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1
p. 65-75
LE MALHEUR D'AIMER. POEME, Par M. Gaillard, Avocat.
Début :
Non, je ne veux plus rien aimer ; [...]
Mots clefs :
Malheur, Aimer, Amour, Coeur, Dieux, Yeux, Vertu, Sang, Traits
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texteReconnaissance textuelle : LE MALHEUR D'AIMER. POEME, Par M. Gaillard, Avocat.
LE MALHEUR D'AIMER.
POEME ,
Par M. Gaillard , Avocat.
N On , je ne veux plus rien aimer ;
Un jufte orgueil m'enflamme , un jour heureux
m'éclaire ,
J'arrache en frémiffant ce coeur tendre & fincere
Aux perfides attraits qui l'avoient fçu charmer..
Combien l'illufion leur prêta de puiffance !
Et combien je rougis de ma folle conſtance !
Quoi ! c'eft-là cet objet adorable & facré ,
Chef- d'oeuvre de l'amour , par lui-même admiré ,
Sur qui la main des Dieux ( foit faveur ou colere)
Epuifa tous fes dons , & fur- tout l'art de plaire ! ...
Quel démon m'aveugloit : quel charme impérieux
Enchaînoit ma raiſon & faſcinoit mes yeux ?
J'aimois . J'embelliffois ma fatale chimere
Des traits les plus touchans d'une vertu fincere ;
Que ne peut-on toujours couvrir la vérité
Du voile de l'amour & de la volupté !
Hélas ! de mon erreur j'aime encor la mémoire ;
Je regrette mes fers , & pleure ma victoire 30
Que dis-je , malheureux ? Ah ! je devois pleurer,
66 MERCURE DE FRANCE.
Lorfque prompt à me nuire , ardent à m'égarer ;
Je fubis les rigueurs d'un indigné efclavage ;
Les Dieux de ces périls m'avoient tracé l'image.
Un fonge ( & j'aurois dû plutôt m'en ſouvenir )
A mon coeur imprudent annonçoit l'avenir.
J'errois fur les bords de la feine
Dans des bofquêts charmans confacrés au plaifir }
Avec Thémire , avec Climene ,
Par des jeux innocens j'amufois mon loifir.
Un enfant inconnu deſcend fur le rivage ,
Il mêle un goût plus vif à notre badinage ,
Il pare la nature , il embellit le jour ,
L'univers animé parut fentir l'amour.
Ses aîles , fon carquois m'infpiroient quelque
crainte ,
Mais dans les yeux touchans l'innocence étoit
peinte.
Il me tendit les bras . Son ingénuité
Intéreffa mon coeur qu'entraînoit fa beauté ;
Careffé par Thémire , & loué par Climéne
A leurs plus doux tranfports il fe prêtoit à peine ,
J'attirois tous fes foins , & j'étois feul flaté .
Il aimoit , diſoit-il , à me voir , à m'entendre ,
Il fembloit à mon fort prendre un intérêt tendre ,
Avec un air charmant il plaçoit de ſa main
Des lauriers fur mon front , des roſes dans mon
fein ; . -
Qui ne l'auroit aimé ? pardonnez , ô fageffe
AOUST.
1755 67
Je fçais trop à préfent qu'il faut n'aimer que
vous ;
Mais de ce traître enfant que les piéges font doux !
Que les traits ont de force & nos coeurs de foibleffe
! )
Il me montra de loin le palais des plaiſirs ,
J'y volai plein d'eſpoir , fur l'aîle des defirs .
Là , tout eft volupté ! tranfport , erreur , ivreffe ,
Là , tout peint , tout infpire , & tout fent la tendreffe
;
Dans mille objets trompeurs l'art fçait vous préfenter
Celui qui vous enchante , ou va vous enchanter.
J'apperçus deux portraits : l'un fut celui d'Or
phife ,
Mon oeil en fut frappé , mon ame en fut ſurpriſes
Vieille , elle avoit d'Hébé l'éclat & les attraits
Sa beauté m'éblouit fans m'attacher jamais .
