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1
p. 184-216
Tout ce qui s'et passé en Catalogne depuis l'ouverture de la Campagne, avec les Noms des Morts & des Blessez, & de ceux qui se sont signalez dans la derniere Défaite des Ennemis. [titre d'après la table]
Début :
Les Espagnols avoient formé le dessein d'une grande diversion de [...]
Mots clefs :
Ennemis, Espagnols, Pays, Catalogne, Valence, Duc de Navailles, Bataillons, Canon, Régiment, Marche, Hauteur, Royaume, Combat, Troupes, Cavalerie, Morts, Bagages, Blessés, Capitaines, Tués
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texteReconnaissance textuelle : Tout ce qui s'et passé en Catalogne depuis l'ouverture de la Campagne, avec les Noms des Morts & des Blessez, & de ceux qui se sont signalez dans la derniere Défaite des Ennemis. [titre d'après la table]
Les Eſpagnols avoient formé le deffein d'une grande diver- ſion de ce coſté-là ,&cela par politique. CePaïs eſt plus pres d'eux , & les avantages qu'ils ſe tenoient affurez d'y rem- porter, devoient faire une plus forte impreffion fur l'eſprit des Peuples. Ils firent des levées
GALANT. 129
&د
dans toutes leurs Provinces ,
auſquelles ils donnent le nom de Royaumes , & choiſirent le Comte de Monterey pour Viceroy de Catalogne pourGeneral de cette Armée.
Il eſt adroit , vigilant, &d'une exactitude merveilleuſe àfaire
bien ſervir ſon Prince. Ces
grandes levées eſtant faites , &
la plupart des Nobles ayant joint l'Armée , partie comme Volontaires , partie comme Officiers , la Cour d'Eſpagne en eſpera tout , & fe fortifia encor plus dans le deſſein de de faire quelque entrepriſe conſidérable fur les François en Catalogne , pour faire oublier au Peuple de Madrid les Conquestes du Roy en Flan- dre. Ainfi le Comte de Monterey reçeut ordre de partir en
130 LE MERCURE pofte de Sarragofſe où il eſtoit,
d'aller à Barcelone , d'y arrê- ter fix Vaiſſeaux chargez de Troupes pour la Sicile , &de les faire ſervir en Catalogne.
Douze cens Fantaſſins levez
dans le Royaume de Grenade ,
arriverent en mefme temps à
Barcelone.Le Mestre de Camp
de Valence luy mena deux mille Hommes un peu apres;
&d'autres levées faites dans le
meſme Royaume &dansl'Andaloufie , les joignirent pref- que auffitoft . Le Comte de Monterey eſtant arrivé dans l'Armée qu'ildevoit comman- der , Monfieur le Marefchal
Duc de Navailles &luy s'en- voyerent faire de grandes ci- vilitez , & fe firent dire qu'ils ſe verroient. Ce Comte voufut paroiſtre le plus civil. Il fit
GALANT. 131
- avancer ſes Troupes , & mar- cha du coſté de Saint Pierre
Peſcador , où Monfieurde Navailles eſtoit poſté. Ce Duc eſtant bien aiſe de ſuy épar- gner la moitié du chemin , en- voya huit cens Chevaux pour reconnoiſtre les Ennemis , &
ces huit cens Chevaux enleverent leur grande Garde.
Deux jours apres , le Comte deMontereyvoulant paſſer un Défilé à la veuë de noſtre Armée , Monfieur de Navailles
le fit charger , &le contraignit deſe retirer en deſordre apres
une Efcarmouche de trois
2
heures , où les Eſpagnols per- dirent beaucoup de monde.
Quelque temps aprés , Mon- fieur le Duc de Navailles
ayant eu avis que le Comte de Monterey avoit comman
132 LE MERCVRE
de huit cens Miquelets avec un Détachement de Cavalerie , pour nous ofter la com- munication avec le Lampour- dan , il envoya quelques trou- pes ſous Mº de la Rablie- re , Marefchal de Camp , qui les défit. On tua les deux
Commandans, & on prit deux autres Officiers. Voilà toute la
Campagne en peu de mots juſqu'au jour delagrandeDé- faite des Ennemis dont vous
avez entendu parler , & que je vay vous apprendre , avec des particularitez que vous n'avez aſſurément point veuës enſemble. Vous treblez peut- eftre déja que je ne vous aille faire une longue Relation, que
je ne vous accable d'une infi nité de termes de Guerre , &
que je ne vous nomme tous
GALANT. 133 les Villages par où l'on a paſſé,
&tous les poſtes qu'on a oc- cupez. Rafſurez-vous , Madame , je ne vous parleray de la Guerrequed'une maniere qui n'aura rien d'ennuyeux pour vous , & qui fera tres- intelli- gible aux Dames à qui vous faites partde mes Lettres.C'eſt pour elles particulierement que j'écris , & je ne feray ce Recit que comme vousle fe- ON
riez vous-mefme. S'il n'a pas le tour aifé & naturel que vous luy donneriez , il aura du moins le charme de la brié
veté. Fiez - vous en moy , je vous prie , & hazardez - vous fur ma parole à lire ce que je vous envoye. Nous étionsen- trez en Catalogne malgré les grandes forces que les Enne- mis y avoient ; nous avions
134 LE MERCVRE
د
fait chez eux tous les dégaſts imaginables , confommé leurs Fourages , enlevé leurs Bef- tiaux & donné en meſme
temps aux Noftres le moyen de faire paiſiblement leur ré- colte dans le Rouffillon ; mais
nous n'avions pû entrer dans le Païs Ennemy , que par des paſſages étroits qui font entre les Montagnes , & queles Ef- pagnols pouvoient aiſement occuper pour nous empeſcher le retour. En effet ils s'étoient
déja ſaiſis de quelques-uns en intention de nous attaquer.
Nos Troupes leur cedoient en nombre. Il eſtoit queſtion de fortir des Montsoù nous nous
eftions engagez, & ce fut dans cette difficulté qu'éclata la prudence & la conduite de
Monfieurle Ducde Navailles.
Il
GALANT. 135 Il envoya ſes ordres à M le Chevalier d'Aubeterre , Gouverneur de Collioure,&Lieu
tenant Generaldes Arméesdu
Roy, de ſe rendre maître d'un Paſſage appellé le Col de Ba- gnols, qu'il ſçavoit qu'on avoit deſſein de luy fermer. M le Chevalier d'Aubeterre partie environ àminuit , avec undé
tachement de ſa Garniſon &
- des Milices du Païs. Il trouva
queles Ennemis avoient occu- -pé des Hauteurs &des Ro- chers eſcarpez. Il les en chaf- ſa avec une vigueur incroya- ble, &fit fuïrdeux Bataillons
qui venoient à leur ſecours.
Le chemin eſtantouvert,MonſieurdeNavailles commença à
faire marcher dés ce jour-là.
Les Ennemis vinrent camper àla portée de noſtre Canon;
D
S
S
Tome VI. M
1
136 LE MERCURE il y eut quelques eſcarmou- ches, &on les recommença le lendemain. Les Eſpagnols en Bataille voulurent gagner une Montagne fort haute, mais on les en empefcha. Cétobſtacle rompit leurs meſures , & nous occupâmes une Hauteur qui nous ofta tout lieu de rien
craindre d'eux. On demeura
trois jours en preſence,&pen- dant tout ce temps on ne fit que des eſcarmouches. On chargea trois EſcadronsEnne-- mis qui avoient paſſé une Ri- viere, &qui estoient foûtenus de ſept Regimens d'Infante- rie. L'avantage nous demeura,
avec perte pour les Eſpagnols de plus de ſept cens Hommes,
qui furent ou tuez ,
prifonniers , ou mis hors de
ou faits
combat. Nôtre General n'ayat
GALANT. 137
ان
S
و
plus rien à faire dans le Païs ,
fongea à s'en retirer , & fit marcher les premiers Bagages.
Cette marche fut dérobée à la
connoiſſance des Ennemis
auffi-bien que celle de toute l'Armée qui commença à dé- filer àminuit.Lors que le Com- te de Monterey en fut averty,
cette nouvelle le mit au deſefpoir , & il marcha avec tant de précipitation , qu'il joignit noſtre Arrieregarde. Monfieur de Navailles avec une adreffe
& une prudence admirable ,
trouva moyen de faire avan- cer encor noftre Armée ce
qui fit perdre haleine aux En- nemis qui nous pourſuivoient.
Les Eſpagnols ayans plus de
,
Troupes eftant compoſées de
S Troupes que nous ,
& ces
1
toute la Nobleſſe de leurs
Mij
138 LE MERCURE Royaumes, ſe répondoient tel- lementde la Victoire,que dans l'impatience de combattre, ils vinrentenfin àboutd'attacher
l'eſcarmouche , ce qu'ils firent avec une impétuoſité qui ſe peut àpeine concevoir. Ils oc- cuperent des Hauteurs; mais les Noſtres aprés les en avoir chaſſez en gagnerent d'autres,
& conferverent fi bien cét
avantage pendattoute la jour- née, qu'ils donnerentlieu aux Bagages d'avancer beaucoup,
&de ſe mettre en ſeureté. M
de Navailles ne craignant plus rien , & ayant fait voir au Comte de Monterey qu'il en fçavoit plus que luy , mit ſon Armée en bataille dans le lieu
qu'il jugea le plus avantageux,
&fit pofter fon Canonde for- te qu'il fut tres-bien fervy , &
GALANT. 139
1
1
incommoda fort les Ennemis.
Noftre General voulut encor
gagnerune Hauteur, &ce qui paroift incroyable , nos Trou- pes qui devoient eſtre fati- guées de tant de mouvemens,
ypaſſerent avec diligence &
fans aucune confufion , parun effet des ordres que Monfieur ☐ de Navailles donnoit avecune application & une prefence d'eſpritqui n'avoient rien d'égal que fon courage. Il animoit tous les Officiers à bien faire ;
& les Soldats encouragez par fon exemple &parſes paroles,
réſolurentde périr plûtoſt que d'abandoner ce dernierPofte.
Les Ennemis vinrent aufſi- toft
ànous en tres-bon ordre , &
le Combat s'engagea. On tira pendant trois heuresde la ſeu le longueur de deux Piques ,
Miij
140 LE MERCURE Bataillons contre Bataillons , la
Cavalerie de part & d'autre eſtant derriere l'Infanterie..
Nos Troupes ne firent aucun méchant mouvement , & on ne les pût obliger à reculer d'un ſeul pas. La Cavalerie quenous avionsſur l'aifle gau- che fit des merveilles : Elle
monta fur une Hauteur pref- que inacceffible , & en chaffa lesEnnemis. Celle de ladroite alla pluſieurs fois à la char- ge , & en tua grand nom.
bre. L'Occafion dura cinq heures & demie , &fe termina avec beaucoup de gloire pour le Roy. Les Eſpagnolsy
ont perdu plus de deux mille Hommes. On leur a entierement défait les Regimensd'Ar--
ragon, de Medina Sidonia , &
deMonteleone. TouslesOffi-
GALANT.: 141 ciers de ces trois Regimens ont eſté tuez , bleffez , ou faits
prifonniers. On a fort mal trai- té ceux de Grenade & de la
Cofte , & il y a eu un tres- grand nombre de prifonniers,
entre leſquels ſont plufieurs Perſonnes de qualité , dont quelques-uns, comme le Com- te de la Fuente, le Vicomte de S.George,& le Colonel Heffe,
✓ font morts de leurs bleſſures..
Cette Action eſt d'autant plus
glorieuſe, qu'on a batu les Ennemisdans leur Païs, quoyque plus forts, qu'ony eft demeuré maître du Champ de Bataille,
qu'on leur a pris des Dra peaux ,&tout cela en ſe reti rant ; ce qui eſt une circon - ſtance remarquable : car les
Retraites font ordinairement
- dangereuses , & on y est rar
142 LE MERCURE
rement attaqué qu'on ne ſoit batu. Les Eſpagnols n'ont rien entrepris depuis ce temps-là ,
& voilà à quoy ont abouty tous ces grands Armemens, &
toutes ces Levées, qui avoient épuiſé leurs RoyaumesdeGre- nade &d'Andaloufie. Jevous
ay tenu parole , Madame. Ce Récit n'eſt embaraſſe d'aucuns'
Noms de Paſſages,&je ne l'ay pas meſme voulu charger de ceux de nos Officiers qui ſe font fait remarquer , afin de vous en laiſſer plus aiſement fuivre le fil . Cela ne me doit
pas empeſcher de leur rendre preſentement juſtice; & pour faire honneur aux Etrangers ,
je vous diray d'abord que les Suiffes & les Allemands ne
donnerent quartier à perſon- ne , fur ce qu'un Trompette
GALANT. 143 des Ennemis vint declarer -qu'ils n'en feroient point aux Etrangers. Si les François euf- ſent ſuivy cet exemple , il ne ſeroit guere demeuré d'Eſpa- gnols.
Les Regimens de Sault, de Furſtemberg , de Navailles ,
d'Erlac , de Gaſſion , de la Rabliere , de Lanſon , de Lebret ,
&de Villeneuve , ſe ſont dif
tinguez , aufli bien que les Dragons., que rien n'a efte ca- pable d'ébranler. Jamais onn'a fi genéralement bien faitdans aucun Combat. Onn'a pas re- marqué un feul Soldat qui ait reculé,&on ne ſçait qui loüer,
particulierement des Officiers,
parce qu'ils meritent tous d'égales loüanges.
*
Monfieur le Mareſchal Duc
de Navailles diviſa ſes Trou-
144 LE MERCURE
pes enpluſieurs Corps,&quoy qu'il fuſt par tout, il ne laiſſa pas de ſe mettre à la teſte d'un de
ces Corps qu'il avoit fi judi- cieuſement diviſez. Mr de la
Rabliere Mareſchal de Camp,
eſtoit à la teſte d'un autre , &
monta fur une Hauteur où il
batit les Ennemis. Mrde Gafſion Lieutenant General , pаreillementàla teſte d'un Corps,
occupa une autre Hauteur ; &
Mr Chevreau Brigadier deCa- valerie , ſe ſignala à la teſte du quatrième Corps. Mr du Sauf- fay donna beaucoup de mar- *ques de cœur & de conduite
en cette occaſion; il commandoit la Cavalerie. M² le Marquis d'Apremont Mareſchalde Camp, y fit des merveilles. II eſtoit par tout. Ce fut luy qui foûtint les premiers efforts des
GALANT. 145
Ennemis , & qui commença à
leur faire connoiſtre qu'ils s'é- toient trompez quand ils s'é- toient voulu répondre ſi fortement de la Victoire. La con- duite des Bagages fut donnée à Mr d'Urban Brigadier d'In- fanterie. Il les mit en ſeûreté,
&revint en ſuite prendre part à la gloire de cette fameuſe journée. M' le Marquis de Villeneuve , Colonel de Cavalerie , après avoir foûtenu les efforts des Ennemis , les chargea vigoureuſement. M le Che- valier de Ganges fit des choſes
ſurprenantes , & forma des Eſcadrons , malgré tout le feu des Ennemis. Mr le Marquis
de Navailles ſervit de Briga- dier en la place de M de S. André , qui avoit eſté envoyé
depuis deux jours à Bellegarde.
146 LE MERCURE 1
Ce Marquis agit avec autant de prudence que de courage.
Il mena les Bataillons à la
Charge , & fe montradigne du Sang dont il fort. M. des
Fontaines Lieutenant d'Artillerie , fit tout ce qu'on pou- voit attendre de luy. Son Ca- non fut bien ſervy, & fi à pro- pos , que les Ennemis en fou- frirent beaucoup. Toutes les Relations parlent fi avanta- geufement de Meſſieurs de la
Rabliere & deGaffion , qu'on ne leur peut donner trop de loüanges, non--plus qu'àMon- fieur le Chevalier d'Aubeterre , qui ayant apporté une vi- gilance incroyable à ſe faifir du Col de Bagnols avant le Combat, montra une vigueur extraordinaire à chaffer les
Ennemis qui avoient occupé les
GALANT. 147
les Hauteurs des environs de
ce Paſſage, quoy qu'ils fuſſent beaucoup mieux poftez & en plus grand nombre. Monfieur de Raiſon , Capitaine au Regi- ment de Sault ,& un petit Corps de Suiffes , executerent
tres-bien ſes ordres, Monfieur
le Camus deBeaulicu , Intendant General de tout le Païs,
donna les ſiens fort à propos.
Il avoit receu une Lettre en
chifre de Monfieur le Duc de
Navailles pour faire marcher toute la Milice du Païs avec
M' le Chevalier d'Aubeterre,
& pour tenir preſtes les Munir)
tions de guerre & de bouche,
& il prit ſoin de tout avecune diligence & une ponctualité qui nepeuvent etre allezoſti mées. Il chargea Monfieur He ron, Commiſſaire ordinaire des
Tome VI. N
148 LE MERCVRE Guerres , & des Convois tant
par terre que par Mer, de l'e- xecution'de beaucoup de cho- ſes dont il s'acquita tres-fide- lement. Il ne me reſte plus qu'à vous dire les noms des Morts&des Bleſſez , tant d'actions vigoureuſes n'ayant pû fe faire ſans qu'il nous en ait couſté quelque choſe.
Capitaines tuez.
M.Choueraſqui, м. le Chevalier du Cros, M.Duran.
Capitaines bleſſez.
Mrs Praflon , Davénes, Bardonanche, Maurniay, De Tu- bas , Revellas , Tronc , Romp,
Geſſeret,Bandron,Quantagril,
Guaſque, Saint Géniez , La- barte, Sainte-Coulombe, Lan- glade, Barriere, Brouffan,Cha- tonville Vulaine M. le Marquis deVilleneu
GALANT. 149
ve Colonel de Cavalerie , &
M.de Conflans Major du Re- gimentde laRabliere, ont auffi efté bleſſez .
a
Je ne vous parle point des Eſpagnols morts oubleſſez. Ce font noms qui vous font en tierement inconnus , &d'ailleurs le nombre eneſt ſi grand,
qu'ils ne pourroient que vous ennuyer. Le ComtedeMonterey envoyé demander le Corps du Comtede la Fuente par un Trompete , & dire à
Monfieur de Navailles qu'il avoit eſté plus heureux que luy. Ce Trompete le pria en meſme temps de ſa part d'a- voir ſoin de la Nobleſſe d'ef
pagne qu'il avoit entre ſes mains.
GALANT. 129
&د
dans toutes leurs Provinces ,
auſquelles ils donnent le nom de Royaumes , & choiſirent le Comte de Monterey pour Viceroy de Catalogne pourGeneral de cette Armée.
