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1
p. 229-231
PORTRAIT.
Début :
Croyez, sans craindre de faire Un Jugement teméraire, [...]
Mots clefs :
Jugement, Portrait, Agrément, Bel esprit, Politesse, Modèle, Galanterie, Éclat, Visage, Cheveux, Beauté
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texteReconnaissance textuelle : PORTRAIT.
PORTRAIT.
Royez ,fans craindre defaire
On
Un Jugement teméraire,
Queje ne vous diray que des chofes defait.
Pour donc de mon Portrait
Commencer l'image agreable,
Fay beaucoup d'enjoûment,
Et dans ce que je fais je mefle un agré
ment
Qui merendfort aimable.
&A
Fay l'efprit vif, brillant, joly,
Qui cependant n'ôte rien du folide;
Fay le langage fi poly,
Que je paffe déja pour modelle & pour
guide:
M'eftant fort appliquée à lire les Romans ,
230
Extraordinaire
Fay tiré par bonheur de ces bonnes lectures
L'Art d'inventer à tous momens
Mille Contes, mille Avantures.
VA
cherche à m'enfaire conter;
Mais toute magalanterie
Neva qu'à la badinerie,
Mon deffein n'eft que d'écouter.
Ainfi mon humeur eft coquette,
Et maconduite ne l'eft pas;
En aimant lafleurette,
J'enfçais éviter l'embarras.
&A
Chez moy lefard n'eft point d'usage,
Car, grace au Ciel,
L'éclat de mon visage
Eft un Vermeillon naturel.
Jay lefront gros, qui porte en guife de
Moutonne
Des cheveux blondsfrifezfans art,
Mon nez n'eft ny long, ny camard,
Mes yeuxfont affez vifs pour n'épargner
perfonne,
du Mercure Galant.
zzī
Etferoient beaux s'ils eftoient moins
petits;
Fay la bouchefort belle
Lors que je ne ris pas, fort grande quand
je ris,
Et je ris, par malheur pour elle,
D'un rien, & d'une bagatelle.
RA
Fay le teint vif, délicat, éclatant,
La gorge bien garnie, & la main porelée,
Ma taille eftfort petite, & j'enfuis confolée,
Elle eftfine, & le reste eft affez ragouftant.
Ceux qui liront cesVers,feront ravis peuteftre
De pouvoiraisément connoistre
Si je ne leur impoſe rien;
Qu'ils s'informent, je le veux bien,
Sij'ay ce prétendu mérite;
Et pourmarquer que j'aime ce party,
Qu'ils apprennent mon nom ; pour eftre
un peu petite,
On m'a donné celuy de RAT- GENTY.
Royez ,fans craindre defaire
On
Un Jugement teméraire,
Queje ne vous diray que des chofes defait.
Pour donc de mon Portrait
Commencer l'image agreable,
Fay beaucoup d'enjoûment,
Et dans ce que je fais je mefle un agré
ment
Qui merendfort aimable.
&A
Fay l'efprit vif, brillant, joly,
Qui cependant n'ôte rien du folide;
Fay le langage fi poly,
Que je paffe déja pour modelle & pour
guide:
M'eftant fort appliquée à lire les Romans ,
230
Extraordinaire
Fay tiré par bonheur de ces bonnes lectures
L'Art d'inventer à tous momens
Mille Contes, mille Avantures.
VA
cherche à m'enfaire conter;
Mais toute magalanterie
Neva qu'à la badinerie,
Mon deffein n'eft que d'écouter.
Ainfi mon humeur eft coquette,
Et maconduite ne l'eft pas;
En aimant lafleurette,
J'enfçais éviter l'embarras.
&A
Chez moy lefard n'eft point d'usage,
Car, grace au Ciel,
L'éclat de mon visage
Eft un Vermeillon naturel.
Jay lefront gros, qui porte en guife de
Moutonne
Des cheveux blondsfrifezfans art,
Mon nez n'eft ny long, ny camard,
Mes yeuxfont affez vifs pour n'épargner
perfonne,
du Mercure Galant.
zzī
Etferoient beaux s'ils eftoient moins
petits;
Fay la bouchefort belle
Lors que je ne ris pas, fort grande quand
je ris,
Et je ris, par malheur pour elle,
D'un rien, & d'une bagatelle.
RA
Fay le teint vif, délicat, éclatant,
La gorge bien garnie, & la main porelée,
Ma taille eftfort petite, & j'enfuis confolée,
Elle eftfine, & le reste eft affez ragouftant.
Ceux qui liront cesVers,feront ravis peuteftre
De pouvoiraisément connoistre
Si je ne leur impoſe rien;
Qu'ils s'informent, je le veux bien,
Sij'ay ce prétendu mérite;
Et pourmarquer que j'aime ce party,
Qu'ils apprennent mon nom ; pour eftre
un peu petite,
On m'a donné celuy de RAT- GENTY.
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Résumé : PORTRAIT.
Le texte décrit une personne au caractère agréable et aimable, dotée d'un esprit vif et brillant. Elle se distingue par un langage poli, influencé par la lecture de romans, ce qui lui permet d'inventer des contes et des aventures. Elle apprécie les histoires mais évite les compliments excessifs, préférant la badinerie. Son comportement est coquet, mais elle évite les embarras en aimant les flatteries légères. Physiquement, elle ne porte pas de fard, car son visage a un éclat naturel. Elle possède un front large avec des cheveux blonds frisés naturellement, un nez ni long ni camard, et des yeux vifs. Sa bouche est belle lorsqu'elle ne rit pas, mais devient grande lorsqu'elle rit facilement. Son teint est vif et délicat, sa gorge bien garnie, et sa main délicate. Sa taille est petite, mais elle est fine et le reste de sa personne est agréable. Le texte se conclut par une invitation à vérifier ses qualités, révélant que son nom est Rat-Genty.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 1470-1478
RÉFLEXIONS sur la Politesse.
Début :
La Politesse consiste à ne rien faire et à ne rien dire qui puisse déplaire aux [...]
Mots clefs :
Politesse, Faire plaisir, Noble, Délicat, Obligeant, Serviable , Complaisant, Civil, Bonté, Finesse
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texteReconnaissance textuelle : RÉFLEXIONS sur la Politesse.
REFLEXIONS sur la Politesse.
A Politesse consiste à ne rien faire et
L ne rien dire qui puisse déplaire aux
à
autres ; à faire et à dire tout ce qui peut
leur faire plaisir , et cela avec un air , une
façon de s'exprimer , et des manieres qui
ayent quelque chose de noble , d'aisé , de
an , et de délicat ..
U. Vol . 1
11
JUIN 1731. 1471
Il faut donc considerer dans la Poli
tesse , et le fond des choses , et la maniere
de les dire et de les faire.
Cette maniere est le point le plus im
portant , un homme auroit beau être obli
geant , serviable , complaisant , civil
même ; sans une certaine maniere d'être
tout cela , il ne passeroit que pour un
honnête homme, un bon homme, et point .
du tout pour un homme poli.
Comme on a appellé l'esprit , raison assai
sonnée , on pourroit appeller la politesse ,
bonté assaisonnée. L'esprit , la politesse ,
sont je ne sçai quoi de fin , de délicat et
de brillant, ajoûtez à la raison , à la bonté.
Il y a beaucoup d'arbitraire dans cette:
maniere de dire et de faire les choses ,
de témoigner aux autres les dispositions .
avantageuses où nous sommes à leur égard
de leur marquer du respect , de l'estime ,.
de l'amitié , &c . .. . Ainsi elle varie selon
les differentes Nations. L'usage du mon
de peut seul la faire bien connoître et y
former. L'instruction la plus étenduë
n'apprend pas tout , parce qu'elle ne sçau
roit tout exprimer , à plus forte raison.
ne met-elle pas en état d'agir. Il y a bien
loin de la politesse speculative , à la poli
tesse pratique. La politesse est une chose:
d'experience et d'usage.
و ا
IL..Vol. E vj. Ca
1472 MERCURE DE FRANCE
Ce qui met le plus en état de profiter
de cette expérience et de cet usage du
monde , c'est beaucoup de bonté et de
douceur dans le caractere , beaucoup de
finesse , de sentiment pour discerner
promptement ce qui convient , eu égard
à toutes les circonstances où l'on se trou
ve , ce qui s'appelle les bienséances ; enfin
beaucoup de souplesse dans l'humeur , et
une grande facilité d'entrer dans toutes
les dispositions , de prendre tous les sen
timens qu'exige l'occasion présente , ou
du moins de les feindre..
Mais il est très difficile de feindre et de
dissimuler. L'homme est naturellement
sincere , il aime à dire ce qu'il pense , à
témoigner ce qu'il sent . Ainsi il est im,
possible qu'on soit poli , du moins qu'on
le soit constamment , avec certains dé
tours qu'il faudroit cacher pour le paroî
tre ,.
comme l'orgueil , la colere , là du
reté de coeur , la malice & c . Disons tout ,
le seul penchant à la sincerité , le grand
éloignement de tout déguisement. et de
toute dissimulation suffit pour rendre
impoli : une des régles les plus commu
nes de la politesse , est qu'il ne faut pas
dire tout ce qu'on pense , ni faire toug
ce qu'on voudroit.
On ne se bornera
pas
même à accuser
Il Vol la
FUIN. 1731. 7473
La sincerité d'impolitesse , comme il y a
d'ordinaire plus de mal que de bien à di
re des hommes , comme il Y a une infi
nité d'occasions de les contredire avec
justice , soit dans leurs opinions , soit dans
leurs passions , celui qui leur parleroit
toujours avec une entiere, sincerité , pas
seroit pour malin ..
Pour être poli positivement , c'est- à
dire , pour faire et surtout pour dire des.
choses polies , il faut avoir de l'esprit ; .
mais. il suffit presque d'avoir une bonne
éducation et un peu de bon sens pour:
être poli négativement , c'est-à - dire , ne
rien faire et ne rien dire d'impoli . Telle
est la politesse de beaucoup de personnes,
d'un esprit médiocre , qui ne laissent pas.
de se faite aimer et d'être de bonne com-.
pagnie jusqu'à un certain point, par leur
complaisance , leurs attentions & c .
Il y a une impolitesse de malice , et
une impolitesse de grossiereté , celle ci
attire le mépris , celle -là attire la haine ..
Mais être appellé impoli , est , à mon
avis , une plus grande injure que d'être
appellé malin et satyrique,
L'accusation d'impolitesse est une des
plus grandes injures , selon moi , parce
qu'elle emporte une idée de bassesse dans
la naissance , et de petitesse dans l'esprit.
II. Vol. Of
F474 MERCURE DE FRANCE
Or les réproches les plus piquants sont
ceux qui régardent l'esprit et la naissan
ce. Un homme de guerre feroit peut- être
aussi offensé d'être appellé sot ou faquin ,
que d'être traité de lâche .
Les personnes extrêmement vives , ne
sont pas pour l'ordinaire fort polies ; leur
vivacité les entraîne presque toujours
tantôt vers un objet , tantôt vers un au
tre ; elle les fait agir et parler précipitam
ment , souvent même sans réfléxion .
Les vives sont presque toujours coleres ,
impatientes , opiniâtres , du moins pour
le moment.
La réputation d'homme poli , est une
des plus avantageuses qu'on puisse avoir
dans le monde la politesse est au moins
l'apparence des plus excellentes vertus ,
des plus belles qualités tant de l'esprit
que du coeur , elle attire tout ensemble
l'estime et l'amour .
Mais souvent pour éviter l'impolitesse
on tombe dans l'affectation et les façons ,
ce qui est plus ridicule et plus desagréa
ble que la simple grossiereté.
Ainsi on peut pecher contre la vraye
politesse par excès et par deffaut.
Les témoignages excessifs et trop fré
quens d'estime , de respect &c. ne flat
tent plus , ne font que géner ceux aus
II. Vol..
quels,
JUIN. 1731. 147
•
quels ils s'addressent , et par là sont con
traires à la vraye politesse , dont le but
est de plaire. C'est un grand Art de sca
voir les mésurer selon les personnes et les
circonstances. Ce qui s'appelle faire des
façons avec son inferieur , ou son égal¸,
s'appelle faire son devoir avec son Supe
rieur.
Les défauts qui nous choquent le plus.
dans les autres , sont ceux qu'ils pren
nent pour des agrémens. Ils sont fort
contents d'eux-mêmes , pendant qu'ils:
nous paroissent ridicules , et dès lors ils
nous le paroissent encore davantage , ils .
nous deviennent même à charge par l'or
güeil qui est d'ordinaire le principe et la
suite de cette méprise. De plus les défauts
ausquels on s'est étudié , comme à des
qualités , sont beaucoup plus choquants
que les vices naturels. Voilà pourquoy
Fair affecté et précieux choque également
tout le monde. La vraye politesse en rit ,.
Pimpolitesse en murmure.
Mais il ne suffit pas de ne rien dire , ni
de ne rien faire qui puisse blesser les au
tres , ce n'est pas avoir satisfait à tout ce
que renferme ce devoir , si l'on ne souf
fre ce que les autres peuvent dire , ou
faire d'offensant ou de moins poli. Ainsi
une grande partie de la politesse consiste
II..Vol
1476 MERCURE DE FRANCE
à souffrir l'impolitesse des autres.
Témoigner aux autres qu'ils nous of
fensent , c'est presque toujours les offen
ser.
, Il est d'autant plus difficile d'être poli
qu'il y a moins de gens qui le soient ve
ritablement..
Comme la plus forte passion des hom
mes est celle d'être estimés et considerés ,
la politesse consiste sur tout à témoigner
aux autres de la consideration et de l'es
time , à flatter leur orgieil. La vanité est
la source , l'assaisonnement de nos plus
grands plaisirs .
Pour apprendre à connoître la poli
tesse , il faut voir des personnes polies ;;
mais pour se perfectionner , et se fortifier
dans la pratique de la politesse , il seroit
peut- être utile quelquefois de se trou->
ver avec des gens impolis. Des occasions,
frequentes d'agir et de surmonter une
difficulté considerable , avancent bien
mieux que de simples exemples. Leur im
politesse déplaît , l'on voit en quoy ils
manquent, et par - là même l'on n'y tombe
pas.
Lecommerce des femmes est , dit- on ,
communément , la meilleure école de
po
litesse . Cela est vray. Non pas tant néan
moins parceque les femmes sont polies 3
II. Vol
que
JUIN. 1731.
1477
2
que parce qu'il faut l'être beaucoup avec
elles. Il n'y a pas tant à profiter des exem
ples de politesse qu'elles nous donnent
que de la necessité où nous sommes d'en
avoir beaucoup à leur égard , non seule
ment pour leur plaire, mais pour en être
soufferts. Le merite le plus essentiel d'un
homme auprés des femmes sages , c'est
une grande politesse . Quelques femmes
ont des Amants à qui manquent toutes
les qualités qui se peuvent nommer. Trés
peu sont capables de choisir pour ami un
homme à qui rien ne manqueroit du côté
de l'esprit et du coeur,mais qui n'auroit pas
ces dehors agréables , ces manieres no
bles, aisées, qu'on appelle l'air du monde,
Il me semble qu'on peut distinguer
trois sortes de mérites , le mérite estima
ble , le mérite aimable et le mérite agréa
ble. Le mérite estimable est celui de la
superiorité , des lumieres , des talens , du
sçavoir , de la parfaite probité , &c. ...
Le mérite aimable est celui des sentimens ,
de la douceur dans le caractere , de l'éga
lité de l'humeur , &c... Le mérite agréa
ble est proprement celui de la politesse .
La timidité ne se corrige guères par de
simples avis , encore moins par des rail
leries et par des reproches. Il est bon de
paroître ne faire pas trop d'attention à
II. Vol uns
1478 MERCURE DE FRANCE
*
ane personne timide , cela la met plus à
son aise . La femme du monde qui mar
che le mieux , marche de mauvaise grace
dès qu'on la regarde ; il faut quelquefois
exciter la confiance de certaines gens par
des louanges courtes et mésurées ; les élo
ges trop forts les déconcertent ; ils plai
roient s'ils pouvoient se flatter de plaire.
Il y en a d'autres qu'il faut tâcher de gue
rir de leur trop de sensibilité aux juge
mens qu'on peut faire d'eux ; car c'est la
source de leur timidité , et cette espece de
timidité est peut être elle- même vanité .
Il y a de la politesse à se livrer de bon
ne grace dans la conversation , à n'avoir
pas plus d'esprit que ceux avec qui on
se trouve , à n'affecter point trop de jus
tesse , à donner quelquefois lieu à la con
tradiction et à la critique ; en un mot
à n'avoir pas toûjours raison . Mª un tel
parle bien , dit - on , mais il ne dit rien
dont il n'ait fait auparavant le broüillon
dans sa tête ; aussi parle- t'il peu ; les
broüillons emportent trop de temps ; le
moment de l'à- propos s'enfuit ; par-là un
homme est toujours gêné et toujours gê
nant. C'est orgueil , c'est vanité pure , et
par consequent impolitesse ; car la po
litesse consiste à sçavoir cacher sa vanité,
et à flatter celle des personnes avec qui
l'on se trouve.
A Politesse consiste à ne rien faire et
L ne rien dire qui puisse déplaire aux
à
autres ; à faire et à dire tout ce qui peut
leur faire plaisir , et cela avec un air , une
façon de s'exprimer , et des manieres qui
ayent quelque chose de noble , d'aisé , de
an , et de délicat ..
U. Vol . 1
11
JUIN 1731. 1471
Il faut donc considerer dans la Poli
tesse , et le fond des choses , et la maniere
de les dire et de les faire.
Cette maniere est le point le plus im
portant , un homme auroit beau être obli
geant , serviable , complaisant , civil
même ; sans une certaine maniere d'être
tout cela , il ne passeroit que pour un
honnête homme, un bon homme, et point .
du tout pour un homme poli.
Comme on a appellé l'esprit , raison assai
sonnée , on pourroit appeller la politesse ,
bonté assaisonnée. L'esprit , la politesse ,
sont je ne sçai quoi de fin , de délicat et
de brillant, ajoûtez à la raison , à la bonté.
Il y a beaucoup d'arbitraire dans cette:
maniere de dire et de faire les choses ,
de témoigner aux autres les dispositions .
avantageuses où nous sommes à leur égard
de leur marquer du respect , de l'estime ,.
de l'amitié , &c . .. . Ainsi elle varie selon
les differentes Nations. L'usage du mon
de peut seul la faire bien connoître et y
former. L'instruction la plus étenduë
n'apprend pas tout , parce qu'elle ne sçau
roit tout exprimer , à plus forte raison.
ne met-elle pas en état d'agir. Il y a bien
loin de la politesse speculative , à la poli
tesse pratique. La politesse est une chose:
d'experience et d'usage.
و ا
IL..Vol. E vj. Ca
1472 MERCURE DE FRANCE
Ce qui met le plus en état de profiter
de cette expérience et de cet usage du
monde , c'est beaucoup de bonté et de
douceur dans le caractere , beaucoup de
finesse , de sentiment pour discerner
promptement ce qui convient , eu égard
à toutes les circonstances où l'on se trou
ve , ce qui s'appelle les bienséances ; enfin
beaucoup de souplesse dans l'humeur , et
une grande facilité d'entrer dans toutes
les dispositions , de prendre tous les sen
timens qu'exige l'occasion présente , ou
du moins de les feindre..
Mais il est très difficile de feindre et de
dissimuler. L'homme est naturellement
sincere , il aime à dire ce qu'il pense , à
témoigner ce qu'il sent . Ainsi il est im,
possible qu'on soit poli , du moins qu'on
le soit constamment , avec certains dé
tours qu'il faudroit cacher pour le paroî
tre ,.
comme l'orgueil , la colere , là du
reté de coeur , la malice & c . Disons tout ,
le seul penchant à la sincerité , le grand
éloignement de tout déguisement. et de
toute dissimulation suffit pour rendre
impoli : une des régles les plus commu
nes de la politesse , est qu'il ne faut pas
dire tout ce qu'on pense , ni faire toug
ce qu'on voudroit.
On ne se bornera
pas
même à accuser
Il Vol la
FUIN. 1731. 7473
La sincerité d'impolitesse , comme il y a
d'ordinaire plus de mal que de bien à di
re des hommes , comme il Y a une infi
nité d'occasions de les contredire avec
justice , soit dans leurs opinions , soit dans
leurs passions , celui qui leur parleroit
toujours avec une entiere, sincerité , pas
seroit pour malin ..
Pour être poli positivement , c'est- à
dire , pour faire et surtout pour dire des.
choses polies , il faut avoir de l'esprit ; .
mais. il suffit presque d'avoir une bonne
éducation et un peu de bon sens pour:
être poli négativement , c'est-à - dire , ne
rien faire et ne rien dire d'impoli . Telle
est la politesse de beaucoup de personnes,
d'un esprit médiocre , qui ne laissent pas.
de se faite aimer et d'être de bonne com-.
pagnie jusqu'à un certain point, par leur
complaisance , leurs attentions & c .
Il y a une impolitesse de malice , et
une impolitesse de grossiereté , celle ci
attire le mépris , celle -là attire la haine ..
Mais être appellé impoli , est , à mon
avis , une plus grande injure que d'être
appellé malin et satyrique,
L'accusation d'impolitesse est une des
plus grandes injures , selon moi , parce
qu'elle emporte une idée de bassesse dans
la naissance , et de petitesse dans l'esprit.
II. Vol. Of
F474 MERCURE DE FRANCE
Or les réproches les plus piquants sont
ceux qui régardent l'esprit et la naissan
ce. Un homme de guerre feroit peut- être
aussi offensé d'être appellé sot ou faquin ,
que d'être traité de lâche .
Les personnes extrêmement vives , ne
sont pas pour l'ordinaire fort polies ; leur
vivacité les entraîne presque toujours
tantôt vers un objet , tantôt vers un au
tre ; elle les fait agir et parler précipitam
ment , souvent même sans réfléxion .
Les vives sont presque toujours coleres ,
impatientes , opiniâtres , du moins pour
le moment.
La réputation d'homme poli , est une
des plus avantageuses qu'on puisse avoir
dans le monde la politesse est au moins
l'apparence des plus excellentes vertus ,
des plus belles qualités tant de l'esprit
que du coeur , elle attire tout ensemble
l'estime et l'amour .
Mais souvent pour éviter l'impolitesse
on tombe dans l'affectation et les façons ,
ce qui est plus ridicule et plus desagréa
ble que la simple grossiereté.
Ainsi on peut pecher contre la vraye
politesse par excès et par deffaut.
Les témoignages excessifs et trop fré
quens d'estime , de respect &c. ne flat
tent plus , ne font que géner ceux aus
II. Vol..
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JUIN. 1731. 147
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quels ils s'addressent , et par là sont con
traires à la vraye politesse , dont le but
est de plaire. C'est un grand Art de sca
voir les mésurer selon les personnes et les
circonstances. Ce qui s'appelle faire des
façons avec son inferieur , ou son égal¸,
s'appelle faire son devoir avec son Supe
rieur.
Les défauts qui nous choquent le plus.
dans les autres , sont ceux qu'ils pren
nent pour des agrémens. Ils sont fort
contents d'eux-mêmes , pendant qu'ils:
nous paroissent ridicules , et dès lors ils
nous le paroissent encore davantage , ils .
nous deviennent même à charge par l'or
güeil qui est d'ordinaire le principe et la
suite de cette méprise. De plus les défauts
ausquels on s'est étudié , comme à des
qualités , sont beaucoup plus choquants
que les vices naturels. Voilà pourquoy
Fair affecté et précieux choque également
tout le monde. La vraye politesse en rit ,.
Pimpolitesse en murmure.
Mais il ne suffit pas de ne rien dire , ni
de ne rien faire qui puisse blesser les au
tres , ce n'est pas avoir satisfait à tout ce
que renferme ce devoir , si l'on ne souf
fre ce que les autres peuvent dire , ou
faire d'offensant ou de moins poli. Ainsi
une grande partie de la politesse consiste
II..Vol
1476 MERCURE DE FRANCE
à souffrir l'impolitesse des autres.
Témoigner aux autres qu'ils nous of
fensent , c'est presque toujours les offen
ser.
, Il est d'autant plus difficile d'être poli
qu'il y a moins de gens qui le soient ve
ritablement..
Comme la plus forte passion des hom
mes est celle d'être estimés et considerés ,
la politesse consiste sur tout à témoigner
aux autres de la consideration et de l'es
time , à flatter leur orgieil. La vanité est
la source , l'assaisonnement de nos plus
grands plaisirs .
Pour apprendre à connoître la poli
tesse , il faut voir des personnes polies ;;
mais pour se perfectionner , et se fortifier
dans la pratique de la politesse , il seroit
peut- être utile quelquefois de se trou->
ver avec des gens impolis. Des occasions,
frequentes d'agir et de surmonter une
difficulté considerable , avancent bien
mieux que de simples exemples. Leur im
politesse déplaît , l'on voit en quoy ils
manquent, et par - là même l'on n'y tombe
pas.
Lecommerce des femmes est , dit- on ,
communément , la meilleure école de
po
litesse . Cela est vray. Non pas tant néan
moins parceque les femmes sont polies 3
II. Vol
que
JUIN. 1731.
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que parce qu'il faut l'être beaucoup avec
elles. Il n'y a pas tant à profiter des exem
ples de politesse qu'elles nous donnent
que de la necessité où nous sommes d'en
avoir beaucoup à leur égard , non seule
ment pour leur plaire, mais pour en être
soufferts. Le merite le plus essentiel d'un
homme auprés des femmes sages , c'est
une grande politesse . Quelques femmes
ont des Amants à qui manquent toutes
les qualités qui se peuvent nommer. Trés
peu sont capables de choisir pour ami un
homme à qui rien ne manqueroit du côté
de l'esprit et du coeur,mais qui n'auroit pas
ces dehors agréables , ces manieres no
bles, aisées, qu'on appelle l'air du monde,
Il me semble qu'on peut distinguer
trois sortes de mérites , le mérite estima
ble , le mérite aimable et le mérite agréa
ble. Le mérite estimable est celui de la
superiorité , des lumieres , des talens , du
sçavoir , de la parfaite probité , &c. ...
