à le deshonorer , ce
font vos duretés qui m'y ont forcé. Adieu ,
Meffieurs , & pour toujours.
Terlieu courut promtement répandre
dans le fein de la généreufe Rofalie les
horreurs qu'il venoit d'entendre. C'en eft
fait , s'écria-t-il en entrant , je n'ai que
vous au monde , vous me tenez lieu d'amis
, de parens , de famille. Oui , Roſalie,
continua-t-il , en tombant à fes genoux ,
c'eft à vous feule que je veux appartenir ,
de vous feule je veux dépendre , & votre
coeur eft le feul bien que j'ambitionne.
AOUST. 1755. 33
Soyez , je vous conjure , magnanime au
point de croire que ce n'eſt pas l'extrémité
où je me trouve , qui me fait deficer le
bonheur de vous plaire : comptez qu'un motifauffi
bas eft trop au deffous de ce que vous
m'infpirez , & d'un coeur comme le mien.
Eh , vous ne méritez point que je vous
écoute , lui répondit , Rofalie , fi vous me
croyez capable d'un tel foupçon. Levezvous
, Monfieur , on pourroit vous furprendre
dans une attitude qu'il ne me convient
plus de fouffrir , on croiroit que je
la tolere , & elle feroit douter de la fincérité
du parti que j'ai pris de renoncer à mes
égaremens ..... Je voudrois , repliqua Terlieu
en l'interrompant , avoir mille témoins
de l'hommage que je vous rends , & je fuis
fûr qu'il n'en feroit pas un qui n'y applaudit
, fi je l'inſtruifois de la force des raifons
qui me l'arrachent , & des vertus que
j'honore en vous.
J'avois efpéré , reprit elle , que le fommeil
auroit diffipé le vertige qui vous trou
bloit hier au foir. Je fuis fâchée , & prefque
irritée que ce mal vous tourmente encore.
Par grace , daignez en guérir . Il feroit
honteux que vous n'en euffiez point le
courage. Oui , Monfieur , j'afpire à votre
eftime , & non pas à votre coeur , & je ne
pourrois me difpenfer de renoncer à l'une
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
fi vous vous obſtiniez à m'offrir l'autre.
Et moi , répondit tendrement Terlieu ,
je veux les acquérir toutes deux. Ne féparons
point deux fentimens qui ne peuvent
fubfifter l'un fans l'autre : leur réunion fera
votre bonheur & le mien. Ah , Roſalie
nous fommes dignes de le goûter long - tems,
fi nous fommes capables de les concilier.
Belles fpéculations , repliqua t- elle , qui
prouvent bien que vous m'aimez , mais qui
ne me raffurent point fur la crainte de l'avenir
! Je le dis fans rougir , j'ai entendu
tant de fois de ces propos , tant de femmes
en ont été les victimes qu'il eft téméraire
d'y ajouter foi . Dans l'emportement de la
paffion , les promeffes ne coutent rien , on
ne croit pas même pouvoir y manquer ; &
puifque les mépris , les dégouts fe font !
fentir dans les mariages affortis par l'égalité
des conditions , & par la pureté reciproque
des moeurs , que ne dois-je point
redouter de l'union que vous me propofez?
vous en rougiriez bientôt vous -même , la
haine fuccéderoit au repentir , & je tarde-
Bois peu à fuccomber fous le poids de l'honneur
que vous m'auriez fait . Croyez- moi ,
Monfieur , ne nous expofons point à des
peines inévitables . Qu'il nous fuffife que
l'on fçache que Terlieu pénétré de reconnoiffance
pour Rofalie lui a offert une
AOUST. 1755 35
main qu'elle a eu le refpect de ne point accepter.
Un trait de cette nature nous fera
bien plus glorieux qu'une témérité qui
peut
faire mon malheur en vous couvrant
de honte. Que mon refus , je vous prie ;
ne vous afflige point. Laiffez- moi jouir
d'une fenfibilité plus noble mille fois que
le retour que vous pourriez efpérer de la
foibleffe de mon coeur. Souffrez que je
m'en tienne au bonheur de vous obliger ,
& comptez qu'il me fera bien plus doux
de le faire par fentiment que par devoir.
Non , Rofalie , reprit Terlieu , votre
refus entraîne néceffairement le mien. Le
titre d'époux peut feul me faire accepter
vos bontés. Vos craintes fur l'avenir m'ou '
tragent ! Ah ! bien loin de m'aimer , vous
ne m'eftimez pas , la pitié eſt le feul fentiment
qui vous parle en ma faveur. Adieu ,
je vous quitte plus malheureux encore que
lorfque j'ai commencé à vous connoître ;
j'avois un défefpoir de moins dans le coeur.
Terlieu fe leva en fixant tendrement
Rofalie , fit un foupir en couvrant fon viſage
avec fes mains , & alla fe jetter dans fa
petite chambre. Il n'y fut pas long tems
Rofalie le coeur ferré de la douleur la plus
vive , fonna pour avoir du fecours. Elle
en avoit un befoin réel. Sa femme de
chambre la trouva dans un étouffement
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
affreux & fans connoiffance. Elle donna
un peu de jour à fa refpiration , elle la traîna
de fon mieux fur une ducheffe , & après
l'avoir queftionnée à plufieurs repriſes ,
elle n'en put tirer que ces paroles : ah Terlieu
, Terlieu ! cette exclamation , quoique
inconcevable pour elle , la détermina à
l'aller prier de venir voir Rofalie . Ilentre ,
la trouve pâle , les yeux éteints , & preſque
auffi foible qu'elle , il tombe à fes genoux ,
il prend une de ſes mains qu'il baigne de
fes larmes : elle entr'ouvre un oeil languiffant
, & d'une voix qui expiroit fur fes lévres
, voilà , dit- elle , l'état où me réduifent
la dureté de vos refus , & les aveux
d'une paffion qu'il eft honteux pour vous
de reffentir. Monfieur , continua t- elle ,
ne me voyez plus , & fi vous prenez quelque
intérêt à mon repos , à ma fanté , ne
ne vous obftinez plus à me refufer la fatisfaction
fecrette que j'exige de vous. Dans
huit jours je ne ferai plus à Paris , & puifqu'il
eft indifpenfable que nous nous féparions
, laiffez - moi acquérir le droit de m'informer
de l'état de vos affaires , laiffez- moi
enfin acheter l'honneur d'être dans votre
fouvenir.
Si l'état où je vous vois , repliqua Terlieu
, m'accabloit moins , je vous le dis ,
Rofalie , je ne pourrois peut- être me conAOUST
. 1755 37
tenir. Quoi , vous avez la cruauté de m'annoncer
qu'il faut que je renonce au ſeul
bien qui me refte ? dans huit jours je ne
vous verrai plus ! non , il n'eft pas poffible
que je ceffe de vous voir : quelque retraite
que vous choififfiez , je fçaurai vous y découvrir
; je fçaurai y porter un amour que
vous vous lafferez peutêtre de rebuter. La
voilà , dirai-je , cette Rofalie , cet affemblage
refpectable , de grandeur , de foibleffe
! Hélas , elle ne m'a pas jugé digne
de l'accompagner , & de la guider dans le
fentier de la vertu , elle ne m'a pas jugé
digne de vivre heureuſement & vertueufement
avec elle . Me fera-t-il permis au
moins , continua- t- il , d'un ton paffionné ,
& en reprenant une main qu'on n'eut pas
la force de retirer , de jouir pendant le peu
de temps que vous refterez à Paris , du
bonheur de vous voir ce fera , n'en doutez
point , les feuls beaux jours de ma vie.
Il ne tiendroit qu'à vous d'en prolonger le
cours & la félicité ; mais vous l'avez déci
dé , & vous voulez que je vive éternellement
malheureux .
Retirez- vous , dir Rofalie à fa femme
de chambre , je me fens mieux , & foyez
difcrette , je vous prie. Comment , Monfieur
, continua- t - elle , vous voulez tout
obtenir , & vous n'accordez rien ? oui ,
vous ferez le maître de me voir , & vous
8 MERCURE DE FRANCE.
fçaurez le nom du lieu où je vais fixer mom
féjour , mais c'eſt à une condition ; & s'il
eft vrai que vous m'aimiez , je veux me
prévaloir de l'afcendant qu'une maitreſſe
eft en droit de prendre fur fon amant . Vous
allez me traiter de bizarre , d'opiniâtre :
hé , dites- moi , Monfieur , qui de nous
deux l'eft d'avantage ? je fuis laffe de prier,
il est temps que je commande. Ceton ,
vous paroît fingulier ; je conviens qu'il
tient un peu du dépit je l'avoue , ceci
commence à me fatiguer , à me tourmenter.
Finiffons par un mot fans replique. Voilà.
ma bourfe ; ce qu'il vous plaira d'y prendre
déterminera en proportion la confiance
que vous voulez que j'aye en vous , l'eftime
que je dois faire de votre perfonne ,
& le dégré de votre amour pour moi.
Hé , je la prens toute entiere , s'écria
Terlieu en la faififfant des deux mains .
Et moi , reprit Rofalie , je vous embraffe.
Oui , mon cher Terlieu , vous m'aimez
, j'ai triomphé de votre orgueil. Ne
prenez point cette faillie pour un emportement
de tendreffe , elle eft née dans la:
joie involontaire de mon ame , & non pas
dans les tranfports d'une paffion infenfée .
Terlieu fe retira , le coeur trafporté de
joie , & de la plus flatteufe efpérance , &
Rofalie charmée d'être parvenue à contenter
fon inclination bienfaifante , s'occupa
A OUST . 1755.
39
une partie de la nuit du deffein de fa re
traite , & des mefures néceffaires à fon
départ. Le lendemain elle fortit fur les
neuf heures du matin pour aller conclure
l'acquifition d'une terre . Elle dîna , & ſoupa
avec Terlieu , elle affecta pendant toute
la journée une fatisfaction & une gaieté qui
ne laifferent à fon amant aucun foupçon
du deffein qu'elle avoit pris de partir à la
pointe du jour. Quelle accablante nouvelle
pour Terlieu , lorfqu'il apprit le départ de
Rofalie ! Il faut avoir aimé pour bien fentir
l'état d'un coeur qui eft privé de l'objet
qu'il adore. Tous les maux raffemblés ne
font rien en comparaifon. C'eft la fecouffe
la plus violente que l'ame puiffe recevoir
& c'eft la dernière épreuve de la fermeté
humaine. Terlieu abbattu & prefque ftupide
, alloit fuccomber fous le poids de fa
douleur , lorfqu'il lui fut remis un billet
de la part de Rofalie. Hélas , il ne fit qu'ajouter
à fes tourmens . Il l'ouvre en frémiffant
, & lit , .....
*
Monfieur , renfermons- nous , je vous
prie , dans les bornes d'une pure amitié.
»J'ai dû fuir , & c'eft l'eftime que je vous
dois qui a précipité mon départ . Vous
» me ferez toujours cher , vous recevrez
» de mes nouvelles ; je ne fuis point faite
»pour oublier un homme de votre mérite ..
» Encore une fois tenons- nous- en aux en40
MERCURE DE FRANCE.
" gagemens de la plus inviolable amitié
" c'eft le feul fentiment qui puiffe nous
» convenir , & c'eft celui qui me fait pren-
» dre la qualité de votre meilleure amie.
Rofalie .
Ah cruelle , s'écria Terlieu ! vous fuyez,
vous m'abandonnez ! & vous ne me laiffez
pour reffource que les offres d'une froide
& triſte amitié ! non , Rofalie , elle ne
peut fuffire à mon coeur. Mais que dis je
hélas ! vous ne m'aimez point . Cette tranquillité
, cette joie dont vous jouiffiez hier
à mes yeux , ne me prouvent que trop que
je vous fuis indifférent. Que j'étois crédule!
que j'étois aveugle de les interpréter en ma
faveur ! Amant trop préfomptueux , je les
ai prifes pour des marques de la fatisfaction
que vous reffentiez d'être fûre de mon
coeur. Quel étrange compofé que votre caractere
! vous avez l'ame généreufe , noble;
des vertus réelles me forcent à vous admirer
, je ne puis réfifter à l'impreffion qu'elles
font fur moi , elles y font naître la paffion
la plus tendre , la plus refpectable , je
crois recevoir des mains de votre amour
les bienfaits dont vous me comblez , &
vous partez ! j'ignore où vous êtes ! Dieu !
fe peut - il qu'un coeur qui. m'a paru auffi
franc , auffi fincere , ait pu être capable
d'une diffimulation auſſi réfléchie , auffi
A OUST . 1755. 41
perfide. Vous partez ! ..... & vous ne me
laiſſez que le repentir , & la honte d'avoir
fuccombé aux inftances de votre indigne
générofité. Oui , je fçaurai vous découvrir,
je fçaurai répandre à vos pieds ce que contient
cette bourfe infultante , .... je fçaurai
mourir à vos yeux.
Il s'habille à la hâte , il alloit fortir lorf
qu'on vint frapper à fa porte. Il ouvre , il
voit un homme qui lui demande s'il n'a
pas l'honneur de parler à M. de Terlieu .
C'est moi -même , répondit- il fechement
mais pardon , Monfieur , je n'ai pas le
temps de vous entendre. Monfieur , repliqua
l'inconnu , je ne vous importunerai
pas longtems , je n'ai befoin que de votre
fignature , vous avez acquis une terre , en
voici le contrat de vente , & il eft néceffaire
que votre nom figné devant moi , en conftate
la validité. Que voulez - vous dire ,
reprit Terlieu ? ou vous êtes fou , ou je
rêve. Monfieur , dit l'inconnu , je fuis
Notaire ; il n'y a guerres de fous dans ma
profeffion. Je vous protefte que vous êtes
trés-éveillé , & qu'un acte de ma façon n'a
point du tout l'air d'un rêve. Ah , Rofalie,
s'écria Terlieu ! C'eft elle-même , reprit le
Notaire. Voici une plume , fignez . Non ,
Monfieur , répondit Terlieu , je ne puis
m'y réfoudre , remportez votre acte , &
dites-moi feulement où eft fituée cette terre.
42 MERCURE DE FRANCE.
C'eft préciſement , répliqua le Notaire , ce
qui m'eft défendu , & vous ne pourrez en
être inftruit qu'après avoir figné. Allons
donc , reprit Terlieu en verfant un torrent
de larmes , donnez cette plume . Voilà qui
eft à merveille , dit le Notaire , & voici
une expédition de l'acte. Vous pouvez
aller prendre poffeffion quand vous le
jugerez à propos. Adieu , Monfieur , je
vous fouhaite un bon voyage ; faites , je
vous prie , mes complimens à l'inimitable
Rofalie. Ah , Monfieur , reprit Terlieu en
le reconduifant , elle ne tardera gueres à
les recevoir.
Son premier foin fut de chercher dans
l'acte qui venoit de lui être remis le nom
de la province , & du lieu dont Rofalie
avoit pris le chemin ; il alla tour de fuite
prendre des chevaux de pofte. Qu'ils alloient
lentement felon lui ! après avoir
couru , fans prendre aucun repos pendant
trente- fix heures , il arriva prefqu'en même
temps que Rofalie. Quoi , c'est vous ? lui
dit-elle en fouriant , que venez -vous faire
ici ? vous rendre hommage de ma terre ,
répondit- il , en lui baifant la main , en
prendre poffeffion , & époufer mon amie.
Je ne vous attendois pas fitôt , reprit- elle ,
& j'efpérois que vous me laifferiez le temps
de rendre ce féjour plus digne de vous recevoir.
Hé , que lui manque-t-il pour me
A OUST. 43 1755 .
plaire , pour m'y fixer , repliqua- t- il , vous
y êtes , je n'y vois , & je n'y verrai jamais
que ma chere Rofalie . J'ai de l'inclination
à vous croire , lui dit-elle , en le regardant
tendrement , & mon coeur , je le fens , auroit
de la peine à fe refufer à ce que vous
lui infpirez ; il eft prêt à fe rendre à vos
defirs . Mais encore une fois , mon cher
Terlieu , interrogez le vôtre , ou pour
mieux dire , écoutez les confeils de votre
raifon. Nepouvons- nous vivre fous les loix
de l'amitié? & ne craignez- vous point que
celles de l'hymen n'en troublent la pureté ,
n'en appéfantiffent le joug ? Et cette terre ,
repliqua- t-il , peut- elle m'appartenir , fi je
n'acquiers votre main ? D'ailleurs , y fongez-
vous , Rofalie ? je vivrois avec vous ,
& je n'aurois d'autre titre pour jouir de ce
bonheur que celui de l'amitié ? Penſezvous
que la médifance nous épargnât en
vain nous vivrions dans l'innocence , la
calomnie , cette ennemie irréconciliable
des moeurs les plus chaftes , ne tarderoit
pas à fouiller la pureté de notre amitié
& elle y fuppoferoit des liens qui nous
deshonoreroient. Mais enfin , reprit Rofalie
, à quels propos , à quelles indignes
conjectures ne vous expofez- vous point ?
on dira que Terlieu n'ayant pû foutenir le
poids de fon infortune , a mieux aimé re
44 MERCURE DE FRANCE .
chercher la main de Rofalie que de lan
guir dans une honorable pauvreté. Vains
difcours , s'écria Terlieu , qui ne peuvent
m'allarmer ! venez , répondrai - je , à la malignité
, à l'orgueil ; venez , fi vous êtes
capables d'une légitime admiration , reconnoître
en Rofalie un coeur plus noble , une
ame plus pure que les vôtres . Vous n'avez
que l'écorce des vertus , ou vous ne les pratiquez
que par oftentation , & Rofalie en
avouant fes égaremens a la force d'y renoncer
, & les épure par le repentir , par
la bienfaifance. Apprenez vils efclaves de
la vanité que la plus fage des bienséances
eft de s'unir avec un coeur qu'on eſt fûr
d'eftimer , & que le lien d'une reconnoiffance
mutuelle eft le feul qui puiffe éternifer
l'amour. Je ne réfifte plus , reprit Rofalie
, je me rends à la jufteffe de vos raifons
, & plus encore à la confiance que la
bonté , que la nobleffe de votre coeur ne
ceffent de répandre dans le mien : le don
que je vous ferai de ma main n'approchera
jamais du retour que j'en efpere .
Terlieu & Rofalie allerent fe jurer une
fidélité inviolable aux pieds des autels , où
au défaut de parens , tous les pauvres des
environs leur fervirent de témoins , de famille
, & en quelque façon de convives ,
puifqu'ils partagerent la joie des deux
A OUST. 1755 45
époux à une table abondante qui leur fut
fervie. Terlieu & Rofalie goûtent depuis
long- temps les délices d'une flâme fincere.
Leur maison eft le féjour des vertus . Ils en
font les modeles. On les cite avec éloge ,
on les montre avec admiration , on fe fait
honneur de les voir , on les écoute avec
reſpect , & , comme partout ailleurs , pref
que perfonne n'a le courage de les imiter.
Hiftoire véritable , par M.Y....
L'celle d'être odieux quand il n'a point
E vice n'eft jamais eftimable , mais il
:
étouffé les qualités de l'ame. Une foiblefle
de coeur prend auffi fouvent fon origine
dans une certaine facilité d'humeur que
dans l'attrait du plaifir. Un amant fe préfente
, ou il eft enjoué , ou il eft homie à
fentiment. Le premier eft le moins dangereux
, il ne féduit jamais qu'une étourdie ,
& il ne triomphe que dans une faillie téméraire
Le fecond , plus refpectueux en
apparence , va à fon but par la délicateſſe
vante fa conftance, déclame contre les perfides,
& finit par l'être. Que devient une jeune
perfonne qui dans l'ivreffe de la gaieté
s'eft laiffée furprendre , ou qui eft tonbée
dans le piége d'une paffion décorée extérieurement
par le fentiment ? ce que font prefque
toutes celles qui ont débuté par une
fragilité ; elles fe familiarifent avec le vice ,
elles s'y précipitent ; l'amour du luxe & de
l'oifeveté les y entretient ; elles ont des
modeles , elles veulent y atteindre ; incapables
d'un attachement fincere elles en
AOUS T 1755. 9.
affectent l'expreffion , elles ont été la dupe
d'un homme , & elles fe vengent fur
toute l'efpece. Heureufes celles dont le
le coeur n'eft point affez dépravé pour fe
refufer aux inftances de la vertu qui cherche
à y rentrer .
Telle étoit Rofalie , elle étoit galante
avec une forte de décence . Ses moeurs
étoient déréglées , mais elle fçavoit louer
& admirer la vertu . Ses yeux pleins de
douceur & de vérité annonçoient fa franchife.
On entrevoyoit bien dans fa démarche
, dans fes manieres le manege de
la coquetterie , mais fon langage étoit modefte
, & elle ne s'abandonna jamais à ces
intempérances de langue , qui caractériſent
fi baffement fes femblables. Fidele à fes
engagemens , elle les envifagea toujours
comme des liens qu'elle ne pouvoit rompre
fans ingratitude , & les conventions
faites , l'offre la plus éblouiffante n'auroit
pû la déterminer à une perfidie.
Elle ne fut jamais parjure la premiere.
Son coeur plus fenfible à la reconnoiffance
qu'à l'amour , étoit incapable de fe laiffer
féduire à l'appas de l'intérêt & aux charmes
de l'inconftance . Solitaire , laborieuſe ,
fobre , elle eût fait les délices d'un mari ,
fi une premiere foibleffe ne l'eût en quelque
façon fixée à un état dont elle ne
A v
To MERCURE DE FRANCE.
pouvoit parler fans rougir. Affable , compatiffante
, généreufe , elle ne voyoit ja→
mais un malheureux fans lui tendre une
main fecourable ; & quand on parloit de
fes bienfaits , on difoit que le vice étoit
devenu tributaire de la vertu . Des lectures
fenfées avoient ranimé dans fon coeur les .
germes d'un beau naturel . Elle y fentoit
renaître le defir d'une conduite raifonnable
, elle vouloit fe dégager , & elle méditoit
même depuis long-tems une retraite
qui la fauvât de la honte d'avoir mal vécu ,
& du ridicule de mieux vivre , mais elle
avoit été arrêtée par un obftacle , elle avoit
voulu fe faire une fortune qui put la mettre
à l'abri des tentations qu'elle infpiroit , &
des offres des féducteurs : enfin elle vouloit
être vertueufe à fon aife ; elle ambitionnoit
deux cens mille francs , & par
dégrés elle étoit parvenue à les avoir. Contente
de ce que la fortune & l'amour lui
avoient procuré , elle avoit congédié fon
dernier amant , elle fe préparoit à fuir loin
de Paris les occafions d'une rechûte.
Ce fut alors qu'un jeune Gentilhomme
nommé Terlieu , vint loger dans une petite
chambre qui étoit de plain pied à l'appartement
qu'elle occupoit. Il fortoit tous
les jours à fept heures du matin , il rentroit
à midi pour fe renfermer , & il borA
O UST. 1955. 11
noit à une révérence muette fon cérémonial
avec fa voifine. La fingularité de la
vie de ce jeune homme irrita la curiofité
de Rofalie. Un jour qu'il venoit de rentrer
, elle s'approche de la porte de fa
chambre , prête l'oreille , porte un regard
fur le trou de la ferrure , & voit l'infortuné
Terlieu qui dînoit avec du pain
fec , chaque morceau étoit accompagné
d'un gémiffement , & fes larmes en fai
foient l'affaifonnement. Quel fpectacle
pour une ame fenfible ! celle de Rofalie
en fut pénétrée de douleur . Dans ce mo
ment une autre avec les vûes les plus pures ,
eût été peut-être indiferette , elle fe für
écriée , & généreufement inhumaine elle
eût décelé la mifere de Terlieu ; mais Rofalie
qui fçavoit combien il eft douloureux
d'être furpris dans les befoins de l'indigen
ce, rentra promptement chez elle pour y attendre
l'occafion d'être fecourable avec le
refpect qu'on doit aux infortunés. Elle épia
le lendemain l'inftant où Terlieu étoit dans
l'habitude de fe retirer , & pour que fon
deffein parut être amené par le hazard
elle fit tranfporter fon métier de tapifferie
dans fon anti- chambre , dont elle eur
foin de tenir la porte ouverte.
Terlieu accablé de fatigue & de trifteffe
parur à fon heure ordinaire , fit fa révé-
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
rence , & alloit fe jetter dans l'obfcurité
de fa petite chambre , lorfque Rofalie ,
avec ce ton de voix aifé & poli , qui eſt
naturel au beau fexe , lui dit : En vérité ,
Monfieur , j'ai en vous un étrange voifin ;
j'avois penfé qu'une femme , quelle qu'elle
fût, pouvoit mériter quelque chofe par-delà
une révérence. Ou vous êtes bien farouche
, ou je vous parois bien méprifable . Si
vous me connoiffez , j'ai tort de me, plaindre
, & votre dedain m'annonce un homme
de la vertu la plus fcrupuleuſe , & dèslors
j'en réclame les confeils & les fecours.
Seroit-ce auffi que cette févérité que je lis
fur votre front prendroit fa caufe de quelque
chagrin qui vous accable ? Souffrez
que je m'y intereffe. Entrez , Monfieur , je
Vous fupplie : que fçavons- nous fi le fort
ne nous raffemble point pour nous être
mutuellement utiles ? je fuis feule , mon
dîner eft prêt , faites moi , je vous conjure
, l'honneur de le partager avec moi :
j'ai quelquefois un peu de gaieté dans
l'efprit , je pourrai peut-être vous diffiper.
Mademoiſelle , répondit Terlieu , vous
méritez fans doute d'être connue , & l'accueil
dont vous m'honorez ,, annonce en
vous un beau caractere. Qui que vous
foyez , il m'eft bien doux de trouver quel
1
1
A O UST . 1755. 13
qu'un qui ait la générofité de s'appercevoir
que je fuis malheureux . Depuis quinze
jours que je fuis à Paris , je ne ceffe
d'importuner tous ceux fur la fenfibilité
defquels j'ai des droits , & vous êtes la
premiere perfonne qui m'ait favorisé de
quelques paroles de bienveillance . N'imputez
point de grace , Mademoiſelle , ni
à orgueil ni à mépris ma négligence à votre
égard : fi vous avez connu l'infortune ,
vous devez fçavoir qu'elle eft timide . On
fe préfente de mauvaife grace , quand le
coeur eft dans la peine. L'affliction appéfantit
l'efprit , elle défigure les traits , elle
dégrade le maintien , & elle verſe une
efpece de ridicule fur tout l'extérieur de
la perfonne qui fouffre . Vous êtes aimable
, vous êtes fpirituelle , vous me paroiffez
dans l'abondance ; me convenoit- il
de venir empoifonner les douceurs de votre
vie ? Si vous êtes généreufe , comme
j'ai lieu de le croire , vous auriez pris part
à mes maux je vous aurois attriftée .
Monfieur , répliqua Rofalie , je ne fuis
point affez vaine pour me flater du bonheur
de vous rendre fervice , mais je puis
me vanter que je ferois bien glorieufe fi
je pouvois contribuer à vous confoler , à
vous encourager. J'ai de grands défauts ,
mes moeurs ne font rien moins que régu14
MERCURE DE FRANCE.
lieres , mais mon coeur eft fenfible au fort
des malheureux ; il ne me refte que cette
vertu ; elle feule me foutient , me ranime ,
& me fait efperer le retour de celles que
j'ai négligées. Daignez , Monfieur , par
un peu de confiance , favorifer ce préfage.
Que rifquez- vous ? vos aveux ne feront
fûrement pas auffi humilians que les miens,
& cependant je vous ai donné l'exemple
d'une fincérité peu commune. Je ne puis
croire que ce foit votre mauvaiſe fortune
qui vous afflige. Avec de l'efprit , de la
jeuneffe , un extérieur auffi noble , on
manque rarement de reffources . Vous foupirez
? c'est donc l'honneur , c'est donc la
crainte d'y manquer , ou de le perdre qui
caufe la confternation où je vous vois.
Oui , cette peine eft la feule qui puiffe
ébranler celui qui en fait profeflion.
Voilà , s'écria Terlieu avec une forte
d'emportement , voilà l'unique motif de
mon défeſpoir , voilà ce qui déchire
mon coeur , voilà ce qui me rend la vic
infupportable . Vous defirez fçavoir mon
fecret , je ne réfifte point à la douceur
de vous le confier ; apprenez donc que
je n'ai rien , apprenez que je ne puis
fubfifter qu'en immolant aux befoins de
la vie cethonneur qui m'eft fi cher. Je fuis
Gentilhomme , j'ai fervi , je viens d'être
réformé je follicite , j'importune .... &
A O UST. 1755. 15
qui ! des gens qui portent mon nom , des
gens qui font dans l'abondance , dans les
honneurs , dans les dignités . Qu'en ai - je
obtenu ? des refus , des défaites , des dédains
, des hauteurs , le croirez - vous , Mademoiſelle
, le plus humain d'entr'eux ,
fans refpect pour lui- même , vient d'avoir
l'infolence de me propofer un emploi dans
les plus baffes fonctions de la Finance ! le
malheureux fembloit s'applaudir de l'indigne
faveur qu'il avoir obtenue pour moi .
Je l'avouerai , je n'ai pû être maître de
mon reffentiment. Confus , outré , j'ai déchiré
& jetté au vifage de mon lache bienfaiteur
le brevet humiliant qu'il a ofé me
préſenter. Heureux au moins d'avoir appris
à connoître les hommes , plus heureux
encore fi je puis parvenir à fuir , à
oublier , à détefter des parens qui veulent
que je deshonore le nom qu'ils portent. Je
fçais bien que ce n'eft point là le ton de
l'indigence ; que plus humble , plus modefte
, elle doit fe plier aux circonftances ;
que la nobleffe eft un malheur de plus
quand on eft pauvre , qu'enfin la fierté
eft déplacée quand les reffources de la vie
manquent. J'ai peut- être eu tort de rejetter
celles qui m'ont été offertes . J'avouerai
même que mon orgueil eut fléchi fi j'euffe
pû envifager dans l'exercice d'un pofté de
16 MERCURE DE FRANCE.
quoi fubfifter un peu honnêtement ; mais
s'avilir pour tourmenter laborieufement
les autres ; ah ! Mademoiſelle , c'eſt à quoi
je n'ai pû me réfoudre .
Monfieur , reprit Rofalie , je ne fçais fi
je dois applaudir à cette délicateffe , mais
je fens que je ne puis vous blâmer. Votre
fituation ne peut être plus fâcheufe .
Voici quelqu'un qui monte , remettezvous
, je vous prie , & tachez de vous
rendre aux graces de votre naturel ; il n'eft
pas convenable qu'on life dans vos yeux
l'abattement de votre coeur : fouffrez que
je me réſerve ſeule le trifte plaifir de vous
entendre , & de vous confoler . Ah ! c'eſt
Orphife , continua Rofalie fur le ton de la
gaieté , approche mon amie & félicitemoi
.... & de quoi , répliqua Orphife en
l'interrompant , eft- ce fur le parti fingulier
que tu prens d'abandonner Paris à la fleur
de ton âge , & d'aller te confiner en prude
prématurée dans la noble chaumiere dont
tu médites l'acquifition ? mais vraiment
tu vas embraffer un genre de vie fort attrayant.
Fort bien , répondit Rofalie , raille
, diverti- toi mais tes plaifanteries ne
me détourneront point du deffein que j'ai
pris. Je venois cependant te prier d'un
fouper.... Je ne foupe plus que chez moi ,
répliqua Rofalie. Mais toi - même tu me
?
}
AOUS T. 1755. 17
paroiffois déterminée à fuivre mon exemple.
C'étoit , répodit Orphiſe dans un accès
d'humeur , j'extravaguois. Une nouvelle
conquête m'a ramenée au fens commun.
Tant pis .... Ah ! point de morale.
Dînons. On fervit.
Pendant qu'elles furent à table , Orphiſe
parla feule , badina Rofalie , prit Terlicu
pour un fot , en conféquence le perfifa.
Pour lui il mangea peu : éroit- ce faute
d'appétit non , peut être ; mais il n'ofa
en avoir. Le caffé pris , Orphife fit fes
adieux , & fe recommanda ironiquement
aux prieres de la belle pénitente .
Rofalie débarraffée d'une visite auffi
choquante qu'importune , fit paffer Terlieu
dans fon fallon de compagnie. Après
un filence de quelques inftans , pendant
lequel Terlieu , les yeux baiffés , lui ménageoit
le plaifir de pouvoir le fixer avec
cette noble compaffion dont fe laiffent
toucher les belles ames à l'afpect des infor
tunés ; elle prit la parole , & lui dit ,
Monfieur , que je vous ai d'obligation ! la
confiance dont vous m'avez honorée , eft
de tous les événemens de ma vie celui qui
m'a le plus flatée , & l'impreffion qu'elle
fait fur mon coeur me caufe une joie ....
Pardonnez -moi ce mot, celle que je reffens
ne doit point vous affliger , elle ne peut
18 MERCURE DE FRANCE.
vous être injurieufe , je ne la tiens que
du bonheur de partager vos peines. Oui ,
Monfieur , ma fenfibilité pour votre fituation
me perfuade que j'étois née pour
la vertu ; mais que dis-je ? A quoi vous
peut être bon fon retour chez moi , fi
vous ne me croyez digne de vous en donner
des preuves. Vous rougiffez : hélas ,
je vois bien que je ne mérite point cette
gloire , foyez , je vous prie , plus génćreux
, ou du moins faites- moi la grace de
penfer qu'en me refufant vous m'humiliez
d'une façon bien cruelle.
• Vous êtes maîtreffe de mon fecret , répondit
Terlieu , ne me mettez point dans
Je cas de me repentir de vous l'avoir confié
: je ne m'en défends point , j'ai trouvé
quelques charmes à vous le révéler ; j'avouerai
même que mon coeur avoit un befoin
extrême de cette confolation : il me
femble que je refpire avec plus de facilité .
Je vous dois donc , Mademoiſelle , ce
commencement de foulagement ; c'est beaucoup
de fouffrir moins , quand on a beaucoup
fouffert. Permettez que je borne à
cette obligation toutes celles que je pourrois
efperer de votre générofité. Ne mefufez
point , je vous prie de la connoiffance
que vous avez de mon fort ; il ne
peut être plus cruel , mais je fçaurai le
-
AOUST. 1755. 19
fupporter fans en être accablé . C'en eft fair,
je reprens courage ; j'ai trouvé quelqu'un
qui me plaint. Au refte , Mademoiſelle ,
je manquerois à la reconnoiffance fi je
renonçois entierement à vos bontés ; &
puifque vous me permettez de vous voir ,
je viendrai vous inftruire tous les jours de
ce que mes démarches & mes follicitations
auront opéré je recevrai vos confeils
avec docilité , mais auflì c'est tout ce
qu'il vous fera permis de m'offrir , autrement
je cefferois .... N'achevez pas , répliqua
Rofalie en l'interrompant , je n'aime
point les menaces. Dites - moi , Monfieur
, eft-ce que l'infortune rend les hommes
intraitables ? eft - ce qu'elle répand
fur les moeurs , fur les manieres , une inquiétude
fauvage : eft- ce qu'elle prête au
langage de la féchereffe , de la dureté ?
s'il eft ainfi , elle eft bien à redouter. N'eftpas
vrai que vous n'étiez point tel dans
la prospérité ? vous n'euffiez point alors
rejetté une offre de fervice .
il
J'en conviens , répondit Terlieu , j'euſſeaccepté
parce que je pouvois efperer de rendre
, mais à préfent je ne le puis en confcience.
Quant à cette dureté que vous
me reprochez , j'avouerai que je la crois
honorable , néceſſaire même à celui qui eft
dans la peine. Elle annonce de la fermeté ,
20 MERCURE DE FRANCE.
elle repouffe l'orgueil de ceux qui font
dans l'opulence , elle fait refpecter le miférable.
L'humilité du maintien , la modeftie
, la timidité du langage donneroient
trop d'avantage à ceux qui ne font que
riches ; car enfin celui qui rampe , court
les rifques d'être écrasé.
Et vous êtes , reprit Rofalie , dans l'appréhenfion
que je ne me prévale des aveux
que vous m'avez fait : oui , dans mon dépit
vous me faites imaginer des fouhaits
extravagants je l'efpere au moins , votre
mauvaife fortune me vengera , vos parens
font de monftres ... que je ferois contente
s'ils vous rebutoient au point que vous
fuffiez forcé d'avoir recours à cette Rofalie
que vous dédaignez , puifque vous ne
la croyez point capable de vous obliger
dans le fecret de fa confcience.
Sur le point de quitter Paris je voulois
en fortir en faifant une action qui pût.
tranquilifer mes remors , & m'ouvrir la
route des vértus que je me propofe ; le hazard
, ou pour mieux dire , le ciel permet
que je falfe votre connoiffance ; je
crois que vous m'êtes adreffé pour vous ,
être fecourable , & je ne trouve en vous
que la fierté la plus inflexible . Hé bien ,
n'y fongeons plus . Cependant puis- je vous
demander fi vous envifagez quelques refA
OU ST. 1755. 21
fources plus fateufes que celles que vous
pourriez efperer de votre famille ?
Aucune , répondit Terlieu , j'ai bien
quelques amis ; mais comme je ne les
tiens que du plaifir , je n'y compte point.
Quoi ! reprit Rofalie , le néceffaire eft
prêt de vous manquer ,
& vous vous
amufez à folliciter des parens : c'est bien
mal à propos que l'on prétend que la néceffité
eft ingénieufe ! N'auriez - vous de
l'efprit que pour refléchir fur vos peines ?
que pour en méditer l'amertume ? Allez
Monfieur , allez faire un tour de promenade
: rêvez , imaginez , faites même ce
qu'on appelle des châteaux en Eſpagne ; il
eft quelquefois des illufions que la fortune
fe plaît à réalifer : il eft vrai qu'elles fe
réduifent prefque toujours à des chimeres ,
mais elles exercent l'efprit , elles amufent
l'imagination , elles bercent les chagrins ,
& c'eft autant de gagné fur les réflexions
affligeantes. Je vais de mon côté me donner
la torture : heureufe fi je fuis affez ingénieufe
pour trouver quelque expédient
qui puiffe adoucir vos peines , & contenter
l'envie extrême que j'ai de contribuer
à votre bonheur !
Terlieu fe leva pour fortir , & Roſalie
en le reconduifant le pria de venir manger
le foir un poulet avec elle , afin de
22 MERCURE DE FRANCE.
raifonner , & de concerter enfemble ce
que leur auroit fuggeré leur imagination ;
mais pour être plus fûre de l'exactitude de
Terlicu au rendez - vous , elle lui gliffa
adroitement une bourfe dans fa poche.
Terlieu alla s'enfoncer dans l'allée la plus
folitaire du Luxembourg , il y rêva beaucoup
& très infructueufement.
Tous les hommes ne font point féconds
en reffources ; les plus fpirituels font ordinairement
ceux qui en trouvent le moins.
Les idées , à force de fe multiplier , fe confondent
; d'ailleurs on voit trouble dans
l'infortune .
Il n'eft que deux fortes d'induſtrie ; l'une
légitime , c'eft celle des bras , du travail ,
& le préjugé y a attaché une honte : Terlieu
étoit Gentilhomme , il n'a donc pû en
être exemt.
L'autre induftrie , nommée par dégradation
l'induſtrie par excellence , eft celle
qui s'affigne des revenus fur la fottife , la
facilité , les foibleffes & les paffions d'autrui
; mais comme elle eft incompatible
avec la probité , Terlieu en étoit incapable.
Il y avoit deux heures que cet infortuné
Gentilhomme tourmenté par fon inquiétude,
marchoit à grands pas en croyant
fe promener , lorfque fouillant fans deffein
dans fa poche , il y fentit une bourſe.
AOUST. 1755. 23
Cette découverte décida promptement fon
retour ; le moindre délai pouvoit , felon
lui , faire fuppofer de l'incertitude dans
fon procédé ; il craignoit qu'on ne le foup.
çonnâc même d'avoir combattu contre la
tentation.
Il arrive effoufflé , franchit rapidement
l'efcalier de Rofalie , il entre ; celle - ci qui
le voit hors d'haleine , ne lui donne pas le
tems de s'expliquer , & débute par une
queftion vague ; lui fans parler , jette la
bourfe fur une table ; Rofalie affecte une
furpriſe de fatisfaction , & lui fait compli
ment fur le bonheur qu'il a eu de trouver
un ami généreux . Terlieu protefte très -férieufement
qu'il n'a parlé à qui que ce
fort ; celle- ci infifte fur l'heureuſe rencontre
qu'il a faite , Terlieu fe fâche , il eft ,
dit-il , outragé , il jure qu'il ne reverra de
fa vie Rofalie , fi elle ne reprend un argent
qui lui appartient : Elle s'en défend ,
elle en nie la proprieté , elle ofe foutenir
qu'elle ne fçait ce qu'on veut lui dire ;
quelle rare effronterie ! elle eut peut - être
pouffé plus loin l'opiniâtreté , fi elle ne fe
fut avifée de rougir . Rofalie rougir . Quoi!
une fille qui a vécu dans le defordre fe
laiffe démentir par le coloris involontaire
de la franchife? Hé pourquoi non ! quand
le motif en eft fi beau . On rougit bien des
24 MERCURE DE FRANCE.
mage
premieres paroles d'obfcénité qu'on entend
, parce que le coeur eft neuf ; celui
de Rofalie reprend fa premiere pureté ,
elle a donc pu rougir d'un menfonge généreux
, & rendre en même tems cet homà
la vérité. La conviction étoit trop
claire pour que fon obftination put durer
plus long - temps ; elle reprit fa bourſe
avec un dépit fi brufque qu'elle lui échappa
des mains , & qu'elle alla frapper conire
une commode où elle s'ouvrit en répandant
fur le parquet une cinquantaine
de louis. Comme Terlieu fe mit en devoir
de les ramaffer , Rofalie lui dit d'un ton
ironique & piqué : Monfieur , ne prenez
point cette peine , je fuis bien aiſe de ſçavoir
fi le compte y eft : vous m'avez pouffée
à bout par votre peu de confiance en
moi , il eft jufte qu'à mon tour j'en manque
à votre égard .
Je fais trop de cas de cette colere
pour
m'en offenfer , reprit Terlieu , le fond
m'en paroît trop refpectacle
. Puis- je , con- tinua - t-il , fans vous irriter , vous avertir
que j'apperçois
dans ce coin quelques
louis qui ont échappé
à vos recherches
? Puis- je , répliqua
Rofalie fur le même
ton , fans vous irriter , vous annoncer
que
vous êtes des mortels le plus bizarre & le
plus haïffable
? Refferrerai
-je , continua-telle
A O UST. 1755. 25
elle d'une voix modefte & attendrie l'ar-:
gent de cet ami du Luxembourg. Oui ,
Mademoiselle , répondit Terlieu d'un ton
ferme , je vous prie de le lui rendre , & de
le remercier de ma part.
la
Ils alloient continuer ces débats de générofité
mutuelle , lorqu'on vint avertir
que le fouper étoit fervi ; au moins , Monfieur
, dit Rofalie , vous me ferez peut -être
grace de me tenir campagnie très-volontiers
, répondit Terlieu , il y a trop à
gagner pour moi , & voilà le feul cas où
il peut m'être permis de vous montrer que
j'entends mes intérêts ; bien entendu cependant
que vous aurez moins d'humeur.
Je m'y engage , reprit- elle , pourvû que je
puiffe vous gronder , fi vous ne penfez pas
à ma fantaifie. Allons promptement manger
un morceau , je fuis fort impatiente
d'apprendre à quoi auront abouti les rêveries
de votre promenade . Vous parlerez
le premier , après quoi je vous ferai part
de mes idées , & nous verrons qui de nous
deux aura faifi le meilleur expédient.
Pendant le tems qu'ils furent à table ;
Rofalie déploya toutes les graces de fon
efprit pour égayer Terlicu , mais avec la
délicateffe dont on doit uſer avec un coeur
fermé à la joie , & avec cette circonfpection
qui met en défaut la malignité atten-
B
26- MERCURE DE FRANCE.
tive des domeftiques. Le deffert fervi elle
les renvoya en leur ordonnant de ne point
entrer qu'elle n'eut fonné. Ils eurent beau
raifonner entr'eux ; l'extérieur de Terlieu ,
l'accablement où ils le voyoient , & plus
que cela encore , la médiocrité très - négligée
de fon ajuftement dérouterent leurs.
conjectures.
Monfieur , dit alors Rofalie en reprenant
la parole , nota voilà feuls , perfonne
ne peut nous entendre ; faites- moi.
part , je vous prie , de ce que vous avez,
imaginé. Je ſerai bien charmée ſi vous me
mettez dans le cas de vous applaudir , plus
encore fi je puis ajouter quelques réflexions
utiles à vos projets .... parlez donc.
grace.q
de
Hé ! que puis- je vous dire , répondit-il ,
finon que dans l'état où je fuis il ne m'eft
pas poffible de penfer. J'ai eu beau creufer
ma tête , il n'en eft rien forti qui ne fut dé
raifonnable , extravagant , au-deffous du
fens commun. Jugez , Mademoiſelle , de
la mifere d'un efprit retréci par
l'infortu
ne ; il n'a pu me procurer que la reffource
de m'expatrier en entrant au fervice de la
Compagnie des Indes : qu'en penfez- vous ?>
ce parti vous paroît- il fi ridicule ?