Il eſt adroit , vigilant, &d'une exactitude merveilleuſe àfaire
bien ſervir ſon Prince. Ces
grandes levées eſtant faites , &
la plupart des Nobles ayant joint l'Armée , partie comme Volontaires , partie comme Officiers , la Cour d'Eſpagne en eſpera tout , & fe fortifia encor plus dans le deſſein de de faire quelque entrepriſe conſidérable fur les François en Catalogne , pour faire oublier au Peuple de Madrid les Conquestes du Roy en Flan- dre. Ainfi le Comte de Monterey reçeut ordre de partir en
130 LE MERCURE pofte de Sarragofſe où il eſtoit,
d'aller à Barcelone , d'y arrê- ter fix Vaiſſeaux chargez de Troupes pour la Sicile , &de les faire ſervir en Catalogne.
Douze cens Fantaſſins levez
dans le Royaume de Grenade ,
arriverent en mefme temps à
Barcelone.Le Mestre de Camp
de Valence luy mena deux mille Hommes un peu apres;
&d'autres levées faites dans le
meſme Royaume &dansl'Andaloufie , les joignirent pref- que auffitoft . Le Comte de Monterey eſtant arrivé dans l'Armée qu'ildevoit comman- der , Monfieur le Marefchal
Duc de Navailles &luy s'en- voyerent faire de grandes ci- vilitez , & fe firent dire qu'ils ſe verroient. Ce Comte voufut paroiſtre le plus civil. Il fit
GALANT. 131
- avancer ſes Troupes , & mar- cha du coſté de Saint Pierre
Peſcador , où Monfieurde Navailles eſtoit poſté. Ce Duc eſtant bien aiſe de ſuy épar- gner la moitié du chemin , en- voya huit cens Chevaux pour reconnoiſtre les Ennemis , &
ces huit cens Chevaux enleverent leur grande Garde.
Deux jours apres , le Comte deMontereyvoulant paſſer un Défilé à la veuë de noſtre Armée , Monfieur de Navailles
le fit charger , &le contraignit deſe retirer en deſordre apres
une Efcarmouche de trois
2
heures , où les Eſpagnols per- dirent beaucoup de monde.
Quelque temps aprés , Mon- fieur le Duc de Navailles
ayant eu avis que le Comte de Monterey avoit comman
132 LE MERCVRE
de huit cens Miquelets avec un Détachement de Cavalerie , pour nous ofter la com- munication avec le Lampour- dan , il envoya quelques trou- pes ſous Mº de la Rablie- re , Marefchal de Camp , qui les défit. On tua les deux
Commandans, & on prit deux autres Officiers. Voilà toute la
Campagne en peu de mots juſqu'au jour delagrandeDé- faite des Ennemis dont vous
avez entendu parler , & que je vay vous apprendre , avec des particularitez que vous n'avez aſſurément point veuës enſemble. Vous treblez peut- eftre déja que je ne vous aille faire une longue Relation, que
je ne vous accable d'une infi nité de termes de Guerre , &
que je ne vous nomme tous
GALANT. 133 les Villages par où l'on a paſſé,
&tous les poſtes qu'on a oc- cupez. Rafſurez-vous , Madame , je ne vous parleray de la Guerrequed'une maniere qui n'aura rien d'ennuyeux pour vous , & qui fera tres- intelli- gible aux Dames à qui vous faites partde mes Lettres.C'eſt pour elles particulierement que j'écris , & je ne feray ce Recit que comme vousle fe- ON
riez vous-mefme. S'il n'a pas le tour aifé & naturel que vous luy donneriez , il aura du moins le charme de la brié
veté. Fiez - vous en moy , je vous prie , & hazardez - vous fur ma parole à lire ce que je vous envoye. Nous étionsen- trez en Catalogne malgré les grandes forces que les Enne- mis y avoient ; nous avions
134 LE MERCVRE
د
fait chez eux tous les dégaſts imaginables , confommé leurs Fourages , enlevé leurs Bef- tiaux & donné en meſme
temps aux Noftres le moyen de faire paiſiblement leur ré- colte dans le Rouffillon ; mais
nous n'avions pû entrer dans le Païs Ennemy , que par des paſſages étroits qui font entre les Montagnes , & queles Ef- pagnols pouvoient aiſement occuper pour nous empeſcher le retour. En effet ils s'étoient
déja ſaiſis de quelques-uns en intention de nous attaquer.
Nos Troupes leur cedoient en nombre. Il eſtoit queſtion de fortir des Montsoù nous nous
eftions engagez, & ce fut dans cette difficulté qu'éclata la prudence & la conduite de
Monfieurle Ducde Navailles.
Il
GALANT. 135 Il envoya ſes ordres à M le Chevalier d'Aubeterre , Gouverneur de Collioure,&Lieu
tenant Generaldes Arméesdu
Roy, de ſe rendre maître d'un Paſſage appellé le Col de Ba- gnols, qu'il ſçavoit qu'on avoit deſſein de luy fermer. M le Chevalier d'Aubeterre partie environ àminuit , avec undé
tachement de ſa Garniſon &
- des Milices du Païs. Il trouva
queles Ennemis avoient occu- -pé des Hauteurs &des Ro- chers eſcarpez. Il les en chaf- ſa avec une vigueur incroya- ble, &fit fuïrdeux Bataillons
qui venoient à leur ſecours.
Le chemin eſtantouvert,MonſieurdeNavailles commença à
faire marcher dés ce jour-là.
Les Ennemis vinrent camper àla portée de noſtre Canon;
D
S
S
Tome VI. M
1
136 LE MERCURE il y eut quelques eſcarmou- ches, &on les recommença le lendemain. Les Eſpagnols en Bataille voulurent gagner une Montagne fort haute, mais on les en empefcha. Cétobſtacle rompit leurs meſures , & nous occupâmes une Hauteur qui nous ofta tout lieu de rien
craindre d'eux. On demeura
trois jours en preſence,&pen- dant tout ce temps on ne fit que des eſcarmouches. On chargea trois EſcadronsEnne-- mis qui avoient paſſé une Ri- viere, &qui estoient foûtenus de ſept Regimens d'Infante- rie. L'avantage nous demeura,
avec perte pour les Eſpagnols de plus de ſept cens Hommes,
qui furent ou tuez ,
prifonniers , ou mis hors de
ou faits
combat. Nôtre General n'ayat
GALANT. 137
ان
S
و
plus rien à faire dans le Païs ,
fongea à s'en retirer , & fit marcher les premiers Bagages.
Cette marche fut dérobée à la
connoiſſance des Ennemis
auffi-bien que celle de toute l'Armée qui commença à dé- filer àminuit.Lors que le Com- te de Monterey en fut averty,
cette nouvelle le mit au deſefpoir , & il marcha avec tant de précipitation , qu'il joignit noſtre Arrieregarde. Monfieur de Navailles avec une adreffe
& une prudence admirable ,
trouva moyen de faire avan- cer encor noftre Armée ce
qui fit perdre haleine aux En- nemis qui nous pourſuivoient.
Les Eſpagnols ayans plus de
,
Troupes eftant compoſées de
S Troupes que nous ,
& ces
1
toute la Nobleſſe de leurs
Mij
138 LE MERCURE Royaumes, ſe répondoient tel- lementde la Victoire,que dans l'impatience de combattre, ils vinrentenfin àboutd'attacher
l'eſcarmouche , ce qu'ils firent avec une impétuoſité qui ſe peut àpeine concevoir. Ils oc- cuperent des Hauteurs; mais les Noſtres aprés les en avoir chaſſez en gagnerent d'autres,
& conferverent fi bien cét
avantage pendattoute la jour- née, qu'ils donnerentlieu aux Bagages d'avancer beaucoup,
&de ſe mettre en ſeureté. M
de Navailles ne craignant plus rien , & ayant fait voir au Comte de Monterey qu'il en fçavoit plus que luy , mit ſon Armée en bataille dans le lieu
qu'il jugea le plus avantageux,
&fit pofter fon Canonde for- te qu'il fut tres-bien fervy , &
GALANT. 139
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1
incommoda fort les Ennemis.
Noftre General voulut encor
gagnerune Hauteur, &ce qui paroift incroyable , nos Trou- pes qui devoient eſtre fati- guées de tant de mouvemens,
ypaſſerent avec diligence &
fans aucune confufion , parun effet des ordres que Monfieur ☐ de Navailles donnoit avecune application & une prefence d'eſpritqui n'avoient rien d'égal que fon courage. Il animoit tous les Officiers à bien faire ;
& les Soldats encouragez par fon exemple &parſes paroles,
réſolurentde périr plûtoſt que d'abandoner ce dernierPofte.
Les Ennemis vinrent aufſi- toft
ànous en tres-bon ordre , &
le Combat s'engagea. On tira pendant trois heuresde la ſeu le longueur de deux Piques ,
Miij
140 LE MERCURE Bataillons contre Bataillons , la
Cavalerie de part & d'autre eſtant derriere l'Infanterie..
Nos Troupes ne firent aucun méchant mouvement , & on ne les pût obliger à reculer d'un ſeul pas. La Cavalerie quenous avionsſur l'aifle gau- che fit des merveilles : Elle
monta fur une Hauteur pref- que inacceffible , & en chaffa lesEnnemis. Celle de ladroite alla pluſieurs fois à la char- ge , & en tua grand nom.
bre. L'Occafion dura cinq heures & demie , &fe termina avec beaucoup de gloire pour le Roy. Les Eſpagnolsy
ont perdu plus de deux mille Hommes. On leur a entierement défait les Regimensd'Ar--
ragon, de Medina Sidonia , &
deMonteleone. TouslesOffi-
GALANT.: 141 ciers de ces trois Regimens ont eſté tuez , bleffez , ou faits
prifonniers. On a fort mal trai- té ceux de Grenade & de la
Cofte , & il y a eu un tres- grand nombre de prifonniers,
entre leſquels ſont plufieurs Perſonnes de qualité , dont quelques-uns, comme le Com- te de la Fuente, le Vicomte de S.George,& le Colonel Heffe,
✓ font morts de leurs bleſſures..
Cette Action eſt d'autant plus
glorieuſe, qu'on a batu les Ennemisdans leur Païs, quoyque plus forts, qu'ony eft demeuré maître du Champ de Bataille,
qu'on leur a pris des Dra peaux ,&tout cela en ſe reti rant ; ce qui eſt une circon - ſtance remarquable : car les
Retraites font ordinairement
- dangereuses , & on y est rar
142 LE MERCURE
rement attaqué qu'on ne ſoit batu. Les Eſpagnols n'ont rien entrepris depuis ce temps-là ,
& voilà à quoy ont abouty tous ces grands Armemens, &
toutes ces Levées, qui avoient épuiſé leurs RoyaumesdeGre- nade &d'Andaloufie. Jevous
ay tenu parole , Madame. Ce Récit n'eſt embaraſſe d'aucuns'
Noms de Paſſages,&je ne l'ay pas meſme voulu charger de ceux de nos Officiers qui ſe font fait remarquer , afin de vous en laiſſer plus aiſement fuivre le fil . Cela ne me doit
pas empeſcher de leur rendre preſentement juſtice; & pour faire honneur aux Etrangers ,
je vous diray d'abord que les Suiffes & les Allemands ne
donnerent quartier à perſon- ne , fur ce qu'un Trompette
GALANT. 143 des Ennemis vint declarer -qu'ils n'en feroient point aux Etrangers. Si les François euf- ſent ſuivy cet exemple , il ne ſeroit guere demeuré d'Eſpa- gnols.
Les Regimens de Sault, de Furſtemberg , de Navailles ,
d'Erlac , de Gaſſion , de la Rabliere , de Lanſon , de Lebret ,
&de Villeneuve , ſe ſont dif
tinguez , aufli bien que les Dragons., que rien n'a efte ca- pable d'ébranler. Jamais onn'a fi genéralement bien faitdans aucun Combat. Onn'a pas re- marqué un feul Soldat qui ait reculé,&on ne ſçait qui loüer,
particulierement des Officiers,
parce qu'ils meritent tous d'égales loüanges.
*
Monfieur le Mareſchal Duc
de Navailles diviſa ſes Trou-
144 LE MERCURE
pes enpluſieurs Corps,&quoy qu'il fuſt par tout, il ne laiſſa pas de ſe mettre à la teſte d'un de
ces Corps qu'il avoit fi judi- cieuſement diviſez. Mr de la
Rabliere Mareſchal de Camp,
eſtoit à la teſte d'un autre , &
monta fur une Hauteur où il
batit les Ennemis. Mrde Gafſion Lieutenant General , pаreillementàla teſte d'un Corps,
occupa une autre Hauteur ; &
Mr Chevreau Brigadier deCa- valerie , ſe ſignala à la teſte du quatrième Corps. Mr du Sauf- fay donna beaucoup de mar- *ques de cœur & de conduite
en cette occaſion; il commandoit la Cavalerie. M² le Marquis d'Apremont Mareſchalde Camp, y fit des merveilles. II eſtoit par tout. Ce fut luy qui foûtint les premiers efforts des
GALANT. 145
Ennemis , & qui commença à
leur faire connoiſtre qu'ils s'é- toient trompez quand ils s'é- toient voulu répondre ſi fortement de la Victoire. La con- duite des Bagages fut donnée à Mr d'Urban Brigadier d'In- fanterie. Il les mit en ſeûreté,
&revint en ſuite prendre part à la gloire de cette fameuſe journée. M' le Marquis de Villeneuve , Colonel de Cavalerie , après avoir foûtenu les efforts des Ennemis , les chargea vigoureuſement. M le Che- valier de Ganges fit des choſes
ſurprenantes , & forma des Eſcadrons , malgré tout le feu des Ennemis. Mr le Marquis
de Navailles ſervit de Briga- dier en la place de M de S. André , qui avoit eſté envoyé
depuis deux jours à Bellegarde.
146 LE MERCURE 1
Ce Marquis agit avec autant de prudence que de courage.
Il mena les Bataillons à la
Charge , & fe montradigne du Sang dont il fort. M. des
Fontaines Lieutenant d'Artillerie , fit tout ce qu'on pou- voit attendre de luy. Son Ca- non fut bien ſervy, & fi à pro- pos , que les Ennemis en fou- frirent beaucoup. Toutes les Relations parlent fi avanta- geufement de Meſſieurs de la
Rabliere & deGaffion , qu'on ne leur peut donner trop de loüanges, non--plus qu'àMon- fieur le Chevalier d'Aubeterre , qui ayant apporté une vi- gilance incroyable à ſe faifir du Col de Bagnols avant le Combat, montra une vigueur extraordinaire à chaffer les
Ennemis qui avoient occupé les
GALANT. 147
les Hauteurs des environs de
ce Paſſage, quoy qu'ils fuſſent beaucoup mieux poftez & en plus grand nombre. Monfieur de Raiſon , Capitaine au Regi- ment de Sault ,& un petit Corps de Suiffes , executerent
tres-bien ſes ordres, Monfieur
le Camus deBeaulicu , Intendant General de tout le Païs,
donna les ſiens fort à propos.
Il avoit receu une Lettre en
chifre de Monfieur le Duc de
Navailles pour faire marcher toute la Milice du Païs avec
M' le Chevalier d'Aubeterre,
& pour tenir preſtes les Munir)
tions de guerre & de bouche,
& il prit ſoin de tout avecune diligence & une ponctualité qui nepeuvent etre allezoſti mées. Il chargea Monfieur He ron, Commiſſaire ordinaire des
Tome VI. N
148 LE MERCVRE Guerres , & des Convois tant
par terre que par Mer, de l'e- xecution'de beaucoup de cho- ſes dont il s'acquita tres-fide- lement. Il ne me reſte plus qu'à vous dire les noms des Morts&des Bleſſez , tant d'actions vigoureuſes n'ayant pû fe faire ſans qu'il nous en ait couſté quelque choſe.
Capitaines tuez.
M.Choueraſqui, м. le Chevalier du Cros, M.Duran.
Capitaines bleſſez.
Mrs Praflon , Davénes, Bardonanche, Maurniay, De Tu- bas , Revellas , Tronc , Romp,
Geſſeret,Bandron,Quantagril,
Guaſque, Saint Géniez , La- barte, Sainte-Coulombe, Lan- glade, Barriere, Brouffan,Cha- tonville Vulaine M. le Marquis deVilleneu
GALANT. 149
ve Colonel de Cavalerie , &
M.de Conflans Major du Re- gimentde laRabliere, ont auffi efté bleſſez .
a
Je ne vous parle point des Eſpagnols morts oubleſſez. Ce font noms qui vous font en tierement inconnus , &d'ailleurs le nombre eneſt ſi grand,
qu'ils ne pourroient que vous ennuyer. Le ComtedeMonterey envoyé demander le Corps du Comtede la Fuente par un Trompete , & dire à
Monfieur de Navailles qu'il avoit eſté plus heureux que luy. Ce Trompete le pria en meſme temps de ſa part d'a- voir ſoin de la Nobleſſe d'ef
pagne qu'il avoit entre ſes mains.
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Résumé : Tout ce qui s'et passé en Catalogne depuis l'ouverture de la Campagne, avec les Noms des Morts & des Blessez, & de ceux qui se sont signalez dans la derniere Défaite des Ennemis. [titre d'après la table]
Les Espagnols préparèrent une diversion en Catalogne pour compenser les conquêtes françaises en Flandre. Ils levèrent des troupes dans diverses provinces et nommèrent le Comte de Monterey vice-roi de Catalogne et général de l'armée. Les préparatifs incluaient l'arrivée de vaisseaux chargés de troupes à Barcelone et des renforts de régions comme Grenade et Valence. Le Comte de Monterey reçut l'ordre de se rendre à Barcelone et de préparer des troupes pour la Sicile. Il marcha vers Saint-Pierre-Pescador où le Duc de Navailles était posté. Après une escarmouche, les Espagnols furent contraints de se retirer en désordre. Plus tard, le Duc de Navailles envoya des troupes pour défaire un détachement espagnol près du Lampourdan. Les Français, malgré les forces espagnoles, réussirent à faire des dégâts en Catalogne et à sécuriser les récoltes dans le Roussillon. Cependant, ils étaient limités par des passages étroits entre les montagnes. Le Duc de Navailles envoya le Chevalier d'Aubeterre sécuriser le Col de Bagnols, permettant ainsi aux troupes françaises de progresser. Lors de plusieurs escarmouches, les Espagnols, bien que plus nombreux, furent repoussés. Le Duc de Navailles réussit à retirer ses troupes en sécurité malgré la poursuite des Espagnols. La bataille finale dura cinq heures et demie, se terminant par une victoire française. Les Espagnols perdirent plus de deux mille hommes et plusieurs régiments furent détruits. Les régiments français, notamment ceux de Sault, Furstemberg, et Navailles, se distinguèrent par leur bravoure. Le Duc de Navailles et plusieurs autres officiers reçurent des éloges pour leur conduite et leur courage. Après cette défaite, les Espagnols n'entreprirent plus aucune action militaire significative. Le texte mentionne également les capitaines tués et blessés lors des actions militaires, ainsi que la demande du Comte de Monterey pour le corps du Comte de la Fuente, soulignant la supériorité militaire du Duc de Navailles.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 317-331
Nouvelles de Siam, [titre d'après la table]
Début :
C'est avec raison, Madame, que je vous ay dit bien [...]
