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51
p. 176-192
COMEDIE FRANÇOISE.
Début :
Les Comédiens François ont donné le 13 de ce mois la dixiéme représentation [...]
Mots clefs :
Cicéron, Sextus, César, Comédiens-Français, Père, Mécène, Yeux, Pompée, Fille, Mourir, Dieux, Octave
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texteReconnaissance textuelle : COMEDIE FRANÇOISE.
COMEDIE FRANÇOISE.
Lis
Es Comédiens François ont donné le
13 de ce mois la dixiéme repréfentation
du Triumvirat. On peut dire qu'il a
eu ce fuccès d'estime que l'ouvrage &
l'auteur ont fi bien mérité , & qu'on refuſe
fouvent à des pieces plus heureufes , qui
comptent plus de repréfentations que de
fuffrages. Cette Tragédie eft imprimée
fous ce double titre : Le Triumvirat , ou la
mort de Ciceron , avec une épitre dédicatoire
à Mme Bignon , & une préface . Elle
fe vend chez Hochereau , quai de Conti , au
Phénix ; le prix eft de 30 f. en voici l'extrait .
EXTRAIT DU TRIUMVIRÁT.
Tullie , fille de Ciceron , ouvre feule
la fcene qui eft au Capitole , par un début
digne d'elle & du fujet. Elle s'écrie ,
Effroyable féjour des horreurs de la guerre ,
Lieux inondés du fang des maîtres de la terre ,
Lieux , dont le feul afpect fit trembler tant de
Rois ,
Palais où Ciceron triompha tant de fois ;
Deformais trop heureux de cacher ce grand homme
,
Sauvez le feul Romain qui foit encor dans Rome.
FEVRIER. 1755. 177
A
Elle ajoûte avec effroi , en jettant les
yeux fur le tableau des profcrits :
Que vois-je , à la lueur de ce cruel flambeau !
Ah ! que de noms facrés profcrits fur ce tableau !
Rome , il ne manque plus , pour combler ta mifere
,
Que d'y tracer le nom de mon malheureux pere.
Enfuite elle apoftrophe ainfi la ftatue de
Céfar.
Toi , qui fis en naiffant honneur à la nature ,
Sans avoir , des vertus , que l'heureufe impofture ,
Trop aimable tyran , illuftre ambitieux ,
Qui triomphas du fort , de Caton & des Dieux...
Sous un joug ennobli par l'éclat de tes armes ,
Nous refpirions du moins fans honte & fans allármes
:
Loin de rougir des fers qu'illuftroit ta valeur ,
On fe croyoit paré des lauriers du vainqueur.
Mais fous le joug honteux & d'Antoine & d'Octave
>
Rome , arbitre des Rois , va gémir en eſclave.
Se tournant après vers la ftatue de Pompée
, elle lui adreffe ces triftes paroles .
Ah ! Pompée , eft -ce là ce qui refte de toi
Miférables débris de la grandeur . humaine ,
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Douloureux monument de vengeance & de haine !
6
Pour nous venger d'Octave ,, accours , vaillant
Sextus ,,
A ce nouveau Céfar , fois un nouveau. Brutus.
Ce monologue me paroît admirable ; il
égale , à mon gré , celui d'Electre , s'il ne
le furpaffe pas , & forme la plus belle expofition
. Il eft terminé par l'arrivée de
Sextus , qui fe cache même aux yeux de
Tullie qu'il aime , fous le nom de Clodomir
, chef des Gaulois . Il lui fait un récit
affreux des horreurs du Triumvirat dont il
vient d'être le témoin , & finit un fi noir
tableau par ces beaux vers , qu'on croiroit
d'un auteur de trente ans , à la force du
coloris.
Un fils , prefque à mes yeux , vient de livrer fon
Le
pere ;
J'ai vu ce même fils égorgé par fa mere :
On ne voit que des corps mutilés & fanglans ,
Des efclaves traîner leurs maîtres expirans ;
affouvi réchauffe le carnage ;
carnage
J'ai vu des furieux dont la haine & la rage
Se difputoient des cours encor tout palpitans:
On diroit à les voir l'un l'autre s'excitans ,
Déployer à l'envi leur fureur meurtrière ,
Que c'est le derniér jour de la nature entiere. {
FEVRIER. , 1755. 179
que
Dans ce péril preffant il offre à Tullie une
retraite dans Oftie pour fon pere & pour
elle . Elle la refufe ; il frémit du danger
Ciceron va courir , fi près de Fulvie
qui a juré fa perte. Il exprime en même
tems la douleur qu'il a de la perdre & de
la voir près d'être unie aux jours d'Octave
qui l'aime , ajoutant que fon fang fcellera
cet hymen. Tullie le raffure fur cette crain--
te , en lui difant :
Un tyran à
Ne craignez rien d'Octave' :
mes yeux ne vaut pas un esclave.
Un rival plus heureux va caufer vos allarmes ...
Le fils du grand Pompée . Hélas ! que n'est- ce vous !!
Que j'euffe avec plaifir accepté mon époux !
Ces deux amans font interrompus par
Lepide qui entre : Clodomir fe retire . Le
Triumvir fait entendre à Tullie , que ne
pouvant chaffer de Rome fes collegues impies
, il prend le parti de s'en exiler luimême
, & qu'il va chercher un afyle en
Efpagne pour y fauver fa vertu. Tullie l'interrompt
par cette noble réponſe , qui a
toujours été fi juftement applaudie :
Ah ! la vertu quifuit ne vaut pas le courage
Du crime audacieux qui fçait braver l'orage .
Que peut craindre un Romain des,caprices.du fort,
Tant qu'il lui refte un bras pour fe donner la mort
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Avez-vous oublié que Rome eft votre mere
Demeurez , imitez l'exemple de mon pere ,
Et de votre vertu në nous vantez l'éclat
Qu'après une victoire , ou du moins un combat.
On n'encenfa jamais la vertu fugitive ,
Et celle d'un Romain doit être plus active.
On ne le reconnoît qu'à fon dernier foupir ;
Son honneur eft de vaincre , & vaincu de mourir.
ger
Elle fort.
Ciceron arrive. Lapide tâche de l'engaà
le fuivre pour fe dérober à la fureur
d'Antoine & de Fulvie , qui veulent le profcrire.
Ciceron rejette cette offre. Lepide le
quitte , en lui déclarant qu'il vient de rencontrer
Sextus , & qu'il l'a reconnu . Ce
Triumvir l'avertit d'en craindre la fuite ,
& de prendre garde à lui. Ciceron reſté
feul , dit qu'il eft tems qu'il apprenne
ce fecret à fa fille , que Clodomir devenu
le fils du grand Pompée , ne pourra l'en
blâmer , qu'il veut les unir & donner à Céfar
un rival , dont le nom feul pourra lui
devenir funefte.
Octave commence avec Mecene le fecond
acte. Après avoir d'abord tâché d'excufer
fes cruautés , il lui marque fon
amour pour Tullie , & fon eftime pour fon
pere , ajoûtant qu'il veut le fauver & fe
l'attacher. Mecene l'affermit dans ce defFEVRIER.
1755. 181
fein , & le laiffe avec Ciceron qui paroît ,
& qui lui témoigne ainfi fa furpriſe :
Céſar , en quel état vous offrez-vous à moi ?
Ah ! ce n'eft ni fon fils , ni Céfar que je vois.
O! Céfar , ce n'eft pas ton fang qui l'a fait naître :
Brutus qui l'a verfé , méritoit mieux d'en être.
Le meurtre des vaincus ne fouilloit point tes pas ;
Ta valeur fubjuguoit , mais ne profcrivoit pas.
Octave, pour fe juftifier , répond qu'il
pourfuit les meurtriers du grand Céfar , &
que fa vengeance eft légitime. Ciceron l'interrompt
pour lui reprocher l'abus affreux
qu'il fait de ce prétexte , & lui dit :
Rendre le glaive feul l'interprête des loix ,
Employer pour venger le meurtre de fon pere
Des flammes & du fer l'odieux miniftere ;
Donner à fes profcrits pour juges fes foldats ,
Du neveu de Céfar voilà les magiftrats.
Octave lui réplique que c'eft une néceffité
, que l'univers demande une forme
nouvelle , qu'il lui faut un Empereur , que
Ciceron doit le choifir , qu'ils doivent s'allier
pour mieux détruire Antoine ; il le
conjure enfin de l'aimer , & de devenir
fon
pere.
Abdique, je t'adopte , & ma fille eft à toi,
382 MERCURE DE FRANCE.
repart Ciceron. Des oreilles trop délicates
ont trouvé ce vers dur ; pour moi je ne le
trouve que fort ;je crois qu'un Romain ne
peut pas mieux répondre ni en moins de
mots . Tullie paroît , & fon pere fort eix
difant à Octave , qu'il la confulte ; & que
s'il l'aime , il la prenne pour modele .
Tullie traite Octave encore avec plus.
de fierté que n'a fait fon pere. Céfar , luis
dit-elle :
Regnez , fi vous l'ofez; mais croyez que Tullie
Sçaura bien ſe ſoustraire à votre tyrannie :
Si du fort des tyrans vous bravez les hazards
Il naîtra des Brutus autant que des Céfars.
Sur ce qu'il infifte , elle lui déclare fierement
qu'elle ne l'aime point , qu'elle eft
cependant prête à l'époufer , pourvû qu'il
renonce à l'Empire ; mais que s'il veut ufurper
l'autorité fuprême , il peut teindre le
diadême de fon fang. Cette hauteur romaine
oblige Octave de la quitter & de la
menacer de livrer fon pere à Fulvie. Sextus
, qu'elle reconnoît alors pour le fils de
Pompée , entre fur la fcéne , & demande à
Tullie le fujer de fa douleur. Elle l'inftruit
du danger preffant où font les jours de
fon pere , qui veut les unir avant fa mort.
Sextus finit le fecond acte , en la preffant
d'engager Ciceron à fuir fur fes vaiffeaux
FEVRIER. 1755. 183
-il eft honteux pour lui , ajoute-t- il , de fe
laiffer profcrire.
S'il veut m'accompagner je répons de fa vie,
El'amour couronné répondra de Tullie..
Il faut convenir que cet acte eft un peu
vuide d'action .
Ciceron , Tullie & Sextus ouvrent le troifieme.
Ciceron veut unir le fils de Pompée:
à fa fille ; mais elle s'y oppofe dans ce cruel
moment & le conjure de la fuivre en
Sicile avec Sextus il s'écrie ::
>-
Pour braver mes tyrans je veux mourir dáns Ro
me ;
En implorant les Dieux , c'eft moi fenl qu'elles
nomme:
Sextus lui parle alors en vrai fils de Pompée
, & lui dit :
Rome n'eft plus qu'un ſpectre , une ombre en Ita
lie ,
Dont le corps tout entier eft paffé dans l'Afie :
C'est là que noure honneur nous appelle aujour
d'hui ,
Rendons- nous à ſa voix , & marchons avec lui.
Ce n'eft pas le climat qui lui donna la vie;
C'eſt le coeur du Romain qui forme fa patrie.
184 MERCURE DE FRANCE.
2
Il vaut mieux fe flater d'un eſpoir téméraire
Que de céder au fort dès qu'il nous eft contraire.
Il faut du moins mourir les armes à la main ,
Le feul gente de mort digne d'un vrai Romain,
Mais mourir pour mourir n'eft qu'une folle
yvreffe ,
Trifte enfant de l'orgueil , que nourrit la pareffe.
où
Ciceron fort en leur difant qu'il ne
peut fe réfoudre à quitter l'Italie , mais
qu'il confent de fe rendre à Tufculum ,
il ira les joindre pour les unir enfemble ,
& qu'avant tout il veut revoir Mecene. A
peine eft- il parti qu'Octave entre ; & jaloux
de Sextus qu'il prend pour un chef
des Gaulois , il adreffe ainfi la parole à
Tullie .
Qu'il retourne en fon camp ,
C'eft parmi fes foldats qu'il trouvera fon rang,
Le faux Clodomir lui répond , avec une
fierté plus que Gauloife ,
Le fort de mes pareils ne dépend point de toi
Je ne releve ici que des Dieux & de moi.
Aux loix du grand Céfar nous rendîmes hommage
,
Mais ce ne fut jamais à titre d'efclavage.
Comme de la valeur il connoiffoit le prix ,
Il cftimoit en nous ce qui manque à ſon fils.
FEVRIER. 1755. 185
Octave à ces mots appelle les Licteurs ,
& il faut avouer que fon emportement
paroît fondé.
Tullie s'oppofe à fa rigueur , & prend
vivement la défenſe de Sextus . Le courroux
d'Octave en redouble ; il . lui répond
que ce Gaulois brave l'autorité des Triumvirs
, qu'il a fauvé plufieurs profcrits , &
qu'il mérite d'être puni comme un traître .
Sextus lui réplique :
Toi-même , applaudifſant à mes foins magnanimes
,
Tu devrois me louer de t'épargner des crimes ,
Et rougir , quand tu crois être au- deffus de moi ,
Qu'un Gaulois à tes yeux foit plus Romain que
toi,
Tullie lui demande fa vie. Octave forcé
par fon amour de la lui accorder , fe retire
en déguifant fon dépit. Sextus raffure Tullie
fur la crainte qu'elle a que fon rival
ne l'immole , & lui fait entendre qu'Octave
eft un tyran encore mal affermi, qu'il
le croit Gaulois , & qu'ayant beſoin du ſecours
de cette nation , il eft trop bon politique
pour ne la pas ménager. La frayeur
de Tullie s'accroît à l'afpect de Philippe ,
qu'elle prend pour un miniftre des vengeances
d'Octave. Philippe reconnoît Sex186
MERCURE DE FRANCE.
tus qu'il a élevé , & marque autant de
douleur que de furprife. Le fils de Pompée
reconnoît Philippe à fon tour , & lui
reproche d'avoir dégénéré de fa premiere
vertu. Cet affranchi fe jette à fes genoux ,
& lui dit qu'il ne les quittera pas qu'il n'ait
obtenu de lui la grace d'être écouté . Sextuş
le force de fe lever. Philippe lui raconte
qu'Octave inftruit de fa fidélité l'a pris
à fon fervice , mais qu'il n'a jamais trempé
dans fes forfaits. Il ajoute que ce Triumvir
ne croit plus que Sextus foit un Gaulois
, mais un ami de Brutus , & qu'il l'a
chargé du cruel emploi de l'affaffiner dans
la nuit . Il vient , continue- t-il , de paffer
chez Fulvie : je crains qu'il n'en coute la
vie à Ciceron .
Les momens nous font chers , & c'eſt fait de vos
jours ,
Și de ceux du tyran , je n'abrege le cours,
Choififfez du trépas de Célar , ou du vôtre ;-
Rien n'eft facré pour moi quand il s'agit de vous..
Sextus lui répond
L'affafinat , Philippe , eft indigne de nous
Avant que d'éclater il falloit l'entreprendre
Mais inftruit du projet je dois te le défendre .
Ce trait eft hiſtorique , & M. de Cré
FEVRIER. 1755. 187
billon s'en est heureufement fervi . Tullie
approuve Sextus , & termine l'acte en difant
:
Allons trouver mon pere , & remettons aux Dieux
Le foin de nous fauver de ces funeftes lieux.
Le quatrieme acte s'ouvre par un monologue
de Ciceron , qui jette les yeux fur
le tableau des profcriptions , & qui dit
avec tranſport , lorfqu'il y voir fon nom
Enfin je fuis profcrit , que mon ame eft ravie !
Je renais au moment qu'on m'arrache ma vie.
Mecene furvient , & le preffe de s'allier
à Céfar. Ciceron lui demande s'il lui fait
efperer que l'inftant de leur alliance fera la
fin de la profeription . Mecene lui répond
qu'Octave l'a fufpendue pour lui . Ciceron
pour réplique , lui montre fon nom écrit
fur le tableau.
Mecene fe récrie : ...
Dieux quelle trahison
S'il eft vrai que Céfar ait voulu vous proferire ,
Sur ce même tableau je vais me faire inferire.
Adieu : fi je ne puis vous fauver de fes coups ,
Vous me verrez combattre & mourir avec vous.
Octave paroît. Ciceron veut lui faire
189 MERCURE DE FRANCE.
de nouveaux reproches ; mais Octave lui
répond qu'il n'eft pas venu pour fe faire
juger , & qu'il lui demande Tullie pour
la derniere fois. Ciceron lui réplique que
c'eft moins fon amour que fa politique qui
lui fait fouhaiter la main de fa fille , &
qu'il veut par ce noeud les affocier à fes
fureurs. Octave offenfé , lui repart :
Ingrat , fi tu jouis de la clarté du jour ,
Apprens que tu ne dois ce bien qu'à mon amour .
Vois ton nom.
Ciceron lui dit avec un phlegme vraiment
Romain :
Je l'ai vû . Céfar , je t'en rends graces.
Octave alors fe dévoile tout entier , &
lui reproche qu'il protége Clodomir , &
qu'il veut l'unir à Tullie. Ciceron ne s'en
défend pas , & Céfar tranfporté de colere ,
fort en lui déclarant qu'il l'abandonne à
fon inimitié. Ciceron refté feul , dit qu'il
la préfere à une pitié qui deshonore celui
qu'elle épargne , & celui qui l'invoque. Il
eft inquiet fur le fort de fa fille & fur celui
de Sextus , mais il eft raffuré par leur
préfence ; il leur apprend qu'il eft profcrit.
Tous deux le conjurent de partir &
de profiter du moment qu'Octave lui laiſſe ;
FEVRIER. 1755.. 159
mais il s'obſtine à mourir . Philippe vient
avertir Sextus que fes amis font déja loin
des portes , & preffe Tullie de fuivre les
pas du fils de Pompée , en l'affurant qu'elle
n'a rien à craindre pour Ciceron , qu'il eft
chargé de veiller für fes jours , & qu'il va
le conduire à Tufculum. Ciceron quitte
Sextus & Tullie , en leur difant :
i
Adieu , triftes témoins de més voeux fuperflus.
Palais infortuné , je ne vous verrai plus.
Octave qui vient d'apprendre que le faux
Clodomir eft Sextus , fait éclater toute fa
colere , & jure d'immoler le fils de Pompée
, & Tullie même. Mecene entre tout
éploré. Octave effrayé , lui demande quel
eft le fujet de fa douleur. Mecene lui répond
, les yeux baignés de larmes :
Ingrat ! qu'avez-vous fait ?
Hélas ! hier encore il exiſtoit un homme
Qui fit par fes vertus les délices de Rome ;
Mémorable à jamais par fes talens divers ,
Dont le génie heureux éclairoit l'univers.
Il n'eft plus .... fon falut vous eût couvert de
gloire ,
Et de vos cruautés , effacé la mémoire.
Qu'ai -je beſoin encor de vous dire fon nom ?
Ahlaillez-moi vous fuir , & pleurer Ciceron.
190 MERCURE DE FRANCE.
Octave témoigne fa furprife , & rejette
ce crime fur Antoine. Mecene continue
ainfi :
L'intrepide Orateur a vu fans s'ébranler ,
Lever fur lui lebras qui l'alloit immoler :
C'eſt toi , Lena , dit-il ; que rien ne te retienne ;
J'ai défendu ta vie , atrache-moi la mienne.
Je ne me repens point d'avoir ſauvé tes jours ,
Puifque des miens , c'est toi qui dois trancher le
cours.
que
A ces mots , Ciceron lui préfente la tête ,
En s'écriant , Lena , frappe , la voilà prête.
Lena , tandis Pair retentiffoit de cris ,
L'abbat , court chez Fulvie en demander le prix.
Un objet fi touchant , loin d'attendrir ſon ame ,
N'a fait que redoubler le courroux qui l'enflam
me :
Les yeux étincelans de rage & de fureur ,
Elle embraffe Lena fans honte & fans pudeur ,
Saifit avec tranſport cette tête divine ,
Qui femble avec les Dieux difputer d'origine ,
En arrache . ... Epargnez à ma vive douleur
La fuite d'un récit qui vous feroit horreur.
Nous ne l'entendrons plus , du feu de fon génie ,
Répandre dans nos coeurs le charme & l'harmonie
:
Fulvie a déchiré de fes indignes mains
Cet objet précieux , l'oracle des humains.
Ce récit m'a paru trop beau pour en rien
FEVRIER. 1755. 191
retrancher. L'acteur * qui a joué le rolle de
Mecene , en a fenti tout le pathétique , &
l'a très-bien rendu. Tullie qui n'eft pas encore
inftruite de la mort de fon pere , vient
implorer pour lui la puiffance d'Octave ;
elle paroît un peu defcendre de fon caractere
, elle s'humilie même au point d'offrir ſa
main à Céfar, pourvû qu'elle foit le prix des
jours de Ciceron . Comme Octave ne peut
cacher fon embarras , & qu'il veut fortir ,
Tullie l'arrête ; & tournant fes regards
vers la tribune , elle s'écrie avec terreur :
Plus je l'ofe obferver , plus ma frayeur augmente.
Mecene ! la Tribune ... elle eſt toute fanglante.
Ce voile encor fumant cache quelque forfait.
N'importe , je veux voir. Dieux ! quel affreux
objet !
La tête de mon pere ! .. Ah! monftre impitoyable ,
A quels yeux offres- tu ce fpectacle effroyable ?
Elle fe tue , & tombe en expirant auprès
d'une tête fi chere.
Je n'ai point vû au théatre de dénoument
plus frappant ; je ne me laffe point
de le répéter . Ce tableau rendu par l'action
admirable de Mlle Clairon , infpire la terreur
la plus forte , & la pitié la plus tendre
. Ces deux fentimens réunis enfemble .
font la perfection du genre. La beauté du
M. de Bellecour
192 MERCURE DE FRANCE.
cinquiéme acte répond à celle du premier
& la catastrophe remplit tout ce que l'expofition
a promis ; elle a toute la force
Angloife , fans en avoir la licence. Pour
en convaincre le lecteur , je veux lui comparer
le dénouement de Philoclée , dont je
vais donner le programme , d'après l'extrait
inferé dans le Journal Etranger du
mois de Janvier.
Lis
Es Comédiens François ont donné le
13 de ce mois la dixiéme repréfentation
du Triumvirat. On peut dire qu'il a
eu ce fuccès d'estime que l'ouvrage &
l'auteur ont fi bien mérité , & qu'on refuſe
fouvent à des pieces plus heureufes , qui
comptent plus de repréfentations que de
fuffrages. Cette Tragédie eft imprimée
fous ce double titre : Le Triumvirat , ou la
mort de Ciceron , avec une épitre dédicatoire
à Mme Bignon , & une préface . Elle
fe vend chez Hochereau , quai de Conti , au
Phénix ; le prix eft de 30 f. en voici l'extrait .
EXTRAIT DU TRIUMVIRÁT.
Tullie , fille de Ciceron , ouvre feule
la fcene qui eft au Capitole , par un début
digne d'elle & du fujet. Elle s'écrie ,
Effroyable féjour des horreurs de la guerre ,
Lieux inondés du fang des maîtres de la terre ,
Lieux , dont le feul afpect fit trembler tant de
Rois ,
Palais où Ciceron triompha tant de fois ;
Deformais trop heureux de cacher ce grand homme
,
Sauvez le feul Romain qui foit encor dans Rome.
FEVRIER. 1755. 177
A
Elle ajoûte avec effroi , en jettant les
yeux fur le tableau des profcrits :
Que vois-je , à la lueur de ce cruel flambeau !
Ah ! que de noms facrés profcrits fur ce tableau !
Rome , il ne manque plus , pour combler ta mifere
,
Que d'y tracer le nom de mon malheureux pere.
Enfuite elle apoftrophe ainfi la ftatue de
Céfar.
Toi , qui fis en naiffant honneur à la nature ,
Sans avoir , des vertus , que l'heureufe impofture ,
Trop aimable tyran , illuftre ambitieux ,
Qui triomphas du fort , de Caton & des Dieux...
Sous un joug ennobli par l'éclat de tes armes ,
Nous refpirions du moins fans honte & fans allármes
:
Loin de rougir des fers qu'illuftroit ta valeur ,
On fe croyoit paré des lauriers du vainqueur.
Mais fous le joug honteux & d'Antoine & d'Octave
>
Rome , arbitre des Rois , va gémir en eſclave.
Se tournant après vers la ftatue de Pompée
, elle lui adreffe ces triftes paroles .
Ah ! Pompée , eft -ce là ce qui refte de toi
Miférables débris de la grandeur . humaine ,
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Douloureux monument de vengeance & de haine !
6
Pour nous venger d'Octave ,, accours , vaillant
Sextus ,,
A ce nouveau Céfar , fois un nouveau. Brutus.
Ce monologue me paroît admirable ; il
égale , à mon gré , celui d'Electre , s'il ne
le furpaffe pas , & forme la plus belle expofition
. Il eft terminé par l'arrivée de
Sextus , qui fe cache même aux yeux de
Tullie qu'il aime , fous le nom de Clodomir
, chef des Gaulois . Il lui fait un récit
affreux des horreurs du Triumvirat dont il
vient d'être le témoin , & finit un fi noir
tableau par ces beaux vers , qu'on croiroit
d'un auteur de trente ans , à la force du
coloris.
Un fils , prefque à mes yeux , vient de livrer fon
Le
pere ;
J'ai vu ce même fils égorgé par fa mere :
On ne voit que des corps mutilés & fanglans ,
Des efclaves traîner leurs maîtres expirans ;
affouvi réchauffe le carnage ;
carnage
J'ai vu des furieux dont la haine & la rage
Se difputoient des cours encor tout palpitans:
On diroit à les voir l'un l'autre s'excitans ,
Déployer à l'envi leur fureur meurtrière ,
Que c'est le derniér jour de la nature entiere. {
FEVRIER. , 1755. 179
que
Dans ce péril preffant il offre à Tullie une
retraite dans Oftie pour fon pere & pour
elle . Elle la refufe ; il frémit du danger
Ciceron va courir , fi près de Fulvie
qui a juré fa perte. Il exprime en même
tems la douleur qu'il a de la perdre & de
la voir près d'être unie aux jours d'Octave
qui l'aime , ajoutant que fon fang fcellera
cet hymen. Tullie le raffure fur cette crain--
te , en lui difant :
Un tyran à
Ne craignez rien d'Octave' :
mes yeux ne vaut pas un esclave.
Un rival plus heureux va caufer vos allarmes ...
Le fils du grand Pompée . Hélas ! que n'est- ce vous !!
Que j'euffe avec plaifir accepté mon époux !
Ces deux amans font interrompus par
Lepide qui entre : Clodomir fe retire . Le
Triumvir fait entendre à Tullie , que ne
pouvant chaffer de Rome fes collegues impies
, il prend le parti de s'en exiler luimême
, & qu'il va chercher un afyle en
Efpagne pour y fauver fa vertu. Tullie l'interrompt
par cette noble réponſe , qui a
toujours été fi juftement applaudie :
Ah ! la vertu quifuit ne vaut pas le courage
Du crime audacieux qui fçait braver l'orage .
Que peut craindre un Romain des,caprices.du fort,
Tant qu'il lui refte un bras pour fe donner la mort
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Avez-vous oublié que Rome eft votre mere
Demeurez , imitez l'exemple de mon pere ,
Et de votre vertu në nous vantez l'éclat
Qu'après une victoire , ou du moins un combat.
On n'encenfa jamais la vertu fugitive ,
Et celle d'un Romain doit être plus active.
On ne le reconnoît qu'à fon dernier foupir ;
Son honneur eft de vaincre , & vaincu de mourir.
ger
Elle fort.
Ciceron arrive. Lapide tâche de l'engaà
le fuivre pour fe dérober à la fureur
d'Antoine & de Fulvie , qui veulent le profcrire.
Ciceron rejette cette offre. Lepide le
quitte , en lui déclarant qu'il vient de rencontrer
Sextus , & qu'il l'a reconnu . Ce
Triumvir l'avertit d'en craindre la fuite ,
& de prendre garde à lui. Ciceron reſté
feul , dit qu'il eft tems qu'il apprenne
ce fecret à fa fille , que Clodomir devenu
le fils du grand Pompée , ne pourra l'en
blâmer , qu'il veut les unir & donner à Céfar
un rival , dont le nom feul pourra lui
devenir funefte.
Octave commence avec Mecene le fecond
acte. Après avoir d'abord tâché d'excufer
fes cruautés , il lui marque fon
amour pour Tullie , & fon eftime pour fon
pere , ajoûtant qu'il veut le fauver & fe
l'attacher. Mecene l'affermit dans ce defFEVRIER.
1755. 181
fein , & le laiffe avec Ciceron qui paroît ,
& qui lui témoigne ainfi fa furpriſe :
Céſar , en quel état vous offrez-vous à moi ?
Ah ! ce n'eft ni fon fils , ni Céfar que je vois.
O! Céfar , ce n'eft pas ton fang qui l'a fait naître :
Brutus qui l'a verfé , méritoit mieux d'en être.
Le meurtre des vaincus ne fouilloit point tes pas ;
Ta valeur fubjuguoit , mais ne profcrivoit pas.
Octave, pour fe juftifier , répond qu'il
pourfuit les meurtriers du grand Céfar , &
que fa vengeance eft légitime. Ciceron l'interrompt
pour lui reprocher l'abus affreux
qu'il fait de ce prétexte , & lui dit :
Rendre le glaive feul l'interprête des loix ,
Employer pour venger le meurtre de fon pere
Des flammes & du fer l'odieux miniftere ;
Donner à fes profcrits pour juges fes foldats ,
Du neveu de Céfar voilà les magiftrats.
Octave lui réplique que c'eft une néceffité
, que l'univers demande une forme
nouvelle , qu'il lui faut un Empereur , que
Ciceron doit le choifir , qu'ils doivent s'allier
pour mieux détruire Antoine ; il le
conjure enfin de l'aimer , & de devenir
fon
pere.
Abdique, je t'adopte , & ma fille eft à toi,
382 MERCURE DE FRANCE.
repart Ciceron. Des oreilles trop délicates
ont trouvé ce vers dur ; pour moi je ne le
trouve que fort ;je crois qu'un Romain ne
peut pas mieux répondre ni en moins de
mots . Tullie paroît , & fon pere fort eix
difant à Octave , qu'il la confulte ; & que
s'il l'aime , il la prenne pour modele .
Tullie traite Octave encore avec plus.
de fierté que n'a fait fon pere. Céfar , luis
dit-elle :
Regnez , fi vous l'ofez; mais croyez que Tullie
Sçaura bien ſe ſoustraire à votre tyrannie :
Si du fort des tyrans vous bravez les hazards
Il naîtra des Brutus autant que des Céfars.
Sur ce qu'il infifte , elle lui déclare fierement
qu'elle ne l'aime point , qu'elle eft
cependant prête à l'époufer , pourvû qu'il
renonce à l'Empire ; mais que s'il veut ufurper
l'autorité fuprême , il peut teindre le
diadême de fon fang. Cette hauteur romaine
oblige Octave de la quitter & de la
menacer de livrer fon pere à Fulvie. Sextus
, qu'elle reconnoît alors pour le fils de
Pompée , entre fur la fcéne , & demande à
Tullie le fujer de fa douleur. Elle l'inftruit
du danger preffant où font les jours de
fon pere , qui veut les unir avant fa mort.
Sextus finit le fecond acte , en la preffant
d'engager Ciceron à fuir fur fes vaiffeaux
FEVRIER. 1755. 183
-il eft honteux pour lui , ajoute-t- il , de fe
laiffer profcrire.
S'il veut m'accompagner je répons de fa vie,
El'amour couronné répondra de Tullie..
Il faut convenir que cet acte eft un peu
vuide d'action .
Ciceron , Tullie & Sextus ouvrent le troifieme.
Ciceron veut unir le fils de Pompée:
à fa fille ; mais elle s'y oppofe dans ce cruel
moment & le conjure de la fuivre en
Sicile avec Sextus il s'écrie ::
>-
Pour braver mes tyrans je veux mourir dáns Ro
me ;
En implorant les Dieux , c'eft moi fenl qu'elles
nomme:
Sextus lui parle alors en vrai fils de Pompée
, & lui dit :
Rome n'eft plus qu'un ſpectre , une ombre en Ita
lie ,
Dont le corps tout entier eft paffé dans l'Afie :
C'est là que noure honneur nous appelle aujour
d'hui ,
Rendons- nous à ſa voix , & marchons avec lui.
Ce n'eft pas le climat qui lui donna la vie;
C'eſt le coeur du Romain qui forme fa patrie.
184 MERCURE DE FRANCE.
2
Il vaut mieux fe flater d'un eſpoir téméraire
Que de céder au fort dès qu'il nous eft contraire.
Il faut du moins mourir les armes à la main ,
Le feul gente de mort digne d'un vrai Romain,
Mais mourir pour mourir n'eft qu'une folle
yvreffe ,
Trifte enfant de l'orgueil , que nourrit la pareffe.
où
Ciceron fort en leur difant qu'il ne
peut fe réfoudre à quitter l'Italie , mais
qu'il confent de fe rendre à Tufculum ,
il ira les joindre pour les unir enfemble ,
& qu'avant tout il veut revoir Mecene. A
peine eft- il parti qu'Octave entre ; & jaloux
de Sextus qu'il prend pour un chef
des Gaulois , il adreffe ainfi la parole à
Tullie .
Qu'il retourne en fon camp ,
C'eft parmi fes foldats qu'il trouvera fon rang,
Le faux Clodomir lui répond , avec une
fierté plus que Gauloife ,
Le fort de mes pareils ne dépend point de toi
Je ne releve ici que des Dieux & de moi.
Aux loix du grand Céfar nous rendîmes hommage
,
Mais ce ne fut jamais à titre d'efclavage.
Comme de la valeur il connoiffoit le prix ,
Il cftimoit en nous ce qui manque à ſon fils.
FEVRIER. 1755. 185
Octave à ces mots appelle les Licteurs ,
& il faut avouer que fon emportement
paroît fondé.
Tullie s'oppofe à fa rigueur , & prend
vivement la défenſe de Sextus . Le courroux
d'Octave en redouble ; il . lui répond
que ce Gaulois brave l'autorité des Triumvirs
, qu'il a fauvé plufieurs profcrits , &
qu'il mérite d'être puni comme un traître .
Sextus lui réplique :
Toi-même , applaudifſant à mes foins magnanimes
,
Tu devrois me louer de t'épargner des crimes ,
Et rougir , quand tu crois être au- deffus de moi ,
Qu'un Gaulois à tes yeux foit plus Romain que
toi,
Tullie lui demande fa vie. Octave forcé
par fon amour de la lui accorder , fe retire
en déguifant fon dépit. Sextus raffure Tullie
fur la crainte qu'elle a que fon rival
ne l'immole , & lui fait entendre qu'Octave
eft un tyran encore mal affermi, qu'il
le croit Gaulois , & qu'ayant beſoin du ſecours
de cette nation , il eft trop bon politique
pour ne la pas ménager. La frayeur
de Tullie s'accroît à l'afpect de Philippe ,
qu'elle prend pour un miniftre des vengeances
d'Octave. Philippe reconnoît Sex186
MERCURE DE FRANCE.
tus qu'il a élevé , & marque autant de
douleur que de furprife. Le fils de Pompée
reconnoît Philippe à fon tour , & lui
reproche d'avoir dégénéré de fa premiere
vertu. Cet affranchi fe jette à fes genoux ,
& lui dit qu'il ne les quittera pas qu'il n'ait
obtenu de lui la grace d'être écouté . Sextuş
le force de fe lever. Philippe lui raconte
qu'Octave inftruit de fa fidélité l'a pris
à fon fervice , mais qu'il n'a jamais trempé
dans fes forfaits. Il ajoute que ce Triumvir
ne croit plus que Sextus foit un Gaulois
, mais un ami de Brutus , & qu'il l'a
chargé du cruel emploi de l'affaffiner dans
la nuit . Il vient , continue- t-il , de paffer
chez Fulvie : je crains qu'il n'en coute la
vie à Ciceron .
Les momens nous font chers , & c'eſt fait de vos
jours ,
Și de ceux du tyran , je n'abrege le cours,
Choififfez du trépas de Célar , ou du vôtre ;-
Rien n'eft facré pour moi quand il s'agit de vous..
Sextus lui répond
L'affafinat , Philippe , eft indigne de nous
Avant que d'éclater il falloit l'entreprendre
Mais inftruit du projet je dois te le défendre .
Ce trait eft hiſtorique , & M. de Cré
FEVRIER. 1755. 187
billon s'en est heureufement fervi . Tullie
approuve Sextus , & termine l'acte en difant
:
Allons trouver mon pere , & remettons aux Dieux
Le foin de nous fauver de ces funeftes lieux.
Le quatrieme acte s'ouvre par un monologue
de Ciceron , qui jette les yeux fur
le tableau des profcriptions , & qui dit
avec tranſport , lorfqu'il y voir fon nom
Enfin je fuis profcrit , que mon ame eft ravie !
Je renais au moment qu'on m'arrache ma vie.
Mecene furvient , & le preffe de s'allier
à Céfar. Ciceron lui demande s'il lui fait
efperer que l'inftant de leur alliance fera la
fin de la profeription . Mecene lui répond
qu'Octave l'a fufpendue pour lui . Ciceron
pour réplique , lui montre fon nom écrit
fur le tableau.
Mecene fe récrie : ...
Dieux quelle trahison
S'il eft vrai que Céfar ait voulu vous proferire ,
Sur ce même tableau je vais me faire inferire.
Adieu : fi je ne puis vous fauver de fes coups ,
Vous me verrez combattre & mourir avec vous.
Octave paroît. Ciceron veut lui faire
189 MERCURE DE FRANCE.
de nouveaux reproches ; mais Octave lui
répond qu'il n'eft pas venu pour fe faire
juger , & qu'il lui demande Tullie pour
la derniere fois. Ciceron lui réplique que
c'eft moins fon amour que fa politique qui
lui fait fouhaiter la main de fa fille , &
qu'il veut par ce noeud les affocier à fes
fureurs. Octave offenfé , lui repart :
Ingrat , fi tu jouis de la clarté du jour ,
Apprens que tu ne dois ce bien qu'à mon amour .
Vois ton nom.
Ciceron lui dit avec un phlegme vraiment
Romain :
Je l'ai vû . Céfar , je t'en rends graces.
Octave alors fe dévoile tout entier , &
lui reproche qu'il protége Clodomir , &
qu'il veut l'unir à Tullie. Ciceron ne s'en
défend pas , & Céfar tranfporté de colere ,
fort en lui déclarant qu'il l'abandonne à
fon inimitié. Ciceron refté feul , dit qu'il
la préfere à une pitié qui deshonore celui
qu'elle épargne , & celui qui l'invoque. Il
eft inquiet fur le fort de fa fille & fur celui
de Sextus , mais il eft raffuré par leur
préfence ; il leur apprend qu'il eft profcrit.
Tous deux le conjurent de partir &
de profiter du moment qu'Octave lui laiſſe ;
FEVRIER. 1755.. 159
mais il s'obſtine à mourir . Philippe vient
avertir Sextus que fes amis font déja loin
des portes , & preffe Tullie de fuivre les
pas du fils de Pompée , en l'affurant qu'elle
n'a rien à craindre pour Ciceron , qu'il eft
chargé de veiller für fes jours , & qu'il va
le conduire à Tufculum. Ciceron quitte
Sextus & Tullie , en leur difant :
i
Adieu , triftes témoins de més voeux fuperflus.
Palais infortuné , je ne vous verrai plus.
Octave qui vient d'apprendre que le faux
Clodomir eft Sextus , fait éclater toute fa
colere , & jure d'immoler le fils de Pompée
, & Tullie même. Mecene entre tout
éploré. Octave effrayé , lui demande quel
eft le fujet de fa douleur. Mecene lui répond
, les yeux baignés de larmes :
Ingrat ! qu'avez-vous fait ?
Hélas ! hier encore il exiſtoit un homme
Qui fit par fes vertus les délices de Rome ;
Mémorable à jamais par fes talens divers ,
Dont le génie heureux éclairoit l'univers.
Il n'eft plus .... fon falut vous eût couvert de
gloire ,
Et de vos cruautés , effacé la mémoire.
Qu'ai -je beſoin encor de vous dire fon nom ?
Ahlaillez-moi vous fuir , & pleurer Ciceron.
190 MERCURE DE FRANCE.
Octave témoigne fa furprife , & rejette
ce crime fur Antoine. Mecene continue
ainfi :
L'intrepide Orateur a vu fans s'ébranler ,
Lever fur lui lebras qui l'alloit immoler :
C'eſt toi , Lena , dit-il ; que rien ne te retienne ;
J'ai défendu ta vie , atrache-moi la mienne.
Je ne me repens point d'avoir ſauvé tes jours ,
Puifque des miens , c'est toi qui dois trancher le
cours.
que
A ces mots , Ciceron lui préfente la tête ,
En s'écriant , Lena , frappe , la voilà prête.
Lena , tandis Pair retentiffoit de cris ,
L'abbat , court chez Fulvie en demander le prix.
Un objet fi touchant , loin d'attendrir ſon ame ,
N'a fait que redoubler le courroux qui l'enflam
me :
Les yeux étincelans de rage & de fureur ,
Elle embraffe Lena fans honte & fans pudeur ,
Saifit avec tranſport cette tête divine ,
Qui femble avec les Dieux difputer d'origine ,
En arrache . ... Epargnez à ma vive douleur
La fuite d'un récit qui vous feroit horreur.
Nous ne l'entendrons plus , du feu de fon génie ,
Répandre dans nos coeurs le charme & l'harmonie
:
Fulvie a déchiré de fes indignes mains
Cet objet précieux , l'oracle des humains.
Ce récit m'a paru trop beau pour en rien
FEVRIER. 1755. 191
retrancher. L'acteur * qui a joué le rolle de
Mecene , en a fenti tout le pathétique , &
l'a très-bien rendu. Tullie qui n'eft pas encore
inftruite de la mort de fon pere , vient
implorer pour lui la puiffance d'Octave ;
elle paroît un peu defcendre de fon caractere
, elle s'humilie même au point d'offrir ſa
main à Céfar, pourvû qu'elle foit le prix des
jours de Ciceron . Comme Octave ne peut
cacher fon embarras , & qu'il veut fortir ,
Tullie l'arrête ; & tournant fes regards
vers la tribune , elle s'écrie avec terreur :
Plus je l'ofe obferver , plus ma frayeur augmente.
Mecene ! la Tribune ... elle eſt toute fanglante.
Ce voile encor fumant cache quelque forfait.
N'importe , je veux voir. Dieux ! quel affreux
objet !
La tête de mon pere ! .. Ah! monftre impitoyable ,
A quels yeux offres- tu ce fpectacle effroyable ?
Elle fe tue , & tombe en expirant auprès
d'une tête fi chere.
Je n'ai point vû au théatre de dénoument
plus frappant ; je ne me laffe point
de le répéter . Ce tableau rendu par l'action
admirable de Mlle Clairon , infpire la terreur
la plus forte , & la pitié la plus tendre
. Ces deux fentimens réunis enfemble .
font la perfection du genre. La beauté du
M. de Bellecour
192 MERCURE DE FRANCE.
cinquiéme acte répond à celle du premier
& la catastrophe remplit tout ce que l'expofition
a promis ; elle a toute la force
Angloife , fans en avoir la licence. Pour
en convaincre le lecteur , je veux lui comparer
le dénouement de Philoclée , dont je
vais donner le programme , d'après l'extrait
inferé dans le Journal Etranger du
mois de Janvier.
Fermer
Résumé : COMEDIE FRANÇOISE.
Le texte critique la dixième représentation de la tragédie 'Le Triumvirat, ou la mort de Cicéron' par les Comédiens Français, qui a connu un succès mérité. La pièce, disponible chez Hochereau, raconte l'histoire de Tullie, fille de Cicéron, qui cherche à protéger son père des persécutions du Triumvirat. Tullie exprime son désespoir face aux horreurs de cette période et reproche à César et Pompée leurs actions. Elle révèle également la menace que représente Octave. Sextus, déguisé en Clodomir, propose une retraite à Tullie, mais elle refuse. Lepide suggère à Cicéron de s'exiler, mais Tullie l'encourage à rester et à affronter ses ennemis. Octave, accompagné de Mécène, tente de gagner la faveur de Cicéron en lui offrant de l'adopter et de protéger Tullie, mais ils rejettent ces propositions avec fierté. Sextus, reconnu comme le fils de Pompée, presse Cicéron de fuir. La pièce se poursuit avec des confrontations entre les personnages, chacun défendant ses valeurs et loyautés. Cicéron refuse de quitter Rome et exprime son désir de mourir en héros. Octave, jaloux de Sextus, menace de le punir, mais finit par lui accorder la vie. Philippe, un affranchi, révèle un complot contre Cicéron, et Sextus décide de le protéger. Tullie et Sextus se préparent à trouver Cicéron pour le sauver des dangers qui le menacent. La pièce se poursuit avec une confrontation dramatique entre Octave, Cicéron et d'autres personnages. Octave demande la main de Tullie, mais Cicéron refuse, accusant Octave de motivations politiques. Octave, offensé, rappelle à Cicéron qu'il lui doit la vie. Cicéron, imperturbable, avoue protéger Clodomir et vouloir l'unir à Tullie. Octave, furieux, déclare abandonner Cicéron à son inimitié. Cicéron, inquiet pour ses enfants, apprend qu'il est proscrit mais refuse de partir. Philippe avertit Sextus et Tullie de partir, assurant qu'il veillera sur Cicéron. Cicéron dit adieu à ses enfants et quitte le palais. Octave, apprenant que Sextus est le faux Clodomir, jure de les immoler. Mécène révèle à Octave la mort de Cicéron, tué par Lena sur ordre de Fulvie. Tullie, découvrant la tête de son père, meurt de chagrin. La pièce se conclut par un dénouement tragique, soulignant la terreur et la pitié inspirées par la mort de Cicéron.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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52
p. 7-26
L'ORIGINE DES EVENTAILS, A MADEMOISELLE .....
Début :
J'ai cru long tems, avec vous, Mademoiselle, que les éventails n'étoient [...]
Mots clefs :
Éventail, Éventails, Amour, Flore, Dame, Déesse, Dieux, Homme, Bosquet, Nymphe, Origine, Zéphyr
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : L'ORIGINE DES EVENTAILS, A MADEMOISELLE .....
L'ORIGINE
DES EVENTAILS
A MADEMOISELLE ....
•
J'ai cru long moiſelle , qu-teemlses, aévveenctaviolussn,'éMtaodieen-t
autre chofe que l'invention de quelque artifan
affez habile pour avoir fçu (paffez- moi
la métamorphofe ) renfermer des zéphirs
dans un morceau de papier ou de taffetas.
Je n'y vois point d'autre avantage
Pour les Dames , que l'agrément
D'avoir à leur commandement
Le fouffle que zéphir avoit feul en partage
Avant que l'on eut l'art de captiver le vent.
Vous penfiez la même chofe , Mademoifelle
, mais nous ne connoiffions gueres
, ni l'un ni l'autre , la véritable origine
& les magnifiques propriétés des éventails .
J'ai été tiré d'erreur par l'aventure dont je
vous ai promis la narration ; elle vous paroîtra
merveilleufe , mais fongez que la
vérité même a fes merveilles , & que cette
hiftoire peut être vraie , quoiqu'elle ne
paroiffe pas tout-à-fait vraisemblable .
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
J'aime mieux , après tout , une plaifante fable ,
Qui peut mener l'efprit à quelque vérité ,
Que quelque hiftoire véritable ,
Sans but & fans moralité.
y aura un an l'été prochain , qu'après
m'être promené feul dans le Luxembourg
pendant un affez long tems , je fus me repofer
dans un bofquet de cet agréable jardin
, l'un des ornemens de Paris , quoique
la nature feule en faffe les frais , & que
l'art ne fe mette point en peine de le cultiver.
Il étoit près de huit heures du foir ; je
ne m'apperçus point en entrant dans le
bofquet que je marchois fur quelque chofe
; une efpéce de cri me fit regarder à
terre : un éventail fort joli étoit à mes
pieds ; je le ramaffai ; je ne fçais quel mouvement
fecret me fit defirer alors de connoître
la perfonne à qui cet éventail appartenoit.
Peut-être alors mon coeur étoit- il entraîné
Par ce doux inſtinct qui nous guide ,
Quand , par le moindre objet , l'homme eft déter
miné
A voler d'une aîle rapide
Wers le fexe enchanteur pour lequel il eft né.
Quoiqu'il en foit , je m'écriai fur le
MARS.
champ , & fans y penfer : à qui l'éventail ?
perfonne ne m'ayant répondu , j'allois le
mettre dans ma poche , lorfqu'une voix
me cria ; ami , que ne daignes-tu me demander
à moi -même à qui j'appartiens ?
Vous jugez bien , Mademoifelle , que
cette voix me furprit étrangement. Je regardai
de tous côtés , je ne découvris perfonne
l'épouvante commença à fuccéder
à l'étonnement : étoit- ce un démon ? étoitce
un génie ? les uns & les autres habitent
les bofquets. Cette voix n'avoit point un
corps , ou ce corps étoit invifible : dans
cette étrange conjoncture , je me rappellai
le fens du difcours , & mon étonnement
redoubla ; il paroiffoit même que l'éventail
m'avoit apoftrophé : nouveau fujet d'inquiétude
.
» Je vois ta ſurpriſe ( continua la voix ) ;
» c'eſt une preuve de ton ignorance.
Ami , tulanguis , je le voi ,
Dans les préjugés du vulgaire ;
Ton efprit ne recherche & ne découvre en moi
Qu'un inftrument fort ordinaire.
Je fçais qu'un éventail , pour un eſprit borné ,
N'eft qu'un morceau d'ivoire , un taffetas orné
D'une peinture inanimée :
Tandis qu'aux Dames deſtiné
Ce bijou , d'un zéphif , tient l'ame renfermée.
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Ainfi donc , ô mortels ! à l'écorce attachés ,
Vous voyez tout le refte avec indifférence ;
Etfous nombre d'objets fimples en apparence
Vous ne pénétrez pas quels tréfors font cachés .
La voix pourfuivit , affis -toi fur ce ga
zon , approches l'éventail de ton oreille
& redoubles d'attention .