Non , Monfieur , reprit- elle , je yous y
exhorterai même , dès que vous m'aurez
L
A OUST. 1755. 27
promis de mettre eu ufage l'expédient que
je vais vous donner : écoutez -moi attentivement
, ne m'interrompez pas , & furtout
point de faillie d'orgueil. Votre famille
, je le fçais , jouit de toutes les diftinctions
que donne l'opulence , & qu'on
accorde à celles qui ont bien mérité du
Prince & de la patrie. Je conçois qu'elle
pourra vous refufer de nouveau les fecours
que vous êtes en droit d'en exiger , mais
je ne puis penfer qu'elle fouffrit que vous
vous deshonorafliez . C'eft fur cette délicateffe
que j'établis l'efpoir dont je me flate
pour vous , & j'ofe croire que vous arracherez
de la vanité de vos parens ce que
vos inftances ne pourroient obtenir de
leur bienveillance . Dès demain , Monfieur ,
retournez les voir ; qu'ils lifent fur votre
front ce que la douleur a de plus attendriffant
: priez , preffez , humiliez - vous
même , & ne rougiffez point d'employer
les expreffions les plus foumifes. Si vous
ne les touchez point , s'ils font impitoyables
, ofez leur dire , avec la fureur dans
les yeux , que vous allez prendre un parti
fi indigne du nom qu'ils portent , que l'opprobre
en rejaillira fur eux . Oui, Monfieur,
menacez-les....Non , je crois vous connoître
, vous n'en aurez jamais la force . Par
grace , M. de Terlieu , prenez fur vous
Bij
28. MERCURE DE FRANCE.
de proférer des paroles feules capables
d'effrayer vos parens , & d'intéreffer en
votre faveur , je ne dis pas leur fenfibilité ,
mais au moins leur orgueil.
Qu'allez -vous me propofer , répliqua
Terlieu avec agitation ? vous me faites
frémir.
Ne craignez rien , répondit Rofalie , ce
n'eft qu'une menace dont le but eſt d'allarmer
des gens qui n'auroient point encore
renoncé à l'honneur , qui conféquemment
peut faire un grand effet , mais dont
je ferai toujours bien loin de vous confeiller
, ni même d'en fouffrir l'exécution. Baiffez
les yeux , ne me regardez point de grace;
je ne pourrois mettre au jour mon idée
fi vous me fixiez . Dès que vous aurez épuifé
tout ce que l'éloquence du befoin a de plus
pathétique ; dès que vous aurez déſeſpéré
d'émouvoir vos indignes parens , ofez leur
dire que leur barbarie vous détermine à
profiter de la fenfibilité d'une fille qui a
vécu dans le défordre , que Rofalie plus
généreuse qu'eux , ne peut fouffrir qu'an
homme comme vous paffe fes jours dans
la mifere , que Rofalie , .. hélas ! elle n'eft
que trop connue , que Rofalie vous offre
de partager fa fortune , & que vous êtes
prêt de contracter avec elle un mariage......
Je n'acheve point ; ce fera à vous , MonAOUST.
1755. 29
fieur , à finir le tableau , & à y mettre une
expreffion , & des couleurs dignes du fujet.
Terlieu alors leva les yeux , & Rofalie y
vit un trouble , & quelques larmes qu'elle
ne fit as femblant d'appercevoir. Qu'avez-
vous ? continua-t- elle , vos regards
m'inqui tent , & je crains fort que l'expédient
que je viens de vous propofer ne
vous révolte ; mais enfin , s'il réuffiffoit
m'en fçauriez-vous mauvais gré ? que rifquez-
vous d'en hafarder l'épreuve ?
Un malheur nouveau qui acheveroit de
m'accabler , s'écria Terlieu , mes cruels
parens ne manqueroient point d'attenter à
votre liberté , & je ferois la caufe & le prétexte
d'une barbarie.
Hé ! Monfieur , reprit elle , courons - en
les rifques , fi cette violence peut rendre
votre fort plus heureux. La perte de la
liberté n'eft point un fi grand mal pour quiconque
eft déterminé à renoncer au monde.
D'ailleurs il fuffira à ma juftification ,
& à la vôtre que l'on fçache que ce n'étoit
qu'une rufe imaginée pour amener vos
parens à la néceffité de vous rendre fervice ;
& comme il fera de l'intérêt de votre honneur
de défavouer un bruit auffi ridicule ,
l'amour qu'on vous connoît pour la vérité ,
ne laiffera aucun doute & nous nous
trouverons juſtifiés tous les deux .
,
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Ah Rofalie , Rofalie ! répliqua Terlieu ,
en foupirant , terminons un entretien dont
les fuites deviendroient trop à craindre
pour moi. Je vous quitte pénétré d'admiration
, & peut-être d'un fentiment encore
plus intéreffant. Oui , je ferai ufage de vos
confeils ; je verrai demain ma famille .....
Mais hélas ! je ne fçai fi vous ne me faites
point defirer d'être rebuté de nouveau . Je
ne puis dire ce que mon coeur reffent , mais
il vous refpecte déja , & vraisemblablement
il ne fe refufera pas long-temps à ce
que la tendreffe a de plus féduifant.
Monfieur , reprit Rofalie , allez vous
repofer , vous avez befoin de rafraîchir
votre fang ; vous venez de me prouver
qu'il eft un peu échauffé. Je préfume que
le fommeil vous rendra votre raison , &
qu'à votre reveil , où vous rirez , où vous
rougirez du petit délire de la veille.
Fort bien , répliqua Terlieu en fouriant,
voilà un agrément de plus dans votre ef
prit , & vous entendez fupérieurement la
raillerie . Oui , Rofalie , je vais me retirer ,
mais avec la certitude de ne point dormir ,
& comptez que fi le fommeil me furprend,
mon imagination , ou pour mieux dice ,
mon coeur ne fera occupé que de vous.
Terlieu tint parole , il ne ferma point
l'oeil de la nuit , & cependant il ne la trouA
O UST. 1755: 31
va pas longue. Le jour venu , il fut incertain
s'il iroit de nouveau importuner fa
famille , ou s'il fuivroit le penchant d'une
paffion que le mérite de Rofalie avoit fait
naître en fon coeur , & que les réflexions
ou peut-être les illufions de la nuit avoient
fortifiée. Après avoir combattu quelque
tems entre ces deux partis , le foin de fa
réputation l'emporta fur un amour que fa
raifon plus tranquille lui repréfentoit malgré
lui fous un point de vûe un peu déshonorant
. Quelle fituation ? l'amour , la pauvreté
, defirer d'être aimé , d'être heureux ,
& n'ofer fe livrer à des penchans fi naturels
! Partez Terlieu , vous avez promis ,
& votre honneur exige que vous faffiez du
moins encore une démarche avant de fonger
au coeur de Rofalie.
La fortune ne le fervit jamais mieux
qu'en lui faiſant effuyer des dédains nouveaux
de la part de fa famille. Les prieres ,
les inftances , les fupplications qu'il eut le
courage d'employer , ne lui attirerent que
des rebuts , que des outrages. Ses parens imputerent
à fa baffefle les larmes qu'il verfa.
Outré , défefpéré , il mit en oeuvre fa derniere
reffource ; il leur peignit avec les
couleurs les plus effrayantes l'alliance dont
il les menaça de fouiller leur nom ; ce tableau
ne fit qu'ajouter au mépris dont ils
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
l'accablerent , & l'un d'eux en parlant au
nom de tous , & fans en être défavoué
par
un feul , eut la lâcheté de lui dire : hé >
Monfieur , concluez ; que nous importe la
femme que vous prendrez , pourvu qu'elle
nous débarraffe de votre vûe , & de vos
importunités. Au refte , nous vous défavouons
dès ce jour pour parent , & fi vous
avez le front d'ofer dire que vous nous appartenez
, nous fçaurons réprimer votre
infolence.
Et moi , Meffieurs , répliqua fierement
Terlieu , je le publierai partout , non pas
que je tienne à honneur d'être votre plus
proche parent , mais afin que perfonne n'ignore
que vous êtes plus indignes que moimême
du fang qui coule dans nos veines ,
& que fi je fuis réduit à le deshonorer , ce
font vos duretés qui m'y ont forcé. Adieu ,
Meffieurs , & pour toujours.
Terlieu courut promtement répandre
dans le fein de la généreufe Rofalie les
horreurs qu'il venoit d'entendre. C'en eft
fait , s'écria-t-il en entrant , je n'ai que
vous au monde , vous me tenez lieu d'amis
, de parens , de famille. Oui , Roſalie,
continua-t-il , en tombant à fes genoux ,
c'eft à vous feule que je veux appartenir ,
de vous feule je veux dépendre , & votre
coeur eft le feul bien que j'ambitionne.
AOUST. 1755. 33
Soyez , je vous conjure , magnanime au
point de croire que ce n'eſt pas l'extrémité
où je me trouve , qui me fait deficer le
bonheur de vous plaire : comptez qu'un motifauffi
bas eft trop au deffous de ce que vous
m'infpirez , & d'un coeur comme le mien.
Eh , vous ne méritez point que je vous
écoute , lui répondit , Rofalie , fi vous me
croyez capable d'un tel foupçon. Levezvous
, Monfieur , on pourroit vous furprendre
dans une attitude qu'il ne me convient
plus de fouffrir , on croiroit que je
la tolere , & elle feroit douter de la fincérité
du parti que j'ai pris de renoncer à mes
égaremens ..... Je voudrois , repliqua Terlieu
en l'interrompant , avoir mille témoins
de l'hommage que je vous rends , & je fuis
fûr qu'il n'en feroit pas un qui n'y applaudit
, fi je l'inſtruifois de la force des raifons
qui me l'arrachent , & des vertus que
j'honore en vous.
J'avois efpéré , reprit elle , que le fommeil
auroit diffipé le vertige qui vous trou
bloit hier au foir. Je fuis fâchée , & prefque
irritée que ce mal vous tourmente encore.
Par grace , daignez en guérir . Il feroit
honteux que vous n'en euffiez point le
courage. Oui , Monfieur , j'afpire à votre
eftime , & non pas à votre coeur , & je ne
pourrois me difpenfer de renoncer à l'une
Bv
34 MERCURE DE FRANCE .
fi vous vous obſtiniez à m'offrir l'autre.
Et moi , répondit tendrement Terlieu ,
je veux les acquérir toutes deux. Ne féparons
point deux fentimens qui ne peuvent
fubfifter l'un fans l'autre : leur réunion fera
votre bonheur & le mien. Ah , Roſalie
nous fommes dignes de le goûter long - tems,
fi nous fommes capables de les concilier.
Belles fpéculations , repliqua t- elle , qui
prouvent bien que vous m'aimez , mais qui
ne me raffurent point fur la crainte de l'avenir
! Je le dis fans rougir , j'ai entendu
tant de fois de ces propos , tant de femmes
en ont été les victimes qu'il eft téméraire
d'y ajouter foi . Dans l'emportement de la
paffion , les promeffes ne coutent rien , on
ne croit pas même pouvoir y manquer ; &
puifque les mépris , les dégouts fe font !
fentir dans les mariages affortis par l'égalité
des conditions , & par la pureté reciproque
des moeurs , que ne dois-je point
redouter de l'union que vous me propofez?
vous en rougiriez bientôt vous -même , la
haine fuccéderoit au repentir , & je tarde-
Bois peu à fuccomber fous le poids de l'honneur
que vous m'auriez fait . Croyez- moi ,
Monfieur , ne nous expofons point à des
peines inévitables . Qu'il nous fuffife que
l'on fçache que Terlieu pénétré de reconnoiffance
pour Rofalie lui a offert une
AOUST. 1755 35
main qu'elle a eu le refpect de ne point accepter.
Un trait de cette nature nous fera
bien plus glorieux qu'une témérité qui
peut
faire mon malheur en vous couvrant
de honte. Que mon refus , je vous prie ;
ne vous afflige point. Laiffez- moi jouir
d'une fenfibilité plus noble mille fois que
le retour que vous pourriez efpérer de la
foibleffe de mon coeur. Souffrez que je
m'en tienne au bonheur de vous obliger ,
& comptez qu'il me fera bien plus doux
de le faire par fentiment que par devoir.
Non , Rofalie , reprit Terlieu , votre
refus entraîne néceffairement le mien. Le
titre d'époux peut feul me faire accepter
vos bontés. Vos craintes fur l'avenir m'ou '
tragent ! Ah ! bien loin de m'aimer , vous
ne m'eftimez pas , la pitié eſt le feul fentiment
qui vous parle en ma faveur. Adieu ,
je vous quitte plus malheureux encore que
lorfque j'ai commencé à vous connoître ;
j'avois un défefpoir de moins dans le coeur.
Terlieu fe leva en fixant tendrement
Rofalie , fit un foupir en couvrant fon viſage
avec fes mains , & alla fe jetter dans fa
petite chambre. Il n'y fut pas long tems
Rofalie le coeur ferré de la douleur la plus
vive , fonna pour avoir du fecours. Elle
en avoit un befoin réel. Sa femme de
chambre la trouva dans un étouffement
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
affreux & fans connoiffance. Elle donna
un peu de jour à fa refpiration , elle la traîna
de fon mieux fur une ducheffe , & après
l'avoir queftionnée à plufieurs repriſes ,
elle n'en put tirer que ces paroles : ah Terlieu
, Terlieu ! cette exclamation , quoique
inconcevable pour elle , la détermina à
l'aller prier de venir voir Rofalie . Ilentre ,
la trouve pâle , les yeux éteints , & preſque
auffi foible qu'elle , il tombe à fes genoux ,
il prend une de ſes mains qu'il baigne de
fes larmes : elle entr'ouvre un oeil languiffant
, & d'une voix qui expiroit fur fes lévres
, voilà , dit- elle , l'état où me réduifent
la dureté de vos refus , & les aveux
d'une paffion qu'il eft honteux pour vous
de reffentir. Monfieur , continua t- elle ,
ne me voyez plus , & fi vous prenez quelque
intérêt à mon repos , à ma fanté , ne
ne vous obftinez plus à me refufer la fatisfaction
fecrette que j'exige de vous. Dans
huit jours je ne ferai plus à Paris , & puifqu'il
eft indifpenfable que nous nous féparions
, laiffez - moi acquérir le droit de m'informer
de l'état de vos affaires , laiffez- moi
enfin acheter l'honneur d'être dans votre
fouvenir.
Si l'état où je vous vois , repliqua Terlieu
, m'accabloit moins , je vous le dis ,
Rofalie , je ne pourrois peut- être me conAOUST
. 1755 37
tenir. Quoi , vous avez la cruauté de m'annoncer
qu'il faut que je renonce au ſeul
bien qui me refte ? dans huit jours je ne
vous verrai plus ! non , il n'eft pas poffible
que je ceffe de vous voir : quelque retraite
que vous choififfiez , je fçaurai vous y découvrir
; je fçaurai y porter un amour que
vous vous lafferez peutêtre de rebuter. La
voilà , dirai-je , cette Rofalie , cet affemblage
refpectable , de grandeur , de foibleffe
! Hélas , elle ne m'a pas jugé digne
de l'accompagner , & de la guider dans le
fentier de la vertu , elle ne m'a pas jugé
digne de vivre heureuſement & vertueufement
avec elle . Me fera-t-il permis au
moins , continua- t- il , d'un ton paffionné ,
& en reprenant une main qu'on n'eut pas
la force de retirer , de jouir pendant le peu
de temps que vous refterez à Paris , du
bonheur de vous voir ce fera , n'en doutez
point , les feuls beaux jours de ma vie.
Il ne tiendroit qu'à vous d'en prolonger le
cours & la félicité ; mais vous l'avez déci
dé , & vous voulez que je vive éternellement
malheureux .
Retirez- vous , dir Rofalie à fa femme
de chambre , je me fens mieux , & foyez
difcrette , je vous prie. Comment , Monfieur
, continua- t - elle , vous voulez tout
obtenir , & vous n'accordez rien ? oui ,
vous ferez le maître de me voir , & vous
8 MERCURE DE FRANCE.
fçaurez le nom du lieu où je vais fixer mom
féjour , mais c'eſt à une condition ; & s'il
eft vrai que vous m'aimiez , je veux me
prévaloir de l'afcendant qu'une maitreſſe
eft en droit de prendre fur fon amant . Vous
allez me traiter de bizarre , d'opiniâtre :
hé , dites- moi , Monfieur , qui de nous
deux l'eft d'avantage ? je fuis laffe de prier,
il est temps que je commande. Ceton ,
vous paroît fingulier ; je conviens qu'il
tient un peu du dépit je l'avoue , ceci
commence à me fatiguer , à me tourmenter.
Finiffons par un mot fans replique. Voilà.
ma bourfe ; ce qu'il vous plaira d'y prendre
déterminera en proportion la confiance
que vous voulez que j'aye en vous , l'eftime
que je dois faire de votre perfonne ,
& le dégré de votre amour pour moi.
Hé , je la prens toute entiere , s'écria
Terlieu en la faififfant des deux mains .
Et moi , reprit Rofalie , je vous embraffe.
Oui , mon cher Terlieu , vous m'aimez
, j'ai triomphé de votre orgueil. Ne
prenez point cette faillie pour un emportement
de tendreffe , elle eft née dans la:
joie involontaire de mon ame , & non pas
dans les tranfports d'une paffion infenfée .
Terlieu fe retira , le coeur trafporté de
joie , & de la plus flatteufe efpérance , &
Rofalie charmée d'être parvenue à contenter
fon inclination bienfaifante , s'occupa
A OUST . 1755.
39
une partie de la nuit du deffein de fa re
traite , & des mefures néceffaires à fon
départ. Le lendemain elle fortit fur les
neuf heures du matin pour aller conclure
l'acquifition d'une terre . Elle dîna , & ſoupa
avec Terlieu , elle affecta pendant toute
la journée une fatisfaction & une gaieté qui
ne laifferent à fon amant aucun foupçon
du deffein qu'elle avoit pris de partir à la
pointe du jour. Quelle accablante nouvelle
pour Terlieu , lorfqu'il apprit le départ de
Rofalie ! Il faut avoir aimé pour bien fentir
l'état d'un coeur qui eft privé de l'objet
qu'il adore. Tous les maux raffemblés ne
font rien en comparaifon. C'eft la fecouffe
la plus violente que l'ame puiffe recevoir
& c'eft la dernière épreuve de la fermeté
humaine. Terlieu abbattu & prefque ftupide
, alloit fuccomber fous le poids de fa
douleur , lorfqu'il lui fut remis un billet
de la part de Rofalie. Hélas , il ne fit qu'ajouter
à fes tourmens . Il l'ouvre en frémiffant
, & lit , .....
*
Monfieur , renfermons- nous , je vous
prie , dans les bornes d'une pure amitié.
»J'ai dû fuir , & c'eft l'eftime que je vous
dois qui a précipité mon départ . Vous
» me ferez toujours cher , vous recevrez
» de mes nouvelles ; je ne fuis point faite
»pour oublier un homme de votre mérite ..
» Encore une fois tenons- nous- en aux en40
MERCURE DE FRANCE.
" gagemens de la plus inviolable amitié
" c'eft le feul fentiment qui puiffe nous
» convenir , & c'eft celui qui me fait pren-
» dre la qualité de votre meilleure amie.
Rofalie .
Ah cruelle , s'écria Terlieu ! vous fuyez,
vous m'abandonnez ! & vous ne me laiffez
pour reffource que les offres d'une froide
& triſte amitié ! non , Rofalie , elle ne
peut fuffire à mon coeur. Mais que dis je
hélas ! vous ne m'aimez point . Cette tranquillité
, cette joie dont vous jouiffiez hier
à mes yeux , ne me prouvent que trop que
je vous fuis indifférent. Que j'étois crédule!
que j'étois aveugle de les interpréter en ma
faveur ! Amant trop préfomptueux , je les
ai prifes pour des marques de la fatisfaction
que vous reffentiez d'être fûre de mon
coeur. Quel étrange compofé que votre caractere
! vous avez l'ame généreufe , noble;
des vertus réelles me forcent à vous admirer
, je ne puis réfifter à l'impreffion qu'elles
font fur moi , elles y font naître la paffion
la plus tendre , la plus refpectable , je
crois recevoir des mains de votre amour
les bienfaits dont vous me comblez , &
vous partez ! j'ignore où vous êtes ! Dieu !
fe peut - il qu'un coeur qui. m'a paru auffi
franc , auffi fincere , ait pu être capable
d'une diffimulation auſſi réfléchie , auffi
A OUST . 1755. 41
perfide. Vous partez ! ..... & vous ne me
laiſſez que le repentir , & la honte d'avoir
fuccombé aux inftances de votre indigne
générofité. Oui , je fçaurai vous découvrir,
je fçaurai répandre à vos pieds ce que contient
cette bourfe infultante , .... je fçaurai
mourir à vos yeux.
Il s'habille à la hâte , il alloit fortir lorf
qu'on vint frapper à fa porte. Il ouvre , il
voit un homme qui lui demande s'il n'a
pas l'honneur de parler à M. de Terlieu .
C'est moi -même , répondit- il fechement
mais pardon , Monfieur , je n'ai pas le
temps de vous entendre. Monfieur , repliqua
l'inconnu , je ne vous importunerai
pas longtems , je n'ai befoin que de votre
fignature , vous avez acquis une terre , en
voici le contrat de vente , & il eft néceffaire
que votre nom figné devant moi , en conftate
la validité. Que voulez - vous dire ,
reprit Terlieu ? ou vous êtes fou , ou je
rêve. Monfieur , dit l'inconnu , je fuis
Notaire ; il n'y a guerres de fous dans ma
profeffion. Je vous protefte que vous êtes
trés-éveillé , & qu'un acte de ma façon n'a
point du tout l'air d'un rêve. Ah , Rofalie,
s'écria Terlieu ! C'eft elle-même , reprit le
Notaire. Voici une plume , fignez . Non ,
Monfieur , répondit Terlieu , je ne puis
m'y réfoudre , remportez votre acte , &
dites-moi feulement où eft fituée cette terre.
42 MERCURE DE FRANCE.
C'eft préciſement , répliqua le Notaire , ce
qui m'eft défendu , & vous ne pourrez en
être inftruit qu'après avoir figné. Allons
donc , reprit Terlieu en verfant un torrent
de larmes , donnez cette plume . Voilà qui
eft à merveille , dit le Notaire , & voici
une expédition de l'acte. Vous pouvez
aller prendre poffeffion quand vous le
jugerez à propos. Adieu , Monfieur , je
vous fouhaite un bon voyage ; faites , je
vous prie , mes complimens à l'inimitable
Rofalie. Ah , Monfieur , reprit Terlieu en
le reconduifant , elle ne tardera gueres à
les recevoir.
Son premier foin fut de chercher dans
l'acte qui venoit de lui être remis le nom
de la province , & du lieu dont Rofalie
avoit pris le chemin ; il alla tour de fuite
prendre des chevaux de pofte. Qu'ils alloient
lentement felon lui ! après avoir
couru , fans prendre aucun repos pendant
trente- fix heures , il arriva prefqu'en même
temps que Rofalie. Quoi , c'est vous ? lui
dit-elle en fouriant , que venez -vous faire
ici ? vous rendre hommage de ma terre ,
répondit- il , en lui baifant la main , en
prendre poffeffion , & époufer mon amie.
Je ne vous attendois pas fitôt , reprit- elle ,
& j'efpérois que vous me laifferiez le temps
de rendre ce féjour plus digne de vous recevoir.
Hé , que lui manque-t-il pour me
A OUST. 43 1755 .
plaire , pour m'y fixer , repliqua- t- il , vous
y êtes , je n'y vois , & je n'y verrai jamais
que ma chere Rofalie . J'ai de l'inclination
à vous croire , lui dit-elle , en le regardant
tendrement , & mon coeur , je le fens , auroit
de la peine à fe refufer à ce que vous
lui infpirez ; il eft prêt à fe rendre à vos
defirs . Mais encore une fois , mon cher
Terlieu , interrogez le vôtre , ou pour
mieux dire , écoutez les confeils de votre
raifon. Nepouvons- nous vivre fous les loix
de l'amitié? & ne craignez- vous point que
celles de l'hymen n'en troublent la pureté ,
n'en appéfantiffent le joug ? Et cette terre ,
repliqua- t-il , peut- elle m'appartenir , fi je
n'acquiers votre main ? D'ailleurs , y fongez-
vous , Rofalie ? je vivrois avec vous ,
& je n'aurois d'autre titre pour jouir de ce
bonheur que celui de l'amitié ? Penſezvous
que la médifance nous épargnât en
vain nous vivrions dans l'innocence , la
calomnie , cette ennemie irréconciliable
des moeurs les plus chaftes , ne tarderoit
pas à fouiller la pureté de notre amitié
& elle y fuppoferoit des liens qui nous
deshonoreroient. Mais enfin , reprit Rofalie
, à quels propos , à quelles indignes
conjectures ne vous expofez- vous point ?
on dira que Terlieu n'ayant pû foutenir le
poids de fon infortune , a mieux aimé re
44 MERCURE DE FRANCE .
chercher la main de Rofalie que de lan
guir dans une honorable pauvreté. Vains
difcours , s'écria Terlieu , qui ne peuvent
m'allarmer ! venez , répondrai - je , à la malignité
, à l'orgueil ; venez , fi vous êtes
capables d'une légitime admiration , reconnoître
en Rofalie un coeur plus noble , une
ame plus pure que les vôtres . Vous n'avez
que l'écorce des vertus , ou vous ne les pratiquez
que par oftentation , & Rofalie en
avouant fes égaremens a la force d'y renoncer
, & les épure par le repentir , par
la bienfaifance. Apprenez vils efclaves de
la vanité que la plus fage des bienséances
eft de s'unir avec un coeur qu'on eſt fûr
d'eftimer , & que le lien d'une reconnoiffance
mutuelle eft le feul qui puiffe éternifer
l'amour. Je ne réfifte plus , reprit Rofalie
, je me rends à la jufteffe de vos raifons
, & plus encore à la confiance que la
bonté , que la nobleffe de votre coeur ne
ceffent de répandre dans le mien : le don
que je vous ferai de ma main n'approchera
jamais du retour que j'en efpere .
Terlieu & Rofalie allerent fe jurer une
fidélité inviolable aux pieds des autels , où
au défaut de parens , tous les pauvres des
environs leur fervirent de témoins , de famille
, & en quelque façon de convives ,
puifqu'ils partagerent la joie des deux
A OUST. 1755 45
époux à une table abondante qui leur fut
fervie. Terlieu & Rofalie goûtent depuis
long- temps les délices d'une flâme fincere.
Leur maison eft le féjour des vertus . Ils en
font les modeles. On les cite avec éloge ,
on les montre avec admiration , on fe fait
honneur de les voir , on les écoute avec
reſpect , & , comme partout ailleurs , pref
que perfonne n'a le courage de les imiter.
Fermer
Résumé : ROSALIE. Histoire véritable, par M. Y....
Le texte raconte l'histoire de Rosalie, une femme aux mœurs déréglées mais admirant la vertu. Ses yeux francs révèlent sa franchise, bien qu'elle soit coquette. Fidèle à ses engagements, elle est plus sensible à la reconnaissance qu'à l'amour. Solitaire et laborieuse, elle aspire à une conduite raisonnable et médite une retraite pour échapper à la honte de sa vie passée. Rosalie observe Terlieu, un jeune gentilhomme vivant dans la pauvreté et la tristesse. Touchée par sa misère, elle l'invite à dîner et apprend qu'il est noble mais réformé, refusant des emplois humiliants pour subvenir à ses besoins. Terlieu avoue son désespoir face à l'ingratitude de sa famille, qui le méprise malgré ses efforts pour conserver son honneur. Rosalie décide de l'aider secrètement et l'invite à dîner en présence de son amie Orphise. Après le départ d'Orphise, Rosalie exprime à Terlieu sa volonté de l'aider, espérant prouver sa propre vertu retrouvée. Terlieu, par orgueil, refuse son aide, mais Rosalie lui offre discrètement une bourse d'argent. Une dispute s'ensuit, mais Rosalie finit par admettre avoir donné l'argent. Terlieu insiste pour rendre la bourse, mais ils décident de partager un repas pour discuter de solutions. Terlieu propose de s'expatrier en entrant au service de la Compagnie des Indes. Rosalie l'encourage à demander de l'aide à sa famille en jouant sur leur orgueil et leur honneur. Plus tard, Rosalie suggère à Terlieu de contracter un mariage pour partager sa fortune, mais Terlieu exprime ses craintes concernant la réaction de sa famille. Rosalie le rassure en proposant une ruse pour justifier leur union. Terlieu, troublé, quitte Rosalie en exprimant son admiration et son affection croissante. Il passe une nuit sans sommeil, hésitant entre sa passion pour Rosalie et la nécessité de préserver son honneur. Le lendemain, il tente de convaincre sa famille, mais se heurte à leur mépris et à leur refus. Désespéré, il retourne voir Rosalie, lui avouant son amour et son désir de dépendre uniquement d'elle. Rosalie, bien que touchée, exprime ses doutes sur la durabilité de leur amour et les risques associés à leur union. Elle refuse sa proposition, préférant préserver leur honneur. Terlieu, désespéré, se retire dans sa chambre. Rosalie, affaiblie par l'émotion, est secourue par sa femme de chambre. Terlieu revient auprès de Rosalie, qui lui annonce son départ imminent de Paris. Après une discussion intense, Rosalie accepte finalement l'amour de Terlieu, triomphant de son orgueil. Terlieu quitte Rosalie, le cœur rempli de joie et d'espoir. Rosalie, après une journée avec Terlieu en feignant la gaieté, quitte ce dernier à l'aube sans révéler ses intentions. Terlieu, désemparé, reçoit une lettre de Rosalie où elle lui demande de se contenter d'une amitié pure. Terlieu, désespéré, est ensuite interrompu par un notaire qui lui présente un contrat de vente d'une terre acquise par Rosalie. Terlieu, après avoir signé le contrat, part à la recherche de Rosalie et la retrouve. Rosalie tente de maintenir leur relation dans le cadre de l'amitié, mais Terlieu insiste sur l'importance de légitimer leur amour par le mariage pour éviter les médisances. Rosalie finit par accepter et ils se marient, entourés des pauvres des environs. Depuis lors, Terlieu et Rosalie vivent heureux et sont admirés pour leur vertu et leur amour sincère.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
440
p. 65-75
LE MALHEUR D'AIMER. POEME, Par M. Gaillard, Avocat.
Début :
Non, je ne veux plus rien aimer ; [...]
Mots clefs :
Malheur, Aimer, Amour, Coeur, Dieux, Yeux, Vertu, Sang, Traits
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE MALHEUR D'AIMER. POEME, Par M. Gaillard, Avocat.
LE MALHEUR D'AIMER.
POEME ,
Par M. Gaillard , Avocat.
N On , je ne veux plus rien aimer ;
Un jufte orgueil m'enflamme , un jour heureux
m'éclaire ,
J'arrache en frémiffant ce coeur tendre & fincere
Aux perfides attraits qui l'avoient fçu charmer..
Combien l'illufion leur prêta de puiffance !
Et combien je rougis de ma folle conſtance !
Quoi ! c'eft-là cet objet adorable & facré ,
Chef- d'oeuvre de l'amour , par lui-même admiré ,
Sur qui la main des Dieux ( foit faveur ou colere)
Epuifa tous fes dons , & fur- tout l'art de plaire ! ...
Quel démon m'aveugloit : quel charme impérieux
Enchaînoit ma raiſon & faſcinoit mes yeux ?
J'aimois . J'embelliffois ma fatale chimere
Des traits les plus touchans d'une vertu fincere ;
Que ne peut-on toujours couvrir la vérité
Du voile de l'amour & de la volupté !
Hélas ! de mon erreur j'aime encor la mémoire ;
Je regrette mes fers , & pleure ma victoire 30
Que dis-je , malheureux ? Ah ! je devois pleurer,
66 MERCURE DE FRANCE.
Lorfque prompt à me nuire , ardent à m'égarer ;
Je fubis les rigueurs d'un indigné efclavage ;
Les Dieux de ces périls m'avoient tracé l'image.
Un fonge ( & j'aurois dû plutôt m'en ſouvenir )
A mon coeur imprudent annonçoit l'avenir.
J'errois fur les bords de la feine
Dans des bofquêts charmans confacrés au plaifir }
Avec Thémire , avec Climene ,
Par des jeux innocens j'amufois mon loifir.
Un enfant inconnu deſcend fur le rivage ,
Il mêle un goût plus vif à notre badinage ,
Il pare la nature , il embellit le jour ,
L'univers animé parut fentir l'amour.
Ses aîles , fon carquois m'infpiroient quelque
crainte ,
Mais dans les yeux touchans l'innocence étoit
peinte.
Il me tendit les bras . Son ingénuité
Intéreffa mon coeur qu'entraînoit fa beauté ;
Careffé par Thémire , & loué par Climéne
A leurs plus doux tranfports il fe prêtoit à peine ,
J'attirois tous fes foins , & j'étois feul flaté .
Il aimoit , diſoit-il , à me voir , à m'entendre ,
Il fembloit à mon fort prendre un intérêt tendre ,
Avec un air charmant il plaçoit de ſa main
Des lauriers fur mon front , des roſes dans mon
fein ; . -
Qui ne l'auroit aimé ? pardonnez , ô fageffe
AOUST.
1755 67
Je fçais trop à préfent qu'il faut n'aimer que
vous ;
Mais de ce traître enfant que les piéges font doux !
Que les traits ont de force & nos coeurs de foibleffe
! )
Il me montra de loin le palais des plaiſirs ,
J'y volai plein d'eſpoir , fur l'aîle des defirs .
Là , tout eft volupté ! tranfport , erreur , ivreffe ,
Là , tout peint , tout infpire , & tout fent la tendreffe
;
Dans mille objets trompeurs l'art fçait vous préfenter
Celui qui vous enchante , ou va vous enchanter.
J'apperçus deux portraits : l'un fut celui d'Or
phife ,
Mon oeil en fut frappé , mon ame en fut ſurpriſes
Vieille , elle avoit d'Hébé l'éclat & les attraits
Sa beauté m'éblouit fans m'attacher jamais .
Mais l'amour m'attendoit au portrait de Sylvie
Il alloit décider du bonheur de ma vie.
Sans éclat , fans beauté , fa naïve douceur
Fixa mon oeil avide , & pénétra mon coeur.
Dans fes yeux languiffans , ou l'art ou la nature
Avoient peint les vertus d'une ame noble & pure
Tous mes fens enivrés d'une rapide ardeur
Friffonnoient de plaifir , & nommoient mon vain
queur ...
Cependant fous mes pas s'ouvre un profond abî
me 2
68 MERCURE DE FRANCE.
J'y tombe , & je m'écrie : O trahiſon , ô crime !
De quels fleuves de fang me vois-je environné ?
Dans ces fombres cachots des malheureux gémiffent
,
De leurs cris effrayans ces voûtes retentiſſent :
Fuyons .... Des fers cruels me tiennent enchaîné ;
Mille dards ont percé mon coeur infortuné ,
O changement affreux ! quel art t'a pû produire ?
Une voix me répond : Pallas , va-t'en inftruire ?
L'amour fuit démafquant fon viſage odieux .
La rage d'Erinnys étincelle en fes yeux ,
Des ferpens couronnoient fa tête frémiffante ;
Le reſpect enchaînoit fon audace impuiffante ;
Il fecouoit pourtant d'un bras féditieux
Un flambeau dont Pallas éteignoit tous les feuxJ
Je la vis , & je crus l'avoir toujours aimée ,
Ses vertus s'imprimoient dans mon ame enflam
mée ,
J'admirois ces traits fiers , cette noble pudeur ,
Où du maître des Dieux éclatoit la fplendeur.
» Tombez , a- t-elle dit , chaînes trop rigoureu-
>> fes !
» Fermez-vous pour jamais, cicatrices honteufes !
>> Mortel ! je n'ai changé, ni l'amour , ni ces lieux ,
» Mais j'ai rompu le charme & deffillé tes yeux.
» La volupté verfoit l'éclat fur l'infamie ,
» D'un mafque de douceur couvroit la perfidie ;
La vertu feule eft belle , & n'a qu'un même
aſpect ,
A OUST . 1755. 69
» L'amour vrai qu'elle infpire eft enfant du ref-
» pect.
» Mais ſui – moi , viens apprendre à détefter ce
>> maître
>> Que les humains féduits fervent fans le connoî-
» tre ,
» Qui t'entraînoit toi -même , & t'alloit écraser
» Sous le poids de ces fers que j'ai daigné brifer.
>> Ce monftre en traits de fang , ſous ces voûtes
» horribles ,
» Grava de fes fureurs les monumens terribles.
ô Que vis-je ? .... ô paffions & fource des for
faits !
Quels tourmens vous caufez , quels maux vous
avez faits !
Térée au fond des bois outrage Philomele ?
Progné, foeur trop fenfible & mere trop cruelle ;
A cet époux inceftueux ,
De fon fils déchiré , fert les membres affreux.
Soleil ! tu reculas pour le feftin d'Atrée !
As-tu
pu
fans horreur voir celui de Térée ?
Mais quels font ces héros enflammés de fureur ;
Qui partagent les Dieux jaloux de leur valeur ? ....
Dieux votre fang rougit les ondes du Scamandre
;
Patrocle , Hector , Achille , ont confondu leur
cendre
70 MERCURE DE FRANCE.
Sous fon palais brûlant Priam eft écrasé ,
Le fceptre de l'Afie en fes mains eft brifé ,
Tout combat , tout périt : Pour qui ? pour une
femme ,
De mille amans trompés vil rebut , refte infame.
Le fier Agamemnon , ce chef de tant de Rois ,
Dont l'indocile Achille avoit fubi les loix ,
Revient après vingt ans de gloire & de mifere
Expirer fous les coups d'une épouse adultere .
Aux autels de les Dieux Pyrrhus eft égorgé ;
Hermione eft rendue à ſon époux vengé.
Pour laver ton affront , ô Phédre ! l'impofture
Charge de tes forfaits la vertu la plus pure ;
Sur un fils trop aimable un pere furieux
Appelle en frémiffant la vengeance des Dieux .
Le courroux de Neptune exauçant fa priere
Seme d'ennuis mortels fa fatale carriere.
Biblis , & vous , Myrrha , d'une exécrable ar
deur
Par des pleurs éternels vous expiez l'horreur.
O Robbe de Neffus ! & trompeufe efperance !
O d'un monftre infolent effroyable vengeance !
Sur le bucher fatal Hercule eft confumé ;
Héros plus grand qu'un Dieu , s'il n'avoit point
aimé !
Tu fuis , ingrat Jaſon , ta criminelle épouſe :
A O UST. 1755 71 .
Mais ... connois -tu Médée & fa rage jalouſe ?
Elle immola fon frere , & fe perdit pour toi ,
Tu ne peux ni la voir , ni la fuir fans effroi ! ....^
Mais la voici , grands Dieux ! furieufe , tremblan
I
te ......
Un fer étincélant arme fa main fanglante ,
Elle embraffe fes fils , & frémit de terreur
Ah ! d'un crime effrayant tout annonce l'horreur...
Arrête , Amour barbare , & toi , mere égarée ,
De quel fang fouilles-tu ta main deſeſpérée ?
La nature en frémit , l'enfer doute en ce jour
Qui l'emporte en fureur , ou Médée ou l'Amour.
Le jour vint m'arracher à ce fpectacle horrible,
Pour éclairer mon coeur la vérité terrible
Avoit emprunté par pitié
Les traits d'un utile menfonge. , .
Tout fuit , tout n'étoit qu'un vain fonge ,
Et mon coeur a tout oublié.
Deux Amours,, deux erreurs ont partagé ma
vie ,
Fadorai la vertu dans le coeur de Sylvie ,
Par des vices brillans Orphiſe m'enchanta ,
La vertu s'obscurcit , & le vice éclata ,
Orphife étoit perfide autant qu'elle étoit belle ,
Sylvie .... elle étoit femme , elle fut infidelle..
Sur quel fable mouvant fondois-je un vain eſpoir &
La candeur, la conftance eft-elle en leur pou
voir ?
72 MERCURE DE FRANCE.
(
Je te connois enfin , ſexe aimable & parjure ,
Ornement & fléau de la trifte nature !
Tu veux vaincre & regner , fur- tout tu veux tra
hir.
Notre opprobre eft ta gloire , & nos maux ton
t
plaifir.
Du généreux excès d'un amour héroïque
La vertueufe Alçefte étoit l'exemple unique.
Adorable en fa vie , admirable en ſa mort ,
Elle étonna les Dieux , & confondit le fort.
En fubiffant fa loi cruelle.
Otoi , qui poffedas cette épouſe fidele ,
Tu ne méritois pas , Admete , un fort fi beau ;
Si l'Amour ne t'entraîne avec elle au tombeau !
Elle eſt mere , & du fang t'immole la foibleffe !
Elle eft Reine , & connoit la conftante amitié !
Infenfible à fa perte , elle plaint ta tendreſſe ,
Dans les yeux prefque éteints brille encor la
pitié ;
Elle entre en t'embraffant dans la nuit éternelle ,
C'est pour toi qu'elle meurt , peux- tu vivre fans
elle ?
Hélas ! le coeur humain doit-il former des voeux ?
De toutes les vertus Alcefte eft le modele ,
Mais s'il étoit fuivi , ferions -nous plus heureux ?
Amour ! contre tes traits où prendroit - on des
armes ?
Ofemmes qui pourroit fe fouftraire à vos charmes
si
A O UST. 1755 . 75
Si vos coeurs fecondoient le pouvoir de vos yeux ?
La nature s'émeut à l'aspect d'une belle :
Le coeur dit : La voilà , mon bonheur dépend d'elle.
Que l'épreuve dément un préfage fi doux !
Hélás les vrais plaifirs ne font pas faits pour
nous.
Nous jouiffons bien peu de la douceur fuprême
De plaire à nos tyrans , ou d'aimer qui nous aimed
Dans l'empire amoureux tout coeur eſt égaré ,
Et loin des biens offerts cherche un bien defiré.
Ariane brûloit pour l'inconftant Théfée :
Mais il venge àfon tour cette amante abufée ;
Il aime , & dans fon fils on lui donne un rival ;
Phédre adore Hyppolite , & Phédre eft mépriféer
Phyllis eft fufpendue à l'amandier fatal ;
Démophoon fidele eût vû Phyllis volage ,
Tel eft de Cupidon le cruel badinage ;
Il fe nourrit de fang , il s'abbreuve de pleurs ,
Il enchaîne , & jamais il n'affortit les coeurs.
Vous , dont un vent propice enfle aujourd'hui
les voiles ,
Qui lifez , pleins d'efpoir , fur le front des étoiles
L'approche du bonheur & la route du port.
Ah ! tremblez ! mille écueils vous préfentent la
mort.
J'entens mugir les flots & gronder les tempêtes.
L'abime eft fous vos pieds , la foudre eft fur vos
têtes ;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
D'une fauffe amitié les perfides douceurs
De l'infidélité préparent les noirceurs ;
Bientôt on oubliera juſqu'à ces faveurs même ,
Dont on flate avec art votre tendreffe extrême ;
On verra vos tourmens d'un oeil fec & ferein .
Vainement pour voler à des ardeurs nouvelles
Le dépit & l'orgueil vous prêteront leurs aîles.
Vous ferez retenus par cent chaînes d'airain.
Les caprices fougueux , les fombres jaloufies ,
Et la haine allumée au flambeau des Furies ,
Etoufferont fans ceffe & produiront l'amour ,
De vos coeurs déchirés , indomptable vautour.
Sauvez de ces revers vos flammes généreuſes ;
Sortez , s'il en eft tems , de ces mers orageuſes ,
Regagnez le rivage , & cherchez le bonheur
Dans le calme des fens & dans la paix du coeur.
Des fieres paffions brifez le joug infâme ,
Fuyez la volupté , ce doux poifon de l'ame ,
La gloire & la vertu combleront tous vos voeux ,
Sous leur aimable empire on vit toujours heureux
.
Ainfi parloit Sylvandre , & fa douleur amere
Méconnoiffoit l'Amour maſqué par la colere ,
Quand d'un fouris flateur , fait pour charmer les
Dieux ,
A fes yeux éperdus Sylvie ouvrit les cieux ;
Quel moment ! quel combat pour fon ame attendrie
!
Elle approche , il pålit , il fe trouble ....... il
s'écrie ,
Frémiffant de couroux , de tendreffe & d'effroi ;
Tu l'emportes , cruelle , & mon coeur est à toi.
Unfeul de tes regards affure ta victoire ,
T'aimer eft ma vertu , t'enflammer eft ma gloire.
POEME ,
Par M. Gaillard , Avocat.
N On , je ne veux plus rien aimer ;
Un jufte orgueil m'enflamme , un jour heureux
m'éclaire ,
J'arrache en frémiffant ce coeur tendre & fincere
Aux perfides attraits qui l'avoient fçu charmer..
Combien l'illufion leur prêta de puiffance !
Et combien je rougis de ma folle conſtance !
Quoi ! c'eft-là cet objet adorable & facré ,
Chef- d'oeuvre de l'amour , par lui-même admiré ,
Sur qui la main des Dieux ( foit faveur ou colere)
Epuifa tous fes dons , & fur- tout l'art de plaire ! ...
Quel démon m'aveugloit : quel charme impérieux
Enchaînoit ma raiſon & faſcinoit mes yeux ?
J'aimois . J'embelliffois ma fatale chimere
Des traits les plus touchans d'une vertu fincere ;
Que ne peut-on toujours couvrir la vérité
Du voile de l'amour & de la volupté !
Hélas ! de mon erreur j'aime encor la mémoire ;
Je regrette mes fers , & pleure ma victoire 30
Que dis-je , malheureux ? Ah ! je devois pleurer,
66 MERCURE DE FRANCE.
Lorfque prompt à me nuire , ardent à m'égarer ;
Je fubis les rigueurs d'un indigné efclavage ;
Les Dieux de ces périls m'avoient tracé l'image.
Un fonge ( & j'aurois dû plutôt m'en ſouvenir )
A mon coeur imprudent annonçoit l'avenir.
J'errois fur les bords de la feine
Dans des bofquêts charmans confacrés au plaifir }
Avec Thémire , avec Climene ,
Par des jeux innocens j'amufois mon loifir.
Un enfant inconnu deſcend fur le rivage ,
Il mêle un goût plus vif à notre badinage ,
Il pare la nature , il embellit le jour ,
L'univers animé parut fentir l'amour.
Ses aîles , fon carquois m'infpiroient quelque
crainte ,
Mais dans les yeux touchans l'innocence étoit
peinte.