Mots clefs :
Roi, André Boureau-Deslandes, M. Cornuet, Siam, Roi de Siam, Terre, Présents, Lettre, Pavillon, Ambassadeurs, François Baron, Indes, France, Pays, Europe
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Nouvelles de Siam, [titre d'après la table]
C'eft avec railon, Madame
, que je vous ay dit bien
des fois que la grandeur de
noftre augufte Monarque
eftoit connue de toute la
Terre. Ses conqueftes & fes
admirables qualitez ont fait
tant de bruit chez les Nations
les plus éloignées, que
le Roy de Siam a refolu de
luy envoyer des Ambaffadeurs.
M' Baron, Directeur
General dans les Indes pour
la Compagnie Royale de
France, ayant fçû l'intention
JOPIS
Dd iij
318 MERCVRE
de ce Roy, luy fit offrir un de
fes Vaiffeaux
pour
our les aller
prendre jufqu'à Siam. Dans
ce deffein il fit partir le Vau
tour. Ce Vaiffeau eftoit com
mandé par M Cornuet, qui
menoit M Dellandes
- Bour
Cup 2010
reau . C'eft un jeune Homme
de tres- bonne mine, que
M' Baron avoit choify pour
Pov de porter fa Lettre au Roy
Siam , & luy offrir les Préfens
de la part de la Compa
Ml'Evefque
de Mefellopolis,
Vicaire Apoftoli
que a Siam , qui fçait la Langue
& les coûtumes
du Païs,
gnie.
GALANT 319
le ,
fe chargea de la négotiation.
Le Vautour arriva dans la
Riviere de Siam le 3, de Septembre
de l'année derniere ;
& M Cornuet & Deflandes
envoyerent demander, fi en
paffant devant la Fortercffe,
Cour trouveroit bon qu'ils
faluaffent le Pavillon , en la
maniere qui ſe pratique en
Europe. On leur répondit ,
que quoy que cela ne fe fuft
point encor fait en ces Lieuxlà
, ils en ufcroient à leur volonté,
parce qu'on vouloit
leur faire connoiftre la joye
qu'on avoit de leur venuë.
Dd iiij
329 MERCVRE
Le Vaiffeau monta la Rivicre
ſans plus retarder ; & lors
qu'on fut proche de la Fors
terefſe , Mª Deſlandes ayant
remarqué que sle Pavillon !
qu'on avoit mis au haut du
Donjon , eftoit celuy d'une
Republique , fit mouiller
l'ancre , & envoya dire au
Commandant de la Fortel
reffe qu'il ne pouvoit falüer
ce Pavillon , parce qu'il étoit
beaucoup inférieur à celuy
du Roy fon Maiſtre. Cel
Commandant luy manda
que dans les Indes les Roys
n'affectoient aucun Pavillon
GALANT. 321
particulièr & rauffitofton
en mit un de Tafetas rouge
enda place de celuy que l'on
avoir vu d'abord. M fut fa
lüéenmefme temps par tou
tell'Artillerie du Vaiffeau , a
quoy la Fortereffe répondit
d'une fi grande quantité de
coups de Canon , que tous
les Chinois qui eftoient alors
dans la Ville , les Portugais
& les Hollandois , auffi bien
que les Siamois, dirent plu
fieurs fois , qu'ils n'avoient
jamais entendu rien de pareil.
En effet , c'eſt rarement
qu'on prodigue la Poudre à
A
plu322
MERCVRE
Canon en ce Pais là Les
Gardest du Roy conduifirent
Me Deflandes & Cornuet
dans la Maiſon qu'on
leur avoit préparée ; & leis
du mefme mois de Septem
bre, qui fut le jour pris pour
porter la Lettre & les Pré
fens , trois grands Manda-
Fins ( qui font comme icy
nos Ducs & Pairs ) vinrent
avec leurs grands Bateaux
de parade devant la Maifon
où M' Deflandes eftoit logé,
pour accompagner la Lettre
de M' le Baron , & les Préfens
de la Compagnie. Ils furent
GALANT. 323
portez à découvert fur deux
grands Bateaux faits à la maniere
du Pais. On les fit entrer
dans la Salle , où le Mi
niftre affifté de plufieurs
Mandarins, Chinois , Mores,
Siamois, & Portugais , atten-
- doit M' Deflandes. Il arriva
avec M' Cornuet , & trente
Soldats François , & tous
- deux furent affis dans le milieu
de la Salle , vis- à - vis des
Miniftres, tenant devant eux.
la Lettre dans une Corbeille
d'or. Elle fut leue , & traduire
en mefme temps par
le Supérieur du Seminaire,
! ;
324 MERCVRE
François de nation , qu'on
avoit placé dans le lieu où
fe mettent orJinairement
leurs Preftres , qu'ils appels
lent Tallapoins . L'Audience
dura plus d'une heure , & fe
paffa prefque toute en Quef
tions fur l'état préfent de la
France, & fur la grandeur de
fon Monarque, dont les Siamois
fçavent les Victoires.
On y parla encor des autres
Princes de l'Europe , & M
Deflandes fatisfit à tout avec
une grace & une préſence
d'efprit dont tous ces Genslà
refterent furpris. L'Au
GALANT 325
dience eftant finie , le Miniftre
porta la Lettre avec la
Traduction au
Royqui
ayant veu les Préfens , les
eftima
plusqu'aucun de ceux
qu'il ait
accoûtumé de receyoir,
entr'autres deux grands
Luftres de criftal, trois gráds
Miroirs garnis d'argent & de
vermeil, deux Girandoles de
criftal, & deux Pieces de
Canon de fonte admirablement
bien travaillées . Il les
fit porter à une Maifon de
Campagne , avec plufieurs
Pieces de Brocard d'or &
d'argent, qui faifoient partie
326 MERCVRE
de ces Préfens . Cependant,
pour favoriferM Deflandes
plus qu'il ne fait d'ordinaire
les Envoyez des autres Nations,
il voulut bien fe mon.
Strer à luy. Pour cela, il fortit
de fon Palais les21.6& vint
dans une grande Court , où
M Deflandes & Cornuet
l'attendoient fur un Tapis.
Il eut plus d'une demy- heure
d'entretien avec eux , &stémoigna
prendre grand plaifir
à entendre conter par
Interprete les furprenantes
Actions du Roy , dont il dit
plus de vingt fois qu'il avoit
GALANT 327
fçeu le particulier. En fe retirant
, il leur fit préſent à
chacun d'une Vélte , compléte
de Brocard de Perfe,
qui eft une faveur des plus
fignalées que puiffe faire ce
Roy à des Etrangers. Sur
rout celle de fe faire voir eft
fort extraordinaire , ceuxzmefme
de fon Royaume
n'ayant prefque jamais l'avantage
de l'obtenir. Le lendemain
22. il envoya dire à
M Dellandes qu'il avoit réfolu
d'envoyer trois Ambaffadeurs
à l'Empereur des
François , & auffitoft l'ordre
1
328 MERCVRE
fut donné pour leur départ.
L'un de ces trois eft un Grád
Mandarin, qui s'el acquité
de plufieurs Ambaſſades à la
Chine. Ils fe rendirent en
pils
dix -fept jours de marche par
terre à Bantam, où ils cfpéroient
trouver le Navite
nommé le Soleil d'Orient,
mais il en avoit fait voile dés
le 17. de Septembre, & eftoit
retourné à Surate , où il reportoit
le Frere aîné de M
Deflandes, qui eft Commiffaire
General de la Compa
gnie Françoife , & qui mande
par fes Lettres écrites de
-1361 9- datorp.2
GALANT. 329
Bantam du 15 Septembre
1680. & par celles du 2. Fevrier
1681. qu'il iroit à Pondichery
dans la Cofte de
Coromandel juſques au
mois de Septembre de cette
ellau
année, pour de là venir en
France dans le Soleil d'Orient
, & y arriver vers le
mois de Mars prochain.
Comme l'on ne doute pas
que les trois Ambaffadeurs
ne foient partis de Bantam
pour Surate, peu apres eftre
arrivez en cette premiere
t Ville , on croit qu'ils viendront
dans ce mefme Vaif
Ee
Septembre 1681.
330 MERCVRE
feau le Soleil d'Orient, qui
eft du port de plus de douze
cens tonneaux . Le Roy de
Siam envoyé ces Ambafladeurs
non feulement à caufe
des grandes chofes qu'on
luy a dites du Roy , mais
parce que prévoyant qu'il
aura des déméllez avec une
Puiffance de l'Europe , il eſt
bien aile de s'appuyer de
celle d'un Prince , auquel il
fçait que rien ne peut réfifter.
Ce Roy eft appellé
dans fes Titres Le Roy des
Roys, le Seigneur des Seigneurs,
le Maistre des Eaux , le ToutGALANT
331
t
•
puiſſant de la Terre , le Dominateur
de la Mer l'Arbitre du
bonheur & de l'infortune, defes
Sujets. Ses Etats font fituez
dans les Indes, & ont plus de
trois cens lieues de largeur.
Ils contenoient autrefois.
toute cette pointe de terre
qui va jufqu'à Malaca.
, que je vous ay dit bien
des fois que la grandeur de
noftre augufte Monarque
eftoit connue de toute la
Terre. Ses conqueftes & fes
admirables qualitez ont fait
tant de bruit chez les Nations
les plus éloignées, que
le Roy de Siam a refolu de
luy envoyer des Ambaffadeurs.
M' Baron, Directeur
General dans les Indes pour
la Compagnie Royale de
France, ayant fçû l'intention
JOPIS
Dd iij
318 MERCVRE
de ce Roy, luy fit offrir un de
fes Vaiffeaux
pour
our les aller
prendre jufqu'à Siam. Dans
ce deffein il fit partir le Vau
tour. Ce Vaiffeau eftoit com
mandé par M Cornuet, qui
menoit M Dellandes
- Bour
Cup 2010
reau . C'eft un jeune Homme
de tres- bonne mine, que
M' Baron avoit choify pour
Pov de porter fa Lettre au Roy
Siam , & luy offrir les Préfens
de la part de la Compa
Ml'Evefque
de Mefellopolis,
Vicaire Apoftoli
que a Siam , qui fçait la Langue
& les coûtumes
du Païs,
gnie.
GALANT 319
le ,
fe chargea de la négotiation.
Le Vautour arriva dans la
Riviere de Siam le 3, de Septembre
de l'année derniere ;
& M Cornuet & Deflandes
envoyerent demander, fi en
paffant devant la Fortercffe,
Cour trouveroit bon qu'ils
faluaffent le Pavillon , en la
maniere qui ſe pratique en
Europe. On leur répondit ,
que quoy que cela ne fe fuft
point encor fait en ces Lieuxlà
, ils en ufcroient à leur volonté,
parce qu'on vouloit
leur faire connoiftre la joye
qu'on avoit de leur venuë.
Dd iiij
329 MERCVRE
Le Vaiffeau monta la Rivicre
ſans plus retarder ; & lors
qu'on fut proche de la Fors
terefſe , Mª Deſlandes ayant
remarqué que sle Pavillon !
qu'on avoit mis au haut du
Donjon , eftoit celuy d'une
Republique , fit mouiller
l'ancre , & envoya dire au
Commandant de la Fortel
reffe qu'il ne pouvoit falüer
ce Pavillon , parce qu'il étoit
beaucoup inférieur à celuy
du Roy fon Maiſtre. Cel
Commandant luy manda
que dans les Indes les Roys
n'affectoient aucun Pavillon
GALANT. 321
particulièr & rauffitofton
en mit un de Tafetas rouge
enda place de celuy que l'on
avoir vu d'abord. M fut fa
lüéenmefme temps par tou
tell'Artillerie du Vaiffeau , a
quoy la Fortereffe répondit
d'une fi grande quantité de
coups de Canon , que tous
les Chinois qui eftoient alors
dans la Ville , les Portugais
& les Hollandois , auffi bien
que les Siamois, dirent plu
fieurs fois , qu'ils n'avoient
jamais entendu rien de pareil.
En effet , c'eſt rarement
qu'on prodigue la Poudre à
A
plu322
MERCVRE
Canon en ce Pais là Les
Gardest du Roy conduifirent
Me Deflandes & Cornuet
dans la Maiſon qu'on
leur avoit préparée ; & leis
du mefme mois de Septem
bre, qui fut le jour pris pour
porter la Lettre & les Pré
fens , trois grands Manda-
Fins ( qui font comme icy
nos Ducs & Pairs ) vinrent
avec leurs grands Bateaux
de parade devant la Maifon
où M' Deflandes eftoit logé,
pour accompagner la Lettre
de M' le Baron , & les Préfens
de la Compagnie. Ils furent
GALANT. 323
portez à découvert fur deux
grands Bateaux faits à la maniere
du Pais. On les fit entrer
dans la Salle , où le Mi
niftre affifté de plufieurs
Mandarins, Chinois , Mores,
Siamois, & Portugais , atten-
- doit M' Deflandes. Il arriva
avec M' Cornuet , & trente
Soldats François , & tous
- deux furent affis dans le milieu
de la Salle , vis- à - vis des
Miniftres, tenant devant eux.
la Lettre dans une Corbeille
d'or. Elle fut leue , & traduire
en mefme temps par
le Supérieur du Seminaire,
! ;
324 MERCVRE
François de nation , qu'on
avoit placé dans le lieu où
fe mettent orJinairement
leurs Preftres , qu'ils appels
lent Tallapoins . L'Audience
dura plus d'une heure , & fe
paffa prefque toute en Quef
tions fur l'état préfent de la
France, & fur la grandeur de
fon Monarque, dont les Siamois
fçavent les Victoires.
On y parla encor des autres
Princes de l'Europe , & M
Deflandes fatisfit à tout avec
une grace & une préſence
d'efprit dont tous ces Genslà
refterent furpris. L'Au
GALANT 325
dience eftant finie , le Miniftre
porta la Lettre avec la
Traduction au
Royqui
ayant veu les Préfens , les
eftima
plusqu'aucun de ceux
qu'il ait
accoûtumé de receyoir,
entr'autres deux grands
Luftres de criftal, trois gráds
Miroirs garnis d'argent & de
vermeil, deux Girandoles de
criftal, & deux Pieces de
Canon de fonte admirablement
bien travaillées . Il les
fit porter à une Maifon de
Campagne , avec plufieurs
Pieces de Brocard d'or &
d'argent, qui faifoient partie
326 MERCVRE
de ces Préfens . Cependant,
pour favoriferM Deflandes
plus qu'il ne fait d'ordinaire
les Envoyez des autres Nations,
il voulut bien fe mon.
Strer à luy. Pour cela, il fortit
de fon Palais les21.6& vint
dans une grande Court , où
M Deflandes & Cornuet
l'attendoient fur un Tapis.
Il eut plus d'une demy- heure
d'entretien avec eux , &stémoigna
prendre grand plaifir
à entendre conter par
Interprete les furprenantes
Actions du Roy , dont il dit
plus de vingt fois qu'il avoit
GALANT 327
fçeu le particulier. En fe retirant
, il leur fit préſent à
chacun d'une Vélte , compléte
de Brocard de Perfe,
qui eft une faveur des plus
fignalées que puiffe faire ce
Roy à des Etrangers. Sur
rout celle de fe faire voir eft
fort extraordinaire , ceuxzmefme
de fon Royaume
n'ayant prefque jamais l'avantage
de l'obtenir. Le lendemain
22. il envoya dire à
M Dellandes qu'il avoit réfolu
d'envoyer trois Ambaffadeurs
à l'Empereur des
François , & auffitoft l'ordre
1
328 MERCVRE
fut donné pour leur départ.
L'un de ces trois eft un Grád
Mandarin, qui s'el acquité
de plufieurs Ambaſſades à la
Chine. Ils fe rendirent en
pils
dix -fept jours de marche par
terre à Bantam, où ils cfpéroient
trouver le Navite
nommé le Soleil d'Orient,
mais il en avoit fait voile dés
le 17. de Septembre, & eftoit
retourné à Surate , où il reportoit
le Frere aîné de M
Deflandes, qui eft Commiffaire
General de la Compa
gnie Françoife , & qui mande
par fes Lettres écrites de
-1361 9- datorp.2
GALANT. 329
Bantam du 15 Septembre
1680. & par celles du 2. Fevrier
1681. qu'il iroit à Pondichery
dans la Cofte de
Coromandel juſques au
mois de Septembre de cette
ellau
année, pour de là venir en
France dans le Soleil d'Orient
, & y arriver vers le
mois de Mars prochain.
Comme l'on ne doute pas
que les trois Ambaffadeurs
ne foient partis de Bantam
pour Surate, peu apres eftre
arrivez en cette premiere
t Ville , on croit qu'ils viendront
dans ce mefme Vaif
Ee
Septembre 1681.
330 MERCVRE
feau le Soleil d'Orient, qui
eft du port de plus de douze
cens tonneaux . Le Roy de
Siam envoyé ces Ambafladeurs
non feulement à caufe
des grandes chofes qu'on
luy a dites du Roy , mais
parce que prévoyant qu'il
aura des déméllez avec une
Puiffance de l'Europe , il eſt
bien aile de s'appuyer de
celle d'un Prince , auquel il
fçait que rien ne peut réfifter.
Ce Roy eft appellé
dans fes Titres Le Roy des
Roys, le Seigneur des Seigneurs,
le Maistre des Eaux , le ToutGALANT
331
t
•
puiſſant de la Terre , le Dominateur
de la Mer l'Arbitre du
bonheur & de l'infortune, defes
Sujets. Ses Etats font fituez
dans les Indes, & ont plus de
trois cens lieues de largeur.
Ils contenoient autrefois.
toute cette pointe de terre
qui va jufqu'à Malaca.
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Résumé : Nouvelles de Siam, [titre d'après la table]
En 1680, des ambassadeurs du roi de Siam furent envoyés en France pour reconnaître la grandeur et les conquêtes du roi de France. Le baron, directeur général de la Compagnie Royale de France dans les Indes, mit à disposition un vaisseau pour transporter les ambassadeurs. Ce vaisseau, commandé par M. Cornuet et transportant M. Dellandes, arriva en septembre 1680. Dellandes, choisi pour sa bonne mine et son éducation, portait une lettre et des présents du roi de France. À leur arrivée, ils demandèrent la permission de saluer un pavillon, ce qui fut accordé. Dellandes remarqua un pavillon républicain et insista pour en hisser un royal, ce qui entraîna une salve d'artillerie échangée entre le vaisseau et la forteresse. Dellandes et Cornuet furent ensuite conduits à une maison préparée pour eux. En septembre, trois mandarins vinrent accompagner la lettre et les présents à la cour. Dellandes, accompagné de soldats français, fut reçu par les ministres du roi de Siam. L'audience dura plus d'une heure, durant laquelle Dellandes répondit aux questions sur la France et son monarque. Le roi de Siam, impressionné par les présents, notamment des lustres de cristal et des pièces d'artillerie, décida d'envoyer trois ambassadeurs en France. Ces ambassadeurs, incluant un grand mandarin expérimenté, partirent pour Bantam mais manquèrent le vaisseau Soleil d'Orient. Ils étaient attendus en septembre 1681 sur ce même vaisseau. Le roi de Siam, anticipant des conflits avec une puissance européenne, cherchait à s'allier avec la France. Ses titres incluent 'Roi des Rois' et 'Maître des Eaux', et ses États s'étendent sur plus de trois cents lieues dans les Indes.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 3-76
CONVERSATION ACADEMIQUE, Dans laquelle il est traité des bonnes, & des mauvaises qualitez de l'Air. A Madame la Comtesse de C. R. C.