Le mérite aimable est celui des sentimens ,
de la douceur dans le caractere , de l'éga
lité de l'humeur , &c... Le mérite agréa
ble est proprement celui de la politesse .
La timidité ne se corrige guères par de
simples avis , encore moins par des rail
leries et par des reproches. Il est bon de
paroître ne faire pas trop d'attention à
II. Vol uns
1478 MERCURE DE FRANCE
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ane personne timide , cela la met plus à
son aise . La femme du monde qui mar
che le mieux , marche de mauvaise grace
dès qu'on la regarde ; il faut quelquefois
exciter la confiance de certaines gens par
des louanges courtes et mésurées ; les élo
ges trop forts les déconcertent ; ils plai
roient s'ils pouvoient se flatter de plaire.
Il y en a d'autres qu'il faut tâcher de gue
rir de leur trop de sensibilité aux juge
mens qu'on peut faire d'eux ; car c'est la
source de leur timidité , et cette espece de
timidité est peut être elle- même vanité .
Il y a de la politesse à se livrer de bon
ne grace dans la conversation , à n'avoir
pas plus d'esprit que ceux avec qui on
se trouve , à n'affecter point trop de jus
tesse , à donner quelquefois lieu à la con
tradiction et à la critique ; en un mot
à n'avoir pas toûjours raison . Mª un tel
parle bien , dit - on , mais il ne dit rien
dont il n'ait fait auparavant le broüillon
dans sa tête ; aussi parle- t'il peu ; les
broüillons emportent trop de temps ; le
moment de l'à- propos s'enfuit ; par-là un
homme est toujours gêné et toujours gê
nant. C'est orgueil , c'est vanité pure , et
par consequent impolitesse ; car la po
litesse consiste à sçavoir cacher sa vanité,
et à flatter celle des personnes avec qui
l'on se trouve.
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Résumé : RÉFLEXIONS sur la Politesse.
Le texte 'Réflexions sur la Politesse' définit la politesse comme l'art de ne rien faire ou dire qui puisse déplaire aux autres, tout en adoptant une attitude noble, aisée et délicate. Elle implique non seulement le fond des actions, mais aussi la manière de les exprimer, comparée à une 'bonté assaisonnée' ajoutant finesse et brillance à la raison et à la bonté. La politesse varie selon les nations et s'acquiert par l'expérience et l'usage du monde. Elle nécessite de la bonté, de la douceur, de la finesse et de la souplesse pour discerner les bienséances. Feindre et dissimuler sont difficiles, car l'homme est naturellement sincère. La politesse positive, qui consiste à faire et dire des choses polies, requiert de l'esprit, tandis que la politesse négative, éviter les impolitesses, demande une bonne éducation et du bon sens. Le texte distingue l'impolitesse de malice et celle de grossièreté, cette dernière attirant le mépris et l'autre la haine. Être appelé impoli est une grande injure, impliquant une idée de bassesse et de petitesse d'esprit. Les personnes vives sont souvent moins polies, car leur vivacité les pousse à agir et parler précipitamment. La réputation d'homme poli est avantageuse, suggérant des vertus excellentes et attirant estime et amour. Cependant, éviter l'impolitesse peut mener à l'affectation et aux façons ridicules. Les témoignages excessifs d'estime ou de respect gênent ceux à qui ils sont adressés et sont contraires à la vraie politesse. Le texte souligne l'importance de souffrir l'impolitesse des autres et de témoigner considération et estime. La vanité est la source des plus grands plaisirs. Pour apprendre la politesse, il est utile de fréquenter des personnes polies et impolies, car cela permet de voir où elles manquent et d'éviter leurs erreurs. Le commerce avec les femmes est considéré comme une bonne école de politesse, non pas parce qu'elles sont polies, mais parce qu'il faut l'être avec elles pour leur plaire et être accepté. Le mérite agréable, propre à la politesse, est distingué du mérite estimable et aimable. Enfin, la timidité se corrige mieux par des encouragements discrets que par des reproches.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 2552-2568
LETTRE de M. Simonnet d'Heurgeville, au sujet des Réflexions sur la Politesse, publiées dans le II . Volume du Mercure de Juin dernier.
Début :
Il m'a paru, Monsieur, que plusieurs des Réflexions sur la Politesse, inserées [...]
Mots clefs :
Lettre, Prieur, Politesse, Dérèglements, Société, Noble, Manière fine, Bienséance, Solide, Essentiel
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. Simonnet d'Heurgeville, au sujet des Réflexions sur la Politesse, publiées dans le II . Volume du Mercure de Juin dernier.
LETTRE de M. Simonnet
d'Heurgeville , au sujet des Réflexions
sur la Politesse , publiées dans le II . V9-
lume du Mercure de Juin dernier.
I
L m'a paru , Monsieur , que plusieurs
des Réflexions sur la Politesse ,
rées dans le Mercure de Juin dernier
étoient ou peu justes , ou même d'une
dangereuse conséquence , parce qu'elles
semblent autoriser certains déreglemens
qui ne regnent que trop dans le commerce
du monde mais qui n'en sont
pas moins contraires au bon ordre et au
bien de la Societé. Je crois très-fort que
ce n'est pas le dessein de l'Anonime , qui
' en est l'Auteur ; mais comme on pour-
,
roit › contre son intention , abuser de
ses Principes , il ne trouvera pas mauvais
que j'essaye d'en faire voir le foible
de les combatre sans blesser personne.
et
$
La Politesse est une matiere très-délicate
à traiter : il est aussi difficile d'en
parler bien juste , que de la pratiquer
dans toute sa perfection. Les Réflexions
dont il s'agit ici , en sont une preuve.
On voit qu'elles partent d'une bonne
P
main.
NOVEMBRE . 1731. 2553
main. Le style en est ordinairement pur ,
et il y a , dans le fond , beaucoup à profiter
; mais toutes ne sont pas également
judicieuses.
L'Auteur fait avec raison consister le
point capital de la Politesse dans un air
une façon , une maniere de parler et d'agir
qui plaît , maniere noble aisće ,
fine , délicate. » Un homme ; ajoute -t'il,
>
auroit beau être obligeant , serviable ,
» complaisant , civil même sans une
» certaine maniere d'être tout cela , il ne
passeroit que pour un honnête homme,
» et point du- tout pour un homme poli.
Je ne sçai si beaucoup de personnes
seroient d'humeur de souscrire à cette
Proposition si exclusive : ce point du- tout
est un peu fort. Le moyen de concevoir
qu'un homme , quelque obligeant qu'il
soit , quoiqu'on le trouve toujours prêt
à faire plaisir , à rendre de bons offices
facile à se prêter aux differentes inclinations
, et à se conformer à la volonté des
autres , ( c'est ce que veut dire complaisant
, ) quoiqu'il soit instruit de toutes
les bienséances du monde , et exact à les
observer ce qui s'appelle civil ; le
moyen , dis je , de concevoir qu'un tel
homme puisse ne passer point du - tout
pour un homme poli , qu'il puisse ne
Ꭰ rien
2554 MERCURE DE FRANCE
rien avoir de cette maniere qui plaît , et
qui est le point le plus important.
,
Ce qui le caracterise , semble être , au
contraire , le solide , l'essentiel de la Politesse
; le surplus n'en est que l'accessoire
, ou , si l'on veut , la plus grande
perfection, Parce que cet honnête homme
n'aura pas tout le sublime de la Politesse
est-il juste d'assurer qu'il n'est
point du-tout poli ? Pour peu qu'on le
pratique , on sentira aisément qu'il l'est
du moins dans quelques degrés , qu'il
l'est même plus veritablement et plus
naturellement que beaucoup d'autres
qui n'ont que du fard et des apparences
trompeuses quoiqu'ils brillent peutêtre
davantage.
و
Prenons l'Auteur des Réflexions par
ses principes. Il distingue être poli posi
tivement , c'est - à - dire , faire et dire des
choses polies ; et être poli négativement ,
c'est-à- dire , ne rien faire et ne rien dire
d'impoli. Ces termes positivement , négativement
seroienr , peut- être , mieux placés
sur les bancs , mais il s'agit moins ici
des mots que des choses. L'Honnête-
Homme , le bon Homme dont nous par
lons , ne sera- t'il pas , du moins , dans
la seconde Categorie ; car il faut parler
lé langage de l'Ecole , puisqu'on nous
met
NOVEMBRE . 1731. 2555
靈
met dans ce goût ? Suivons l'Auteur
c'est lui-même qui décidera . » Telle est ,
» dit- il , la Politesse de beaucoup de Per-
» sonnes d'un esprit mediocre , qui ne
» laissent pas de se faire aimer , et d'être
» de bonne compagnie jusqu'à un certain
» point , par leur complaisance , leurs
» attentions , & c. Voila tout juste mon
homme complaisant , attentif à rendre
service , et le reste ; il ne laissera pas de
se faire aimer , et d'être de bonne compagnie
jusqu'à un certain point. Il sera
donc poli du moins negativement. Il aura
même une grande partie de la Politesse
qui selon nôtre Auteur , consiste à souffrir
l'impolitesse des autres. Sa bonté
complaisance , sa civilité , ne lui permettront
pas de relever dans les autres les
traits d'impolitesse qu'il y remarquera ,
encore moins de s'en fâcher.
>
sa
Supposons cependant que cet honnête
homme ne passe point du - tout pour
poli ; il passera donc pour impoli il ?
n'y a point de milieu. C'est à l'Auteur
à nous dire dans quel genre d'impolitesse
il faut mettre la vertu officieuse
la complaisance , la civilité. Lui - même
distingue deux sortes d'impolitesse : l'une
de malice , qui attire la haine , l'autre de
grossiereté , qui attire le mépris. Laquelle
Dij des
2556 MERCURE DE FRANCE
des deux convient à un si honnête homme?
Il n'y paroît point tant de malice :
bien éloigné de vouloir faire de la peine ,
il est tout obligeant , tout serviable. La
grossiereté qui attire le mépris , ne se
trouve pas non plus dans un homme complaisant
et civil : où est donc l'impoli
tesse et s'il n'y en a point , comment
peut-on dire qu'il ne passera point dutout
pour un homme poli ?
L'impolitesse est toûjours choquante¸
et ne peut jamais plaire ; le caractere dont
nous parlons , plaît du moins quelquefois
, et ne blesse pas toujours ; seroit-ce
trop dire que d'avancer qu'il est des
plus aimables ?
Selon l'Auteur , l'accusation d'impolitesse
est une des plus grandes injures.
Etre appellé impoli , est , à mon avis , ditil
, une plus grande injure , que d'être appellé
malin et satyrique . Peut-être trouvera-
t'on qu'il outre un peu ; mais soit :
dans sa pensée , quelle insulte ne fait - il
pas à cet honnête homme , à cet homme
officieux , toûjours prêt à rendre service ,
à cet homme prévenant par ses complaisances
et ses civilitez , quand il assure
hardiment qu'il a beau être tel , qu'il ne
passera point du- tout pour un homme poli ?
Une injure pareille dans l'opinion de
celui
NOVEMBRE. 1731. 2559
celui qui l'a fait , l'obligeroit à répara
tion d'honneur par quel endroit un
homme d'un si bon caractere se l'est- il
attirée ?
Franchement il seroit à plaindre , si
tout le monde , sur la parole de l'inconnu
, consentoit à le regarder comme un
homme qui n'a aucune politesse. Le Public
est trop équitable pour donner dans
cet excès. Quoiqu'en dise l'Anonime ,
il verra de bon ceil tour homme qui
sçaura joindre à un air obligeant et serviable
, beaucoup de complaisance et
de civilité. Il y trouvera sûrement de
la Politesse.
,
,
Qui ne s'étonnera que lAuteur des Réflexions
, après avoir élevé si haut la po.
litesse , que que très peu de personnes y pourroient
atteindre la rabaisse tout d'un
coup , et la dégrade jusqu'à la rendre
vicieuse nécessairement ou au moins
défectueuse ? Si on l'en croit , on ne
peut être poli sans déguisement et sans
adulation. Il regarde la difficulté de feindre
et de dissimuler comme un grand
obstacle à la Politesse . A l'entendre , cette
difficulté est universelle. L'Homme , ditil
, est naturellement sincere il aime à dire
ce qu'il pense , et à témoigner ce qu'il sent.
On ne voit pas comment une Proposi-
Diij tion
2558 MERCURE DE FRANCE
tion si generale s'accorde avec le genie
et le caractere de plus d'une Nation , et
des Peuples de quelques-unes de nos Provinces.
Je ne les nomme pas : ils sont
assez connus par leur penchant naturel
au déguisement et à la duplicité. Le François
même n'est pas toujours si franc.
C'est souvent l'yvresse de quelque passion
, plutôt que le naturel ,
qui fait
qu'on se montre par son foible , et qu'on
parle plus qu'on ne voudroit. L'Homme
de sang froid est ordinairement plus réservé
et plus circonspect.
deو
Il s'en faut bien que M. l'Abbé de
Bellegarde soit du sentiment de nôtre
Auteur , lui qui avance qu'on ne trouve
sinceres
gens que ceux qui n'ont pas
assez d'esprit pour être fourbes. M. Esprit
prend un juste milieu entre ces deux
opinions si opposées. » Comme il y a ,
» dit- il , des gens qui naissent courageux,
» d'autres chastes , il y a aussi des natu-
» rels sinceres , et des gens qui se font
» une vraie violence quand ils sont con-
>> traints d'user de dissimulation . Il y en
» a d'autres tout-à- fait opposés à ceux ci ,
» qui ne peuvent jamais parler avec fran
» chise , et à qui il est toûjours agréable
de se déguiser.
23
De ces deux sortes de personnes , les
derNOVEMBRE
1731. 2559
dernieres sont les seules que nôtre Auteur
croit être de mise pour la Politesse : les
autres , à son jugement , n'en sont pas
succeptibles. Disons tout , ( c'est lui qui
» parle , ) le seul penchant à la sincerité
» le grand éloignement de tout déguise
ment et de toute dissimulation suffic
» pour rendre impoli : il va plus loin .
On ne se bornera pas même , ( ajoûte-
» t'il , à accuser la sincerité d'impoli
» tesse .... celui qui parleroit toûjours
avec une entiere sincerité
» pour malin.
passeroit
Voilà donc la candeur , la bonne foi ,
la sincerité exclues nécessairement du
commerce du beau monde et des Personnes
polies. Tout homme qui aimera
la droiture , qui aura un coeur ouvert ,
une parfaite ingenuité , n'y sera pas bien
venu ; on l'exclura des cercles et des
compagnies comme un homme grossier ,
rustique , impoli , malin même , ou bien
il n'y sera qu'à charge. Chacun ne paroîtra
poli qu'à mesure qu'il aura d'adresse
à feindre à se déguiser , à dissimuler,
Cette honnête liberté cette aimable
franchise , cette communication mutuelle
et entiere de pensées et de sentimens ,
qui formoient autrefois les plus doux
fiens de l'amitié , qui faisoient l'agrément
Diiij des
2560 MERCURE DE FRANCE
des conversations n'étoient bonnes apparamment
que pour nos vieux Peres : Il
faudra d'autres rafinemens pour un siécle
aussi poli que le notre. La Politesse ne
sera qu'hypocrisie , la societé qu'un commerce
de mensonges , officieux, ou, comme
dit M. Flechier , l'on se fera une politesse
de tromper , et un plaisir d'être trompé.
C'est l'idée précise de cette Politesse
trop en regne , qui exclud la sincerité ,
dont l'ame est le déguisement et la dissimulation
; mais doit-on l'autoriser ?
N'y a- t'il pas une Politesse plus saine ,
plus vraïe seule digne d'approbation ;
une politesse qui n'exclud aucune des
vertus , mais qui les rend plus agréables ;
une Politesse qui tempere les rigueurs de
la sincerité , et qui la fait paroître avec
graces et avec noblesse.
>
Ce qui trompe l'Auteur des Refléxions
, c'est qu'il confond la sincerité
avec l'indiscretion et la témerité , qui
porteroient un homme à dire tout ce
qu'il penseroit , ou à faire tout ce qu'il
voudroit. Il y a , dit M. l'Abbé de Belle-
» garde , une grande difference entre la
>> sincerité et une certaine démangeaison
» de parler , qui fair qu'on s'ouvte à
>> tout le monde. La sincerité ne doit
être ni indiscrette , ni étourdie .
Ainsi
NOVEMBRE. 1731. 2561
'Ainsi , renfermons la sincerité dans
ses justes bornes , considerons- la dans
ce milieu , dans ce point fixe , qui la
tient comme en équilibre entre l'indiscretion
et la dissimulation vices dont
l'un la détruit absolument , et l'autre la
fait dégenerer nous trouverons que
pour être très- sincere on n'en est pas
moins poli.
›
La sincerité consiste à dire toûjours
vrai quand on est obligé de parler , mais
elle n'oblige pas à le faire d'une maniere
choquante , imperieuse , passionnée. La
sincerité consiste encore à mettre simplement
au jour ses pensées , à découvrir
ses sentimens , lorsque la necessité ,
l'utilité , les circonstances le demandent,
ou du moins le permettent , mais elle
ne veut pas qu'on le fasse avec imprudence
et sans discernement ; c'est une
vertu qui n'a rien de commun avec la
contagion du vice. Jamais personne ne
dira qu'on manque de sincerité pour tenir
caché dans le secret du coeur ce qui
doit l'être , du consentement de tout le
monde ; ce n'est- là ni déguisement , ni
dissimulation . On ne regarde comme déguisé
, comme dissimulé , que celui qui
se cache lorsqu'il devroit se montrer , ou
qu'il le pourroit sans aucun risque.
Dv C'est
2562 MERCURE DE FRANCE
›
C'est donc avoir une idée trop desavantageuse
de la politesse , que d'en exclure
la sincerité , la franchise , la naïveté,
qui n'en sont pas les moindres agrémens
, et d'y faire entrer la feinte le
déguisement , la dissimulation , qui la
rendroient même odieuse . En effet il y
a peu de personnes que le deffaut de
sincerité , le déguisement , la dissimulàtion
, conius , noffensent ; or , comme
malgré toutes les ruses et les belles démonstrations
, on pourroit souvent s'en
appercevoir , il arriveroit que cette prétendue
politesse elle-même seroit offensante
, bien loin d'être agréable , marque évidente
de sa defectuosité et de sa fausseté.
Le pis est qu'on y fait entrer l'adulation
, comme partie principale . « La
» politesse ( dit - on ) consiste sur tout à
» témoigner aux autres de la considera-
>tion et de l'estime, à flater leur orgueil.
» La vanité est la source , l'assaisonne-
» ment de nos plus grands plaisirs ; il
faut l'avouer , il n'y a que trop de personnes
qui sont de ce goût- là, et qui mettent
leurs délices à se repaître de vanité
; mais il s'en trouve aussi beaucoup
qui puisent leurs plus grands plaisirs dans
des sources plus pures et qui veulent dư
solide.
Quoiqu'il
NOVEMBRE. 1731 .
2563
Quoiqu'il en soit, n'est- ce pas toûjours
une lâche , une indigne condescendance
que de s'asservir à faire le personnage d'adulateur
, si finement qu'on s'y méprenne
de s'occuper sur tout à flatter l'orgueil
, la plus funeste de toutes les passions
? La politesse engage à ne le pas
blesser , à le menager , à l'épargner autant
que le devoir et la conscience n'y
sont point interressez , dans la crainte de
le révolter ; mais elle n'exige pas qu'on
le fomente , qu'on le flatte , qu'on le caresse
; la Religion , l'équité , la verité le
deffendent. On a toûjours regardé la flaterie
comme une honteuse bassesse indigne
d'un honnête homme , comment
donc s'imaginer qu'elle entre dans la politesse
, qui , selon l'Auteur , doit avoir
quelque chose de noble dans ses manieres
?
On peut , on doit même en bien des
Occasions travailler à détruire le regne de
Ia vanité ; abaisser l'orgueil , mortifier
F'amour propre , souvent l'avantage du
Prochain , les interêts de la justice et de
la verité l'exigent. Le tout est de s'y
prendre finement , avec délicatesse', d'une
maniere qui n'ait rien de rude , rien
de choquant , desorte que les personnes
les plus hautes et les plus fieres , ne puis-
D vj seng
&
2564 MERCURE DE FRANCE
sent s'en aigrir ; et c'est le grand art de
la politesse. Jamais elle n'est plus d'usage
que quand il faut blâmer, reprendre ,
dětromper , contredire ; elle enseigne à
le faire comme à regret , et avec tant de
ménagement et d'adresse , avec taat d'agrément
même , qu'on ne peut s'en offenser.
Il s'en faut donc bien qu'elle soit l'esclave
de la vanité , assujettie à la nourrir
par la flatterie ; elle en est au contraire
la maîtresse , elle sçait la gouverner avec
dexterité , la moderer , la tourner contre
elle-même , y jetter à propos un certain
ridicule qui la rend insensiblement hon- ·
teuse et méprisable aux yeux même des
personnes qui en sont les plus entêtées.
L'Auteur des Refléxions n'a gueres
mieux réussi dans quelques - uns des
moyens qu'il indique pour acquerir ou
perfectionner la politesse. » Pour se perfectionner
( dit- il ) et se fortifier dans la
» pratique de la politesse , il seroit peut-
» être utile quelquefois de se trouver avec
» des gens impolis .... leur impolitesse,
» déplaît , l'on voit en quoi ils manquent
» et par là l'on n'y tombe pas.
Voilà un secret admirable et tout nouveau
de se perfectionner dans la pratique
de la politesse ! Il est vrai que l'Auteur
paroît
NOVEMBRE . 1731. 2563
paroît ne le proposer qu'en tremblant ,
il en sent peut- être lui - même le foible.
la raison qu'il apporte , prouve tout au
plus qu'on se tiendra en garde pour ne
pas faire les fautes grossieres qui déplaisent
dans les gens impolis ; qu'à la vûë
de leurs deffauts les plus frappants , on
pourra sentir les avantages de la politesse
et s'y affectionner ; mais de dire que leur
fréquentation puisse être plus utile que
celle des personnes polies pour se pèrfectionner
et se fortifier dans la pratique
de la politesse , c'est ce qui ne paroît
pas probable et ce qui est contraire à l'experience.
Le mauvais exemple favorisé
par le mauvais penchant, a plus de force
pour nous corrompre , que
le bon exemple
pour nous soutenir ou nous redresser.
Ecoutons encore parler l'Auteur :» Des
» occasions fréquentes d'agir ( dit- il ) et
» de surmonter une difficulté considera-
» ble , avancent bien mieux que de sim
ples exemples . » L'application de ce
principe au sujet dont il s'agit , n'est pas
des plus claires. On sçait qu'il y a bien
des occasions de souffrir des grossieretez ,
de l'impolitesse ; mais il n'est pas aisé de
deviner
ce que l'Auteur entend
Occasions fréquentes d'agir , et par cette
difficulté considerable qu'il faudra sur-
-·
par ces
monter
2566 MERCURE DE FRANCE
monter , dont il tire plus d'avancement
pour la politesse , que des simples exemples
; c'est une Enigme un peu obscure ,
dont il faut attendre de lui - même l'explication
, s'il juge à propos de la donner.
Je doute que tout le monde soit de son
sentiment, lorsqu'il avance qu'il n'y a pas
tant à profiter des exemples de politesse que
nous donnent les femmes , que de la necessité
où nous sommes d'en avoir beaucoup à leur
égard. La difficulté consiste à sçavoir si
la necessité d'être poli avec les Dames
rendra un homme effectivement plus poli,
que tous les exemples de politesse qu'elles
peuvent lui donner. Je comprens que
la necessité l'obligera de s'étudier avec
soin à être poli ; mais son étude sera vaine,
et il n'y fera aucun progrès , s'il n'a d'excellens
modeles pour se former. Comme
dit fort bien l'Auteur : La politesse est
une chose d'experience et d'usage ; or dans
toutes les choses d'experience et d'usage,
il faut necessairement avoir devant lesyeux
quelque modele qui guide et qui
dirige , sans quoi on n'y réussiroit jamais
et on n'y comprendroit rien . En genrede
politesse où trouvera- t'on des modeles
plus accomplis que chez les Dames ?
Mais je laisse cette discussion aux personnes
du monde qui sont plus au fair
de
NOVEMBRE . 1731. 2567
de ce qui les concerne , et je finis par
l'Observation suivante .
›
L'Auteur , après avoir dit que la réputation
d'homme poli attire tout ensemble l'estime
et l'amour , semble dans la suite se
rétracter. Il distingue trois sortes de mérites
: le mérite estimable , le mérite aimable ,
le mérite agréable. Et il ajoûte : le mérite
agréable est proprement celui de la politesse
Ce qui donne à entendre que le propre
mérite de la politesse n'est pas tant d'attirer
l'estime et l'amour , que de paroître
agréable. Ne fera- t'on pas mieux de
dire que ces trois mérites conviennent
proprement à la politesse ? Par son air
noble elle est estimable , par sa douceur
et sa complaisance elle est aimable , par
ses manieres aisées , fines , délicates , elle
est agréable.
