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1
p. 151-178
Histoire des quatre Bouquets. [titre d'après la table]
Début :
Deux Dames jeunes, belles, bien faites, spirituelles, & de qualité [...]
Mots clefs :
Bouquet, Dames, Couvent, Plaisirs, Prix, Jardin, Galanterie, Fête, Boîte, Ruban, Divertissement public, Masque, Incognito, Faux personnages, Iconnues, Tenants, Marquis
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texteReconnaissance textuelle : Histoire des quatre Bouquets. [titre d'après la table]
Deux Dames, jeunes , bel- les, bien faites, ſpirituelles,&
de qualité, ayant leurs raiſons pour paſſer quelque temps dans un Convent à cinq ou fix lieuës de Paris, apprirent il y a quelques jours avec joye,
qu'un jeune Marquis , qui a
une affez belle Maiſon dans
leur voiſinage , faifoit une ré- joüiſſance le lendemain , qui eftoit le jourde fa Feſte. Com- me la retraite ne leur a pas oſté l'eſprit d'enjoüement , &
qu'elles ne laiſſent échaper aucune occafion de ſe faire
GALANT. 107
des plaiſirs de tout ce qui en.
peut caufer d'innocens , elles fongerent à quelque galante rie qui leur pût donner part au Divertiſſement qui ſe pré-- paroit. Le ſoin qu'elles eurent
de s'en faire inſtruire , leur fit
découvrir qu'il confiftoit en un grand Repas que le Mar- quis donnoit à quelques -uns de ſes Amis, dont onne leur
pût dire que le nom de trois ,
& que ſur les cinq heures du foir on ſe devoit rendre
dans la Plaine , où il y avoit un Prix proposé pour celuy qui montreroit le plus d'adref- ſe à tirer. Heureuſement pour elles , les trois Conviez qu'on
leur nomma eftoient de leur
connoiffance , elles en ſca- voient les Intrigues. Il s'agif- foit d'une Feſte qu'on cele
108 LE MERCVRE
broit ; la coûtume veut qu'on
envoyedes Bouquets, &ce fut ce qui leur donna la penſée de ce qu'elles ſe réſolurentd'e- xecuter. Elles entrerent dans
le Jardin , choiſirent ce qu'el- les crûrent propre à leur def- fein , en firent quatre Bouquets differents , avec un Bil- letpour chacun de ceux àqui ils estoientdeſtinez ,enferme
rent le tout dans une Boëte ,
la cacheterent fort propre- ment , &y joignirent une Let- tre generale pour la Bande joyeuſe qu'elles estoient bien aiſes d'embarafſfer. En voicy Fadreffe & les termes..
GALANT. 1.09
LES INCONNUES,
AUX QUATRE TENANS de la Feſte de ***
NOUSCON Ous croyons, Braves Tenans,
de noſtre honneſteté, ayant l'avantage d'estre de vos Voisines , de contribuer par
quelque galanterie au plaisir que vous vous proposez de donner aujourd'huy àtout le Canton,pour
y faire plus dignement chommer voſtre Feste ; &comme vous estes quatre Amis fort unis en toutes chofes , nous craindrions de vous donner un juſte ſujet de vous plaindre de nostre injustice , ſi nous faiſions en ce rencontre aucune difference entre vous, C'est
ce qui nous oblige à vous en- voyeràchacun un Bouquet. Con
110 LE MERCURE
vons nous
fiderez-les bien , &vous verrez Sans doute qu'il nous a fallu y
fonger plus d'une fois pour vous en choisir de tels. Si nous pou- ma Sœur & moy ,
dérober demain d'une partie de Chaſſe où noussommes engagées,
nous irons voir avec quelques Amis le cas que vous faites de nos Prefens. Nous esperons que vous ne dédaignerezpas de les porter. Sur tout fi nous allons à
la Feſte, ne nous obligezpoint à
nous démaſquer, fi nous trouvons àpropos de ne le pas faire. Nous avons interest à n'estre pas con- nuës de tout le monde. Adieu.
Cefont vos Servantes &Amies,
LESDAMES DU MONT BRILLANT , à deux lieuës de chez Vous que vous voiſinez affez
rarement.Celaſoit dit en paſſant.
2
Le
GALANT.. III
1
Le lendemainde grand ma tin ces deux belles Compa- gnesde fortune mirent la Let- tre & la Boëte entre les mains
d'un Homme inconnu qui ne manquoit pas d'adreſſe. Elles L'inſtruiſirent dece qu'il avoit à faire pour n'eſtre pas ſuivy ,
&luydonnerent ordre delaif- fer l'une & l'autre au premier qu'il trouveroit des Domeſtiques du jeune Marquis. La choſe réüffit comme on l'avoit
projettée. Le preſent fut ren- duauMarquis , fansqu'on luy puſt dire qui l'envoyoit. Ce- luyqui s'eneſtoit chargé , l'a- voit donné àunCocher pour ſon Maiſtre , & le Cocher ne s'eſtoit pas mis en peine d'en rien apprendre de plus. Le
Marquis ſe promenoit dans le Jardin avec ſes Amis ,quand Tome VI. K
112 LE MERCVRE
-
ce Preſent luy fut apporté.
C'eſtoit le jour de ſa Feſte.
Il ne douta point non plus qu'eux, que la Boëte ne fuft une marque du ſouvenir de quelqu'une de ſes Amies , &
dans cette penſée il receut avec plaifir les congratulations qu'ils luy en firent; mais il fut bien ſurpris, quand ayantjetté les yeux fur la Lettre , il vit qu'elle s'adreſſoit aux quatre Tenans. La nouveauté de ce
Titre luy fit aifément juger qu'il y avoit là de l'avanture.
Il en rit avec ſes Amis , la
Lettre fut leuë , &le myſtere leur enparut ſi plaiſant, qu'ils eurent impatience d'en voir la fuite. Ainfi quoy qu'ils dûf- ſent craindre de trouver quel- que folie dans la Boëte , ils ſe haterent del'ouvrir,fans qu'un
GALANT. 113 trou que ſe fit le Marquis par un faux pas fur le pommeau de l'Epée d'un Gentilhomme de la Compagnie , ny le fang qui fortoit de ſa bleffure , les puſt rendre moins empreſſez
àfatisfaire leur curiofité.Vous
rirezde ces circonstances,mais
elles font eſſentielles , parce qu'elles font vrayes , &je vous cõtenuëment les choſes comme elles font arrivées. A l'ouverture de la Boëte les Bouquets parurent. Ils étoientex traordinaires. Le premier qui en fut tire , eſtoit celuy du Maîtrede la Maiſon. Lesbelles Perſonnes qui les avoient mis par ordre dans la Boëte,
luy en avoient voulu faire T'honneur. Il conſiſtoit en un
beau Chardon noué d'un RuL
114 LE MERCURE
A
ban feüille-morte, avec ceBillet attaché autour.....
V
Oilà ,jeune Marquis un
petit Réveille-matin , pour
vous faire penser à voftre de- funteMaitreffe , qui cependant prend toute la part qu'elle doit à
tu magnificence dont vous faites parade enpublic. C'estune Vertu
qui ne manque jamais d'accom- pagner une belle Ame comme la voftre , à laquelle il ne man- que rien qu'un peu de veritable Amour, que nous voussouhaitons en bonnes Amies..
On plaiſanta fur ce Billet,
dont on chercha l'explication.
Je ne ſçay ſi elle fut trouvée,
mais je ſçay bien que le ſe- cond Bouquet qu'on tira étoit pour M le Comte de ***
GALANT. Hg
t
e
e.
Il eſtoit compofé de Sauge,
avec un Ruban vert , & ce
Billet.
C
E petit Ruban vert 3 cher
Comte , ne vous ofte pas tout-à-fait l'esperance de regagner les bonnes graces de vostre Maîtreſſe , &nous croyons que fi elle estoit perfuadée que vostre tendreſſe fust telle qu'elle la fou- haite,vous feriez heureux content. Espereztoûjours. 31
On luy applaudit fur PE pérance, &cependant on tira de la Boëte un Bouquet de Ruë , marqué pour un Cava- lier de la Troupe. UnRuban jaune qui le noioit , y tenoit ce Billet attache.hellier
30
116 LE MERCURE
Tous ne devez pas estre le
moins content de ce que vô- tre bonne fortune vous envoye le jaune , qui marque la pleinefatisfaction de vos Amours. Nous ne vous diſons rien de la Ruë ,
un Homme à bonne fortune com- me vous en peut quelquefois avoir beſoin. Si vous n'en sçavez pas l'explication, montrez-la à voſtre Maîtreffe. Elle vous dira fans
doute, que cela ne peutvenirque
des veritables Amies, &fort inzereßées pour vous.
On crût ceBilletmalicieux,
&chacun luy donna telle in- terpretation qu'il voulut , fans que le Cavalier qui entendoit raillerie s'en formalifaft, On
vint au dernier Bouquet , qui fe trouva une belle Ortie fleu
GALANT. 117
rie , noüée d'un Ruban couleur de chair paffé. Le Biller que ce Ruban enfermoit portoit le nomde Monfieur***,
que d'indiſpenſables affaires qui luy eſtoient inopinément furvenues , avoient empefche de venir au Rendez-vous. A
fon defaut , on ne voulut pas laiſſer le Bouquet ſans Maître,
&on pria un autre Comte ,
&un jeune Chevalier , qui avoient auſſi eſté priez de la Feſte , de voir entr'eux qui Faccepteroit. Ils s'en excuſeFent l'un &l'autre, &préten dirent que les termes duBillet
ne conviendroientpasà cequi leur pouvoit eſtre arrivé: On l'ouvrit , &ces paroles y fu- rent trouvées.
18 LE MERCURE
Nousne Ous ne voyons rien qui con- vienne mieuxàl'Amantdes
Onze mille Vierges, Monfieur ***
que cette agreable Ortie , pour moderer les chaleurs qu'il reffent
àcredit pour toutes les Belles.
:
Cesdivers Billets ſervirent
long-temps d'entretien à la Compagnie. Onſe mit àtable,
& les Tenans ne manquerent pas de boire à la fanté des Belles Inconnuës du Mont Brillant. Les ordres furent donnez
pour leur appreſter une ma- gnifique Collation quand elles viendroient à la Feſte , où l'on
ne douta point que l'impatien- ce de voir l'effet qu'auroit produit leurgalanterire ne les amenaſt. Cependant comme cesaimablesRecluſes n'étoient
GALANT. জ
119 pas enpouvoir defortirde leur Couvent , l'Avanture auroit finy là , fi le hazard qui ſe meſle prefquedetour, n'y euſt donnéordre.
1 Le grand chaud commen çant à ſe paffer, il y avoitdéja beaucoup de monde amafle dans la Plaine où l'on devoit
tirer pour leprix. LeComte&
leCavalierqui avoient eu part aux Bouquets , s'y estoient rendusdes premiers ,&ils rai- fonnoient enſemble fur l'incident de la Boëte , quandils ap- perçeurent deux Dames qui
コ
s'avançoient au petit galop avec deux Cavaliers , & en équipage à peu pres de Chaf- fereffes. Ils ne douterent point
S
a
qu'elles ne fuſſent les deux In- -connuës qu'ils attendoient , &
1 ils ſe confirmerent dans cette
1
120 LE MERCVRE
penſée en leur voyant mer- tre pied àterre, ce qu'elles fi- rent pourjoüir plus àleur aiſe duDivertiſſementpublic.Ou- tre l'intereſt particulier qu'ils avoient à nouer conversation
avecelles , la civilité ſeule les obligeoit à leur faire compli- ment,& ils le commencerent
par un remercîment de l'exa- Etitude qu'elles avoient euë à
venir s'acquiter de leur paro- le. Elles connurent d'abord
qu'on ſe méprenoit; mais com- me le Maſque les mettoit en feureté , elles ſe firent unplai- firde cette méprife , &voulant voir juſqu'où elle pourroit al- ler , elles répondirent d'une manierequi nedétrompa point les deux Tenans. Elles avoient
de l'eſprit ; un Rôle d'Avan- turieres leur parut plaiſant à
GALANT. 121
joüer , &elles n'eurent pasde peine à le ſoûtenir. Il fut dit mille choſes agreables de part &d'autre. Le Comte les affuraqu'ilgarderoit fort ſoigneu ſement le Ruban vert , & leur promit d'eſperer fur leur pa role. Le Cavalier fit avec
elles de ſon coſté une plai- ☐ ſanterie ſur la Ruë , & ny la Ruë , ny le Ruban vert ne les pûrent déconcerter. El- les ſe tirerent de toutpar des réponſes ambiguës ; & leurs Conducteurs qui ne parloient point , ne pouvoient s'empef- cher de rire de les voir fournir fi long-temps àun galima- tias , où ils eſtoient afſfurez qu'elles ne comprenoient rien non plus qu'eux. Enfin ſur le refus qu'elles firent de ſe dé- maſquer , &devenir au Châe
t
t
2
122 LE MERCURE
teau prendre la Collation qui leur eſtoit préparée, le Comte &leCavalier crûrentquec'é- toit au Marquis à faire les honneurs de ſa Feſte , & ils
coururent l'avertir de leur arrivée. Les Dames prirent ce temps pour s'échaper ; elles n'avoient eu deſſein quede ſe divertiruneheure incognito , &
jugeant bienque le Marquis ,
oules feroit ſuivre , oules ob- ſerveroit de ſi pres , qu'il feroit difficilequ'il neles reconnuſt,
elles aimerent mieuxſe priver du plaiſir qu'elles avoient ef- pere, que de s'expoſer àfaire voir qu'elles avoient joüé de faux Perſonnages. Ainſi le Marquis ne les trouva plus quand il arriva , & il n'auroit pas ſçeuqui elles estoient , fans unGentilhõmequi ſurvint,&
qui
GALANT. 123
-
L
qui venant de les rencontrer,
leur dit que c'eſtoient ſes Sœurs , avec le Maryde l'une,
&un Amy. Comme il ne pa- rut aucune autre Damedu re
- ſte dujour, le Marquis , quoy qu'étonné de la promptitude de leur retraite , n'imputa qu'à elles la galanterie des Bou- quets ; & leur rendit viſite le lendemain avec les trois autres
Intéreſſez. Le galimatias s'y recommança. Elles en rirent quelque temps , mais enfin el- ☑les leur proteſterent ſi ſérieu- ſement qu'elles ne ſçavoient ce qu'on leur diſoit , que les Tenans furentobligez de cher- cher ailleurs leurs inconnuës.
Leur embarras ne ceffa point,
quelque recherche qu'ils fif- 5 ſent dans le voiſinage , juſqu'à ce qu'eſtant allez voir les deux
-Tome VI.
a
a
L
124 LE MERCVRE belles Recluſes au Couvent ,
ils connurent à quelques pa- roles de Sauge & de Chardon qui leur échapa, que c'eſtoient elles quilesavoient régalez de fi beaux Bouquets. Vn grand éclat de rire dont elles ne pû- rent ſe defendre , acheva de les perfuader. Ils en raillerent avec elles , & apres quelques legeres façons,elles leuravoue- rent ce qu'ils n'auroient peut- eſtre jamais ſçeu , fi elles ſe fuſſent obſtinées à le cacher
de qualité, ayant leurs raiſons pour paſſer quelque temps dans un Convent à cinq ou fix lieuës de Paris, apprirent il y a quelques jours avec joye,
qu'un jeune Marquis , qui a
une affez belle Maiſon dans
leur voiſinage , faifoit une ré- joüiſſance le lendemain , qui eftoit le jourde fa Feſte. Com- me la retraite ne leur a pas oſté l'eſprit d'enjoüement , &
qu'elles ne laiſſent échaper aucune occafion de ſe faire
GALANT. 107
des plaiſirs de tout ce qui en.
peut caufer d'innocens , elles fongerent à quelque galante rie qui leur pût donner part au Divertiſſement qui ſe pré-- paroit. Le ſoin qu'elles eurent
de s'en faire inſtruire , leur fit
découvrir qu'il confiftoit en un grand Repas que le Mar- quis donnoit à quelques -uns de ſes Amis, dont onne leur
pût dire que le nom de trois ,
& que ſur les cinq heures du foir on ſe devoit rendre
dans la Plaine , où il y avoit un Prix proposé pour celuy qui montreroit le plus d'adref- ſe à tirer. Heureuſement pour elles , les trois Conviez qu'on
leur nomma eftoient de leur
connoiffance , elles en ſca- voient les Intrigues. Il s'agif- foit d'une Feſte qu'on cele
108 LE MERCVRE
broit ; la coûtume veut qu'on
envoyedes Bouquets, &ce fut ce qui leur donna la penſée de ce qu'elles ſe réſolurentd'e- xecuter. Elles entrerent dans
le Jardin , choiſirent ce qu'el- les crûrent propre à leur def- fein , en firent quatre Bouquets differents , avec un Bil- letpour chacun de ceux àqui ils estoientdeſtinez ,enferme
rent le tout dans une Boëte ,
la cacheterent fort propre- ment , &y joignirent une Let- tre generale pour la Bande joyeuſe qu'elles estoient bien aiſes d'embarafſfer. En voicy Fadreffe & les termes..
GALANT. 1.09
LES INCONNUES,
AUX QUATRE TENANS de la Feſte de ***
NOUSCON Ous croyons, Braves Tenans,
de noſtre honneſteté, ayant l'avantage d'estre de vos Voisines , de contribuer par
quelque galanterie au plaisir que vous vous proposez de donner aujourd'huy àtout le Canton,pour
y faire plus dignement chommer voſtre Feste ; &comme vous estes quatre Amis fort unis en toutes chofes , nous craindrions de vous donner un juſte ſujet de vous plaindre de nostre injustice , ſi nous faiſions en ce rencontre aucune difference entre vous, C'est
ce qui nous oblige à vous en- voyeràchacun un Bouquet. Con
110 LE MERCURE
vons nous
fiderez-les bien , &vous verrez Sans doute qu'il nous a fallu y
fonger plus d'une fois pour vous en choisir de tels. Si nous pou- ma Sœur & moy ,
dérober demain d'une partie de Chaſſe où noussommes engagées,
nous irons voir avec quelques Amis le cas que vous faites de nos Prefens. Nous esperons que vous ne dédaignerezpas de les porter. Sur tout fi nous allons à
la Feſte, ne nous obligezpoint à
nous démaſquer, fi nous trouvons àpropos de ne le pas faire. Nous avons interest à n'estre pas con- nuës de tout le monde. Adieu.
Cefont vos Servantes &Amies,
LESDAMES DU MONT BRILLANT , à deux lieuës de chez Vous que vous voiſinez affez
rarement.Celaſoit dit en paſſant.
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Le
GALANT.. III
1
Le lendemainde grand ma tin ces deux belles Compa- gnesde fortune mirent la Let- tre & la Boëte entre les mains
d'un Homme inconnu qui ne manquoit pas d'adreſſe. Elles L'inſtruiſirent dece qu'il avoit à faire pour n'eſtre pas ſuivy ,
&luydonnerent ordre delaif- fer l'une & l'autre au premier qu'il trouveroit des Domeſtiques du jeune Marquis. La choſe réüffit comme on l'avoit
projettée. Le preſent fut ren- duauMarquis , fansqu'on luy puſt dire qui l'envoyoit. Ce- luyqui s'eneſtoit chargé , l'a- voit donné àunCocher pour ſon Maiſtre , & le Cocher ne s'eſtoit pas mis en peine d'en rien apprendre de plus. Le
Marquis ſe promenoit dans le Jardin avec ſes Amis ,quand Tome VI. K
112 LE MERCVRE
-
ce Preſent luy fut apporté.
C'eſtoit le jour de ſa Feſte.
Il ne douta point non plus qu'eux, que la Boëte ne fuft une marque du ſouvenir de quelqu'une de ſes Amies , &
dans cette penſée il receut avec plaifir les congratulations qu'ils luy en firent; mais il fut bien ſurpris, quand ayantjetté les yeux fur la Lettre , il vit qu'elle s'adreſſoit aux quatre Tenans. La nouveauté de ce
Titre luy fit aifément juger qu'il y avoit là de l'avanture.
Il en rit avec ſes Amis , la
Lettre fut leuë , &le myſtere leur enparut ſi plaiſant, qu'ils eurent impatience d'en voir la fuite. Ainfi quoy qu'ils dûf- ſent craindre de trouver quel- que folie dans la Boëte , ils ſe haterent del'ouvrir,fans qu'un
GALANT. 113 trou que ſe fit le Marquis par un faux pas fur le pommeau de l'Epée d'un Gentilhomme de la Compagnie , ny le fang qui fortoit de ſa bleffure , les puſt rendre moins empreſſez
àfatisfaire leur curiofité.Vous
rirezde ces circonstances,mais
elles font eſſentielles , parce qu'elles font vrayes , &je vous cõtenuëment les choſes comme elles font arrivées. A l'ouverture de la Boëte les Bouquets parurent. Ils étoientex traordinaires. Le premier qui en fut tire , eſtoit celuy du Maîtrede la Maiſon. Lesbelles Perſonnes qui les avoient mis par ordre dans la Boëte,
luy en avoient voulu faire T'honneur. Il conſiſtoit en un
beau Chardon noué d'un RuL
114 LE MERCURE
A
ban feüille-morte, avec ceBillet attaché autour.....
V
Oilà ,jeune Marquis un
petit Réveille-matin , pour
vous faire penser à voftre de- funteMaitreffe , qui cependant prend toute la part qu'elle doit à
tu magnificence dont vous faites parade enpublic. C'estune Vertu
qui ne manque jamais d'accom- pagner une belle Ame comme la voftre , à laquelle il ne man- que rien qu'un peu de veritable Amour, que nous voussouhaitons en bonnes Amies..
On plaiſanta fur ce Billet,
dont on chercha l'explication.
Je ne ſçay ſi elle fut trouvée,
mais je ſçay bien que le ſe- cond Bouquet qu'on tira étoit pour M le Comte de ***
GALANT. Hg
t
e
e.
Il eſtoit compofé de Sauge,
avec un Ruban vert , & ce
Billet.
C
E petit Ruban vert 3 cher
Comte , ne vous ofte pas tout-à-fait l'esperance de regagner les bonnes graces de vostre Maîtreſſe , &nous croyons que fi elle estoit perfuadée que vostre tendreſſe fust telle qu'elle la fou- haite,vous feriez heureux content. Espereztoûjours. 31
On luy applaudit fur PE pérance, &cependant on tira de la Boëte un Bouquet de Ruë , marqué pour un Cava- lier de la Troupe. UnRuban jaune qui le noioit , y tenoit ce Billet attache.hellier
30
116 LE MERCURE
Tous ne devez pas estre le
moins content de ce que vô- tre bonne fortune vous envoye le jaune , qui marque la pleinefatisfaction de vos Amours. Nous ne vous diſons rien de la Ruë ,
un Homme à bonne fortune com- me vous en peut quelquefois avoir beſoin. Si vous n'en sçavez pas l'explication, montrez-la à voſtre Maîtreffe. Elle vous dira fans
doute, que cela ne peutvenirque
des veritables Amies, &fort inzereßées pour vous.
On crût ceBilletmalicieux,
&chacun luy donna telle in- terpretation qu'il voulut , fans que le Cavalier qui entendoit raillerie s'en formalifaft, On
vint au dernier Bouquet , qui fe trouva une belle Ortie fleu
GALANT. 117
rie , noüée d'un Ruban couleur de chair paffé. Le Biller que ce Ruban enfermoit portoit le nomde Monfieur***,
que d'indiſpenſables affaires qui luy eſtoient inopinément furvenues , avoient empefche de venir au Rendez-vous. A
fon defaut , on ne voulut pas laiſſer le Bouquet ſans Maître,
&on pria un autre Comte ,
&un jeune Chevalier , qui avoient auſſi eſté priez de la Feſte , de voir entr'eux qui Faccepteroit. Ils s'en excuſeFent l'un &l'autre, &préten dirent que les termes duBillet
ne conviendroientpasà cequi leur pouvoit eſtre arrivé: On l'ouvrit , &ces paroles y fu- rent trouvées.
18 LE MERCURE
Nousne Ous ne voyons rien qui con- vienne mieuxàl'Amantdes
Onze mille Vierges, Monfieur ***
que cette agreable Ortie , pour moderer les chaleurs qu'il reffent
àcredit pour toutes les Belles.
:
Cesdivers Billets ſervirent
long-temps d'entretien à la Compagnie. Onſe mit àtable,
& les Tenans ne manquerent pas de boire à la fanté des Belles Inconnuës du Mont Brillant. Les ordres furent donnez
pour leur appreſter une ma- gnifique Collation quand elles viendroient à la Feſte , où l'on
ne douta point que l'impatien- ce de voir l'effet qu'auroit produit leurgalanterire ne les amenaſt. Cependant comme cesaimablesRecluſes n'étoient
GALANT. জ
119 pas enpouvoir defortirde leur Couvent , l'Avanture auroit finy là , fi le hazard qui ſe meſle prefquedetour, n'y euſt donnéordre.
1 Le grand chaud commen çant à ſe paffer, il y avoitdéja beaucoup de monde amafle dans la Plaine où l'on devoit
tirer pour leprix. LeComte&
leCavalierqui avoient eu part aux Bouquets , s'y estoient rendusdes premiers ,&ils rai- fonnoient enſemble fur l'incident de la Boëte , quandils ap- perçeurent deux Dames qui
コ
s'avançoient au petit galop avec deux Cavaliers , & en équipage à peu pres de Chaf- fereffes. Ils ne douterent point
S
a
qu'elles ne fuſſent les deux In- -connuës qu'ils attendoient , &
1 ils ſe confirmerent dans cette
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120 LE MERCVRE
penſée en leur voyant mer- tre pied àterre, ce qu'elles fi- rent pourjoüir plus àleur aiſe duDivertiſſementpublic.Ou- tre l'intereſt particulier qu'ils avoient à nouer conversation
avecelles , la civilité ſeule les obligeoit à leur faire compli- ment,& ils le commencerent
par un remercîment de l'exa- Etitude qu'elles avoient euë à
venir s'acquiter de leur paro- le. Elles connurent d'abord
qu'on ſe méprenoit; mais com- me le Maſque les mettoit en feureté , elles ſe firent unplai- firde cette méprife , &voulant voir juſqu'où elle pourroit al- ler , elles répondirent d'une manierequi nedétrompa point les deux Tenans. Elles avoient
de l'eſprit ; un Rôle d'Avan- turieres leur parut plaiſant à
GALANT. 121
joüer , &elles n'eurent pasde peine à le ſoûtenir. Il fut dit mille choſes agreables de part &d'autre. Le Comte les affuraqu'ilgarderoit fort ſoigneu ſement le Ruban vert , & leur promit d'eſperer fur leur pa role. Le Cavalier fit avec
elles de ſon coſté une plai- ☐ ſanterie ſur la Ruë , & ny la Ruë , ny le Ruban vert ne les pûrent déconcerter. El- les ſe tirerent de toutpar des réponſes ambiguës ; & leurs Conducteurs qui ne parloient point , ne pouvoient s'empef- cher de rire de les voir fournir fi long-temps àun galima- tias , où ils eſtoient afſfurez qu'elles ne comprenoient rien non plus qu'eux. Enfin ſur le refus qu'elles firent de ſe dé- maſquer , &devenir au Châe
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122 LE MERCURE
teau prendre la Collation qui leur eſtoit préparée, le Comte &leCavalier crûrentquec'é- toit au Marquis à faire les honneurs de ſa Feſte , & ils
coururent l'avertir de leur arrivée. Les Dames prirent ce temps pour s'échaper ; elles n'avoient eu deſſein quede ſe divertiruneheure incognito , &
jugeant bienque le Marquis ,
oules feroit ſuivre , oules ob- ſerveroit de ſi pres , qu'il feroit difficilequ'il neles reconnuſt,
elles aimerent mieuxſe priver du plaiſir qu'elles avoient ef- pere, que de s'expoſer àfaire voir qu'elles avoient joüé de faux Perſonnages. Ainſi le Marquis ne les trouva plus quand il arriva , & il n'auroit pas ſçeuqui elles estoient , fans unGentilhõmequi ſurvint,&
qui
GALANT. 123
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L
qui venant de les rencontrer,
leur dit que c'eſtoient ſes Sœurs , avec le Maryde l'une,
&un Amy. Comme il ne pa- rut aucune autre Damedu re
- ſte dujour, le Marquis , quoy qu'étonné de la promptitude de leur retraite , n'imputa qu'à elles la galanterie des Bou- quets ; & leur rendit viſite le lendemain avec les trois autres
Intéreſſez. Le galimatias s'y recommança. Elles en rirent quelque temps , mais enfin el- ☑les leur proteſterent ſi ſérieu- ſement qu'elles ne ſçavoient ce qu'on leur diſoit , que les Tenans furentobligez de cher- cher ailleurs leurs inconnuës.
Leur embarras ne ceffa point,
quelque recherche qu'ils fif- 5 ſent dans le voiſinage , juſqu'à ce qu'eſtant allez voir les deux
-Tome VI.
a
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L
124 LE MERCVRE belles Recluſes au Couvent ,
ils connurent à quelques pa- roles de Sauge & de Chardon qui leur échapa, que c'eſtoient elles quilesavoient régalez de fi beaux Bouquets. Vn grand éclat de rire dont elles ne pû- rent ſe defendre , acheva de les perfuader. Ils en raillerent avec elles , & apres quelques legeres façons,elles leuravoue- rent ce qu'ils n'auroient peut- eſtre jamais ſçeu , fi elles ſe fuſſent obſtinées à le cacher
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Résumé : Histoire des quatre Bouquets. [titre d'après la table]
Le texte narre une aventure impliquant deux dames de qualité résidant dans un couvent près de Paris. Elles apprennent qu'un jeune marquis organise une fête à proximité et décident de participer. La fête consiste en un repas suivi d'un concours de tir. Les trois invités principaux étant de leur connaissance, elles choisissent de leur envoyer des bouquets accompagnés de billets mystérieux. Elles préparent quatre bouquets distincts, chacun avec un message personnalisé, et les font livrer anonymement au marquis. Le jour de la fête, les bouquets sont remis au marquis et à ses amis. Les messages, humoristiques et énigmatiques, suscitent la curiosité et les rires des invités. Par exemple, le bouquet du marquis contient un chardon symbolisant sa maîtresse absente, tandis que celui du comte de *** inclut de la sauge et un ruban vert, suggérant l'espoir de regagner les faveurs de sa maîtresse. Le soir même, deux dames masquées assistent à la fête mais refusent de se démasquer. Elles entretiennent la confusion en répondant de manière ambiguë aux questions des invités. Plus tard, un gentilhomme révèle que les dames masquées sont ses sœurs, mettant fin à l'énigme. Le marquis et ses amis rendent visite aux dames au couvent, où des indices les confirment comme étant les auteurs des bouquets.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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p. 14-43
Histoire de la fausse Provençale. [titre d'après la table]
Début :
Si tout le monde suivoit ces Maximes, l'Amour ne causeroit [...]
Mots clefs :
Jaloux, Aventure, Fausse provençale, Dame, Absence, Occasion, Divertissement, Coquette, Venger, Couvent, Paris, Incognito, Mari, Outrage
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texteReconnaissance textuelle : Histoire de la fausse Provençale. [titre d'après la table]
Si tout le monde ſuivoit ces
Maximes , l'Amour ne cauſeroit
pas tant de malheurs , & l'em- portement inconſideré d'un Ja-
GALANT.
loux n'auroit pas donné lieu à
l'Avanture que vous allez entendre.
Une Dame bien faite , jolie,
ſpirituelle , enjoüée, vertueuſe dans le fond , mais ayant l'air du monde , & trouvant un plaifir ſenſible à s'entendre conter des
douceurs , ne pût s'empeſcher de s'abandonner à fon panc panchant
1
pendant l'absence de fonMary,
que d'importantes affaires a->
voient appellé pour quelques mois dans le Languedoc. II ai- thoit ſa Femme , & elle meritoit
bien qu'il l'aimaſt; mais foit ja- loufie,ſoit délicateſſe trop ſcru- puleuſe ſur le point-d'honneur,
il eſtoit ſevere pour ce qui regar- doit ſa conduite , &il l'obligeoit àvivre dans une regularite un peu eloignée des innocentes li- bertez qu'elle auroit crû pouvoir A vj
12 LE MERCVRE
s'accorder. Ainſi il ne faut pas eſtre ſurpris , ſi ſe voyant mai- ſtreſſe de ſes actions par ſon de- part , elle n'euſt pas tous les ſcru- pules qu'il avoit tâché de luy donner. Elle estoit née pour la joye , l'occafion estoit favorable,
& elle crût qu'il luy devoit eſtre permis de s'en fervir. Elle eut pourtant ſoin d'éviter l'éclat , &
ne voulut recevoir aucune viſite
chez elle; mais elle avoir des Amies,ces Amies voyoient le beau monde,& l'enjoûmentde ſon hu- meur joint aux agrémens de f
Perſonne,fit bientôt l'effet qu'er- lefouhaitoit. On la vit, elle plût,
on luy dit qu'elle estoit belle ,
fans qu'elle témoignaſt s'en fa- cher ; les tendres déclarations
ſuivirent, elle les reçeuten Fem-- me d'eſprit qui veut en profiter ſans ſe commettre; & là-deffus,
GALAN T. 13
grands deſſeins de s'en faire ai- mer. Promenades , Comédies ,
Opéra , Feſtes galantes , tout eft mis en uſage , & c'eſt tous les jours quelque nouveau Divertiſ- fement. Cette maniere de vie
auffi agreable que comode , avoit pour elle une douceur merveil- leuſe , & jamais Femme ne s'ac- commoda mieux de l'absence de
fon Mary. Les plus éclairez pour- tant en fait deGalanterie , s'ap- perceurentbientôtqu'il n'yavoit que des paroles à eſperer d'elle.. Hs l'en eſtimerent davantage , &
n'eneurentpas moins d'empref- ſement à ſe rendre où ils cro
yoientladevoirtrouver. Juſque-- làtoutalloit le mieuxdu monde;
mais cequi gaſta tout, ce fut un de ces Meſſieurs du bel air ,
qui fottement amoureux d'eux- mefmes fur leurs propres com
14 LE MERCVRE
1
plaiſances , s'imaginent qu'il n'y a point de Femmes à l'épreuve de leurs douceurs, quand ils dai- gnent ſe donner la peine d'en conter. Celuy-cy , dontune Per- ruque blonde , des Rubans bien compaſſez , & force Point de France répandu par tout , fai- foient le merite le pluséclatant,
ſe tenoit fi fort aſſuré des faveurs
delaBelledont il s'agit , ſurquel- ques Réponſes enjoüées qu'il n'avoit pas eu l'eſprit de com- prendre , qu'il ſe hazarda unjour àpouffer les affaires un peu trop loin. La Damele regarda fiere- ment, changea de ſtile , prit fon ſérieux , & rabatit tellement fa
vanité , qu'il endemeura incon- folable. Il ſe croyoit beau , &
troppleinduridicule entêtement qu'il avoit pour luy , il ne trou voit pas vray-femblable qu'il ſe
GALANT. IS fuſt offert ſans qu'on euſt ac- cepté leParty. Il examinade plus pres les manieres de la Dame, la vit de belle humeur avec ceux
qu'il regardoit comme ſes Ri- vaux; &fans fonger qu'ils ne luy avoient pas donné les meſmes ſujets de plainte que luy , impu- tant àquelque préoccupation de cœur ce qui n'eſtoit qu'un effet de ſa vertu , il prit conſeil de ſa jalousie ,&ne chercha plusque
ſe vangerde l'aveuglement qu'el le avoit de faire des Heureux
ſon préjudice. Il entrouva l'occa- fion &plus prompte & toute au- tre qu'il ne l'eſperoit. La Dame eſtoit allée àune Partie de Campagne pour quelques jours avec une Amie.Par malheur pour elle,
ſonMary revint inopinementde Laguedoc le lendemain de cette Partie.Il fut furpris de ne la point
16 LE MERCVRE
rencontrer en arrivant. Cellequi
l'avoit emmenée hors de Paris
eſtoit un peu en réputation de Coquete. Le chagrin le prit. II forma des ſoupçons , & il y fut confirmé par l'amant jaloux,qur ayant ſçeu ſon retour , fut des premiers à le voir. Comme ils avoient toûjours veſcu enſemble • avec affez de familiarité , le Mary ne luy cacha point la mau- vaife humeur où le mettoit l'imprudente Promenade de fa Fem- me. Cet infidelle Amy qui ne cherchoit qu'à ſe vanger d'elle,
crût qu'il ne pouvoit prendre mieux ſon temps. Illa juſtifie en apparence , & entrant dans le détail de toutes les Connoiffan
ces qu'elle a faitesdepuisſonde- part,pour prévenir,dit-il,les mé- chans contes que d'indifcrets Zélez luy enpourroient faire, il
GALANT. 17 டர்
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S
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{
les excuſe d'une maniere qui la rend coupable de tout ce qu'il feint de vouloirqu'il croye innocent. LeMary prend feu. Quel- ques petites railleries que d'au- tres luy font , &qui ont du ra port avec cette premiere accufa- tion, achevent de lebleſſer iufqu'au vif. Il s'emporte,il fulmine,
&il auroit pris quelque réfolu- tion violente , ſi ſes veritables Amisn'euffentdétournélecoup.
Tout ce qu'ils peuvent gagner pourtant , c'eſt qu'en attendant qu'il foit éclaircydes prétenduës galanteries de ſa Femme, elle ira fe mettredans unCouvent qu'il
feur nomme à douze ou quinze
lieuës de Paris. Deux Parétes des
plus prudes ſe chargent de luy porter l'ordre, & de le faire exe- cuter.La Dame qui connoiſſoit la
ſeverité de fon Mary, ne balance
18 LE MERCVRE
point àfaire ce qu'il fouhaite. La voilàdans le Couvent, dont heu- reuſement pour elle l'Abbeffe eſtoit Sœurd'un de ceuxqui luy en avoiét leplus conté,quoyque ce comercefut demeuréinconnu à l'Amant jaloux. Ainfi elle ne manqua pas de Lettres de faveur pour tous les Privileges qui pou- voient luy eſtre accordez. Elle p'avoit pas trop beſoin d'une re- commandation particuliere. Ses manieresengageantes & flaten- ſes en estoient une tres-forte
pour elle , &il ne falloit rien da- vantage pour la faire aimer de toutle Couvent. C'eſtoit une neceſſité pour elle d'y paſſer quel que temps , elle aimoit les plai- firs , &elle s'en fit de tout ce qui en peut donner dans la retraite.