Début :
Vous m'avez témoigné, Madame, que l'Entretien Académique, dont [...]
Mots clefs :
Air, Docteur, Corps, Vent, Chevalier, Abbé, Pays, Vents, Feu, Hommes, Marquis, Terre, Feu, Lieu, Lieux, Président, Temps, Dieu, Âme, Esprit, Maisons, Qualité, Conversation académique, Raison, Manière, Éléments, Eau, Couleur, Froid, Maladies
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : CONVERSATION ACADEMIQUE, Dans laquelle il est traité des bonnes, & des mauvaises qualitez de l'Air. A Madame la Comtesse de C. R. C.
CONVERSATION
ACADEMIQUE,
Dans laquelle il eſt traité des ,
bonnes , & des mauvaiſes
litez de l'Air.
qua.
AMadame la Comteſſe de C. R. C.
V
Ous m'avez témoigné,
Madame , que l'Entretien
Académique , dont je vous fis
part au mois d'Avril de l'année
1680 , ne vous avoit point déplû,
& vous m'avez mefme demandé
tant de fois des nouvelles de cet
illuftre Abbé , chez qui l'on parla
du fommeil de l'aprefaînée, que
je crois encore vous faire plaifir
7
A ij
4
Extraordinaire
en vous apprenant fon retour,
& ce qui s'eft dit dans une autre
Converfation , où je me ſuis auffi
heureufement trouvé que la premiere
fois. Il y avoit longtemps
que nous n'avions veu cet Abbé
dans la Province ; mais quoy
qu'il foit infirme , il ne laiffe pas
d'entreprendre des Voyages pénibles
pour le fervice du Roy, &
de fes Amis , & d'agir comme s'il
fe partoit bien. Je vous avoue
que fa patience eft merveill‹ uſe;
mais en pratiquant cette excellente
vertu , il croit arriver à
toutes les autres. Pour vous,
Madame , qui ne pouvez foufrir
de retardement à tout ce que
vous fouhaitez , je m'imagine
déja que vous eftes impatiente
de fçavoir fur quoy a roulé noſtre
Entretien.
du Mercure Galant.
S
Je vous diray donc qu'eſtanc
alle voir cet illuftre Abbé , je le
trouvay avec la Troupe choisie,
qui ne l'abandonne pas quand il
eft en ce Païs , & un Confeiller
qui fortit quelque temps apres
que je fus arrivé. Comme ce
Confeiller eft d'une grande pref
tance , cet Homme , dit M' le
Marquis , a l'air d'un veritable
Magiftrat. Oüy , repliqua l'Abbé
, c'eft un Juge fort entendu
dans fa Charge , & plein de
courage pour la juftice , & pour
les intérefts de fa Compagnie. Il
porte cela fur fon vifage , dit le
Chevalier , il n'y a qu'à le voir.
On a quelquefois de la peine à
le retenir , tant il a de feu & de
vivacité , ajoûta le Préfident.
Cette chaleur , dit le Docteur,
7
A iij
6 Extraordinaire-
>
eft un effet de fon tempérament,
qui eftant fanguin le rend
violent & prompt. Il eft vray
que nous devons beaucoup à
noftre complexion , dit l'Abbé ;
& fi l'heureuſe naiffance fait les
bonnes moeurs , il est encore
vray , pour en revenir à l'air dont
nous parlions , qu'il contribuë
extrémement à la fortune des
Hommes. Ifabelle , Reyne d'Eſ
pagne , difoit ordinairement que
la bonne mine leur fervoit d'une
Lettre de recommandation affez
ample. En effet , quand une Perfonne
bien faite vient à nous , fon
air nous prévient d'abord en fa faveur
; & le Duc de Guife , parlant
dans fesMémoires de l'Action hé !
roïque qu'il fit à Naples, lors qu'il
appaifa tout feul une troupe de
du Mercure Galant. ブ
Séditieux , ce Prince dit que les
Gens de qualité ont un je ne.
fçay- quoy dans le vifage , qui fait
peur à la Canaille. Jules Céfar
paroiffant devant les Soldats mutinez
, les ärrefta d'une feule parole
; & Augufte étonna les Lé.
gions d'Antoine par fa préſence .
Dans le temps des Guerres deParis
, le Garde des Sceaux Molé,
en fe montrant fur les Degrez
du Palais , defarma & appaifa le
Peuple qui le cherchoit pour
s'en défaire . Ileft donc conſtant
qu'il y a un certain air dans les
Perfonnes , & un certain caractere
fur le vifage , qui nous infpire
de l'eftime , de la crainte , & de
la venération . Comme auffi il
y
a un certain air , & un certain caradere
qui nous cauſe de la dé-
A iiij
& Extraordinaire
fiance , de l'averfion , & du mé.
pris. De - là viennent ces viſages
favorables , ou malencontreux ,
dont la mine . feule femble nous
annoncer d'abord quelque bonheur
, ou quelque malheur à venir.
Tel eftoit Montagne , qui
fur le fimple crédit de fa préfen- .
ce , & de fon air , nous affure que
des Perfonnes qui ne le connoiffoient
pas , fe fioient en luy , foit
pour leurs propres affaires , ou
pour les fiennes , & que mefme
dans les Païs Etrangers , il en
avoit tiré des faveurs rares &
fingulieres. Il fait quelques petits
contes fur le fujet des chofes qui
luy estoient arrivées , qui font
affez remarquables .
L'Abbé ayant ceffé de parler;
ne peut- on pas ajouter à tous
du Mercure Galant .
9
ces Exemples , dit le Marquis ,
la bonne mine du Roy , fa taille,
fon grand air , & ce caractere
plein de majeſté , & de fageffe
qui l'accompagne toujours ?
C'eft par- là qu'il terraffe les Ennemis
, auffibien que par la force
de fes Armes , & qu'il s'attire
les refpects , & l'amour de tous
ceux qui l'envifagent . On a eu
bien raifon de mettre entre les
Fremieres maximes de regner,
qu'il falloit pour remplir dignement
la Royauté , le port , la
taille , & la bonne mine , qui ne
font autre chofe que le bon air
qui charme par des vertus fe.
crettes de l'ame. Car il ne faut
pas s'imaginer que le corps luy
tienne lieu d'une honteufe prifon
, c'eſt un Temple où cette
10 Extraordinaire
petite Divinité fe plaiſt davanta
ge, plus il eft pur & net au dedans,
& beau & magnifique au dehors.
Neantmoins Scaron a dit ,
Souvent un vilain corps loge un
noble courages
Et c'eft un grand menteur fouvent
que le vifage.
Oh, pour Scaron , interrompit
le
Chevalier qui n'avoit poinɛ
encore parlé , & dont j'admirois
le long filence , il n'avoit garde
de s'expliquer autrement. Il ef
toit trop intereffé à défendre le
party de la laideur , & de la di
formité , car il n'avoit pas le
viſage plus beau que le corps,
& chacun fçait comme il eftoit
fait ; mais M' de Corneille a dit
bien plus vray que M' Scaron ,
quand il affure que tout le mon
du Mercure Galant. 11
de veut eftre beau , & bien fait,
Et quefinous eftions artifans de nous
mefmes,
On ne verroitpar tout que des beautez
Suprémes.
Cela dépend de Dieu , & non
pas de nous , dit l'Abbé, Ipfefecit
nos, & non ipfi nos. Il s'eft réſervé à
luy feul , le fecret de la nailfance
des Hommes , & l'a rendu impénétrable
à leur curiofité . Nous
ne fçaurions donc connoiftre
pourquoy celuy.cy a un air qui
plaiſt , & celuy là un air qui rebute
& qui dégoufte ; mais M ' le
Docteur , dites - nous un peu à
le bien prendre , ce que c'eft que
l'air , car les Orateurs, les Poëtes,
& les Philofophes en parlent diverſement.
L'air , répondit ce Docteur,
12 Extraordinaire
peut eftre confideré en trois manieres,
comme Elément , comme
Température , & comme Mode
ou Maniere . Pour moy , je croy
que c'est l'expreffion des autres
Élémens , & du mouvement , de
to s les Corps , qui participe à
toutes leurs bonnes ou mauvaiſes
- qualitez. Ainfi l'on dit , l'air du
temps , l'airdu feu , prendre l'air,
pour dire recevoir cette tranfpiration
des corps dans fa fource,
& dans toute fon , étendue . On
donne ordinairement le nom
'd'air à toute cette Matiere li
quide & tranfparente dans la.
quelle nous vivons , & qui eft ré .
pandue de tous coftez à l'entour
du Globe , compofé de la terre
& de l'eau. En effet , quelques
Philofophes prétendent que les
du Mercure Galant.
13
Cieux font fluides , comme un
grand air vague & fpatieux,
dans lequel les Etoiles & les
Planetes fe promenent comme
les Poiffons dans la Mer , & les
Oifeaux dans les Nuës ; & le
Philofophe de Cour ( car enfin
il faut raifonner à la mode aujourd'huy
) cet Autheur , dis-je,
veut que les Cieux foient fluides,
& de la nature d'un air tres.fub
til , & tres- purifié . Les Anciens
ont auffi confondu les mots de
Ciel , & d'Air , en parlant de la
Partie que nous voyons ; & l'on
dit tous les jours , apres la Sainte
Ecriture , les Oiseaux du Ciel ,
ils volent dans le Ciel , pour dire,
les Oifeaux de l'air , ils volent
dans l'air. En effet , l'air entre
dans la compofition du Ciel , &
14
Extraordinaire
le Ciel femble eftre un air con
denfé. Un Moderne a eu raiſon
de dire , que l'air eft un étrange
& admirable compofé , & que
pour le bien connoiftre , il faudroit
connoiftre auparavant la
nature de tous les Corps qui entrent
dans fa compofition. Comment
donc le concevoir dans
cette fimplicité qui luy eſt neceffaire
pour eftre Elément ? Car
dans la compofition où il fe trouve
prefque toujours , par le mélange
des autres Elemens , & de
tous les Corps qui s'exhalent.
continuellement de la Terre , on
ne peut dire précisément ce que
c'eft . Le Philofophe de Cour,
dénie à l'air le nom & la qualité
d'Elément , & dit que par fa
fubtilité il eft feulement fembla
du Mercure Galant,
ble au premier Elément des Car
réfiens. Quelques autres difent
que c'est une portion de la
Matiere premiere , débrouillée
& purifiée par la Lumiere. La
penſée de cet Ancien eft jolie,
qui difoit que l'Air eftoit la vître.
rie de l'Univers , par où les Crea.
tures voyent tous les Objets
comme dans un Miroir , par la
refléxion de cetteLumiere. C'eft
luy qui conferve les couleurs invifibles
qui peignent tous les
Objets dans nos yeux , quoy qu'il
foit fans couleurs , puis que tous
les Objets tranfmetent leurs efpeces
en luy , ce qu'ils ne pour
roient pas faire s'il avoit quelque
couleur , comme nous voyons
tout rouge , ou tout jaune , dans
un verre qui eft peint de la fort,
16 Extraordinaire
›
Un Philofophe moderne dit que
l'air n'eft pas vifible , parce qu'il
eft trop délié ; mais qu'autant
qu'on le peut voir par la refpiration
, ou par les Arquebules à
vent , il eft de couleur grifatre,
A propos de la couleur de l'Air,
s'écria le Chevalier , en regar.
dant le Marquis , ne vous fouvient-
il point de ce prétendu Sor
cier , qui nous difoit un jour qu'il
avoit veu le Vent , & qu'il eftoit
rouge , jaune , & bleu ? Il eſt
beaucoup de femblables Viſionnaires
, répondit le Marquis , &
je croy qu'il s'en trouve auffi
parmy les Philofophes ; mais
laiffons parler M' le Docteur, car
il a fans doute de belles chofes à
nous dire . Apres un modefte
fous-rire , le Docteur reprit fon.
du Mercure Galant.
17
Difcours de la forte.
Les Philofophes donnent à
l'Air des figures bien diférentes,
& le mettent en tant de postures,
qu'il eft impoffible de le connoiftre
tel qu'il eft en effet. Quel
ques- uns difent
que les goutes
d'eau & de rolée, qui tombent de
l'air eftant rondes , cer Elément
eft de figure ronde , parce que
les parties doivent avoir l'inclination
du tout , mais en verité, je
trouve cette raifon badine , car
hors la Terre , les autres Elémens
qui font toujours dans l'agitation
, & dans le mouvement ,
n'ont point de figures certaines
& naturelles , Encore s'il eft vray
que la Terre tourne, il faut croire
qu'elle en change de temps en
temps puis qu'elle s'éboule , &
Q. d'Octobre 1683. B
18 Extraordinaire
s'écorne ſouvent , comme par
lent ceux qui fuivent cette opi- .
nion . Ainfi on diſpute fort inutilement
, fi la Terre eft ronde,
ou fphérique ; fi le Feu eft ovale,
ou pyramidal ; fi l'Eau eft plate,
ou fphérique , & fi l'Air eft
rond , ou triangulaire. Les Cartéfiens
difent que le fecond Elément
, auquel ils donnent le nom
d'Air , n'eft autre choſe que les
parties de leur Matiere fubtile,
qui pour eftre plus groffieres s'ar
rondiffent fans ceffe , que l'Air
le plus groffier a la proprieté de
fe dilater beaucoup , & qu'il fe
mefle aisément avec la Matiere
fubtile. Quelque autre affure
qu'il eft droit , quand il eft lenr,
c'eft à dire, dans fa gravité , mais
que lors qu'il eft furieux & turdu
Mercure Galant.
19
•
bulent , & fi vous voulez tourbillon
, il eft un peu courbé , &
d'une figure circulaire , mais je
croy qu'il n'a point d'autres figures
que celles du corps qui le
renferme. Quoy que fa couleur
foit inperceptible , comme nous
avons dit,il eft neantmoins tranf
parens , parce que les parties eftant
toûjours en action , laiffent
un grand vuide entre elles , & ce
vuide eft remply des rayons des
Corps lumineux. L'air que nous
refpirons eft vifible , parce que
ce font les fumées du coeur que
l'air extérieur codenſe & épaiffit,
quand il eft froid ; & plus la Perfoune
eft d'une complexion forte
& robufte , & plus elle pouffe
d'air quand elle eſt agirée ,
principalement en Hyver qu'il
Bij
20 Extraordinaire
·
fort de la bouche à gros flocons.
Pour fon odeur, les Philofophes
que j'ay déja citez , affurent
qu'elle eft fouvent mauvaiſe.
Enfin il eft chaud , humide , &
leger ; mais quelques Modernes
prétendent , qu'il eft froid , &
pelant ; & d'autres , qu'il n'eft
froid , ou chaud , que felon les
divers mouvemens qu'il foufre.
Ainsi, lors qu'on dit qu'il peut
devenir feu , on veut dire qu'il
peut s'échaufer jufqu'à ce fupré
me degré de chaleur, Quoy qu'il
nous paroiffe leger , il ne laiffe
pas d'eftre eftimé pefant , jufque.
là que Reid , docte Medecin , a
démontré qu'il ne l'eft pas moins
que la Terre , mais il eſt certain
qu'il eft médiocre en pefanteur,
plus pefant que le Feu , & plus
du Mercure Galant. 21
leger que l'eau . Pour ſa hauteur, -
finous en croyons M' Rohaut,
elle eft de plus de quatre mille
cinq cens quatre - vingts toifes ;
& il tient qu'il n'y a point de
Montagne affez haute
pour nous
élever au deffus de la plus haute
furface de l'Air, ou de la premiere
Région . Je me fouviens pourtant
, interrompit le Préfident,
que M' Bary raporte dans fa Phy
fique, qu'en Angleterre on monte
d'un certain Tertre jufqu'à
une certaine hauteur , où il n'y a
plus d'air , & qu'à moins d'y
porter des Eponges humectées,
on y meurt. Cela fe peut , reprit
le Docteur , & tout ce que
nous diſons icy , n'eſt pas fi pofitif
qu'on ne le puiffe contre.
dire ; mais pour continuer à vous
22 Extraordinaire
parler de cet Element , on ne
peut changer la veritable confiftence.
Il ne reçoit aucun mélange
, & comme tel , l'Air eft
appellé Elément , mais que celuy
que nous fouflons , que nous
refpirons , que nous voyons , &
qui nous environne , ne foit
qu'un mefme air , exempt d'aucun
mélange , cela ne le peut
foûtenir. L'air que nous refpirons
eſt un ſoufle vital , compofé
de noftre ame & du mouvement
de noftre corps . Celuy que
nous reſpirons , & qui nous en
vironne , eft compofé des vapeurs
, & du mouvement des
corps extérieurs qui nous approchent
; & celuy qui tient
lieu d'Elément , eſt une fubftance
extrémement deliée qui fe
du Mercure Galant.
23 1
fourre par tout , & qui remplit
tous les lieux , d'où les corps fe
def uniffent . Mais M' le Docteur
, dit le Marquis , quelle diférence
mettez- vous entre le
Vent , & l'Air pris comme Elément
? Car felon moy , le Vent
eft un Air agité , & l'Air eft un
Venten repos. Tous les Philofophes
modernes définiffent le
Vent une agitation fenfible de
l'Air , & felon M¹ Bary , le Vent
n'eft autre chofe qu'une agitation
d'air , plus ou moins notable.
L'Air eft encore toûjours
le fujet du Vent , & une de fes
caufes efficientes. Enfin il fert
de Théatre à ces merveilleux
Tourbillons . Ceux qui difpofent
des Vents ( car il y en a qui les
retiennent , & qui les lâchent
24
Extraordinaire
quand il leur plaift , ) ceux -là,
dis - je , obfervent les diférentes
qualitez de l'Air ; & je me ſouviens
d'avoir leu dans Théophrafte
, que les Brachmanes
avoient deux Tonneaux remplis
de Vent , qu'ils ne bouchoient
jamais que l'Air ne fuft fec , &.
tranquille , & qu'ils ne débouchoient
que lors qu'il eftoit hu
mide & tempeftueux . Je fçay,
continua le Marquis , qu'on dit
tous les jours , que les Vents
chaffent & purifient l'Air , mais
cela s'entend de ce que les parties
les plus groffieres de l'Air fe
fubtilifent , & fe raréfient par
cette agitation , & voila ces
Vents qu'il a pleu aux Pilotes
de nommer de noms barbares &
inconnus , felon les lieux où cet
Air
du Mercure Galant. 25
Air eft plus ou moins dans l'agitation
. En verité voſtre Philofophie
eft jolie , s'écria le Che
valier en riant , & elle feroit bien
reçeuë de l'Univerfité . Le Philofophe
de Cour ne raifonne pas
plus férieufement que vous fur
cette matiere , & j'aime autant
voftre Air agité , qui eft l'opinion
de Pline , que fon Météore
composé de deux fou
fres diférens & ennemis , que le
froid condenſe fi fort , que le
Météore creve par cette contrarieté
, & fait le grand fracas
que nous entendons .