Si pour se déclarer amateur de la jusresse
et de la sincerité , ennemi du déguisement
, de la dissimulation , de la
flaterie , on encouroit necessairement le
blâme d'impolitesse , j'aurois tout à crain
dre de ce côté- là . Je m'abandonne au jugement
du Public , et sans me flater ni
prévenir ses suffrages , je crois lui devoir
la justice de penser qu'il me sera favorable
dans le parti que j'embrasse , et j'espere
qu'en consideration de la bonté de
ina
ا ی ک
2568 MERCURE DE FRANCE
ma cause, il me fera grace, si je ne l'ai pas
deffendue avec assez d'agrément et de
plaisir. Je suis , Monsieur , &c.
d'Heurgeville , au sujet des Réflexions
sur la Politesse , publiées dans le II . V9-
lume du Mercure de Juin dernier.
I
L m'a paru , Monsieur , que plusieurs
des Réflexions sur la Politesse ,
rées dans le Mercure de Juin dernier
étoient ou peu justes , ou même d'une
dangereuse conséquence , parce qu'elles
semblent autoriser certains déreglemens
qui ne regnent que trop dans le commerce
du monde mais qui n'en sont
pas moins contraires au bon ordre et au
bien de la Societé. Je crois très-fort que
ce n'est pas le dessein de l'Anonime , qui
' en est l'Auteur ; mais comme on pour-
,
roit › contre son intention , abuser de
ses Principes , il ne trouvera pas mauvais
que j'essaye d'en faire voir le foible
de les combatre sans blesser personne.
et
$
La Politesse est une matiere très-délicate
à traiter : il est aussi difficile d'en
parler bien juste , que de la pratiquer
dans toute sa perfection. Les Réflexions
dont il s'agit ici , en sont une preuve.
On voit qu'elles partent d'une bonne
P
main.
NOVEMBRE . 1731. 2553
main. Le style en est ordinairement pur ,
et il y a , dans le fond , beaucoup à profiter
; mais toutes ne sont pas également
judicieuses.
L'Auteur fait avec raison consister le
point capital de la Politesse dans un air
une façon , une maniere de parler et d'agir
qui plaît , maniere noble aisće ,
fine , délicate. » Un homme ; ajoute -t'il,
>
auroit beau être obligeant , serviable ,
» complaisant , civil même sans une
» certaine maniere d'être tout cela , il ne
passeroit que pour un honnête homme,
» et point du- tout pour un homme poli.
Je ne sçai si beaucoup de personnes
seroient d'humeur de souscrire à cette
Proposition si exclusive : ce point du- tout
est un peu fort. Le moyen de concevoir
qu'un homme , quelque obligeant qu'il
soit , quoiqu'on le trouve toujours prêt
à faire plaisir , à rendre de bons offices
facile à se prêter aux differentes inclinations
, et à se conformer à la volonté des
autres , ( c'est ce que veut dire complaisant
, ) quoiqu'il soit instruit de toutes
les bienséances du monde , et exact à les
observer ce qui s'appelle civil ; le
moyen , dis je , de concevoir qu'un tel
homme puisse ne passer point du - tout
pour un homme poli , qu'il puisse ne
Ꭰ rien
2554 MERCURE DE FRANCE
rien avoir de cette maniere qui plaît , et
qui est le point le plus important.
,
Ce qui le caracterise , semble être , au
contraire , le solide , l'essentiel de la Politesse
; le surplus n'en est que l'accessoire
, ou , si l'on veut , la plus grande
perfection, Parce que cet honnête homme
n'aura pas tout le sublime de la Politesse
est-il juste d'assurer qu'il n'est
point du-tout poli ? Pour peu qu'on le
pratique , on sentira aisément qu'il l'est
du moins dans quelques degrés , qu'il
l'est même plus veritablement et plus
naturellement que beaucoup d'autres
qui n'ont que du fard et des apparences
trompeuses quoiqu'ils brillent peutêtre
davantage.
و
Prenons l'Auteur des Réflexions par
ses principes. Il distingue être poli posi
tivement , c'est - à - dire , faire et dire des
choses polies ; et être poli négativement ,
c'est-à- dire , ne rien faire et ne rien dire
d'impoli. Ces termes positivement , négativement
seroienr , peut- être , mieux placés
sur les bancs , mais il s'agit moins ici
des mots que des choses. L'Honnête-
Homme , le bon Homme dont nous par
lons , ne sera- t'il pas , du moins , dans
la seconde Categorie ; car il faut parler
lé langage de l'Ecole , puisqu'on nous
met
NOVEMBRE . 1731. 2555
靈
met dans ce goût ? Suivons l'Auteur
c'est lui-même qui décidera . » Telle est ,
» dit- il , la Politesse de beaucoup de Per-
» sonnes d'un esprit mediocre , qui ne
» laissent pas de se faire aimer , et d'être
» de bonne compagnie jusqu'à un certain
» point , par leur complaisance , leurs
» attentions , & c. Voila tout juste mon
homme complaisant , attentif à rendre
service , et le reste ; il ne laissera pas de
se faire aimer , et d'être de bonne compagnie
jusqu'à un certain point. Il sera
donc poli du moins negativement. Il aura
même une grande partie de la Politesse
qui selon nôtre Auteur , consiste à souffrir
l'impolitesse des autres. Sa bonté
complaisance , sa civilité , ne lui permettront
pas de relever dans les autres les
traits d'impolitesse qu'il y remarquera ,
encore moins de s'en fâcher.
>
sa
Supposons cependant que cet honnête
homme ne passe point du - tout pour
poli ; il passera donc pour impoli il ?
n'y a point de milieu. C'est à l'Auteur
à nous dire dans quel genre d'impolitesse
il faut mettre la vertu officieuse
la complaisance , la civilité. Lui - même
distingue deux sortes d'impolitesse : l'une
de malice , qui attire la haine , l'autre de
grossiereté , qui attire le mépris. Laquelle
Dij des
2556 MERCURE DE FRANCE
des deux convient à un si honnête homme?
Il n'y paroît point tant de malice :
bien éloigné de vouloir faire de la peine ,
il est tout obligeant , tout serviable. La
grossiereté qui attire le mépris , ne se
trouve pas non plus dans un homme complaisant
et civil : où est donc l'impoli
tesse et s'il n'y en a point , comment
peut-on dire qu'il ne passera point dutout
pour un homme poli ?
L'impolitesse est toûjours choquante¸
et ne peut jamais plaire ; le caractere dont
nous parlons , plaît du moins quelquefois
, et ne blesse pas toujours ; seroit-ce
trop dire que d'avancer qu'il est des
plus aimables ?
Selon l'Auteur , l'accusation d'impolitesse
est une des plus grandes injures.
Etre appellé impoli , est , à mon avis , ditil
, une plus grande injure , que d'être appellé
malin et satyrique . Peut-être trouvera-
t'on qu'il outre un peu ; mais soit :
dans sa pensée , quelle insulte ne fait - il
pas à cet honnête homme , à cet homme
officieux , toûjours prêt à rendre service ,
à cet homme prévenant par ses complaisances
et ses civilitez , quand il assure
hardiment qu'il a beau être tel , qu'il ne
passera point du- tout pour un homme poli ?
Une injure pareille dans l'opinion de
celui
NOVEMBRE. 1731. 2559
celui qui l'a fait , l'obligeroit à répara
tion d'honneur par quel endroit un
homme d'un si bon caractere se l'est- il
attirée ?
Franchement il seroit à plaindre , si
tout le monde , sur la parole de l'inconnu
, consentoit à le regarder comme un
homme qui n'a aucune politesse. Le Public
est trop équitable pour donner dans
cet excès. Quoiqu'en dise l'Anonime ,
il verra de bon ceil tour homme qui
sçaura joindre à un air obligeant et serviable
, beaucoup de complaisance et
de civilité. Il y trouvera sûrement de
la Politesse.
,
,
Qui ne s'étonnera que lAuteur des Réflexions
, après avoir élevé si haut la po.
litesse , que que très peu de personnes y pourroient
atteindre la rabaisse tout d'un
coup , et la dégrade jusqu'à la rendre
vicieuse nécessairement ou au moins
défectueuse ? Si on l'en croit , on ne
peut être poli sans déguisement et sans
adulation. Il regarde la difficulté de feindre
et de dissimuler comme un grand
obstacle à la Politesse . A l'entendre , cette
difficulté est universelle. L'Homme , ditil
, est naturellement sincere il aime à dire
ce qu'il pense , et à témoigner ce qu'il sent.
On ne voit pas comment une Proposi-
Diij tion
2558 MERCURE DE FRANCE
tion si generale s'accorde avec le genie
et le caractere de plus d'une Nation , et
des Peuples de quelques-unes de nos Provinces.
Je ne les nomme pas : ils sont
assez connus par leur penchant naturel
au déguisement et à la duplicité. Le François
même n'est pas toujours si franc.
C'est souvent l'yvresse de quelque passion
, plutôt que le naturel ,
qui fait
qu'on se montre par son foible , et qu'on
parle plus qu'on ne voudroit. L'Homme
de sang froid est ordinairement plus réservé
et plus circonspect.
deو
Il s'en faut bien que M. l'Abbé de
Bellegarde soit du sentiment de nôtre
Auteur , lui qui avance qu'on ne trouve
sinceres
gens que ceux qui n'ont pas
assez d'esprit pour être fourbes. M. Esprit
prend un juste milieu entre ces deux
opinions si opposées. » Comme il y a ,
» dit- il , des gens qui naissent courageux,
» d'autres chastes , il y a aussi des natu-
» rels sinceres , et des gens qui se font
» une vraie violence quand ils sont con-
>> traints d'user de dissimulation . Il y en
» a d'autres tout-à- fait opposés à ceux ci ,
» qui ne peuvent jamais parler avec fran
» chise , et à qui il est toûjours agréable
de se déguiser.
23
De ces deux sortes de personnes , les
derNOVEMBRE
1731. 2559
dernieres sont les seules que nôtre Auteur
croit être de mise pour la Politesse : les
autres , à son jugement , n'en sont pas
succeptibles. Disons tout , ( c'est lui qui
» parle , ) le seul penchant à la sincerité
» le grand éloignement de tout déguise
ment et de toute dissimulation suffic
» pour rendre impoli : il va plus loin .
On ne se bornera pas même , ( ajoûte-
» t'il , à accuser la sincerité d'impoli
» tesse .... celui qui parleroit toûjours
avec une entiere sincerité
» pour malin.
passeroit
Voilà donc la candeur , la bonne foi ,
la sincerité exclues nécessairement du
commerce du beau monde et des Personnes
polies. Tout homme qui aimera
la droiture , qui aura un coeur ouvert ,
une parfaite ingenuité , n'y sera pas bien
venu ; on l'exclura des cercles et des
compagnies comme un homme grossier ,
rustique , impoli , malin même , ou bien
il n'y sera qu'à charge. Chacun ne paroîtra
poli qu'à mesure qu'il aura d'adresse
à feindre à se déguiser , à dissimuler,
Cette honnête liberté cette aimable
franchise , cette communication mutuelle
et entiere de pensées et de sentimens ,
qui formoient autrefois les plus doux
fiens de l'amitié , qui faisoient l'agrément
Diiij des
2560 MERCURE DE FRANCE
des conversations n'étoient bonnes apparamment
que pour nos vieux Peres : Il
faudra d'autres rafinemens pour un siécle
aussi poli que le notre. La Politesse ne
sera qu'hypocrisie , la societé qu'un commerce
de mensonges , officieux, ou, comme
dit M. Flechier , l'on se fera une politesse
de tromper , et un plaisir d'être trompé.
C'est l'idée précise de cette Politesse
trop en regne , qui exclud la sincerité ,
dont l'ame est le déguisement et la dissimulation
; mais doit-on l'autoriser ?
N'y a- t'il pas une Politesse plus saine ,
plus vraïe seule digne d'approbation ;
une politesse qui n'exclud aucune des
vertus , mais qui les rend plus agréables ;
une Politesse qui tempere les rigueurs de
la sincerité , et qui la fait paroître avec
graces et avec noblesse.
>
Ce qui trompe l'Auteur des Refléxions
, c'est qu'il confond la sincerité
avec l'indiscretion et la témerité , qui
porteroient un homme à dire tout ce
qu'il penseroit , ou à faire tout ce qu'il
voudroit. Il y a , dit M. l'Abbé de Belle-
» garde , une grande difference entre la
>> sincerité et une certaine démangeaison
» de parler , qui fair qu'on s'ouvte à
>> tout le monde. La sincerité ne doit
être ni indiscrette , ni étourdie .
Ainsi
NOVEMBRE. 1731. 2561
'Ainsi , renfermons la sincerité dans
ses justes bornes , considerons- la dans
ce milieu , dans ce point fixe , qui la
tient comme en équilibre entre l'indiscretion
et la dissimulation vices dont
l'un la détruit absolument , et l'autre la
fait dégenerer nous trouverons que
pour être très- sincere on n'en est pas
moins poli.
›
La sincerité consiste à dire toûjours
vrai quand on est obligé de parler , mais
elle n'oblige pas à le faire d'une maniere
choquante , imperieuse , passionnée. La
sincerité consiste encore à mettre simplement
au jour ses pensées , à découvrir
ses sentimens , lorsque la necessité ,
l'utilité , les circonstances le demandent,
ou du moins le permettent , mais elle
ne veut pas qu'on le fasse avec imprudence
et sans discernement ; c'est une
vertu qui n'a rien de commun avec la
contagion du vice. Jamais personne ne
dira qu'on manque de sincerité pour tenir
caché dans le secret du coeur ce qui
doit l'être , du consentement de tout le
monde ; ce n'est- là ni déguisement , ni
dissimulation . On ne regarde comme déguisé
, comme dissimulé , que celui qui
se cache lorsqu'il devroit se montrer , ou
qu'il le pourroit sans aucun risque.
Dv C'est
2562 MERCURE DE FRANCE
›
C'est donc avoir une idée trop desavantageuse
de la politesse , que d'en exclure
la sincerité , la franchise , la naïveté,
qui n'en sont pas les moindres agrémens
, et d'y faire entrer la feinte le
déguisement , la dissimulation , qui la
rendroient même odieuse . En effet il y
a peu de personnes que le deffaut de
sincerité , le déguisement , la dissimulàtion
, conius , noffensent ; or , comme
malgré toutes les ruses et les belles démonstrations
, on pourroit souvent s'en
appercevoir , il arriveroit que cette prétendue
politesse elle-même seroit offensante
, bien loin d'être agréable , marque évidente
de sa defectuosité et de sa fausseté.
Le pis est qu'on y fait entrer l'adulation
, comme partie principale . « La
» politesse ( dit - on ) consiste sur tout à
» témoigner aux autres de la considera-
>tion et de l'estime, à flater leur orgueil.
» La vanité est la source , l'assaisonne-
» ment de nos plus grands plaisirs ; il
faut l'avouer , il n'y a que trop de personnes
qui sont de ce goût- là, et qui mettent
leurs délices à se repaître de vanité
; mais il s'en trouve aussi beaucoup
qui puisent leurs plus grands plaisirs dans
des sources plus pures et qui veulent dư
solide.
Quoiqu'il
NOVEMBRE. 1731 .
2563
Quoiqu'il en soit, n'est- ce pas toûjours
une lâche , une indigne condescendance
que de s'asservir à faire le personnage d'adulateur
, si finement qu'on s'y méprenne
de s'occuper sur tout à flatter l'orgueil
, la plus funeste de toutes les passions
? La politesse engage à ne le pas
blesser , à le menager , à l'épargner autant
que le devoir et la conscience n'y
sont point interressez , dans la crainte de
le révolter ; mais elle n'exige pas qu'on
le fomente , qu'on le flatte , qu'on le caresse
; la Religion , l'équité , la verité le
deffendent. On a toûjours regardé la flaterie
comme une honteuse bassesse indigne
d'un honnête homme , comment
donc s'imaginer qu'elle entre dans la politesse
, qui , selon l'Auteur , doit avoir
quelque chose de noble dans ses manieres
?
On peut , on doit même en bien des
Occasions travailler à détruire le regne de
Ia vanité ; abaisser l'orgueil , mortifier
F'amour propre , souvent l'avantage du
Prochain , les interêts de la justice et de
la verité l'exigent. Le tout est de s'y
prendre finement , avec délicatesse', d'une
maniere qui n'ait rien de rude , rien
de choquant , desorte que les personnes
les plus hautes et les plus fieres , ne puis-
D vj seng
&
2564 MERCURE DE FRANCE
sent s'en aigrir ; et c'est le grand art de
la politesse. Jamais elle n'est plus d'usage
que quand il faut blâmer, reprendre ,
dětromper , contredire ; elle enseigne à
le faire comme à regret , et avec tant de
ménagement et d'adresse , avec taat d'agrément
même , qu'on ne peut s'en offenser.
Il s'en faut donc bien qu'elle soit l'esclave
de la vanité , assujettie à la nourrir
par la flatterie ; elle en est au contraire
la maîtresse , elle sçait la gouverner avec
dexterité , la moderer , la tourner contre
elle-même , y jetter à propos un certain
ridicule qui la rend insensiblement hon- ·
teuse et méprisable aux yeux même des
personnes qui en sont les plus entêtées.
L'Auteur des Refléxions n'a gueres
mieux réussi dans quelques - uns des
moyens qu'il indique pour acquerir ou
perfectionner la politesse. » Pour se perfectionner
( dit- il ) et se fortifier dans la
» pratique de la politesse , il seroit peut-
» être utile quelquefois de se trouver avec
» des gens impolis .... leur impolitesse,
» déplaît , l'on voit en quoi ils manquent
» et par là l'on n'y tombe pas.
Voilà un secret admirable et tout nouveau
de se perfectionner dans la pratique
de la politesse ! Il est vrai que l'Auteur
paroît
NOVEMBRE . 1731. 2563
paroît ne le proposer qu'en tremblant ,
il en sent peut- être lui - même le foible.
la raison qu'il apporte , prouve tout au
plus qu'on se tiendra en garde pour ne
pas faire les fautes grossieres qui déplaisent
dans les gens impolis ; qu'à la vûë
de leurs deffauts les plus frappants , on
pourra sentir les avantages de la politesse
et s'y affectionner ; mais de dire que leur
fréquentation puisse être plus utile que
celle des personnes polies pour se pèrfectionner
et se fortifier dans la pratique
de la politesse , c'est ce qui ne paroît
pas probable et ce qui est contraire à l'experience.
Le mauvais exemple favorisé
par le mauvais penchant, a plus de force
pour nous corrompre , que
le bon exemple
pour nous soutenir ou nous redresser.
Ecoutons encore parler l'Auteur :» Des
» occasions fréquentes d'agir ( dit- il ) et
» de surmonter une difficulté considera-
» ble , avancent bien mieux que de sim
ples exemples . » L'application de ce
principe au sujet dont il s'agit , n'est pas
des plus claires. On sçait qu'il y a bien
des occasions de souffrir des grossieretez ,
de l'impolitesse ; mais il n'est pas aisé de
deviner
ce que l'Auteur entend
Occasions fréquentes d'agir , et par cette
difficulté considerable qu'il faudra sur-
-·
par ces
monter
2566 MERCURE DE FRANCE
monter , dont il tire plus d'avancement
pour la politesse , que des simples exemples
; c'est une Enigme un peu obscure ,
dont il faut attendre de lui - même l'explication
, s'il juge à propos de la donner.
Je doute que tout le monde soit de son
sentiment, lorsqu'il avance qu'il n'y a pas
tant à profiter des exemples de politesse que
nous donnent les femmes , que de la necessité
où nous sommes d'en avoir beaucoup à leur
égard. La difficulté consiste à sçavoir si
la necessité d'être poli avec les Dames
rendra un homme effectivement plus poli,
que tous les exemples de politesse qu'elles
peuvent lui donner. Je comprens que
la necessité l'obligera de s'étudier avec
soin à être poli ; mais son étude sera vaine,
et il n'y fera aucun progrès , s'il n'a d'excellens
modeles pour se former. Comme
dit fort bien l'Auteur : La politesse est
une chose d'experience et d'usage ; or dans
toutes les choses d'experience et d'usage,
il faut necessairement avoir devant lesyeux
quelque modele qui guide et qui
dirige , sans quoi on n'y réussiroit jamais
et on n'y comprendroit rien . En genrede
politesse où trouvera- t'on des modeles
plus accomplis que chez les Dames ?
Mais je laisse cette discussion aux personnes
du monde qui sont plus au fair
de
NOVEMBRE . 1731. 2567
de ce qui les concerne , et je finis par
l'Observation suivante .
›
L'Auteur , après avoir dit que la réputation
d'homme poli attire tout ensemble l'estime
et l'amour , semble dans la suite se
rétracter. Il distingue trois sortes de mérites
: le mérite estimable , le mérite aimable ,
le mérite agréable. Et il ajoûte : le mérite
agréable est proprement celui de la politesse
Ce qui donne à entendre que le propre
mérite de la politesse n'est pas tant d'attirer
l'estime et l'amour , que de paroître
agréable. Ne fera- t'on pas mieux de
dire que ces trois mérites conviennent
proprement à la politesse ? Par son air
noble elle est estimable , par sa douceur
et sa complaisance elle est aimable , par
ses manieres aisées , fines , délicates , elle
est agréable.
Si pour se déclarer amateur de la jusresse
et de la sincerité , ennemi du déguisement
, de la dissimulation , de la
flaterie , on encouroit necessairement le
blâme d'impolitesse , j'aurois tout à crain
dre de ce côté- là . Je m'abandonne au jugement
du Public , et sans me flater ni
prévenir ses suffrages , je crois lui devoir
la justice de penser qu'il me sera favorable
dans le parti que j'embrasse , et j'espere
qu'en consideration de la bonté de
ina
ا ی ک
2568 MERCURE DE FRANCE
ma cause, il me fera grace, si je ne l'ai pas
deffendue avec assez d'agrément et de
plaisir. Je suis , Monsieur , &c.
Fermer
Résumé : LETTRE de M. Simonnet d'Heurgeville, au sujet des Réflexions sur la Politesse, publiées dans le II . Volume du Mercure de Juin dernier.
M. Simonnet d'Heurgeville critique les Réflexions sur la Politesse publiées dans le Mercure de Juin, estimant qu'elles autorisent des dérèglements contraires au bon ordre et au bien de la société. Il reconnaît que la politesse est une matière délicate et que les réflexions, bien que souvent judicieuses, ne le sont pas toujours. L'auteur des Réflexions définit la politesse par un air, une façon et une manière de parler et d'agir qui plaît, noble, aisée, fine et délicate. M. Simonnet conteste cette définition exclusive, arguant qu'un homme obligeant, serviable, complaisant et civil peut également être poli, même s'il manque du 'sublime' de la politesse. Il distingue deux types de politesse : positive (faire et dire des choses polies) et négative (ne rien faire et ne rien dire d'impoli). Selon lui, un honnête homme, bien que peut-être impoli au sens positif, est poli au sens négatif et possède une grande partie de la politesse qui consiste à souffrir l'impolitesse des autres. M. Simonnet critique également l'idée que la politesse nécessite du déguisement et de l'adulation, et qu'elle exclut la sincérité. Il argue que la sincérité, bien encadrée, n'est pas incompatible avec la politesse. Il conclut que la politesse véritable doit tempérer les rigueurs de la sincérité et la faire apparaître avec grâce et noblesse, sans nécessiter de feinte ou de dissimulation. Le texte, daté de novembre 1731, discute de la politesse et de la flatterie, qualifiant cette dernière de 'honteuse bassesse' incompatible avec la véritable politesse. La politesse est décrite comme un art permettant de gérer l'orgueil et la vanité sans les alimenter. Elle doit être utilisée pour blâmer ou reprendre avec délicatesse et adresse, afin de ne pas offenser. L'auteur conteste certaines méthodes proposées pour perfectionner la politesse, notamment l'idée de fréquenter des gens impolis pour mieux apprécier la politesse. Il souligne que le mauvais exemple corrompt plus facilement que le bon exemple ne redresse. Le texte aborde également la question des modèles de politesse, suggérant que les femmes offrent des exemples accomplis en la matière. Il distingue trois types de mérites associés à la politesse : estimable, aimable et agréable, et conclut en se déclarant amateur de justice et de sincérité, tout en espérant la faveur du public.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 215-229
REPONSE de M. l'Abbé Trublet, à la Lettre de M. Simonnet, imprimée dans le Mercure de Novembre 1731. au sujet des Refléxions sur la Politesse, imprimées dans le second volume du Mercure de Juin de la même année.
Début :
Je dois cette Réponse à M. Simonnet, parce que la [...]
Mots clefs :
Politesse, Réflexions, Critique, Penchant, Occasion, Civilité, Dissimulation
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : REPONSE de M. l'Abbé Trublet, à la Lettre de M. Simonnet, imprimée dans le Mercure de Novembre 1731. au sujet des Refléxions sur la Politesse, imprimées dans le second volume du Mercure de Juin de la même année.
REPONSE de M. l'Abbé Trublet ,
à la Lettre de M. Simonnet , imprimée
dans le Mercure de Novembre 1731..
au sujet des Refléxions sur la Politesse,.
imprimées dans le second volume du
Mercure de Juin de la même année.
J
E dois cette Réponse à M. Simonnet, parce que la Critique qu'il a faire
de mes Reflexions sur la Politesse , est
accompagnée de tous les égards qu'auroit
pû exiger un Auteur plus connu que
moi , et je la dois au Public , parce que J'ai
216 MERCURE DE FRANCE
j'ai lieu de croire qu'il a approuvé mes
Refléxions.