Il me tendit les bras . Son ingénuité
Intéreffa mon coeur qu'entraînoit fa beauté ;
Careffé par Thémire , & loué par Climéne
A leurs plus doux tranfports il fe prêtoit à peine ,
J'attirois tous fes foins , & j'étois feul flaté .
Il aimoit , diſoit-il , à me voir , à m'entendre ,
Il fembloit à mon fort prendre un intérêt tendre ,
Avec un air charmant il plaçoit de ſa main
Des lauriers fur mon front , des roſes dans mon
fein ; . -
Qui ne l'auroit aimé ? pardonnez , ô fageffe
AOUST.
1755 67
Je fçais trop à préfent qu'il faut n'aimer que
vous ;
Mais de ce traître enfant que les piéges font doux !
Que les traits ont de force & nos coeurs de foibleffe
! )
Il me montra de loin le palais des plaiſirs ,
J'y volai plein d'eſpoir , fur l'aîle des defirs .
Là , tout eft volupté ! tranfport , erreur , ivreffe ,
Là , tout peint , tout infpire , & tout fent la tendreffe
;
Dans mille objets trompeurs l'art fçait vous préfenter
Celui qui vous enchante , ou va vous enchanter.
J'apperçus deux portraits : l'un fut celui d'Or
phife ,
Mon oeil en fut frappé , mon ame en fut ſurpriſes
Vieille , elle avoit d'Hébé l'éclat & les attraits
Sa beauté m'éblouit fans m'attacher jamais .
Mais l'amour m'attendoit au portrait de Sylvie
Il alloit décider du bonheur de ma vie.
Sans éclat , fans beauté , fa naïve douceur
Fixa mon oeil avide , & pénétra mon coeur.
Dans fes yeux languiffans , ou l'art ou la nature
Avoient peint les vertus d'une ame noble & pure
Tous mes fens enivrés d'une rapide ardeur
Friffonnoient de plaifir , & nommoient mon vain
queur ...
Cependant fous mes pas s'ouvre un profond abî
me 2
68 MERCURE DE FRANCE.
J'y tombe , & je m'écrie : O trahiſon , ô crime !
De quels fleuves de fang me vois-je environné ?
Dans ces fombres cachots des malheureux gémiffent
,
De leurs cris effrayans ces voûtes retentiſſent :
Fuyons .... Des fers cruels me tiennent enchaîné ;
Mille dards ont percé mon coeur infortuné ,
O changement affreux ! quel art t'a pû produire ?
Une voix me répond : Pallas , va-t'en inftruire ?
L'amour fuit démafquant fon viſage odieux .
La rage d'Erinnys étincelle en fes yeux ,
Des ferpens couronnoient fa tête frémiffante ;
Le reſpect enchaînoit fon audace impuiffante ;
Il fecouoit pourtant d'un bras féditieux
Un flambeau dont Pallas éteignoit tous les feuxJ
Je la vis , & je crus l'avoir toujours aimée ,
Ses vertus s'imprimoient dans mon ame enflam
mée ,
J'admirois ces traits fiers , cette noble pudeur ,
Où du maître des Dieux éclatoit la fplendeur.
» Tombez , a- t-elle dit , chaînes trop rigoureu-
>> fes !
» Fermez-vous pour jamais, cicatrices honteufes !
>> Mortel ! je n'ai changé, ni l'amour , ni ces lieux ,
» Mais j'ai rompu le charme & deffillé tes yeux.
» La volupté verfoit l'éclat fur l'infamie ,
» D'un mafque de douceur couvroit la perfidie ;
La vertu feule eft belle , & n'a qu'un même
aſpect ,
A OUST . 1755. 69
» L'amour vrai qu'elle infpire eft enfant du ref-
» pect.
» Mais ſui – moi , viens apprendre à détefter ce
>> maître
>> Que les humains féduits fervent fans le connoî-
» tre ,
» Qui t'entraînoit toi -même , & t'alloit écraser
» Sous le poids de ces fers que j'ai daigné brifer.
>> Ce monftre en traits de fang , ſous ces voûtes
» horribles ,
» Grava de fes fureurs les monumens terribles.
ô Que vis-je ? .... ô paffions & fource des for
faits !
Quels tourmens vous caufez , quels maux vous
avez faits !
Térée au fond des bois outrage Philomele ?
Progné, foeur trop fenfible & mere trop cruelle ;
A cet époux inceftueux ,
De fon fils déchiré , fert les membres affreux.
Soleil ! tu reculas pour le feftin d'Atrée !
As-tu
pu
fans horreur voir celui de Térée ?
Mais quels font ces héros enflammés de fureur ;
Qui partagent les Dieux jaloux de leur valeur ? ....
Dieux votre fang rougit les ondes du Scamandre
;
Patrocle , Hector , Achille , ont confondu leur
cendre
70 MERCURE DE FRANCE.
Sous fon palais brûlant Priam eft écrasé ,
Le fceptre de l'Afie en fes mains eft brifé ,
Tout combat , tout périt : Pour qui ? pour une
femme ,
De mille amans trompés vil rebut , refte infame.
Le fier Agamemnon , ce chef de tant de Rois ,
Dont l'indocile Achille avoit fubi les loix ,
Revient après vingt ans de gloire & de mifere
Expirer fous les coups d'une épouse adultere .
Aux autels de les Dieux Pyrrhus eft égorgé ;
Hermione eft rendue à ſon époux vengé.
Pour laver ton affront , ô Phédre ! l'impofture
Charge de tes forfaits la vertu la plus pure ;
Sur un fils trop aimable un pere furieux
Appelle en frémiffant la vengeance des Dieux .
Le courroux de Neptune exauçant fa priere
Seme d'ennuis mortels fa fatale carriere.
Biblis , & vous , Myrrha , d'une exécrable ar
deur
Par des pleurs éternels vous expiez l'horreur.
O Robbe de Neffus ! & trompeufe efperance !
O d'un monftre infolent effroyable vengeance !
Sur le bucher fatal Hercule eft confumé ;
Héros plus grand qu'un Dieu , s'il n'avoit point
aimé !
Tu fuis , ingrat Jaſon , ta criminelle épouſe :
A O UST. 1755 71 .
Mais ... connois -tu Médée & fa rage jalouſe ?
Elle immola fon frere , & fe perdit pour toi ,
Tu ne peux ni la voir , ni la fuir fans effroi ! ....^
Mais la voici , grands Dieux ! furieufe , tremblan
I
te ......
Un fer étincélant arme fa main fanglante ,
Elle embraffe fes fils , & frémit de terreur
Ah ! d'un crime effrayant tout annonce l'horreur...
Arrête , Amour barbare , & toi , mere égarée ,
De quel fang fouilles-tu ta main deſeſpérée ?
La nature en frémit , l'enfer doute en ce jour
Qui l'emporte en fureur , ou Médée ou l'Amour.
Le jour vint m'arracher à ce fpectacle horrible,
Pour éclairer mon coeur la vérité terrible
Avoit emprunté par pitié
Les traits d'un utile menfonge. , .
Tout fuit , tout n'étoit qu'un vain fonge ,
Et mon coeur a tout oublié.
Deux Amours,, deux erreurs ont partagé ma
vie ,
Fadorai la vertu dans le coeur de Sylvie ,
Par des vices brillans Orphiſe m'enchanta ,
La vertu s'obscurcit , & le vice éclata ,
Orphife étoit perfide autant qu'elle étoit belle ,
Sylvie .... elle étoit femme , elle fut infidelle..
Sur quel fable mouvant fondois-je un vain eſpoir &
La candeur, la conftance eft-elle en leur pou
voir ?
72 MERCURE DE FRANCE.
(
Je te connois enfin , ſexe aimable & parjure ,
Ornement & fléau de la trifte nature !
Tu veux vaincre & regner , fur- tout tu veux tra
hir.
Notre opprobre eft ta gloire , & nos maux ton
t
plaifir.
Du généreux excès d'un amour héroïque
La vertueufe Alçefte étoit l'exemple unique.
Adorable en fa vie , admirable en ſa mort ,
Elle étonna les Dieux , & confondit le fort.
En fubiffant fa loi cruelle.
Otoi , qui poffedas cette épouſe fidele ,
Tu ne méritois pas , Admete , un fort fi beau ;
Si l'Amour ne t'entraîne avec elle au tombeau !
Elle eſt mere , & du fang t'immole la foibleffe !
Elle eft Reine , & connoit la conftante amitié !
Infenfible à fa perte , elle plaint ta tendreſſe ,
Dans les yeux prefque éteints brille encor la
pitié ;
Elle entre en t'embraffant dans la nuit éternelle ,
C'est pour toi qu'elle meurt , peux- tu vivre fans
elle ?
Hélas ! le coeur humain doit-il former des voeux ?
De toutes les vertus Alcefte eft le modele ,
Mais s'il étoit fuivi , ferions -nous plus heureux ?
Amour ! contre tes traits où prendroit - on des
armes ?
Ofemmes qui pourroit fe fouftraire à vos charmes
si
A O UST. 1755 . 75
Si vos coeurs fecondoient le pouvoir de vos yeux ?
La nature s'émeut à l'aspect d'une belle :
Le coeur dit : La voilà , mon bonheur dépend d'elle.
Que l'épreuve dément un préfage fi doux !
Hélás les vrais plaifirs ne font pas faits pour
nous.
Nous jouiffons bien peu de la douceur fuprême
De plaire à nos tyrans , ou d'aimer qui nous aimed
Dans l'empire amoureux tout coeur eſt égaré ,
Et loin des biens offerts cherche un bien defiré.
Ariane brûloit pour l'inconftant Théfée :
Mais il venge àfon tour cette amante abufée ;
Il aime , & dans fon fils on lui donne un rival ;
Phédre adore Hyppolite , & Phédre eft mépriféer
Phyllis eft fufpendue à l'amandier fatal ;
Démophoon fidele eût vû Phyllis volage ,
Tel eft de Cupidon le cruel badinage ;
Il fe nourrit de fang , il s'abbreuve de pleurs ,
Il enchaîne , & jamais il n'affortit les coeurs.
Vous , dont un vent propice enfle aujourd'hui
les voiles ,
Qui lifez , pleins d'efpoir , fur le front des étoiles
L'approche du bonheur & la route du port.
Ah ! tremblez ! mille écueils vous préfentent la
mort.
J'entens mugir les flots & gronder les tempêtes.
L'abime eft fous vos pieds , la foudre eft fur vos
têtes ;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
D'une fauffe amitié les perfides douceurs
De l'infidélité préparent les noirceurs ;
Bientôt on oubliera juſqu'à ces faveurs même ,
Dont on flate avec art votre tendreffe extrême ;
On verra vos tourmens d'un oeil fec & ferein .
Vainement pour voler à des ardeurs nouvelles
Le dépit & l'orgueil vous prêteront leurs aîles.
Vous ferez retenus par cent chaînes d'airain.
Les caprices fougueux , les fombres jaloufies ,
Et la haine allumée au flambeau des Furies ,
Etoufferont fans ceffe & produiront l'amour ,
De vos coeurs déchirés , indomptable vautour.
Sauvez de ces revers vos flammes généreuſes ;
Sortez , s'il en eft tems , de ces mers orageuſes ,
Regagnez le rivage , & cherchez le bonheur
Dans le calme des fens & dans la paix du coeur.
Des fieres paffions brifez le joug infâme ,
Fuyez la volupté , ce doux poifon de l'ame ,
La gloire & la vertu combleront tous vos voeux ,
Sous leur aimable empire on vit toujours heureux
.
Ainfi parloit Sylvandre , & fa douleur amere
Méconnoiffoit l'Amour maſqué par la colere ,
Quand d'un fouris flateur , fait pour charmer les
Dieux ,
A fes yeux éperdus Sylvie ouvrit les cieux ;
Quel moment ! quel combat pour fon ame attendrie
!
Elle approche , il pålit , il fe trouble ....... il
s'écrie ,
Frémiffant de couroux , de tendreffe & d'effroi ;
Tu l'emportes , cruelle , & mon coeur est à toi.
Unfeul de tes regards affure ta victoire ,
T'aimer eft ma vertu , t'enflammer eft ma gloire.
Fermer
Résumé : LE MALHEUR D'AIMER. POEME, Par M. Gaillard, Avocat.
Le poème 'Le Malheur d'Aimer' de M. Gaillard, avocat, explore les tourments de l'amour et ses illusions. Le narrateur, initialement enflammé par un orgueil justifié, se libère des attraits perfides qui l'ont charmé. Il regrette son erreur passée, où il idéalisait un être aimé, croyant voir en lui un chef-d'œuvre de l'amour. Il se remémore un songe prémonitoire où il était avec Thémire et Climène, et où un enfant inconnu, symbolisant l'amour, les rejoignait, embellissant leur journée. Dans ce songe, l'enfant, par sa beauté et son innocence, captivait le cœur du narrateur, qui se laissait séduire par ses charmes. L'enfant lui montrait un palais des plaisirs, où tout inspirait la tendresse. Le narrateur y voyait deux portraits : celui d'Orphise, dont la beauté ancienne ne l'attachait pas, et celui de Sylvie, dont la naïve douceur fixait son regard et pénétrait son cœur. Cependant, un abîme s'ouvrait sous ses pas, révélant des cachots où des malheureux gémissaient. Il se sentait enchaîné par des fers cruels, percé par mille dards. Pallas, démasquant l'amour, lui révélait la véritable nature de ses sentiments. L'amour, démasqué, montrait un visage odieux, couronné de serpents, tandis que Pallas éteignait ses feux. Le narrateur découvrait alors la véritable beauté de Sylvie, dont les vertus s'imprimaient dans son âme enflammée. Sylvie lui révélait que la véritable beauté résidait dans la vertu et le respect. Elle l'invitait à suivre un chemin de vertu pour échapper aux tourments de l'amour. Le poème se termine par une réflexion sur les dangers de l'amour, illustrés par des exemples mythologiques de trahisons et de tragédies. Le narrateur conclut en exhortant à fuir les passions dévastatrices pour trouver le bonheur dans la paix du cœur et la vertu.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
441
p. 9-22
LE MOI. HISTOIRE TRÈS-ANCIENNE.
Début :
La nature & la Fortune sembloient avoir conspiré au bonheur d'Alcibiade. [...]
Mots clefs :
Amour, Amant, Veuve, Beauté, Coeur, Hymen, Délicatesse, Désirs
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE MOI. HISTOIRE TRÈS-ANCIENNE.
LE MO I.
HISTOIRE TRE'S - ANCIENNE.
L
A nature & la Fortune fembloient
avoir confpiré au bonheur d'Alcibiade.
Richeffes , talens , beauté , naiffance , la
fleur de l'âge & de la fanté , que de titres
pour avoir tous les ridicules ! Alcibiade
n'en avoit qu'un : il vouloit être aimé pour
lui-même. Depuis la coqueterie jufqu'à la
fagefle il avoit tout féduit dans Athènes ;
mais en lui étoit- ce bien lui qu'on aimoit ?
Cette délicateffe lui prit un matin comme
il venoit de faire fa cour à une prude. C'eft
le moment des réflexions. Alcibiade en fit
fur ce qu'on appelle le fentiment pur , la
métaphyfique de l'amour. Je fuis bien
duppe , difoit-il , de prodiguer mes foins à
une femme qui ne m'aime peut- être que
pour elle- même ! Je le fçaurai de par tous
les dieux , & s'il en eft ainfi , elle peut chercher
parmi nos athlétes un foupirant qui
me remplace.
La belle prude , fuivant l'ufage , oppofoit
toujours quelque foible réfiftance aux
defirs d'Alcibiade . C'étoit une chofe épouvantable.
Elle ne pouvoit s'y accoutumer.
Il falloit aimer comme elle aimoit pour s'y
A v
to MERCURE DE FRANCE.
réfoudre. Elle auroit voulu pour tout au
monde qu'il fut moins jeune & moins
empreffé. Alcibiade la prit au mot. Je vois
bien , Madame , lui dit il un jour , que ces
complaifances vous coutent ; hé bien , je
veux vous donner une preuve de l'amour
le plus parfait . Oui je confens , puifque
vous le voulez , que nos ames feules foient
unies , & je vous donne ma parole de
n'exiger rien de plus.
La prude loua cette réfolution d'un air
bien capable de la faire évanouir , mais
Alcibiade tint bon . Elle en fur furpriſe , &
piquée , cependant il fallut diffimuler .
Le jour fuivant tout ce que le deshabillé
peut avoir d'agaçant fut mis en ufage . La
vivacité du defir brilloit dans les yeax de
la prude , dans fon maintien , la nonchalance
& la volupté , les voiles les plus
legers , le défordre le plus favorable , tout
en elle invitoit Alcibiade à s'oublier . Ilapperçut
le piege. Quel triomphe , lui dit- il ,
Madame , quel triomphe à remporter fur
moi- même ! Je vois bien que l'amour m'éprouve
, & je m'en applaudis : la délicateffe
de mes fentimens en éclatera davantage.
Ces voiles tranfparens & légers , ces
couffins dont la volupté femble avoir formé
fon trône , votre beauté , mes defirs ;
combien d'ennemis à vaincre. Ulyffe n'y
SEPTEMBRE. 1755. 11
échapperoit pas , Hercule y fuccomberoit.
Je ferai plus fage qu'Ulyffe & moins fragile
qu'Hercule . Oui , je vous prouverai que
le feul plaifir d'aimer peut tenir lieu de
tous les plaifirs. Vous êtes charmant , lui
dit-elle , & je puis me flatter d'avoir un
amant unique ; je ne crains qu'une chofe ,
c'eft que votre amour ne s'affoibliffe par la
rigueur . Au contraire , interrompit vivement
Alcibiade , il n'en fera que plus ardent.
Mais , mon cher enfant , vous êtes
jeune , il eft des momens où l'on n'eft pas
maître de foi , & je crois votre fidélité bien
hafardée , fi je vous livre à vos defirs.
Soyez tranquille , Madame : je vous réponds
de tout . Puifque je puis vaincre mes
defirs auprès de vous , auprès de qui n'en
ferai- je pas le maître. Vous me promettez
du moins que s'ils deviennent trop preffans
vous m'en ferez l'aveu . Je ne veux
point qu'une mauvaiſe honte vous retienne.
Ne vous piquez pas de me tenir parole,
il n'eft rien que je ne vous pardonne plutôt
qu'une infidélité. Oui , Madame , je
vous avouerai ma foibleffe de la meilleure
foi du monde , quand je ferai prêt d'y fuccomber:
mais laiffez - moi du moins éprouver
mes forces : je fens qu'elles iront encore
loin , & j'efpere que l'amour m'en
donnera de nouvelles . La prude étoit
A vi
12 MERCURE
DE FRANCE.
furieufe , mais fans fe démentir elle ne
pouvoit fe plaindre , elle fe contraignit
encore , dans l'efpoir qu'à une nouvelle
épreuve Alcibiade fuccomberoit. Il reçut
le lendemain à fon réveil un billet conçu
en ces termes : « J'ai paffé la plus cruelle
» nuit , venez me voir . Je ne puis vivre
» fans vous .
Il arrive chez la prude. Les rideaux des
fenêtres n'étoient qu'entr'ouverts un jour
tendre fe gliffoit dans l'appartement à tra
vers des ondes de pourpre. La prude étoit
encore dans un lit parfemé de rofes. Venez,
lui dit- elle d'une voix plaintive , venez
calmer mes inquiétudes . Un fonge affreux
m'a tourmentée cette nuit , j'ai cru vous
voir aux genoux d'une rivale. Ah j'en frémis
encore ? Je vous l'ai dit Alcibiade , je
ne puis vivre dans la crainte que vous ne
foyez infidelle , mon malheur feroit d'autant
plus fenfible que j'en ferois moi-même
la caufe , & je veux du moins n'avoir rien
à me reprocher. Vous avez beau me promettre
de vous vaincre ; vous êtes trop
jeune pour le pouvoir long- tems, Ne vous
connois-je pas je fens que j'ai trop exigê
de vous , je fens qu'il y a de l'imprudence
& de la cruauté à vous impoſer une loi fi
dure. Comme elle parloit ainfi de l'air du
monde le plus touchant , Alcibiade fe jetta
?
SEPTEMBRE . 1755 13
:
à fes pieds je fuis bien malheureux , lui
dit- il , Madame , fi vous ne m'estimez pas
affez pour me croire capable de m'attacher
à vous par les feuls liens du fentiment !
Après tout de quoi me fuis - je privé ? de ce
qui deshonore l'amour. Je rougis de voir
que vous comptiez ce facrifice pour quelque
chofe. Mais fut- il auffi grand que vous
vous l'imaginez , je n'en aurai que plus de
gloire. Non , mon cher Alcibiade , lui dit
la prude , en lui tendant la main , je ne
veux point d'un facrifice qui te coûte , je
fuis trop fure & trop flattée de l'amour pur
& délicat que tu m'as fibien témoigné.
Sois heureux , j'y confens . Je le fuis , Madame
, s'écria- t-il , du bonheur de vivre
pour vous , ceffez de me foupçonner & de
me plaindre , vous voyez l'amant le plus
fidele , le plus tendre , le plus refpectueux ...
& le plus fot , interrompit- elle , en tirant
brufquement fes rideaux , & elle appella
fes efclaves. Alcibiade fortit furieux de
n'avoir été aimé que comme un autre ,
bien réfolu de ne plus revoir une femme
qui ne l'avoit pris que pour fon plaifir. Ce
n'eft pas ainfi , dit- il , qu'on aime dans l'âge
de l'innocence , & fi la jeune Glicérie
éprouvoit pour
pour moi ce que fes yeux femblent
me dire , je fuis bien certain que ce
feroit-là de l'amour pur.
&
14 MERCURE DE FRANCE.
Glicérie dans fa quinzieme année , atti
roit déja les voeux de la plus brillante jeuneffe.
Qu'on imagine une rofe au moment
de s'épanouir , tels étoient la fraîcheur &
l'éclat de fa beauté.
Alcibiade fe préfenta & fes rivaux fe
diffiperent. Ce n'étoit point encore l'ufage
à Athènes de s'époufer pour fe haïr & pour
fe méprifer le lendemain , & l'on donnoit
aux jeunes gens avant l'hymen , le loifir de
fe voir & de fe parler avec une liberté décente.
Les filles ne fe repofoient pas fur
leurs gardiens du foin de leur vertu . Elles
fe donnoient la peine d'être fages ellesmêmes.
La pudeur n'a commencé à combattre
foiblement , que depuis qu'on lui a
dérobé les honneurs de la victoire. Celle
de Glicérie fit la plus belle défenfe . Alcibiade
n'oublia rien pour la furprendre out
pour la gagner. Il loua la jeune Athénienne
fur fes talens , fes graces , fa beauté , il
lui fit fentir dans tout ce qu'elle difoit
une fineffe qu'elle n'y avoit pas mife , &
une délicateffe dont elle ne fe doutoit pas.
Quel dommage qu'avec tant de charmes ,
elle n'eut pas un coeur fenfible ! je vous
adore , lui difoit- il , & je fuis heureux fi
vous m'aimez. Ne craignez pas de me le
dire , une candeur ingénue eft la vertu de
votre âge , on a beau donner le nom de
រ
SEPTEMBRE. 1755 1-8
prudence à la diffimulation , cette belle
bouche n'eft pas faite pour trahir les fentimens
de votre coeur : qu'elle foit l'organe
de l'amour , c'eft pour lui -même qu'il l'a
formée. Si vous voulez que je fois fincere,
lui répondit Glicérie , avec une modeſtie
mêlée de tendreffe , faites du moins que je
puiffe l'être fans rougir Je veux bien ne
pas trahir mon coeur , mais je veux auffi ne
pas trahir mon devoir , & je trahirois l'un
ou l'autre fi j'en difois davantage. Glicérie
vouloit avant de s'expliquer , que leur
himen fut conclu . Alcibiade vouloit qu'elle
s'expliquât avant de penfer à l'himen.
Il fera bien tems , difoit- il de m'affurer
de votre amour , quand l'himen vous en
aura fait un devoir , & que je vous aurai
réduite à la néceffité de feindre. C'eſt
aujourd'hui que vous êtes libre , qu'il feroit
flateur pour moi d'entendre de votre
bouche l'aveu défintéreffé d'un fentiment
naturel & pur. Hé bien , foyez content , &
ne me reprochez plus de n'avoir pas un
coeur fenfible : il l'eft du moins depuis que
je vous vois. Je vous estime affez pour vous
confier mon fecret , mais à préfent qu'il
m'eft échappé , j'exige de vous une complaifance
, c'eft de ne plus me parler tête à
tête , que vous ne foyez d'accord avec ceux
dont je dépends. L'aveu qu'Alcibiade ve16
MERCURE DE FRANCE.
noit d'obtenir , auroit fair le bonheur d'un
amant moins difficile , mais fa chimere
l'occupoit. Il voulut voir jufqu'au bout
s'il étoit aimé pour lui -même. Je ne vous
diffimulerai lui dit-il , que
pas ,
la démarche
que je vais faire peut avoir un mauvais.
fuccès. Vos parens me reçoivent avec une
politeffe froide que j'aurois pris pour un
congé , fi le plaifir de vous voir n'eut vaincu
ma délicateffe ; mais fi j'oblige votre
pere à s'expliquer , il ne fera plus tems de
feindre . Il eft membre de l'Aréopage , Socrate
, le plus vertueux des hommes , y eft
fufpect & odieux : je fuis l'ami & le difciple
de Socrate , & je crains bien que la
haine qu'on a pour lui , ne s'étende jufqu'à
moi . Mes craintes vont trop loin peut-être ;
mais enfin , fi votre pere nous facrifie à fa
politique , s'il me refufe votre main ; à
quoi vous déterminez - vous . A être malheureuſe
, lui répondit Glicérie , & à céder
à ma deftinée. Vous ne me verrez donc
plus ? Si l'on me deffend de vous voir , il
faudra bien que j'obéiffe . Vous obéïrez
donc auffi , fi l'on vous propofe un autre
époux ? Je ferai la victime de mon devoir.
Et par devoir vous aimerez l'époux qu'on
vous aura choifi ? Je tâcherai de ne le
point haïr ; mais quelles queftions vous
me faites ? Que penferiez - vous de moi
SEPTEMBRE. 1755. 17
j'avois d'autres fentimens ? Je penferois
que vous m'aimez. Il eft trop vrai que je
vous aime. Non , Glicérie , l'amour ne
connoît point de loi ; il eft au- deffus' de
tous les obftacles ; mais je vous rends juf
tice , ce fentiment eft trop fort pour votre
âge , il veut des ames fermes & courageufes
que les difficultés irritent & que les revers
n'étonnent pas . Un tel amour eft rare
je l'avoue . Vouloir un état , un nom , une
fortune dont on difpofe , fe jetter enfin
dans les bras d'un mari pour fe fauver de
fes parens , voilà ce qu'on appelle amour ,
& voilà ce que j'appelle defir de l'indépendance.
Vous êtes bien le maître , lui
dit-elle , les larmes aux yeux , d'ajouter
l'injure au reproche. Je ne vous ai rien dit
que de tendre & d'honnête. Ai-je balancé
un moment à vous facrifier vos rivaux ?
Ai-je hésité à vous avouer votre triomphe?
Que me demandez -vous de plus ? Je vous
demande , lui dit- il , de me jurer une conftance
à toute épreuve , de me jurer que
vous ferez à moi , quoiqu'il arrive , & que
vous ne ferez qu'à moi. En vérité , Seigneur
, c'eft ce que je ne ferai jamais . En
vérité , Madame , je devois m'attendre à
cette réponſe & je rougis de m'y être expofé.
A ces mots , il fe retira outré de colere
, & fe difant à lui -même , j'étois bien
+ MERCURE DE FRANCE.
bon d'aimer un enfant qui n'a point d'ame
& dont le coeur ne fe donne que par avis
de parens.
il y avoit dans Athenes une jeune veuve
qui paroiffoit inconfolable de la perte de
fon époux. Alcibiade lui rendit comme tout
le monde , les premiers devoirs avec le
férieux que la bienféance , impofe auprès
des perfonnes affligées. La veuve trouva
un foulagement fenfible dans les entretiens
de ce difciple de Socrate , & Alcibiade un
charme inexprimable dans les larmes de la
yeuve, Cependant leur morale s'égayoit de
jour en jour. On fit l'éloge des bonnes qualités
du défunt , & puis on convint des
mauvaiſes , c'étoit bien le plus honnête
homme du monde ; mais il n'avoit précifement
que le fens commun. Il étoit affez
bien de figure , mais fans élégance & fans
grace ; rempli d'attentions & de foins ,
mais d'une affiduité fatigante. Enfin , on
étoit au défefpoir d'avoir perdu un fi bon
mari ; mais bien réfolue à n'en pas prendre
un fecond. Eh ! quoi , dit Alcibiade , à
votre âge, renoncer à l'himen ! Je vous
avoue , répondit la veuve , qu'autant l'eſclavage
me répugne , autant la liberté m'effraye.
A mon âge , livrée àmoi- même , &
ne tenant à rien , que vais-je devenir ? Alcibiade
ne manqua pas de lui infinuer
SEPTEMBRE . 1755. 19
qu'entre l'esclavage de l'himen & l'abandon
du veuvage , il y auroit un milieu à
prendre , & qu'à l'égard des bienféances ,
rien au monde n'étoit plus facile à concilier
avec un tendre attachement. On fut
révoltée de cette propofition . On eut mieux
aimémourir. Mourir dans l'âge des amours
& des graces ! il étoit facile de faire voir
le ridicule d'un tel projet , & la veuve ne
craignoit rien tant que de fe donner des
ridicules. Il fut donc réfolu qu'elle ne
mourroit pas ; il étoit déja décidé qu'elle
ne pouvoit vivre , fans tenir à quelque
chofe , ce quelque chofe devoit être un
amant , & fans prévention elle ne connoiffoit
point d'homme plus digne qu'Alci
biade de lui plaire & de l'attacher . Il redoubla
fes affiduités , d'abord elle s'en plaignit
, bientôt elle s'y accoutuma , enfin elle
y exigea du miftere , & pour éviter les im
prudences , on s'arrangea décemment.
Alcibiade étoit au comble de fes voeux.
Ce n'étoit ni les plaiſirs de l'amour , ni les
avantages de l'hymen qu'on aimoit en lui ;
c'étoit lui - même ; du moins le croyoit-il
ainfi . Il triomphoit de la douleur , de la
fageffe , de la fierté d'une femme qui n'exigeoit
de lui que du fecret & de l'amour.
La veuve de fon côté s'applaudiffoit de
tenir fous fes loix l'objet de la jaloufie de
20 MERCURE DE FRANCE.
1
toutes les beautés de la Grece. Mais com
bien peu de perfonnes fçavent jouir fans
confidens ! Alcibiade amant fecret , n'étoit
qu'un amant comme un autre , & le plus
beau triomphe n'eft flatteur qu'autant qu'il
eft folemnel. Un auteur a dit que ce n'eft
pas tout d'être dans une belle campagne ,
fi l'on n'a quelqu'un à qui l'on puiffe dire,la
belle campagne! La veuve trouva de même
que ce n'étoit pas affez d'avoir Alcibiade
pour amant , fi elle ne pouvoit dire à quelqu'un
, j'ai pour amant Alcibiade. Elle en
fit donc la confidence à une amie intime
qui le dit à fon amant , & celui - ci à toute
la Grece. Alcibiade étonné qu'on publiât
fon aventure , crut devoir en avertir la
veuve qui l'accufa d'indifcrétion . Si j'en
étois capable , lui dit-il , je laifferois courir
des bruits que j'aurois voulu répandre ,
& je ne fouhaite rien tant que de les faire
évanouir. Obfervons- nous avec foin , évitons
en public , de nous trouver enſemble ,
& quand le hafard nous réunira . Ne vous
offenfez point de l'air diftrait & diffipé
que j'affecterai auprès de vous. La veuve
reçut tout cela d'affez mauvaife humeur.
Je fens bien , lui dit-elle , que vous en
ferez plus à votre aife : les affiduités , les
attentions vous gênent , & vous ne demandez
pas mieux que de pouvoir voltiger.
f
SEPTEMBRE . 1755 28
Mais moi , quelle contenance voulez-vous
que je tienne. Je ne fçaurois prendre fur
moi d'être coquette : ennuyée de tout en
votre abfence rêveufe & embarraſſée
,
auprès de vous , j'aurai l'air d'être jouée ,
& je le ferai peut- être en effet. Si l'on eſt
perfuadé que vous m'avez , il n'y a plus
aucun remede , le public ne revient pas.
Quel fera donc le fruit de ce prétendu
miftere. Nous aurons l'air , vous , d'un
amant détaché , moi , d'une amante délaiffée.
Cette réponſe de la veuve furprit Alcibiade
, la conduite qu'elle tint acheva de
le confondre . Chaque jour elle fe donnoit
plus d'aifance & de liberté. Au fpectacle ,
elle exigeoit qu'il fut affis derriere elle ,
qu'il lui donnât la main pour aller au Temple
, qu'il fut de fes promenades & de ſes
foupers. Elle affectoit fur- tout de fe trouver
avec fes rivales , & au milieu de ce
concours elle vouloit qu'il ne vit qu'elle.
Elle lui commandoit d'un ton abfolu , le
regardoit avec miftere , lui fourioit d'un
air d'intelligence , & lui parloit à l'oreille
avec cette familiarité qui annonce au public
qu'on eft d'accord. Il vit bien qu'elle
le menoit partout , comme un efclave enchaîné
à fon char . J'ai pris des airs pour
des fentimens , dit-il , avec un foupir , ce
n'eſt pas moi qu'elle aime , c'eſt l'éclat do
22 MERCURE DE FRANCE.
ma conquête ; elle me mépriferoit , fi elle
n'avoit point de rivales . Apprenons- lui que
la vanité n'eft pas digne de fixer l'amour.
On donnera la fuite le mais prochain.
HISTOIRE TRE'S - ANCIENNE.
L
A nature & la Fortune fembloient
avoir confpiré au bonheur d'Alcibiade.
Richeffes , talens , beauté , naiffance , la
fleur de l'âge & de la fanté , que de titres
pour avoir tous les ridicules ! Alcibiade
n'en avoit qu'un : il vouloit être aimé pour
lui-même. Depuis la coqueterie jufqu'à la
fagefle il avoit tout féduit dans Athènes ;
mais en lui étoit- ce bien lui qu'on aimoit ?
Cette délicateffe lui prit un matin comme
il venoit de faire fa cour à une prude. C'eft
le moment des réflexions. Alcibiade en fit
fur ce qu'on appelle le fentiment pur , la
métaphyfique de l'amour. Je fuis bien
duppe , difoit-il , de prodiguer mes foins à
une femme qui ne m'aime peut- être que
pour elle- même ! Je le fçaurai de par tous
les dieux , & s'il en eft ainfi , elle peut chercher
parmi nos athlétes un foupirant qui
me remplace.
La belle prude , fuivant l'ufage , oppofoit
toujours quelque foible réfiftance aux
defirs d'Alcibiade . C'étoit une chofe épouvantable.
Elle ne pouvoit s'y accoutumer.
Il falloit aimer comme elle aimoit pour s'y
A v
to MERCURE DE FRANCE.
réfoudre. Elle auroit voulu pour tout au
monde qu'il fut moins jeune & moins
empreffé. Alcibiade la prit au mot. Je vois
bien , Madame , lui dit il un jour , que ces
complaifances vous coutent ; hé bien , je
veux vous donner une preuve de l'amour
le plus parfait . Oui je confens , puifque
vous le voulez , que nos ames feules foient
unies , & je vous donne ma parole de
n'exiger rien de plus.
La prude loua cette réfolution d'un air
bien capable de la faire évanouir , mais
Alcibiade tint bon . Elle en fur furpriſe , &
piquée , cependant il fallut diffimuler .
Le jour fuivant tout ce que le deshabillé
peut avoir d'agaçant fut mis en ufage . La
vivacité du defir brilloit dans les yeax de
la prude , dans fon maintien , la nonchalance
& la volupté , les voiles les plus
legers , le défordre le plus favorable , tout
en elle invitoit Alcibiade à s'oublier . Ilapperçut
le piege. Quel triomphe , lui dit- il ,
Madame , quel triomphe à remporter fur
moi- même ! Je vois bien que l'amour m'éprouve
, & je m'en applaudis : la délicateffe
de mes fentimens en éclatera davantage.
Ces voiles tranfparens & légers , ces
couffins dont la volupté femble avoir formé
fon trône , votre beauté , mes defirs ;
combien d'ennemis à vaincre. Ulyffe n'y
SEPTEMBRE. 1755. 11
échapperoit pas , Hercule y fuccomberoit.
Je ferai plus fage qu'Ulyffe & moins fragile
qu'Hercule . Oui , je vous prouverai que
le feul plaifir d'aimer peut tenir lieu de
tous les plaifirs. Vous êtes charmant , lui
dit-elle , & je puis me flatter d'avoir un
amant unique ; je ne crains qu'une chofe ,
c'eft que votre amour ne s'affoibliffe par la
rigueur . Au contraire , interrompit vivement
Alcibiade , il n'en fera que plus ardent.
Mais , mon cher enfant , vous êtes
jeune , il eft des momens où l'on n'eft pas
maître de foi , & je crois votre fidélité bien
hafardée , fi je vous livre à vos defirs.
Soyez tranquille , Madame : je vous réponds
de tout . Puifque je puis vaincre mes
defirs auprès de vous , auprès de qui n'en
ferai- je pas le maître. Vous me promettez
du moins que s'ils deviennent trop preffans
vous m'en ferez l'aveu . Je ne veux
point qu'une mauvaiſe honte vous retienne.
Ne vous piquez pas de me tenir parole,
il n'eft rien que je ne vous pardonne plutôt
qu'une infidélité. Oui , Madame , je
vous avouerai ma foibleffe de la meilleure
foi du monde , quand je ferai prêt d'y fuccomber:
mais laiffez - moi du moins éprouver
mes forces : je fens qu'elles iront encore
loin , & j'efpere que l'amour m'en
donnera de nouvelles . La prude étoit
A vi
12 MERCURE
DE FRANCE.
furieufe , mais fans fe démentir elle ne
pouvoit fe plaindre , elle fe contraignit
encore , dans l'efpoir qu'à une nouvelle
épreuve Alcibiade fuccomberoit. Il reçut
le lendemain à fon réveil un billet conçu
en ces termes : « J'ai paffé la plus cruelle
» nuit , venez me voir . Je ne puis vivre
» fans vous .
Il arrive chez la prude. Les rideaux des
fenêtres n'étoient qu'entr'ouverts un jour
tendre fe gliffoit dans l'appartement à tra
vers des ondes de pourpre. La prude étoit
encore dans un lit parfemé de rofes. Venez,
lui dit- elle d'une voix plaintive , venez
calmer mes inquiétudes . Un fonge affreux
m'a tourmentée cette nuit , j'ai cru vous
voir aux genoux d'une rivale. Ah j'en frémis
encore ? Je vous l'ai dit Alcibiade , je
ne puis vivre dans la crainte que vous ne
foyez infidelle , mon malheur feroit d'autant
plus fenfible que j'en ferois moi-même
la caufe , & je veux du moins n'avoir rien
à me reprocher. Vous avez beau me promettre
de vous vaincre ; vous êtes trop
jeune pour le pouvoir long- tems, Ne vous
connois-je pas je fens que j'ai trop exigê
de vous , je fens qu'il y a de l'imprudence
& de la cruauté à vous impoſer une loi fi
dure. Comme elle parloit ainfi de l'air du
monde le plus touchant , Alcibiade fe jetta
?
SEPTEMBRE . 1755 13
:
à fes pieds je fuis bien malheureux , lui
dit- il , Madame , fi vous ne m'estimez pas
affez pour me croire capable de m'attacher
à vous par les feuls liens du fentiment !
Après tout de quoi me fuis - je privé ? de ce
qui deshonore l'amour. Je rougis de voir
que vous comptiez ce facrifice pour quelque
chofe. Mais fut- il auffi grand que vous
vous l'imaginez , je n'en aurai que plus de
gloire. Non , mon cher Alcibiade , lui dit
la prude , en lui tendant la main , je ne
veux point d'un facrifice qui te coûte , je
fuis trop fure & trop flattée de l'amour pur
& délicat que tu m'as fibien témoigné.
Sois heureux , j'y confens . Je le fuis , Madame
, s'écria- t-il , du bonheur de vivre
pour vous , ceffez de me foupçonner & de
me plaindre , vous voyez l'amant le plus
fidele , le plus tendre , le plus refpectueux ...
& le plus fot , interrompit- elle , en tirant
brufquement fes rideaux , & elle appella
fes efclaves. Alcibiade fortit furieux de
n'avoir été aimé que comme un autre ,
bien réfolu de ne plus revoir une femme
qui ne l'avoit pris que pour fon plaifir. Ce
n'eft pas ainfi , dit- il , qu'on aime dans l'âge
de l'innocence , & fi la jeune Glicérie
éprouvoit pour
pour moi ce que fes yeux femblent
me dire , je fuis bien certain que ce
feroit-là de l'amour pur.
&
14 MERCURE DE FRANCE.
Glicérie dans fa quinzieme année , atti
roit déja les voeux de la plus brillante jeuneffe.
Qu'on imagine une rofe au moment
de s'épanouir , tels étoient la fraîcheur &
l'éclat de fa beauté.
Alcibiade fe préfenta & fes rivaux fe
diffiperent. Ce n'étoit point encore l'ufage
à Athènes de s'époufer pour fe haïr & pour
fe méprifer le lendemain , & l'on donnoit
aux jeunes gens avant l'hymen , le loifir de
fe voir & de fe parler avec une liberté décente.
Les filles ne fe repofoient pas fur
leurs gardiens du foin de leur vertu . Elles
fe donnoient la peine d'être fages ellesmêmes.
La pudeur n'a commencé à combattre
foiblement , que depuis qu'on lui a
dérobé les honneurs de la victoire. Celle
de Glicérie fit la plus belle défenfe . Alcibiade
n'oublia rien pour la furprendre out
pour la gagner. Il loua la jeune Athénienne
fur fes talens , fes graces , fa beauté , il
lui fit fentir dans tout ce qu'elle difoit
une fineffe qu'elle n'y avoit pas mife , &
une délicateffe dont elle ne fe doutoit pas.
Quel dommage qu'avec tant de charmes ,
elle n'eut pas un coeur fenfible ! je vous
adore , lui difoit- il , & je fuis heureux fi
vous m'aimez. Ne craignez pas de me le
dire , une candeur ingénue eft la vertu de
votre âge , on a beau donner le nom de
រ
SEPTEMBRE. 1755 1-8
prudence à la diffimulation , cette belle
bouche n'eft pas faite pour trahir les fentimens
de votre coeur : qu'elle foit l'organe
de l'amour , c'eft pour lui -même qu'il l'a
formée. Si vous voulez que je fois fincere,
lui répondit Glicérie , avec une modeſtie
mêlée de tendreffe , faites du moins que je
puiffe l'être fans rougir Je veux bien ne
pas trahir mon coeur , mais je veux auffi ne
pas trahir mon devoir , & je trahirois l'un
ou l'autre fi j'en difois davantage. Glicérie
vouloit avant de s'expliquer , que leur
himen fut conclu . Alcibiade vouloit qu'elle
s'expliquât avant de penfer à l'himen.
Il fera bien tems , difoit- il de m'affurer
de votre amour , quand l'himen vous en
aura fait un devoir , & que je vous aurai
réduite à la néceffité de feindre. C'eſt
aujourd'hui que vous êtes libre , qu'il feroit
flateur pour moi d'entendre de votre
bouche l'aveu défintéreffé d'un fentiment
naturel & pur. Hé bien , foyez content , &
ne me reprochez plus de n'avoir pas un
coeur fenfible : il l'eft du moins depuis que
je vous vois. Je vous estime affez pour vous
confier mon fecret , mais à préfent qu'il
m'eft échappé , j'exige de vous une complaifance
, c'eft de ne plus me parler tête à
tête , que vous ne foyez d'accord avec ceux
dont je dépends. L'aveu qu'Alcibiade ve16
MERCURE DE FRANCE.
noit d'obtenir , auroit fair le bonheur d'un
amant moins difficile , mais fa chimere
l'occupoit. Il voulut voir jufqu'au bout
s'il étoit aimé pour lui -même. Je ne vous
diffimulerai lui dit-il , que
pas ,
la démarche
que je vais faire peut avoir un mauvais.
fuccès. Vos parens me reçoivent avec une
politeffe froide que j'aurois pris pour un
congé , fi le plaifir de vous voir n'eut vaincu
ma délicateffe ; mais fi j'oblige votre
pere à s'expliquer , il ne fera plus tems de
feindre . Il eft membre de l'Aréopage , Socrate
, le plus vertueux des hommes , y eft
fufpect & odieux : je fuis l'ami & le difciple
de Socrate , & je crains bien que la
haine qu'on a pour lui , ne s'étende jufqu'à
moi . Mes craintes vont trop loin peut-être ;
mais enfin , fi votre pere nous facrifie à fa
politique , s'il me refufe votre main ; à
quoi vous déterminez - vous . A être malheureuſe
, lui répondit Glicérie , & à céder
à ma deftinée. Vous ne me verrez donc
plus ? Si l'on me deffend de vous voir , il
faudra bien que j'obéiffe . Vous obéïrez
donc auffi , fi l'on vous propofe un autre
époux ? Je ferai la victime de mon devoir.
Et par devoir vous aimerez l'époux qu'on
vous aura choifi ? Je tâcherai de ne le
point haïr ; mais quelles queftions vous
me faites ? Que penferiez - vous de moi
SEPTEMBRE. 1755. 17
j'avois d'autres fentimens ? Je penferois
que vous m'aimez. Il eft trop vrai que je
vous aime. Non , Glicérie , l'amour ne
connoît point de loi ; il eft au- deffus' de
tous les obftacles ; mais je vous rends juf
tice , ce fentiment eft trop fort pour votre
âge , il veut des ames fermes & courageufes
que les difficultés irritent & que les revers
n'étonnent pas . Un tel amour eft rare
je l'avoue . Vouloir un état , un nom , une
fortune dont on difpofe , fe jetter enfin
dans les bras d'un mari pour fe fauver de
fes parens , voilà ce qu'on appelle amour ,
& voilà ce que j'appelle defir de l'indépendance.