Elle noüa fur tout amitié avec
une jeune Veuve Provençale ,
GALANT. 19
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Penſionaire du Couventcomme
elle. Son langage la charmatelle- ment ( iln'y en a point de plus agreable pour les Dames ) qu'elle s'attacha à l'étudier ; &comme il
ne faut quevouloir fortement les,
choſes poury réüſſir, elle s'y ren- dit ſi ſçavante entrois mois,qu'on l'eut priſe pour une Provençale originaire. Cependant il y en a- voit déja fix qu'elle estoit réclu-- ſe. Sa priſon l'ennuyoit , & elle fuccomba à la tentation de venir
à Paris incognito paſſer quinze jours avecſes Amies. L'Abbeſſe,
quoy qu'avec un peude peine,
luy accorda ce congé à l'inſtante follicitation de ſon Frere , à qui elle devoit ce qu'elle eſtoit. Elle ſe précautione pour n'eſtre point découverte. Une Amie avecqui elle concerte ſon deſſein , & qui ſe charge de luy faire donner
20 LE MERCVRE
tin Apartement en lieu où elle ne ſoit connue d'aucun Domeſtique , la va prendre à deux lieuës de Paris , &la mene chez la Femme d'un vieux Conſeiller,
qui ne l'ayant jamais veuë , la reçoit comme une Dame qui ar- rive nouvellementde Provence.
Grande amitié quiſe lie entr'el- les. Il n'eſt parlé quede la belle Provençale , c'eſt fous ce nom qu'on fonge à la divertir , & elle joüefi bien fon perſonnage, que ne voyant que trois ou quatre deſes plus particuliers Amisqui font avertis de tour , il eſt impoffible qu'on la ſoupçonne de n'eſtre pas ce qu'elle ſedit. Tout contribuë àmettre ſon ſecret en
aſſurance. Lequartier oùelle lo- ge eft fort éloigné deſon Mary,
elle ne fort jamais que maſquée avec la Femmedu Confeiller, &
GALANT. 21
T
quandelle fait quelque Partie de promenade avec ſon Amie , ce font tous Gens choiſfis qui en font , & leur indifcretion n'eſt
point à craindre pour elle. Trois ſemaines ſe paſſent de cette for- te. Elle prend ſes meſures pour toutes les choſes qui peuvent obliger ſon Mary à la rapeler au- pres de luy , & feignant tout-à- coup d'avoir reçeu des nouvel- les qui la preſſent de ſe rendre en Provence, elle ſe diſpoſeà s'aller renfermer dans le Couvent. Le
joureſt pris pour cela. Elle doit aller coucher avec ſon Amie à
cinq ou fix lieuës de Paris , &
les adieux ſont déja à demy-faits ſans qu'on ait rien découvert de ce qu'elle a intereſt à tenir ca- ché. Dans cettediſpoſition qui euſt pû prévoir ce qui luy arri-
:
ve ? SonMary avoit un Procés,
22 LE MERCVRE
le Conſeiller qui la loge en eft nommé Raporteur ; il cherche accés aupresde luy , & s'adreffe àunGentilhomme avec qui il a
fait connoiffance en Langue- doc , &qu'il ſçait eſtre le tout- puiſſant dans cette Maiſon. Le Gentilhomme prend volontiers cette occafion defaire valoir fon
credit , & ils vont enſemble chez
le Conſeiller le jour meſme que la fauſſe Provençale doit par tir. Le Conſeiller s'eſtoit enfermé dans ſon Cabinet au re
tourduPalais pour une Affaire qu'il falloit neceſſairement qu'il examinaſt ſur l'heure. Il eſtoit
queſtion d'attendre. Le Gentil- homme pour mieux fervir fon
Amy , le mene àl'Apartementde Madame qu'il veut mettre dans ſes intereſts. Commeil y entroit fansfaçon à toutes les heurés du
GALAN T. 23
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n
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↑ jour , il y monte ſansqu'elle en ſoit avertie , & il la ſurprend avec la fauſſe Provençale , qui ne s'attendoit à rien moins qu'à une viſite de fon Mary. Jugez de t- la ſurpriſe de l'un &de l'autre.
Le Mary ne ſçait où il eneſt. Il regarde , reconnoiſt ſa Femme,
& troublé d'une rencontre fi
inopinée , il oublie ſon Procés,
&n'écoute preſque pointce que ſon Amyditen ſa faveur.La Da- men'eſt pas moins embaraffée de ſon coſté, mais comme elle voit le
pas dangereux pour elle , felle n'yremedieparſoneſprit, elle ne ſe déconcerte point , & parlant ProvençalauGentilhomme qu'- elle adéjaveu pluſieurs fois , elle luyditcentplaifanteries quimet- tent le Mary dans un embarras nouveau. Il demande tout bas à
fon Amyqui elleeft ,&il luy réコー
é
il
t
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1
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24 LE MERCVRE
pond de fi bonne foy ( comme il le croit ) que c'eſt une Dame de Provence venuë à Paris pour af- faires , que fon langage ſervant âconfirmer ce qu'il luy dit , il commence à croire que la ref- ſemblance des traits àpû le trom- per , &il nes'en fautgueremefmequ'il ne lestrouve moins ref- ſemblans qu'ils ne luy ont paru d'abord. Il s'approche d'elle, l'e- xamine, luy parle ; & le Gentil- homme luy ayant dit qu'il falloit qu'elle follicitaſt pour ſon Amy,
elle prometde s'y employercom- me si c'eſtoit ſon affaire propre.
Elle tientparole , & le Confeil .
ler entrant , c'eſt elle qui com- mence la follicitation; mais elle
lefait avectant de grace& avec une telle libertéd'eſprit , que ſon Mary ne peut croire que ſi elle eſtoit ſa Femme , elle euſt pû ſe poffe
GALANT. 25
د
poſſeder affez pourpouffer le dé- guiſementjuſque-là. Il fort tres- - fatisfait du Conſeiller ; & pour = n'avoir aucun ſcrupule d'eſtre la Dupedecerterencontre , il ſe ré- foutd'allerdésle lendemaintrouver ſa Femme au Couvent. Elle
y met ordre par la promptitude de fon retour &devinant ce
qu'il eſt capable de faire pour s'éclaircir , au lieu d'aller coucher où ſon Amie la devoit
ner , elle marche toute la nuit,
&arrive de tres-grand matin Couvent. L'Abbeſſe à qui elle rend compte de tout , inſtruit la Tourierede ce qu'elle doit dire,
ſi quelqu'un la vientdemander.
SonMary fait diligence , & arri- ve fix heures apres elle. Il vient au Parloir. Onlayditque faFem- men'a preſque point quité le Lit depuis huit jours , à cauſe d'une
Tome VII. B
26 LE MERCV RE
legere indiſpoſition , & elle pa- roît un quart-d'heure apres en coifure de Convalefcente. La fatigue du voyage , & le manque dedormir pendant toute la nuit paſſée , l'avoient un peu abatuë.
Cela vint le plus à propos du monde. Comme ſon Mary ne luy trouva nyles meſmes ajuſtemens,
nyla meſmevivacité de teint qui l'avoit ébloüy le jour précedent dans la Provençale , il fut aifé- mentperfuadé qu'il y avoit eude l'erreur dans ce qu'il s'en eſtoit figuréd'abord. Cependant il avoit remarqué tant de merite dans cette prétenduë Provençale , &
il en eſtoit tellement touché ; que ſe tenant trop heureux de poffe- derune Perſonne qui luy reffem- bloit , & eſtant d'ailleurs con- vaincuqu'il y avoit eu plus d'im- prudence que de crime dans la
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conduite de ſa Femme , il luy dit les chofes les plus touchantes pour luy faire oublier ce que fix
mois de clôture luy avoient pû cauſer de chagrin. Elle garde quelque temps ſon ſérieux avec luy, luy fait ſes plaintes en bon accent François de ſon injurieux procedé , & apres quelques feints refus de luy pardonner fi-toſt un outragequi avoit faittantde tort àſa reputation , elle ſe rend aux preſſans témoignages de ſa ten-- dreſſe , & retourne avec luy le lendemain à Paris. Il luy conte
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S l'Avanture de la Provençale qu'il
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prometde luy faire voir , & il de- meure un peu interdit , quand l'eſtant allé demander chez le
Conſeiller , il apprend que ſes
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affaires l'avoient rapelée enPro- vence. Je ne ſçay ſi undepart 6
prompt luy a fait ſoupçonner
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quelque choſe , mais il en uſe tres-bien avec ſa Femme , & il
luy laiſſe mefme plus de liberté qu'il neluy enſoufroit avant fon voyagede Languedoc
Maximes , l'Amour ne cauſeroit
pas tant de malheurs , & l'em- portement inconſideré d'un Ja-
GALANT.
loux n'auroit pas donné lieu à
l'Avanture que vous allez entendre.
Une Dame bien faite , jolie,
ſpirituelle , enjoüée, vertueuſe dans le fond , mais ayant l'air du monde , & trouvant un plaifir ſenſible à s'entendre conter des
douceurs , ne pût s'empeſcher de s'abandonner à fon panc panchant
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pendant l'absence de fonMary,
que d'importantes affaires a->
voient appellé pour quelques mois dans le Languedoc. II ai- thoit ſa Femme , & elle meritoit
bien qu'il l'aimaſt; mais foit ja- loufie,ſoit délicateſſe trop ſcru- puleuſe ſur le point-d'honneur,
il eſtoit ſevere pour ce qui regar- doit ſa conduite , &il l'obligeoit àvivre dans une regularite un peu eloignée des innocentes li- bertez qu'elle auroit crû pouvoir A vj
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s'accorder. Ainſi il ne faut pas eſtre ſurpris , ſi ſe voyant mai- ſtreſſe de ſes actions par ſon de- part , elle n'euſt pas tous les ſcru- pules qu'il avoit tâché de luy donner. Elle estoit née pour la joye , l'occafion estoit favorable,
& elle crût qu'il luy devoit eſtre permis de s'en fervir. Elle eut pourtant ſoin d'éviter l'éclat , &
ne voulut recevoir aucune viſite
chez elle; mais elle avoir des Amies,ces Amies voyoient le beau monde,& l'enjoûmentde ſon hu- meur joint aux agrémens de f
Perſonne,fit bientôt l'effet qu'er- lefouhaitoit. On la vit, elle plût,
on luy dit qu'elle estoit belle ,
fans qu'elle témoignaſt s'en fa- cher ; les tendres déclarations
ſuivirent, elle les reçeuten Fem-- me d'eſprit qui veut en profiter ſans ſe commettre; & là-deffus,
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grands deſſeins de s'en faire ai- mer. Promenades , Comédies ,
Opéra , Feſtes galantes , tout eft mis en uſage , & c'eſt tous les jours quelque nouveau Divertiſ- fement. Cette maniere de vie
auffi agreable que comode , avoit pour elle une douceur merveil- leuſe , & jamais Femme ne s'ac- commoda mieux de l'absence de
fon Mary. Les plus éclairez pour- tant en fait deGalanterie , s'ap- perceurentbientôtqu'il n'yavoit que des paroles à eſperer d'elle.. Hs l'en eſtimerent davantage , &
n'eneurentpas moins d'empref- ſement à ſe rendre où ils cro
yoientladevoirtrouver. Juſque-- làtoutalloit le mieuxdu monde;
mais cequi gaſta tout, ce fut un de ces Meſſieurs du bel air ,
qui fottement amoureux d'eux- mefmes fur leurs propres com
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plaiſances , s'imaginent qu'il n'y a point de Femmes à l'épreuve de leurs douceurs, quand ils dai- gnent ſe donner la peine d'en conter. Celuy-cy , dontune Per- ruque blonde , des Rubans bien compaſſez , & force Point de France répandu par tout , fai- foient le merite le pluséclatant,
ſe tenoit fi fort aſſuré des faveurs
delaBelledont il s'agit , ſurquel- ques Réponſes enjoüées qu'il n'avoit pas eu l'eſprit de com- prendre , qu'il ſe hazarda unjour àpouffer les affaires un peu trop loin. La Damele regarda fiere- ment, changea de ſtile , prit fon ſérieux , & rabatit tellement fa
vanité , qu'il endemeura incon- folable. Il ſe croyoit beau , &
troppleinduridicule entêtement qu'il avoit pour luy , il ne trou voit pas vray-femblable qu'il ſe
GALANT. IS fuſt offert ſans qu'on euſt ac- cepté leParty. Il examinade plus pres les manieres de la Dame, la vit de belle humeur avec ceux
qu'il regardoit comme ſes Ri- vaux; &fans fonger qu'ils ne luy avoient pas donné les meſmes ſujets de plainte que luy , impu- tant àquelque préoccupation de cœur ce qui n'eſtoit qu'un effet de ſa vertu , il prit conſeil de ſa jalousie ,&ne chercha plusque
ſe vangerde l'aveuglement qu'el le avoit de faire des Heureux
ſon préjudice. Il entrouva l'occa- fion &plus prompte & toute au- tre qu'il ne l'eſperoit. La Dame eſtoit allée àune Partie de Campagne pour quelques jours avec une Amie.Par malheur pour elle,
ſonMary revint inopinementde Laguedoc le lendemain de cette Partie.Il fut furpris de ne la point
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rencontrer en arrivant. Cellequi
l'avoit emmenée hors de Paris
eſtoit un peu en réputation de Coquete. Le chagrin le prit. II forma des ſoupçons , & il y fut confirmé par l'amant jaloux,qur ayant ſçeu ſon retour , fut des premiers à le voir. Comme ils avoient toûjours veſcu enſemble • avec affez de familiarité , le Mary ne luy cacha point la mau- vaife humeur où le mettoit l'imprudente Promenade de fa Fem- me. Cet infidelle Amy qui ne cherchoit qu'à ſe vanger d'elle,
crût qu'il ne pouvoit prendre mieux ſon temps. Illa juſtifie en apparence , & entrant dans le détail de toutes les Connoiffan
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les excuſe d'une maniere qui la rend coupable de tout ce qu'il feint de vouloirqu'il croye innocent. LeMary prend feu. Quel- ques petites railleries que d'au- tres luy font , &qui ont du ra port avec cette premiere accufa- tion, achevent de lebleſſer iufqu'au vif. Il s'emporte,il fulmine,
&il auroit pris quelque réfolu- tion violente , ſi ſes veritables Amisn'euffentdétournélecoup.
Tout ce qu'ils peuvent gagner pourtant , c'eſt qu'en attendant qu'il foit éclaircydes prétenduës galanteries de ſa Femme, elle ira fe mettredans unCouvent qu'il
feur nomme à douze ou quinze
lieuës de Paris. Deux Parétes des
plus prudes ſe chargent de luy porter l'ordre, & de le faire exe- cuter.La Dame qui connoiſſoit la
ſeverité de fon Mary, ne balance
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point àfaire ce qu'il fouhaite. La voilàdans le Couvent, dont heu- reuſement pour elle l'Abbeffe eſtoit Sœurd'un de ceuxqui luy en avoiét leplus conté,quoyque ce comercefut demeuréinconnu à l'Amant jaloux. Ainfi elle ne manqua pas de Lettres de faveur pour tous les Privileges qui pou- voient luy eſtre accordez. Elle p'avoit pas trop beſoin d'une re- commandation particuliere. Ses manieresengageantes & flaten- ſes en estoient une tres-forte
pour elle , &il ne falloit rien da- vantage pour la faire aimer de toutle Couvent. C'eſtoit une neceſſité pour elle d'y paſſer quel que temps , elle aimoit les plai- firs , &elle s'en fit de tout ce qui en peut donner dans la retraite.
Elle noüa fur tout amitié avec
une jeune Veuve Provençale ,
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Penſionaire du Couventcomme
elle. Son langage la charmatelle- ment ( iln'y en a point de plus agreable pour les Dames ) qu'elle s'attacha à l'étudier ; &comme il
ne faut quevouloir fortement les,
choſes poury réüſſir, elle s'y ren- dit ſi ſçavante entrois mois,qu'on l'eut priſe pour une Provençale originaire. Cependant il y en a- voit déja fix qu'elle estoit réclu-- ſe. Sa priſon l'ennuyoit , & elle fuccomba à la tentation de venir
à Paris incognito paſſer quinze jours avecſes Amies. L'Abbeſſe,
quoy qu'avec un peude peine,
luy accorda ce congé à l'inſtante follicitation de ſon Frere , à qui elle devoit ce qu'elle eſtoit. Elle ſe précautione pour n'eſtre point découverte. Une Amie avecqui elle concerte ſon deſſein , & qui ſe charge de luy faire donner
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tin Apartement en lieu où elle ne ſoit connue d'aucun Domeſtique , la va prendre à deux lieuës de Paris , &la mene chez la Femme d'un vieux Conſeiller,
qui ne l'ayant jamais veuë , la reçoit comme une Dame qui ar- rive nouvellementde Provence.
Grande amitié quiſe lie entr'el- les. Il n'eſt parlé quede la belle Provençale , c'eſt fous ce nom qu'on fonge à la divertir , & elle joüefi bien fon perſonnage, que ne voyant que trois ou quatre deſes plus particuliers Amisqui font avertis de tour , il eſt impoffible qu'on la ſoupçonne de n'eſtre pas ce qu'elle ſedit. Tout contribuë àmettre ſon ſecret en
aſſurance. Lequartier oùelle lo- ge eft fort éloigné deſon Mary,
elle ne fort jamais que maſquée avec la Femmedu Confeiller, &
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quandelle fait quelque Partie de promenade avec ſon Amie , ce font tous Gens choiſfis qui en font , & leur indifcretion n'eſt
point à craindre pour elle. Trois ſemaines ſe paſſent de cette for- te. Elle prend ſes meſures pour toutes les choſes qui peuvent obliger ſon Mary à la rapeler au- pres de luy , & feignant tout-à- coup d'avoir reçeu des nouvel- les qui la preſſent de ſe rendre en Provence, elle ſe diſpoſeà s'aller renfermer dans le Couvent. Le
joureſt pris pour cela. Elle doit aller coucher avec ſon Amie à
cinq ou fix lieuës de Paris , &
les adieux ſont déja à demy-faits ſans qu'on ait rien découvert de ce qu'elle a intereſt à tenir ca- ché. Dans cettediſpoſition qui euſt pû prévoir ce qui luy arri-
:
ve ? SonMary avoit un Procés,
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le Conſeiller qui la loge en eft nommé Raporteur ; il cherche accés aupresde luy , & s'adreffe àunGentilhomme avec qui il a
fait connoiffance en Langue- doc , &qu'il ſçait eſtre le tout- puiſſant dans cette Maiſon. Le Gentilhomme prend volontiers cette occafion defaire valoir fon
credit , & ils vont enſemble chez
le Conſeiller le jour meſme que la fauſſe Provençale doit par tir. Le Conſeiller s'eſtoit enfermé dans ſon Cabinet au re
tourduPalais pour une Affaire qu'il falloit neceſſairement qu'il examinaſt ſur l'heure. Il eſtoit
queſtion d'attendre. Le Gentil- homme pour mieux fervir fon
Amy , le mene àl'Apartementde Madame qu'il veut mettre dans ſes intereſts. Commeil y entroit fansfaçon à toutes les heurés du
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↑ jour , il y monte ſansqu'elle en ſoit avertie , & il la ſurprend avec la fauſſe Provençale , qui ne s'attendoit à rien moins qu'à une viſite de fon Mary. Jugez de t- la ſurpriſe de l'un &de l'autre.
Le Mary ne ſçait où il eneſt. Il regarde , reconnoiſt ſa Femme,
& troublé d'une rencontre fi
inopinée , il oublie ſon Procés,
&n'écoute preſque pointce que ſon Amyditen ſa faveur.La Da- men'eſt pas moins embaraffée de ſon coſté, mais comme elle voit le
pas dangereux pour elle , felle n'yremedieparſoneſprit, elle ne ſe déconcerte point , & parlant ProvençalauGentilhomme qu'- elle adéjaveu pluſieurs fois , elle luyditcentplaifanteries quimet- tent le Mary dans un embarras nouveau. Il demande tout bas à
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elle prometde s'y employercom- me si c'eſtoit ſon affaire propre.
Elle tientparole , & le Confeil .
ler entrant , c'eſt elle qui com- mence la follicitation; mais elle
lefait avectant de grace& avec une telle libertéd'eſprit , que ſon Mary ne peut croire que ſi elle eſtoit ſa Femme , elle euſt pû ſe poffe
GALANT. 25
د
poſſeder affez pourpouffer le dé- guiſementjuſque-là. Il fort tres- - fatisfait du Conſeiller ; & pour = n'avoir aucun ſcrupule d'eſtre la Dupedecerterencontre , il ſe ré- foutd'allerdésle lendemaintrouver ſa Femme au Couvent. Elle
y met ordre par la promptitude de fon retour &devinant ce
qu'il eſt capable de faire pour s'éclaircir , au lieu d'aller coucher où ſon Amie la devoit
ner , elle marche toute la nuit,
&arrive de tres-grand matin Couvent. L'Abbeſſe à qui elle rend compte de tout , inſtruit la Tourierede ce qu'elle doit dire,
ſi quelqu'un la vientdemander.
SonMary fait diligence , & arri- ve fix heures apres elle. Il vient au Parloir. Onlayditque faFem- men'a preſque point quité le Lit depuis huit jours , à cauſe d'une
Tome VII. B
26 LE MERCV RE
legere indiſpoſition , & elle pa- roît un quart-d'heure apres en coifure de Convalefcente. La fatigue du voyage , & le manque dedormir pendant toute la nuit paſſée , l'avoient un peu abatuë.
Cela vint le plus à propos du monde. Comme ſon Mary ne luy trouva nyles meſmes ajuſtemens,
nyla meſmevivacité de teint qui l'avoit ébloüy le jour précedent dans la Provençale , il fut aifé- mentperfuadé qu'il y avoit eude l'erreur dans ce qu'il s'en eſtoit figuréd'abord. Cependant il avoit remarqué tant de merite dans cette prétenduë Provençale , &
il en eſtoit tellement touché ; que ſe tenant trop heureux de poffe- derune Perſonne qui luy reffem- bloit , & eſtant d'ailleurs con- vaincuqu'il y avoit eu plus d'im- prudence que de crime dans la
GALANT. 27
--
11
e
it
S
11
conduite de ſa Femme , il luy dit les chofes les plus touchantes pour luy faire oublier ce que fix
mois de clôture luy avoient pû cauſer de chagrin. Elle garde quelque temps ſon ſérieux avec luy, luy fait ſes plaintes en bon accent François de ſon injurieux procedé , & apres quelques feints refus de luy pardonner fi-toſt un outragequi avoit faittantde tort àſa reputation , elle ſe rend aux preſſans témoignages de ſa ten-- dreſſe , & retourne avec luy le lendemain à Paris. Il luy conte
e
t
t
S l'Avanture de la Provençale qu'il
2
prometde luy faire voir , & il de- meure un peu interdit , quand l'eſtant allé demander chez le
Conſeiller , il apprend que ſes
-
affaires l'avoient rapelée enPro- vence. Je ne ſçay ſi undepart 6
prompt luy a fait ſoupçonner
Bij
28 LE MERCVRE
quelque choſe , mais il en uſe tres-bien avec ſa Femme , & il
luy laiſſe mefme plus de liberté qu'il neluy enſoufroit avant fon voyagede Languedoc
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Résumé : Histoire de la fausse Provençale. [titre d'après la table]
Le texte narre une aventure galante impliquant une dame vertueuse mais enjouée. Son mari, occupé par des affaires dans le Languedoc, impose une rigueur excessive. Pendant son absence, la dame, attirée par les douceurs et les compliments, s'abandonne à son penchant sans recevoir de visites chez elle mais en profitant de la compagnie de ses amies. Elle mène une vie agréable et discrète. Cependant, un galant trop présomptueux tente de la séduire, mais elle le repousse fermement. Jaloux et vexé, cet homme se venge en informant le mari des supposées galanteries de sa femme. Furieux, le mari envoie sa femme dans un couvent. Là-bas, aidée par l'abbesse et ses amies, elle noue des amitiés et apprend le provençal. Elle quitte ensuite le couvent incognito pour passer du temps à Paris avec ses amies, se faisant passer pour une Provençale. Son mari, ignorant tout, la découvre par hasard chez un conseiller, mais grâce à son esprit vif, elle parvient à le tromper. Convaincu de son erreur, le mari rappelle sa femme au bout de six mois, et ils retournent ensemble à Paris. Par ailleurs, le texte mentionne un homme nommé Bij qui, après un voyage en Languedoc, accorde plus de liberté à sa femme, sans fournir de détails supplémentaires sur la nature de ce qu'il a remarqué ou sur les circonstances exactes de son voyage.
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3
p. 299-301
Benédiction de la premiere Pierre d'une Eglise des Capucins à Montelimar, [titre d'après la table]
Début :
Les Peres Capucins de Montelimar en Dauphiné, voulant avoir une Eglise [...]
Mots clefs :
Père capucins, Église, Couvent, Bénédiction, Abbé, Cérémonie, Gouverneur de Montelimar
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texteReconnaissance textuelle : Benédiction de la premiere Pierre d'une Eglise des Capucins à Montelimar, [titre d'après la table]
Les Peres Capucins de
Montelimar en Dauphiné,
voulant avoir une Eglife proportionnée
à leur Convent,
& au zéle qu'ils ont pour le
fervice du Public , en firent
benir la premiere Pierre le 7.
de ce mois , avec autant de
Solemnité que l'on en pouvoit
atendre dans une pareille
occafion . Ml'Abbé Colombet
, Doyen du Chapitre, accompagné
de tout le Cler
300 MERCURE
gé , fit la Ceremonie au bruit
des Tambours & des déchar
ges du Regiment de Poitou,
qui eftoit en Quartier d'hyver
dans la Ville , & rangé
alors en Bataille aux avenuës
du lieu deftiné pour 'cette
Eglife . Elle fera dédiée fous le
nom de S. Iofeph , M' le Comte
de Virreville , Gouverneur
de Montelimar , & Madame
la
Comteffe de Vogne ,mirent
cette premiere Pierre , apres
qu'elle eut efté portée proceffionnellement
par toute la
Ville . Ils eftoient fuivis des
Confuls.en Chaperon , avec
GALANT. 301
la Maiſon de Ville , de la Nobleffe
, & de la Bourgeoisie,
de l'un & de l'autre fexe.
Montelimar en Dauphiné,
voulant avoir une Eglife proportionnée
à leur Convent,
& au zéle qu'ils ont pour le
fervice du Public , en firent
benir la premiere Pierre le 7.
de ce mois , avec autant de
Solemnité que l'on en pouvoit
atendre dans une pareille
occafion . Ml'Abbé Colombet
, Doyen du Chapitre, accompagné
de tout le Cler
300 MERCURE
gé , fit la Ceremonie au bruit
des Tambours & des déchar
ges du Regiment de Poitou,
qui eftoit en Quartier d'hyver
dans la Ville , & rangé
alors en Bataille aux avenuës
du lieu deftiné pour 'cette
Eglife . Elle fera dédiée fous le
nom de S. Iofeph , M' le Comte
de Virreville , Gouverneur
de Montelimar , & Madame
la
Comteffe de Vogne ,mirent
cette premiere Pierre , apres
qu'elle eut efté portée proceffionnellement
par toute la
Ville . Ils eftoient fuivis des
Confuls.en Chaperon , avec
GALANT. 301
la Maiſon de Ville , de la Nobleffe
, & de la Bourgeoisie,
de l'un & de l'autre fexe.
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Résumé : Benédiction de la premiere Pierre d'une Eglise des Capucins à Montelimar, [titre d'après la table]
Les Pères Capucins de Montélimar ont décidé de construire une église dédiée à saint Joseph. La première pierre a été bénie le 7 du mois lors d'une cérémonie présidée par l'abbé Colombet, doyen du chapitre. Le comte de Virrevile et la comtesse de Vogne ont posé la pierre, accompagnés par le clergé, la noblesse et la bourgeoisie. Le régiment de Poitou a participé à la solennité.
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4
p. 70-77
Ce qu'ils ont veu & dit le jour qu'ils ont esté aux Chartreux. [titre d'après la table]
Début :
Ils allerent le mesme jour au Convent des Chartreux, & [...]
Mots clefs :
Couvent des chartreux, Couvert, Couvent, Religieux, Humilité, Cloître, Pères, Cour, Porte, Tableaux
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texteReconnaissance textuelle : Ce qu'ils ont veu & dit le jour qu'ils ont esté aux Chartreux. [titre d'après la table]
Ils allerent le même jour
au Convent des Chartreux
des Amb. de Siam.
67
10
-bi
& defcendirent de Carofle
dans la court devant la porte
de l'Eglife. On leur dit qu'on
ne venoit point le recevoir , parce
que ces Religieux ayant entierement
renoncé au monde ,&fai-
Sant profeſſion de la plus exacte
humilité , ils n'alloient au devant
de personne. Ils entrerent dans
l'Egliſe où il ne ſe trouva que
celuy qui leur en ouvrit la
porte qui eſtoit fermée parce
qu'il eſtoit déja tard. M
Torf s'étant mis d'abord à
genoux , ils ſuivirent ſon exemple
, & ne ſe releverent
jo
qu'aprés luy. Ils admirerent
enfuite toute la menuiferie ,
Fij
68 Suite du Voyage
qui eſt des plus belles que
l'on voye dans le Royaume.Ils
firent le tour du Choeur pour
en conſiderer les Tableaux.Ils
ont eſté faits par les plus excellens
Peintres que nous
ayons aujourd'huy. Mr Coepel
eſt du nombre. Ils remarquerent
une figure de Bronze
qui eft fur un tombeau devant
le grand Autel , & demanderent
le nom de celuy
qu'elle repreſentoit. On leur
dit que c'eſtoit un Chancelier
de France qui avoit fait
du bien à ce Convent. Hs
paſſerent de- là dans la Sacriitie
,& enſuite dans une gran
des Amb. de Siam . 69
de Salle où il y a des Tableaux
anciens & modernes ,
qu'ils trouverent tres -beaux ,
aprés quoy ils furent conduits
dans le Cloiſtre où toute
la vie de S. Bruno eſt peinte
par Feu Male Sueur. C'eſt
un grand ouvrage & fort
eſtimé de tous les connoiffeurs.
Il eſt couvert par des
volets ſur leſquels font peints
divers Païſages. On les ouvrit
tous pour leur mieux faire
voir la vie de ce Saint , qui
eſt Fondateur de l'Ordre. Aprés
avoir été quelque temps
dans le Cloiſtre où ils trouverent
le P. Vicaire qui les ac-
Füj
70 Suite du Voyage
cópagna avec quelques Religieux
dás tous les autres lieux
où ils allerent , ils entrerent
dans le Refectoire où le couvert
eſtoit mis , parce qu'ils
faifoient ce ſoir la collation
en commun . Ils remarquerent
qu'il y avoit un godet
de terre à chaque couvert
& on leur dit que l'humilité
dont ces Peres faisoient
profeſſion ne leur permettoit pas
de boire dans autre chose. Ils vi-
Grerent enfuite une des Cel
lules , & regarderent le lit ,
la Bibliotheque , & le jardin.
Ils vinrent aprés cela voir une
pompe qui eſt au milieu
,
des Amb. de siam.
71
de la court du grand Cloiſtre,
& qui éleve l'eau & la diftribuë
dans les Cellules. Le pre-
- mier Ambafſfadeur examina
tout ce qui dépend de cette
- machine, & fa curiofité le fit
paffer par des endroits d'un
accés aſſez difficile. Comme
il eſtoit déja tard , il n'eut
pas le temps de voir le reſte
de ce Convent & d'aller
dans le grand Jardin. Il fortit
par un lieu couvert , affez
long , bâty en maniere de
Cloître , & qui donne dans la
court. Il ne s'aperçeut point
que les Peres qui l'avoient
accompagné , ne l'avoient
72 Suite du Voyage
)
pas ſuivy dans ce lieu ; on
luy dit lors qu'il fut au bout
que leur Regle ne leur permettoit
pas de reconduire perſonne. Cela
l'obligea de retourner ſur ſes
pas juſqu'au bout du lieu
qu'il avoitdéja traverſé, pour
remercier ces Peres de leur
honneſteté. Les trois Ambaffadeurs
, & les Mandarins
de leur fuite furent fort édifiez
de l'humilité & de l'aufterité
de ceux de cét Ordre.
Plus les Regles des Religieux
qu'ils voïent font aufteres
, plus ils les eſtiment.
au Convent des Chartreux
des Amb. de Siam.
67
10
-bi
& defcendirent de Carofle
dans la court devant la porte
de l'Eglife. On leur dit qu'on
ne venoit point le recevoir , parce
que ces Religieux ayant entierement
renoncé au monde ,&fai-
Sant profeſſion de la plus exacte
humilité , ils n'alloient au devant
de personne. Ils entrerent dans
l'Egliſe où il ne ſe trouva que
celuy qui leur en ouvrit la
porte qui eſtoit fermée parce
qu'il eſtoit déja tard. M
Torf s'étant mis d'abord à
genoux , ils ſuivirent ſon exemple
, & ne ſe releverent
jo
qu'aprés luy. Ils admirerent
enfuite toute la menuiferie ,
Fij
68 Suite du Voyage
qui eſt des plus belles que
l'on voye dans le Royaume.Ils
firent le tour du Choeur pour
en conſiderer les Tableaux.Ils
ont eſté faits par les plus excellens
Peintres que nous
ayons aujourd'huy. Mr Coepel
eſt du nombre. Ils remarquerent
une figure de Bronze
qui eft fur un tombeau devant
le grand Autel , & demanderent
le nom de celuy
qu'elle repreſentoit. On leur
dit que c'eſtoit un Chancelier
de France qui avoit fait
du bien à ce Convent. Hs
paſſerent de- là dans la Sacriitie
,& enſuite dans une gran
des Amb. de Siam . 69
de Salle où il y a des Tableaux
anciens & modernes ,
qu'ils trouverent tres -beaux ,
aprés quoy ils furent conduits
dans le Cloiſtre où toute
la vie de S. Bruno eſt peinte
par Feu Male Sueur. C'eſt
un grand ouvrage & fort
eſtimé de tous les connoiffeurs.
Il eſt couvert par des
volets ſur leſquels font peints
divers Païſages. On les ouvrit
tous pour leur mieux faire
voir la vie de ce Saint , qui
eſt Fondateur de l'Ordre. Aprés
avoir été quelque temps
dans le Cloiſtre où ils trouverent
le P. Vicaire qui les ac-
Füj
70 Suite du Voyage
cópagna avec quelques Religieux
dás tous les autres lieux
où ils allerent , ils entrerent
dans le Refectoire où le couvert
eſtoit mis , parce qu'ils
faifoient ce ſoir la collation
en commun . Ils remarquerent
qu'il y avoit un godet
de terre à chaque couvert
& on leur dit que l'humilité
dont ces Peres faisoient
profeſſion ne leur permettoit pas
de boire dans autre chose. Ils vi-
Grerent enfuite une des Cel
lules , & regarderent le lit ,
la Bibliotheque , & le jardin.
Ils vinrent aprés cela voir une
pompe qui eſt au milieu
,
des Amb. de siam.
71
de la court du grand Cloiſtre,
& qui éleve l'eau & la diftribuë
dans les Cellules. Le pre-
- mier Ambafſfadeur examina
tout ce qui dépend de cette
- machine, & fa curiofité le fit
paffer par des endroits d'un
accés aſſez difficile. Comme
il eſtoit déja tard , il n'eut
pas le temps de voir le reſte
de ce Convent & d'aller
dans le grand Jardin. Il fortit
par un lieu couvert , affez
long , bâty en maniere de
Cloître , & qui donne dans la
court. Il ne s'aperçeut point
que les Peres qui l'avoient
accompagné , ne l'avoient
72 Suite du Voyage
)
pas ſuivy dans ce lieu ; on
luy dit lors qu'il fut au bout
que leur Regle ne leur permettoit
pas de reconduire perſonne. Cela
l'obligea de retourner ſur ſes
pas juſqu'au bout du lieu
qu'il avoitdéja traverſé, pour
remercier ces Peres de leur
honneſteté. Les trois Ambaffadeurs
, & les Mandarins
de leur fuite furent fort édifiez
de l'humilité & de l'aufterité
de ceux de cét Ordre.
Plus les Regles des Religieux
qu'ils voïent font aufteres
, plus ils les eſtiment.
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Résumé : Ce qu'ils ont veu & dit le jour qu'ils ont esté aux Chartreux. [titre d'après la table]
Les ambassadeurs de Siam visitèrent le couvent des Chartreux. Ils furent informés que les religieux ne les accueillaient pas en raison de leur vœu d'humilité. Ils admirèrent l'église, sa menuiserie et ses tableaux, notamment ceux de Mr Coepel. Ils remarquèrent une figure de bronze sur un tombeau, représentant un chancelier de France ayant aidé le couvent. Ils visitèrent la sacristie, une grande salle avec des tableaux anciens et modernes, et le cloître, où la vie de Saint Bruno est peinte par Feu Male Sueur. Accompagnés par le Père Vicaire et quelques religieux, ils observèrent dans le réfectoire que chaque couvert avait un godet de terre, symbole de l'humilité des religieux. Ils visitèrent également une cellule, la bibliothèque, le jardin et une pompe dans la cour du grand cloître. L'ambassadeur examina la pompe avec curiosité. En raison de l'heure tardive, ils ne purent voir le reste du couvent ni le grand jardin. Les religieux ne les reconduisirent pas, conformément à leur règle. Les ambassadeurs furent impressionnés par l'humilité et l'austérité des religieux.
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5
p. 1-70
AVANTURE amoureuse, dont je viens de parler dans le Journal de Madrid.
Début :
Il y avoit à Madrid un petit vieillard Espagnol fort [...]
Mots clefs :
Amour, Vieillard, Mariage, Fille, Couvent, Madrid, Archiduc, Amie, Roi
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texteReconnaissance textuelle : AVANTURE amoureuse, dont je viens de parler dans le Journal de Madrid.