Il ne sera pas inutile , avant que d'aller plus loin , de dire comment et à quelle
occasion ces Refléxions ont été faites , et
de marquer le but que je m'y suis proposé ; cela seul y répandra de l'éclairciscement , et fera voir la verité de ce que
me mandoit un de mes amis , que plusieurs des Refléxions de M. S. sont vrayes
dans un sens , dans lequel les miennes ne
le sont peut- être pas , et n'ont pas besoin de l'être
M'entretenant un jour avec un Dame
de beaucoup d'esprit et de goût sur divers sujets de litterature , je lui dis qu'un
homme qui avoit lû et pensé , se faisoit
ordinairement une espece de sistême com
posé de ses propres pensées et de celles
des autres , sur les differentes matieres
qui étoient l'objet de ses Refléxions et
de ses lectures , que des exposez abregez
de ces sistêmes , des écrits dans lesquels
sans chercher le neuf, on se contenteroit de renfermer en peu de mots ce qui
s'est dit de meilleur sur chaque matiere ,
et de rapprocher ainsi un grand nombre
de veritez éparses en divers endroits
que des écrits , dis- je , de cette nature
pourroient être goutez des personnes in
telligentes
FEVRIER 1732. 217
telligentes qui aiment la précision , qui
se plaisent à voir plusieurs choses à la
fois , et , pour ainsi - dire , d'un seul coup
d'œil , et que les principes et les raisonnemens les plus connus paroîtroient comme nouveaux par un assemblage heureux
qui leur donneroit à tous plus de force
et de lumiere. Celle à qui j'avois l'honneur de parler , me fit celui de me dire
que je pourrois travailler avec succès ,
selon le plan que je venois de lui proposer; et moins dans l'esperance de réüssit et de remplir son idée et la mienne ,
que pour lui donner à peu près un exemple de la maniere dont je jugeois que ces
Ecrits devoient être composez , j'assem
blai les Refléxions sur la Politesse. Je
choisis cette matiere comme une de celles où on ale plus travaillé et comme une
des plus convenables à une Dame. Je
cherchai plutôt à me ressouvenir , qu'à
produire , à rappeller mes anciennes pensées , qu'à en trouver de nouvelles ,
je ne fis usage de mon esprit que pour
l'expression et l'arangement. Je voulois
faire dire de mon Ecrit , que si rien n'y
est traité , à proprement parler , tout y
est pourtant exprimé; par là je me suis
exposé à être obscur , ou du moins à n'ê
re pas toujours entendu ; d'ailleurs j'employe
218 MERCURE DE FRANCE
ploye quelquefois les mêmes termes dans
des sens un peu differens , des sens tantôt
plus , tantôt moins étendus. Par exemple,
je donne d'abord une définition ou plutôt une description de la Politesse , dans
laquelle je fais entrer tout ce qui la compose , pour ainsi - dire ; ensuite je laisse
presque tout cela pour ne prendre que ce
qui la caractérise plus précisément , ce
qui la distingue de la civilité même,qu'elle suppose , mais à laquelle elle ajoûte ;
et dans la suite du discours je parle de
la Politesse en la considerant tour - atour de ces deux manieres , l'une plus
generale , et l'autre plus particuliere
d'où il arrive que quelques- unes de mes
Refléxions exactement vrayes , ce me
semble , en prenant le terme de Politesse dans un certain sens , ne le sont
dans un autre. J'a- plus en le prenant
vois cru que personne n'y seroit trompé;
et qu'il seroit aisé de suppléer ce que je
ne marque pas distinctement ; je
trompé moi-mêmeen cela, puisqueM.S.qui certainement entend ces matieres , ne m'a
pas toûjours bien compris ; c'est la source
de plusieurs de ces Critiques , et j'en donnerai quelques exemples qui éclairciront
ma pensée.
me suis
M. S. me reproche principalement
trois
FEVRIER. 173.2. 219
trois choses sur lesquelles il s'étend beaucoup. La premiere , d'avoir élevé si haut
la Politesse , que très-peu de personnes ý
pourroient prétendre.
La seconde, de l'avoir rabaissée et dégradée jusqu'à la rendre vicieuse , ou au
moins defectueuse.
La troisième , de m'être trompé dans
quelques- uns des moyens que j'indique pour
acquerir ou perfectionner la Politesse. Éxaminons ces trois points en détail.
Le premier ne m'arrêtera gueres , parce qu'il n'est fondé que sur la distinction que je fais entre l'homme civil et
l'homme poli ; distinction trop bien établie et trop reconnue , pour avoir besoin
d'être prouvée. L'homme poli est necessairement civil ; mais l'homme simplement civil n'est pas encore poli , ne passera point du tout pour poli auprès des
connoisseurs , et ne doit point être appellé
poli , à prendre ce terme dans sa précision. La Politesse est quelque chose audelà de la civilité. Celle- cy regarde principalement le fond des choses , l'autre la
maniere de les dire et de les faire , et
M. S. convient que cette maniere est le
point capital de la Politesse.
A la verité , on ne parle pas ordinairement dans le monde avec cette exacte
justesse
220 MERCURE DE FRANCE
justesse; il y auroit même du ridicule à
l'affecter , ce seroit une sorte de pédanterie ; cependant il y a des occasions de
l'employer avec agrément , et quelquefois elle fait un bon mot. Par exemple , on loüera M.... d'être poli , quelqu'un répliquera , c'est un peu trop dire,
M.... n'est pas poli , il n'est que civil.
Certainement on l'entendra ; si son jugement est vrai on le trouvera bien exprimé , et ceux mêmes qui n'y avoient
pas fait refléxion jusqu'alors , sentiront
que ces deux mors , civil et poli , ne sont
pas synonimes et que l'un signifie plus que l'autre.
Mais , dit M. S. l'homme civil ne sçauroit manquer de plaire , j'en conviens ,
mais il plaira moins que l'homme vrayement poli. Il a le solide de la Politesse ,
cela est encore vrai , mais il n'en a pas
le caractere distinctif, il en a le meilleur
et au fond le plus estimable ; mais il
n'en a pas la fleur, le picquant, pour ainsi
dire , il n'a pas les agrémens fins et délicats , ce charme répandu sur les manieres , les discours de l'homme poli , ce
je ne sçai quoi qui embellit tout ce qu'il
fait , tout ce qu'il dit , et dont il s'agit
uniquement ici. Il y a plusieurs degrez
dans les qualitez morales , aussi-bien que
dans
FEVRIER 1732. 221 4
dans les qualitez Physiques , et ordinairement differens termes pour exprimer
ces differens degrez ; tels sont les mots
de valeur et d'intrépidité , &c. ... qu'on
n'employe pas toûjours indifferemment ;
à plus forte raison ne doit-on pas con-
: fondre les termes de Politesse et de Civilité , qui expriment des qualitez differentes , plutôt que les differens degrez
d'une même qualité. Il est aisé de répondre sur ces principes , aux autres diffi- cultez de M. S. Passons au second Chef
de sa Critique.
$
Il me reproche d'avoir mis au nombre.
des obstacles à la Politesse , le grand éloignement de tout déguisement et de toute
dissimulation ; le penchant à dire ce qu'on
pense , à témoigner ce qu'on sent et d'avoir donné pour une des raisons de la
rareté de la Politesse , que ce penchant est
très-commun et même naturel à l'homme. J'avoue que je ne conçois pas sur
quoi peut être fondée cette Critique. Ce
que j'ai dit , et qu'attaque M. S. on le dit
cent fois , et on le repete tous les jours.
Presque toutes les fautes contre la Politesse , viennent de trop de sincerité ; de
ce qu'on ne sçait point se contraindre
pour agir et pour parler comme la Politesse l'exigeroit, ou du moins our se taire.
B Je
222 MERCURE DE FRANCE
Je prie mes Lecteurs de faire ici leur
examen de conscience sur cette matiere ,
et je suis sûr qu'ils me rendront justice.
C'est un bon homme , dit- on de quelqu'un , un homme d'esprit même , mais
il est trop sincere ; cet homme d'esprit
voit et entend mille choses qui le choquent , malgré la douceur de son caractere , et il témoigne trop naturellement
son impression. Quand on a l'esprit juste
et le cœur bien fait , on n'a rien à déguiser ou à taire avec ses pareils ; ils seroient même offensez d'une conduite
moins sincere ; mais ne vit- on qu'avec
ses pareils , et plutôt où les trouve- t'on ?
Plus on a de discernement dans l'esprit ,
et si cela se peut dire , dans le cœur ,
plus on rencontre d'occasions de dissimuler.
Mais ce penchant à la sincerité est- il
si commun, est- il naturel à l'homme ?
Le monde n'est- il pas rempli de trompeurs , de fourbes ? oui , mais ils ne sont
pas nez tels , ils le sont devenus , ou plutôt ils sont nez avec les passions qui les
obligent à se déguiser pour les mieux satisfaire ; mais en même temps ils sont nez
avec le penchant à agir ouvertement , à
se montrer tels qu'ils sont , l'experience
leur en a fait voir les inconveniens , et
il
FEVRIER. 1732. 223
il leur a fallu bien des efforts pour le surmonter. J'en appelle aux plus habiles.
dans l'art de dissimuler. L'habitude sur
ce point ne détruit jamais la Nature ; la
dissimulation constante est un état vio.
lent , une espece d'esclavage auquel on
ne s'accoutume point ; elle coûte plus ou
moins , selon qu'on s'y est plus ou moins
exercé , et à proportion des interêts qui
engagent à la pratiquer ; mais elle coûte
toujours et ne cesse jamais d'être une
contrainte.
L'homme du monde qui a poussé le
plus loin la dissimulation et le déguisement , le Pape Sixte Quint , étoit né avec
le caractere le moins propre à dissimuler.
La premiere partie de sa vie offre une
foule de traits d'une vivacité imprudente
et d'une sincerité indiscrete. Sa jeunesse,
son enfance même, annoncerent l'homme
d'un génie superieur , le grand homme
l'habile politique ; l'homme rusé et arti
ficieux , n'avoient point été prévûs. Il
trompa d'autant mieux qu'on l'avoit vû
moins capable de tromper. Quelle fut
la cause d'un si grand changement ?
L'ambition, c'est- à- dire , la plus violente
de toutes les passions. Elle ne le changea neanmoins que par degrez , il devint
plus circonspect pour être Cardinal , et
artificieux pour être Pape. Bij C'est
224 MERCURE DE FRANCE
2
›C'est souvent , dit M. S. l'yvresse de quelque passion , plutôt que le naturel , qui fait
qu'on se montre par sonfoible et qu'on parle
plus qu'on ne voudroit. L'homme de sang
froid est ordinairement plus réservé. Voilà
justement la preuve de ce que je dis. C'est
dans la passion qu'on agit naturellement.
L'homme de sang froid se compose , se
réprime, prend garde à ce qu'il dit et à ce
qu'il fait , suit les regles de la prudence
plutôt que son penchant.
?
Mais doit-on autoriser cette politesse
artificieuse, et flatteuse,,. Non, sans doute.
Je l'ai peinte , je l'ai décrite , je ne l'ai
point approuvée ; bien loin d'avoir donné lieu de m'accuser de ce relâchement
je crains plutôt qu'on n'ait apperçu dans
mes Reflexions un peu de misantropie ;
et qu'on ne me soupçonne de les avoir
faites sur ce qui m'a déplu dans le commerce du monde.
M. S. explique très bien comment sans
blesser la Politesse , on peut contredire
adroitement les opinions ou les passions
d'autrui ; mais croit-il avoir également
sauvé les droits de la verité ? Au reste , il
ne me convenoit pas d'entrer dans ce détail
et avec quelque difference dans l'expression nous sommes d'accord au fond. Il ne
veut pas qu'on flatte la vanité , il veut
seu-
FEVRIER. 1737: 225
seulement qu'on la ménage. Qu'entend-il
par ces ménagemens ? Les borne-t`il au
silence ? à ne pas la choquer , à ne pas la
fatter directement ? La maxime commune que le silence ne dit rien , est fausse
en mille occasions . Le silence n'est presque jamais indifferent ; souvent il vaut
Fimprobation ou l'approbation la plus
marquée. Dans le premier cas ce n'est
plus ménager ; dans le second c'est flatter..
M. S. m'imputé d'avoir conseillé la flatterie et l'adulation. Je ne me suis point servi de ce terme , ils se prennent toujours
en mauvaise part ; au lieu que le terme
de flatter ne signifie souvent que plaire.
En un mot, on peut flatter l'amour propre d'autrui sans flatterie et sans adulation. Lorsqu'à la faveur de quelques louanges on fait passer des avis salutaires , une
correction utile ; lorsque dans la conversation , soit en la faisant tomber sur certains sujets , soit par une contradiction.
adroite , on donne lieu aux autres de paroître et de briller , et qu'on fait valoir
leur esprit , ne flatte- t'on pas leur vanité?
Le mot n'est point trop fort , il faut le
passer , et bien entendu il ne choque en
rien la bonne morale ; tous les égards
les tours fins , les ménagemens délicats
que prescrit M. S. se réduisent là તે
parler naturellement B iij Le
4
226 MERCURE DE FRANCE
Le troisiéme article de sa Critique regarde quelques- uns des moyens que j'ai
indiquez pour acquerir la Politesse ou
pour s'y perfectionner. Toute ma réponse
sera d'exposer de nouveau mes sentimens
sur ce sujet.
Le commerce des femmes est , dit on ,
communément la meilleure école de politesse , parce qu'on y trouve tout ensemble et des modeles excellens en ce genre
et des motifs pressants de travailler à
les imiter.Voilà donc deux raisons de l'utilité du commerce des femmes , par rapport à la Politesse. Elles sont très- polies
et on ne sçauroit leur plaire sans l'être.
Je cherche la principale de ces raisons ,
et je demande si ce n'est pas la derniere,
la necessité d'être poli pour se rendre
agréable aux Daines ? Ceux qui ont le
plus d'usage du monde me répondront
tous que c'est en ce sens principalement
qu'ils leur doivent la politesse qu'ils ont
acquise auprès d'elles , et que le desir de
leur plaire a plus contribué à les polir
que leurs exemples ; ils me diront même
qu'ils ont plutôt pensé à imiter les hommes polis que les femmes , dont la politesse est très- differente de la nôtre. En
un mot , les femmes sont pour les hommes d'excellens Maîtres de politesse , parce
FEVRIER 17328 227
ce que ce sont des Maîtres très- severes
et pourtant très-aimez.
Sur ce qu'une grande partie de la politesse et le plus difficile à pratiquer ,
consiste à souffrir l'impolitesse des autres
sans y tomber jamais , j'ai dit qu'il est
utile de se trouver quelquefois avec des
gens impolis. Voilà, dit M. S. un secret
admirable et tout nouveau de se perfectionner dans la pratique de la Politesse. Il n'y
a pourtant rien de plus simple et de plus
commun ; car la Politesse ne s'apprenant
bien que par l'usage , comment appren
dra-t'on cette partie de la Politesse qui
consiste à souffrir poliment l'impolitesse
des autres , si l'on ne se trouve quelquefois avec des gens impolis ? En ettet , Sup
posons un jeune homme qui n'a encore
vêcu qu'avec des personnes polies , dont
parconsequent il n'a jamais reçû d'impolitesse , elles lui auront dit, sans doute ,
qu'il n'y a jamais de raison légitime de
manquer à la politesse ; qu'il en faut
avoir avec ceux mêmes qui n'en ont pas
avec nous , et qu'en cette matiere , comme en toute autre , les fautes d'autrui ne
justifient point celles qu'elles nous font
faire. Belles et utiles leçons , foibles armes contre les premieres tentations que
donne une impolitesse reçue ; il en sera B iiij d'd'autant plus choqué qu'il est lui- même
plus poli , et par- là il cessera peut-être de
Î'être dans cette occasion. Mais l'usage du
monde où il ne trouvera que trop de gens
impolis,lui donnera bien- tôt une politesse
plus forte et plus robuste , si j'ose parler
ainsi , une politesse capable de se soutenir contre l'impolitesse même. Je crois
maintenant que M. S. ne trouvera plus
obscure l'application de ce principe que
des occasions fréquentes d'agir , en surmontant une difficulté considerable
avancent bien mieux que de simples exemples. Ces occasions , &c.... Sont celles
que donne l'impolitesse où l'on peut tomber à notre égard. La vertu n'éclate et
ne se perfectionne que par les difficultez
vaincues.
>
M. S. me reproche encore une contradiction , mais elle n'est qu'apparente , et
d'ailleurs cela est trop peu interressant
pour m'y arrêter. Voici donc un mot
seulement pour M. S. et pour ceux de
mes Lecteurs qui voudront se donner la
peine de comparer ensemble nos trois
Morceaux, lorsque j'ai dit que la Politesse
attire également l'estime et l'amour , c'est
en la considerant par rapport aux quaIltez de l'esprit et du cœur qu'elle supose,
ou du moins dont elle est l'apparence ;
et
FEVRIER. 1732. 229
et lorsque dans un autre endroit , après
avoir distingué trois sortes de mérites ,
le mérite estimable , le mérite aimable ,
et le mérite agréable , j'ai ajoûté que cette
derniere sorte de mérite est proprement
celui de la Politesse , alors je l'ai considerée selon son idée présise et par rapport
à ce qui fait son caractere particulier. En
voilà assez sur une chose peu importante.
M. S. a examiné mes Refléxions dans un
grand détail , c'est un honneur qu'il m'a
fait , et je l'en remercie ; mais il m'auroit
été impossible de le suivre dans tout ce
détail , sans tomber dans la langueur et
sans causer de l'ennui. L'Auteur qui compose une Critique a bien des avantages
sur celui qui doit lui répondre. Les matieres s'usent , on ne peut guere éviter
les redites , et les redites déplaisent. Ainsi
il est moins difficile de faire une Critique
agréable , que d'y répondre avec le même
agrément.
à la Lettre de M. Simonnet , imprimée
dans le Mercure de Novembre 1731..
au sujet des Refléxions sur la Politesse,.
imprimées dans le second volume du
Mercure de Juin de la même année.
J
E dois cette Réponse à M. Simonnet, parce que la Critique qu'il a faire
de mes Reflexions sur la Politesse , est
accompagnée de tous les égards qu'auroit
pû exiger un Auteur plus connu que
moi , et je la dois au Public , parce que J'ai
216 MERCURE DE FRANCE
j'ai lieu de croire qu'il a approuvé mes
Refléxions.
Il ne sera pas inutile , avant que d'aller plus loin , de dire comment et à quelle
occasion ces Refléxions ont été faites , et
de marquer le but que je m'y suis proposé ; cela seul y répandra de l'éclairciscement , et fera voir la verité de ce que
me mandoit un de mes amis , que plusieurs des Refléxions de M. S. sont vrayes
dans un sens , dans lequel les miennes ne
le sont peut- être pas , et n'ont pas besoin de l'être
M'entretenant un jour avec un Dame
de beaucoup d'esprit et de goût sur divers sujets de litterature , je lui dis qu'un
homme qui avoit lû et pensé , se faisoit
ordinairement une espece de sistême com
posé de ses propres pensées et de celles
des autres , sur les differentes matieres
qui étoient l'objet de ses Refléxions et
de ses lectures , que des exposez abregez
de ces sistêmes , des écrits dans lesquels
sans chercher le neuf, on se contenteroit de renfermer en peu de mots ce qui
s'est dit de meilleur sur chaque matiere ,
et de rapprocher ainsi un grand nombre
de veritez éparses en divers endroits
que des écrits , dis- je , de cette nature
pourroient être goutez des personnes in
telligentes
FEVRIER 1732. 217
telligentes qui aiment la précision , qui
se plaisent à voir plusieurs choses à la
fois , et , pour ainsi - dire , d'un seul coup
d'œil , et que les principes et les raisonnemens les plus connus paroîtroient comme nouveaux par un assemblage heureux
qui leur donneroit à tous plus de force
et de lumiere. Celle à qui j'avois l'honneur de parler , me fit celui de me dire
que je pourrois travailler avec succès ,
selon le plan que je venois de lui proposer; et moins dans l'esperance de réüssit et de remplir son idée et la mienne ,
que pour lui donner à peu près un exemple de la maniere dont je jugeois que ces
Ecrits devoient être composez , j'assem
blai les Refléxions sur la Politesse. Je
choisis cette matiere comme une de celles où on ale plus travaillé et comme une
des plus convenables à une Dame. Je
cherchai plutôt à me ressouvenir , qu'à
produire , à rappeller mes anciennes pensées , qu'à en trouver de nouvelles ,
je ne fis usage de mon esprit que pour
l'expression et l'arangement. Je voulois
faire dire de mon Ecrit , que si rien n'y
est traité , à proprement parler , tout y
est pourtant exprimé; par là je me suis
exposé à être obscur , ou du moins à n'ê
re pas toujours entendu ; d'ailleurs j'employe
218 MERCURE DE FRANCE
ploye quelquefois les mêmes termes dans
des sens un peu differens , des sens tantôt
plus , tantôt moins étendus. Par exemple,
je donne d'abord une définition ou plutôt une description de la Politesse , dans
laquelle je fais entrer tout ce qui la compose , pour ainsi - dire ; ensuite je laisse
presque tout cela pour ne prendre que ce
qui la caractérise plus précisément , ce
qui la distingue de la civilité même,qu'elle suppose , mais à laquelle elle ajoûte ;
et dans la suite du discours je parle de
la Politesse en la considerant tour - atour de ces deux manieres , l'une plus
generale , et l'autre plus particuliere
d'où il arrive que quelques- unes de mes
Refléxions exactement vrayes , ce me
semble , en prenant le terme de Politesse dans un certain sens , ne le sont
dans un autre. J'a- plus en le prenant
vois cru que personne n'y seroit trompé;
et qu'il seroit aisé de suppléer ce que je
ne marque pas distinctement ; je
trompé moi-mêmeen cela, puisqueM.S.qui certainement entend ces matieres , ne m'a
pas toûjours bien compris ; c'est la source
de plusieurs de ces Critiques , et j'en donnerai quelques exemples qui éclairciront
ma pensée.
me suis
M. S. me reproche principalement
trois
FEVRIER. 173.2. 219
trois choses sur lesquelles il s'étend beaucoup. La premiere , d'avoir élevé si haut
la Politesse , que très-peu de personnes ý
pourroient prétendre.
La seconde, de l'avoir rabaissée et dégradée jusqu'à la rendre vicieuse , ou au
moins defectueuse.
La troisième , de m'être trompé dans
quelques- uns des moyens que j'indique pour
acquerir ou perfectionner la Politesse. Éxaminons ces trois points en détail.
Le premier ne m'arrêtera gueres , parce qu'il n'est fondé que sur la distinction que je fais entre l'homme civil et
l'homme poli ; distinction trop bien établie et trop reconnue , pour avoir besoin
d'être prouvée. L'homme poli est necessairement civil ; mais l'homme simplement civil n'est pas encore poli , ne passera point du tout pour poli auprès des
connoisseurs , et ne doit point être appellé
poli , à prendre ce terme dans sa précision. La Politesse est quelque chose audelà de la civilité. Celle- cy regarde principalement le fond des choses , l'autre la
maniere de les dire et de les faire , et
M. S. convient que cette maniere est le
point capital de la Politesse.
A la verité , on ne parle pas ordinairement dans le monde avec cette exacte
justesse
220 MERCURE DE FRANCE
justesse; il y auroit même du ridicule à
l'affecter , ce seroit une sorte de pédanterie ; cependant il y a des occasions de
l'employer avec agrément , et quelquefois elle fait un bon mot. Par exemple , on loüera M.... d'être poli , quelqu'un répliquera , c'est un peu trop dire,
M.... n'est pas poli , il n'est que civil.
Certainement on l'entendra ; si son jugement est vrai on le trouvera bien exprimé , et ceux mêmes qui n'y avoient
pas fait refléxion jusqu'alors , sentiront
que ces deux mors , civil et poli , ne sont
pas synonimes et que l'un signifie plus que l'autre.
Mais , dit M. S. l'homme civil ne sçauroit manquer de plaire , j'en conviens ,
mais il plaira moins que l'homme vrayement poli. Il a le solide de la Politesse ,
cela est encore vrai , mais il n'en a pas
le caractere distinctif, il en a le meilleur
et au fond le plus estimable ; mais il
n'en a pas la fleur, le picquant, pour ainsi
dire , il n'a pas les agrémens fins et délicats , ce charme répandu sur les manieres , les discours de l'homme poli , ce
je ne sçai quoi qui embellit tout ce qu'il
fait , tout ce qu'il dit , et dont il s'agit
uniquement ici. Il y a plusieurs degrez
dans les qualitez morales , aussi-bien que
dans
FEVRIER 1732. 221 4
dans les qualitez Physiques , et ordinairement differens termes pour exprimer
ces differens degrez ; tels sont les mots
de valeur et d'intrépidité , &c. ... qu'on
n'employe pas toûjours indifferemment ;
à plus forte raison ne doit-on pas con-
: fondre les termes de Politesse et de Civilité , qui expriment des qualitez differentes , plutôt que les differens degrez
d'une même qualité. Il est aisé de répondre sur ces principes , aux autres diffi- cultez de M. S. Passons au second Chef
de sa Critique.
$
Il me reproche d'avoir mis au nombre.
des obstacles à la Politesse , le grand éloignement de tout déguisement et de toute
dissimulation ; le penchant à dire ce qu'on
pense , à témoigner ce qu'on sent et d'avoir donné pour une des raisons de la
rareté de la Politesse , que ce penchant est
très-commun et même naturel à l'homme. J'avoue que je ne conçois pas sur
quoi peut être fondée cette Critique. Ce
que j'ai dit , et qu'attaque M. S. on le dit
cent fois , et on le repete tous les jours.
Presque toutes les fautes contre la Politesse , viennent de trop de sincerité ; de
ce qu'on ne sçait point se contraindre
pour agir et pour parler comme la Politesse l'exigeroit, ou du moins our se taire.
B Je
222 MERCURE DE FRANCE
Je prie mes Lecteurs de faire ici leur
examen de conscience sur cette matiere ,
et je suis sûr qu'ils me rendront justice.