Mais pourquoy , Mr le Che.
valier, reprit le Marquis, ne voulez
-vous pas que fous le bon plaifir
de M' le Docteur , je parle du
Vent à ua fantaiſie ? Ne fçavez-
Q. d'Octobre 1683. C
26 Extraordinaire
vous pas que c'eſt une des choſes
inconnues dans le monde ? Quelques-
uns en attribuent la pro.
duction au Soleil , les autres , au
combat que font les atomes ;
les autres , aux vapeurs , & aux
exalaifons ; & enfin il y en a d'autres
qui m'ont fait penfer , que
l'Air fe meut de foy - mefme ; car
je ne fuis fi vifionnaire
que
pas
vous le croyez , ny fi ridicule
fur le fujet des Vents , que celuy
qui difoit que c'eftoient les éter.
nuëmens de ce grand Animal
que nous appellons le Monde,
comme l'Air eftoit fon haleine &
fa refpiration . Cette imagination
eftoit bien digne de Rabelais
, qui dit que le Vent eft le
foufle de Gargantua . Dieu en
´eft l'Autheur , au fentiment d'un
du Mercure Galant.
27
Prophete, & il peut auffibien le
former de l'Air , que d'une autre
matiere. Quoy que Pline que
vous venez de citer , reconnoiffe
plufieurs fortes de Vents , comme
les Vents de Mer & de Terre,
tout cela n'est que l'Air , qquuiiaaggiitt
ou fur l'Eau , ou fur la Terre. Cer
Autheur veut encore que le Vent
foit un efprit vital , par lequel la
Nature produit toutes chofes .
Et ce Vent , ou cet Air dont nous
parlons , ne font- ils pas les mefmes
? Si cela eft , répondit le
Chevalier , je ne m'étonne plus
que les Cavales d'Andaloufie engendrent
par le Vent ; car l'Air
ou le Vent , eft un tréfor qui contient
toutes les femences , fi nous
en croyons Anaxagore . Et ne
croi t-ce point par cette raiſon
C ij
28 Extraordinaire
que nous appellons un Cheval
viſte, un Coureur , & que nous
difons , aller comme le vent ?
Car les Chevaux qui naiffent du
vent , & de telles Cavales , font
je m'imagine d'admirables Coureurs
pour leur legereté & leur
viteffe , & pareils aux Chevaux
volans , dont parle noftre Pline;
mais à l'endroit que vous avez
cité , il compare l'agitation du
Vent dans la nature , à une Femme
groffe , & dit que cet efprit
vital, remuë dans fes flancs com.
me un Enfant dans le ventre de
fa Mere . Ne voila- t-il pas une
belle origine des Vents ? Je ne
puis encore m'empeſcher derire,
qu nd il nous dit qu'ils font plus
mols que fermes. Quoy , les
Vents ont de la molete , eux
du Mercure Galant. 29
3
J.
J
1
1
qui font fi refolus qu'ils attaquent
les plus durs Rochers , &
les Baftimens les plus inėbranlables
, qui arrachent les Forefts ,
qui renverfent les Montagnes ?
Non , non. Je croy que leur tempérament
eft froid & fec , ce qui
marque leur force , & leur courage.
Vous badinez toujours ,
M le Chevalier , interrompit
l'Abbé . Il eft constant qu'il
y a des Vents chauds , & des
Vents humides . Ouy ; mais , reprit
le Chevalier , ce n'eft pas en
eux-mefies qu'ils font tels , mais
par accident , & felon les lieux
où ils fouflent , & la Saifon qu'ils
fe mettent en Campagne . Je
croy que M' le Chevalier a raifon
dit le Marquis , car
quand on dit, ce vent -là amenera
>
C iij
30 Extraordinaire
de la pluye , ce n'eft pas qu'il
foit pluvieux de fa nature , mais
c'cft qu'il amene , & fait tomber
les vapeurs qui fe réſolvent en
pluye. L'Air eft donc un veritable
Caméleon , capable de
toutes fortes d'impreffions . Tout
froid qu'il eft, il devient feu , felon
les divers mouvemens qu'il fou-
Ale ; mais ce qui eft admirable, eft
que ces vents ou ces impreffions
d'Air , comme nous les avons
appellez , ont leur révolution
jufte & périodique , de quatre
ans en quatre ans , vers le commencement
de la Canicule .
Quoy que je m'en tienne à
l'opinion de l'Ecole , dit le Do-
&teur , voyant que le Marquis
s'eftoit teú , qui eft que l'Air
n'eſt pas le Vent , il eſt neantdu
Mercure Galant. jr
moins le Pere des Vents , & le
crible de la Nature , comme
parle un Ancien , mais un Moderne
l'appelle avec plus de raifon
, le Compagnon du Soleil,
parce qu'il concourt avec luy à
la creation de toutes chofes , &
à la formation des plus merveil
Jeux Phénomenes de la Nature .
Il infpire ce que la Lumiere vivifie
, il purifie ce qu'elle dore , &
fert avec elle à éclairer tout l'Univers.
Anaximenés difoit que
Pair eftoit l'efprit du Monde , &
qu'il eftoit à l'Univers ce que
l'ame eft au corps ; que toutes
chofes eftoient engendrées de
l'air , & fe réfolvoient en air.
Enfin on peut dire de l'Air , ce
que S. Paul a dit de Dieu , In quo
vivimus , movemur, & fumus, I
C iiij
32
Extrardinaire
nous fait voir les objets , mais il
nous donne encore l'oüye , &
l'odorat, Par fon moyen nous
fentons , & nous entendons.
Tous nos Inftrumens , & toutes
nos Chanſons , ne font qu'un air
mefuré & harmonieux. Il anime
les uns , il infpire les autres . Une
Chanfon s'appelle un Air , parce
que c'est un Mode , ou une façon
de chanter , mais encore par
ce qu'il faut de l'air pour le chanter
, & que la Mufique rend cet
air harmonieux par les diférentes
notes qui le compofent. En effet,
l'air agité par la voix ,frape agreablement
nos oreilles , ce qui a fait
dire à un Ancien , qu'une belle
Ode , qui eft la mefme chofe
qu'une belle Chanſon , eftoit un
air qui voloit dans les oreilles. II
du Mercure Galant.
33
y a des Païs mefme où l'air fait
les belles Voix , & où tous les
Hommes chantent bien. Vous
demeurerez d'accord de cette
verité , puis que felon Ariftote,
la Voix & les Inftrumens ne font
qu'une répercuffion de l'air infpiré
.
L'air eft encore un excellent
médiateur entre l'eau & le feu.
Il corrige celuy - cy , & tempere
celle- là. Il eſt naturellement
Amy de la Terre , mais ce qui
releve davantage la nobleffe de
cet Elément , c'est que quelques
Philofophes ont crû que fe Dieu
unique & fouverain n'eftoit
autre que l'Air. Le Docteur
ayant ceffé de parler , comme
s'il n'euft eu plus rien à dire ; Oh
je me doutois bien que les An-
>
34
Extraordinaire
ciens en avoient fait un Dieu,
reprit le Chevalier ; mais moy,
je vous dis que c'eſt un Démon
en fubtilité , & en malice , qui
rend tous les corps agiles , & qui
penetre toutes chofes , fans les
rendre plus pefantes lors qu'il les
remplit. C'est un grand faifeur
de Fufées, & de Feux d'artifices,
qui forme les Méteores , & qui
les renferme dans fon fein ,
mais c'eſt auffi un grand tireur
de quinte effences , qui fçait
diftiler avec le feu élémentaire ,
les influences & les proprietez
occultes des Etoiles , & des Planetes
. Peu s'en faut que je ne
l'appelle Soufleur & Charlatan ;
mais enfin il eft le mieux logé de
tous les Elémens , puis qu'il ha.
bite dans trois regions diférentes,
·
du Mercure Galant.
33
& que le Feu , l'Eau & la Terre
demeurent toûjours où Dieu les
a placez . Il devoit ce me femble ,
avoir quatre Régions , afin de
partager les quatres Saifons de
l'année . Ileft chaud dans la haute
région proche du Feu élémentaire
. I eft plus fraichement dans
Ja moyenne , & d'une maniere
plus temperée dans la baffe , puis
que cette Région eft tantoft
chaude , & tantoft froide. Pline
qui connoiffoit cet Elément , &
qui peut eftre en avoit reçeu
quelque incommodité , dit qu'il
eft caufe de tous les malheurs qui
arrivent aux Hommes , & le
compare à un Sujet rebelle qui
fait fans ceffe la guerre à la Nature
. Les Vents qui font les
Soldats de l'Air , font tous les
36
Extraordinaire
ravages qu'il leur commande , &
ne fe retirent jamais de la meflée
fans eftre chargez de butin.
Toute la Compagnie ne pút
s'empefcher de rire de ce qu'avoir
dit le Chevalier ; mais l'Abbé
prit la parole , & s'adreffant au
Docteur d'un air plus férieux,
Mais noftre ame n'eft - elle point
de la nature de l'air , puis que
felon la penſée d'un Ancien , l'air
& l'efprit ne font qu'une mefine
chofe ? Pour moy je croy que
noftre ame eft un air tres fubtil,
& foit qu'elle anime nos corps,
ou qu'elle s'en fépare , elle en a
toute la reffemblance autant
qu'elle peut eftre viſible. Lors
que je la confidere comme fenfitive
ou animale , ou comme immortelle
, je n'en puis avoir naAu
Mercure Galant.
37
turellement d'autre idée . Diogenes
eftoit de voſtre ſentiment,
répondit le Docteur ; & Héraclite
& les Stoïciens eftoient en.
core de cette opinion. Ils vouloient
que noftre ame fuft une
évaporation d'humeurs inceffamment
coulantes , ou un vent.
L'efprit des Infectes , difent les
Chymiftes , eft la plus pure por
tion de l'air , & cette pure portion
de l'air eft le lien qui unit
l'ame avec le corps. L'ame des
Vegétaux eft auffi aërienne , &
c'est pourquoy le corps qu'elle
anime veut toujours s'élever en
l'air. La fainte Ecriture expri
mant de quelle maniere le pre
mier Homme fut animé , dit que
Dieu luy foufla dans le corps un
eſprit de vie. Or qu'eſt- ce qu'une
38
Extraordinaire
evaporation , qu'un vent , qu'un
foufle , finon l'air que nous ref
pirons , ou quelque chofe qui luy
reffemble ? Mais vous fçavez que
M'l'Evefque de Meaux , dans ce
beau Difcours qu'il a fait fur
l'Hiftoire Univerſelle , nous défend
de croire que noftre ame
foit un air fubtil , ny une vapeur
déliée ; parce que le foufle que
Dieu infpire , & qui porte en luymefme
fon image , n'eft ny air
ny vapeur. Je fçay cela , dit
l'Abbé , & d'autres Docteurs me
l'ont appris , mais nous ne parlerons
pas icy fur les Bancs . Quoy
qu'il en foit , reprit le Docteur,
l'air contribue non feulement à
toutes les belles qualitez du
corps & de l'efprit ; il infpire &
regle tous les mouvemens de l'adu
Mercure Galant.
39
me , ce qu'il eft facile de faire
voir , fi nous le confiderons.com.
me température .
L'éloquent Evefque que je
viens de citer , dit que les Elemens
furent alterez par le deluge,
& que l'air chargé d'une humi
dité exceffive , fortifia les principes
de cette corruption ; & ily a
bien de l'apparence que la Nature
fe fentit la premiere de la
corruption des Hommes , qu'elle
fut affoiblie , & qu'il demeura en
elle- mefme une impreffion éternelle
de la vangeance Divine.
Mais enfin , pour que l'air foit fa
lubre , il faut qu'il foit temperé,
ny trop groffier , ny trop fubtil.
Ainfi l'on dit une bonne température
d'air , une bonne contitution
d'air. Sa fubtilité ne
40 Extraordinaire
tait pas fa bonté , il eft auffi dana
gereux trop fubtil , que trop grof
Ler. C'est pourquoy dans la fupérieure
Region , où il eft dans
fa plus grande fubtilité , nous n'y
pourrions pas vivre. Cette fubti
lité rend fes parties trop aiguës,
& trop penétrantes ; & les lieux
trop élevez font contraires aux
poitrines foibles , & délicates. Un
Voyageur nous affure , qu'allant
voirun Hermite fur le Mont Ararath
, dans l'Arménie , il monta
jufques à la Region de l'air, où fe
forment les nuages ; que la plufpart
de ces nuages eftoient obfcurs
& épais , les autres extrémement
froids & pleins de neige,
& qu'il y fût mort , s'il y eût demeuré
encore un quart d'heure.
Lors que l'air eft trop groffier ,
du Mercure Galant.
fes parties trop épaiffes & trop
maſſives engraiſſent & tuënt la
poitrine , & les parties où elles
s'attachent par le moyen de la
refpiration. Il faut donc laiffer
l'air groffier aux Pituiteux , & le
fubtil aux Mélancoliques . Pour
moy , dit le Chevalier , j'aime à
reſpirer le grand air. Outre que
je m'en porte mieux , il me rend
F'efprit plus gay & plus agreable ;
il me donne mefme des penſées
plus nobles & plus relevées , & je
Vous affure que j'y trouve quel--
que chofe de divin & de ſurna.
turel , que je reifens viſiblement
en moy - mefme . Vous eftes du
naturel des Arbres , interrompir
le Préfident , qui aiment beau
coup l'air , ou plûtôt comme ces
Peuples de Siam qui l'adorent, &
2. d'Octobre 1683. D
•42
Extraordinaire
qui n'ont point d'autre tombeau
apres leur mort ,,
que
d'eftre
fuf
pendus
en l'air. Mais
je fuis bien
aife
que
vous
foyez
reconcilié
avec
cet Elément
, depuis
tantôt
.
Il ne s'agir
plus
de nôtre
querelle
,
reprit
le Chevalier
. Je l'aime
quand
il me fait
du bien
, mais
je ne fuis point
Aëriſte
, & je ne
Louhaite
pas que
mes
funérailles
fe faffent
en l'air . Je n'aime
pas
non
plus
ces airs voraces
, qui ren
dent
les Peuples
faméliques
, &
qui
tuënt
la poitrine
, comme
nous
a dit M' le Docteur
, mais
un air comme
celuy
de l'Egypte
,
qui infpire
la fobrieté
& l'abftinence
. Les
Hermites
de l'ancienne
Thebaide
eftoient
de vô.
tre gouft
, dit l'Abbé
, ils avoient
choify
exprés
ce lieu -là pour
leur
du Mercure Galant.
43
1
-
retraite ; auffi eſt- cè un vray païs
d'Hermites. Je vous avouë ma
foibleffe , reprit le Chevalier , ce
n'eft point par le meſme efprit
quej'aime le grand air ; mais c'eft
que je fuis tout différent de moymefme
dans les lieux bas ., obfcurs
&
defagreables ; au lieu que
les belles vûes , les belles Maifons
, les belles Perfonnes , me
charment , & me donnent une
nouvelle vie. Toutes ces chofes
nous infpirent je ne fçay quel air
doux & tendre , qui nous rend de
belle humeur , & de bonne compagnie.
Je ne puis refpirer l'air de ces riches
Plaines ,
Qu'échauffent les Zéphirs , de leurs
tiédes baleines ;
Je ne puis de ces Prez voir l'émail
précieux ,
44
Extraordinaire
Ou tant de vives fleurs éblouiffent
Les yeux i
Entendre de ces caux l'agreable mur.
mure ,
·Contempler de ces Bois la verte chevelure
,
Que je ne fois touché de quelque
fainte horreur,
Et ne fente les traits d'une fainte
furcur.
Cela m'arrive dans tous les
beaux Lieux dont parle ce Poëte,
& principalement en celuy - cy ,
où il me femble que ma vûë s'ë.
chauffe , où vôtre vûë , qui eft
proprement vôtre air , m'anime
& me donne plus d'efprit que je
n'en ay d'ordinaire. Qu'est - ce
qu'un beau jour , pourſuivit - il,
qu'une continuation d'air, que le
Soleil dore & purifie , qui fait
du Mercure Galant. 45
naître & anime toutes choſes ?
Qu'eft.ce auffi qu'une fale journée
, qu'une continuation d'air
corrompu , pareil à ce vilain
brouillard dont parle Ovide dans
fes Metamorphofes , qui eft l'origine
de la pefte , & des maladies
contagieufes ,
PrincipioCalum fpißä caligine terras
Preffit.
Qu'eft ce, dis-je, qu'unejournée
trifte & pluvieufe , finon un
air épais & fumeux , qui veut fuffoquer
toute la Nature , & qui la
rend afinatique , & fans refpiration
, fi j'ofe parler de la forte devant
un Docteur , qui veut qu'on
foit ferieux jufque dans les plus
petites chofes , quand il s'agit de
Philofophie Apres qu'on eut
applaudy d'une maniere un peu
46
Extraordinaire
railleufe à ce que le Chevalier ve
noit de dire , le Docteur repris
ainfi .
Chaque lieu a fon air , qui a
fes proprietez différentes , &
quelquefois merveilleufes. Juvenal
dit que dans une certaine
Contrée de l'Espagne , l'air y
teint naturellement la laine des
Brebis d'une tres belle couleur
, & qui eftoit fort estimée
chez les Romains . Les Peuples
qui habitent divers Climats , ont .
auffi diverfes qualitez . Icy l'air
rend les Hommes triftes & melancoliques
, là gays & éveillez ;
icy fobres , là gourmans , icy lâches
, & ' à genéreux ; icy chaftes,
là débanchez. On attribue le
long âge des Suédois à la pureté
de l'air qu'ils refpirent dans les
du Mercure Galant.
47
Montagnes dont ce Royaume eft
remply. Il y a auffi des Lieux ,
comme Aiguemorte en Languedoc
, où l'on ne vieillit guere , à
caufe de l'intempérie de l'air.
Mais bien plus , ceux qui en ref-
#pirent un autre que le natal,
prennent les moeurs & les complexions
desPeuples avec lesquels
ils habitent. Il eft vray , dit le
EMarquis, & Voiture écrit galamment
à Mademoiſelle Paulet , en
parlant de l'Affrique, où il eftoit,
Ne vous étonnez pas de m'ouir dire
des Galanteries fi ouvertement , l'air
de ce Pais m'a déja donné je ne
Seay quoy de felon , qui fait queje
Vous crains moins ; & quand je
traiteray deformais avec vous , fai-
Les état que c'est de Turc à More.