L'éventail que tu tiens n'eft autre chofe
qu'un malheureux zéphir , à qui fon inconftance
a couté cher.
J'aimois Flore , & j'en étois aimé , lorfque
ma légereté naturelle me fit voler vers
Pomone ; je trouvai fon coeur occupé ,
Vertumne étoit heureux .
Après avoir parcouru les états de quelques
autres divinités , je revins à Flore ;
elle m'aimoit toujours , & elle me pardonna
ma petite infidélité.
En amour la défertion
Nous infpire fouvent une ferveur nouvelle
Pour le premier objet de notre paffion.
Ne craignons point l'impreffion
Qu'une infidelité fera fur une belle ,
Pourvû que le bon goût & la réflexion,
Sçache nous ramener à propos auprès d'elle :
De ne faire jamais qu'un choix ,
Belles, fi vos amans fe faifoient une affaire ;
MARS. II 1755.
Votre gloire y perdroit , c'eft une choſe claire ;
De quatre amans , foumis tour à tour à vos loix ,
Il faudroit en retrancher trois.
Il faut bien , pour vous fatisfaire ,
Que notre coeur ait quelquefois
Des facrifices à vous faire.
Suivant cette maxime , mon retour vers
La Déeffe ne me guérit point de l'inconftance
; on eût dit que j'étois né François .
Lorfque je revins à la cour de Flore , j'y
trouvai une jeune nymphe fort aimable ,
& que je n'avois pas encore vûe ; on la
nommoit Aglaé : la voir & l'aimer fut mon
premier mouvement ; le fecond fut de
chercher à lui plaire. Aglaé avoit un coeur
neuf : conquête flatteufe ! je n'épargnai
rien pour me la procurer ; mais ce n'étoit
pas fans précautions : mon humeur volage
avoit rendu Flore clairvoyante.
Ce n'étoit pas une merveille.
Un amour trop certain de fa félicité ,
S'affoupit dans les bras de la fécurité ;
Mais il s'agite & ſe réveille ,
Dès qu'il entend la voix de l'infidelité .
J'étois obfervé de fi près que je fus
bien huit jours entiers à brûler conftamment
fans pouvoir le déclarer à l'aimable
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Aglaé ; cependant au bout de ce long ter
me , Flore ayant été appellée au confeil
des Dieux , pour l'ornement d'une fête que
Jupiter vouloit donner , fon abſence me
laiffa la liberté d'entretenir mon adorable
nymphe : je ne fçais fi elle avoit deviné
que j'aurois à lui parler ; elle fe difpenfa ,
fur quelque prétexte , de fuivre la Déeffe.
Quant à moi je trouvai le fecret de m'échapper
de la falle du confeil olympique ,
& je volai vers Aglaé .
Elle fe promenoit dans les jardins del
Flore : eh quoi ! me dit- elle d'un air tout
charmant , vous n'êtes donc pas refté avec
la Déeffe ? croyez- vous , lui dis- je , ô mon
aimable Aglaé , qu'il y ait des fêtes pour
moi où vous n'êtes pas ? alors je me jettai
à fes genoux , & je lui déclarai avec tranfport
l'amour qu'elle m'avoit infpirée.
Que faites-vous ? s'écria-t elle , que deviendrois-
je fi Flore nous furprenoit enfemble
? Ne craignez rien , chere Aglaé ,
Flore eft retenue dans les cieux ; n'ayez
d'attention que pour un amant qui ne voit
que vous.
Ah ! par une crainte frivole
Pourquoi troublerons -nous ces momens fortunés ?
Déja cet heureux tems s'envole ,
Cruelle , & vous l'empoifonnez.
MARS. 1755 : 13
Hélas ! me répondit Aglaé , avec une
fimplicité trifte & naïve , je vous écoutois
il y a quelques jours parler à Flore , vous
fui juriez un amour éternel , & vous m'aimez
, dites-vous ? Oui , répliquai -je auffitôt
en prenant une de fes belles mains :
oui , belle Aglaé , je vous adore , & je
n'adore que vous feule ; êtes - vous déterminée
à m'ôter tout eſpoir , à moi , l'amant
le plus tendre & le plus fidele qui fut
jamais ?
Sur ces fermens , continua l'Eventail ,
en s'interrompant lui - même , vous me
croyez peut- être le plus traître de tous
les zéphirs , vous m'accufez de perfidie . t.
Mais ce feroit me faire injure ;
L'inconftance eft l'effet d'une invincible loi :
Et l'amant volage eſt parjure
Sans être de mauvaiſe foi.
Cependant le ceeur rempli de ma nouvelle
paffion , j'attendois aux pieds d'Aglaé
qu'elle daignât prononcer mon arrêt : Levez
-vous , me dit - elle , je tremble que
Flore ne furvienne . Eh ! quoi , lui répliquai-
je , toujours des craintes , & pas
le
moindre efpoir ! Que voulez- vous que je
vous dife , me répondit Aglaé , en tourmant
vers moi les plus beaux yeux du monde
? .... Ah ! Zephir , vous avez aimé
12 MERCURE DE FRANCE.
Aglaé ; cependant au bout de ce long ter
me , Flore ayant été appellée au confeil
des Dieux , pour l'ornement d'une fête que
Jupiter vouloit donner , fon abfence me
laiffa la liberté d'entretenir mon adorable
nymphe : je ne fçais fi elle avoit deviné
que j'aurois à lui parler ; elle fe difpenfa ,
fur quelque prétexte , de fuivre la Déeſſe.
Quant à moi je trouvai le fecret de m'échapper
de la falle du confeil olympique ,
& je volai vers Aglaé.
Élle ſe promenoit dans les jardins de
Flore : eh quoi ! me dit- elle d'un air tout
charmant , vous n'êtes donc pas refté avec
la Déeffe ? croyez- vous , lui dis- je , ô mon
aimable Aglaé , qu'il y ait des fêtes pour
moi où vous n'êtes pas ? alors je me jettai
à fes genoux , & je lui déclarai avec tranfport
l'amour qu'elle m'avoit infpirée.
Que faites-vous ? s'écria-t elle , que deviendrois-
je fi Flore nous furprenoit enfemble
? Ne craignez rien , chere Aglaé ,
Flore eft retenue dans les cieux ; n'ayez
d'attention que pour un amant qui ne voit
que vous.
Ah ! par une crainte frivole
Pourquoi troublerons-nous ces momens fortunés ?
Déja cet heureux tems s'envole ,
Cruelle , & vous l'empoifonnez.
MARS . 1755: 13
Hélas ! me répondit Aglaé , avec une
fimplicité trifte & naïve , je vous écoutois
il y a quelques jours parler à Flore , vous
fui
juriez un amour éternel , & vous m'aimez
, dites-vous ? Oui , répliquai-je auffitôt
en prenant une de fes belles mains
oui , belle Aglaé , je vous adore , & je
n'adore que vous feule ; êtes- vous déterminée
à m'ôter tout eſpoir , à moi , l'amant
le plus tendre & le plus fidele qui fut
jamais ?
Sur ces fermens , continua l'Eventail ,
en s'interrompant lui - même , vous me
croyez peut-être le plus traître de tous
les zéphirs , vous m'accufez de perfidie.
Mais ce feroit me faire injure ;
L'inconftance eft l'effet d'une invincible loi :
Et l'amant volage eft parjure
Sans être de mauvaiſe foi.
Cependant le ceeur rempli de ma nouvelle
paffion , j'attendois aux pieds d'Aglaé
qu'elle daignât prononcer mon arrêt : Levez
- vous , me dit - elle , je tremble que
Flore ne furvienne . Eh ! quoi , lui répliquai-
je , toujours des craintes , & pas
moindre efpoir ! Que voulez- vous que je
vous dife , me répondit Aglaé , en tourmant
vers moi les plus beaux yeux du monde
? .... Ah ! Zephir , vous avez aimé
le
14 MERCURE DE FRANCE.
1
Flore ..... que je ferois à plaindre fi vous
changiez une feconde fois ! A ces mots
elle difparut.
Depuis ce moment elle m'évitoit , elle
s'obfervoit elle - même , elle fembloit fe repentir
d'une indifcrétion ; enforte que je
fus quelques jours fans pouvoir m'affurer
plus pofitivement de fes difpofitions à mon
égard : peut-être , me répondrez - vous ,
qu'elle m'en avoit affez dit à
Mais quel eft l'aveu favorable
Qui foit , je ne dis pas égal , mais comparable
A ce je vous aime charmant
Que l'on trouve fi defirable ?
Ces trois mots échappés d'une bouche adorable ,
Peuvent feuls contenter la maîtreffe & l'amant .
L'attente d'un aveu fi cher m'avoit rendu
rêveur contre mon ordinaire . Ma rêverie
me conduifit un jour dans une allée
fombre où le promenoit Aglaé. Dès qu'elle
me vit , elle entra , pour m'éviter , dans un
cabinet de rofiers , voifin d'un bofquet de
myrtes , où Flore alloit quelquefois fe repofer.
La jeune Nymphe ne foupçonnoit
pas que je l'euffe apperçue : j'étois à fes
genoux avant qu'elle eût fongé à m'ordonner
de me retirer . Elle voulut fortir ; je
Parrêtai : Ne craignez rien , lui dis-je , belle
Aglaé !
MARS . 1755.
Que mon empreffement ne vous foit point fufpect
:
Ma tendreffe pour vous eft pure & légitime ;
Le véritable amour est fondé fur l'eftime ,
Et l'eftime eft fuivie en tout tems du reſpect.
- Elle parut fe raffurer : une défiance affectée
eft fouvent plus dangereufe dans ces
occafions qu'une noble confiance mêlée
d'une fierté qui en impoſe à l'amant le plus
empreffé.
Je me défierois d'une prude
Qui me quitteroit brufquement ,
Ou me chafferoit d'un air rude ;
La vertu bien fincere agit tout fimplement.
4
Nous nous mîmes à caufer tranquillement.
Aglaé continua de cueillir des rofes
pour s'en faire un bouquet. J'en avois apperçu
une , la plus belle du monde , dans
un coin du cabinet : j'allois la cueillir
lorfqu'une épine me piqua fi vivement
qu'il m'échappa une plainte que la tendre
Aglaé accompagna d'un cri,: tous deux
nous trahirent .
Hélas ! les rofes les plus belles ,
Et qui par leur éclat charment le plus nos yeux ,
Cachent aux regards curieux
Les épines les plus cruelles.
16 MERCURE DE FRANCE.
Le plus fage feroit de n'en point approcher.
Mais , quoi ! de tant d'attraits le ciel les a pour
vûes ,
Que du moment qu'on les a vûes
On rifque tout pour les toucher .
Flore dormoit dans le bofquet demyrte ;
le cri d'Aglaé la réveilla ; elle accourut dans
le cabinet des rofiers : Dieux ! quel fut fon
étonnement ! Aglaé étoit affife fur un banc
de gazon , j'étois à genoux devant elle ,
tandis qu'avec un mouchoir de mouffeline
, l'aimable Nymphe fe hâtoit d'étancher
le fang qui fortoit de la piquûre que
je m'étois faire : la bleffure en elle-même
étoit peu de chofe ; mais eft - il de légers
accidens en amour ? Aglaé découvroit dans
fon action cet empreffement mêlé de crainte
que l'on a dans ces fortes d'occafions
pour les perfonnes que l'on aime.
En amour , le péril eft la pierre de touche :
Alors , quoiqu'une belle ait formé le projet
De tenir en filence & fes yeux & fa bouche ;
Dans le moindre accident qui frappe un cher ob
jet ,
L'ame fe réunit à celle qui la touche , :
Et la beauté la plus farouche
De fes craintes bientôt découvre le fujet.
Cette entrevûe auffi fatale pour nous
MARS. 1755. 17
que pour la Déeffe , ne fit que juftifier des
foupçons qu'elle avoit déja conçus : elle
diffimula cependant , & parut même plus
tranquille fur mon compte ; mais elle méditoit
une vengeance qui devoir m'ôter
pour toujours le defir , ou , fi vous voulez
, le plaifir de changer .
Quelques jours après cet incident , Flore
fit avertir Aglaé de venir lui parler en
particulier la pauvre Nymphe obéit en
tremblant. Raffurez- vous , lui dit -elle , je
ne veux point vous faire de mal ; je fuis
charmée , puifque Zéphir m'abandonne
que ce foit du moins pour une perfonne
qui le mérite. Mais , Aglaé , quand vous
lui avez permis quelque efpérance , avez .
vous bien refléchi fur le caractere de votre
amant ? les fermens qu'il vous a faits fans
doute , ne me les avoit- il pas faits à moi
même ? que dis-je ? ne me les avoit- il pas
mille fois réitérés ? avez - vous plus d'em
pire fur lui que je crois en avoir ? & s'il
change encore quelle fera votre deftinée
?
>
Au commencement de ce difcours
Aglaé n'avoit reffenti que de la confufion :
ces derniers mots lui firent répandre des
larmes ; elles furent fa réponſe.
Je vous plains d'autant plus , continua
la Déeffe , que vous aimez de bonne foi
18 MERCURE DE FRANCE.
le plus volage de tous les amans ; il eft cependant
pour vous un moyen de prévenir
fon infidélité. On vient de me faire préfent
d'une petite baguette d'ivoire qui a
la vertu de fixer les inconftans : je vous
la donne , j'en aurois fait ufage pour moimême
, fi Zéphir ne m'eût point quittée
pour vous : il n'eft plus tems , & peut-être
même que demain il feroit trop tard pour
vous.
Incapable de trahisons ;
La fincere vertu l'eft auffi de foupçons.
Aglaé ne vit dans cette offre de Flore
qu'une marque de protection . Elle fortit
après avoir baifé la main de la Déeffe
avec le témoignage de la plus vive reconnoiſſance
. Hélas ! elle ne prévoyoit pas
combien ce préfent alloit nous être fatal
à tous les deux .
Elle accourut d'un air gai me faire part de
la prétendue clémence de Flore ; mais elle
ne me dit rien de la fatale baguette, dans la
crainte apparemment d'en empêcher l'effet .
Je ne me défiois de rien : la gaité d'Aglaé
me charmoit ; je me mis à folâtrer avec
elle : j'apperçus la petite baguette d'ivoire ,
je la trouvai jolie : je voulus la dérober ' ;
Aglaé la retint , elle m'en donna en badiMARS.
1755 . 19
nant de petits coups fur les ailes : funefte
badinage !
A peine cus-je été frappé du fatal préfent
de Flore , qu'il fe fit en moi une métamorphofe
auffi prompte que prodigieufe.
La baguette enchantée fe fendit en plu
fieurs petites languettes minces qui forment
les bâtons que vous tenez : mes aîles
s'étant réunies auffi - tôt , fe colerent fur
l'ivoire , & formerent ce que l'on appelle
vulgairement un éventail fuis toujours
Zéphir , quoique j'aie perdu mon ancienne
forme.
En fuis-je donc moins eftimable
N'ai- je pas confervé l'heureufe faculté
De répandre dans l'air cette fraîcheur aimable
Qui défend la beauté
Contre les chaleurs de l'été ?
En vain l'aftre du jour veut lui faire la guerre ,
J'ai l'art de l'en débarraffer.
Ce font toujours les fleurs que j'aime à careffer ;
Non celles qu'autrefois j'aimois dans un parterre ,
Mais celles que les Dieux ont pris foin de verfer
Sur le teint éclatant des Reines de la terre.
Mon changement en éventail fut pour
Aglaé le coup le plus terrible . J'ai fçu depuis
qu'elle n'avoit pû furvivre à mon
malheur , & j'ofe ajouter au fien . Pou
20 MERCURE DE FRANCE.
voit elle defirer de me fixer à ce prix ?
J'ai paffé en différentes mains depuis ma
métamorphofe ; les Dieux m'ont laiffé l'ufage
de la parole pour inftruire l'univers
de mon origine & de mes différentes propriétés.
Comment ( dis- je au Zéphir métamor
phofé ) , vous fervez donc à plus d'une
chofe ?
Que tu es novice , me répondit-il , Â
tu ignores en combien de manieres je puiš
être utile au beau fexe !
Vas , crois- moi , ce feroit trop peu pour
les Dames de n'avoir en moi qu'un zéphir
à leurs ordres , il eft des occafions où je
leur fuis d'une toute autre utilité.
Croirois-tu , par exemple , que j'ai bonne
part à certaines converfations ? Il y a
quelque tems que j'appartenois à une jeune
veuve , qui dans ces fortes de cas
fe fervoit de moi merveilleufement bien.
Comme elle a de la beauté , mais peu
d'efprit ,
S'entend-elle agacer par quelque compliment
Elle répond fuccintement ;
Mais elle fçait en récompenſe
Badiner fort éloquemment
Avec fon éventail , dont le jeu la difpenfe
De s'énoncer plus clairement :
MARS. 1755. 21
O! l'agréable truchement !
Sans faire plus grande dépenſe
Et d'efprit & de jugement ,
Dans un cercle , Cloris fe donne adroitement
L'air d'une perfonne qui penſe ;
Et l'évantail alors fert admirablement.
Elle le tient appuyé fur fes levres , à peu
près dans l'attitude du Dieu du filence repréfenté
tenant un cachet ou fon doigt fur
fa bouche. C'eft ainfi qu'une fotte rêverie
paffe pour une fpirituelle méditation .
Que de Dames fort eftimables d'ailleurs , à
qui il n'en a jamais coûté qu'une femblable
attitude , pour fe donner dans le monde
la réputation d'êtres penfans !
yeut-on de l'éventail faire quelqu'autre ufage ?
Que l'on me tienne déployé ,
Et qu'alors je fois employé
A cacher , de côté , la moitié du viſage :
Voilà dans un monde poli-,
Et le voile le plus modeſte ,
Et le mafque le plus joli
Pour en faire accroire de refte ,
Aux oncles , aux tuteurs , aux papas , aux ma
mans ,
Aux maris , & même aux amans, -
C'eft ainfi qu'à fa confidente ,
Ou bien à fon héros , une fille prudente
22 MERCURE DE FRANCE.
Parle à l'abri de l'éventail ;
Car on n'affiche plus l'amour à fon de trompe ,
Et ce n'eft plus en gros , meres , que l'on vous
trompe :
On aime à petit bruit , & l'on dupe en détail.
Cette façon de mafque eft encore à l'ufage
des Dames , qui fe difent à l'oreille
de jolis riens ; elles leur donnent par là
un air d'importance & de myftere. Autre
avantage que l'on retire de l'éventail,
Sur l'objet de fa paſſion ,
L'éloquence d'un homme aimable
Fait-elle quelque impreffion ?
On cache une rougeur ou fauffe ou véritable
Avec un éventail , dont on fçait ſe couvrir ;
Et quelquefois auffi c'eft un tour plein d'adrefle
Pour faire deviner des fignes de tendreffe
Que la bouche balance encore à découvrir.
Un jeune Cavalier , moins fage qu'amoureux ¿
Qu'un tendre aveu rend téméraire ,
Ofe-t-il hazarder quelque gefte contraire
A ce que la décence exige de fes feux
Mieux que par une réprimande ,
Par un coup d'éventail , le tendron irrité
En impofe au galant , qui s'étoit écarté
la raifon commande .
De ce que
Mais j'entends que l'on me demande
Si le coup d'éventail eft donné des plus lourds ;
MARS.
23 1755 .
Je réponds : des amans faifons la différence ,
On bat ceux que l'on voit avec indifférence
Mais on fait patte de velours
Sur le galant de préférence ,
Au furplus , cette partie de mon exer
cice eft celle qui demande le plus de précifion
l'amour eft un enfant bien malin ;
fouvent on l'agace en croyant le rebuter ;
c'eſt aux Dames à ne pas s'y méprendre .
:
Que vous dirai-je encore ? je connois
une vieille Marquife , dont la foibleſſe eſt
de vouloir être regardée : elle y réuffic
quelquefois par la fingularité de fon ajuſtement.
Il y a quelque tems qu'elle fe faufila
dans une compagnie de jeunes perfonnes
de l'un & de l'autre fexe ; elle quête
des regards , à peine y fait- on attention :
la pauvre
Marquife
étoit
ifolée
au milieu
de douze
perfonnes
. Pour
derniere
reffource
, elle laiſſe
tomber
fon éventail
;
un jeune
homme
le ramaffe
, le rend poliment
à la Marquife
, & fe tourne
de l'autre
côté. La formalité
remplie
, il ne fut
pas feulement
queſtion
d'un clin d'oeil
, il
fallut
fortir
fans avoir
eu le bonheur
de fe
faire
regarder.
Une jeune Agnès fe fert plus heureuſement
du même ſtratagême ; fon amant lui
écrit , elle fait une réponse ; l'embarras eft
24 MERCURE DE FRANCE.
de la donner fans que l'on s'en apperçoive
; on attend l'occafion que l'on foit à
côté l'un de l'autre : l'Agnès laiffe adroitement
tomber l'éventail , le jeune Cavalier
le ramaffe , le préfente à fa maîtreffe , qui
faifit l'inftant pour lui gliffer dans la main
le billet qu'elle tehoit tout prêt dans la
fienne .
Eh ! que d'autres beautés en uferoient
ainfi !
Quelquefois
il arrive auffi
Qu'avec un air diftrait & fimple en apparence ,
Mais au fond , avec un air fin ,
En fe mettant au jeu , l'on donne à ſon voiſin
L'éventail à garder : aimable préférence !
Enfuite on feint de l'oublier
Lorfqu'à s'expliquer on héfite ,
Et cet heureux oubli fournit au cavalier
Un pretexte innocent de premiere vifite..
En un mot , je n'aurois jamais fait fi je
voulois vous développer dans toutes fes
parties le fublime exercice de l'éventail :
il répond à ceux du chapeau , de la canne ,
& de la tabatiere ; c'eft tout dire.
Et je ne vous parle que de ce que je
fçais , fans compter les méthodes que je
puis ignorer , mes confreres les ayant imaginées
fans moi . Car il eft bon de vous
dire que plufieurs zéphirs ont été tentés ,
fur
MARS . 1755. 25
fur mon exemple d'être métamorphofés en
éventails ; quelques uns par malice , d'autres
pour réparer de bonne foi la réputation
de légereté qui les avoient perdus
auprès des Dames , par les fervices continuels
qu'ils leur rendent ; & les Dames ,
à leur tour , par un motif de reconnoiffance
ou d'intérêt , ne nous abandonnent
pas même dans la faifon où les zéphyrs
font de trop preuve remarquable de toutes
nos autres propriétés,
Que d'éventails grands & petits ,
Pourroient vous raconter la choſe ;
Si tous les inconftans étoient affujettis
A la même métamorphofe ?
On affure même , continua le zéphyr ,
que les Cavaliers François , & fur-tout les
petits-maîtres , ont imaginé depuis peu
de porter en été des éventails de poche .
Après avoir partagé avec les Dames les .
mouches , le rouge , & les ponpons , je ne
crois pas que ces Meffieurs rifquent de
paroître plus ridicules en partageant auffi
l'exercice de l'éventail.
A peine mon zéphyr hiftorien eut - il
achevé ces mots , que je fus abordé par
un grand jeune homme , qu'il me dit être
de robe : il me demanda fi dans ce même
endroit je n'avois pas trouvé par hazard
B
26 MERCURE DE FRANCE .
l'éventail qu'une Dame avoit égaré. Pendant
qu'il me faifoit une longue defcription
de l'éventail , le zéphyr me dit
à l'oreille : voilà le favori de ma maîtreffe ;
c'est une actrice fort aimable : ce jeune
Confeiller l'avoit accompagnée dans ce
bofquet ; mais dès qu'ils ont apperçu certain
plumet , concurrent redoutable pour
un homme de robe , ils fe font levés avec
tant de précipitation que l'éventail eft reſté
fur la place. Cela m'arrive fouvent dans les
tête-à-têtes. Adieu .
Je rendis au Confeiller l'éventail de fa
Déefle , & je me retirai plein de réflexions
qu'une matiere auffi intéreffante ne doit
pas manquer d'infpirer .
Voilà , Mademoiſelle , l'Origine des éventails.
Et voilà , foit dit entre nous •
Ce que je n'aurois point griffonné pour toute autre.
A propos d'éventail , fi l'Amour d'un air doux
Venoit fe mettre à vos genoux ,
Croyez-moi , fervez - vous du vôtre
Pour le repouffer loin de vous ;
Je le connois , le bon apôtre ,
Le plus fage fait bien des fous.
DES EVENTAILS
A MADEMOISELLE ....
•
J'ai cru long moiſelle , qu-teemlses, aévveenctaviolussn,'éMtaodieen-t
autre chofe que l'invention de quelque artifan
affez habile pour avoir fçu (paffez- moi
la métamorphofe ) renfermer des zéphirs
dans un morceau de papier ou de taffetas.
Je n'y vois point d'autre avantage
Pour les Dames , que l'agrément
D'avoir à leur commandement
Le fouffle que zéphir avoit feul en partage
Avant que l'on eut l'art de captiver le vent.
Vous penfiez la même chofe , Mademoifelle
, mais nous ne connoiffions gueres
, ni l'un ni l'autre , la véritable origine
& les magnifiques propriétés des éventails .
J'ai été tiré d'erreur par l'aventure dont je
vous ai promis la narration ; elle vous paroîtra
merveilleufe , mais fongez que la
vérité même a fes merveilles , & que cette
hiftoire peut être vraie , quoiqu'elle ne
paroiffe pas tout-à-fait vraisemblable .
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
J'aime mieux , après tout , une plaifante fable ,
Qui peut mener l'efprit à quelque vérité ,
Que quelque hiftoire véritable ,
Sans but & fans moralité.
y aura un an l'été prochain , qu'après
m'être promené feul dans le Luxembourg
pendant un affez long tems , je fus me repofer
dans un bofquet de cet agréable jardin
, l'un des ornemens de Paris , quoique
la nature feule en faffe les frais , & que
l'art ne fe mette point en peine de le cultiver.
Il étoit près de huit heures du foir ; je
ne m'apperçus point en entrant dans le
bofquet que je marchois fur quelque chofe
; une efpéce de cri me fit regarder à
terre : un éventail fort joli étoit à mes
pieds ; je le ramaffai ; je ne fçais quel mouvement
fecret me fit defirer alors de connoître
la perfonne à qui cet éventail appartenoit.
Peut-être alors mon coeur étoit- il entraîné
Par ce doux inſtinct qui nous guide ,
Quand , par le moindre objet , l'homme eft déter
miné
A voler d'une aîle rapide
Wers le fexe enchanteur pour lequel il eft né.
Quoiqu'il en foit , je m'écriai fur le
MARS.
champ , & fans y penfer : à qui l'éventail ?
perfonne ne m'ayant répondu , j'allois le
mettre dans ma poche , lorfqu'une voix
me cria ; ami , que ne daignes-tu me demander
à moi -même à qui j'appartiens ?
Vous jugez bien , Mademoifelle , que
cette voix me furprit étrangement. Je regardai
de tous côtés , je ne découvris perfonne
l'épouvante commença à fuccéder
à l'étonnement : étoit- ce un démon ? étoitce
un génie ? les uns & les autres habitent
les bofquets. Cette voix n'avoit point un
corps , ou ce corps étoit invifible : dans
cette étrange conjoncture , je me rappellai
le fens du difcours , & mon étonnement
redoubla ; il paroiffoit même que l'éventail
m'avoit apoftrophé : nouveau fujet d'inquiétude
.
» Je vois ta ſurpriſe ( continua la voix ) ;
» c'eſt une preuve de ton ignorance.
Ami , tulanguis , je le voi ,
Dans les préjugés du vulgaire ;
Ton efprit ne recherche & ne découvre en moi
Qu'un inftrument fort ordinaire.
Je fçais qu'un éventail , pour un eſprit borné ,
N'eft qu'un morceau d'ivoire , un taffetas orné
D'une peinture inanimée :
Tandis qu'aux Dames deſtiné
Ce bijou , d'un zéphif , tient l'ame renfermée.
A v
10 MERCURE DE FRANCE .
Ainfi donc , ô mortels ! à l'écorce attachés ,
Vous voyez tout le refte avec indifférence ;
Etfous nombre d'objets fimples en apparence
Vous ne pénétrez pas quels tréfors font cachés .
La voix pourfuivit , affis -toi fur ce ga
zon , approches l'éventail de ton oreille
& redoubles d'attention .
L'éventail que tu tiens n'eft autre chofe
qu'un malheureux zéphir , à qui fon inconftance
a couté cher.
J'aimois Flore , & j'en étois aimé , lorfque
ma légereté naturelle me fit voler vers
Pomone ; je trouvai fon coeur occupé ,
Vertumne étoit heureux .
Après avoir parcouru les états de quelques
autres divinités , je revins à Flore ;
elle m'aimoit toujours , & elle me pardonna
ma petite infidélité.
En amour la défertion
Nous infpire fouvent une ferveur nouvelle
Pour le premier objet de notre paffion.
Ne craignons point l'impreffion
Qu'une infidelité fera fur une belle ,
Pourvû que le bon goût & la réflexion,
Sçache nous ramener à propos auprès d'elle :
De ne faire jamais qu'un choix ,
Belles, fi vos amans fe faifoient une affaire ;
MARS. II 1755.
Votre gloire y perdroit , c'eft une choſe claire ;
De quatre amans , foumis tour à tour à vos loix ,
Il faudroit en retrancher trois.
Il faut bien , pour vous fatisfaire ,
Que notre coeur ait quelquefois
Des facrifices à vous faire.
Suivant cette maxime , mon retour vers
La Déeffe ne me guérit point de l'inconftance
; on eût dit que j'étois né François .
Lorfque je revins à la cour de Flore , j'y
trouvai une jeune nymphe fort aimable ,
& que je n'avois pas encore vûe ; on la
nommoit Aglaé : la voir & l'aimer fut mon
premier mouvement ; le fecond fut de
chercher à lui plaire. Aglaé avoit un coeur
neuf : conquête flatteufe ! je n'épargnai
rien pour me la procurer ; mais ce n'étoit
pas fans précautions : mon humeur volage
avoit rendu Flore clairvoyante.
Ce n'étoit pas une merveille.
Un amour trop certain de fa félicité ,
S'affoupit dans les bras de la fécurité ;
Mais il s'agite & ſe réveille ,
Dès qu'il entend la voix de l'infidelité .
J'étois obfervé de fi près que je fus
bien huit jours entiers à brûler conftamment
fans pouvoir le déclarer à l'aimable
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Aglaé ; cependant au bout de ce long ter
me , Flore ayant été appellée au confeil
des Dieux , pour l'ornement d'une fête que
Jupiter vouloit donner , fon abſence me
laiffa la liberté d'entretenir mon adorable
nymphe : je ne fçais fi elle avoit deviné
que j'aurois à lui parler ; elle fe difpenfa ,
fur quelque prétexte , de fuivre la Déeffe.
Quant à moi je trouvai le fecret de m'échapper
de la falle du confeil olympique ,
& je volai vers Aglaé .
Elle fe promenoit dans les jardins del
Flore : eh quoi ! me dit- elle d'un air tout
charmant , vous n'êtes donc pas refté avec
la Déeffe ? croyez- vous , lui dis- je , ô mon
aimable Aglaé , qu'il y ait des fêtes pour
moi où vous n'êtes pas ? alors je me jettai
à fes genoux , & je lui déclarai avec tranfport
l'amour qu'elle m'avoit infpirée.
Que faites-vous ? s'écria-t elle , que deviendrois-
je fi Flore nous furprenoit enfemble
? Ne craignez rien , chere Aglaé ,
Flore eft retenue dans les cieux ; n'ayez
d'attention que pour un amant qui ne voit
que vous.
Ah ! par une crainte frivole
Pourquoi troublerons -nous ces momens fortunés ?
Déja cet heureux tems s'envole ,
Cruelle , & vous l'empoifonnez.
MARS. 1755 : 13
Hélas ! me répondit Aglaé , avec une
fimplicité trifte & naïve , je vous écoutois
il y a quelques jours parler à Flore , vous
fui juriez un amour éternel , & vous m'aimez
, dites-vous ? Oui , répliquai -je auffitôt
en prenant une de fes belles mains :
oui , belle Aglaé , je vous adore , & je
n'adore que vous feule ; êtes - vous déterminée
à m'ôter tout eſpoir , à moi , l'amant
le plus tendre & le plus fidele qui fut
jamais ?
Sur ces fermens , continua l'Eventail ,
en s'interrompant lui - même , vous me
croyez peut- être le plus traître de tous
les zéphirs , vous m'accufez de perfidie . t.
Mais ce feroit me faire injure ;
L'inconftance eft l'effet d'une invincible loi :
Et l'amant volage eſt parjure
Sans être de mauvaiſe foi.
Cependant le ceeur rempli de ma nouvelle
paffion , j'attendois aux pieds d'Aglaé
qu'elle daignât prononcer mon arrêt : Levez
-vous , me dit - elle , je tremble que
Flore ne furvienne . Eh ! quoi , lui répliquai-
je , toujours des craintes , & pas
le
moindre efpoir ! Que voulez- vous que je
vous dife , me répondit Aglaé , en tourmant
vers moi les plus beaux yeux du monde
? .... Ah ! Zephir , vous avez aimé
12 MERCURE DE FRANCE.
Aglaé ; cependant au bout de ce long ter
me , Flore ayant été appellée au confeil
des Dieux , pour l'ornement d'une fête que
Jupiter vouloit donner , fon abfence me
laiffa la liberté d'entretenir mon adorable
nymphe : je ne fçais fi elle avoit deviné
que j'aurois à lui parler ; elle fe difpenfa ,
fur quelque prétexte , de fuivre la Déeſſe.
Quant à moi je trouvai le fecret de m'échapper
de la falle du confeil olympique ,
& je volai vers Aglaé.
Élle ſe promenoit dans les jardins de
Flore : eh quoi ! me dit- elle d'un air tout
charmant , vous n'êtes donc pas refté avec
la Déeffe ? croyez- vous , lui dis- je , ô mon
aimable Aglaé , qu'il y ait des fêtes pour
moi où vous n'êtes pas ? alors je me jettai
à fes genoux , & je lui déclarai avec tranfport
l'amour qu'elle m'avoit infpirée.
Que faites-vous ? s'écria-t elle , que deviendrois-
je fi Flore nous furprenoit enfemble
? Ne craignez rien , chere Aglaé ,
Flore eft retenue dans les cieux ; n'ayez
d'attention que pour un amant qui ne voit
que vous.
Ah ! par une crainte frivole
Pourquoi troublerons-nous ces momens fortunés ?
Déja cet heureux tems s'envole ,
Cruelle , & vous l'empoifonnez.
MARS . 1755: 13
Hélas ! me répondit Aglaé , avec une
fimplicité trifte & naïve , je vous écoutois
il y a quelques jours parler à Flore , vous
fui
juriez un amour éternel , & vous m'aimez
, dites-vous ? Oui , répliquai-je auffitôt
en prenant une de fes belles mains
oui , belle Aglaé , je vous adore , & je
n'adore que vous feule ; êtes- vous déterminée
à m'ôter tout eſpoir , à moi , l'amant
le plus tendre & le plus fidele qui fut
jamais ?
Sur ces fermens , continua l'Eventail ,
en s'interrompant lui - même , vous me
croyez peut-être le plus traître de tous
les zéphirs , vous m'accufez de perfidie.
Mais ce feroit me faire injure ;
L'inconftance eft l'effet d'une invincible loi :
Et l'amant volage eft parjure
Sans être de mauvaiſe foi.
Cependant le ceeur rempli de ma nouvelle
paffion , j'attendois aux pieds d'Aglaé
qu'elle daignât prononcer mon arrêt : Levez
- vous , me dit - elle , je tremble que
Flore ne furvienne . Eh ! quoi , lui répliquai-
je , toujours des craintes , & pas
moindre efpoir ! Que voulez- vous que je
vous dife , me répondit Aglaé , en tourmant
vers moi les plus beaux yeux du monde
? .... Ah ! Zephir , vous avez aimé
le
14 MERCURE DE FRANCE.
1
Flore ..... que je ferois à plaindre fi vous
changiez une feconde fois ! A ces mots
elle difparut.
Depuis ce moment elle m'évitoit , elle
s'obfervoit elle - même , elle fembloit fe repentir
d'une indifcrétion ; enforte que je
fus quelques jours fans pouvoir m'affurer
plus pofitivement de fes difpofitions à mon
égard : peut-être , me répondrez - vous ,
qu'elle m'en avoit affez dit à
Mais quel eft l'aveu favorable
Qui foit , je ne dis pas égal , mais comparable
A ce je vous aime charmant
Que l'on trouve fi defirable ?
Ces trois mots échappés d'une bouche adorable ,
Peuvent feuls contenter la maîtreffe & l'amant .
L'attente d'un aveu fi cher m'avoit rendu
rêveur contre mon ordinaire . Ma rêverie
me conduifit un jour dans une allée
fombre où le promenoit Aglaé. Dès qu'elle
me vit , elle entra , pour m'éviter , dans un
cabinet de rofiers , voifin d'un bofquet de
myrtes , où Flore alloit quelquefois fe repofer.
La jeune Nymphe ne foupçonnoit
pas que je l'euffe apperçue : j'étois à fes
genoux avant qu'elle eût fongé à m'ordonner
de me retirer . Elle voulut fortir ; je
Parrêtai : Ne craignez rien , lui dis-je , belle
Aglaé !
MARS . 1755.
Que mon empreffement ne vous foit point fufpect
:
Ma tendreffe pour vous eft pure & légitime ;
Le véritable amour est fondé fur l'eftime ,
Et l'eftime eft fuivie en tout tems du reſpect.
- Elle parut fe raffurer : une défiance affectée
eft fouvent plus dangereufe dans ces
occafions qu'une noble confiance mêlée
d'une fierté qui en impoſe à l'amant le plus
empreffé.
Je me défierois d'une prude
Qui me quitteroit brufquement ,
Ou me chafferoit d'un air rude ;
La vertu bien fincere agit tout fimplement.
4
Nous nous mîmes à caufer tranquillement.
Aglaé continua de cueillir des rofes
pour s'en faire un bouquet. J'en avois apperçu
une , la plus belle du monde , dans
un coin du cabinet : j'allois la cueillir
lorfqu'une épine me piqua fi vivement
qu'il m'échappa une plainte que la tendre
Aglaé accompagna d'un cri,: tous deux
nous trahirent .
Hélas ! les rofes les plus belles ,
Et qui par leur éclat charment le plus nos yeux ,
Cachent aux regards curieux
Les épines les plus cruelles.
16 MERCURE DE FRANCE.
Le plus fage feroit de n'en point approcher.
Mais , quoi ! de tant d'attraits le ciel les a pour
vûes ,
Que du moment qu'on les a vûes
On rifque tout pour les toucher .
Flore dormoit dans le bofquet demyrte ;
le cri d'Aglaé la réveilla ; elle accourut dans
le cabinet des rofiers : Dieux ! quel fut fon
étonnement ! Aglaé étoit affife fur un banc
de gazon , j'étois à genoux devant elle ,
tandis qu'avec un mouchoir de mouffeline
, l'aimable Nymphe fe hâtoit d'étancher
le fang qui fortoit de la piquûre que
je m'étois faire : la bleffure en elle-même
étoit peu de chofe ; mais eft - il de légers
accidens en amour ? Aglaé découvroit dans
fon action cet empreffement mêlé de crainte
que l'on a dans ces fortes d'occafions
pour les perfonnes que l'on aime.
En amour , le péril eft la pierre de touche :
Alors , quoiqu'une belle ait formé le projet
De tenir en filence & fes yeux & fa bouche ;
Dans le moindre accident qui frappe un cher ob
jet ,
L'ame fe réunit à celle qui la touche , :
Et la beauté la plus farouche
De fes craintes bientôt découvre le fujet.
Cette entrevûe auffi fatale pour nous
MARS. 1755. 17
que pour la Déeffe , ne fit que juftifier des
foupçons qu'elle avoit déja conçus : elle
diffimula cependant , & parut même plus
tranquille fur mon compte ; mais elle méditoit
une vengeance qui devoir m'ôter
pour toujours le defir , ou , fi vous voulez
, le plaifir de changer .
Quelques jours après cet incident , Flore
fit avertir Aglaé de venir lui parler en
particulier la pauvre Nymphe obéit en
tremblant. Raffurez- vous , lui dit -elle , je
ne veux point vous faire de mal ; je fuis
charmée , puifque Zéphir m'abandonne
que ce foit du moins pour une perfonne
qui le mérite. Mais , Aglaé , quand vous
lui avez permis quelque efpérance , avez .
vous bien refléchi fur le caractere de votre
amant ? les fermens qu'il vous a faits fans
doute , ne me les avoit- il pas faits à moi
même ? que dis-je ? ne me les avoit- il pas
mille fois réitérés ? avez - vous plus d'em
pire fur lui que je crois en avoir ? & s'il
change encore quelle fera votre deftinée
?
>
Au commencement de ce difcours
Aglaé n'avoit reffenti que de la confufion :
ces derniers mots lui firent répandre des
larmes ; elles furent fa réponſe.
Je vous plains d'autant plus , continua
la Déeffe , que vous aimez de bonne foi
18 MERCURE DE FRANCE.
le plus volage de tous les amans ; il eft cependant
pour vous un moyen de prévenir
fon infidélité. On vient de me faire préfent
d'une petite baguette d'ivoire qui a
la vertu de fixer les inconftans : je vous
la donne , j'en aurois fait ufage pour moimême
, fi Zéphir ne m'eût point quittée
pour vous : il n'eft plus tems , & peut-être
même que demain il feroit trop tard pour
vous.
Incapable de trahisons ;
La fincere vertu l'eft auffi de foupçons.
Aglaé ne vit dans cette offre de Flore
qu'une marque de protection . Elle fortit
après avoir baifé la main de la Déeffe
avec le témoignage de la plus vive reconnoiſſance
. Hélas ! elle ne prévoyoit pas
combien ce préfent alloit nous être fatal
à tous les deux .
Elle accourut d'un air gai me faire part de
la prétendue clémence de Flore ; mais elle
ne me dit rien de la fatale baguette, dans la
crainte apparemment d'en empêcher l'effet .
Je ne me défiois de rien : la gaité d'Aglaé
me charmoit ; je me mis à folâtrer avec
elle : j'apperçus la petite baguette d'ivoire ,
je la trouvai jolie : je voulus la dérober ' ;
Aglaé la retint , elle m'en donna en badiMARS.
1755 . 19
nant de petits coups fur les ailes : funefte
badinage !
A peine cus-je été frappé du fatal préfent
de Flore , qu'il fe fit en moi une métamorphofe
auffi prompte que prodigieufe.
La baguette enchantée fe fendit en plu
fieurs petites languettes minces qui forment
les bâtons que vous tenez : mes aîles
s'étant réunies auffi - tôt , fe colerent fur
l'ivoire , & formerent ce que l'on appelle
vulgairement un éventail fuis toujours
Zéphir , quoique j'aie perdu mon ancienne
forme.
En fuis-je donc moins eftimable
N'ai- je pas confervé l'heureufe faculté
De répandre dans l'air cette fraîcheur aimable
Qui défend la beauté
Contre les chaleurs de l'été ?
En vain l'aftre du jour veut lui faire la guerre ,
J'ai l'art de l'en débarraffer.
Ce font toujours les fleurs que j'aime à careffer ;
Non celles qu'autrefois j'aimois dans un parterre ,
Mais celles que les Dieux ont pris foin de verfer
Sur le teint éclatant des Reines de la terre.
Mon changement en éventail fut pour
Aglaé le coup le plus terrible . J'ai fçu depuis
qu'elle n'avoit pû furvivre à mon
malheur , & j'ofe ajouter au fien . Pou
20 MERCURE DE FRANCE.
voit elle defirer de me fixer à ce prix ?
J'ai paffé en différentes mains depuis ma
métamorphofe ; les Dieux m'ont laiffé l'ufage
de la parole pour inftruire l'univers
de mon origine & de mes différentes propriétés.
Comment ( dis- je au Zéphir métamor
phofé ) , vous fervez donc à plus d'une
chofe ?
Que tu es novice , me répondit-il , Â
tu ignores en combien de manieres je puiš
être utile au beau fexe !
Vas , crois- moi , ce feroit trop peu pour
les Dames de n'avoir en moi qu'un zéphir
à leurs ordres , il eft des occafions où je
leur fuis d'une toute autre utilité.
Croirois-tu , par exemple , que j'ai bonne
part à certaines converfations ? Il y a
quelque tems que j'appartenois à une jeune
veuve , qui dans ces fortes de cas
fe fervoit de moi merveilleufement bien.
Comme elle a de la beauté , mais peu
d'efprit ,
S'entend-elle agacer par quelque compliment
Elle répond fuccintement ;
Mais elle fçait en récompenſe
Badiner fort éloquemment
Avec fon éventail , dont le jeu la difpenfe
De s'énoncer plus clairement :
MARS. 1755. 21
O! l'agréable truchement !
Sans faire plus grande dépenſe
Et d'efprit & de jugement ,
Dans un cercle , Cloris fe donne adroitement
L'air d'une perfonne qui penſe ;
Et l'évantail alors fert admirablement.
Elle le tient appuyé fur fes levres , à peu
près dans l'attitude du Dieu du filence repréfenté
tenant un cachet ou fon doigt fur
fa bouche. C'eft ainfi qu'une fotte rêverie
paffe pour une fpirituelle méditation .
Que de Dames fort eftimables d'ailleurs , à
qui il n'en a jamais coûté qu'une femblable
attitude , pour fe donner dans le monde
la réputation d'êtres penfans !
yeut-on de l'éventail faire quelqu'autre ufage ?
Que l'on me tienne déployé ,
Et qu'alors je fois employé
A cacher , de côté , la moitié du viſage :
Voilà dans un monde poli-,
Et le voile le plus modeſte ,
Et le mafque le plus joli
Pour en faire accroire de refte ,
Aux oncles , aux tuteurs , aux papas , aux ma
mans ,
Aux maris , & même aux amans, -
C'eft ainfi qu'à fa confidente ,
Ou bien à fon héros , une fille prudente
22 MERCURE DE FRANCE.
Parle à l'abri de l'éventail ;
Car on n'affiche plus l'amour à fon de trompe ,
Et ce n'eft plus en gros , meres , que l'on vous
trompe :
On aime à petit bruit , & l'on dupe en détail.
Cette façon de mafque eft encore à l'ufage
des Dames , qui fe difent à l'oreille
de jolis riens ; elles leur donnent par là
un air d'importance & de myftere. Autre
avantage que l'on retire de l'éventail,
Sur l'objet de fa paſſion ,
L'éloquence d'un homme aimable
Fait-elle quelque impreffion ?
On cache une rougeur ou fauffe ou véritable
Avec un éventail , dont on fçait ſe couvrir ;
Et quelquefois auffi c'eft un tour plein d'adrefle
Pour faire deviner des fignes de tendreffe
Que la bouche balance encore à découvrir.
Un jeune Cavalier , moins fage qu'amoureux ¿
Qu'un tendre aveu rend téméraire ,
Ofe-t-il hazarder quelque gefte contraire
A ce que la décence exige de fes feux
Mieux que par une réprimande ,
Par un coup d'éventail , le tendron irrité
En impofe au galant , qui s'étoit écarté
la raifon commande .
De ce que
Mais j'entends que l'on me demande
Si le coup d'éventail eft donné des plus lourds ;
MARS.
23 1755 .
Je réponds : des amans faifons la différence ,
On bat ceux que l'on voit avec indifférence
Mais on fait patte de velours
Sur le galant de préférence ,
Au furplus , cette partie de mon exer
cice eft celle qui demande le plus de précifion
l'amour eft un enfant bien malin ;
fouvent on l'agace en croyant le rebuter ;
c'eſt aux Dames à ne pas s'y méprendre .
:
Que vous dirai-je encore ? je connois
une vieille Marquife , dont la foibleſſe eſt
de vouloir être regardée : elle y réuffic
quelquefois par la fingularité de fon ajuſtement.
Il y a quelque tems qu'elle fe faufila
dans une compagnie de jeunes perfonnes
de l'un & de l'autre fexe ; elle quête
des regards , à peine y fait- on attention :
la pauvre
Marquife
étoit
ifolée
au milieu
de douze
perfonnes
. Pour
derniere
reffource
, elle laiſſe
tomber
fon éventail
;
un jeune
homme
le ramaffe
, le rend poliment
à la Marquife
, & fe tourne
de l'autre
côté. La formalité
remplie
, il ne fut
pas feulement
queſtion
d'un clin d'oeil
, il
fallut
fortir
fans avoir
eu le bonheur
de fe
faire
regarder.
Une jeune Agnès fe fert plus heureuſement
du même ſtratagême ; fon amant lui
écrit , elle fait une réponse ; l'embarras eft
24 MERCURE DE FRANCE.
de la donner fans que l'on s'en apperçoive
; on attend l'occafion que l'on foit à
côté l'un de l'autre : l'Agnès laiffe adroitement
tomber l'éventail , le jeune Cavalier
le ramaffe , le préfente à fa maîtreffe , qui
faifit l'inftant pour lui gliffer dans la main
le billet qu'elle tehoit tout prêt dans la
fienne .
Eh ! que d'autres beautés en uferoient
ainfi !
Quelquefois
il arrive auffi
Qu'avec un air diftrait & fimple en apparence ,
Mais au fond , avec un air fin ,
En fe mettant au jeu , l'on donne à ſon voiſin
L'éventail à garder : aimable préférence !
Enfuite on feint de l'oublier
Lorfqu'à s'expliquer on héfite ,
Et cet heureux oubli fournit au cavalier
Un pretexte innocent de premiere vifite..
En un mot , je n'aurois jamais fait fi je
voulois vous développer dans toutes fes
parties le fublime exercice de l'éventail :
il répond à ceux du chapeau , de la canne ,
& de la tabatiere ; c'eft tout dire.
Et je ne vous parle que de ce que je
fçais , fans compter les méthodes que je
puis ignorer , mes confreres les ayant imaginées
fans moi . Car il eft bon de vous
dire que plufieurs zéphirs ont été tentés ,
fur
MARS . 1755. 25
fur mon exemple d'être métamorphofés en
éventails ; quelques uns par malice , d'autres
pour réparer de bonne foi la réputation
de légereté qui les avoient perdus
auprès des Dames , par les fervices continuels
qu'ils leur rendent ; & les Dames ,
à leur tour , par un motif de reconnoiffance
ou d'intérêt , ne nous abandonnent
pas même dans la faifon où les zéphyrs
font de trop preuve remarquable de toutes
nos autres propriétés,
Que d'éventails grands & petits ,
Pourroient vous raconter la choſe ;
Si tous les inconftans étoient affujettis
A la même métamorphofe ?