Vous êtes bien le maître , lui
dit-elle , les larmes aux yeux , d'ajouter
l'injure au reproche. Je ne vous ai rien dit
que de tendre & d'honnête. Ai-je balancé
un moment à vous facrifier vos rivaux ?
Ai-je hésité à vous avouer votre triomphe?
Que me demandez -vous de plus ? Je vous
demande , lui dit- il , de me jurer une conftance
à toute épreuve , de me jurer que
vous ferez à moi , quoiqu'il arrive , & que
vous ne ferez qu'à moi. En vérité , Seigneur
, c'eft ce que je ne ferai jamais . En
vérité , Madame , je devois m'attendre à
cette réponſe & je rougis de m'y être expofé.
A ces mots , il fe retira outré de colere
, & fe difant à lui -même , j'étois bien
+ MERCURE DE FRANCE.
bon d'aimer un enfant qui n'a point d'ame
& dont le coeur ne fe donne que par avis
de parens.
il y avoit dans Athenes une jeune veuve
qui paroiffoit inconfolable de la perte de
fon époux. Alcibiade lui rendit comme tout
le monde , les premiers devoirs avec le
férieux que la bienféance , impofe auprès
des perfonnes affligées. La veuve trouva
un foulagement fenfible dans les entretiens
de ce difciple de Socrate , & Alcibiade un
charme inexprimable dans les larmes de la
yeuve, Cependant leur morale s'égayoit de
jour en jour. On fit l'éloge des bonnes qualités
du défunt , & puis on convint des
mauvaiſes , c'étoit bien le plus honnête
homme du monde ; mais il n'avoit précifement
que le fens commun. Il étoit affez
bien de figure , mais fans élégance & fans
grace ; rempli d'attentions & de foins ,
mais d'une affiduité fatigante. Enfin , on
étoit au défefpoir d'avoir perdu un fi bon
mari ; mais bien réfolue à n'en pas prendre
un fecond. Eh ! quoi , dit Alcibiade , à
votre âge, renoncer à l'himen ! Je vous
avoue , répondit la veuve , qu'autant l'eſclavage
me répugne , autant la liberté m'effraye.
A mon âge , livrée àmoi- même , &
ne tenant à rien , que vais-je devenir ? Alcibiade
ne manqua pas de lui infinuer
SEPTEMBRE . 1755. 19
qu'entre l'esclavage de l'himen & l'abandon
du veuvage , il y auroit un milieu à
prendre , & qu'à l'égard des bienféances ,
rien au monde n'étoit plus facile à concilier
avec un tendre attachement. On fut
révoltée de cette propofition . On eut mieux
aimémourir. Mourir dans l'âge des amours
& des graces ! il étoit facile de faire voir
le ridicule d'un tel projet , & la veuve ne
craignoit rien tant que de fe donner des
ridicules. Il fut donc réfolu qu'elle ne
mourroit pas ; il étoit déja décidé qu'elle
ne pouvoit vivre , fans tenir à quelque
chofe , ce quelque chofe devoit être un
amant , & fans prévention elle ne connoiffoit
point d'homme plus digne qu'Alci
biade de lui plaire & de l'attacher . Il redoubla
fes affiduités , d'abord elle s'en plaignit
, bientôt elle s'y accoutuma , enfin elle
y exigea du miftere , & pour éviter les im
prudences , on s'arrangea décemment.
Alcibiade étoit au comble de fes voeux.
Ce n'étoit ni les plaiſirs de l'amour , ni les
avantages de l'hymen qu'on aimoit en lui ;
c'étoit lui - même ; du moins le croyoit-il
ainfi . Il triomphoit de la douleur , de la
fageffe , de la fierté d'une femme qui n'exigeoit
de lui que du fecret & de l'amour.
La veuve de fon côté s'applaudiffoit de
tenir fous fes loix l'objet de la jaloufie de
20 MERCURE DE FRANCE.
1
toutes les beautés de la Grece. Mais com
bien peu de perfonnes fçavent jouir fans
confidens ! Alcibiade amant fecret , n'étoit
qu'un amant comme un autre , & le plus
beau triomphe n'eft flatteur qu'autant qu'il
eft folemnel. Un auteur a dit que ce n'eft
pas tout d'être dans une belle campagne ,
fi l'on n'a quelqu'un à qui l'on puiffe dire,la
belle campagne! La veuve trouva de même
que ce n'étoit pas affez d'avoir Alcibiade
pour amant , fi elle ne pouvoit dire à quelqu'un
, j'ai pour amant Alcibiade. Elle en
fit donc la confidence à une amie intime
qui le dit à fon amant , & celui - ci à toute
la Grece. Alcibiade étonné qu'on publiât
fon aventure , crut devoir en avertir la
veuve qui l'accufa d'indifcrétion . Si j'en
étois capable , lui dit-il , je laifferois courir
des bruits que j'aurois voulu répandre ,
& je ne fouhaite rien tant que de les faire
évanouir. Obfervons- nous avec foin , évitons
en public , de nous trouver enſemble ,
& quand le hafard nous réunira . Ne vous
offenfez point de l'air diftrait & diffipé
que j'affecterai auprès de vous. La veuve
reçut tout cela d'affez mauvaife humeur.
Je fens bien , lui dit-elle , que vous en
ferez plus à votre aife : les affiduités , les
attentions vous gênent , & vous ne demandez
pas mieux que de pouvoir voltiger.
f
SEPTEMBRE . 1755 28
Mais moi , quelle contenance voulez-vous
que je tienne. Je ne fçaurois prendre fur
moi d'être coquette : ennuyée de tout en
votre abfence rêveufe & embarraſſée
,
auprès de vous , j'aurai l'air d'être jouée ,
& je le ferai peut- être en effet. Si l'on eſt
perfuadé que vous m'avez , il n'y a plus
aucun remede , le public ne revient pas.
Quel fera donc le fruit de ce prétendu
miftere. Nous aurons l'air , vous , d'un
amant détaché , moi , d'une amante délaiffée.
Cette réponſe de la veuve furprit Alcibiade
, la conduite qu'elle tint acheva de
le confondre . Chaque jour elle fe donnoit
plus d'aifance & de liberté. Au fpectacle ,
elle exigeoit qu'il fut affis derriere elle ,
qu'il lui donnât la main pour aller au Temple
, qu'il fut de fes promenades & de ſes
foupers. Elle affectoit fur- tout de fe trouver
avec fes rivales , & au milieu de ce
concours elle vouloit qu'il ne vit qu'elle.
Elle lui commandoit d'un ton abfolu , le
regardoit avec miftere , lui fourioit d'un
air d'intelligence , & lui parloit à l'oreille
avec cette familiarité qui annonce au public
qu'on eft d'accord. Il vit bien qu'elle
le menoit partout , comme un efclave enchaîné
à fon char . J'ai pris des airs pour
des fentimens , dit-il , avec un foupir , ce
n'eſt pas moi qu'elle aime , c'eſt l'éclat do
22 MERCURE DE FRANCE.
ma conquête ; elle me mépriferoit , fi elle
n'avoit point de rivales . Apprenons- lui que
la vanité n'eft pas digne de fixer l'amour.
On donnera la fuite le mais prochain.
Fermer
Résumé : LE MOI. HISTOIRE TRÈS-ANCIENNE.
Le texte décrit les expériences amoureuses d'Alcibiade, un homme riche, talentueux et beau, à Athènes. Alcibiade aspire à être aimé pour lui-même et non pour ses qualités extérieures. Il engage une relation avec une prude qui oppose une résistance feinte à ses avances. Alcibiade décide de ne pas exiger de relation physique, voulant prouver que l'amour pur peut suffire. La prude, frustrée, tente de le séduire, mais Alcibiade résiste, trouvant un triomphe dans cette épreuve. La prude, exaspérée, finit par le rejeter brutalement. Alcibiade se tourne ensuite vers Glicérie, une jeune femme de quinze ans, dont il admire la beauté et les talents. Il cherche à obtenir un aveu d'amour avant le mariage, mais Glicérie souhaite attendre la conclusion de l'hymen. Alcibiade, insistant, finit par se retirer, déçu par son manque de spontanéité. Enfin, Alcibiade rencontre une jeune veuve inconsolable. Leur relation évolue, et Alcibiade suggère une liaison sans engagement formel. La veuve refuse, préférant la liberté au nouvel esclavage du mariage. Alcibiade tente de la convaincre, mais elle reste ferme dans son refus. Le texte relate également une histoire d'amour secrète entre la veuve et Alcibiade. Initialement, la veuve ne souhaitait pas mourir et décida qu'elle ne pouvait vivre sans un amant, choisissant Alcibiade. Leur relation devint officielle, mais la veuve désirait la rendre publique. Elle confia leur secret à une amie, qui le révéla à son tour, provoquant une indiscrétion. Alcibiade, surpris, conseilla à la veuve de rester discrets en public. Cependant, la veuve, mécontente, continua de se comporter de manière ostentatoire, exigeant la présence d'Alcibiade en public et affichant leur complicité. Alcibiade réalisa alors que la veuve était motivée par la vanité et la jalousie des autres femmes, plutôt que par un véritable amour. Il conclut que la vanité n'était pas une base suffisante pour l'amour. La veuve et Alcibiade devaient se séparer prochainement.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
442
p. 43
STANCES A PHILIS. Pour l'inviter à venir quelque tems à la campagne.
Début :
Allons, Philis, dans ces bocages, [...]
Mots clefs :
Amour, Dieux, Nature, Fleurs
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : STANCES A PHILIS. Pour l'inviter à venir quelque tems à la campagne.
STANCES A PHILIS.
Pour l'inviter à venir quelque tems à la
campagne.
ALlons , Philis , dans ces bocages ,
Contempler de nouveaux objets ,
Et fous ces ténébreux feuillages
Inventer de plus doux projets.
Allons , loin du fafte des villes ;
Loin du fiécle , loin des plaiſirs ,
A nos coeurs fimples & dociles
Permettre d'innocens defirs.
Allons ... la nature embellie ,
Par-deffus l'éclat des cités
D'une douce mélancolie ,
Remplira nos coeurs enchantés.
Du repos de ce lieu champêtre
Amour pourra s'autoriſer.
Tout y fert à le faire naître
Ainfi qu'à le favorifer.
44 MERCURE DE FRANCE.
Quand la plaintive tourterelle
Pouffera de tendres accens ,
Ton coeur peut-être apprendra d'elle
Afouffrir des maux que je fens .
Quand le cryftal d'une onde pare
Offrira tes traits dans fon fein ,
Il t'apprendra que la nature
Ne forma pas ces traits en vain.
Ces fleurs même , ces fleurs nouvelles
Nous font fouvenir des inftans :
Elles ne font pas toujours belles ,
Philis ,il n'eft qu'un feul printems.
Le tems , plus léger que l'aurore
S'envole d'un rapide cours :
Rendons-le plus rapide encore ,
En le confacrant aux Amours.
Tous deux de l'ardeur la plus vive ,
Philis , laiffons-nous enflammer :
Tu m'aimeras pour que je vive ,
Et moi je vivrai pour t'aimer.
SEPTEMBRE. 1755 .
45
Ah ! fi ton amour eft durable ,
S'il ne fuit jamais d'autres loix ,
Mon fort eft cent fois préférable
Au fort brillant des plus grands Rois.
D'une félicité plus pure
Les Dieux goûtent- ils la douceur ?
Au- deffous d'eux par ma nature ,
Au- deffus d'eux par mon bonheur.
Quand avec toi mon coeur s'explique ,
Je crois monter au rang des Dieux :
Et fous le toit le plus ruftique
Je trouve près de toi les cieux.
Tout eft divin dans ta perfonne.
M'offres-tu la rouge liqueur ?
Je crois voir Hebé qui me donne
Un nectar rempli de douceur.
M'offres-tu la pomme nouvelle
Pâris fe vit moins honoré :
La fienne étoit à la plus belle ,
La tienne eft au plus adoré .
46 MERCURE DE FRANCE.
Ces fleurs que ta main a choiſie ,
Tu leur donnes mille vertus ;
Ce font celles dont l'ambroifie
Parfument l'autel de Vénus.
'Ah ! que l'amour répand dans l'ame
De fentimens délicieux.
Philis , en brûlant de fa flamme ,
Nous nous rendrons plus chers aux Dieux.
La cour des céleftes Monarques
Nous deftine les plus beaux jours.
Les graces deviennent les parques
Des coeurs confacrés aux Amours.
L'amour , c'est le fil de la vie.
Les plaifirs tiennent le fuſeau ,
L'ivreffe dont elle eft fuivie ,
Philis , c'eft le coup du cifeau,
Veux-tu voir la métamorphofe
D'un mortel au- deffus d'un Roi
Un mot fait mon apothéoſe :
Cher Tircis , mon coeur eft à toi.
Pour l'inviter à venir quelque tems à la
campagne.
ALlons , Philis , dans ces bocages ,
Contempler de nouveaux objets ,
Et fous ces ténébreux feuillages
Inventer de plus doux projets.
Allons , loin du fafte des villes ;
Loin du fiécle , loin des plaiſirs ,
A nos coeurs fimples & dociles
Permettre d'innocens defirs.
Allons ... la nature embellie ,
Par-deffus l'éclat des cités
D'une douce mélancolie ,
Remplira nos coeurs enchantés.
Du repos de ce lieu champêtre
Amour pourra s'autoriſer.
Tout y fert à le faire naître
Ainfi qu'à le favorifer.
44 MERCURE DE FRANCE.
Quand la plaintive tourterelle
Pouffera de tendres accens ,
Ton coeur peut-être apprendra d'elle
Afouffrir des maux que je fens .
Quand le cryftal d'une onde pare
Offrira tes traits dans fon fein ,
Il t'apprendra que la nature
Ne forma pas ces traits en vain.
Ces fleurs même , ces fleurs nouvelles
Nous font fouvenir des inftans :
Elles ne font pas toujours belles ,
Philis ,il n'eft qu'un feul printems.
Le tems , plus léger que l'aurore
S'envole d'un rapide cours :
Rendons-le plus rapide encore ,
En le confacrant aux Amours.
Tous deux de l'ardeur la plus vive ,
Philis , laiffons-nous enflammer :
Tu m'aimeras pour que je vive ,
Et moi je vivrai pour t'aimer.
SEPTEMBRE. 1755 .
45
Ah ! fi ton amour eft durable ,
S'il ne fuit jamais d'autres loix ,
Mon fort eft cent fois préférable
Au fort brillant des plus grands Rois.
D'une félicité plus pure
Les Dieux goûtent- ils la douceur ?
Au- deffous d'eux par ma nature ,
Au- deffus d'eux par mon bonheur.
Quand avec toi mon coeur s'explique ,
Je crois monter au rang des Dieux :
Et fous le toit le plus ruftique
Je trouve près de toi les cieux.
Tout eft divin dans ta perfonne.
M'offres-tu la rouge liqueur ?
Je crois voir Hebé qui me donne
Un nectar rempli de douceur.
M'offres-tu la pomme nouvelle
Pâris fe vit moins honoré :
La fienne étoit à la plus belle ,
La tienne eft au plus adoré .
46 MERCURE DE FRANCE.
Ces fleurs que ta main a choiſie ,
Tu leur donnes mille vertus ;
Ce font celles dont l'ambroifie
Parfument l'autel de Vénus.
'Ah ! que l'amour répand dans l'ame
De fentimens délicieux.
Philis , en brûlant de fa flamme ,
Nous nous rendrons plus chers aux Dieux.
La cour des céleftes Monarques
Nous deftine les plus beaux jours.
Les graces deviennent les parques
Des coeurs confacrés aux Amours.
L'amour , c'est le fil de la vie.
Les plaifirs tiennent le fuſeau ,
L'ivreffe dont elle eft fuivie ,
Philis , c'eft le coup du cifeau,
Veux-tu voir la métamorphofe
D'un mortel au- deffus d'un Roi
Un mot fait mon apothéoſe :
Cher Tircis , mon coeur eft à toi.
Fermer
Résumé : STANCES A PHILIS. Pour l'inviter à venir quelque tems à la campagne.
Le texte 'Stances à Philis' est une invitation adressée à Philis pour qu'elle rejoigne le narrateur à la campagne. Le narrateur souhaite fuir l'agitation des villes et les plaisirs mondains afin de savourer la simplicité et l'innocence de la nature. Il décrit la nature comme une source de douce mélancolie et de repos, favorable à l'amour. Divers éléments naturels, tels que la tourterelle et les fleurs, illustrent la beauté éphémère et l'importance de profiter de l'instant présent. Le narrateur exprime un amour ardent pour Philis, affirmant que son amour surpasse celui des plus grands rois et aspire à une félicité pure avec elle. Le texte se conclut par une métaphore de l'amour comme fil de la vie, soulignant l'importance des plaisirs et des sentiments délicieux qu'il procure.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
443
p. 199-201
PEINTURE. Explication d'un tableau peint à l'encre de la Chine, représentant l'Union de Psiché avec l'Amour, dédié à Madame la Comtesse de Gisors ; par M. Gosmond de Vernon, Dessinateur & Pensionnaire du Roi.
Début :
Ce tableau, qui a pour objet le mariage de M. le Comte de Gisors, avec Mlle [...]
Mots clefs :
Tableau, Psyché, Amour, Comte de Gisors, Augustin Gosmond de Vernon, Dessinateur du Roi, Pensionnaire du Roi
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : PEINTURE. Explication d'un tableau peint à l'encre de la Chine, représentant l'Union de Psiché avec l'Amour, dédié à Madame la Comtesse de Gisors ; par M. Gosmond de Vernon, Dessinateur & Pensionnaire du Roi.
PEINTURE.
Explication d'un tableau peint à l'encre de la
Chine, repréfentant l'Union de Pfiché avec .
l'Amour , dédié à Madame la Comteffe
de Gifors ; par M. Gofmond de Vernon ,
Deffinateur & Penfionnaire du Roi.
E tableau, qui a pour objet le mariage
de M. le Comte de Gifors, avec Mlle
de Nivernois , eft compofé de plufieurs
grouppes de figures.
Le grouppe fupérieur repréſente Jupiter
dans la gloire , accompagné de Junon . Le
Souverain des Dieux paroît donner fon
applaudiffement à l'Union de Pfiché avec
l'Amour , qui fait le principal fujet du tableau.
Junon appuyée fur une corne d'abondance,
répand des fleurs fur les époux :
heureux préfage des douceurs & des fruits
précieux que doit produire cet Hymenée !
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Ces Divinités qui , chez les anciens , préfidoient
aux mariages illuftres , ont pour
but de défigner l'augufte approbation que
le Roi & la Reine ont fait l'honneur d'accorder
à celui- ci .
On voit au -deffous , l'autel de l'Hymen :
Pfiché eft à côté , couronnée de roſes, qui
donne modeftement fa main à l'Amour.
Ce Dieu vole à elle , & marque par fon
air empreffé , combien il eft fenfible au
bonheur , dont il va jouir. L'Union de ce
Dieu & de cette Déeffe , préfente d'une
maniere allégorique M. le Comte de Gifors
, fous la forme de l'Amour ; & fous
celle de Pfiché , les perfections de Madame
la Comteffe fon épouse .
Au bas de l'autel eft l'Hymen , qui
tient un cartouche , où les armes des époux
font réunies . Il exprime par fon foûrire ,
la joie qu'il reffent d'unir le plus aimable
& le plus chéri des Dieux à la Beauté , qui
feule a eu droit de le charmer. Le flambeau
& l'arc de l'Amour dépofés , près de lui ,
auffi bien que les palmes jointes à l'écuffon
, font des types affez clairs de la tendreffe
& de la gloire qui doivent réfulter
d'une femblable alliance .
Les grouppes qu'on obferve fur les côtés
, font allufion aux maifons refpectables
qui s'uniffent enſemble par ce mariage.
SEPTEMBRE . 1755. 201
Celui qui eft auprès de l'Amour , défigne
allégoriquement Mr le Maréchal Duc
de Belle- Ifle , fous les figures de Minerve
& d'Hercule , images de la fageffe , du
goût , de la fublimité des talens & de là
force du courage du héros qu'on a voulu
caractériſer. Hercule appuyé fur fa maffue
& fon bouclier , regarde avec fatisfaction
un Hymenée qui met le comble à tous fes
voeux , & Minerve offre une branche d'olivier
, fymbole du bonheur qui doit naître
d'une union que fa prudence a fçu ménager.
Le grouppe proche de Pfiché , eft compofé
d'Apollon & des Graces , Divinités
qui caractérisent M. le Duc & Madame la
Ducheffe de Nivernois. Les graces couronnées
de myrthes , préfentent une pareille
couronne fur la tête de Pfiché , &
paroiffent répandre fur elle par leur regards
affectionnées tous les dons aimables
dont elles peuvent gratifier les mortels .
Apollon , que la deftinée unit à ces filles
du ciel , confidere avec tranfport une liarfon
qui lui eft fi chere , puifqu'il y voit
réuni tout le prix de fes heureux talens &
de fes lumieres .
Explication d'un tableau peint à l'encre de la
Chine, repréfentant l'Union de Pfiché avec .
l'Amour , dédié à Madame la Comteffe
de Gifors ; par M. Gofmond de Vernon ,
Deffinateur & Penfionnaire du Roi.
E tableau, qui a pour objet le mariage
de M. le Comte de Gifors, avec Mlle
de Nivernois , eft compofé de plufieurs
grouppes de figures.
Le grouppe fupérieur repréſente Jupiter
dans la gloire , accompagné de Junon . Le
Souverain des Dieux paroît donner fon
applaudiffement à l'Union de Pfiché avec
l'Amour , qui fait le principal fujet du tableau.
Junon appuyée fur une corne d'abondance,
répand des fleurs fur les époux :
heureux préfage des douceurs & des fruits
précieux que doit produire cet Hymenée !
I iv
200 MERCURE DE FRANCE.
Ces Divinités qui , chez les anciens , préfidoient
aux mariages illuftres , ont pour
but de défigner l'augufte approbation que
le Roi & la Reine ont fait l'honneur d'accorder
à celui- ci .
On voit au -deffous , l'autel de l'Hymen :
Pfiché eft à côté , couronnée de roſes, qui
donne modeftement fa main à l'Amour.
Ce Dieu vole à elle , & marque par fon
air empreffé , combien il eft fenfible au
bonheur , dont il va jouir. L'Union de ce
Dieu & de cette Déeffe , préfente d'une
maniere allégorique M. le Comte de Gifors
, fous la forme de l'Amour ; & fous
celle de Pfiché , les perfections de Madame
la Comteffe fon épouse .
Au bas de l'autel eft l'Hymen , qui
tient un cartouche , où les armes des époux
font réunies . Il exprime par fon foûrire ,
la joie qu'il reffent d'unir le plus aimable
& le plus chéri des Dieux à la Beauté , qui
feule a eu droit de le charmer. Le flambeau
& l'arc de l'Amour dépofés , près de lui ,
auffi bien que les palmes jointes à l'écuffon
, font des types affez clairs de la tendreffe
& de la gloire qui doivent réfulter
d'une femblable alliance .
Les grouppes qu'on obferve fur les côtés
, font allufion aux maifons refpectables
qui s'uniffent enſemble par ce mariage.
SEPTEMBRE . 1755. 201
Celui qui eft auprès de l'Amour , défigne
allégoriquement Mr le Maréchal Duc
de Belle- Ifle , fous les figures de Minerve
& d'Hercule , images de la fageffe , du
goût , de la fublimité des talens & de là
force du courage du héros qu'on a voulu
caractériſer. Hercule appuyé fur fa maffue
& fon bouclier , regarde avec fatisfaction
un Hymenée qui met le comble à tous fes
voeux , & Minerve offre une branche d'olivier
, fymbole du bonheur qui doit naître
d'une union que fa prudence a fçu ménager.
Le grouppe proche de Pfiché , eft compofé
d'Apollon & des Graces , Divinités
qui caractérisent M. le Duc & Madame la
Ducheffe de Nivernois. Les graces couronnées
de myrthes , préfentent une pareille
couronne fur la tête de Pfiché , &
paroiffent répandre fur elle par leur regards
affectionnées tous les dons aimables
dont elles peuvent gratifier les mortels .
Apollon , que la deftinée unit à ces filles
du ciel , confidere avec tranfport une liarfon
qui lui eft fi chere , puifqu'il y voit
réuni tout le prix de fes heureux talens &
de fes lumieres .
Fermer
Résumé : PEINTURE. Explication d'un tableau peint à l'encre de la Chine, représentant l'Union de Psiché avec l'Amour, dédié à Madame la Comtesse de Gisors ; par M. Gosmond de Vernon, Dessinateur & Pensionnaire du Roi.
Le texte décrit un tableau à l'encre de Chine représentant l'union de Psyché et de l'Amour, dédié à Madame la Comtesse de Gifors. Réalisé par M. Gofmond de Vernon, il célèbre le mariage de M. le Comte de Gifors et de Mlle de Nivernois. Le tableau est structuré en plusieurs groupes de figures. Le groupe supérieur montre Jupiter et Junon approuvant l'union, symbolisant l'approbation royale. Junon, appuyée sur une corne d'abondance, répand des fleurs sur les époux, représentant les douceurs et les fruits précieux de cette union. En dessous, l'autel de l'Hymen est présent, avec Psyché couronnée de roses donnant sa main à l'Amour. Cette scène allégorique représente M. le Comte de Gifors sous la forme de l'Amour et Madame la Comtesse sous celle de Psyché. L'Hymen, au bas de l'autel, tient un cartouche avec les armes des époux et exprime sa joie de les unir. Les symboles autour de lui, comme le flambeau et l'arc de l'Amour, évoquent la tendresse et la gloire de cette alliance. Les groupes sur les côtés font référence aux maisons respectables unies par ce mariage. Près de l'Amour, le Maréchal Duc de Belle-Isle est représenté par Minerve et Hercule, symbolisant la sagesse et la force. Près de Psyché, Apollon et les Grâces représentent M. le Duc et Madame la Duchesse de Nivernois, offrant une couronne de myrtes à Psyché et représentant les talents et les lumières d'Apollon.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
444
p. 8-31
SUITE DU MOI.
Début :
La jalousie des Philosophes ne pouvoit pardonner à Socrate de n'enseigner [...]
Mots clefs :
Amour, Socrate, Âme, Yeux, Coeur, Mari, Femmes, Hommes, Bonheur, Philosophie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE DU MOI.
SUITE DU MOI.
A jaloufie des Philofophes ne pouvoit
pardonner à Socrate de n'enfeigner
en public que la vérité & la vertu ,
on portoit chaque jour à l'Aréopage les
plaintes les plus graves contre ce dangereux
citoyen. Socrate occupé à faire du
bien , laiffoit dire de lui tout le mal qu'on
imaginoit ; mais Alcibiade dévoué à Socrate
, faifoit face à fes ennemis. Il fe préfentoit
aux Magiftrats ; il leur reprochoit
d'écouter des lâches , & d'épargner des
impofteurs , & ne parloit de fon maître
que comme du plus jufte & du plus fage
des mortels : L'entoufiafme rend éloquent.
Dans les conférences qu'il eut avec l'un
des membres de l'Aréopage , en préſence
de la femme du Juge , il parla avec tant
de douceur & de véhémence , de fentiment
& de raiſon , fa beauté s'anima d'un feu fi
noble & fi touchant que cette femme vertueufe
en fut émue jufqu'au fond de l'ame .
Elle prit fon trouble pour de l'admiration .
Socrate , dit- elle à ſon époux , eft en effet
un homme divin , s'il fait de femblables.
difciples. Je fuis enchantée de l'éloquence
de ce jeune homme ; il n'eft pas poffible
OCTOBRE. 1755. 9
de l'entendre fans devenir meilleur. Le
Magiftrat qui n'avoit garde de foupçonner
la fageffe de fon époufe , rendit à Alcibia
de l'éloge qu'elle avoit fait de lui . Alcibiade
en fut flaté , il demanda au mari la
permiffion de cultiver l'eftime de fa fennie.
Le bon homme l'y invita. Ma femme ,
dit- il , eft philofophe auffi , & je ferai
bien aife de vous voir aux prifes . Rodope
( c'étoit le nom de cette femme refpectable
) fe piquoit en effet de philofophie , &
celle de Socrate dans la bouche d'Alcibiade
la gagnoit de plus en plus : J'oubliois
de dire qu'elle étoit dans l'âge où l'on n'eft
plus jolie , mais où l'on eft encore belle , où
l'oneft peut être un peu moins aimable , mais
où l'on fçait beaucoup mieux aimer . Alcibiade
lui rendit des devoirs : elle ne fe défia
ni de lui ni d'elle- même L'étude de la
fageffe rempliffoit tous leurs entretiens.
Les leçons de Socrate paffoient de l'ame
d'Alcibiade dans celle de Rodope , & dans
ce paffage elles prenoient de nouveaux.
charmes ; c'étoit un ruiffeau d'eau pure
qui couloit au travers des fleurs . Rodope
en étoit chaque jour plus altérée. Elle fe
faifoit définir fuivant les principes de Socrate
, la fageffe & la vertu , la justice & la
vérité. L'amitié vint à ſon tour , & après
en avoir approfondi l'effence. Je voudrois
A.v.
To
MERCURE DE
FRANCE.
bien fçavoir , dit Rodope , quelle différence
met Socrate entre l'amour & l'amitié
?
Quoique Socrate ne foit point de ces
philofophes qui
analyſent tout , lui répondit
Alcibiade , il
diftingue trois
amours ;
l'un groffier & bas , qui nous eft commun
avec les
animaux , c'eft l'attrait du befoin.
& le goût du plaifir . L'autre pur & célefte
qui nous
rapproche des Dieux , c'eſt
l'amitié plus vive & plus tendre ; le troifiéme
enfin qui
participe des deux premiers
, tient le milieu entre les Dieux &
les brutes , & femble le plus naturel aux
hommes : c'eft le lien des ames cimenté
par celui des fens.
Socrate donne la
préférence au charme
pur de l'amitié ; mais comme il ne fait
point un crime à la nature d'avoir uni
l'efprit à la matiere , il n'en fait pas un à
l'homme de fe
reffentir de ce
mêlange
dans fes penchans & dans fes plaifirs ; c'eft
fur-tout lorfque la nature a pris foin d'unir
un beau corps avec une belle ame qu'il
veut qu'on
refpecte
l'ouvrage de la nature
; car quelque laid que foit
Socrate , il
rend juftice à la beauté. S'il fçavoit , par
exemple , avec qui je
m'entretiens de philofophie
, je ne doute pas qu'il ne me fit
une querelle
d'employer fi mal fes leçons.
Je vous difpenfe d'être galant ,
interromOCTOBRE.
1755. 11
pit Rodope : je parle à un fage , je veux
qu'il m'éclaire , & non pas qu'il me flate.
Revenons aux príncipes de votre maître.
11 permet l'amour , dites- vous , mais en
connoît - il les égaremens & les excès ?
Oui , Madame , comme il connoit ceux de
l'ivreffe , & il ne laiffe pas de permettre
le vin. La comparaifon n'eft pas jufte , dit
Rodope , on eft hore de choifir fes vins ,
& d'en modérer l'ufage : A- t on la même
liberté en amour : il eft fans choix & fans
meſure . Oui fans doute , reprit Alcibiade
, dans un homme fans moeurs & fans
principes ; mais Socrate commence par
former des hommes éclairés & vertueux
& c'eft à ceux-là qu'il permet l'amour. Il
fçait bien qu'ils n'aimeront rien que d'honnête
, & alors on ne court aucun rifque à
aimer à l'excès . L'afeendant mutuel de deux
ames vertueufes ne peut que les rendre plus
vertueufes encore. Chaque réponse d'Alcibiade
applaniffoit quelque difficulté dans
l'efprit de Rodope , & rendoit le penchant
qui l'attiroit vers lui plus gliffant & plus
rapide. Il ne reftoit plus que la foi conju
gale , & c'étoit là le noeud Gordien . Rodope
n'étoit pas de celles avec qui on le
tranche , il falloit le dénouer ; Alcibiade
s'y prit de loin. Comme ils en étoient un
jour fur l'article de la fociété ; le befoin ,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
dit Alcibiade , a réuni les hommes , l'intérêt
commun a réglé leurs devoirs , & les
abus ont produit les loix. Tout cela eſt
facré ; mais tout cela eft étranger à notre
ame. Comme les hommes ne le touchent
qu'au dehors , les devoirs mutuels qu'ils
fe font impofés ne paffent point la fuperficie.
La nature feule eft la légiflatrice du
coeur , elle feule peut infpirer la reconnoiffance
, l'amitié ; l'amour , en un mot ,
le fentiment ne fçauroit être un devoir
d'inftitution de là vient , par exemple ,
que dans le mariage on ne peut ni promettre
ni exiger qu'un attachement corporel.
Rodope qui avoit goûté le principe , fut
effrayée de la conféquence : Quoi , dit- elle
, je n'aurois promis à mon mari que de
me comporter comme fi je l'aimois . Qu'avez-
vous donc pu lui promettre ? De l'aimer
en effet , lui répondit- elle d'une voix
mal affurée. Il vous a donc promis à fon
tour d'être non feulement aimable , mais
de tous les hommes le plus aimable à vos
yeux ? il m'a promis d'y faire fon poffible ,
& il me tient parole : Hé bien vous faites
votre poffible auffi pour l'aimer , mais ni
l'un ni l'autre vous n'êtes garans du fuccès.
Voilà une morale affreufe, s'écria Rodope.
Heureufement , Madame , elle n'eft pas
fi affreuse , il y auroit trop de coupables fi
OCTOBRE. 1755 13
l'amour conjugal étoit un devoir effentiel .
Quoi , Seigneur , vous doutez .... Je ne
doute de rien , Madame , mais ma franchife
peut vous déplaire , & je ne vous
vois pas difpofée à l'imiter . Je croyois parler
à un philofophe , je ne parlois qu'à une
femme d'efprit. Je me retire confus de ma
méprife ; mais je veux vous donner pour
adieux un exemple de fincérité. Je crois
avoir des moeurs auffi pures , auffi honnêtes
que la femme la plus vertueufe ; je fçais
tout auffi- bien qu'elle à quoi nous engage
Phonneur & la religion du ferment , je
connois les loix de l'Hymen , & le crime
de les violer ; cependant euffai - je époufé
mille femmes je ne me ferois pas le plus
léger reproche de vous trouver vous ſeule
plus belle , plus aimable mille fois que ces
mille femmes enfemble . Selon vous , pour
être vertueuse , il faut n'avoir ni une ame
ni des yeux : je vous félicite d'être arrivée
à ce dégré de perfection . Ce difcours prononcé
du ton du dépit & de la colere laiſſa
Rodope dans un étonnement dont elle eur
peine à revenir ; cependant , Alcibiade
ceffa de la voir. Elle avoit découvert dans
fes adieux un intérêt plus vif que la chaleur
de la difpute ; elle fentit de fon côté que
fes conférences philofophiques n'étoient
pas ce qu'elle regrettoit le plus. L'ennui.
14 MERCURE DE FRANCE.
de tout , le dégoût d'elle - même , une répugnance
fecrette pour les empreffemens
de fon mari , enfin le trouble & la rongeur
que lui caufoit le feul nom d'Alcibiade ,
tout lui faifoit craindre le danger de le
revoir , & cependant elle brûloit du defir
de le revoir encore . Son mari le lui ramena.
Comme elle lui avoit fait entendre
qu'ils s'étoient piqués l'un & l'autre fur
une difpute de mots , le Magiftrat en fic
une plaifanterie à Alcibiade , & l'obligea
de revenir. L'entrevûe fut férieufe , le mari
s'en amufa quelque tems ; mais fes affaires
P'appelloient ailleurs : Je vous laiffe , leur
dit-il, & j'efpere qu'après vous être brouillés
fur les mots , vous vous reconcilierez
fur les chofes. Le bon homme n'y entendoit
pas malice , mais fa femme en rongit
pour lui.
Après un affez long filence , Alcibiade
prit la parole. Nos entretiens , Madame ,
faifoient mes délices , & avec toutes les
facilités poffibles d'être diffipé vous m'aviez
fait goûter & préférer à tout les charmes
de la folitude . Je n'étois plus au monde
, je n'étois plus à moi - même , j'étois à
vous tout entier . Ne penfez pas qu'un fol
efpoir de vous féduire & de vous égarer
fe fût gliffé dans mon ame , la vertu bien
plus que l'efprit & la beauté m'avoit enOCTOBRE.
1955. 15
chaîné fous vos loix. Mais vous aimant
d'un amour auffi délicat que tendre , je me
flatois de vous l'infpirer. Cet amour pur
& vertueux vous offenfe , ou plutôt il
vous importune , car il n'eft pas poffible
que vous le condamniez de bonne foi.
Tout ce que je fens pour vous , Madame ,
vous l'éprouvez pour un autre ; vous me
l'avez avoué. Je ne puis vous le reprocher
ni m'en plaindre ; mais convenez que je ne
fuis pas heureux. Il n'y a peut- être qu'une
femme dans Athénes qui ait de l'amour
pour fon mari , & c'eft précisément de
cette femme que je deviens éperdu . En
vérité , vous êtes bien fou pour le difciple
d'an Sage , lui dit Rodope en foûriant ;
il répliqua le plus férieufement du monde
; elle repartit en badinant ; il lui prit la
main , elle fe fâcha ; il baifa certe main ,
elle voulut fe lever ; il la retint , elle rougit
, & la tête tourna aux deux Philofophes.
Il n'eſt pas befoin de dire combien Rodope
fut défolée , ni comment elle fe confola
, tout cela fe fuppofe aifément dans
une femme vertueufe & paffionnée.
Elle trembloit fur - tout pour l'honneur
& le repos de fon mari. Alcibiade lui fit
le ferment d'un fecret inviolable ; mais la
malice du public le difpenfa d'être indif16
MERCURE DE FRANCE.
cret. On fçavoit bien qu'il n'étoit pas homme
à parler fans ceffe de philofophie à
une femme aimable . Ses affiduités donnerent
des foupçons ; les foupçons dans le
monde valent des certitudes. Il fut décidé
qu'Alcibiade avoit Rodope. Le bruit en
vint aux oreilles de l'époux . Il n'avoit
garde d'y ajouter foi , mais fon honneur
& celui de fa femme exigeoient qu'elle fe
mit au- deffus du foupçon. Il lui parla de
la néceffité d'éloigner Alciade , avec tant
de douceur , de raifon & de confiance ,
qu'elle n'eut pas même la force de répliquer.
Rien de plus accablant pour une
ame fenfible & naturellement vertueufe
que de recevoir des marques d'eftime
qu'elle ne mérite plus .
Rodope dès ce moment réfolut de ne
plus voir Alcibiade , & plus elle fentoit
pour lui de foibleffe , plus elle lui montra
de fermeté dans la réfolution qu'elle
avoit prife de rompre avec lui fans retour.
Il eut beau la combattre avec toute fon
éloquence : J'ai pû me laiffer perfuader ,
lui dit-elle , que les torts fecrets qu'on
avoit avec un mari n'étoient rien , mais
les feules apparences font des torts réels ,
dès qu'elles attaquent fon honneur , ou
qu'elles troublent fon repos. Je ne fuis pas
obligé eà aimer mon époux , je veux. le
OCTOBRE. 1755 . 17
croire , mais le rendre heureux autant
qu'il dépend de moi eft un devoir indifpenfable.
Ainfi , Madame , vous préférez
fon bonheur au mien . Je préfére , lui ditelle
, mes engagemens à mes inclinations.
Ce mot échappé fera ma derniere foibleffe.
Eh ! je me croyois aimé , s'écrie Alcibiade
avec dépit ! Adieu , Madame , je vois bien.
que je n'ai dû mon bonheur qu'au caprice
d'un moment. Voilà de nos honnêtes
femmes , pourfuivit- il ; quand elles nous
prennent , c'eft excès d'amour ; quand elles
nous quittent , c'eft effort de vertu ; &
dans le fond cet amour & cette vertu ne
font qu'une fantaiſie qui leur vient , ou
qui leur paffe. J'ai mérité tous ces outrages
, dit Rodope en fondant en larmes.
Une femme qui ne s'eft pas refpectée ne
doit pas s'attendre à l'être. Il eft bien jufte
que nos foibleffes nous attirent des mépris.
Alcibiade , après tant d'épreuves , étoit
bien convaincu qu'il ne falloit plus compter
fur les femmes , mais il n'étoit
pas
affez fûr de lui-même pour s'expofer à de
nouveaux dangers ; & tout réfolu qu'il
étoit à ne plus aimer , il fentoit confufément
le befoin d'aimer encore.
Dans cette inquiétude fecrette , comme
il fe promenoit un jour fur le bord de
18 MERCURE DE FRANCE.
la mer , il vit venir à lui une femme que
fa démarche & fa beauté lui auroient fait
prendre pour une Déeffe , s'il ne l'eût pas
reconnue pour la Courtifane Erigone. Il
vouloit s'éloigner , elle l'aborda . Alcibiade
, lui dit - elle , la philofophie te rendra
fou. Dis - moi , mon enfant , eft- ce à ton
âge qu'il faut s'enfevelir tout vivant dans
ces idées creufes & triftes ? Crois - moi ,
fois heureux : l'on a toujours le tems d'être
fage ... Je n'afpire à être fage , lui ditil
, que dans le deffein d'être heureux ...
La belle route pour arriver au bonheur !
crois- tu que je me confume , moi , dans
l'étude de la fageffe ? & cependant eft - il
d'honnête femme plus contente de fon
fort ? Ce Socrate t'a gâté , c'eft dommage ;
mais il y a de la reffource , fi tu veux
prendre de mes leçons. Depuis long- tems
j'ai des deffeins fur toi ; Je fuis jeune
belle & fenfible , & je crois valoir , fans
vanité un philofophe à longue barbe . Ils
enfeignent à fe priver : trifte fcience !
viens à mon école , je t'apprendrai à
jouir .Je ne l'ai que trop bien appris à mes
dépens , lui dit Alcibiade ; le faſte & les
plaifirs m'ont ruiné. Je ne fuis plus cer
homme opulent & magnifique , que fes
folies ont rendu fi célébre , & je ne me
foutiens plus qu'aux dépens de mes créanOCTOBRE.
1755. 19
ciers. Bon , eft - ce là ce qui te chagrine
confole-toi , j'ai de l'or , des pierreries ,
& les folies des autres ferviront à réparer
les tiennes . Vous me flatez beaucoup par
des offres fi obligeantes , mais je n'en
abuferai point. Que veux-tu dire avec ta
délicateffe l'amour ne rend - il pas tout
commun ? D'ailleurs , qui s'imaginera que
tu me doives quelque chofe tu n'es pas
affez fat pour t'en vanter , & j'ai trop de
vanité pour le dire . Je vous, avoue que
vous me furprenez , car enfin vous avez
la réputation d'être avare. Avare ! oui fans
doute , avec ceux que je n'aime pas , pour
être prodigue avec celui que j'aime ; mes
diamans me font bien chers , mais tu m'es
plus cher encore , & s'il le faut , tu n'as
qu'à dire , dès demain je te les facrifie.
Votre générofité , reprit Alcibiade , me
confond , & me pénétre , & je vous donnerois
le plaifir de l'exercer fi je pouvois
du moins le reconnoître en jeune homme ;.
mais je ne dois pas vous diffimuler que
l'ufage immodéré des plaifirs n'a pas feulement
ruiné ma fortune , j'ai trouvé le
fecret de vieillir avant l'âge. Je le crois
bien , reprit Erigone en foûriant , tu as
connu tant d'honnêtes femmes ! mais je
vais bien plus te furprendre : un fentiment
vif & délicat eſt tout ce que j'attens de
20 MERCURE DE FRANCE.
toi ; & fi ton coeur n'eft pas ruiné , tu as
encore de quoi me fuffire. Vous plaifantez
, dit Alcibiade ! point du tout. Si je
prenois un Hercule pour amant , je voudrois
qu'il fût un Hercule , mais je veux
qu'Alcibiade m'aime en Alcibiade , avec
toute la délicateffe de cette volupté tranquille
dont la fource eft dans le coeur. Si
du côté des fens tu me ménages quelque
furpriſe , à la bonne heure. Je te permets
tout , & je n'exige rien . En vérité , dit
Alcibiade , je demeure auffi enchanté que
furpris ; & fans l'inquiétude & la jaloufie
que me cauferoient mes rivaux ...Des rivaux
! tu n'en auras que de malheureux ,
je t'en donne ma parole . Tiens , mon ami ,
les femmes ne changent que par coquetterie
ou par curiofite , & tu fens bien que
chez moi l'une & l'autre font épuifées. Si
je ne connoiffois point les hommes , la parole
que je te donne feroit un peu hazardée
; mais en te les facrifiant je fçais bien
ce que je fais. Après tout il y a un bon
moyen de te tranquillifer : tu as une campagne
affez loin d'Athénes , où les importuns
ne viendront pas nous troubler . Te
fens tu capable d'y foutenir le tête à tête ?
nous partirons quand tu voudras . Non ,
lui dit - il , mon devoir me retient pour
quelque tens à la ville : mais fi nous nous
OCTOBRE . 1755. 21
arrangeons enfemble , devons - nous nous
afficher ? Tu en es le maître ; fi tu veux
m'avouer , je te proclamerai ; fi tu veux
du myftere , je ferai plus difcrette & plus
réfervée qu'une prude. Comme je ne dépends
de perfonne , & que je ne t'aime
que pour toi , je ne crains ni ne defire d'attirer
les yeux du public. Ne te gêne point,
confulte ton coeur , & fi je te conviens ,
mon foupé nous attend. Allons prendre à
témoins de nos fermens les Dieux du plaifir
& de la joie. Alcibiade prit la main
d'Erigone , & la baifant avec tranfport :
enfin , dit- il , j'ai trouvé de l'amour , &
c'est d'aujourd'hui que mon bonheur commence.