AVANTURE
amoureuse, dont jeviens
deparler dans le Journal
de Madrid.
*
I y avoità Madrid
un petit
vieillard Espagnol fort
passionne pour la Maison
d'Autriche,& cet
attachement n'estoit
que tres louable dans le
temps que la Maison
d'Autriche possedoit légitimement
la Couronne
d'Espagne ; ce vieillard
estoit nouveliste
de profession, non pas
de ces nouvelistes équitables
& censez que je
hante volontiers : mais
decesnouvelistes frondeurs
qui débitent leurs
prejugez malins pour
des faits averez ,
chagrins,
incrédules dans
lesévenemens avantageux
à leur Patrie; &C
triomphans d'un malheur
public qu'ils auront
deviné par hazard,
comme si c'estoit l'ouvrage
de leur politique
rafinée.
Ce petit vieillard Autrichien
avoit jette les
yeux sur un Espagnol
de sa cabale) pour marier
une hiletrèsaimablequ'il
avoit, cetEspagnol,
qui se nommoit
D.Diegueavoit gagné
le coeur du pereen luy
apprenant toujours le
premier les mauvaises
nouvelles
, en traitant
les bonnes de visions &
se déchaînant avec fureur
contre le Gouvernement
present dePhilippeV.
ensortequ'étant
venu un jour lui aprendre
la défaite de l'armee
de ce Prince, dans
la bataille deSa-ragoffe,
ce mauvais Espagnol
en fut si transporté de
joye qu'il l'embrassa
tendrement,&luy promit
déstors sa fille en
mariage pour prix d'une
si bonne.nouvelle.
Cette charmante fille
se nommoit Dorotée ,
elle estoit aussi judicieuse
que son pereestoit
entjesté. Dorotée ne se
croyoit pas si habile que
quelquesunes de nos
Dames qui decident à
present des droits &
des démêlez des Princes.
ellen'eutpris aucun
party entre l'Archiduc
& PhilippeV.sicertain
Cavalier aimable, fort
attaché à cedernier.,
ne l'eût déterminée
dans la fuite pour ce
Roy légitimé.
Un jour ce Cavalier
qu'onappelloit Don
Pedre, après toutes les
attentions dun amant
respedueux, s'étant enfin
flatté de n'estre pas
haï de Dorotée luy déclara
son amour, Dorotée
en rougit, elle baissa
les yeuX)8C ne repondit
rien, c'est ce qu'-
on peut faire de mieux
pour un amant, sur sa
première déclaration
il en fit plusieurs , autres,
ilfaloit bien en fin
qu'elle s'expliqua, elle
ne voyoit rien à desirer
en luyque dela confiance
, elle se défioit naturellement
de celle des
hommes, c'estoit son
faible; si toutes les femmes
avoient ce faible:,
illes çueriroit de bien
d'autres; Dorotee ne
put s'empêcherdédire
à Don Pedre tout ce
qu'elle craignoitlà-defsus
, il répondit à ses
craintes par des sermens
; c'est la réponse
ordinaire: il luy jura
que sa fidélité pourelle
feroit aussi inviolable
que celle qu'il avoit
pour son Roy, c'estoit
là son sermentle plus
familier. Cet Espagnol
zélé ne juroit que par
son Roy.
Dans lemomenr que
Don Pedre prononça
avec transport le nom
de Philippe V. Dorotée
s'écria tout à coup, ah
nous sommes perdus !
ensuiteelle luyditavec
douleur que ion pere
neferoic jamaisd'alliance
avec un fidele sujet
de Philippe V. ah,
Dorotée
,
s'écriat-il à j
son tour, pourquoy estes-
vous si charmante,
j'avois juré que je ne
ferois jamais nulle liaison
avec les Partisans
entêtez del'Archiduc;
il faudra donc me faire
la violence decacher à
vostre pere mon zele
pour mon Roy.
,.
cela
ne suffira pas, reprit
Dorotée en le regardant
tendrement, vous
n'obtiendrez jamais
rien de luy si vous ne
feignez. moy feindre!
reprit brusquement le
franc castillan, les deux
amans se regardèrent
quelques temps sans
rien dire. Don Pedre
ne pouvoit se resoudre
à feindre, & Dorotée
n'osoit exiger de luy
unsi grandsacrifice, ils
se quicterécfortaffligez
de l'obstacle invincible
qu'ils voyoient à leur
union,& lejurerent qu'-
aumoins rien ne les pouroit
empêcher de s'aimer
lereste de leur vie.
Quelques jours sécoulerent,&
Don Pedre
les passoit à rêver
auxmoyens dont il
pourroit user pour gagner
le pere, sans commettre
sa sincerité ; ce
vieillardn'estoit
• pas
riche, il n'avoit que le
desir des richesses, &
l'avarice estoit sa plus
force passion après celle
de reformer le Gouvernement
; nostrejeune
Espagnol avoir de
grands biens, il acheta
exprésde quelqu'un je
ne sçai quel contrat
qui le mir en liaison
d'affaire avec le vieillard,
il eut occasionpar
làdeluy faire ledétail
de les grands biens, &
deluimontrer plusieurs
contrats,tîtres & papiers,
le hazard fit qu'en
tirant d'unportefeüille
ces papiers, il s'y trouva
une lettre ouverte, où
le vieillardapperçut ces
mots. Du Campdel'archiduc
ce 20. Aouct.
Cette date estoit fraîche,
quelle amorce pour
un nouveliste!Il se jeta
sur cette lettre, qu'il
connut estre de l'écriture
d'un zélé Espagnol
rebele, qui estoitdu
Conseil secret de Stanope,
il crut fermement
par cette lettre que
Don Pedre avoir des
intelligences secrettes
dans le parti de l'Archiduc.
Don Pedre eut
beau luy protester qu'il
estoit bon Espagnol,
je ne suis point surpris,
luy dit le vieillard en
riant, qu'ayant quantité
de biens qui dépendent
du Gouvernement
prelent
, vous cachiez
avec foin vos intrigues
secretes avec ceux de
mon parti. Plus, Don
Pèdres'obstinaà paroître
ce qu'il estoit,plus
l'autre Je crut ce qu'il
desiroit qu'il fût, caril
commençoit à l'aimer
parce qu'il le voyoit
très-riche. -
Pour expliquer icy
comment cette lettre
s'estoit trouvée entre
les mains de Don Pedre
, ilfaut reprendre
son hiftoiredeplus loin,
il avoit esté destiné par
son pere à une veuve
Espagnole,nommée
Elvire, encore jeune&
belle : mais que Don
Pedre n'avoit jamais
aimée, à qui même depuis
la mort de son pere
il avoit: fait comprendre
qu'il ne pouvoir jamais
se resoudre d'encrer
dans une famille ennemie
de son Prince, &
le frere d'Elvire estoit
Colonel dans l'armée
ennemie; c'estoit justement
de luy que v£-
noit la lettre en question
: Les nouvelles que
ce frere nlandoit..ectoient
tres - mauvaises
pour Philippe V. Elvire
les montroit avec
soinà Don Pedrepour
luy persuader de s'attacher
à l'Archiduc qui
alloit estre son Souverain,
car elle estoit
persuadée que la difference
des partis estoit
le seul obstacle qui s'oppofoit
à son mariage
avec DomPedre.
Ce fidele & sincere
Espagnol se trouveicy
dans une situationbien
delicate : Elvire luy
donnoit tous les jours
par ces lettres des détails
qui l'affligeoient
beaucoup, parce qu'ils
estoient malheureux
pour son Roy: mais
ils estoient heureux
pour ton amour,car en
les faisant voir au petit
vieillard Autrichien,
il alloit obtenir de luy
Dorotée,j'eusse voulu
demander en cette occasion
à Don Pedre si
dans le fond du coeur il
souhaitoit de voir cesser
latriste cau se qui produisoit
un si bon effet,
il m'eût répondu sans
doute qu'il ne pouvoit
démêler un sentiment
si de licat à travers un
amour violent, il se
contentoit de jurer sincerement
qu'il seroitau
desespoir si l'Archiduc
depossedoit Pbilippe V.
mais s'il efloit bien aise
qu'on le crût sur sa parole,
c'est la question:
quoyqu'il en soit il fit
si bien que le pere de
Dorotée luy donna sa
parole : mais la difficulté
estoit de retirer celle
qu'il avoit donnée au
premier, il netrouvapoint
de pretexte plus
specieux pour sauver
Ton honneur que de
mettre sa fille dans un
Convent, comme siellet
eût voulu se faire Religieufe,
Don Diegue
alarmé vint se plaindre
à son beau-pere, qui
luy dit qu'en conscience
ilne pouvoit empêcher
sa fille d'embrasser
un estatoù elleestoit si
bien appellée, &' de
peur qu'on ne découvrit
le veritable motif
d'une vocation si subite
y il défenditàDon
Pedre d'aller voir Dorotée
auConvent,jusqu'à
ce que Don Diegue
sefut rengagé dans
un autre Mariage qu'il
avoit rompu pour celui-
ci, pour lors dit le
petit vieillard, ce fera
lui qui manquera de
parole & non pas moi.
Dorotée entra donc
dans le Convent [ûre
ducoeurde Don Pedre,
dont Elvire estoit prcfqne
sûre aussi, elle en
jugeoit par l'empressement
qu'elle lui voyoic
de tirerd'elle des lettres
qui lui apprenoient la
défaite de l'armée de
Philippe V. il fera bientôt
du parti du Vainqueur,
disoit-elle en
elle-même, & il m'aimera
sans doute dés
qu'il n'aura plus cet attachetachement
à Philippe
V. qui l'empêchoit
d'en avoir pour moy;
c'estainsi qu'elle se flattoit,
lors qu'une amie
quelleavoit dans le
même Couvent où estoit
Dorotée, lui dit
qu'elle avoit surpris sur
la table de cette aimable
compagne, une lettre
fort tendre,signée
DonPedre; Elviresça.
voit d'un autre côté
que D. Diegue moins
riche avoit esté congédié
par lePere avare,
sa penetration lui fit
deviner le reste, & son
caractere artificieux &
interessé lui fit former
sur tout cela un projet
qui lui réussit comme
vous allez voir.
Premièrement, elle
prit le parti de ne point
témoigner à Don Pedre
qu'elle estoit informée
de son engagement
avec Dorotée;
cet eclaircissement n'eût
rien produit, elle sçavoit
agir bien plus finement
; cette amie,
qu'elle alloit voir au
Couvent,s'y estoit retirée
parce qu'elleétoit
pauvres El vire lui promit,
pour adoucir les
chagrins de sa retraite,
une pension considerable,
si elle vouloit lui
aider à époufer le riche
Don Pedre, & elles
convinrent du rolle
qu'elles jouëroiet pour
venir à bout de leur
dessein.
Cette amie d'Elvire
estoit complaisante,
insinuante, c'estoit la
flateuse du Couvent,
il en faut bien au moins
une dans une Communauté
pour amadouer
les nouvelles venues;
elle plaisoit assez à Dorotee,
qui commençoit
à s'ennuyer destre separée
de Don Pedre,
& qui mouroitd'envie
d'avoir une confidente
pour parler au moins
de celui qu'elle ne pouvoit
voir, celle-ci n'ayant
d'autre but que
de s'attirer .cette confidence
, l'amitié fut
bien-tôt liée entr'elles,
elles ne se quittoient
plus.
Ce-tte compagne
chagrine naturellement
par la mauvaise
situation de ses assai,
res, aflfcéta de le paroître
encore davantage,
& Dorotée l'ayant un
soir pressee de lui dire
la cause de ses chagrins
helas répondit-elle,en
soupirant, les chagrins
de la plus part des
femmes sont causez par
l'inconstance des hommes
; ce mot fit quelque
impression sur le
coeur de Dorotée, qui
par hazard n'avoit
point receu ce jour la
deletrre de son amant,
enfuiré la fausse affligée
se plaignit de l'insidelité
du ifen,& fit Ltdessus
le récit d'une
avanture ajustée au Cujet,
qui tira des larmes
de Dorotée,&qui donna
occasion à l'autre de
se déchaîner contre les
hommes, & contre la
crédulité des femmes
qui osent s'y fier; comme
cette matiere fournit
beaucoup à la conversation
des Dames,
les deux amies le couchèrent
fort tard,
toutes ces idées d'inconfiance
ne laisserent
pas de troubler un peu
le sommeil de Dorotée;
elle ne vit en songe que
des inconstans & tous
ressèmbloient à celuy
dont elle avoit l'imagination
frappée; elle se
réveillaassez inquiete,
mais une lettre fort tendre
qu'elle reçut le matin
de Don Pedre la rassura,&
luy fîtcomprendre
combien il est ridicule
d'ajouter foy aux
songes.
Le lendemain Elvire
vint sçavoir au Couvent
quel progrès avoit
fait son amie, elles en
parloient ensemble lors
que Dorotée, qui ne
pouvait, plus estre un
moment sans sa confidente,
vint la chercher
au Parloir;larusée fit figne.
à Elvire de partir;
& assectant d'avoir eu
quelque dispute avec
celle qui fuyoit,ellese
leva brusquement avec
un reste de colere affeaée,
vous me voyez fâ.
chée; dit-elle à sa compagne,
mais tres fâchée
contre cette amie a qui
je voudrois bien épargner
des chagrins pareils
à ceux qui m'accablent,
elle cft aimée
d'un jeune Cavalier,
elle lui a avoue quelle
l'aimoit, elle en va faire
un infidèle,cela ne
peut lui manquer, Dorotée
eut d'abord cette
curiosité qu'une femme
a toûjours de sçavoir
l'intrigue d'un autre,
mais celle-ci lui remontra
qu'on ne doit jamais
exiger d'uneamie
le secret d'une autre amie,
parce que d'amie
en amie les secrets les
plus cachez font divulguez
par toute une
Ville, elle fit ainsi la
discrete pendant le reste
du jour, mais enfin
sur le foir elle se laissa
vaincre par la tendresse
qu'elle juroit à Dorotée,
& lui appritavec
cent circon stances étudiées
8c interessantes,
l'intrigue d'Elvire &
d'un Cavalier qu'elle
ne nommoit point d'abord
,mais après avoir
fait un portrait, dont
chaque trait de reiférnblance
perçoit le coeur
de Dorotée, elle luy
porta le coup de Poignard
en luy nommant
Don Pedre., à ce mot
Dorotée tomba presque
évanoüie, & l'au-
-
tre feignant de ne s'en
pas appercevoir lui dit
en se levant brusquement,
ah Ciel! jecroy
que j'entends sonner
rnitiait-on nes'ennuye
point avec vous, à demain
, chere amie, à
demain, je vous apprendrayqui
est ce D.
Pedre.
On peut s'imaginer
a peu prés comment
Dorotée passa la nuit,
on lui apporta le matin
une lettre de Don Pedre
, persuadée de sa
froideur, elle croyoit
la voir dans quelques
endroits moins tendres
que les autres, él ce
qu'il y avoit de plus
passionné lui paroissoit
outré par affectation,
elle ne voyoit que perfidie
enveloppée, que
trahison cachée fous des
expressions que l'amour
seul avoit diétées à cet
amant sincere, enfin
elle expliqua sa lettre
comme on explique
presque tout, selon les
idées dont on est prévenu;
elle prit d'abord
la plume pour lui faire
une réponse fulminante,
mais elle fit reflexion
que les reproches
ne font point revenir
un infidele,il n'estquession
que de se bien asseurer
s'ill'estréellement,
& de prendre
enfuire le parti de l'oublier
si l'on peut.
Dorotée avoit beaucoup
de confiance en
un valet de son pere qui
lui apportoit les lettres
de Don Pedre, c'estoit
un ancien domestique,
dune fidélité sûre,elle
le chargea d'examiner
toutes les démarches
de Don Pedre, & illui
rapporta dés le lendemain
qu'il l'avoit vû
entrer chez Elvire,
qu'il y alloit tous les
jours & cela estoit vrai,
il continuoit d'y aller
frequément pour avoir
des nouvelles comme
nous l'avons dit: Elvire
ne pouvoir sedouter
que les lettres qu'elle
fournissoit à D. Pedre
lui servissent à obtenir
Dorotée d'un Perenouveliste,
elle lui en donna
une enfin, qui portoit
qu'apréslaBataille
gagnée, l'Archiducs'avançoit
vers Madrid;
quelques jours aprés
PhilippeV.resolut d'en
sortir,& cette nouvelle
mit Don Pedre au
desespoir, il écrivit à
Dorotée tout ce qu'on
pouvoit écrire de plus
tendre la-dessus, mais
enfin il marquoit par sa
lettre: que si le Roy
quittoit Madrid il feroit
obligé de le suivre,
&cela parutàDorotée
prévenuë,une preuve
certaine del'infidelité
de D. Pedre; en lisant
cette lettre sa douleur
,.
fut si violente qu'elle
* ne put la cacher à sa
confidente, qui luy
donna pour toute consolation
son exemple à
suivre : J'ai esté trahie
comme vous, lui ditelle,
& ce n'est que par
le mépris qu'on doit se 1
venger d'un traitre.
Pendant que Dorotée
s'affligeoit,Elvirese réjoüissoitd'avoir
découvert
que sa fille de
chambre reportoit au
valet, espion de Dorotée,
tout ce qu'elle pouvoit
sçavoir de ce qui
sepassoitchez elle;elle
fit à cette fille une fausse
confidence, elle lui dit
que son mariage estoit
réf.tu avec Don Pedre,
le un jour qu'il vint
lui demander des nouvelles
,
elle ordonna
misterieusement à cette
fille de chambre de fai-
J.re venir son Notaire,
le Notaire arrivé, Elvire
le fit passerdans
* son cabinet, resta dans
sa - chambre avec Don
Pedre
,
fit sortir ses
gens, & fit enfin tout le
manége necessairepour
persuader à la fille de
chambre qu'on alloit
signer le Contrat de
mariage de Don Pedre
qu'Elvire amufoit cependant
,comme ayant
une affairepressée à terminer
avec son Notaire.
La fille de chambre
ne manqua pas
de tout raconter au
valet, & le valet affectionné
ne doutant plus
qu'Elvire & Don Pedre
ne sussent mariez
ensemble, alla porterà
8.r.téc cetre nouvelle
-qui la mit dans un
état aisé à comprendre,
mais tres difficile à dé- -dite.
Dans le temps que
L
Doret'ée s'abandonnoit
à sa douleur, Don Pedre
deson costé estoit
dans de cruelles agitations
: Le Roy devoit
partir le
-
lendemain ;
en le suivant il se dc-
- -
claroit bon Espagnol,
& par consequent ennemi
du pere de Dorotée;
il la perdoitenfin.
Dans cette extremité il
luy écrivit qu'il falloit
absolument qu'il
la pût voir ce jour-là au !
Couvent; mais par malheur
le valet qui portoit
la lettre rencontra à la
porte du Couvent le
petit vieillard, qui vint
à luy comme un fu- 1
rieux, se doutant qu'il
porportoit
comme à l'ordinaire
une lettre de
Don Pedre à sa fille,
il contraignit le valet
à lui donner la lettre,
qu'il déchira en mille
morceaux aprés avoir
battu le porteur, car ce
petit vieillard colerique
ne sepossedoit plus
depuis qu'il avoit ap- pris, des gens mêmes
de Don Pedre, qu'il
fuyoit la Domina- * tiond'Autriche en
suivant le lendemain
Philippe V. hors de
Madrid.
Ce pere, outré contre
Don Pedre, tâcha
ensuited'inspirer sa colere
à sa fille, mais
quoiqu'elle fût irritée
contre cet amant, elle
eut voulu que son pere
ne l'eût pas esté jusqu'à
jurer qu'il n'en feroit
jamais son Gendre, car
elle esperoit toûjours
de le trouver innocent,
oubliant même en certains
momens qu'ilcftoit
marié à Elvire,elle
,. J:.. ne pouvoir s în-raginer
qu'un homme si fidele
à son Roy eût pu estre
infidele à sa Maîtresse,
mais plusieurs personnes
l'affeurerent de son
malheur: Elvirevoyat
le Roy & la Reine partis
, & sçachant que
plusieurs Dames alloient
suivre leurs maris
à Valladolid, ou al..
loit la Cour, fit courir
le bruit qu'elle alloit y
suivre Don Pedre, &
prepara~t son départ
avec des circonstances
& des discours propres
à persuader à tout le
monde qu'elle estoit
mariée fecrettement à
cet époux qu'elle vouloit
suivre, elle sortit
de la Ville avec les Dames,
mais à quelques
lieuës de là elle prit la
route de Cuensa, où
son frere lui avoit écrit
de l'aller attendre dans
un petit Château qu'il
avoit de ces côtez-là,
où devoient bien-tost
arriver les Troupes de
l'Archiduc, dans lesquelles
ce frere avoit
un Regiment.
Revenons à Don Pedre,
quelques heures
avant que de partir
pour suivre le Roy, estant
fort inquiet de n'avoir
point réponse, il
alla luy-mêmeau Couveut
, voulant parler
absolument à Dorotée
pour Patfïirer de sa fidelité
pendant son abfence,
mais il rencontra
justement le vieillard
irrité, qui venoit
de donner des ordres si
precis à la Porte, qu'il
futimpossible à cetamant
desesperé de parler
à Dorotée, son uniqueressource
fut d'aller
écrire chez luy une feconde
lettre qu'il donna
à une Touriere qui
promit enfin à force
d'argent, qu'elle la
donneroit à Dorotée,
avec cette legere consolation
l'affligé Don
Pedre partit de Madrid
&: sacrifia plus à Philippe
V. en quittant
Dorotée, que tous les
Grands & les Nobles
ensemble, en quittant
leurs biens & leurs familles
pour leur Roy.
Voila donc ce tendre
amant party sans fçavoir
qu'illaissoit Dorotée
dans un desespoir
affreux
,
elle estoit
fermement persuadée
- qu'il estoit marié à Elvire,&
qu'illaméprisoit
mêmejusqu'au
point de n'avoir pas
daigné luy écrire une
lettre, car vous sçavez
que la premiere a esté
déchirée par le vieillard
mutin
,
à l'égard de la
seconde, cette Touriere
,qui connoissoit la
compagne de Dorotée
pour estre son intime
amie & sa confidente,
n'élira point à luy avoüer
qu'elle avoit une
lettre pour elle, elle
l'avoit déjà prévenuë
sur tout ce qu'il faloit
qu'elle fçût, elle lui dit
la larme à l'oeil, car elle
avoit les larmesàcommandement
, que sa
pauvre amie estoitdans
un si grand accablej
ment qu'il faloit bien
se garder de luy donner
sîtost cette lettre, elle
l'ouvrit ensuite 1
,
la lut
& la déchira, comme
par un excès de colcre 1
contre Don Pedre, en s'écriant, hon j que
les,.
hommes sontperfides!
il faut épargner à mon |
amie la douleur de lire
de fausses excuses qui
font pour une femme
plus cruelles que Tofsense
memejtout cela
parut si naturel à la
Touriere, qu'elle répondit
naïvement, hélas
vous avez bien raison,
il ne faut pas seulement
dire à vôtre amie
que j'ay receu cette lettre
pour elle.
Après cecy la confidente
scelerate ne pensa
plus qu'à faire oublier
Don PedreàDorotée
: mais a tout ce qu'ellepouvoit dire
contre luy, Dorotée répondoic
seulement, ah
je le hais trop pour l'oublier;
en effet elle pensoit
à luy nuit & jour,
croyant le haïr, l'avoir
en horreur: mais elle
n'avoit en horreur que
sa trahison.
Pendant qu'elle se
défoloitainsi, Don Pedre
dit à Don Diegue
qu'elleavoiechangé de
vocation, & il la retira
du Couvent pour rernoucrce
mariage,cetftoit
dans le temps que [fArchiduc arrivoit à
Madrid5 deux jours
aprés son arrivée, il y
eût de grandes réjoüiffanceschezquelquesEs
pagnols Partisans dela
Maison d)Autriche, nôtrevieillard,
leplus zelé
de tousjdonnaungrand
*
souper, &dit à safille
qu'il faloit quelle en fit
les honneurs avec Don
Diegue qui alloit estre
son époux. Ces mot
prononcez par un per
terrible, àrquiellen'oJ
foit feulement répon-1
dre, la saisirent viverl
ment: il ne manquoit
plus à sa douleur que
la presence de Don
Diegue, & il arriva.
Quelle situation pour
elle d'estreplacée auprès
de luy dansun fcltin
où tour le monde la
felicitoit de ce qui alloit
faire son fuplicejon
parla des le lendemain
deconclurece mariage.
Elviré avertie de tout
par son amie du Couvent,
à qui Dorotée
contoit tous les jours
ses malheurs,alloit estre
au comble de sa joye,
cest-a-dire que Dorotée
alloitestre sacrifiée
à Don Diegue, lorsque
tout à coup les affaires
changèrent de face en
Espagne: le bruit courut
que TArchiduç à
son tour alloit quitter
Madrid: ce fut un coup
terrible pour le vieillard
Autrichien, qui
tomba malade à cette
premiere nouvelle: A
mesure que les affaires
de l'Archiduc empiroient,
le petit vieillard
déperissoit; enfin
quatrevingt-cinq ans
qu'ilavoir, & le départ
de l'Archiduc le firent
mourir:Secette mort
affligeaautant Dorotée
que si elle ne l'eût pas - délivrée d'un mariage
odieux,
Sitoftqu'elle fut maitresse
de son fort, elle
resolut de donner à un -
couvent le peu de bien
qu'elle avoit, & d'y
passer le reste de ses
jours qu'elle contoit devoir
~cftre fort cours,
puis qu'elle avoit perdu
Don Pedre:elle estoit
dans cette triste resolution
quinze jours après
la more de son pere, &
feule avec une fillede
chambre, à quielleracontait,
peuteftre pour
la centiéme fois, latrahison
de ce perfide.
Quelle fut sa surprise
quand elle le vit encrer;
il ne fut pas moins furpris
qu'elle, car en arrivant
deValladolid avec
le Roy, il avoit couru
droit chwZ le pere pour
~tafther de le fléchir:
Le hazard voulut qu'il
trouva les portes ouvertes,
& qu'il entra
d'abord dans une fale
tendue de noir,où estoit
Dorotée en deuil. Frapé
de ce fpdacle il estoit
relié immobile: Dorotée
croyant qu'il ve- - noit luy faire de mauvassesexcuses
dece quiL'estoitmarié,
fut d'abord
saisie d'ind ignation,
puis transportée
d'une colere si violente
qu'clle éclata malgré sa
modération naturelle:
elle joignit aux noms
de perfide & de traitre
des reproches où il ne
comprenoit rien, car ils
rouloient sur un mariage
&;- sur des circonstances
dont il n'avait
nulle idée; il pensa
que peutêtreTalffidion
auroit pu alterer son
bon sens: enfin sa colere
finit comme celle
de toutes les femmes,
quand elle a elle allumée
par l'amour; leur
colcre s'épuise en in j ures,
il ne leur reste que
les pleurs & la tendres
se : Dorotée fondit en
larmes, Don Pedrene
put retenir les siennes,
& je sens que je pleurerois
peutestre aussi en
écrivant cette sene, si
je ne sçavois que le dénouëment
en fera heureux;
il se fit par un
éclaircissement qui ennuyeroit
le Lecteur ,
mais qui nennuya pas
à coup seur nos deux
Amans; comme rien ne
s'opposoit plus à leur
union,ils furent si transportez
de plaisir
,
qu'ils
oublièrent de pester
contre l'artificieuse Elvire
, & sa fourbe compagne.
Elles furent asfez
punies quand elles
apprirent le mariage
de Dorotée & de Don.
Pedre.
amoureuse, dont jeviens
deparler dans le Journal
de Madrid.
*
I y avoità Madrid
un petit
vieillard Espagnol fort
passionne pour la Maison
d'Autriche,& cet
attachement n'estoit
que tres louable dans le
temps que la Maison
d'Autriche possedoit légitimement
la Couronne
d'Espagne ; ce vieillard
estoit nouveliste
de profession, non pas
de ces nouvelistes équitables
& censez que je
hante volontiers : mais
decesnouvelistes frondeurs
qui débitent leurs
prejugez malins pour
des faits averez ,
chagrins,
incrédules dans
lesévenemens avantageux
à leur Patrie; &C
triomphans d'un malheur
public qu'ils auront
deviné par hazard,
comme si c'estoit l'ouvrage
de leur politique
rafinée.
Ce petit vieillard Autrichien
avoit jette les
yeux sur un Espagnol
de sa cabale) pour marier
une hiletrèsaimablequ'il
avoit, cetEspagnol,
qui se nommoit
D.Diegueavoit gagné
le coeur du pereen luy
apprenant toujours le
premier les mauvaises
nouvelles
, en traitant
les bonnes de visions &
se déchaînant avec fureur
contre le Gouvernement
present dePhilippeV.
ensortequ'étant
venu un jour lui aprendre
la défaite de l'armee
de ce Prince, dans
la bataille deSa-ragoffe,
ce mauvais Espagnol
en fut si transporté de
joye qu'il l'embrassa
tendrement,&luy promit
déstors sa fille en
mariage pour prix d'une
si bonne.nouvelle.
Cette charmante fille
se nommoit Dorotée ,
elle estoit aussi judicieuse
que son pereestoit
entjesté. Dorotée ne se
croyoit pas si habile que
quelquesunes de nos
Dames qui decident à
present des droits &
des démêlez des Princes.
ellen'eutpris aucun
party entre l'Archiduc
& PhilippeV.sicertain
Cavalier aimable, fort
attaché à cedernier.,
ne l'eût déterminée
dans la fuite pour ce
Roy légitimé.
Un jour ce Cavalier
qu'onappelloit Don
Pedre, après toutes les
attentions dun amant
respedueux, s'étant enfin
flatté de n'estre pas
haï de Dorotée luy déclara
son amour, Dorotée
en rougit, elle baissa
les yeuX)8C ne repondit
rien, c'est ce qu'-
on peut faire de mieux
pour un amant, sur sa
première déclaration
il en fit plusieurs , autres,
ilfaloit bien en fin
qu'elle s'expliqua, elle
ne voyoit rien à desirer
en luyque dela confiance
, elle se défioit naturellement
de celle des
hommes, c'estoit son
faible; si toutes les femmes
avoient ce faible:,
illes çueriroit de bien
d'autres; Dorotee ne
put s'empêcherdédire
à Don Pedre tout ce
qu'elle craignoitlà-defsus
, il répondit à ses
craintes par des sermens
; c'est la réponse
ordinaire: il luy jura
que sa fidélité pourelle
feroit aussi inviolable
que celle qu'il avoit
pour son Roy, c'estoit
là son sermentle plus
familier. Cet Espagnol
zélé ne juroit que par
son Roy.
Dans lemomenr que
Don Pedre prononça
avec transport le nom
de Philippe V. Dorotée
s'écria tout à coup, ah
nous sommes perdus !
ensuiteelle luyditavec
douleur que ion pere
neferoic jamaisd'alliance
avec un fidele sujet
de Philippe V. ah,
Dorotée
,
s'écriat-il à j
son tour, pourquoy estes-
vous si charmante,
j'avois juré que je ne
ferois jamais nulle liaison
avec les Partisans
entêtez del'Archiduc;
il faudra donc me faire
la violence decacher à
vostre pere mon zele
pour mon Roy.
,.
cela
ne suffira pas, reprit
Dorotée en le regardant
tendrement, vous
n'obtiendrez jamais
rien de luy si vous ne
feignez. moy feindre!
reprit brusquement le
franc castillan, les deux
amans se regardèrent
quelques temps sans
rien dire. Don Pedre
ne pouvoit se resoudre
à feindre, & Dorotée
n'osoit exiger de luy
unsi grandsacrifice, ils
se quicterécfortaffligez
de l'obstacle invincible
qu'ils voyoient à leur
union,& lejurerent qu'-
aumoins rien ne les pouroit
empêcher de s'aimer
lereste de leur vie.
Quelques jours sécoulerent,&
Don Pedre
les passoit à rêver
auxmoyens dont il
pourroit user pour gagner
le pere, sans commettre
sa sincerité ; ce
vieillardn'estoit
• pas
riche, il n'avoit que le
desir des richesses, &
l'avarice estoit sa plus
force passion après celle
de reformer le Gouvernement
; nostrejeune
Espagnol avoir de
grands biens, il acheta
exprésde quelqu'un je
ne sçai quel contrat
qui le mir en liaison
d'affaire avec le vieillard,
il eut occasionpar
làdeluy faire ledétail
de les grands biens, &
deluimontrer plusieurs
contrats,tîtres & papiers,
le hazard fit qu'en
tirant d'unportefeüille
ces papiers, il s'y trouva
une lettre ouverte, où
le vieillardapperçut ces
mots. Du Campdel'archiduc
ce 20. Aouct.
Cette date estoit fraîche,
quelle amorce pour
un nouveliste!Il se jeta
sur cette lettre, qu'il
connut estre de l'écriture
d'un zélé Espagnol
rebele, qui estoitdu
Conseil secret de Stanope,
il crut fermement
par cette lettre que
Don Pedre avoir des
intelligences secrettes
dans le parti de l'Archiduc.
Don Pedre eut
beau luy protester qu'il
estoit bon Espagnol,
je ne suis point surpris,
luy dit le vieillard en
riant, qu'ayant quantité
de biens qui dépendent
du Gouvernement
prelent
, vous cachiez
avec foin vos intrigues
secretes avec ceux de
mon parti. Plus, Don
Pèdres'obstinaà paroître
ce qu'il estoit,plus
l'autre Je crut ce qu'il
desiroit qu'il fût, caril
commençoit à l'aimer
parce qu'il le voyoit
très-riche. -
Pour expliquer icy
comment cette lettre
s'estoit trouvée entre
les mains de Don Pedre
, ilfaut reprendre
son hiftoiredeplus loin,
il avoit esté destiné par
son pere à une veuve
Espagnole,nommée
Elvire, encore jeune&
belle : mais que Don
Pedre n'avoit jamais
aimée, à qui même depuis
la mort de son pere
il avoit: fait comprendre
qu'il ne pouvoir jamais
se resoudre d'encrer
dans une famille ennemie
de son Prince, &
le frere d'Elvire estoit
Colonel dans l'armée
ennemie; c'estoit justement
de luy que v£-
noit la lettre en question
: Les nouvelles que
ce frere nlandoit..ectoient
tres - mauvaises
pour Philippe V. Elvire
les montroit avec
soinà Don Pedrepour
luy persuader de s'attacher
à l'Archiduc qui
alloit estre son Souverain,
car elle estoit
persuadée que la difference
des partis estoit
le seul obstacle qui s'oppofoit
à son mariage
avec DomPedre.
Ce fidele & sincere
Espagnol se trouveicy
dans une situationbien
delicate : Elvire luy
donnoit tous les jours
par ces lettres des détails
qui l'affligeoient
beaucoup, parce qu'ils
estoient malheureux
pour son Roy: mais
ils estoient heureux
pour ton amour,car en
les faisant voir au petit
vieillard Autrichien,
il alloit obtenir de luy
Dorotée,j'eusse voulu
demander en cette occasion
à Don Pedre si
dans le fond du coeur il
souhaitoit de voir cesser
latriste cau se qui produisoit
un si bon effet,
il m'eût répondu sans
doute qu'il ne pouvoit
démêler un sentiment
si de licat à travers un
amour violent, il se
contentoit de jurer sincerement
qu'il seroitau
desespoir si l'Archiduc
depossedoit Pbilippe V.
mais s'il efloit bien aise
qu'on le crût sur sa parole,
c'est la question:
quoyqu'il en soit il fit
si bien que le pere de
Dorotée luy donna sa
parole : mais la difficulté
estoit de retirer celle
qu'il avoit donnée au
premier, il netrouvapoint
de pretexte plus
specieux pour sauver
Ton honneur que de
mettre sa fille dans un
Convent, comme siellet
eût voulu se faire Religieufe,
Don Diegue
alarmé vint se plaindre
à son beau-pere, qui
luy dit qu'en conscience
ilne pouvoit empêcher
sa fille d'embrasser
un estatoù elleestoit si
bien appellée, &' de
peur qu'on ne découvrit
le veritable motif
d'une vocation si subite
y il défenditàDon
Pedre d'aller voir Dorotée
auConvent,jusqu'à
ce que Don Diegue
sefut rengagé dans
un autre Mariage qu'il
avoit rompu pour celui-
ci, pour lors dit le
petit vieillard, ce fera
lui qui manquera de
parole & non pas moi.
Dorotée entra donc
dans le Convent [ûre
ducoeurde Don Pedre,
dont Elvire estoit prcfqne
sûre aussi, elle en
jugeoit par l'empressement
qu'elle lui voyoic
de tirerd'elle des lettres
qui lui apprenoient la
défaite de l'armée de
Philippe V. il fera bientôt
du parti du Vainqueur,
disoit-elle en
elle-même, & il m'aimera
sans doute dés
qu'il n'aura plus cet attachetachement
à Philippe
V. qui l'empêchoit
d'en avoir pour moy;
c'estainsi qu'elle se flattoit,
lors qu'une amie
quelleavoit dans le
même Couvent où estoit
Dorotée, lui dit
qu'elle avoit surpris sur
la table de cette aimable
compagne, une lettre
fort tendre,signée
DonPedre; Elviresça.
voit d'un autre côté
que D. Diegue moins
riche avoit esté congédié
par lePere avare,
sa penetration lui fit
deviner le reste, & son
caractere artificieux &
interessé lui fit former
sur tout cela un projet
qui lui réussit comme
vous allez voir.
Premièrement, elle
prit le parti de ne point
témoigner à Don Pedre
qu'elle estoit informée
de son engagement
avec Dorotée;
cet eclaircissement n'eût
rien produit, elle sçavoit
agir bien plus finement
; cette amie,
qu'elle alloit voir au
Couvent,s'y estoit retirée
parce qu'elleétoit
pauvres El vire lui promit,
pour adoucir les
chagrins de sa retraite,
une pension considerable,
si elle vouloit lui
aider à époufer le riche
Don Pedre, & elles
convinrent du rolle
qu'elles jouëroiet pour
venir à bout de leur
dessein.