On affure même , continua le zéphyr ,
que les Cavaliers François , & fur-tout les
petits-maîtres , ont imaginé depuis peu
de porter en été des éventails de poche .
Après avoir partagé avec les Dames les .
mouches , le rouge , & les ponpons , je ne
crois pas que ces Meffieurs rifquent de
paroître plus ridicules en partageant auffi
l'exercice de l'éventail.
A peine mon zéphyr hiftorien eut - il
achevé ces mots , que je fus abordé par
un grand jeune homme , qu'il me dit être
de robe : il me demanda fi dans ce même
endroit je n'avois pas trouvé par hazard
B
26 MERCURE DE FRANCE .
l'éventail qu'une Dame avoit égaré. Pendant
qu'il me faifoit une longue defcription
de l'éventail , le zéphyr me dit
à l'oreille : voilà le favori de ma maîtreffe ;
c'est une actrice fort aimable : ce jeune
Confeiller l'avoit accompagnée dans ce
bofquet ; mais dès qu'ils ont apperçu certain
plumet , concurrent redoutable pour
un homme de robe , ils fe font levés avec
tant de précipitation que l'éventail eft reſté
fur la place. Cela m'arrive fouvent dans les
tête-à-têtes. Adieu .
Je rendis au Confeiller l'éventail de fa
Déefle , & je me retirai plein de réflexions
qu'une matiere auffi intéreffante ne doit
pas manquer d'infpirer .
Voilà , Mademoiſelle , l'Origine des éventails.
Et voilà , foit dit entre nous •
Ce que je n'aurois point griffonné pour toute autre.
A propos d'éventail , fi l'Amour d'un air doux
Venoit fe mettre à vos genoux ,
Croyez-moi , fervez - vous du vôtre
Pour le repouffer loin de vous ;
Je le connois , le bon apôtre ,
Le plus fage fait bien des fous.
Fermer
Résumé : L'ORIGINE DES EVENTAILS, A MADEMOISELLE .....
Le texte narre l'origine des éventails, racontée par un homme à une demoiselle. Initialement, l'homme pensait que les éventails servaient uniquement à capturer le vent pour le plaisir des dames. Cependant, il découvre la véritable origine des éventails à travers une aventure merveilleuse mais vraisemblable. Un jour, l'homme trouve un éventail dans un bosquet du Luxembourg. Une voix invisible, celle de l'éventail lui-même, lui raconte son histoire. L'éventail était autrefois un zéphyr, un vent léger, qui aimait la déesse Flore. Par inconstance, il tomba amoureux de Pomone, mais revint ensuite à Flore. Plus tard, il s'éprit de la nymphe Aglaé, ce qui provoqua la jalousie de Flore. Lors d'une fête des dieux, le zéphyr déclara son amour à Aglaé, mais celle-ci, craignant la colère de Flore, hésita. Finalement, Aglaé disparut, laissant le zéphyr malheureux. Pour punir son inconstance, le zéphyr fut transformé en éventail, emprisonnant ainsi son esprit volage dans un objet. La déesse Flore, jalouse, découvrit la relation entre Aglaé et Zéphir. Pour se venger, elle offrit à Aglaé une baguette d'ivoire enchantée, censée fixer les inconstants. Aglaé, ignorante des intentions malveillantes de Flore, accepta le présent. Zéphir, attiré par la baguette, la toucha et se métamorphosa en éventail. Cette transformation fut fatale pour Aglaé, qui ne survécut pas à la perte de Zéphir. L'éventail, doté de la parole, explique ses multiples usages et utilités. Il sert à dissimuler des émotions, à communiquer discrètement, et à jouer divers rôles dans les interactions sociales. Les dames l'utilisent pour se protéger des regards indiscrets et pour envoyer des signaux subtils. Le texte se termine par une réflexion sur les éventails et leurs rôles dans la société, illustrée par des anecdotes et des observations sur leur usage.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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53
p. 127-144
SEANCES PARTICULIERES De la Société Littéraire de Châlons.
Début :
Si quelques critiques chagrins se sont érigés de nos jours en censeurs des [...]
Mots clefs :
Nature, Dieux, Vessie, Remède, Religion, Pierres humaines, Pierre, Maladie, Chaux, Société littéraire de Châlons
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SEANCES PARTICULIERES De la Société Littéraire de Châlons.
SEANCES PARTICULIERES
De la Société Linéraire de Châlons.
St
1. quelques critiques chagrins fe font
érigés de nos jours en cenfeurs des
Académies , il s'eft auffi trouvé des défenfeurs
de ces fortes d'établiffemens : leur
utilité a été démontrée dans des écrits. publics
: il a été prouvé d'une maniere victorieufe
que leur multiplicité étoit néceffaire
au progrès des fciences , & que loin
de nuire au corps politique de l'Etat, elle
ne pouvoit lui être qu'avantageufe.
C'eft fous ce point de vue que M. Du-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
pré d'Aulnay , ancien Commiffaire des
Guerres , l'a confidéré. Retiré depuis plufieurs
années dans la ville de Châlons-fur-
Marne , fon amour pour l'étude l'y a fuivi
, & les liaifons qu'il a formées avec des
concitoyens animés du même amour , lui
ont fait concevoir le deffein de les unir
par les noeuds d'une fociété littéraire .
Il en a demandé. l'agrément à M. le
Comte de Saint - Florentin . Ce Miniftre
qui chérit les Lettres , autant qu'il eft cher
aux Sçavans , l'a honoré d'une réponſe
favorable , & a promis une autorifation
plus précife , lorfque les affociés auroient
donné des preuves de leurs talens .
Son A. S. M. le Comte de Clermont ,
Gouverneur des provinces de Champagne
& de Brie , a bien voulu concourit de fon
côté à cet établiffement : illuftre par fon
fang & par la faveur finguliere qu'il a fait
aux Mufes d'entrer dans leur fanctuaire ,
il a donné de nouvelles marques de fon
attachement pour elles , en fe déclarant le
protecteur de cette fociété naiffante.
Les membres d'une fociété qui commence
fous de fi heureux aufpices , ont dé
ja produits quelques fruits de leurs veilles
dans les affemblées particulieres qu'ils ont
tenues pendant le cours de cette année.
M. Culoteau de Velye , Avocat du Roi
MARS. 1755. 129
•
au Préfidial de Châlons en Champagne ,
& l'un des membres de cette fociété , a lû
une differtation fur la confécration des
Empereurs romains , & particulierement
fur celle de Pertinax , juftifiée par une médaille.
Il obferve que la confécration en uſage
chez les Romains étoit différente de l'apothéofe
admife chez les autres peuples ;
que cette derniere cérémonie étoit connue
dès le tems de Belus , premier Roi des
Affyriens , & qu'elle a été continuée depuis
en faveur des Princes , des Rois recommendables
par leur fageffe , & même
de fimples particuliers qui s'étoient fignalés
par leurs vertus & des actions éclatantes
. Il fixe au regne des Céfars l'origine de
la confécration qui , lorfque Romulus fut
admis au rang des Dieux , n'étoit point
encore établie de la maniere dont elle l'a
été dans la fuite.
›. Il fait voir que dans tel tems de la République
, le Sénat n'accorda cet honneur
qu'à la feule Acea Laurentia , comme un
tribut de fa reconnoiffance pour les biens
qu'il en avoit reça que s'il décerna par la
fuite les mêmes honneurs à un grand nom
-bre d'Empereurs , il les refufa néanmoins à
ceux qui s'étoient rendus odieux par leurs
vices.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE .
Il rapporte pour exemple la joie générale
qu'excita la mort de Tibere , le decret
qui déclara Neron ennemi de la patrie,
les outrages exercés fur les corps de Vitellius
& d'Héliogabale qui , après avoir
été traînés avec ignominie par les rues de
Rome , furent jertés dans le Tibre ; le long
refus du Sénat d'élever Adrien au rang des
Dieux , la fermeté avec laquelle il йétric
la mémoire de Domitien déifié par les armées
, en faifant brifer fes ftatues , fes portraits
& les infcriptions faites en fon honneur.
Il prouve que la cérémonie de la confé
cration des Empereurs a fubfifté jufqu'an
tems du parfait établiſſement de notre religion
; Jovien ayant encore été mis au
rang des Dieux par les foins de fon fuc
ceffeur Valentinien , vers l'an 364 de l'ere
chrétienne .
A l'égard de l'Empereur Pertinax , dont
-M. de la Baftie prétend dans fon ouvrage
fur le P. Joubert , que l'on n'a point encore
trouvé de médailles , M. de Velye en
produit une , qui femble ne laiffer aucun
doute que l'on a déféré à cet Empereur
-les honneurs de la confécration ." col
< Cette médaille , qui eft de moyen broneze
, préfente d'un côté la tête de Pertinax ,
avec la légende Divus Helvius Pertinax , &
MAR S.: 1755. 131
a pour tipe en fon revers un aigle avec les
aîles déployées , fur lefquelles eft la figure
de l'Empereur à demi- couché , avec la légende
Confecratio. Cette médaille paroît
caracterifer d'une façon particuliere la confécration
de Pertinax , & l'on a lieu de
croire qu'elle eft une de celles qui ont été
re nouvellées par Gallien .
M. de Velye penfe que l'on peut porter
le même jugement d'une médaille de Fauftine
, qui du côté de la tête a pour légende
Diva Fauftina ; & au revers une figure
humaine que l'on peut prendre pour un
Prêtre , faifant une libation fur un autel ,
fur lequel il y a du feu , avec la légende
Confecratio : cependant il ne propofe fon
fentiment à cet égard que comme conjecture
, s'en rapportant aux connoiffances des
fçavans en ce genre.
M. de Velye a fait encore lecture d'une
autre differtation, dont l'objet eft de déterminer
quels étoient les principes de la religion
des anciens Romains , & s'ils étoient
différens de ceux qui conftituoient le culte
religieux des Grecs .
Voici fommairement les preuves qu'il
apporte pour établir cette différence .
Les premiers Romains , preſque tous occupés
à nourrir des troupeaux , en tiroient
les fecours néceffaires pour -fubfifter. Pan
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
étoit leur principale Divinité ; ils cétébroient
en fon honneur des fêtes par des
facrifices , & par des jeux appellés Lupeztaux
; ils honoroient auffi comme des
Dieux , Janus , Saturne , Picus , Hercule ,
&c. Mais indépendamment de ces Dieux
de la patrie ils reconnoifloient encore ceux
des grandes nations ; ils admettoient auffi
les augures , les pénates , les génies , &c.
Romulus effaya de détruire les préjugés
de ceux qui compofoient fa colonie , d'établir
une religion fondée fur des principes
raisonnables , & de fixer un culte conforme
à l'idée qu'il avoit conçue de la Divinité
, qu'il reconnoiſſoit comme un être
parfait & immortel .
Numa qui lui fuccéda , approchoit aſſez
des fentimens de fon prédéceffeur au ſujet
de la religion ; il penfoit qu'on ne pouvoit
donner aucune forme fenfible à la caufe
premiere de tous les êtres créés ; en conféquence
l'on ne vit à Rome pendant près
de deux fiécles aucun monument élevé pour
repréfenter la Divinité .
La religion établie par Romulus fubfiſta
long-tems , comme le fondement inébranlable
de la confervation de la chofe publique
; tout fon fyftême confiftoit à propo
fer pour objet du culte religieux un être
pur , efprit fouverainement parfait , imMARS.
1755. 133
mortel , auteur de tout , & de l'honorer
par un culte digne de fon unité & de fa
grandeur.
Les Grecs , au contraire , s'imaginant
qu'il étoit poffible d'appercevoir , par l'organe
des fens , la divinité telle quelle eft
en elle-même , la fixerent d'abord, dans le
foleil ; ils déïferent les élémens , l'univers
entier , & les différentes parties qui le com →
pofent. Orphée , Mufée , Eumolpe , que
S. Auguftin appelle les théologiens des
Grecs , bien loin d'amener leurs compatriotes
à la connoiffance de la vérité , les
en éloignerent , & les plongerent dans des
erreurs injurieufes à l'être fuprême ; ils
propoferent des Dieux fous des fymboles
& des hieroglyphes , dont ils avoient apris
à faire ufage en Egypte. La trop grande
élévation d'efprit de ces philofophes fit
tomber dans l'égarementceux qu'ils fe pro
pofoient d'éclairer , & qui n'étoient point
capables de comprendre le fens des fables
abfurdes qu'ils employoient pour établir les
vérités les plus importantes.
Ce fut des prétendus fages de l'Egypte
qu'ils avoient appris à diftinguer l'âge , le
fexe , la forme & le nombre des Dieux ;
ils apprirent auffi d'eux à les honorer par
des fêtes & par des jeux folemnels ; mais
il n'arrivoit que trop fouvent que l'on
.
134 MERCURE DE FRANCE.
portoit l'impiété en triomphe dans ces cérémonies
, & qu'elles devenoient un affemblage
monftrueux de defordres & de crimes.
La connoiffance de la nature & l'étude
de la phyfique devint la fource de l'erreur ;
on donnoit à chacune des caufes un des
attributs de la divinité , & les attributs diftingués
, fembloient introduire & préfenter
une multiplicité de Dieux. Plufieurs
fages , comme Diagoras & Socrate , furent
les victimes de leur attachement à la vérité
, telle que l'homme peut la découvrir par
l'étude & la force du raifonnement .
Les Romains , dans leur origine , étoient
des hommes durs , groffiers , fauvages ;
mais ils furent amenés à la connoiffance
de l'être fuprême , autant qu'on peut en
approcher par les lumieres de la raifon ;
ils fe diftinguerent par leur inviolable attachement
à une religion plus fainte que
celle des autres nations..
Les Grecs , au contraire , inconftans &
legers , fe livrerent au torrent d'une aveugle
fuperftition ; leur culte avoit fouvent
l'homme pour objet ; leurs fêtes , & les
jeux qu'ils célébroient , n'étoient inſtitués
que pour exciter ceux qui y étoient admis
à fe furpaffer mutuellement par la force ,
l'adreffe & la légereté : on n'y comptoit
MARS 1755 ”ན
135
prefque pour rien le coeur , les moeurs &
la vertu .
la
De cet expofé , on peut conclure que
religion des anciens Romains étoit plus
parfaite que celle des Grecs , & qu'elle
étoit établie fur des principes différens.
- M. Dupré d'Aulnai a lû auffi une differtation
qui a pour objet l'écoulement magne
tique , Pélectricité , l'afcenfion de la feve
dans les végétaux , & le flux de la mer. Il
croit que la même caufe produit ces différens
effets , que le foleil en eft le premier
& le feul mobile , & que cet aftre eft dans
l'univers ce qu'eft le coeur dans l'animal ,
auquel il donne le mouvement , la chaleur
& la vie.
af-
M. Navier , Docteur en Médecine ,
focié correfpondant de l'Académie royale
des Sciences de Paris , & l'un des mem
bres de la Société , a lu dans différentes
féances des differtations fur plufieurs maladies
populaires qui ont regné dans la
vince de Champagne & ailleurs.
་
pro-
La Faculté de Médecine de Paris , & M.
de Vernage , ayant jugé cet ouvrage fondé
-fur une bonne théorie , conforme à la faine
·pratique , & appuyé de l'autorité des grands
maîtres , l'auteur a cru ne devoir point fe
refufer au bien du public , & s'eft en conféquence
déterminé à le faire imprimer. Il
136 MERCURE DE FRANCE.
fe trouve à Paris , chez Cavelier
Saint Jacques , au Lys d'or.
·
rue
Après de pareils témoignages , il eft
inutile d'infilter fur la nature de ce travail
; le lecteur jugera par lui-même que
l'auteur a fait nombre de recherches utiles
& intéreffantes pour le traitement de différentes
maladies.
M. Navier a auffi lû des obfervations
théoriques & pratiques fur l'amolliffement
des os en général , & en particulier fur
celui qui a caractériſé la maladie extraor
dinaire de la Dame Supior , dont tout le
royaume a été informé.
Il penfe que cette maladie tenoit du rachitis
& du fcorbut. Pour démontrer le caractere
& la véritable caufe de cette maladie
, l'auteur fuit fon objet par la voie
des expériences & des démonftrations , &
conclut que les levains qui occafionnent
l'amolliffement des os , eft de nature acide.
Pour bien conftater cette vérité , il a fait
des recherches infinies , qui toutes ont concouru
à le convaincre que cette maladie ne
pouvoit reconnoître d'autre caufe . La nature
& le caractere de cette fâcheufe maladie
étant bien connue , l'auteur fait voir
qu'il faut néceffairement la combattre par
les moyens qu'il propofe. Cet ouvrage a
été examiné & approuvé par l'Académie
f
MARS. 1755. 137
royale des Sciences de Paris : il va être mis
fous preffe.
Le même a fait encore lecture d'un
autre ouvrage qui a pour titre : Obfervations
médico-phyfiques fur les dangers auxquels
on s'expofe en mangeant des fruits qui
n'ont point encore atteint leur dégré de maturité
, & fur les avantages au contraire qui
résultent de leur ufage lorfqu'ils ont acquis
toute leur perfection.
L'abus trop commun de manger les
fruits avant qu'ils foient murs , & le zéle
de l'auteur pour le bien public , l'ont engagé
à traiter cette matiere .
Après un court expofé des loix générales
de la végétation , il examine la nature des
fruits qui naiffent dans les pays chauds &
dans les pays froids & tempérés ; il fait
voir que la providence a fait naître dans
chaque contrée de la terre des fruits doués
de toutes les propriétés néceffaires pour
garantir les habitans des maladies auxquel
les les expoferoient l'intempérie de l'air
des régions qu'ils habitent. Il reconnoît
d'une part que les fruits aigrelets & acidules
qui naiffent abondamment dans les pays
chauds , contiennent des fucs merveilleux
pour réprimer les effervefcences fougueufes
, & une infinité d'autres accidens que
la chaleur exceffive occafionne dans le fang
13 8 MERCURE DE FRANCE .
de leurs habitans. D'un autre côté , il re
garde les fruits que produifent les pays
froids & tempérés , comme des matieres
favoneufes & délayantes, extrêmement propres
à diffoudre les concrétions & les
épaiffiffemens des liqueurs de ceux qui ha
bitent ces climats. Il entre à cet égard
dans un certain détail fur la nature des
matieres favoneufes , factices & naturelles :
il reconnoît que les favons naturels font
beaucoup plus parfaits que les factices ,
qu'ils font formés d'une union intime de
parties onctueufes extrêmement fines , pénétrées
par un acide végétal , au lieu que les
favons factices ordinaires font les produits
de parties graffes , fort groffieres , unies affez
imparfaitement avec un fel lixiviel , & c.
On voit que l'auteur reconnoît par- tout
un ordre & une fageffe fuprême dans la
formation & la confervation de tous les
êtres. C'eft effectivement en ne perdant
point de vue cet important objet , que les
fçavans fe rapprocheront toujours de la vérité
; au lieu qu'en fe livrant à des fyſtêmes
erronés & dictés par l'efprit d'illufion
, ils ne feront jamais d'accord ni avec
la nature , ni avec eux-mêmes.
M. Navier a auffi fait part d'un travail
qu'il a commencé en 1738 , pour trouver
un lithontriptique , ou diffolvant des pier,
MARS. 1755. 139
1
res humaines ; ouvrage dont il avoit informé
en différens tems MM. de l'Acadé-.
mie royale des Sciences de Paris ; il paroît
avoir conduit fes recherches déja fort loin
il a même fait voir plufieurs de ces pierres
extraordinairement dures, réduites en bouil
lie en fort peu de tems , par le moyen
d'une liqueur fi douce , qu'elle peut être
bûe fans faire aucune impreffion fâcheufe
fur l'eftomac. Il a déja par devers lui des
expériences du bon effet de ce remede ;
mais ,comme il n'a jamais prétendu réuffic
que par la voie des injections , il n'a pû
encore parvenir à autre chofe , finon qu'à
fe rendre certain que ce remede peut être
porté dans la veffie par les injections , fans
y caufer ni douleur ni altération . Si par
un bonheur ineftimable pour l'humanité
on pouvoit parvenir par cette voie à fondre
la pierre dans la veffie , il réfteroit en
core beaucoup à travailler , tant pour fe
perfectionner dans la maniere d'y introduire
la fonde , que dans la matiere & la
forme de cet inftrument ; car il feroit de
la derniere importance de pouvoir l'intro
duire promptement , fûrement & fans dou
leur. M.Navier defireroit que l'on s'exerçât
à fonder avec des alkalis qui n'euffent
prefque point de courbure ; il penfe que
Cette forme feroit plus commode pour ins
140 MERCURE DE FRANCE.
jecter , pour pouvoir tourner la fonde en
rous fens dans la veffie , & pour y pou
voir féjourner long- tems fans bleffer ce
vifcere , & c.
C'est particulierement du génie de nos
grands Chirurgiens que l'on doit efpérer
la perfection dans la forme de cet inftrument
, & dans la maniere de l'infinuer
dans la veffie , ou même de trouver le
moyen de dilater fon fphincter , & d'y
porter un liquide fans avoir recours au
catheter.
On a annoncé cette année deux ouvra
ges imprimés à Edimbourg , dans lesquels
on prétend que l'eau de chaux eft un excellent
diffolvant des pierres humaines pris
intérieurement , ou porté dans la veffic
par les injections .
M. Navier a fait depuis dix-fept à dixhuit
ans un fi grand nombre d'expériences
& de recherches fur les différens lithontriptiques
, qu'il auroit été furprenant que
celui de la chaux lui eût échappé : il a donc
travaillé fur ce diffolvant , comme fur une
infinité d'autres , & il craint qu'il ne réuffiffe
pas autant qu'on le fait efperer ; car
il a reconnu que ce remede avoit peu ou
point d'action fur un très - grand nombre
de pierres humaines . Si M. Whitt a éprouvé
le contraire , cela ne peut venir , ſelon
MA- R S.
1755 141
M. Navier , que de la différence des pierres
qui fe forment chez les Anglois , dont la
boiffon ordinaire eft la bierre , & de celles
qui prennent naiffance chez les François
qui font ufage du vin.
M. Navier n'a eu occafion de travailler
que fur ces dernieres ; peut-être eft- ce cette
différence de boiffon qui a fait que le diffolvant
de Mlle Stephens a été employé
avec fuccès en Angleterre , & qu'il a fi peu
réuffi en France.
M. Navier croit encore être bien fondé
à fe défier de l'eau de chaux : 1 °. parce que
contenant une grande quantité de parties
de feu , ce reméde pris . intérieurement &
à grandes dofes , comme il feroit néceffaire
pour fondre les calculs humains pourroit
intéreffer la fanté des perfonnes délicates.
2 °. Cette eau étant chargée de beaucoup
de parties pierreufes qu'elle tient en
diffolution , ne pourroit - il pas arriver
qu'elles fe dépoferoient dans différens endroits
du corps , peut-être même dans les
reins & dans la veffie ? M. Navier eſt d'aųtant
mieux fondé dans cette opinion , qu'il
a reconnu par l'expérience , qu'un peu d'urine
chaude verfée far de l'eau de chaux ,
la rend laiteufe , & en fait précipiter de
fa fubftance pierreufe. Si donc la même
chofe arrivoit dans les reins ou dans la
142 MERCURE DE FRANCE.
veffie de ceux qui prendroient beaucoup
de ce lithontriptique , comme il y a tout
lieu de le croire , fur- tout chez les pierreux
, qui ont une urine dont l'alkali volatil
eft fort développé , & par conféquent
plus propre à précipiter la partie pierreufe
de l'eau de chaux , ne doit- on pas préfumer
que ce remede pourroit dépofer dans
ces vifceres autant & peut être plus de
fubftance pierreufe qu'ils n'en éleveroient
de calculs qui s'y rencontreroient ? M. Navier
a connoiffance d'un fait qui paroît
bien confirmer cette théorie .
Une perfonne qui avoit une pierre bien
conftatée dans la veffie , s'étoit déterminée
à prendre du lithontriptique de Mlle Stephens
, qui contient , comme l'on fçait
beaucoup de matieres calcaires réduites en
chaux. Après un certain tems de l'uſage
de ce remede , on apperçut dans les urines
du malade beaucoup de parties terreufesblanches
, que l'on croyoit être infailliblement
des débris de la pierre ; mais la
perfonne étant morte , on reconnut avec
furprife , par l'ouverture de la veffie , que
la pierre n'avoit été en aucune façon endommagée.
Donc les portions blanchâtres
& terreufes que l'urine avoit charriées,
venoient des parties de chaux qui entroient
dans le remede anglois. Cela prou오
Y
MARS. 1755. 143
ve qu'on ne peut avoir trop de circonfpection
, même de défiance , dans la vérification
des faits , car ils font fouvent voilés
par des
apparences trompeufes & féduifantes.
M. Whitt a avancé que tout fel lixiviel
eft abfolument incapable de diffoudre la pierre
humaine . M. Navier a remarqué tout le
contraire , ayant conftamment obfervé
dans le nombre des lithontriptiques qu'il a
découvert , que ces fels avoient tous cette
propriété.
Cette différence entre les obfervations
de nos deux auteurs pourroit bien venir
de celle des pierres fur lefquelles ils ont
travaillé , par la raifon rapportée ci -deffus
. En effet M. Navier , d'après qui nous
parlons toujours , a reconnu que ces fels
agiffoient fort différemment , felon la nature
de la pierre ; & il eft perfuadé que
c'eſt cette différence dans les calculs humains
qui mettra toujours le plus d'obftacles
à la découverte d'un lithontriptique
univerfel , c'est-à - dire qui agiffe également
& d'une maniere douce fur toutes les pierres
humaines.
Nous venons de rapporter une partie
des obfervations de M. Navier , que fon
defintéreffement & fon amour pour le
bien public a déterminé à nous communiquer.
#44 MERCURE DE FRANCE.
Quelle louable émulation ! qu'il eft digne
de notre reconnoiffance de voir dans
deux Royaumes auffi floriffans que la France
& l'Angleterre , la Médecine toujours
occupée d'un objet qui tend à délivrer l'hu
manité du plus cruel de tous les maux !
Les affociés fe font féparés le 28 du
mois d'Août , moins pour fe délaffer de
leurs fatigues que pour préparer les mémoires
dont ils rendront compte l'année
prochaine dans leurs féances ; ils font tous
également difpofés à fe rendre dignes de
la protection qu'un grand Prince leur accorde
, à fe mettre en état d'obtenir la
confirmation de leur établiſſement , & à
mériter l'eftime du public.
De la Société Linéraire de Châlons.
St
1. quelques critiques chagrins fe font
érigés de nos jours en cenfeurs des
Académies , il s'eft auffi trouvé des défenfeurs
de ces fortes d'établiffemens : leur
utilité a été démontrée dans des écrits. publics
: il a été prouvé d'une maniere victorieufe
que leur multiplicité étoit néceffaire
au progrès des fciences , & que loin
de nuire au corps politique de l'Etat, elle
ne pouvoit lui être qu'avantageufe.
C'eft fous ce point de vue que M. Du-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
pré d'Aulnay , ancien Commiffaire des
Guerres , l'a confidéré. Retiré depuis plufieurs
années dans la ville de Châlons-fur-
Marne , fon amour pour l'étude l'y a fuivi
, & les liaifons qu'il a formées avec des
concitoyens animés du même amour , lui
ont fait concevoir le deffein de les unir
par les noeuds d'une fociété littéraire .
Il en a demandé. l'agrément à M. le
Comte de Saint - Florentin . Ce Miniftre
qui chérit les Lettres , autant qu'il eft cher
aux Sçavans , l'a honoré d'une réponſe
favorable , & a promis une autorifation
plus précife , lorfque les affociés auroient
donné des preuves de leurs talens .
Son A. S. M. le Comte de Clermont ,
Gouverneur des provinces de Champagne
& de Brie , a bien voulu concourit de fon
côté à cet établiffement : illuftre par fon
fang & par la faveur finguliere qu'il a fait
aux Mufes d'entrer dans leur fanctuaire ,
il a donné de nouvelles marques de fon
attachement pour elles , en fe déclarant le
protecteur de cette fociété naiffante.
Les membres d'une fociété qui commence
fous de fi heureux aufpices , ont dé
ja produits quelques fruits de leurs veilles
dans les affemblées particulieres qu'ils ont
tenues pendant le cours de cette année.
M. Culoteau de Velye , Avocat du Roi
MARS. 1755. 129
•
au Préfidial de Châlons en Champagne ,
& l'un des membres de cette fociété , a lû
une differtation fur la confécration des
Empereurs romains , & particulierement
fur celle de Pertinax , juftifiée par une médaille.
Il obferve que la confécration en uſage
chez les Romains étoit différente de l'apothéofe
admife chez les autres peuples ;
que cette derniere cérémonie étoit connue
dès le tems de Belus , premier Roi des
Affyriens , & qu'elle a été continuée depuis
en faveur des Princes , des Rois recommendables
par leur fageffe , & même
de fimples particuliers qui s'étoient fignalés
par leurs vertus & des actions éclatantes
. Il fixe au regne des Céfars l'origine de
la confécration qui , lorfque Romulus fut
admis au rang des Dieux , n'étoit point
encore établie de la maniere dont elle l'a
été dans la fuite.
›. Il fait voir que dans tel tems de la République
, le Sénat n'accorda cet honneur
qu'à la feule Acea Laurentia , comme un
tribut de fa reconnoiffance pour les biens
qu'il en avoit reça que s'il décerna par la
fuite les mêmes honneurs à un grand nom
-bre d'Empereurs , il les refufa néanmoins à
ceux qui s'étoient rendus odieux par leurs
vices.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE .
Il rapporte pour exemple la joie générale
qu'excita la mort de Tibere , le decret
qui déclara Neron ennemi de la patrie,
les outrages exercés fur les corps de Vitellius
& d'Héliogabale qui , après avoir
été traînés avec ignominie par les rues de
Rome , furent jertés dans le Tibre ; le long
refus du Sénat d'élever Adrien au rang des
Dieux , la fermeté avec laquelle il йétric
la mémoire de Domitien déifié par les armées
, en faifant brifer fes ftatues , fes portraits
& les infcriptions faites en fon honneur.
Il prouve que la cérémonie de la confé
cration des Empereurs a fubfifté jufqu'an
tems du parfait établiſſement de notre religion
; Jovien ayant encore été mis au
rang des Dieux par les foins de fon fuc
ceffeur Valentinien , vers l'an 364 de l'ere
chrétienne .
A l'égard de l'Empereur Pertinax , dont
-M. de la Baftie prétend dans fon ouvrage
fur le P. Joubert , que l'on n'a point encore
trouvé de médailles , M. de Velye en
produit une , qui femble ne laiffer aucun
doute que l'on a déféré à cet Empereur
-les honneurs de la confécration ." col
< Cette médaille , qui eft de moyen broneze
, préfente d'un côté la tête de Pertinax ,
avec la légende Divus Helvius Pertinax , &
MAR S.: 1755. 131
a pour tipe en fon revers un aigle avec les
aîles déployées , fur lefquelles eft la figure
de l'Empereur à demi- couché , avec la légende
Confecratio. Cette médaille paroît
caracterifer d'une façon particuliere la confécration
de Pertinax , & l'on a lieu de
croire qu'elle eft une de celles qui ont été
re nouvellées par Gallien .
M. de Velye penfe que l'on peut porter
le même jugement d'une médaille de Fauftine
, qui du côté de la tête a pour légende
Diva Fauftina ; & au revers une figure
humaine que l'on peut prendre pour un
Prêtre , faifant une libation fur un autel ,
fur lequel il y a du feu , avec la légende
Confecratio : cependant il ne propofe fon
fentiment à cet égard que comme conjecture
, s'en rapportant aux connoiffances des
fçavans en ce genre.
M. de Velye a fait encore lecture d'une
autre differtation, dont l'objet eft de déterminer
quels étoient les principes de la religion
des anciens Romains , & s'ils étoient
différens de ceux qui conftituoient le culte
religieux des Grecs .
Voici fommairement les preuves qu'il
apporte pour établir cette différence .
Les premiers Romains , preſque tous occupés
à nourrir des troupeaux , en tiroient
les fecours néceffaires pour -fubfifter. Pan
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
étoit leur principale Divinité ; ils cétébroient
en fon honneur des fêtes par des
facrifices , & par des jeux appellés Lupeztaux
; ils honoroient auffi comme des
Dieux , Janus , Saturne , Picus , Hercule ,
&c. Mais indépendamment de ces Dieux
de la patrie ils reconnoifloient encore ceux
des grandes nations ; ils admettoient auffi
les augures , les pénates , les génies , &c.
Romulus effaya de détruire les préjugés
de ceux qui compofoient fa colonie , d'établir
une religion fondée fur des principes
raisonnables , & de fixer un culte conforme
à l'idée qu'il avoit conçue de la Divinité
, qu'il reconnoiſſoit comme un être
parfait & immortel .
Numa qui lui fuccéda , approchoit aſſez
des fentimens de fon prédéceffeur au ſujet
de la religion ; il penfoit qu'on ne pouvoit
donner aucune forme fenfible à la caufe
premiere de tous les êtres créés ; en conféquence
l'on ne vit à Rome pendant près
de deux fiécles aucun monument élevé pour
repréfenter la Divinité .
La religion établie par Romulus fubfiſta
long-tems , comme le fondement inébranlable
de la confervation de la chofe publique
; tout fon fyftême confiftoit à propo
fer pour objet du culte religieux un être
pur , efprit fouverainement parfait , imMARS.
1755. 133
mortel , auteur de tout , & de l'honorer
par un culte digne de fon unité & de fa
grandeur.
Les Grecs , au contraire , s'imaginant
qu'il étoit poffible d'appercevoir , par l'organe
des fens , la divinité telle quelle eft
en elle-même , la fixerent d'abord, dans le
foleil ; ils déïferent les élémens , l'univers
entier , & les différentes parties qui le com →
pofent. Orphée , Mufée , Eumolpe , que
S. Auguftin appelle les théologiens des
Grecs , bien loin d'amener leurs compatriotes
à la connoiffance de la vérité , les
en éloignerent , & les plongerent dans des
erreurs injurieufes à l'être fuprême ; ils
propoferent des Dieux fous des fymboles
& des hieroglyphes , dont ils avoient apris
à faire ufage en Egypte. La trop grande
élévation d'efprit de ces philofophes fit
tomber dans l'égarementceux qu'ils fe pro
pofoient d'éclairer , & qui n'étoient point
capables de comprendre le fens des fables
abfurdes qu'ils employoient pour établir les
vérités les plus importantes.
Ce fut des prétendus fages de l'Egypte
qu'ils avoient appris à diftinguer l'âge , le
fexe , la forme & le nombre des Dieux ;
ils apprirent auffi d'eux à les honorer par
des fêtes & par des jeux folemnels ; mais
il n'arrivoit que trop fouvent que l'on
.
134 MERCURE DE FRANCE.
portoit l'impiété en triomphe dans ces cérémonies
, & qu'elles devenoient un affemblage
monftrueux de defordres & de crimes.
La connoiffance de la nature & l'étude
de la phyfique devint la fource de l'erreur ;
on donnoit à chacune des caufes un des
attributs de la divinité , & les attributs diftingués
, fembloient introduire & préfenter
une multiplicité de Dieux. Plufieurs
fages , comme Diagoras & Socrate , furent
les victimes de leur attachement à la vérité
, telle que l'homme peut la découvrir par
l'étude & la force du raifonnement .
Les Romains , dans leur origine , étoient
des hommes durs , groffiers , fauvages ;
mais ils furent amenés à la connoiffance
de l'être fuprême , autant qu'on peut en
approcher par les lumieres de la raifon ;
ils fe diftinguerent par leur inviolable attachement
à une religion plus fainte que
celle des autres nations..
Les Grecs , au contraire , inconftans &
legers , fe livrerent au torrent d'une aveugle
fuperftition ; leur culte avoit fouvent
l'homme pour objet ; leurs fêtes , & les
jeux qu'ils célébroient , n'étoient inſtitués
que pour exciter ceux qui y étoient admis
à fe furpaffer mutuellement par la force ,
l'adreffe & la légereté : on n'y comptoit
MARS 1755 ”ན
135
prefque pour rien le coeur , les moeurs &
la vertu .
la
De cet expofé , on peut conclure que
religion des anciens Romains étoit plus
parfaite que celle des Grecs , & qu'elle
étoit établie fur des principes différens.
- M. Dupré d'Aulnai a lû auffi une differtation
qui a pour objet l'écoulement magne
tique , Pélectricité , l'afcenfion de la feve
dans les végétaux , & le flux de la mer. Il
croit que la même caufe produit ces différens
effets , que le foleil en eft le premier
& le feul mobile , & que cet aftre eft dans
l'univers ce qu'eft le coeur dans l'animal ,
auquel il donne le mouvement , la chaleur
& la vie.
af-
M. Navier , Docteur en Médecine ,
focié correfpondant de l'Académie royale
des Sciences de Paris , & l'un des mem
bres de la Société , a lu dans différentes
féances des differtations fur plufieurs maladies
populaires qui ont regné dans la
vince de Champagne & ailleurs.
་
pro-
La Faculté de Médecine de Paris , & M.
de Vernage , ayant jugé cet ouvrage fondé
-fur une bonne théorie , conforme à la faine
·pratique , & appuyé de l'autorité des grands
maîtres , l'auteur a cru ne devoir point fe
refufer au bien du public , & s'eft en conféquence
déterminé à le faire imprimer. Il
136 MERCURE DE FRANCE.
fe trouve à Paris , chez Cavelier
Saint Jacques , au Lys d'or.
·
rue
Après de pareils témoignages , il eft
inutile d'infilter fur la nature de ce travail
; le lecteur jugera par lui-même que
l'auteur a fait nombre de recherches utiles
& intéreffantes pour le traitement de différentes
maladies.
M. Navier a auffi lû des obfervations
théoriques & pratiques fur l'amolliffement
des os en général , & en particulier fur
celui qui a caractériſé la maladie extraor
dinaire de la Dame Supior , dont tout le
royaume a été informé.
Il penfe que cette maladie tenoit du rachitis
& du fcorbut. Pour démontrer le caractere
& la véritable caufe de cette maladie
, l'auteur fuit fon objet par la voie
des expériences & des démonftrations , &
conclut que les levains qui occafionnent
l'amolliffement des os , eft de nature acide.
Pour bien conftater cette vérité , il a fait
des recherches infinies , qui toutes ont concouru
à le convaincre que cette maladie ne
pouvoit reconnoître d'autre caufe . La nature
& le caractere de cette fâcheufe maladie
étant bien connue , l'auteur fait voir
qu'il faut néceffairement la combattre par
les moyens qu'il propofe. Cet ouvrage a
été examiné & approuvé par l'Académie
f
MARS. 1755. 137
royale des Sciences de Paris : il va être mis
fous preffe.
Le même a fait encore lecture d'un
autre ouvrage qui a pour titre : Obfervations
médico-phyfiques fur les dangers auxquels
on s'expofe en mangeant des fruits qui
n'ont point encore atteint leur dégré de maturité
, & fur les avantages au contraire qui
résultent de leur ufage lorfqu'ils ont acquis
toute leur perfection.
L'abus trop commun de manger les
fruits avant qu'ils foient murs , & le zéle
de l'auteur pour le bien public , l'ont engagé
à traiter cette matiere .
Après un court expofé des loix générales
de la végétation , il examine la nature des
fruits qui naiffent dans les pays chauds &
dans les pays froids & tempérés ; il fait
voir que la providence a fait naître dans
chaque contrée de la terre des fruits doués
de toutes les propriétés néceffaires pour
garantir les habitans des maladies auxquel
les les expoferoient l'intempérie de l'air
des régions qu'ils habitent. Il reconnoît
d'une part que les fruits aigrelets & acidules
qui naiffent abondamment dans les pays
chauds , contiennent des fucs merveilleux
pour réprimer les effervefcences fougueufes
, & une infinité d'autres accidens que
la chaleur exceffive occafionne dans le fang
13 8 MERCURE DE FRANCE .
de leurs habitans. D'un autre côté , il re
garde les fruits que produifent les pays
froids & tempérés , comme des matieres
favoneufes & délayantes, extrêmement propres
à diffoudre les concrétions & les
épaiffiffemens des liqueurs de ceux qui ha
bitent ces climats. Il entre à cet égard
dans un certain détail fur la nature des
matieres favoneufes , factices & naturelles :
il reconnoît que les favons naturels font
beaucoup plus parfaits que les factices ,
qu'ils font formés d'une union intime de
parties onctueufes extrêmement fines , pénétrées
par un acide végétal , au lieu que les
favons factices ordinaires font les produits
de parties graffes , fort groffieres , unies affez
imparfaitement avec un fel lixiviel , & c.
On voit que l'auteur reconnoît par- tout
un ordre & une fageffe fuprême dans la
formation & la confervation de tous les
êtres. C'eft effectivement en ne perdant
point de vue cet important objet , que les
fçavans fe rapprocheront toujours de la vérité
; au lieu qu'en fe livrant à des fyſtêmes
erronés & dictés par l'efprit d'illufion
, ils ne feront jamais d'accord ni avec
la nature , ni avec eux-mêmes.
M. Navier a auffi fait part d'un travail
qu'il a commencé en 1738 , pour trouver
un lithontriptique , ou diffolvant des pier,
MARS. 1755. 139
1
res humaines ; ouvrage dont il avoit informé
en différens tems MM. de l'Acadé-.
mie royale des Sciences de Paris ; il paroît
avoir conduit fes recherches déja fort loin
il a même fait voir plufieurs de ces pierres
extraordinairement dures, réduites en bouil
lie en fort peu de tems , par le moyen
d'une liqueur fi douce , qu'elle peut être
bûe fans faire aucune impreffion fâcheufe
fur l'eftomac. Il a déja par devers lui des
expériences du bon effet de ce remede ;
mais ,comme il n'a jamais prétendu réuffic
que par la voie des injections , il n'a pû
encore parvenir à autre chofe , finon qu'à
fe rendre certain que ce remede peut être
porté dans la veffie par les injections , fans
y caufer ni douleur ni altération . Si par
un bonheur ineftimable pour l'humanité
on pouvoit parvenir par cette voie à fondre
la pierre dans la veffie , il réfteroit en
core beaucoup à travailler , tant pour fe
perfectionner dans la maniere d'y introduire
la fonde , que dans la matiere & la
forme de cet inftrument ; car il feroit de
la derniere importance de pouvoir l'intro
duire promptement , fûrement & fans dou
leur. M.Navier defireroit que l'on s'exerçât
à fonder avec des alkalis qui n'euffent
prefque point de courbure ; il penfe que
Cette forme feroit plus commode pour ins
140 MERCURE DE FRANCE.
jecter , pour pouvoir tourner la fonde en
rous fens dans la veffie , & pour y pou
voir féjourner long- tems fans bleffer ce
vifcere , & c.
C'est particulierement du génie de nos
grands Chirurgiens que l'on doit efpérer
la perfection dans la forme de cet inftrument
, & dans la maniere de l'infinuer
dans la veffie , ou même de trouver le
moyen de dilater fon fphincter , & d'y
porter un liquide fans avoir recours au
catheter.
On a annoncé cette année deux ouvra
ges imprimés à Edimbourg , dans lesquels
on prétend que l'eau de chaux eft un excellent
diffolvant des pierres humaines pris
intérieurement , ou porté dans la veffic
par les injections .
M. Navier a fait depuis dix-fept à dixhuit
ans un fi grand nombre d'expériences
& de recherches fur les différens lithontriptiques
, qu'il auroit été furprenant que
celui de la chaux lui eût échappé : il a donc
travaillé fur ce diffolvant , comme fur une
infinité d'autres , & il craint qu'il ne réuffiffe
pas autant qu'on le fait efperer ; car
il a reconnu que ce remede avoit peu ou
point d'action fur un très - grand nombre
de pierres humaines . Si M. Whitt a éprouvé
le contraire , cela ne peut venir , ſelon
MA- R S.
1755 141
M. Navier , que de la différence des pierres
qui fe forment chez les Anglois , dont la
boiffon ordinaire eft la bierre , & de celles
qui prennent naiffance chez les François
qui font ufage du vin.
M. Navier n'a eu occafion de travailler
que fur ces dernieres ; peut-être eft- ce cette
différence de boiffon qui a fait que le diffolvant
de Mlle Stephens a été employé
avec fuccès en Angleterre , & qu'il a fi peu
réuffi en France.
M. Navier croit encore être bien fondé
à fe défier de l'eau de chaux : 1 °. parce que
contenant une grande quantité de parties
de feu , ce reméde pris . intérieurement &
à grandes dofes , comme il feroit néceffaire
pour fondre les calculs humains pourroit
intéreffer la fanté des perfonnes délicates.
2 °. Cette eau étant chargée de beaucoup
de parties pierreufes qu'elle tient en
diffolution , ne pourroit - il pas arriver
qu'elles fe dépoferoient dans différens endroits
du corps , peut-être même dans les
reins & dans la veffie ? M. Navier eſt d'aųtant
mieux fondé dans cette opinion , qu'il
a reconnu par l'expérience , qu'un peu d'urine
chaude verfée far de l'eau de chaux ,
la rend laiteufe , & en fait précipiter de
fa fubftance pierreufe. Si donc la même
chofe arrivoit dans les reins ou dans la
142 MERCURE DE FRANCE.
veffie de ceux qui prendroient beaucoup
de ce lithontriptique , comme il y a tout
lieu de le croire , fur- tout chez les pierreux
, qui ont une urine dont l'alkali volatil
eft fort développé , & par conféquent
plus propre à précipiter la partie pierreufe
de l'eau de chaux , ne doit- on pas préfumer
que ce remede pourroit dépofer dans
ces vifceres autant & peut être plus de
fubftance pierreufe qu'ils n'en éleveroient
de calculs qui s'y rencontreroient ? M. Navier
a connoiffance d'un fait qui paroît
bien confirmer cette théorie .
Une perfonne qui avoit une pierre bien
conftatée dans la veffie , s'étoit déterminée
à prendre du lithontriptique de Mlle Stephens
, qui contient , comme l'on fçait
beaucoup de matieres calcaires réduites en
chaux. Après un certain tems de l'uſage
de ce remede , on apperçut dans les urines
du malade beaucoup de parties terreufesblanches
, que l'on croyoit être infailliblement
des débris de la pierre ; mais la
perfonne étant morte , on reconnut avec
furprife , par l'ouverture de la veffie , que
la pierre n'avoit été en aucune façon endommagée.
Donc les portions blanchâtres
& terreufes que l'urine avoit charriées,
venoient des parties de chaux qui entroient
dans le remede anglois. Cela prou오
Y
MARS. 1755. 143
ve qu'on ne peut avoir trop de circonfpection
, même de défiance , dans la vérification
des faits , car ils font fouvent voilés
par des
apparences trompeufes & féduifantes.
M. Whitt a avancé que tout fel lixiviel
eft abfolument incapable de diffoudre la pierre
humaine . M. Navier a remarqué tout le
contraire , ayant conftamment obfervé
dans le nombre des lithontriptiques qu'il a
découvert , que ces fels avoient tous cette
propriété.
Cette différence entre les obfervations
de nos deux auteurs pourroit bien venir
de celle des pierres fur lefquelles ils ont
travaillé , par la raifon rapportée ci -deffus
. En effet M. Navier , d'après qui nous
parlons toujours , a reconnu que ces fels
agiffoient fort différemment , felon la nature
de la pierre ; & il eft perfuadé que
c'eſt cette différence dans les calculs humains
qui mettra toujours le plus d'obftacles
à la découverte d'un lithontriptique
univerfel , c'est-à - dire qui agiffe également
& d'une maniere douce fur toutes les pierres
humaines.
Nous venons de rapporter une partie
des obfervations de M. Navier , que fon
defintéreffement & fon amour pour le
bien public a déterminé à nous communiquer.
#44 MERCURE DE FRANCE.
Quelle louable émulation ! qu'il eft digne
de notre reconnoiffance de voir dans
deux Royaumes auffi floriffans que la France
& l'Angleterre , la Médecine toujours
occupée d'un objet qui tend à délivrer l'hu
manité du plus cruel de tous les maux !
Les affociés fe font féparés le 28 du
mois d'Août , moins pour fe délaffer de
leurs fatigues que pour préparer les mémoires
dont ils rendront compte l'année
prochaine dans leurs féances ; ils font tous
également difpofés à fe rendre dignes de
la protection qu'un grand Prince leur accorde
, à fe mettre en état d'obtenir la
confirmation de leur établiſſement , & à
mériter l'eftime du public.
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Résumé : SEANCES PARTICULIERES De la Société Littéraire de Châlons.