Mais l'amour m'attendoit au portrait de Sylvie
Il alloit décider du bonheur de ma vie.
Sans éclat , fans beauté , fa naïve douceur
Fixa mon oeil avide , & pénétra mon coeur.
Dans fes yeux languiffans , ou l'art ou la nature
Avoient peint les vertus d'une ame noble & pure
Tous mes fens enivrés d'une rapide ardeur
Friffonnoient de plaifir , & nommoient mon vain
queur ...
Cependant fous mes pas s'ouvre un profond abî
me 2
68 MERCURE DE FRANCE.
J'y tombe , & je m'écrie : O trahiſon , ô crime !
De quels fleuves de fang me vois-je environné ?
Dans ces fombres cachots des malheureux gémiffent
,
De leurs cris effrayans ces voûtes retentiſſent :
Fuyons .... Des fers cruels me tiennent enchaîné ;
Mille dards ont percé mon coeur infortuné ,
O changement affreux ! quel art t'a pû produire ?
Une voix me répond : Pallas , va-t'en inftruire ?
L'amour fuit démafquant fon viſage odieux .
La rage d'Erinnys étincelle en fes yeux ,
Des ferpens couronnoient fa tête frémiffante ;
Le reſpect enchaînoit fon audace impuiffante ;
Il fecouoit pourtant d'un bras féditieux
Un flambeau dont Pallas éteignoit tous les feuxJ
Je la vis , & je crus l'avoir toujours aimée ,
Ses vertus s'imprimoient dans mon ame enflam
mée ,
J'admirois ces traits fiers , cette noble pudeur ,
Où du maître des Dieux éclatoit la fplendeur.
» Tombez , a- t-elle dit , chaînes trop rigoureu-
>> fes !
» Fermez-vous pour jamais, cicatrices honteufes !
>> Mortel ! je n'ai changé, ni l'amour , ni ces lieux ,
» Mais j'ai rompu le charme & deffillé tes yeux.
» La volupté verfoit l'éclat fur l'infamie ,
» D'un mafque de douceur couvroit la perfidie ;
La vertu feule eft belle , & n'a qu'un même
aſpect ,
A OUST . 1755. 69
» L'amour vrai qu'elle infpire eft enfant du ref-
» pect.
» Mais ſui – moi , viens apprendre à détefter ce
>> maître
>> Que les humains féduits fervent fans le connoî-
» tre ,
» Qui t'entraînoit toi -même , & t'alloit écraser
» Sous le poids de ces fers que j'ai daigné brifer.
>> Ce monftre en traits de fang , ſous ces voûtes
» horribles ,
» Grava de fes fureurs les monumens terribles.
ô Que vis-je ? .... ô paffions & fource des for
faits !
Quels tourmens vous caufez , quels maux vous
avez faits !
Térée au fond des bois outrage Philomele ?
Progné, foeur trop fenfible & mere trop cruelle ;
A cet époux inceftueux ,
De fon fils déchiré , fert les membres affreux.
Soleil ! tu reculas pour le feftin d'Atrée !
As-tu
pu
fans horreur voir celui de Térée ?
Mais quels font ces héros enflammés de fureur ;
Qui partagent les Dieux jaloux de leur valeur ? ....
Dieux votre fang rougit les ondes du Scamandre
;
Patrocle , Hector , Achille , ont confondu leur
cendre
70 MERCURE DE FRANCE.
Sous fon palais brûlant Priam eft écrasé ,
Le fceptre de l'Afie en fes mains eft brifé ,
Tout combat , tout périt : Pour qui ? pour une
femme ,
De mille amans trompés vil rebut , refte infame.
Le fier Agamemnon , ce chef de tant de Rois ,
Dont l'indocile Achille avoit fubi les loix ,
Revient après vingt ans de gloire & de mifere
Expirer fous les coups d'une épouse adultere .