Cette amie d'Elvire
estoit complaisante,
insinuante, c'estoit la
flateuse du Couvent,
il en faut bien au moins
une dans une Communauté
pour amadouer
les nouvelles venues;
elle plaisoit assez à Dorotee,
qui commençoit
à s'ennuyer destre separée
de Don Pedre,
& qui mouroitd'envie
d'avoir une confidente
pour parler au moins
de celui qu'elle ne pouvoit
voir, celle-ci n'ayant
d'autre but que
de s'attirer .cette confidence
, l'amitié fut
bien-tôt liée entr'elles,
elles ne se quittoient
plus.
Ce-tte compagne
chagrine naturellement
par la mauvaise
situation de ses assai,
res, aflfcéta de le paroître
encore davantage,
& Dorotée l'ayant un
soir pressee de lui dire
la cause de ses chagrins
helas répondit-elle,en
soupirant, les chagrins
de la plus part des
femmes sont causez par
l'inconstance des hommes
; ce mot fit quelque
impression sur le
coeur de Dorotée, qui
par hazard n'avoit
point receu ce jour la
deletrre de son amant,
enfuiré la fausse affligée
se plaignit de l'insidelité
du ifen,& fit Ltdessus
le récit d'une
avanture ajustée au Cujet,
qui tira des larmes
de Dorotée,&qui donna
occasion à l'autre de
se déchaîner contre les
hommes, & contre la
crédulité des femmes
qui osent s'y fier; comme
cette matiere fournit
beaucoup à la conversation
des Dames,
les deux amies le couchèrent
fort tard,
toutes ces idées d'inconfiance
ne laisserent
pas de troubler un peu
le sommeil de Dorotée;
elle ne vit en songe que
des inconstans & tous
ressèmbloient à celuy
dont elle avoit l'imagination
frappée; elle se
réveillaassez inquiete,
mais une lettre fort tendre
qu'elle reçut le matin
de Don Pedre la rassura,&
luy fîtcomprendre
combien il est ridicule
d'ajouter foy aux
songes.
Le lendemain Elvire
vint sçavoir au Couvent
quel progrès avoit
fait son amie, elles en
parloient ensemble lors
que Dorotée, qui ne
pouvait, plus estre un
moment sans sa confidente,
vint la chercher
au Parloir;larusée fit figne.
à Elvire de partir;
& assectant d'avoir eu
quelque dispute avec
celle qui fuyoit,ellese
leva brusquement avec
un reste de colere affeaée,
vous me voyez fâ.
chée; dit-elle à sa compagne,
mais tres fâchée
contre cette amie a qui
je voudrois bien épargner
des chagrins pareils
à ceux qui m'accablent,
elle cft aimée
d'un jeune Cavalier,
elle lui a avoue quelle
l'aimoit, elle en va faire
un infidèle,cela ne
peut lui manquer, Dorotée
eut d'abord cette
curiosité qu'une femme
a toûjours de sçavoir
l'intrigue d'un autre,
mais celle-ci lui remontra
qu'on ne doit jamais
exiger d'uneamie
le secret d'une autre amie,
parce que d'amie
en amie les secrets les
plus cachez font divulguez
par toute une
Ville, elle fit ainsi la
discrete pendant le reste
du jour, mais enfin
sur le foir elle se laissa
vaincre par la tendresse
qu'elle juroit à Dorotée,
& lui appritavec
cent circon stances étudiées
8c interessantes,
l'intrigue d'Elvire &
d'un Cavalier qu'elle
ne nommoit point d'abord
,mais après avoir
fait un portrait, dont
chaque trait de reiférnblance
perçoit le coeur
de Dorotée, elle luy
porta le coup de Poignard
en luy nommant
Don Pedre., à ce mot
Dorotée tomba presque
évanoüie, & l'au-
-
tre feignant de ne s'en
pas appercevoir lui dit
en se levant brusquement,
ah Ciel! jecroy
que j'entends sonner
rnitiait-on nes'ennuye
point avec vous, à demain
, chere amie, à
demain, je vous apprendrayqui
est ce D.
Pedre.
On peut s'imaginer
a peu prés comment
Dorotée passa la nuit,
on lui apporta le matin
une lettre de Don Pedre
, persuadée de sa
froideur, elle croyoit
la voir dans quelques
endroits moins tendres
que les autres, él ce
qu'il y avoit de plus
passionné lui paroissoit
outré par affectation,
elle ne voyoit que perfidie
enveloppée, que
trahison cachée fous des
expressions que l'amour
seul avoit diétées à cet
amant sincere, enfin
elle expliqua sa lettre
comme on explique
presque tout, selon les
idées dont on est prévenu;
elle prit d'abord
la plume pour lui faire
une réponse fulminante,
mais elle fit reflexion
que les reproches
ne font point revenir
un infidele,il n'estquession
que de se bien asseurer
s'ill'estréellement,
& de prendre
enfuire le parti de l'oublier
si l'on peut.
Dorotée avoit beaucoup
de confiance en
un valet de son pere qui
lui apportoit les lettres
de Don Pedre, c'estoit
un ancien domestique,
dune fidélité sûre,elle
le chargea d'examiner
toutes les démarches
de Don Pedre, & illui
rapporta dés le lendemain
qu'il l'avoit vû
entrer chez Elvire,
qu'il y alloit tous les
jours & cela estoit vrai,
il continuoit d'y aller
frequément pour avoir
des nouvelles comme
nous l'avons dit: Elvire
ne pouvoir sedouter
que les lettres qu'elle
fournissoit à D. Pedre
lui servissent à obtenir
Dorotée d'un Perenouveliste,
elle lui en donna
une enfin, qui portoit
qu'apréslaBataille
gagnée, l'Archiducs'avançoit
vers Madrid;
quelques jours aprés
PhilippeV.resolut d'en
sortir,& cette nouvelle
mit Don Pedre au
desespoir, il écrivit à
Dorotée tout ce qu'on
pouvoit écrire de plus
tendre la-dessus, mais
enfin il marquoit par sa
lettre: que si le Roy
quittoit Madrid il feroit
obligé de le suivre,
&cela parutàDorotée
prévenuë,une preuve
certaine del'infidelité
de D. Pedre; en lisant
cette lettre sa douleur
,.
fut si violente qu'elle
* ne put la cacher à sa
confidente, qui luy
donna pour toute consolation
son exemple à
suivre : J'ai esté trahie
comme vous, lui ditelle,
& ce n'est que par
le mépris qu'on doit se 1
venger d'un traitre.
Pendant que Dorotée
s'affligeoit,Elvirese réjoüissoitd'avoir
découvert
que sa fille de
chambre reportoit au
valet, espion de Dorotée,
tout ce qu'elle pouvoit
sçavoir de ce qui
sepassoitchez elle;elle
fit à cette fille une fausse
confidence, elle lui dit
que son mariage estoit
réf.tu avec Don Pedre,
le un jour qu'il vint
lui demander des nouvelles
,
elle ordonna
misterieusement à cette
fille de chambre de fai-
J.re venir son Notaire,
le Notaire arrivé, Elvire
le fit passerdans
* son cabinet, resta dans
sa - chambre avec Don
Pedre
,
fit sortir ses
gens, & fit enfin tout le
manége necessairepour
persuader à la fille de
chambre qu'on alloit
signer le Contrat de
mariage de Don Pedre
qu'Elvire amufoit cependant
,comme ayant
une affairepressée à terminer
avec son Notaire.
La fille de chambre
ne manqua pas
de tout raconter au
valet, & le valet affectionné
ne doutant plus
qu'Elvire & Don Pedre
ne sussent mariez
ensemble, alla porterà
8.r.téc cetre nouvelle
-qui la mit dans un
état aisé à comprendre,
mais tres difficile à dé- -dite.
Dans le temps que
L
Doret'ée s'abandonnoit
à sa douleur, Don Pedre
deson costé estoit
dans de cruelles agitations
: Le Roy devoit
partir le
-
lendemain ;
en le suivant il se dc-
- -
claroit bon Espagnol,
& par consequent ennemi
du pere de Dorotée;
il la perdoitenfin.
Dans cette extremité il
luy écrivit qu'il falloit
absolument qu'il
la pût voir ce jour-là au !
Couvent; mais par malheur
le valet qui portoit
la lettre rencontra à la
porte du Couvent le
petit vieillard, qui vint
à luy comme un fu- 1
rieux, se doutant qu'il
porportoit
comme à l'ordinaire
une lettre de
Don Pedre à sa fille,
il contraignit le valet
à lui donner la lettre,
qu'il déchira en mille
morceaux aprés avoir
battu le porteur, car ce
petit vieillard colerique
ne sepossedoit plus
depuis qu'il avoit ap- pris, des gens mêmes
de Don Pedre, qu'il
fuyoit la Domina- * tiond'Autriche en
suivant le lendemain
Philippe V. hors de
Madrid.
Ce pere, outré contre
Don Pedre, tâcha
ensuited'inspirer sa colere
à sa fille, mais
quoiqu'elle fût irritée
contre cet amant, elle
eut voulu que son pere
ne l'eût pas esté jusqu'à
jurer qu'il n'en feroit
jamais son Gendre, car
elle esperoit toûjours
de le trouver innocent,
oubliant même en certains
momens qu'ilcftoit
marié à Elvire,elle
,. J:.. ne pouvoir s în-raginer
qu'un homme si fidele
à son Roy eût pu estre
infidele à sa Maîtresse,
mais plusieurs personnes
l'affeurerent de son
malheur: Elvirevoyat
le Roy & la Reine partis
, & sçachant que
plusieurs Dames alloient
suivre leurs maris
à Valladolid, ou al..
loit la Cour, fit courir
le bruit qu'elle alloit y
suivre Don Pedre, &
prepara~t son départ
avec des circonstances
& des discours propres
à persuader à tout le
monde qu'elle estoit
mariée fecrettement à
cet époux qu'elle vouloit
suivre, elle sortit
de la Ville avec les Dames,
mais à quelques
lieuës de là elle prit la
route de Cuensa, où
son frere lui avoit écrit
de l'aller attendre dans
un petit Château qu'il
avoit de ces côtez-là,
où devoient bien-tost
arriver les Troupes de
l'Archiduc, dans lesquelles
ce frere avoit
un Regiment.
Revenons à Don Pedre,
quelques heures
avant que de partir
pour suivre le Roy, estant
fort inquiet de n'avoir
point réponse, il
alla luy-mêmeau Couveut
, voulant parler
absolument à Dorotée
pour Patfïirer de sa fidelité
pendant son abfence,
mais il rencontra
justement le vieillard
irrité, qui venoit
de donner des ordres si
precis à la Porte, qu'il
futimpossible à cetamant
desesperé de parler
à Dorotée, son uniqueressource
fut d'aller
écrire chez luy une feconde
lettre qu'il donna
à une Touriere qui
promit enfin à force
d'argent, qu'elle la
donneroit à Dorotée,
avec cette legere consolation
l'affligé Don
Pedre partit de Madrid
&: sacrifia plus à Philippe
V. en quittant
Dorotée, que tous les
Grands & les Nobles
ensemble, en quittant
leurs biens & leurs familles
pour leur Roy.
Voila donc ce tendre
amant party sans fçavoir
qu'illaissoit Dorotée
dans un desespoir
affreux
,
elle estoit
fermement persuadée
- qu'il estoit marié à Elvire,&
qu'illaméprisoit
mêmejusqu'au
point de n'avoir pas
daigné luy écrire une
lettre, car vous sçavez
que la premiere a esté
déchirée par le vieillard
mutin
,
à l'égard de la
seconde, cette Touriere
,qui connoissoit la
compagne de Dorotée
pour estre son intime
amie & sa confidente,
n'élira point à luy avoüer
qu'elle avoit une
lettre pour elle, elle
l'avoit déjà prévenuë
sur tout ce qu'il faloit
qu'elle fçût, elle lui dit
la larme à l'oeil, car elle
avoit les larmesàcommandement
, que sa
pauvre amie estoitdans
un si grand accablej
ment qu'il faloit bien
se garder de luy donner
sîtost cette lettre, elle
l'ouvrit ensuite 1
,
la lut
& la déchira, comme
par un excès de colcre 1
contre Don Pedre, en s'écriant, hon j que
les,.
hommes sontperfides!
il faut épargner à mon |
amie la douleur de lire
de fausses excuses qui
font pour une femme
plus cruelles que Tofsense
memejtout cela
parut si naturel à la
Touriere, qu'elle répondit
naïvement, hélas
vous avez bien raison,
il ne faut pas seulement
dire à vôtre amie
que j'ay receu cette lettre
pour elle.
Après cecy la confidente
scelerate ne pensa
plus qu'à faire oublier
Don PedreàDorotée
: mais a tout ce qu'ellepouvoit dire
contre luy, Dorotée répondoic
seulement, ah
je le hais trop pour l'oublier;
en effet elle pensoit
à luy nuit & jour,
croyant le haïr, l'avoir
en horreur: mais elle
n'avoit en horreur que
sa trahison.
Pendant qu'elle se
défoloitainsi, Don Pedre
dit à Don Diegue
qu'elleavoiechangé de
vocation, & il la retira
du Couvent pour rernoucrce
mariage,cetftoit
dans le temps que [fArchiduc arrivoit à
Madrid5 deux jours
aprés son arrivée, il y
eût de grandes réjoüiffanceschezquelquesEs
pagnols Partisans dela
Maison d)Autriche, nôtrevieillard,
leplus zelé
de tousjdonnaungrand
*
souper, &dit à safille
qu'il faloit quelle en fit
les honneurs avec Don
Diegue qui alloit estre
son époux. Ces mot
prononcez par un per
terrible, àrquiellen'oJ
foit feulement répon-1
dre, la saisirent viverl
ment: il ne manquoit
plus à sa douleur que
la presence de Don
Diegue, & il arriva.
Quelle situation pour
elle d'estreplacée auprès
de luy dansun fcltin
où tour le monde la
felicitoit de ce qui alloit
faire son fuplicejon
parla des le lendemain
deconclurece mariage.
Elviré avertie de tout
par son amie du Couvent,
à qui Dorotée
contoit tous les jours
ses malheurs,alloit estre
au comble de sa joye,
cest-a-dire que Dorotée
alloitestre sacrifiée
à Don Diegue, lorsque
tout à coup les affaires
changèrent de face en
Espagne: le bruit courut
que TArchiduç à
son tour alloit quitter
Madrid: ce fut un coup
terrible pour le vieillard
Autrichien, qui
tomba malade à cette
premiere nouvelle: A
mesure que les affaires
de l'Archiduc empiroient,
le petit vieillard
déperissoit; enfin
quatrevingt-cinq ans
qu'ilavoir, & le départ
de l'Archiduc le firent
mourir:Secette mort
affligeaautant Dorotée
que si elle ne l'eût pas - délivrée d'un mariage
odieux,
Sitoftqu'elle fut maitresse
de son fort, elle
resolut de donner à un -
couvent le peu de bien
qu'elle avoit, & d'y
passer le reste de ses
jours qu'elle contoit devoir
~cftre fort cours,
puis qu'elle avoit perdu
Don Pedre:elle estoit
dans cette triste resolution
quinze jours après
la more de son pere, &
feule avec une fillede
chambre, à quielleracontait,
peuteftre pour
la centiéme fois, latrahison
de ce perfide.
Quelle fut sa surprise
quand elle le vit encrer;
il ne fut pas moins furpris
qu'elle, car en arrivant
deValladolid avec
le Roy, il avoit couru
droit chwZ le pere pour
~tafther de le fléchir:
Le hazard voulut qu'il
trouva les portes ouvertes,
& qu'il entra
d'abord dans une fale
tendue de noir,où estoit
Dorotée en deuil. Frapé
de ce fpdacle il estoit
relié immobile: Dorotée
croyant qu'il ve- - noit luy faire de mauvassesexcuses
dece quiL'estoitmarié,
fut d'abord
saisie d'ind ignation,
puis transportée
d'une colere si violente
qu'clle éclata malgré sa
modération naturelle:
elle joignit aux noms
de perfide & de traitre
des reproches où il ne
comprenoit rien, car ils
rouloient sur un mariage
&;- sur des circonstances
dont il n'avait
nulle idée; il pensa
que peutêtreTalffidion
auroit pu alterer son
bon sens: enfin sa colere
finit comme celle
de toutes les femmes,
quand elle a elle allumée
par l'amour; leur
colcre s'épuise en in j ures,
il ne leur reste que
les pleurs & la tendres
se : Dorotée fondit en
larmes, Don Pedrene
put retenir les siennes,
& je sens que je pleurerois
peutestre aussi en
écrivant cette sene, si
je ne sçavois que le dénouëment
en fera heureux;
il se fit par un
éclaircissement qui ennuyeroit
le Lecteur ,
mais qui nennuya pas
à coup seur nos deux
Amans; comme rien ne
s'opposoit plus à leur
union,ils furent si transportez
de plaisir
,
qu'ils
oublièrent de pester
contre l'artificieuse Elvire
, & sa fourbe compagne.
Elles furent asfez
punies quand elles
apprirent le mariage
de Dorotée & de Don.
Pedre.
Fermer
Résumé : AVANTURE amoureuse, dont je viens de parler dans le Journal de Madrid.
Le texte narre une aventure amoureuse complexe à Madrid. Un vieillard espagnol, passionné par la Maison d'Autriche, est un nouvelliste frondeur qui se réjouit des malheurs publics. Il a une fille, Dorotée, et un allié, Diego, qui gagne la confiance du vieillard en lui rapportant de mauvaises nouvelles et en critiquant le gouvernement de Philippe V. Diego obtient la main de Dorotée en mariage après avoir annoncé la défaite de l'armée de Philippe V. Dorotée, judicieuse contrairement à son père entêté, est courtisée par Don Pedre, un cavalier attaché à Philippe V. Don Pedre déclare son amour à Dorotée, mais elle exprime ses craintes concernant la fidélité des hommes. Don Pedre jure sa fidélité, mais Dorotée révèle que son père ne consentira jamais à une alliance avec un fidèle de Philippe V. Ils décident de s'aimer secrètement. Pour gagner la confiance du père de Dorotée, Don Pedre utilise des contrats et des papiers pour montrer ses richesses. Par hasard, le vieillard découvre une lettre datée du camp de l'archiduc, ce qui le convainc que Don Pedre a des intelligences secrètes avec le parti de l'archiduc. Malgré les protestations de Don Pedre, le vieillard le croit riche et commence à l'aimer. La lettre provient du frère d'Elvire, une veuve espagnole à qui Don Pedre avait été destiné par son père. Elvire tente de persuader Don Pedre de s'attacher à l'archiduc, mais il reste fidèle à Philippe V. Finalement, le père de Dorotée accepte de donner sa fille à Don Pedre, mais ce dernier doit d'abord rompre son engagement avec Elvire. Pour ce faire, il place Dorotée dans un couvent. Elvire, informée de la situation, forme un projet avec une amie au couvent pour séduire Don Pedre. Cette amie, complaisante et insinuante, gagne la confiance de Dorotée et lui raconte des histoires d'inconstance masculine. Dorotée, troublée, reçoit une lettre tendre de Don Pedre qui la rassure. Elvire, lors d'une visite au couvent, apprend de son amie que Dorotée est curieuse de l'intrigue d'Elvire et d'un cavalier. L'amie révèle à Dorotée que ce cavalier est Don Pedre, ce qui la plonge dans le désespoir. Dorotée passe une nuit agitée et, le matin, interprète la lettre de Don Pedre comme une preuve de sa froideur et de sa perfidie. Dorotée, après avoir reçu une lettre de Don Pedre, décide de ne pas répondre immédiatement, réfléchissant que les reproches ne ramèneraient pas un infidèle. Elle confie à un valet fidèle de son père la surveillance des démarches de Don Pedre, qui découvre que ce dernier fréquente Elvire. Dorotée, malgré ses doutes, continue d'espérer la fidélité de Don Pedre. Elvire manipule la situation pour sembler mariée à Don Pedre, utilisant sa femme de chambre comme espionne. Dorotée, désespérée, apprend la prétendue infidélité de Don Pedre et sombre dans le chagrin. Don Pedre, obligé de suivre le roi Philippe V, tente en vain de voir Dorotée, ses lettres étant interceptées par le père de Dorotée. Dorotée, convaincue de l'infidélité de Don Pedre, est forcée de se préparer à un mariage arrangé avec Don Diegue. Cependant, les événements politiques en Espagne changent, et le père de Dorotée meurt. Dorotée décide de se retirer dans un couvent. Finalement, Don Pedre revient et retrouve Dorotée en deuil. Après des malentendus et des éclats de colère, ils se réconcilient et se marient, oubliant les manipulations d'Elvire et de sa complice.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
6
p. 169-181
DE VIENNE en Austriche.
Début :
La fille d'un bourgeois de cette Ville, âgée de [...]
Mots clefs :
Accouchée, Sage-femme, Amant, Tourrière, Couvent
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DE VIENNE en Austriche.
DE VIENNE
en Auftriche.
MONSIE
re
CONSIEUR ,
Pardonnez à un Allemand qui fçait à peine
le François , de vous efcriune avanture , & de
prétendre qu'on la mette
fous la preffe : c'est un ma
riage qui fe fit l'année
paffee , & quejene crains
plus de rendre public à
Juin 1712.
P
170 MERCURE
Paris comme ill'aefte icy,
parce que le mary a efte
tué en Flandre & la
femme eft morte defa feconde couche. Si l'un ou
l'autre eftoit encore en vie
je me garderois bien de
vous envoyer cette avanture.
La fille d'un bourgeois
de cette Ville , âgée de dixfept à dix-huitans , n'ayant
plus ny père ny mere
retira chez une vieille tante qui cut pour fon éduca-
,
fe
GALANT. 171
tion tous les foins & toute
l'attention poffible. Cette
bonne femme eut le malheur d'avoir pour locataire un avanturier des bords
de la Garonne , Peintre en
chambre , & Chevalier en
ville, & Gafcon de profeffion , crut trouver un party confiderable dans la recherche de cette fille , &
pour gagner l'efprit de ſa
tante qui n'avoit point
d'autre heritiere qu'elle ,
exagera l'excellence & l'u
tilité de fon art en luy
perfuadant que fon travail
,
Pij
172 MERCURE
joint aux talents de fa niece leur procureroient un
eſtabliſſement confiderable ; les complaiſances du
Peintre pour la vieille , fi
rent de fi grands progrez
fur elle , qu'elle difpola fa
niece au mariage , en faveur duquel elle donnoit
tout fon bien , en ſe refer
vant feulement l'ufufruit
fa vie durant. Pendantcet
intervale le Gafcon vit
fouvent fa belle , & le re
gardantdeflors commefon
époux , elle n'eut pas la
force de refifter à fes em-
GALANT. 173
preffemens Le galant fa
tisfait du cofté de l'amour
ne l'eftoit pas du cofté de
l'intereft ; la referve de l'ufufruit ne luy plaifoit pas.
Il employatouteforte d'artifices pour qu'on ſe relafchaft fur cet article ; cependant la Tante tint ferme ,
& dit qu'elle ne vouloit
rien innover aux claufes du
Contrat. Le perfide qui
fçavoit mieux diffimuler
qu'époufer , ne laiffa pas.
que deprendreparole pour
la celebration qui devoit fe
faire le 20. Aouft 1711. A
P iij
174 MERCURE
jour nommé il va à l'Eglife,
& faifant l'empreffé pour
chercher le Preftre , il dif
parut fans qu'on ait ſceu
depuis ce temps- là ce qu'il
eft devenu. Chacun fe regarde , murmure , &toutes
reflexions faites, les Parens
s'en retournerent fort con
fternez. Marianne avoit
plus d'une raifon pour eſtre
plus affligée que les autres.
Une raifon ne parut à fa
famille que quelques mois
aprés. Elle voulut prevénir
cet éclat en perfuadant à
la bonne femme de con-
GALANT.'s
fentir qu'elle alla cacher
au fond d'un Cloiftre l'affront qu'elle avoit receu à
l'Eglife . Sa Tante la mena
au Convent dés le lende
main. Elle y fut receuë
parune femmehabillée en
Tourriere , & elle fut fe cacher réellement dans une
maiſon feculiere où elle
trouva une femme habile
& charitable qui luy faifoit
efperer de luy rendre la
beauté de fa taille deux
mois aprés, qui la mena dás
un Parloir , où aprés avoir
attendu quelque temps , la
Piiij
176 MERCURE
A
meſme Touriere luy vint
dire que la Mere Prieure
eftoit malade , la bonne
tante qui fe trouvoit fort
incommodée ce jour-là ,
s'en retourna avec précipitation chez elle , & laiffa
fa niece dans le Parloir ;
elle en fortit un peu aprés
avec la Touriere qui la me
na chez elle pour achever
à loifir & en fecret , ce que
l'amour avoit commencé
de mefme. Le lendemain
on fut fort inquiet de la
niece dans le Convent où
l'on l'attendoit tousjours ,
GALANT. 177
ה & chez la tante qui l'avoit
laiffée au Convent ; mais
cette Tourriere eftoit une
fage - femme déguisée qui
avoitfait connoiffance depuis quelques jours avecla
Tourriere à qui elle vouloit fucceder,luy difoit- elle,
parce que laTourriere vouloit fortir de ce Convent
pour aller dans un autre.
On ne put donc avoir aucunes nouvelles ny de cette
fauſſe Tourriere , ny de la
niece , ce qui donna un
tel chagrin à la tante desja tres- malade , qu'elle en
178 MERCURE
mourut de chagrin quelque temps aprés,juftement
dans le temps que fa niece
ignorant la maladie de ſa
tante , achevoit fon terme
fatal.
La Sage-femme porte
l'enfant à l'Eglife dans le
milieu de la nuit pour tenir
plus fecret ce petit fruit
d'iniquité.
Quel fut l'eftonnement
du Preftre & de la Sagefemme , quand ils virent
entrer à deux heures aprés
midy dix ou douze jeunes
gens éclairez par des flam-
GALANT. 179
beaux , tous bouteilles ou
verres à la main , & quelques uns à demiyvres , qui
s'emparerent de la nourriffe & de l'enfant , & les
menoit en triomphe par
toute la Ville , en chantant
toutes les Chanſons qui
pouvoient convenir à la
naiffance dérobée d'un tel
enfant ? Le bruit que cela
fit réveilla toute la Ville &
par confequent le Magiftrat qui voulut faire mettre la troupe en priſon ſans
unplus yvre qui le prit par.
la main , & comme il n'a-
180 MERCURE
1
voit pas main forte avec
luy la clique Bachique
l'emmena droit à la maiſon
cù eftoit l'accouchée qui
penfa mourir defrayeur de
la galanterie que luy faifoit fon Amant : car c'eftoit
luy mefme qui ayant eſté
averti à table que la Tante
de fa Maiftreffe eftoit morte , & en mesme temps que
fon petit fucceffeur eftoit à
l'Eglife , avoit fait une reflexion d'yvrogne en penfant que les autres avoient
executé, commevous avez
veu , en ſon eſprit qu'en
GALANT. 181
t faifant entrer le Magiftrat
jufques dans la chambre
de l'accouchée : l'yvrogne
luy dit ; voilà ma femme
qu'avez-vous à dire ? c'eſt
tout ce que put tirer le Magiftrat qui d'ailleurs galant
homme les pria civilement
de fe retirer chacun chez
eux , & l'accouchée revenuë de cette aubade , époufale lendemain fonAmant,
qui voulut bien dès ce jour
recueillir avec elle la fucceffion que la Tante n'a-
*
voit pas voulu leur donner
defon vivant
en Auftriche.
MONSIE
re
CONSIEUR ,
Pardonnez à un Allemand qui fçait à peine
le François , de vous efcriune avanture , & de
prétendre qu'on la mette
fous la preffe : c'est un ma
riage qui fe fit l'année
paffee , & quejene crains
plus de rendre public à
Juin 1712.
P
170 MERCURE
Paris comme ill'aefte icy,
parce que le mary a efte
tué en Flandre & la
femme eft morte defa feconde couche. Si l'un ou
l'autre eftoit encore en vie
je me garderois bien de
vous envoyer cette avanture.
La fille d'un bourgeois
de cette Ville , âgée de dixfept à dix-huitans , n'ayant
plus ny père ny mere
retira chez une vieille tante qui cut pour fon éduca-
,
fe
GALANT. 171
tion tous les foins & toute
l'attention poffible. Cette
bonne femme eut le malheur d'avoir pour locataire un avanturier des bords
de la Garonne , Peintre en
chambre , & Chevalier en
ville, & Gafcon de profeffion , crut trouver un party confiderable dans la recherche de cette fille , &
pour gagner l'efprit de ſa
tante qui n'avoit point
d'autre heritiere qu'elle ,
exagera l'excellence & l'u
tilité de fon art en luy
perfuadant que fon travail
,
Pij
172 MERCURE
joint aux talents de fa niece leur procureroient un
eſtabliſſement confiderable ; les complaiſances du
Peintre pour la vieille , fi
rent de fi grands progrez
fur elle , qu'elle difpola fa
niece au mariage , en faveur duquel elle donnoit
tout fon bien , en ſe refer
vant feulement l'ufufruit
fa vie durant. Pendantcet
intervale le Gafcon vit
fouvent fa belle , & le re
gardantdeflors commefon
époux , elle n'eut pas la
force de refifter à fes em-
GALANT. 173
preffemens Le galant fa
tisfait du cofté de l'amour
ne l'eftoit pas du cofté de
l'intereft ; la referve de l'ufufruit ne luy plaifoit pas.
Il employatouteforte d'artifices pour qu'on ſe relafchaft fur cet article ; cependant la Tante tint ferme ,
& dit qu'elle ne vouloit
rien innover aux claufes du
Contrat. Le perfide qui
fçavoit mieux diffimuler
qu'époufer , ne laiffa pas.
que deprendreparole pour
la celebration qui devoit fe
faire le 20. Aouft 1711. A
P iij
174 MERCURE
jour nommé il va à l'Eglife,
& faifant l'empreffé pour
chercher le Preftre , il dif
parut fans qu'on ait ſceu
depuis ce temps- là ce qu'il
eft devenu. Chacun fe regarde , murmure , &toutes
reflexions faites, les Parens
s'en retournerent fort con
fternez. Marianne avoit
plus d'une raifon pour eſtre
plus affligée que les autres.
Une raifon ne parut à fa
famille que quelques mois
aprés. Elle voulut prevénir
cet éclat en perfuadant à
la bonne femme de con-
GALANT.'s
fentir qu'elle alla cacher
au fond d'un Cloiftre l'affront qu'elle avoit receu à
l'Eglife . Sa Tante la mena
au Convent dés le lende
main. Elle y fut receuë
parune femmehabillée en
Tourriere , & elle fut fe cacher réellement dans une
maiſon feculiere où elle
trouva une femme habile
& charitable qui luy faifoit
efperer de luy rendre la
beauté de fa taille deux
mois aprés, qui la mena dás
un Parloir , où aprés avoir
attendu quelque temps , la
Piiij
176 MERCURE
A
meſme Touriere luy vint
dire que la Mere Prieure
eftoit malade , la bonne
tante qui fe trouvoit fort
incommodée ce jour-là ,
s'en retourna avec précipitation chez elle , & laiffa
fa niece dans le Parloir ;
elle en fortit un peu aprés
avec la Touriere qui la me
na chez elle pour achever
à loifir & en fecret , ce que
l'amour avoit commencé
de mefme. Le lendemain
on fut fort inquiet de la
niece dans le Convent où
l'on l'attendoit tousjours ,
GALANT. 177
ה & chez la tante qui l'avoit
laiffée au Convent ; mais
cette Tourriere eftoit une
fage - femme déguisée qui
avoitfait connoiffance depuis quelques jours avecla
Tourriere à qui elle vouloit fucceder,luy difoit- elle,
parce que laTourriere vouloit fortir de ce Convent
pour aller dans un autre.
On ne put donc avoir aucunes nouvelles ny de cette
fauſſe Tourriere , ny de la
niece , ce qui donna un
tel chagrin à la tante desja tres- malade , qu'elle en
178 MERCURE
mourut de chagrin quelque temps aprés,juftement
dans le temps que fa niece
ignorant la maladie de ſa
tante , achevoit fon terme
fatal.
La Sage-femme porte
l'enfant à l'Eglife dans le
milieu de la nuit pour tenir
plus fecret ce petit fruit
d'iniquité.
Quel fut l'eftonnement
du Preftre & de la Sagefemme , quand ils virent
entrer à deux heures aprés
midy dix ou douze jeunes
gens éclairez par des flam-
GALANT. 179
beaux , tous bouteilles ou
verres à la main , & quelques uns à demiyvres , qui
s'emparerent de la nourriffe & de l'enfant , & les
menoit en triomphe par
toute la Ville , en chantant
toutes les Chanſons qui
pouvoient convenir à la
naiffance dérobée d'un tel
enfant ? Le bruit que cela
fit réveilla toute la Ville &
par confequent le Magiftrat qui voulut faire mettre la troupe en priſon ſans
unplus yvre qui le prit par.
la main , & comme il n'a-
180 MERCURE
1
voit pas main forte avec
luy la clique Bachique
l'emmena droit à la maiſon
cù eftoit l'accouchée qui
penfa mourir defrayeur de
la galanterie que luy faifoit fon Amant : car c'eftoit
luy mefme qui ayant eſté
averti à table que la Tante
de fa Maiftreffe eftoit morte , & en mesme temps que
fon petit fucceffeur eftoit à
l'Eglife , avoit fait une reflexion d'yvrogne en penfant que les autres avoient
executé, commevous avez
veu , en ſon eſprit qu'en
GALANT. 181
t faifant entrer le Magiftrat
jufques dans la chambre
de l'accouchée : l'yvrogne
luy dit ; voilà ma femme
qu'avez-vous à dire ? c'eſt
tout ce que put tirer le Magiftrat qui d'ailleurs galant
homme les pria civilement
de fe retirer chacun chez
eux , & l'accouchée revenuë de cette aubade , époufale lendemain fonAmant,
qui voulut bien dès ce jour
recueillir avec elle la fucceffion que la Tante n'a-
*
voit pas voulu leur donner
defon vivant
Fermer
Résumé : DE VIENNE en Austriche.
En 1711, à Vienne, une jeune fille orpheline de dix-sept à dix-huit ans vit chez sa tante, qui l'élève avec soin. Un aventurier, peintre et gascon, loue une chambre chez elles et cherche à épouser la jeune fille pour hériter de sa fortune. Il séduit la tante en vantant ses talents et ceux de sa nièce, obtenant ainsi son consentement au mariage. Cependant, le jour de la cérémonie, l'aventurier disparaît mystérieusement. Quelques mois plus tard, la jeune fille, nommée Marianne, est envoyée dans un couvent pour cacher sa grossesse. Elle est trompée par une fausse tourière et accouche en secret. L'enfant est déposé à l'église, mais est ensuite enlevé par un groupe de jeunes gens ivres. Le père de l'enfant, également ivre, intervient et révèle au magistrat que Marianne est sa maîtresse. Après avoir constaté la situation, le magistrat les laisse partir. La tante de Marianne meurt de chagrin peu après. Finalement, l'amant de Marianne décide de l'épouser et de recueillir la succession de la tante.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 3-45
LA BLONDE BRUNE femme & maistresse.
Début :
Une Dame jolie, enjoüée, & de beaucoup d'esprit, vertueuse [...]
Mots clefs :
Blonde, Brune, Languedoc, Mari absent, Galanterie, Maîtresse, Soupçon, Amant jaloux, Convalescence, Paris, Abbesse, Conseiller, Amour, Carrosse, Abbaye, Veuve, Couvent, Tromperie, Jalousie, Cheveux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LA BLONDE BRUNE femme & maistresse.
LA BLONDE BRUNE
femme & maistreffe.
UNeDame jolie , enjouée , & de beaucoup
d'efprit , vertueufe dans
le fond , mais aimant le
Septembre 1712. Aij
4 MERCURE
monde , & les amufe->
ments d'une galanterie
fans vice , ne put s'empefcher de fuivre cette
maniere de vie pendant
l'abfence de fon mary ,
que d'importantes affai
res avoient appellé dans
le Languedoc pour quelque temps. Il eftoit tresnouveau marić , & avoit
épousé la femme par un
accommodement de famille , & ne l'avoit pas
veuë plus de deux outrois
GALANT.
jours avant ſon mariage,
& avoit efté contraint de
partir peu de jours après.
Il aima d'abord cette
femme ; mais foit jaloufic , foit delicateffe fcrupuleufe fur le point
d'honneuril eftoit un
peu trop fevere für fa
conduite ; & il luy recommanda en partant
une regularité devivie
fort efloignée des innocentes libertez qu'elle s'eftoit donnée eftant fille ,
Aiij
6 MERCURE
& qu'elle s'eftoit promis
de continuer après fon
mariage , ainfi fe voyant
maitreffe de fes actions
par ce départ , elle oùblia tous les fcrupules
qu'onlui avoit donnez en
partant , elle eftoit née
pour la vie agréable ,
l'occafion eftoit belle
elle crut qu'il luy eftoit
permis de s'en fervir ,
pourveu qu'elle évitaft
l'éclat ; elle ne vouloit
point recevoir de vifites
GALANT.
7
chez elle , mais elle avoit
des amis & des amies de
fon humeur , on la vit ,
elle plut & n'en fut point
fafchée. On lui fit de tendres déclarations , elle les
reçeut en femme d'efprit
qui veut eftre aimée &
ne point aimer, elle ne fe
faſchoit de rien, pourveu
qu'onne paffaft point les
bornes qu'elles s'eftoit
prefcrites conformément
à un fond de fageffe qui
ne pourroit eftre alteré ,
*
A iiij
8 MERCURE
les plus médifans one
pouvoient avoir que des
foupçons mal fondez , &
ceux qui eftoient les plus
entreprenans s'aperceurent bien - toft qu'il n'y
avoit à efperer d'elle que
l'agrément de la focieté
generale , ils l'en eſtimerent davantage & n'en
curent pas moins d'empreffement à la voir, car
elle plaifoit , mefme aux
femmes qui fe fentoient
un merite inferieur au
GALANT
fien , tout alloit bien jufque là mais un de ces
jeunes conquerants qui
ne veulent des femmes
que la gloire de s'en eſtre
fait aimer , prétendit un
jour eftre aimé d'elle
plus férieufement qu'elle
ne vouloit , elle le regarada fierement , changea
de ftile , prit un air fevere
& rabbatit tellement fa
vanité , qu'elle s'en fit un
ennemi tres- dangereux
il examina de prés toutes
10 MERCURE
fes demarches , la vit de
facile accès à tous ceux
qu'il regardoit comme
fes rivaux , & fans fonger qu'ils ne luy avoient
pas donné les mefmes fujets de plainte que luy , il
les mit tous fur fon compte , il prit confeil de fa
jaloufie , & ne fongea
plus qu'à fe vanger , il en
trouva une occafion toute autre qu'il ne l'efpe
roit.