Ils arrivent chez la Courtifane . Tout ce
que le goût peut inventer de délicat &
d'exquis pour flater tous les fens tout à la
fois fembloit concourir dans ce foupé délicieux
à l'enchantement d'Alcibiade. C'étoit
dans un falon pareil que Venus recevoit
Adonis , lorfque les amours leur verfoient
le nectar , & que les graces leur
fervoient l'ambroifie . Quand j'ai pris , dit
Erigone , le nom d'une des maîtreffes de
Bacchus , je ne me flatois pas de poffeder
un jour un mortel plus beau que le vainqueur
de l'Inde. Que dis - je , un mortel ,
c'eft Bacchus , Apollon , & l'Amour que
22 MERCURE DE FRANCE.
je poffede , & je fuis dans ce moment
l'heureufe rivale d'Erigone de Calliope &
de Pfiché. Je vous couronne donc , ô mon
jeune Dieu , de pampre , de laurier & de
myrthe , puiffai-je raffembler à vos yeux
tous les attraits qu'ont adorés les immortels
dont vous réuniffez les charmes. Alcibiade
enivré d'amour propre & d'amour,
déploya tous ces talens enchanteurs qui
féduiroient la fageffe même. Il chanta fon
triomphe fur la lyre. Il compara fon bonheur
à celui des Dieux , & il fe trouva plus
heureux , comme on le trouvoit plus aimable.
Après le foupé il fut conduit dans un
appartement voifin , mais féparé de celui
d'Erigone. Repofez - vous , mon cher Alcibiade
, lui dit- elle en le quittant ; puiffe
l'amour ne vous occuper que de moi dans
vos fonges : Daignez du moins me le faire
croire; & fi quelque autre objet vient s'offrir
àvotre penſée, épargnez ma délicateffe , &
par un menfonge complaifant réparez le
tort involontaire
que vous aurez eu pendant
le fommeil. Hé quoi ! lui répondit
tendrement Alcibiade , me réduirez- vous
aux plaiſirs de l'illufion . Vous n'aurez jamais
avec moi , lui dit-elle , d'autres loix
que vos defirs. A ces mots elle fe retira
en chantant.
1
OCTOBRE 1755 . 23
Alcibiade tranfporté , s'écria , o pudeur !
ô vertu ! qu'êtes- vous donc ? Si dans un
coeur où vous n'habitez point fe trouve
l'amour pur & chafte , l'amour , tel qu'il
defcendit des cieux pour animer l'homme
encore innocent , & pour embellir la nature
! Dans cet excès d'admiration & de
joie il ſe leve , il va furprendre Erigone.
Erigone le reçut avec un foûris. Senfible
fans emportement , fon coeur ne fembloit
enflammé que des defirs d'Alcibiade.
Deux mois s'écoulerent dans cette union
délicieufe fans que la Courtifane démentit
un feul moment le caractere qu'elle
avoit pris , mais le jour fatal approchoit
qui devoit diffiper une illufion fi fateuſe.
Les apprêts des Jeux Olympiques faifoient
l'entretien de toute la jeuneſſe
d'Athénes. Erigone parla de ces jeux , &
de la gloire d'y remporter le prix , avec
tant de vivacité , qu'elle fit concevoir à
fon amant le deffein d'entrer dans la carriere
, & l'efpoir d'y triompher. Mais il
vouloit lui ménager le plaifir de la fur
prife.
Le jour arrivé : Si l'on nous voyoit enfemble
à ce fpectacle, lui dit-il, on ne manqueroit
pas d'en tirer des conféquences , &
nous fommes convenus d'éviter jufqu'au
foupçon. Rendons- nous au cirque chacun
24 MERCURE DE FRANCE.
de notre côté. Nous nous retrouverons ici
au retour des Jeux. Le peuple s'affemble ,
on fe place. Erigone fe préfente, elle attire
tous les regards. Les jolies femmes la
voyent avec envie , les laides avec dépit ,
les vieillards avec regret , les jeunes gens
avec un tranfport unanime : cependant les
yeux d'Erigone errans fur cet amphithéatre
immenfe , ne cherchoient qu'Alcibiade.
Tout- à- coup elle voit paroître devant
la barriere , les coufiers & le char de fon
amant elle n'ofoit en croire fes yeux ,
mais bientôt un jeune homme , plus beau
que l'amour & plus fier que le Dieu Mars ,
s'élance fur ce char brillant. C'eft Alcibiade
, c'eft lui- même : Ce nom paffe de bouche
en bouche , elle n'entend plus autour
d'elle que ces mots ; c'eft Alcibiade , c'eſt
la gloire & l'ornement de la jeuneffe Athénienne.
Erigone en pâlit de joie . Il jetta
fur elle un regard qui fembloit être le
préfage de la victoire . Les chars ſe rangent
de front , la barriere s'ouvre , le fignal fe
donne , la terre retentit en cadence fous
les pas des coufiers , un nuage de poufficres
les enveloppe. Erigone ne refpire plus.
Toute fon ame eft dans fes yeux , & fes
yeux fuivent le char de fon amant à travers
ces flots de pouffiere. Les chars fe
féparent , les plus rapides ont l'avantage ,
celui
OCTOBRE. 1755 . 25
celui d'Alcibiade eft du nombre . Erigone
tremblante fait des voeux à Caftor , à Pollux
, à Hercule , à Apollon : enfin elle voit
Alcibiade à la tête , & n'ayant plus qu'un
concurrent. C'est alors que la crainte &
l'espérance tiennent fon ame fufpendue .
Les roues des deux chars femblent tourner
fur le même effieu , & les chevaux
conduits par les mêmes rênes , Alcibiade
redouble d'ardeur , & le coeur d'Erigone
fe dilate ; fon rival force de vîteffe , &
le coeur d'Erigone fe refferre de nouveau ,
chaque alternative lui caufe une foudaine
révolution. Les deux chars arrivent au
terme ; mais le concurrent d'Alcibiade l'a
dévancé d'un élan. Tout - à - coup mille
cris font retentir les airs du nom de Pi- .
ficrate de Samos . Alcibiade confterné fe
retire fur fon char , la tête penchée &
les rênes flottantes , évitant de repaffer
, du côté du cirque où Erigone accablée de
confufion s'étoit couvert le vifage de fon
voile. Il lui fembloit que tous les yeux
attachés fur elle lui reprochoient d'aimer
un homme qui venoit d'être vaincu ; cependant
, un murmure général fe fait entendre
autour d'elle , elle veut voir ce qui
l'excite c'eft Pificrate qui ramene fon
char du côté où elle eft placée . Nouveau
fujet de confufion & de douleur. Mais
B
26 MERCURE DE FRANCE.
quelle eft fa furprife lorfque ce char s'arrêtant
à fes pieds elle en voit defcendre le
vainqueur , qui vient lui préfenter la
couronne olympique . Je vous la dois , lui
dit-il , Madame , & je viens vous en faire
hommage . Qu'on imagine , s'il eft poffible
, tous les mouvemens dont l'ame d'Erigone
fut agitée à ce difcours ; mais l'amour
y dominoit encore : Vous ne me
devez rien , dit- elle à Fificrate en rougiffant
; mes voeux , pardonnez ma franchiſe ,
mes voeux n'ont pas été pour vous ; ce
n'en eft pas moins , répliqua- t-il , le defir
de vaincre à vos yeux qui m'en a acquis
la gloire. Si je n'ai pas été affez heureux
pour vous intéreffer au combat , que je le
fois du moins aflez pour vous intéreffer
au triomphe . Alors il la preffa de nouveau
, de l'air du monde le plus touchant ,
de recevoir fon offrande : tout le peuple
l'y invitoit par des applaudiffemens redoublés.
L'amour propre enfin l'emporta
fur l'amour : elle reçut le laurier fatal
pour céder , dit elle , aux acclamations &
aux inftances du peuple ; mais qui le croiroit
elle le reçut avec un foûris , & Pificrate
remonta fur fon char enivré d'amour
& de gloire.
?
Dès qu'Alcibiade fut revenu de fon
premier abattement , tu es bien foible &
OCTOBRE. 1755. 27
bien vain , fe dit-il à lui-même , de t'affliger
à cet excès , & de quoi ? de ce'qu'il
fe trouve un homme dans le monde plus
adroit ou plus heureux que toi , je vois
ce qui te défole . Tu aurois été tranſporté
de vaincre aux yeux d'Erigone , & tu crains
d'en être moins aimé après avoir été vaincu.
Rends - lui plus de Juftice , Erigone
n'eft point une femme ordinaire , elle te
fçaura gré de l'ardeur que tu as fait paroître
, & quant au mauvais fuccès elle
fera la premiere à te faire rougir de ta
fenfibilité pour un fi petit malheur. Allons
la voir avec confiance ; j'ai même lieu de
m'applaudir de ce moment d'adverfité :
c'est pour fon coeur une nouvelle épreuve ,
& l'amour me ménage un triomphe plus
flateur que n'eût été celui de la courfe.
Plein de ces idées confolantes il arrive chez
Erigone , il trouve le char du vainqueur à
la porte.
Ce fut pour lui un coup de foudre. La
honte , l'indignation , le défefpoir , s'emparent
de fon ame. Eperdu & frémiffant
fes pas égarés fe tournent comme d'euxmêmes
vers la maiſon de Socrate .
Le bon homme qui avoit affifté aux Jeux
le reçut avec un foûris . Fort bien , lui ditil
, vous venez vous confoler avec moi
parce que vous êtes vaincu ; je gage , li-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
bertin, que je ne vous aurois pas vû fi vous
aviez triomphé. Je n'en fuis pas moins reconnoiffant.
J'aime bien qu'on vienne à
moi dans l'adverfité. Une ame enivrée de
fon bonheur s'épanche où elle peut. La
confiance d'une ame affligée eft- plus flareufe
& plus touchante . Avouez cependant
que vos chevaux ont fait des merveilles .
Comment donc ! vous n'avez manqué le
prix que d'un pas !
ter d'avoir , après Pificrate de Samos , les
meilleurs courfiers de la Gréce , & en vérité
il est bien glorieux pour un homme
d'exceller en chevaux. Alcibiade confondu
n'entendit pas même la plaifanterie
de Socrate . Le Philofophe , jugeant du
trouble de fon coeur par l'altération de
fon vifage , qu'eft - ce donc , lui dit - il
d'un ton plus férieux ? une bagatelle , un
jeu d'enfant vous affecte ? Si vous aviez
perdu un empire je vous pardonnerois
à peine d'être dans l'état d'humiliation , &
d'abattement où je vous vois . Ah ! mon
cher maître , s'écria Alcibiade revenant à
lui - même , qu'on eft malheureux d'être
fenfible ! il faut avoir une ame de marbre
dans le fiécle où nous vivons . J'avoue , reprit
Socrate , que la fenfibilité coute cher
quelquefois ; mais c'eft une fi bonne choſe
qu'on ne fçauroit trop la payer . Voyons
vous pouvez vous vanOCTOBRE.
1755. 29
cependant ce qui vous arrive.
Alcibiade lui raconta fes aventures avec
la prude, la jeune fille , la veuve , la femme
du Magiftrat , & la Courtifane , qui dans
l'inftant même venoit de le facrifier. De
quoi vous plaignez- vous , lui dit Socrate ,
après l'avoir entendu . Il me femble que
chacune d'elles vous a aimé à fa façon , de
la meilleure foi du monde. La prude , par
exemple , aime le plaifir ; elle le trouvoit
en vous , vous l'en privez , elle vous renvoie
, ainfi des autres. C'eft leur bonheur ,
n'en doutez pas , qu'elles cherchoient dans
leur amant. La jeune fille y voyoit un
époux qu'elle pouvoit aimer en liberté &
avec décence. La veuve , un triomphe
éclatant qui honoreroit fa beauté La femme
du Magiftrat , un homme aimable &
difcret, avec qui , fans danger & fans éclat ,
fa philofophie & fa vertu pourroient prendre
du relâche. La Courtifane , un homme
admiré , applaudi , defiré par - tour ,
qu'elle auroit le plaifir fecret de poffeder
feule , tandis que toutes les beautés de la
Gréce fe difputeroient vainement la gloire
de le captiver. Vous avouez donc , dit .
Alcibiade , qu'aucune d'elles ne m'a aimé
pour moi ? Pour vous , s'écria le Philofophe
, Ah ! mon cher enfant, qui vous a mis
dans la tête cette prétention ridicule ? Per-
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
>
la
fonne n'aime que pour foi. L'amitié , ce
fentiment fi pur , ne forme elle -même fes
préférences que fur l'intérêt perfonnel ; &
fi vous exigez qu'elle foit défintéreffée ,
vous pouvez commencer par renoncer à la
mienne. J'admire , pourfuivit- il , comme
l'amour propre eft fot dans ceux - même
qui ont le plus d'efprit. Je voudrois bien
fçavoir quel eft ce moi que vous voulez
qu'on aime en vous ? La naiffance
fortune & la gloire , la jeuneffe , les talens
& la beauté ne font que des accidens.
Rien de tout cela n'eft vous , & c'eſt
tout cela qui vous rend aimable . Le moi
qui réunit ces agrémens , n'eft en vous
que le canevas de la tapifferie. La broderie
en fait le prix . En aimant en vous tous
ces dons , on les confond avec vous - même
: ne vous engagez point dans des diftinctions
qu'on ne fuit point ; & prenez
comme on vous le donne , le réſultat de
ce mêlange ; c'eft une monnoie dont l'alliage
fait la confiftance , & qui perd fa
valeur au creuſet. Je ne fuis pas fâché que
votre délicateffe vous ait détâché de la
prude & de la veuve , ni que la réfolution
de Rodope & la vanité d'Erigone
vous ayent rendu la liberté ; mais je regrette
Glicerie , & je vous confeille d'y
retourner. Vous vous moquez , dit AlciOCTOBRE
. 1755. 31
biade , c'eft un enfant qui veut qu'on
l'époufe . Hé bien ! vous l'épouferez : L'aije
bien entendu ? c'eft Socrate qui me confeille
le mariage. Pourquoi non ! Si votre
femme eft fage & raifonnable , vous ferez
un homme heureux ; fi elle eft méchante
ou coquette , vous deviendrez un philofophe
, vous ne pouvez qu'y gagner .
A jaloufie des Philofophes ne pouvoit
pardonner à Socrate de n'enfeigner
en public que la vérité & la vertu ,
on portoit chaque jour à l'Aréopage les
plaintes les plus graves contre ce dangereux
citoyen. Socrate occupé à faire du
bien , laiffoit dire de lui tout le mal qu'on
imaginoit ; mais Alcibiade dévoué à Socrate
, faifoit face à fes ennemis. Il fe préfentoit
aux Magiftrats ; il leur reprochoit
d'écouter des lâches , & d'épargner des
impofteurs , & ne parloit de fon maître
que comme du plus jufte & du plus fage
des mortels : L'entoufiafme rend éloquent.
Dans les conférences qu'il eut avec l'un
des membres de l'Aréopage , en préſence
de la femme du Juge , il parla avec tant
de douceur & de véhémence , de fentiment
& de raiſon , fa beauté s'anima d'un feu fi
noble & fi touchant que cette femme vertueufe
en fut émue jufqu'au fond de l'ame .
Elle prit fon trouble pour de l'admiration .
Socrate , dit- elle à ſon époux , eft en effet
un homme divin , s'il fait de femblables.
difciples. Je fuis enchantée de l'éloquence
de ce jeune homme ; il n'eft pas poffible
OCTOBRE. 1755. 9
de l'entendre fans devenir meilleur. Le
Magiftrat qui n'avoit garde de foupçonner
la fageffe de fon époufe , rendit à Alcibia
de l'éloge qu'elle avoit fait de lui . Alcibiade
en fut flaté , il demanda au mari la
permiffion de cultiver l'eftime de fa fennie.
Le bon homme l'y invita. Ma femme ,
dit- il , eft philofophe auffi , & je ferai
bien aife de vous voir aux prifes . Rodope
( c'étoit le nom de cette femme refpectable
) fe piquoit en effet de philofophie , &
celle de Socrate dans la bouche d'Alcibiade
la gagnoit de plus en plus : J'oubliois
de dire qu'elle étoit dans l'âge où l'on n'eft
plus jolie , mais où l'on eft encore belle , où
l'oneft peut être un peu moins aimable , mais
où l'on fçait beaucoup mieux aimer . Alcibiade
lui rendit des devoirs : elle ne fe défia
ni de lui ni d'elle- même L'étude de la
fageffe rempliffoit tous leurs entretiens.
Les leçons de Socrate paffoient de l'ame
d'Alcibiade dans celle de Rodope , & dans
ce paffage elles prenoient de nouveaux.
charmes ; c'étoit un ruiffeau d'eau pure
qui couloit au travers des fleurs . Rodope
en étoit chaque jour plus altérée. Elle fe
faifoit définir fuivant les principes de Socrate
, la fageffe & la vertu , la justice & la
vérité. L'amitié vint à ſon tour , & après
en avoir approfondi l'effence. Je voudrois
A.v.
To
MERCURE DE
FRANCE.
bien fçavoir , dit Rodope , quelle différence
met Socrate entre l'amour & l'amitié
?
Quoique Socrate ne foit point de ces
philofophes qui
analyſent tout , lui répondit
Alcibiade , il
diftingue trois
amours ;
l'un groffier & bas , qui nous eft commun
avec les
animaux , c'eft l'attrait du befoin.
& le goût du plaifir . L'autre pur & célefte
qui nous
rapproche des Dieux , c'eſt
l'amitié plus vive & plus tendre ; le troifiéme
enfin qui
participe des deux premiers
, tient le milieu entre les Dieux &
les brutes , & femble le plus naturel aux
hommes : c'eft le lien des ames cimenté
par celui des fens.
Socrate donne la
préférence au charme
pur de l'amitié ; mais comme il ne fait
point un crime à la nature d'avoir uni
l'efprit à la matiere , il n'en fait pas un à
l'homme de fe
reffentir de ce
mêlange
dans fes penchans & dans fes plaifirs ; c'eft
fur-tout lorfque la nature a pris foin d'unir
un beau corps avec une belle ame qu'il
veut qu'on
refpecte
l'ouvrage de la nature
; car quelque laid que foit
Socrate , il
rend juftice à la beauté. S'il fçavoit , par
exemple , avec qui je
m'entretiens de philofophie
, je ne doute pas qu'il ne me fit
une querelle
d'employer fi mal fes leçons.
Je vous difpenfe d'être galant ,
interromOCTOBRE.
1755. 11
pit Rodope : je parle à un fage , je veux
qu'il m'éclaire , & non pas qu'il me flate.
Revenons aux príncipes de votre maître.
11 permet l'amour , dites- vous , mais en
connoît - il les égaremens & les excès ?
Oui , Madame , comme il connoit ceux de
l'ivreffe , & il ne laiffe pas de permettre
le vin. La comparaifon n'eft pas jufte , dit
Rodope , on eft hore de choifir fes vins ,
& d'en modérer l'ufage : A- t on la même
liberté en amour : il eft fans choix & fans
meſure . Oui fans doute , reprit Alcibiade
, dans un homme fans moeurs & fans
principes ; mais Socrate commence par
former des hommes éclairés & vertueux
& c'eft à ceux-là qu'il permet l'amour. Il
fçait bien qu'ils n'aimeront rien que d'honnête
, & alors on ne court aucun rifque à
aimer à l'excès . L'afeendant mutuel de deux
ames vertueufes ne peut que les rendre plus
vertueufes encore. Chaque réponse d'Alcibiade
applaniffoit quelque difficulté dans
l'efprit de Rodope , & rendoit le penchant
qui l'attiroit vers lui plus gliffant & plus
rapide. Il ne reftoit plus que la foi conju
gale , & c'étoit là le noeud Gordien . Rodope
n'étoit pas de celles avec qui on le
tranche , il falloit le dénouer ; Alcibiade
s'y prit de loin. Comme ils en étoient un
jour fur l'article de la fociété ; le befoin ,
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
dit Alcibiade , a réuni les hommes , l'intérêt
commun a réglé leurs devoirs , & les
abus ont produit les loix. Tout cela eſt
facré ; mais tout cela eft étranger à notre
ame. Comme les hommes ne le touchent
qu'au dehors , les devoirs mutuels qu'ils
fe font impofés ne paffent point la fuperficie.
La nature feule eft la légiflatrice du
coeur , elle feule peut infpirer la reconnoiffance
, l'amitié ; l'amour , en un mot ,
le fentiment ne fçauroit être un devoir
d'inftitution de là vient , par exemple ,
que dans le mariage on ne peut ni promettre
ni exiger qu'un attachement corporel.
Rodope qui avoit goûté le principe , fut
effrayée de la conféquence : Quoi , dit- elle
, je n'aurois promis à mon mari que de
me comporter comme fi je l'aimois . Qu'avez-
vous donc pu lui promettre ? De l'aimer
en effet , lui répondit- elle d'une voix
mal affurée. Il vous a donc promis à fon
tour d'être non feulement aimable , mais
de tous les hommes le plus aimable à vos
yeux ? il m'a promis d'y faire fon poffible ,
& il me tient parole : Hé bien vous faites
votre poffible auffi pour l'aimer , mais ni
l'un ni l'autre vous n'êtes garans du fuccès.
Voilà une morale affreufe, s'écria Rodope.
Heureufement , Madame , elle n'eft pas
fi affreuse , il y auroit trop de coupables fi
OCTOBRE. 1755 13
l'amour conjugal étoit un devoir effentiel .
Quoi , Seigneur , vous doutez .... Je ne
doute de rien , Madame , mais ma franchife
peut vous déplaire , & je ne vous
vois pas difpofée à l'imiter . Je croyois parler
à un philofophe , je ne parlois qu'à une
femme d'efprit. Je me retire confus de ma
méprife ; mais je veux vous donner pour
adieux un exemple de fincérité. Je crois
avoir des moeurs auffi pures , auffi honnêtes
que la femme la plus vertueufe ; je fçais
tout auffi- bien qu'elle à quoi nous engage
Phonneur & la religion du ferment , je
connois les loix de l'Hymen , & le crime
de les violer ; cependant euffai - je époufé
mille femmes je ne me ferois pas le plus
léger reproche de vous trouver vous ſeule
plus belle , plus aimable mille fois que ces
mille femmes enfemble . Selon vous , pour
être vertueuse , il faut n'avoir ni une ame
ni des yeux : je vous félicite d'être arrivée
à ce dégré de perfection . Ce difcours prononcé
du ton du dépit & de la colere laiſſa
Rodope dans un étonnement dont elle eur
peine à revenir ; cependant , Alcibiade
ceffa de la voir. Elle avoit découvert dans
fes adieux un intérêt plus vif que la chaleur
de la difpute ; elle fentit de fon côté que
fes conférences philofophiques n'étoient
pas ce qu'elle regrettoit le plus. L'ennui.
14 MERCURE DE FRANCE.
de tout , le dégoût d'elle - même , une répugnance
fecrette pour les empreffemens
de fon mari , enfin le trouble & la rongeur
que lui caufoit le feul nom d'Alcibiade ,
tout lui faifoit craindre le danger de le
revoir , & cependant elle brûloit du defir
de le revoir encore . Son mari le lui ramena.
Comme elle lui avoit fait entendre
qu'ils s'étoient piqués l'un & l'autre fur
une difpute de mots , le Magiftrat en fic
une plaifanterie à Alcibiade , & l'obligea
de revenir. L'entrevûe fut férieufe , le mari
s'en amufa quelque tems ; mais fes affaires
P'appelloient ailleurs : Je vous laiffe , leur
dit-il, & j'efpere qu'après vous être brouillés
fur les mots , vous vous reconcilierez
fur les chofes. Le bon homme n'y entendoit
pas malice , mais fa femme en rongit
pour lui.
Après un affez long filence , Alcibiade
prit la parole. Nos entretiens , Madame ,
faifoient mes délices , & avec toutes les
facilités poffibles d'être diffipé vous m'aviez
fait goûter & préférer à tout les charmes
de la folitude . Je n'étois plus au monde
, je n'étois plus à moi - même , j'étois à
vous tout entier . Ne penfez pas qu'un fol
efpoir de vous féduire & de vous égarer
fe fût gliffé dans mon ame , la vertu bien
plus que l'efprit & la beauté m'avoit enOCTOBRE.
1955. 15
chaîné fous vos loix. Mais vous aimant
d'un amour auffi délicat que tendre , je me
flatois de vous l'infpirer. Cet amour pur
& vertueux vous offenfe , ou plutôt il
vous importune , car il n'eft pas poffible
que vous le condamniez de bonne foi.
Tout ce que je fens pour vous , Madame ,
vous l'éprouvez pour un autre ; vous me
l'avez avoué. Je ne puis vous le reprocher
ni m'en plaindre ; mais convenez que je ne
fuis pas heureux. Il n'y a peut- être qu'une
femme dans Athénes qui ait de l'amour
pour fon mari , & c'eft précisément de
cette femme que je deviens éperdu . En
vérité , vous êtes bien fou pour le difciple
d'an Sage , lui dit Rodope en foûriant ;
il répliqua le plus férieufement du monde
; elle repartit en badinant ; il lui prit la
main , elle fe fâcha ; il baifa certe main ,
elle voulut fe lever ; il la retint , elle rougit
, & la tête tourna aux deux Philofophes.
Il n'eſt pas befoin de dire combien Rodope
fut défolée , ni comment elle fe confola
, tout cela fe fuppofe aifément dans
une femme vertueufe & paffionnée.
Elle trembloit fur - tout pour l'honneur
& le repos de fon mari. Alcibiade lui fit
le ferment d'un fecret inviolable ; mais la
malice du public le difpenfa d'être indif16
MERCURE DE FRANCE.
cret. On fçavoit bien qu'il n'étoit pas homme
à parler fans ceffe de philofophie à
une femme aimable . Ses affiduités donnerent
des foupçons ; les foupçons dans le
monde valent des certitudes. Il fut décidé
qu'Alcibiade avoit Rodope. Le bruit en
vint aux oreilles de l'époux . Il n'avoit
garde d'y ajouter foi , mais fon honneur
& celui de fa femme exigeoient qu'elle fe
mit au- deffus du foupçon. Il lui parla de
la néceffité d'éloigner Alciade , avec tant
de douceur , de raifon & de confiance ,
qu'elle n'eut pas même la force de répliquer.
Rien de plus accablant pour une
ame fenfible & naturellement vertueufe
que de recevoir des marques d'eftime
qu'elle ne mérite plus .
Rodope dès ce moment réfolut de ne
plus voir Alcibiade , & plus elle fentoit
pour lui de foibleffe , plus elle lui montra
de fermeté dans la réfolution qu'elle
avoit prife de rompre avec lui fans retour.
Il eut beau la combattre avec toute fon
éloquence : J'ai pû me laiffer perfuader ,
lui dit-elle , que les torts fecrets qu'on
avoit avec un mari n'étoient rien , mais
les feules apparences font des torts réels ,
dès qu'elles attaquent fon honneur , ou
qu'elles troublent fon repos. Je ne fuis pas
obligé eà aimer mon époux , je veux. le
OCTOBRE. 1755 . 17
croire , mais le rendre heureux autant
qu'il dépend de moi eft un devoir indifpenfable.
Ainfi , Madame , vous préférez
fon bonheur au mien . Je préfére , lui ditelle
, mes engagemens à mes inclinations.
Ce mot échappé fera ma derniere foibleffe.
Eh ! je me croyois aimé , s'écrie Alcibiade
avec dépit ! Adieu , Madame , je vois bien.
que je n'ai dû mon bonheur qu'au caprice
d'un moment. Voilà de nos honnêtes
femmes , pourfuivit- il ; quand elles nous
prennent , c'eft excès d'amour ; quand elles
nous quittent , c'eft effort de vertu ; &
dans le fond cet amour & cette vertu ne
font qu'une fantaiſie qui leur vient , ou
qui leur paffe. J'ai mérité tous ces outrages
, dit Rodope en fondant en larmes.
Une femme qui ne s'eft pas refpectée ne
doit pas s'attendre à l'être. Il eft bien jufte
que nos foibleffes nous attirent des mépris.
Alcibiade , après tant d'épreuves , étoit
bien convaincu qu'il ne falloit plus compter
fur les femmes , mais il n'étoit
pas
affez fûr de lui-même pour s'expofer à de
nouveaux dangers ; & tout réfolu qu'il
étoit à ne plus aimer , il fentoit confufément
le befoin d'aimer encore.
Dans cette inquiétude fecrette , comme
il fe promenoit un jour fur le bord de
18 MERCURE DE FRANCE.
la mer , il vit venir à lui une femme que
fa démarche & fa beauté lui auroient fait
prendre pour une Déeffe , s'il ne l'eût pas
reconnue pour la Courtifane Erigone. Il
vouloit s'éloigner , elle l'aborda . Alcibiade
, lui dit - elle , la philofophie te rendra
fou. Dis - moi , mon enfant , eft- ce à ton
âge qu'il faut s'enfevelir tout vivant dans
ces idées creufes & triftes ? Crois - moi ,
fois heureux : l'on a toujours le tems d'être
fage ... Je n'afpire à être fage , lui ditil
, que dans le deffein d'être heureux ...
La belle route pour arriver au bonheur !
crois- tu que je me confume , moi , dans
l'étude de la fageffe ? & cependant eft - il
d'honnête femme plus contente de fon
fort ? Ce Socrate t'a gâté , c'eft dommage ;
mais il y a de la reffource , fi tu veux
prendre de mes leçons. Depuis long- tems
j'ai des deffeins fur toi ; Je fuis jeune
belle & fenfible , & je crois valoir , fans
vanité un philofophe à longue barbe . Ils
enfeignent à fe priver : trifte fcience !
viens à mon école , je t'apprendrai à
jouir .Je ne l'ai que trop bien appris à mes
dépens , lui dit Alcibiade ; le faſte & les
plaifirs m'ont ruiné. Je ne fuis plus cer
homme opulent & magnifique , que fes
folies ont rendu fi célébre , & je ne me
foutiens plus qu'aux dépens de mes créanOCTOBRE.
1755. 19
ciers. Bon , eft - ce là ce qui te chagrine
confole-toi , j'ai de l'or , des pierreries ,
& les folies des autres ferviront à réparer
les tiennes . Vous me flatez beaucoup par
des offres fi obligeantes , mais je n'en
abuferai point. Que veux-tu dire avec ta
délicateffe l'amour ne rend - il pas tout
commun ? D'ailleurs , qui s'imaginera que
tu me doives quelque chofe tu n'es pas
affez fat pour t'en vanter , & j'ai trop de
vanité pour le dire . Je vous, avoue que
vous me furprenez , car enfin vous avez
la réputation d'être avare. Avare ! oui fans
doute , avec ceux que je n'aime pas , pour
être prodigue avec celui que j'aime ; mes
diamans me font bien chers , mais tu m'es
plus cher encore , & s'il le faut , tu n'as
qu'à dire , dès demain je te les facrifie.
Votre générofité , reprit Alcibiade , me
confond , & me pénétre , & je vous donnerois
le plaifir de l'exercer fi je pouvois
du moins le reconnoître en jeune homme ;.
mais je ne dois pas vous diffimuler que
l'ufage immodéré des plaifirs n'a pas feulement
ruiné ma fortune , j'ai trouvé le
fecret de vieillir avant l'âge. Je le crois
bien , reprit Erigone en foûriant , tu as
connu tant d'honnêtes femmes ! mais je
vais bien plus te furprendre : un fentiment
vif & délicat eſt tout ce que j'attens de
20 MERCURE DE FRANCE.
toi ; & fi ton coeur n'eft pas ruiné , tu as
encore de quoi me fuffire. Vous plaifantez
, dit Alcibiade ! point du tout. Si je
prenois un Hercule pour amant , je voudrois
qu'il fût un Hercule , mais je veux
qu'Alcibiade m'aime en Alcibiade , avec
toute la délicateffe de cette volupté tranquille
dont la fource eft dans le coeur. Si
du côté des fens tu me ménages quelque
furpriſe , à la bonne heure. Je te permets
tout , & je n'exige rien . En vérité , dit
Alcibiade , je demeure auffi enchanté que
furpris ; & fans l'inquiétude & la jaloufie
que me cauferoient mes rivaux ...Des rivaux
! tu n'en auras que de malheureux ,
je t'en donne ma parole . Tiens , mon ami ,
les femmes ne changent que par coquetterie
ou par curiofite , & tu fens bien que
chez moi l'une & l'autre font épuifées. Si
je ne connoiffois point les hommes , la parole
que je te donne feroit un peu hazardée
; mais en te les facrifiant je fçais bien
ce que je fais. Après tout il y a un bon
moyen de te tranquillifer : tu as une campagne
affez loin d'Athénes , où les importuns
ne viendront pas nous troubler . Te
fens tu capable d'y foutenir le tête à tête ?
nous partirons quand tu voudras . Non ,
lui dit - il , mon devoir me retient pour
quelque tens à la ville : mais fi nous nous
OCTOBRE . 1755. 21
arrangeons enfemble , devons - nous nous
afficher ? Tu en es le maître ; fi tu veux
m'avouer , je te proclamerai ; fi tu veux
du myftere , je ferai plus difcrette & plus
réfervée qu'une prude. Comme je ne dépends
de perfonne , & que je ne t'aime
que pour toi , je ne crains ni ne defire d'attirer
les yeux du public. Ne te gêne point,
confulte ton coeur , & fi je te conviens ,
mon foupé nous attend. Allons prendre à
témoins de nos fermens les Dieux du plaifir
& de la joie. Alcibiade prit la main
d'Erigone , & la baifant avec tranfport :
enfin , dit- il , j'ai trouvé de l'amour , &
c'est d'aujourd'hui que mon bonheur commence.
Ils arrivent chez la Courtifane . Tout ce
que le goût peut inventer de délicat &
d'exquis pour flater tous les fens tout à la
fois fembloit concourir dans ce foupé délicieux
à l'enchantement d'Alcibiade. C'étoit
dans un falon pareil que Venus recevoit
Adonis , lorfque les amours leur verfoient
le nectar , & que les graces leur
fervoient l'ambroifie . Quand j'ai pris , dit
Erigone , le nom d'une des maîtreffes de
Bacchus , je ne me flatois pas de poffeder
un jour un mortel plus beau que le vainqueur
de l'Inde. Que dis - je , un mortel ,
c'eft Bacchus , Apollon , & l'Amour que
22 MERCURE DE FRANCE.
je poffede , & je fuis dans ce moment
l'heureufe rivale d'Erigone de Calliope &
de Pfiché. Je vous couronne donc , ô mon
jeune Dieu , de pampre , de laurier & de
myrthe , puiffai-je raffembler à vos yeux
tous les attraits qu'ont adorés les immortels
dont vous réuniffez les charmes. Alcibiade
enivré d'amour propre & d'amour,
déploya tous ces talens enchanteurs qui
féduiroient la fageffe même. Il chanta fon
triomphe fur la lyre. Il compara fon bonheur
à celui des Dieux , & il fe trouva plus
heureux , comme on le trouvoit plus aimable.
Après le foupé il fut conduit dans un
appartement voifin , mais féparé de celui
d'Erigone. Repofez - vous , mon cher Alcibiade
, lui dit- elle en le quittant ; puiffe
l'amour ne vous occuper que de moi dans
vos fonges : Daignez du moins me le faire
croire; & fi quelque autre objet vient s'offrir
àvotre penſée, épargnez ma délicateffe , &
par un menfonge complaifant réparez le
tort involontaire
que vous aurez eu pendant
le fommeil. Hé quoi ! lui répondit
tendrement Alcibiade , me réduirez- vous
aux plaiſirs de l'illufion . Vous n'aurez jamais
avec moi , lui dit-elle , d'autres loix
que vos defirs. A ces mots elle fe retira
en chantant.
1
OCTOBRE 1755 . 23
Alcibiade tranfporté , s'écria , o pudeur !
ô vertu ! qu'êtes- vous donc ? Si dans un
coeur où vous n'habitez point fe trouve
l'amour pur & chafte , l'amour , tel qu'il
defcendit des cieux pour animer l'homme
encore innocent , & pour embellir la nature
! Dans cet excès d'admiration & de
joie il ſe leve , il va furprendre Erigone.
Erigone le reçut avec un foûris. Senfible
fans emportement , fon coeur ne fembloit
enflammé que des defirs d'Alcibiade.
Deux mois s'écoulerent dans cette union
délicieufe fans que la Courtifane démentit
un feul moment le caractere qu'elle
avoit pris , mais le jour fatal approchoit
qui devoit diffiper une illufion fi fateuſe.
Les apprêts des Jeux Olympiques faifoient
l'entretien de toute la jeuneſſe
d'Athénes. Erigone parla de ces jeux , &
de la gloire d'y remporter le prix , avec
tant de vivacité , qu'elle fit concevoir à
fon amant le deffein d'entrer dans la carriere
, & l'efpoir d'y triompher. Mais il
vouloit lui ménager le plaifir de la fur
prife.
Le jour arrivé : Si l'on nous voyoit enfemble
à ce fpectacle, lui dit-il, on ne manqueroit
pas d'en tirer des conféquences , &
nous fommes convenus d'éviter jufqu'au
foupçon. Rendons- nous au cirque chacun
24 MERCURE DE FRANCE.
de notre côté. Nous nous retrouverons ici
au retour des Jeux. Le peuple s'affemble ,
on fe place. Erigone fe préfente, elle attire
tous les regards. Les jolies femmes la
voyent avec envie , les laides avec dépit ,
les vieillards avec regret , les jeunes gens
avec un tranfport unanime : cependant les
yeux d'Erigone errans fur cet amphithéatre
immenfe , ne cherchoient qu'Alcibiade.
Tout- à- coup elle voit paroître devant
la barriere , les coufiers & le char de fon
amant elle n'ofoit en croire fes yeux ,
mais bientôt un jeune homme , plus beau
que l'amour & plus fier que le Dieu Mars ,
s'élance fur ce char brillant. C'eft Alcibiade
, c'eft lui- même : Ce nom paffe de bouche
en bouche , elle n'entend plus autour
d'elle que ces mots ; c'eft Alcibiade , c'eſt
la gloire & l'ornement de la jeuneffe Athénienne.
Erigone en pâlit de joie . Il jetta
fur elle un regard qui fembloit être le
préfage de la victoire . Les chars ſe rangent
de front , la barriere s'ouvre , le fignal fe
donne , la terre retentit en cadence fous
les pas des coufiers , un nuage de poufficres
les enveloppe. Erigone ne refpire plus.
Toute fon ame eft dans fes yeux , & fes
yeux fuivent le char de fon amant à travers
ces flots de pouffiere. Les chars fe
féparent , les plus rapides ont l'avantage ,
celui
OCTOBRE. 1755 . 25
celui d'Alcibiade eft du nombre . Erigone
tremblante fait des voeux à Caftor , à Pollux
, à Hercule , à Apollon : enfin elle voit
Alcibiade à la tête , & n'ayant plus qu'un
concurrent. C'est alors que la crainte &
l'espérance tiennent fon ame fufpendue .
Les roues des deux chars femblent tourner
fur le même effieu , & les chevaux
conduits par les mêmes rênes , Alcibiade
redouble d'ardeur , & le coeur d'Erigone
fe dilate ; fon rival force de vîteffe , &
le coeur d'Erigone fe refferre de nouveau ,
chaque alternative lui caufe une foudaine
révolution. Les deux chars arrivent au
terme ; mais le concurrent d'Alcibiade l'a
dévancé d'un élan. Tout - à - coup mille
cris font retentir les airs du nom de Pi- .
ficrate de Samos . Alcibiade confterné fe
retire fur fon char , la tête penchée &
les rênes flottantes , évitant de repaffer
, du côté du cirque où Erigone accablée de
confufion s'étoit couvert le vifage de fon
voile. Il lui fembloit que tous les yeux
attachés fur elle lui reprochoient d'aimer
un homme qui venoit d'être vaincu ; cependant
, un murmure général fe fait entendre
autour d'elle , elle veut voir ce qui
l'excite c'eft Pificrate qui ramene fon
char du côté où elle eft placée . Nouveau
fujet de confufion & de douleur. Mais
B
26 MERCURE DE FRANCE.
quelle eft fa furprife lorfque ce char s'arrêtant
à fes pieds elle en voit defcendre le
vainqueur , qui vient lui préfenter la
couronne olympique . Je vous la dois , lui
dit-il , Madame , & je viens vous en faire
hommage . Qu'on imagine , s'il eft poffible
, tous les mouvemens dont l'ame d'Erigone
fut agitée à ce difcours ; mais l'amour
y dominoit encore : Vous ne me
devez rien , dit- elle à Fificrate en rougiffant
; mes voeux , pardonnez ma franchiſe ,
mes voeux n'ont pas été pour vous ; ce
n'en eft pas moins , répliqua- t-il , le defir
de vaincre à vos yeux qui m'en a acquis
la gloire. Si je n'ai pas été affez heureux
pour vous intéreffer au combat , que je le
fois du moins aflez pour vous intéreffer
au triomphe . Alors il la preffa de nouveau
, de l'air du monde le plus touchant ,
de recevoir fon offrande : tout le peuple
l'y invitoit par des applaudiffemens redoublés.
L'amour propre enfin l'emporta
fur l'amour : elle reçut le laurier fatal
pour céder , dit elle , aux acclamations &
aux inftances du peuple ; mais qui le croiroit
elle le reçut avec un foûris , & Pificrate
remonta fur fon char enivré d'amour
& de gloire.
?
Dès qu'Alcibiade fut revenu de fon
premier abattement , tu es bien foible &
OCTOBRE. 1755. 27
bien vain , fe dit-il à lui-même , de t'affliger
à cet excès , & de quoi ? de ce'qu'il
fe trouve un homme dans le monde plus
adroit ou plus heureux que toi , je vois
ce qui te défole . Tu aurois été tranſporté
de vaincre aux yeux d'Erigone , & tu crains
d'en être moins aimé après avoir été vaincu.
Rends - lui plus de Juftice , Erigone
n'eft point une femme ordinaire , elle te
fçaura gré de l'ardeur que tu as fait paroître
, & quant au mauvais fuccès elle
fera la premiere à te faire rougir de ta
fenfibilité pour un fi petit malheur. Allons
la voir avec confiance ; j'ai même lieu de
m'applaudir de ce moment d'adverfité :
c'est pour fon coeur une nouvelle épreuve ,
& l'amour me ménage un triomphe plus
flateur que n'eût été celui de la courfe.
Plein de ces idées confolantes il arrive chez
Erigone , il trouve le char du vainqueur à
la porte.
Ce fut pour lui un coup de foudre. La
honte , l'indignation , le défefpoir , s'emparent
de fon ame. Eperdu & frémiffant
fes pas égarés fe tournent comme d'euxmêmes
vers la maiſon de Socrate .
Le bon homme qui avoit affifté aux Jeux
le reçut avec un foûris . Fort bien , lui ditil
, vous venez vous confoler avec moi
parce que vous êtes vaincu ; je gage , li-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
bertin, que je ne vous aurois pas vû fi vous
aviez triomphé. Je n'en fuis pas moins reconnoiffant.
J'aime bien qu'on vienne à
moi dans l'adverfité. Une ame enivrée de
fon bonheur s'épanche où elle peut. La
confiance d'une ame affligée eft- plus flareufe
& plus touchante . Avouez cependant
que vos chevaux ont fait des merveilles .
Comment donc ! vous n'avez manqué le
prix que d'un pas !
ter d'avoir , après Pificrate de Samos , les
meilleurs courfiers de la Gréce , & en vérité
il est bien glorieux pour un homme
d'exceller en chevaux. Alcibiade confondu
n'entendit pas même la plaifanterie
de Socrate . Le Philofophe , jugeant du
trouble de fon coeur par l'altération de
fon vifage , qu'eft - ce donc , lui dit - il
d'un ton plus férieux ? une bagatelle , un
jeu d'enfant vous affecte ? Si vous aviez
perdu un empire je vous pardonnerois
à peine d'être dans l'état d'humiliation , &
d'abattement où je vous vois . Ah ! mon
cher maître , s'écria Alcibiade revenant à
lui - même , qu'on eft malheureux d'être
fenfible ! il faut avoir une ame de marbre
dans le fiécle où nous vivons . J'avoue , reprit
Socrate , que la fenfibilité coute cher
quelquefois ; mais c'eft une fi bonne choſe
qu'on ne fçauroit trop la payer . Voyons
vous pouvez vous vanOCTOBRE.
1755. 29
cependant ce qui vous arrive.
Alcibiade lui raconta fes aventures avec
la prude, la jeune fille , la veuve , la femme
du Magiftrat , & la Courtifane , qui dans
l'inftant même venoit de le facrifier. De
quoi vous plaignez- vous , lui dit Socrate ,
après l'avoir entendu . Il me femble que
chacune d'elles vous a aimé à fa façon , de
la meilleure foi du monde. La prude , par
exemple , aime le plaifir ; elle le trouvoit
en vous , vous l'en privez , elle vous renvoie
, ainfi des autres. C'eft leur bonheur ,
n'en doutez pas , qu'elles cherchoient dans
leur amant. La jeune fille y voyoit un
époux qu'elle pouvoit aimer en liberté &
avec décence. La veuve , un triomphe
éclatant qui honoreroit fa beauté La femme
du Magiftrat , un homme aimable &
difcret, avec qui , fans danger & fans éclat ,
fa philofophie & fa vertu pourroient prendre
du relâche. La Courtifane , un homme
admiré , applaudi , defiré par - tour ,
qu'elle auroit le plaifir fecret de poffeder
feule , tandis que toutes les beautés de la
Gréce fe difputeroient vainement la gloire
de le captiver. Vous avouez donc , dit .