Le texte présente les activités de la Société Linéraire de Châlons, une association littéraire fondée par M. Dupré d'Aulnay, ancien commissaire des Guerres, avec le soutien de M. le Comte de Saint-Florentin et de M. le Comte de Clermont. Cette société vise à promouvoir les sciences et les lettres. Lors de réunions privées, plusieurs membres ont présenté des dissertations. M. Culoteau de Velye a lu une dissertation sur la consécration des empereurs romains, en se concentrant sur Pertinax, et a présenté une médaille attestant de cette consécration. Il a également comparé la religion des anciens Romains à celle des Grecs, soulignant que la religion romaine était plus rationnelle et fondée sur des principes raisonnables. M. Dupré d'Aulnay a présenté une dissertation sur divers phénomènes naturels, comme l'écoulement magnétique et l'électricité, attribuant ces effets à l'influence du soleil. M. Navier, docteur en médecine, a lu des dissertations sur des maladies populaires en Champagne, sur l'amollissement des os, et sur les dangers de consommer des fruits non mûrs. Ses travaux ont été approuvés par l'Académie royale des Sciences de Paris. Le texte détaille également les recherches de M. Navier sur les lithontriptiques, des substances capables de dissoudre les calculs rénaux. Navier reconnaît la supériorité des savons naturels sur les savons artificiels en raison de leur composition plus fine et plus efficace. Il souligne l'importance de l'ordre et de la sagesse divine dans la formation des êtres vivants. Navier a commencé ses travaux en 1738 pour trouver un lithontriptique efficace. Il a présenté plusieurs pierres dures réduites en bouillie grâce à une liqueur douce, pouvant être bue sans effet nocif sur l'estomac. Cependant, il n'a pas encore pu administrer ce remède par voie interne sans causer de douleur ou d'altération. Le texte mentionne des ouvrages imprimés à Edimbourg qui prétendent que l'eau de chaux est un excellent dissolvant des calculs rénaux. Navier, après de nombreuses expériences, doute de l'efficacité de ce remède, estimant qu'il pourrait causer des dépôts de substances pierreuses dans le corps. Navier critique l'eau de chaux pour ses risques potentiels de déposer des particules pierreuses dans les reins et la vessie, et pour son inefficacité constatée sur de nombreux calculs rénaux. Il relate un cas où une personne ayant pris un lithontriptique à base de chaux a vu des particules blanches dans ses urines, mais la pierre rénale n'a pas été dissoute. Enfin, le texte souligne la différence d'observations entre Navier et M. Whitt concernant l'efficacité des lessives sur les calculs rénaux, attribuant ces divergences à la variabilité des types de calculs. Navier conclut que la découverte d'un lithontriptique universel est complexe en raison de cette variabilité.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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54
p. 63
VERS Aux Habitans de Lyon*.
Début :
Il est vrai que Plutus est au rang de vos Dieux, [...]
Mots clefs :
Dieu, Dieux, Lyon
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : VERS Aux Habitans de Lyon*.
VERS
Aux Habitans de Lyon *.
IL eft vrai que Plutus eft au rang de vos Dieux ,
Et c'eſt un riché appui pour votre aimable ville ;
Il n'a point de plus bel afyle :
Ailleurs il eſt aveugle , il a chez vous des yeux.
Il n'étoit autrefois que Dieu de la richeſſe ,
Vous en faites le Dieu des arts :
J'ai vu couler dans vos remparts
Les ondes du Pactole & les eaux du Permeffe.
* On les attribue à M. de V....
Aux Habitans de Lyon *.
IL eft vrai que Plutus eft au rang de vos Dieux ,
Et c'eſt un riché appui pour votre aimable ville ;
Il n'a point de plus bel afyle :
Ailleurs il eſt aveugle , il a chez vous des yeux.
Il n'étoit autrefois que Dieu de la richeſſe ,
Vous en faites le Dieu des arts :
J'ai vu couler dans vos remparts
Les ondes du Pactole & les eaux du Permeffe.
* On les attribue à M. de V....
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55
p. 180-196
EXTRAIT DE PHILOCTETE.
Début :
Ulysse & Pyrrhus accompagnés de Démas, ouvrent la scene, qui est dans l'isle [...]
Mots clefs :
M. de Chateaubrun, Dieux, Amour, Grecs, Guerrier, Gloire, Héros, Seigneur, Comédie-Française
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT DE PHILOCTETE.
EXTRAIT DE PHILOCTETE.
Ulyffe & Pyrrhus accompagnés de Démas
, ouvrent la fcene , qui eft dans l'ifle
de Lemnos , à vue de la caverne qui fert
de retraite à Philoctete . Le premier dit au
fils d'Achille , que Philoctete refpire dans
ce defert affreux , & que les Grecs ne peuvent
triompher de Troye fans le bras de ce
guerrier , uni à la valeur de Pyrrhus. Les
Dieux l'ont déclaré par la bouche de Calchas'
; cet Oracle eft un arrêt dont on ne
peut appeller. Si Philoctete n'eft ramené
JUIN. 1755. 181
dans l'armée , elle va périr dans l'opprobre
& dans la mifere. Pyrrhus impatient veut
courir vers Philoctete , mais Ulyffe le retient
, & l'inftruit du jufte courroux de ce
Prince contre les Grecs . Il lui apprend que
dès les premiers jours du fiége d'Ilion ,
Un Troyen le bleffa d'un dard envenimé
Par d'horribles douleurs le poiſon ſe déclare :
Mais fon ardeur s'éteint dans un profond fommeil,
Et jamais la douleur ne fuccéde au réveil.
A peine ce guerrier revoit-il la lumière ,
Qu'il retrouve fa voix &. fa force premiere ;
Jufqu'à d'autres accès fans ceffe renaiſſans ,
L'art épuifa fur lui fes fecours impuiffans.
Ce mal cruel rendit Philoctete fi farouche
qu'il devint infupportable à tous les
chefs , & particulierement aux Atrides
qu'il accabloit de reproches amers. Le Roi
d'Itaque , pour les en délivrer , joua le mécontent,
engagea Philoctete à le fuivre dans
l'ifle de Lemnos où il feignit de fe retirer ,
& l'abandonna feul dans ce defert pendant
fon fommeil. Ulyffe , après ce récit
recommande à Pyrrhus de ne pas le nommer
il lui confeille , pour arracher ce héros
de fa retraite , de feindre que la tempête
l'a pouflé fur ce rivage , qu'il à quitté
182 MERCURE DE FRANCE.
le camp des Grecs , & qu'il retourne à Scyros
, révolté contre un fiége fi lent , & indigné
de l'avarice fordide des chefs qui
ont fruftré fa valeur de fes droits . Pyrrhus
réfifte d'abord à ce confeil , la feinte répugne
à fon grand coeur ; mais Ulyffe lui
en fait fentir la néceffité & s'éloigne
pour le laiffer agir .
›
Pyrrhus refte avec Démas , & s'écrie en
jettant les regards fur l'entrée de la caverne
,
Mon oeil foutient à peine
Cet horrible tableau de la miſere humaine ;
Quelques vafes groffiers que le befoin conftruit ,
Des feuilles , des lambeaux qui lui fervent de lit.
Il voit fortir du fond de cet antre fauvage
une jeune beauté ; il eft frappé de
fes charmes , il l'aborde , & apprend d'elle
que fon nom eft Sophie , & qu'elle eft la
fille de Philoctete. Så tendreffe l'a conduite
dans cette ifle déferte pour y partager
le malheur de fon pere ; elle y aborda par
un naufrage. Nous allions périr , dit- elle ,
Hercule nous fecourut .
Il retint dans nos coeurs notre ame fugitive ,
Et fon bras bienfaiſant nous pouffa fur la rive.
Nous appellons mon pere , il s'avance vers nous.
Que n'éprouvai -je point dans un moment fi doux !
Avec quelle tendreffe il efluya mes larmes ↓
JUIN.
183 1755.
Combien für mon état témoigna-t- il d'allarmes !
Quels mouvemens confus de joie & de pitié ,
De fanglots mutuels qu'exhaloit l'amitié !
Les périls de la mer , mes craintes , ma mifere ,
J'oubliai tout , Seigneur , en embraffant mon pere
;
Voilà le langage naïf de la nature. Les
vers les plus pompeux valent - ils ceux
qu'elle infpire ? Cette fimplicité charmante
qui rend fi bien le fentiment , n'eſtelle
pas la vraie éloquence ? Pyrrhus témoigne
le defir qu'il a de voir Philoctete
Sophie répond, qu'armé d'un arc qui pourvoit
à leur fubfiftance , il erre dans les
bois , & qu'elle va le chercher. Pyrrhus
devant Démas fait éclater pour Sophie une
pitié qui laiffe entrevoir le premier trait
de l'amour. Démas lui repréfente qu'il ne
doit s'occuper que du foin de rendre Philoctete
aux Grecs prêts à périr.
Philoctete paroît avec Sophie , & marque
fa furprife à Pyrrhus , qu'il n'a jamais
vu , de le voir dans des lieux fi fauvages.
11 exprime en même tems fon reffentiment
contre les chefs de la Grece , & leur ingratitude
, par ces deux vers juftement applaudis
,
Les bienfaits n'avoient pu m'attacher les Atrides
:
Je fous apprivoifer jufqu'aux monftres avides.
184 MERCURE DE FRANCE.
Pyrrhus fe nomme ; Philoctere montre
une joie très- vive de voir en lui le fils
d'Achille dont il a toujours été l'ami ; mais
apprenant la mort de ce héros par la bouche
de fon fils , il s'écrie avec douleur
2
Achille eft mort , grands Dieux , & les Atrides
vivent
! Y
7 25377
Pyrrhus s'offre à conduire Philoctete &
fa fille dans leur patrie. Ce guerrier y
confent ; mais dans le moment qu'il veut
partir , il eft arrêté par un accès de fon
mal , qui l'oblige à rentrer dans fon antre
, & qui termine le premier acte. Y
101-20
Pyrrhus ouvre le fecond acte par ce beau
monologue , qui peint avec des couleurs
fi touchantes l'état de mifere & de douleur
où il vient de voir Philoctete dans la
caverne , ayant près de lui fa fille qui arrofoit
fes mains de larmes. Quel contraſte ,
dit- il , avec l'éducation qu'on nous donne !
p , cody courqu
"P
On écarte de nous juſqu'à l'ombre des maux
On n'offre à nos regards que de fiants tableaux
Pour ne point nous déplaire , on nous cache à
nous - mêmes ; ovo zng , ol mbase C
On ne nous entretient que de grandeurs fupre
-kot mes.unim un saciera'n aistroid as S11
On ajoûte à nos noms des noms ambitieux :
Autant que l'on le peut on fait de nous des Dieur.
JUIN.
185
1755 .
Victimes des flateurs , malheureux que nous fom
mes ,
Que ne nous apprend-t-on que les Rois font des
hommes !
·Démas furvient ; il exhorte Pyrrhus à
diffimuler encore pour engager Philoctete
à partir. La générofité de Pyrrhus attendri
s'en offenfe , & marque un vrai remords
d'avoir employé la feinte . Philoctete paroît
avec Sophie , & veut fe rendre au rivage.
Pyrrhus l'arrête. Philoctete furpris , lui en
demande la raifon . Le fatal fecret échappe
de la bouche du fils d'Achille, qui rougit de
commettre une perfidie , & lui déclare
qu'il le méne aux Atrides . A cet aveu le Roi
d'Eubée devient furieux. Pyrrhus l'inftruit
de la pofition des Grecs , & du befoin
qu'ils ont de fon bras pour renverfer
Troye , & s'arracher à une mort honteuſe ;
il le preffe en même tems d'immoler fon
reffentiment au falut de l'Etat. Philoctete
refufe de fe rendre , & fait des imprécations
contre Ulyffe & les autres chefs. Pyrrhus
lui répond , qu'il ne peut fe venger plus
noblement d'eux qu'en faifant triompher
fa patrie , & qu'en voyant Agamemnon
lui-même ramper à fes pieds. Philoctete
perfifte à ne point prêter fon fecours au
Roi d'Argos ; mais il propofe à Pyrrhus
186 MERCURE DE FRANCE.
d'aller combattre avec leurs foldats , & d'a
voir feuls la gloire de vaincre les Troyens.
Pyrrhus approuve ce parti ; mais comme il
entend du bruit , il s'éloigne avec Philoctete.
Démas qui les écoutoit , veut inftruire
Ulyffe du projet que ces deux guerriers
viennent de former ; mais le Roi d'Itaque
lui dit que les Grecs cachés avec lui fous
un rocher l'ont entendu , qu'ils ont réſolu
de les en punir ; & que s'il n'eût retenu
leur fureur , ils alloient fondre fur eux &
les immoler. Démas ajoûte qu'il craint encore
plus la fille que le pere . Ulyffe lui en
demande la raifon ; l'autre lui répond
que Pyrrhus adore Sophie."
›
Ulyffe en paroit allarmé , & quitte la
fcene en difant qu'il va voir avec les
Grecs ce qu'on doit oppofer à ce fatal
amour qui peut tout détruire.
I
Ulyffe ouvre le troifieme acte avec Démas.
Il tient un papier à la main , & dit à
Démas que les Grecs veulent entraîner
au camp Philoctete mort ou vivant , que
tel eft l'arrêt qu'ils viennent de figner ; &
que fi ce Prince refifte , ils veulent exterminer
fa famille , & faire fubir à fa fille
le fort d'Iphigénie . Ulyffe craint que Pyrrhus
ne prenne leur défenſe ; mais Démas
lui répond que fa résistance fera vaine , &
JUIN 1755. 187
que les Grecs viennent d'envelopper Philoctete
de toutes parts:
Pyrrhus paroît ; Ulyffe le preffe de partir
fans Philoctete , en difant qu'il ne veut
pas lui-même qu'on emmene ce guerrier au
camp . Pyrrhus s'excufe fur la pitié. Ulyffe
lui dit que la pitié dont il eft ému , n'eft
qu'un amour déguifé. Le premier répond
que l'amour n'eft pas un crime. Non , réplique
le Roi d'Itaque ,
Quand élevant le coeur , loin de l'humilier ,
Aux régles du devoir l'amour fçait le plier ,
Et ne l'enyvre point de fon poifon funefte :
Il eft fublime alors , la fource en eft céleste ,
Et c'eſt de cet amour que les Dieux font heureux.
Mais , Seigneur , quand l'amour , le bandeau fur
les yeux ,
Enchaîne le devoir aux pieds d'une maîtreffe ,
A des coeurs généreux n'infpire que foibleffe ,
Tient fous un joug d'airain leur courage foumis ,
Leur fait facrifier gloire , patrie , amis ,
Et des droits les plus faints rompt le noeud légitime
;
Alors , Seigneur , alors cet amour eft an crime.
Pyrrhus veut fe juftifier en difant qu'Achille
aima comme lui . Ulyffe lui repart
qu'il n'aima point aux dépens de fa gloire ,
& qu'il quitta tout pour elle. Il lui fait en
188 MERCURE DE FRANCE.
même tems une peinture pathétique de
l'état affreux où l'armée des Grecs fe trouve
réduite , ajoûtant qu'il va la joindre ,
& mourir fur le tombeau d'Achille , tandis
que fon fils refte tranquille à Lemnos
par l'amour. Ce trait réveille le
courage de Pyrrhus , & l'adroit Ulyffe pour
achever de le déterminer à le fuivre , lui
rapporte ainfi les dernieres paroles d'Achille
expirant , après qu'il l'eut arraché
lui-même des mains des Troyens .
enchaîné
Cher ami , me dit-il , cache-moi tes alarmes ;
Et laiffe- moi mourir parmi le bruit des armes. T
Par tes foins je fuis libre , & je refpire encor
Tu m'épargnes l'affront dont je flétris Hector.:
Que mon fils à jamais en garde la mémoire ,
Et te rende les foins que tu prens de ma gloire.
Sers-lui de pere , amis qu'il te ferve de fils . ' ; i
Voilà fes derniers voeux ; les avez-vous remplis
:
Pyrrhus eft prêt à partir , quand la préfence
de Sophie le retient il fe trouve
alors entre la gloire & l'amour, La premiere
foutenue par l'art d'Ulyffe , femble
d'abord l'emporter ; mais l'amour mieux
déféndu par les larmes de Sophie ', triomphe
enfin de Pyrrhus , & l'entraîne de fon
côté. Ce jeune héros en tournant les yeux
vers elle , s'écrie :
JUIN.
183 1755.
Quoi vous pleurez , courons à votre pere.
Il vole fur les pas de Sophie. Ulyffe fo
retire avec Démas , en difant que Pyrrhus
va fe perdre & combler le malheur de
Philoctete & de fa fille . Ce troifiéme Acte
eft d'une grande beauté .
Z Sophie commence le quatriéme Acte avec
Palmire fa gouvernante , & lui dit que fans
Pyrrhus les Grecs auroient furpris & enlevé
fon pere. Elle avoue avec cette ingé
nuité qui accompagne l'innocence , que
ce jeune héros lui a déclaré qu'il l'adoroit
, & qu'elle y a été fenfible par reconnoiffance
pour
le fervice qu'il a rendu à
fon pere. Palmire l'avertit de redouter les
effets de fa beauté . Je n'ai pas oublié , lui
répond Sophie , vos fages leçons.
Hélas ! cette beauté , ce charme fouverain ;
Dont le fexe s'honore , & qui le rend fi vain
Si la vertu n'en fait un ornement célefte ,
Eft , des Dieux irrités , le don le plus funefte.
" Philoctete arrive , & dit à fa fille qu'il
faut fauver l'honneur d'un pere infortuné ,
& lui remet un poignard. Sophie lui demande
quel ufage elle en doit faire : il répond
qu'il a vécu comme Hercule , &
qu'il veut mourir de même , ajoutant que
Le poifon peut encore lui porter une at
190 MERCURE DE FRANCE.
teinte , que les Grecs pourroient faifir, ce
moment pour le charger de fers , & qu'elle
doit le fouftraire à leur fureur , en faisant
ce qu'Hercule exigea de fon fils. Elle frémit
de commettre un parricide . Philoctete
defeſpéré de ce refus , s'écrie
s'écrie que dans
cette extrêmité il va lancer ces flèches redoutables
qui portent d'inévitables coups ,
& qu'il va commencer par Pyrrhus . Sophie
allarmée l'arrête , & lui apprend que
c'eft le fecours de Pyrrhus qui l'a dérobé à
l'audace des Grecs , & qu'elle en eft aimée.
Philoctete raffuré par l'amour de Pyrrhus
pour fa fille , la preffe de lui déclarer que
La flamme eft connue de fon pere , qui l'approuve
; mais que fi ce jeune guerrier ne
fe joint à lui pour les venger ,
elle rejette
avec dédain les offres de fa foi. Sophie le
lui jure , en lui difant tendrement qu'après
avoir partagé fa gloire , il eft jufte qu'elle
partage fon affront. Philoctete qui voit
venir Pyrrhus, rentre dans fon afyle , & recommande
à Sophie d'éprouver le coeur de
fon amant.
Pyrrhus dit à Sophie qu'il a fait retirer
les foldats , mais qu'elle engage fon pere
à remplir leurs voeux ; que le falut public
doit être un de fes bienfaits,, & qu'il ofe à
çe motif preffant joindre l'intérêt de fon
amour. Elle lui répond que Philoctete eft
JUI N. 1755. 191*
·
inftruit de fes feux , qu'il confent que
l'hymen les couronne , mais qu'il veut que
ces noeuds foient formés dans fes états .
Pyrrhus lui réplique en foupirant , que la
Grece l'implore , & qu'il ne peut l'abandonner,
Elle l'interrompt en lui difant que
puifque l'intérêt de fon pere & le fien lui
font moins chers que celui des Atrides ,
elle rend à fon amour les fermens qui le
lient. Seigneur , ajoute- t -elle ':
Plus grands dans nos deferts que vous ,
trône ,
fur votre
L'honneur nous tiendra lieu de fceptre & de cou
ronne.
Partez , laiffez -nous feuls dans ces fauvages lieux
La vertų pour témoin n'a befoin que des Dieux..
Pyrrhus lui fait entendre que Philoctete
a tout à craindre de la rage des Grecs. Sophie
répond que fa main va mettre un
frein à leurs droits prétendus , que fon
pere vient de l'armer d'un poignard , &
que fi les Grecs s'avançoient pour le pren
are , elle a juré de le plonger dans le coeur
de Philoctete
,› pour prévenir fa honte.
Pourriez-vous , lui dit Pyrrhus , verfer le
fang d'un pere ? elle s'écrie :
Que fçais-je leurs fureurs me ferviront de guid
des ? >
191 MERCURE DE FRANCE.
Un mortel fans honneur n'eſt plus qu'un monſtrë
affreux ,
Que tout autre homme abhorre , & qui craint
tous les yeux ;
Chaque regard l'infulte , & réveillant fa honte ;
De fon honneur perdu , lui redemande compte
Lui fait baiffer la vûe , & femble l'avertir
De fuir dans le tombeau qui devroit l'engloutir.
Pyrrhus frappé de ce tableau promet à
Sophie de périr plutôt mille fois que de
fouffrir que leurs foldats en viennent à
cette violence . Elle le quitte en lui re-.
commandant ainſi les jours de fon pere :
Etes-vous à l'abri du deſtin qui l'accable ›
Si les hommes , hélas ! réfléchiffoient fur eux ;
Ils répandroient des pleurs fur tous les malheu
reux.
Ulyffe vient apprendre à Pyrrhus que
les Troyens inftruits de l'oracle , ont profité
du tems de fon abſence pour attaquer
le camp , qu'ils font près de forcer fi luimême
ne vole au fecours des Grecs ; qu'ils
ont déja bleffé plufieurs chefs de l'armée
& qu'ils ont fouillé dans le tombeau d'Achille
, & difperfé les reftes de fon corps ,
qui font devenus la proie des chiens & des
vautours.
JUIN. 1755. 193
yautours. Pyrrhus devient furieux à cette
nouvelle , & veut voler au camp . Ulyffe
infifte alors pour enlever Philoctete , &
montre les foldats qui l'ont fuivi pour
cette exécution. Mais Pyrrhus s'écrie qu'ils
n'avancent point , que Philoctete eft armé
des traits du defefpoir , & que fa mort va
tromper leur eſpérance. Il termine le quatriéme
acte , en difant qu'il va tenter un
dernier effort auprès du pere de Sophie ,
& qu'après il s'abandonne tout entier aux
confeils d'Ulyffe.
Pyrrhus paroît d'abord feul au cinquiéme
acte , & dit à Ulyffe qui furvient , qu'il
n'a pu fléchir Philoctete. Le Roi d'Itaque
lui montre l'arrêt que la Grece a dicté contre
ce guerrier indomptable. Pyrrhus lui
repréfente qu'en livrant Philoctete à la
mort on venge la patrie , mais qu'on ne
la fauve pas. Ulyffe répond qu'avant
d'exécuter l'arrêt , il veut tout effayer , &
qu'il veut voir Philoctete , qui arrive dans
ce moment avec Sophie. C'eft ici cette admirable
fcene qui forme non feulement
un dénouement des plus heureux , mais
qui fait encore elle feule un des plus beaux
cinquiémes actes qui foient au théâtre :
il faudroit la tranfcrire toute entiere pour
en faire fentir toutes les beautés . Philoctete
à l'afpect d'Ulyffe s'écrie dans fa fu-
II.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
reur qu'on lui rende fes armes. Ce der
nier lui donne les fiennes. Philoctete veut
l'en percer , mais Pyrrhus l'arrête . Ce
guerrier les brave par ces deux vers , dont
le dernier eft digne de Corneille :
Un oracle accablant vous à glacés d'effroi.
Vous vous trouvez preffés entre les Dieux & moi.
Ulyffe lui dit de ne punir que lai , &
d'avoir pitié de fa patrie :
Graces à mon exil , cruel je n'en ai plus ,
Lui répond Philoctete :
•
Je voue à vos fureurs les Grecs que je détefte ;
Dieux ! épargnez Pyrrhus & foudroyez le refte .
Le fils d'Achille eſt révolté de cette imprécation
; mais Ulyffe combat alors Philoctete
avec tous les traits de fon éloquen-.
ce. Il l'attaque par fon foible , c'eſt - à- dire
par l'endroit le plus fenfible à fa gloire.p
Vous ofez (lui dit- il ) confpirer contre votre pays...
Quand un homme a formé ce projet parricide ,
On dévoue aux tourmens ce citoyen perfide :
Son opprobre s'attache aux flancs qui l'ont posté ,
Et fa honte le fuit dans fa poftérité .
A fes concitoyens fon nom eft exécrable ;
On recherche avec foin les traces dy coupable.
JUIN. 1755. 195
Rebut de l'univers , à foi- même odieux :
Il vit errant , fans loix , fans amis & fans Dieux.
Son fupplice aux mortels offre un exemple horri
ble ;
Le tombeau lui refuſe un afyle paifible ,
Et la terre abandonne aux monftres dévorans ,
De fon corps déchiré , les reftes expirans.
Ses manes agités d'une éternelle rage ,
En vain parmi les morts fe cherchent un paffage ;
L'enfer même l'enfer fe rend fourd à fes cris.
Si vous l'ofez , cruel , vengez - vous à ce prix.
Philoctete eft effrayé de cette image.
Ulyffe pour achever de le defarmer , &
pour frapper le dernier coup , preffe Pyrrhus
de partir. Renvoyez , dit - il , des
vaiffeaux qui puiffent tranfporter ce héros
par-tout où il voudra aller :
Maître du fort des Grecs , qu'il le foit de lui- mê
me.
Emmenez tous nos Grecs ; je refte près de lui.
Philoctete à ces mots s'écrie :
Ulyffe près de moi ! retire-toi barbare .
Ulyffe lui fait cette réplique admirable ,
qui le met pour ainfi dire au pied du mur .
Si votre coeur pour moi ne peut être adouci ,
Suivez les Grecs , Seigneur , & me laiffez ici.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Philoctete à ce trait demeure interdit.
Sa fille fe joint à Ulyffe , & embraſſe ſes
genoux pour le fléchir . Ce guerrier attendri
par les larmes de fa fille , céde à cette
derniere inftance . Il lui facrifie fon reffentiment
, conſent de l'unir à Pyrrhus , &
termine la piece en difant :
Le Ciel m'ouvre les yeux fur la vertu d'Ulyffe ,
Et femble m'annoncer la fin de mon fupplice :
En marchant fur les pas au rivage Troyen ,
Nous fuivrons le grand homme & le vrai citoyen.
On ne peut pas conduire ni dénouer
une piece avec plus d'art. Que M. de Châteaubrun
a tiré fur tout un heureux parti
de l'épifode de Sophie ! 'que fon Ulyffe eft
beau ! & que M. de la Noue l'a bien
rendu !
Ulyffe & Pyrrhus accompagnés de Démas
, ouvrent la fcene , qui eft dans l'ifle
de Lemnos , à vue de la caverne qui fert
de retraite à Philoctete . Le premier dit au
fils d'Achille , que Philoctete refpire dans
ce defert affreux , & que les Grecs ne peuvent
triompher de Troye fans le bras de ce
guerrier , uni à la valeur de Pyrrhus. Les
Dieux l'ont déclaré par la bouche de Calchas'
; cet Oracle eft un arrêt dont on ne
peut appeller. Si Philoctete n'eft ramené
JUIN. 1755. 181
dans l'armée , elle va périr dans l'opprobre
& dans la mifere. Pyrrhus impatient veut
courir vers Philoctete , mais Ulyffe le retient
, & l'inftruit du jufte courroux de ce
Prince contre les Grecs . Il lui apprend que
dès les premiers jours du fiége d'Ilion ,
Un Troyen le bleffa d'un dard envenimé
Par d'horribles douleurs le poiſon ſe déclare :
Mais fon ardeur s'éteint dans un profond fommeil,
Et jamais la douleur ne fuccéde au réveil.
A peine ce guerrier revoit-il la lumière ,
Qu'il retrouve fa voix &. fa force premiere ;
Jufqu'à d'autres accès fans ceffe renaiſſans ,
L'art épuifa fur lui fes fecours impuiffans.
Ce mal cruel rendit Philoctete fi farouche
qu'il devint infupportable à tous les
chefs , & particulierement aux Atrides
qu'il accabloit de reproches amers. Le Roi
d'Itaque , pour les en délivrer , joua le mécontent,
engagea Philoctete à le fuivre dans
l'ifle de Lemnos où il feignit de fe retirer ,
& l'abandonna feul dans ce defert pendant
fon fommeil. Ulyffe , après ce récit
recommande à Pyrrhus de ne pas le nommer
il lui confeille , pour arracher ce héros
de fa retraite , de feindre que la tempête
l'a pouflé fur ce rivage , qu'il à quitté
182 MERCURE DE FRANCE.
le camp des Grecs , & qu'il retourne à Scyros
, révolté contre un fiége fi lent , & indigné
de l'avarice fordide des chefs qui
ont fruftré fa valeur de fes droits . Pyrrhus
réfifte d'abord à ce confeil , la feinte répugne
à fon grand coeur ; mais Ulyffe lui
en fait fentir la néceffité & s'éloigne
pour le laiffer agir .
›
Pyrrhus refte avec Démas , & s'écrie en
jettant les regards fur l'entrée de la caverne
,
Mon oeil foutient à peine
Cet horrible tableau de la miſere humaine ;
Quelques vafes groffiers que le befoin conftruit ,
Des feuilles , des lambeaux qui lui fervent de lit.
Il voit fortir du fond de cet antre fauvage
une jeune beauté ; il eft frappé de
fes charmes , il l'aborde , & apprend d'elle
que fon nom eft Sophie , & qu'elle eft la
fille de Philoctete. Så tendreffe l'a conduite
dans cette ifle déferte pour y partager
le malheur de fon pere ; elle y aborda par
un naufrage. Nous allions périr , dit- elle ,
Hercule nous fecourut .
Il retint dans nos coeurs notre ame fugitive ,
Et fon bras bienfaiſant nous pouffa fur la rive.
Nous appellons mon pere , il s'avance vers nous.
Que n'éprouvai -je point dans un moment fi doux !
Avec quelle tendreffe il efluya mes larmes ↓
JUIN.
183 1755.
Combien für mon état témoigna-t- il d'allarmes !
Quels mouvemens confus de joie & de pitié ,
De fanglots mutuels qu'exhaloit l'amitié !
Les périls de la mer , mes craintes , ma mifere ,
J'oubliai tout , Seigneur , en embraffant mon pere
;
Voilà le langage naïf de la nature. Les
vers les plus pompeux valent - ils ceux
qu'elle infpire ? Cette fimplicité charmante
qui rend fi bien le fentiment , n'eſtelle
pas la vraie éloquence ? Pyrrhus témoigne
le defir qu'il a de voir Philoctete
Sophie répond, qu'armé d'un arc qui pourvoit
à leur fubfiftance , il erre dans les
bois , & qu'elle va le chercher. Pyrrhus
devant Démas fait éclater pour Sophie une
pitié qui laiffe entrevoir le premier trait
de l'amour. Démas lui repréfente qu'il ne
doit s'occuper que du foin de rendre Philoctete
aux Grecs prêts à périr.
Philoctete paroît avec Sophie , & marque
fa furprife à Pyrrhus , qu'il n'a jamais
vu , de le voir dans des lieux fi fauvages.
11 exprime en même tems fon reffentiment
contre les chefs de la Grece , & leur ingratitude
, par ces deux vers juftement applaudis
,
Les bienfaits n'avoient pu m'attacher les Atrides
:
Je fous apprivoifer jufqu'aux monftres avides.
184 MERCURE DE FRANCE.
Pyrrhus fe nomme ; Philoctere montre
une joie très- vive de voir en lui le fils
d'Achille dont il a toujours été l'ami ; mais
apprenant la mort de ce héros par la bouche
de fon fils , il s'écrie avec douleur
2
Achille eft mort , grands Dieux , & les Atrides
vivent
! Y
7 25377
Pyrrhus s'offre à conduire Philoctete &
fa fille dans leur patrie. Ce guerrier y
confent ; mais dans le moment qu'il veut
partir , il eft arrêté par un accès de fon
mal , qui l'oblige à rentrer dans fon antre
, & qui termine le premier acte. Y
101-20
Pyrrhus ouvre le fecond acte par ce beau
monologue , qui peint avec des couleurs
fi touchantes l'état de mifere & de douleur
où il vient de voir Philoctete dans la
caverne , ayant près de lui fa fille qui arrofoit
fes mains de larmes. Quel contraſte ,
dit- il , avec l'éducation qu'on nous donne !
p , cody courqu
"P
On écarte de nous juſqu'à l'ombre des maux
On n'offre à nos regards que de fiants tableaux
Pour ne point nous déplaire , on nous cache à
nous - mêmes ; ovo zng , ol mbase C
On ne nous entretient que de grandeurs fupre
-kot mes.unim un saciera'n aistroid as S11
On ajoûte à nos noms des noms ambitieux :
Autant que l'on le peut on fait de nous des Dieur.
JUIN.
185
1755 .
Victimes des flateurs , malheureux que nous fom
mes ,
Que ne nous apprend-t-on que les Rois font des
hommes !
·Démas furvient ; il exhorte Pyrrhus à
diffimuler encore pour engager Philoctete
à partir. La générofité de Pyrrhus attendri
s'en offenfe , & marque un vrai remords
d'avoir employé la feinte . Philoctete paroît
avec Sophie , & veut fe rendre au rivage.
Pyrrhus l'arrête. Philoctete furpris , lui en
demande la raifon . Le fatal fecret échappe
de la bouche du fils d'Achille, qui rougit de
commettre une perfidie , & lui déclare
qu'il le méne aux Atrides . A cet aveu le Roi
d'Eubée devient furieux. Pyrrhus l'inftruit
de la pofition des Grecs , & du befoin
qu'ils ont de fon bras pour renverfer
Troye , & s'arracher à une mort honteuſe ;
il le preffe en même tems d'immoler fon
reffentiment au falut de l'Etat. Philoctete
refufe de fe rendre , & fait des imprécations
contre Ulyffe & les autres chefs. Pyrrhus
lui répond , qu'il ne peut fe venger plus
noblement d'eux qu'en faifant triompher
fa patrie , & qu'en voyant Agamemnon
lui-même ramper à fes pieds. Philoctete
perfifte à ne point prêter fon fecours au
Roi d'Argos ; mais il propofe à Pyrrhus
186 MERCURE DE FRANCE.
d'aller combattre avec leurs foldats , & d'a
voir feuls la gloire de vaincre les Troyens.
Pyrrhus approuve ce parti ; mais comme il
entend du bruit , il s'éloigne avec Philoctete.
Démas qui les écoutoit , veut inftruire
Ulyffe du projet que ces deux guerriers
viennent de former ; mais le Roi d'Itaque
lui dit que les Grecs cachés avec lui fous
un rocher l'ont entendu , qu'ils ont réſolu
de les en punir ; & que s'il n'eût retenu
leur fureur , ils alloient fondre fur eux &
les immoler. Démas ajoûte qu'il craint encore
plus la fille que le pere . Ulyffe lui en
demande la raifon ; l'autre lui répond
que Pyrrhus adore Sophie."
›
Ulyffe en paroit allarmé , & quitte la
fcene en difant qu'il va voir avec les
Grecs ce qu'on doit oppofer à ce fatal
amour qui peut tout détruire.
I
Ulyffe ouvre le troifieme acte avec Démas.
Il tient un papier à la main , & dit à
Démas que les Grecs veulent entraîner
au camp Philoctete mort ou vivant , que
tel eft l'arrêt qu'ils viennent de figner ; &
que fi ce Prince refifte , ils veulent exterminer
fa famille , & faire fubir à fa fille
le fort d'Iphigénie . Ulyffe craint que Pyrrhus
ne prenne leur défenſe ; mais Démas
lui répond que fa résistance fera vaine , &
JUIN 1755. 187
que les Grecs viennent d'envelopper Philoctete
de toutes parts:
Pyrrhus paroît ; Ulyffe le preffe de partir
fans Philoctete , en difant qu'il ne veut
pas lui-même qu'on emmene ce guerrier au
camp . Pyrrhus s'excufe fur la pitié. Ulyffe
lui dit que la pitié dont il eft ému , n'eft
qu'un amour déguifé. Le premier répond
que l'amour n'eft pas un crime. Non , réplique
le Roi d'Itaque ,
Quand élevant le coeur , loin de l'humilier ,
Aux régles du devoir l'amour fçait le plier ,
Et ne l'enyvre point de fon poifon funefte :
Il eft fublime alors , la fource en eft céleste ,
Et c'eſt de cet amour que les Dieux font heureux.
Mais , Seigneur , quand l'amour , le bandeau fur
les yeux ,
Enchaîne le devoir aux pieds d'une maîtreffe ,
A des coeurs généreux n'infpire que foibleffe ,
Tient fous un joug d'airain leur courage foumis ,
Leur fait facrifier gloire , patrie , amis ,
Et des droits les plus faints rompt le noeud légitime
;
Alors , Seigneur , alors cet amour eft an crime.
Pyrrhus veut fe juftifier en difant qu'Achille
aima comme lui . Ulyffe lui repart
qu'il n'aima point aux dépens de fa gloire ,
& qu'il quitta tout pour elle. Il lui fait en
188 MERCURE DE FRANCE.
même tems une peinture pathétique de
l'état affreux où l'armée des Grecs fe trouve
réduite , ajoûtant qu'il va la joindre ,
& mourir fur le tombeau d'Achille , tandis
que fon fils refte tranquille à Lemnos
par l'amour. Ce trait réveille le
courage de Pyrrhus , & l'adroit Ulyffe pour
achever de le déterminer à le fuivre , lui
rapporte ainfi les dernieres paroles d'Achille
expirant , après qu'il l'eut arraché
lui-même des mains des Troyens .
enchaîné
Cher ami , me dit-il , cache-moi tes alarmes ;
Et laiffe- moi mourir parmi le bruit des armes. T
Par tes foins je fuis libre , & je refpire encor
Tu m'épargnes l'affront dont je flétris Hector.:
Que mon fils à jamais en garde la mémoire ,
Et te rende les foins que tu prens de ma gloire.
Sers-lui de pere , amis qu'il te ferve de fils . ' ; i
Voilà fes derniers voeux ; les avez-vous remplis
:
Pyrrhus eft prêt à partir , quand la préfence
de Sophie le retient il fe trouve
alors entre la gloire & l'amour, La premiere
foutenue par l'art d'Ulyffe , femble
d'abord l'emporter ; mais l'amour mieux
déféndu par les larmes de Sophie ', triomphe
enfin de Pyrrhus , & l'entraîne de fon
côté. Ce jeune héros en tournant les yeux
vers elle , s'écrie :
JUIN.
183 1755.
Quoi vous pleurez , courons à votre pere.
Il vole fur les pas de Sophie. Ulyffe fo
retire avec Démas , en difant que Pyrrhus
va fe perdre & combler le malheur de
Philoctete & de fa fille . Ce troifiéme Acte
eft d'une grande beauté .
Z Sophie commence le quatriéme Acte avec
Palmire fa gouvernante , & lui dit que fans
Pyrrhus les Grecs auroient furpris & enlevé
fon pere. Elle avoue avec cette ingé
nuité qui accompagne l'innocence , que
ce jeune héros lui a déclaré qu'il l'adoroit
, & qu'elle y a été fenfible par reconnoiffance
pour
le fervice qu'il a rendu à
fon pere. Palmire l'avertit de redouter les
effets de fa beauté . Je n'ai pas oublié , lui
répond Sophie , vos fages leçons.
Hélas ! cette beauté , ce charme fouverain ;
Dont le fexe s'honore , & qui le rend fi vain
Si la vertu n'en fait un ornement célefte ,
Eft , des Dieux irrités , le don le plus funefte.
" Philoctete arrive , & dit à fa fille qu'il
faut fauver l'honneur d'un pere infortuné ,
& lui remet un poignard. Sophie lui demande
quel ufage elle en doit faire : il répond
qu'il a vécu comme Hercule , &
qu'il veut mourir de même , ajoutant que
Le poifon peut encore lui porter une at
190 MERCURE DE FRANCE.
teinte , que les Grecs pourroient faifir, ce
moment pour le charger de fers , & qu'elle
doit le fouftraire à leur fureur , en faisant
ce qu'Hercule exigea de fon fils. Elle frémit
de commettre un parricide . Philoctete
defeſpéré de ce refus , s'écrie
s'écrie que dans
cette extrêmité il va lancer ces flèches redoutables
qui portent d'inévitables coups ,
& qu'il va commencer par Pyrrhus . Sophie
allarmée l'arrête , & lui apprend que
c'eft le fecours de Pyrrhus qui l'a dérobé à
l'audace des Grecs , & qu'elle en eft aimée.
Philoctete raffuré par l'amour de Pyrrhus
pour fa fille , la preffe de lui déclarer que
La flamme eft connue de fon pere , qui l'approuve
; mais que fi ce jeune guerrier ne
fe joint à lui pour les venger ,
elle rejette
avec dédain les offres de fa foi. Sophie le
lui jure , en lui difant tendrement qu'après
avoir partagé fa gloire , il eft jufte qu'elle
partage fon affront. Philoctete qui voit
venir Pyrrhus, rentre dans fon afyle , & recommande
à Sophie d'éprouver le coeur de
fon amant.
Pyrrhus dit à Sophie qu'il a fait retirer
les foldats , mais qu'elle engage fon pere
à remplir leurs voeux ; que le falut public
doit être un de fes bienfaits,, & qu'il ofe à
çe motif preffant joindre l'intérêt de fon
amour. Elle lui répond que Philoctete eft
JUI N. 1755. 191*
·
inftruit de fes feux , qu'il confent que
l'hymen les couronne , mais qu'il veut que
ces noeuds foient formés dans fes états .
Pyrrhus lui réplique en foupirant , que la
Grece l'implore , & qu'il ne peut l'abandonner,
Elle l'interrompt en lui difant que
puifque l'intérêt de fon pere & le fien lui
font moins chers que celui des Atrides ,
elle rend à fon amour les fermens qui le
lient. Seigneur , ajoute- t -elle ':
Plus grands dans nos deferts que vous ,
trône ,
fur votre
L'honneur nous tiendra lieu de fceptre & de cou
ronne.
Partez , laiffez -nous feuls dans ces fauvages lieux
La vertų pour témoin n'a befoin que des Dieux..
Pyrrhus lui fait entendre que Philoctete
a tout à craindre de la rage des Grecs. Sophie
répond que fa main va mettre un
frein à leurs droits prétendus , que fon
pere vient de l'armer d'un poignard , &
que fi les Grecs s'avançoient pour le pren
are , elle a juré de le plonger dans le coeur
de Philoctete
,› pour prévenir fa honte.
Pourriez-vous , lui dit Pyrrhus , verfer le
fang d'un pere ? elle s'écrie :
Que fçais-je leurs fureurs me ferviront de guid
des ? >
191 MERCURE DE FRANCE.
Un mortel fans honneur n'eſt plus qu'un monſtrë
affreux ,
Que tout autre homme abhorre , & qui craint
tous les yeux ;
Chaque regard l'infulte , & réveillant fa honte ;
De fon honneur perdu , lui redemande compte
Lui fait baiffer la vûe , & femble l'avertir
De fuir dans le tombeau qui devroit l'engloutir.
Pyrrhus frappé de ce tableau promet à
Sophie de périr plutôt mille fois que de
fouffrir que leurs foldats en viennent à
cette violence . Elle le quitte en lui re-.
commandant ainſi les jours de fon pere :
Etes-vous à l'abri du deſtin qui l'accable ›
Si les hommes , hélas ! réfléchiffoient fur eux ;
Ils répandroient des pleurs fur tous les malheu
reux.
Ulyffe vient apprendre à Pyrrhus que
les Troyens inftruits de l'oracle , ont profité
du tems de fon abſence pour attaquer
le camp , qu'ils font près de forcer fi luimême
ne vole au fecours des Grecs ; qu'ils
ont déja bleffé plufieurs chefs de l'armée
& qu'ils ont fouillé dans le tombeau d'Achille
, & difperfé les reftes de fon corps ,
qui font devenus la proie des chiens & des
vautours.
JUIN. 1755. 193
yautours. Pyrrhus devient furieux à cette
nouvelle , & veut voler au camp . Ulyffe
infifte alors pour enlever Philoctete , &
montre les foldats qui l'ont fuivi pour
cette exécution. Mais Pyrrhus s'écrie qu'ils
n'avancent point , que Philoctete eft armé
des traits du defefpoir , & que fa mort va
tromper leur eſpérance. Il termine le quatriéme
acte , en difant qu'il va tenter un
dernier effort auprès du pere de Sophie ,
& qu'après il s'abandonne tout entier aux
confeils d'Ulyffe.
Pyrrhus paroît d'abord feul au cinquiéme
acte , & dit à Ulyffe qui furvient , qu'il
n'a pu fléchir Philoctete. Le Roi d'Itaque
lui montre l'arrêt que la Grece a dicté contre
ce guerrier indomptable. Pyrrhus lui
repréfente qu'en livrant Philoctete à la
mort on venge la patrie , mais qu'on ne
la fauve pas. Ulyffe répond qu'avant
d'exécuter l'arrêt , il veut tout effayer , &
qu'il veut voir Philoctete , qui arrive dans
ce moment avec Sophie. C'eft ici cette admirable
fcene qui forme non feulement
un dénouement des plus heureux , mais
qui fait encore elle feule un des plus beaux
cinquiémes actes qui foient au théâtre :
il faudroit la tranfcrire toute entiere pour
en faire fentir toutes les beautés . Philoctete
à l'afpect d'Ulyffe s'écrie dans fa fu-
II.Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
reur qu'on lui rende fes armes. Ce der
nier lui donne les fiennes. Philoctete veut
l'en percer , mais Pyrrhus l'arrête . Ce
guerrier les brave par ces deux vers , dont
le dernier eft digne de Corneille :
Un oracle accablant vous à glacés d'effroi.
Vous vous trouvez preffés entre les Dieux & moi.
Ulyffe lui dit de ne punir que lai , &
d'avoir pitié de fa patrie :
Graces à mon exil , cruel je n'en ai plus ,
Lui répond Philoctete :
•
Je voue à vos fureurs les Grecs que je détefte ;
Dieux ! épargnez Pyrrhus & foudroyez le refte .
Le fils d'Achille eſt révolté de cette imprécation
; mais Ulyffe combat alors Philoctete
avec tous les traits de fon éloquen-.
ce. Il l'attaque par fon foible , c'eſt - à- dire
par l'endroit le plus fenfible à fa gloire.p
Vous ofez (lui dit- il ) confpirer contre votre pays...
Quand un homme a formé ce projet parricide ,
On dévoue aux tourmens ce citoyen perfide :
Son opprobre s'attache aux flancs qui l'ont posté ,
Et fa honte le fuit dans fa poftérité .
A fes concitoyens fon nom eft exécrable ;
On recherche avec foin les traces dy coupable.
JUIN. 1755. 195
Rebut de l'univers , à foi- même odieux :
Il vit errant , fans loix , fans amis & fans Dieux.
Son fupplice aux mortels offre un exemple horri
ble ;
Le tombeau lui refuſe un afyle paifible ,
Et la terre abandonne aux monftres dévorans ,
De fon corps déchiré , les reftes expirans.
Ses manes agités d'une éternelle rage ,
En vain parmi les morts fe cherchent un paffage ;
L'enfer même l'enfer fe rend fourd à fes cris.
Si vous l'ofez , cruel , vengez - vous à ce prix.
Philoctete eft effrayé de cette image.
Ulyffe pour achever de le defarmer , &
pour frapper le dernier coup , preffe Pyrrhus
de partir. Renvoyez , dit - il , des
vaiffeaux qui puiffent tranfporter ce héros
par-tout où il voudra aller :
Maître du fort des Grecs , qu'il le foit de lui- mê
me.
Emmenez tous nos Grecs ; je refte près de lui.
Philoctete à ces mots s'écrie :
Ulyffe près de moi ! retire-toi barbare .
Ulyffe lui fait cette réplique admirable ,
qui le met pour ainfi dire au pied du mur .
Si votre coeur pour moi ne peut être adouci ,
Suivez les Grecs , Seigneur , & me laiffez ici.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Philoctete à ce trait demeure interdit.
Sa fille fe joint à Ulyffe , & embraſſe ſes
genoux pour le fléchir . Ce guerrier attendri
par les larmes de fa fille , céde à cette
derniere inftance . Il lui facrifie fon reffentiment
, conſent de l'unir à Pyrrhus , &
termine la piece en difant :
Le Ciel m'ouvre les yeux fur la vertu d'Ulyffe ,
Et femble m'annoncer la fin de mon fupplice :
En marchant fur les pas au rivage Troyen ,
Nous fuivrons le grand homme & le vrai citoyen.
On ne peut pas conduire ni dénouer
une piece avec plus d'art. Que M. de Châteaubrun
a tiré fur tout un heureux parti
de l'épifode de Sophie ! 'que fon Ulyffe eft
beau ! & que M. de la Noue l'a bien
rendu !
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Résumé : EXTRAIT DE PHILOCTETE.
L'extrait de 'Philoctète' se déroule sur l'île de Lemnos, où Ulysse et Pyrrhus discutent de la nécessité de ramener Philoctète, un guerrier essentiel à la victoire contre Troie. Philoctète, abandonné sur l'île en raison d'une blessure empoisonnée incurable, est décrit comme farouche et insupportable. Ulysse conseille à Pyrrhus de feindre un naufrage pour approcher Philoctète sans éveiller sa méfiance. Pyrrhus rencontre Sophie, la fille de Philoctète, et apprend son histoire. Philoctète apparaît ensuite, exprimant son ressentiment contre les Grecs. Pyrrhus se propose de les conduire, lui et Sophie, dans leur patrie, mais un accès de douleur oblige Philoctète à rentrer dans sa caverne. Dans le second acte, Pyrrhus exprime sa pitié pour la misère de Philoctète. Ulysse révèle à Pyrrhus que les Grecs sont prêts à tout pour ramener Philoctète. Philoctète, furieux, refuse de se rendre aux Grecs. Pyrrhus propose alors de combattre avec lui contre les Troyens, sans les autres Grecs. Dans le troisième acte, Ulysse et Démas discutent de la manière de capturer Philoctète. Pyrrhus, partagé entre son amour pour Sophie et son devoir, finit par choisir l'amour. Sophie avoue à sa gouvernante qu'elle aime Pyrrhus. Dans le quatrième acte, Sophie révèle à Philoctète l'amour de Pyrrhus et son aide contre les Grecs. Philoctète accepte leur union à condition que Pyrrhus les aide à se venger. Pyrrhus, pressé par Sophie, accepte de rejoindre Philoctète pour combattre les Troyens, malgré les appels de la Grèce. Dans le cinquième acte, Ulysse montre à Philoctète un arrêt de mort dicté par la Grèce. Philoctète, face à Ulysse, exige ses armes mais est arrêté par Pyrrhus. Ulysse utilise son éloquence pour convaincre Philoctète de renoncer à sa vengeance, en lui décrivant les horreurs réservées aux traîtres. Touché par les larmes de sa fille Sophie, Philoctète cède et accepte de se réconcilier. La pièce se termine par l'union de Sophie et Pyrrhus, et Philoctète reconnaît la vertu d'Ulysse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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56
p. 65-75
LE MALHEUR D'AIMER. POEME, Par M. Gaillard, Avocat.
Début :
Non, je ne veux plus rien aimer ; [...]