Aux autels de les Dieux Pyrrhus eft égorgé ;
Hermione eft rendue à ſon époux vengé.
Pour laver ton affront , ô Phédre ! l'impofture
Charge de tes forfaits la vertu la plus pure ;
Sur un fils trop aimable un pere furieux
Appelle en frémiffant la vengeance des Dieux .
Le courroux de Neptune exauçant fa priere
Seme d'ennuis mortels fa fatale carriere.
Biblis , & vous , Myrrha , d'une exécrable ar
deur
Par des pleurs éternels vous expiez l'horreur.
O Robbe de Neffus ! & trompeufe efperance !
O d'un monftre infolent effroyable vengeance !
Sur le bucher fatal Hercule eft confumé ;
Héros plus grand qu'un Dieu , s'il n'avoit point
aimé !
Tu fuis , ingrat Jaſon , ta criminelle épouſe :
A O UST. 1755 71 .
Mais ... connois -tu Médée & fa rage jalouſe ?
Elle immola fon frere , & fe perdit pour toi ,
Tu ne peux ni la voir , ni la fuir fans effroi ! ....^
Mais la voici , grands Dieux ! furieufe , tremblan
I
te ......
Un fer étincélant arme fa main fanglante ,
Elle embraffe fes fils , & frémit de terreur
Ah ! d'un crime effrayant tout annonce l'horreur...
Arrête , Amour barbare , & toi , mere égarée ,
De quel fang fouilles-tu ta main deſeſpérée ?
La nature en frémit , l'enfer doute en ce jour
Qui l'emporte en fureur , ou Médée ou l'Amour.
Le jour vint m'arracher à ce fpectacle horrible,
Pour éclairer mon coeur la vérité terrible
Avoit emprunté par pitié
Les traits d'un utile menfonge. , .
Tout fuit , tout n'étoit qu'un vain fonge ,
Et mon coeur a tout oublié.
Deux Amours,, deux erreurs ont partagé ma
vie ,
Fadorai la vertu dans le coeur de Sylvie ,
Par des vices brillans Orphiſe m'enchanta ,
La vertu s'obscurcit , & le vice éclata ,
Orphife étoit perfide autant qu'elle étoit belle ,
Sylvie .... elle étoit femme , elle fut infidelle..
Sur quel fable mouvant fondois-je un vain eſpoir &
La candeur, la conftance eft-elle en leur pou
voir ?
72 MERCURE DE FRANCE.
(
Je te connois enfin , ſexe aimable & parjure ,
Ornement & fléau de la trifte nature !
Tu veux vaincre & regner , fur- tout tu veux tra
hir.
Notre opprobre eft ta gloire , & nos maux ton
t
plaifir.
Du généreux excès d'un amour héroïque
La vertueufe Alçefte étoit l'exemple unique.
Adorable en fa vie , admirable en ſa mort ,
Elle étonna les Dieux , & confondit le fort.
En fubiffant fa loi cruelle.
Otoi , qui poffedas cette épouſe fidele ,
Tu ne méritois pas , Admete , un fort fi beau ;
Si l'Amour ne t'entraîne avec elle au tombeau !
Elle eſt mere , & du fang t'immole la foibleffe !
Elle eft Reine , & connoit la conftante amitié !
Infenfible à fa perte , elle plaint ta tendreſſe ,
Dans les yeux prefque éteints brille encor la
pitié ;
Elle entre en t'embraffant dans la nuit éternelle ,
C'est pour toi qu'elle meurt , peux- tu vivre fans
elle ?
Hélas ! le coeur humain doit-il former des voeux ?
De toutes les vertus Alcefte eft le modele ,
Mais s'il étoit fuivi , ferions -nous plus heureux ?
Amour ! contre tes traits où prendroit - on des
armes ?
Ofemmes qui pourroit fe fouftraire à vos charmes
si
A O UST. 1755 . 75
Si vos coeurs fecondoient le pouvoir de vos yeux ?