C'est un bon homme , dit- on de quelqu'un , un homme d'esprit même , mais
il est trop sincere ; cet homme d'esprit
voit et entend mille choses qui le choquent , malgré la douceur de son caractere , et il témoigne trop naturellement
son impression. Quand on a l'esprit juste
et le cœur bien fait , on n'a rien à déguiser ou à taire avec ses pareils ; ils seroient même offensez d'une conduite
moins sincere ; mais ne vit- on qu'avec
ses pareils , et plutôt où les trouve- t'on ?
Plus on a de discernement dans l'esprit ,
et si cela se peut dire , dans le cœur ,
plus on rencontre d'occasions de dissimuler.
Mais ce penchant à la sincerité est- il
si commun, est- il naturel à l'homme ?
Le monde n'est- il pas rempli de trompeurs , de fourbes ? oui , mais ils ne sont
pas nez tels , ils le sont devenus , ou plutôt ils sont nez avec les passions qui les
obligent à se déguiser pour les mieux satisfaire ; mais en même temps ils sont nez
avec le penchant à agir ouvertement , à
se montrer tels qu'ils sont , l'experience
leur en a fait voir les inconveniens , et
il
FEVRIER. 1732. 223
il leur a fallu bien des efforts pour le surmonter. J'en appelle aux plus habiles.
dans l'art de dissimuler. L'habitude sur
ce point ne détruit jamais la Nature ; la
dissimulation constante est un état vio.
lent , une espece d'esclavage auquel on
ne s'accoutume point ; elle coûte plus ou
moins , selon qu'on s'y est plus ou moins
exercé , et à proportion des interêts qui
engagent à la pratiquer ; mais elle coûte
toujours et ne cesse jamais d'être une
contrainte.
L'homme du monde qui a poussé le
plus loin la dissimulation et le déguisement , le Pape Sixte Quint , étoit né avec
le caractere le moins propre à dissimuler.
La premiere partie de sa vie offre une
foule de traits d'une vivacité imprudente
et d'une sincerité indiscrete. Sa jeunesse,
son enfance même, annoncerent l'homme
d'un génie superieur , le grand homme
l'habile politique ; l'homme rusé et arti
ficieux , n'avoient point été prévûs. Il
trompa d'autant mieux qu'on l'avoit vû
moins capable de tromper. Quelle fut
la cause d'un si grand changement ?
L'ambition, c'est- à- dire , la plus violente
de toutes les passions. Elle ne le changea neanmoins que par degrez , il devint
plus circonspect pour être Cardinal , et
artificieux pour être Pape. Bij C'est
224 MERCURE DE FRANCE
2
›C'est souvent , dit M. S. l'yvresse de quelque passion , plutôt que le naturel , qui fait
qu'on se montre par sonfoible et qu'on parle
plus qu'on ne voudroit. L'homme de sang
froid est ordinairement plus réservé. Voilà
justement la preuve de ce que je dis. C'est
dans la passion qu'on agit naturellement.
L'homme de sang froid se compose , se
réprime, prend garde à ce qu'il dit et à ce
qu'il fait , suit les regles de la prudence
plutôt que son penchant.
?
Mais doit-on autoriser cette politesse
artificieuse, et flatteuse,,. Non, sans doute.
Je l'ai peinte , je l'ai décrite , je ne l'ai
point approuvée ; bien loin d'avoir donné lieu de m'accuser de ce relâchement
je crains plutôt qu'on n'ait apperçu dans
mes Reflexions un peu de misantropie ;
et qu'on ne me soupçonne de les avoir
faites sur ce qui m'a déplu dans le commerce du monde.
M. S. explique très bien comment sans
blesser la Politesse , on peut contredire
adroitement les opinions ou les passions
d'autrui ; mais croit-il avoir également
sauvé les droits de la verité ? Au reste , il
ne me convenoit pas d'entrer dans ce détail
et avec quelque difference dans l'expression nous sommes d'accord au fond. Il ne
veut pas qu'on flatte la vanité , il veut
seu-
FEVRIER. 1737: 225
seulement qu'on la ménage. Qu'entend-il
par ces ménagemens ? Les borne-t`il au
silence ? à ne pas la choquer , à ne pas la
fatter directement ? La maxime commune que le silence ne dit rien , est fausse
en mille occasions . Le silence n'est presque jamais indifferent ; souvent il vaut
Fimprobation ou l'approbation la plus
marquée. Dans le premier cas ce n'est
plus ménager ; dans le second c'est flatter..
M. S. m'imputé d'avoir conseillé la flatterie et l'adulation. Je ne me suis point servi de ce terme , ils se prennent toujours
en mauvaise part ; au lieu que le terme
de flatter ne signifie souvent que plaire.
En un mot, on peut flatter l'amour propre d'autrui sans flatterie et sans adulation. Lorsqu'à la faveur de quelques louanges on fait passer des avis salutaires , une
correction utile ; lorsque dans la conversation , soit en la faisant tomber sur certains sujets , soit par une contradiction.
adroite , on donne lieu aux autres de paroître et de briller , et qu'on fait valoir
leur esprit , ne flatte- t'on pas leur vanité?
Le mot n'est point trop fort , il faut le
passer , et bien entendu il ne choque en
rien la bonne morale ; tous les égards
les tours fins , les ménagemens délicats
que prescrit M. S. se réduisent là તે
parler naturellement B iij Le
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226 MERCURE DE FRANCE
Le troisiéme article de sa Critique regarde quelques- uns des moyens que j'ai
indiquez pour acquerir la Politesse ou
pour s'y perfectionner. Toute ma réponse
sera d'exposer de nouveau mes sentimens
sur ce sujet.
Le commerce des femmes est , dit on ,
communément la meilleure école de politesse , parce qu'on y trouve tout ensemble et des modeles excellens en ce genre
et des motifs pressants de travailler à
les imiter.Voilà donc deux raisons de l'utilité du commerce des femmes , par rapport à la Politesse. Elles sont très- polies
et on ne sçauroit leur plaire sans l'être.
Je cherche la principale de ces raisons ,
et je demande si ce n'est pas la derniere,
la necessité d'être poli pour se rendre
agréable aux Daines ? Ceux qui ont le
plus d'usage du monde me répondront
tous que c'est en ce sens principalement
qu'ils leur doivent la politesse qu'ils ont
acquise auprès d'elles , et que le desir de
leur plaire a plus contribué à les polir
que leurs exemples ; ils me diront même
qu'ils ont plutôt pensé à imiter les hommes polis que les femmes , dont la politesse est très- differente de la nôtre. En
un mot , les femmes sont pour les hommes d'excellens Maîtres de politesse , parce
FEVRIER 17328 227
ce que ce sont des Maîtres très- severes
et pourtant très-aimez.
Sur ce qu'une grande partie de la politesse et le plus difficile à pratiquer ,
consiste à souffrir l'impolitesse des autres
sans y tomber jamais , j'ai dit qu'il est
utile de se trouver quelquefois avec des
gens impolis. Voilà, dit M. S. un secret
admirable et tout nouveau de se perfectionner dans la pratique de la Politesse. Il n'y
a pourtant rien de plus simple et de plus
commun ; car la Politesse ne s'apprenant
bien que par l'usage , comment appren
dra-t'on cette partie de la Politesse qui
consiste à souffrir poliment l'impolitesse
des autres , si l'on ne se trouve quelquefois avec des gens impolis ? En ettet , Sup
posons un jeune homme qui n'a encore
vêcu qu'avec des personnes polies , dont
parconsequent il n'a jamais reçû d'impolitesse , elles lui auront dit, sans doute ,
qu'il n'y a jamais de raison légitime de
manquer à la politesse ; qu'il en faut
avoir avec ceux mêmes qui n'en ont pas
avec nous , et qu'en cette matiere , comme en toute autre , les fautes d'autrui ne
justifient point celles qu'elles nous font
faire. Belles et utiles leçons , foibles armes contre les premieres tentations que
donne une impolitesse reçue ; il en sera B iiij d'd'autant plus choqué qu'il est lui- même
plus poli , et par- là il cessera peut-être de
Î'être dans cette occasion. Mais l'usage du
monde où il ne trouvera que trop de gens
impolis,lui donnera bien- tôt une politesse
plus forte et plus robuste , si j'ose parler
ainsi , une politesse capable de se soutenir contre l'impolitesse même. Je crois
maintenant que M. S. ne trouvera plus
obscure l'application de ce principe que
des occasions fréquentes d'agir , en surmontant une difficulté considerable
avancent bien mieux que de simples exemples. Ces occasions , &c.... Sont celles
que donne l'impolitesse où l'on peut tomber à notre égard. La vertu n'éclate et
ne se perfectionne que par les difficultez
vaincues.
>
M. S. me reproche encore une contradiction , mais elle n'est qu'apparente , et
d'ailleurs cela est trop peu interressant
pour m'y arrêter. Voici donc un mot
seulement pour M. S. et pour ceux de
mes Lecteurs qui voudront se donner la
peine de comparer ensemble nos trois
Morceaux, lorsque j'ai dit que la Politesse
attire également l'estime et l'amour , c'est
en la considerant par rapport aux quaIltez de l'esprit et du cœur qu'elle supose,
ou du moins dont elle est l'apparence ;
et
FEVRIER. 1732. 229
et lorsque dans un autre endroit , après
avoir distingué trois sortes de mérites ,
le mérite estimable , le mérite aimable ,
et le mérite agréable , j'ai ajoûté que cette
derniere sorte de mérite est proprement
celui de la Politesse , alors je l'ai considerée selon son idée présise et par rapport
à ce qui fait son caractere particulier. En
voilà assez sur une chose peu importante.
M. S. a examiné mes Refléxions dans un
grand détail , c'est un honneur qu'il m'a
fait , et je l'en remercie ; mais il m'auroit
été impossible de le suivre dans tout ce
détail , sans tomber dans la langueur et
sans causer de l'ennui. L'Auteur qui compose une Critique a bien des avantages
sur celui qui doit lui répondre. Les matieres s'usent , on ne peut guere éviter
les redites , et les redites déplaisent. Ainsi
il est moins difficile de faire une Critique
agréable , que d'y répondre avec le même
agrément.
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Résumé : REPONSE de M. l'Abbé Trublet, à la Lettre de M. Simonnet, imprimée dans le Mercure de Novembre 1731. au sujet des Refléxions sur la Politesse, imprimées dans le second volume du Mercure de Juin de la même année.
L'abbé Trublet répond à la critique de M. Simonnet concernant ses 'Réflexions sur la Politesse', publiées dans le Mercure de Juin 1731. Trublet explique que ses réflexions ont été inspirées par une conversation avec une dame de lettres, qui l'a encouragé à compiler des pensées sur divers sujets littéraires. Il a choisi la politesse comme sujet, cherchant à rassembler des vérités éparses et à les présenter de manière concise et éclairante. Trublet reconnaît que son texte peut être obscur ou mal compris, notamment en raison de l'utilisation de termes dans des sens variés. Il répond aux trois principaux reproches de Simonnet : avoir élevé la politesse à un niveau inaccessible, l'avoir dégradée en la rendant vicieuse, et s'être trompé sur certains moyens pour l'acquérir. Trublet distingue la civilité, qui concerne le fond des choses, de la politesse, qui concerne la manière de les dire et de les faire. Il argue que la politesse ajoute un charme et des agréments fins aux manières et aux discours. Concernant la sincérité, Trublet affirme que la politesse exige souvent de la dissimulation, contrairement à ce que pense Simonnet. Il cite l'exemple du Pape Sixte Quint, qui a dû surmonter son naturel sincère pour devenir un habile politique. Trublet reconnaît que la politesse artificieuse et flatteuse n'est pas à approuver, mais il souligne que ses réflexions ne l'approuvent pas non plus. Le texte discute de l'importance du commerce des femmes dans l'apprentissage de la politesse. Il souligne que les femmes sont des maîtres sévères mais aimés, et que la nécessité de leur plaire est une motivation majeure pour acquérir la politesse. Cependant, l'auteur note que les hommes imitent souvent d'autres hommes polis plutôt que les femmes, dont la politesse diffère de la leur. Le texte aborde également la nécessité de se confronter à l'impolitesse pour perfectionner sa propre politesse. Il explique que les leçons théoriques sont insuffisantes face aux premières tentations d'impolitesse. L'expérience avec des gens impolis renforce une politesse plus robuste, capable de résister à l'impolitesse. Enfin, l'auteur répond à une critique de M. S. concernant une apparente contradiction dans ses réflexions sur la politesse. Il clarifie que la politesse attire l'estime et l'amour en raison des qualités de l'esprit et du cœur qu'elle suppose, mais qu'elle peut aussi être considérée comme un mérite agréable en soi. L'auteur remercie M. S. pour son examen détaillé mais note les difficultés de répondre à une critique sans tomber dans la redondance et l'ennui.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 2605-2612
EPITRE A M. Aroüet de Voltaire, par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croisic en Bretagne, pour le remercier du présent qu'il lui a fait de son Histoire de Charles XII. de sa Henriade et du Recueil de quelques-unes de ses Tragédies.
Début :
Tes deux Héros, Voltaire, enfin sont arrivez; [...]
Mots clefs :
Voltaire, Henriade, Charles XII, Tragédies, Tasse, Politesse, Plume, Gloire, Amitiés
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EPITRE A M. Aroüet de Voltaire, par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croisic en Bretagne, pour le remercier du présent qu'il lui a fait de son Histoire de Charles XII. de sa Henriade et du Recueil de quelques-unes de ses Tragédies.
EPITRE
A M. Aronet de Voltaire , par MH de
Malcrais de la Vigne , du Croisic en
Bretagne , pour le remercier du présent
qu'il lui afait de son Histoire de Ĉharles
XII. de sa Henriade et du Recueil de
quelques-unes de ses Tragédies.
TEs deux Héros , Voltaire, enfin sont arrivez;
Bonjour, leur ai-je dit , couple de Rois celebres,
Conquerans dont les noms , de l'horreur des te
nebres ,
Ont été par Voltaire à jamais préservez.
Vous êtes- vous bien conservez ,
Pendant la longueur du voyage ?
Auriez-vous essuyé d'un insolent orage,
Les brusques incommoditez ?
1. Vel
2606 MERCURE DE FRANCE
Non, vos habits brillans (a) n'ont point été gatez.
Votre Redingote luisante ,
Faite d'une toile glissante , (b)
Des torrens pluvieux vous a très-bien gardez ;
Mais combien avez- vous ŝuspendu mon attente ♣
Combien mes plaisirs retardez ,
Ont-ils fait murmurer mon ame impatiente !
Trois fois dix jours , bon Dieu ! pour venir de Paris
AuPays des Bretons ! votre marche est trop lente:
Où si je l'ai bien compris ,
Il faut que vous ayez pris
La route des Pirenéés ;
Autrement sans m'étonner ,
Je ne puis m'imaginer ,
Qu'à si petites journées,
Guerrier veuille cheminer.
Cependant Charles douzième , (c)
S'offre à mes regards contens ,
Mars autant que Mars lui- même ,
Terrible , armé jusqu'aux dents ,
Comme sil alloit se battre.
Quel air d'intrépidité ?
Il est encor tout botté.
(a) Ces Livres étoient couverts de papier marbré.
(b) Ils étoient enveloppez dans une toile cirée.
(c) Allusion à l'Estampe qui est en tête de l'His- toire de Charles XII
1. Vol.
Ni
DECEMBRE. 1732. 260%
Ni Charles ni , Henry quatre,
N'étoient de minces Héros ,
Enervés dans le repos ,
Qui craignent la pleuresie .
Et n'épargnent leurs Chevaux ,
Que pour épargner leur vie.
Après avoir attendu pendant un grand
mois , j'ai reçû , Monsieur , le présent dont vous m'avez honorée. Vous avez
ajoûté à Charles XII. et à la Henriade
que vous me promettiez dans le Mercure de Septembre , Oedipe , Mariamne
et Brutus. Cette genereuse politesse m'a
surprise agréablement , je n'avois vû jusqu'à ce jour votre Brutus que par Extrait ; et qu'est-ce qu'un Extrait quand la Piece est toute belle ? cela ne sert
qu'à mettre le Lecteur en appétit , j'étois
comme celle à qui l'on fait sentir une
Orange, qu'on lui ôte aussi-tôt de dessous le nez , afin qu'il ne lui en demeure
que l'odeur. La paresse du Messager m'a
fort impatientée , et le feu Pere du Cerceau n'a jamais murmuré davantage contre le Messager du Mans. Vous ne sçau-
- riez croire combien vos Vers et votre présent m'ont rendue glorieuse.Vedendo dono
cosi gentile, non resto nel mio cuore dramma,
cba 1. Vol.
2608 MERCURE DE FRANCE
che non fosse od amista , è fiamma. Personne ne me vient voir que je n'en fasse
parade à ses yeux 3 enfin je ne me troquerois pas aujourd'hui pour une autre.
Que quelqu'un désormais me dise ,
Que mon Pegase va le trot ,
Que mon Phébus parle ostrogot ,
Et que mes Vers sont Marchandise ,
Avendre un sou marqué le lot ;
Je répondrai tout aussi-tôt ,
Esprit fait dans un méchant moule,
Demandez à Voltaire , à ce fameux Auteur ;
Il sçait comment ma veine coule ,
Et si mes Vers sont sans valeur ;
Marchand d'oignon se connoît en ciboule.
Comme je prise infiniment tout ce qui
sort de votre plume , et que je serois fachée de perdre de vos Ouvrages , jusqu'à
la moindre ligne ; je me suis chagrinée
quand j'ai vu qu'à la fin du volume de la
Henriade , il manquoit quelques feüillets à la vie du Tasse, de cet homme divin
avec qui vous partagez tout mon cœur.
Mais à cheval donné regarde- t- on la bride ♪
Ce mot m'est échappé , Voltaire , ami, par don ,
C'est le Proverbe qui me guide
1. Vol.
DECEMBRE. 1732. 2609
A faire la comparaison
Qui convient mal au riche don ,
Dont en divers climats mon nom se glorifie
Exprimons-nous donc autrement ;
Supposons que d'un Diamant
Un humain libéral un autre gratifie ,
Se persuadera- t- on qu'il fut si délicat ,
Qu'à cause d'un petit éclat ,
Dont le défaut laissât la pierre moins finie
D'accepter le présent il fit cérémonie !
Je ne me suis nullement étonnée, quand
j'ai vû par la Piéce que vous m'adressez
que toutce qu'il y a de beau étoit du ressort de votre esprit. Vous vous êtes , pour
ainfi dire , signalé en tous genres , Historien du premier ordre , Poëte excellent
Epique , Tragique , Comique , &c. est- il
quelqu'illustre de l'Antiquité , dont vous
dussiez envier la gloire ? que n'avez- vous
point essayé ? et en quoi n'avez - vous
point réussi ? j'avouerai pourtant qu'il est
une exception , mais une touchante exception à faire à la plénitude de votre
contentement : quoi à trente- sept ans vous
Vous trouvez hors d'âge de pouvoir aimer ? vous avez donc été bien amoureux
à vingt , et comme un dépensier vous
avez mangé le fond et le revenu de bon
1. Vol. no
2610 MERCURE DE FRANCE
3
ne heure. Que la condition de certains
hommes est bizarre ! à dix neuf et vingt
ans vous faisiez des Vers à merveille , à
trente- sept vous vous en acquittez encore mieux. Helas ! et trente sept ans en
amour ne représentent que l'ombre , et
le fantôme de votre premiere et douce
réalité !
Votre expérience confirme
La verité de ce qu'on lit ,
Qu'esprit est prompt , mais qne chair est ing firme ,
D'ailleurs Ciceron nous a dit ,
Ce docte Ciceron , Professeur en sagesse ,
Que les plaisirs vifs et pressans
Où se laisse avec fougue emporter la jeug nesse >
La livrent par avance aux désirs impuissans
De la foible et triste vieillesse.
Je me trompe , Monsieur , et je dois
penser tout autrement fur votre compte.
Si vous quittez l'Amour , c'est que vous
avez découvert tout le faux de ses charmes , et penetré tout le vuide de ses
plaisirs. Votre sort bien loin d'être à
plaindre est digne d'envie , et vous n'en
êtes encore que plus estimable. Vous
avez fait les mêmes refléxions qu'Arioste
I.Vol. dans
'DECEMBRE: 1732: 2611
7
dans la premiere Stance du chant 24 de
Roland furieux.
Chi mette il piè sù l'amorosa pania ;
Cerchi ritrarlo , è non v'inveschi l'ale ;
Che non è in somma Amor, se non insania }
Al gindicio dè savii , universale.
C'est trop parler morale , chut , je vois
que toutes les oreilles ne s'y prêtent pas
de la même maniere. Je reviens à Charles XII. et à la Henriade dont je ne sçaurois me lasser de vous remercier , je vous
assure que quoique venus les derniers ils
feront au rang principal dans ma petite
Bibliotheque , et qu'avec vos Tragédies Ce seront mes Livres favoris.
Mais comme je les ai reçus ,
D'un Tafetas changeant légerement vétus
J'ai craint que le froid et la brume
Venans avec l'Hiver , afreux porteur de rhume
Ne les eussent incommodez.
C'est pourquoi proprement on a pris leur me
sure ,
Puis on a mis sur eux des habits sans cou
ture ,
D'or magnifiquement bordez ,
A qui le taferas a servi de doublure.
J'accepte avec joye l'amitié que vous
I. Vol. me
2612 MERCURE DE FRANCE
me promettez à la fin de votre Lettre.
Nous nous en sommes donné des preuves
réciproques que je crois aussi since es de
votre part qu'elles le sont de la mienne.
Les amitiez que le hazard fait naître sont
souvent de plus longue durée que les autres. Il ne tiendra point à moi que la
nôtre ne finisse jamais. Je voudrois avoir
quelque chose qui fut digne de vous être
envoyé en revanche de votre présent ;
mais c'est là souhaitter l'impossible.
Quel ch'io vi debbo , posso di parole
Pagare in parte , è d'opera d'inchiostro
Ne che pocho vi dia da imputar sono ,
Che quanto io posso , dar , tutto vi dono.
·
Vous voudrez bien que les sentimens
de mon cœur suppléent au reste. Je suis
avec toute la reconnoissance , toute l'amitié et tout le respect possible , Monsieur , votre très humble, &c.
A M. Aronet de Voltaire , par MH de
Malcrais de la Vigne , du Croisic en
Bretagne , pour le remercier du présent
qu'il lui afait de son Histoire de Ĉharles
XII. de sa Henriade et du Recueil de
quelques-unes de ses Tragédies.
TEs deux Héros , Voltaire, enfin sont arrivez;
Bonjour, leur ai-je dit , couple de Rois celebres,
Conquerans dont les noms , de l'horreur des te
nebres ,
Ont été par Voltaire à jamais préservez.
Vous êtes- vous bien conservez ,
Pendant la longueur du voyage ?
Auriez-vous essuyé d'un insolent orage,
Les brusques incommoditez ?
1. Vel
2606 MERCURE DE FRANCE
Non, vos habits brillans (a) n'ont point été gatez.
Votre Redingote luisante ,
Faite d'une toile glissante , (b)
Des torrens pluvieux vous a très-bien gardez ;
Mais combien avez- vous ŝuspendu mon attente ♣
Combien mes plaisirs retardez ,
Ont-ils fait murmurer mon ame impatiente !
Trois fois dix jours , bon Dieu ! pour venir de Paris
AuPays des Bretons ! votre marche est trop lente:
Où si je l'ai bien compris ,
Il faut que vous ayez pris
La route des Pirenéés ;
Autrement sans m'étonner ,
Je ne puis m'imaginer ,
Qu'à si petites journées,
Guerrier veuille cheminer.
Cependant Charles douzième , (c)
S'offre à mes regards contens ,
Mars autant que Mars lui- même ,
Terrible , armé jusqu'aux dents ,
Comme sil alloit se battre.
Quel air d'intrépidité ?
Il est encor tout botté.
(a) Ces Livres étoient couverts de papier marbré.
(b) Ils étoient enveloppez dans une toile cirée.
(c) Allusion à l'Estampe qui est en tête de l'His- toire de Charles XII
1. Vol.
Ni
DECEMBRE. 1732. 260%
Ni Charles ni , Henry quatre,
N'étoient de minces Héros ,
Enervés dans le repos ,
Qui craignent la pleuresie .
Et n'épargnent leurs Chevaux ,
Que pour épargner leur vie.
Après avoir attendu pendant un grand
mois , j'ai reçû , Monsieur , le présent dont vous m'avez honorée. Vous avez
ajoûté à Charles XII. et à la Henriade
que vous me promettiez dans le Mercure de Septembre , Oedipe , Mariamne
et Brutus. Cette genereuse politesse m'a
surprise agréablement , je n'avois vû jusqu'à ce jour votre Brutus que par Extrait ; et qu'est-ce qu'un Extrait quand la Piece est toute belle ? cela ne sert
qu'à mettre le Lecteur en appétit , j'étois
comme celle à qui l'on fait sentir une
Orange, qu'on lui ôte aussi-tôt de dessous le nez , afin qu'il ne lui en demeure
que l'odeur. La paresse du Messager m'a
fort impatientée , et le feu Pere du Cerceau n'a jamais murmuré davantage contre le Messager du Mans. Vous ne sçau-
- riez croire combien vos Vers et votre présent m'ont rendue glorieuse.Vedendo dono
cosi gentile, non resto nel mio cuore dramma,
cba 1. Vol.
2608 MERCURE DE FRANCE
che non fosse od amista , è fiamma. Personne ne me vient voir que je n'en fasse
parade à ses yeux 3 enfin je ne me troquerois pas aujourd'hui pour une autre.