Mots clefs :
Malheur, Aimer, Amour, Coeur, Dieux, Yeux, Vertu, Sang, Traits
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texteReconnaissance textuelle : LE MALHEUR D'AIMER. POEME, Par M. Gaillard, Avocat.
LE MALHEUR D'AIMER.
POEME ,
Par M. Gaillard , Avocat.
N On , je ne veux plus rien aimer ;
Un jufte orgueil m'enflamme , un jour heureux
m'éclaire ,
J'arrache en frémiffant ce coeur tendre & fincere
Aux perfides attraits qui l'avoient fçu charmer..
Combien l'illufion leur prêta de puiffance !
Et combien je rougis de ma folle conſtance !
Quoi ! c'eft-là cet objet adorable & facré ,
Chef- d'oeuvre de l'amour , par lui-même admiré ,
Sur qui la main des Dieux ( foit faveur ou colere)
Epuifa tous fes dons , & fur- tout l'art de plaire ! ...
Quel démon m'aveugloit : quel charme impérieux
Enchaînoit ma raiſon & faſcinoit mes yeux ?
J'aimois . J'embelliffois ma fatale chimere
Des traits les plus touchans d'une vertu fincere ;
Que ne peut-on toujours couvrir la vérité
Du voile de l'amour & de la volupté !
Hélas ! de mon erreur j'aime encor la mémoire ;
Je regrette mes fers , & pleure ma victoire 30
Que dis-je , malheureux ? Ah ! je devois pleurer,
66 MERCURE DE FRANCE.
Lorfque prompt à me nuire , ardent à m'égarer ;
Je fubis les rigueurs d'un indigné efclavage ;
Les Dieux de ces périls m'avoient tracé l'image.
Un fonge ( & j'aurois dû plutôt m'en ſouvenir )
A mon coeur imprudent annonçoit l'avenir.
J'errois fur les bords de la feine
Dans des bofquêts charmans confacrés au plaifir }
Avec Thémire , avec Climene ,
Par des jeux innocens j'amufois mon loifir.
Un enfant inconnu deſcend fur le rivage ,
Il mêle un goût plus vif à notre badinage ,
Il pare la nature , il embellit le jour ,
L'univers animé parut fentir l'amour.
Ses aîles , fon carquois m'infpiroient quelque
crainte ,
Mais dans les yeux touchans l'innocence étoit
peinte.
Il me tendit les bras . Son ingénuité
Intéreffa mon coeur qu'entraînoit fa beauté ;
Careffé par Thémire , & loué par Climéne
A leurs plus doux tranfports il fe prêtoit à peine ,
J'attirois tous fes foins , & j'étois feul flaté .
Il aimoit , diſoit-il , à me voir , à m'entendre ,
Il fembloit à mon fort prendre un intérêt tendre ,
Avec un air charmant il plaçoit de ſa main
Des lauriers fur mon front , des roſes dans mon
fein ; . -
Qui ne l'auroit aimé ? pardonnez , ô fageffe
AOUST.
1755 67
Je fçais trop à préfent qu'il faut n'aimer que
vous ;
Mais de ce traître enfant que les piéges font doux !
Que les traits ont de force & nos coeurs de foibleffe
! )
Il me montra de loin le palais des plaiſirs ,
J'y volai plein d'eſpoir , fur l'aîle des defirs .
Là , tout eft volupté ! tranfport , erreur , ivreffe ,
Là , tout peint , tout infpire , & tout fent la tendreffe
;
Dans mille objets trompeurs l'art fçait vous préfenter
Celui qui vous enchante , ou va vous enchanter.
J'apperçus deux portraits : l'un fut celui d'Or
phife ,
Mon oeil en fut frappé , mon ame en fut ſurpriſes
Vieille , elle avoit d'Hébé l'éclat & les attraits
Sa beauté m'éblouit fans m'attacher jamais .
Mais l'amour m'attendoit au portrait de Sylvie
Il alloit décider du bonheur de ma vie.
Sans éclat , fans beauté , fa naïve douceur
Fixa mon oeil avide , & pénétra mon coeur.
Dans fes yeux languiffans , ou l'art ou la nature
Avoient peint les vertus d'une ame noble & pure
Tous mes fens enivrés d'une rapide ardeur
Friffonnoient de plaifir , & nommoient mon vain
queur ...
Cependant fous mes pas s'ouvre un profond abî
me 2
68 MERCURE DE FRANCE.
J'y tombe , & je m'écrie : O trahiſon , ô crime !
De quels fleuves de fang me vois-je environné ?
Dans ces fombres cachots des malheureux gémiffent
,
De leurs cris effrayans ces voûtes retentiſſent :
Fuyons .... Des fers cruels me tiennent enchaîné ;
Mille dards ont percé mon coeur infortuné ,
O changement affreux ! quel art t'a pû produire ?
Une voix me répond : Pallas , va-t'en inftruire ?
L'amour fuit démafquant fon viſage odieux .
La rage d'Erinnys étincelle en fes yeux ,
Des ferpens couronnoient fa tête frémiffante ;
Le reſpect enchaînoit fon audace impuiffante ;
Il fecouoit pourtant d'un bras féditieux
Un flambeau dont Pallas éteignoit tous les feuxJ
Je la vis , & je crus l'avoir toujours aimée ,
Ses vertus s'imprimoient dans mon ame enflam
mée ,
J'admirois ces traits fiers , cette noble pudeur ,
Où du maître des Dieux éclatoit la fplendeur.
» Tombez , a- t-elle dit , chaînes trop rigoureu-
>> fes !
» Fermez-vous pour jamais, cicatrices honteufes !
>> Mortel ! je n'ai changé, ni l'amour , ni ces lieux ,
» Mais j'ai rompu le charme & deffillé tes yeux.
» La volupté verfoit l'éclat fur l'infamie ,
» D'un mafque de douceur couvroit la perfidie ;
La vertu feule eft belle , & n'a qu'un même
aſpect ,
A OUST . 1755. 69
» L'amour vrai qu'elle infpire eft enfant du ref-
» pect.
» Mais ſui – moi , viens apprendre à détefter ce
>> maître
>> Que les humains féduits fervent fans le connoî-
» tre ,
» Qui t'entraînoit toi -même , & t'alloit écraser
» Sous le poids de ces fers que j'ai daigné brifer.
>> Ce monftre en traits de fang , ſous ces voûtes
» horribles ,
» Grava de fes fureurs les monumens terribles.
ô Que vis-je ? .... ô paffions & fource des for
faits !
Quels tourmens vous caufez , quels maux vous
avez faits !
Térée au fond des bois outrage Philomele ?
Progné, foeur trop fenfible & mere trop cruelle ;
A cet époux inceftueux ,
De fon fils déchiré , fert les membres affreux.
Soleil ! tu reculas pour le feftin d'Atrée !
As-tu
pu
fans horreur voir celui de Térée ?
Mais quels font ces héros enflammés de fureur ;
Qui partagent les Dieux jaloux de leur valeur ? ....
Dieux votre fang rougit les ondes du Scamandre
;
Patrocle , Hector , Achille , ont confondu leur
cendre
70 MERCURE DE FRANCE.
Sous fon palais brûlant Priam eft écrasé ,
Le fceptre de l'Afie en fes mains eft brifé ,
Tout combat , tout périt : Pour qui ? pour une
femme ,
De mille amans trompés vil rebut , refte infame.
Le fier Agamemnon , ce chef de tant de Rois ,
Dont l'indocile Achille avoit fubi les loix ,
Revient après vingt ans de gloire & de mifere
Expirer fous les coups d'une épouse adultere .
Aux autels de les Dieux Pyrrhus eft égorgé ;
Hermione eft rendue à ſon époux vengé.
Pour laver ton affront , ô Phédre ! l'impofture
Charge de tes forfaits la vertu la plus pure ;
Sur un fils trop aimable un pere furieux
Appelle en frémiffant la vengeance des Dieux .
Le courroux de Neptune exauçant fa priere
Seme d'ennuis mortels fa fatale carriere.
Biblis , & vous , Myrrha , d'une exécrable ar
deur
Par des pleurs éternels vous expiez l'horreur.
O Robbe de Neffus ! & trompeufe efperance !
O d'un monftre infolent effroyable vengeance !
Sur le bucher fatal Hercule eft confumé ;
Héros plus grand qu'un Dieu , s'il n'avoit point
aimé !
Tu fuis , ingrat Jaſon , ta criminelle épouſe :
A O UST. 1755 71 .
Mais ... connois -tu Médée & fa rage jalouſe ?
Elle immola fon frere , & fe perdit pour toi ,
Tu ne peux ni la voir , ni la fuir fans effroi ! ....^
Mais la voici , grands Dieux ! furieufe , tremblan
I
te ......
Un fer étincélant arme fa main fanglante ,
Elle embraffe fes fils , & frémit de terreur
Ah ! d'un crime effrayant tout annonce l'horreur...
Arrête , Amour barbare , & toi , mere égarée ,
De quel fang fouilles-tu ta main deſeſpérée ?
La nature en frémit , l'enfer doute en ce jour
Qui l'emporte en fureur , ou Médée ou l'Amour.
Le jour vint m'arracher à ce fpectacle horrible,
Pour éclairer mon coeur la vérité terrible
Avoit emprunté par pitié
Les traits d'un utile menfonge. , .
Tout fuit , tout n'étoit qu'un vain fonge ,
Et mon coeur a tout oublié.
Deux Amours,, deux erreurs ont partagé ma
vie ,
Fadorai la vertu dans le coeur de Sylvie ,
Par des vices brillans Orphiſe m'enchanta ,
La vertu s'obscurcit , & le vice éclata ,
Orphife étoit perfide autant qu'elle étoit belle ,
Sylvie .... elle étoit femme , elle fut infidelle..
Sur quel fable mouvant fondois-je un vain eſpoir &
La candeur, la conftance eft-elle en leur pou
voir ?
72 MERCURE DE FRANCE.
(
Je te connois enfin , ſexe aimable & parjure ,
Ornement & fléau de la trifte nature !
Tu veux vaincre & regner , fur- tout tu veux tra
hir.
Notre opprobre eft ta gloire , & nos maux ton
t
plaifir.
Du généreux excès d'un amour héroïque
La vertueufe Alçefte étoit l'exemple unique.
Adorable en fa vie , admirable en ſa mort ,
Elle étonna les Dieux , & confondit le fort.
En fubiffant fa loi cruelle.
Otoi , qui poffedas cette épouſe fidele ,
Tu ne méritois pas , Admete , un fort fi beau ;
Si l'Amour ne t'entraîne avec elle au tombeau !
Elle eſt mere , & du fang t'immole la foibleffe !
Elle eft Reine , & connoit la conftante amitié !
Infenfible à fa perte , elle plaint ta tendreſſe ,
Dans les yeux prefque éteints brille encor la
pitié ;
Elle entre en t'embraffant dans la nuit éternelle ,
C'est pour toi qu'elle meurt , peux- tu vivre fans
elle ?
Hélas ! le coeur humain doit-il former des voeux ?
De toutes les vertus Alcefte eft le modele ,
Mais s'il étoit fuivi , ferions -nous plus heureux ?
Amour ! contre tes traits où prendroit - on des
armes ?
Ofemmes qui pourroit fe fouftraire à vos charmes
si
A O UST. 1755 . 75
Si vos coeurs fecondoient le pouvoir de vos yeux ?
La nature s'émeut à l'aspect d'une belle :
Le coeur dit : La voilà , mon bonheur dépend d'elle.
Que l'épreuve dément un préfage fi doux !
Hélás les vrais plaifirs ne font pas faits pour
nous.
Nous jouiffons bien peu de la douceur fuprême
De plaire à nos tyrans , ou d'aimer qui nous aimed
Dans l'empire amoureux tout coeur eſt égaré ,
Et loin des biens offerts cherche un bien defiré.
Ariane brûloit pour l'inconftant Théfée :
Mais il venge àfon tour cette amante abufée ;
Il aime , & dans fon fils on lui donne un rival ;
Phédre adore Hyppolite , & Phédre eft mépriféer
Phyllis eft fufpendue à l'amandier fatal ;
Démophoon fidele eût vû Phyllis volage ,
Tel eft de Cupidon le cruel badinage ;
Il fe nourrit de fang , il s'abbreuve de pleurs ,
Il enchaîne , & jamais il n'affortit les coeurs.
Vous , dont un vent propice enfle aujourd'hui
les voiles ,
Qui lifez , pleins d'efpoir , fur le front des étoiles
L'approche du bonheur & la route du port.
Ah ! tremblez ! mille écueils vous préfentent la
mort.
J'entens mugir les flots & gronder les tempêtes.
L'abime eft fous vos pieds , la foudre eft fur vos
têtes ;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
D'une fauffe amitié les perfides douceurs
De l'infidélité préparent les noirceurs ;
Bientôt on oubliera juſqu'à ces faveurs même ,
Dont on flate avec art votre tendreffe extrême ;
On verra vos tourmens d'un oeil fec & ferein .
Vainement pour voler à des ardeurs nouvelles
Le dépit & l'orgueil vous prêteront leurs aîles.
Vous ferez retenus par cent chaînes d'airain.
Les caprices fougueux , les fombres jaloufies ,
Et la haine allumée au flambeau des Furies ,
Etoufferont fans ceffe & produiront l'amour ,
De vos coeurs déchirés , indomptable vautour.
Sauvez de ces revers vos flammes généreuſes ;
Sortez , s'il en eft tems , de ces mers orageuſes ,
Regagnez le rivage , & cherchez le bonheur
Dans le calme des fens & dans la paix du coeur.
Des fieres paffions brifez le joug infâme ,
Fuyez la volupté , ce doux poifon de l'ame ,
La gloire & la vertu combleront tous vos voeux ,
Sous leur aimable empire on vit toujours heureux
.
Ainfi parloit Sylvandre , & fa douleur amere
Méconnoiffoit l'Amour maſqué par la colere ,
Quand d'un fouris flateur , fait pour charmer les
Dieux ,
A fes yeux éperdus Sylvie ouvrit les cieux ;
Quel moment ! quel combat pour fon ame attendrie
!
Elle approche , il pålit , il fe trouble ....... il
s'écrie ,
Frémiffant de couroux , de tendreffe & d'effroi ;
Tu l'emportes , cruelle , & mon coeur est à toi.
Unfeul de tes regards affure ta victoire ,
T'aimer eft ma vertu , t'enflammer eft ma gloire.
POEME ,
Par M. Gaillard , Avocat.
N On , je ne veux plus rien aimer ;
Un jufte orgueil m'enflamme , un jour heureux
m'éclaire ,
J'arrache en frémiffant ce coeur tendre & fincere
Aux perfides attraits qui l'avoient fçu charmer..
Combien l'illufion leur prêta de puiffance !
Et combien je rougis de ma folle conſtance !
Quoi ! c'eft-là cet objet adorable & facré ,
Chef- d'oeuvre de l'amour , par lui-même admiré ,
Sur qui la main des Dieux ( foit faveur ou colere)
Epuifa tous fes dons , & fur- tout l'art de plaire ! ...
Quel démon m'aveugloit : quel charme impérieux
Enchaînoit ma raiſon & faſcinoit mes yeux ?
J'aimois . J'embelliffois ma fatale chimere
Des traits les plus touchans d'une vertu fincere ;
Que ne peut-on toujours couvrir la vérité
Du voile de l'amour & de la volupté !
Hélas ! de mon erreur j'aime encor la mémoire ;
Je regrette mes fers , & pleure ma victoire 30
Que dis-je , malheureux ? Ah ! je devois pleurer,
66 MERCURE DE FRANCE.
Lorfque prompt à me nuire , ardent à m'égarer ;
Je fubis les rigueurs d'un indigné efclavage ;
Les Dieux de ces périls m'avoient tracé l'image.
Un fonge ( & j'aurois dû plutôt m'en ſouvenir )
A mon coeur imprudent annonçoit l'avenir.
J'errois fur les bords de la feine
Dans des bofquêts charmans confacrés au plaifir }
Avec Thémire , avec Climene ,
Par des jeux innocens j'amufois mon loifir.
Un enfant inconnu deſcend fur le rivage ,
Il mêle un goût plus vif à notre badinage ,
Il pare la nature , il embellit le jour ,
L'univers animé parut fentir l'amour.
Ses aîles , fon carquois m'infpiroient quelque
crainte ,
Mais dans les yeux touchans l'innocence étoit
peinte.
Il me tendit les bras . Son ingénuité
Intéreffa mon coeur qu'entraînoit fa beauté ;
Careffé par Thémire , & loué par Climéne
A leurs plus doux tranfports il fe prêtoit à peine ,
J'attirois tous fes foins , & j'étois feul flaté .
Il aimoit , diſoit-il , à me voir , à m'entendre ,
Il fembloit à mon fort prendre un intérêt tendre ,
Avec un air charmant il plaçoit de ſa main
Des lauriers fur mon front , des roſes dans mon
fein ; . -
Qui ne l'auroit aimé ? pardonnez , ô fageffe
AOUST.
1755 67
Je fçais trop à préfent qu'il faut n'aimer que
vous ;
Mais de ce traître enfant que les piéges font doux !
Que les traits ont de force & nos coeurs de foibleffe
! )
Il me montra de loin le palais des plaiſirs ,
J'y volai plein d'eſpoir , fur l'aîle des defirs .
Là , tout eft volupté ! tranfport , erreur , ivreffe ,
Là , tout peint , tout infpire , & tout fent la tendreffe
;
Dans mille objets trompeurs l'art fçait vous préfenter
Celui qui vous enchante , ou va vous enchanter.
J'apperçus deux portraits : l'un fut celui d'Or
phife ,
Mon oeil en fut frappé , mon ame en fut ſurpriſes
Vieille , elle avoit d'Hébé l'éclat & les attraits
Sa beauté m'éblouit fans m'attacher jamais .
Mais l'amour m'attendoit au portrait de Sylvie
Il alloit décider du bonheur de ma vie.
Sans éclat , fans beauté , fa naïve douceur
Fixa mon oeil avide , & pénétra mon coeur.
Dans fes yeux languiffans , ou l'art ou la nature
Avoient peint les vertus d'une ame noble & pure
Tous mes fens enivrés d'une rapide ardeur
Friffonnoient de plaifir , & nommoient mon vain
queur ...
Cependant fous mes pas s'ouvre un profond abî
me 2
68 MERCURE DE FRANCE.
J'y tombe , & je m'écrie : O trahiſon , ô crime !
De quels fleuves de fang me vois-je environné ?
Dans ces fombres cachots des malheureux gémiffent
,
De leurs cris effrayans ces voûtes retentiſſent :
Fuyons .... Des fers cruels me tiennent enchaîné ;
Mille dards ont percé mon coeur infortuné ,
O changement affreux ! quel art t'a pû produire ?
Une voix me répond : Pallas , va-t'en inftruire ?
L'amour fuit démafquant fon viſage odieux .
La rage d'Erinnys étincelle en fes yeux ,
Des ferpens couronnoient fa tête frémiffante ;
Le reſpect enchaînoit fon audace impuiffante ;
Il fecouoit pourtant d'un bras féditieux
Un flambeau dont Pallas éteignoit tous les feuxJ
Je la vis , & je crus l'avoir toujours aimée ,
Ses vertus s'imprimoient dans mon ame enflam
mée ,
J'admirois ces traits fiers , cette noble pudeur ,
Où du maître des Dieux éclatoit la fplendeur.
» Tombez , a- t-elle dit , chaînes trop rigoureu-
>> fes !
» Fermez-vous pour jamais, cicatrices honteufes !
>> Mortel ! je n'ai changé, ni l'amour , ni ces lieux ,
» Mais j'ai rompu le charme & deffillé tes yeux.
» La volupté verfoit l'éclat fur l'infamie ,
» D'un mafque de douceur couvroit la perfidie ;
La vertu feule eft belle , & n'a qu'un même
aſpect ,
A OUST . 1755. 69
» L'amour vrai qu'elle infpire eft enfant du ref-
» pect.
» Mais ſui – moi , viens apprendre à détefter ce
>> maître
>> Que les humains féduits fervent fans le connoî-
» tre ,
» Qui t'entraînoit toi -même , & t'alloit écraser
» Sous le poids de ces fers que j'ai daigné brifer.
>> Ce monftre en traits de fang , ſous ces voûtes
» horribles ,
» Grava de fes fureurs les monumens terribles.
ô Que vis-je ? .... ô paffions & fource des for
faits !
Quels tourmens vous caufez , quels maux vous
avez faits !
Térée au fond des bois outrage Philomele ?
Progné, foeur trop fenfible & mere trop cruelle ;
A cet époux inceftueux ,
De fon fils déchiré , fert les membres affreux.
Soleil ! tu reculas pour le feftin d'Atrée !
As-tu
pu
fans horreur voir celui de Térée ?
Mais quels font ces héros enflammés de fureur ;
Qui partagent les Dieux jaloux de leur valeur ? ....
Dieux votre fang rougit les ondes du Scamandre
;
Patrocle , Hector , Achille , ont confondu leur
cendre
70 MERCURE DE FRANCE.
Sous fon palais brûlant Priam eft écrasé ,
Le fceptre de l'Afie en fes mains eft brifé ,
Tout combat , tout périt : Pour qui ? pour une
femme ,
De mille amans trompés vil rebut , refte infame.
Le fier Agamemnon , ce chef de tant de Rois ,
Dont l'indocile Achille avoit fubi les loix ,
Revient après vingt ans de gloire & de mifere
Expirer fous les coups d'une épouse adultere .
Aux autels de les Dieux Pyrrhus eft égorgé ;
Hermione eft rendue à ſon époux vengé.
Pour laver ton affront , ô Phédre ! l'impofture
Charge de tes forfaits la vertu la plus pure ;
Sur un fils trop aimable un pere furieux
Appelle en frémiffant la vengeance des Dieux .
Le courroux de Neptune exauçant fa priere
Seme d'ennuis mortels fa fatale carriere.
Biblis , & vous , Myrrha , d'une exécrable ar
deur
Par des pleurs éternels vous expiez l'horreur.
O Robbe de Neffus ! & trompeufe efperance !
O d'un monftre infolent effroyable vengeance !
Sur le bucher fatal Hercule eft confumé ;
Héros plus grand qu'un Dieu , s'il n'avoit point
aimé !
Tu fuis , ingrat Jaſon , ta criminelle épouſe :
A O UST. 1755 71 .
Mais ... connois -tu Médée & fa rage jalouſe ?
Elle immola fon frere , & fe perdit pour toi ,
Tu ne peux ni la voir , ni la fuir fans effroi ! ....^
Mais la voici , grands Dieux ! furieufe , tremblan
I
te ......
Un fer étincélant arme fa main fanglante ,
Elle embraffe fes fils , & frémit de terreur
Ah ! d'un crime effrayant tout annonce l'horreur...
Arrête , Amour barbare , & toi , mere égarée ,
De quel fang fouilles-tu ta main deſeſpérée ?
La nature en frémit , l'enfer doute en ce jour
Qui l'emporte en fureur , ou Médée ou l'Amour.
Le jour vint m'arracher à ce fpectacle horrible,
Pour éclairer mon coeur la vérité terrible
Avoit emprunté par pitié
Les traits d'un utile menfonge. , .
Tout fuit , tout n'étoit qu'un vain fonge ,
Et mon coeur a tout oublié.
Deux Amours,, deux erreurs ont partagé ma
vie ,
Fadorai la vertu dans le coeur de Sylvie ,
Par des vices brillans Orphiſe m'enchanta ,
La vertu s'obscurcit , & le vice éclata ,
Orphife étoit perfide autant qu'elle étoit belle ,
Sylvie .... elle étoit femme , elle fut infidelle..
Sur quel fable mouvant fondois-je un vain eſpoir &
La candeur, la conftance eft-elle en leur pou
voir ?
72 MERCURE DE FRANCE.
(
Je te connois enfin , ſexe aimable & parjure ,
Ornement & fléau de la trifte nature !
Tu veux vaincre & regner , fur- tout tu veux tra
hir.
Notre opprobre eft ta gloire , & nos maux ton
t
plaifir.
Du généreux excès d'un amour héroïque
La vertueufe Alçefte étoit l'exemple unique.
Adorable en fa vie , admirable en ſa mort ,
Elle étonna les Dieux , & confondit le fort.
En fubiffant fa loi cruelle.
Otoi , qui poffedas cette épouſe fidele ,
Tu ne méritois pas , Admete , un fort fi beau ;
Si l'Amour ne t'entraîne avec elle au tombeau !
Elle eſt mere , & du fang t'immole la foibleffe !
Elle eft Reine , & connoit la conftante amitié !
Infenfible à fa perte , elle plaint ta tendreſſe ,
Dans les yeux prefque éteints brille encor la
pitié ;
Elle entre en t'embraffant dans la nuit éternelle ,
C'est pour toi qu'elle meurt , peux- tu vivre fans
elle ?
Hélas ! le coeur humain doit-il former des voeux ?
De toutes les vertus Alcefte eft le modele ,
Mais s'il étoit fuivi , ferions -nous plus heureux ?
Amour ! contre tes traits où prendroit - on des
armes ?
Ofemmes qui pourroit fe fouftraire à vos charmes
si
A O UST. 1755 . 75
Si vos coeurs fecondoient le pouvoir de vos yeux ?
La nature s'émeut à l'aspect d'une belle :
Le coeur dit : La voilà , mon bonheur dépend d'elle.
Que l'épreuve dément un préfage fi doux !
Hélás les vrais plaifirs ne font pas faits pour
nous.
Nous jouiffons bien peu de la douceur fuprême
De plaire à nos tyrans , ou d'aimer qui nous aimed
Dans l'empire amoureux tout coeur eſt égaré ,
Et loin des biens offerts cherche un bien defiré.
Ariane brûloit pour l'inconftant Théfée :
Mais il venge àfon tour cette amante abufée ;
Il aime , & dans fon fils on lui donne un rival ;
Phédre adore Hyppolite , & Phédre eft mépriféer
Phyllis eft fufpendue à l'amandier fatal ;
Démophoon fidele eût vû Phyllis volage ,
Tel eft de Cupidon le cruel badinage ;
Il fe nourrit de fang , il s'abbreuve de pleurs ,
Il enchaîne , & jamais il n'affortit les coeurs.
Vous , dont un vent propice enfle aujourd'hui
les voiles ,
Qui lifez , pleins d'efpoir , fur le front des étoiles
L'approche du bonheur & la route du port.
Ah ! tremblez ! mille écueils vous préfentent la
mort.
J'entens mugir les flots & gronder les tempêtes.
L'abime eft fous vos pieds , la foudre eft fur vos
têtes ;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
D'une fauffe amitié les perfides douceurs
De l'infidélité préparent les noirceurs ;
Bientôt on oubliera juſqu'à ces faveurs même ,
Dont on flate avec art votre tendreffe extrême ;
On verra vos tourmens d'un oeil fec & ferein .
Vainement pour voler à des ardeurs nouvelles
Le dépit & l'orgueil vous prêteront leurs aîles.
Vous ferez retenus par cent chaînes d'airain.
Les caprices fougueux , les fombres jaloufies ,
Et la haine allumée au flambeau des Furies ,
Etoufferont fans ceffe & produiront l'amour ,
De vos coeurs déchirés , indomptable vautour.
Sauvez de ces revers vos flammes généreuſes ;
Sortez , s'il en eft tems , de ces mers orageuſes ,
Regagnez le rivage , & cherchez le bonheur
Dans le calme des fens & dans la paix du coeur.
Des fieres paffions brifez le joug infâme ,
Fuyez la volupté , ce doux poifon de l'ame ,
La gloire & la vertu combleront tous vos voeux ,
Sous leur aimable empire on vit toujours heureux
.
Ainfi parloit Sylvandre , & fa douleur amere
Méconnoiffoit l'Amour maſqué par la colere ,
Quand d'un fouris flateur , fait pour charmer les
Dieux ,
A fes yeux éperdus Sylvie ouvrit les cieux ;
Quel moment ! quel combat pour fon ame attendrie
!
Elle approche , il pålit , il fe trouble ....... il
s'écrie ,
Frémiffant de couroux , de tendreffe & d'effroi ;
Tu l'emportes , cruelle , & mon coeur est à toi.
Unfeul de tes regards affure ta victoire ,
T'aimer eft ma vertu , t'enflammer eft ma gloire.
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Résumé : LE MALHEUR D'AIMER. POEME, Par M. Gaillard, Avocat.
Le poème 'Le Malheur d'Aimer' de M. Gaillard, avocat, explore les tourments de l'amour et ses illusions. Le narrateur, initialement enflammé par un orgueil justifié, se libère des attraits perfides qui l'ont charmé. Il regrette son erreur passée, où il idéalisait un être aimé, croyant voir en lui un chef-d'œuvre de l'amour. Il se remémore un songe prémonitoire où il était avec Thémire et Climène, et où un enfant inconnu, symbolisant l'amour, les rejoignait, embellissant leur journée. Dans ce songe, l'enfant, par sa beauté et son innocence, captivait le cœur du narrateur, qui se laissait séduire par ses charmes. L'enfant lui montrait un palais des plaisirs, où tout inspirait la tendresse. Le narrateur y voyait deux portraits : celui d'Orphise, dont la beauté ancienne ne l'attachait pas, et celui de Sylvie, dont la naïve douceur fixait son regard et pénétrait son cœur. Cependant, un abîme s'ouvrait sous ses pas, révélant des cachots où des malheureux gémissaient. Il se sentait enchaîné par des fers cruels, percé par mille dards. Pallas, démasquant l'amour, lui révélait la véritable nature de ses sentiments. L'amour, démasqué, montrait un visage odieux, couronné de serpents, tandis que Pallas éteignait ses feux. Le narrateur découvrait alors la véritable beauté de Sylvie, dont les vertus s'imprimaient dans son âme enflammée. Sylvie lui révélait que la véritable beauté résidait dans la vertu et le respect. Elle l'invitait à suivre un chemin de vertu pour échapper aux tourments de l'amour. Le poème se termine par une réflexion sur les dangers de l'amour, illustrés par des exemples mythologiques de trahisons et de tragédies. Le narrateur conclut en exhortant à fuir les passions dévastatrices pour trouver le bonheur dans la paix du cœur et la vertu.
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57
p. 36
VERS A Madame P ...
Début :
Qui voit P ... voit la beauté : [...]
Mots clefs :
Dieux
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texteReconnaissance textuelle : VERS A Madame P ...
VERS
A Madame P ...
Ui voit P ... voit la beauté :
C'eft à cette Divinité
Qu'il appartient de fixer fur fes traces
Les jeux , les ris , les amours & les graces :
Mais on ne peut l'apprécier
Qu'en lui rendant le plus fidele hommage
Elle feule des Dieux eft la parfaite image ;
Elle les repréfente , & les fait oublier. *
>
* Il y a dans les Danaïdes , Tragédie de Gombauld
, un vers qui paroît le modele de ce dernier.
Représente les Dieux , & les fait oublier.
A Madame P ...
Ui voit P ... voit la beauté :
C'eft à cette Divinité
Qu'il appartient de fixer fur fes traces
Les jeux , les ris , les amours & les graces :
Mais on ne peut l'apprécier
Qu'en lui rendant le plus fidele hommage
Elle feule des Dieux eft la parfaite image ;
Elle les repréfente , & les fait oublier. *
>
* Il y a dans les Danaïdes , Tragédie de Gombauld
, un vers qui paroît le modele de ce dernier.
Représente les Dieux , & les fait oublier.
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58
p. 43
STANCES A PHILIS. Pour l'inviter à venir quelque tems à la campagne.
Début :
Allons, Philis, dans ces bocages, [...]
Mots clefs :
Amour, Dieux, Nature, Fleurs
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texteReconnaissance textuelle : STANCES A PHILIS. Pour l'inviter à venir quelque tems à la campagne.
STANCES A PHILIS.
Pour l'inviter à venir quelque tems à la
campagne.
ALlons , Philis , dans ces bocages ,
Contempler de nouveaux objets ,
Et fous ces ténébreux feuillages
Inventer de plus doux projets.
Allons , loin du fafte des villes ;
Loin du fiécle , loin des plaiſirs ,
A nos coeurs fimples & dociles
Permettre d'innocens defirs.
Allons ... la nature embellie ,
Par-deffus l'éclat des cités
D'une douce mélancolie ,
Remplira nos coeurs enchantés.
Du repos de ce lieu champêtre
Amour pourra s'autoriſer.
Tout y fert à le faire naître
Ainfi qu'à le favorifer.
44 MERCURE DE FRANCE.
Quand la plaintive tourterelle
Pouffera de tendres accens ,
Ton coeur peut-être apprendra d'elle
Afouffrir des maux que je fens .
Quand le cryftal d'une onde pare
Offrira tes traits dans fon fein ,
Il t'apprendra que la nature
Ne forma pas ces traits en vain.
Ces fleurs même , ces fleurs nouvelles
Nous font fouvenir des inftans :
Elles ne font pas toujours belles ,
Philis ,il n'eft qu'un feul printems.
Le tems , plus léger que l'aurore
S'envole d'un rapide cours :
Rendons-le plus rapide encore ,
En le confacrant aux Amours.
Tous deux de l'ardeur la plus vive ,
Philis , laiffons-nous enflammer :
Tu m'aimeras pour que je vive ,
Et moi je vivrai pour t'aimer.
SEPTEMBRE. 1755 .
45
Ah ! fi ton amour eft durable ,
S'il ne fuit jamais d'autres loix ,
Mon fort eft cent fois préférable
Au fort brillant des plus grands Rois.
D'une félicité plus pure
Les Dieux goûtent- ils la douceur ?
Au- deffous d'eux par ma nature ,
Au- deffus d'eux par mon bonheur.
Quand avec toi mon coeur s'explique ,
Je crois monter au rang des Dieux :
Et fous le toit le plus ruftique
Je trouve près de toi les cieux.
Tout eft divin dans ta perfonne.
M'offres-tu la rouge liqueur ?
Je crois voir Hebé qui me donne
Un nectar rempli de douceur.
M'offres-tu la pomme nouvelle
Pâris fe vit moins honoré :
La fienne étoit à la plus belle ,
La tienne eft au plus adoré .
46 MERCURE DE FRANCE.
Ces fleurs que ta main a choiſie ,
Tu leur donnes mille vertus ;
Ce font celles dont l'ambroifie
Parfument l'autel de Vénus.
'Ah ! que l'amour répand dans l'ame
De fentimens délicieux.
Philis , en brûlant de fa flamme ,
Nous nous rendrons plus chers aux Dieux.
La cour des céleftes Monarques
Nous deftine les plus beaux jours.
Les graces deviennent les parques
Des coeurs confacrés aux Amours.
L'amour , c'est le fil de la vie.
Les plaifirs tiennent le fuſeau ,
L'ivreffe dont elle eft fuivie ,
Philis , c'eft le coup du cifeau,
Veux-tu voir la métamorphofe
D'un mortel au- deffus d'un Roi
Un mot fait mon apothéoſe :
Cher Tircis , mon coeur eft à toi.
Pour l'inviter à venir quelque tems à la
campagne.
ALlons , Philis , dans ces bocages ,
Contempler de nouveaux objets ,
Et fous ces ténébreux feuillages
Inventer de plus doux projets.
Allons , loin du fafte des villes ;
Loin du fiécle , loin des plaiſirs ,
A nos coeurs fimples & dociles
Permettre d'innocens defirs.
Allons ... la nature embellie ,
Par-deffus l'éclat des cités
D'une douce mélancolie ,
Remplira nos coeurs enchantés.
Du repos de ce lieu champêtre
Amour pourra s'autoriſer.
Tout y fert à le faire naître
Ainfi qu'à le favorifer.
44 MERCURE DE FRANCE.
Quand la plaintive tourterelle
Pouffera de tendres accens ,
Ton coeur peut-être apprendra d'elle
Afouffrir des maux que je fens .
Quand le cryftal d'une onde pare
Offrira tes traits dans fon fein ,
Il t'apprendra que la nature
Ne forma pas ces traits en vain.
Ces fleurs même , ces fleurs nouvelles
Nous font fouvenir des inftans :
Elles ne font pas toujours belles ,
Philis ,il n'eft qu'un feul printems.
Le tems , plus léger que l'aurore
S'envole d'un rapide cours :
Rendons-le plus rapide encore ,
En le confacrant aux Amours.
Tous deux de l'ardeur la plus vive ,
Philis , laiffons-nous enflammer :
Tu m'aimeras pour que je vive ,
Et moi je vivrai pour t'aimer.
SEPTEMBRE. 1755 .
45
Ah ! fi ton amour eft durable ,
S'il ne fuit jamais d'autres loix ,
Mon fort eft cent fois préférable
Au fort brillant des plus grands Rois.
D'une félicité plus pure
Les Dieux goûtent- ils la douceur ?
Au- deffous d'eux par ma nature ,
Au- deffus d'eux par mon bonheur.
Quand avec toi mon coeur s'explique ,
Je crois monter au rang des Dieux :
Et fous le toit le plus ruftique
Je trouve près de toi les cieux.
Tout eft divin dans ta perfonne.
M'offres-tu la rouge liqueur ?
Je crois voir Hebé qui me donne
Un nectar rempli de douceur.
M'offres-tu la pomme nouvelle
Pâris fe vit moins honoré :
La fienne étoit à la plus belle ,
La tienne eft au plus adoré .
46 MERCURE DE FRANCE.
Ces fleurs que ta main a choiſie ,
Tu leur donnes mille vertus ;
Ce font celles dont l'ambroifie
Parfument l'autel de Vénus.
'Ah ! que l'amour répand dans l'ame
De fentimens délicieux.
Philis , en brûlant de fa flamme ,
Nous nous rendrons plus chers aux Dieux.
La cour des céleftes Monarques
Nous deftine les plus beaux jours.
Les graces deviennent les parques
Des coeurs confacrés aux Amours.
L'amour , c'est le fil de la vie.
Les plaifirs tiennent le fuſeau ,
L'ivreffe dont elle eft fuivie ,
Philis , c'eft le coup du cifeau,
Veux-tu voir la métamorphofe
D'un mortel au- deffus d'un Roi
Un mot fait mon apothéoſe :
Cher Tircis , mon coeur eft à toi.
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Résumé : STANCES A PHILIS. Pour l'inviter à venir quelque tems à la campagne.
Le texte 'Stances à Philis' est une invitation adressée à Philis pour qu'elle rejoigne le narrateur à la campagne. Le narrateur souhaite fuir l'agitation des villes et les plaisirs mondains afin de savourer la simplicité et l'innocence de la nature. Il décrit la nature comme une source de douce mélancolie et de repos, favorable à l'amour. Divers éléments naturels, tels que la tourterelle et les fleurs, illustrent la beauté éphémère et l'importance de profiter de l'instant présent. Le narrateur exprime un amour ardent pour Philis, affirmant que son amour surpasse celui des plus grands rois et aspire à une félicité pure avec elle. Le texte se conclut par une métaphore de l'amour comme fil de la vie, soulignant l'importance des plaisirs et des sentiments délicieux qu'il procure.
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59
p. 79-88
SUITE De la séance publique de l'Académie royale de Nismes.
Début :
M. le Marquis de Rochemore, Secrétaire perpétuel, lut ensuite une piéce en [...]
Mots clefs :
Poète, Académie royale de Nîmes, Plaisirs, Dieux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE De la séance publique de l'Académie royale de Nismes.
SUITE
De la feance publique de l'Académie royale
de Nifmes.
M. le Marquis de Rochemore , Secrétaire
perpétuel , lut enfuite une piéce en
vers libres , intitulée Epitre d'Hypermnestre
à Lyncée. Cet ouvrage eft imité d'une des
Héroïdes d'Ovide ; mais l'auteur ne s'eft
point attaché à copier fon modele ; il a
pris quelques penfées du Poëte latin , il y
a joint les fiennes : nous allons citer quelques
morceaux détachés qui pourront faire
juger de tout l'ouvrage .
C'eft ainfi qu'Hypermneftre raconte à
fon époux les crimes de fes foeurs , & fes
propres combats.
Un bruit foudain glaça ton époufe craintive ,
Un bruit fombre ... plaintif ... de lugubres accens
...
Je vis briller le fer ... les foupirs des mourans
Vinrent frapper mon oreille attentive :
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Imitons , dis-je alors , l'exemple de mesfoeurs ,
De Danaus fuivons les loix feveres ,
Uniffons Lyncée à fes freres.
Un Dieu fans doute , un Dieu fufpendit mes fureurs.
Mon bras étoit levé , ta criminelle amante.
Mefuroit éperdue , interdite & tremblante ,
Le coup qui devoit t'immoler ,
Ton fang étoit prêt à couler ...
J'avois troisfois repris l'arme inhumaine
Qu'avoient ravi trois fois à ma main incertaine
L'horreur , l'amour & la pitié.
Dérobons à mon pere une ſeule victime.
Dois-je être l'inftrument de fon inimitié ,
Et la complice de fon crime ?
Moi ! je me fouillerois d'un fang fi précieux ,
J'obéirois à des ordres împies !
Et cet Hymen détesté par les Dieux
Auroit été formé par les Furies !
Ah plutôt dans mon fein le poignard odieux ......
C'eſt en vain qu'un pere parjure
Veut me faire trahir l'amour & la nature
Leurs droits font gravés dans nos coeurs
Et la voix d'un tyran guidé par les fureurs
Ne peut étouffer leur murmure.
-Les fanglots d'Hypermneftre , fes combats
, fes tranfports , arrachent enfin Lyncée
au fommeil : fuyez , lui-dit-elle ,
SEPTEMBRE. 1755. $1
La trahiſon , la mort regnent dans ce palais ,
Cette nuit féconde en forfaits
Dans le fombre féjour a réuni vos freres ,
Et les myrthes d'Hymen aux Cyprès funéraires.
» Mon amour feul vous a fauvé , &
» m'a fait trahir les ordres cruels de Da-
» naus. » Le jeune Prince s'échappe du pa
lais à la faveur de la nuit.
Du foleil cependant la jeune avantcouriere
Sur nos Lares fanglans répandoit ſa lumiero.
Danaus ( la fierté brilloit dans fes regards )
Comptoit de nos époux les cadavres épars ;
Un feul manquoit , Lyncée en cette nuit perfide
Evita feul les coups de la parque homicide.
Hypermneftre raconte à fon époux la
fureur de Danaus quand ce Monarque barbare
s'apperçut qu'une de fes victimes lui
étoit échappée ; il jure la mort de fa fille ,
& la fait indignement traîner dans un
cachot affreux .
» Viens , cher époux , lui dit- elle enfin,
Viens finir ma captivité :
Mais n'écoutes point ta vengeance ,
Contente-toi de fauver l'innocence
Sans punir l'inhumanité.
Songe qu'Hypermaneftre eft la fille
Du meurtrier qui perdit ta familles
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Tout barbare qu'il fût daigne épargner les jours:
D'un fang cher à mon coeur ne rougis point tes
armes :
Que ton retour enfin hâté par les amours
Ne foit point fouillé par mes larmes.
Cette fin eft abfolument différente de
celle d'Ovide ; l'Auteur n'a pas jugé à
propos non plus d'imiter dans fon épitre
le long épifode d'Io changée en vache.
Les connoiffeurs décideront s'il a bien ou
mal jugé.
M. Vincens lut enfuite une épitre à la
mort , dont voici l'extrait.
La mort peut infpirer l'effroi aux ames
vulgaires , mais elle préfente au Sage une
lumiere fûre qui écarte l'illufion des fens ,
& lui montre les objets précifément tels
qu'ils font ; c'eft une divinité favorable
qui enfeigne aux humains l'art de jouir
de tout fans abufer de rien , & qui diffipant
le preftige des paffions foutient leur
coeur dans l'heureux équilibre , qui feul
peut faire la vraie félicité. Tel eft le point
de vûe fous lequel M. V. envifage la mort.
Il peint en commençant l'épitre qu'il
adreffe à cette Divinité , la fituation où
fe trouve l'homme lorfqu'il entre fur la
fcene du monde.
SEPTEMBRE . 1755 . 83
Sur le bord d'une mer immenfe
L'homme au fortir de fon enfance ,
Par la nature eft expofé :
Là fon coeur ingénu fans guide , fans défenſe ;
Par la féduifante apparence
Eft à chaque inftant abufé :
Sur le mobile dos des ondes azurées ,
Les folâtres amours & les plaifirs légers
Déployant leurs aîles dorées ,
L'appellent par leurs jeux , & voilent les dan
gers ;
Les jours fereins de la jeuneffe ,
Le calme féducteur , les cris des Matelots ,
Tout le follicite & le preffe
De tenter la route des flots ;
Il part , fur les eaux il s'élance ,
L'impatient defir & la douce efpérance
Enflent la voile , & l'écartent du port ;
Mais à peine au loin de la plage
Voit-il difparoître le bord ,
Tout change , Pair frémit , tout annonce l'orage;
Tout découvre à fes yeux , trop tard deſabufés
Les périls où les jours demeurent exposés :
Des paffions tumultueuſes ,
Les rapides courans & les vents oppofés
Offrent à chaque inftant fur les mers orageufes ?
Les débris des vaiffeaux par les vagues brifés
A la fureur de la tempête ,
Lui-même tout-à-coup livré.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
L'orgueil , l'ambition , déchaînent fur fa tête ,
Leur fouffle impétueux contre lui conjuré ;
De la fougue des flots , malheureuſe victime ,
Quelquefois dans les cieux , quelquefois dans
l'abîme ,
Et loin de fa route égaré ;
Une mer inconnue & d'écueils hériffée ,
De toute part à fa nef fracaffée ,
Préfente un nauffrage affuré.
La mort eft la feule divinité qui puiffe
fauver l'homme de ce péril ; elle lui montre
la vanité des objets qui l'environnent ,
elle l'éclaire fur leur durée qui n'est que
d'un inftant. Inftruit par fes leçons le Poëte
n'envie point le fort des favoris de la
fortune : non , dit- il , leur état ne fçauroit
m'éblouir.
1
De troubles, de foupçons, leur ame environnée
Laiffe fuir le préfent , rédoute l'avenir ;
Et malgré leurs efforts leur vie eft moiffonnée
Avant qu'ils * ayent trouvé le moment de jouir.
L'ambition n'a pas plus de charmes pour
lui. En vain montre- t- elle fes favoris placés
fur le char de la gloire ou montés au
rang des Dieux ; l'ambitieux , dit M. V.
éblouit quelque tems l'univers :
* Ce mot , ayant , ne peut point s'élider , en con-
Sequence il ne doit jamais être employé qu'à la fim
d'un vers.
SEPTEMBRE. 1755. 8$
Aftre brillant il roule far nos têtes ,
Il excite , il appaife à fon gré les tempêtes ,
Il couvre l'Univers d'un feu qui l'éblouit :
Mais tandis qu'oubliant ſa foibleſſe premiere
Il répand à nos yeux fa plus vive lumiere ,
Par fa propre fplendeur féduit ,
Tu parles , & foudain du haut de fa carriere
L'aftre eft précipité dans l'éternelle nuit .
O mort ! continue le Poëte ,
O mort ! un ennemi cent fois plus rédoutable
Avoit fait chancéler mon coeur.
La volupté d'un charme inévitable
Verſoit déja fur lui le poiſon ſéducteur :
De fleurs fans ceffe couronnée ,
Autour de moi fa voix appelloit le plaifir ;
De délices environnée
Son regard dans mon ame allumoit le defir ;
C'en étoit fait , l'amour achevoit ma défaite ,
Ses liens pour jamais alloient me retenir;
Mais tu fouffles , & fur fa tête
J'ai vu les roſes fe flétrir.
Ces détails font terminés par cette réflexion.
Gloire , plaifir , pouvoir , richeffe ,
Atômes agités par l'aveugle Décffe ,
A la faveur d'un rayon lumineux ,
Vous voltigez quelque tems fous nos yeux :
Notre coeur ébloui s'empreffe
86 MERCURE DE FRANCE:
Pour arrêter votre cours incertain
Il vous pourfuit , il s'agite fans ceffe ,
Il croit vous pofféder enfin :
Mais le fouffle du tems vous emporte foudain,
Ce n'eft pas que M. V. ne trouve des
plaifirs dignes de fon coeur : l'amitié lui
offre des charmes aufquels il fe livre avec
tranfport , & qui le dédommagent de toutes
les traverſes de la vie humaine .
Telle une tendre fleur que le midi dévore ;
Sur fa tige panchée , & prête à fe flétrir ,
Renaît , s'épanouit , de nouveau ſe colore
Au fouffle amoureux du zéphir :
Telle au fein des foucis qu'à chaque inſtant fait
naître
Sur les
pas des humains
le deftin fans pitié
Mon ame prend un nouvel être
Aux doux accens de l'amitié.
Les Mufes viennent encore lui prodiguer
des plaifirs purs ; Erato , Uranie ,
Calliope , l'inftruifent & l'amufent tour à
tour : Cette derniere fur- tout égaie la folitude
du Poëte en formant devant lui
mille tableaux gracieux.
Tantôt elle lui peint le calme de la mer ,
Le ciel eft pur , l'air eft tranquille ,
Du foleil l'image mobile
SEPTEMBRE. 1755 .
$7
Luit & vacille au fond des eaux :
Zéphir & les Nymphes craintives
De mille rides fugitives
Sillonent mollement les flots.
Tantôt elle lui peint une agréable fête ;
Au pied d'un côteau fortuné
Venus de pampre orne fa tête ,
Bacchus de myrthe eft couronné ,
Guidés par l'aimable folie
Les amours barbouillés de lie
Folâtrent auprès des neuf foeurs :
Et les graces échevelées
Parmi les Bacchantes mêlées
Feignent d'éprouver leurs fureurs.
C'eft par de tels plaifirs , continue le
Poëte :
C'eſt par de tels plaifirs qu'égayant le voyage ,
Et variant l'emploi de mes paifibles jours ,
Du terreftre péle: inage
J'acheve doucement le cours ,
Prêt au moindre fignal de quitter fans allar
mes
Des biens dont ici -bas je jouis fans remords ....
Le fort qui nous attend après cette vie ,
ne cauſe aucun effroi à M. V. que les impies
, les injuftes & les autres criminels
foient faifis d'une jufte terreur au moment
$8 MERCURE DE FRANCE.
fatal qui les fait defcendre dans le tom
beau , pour lui il eft rempli d'une noble
confiance.