Alcibiade , qu'aucune d'elles ne m'a aimé
pour moi ? Pour vous , s'écria le Philofophe
, Ah ! mon cher enfant, qui vous a mis
dans la tête cette prétention ridicule ? Per-
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
>
la
fonne n'aime que pour foi. L'amitié , ce
fentiment fi pur , ne forme elle -même fes
préférences que fur l'intérêt perfonnel ; &
fi vous exigez qu'elle foit défintéreffée ,
vous pouvez commencer par renoncer à la
mienne. J'admire , pourfuivit- il , comme
l'amour propre eft fot dans ceux - même
qui ont le plus d'efprit. Je voudrois bien
fçavoir quel eft ce moi que vous voulez
qu'on aime en vous ? La naiffance
fortune & la gloire , la jeuneffe , les talens
& la beauté ne font que des accidens.
Rien de tout cela n'eft vous , & c'eſt
tout cela qui vous rend aimable . Le moi
qui réunit ces agrémens , n'eft en vous
que le canevas de la tapifferie. La broderie
en fait le prix . En aimant en vous tous
ces dons , on les confond avec vous - même
: ne vous engagez point dans des diftinctions
qu'on ne fuit point ; & prenez
comme on vous le donne , le réſultat de
ce mêlange ; c'eft une monnoie dont l'alliage
fait la confiftance , & qui perd fa
valeur au creuſet. Je ne fuis pas fâché que
votre délicateffe vous ait détâché de la
prude & de la veuve , ni que la réfolution
de Rodope & la vanité d'Erigone
vous ayent rendu la liberté ; mais je regrette
Glicerie , & je vous confeille d'y
retourner. Vous vous moquez , dit AlciOCTOBRE
. 1755. 31
biade , c'eft un enfant qui veut qu'on
l'époufe . Hé bien ! vous l'épouferez : L'aije
bien entendu ? c'eft Socrate qui me confeille
le mariage. Pourquoi non ! Si votre
femme eft fage & raifonnable , vous ferez
un homme heureux ; fi elle eft méchante
ou coquette , vous deviendrez un philofophe
, vous ne pouvez qu'y gagner .
Fermer
Résumé : SUITE DU MOI.
Le texte relate les difficultés rencontrées par Socrate en raison de son enseignement public de la vérité et de la vertu. Ses détracteurs portaient plainte contre lui à l'Aréopage. Alcibiade, dévoué à Socrate, défendait son maître en le décrivant comme le plus juste et le plus sage des mortels. Lors d'une conférence avec un membre de l'Aréopage, Alcibiade impressionna la femme du juge, Rodope, par son éloquence et sa sagesse. Rodope, séduite par les enseignements de Socrate transmis par Alcibiade, s'enflamma pour la philosophie. Ils entretenaient des discussions philosophiques sur la sagesse, la vertu, la justice et la vérité. Rodope interrogea Alcibiade sur la différence entre l'amour et l'amitié selon Socrate. Alcibiade expliqua que Socrate distinguait trois types d'amour : l'amour grossier, l'amitié pure et un amour mixte. Rodope et Alcibiade développèrent une relation intense, mais Rodope craignait les apparences et les soupçons. Malgré ses sentiments, Rodope décida de ne plus voir Alcibiade pour préserver l'honneur de son mari. Alcibiade, déçu, quitta Rodope, convaincu que les femmes étaient capricieuses. Plus tard, Alcibiade rencontra la courtisane Erigone, qui tenta de le dissuader de sa quête philosophique, l'incitant à chercher le bonheur. Alcibiade, ruiné par ses excès, fut tenté par les offres généreuses d'Erigone, qui lui proposa de réparer ses dettes. Alcibiade refusa, avouant que les plaisirs excessifs l'avaient non seulement ruiné financièrement, mais aussi prématurément vieilli. Erigone, malgré sa réputation d'avarice, se montra généreuse et déclara son amour pour Alcibiade, prête à sacrifier ses biens pour lui. Alcibiade, touché par sa générosité, accepta de se laisser aimer par elle. Ils partagèrent un moment d'intimité dans un souper délicieux, où Alcibiade exprima son bonheur. Erigone demanda à Alcibiade de ne penser qu'à elle, même dans ses rêves. Alcibiade, transporté, admira la pureté de l'amour d'Erigone. Deux mois passèrent dans cette union délicieuse. Cependant, les Jeux Olympiques approchèrent, et Erigone encouragea Alcibiade à y participer. Le jour des Jeux, Alcibiade remporta la course mais fut devancé par Pificrate de Samos. Alcibiade, accablé, se retira. Pificrate, vainqueur, offrit sa couronne à Erigone, qui l'accepta sous la pression du peuple. Alcibiade, après un moment d'abattement, se rendit chez Erigone mais trouva le char du vainqueur à la porte. Désespéré, il se tourna vers Socrate pour se consoler. Socrate, bien que moqueur, accueillit Alcibiade avec bienveillance, soulignant que les jeux ne sont qu'un jeu d'enfant et que la véritable gloire réside ailleurs. Dans un dialogue ultérieur, Alcibiade raconta ses aventures avec diverses femmes : une prude, une jeune fille, une veuve, une femme de magistrat et une courtisane. Socrate expliqua que chacune avait cherché son propre bonheur à travers Alcibiade. La prude aimait le plaisir, la jeune fille un époux libre et décent, la veuve un triomphe, la femme du magistrat un compagnon discret, et la courtisane un homme admiré. Socrate conseilla à Alcibiade de ne pas chercher des distinctions inutiles et de profiter des sentiments comme ils viennent. Il regretta qu'Alcibiade ait quitté Glicérie et lui conseilla de l'épouser, car cela le rendrait heureux ou le ferait devenir philosophe.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
445
p. 31-33
EPITRE A M. B. par M. M....
Début :
Ne nous étonnez point, ô ma chere Lesbie, [...]
Mots clefs :
Coeur, Image, Amour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EPITRE A M. B. par M. M....
EPITRE
A M. B. par M. M……..
E vous étonnez point , ê ma chere Leſbie ,
Si vous voir , vous aimer , vous confacrer ma vie ,
N'ont été pour moi qu'un moment.
J'adorois votre image avant de vous connoître ,
...Et l'étoile qui m'a vû naître
Me deſtinoit à vivre , à mourir votre amant.
Le coeur avant d'aimer , fe fait une chimere
Qu'il compofe des plus beaux traits.
Chacun , fuivant fon caractere ,
Lui donne des talens , des graces , des attraits.
Une Agnès , une Armide , héroïne , ou bergere ,
Voluptueuse & tendre , ou bien vive & légere ,
Elle est tout ce qu'on veut le coeur n'a qu'à
choifir ;
L'imagination peint d'après le defir.
Après avoir formé cette adorable image ,
B iv
32 MERCURE DE FRANCE.
Nouveau Pigmalion charmé de fon ouvrage ,
On demande à l'Amour qu'il la daigne animer.
Si quelque beauté lui reffemble ,
On s'arrête , on admire , on fe fent enflammer :
On fe flate qu'elle raſſemble
Tous les dons enchanteurs dont on s'eft peint
l'enſemble ;
De cette illufion frappé
On fe dit : la voilà , c'eſt elle.
Et puis à quelques traits on voit qu'on s'eft trompé
,
On change , on paroît infidele :
Mais non , du même objet toujours préoccupé
D'une image adorée on cherche le modele.
Dès qu'on le trouve on eft content ,
Le coeur le plus léger devient le plus conftant.
Je vous ai peint mon aventure ,
Leſbie , & c'eft ainſi que vous m'avez touché .
Mon coeur s'étoit fait la peinture
De tout ce que l'amour adoroit dans Pfiché.
Des graces la taille élégante
D'Hébé , l'éclat & la Fraîcheur ,
L'incarnat qui de Flore anime la blancheur ,
Du foûris de Venus , la volupté piquante ,
Le timide regard de la reine des bois.
Ajoutez à ces traits une touchante voix ,
Que rend plus douce encor cette bouche de roſe ,
Cette bouche où l'on voit mille amours voltiger ,
Comme le papillon léger
OCTOBRE. 1755 . 33
Sur une fleur à peine écloſe .
Animez ce tableau d'un efprit jufte & fûr ,
Brillant de l'éclat le plus pur ,
Auffi délicat que folide ,
Viffans étourderie , ingénieux fans fard ,
Que le beau feul émeut , que le vrai feul décide ,
Et dont le naturel eft au- deffus de l'art ,
Telle étoit ma chimere avant de vous connoître.
Amour la réalife , il s'eft fait un plaifir
D'aller en vous formant plus loin que mon defir ,
Et c'eft pour mon malheur peut- être.
A M. B. par M. M……..
E vous étonnez point , ê ma chere Leſbie ,
Si vous voir , vous aimer , vous confacrer ma vie ,
N'ont été pour moi qu'un moment.
J'adorois votre image avant de vous connoître ,
...Et l'étoile qui m'a vû naître
Me deſtinoit à vivre , à mourir votre amant.
Le coeur avant d'aimer , fe fait une chimere
Qu'il compofe des plus beaux traits.
Chacun , fuivant fon caractere ,
Lui donne des talens , des graces , des attraits.
Une Agnès , une Armide , héroïne , ou bergere ,
Voluptueuse & tendre , ou bien vive & légere ,
Elle est tout ce qu'on veut le coeur n'a qu'à
choifir ;
L'imagination peint d'après le defir.
Après avoir formé cette adorable image ,
B iv
32 MERCURE DE FRANCE.
Nouveau Pigmalion charmé de fon ouvrage ,
On demande à l'Amour qu'il la daigne animer.
Si quelque beauté lui reffemble ,
On s'arrête , on admire , on fe fent enflammer :
On fe flate qu'elle raſſemble
Tous les dons enchanteurs dont on s'eft peint
l'enſemble ;
De cette illufion frappé
On fe dit : la voilà , c'eſt elle.
Et puis à quelques traits on voit qu'on s'eft trompé
,
On change , on paroît infidele :
Mais non , du même objet toujours préoccupé
D'une image adorée on cherche le modele.
Dès qu'on le trouve on eft content ,
Le coeur le plus léger devient le plus conftant.
Je vous ai peint mon aventure ,
Leſbie , & c'eft ainſi que vous m'avez touché .
Mon coeur s'étoit fait la peinture
De tout ce que l'amour adoroit dans Pfiché.
Des graces la taille élégante
D'Hébé , l'éclat & la Fraîcheur ,
L'incarnat qui de Flore anime la blancheur ,
Du foûris de Venus , la volupté piquante ,
Le timide regard de la reine des bois.
Ajoutez à ces traits une touchante voix ,
Que rend plus douce encor cette bouche de roſe ,
Cette bouche où l'on voit mille amours voltiger ,
Comme le papillon léger
OCTOBRE. 1755 . 33
Sur une fleur à peine écloſe .
Animez ce tableau d'un efprit jufte & fûr ,
Brillant de l'éclat le plus pur ,
Auffi délicat que folide ,
Viffans étourderie , ingénieux fans fard ,
Que le beau feul émeut , que le vrai feul décide ,
Et dont le naturel eft au- deffus de l'art ,
Telle étoit ma chimere avant de vous connoître.
Amour la réalife , il s'eft fait un plaifir
D'aller en vous formant plus loin que mon defir ,
Et c'eft pour mon malheur peut- être.
Fermer
Résumé : EPITRE A M. B. par M. M....
L'épître est adressée à une femme nommée Lesbie par un homme identifié comme M. M. L'auteur explique que son amour pour Lesbie n'a pas été immédiat, mais qu'il l'adorait déjà avant de la connaître. Il décrit comment le cœur crée une image idéale de l'être aimé avant même de le rencontrer, personnalisée selon les désirs et les traits admirés. Cette image idéale est ensuite comparée aux personnes rencontrées, et l'amour se fixe sur celle qui s'en rapproche le plus. L'auteur raconte que son cœur avait formé une image parfaite inspirée par divers traits admirables : la grâce et l'élégance d'Hébé, la fraîcheur et l'éclat de Flore, la volupté de Vénus, le regard timide de la reine des bois, et une voix douce accompagnée d'une bouche rose. Cette chimère était complétée par un esprit juste, sûr, délicat et naturel. L'auteur révèle que Lesbie a incarné cette chimère, réalisant même au-delà de ses attentes, bien que cela puisse être source de malheur.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
446
p. 34-39
SUITE DES PENSÉES DIVERSES. Insérées dans le Mercure du mois de Septembre ; Par M. Lemarié, Avocat au Parlement.
Début :
Les présens humilient ou corrompent ceux qui les reçoivent. [...]
Mots clefs :
Esprit, Homme, Amour, Loi
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE DES PENSÉES DIVERSES. Insérées dans le Mercure du mois de Septembre ; Par M. Lemarié, Avocat au Parlement.
SUITE
DES
PENSEES
DIVERSES.
Inferées dans le Mercure du mois de Septembre
; Par M. Lemarie , Avocat an
Parlement.
L
Es
préfens
humilient ou
corrompent
ceux qui les
reçoivent .
Il faut
donner bien à
propos & avec
beaucoup de précaution
pour ne pas faire
des ingrats.
Je ne fçais lequel eft le plus généreux de
celui qui donne libéralement , ou de celui
qui fe fouvient volontiers des bienfaits
qu'il a reçus.
Ce n'eft
pas dans le don , c'eſt dans la
façon de le faire que confifte la vraie libéralité.
Otez du monde l'amour propre & l'intérêt
, vous en ôtérez
l'apparence de bien
des vertus , & prefque tous les vices.
Tout change & varie à l'infini parmi les
hommes , il n'y a de conftant que leur
inconftance.
gré
Du vice au crime l'occaſion eſt le dé-
Rien n'eft plus arbitraire que l'eftime
OCTOBRE . 1755 . 35
que nous faifons des choſes. N'y aura-t-il
jamais de régle certaine pour la fixer ?
Un bon efprit & un bel efprit devroient
être entr'eux dans le rapport d'un honnête
homme à un galant homme.
Plufieurs l'ont dit , & je le repére : il
vaut mieux ne rien fçavoir que fçavoir
mal beaucoup de choſes.
Le Magiftrat eft l'exécuteur de la Loi :
le Prince en eft le modérateur.
La loi punit : le Prince pardonne.
Bien de gens vivent fans penfer à une
autre vie , peu meurent fans la craindre.
Régle générale , on n'eft rien moins
que ce qu'on fe pique d'être.
On veut avoir de l'efprit , c'eſt la folie
du fiécle : On manque de génie , c'en eſt
le malheur.
La critique eft le creufet où s'épurent
les productions de l'efprit ; que penfer
d'un auteur qui la redoute ?
L'efprit femble croître & decroître en
raifon inverſe du goût & du génie ,
Autrefois on ne fçavoit que ce qu'on
avoit long- tems étudié . Que les génies
étoient lourds ! aujourd'hui l'on fçait tout
fans avoir rien appris.
La manie de n'être entendu que d'un
petit nombre de lecteurs , ne tient plus
les fçavans , elle a paffé aux gens de Lettres.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
On admire encore les Racine , les Moliere
, les Defpréaux : on rougiroit d'écrire
comme eux .
Affectez dans vos écrits un ſtyle entortillé
, pointilleux , énigmatique ; coufez
bien ou mal quelques penfées détâchées ,
quelques fentences paradoxales; faites fonner
bien haut , & revenir à chaque page
ces grands mots : Philofophie , métaphyfique
, géométrie , morale , &c. vous ferez
un écrivain à la mode , vous aurez le ton
de la bonne littérature .
C'eſt au coin des rues & aux piliers des
temples qu'il faut voir la plupart des livres
nouveaux ; ils n'ont d'intéreffant que
les titres.
Les plus beaux monumens de la littérature
ancienne ne font plus pour nous que
des antiquailles : Qui cite Homere , Cicéron
, Virgile , eft un pédant , & fent l'école.
Ce n'est jamais d'un fot que le goût reçoit
les premieres atteintes. Le commencement
de fa décadence eft toujours l'ouvrage
d'un homme d'efprit .
A travers toute la facilité , toutes les
graces , tout le brillant de l'auteur des
Métamorphorfes & des Triftes , un lecteur
éclairé y entrevoit quelque déchet du goût
qui regnoit aux premiers tems d'Augufte,
OCTOBRE. 1755. 37
M. de X .... ne feroit- il pas l'Ovide de
notre fiécle.
La poftérité jugera fans doute de notre
fiécle plus avantageufement que nous , car
elle en jugera fur les écrits des Montefquieu
, des Voltaire , &c. & non d'après ,
tant de mauvais ouvrages dont nous fommes
affaillis , & qui ne parviendront pas
jufqu'à elle.
Chacun fe fait aujourd'hui un fyftême
part , un plan particulier de conduite.
Que réfulte- t-il de cela ? un déréglement
général dans les moeurs .
L'amour qu'on prend pour une perfonne
vertueuse méne fouvent à l'amour de la
vertu .
La juftice naît du rapport qui eft entre
les chofes la loi eft la mefure de ce rapport.
> Il y a des gens qui doutent de tout
d'autres ne doutent de rien : le doute eft
bon , mais il ne doit pas tenir contre l'évidence.
Demander un avis c'eft fouvent quêter
un fuffrage.
Il eft plus aifé de faire prendre une opinion
nouvelle , que de détruire une opinion
reçue.
Nous jugeons de tout par comparaifon,
& le point de comparaifon c'eft nous -mê38
MERCURE DE FRANCE.
mes ; delà tant de mauvais jugemens.
Les plus grands maux fe guériffent ordinairement
par les remedes les plus fimples.
Ne cherchez point le beau hors de la nature
; l'art n'a
d'agrémens que ceux qu'elle
lui prête.
Que de graces , l'importunité dérobe
tous les jours au mérite !
C'est l'amour des peuples qui fait le
bonheur des Rois ; c'eft la bonté des Rois
qui fait la félicité des peuples.
Il n'y a rien qui rende les hommes ordinaires
plus petits que l'élévation & les
grandeurs .
Outrez , ou ôtez
l'indulgence , vous
détruirez la fociété.
Un état qui s'aggrandit trop , court à fa
ruine .
Ce n'eft point une domination étendue
, ce ne font point de vaftes provinces
qui font la force d'un empire ; c'eft un
bon
gouvernement , c'eſt une puiſſance
bien économifée.
Un pouvoir immenſe eſt un grand fléau
entre les mains d'un homme qui en abuſe,
ou qui ne fçait pas le tempérer.
Ceux qui fe mêlent fans néceflité des
affaires d'autrui , ne font communément
que les brouiller & les rendre pires .
OCTOBRE . 1755. 39
La réforme d'un abus eft prefque toujours
fujette à correction.
Ne reprenons point : corrigeons - nous.
DES
PENSEES
DIVERSES.
Inferées dans le Mercure du mois de Septembre
; Par M. Lemarie , Avocat an
Parlement.
L
Es
préfens
humilient ou
corrompent
ceux qui les
reçoivent .
Il faut
donner bien à
propos & avec
beaucoup de précaution
pour ne pas faire
des ingrats.
Je ne fçais lequel eft le plus généreux de
celui qui donne libéralement , ou de celui
qui fe fouvient volontiers des bienfaits
qu'il a reçus.
Ce n'eft
pas dans le don , c'eſt dans la
façon de le faire que confifte la vraie libéralité.
Otez du monde l'amour propre & l'intérêt
, vous en ôtérez
l'apparence de bien
des vertus , & prefque tous les vices.
Tout change & varie à l'infini parmi les
hommes , il n'y a de conftant que leur
inconftance.
gré
Du vice au crime l'occaſion eſt le dé-
Rien n'eft plus arbitraire que l'eftime
OCTOBRE . 1755 . 35
que nous faifons des choſes. N'y aura-t-il
jamais de régle certaine pour la fixer ?
Un bon efprit & un bel efprit devroient
être entr'eux dans le rapport d'un honnête
homme à un galant homme.
Plufieurs l'ont dit , & je le repére : il
vaut mieux ne rien fçavoir que fçavoir
mal beaucoup de choſes.
Le Magiftrat eft l'exécuteur de la Loi :
le Prince en eft le modérateur.
La loi punit : le Prince pardonne.
Bien de gens vivent fans penfer à une
autre vie , peu meurent fans la craindre.
Régle générale , on n'eft rien moins
que ce qu'on fe pique d'être.
On veut avoir de l'efprit , c'eſt la folie
du fiécle : On manque de génie , c'en eſt
le malheur.
La critique eft le creufet où s'épurent
les productions de l'efprit ; que penfer
d'un auteur qui la redoute ?
L'efprit femble croître & decroître en
raifon inverſe du goût & du génie ,
Autrefois on ne fçavoit que ce qu'on
avoit long- tems étudié . Que les génies
étoient lourds ! aujourd'hui l'on fçait tout
fans avoir rien appris.
La manie de n'être entendu que d'un
petit nombre de lecteurs , ne tient plus
les fçavans , elle a paffé aux gens de Lettres.
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
On admire encore les Racine , les Moliere
, les Defpréaux : on rougiroit d'écrire
comme eux .
Affectez dans vos écrits un ſtyle entortillé
, pointilleux , énigmatique ; coufez
bien ou mal quelques penfées détâchées ,
quelques fentences paradoxales; faites fonner
bien haut , & revenir à chaque page
ces grands mots : Philofophie , métaphyfique
, géométrie , morale , &c. vous ferez
un écrivain à la mode , vous aurez le ton
de la bonne littérature .
C'eſt au coin des rues & aux piliers des
temples qu'il faut voir la plupart des livres
nouveaux ; ils n'ont d'intéreffant que
les titres.
Les plus beaux monumens de la littérature
ancienne ne font plus pour nous que
des antiquailles : Qui cite Homere , Cicéron
, Virgile , eft un pédant , & fent l'école.
Ce n'est jamais d'un fot que le goût reçoit
les premieres atteintes. Le commencement
de fa décadence eft toujours l'ouvrage
d'un homme d'efprit .
A travers toute la facilité , toutes les
graces , tout le brillant de l'auteur des
Métamorphorfes & des Triftes , un lecteur
éclairé y entrevoit quelque déchet du goût
qui regnoit aux premiers tems d'Augufte,
OCTOBRE. 1755. 37
M. de X .... ne feroit- il pas l'Ovide de
notre fiécle.
La poftérité jugera fans doute de notre
fiécle plus avantageufement que nous , car
elle en jugera fur les écrits des Montefquieu
, des Voltaire , &c. & non d'après ,
tant de mauvais ouvrages dont nous fommes
affaillis , & qui ne parviendront pas
jufqu'à elle.
Chacun fe fait aujourd'hui un fyftême
part , un plan particulier de conduite.
Que réfulte- t-il de cela ? un déréglement
général dans les moeurs .
L'amour qu'on prend pour une perfonne
vertueuse méne fouvent à l'amour de la
vertu .
La juftice naît du rapport qui eft entre
les chofes la loi eft la mefure de ce rapport.
> Il y a des gens qui doutent de tout
d'autres ne doutent de rien : le doute eft
bon , mais il ne doit pas tenir contre l'évidence.
Demander un avis c'eft fouvent quêter
un fuffrage.
Il eft plus aifé de faire prendre une opinion
nouvelle , que de détruire une opinion
reçue.
Nous jugeons de tout par comparaifon,
& le point de comparaifon c'eft nous -mê38
MERCURE DE FRANCE.
mes ; delà tant de mauvais jugemens.
Les plus grands maux fe guériffent ordinairement
par les remedes les plus fimples.
Ne cherchez point le beau hors de la nature
; l'art n'a
d'agrémens que ceux qu'elle
lui prête.
Que de graces , l'importunité dérobe
tous les jours au mérite !
C'est l'amour des peuples qui fait le
bonheur des Rois ; c'eft la bonté des Rois
qui fait la félicité des peuples.
Il n'y a rien qui rende les hommes ordinaires
plus petits que l'élévation & les
grandeurs .
Outrez , ou ôtez
l'indulgence , vous
détruirez la fociété.
Un état qui s'aggrandit trop , court à fa
ruine .
Ce n'eft point une domination étendue
, ce ne font point de vaftes provinces
qui font la force d'un empire ; c'eft un
bon
gouvernement , c'eſt une puiſſance
bien économifée.
Un pouvoir immenſe eſt un grand fléau
entre les mains d'un homme qui en abuſe,
ou qui ne fçait pas le tempérer.
Ceux qui fe mêlent fans néceflité des
affaires d'autrui , ne font communément
que les brouiller & les rendre pires .
OCTOBRE . 1755. 39
La réforme d'un abus eft prefque toujours
fujette à correction.
Ne reprenons point : corrigeons - nous.
Fermer
Résumé : SUITE DES PENSÉES DIVERSES. Insérées dans le Mercure du mois de Septembre ; Par M. Lemarié, Avocat au Parlement.
Le texte, publié dans le Mercure de septembre 1755 par M. Lemarie, avocat au Parlement, compile diverses réflexions philosophiques et sociales. Lemarie commence par discuter des préférences et de leur potentiel à humilier ou corrompre ceux qui les reçoivent, soulignant l'importance de donner avec précaution pour éviter l'ingratitude. Il explore la véritable libéralité, qui réside dans la manière de donner plutôt que dans l'acte lui-même. Le texte met en évidence l'importance de l'amour-propre et de l'intérêt dans la société, notant que leur absence révélerait la véritable nature des vertus et des vices. Lemarie observe également l'inconstance humaine et l'arbitraire des jugements. Il distingue entre un bon esprit et un bel esprit, affirmant qu'il vaut mieux ne rien savoir que de savoir mal beaucoup de choses. Lemarie traite également du rôle du magistrat et du prince, le premier exécutant la loi et le second la modérant. Le texte aborde la critique comme un creuset pour les productions de l'esprit et la décadence du goût littéraire, où les œuvres classiques sont dédaignées au profit de styles modernes et complexes. Lemarie critique la mode littéraire de son époque, où les auteurs affectent un style entortillé et paradoxal pour se distinguer. Il conclut en soulignant l'importance de la justice, du bon gouvernement et de l'indulgence pour maintenir la société. Lemarie met en garde contre la critique excessive et l'affectation stylistique, prônant un retour à des valeurs littéraires plus authentiques et accessibles.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
447
p. 64-65
LE PRIX DE LA CONSTANCE. Cantatille. par M. Jouin de Sauseuil,
Début :
Triste & cruelle indifférence, [...]
Mots clefs :
Amour, Constance, Rigueur, Vengeance
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE PRIX DE LA CONSTANCE. Cantatille. par M. Jouin de Sauseuil,
LE PRIX DE LA CONSTANCE.
Cantatille. Par M. Jouin de Saufenil ,
TRifte & cruelle indifférence ,
Que vous allarmez mon repos !
Quel outrage pour ma conſtance !
Quel triomphe pour mes rivaux !
Ainfi donc ma perféverance ,
Mes feux & ma fidelle ardeur ,
N'auront pour toute récompenfe
Que la plus barbare rigueur !
Trifte & cruelle , &c.
Accablé fous le poids des rigueurs de Lifette ,
Le tendre & conftant Céladon ,
Sur ce trifte & lugubre ton
Faifoit ainfi raifonner fa mufette ,
Quand l'amour attendri par fes cris douloureux ,
Voulut récompenfer cet amant malheureux ;
Auffi-tôt il choifit pour bleffer la cruelle ,
De fes traits le plus vif & le plus dangereux ,
Et portant dans fon fein la bleffure mortelle ,
Lui fit fentir fes ravages affreux.
OCTOBRE. 1755. 65
De l'amour craignons la vengeance ,
Elle fuit de près la rigueur ;
Rien ne réfifte à fa puiffance ,
Quand il veut fe foumettre un coeur.
Jeunes beautés , que l'amour guette ,
éviter les coups , En vain
pour
Vous fuyez dans quelque retraite ,
Tôt ou tard il s'y rit de vous.
De l'amour craignons la vengeance , &c.
Cantatille. Par M. Jouin de Saufenil ,
TRifte & cruelle indifférence ,
Que vous allarmez mon repos !
Quel outrage pour ma conſtance !
Quel triomphe pour mes rivaux !
Ainfi donc ma perféverance ,
Mes feux & ma fidelle ardeur ,
N'auront pour toute récompenfe
Que la plus barbare rigueur !
Trifte & cruelle , &c.
Accablé fous le poids des rigueurs de Lifette ,
Le tendre & conftant Céladon ,
Sur ce trifte & lugubre ton
Faifoit ainfi raifonner fa mufette ,
Quand l'amour attendri par fes cris douloureux ,
Voulut récompenfer cet amant malheureux ;
Auffi-tôt il choifit pour bleffer la cruelle ,
De fes traits le plus vif & le plus dangereux ,
Et portant dans fon fein la bleffure mortelle ,
Lui fit fentir fes ravages affreux.
OCTOBRE. 1755. 65
De l'amour craignons la vengeance ,
Elle fuit de près la rigueur ;
Rien ne réfifte à fa puiffance ,
Quand il veut fe foumettre un coeur.
Jeunes beautés , que l'amour guette ,
éviter les coups , En vain
pour
Vous fuyez dans quelque retraite ,
Tôt ou tard il s'y rit de vous.
De l'amour craignons la vengeance , &c.
Fermer
Résumé : LE PRIX DE LA CONSTANCE. Cantatille. par M. Jouin de Sauseuil,
Le texte 'Le Prix de la Constance' est une cantatille composée par M. Jouin de Saufenil. Il relate la souffrance de Céladon, un amant tourmenté par l'indifférence et la cruauté de Lifette. Céladon exprime sa douleur face aux rigueurs de Lifette. Ému par les plaintes de Céladon, l'amour décide de punir Lifette en la blessant mortellement. Lifette ressent alors les effets dévastateurs de l'amour. Le texte met en garde contre la vengeance de l'amour, soulignant qu'elle suit de près la rigueur et qu'elle est implacable lorsqu'elle veut soumettre un cœur. Il avertit également les jeunes beautés qu'elles ne pourront échapper à l'amour, même dans leur retraite.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
448
p. 69-70
VAUDEVILLE.
Début :
Une timide Bergere, [...]
Mots clefs :
Berger, Bergère, Fillettes, Amour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : VAUDEVILLE.
VAUDEVILLE.
UNE
timide
Bergere,
Mais fenfible au jeu d'amour ,
Au fond d'un bois folitaire ,
Chantoit ainfi l'autre jour :
Quel plaifir pour les fillettes ;
Avec un tendre Berger ,
Si l'on pouvoit fans danger ,
Se laiffer , fe laiffer conter fleurettes .
Le jeune Colin s'exprime
D'un air qui flate mon coeur ;
Pourquoi du feu qui l'anime ,
N'ofai-je écouter l'ardeur ,
Quel plaifir pour les fillettes , & c.
70 MERCURE DE FRANCE.
Colin , fous un verd feuillage ,
Ecoutoit cette chanson ,
En entrant dans le bocage
Il répondit fur ce con :
Quel plaifir pour les fillettes ,
Avec un prudent Berger
Elles peuvent fans danger ,
Se laiffer conter , & c .
Hélas ! lui dit Célimene ,
L'amour eſt ſouvent trompeuf.
Quand un aveugle nous méne ,
On doit toujours avoir peur.
Quel plaifir pour les fillettes ,
Avec un tendre Berger ;
Mais pourrai-je fans danger ,
Me laiffer , me laiffer conter fleurettes.
La Bergere plus fenfible
Du Berger crut le ferment ;
Colin paroît moins terrible
En paroiffant plus charmant :
Quel plaifir pour les fillettes ,
Avec un tendre Berger ;
On croit bientôt fans danger ,
Se laiffer , fe laiffer conter fleurettes.
UNE
timide
Bergere,
Mais fenfible au jeu d'amour ,
Au fond d'un bois folitaire ,
Chantoit ainfi l'autre jour :
Quel plaifir pour les fillettes ;
Avec un tendre Berger ,
Si l'on pouvoit fans danger ,
Se laiffer , fe laiffer conter fleurettes .
Le jeune Colin s'exprime
D'un air qui flate mon coeur ;
Pourquoi du feu qui l'anime ,
N'ofai-je écouter l'ardeur ,
Quel plaifir pour les fillettes , & c.
70 MERCURE DE FRANCE.
Colin , fous un verd feuillage ,
Ecoutoit cette chanson ,
En entrant dans le bocage
Il répondit fur ce con :
Quel plaifir pour les fillettes ,
Avec un prudent Berger
Elles peuvent fans danger ,
Se laiffer conter , & c .
Hélas ! lui dit Célimene ,
L'amour eſt ſouvent trompeuf.
Quand un aveugle nous méne ,
On doit toujours avoir peur.
Quel plaifir pour les fillettes ,
Avec un tendre Berger ;
Mais pourrai-je fans danger ,
Me laiffer , me laiffer conter fleurettes.
La Bergere plus fenfible
Du Berger crut le ferment ;
Colin paroît moins terrible
En paroiffant plus charmant :
Quel plaifir pour les fillettes ,
Avec un tendre Berger ;
On croit bientôt fans danger ,
Se laiffer , fe laiffer conter fleurettes.
Fermer
Résumé : VAUDEVILLE.
Le texte décrit un vaudeville où une bergère timide, mais sensible aux jeux de l'amour, chante dans un bois solitaire sur le plaisir des fillettes de se laisser conter fleurettes par un berger tendre sans danger. Colin, un jeune homme, écoute cette chanson et y répond en exprimant son désir. Célimène, un autre personnage, met en garde contre les tromperies de l'amour. La bergère, séduite par les paroles charmantes de Colin, finit par le trouver moins effrayant et plus attirant. Le vaudeville se conclut sur l'idée que les fillettes peuvent se laisser conter fleurettes par un berger tendre sans danger.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
449
p. 9-40
LES CHARMES DU CARACTERE. HISTOIRE VRAISEMBLABLE. SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE. Par Mademoiselle Plisson, de Chartres.
Début :
Montvilliers (c'est ainsi que s'appelle le Philosophe que voici) est riche [...]
Mots clefs :
Coeur, Homme, Esprit, Père, Ami, Amitié, Philosophe, Sentiment, Larmes, Âme, Tendresse, Amour, Raison, Réflexions, Naissance, Mère, Lettres, Douceur, Peine, Passion, Promenade, Promenade de province
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LES CHARMES DU CARACTERE. HISTOIRE VRAISEMBLABLE. SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE. Par Mademoiselle Plisson, de Chartres.
LES CHARMES DU CARACTERE.
HISTOIRE VRAISEMBLABLE.
SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE.
Par Mademoiselle Pliffon , de Chartres.
M
Ontvilliers ( c'eft ainſi que s'appelle
le Philofophe que voici ) eft un riche
Gentilhomme
du voifinage , le plus heureux
& le plus digne de l'être . Un efprit
juſte , cultivé , folide ; une raiſon fupérieure
, éclairée , un coeur noble , généreux
délicat , fenfible ; une humeur douce , bienfaifante
; un extérieur ouvert , font des
qualités naturelles qui le font adorer de
A v
to MERCURE DE FRANCE.
tous ceux qui le connoiffent. Tranquille
poffeffeur d'un bien confidérable , d'une
époufe digne de lui , d'un ami véritable ,
il fent d'autant mieux les agrémens de fa
fituation qu'elle a été précédée des plus
triftes revers.
La perte de fa mere , qui mourut peu
de tems après fa naiffance , a été la premiere
& la fource de toutes fes infortunes
. Son pere , qui fe nommoit Dorneville
, après avoir donné une année à ſa
douleur , ou plutôt à la bienféance , fe
remaria à la fille d'un de fes amis. Elle
étoit aimable , mais peu avantagée de la
fortune. L'unique fruit de ce mariage fut
un fils . Sa naiffance , qui avoit été longtems
défirée , combla de joie les deux époux.
Montvilliers , qui avoit alors quatre à cinq
ans , devint bientôt
indifférent , & peu
après incommode. Il étoit naturellement
doux & timide . Sa belle- mere qui ne cherchoit
qu'à donner à fon pete de l'éloignement
pour lui , fit pailer fa douceur pour
ftupidité. Elle découvroit dans toutes les
actions le germe d'un caractere bas , &
même dangereux. Tantôt elle avoit remarqué
un trait de méchanceté noire, tantôt un
difcours qui prouvoit un mauvais coeur.Elle
avoit un foin particulier de le renvoyer avec
les domeftiques. Un d'eux à qui il fit pitié
NOVEMBRE. 1755 . 11
lui apprit à lire & à écrire affez paffablement.
Mais le pauvre garçon fut chaffé
pour avoir ofé dire que Montvilliers n'étoit
pas fi ftupide qu'on vouloit le faire
croire , & qu'il apprenoit fort bien tout
ce qu'on vouloit lui montrer.
*
Saraifon qui fe développoit , une noble
fierté que la naiffance inſpire , lui rendirent
bientôt infupportables les mépris
des valets qui vouloient plaire à Madame
Dorneville. La maifon paternelle lui
devint odieufe. Il paffoit les jours entiers
dans les bois , livré à la mélancolie & au
découragement. Accoutumé dès fa plust
tendre jeuneffe à fe regarder comme un
objet à charge , il fe haïffoit prefqu'autant
que le faifoit fa belle-mere. Tous fes fouhaits
ſe bornoient au fimple néceffaire . 11
ne défiroit que les moyens de couler une
vie paifible dans quelque lieu folitaire , &
loin du commerce des hommes dont il fe
croyoit incapable.
Ce fut ainfi que ce malheureux jeune
homme pafla les quinze premieres années
de fa vie , lorfqu'un jour , il fut rencontré
dans le bois où il avoit coutume de fe retirer
, par un militaire refpectable , plein de
candeur , de bon fens , & de probité.
Après avoir fervi honorablement fa parrie
pendant vingt-ans , ce digne guerrier s'é
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
toit retiré dans une de fes terres pour vivre.
avec lui -même , & chercher le bonheur ,
qu'il n'avoit pu trouver dans le tumulte
des armes & des paffions. L'étude de fon
propre coeur , la recherche de la fageffe ,
étoient fes occupations ; la phyfique expérimentale
fes amuſemens ; & le foulagement
des misérables fes plaifirs.
M. de Madinville ( c'eft le nom du militaire
devenu philofophe ) après avoir confidéré
quelque tems Montvilliers qui pleuroit
, s'avança vers lui , & le pria avec
beaucoup de douceur de lui apprendre le
fujet de fon affliction , en l'affurant que
s'il pouvoit le foulager , il le feroit de tout
fon coeur.
Le jeune homme qui croyoit être feul
fut effrayé de voir quelqu'un fi près de lui.
Son premier mouvement fut de fuir. Mais
M. de Madinville le retint & le preffa
encore plus fort de l'inftruire de la caufe
de fes larmes. Mes malheurs font fans remede
, répondit enfin Montvilliers : je
fuis un enfant difgracié de la nature ; elle
m'a refufé ce qu'elle accorde à tous les
autres hommes . Eh ! que vous a - t- elle refufé
, reprit l'officier , d'un air plein de bonté
? loin de vous plaindre d'elle , je ne vois
en vous que des fujets de la louer . Quoi ,
Monfieur , repartit le jeune homme avec
NOVEMBRE . 1755. 13
naïveté , ne voyez - vous pas que je manque
abfolument d'efprit ? mon air ... ma
figure , mes façons ... tout en moi ne vous
l'annonce- t- il pas ? Je vous affure , répondit
le Philofophe , que votre figure n'a rien
que de fort agréable . Mais , mon ami , qui
êtes-vous , & comment avez - vous été élevé
? Montvilliers lui fit le récit que je viens
de vous faire. J'ai entendu parler de vous
& de votre prétendue imbécillité , lui dit
alors le militaire , mais vous avez de l'intelligence
, & vous me paroiffez être d'un
fort bon caractere . Je veux cultiver ces qualités
naturelles , vous confoler , en un mot
vous rendre fervice . Je ne demeure qu'à
une lieue d'ici ; fi vous ne connoiffez pas
Madinville , vous n'aurez qu'à le demander,
tout le monde vous l'enfeignera .
Il faut avoir été auffi abandonné que
l'étoit Montvilliers , pour concevoir tout le
plaifir que lui fit cette rencontre. Il fe leva
le lendemain dès que le jour parut , & ne
pouvant commander à fon impatience , il
vole vers le feul homme qu'il eût jamais
trouvé fenfible à fes maux. Il le trouva occupé
à confidérer les beautés d'un parterre
enrichi de fleurs , dont la variété & le parfum
fatisfaifoient également la vue &
l'odorat. M. de Madinville fut charmé de
l'empreffement de Montvilliers , converfa
14 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup avec lui , fut content de fa pénétration
, & de fa docilité , & lui fit promettre
qu'il viendroit dîner chez lui deux
fois la femaine.
::
Je n'entreprendrai point , continua la
Silphide , de vous répéter tous les fages
difcours que notre philofophe tint à ce
jeune homme il lui fit connoître que
pour être heureux , trois chofes font néceffaires
; régler fon imagination , modérer
fes paffions , & cultiver fes goûts. Que
la paix de l'ame & la liberté d'efprit répandent
un vernis agréable fur tous les objets
qui nous environnent. Que la vertu
favorite du véritable philofophe , eft une
bienveillance univerfelle pour fes femblables
, un fentiment de tendreſſe & de compaffion
, qui parle continuellement en leur
faveur , & qui nous preffe de leur faire du
bien. Que cette aimable vertu eft la fource
des vrais plaifirs. Qu'on trouve en l'exerçant
, cette volupté fpirituelle , dont les
coeurs généreux & fenfibles fçavent feuls
connoître le prix . Montvilliers comprit fort
bien toutes ces vérités. Il fit plus , il les aima.
Son efprit femblable à une fleur que les
froids aquilons ont tenu longtems fermée
& qu'un rayon de foleil fait épanouir , fe
développa. Les fentimens vertueux que la
nature avoit mis dans fon coeur généreux ,
NOVEMBRE. 1755 .
promirent une abondante moiffon .
Le changement qui s'étoit fait en lui ,
vint bientôt aux oreilles de fon pere . Il
voulut en juger par lui - même. Accoutumé
à le craindre , Montvilliers répondit à
fes queſtions d'un air timide & embarraſſé.
Sa belle-mere toujours attentive à le deffervir
, fit paffer fon embarras pour aver
fion & M. Dorneville le crut d'autant plus
facilement , qu'il ne lui avoit pas donné
fujet de l'aimer. Il fe contenta de le traiter
avec un peu plus d'égards , mais fans ces
manieres ouvertes que produifent l'amitié
& la confiance . Sa belle- mere changea auffi
de conduite ; elle le combla de politeffes extérieures
, comme fi elle eût voulu réparer
par ces marques de confidération le mépris
qu'elle avoit fait de lui jufqu'alors. Mais,
au fond elle ne pouvoit penfer fans un extrême
chagrin, qu'étant l'aîné, il devoit hériter
de la plus confidérable partie des biens
de M. Dorneville , tandis que fon cher fils,
l'unique objet de fes complaifances , ne
feroit jamais qu'un gentilhomme malaiſé.
Cinq ou fix ans fe pafferent de cette forte.
Montvilliers qui recevoit tous les jours
de nouvelles preuves de la tendreffe de M.
de Madinville , ne mettoit point de bornes
àfa reconnoillance. Ce fentiment accompa
gné de l'amitié est toujours fuivi du plaifir.
Ce jeune homme n'en trouvoit point de
16 MERCURE DE FRANCE.
de plus grand que de donner des marques
fa fenfibilite à fon bienfaicteur.Tranquille
en apparence , il ne l'étoit cependant pas
dans la réalité. Son coeur , exceffivement
fenfible , ne pouvoit être rempli par l'amitié
, il lui falloit un fentiment d'une autre
efpece. Il fentoit depuis quelque tems en
lui - même un defir preffant , un vif befoin
d'aimer , qui n'eft pas la moins pénible de
toutes les fituations. L'amour lui demandoit
fon hommage
; mais trop éclairé fur
fes véritables intérêts pour fe livrer à ce
petit tyran fans réferve , il vouloit faire
fes conditions . Il comprit que les qualités
du coeur & de l'efprit , le rapport d'humeur
& de façon de penfer , étoient abfolument
néceffaires pour contracter un
attachement férieux & durable . Son imagination
vive travaillant fur cette idée
lui eut bientôt fabriqué une maîtreffe
imaginaire , qu'il chercha vainement à
réaliſer. Il étudia avec foin toutes les jeunes
perfonnes de R.... Cette étude ne fervit
qu'à lui faire connoître l'impoffibilité
de trouver une perfonne fi parfaite. Cependant
, le croiriez-vous ? il s'attacha à
cette chimere même en la reconnoiffant
pour telle : fon plus grand plaifir étoit de
s'en occuper ; il quittoit fouvent la lecture-
& les converfations les plus folides , pour
s'entretenir avec elle..
NOVEMBRE. 1755 17
Quelque confiance qu'il eût en M. de
Madinville , il n'avoit pas ofé lui faire
l'aveu de ces nouvelles difpofitions . Il connoiffoit
fa maladie ; mais en même tems il
la chériffoit , il lui trouvoit mille charmes,
& ç'auroit été le defobliger que d'en entreprendre
la guérifon . C'eft ce que fon ami
n'auroit pas manqué de faire. Un jour qu'il
fe promenoit feul , en faisant ces réflexions,
M. de Madinville vint l'aborder. J'ai fur
vous , mon cher Montvilliers , lui dit- il ,
après avoir parlé quelque tems de chofes
indifférentes, des vues que j'efpere que vous
approuverez. Rien n'eft comparable à l'a
mitié que j'ai pour vous , mais je veux que
des liens plus étroits nous uniffent. Je n'ai
qu'une niece ; j'ofe dire qu'elle eft digne
de vous par la folidité de fon efprit , la fupériorité
de fa raifon , la douceur de fon
caractere , enfin mille qualités eftimables
dont vous êtes en état de fentir tout le
A prix.
Montvilliers , qui n'avoit jamais entendu
parler que fon ami eût une niece , &
qui ne lui croyoit pas même ni de frere ni
de foeur , fut un peu furpris de ce difcours .