La Dame eftoit allée à
GALANT.
IF
une Campagne pour
quelques jours avec une
amie;
par malheur pour
elle fon mary revint
justement de Languedoc le lendemain du
départ de fa femme , &
fut fort défagreablement
furpris de nela point
trouver chez elle en arrivant. Le premier homme qu'il vit en fortant
de chez luy ce fut l'amant jaloux , avec qui
il avoit toujours vécu
12 MERCURE
affez familierement , le
mary luy confia le chagrin qu'il avoit contre ſa
femme; il prit cette occafionpour la juftifier de la
maniere dont les prudes
medifent ordinairement
de leurs émules , c'eſtà- dire en excufant malignement les fautes qu'on
ignoreroit fans elle; il entra dans le détail de toutes les connoiffances qu
elleavoit faites depuisfon
départ , & de toutes les
GALANT. 13
parties où elles'étoit trouvée, en louant une vertu
qui pouvoit eftre à l'épreuve de tout cela , mais
cette vertu eftoit ce qui
frappoit moins le mary
les épreuves où elle s'eftoit mife le frappoient
bien davantage , en un
motil l'enviſageacomme
tres-coupable, il s'emporte, il fulmine, & il auroit
pris quelque refolution
violente, fi quelques amis
mieux intentionnez
MERCURE
n'cuffent un peu adouci
le venin que le premier
avoit infinue dans le
cœur de ce pauvre mari ,
cependant tout ce que
ceux- cy purent gagner
ce fut qu'en attendant
un éclairciſſement plus
ample cette femme iroit,
fous quelque prétexte
qu'ils trouverent , paffer
quelques femaines dans
un Couvent à quinze
lieues de Paris , dont par
bonheur l'Abeffe fe trouE
GALANT. S
foeur d'un de ces prudents amis , & la femme
va
executa cette retraite demivolontaire dès qu'elle
fut de retour ; & deux
parentes du maryfechargerent de l'y conduire.
La voila donc dans le
Couvent , fes manieres
engageantes & flateufes
la rendirent bien- toft intime amie de l'Abbeffe ,
elle fe fit aimer de tout le
Couvent, c'eftoit une neceffité pour elle que la
stoleg
16 MERCURE
vie gaye , elle fe fit des
plaifirs de tout ce qui en
peut donner dans la retraite , & elle fit amitié
avec une jeune Provençale, parente de l'Abbeſſe
qui eftoit aufli dans le
Couvent pour paſſer la
premiere année de fon
veuvage, mais elle eftoit
auffi gaye que celle - cy
qui n'eftoit pas veuve
celle - cy eut une fantaifie fi forte d'apprendre
le Provençal qu'elle le
parloit
GALANT. 17
parloit au bout de quelque temps auffi bien que
cette veuve qu'elle ne
quittoit pas d'un moment.
Le temps de cette retraite dura prés d'une an
née au lieu de quelques
femaines › parce que le
mary fut obligé de retourner en Languedoc
& qu'il ne voulut pas la
laiffer feule à Paris une
feconde fois. Pendant ce
temps là elle eut la petite
Septembre 1712. B
18 MERCURE
verole , & n'en fut prefque point marquée, mais
il fe fit un petit changementdans les traits defon
de temps vifage , en peu
la convalefcence joignit
de l'embonpoint à fa taille qui eftoit fort menuë ;
& fon teint s'éclaircit
beaucoup , elle perdit de
beaux cheveux blonds
qu'elle avoit , en forte
que mettant un jour en
badinant une coifure de
la veuve , qui eftoit bru
GALANT 19
ne , elle fe trouva fi jolic
en brun & en mefme
temps fi diférente de ce
qu'elle eftoit en blond
avant fa petite verolo
que joignant à cela le
langage Provençal, qu'el
le s'eftoit rendu naturel ,
ellecrutpouvoir fatisfaire
une fantaiſie qui luyvint;
c'eftoit d'accompagner
fan amie dans un pe
tit voyage qu'elle alloit
faire à Paris , & d'y paſfer
incognito pour une Pra
Bij
20 MERCURE
vençale parente de cette
veuve , elle en obtint la
permiffion de l'Abbeffe
& du frere de cetteAbbef
fe, qui eftoit, commej'ay
dit , le vray ami de confiance du mary , & qui
avoit mefme affez d'af1
cendant fur luy pour ſe
charger de ce qui pourroit arriver , lorſque par
hazard elle feroit reconnuë par quelqu'un. En
unmot , il ne put refuſer
cette petite confolation
GALANT. 28
d'aller voir Paris , à une
femme qu'il fçavoit innocente , & que fon mary qui menaçoit d'eftre
encore trois mois en Lan
guedoc, avoit déja laiffé
un an dans le Couvent ,
il partit donc avec la veritable & la fauffe brune,
qu'il mena en arrivant à
Paris chez unvieux Confeiller dont la femme eftoit tres vertueuse , il ne
pouvoit la placer mieux
pour la fureté du mary.
22 MERCURE
Il fit croire aifément au
vieux Confeiller & à fa
femme qu'elle eftoit Provençale & parente de la
veuve.
Nos deux brunes firent pendant quelques
jours l'admiration du petit nombre de gens que
voyoit la Confeillere , &
elles eftoient un jourtoutes trois avec le Confeiller dans fon Cabinet en
fortant de Table , lorfqu'un Soliciteur impa
}
GALANT. 27
que
tes
tient ne trouvant perfonne pour l'annoncer, parce
gens difnoient
entra dans le Cabinet du
Confeiller. Qui pourroit
imaginer la bizarerie de
cette incident , le mary
jaloux eftoit revenu en
poſté pour un procèsimportant dont ce Confeil
ler venoit d'eftre nommé
Rapporteur , il eſtoit encore aux compliments
avec le Confeiller quand
la parole luy manqua
&
24 MERCURE
tout à coup , par la ref
femblance eftonnante
qui le frappa malgré les
changemens dont j'ay
parlé ; le Conſeiller luy
dit ce qu'il croyoit de
bonne foy , que cette
belle Provençale eftoit
arrivée de Provence depuis deux jours avec la
veuve. Le mary ne put
s'empefcher contre lá
bienséance mefme de s'avancer vers les deux Dames , il leur marqua là
caufe
GALANT.
caufedefoneftonnement,
& il cuftfansdoutereconneu fa femme fans la préfence d'efprit qu'elle cut
de neparler que Provençal , comme fi elle n'euft
pas fceu bien parler
François , ce jargon dépayfa encore le mary qui
s'en tint à l'eftonnement
d'une telle reffemblance
entre une brune & fa
femme qui eftoit blonde.
En ce moment l'ami qui
avoit difné avec les DaSeptembre 1712, C
26 MERCURE
mes, & qui eftoit reſté un
moment dans le Jardin ,
fut eftonnéen remontant
de trouver dans l'antichambre un Laquais de
fon ami qu'il croyoit encore en Languedoc , &
fut bien plus furpris encore quand ce Laquais
lui dit que fon Maiſtre
eftoit dans le Cabinet du
Confeiller , il entra fort
allarmé , mais la fcene
qu'il y trouva l'ayant un
peu raffuré , lui fit naiſtre
GALANT
. 17
en grossune idée qu'il
perfectionna dans la fuite , & aprés avoir appuyé
ta folicitation de fon ami
auprès du Conſeiller , il
fortit avec luy , le fortifia dans l'idée de la
reffemblance , & lui promit pour la rareté dufait
de luy faire voir le lende-
-main cette brune, & dès
le foir mefme il prévint
ola Confeillere en lui contant la verité de tout , &
luy faiſant approuver le
C ij
& MERCURE
deffein qu'il avoit , car
foupçonnoit desja le mary d cftre un peu amoureux de fa femme traveftie. ?
La vifite du lendemain
fe pafla plus gayement
que la premiere entreveuë, car la femme ayant
concertéfon perfonnage,
le fouftint à merveille, &
dit à fon mary en langage Provençal cent jolies
chofes , que la veuve lui
interpretoit à mefure ,
GALANT. 29
elle interpretoit enfuite
la femme ce que fon mary lui difoit bon François : ce jeu donna à l'amyla fene du monde la
en
plus divertiflante , & le
maryfortit delà fì amouBeux , que fon amy n'en
douta plus ; mais il fe
garda bien de lui tefmoi
gner qu'il s'en apperceut,
de peur de le de le contraindre. Le fingulier de cett
avanture , c'eft qu'en certains momens le maryreCij
30 MERCURE
connoiffoit fi fort fa femme, que cela refroidiffoit
un peueu fon amour, toutes les differences qu'il
trouvoit le frappant , enfuite fon amour redoubloit , & les fcrupules lui
prenoient , il vit ainfi plufieurs fois fa femme, mais
le jour de fon départ eftoit arrivé , on dit hautement qu'elle retournoit
en Provence, & elle partit
pour fe rendre au Cou
vent.
ALANT 31
Ce départ mit le mary
dans un tel abbatement
qu'il ne put s'empeſcher
de faire confidence àa fon
amy du cruel cftat où
cette feparation l'avoit
que
mis. Alors Famylui confeilla de profiter de la reffemblance, de taſcher
fa femme remplaçaft cette perte dans fon cœur.
Ils partirent tous deux
pour aller au Couvent ,
où la femme redevenue
blonde , prit des ajuſte
C iiij
32 MERCURI
ments if differents de
ceux qu'elle avoit cftant
brune , que le mary crup
voirune autre perfonne ,
il y trouvoit pourtant
quelques uns des mefmes
charmes , mais celle - cy
ne fervoit qu'à lui faire
regreter l'autre , en lus
en reveillant lidée. vio
Sur ces entrefaites un
courier vint apporter une
lettre à l'amy & cette
lettre eftoit de la veuve,
qui de concert avec lui
CALANTI #
cftoit allée à une terre
qu'avoit le Confeiller à
quatre lieues du Cou
vent, cette lettre portoit,
que la belle brune s'erant
trouvée indifposée &
cette femme fe trouvant
fur la route du Langue
doc elle y séjourneroit
deux où trois jours. Il
montra le commencement de cette lettre au
mary , qui en lut en mef.
me temps la fin , où la
veuve marquoit à l'amy
34 MERCURE
comme par une espece de
confidence , que l'indif
pofition de la brune n'eftoit qu'un prétexte pour
taſcher de retournerà Paris , pour revoir fon amy
pour qui elle avoit le
cœur pris. Jugez de l'effet que cette fin de lettre
fit fur le pauvre mary .
l'amy reprit fa lettre fans
lui parler davantage de
la veuve ni de fa compagne , & dit enfuite qu'ef
tant obligé de refter deux
GALANT. 35
ou trois jours avec la
foeur Abbeffe ; il lui
donnoit fon Caroffe pour
s'en retourner à Paris ; le
mary fut charmé de cet
incident & profita du
Caroffe , il gagna le Cocher & marcha droit
vers la terre où il croyoit
trouver la brune , & c'eft
ce que l'amy avoit prévû,
la blonde partit àl'inftant
par un chemin de traverfe avec une Chaife de
pofte , & l'amy à Che-
36 MERCURE
val , ils arriverent une
heure avant le Caroffe
dont le Cocher avoit ordre d'aller fort douce,
ment, & la blonde cut
tout le loifir de le faire
brune ,
avant que fon
maryfuftarrivé, l'amyfe
fit cacher dans le Chaf
teau , & cette entreveuë
fut fi vive qu'il y eut déclaration d'amour depart
&
d'autre , car le mary
eut la tefte fi troublée de
puis la lecture de la lettre,
GALANT. 37-
qu'il fut incapable d'aucune reflexion fur l'infi- .
delitéqu'il faifoit à fa femme dans le moment
qu'ils eftoient dans le fort
de leur tendreffe l'amy
parut , la brune feignit
?
d'eftre furpriſe & troublée , fe retira avec précipitation & laiffa les
deux amis feuls enfemble , alors l'amy prenant
un ton fort fevere , dite
au mary qu'il s'etoit bien
douté de l'infidelité qu'il
38 MERCURE
vouloit faire à fa femme,
& qu'il lui avoit exprés
laiffé fon Carroffe pour
avoir lieu de le furprendre , & de lui faire cent
reproches des mauvais
procedez qu'il avoit eus
avec fa femme fur de
fimples apparences , lorf
qu'il eftoit réellement infidelle. Ce mary fut tres
honteux , fon amy avoit
beaucoupd'afcendant fur
fon efprit , il lui fit promettre qu'il ne reverroit
CALANT. 39
pas
་
jamaistla brune ?, ible
promit , mais ce n'eftoit
là ce qu'on vouloit
de lui , l'amy reprit avec
lui le chemin de l'Abbaye , & le détermina à
reprendre fa femme pour
la remener à Paris , il le
promit , mais il eut befoin de toute fa raiſon &
de toute celle de fon amy
pour faire un tel effort
fur lui-mefme. Il arriva à
l'Abbaye dans un eſtat
qui cuft fait pitié à tout
40 MERCURE
a
autre qu'à cet amy. Ils
prirent leurs mefures en
arrivant à l'Abbaye pour
pouvoir partir le lendemain pour Paris , la femme eftoit à l'Abbaye avant eux , & par le mefme chemin qu'elle avoit
pris pour aller , elle en
eftoit revenue , & reparut en blonde , mais ce
n'eftoit plus cette blonde
foumife , gracieuſe , &
fuppliante que le maryy
avoit laiffée le matin , elle
prit
GALANT 41
prit un autre ton , elle fit
la ferme jaloufe , & en
prétence de l'Abbofle dé
clara qu'elle fçavoit l'in ,
fidelité de fon mary , l'amy & l'Abbele joue
rent fr bien leur perfonnage , & feconderent fi
bien les juftes reproches
de la femme irritée , quo
le mary veritablement
convaincu de fon tort refolut fincerement de tafa
cher debien vivre avec fa
femme & d'oublier la
Septembre 1712.
D.
42 MERCURE
Provençale , il le promit,
mais la femme feignit de
ne fe fier pas à fes promeffes , de vouloir refter
au Couvent , & fe retira
fierement. L'Abbeffe, l'a
my, & le mary difnerent
fort triftement , & on le
fit refter à table autant de
temps qu'il fallut pour
donner le loifir à la blonde de redevenir brune ;
elle n'oublia rien cette
derniere fois pour plaire
à fon amant mary , il fut
GALANT
fort furpris de la voir entrer dans le parloir où ils
mangcoient, l'Abbeffe &
l'amyfeignirent auffi d'eftre furpris , la fcene qui
fe paffa s'imagine mieux
qu'elle ne fe peut écrire ,
jamais mary ne s'eft trou
vé dans un pareil embar
ras , car l'Abbeffe & l'amyne pouvoient traiter
la chofe fi férieuſement
qu'ils ne leur échapaft
quelques éclats de rire ,
ils eftoient dans cette fi
Dij
44 MERCURE
tuation lorfque la Pro
vençale commença à par
ler bon François , & à
déclarer ouvertementfon
amour , fans lui dire encore qu'elle eftoit fa fenrme, & ils firentprudem
ment de tromper le mari
par degrez, car s'ileuft appris tout d'un coup que
celle qu'il aimoit fi pafs
fionnément alloit eftre en
fa poffeffion , il en feroit
mort de joye. Enfin le
dénouement fut mené
GALANT. 45
de maniere , que le mary
fut auffi amoureux aprés
Féclairciffement , & mef
me plus qu'il ne l'avoit
eftéavant & dans la fuitele mary devenant
moins amoureux &
moins jaloux , & la femme devenant plus refervée cela fit un très bon
menage : enfin l'amy fut
remercié de la tromperie
innocente comme du
meilleure office qu'il
pouvoit rendre au mary
& à la femme
femme & maistreffe.
UNeDame jolie , enjouée , & de beaucoup
d'efprit , vertueufe dans
le fond , mais aimant le
Septembre 1712. Aij
4 MERCURE
monde , & les amufe->
ments d'une galanterie
fans vice , ne put s'empefcher de fuivre cette
maniere de vie pendant
l'abfence de fon mary ,
que d'importantes affai
res avoient appellé dans
le Languedoc pour quelque temps. Il eftoit tresnouveau marić , & avoit
épousé la femme par un
accommodement de famille , & ne l'avoit pas
veuë plus de deux outrois
GALANT.
jours avant ſon mariage,
& avoit efté contraint de
partir peu de jours après.
Il aima d'abord cette
femme ; mais foit jaloufic , foit delicateffe fcrupuleufe fur le point
d'honneuril eftoit un
peu trop fevere für fa
conduite ; & il luy recommanda en partant
une regularité devivie
fort efloignée des innocentes libertez qu'elle s'eftoit donnée eftant fille ,
Aiij
6 MERCURE
& qu'elle s'eftoit promis
de continuer après fon
mariage , ainfi fe voyant
maitreffe de fes actions
par ce départ , elle oùblia tous les fcrupules
qu'onlui avoit donnez en
partant , elle eftoit née
pour la vie agréable ,
l'occafion eftoit belle
elle crut qu'il luy eftoit
permis de s'en fervir ,
pourveu qu'elle évitaft
l'éclat ; elle ne vouloit
point recevoir de vifites
GALANT.
7
chez elle , mais elle avoit
des amis & des amies de
fon humeur , on la vit ,
elle plut & n'en fut point
fafchée. On lui fit de tendres déclarations , elle les
reçeut en femme d'efprit
qui veut eftre aimée &
ne point aimer, elle ne fe
faſchoit de rien, pourveu
qu'onne paffaft point les
bornes qu'elles s'eftoit
prefcrites conformément
à un fond de fageffe qui
ne pourroit eftre alteré ,
*
A iiij
8 MERCURE
les plus médifans one
pouvoient avoir que des
foupçons mal fondez , &
ceux qui eftoient les plus
entreprenans s'aperceurent bien - toft qu'il n'y
avoit à efperer d'elle que
l'agrément de la focieté
generale , ils l'en eſtimerent davantage & n'en
curent pas moins d'empreffement à la voir, car
elle plaifoit , mefme aux
femmes qui fe fentoient
un merite inferieur au
GALANT
fien , tout alloit bien jufque là mais un de ces
jeunes conquerants qui
ne veulent des femmes
que la gloire de s'en eſtre
fait aimer , prétendit un
jour eftre aimé d'elle
plus férieufement qu'elle
ne vouloit , elle le regarada fierement , changea
de ftile , prit un air fevere
& rabbatit tellement fa
vanité , qu'elle s'en fit un
ennemi tres- dangereux
il examina de prés toutes
10 MERCURE
fes demarches , la vit de
facile accès à tous ceux
qu'il regardoit comme
fes rivaux , & fans fonger qu'ils ne luy avoient
pas donné les mefmes fujets de plainte que luy , il
les mit tous fur fon compte , il prit confeil de fa
jaloufie , & ne fongea
plus qu'à fe vanger , il en
trouva une occafion toute autre qu'il ne l'efpe
roit.
La Dame eftoit allée à
GALANT.
IF
une Campagne pour
quelques jours avec une
amie;
par malheur pour
elle fon mary revint
justement de Languedoc le lendemain du
départ de fa femme , &
fut fort défagreablement
furpris de nela point
trouver chez elle en arrivant. Le premier homme qu'il vit en fortant
de chez luy ce fut l'amant jaloux , avec qui
il avoit toujours vécu
12 MERCURE
affez familierement , le
mary luy confia le chagrin qu'il avoit contre ſa
femme; il prit cette occafionpour la juftifier de la
maniere dont les prudes
medifent ordinairement
de leurs émules , c'eſtà- dire en excufant malignement les fautes qu'on
ignoreroit fans elle; il entra dans le détail de toutes les connoiffances qu
elleavoit faites depuisfon
départ , & de toutes les
GALANT. 13
parties où elles'étoit trouvée, en louant une vertu
qui pouvoit eftre à l'épreuve de tout cela , mais
cette vertu eftoit ce qui
frappoit moins le mary
les épreuves où elle s'eftoit mife le frappoient
bien davantage , en un
motil l'enviſageacomme
tres-coupable, il s'emporte, il fulmine, & il auroit
pris quelque refolution
violente, fi quelques amis
mieux intentionnez
MERCURE
n'cuffent un peu adouci
le venin que le premier
avoit infinue dans le
cœur de ce pauvre mari ,
cependant tout ce que
ceux- cy purent gagner
ce fut qu'en attendant
un éclairciſſement plus
ample cette femme iroit,
fous quelque prétexte
qu'ils trouverent , paffer
quelques femaines dans
un Couvent à quinze
lieues de Paris , dont par
bonheur l'Abeffe fe trouE
GALANT. S
foeur d'un de ces prudents amis , & la femme
va
executa cette retraite demivolontaire dès qu'elle
fut de retour ; & deux
parentes du maryfechargerent de l'y conduire.
La voila donc dans le
Couvent , fes manieres
engageantes & flateufes
la rendirent bien- toft intime amie de l'Abbeffe ,
elle fe fit aimer de tout le
Couvent, c'eftoit une neceffité pour elle que la
stoleg
16 MERCURE
vie gaye , elle fe fit des
plaifirs de tout ce qui en
peut donner dans la retraite , & elle fit amitié
avec une jeune Provençale, parente de l'Abbeſſe
qui eftoit aufli dans le
Couvent pour paſſer la
premiere année de fon
veuvage, mais elle eftoit
auffi gaye que celle - cy
qui n'eftoit pas veuve
celle - cy eut une fantaifie fi forte d'apprendre
le Provençal qu'elle le
parloit
GALANT. 17
parloit au bout de quelque temps auffi bien que
cette veuve qu'elle ne
quittoit pas d'un moment.
Le temps de cette retraite dura prés d'une an
née au lieu de quelques
femaines › parce que le
mary fut obligé de retourner en Languedoc
& qu'il ne voulut pas la
laiffer feule à Paris une
feconde fois. Pendant ce
temps là elle eut la petite
Septembre 1712. B
18 MERCURE
verole , & n'en fut prefque point marquée, mais
il fe fit un petit changementdans les traits defon
de temps vifage , en peu
la convalefcence joignit
de l'embonpoint à fa taille qui eftoit fort menuë ;
& fon teint s'éclaircit
beaucoup , elle perdit de
beaux cheveux blonds
qu'elle avoit , en forte
que mettant un jour en
badinant une coifure de
la veuve , qui eftoit bru
GALANT 19
ne , elle fe trouva fi jolic
en brun & en mefme
temps fi diférente de ce
qu'elle eftoit en blond
avant fa petite verolo
que joignant à cela le
langage Provençal, qu'el
le s'eftoit rendu naturel ,
ellecrutpouvoir fatisfaire
une fantaiſie qui luyvint;
c'eftoit d'accompagner
fan amie dans un pe
tit voyage qu'elle alloit
faire à Paris , & d'y paſfer
incognito pour une Pra
Bij
20 MERCURE
vençale parente de cette
veuve , elle en obtint la
permiffion de l'Abbeffe
& du frere de cetteAbbef
fe, qui eftoit, commej'ay
dit , le vray ami de confiance du mary , & qui
avoit mefme affez d'af1
cendant fur luy pour ſe
charger de ce qui pourroit arriver , lorſque par
hazard elle feroit reconnuë par quelqu'un. En
unmot , il ne put refuſer
cette petite confolation
GALANT. 28
d'aller voir Paris , à une
femme qu'il fçavoit innocente , & que fon mary qui menaçoit d'eftre
encore trois mois en Lan
guedoc, avoit déja laiffé
un an dans le Couvent ,
il partit donc avec la veritable & la fauffe brune,
qu'il mena en arrivant à
Paris chez unvieux Confeiller dont la femme eftoit tres vertueuse , il ne
pouvoit la placer mieux
pour la fureté du mary.
22 MERCURE
Il fit croire aifément au
vieux Confeiller & à fa
femme qu'elle eftoit Provençale & parente de la
veuve.
Nos deux brunes firent pendant quelques
jours l'admiration du petit nombre de gens que
voyoit la Confeillere , &
elles eftoient un jourtoutes trois avec le Confeiller dans fon Cabinet en
fortant de Table , lorfqu'un Soliciteur impa
}
GALANT. 27
que
tes
tient ne trouvant perfonne pour l'annoncer, parce
gens difnoient
entra dans le Cabinet du
Confeiller. Qui pourroit
imaginer la bizarerie de
cette incident , le mary
jaloux eftoit revenu en
poſté pour un procèsimportant dont ce Confeil
ler venoit d'eftre nommé
Rapporteur , il eſtoit encore aux compliments
avec le Confeiller quand
la parole luy manqua
&
24 MERCURE
tout à coup , par la ref
femblance eftonnante
qui le frappa malgré les
changemens dont j'ay
parlé ; le Conſeiller luy
dit ce qu'il croyoit de
bonne foy , que cette
belle Provençale eftoit
arrivée de Provence depuis deux jours avec la
veuve. Le mary ne put
s'empefcher contre lá
bienséance mefme de s'avancer vers les deux Dames , il leur marqua là
caufe
GALANT.
caufedefoneftonnement,
& il cuftfansdoutereconneu fa femme fans la préfence d'efprit qu'elle cut
de neparler que Provençal , comme fi elle n'euft
pas fceu bien parler
François , ce jargon dépayfa encore le mary qui
s'en tint à l'eftonnement
d'une telle reffemblance
entre une brune & fa
femme qui eftoit blonde.
En ce moment l'ami qui
avoit difné avec les DaSeptembre 1712, C
26 MERCURE
mes, & qui eftoit reſté un
moment dans le Jardin ,
fut eftonnéen remontant
de trouver dans l'antichambre un Laquais de
fon ami qu'il croyoit encore en Languedoc , &
fut bien plus furpris encore quand ce Laquais
lui dit que fon Maiſtre
eftoit dans le Cabinet du
Confeiller , il entra fort
allarmé , mais la fcene
qu'il y trouva l'ayant un
peu raffuré , lui fit naiſtre
GALANT
. 17
en grossune idée qu'il
perfectionna dans la fuite , & aprés avoir appuyé
ta folicitation de fon ami
auprès du Conſeiller , il
fortit avec luy , le fortifia dans l'idée de la
reffemblance , & lui promit pour la rareté dufait
de luy faire voir le lende-
-main cette brune, & dès
le foir mefme il prévint
ola Confeillere en lui contant la verité de tout , &
luy faiſant approuver le
C ij
& MERCURE
deffein qu'il avoit , car
foupçonnoit desja le mary d cftre un peu amoureux de fa femme traveftie. ?
La vifite du lendemain
fe pafla plus gayement
que la premiere entreveuë, car la femme ayant
concertéfon perfonnage,
le fouftint à merveille, &
dit à fon mary en langage Provençal cent jolies
chofes , que la veuve lui
interpretoit à mefure ,
GALANT. 29
elle interpretoit enfuite
la femme ce que fon mary lui difoit bon François : ce jeu donna à l'amyla fene du monde la
en
plus divertiflante , & le
maryfortit delà fì amouBeux , que fon amy n'en
douta plus ; mais il fe
garda bien de lui tefmoi
gner qu'il s'en apperceut,
de peur de le de le contraindre. Le fingulier de cett
avanture , c'eft qu'en certains momens le maryreCij
30 MERCURE
connoiffoit fi fort fa femme, que cela refroidiffoit
un peueu fon amour, toutes les differences qu'il
trouvoit le frappant , enfuite fon amour redoubloit , & les fcrupules lui
prenoient , il vit ainfi plufieurs fois fa femme, mais
le jour de fon départ eftoit arrivé , on dit hautement qu'elle retournoit
en Provence, & elle partit
pour fe rendre au Cou
vent.
ALANT 31
Ce départ mit le mary
dans un tel abbatement
qu'il ne put s'empeſcher
de faire confidence àa fon
amy du cruel cftat où
cette feparation l'avoit
que
mis. Alors Famylui confeilla de profiter de la reffemblance, de taſcher
fa femme remplaçaft cette perte dans fon cœur.
Ils partirent tous deux
pour aller au Couvent ,
où la femme redevenue
blonde , prit des ajuſte
C iiij
32 MERCURI
ments if differents de
ceux qu'elle avoit cftant
brune , que le mary crup
voirune autre perfonne ,
il y trouvoit pourtant
quelques uns des mefmes
charmes , mais celle - cy
ne fervoit qu'à lui faire
regreter l'autre , en lus
en reveillant lidée. vio
Sur ces entrefaites un
courier vint apporter une
lettre à l'amy & cette
lettre eftoit de la veuve,
qui de concert avec lui
CALANTI #
cftoit allée à une terre
qu'avoit le Confeiller à
quatre lieues du Cou
vent, cette lettre portoit,
que la belle brune s'erant
trouvée indifposée &
cette femme fe trouvant
fur la route du Langue
doc elle y séjourneroit
deux où trois jours. Il
montra le commencement de cette lettre au
mary , qui en lut en mef.
me temps la fin , où la
veuve marquoit à l'amy
34 MERCURE
comme par une espece de
confidence , que l'indif
pofition de la brune n'eftoit qu'un prétexte pour
taſcher de retournerà Paris , pour revoir fon amy
pour qui elle avoit le
cœur pris. Jugez de l'effet que cette fin de lettre
fit fur le pauvre mary .
l'amy reprit fa lettre fans
lui parler davantage de
la veuve ni de fa compagne , & dit enfuite qu'ef
tant obligé de refter deux
GALANT. 35
ou trois jours avec la
foeur Abbeffe ; il lui
donnoit fon Caroffe pour
s'en retourner à Paris ; le
mary fut charmé de cet
incident & profita du
Caroffe , il gagna le Cocher & marcha droit
vers la terre où il croyoit
trouver la brune , & c'eft
ce que l'amy avoit prévû,
la blonde partit àl'inftant
par un chemin de traverfe avec une Chaife de
pofte , & l'amy à Che-
36 MERCURE
val , ils arriverent une
heure avant le Caroffe
dont le Cocher avoit ordre d'aller fort douce,
ment, & la blonde cut
tout le loifir de le faire
brune ,
avant que fon
maryfuftarrivé, l'amyfe
fit cacher dans le Chaf
teau , & cette entreveuë
fut fi vive qu'il y eut déclaration d'amour depart
&
d'autre , car le mary
eut la tefte fi troublée de
puis la lecture de la lettre,
GALANT. 37-
qu'il fut incapable d'aucune reflexion fur l'infi- .
delitéqu'il faifoit à fa femme dans le moment
qu'ils eftoient dans le fort
de leur tendreffe l'amy
parut , la brune feignit
?
d'eftre furpriſe & troublée , fe retira avec précipitation & laiffa les
deux amis feuls enfemble , alors l'amy prenant
un ton fort fevere , dite
au mary qu'il s'etoit bien
douté de l'infidelité qu'il
38 MERCURE
vouloit faire à fa femme,
& qu'il lui avoit exprés
laiffé fon Carroffe pour
avoir lieu de le furprendre , & de lui faire cent
reproches des mauvais
procedez qu'il avoit eus
avec fa femme fur de
fimples apparences , lorf
qu'il eftoit réellement infidelle. Ce mary fut tres
honteux , fon amy avoit
beaucoupd'afcendant fur
fon efprit , il lui fit promettre qu'il ne reverroit
CALANT. 39
pas
་
jamaistla brune ?, ible
promit , mais ce n'eftoit
là ce qu'on vouloit
de lui , l'amy reprit avec
lui le chemin de l'Abbaye , & le détermina à
reprendre fa femme pour
la remener à Paris , il le
promit , mais il eut befoin de toute fa raiſon &
de toute celle de fon amy
pour faire un tel effort
fur lui-mefme. Il arriva à
l'Abbaye dans un eſtat
qui cuft fait pitié à tout
40 MERCURE
a
autre qu'à cet amy. Ils
prirent leurs mefures en
arrivant à l'Abbaye pour
pouvoir partir le lendemain pour Paris , la femme eftoit à l'Abbaye avant eux , & par le mefme chemin qu'elle avoit
pris pour aller , elle en
eftoit revenue , & reparut en blonde , mais ce
n'eftoit plus cette blonde
foumife , gracieuſe , &
fuppliante que le maryy
avoit laiffée le matin , elle
prit
GALANT 41
prit un autre ton , elle fit
la ferme jaloufe , & en
prétence de l'Abbofle dé
clara qu'elle fçavoit l'in ,
fidelité de fon mary , l'amy & l'Abbele joue
rent fr bien leur perfonnage , & feconderent fi
bien les juftes reproches
de la femme irritée , quo
le mary veritablement
convaincu de fon tort refolut fincerement de tafa
cher debien vivre avec fa
femme & d'oublier la
Septembre 1712.
D.
42 MERCURE
Provençale , il le promit,
mais la femme feignit de
ne fe fier pas à fes promeffes , de vouloir refter
au Couvent , & fe retira
fierement. L'Abbeffe, l'a
my, & le mary difnerent
fort triftement , & on le
fit refter à table autant de
temps qu'il fallut pour
donner le loifir à la blonde de redevenir brune ;
elle n'oublia rien cette
derniere fois pour plaire
à fon amant mary , il fut
GALANT
fort furpris de la voir entrer dans le parloir où ils
mangcoient, l'Abbeffe &
l'amyfeignirent auffi d'eftre furpris , la fcene qui
fe paffa s'imagine mieux
qu'elle ne fe peut écrire ,
jamais mary ne s'eft trou
vé dans un pareil embar
ras , car l'Abbeffe & l'amyne pouvoient traiter
la chofe fi férieuſement
qu'ils ne leur échapaft
quelques éclats de rire ,
ils eftoient dans cette fi
Dij
44 MERCURE
tuation lorfque la Pro
vençale commença à par
ler bon François , & à
déclarer ouvertementfon
amour , fans lui dire encore qu'elle eftoit fa fenrme, & ils firentprudem
ment de tromper le mari
par degrez, car s'ileuft appris tout d'un coup que
celle qu'il aimoit fi pafs
fionnément alloit eftre en
fa poffeffion , il en feroit
mort de joye. Enfin le
dénouement fut mené
GALANT. 45
de maniere , que le mary
fut auffi amoureux aprés
Féclairciffement , & mef
me plus qu'il ne l'avoit
eftéavant & dans la fuitele mary devenant
moins amoureux &
moins jaloux , & la femme devenant plus refervée cela fit un très bon
menage : enfin l'amy fut
remercié de la tromperie
innocente comme du
meilleure office qu'il
pouvoit rendre au mary
& à la femme
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Résumé : LA BLONDE BRUNE femme & maistresse.
Le texte raconte l'histoire d'une femme mariée, décrite comme jolie, enjouée et spirituelle, mais vertueuse. En septembre 1712, son mari, nouvellement marié et parti pour le Languedoc, lui recommande de mener une vie régulière. Libérée de la surveillance de son mari, la femme oublie les recommandations et profite de sa liberté tout en évitant les scandales. Elle reçoit des déclarations d'amour mais reste maîtresse de ses actions. Un jeune homme, jaloux et offensé par son refus, décide de se venger en révélant au mari les fréquentations de sa femme. Furieux, le mari envoie sa femme dans un couvent. Là, elle se lie d'amitié avec une jeune veuve provençale et apprend le provençal. Après avoir contracté la variole, elle change d'apparence et décide de se faire passer pour une Provençale. Avec l'aide de l'abbé et du frère de l'abbesse, elle retourne à Paris incognito. Par un hasard extraordinaire, son mari la rencontre sans la reconnaître. Grâce à une lettre trompeuse, le mari découvre la supercherie et retrouve sa femme. L'histoire se termine par une réconciliation et une déclaration d'amour entre les époux. Parallèlement, une intrigue complexe implique le mari, sa femme et un ami. Lors d'un moment d'intimité entre le mari et sa femme, cette dernière, déguisée en brune, feint la surprise et se retire, laissant les deux amis seuls. L'ami, prenant un ton sévère, accuse le mari d'infidélité et lui révèle qu'il a laissé son carrosse pour le surprendre. Le mari, honteux, promet de ne plus revoir la brune. L'ami le convainc de reprendre sa femme pour la ramener à Paris. À l'abbaye, la femme, désormais blonde, joue la jalouse et accuse son mari d'infidélité. L'ami et l'abbé jouent leur rôle pour convaincre le mari de son tort. La femme feint de ne pas croire aux promesses du mari et se retire au couvent. Pendant le dîner, la femme redevient brune et surprend son mari. L'ami et l'abbesse parviennent à tromper le mari par degrés, révélant progressivement l'amour de la femme. Finalement, le mari devient encore plus amoureux après l'éclaircissement. La situation évolue vers un ménage harmonieux, avec le mari moins jaloux et la femme plus réservée. L'ami est remercié pour sa tromperie innocente, considérée comme un service précieux rendu au couple.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
8
p. 322-326
A S. Lucar de Carrameda, le 15. Juillet.
Début :
Il est arrivé icy il y a huit jours un grand malheur. Vous [...]
Mots clefs :
Gouverneur, Mort, Sanlúcar de Barrameda, Moines, Couvent
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : A S. Lucar de Carrameda, le 15. Juillet.
A S. LUCAT de Carrameda,
£iaicii le 15 Juillet.,_.f
M,ih v •i* Il estarrivé icy il y a huit
jours un grand malheur.Vous
sçavezque dans la pluspart des
Convents d'Andalousie, les
Moines vendent de la viande,
ce qui est frustrer les droitsdu
Roy Catholique, & de presque
tout le veste il en arrive
la même chose. Le Gouverneur
nomméDon Alonzo Jacinco
Velardo, homme tort
zélé pour le service,ayantsçu
qu'au Convent des Augustins
on la vendoit aussi publique
qu'à la Boucherie,avoir envoyé
dire plusieurs fois au
Prieur de s'abstenir de cela,
qu'autrement il seroit obligé
d'ymettre luy-même ordre.
