ODE
TIRE'E DU CANTIQUE D'HABACUĆ ,
Domine, audivi auditionem tuam
et timui , & c.
L'Ai- je bien entendu ! quelle horrible Sentence
Vient émouvoir mes sens ! quelle sinistre voix !
Ah! pardonne, Seigneur ; differe ta vengeance ;
Sois touché de mes pleurs pour la derniere foist
Où t'alloit emporter un Jugement funeste ! ´´.
Pour quel forfait le glaive armoit- il ton courroux?
Pouvois -tu l'immoler , ce déplorable reste
D'un Peuple que tu mis à couvert de tes coups.
'Armé pour sa deffense , il est tems de paroître ,
Vainement Babylone oppose ses Remparts ;
Combats , triomphe , cours ; Seigneur , fais- toi
connoître ;
Que dis-je? tu le peux d'un seul de tes regards.
Tel jadis tu parus , quand éclatant de gloire ,
Tu trainois à ton Char tes Ennemis vaincus ;
Les Echos du Pharam témoins de ta victoire ,
Du bruit de tes Exploits furent soudain émûs.
C iij
Le
462 MERCURE DE FRANCE
Le Soleil , à l'aspect de ta face brillante ,
Dans un nuage épais renferma sa splendeur ;
Les Foudres qui partoient de ta main menaçante ,
Terrassant l'Ennemi , rassuroient le vainqueur.
La Mort devant ton Char précipitoit ses traces ;
Le carnage et l'horreur suivoient ses tristes pas ;
L'Enfer à tes côtez , vengeur de tes disgraces ,
Portoit, selon ton ordre , à chacun le trépas .
Tu fixes tes regards ; tu parlas ; et la Terre
Reçoit , en frémissant , ton ordre souverains
Elle obéit , s'entr'ouvre , et bien - tôt le Tonnerre
Force tes Ennemis à rentrer dans son sein.
Tout fléchit devant toi , les Vallons et les Plaines
Aux Monts les plus chenus , se virent égalez ;
La Mer retint ses flots , les Fleuves, les Fontaines ,
Vers leurs Sources soudain fuyrent épouvantez.
L'Aveugle Egyptien , le blasphême à la bouche ,
Fut contraint de ceder aux efforts de ton bras;
Le sacrilege Chef d'une Race farouche ,
Abandonna son Camp au gré de tes Soldats .
Le Soleil dans les flots va finir sa carriere ;
La nuit confond déja ton Peuple dans l'oubli
Ти
MARS 1734 .
Tu tonnes . . . des Eclairs la bleuâtre lumiere ...
Guide le coup mortel qui frappe l'Ennemi.
La Mer entend ta voix ; son Onde menaçante
Attend pour s'écarter un seul de tes regards ;
Tu la fixes ; bien -tôt étonnée et tremblante ,
Elle forme en son sein deux humides remparts.
Ton Peuple craint les flots ; ta présence l'anime;
Il franchit des sentiers aux Mortels inconnus ;
L'Ennemi court , s'élance , il chancelle ; il s'abîme
,
La Mer gronde , se joint, et l'Ennemi n'est plus.
Mais ce jour a jamais marqué pour ta clémence,
Que d'horreurs, que de maux doivent le préceder !
Tu m'en as revelé la funeste science ,
Dieu Puissant , et je tremble à m'en persuader.
mort , vien de mes ans terminer la misere ;
Douce Mort hâte- toi de m'unir au Seigneur ;
Dérobez -moi, Tombeaux , aux traits de sa colere,
J'en connois la justice et j'en prévois l'horreur .
Tous les maux à la fois regneront sur la Terre
Une éternelle mort dévorera son sein
Nos Champs ensanglantez des fureurs de la guerre
Du triste Moissonneur tromperont le dessein .
C iiij
Les
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Les Fleuves tariront ; l'Astre qui nous éclaire
Refusera ses feux à nos Arbres naissants ;
Les Troupeaux périront sous la dent meurtriere
Des Lions affamez et des Ours dévorants.
Mais pourquoi t'affliger,ô mon ame ? qu'importe?
Pourquoi t'abandonner aux plus vives douleurs ?
Espere au Tout-Puissant ; crains - tu que sa main
forte ,
Ne puisse t'affranchir des plus pressans malheurs?
O Dieu , parmi les maux que ton bras nous
prépare ,
Ma voix ne cessera d'éxalter tes bienfaits ;
Israël dans les fers d'un Ennemi barbare
Connoîtra que c'est toi qui punis ses forfaits.
Oui c'est toi... quel rayon vient éclairer mon
ame !
Quel tumulte , quel bruit se répand dans les airs !
Les Remparts ennemis sont en proye à la flâme
Israël a brisé la honte de ses fers.
Releve- toi , Sion , mille cris de victoire
Annoncent la grandeur du Dieu de tes Ayeux ,
Vante à tout l'Univers sa puissance et sa gloire ,
Et que son nom soit craint de tes derniers Neveux.
Par M. R. Billard de Marseille.