Vous fçavez , continüe- t- il , que
48
Extraordinaire
l'Afrique eft le Pais de l'Amour , des
emportemens & des violentes paffions
; ainfi il rend les Gensfélons,
amoureux & emportez.
Vous eftes toûjours galant,
M' le Marquis , reprit le Docteur,
mais l'Autheur de la Recherche
de la Verité eft affez de vôtre
fentiment. Il prétend que l'air
fait le mefme effet en nous , que
le fuc des viandes dont nous tirons
notre nourriture . Or chacunfçit
les incommoditez qu'on
reçoit des méchantes viandes que
l'on prend , & combien elles alté
rent le tempérament & la fanté.
Mais cet Autheur va encore plus
loin . Il dit que l'air penétre les
poulmons , & s'infinue dans le
fang , ce qui aporte un tres- grand
changement à nos humeurs & à
nos
du Mercure Galant.
49
de la difnos
inclinations , & que
férence de l'air qu'on refpire en
différens Climats , vient la diffé
rence des efprits . Là où il eft groffier,
gras & pefant, les Hommes y
font plus mous , plus ftupides , &
plus mélancoliques , là où il eſt
pur, fubtil & délié , les Hommes
y font plus enjoüez , plus fpirituels
, & plus agiles. Mais, interrompit
le Préfident , ne peut-on
pas dire que comme il y a quatre
Elémens , qui composent le tempérament
de tous les Hommes ,
il y a auffi quatre fortes d'Efprits , il-y
par raport à ces quatre Elémens ,
les Ignez , les Aériens , les Aquatiques
, & les Terreftres , qui font
encore divifez chacun en deux
ordres. Il y a ceux qui font animez
du feu qui fait briller les
2. d'Octobre 1683. E
So
Extraordinaire
Aftres , ils font courageux , harë
dis , habiles , aimables & bienfaifans
; & ceux qui brûlent du feu
qui embrafe les Cométes , font
malicieux , ambitieux , & cruels.
Il y a ceux qui reffemblent aux
caux pures & claires des Fontaines
, ils font nets , doux & paifi.
bles , les autres , comme ces eaux
croupiffantes & fangeufes des
Marais , font lents , pareffeux,
fales , malicieux & couverts . Les
Terreftres font quelquefois comme
ces belles Plaines fleuries &
tapiffées de verdure , ils font feconds
, agreables , fermes & folides
; les autres qui font plus fouterrains
, font avares , opiniâtres,
impudens , & brûlans. Et pour
1: s Aérins dont vous avez parlé,
les uns font affables , complaifans,
!
du Mercure Galant.
5%
inventifs , agiffans , & de belle
humeur , & de ce genre font les
Perfonnes de Cour, les honneftes
Gens , les jolies Femmes , enfin
les Gens de qualité , d'honneur,
& tous ceux qui compofent ce
qu'on appelle le beau Monde , &
qui font propres à la Converfa.
tion ; ceux- là avec raifon font du
grand air , & font tout de bon
air . Mais ceux qui dégenérent
font grands mangeurs , grands
rieurs , vains flatteurs & diffolus,
pour les autres ; femblables à Pair
agité , à cet air obfcur & nuageux
, qui produit les orages &
les tempeftes , ils font coléres,
ombrageux , impatiens , incon
ftans & brouillons . Ce que vous
venez de dire eft parfaitement
beau,répondit le Docteur, j'ay lu
E ij
32
Extraordinaire
quelque chofe de femblable ; mais
le tour que vous y avez donné
mele fait paroître tout nouveau.
Je fçay peu de Gens qui fe fervent
de leur lecture auffi bien que
vous. Mon Dieu , M` le Docteur,
reprit le Préfident , ne me loüez
pas tant d'un peu de memoire, qui
pour le petit fervice qu'elle me
rend aujourd'huy, me fait tous les
jours mille fupercheries . Le Doc.
teur, pour ne pas pouffer plus loin
le Compliment , reprit ainfi la
parole.
La diverfité de l'air fait la diverfité
des maladies , & on peut
voir là- deffus le Livre qu'Hyppocrate
en a fait. L'air eft quel
quefois fi corrompu , qu'il fait
mourir les Créatures qui le refpirent.
Il y a des Régions où les
du Mercure Galant.
$3
animaux mefme ne peuvent vivre
, & il n'arrive jamais de gran .
des peftes, qu'il n'en meure bean .
coup dans les lieux où eft la contagion.
Perfonne n'ignore fur ce
fujet la délicateffe des Aeurs , &
fur tout des Oeillets, qui meurent
au méchant air. Mais peut- cftre
ne fçavez- vous point , que les
Peuples du Japon font fi prévenus
que l'air eft mal fain , & contraire
à l'Homme , qu'ils ne fouf.
frent pas que leur Dairo ou Empereur
foir jamais découvert à
l'air. Mais bien plus , il y a des
Hommes fidélicats, qu'ils diftinguent
l'air d'une mefine rüe , &
qu'ils affurent que celuy de la
main droite eft plus pur que celuy
de la main gauche , & qui féparent
ainsi l'air en marchant , avec
E iij
34
Extraordinaire
une grande fubtilité . Cette re.
marque eftoit digne de moy , interrompit
le Chevalier ; mais je
veux vous dire quelque chofe de
plus veritable & de plus folide ,
touchant la corruption de l'air.
Vous avez lû les Mémoires de
Pontis , cependant je croy que
vous ne ferez pas fâchez que je
vous faffe reffouvenir d'un accident
fort remarquable
, que raporte
cet Autheur. Il dit qu'apres
qu'on eut levé le fiege de Louvain
, l'Armée cft : nt allée pour
fe rafraîchir vers Ruremonde , it
s'y éleva une fi furicufe tempefte,
avec de fi grands tourbillons, que
comme ce Païs eft extrémement
fablonneux , on n'y refpira pendant
plufieurs jours que du fable
au lieu d'air. Cinq ou fix mille
du Mercure Galant.
S$
Hommes en furent étouffez fubi.
tement , ou moururent -en trespeu
de temps , par I.s maladies
que leur caufoit cette grande corruption.
Non feulement l'air
qu'on refpiroit par le nez , mais
celuy qu'on avaloit avec les viandes
, qui en eftoient toûjours fort.
affaifonnées , formoit une espece
de contagion , qui gâtoit les par
-ties de ceux qui en eftoient attaquez
, il falut que l'air natal chaffât
cet air malin , & redonnât aux
Troupes la fanté qu'il leur avoit
fi étrangement alterée.
Le changement d'air fait de
grands effets , reprit le Docteur,
mais s'il a fes avantages , il a auffi
fes incommoditez . A moins
que
la maladie qu'on a contractée , ne
vienne principalement de l'air où
E iiij
56 Extraordinaire
l'on eft , le changement n'y fait
rien de bien , & fouvent du mal ,
lors qu'il eft une qualité oppoſée
ouà la maladie ou au tépérament
du Malade. Mais il eft admirable
que l'air , qui vivifie toutes les
Créatures , les empoifonne , ou
par fa qualité naturelle , ou par la
malice des Hommes , qui ont
trouvé l'invention de le corrompre,
auffi -bien que les autres Elemens.
Mais enfin , il eft toûjours
bon d'éviter le méchant air , puis
qu'on en attire beaucoup plus
qu'on n'en pouffe , & que prefque
tout l'air qu'on refpire , paffe
&fe convertit en nourriture . L'air
de la Campagne eft auffi plus
pur & plus fain que celuy des Villes
, car outre toutes les vapeurs
des ordures & des immondices,
du Mercure Galant .
59م و
I
5
les Morts qu'on y enterre , y rendent
l'air gras , épais & corrompu
; ce qui caufe de grandes & de
fâcheufes maladies ' , qui fait les
perfonnes languiflantes & de pâle
couleur . Platon qui en connoiffoit
les accidens , veut par fes
Loix que les Cimetieres feient
fituez en forte que les Vivans ne
puiffent eftre incommodez du
mauvais air des Morts . Les Grecs
& les Egyptiens eftoient fort délicats
en cela , ayant des Ifles
éloignées & defertes , où ils faifoient
porter les corps des défunts
. Pour moy , dit le Marquis ,
j'aurois voulu fur tout demeurer
dans l'ifle de Delos , où il eftoit
défendu d'accoucher, & d'enterrer
les Morts . Ce lieu eftoit fans
doute bien agreable & bien fain,
58
Extraordinaire
car l'un ne contribue pas moins
que l'autre à l'infection de l'air.
Vous avez raifon , dit le Docteur,
& ceux deDelos obfervérét cette
loy depuis une furieufe pefte dont
ils furent affligez , qui ne procédoit
que de la puanteur des tombeaux
Les Romains défendoient
de brûler les morts dansla ville , &
Augufte ordonna que ce fût pour
le moins deux milles loin des mu
railles . On remarque meſme dans
l'antiquité , qu'il n'y a eu que les
Tarentins qui ayent enterré les
Morts dans leur Ville , apres que
l'Oracle leur ayant promis beaucoup
d'heureux fuccés , s'ils de.
meuroient avec le plus grand
nombre , ils crûrent que cela devoit
s'entendre des Morts. Mais
la Religion Chrétienne , qui prêdu
Mercure Galant. 59
che la mort & les fouffrances , n'a
pas eu ces égards pour les Fidel .
les ; à joindre que les Prieres pour
les Morts , & la venération pour
leurs Reliques , ont authorifé
cette coutume. Les Corps des
Saints ne fçauroient eftre trop
e prés de nous ; & les autres , dont
les Ames ont besoin de nos fe.
cours fpirituels , feroient peuteftre
negligez , fi les tombeaux
ne nous faifoient reſſouvenir de
leurs neceffitez . Et de plus , dit
le Préfident , les Corps Saints
font tous de bonne odeur , & ils
exhalent quelquefois une douce
vapeur , qui furpaffe les parfums
les plus exquis . Ileft vray , dit le
Chevalier, plufieurs Autheurs en
ont raporté témoignage ; mais
le nombre de ces Corps eft petit,
60 Extraordinaire
& pour un Saint combien de....
Tout beau , dit le Docteur , retirons-
nous de là , cet air nous
feroit contraire , prenons - le autre
part. Vous avez raiſon , dit
l'Abbé , je n'aime pas volontiers
à m'entretenir de Religion , dans
des converfations un peu familieres
, & auffi libres que le font les
nôtres.
Le grand air eft perilleux pour
les convalefcens qui fortent d'un
petit air , ou d'un air renfermé ;
ce n'eft pas qu'un air trop tranquille
eft auffi mal fain , parce
qu'il peut plus aisément fe charger
& s'alterer , que celuy qui eft
agité. C'est pourquoy on dit
l'air pour eftre bon , doit eftre
tantôt mû par le Zéphir qui le
rafraîchit , & tantôt comprimé
que
du Mercure Galant.
par l'Aquilon , qui le purge . L'air
de la Mer guérit de plufieurs maladies
, mais il en donne plufieurs
autres à ceux mefme qui y font
naturalifez ; & on affure que cet
air eft fi corrofif, que les Oiſeaux
qui fréquentent la Mer , ont le
plumage prefque tout rouge.
Mais l'air temperé & purifié d'une
certaine maniere , conferve la
fanté , & la redonne à ceux qui
l'ont perdue. Il prolonge la vie,
& fert mefme de nouriture à quel.
ques Oifeaux ,dit le Préfident . Les
Aftchomes qui font une espéce
d'Hommes , qui n'ont point de
bouche , fe nourriffent de bonnes
odeurs , comme ils meurent s'ils
en fentent de mauvaiſes . Le Caméleon
& les Pluviers vivent
d'air , & il ne faut pas s'en éton62
Extraordinaire
ner , puis que la vie ne confifte
qu'en ces deux qualité de l'air,
qui font le chaud & l'humide.
Si le feu nourrit la Salamandre,
pourquoy l'air qui a des qualitez
bien plus nutritives , ne peut - il
pas nourrir des Oifeaux , à moins
qu'on ne veüille dégraiffer l'air,
& en féparer la rofee , qui n'eft
pas moins une fubftance de cet
Elément , que des vapeurs de la
terre. Ce que vous venez de dire
eft bien imaginé , repartit le Doc
teur ; mais puifque les Pluviers &
les oifeaux deParadis vivent d'air ,
c'est encore une des crédulitez de
Pline . L'air eft bien l'élément des
Oiſeaux, & le lieu qu'ils habitent,
mais il ne peut pas nourir un corps
folide d'une viande fi creufe .
Si on ne trouve point d'alimens
du Mercure Galant
C
E groffiers dans l'eftomac de ces
Qifeaux , c'eft qu'ils la digérent
promptement , qu'ils mangent
peu , & des chofes fort delicates.
Le Caméleon vit de vermine;
mais comme il aime extraordinai.
rement le grand jour , & qu'il devore
le bel air , comme l'on dit,
cela fait croire qu'il vit par la ver
tu de cet Elément . Mais vous fçavez
, reprit le Préfident , combien
l'air que les Enfans foufflent,
& les Perfonnes qui font bien
compofées , eft doux & falubre.
Il en fort un fi grand nombre d'ef
prits , qu'ils communiquent
une
nouvelle
e à ceux qui le refpirent
; & c'est la raifon pourquoy
on a dit que ceux qui enfeignent,
& qui paffent leur vie avec la Jeunede,
vivent plus long- temps que
64
Extraordinaire
les autres , & ont la couleur beaucoup
meilleure. Il en eft au contraire
de ceux qui fréquentent
des Perfonnes mal faines , & qui
ont les parties gâtées, parce qu'el
les communiquent leurs indifpofirions
& leurs maladies. On ne
trouva point de meilleur expédient
pour éloigner le Cardinal
Pancirole d'aupres le Pape Innocent
X. qu'en gagnant fon Medecin
, qui affura fa Sainteté que
ce Cardinal eftoit pulmonique,
& que fon haleine eftoit dange .
reufe & nuifible à fa fanté , par les
fréquens entretiens qu'ils avoient
enfemble .
Le Loup a l'haleine fi mauvaife
, qu'on a raifon d'appeller cet
animal un cloaque animé , mais
la malignité de fon haleine eſt ſi
du Mercure Galant.
65
1
fubtile & fi penétrante , qu'il n'y
a point de chair qu'elle ne corrompe.
Cette Fille dont parle
Galien, qui vivoit de napel , avoit
P'haleine bien pernicieufe , interrompit
le Chevalier , puis qu'elle
faifoit mourir ceux qui l'apro .
choient. Cette autre que cite Albert
le Grand , qui vivoit d'Aragnées
, ne l'avoit pas meilleure,
dit le Marquis ; mais que dirons.
nous de ces haleines excellentes,
dont l'air eft fi doux & agréable ,
continua- t-il? Je me fouviens toûjours
de cette délicate expreffion
du Comte de Buffy parlant d'une
Belle, L'air qu'elle fouffle eft plus
pur que celui qu'elle refpire . Quel
avantage , quel charme pour moy
qui n'aime rien tất, qu'on ne ſente
rien!Mais comme il y en a qui ont
Q. d Octobre 1683.
F
66 Extraordinaire
la fueur parfumée , pour ainfi dire,
' il y en a auffi qui ont la refpiration
admirable , & qui reſſem.
blent aux Abeilles , tout ce qu'el
les mangent & qu'elles prennent
fe convertit en miel , & enfucre,
Mixtura quadam & proprietate fpiritus
fui, & quafi conditura fui.
Elles forment de l'ambrofie &
du nectar dans leurs entrailles , &
de là vient la bonté & la douceur
de leur baleine . Tel eftoit Alexandre
le Grand , dit le Préfident
; mais comme il y a peu de
Perfonnes de cette nature, & qui
ayent toutes les qualitez du tempérament
adpondus , comme parlent
les Medecins , il n'y a point
de choſes au monde où l'on puiffe
s'apliquer plus utilement dans un
Etat , qu'à empêcher la corrup
du Mercure Galant. 67
tion de l'air , ſoit qu'elle vienne
par la méchante haleine des Malades
, par l'infection des immondices
& des ordures qu'on laiffe
amaſſer dans les Villes , ou par
l'inclémence des faifons . On a
donc eu raiſon autrefois de féparer
les Ladres d'avec les autres,
& encore aujourd'huy d'interdire
l'entrée des Villes à ceux qui
viennent des Lieux foupçonnez.
de la pefte , ou de quelque autre
maladie contagieufe , comme la
petite vérole , & tant d'autres
maladies qui fe communiquent
par la corruption de l'air.
Comme le Préfident fait bâtir
à la Campagne , il n'oublia pas à
demander plufieurs avispour rendre
une Maiſon auffi faine qu'agreable
, & là - deffus le Docteur
Fij
68 Extraordinaire
auquel la Compagnie avoit toû
jours deferé , parla de la forte.
Ce n'eft pas d'aujourd'huy
qu'on a de la peine à bien s'habi
tuer. Les Anciens avoient diffé
rentes opinions fur ce fujet . Ils difoient
qu'il ne falloit point choifir
les lieux trop gras , trop bas
& trop humides , parce qu'ils
eftoient mal fains . Ils ajoûtoient
qu'on ne connoiffoit pas toujours
la bonté de l'air d'un Païs , par la
couleur & la bonne difpofition
des Habitans , parce qu'il y en a
qui fe portent bien dans l'air mê .
me de la pefte. Il y a encore des
lieux qui ne font fains qu'en de
certaines faifons de l'année, & qui
font dangereux dans d'autres.
Mais afin qu'un lieu foit jugé
fain, il faut pour le moins en avoir
du Mercure Galant.
79
J
Pexpérience une année entiere.
Les Maifons expofées au Midy,
dans les Païs chauds , font mal
faines , on y devient bilicux &
languiflans , & fujets à des fiévres
tres aigües . Dans les Païs froids,
lesMailons qui font tournées vers
le Septentrion , rendent ceux qui
les habitent fujets aux fluxions &
paralifies. Les Maifons qui regardant
l'Occident , dans les Païs
humides , caufent des foiblefles
d'eftomac & des ulcéres. Les
Maifons qui font placées du côté
de l'Orient , dans les Païs fecs,
rendent les jointures débiles , con
denfent les humeurs , &
> engendrent
de grandes obftructions.
Et où bâtirons.nous donc , s'écria
le Chevalier , puis que dans tous
les cantons du Monde il n'y a que
"
70
Extraordinaire
と
maladies , & pas un lieu qui foit
fain La terre ? eft donc inhabitable.
Non pas , M' le Chevalier,
reprit le Docteur , chaque Païs a
fon terroir , fes eaux , fes afpects
& fes vents , qui luy font ou nui
fibles ou falutaires , il ne faut que
les bien choisir , & alors il n'y a
point de lieu qui ne puiffe eftre
fain , au moins pour les naturels
du Païs , & il n'y a que les Voyageurs
, qui en puiffent recevoir
quelques incommoditez.