Les Moines fc souciant
fort peu des menaces du GOlit
Vwfncur> continuaient toujours
.cTfiO'îvendre.*»! Lej-Rr?
rmerdes Milionnesvoyantcela
, sir posterdes Ministres de
la rrnrç auxenvirons du Con-
Vccenur;x pour reconnoistre tous
ungqauirednofonrm, aient;*On
àuqùebiJlt
trouvadvuxHivrcs de viande.
Les Mniftrcsl'anècoient
le menoiem en prison ; IOTU
qu'unM>me qui étoit à
porte du Convent, courut a-*
préseux pour faire relâch1er ceà
garçon, à quoy ils resisterent.
CeMoineirritédevoirque
çcs:Minifîresn'imûenr.poûit
de deference pour luy, commença
à lesmaltraiter de paroles&
devoîesde fait. Un des
Ministressevoyant outrage de
lasorre,tiraun coupde pistoler
auMoine,&luy cassalacuisse,
dontil t& mort trois jours aprés;
Les Ministres prirent la
fuite pour se refugier dans
quelque Eglise; mais on ne
voulut point les recevoir. Le
lendemain un Moine du meme
Convent, parent du mort,
voyantque le Gouverneur ne faisoitpoint de diligences
pourle châtier,s'en fut chez
luy, &demandaàluy parler,
la Garde le laissa entier, & des
qu'il fut dans la chambre où
étoit le Gouverneur, il tirade
sa manche un pistoler,dont
illuilâcha le coup à bout portant
dans l'estomach. CetOfsicier
se sentant blessé, voulut;
couriraprésle meurtrier,mais !
il tomba. Le Moine tira un
autre pistolet de l'autre manche.
paflj à travers la Garde,
& se réfugia dansun Convent,
d'où il décampa ensuite. Lr.
Gouverneur n'est pas mort
encore? mais on compte qu'il
n'enéchappera pas,car il a per- ,
du la paroledepuis troisjours
£iaicii le 15 Juillet.,_.f
M,ih v •i* Il estarrivé icy il y a huit
jours un grand malheur.Vous
sçavezque dans la pluspart des
Convents d'Andalousie, les
Moines vendent de la viande,
ce qui est frustrer les droitsdu
Roy Catholique, & de presque
tout le veste il en arrive
la même chose. Le Gouverneur
nomméDon Alonzo Jacinco
Velardo, homme tort
zélé pour le service,ayantsçu
qu'au Convent des Augustins
on la vendoit aussi publique
qu'à la Boucherie,avoir envoyé
dire plusieurs fois au
Prieur de s'abstenir de cela,
qu'autrement il seroit obligé
d'ymettre luy-même ordre.
Les Moines fc souciant
fort peu des menaces du GOlit
Vwfncur> continuaient toujours
.cTfiO'îvendre.*»! Lej-Rr?
rmerdes Milionnesvoyantcela
, sir posterdes Ministres de
la rrnrç auxenvirons du Con-
Vccenur;x pour reconnoistre tous
ungqauirednofonrm, aient;*On
àuqùebiJlt
trouvadvuxHivrcs de viande.
Les Mniftrcsl'anècoient
le menoiem en prison ; IOTU
qu'unM>me qui étoit à
porte du Convent, courut a-*
préseux pour faire relâch1er ceà
garçon, à quoy ils resisterent.
CeMoineirritédevoirque
çcs:Minifîresn'imûenr.poûit
de deference pour luy, commença
à lesmaltraiter de paroles&
devoîesde fait. Un des
Ministressevoyant outrage de
lasorre,tiraun coupde pistoler
auMoine,&luy cassalacuisse,
dontil t& mort trois jours aprés;
Les Ministres prirent la
fuite pour se refugier dans
quelque Eglise; mais on ne
voulut point les recevoir. Le
lendemain un Moine du meme
Convent, parent du mort,
voyantque le Gouverneur ne faisoitpoint de diligences
pourle châtier,s'en fut chez
luy, &demandaàluy parler,
la Garde le laissa entier, & des
qu'il fut dans la chambre où
étoit le Gouverneur, il tirade
sa manche un pistoler,dont
illuilâcha le coup à bout portant
dans l'estomach. CetOfsicier
se sentant blessé, voulut;
couriraprésle meurtrier,mais !
il tomba. Le Moine tira un
autre pistolet de l'autre manche.
paflj à travers la Garde,
& se réfugia dansun Convent,
d'où il décampa ensuite. Lr.
Gouverneur n'est pas mort
encore? mais on compte qu'il
n'enéchappera pas,car il a per- ,
du la paroledepuis troisjours
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Résumé : A S. Lucar de Carrameda, le 15. Juillet.
Le 15 juillet, un incident tragique a eu lieu à £iaicii. En Andalousie, des moines vendaient illégalement de la viande, violant ainsi les droits du Roi Catholique et du clergé. Le gouverneur, Don Alonzo Jacinco Velardo, a tenté de mettre fin à cette pratique au couvent des Augustins, mais les moines ont ignoré ses avertissements. Les ministres du roi ont arrêté un garçon en possession de viande de contrebande, ce qui a provoqué la colère d'un moine. Ce dernier a agressé les ministres, entraînant une altercation au cours de laquelle un ministre a tiré sur le moine, le blessant mortellement. Les ministres se sont ensuite réfugiés dans une église. Le lendemain, un moine, parent du moine tué, a tiré sur le gouverneur, le blessant gravement. Le moine a ensuite fui vers un autre couvent. Le gouverneur est gravement blessé et son pronostic vital est engagé.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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9
p. 897-905
QUESTION NOTABLE, jugée par Arrêt du Parlement de Provence au mois de Janvier 1730.
Début :
Il s'agissoit de sçavoir s'il y a abus dans la Profession Religieuse, faite par un fils [...]
Mots clefs :
Couvent, Profession, Dieu, Obéissance, Ordonnances, Arrêts
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texteReconnaissance textuelle : QUESTION NOTABLE, jugée par Arrêt du Parlement de Provence au mois de Janvier 1730.
QUESTION NOTABLE , jugée
par Arrêt du Parlement de Provence
au mois de Janvier 1730.
Il s'agiffoit de fçavoir s'il y a abus dans
la Profeffion Religieufe , faite par un fils
de famille,fans le confentement defon pere.
FAIT .
Laude Jouvin , fils d'un Bourgeois
Ca Cde Marfeille , ayant atteint l'âge requis
par les Conciles & par les Ordonnances
pour entrer en Religion , ſe rendit
au Convent des Capucins de la Ville
"d'Aix , fur la fin du mois de Janvier 1726.
il demanda l'habit , & il le reçut le 5. Fevrier
de la même année , après avoir été
examiné. L'année du Noviciat expirée ,
il fit fa Profeffion le 9. Fevrier 1727.
Le repentir fuivit de près fon engagement.
Il s'évada du Convent de Sifteron,
où on l'avoit envoyé pour fe rendre à
Marſeille chez fon pere , qui le fit paffer
à Avignon ; mais le Frere Jouvin , frappé
de la crainte d'être traité en Apoftat ,
reprit des habits féculiers, & vint une feconde
fois chercher un azile dans la maifon
paternelle : il n'y refta pas long-temps ;
car ayant été découvert , il fut conduit
C iij par
898 MERCURE DE FRANCE
par des Archers au Convent des Capucins
de Marſeille .
Jouvin , attendri par Ies regrets de fon
fils , & touché de l'état fâcheux où il fe
trouvoit , réfolut de l'en retirer . Il appella
comme d'abus de la Profeffion faite
par fon fils. Il fit intimer le Gardien du
Convent de la Ville d'Aix , par exploit
du 7. Janvier. La Cour , par un Decret
contradictoire du 28 ordonna la fequeftration
de la perfonne de Frere Jouvin
au Convent des Religieux de l'Obfervance
S. François de Marfeille. La Cauſe en
cet état , portée à l'Audiance , attira par
fa nouveauté un grand nombre d'Auditeurs
, qui furent très- fatisfaits de la maniere
dont elle fut plaidée.
M. Reboul , pour Jouvin pere , dit que
la Profeffion faite par un fils de famille ,
mineur , fans la prefence & fans le confentement
de fon pere , violoit également
Tes Loix divines , les Conftitutions Canoques
, les Capitulaires de nos Rois & les
Ordonnances du Royaume.
La Loi de Dieu rejette l'engagement de
T'enfant s'il n'eft autorifé de celui de qui
il a reçû le jour. C'eft ce que nous lifons
dans le Chapitre 30. des Nombres. Mulier
fi quidpiam voverit & fe conftituerit
juramento , que eft in domo patris fui & in
atate adhuc puellari , fi cognoverit pater
Votum
MAY. 1730.
8995
voti
Votum quod pollicita eft , & juramentum quo
obligavit animam fuam & tacuerit ,
rea erit & quidquid pollicita eft opere complebit.
Sin autem ftatim ut audivit contradixerit
pater , & vota & juramenta ejus
irrita erunt nec obnoxia tenebitur fponfioni
eo quod contradixerit pater. Cette même
Loi nous apprend aufli que l'obéïffance
vaut toûjours mieux que fe facrifice . Melior
eft obedientia quàm victima. Liv. 1. des
Rois , Chap. 15. Verfet 22 .
Les promeffes qu'on fait à Dieu , n'ont
de force qu'en ce qui concerne les chofes
à quoi nous fommes affranchis de la puiffance
d'autrui , c'eſt le fentiment de faint
Thomas. D'où il s'enfuit que ces promeffes
ne peuvent produire aucun engagement
valable , par rapport à un fils de
famille , au préjudice des droits qui font
acquis à fon pere fur fa perfonne.
Les Canons , loin d'approuver de tels
Vaux , prononcent anathême contre les
enfans qui s'engagent dans la Profeflion
Religieufe, fans avoir confulté leurs peres.
Tel eft dans le Decret, le Can . 1. diſt. 30 .
& le Canon Oportet. Cauf. 20. Queft. 2 .
Parmi les Capitulaires de Charlemagne
il y en a un qui n'eft jamais oublié fur
cette matiere. Il y eft dit dans le Ch . ior .
du I. Liv. Ne pueri fine voluntate parentum
tonfurentur vel puella velentur modis omnibus
inhibitum eft. Ciiij L'añ
900 MERCURE DE FRANCE
L'ancienne Difcipline donnoit tout à
l'autorité paternelle , quand il s'agiffoit
de la confécration des enfans au culte divin.
Les peres confacroient leurs enfans
à l'état Religieux , & ceux-cy ne pouvoient
rompre de tels engagemens. Cette
* Diſcipline fut changée fous le regne de
Charlemagne , & elle fut réduite à ce
point qu'il n'y auroit point de validité
dans les Profeffions du fils de famille , fi
ce n'eſt que la volonté du pere concourut
avec celle du fils . C'eft ce que nous apprend
le fameux Pere Thomaffin , dans
la Difcipline de l'Eglife. Part. 2. Liv. 1 .
Chap. 42 .
La Jurifprudence Françoiſe n'a point
dérogé à la difpofition des faints Canons.
Nos Ordonnances n'établiffent pas moins
la neceffité du confentement des parens.
La difpofition de l'Edit d'Henry II. de
l'Ordonnance de Blois , Art. 40. de celle
d'Henry IV. du mois de Decembre 1606.
de celle de Louis XIII . du mois de Janvier
1629. & la Déclaration du 26. Novembre
1639. font des Loix generalement
connuës.
Les Compilateurs des Arrêts nous fourniffent
un grand nombre de Décifions für
ce point. Tels font ceux qui font rapportez
par Choppin , dans fon Monafticon, Liv . 1.
Tit. 2. N. 4. par des Henrys , Tom. 2 .
Liv,
MAY. 1730. 901
Liv. 1. Q.33 . par Boniface , dans fa premiere
Compilation , Liv. 2. Tit. 31. Ch. 5.
par l'Auteur du Journal du Palais , Tom.
2. pag. 612. & Tom. 1. pag. 260.
Telles furent les principles raifons fur
lefquelles fe fondoit l'Avocat de Jouvin
pere , pour faire déclarer nulle la Profeffion
faite par fon fils .
M. Chery fils , qui plaidoit pour le Gardien
des Capucins , répondit à toutes ces
Objections. Il dit que quoiqu'un enfant
foit obligé d'honorer fon pere & fa mere,
& que de cette obligation naiffent tous les
devoirs d'une veritable obéiffance , cependant
ce précepte ne regarde que les
devoirs purement humains , & il eft fubordonné
à celui de l'amour de Dieu , avec
lequel nous confommons le grand ouvra
ge de notre falut.
Dieu ne reçoit agréablement nos Holocauftes
, que lorfque nous avons acquis
la parfaite abnégation de nous- mêmes &
de tout ce qui nous eft cher. Ce n'eſt
qu'en lui failant un facrifice de l'obéïffance
nous devons à nos parens , que
que
nous devenons dignes de lui. Il nous dit
lui- même dans l'Ecriture-Sainte , que celui-
là feul obfervera fes Commandemens,
qui s'attachant à fon fervice , dira à fon
pere & à fa mere , qu'il ne les connoît
plus. Qui dixerunt patri & matri non no-
C.v vimus
902 MERCURE DE FRANCE
vimus vos ifti cuftodierant mandatum meum ..
Lorfque Dieu nous appelle à lui , il ne
s'agit pas d'obeïr à fes parens , ce n'eft
point dans ce cas qu'il faut fuivre leur
choix & leur détermination . S. Jerôme
écrivant à Héliodore , s'exprime en ces .
termes : Licet parvulus ex collo pendeat
nepos licet fparfo crine , & fciffis veftibus
ubera quibus te nutrierat mater oftendat. Licet
in limine pater jaceat , per calcatum perge:
patrem , ficcis oculis ad vexillum crucis evola.
Et dans une autres Lettre écrite à Fabiolà
, il affure que bien loin qu'il foit du
devoir des enfans de manquer à leur vo
cation par obéïffance pour leurs parens
.
ils commettroient un crime s'ils
quoient.
y' man.
Il eft dit dans le 30. Chap..des Nom
bres , que fi le pere n'approuve pas le:
voeu de fa fille , elle n'eft pas obligée de
l'accomplir , mais il faut faire une gran--
de difference de l'ancienne Loi d'avec la
Loi de grace . Parmi les Juifs les filles ne
pouvoient point faire de voeux qui regardaffent
le choix de vies tous leurs
voeux regardoient des actions particulicres
, dont les peres étoient maîtres.
२
Les Conftitutions Canoniques n'ont
point requis ce confentement. Les Conci--
lès ont feulement fixé l'âge qu'il falloit:
avoir pour pouvoir.embraffer l'état Re
ligieux,,
MAY. 1730. 903
ligieux , & ils ont ordonné qu'une Profellion
faite par un fils de famille avant
cet âge requis , feroit nulle & abufive.
C'est ce qu'on voit dans le Concile de
Tibur. Si une fille avant l'âge de douze
ans entre en Religion , alors fes parens
peuvent s'y oppofer , mais fi elle a atteint
l'âge requis , il n'eft plus permis aux parens
de l'en détourner ; telle eft la déci--
fion de ce Concile. Celui de Gange prononce
anathême contre les enfans qui
abandonnent leurs parens pour fe vouër
à Dieu ; mais il parle de ces enfans
dont le fecours feroit neceffaire à un pere
accablé d'infirmitez,& de mifere; en ce cas
il eft incontestable qu'un fils doit refter
près de celui de qui il a reçû le jour.
Les Loix du Royaume ne font point
contraires à ces faintes autoritez , & on
ne doit point fe prévaloir des Capitulai--
res de Charlemagne . Les peres avoient
alors le droit d'offrir leurs enfans aux
Monafteres , jufques-là même qu'ils deftinoient
à l'état Religieux leurs enfans à
naître; c'eft ce qu'on voit dans la difpo-:
fition teftamentaire de Louis VIII. Il or--
donne à fon cinquiéme fils & à tous ceux
qui naîtront après lui , de fe faire Reli--
gieux . Mais ces Capitulaires qui ne por--
toient pas même la nullité de la Profeffion
, & qui condamnoient feulement à
C - vj une
904 MERCURE DE FRANCE
une amende le Superieur qui y admettroit
les fils de famille fans le confentement
de leurs peres , ne font plus en ufage
parmi nous. Si les peres n'ont plus
aujourd'hui le pouvoir d'immoler leurs
enfans à leur avidité, & de les deftiner au
Monachifme , les enfans font libres d'y
entrer , parce que la victime doit fe vouer
elle-même.
L'Ordonnance d'Orleans fixe l'âge auquel
on peut s'engager valablement dans
l'état Religieux , & deffend aux peres
& meres de permettre à leurs enfans
d'embraffer cet état jufqu'à ce qu'ils ayent
atteint cet âge ; mais elle ne dit point
que les Profeffions faites par ces enfans à
Fâge requis , feront nulles , fi les parens
n'y ont donné leur confentement. Celle
de Blois ne parle point du tout de ce
confentement, & n'y en a aucune qui dife
qu'il foit neceffaire.
Les Arrêts citez ne font point du tout
favorables à Jouvin pere . Ils ont deffendu
à des Superieurs d'admettre à la Profeffion
des fils de famille mineurs , qui
s'étoient retirez dans leurs Convents à
l'infçû de leurs parens , & dont la jeuneffe
donnoit lieu de foupçonner qu'ils avoient
été féduits ; mais il n'y a aucun Arrêt qui
annulle une Profeffion faite fans le confentement
des parens.
I
MAY. 1730. 905
Il y a plus , Jouvin a lui- même confenti
à la Profeffion de fon fils , il n'a
pû l'ignorer , puifqu'il envoya fon Epoufe
pour y aflifter , & pour fournir de fa part
tout ce qui étoit neceffaire à cette dépenfe.
Sur toutes ces raifons il intervint Arrêt
le 26. Janvier 1730. prononcé par M. le
Premier Preſident Lebret , qui déclara
n'y avoir abus dans la Profeffion de Claude
Jouvin , conformément aux Conclufions
de M. l'Avocat General de Gueydan .
par Arrêt du Parlement de Provence
au mois de Janvier 1730.
Il s'agiffoit de fçavoir s'il y a abus dans
la Profeffion Religieufe , faite par un fils
de famille,fans le confentement defon pere.
FAIT .
Laude Jouvin , fils d'un Bourgeois
Ca Cde Marfeille , ayant atteint l'âge requis
par les Conciles & par les Ordonnances
pour entrer en Religion , ſe rendit
au Convent des Capucins de la Ville
"d'Aix , fur la fin du mois de Janvier 1726.
il demanda l'habit , & il le reçut le 5. Fevrier
de la même année , après avoir été
examiné. L'année du Noviciat expirée ,
il fit fa Profeffion le 9. Fevrier 1727.
Le repentir fuivit de près fon engagement.
Il s'évada du Convent de Sifteron,
où on l'avoit envoyé pour fe rendre à
Marſeille chez fon pere , qui le fit paffer
à Avignon ; mais le Frere Jouvin , frappé
de la crainte d'être traité en Apoftat ,
reprit des habits féculiers, & vint une feconde
fois chercher un azile dans la maifon
paternelle : il n'y refta pas long-temps ;
car ayant été découvert , il fut conduit
C iij par
898 MERCURE DE FRANCE
par des Archers au Convent des Capucins
de Marſeille .
Jouvin , attendri par Ies regrets de fon
fils , & touché de l'état fâcheux où il fe
trouvoit , réfolut de l'en retirer . Il appella
comme d'abus de la Profeffion faite
par fon fils. Il fit intimer le Gardien du
Convent de la Ville d'Aix , par exploit
du 7. Janvier. La Cour , par un Decret
contradictoire du 28 ordonna la fequeftration
de la perfonne de Frere Jouvin
au Convent des Religieux de l'Obfervance
S. François de Marfeille. La Cauſe en
cet état , portée à l'Audiance , attira par
fa nouveauté un grand nombre d'Auditeurs
, qui furent très- fatisfaits de la maniere
dont elle fut plaidée.
M. Reboul , pour Jouvin pere , dit que
la Profeffion faite par un fils de famille ,
mineur , fans la prefence & fans le confentement
de fon pere , violoit également
Tes Loix divines , les Conftitutions Canoques
, les Capitulaires de nos Rois & les
Ordonnances du Royaume.
La Loi de Dieu rejette l'engagement de
T'enfant s'il n'eft autorifé de celui de qui
il a reçû le jour. C'eft ce que nous lifons
dans le Chapitre 30. des Nombres. Mulier
fi quidpiam voverit & fe conftituerit
juramento , que eft in domo patris fui & in
atate adhuc puellari , fi cognoverit pater
Votum
MAY. 1730.
8995
voti
Votum quod pollicita eft , & juramentum quo
obligavit animam fuam & tacuerit ,
rea erit & quidquid pollicita eft opere complebit.
Sin autem ftatim ut audivit contradixerit
pater , & vota & juramenta ejus
irrita erunt nec obnoxia tenebitur fponfioni
eo quod contradixerit pater. Cette même
Loi nous apprend aufli que l'obéïffance
vaut toûjours mieux que fe facrifice . Melior
eft obedientia quàm victima. Liv. 1. des
Rois , Chap. 15. Verfet 22 .
Les promeffes qu'on fait à Dieu , n'ont
de force qu'en ce qui concerne les chofes
à quoi nous fommes affranchis de la puiffance
d'autrui , c'eſt le fentiment de faint
Thomas. D'où il s'enfuit que ces promeffes
ne peuvent produire aucun engagement
valable , par rapport à un fils de
famille , au préjudice des droits qui font
acquis à fon pere fur fa perfonne.
Les Canons , loin d'approuver de tels
Vaux , prononcent anathême contre les
enfans qui s'engagent dans la Profeflion
Religieufe, fans avoir confulté leurs peres.
Tel eft dans le Decret, le Can . 1. diſt. 30 .
& le Canon Oportet. Cauf. 20. Queft. 2 .
Parmi les Capitulaires de Charlemagne
il y en a un qui n'eft jamais oublié fur
cette matiere. Il y eft dit dans le Ch . ior .
du I. Liv. Ne pueri fine voluntate parentum
tonfurentur vel puella velentur modis omnibus
inhibitum eft. Ciiij L'añ
900 MERCURE DE FRANCE
L'ancienne Difcipline donnoit tout à
l'autorité paternelle , quand il s'agiffoit
de la confécration des enfans au culte divin.
Les peres confacroient leurs enfans
à l'état Religieux , & ceux-cy ne pouvoient
rompre de tels engagemens. Cette
* Diſcipline fut changée fous le regne de
Charlemagne , & elle fut réduite à ce
point qu'il n'y auroit point de validité
dans les Profeffions du fils de famille , fi
ce n'eſt que la volonté du pere concourut
avec celle du fils . C'eft ce que nous apprend
le fameux Pere Thomaffin , dans
la Difcipline de l'Eglife. Part. 2. Liv. 1 .
Chap. 42 .
La Jurifprudence Françoiſe n'a point
dérogé à la difpofition des faints Canons.
Nos Ordonnances n'établiffent pas moins
la neceffité du confentement des parens.
La difpofition de l'Edit d'Henry II. de
l'Ordonnance de Blois , Art. 40. de celle
d'Henry IV. du mois de Decembre 1606.
de celle de Louis XIII . du mois de Janvier
1629. & la Déclaration du 26. Novembre
1639. font des Loix generalement
connuës.
Les Compilateurs des Arrêts nous fourniffent
un grand nombre de Décifions für
ce point. Tels font ceux qui font rapportez
par Choppin , dans fon Monafticon, Liv . 1.
Tit. 2. N. 4. par des Henrys , Tom. 2 .
Liv,
MAY. 1730. 901
Liv. 1. Q.33 . par Boniface , dans fa premiere
Compilation , Liv. 2. Tit. 31. Ch. 5.
par l'Auteur du Journal du Palais , Tom.
2. pag. 612. & Tom. 1. pag. 260.
Telles furent les principles raifons fur
lefquelles fe fondoit l'Avocat de Jouvin
pere , pour faire déclarer nulle la Profeffion
faite par fon fils .
M. Chery fils , qui plaidoit pour le Gardien
des Capucins , répondit à toutes ces
Objections. Il dit que quoiqu'un enfant
foit obligé d'honorer fon pere & fa mere,
& que de cette obligation naiffent tous les
devoirs d'une veritable obéiffance , cependant
ce précepte ne regarde que les
devoirs purement humains , & il eft fubordonné
à celui de l'amour de Dieu , avec
lequel nous confommons le grand ouvra
ge de notre falut.
Dieu ne reçoit agréablement nos Holocauftes
, que lorfque nous avons acquis
la parfaite abnégation de nous- mêmes &
de tout ce qui nous eft cher. Ce n'eſt
qu'en lui failant un facrifice de l'obéïffance
nous devons à nos parens , que
que
nous devenons dignes de lui. Il nous dit
lui- même dans l'Ecriture-Sainte , que celui-
là feul obfervera fes Commandemens,
qui s'attachant à fon fervice , dira à fon
pere & à fa mere , qu'il ne les connoît
plus. Qui dixerunt patri & matri non no-
C.v vimus
902 MERCURE DE FRANCE
vimus vos ifti cuftodierant mandatum meum ..
Lorfque Dieu nous appelle à lui , il ne
s'agit pas d'obeïr à fes parens , ce n'eft
point dans ce cas qu'il faut fuivre leur
choix & leur détermination . S. Jerôme
écrivant à Héliodore , s'exprime en ces .
termes : Licet parvulus ex collo pendeat
nepos licet fparfo crine , & fciffis veftibus
ubera quibus te nutrierat mater oftendat. Licet
in limine pater jaceat , per calcatum perge:
patrem , ficcis oculis ad vexillum crucis evola.
Et dans une autres Lettre écrite à Fabiolà
, il affure que bien loin qu'il foit du
devoir des enfans de manquer à leur vo
cation par obéïffance pour leurs parens
.
ils commettroient un crime s'ils
quoient.
y' man.
Il eft dit dans le 30. Chap..des Nom
bres , que fi le pere n'approuve pas le:
voeu de fa fille , elle n'eft pas obligée de
l'accomplir , mais il faut faire une gran--
de difference de l'ancienne Loi d'avec la
Loi de grace . Parmi les Juifs les filles ne
pouvoient point faire de voeux qui regardaffent
le choix de vies tous leurs
voeux regardoient des actions particulicres
, dont les peres étoient maîtres.
२
Les Conftitutions Canoniques n'ont
point requis ce confentement. Les Conci--
lès ont feulement fixé l'âge qu'il falloit:
avoir pour pouvoir.embraffer l'état Re
ligieux,,
MAY. 1730. 903
ligieux , & ils ont ordonné qu'une Profellion
faite par un fils de famille avant
cet âge requis , feroit nulle & abufive.
C'est ce qu'on voit dans le Concile de
Tibur. Si une fille avant l'âge de douze
ans entre en Religion , alors fes parens
peuvent s'y oppofer , mais fi elle a atteint
l'âge requis , il n'eft plus permis aux parens
de l'en détourner ; telle eft la déci--
fion de ce Concile. Celui de Gange prononce
anathême contre les enfans qui
abandonnent leurs parens pour fe vouër
à Dieu ; mais il parle de ces enfans
dont le fecours feroit neceffaire à un pere
accablé d'infirmitez,& de mifere; en ce cas
il eft incontestable qu'un fils doit refter
près de celui de qui il a reçû le jour.
Les Loix du Royaume ne font point
contraires à ces faintes autoritez , & on
ne doit point fe prévaloir des Capitulai--
res de Charlemagne . Les peres avoient
alors le droit d'offrir leurs enfans aux
Monafteres , jufques-là même qu'ils deftinoient
à l'état Religieux leurs enfans à
naître; c'eft ce qu'on voit dans la difpo-:
fition teftamentaire de Louis VIII. Il or--
donne à fon cinquiéme fils & à tous ceux
qui naîtront après lui , de fe faire Reli--
gieux . Mais ces Capitulaires qui ne por--
toient pas même la nullité de la Profeffion
, & qui condamnoient feulement à
C - vj une
904 MERCURE DE FRANCE
une amende le Superieur qui y admettroit
les fils de famille fans le confentement
de leurs peres , ne font plus en ufage
parmi nous. Si les peres n'ont plus
aujourd'hui le pouvoir d'immoler leurs
enfans à leur avidité, & de les deftiner au
Monachifme , les enfans font libres d'y
entrer , parce que la victime doit fe vouer
elle-même.
L'Ordonnance d'Orleans fixe l'âge auquel
on peut s'engager valablement dans
l'état Religieux , & deffend aux peres
& meres de permettre à leurs enfans
d'embraffer cet état jufqu'à ce qu'ils ayent
atteint cet âge ; mais elle ne dit point
que les Profeffions faites par ces enfans à
Fâge requis , feront nulles , fi les parens
n'y ont donné leur confentement. Celle
de Blois ne parle point du tout de ce
confentement, & n'y en a aucune qui dife
qu'il foit neceffaire.
Les Arrêts citez ne font point du tout
favorables à Jouvin pere . Ils ont deffendu
à des Superieurs d'admettre à la Profeffion
des fils de famille mineurs , qui
s'étoient retirez dans leurs Convents à
l'infçû de leurs parens , & dont la jeuneffe
donnoit lieu de foupçonner qu'ils avoient
été féduits ; mais il n'y a aucun Arrêt qui
annulle une Profeffion faite fans le confentement
des parens.
I
MAY. 1730. 905
Il y a plus , Jouvin a lui- même confenti
à la Profeffion de fon fils , il n'a
pû l'ignorer , puifqu'il envoya fon Epoufe
pour y aflifter , & pour fournir de fa part
tout ce qui étoit neceffaire à cette dépenfe.
Sur toutes ces raifons il intervint Arrêt
le 26. Janvier 1730. prononcé par M. le
Premier Preſident Lebret , qui déclara
n'y avoir abus dans la Profeffion de Claude
Jouvin , conformément aux Conclufions
de M. l'Avocat General de Gueydan .
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Résumé : QUESTION NOTABLE, jugée par Arrêt du Parlement de Provence au mois de Janvier 1730.
En janvier 1730, le Parlement de Provence a examiné une affaire concernant la validité de la profession religieuse de Claude Jouvin, fils d'un bourgeois de Marseille, qui avait rejoint les Capucins d'Aix en janvier 1726 et fait sa profession en février 1727. Après un repentir, Jouvin avait quitté le couvent et était retourné chez son père, qui avait tenté de le retirer de la vie religieuse en appelant d'abus. M. Reboul, représentant le père de Jouvin, a soutenu que la profession religieuse d'un mineur sans le consentement paternel violait les lois divines, les constitutions canoniques, les capitulaires des rois et les ordonnances du royaume. Il a cité des textes bibliques et des autorités ecclésiastiques pour affirmer que les promesses faites à Dieu doivent être autorisées par les parents. M. Chery fils, représentant les Capucins, a argumenté que l'obéissance à Dieu primait sur l'obéissance aux parents. Il a invoqué des passages bibliques et des écrits de saints pour affirmer que Dieu appelle parfois les individus à se détacher de leurs familles pour le servir. Le débat a porté sur l'interprétation des lois et des traditions concernant le consentement parental pour les professions religieuses. Les ordonnances royales et les décisions juridiques antérieures ont été examinées pour déterminer si elles exigeaient le consentement des parents. Finalement, le 26 janvier 1730, le Parlement a rendu un arrêt déclarant qu'il n'y avait pas d'abus dans la profession de Claude Jouvin, conformément aux conclusions de l'avocat général de Gueydan.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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10
p. 434-437
EPITAPHE Du Frere Hilarion, Capucin au Convent du Croisic, en Bretagne. Par Mlle de Malcrais de la Vigne, à son Oncle, M. de P** A** Conseiller du Roy, Pere spirituel des Capucins du Croisic.
Début :
Cy gist le Frere Hilarion ; [...]
Mots clefs :
Frère capucin, Mort, Couvent, Oncle
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texteReconnaissance textuelle : EPITAPHE Du Frere Hilarion, Capucin au Convent du Croisic, en Bretagne. Par Mlle de Malcrais de la Vigne, à son Oncle, M. de P** A** Conseiller du Roy, Pere spirituel des Capucins du Croisic.
EPITAPHE
Du Frere Hilarion , Capucin au Convent
du Croisic , en Bretagne. Par Me de
Malcrais de la Vigne , à son Oncle,
M. de P. ** A ** Conseiller du Roy,
Pere spirituel des Capucins du Croisico
Cy gist le Frere Hilarion §
C'étoit un digne Personnage.
Nul autre avec tant d'avantage,
N'honora sa Profession.
Encloîtré dès son plus jeune âge ,
Ce fut dans l'Ordre Capucin ,
Qu'il mit ses talens en usage.
Sans impudence il fut badin;
Sans être Cafard il fut sages
Mérite assurément divin ;
Chez le Capuchonné Lignage.
Il ne fit jamais du Latin ,
Le long er dur apprentissage ;
Mais à l'aide de maint lopin,
Qu'il
MARS. 1732. 435
•
Qu'il goboit par fois au passage,
Et qu'il citoit sans jargonnage
On l'eût prit pour un Calepin.
Pour peu qu'il eût sçû davantage,
Du Convent on l'eût fait Gardien ;
Et certes plus homme de bien ,
Ne méritoit ce haut étage.
Il attiroit par beau langage,
Froment , Orge , Avoine au Moulin.
Et la Cloche au premier dreliu ,
Lui disoit si c'étoit du pain ,
Qu'on apportoit, ou du Fromage ;
Fût-il à manger son Potage ,
A la porte il voloit soudain.
Et Froc à bas , d'un front serain ,
Recevoit le friand message ;
Puis demandoit d'un air humain ,
Comment fait- on dans le ménage?
Le monde au Logis est-il sain ?
Votre Procès va- t'il son train ?
Que dit-on dans le voisinage ?
O le beau temps ! point de nuage ,
Le Soleil se leve matin.
L'Almanach Nantois ,
pour certain ,
Promet , s'il ne vient point d'Orage ,
Un Eté fertile en tout grain ,
Une Automne abondante en vin.
Le Printemps l'est en Pâturage.
B D'ailleurs
1
426 MERCURE DE FRANCE
D'ailleurs le Proverbe ou l'Adage ,
Dit que gras Avril et chaud May
Amenent le Bled au balay ;
Mais , mon Dieu , qu'à notre dommage
S'est changé le temps ancien
Le Peuple est devenu Payen ,
Et de la Ville et du Village
Il ne nous vient presque plus rien
Ni provision , ni chauffage.
Aujourd'hui nous mourrions de faim ,
Si votre bienfaisante main,
N'avoit apporté son suffrage.
Puis adieu , bon jour , grandmerci,
Le Donneur retournoit ainsi ,
Très-satisfait de son voyage..
Il étoit Portier , Cuisinier ,
Sommelier , Quêteur , Jardinier ,
Tous les Arts furent son partage ,
Sa mort m'a causé des regrets ,
Je l'aimois pour son caractere ,
Et de mes intimes secrets ,
Il fut souvent dépositaire.
Combien de notre Hilarion ,
A tous ceux de sa Nation ,
Sa perte a dû paroître amere !
Quoique cet excellent garçon ,
Dans l'Ordre n'ait été qu'un Frere ,
Il pouvoit être, avec raison ,
Des
Des
SAIS
CARAL 2
EIA
Æ
SPFAV
A AV
T
MARS. 17328 437
Des autres appellé le Pere.
Cher Oncle , Pere et Défenseur
Des Capucins de cette Ville ,
Toi, qui d'une aumône fertile ,
Fais sur eux pleuvoir la douceur ,
Examine si dans mon stile ,
J'ai sçu faire un Portrait naif,
Du Frere aimable , à qui la vie ,
Par le sort fut trop tôt ravie ;
J'ai laissé le genre plaintif ,
"Et suivi le récreatif,
Pour bannir ma mélancolie.
Du Frere Hilarion , Capucin au Convent
du Croisic , en Bretagne. Par Me de
Malcrais de la Vigne , à son Oncle,
M. de P. ** A ** Conseiller du Roy,
Pere spirituel des Capucins du Croisico
Cy gist le Frere Hilarion §
C'étoit un digne Personnage.
Nul autre avec tant d'avantage,
N'honora sa Profession.
Encloîtré dès son plus jeune âge ,
Ce fut dans l'Ordre Capucin ,
Qu'il mit ses talens en usage.
Sans impudence il fut badin;
Sans être Cafard il fut sages
Mérite assurément divin ;
Chez le Capuchonné Lignage.
Il ne fit jamais du Latin ,
Le long er dur apprentissage ;
Mais à l'aide de maint lopin,
Qu'il
MARS. 1732. 435
•
Qu'il goboit par fois au passage,
Et qu'il citoit sans jargonnage
On l'eût prit pour un Calepin.
Pour peu qu'il eût sçû davantage,
Du Convent on l'eût fait Gardien ;
Et certes plus homme de bien ,
Ne méritoit ce haut étage.
Il attiroit par beau langage,
Froment , Orge , Avoine au Moulin.
Et la Cloche au premier dreliu ,
Lui disoit si c'étoit du pain ,
Qu'on apportoit, ou du Fromage ;
Fût-il à manger son Potage ,
A la porte il voloit soudain.
Et Froc à bas , d'un front serain ,
Recevoit le friand message ;
Puis demandoit d'un air humain ,
Comment fait- on dans le ménage?
Le monde au Logis est-il sain ?
Votre Procès va- t'il son train ?
Que dit-on dans le voisinage ?
O le beau temps ! point de nuage ,
Le Soleil se leve matin.
L'Almanach Nantois ,
pour certain ,
Promet , s'il ne vient point d'Orage ,
Un Eté fertile en tout grain ,
Une Automne abondante en vin.
Le Printemps l'est en Pâturage.
B D'ailleurs
1
426 MERCURE DE FRANCE
D'ailleurs le Proverbe ou l'Adage ,
Dit que gras Avril et chaud May
Amenent le Bled au balay ;
Mais , mon Dieu , qu'à notre dommage
S'est changé le temps ancien
Le Peuple est devenu Payen ,
Et de la Ville et du Village
Il ne nous vient presque plus rien
Ni provision , ni chauffage.
Aujourd'hui nous mourrions de faim ,
Si votre bienfaisante main,
N'avoit apporté son suffrage.
Puis adieu , bon jour , grandmerci,
Le Donneur retournoit ainsi ,
Très-satisfait de son voyage..