Que quelqu'un désormais me dise ,
Que mon Pegase va le trot ,
Que mon Phébus parle ostrogot ,
Et que mes Vers sont Marchandise ,
Avendre un sou marqué le lot ;
Je répondrai tout aussi-tôt ,
Esprit fait dans un méchant moule,
Demandez à Voltaire , à ce fameux Auteur ;
Il sçait comment ma veine coule ,
Et si mes Vers sont sans valeur ;
Marchand d'oignon se connoît en ciboule.
Comme je prise infiniment tout ce qui
sort de votre plume , et que je serois fachée de perdre de vos Ouvrages , jusqu'à
la moindre ligne ; je me suis chagrinée
quand j'ai vu qu'à la fin du volume de la
Henriade , il manquoit quelques feüillets à la vie du Tasse, de cet homme divin
avec qui vous partagez tout mon cœur.
Mais à cheval donné regarde- t- on la bride ♪
Ce mot m'est échappé , Voltaire , ami, par don ,
C'est le Proverbe qui me guide
1. Vol.
DECEMBRE. 1732. 2609
A faire la comparaison
Qui convient mal au riche don ,
Dont en divers climats mon nom se glorifie
Exprimons-nous donc autrement ;
Supposons que d'un Diamant
Un humain libéral un autre gratifie ,
Se persuadera- t- on qu'il fut si délicat ,
Qu'à cause d'un petit éclat ,
Dont le défaut laissât la pierre moins finie
D'accepter le présent il fit cérémonie !
Je ne me suis nullement étonnée, quand
j'ai vû par la Piéce que vous m'adressez
que toutce qu'il y a de beau étoit du ressort de votre esprit. Vous vous êtes , pour
ainfi dire , signalé en tous genres , Historien du premier ordre , Poëte excellent
Epique , Tragique , Comique , &c. est- il
quelqu'illustre de l'Antiquité , dont vous
dussiez envier la gloire ? que n'avez- vous
point essayé ? et en quoi n'avez - vous
point réussi ? j'avouerai pourtant qu'il est
une exception , mais une touchante exception à faire à la plénitude de votre
contentement : quoi à trente- sept ans vous
Vous trouvez hors d'âge de pouvoir aimer ? vous avez donc été bien amoureux
à vingt , et comme un dépensier vous
avez mangé le fond et le revenu de bon
1. Vol. no
2610 MERCURE DE FRANCE
3
ne heure. Que la condition de certains
hommes est bizarre ! à dix neuf et vingt
ans vous faisiez des Vers à merveille , à
trente- sept vous vous en acquittez encore mieux. Helas ! et trente sept ans en
amour ne représentent que l'ombre , et
le fantôme de votre premiere et douce
réalité !
Votre expérience confirme
La verité de ce qu'on lit ,
Qu'esprit est prompt , mais qne chair est ing firme ,
D'ailleurs Ciceron nous a dit ,
Ce docte Ciceron , Professeur en sagesse ,
Que les plaisirs vifs et pressans
Où se laisse avec fougue emporter la jeug nesse >
La livrent par avance aux désirs impuissans
De la foible et triste vieillesse.
Je me trompe , Monsieur , et je dois
penser tout autrement fur votre compte.
Si vous quittez l'Amour , c'est que vous
avez découvert tout le faux de ses charmes , et penetré tout le vuide de ses
plaisirs. Votre sort bien loin d'être à
plaindre est digne d'envie , et vous n'en
êtes encore que plus estimable. Vous
avez fait les mêmes refléxions qu'Arioste
I.Vol. dans
'DECEMBRE: 1732: 2611
7
dans la premiere Stance du chant 24 de
Roland furieux.
Chi mette il piè sù l'amorosa pania ;
Cerchi ritrarlo , è non v'inveschi l'ale ;
Che non è in somma Amor, se non insania }
Al gindicio dè savii , universale.
C'est trop parler morale , chut , je vois
que toutes les oreilles ne s'y prêtent pas
de la même maniere. Je reviens à Charles XII. et à la Henriade dont je ne sçaurois me lasser de vous remercier , je vous
assure que quoique venus les derniers ils
feront au rang principal dans ma petite
Bibliotheque , et qu'avec vos Tragédies Ce seront mes Livres favoris.
Mais comme je les ai reçus ,
D'un Tafetas changeant légerement vétus
J'ai craint que le froid et la brume
Venans avec l'Hiver , afreux porteur de rhume
Ne les eussent incommodez.
C'est pourquoi proprement on a pris leur me
sure ,
Puis on a mis sur eux des habits sans cou
ture ,
D'or magnifiquement bordez ,
A qui le taferas a servi de doublure.
J'accepte avec joye l'amitié que vous
I. Vol. me
2612 MERCURE DE FRANCE
me promettez à la fin de votre Lettre.
Nous nous en sommes donné des preuves
réciproques que je crois aussi since es de
votre part qu'elles le sont de la mienne.
Les amitiez que le hazard fait naître sont
souvent de plus longue durée que les autres. Il ne tiendra point à moi que la
nôtre ne finisse jamais. Je voudrois avoir
quelque chose qui fut digne de vous être
envoyé en revanche de votre présent ;
mais c'est là souhaitter l'impossible.
Quel ch'io vi debbo , posso di parole
Pagare in parte , è d'opera d'inchiostro
Ne che pocho vi dia da imputar sono ,
Che quanto io posso , dar , tutto vi dono.
·
Vous voudrez bien que les sentimens
de mon cœur suppléent au reste. Je suis
avec toute la reconnoissance , toute l'amitié et tout le respect possible , Monsieur , votre très humble, &c.
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Résumé : EPITRE A M. Aroüet de Voltaire, par Mlle de Malcrais de la Vigne, du Croisic en Bretagne, pour le remercier du présent qu'il lui a fait de son Histoire de Charles XII. de sa Henriade et du Recueil de quelques-unes de ses Tragédies.
L'épître est une lettre de remerciement écrite par MH de Malcrais de la Vigne à Voltaire. Elle exprime sa gratitude pour la réception de plusieurs ouvrages, notamment l'Histoire de Charles XII, la Henriade, et des tragédies telles que Œdipe, Mariamne et Brutus. L'auteur mentionne son impatience due au retard de la livraison des livres, qui ont été protégés par une toile cirée pendant leur voyage. L'auteur admire particulièrement les personnages de Charles XII et Henri IV, qu'elle décrit comme des héros intrépides. Elle loue la générosité de Voltaire et la qualité exceptionnelle de ses œuvres, qu'elle considère comme des chefs-d'œuvre en histoire et en poésie. Elle note une petite lacune dans le volume de la Henriade, mais cela n'altère en rien son admiration pour Voltaire. MH de Malcrais de la Vigne conclut en acceptant l'amitié de Voltaire et en exprimant son désir de lui offrir quelque chose en retour, bien qu'elle reconnaisse que cela soit impossible. Elle exprime sa gratitude et son admiration pour Voltaire, soulignant la valeur de ses contributions littéraires.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
6
p. 1990-2002
REFLEXIONS.
Début :
Les hommes ne sçavent ni donner ni perdre à propos. [...]
Mots clefs :
Hommes, Mal, Mérite, Beauté, Politesse, Bienfaits, Esprit, Homme, Femmes, Justice, Grandeur, Paraître, Vertu, Réflexions, Défauts, Monde
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS.
Lperdre à
propos .
Es hommes ne sçavent ni donner ni
Pecuniam in loco negligere , maximum interdum
lucrum est. Terence . Adelph.
L'esprit de l'homme se connoît à ses
paroles et sa naissance ou son éducation
à ses actions.
C'est le destin de l'homme de ne jamais
SEPTEMBRE . 1733. 1991
mais connoîce Son vrai bien , et de chercher
courant à être plus mal , pour vou
mieux.
Il est plus aisé d'abuser les hommes
par une narration où il entre du merveilleux
, que de les instruire par un
récit simple et naïf.
Nous sommes presque tous de telle
condition , que nous sommes fâchez d'être
ce que nous sommes.
On ne doit jamais parler de soi ni en
bien , parce qu'on ne nous croit point ,
ni en mal , parce qu'on en croit plus
qu'on n'en dit.
Les hommes prétendent que les femmes
leur sont fort inferieures en mérite , cependant
ils ne veulent leur passer aucun
défaut , et ils éclatent en mauvaise
humeur quand elles en remarquent quelqu'un
marqué en eux . Ils devroient opter
, s'appliquer à avoir moins de défauts
qu'elles , ou avoir moins de sévérité pour
les leurs.
Un homme toujours satisfait de luimême
, l'est peu souvent des autres ; rarement
on l'est de lui.
On
1992 MERCURE DE FRANCE
On trouve bien des hommes qui s'avoient
avares , vindicatifs , yvrognes ,
orgueilleux , poltrons même ; mais l'en
vie et l'ingratitude sont des passions si
lâches et si odieuses, que jamais personne
n'en demeura d'accord. Il n'y a point
de vertus compatibles avec les vices , et
point de crimes ausquels elles ne puissent
conduire.
La plupart des hommes ont bien plus
d'affectation et d'adresse pour excuser
leurs fautes , que d'attention pour n'en
point commettre.
Quand on paroît aimable aux yeux
des hommes , on paroît à leur esprit
tout ce qu'on veut .
Il n'est pas plus dangereux de faire du
mal à la plupart des hommes , que de
leur faire trop de bien .
Les hommes ont plus d'interêt à cor
riger les défauts de l'esprit , que ceux du
corps ; ils agissent cependant comme s'ile
étoi.nt persuadez du contraire.
Les hommes ont une application continuelle
à cacher et à déguiser leurs vices
СБ
SEPTEMBRE. 1733. 1993
et leurs défauts ; ils auroient peut- être
moins de peine à s'en corriger.
La vertu est souvent voilée par la modestie
, et le vice par l'hypocrisie ; ainsi
il est bien difficile de pouvoir penetrer
l'interieur des hommes.
Il est aussi avantageux aux hommes
de publier les bienfaits qu'ils reçoivent,
u'il leur est desavantageux de se plaindre
de leurs disgraces.
qu'il
Les hommes sont aveugles dans leurs
desirs , leurs pensées sont trompeuses ,
leurs discours et leurs esperances folles ,
et leurs apétits dereglez. Omnes decipimur
specie recti , dit Horace . Car à plusieurs
une blessure a procuré la santé ,
et l'on s'est trouvé quelquefois au comble
de la gloire , quand on ne devoit attendre
que l'infamie ou la mort.
Les hommes ne sont pas obligez d'être
bien faits , d'êtres riches ; ils sont obligez
d'avoir de la probité et de l'honneur,
Les hommes trouvent presque toujours
la peine , quand ils la fuyent avec
trop d'empressement.
Etre
1994 MERCURE DE FRANCE
Etre utile au Public , est un call tere
brillant ; ne nuire à personne , est un
état de vertu obscur , mais for rava Il
faudroit que les hommes avant que d'êtres
utiles au Public , cessassent de nuire
à qui que ce soit.
On doit plaindre presque également
un homme riche qui n'a qu'une bonne table
, et un pauvre qui n'a que de l'apétit.
C'est une grande foiblesse à un Prince
de n'oser refuser justement ce qu'on ose
bien lui demander sans avoir égard à
la justice.
Les Grands , pour l'ordinaire , se contentent
de sentir qu'on leur est agréàble
, sans approfondir si on mérite de
l'être. Leur plus importante occupation
cependant devroit être de connoître les
hommes , puisqu'ils veulent passer pour
les images de la divinité ; mais ils craignent
en cela de se détromper , de peur
de trouver souvent leurs Favoris indignes
de leurs bontez , et les autres hommes
qu'ils ne regardent pas , dignes de
plus de distinction .
Les Souverains se picquent d'ordinaire
de
SEPTEMBRE. 1733. 1995
7
de constance ; ils condamneroient plutôt
leurs propres Enfans que de blâmer
un Sujet choisi de leur main . Ils ne crais
tant de paroître malheureux
dat leur famille
Pears
jugemens.
, que mal- habiles dans
Ifatti de Principi , hanno ogn'altra facsia
che la vera.
Il est bien rare que les Grands n'abusent
pas de leur grandeur.
Il y a cette difference entre le Peuple
et les Grands ; que celui - là perd fa- .
cilement le souvenir des bienfaits et des
injures , au lieu que celui- cy oublie facilement
les plaisirs reçûs , et se souvient
toujours des injures.
Plusieurs méprisent la grandeur , afin
de s'élever dans leur imagination audessus
des Grands et de se bâtir ainsi une
grandeur imaginaire. De même qu'en
méprisant les richesses, c'est souvent pour
se faire un petit trésor de vanité , qui
tienne lieu de ce qu'on n'a pas.
Les Princes doivent être extrémement
attentifs à moderer tellement , même
leurs
1996 MERCURE DE FRANCE
à
leurs vertus , que l'une ne nuise pas
l'autre par son excès . Prendre garde sur
tout que leur justice et leur bonté ne
s'entre- détruise ; car à vouloir êne trop
juste , on devient odieux ; à vouloir être
trop bon , on devient méprisable.
L'estime des Grands est quelquefois
facile à acquerir , mais elle est toujours
difficile à conserver.
Selon le sentiment d'Epicure , il doit
être plus agréable de donner que de recevoir.
L'ingratitude même ne doit pas nous
empêcher de faire du bien , car il vaut
encore mieux que les bienfaits se perdent
dans les mains des ingrats , que
dans les nôtres.
Rien ne s'achette plus cherement que
ce qu'on achette par les prieres.
L'avidité de recevoir un nouveau bien--
fait , fait oublier celui qu'on a déja reçû .
Cupiditas accipiendorum oblivionem facit
acceptorum. Seneq .
Nous traçons sur la poussiere les bienfaits
SEPTEMBRE . 1733. 1997
faits que nous recevons , et nous gravons
sur le marbre le mal qu'on nous
fait , dit un Ancien.
Un bienfait desaprouvé n'est gra
ce que pour un seul , et c'est une injure
pour plusieurs.
Le bienfait n'est tel que par le bon
usage qu'en fait celui qui le reçoit .
De toutes les choses du monde , celle
qui vieillit le plus aisément et le plu
tôt , c'est le bienfair.
- Plusieurs sçavent perdre leurs biens ;
mais peu les sçavent donner .
Faire du bien aux méchants
souvent faire du mal aux bons.
c'est
Presque toujours lorsque les bienfaits
vont trop loin , la haine prend la place
de la reconnoissance.
Il y a des plaisirs dont on se paye par
ses mains ; celui d'en faire aux autres
est de cette nature.
I Beneficii ordinariamente si vedono
E contra
1998 MERCURE DE FRANCE
sontra cambiati , con ingratitudine infinita ;
più per l'impertinenza che il Benef
usa nell'esigere la gratitudine del of
altrui , che per la discortesia di d
il beneficio.
Gli Beneficii si ricevano sempre volentieri
, ma non sempre volentieri si vede il
Benefattore.
Nous sommes toujours extrémement
agréables à ceux à qui nous donnons
occasion de l'être.
Une femme ne trouve rien de si diffi
cile à faire que de s'accoûtumer à n'être
plus belle , quand elle l'a été pare
faitement,
Il n'y a pas de femme , si laide soitelle
, qui ne se trouve quelque trait de
beauté.
Sibi quaque videtur amanda,
Pessima sit , nulli non sua forma placet.
Ovid. de Art. Am. L. 23
La beauté dans le Sexe expose à tant
de périls , qu'il est bien difficile qu'on
ne succombe pas à quelques- uns .
Les
SEPTEMBRE. 1733. 1999
gou-
Les femmes ont souvent raison de vouloir
, à quelque prix que ce soit , paroître
belies, puisque c'est tout ce que les hommes
leur ont laissé ; car , point de
vernement pour elles , point d'autorité
absoluë , point de conduite d'ames , point
de pouvoir dans l'Eglise , point de possession
de Charges , point d'entrée dans
le Secret des affaires d'Etat.Il semble même
qu'on leur veuille ôter jusqu'à l'esprit
, en traitant de précieuses celles qui
en font paroître. Laissons -leur donc la
beauté , et quand elles n'en ont point ,
laissons - leur du moins le plaisir de croire
qu'elles en ont.
La laideur fait quelquefois présumer la
vertu où elle n'est pas ; et la beauté a
cela de funeste , qu'on croit les belles
personnes capables de toutes les foiblesses
qu'elles causent .
La beauté sans la grace, est un apas sans
hameçon.
En désirant trop ardemment de plaire,
on ne se rend pas plus aimable.
La réputation qui vient de la beauté
est quelque chose de si délicat parmi les
E ij
Fem-
885481
2000 MERCURE DE FRANCE
Femmes, qu'encore qu'elles ayent la plus
grande indifférence du monde pour quel
qu'un , jamais pourtant cette indirerence
n'ira jusqu'à vouloir que ce quelqu'un
porte ailleurs ses hommages et ses soupirs.
Tant de fierté qu'on voudra , une
belle personne regarde toujours la fuite
d'un amant sans mérite si on veut , et
qu'elle n'estime pas , comme autant de
diminué sur son empire.
Il
y
des beautez si engageantes , que
si on ne fuit , sans hésiter, on ne fuit pas
loin. On ne peut aller tout au plus que
de la longueur de ses chaînes.
Le véritable Efprit de Politesse consiste
dans une certaine attention à faire ensorte
que par nos paroles et par nos manieres
, les autres soient contens de nous
et d'eux -mêmes.
L'incivilité n'est pas un vice de l'ame ;
elle est l'effet de plusieurs vices ; de la
sotte vanité , de l'ignorance de ses devoirs
, de la paresse , de la stupidité , de
la distraction , du mépris des autres de
la jalousie , & c.
Rien n'est plus contraire à la véritable
poSEPTEMDA
E. *733• 2001
politesse et à la bienséance , que
de l'observer
avec trop d'affectation ; c'est s'incommoder
, c'est s'embarrasser , pour incommoder
, pour embarrasser les autres.
Il eft presqu'autant contre la bienséance
de se cachet en faisant le bien , que de
chercher à se faire voir en faisant le mal.
Tel croit mériter le nom de Poli , qui
ne mérite que celui de Dameret ou de
Pindariseur. La vraie Politesse est souvent
confondue avec des qualitez qui
méritent plus de blâme que de loüange.
On doit obeir sans cesse à la Loy des
usages et des bienséances ; il n'y a que
les Loix de la necessité qui nous dispensent
de toutes les autres.
On voit beaucoup de gens qui sçavent
comme on vit , mais fort peu qui sçachent
vivre ; c'est qu'on est trop curieux
de sçavoir ce que le monde fait , et qu'on
ne l'est pas assez de ce qu'il devroit
Faire.
La Politesse ne donne pas le mérite ,
mais elle le rend agréable , sans elle ildevient
presque insupportable , car il est
farauche et sans agrément. E iij
2002 MERCURE DE FRANCE
"
On perd presque tout le mérite du
bien,si on le fait sans Politesse ; unc mauvaise
maniere gâte tout , elle, défigure
même la justice et la raison .
Le chef- d'oeuvre de la Politesse est de
n'insulter jamais à ceux qui en manquent,
et de se contenter de les instruire par
l'exemple , sans rien faire davantage .
Lperdre à
propos .
Es hommes ne sçavent ni donner ni
Pecuniam in loco negligere , maximum interdum
lucrum est. Terence . Adelph.
L'esprit de l'homme se connoît à ses
paroles et sa naissance ou son éducation
à ses actions.
C'est le destin de l'homme de ne jamais
SEPTEMBRE . 1733. 1991
mais connoîce Son vrai bien , et de chercher
courant à être plus mal , pour vou
mieux.
Il est plus aisé d'abuser les hommes
par une narration où il entre du merveilleux
, que de les instruire par un
récit simple et naïf.
Nous sommes presque tous de telle
condition , que nous sommes fâchez d'être
ce que nous sommes.
On ne doit jamais parler de soi ni en
bien , parce qu'on ne nous croit point ,
ni en mal , parce qu'on en croit plus
qu'on n'en dit.
Les hommes prétendent que les femmes
leur sont fort inferieures en mérite , cependant
ils ne veulent leur passer aucun
défaut , et ils éclatent en mauvaise
humeur quand elles en remarquent quelqu'un
marqué en eux . Ils devroient opter
, s'appliquer à avoir moins de défauts
qu'elles , ou avoir moins de sévérité pour
les leurs.
Un homme toujours satisfait de luimême
, l'est peu souvent des autres ; rarement
on l'est de lui.
On
1992 MERCURE DE FRANCE
On trouve bien des hommes qui s'avoient
avares , vindicatifs , yvrognes ,
orgueilleux , poltrons même ; mais l'en
vie et l'ingratitude sont des passions si
lâches et si odieuses, que jamais personne
n'en demeura d'accord. Il n'y a point
de vertus compatibles avec les vices , et
point de crimes ausquels elles ne puissent
conduire.
La plupart des hommes ont bien plus
d'affectation et d'adresse pour excuser
leurs fautes , que d'attention pour n'en
point commettre.
Quand on paroît aimable aux yeux
des hommes , on paroît à leur esprit
tout ce qu'on veut .
Il n'est pas plus dangereux de faire du
mal à la plupart des hommes , que de
leur faire trop de bien .
Les hommes ont plus d'interêt à cor
riger les défauts de l'esprit , que ceux du
corps ; ils agissent cependant comme s'ile
étoi.nt persuadez du contraire.
Les hommes ont une application continuelle
à cacher et à déguiser leurs vices
СБ
SEPTEMBRE. 1733. 1993
et leurs défauts ; ils auroient peut- être
moins de peine à s'en corriger.
La vertu est souvent voilée par la modestie
, et le vice par l'hypocrisie ; ainsi
il est bien difficile de pouvoir penetrer
l'interieur des hommes.
Il est aussi avantageux aux hommes
de publier les bienfaits qu'ils reçoivent,
u'il leur est desavantageux de se plaindre
de leurs disgraces.
qu'il
Les hommes sont aveugles dans leurs
desirs , leurs pensées sont trompeuses ,
leurs discours et leurs esperances folles ,
et leurs apétits dereglez. Omnes decipimur
specie recti , dit Horace . Car à plusieurs
une blessure a procuré la santé ,
et l'on s'est trouvé quelquefois au comble
de la gloire , quand on ne devoit attendre
que l'infamie ou la mort.
Les hommes ne sont pas obligez d'être
bien faits , d'êtres riches ; ils sont obligez
d'avoir de la probité et de l'honneur,
Les hommes trouvent presque toujours
la peine , quand ils la fuyent avec
trop d'empressement.
Etre
1994 MERCURE DE FRANCE
Etre utile au Public , est un call tere
brillant ; ne nuire à personne , est un
état de vertu obscur , mais for rava Il
faudroit que les hommes avant que d'êtres
utiles au Public , cessassent de nuire
à qui que ce soit.
On doit plaindre presque également
un homme riche qui n'a qu'une bonne table
, et un pauvre qui n'a que de l'apétit.
C'est une grande foiblesse à un Prince
de n'oser refuser justement ce qu'on ose
bien lui demander sans avoir égard à
la justice.
Les Grands , pour l'ordinaire , se contentent
de sentir qu'on leur est agréàble
, sans approfondir si on mérite de
l'être. Leur plus importante occupation
cependant devroit être de connoître les
hommes , puisqu'ils veulent passer pour
les images de la divinité ; mais ils craignent
en cela de se détromper , de peur
de trouver souvent leurs Favoris indignes
de leurs bontez , et les autres hommes
qu'ils ne regardent pas , dignes de
plus de distinction .
Les Souverains se picquent d'ordinaire
de
SEPTEMBRE. 1733. 1995
7
de constance ; ils condamneroient plutôt
leurs propres Enfans que de blâmer
un Sujet choisi de leur main . Ils ne crais
tant de paroître malheureux
dat leur famille
Pears
jugemens.
, que mal- habiles dans
Ifatti de Principi , hanno ogn'altra facsia
che la vera.
Il est bien rare que les Grands n'abusent
pas de leur grandeur.
Il y a cette difference entre le Peuple
et les Grands ; que celui - là perd fa- .
cilement le souvenir des bienfaits et des
injures , au lieu que celui- cy oublie facilement
les plaisirs reçûs , et se souvient
toujours des injures.
Plusieurs méprisent la grandeur , afin
de s'élever dans leur imagination audessus
des Grands et de se bâtir ainsi une
grandeur imaginaire. De même qu'en
méprisant les richesses, c'est souvent pour
se faire un petit trésor de vanité , qui
tienne lieu de ce qu'on n'a pas.
Les Princes doivent être extrémement
attentifs à moderer tellement , même
leurs
1996 MERCURE DE FRANCE
à
leurs vertus , que l'une ne nuise pas
l'autre par son excès . Prendre garde sur
tout que leur justice et leur bonté ne
s'entre- détruise ; car à vouloir êne trop
juste , on devient odieux ; à vouloir être
trop bon , on devient méprisable.
L'estime des Grands est quelquefois
facile à acquerir , mais elle est toujours
difficile à conserver.
Selon le sentiment d'Epicure , il doit
être plus agréable de donner que de recevoir.
L'ingratitude même ne doit pas nous
empêcher de faire du bien , car il vaut
encore mieux que les bienfaits se perdent
dans les mains des ingrats , que
dans les nôtres.
Rien ne s'achette plus cherement que
ce qu'on achette par les prieres.
L'avidité de recevoir un nouveau bien--
fait , fait oublier celui qu'on a déja reçû .
Cupiditas accipiendorum oblivionem facit
acceptorum. Seneq .
Nous traçons sur la poussiere les bienfaits
SEPTEMBRE . 1733. 1997
faits que nous recevons , et nous gravons
sur le marbre le mal qu'on nous
fait , dit un Ancien.
Un bienfait desaprouvé n'est gra
ce que pour un seul , et c'est une injure
pour plusieurs.