Pline qui a écrit fort au long
fur la maniere de bâtir les Maifons
de Campagne , pour les rendrefaines
& logeables , dit que fi le
Climat eft chaud , l'ouverture
doit regarder le Nort ; s'il eft
froid, elle doit regarder le Midy,
& s'il eft temperé, elle doit regar
du Mercure Galant. 71
[
1
der le Levant. Cela eft bon , interrompit
l'Abbé , mais je vou .
drois fçavoir s'il eft neceffaire
pour avoir le bon air , de percer
un Bâtiment par quantité de hau
tes & pleines croifées , comme on
fait aujourdhuy , ou de l'ouvrir
feulement par des feneftres médiocres
, comme on faifoit autrefois.
Ileft aifé de remarquer par
tous les vieux Châteeux , tant dehors
que das le Royaume, que nos
Peres n'aimoient pas le grand air
pour leursMaifons . Tous les vieux
Bâtimens font placez de biais, ou
accompagnez aux coſtez de tourelles,
qui couvrent les jours, afin
de rompre le vent , & de fendre
l'air , qu'ils croyoient nuifible à
la fanté , ſe perfuadant de vivre
plus long -temps , en fe tenans
$2
Extraordinaire
ainfi renfermez ; eftant bien contraires
aux Poiffons , qui aiment
à changer d'air , & qui montrent
fouvent la tefte au deffus de l'eau ,
& meurent fous la glace , fi on n'a
foin de la fendre en Hyver , afin
de leur conferver la vie. Mais
nos Peres difoient que les Maifons
cftoient faites pour fe mettre à
couvert des injures de l'air , &
non pas pour le recevoir par de
grandes ouvertures , que nous
avons inventées pour fatisfaire au
plaifir , & à la vanité . J'ay vû un
Homme plus vieux que fon fiecle
, qui durant les trois mois fâcheux
de l'Hyver ne fort point,
neveut ny voir ny fentir l'air , qu'il
refpire feulement par un petit
jour qui eft au.deffus de la porte
de fa Chambre , foutenant que le
trop
du Mercure Galant.
73
C
trop grand jour tüe. Elifabeth
Reyne d'Angleterre , en allant
voir le Chancelier Bacon , dans
un Château qu'il avoit nouvellement
fait bâtir , & percer de toutes
parts par de belles & grandes
croifées, elle luy demanda où l'on
s'y mettroit l'Hyver , voulant
luy marquer par là , que le trop
d'air n'eft pas toûjours bon ny
commode , & que les feneftres
médiocres font meilleures. Cela
dépend des Climats, & de la coutume
des Peuples , dit le Docteur.
En Angleterre toutes les fenêtres
font fort petites , mefme dans les
Maiſons de plaifance des Princes ,
auffi bien que des Particuliers ,
qui n'ont que des ouvertures
quarrées , fans corniches ; & à
Douvres , il n'y a que quelques
Q. d'Octobre 1683. G
-
74
Extraordinaire
il
vires pourtoutes fenêtres, qu'on
ouvre pour donner de l'air. Les
Maifons de Picardie font prefque
fans feneftres , ou du moins elles
font fipetites, que ces Maifons ne
reffemblent proprement qu'à des
lafnieres. Mais comme les Maifons
fermées & ombragées font
plus froides & plus mal faines,
parce que le Soleil n'y entre pas ,
& quel'air y eft plus humide ,
fait plus froid dans les Villes qu'à
la Campagne. Enfin , outre le
bon air qu'il faut obferver pour
rendre les Maiſons faines & bien
fituées , il ya encore le bel air, &
la maniere de bien bâtir , qui les
rend agreables & commodes ; &
c'eft de ce bel air, priscommemo.
de ou maniere , dont il nous refte
parler , mais je croy que ce que
du Mercure Galant. 75
nousen avons déja dit à l'entrée
de cette Converfation, doit fuffire
, renvoyant les Curieux au
beau Difcours que Mr le Chevalier
a fait de l'air du monde , &
de la veritable policeffe . Cela
s'appelle , interrompit le Chevalier
, renvoyer les Curieux au
Dialogue de la Bonne - Grace d'un de
nos vieux Poëtes. Pardonnezmoy
, Mr le Chevalier , reprit le
Docteur, nous fçavons la différence
qu'il y a entre l'illuftre Autheur
du Mercure Galant , &
Autheur des Apprehenfions Spirituelles.
Le premier n'expoſe rien
au Public , qui ne foit digne de
fon approbation , & de l'eſtine
qu'il s'eft acquife . On ne peut
rien auffi ajoûter à ce que vous
avez dit fur cette matiere , mais
Gij
·75 Extraordinaire
il me femble que c'eit affez battre
l'air, & fi M' l'Abbé le trouve
bon , nous irons prendre l'air de
cette foirée, qui eft fort agreable.
L'Abbé eftant dans le mefme
fentiment , toute la Compagnie
fe leva , & fortit pour aller à la
promenade .
Je croy auffi , Madame , qu'il
eft temps de finir , & de vous retirer
d'une fi longue lecture , pour
Jaquelle j'aurois mille excufes à
vous faire , fi je ne fçavois que
tout ce que je vous écris de cette
illuftre Compagnie, ne vous peut
eftre ennuyeux. C'eft donc avec
cette affurance , & en qualité de
leur fidelle Secretaire , que je
prens la qualité de vôtre , &c.
DE LA FEVRERIE.
ACADEMIQUE,
Dans laquelle il eſt traité des ,
bonnes , & des mauvaiſes
litez de l'Air.
qua.
AMadame la Comteſſe de C. R. C.
V
Ous m'avez témoigné,
Madame , que l'Entretien
Académique , dont je vous fis
part au mois d'Avril de l'année
1680 , ne vous avoit point déplû,
& vous m'avez mefme demandé
tant de fois des nouvelles de cet
illuftre Abbé , chez qui l'on parla
du fommeil de l'aprefaînée, que
je crois encore vous faire plaifir
7
A ij
4
Extraordinaire
en vous apprenant fon retour,
& ce qui s'eft dit dans une autre
Converfation , où je me ſuis auffi
heureufement trouvé que la premiere
fois. Il y avoit longtemps
que nous n'avions veu cet Abbé
dans la Province ; mais quoy
qu'il foit infirme , il ne laiffe pas
d'entreprendre des Voyages pénibles
pour le fervice du Roy, &
de fes Amis , & d'agir comme s'il
fe partoit bien. Je vous avoue
que fa patience eft merveill‹ uſe;
mais en pratiquant cette excellente
vertu , il croit arriver à
toutes les autres. Pour vous,
Madame , qui ne pouvez foufrir
de retardement à tout ce que
vous fouhaitez , je m'imagine
déja que vous eftes impatiente
de fçavoir fur quoy a roulé noſtre
Entretien.
du Mercure Galant.
S
Je vous diray donc qu'eſtanc
alle voir cet illuftre Abbé , je le
trouvay avec la Troupe choisie,
qui ne l'abandonne pas quand il
eft en ce Païs , & un Confeiller
qui fortit quelque temps apres
que je fus arrivé. Comme ce
Confeiller eft d'une grande pref
tance , cet Homme , dit M' le
Marquis , a l'air d'un veritable
Magiftrat. Oüy , repliqua l'Abbé
, c'eft un Juge fort entendu
dans fa Charge , & plein de
courage pour la juftice , & pour
les intérefts de fa Compagnie. Il
porte cela fur fon vifage , dit le
Chevalier , il n'y a qu'à le voir.
On a quelquefois de la peine à
le retenir , tant il a de feu & de
vivacité , ajoûta le Préfident.
Cette chaleur , dit le Docteur,
7
A iij
6 Extraordinaire-
>
eft un effet de fon tempérament,
qui eftant fanguin le rend
violent & prompt. Il eft vray
que nous devons beaucoup à
noftre complexion , dit l'Abbé ;
& fi l'heureuſe naiffance fait les
bonnes moeurs , il est encore
vray , pour en revenir à l'air dont
nous parlions , qu'il contribuë
extrémement à la fortune des
Hommes. Ifabelle , Reyne d'Eſ
pagne , difoit ordinairement que
la bonne mine leur fervoit d'une
Lettre de recommandation affez
ample. En effet , quand une Perfonne
bien faite vient à nous , fon
air nous prévient d'abord en fa faveur
; & le Duc de Guife , parlant
dans fesMémoires de l'Action hé !
roïque qu'il fit à Naples, lors qu'il
appaifa tout feul une troupe de
du Mercure Galant. ブ
Séditieux , ce Prince dit que les
Gens de qualité ont un je ne.
fçay- quoy dans le vifage , qui fait
peur à la Canaille. Jules Céfar
paroiffant devant les Soldats mutinez
, les ärrefta d'une feule parole
; & Augufte étonna les Lé.
gions d'Antoine par fa préſence .
Dans le temps des Guerres deParis
, le Garde des Sceaux Molé,
en fe montrant fur les Degrez
du Palais , defarma & appaifa le
Peuple qui le cherchoit pour
s'en défaire . Ileft donc conſtant
qu'il y a un certain air dans les
Perfonnes , & un certain caractere
fur le vifage , qui nous infpire
de l'eftime , de la crainte , & de
la venération . Comme auffi il
y
a un certain air , & un certain caradere
qui nous cauſe de la dé-
A iiij
& Extraordinaire
fiance , de l'averfion , & du mé.
pris. De - là viennent ces viſages
favorables , ou malencontreux ,
dont la mine . feule femble nous
annoncer d'abord quelque bonheur
, ou quelque malheur à venir.
Tel eftoit Montagne , qui
fur le fimple crédit de fa préfen- .
ce , & de fon air , nous affure que
des Perfonnes qui ne le connoiffoient
pas , fe fioient en luy , foit
pour leurs propres affaires , ou
pour les fiennes , & que mefme
dans les Païs Etrangers , il en
avoit tiré des faveurs rares &
fingulieres. Il fait quelques petits
contes fur le fujet des chofes qui
luy estoient arrivées , qui font
affez remarquables .
L'Abbé ayant ceffé de parler;
ne peut- on pas ajouter à tous
du Mercure Galant .
9
ces Exemples , dit le Marquis ,
la bonne mine du Roy , fa taille,
fon grand air , & ce caractere
plein de majeſté , & de fageffe
qui l'accompagne toujours ?
C'eft par- là qu'il terraffe les Ennemis
, auffibien que par la force
de fes Armes , & qu'il s'attire
les refpects , & l'amour de tous
ceux qui l'envifagent . On a eu
bien raifon de mettre entre les
Fremieres maximes de regner,
qu'il falloit pour remplir dignement
la Royauté , le port , la
taille , & la bonne mine , qui ne
font autre chofe que le bon air
qui charme par des vertus fe.
crettes de l'ame. Car il ne faut
pas s'imaginer que le corps luy
tienne lieu d'une honteufe prifon
, c'eſt un Temple où cette
10 Extraordinaire
petite Divinité fe plaiſt davanta
ge, plus il eft pur & net au dedans,
& beau & magnifique au dehors.
Neantmoins Scaron a dit ,
Souvent un vilain corps loge un
noble courages
Et c'eft un grand menteur fouvent
que le vifage.
Oh, pour Scaron , interrompit
le
Chevalier qui n'avoit poinɛ
encore parlé , & dont j'admirois
le long filence , il n'avoit garde
de s'expliquer autrement. Il ef
toit trop intereffé à défendre le
party de la laideur , & de la di
formité , car il n'avoit pas le
viſage plus beau que le corps,
& chacun fçait comme il eftoit
fait ; mais M' de Corneille a dit
bien plus vray que M' Scaron ,
quand il affure que tout le mon
du Mercure Galant. 11
de veut eftre beau , & bien fait,
Et quefinous eftions artifans de nous
mefmes,
On ne verroitpar tout que des beautez
Suprémes.
Cela dépend de Dieu , & non
pas de nous , dit l'Abbé, Ipfefecit
nos, & non ipfi nos. Il s'eft réſervé à
luy feul , le fecret de la nailfance
des Hommes , & l'a rendu impénétrable
à leur curiofité . Nous
ne fçaurions donc connoiftre
pourquoy celuy.cy a un air qui
plaiſt , & celuy là un air qui rebute
& qui dégoufte ; mais M ' le
Docteur , dites - nous un peu à
le bien prendre , ce que c'eft que
l'air , car les Orateurs, les Poëtes,
& les Philofophes en parlent diverſement.
L'air , répondit ce Docteur,
12 Extraordinaire
peut eftre confideré en trois manieres,
comme Elément , comme
Température , & comme Mode
ou Maniere . Pour moy , je croy
que c'est l'expreffion des autres
Élémens , & du mouvement , de
to s les Corps , qui participe à
toutes leurs bonnes ou mauvaiſes
- qualitez. Ainfi l'on dit , l'air du
temps , l'airdu feu , prendre l'air,
pour dire recevoir cette tranfpiration
des corps dans fa fource,
& dans toute fon , étendue . On
donne ordinairement le nom
'd'air à toute cette Matiere li
quide & tranfparente dans la.
quelle nous vivons , & qui eft ré .
pandue de tous coftez à l'entour
du Globe , compofé de la terre
& de l'eau. En effet , quelques
Philofophes prétendent que les
du Mercure Galant.
13
Cieux font fluides , comme un
grand air vague & fpatieux,
dans lequel les Etoiles & les
Planetes fe promenent comme
les Poiffons dans la Mer , & les
Oifeaux dans les Nuës ; & le
Philofophe de Cour ( car enfin
il faut raifonner à la mode aujourd'huy
) cet Autheur , dis-je,
veut que les Cieux foient fluides,
& de la nature d'un air tres.fub
til , & tres- purifié . Les Anciens
ont auffi confondu les mots de
Ciel , & d'Air , en parlant de la
Partie que nous voyons ; & l'on
dit tous les jours , apres la Sainte
Ecriture , les Oiseaux du Ciel ,
ils volent dans le Ciel , pour dire,
les Oifeaux de l'air , ils volent
dans l'air. En effet , l'air entre
dans la compofition du Ciel , &
14
Extraordinaire
le Ciel femble eftre un air con
denfé. Un Moderne a eu raiſon
de dire , que l'air eft un étrange
& admirable compofé , & que
pour le bien connoiftre , il faudroit
connoiftre auparavant la
nature de tous les Corps qui entrent
dans fa compofition. Comment
donc le concevoir dans
cette fimplicité qui luy eſt neceffaire
pour eftre Elément ? Car
dans la compofition où il fe trouve
prefque toujours , par le mélange
des autres Elemens , & de
tous les Corps qui s'exhalent.
continuellement de la Terre , on
ne peut dire précisément ce que
c'eft . Le Philofophe de Cour,
dénie à l'air le nom & la qualité
d'Elément , & dit que par fa
fubtilité il eft feulement fembla
du Mercure Galant,
ble au premier Elément des Car
réfiens. Quelques autres difent
que c'est une portion de la
Matiere premiere , débrouillée
& purifiée par la Lumiere. La
penſée de cet Ancien eft jolie,
qui difoit que l'Air eftoit la vître.
rie de l'Univers , par où les Crea.
tures voyent tous les Objets
comme dans un Miroir , par la
refléxion de cetteLumiere. C'eft
luy qui conferve les couleurs invifibles
qui peignent tous les
Objets dans nos yeux , quoy qu'il
foit fans couleurs , puis que tous
les Objets tranfmetent leurs efpeces
en luy , ce qu'ils ne pour
roient pas faire s'il avoit quelque
couleur , comme nous voyons
tout rouge , ou tout jaune , dans
un verre qui eft peint de la fort,
16 Extraordinaire
›
Un Philofophe moderne dit que
l'air n'eft pas vifible , parce qu'il
eft trop délié ; mais qu'autant
qu'on le peut voir par la refpiration
, ou par les Arquebules à
vent , il eft de couleur grifatre,
A propos de la couleur de l'Air,
s'écria le Chevalier , en regar.
dant le Marquis , ne vous fouvient-
il point de ce prétendu Sor
cier , qui nous difoit un jour qu'il
avoit veu le Vent , & qu'il eftoit
rouge , jaune , & bleu ? Il eſt
beaucoup de femblables Viſionnaires
, répondit le Marquis , &
je croy qu'il s'en trouve auffi
parmy les Philofophes ; mais
laiffons parler M' le Docteur, car
il a fans doute de belles chofes à
nous dire . Apres un modefte
fous-rire , le Docteur reprit fon.
du Mercure Galant.
17
Difcours de la forte.
Les Philofophes donnent à
l'Air des figures bien diférentes,
& le mettent en tant de postures,
qu'il eft impoffible de le connoiftre
tel qu'il eft en effet. Quel
ques- uns difent
que les goutes
d'eau & de rolée, qui tombent de
l'air eftant rondes , cer Elément
eft de figure ronde , parce que
les parties doivent avoir l'inclination
du tout , mais en verité, je
trouve cette raifon badine , car
hors la Terre , les autres Elémens
qui font toujours dans l'agitation
, & dans le mouvement ,
n'ont point de figures certaines
& naturelles , Encore s'il eft vray
que la Terre tourne, il faut croire
qu'elle en change de temps en
temps puis qu'elle s'éboule , &
Q. d'Octobre 1683. B
18 Extraordinaire
s'écorne ſouvent , comme par
lent ceux qui fuivent cette opi- .
nion . Ainfi on diſpute fort inutilement
, fi la Terre eft ronde,
ou fphérique ; fi le Feu eft ovale,
ou pyramidal ; fi l'Eau eft plate,
ou fphérique , & fi l'Air eft
rond , ou triangulaire. Les Cartéfiens
difent que le fecond Elément
, auquel ils donnent le nom
d'Air , n'eft autre choſe que les
parties de leur Matiere fubtile,
qui pour eftre plus groffieres s'ar
rondiffent fans ceffe , que l'Air
le plus groffier a la proprieté de
fe dilater beaucoup , & qu'il fe
mefle aisément avec la Matiere
fubtile. Quelque autre affure
qu'il eft droit , quand il eft lenr,
c'eft à dire, dans fa gravité , mais
que lors qu'il eft furieux & turdu
Mercure Galant.
19
•
bulent , & fi vous voulez tourbillon
, il eft un peu courbé , &
d'une figure circulaire , mais je
croy qu'il n'a point d'autres figures
que celles du corps qui le
renferme. Quoy que fa couleur
foit inperceptible , comme nous
avons dit,il eft neantmoins tranf
parens , parce que les parties eftant
toûjours en action , laiffent
un grand vuide entre elles , & ce
vuide eft remply des rayons des
Corps lumineux. L'air que nous
refpirons eft vifible , parce que
ce font les fumées du coeur que
l'air extérieur codenſe & épaiffit,
quand il eft froid ; & plus la Perfoune
eft d'une complexion forte
& robufte , & plus elle pouffe
d'air quand elle eſt agirée ,
principalement en Hyver qu'il
Bij
20 Extraordinaire
·
fort de la bouche à gros flocons.
Pour fon odeur, les Philofophes
que j'ay déja citez , affurent
qu'elle eft fouvent mauvaiſe.