Il étoit Portier , Cuisinier ,
Sommelier , Quêteur , Jardinier ,
Tous les Arts furent son partage ,
Sa mort m'a causé des regrets ,
Je l'aimois pour son caractere ,
Et de mes intimes secrets ,
Il fut souvent dépositaire.
Combien de notre Hilarion ,
A tous ceux de sa Nation ,
Sa perte a dû paroître amere !
Quoique cet excellent garçon ,
Dans l'Ordre n'ait été qu'un Frere ,
Il pouvoit être, avec raison ,
Des
Des
SAIS
CARAL 2
EIA
Æ
SPFAV
A AV
T
MARS. 17328 437
Des autres appellé le Pere.
Cher Oncle , Pere et Défenseur
Des Capucins de cette Ville ,
Toi, qui d'une aumône fertile ,
Fais sur eux pleuvoir la douceur ,
Examine si dans mon stile ,
J'ai sçu faire un Portrait naif,
Du Frere aimable , à qui la vie ,
Par le sort fut trop tôt ravie ;
J'ai laissé le genre plaintif ,
"Et suivi le récreatif,
Pour bannir ma mélancolie.
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Résumé : EPITAPHE Du Frere Hilarion, Capucin au Convent du Croisic, en Bretagne. Par Mlle de Malcrais de la Vigne, à son Oncle, M. de P** A** Conseiller du Roy, Pere spirituel des Capucins du Croisic.
L'épitaphe rend hommage au Frère Hilarion, un capucin du couvent du Croisic en Bretagne. Rédigée par Me de Malcrais de la Vigne pour son oncle, M. de P. ** A **, conseiller du roi et père spirituel des capucins, elle loue les qualités et les actions du Frère Hilarion. Entré dans l'ordre capucin dès son jeune âge, il se distinguait par son caractère badin et sage. Bien qu'il n'ait pas reçu de formation en latin, il maîtrisait suffisamment la langue pour être apprécié. Polyvalent, il remplissait divers rôles au couvent, tels que portier, cuisinier, sommelier, quêteur et jardinier. Il était également connu pour son accueil chaleureux et ses conversations engageantes avec les visiteurs, qui apportaient souvent des provisions au couvent. Sa mort a été perçue comme une grande perte pour la communauté. L'auteur exprime ses regrets et souligne l'importance du Frère Hilarion, malgré son statut de frère et non de père dans l'ordre. L'épitaphe se conclut par une réflexion sur la générosité de l'oncle envers les capucins et sur le choix de l'auteur de présenter un portrait réjouissant plutôt que plaintif du défunt.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 595-596
DE POLOGNE.
Début :
On écrit de Warsovie, qu'on y avoit appris de [...]
Mots clefs :
Pologne, Couvent
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texteReconnaissance textuelle : DE POLOGNE.
DE POLOGNE.
N écrit de Warsovie , qu'on y avoit appris
de Dublin , que le feu ayant pris la nuit dú 17. au 18. de Février , dans la Cellule d'une Religieuse du Convent de la Visitation , s'étoit
communiqué avec tant de rapidité aux apparte
mens voisins , et particulierement à celui où
étoient les Pensionaires , que ces jeunes Demoiselles n'ayant pas eu le temps de se sauver
avoient été devorées par les flammes ou étouffées
par la fumée , au nombre de 18. toutes personnes de condition , avec trois ou quatre Servantes ;
que cinq Religieuses avoient aussi perdu la vie ,
mais que P'Abbesse et quelques autres avoient eu
le bonheur de se sauver , tout le Convent ayant été entierement consumé avec l'Eglise , d'où on
n'avoit pû emporter que les Vases sacrez et quel- ques Ornemens.
On apprend de Copenhague que trois personnes
qui y sont dans les Prisons depuis quelque tems ,
l'occasion d'une fausse Lettre de Change
viennent d'être condamnées ; sçavoir, celui qui
?
-
faita.
596 MERCURE DE FRANCE
fait la Lettre , et celui qui s'en est servi , à avoir
la main coupée , et à être bannis du Royaume
avec confiscation de tous leurs biens ; le 3e , qui a fait , à ce sujet , un faux serment, aura les trois
doigts coupez , et sera pareillement banni des
Etats de S. M. Danoise.
N écrit de Warsovie , qu'on y avoit appris
de Dublin , que le feu ayant pris la nuit dú 17. au 18. de Février , dans la Cellule d'une Religieuse du Convent de la Visitation , s'étoit
communiqué avec tant de rapidité aux apparte
mens voisins , et particulierement à celui où
étoient les Pensionaires , que ces jeunes Demoiselles n'ayant pas eu le temps de se sauver
avoient été devorées par les flammes ou étouffées
par la fumée , au nombre de 18. toutes personnes de condition , avec trois ou quatre Servantes ;
que cinq Religieuses avoient aussi perdu la vie ,
mais que P'Abbesse et quelques autres avoient eu
le bonheur de se sauver , tout le Convent ayant été entierement consumé avec l'Eglise , d'où on
n'avoit pû emporter que les Vases sacrez et quel- ques Ornemens.
On apprend de Copenhague que trois personnes
qui y sont dans les Prisons depuis quelque tems ,
l'occasion d'une fausse Lettre de Change
viennent d'être condamnées ; sçavoir, celui qui
?
-
faita.
596 MERCURE DE FRANCE
fait la Lettre , et celui qui s'en est servi , à avoir
la main coupée , et à être bannis du Royaume
avec confiscation de tous leurs biens ; le 3e , qui a fait , à ce sujet , un faux serment, aura les trois
doigts coupez , et sera pareillement banni des
Etats de S. M. Danoise.
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Résumé : DE POLOGNE.
Le texte décrit deux événements distincts. À Dublin, dans la nuit du 17 au 18 février, un incendie a éclaté dans la cellule d'une religieuse du couvent de la Visitation. Le feu s'est propagé aux appartements voisins, notamment à celui des pensionnaires. Dix-huit jeunes demoiselles et trois ou quatre servantes ont péri, soit brûlées, soit asphyxiées. Cinq religieuses ont également perdu la vie, tandis que l'abbesse et quelques autres ont réussi à s'échapper. Le couvent et l'église ont été entièrement détruits, seuls les vases sacrés et quelques ornements ont été sauvés. À Copenhague, trois personnes ont été condamnées pour une fausse lettre de change. Le fauxaire et celui qui a utilisé la lettre ont été condamnés à avoir la main coupée, à être bannis du royaume et à la confiscation de leurs biens. La troisième personne, coupable de faux serment, aura les trois doigts coupés et sera également bannie des États danois.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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12
p. 49-58
ADELAÏDE, OU LA FEMME MORTE D'AMOUR. Histoire singuliere, mais qui n'est pas moins vraie.
Début :
Cette aventure est arrivée en 1678, & paroîtra peut-être incroyable en 1755. [...]
Mots clefs :
Marquis, Marquise , Amour, Femme, Vertu, Fortune, Passion, Couvent
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ADELAÏDE, OU LA FEMME MORTE D'AMOUR. Histoire singuliere, mais qui n'est pas moins vraie.
A DELAÏDE ,
OU LA FEMME MORTE D'AMOUR.
Hiftoirefinguliere , mais qui n'eft pas moins
C
vraie.
Ette aventure eſt arrivée en 1678 , &
paroîtra peut-être incroyable en 1755 .
Soixante- dix -fept ans ont fait de fi grands
changemens dans nos moeurs , que l'amour
conjugal , qui étoit alors refpecté ,
eft devenu aujourd'hui un ridicule ; il
paffe même pour une chimere , on n'y
croit plus. Cependant l'hiftoire d'Adelaïde
eft accompagnée de circonftances fi naturelles
, elle porte un caractere de vérité fi
frappant & fi naïf , qu'elle doit perfuader
l'efprit du plus incrédule , toute furprenante
qu'elle eft. Le lecteur en jugera : la
voici.
La Marquife de Ferval s'étant dégoûtée
du monde , fe retira en province dans une
de fes terrres , & ne s'y occupa que du
foin d'élever fa famille. Elle étoit veuve
d'un homme de qualité , qui n'avoit foutenu
fon rang que par les grands biens
qu'il tenoit d'elle. Il lui avoit laiffé une
fille de feize ans ; elle l'aimoit tendre-
C
so MERCURE DE FRANCE.
ment ; & comme elle vivoit ifolée , elle
fit deffein de mettre auprès d'elle une jeune
perfonne du même âge , pour lui tenir
compagnie. Elle n'eut pas beaucoup
de peine à faire ce choix le caractere
d'Adelaïde lui avoit plû. Cette aimable
fille voyoit fort fouvent la fienne , & la
Marquife de Ferval ne lui eut pas plutôr
témoigné l'envie qu'elle avoit de la retenir
, qu'elle eut tout lieu d'être fatisfaite
de fa complaifance. L'occafion étoit favorable
pour Adelaïde ; elle étoit orpheline :
comme elle ne tenoit de la fortune que
le titre de Demoifelle , elle trouvoit un
grand avantage à être reçue en qualité
d'amie , dans une maifon auffi diftinguée
que l'étoit celle de la Marquife. Elle y
étoit déja fort aimée , & fes manieres
honnêtes pour tous ceux avec qui elle avoit
à vivre , eurent bientôt achevé de lui
gagner
tous les coeurs. Ce qui lui avoit par
ticulierement acquis l'eftime de la Marquife,
c'étoit un fond de modeftie & de
vertu qu'on ne pouvoit affez admirer dans
une fi grande jeuneffe , & avec une beau-"
té dont toute autre auroit été vaine. Madame
de Ferval ne pouvoit mieux choifir
ni donner à fa fille un exemple plus digne
d'être fuivi. Mais en plaçant Adelaïde
auprès d'elle , elle n'avoit pas
fait at
JANVIER. 1755. SI
tention qu'elle avoit un fils , que ce
fils n'étoit pas d'un âge à demeurer infenfible
, & que l'expofer à voir à toute heute
une perfonne fi aimable , c'étoit en quelque
façon le livrer aux charmes les plus
dangereux qu'on pût avoir à craindre pour
lui. En effet , fi le jeune Marquis n'eût
d'abord que de la politeffe pour Adelaïde
il ne fut pas long- tems le maître de n'avoir
rien de plus fort.Quoiqu'il fut fouvent avec
fa foeur, il auroit voulu en être inféparable .
Adelaïde ne difoit rien qui ne lui femblât
dit de la meilleure grace du monde ; Adedaïde
ne faifoit rien qu'il n'approuvât ,.
& parmi les louanges qu'il lui donnoit , il
lui échappoit toujours quelque chofe qui
avoit affez de l'air d'une déclaration d'amour
. Adelaïde , de ſon côté , n'étoit pas
aveugle fur le mérite du jeune Ferval : il
lui paroiffoit digne de toute l'estime qu'elle
avoit pour lui ; & quand elle s'examinoit
un peu rigoureufement , elle fe trouvoit
des difpofitions fi favorables à faire plus
que l'eftimer , qu'elle n'étoit pas peu embarraffée
dans fes fentimens : mais fi elle
avoit de la peine à les régler , elle s'en
rendoit fi bien la maîtreffe , qu'il étoit impoffible
de les découvrir. Elle connoiffoit
la Marquife pour une femme impérieuſe ,
qui ayant apporté tout le bien qui étoit
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE,
dans cette maifon , formoit de grands projets
pour l'établiffement de fon fils , & lui
deftinoit un parti fort confidérable. Ainfi
quoiqu'elle fût d'une naiffance à ne pas
lui faire de deshonneur s'il l'aimoit affez
pour l'époufer , elle voyoit tant d'obſta
cles à ce deffein , qu'elle ne trouvoit point
de meilleur parti à prendre que celui de
ne point engager fon coeur. Cependant
elle tâcha inutilement de le défendre ; fon
penchant l'emporta fur fa raifon , & fi elle
oppofa quelque fierté aux premiers aveus
que le Marquis lui fit de fa tendreffe , ce
fut une fierté fi engageante , qu'elle ne l'éloigna
point de la réfolution qu'il avoit
prife de l'aimer éternellement . Elle évita
quelque tems toutes fortes de converfations
particulieres avec lui , mais elle ne put
empêcher que fes regards ne parlaffent : ils
lui expliquoient fi fortement fon amour ,
qu'il lui étoit impoffible de n'en être pas
perfuadée . Enfin le hazard voulut qu'il la
rencontrât feule un jour fous le berceau
d'un jardin , où elle s'abandonnoit quelquefois
à fes rêveries : elle interrompit les
premieres affurances qu'il lui réitéra de fa
paffion ; mais il la conjura fi férieufement
de l'écouter , qu'elle crut lui devoir cette
complaifance. Ce fut là qu'il lui peignit
tout ce qu'il fentoit pour elle , & qu'il
JANVIÉ R. 1755 . 53
l'affura de la maniere la plus touchante
que fi elle vouloit agréer fes foins , il feroit
fon unique félicité de la poffeffion de
fon coeur. Adelaiïde rougit , & s'étant remife
d'un premier trouble , qui donnoit
un nouvel éclat à fa beauté , elle lui dit
avec une modeftie charmante , que fi elle
étoit d'une fortune égale à la fienne , il
auroit tout lieu d'être fatisfait de fa ré
ponfe ; mais que dans l'état où fe trou
voient les chofes , elle ne voyoit pas qu'if
pût lui être permis de s'expliquer ; qu'elle
avoit trop
bonne opinion de lui , pour croi
re qu'il eût conçu des efpérances dont elle
dût avoir fujet de fe plaindre , & qu'elle ·
enviſageoit tant de malheurs pour lui dans
une paffion légitime , qu'elle croiroit ne
pas mériter les fentimens qu'il avoit pour
elle fi elle ne lui confeilloit de les étouf
fer ; qu'elle lui prêteroit tout le fecours
dont il pourroit avoir befoin pour le faire ,
& qu'elle éviteroit fa vûe avec tant de
foin , qu'il connoîtroit fi fon
que
peu de
fortune ne lui permettoit pas de prétendre
à fon amour , elle étoit digne au moins
qu'il lui confervât toute fon eftime.
Tant de vertu fut pour le Marquis un
nouveau fujet d'engagement. Il parla de
mariage , pria Adelaïde de lui laiſſer ménager
l'efprit de fa mere , & fe fépara
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
d'elle fr charmé , qu'il n'y eut jamais unë
paffion plus violente. Il fit ce qu'il lui avoit
promis , & rendit des devoirs fi refpectueux
& fi complaifans à la Marquife , qu'il
ne defefpéra pas d'obtenir fon confentement.
Adelaïde ne fut pas moins ponctuelle
à tenir la parole ; elle prit foin d'éviter
le Marquis , & tâcha de lui faire quit,
terun deffein dont elle voyoit le fuccès horsd'apparence
. Mais leur destinée étoit de s'aimer
; & comme un fort amour ne peut être
long- tems fecret , la Marquife , qui s'en
apperçut , fit quelques railleries à fon fils.
II
prit la chofe au férieux ; mais dès qu'il
eut commencé à exagérer le mérite d'Adelaïde
, elle prévint la déclaration qu'il fe
préparoit à lui faire , par des défenfes fi
abfolues d'avoir jamais aucune penſée pour
elle , qu'il vit bien qu'il n'étoit pas encore
tems de s'expliquer . Elle fit plus. La campagne
alloit s'ouvrir ; le Marquis étoit dans
les Moufquetaires , elle ne lui donna qu'un
jour pour partir : il fallut céder.
Son pere n'avoit pas laiffé de quoi Latiffaire
fes créanciers , & il ne pouvoit efperer
de bien que par elle : il partit après
avoir conjuré Adelaïde de l'aimer toujours
, & l'avoir affurée d'une fidélité inviolable
.
Pendant fon abfence , un Gentilhom
JAN VIÉR. 1755 55
me voifin devient amoureux d'Adelaïde ;
il fe déclare à la Marquife qui , pour
mettre fon fils hors de peril , promet un
préfent de nôce confidérable , & conclut
l'affaire. Le jeune Ferval en eft averti. On
entroit en quartier d'hyver. Il prend la
pofte , & arrive dans le tems qu'on preffoit
fa maîtreffe de prendre jour. Il fe
jette aux pieds de fa mere , la conjure de
ne pas le mettre au defeſpoir , & ne lus
cache plus le deffein qu'il a d'époufer Adelaïde.
La Marquife éclate contre lui. La
foumiffion de fon fils ne peut la fléchir ,
& cette brouillerie fait tant d'éclat , que le
Gentilhomme qui apprend l'amour réciproque
du Marquis & d'Adelaide , retire
fa parole , & rompt le mariage arrêté. Cetre
rupture acheve d'irriter la Marquife. Elle
défend fa maifon à Adelaïde , & toutes
les prieres du Marquis ne peuvent rien
obtenir. Il eft caufe de la difgrace de ce
qu'il aime , & il ſe réfout à la réparer. Il
l'épouſe , malgré toutes les menaces de fa
mere. Elle l'apprend , le deshérite , & jure
de ne lui pardonner jamais . Un enfant naît
de ce mariage ; on le porte à la Marquife.
Point de pitié ; elle demeure inexorable ,
& pour comble de malheur ils perdent ce
précieux gage de leur amour. Ils paffent
trois ou quatre années prefqu'abandonnés
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
de tout le monde , & ne fubfiftant qu'avec
peine ; ils font réduits enfin à la néceffité
de fe féparer. Le Marquis en fait la
propofition à fa femme . Elle n'a pas moins
de courage que de fageffe , & confent à
s'enfermer dans un Cloître , comme il ſe
détermine à entrer dans un Couvent. I
vend quelques bijoux qui lui reftent , &
en donne l'argent à fa chere Adelaïde. Elle
va trouver une Abbeffe , auffi recommendable
par fa vertu que par fa naiffance .
Elle eft reçue , on lui donne le voile , &
cette cérémonie n'eft pas plutôt faite , que
le Marquis fe rend à Paris , & renonçant
pour jamais au monde , prend l'habit dans
un Ordre très- auftere .
La fortune n'étoit pas encore laffe de
perfécuter Adelaide. Quelques filles du
Monaftere qu'elle avoit choifi , apprennent
fon hiftoire ; & foit envie ou malignité ,
elles cabalent avec tant d'adreffe , qu'elles
trouvent des raifons plaufibles pour
lui faire donner l'exclufion : elle a beau verfer
des larmes , elle eft obligée de fortir .
Une Religieufe de ce Couvent touchée
de fon état , lui donne des legres de recommendation
pour fon pere , qui étoit
Officier d'une Princeffe . Elle part , vient à
Paris ; & pendant que cet Officier lui fait
chercher un lieu de retraite pour toute
JANVIER. 1755. 57
fa vie , elle envoye avertir le Marquis de
fon arrivée , & lui fait demander une heure
pour lui parler. La nouvelle difgrace d'Adelaïde
eft un coup fenfible pour lui . Ik
F'aime toujours , il craint l'entretien qu'elle
fouhaite , & la fait prier de lui vouloir
épargner une vûe qui ne peut qu'être pré-;
judiciable au repos de l'un & de l'autre.
Adelaïde , quoique détachée du monde ,
ne l'eft point affez d'un mari qu'elle a tant
aimé , pour n'être point touchée de ce refis
; il ne fert qu'à augmenter l'envie
qu'elle a de le voir.
Elle va au Couvent , entre d'abord dans
P'Eglife , & le premier objet qui la frappe, eſt
le Marquis fon époux , occupé à un exercice
pieux avec toute fa Communauté . Cet
habit de pénitence la touche ; elle fe montre
, il la voit , il baiffe les yeux , & quelque
effort qu'elle faffé pour attirer les regards
, il n'en tourne plus aucun fur elle
Quoiqu'elle pénétre le motif de la violence
qu'il fe fait , elle y trouve quelquechofe
de fi cruel , qu'elle en eft faifie de la
plus vive douleur. Elle tombe évanouie ;
on l'emporte , elle ne revient à elle que
pour demander fon cher Ferval. On court
l'avertir que fa femme eft mourante . Son
Supérieur lui ordonne de la venir confo--
ler ; & elle expire par la force de fon fai-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
fiffement , avant qu'il fe foit rendu auprès
d'elle .
Toute la vertu du Marquis ne fuffic
point pour retenir les larmes que fa tendreffe
l'oblige de donner à cette mort. Ce
premier mouvement eft fuivi d'une rêve
rie profonde , qui le rend quelque tems
immobile. Il revient enfin à lui -même , &
après avoir remercié ceux qui ont pris foin
de fa chere Adelaïde , il fe retire dans fon:
Couvent , où à force d'auftérités , il tâche
de reparer ce que fa paffion quoique
légitime , peut avoir eu de trop violent
OU LA FEMME MORTE D'AMOUR.
Hiftoirefinguliere , mais qui n'eft pas moins
C
vraie.
Ette aventure eſt arrivée en 1678 , &
paroîtra peut-être incroyable en 1755 .
Soixante- dix -fept ans ont fait de fi grands
changemens dans nos moeurs , que l'amour
conjugal , qui étoit alors refpecté ,
eft devenu aujourd'hui un ridicule ; il
paffe même pour une chimere , on n'y
croit plus. Cependant l'hiftoire d'Adelaïde
eft accompagnée de circonftances fi naturelles
, elle porte un caractere de vérité fi
frappant & fi naïf , qu'elle doit perfuader
l'efprit du plus incrédule , toute furprenante
qu'elle eft. Le lecteur en jugera : la
voici.
La Marquife de Ferval s'étant dégoûtée
du monde , fe retira en province dans une
de fes terrres , & ne s'y occupa que du
foin d'élever fa famille. Elle étoit veuve
d'un homme de qualité , qui n'avoit foutenu
fon rang que par les grands biens
qu'il tenoit d'elle. Il lui avoit laiffé une
fille de feize ans ; elle l'aimoit tendre-
C
so MERCURE DE FRANCE.
ment ; & comme elle vivoit ifolée , elle
fit deffein de mettre auprès d'elle une jeune
perfonne du même âge , pour lui tenir
compagnie. Elle n'eut pas beaucoup
de peine à faire ce choix le caractere
d'Adelaïde lui avoit plû. Cette aimable
fille voyoit fort fouvent la fienne , & la
Marquife de Ferval ne lui eut pas plutôr
témoigné l'envie qu'elle avoit de la retenir
, qu'elle eut tout lieu d'être fatisfaite
de fa complaifance. L'occafion étoit favorable
pour Adelaïde ; elle étoit orpheline :
comme elle ne tenoit de la fortune que
le titre de Demoifelle , elle trouvoit un
grand avantage à être reçue en qualité
d'amie , dans une maifon auffi diftinguée
que l'étoit celle de la Marquife. Elle y
étoit déja fort aimée , & fes manieres
honnêtes pour tous ceux avec qui elle avoit
à vivre , eurent bientôt achevé de lui
gagner
tous les coeurs. Ce qui lui avoit par
ticulierement acquis l'eftime de la Marquife,
c'étoit un fond de modeftie & de
vertu qu'on ne pouvoit affez admirer dans
une fi grande jeuneffe , & avec une beau-"
té dont toute autre auroit été vaine. Madame
de Ferval ne pouvoit mieux choifir
ni donner à fa fille un exemple plus digne
d'être fuivi. Mais en plaçant Adelaïde
auprès d'elle , elle n'avoit pas
fait at
JANVIER. 1755. SI
tention qu'elle avoit un fils , que ce
fils n'étoit pas d'un âge à demeurer infenfible
, & que l'expofer à voir à toute heute
une perfonne fi aimable , c'étoit en quelque
façon le livrer aux charmes les plus
dangereux qu'on pût avoir à craindre pour
lui. En effet , fi le jeune Marquis n'eût
d'abord que de la politeffe pour Adelaïde
il ne fut pas long- tems le maître de n'avoir
rien de plus fort.Quoiqu'il fut fouvent avec
fa foeur, il auroit voulu en être inféparable .
Adelaïde ne difoit rien qui ne lui femblât
dit de la meilleure grace du monde ; Adedaïde
ne faifoit rien qu'il n'approuvât ,.
& parmi les louanges qu'il lui donnoit , il
lui échappoit toujours quelque chofe qui
avoit affez de l'air d'une déclaration d'amour
. Adelaïde , de ſon côté , n'étoit pas
aveugle fur le mérite du jeune Ferval : il
lui paroiffoit digne de toute l'estime qu'elle
avoit pour lui ; & quand elle s'examinoit
un peu rigoureufement , elle fe trouvoit
des difpofitions fi favorables à faire plus
que l'eftimer , qu'elle n'étoit pas peu embarraffée
dans fes fentimens : mais fi elle
avoit de la peine à les régler , elle s'en
rendoit fi bien la maîtreffe , qu'il étoit impoffible
de les découvrir. Elle connoiffoit
la Marquife pour une femme impérieuſe ,
qui ayant apporté tout le bien qui étoit
Cij
52 MERCURE
DE FRANCE,
dans cette maifon , formoit de grands projets
pour l'établiffement de fon fils , & lui
deftinoit un parti fort confidérable. Ainfi
quoiqu'elle fût d'une naiffance à ne pas
lui faire de deshonneur s'il l'aimoit affez
pour l'époufer , elle voyoit tant d'obſta
cles à ce deffein , qu'elle ne trouvoit point
de meilleur parti à prendre que celui de
ne point engager fon coeur. Cependant
elle tâcha inutilement de le défendre ; fon
penchant l'emporta fur fa raifon , & fi elle
oppofa quelque fierté aux premiers aveus
que le Marquis lui fit de fa tendreffe , ce
fut une fierté fi engageante , qu'elle ne l'éloigna
point de la réfolution qu'il avoit
prife de l'aimer éternellement . Elle évita
quelque tems toutes fortes de converfations
particulieres avec lui , mais elle ne put
empêcher que fes regards ne parlaffent : ils
lui expliquoient fi fortement fon amour ,
qu'il lui étoit impoffible de n'en être pas
perfuadée . Enfin le hazard voulut qu'il la
rencontrât feule un jour fous le berceau
d'un jardin , où elle s'abandonnoit quelquefois
à fes rêveries : elle interrompit les
premieres affurances qu'il lui réitéra de fa
paffion ; mais il la conjura fi férieufement
de l'écouter , qu'elle crut lui devoir cette
complaifance. Ce fut là qu'il lui peignit
tout ce qu'il fentoit pour elle , & qu'il
JANVIÉ R. 1755 . 53
l'affura de la maniere la plus touchante
que fi elle vouloit agréer fes foins , il feroit
fon unique félicité de la poffeffion de
fon coeur. Adelaiïde rougit , & s'étant remife
d'un premier trouble , qui donnoit
un nouvel éclat à fa beauté , elle lui dit
avec une modeftie charmante , que fi elle
étoit d'une fortune égale à la fienne , il
auroit tout lieu d'être fatisfait de fa ré
ponfe ; mais que dans l'état où fe trou
voient les chofes , elle ne voyoit pas qu'if
pût lui être permis de s'expliquer ; qu'elle
avoit trop
bonne opinion de lui , pour croi
re qu'il eût conçu des efpérances dont elle
dût avoir fujet de fe plaindre , & qu'elle ·
enviſageoit tant de malheurs pour lui dans
une paffion légitime , qu'elle croiroit ne
pas mériter les fentimens qu'il avoit pour
elle fi elle ne lui confeilloit de les étouf
fer ; qu'elle lui prêteroit tout le fecours
dont il pourroit avoir befoin pour le faire ,
& qu'elle éviteroit fa vûe avec tant de
foin , qu'il connoîtroit fi fon
que
peu de
fortune ne lui permettoit pas de prétendre
à fon amour , elle étoit digne au moins
qu'il lui confervât toute fon eftime.
Tant de vertu fut pour le Marquis un
nouveau fujet d'engagement. Il parla de
mariage , pria Adelaïde de lui laiſſer ménager
l'efprit de fa mere , & fe fépara
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
d'elle fr charmé , qu'il n'y eut jamais unë
paffion plus violente. Il fit ce qu'il lui avoit
promis , & rendit des devoirs fi refpectueux
& fi complaifans à la Marquife , qu'il
ne defefpéra pas d'obtenir fon confentement.
Adelaïde ne fut pas moins ponctuelle
à tenir la parole ; elle prit foin d'éviter
le Marquis , & tâcha de lui faire quit,
terun deffein dont elle voyoit le fuccès horsd'apparence
. Mais leur destinée étoit de s'aimer
; & comme un fort amour ne peut être
long- tems fecret , la Marquife , qui s'en
apperçut , fit quelques railleries à fon fils.
II
prit la chofe au férieux ; mais dès qu'il
eut commencé à exagérer le mérite d'Adelaïde
, elle prévint la déclaration qu'il fe
préparoit à lui faire , par des défenfes fi
abfolues d'avoir jamais aucune penſée pour
elle , qu'il vit bien qu'il n'étoit pas encore
tems de s'expliquer . Elle fit plus. La campagne
alloit s'ouvrir ; le Marquis étoit dans
les Moufquetaires , elle ne lui donna qu'un
jour pour partir : il fallut céder.
Son pere n'avoit pas laiffé de quoi Latiffaire
fes créanciers , & il ne pouvoit efperer
de bien que par elle : il partit après
avoir conjuré Adelaïde de l'aimer toujours
, & l'avoir affurée d'une fidélité inviolable
.
Pendant fon abfence , un Gentilhom
JAN VIÉR. 1755 55
me voifin devient amoureux d'Adelaïde ;
il fe déclare à la Marquife qui , pour
mettre fon fils hors de peril , promet un
préfent de nôce confidérable , & conclut
l'affaire. Le jeune Ferval en eft averti. On
entroit en quartier d'hyver. Il prend la
pofte , & arrive dans le tems qu'on preffoit
fa maîtreffe de prendre jour. Il fe
jette aux pieds de fa mere , la conjure de
ne pas le mettre au defeſpoir , & ne lus
cache plus le deffein qu'il a d'époufer Adelaïde.
La Marquife éclate contre lui. La
foumiffion de fon fils ne peut la fléchir ,
& cette brouillerie fait tant d'éclat , que le
Gentilhomme qui apprend l'amour réciproque
du Marquis & d'Adelaide , retire
fa parole , & rompt le mariage arrêté. Cetre
rupture acheve d'irriter la Marquife. Elle
défend fa maifon à Adelaïde , & toutes
les prieres du Marquis ne peuvent rien
obtenir. Il eft caufe de la difgrace de ce
qu'il aime , & il ſe réfout à la réparer. Il
l'épouſe , malgré toutes les menaces de fa
mere. Elle l'apprend , le deshérite , & jure
de ne lui pardonner jamais . Un enfant naît
de ce mariage ; on le porte à la Marquife.
Point de pitié ; elle demeure inexorable ,
& pour comble de malheur ils perdent ce
précieux gage de leur amour. Ils paffent
trois ou quatre années prefqu'abandonnés
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
de tout le monde , & ne fubfiftant qu'avec
peine ; ils font réduits enfin à la néceffité
de fe féparer. Le Marquis en fait la
propofition à fa femme . Elle n'a pas moins
de courage que de fageffe , & confent à
s'enfermer dans un Cloître , comme il ſe
détermine à entrer dans un Couvent. I
vend quelques bijoux qui lui reftent , &
en donne l'argent à fa chere Adelaïde. Elle
va trouver une Abbeffe , auffi recommendable
par fa vertu que par fa naiffance .
Elle eft reçue , on lui donne le voile , &
cette cérémonie n'eft pas plutôt faite , que
le Marquis fe rend à Paris , & renonçant
pour jamais au monde , prend l'habit dans
un Ordre très- auftere .
La fortune n'étoit pas encore laffe de
perfécuter Adelaide. Quelques filles du
Monaftere qu'elle avoit choifi , apprennent
fon hiftoire ; & foit envie ou malignité ,
elles cabalent avec tant d'adreffe , qu'elles
trouvent des raifons plaufibles pour
lui faire donner l'exclufion : elle a beau verfer
des larmes , elle eft obligée de fortir .
Une Religieufe de ce Couvent touchée
de fon état , lui donne des legres de recommendation
pour fon pere , qui étoit
Officier d'une Princeffe . Elle part , vient à
Paris ; & pendant que cet Officier lui fait
chercher un lieu de retraite pour toute
JANVIER. 1755. 57
fa vie , elle envoye avertir le Marquis de
fon arrivée , & lui fait demander une heure
pour lui parler. La nouvelle difgrace d'Adelaïde
eft un coup fenfible pour lui . Ik
F'aime toujours , il craint l'entretien qu'elle
fouhaite , & la fait prier de lui vouloir
épargner une vûe qui ne peut qu'être pré-;
judiciable au repos de l'un & de l'autre.
Adelaïde , quoique détachée du monde ,
ne l'eft point affez d'un mari qu'elle a tant
aimé , pour n'être point touchée de ce refis
; il ne fert qu'à augmenter l'envie
qu'elle a de le voir.
Elle va au Couvent , entre d'abord dans
P'Eglife , & le premier objet qui la frappe, eſt
le Marquis fon époux , occupé à un exercice
pieux avec toute fa Communauté . Cet
habit de pénitence la touche ; elle fe montre
, il la voit , il baiffe les yeux , & quelque
effort qu'elle faffé pour attirer les regards
, il n'en tourne plus aucun fur elle
Quoiqu'elle pénétre le motif de la violence
qu'il fe fait , elle y trouve quelquechofe
de fi cruel , qu'elle en eft faifie de la
plus vive douleur. Elle tombe évanouie ;
on l'emporte , elle ne revient à elle que
pour demander fon cher Ferval. On court
l'avertir que fa femme eft mourante . Son
Supérieur lui ordonne de la venir confo--
ler ; & elle expire par la force de fon fai-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
fiffement , avant qu'il fe foit rendu auprès
d'elle .
Toute la vertu du Marquis ne fuffic
point pour retenir les larmes que fa tendreffe
l'oblige de donner à cette mort. Ce
premier mouvement eft fuivi d'une rêve
rie profonde , qui le rend quelque tems
immobile. Il revient enfin à lui -même , &
après avoir remercié ceux qui ont pris foin
de fa chere Adelaïde , il fe retire dans fon:
Couvent , où à force d'auftérités , il tâche
de reparer ce que fa paffion quoique
légitime , peut avoir eu de trop violent
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Résumé : ADELAÏDE, OU LA FEMME MORTE D'AMOUR. Histoire singuliere, mais qui n'est pas moins vraie.
En 1678, Adélaïde devient la compagne de la fille de la marquise de Ferval. Elle est appréciée pour sa modestie et sa vertu. Le fils de la marquise, le jeune marquis de Ferval, tombe amoureux d'Adélaïde. Bien que les sentiments soient réciproques, Adélaïde hésite à s'engager en raison de la différence de fortune entre eux. Le marquis, persistant, parle de mariage. La marquise, opposée à cette union, force son fils à partir. Pendant son absence, elle arrange un mariage pour Adélaïde avec un gentilhomme voisin. À son retour, le marquis révèle son amour à sa mère, qui refuse catégoriquement. Le gentilhomme annule le mariage, et la marquise chasse Adélaïde. Malgré l'opposition de sa mère, le marquis épouse Adélaïde, qui les déshérite. Ils vivent dans la pauvreté et finissent par se séparer. Adélaïde entre dans un couvent, tandis que le marquis rejoint un ordre austère. Exclue du couvent, Adélaïde cherche à voir le marquis, mais il refuse. Elle meurt de chagrin en le voyant prier dans l'église du couvent. Le marquis, malgré sa douleur, continue sa vie de pénitence.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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13
p. 6-9
FABLE A un Ami qui veut se reléguer en Province, & prendre le parti du Couvent. L'ARBRISSEAU.
Début :
Tu vas quitter Paris, cher D***, & le cloître [...]
Mots clefs :
Arbrisseau, Couvent, Bonheur
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texteReconnaissance textuelle : FABLE A un Ami qui veut se reléguer en Province, & prendre le parti du Couvent. L'ARBRISSEAU.
FABLE
A un Ami qui veut fe reléguer en Province ;
prendre le parti du Couvent .
L'AR BRISSE A U.
Tuvas quitter Paris , cher D*** , & le cloftre U
A pour toi des appas que je ne puis connoître à
NOVEMBRE. 1755 7
Oui , pour t'en détourner mes foins font fuperflus.
Mais tu te flattes donc qu'en ton couvent reclus ,
Tu goûteras en paix les douceurs de la vie ;
Qu'un bonheur fans mêlange , exemt de toute
envie ,
Contentera tes voeux , remplira tes deffeins ,
Et fera fur toi feul lever des jours fereins ?
Cependant on le dit : la raifon d'ordinaire
N'habite pas longtems chez la gent folitaire.
Tel qui trop tôt du monde veut fortir ,
Souvent trop tard pourra s'en repentir.
J'avance pour preuve une fable ,
Rends- là pour toi moins applicable.
Un arbriffeau planté par la nature ,
Déja fort , & riche en verdure ,
Voyoit dans un jardin d'autres arbres rangés ,
Elagués avec art , très-bien fymétriſés :
Pourquoi , dit-il , fous les yeux d'un bon maître,
D'être foigné comme eux , n'ai-je pas le bonheur ?
Profiterois-je moins ? que fçait -on è mieux peutêtre.
Hélas ! un tronc touffu , des branches fans honneur
,
De la feve qui m'a fait naître
Vont épuifer tout le meilleur.
En lieu bien clos , à l'abri des tempêtes ,
Sans crainte ils élevent leurs têtes.
Sont-ils trop altérés ; on leur rend la fraîcheur :
Bref, à chaque maladie
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
En tout tems on rémédie.
Pour moi , je languis de maigreur ;
Les faifons , les vents , les chaleurs ,
Cent & cent maux me font à craindre ;
Oui , toujours le pauvre arbre alloit encor fe .....
plaindre ,
Des pores de l'écorce il couloit quelques pleurs :"
Le fort trompa bien ſon attente.
Chemin faifant , le voifin jardinier
Le voit , l'admire , & le tranfplante ,
L'arrofe , comme il faut , l'engraiffe de fumier.
Quinze jours écoulés , notre arbre avoit pris terre,
S'eftimant fort heureux . Il fallut le tailler.
De fes rameaux fourchus il ſe voit dépouiller ;
Et pour le redreffer , on lui livre la guerre :
Bientôt ce n'est plus qu'un tronc nu .