La nature s'émeut à l'aspect d'une belle :
Le coeur dit : La voilà , mon bonheur dépend d'elle.
Que l'épreuve dément un préfage fi doux !
Hélás les vrais plaifirs ne font pas faits pour
nous.
Nous jouiffons bien peu de la douceur fuprême
De plaire à nos tyrans , ou d'aimer qui nous aimed
Dans l'empire amoureux tout coeur eſt égaré ,
Et loin des biens offerts cherche un bien defiré.
Ariane brûloit pour l'inconftant Théfée :
Mais il venge àfon tour cette amante abufée ;
Il aime , & dans fon fils on lui donne un rival ;
Phédre adore Hyppolite , & Phédre eft mépriféer
Phyllis eft fufpendue à l'amandier fatal ;
Démophoon fidele eût vû Phyllis volage ,
Tel eft de Cupidon le cruel badinage ;
Il fe nourrit de fang , il s'abbreuve de pleurs ,
Il enchaîne , & jamais il n'affortit les coeurs.
Vous , dont un vent propice enfle aujourd'hui
les voiles ,
Qui lifez , pleins d'efpoir , fur le front des étoiles
L'approche du bonheur & la route du port.
Ah ! tremblez ! mille écueils vous préfentent la
mort.
J'entens mugir les flots & gronder les tempêtes.
L'abime eft fous vos pieds , la foudre eft fur vos
têtes ;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
D'une fauffe amitié les perfides douceurs
De l'infidélité préparent les noirceurs ;
Bientôt on oubliera juſqu'à ces faveurs même ,
Dont on flate avec art votre tendreffe extrême ;
On verra vos tourmens d'un oeil fec & ferein .
Vainement pour voler à des ardeurs nouvelles
Le dépit & l'orgueil vous prêteront leurs aîles.
Vous ferez retenus par cent chaînes d'airain.
Les caprices fougueux , les fombres jaloufies ,
Et la haine allumée au flambeau des Furies ,
Etoufferont fans ceffe & produiront l'amour ,
De vos coeurs déchirés , indomptable vautour.
Sauvez de ces revers vos flammes généreuſes ;
Sortez , s'il en eft tems , de ces mers orageuſes ,
Regagnez le rivage , & cherchez le bonheur
Dans le calme des fens & dans la paix du coeur.
Des fieres paffions brifez le joug infâme ,
Fuyez la volupté , ce doux poifon de l'ame ,
La gloire & la vertu combleront tous vos voeux ,
Sous leur aimable empire on vit toujours heureux
.
Ainfi parloit Sylvandre , & fa douleur amere
Méconnoiffoit l'Amour maſqué par la colere ,
Quand d'un fouris flateur , fait pour charmer les
Dieux ,
A fes yeux éperdus Sylvie ouvrit les cieux ;
Quel moment ! quel combat pour fon ame attendrie
!
Elle approche , il pålit , il fe trouble ....... il
s'écrie ,
Frémiffant de couroux , de tendreffe & d'effroi ;
Tu l'emportes , cruelle , & mon coeur est à toi.
Unfeul de tes regards affure ta victoire ,
T'aimer eft ma vertu , t'enflammer eft ma gloire.
POEME ,
Par M. Gaillard , Avocat.
N On , je ne veux plus rien aimer ;
Un jufte orgueil m'enflamme , un jour heureux
m'éclaire ,
J'arrache en frémiffant ce coeur tendre & fincere
Aux perfides attraits qui l'avoient fçu charmer..
Combien l'illufion leur prêta de puiffance !
Et combien je rougis de ma folle conſtance !
Quoi ! c'eft-là cet objet adorable & facré ,
Chef- d'oeuvre de l'amour , par lui-même admiré ,
Sur qui la main des Dieux ( foit faveur ou colere)
Epuifa tous fes dons , & fur- tout l'art de plaire ! ...
Quel démon m'aveugloit : quel charme impérieux
Enchaînoit ma raiſon & faſcinoit mes yeux ?