Mon coeur ( dit-il ) ne connoit point ces craintes
formidables.
Soumis envers les Dieux , jufte envers mes femblables
,
Vertueux , ou du moins zélé pour
la vertu
Sous le poids du courroux célefte
Je ne crains point d'être abattu ;
Et fi des paffions l'impreſſion funefte
Altere de mon coeur l'exacte pureté ,
Les Dieux qui l'ont formé , connoiffent qu'il
détefte
Sa fatale fragilité ;
Et fatisfaits de ma fincérité ,
Leur fouffle bienfaifant purifira le refte
De la débile humanité.
M. Perillier , Chancelier , a terminé la
féance par un Difcours fur la néceffité du
choix dans les lectures.
De la feance publique de l'Académie royale
de Nifmes.
M. le Marquis de Rochemore , Secrétaire
perpétuel , lut enfuite une piéce en
vers libres , intitulée Epitre d'Hypermnestre
à Lyncée. Cet ouvrage eft imité d'une des
Héroïdes d'Ovide ; mais l'auteur ne s'eft
point attaché à copier fon modele ; il a
pris quelques penfées du Poëte latin , il y
a joint les fiennes : nous allons citer quelques
morceaux détachés qui pourront faire
juger de tout l'ouvrage .
C'eft ainfi qu'Hypermneftre raconte à
fon époux les crimes de fes foeurs , & fes
propres combats.
Un bruit foudain glaça ton époufe craintive ,
Un bruit fombre ... plaintif ... de lugubres accens
...
Je vis briller le fer ... les foupirs des mourans
Vinrent frapper mon oreille attentive :
Div
So MERCURE DE FRANCE.
Imitons , dis-je alors , l'exemple de mesfoeurs ,
De Danaus fuivons les loix feveres ,
Uniffons Lyncée à fes freres.
Un Dieu fans doute , un Dieu fufpendit mes fureurs.
Mon bras étoit levé , ta criminelle amante.
Mefuroit éperdue , interdite & tremblante ,
Le coup qui devoit t'immoler ,
Ton fang étoit prêt à couler ...
J'avois troisfois repris l'arme inhumaine
Qu'avoient ravi trois fois à ma main incertaine
L'horreur , l'amour & la pitié.
Dérobons à mon pere une ſeule victime.
Dois-je être l'inftrument de fon inimitié ,
Et la complice de fon crime ?
Moi ! je me fouillerois d'un fang fi précieux ,
J'obéirois à des ordres împies !
Et cet Hymen détesté par les Dieux
Auroit été formé par les Furies !
Ah plutôt dans mon fein le poignard odieux ......
C'eſt en vain qu'un pere parjure
Veut me faire trahir l'amour & la nature
Leurs droits font gravés dans nos coeurs
Et la voix d'un tyran guidé par les fureurs
Ne peut étouffer leur murmure.
-Les fanglots d'Hypermneftre , fes combats
, fes tranfports , arrachent enfin Lyncée
au fommeil : fuyez , lui-dit-elle ,
SEPTEMBRE. 1755. $1
La trahiſon , la mort regnent dans ce palais ,
Cette nuit féconde en forfaits
Dans le fombre féjour a réuni vos freres ,
Et les myrthes d'Hymen aux Cyprès funéraires.
» Mon amour feul vous a fauvé , &
» m'a fait trahir les ordres cruels de Da-
» naus. » Le jeune Prince s'échappe du pa
lais à la faveur de la nuit.
Du foleil cependant la jeune avantcouriere
Sur nos Lares fanglans répandoit ſa lumiero.
Danaus ( la fierté brilloit dans fes regards )
Comptoit de nos époux les cadavres épars ;
Un feul manquoit , Lyncée en cette nuit perfide
Evita feul les coups de la parque homicide.
Hypermneftre raconte à fon époux la
fureur de Danaus quand ce Monarque barbare
s'apperçut qu'une de fes victimes lui
étoit échappée ; il jure la mort de fa fille ,
& la fait indignement traîner dans un
cachot affreux .
» Viens , cher époux , lui dit- elle enfin,
Viens finir ma captivité :
Mais n'écoutes point ta vengeance ,
Contente-toi de fauver l'innocence
Sans punir l'inhumanité.
Songe qu'Hypermaneftre eft la fille
Du meurtrier qui perdit ta familles
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
Tout barbare qu'il fût daigne épargner les jours:
D'un fang cher à mon coeur ne rougis point tes
armes :
Que ton retour enfin hâté par les amours
Ne foit point fouillé par mes larmes.
Cette fin eft abfolument différente de
celle d'Ovide ; l'Auteur n'a pas jugé à
propos non plus d'imiter dans fon épitre
le long épifode d'Io changée en vache.
Les connoiffeurs décideront s'il a bien ou
mal jugé.
M. Vincens lut enfuite une épitre à la
mort , dont voici l'extrait.
La mort peut infpirer l'effroi aux ames
vulgaires , mais elle préfente au Sage une
lumiere fûre qui écarte l'illufion des fens ,
& lui montre les objets précifément tels
qu'ils font ; c'eft une divinité favorable
qui enfeigne aux humains l'art de jouir
de tout fans abufer de rien , & qui diffipant
le preftige des paffions foutient leur
coeur dans l'heureux équilibre , qui feul
peut faire la vraie félicité. Tel eft le point
de vûe fous lequel M. V. envifage la mort.
Il peint en commençant l'épitre qu'il
adreffe à cette Divinité , la fituation où
fe trouve l'homme lorfqu'il entre fur la
fcene du monde.
SEPTEMBRE . 1755 . 83
Sur le bord d'une mer immenfe
L'homme au fortir de fon enfance ,
Par la nature eft expofé :
Là fon coeur ingénu fans guide , fans défenſe ;
Par la féduifante apparence
Eft à chaque inftant abufé :
Sur le mobile dos des ondes azurées ,
Les folâtres amours & les plaifirs légers
Déployant leurs aîles dorées ,
L'appellent par leurs jeux , & voilent les dan
gers ;
Les jours fereins de la jeuneffe ,
Le calme féducteur , les cris des Matelots ,
Tout le follicite & le preffe
De tenter la route des flots ;
Il part , fur les eaux il s'élance ,
L'impatient defir & la douce efpérance
Enflent la voile , & l'écartent du port ;
Mais à peine au loin de la plage
Voit-il difparoître le bord ,
Tout change , Pair frémit , tout annonce l'orage;
Tout découvre à fes yeux , trop tard deſabufés
Les périls où les jours demeurent exposés :
Des paffions tumultueuſes ,
Les rapides courans & les vents oppofés
Offrent à chaque inftant fur les mers orageufes ?
Les débris des vaiffeaux par les vagues brifés
A la fureur de la tempête ,
Lui-même tout-à-coup livré.
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
L'orgueil , l'ambition , déchaînent fur fa tête ,
Leur fouffle impétueux contre lui conjuré ;
De la fougue des flots , malheureuſe victime ,
Quelquefois dans les cieux , quelquefois dans
l'abîme ,
Et loin de fa route égaré ;
Une mer inconnue & d'écueils hériffée ,
De toute part à fa nef fracaffée ,
Préfente un nauffrage affuré.
La mort eft la feule divinité qui puiffe
fauver l'homme de ce péril ; elle lui montre
la vanité des objets qui l'environnent ,
elle l'éclaire fur leur durée qui n'est que
d'un inftant. Inftruit par fes leçons le Poëte
n'envie point le fort des favoris de la
fortune : non , dit- il , leur état ne fçauroit
m'éblouir.
1
De troubles, de foupçons, leur ame environnée
Laiffe fuir le préfent , rédoute l'avenir ;
Et malgré leurs efforts leur vie eft moiffonnée
Avant qu'ils * ayent trouvé le moment de jouir.
L'ambition n'a pas plus de charmes pour
lui. En vain montre- t- elle fes favoris placés
fur le char de la gloire ou montés au
rang des Dieux ; l'ambitieux , dit M. V.
éblouit quelque tems l'univers :
* Ce mot , ayant , ne peut point s'élider , en con-
Sequence il ne doit jamais être employé qu'à la fim
d'un vers.
SEPTEMBRE. 1755. 8$
Aftre brillant il roule far nos têtes ,
Il excite , il appaife à fon gré les tempêtes ,
Il couvre l'Univers d'un feu qui l'éblouit :
Mais tandis qu'oubliant ſa foibleſſe premiere
Il répand à nos yeux fa plus vive lumiere ,
Par fa propre fplendeur féduit ,
Tu parles , & foudain du haut de fa carriere
L'aftre eft précipité dans l'éternelle nuit .
O mort ! continue le Poëte ,
O mort ! un ennemi cent fois plus rédoutable
Avoit fait chancéler mon coeur.
La volupté d'un charme inévitable
Verſoit déja fur lui le poiſon ſéducteur :
De fleurs fans ceffe couronnée ,
Autour de moi fa voix appelloit le plaifir ;
De délices environnée
Son regard dans mon ame allumoit le defir ;
C'en étoit fait , l'amour achevoit ma défaite ,
Ses liens pour jamais alloient me retenir;
Mais tu fouffles , & fur fa tête
J'ai vu les roſes fe flétrir.
Ces détails font terminés par cette réflexion.
Gloire , plaifir , pouvoir , richeffe ,
Atômes agités par l'aveugle Décffe ,
A la faveur d'un rayon lumineux ,
Vous voltigez quelque tems fous nos yeux :
Notre coeur ébloui s'empreffe
86 MERCURE DE FRANCE:
Pour arrêter votre cours incertain
Il vous pourfuit , il s'agite fans ceffe ,
Il croit vous pofféder enfin :
Mais le fouffle du tems vous emporte foudain,
Ce n'eft pas que M. V. ne trouve des
plaifirs dignes de fon coeur : l'amitié lui
offre des charmes aufquels il fe livre avec
tranfport , & qui le dédommagent de toutes
les traverſes de la vie humaine .
Telle une tendre fleur que le midi dévore ;
Sur fa tige panchée , & prête à fe flétrir ,
Renaît , s'épanouit , de nouveau ſe colore
Au fouffle amoureux du zéphir :
Telle au fein des foucis qu'à chaque inſtant fait
naître
Sur les
pas des humains
le deftin fans pitié
Mon ame prend un nouvel être
Aux doux accens de l'amitié.
Les Mufes viennent encore lui prodiguer
des plaifirs purs ; Erato , Uranie ,
Calliope , l'inftruifent & l'amufent tour à
tour : Cette derniere fur- tout égaie la folitude
du Poëte en formant devant lui
mille tableaux gracieux.
Tantôt elle lui peint le calme de la mer ,
Le ciel eft pur , l'air eft tranquille ,
Du foleil l'image mobile
SEPTEMBRE. 1755 .
$7
Luit & vacille au fond des eaux :
Zéphir & les Nymphes craintives
De mille rides fugitives
Sillonent mollement les flots.
Tantôt elle lui peint une agréable fête ;
Au pied d'un côteau fortuné
Venus de pampre orne fa tête ,
Bacchus de myrthe eft couronné ,
Guidés par l'aimable folie
Les amours barbouillés de lie
Folâtrent auprès des neuf foeurs :
Et les graces échevelées
Parmi les Bacchantes mêlées
Feignent d'éprouver leurs fureurs.
C'eft par de tels plaifirs , continue le
Poëte :
C'eſt par de tels plaifirs qu'égayant le voyage ,
Et variant l'emploi de mes paifibles jours ,
Du terreftre péle: inage
J'acheve doucement le cours ,
Prêt au moindre fignal de quitter fans allar
mes
Des biens dont ici -bas je jouis fans remords ....
Le fort qui nous attend après cette vie ,
ne cauſe aucun effroi à M. V. que les impies
, les injuftes & les autres criminels
foient faifis d'une jufte terreur au moment
$8 MERCURE DE FRANCE.
fatal qui les fait defcendre dans le tom
beau , pour lui il eft rempli d'une noble
confiance.
Mon coeur ( dit-il ) ne connoit point ces craintes
formidables.
Soumis envers les Dieux , jufte envers mes femblables
,
Vertueux , ou du moins zélé pour
la vertu
Sous le poids du courroux célefte
Je ne crains point d'être abattu ;
Et fi des paffions l'impreſſion funefte
Altere de mon coeur l'exacte pureté ,
Les Dieux qui l'ont formé , connoiffent qu'il
détefte
Sa fatale fragilité ;
Et fatisfaits de ma fincérité ,
Leur fouffle bienfaifant purifira le refte
De la débile humanité.
M. Perillier , Chancelier , a terminé la
féance par un Difcours fur la néceffité du
choix dans les lectures.
Fermer
Résumé : SUITE De la séance publique de l'Académie royale de Nismes.
Lors d'une séance de l'Académie royale de Nîmes, plusieurs œuvres littéraires ont été présentées. Le Marquis de Rochemore a lu une pièce en vers libres intitulée 'Épître d'Hypermnestre à Lyncée', inspirée des Héroïdes d'Ovide. Cette œuvre explore les tourments intérieurs d'Hypermnestre, qui doit décider si elle doit tuer son époux Lyncée, contrairement à ses sœurs qui ont assassiné leurs maris. Hypermnestre décrit les crimes de ses sœurs et ses propres dilemmes moraux, choisissant finalement d'épargner Lyncée. Cette version diverge de l'original d'Ovide par sa conclusion et l'absence de certains épisodes. M. Vincens a ensuite présenté une épître sur la mort, qu'il dépeint comme une divinité bienveillante enseignant aux humains à savourer la vie sans excès. Il compare la vie à une traversée maritime périlleuse, où la mort est la seule à pouvoir sauver l'homme des dangers des passions et des illusions. Vincens exprime son mépris pour les troubles et les soucis des favoris de la fortune et des ambitieux, préférant les plaisirs simples de l'amitié et des Muses. Il conclut en affirmant sa confiance en sa vertu et en la miséricorde des dieux face à la mort. La séance s'est conclue par un discours de M. Perillier sur la nécessité du choix dans les lectures.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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60
p. 187-203
Suite de la Relation de tout ce qui s'est passé depuis.
Début :
L'Opera que l'on représenta, est composé de trois Actes ; il est intitulé [...]
Mots clefs :
Opéra, Amour, Hymen, Dieux, Querelles, Humanité, Destin, Campagne, Mer, Nymphe, Conseils, Magnificence, Enchantements, Merveilles, Fête, Noblesse, Ministres étrangers, Comte, Dîner, Marquis, Cérémonie, Mariage, Escadrons, Église, Décorations, Cortège, Ornements, Argent, Or, Étoffes, Arcades, Nef, Lumières, Sanctuaire, Hallebardiers, Chevaux, Capitaine, Carosse, Anneaux, Salle, Repas, Plats, Palais, Union, Temple, Jardins, Colonnes, Pyramides, Beauté, Clémence, Fécondité, Douceur, Figures, Dignité, Intelligence, Fontaines, Illuminations, Feu d'artifice, Guirlandes, Fleurs, Bal, Archiduchesse, Officiers, Chevaliers
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Suite de la Relation de tout ce qui s'est passé depuis.
Suite de la Relation de tout ce qui s'eft
paffé depuis.
L'Opera que l'on repréſenta , eft compofé de
trois Actes ; il eft intitulé les Fétes de L'Hymen
pour les nôces de LL. AA. RR. &c. il eft précédé
d'un Prologue.
Ce Prologue , qui a pour Titre le Triomphe de
PAmour , eft une querelle que les Dieux font à
l'Amour , fur les maux qu'il ne ceffe de faire
aux hommes . L'Amour convient de toutes ces
fauces, & obtient fon pardon en faveur de l'Union ,
qu'il vient de faire de la vertu & de la beauté,
188 MERCURE DE FRANCE.
Les fajets des trois Actes qui compofent l'Opéra
font féparés. C'est une licence que l'on a cru
devoir prendre à caufe du merveilleux & de la
galanterie qu'apportent avec eux des fujers fabuleux
& variés , qui femblent mieux convenir à la
Fête qu'on a célébrée .
L'Acte d'Aris eft le premier. L'Amour par ordre
du Deftin , ceffe d'être aveugle ; il jette fes premiers
regards fur Iris , & en devient amoureux ;
Iris le prend pour le Zéphire ; mais revenue de
fon erreur, elle en devient éprife , diffipe les nuages
qu'Aquilon jaloux lui oppofe fans ceffe , &
sunit à l'Amour pour rendre au monde les jours
les plus beaux & les plus fereins.
Le fecond Acte , eft celui de Sapho . Le Poëte
a feint cette dixiéme Muſe , amoureufe d'Alcée
celèbre Poëte Lyrique natif de Lesbos : il a
feint aufli Doris , fils de Neptune , amant de Sapho
, qui fe voyant préferer fon rival , a recours
a fon pére , & le prie de le vanger par la mort
de l'un & de l'autre. Neptune écoute les voeux
de fon fiis ; & par le fecours d'Eole , & des vents
fouléve tellement les eaux , que les habitans de
la campagne craignent d'ètre fubmergés : 1
paroît lui-même fur une vague qui s'élève beaucoup
au defius des autres ; menace de tour
inonder , fi dans une heure , Sapho n'eft pas fenible
à l'amour de fon fils il rentre dans le fein
de la mer , qui continue dans la plus grande
agitation .
Sapho invoque Apollon , & l'Amour. Une
Lyre defcend du Ciel attachée à des guirlandes
de fleurs ; un arc s'élève dans la Mer à l'endroit
où elle doit avoir fes bornes , & les lui marque
pour l'avenir.
Sapho prend la Lyre : à mesure qu'elle chante
les prodiges opérés par Apollon , & l'Amour ;
OCTOBRE. 1760. 189
la Mer fe calme & fe retire au lieu où elle
étoit avant le débordement ; remplie des infpirations
divines , & de l'enthousiasme poétique ,
elle voit dans l'avenir la fuitte nombreufe des
héros , dont elle doit célébrer l'alliance , annonce
le bonheur dont l'Univers doit jouir ; & par fon
mariage avec Alcée , accomplit le triomphe de
l'harmonie , & de l'amour.
Le troifiéme Acte eft intitulé Eglé. Cette Nymphe
eft amoureufe de Chromis ; Alcée fa compagne
l'eft de Lincée .Elles fe plaifent enſemble
à faire foupirer leurs Amants , en leur cachant
leur tendreffe ; enfin Eglé dit à Chromis qu'elle
l'aimera , lorfqu'elle verra les eaux d'un torrent
enchaînées ; Alcée promet à Lincée de l'aimer
quand Eglé aimera Chromis.
Ces deux jeunes Faunes , déſeſpérés , fe confultent
enſemble , & vont trouver Silene pour qu'il
les aide de fes confeils . Ce vieillard leur demande
où ils ont laillé Eglé & Alcée ; ils répondent
qu'elles font à cueillir des mûres pour lui
teindre le vifage, lorfqu'elles le trouveront endormi
. Silene confole les deux Faunes, leur ordonne
de ſe retirer , leur promet de les fervir , & fe
met fur un lit de gazon où il feint de dormir
en attendant les deux Nymphes. Elles arrivent
avec des guirlandes de fleurs , en enchaînent Si-
Lene qu'elles croyent endormi ; elles le pouffents
il feint de s'éveiller & montre de la colere :
mais bien-tôt après il leur conte la fable d'Acis
& Galatée. Au milieu de cette fable , il s'arrête
comme infpiré , & leur conſeille d'aller trouver
Prothée , de le furprendre endormi , & de l'enchaîner
fans s'épouvanter des différentes formes
qu'il prendra , parce qu'à la fin il parlera , & leur
apprendra des chofes merveilleules.
Elles remercient Silene , & le quittent pour al190
MERCURE DE FRANCE:
ler chercher Prothée ; Chromis & Lincée les accoma
pagnent. Elles le furprennent , l'enchaînent , &
ferrent toujours plus fes liens , à mesure qu'il change
de forme ; il fe change enfin en un Torrent
qui refte immobile : toutes les Nymphes admirent
ce prodige . Silene arrive , rapelle à Eglé le ferment
qu'elle a fait d'être à Chromis lorſqu'elle
verra enchaîner un torrent ; Eglé confent à être
unie à Chromis , & Alcée tient auffi fa parole à
Lincée ; les Faunes & les Nymphes applaudiffent
à cette union,& Silene; au lieu de finir la fable qu'il
fe fouvient d'avoir commencée , ordonne aux Faunes,
& aux Nymphes, de célébrer cet heureux jour,
en repréfentant par leurs danfes , les amours
d'Acis , & Galatée.
L'Italie a vû dans cette occafion renaître fur la
fcène les enchantemens , & la nouveauté de ce
fpectacle digne de l'admiration des étrangers , par
la magnificence , la vérité , & le bon goût qui eft
diftribué dans l'exécution de toutes ces parties. Les
machines employées aux différens prodiges amenés
par le Sujet , ont eu le plus grand fuccès ;
& le Théâtre actuellement difpofé par les machines
à recevoir tout ce que l'imagination peut fournir
de plus merveilleux , retracera chaque fois le
fouvenir de la fête pour laquelle il fert la premiere
fois.
Après l'Opéra l'Infant & Madame Infante Iſabelle,
furent à l'hôtel Palavicini où M. le Prince de
Lichtenſtein avoit fait préparer une Fête, à laquelle
toute la Nobleſſe fut invitée ; plufieurs tables furent
abondamment ſervies , ainſi que quantité de
rafraîchiffemens. On y danſa juſqu'au matin.
1
Le lendemain, M. le Prince de Lichtenſtein donna
un fuperbe dîner à tous les Miniftres étrangers ,
& à la Nobleffe la plus confidérable de l'Etat , &
Etrangere . Le foir il y eut Opéra.
OCTOBRE. 1760. Iol
Le Vendredi cinq , M. le Comte de Rochechouart
donna un grand dîner à M. le Prince de
Lichtenſtein & aux mêmes perfonnes qui avoient
dîné chez lui la veille . Il y eut Opéra le foir.
Le Samedi fix , M. de Lichtenſtein le Prince
dîna chez M. le Marquis de Revilla . Il y eut le foir
affemblée au Palais.
Le Dimanche ſept, jour fixé pour la Cérémonie
du Mariage , les Troupes prirent les Armes dès le
matin ; deux bataillons du Régiment de Parme &
quatorze Compagnies de Grenadiers borderent
les rues par où le Cortége devoit paffer.
Six cens Carabiniers formèrent quatre eſcadrons
fur la place , deux defquelles y retterent , jufques
après que le cortége y eut paffé ; les deux autres
furent repartis pour fermer toutes les rues qui
viennent aboutir à celles par où les Princes pafferent:
chaque troupe étoit formée fur deux rangs ,
à trente pas derriere l'Infanterie qui occupoit le
débouché de la rue.
" L'Eglife Cathédrale , où fe fit la cérémonie ,
étoit magnifiquement décorée. Les Peintures du
Corrége , & des autres excellents Maîtres dont ce
vafte Edifice fe trouve orné dans les voutes , &
dans les frifes , donnant des bornes à la richeffe
de la décoration projettée pour cette Augufte cérémonie
; on fut obligé de fe contenter d'orner
les pilaftres , les arcades , & les baffes nefs de damas
cramoifi à fleurs , enrichis de grandes lames
d'étoffes d'argent , de deux pieds de large; lefquelles
interrompoient fymétriquenient , d'espace
en efpace, le cours du damas d'une maniere agréable
& gracieufe; les impoftes fur lesquelles repofent
les arcades , étoient entourées d'une riche
pente du même damas , pliffée & terminée par
une frange d'or , ainfi que les rideaux qui ornoient
le dedans des arcades , & qui étoient retrouffés
192 MERCURE DE FRANCE.
vers l'impofte , pour donner lieu de découvrir la
décoration des chapelles , & des nefs laterales . Aux
deux côtés de la porte de lagrande nef étoient deur
orcheftres , parées dans le même goût que le refte
de l'Eglife : elles étoient remplies de trente Muficiens
que l'on avoit fait venir pour jouer des
fanfares , depuis le moment où les Princes defcen➡
dirent de carolles , juſqu'a celui où ils furent entrés
dans le fanctuaire ; les deux tribunes qui fe'
trouvent près du Maître Autel , étoient remplies
des Muficiens de la Chambre de S. A. R. qui exé-'
cuterent fupérieurement d'excellentes fymphonies
à deux choeurs.
Le Maître-Autel , beaucoup plus étendu qu'à
l'ordinaire , le trouvoit richement paré d'étoffe
d'or , & couvert d'une quantité de lumieres . Du
côté de l'Evangile , étoit le dais de S. A. R. du
côté de l'Epitre , étoit la Cathetra , deftinée pour
l'Evêque de Plaifance , qui devoit faire la cérémonie.
Au milieu du Sanctuaire , qui étoit couvert de
tapis de la Savonerie , étoit un prie- Dieu , cou-'
vert d'un grand tapis de velours cramoihi galonné
d'or , ainfi que trois couffins , qui étoient pofés
au bas.
Les latereaux du Sanctuaire , furent remplis
par un nombre infini de Nobleffe. Aux deux côtés ,
en face du Maître - Autel , étoient deux grands parquets
décorés dans la même ordonnance de l'Eglife
, l'un defquels étoit deftiné pour tous les
Miniftres Etrangers , l'autre pour les Dames de
la premiere diftinction .
Le Sanctuaire étoit gardé par les Gardes du
Corps de S. A. R. le veftibule du Sanctuaire ainfi
que les degrés qui defcendent à la grande nef
& toute cette nef jufqu'à la porte de l'Eglife
étoir bordée par la garde des Hallebardiers
Royaux. M.
OCTOBRE. 1760.
M.Je Prince de Lichtenſtein partit à 11 heures de
195
l'Hôtel Palavicini où il étoit logé pour le rendre à
la Cathédrale,fon cortége marchoit dans le même
ordre que le jour de fon Audience publique ; il fut
reçu à la porte de L'Eglife par le Chapitre qui le
complimenta. Sa Livrée entra dans la nef du milieu
& fe rangea des deux côtés devant les Hailebardiers
Royaux.
Pendant ce tems- là le cortége de la Cour s'étoit
mis en mrcche dans l'ordre fuivant.
Quarante Hallebardiers Royaux ouvroient la
marche ; la mufique de cette Compagnie étoit à
la tête.
Le Commandant de l'Ecurie & deux Officiers
de l'Ecurie à cheval , quatre Palfreniers les fuivoient
à pied .
I caroffe à fix chevaux pour le Maître des
Cérémonies & trois
Majordomes.
I caroffe à fix chevaux , quatre Gentilshommes
de la Chambre.
I caroffe à fix chevaux, quatre Dames du Palais.
I caroffe à fix chevaux , quatre Dames du Palais.
I caroffe àfix chevaux , quatre
Gentilshommes
de la Chambre.
I caroffe à 8 chevaux. Le Gentilhomme de la
Chambre de fervice à l'Infant.
Le premier Ecuyer , le Majordome de ſervice.
I caroffe à huit chevaux . Le ſervice de Madame
Infante Ifabelle.
Les trompettes & timballes des Gardes du
Corps , avec feize Gardes.
1 caroffe à huit chevaux , l'Infant.
Le Capitaine des Gardes , le Grand Ecuyer.
I caroffe à 8 chevaux ,¡Madame InfanteÏfabelle,
Madame de Gonzales , Madame de Siſſa .
La Compagnie des Gardes du Corps ayant à
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
leur tête le Lieutenant , l'Enſeigne , & huic
Exempts.
2 caroffes de refpect vuidės , attelés à 8 chevaux.
I caroffe à fix chevaux , quatre Gentilshommes
de la Chambre.
Tous les Pages marchoient à pied aux deux côtés
des caroffes des Princes .
On arriva dans cet ordre à la porte de l'Eglife :
on marchoit lentement pour donner aux perfonnes
qui étoient dans les caroffes qui précédoient
ceux des Princes , le temps de defcendre .
M.le Prince de Lichtenſtein attendoit à la porte
de l'Eglife.
Pendant que l'Infant defcendoit de fon carolle,
Le Maître desCérémonies fut prendre M.le Prince
Liechtenſtein & le conduifit à la portiere du caroffe
de Madame Infantelfabelle . L'Infant s'en aprocha
auffi & reçut la main droite de Madame fa fille en
defcendant du caroffe;M. le Prince reçur la main
gauche.
Ils marcherent ainfi jufqu'au prie- Dieu qui fe
trouvoit dans le Sanctuaire en face du Maître-
Autel , où ils fe mirent à genoux fur les couffins
qui étoient au bas de ce prie- Dieu. L'Infant occupa
celui de la droite ; Madame Ifabelle celui
du milieu ; M. de Lichtenſtein celui de la gauche.
Ils fe leverent un moment après , & s'approcherent
des degrés de l'Autel ; l'Evêque déranda
à M. le Prince s'il avoit le pouvoir d'épouler Mae
InfanteIfabelle, au nom de l'Archiduc Jofeph ; fes
Pouvoirs furent lus à haute voix par un Secretaire
impérial , après quoi le Chancelier de l'Evêché
lutauffi à haute voix la Difpenfe du Pape .
Le refte de la Cérémonie fut exécutée ſuivant le
Rituel ordinaire de l'Eglife , excepté que l'anneau
fut préfenté à Madame l'Archiduchelle par M. le
Prince de Lichtenftein , fur une foucoupe , & qu'elle
le mit elle-même à fon doigt.
OCTOBRE. 1760.
195
Après cette cérémonie , Madame l'Archiducheffe
retourna au Pri - Dieu , ayant toujours M.
de Lichtenſtein à la gauche. Après une courte
priere , les Princes fe remirent en marche pour
fortir de l'Eglife dans le même ordre qu'ils y
étoient entrés ; l'Infant & M. de Lichtenttein
donnerent la main à Madaine
l'Archiducheffe
pour monter dans fon carolle , l'Infant monta
dans le fien , & M. le Prince fut joindre les
équipages qui l'attendoient à une des portes latérales
de l'Eglife.
l'on
On le mit en marche pour retourner au Palais
par un chemin plus long que celui
avoit fait en venant du Palais à la Cathédrale
que
afin que tout le Peuple , & une quantité prodigieufe
d'Etrangers qui s'étoient rendus à Parme
pullent voir la magnificence , de cette marche.
Le Cortége de M. le Prince de Lichtenſtein
précédoit celui de la Cour , de 60 ou 80 pas . Les
Troupes qui bordoient les rues lui préfenterent
les armes , les tambours rappelloient , & les
Officiers le faluerent du chapeau .
Pendant l'efpace qui étoit entre le caroffe de
M. de Lichtenftein & celui de l'Infant , l'Infanterie
mit la bayonnette au bout du fufl. Lorsqu'ils
pafferent , on préſenta les armes , les tambours
battirent au champ , & les Officiers faluerent de
l'eſponton .
M. de Lichtenſtein defcendit à la porte du Palais
pour y attendre Madame l'Archiducheſſe ;
l'Infant aufuôt arrivé defcendit de fon caroffe ,
& s'avança à la portiere de celui de Madame
l'Archiducheffe fa fille pour lui donner la main.
Elle fut conduite à ſon
appartement par l'Infant
& M. de Lichtenftein toujours dans l'ordre
obfervé
précédemment , c'eft à dire l'Infant à
fa droite , & M. de Lichtenſtein à la gauche ;
I j
196 MERCURE DE FRANCE.
yne quantité prodigieufe de Nobleffe rem pliffoit
le Palais .
S. A. R. l'Infant fe retira dans fon appartement
, après avoir reſté un moment dans celui
de la fille ; qui , après que l'Infant fut retiré
donna fa main à baifer à tous les Sujets de la
Maifon d'Autriche qui fe trouverent préfens.
L'heure du repas étant arrivée , le Maître des
Cérémonies fut avertir l'Infant , & marcha devant
lui jufques à l'appartement de Madame
l'Archiducheffe , où S. A. R. s'étoit propofée de
l'aller prendre pour la conduire à la table de
nôces.
2
Cette table étoit préparée dans la falle d'audience
, de façon que les trois fiéges fe trouvoient
fous le dais ; il n'y avoit pas de fauteuil ,
mais trois chaifes à dos parfaitement égales.
Madame l'Archiducheſſe entra dans la falle &
fut conduite à table par Monfeigneur l'Infant à
qui elle donnoit la main droite , & M. le Prince
de Lichtenſtein à qui elle donnoit la main gauche
; elle fe plaça au milieu , l'Infant à fa droite ,
& M. de Lichtenftein à fa gauche ; le Maître des
Cérémonies avoit toujours précédé les Princes jufques
à la table.
M. le Comte de S. Vital , Gouverneur de la
Maifon de S. A. R. avec tous les Majordomes ,
excepté celui qui étoit de fervice , furent prendre
lés plats au buffet , & les apporterent ſur la table
dans l'ordre ci-après.
L'Huifier des viandes entre deux Gardes du
Corps , la carabine fur l'épaule : les Gardes s'arrêterent
à la porte de la falle .
Le Maître des Cérémonies marchoit feul quatre
pas après l'Huiffier des viandes.
Douze Pages , portant chacun un plat.
Six Majordomes , portant chacun un plat.
OCTOBRE. 1760. 197
M. le Comte de S. Vital , marchant feul immédiatement
après ,
Le Contrôleur de la Bouche.
Quatre Gardes du Corps la carabine fur l'épaule
, qui fe font arrêtés au même endroit que
les deux premiers.
Le Majordome de fervice prit les plats des
mains des autres Majordomes , & des Pages , &
les arrangea fur la table. Pendant ce temps ,
M. de S. Vital fut fe mettre derriere les Princes
pour fervir Madame l'Archiducheffe , il lui ap
procha fa chaife , celle de l'Infant fut approchée
par un Majordone , & celle de M. le Prince de
Lichtentein par un Gentilhomme de la Maiſon
de S. A R. Madame l'Archiducheffe fut fervie
par M. de S. Vital , l'infant le fut à l'ordinaire
par le entilhomme de la Chambre de fervice ,
& M. le Prince de Lichtenſtein par un Gentilhomme
de la Maiſon.
Ce repas fut fervi avec toute la magnificence
& tout le goût imaginable.
Au fortir de table , Madame l'Archiducheffe
fut reconduite dans fon appartement dans le mê -
me ordre qui avoit été observé en venant à table.
Il n'y eut plus rien jufqu'au foir.
L
Toute la Nobleffe étoit invitée de fe rendre à
huit heures du foir au Palais du Jardin , pour de
là , voir tirer un feu d'artifice , & voir en même
temps une fuperbe illumination difpofée dans le
Jardin . L'ordonnance en étoit riche & galante.
Le Palais du jardin fut dès fept heures rempli
d'un grand nombre de Nobleffe. M. le Prince de
Lichtenftein s'y rendit à fept heures & demie. Le
Prince Ferdinand & Madame Louife , s'y rendirent
peu après , & l'Infant & Madame l'Archiduchefle
y arriverent à huit heures précifes.
Le feu d'artifice fut appliqué à un monument
· Iiij
198 MERCURE DE FRANCE.
Hlevé au milieu d'une très- grande place dans le
jardin de Parme , & faifoit face au Palais où les
Princes fe tranfportérent pour en voir l'effet .
Il repréfentoit l'union de l'Amour & de l'hymen
dans le Temple de Minerve. Ce Temple
étoit élevé fur un grand fondement amtique , dont
la forme étoit ovale , de quatre - vingt - dix - huit
pieds de longueur , fur foixante- quatre pieds de
large ; un grand focle de porphyre , comprenant.
dans fa hauteur les gradins qui formoient les deux
entrées principales du Temple , s'élevoit au-delfus
de ce fondement , & contournoit la baſe de ce
monument , qui étoit orné de vingt- quatre colonnes
d'ordre Dorique entourées de guirlandes
de fleurs. Il avoit quatre faces égales , & fes angles
étoient flanqués de quatre pyramides ifolées
dédiées aux Arts & portant leurs attributs en trophées.
Ces Pyramides étoient environnées de quatre
colonnes du même ordre , formant des avantcorne
à jour , rachetés fur les angles du quarré
du Temple , en forme de tours ou de baftions.
L'entablement étoit décoré de guirlandes de
fleurs dans la frife , & les quatre avant- corps. de
colonnes qui couvroient les Pyramides , foutenoient
fur chaque face des médaillons , en tout au
nombre de ſeize , moitié appuyés ſur la frife &
l'architrave de cet ordre , & moitié tombant dans
le vuide de l'entre- colonne. Ils repréſentoient
des tableaux où étoient peintes les qualités vertueufes
de l'Archiduc & de Madame Iſabelle
comme la nobleffe , la magnanimité , la Majesté
Royale , la libéralité , la jeunelle , la beauté , la
bonté , la clémence , la fécondité , la douceur ,
l'amour de la gloire , l'amour de la Patrie , l'amour
des Sciences , l'amour des Arts , l'enjoûment
& l'affabilité .
Au- deffus des quatre tours des Colonnes , s'élevoir
OCTOBRE. 1760. 199
au milieu des trophées Militaires, un piédeftal portant
des renommées,fur les quatre portes ou Arcades
de ce Temple étoient les Écuffons de l'Archiduc
& de Madame Ifabelle , au milieu de deux
vales ,de Parfums , & appuyé fur le focle qui couronnait
la Corniche .
Au -dellus de ce Socle, dont le plan étoit quarré
comme le Temple , s'élevoit une attique ronde
en forme de Piédeftal couronnée d'un dôme ouvert
par le haur & décoré de guirlandes de fleurs .
Ce Piédeſtal fervita porterautour dela Naillance
du dôme 12 Figures réprefentant les Jeux , les
Ris, & les Plairs , danfant & formant une chaîne
de guirlandes autour de ce monument.
Les quatre portes du Temple étoient décorées &
comme gardées par huit Figures repréſentantes la
vigilance , la dignité , l'Intelligence , la pureté ,
le filence , la douceur , & le courage , qui compo.
fept enfemble toutes les vertus qui caractérisent.
la fagelle.
Au milieu de ce temple dont la forme intérieure.
étoit octogone rachetant une voûte ronde & farbaillée
, étoit la Figure de Minerve fur différens
plans de quées , réuniffant entre fes bras les Figures
de l'Amour & de l'Hymen.
Sur les deux aîles du focle qui joignoit toute la
longueur du fondement ovale , & qui comprenoit
toute la hauteur des perrons , étoient de chaque
côté les autels de l'Amour & de l'Hymen .
Quatre fontaines de feu élevées fur des rochers
qui fortoient de terre contribuoient à la richeſſe de
la bafe de ce monument , en même tems qu'elles
augmentoient l'effet des différens tableaux de feu
qui fortoient de cet édifice deftiné à faire éclater
la joie publique que procure cet événement.
L'Illumination générale de cette machine d'Artifice
fur accompagnée de deux Phénomènes qui
I iv
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif :
tance du feu & comme dans le lointain. Ils montroient
chacun le Globe du Monde tranfparent
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage
. Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir ſur le ſommer du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illumination
générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & baſſes ; les miroirs de feu , les
pots à-feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen
tes avenues en étoile , qui y conduifent ; enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête augufte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe fe ren lit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal mafqué.
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plane
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée .
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui feparent les Loges , &
de
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryftal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlan
des de fleurs , qui ornoient le devant des Loges .
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui par
devant , & on defcendoit de-là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Turquie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle ,
pår une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheffe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danferent enſemble : Madame l'Archiduchefe
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenſtein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenſtein
prit fon Audience de congé ; tout fut obſervé à
cette Audience comme à celle de la demande ,
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fur à celle de
I v
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif
tance du feu & comme dans le lointain. Ils mon
troient chacun le Globe du Monde tranſparent
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage.
Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir fur le fommer du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illu
mination générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & balles ; les miroirs de feu , les
pots à- feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face à
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen➡
tes avenues en étoile , qui y conduifent ; enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête auguſte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame :
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe fe ren lit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal mafqué.
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plan
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
de gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui feparent les Loges , &
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryftal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlan
des de fleurs , qui ornoient le devant des Loges.
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui pardevant
, & on defcendoit de -là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Tur
quie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle ,
par une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheffe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danſerent enſemble : Madame l'Archiduchele
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenſtein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenftein
prit fon Audience de congé ; tout fut obfervé à
cette Audience comme à celle de la demande 9
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fur à celle de
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200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif
tance du feu & comme dans le lointain. Ils montroient
chacun le Globe du Monde tranfparent , '
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage
. Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir fur le fommet du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illu
mination générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & baffes ; les miroirs de feu , les
pots à-feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face à
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen
tes avenues en étoile , qui y conduifent enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête augufte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe ſe ren fit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal maſqué .
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plan
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
de gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui ſéparent les Loges , &
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryſtal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlandes
de fleurs , qui ornoient le devant des Loges.
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui pardevant
, & on defcendoit de -là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Turquie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle
pår une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheſſe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danferent enſemble : Madame l'Archiduchele
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenftein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenftein
prit fon Audience de congé ; tout fut obfervé à
cette Audience comme à celle de la demande ,
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fut à celle de
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Madame l'Archiducheffe , avant d'être conduit à
celle du Prince Ferdinand.
Après l'Audience de Madame Louife , M. le
Prince , au lieu de retourner dans fon appartement
a la Cour , defcendit par le grand efcalier ,
& fut monter dans fon Caroffe qui l'attendoit a la
porte du Palais , pour le ramener à l'Hôtel Palavicini
.
Le Maître des Cérémonies l'accompagna juf
qu'au bas de l'efcalier , M. de Palavicini & M.
Introducteur jufques à la portiere de la voiture ,
qui ne fur fermée que quand ces Meffieurs fe futent
retirés.
Le foir , il y eut Opéra.
Le 9. l'Infant fut dîner chez M. de Lichtenſtein.
Lé foir , il y eut Opéra.
Le to M. le Prince de Lichtenſtein dina chez M.
Dutillot , & partit après dîner pour Cafalmajor.
Le foir , il y eut Aflemblée au Paļais .
Le 11. au matin tous les Corps de l'Etat , le
Militaire , la Nobleffe , & la Maifon de S. A R.
eurent l'honneur de baifer la main à Madame
l'Archiducheffe .
Il y eut Opéra , le ſoir.
Le .les Princes n'ont reçu perfonne .
Le 13. S. A. R. Madame l'Archiducheffe partit
à dix heures du matin pour le rendre à Cafalmajor:
elle y a été accompagnée par Madame de
Gonzales , Madame de Silla , quatre Dames du
Pálais , des Majordomes , & huit Gentilshommes
de la Chambre ; elle étoit faivîe d'un nombre de
Pages , d'Ecuyers , de fon premier fervice , & defon
fervice du fecond Ordre , du Commandant de
l'Ecurie de deux Officiers des Ecuries , du Sellier >
du Maréchal , du Charron & de 24 Palfreniers à
Cheval;elle étoit éfcortée par des Gardes du Corps.
Les rues par lesquelles elle a pallé, étoient bordées
OCTOBRE , 1760. 203
de troupes , on avoit difpofé des Détachemens de
Cavalerie & d'Infanterie fur différens endroits de
la roure.
Des Bataillons Provinciaux , fix Compagnies de
Grenadiers, un Bataillon du Régiment de Parme ,
& les deux Compagnies de Grenadiers de inême
Régiment, étoient difpofées fur les bords du Pô ,
en deçà de la tête du Pont. Elle y a trouvé des
Elcadrons de Gardes du Corps & de Cavalerie. Elle
eft arrivée à Cafalmajor à midi & deux minutes.
M. le Comte de S. Vital eft chargé de la Cérémonie
de la remife , un Secrétaire du Cabinet de
l'Acte de certe ' remiſe .
S. A. R. s'arrête demain à Cafalmajor pour y
donner la main à bailer aux Deputés de la Lombardie
Autrichienne , aux Chambres Souveraines ,
& à la Nobleffe. Le lundi elle ira à Mantoue, où elle
s'arrêtera encore un jour, pour un objet ſemblable.
paffé depuis.
L'Opera que l'on repréſenta , eft compofé de
trois Actes ; il eft intitulé les Fétes de L'Hymen
pour les nôces de LL. AA. RR. &c. il eft précédé
d'un Prologue.
Ce Prologue , qui a pour Titre le Triomphe de
PAmour , eft une querelle que les Dieux font à
l'Amour , fur les maux qu'il ne ceffe de faire
aux hommes . L'Amour convient de toutes ces
fauces, & obtient fon pardon en faveur de l'Union ,
qu'il vient de faire de la vertu & de la beauté,
188 MERCURE DE FRANCE.
Les fajets des trois Actes qui compofent l'Opéra
font féparés. C'est une licence que l'on a cru
devoir prendre à caufe du merveilleux & de la
galanterie qu'apportent avec eux des fujers fabuleux
& variés , qui femblent mieux convenir à la
Fête qu'on a célébrée .
L'Acte d'Aris eft le premier. L'Amour par ordre
du Deftin , ceffe d'être aveugle ; il jette fes premiers
regards fur Iris , & en devient amoureux ;
Iris le prend pour le Zéphire ; mais revenue de
fon erreur, elle en devient éprife , diffipe les nuages
qu'Aquilon jaloux lui oppofe fans ceffe , &
sunit à l'Amour pour rendre au monde les jours
les plus beaux & les plus fereins.
Le fecond Acte , eft celui de Sapho . Le Poëte
a feint cette dixiéme Muſe , amoureufe d'Alcée
celèbre Poëte Lyrique natif de Lesbos : il a
feint aufli Doris , fils de Neptune , amant de Sapho
, qui fe voyant préferer fon rival , a recours
a fon pére , & le prie de le vanger par la mort
de l'un & de l'autre. Neptune écoute les voeux
de fon fiis ; & par le fecours d'Eole , & des vents
fouléve tellement les eaux , que les habitans de
la campagne craignent d'ètre fubmergés : 1
paroît lui-même fur une vague qui s'élève beaucoup
au defius des autres ; menace de tour
inonder , fi dans une heure , Sapho n'eft pas fenible
à l'amour de fon fils il rentre dans le fein
de la mer , qui continue dans la plus grande
agitation .
Sapho invoque Apollon , & l'Amour. Une
Lyre defcend du Ciel attachée à des guirlandes
de fleurs ; un arc s'élève dans la Mer à l'endroit
où elle doit avoir fes bornes , & les lui marque
pour l'avenir.
Sapho prend la Lyre : à mesure qu'elle chante
les prodiges opérés par Apollon , & l'Amour ;
OCTOBRE. 1760. 189
la Mer fe calme & fe retire au lieu où elle
étoit avant le débordement ; remplie des infpirations
divines , & de l'enthousiasme poétique ,
elle voit dans l'avenir la fuitte nombreufe des
héros , dont elle doit célébrer l'alliance , annonce
le bonheur dont l'Univers doit jouir ; & par fon
mariage avec Alcée , accomplit le triomphe de
l'harmonie , & de l'amour.
Le troifiéme Acte eft intitulé Eglé. Cette Nymphe
eft amoureufe de Chromis ; Alcée fa compagne
l'eft de Lincée .Elles fe plaifent enſemble
à faire foupirer leurs Amants , en leur cachant
leur tendreffe ; enfin Eglé dit à Chromis qu'elle
l'aimera , lorfqu'elle verra les eaux d'un torrent
enchaînées ; Alcée promet à Lincée de l'aimer
quand Eglé aimera Chromis.
Ces deux jeunes Faunes , déſeſpérés , fe confultent
enſemble , & vont trouver Silene pour qu'il
les aide de fes confeils . Ce vieillard leur demande
où ils ont laillé Eglé & Alcée ; ils répondent
qu'elles font à cueillir des mûres pour lui
teindre le vifage, lorfqu'elles le trouveront endormi
. Silene confole les deux Faunes, leur ordonne
de ſe retirer , leur promet de les fervir , & fe
met fur un lit de gazon où il feint de dormir
en attendant les deux Nymphes. Elles arrivent
avec des guirlandes de fleurs , en enchaînent Si-
Lene qu'elles croyent endormi ; elles le pouffents
il feint de s'éveiller & montre de la colere :
mais bien-tôt après il leur conte la fable d'Acis
& Galatée. Au milieu de cette fable , il s'arrête
comme infpiré , & leur conſeille d'aller trouver
Prothée , de le furprendre endormi , & de l'enchaîner
fans s'épouvanter des différentes formes
qu'il prendra , parce qu'à la fin il parlera , & leur
apprendra des chofes merveilleules.
Elles remercient Silene , & le quittent pour al190
MERCURE DE FRANCE:
ler chercher Prothée ; Chromis & Lincée les accoma
pagnent. Elles le furprennent , l'enchaînent , &
ferrent toujours plus fes liens , à mesure qu'il change
de forme ; il fe change enfin en un Torrent
qui refte immobile : toutes les Nymphes admirent
ce prodige . Silene arrive , rapelle à Eglé le ferment
qu'elle a fait d'être à Chromis lorſqu'elle
verra enchaîner un torrent ; Eglé confent à être
unie à Chromis , & Alcée tient auffi fa parole à
Lincée ; les Faunes & les Nymphes applaudiffent
à cette union,& Silene; au lieu de finir la fable qu'il
fe fouvient d'avoir commencée , ordonne aux Faunes,
& aux Nymphes, de célébrer cet heureux jour,
en repréfentant par leurs danfes , les amours
d'Acis , & Galatée.
L'Italie a vû dans cette occafion renaître fur la
fcène les enchantemens , & la nouveauté de ce
fpectacle digne de l'admiration des étrangers , par
la magnificence , la vérité , & le bon goût qui eft
diftribué dans l'exécution de toutes ces parties. Les
machines employées aux différens prodiges amenés
par le Sujet , ont eu le plus grand fuccès ;
& le Théâtre actuellement difpofé par les machines
à recevoir tout ce que l'imagination peut fournir
de plus merveilleux , retracera chaque fois le
fouvenir de la fête pour laquelle il fert la premiere
fois.
Après l'Opéra l'Infant & Madame Infante Iſabelle,
furent à l'hôtel Palavicini où M. le Prince de
Lichtenſtein avoit fait préparer une Fête, à laquelle
toute la Nobleſſe fut invitée ; plufieurs tables furent
abondamment ſervies , ainſi que quantité de
rafraîchiffemens. On y danſa juſqu'au matin.
1
Le lendemain, M. le Prince de Lichtenſtein donna
un fuperbe dîner à tous les Miniftres étrangers ,
& à la Nobleffe la plus confidérable de l'Etat , &
Etrangere . Le foir il y eut Opéra.