Il avoit defiré de tous fes maux le pire ;
Plein de regret il gémit , il foupire ,
Et maudit un bonheur qu'il n'avoit point connu .
Ami , tu fçais à quoi mon recit fe termine.
Le Monaftere eft ce verger charmant ,
Ou , fous la fage difcipline ,
Un béat vit tranquillement.
Il eft content , dis- tu : certes , je le veux croire ;
Dans fa condition on a mille agrémens.
Mais s'il l'a pris fans choix , la robe blanche ou
noire
Ne change point les fentimens.
Le tendre arbriffeau , c'eft toi- même ;
NOVEMBRE . 1755 .
Tu hais le monde , & tu fuis fes plaifirs :
Le froc te femble un bien fuprême.
Ah ! je t'arrête trop ; cours , vole à tes défirs.
Mais quand fous un dur eſclavage
Tu fentiras enfin gémir ta liberté ;
Quand une obéiffance aveugle & fans partage ,
Condamnera ta moindre volonté ;
Alors ..... mais je veux taire un trifte & vain préfage
;
Suis ta vocation : c'eft l'avis le plus fage.
Si Dieu te parle , il veut être écouté ;
Mais il ne parle pas , s'il n'eft bien confulté.
L'Abbé BOUCHE .
A un Ami qui veut fe reléguer en Province ;
prendre le parti du Couvent .
L'AR BRISSE A U.
Tuvas quitter Paris , cher D*** , & le cloftre U
A pour toi des appas que je ne puis connoître à
NOVEMBRE. 1755 7
Oui , pour t'en détourner mes foins font fuperflus.
Mais tu te flattes donc qu'en ton couvent reclus ,
Tu goûteras en paix les douceurs de la vie ;
Qu'un bonheur fans mêlange , exemt de toute
envie ,
Contentera tes voeux , remplira tes deffeins ,
Et fera fur toi feul lever des jours fereins ?
Cependant on le dit : la raifon d'ordinaire
N'habite pas longtems chez la gent folitaire.
Tel qui trop tôt du monde veut fortir ,
Souvent trop tard pourra s'en repentir.
J'avance pour preuve une fable ,
Rends- là pour toi moins applicable.
Un arbriffeau planté par la nature ,
Déja fort , & riche en verdure ,
Voyoit dans un jardin d'autres arbres rangés ,
Elagués avec art , très-bien fymétriſés :
Pourquoi , dit-il , fous les yeux d'un bon maître,
D'être foigné comme eux , n'ai-je pas le bonheur ?
Profiterois-je moins ? que fçait -on è mieux peutêtre.
Hélas ! un tronc touffu , des branches fans honneur
,
De la feve qui m'a fait naître
Vont épuifer tout le meilleur.
En lieu bien clos , à l'abri des tempêtes ,
Sans crainte ils élevent leurs têtes.
Sont-ils trop altérés ; on leur rend la fraîcheur :
Bref, à chaque maladie
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
En tout tems on rémédie.
Pour moi , je languis de maigreur ;
Les faifons , les vents , les chaleurs ,
Cent & cent maux me font à craindre ;
Oui , toujours le pauvre arbre alloit encor fe .....
plaindre ,
Des pores de l'écorce il couloit quelques pleurs :"
Le fort trompa bien ſon attente.
Chemin faifant , le voifin jardinier
Le voit , l'admire , & le tranfplante ,
L'arrofe , comme il faut , l'engraiffe de fumier.
Quinze jours écoulés , notre arbre avoit pris terre,
S'eftimant fort heureux . Il fallut le tailler.
De fes rameaux fourchus il ſe voit dépouiller ;
Et pour le redreffer , on lui livre la guerre :
Bientôt ce n'est plus qu'un tronc nu .
Il avoit defiré de tous fes maux le pire ;
Plein de regret il gémit , il foupire ,
Et maudit un bonheur qu'il n'avoit point connu .
Ami , tu fçais à quoi mon recit fe termine.
Le Monaftere eft ce verger charmant ,
Ou , fous la fage difcipline ,
Un béat vit tranquillement.
Il eft content , dis- tu : certes , je le veux croire ;
Dans fa condition on a mille agrémens.
Mais s'il l'a pris fans choix , la robe blanche ou
noire
Ne change point les fentimens.
Le tendre arbriffeau , c'eft toi- même ;
NOVEMBRE . 1755 .
Tu hais le monde , & tu fuis fes plaifirs :
Le froc te femble un bien fuprême.
Ah ! je t'arrête trop ; cours , vole à tes défirs.
Mais quand fous un dur eſclavage
Tu fentiras enfin gémir ta liberté ;
Quand une obéiffance aveugle & fans partage ,
Condamnera ta moindre volonté ;
Alors ..... mais je veux taire un trifte & vain préfage
;
Suis ta vocation : c'eft l'avis le plus fage.
Si Dieu te parle , il veut être écouté ;
Mais il ne parle pas , s'il n'eft bien confulté.
L'Abbé BOUCHE .
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Résumé : FABLE A un Ami qui veut se reléguer en Province, & prendre le parti du Couvent. L'ARBRISSEAU.
L'Abbé Bouche adresse une fable à un ami envisageant de quitter Paris pour entrer dans un couvent. Il utilise l'allégorie d'un arbrisseau envieux des arbres bien soignés dans un jardin voisin. Cet arbrisseau, après avoir été transplanté et taillé, regrette son sort. L'auteur compare cette situation à celle de son ami, qui pourrait regretter sa décision de rejoindre un couvent. Il souligne que la vie monastique, bien que paisible, ne modifie pas les sentiments et les aspirations d'une personne. L'auteur conseille à son ami de suivre sa véritable vocation, mais de bien réfléchir avant de prendre une telle décision.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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14
p. 207-213
DE PARIS, le 8 Mars.
Début :
Charlotte-Godefride-Elisbeth de Rohan-Soubise, Princesse de Condé, mourut, [...]
Mots clefs :
Princesse de Condé, Décès, Prince de Soubise, Vertus, Corps embaumé, Cortège funéraire, Carosses, Couvent, Religieux, Prières, Deuil, Assemblée générale du Clergé de France, Archevêque, Audience du roi, Conseiller d'État, Ministre, Cérémonies, Assemblée du Clergé, Don, Société royale de Londres, Élection, Tremblements de terre, Ouragan, Capitaine, Irlande, Garnison, Officiers, Chevaliers, Gardes suisses, Ile de Mann, Combat, Anglais, Pondichéry, Blessés et morts, Compagnie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DE PARIS, le 8 Mars.
DE PARIS , le 8 Mars.
Charlotte - Godefride - Elifabeth de Rohan - Soubife,
Princeffe de Condé , mourut, a l'Hôtel de
Condé , la nuit du Mardi au Mercredi
dernier ,
dans le vingt- uniéme jour de fa maladie , &
la vingt
- troiliéme année de fon âge. Cette Princeffe
étoit fille de Charles de Rohan , Prince de
Soubife
,
Maréchal deFrance, Pair du Royaume,
Capitaine-
Lieutenant
des Gendarmes de la garde
duRoi ,
Gouverneur
de Flandre & du Hainault;
& d'Anne-Marie Louife de la Tour d'Auvergne,
Princellede Bouillon. Elle avoit été mariée le
Mai
137532
à Louis -Jofeph de Bourbon-Condé
3
208 MERCURE DE FRANCE.
Prince du Sang , Grand- Maître de la Maiſon
du Roi , & Gouverneur de la Proviuce de Bourgogne,
Elle a eu de ce mariage , N. de Bourbon-
Condé , Duc de Bourbon , né le 13 Avril 1756 ;
Marie de Bourbon- Condé, née le 16 Février 1755,
morte le 22 Juin 1759 ; & Mademoiſelle de
Bourbon- Condé , née le ƒ Octobre 1757.
Cette Princeffe réunifloit toutes les vertus Chrétiennes
& Morales : fon caractère doux & affable ,
lui avoient gagné l'affection de toutes les perfonnes
qui avoient l'honneur de l'approcher :
elle eſt univerſellement regrettée . Les pauvres
pleurent amérement , en elle , une mere & une
amie , que leurs voeux n'ont pu leur conferver.
Le corps de cette Princefle , après avoir été
embaumé , a été expofé pendant un jour furune
eſtrade , éclairée par un grand nombre de lumieres
, & tendue de noir. Il fut porté , le
8 de ce mois , au Couvent des Carmelites du
Fauxbourg Saint Jacques , pour y être inhumé. Le
cortége du Convoi étoit compofé de cent pauvres,
couverts de drap blanc , & tenant chacun un
flambeau ; des Officiers , des Suiffes , & des Valets
de chambre de la Princeffe , à cheval ; de cent
cinquante Valets de pied ; de trois caroffes drapés
, à fix chevaux , harnachés & caparallonnés
de noir , qui étoient remplis par les Ecuyers , les
Gentilshommes , & les Femmes de chambre ; &
de trois caroffes à huit chevaux . Dans le premier,
étoit l'Archevêque de Bordeaux , portant le coeur,
le Curé de Saint-Sulpice , le Confeffeur , & les
Aumôniers de la Prince ffe. Dans le fecond , étoit
le
corps de la Princelle . Dans le troifiéme , étoit
Mademoiſelle de Sens , avec la Princeffe de Marfan,
Chanoineffe de Rémiremont ; la Dame d'honneur
de Ma lemoiſelle de Sens , & les Dam's attachées
à la Princeffe défunte. Lorsqu'on fut aur
AVRIL. 1760. 209
Carmelites , le corps fut defcendu du caroffe par
huit Valets de Chambre , & porté fous le portique
intérieur de l'Eglife , où les Religieufes , tenant
chacune un cierge à la main , étoient rangées
à droite & à gauche , avec trente Eccléfiaftiques
, le Supérieur de la Maiſon à leur tête.
L'Archevêque de Bordeaux , en camail & en
rochet , accompagné du Curé de S. Sulpice , en
étole , en préfentant le corps & le coeur de la
Princeffe aux Carmelites , leur fit un Difcours ,
auquel le Supérieur répondit : enfuite les Religieufes
commencèrent l'Office des Morts. Les
Prières finies , les huit Valets de Chambre portèrent
le corps près de la foife ; & l'y ayant
defcendu , le coeur fut pofé fur la croix du cercueil.
Mademoiſelle de Sens , qui menoit le deuil,
étoit en longue mante , dont la queue étoit portée
par fon Ecuyer. La Princeffe de Marfan ; la
Dame d'honneur de Mademoiſelle de Sens , &
les Dames de la Princefle défunte , étoient auffi
en mante.
Le 6 de ce mois , l'ouverture folemnelle de
l'Affemblée générale du Clergé de France , fe fit
dans l'Eglife des Grands-Auguftins , par la Mefle
du Saint- Elprit. L'Archevêque de Narbonne y
officia pontificalement . Le 9 , les Archevêques
de Narbonne , d'Auch & de Bordeaux , & les .
Evêques de Grenoble , d'Auxerre & du Puy , Préfidens
de l'Affemblée , avec les autres Prélats &
les Députés du fecond ordre , qui compofent cette
Affemblée allerent à Verfailles rendre leurs
respects au Roi. Ils s'affemblerent dans l'appartement
qui leur avoit été deſtiné ; & le Comte de
S. Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat , étant
venu les prendre pour les préfenter à Sa Majefté
, ils furent conduits à l'Audience du Roi
avec les honneurs que reçoit le Clergé lorsqu'il
>
115 MERCURE DE FRANCE.
eft en Corps. Les Gardes du Corps étoient en
haye dans leur falle , & les deux battans des
portes étoient ouverts. L'Archevêque de Narbonne
harangua le Roi , après quoi il préfenta
les Députés à Sa Majefté. Ils eurent le même
jour audience de la Reine , de Monfeigneur le
Dauphin, & de Madame la Dauphine , étant préfentés
& conduits avec les mêmes honneurs .
Le 11 , le fieur Feydeau de Brou , Confeiller
d'Etat ordinaire , & au Confeil royal ; le Comte
de Saint Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat s
le fieur Trudaine , Confeiller d'Etat ordinaire , &
au Confeil royal , & Intendant des Finances ; le
fieur d'Ormeffon d'Amboile , Confeiller d'Etat &
Intendant des Finances ; & le fieur Bertin , Confeiller
ordinaire au Confeil royal , & Contrôleur
général des Finances , vinrent , en qualité de
Commiffaires du Roi , à l'Affemblée du Clergé ,
où ils furent reçus avec les cérémonies ufitées en
pareille occafion . Le fieur Feydeau de Brou, porta
la parole.
L'Alfemblée du Clergé ayant accordé unanimement
le don gratuit de feize millions , qui lui
avoit été demandé de la part du Roi ; fur le
compte que l'Archevêque de Narbonne en a rendu
à Sa Majefté , le Roi lui en a témoigné fa fatisfaction
par une Lettre remplie de marques de
bonté & d'affection pour le Clergé.
Le 24 du mois de Janvier , la Société royale
de Londres , élut , d'une commune voix , pour
Aflociés , le fieur de la Caille , de l'Académie des
Sciences , & Profefleur de Mathématiques au
Collège Mazarin ; & le fieur Pereire , Penfionnaire
du Roi , célèbre par fon art d'enfeigner à parler
aux muets de naiffance.
Les Lettres arrivées depuis peu de divers lieux
de la Syrie , confirment la nouvelle des trem
AVRIL. 1760. 211
blemens de terre réitérés qui ont détruit la plûpart
des Villes de cette contrée. Les deux principales
fecouffes fe font fait fentir le 30 Octobre
dernier , à trois heures trois quarts du matin ,
& le 25 Novembre , à fept heures & un quart du
foir. Les autres ont été en fi grand nombre, qu'on
ne put les compter. Tripoli de Syrie , n'eft plus
qu'un monceau de ruines , de même que Saphet ,
Napoulouſe , Damas , plufieurs autres Villes , &
ane multitude de bourgs & de villages.Il s'est fait,
à ce qu'on ajoute , près de Bulbec , dans la terre ,
une fente de plufieurs toifes de largeur , & de
vingt lieues de longueur.
On apprend d'Alquin , fous Vezelay, en Bourgogne
, qu'on y a effuyé , vers le milieu du mois
dernier , un furieux ouragan. Il a déraciné ou
brifé prèfque tous les arbres d'un bois de trentefix
arpens , auffi bien que ceux des campagnes
voifines. Le tremblement de terre du 20 Janvier,
s'y eft auffi fait fentir avec une violence particu
lière ; & il y caufa une très- grande frayeur.
Les nouvelles que l'on a reçues d'Angleterre
& d'Irlande , nous apprennent que le Capitaine
Thurot débarqua le 18 du mois dernier à Karickfergus
en Irlande. Le 21 , on attaqua Karickfergus
, qui fe défendit quelque temps ; mais le
Lieutenant- Colonel Jennings , le voyant prêt à
être forcé , rendit le Château ; & la garnifon fut
prifonnière de guerre. On a eu , à cette attaque ,
17 hommes tues , dont trois Officiers du Régiment
des Gardes Françoifes , les fieurs de l'Epinay
, de Novillard , & le Chevalier de Boillac ;
& environ trente hommes bleffés , du nombre
defquels font , le fieur Villepreaux , Capitaine
des Grenadiers au Régiment de Cambis , qui a
reçu un coup de fufil dans le bras , & le fieur
Flobert , Brigadier , commandant les troupes da
212 MERCURE DE FRANCE.
débarquement , qui a auffi été bleffé d'un coup
de feu à la jambe.
On a été retenu à Karickfergus jufqu'au 27 ,
par les vents contraires ; & la nuit du 27 au 28 ,
on a remis à la voile , avec des ôtages , pour 100
mille livres fterlin de contribution . Le 28 au matin
, on a été rencontré près de l'Ifle de Mann ,
par trois frégates Angloifes , de 36 canons chacune.
Le combat a été très-vif pendant plus d'une
heure ; mais les frégates , délemparées & percées
de coups de canon , fous l'eau , ont été obli
gées d'amener. Le fieur Thurot a été tué , dans le
combat . Les talens peu communs , l'expérience ,
& le courage de cet Officier , méritent les plus
grands regrets de notre part , & lui avoient acquis
l'eftime de nos ennemis même . Le fieur
Dars , Officier au Régiment des Gardes Françoi
fes , a aufli été tué. Le fieur Cavenac , Aidemajor
du même Régiment , a été bleflé à la
rête d'un coup de feu , que l'on croit n'être pas
dangereux. Le fieur Joft , Officier au Régiment
des Gardes Suiffes , a eu un bras emporté. Les
autres Officiers bleſſés font , le fieur de Brie , Capitaine
, le fieur Mafcle , Aide -major , & le fieur
Callale , Lieutenant au Régiment d'Artois. Les
fieurs de Garcin & de Brazide , Capitaines au Régiment
de Bourgogne , & le fieur Ollery , Lieutenant
dans les Volontaires étrangers.
On a appris depuis , par une Lettre , venant de
Ife de Mann , en datte du 2 Mars , que le
combat a commencé à fept heures du matin , &
n'a fini qu'à 9 heures & demie ; que M. Thurot ,
après avoir eu affaire à la premiere frégate Angloife
l'avoit forcée de fe retirer pour fe réparer ;
les deux autres font venues la remplacer , &
l'ont mis entre deux feux ; & que M. Thurot n'a
été tué , qu'après avoir tenté un nouvel abordage
que
AVRIL. 1760. 213
contre la premiere frégate , qui revenoit à lui,
après s'être réparée . On ajoute , que M. Thurot a
été enterré dans l'Iſle de Mann , par les Anglois ,
avec tous les honneurs militaires qu'ils ont cru
devoir à un homme dont la valeur , l'expérience ,
& l'humanité , n'ont point connu de bornes.
Suivant les nouvelles apportées à l'Orient , de la
côte de Coromandel , il s'eft engagé le 10 Septembre
de l'année derniere , un combat très - vif
entre l'efcadre Françoife commandée par le fieur
Daché , & l'efcadre Angloife commandée par l'Amiral
Pocock. On n'a point encore de détail circonftancié
de cette action .
Les mêmes lettres ajoutent , qu'il y a eu le 30
Septembre , un combat entre les troupes Françoiles
& Angloifes , à Vandavachi , près d'Afcate ,
arente lieues de Pondichéri. Les Anglois étoient
20 nombre de dix - fept cens blancs , & de quatre
mille noirs . l'armée Françoiſe étoit de onze cens
blancs , commandée en l'abſence du fieur de Lalli
qui étoit à Pondichéri , par le fieur de Géoghégan
Capitaine de Grenadiers du Régiment de Lalli.
L'affaire fur très-vive , & dura cinq heures . Les
François refterent enfin maîtres du champ de ba
taille.
Les Anglois ont eu 350 hommes de tués , & un
grand nombre de bleffés. On leur a fait cinq Officiers&
56 foldats prifonniers. On leur a pris quatre
piéces de canon , & deux chariots d'artillerie.
Notre perte n'a été que de 36 hommes tués , & de78 bleffés. Du nombre des premiers
, font , les fieurs Gineftoux
& de Gouyon
, Capitaines
dans le Régiment
de Lorraine
; & les Geurs de Main- ville & Papillaut
, le premier , Commandant
du
Bataillon de l'Inde , & le fecond
, Lieutenant
dans les troupes au fervice de la Compagnie
des
Indes.
Charlotte - Godefride - Elifabeth de Rohan - Soubife,
Princeffe de Condé , mourut, a l'Hôtel de
Condé , la nuit du Mardi au Mercredi
dernier ,
dans le vingt- uniéme jour de fa maladie , &
la vingt
- troiliéme année de fon âge. Cette Princeffe
étoit fille de Charles de Rohan , Prince de
Soubife
,
Maréchal deFrance, Pair du Royaume,
Capitaine-
Lieutenant
des Gendarmes de la garde
duRoi ,
Gouverneur
de Flandre & du Hainault;
& d'Anne-Marie Louife de la Tour d'Auvergne,
Princellede Bouillon. Elle avoit été mariée le
Mai
137532
à Louis -Jofeph de Bourbon-Condé
3
208 MERCURE DE FRANCE.
Prince du Sang , Grand- Maître de la Maiſon
du Roi , & Gouverneur de la Proviuce de Bourgogne,
Elle a eu de ce mariage , N. de Bourbon-
Condé , Duc de Bourbon , né le 13 Avril 1756 ;
Marie de Bourbon- Condé, née le 16 Février 1755,
morte le 22 Juin 1759 ; & Mademoiſelle de
Bourbon- Condé , née le ƒ Octobre 1757.
Cette Princeffe réunifloit toutes les vertus Chrétiennes
& Morales : fon caractère doux & affable ,
lui avoient gagné l'affection de toutes les perfonnes
qui avoient l'honneur de l'approcher :
elle eſt univerſellement regrettée . Les pauvres
pleurent amérement , en elle , une mere & une
amie , que leurs voeux n'ont pu leur conferver.
Le corps de cette Princefle , après avoir été
embaumé , a été expofé pendant un jour furune
eſtrade , éclairée par un grand nombre de lumieres
, & tendue de noir. Il fut porté , le
8 de ce mois , au Couvent des Carmelites du
Fauxbourg Saint Jacques , pour y être inhumé. Le
cortége du Convoi étoit compofé de cent pauvres,
couverts de drap blanc , & tenant chacun un
flambeau ; des Officiers , des Suiffes , & des Valets
de chambre de la Princeffe , à cheval ; de cent
cinquante Valets de pied ; de trois caroffes drapés
, à fix chevaux , harnachés & caparallonnés
de noir , qui étoient remplis par les Ecuyers , les
Gentilshommes , & les Femmes de chambre ; &
de trois caroffes à huit chevaux . Dans le premier,
étoit l'Archevêque de Bordeaux , portant le coeur,
le Curé de Saint-Sulpice , le Confeffeur , & les
Aumôniers de la Prince ffe. Dans le fecond , étoit
le
corps de la Princelle . Dans le troifiéme , étoit
Mademoiſelle de Sens , avec la Princeffe de Marfan,
Chanoineffe de Rémiremont ; la Dame d'honneur
de Ma lemoiſelle de Sens , & les Dam's attachées
à la Princeffe défunte. Lorsqu'on fut aur
AVRIL. 1760. 209
Carmelites , le corps fut defcendu du caroffe par
huit Valets de Chambre , & porté fous le portique
intérieur de l'Eglife , où les Religieufes , tenant
chacune un cierge à la main , étoient rangées
à droite & à gauche , avec trente Eccléfiaftiques
, le Supérieur de la Maiſon à leur tête.
L'Archevêque de Bordeaux , en camail & en
rochet , accompagné du Curé de S. Sulpice , en
étole , en préfentant le corps & le coeur de la
Princeffe aux Carmelites , leur fit un Difcours ,
auquel le Supérieur répondit : enfuite les Religieufes
commencèrent l'Office des Morts. Les
Prières finies , les huit Valets de Chambre portèrent
le corps près de la foife ; & l'y ayant
defcendu , le coeur fut pofé fur la croix du cercueil.
Mademoiſelle de Sens , qui menoit le deuil,
étoit en longue mante , dont la queue étoit portée
par fon Ecuyer. La Princeffe de Marfan ; la
Dame d'honneur de Mademoiſelle de Sens , &
les Dames de la Princefle défunte , étoient auffi
en mante.
Le 6 de ce mois , l'ouverture folemnelle de
l'Affemblée générale du Clergé de France , fe fit
dans l'Eglife des Grands-Auguftins , par la Mefle
du Saint- Elprit. L'Archevêque de Narbonne y
officia pontificalement . Le 9 , les Archevêques
de Narbonne , d'Auch & de Bordeaux , & les .
Evêques de Grenoble , d'Auxerre & du Puy , Préfidens
de l'Affemblée , avec les autres Prélats &
les Députés du fecond ordre , qui compofent cette
Affemblée allerent à Verfailles rendre leurs
respects au Roi. Ils s'affemblerent dans l'appartement
qui leur avoit été deſtiné ; & le Comte de
S. Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat , étant
venu les prendre pour les préfenter à Sa Majefté
, ils furent conduits à l'Audience du Roi
avec les honneurs que reçoit le Clergé lorsqu'il
>
115 MERCURE DE FRANCE.
eft en Corps. Les Gardes du Corps étoient en
haye dans leur falle , & les deux battans des
portes étoient ouverts. L'Archevêque de Narbonne
harangua le Roi , après quoi il préfenta
les Députés à Sa Majefté. Ils eurent le même
jour audience de la Reine , de Monfeigneur le
Dauphin, & de Madame la Dauphine , étant préfentés
& conduits avec les mêmes honneurs .
Le 11 , le fieur Feydeau de Brou , Confeiller
d'Etat ordinaire , & au Confeil royal ; le Comte
de Saint Florentin , Miniftre & Secrétaire d'Etat s
le fieur Trudaine , Confeiller d'Etat ordinaire , &
au Confeil royal , & Intendant des Finances ; le
fieur d'Ormeffon d'Amboile , Confeiller d'Etat &
Intendant des Finances ; & le fieur Bertin , Confeiller
ordinaire au Confeil royal , & Contrôleur
général des Finances , vinrent , en qualité de
Commiffaires du Roi , à l'Affemblée du Clergé ,
où ils furent reçus avec les cérémonies ufitées en
pareille occafion . Le fieur Feydeau de Brou, porta
la parole.
L'Alfemblée du Clergé ayant accordé unanimement
le don gratuit de feize millions , qui lui
avoit été demandé de la part du Roi ; fur le
compte que l'Archevêque de Narbonne en a rendu
à Sa Majefté , le Roi lui en a témoigné fa fatisfaction
par une Lettre remplie de marques de
bonté & d'affection pour le Clergé.
Le 24 du mois de Janvier , la Société royale
de Londres , élut , d'une commune voix , pour
Aflociés , le fieur de la Caille , de l'Académie des
Sciences , & Profefleur de Mathématiques au
Collège Mazarin ; & le fieur Pereire , Penfionnaire
du Roi , célèbre par fon art d'enfeigner à parler
aux muets de naiffance.
Les Lettres arrivées depuis peu de divers lieux
de la Syrie , confirment la nouvelle des trem
AVRIL. 1760. 211
blemens de terre réitérés qui ont détruit la plûpart
des Villes de cette contrée. Les deux principales
fecouffes fe font fait fentir le 30 Octobre
dernier , à trois heures trois quarts du matin ,
& le 25 Novembre , à fept heures & un quart du
foir. Les autres ont été en fi grand nombre, qu'on
ne put les compter. Tripoli de Syrie , n'eft plus
qu'un monceau de ruines , de même que Saphet ,
Napoulouſe , Damas , plufieurs autres Villes , &
ane multitude de bourgs & de villages.Il s'est fait,
à ce qu'on ajoute , près de Bulbec , dans la terre ,
une fente de plufieurs toifes de largeur , & de
vingt lieues de longueur.
On apprend d'Alquin , fous Vezelay, en Bourgogne
, qu'on y a effuyé , vers le milieu du mois
dernier , un furieux ouragan. Il a déraciné ou
brifé prèfque tous les arbres d'un bois de trentefix
arpens , auffi bien que ceux des campagnes
voifines. Le tremblement de terre du 20 Janvier,
s'y eft auffi fait fentir avec une violence particu
lière ; & il y caufa une très- grande frayeur.
Les nouvelles que l'on a reçues d'Angleterre
& d'Irlande , nous apprennent que le Capitaine
Thurot débarqua le 18 du mois dernier à Karickfergus
en Irlande. Le 21 , on attaqua Karickfergus
, qui fe défendit quelque temps ; mais le
Lieutenant- Colonel Jennings , le voyant prêt à
être forcé , rendit le Château ; & la garnifon fut
prifonnière de guerre. On a eu , à cette attaque ,
17 hommes tues , dont trois Officiers du Régiment
des Gardes Françoifes , les fieurs de l'Epinay
, de Novillard , & le Chevalier de Boillac ;
& environ trente hommes bleffés , du nombre
defquels font , le fieur Villepreaux , Capitaine
des Grenadiers au Régiment de Cambis , qui a
reçu un coup de fufil dans le bras , & le fieur
Flobert , Brigadier , commandant les troupes da
212 MERCURE DE FRANCE.
débarquement , qui a auffi été bleffé d'un coup
de feu à la jambe.
On a été retenu à Karickfergus jufqu'au 27 ,
par les vents contraires ; & la nuit du 27 au 28 ,
on a remis à la voile , avec des ôtages , pour 100
mille livres fterlin de contribution . Le 28 au matin
, on a été rencontré près de l'Ifle de Mann ,
par trois frégates Angloifes , de 36 canons chacune.
Le combat a été très-vif pendant plus d'une
heure ; mais les frégates , délemparées & percées
de coups de canon , fous l'eau , ont été obli
gées d'amener. Le fieur Thurot a été tué , dans le
combat . Les talens peu communs , l'expérience ,
& le courage de cet Officier , méritent les plus
grands regrets de notre part , & lui avoient acquis
l'eftime de nos ennemis même . Le fieur
Dars , Officier au Régiment des Gardes Françoi
fes , a aufli été tué. Le fieur Cavenac , Aidemajor
du même Régiment , a été bleflé à la
rête d'un coup de feu , que l'on croit n'être pas
dangereux. Le fieur Joft , Officier au Régiment
des Gardes Suiffes , a eu un bras emporté. Les
autres Officiers bleſſés font , le fieur de Brie , Capitaine
, le fieur Mafcle , Aide -major , & le fieur
Callale , Lieutenant au Régiment d'Artois. Les
fieurs de Garcin & de Brazide , Capitaines au Régiment
de Bourgogne , & le fieur Ollery , Lieutenant
dans les Volontaires étrangers.
On a appris depuis , par une Lettre , venant de
Ife de Mann , en datte du 2 Mars , que le
combat a commencé à fept heures du matin , &
n'a fini qu'à 9 heures & demie ; que M. Thurot ,
après avoir eu affaire à la premiere frégate Angloife
l'avoit forcée de fe retirer pour fe réparer ;
les deux autres font venues la remplacer , &
l'ont mis entre deux feux ; & que M. Thurot n'a
été tué , qu'après avoir tenté un nouvel abordage
que
AVRIL. 1760. 213
contre la premiere frégate , qui revenoit à lui,
après s'être réparée . On ajoute , que M. Thurot a
été enterré dans l'Iſle de Mann , par les Anglois ,
avec tous les honneurs militaires qu'ils ont cru
devoir à un homme dont la valeur , l'expérience ,
& l'humanité , n'ont point connu de bornes.
Suivant les nouvelles apportées à l'Orient , de la
côte de Coromandel , il s'eft engagé le 10 Septembre
de l'année derniere , un combat très - vif
entre l'efcadre Françoife commandée par le fieur
Daché , & l'efcadre Angloife commandée par l'Amiral
Pocock. On n'a point encore de détail circonftancié
de cette action .
Les mêmes lettres ajoutent , qu'il y a eu le 30
Septembre , un combat entre les troupes Françoiles
& Angloifes , à Vandavachi , près d'Afcate ,
arente lieues de Pondichéri. Les Anglois étoient
20 nombre de dix - fept cens blancs , & de quatre
mille noirs . l'armée Françoiſe étoit de onze cens
blancs , commandée en l'abſence du fieur de Lalli
qui étoit à Pondichéri , par le fieur de Géoghégan
Capitaine de Grenadiers du Régiment de Lalli.
L'affaire fur très-vive , & dura cinq heures . Les
François refterent enfin maîtres du champ de ba
taille.
Les Anglois ont eu 350 hommes de tués , & un
grand nombre de bleffés. On leur a fait cinq Officiers&
56 foldats prifonniers. On leur a pris quatre
piéces de canon , & deux chariots d'artillerie.
Notre perte n'a été que de 36 hommes tués , & de78 bleffés. Du nombre des premiers
, font , les fieurs Gineftoux
& de Gouyon
, Capitaines
dans le Régiment
de Lorraine
; & les Geurs de Main- ville & Papillaut
, le premier , Commandant
du
Bataillon de l'Inde , & le fecond
, Lieutenant
dans les troupes au fervice de la Compagnie
des
Indes.
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Résumé : DE PARIS, le 8 Mars.
Le 8 mars, Charlotte-Godefride-Élisabeth de Rohan-Soubise, princesse de Condé, est décédée à l'Hôtel de Condé à Paris à l'âge de vingt-trois ans après vingt-et-un jours de maladie. Elle était la fille de Charles de Rohan, prince de Soubise et maréchal de France, et d'Anne-Marie Louise de la Tour d'Auvergne, princesse de Bouillon. Mariée en mai 1753 à Louis-Joseph de Bourbon-Condé, prince du sang et gouverneur de Bourgogne, elle a eu trois enfants : Louis de Bourbon-Condé, duc de Bourbon, né en 1756 ; Marie de Bourbon-Condé, née en 1755 et décédée en 1759 ; et Mademoiselle de Bourbon-Condé, née en 1757. La princesse était reconnue pour ses vertus chrétiennes et morales, ainsi que pour sa douceur et son affabilité, ce qui lui avait valu l'affection de tous. Les pauvres la pleuraient comme une mère et une amie. Son corps, après avoir été embaumé, a été exposé sur une estrade éclairée et tendue de noir avant d'être inhumé au couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques. Le cortège funéraire comprenait cent pauvres, des officiers, des valets de chambre, et trois carrosses drapés de noir. L'archevêque de Bordeaux a prononcé un discours lors de la cérémonie, après quoi les religieuses ont commencé l'office des morts. La princesse de Marfan, Mademoiselle de Sens, et d'autres dames en deuil étaient présentes. Le 6 avril, l'assemblée générale du clergé de France s'est ouverte à l'église des Grands-Augustins. Le 9 avril, les prélats ont rendu visite au roi à Versailles. Le 11 avril, des commissaires du roi ont été reçus à l'assemblée du clergé, qui a accordé un don gratuit de seize millions au roi.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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15
p. *237-237
De GENES, le 26 Décembre 1763.
Début :
On a appris de Corse, ces jours derniers, que Paschal Paoli s'étoit rendu [...]
Mots clefs :
Corse, Pascal de Paoli, Couvent
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : De GENES, le 26 Décembre 1763.
De GENES , le 26 Décembre 1763 .
On a appris de Corſe , ces jours derniers , que
Paſchal Paoli s'étoit rendu maître de Calenſana ,
& qu'il avoit fait arrêter & tranſporter dans un
Couvent de Moines l'Evêque de ce Bourg.
On a appris de Corſe , ces jours derniers , que
Paſchal Paoli s'étoit rendu maître de Calenſana ,
& qu'il avoit fait arrêter & tranſporter dans un
Couvent de Moines l'Evêque de ce Bourg.
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16
p. 172
EXTRAIT d'une Lettre de Warsovie, du 8 Septembre 1764.
Début :
"Hier 7, le Comte Stanislas Poniastowski, Stolnich du Duché de Lithuanie, [...]
Mots clefs :
Comte, Grand-duché de Lituanie, Élection, Évêque, Académie, Couvent, Invention , Machine
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre de Warsovie, du 8 Septembre 1764.
EXTRAIT d'une Lettre de Warfovie , du 8
Septembre 1764.
D Hier · 7 le Comte Staniſlas Poniatowski ,
» Stolnick du Duché de Lithuanie , a été élu .
» & proclamé Roi de Pologne par les Nonces
& Senateurs aflemblés dans le Szoppa on
» Champ d'Election . Cette Election s'eft faite
avec la tranquillité & l'unanimité qu'on pou-
>> voit attendre de la fituation préfente des af
>> faires. L'Evêque de Cracovie s'étoit retiré &
n'a point affifté à cet événement.
Le Sieur Bonvenant Poix a inventé une machine
propre à cribler le bled , qui a la forme
d'un Côpe tronqué , dont la propriété eft de
nettoyer parfaitement le bled & de féparer en
même - temps le bon grain d'avec les pailles ,
l'ivraie , les grains altérés & les charençons ;
l'épreuve en a été faite , en préfence de l'Academie
des Sciences & de la Société Royale d'Agriculture
au Couvent des Chartreux & à
T'Abbaye de S. Nicolas des Champs , & les Commilaires
nommés par l'Académie ont rendy
des témoignages avantageux de la machine.
Septembre 1764.
D Hier · 7 le Comte Staniſlas Poniatowski ,
» Stolnick du Duché de Lithuanie , a été élu .
» & proclamé Roi de Pologne par les Nonces
& Senateurs aflemblés dans le Szoppa on
» Champ d'Election . Cette Election s'eft faite
avec la tranquillité & l'unanimité qu'on pou-
>> voit attendre de la fituation préfente des af
>> faires. L'Evêque de Cracovie s'étoit retiré &
n'a point affifté à cet événement.
Le Sieur Bonvenant Poix a inventé une machine
propre à cribler le bled , qui a la forme
d'un Côpe tronqué , dont la propriété eft de
nettoyer parfaitement le bled & de féparer en
même - temps le bon grain d'avec les pailles ,
l'ivraie , les grains altérés & les charençons ;
l'épreuve en a été faite , en préfence de l'Academie
des Sciences & de la Société Royale d'Agriculture
au Couvent des Chartreux & à
T'Abbaye de S. Nicolas des Champs , & les Commilaires
nommés par l'Académie ont rendy
des témoignages avantageux de la machine.
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Résumé : EXTRAIT d'une Lettre de Warsovie, du 8 Septembre 1764.
Le 7 septembre 1764, le Comte Stanislas Poniatowski, Stolnick du Duché de Lithuanie, a été élu et proclamé Roi de Pologne. Cette élection a eu lieu dans le Szoppa, sur le Champ d'Élection, dans le calme et l'unanimité. L'Évêque de Cracovie n'a pas assisté à cet événement. Parallèlement, le Sieur Bonvenant Poix a inventé une machine à cribler le blé, en forme de cône tronqué. Cette machine nettoie efficacement le blé en séparant le bon grain des impuretés telles que les pailles, l'ivraie, les grains altérés et les charançons. Une démonstration de cette machine a été présentée devant l'Académie des Sciences et la Société Royale d'Agriculture, au Couvent des Chartreux et à l'Abbaye de Saint-Nicolas-des-Champs. Les commissaires de l'Académie ont rendu des témoignages positifs sur la machine.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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18
p. 13
ÉNIGME OU LOGOGRYPHE.
Début :
Ami Lecteur, ma tête est sous la tienne ; [...]
Mots clefs :
Couvent