Le bienfait n'est tel que par le bon
usage qu'en fait celui qui le reçoit .
De toutes les choses du monde , celle
qui vieillit le plus aisément et le plu
tôt , c'est le bienfair.
- Plusieurs sçavent perdre leurs biens ;
mais peu les sçavent donner .
Faire du bien aux méchants
souvent faire du mal aux bons.
c'est
Presque toujours lorsque les bienfaits
vont trop loin , la haine prend la place
de la reconnoissance.
Il y a des plaisirs dont on se paye par
ses mains ; celui d'en faire aux autres
est de cette nature.
I Beneficii ordinariamente si vedono
E contra
1998 MERCURE DE FRANCE
sontra cambiati , con ingratitudine infinita ;
più per l'impertinenza che il Benef
usa nell'esigere la gratitudine del of
altrui , che per la discortesia di d
il beneficio.
Gli Beneficii si ricevano sempre volentieri
, ma non sempre volentieri si vede il
Benefattore.
Nous sommes toujours extrémement
agréables à ceux à qui nous donnons
occasion de l'être.
Une femme ne trouve rien de si diffi
cile à faire que de s'accoûtumer à n'être
plus belle , quand elle l'a été pare
faitement,
Il n'y a pas de femme , si laide soitelle
, qui ne se trouve quelque trait de
beauté.
Sibi quaque videtur amanda,
Pessima sit , nulli non sua forma placet.
Ovid. de Art. Am. L. 23
La beauté dans le Sexe expose à tant
de périls , qu'il est bien difficile qu'on
ne succombe pas à quelques- uns .
Les
SEPTEMBRE. 1733. 1999
gou-
Les femmes ont souvent raison de vouloir
, à quelque prix que ce soit , paroître
belies, puisque c'est tout ce que les hommes
leur ont laissé ; car , point de
vernement pour elles , point d'autorité
absoluë , point de conduite d'ames , point
de pouvoir dans l'Eglise , point de possession
de Charges , point d'entrée dans
le Secret des affaires d'Etat.Il semble même
qu'on leur veuille ôter jusqu'à l'esprit
, en traitant de précieuses celles qui
en font paroître. Laissons -leur donc la
beauté , et quand elles n'en ont point ,
laissons - leur du moins le plaisir de croire
qu'elles en ont.
La laideur fait quelquefois présumer la
vertu où elle n'est pas ; et la beauté a
cela de funeste , qu'on croit les belles
personnes capables de toutes les foiblesses
qu'elles causent .
La beauté sans la grace, est un apas sans
hameçon.
En désirant trop ardemment de plaire,
on ne se rend pas plus aimable.
La réputation qui vient de la beauté
est quelque chose de si délicat parmi les
E ij
Fem-
885481
2000 MERCURE DE FRANCE
Femmes, qu'encore qu'elles ayent la plus
grande indifférence du monde pour quel
qu'un , jamais pourtant cette indirerence
n'ira jusqu'à vouloir que ce quelqu'un
porte ailleurs ses hommages et ses soupirs.
Tant de fierté qu'on voudra , une
belle personne regarde toujours la fuite
d'un amant sans mérite si on veut , et
qu'elle n'estime pas , comme autant de
diminué sur son empire.
Il
y
des beautez si engageantes , que
si on ne fuit , sans hésiter, on ne fuit pas
loin. On ne peut aller tout au plus que
de la longueur de ses chaînes.
Le véritable Efprit de Politesse consiste
dans une certaine attention à faire ensorte
que par nos paroles et par nos manieres
, les autres soient contens de nous
et d'eux -mêmes.
L'incivilité n'est pas un vice de l'ame ;
elle est l'effet de plusieurs vices ; de la
sotte vanité , de l'ignorance de ses devoirs
, de la paresse , de la stupidité , de
la distraction , du mépris des autres de
la jalousie , & c.
Rien n'est plus contraire à la véritable
poSEPTEMDA
E. *733• 2001
politesse et à la bienséance , que
de l'observer
avec trop d'affectation ; c'est s'incommoder
, c'est s'embarrasser , pour incommoder
, pour embarrasser les autres.
Il eft presqu'autant contre la bienséance
de se cachet en faisant le bien , que de
chercher à se faire voir en faisant le mal.
Tel croit mériter le nom de Poli , qui
ne mérite que celui de Dameret ou de
Pindariseur. La vraie Politesse est souvent
confondue avec des qualitez qui
méritent plus de blâme que de loüange.
On doit obeir sans cesse à la Loy des
usages et des bienséances ; il n'y a que
les Loix de la necessité qui nous dispensent
de toutes les autres.
On voit beaucoup de gens qui sçavent
comme on vit , mais fort peu qui sçachent
vivre ; c'est qu'on est trop curieux
de sçavoir ce que le monde fait , et qu'on
ne l'est pas assez de ce qu'il devroit
Faire.
La Politesse ne donne pas le mérite ,
mais elle le rend agréable , sans elle ildevient
presque insupportable , car il est
farauche et sans agrément. E iij
2002 MERCURE DE FRANCE
"
On perd presque tout le mérite du
bien,si on le fait sans Politesse ; unc mauvaise
maniere gâte tout , elle, défigure
même la justice et la raison .
Le chef- d'oeuvre de la Politesse est de
n'insulter jamais à ceux qui en manquent,
et de se contenter de les instruire par
l'exemple , sans rien faire davantage .
Fermer
Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore diverses réflexions sur la nature humaine et les comportements sociaux. Il met en lumière la difficulté des hommes à reconnaître et à rechercher leur véritable bien, souvent préférant le malheur. Les récits merveilleux trompent plus facilement les hommes que les récits simples. La plupart des gens sont insatisfaits de leur condition et évitent de parler de leurs défauts. Les hommes critiquent les femmes pour leurs défauts tout en étant intolérants aux remarques sur les leurs. Les vices comme l'avarice et l'ingratitude sont rarement admis par ceux qui les possèdent. Les hommes cachent et déguisent leurs défauts plutôt que de les corriger. La vertu est souvent voilée par la modestie, tandis que le vice l'est par l'hypocrisie. Il est avantageux de publier les bienfaits reçus et désavantageux de se plaindre des malheurs. Les hommes sont aveugles dans leurs désirs et leurs pensées sont trompeuses. Les grands et les souverains ont souvent des comportements contradictoires, abusant de leur pouvoir et étant intolérants aux critiques. Les bienfaits sont souvent oubliés rapidement, tandis que les injures sont gravées dans la mémoire. La beauté chez les femmes expose à des périls et est souvent la seule chose qu'elles peuvent utiliser pour se distinguer. La véritable politesse consiste à rendre les autres contents d'eux-mêmes et de soi, sans affectation. L'incivilité est l'effet de plusieurs vices, et la politesse rend le mérite agréable.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
7
p. 1291-1306
DISCOURS CRITIQUE, sur l'état des Sciences dans l'étenduë de la Monarchie Françoise, sous Charlemagne.
Début :
Les Sciences ont leurs révolutions aussi bien que les Empires, il est un [...]
Mots clefs :
Charlemagne, Sciences, Discours critique, Génie, Goût, Maîtres, Savants, Langue, Arts, Hommes, Peuples, Esprit, Jeunesse, Nature, Lumières, Conciles, Sang, Esprits, Politesse
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DISCOURS CRITIQUE, sur l'état des Sciences dans l'étenduë de la Monarchie Françoise, sous Charlemagne.
DISCOURS CRITIQUE ,
sur l'état des Sciences dans l'étendue de
la Monarchie Françoise , sous Charlemagne.
L
"
Es Sciences ont leurs révolutions
aussi bien que les Empires , il est un
tems où elles sont florissantes ce tems
passé , elles ne font plus que languir ;
quelquefois elles se relevent et se soutiennent
avec assez d'honneur ; et quelquefois
aussi elles tombent pour ne se
relever jamais . Elles ont comme le Soleil
leurs solstices et leurs périodes ; elles
aiment à passer de climats en climats
et souvent après avoir éclairé quelques
IL. Vol.
B.vj
Con
و
1292 MERCURE DE FRANCE
contrées , elles se plongent , pour ainst
dire , dans l'abîme , et vont porter leurs
lumieres à des peuples nouveaux. Ainsi
après avoir autrefois parcouru les plus
belles régions de l'Orient où elles prirent
naissance , les vit- on passer dans la Grece
d'où elles se répandirent dans quelques
Provinces de l'Empire Romain ; et par
tout elles éprouverent des changemens
considérables er des alternatives , qui les
firent souvent paroître sous des faces differentes.
Quelle est la cause de ces révolutions a
est- ce l'influence des Astres ? la température
de l'air ou la qualité des esprits ,
dont nos corps sont animés et qui changent
avec les genérations et les aspects
du Soleil ? tout cela peut y contribuer :
mais tout cela n'explique pas d'une maniere
assez sensible la cause de ces fre
quentes vicissitudes ; il en est une plus
simple , et qui servira de baze à tout
ce que je dirai dans ce Discours . La
Science est attachée au gout des peuples
qui la cultivent , c'est le gout qui lui
donne sa qualité , son prix , son excellence
; or le gout se conforme toujours
au génie , le génie se regle ordinairement
sur les maximes , et les maximes changent
avec les circonstances des tems et
11. Vel. des
JUIN. 1734. 1293
des lieux. D'ailleurs , et c'est ici le point
capital , ce gout exquis , ce génie vaste
et sublime , si nécessaires à la perfection
des Sciences , sont des dons que le Ciel ne
répand pas toujours sur la terre , et qu'il
ne communique qu'à un petit nombre
d'hommes privilegiez .
En faut il davantage pour prouver
que la Science doit se ressentir de l'instabilité
propre à toutes les choses humaines
? C'est sur ce plan , que je vais exposer
aujourd'hui l'état où se trouvoient
les Sciences dans l'étendue de la Monarchie
Françoise au tems de Charlemagne .
Le gout pour lors étoit si corrompu , que
jamais on ne put le rectifier , le génie
tenoit beaucoup du barbare , et les maxime
n'avoient rien de noble ni de délicat.
Quel étoit donc l'état où se trouvoient
les Sciences ? Il ne pouvoit guere être
plus pitoyable. Je n'en veux point d'autres
preuves que ce qui nous reste de monumens
de ces tems qu'on peut dire
malheureux . Si ce que je dirai ne fait pas
beaucoup d'honneur au siécle de Charlemagne
, il en fera du moins à la verité ,
et c'est tout ce que je me proposé dans
ce Discours.
Depuis que les Gots, les Bourguignons.
et les Francs s'étoient établis dans les
11 Vol.
Gall
1294 MERCURE DE FRANCE
Gaules , la ferocité de ces peuples barbares
s'étoit communiquée aux naturels du
pays,qui ne firentplus avec leurs nouveaux
maîtres , qu'une même et seule nation .
Nos Gaulois changerent de maximes en
changeant de Souverains , la douceur de
leur génie s'altéra bien - tôt , et du mélange
qui se fit de leur sang avec le -sang
Germanique se forma un génie singulier
plus barbare que poli ; les travaux Militaires
qui furent assez long - tems leur
principal exercice , firent disparoître avec
le peu de politesse qu'on avoit puisé dans
le commerce des Romains , le gout des
Sciences et l'amour de l'étude ; on ne
suspendit ces travaux que pour se jetter
dais le sein de la mollesse ; les esprits
incultes n'étant animez d'aucun noble
motif s'énerverent bien- tôt , et l'on se
plongea dans un assoupissement si profond
, qu'il n'y eut que les désordres affreux
dont les Sarazins d'Espagne inondérent
la France sous Charles Martel et sous
Pepin qui pussent les reveiller ; le besoin
pressant et la necessité les animérent
plutôt qu'une noble émulation ; la gloire
avec tous ses appas ne pouvoit toucher
des hommes à demi barbares ; elle auroit
élevé les esprits en les polissant . On vôla
tout à coup aux armes , on se couvrit de
II. Val. sang
JUIN. 1734 1295
sang et de poussiere dans les champs de
Mars , et personne ou presque personne
ne songcoit à cultiver son esprit ; depuis
l'embouchure du Rhône , jusques à celle
du Rhin , des Alpes aux Pirenées , à peine
pouvoit- on trouver quelques vestiges des
Sciences ; il n'en étoit pas même resté la
moindre trace dans ces belles Provinces
( a ) si fécondes autrefois en Sçavans
Hommes.
"
L'Eglise depuis très-long- tems leur
avoit servi d'azile les Ministres des
Autels étoient devenus les dépositaires
de ces précieux Trésors : mais cette Eglise
étoit elle-même entierement défigurée ;
tout le Clergé croupissoit dans la plus
profonde ignorance. Qu'il me soit permis
d'exposer en peu de mots la triste.
situation où se trouvoit l'Ordre de l'Etat
le plus Saint et le plus éclairé.. Les Chanoines
suivant la regle de Grodegang
leur Réformateur n'étoient obligez qu'à
chanter les louanges de Dieu , et le reste
de leur tems ils devoient le donner au
travail de leurs mains ; c'étoit toute l'occupation
des plus réguliers ; la regle
n'exigeoit rien davantage , et tout nous
porte à croire qu'ils se renfermoient étroitement
dans les bornes de leurs obliga-
( a ) Ly Gaule Aquitanique et la Lyonnoise..
II. Vol. tions.
1296 MERCURE DE FRA CE
tions. Les Moines malgré le premier esprit
de leur Institut , avoient presque
toujours fait profession de cultiver les
Sciences ; ils s'étoient sur ce point conformez
en Occident à la sage pratique
des Orientaux , et leurs maisons étoient
devenuës les Séminaires où se formoient
les plus Saints et les plus Sçavans Ministres
de l'Eglise : mais depuis près d'un
siécle ces saintes retraites étoient , sur
tout en France , le centre de l'oisiveté.
Les Moines loin de s'enrichir des dépoüilles
des Peres , dont ils étoient les
possesseurs , se contentoient de les sçavoir
lire et copier , les plus éclairez parvenoient
jusqu'à les comprendre , aucun
n'osoit prendre l'essor ni marcher sur les
traces de ces grands Modéles ; le respect
m'empêche de parler de l'Episcopat destiné
particulierement à éclairer les peuples
; les Capitulaires de Charlemagne ,
et les Actes des Conciles Provinciaux qui
se tinrent dans ces tems - là ne publient
que trop la honte de ce Corps respectable.
Pour tout dire en deux mots , le sel
de la terre avoit perdu sa force , l'or
s'étoit obscurci , les horreurs de la guerre,
et la mollesse avoient , comme à l'envi ,
porté la désolation dans l'Etat , la corruption
dans les moeurs , et la grossiereté
II. Vol. dars
JUIN 1734. 1297
dans les esprits. Achevons de mettre ce
tableau dans tout son jour . Deux ou trois
traits des plus marquez lui donneront
cet air de ressemblance dont il a besoin
pour être veritable...
Les beaux Arts sont , comme tout le
monde sçait , une partie essentielle de la
Science, ils en sont la baze et l'ornement.
Ces Arts, fondés sur la nature , mais que
la nature n'apprend pas , étoient presque
entierement ignorés ; on ne les enseigna
dans aucun endroit du Royaume avant
Charlemagne , dit une ancienne Cronique
des Rois de France . Ante ipsum enim
Dominum Regem Carolum in Gallia nullibi
studiumfuerat liberalium Artium . Appuions.
un témoignage si fort et si décisif des
preuves les plus autentiques ; elles sont
tirées des ordres réïterés du Prince pour
l'établissement des Ecoles ; je vais les
exposer simplement telles qu'on les lit
dans le Receuil des Conciles de France.
Charlemagne au retour de son troisiéme
Voyage d'Italie l'an787, par une( 1 ) Lettre
circulaire adressée à tous les Evêques et
aux Abbez ( Lettre que je voudrois pou-.
voir rapporter ici toute entiere , mais
que je me contenterai de citer plus d'une
fois ) leur recommande d'établir dans
( 1 ) Tome 2. Conc. Gall. p. 32 .
II. Vol. des
1298 MERCURE DE FRANCE
leurs Chapitres et dans leurs Monasteres
des Ecoles où l'on forme la jeunesse à
l'Etude des Lettres et à la pięté . Et par
le Capitulaire soixante - douzième d'Aixla
Chapelle , il veut que dans ces mêmes
maisons on apprenne aux jeunes gens à
lire , à psalmodier , à écrire , à compter ,
et les regles de la Grammaire. Ut scola
Legentium puerorum fiant psalmos * notas
computum , Grammaticam , per singula Monasteria
et Episcopia discant . Les Conciles
Provinciaux qui se tinrent sous ce même
*
* Notas. Je crois qu'il faut entendre ce terme
de l'Ecriture , pour deux raisons . 1º . Parce qu'il
s'agit dans cet endroit de ce qu'il faut apprendre à
la jeunesse ; il est fait mention de la lecture , de
la psalmodie ou du chant , de la Grammaire ;
pourquoi auroit -on obmis l'Ecriture également nécessaire
à la jeunesse . 2. Ces caractéres nets et
distincts, qui sans jamais changer, diversifient par
leur mélange les differens objets qu'ils représentent,
n'étoient pas alors fort en usage ; ils n'étoient connus
que des Sçavans ; Charlemagne lui- même, si
nous en croyons Eginard, n'apprit que très tard et
presque sans succès à les former. Tentabat scribere .
sed parum prosperè successit labor præposterus
ac sero inchoatus. L'Ecriture commune consistoit
dans de grands traits informes , arbitraires pour la
plupart , et sujets au changement. C'est ce qui paroit
par les anciennes Chartres et par quelques monumens
lapidaires et metalliques , qui sont parvenus
jusqu'à nous sur quoi on peut consulter la Diplo
matique du P. Mabillon .
II Vol.
EmJUIN.
1734. 1299
Empereur, les s'expliquent à peu près dans
les mêmes termes. Les Arts qui sont la
partie des Sciences la plus simple et la
plus facile , n'étoient donc pas enseignési
et par une suite nécessaire , ils étoient
ignorez d'une nation qui n'avoit ni disposition
pour s'y former de soi- même ,
ni la volonté de les apprendre. Que devons-
nous penser des hautes Sciences ,
des Sciences abstraites et difficiles , si celles
qui sont plus aisées , cellesqui sont la baze,
n'étoient pas connus , Encore un nouveau
trait; il achevera de mettre ce que nous
venons de dire dans la derniere évidence.
Les Langues sont l'instrument general
des Sciences , l'organe de l'esprit , l'image
de la pensée , l'interprete du goût , et
le theatre où le genie se développe . La
Langue Teutonique , rude et grossiere
étoit celle de nos nouveaux Maîtres , conforme
à leur genie ; elle n'a rien de cette
douceur ni de cette politesse que demandent
les Sciences. La Grecque ,harmonieuse
, douce et énergique ne me paroît pas
avoir été bien connue au Sçavant Alcuin ,
et j'ai peine à croire sur le seul témoignage
d'Eginard , Charlemagne lait
jamais bien comprise ; toutes les apparencescombattent
l'un et l'autre fair.La Langue
Latine avoit été long - tems dominan-
11. Vol. tc
100 MERCURE DE FRANCE
te dans les Gaules , les Francs l'avoient
adoptée pour les Actes publics ; elle étoit
sur tout destinée aux Ouvrages d'esprit:
mais cette Langue si noble , si polie étoit
devenue la proye du barbarisme , le genie
et le tour de la Teutonique s'étoient glissés
dans l'idiome Romain , et de ce lliage
s'étoit formé un langage dur , sans
cadence , sans pureté , sans ortographe
Il falloit, sans doute, qu'il fut défectueux
au suprême dégré pour blesser les oreilles
de Charlemagne , que l'on ne peut pas
dire avoir été trop délicates.
Ecoutons ce Prince parler dans la Lettre
que nous avons déja citée aux Evêques
et Abbés , c'est -à - dire, aux plus Sçavans
hommes de son Royaume. J'ai reconnu
, leur dit- il , dans la plûpart des
Ecrits que vous m'avez envoyés assez de
justesse dans les sentimens , et beaucoup de
grossiereté dans le langage; et j'ai compris
que pour avoir négligé de vous instruire
Vous avez peine à exprimer les pieus
reflexions que vous avez puisées dans
Meditation . Ce ne fut qu'avec le
>
* Cognovimus in plerisque prafatis conscript
bus vestris eorumdem et sensus rectos et serr.
incultos , quia quod pia devotio interius fidelite
tabat , hoc exterius propter negligentiam dis
lingua inerudita exprimere sine reprehensi: •
alebat.
JUIN. 1734. 1301
cours des Maîtres de Grammaire qui vinrent
d'Italie , qu'on épura la Langue
Latine , et qu'on en banit les expressions
Teutoniques dont elle étoit infectée;
elles se refugierent dans le Romain ou Latin
vulgaire , qui s'étant peu à peu purifié
et poli est devenu depuis une des plus
belle Langue du monde. Mais on ne
réussit pas à rendre à la Langue Latine sa
beauté naturelle , on exprima toujours
grossierement ce que l'on pensoit sans
délicatesse . Il est inutile d'entrer dans un
plus long détail ; ce que nous avons dit
est plus que suffisant pour prouver combien
étoit triste la situation des Sciences
quand Charlemagne entreprit de les rétatablir.
Voyons comment il s'y prit , quels
Maîtres il employa pour seconder son
dessein , quel en fut les succès.
Charles , surnommé le Grand, pour ses
grandes qualités encore plus que pour ses
grandes actions , fut un de ces hommes
rares , que la Nature se plaît de tems en
tems à former et sur qui la fortune ou
pour parler plus juste , la Providence divine,
répand ses faveurs avec complaisan
ce ; genie superieur , hardi , ferme , pénétrant
, il ne lui manqua du côté de l'esprit
que ce que son siecle ne pouvoit lui
donner , je veux dire la politesse et le
II. Vol.
bon
`
1302 MERCURE DE FRANCE
bon goût. Les vertus qui font les veritables
Heros , sembloient nées avec lui ;
la magnanimité , la droiture , là prudence
, la bonté , la Religion faisoient son
caractere , et se déployoient dans toutes
ses actions ; Maître d'une partie considerable
de l'Europe , cheri particulierement
de ses Sujets, admiré de tout l'Univers ,
il songea encore à immortaliser son nom
en banissant l'ignorance de ses Etats ; entreprise
glorieuse et digne du plus grand
Prince qui fût alors au monde , elle auroit
eu, sans doute,un succès entier et par-
' fait , si le mauvais goût n'eût infecté les
Maîtres aussi bien que les Disciples . Il se
presenta des obstacles presques insurmontables
, il ne s'en rebuta pas , il eut recours
à sa prudence, et rien n'étoit au-dessus de
ses lumieres. Non content d'animer ses
Peuples par son exemple et par ses bienfaits
, il se servit encore de son autorité
pour engager ceux qui par leur profession
devoient avoir quelque teinture de Scien-'
ces à les cultiver , et à en faire pare au ;
reste de ses Sujets . Mais comment trouver
dans toute la France des Maîtres capables
de former la jeunesse ? L'ignorance
, la grossiereté avoient , comme nous
avons dit , pénétré jusques dans le Sanctuaire
, les moins ignorans étoient les
II. Vol. seuls
JUI N. 1734 1303
seuls qui pussent passer pour Sçavans ,
Charlemagne y pourvoit , et pour suppléer
àlce deffaut il rassemble de toute
l'Europe ce qu'il pût trouver d'hommes
versés dans les Sciences ; il fait venir d'Italiele
PoëteThéodulphe , Pierre de Pise ,
Grammairien ; Paul Diacre , fameux Historiographe
, le Fape: Adrien lui envoye
deux Maîtres de Chant , deux Antiphoniers
et les sept Arts Liberaux , comme
dit Eginard. Mais de tous les Ecrivains
qu'il reçût dans ses Etats il n'en est aucun
qui puisse être comparé au Sçavant Alcuin
, Anglois de naissance et Saxon d'origine.
Alcuin étoit un de ces Sçavans qui
remplacent par la multitude de leurs connoissances
ce qui leur manque de perfection
et de singularité dans le genie , Grammairien
, Poëte , Rheteur , Dialecticien ,
Historiographe , Astronome , Théologien
, il fut l'oracle de son siecle , et il
merita de l'être ; ce fut lui qui inspira l'amour
des Lettres aux François , et qui
contribua plus que personne à répandre
ces semences précieuses , qui commencerent
bientôt à fructifier. La Cour fut le
premiet théatre où il parut , et il eut la
gloire de voir le Souverain et les Princesses
ses Filles au nombre de ses Disciples.