OCTOBRE. 1760. Iol
Le Vendredi cinq , M. le Comte de Rochechouart
donna un grand dîner à M. le Prince de
Lichtenſtein & aux mêmes perfonnes qui avoient
dîné chez lui la veille . Il y eut Opéra le foir.
Le Samedi fix , M. de Lichtenſtein le Prince
dîna chez M. le Marquis de Revilla . Il y eut le foir
affemblée au Palais.
Le Dimanche ſept, jour fixé pour la Cérémonie
du Mariage , les Troupes prirent les Armes dès le
matin ; deux bataillons du Régiment de Parme &
quatorze Compagnies de Grenadiers borderent
les rues par où le Cortége devoit paffer.
Six cens Carabiniers formèrent quatre eſcadrons
fur la place , deux defquelles y retterent , jufques
après que le cortége y eut paffé ; les deux autres
furent repartis pour fermer toutes les rues qui
viennent aboutir à celles par où les Princes pafferent:
chaque troupe étoit formée fur deux rangs ,
à trente pas derriere l'Infanterie qui occupoit le
débouché de la rue.
" L'Eglife Cathédrale , où fe fit la cérémonie ,
étoit magnifiquement décorée. Les Peintures du
Corrége , & des autres excellents Maîtres dont ce
vafte Edifice fe trouve orné dans les voutes , &
dans les frifes , donnant des bornes à la richeffe
de la décoration projettée pour cette Augufte cérémonie
; on fut obligé de fe contenter d'orner
les pilaftres , les arcades , & les baffes nefs de damas
cramoifi à fleurs , enrichis de grandes lames
d'étoffes d'argent , de deux pieds de large; lefquelles
interrompoient fymétriquenient , d'espace
en efpace, le cours du damas d'une maniere agréable
& gracieufe; les impoftes fur lesquelles repofent
les arcades , étoient entourées d'une riche
pente du même damas , pliffée & terminée par
une frange d'or , ainfi que les rideaux qui ornoient
le dedans des arcades , & qui étoient retrouffés
192 MERCURE DE FRANCE.
vers l'impofte , pour donner lieu de découvrir la
décoration des chapelles , & des nefs laterales . Aux
deux côtés de la porte de lagrande nef étoient deur
orcheftres , parées dans le même goût que le refte
de l'Eglife : elles étoient remplies de trente Muficiens
que l'on avoit fait venir pour jouer des
fanfares , depuis le moment où les Princes defcen➡
dirent de carolles , juſqu'a celui où ils furent entrés
dans le fanctuaire ; les deux tribunes qui fe'
trouvent près du Maître Autel , étoient remplies
des Muficiens de la Chambre de S. A. R. qui exé-'
cuterent fupérieurement d'excellentes fymphonies
à deux choeurs.
Le Maître-Autel , beaucoup plus étendu qu'à
l'ordinaire , le trouvoit richement paré d'étoffe
d'or , & couvert d'une quantité de lumieres . Du
côté de l'Evangile , étoit le dais de S. A. R. du
côté de l'Epitre , étoit la Cathetra , deftinée pour
l'Evêque de Plaifance , qui devoit faire la cérémonie.
Au milieu du Sanctuaire , qui étoit couvert de
tapis de la Savonerie , étoit un prie- Dieu , cou-'
vert d'un grand tapis de velours cramoihi galonné
d'or , ainfi que trois couffins , qui étoient pofés
au bas.
Les latereaux du Sanctuaire , furent remplis
par un nombre infini de Nobleffe. Aux deux côtés ,
en face du Maître - Autel , étoient deux grands parquets
décorés dans la même ordonnance de l'Eglife
, l'un defquels étoit deftiné pour tous les
Miniftres Etrangers , l'autre pour les Dames de
la premiere diftinction .
Le Sanctuaire étoit gardé par les Gardes du
Corps de S. A. R. le veftibule du Sanctuaire ainfi
que les degrés qui defcendent à la grande nef
& toute cette nef jufqu'à la porte de l'Eglife
étoir bordée par la garde des Hallebardiers
Royaux. M.
OCTOBRE. 1760.
M.Je Prince de Lichtenſtein partit à 11 heures de
195
l'Hôtel Palavicini où il étoit logé pour le rendre à
la Cathédrale,fon cortége marchoit dans le même
ordre que le jour de fon Audience publique ; il fut
reçu à la porte de L'Eglife par le Chapitre qui le
complimenta. Sa Livrée entra dans la nef du milieu
& fe rangea des deux côtés devant les Hailebardiers
Royaux.
Pendant ce tems- là le cortége de la Cour s'étoit
mis en mrcche dans l'ordre fuivant.
Quarante Hallebardiers Royaux ouvroient la
marche ; la mufique de cette Compagnie étoit à
la tête.
Le Commandant de l'Ecurie & deux Officiers
de l'Ecurie à cheval , quatre Palfreniers les fuivoient
à pied .
I caroffe à fix chevaux pour le Maître des
Cérémonies & trois
Majordomes.
I caroffe à fix chevaux , quatre Gentilshommes
de la Chambre.
I caroffe à fix chevaux, quatre Dames du Palais.
I caroffe à fix chevaux , quatre Dames du Palais.
I caroffe àfix chevaux , quatre
Gentilshommes
de la Chambre.
I caroffe à 8 chevaux. Le Gentilhomme de la
Chambre de fervice à l'Infant.
Le premier Ecuyer , le Majordome de ſervice.
I caroffe à huit chevaux . Le ſervice de Madame
Infante Ifabelle.
Les trompettes & timballes des Gardes du
Corps , avec feize Gardes.
1 caroffe à huit chevaux , l'Infant.
Le Capitaine des Gardes , le Grand Ecuyer.
I caroffe à 8 chevaux ,¡Madame InfanteÏfabelle,
Madame de Gonzales , Madame de Siſſa .
La Compagnie des Gardes du Corps ayant à
II. Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE.
leur tête le Lieutenant , l'Enſeigne , & huic
Exempts.
2 caroffes de refpect vuidės , attelés à 8 chevaux.
I caroffe à fix chevaux , quatre Gentilshommes
de la Chambre.
Tous les Pages marchoient à pied aux deux côtés
des caroffes des Princes .
On arriva dans cet ordre à la porte de l'Eglife :
on marchoit lentement pour donner aux perfonnes
qui étoient dans les caroffes qui précédoient
ceux des Princes , le temps de defcendre .
M.le Prince de Lichtenſtein attendoit à la porte
de l'Eglife.
Pendant que l'Infant defcendoit de fon carolle,
Le Maître desCérémonies fut prendre M.le Prince
Liechtenſtein & le conduifit à la portiere du caroffe
de Madame Infantelfabelle . L'Infant s'en aprocha
auffi & reçut la main droite de Madame fa fille en
defcendant du caroffe;M. le Prince reçur la main
gauche.
Ils marcherent ainfi jufqu'au prie- Dieu qui fe
trouvoit dans le Sanctuaire en face du Maître-
Autel , où ils fe mirent à genoux fur les couffins
qui étoient au bas de ce prie- Dieu. L'Infant occupa
celui de la droite ; Madame Ifabelle celui
du milieu ; M. de Lichtenſtein celui de la gauche.
Ils fe leverent un moment après , & s'approcherent
des degrés de l'Autel ; l'Evêque déranda
à M. le Prince s'il avoit le pouvoir d'épouler Mae
InfanteIfabelle, au nom de l'Archiduc Jofeph ; fes
Pouvoirs furent lus à haute voix par un Secretaire
impérial , après quoi le Chancelier de l'Evêché
lutauffi à haute voix la Difpenfe du Pape .
Le refte de la Cérémonie fut exécutée ſuivant le
Rituel ordinaire de l'Eglife , excepté que l'anneau
fut préfenté à Madame l'Archiduchelle par M. le
Prince de Lichtenftein , fur une foucoupe , & qu'elle
le mit elle-même à fon doigt.
OCTOBRE. 1760.
195
Après cette cérémonie , Madame l'Archiducheffe
retourna au Pri - Dieu , ayant toujours M.
de Lichtenſtein à la gauche. Après une courte
priere , les Princes fe remirent en marche pour
fortir de l'Eglife dans le même ordre qu'ils y
étoient entrés ; l'Infant & M. de Lichtenttein
donnerent la main à Madaine
l'Archiducheffe
pour monter dans fon carolle , l'Infant monta
dans le fien , & M. le Prince fut joindre les
équipages qui l'attendoient à une des portes latérales
de l'Eglife.
l'on
On le mit en marche pour retourner au Palais
par un chemin plus long que celui
avoit fait en venant du Palais à la Cathédrale
que
afin que tout le Peuple , & une quantité prodigieufe
d'Etrangers qui s'étoient rendus à Parme
pullent voir la magnificence , de cette marche.
Le Cortége de M. le Prince de Lichtenſtein
précédoit celui de la Cour , de 60 ou 80 pas . Les
Troupes qui bordoient les rues lui préfenterent
les armes , les tambours rappelloient , & les
Officiers le faluerent du chapeau .
Pendant l'efpace qui étoit entre le caroffe de
M. de Lichtenftein & celui de l'Infant , l'Infanterie
mit la bayonnette au bout du fufl. Lorsqu'ils
pafferent , on préſenta les armes , les tambours
battirent au champ , & les Officiers faluerent de
l'eſponton .
M. de Lichtenſtein defcendit à la porte du Palais
pour y attendre Madame l'Archiducheſſe ;
l'Infant aufuôt arrivé defcendit de fon caroffe ,
& s'avança à la portiere de celui de Madame
l'Archiducheffe fa fille pour lui donner la main.
Elle fut conduite à ſon
appartement par l'Infant
& M. de Lichtenftein toujours dans l'ordre
obfervé
précédemment , c'eft à dire l'Infant à
fa droite , & M. de Lichtenſtein à la gauche ;
I j
196 MERCURE DE FRANCE.
yne quantité prodigieufe de Nobleffe rem pliffoit
le Palais .
S. A. R. l'Infant fe retira dans fon appartement
, après avoir reſté un moment dans celui
de la fille ; qui , après que l'Infant fut retiré
donna fa main à baifer à tous les Sujets de la
Maifon d'Autriche qui fe trouverent préfens.
L'heure du repas étant arrivée , le Maître des
Cérémonies fut avertir l'Infant , & marcha devant
lui jufques à l'appartement de Madame
l'Archiducheffe , où S. A. R. s'étoit propofée de
l'aller prendre pour la conduire à la table de
nôces.
2
Cette table étoit préparée dans la falle d'audience
, de façon que les trois fiéges fe trouvoient
fous le dais ; il n'y avoit pas de fauteuil ,
mais trois chaifes à dos parfaitement égales.
Madame l'Archiducheſſe entra dans la falle &
fut conduite à table par Monfeigneur l'Infant à
qui elle donnoit la main droite , & M. le Prince
de Lichtenſtein à qui elle donnoit la main gauche
; elle fe plaça au milieu , l'Infant à fa droite ,
& M. de Lichtenftein à fa gauche ; le Maître des
Cérémonies avoit toujours précédé les Princes jufques
à la table.
M. le Comte de S. Vital , Gouverneur de la
Maifon de S. A. R. avec tous les Majordomes ,
excepté celui qui étoit de fervice , furent prendre
lés plats au buffet , & les apporterent ſur la table
dans l'ordre ci-après.
L'Huifier des viandes entre deux Gardes du
Corps , la carabine fur l'épaule : les Gardes s'arrêterent
à la porte de la falle .
Le Maître des Cérémonies marchoit feul quatre
pas après l'Huiffier des viandes.
Douze Pages , portant chacun un plat.
Six Majordomes , portant chacun un plat.
OCTOBRE. 1760. 197
M. le Comte de S. Vital , marchant feul immédiatement
après ,
Le Contrôleur de la Bouche.
Quatre Gardes du Corps la carabine fur l'épaule
, qui fe font arrêtés au même endroit que
les deux premiers.
Le Majordome de fervice prit les plats des
mains des autres Majordomes , & des Pages , &
les arrangea fur la table. Pendant ce temps ,
M. de S. Vital fut fe mettre derriere les Princes
pour fervir Madame l'Archiducheffe , il lui ap
procha fa chaife , celle de l'Infant fut approchée
par un Majordone , & celle de M. le Prince de
Lichtentein par un Gentilhomme de la Maiſon
de S. A R. Madame l'Archiducheffe fut fervie
par M. de S. Vital , l'infant le fut à l'ordinaire
par le entilhomme de la Chambre de fervice ,
& M. le Prince de Lichtenſtein par un Gentilhomme
de la Maiſon.
Ce repas fut fervi avec toute la magnificence
& tout le goût imaginable.
Au fortir de table , Madame l'Archiducheffe
fut reconduite dans fon appartement dans le mê -
me ordre qui avoit été observé en venant à table.
Il n'y eut plus rien jufqu'au foir.
L
Toute la Nobleffe étoit invitée de fe rendre à
huit heures du foir au Palais du Jardin , pour de
là , voir tirer un feu d'artifice , & voir en même
temps une fuperbe illumination difpofée dans le
Jardin . L'ordonnance en étoit riche & galante.
Le Palais du jardin fut dès fept heures rempli
d'un grand nombre de Nobleffe. M. le Prince de
Lichtenftein s'y rendit à fept heures & demie. Le
Prince Ferdinand & Madame Louife , s'y rendirent
peu après , & l'Infant & Madame l'Archiduchefle
y arriverent à huit heures précifes.
Le feu d'artifice fut appliqué à un monument
· Iiij
198 MERCURE DE FRANCE.
Hlevé au milieu d'une très- grande place dans le
jardin de Parme , & faifoit face au Palais où les
Princes fe tranfportérent pour en voir l'effet .
Il repréfentoit l'union de l'Amour & de l'hymen
dans le Temple de Minerve. Ce Temple
étoit élevé fur un grand fondement amtique , dont
la forme étoit ovale , de quatre - vingt - dix - huit
pieds de longueur , fur foixante- quatre pieds de
large ; un grand focle de porphyre , comprenant.
dans fa hauteur les gradins qui formoient les deux
entrées principales du Temple , s'élevoit au-delfus
de ce fondement , & contournoit la baſe de ce
monument , qui étoit orné de vingt- quatre colonnes
d'ordre Dorique entourées de guirlandes
de fleurs. Il avoit quatre faces égales , & fes angles
étoient flanqués de quatre pyramides ifolées
dédiées aux Arts & portant leurs attributs en trophées.
Ces Pyramides étoient environnées de quatre
colonnes du même ordre , formant des avantcorne
à jour , rachetés fur les angles du quarré
du Temple , en forme de tours ou de baftions.
L'entablement étoit décoré de guirlandes de
fleurs dans la frife , & les quatre avant- corps. de
colonnes qui couvroient les Pyramides , foutenoient
fur chaque face des médaillons , en tout au
nombre de ſeize , moitié appuyés ſur la frife &
l'architrave de cet ordre , & moitié tombant dans
le vuide de l'entre- colonne. Ils repréſentoient
des tableaux où étoient peintes les qualités vertueufes
de l'Archiduc & de Madame Iſabelle
comme la nobleffe , la magnanimité , la Majesté
Royale , la libéralité , la jeunelle , la beauté , la
bonté , la clémence , la fécondité , la douceur ,
l'amour de la gloire , l'amour de la Patrie , l'amour
des Sciences , l'amour des Arts , l'enjoûment
& l'affabilité .
Au- deffus des quatre tours des Colonnes , s'élevoir
OCTOBRE. 1760. 199
au milieu des trophées Militaires, un piédeftal portant
des renommées,fur les quatre portes ou Arcades
de ce Temple étoient les Écuffons de l'Archiduc
& de Madame Ifabelle , au milieu de deux
vales ,de Parfums , & appuyé fur le focle qui couronnait
la Corniche .
Au -dellus de ce Socle, dont le plan étoit quarré
comme le Temple , s'élevoit une attique ronde
en forme de Piédeftal couronnée d'un dôme ouvert
par le haur & décoré de guirlandes de fleurs .
Ce Piédeſtal fervita porterautour dela Naillance
du dôme 12 Figures réprefentant les Jeux , les
Ris, & les Plairs , danfant & formant une chaîne
de guirlandes autour de ce monument.
Les quatre portes du Temple étoient décorées &
comme gardées par huit Figures repréſentantes la
vigilance , la dignité , l'Intelligence , la pureté ,
le filence , la douceur , & le courage , qui compo.
fept enfemble toutes les vertus qui caractérisent.
la fagelle.
Au milieu de ce temple dont la forme intérieure.
étoit octogone rachetant une voûte ronde & farbaillée
, étoit la Figure de Minerve fur différens
plans de quées , réuniffant entre fes bras les Figures
de l'Amour & de l'Hymen.
Sur les deux aîles du focle qui joignoit toute la
longueur du fondement ovale , & qui comprenoit
toute la hauteur des perrons , étoient de chaque
côté les autels de l'Amour & de l'Hymen .
Quatre fontaines de feu élevées fur des rochers
qui fortoient de terre contribuoient à la richeſſe de
la bafe de ce monument , en même tems qu'elles
augmentoient l'effet des différens tableaux de feu
qui fortoient de cet édifice deftiné à faire éclater
la joie publique que procure cet événement.
L'Illumination générale de cette machine d'Artifice
fur accompagnée de deux Phénomènes qui
I iv
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif :
tance du feu & comme dans le lointain. Ils montroient
chacun le Globe du Monde tranfparent
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage
. Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir ſur le ſommer du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illumination
générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & baſſes ; les miroirs de feu , les
pots à-feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen
tes avenues en étoile , qui y conduifent ; enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête augufte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe fe ren lit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal mafqué.
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plane
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée .
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui feparent les Loges , &
de
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryftal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlan
des de fleurs , qui ornoient le devant des Loges .
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui par
devant , & on defcendoit de-là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Turquie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle ,
pår une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheffe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danferent enſemble : Madame l'Archiduchefe
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenſtein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenſtein
prit fon Audience de congé ; tout fut obſervé à
cette Audience comme à celle de la demande ,
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fur à celle de
I v
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif
tance du feu & comme dans le lointain. Ils mon
troient chacun le Globe du Monde tranſparent
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage.
Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir fur le fommer du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illu
mination générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & balles ; les miroirs de feu , les
pots à- feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face à
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen➡
tes avenues en étoile , qui y conduifent ; enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête auguſte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame :
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe fe ren lit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal mafqué.
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plan
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
de gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui feparent les Loges , &
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryftal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlan
des de fleurs , qui ornoient le devant des Loges.
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui pardevant
, & on defcendoit de -là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Tur
quie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle ,
par une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheffe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danſerent enſemble : Madame l'Archiduchele
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenſtein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenftein
prit fon Audience de congé ; tout fut obfervé à
cette Audience comme à celle de la demande 9
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fur à celle de
1 ་
200 MERCURE DE FRANCE
fe voyoient à droite & à gauche à une certaine dif
tance du feu & comme dans le lointain. Ils montroient
chacun le Globe du Monde tranfparent , '
d'un diamètre confidérable , environnés dans l'air
d'un cercle de feu , en figne de l'allégreffe que
qu'infpire à tout l'Univers cet Augufte Mariage
. Une grande quantité de fufées fortoient
également de derriere ces Phénomènes , & formoient
en l'air des Bouquets qui , dirigés pour fe
réunir fur le fommet du Temple , conftruifoient
une voute de feu , qui le couvroit continuelle
ment.
Tout ce Spectacle étoit accompagné d'une illu
mination générale dans le jardin ; les terraffes décorées
d'ifs , de girandoles & de cordons de lu
mieres hautes & baffes ; les miroirs de feu , les
pots à-feu formant des cordons élevés , toutes les
allées éclairées fur différens deffeins , & l'illumination
de toute la façade du Palais qui fait face à
l'entrée de ce jardin , auffi bien que les différen
tes avenues en étoile , qui y conduifent enfin
rien ne fut oublié pour rendre cette Fête augufte
& digne de fon Souverain.
Après le feu d'artifice , l'Infant & Madame
l'Archiducheffe furent fouper. Pendant ce tems
toute la Nobleffe ſe ren fit au Théâtre , que l'on
avoit préparé pour y donner un Bal maſqué .
On avoit élevé le Parterre à la hauteur du plan
cher du Théâtre , & l'on avoit pratiqué fur ce
même Théâtre , des Loges folides , femblables à
celles de la Salle ; de façon que le Theâtre &
le Parterre ne faifoient qu'une grande Salle
ovale , applatie par les flancs , & toute entourrée
de trois rangs de Loges les unes fur les autres ;
cette Salle étoit ornée de guirlandes de fleurs , &
de gazes bleues & argent , qui fe rattachoient galamment
aux montants qui ſéparent les Loges , &
OCTOBRE. 1760. 201
qui tomboient en feftons fur les appuis des Loges ,
d'une maniere agréable & pleine de goût ; elle
étoit éclairée par une quantité de luftres de cryftal
ornés de guirlandes de petites fleurs , & par
des bras de cryſtal ornés de même , appliqués contre
les appuis des Loges des rangs fupérieurs ; c'étoit
à ces bras que venoient s'attacher les guirlandes
de fleurs , qui ornoient le devant des Loges.
On entroit dans cette Salle par la Loge de la couronne
qui s'avance fur le Parterre , comme les
Amphithéâtres employés en France dans les Salles
des Spectacles ; on en avoit coupé l'appui pardevant
, & on defcendoit de -là dans le corps de la
Salle par quatre degrés couverts de tapis de Turquie.
Toutes les Loges étoient remplies , tant celles
pratiquées fur le Théâtre que celles de la Salle
pår une grande quantité de Dames & de Cavaliers
ment parés.
Madame l'Archiducheſſe étant arrivée , on ouvrit
le Bal par une Allemande , où douze perfonnes
danferent enſemble : Madame l'Archiduchele
donnoit la main au Prince François , neveu de M.
le Prince de Lichtenftein . On danſa jufqu'à quatre
heures du matin ; & pendant tout le tems que
durat le Bal , les Officiers de la maiſon de l'Infant
fervirent abondamment de toutes fortes de rafraîchiflemens.
Tout fe paffa avec beaucoup d'ordre ,
& tout le monde fortit extrêmement fatisfait.
Le lendemain 8 , M. le Prince de Lichtenftein
prit fon Audience de congé ; tout fut obfervé à
cette Audience comme à celle de la demande ,
excepté que l'Introducteur , le Maître des Cérémonies
, & M. le Marquis Palavicini , furent pren .
dre.M. le Prince dans l'Appartement qu'il occupoit
à la Cour ; & que M. de Lichtenſtein , en
fortant de l'Audience de l'Infant , fut à celle de
I v
202 MERCURE DE FRANCE.
Madame l'Archiducheffe , avant d'être conduit à
celle du Prince Ferdinand.
Après l'Audience de Madame Louife , M. le
Prince , au lieu de retourner dans fon appartement
a la Cour , defcendit par le grand efcalier ,
& fut monter dans fon Caroffe qui l'attendoit a la
porte du Palais , pour le ramener à l'Hôtel Palavicini
.
Le Maître des Cérémonies l'accompagna juf
qu'au bas de l'efcalier , M. de Palavicini & M.
Introducteur jufques à la portiere de la voiture ,
qui ne fur fermée que quand ces Meffieurs fe futent
retirés.
Le foir , il y eut Opéra.
Le 9. l'Infant fut dîner chez M. de Lichtenſtein.
Lé foir , il y eut Opéra.
Le to M. le Prince de Lichtenſtein dina chez M.
Dutillot , & partit après dîner pour Cafalmajor.
Le foir , il y eut Aflemblée au Paļais .
Le 11. au matin tous les Corps de l'Etat , le
Militaire , la Nobleffe , & la Maifon de S. A R.
eurent l'honneur de baifer la main à Madame
l'Archiducheffe .
Il y eut Opéra , le ſoir.
Le .les Princes n'ont reçu perfonne .
Le 13. S. A. R. Madame l'Archiducheffe partit
à dix heures du matin pour le rendre à Cafalmajor:
elle y a été accompagnée par Madame de
Gonzales , Madame de Silla , quatre Dames du
Pálais , des Majordomes , & huit Gentilshommes
de la Chambre ; elle étoit faivîe d'un nombre de
Pages , d'Ecuyers , de fon premier fervice , & defon
fervice du fecond Ordre , du Commandant de
l'Ecurie de deux Officiers des Ecuries , du Sellier >
du Maréchal , du Charron & de 24 Palfreniers à
Cheval;elle étoit éfcortée par des Gardes du Corps.
Les rues par lesquelles elle a pallé, étoient bordées
OCTOBRE , 1760. 203
de troupes , on avoit difpofé des Détachemens de
Cavalerie & d'Infanterie fur différens endroits de
la roure.
Des Bataillons Provinciaux , fix Compagnies de
Grenadiers, un Bataillon du Régiment de Parme ,
& les deux Compagnies de Grenadiers de inême
Régiment, étoient difpofées fur les bords du Pô ,
en deçà de la tête du Pont. Elle y a trouvé des
Elcadrons de Gardes du Corps & de Cavalerie. Elle
eft arrivée à Cafalmajor à midi & deux minutes.
M. le Comte de S. Vital eft chargé de la Cérémonie
de la remife , un Secrétaire du Cabinet de
l'Acte de certe ' remiſe .
S. A. R. s'arrête demain à Cafalmajor pour y
donner la main à bailer aux Deputés de la Lombardie
Autrichienne , aux Chambres Souveraines ,
& à la Nobleffe. Le lundi elle ira à Mantoue, où elle
s'arrêtera encore un jour, pour un objet ſemblable.
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Résumé : Suite de la Relation de tout ce qui s'est passé depuis.
Le texte relate les festivités entourant le mariage des Altesses Royales, notamment Madame l'Archiduchesse à Parme. Les célébrations incluent la représentation de l'opéra 'Les Fêtes de l'Hymen', composé de trois actes indépendants précédés d'un prologue intitulé 'Le Triomphe de l'Amour'. Ce prologue met en scène une querelle entre les dieux et l'Amour, qui obtient leur pardon pour l'union de la vertu et de la beauté. Les trois actes de l'opéra sont 'Aris', 'Sapho' et 'Eglé', chacun racontant des histoires d'amour et d'interventions divines. Les festivités comprennent des réceptions et des dîners offerts par des nobles tels que le Prince de Liechtenstein et le Comte de Rochechouart, avec des représentations d'opéra et des danses. La cérémonie de mariage à la cathédrale est décrite avec une décoration somptueuse et une procession ordonnée. Les troupes et les gardes assurent la sécurité, et la cérémonie religieuse suit le rituel ordinaire avec quelques adaptations spécifiques. Après la cérémonie, les princes retournent au palais dans le même ordre qu'à l'arrivée. Les événements incluent également un feu d'artifice et une illumination dans le jardin du palais, représentant l'union de l'Amour et de l'Hymen, suivi d'un bal masqué au théâtre. Madame l'Archiduchesse ouvre le bal avec le Prince François. Le lendemain, le Prince de Liechtenstein prend congé selon les cérémonies protocolaires. Les festivités se poursuivent avec des audiences et des repas officiels. Le 11 octobre, divers corps de l'État rendent hommage à Madame l'Archiduchesse. Le 13 octobre, elle quitte pour Casalmaggiore, escortée par des troupes et des dignitaires, et arrive à midi. Elle prévoit de s'arrêter à Casalmaggiore et à Mantoue pour saluer les députés et la noblesse.
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61
p. 48
VERS sur le jour de l'An, à M. de B ***.
Début :
QUAND nous voulons aux Dieux offrir un pur hommage, [...]
Mots clefs :
Dieux, Silence
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : VERS sur le jour de l'An, à M. de B ***.
VERS fur le jour de l'An , à M. de
QUANT
B ***.
UAND nous voulons aux Dieux offrir un pur
hommage ,
Nous ne connoiffons point de plus digne langage
Qu'un filence reſpectueux ;
Un Mortel bienfaiſant , éclairé , vertueux
Ici-bas devient leur image :
Ces titres font votre partage :
Je dois vous honorer comme eux.
A Paris ce Janvier 1763 .
QUANT
B ***.
UAND nous voulons aux Dieux offrir un pur
hommage ,
Nous ne connoiffons point de plus digne langage
Qu'un filence reſpectueux ;
Un Mortel bienfaiſant , éclairé , vertueux
Ici-bas devient leur image :
Ces titres font votre partage :
Je dois vous honorer comme eux.
A Paris ce Janvier 1763 .
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62
p. 27-29
JUPITER ET JUNON.
Début :
JUPITI s'ennuyoit aux Cieux : [...]
Mots clefs :
Princesses, Dieux, Fidèle , Jaloux
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texteReconnaissance textuelle : JUPITER ET JUNON.
JUPITER ET JUNON.
*
JUPITI UPITER s'ennuyoit aux Cieux :
Il n'avoit plu qu'à des Déeffes :
O Princes qui n'aimez qu'en Dieux
Vous baillez près de vos Princeſſes.
En vain il paffoit tous les ans ,
Des plus belles aux plus gentilles ;
Malgré leurs charmes féduifans ,
C'étoit pour lui pâté d'anguilles.
Toujours la Reine du Printemps ,
Toujours Venus , toujours l'Aurore ,
Allufion au fameux Conte de la Fontaine.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Hébé, vous étiez jeune encore ,
Mais c'étoit depuis fi long- temps!
Ah ! dans la céleste demeure
Il faut jouer la dignité ;
で
Ce ton laffe au premier quart- d'heure ,
Jugez durant l'éternité.
Il quitta les fempiternelles ,
Et j'en aurois bien fait autant ;
Il vint dans les bras de nos Belles ,
Et l'on n'eft Dieu qu'en l'imitant.
Junon, dans la jalouſe flâme ,
Fit grand bruit de fes trahisons.
Elle avoit tort par vingt raiſons :
D'abord c'eft qu'elle étoit fa femme.
Plus , elle avoit de trop grands yeux :
Je l'ai cent fois lû dans Homere ;
Je crois , comme il étoit pieux ,
Que du refte il s'eft voulu taire.
D'ailleurs , pourquoi tant quereller ,
Quand le reméde eft fi facile ?
En hommes , pour la confoler ,
La terre étoit affez fertile .
* Homere appelle prefque toujours Junon la
Déeffe aux yeux de boeuf.
FEVRIER. 1763. 29
Par gloire ou curiofité ,
Qui n'eût pris part à fa trifteffe ?
Le coeur s'enfle de vanité
Entre les bras d'une Déeffe.
Ma foi , pour cet honneur divin
J'aurois paffé fur l'agréable ;
Changer Jupiter en Vulcain
Eft un exploit très- mémorable.
Je fais que cet époux coquet
N'étoit pas un époux commode ; !
Le ton de Paris lui manquoit.
Nous l'aurions mis à notre mode.
Contre Ixion ſon fier courroux
Dégrade fa gloire immortelle ;
Oh ! le bonheur d'être infidèle
Ote le droit d'être jaloux.
*
JUPITI UPITER s'ennuyoit aux Cieux :
Il n'avoit plu qu'à des Déeffes :
O Princes qui n'aimez qu'en Dieux
Vous baillez près de vos Princeſſes.
En vain il paffoit tous les ans ,
Des plus belles aux plus gentilles ;
Malgré leurs charmes féduifans ,
C'étoit pour lui pâté d'anguilles.
Toujours la Reine du Printemps ,
Toujours Venus , toujours l'Aurore ,
Allufion au fameux Conte de la Fontaine.
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Hébé, vous étiez jeune encore ,
Mais c'étoit depuis fi long- temps!
Ah ! dans la céleste demeure
Il faut jouer la dignité ;
で
Ce ton laffe au premier quart- d'heure ,
Jugez durant l'éternité.
Il quitta les fempiternelles ,
Et j'en aurois bien fait autant ;
Il vint dans les bras de nos Belles ,
Et l'on n'eft Dieu qu'en l'imitant.
Junon, dans la jalouſe flâme ,
Fit grand bruit de fes trahisons.
Elle avoit tort par vingt raiſons :
D'abord c'eft qu'elle étoit fa femme.
Plus , elle avoit de trop grands yeux :
Je l'ai cent fois lû dans Homere ;
Je crois , comme il étoit pieux ,
Que du refte il s'eft voulu taire.
D'ailleurs , pourquoi tant quereller ,
Quand le reméde eft fi facile ?
En hommes , pour la confoler ,
La terre étoit affez fertile .
* Homere appelle prefque toujours Junon la
Déeffe aux yeux de boeuf.
FEVRIER. 1763. 29
Par gloire ou curiofité ,
Qui n'eût pris part à fa trifteffe ?
Le coeur s'enfle de vanité
Entre les bras d'une Déeffe.
Ma foi , pour cet honneur divin
J'aurois paffé fur l'agréable ;
Changer Jupiter en Vulcain
Eft un exploit très- mémorable.
Je fais que cet époux coquet
N'étoit pas un époux commode ; !
Le ton de Paris lui manquoit.
Nous l'aurions mis à notre mode.
Contre Ixion ſon fier courroux
Dégrade fa gloire immortelle ;
Oh ! le bonheur d'être infidèle
Ote le droit d'être jaloux.
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Résumé : JUPITER ET JUNON.
Le texte décrit l'ennui de Jupiter aux Cieux, malgré ses relations avec des déesses telles que la Reine du Printemps, Vénus et l'Aurore. Hébé, autrefois jeune, ne l'attirait plus. Jupiter trouva plus de satisfaction auprès des mortelles. Junon, jalouse des infidélités de Jupiter, protesta. Cependant, le texte suggère que Junon, en tant qu'épouse de Jupiter et dotée de grands yeux comme décrit par Homère, aurait dû chercher du réconfort auprès d'autres hommes sur Terre. Le narrateur admire l'expérience de Jupiter avec les déesses et envisage positivement de devenir Vulcain, l'époux de Junon. Il critique également la jalousie de Jupiter envers Ixion, soulignant que l'infidélité ôte le droit d'être jaloux. Le texte se termine par une réflexion sur le caractère difficile de Jupiter en tant qu'époux et sur l'absence du 'ton de Paris' chez lui.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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63
p. 156-176
OPERA. EXTRAIT DE POLIXENE, Tragédie de M. JOLIVEAU, Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale de Musique, mise en Musique par M. DAUVERGNE, Maître de Musique de la Chambre du ROI.
Début :
PERSONNAGES. ACTEURS. PIRRHUS, fils d'Achille, M. Gelin. TELEPHE, prince des Mysiens. [...]
Mots clefs :
Pirrhus, Polixene, Hecube, Amour, Dieux, Cœur, Fureur, Reproche
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texteReconnaissance textuelle : OPERA. EXTRAIT DE POLIXENE, Tragédie de M. JOLIVEAU, Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale de Musique, mise en Musique par M. DAUVERGNE, Maître de Musique de la Chambre du ROI.
OPERA.
EXTRAIT DE POLIXENE ,
Tragédie de M. JOLIVEAU , Secrétaire
perpétuel de l'Académie Royale
de Mufique , mife en Mufique par
M. DAUVERGNE , Maître de Mufique
de la Chambre du Ro1.
PERSONNAGES.
PIRRHUS , fils d'Achille ,
TELEPHE , Prince des Myfiens.
HECUBE , Veuve de PRIAM ,
POLIXENE , fille d'HECUBE &
de PRIAM ,
JUNON
ACTEURS.
M. Geline
M. Pillot
Mlle Chevalier.
Mile Arnoud
THETIS , Mlle Rozet
LA GRANDE- PRESTRESSE DE
JUNON , Mlle Riviere,
LE GRAND-PRESTRE D'ACHILLE , M. Joli.
UN THESSALIEN ,
L'OMBRE D'ACHILLE ,
UNE TROYENNE ,
UNE THESSALIENNE ,
M. Durand.
LA JALOUSIE ,
LE DESESPOIR ,
LA
FUREUR ,
MlleBernard.
M. Larrivée.
M. Joli.
M. Muguet
FEVRIER. 1763. 157
Au premier Acte , la Scène eft dans
une Place publique de la Ville de LARRISSE
, ornée pour le triomphe de
PIRRHUS.
TELEPHE , en interrogeant PIRRHUS
fur ce qui peut troubler fon coeur ,
lorfque tout concourt à le faire jouir
d'un deftin heureux apprend qu'il
aime POLIXENE , & qu'il eft fon rival.
C'eft dans l'horreur de la deftruction
de Troye que PIRRHUS a conçu
cette funefte paffion. Il amenoit Po-
LIXENE dans fes Etats ; mais un orage
a féparé fes vaiffeaux de ceux qui la
conduifoient. TELEPHE , fans découvrir
fes feux s'efforce en vain de
combattre la paffion de PIRRHUS . La
cérémonie du triomphe de ce dernier interrompt
leur dialogue . Les Peuples &
les Guerriers. Theffaliens conduisent des
Captifs Troyens enchaînés ; ils chantent
les louanges de PIRRHUS. Ce Roi fait
ôter les fers aux Troyens , en diſant
»De ces Captifs qu'on détache les chaînes ;
» lls en ont trop fenti le poids:
>
» Que leurs coeurs connoiffent mes loir
Par les bienfaits & non pas par les peines.
Auffi-tôt , pour prix de leur liberté
158 MERCURE DE FRANCE.
ces Captifs témoignent leur reconnoiffance
en danfant , & fe joignent aux
Sujets de PIRRHUS pour célébrer fa
bonté. La Paix & l'Amour ont leur
part des éloges. On entend un bruit
finiftre ; c'eft JUNON qui du haut des
airs reproche à PIRRHUS un amour qui
l'offenfe. Elle menace les TROYENS ,
qu'elle pourfuit, & PIRRHUS lui- même,
des plus terribles traits de fa vengeance .
PIRRHUS qui n'envifage qu'un
avenir funefte , prie TELEPHE de ne
le pas abandonner. PIRRHUS fe plaint
qu'il éprouve feul la févérité des Dieux ;
il fait l'énumération des autres Héros
de la Gréce que l'on laiffe paiſiblement
emmener leurs Captives & en ufer
à leur volonté. Sur quoi l'intrépide
TÉLÉPHE l'encourage en ces termes.
,
» Eh bien , il faut braver l'orage :
» C'eft dans les grands revers que brille un grand
›› courage .
L'un & l'autre s'excitent à braver la
colère de JUNON.
Dans le deuxiéme A&te , la Scéne
eft au bord de la mer près des murs de
LARRISSE.
FEVRIER . 1763. 159
PIRRHUS vient prier la Mer de l'engloutir
, puifqu'il eft féparé de POLIXENE.
Soit par un accident naturel , foit
pour répondre à l'apoftrophe de PIRRHUS
, la Mer qui étoit calme commence
à s'agiter : PIRRRUS , par des
vers qui coupent la fymphonie , remarque
toutes les gradations de la
tempête qu'elle peint. Il craint que Po-
LIXENE n'en foit la victime. Sa crainte
redouble en appercevant des Vaiffeaux
prêts à périr. Il invoque THETIS : &
THETIS paroît ; tout eft bientôt calmé.
Elle fait une légére reprimande à fon
fils fur l'indifcrétion de fes feux. En lui
promettant de lui rendre fa Maîtreffe ,
elle l'avertit néanmoins de défarmer la
fureur de JUNON , parce que fon pou
voir limité ne pourroit le défendre contre
cette Déeffe .
PIRRHUS , qui n'eft occupé que de
fa paffion , exprime ainfi les premiers
mouvemens de fa joie , en quittant la
Scène :
» Je vais donc revoir POLIXENB ,
> Courons au- devant de ſes pas.
>> Si mon amour triomphe de ſa haine ,
>> Le courroux de Junon ne m'épouvante pas.
Des MATELOTS Theffaliens , échap
160 MERCURE DE FRANCE.
pés du naufrage forment un Divertiffement.
POLIXENE les fuivoit, elle arrive
à la fin de cette Scène. Les MATELOTS
& furtout les MATELOTES chantent
les douceurs de l'Amour. POLIXENE
dont cela aigrit la fituation , les fait écar
ter. Reftée feule , elle s'avoue & fe reproche
amérement le penchant qu'elle
éprouve pour PIRRHUS ; elle craint
qu'il ne life fa foibleffe à travers de fes
pleurs. Elle s'arme fi bien contre cette
foibleffe que dans la Scène qui fuit entre
elle & PIRRHUS , elle l'accable de
duretés , & finit par le prier de la laiffer
feule . HECUBE , échappée du même
naufrage , apparemment dans un autre
vaiffeau que celui qui portoit fa fille
furvient en ce moment. POLIXENE
vole dans fes bras. HECUBE apperçoit
PIRRHUS , le deftructeur de toute
fa Famille ; elle en frémit.
PIRRHUS à HECUBE.
» Ah ! voyez en PIRRHUS un Prince moins cou-
» pable.
HECUBE
» Je ne puis voir qu'un Vainqueur implacable ,
Dont l'afpect. eft pour moi plus cruel que la
» mort,
» O Dieux , pourquoi ce même orage,
» Qui m'a fait échouer ſur ce fatal rivage
» N'a t-il pas terminé mon fort?
FEVRIER. 1763.
161
POLIXENE veut la calmer , & en même
temps l'Amour , ingénieux à faifir
tous les pretexte , fe cache en elle fous le
motif de la piété filiale , pour implorer
PIRRHUS ; maisHECUBE s'en irrite.Ainfi
eftétabli dans cette Scène le caractère
altier de cette femme dont les Poëtes
ont toujours peint le défefpoir avec
les traits de la fureur. PIRRHUS néanmoins
ne répond à tant d'injures que
par ces vers adreffés à HECUBE.
>> Adoucir vos deftins , c'eft mon premier devoir:
» Oui , mon coeur n'en connoît plus d'autre.
» Ordonnez dans ces lieux , foumis à mon pou-
>> voir ;
» Tout mon bonheur dépend du vôtre.
HECUBE eft peu touchée d'une
proteftation auffi obligeante. POLIXENE
l'invite à goûter les douceurs de
l'efpoir elles joignent leurs voix pour
invoquer les Dieux.
Le troifiéme A&te commence dans
le Veftibule d'un Temple de Junon.
La Mufique peint un tremblement
de Terre. TELEPHE , feul alors fur la
Scène , annonce qu'à ce fléau fe joint
celui de la contagion.
162 MERCURE DE FRANCE.
» Un fouffe empoifonné , miniftre du trépas ,
» Moiffonne , à chaque inſtant , de nouvelles vic-
» times , &c .
Il craint que POLIXENE ne fuccombe
à ce danger ; il court pour la chercher
& pour l'en préferver. Il eft arrêté
par HECUBE qui connoît & approuve
fes feux . Elle lui préfente PIRRHUS
comme l'objet qui attire la colère
des Dieux ; elle veut engager cet
ami à l'immoler. Il en frémit. Sur quoi
HECUBE lui dit :
"
" · • ·
Il peut vous en punir.
S'il pénétre vos voeux ,
TELEPHE..
» Non , il eft magnanime.
HECUBE.
L'Amour jaloux eft toujours furieux.
TELEPH E.
Pirrhus eft un héros , il détefte le crime.
HECUBE lui rappelle en vain les
maux que PIRRHUS a faits à fa Patrie
à fa famille , & la mort que
PRIAM a reçue de fa main . TELEPHE ,
FEVRIER. 1763. 163
conftant dans fes principes , perfifte
dans fa réfiftance.
» La Victoire , ( dit-il , ) fouvent peut rendre
impitoyable ;
JJ
» Mais jamais d'un forfait je ne ferai coupable.
>
HECUBE , dans fa fureur , accufe
TELEPHE de lâcheté , elle trouvera
dit -elle, un autre bras pour la venger.
TELEPHE eft allarmé du danger où elle
va s'expofer ; mais cette femme violente
ne peut être détournée de fon
projet.
TELEPHE rend compte à POLIXENE
qui furvient , de la propofition barbare
que fa mère lui a faite. POLIXENE
en eft éffrayée pour PIRRHUS . Elle
ne peut diffimuler combien elle craint
l'effet du complot qu'HECUBE a formé.
Quoiqu'elle marque toute fa terreur
fur le danger qui menace fa mère
l'Amour jaloux éclaire TELEPHE fur
l'intérêt le plus fenfible pour POLIXENE.
Il lui déclare ouvertement fes foupçons.
Vous tremblez pour PIRRHUS , plus que pour
>>une mère .
164 MERCURE DE FRANCE.
POLIXENE veut s'en défendre ; mais
ce Prince , qui foutient toujours fon
caractère , calme ainfi les allarmes de
POLIXÉNE.
» Non , non , ( lui dit-i! ) ne craignez rien de
» mon amour extrême ;
>> Fe cours vous fatisfaire aux dépens de moi-
›› même :
Oui , je vais vous prouver que ce coeur ver-
>> tueux
Peut-être méritoit un fort moins malheureux.
POLIXENE, à elle- même , fe reproche
de n'avoir pu cacher des feux qu'elle
n'auroit jamais dû reffentir. Dans ce
moment les portes du Temple s'ouvrent,
& tout fe difpofe pour le facrifice qu'on
doit offrir à JUNON. Après les invocations
& les danfes religieufes des Prêtreffes
, interrompues par les cris doufoureux
des Peuples frappés de la contagion
, PIRRHUS vient lui-même invoquer
pour fes Peuples infortunés . La
Grande-Prêtreffe veut y joindre fes prières
; mais elle eft tout-à - coup faifie
d'un enthoufiafme prophétique , dont
les derniers vers contiennent l'Arrêt de
POLIXENE.
FEVRIER . 1763. 165
» Si vous voulez fléchir fa haine ,
Sur le tombeau d'ACHILLE immolez Po-
» LIXENE.
Les Prêtreffes rentrent. PIRRHUS
eft accablé de ce fatal oracle : les Peuples
généreux de LARISSE , tout fouffrans
qu'ils font , en murmurent . PIRRHUS
termine l'Acte en proteſtant qu'il
ne fouffrira pas que POLIXENE fubiffe
un fort auffi rigoureux.
Le quatrième Acte fe paffe dans le
Palais de PIRRHUS.
HECUBE n'a pû engager perfonne à
fervir fes deffeins
fanguinaires : elle en
eft furieuſe ; elle fe confole un moment
par un fentiment de courage.
» Ceſſons de vains regrets , je me reſte à moi-
» même.
Elle continue cependant à s'exciter à
la vengeance : elle fe promet de faire
du Palais un lieu d'horreur & de larmes
, fans s'expliquer fur les moyens .
POLIXENE vient apprendre en tremblant
à fa mère ce que l'Oracle a prononcé.
HECUBE dont la fureur fe
,
"
166 MERCURE DE FRANCE.
,
tourne alors contre JUNON. après
quelques imprécations contre les Dieux ,
promet à fa fille qu'elle ne périra pas.
TELEPHE peut , dit- elle , fauver fes
jours ; il a des Vaiffeaux & des Soldats
au rivage : elle va implorer fon
fecours.
POLIXENE , dans la fituation alors
de la fille de JEPHTE , n'eft pas d'abord
réfignée auffi modeftement : elle
ofe demander aux Dieux de quoi elle
eft coupable ? Mais bientôt elle fe reprend
.
ود
•
Je me plains du courroux du Ciel ,
» Quand je nourris un feu trop condamnable ! ..
Une réflexion tendre fuit ce repentir.
» Ah ! qui peut efpérer un fort plus favorable ,
» Si l'amour feul rend un coeur criminel ?
Les Peuples de Larriffe , moins généreux
par réfléxion , que dans le moment
qu'ils ont entendu prononcer la
mort de POLIXENE , demandent avec
rébellion que le facrifice s'achève .
PIRRHUS vient l'annoncerà POLIXENE;
celle-ci les plaint & les excufe : mais PIRRHUS
, dont le courage opiniâtre , ainfi
FEVRIER. 1763. 167
eſt
que l'acier , fe durcit fous les coups ,
PIRRHUS menace fes Peuples & JUNON
elle-même qu'il préviendra leur fureur.
Le moyen fur lequel il fe fonde
un paffage inconnu par lequel il peut la
faire échapper la nuit , conduite par fa
garde & par un Officier fidéle. POLIXENE
ne veut pas fuir fans fa mère .
PIRRHUS l'avoit prévu , tout eft difpofé
pour qu'elles partent enfemble.
POLIXENE qui n'a plus rien à ménager
, ne peut retenir une légère éffuion
de fa tendreffe pour PIRRHUS
dans le remerciment qu'elle lui fait .
POLIXENE à PIRRHUS.
» Plus vous vous montrez généreux ,
« Et plus je crains pour vous la colère des Dieux.
PIRRHUS.
» Quand POLIXENE à mon fort s'intéreſſe ,
» Pirrhus eft trop heureux.
» Le péril croît , craignez un Peuple furieux .
POLIXENE , àpart , en s'en allant.
» Qu'il en coûte à mon coeur pour cacher fa
> tendreſſe !
PIRRHUS s'applaudiffant déja du
fuccès de fon ftratagême , eft arrêté
168 MERCURE DE FRANCE.
par une main invifible . Il voit fortir de
Terre la JALOUSIE le DESESPOIR ,
la FUREUR & toute leur Suite . C'eſt ce
qui forme le Ballet dont nous avons
rendu compte dans le précédent Mercure
en parlant de la repréſentation de
cet Opéra.
PIRRHUS eft perfécuté par les flambeaux
de cette Troupe infernale ; le
poifon paffe dans fon coeur , il eft menacé
d'éprouver tous les tourmens qui
peuvent déchirer une âme , & la JALOUSIE
, laffe enfin de fa perfécution ,
finit la Scène avec lui comme ZORAÏ-
DE avec NINUS dans Pirame & Thibé.
ככ
LA JALOUSIE , à Pirrhus.
Téléphe adore Polixène ;
» Il eft prêt à te la ravir .
PIRRHUS fe difpofe à exhaler toute
la violence de la funefte paffion
qu'on vient de lui infpirer. TELEPHE
paroît , il fupporte d'abord les reproches
de fon ami ; TELEPHE a les forces
& la fermeté de la vertu ; il en accable
PIRRHUS à fon tour ; & celuici
, malgré les efforts de la JALOUSIE,
fecondée de la rage & du DÉSESPOIR,
céde auffitôt à ce pouvoir , & finit par
confier
FEVRIER . 1763. 169
confier fa maîtreffe à cet ami pour af
furer fa fuite , quoiqu'il le connoiffe
alors pour fon rival.