Sa réponſe cependant fut courte , polie &
fatisfaifante. Il lui demanda pourquoi il
ne lui avoit jamais parlé d'une perfonne
qui devoit fi fort l'intéreffer , les raifons
18
MERCURE DE
FRANCE.
qui m'en ont empêché , lui répondit fon
ami , m'obligent encore de vous cacher fon
nom & fa demeure. Mais avant que d'en
venir à
l'accompliffement de ce projet ,
ajouta-t- il , mon deffein eft de vous envoyer
paffer quelque tems à Paris. Avec
beaucoup de bon fens & d'efprit , il vous
manque une certaine politeffe de manieres,
une façon de vous préfenter qui prévient
en faveur d'un honnête homme . Parlez - en
à votre pere. Je me charge de faire la dépenfe
néceffaire pour ce voyage.
Enchanté de ce
nouveau
témoignage
d'affection & de générofité ,
Montvilliers
remercia dans les termes les plus vifs fon
bienfaicteur . Il n'étoit
pourtant pas abfolument
fatisfait de la premiere partie de fon
difcours. Ce choix qu'il
paroiffoit lui faire
d'une épouſe fans fon aveu , lui fembla
tyrannique. Il ne put fouffrir de fe voir
privé de la liberté de chercher une perfonne
qui approchât de fon idée. Il imaginoit
dans cette
recherche mille plaifirs dont il
falloit fe détacher. Son coeur
murmura de
cette
contrainte ; elle lui parut infupportable
mais la raifon prenant enfin le deffus
, condamna ces
mouvemens . Elle lui
repréſenta
combien il étoit flatteur & avantageux
pour lui d'entrer dans la famille
d'un homme à qui il devoit tout , & le fit
NOVEMBRE. 1755. 19
convenir qu'en jugeant de l'avenir par le
paffé , fon bonheur dépendoit de fa docilité
pour les confeils de fon ami.
Ces réflexions le calmerent. Il ne fongea
plus qu'à s'occuper des préparatifs de
fon voyage ; ils ne furent pas longs . Les
quinze premiers jours de fon arrivée dans
la capitale furent employés à vifiter les édifices
publics , & à voir les perfonnes à qui
il étoit recommandé . Il fut à l'Académie
pour apprendre à monter à cheval & à
faire des armes ; il fe }; fit des connoiffances
de plufieurs jeunes gens de confidération ,
qui étoient fes compagnons d'exercices ,
& s'introduifit par leur moyen dans des
cercles diftingués . Avide de tout connoî
tre , de tout voir , il eut bientôt tout épui
fé. Son efprit folide ne s'accommoda pas
de la frivolité qui regne dans ce qu'on
appelle bonne compagnie, 11 fe contenta
dans fes momens de loifir , de fréquenter
les fpectacles , les promenades , & de cultiver
la connoiffance de quelques gens de
lettres que M. de Madinville lui avoit
procurée.
La diverfité & la nouveauté de tous ces
objets n'avoient pu guérir fon coeur. Il
avoir toujours le même goût pour fa maîtreffe
imaginaire , & les promenades folitaires
étoient fon amuſement favori. Un
20 MERCURE DE FRANCE.
jour qu'il fe promenoit dans les Tuilleries
, fa rêverie ne l'empêcha pas de remar .
quer une jeune demoifelle , dont la phifionomie
étoit un agréable mêlange de
douceur , de franchife , de modeftie , &
de raifon. Quel attrait pour Montvilliers !
il ne pouvoit fe laffer de la confidérer. Sa
préfence faifoit paffer jufqu'au fond de
fon coeur une douceur fecrette & inconnue.
Elle fortit de la promenade , il la
fuivit , & la vit monter dans un carroffe
bourgeois avec toute fa compagnie. Alors
fongeant qu'elle alloit lui échapper , il eut
recours à un de ces officieux meffagers dont
le Pont- neuf fourmille : il lui donna ordre
de fuivre ce carroffe , & de venir lui redire
en quel endroit il fe feroit arrêté. Environ
une demi - heure après , le courrier revint
hors d'haleine , & lui apprit que toute cette
compagnie étoit defcendue à une maiſon
de campagne fituée à B.....
. Montvilliers , qui connoiffoit une perfonne
dans ce lieu , fe promit d'y aller dès
le lendemain , efpérant revoir cette demoifelle
, peut-être venir à bout de lui parler ,
ou du moins apprendre qui elle étoit .
Rempli de ce projet , il alloit l'exécuter ,
quand un jeune homme de fes amis entra
dans fa chambre , & lui propofa de l'accompagner
, pour aller voir une de fes paNOVEMBRE.
1755 .
rentes , chez laquelle il y avoit bonne compagnie.
Il chercha d'abord quelque prétexte
pour le défendre , mais quand il eut
appris que cette parente demeuroit à B....
il ne fit plus difficulté de fuivre fon ami.
Il ne s'en repentit pas ; car la premiere perfonne
qu'il apperçut en entrant dans une
fort beile falle , fut cette jeune demoiſelle
qu'il avoit vu la veille aux Tuilleries.
Cette rencontre qui lui parut être d'un
favorable augure , le mit dans une fitua
tion d'efprit délicieufe. On fervit le dîner,
& Montvilliers fit fi bien qu'il fe trouva
placé auprès de celle qui poffédoit déja
toutes les affections. Il n'épargna ni galanteries
, ni politeffes , ni prévenances pour
lui faire connoître la fatisfaction qu'il en
reffentoit ; & il ne tint qu'à elle de reconnoître
dans fes manieres une vivacité qui
ne va point fans paffion. Auffi ne fut- elle
pas la derniere à s'en appercevoir : elle
avoit remarqué fon attention de la veille ,
& fa figure dès ce moment ne lui avoit
déplu . Elle lui apprit qu'elle étoit alors
chez une dame de fes amies , qu'elle devoit
y refter encore quinze jours , qu'elle demeuroit
ordinairement à Paris avec fon
pas
pere & fa mere , qu'elle aimoit beaucoup
la campagne , & qu'elle étoit charmée de
ce que fon pere venoit d'acquérir une terre
22 MERCURE DE FRANCE.
affez confidérable , proche de R.... où ils
comptoient aller bientôt demeurer . Quoi ,
Mademoiſelle , lui dit- il , feroit- il bien poffible
que nous devinffions voifins ? Comment
vous êtes de R ... lui demanda - t- elle à
fon tour ? Je n'en fuis pas directement
répondit- il , mais la demeure de mon pere,
qui s'appelle Dorneville , n'en eft éloignée
que d'une lieue. Eh bien , reprit- elle ,
notre terre eft entre Dorneville & Madinville
; connoiffez - vous le Seigneur de cette
derniere paroiffe ? Grand Dieu ! Si je le
connois , répondit-il avec vivacité , c'eſt
l'homme du monde à qui j'ai le plus d'obligation.
Mademoiſelle d'Arvieux , c'eft ainfi
que s'appelloit cette jeune perfonne , contente
de cette déclaration , ne s'ouvrit
davantage . Cependant le foleil prêt à ſe
coucher , obligea les deux amis de reprendre
la route de Paris . Montvilliers n'avoit
jamais vu de journée paffer avec tant de
rapidité avant que de partir , il demanda
la permiffion de revenir , qu'on lui accorda
fort poliment.
pas
Il ne fut pas plutôt forti d'auprès de
Mlle d'Arvieux , que rentrant en lui - même
, & faiſant réflexion fur tous fes mouvemens
, il fentit qu'il aimoit. Le fouvenir
de ce qu'il avoit promis à fon bienfaicteur
, vint auffi-tôt le troubler . Il fe fit
NOVEMBRE . 1755. 23
des reproches de fon peu de courage ; mais
peut- être je m'allarme mal- à- propos , continua-
t- il en lui -même ; c'eft un caprice ,
un goût paffager que Mlle d'Arvieux m'aidera
elle - même à détruire. Si je pouvois
connoître le fond de fon coeur , fa façon
de penfer , fans doute je cefferois de l'aimer.
Il s'en feroit peut-être dit davantage,
fi fon ami n'avoit interrompu fa revêrie ,
en la lui reprochant. " Tu es furement
» amoureux , lui dit -il d'un ton badin. Je
» t'ai vu un air bien animé auprès de Mlle
» d'Arvieux ; conviens- en de bonne foi.
Il n'eft pas bien difficile d'arracher un fecret
de cette nature. Montvilliers qui connoiffoit
la difcrétion de fon ami , lui
avoua fans beaucoup de peine un fentiment
dont il étoit trop rempli , pour n'avoir
pas befoin d'un confident : mais en
convenant que les charmes de cette Demoifelle
l'avoient touché , il ajouta que
comme il craignoit que le caractere ne répondît
pas aux graces extérieures , il fongeoit
aux moyens de connoître le fond de
fon coeur. Si ce n'eft que cela qui te fait
rêver , lui dit fon ami , il eft aifé de te
fatisfaire . Je connois une perfonne qui eſt
amie particuliere de Mlle d'Arvieux ; je
fçais qu'elles s'écrivent quand elles ne
peuvent le voir , & tu n'ignores pas qu'on
24 MERCURE DE FRANCE.
•
fe peint dans fes lettres fans même le vouloir
& fans croire le faire ; il ne s'agit que
d'avoir celles de Mlle d'Arvieux , & je les
poffede ; c'eſt un larcin que j'ai fait à cette
amie , qui eft auffi la mienne. Les voici ,
je te les confie .
Montvilliers , après avoir remercié fon
ami que fes affaires appelloient ailleurs ,
fe rendit chez lui chargé de ces importan
tes pieces. Il lut plufieurs de ces lettres qui
étoient autant de preuves de la délicateffe
& de la jufteffe d'efprit de Mlle d'Arvieux.
C'étoit un agréable variété de raiſon &
de badinage . Le ftyle en étoit pur , aiſé ,
naturel , fimple , élégant , & toujours convenable
au fujet mais quel plaifir pour
Montvilliers de voir le fentiment regner
dans toutes ces lettres , & de lire dans une
d'elles , qu'un amant pour lui plaire devoit
bien moins chercher à acquerir des
graces que des vertus ; qu'elle lui deman--
doit un fond de droiture inaltérable , un
amour de l'ordre & de l'humanité , une
délicateffe de probité , une folidité du jugement
, une bonté de coeur naturelle , une
élévation de fentimens , un amour éclairé
pour la religion , un humeur douce , indulgente
, bienfaifante.
De pareilles découvertes ne fervirent
point à guérir Montvilliers de fa paflion ..
Toutes
NOVEMBRE . 1755. 23
Toutes les vertus & les qualités que Mlle
d'Arvieux exigeoit d'un amant , étoient directement
les traits qui caracterifoient fa
maîtreffe idéale . Cette conformité d'idée.
l'enchanta. Voilà donc , dit- il avec tranf
port , ce tréfor précieux que je cherchois
fans efpérance de le trouver ; cette perfonne
fi parfaite que je regardois comme une
belle chimere , ouvrage de mon imagination
. Que ne puis - je voler dès ce moment à
Les pieds , lui découvrir mes fentimens , ma
façon de penfer, lui jurer que l'ayant aimée
fans la connoître, je continuerai de l'adorer
toute ma vie avec la plus exacte fidélité .
Huit jours fe pafferent fans que Montvilliers
qui voyoit fouvent fa maîtreffe ,
pût trouver le moyen de l'entretenir en
particulier , quelque défir qu'il en eût :
mais le neuvieme lui fut plus favorable.
Difpenfe - moi , je vous prie , continua la
Silphide , de vous redire les difcours que
ces deux amans fe tinrent ; il vous fuffira
de fçavoir qu'ils furent très - contens l'un
de l'autre , & que cet entretien redoubla
une paffion qui n'étoit déja que trop vive
pour leur repos.
Un jour que Montvilliers conduit par
le plaifir & le fentiment , étoit allé voir .
Mlle d'Arvieux , il fut furpris de trouver
auprès d'elle un homme âgé qu'il ne con- :
B
62: MERCURE DE FRANCE.
noifloit point. Il comprit bientôt aux
difcours qu'on tenoit , que ce vieillard
étoit le pere de fa maîtreffe , & qu'il venoit
dans le deffein de la remmener avec
lui. Ils fe leverent un inftant après pour.
fortir , & notre amant refté feul avec la
maîtreffe du logis , apprit d'elle que M.
d'Arvieux venoit annoncer à fa fille qu'un
jeune homme fort riche , nommé Frien-.
val , l'avoit demandée en mariage ; que ce
parti paroiffoit être du goût du pere.
Montvilliers interdit à cette nouvelle , pria
celle qui la lui apprenoit , de vouloir bien
l'aider de fes confeils. Il faut vous propofer
, lui dit-elle , vous faire connoître.
Hé ! Madame , voudra - t - on m'écouter ,
répondit il? M. d'Arvieux ne m'a jamais
vu ; vous êtes amie de fa femme , rendez-
moi ce fervice . Elle y confentit , &.
lui promit que dès le lendemain elle iroit
demander à dejeûner à Mme d'Arvieux :
Au reste , ajouta- t- elle , vous pouvez être
tranquille du côté de vôtre maîtreffe ;
quand elle feroit capable de vous faire.
une infidélité , ce ne feroit point en faveur
de ce rival , elle le connoît trop bien ;
& pour vous raffurer davantage , je vais
vous rendre fon portrait tel qu'elle me le
faifoit encore hier en nous promenant.
Frienval , continua cette Dame , eft un de
NOVEMBRE 1755. 27
•
ces hommes frivoles dont Paris eft inordé.
Amateur des plaifirs , fans être voluptueux
, efclave de la mode en raillant
ceux qui la fuivent avec trop de régulari
té , il agit au hazard . Ses principes varient
fuivant les occafions , ou plutôt il
n'en a aucun. Auffi fes démarches fontelles
toujours inconféquentes. S'il eft
exempt de vices effentiels , il le doit à fon
tempérament. Futile dans fes goûts , dans
fes recherches , dans fes travaux , fon occupation
journaliere eft de courir les fpectacles
, les caffés , les promenades , & de
fe mêler quelquefois parmi des gens qui
pour mieux trouver le bon ton , ont banni
le bon fens de leurs fociétés . Ses plus
férieufes démarches n'ont d'autre but
qu'un amufement paffager , & fon état
peut s'appeller une enfance continuée . Il
y a fort long- tems qu'il connoît Mlle d'Arvieux
, & qu'il en eft amoureux , comme
tous les gens de fon efpece , c'eft-à- dire
fans fe gêner. Mais loin de le payer d'aucun
retour elle n'a pas daigné faire la
moindre attention à fes galanteries. Trop
occupé pour réfléchir , fa légereté lui a
fauvé mille conféquences peu flateufes ,
qu'il devoit naturellement tirer. Il fe croit
aimé avec la même bonne foi qu'il fe
croit aimable ; fon mérite lui femble une
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
chofe , démontrée , & qu'on ne peut lut
difputer raisonnablement.
Le lendemain fut un jour heureux pour
Montvilliers. Son Ambaffadrice lui rapporta
qu'on vouloit bien fufpendre la conclufion
du mariage propofé , afin de le
connoître , & qu'on lui permettoit de fe
préfenter. Il ne fe le fit pas dire deux fois:
il courut chez M. d'Arvieux qui le reçut
affez bien pour lui faire efperer de l'être
encore mieux dans la fuite. Sa maîtreffe
lui apprit qu'ils partoient dès le lendemain
pour cette terre dont elle lui avoit
parlé ; il promit qu'il les fuivroit de près :
en effet il prit la route de fa patrie deux
jours après leur départ.
Depuis trois semaines que fa paffion
avoit commencé , il en avoit été fi occupé
qu'il avoit oublié d'écrite à M. de Madinville
. Il étoit déja à moitié chemin qu'il
fe demanda comment il alloit excufer auprès
de lui ce retour précipité. Il comprit
alors qu'il lui avoit manqué effentiellement
de plufieurs façons , & que fa conduite
lui méritoit l'odieux titre d'ingrat.
Mais fi ces réflexions lui firent craindre
le moment d'aborder fon bienfaicteur , des
mouvemens de tendreffe & de reconnoiffance
rien ne pouvoit altérer , lui fique
Fr.rent défirer de l'embraffer. Ces différens
1-
NOVEMBRE. 1755. 29
fentimens lui donnerent un air confus ,
embarraffé , mêlé d'attendriffement.
M. de Madinville qui avoit pour lui
l'affection la plus fincere , n'avoit point
fupporté fon abfence fans beaucoup de
peine & d'ennui . Charmé de fon retour
dont il fut inftruit par une autre voie , s'il
avoit fuivi les mouvemens de fon coeur ,
mille careffes auroient été la punition de
la faute que Montvilliers commettoit en
revenant fans lui demander fon agrément;
mais il voulut éprouver fi l'abfence ne
l'avoit point changé, & fi comblé des bienfaits
de l'amour , il feroit fenfible aux pertes
de l'amitié : il fe propofa donc de le
recevoir avec un air férieux & mécontent.
Montvilliers arrive , defcend de cheval ,
vole à la chambre de fon ami , qui en le
voyant joua fort bien la furpriſe . Quoi !
c'est vous , Montvilliers , lui dit - il , en
reculant quelques pas : oferois je vous demander
la caufe de ce prompt retour , &
pourquoi vous ne m'en avez point averti ?
J'efperois cependant que vous me feriez
cette grace.Montvilliers déconcerté par cet- "
te réception ne put répondre une feule
parole. Mais fes yeux interpretes de fon
ame , exprimoient affez fon trouble. M. de
Madinville fans faire femblant de s'en appercevoir
, ajouta : Au refte , je ne fuis
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
pas fâché de vous revoir ; vous avez pré
venu mon deffein ; j'allois vous écrire pour
vous engager à revenir , l'affaire dont je
vous ai parlé avant votre départ eft fort
avancée , il ne manque pour la conclure
que votre confentement. Ma niece fur le
bon témoignage que je lui ai rendu de
votre caractere , vous aime autant & plus
que moi - même. Mais je ne penfe pas ,
continua- t- il , que vous avez beſoin de
repos & de rafraîchiffement ; allez - en
prendre , nous nous expliquerons après.
Pénétré de l'air, froid & fec dont M.
de Madinville l'avoit reçu , qui lui avoit
ôté la liberté de lui témoigner la joie qu'il
avoit de le revoir , Montvilliers avoit befoin
de folitude pour mettre quelque
ordre à fes idées . Il fortit fans trop fçavoir
où il alloit , & s'arrêtant dans ce
bois où il avoit vu fon ami pour la premiere
fois , il fe repréſenta plus vivement
que jamais les obligations qu'il lui avoit.
Son ame , fon coeur , fon efprit , fes qualités
extérieures étoient le fruit de fes
foins ; fon amitié avoit toujours fait les
charmes de fa vie , il falloit y renoncer ,
ou fe réfoudre à ne jamais pofféder Mlle
d'Arvieux quelle cruelle alternative ! Il
falloit pourtant fe décider. Un fort honnête
homme de R .... qu'il avoit vu ſous
NOVEMBRE 1755 . 31
:
vent chez M. de Madinville , interrompit
ces réflexions accablantes . Après les premiers
complimens , il lui demanda ce qui
pouvoit caufer l'agitation où il le voyoit.
Montvilliers ne fit point de difficulté de
lui confier fon embarras . Il lui raconta le
projet de fon ami qu'il lui avoit communiqué
avant fon voyage , la naiffance &
la violence d'une paffion qu'il n'avoit pas
été le maître de ne point prendre , l'impoffibilité
où il fe trouvoit de la vaincre
la crainte exceffive de perdre un ami dont
il connoiffoit tout le prix , & fans lequel
il ne pouvoit efperer d'être heureux .
Ce récit que Montvilliers ne put faire
fans répandre des larmes , attendrit celui
qui l'écoutoit . Votre fituation eft très- embarraffante
; lui dit- il. Pour moi , je nè
vois pas d'autre parti que de déclarer naïvement
à M. de Madinville ce que vous
fouffrez. Il est généreux , il vous aime , &
ne voudra point vous défefperer . Ah !
fongez- vous , répondit- il , que cette déclaration
détruit un projet qui eft devenu
l'objet de fa complaifance ? Faites - vous.
attention qu'il a parlé de moi à fa niece ,
qu'il a fait naître dans fon ame une paffion
innocente ? Non , je n'aurai jamais la
hardieffe de la lui faire moi-même. Hé
bien voulez-vous que je lui en parle ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
demanda fon confident ? Je vais paffer
l'après-midi avec lui ; nous ferons feuls ,
je tâcherai de démêler ce qu'il penſe à votre
fujet .
Montvilliers ayant fait connoître qu'il
lui rendroit un grand fervice , le quitta ,
& prit le chemin qui conduifoit à Dorneville.
Il trouva fon pere en deuil de fa
belle mere ; il le reçut affez bien , & l'engagea
à fouper avec lui , & à occuper fon
ancien appartement.
Son Ambaffadeur eut fa vifite le lendemain
de fort bon matin. Il lui dit qu'il
n'avoit pas tiré de fa commiffion tout le
fruit qu'il en efperoit : que M. de Madinville
lui avoit dit qu'il n'avoit jamais prétendu
contraindre les inclinations de perfonne
au refte , ajouta- t-il , allez- le voir ,
expliquez- vous enfemble.
Montvilliers qui vouloit s'éclaircir à
quelque prix que ce fût , partit auffi -tôt ;
mais plus il approchoit de Madinville &
plus fon courage diminuoit. Il entre cependant
; on lui dit que fon ami étoit à fe
promener. Il va pour le joindre , il l'apperçoit
au bout d'une allée , le falue profondément
, cherche dans fes yeux ce qu'il
doit craindre ou efperer ; mais M. de
Madinville qui le vit , loin de continuer
affecta de , paffer d'un autre côté
NOVEMBRE. 1755. 33
i
pour éviter de le rencontrer.
Ce mouvement étoit plus expreffif
que tous les difcours du monde . Montvilliers
qui comprit ce qu'il vouloit dire ,
fur pénétré de l'affliction la plus vive . Il
fe jetta dans un bofquet voifin où il fe mit
à verfer des larmes ameres. Alors confidérant
ce qu'il avoit perdu , il prit la réfolution
de faire tout fon poffible pour le
recouvrer . M. de Madinville qui fe douta
de l'effet que fon dedain affecté auroit
produit , & qui ne vouloit pas abandonner
long - tems Montvilliers à fon défefpoir ,
vint comme par hafard dans l'endroit où
il étoit pour lui donner occafion de s'expliquer
, & feignit encore de vouloir fe
retirer. Cette nouvelle marque d'indifférence
outrageant la tendreffe de Montvilliers
, il fe leva avec un emportement de
douleur ; arrêtez , Monfieur , lui dit - il
d'une voix altérée : il eft cruel dans l'état
où vous me voyez , de m'accabler par de
nouveaux mépris . Ma préfence vous eft
odieufe ; vous me fuyez avec foin , tandis
que préfé par le fentiment , je vous cherche
pour vous dire que je fuis prêt de tout
facrifier à l'amitié . Oui , ajouta - t- il en
rédoublant fes larmes , difpofez de ma
main , de mes fentimens , de mon coeur ,
& rendez -moi la place que j'occupois dans
le vôtre. By
34 MERCURE DE FRANCE.
M. de Madinville charmé , ceffa de fe
contraindre , & ne craignit plus de laiſſer
voir fa joie & fon attendriffement . Il embraffe
Montvilliers , l'affure qu'il n'a pas
ceffé un inftant de l'aimer ; qu'il étoit
vrai que l'indifférence qu'il fembloit avoir
pour fon alliance , lui avoit fait beaucoup
de peine , parce qu'il la regardoit comme
une marque de la diminution de fon amitié
; que la fienne n'étant point bornée
il vouloit aufli être aimé fans réferve ;
qu'au refte il n'abuferoit point du pouvoir
abfolu qu'il venoit de lui donner fur
fa perfonne ; que la feule chofe qu'il exigeoit
de fa complaifance , étoit de voir
fa niece ; que fi après cette entrevue il
continuoit à penfer de la même façon ,
il pourroit le dire avec franchife , & fuivre
fon penchant.
Il finiffoit à peine de parler , qu'on vint
lui annoncer la vifite de fa niece . Repréfentez
- vous quel fut l'étonnement & la
joie de Montvilliers , lorfqu'entrant dans
une fale où l'on avoit coutume de recevoir
la compagnie , il apperçut Mlle d'Arvieux
qui étoit elle-même la niece de M.
de Madinville.
M. d'Arvieux , frere aîné de cet aimable
Philofophe , étoit un homme haut ,
emporté , violent ; ils avoient eu quelques
NOVEMBRE. 1755 . 35
différends enfemble , & M. de Madinville
fans conferver aucun reffentiment de fes
mauvais procédés , avoit jugé qu'il étoit de
fa prudence d'éviter tout commerce avec
un homme fi peu raifonnable. Comme M.
d'Arvieux étoit forti fort jeune de la province
fans y être revenu depuis , à peine
y connoiffoit - on fon nom ; Montvilliers
n'en avoit jamais entendu parler . Mlle
d'Arvieux avoit eu occafion de voir fon
oncle dans un voyage qu'il avoit fait à Paris
, & depuis ce tems elle entretenoit
avec lui un commerce de lettres à l'infçu
de fon pere. Comme elle fe fentoit du
penchant à aimer Montvilliers , elle fut
bien-aife avant que de s'engager plus avant ,
de demander l'avis de fon oncle , & ce
qu'elle devoit penfer de fon caractere .
L'étude des hommes lui avoit appris combien
il eft difficile de les connoître , & l'étude
d'elle-même combien on doit fe défier
de fes propres lumieres . Elle écrivit
donc dès le même jour , & reçut trois
jours après une réponse qui paffoit fes
efpérances , quoiqu'elles fuffent des plus
Alatteufes. Après lui avoir peint le coeur &
l'efprit de Montvilliers des plus belles couleurs
, M. de Madinville recommanda à
fa niece de continuer à lui faire un myftere
de leur parenté & de leur liaifon , afin
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
de voir comment il fe comporteroit dans
une conjoncture fi délicate .
pe-
Tout le monde fut bientôt d'accord.
On badina fur la fingularité de cette aventure
, & l'on finit par conclure que Montvilliers
demanderoit l'agrément de fon
re. Il y courut auffi- tôt , & l'ayant trouvé
feul dans fon cabinet , il alloit lui déclarer
le fujet de fa vifite : mais M. Dorneville
ne lui en laiſſa pas le loifir. J'ai jugé , lui
dit-il , qu'il étoit tems de vous établir , &
j'ai pour cela jetté les yeux fur Mlle de
F... Vous allez peut- être m'alléguer pour
vous en défendre , ajouta-t - il , je ne ſçais
quelle paffion romanefque que vous avez
prife à Paris pour une certaine perfonne
que je ne connois point . Mais fi vous voulez
que nous vivions bien enſemble , ne
m'en parlez jamais. Ne pourrai -je point ,
Monfieur , dit Montvilliers , fçavoir la
raifon ? .... Je n'ai de compte à rendre
à qui que ce foit , reprit le pere avec emportement
; en un mot , je fçais ce qu'il
vous faut. Mlle d'Arvieux n'eft point votre
fait , & je ne confentirai jamais à cette alliance
faites votre plan là- deffus . Il fortit
en difant ces mots. Montvilliers confterné
refta immobile : il ne pouvoit s'imaginer
pourquoi il paroiffoit avoir tant d'éloignement
pour un mariage convenable , & mêNOVEMBRE.
1755. 37
me avantageux . Sa maîtreffe étoit fille
unique , & M. d'Arvieux du côté de la
fortune & de la nobleffe ne le cédoit point
à M. Dorneville.
Driancourt , frere de Montvilliers , dont
j'ai rapporté la naiffance au commencement
de cette hiftoire , avoit pour lors
dix-huit àdix- neuf ans. Double, artificieux ,
adroit , flateur, il penfoit que le grand art
de vivre dans le monde étoit de faire des
dupes fans jamais le devenir , & de tout
facrifier à fon utilité . Son efprit élevé audeffus
des préjugés vulgaires ne reconnoiffoit
aucunes vertus , & tout ce que les
hommes appellent ainfi n'étoit , felon
lui , que des modifications de l'amourpropre
, qui eft dans le monde moral , ce
qu'eft l'attraction dans le monde phyfique ,
c'eft-à- dire la caufe de tout. Toutes les
actions , difoit - il , font indifférentes ,
puifqu'elles partent du même principe.
Il n'y a pas plus de mal à tromper fon
ami , à nier un dépôt , à inventer une calomnie
, qu'à rendre ſervice à fon voiſin ,
à combattre pour la défenfe de fa patrie ,
à foulager un homme dans fa mifere , ou
à faire toute autre action .
Driancourt avec ce joli fyftême , ne perdoit
point de vue le projet de fe délivrer
de fon frere , dont fa mere lui avoit fait
38 MERCURE DE FRANCE.
le
fentir mille fois la néceffité. Il crut que
moment de l'exécuter étoit arrivé. C'étoit
lui qui avoit inftruit M. Dorneville de la
paffion de Montvilliers pour Mlle d'Arvieux
, & qui en même tems avoit peint
cette Demoiſelle de couleurs peu avantageufes.
Depuis ce moment il ne ceffa de
rapporter à fon pere , dont il avoit toute la
confiance & la tendreffe , mille difcours
peu refpectueux , accompagnés de menaces
qu'il faifoit tenir à Montvilliers : enfin
il tourna fi bien l'efprit de ce vieillard foi
ble & crédule , qu'il le fit déterminer au
plus étrange parti.
L'on parloit beaucoup dans ce tems là
de ces colonies que l'on envoie en Amérique
, & qui fervent à purger l'Etat . Driancourt
ayant obtenu , non pourtant fans
quelque peine , le confentement de fon
pere , part pour D ..... trouve un vaiffeau
prêt à mettre à la voile chargé de plufieurs
miférables qui , fans être affez coupables
pour mériter la mort l'étoient cependant
affez pour faire fouhaiter à la fofociété
d'en être délivrée . Il parle au Capitaine
qui lui promit de le défaire de fon
frere , pourvu qu'il pût le lui livrer dans
deux jours. Il revint en diligence , & dès
la nuit fuivante , quatre hommes entrent
dans la chambre de Montvilliers, qui avoit
NOVEMBRE. 1755 . 39
continué de coucher chez fon pere depuis
fon retour de Paris , fe faififfent de lui ,
le contraignent de fe lever , le conduifent
à une chaiſe de pofte , l'obligent d'y monter
, d'où ils ne le firent defcendre que
pour le faire entrer dans le vaiffeau qui
partit peu de tems après .
Montvilliers qui avoit pris tout ce qui
venoit de lui arriver pour un rêve , ne
douta plus alors de la vérité . Enchaîné
deavec
plufieurs autres miférables , que
vint-il quand il fe repréfenta l'indignité
& la cruauté de fon pere , ce qu'il perdoit ,
ce qu'il alloit devenir ? Ces idées agirent
avec tant de violence fur fon efprit, qu'el
les y mirent un défordre inconcevable. Il
jugea qu'il n'avoit point d'autre reffource
dans cette extrêmité que la mort , & réfo
lut de fe laiffer mourir de faim. Il avoit
déja paffé deux jours fans prendre aucune
nourriture , mais le jeune Anglois que
voici , qui étoit pour lors compagnon de
fon infortune , comprit à fon extrême abattement
qu'il étoit plus malheureux que
coupable. Il entreprit de le confoler , il
lui préfenta quelque rafraîchiffemens qui
furent d'abord refufés ; il le preffa , il le
pria. Je ne doute pas , lui dit- il , que vous
ne foyez exceffivement à plaindre ; je veux
même croire que vous l'êtes autant que
40 MERCURE DE FRANCE
moi cependant il eft des maux encore
plus rédoutables que tous ceux que nous
éprouvons dans cette vie , & dont on fe
rend digne en entreprenant d'en borner
foi-même le cours . Peut - être le ciel qui ne
veut que vous éprouver pendant que vous
vous révoltez contre fes décrets , vous
prépare des fecours qui vous font inconnus.
Acceptez , je vous en conjure , ces
alimens que vous préfente un homme qui
s'intéreffe à votre vie.
Montvilliers qui n'avoit fait aucune
attention à tout ce qui l'environnoit , examina
celui qui lui parloit ainfi , remarqua
dans fon air quelque chofe de diftingué
& de prévenant ; il trouva quelque
douceur à l'entretenir. Il fe laiffa perfuader
, il lui raconta fon hiftoire ; & quand
il cut fini fon récit , il le preffa d'imiter
fa franchiſe , ce que le jeune Anglois fic
en ces termes :
Lafuite au prochain Mercure.
HISTOIRE VRAISEMBLABLE.
SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE.
Par Mademoiselle Pliffon , de Chartres.
M
Ontvilliers ( c'eft ainſi que s'appelle
le Philofophe que voici ) eft un riche
Gentilhomme
du voifinage , le plus heureux
& le plus digne de l'être . Un efprit
juſte , cultivé , folide ; une raiſon fupérieure
, éclairée , un coeur noble , généreux
délicat , fenfible ; une humeur douce , bienfaifante
; un extérieur ouvert , font des
qualités naturelles qui le font adorer de
A v
to MERCURE DE FRANCE.
tous ceux qui le connoiffent. Tranquille
poffeffeur d'un bien confidérable , d'une
époufe digne de lui , d'un ami véritable ,
il fent d'autant mieux les agrémens de fa
fituation qu'elle a été précédée des plus
triftes revers.
La perte de fa mere , qui mourut peu
de tems après fa naiffance , a été la premiere
& la fource de toutes fes infortunes
. Son pere , qui fe nommoit Dorneville
, après avoir donné une année à ſa
douleur , ou plutôt à la bienféance , fe
remaria à la fille d'un de fes amis. Elle
étoit aimable , mais peu avantagée de la
fortune. L'unique fruit de ce mariage fut
un fils . Sa naiffance , qui avoit été longtems
défirée , combla de joie les deux époux.
Montvilliers , qui avoit alors quatre à cinq
ans , devint bientôt
indifférent , & peu
après incommode. Il étoit naturellement
doux & timide . Sa belle- mere qui ne cherchoit
qu'à donner à fon pete de l'éloignement
pour lui , fit pailer fa douceur pour
ftupidité. Elle découvroit dans toutes les
actions le germe d'un caractere bas , &
même dangereux. Tantôt elle avoit remarqué
un trait de méchanceté noire, tantôt un
difcours qui prouvoit un mauvais coeur.Elle
avoit un foin particulier de le renvoyer avec
les domeftiques. Un d'eux à qui il fit pitié
NOVEMBRE. 1755 . 11
lui apprit à lire & à écrire affez paffablement.
Mais le pauvre garçon fut chaffé
pour avoir ofé dire que Montvilliers n'étoit
pas fi ftupide qu'on vouloit le faire
croire , & qu'il apprenoit fort bien tout
ce qu'on vouloit lui montrer.
*
Saraifon qui fe développoit , une noble
fierté que la naiffance inſpire , lui rendirent
bientôt infupportables les mépris
des valets qui vouloient plaire à Madame
Dorneville. La maifon paternelle lui
devint odieufe. Il paffoit les jours entiers
dans les bois , livré à la mélancolie & au
découragement. Accoutumé dès fa plust
tendre jeuneffe à fe regarder comme un
objet à charge , il fe haïffoit prefqu'autant
que le faifoit fa belle-mere. Tous fes fouhaits
ſe bornoient au fimple néceffaire . 11
ne défiroit que les moyens de couler une
vie paifible dans quelque lieu folitaire , &
loin du commerce des hommes dont il fe
croyoit incapable.
Ce fut ainfi que ce malheureux jeune
homme pafla les quinze premieres années
de fa vie , lorfqu'un jour , il fut rencontré
dans le bois où il avoit coutume de fe retirer
, par un militaire refpectable , plein de
candeur , de bon fens , & de probité.
Après avoir fervi honorablement fa parrie
pendant vingt-ans , ce digne guerrier s'é
A vi
12 MERCURE DE FRANCE.
toit retiré dans une de fes terres pour vivre.
avec lui -même , & chercher le bonheur ,
qu'il n'avoit pu trouver dans le tumulte
des armes & des paffions. L'étude de fon
propre coeur , la recherche de la fageffe ,
étoient fes occupations ; la phyfique expérimentale
fes amuſemens ; & le foulagement
des misérables fes plaifirs.
M. de Madinville ( c'eft le nom du militaire
devenu philofophe ) après avoir confidéré
quelque tems Montvilliers qui pleuroit
, s'avança vers lui , & le pria avec
beaucoup de douceur de lui apprendre le
fujet de fon affliction , en l'affurant que
s'il pouvoit le foulager , il le feroit de tout
fon coeur.
Le jeune homme qui croyoit être feul
fut effrayé de voir quelqu'un fi près de lui.
Son premier mouvement fut de fuir. Mais
M. de Madinville le retint & le preffa
encore plus fort de l'inftruire de la caufe
de fes larmes. Mes malheurs font fans remede
, répondit enfin Montvilliers : je
fuis un enfant difgracié de la nature ; elle
m'a refufé ce qu'elle accorde à tous les
autres hommes . Eh ! que vous a - t- elle refufé
, reprit l'officier , d'un air plein de bonté
? loin de vous plaindre d'elle , je ne vois
en vous que des fujets de la louer . Quoi ,
Monfieur , repartit le jeune homme avec
NOVEMBRE . 1755. 13
naïveté , ne voyez - vous pas que je manque
abfolument d'efprit ? mon air ... ma
figure , mes façons ... tout en moi ne vous
l'annonce- t- il pas ? Je vous affure , répondit
le Philofophe , que votre figure n'a rien
que de fort agréable . Mais , mon ami , qui
êtes-vous , & comment avez - vous été élevé
? Montvilliers lui fit le récit que je viens
de vous faire. J'ai entendu parler de vous
& de votre prétendue imbécillité , lui dit
alors le militaire , mais vous avez de l'intelligence
, & vous me paroiffez être d'un
fort bon caractere . Je veux cultiver ces qualités
naturelles , vous confoler , en un mot
vous rendre fervice . Je ne demeure qu'à
une lieue d'ici ; fi vous ne connoiffez pas
Madinville , vous n'aurez qu'à le demander,
tout le monde vous l'enfeignera .
Il faut avoir été auffi abandonné que
l'étoit Montvilliers , pour concevoir tout le
plaifir que lui fit cette rencontre. Il fe leva
le lendemain dès que le jour parut , & ne
pouvant commander à fon impatience , il
vole vers le feul homme qu'il eût jamais
trouvé fenfible à fes maux. Il le trouva occupé
à confidérer les beautés d'un parterre
enrichi de fleurs , dont la variété & le parfum
fatisfaifoient également la vue &
l'odorat. M. de Madinville fut charmé de
l'empreffement de Montvilliers , converfa
14 MERCURE DE FRANCE.
beaucoup avec lui , fut content de fa pénétration
, & de fa docilité , & lui fit promettre
qu'il viendroit dîner chez lui deux
fois la femaine.
::
Je n'entreprendrai point , continua la
Silphide , de vous répéter tous les fages
difcours que notre philofophe tint à ce
jeune homme il lui fit connoître que
pour être heureux , trois chofes font néceffaires
; régler fon imagination , modérer
fes paffions , & cultiver fes goûts. Que
la paix de l'ame & la liberté d'efprit répandent
un vernis agréable fur tous les objets
qui nous environnent. Que la vertu
favorite du véritable philofophe , eft une
bienveillance univerfelle pour fes femblables
, un fentiment de tendreſſe & de compaffion
, qui parle continuellement en leur
faveur , & qui nous preffe de leur faire du
bien. Que cette aimable vertu eft la fource
des vrais plaifirs. Qu'on trouve en l'exerçant
, cette volupté fpirituelle , dont les
coeurs généreux & fenfibles fçavent feuls
connoître le prix . Montvilliers comprit fort
bien toutes ces vérités. Il fit plus , il les aima.
Son efprit femblable à une fleur que les
froids aquilons ont tenu longtems fermée
& qu'un rayon de foleil fait épanouir , fe
développa. Les fentimens vertueux que la
nature avoit mis dans fon coeur généreux ,
NOVEMBRE. 1755 .
promirent une abondante moiffon .
Le changement qui s'étoit fait en lui ,
vint bientôt aux oreilles de fon pere . Il
voulut en juger par lui - même. Accoutumé
à le craindre , Montvilliers répondit à
fes queſtions d'un air timide & embarraſſé.
Sa belle-mere toujours attentive à le deffervir
, fit paffer fon embarras pour aver
fion & M. Dorneville le crut d'autant plus
facilement , qu'il ne lui avoit pas donné
fujet de l'aimer. Il fe contenta de le traiter
avec un peu plus d'égards , mais fans ces
manieres ouvertes que produifent l'amitié
& la confiance . Sa belle- mere changea auffi
de conduite ; elle le combla de politeffes extérieures
, comme fi elle eût voulu réparer
par ces marques de confidération le mépris
qu'elle avoit fait de lui jufqu'alors. Mais,
au fond elle ne pouvoit penfer fans un extrême
chagrin, qu'étant l'aîné, il devoit hériter
de la plus confidérable partie des biens
de M. Dorneville , tandis que fon cher fils,
l'unique objet de fes complaifances , ne
feroit jamais qu'un gentilhomme malaiſé.
Cinq ou fix ans fe pafferent de cette forte.
Montvilliers qui recevoit tous les jours
de nouvelles preuves de la tendreffe de M.
de Madinville , ne mettoit point de bornes
àfa reconnoillance. Ce fentiment accompa
gné de l'amitié est toujours fuivi du plaifir.
Ce jeune homme n'en trouvoit point de
16 MERCURE DE FRANCE.
de plus grand que de donner des marques
fa fenfibilite à fon bienfaicteur.Tranquille
en apparence , il ne l'étoit cependant pas
dans la réalité. Son coeur , exceffivement
fenfible , ne pouvoit être rempli par l'amitié
, il lui falloit un fentiment d'une autre
efpece. Il fentoit depuis quelque tems en
lui - même un defir preffant , un vif befoin
d'aimer , qui n'eft pas la moins pénible de
toutes les fituations. L'amour lui demandoit
fon hommage
; mais trop éclairé fur
fes véritables intérêts pour fe livrer à ce
petit tyran fans réferve , il vouloit faire
fes conditions . Il comprit que les qualités
du coeur & de l'efprit , le rapport d'humeur
& de façon de penfer , étoient abfolument
néceffaires pour contracter un
attachement férieux & durable . Son imagination
vive travaillant fur cette idée
lui eut bientôt fabriqué une maîtreffe
imaginaire , qu'il chercha vainement à
réaliſer. Il étudia avec foin toutes les jeunes
perfonnes de R.... Cette étude ne fervit
qu'à lui faire connoître l'impoffibilité
de trouver une perfonne fi parfaite. Cependant
, le croiriez-vous ? il s'attacha à
cette chimere même en la reconnoiffant
pour telle : fon plus grand plaifir étoit de
s'en occuper ; il quittoit fouvent la lecture-
& les converfations les plus folides , pour
s'entretenir avec elle..
NOVEMBRE. 1755 17
Quelque confiance qu'il eût en M. de
Madinville , il n'avoit pas ofé lui faire
l'aveu de ces nouvelles difpofitions . Il connoiffoit
fa maladie ; mais en même tems il
la chériffoit , il lui trouvoit mille charmes,
& ç'auroit été le defobliger que d'en entreprendre
la guérifon . C'eft ce que fon ami
n'auroit pas manqué de faire. Un jour qu'il
fe promenoit feul , en faisant ces réflexions,
M. de Madinville vint l'aborder. J'ai fur
vous , mon cher Montvilliers , lui dit- il ,
après avoir parlé quelque tems de chofes
indifférentes, des vues que j'efpere que vous
approuverez. Rien n'eft comparable à l'a
mitié que j'ai pour vous , mais je veux que
des liens plus étroits nous uniffent. Je n'ai
qu'une niece ; j'ofe dire qu'elle eft digne
de vous par la folidité de fon efprit , la fupériorité
de fa raifon , la douceur de fon
caractere , enfin mille qualités eftimables
dont vous êtes en état de fentir tout le
A prix.
Montvilliers , qui n'avoit jamais entendu
parler que fon ami eût une niece , &
qui ne lui croyoit pas même ni de frere ni
de foeur , fut un peu furpris de ce difcours .
Sa réponſe cependant fut courte , polie &
fatisfaifante. Il lui demanda pourquoi il
ne lui avoit jamais parlé d'une perfonne
qui devoit fi fort l'intéreffer , les raifons
18
MERCURE DE
FRANCE.
qui m'en ont empêché , lui répondit fon
ami , m'obligent encore de vous cacher fon
nom & fa demeure. Mais avant que d'en
venir à
l'accompliffement de ce projet ,
ajouta-t- il , mon deffein eft de vous envoyer
paffer quelque tems à Paris. Avec
beaucoup de bon fens & d'efprit , il vous
manque une certaine politeffe de manieres,
une façon de vous préfenter qui prévient
en faveur d'un honnête homme . Parlez - en
à votre pere. Je me charge de faire la dépenfe
néceffaire pour ce voyage.
Enchanté de ce
nouveau
témoignage
d'affection & de générofité ,
Montvilliers
remercia dans les termes les plus vifs fon
bienfaicteur . Il n'étoit
pourtant pas abfolument
fatisfait de la premiere partie de fon
difcours. Ce choix qu'il
paroiffoit lui faire
d'une épouſe fans fon aveu , lui fembla
tyrannique. Il ne put fouffrir de fe voir
privé de la liberté de chercher une perfonne
qui approchât de fon idée. Il imaginoit
dans cette
recherche mille plaifirs dont il
falloit fe détacher. Son coeur
murmura de
cette
contrainte ; elle lui parut infupportable
mais la raifon prenant enfin le deffus
, condamna ces
mouvemens . Elle lui
repréſenta
combien il étoit flatteur & avantageux
pour lui d'entrer dans la famille
d'un homme à qui il devoit tout , & le fit
NOVEMBRE. 1755. 19
convenir qu'en jugeant de l'avenir par le
paffé , fon bonheur dépendoit de fa docilité
pour les confeils de fon ami.