J'aimois . J'embelliffois ma fatale chimere
Des traits les plus touchans d'une vertu fincere ;
Que ne peut-on toujours couvrir la vérité
Du voile de l'amour & de la volupté !
Hélas ! de mon erreur j'aime encor la mémoire ;
Je regrette mes fers , & pleure ma victoire 30
Que dis-je , malheureux ? Ah ! je devois pleurer,
66 MERCURE DE FRANCE.
Lorfque prompt à me nuire , ardent à m'égarer ;
Je fubis les rigueurs d'un indigné efclavage ;
Les Dieux de ces périls m'avoient tracé l'image.
Un fonge ( & j'aurois dû plutôt m'en ſouvenir )
A mon coeur imprudent annonçoit l'avenir.
J'errois fur les bords de la feine
Dans des bofquêts charmans confacrés au plaifir }
Avec Thémire , avec Climene ,
Par des jeux innocens j'amufois mon loifir.
Un enfant inconnu deſcend fur le rivage ,
Il mêle un goût plus vif à notre badinage ,
Il pare la nature , il embellit le jour ,
L'univers animé parut fentir l'amour.
Ses aîles , fon carquois m'infpiroient quelque
crainte ,
Mais dans les yeux touchans l'innocence étoit
peinte.
Il me tendit les bras . Son ingénuité
Intéreffa mon coeur qu'entraînoit fa beauté ;
Careffé par Thémire , & loué par Climéne
A leurs plus doux tranfports il fe prêtoit à peine ,
J'attirois tous fes foins , & j'étois feul flaté .
Il aimoit , diſoit-il , à me voir , à m'entendre ,
Il fembloit à mon fort prendre un intérêt tendre ,
Avec un air charmant il plaçoit de ſa main
Des lauriers fur mon front , des roſes dans mon
fein ; . -
Qui ne l'auroit aimé ? pardonnez , ô fageffe
AOUST.
1755 67
Je fçais trop à préfent qu'il faut n'aimer que
vous ;
Mais de ce traître enfant que les piéges font doux !
Que les traits ont de force & nos coeurs de foibleffe
! )
Il me montra de loin le palais des plaiſirs ,
J'y volai plein d'eſpoir , fur l'aîle des defirs .
Là , tout eft volupté ! tranfport , erreur , ivreffe ,
Là , tout peint , tout infpire , & tout fent la tendreffe
;
Dans mille objets trompeurs l'art fçait vous préfenter
Celui qui vous enchante , ou va vous enchanter.
J'apperçus deux portraits : l'un fut celui d'Or
phife ,
Mon oeil en fut frappé , mon ame en fut ſurpriſes
Vieille , elle avoit d'Hébé l'éclat & les attraits
Sa beauté m'éblouit fans m'attacher jamais .
Mais l'amour m'attendoit au portrait de Sylvie
Il alloit décider du bonheur de ma vie.
Sans éclat , fans beauté , fa naïve douceur
Fixa mon oeil avide , & pénétra mon coeur.
Dans fes yeux languiffans , ou l'art ou la nature
Avoient peint les vertus d'une ame noble & pure
Tous mes fens enivrés d'une rapide ardeur
Friffonnoient de plaifir , & nommoient mon vain
queur ...
Cependant fous mes pas s'ouvre un profond abî
me 2
68 MERCURE DE FRANCE.
J'y tombe , & je m'écrie : O trahiſon , ô crime !
De quels fleuves de fang me vois-je environné ?
Dans ces fombres cachots des malheureux gémiffent
,
De leurs cris effrayans ces voûtes retentiſſent :
Fuyons .... Des fers cruels me tiennent enchaîné ;
Mille dards ont percé mon coeur infortuné ,
O changement affreux ! quel art t'a pû produire ?
Une voix me répond : Pallas , va-t'en inftruire ?
L'amour fuit démafquant fon viſage odieux .
La rage d'Erinnys étincelle en fes yeux ,
Des ferpens couronnoient fa tête frémiffante ;
Le reſpect enchaînoit fon audace impuiffante ;
Il fecouoit pourtant d'un bras féditieux
Un flambeau dont Pallas éteignoit tous les feuxJ
Je la vis , & je crus l'avoir toujours aimée ,
Ses vertus s'imprimoient dans mon ame enflam
mée ,
J'admirois ces traits fiers , cette noble pudeur ,
Où du maître des Dieux éclatoit la fplendeur.
» Tombez , a- t-elle dit , chaînes trop rigoureu-
>> fes !
» Fermez-vous pour jamais, cicatrices honteufes !
>> Mortel ! je n'ai changé, ni l'amour , ni ces lieux ,
» Mais j'ai rompu le charme & deffillé tes yeux.
» La volupté verfoit l'éclat fur l'infamie ,
» D'un mafque de douceur couvroit la perfidie ;
La vertu feule eft belle , & n'a qu'un même
aſpect ,
A OUST . 1755. 69
» L'amour vrai qu'elle infpire eft enfant du ref-
» pect.
» Mais ſui – moi , viens apprendre à détefter ce
>> maître
>> Que les humains féduits fervent fans le connoî-
» tre ,
» Qui t'entraînoit toi -même , & t'alloit écraser
» Sous le poids de ces fers que j'ai daigné brifer.
>> Ce monftre en traits de fang , ſous ces voûtes
» horribles ,
» Grava de fes fureurs les monumens terribles.
ô Que vis-je ? .... ô paffions & fource des for
faits !
Quels tourmens vous caufez , quels maux vous
avez faits !
Térée au fond des bois outrage Philomele ?
Progné, foeur trop fenfible & mere trop cruelle ;
A cet époux inceftueux ,
De fon fils déchiré , fert les membres affreux.
Soleil ! tu reculas pour le feftin d'Atrée !
As-tu
pu
fans horreur voir celui de Térée ?
Mais quels font ces héros enflammés de fureur ;
Qui partagent les Dieux jaloux de leur valeur ? ....
Dieux votre fang rougit les ondes du Scamandre
;
Patrocle , Hector , Achille , ont confondu leur
cendre
70 MERCURE DE FRANCE.
Sous fon palais brûlant Priam eft écrasé ,
Le fceptre de l'Afie en fes mains eft brifé ,
Tout combat , tout périt : Pour qui ? pour une
femme ,
De mille amans trompés vil rebut , refte infame.
Le fier Agamemnon , ce chef de tant de Rois ,
Dont l'indocile Achille avoit fubi les loix ,
Revient après vingt ans de gloire & de mifere
Expirer fous les coups d'une épouse adultere .
Aux autels de les Dieux Pyrrhus eft égorgé ;
Hermione eft rendue à ſon époux vengé.
Pour laver ton affront , ô Phédre ! l'impofture
Charge de tes forfaits la vertu la plus pure ;
Sur un fils trop aimable un pere furieux
Appelle en frémiffant la vengeance des Dieux .
Le courroux de Neptune exauçant fa priere
Seme d'ennuis mortels fa fatale carriere.
Biblis , & vous , Myrrha , d'une exécrable ar
deur
Par des pleurs éternels vous expiez l'horreur.
O Robbe de Neffus ! & trompeufe efperance !
O d'un monftre infolent effroyable vengeance !
Sur le bucher fatal Hercule eft confumé ;
Héros plus grand qu'un Dieu , s'il n'avoit point
aimé !
Tu fuis , ingrat Jaſon , ta criminelle épouſe :
A O UST. 1755 71 .
Mais ... connois -tu Médée & fa rage jalouſe ?
Elle immola fon frere , & fe perdit pour toi ,
Tu ne peux ni la voir , ni la fuir fans effroi ! ....^
Mais la voici , grands Dieux ! furieufe , tremblan
I
te ......
Un fer étincélant arme fa main fanglante ,
Elle embraffe fes fils , & frémit de terreur
Ah ! d'un crime effrayant tout annonce l'horreur...
Arrête , Amour barbare , & toi , mere égarée ,
De quel fang fouilles-tu ta main deſeſpérée ?
La nature en frémit , l'enfer doute en ce jour
Qui l'emporte en fureur , ou Médée ou l'Amour.
Le jour vint m'arracher à ce fpectacle horrible,
Pour éclairer mon coeur la vérité terrible
Avoit emprunté par pitié
Les traits d'un utile menfonge. , .
Tout fuit , tout n'étoit qu'un vain fonge ,
Et mon coeur a tout oublié.
Deux Amours,, deux erreurs ont partagé ma
vie ,
Fadorai la vertu dans le coeur de Sylvie ,
Par des vices brillans Orphiſe m'enchanta ,
La vertu s'obscurcit , & le vice éclata ,
Orphife étoit perfide autant qu'elle étoit belle ,
Sylvie .... elle étoit femme , elle fut infidelle..
Sur quel fable mouvant fondois-je un vain eſpoir &
La candeur, la conftance eft-elle en leur pou
voir ?
72 MERCURE DE FRANCE.
(
Je te connois enfin , ſexe aimable & parjure ,
Ornement & fléau de la trifte nature !
Tu veux vaincre & regner , fur- tout tu veux tra
hir.
Notre opprobre eft ta gloire , & nos maux ton
t
plaifir.
Du généreux excès d'un amour héroïque
La vertueufe Alçefte étoit l'exemple unique.
Adorable en fa vie , admirable en ſa mort ,
Elle étonna les Dieux , & confondit le fort.
En fubiffant fa loi cruelle.
Otoi , qui poffedas cette épouſe fidele ,
Tu ne méritois pas , Admete , un fort fi beau ;
Si l'Amour ne t'entraîne avec elle au tombeau !
Elle eſt mere , & du fang t'immole la foibleffe !
Elle eft Reine , & connoit la conftante amitié !
Infenfible à fa perte , elle plaint ta tendreſſe ,
Dans les yeux prefque éteints brille encor la
pitié ;
Elle entre en t'embraffant dans la nuit éternelle ,
C'est pour toi qu'elle meurt , peux- tu vivre fans
elle ?
Hélas ! le coeur humain doit-il former des voeux ?
De toutes les vertus Alcefte eft le modele ,
Mais s'il étoit fuivi , ferions -nous plus heureux ?
Amour ! contre tes traits où prendroit - on des
armes ?
Ofemmes qui pourroit fe fouftraire à vos charmes
si
A O UST. 1755 . 75
Si vos coeurs fecondoient le pouvoir de vos yeux ?
La nature s'émeut à l'aspect d'une belle :
Le coeur dit : La voilà , mon bonheur dépend d'elle.
Que l'épreuve dément un préfage fi doux !
Hélás les vrais plaifirs ne font pas faits pour
nous.
Nous jouiffons bien peu de la douceur fuprême
De plaire à nos tyrans , ou d'aimer qui nous aimed
Dans l'empire amoureux tout coeur eſt égaré ,
Et loin des biens offerts cherche un bien defiré.
Ariane brûloit pour l'inconftant Théfée :
Mais il venge àfon tour cette amante abufée ;
Il aime , & dans fon fils on lui donne un rival ;
Phédre adore Hyppolite , & Phédre eft mépriféer
Phyllis eft fufpendue à l'amandier fatal ;
Démophoon fidele eût vû Phyllis volage ,
Tel eft de Cupidon le cruel badinage ;
Il fe nourrit de fang , il s'abbreuve de pleurs ,
Il enchaîne , & jamais il n'affortit les coeurs.
Vous , dont un vent propice enfle aujourd'hui
les voiles ,
Qui lifez , pleins d'efpoir , fur le front des étoiles
L'approche du bonheur & la route du port.
Ah ! tremblez ! mille écueils vous préfentent la
mort.
J'entens mugir les flots & gronder les tempêtes.
L'abime eft fous vos pieds , la foudre eft fur vos
têtes ;
D
74 MERCURE DE FRANCE.
D'une fauffe amitié les perfides douceurs
De l'infidélité préparent les noirceurs ;
Bientôt on oubliera juſqu'à ces faveurs même ,
Dont on flate avec art votre tendreffe extrême ;
On verra vos tourmens d'un oeil fec & ferein .
Vainement pour voler à des ardeurs nouvelles
Le dépit & l'orgueil vous prêteront leurs aîles.
Vous ferez retenus par cent chaînes d'airain.
Les caprices fougueux , les fombres jaloufies ,
Et la haine allumée au flambeau des Furies ,
Etoufferont fans ceffe & produiront l'amour ,
De vos coeurs déchirés , indomptable vautour.
Sauvez de ces revers vos flammes généreuſes ;
Sortez , s'il en eft tems , de ces mers orageuſes ,
Regagnez le rivage , & cherchez le bonheur
Dans le calme des fens & dans la paix du coeur.
Des fieres paffions brifez le joug infâme ,
Fuyez la volupté , ce doux poifon de l'ame ,
La gloire & la vertu combleront tous vos voeux ,
Sous leur aimable empire on vit toujours heureux
.
Ainfi parloit Sylvandre , & fa douleur amere
Méconnoiffoit l'Amour maſqué par la colere ,
Quand d'un fouris flateur , fait pour charmer les
Dieux ,
A fes yeux éperdus Sylvie ouvrit les cieux ;
Quel moment ! quel combat pour fon ame attendrie
!
Elle approche , il pålit , il fe trouble ....... il
s'écrie ,
Frémiffant de couroux , de tendreffe & d'effroi ;
Tu l'emportes , cruelle , & mon coeur est à toi.
Unfeul de tes regards affure ta victoire ,
T'aimer eft ma vertu , t'enflammer eft ma gloire.
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Résumé : LE MALHEUR D'AIMER. POEME, Par M. Gaillard, Avocat.
Le poème 'Le Malheur d'Aimer' de M. Gaillard, avocat, explore les tourments de l'amour et ses illusions. Le narrateur, initialement enflammé par un orgueil justifié, se libère des attraits perfides qui l'ont charmé. Il regrette son erreur passée, où il idéalisait un être aimé, croyant voir en lui un chef-d'œuvre de l'amour. Il se remémore un songe prémonitoire où il était avec Thémire et Climène, et où un enfant inconnu, symbolisant l'amour, les rejoignait, embellissant leur journée. Dans ce songe, l'enfant, par sa beauté et son innocence, captivait le cœur du narrateur, qui se laissait séduire par ses charmes. L'enfant lui montrait un palais des plaisirs, où tout inspirait la tendresse. Le narrateur y voyait deux portraits : celui d'Orphise, dont la beauté ancienne ne l'attachait pas, et celui de Sylvie, dont la naïve douceur fixait son regard et pénétrait son cœur. Cependant, un abîme s'ouvrait sous ses pas, révélant des cachots où des malheureux gémissaient. Il se sentait enchaîné par des fers cruels, percé par mille dards. Pallas, démasquant l'amour, lui révélait la véritable nature de ses sentiments. L'amour, démasqué, montrait un visage odieux, couronné de serpents, tandis que Pallas éteignait ses feux. Le narrateur découvrait alors la véritable beauté de Sylvie, dont les vertus s'imprimaient dans son âme enflammée. Sylvie lui révélait que la véritable beauté résidait dans la vertu et le respect. Elle l'invitait à suivre un chemin de vertu pour échapper aux tourments de l'amour. Le poème se termine par une réflexion sur les dangers de l'amour, illustrés par des exemples mythologiques de trahisons et de tragédies. Le narrateur conclut en exhortant à fuir les passions dévastatrices pour trouver le bonheur dans la paix du cœur et la vertu.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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