Dans le cinquième Acte le Théâtre
repréfente un Monument élevé aux Mánes
d'Achille. Un Autel eftfur le devant.
PIRRHUS eft feul , il s'applaudit d'avoir
pu triompher de lui-même ; il ne
fent pas moins ce qu'il lui en coûte. Il
termine fon Monologue par cette invocation
aux Mânes d'Achille.
» Mânes facrés , Ombre que je révére ,
» Et vous , Dieux tout-puiffans ! calmez votre
» colère ,
» Si l'Amour fit mon crime , hélas ! ce même
» Amour
» Met le comble à mes maux , & vous venge en
›› ce jour.
HECUBE vient apprendre à PIRRHUS
la mort de TELEPHE. Elle infulte
aux regrets fincères de ce Prince ,
en lui imputant la fin tragique de fon
ami. Elle prétend que c'eft lui -même
qui a guidé les affaffins dans les fentiers
obfcurs qui conduifoient au rivage.
PIRHUS , indigné , reprend en ce
moment la noble fierté d'où l'Amour
H
170 MERCURE DE FRANCE .
l'avoit fait defcendre dans tout le
cours de l'action , & répond à HECUBE.
>> Dieux , quelle horreur! qui , moi , quand , pour
>>fauver vos jours ,
» J'immolois jufqu'à ma tendreſſe !
» Quand , bravant de Junon la haine vengereffe ,
» Des maux de mes Sujets j'éternifois le cours !
HECUBE ne fe rend point ; elle perfifte
dans fes reproches injurieux . PIRRHUS
, dont la patience eft épuisée ,
lui dit enfin :
» C'en eft trop, je voulois aux dépens de ma vie ,
» Arracher votre fille à la mort :
» Mais , qu'elle vive ....ou qu'on la faerifie ....
» PIRRHUS l'abandonne à fon fort.
;
HECUBE , alors change de ton &
devient fuppliante , pour engager PIRRHUS
à fauver les jours de fa fille
mais c'eft en vain , PIRRHUS eft devenu
inexorable : la furieuſe HECUBE
apperçoit en ce moment POLIXENE ,
entre les mains des Sacrificateurs . &
ornée des funeftes guirlandes dont on
paroit les victimes . Elle ne fe contient
plus : elle tire un poignard de deffous fon
vêtement & le léve fur PIRRHUS . POFEVRIER.
1763. 171
LIXENE s'élance entre - deux & arrache
le poignard des mains d'HECUBE
en difant :
» Je frémis :
HECUBE.
» C'eft POLIXENT
» Qui vient défarmer ma fureur. "
POLIXEN E.
>>J'ai laiffé voir le fecret de mon coeur ;
» Si je mérite votre haine ,
» Bientôt ma mort ....
PIRRHUS .
Non plutôt qu'en ce jour
» Et la flamme & le fer dévaſtent ce féjour.
Le Grand- Prêtre reclame contre cet
irréligieux attentat de PIRHHUS, Ce
Prince animé par la déclaration de Po-
LIXENE , s'opiniâtre davantage contre
l'ordre des Dieux . Loin d'en être puni ,
le Monument s'ouvre . L'Ombre d'Achille
paroît , pour annoncer à PIRRHUS
le fort le plus flatteur.
»Pirrhus , au deftin le plus doux ,
»Le Ciel vous permet de prétendre :
» THÉTIS a de JUNON défarmé le courroux.
PIRRHUS remercie ; l'Ombre porte
fa bienfaifante attention jufqu'à or-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE
donner elle-même la fête de ce grand
jour,
PIRRHUS demande l'aveu de Po-
LIXENE , qui à fon tour follicite celui
de fa mère. La cruelle HECUBE s'adoucit.
Les Guerriers & les Peuples
viennent célébrer l'hymen de PIRRHUS
& de POLIXENE,
OBSERVATIONS fur le Poëme
de POLIXENE.
Le Sujet que l'Auteur a choifi pour le premier
effai de fa Muſe avoit été traité plufieurs fois au
Théâtre Lyrique , mais toujours fans fuccès.
On ne peut refuſer à ce nouveau Poëme une
conduite raiſonnée , une action bien liée & des
Scènes affez réguliérement filées. Cependant il a
été l'objet de quelques cenfures , tant verbales ,
qu'imprimées dans des Ecrits publics . Nous altons
chercher à les réfumer & à les difcuter
par une critique impartiale , moins en faveur de
l'Auteur , qui fans doute le défendroit mieux luimême
, que pour l'intérêt de l'art dramatique
qui ne peut que gagner à ces fortes de difcuffions
, attendu qu'il n'y a pas encore de Poëtique
bien arrêtée pour ce genre de Poëmes.
En convenant que la fable de ce Drame eft
bien foutenue , on reproche d'abord qu'elle eft
contraire à ce que nous fçavons tous fur PIRRHUS
&fur POLIXENE. A cet égard le reproche
tombe de lui - même , fi cela a fervi à traiter
plus heureufement ce Sujet qu'il ne l'avoit été
auparavant, Il feroit dangereux néanmoins que
FEVRIER. 1763. 173
ces exemples fe multipliaffent , & qu'on y fût encouragé
par des fuccès ; car il eft des bornes aux
licences les plus étendues dans les Arts. On permet
au Peintre d'Hiftoire d'orner ſes ſujets , de
les modifier même à fon avantage ; mais on
ne lui pardonneroit pas de nous repréſenter les
grands traits hiſtoriques ou poëtiques d'une manière
trop oppofée à la connoiffance générale des
faits. On ne doit pas s'arrêter davantage aux inimitiés
des Pères de PIRRHUS & de TELEPHE
ni au paffage de ce dernier , de la Troade en Europe
pour retourner en Myfie. Il n'eft pas hors
du cours naturel des événemens & fur-tour
entre les héros , de voir une amitié très-étroite
entre les enfans d'ennemis irréconciliables. Quant
au voyage de TELEPHE , on ne voit pas quel eft
l'inconvénient de faire prendre le plus long à un
héros d'Opéra , lorsque cela peut être utile à la
conftitution d'un bon Poëme.
>
Il eft des queſtions plus importantes fur les
caractères des perfonnages & fur quelques parties
de la conduite de ce Poëme . 1º . Sur les caractères.
Le perfonnage fubordonné ( TELEPHE )
paroît , dit-on , fait pour être le plus intéreffant ,
parce qu'il eft le plus eftimable. En effet , ce caractère
, qui eft très- bien foutenu , a tous les avantages
de la vertu & du véritable courage , fans
en avoir le fafte , & il ſe manifefte dans tout le
drame , non par un vain étalage des maximes ,
mais par des actions dignes de toucher tous les
coeurs honnêtes. Cependant c'eſt le feul des perfonnages
véritablement malheureux dans le cours
de l'action , & le feul qui périffe à fon dénoûment.
A cela nous croyons que l'Auteur pourroit
répondre , qu'on eft obligé fouvent de mettre
le principal mobile de l'action dans les perfonf
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
nages fubordonnés , plutôt que dans les perfor
wages principaux. Que fi quelquefois la fcélérarelle
de ces feconds perfonnages eſt néceffaire au
mouvement de l'action & à l'intérêt des perſon ·
nagesprincipaux , lorfqu'ils font vertueux; d'autres
fois , par des moyens contraires , c'eſt la vertu de
ces perfonnages fubfidiaires qui fert à mettre dans
des fituations plus intéreffantes des caractères
mêlés de vices & de foibleffes , lefquels ne font
pas les moins propres à l'intérêt théâtral , &
prèfque toujours plus que les caractères entiérement
vertueux. De la première eſpéce font ici
les caractéres de PIRRHUS & de POLIXENÉ .
L'Auteur a donc dû les conftituer ainfi pour
remplir fon objet. Mais à l'égard de POLIXENE ,
fi l'on demande comment a-t- elle pû fe prendre
d'un penchant fi tendre & fi invincible pour un
Prince dont le premier aſpect ne lui a offert qu'un
vainqueur implacable , le fer & le feu à la main ,
ravageant fa Patrie , maflacrant tous les fiens
& particuliérement fon père , ce qui eſt ſpécialement
énoncé dans le Drame? Comment , malgré
la clémence de l'Ombre d'ACHILLE , cet
autre ennemi furieux de fa famille , comment ,
dit-on encore , peut- elle conſentir à recevoir une
main encore fumante d'un fang fi cher & fi refpectable
pour elle ? A cela nous convenons que
fi l'on ne confultoit que les moeurs & la nature
pour ces fortes de Poëmes , il feroit peut- être affez
difficile de répondre.
Quant à la conduite , il nous paroît que le
reproche qu'on fait à PIRRHUS de faire refter
TELEPHE avec lui , lorſqu'il eſt menacé par Ju-
NON n'eft pas auffi bien fondé que les autres.
Non feulement on fent bien que l'Auteur
avoit befoin de TELEPHE pour le fil de fon
FEVRIER . 1763. 175
fût
pas
action mais il a trouvé par - là , le moyen
de préfenter une vérité morale , bien importante
, contre les prétendus efprits-forts ,
qui cherchent toujours à affocier autant qu'ils
peuvent des complices contre le Ciel , & qui
femblent ne réunir leurs forces contre fes décrets
que pour mieux laiffer voir leur foibleſſe.
Il est peut- être vrai , comme on l'a remar
qué , que la colere des Dieux vengeurs n'y eft
pas peinte fous des couleurs bien redoutables.
Mais indépendamment du befoin qu'il y avoit
pour la marche de l'action que PIRRHUS ne
arrêté par un pouvoir irréfiftible dans la
paffion ; d'autre part , les Dieux font-ils moins
véritablement repréſentés par la rigueur des
châtimens que par les effets de leur clémence ?
Ce qui femble un peu plus difficile à concilier
eft l'appareil terrible & tous les efforts de la ALOUSIE
en perfonne avec la RAGE , le DESESPOIR
& tout l'Enfer déchaîné , pour verfer leur
fatal poifon dans le coeur de PIRRHUS , avec le
peu d'effet que cela produir fur lui , par la facilité
que TELEPHE trouve l'inftant d'après à le
calmer , & le confentement qu'il apporte à lui
remettre fa Maitreffe entre les mains. Paffant
aux détails , nous répondrons à ceux qui demanderoient
dans ce Poëme plus de Madrigaux
, plus de ces phrafes qui développent lesfentimens
du coeur ou les fentimens de l'efprit , que
le courage d'avoir fçû fe paffer de ces brillans
Lecours , en mérite d'autant plus d'éloges dans
un temps où l'on fait de ces frivoles Beautés
un abus , que les mêmes Critiques , qui les régrettent
davantage en cette occafion , condamnent
avec austérité dans tous les ouvrages modernes.
Peut-être eft- ce par un même motif , que
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
l'Auteur a dédaigné les négligences de ftyle , les
enjambemens de vers , & les répétitions des confonnes
dures dans un même vers , & qui fonnent mal
à l'oreille. La facilité d'éviter ce que la critique
reproche à cette égard , doit laiffer croire que
l'Auteur a facrifié volontiers cette molle & facile
délicateffe à l'énergie du fens & à l'éxactitude
du Dialogue lorfqu'il à crû qu'elle auroit
pû y mettre obftack .
On continue cet Opéra trois jours
de la femaine . N'étant pas informés ,
lorfque nous avons rendu compte de
la premiere repréſentation , que le Ballet
de la Jaloufie au quatriéme Acte
étoit de la compofition de M. de LAVAL
, nous avons obmis alors de faire
mention de cette circonftance .
Le Jeudi 20 Janvier on a remis les
Fêtes Grecques & Romaines , Ballet ,
pour le continuer les Jeudis fuivans . Le
Public a paru très-fatisfait de revoir cet
Opéra.
EXTRAIT DE POLIXENE ,
Tragédie de M. JOLIVEAU , Secrétaire
perpétuel de l'Académie Royale
de Mufique , mife en Mufique par
M. DAUVERGNE , Maître de Mufique
de la Chambre du Ro1.
PERSONNAGES.
PIRRHUS , fils d'Achille ,
TELEPHE , Prince des Myfiens.
HECUBE , Veuve de PRIAM ,
POLIXENE , fille d'HECUBE &
de PRIAM ,
JUNON
ACTEURS.
M. Geline
M. Pillot
Mlle Chevalier.
Mile Arnoud
THETIS , Mlle Rozet
LA GRANDE- PRESTRESSE DE
JUNON , Mlle Riviere,
LE GRAND-PRESTRE D'ACHILLE , M. Joli.
UN THESSALIEN ,
L'OMBRE D'ACHILLE ,
UNE TROYENNE ,
UNE THESSALIENNE ,
M. Durand.
LA JALOUSIE ,
LE DESESPOIR ,
LA
FUREUR ,
MlleBernard.
M. Larrivée.
M. Joli.
M. Muguet
FEVRIER. 1763. 157
Au premier Acte , la Scène eft dans
une Place publique de la Ville de LARRISSE
, ornée pour le triomphe de
PIRRHUS.
TELEPHE , en interrogeant PIRRHUS
fur ce qui peut troubler fon coeur ,
lorfque tout concourt à le faire jouir
d'un deftin heureux apprend qu'il
aime POLIXENE , & qu'il eft fon rival.
C'eft dans l'horreur de la deftruction
de Troye que PIRRHUS a conçu
cette funefte paffion. Il amenoit Po-
LIXENE dans fes Etats ; mais un orage
a féparé fes vaiffeaux de ceux qui la
conduifoient. TELEPHE , fans découvrir
fes feux s'efforce en vain de
combattre la paffion de PIRRHUS . La
cérémonie du triomphe de ce dernier interrompt
leur dialogue . Les Peuples &
les Guerriers. Theffaliens conduisent des
Captifs Troyens enchaînés ; ils chantent
les louanges de PIRRHUS. Ce Roi fait
ôter les fers aux Troyens , en diſant
»De ces Captifs qu'on détache les chaînes ;
» lls en ont trop fenti le poids:
>
» Que leurs coeurs connoiffent mes loir
Par les bienfaits & non pas par les peines.
Auffi-tôt , pour prix de leur liberté
158 MERCURE DE FRANCE.
ces Captifs témoignent leur reconnoiffance
en danfant , & fe joignent aux
Sujets de PIRRHUS pour célébrer fa
bonté. La Paix & l'Amour ont leur
part des éloges. On entend un bruit
finiftre ; c'eft JUNON qui du haut des
airs reproche à PIRRHUS un amour qui
l'offenfe. Elle menace les TROYENS ,
qu'elle pourfuit, & PIRRHUS lui- même,
des plus terribles traits de fa vengeance .
PIRRHUS qui n'envifage qu'un
avenir funefte , prie TELEPHE de ne
le pas abandonner. PIRRHUS fe plaint
qu'il éprouve feul la févérité des Dieux ;
il fait l'énumération des autres Héros
de la Gréce que l'on laiffe paiſiblement
emmener leurs Captives & en ufer
à leur volonté. Sur quoi l'intrépide
TÉLÉPHE l'encourage en ces termes.
,
» Eh bien , il faut braver l'orage :
» C'eft dans les grands revers que brille un grand
›› courage .
L'un & l'autre s'excitent à braver la
colère de JUNON.
Dans le deuxiéme A&te , la Scéne
eft au bord de la mer près des murs de
LARRISSE.
FEVRIER . 1763. 159
PIRRHUS vient prier la Mer de l'engloutir
, puifqu'il eft féparé de POLIXENE.
Soit par un accident naturel , foit
pour répondre à l'apoftrophe de PIRRHUS
, la Mer qui étoit calme commence
à s'agiter : PIRRRUS , par des
vers qui coupent la fymphonie , remarque
toutes les gradations de la
tempête qu'elle peint. Il craint que Po-
LIXENE n'en foit la victime. Sa crainte
redouble en appercevant des Vaiffeaux
prêts à périr. Il invoque THETIS : &
THETIS paroît ; tout eft bientôt calmé.
Elle fait une légére reprimande à fon
fils fur l'indifcrétion de fes feux. En lui
promettant de lui rendre fa Maîtreffe ,
elle l'avertit néanmoins de défarmer la
fureur de JUNON , parce que fon pou
voir limité ne pourroit le défendre contre
cette Déeffe .
PIRRHUS , qui n'eft occupé que de
fa paffion , exprime ainfi les premiers
mouvemens de fa joie , en quittant la
Scène :
» Je vais donc revoir POLIXENB ,
> Courons au- devant de ſes pas.
>> Si mon amour triomphe de ſa haine ,
>> Le courroux de Junon ne m'épouvante pas.
Des MATELOTS Theffaliens , échap
160 MERCURE DE FRANCE.
pés du naufrage forment un Divertiffement.
POLIXENE les fuivoit, elle arrive
à la fin de cette Scène. Les MATELOTS
& furtout les MATELOTES chantent
les douceurs de l'Amour. POLIXENE
dont cela aigrit la fituation , les fait écar
ter. Reftée feule , elle s'avoue & fe reproche
amérement le penchant qu'elle
éprouve pour PIRRHUS ; elle craint
qu'il ne life fa foibleffe à travers de fes
pleurs. Elle s'arme fi bien contre cette
foibleffe que dans la Scène qui fuit entre
elle & PIRRHUS , elle l'accable de
duretés , & finit par le prier de la laiffer
feule . HECUBE , échappée du même
naufrage , apparemment dans un autre
vaiffeau que celui qui portoit fa fille
furvient en ce moment. POLIXENE
vole dans fes bras. HECUBE apperçoit
PIRRHUS , le deftructeur de toute
fa Famille ; elle en frémit.
PIRRHUS à HECUBE.
» Ah ! voyez en PIRRHUS un Prince moins cou-
» pable.
HECUBE
» Je ne puis voir qu'un Vainqueur implacable ,
Dont l'afpect. eft pour moi plus cruel que la
» mort,
» O Dieux , pourquoi ce même orage,
» Qui m'a fait échouer ſur ce fatal rivage
» N'a t-il pas terminé mon fort?
FEVRIER. 1763.
161
POLIXENE veut la calmer , & en même
temps l'Amour , ingénieux à faifir
tous les pretexte , fe cache en elle fous le
motif de la piété filiale , pour implorer
PIRRHUS ; maisHECUBE s'en irrite.Ainfi
eftétabli dans cette Scène le caractère
altier de cette femme dont les Poëtes
ont toujours peint le défefpoir avec
les traits de la fureur. PIRRHUS néanmoins
ne répond à tant d'injures que
par ces vers adreffés à HECUBE.
>> Adoucir vos deftins , c'eft mon premier devoir:
» Oui , mon coeur n'en connoît plus d'autre.
» Ordonnez dans ces lieux , foumis à mon pou-
>> voir ;
» Tout mon bonheur dépend du vôtre.
HECUBE eft peu touchée d'une
proteftation auffi obligeante. POLIXENE
l'invite à goûter les douceurs de
l'efpoir elles joignent leurs voix pour
invoquer les Dieux.
Le troifiéme A&te commence dans
le Veftibule d'un Temple de Junon.
La Mufique peint un tremblement
de Terre. TELEPHE , feul alors fur la
Scène , annonce qu'à ce fléau fe joint
celui de la contagion.
162 MERCURE DE FRANCE.
» Un fouffe empoifonné , miniftre du trépas ,
» Moiffonne , à chaque inſtant , de nouvelles vic-
» times , &c .
Il craint que POLIXENE ne fuccombe
à ce danger ; il court pour la chercher
& pour l'en préferver. Il eft arrêté
par HECUBE qui connoît & approuve
fes feux . Elle lui préfente PIRRHUS
comme l'objet qui attire la colère
des Dieux ; elle veut engager cet
ami à l'immoler. Il en frémit. Sur quoi
HECUBE lui dit :
"
" · • ·
Il peut vous en punir.
S'il pénétre vos voeux ,
TELEPHE..
» Non , il eft magnanime.
HECUBE.
L'Amour jaloux eft toujours furieux.
TELEPH E.
Pirrhus eft un héros , il détefte le crime.
HECUBE lui rappelle en vain les
maux que PIRRHUS a faits à fa Patrie
à fa famille , & la mort que
PRIAM a reçue de fa main . TELEPHE ,
FEVRIER. 1763. 163
conftant dans fes principes , perfifte
dans fa réfiftance.
» La Victoire , ( dit-il , ) fouvent peut rendre
impitoyable ;
JJ
» Mais jamais d'un forfait je ne ferai coupable.
>
HECUBE , dans fa fureur , accufe
TELEPHE de lâcheté , elle trouvera
dit -elle, un autre bras pour la venger.
TELEPHE eft allarmé du danger où elle
va s'expofer ; mais cette femme violente
ne peut être détournée de fon
projet.
TELEPHE rend compte à POLIXENE
qui furvient , de la propofition barbare
que fa mère lui a faite. POLIXENE
en eft éffrayée pour PIRRHUS . Elle
ne peut diffimuler combien elle craint
l'effet du complot qu'HECUBE a formé.
Quoiqu'elle marque toute fa terreur
fur le danger qui menace fa mère
l'Amour jaloux éclaire TELEPHE fur
l'intérêt le plus fenfible pour POLIXENE.
Il lui déclare ouvertement fes foupçons.
Vous tremblez pour PIRRHUS , plus que pour
>>une mère .
164 MERCURE DE FRANCE.
POLIXENE veut s'en défendre ; mais
ce Prince , qui foutient toujours fon
caractère , calme ainfi les allarmes de
POLIXÉNE.
» Non , non , ( lui dit-i! ) ne craignez rien de
» mon amour extrême ;
>> Fe cours vous fatisfaire aux dépens de moi-
›› même :
Oui , je vais vous prouver que ce coeur ver-
>> tueux
Peut-être méritoit un fort moins malheureux.
POLIXENE, à elle- même , fe reproche
de n'avoir pu cacher des feux qu'elle
n'auroit jamais dû reffentir. Dans ce
moment les portes du Temple s'ouvrent,
& tout fe difpofe pour le facrifice qu'on
doit offrir à JUNON. Après les invocations
& les danfes religieufes des Prêtreffes
, interrompues par les cris doufoureux
des Peuples frappés de la contagion
, PIRRHUS vient lui-même invoquer
pour fes Peuples infortunés . La
Grande-Prêtreffe veut y joindre fes prières
; mais elle eft tout-à - coup faifie
d'un enthoufiafme prophétique , dont
les derniers vers contiennent l'Arrêt de
POLIXENE.
FEVRIER . 1763. 165
» Si vous voulez fléchir fa haine ,
Sur le tombeau d'ACHILLE immolez Po-
» LIXENE.
Les Prêtreffes rentrent. PIRRHUS
eft accablé de ce fatal oracle : les Peuples
généreux de LARISSE , tout fouffrans
qu'ils font , en murmurent . PIRRHUS
termine l'Acte en proteſtant qu'il
ne fouffrira pas que POLIXENE fubiffe
un fort auffi rigoureux.
Le quatrième Acte fe paffe dans le
Palais de PIRRHUS.
HECUBE n'a pû engager perfonne à
fervir fes deffeins
fanguinaires : elle en
eft furieuſe ; elle fe confole un moment
par un fentiment de courage.
» Ceſſons de vains regrets , je me reſte à moi-
» même.
Elle continue cependant à s'exciter à
la vengeance : elle fe promet de faire
du Palais un lieu d'horreur & de larmes
, fans s'expliquer fur les moyens .
POLIXENE vient apprendre en tremblant
à fa mère ce que l'Oracle a prononcé.
HECUBE dont la fureur fe
,
"
166 MERCURE DE FRANCE.
,
tourne alors contre JUNON. après
quelques imprécations contre les Dieux ,
promet à fa fille qu'elle ne périra pas.
TELEPHE peut , dit- elle , fauver fes
jours ; il a des Vaiffeaux & des Soldats
au rivage : elle va implorer fon
fecours.
POLIXENE , dans la fituation alors
de la fille de JEPHTE , n'eft pas d'abord
réfignée auffi modeftement : elle
ofe demander aux Dieux de quoi elle
eft coupable ? Mais bientôt elle fe reprend
.
ود
•
Je me plains du courroux du Ciel ,
» Quand je nourris un feu trop condamnable ! ..
Une réflexion tendre fuit ce repentir.
» Ah ! qui peut efpérer un fort plus favorable ,
» Si l'amour feul rend un coeur criminel ?
Les Peuples de Larriffe , moins généreux
par réfléxion , que dans le moment
qu'ils ont entendu prononcer la
mort de POLIXENE , demandent avec
rébellion que le facrifice s'achève .
PIRRHUS vient l'annoncerà POLIXENE;
celle-ci les plaint & les excufe : mais PIRRHUS
, dont le courage opiniâtre , ainfi
FEVRIER. 1763. 167
eſt
que l'acier , fe durcit fous les coups ,
PIRRHUS menace fes Peuples & JUNON
elle-même qu'il préviendra leur fureur.
Le moyen fur lequel il fe fonde
un paffage inconnu par lequel il peut la
faire échapper la nuit , conduite par fa
garde & par un Officier fidéle. POLIXENE
ne veut pas fuir fans fa mère .
PIRRHUS l'avoit prévu , tout eft difpofé
pour qu'elles partent enfemble.
POLIXENE qui n'a plus rien à ménager
, ne peut retenir une légère éffuion
de fa tendreffe pour PIRRHUS
dans le remerciment qu'elle lui fait .
POLIXENE à PIRRHUS.
» Plus vous vous montrez généreux ,
« Et plus je crains pour vous la colère des Dieux.
PIRRHUS.
» Quand POLIXENE à mon fort s'intéreſſe ,
» Pirrhus eft trop heureux.
» Le péril croît , craignez un Peuple furieux .
POLIXENE , àpart , en s'en allant.
» Qu'il en coûte à mon coeur pour cacher fa
> tendreſſe !
PIRRHUS s'applaudiffant déja du
fuccès de fon ftratagême , eft arrêté
168 MERCURE DE FRANCE.
par une main invifible . Il voit fortir de
Terre la JALOUSIE le DESESPOIR ,
la FUREUR & toute leur Suite . C'eſt ce
qui forme le Ballet dont nous avons
rendu compte dans le précédent Mercure
en parlant de la repréſentation de
cet Opéra.
PIRRHUS eft perfécuté par les flambeaux
de cette Troupe infernale ; le
poifon paffe dans fon coeur , il eft menacé
d'éprouver tous les tourmens qui
peuvent déchirer une âme , & la JALOUSIE
, laffe enfin de fa perfécution ,
finit la Scène avec lui comme ZORAÏ-
DE avec NINUS dans Pirame & Thibé.
ככ
LA JALOUSIE , à Pirrhus.
Téléphe adore Polixène ;
» Il eft prêt à te la ravir .
PIRRHUS fe difpofe à exhaler toute
la violence de la funefte paffion
qu'on vient de lui infpirer. TELEPHE
paroît , il fupporte d'abord les reproches
de fon ami ; TELEPHE a les forces
& la fermeté de la vertu ; il en accable
PIRRHUS à fon tour ; & celuici
, malgré les efforts de la JALOUSIE,
fecondée de la rage & du DÉSESPOIR,
céde auffitôt à ce pouvoir , & finit par
confier
FEVRIER . 1763. 169
confier fa maîtreffe à cet ami pour af
furer fa fuite , quoiqu'il le connoiffe
alors pour fon rival.
Dans le cinquième Acte le Théâtre
repréfente un Monument élevé aux Mánes
d'Achille. Un Autel eftfur le devant.
PIRRHUS eft feul , il s'applaudit d'avoir
pu triompher de lui-même ; il ne
fent pas moins ce qu'il lui en coûte. Il
termine fon Monologue par cette invocation
aux Mânes d'Achille.
» Mânes facrés , Ombre que je révére ,
» Et vous , Dieux tout-puiffans ! calmez votre
» colère ,
» Si l'Amour fit mon crime , hélas ! ce même
» Amour
» Met le comble à mes maux , & vous venge en
›› ce jour.
HECUBE vient apprendre à PIRRHUS
la mort de TELEPHE. Elle infulte
aux regrets fincères de ce Prince ,
en lui imputant la fin tragique de fon
ami. Elle prétend que c'eft lui -même
qui a guidé les affaffins dans les fentiers
obfcurs qui conduifoient au rivage.
PIRHUS , indigné , reprend en ce
moment la noble fierté d'où l'Amour
H
170 MERCURE DE FRANCE .
l'avoit fait defcendre dans tout le
cours de l'action , & répond à HECUBE.
>> Dieux , quelle horreur! qui , moi , quand , pour
>>fauver vos jours ,
» J'immolois jufqu'à ma tendreſſe !
» Quand , bravant de Junon la haine vengereffe ,
» Des maux de mes Sujets j'éternifois le cours !
HECUBE ne fe rend point ; elle perfifte
dans fes reproches injurieux . PIRRHUS
, dont la patience eft épuisée ,
lui dit enfin :
» C'en eft trop, je voulois aux dépens de ma vie ,
» Arracher votre fille à la mort :
» Mais , qu'elle vive ....ou qu'on la faerifie ....
» PIRRHUS l'abandonne à fon fort.
;
HECUBE , alors change de ton &
devient fuppliante , pour engager PIRRHUS
à fauver les jours de fa fille
mais c'eft en vain , PIRRHUS eft devenu
inexorable : la furieuſe HECUBE
apperçoit en ce moment POLIXENE ,
entre les mains des Sacrificateurs . &
ornée des funeftes guirlandes dont on
paroit les victimes . Elle ne fe contient
plus : elle tire un poignard de deffous fon
vêtement & le léve fur PIRRHUS . POFEVRIER.
1763. 171
LIXENE s'élance entre - deux & arrache
le poignard des mains d'HECUBE
en difant :
» Je frémis :
HECUBE.
» C'eft POLIXENT
» Qui vient défarmer ma fureur. "
POLIXEN E.
>>J'ai laiffé voir le fecret de mon coeur ;
» Si je mérite votre haine ,
» Bientôt ma mort ....
PIRRHUS .
Non plutôt qu'en ce jour
» Et la flamme & le fer dévaſtent ce féjour.
Le Grand- Prêtre reclame contre cet
irréligieux attentat de PIRHHUS, Ce
Prince animé par la déclaration de Po-
LIXENE , s'opiniâtre davantage contre
l'ordre des Dieux . Loin d'en être puni ,
le Monument s'ouvre . L'Ombre d'Achille
paroît , pour annoncer à PIRRHUS
le fort le plus flatteur.
»Pirrhus , au deftin le plus doux ,
»Le Ciel vous permet de prétendre :
» THÉTIS a de JUNON défarmé le courroux.
PIRRHUS remercie ; l'Ombre porte
fa bienfaifante attention jufqu'à or-
Hij
172 MERCURE DE FRANCE
donner elle-même la fête de ce grand
jour,
PIRRHUS demande l'aveu de Po-
LIXENE , qui à fon tour follicite celui
de fa mère. La cruelle HECUBE s'adoucit.
Les Guerriers & les Peuples
viennent célébrer l'hymen de PIRRHUS
& de POLIXENE,
OBSERVATIONS fur le Poëme
de POLIXENE.
Le Sujet que l'Auteur a choifi pour le premier
effai de fa Muſe avoit été traité plufieurs fois au
Théâtre Lyrique , mais toujours fans fuccès.
On ne peut refuſer à ce nouveau Poëme une
conduite raiſonnée , une action bien liée & des
Scènes affez réguliérement filées. Cependant il a
été l'objet de quelques cenfures , tant verbales ,
qu'imprimées dans des Ecrits publics . Nous altons
chercher à les réfumer & à les difcuter
par une critique impartiale , moins en faveur de
l'Auteur , qui fans doute le défendroit mieux luimême
, que pour l'intérêt de l'art dramatique
qui ne peut que gagner à ces fortes de difcuffions
, attendu qu'il n'y a pas encore de Poëtique
bien arrêtée pour ce genre de Poëmes.
En convenant que la fable de ce Drame eft
bien foutenue , on reproche d'abord qu'elle eft
contraire à ce que nous fçavons tous fur PIRRHUS
&fur POLIXENE. A cet égard le reproche
tombe de lui - même , fi cela a fervi à traiter
plus heureufement ce Sujet qu'il ne l'avoit été
auparavant, Il feroit dangereux néanmoins que
FEVRIER. 1763. 173
ces exemples fe multipliaffent , & qu'on y fût encouragé
par des fuccès ; car il eft des bornes aux
licences les plus étendues dans les Arts. On permet
au Peintre d'Hiftoire d'orner ſes ſujets , de
les modifier même à fon avantage ; mais on
ne lui pardonneroit pas de nous repréſenter les
grands traits hiſtoriques ou poëtiques d'une manière
trop oppofée à la connoiffance générale des
faits. On ne doit pas s'arrêter davantage aux inimitiés
des Pères de PIRRHUS & de TELEPHE
ni au paffage de ce dernier , de la Troade en Europe
pour retourner en Myfie. Il n'eft pas hors
du cours naturel des événemens & fur-tour
entre les héros , de voir une amitié très-étroite
entre les enfans d'ennemis irréconciliables. Quant
au voyage de TELEPHE , on ne voit pas quel eft
l'inconvénient de faire prendre le plus long à un
héros d'Opéra , lorsque cela peut être utile à la
conftitution d'un bon Poëme.
>
Il eft des queſtions plus importantes fur les
caractères des perfonnages & fur quelques parties
de la conduite de ce Poëme . 1º . Sur les caractères.
Le perfonnage fubordonné ( TELEPHE )
paroît , dit-on , fait pour être le plus intéreffant ,
parce qu'il eft le plus eftimable. En effet , ce caractère
, qui eft très- bien foutenu , a tous les avantages
de la vertu & du véritable courage , fans
en avoir le fafte , & il ſe manifefte dans tout le
drame , non par un vain étalage des maximes ,
mais par des actions dignes de toucher tous les
coeurs honnêtes. Cependant c'eſt le feul des perfonnages
véritablement malheureux dans le cours
de l'action , & le feul qui périffe à fon dénoûment.
A cela nous croyons que l'Auteur pourroit
répondre , qu'on eft obligé fouvent de mettre
le principal mobile de l'action dans les perfonf
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
nages fubordonnés , plutôt que dans les perfor
wages principaux. Que fi quelquefois la fcélérarelle
de ces feconds perfonnages eſt néceffaire au
mouvement de l'action & à l'intérêt des perſon ·
nagesprincipaux , lorfqu'ils font vertueux; d'autres
fois , par des moyens contraires , c'eſt la vertu de
ces perfonnages fubfidiaires qui fert à mettre dans
des fituations plus intéreffantes des caractères
mêlés de vices & de foibleffes , lefquels ne font
pas les moins propres à l'intérêt théâtral , &
prèfque toujours plus que les caractères entiérement
vertueux. De la première eſpéce font ici
les caractéres de PIRRHUS & de POLIXENÉ .
L'Auteur a donc dû les conftituer ainfi pour
remplir fon objet. Mais à l'égard de POLIXENE ,
fi l'on demande comment a-t- elle pû fe prendre
d'un penchant fi tendre & fi invincible pour un
Prince dont le premier aſpect ne lui a offert qu'un
vainqueur implacable , le fer & le feu à la main ,
ravageant fa Patrie , maflacrant tous les fiens
& particuliérement fon père , ce qui eſt ſpécialement
énoncé dans le Drame? Comment , malgré
la clémence de l'Ombre d'ACHILLE , cet
autre ennemi furieux de fa famille , comment ,
dit-on encore , peut- elle conſentir à recevoir une
main encore fumante d'un fang fi cher & fi refpectable
pour elle ? A cela nous convenons que
fi l'on ne confultoit que les moeurs & la nature
pour ces fortes de Poëmes , il feroit peut- être affez
difficile de répondre.
Quant à la conduite , il nous paroît que le
reproche qu'on fait à PIRRHUS de faire refter
TELEPHE avec lui , lorſqu'il eſt menacé par Ju-
NON n'eft pas auffi bien fondé que les autres.
Non feulement on fent bien que l'Auteur
avoit befoin de TELEPHE pour le fil de fon
FEVRIER . 1763. 175
fût
pas
action mais il a trouvé par - là , le moyen
de préfenter une vérité morale , bien importante
, contre les prétendus efprits-forts ,
qui cherchent toujours à affocier autant qu'ils
peuvent des complices contre le Ciel , & qui
femblent ne réunir leurs forces contre fes décrets
que pour mieux laiffer voir leur foibleſſe.
Il est peut- être vrai , comme on l'a remar
qué , que la colere des Dieux vengeurs n'y eft
pas peinte fous des couleurs bien redoutables.
Mais indépendamment du befoin qu'il y avoit
pour la marche de l'action que PIRRHUS ne
arrêté par un pouvoir irréfiftible dans la
paffion ; d'autre part , les Dieux font-ils moins
véritablement repréſentés par la rigueur des
châtimens que par les effets de leur clémence ?
Ce qui femble un peu plus difficile à concilier
eft l'appareil terrible & tous les efforts de la ALOUSIE
en perfonne avec la RAGE , le DESESPOIR
& tout l'Enfer déchaîné , pour verfer leur
fatal poifon dans le coeur de PIRRHUS , avec le
peu d'effet que cela produir fur lui , par la facilité
que TELEPHE trouve l'inftant d'après à le
calmer , & le confentement qu'il apporte à lui
remettre fa Maitreffe entre les mains. Paffant
aux détails , nous répondrons à ceux qui demanderoient
dans ce Poëme plus de Madrigaux
, plus de ces phrafes qui développent lesfentimens
du coeur ou les fentimens de l'efprit , que
le courage d'avoir fçû fe paffer de ces brillans
Lecours , en mérite d'autant plus d'éloges dans
un temps où l'on fait de ces frivoles Beautés
un abus , que les mêmes Critiques , qui les régrettent
davantage en cette occafion , condamnent
avec austérité dans tous les ouvrages modernes.
Peut-être eft- ce par un même motif , que
H iv
176 MERCURE DE FRANCE.
l'Auteur a dédaigné les négligences de ftyle , les
enjambemens de vers , & les répétitions des confonnes
dures dans un même vers , & qui fonnent mal
à l'oreille. La facilité d'éviter ce que la critique
reproche à cette égard , doit laiffer croire que
l'Auteur a facrifié volontiers cette molle & facile
délicateffe à l'énergie du fens & à l'éxactitude
du Dialogue lorfqu'il à crû qu'elle auroit
pû y mettre obftack .
On continue cet Opéra trois jours
de la femaine . N'étant pas informés ,
lorfque nous avons rendu compte de
la premiere repréſentation , que le Ballet
de la Jaloufie au quatriéme Acte
étoit de la compofition de M. de LAVAL
, nous avons obmis alors de faire
mention de cette circonftance .
Le Jeudi 20 Janvier on a remis les
Fêtes Grecques & Romaines , Ballet ,
pour le continuer les Jeudis fuivans . Le
Public a paru très-fatisfait de revoir cet
Opéra.
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Résumé : OPERA. EXTRAIT DE POLIXENE, Tragédie de M. JOLIVEAU, Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale de Musique, mise en Musique par M. DAUVERGNE, Maître de Musique de la Chambre du ROI.
L'opéra 'Polixène' est une tragédie écrite par M. Joliveau et mise en musique par M. Dauvergne. L'action se déroule à Larisse et implique plusieurs personnages, dont Pirrhus, fils d'Achille, Télèphe, prince des Myciens, Hécube, veuve de Priam, et Polixène, fille d'Hécube et de Priam. Au premier acte, Pirrhus révèle à Télèphe son amour pour Polixène et son intention de l'emmener dans ses États. Un orage sépare leurs vaisseaux, et Télèphe tente sans succès de combattre la passion de Pirrhus. Lors du triomphe de Pirrhus, les captifs troyens sont libérés et célèbrent sa bonté. Junon apparaît et menace Pirrhus et les Troyens de sa vengeance. Au deuxième acte, Pirrhus prie la mer de l'engloutir après avoir été séparé de Polixène. Thétis apparaît, calme la tempête et promet de rendre Polixène à Pirrhus tout en l'avertissant de la colère de Junon. Polixène arrive et avoue son amour pour Pirrhus, mais elle le repousse. Hécube accuse Pirrhus de la destruction de sa famille, mais Pirrhus exprime son désir de les protéger. Au troisième acte, Télèphe apprend qu'une contagion frappe Larisse et craint pour la vie de Polixène. Hécube tente de le convaincre de tuer Pirrhus, mais Télèphe refuse. Polixène découvre le complot d'Hécube et exprime sa peur pour Pirrhus. Un oracle annonce que Polixène doit être sacrifiée sur le tombeau d'Achille pour apaiser Junon, mais Pirrhus refuse de la sacrifier. Au quatrième acte, Hécube décide de sauver Polixène en implorant l'aide de Télèphe. Pirrhus annonce à Polixène qu'il la fera échapper. La Jalousie, le Désespoir et la Fureur tourmentent Pirrhus, mais Télèphe accepte de l'aider à fuir malgré sa passion pour Polixène. Au cinquième acte, Pirrhus se réjouit d'avoir triomphé de ses passions et invoque les mânes d'Achille. Hécube annonce la mort de Télèphe, mais les détails de cette mort ne sont pas précisés. Pirrhus et Polixène se marient malgré les objections initiales d'Hécube. L'ombre d'Achille apparaît pour annoncer un destin favorable à Pirrhus. Le poème est critiqué pour ses divergences avec les faits historiques connus sur Pirrhus et Polixène, mais il est loué pour sa conduite raisonnée et ses scènes bien structurées. Les critiques soulignent également la complexité des caractères et la nécessité des actions des personnages subordonnés pour le développement de l'action.
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64
p. 13-16
TRADUCTION en Vers libres de la XIVe Ode du IIe Livre d'Horace : Otium divos rogat in patenti, &c.
Début :
LORSQU'AU milieu de sa carrière [...]
Mots clefs :
Dieux, Repos, Heureux, Guerre, Mort, Destin, Vulgaire
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texteReconnaissance textuelle : TRADUCTION en Vers libres de la XIVe Ode du IIe Livre d'Horace : Otium divos rogat in patenti, &c.
TRADUCTION en Vers libres de la
XIVe Ode du II Livre d'Horace :
Otium divos rogat in patenti , & c.
LORSQU'AU U'AU milieu de la carrière
L'Aftre des nuits dérobe la lumière,
Et que les vents fougueux tyrannifent les flots ;
Le timide Marchand furpris par la tempêre,
14 MERCURE DE FRANCE .
Redoutant les dangers ſuſpendus ſur ſa tête ,
Adreffe aux Immortels des voeux pour le repos.
Ces Favoris du Dieu redouté fur la terre ,
Ces Médes indomptés , brillans par leurs carquois ,
Laffés des longs travaux d'une pénible guerre
Recherchent un loifir qu'ils ont bravé cent fois.
Les rubis éclatans ; la pourpre éblouiſſante
Ces Palais , ces liceurs & ces nombreux troupeaux
Peavent- ils , cher Grofphus , procurer le repos ,
Repouffer des chagrins la foule renaiſſanté ,
Et calmer des efprits par l'ennui dévorés ?
Les foins volent toujours fous des lambris dorés.
Heureux cent fois celui que le Dieu des richeſſe s
Ne berce pas defes vaines promeffes !
Qui vit long-temps du bien de fes a ïeux
Sans crainte , fans remords , fans defirs odieux !
Sur un lit de gazon , couché dans la chaumière ,
Ce mortel peut goûter les douceurs du repos :
Le fommeil à fon gré vient fermer la paupière.
Et prodigue fur lui fes paifibles pavots.
Paifque l'on vit fi peu , pourquoi tout entreprendre
?
Crait- on fixer du temps le trop rapide cours ?
A quoi , mon cher Grofphus , l'homme oſe - t-il
prétendre ?
Prétend t- il reculer le terme de ſes jours ?
On a beau parcourir tous les climats du monde ,
On ne peut s'éviter ; on le trouve toujours.
M A I. 1763. 15
Ce fou , qui s'abandonne au caprice de l'onde ,
Croit- il , fur un vaiffeau plus léger que les vents
Se dérober aux traits des remords dévorans ?
Vaine erreur ! Le chagrin ardent à le poursuivre
S'élance fur la pourpe & fait voile avec lui.
Puifque rien ne nous en délivre ,
Tâchons du moins d'adoucir notre ennui .
Saififfons du préfent le rapide avantage ,
Et laiffons l'avenir entre les mains des Dieux.
Corrigeons du deftin le caprice odieux ,
Et faifons des plaifirs un agréable uſage.
On ne peut en tout être heureux< ;
Et le fort le plus doux a des revers affreux.
Achille eut en naiffant la valeur en partage ;
Achille des Troyens put renverfer les tours ;
Mais la mort a frappé du coup le plus terrible
Dans la fleur de fes ans , ce Héros invincible.
A l'amour de Titon l'Aurore fut fenfible ;
Titon fe vit aimé . Mais malgré fes amours
Une lente vieilleffe afçu miner les jours.
Le fort m'accordera peut -être
Ce qu'il vous aur arefufé.
Des plus riches Palais , les Dieux vous ont fait
maître ;
Plutus de tous fes dons pour vous s'eſt épuifé ;
Pour vous mille taureaux mugiffent dans la plaines
Vos habits font tiffus de pourpre Tyrienne;
Les Dieux des plus grands biens vous ont favorisé :
16 MERCURE DE FRANCE
Votre deftin ne me fait point envie:
Ces Dieux ne m'ont donné , (je les en remercie
Que ce ruftique toît & le foible talent
D'imiter de nos Grecs le lyrique genie.
Auffije fuis heureux ; rien ne trouble ma vie ;
Et je me ris des voeux du Vulgaire infolent.
Par M. B. D. S.
XIVe Ode du II Livre d'Horace :
Otium divos rogat in patenti , & c.
LORSQU'AU U'AU milieu de la carrière
L'Aftre des nuits dérobe la lumière,
Et que les vents fougueux tyrannifent les flots ;
Le timide Marchand furpris par la tempêre,
14 MERCURE DE FRANCE .
Redoutant les dangers ſuſpendus ſur ſa tête ,
Adreffe aux Immortels des voeux pour le repos.
Ces Favoris du Dieu redouté fur la terre ,
Ces Médes indomptés , brillans par leurs carquois ,
Laffés des longs travaux d'une pénible guerre
Recherchent un loifir qu'ils ont bravé cent fois.
Les rubis éclatans ; la pourpre éblouiſſante
Ces Palais , ces liceurs & ces nombreux troupeaux
Peavent- ils , cher Grofphus , procurer le repos ,
Repouffer des chagrins la foule renaiſſanté ,
Et calmer des efprits par l'ennui dévorés ?
Les foins volent toujours fous des lambris dorés.
Heureux cent fois celui que le Dieu des richeſſe s
Ne berce pas defes vaines promeffes !
Qui vit long-temps du bien de fes a ïeux
Sans crainte , fans remords , fans defirs odieux !
Sur un lit de gazon , couché dans la chaumière ,
Ce mortel peut goûter les douceurs du repos :
Le fommeil à fon gré vient fermer la paupière.
Et prodigue fur lui fes paifibles pavots.
Paifque l'on vit fi peu , pourquoi tout entreprendre
?
Crait- on fixer du temps le trop rapide cours ?
A quoi , mon cher Grofphus , l'homme oſe - t-il
prétendre ?
Prétend t- il reculer le terme de ſes jours ?
On a beau parcourir tous les climats du monde ,
On ne peut s'éviter ; on le trouve toujours.
M A I. 1763. 15
Ce fou , qui s'abandonne au caprice de l'onde ,
Croit- il , fur un vaiffeau plus léger que les vents
Se dérober aux traits des remords dévorans ?
Vaine erreur ! Le chagrin ardent à le poursuivre
S'élance fur la pourpe & fait voile avec lui.
Puifque rien ne nous en délivre ,
Tâchons du moins d'adoucir notre ennui .
Saififfons du préfent le rapide avantage ,
Et laiffons l'avenir entre les mains des Dieux.
Corrigeons du deftin le caprice odieux ,
Et faifons des plaifirs un agréable uſage.
On ne peut en tout être heureux< ;
Et le fort le plus doux a des revers affreux.
Achille eut en naiffant la valeur en partage ;
Achille des Troyens put renverfer les tours ;
Mais la mort a frappé du coup le plus terrible
Dans la fleur de fes ans , ce Héros invincible.
A l'amour de Titon l'Aurore fut fenfible ;
Titon fe vit aimé . Mais malgré fes amours
Une lente vieilleffe afçu miner les jours.
Le fort m'accordera peut -être
Ce qu'il vous aur arefufé.
Des plus riches Palais , les Dieux vous ont fait
maître ;
Plutus de tous fes dons pour vous s'eſt épuifé ;
Pour vous mille taureaux mugiffent dans la plaines
Vos habits font tiffus de pourpre Tyrienne;
Les Dieux des plus grands biens vous ont favorisé :
16 MERCURE DE FRANCE
Votre deftin ne me fait point envie:
Ces Dieux ne m'ont donné , (je les en remercie
Que ce ruftique toît & le foible talent
D'imiter de nos Grecs le lyrique genie.
Auffije fuis heureux ; rien ne trouble ma vie ;
Et je me ris des voeux du Vulgaire infolent.
Par M. B. D. S.
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Résumé : TRADUCTION en Vers libres de la XIVe Ode du IIe Livre d'Horace : Otium divos rogat in patenti, &c.
Le texte est une traduction en vers libres de la XIVe Ode du II Livre d'Horace. Il décrit divers personnages cherchant le repos et le bonheur dans des situations adverses. Un marchand, pris dans une tempête, prie pour sa sécurité. Les guerriers, fatigués de la guerre, recherchent la paix. Le poète s'interroge sur la capacité des richesses et des plaisirs à apporter le repos et à repousser les chagrins. Il loue la simplicité et la tranquillité de la vie rurale, où un homme peut trouver le repos sans craintes ni remords. Le texte met en garde contre la vanité des efforts pour prolonger la vie et souligne l'inévitabilité de la mort. Il conseille de profiter du présent et de laisser l'avenir aux dieux. Le poète reconnaît que même les héros comme Achille et Titon ont connu des destins tragiques. Il exprime sa satisfaction avec sa modeste vie et son talent poétique, contrastant avec les richesses et les envies du vulgaire.
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