II. Vol. A
1304 MERCURE DE FRANCE
A leur exemple toute la France pleine
d'admiration pour son merite , conçût
de l'amour pour l'étude , et tâcha de profiter
de ses lumieres ; mais ce vaste genie
n'eut ni assez de force , ni assez de sublimité
pour s'élever au dessus du mauvais
goût de son siecle , il s'y laissa malheureusement
entraîner , il y entretint ses
éleves et par cette raison seule il laissa
son Ouvrage imparfait. Pour le connoître
il ne faut que jetter les yeux sur ses Ecrits,
il s'y est peint lui -même on voit par
tout un esprit fécond , mais âpre et diffùs ,
une grande étendue de connoissances , et
peu
•
de critiques , plus de subtilité que
de politesse ; son stile n'est assaisonné
d'aucun de ces traits nobles, vifs , et déli→
cats , qui élevent l'esprit et qui le frappent
par l'éclat de leurs lumieres ; il ins
truit sans persuader , il convainc sans
plaire ; le travail paroît en lui avoir surpassé
la nature , et l'art qui le forma
étoit lui même imparfait. On ne sçauroit
cependant lui refuser la loüange qu'il
mérite , d'avoir été par l'étendue de son
sçavoir le Photius des Latins ; moins
poli , moins chatié , moins profond que
le Patriarche Grec il le surpasse de
beaucoup par les belles qualitez qui font
l'honnête homme et par les vertus solides,
II. Vol, .qui
JUIN. 1734 1305
qui font le véritable Chrétien . Ce grand
Personnage après avoir suivi la Cour
pendant quelques années , se retira enfin
à Tours auprès du tombeau de Saint
Martin ; mais cette retraite ne fut pas
lui un lieu de repos ,
pour
il n'enfouit
pas dans une honteuse oisiveté les talens
qui l'avoient fait briller ; il sçavoit ce
qu'il devoir à Dieu et à l'Etat ainsi rapellant
dans cet aimable séjour ce qu'il·
avoit de connoissances , il s'appliqua de
nouveau à former des éleves qui se dispersant
dans plusieurs Monasteres de
T'Empire François , renouvellérent les
Sciences, et répandirent par tout l'esprit
de leur Maître
Je n'entreprens pas de refuter ici l'opinion
de quelques ( a ) Auteurs , qui ont
prétendu qu'Alcuin avoit jetté les fondemens
de l'Université de Paris , devenuë
depuis si fameuse dans toute l'Europe
le silence des Ectivains de ces tems - là
suffit pour en démontrer la fausseté . Ce
qu'il y a de certain , c'est que ce fut à
Tours , à Saint Denis en France , à Corbie
, à Fulde , à Richenou , et dans quelques
autres Monasteres , que l'on commença
dès- lors à enseigner les hautes
Sciences ; on y enseigna aussi Is beaux
( a ) Raban, Simeon, Sigulphe, Amalarius ¿e.
II. Vol. C Arts
1308 MERCURE DE FRANCE
,
Arts , et les Ecoles établies dans chaque
Diocèse conformément aux Statuts des
Conciles Provinciaux , et aux Capitulaires
de Charlemagne concourant à la
même fin ; on vit bien- tôt les Sciences
prendre une face nouvelle dans toute la
Monarchie Françoise. Mais quel en fut
le progrès à quel degré de perfection
arrivérent elles ? c'est ce qui nous restę
à examiner.
?
La suite pour le Mercure prochain.
sur l'état des Sciences dans l'étendue de
la Monarchie Françoise , sous Charlemagne.
L
"
Es Sciences ont leurs révolutions
aussi bien que les Empires , il est un
tems où elles sont florissantes ce tems
passé , elles ne font plus que languir ;
quelquefois elles se relevent et se soutiennent
avec assez d'honneur ; et quelquefois
aussi elles tombent pour ne se
relever jamais . Elles ont comme le Soleil
leurs solstices et leurs périodes ; elles
aiment à passer de climats en climats
et souvent après avoir éclairé quelques
IL. Vol.
B.vj
Con
و
1292 MERCURE DE FRANCE
contrées , elles se plongent , pour ainst
dire , dans l'abîme , et vont porter leurs
lumieres à des peuples nouveaux. Ainsi
après avoir autrefois parcouru les plus
belles régions de l'Orient où elles prirent
naissance , les vit- on passer dans la Grece
d'où elles se répandirent dans quelques
Provinces de l'Empire Romain ; et par
tout elles éprouverent des changemens
considérables er des alternatives , qui les
firent souvent paroître sous des faces differentes.
Quelle est la cause de ces révolutions a
est- ce l'influence des Astres ? la température
de l'air ou la qualité des esprits ,
dont nos corps sont animés et qui changent
avec les genérations et les aspects
du Soleil ? tout cela peut y contribuer :
mais tout cela n'explique pas d'une maniere
assez sensible la cause de ces fre
quentes vicissitudes ; il en est une plus
simple , et qui servira de baze à tout
ce que je dirai dans ce Discours . La
Science est attachée au gout des peuples
qui la cultivent , c'est le gout qui lui
donne sa qualité , son prix , son excellence
; or le gout se conforme toujours
au génie , le génie se regle ordinairement
sur les maximes , et les maximes changent
avec les circonstances des tems et
11. Vel. des
JUIN. 1734. 1293
des lieux. D'ailleurs , et c'est ici le point
capital , ce gout exquis , ce génie vaste
et sublime , si nécessaires à la perfection
des Sciences , sont des dons que le Ciel ne
répand pas toujours sur la terre , et qu'il
ne communique qu'à un petit nombre
d'hommes privilegiez .
En faut il davantage pour prouver
que la Science doit se ressentir de l'instabilité
propre à toutes les choses humaines
? C'est sur ce plan , que je vais exposer
aujourd'hui l'état où se trouvoient
les Sciences dans l'étendue de la Monarchie
Françoise au tems de Charlemagne .
Le gout pour lors étoit si corrompu , que
jamais on ne put le rectifier , le génie
tenoit beaucoup du barbare , et les maxime
n'avoient rien de noble ni de délicat.
Quel étoit donc l'état où se trouvoient
les Sciences ? Il ne pouvoit guere être
plus pitoyable. Je n'en veux point d'autres
preuves que ce qui nous reste de monumens
de ces tems qu'on peut dire
malheureux . Si ce que je dirai ne fait pas
beaucoup d'honneur au siécle de Charlemagne
, il en fera du moins à la verité ,
et c'est tout ce que je me proposé dans
ce Discours.
Depuis que les Gots, les Bourguignons.
et les Francs s'étoient établis dans les
11 Vol.
Gall
1294 MERCURE DE FRANCE
Gaules , la ferocité de ces peuples barbares
s'étoit communiquée aux naturels du
pays,qui ne firentplus avec leurs nouveaux
maîtres , qu'une même et seule nation .
Nos Gaulois changerent de maximes en
changeant de Souverains , la douceur de
leur génie s'altéra bien - tôt , et du mélange
qui se fit de leur sang avec le -sang
Germanique se forma un génie singulier
plus barbare que poli ; les travaux Militaires
qui furent assez long - tems leur
principal exercice , firent disparoître avec
le peu de politesse qu'on avoit puisé dans
le commerce des Romains , le gout des
Sciences et l'amour de l'étude ; on ne
suspendit ces travaux que pour se jetter
dais le sein de la mollesse ; les esprits
incultes n'étant animez d'aucun noble
motif s'énerverent bien- tôt , et l'on se
plongea dans un assoupissement si profond
, qu'il n'y eut que les désordres affreux
dont les Sarazins d'Espagne inondérent
la France sous Charles Martel et sous
Pepin qui pussent les reveiller ; le besoin
pressant et la necessité les animérent
plutôt qu'une noble émulation ; la gloire
avec tous ses appas ne pouvoit toucher
des hommes à demi barbares ; elle auroit
élevé les esprits en les polissant . On vôla
tout à coup aux armes , on se couvrit de
II. Val. sang
JUIN. 1734 1295
sang et de poussiere dans les champs de
Mars , et personne ou presque personne
ne songcoit à cultiver son esprit ; depuis
l'embouchure du Rhône , jusques à celle
du Rhin , des Alpes aux Pirenées , à peine
pouvoit- on trouver quelques vestiges des
Sciences ; il n'en étoit pas même resté la
moindre trace dans ces belles Provinces
( a ) si fécondes autrefois en Sçavans
Hommes.
"
L'Eglise depuis très-long- tems leur
avoit servi d'azile les Ministres des
Autels étoient devenus les dépositaires
de ces précieux Trésors : mais cette Eglise
étoit elle-même entierement défigurée ;
tout le Clergé croupissoit dans la plus
profonde ignorance. Qu'il me soit permis
d'exposer en peu de mots la triste.
situation où se trouvoit l'Ordre de l'Etat
le plus Saint et le plus éclairé.. Les Chanoines
suivant la regle de Grodegang
leur Réformateur n'étoient obligez qu'à
chanter les louanges de Dieu , et le reste
de leur tems ils devoient le donner au
travail de leurs mains ; c'étoit toute l'occupation
des plus réguliers ; la regle
n'exigeoit rien davantage , et tout nous
porte à croire qu'ils se renfermoient étroitement
dans les bornes de leurs obliga-
( a ) Ly Gaule Aquitanique et la Lyonnoise..
II. Vol. tions.
1296 MERCURE DE FRA CE
tions. Les Moines malgré le premier esprit
de leur Institut , avoient presque
toujours fait profession de cultiver les
Sciences ; ils s'étoient sur ce point conformez
en Occident à la sage pratique
des Orientaux , et leurs maisons étoient
devenuës les Séminaires où se formoient
les plus Saints et les plus Sçavans Ministres
de l'Eglise : mais depuis près d'un
siécle ces saintes retraites étoient , sur
tout en France , le centre de l'oisiveté.
Les Moines loin de s'enrichir des dépoüilles
des Peres , dont ils étoient les
possesseurs , se contentoient de les sçavoir
lire et copier , les plus éclairez parvenoient
jusqu'à les comprendre , aucun
n'osoit prendre l'essor ni marcher sur les
traces de ces grands Modéles ; le respect
m'empêche de parler de l'Episcopat destiné
particulierement à éclairer les peuples
; les Capitulaires de Charlemagne ,
et les Actes des Conciles Provinciaux qui
se tinrent dans ces tems - là ne publient
que trop la honte de ce Corps respectable.
Pour tout dire en deux mots , le sel
de la terre avoit perdu sa force , l'or
s'étoit obscurci , les horreurs de la guerre,
et la mollesse avoient , comme à l'envi ,
porté la désolation dans l'Etat , la corruption
dans les moeurs , et la grossiereté
II. Vol. dars
JUIN 1734. 1297
dans les esprits. Achevons de mettre ce
tableau dans tout son jour . Deux ou trois
traits des plus marquez lui donneront
cet air de ressemblance dont il a besoin
pour être veritable...
Les beaux Arts sont , comme tout le
monde sçait , une partie essentielle de la
Science, ils en sont la baze et l'ornement.
Ces Arts, fondés sur la nature , mais que
la nature n'apprend pas , étoient presque
entierement ignorés ; on ne les enseigna
dans aucun endroit du Royaume avant
Charlemagne , dit une ancienne Cronique
des Rois de France . Ante ipsum enim
Dominum Regem Carolum in Gallia nullibi
studiumfuerat liberalium Artium . Appuions.
un témoignage si fort et si décisif des
preuves les plus autentiques ; elles sont
tirées des ordres réïterés du Prince pour
l'établissement des Ecoles ; je vais les
exposer simplement telles qu'on les lit
dans le Receuil des Conciles de France.
Charlemagne au retour de son troisiéme
Voyage d'Italie l'an787, par une( 1 ) Lettre
circulaire adressée à tous les Evêques et
aux Abbez ( Lettre que je voudrois pou-.
voir rapporter ici toute entiere , mais
que je me contenterai de citer plus d'une
fois ) leur recommande d'établir dans
( 1 ) Tome 2. Conc. Gall. p. 32 .
II. Vol. des
1298 MERCURE DE FRANCE
leurs Chapitres et dans leurs Monasteres
des Ecoles où l'on forme la jeunesse à
l'Etude des Lettres et à la pięté . Et par
le Capitulaire soixante - douzième d'Aixla
Chapelle , il veut que dans ces mêmes
maisons on apprenne aux jeunes gens à
lire , à psalmodier , à écrire , à compter ,
et les regles de la Grammaire. Ut scola
Legentium puerorum fiant psalmos * notas
computum , Grammaticam , per singula Monasteria
et Episcopia discant . Les Conciles
Provinciaux qui se tinrent sous ce même
*
* Notas. Je crois qu'il faut entendre ce terme
de l'Ecriture , pour deux raisons . 1º . Parce qu'il
s'agit dans cet endroit de ce qu'il faut apprendre à
la jeunesse ; il est fait mention de la lecture , de
la psalmodie ou du chant , de la Grammaire ;
pourquoi auroit -on obmis l'Ecriture également nécessaire
à la jeunesse . 2. Ces caractéres nets et
distincts, qui sans jamais changer, diversifient par
leur mélange les differens objets qu'ils représentent,
n'étoient pas alors fort en usage ; ils n'étoient connus
que des Sçavans ; Charlemagne lui- même, si
nous en croyons Eginard, n'apprit que très tard et
presque sans succès à les former. Tentabat scribere .
sed parum prosperè successit labor præposterus
ac sero inchoatus. L'Ecriture commune consistoit
dans de grands traits informes , arbitraires pour la
plupart , et sujets au changement. C'est ce qui paroit
par les anciennes Chartres et par quelques monumens
lapidaires et metalliques , qui sont parvenus
jusqu'à nous sur quoi on peut consulter la Diplo
matique du P. Mabillon .
II Vol.
EmJUIN.
1734. 1299
Empereur, les s'expliquent à peu près dans
les mêmes termes. Les Arts qui sont la
partie des Sciences la plus simple et la
plus facile , n'étoient donc pas enseignési
et par une suite nécessaire , ils étoient
ignorez d'une nation qui n'avoit ni disposition
pour s'y former de soi- même ,
ni la volonté de les apprendre. Que devons-
nous penser des hautes Sciences ,
des Sciences abstraites et difficiles , si celles
qui sont plus aisées , cellesqui sont la baze,
n'étoient pas connus , Encore un nouveau
trait; il achevera de mettre ce que nous
venons de dire dans la derniere évidence.
Les Langues sont l'instrument general
des Sciences , l'organe de l'esprit , l'image
de la pensée , l'interprete du goût , et
le theatre où le genie se développe . La
Langue Teutonique , rude et grossiere
étoit celle de nos nouveaux Maîtres , conforme
à leur genie ; elle n'a rien de cette
douceur ni de cette politesse que demandent
les Sciences. La Grecque ,harmonieuse
, douce et énergique ne me paroît pas
avoir été bien connue au Sçavant Alcuin ,
et j'ai peine à croire sur le seul témoignage
d'Eginard , Charlemagne lait
jamais bien comprise ; toutes les apparencescombattent
l'un et l'autre fair.La Langue
Latine avoit été long - tems dominan-
11. Vol. tc
100 MERCURE DE FRANCE
te dans les Gaules , les Francs l'avoient
adoptée pour les Actes publics ; elle étoit
sur tout destinée aux Ouvrages d'esprit:
mais cette Langue si noble , si polie étoit
devenue la proye du barbarisme , le genie
et le tour de la Teutonique s'étoient glissés
dans l'idiome Romain , et de ce lliage
s'étoit formé un langage dur , sans
cadence , sans pureté , sans ortographe
Il falloit, sans doute, qu'il fut défectueux
au suprême dégré pour blesser les oreilles
de Charlemagne , que l'on ne peut pas
dire avoir été trop délicates.
Ecoutons ce Prince parler dans la Lettre
que nous avons déja citée aux Evêques
et Abbés , c'est -à - dire, aux plus Sçavans
hommes de son Royaume. J'ai reconnu
, leur dit- il , dans la plûpart des
Ecrits que vous m'avez envoyés assez de
justesse dans les sentimens , et beaucoup de
grossiereté dans le langage; et j'ai compris
que pour avoir négligé de vous instruire
Vous avez peine à exprimer les pieus
reflexions que vous avez puisées dans
Meditation . Ce ne fut qu'avec le
>
* Cognovimus in plerisque prafatis conscript
bus vestris eorumdem et sensus rectos et serr.
incultos , quia quod pia devotio interius fidelite
tabat , hoc exterius propter negligentiam dis
lingua inerudita exprimere sine reprehensi: •
alebat.
JUIN. 1734. 1301
cours des Maîtres de Grammaire qui vinrent
d'Italie , qu'on épura la Langue
Latine , et qu'on en banit les expressions
Teutoniques dont elle étoit infectée;
elles se refugierent dans le Romain ou Latin
vulgaire , qui s'étant peu à peu purifié
et poli est devenu depuis une des plus
belle Langue du monde. Mais on ne
réussit pas à rendre à la Langue Latine sa
beauté naturelle , on exprima toujours
grossierement ce que l'on pensoit sans
délicatesse . Il est inutile d'entrer dans un
plus long détail ; ce que nous avons dit
est plus que suffisant pour prouver combien
étoit triste la situation des Sciences
quand Charlemagne entreprit de les rétatablir.
Voyons comment il s'y prit , quels
Maîtres il employa pour seconder son
dessein , quel en fut les succès.
Charles , surnommé le Grand, pour ses
grandes qualités encore plus que pour ses
grandes actions , fut un de ces hommes
rares , que la Nature se plaît de tems en
tems à former et sur qui la fortune ou
pour parler plus juste , la Providence divine,
répand ses faveurs avec complaisan
ce ; genie superieur , hardi , ferme , pénétrant
, il ne lui manqua du côté de l'esprit
que ce que son siecle ne pouvoit lui
donner , je veux dire la politesse et le
II. Vol.
bon
`
1302 MERCURE DE FRANCE
bon goût. Les vertus qui font les veritables
Heros , sembloient nées avec lui ;
la magnanimité , la droiture , là prudence
, la bonté , la Religion faisoient son
caractere , et se déployoient dans toutes
ses actions ; Maître d'une partie considerable
de l'Europe , cheri particulierement
de ses Sujets, admiré de tout l'Univers ,
il songea encore à immortaliser son nom
en banissant l'ignorance de ses Etats ; entreprise
glorieuse et digne du plus grand
Prince qui fût alors au monde , elle auroit
eu, sans doute,un succès entier et par-
' fait , si le mauvais goût n'eût infecté les
Maîtres aussi bien que les Disciples . Il se
presenta des obstacles presques insurmontables
, il ne s'en rebuta pas , il eut recours
à sa prudence, et rien n'étoit au-dessus de
ses lumieres. Non content d'animer ses
Peuples par son exemple et par ses bienfaits
, il se servit encore de son autorité
pour engager ceux qui par leur profession
devoient avoir quelque teinture de Scien-'
ces à les cultiver , et à en faire pare au ;
reste de ses Sujets . Mais comment trouver
dans toute la France des Maîtres capables
de former la jeunesse ? L'ignorance
, la grossiereté avoient , comme nous
avons dit , pénétré jusques dans le Sanctuaire
, les moins ignorans étoient les
II. Vol. seuls
JUI N. 1734 1303
seuls qui pussent passer pour Sçavans ,
Charlemagne y pourvoit , et pour suppléer
àlce deffaut il rassemble de toute
l'Europe ce qu'il pût trouver d'hommes
versés dans les Sciences ; il fait venir d'Italiele
PoëteThéodulphe , Pierre de Pise ,
Grammairien ; Paul Diacre , fameux Historiographe
, le Fape: Adrien lui envoye
deux Maîtres de Chant , deux Antiphoniers
et les sept Arts Liberaux , comme
dit Eginard. Mais de tous les Ecrivains
qu'il reçût dans ses Etats il n'en est aucun
qui puisse être comparé au Sçavant Alcuin
, Anglois de naissance et Saxon d'origine.
Alcuin étoit un de ces Sçavans qui
remplacent par la multitude de leurs connoissances
ce qui leur manque de perfection
et de singularité dans le genie , Grammairien
, Poëte , Rheteur , Dialecticien ,
Historiographe , Astronome , Théologien
, il fut l'oracle de son siecle , et il
merita de l'être ; ce fut lui qui inspira l'amour
des Lettres aux François , et qui
contribua plus que personne à répandre
ces semences précieuses , qui commencerent
bientôt à fructifier. La Cour fut le
premiet théatre où il parut , et il eut la
gloire de voir le Souverain et les Princesses
ses Filles au nombre de ses Disciples.
II. Vol. A
1304 MERCURE DE FRANCE
A leur exemple toute la France pleine
d'admiration pour son merite , conçût
de l'amour pour l'étude , et tâcha de profiter
de ses lumieres ; mais ce vaste genie
n'eut ni assez de force , ni assez de sublimité
pour s'élever au dessus du mauvais
goût de son siecle , il s'y laissa malheureusement
entraîner , il y entretint ses
éleves et par cette raison seule il laissa
son Ouvrage imparfait. Pour le connoître
il ne faut que jetter les yeux sur ses Ecrits,
il s'y est peint lui -même on voit par
tout un esprit fécond , mais âpre et diffùs ,
une grande étendue de connoissances , et
peu
•
de critiques , plus de subtilité que
de politesse ; son stile n'est assaisonné
d'aucun de ces traits nobles, vifs , et déli→
cats , qui élevent l'esprit et qui le frappent
par l'éclat de leurs lumieres ; il ins
truit sans persuader , il convainc sans
plaire ; le travail paroît en lui avoir surpassé
la nature , et l'art qui le forma
étoit lui même imparfait. On ne sçauroit
cependant lui refuser la loüange qu'il
mérite , d'avoir été par l'étendue de son
sçavoir le Photius des Latins ; moins
poli , moins chatié , moins profond que
le Patriarche Grec il le surpasse de
beaucoup par les belles qualitez qui font
l'honnête homme et par les vertus solides,
II. Vol, .qui
JUIN. 1734 1305
qui font le véritable Chrétien . Ce grand
Personnage après avoir suivi la Cour
pendant quelques années , se retira enfin
à Tours auprès du tombeau de Saint
Martin ; mais cette retraite ne fut pas
lui un lieu de repos ,
pour
il n'enfouit
pas dans une honteuse oisiveté les talens
qui l'avoient fait briller ; il sçavoit ce
qu'il devoir à Dieu et à l'Etat ainsi rapellant
dans cet aimable séjour ce qu'il·
avoit de connoissances , il s'appliqua de
nouveau à former des éleves qui se dispersant
dans plusieurs Monasteres de
T'Empire François , renouvellérent les
Sciences, et répandirent par tout l'esprit
de leur Maître
Je n'entreprens pas de refuter ici l'opinion
de quelques ( a ) Auteurs , qui ont
prétendu qu'Alcuin avoit jetté les fondemens
de l'Université de Paris , devenuë
depuis si fameuse dans toute l'Europe
le silence des Ectivains de ces tems - là
suffit pour en démontrer la fausseté . Ce
qu'il y a de certain , c'est que ce fut à
Tours , à Saint Denis en France , à Corbie
, à Fulde , à Richenou , et dans quelques
autres Monasteres , que l'on commença
dès- lors à enseigner les hautes
Sciences ; on y enseigna aussi Is beaux
( a ) Raban, Simeon, Sigulphe, Amalarius ¿e.
II. Vol. C Arts
1308 MERCURE DE FRANCE
,
Arts , et les Ecoles établies dans chaque
Diocèse conformément aux Statuts des
Conciles Provinciaux , et aux Capitulaires
de Charlemagne concourant à la
même fin ; on vit bien- tôt les Sciences
prendre une face nouvelle dans toute la
Monarchie Françoise. Mais quel en fut
le progrès à quel degré de perfection
arrivérent elles ? c'est ce qui nous restę
à examiner.
?
La suite pour le Mercure prochain.
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Résumé : DISCOURS CRITIQUE, sur l'état des Sciences dans l'étenduë de la Monarchie Françoise, sous Charlemagne.
Le texte 'Discours critique sur l'état des Sciences dans l'étendue de la Monarchie Françoise, sous Charlemagne' analyse les fluctuations historiques des sciences, comparées aux révolutions des empires. Les sciences connaissent des périodes de floraison et de déclin, influencées par divers facteurs tels que le goût des peuples, le génie et les maximes de chaque époque. Sous Charlemagne, le goût était corrompu et le génie barbare, ce qui a conduit à un état pitoyable des sciences. Les Gaulois, après l'établissement des Goths, des Bourguignons et des Francs, ont adopté des maximes barbares, perdant ainsi leur douceur et leur goût pour les sciences. Les travaux militaires et la mollesse ont contribué à cet assoupissement intellectuel. L'Église, bien que refuge des sciences, était elle-même plongée dans l'ignorance. Les chanoines et les moines, malgré leurs rôles initiaux, étaient devenus oisifs et ne cultivaient plus les sciences. Les beaux-arts, essentiels aux sciences, étaient presque inconnus avant Charlemagne. Charlemagne a tenté de rétablir les sciences en établissant des écoles dans les chapitres et monastères pour enseigner la lecture, la psalmodie, l'écriture, le calcul et la grammaire. Cependant, les langues, instruments des sciences, étaient également corrompues. La langue latine, autrefois noble, était infectée par des expressions teutoniques, rendant difficile l'expression délicate des pensées. Le texte décrit Charlemagne comme un homme exceptionnel, doté d'un génie supérieur, de hardiesse, de fermeté et de pénétration. Bien que son époque ne lui ait pas permis d'acquérir la politesse et le bon goût, il possédait des vertus héroïques telles que la magnanimité, la droiture, la prudence, la bonté et la religion. Maître d'une partie considérable de l'Europe, il était chéri de ses sujets et admiré dans l'univers. Il entreprit de bannir l'ignorance de ses États, une initiative glorieuse mais confrontée à des obstacles dus au mauvais goût des maîtres et des disciples. Pour pallier l'ignorance et la grossièreté, il fit venir des savants de toute l'Europe, notamment Alcuin, un érudit anglo-saxon versé dans de nombreuses disciplines. Alcuin inspira l'amour des lettres à la cour et dans toute la France, mais son œuvre resta imparfaite en raison du mauvais goût de son siècle. Après avoir suivi la cour, Alcuin se retira à Tours où il continua à former des élèves, contribuant ainsi à la renaissance des sciences dans l'Empire franc. Le texte mentionne également l'établissement d'écoles dans divers monastères et diocèses, conformément aux statuts des conciles provinciaux et aux capitulaires de Charlemagne, marquant le début d'une nouvelle ère pour les sciences dans la monarchie franque.
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8
p. 55
AUTRE à Madame .....
Début :
Qui vous connoît, Iris, doit me connoître : [...]
Mots clefs :
Politesse
9
p. 61-62
AUTRE. DÉDIÉ à des Dames qui s'étoient amusées quelques jours de l'énigme & de la charade ou rébus.
Début :
Semblables à Vénus, leur mère, [...]
Mots clefs :
Politesse