Ces réflexions le calmerent. Il ne fongea
plus qu'à s'occuper des préparatifs de
fon voyage ; ils ne furent pas longs . Les
quinze premiers jours de fon arrivée dans
la capitale furent employés à vifiter les édifices
publics , & à voir les perfonnes à qui
il étoit recommandé . Il fut à l'Académie
pour apprendre à monter à cheval & à
faire des armes ; il fe }; fit des connoiffances
de plufieurs jeunes gens de confidération ,
qui étoient fes compagnons d'exercices ,
& s'introduifit par leur moyen dans des
cercles diftingués . Avide de tout connoî
tre , de tout voir , il eut bientôt tout épui
fé. Son efprit folide ne s'accommoda pas
de la frivolité qui regne dans ce qu'on
appelle bonne compagnie, 11 fe contenta
dans fes momens de loifir , de fréquenter
les fpectacles , les promenades , & de cultiver
la connoiffance de quelques gens de
lettres que M. de Madinville lui avoit
procurée.
La diverfité & la nouveauté de tous ces
objets n'avoient pu guérir fon coeur. Il
avoir toujours le même goût pour fa maîtreffe
imaginaire , & les promenades folitaires
étoient fon amuſement favori. Un
20 MERCURE DE FRANCE.
jour qu'il fe promenoit dans les Tuilleries
, fa rêverie ne l'empêcha pas de remar .
quer une jeune demoifelle , dont la phifionomie
étoit un agréable mêlange de
douceur , de franchife , de modeftie , &
de raifon. Quel attrait pour Montvilliers !
il ne pouvoit fe laffer de la confidérer. Sa
préfence faifoit paffer jufqu'au fond de
fon coeur une douceur fecrette & inconnue.
Elle fortit de la promenade , il la
fuivit , & la vit monter dans un carroffe
bourgeois avec toute fa compagnie. Alors
fongeant qu'elle alloit lui échapper , il eut
recours à un de ces officieux meffagers dont
le Pont- neuf fourmille : il lui donna ordre
de fuivre ce carroffe , & de venir lui redire
en quel endroit il fe feroit arrêté. Environ
une demi - heure après , le courrier revint
hors d'haleine , & lui apprit que toute cette
compagnie étoit defcendue à une maiſon
de campagne fituée à B.....
. Montvilliers , qui connoiffoit une perfonne
dans ce lieu , fe promit d'y aller dès
le lendemain , efpérant revoir cette demoifelle
, peut-être venir à bout de lui parler ,
ou du moins apprendre qui elle étoit .
Rempli de ce projet , il alloit l'exécuter ,
quand un jeune homme de fes amis entra
dans fa chambre , & lui propofa de l'accompagner
, pour aller voir une de fes paNOVEMBRE.
1755 .
rentes , chez laquelle il y avoit bonne compagnie.
Il chercha d'abord quelque prétexte
pour le défendre , mais quand il eut
appris que cette parente demeuroit à B....
il ne fit plus difficulté de fuivre fon ami.
Il ne s'en repentit pas ; car la premiere perfonne
qu'il apperçut en entrant dans une
fort beile falle , fut cette jeune demoiſelle
qu'il avoit vu la veille aux Tuilleries.
Cette rencontre qui lui parut être d'un
favorable augure , le mit dans une fitua
tion d'efprit délicieufe. On fervit le dîner,
& Montvilliers fit fi bien qu'il fe trouva
placé auprès de celle qui poffédoit déja
toutes les affections. Il n'épargna ni galanteries
, ni politeffes , ni prévenances pour
lui faire connoître la fatisfaction qu'il en
reffentoit ; & il ne tint qu'à elle de reconnoître
dans fes manieres une vivacité qui
ne va point fans paffion. Auffi ne fut- elle
pas la derniere à s'en appercevoir : elle
avoit remarqué fon attention de la veille ,
& fa figure dès ce moment ne lui avoit
déplu . Elle lui apprit qu'elle étoit alors
chez une dame de fes amies , qu'elle devoit
y refter encore quinze jours , qu'elle demeuroit
ordinairement à Paris avec fon
pas
pere & fa mere , qu'elle aimoit beaucoup
la campagne , & qu'elle étoit charmée de
ce que fon pere venoit d'acquérir une terre
22 MERCURE DE FRANCE.
affez confidérable , proche de R.... où ils
comptoient aller bientôt demeurer . Quoi ,
Mademoiſelle , lui dit- il , feroit- il bien poffible
que nous devinffions voifins ? Comment
vous êtes de R ... lui demanda - t- elle à
fon tour ? Je n'en fuis pas directement
répondit- il , mais la demeure de mon pere,
qui s'appelle Dorneville , n'en eft éloignée
que d'une lieue. Eh bien , reprit- elle ,
notre terre eft entre Dorneville & Madinville
; connoiffez - vous le Seigneur de cette
derniere paroiffe ? Grand Dieu ! Si je le
connois , répondit-il avec vivacité , c'eſt
l'homme du monde à qui j'ai le plus d'obligation.
Mademoiſelle d'Arvieux , c'eft ainfi
que s'appelloit cette jeune perfonne , contente
de cette déclaration , ne s'ouvrit
davantage . Cependant le foleil prêt à ſe
coucher , obligea les deux amis de reprendre
la route de Paris . Montvilliers n'avoit
jamais vu de journée paffer avec tant de
rapidité avant que de partir , il demanda
la permiffion de revenir , qu'on lui accorda
fort poliment.
pas
Il ne fut pas plutôt forti d'auprès de
Mlle d'Arvieux , que rentrant en lui - même
, & faiſant réflexion fur tous fes mouvemens
, il fentit qu'il aimoit. Le fouvenir
de ce qu'il avoit promis à fon bienfaicteur
, vint auffi-tôt le troubler . Il fe fit
NOVEMBRE . 1755. 23
des reproches de fon peu de courage ; mais
peut- être je m'allarme mal- à- propos , continua-
t- il en lui -même ; c'eft un caprice ,
un goût paffager que Mlle d'Arvieux m'aidera
elle - même à détruire. Si je pouvois
connoître le fond de fon coeur , fa façon
de penfer , fans doute je cefferois de l'aimer.
Il s'en feroit peut-être dit davantage,
fi fon ami n'avoit interrompu fa revêrie ,
en la lui reprochant. " Tu es furement
» amoureux , lui dit -il d'un ton badin. Je
» t'ai vu un air bien animé auprès de Mlle
» d'Arvieux ; conviens- en de bonne foi.
Il n'eft pas bien difficile d'arracher un fecret
de cette nature. Montvilliers qui connoiffoit
la difcrétion de fon ami , lui
avoua fans beaucoup de peine un fentiment
dont il étoit trop rempli , pour n'avoir
pas befoin d'un confident : mais en
convenant que les charmes de cette Demoifelle
l'avoient touché , il ajouta que
comme il craignoit que le caractere ne répondît
pas aux graces extérieures , il fongeoit
aux moyens de connoître le fond de
fon coeur. Si ce n'eft que cela qui te fait
rêver , lui dit fon ami , il eft aifé de te
fatisfaire . Je connois une perfonne qui eſt
amie particuliere de Mlle d'Arvieux ; je
fçais qu'elles s'écrivent quand elles ne
peuvent le voir , & tu n'ignores pas qu'on
24 MERCURE DE FRANCE.
•
fe peint dans fes lettres fans même le vouloir
& fans croire le faire ; il ne s'agit que
d'avoir celles de Mlle d'Arvieux , & je les
poffede ; c'eſt un larcin que j'ai fait à cette
amie , qui eft auffi la mienne. Les voici ,
je te les confie .
Montvilliers , après avoir remercié fon
ami que fes affaires appelloient ailleurs ,
fe rendit chez lui chargé de ces importan
tes pieces. Il lut plufieurs de ces lettres qui
étoient autant de preuves de la délicateffe
& de la jufteffe d'efprit de Mlle d'Arvieux.
C'étoit un agréable variété de raiſon &
de badinage . Le ftyle en étoit pur , aiſé ,
naturel , fimple , élégant , & toujours convenable
au fujet mais quel plaifir pour
Montvilliers de voir le fentiment regner
dans toutes ces lettres , & de lire dans une
d'elles , qu'un amant pour lui plaire devoit
bien moins chercher à acquerir des
graces que des vertus ; qu'elle lui deman--
doit un fond de droiture inaltérable , un
amour de l'ordre & de l'humanité , une
délicateffe de probité , une folidité du jugement
, une bonté de coeur naturelle , une
élévation de fentimens , un amour éclairé
pour la religion , un humeur douce , indulgente
, bienfaifante.
De pareilles découvertes ne fervirent
point à guérir Montvilliers de fa paflion ..
Toutes
NOVEMBRE . 1755. 23
Toutes les vertus & les qualités que Mlle
d'Arvieux exigeoit d'un amant , étoient directement
les traits qui caracterifoient fa
maîtreffe idéale . Cette conformité d'idée.
l'enchanta. Voilà donc , dit- il avec tranf
port , ce tréfor précieux que je cherchois
fans efpérance de le trouver ; cette perfonne
fi parfaite que je regardois comme une
belle chimere , ouvrage de mon imagination
. Que ne puis - je voler dès ce moment à
Les pieds , lui découvrir mes fentimens , ma
façon de penfer, lui jurer que l'ayant aimée
fans la connoître, je continuerai de l'adorer
toute ma vie avec la plus exacte fidélité .
Huit jours fe pafferent fans que Montvilliers
qui voyoit fouvent fa maîtreffe ,
pût trouver le moyen de l'entretenir en
particulier , quelque défir qu'il en eût :
mais le neuvieme lui fut plus favorable.
Difpenfe - moi , je vous prie , continua la
Silphide , de vous redire les difcours que
ces deux amans fe tinrent ; il vous fuffira
de fçavoir qu'ils furent très - contens l'un
de l'autre , & que cet entretien redoubla
une paffion qui n'étoit déja que trop vive
pour leur repos.
Un jour que Montvilliers conduit par
le plaifir & le fentiment , étoit allé voir .
Mlle d'Arvieux , il fut furpris de trouver
auprès d'elle un homme âgé qu'il ne con- :
B
62: MERCURE DE FRANCE.
noifloit point. Il comprit bientôt aux
difcours qu'on tenoit , que ce vieillard
étoit le pere de fa maîtreffe , & qu'il venoit
dans le deffein de la remmener avec
lui. Ils fe leverent un inftant après pour.
fortir , & notre amant refté feul avec la
maîtreffe du logis , apprit d'elle que M.
d'Arvieux venoit annoncer à fa fille qu'un
jeune homme fort riche , nommé Frien-.
val , l'avoit demandée en mariage ; que ce
parti paroiffoit être du goût du pere.
Montvilliers interdit à cette nouvelle , pria
celle qui la lui apprenoit , de vouloir bien
l'aider de fes confeils. Il faut vous propofer
, lui dit-elle , vous faire connoître.
Hé ! Madame , voudra - t - on m'écouter ,
répondit il? M. d'Arvieux ne m'a jamais
vu ; vous êtes amie de fa femme , rendez-
moi ce fervice . Elle y confentit , &.
lui promit que dès le lendemain elle iroit
demander à dejeûner à Mme d'Arvieux :
Au reste , ajouta- t- elle , vous pouvez être
tranquille du côté de vôtre maîtreffe ;
quand elle feroit capable de vous faire.
une infidélité , ce ne feroit point en faveur
de ce rival , elle le connoît trop bien ;
& pour vous raffurer davantage , je vais
vous rendre fon portrait tel qu'elle me le
faifoit encore hier en nous promenant.
Frienval , continua cette Dame , eft un de
NOVEMBRE 1755. 27
•
ces hommes frivoles dont Paris eft inordé.
Amateur des plaifirs , fans être voluptueux
, efclave de la mode en raillant
ceux qui la fuivent avec trop de régulari
té , il agit au hazard . Ses principes varient
fuivant les occafions , ou plutôt il
n'en a aucun. Auffi fes démarches fontelles
toujours inconféquentes. S'il eft
exempt de vices effentiels , il le doit à fon
tempérament. Futile dans fes goûts , dans
fes recherches , dans fes travaux , fon occupation
journaliere eft de courir les fpectacles
, les caffés , les promenades , & de
fe mêler quelquefois parmi des gens qui
pour mieux trouver le bon ton , ont banni
le bon fens de leurs fociétés . Ses plus
férieufes démarches n'ont d'autre but
qu'un amufement paffager , & fon état
peut s'appeller une enfance continuée . Il
y a fort long- tems qu'il connoît Mlle d'Arvieux
, & qu'il en eft amoureux , comme
tous les gens de fon efpece , c'eft-à- dire
fans fe gêner. Mais loin de le payer d'aucun
retour elle n'a pas daigné faire la
moindre attention à fes galanteries. Trop
occupé pour réfléchir , fa légereté lui a
fauvé mille conféquences peu flateufes ,
qu'il devoit naturellement tirer. Il fe croit
aimé avec la même bonne foi qu'il fe
croit aimable ; fon mérite lui femble une
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
chofe , démontrée , & qu'on ne peut lut
difputer raisonnablement.
Le lendemain fut un jour heureux pour
Montvilliers. Son Ambaffadrice lui rapporta
qu'on vouloit bien fufpendre la conclufion
du mariage propofé , afin de le
connoître , & qu'on lui permettoit de fe
préfenter. Il ne fe le fit pas dire deux fois:
il courut chez M. d'Arvieux qui le reçut
affez bien pour lui faire efperer de l'être
encore mieux dans la fuite. Sa maîtreffe
lui apprit qu'ils partoient dès le lendemain
pour cette terre dont elle lui avoit
parlé ; il promit qu'il les fuivroit de près :
en effet il prit la route de fa patrie deux
jours après leur départ.
Depuis trois semaines que fa paffion
avoit commencé , il en avoit été fi occupé
qu'il avoit oublié d'écrite à M. de Madinville
. Il étoit déja à moitié chemin qu'il
fe demanda comment il alloit excufer auprès
de lui ce retour précipité. Il comprit
alors qu'il lui avoit manqué effentiellement
de plufieurs façons , & que fa conduite
lui méritoit l'odieux titre d'ingrat.
Mais fi ces réflexions lui firent craindre
le moment d'aborder fon bienfaicteur , des
mouvemens de tendreffe & de reconnoiffance
rien ne pouvoit altérer , lui fique
Fr.rent défirer de l'embraffer. Ces différens
1-
NOVEMBRE. 1755. 29
fentimens lui donnerent un air confus ,
embarraffé , mêlé d'attendriffement.
M. de Madinville qui avoit pour lui
l'affection la plus fincere , n'avoit point
fupporté fon abfence fans beaucoup de
peine & d'ennui . Charmé de fon retour
dont il fut inftruit par une autre voie , s'il
avoit fuivi les mouvemens de fon coeur ,
mille careffes auroient été la punition de
la faute que Montvilliers commettoit en
revenant fans lui demander fon agrément;
mais il voulut éprouver fi l'abfence ne
l'avoit point changé, & fi comblé des bienfaits
de l'amour , il feroit fenfible aux pertes
de l'amitié : il fe propofa donc de le
recevoir avec un air férieux & mécontent.
Montvilliers arrive , defcend de cheval ,
vole à la chambre de fon ami , qui en le
voyant joua fort bien la furpriſe . Quoi !
c'est vous , Montvilliers , lui dit - il , en
reculant quelques pas : oferois je vous demander
la caufe de ce prompt retour , &
pourquoi vous ne m'en avez point averti ?
J'efperois cependant que vous me feriez
cette grace.Montvilliers déconcerté par cet- "
te réception ne put répondre une feule
parole. Mais fes yeux interpretes de fon
ame , exprimoient affez fon trouble. M. de
Madinville fans faire femblant de s'en appercevoir
, ajouta : Au refte , je ne fuis
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
pas fâché de vous revoir ; vous avez pré
venu mon deffein ; j'allois vous écrire pour
vous engager à revenir , l'affaire dont je
vous ai parlé avant votre départ eft fort
avancée , il ne manque pour la conclure
que votre confentement. Ma niece fur le
bon témoignage que je lui ai rendu de
votre caractere , vous aime autant & plus
que moi - même. Mais je ne penfe pas ,
continua- t- il , que vous avez beſoin de
repos & de rafraîchiffement ; allez - en
prendre , nous nous expliquerons après.
Pénétré de l'air, froid & fec dont M.
de Madinville l'avoit reçu , qui lui avoit
ôté la liberté de lui témoigner la joie qu'il
avoit de le revoir , Montvilliers avoit befoin
de folitude pour mettre quelque
ordre à fes idées . Il fortit fans trop fçavoir
où il alloit , & s'arrêtant dans ce
bois où il avoit vu fon ami pour la premiere
fois , il fe repréſenta plus vivement
que jamais les obligations qu'il lui avoit.
Son ame , fon coeur , fon efprit , fes qualités
extérieures étoient le fruit de fes
foins ; fon amitié avoit toujours fait les
charmes de fa vie , il falloit y renoncer ,
ou fe réfoudre à ne jamais pofféder Mlle
d'Arvieux quelle cruelle alternative ! Il
falloit pourtant fe décider. Un fort honnête
homme de R .... qu'il avoit vu ſous
NOVEMBRE 1755 . 31
:
vent chez M. de Madinville , interrompit
ces réflexions accablantes . Après les premiers
complimens , il lui demanda ce qui
pouvoit caufer l'agitation où il le voyoit.
Montvilliers ne fit point de difficulté de
lui confier fon embarras . Il lui raconta le
projet de fon ami qu'il lui avoit communiqué
avant fon voyage , la naiffance &
la violence d'une paffion qu'il n'avoit pas
été le maître de ne point prendre , l'impoffibilité
où il fe trouvoit de la vaincre
la crainte exceffive de perdre un ami dont
il connoiffoit tout le prix , & fans lequel
il ne pouvoit efperer d'être heureux .
Ce récit que Montvilliers ne put faire
fans répandre des larmes , attendrit celui
qui l'écoutoit . Votre fituation eft très- embarraffante
; lui dit- il. Pour moi , je nè
vois pas d'autre parti que de déclarer naïvement
à M. de Madinville ce que vous
fouffrez. Il est généreux , il vous aime , &
ne voudra point vous défefperer . Ah !
fongez- vous , répondit- il , que cette déclaration
détruit un projet qui eft devenu
l'objet de fa complaifance ? Faites - vous.
attention qu'il a parlé de moi à fa niece ,
qu'il a fait naître dans fon ame une paffion
innocente ? Non , je n'aurai jamais la
hardieffe de la lui faire moi-même. Hé
bien voulez-vous que je lui en parle ,
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
demanda fon confident ? Je vais paffer
l'après-midi avec lui ; nous ferons feuls ,
je tâcherai de démêler ce qu'il penſe à votre
fujet .
Montvilliers ayant fait connoître qu'il
lui rendroit un grand fervice , le quitta ,
& prit le chemin qui conduifoit à Dorneville.
Il trouva fon pere en deuil de fa
belle mere ; il le reçut affez bien , & l'engagea
à fouper avec lui , & à occuper fon
ancien appartement.
Son Ambaffadeur eut fa vifite le lendemain
de fort bon matin. Il lui dit qu'il
n'avoit pas tiré de fa commiffion tout le
fruit qu'il en efperoit : que M. de Madinville
lui avoit dit qu'il n'avoit jamais prétendu
contraindre les inclinations de perfonne
au refte , ajouta- t-il , allez- le voir ,
expliquez- vous enfemble.
Montvilliers qui vouloit s'éclaircir à
quelque prix que ce fût , partit auffi -tôt ;
mais plus il approchoit de Madinville &
plus fon courage diminuoit. Il entre cependant
; on lui dit que fon ami étoit à fe
promener. Il va pour le joindre , il l'apperçoit
au bout d'une allée , le falue profondément
, cherche dans fes yeux ce qu'il
doit craindre ou efperer ; mais M. de
Madinville qui le vit , loin de continuer
affecta de , paffer d'un autre côté
NOVEMBRE. 1755. 33
i
pour éviter de le rencontrer.
Ce mouvement étoit plus expreffif
que tous les difcours du monde . Montvilliers
qui comprit ce qu'il vouloit dire ,
fur pénétré de l'affliction la plus vive . Il
fe jetta dans un bofquet voifin où il fe mit
à verfer des larmes ameres. Alors confidérant
ce qu'il avoit perdu , il prit la réfolution
de faire tout fon poffible pour le
recouvrer . M. de Madinville qui fe douta
de l'effet que fon dedain affecté auroit
produit , & qui ne vouloit pas abandonner
long - tems Montvilliers à fon défefpoir ,
vint comme par hafard dans l'endroit où
il étoit pour lui donner occafion de s'expliquer
, & feignit encore de vouloir fe
retirer. Cette nouvelle marque d'indifférence
outrageant la tendreffe de Montvilliers
, il fe leva avec un emportement de
douleur ; arrêtez , Monfieur , lui dit - il
d'une voix altérée : il eft cruel dans l'état
où vous me voyez , de m'accabler par de
nouveaux mépris . Ma préfence vous eft
odieufe ; vous me fuyez avec foin , tandis
que préfé par le fentiment , je vous cherche
pour vous dire que je fuis prêt de tout
facrifier à l'amitié . Oui , ajouta - t- il en
rédoublant fes larmes , difpofez de ma
main , de mes fentimens , de mon coeur ,
& rendez -moi la place que j'occupois dans
le vôtre. By
34 MERCURE DE FRANCE.
M. de Madinville charmé , ceffa de fe
contraindre , & ne craignit plus de laiſſer
voir fa joie & fon attendriffement . Il embraffe
Montvilliers , l'affure qu'il n'a pas
ceffé un inftant de l'aimer ; qu'il étoit
vrai que l'indifférence qu'il fembloit avoir
pour fon alliance , lui avoit fait beaucoup
de peine , parce qu'il la regardoit comme
une marque de la diminution de fon amitié
; que la fienne n'étant point bornée
il vouloit aufli être aimé fans réferve ;
qu'au refte il n'abuferoit point du pouvoir
abfolu qu'il venoit de lui donner fur
fa perfonne ; que la feule chofe qu'il exigeoit
de fa complaifance , étoit de voir
fa niece ; que fi après cette entrevue il
continuoit à penfer de la même façon ,
il pourroit le dire avec franchife , & fuivre
fon penchant.
Il finiffoit à peine de parler , qu'on vint
lui annoncer la vifite de fa niece . Repréfentez
- vous quel fut l'étonnement & la
joie de Montvilliers , lorfqu'entrant dans
une fale où l'on avoit coutume de recevoir
la compagnie , il apperçut Mlle d'Arvieux
qui étoit elle-même la niece de M.
de Madinville.
M. d'Arvieux , frere aîné de cet aimable
Philofophe , étoit un homme haut ,
emporté , violent ; ils avoient eu quelques
NOVEMBRE. 1755 . 35
différends enfemble , & M. de Madinville
fans conferver aucun reffentiment de fes
mauvais procédés , avoit jugé qu'il étoit de
fa prudence d'éviter tout commerce avec
un homme fi peu raifonnable. Comme M.
d'Arvieux étoit forti fort jeune de la province
fans y être revenu depuis , à peine
y connoiffoit - on fon nom ; Montvilliers
n'en avoit jamais entendu parler . Mlle
d'Arvieux avoit eu occafion de voir fon
oncle dans un voyage qu'il avoit fait à Paris
, & depuis ce tems elle entretenoit
avec lui un commerce de lettres à l'infçu
de fon pere. Comme elle fe fentoit du
penchant à aimer Montvilliers , elle fut
bien-aife avant que de s'engager plus avant ,
de demander l'avis de fon oncle , & ce
qu'elle devoit penfer de fon caractere .
L'étude des hommes lui avoit appris combien
il eft difficile de les connoître , & l'étude
d'elle-même combien on doit fe défier
de fes propres lumieres . Elle écrivit
donc dès le même jour , & reçut trois
jours après une réponse qui paffoit fes
efpérances , quoiqu'elles fuffent des plus
Alatteufes. Après lui avoir peint le coeur &
l'efprit de Montvilliers des plus belles couleurs
, M. de Madinville recommanda à
fa niece de continuer à lui faire un myftere
de leur parenté & de leur liaifon , afin
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
de voir comment il fe comporteroit dans
une conjoncture fi délicate .
pe-
Tout le monde fut bientôt d'accord.
On badina fur la fingularité de cette aventure
, & l'on finit par conclure que Montvilliers
demanderoit l'agrément de fon
re. Il y courut auffi- tôt , & l'ayant trouvé
feul dans fon cabinet , il alloit lui déclarer
le fujet de fa vifite : mais M. Dorneville
ne lui en laiſſa pas le loifir. J'ai jugé , lui
dit-il , qu'il étoit tems de vous établir , &
j'ai pour cela jetté les yeux fur Mlle de
F... Vous allez peut- être m'alléguer pour
vous en défendre , ajouta-t - il , je ne ſçais
quelle paffion romanefque que vous avez
prife à Paris pour une certaine perfonne
que je ne connois point . Mais fi vous voulez
que nous vivions bien enſemble , ne
m'en parlez jamais. Ne pourrai -je point ,
Monfieur , dit Montvilliers , fçavoir la
raifon ? .... Je n'ai de compte à rendre
à qui que ce foit , reprit le pere avec emportement
; en un mot , je fçais ce qu'il
vous faut. Mlle d'Arvieux n'eft point votre
fait , & je ne confentirai jamais à cette alliance
faites votre plan là- deffus . Il fortit
en difant ces mots. Montvilliers confterné
refta immobile : il ne pouvoit s'imaginer
pourquoi il paroiffoit avoir tant d'éloignement
pour un mariage convenable , & mêNOVEMBRE.
1755. 37
me avantageux . Sa maîtreffe étoit fille
unique , & M. d'Arvieux du côté de la
fortune & de la nobleffe ne le cédoit point
à M. Dorneville.
Driancourt , frere de Montvilliers , dont
j'ai rapporté la naiffance au commencement
de cette hiftoire , avoit pour lors
dix-huit àdix- neuf ans. Double, artificieux ,
adroit , flateur, il penfoit que le grand art
de vivre dans le monde étoit de faire des
dupes fans jamais le devenir , & de tout
facrifier à fon utilité . Son efprit élevé audeffus
des préjugés vulgaires ne reconnoiffoit
aucunes vertus , & tout ce que les
hommes appellent ainfi n'étoit , felon
lui , que des modifications de l'amourpropre
, qui eft dans le monde moral , ce
qu'eft l'attraction dans le monde phyfique ,
c'eft-à- dire la caufe de tout. Toutes les
actions , difoit - il , font indifférentes ,
puifqu'elles partent du même principe.
Il n'y a pas plus de mal à tromper fon
ami , à nier un dépôt , à inventer une calomnie
, qu'à rendre ſervice à fon voiſin ,
à combattre pour la défenfe de fa patrie ,
à foulager un homme dans fa mifere , ou
à faire toute autre action .
Driancourt avec ce joli fyftême , ne perdoit
point de vue le projet de fe délivrer
de fon frere , dont fa mere lui avoit fait
38 MERCURE DE FRANCE.
le
fentir mille fois la néceffité. Il crut que
moment de l'exécuter étoit arrivé. C'étoit
lui qui avoit inftruit M. Dorneville de la
paffion de Montvilliers pour Mlle d'Arvieux
, & qui en même tems avoit peint
cette Demoiſelle de couleurs peu avantageufes.
Depuis ce moment il ne ceffa de
rapporter à fon pere , dont il avoit toute la
confiance & la tendreffe , mille difcours
peu refpectueux , accompagnés de menaces
qu'il faifoit tenir à Montvilliers : enfin
il tourna fi bien l'efprit de ce vieillard foi
ble & crédule , qu'il le fit déterminer au
plus étrange parti.
L'on parloit beaucoup dans ce tems là
de ces colonies que l'on envoie en Amérique
, & qui fervent à purger l'Etat . Driancourt
ayant obtenu , non pourtant fans
quelque peine , le confentement de fon
pere , part pour D ..... trouve un vaiffeau
prêt à mettre à la voile chargé de plufieurs
miférables qui , fans être affez coupables
pour mériter la mort l'étoient cependant
affez pour faire fouhaiter à la fofociété
d'en être délivrée . Il parle au Capitaine
qui lui promit de le défaire de fon
frere , pourvu qu'il pût le lui livrer dans
deux jours. Il revint en diligence , & dès
la nuit fuivante , quatre hommes entrent
dans la chambre de Montvilliers, qui avoit
NOVEMBRE. 1755 . 39
continué de coucher chez fon pere depuis
fon retour de Paris , fe faififfent de lui ,
le contraignent de fe lever , le conduifent
à une chaiſe de pofte , l'obligent d'y monter
, d'où ils ne le firent defcendre que
pour le faire entrer dans le vaiffeau qui
partit peu de tems après .
Montvilliers qui avoit pris tout ce qui
venoit de lui arriver pour un rêve , ne
douta plus alors de la vérité . Enchaîné
deavec
plufieurs autres miférables , que
vint-il quand il fe repréfenta l'indignité
& la cruauté de fon pere , ce qu'il perdoit ,
ce qu'il alloit devenir ? Ces idées agirent
avec tant de violence fur fon efprit, qu'el
les y mirent un défordre inconcevable. Il
jugea qu'il n'avoit point d'autre reffource
dans cette extrêmité que la mort , & réfo
lut de fe laiffer mourir de faim. Il avoit
déja paffé deux jours fans prendre aucune
nourriture , mais le jeune Anglois que
voici , qui étoit pour lors compagnon de
fon infortune , comprit à fon extrême abattement
qu'il étoit plus malheureux que
coupable. Il entreprit de le confoler , il
lui préfenta quelque rafraîchiffemens qui
furent d'abord refufés ; il le preffa , il le
pria. Je ne doute pas , lui dit- il , que vous
ne foyez exceffivement à plaindre ; je veux
même croire que vous l'êtes autant que
40 MERCURE DE FRANCE
moi cependant il eft des maux encore
plus rédoutables que tous ceux que nous
éprouvons dans cette vie , & dont on fe
rend digne en entreprenant d'en borner
foi-même le cours . Peut - être le ciel qui ne
veut que vous éprouver pendant que vous
vous révoltez contre fes décrets , vous
prépare des fecours qui vous font inconnus.
Acceptez , je vous en conjure , ces
alimens que vous préfente un homme qui
s'intéreffe à votre vie.
Montvilliers qui n'avoit fait aucune
attention à tout ce qui l'environnoit , examina
celui qui lui parloit ainfi , remarqua
dans fon air quelque chofe de diftingué
& de prévenant ; il trouva quelque
douceur à l'entretenir. Il fe laiffa perfuader
, il lui raconta fon hiftoire ; & quand
il cut fini fon récit , il le preffa d'imiter
fa franchiſe , ce que le jeune Anglois fic
en ces termes :
Lafuite au prochain Mercure.
Fermer
Résumé : LES CHARMES DU CARACTERE. HISTOIRE VRAISEMBLABLE. SUITE DE LA PROMENADE DE PROVINCE. Par Mademoiselle Plisson, de Chartres.
Le texte raconte l'histoire de Montvilliers, un gentilhomme issu d'une famille aisée, connu pour son caractère noble et généreux. Après la perte de sa mère à sa naissance, son père se remarie avec une femme aimable mais peu fortunée. À l'âge de quatre ou cinq ans, Montvilliers devient indifférent et incommodant pour sa belle-mère, qui le traite avec mépris et le considère comme stupide. Il passe ses journées dans les bois, mélancolique et découragé, se sentant comme une charge. À quinze ans, Montvilliers rencontre M. de Madinville, un militaire philosophe qui le prend sous son aile. Impressionné par l'intelligence et le caractère de Montvilliers, Madinville décide de l'aider à cultiver ses qualités naturelles. Montvilliers, touché par cette rencontre, se rend régulièrement chez Madinville, qui lui enseigne les principes de la philosophie et de la vertu. Ce changement attire l'attention de son père, mais sa belle-mère continue de le mépriser secrètement. Montvilliers, malgré son bonheur apparent, ressent un besoin d'amour et d'attachement. Il imagine une maîtresse parfaite mais ne la trouve pas parmi les jeunes femmes de sa connaissance. Un jour, M. de Madinville propose à Montvilliers d'épouser sa nièce, qu'il décrit comme ayant un esprit solide et un caractère doux. Montvilliers, bien que surpris, accepte après réflexion, voyant dans cette union un moyen de renforcer son lien avec son bienfaiteur. Madinville envoie Montvilliers à Paris pour perfectionner ses manières et ses compétences. À Paris, Montvilliers fréquente des cercles distingués et cultive ses intérêts intellectuels, tout en évitant la frivolité de la bonne société. Lors d'une promenade aux Tuileries, Montvilliers remarque une jeune demoiselle, Mlle d'Arvieux, dont la physionomie est un mélange agréable de douceur, de franchise, de modestie et de raison. Intrigué, il la suit et découvre qu'elle se rend dans une maison de campagne à B. Grâce à un ami, Montvilliers se rend également à cette maison et y rencontre Mlle d'Arvieux. Ils passent une journée ensemble, et Montvilliers est charmé par ses qualités. Il apprend qu'elle réside à Paris avec ses parents et qu'ils comptent bientôt s'installer à R., près de sa propre demeure familiale à Dorneville. Montvilliers est troublé par ses sentiments et se remémore sa promesse à M. de Madinville. Un ami lui montre des lettres de Mlle d'Arvieux, révélant ses vertus et ses qualités, qui correspondent à celles de la maîtresse idéale de Montvilliers. Après plusieurs jours, Montvilliers parvient à s'entretenir en privé avec Mlle d'Arvieux, renforçant ainsi sa passion. Cependant, il apprend qu'un certain Frienval, un homme riche et frivole, a demandé la main de Mlle d'Arvieux. Avec l'aide d'une amie de la famille, Montvilliers obtient la permission de se présenter à M. d'Arvieux, le père de Mlle d'Arvieux. Il se rend chez eux et promet de les suivre à R. Montvilliers réalise alors qu'il a négligé d'écrire à M. de Madinville et craint sa réaction. Malgré ses appréhensions, Montvilliers est déterminé à embrasser son bienfaiteur. M. de Madinville, bien que peiné par l'absence de Montvilliers, décide de le recevoir avec un air sérieux et mécontent pour tester sa fidélité. Montvilliers revient chez M. de Madinville, qui lui révèle que son projet d'alliance est avancé et que sa nièce, Mlle d'Arvieux, partage ses sentiments. Cependant, Montvilliers est troublé par la perspective de renoncer à cette alliance ou de perdre l'amitié de M. de Madinville. Il confie ses dilemmes à un honnête homme de R..., qui lui conseille de se confier à M. de Madinville. Montvilliers rencontre ensuite son père, M. Dorneville, qui lui annonce un projet de mariage avec Mlle de F..., ignorant les sentiments de Montvilliers pour Mlle d'Arvieux. Le frère de Montvilliers, Driancourt, jaloux et manipulateur, convainc M. Dorneville d'envoyer Montvilliers en Amérique. Montvilliers est enlevé et embarqué de force. À bord, un jeune Anglais tente de le réconforter, lui rappelant que des maux plus grands existent et que des secours pourraient encore survenir.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
450
p. 41-46
TRADUCTION De l'Eté de M. l'Abbé Métastaze.
Début :
Des pleurs précieux de l'Aurore [...]
Mots clefs :
Bergère, Chaleur, Amour
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : TRADUCTION De l'Eté de M. l'Abbé Métastaze.
TRADUCTION
De l'Eté de M. l'Abbé Métaftaze.
DEs pleurs précieux de l'Aurore
Nos champs ne font plus pénétrés ;
brillantes couleurs de Flore ,
Njardins ne font plus parés.
L Eté , qu'un blond épic couronne ,
Amene déja la moiffon :
Et la chaleur qui l'environne ,
A terni l'éclat du
gazon.
#
L'air appéfanti nous accable ,
Sitôt que le foleil s'enfuit :
Son feu déposé dans le ſable ,
S'éleve & réchauffe la nuit.
Ces prez voifins d'une fontaine
N'ont plus de ruiffeau bienfaicteurs.
L'autan , fous fa brulante haleine ,
Voit plier la tige des fleurs.
42 MERCURE DE FRANCE:
Des nuages , la terre aride
Ne reçoit aucun aliment :
De leurs dons fa furface avide
Partout fe fillonne & fe fend.
L'arbre que le printems décore ,
N'a plus fa premiere verdeur :
Et le rayon qui le dévore .
Paroît y laiffer fa couleur.
Le faule ingrat fur le rivage ;
A ce ruiffeau qui le nourrit
Ceffant de porter fon ombrage ;
Le livre au chaud qui le tarit.
3
On voit ,fans en craindre l'outrage ,
Le moiffonneur , fous le foleil ,
Accablé du poids de l'ouvrage ,
Gouter la douceur du fommeil .
串
Près de lui la Bergere aimable ,
Courant d'un pas rapide & prompt ,
Ote d'une ma n fécourable
La fueur qui baigne fon front.
NOVEMBRE. 1755. 43
Nos guèrets couverts de pouffiere
Du timide gibier qui fuit
N'offrent plus la piste légere
A l'ennemi qui le pourfuit.
Vainement le chaffeur tourmente
Le chien bientôt las d'aboyer ;
Son haleine courte & fréquente
Paffe & repaffe à ſon gofier.
Ce taureau bondiffant fur l'herbe ,
Dont le Berger a vu l'ardeur,
Et qui furieux & fuperbe
Porta fa flamme dans fon coeur •
Cédant au chaud qui l'extenue ,
Mugit , fe couche lentement ,
Tandis que la géniffe émue
Répond à fon mugiffement.
8
Du roffignol , que rien n'égale ,
Quand les accens charment nos bois ,
Le fon aigu de la cigale
A remplacé la douce voix.
44 MERCURE DE FRANCE.
Le ferpent qui fe renouvelle ,
Siffle , épouvante les pafteurs ;
Fier , au rayon qui le décele ,
Il oppofe mille couleurs.
Au fond de l'élement humide
Qu'attiédit la chaleur du jour ,
Sous l'algue le poiffon timide ,
Cherche à tempérer fon féjour.
D'une faiſon auſſi terrible
Je fupporterois la rigueur ;
Si Life à mes foupirs fenfible ;
S'attendriffoit en ma faveur .
Qu'Amour aux déferts de Lybie ,
Ou dans les climats les plus froids ,
Me mene au gré de fon envie ,
J'y fuis heureux , fi je t'y vois.
Quoique la, cime en foit brulée ;
Ce mont , par fon dos recourbé
Par cette ombrageufe vallée )
A la chaleur eft dérobé,
NOVEMBRE. 1755. 45
De ce côteau coule une fource ,
Dont la chute épure fes eaux
Et qui partagée en la courſe ,
Se répand en mille ruiffeaux,
Jamais la Bergere n'y mene
L'importun troupeau qui la fuit ;
La lune y paroît incertaine ,
Foiblement le foleil y luit.
Qu'en ces beaux lieux la nuit nous trompe ;
Qu'elle nous preſſe de jouir ;
Et qu'aucun fouci n'interrompe
Le moment heureux du plaifir.
Pourquoi chercher dans le nuage
Du fombre & douteux avenir ;
Il n'eft qu'un tems pour le bel âge ,
Life , l'amour doit le remplir,
Si le Dieu du Pinde m'inſpire ,
Si l'amour m'affure ta foi ,
Que le fort contre mor confpire ,
Je l'attends fans aucun effroi.
46 MERCURE DE FRANCE.
Ni le luxe de la richeſſe ,
Ni le faux éclat de l'honneur ,
Ni les glaces de la vieilleffe
Ne changeront jamais mon coeur.
Tout courbé , la tête chenue ,
Mon luth fléchira fous mes doigts ;
A fa corde alors mal tendue
J'accorderai ma foible voix.
Je chercherai l'amour encore
Dans ces beaux yeux moins empreffés ;
Et fur cette main que j'adore ,
Mes froids baifers feront tracés,
Grands Dieux , qu'aucun trouble n'altere ,
De nos maux , paiſibles témoins ,
Souffrez que mon luth , ma Bergere ,
Soient toujours l'objet de mes foins.
#
i
Que pour nous la parque moitis dure ,
D'un long fil couvre ſon fuſeau ,
Life , d'une flamme auffi pure
Je brulerai jufqu'au tombeau.
Pallu , de Poitiers.
De l'Eté de M. l'Abbé Métaftaze.
DEs pleurs précieux de l'Aurore
Nos champs ne font plus pénétrés ;
brillantes couleurs de Flore ,
Njardins ne font plus parés.
L Eté , qu'un blond épic couronne ,
Amene déja la moiffon :
Et la chaleur qui l'environne ,
A terni l'éclat du
gazon.
#
L'air appéfanti nous accable ,
Sitôt que le foleil s'enfuit :
Son feu déposé dans le ſable ,
S'éleve & réchauffe la nuit.
Ces prez voifins d'une fontaine
N'ont plus de ruiffeau bienfaicteurs.
L'autan , fous fa brulante haleine ,
Voit plier la tige des fleurs.
42 MERCURE DE FRANCE:
Des nuages , la terre aride
Ne reçoit aucun aliment :
De leurs dons fa furface avide
Partout fe fillonne & fe fend.
L'arbre que le printems décore ,
N'a plus fa premiere verdeur :
Et le rayon qui le dévore .
Paroît y laiffer fa couleur.
Le faule ingrat fur le rivage ;
A ce ruiffeau qui le nourrit
Ceffant de porter fon ombrage ;
Le livre au chaud qui le tarit.
3
On voit ,fans en craindre l'outrage ,
Le moiffonneur , fous le foleil ,
Accablé du poids de l'ouvrage ,
Gouter la douceur du fommeil .
串
Près de lui la Bergere aimable ,
Courant d'un pas rapide & prompt ,
Ote d'une ma n fécourable
La fueur qui baigne fon front.
NOVEMBRE. 1755. 43
Nos guèrets couverts de pouffiere
Du timide gibier qui fuit
N'offrent plus la piste légere
A l'ennemi qui le pourfuit.
Vainement le chaffeur tourmente
Le chien bientôt las d'aboyer ;
Son haleine courte & fréquente
Paffe & repaffe à ſon gofier.
Ce taureau bondiffant fur l'herbe ,
Dont le Berger a vu l'ardeur,
Et qui furieux & fuperbe
Porta fa flamme dans fon coeur •
Cédant au chaud qui l'extenue ,
Mugit , fe couche lentement ,
Tandis que la géniffe émue
Répond à fon mugiffement.
8
Du roffignol , que rien n'égale ,
Quand les accens charment nos bois ,
Le fon aigu de la cigale
A remplacé la douce voix.
44 MERCURE DE FRANCE.
Le ferpent qui fe renouvelle ,
Siffle , épouvante les pafteurs ;
Fier , au rayon qui le décele ,
Il oppofe mille couleurs.
Au fond de l'élement humide
Qu'attiédit la chaleur du jour ,
Sous l'algue le poiffon timide ,
Cherche à tempérer fon féjour.
D'une faiſon auſſi terrible
Je fupporterois la rigueur ;
Si Life à mes foupirs fenfible ;
S'attendriffoit en ma faveur .
Qu'Amour aux déferts de Lybie ,
Ou dans les climats les plus froids ,
Me mene au gré de fon envie ,
J'y fuis heureux , fi je t'y vois.
Quoique la, cime en foit brulée ;
Ce mont , par fon dos recourbé
Par cette ombrageufe vallée )
A la chaleur eft dérobé,
NOVEMBRE. 1755. 45
De ce côteau coule une fource ,
Dont la chute épure fes eaux
Et qui partagée en la courſe ,
Se répand en mille ruiffeaux,
Jamais la Bergere n'y mene
L'importun troupeau qui la fuit ;
La lune y paroît incertaine ,
Foiblement le foleil y luit.
Qu'en ces beaux lieux la nuit nous trompe ;
Qu'elle nous preſſe de jouir ;
Et qu'aucun fouci n'interrompe
Le moment heureux du plaifir.
Pourquoi chercher dans le nuage
Du fombre & douteux avenir ;
Il n'eft qu'un tems pour le bel âge ,
Life , l'amour doit le remplir,
Si le Dieu du Pinde m'inſpire ,
Si l'amour m'affure ta foi ,
Que le fort contre mor confpire ,
Je l'attends fans aucun effroi.
46 MERCURE DE FRANCE.
Ni le luxe de la richeſſe ,
Ni le faux éclat de l'honneur ,
Ni les glaces de la vieilleffe
Ne changeront jamais mon coeur.
Tout courbé , la tête chenue ,
Mon luth fléchira fous mes doigts ;
A fa corde alors mal tendue
J'accorderai ma foible voix.
Je chercherai l'amour encore
Dans ces beaux yeux moins empreffés ;
Et fur cette main que j'adore ,
Mes froids baifers feront tracés,
Grands Dieux , qu'aucun trouble n'altere ,
De nos maux , paiſibles témoins ,
Souffrez que mon luth , ma Bergere ,
Soient toujours l'objet de mes foins.
#
i
Que pour nous la parque moitis dure ,
D'un long fil couvre ſon fuſeau ,
Life , d'une flamme auffi pure
Je brulerai jufqu'au tombeau.
Pallu , de Poitiers.
Fermer
Résumé : TRADUCTION De l'Eté de M. l'Abbé Métastaze.
Le poème 'Des pleurs précieux de l'Aurore' de l'Abbé Métafaze, publié dans le Mercure de France en novembre 1755, décrit les effets dévastateurs de la chaleur estivale sur la nature. Les champs et les jardins ont perdu leur éclat, et les arbres ont perdu leur verdure. La chaleur intense rend les nuits étouffantes et les sources d'eau sont taries. Les animaux, tels que les taureaux et les chiens, souffrent de la chaleur. Les bergers et les moissonneurs cherchent refuge dans le sommeil. Le poète exprime son amour inconditionnel pour une personne, affirmant qu'il serait heureux en sa compagnie même dans les conditions les plus difficiles. Il souhaite que son amour reste pur et constant jusqu'à la fin de sa vie, malgré les épreuves.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer