LA NAISSANCE DE BACCHUS.
FABL E.
Lorfque le maître du tonnerre
Quitta le céle fte féjour ,
Et vint le livrer fur la terre
Dans les bras de Sémele aux douceurs de l'amour
Il n'étoit point tel qu'à fa cour
Augufte , puiffant & terrible ;
Rien d'humain en lui ne paroiffoit aux yeux ,
que
Et tout ce qu'il porta des cieux ,
Ce fut un coeur tendre & fenfible.
Cependant , quel plus grand honneur !
Que pour une fimple mortelle
Un Dieu faffe de fa grandeur
Un beau facrifice à la belle ,
Qu'il préfere l'étrange faut
Des hommages qu'il vient lui rendre.
A ceux que l'on lui rend là -haut ?
Que pouvoit-elle encore attendre ?
Fatale curiofité !
Elle veut voir la Majeſté
Qui fait que tout l'Olympe adore
Celui qui venoit l'adorer ,
Et fa fierté demande encore
Qu'il vienne à fes yeux s'en parer.
C
Jo MERCURE DE FRANCE.
Que me demandez - vous , cruelle ,
Lui difoit le Dieu confterné ?
Obéiffez , répond Sémele ,
Mon coeur à ce prix feul vous étoit deſtiné.
L'ame de chagrin pénétrée ,
Il quitte ce funefte lieu ,
Et vole au célefte empirée
Transformer le mortel en Dieu.
Un fuperbe éclat l'environne.
Les tonnerres , les feux , les foudres , les éclairs
Qu'il lance du haut de fon trône ,
L'efcortent au loin dans les airs .
Cependant la troupe légere
Des amours , des plaifirs , des jeux ,
Suit en folâtrant , & tempére
Le feu qui brille dans fes yeux,
Que l'ambitieuſe Sémele
Dût s'applaudir de tant d'amour!
Jupiter revient à fa cour
Plus majestueux , plus fidele.
Qu'elle lui paîra de retour !
Mais , grands Dieux ! que vois-je ? qu'en◄
tens-je ? ...
Quel trouble enchaîne tous fes fens !
A ces éclairs éblouiffans
Son beau front eft couvert d'une pâleur étrange ,
Et d'un mortel effroi fon coeur fe fent faifir
Au fein du plaifir.
-
Plus prompt qu'Atalante
SEPTEMBRE 1755 .
Il court retenir
Et
Sa vie expirante.
Sur fa froide amante
Il cueille un foupir
Qu'éteint du defir
La foif dévorante.
Dieux ! par combien d'ardens tranſports ,
par quels baifers tout de flamme
Il cherche à rappeller fon ame ,
Qui déja touche aux fombres bords !
Mais hélas ! une nuit cruelle
Couvre les yeux de cette belle.
De ce funefte Hymen , Bacchus nâquit enfin ,
Charmant , mais dangereux , funefte Dieu du vin ,
De fon pere il reçut l'influence mortelle ,
Des foudres , des éclairs , l'éclat vif & divin ,
C'est ce feu pétillant dont le jus étincelle ,
Qui porte jufqu'au coeur fa douce impreffion ,
Mais le trouble affreux de Sémele ,
C'est celui de notre raison .