Enfin il eft chaud , humide , &
leger ; mais quelques Modernes
prétendent , qu'il eft froid , &
pelant ; & d'autres , qu'il n'eft
froid , ou chaud , que felon les
divers mouvemens qu'il foufre.
Ainsi, lors qu'on dit qu'il peut
devenir feu , on veut dire qu'il
peut s'échaufer jufqu'à ce fupré
me degré de chaleur, Quoy qu'il
nous paroiffe leger , il ne laiffe
pas d'eftre eftimé pefant , jufque.
là que Reid , docte Medecin , a
démontré qu'il ne l'eft pas moins
que la Terre , mais il eſt certain
qu'il eft médiocre en pefanteur,
plus pefant que le Feu , & plus
du Mercure Galant. 21
leger que l'eau . Pour ſa hauteur, -
finous en croyons M' Rohaut,
elle eft de plus de quatre mille
cinq cens quatre - vingts toifes ;
& il tient qu'il n'y a point de
Montagne affez haute
pour nous
élever au deffus de la plus haute
furface de l'Air, ou de la premiere
Région . Je me fouviens pourtant
, interrompit le Préfident,
que M' Bary raporte dans fa Phy
fique, qu'en Angleterre on monte
d'un certain Tertre jufqu'à
une certaine hauteur , où il n'y a
plus d'air , & qu'à moins d'y
porter des Eponges humectées,
on y meurt. Cela fe peut , reprit
le Docteur , & tout ce que
nous diſons icy , n'eſt pas fi pofitif
qu'on ne le puiffe contre.
dire ; mais pour continuer à vous
22 Extraordinaire
parler de cet Element , on ne
peut changer la veritable confiftence.
Il ne reçoit aucun mélange
, & comme tel , l'Air eft
appellé Elément , mais que celuy
que nous fouflons , que nous
refpirons , que nous voyons , &
qui nous environne , ne foit
qu'un mefme air , exempt d'aucun
mélange , cela ne le peut
foûtenir. L'air que nous refpirons
eſt un ſoufle vital , compofé
de noftre ame & du mouvement
de noftre corps . Celuy que
nous reſpirons , & qui nous en
vironne , eft compofé des vapeurs
, & du mouvement des
corps extérieurs qui nous approchent
; & celuy qui tient
lieu d'Elément , eſt une fubftance
extrémement deliée qui fe
du Mercure Galant.
23 1
fourre par tout , & qui remplit
tous les lieux , d'où les corps fe
def uniffent . Mais M' le Docteur
, dit le Marquis , quelle diférence
mettez- vous entre le
Vent , & l'Air pris comme Elément
? Car felon moy , le Vent
eft un Air agité , & l'Air eft un
Venten repos. Tous les Philofophes
modernes définiffent le
Vent une agitation fenfible de
l'Air , & felon M¹ Bary , le Vent
n'eft autre chofe qu'une agitation
d'air , plus ou moins notable.
L'Air eft encore toûjours
le fujet du Vent , & une de fes
caufes efficientes. Enfin il fert
de Théatre à ces merveilleux
Tourbillons . Ceux qui difpofent
des Vents ( car il y en a qui les
retiennent , & qui les lâchent
24
Extraordinaire
quand il leur plaift , ) ceux -là,
dis - je , obfervent les diférentes
qualitez de l'Air ; & je me ſouviens
d'avoir leu dans Théophrafte
, que les Brachmanes
avoient deux Tonneaux remplis
de Vent , qu'ils ne bouchoient
jamais que l'Air ne fuft fec , &.
tranquille , & qu'ils ne débouchoient
que lors qu'il eftoit hu
mide & tempeftueux . Je fçay,
continua le Marquis , qu'on dit
tous les jours , que les Vents
chaffent & purifient l'Air , mais
cela s'entend de ce que les parties
les plus groffieres de l'Air fe
fubtilifent , & fe raréfient par
cette agitation , & voila ces
Vents qu'il a pleu aux Pilotes
de nommer de noms barbares &
inconnus , felon les lieux où cet
Air
du Mercure Galant. 25
Air eft plus ou moins dans l'agitation
. En verité voſtre Philofophie
eft jolie , s'écria le Che
valier en riant , & elle feroit bien
reçeuë de l'Univerfité . Le Philofophe
de Cour ne raifonne pas
plus férieufement que vous fur
cette matiere , & j'aime autant
voftre Air agité , qui eft l'opinion
de Pline , que fon Météore
composé de deux fou
fres diférens & ennemis , que le
froid condenſe fi fort , que le
Météore creve par cette contrarieté
, & fait le grand fracas
que nous entendons .
Mais pourquoy , Mr le Che.
valier, reprit le Marquis, ne voulez
-vous pas que fous le bon plaifir
de M' le Docteur , je parle du
Vent à ua fantaiſie ? Ne fçavez-
Q. d'Octobre 1683. C
26 Extraordinaire
vous pas que c'eſt une des choſes
inconnues dans le monde ? Quelques-
uns en attribuent la pro.
duction au Soleil , les autres , au
combat que font les atomes ;
les autres , aux vapeurs , & aux
exalaifons ; & enfin il y en a d'autres
qui m'ont fait penfer , que
l'Air fe meut de foy - mefme ; car
je ne fuis fi vifionnaire
que
pas
vous le croyez , ny fi ridicule
fur le fujet des Vents , que celuy
qui difoit que c'eftoient les éter.
nuëmens de ce grand Animal
que nous appellons le Monde,
comme l'Air eftoit fon haleine &
fa refpiration . Cette imagination
eftoit bien digne de Rabelais
, qui dit que le Vent eft le
foufle de Gargantua . Dieu en
´eft l'Autheur , au fentiment d'un
du Mercure Galant.
27
Prophete, & il peut auffibien le
former de l'Air , que d'une autre
matiere. Quoy que Pline que
vous venez de citer , reconnoiffe
plufieurs fortes de Vents , comme
les Vents de Mer & de Terre,
tout cela n'est que l'Air , qquuiiaaggiitt
ou fur l'Eau , ou fur la Terre. Cer
Autheur veut encore que le Vent
foit un efprit vital , par lequel la
Nature produit toutes chofes .
Et ce Vent , ou cet Air dont nous
parlons , ne font- ils pas les mefmes
? Si cela eft , répondit le
Chevalier , je ne m'étonne plus
que les Cavales d'Andaloufie engendrent
par le Vent ; car l'Air
ou le Vent , eft un tréfor qui contient
toutes les femences , fi nous
en croyons Anaxagore . Et ne
croi t-ce point par cette raiſon
C ij
28 Extraordinaire
que nous appellons un Cheval
viſte, un Coureur , & que nous
difons , aller comme le vent ?
Car les Chevaux qui naiffent du
vent , & de telles Cavales , font
je m'imagine d'admirables Coureurs
pour leur legereté & leur
viteffe , & pareils aux Chevaux
volans , dont parle noftre Pline;
mais à l'endroit que vous avez
cité , il compare l'agitation du
Vent dans la nature , à une Femme
groffe , & dit que cet efprit
vital, remuë dans fes flancs com.
me un Enfant dans le ventre de
fa Mere . Ne voila- t-il pas une
belle origine des Vents ? Je ne
puis encore m'empeſcher derire,
qu nd il nous dit qu'ils font plus
mols que fermes. Quoy , les
Vents ont de la molete , eux
du Mercure Galant. 29
3
J.
J
1
1
qui font fi refolus qu'ils attaquent
les plus durs Rochers , &
les Baftimens les plus inėbranlables
, qui arrachent les Forefts ,
qui renverfent les Montagnes ?
Non , non. Je croy que leur tempérament
eft froid & fec , ce qui
marque leur force , & leur courage.
Vous badinez toujours ,
M le Chevalier , interrompit
l'Abbé . Il eft constant qu'il
y a des Vents chauds , & des
Vents humides . Ouy ; mais , reprit
le Chevalier , ce n'eft pas en
eux-mefies qu'ils font tels , mais
par accident , & felon les lieux
où ils fouflent , & la Saifon qu'ils
fe mettent en Campagne . Je
croy que M' le Chevalier a raifon
dit le Marquis , car
quand on dit, ce vent -là amenera
>
C iij
30 Extraordinaire
de la pluye , ce n'eft pas qu'il
foit pluvieux de fa nature , mais
c'cft qu'il amene , & fait tomber
les vapeurs qui fe réſolvent en
pluye. L'Air eft donc un veritable
Caméleon , capable de
toutes fortes d'impreffions . Tout
froid qu'il eft, il devient feu , felon
les divers mouvemens qu'il fou-
Ale ; mais ce qui eft admirable, eft
que ces vents ou ces impreffions
d'Air , comme nous les avons
appellez , ont leur révolution
jufte & périodique , de quatre
ans en quatre ans , vers le commencement
de la Canicule .
Quoy que je m'en tienne à
l'opinion de l'Ecole , dit le Do-
&teur , voyant que le Marquis
s'eftoit teú , qui eft que l'Air
n'eſt pas le Vent , il eſt neantdu
Mercure Galant. jr
moins le Pere des Vents , & le
crible de la Nature , comme
parle un Ancien , mais un Moderne
l'appelle avec plus de raifon
, le Compagnon du Soleil,
parce qu'il concourt avec luy à
la creation de toutes chofes , &
à la formation des plus merveil
Jeux Phénomenes de la Nature .
Il infpire ce que la Lumiere vivifie
, il purifie ce qu'elle dore , &
fert avec elle à éclairer tout l'Univers.
Anaximenés difoit que
Pair eftoit l'efprit du Monde , &
qu'il eftoit à l'Univers ce que
l'ame eft au corps ; que toutes
chofes eftoient engendrées de
l'air , & fe réfolvoient en air.
Enfin on peut dire de l'Air , ce
que S. Paul a dit de Dieu , In quo
vivimus , movemur, & fumus, I
C iiij
32
Extrardinaire
nous fait voir les objets , mais il
nous donne encore l'oüye , &
l'odorat, Par fon moyen nous
fentons , & nous entendons.
Tous nos Inftrumens , & toutes
nos Chanſons , ne font qu'un air
mefuré & harmonieux. Il anime
les uns , il infpire les autres . Une
Chanfon s'appelle un Air , parce
que c'est un Mode , ou une façon
de chanter , mais encore par
ce qu'il faut de l'air pour le chanter
, & que la Mufique rend cet
air harmonieux par les diférentes
notes qui le compofent. En effet,
l'air agité par la voix ,frape agreablement
nos oreilles , ce qui a fait
dire à un Ancien , qu'une belle
Ode , qui eft la mefme chofe
qu'une belle Chanſon , eftoit un
air qui voloit dans les oreilles. II
du Mercure Galant.
33
y a des Païs mefme où l'air fait
les belles Voix , & où tous les
Hommes chantent bien. Vous
demeurerez d'accord de cette
verité , puis que felon Ariftote,
la Voix & les Inftrumens ne font
qu'une répercuffion de l'air infpiré
.
L'air eft encore un excellent
médiateur entre l'eau & le feu.
Il corrige celuy - cy , & tempere
celle- là. Il eſt naturellement
Amy de la Terre , mais ce qui
releve davantage la nobleffe de
cet Elément , c'est que quelques
Philofophes ont crû que fe Dieu
unique & fouverain n'eftoit
autre que l'Air. Le Docteur
ayant ceffé de parler , comme
s'il n'euft eu plus rien à dire ; Oh
je me doutois bien que les An-
>
34
Extraordinaire
ciens en avoient fait un Dieu,
reprit le Chevalier ; mais moy,
je vous dis que c'eſt un Démon
en fubtilité , & en malice , qui
rend tous les corps agiles , & qui
penetre toutes chofes , fans les
rendre plus pefantes lors qu'il les
remplit. C'est un grand faifeur
de Fufées, & de Feux d'artifices,
qui forme les Méteores , & qui
les renferme dans fon fein ,
mais c'eſt auffi un grand tireur
de quinte effences , qui fçait
diftiler avec le feu élémentaire ,
les influences & les proprietez
occultes des Etoiles , & des Planetes
. Peu s'en faut que je ne
l'appelle Soufleur & Charlatan ;
mais enfin il eft le mieux logé de
tous les Elémens , puis qu'il ha.
bite dans trois regions diférentes,
·
du Mercure Galant.
33
& que le Feu , l'Eau & la Terre
demeurent toûjours où Dieu les
a placez . Il devoit ce me femble ,
avoir quatre Régions , afin de
partager les quatres Saifons de
l'année . Ileft chaud dans la haute
région proche du Feu élémentaire
. I eft plus fraichement dans
Ja moyenne , & d'une maniere
plus temperée dans la baffe , puis
que cette Région eft tantoft
chaude , & tantoft froide. Pline
qui connoiffoit cet Elément , &
qui peut eftre en avoit reçeu
quelque incommodité , dit qu'il
eft caufe de tous les malheurs qui
arrivent aux Hommes , & le
compare à un Sujet rebelle qui
fait fans ceffe la guerre à la Nature
. Les Vents qui font les
Soldats de l'Air , font tous les
36
Extraordinaire
ravages qu'il leur commande , &
ne fe retirent jamais de la meflée
fans eftre chargez de butin.
Toute la Compagnie ne pút
s'empefcher de rire de ce qu'avoir
dit le Chevalier ; mais l'Abbé
prit la parole , & s'adreffant au
Docteur d'un air plus férieux,
Mais noftre ame n'eft - elle point
de la nature de l'air , puis que
felon la penſée d'un Ancien , l'air
& l'efprit ne font qu'une mefine
chofe ? Pour moy je croy que
noftre ame eft un air tres fubtil,
& foit qu'elle anime nos corps,
ou qu'elle s'en fépare , elle en a
toute la reffemblance autant
qu'elle peut eftre viſible. Lors
que je la confidere comme fenfitive
ou animale , ou comme immortelle
, je n'en puis avoir naAu
Mercure Galant.
37
turellement d'autre idée . Diogenes
eftoit de voſtre ſentiment,
répondit le Docteur ; & Héraclite
& les Stoïciens eftoient en.
core de cette opinion. Ils vouloient
que noftre ame fuft une
évaporation d'humeurs inceffamment
coulantes , ou un vent.
L'efprit des Infectes , difent les
Chymiftes , eft la plus pure por
tion de l'air , & cette pure portion
de l'air eft le lien qui unit
l'ame avec le corps. L'ame des
Vegétaux eft auffi aërienne , &
c'est pourquoy le corps qu'elle
anime veut toujours s'élever en
l'air. La fainte Ecriture expri
mant de quelle maniere le pre
mier Homme fut animé , dit que
Dieu luy foufla dans le corps un
eſprit de vie. Or qu'eſt- ce qu'une
38
Extraordinaire
evaporation , qu'un vent , qu'un
foufle , finon l'air que nous ref
pirons , ou quelque chofe qui luy
reffemble ? Mais vous fçavez que
M'l'Evefque de Meaux , dans ce
beau Difcours qu'il a fait fur
l'Hiftoire Univerſelle , nous défend
de croire que noftre ame
foit un air fubtil , ny une vapeur
déliée ; parce que le foufle que
Dieu infpire , & qui porte en luymefme
fon image , n'eft ny air
ny vapeur. Je fçay cela , dit
l'Abbé , & d'autres Docteurs me
l'ont appris , mais nous ne parlerons
pas icy fur les Bancs . Quoy
qu'il en foit , reprit le Docteur,
l'air contribue non feulement à
toutes les belles qualitez du
corps & de l'efprit ; il infpire &
regle tous les mouvemens de l'adu
Mercure Galant.
39
me , ce qu'il eft facile de faire
voir , fi nous le confiderons.com.
me température .
L'éloquent Evefque que je
viens de citer , dit que les Elemens
furent alterez par le deluge,
& que l'air chargé d'une humi
dité exceffive , fortifia les principes
de cette corruption ; & ily a
bien de l'apparence que la Nature
fe fentit la premiere de la
corruption des Hommes , qu'elle
fut affoiblie , & qu'il demeura en
elle- mefme une impreffion éternelle
de la vangeance Divine.
Mais enfin , pour que l'air foit fa
lubre , il faut qu'il foit temperé,
ny trop groffier , ny trop fubtil.
Ainfi l'on dit une bonne température
d'air , une bonne contitution
d'air. Sa fubtilité ne
40 Extraordinaire
tait pas fa bonté , il eft auffi dana
gereux trop fubtil , que trop grof
Ler. C'est pourquoy dans la fupérieure
Region , où il eft dans
fa plus grande fubtilité , nous n'y
pourrions pas vivre. Cette fubti
lité rend fes parties trop aiguës,
& trop penétrantes ; & les lieux
trop élevez font contraires aux
poitrines foibles , & délicates. Un
Voyageur nous affure , qu'allant
voirun Hermite fur le Mont Ararath
, dans l'Arménie , il monta
jufques à la Region de l'air, où fe
forment les nuages ; que la plufpart
de ces nuages eftoient obfcurs
& épais , les autres extrémement
froids & pleins de neige,
& qu'il y fût mort , s'il y eût demeuré
encore un quart d'heure.
Lors que l'air eft trop groffier ,
du Mercure Galant.
fes parties trop épaiffes & trop
maſſives engraiſſent & tuënt la
poitrine , & les parties où elles
s'attachent par le moyen de la
refpiration. Il faut donc laiffer
l'air groffier aux Pituiteux , & le
fubtil aux Mélancoliques . Pour
moy , dit le Chevalier , j'aime à
reſpirer le grand air. Outre que
je m'en porte mieux , il me rend
F'efprit plus gay & plus agreable ;
il me donne mefme des penſées
plus nobles & plus relevées , & je
Vous affure que j'y trouve quel--
que chofe de divin & de ſurna.
turel , que je reifens viſiblement
en moy - mefme . Vous eftes du
naturel des Arbres , interrompir
le Préfident , qui aiment beau
coup l'air , ou plûtôt comme ces
Peuples de Siam qui l'adorent, &
2. d'Octobre 1683. D
•42
Extraordinaire
qui n'ont point d'autre tombeau
apres leur mort ,,
que
d'eftre
fuf
pendus
en l'air. Mais
je fuis bien
aife
que
vous
foyez
reconcilié
avec
cet Elément
, depuis
tantôt
.
Il ne s'agir
plus
de nôtre
querelle
,
reprit
le Chevalier
. Je l'aime
quand
il me fait
du bien
, mais
je ne fuis point
Aëriſte
, & je ne
Louhaite
pas que
mes
funérailles
fe faffent
en l'air . Je n'aime
pas
non
plus
ces airs voraces
, qui ren
dent
les Peuples
faméliques
, &
qui
tuënt
la poitrine
, comme
nous
a dit M' le Docteur
, mais
un air comme
celuy
de l'Egypte
,
qui infpire
la fobrieté
& l'abftinence
. Les
Hermites
de l'ancienne
Thebaide
eftoient
de vô.
tre gouft
, dit l'Abbé
, ils avoient
choify
exprés
ce lieu -là pour
leur
du Mercure Galant.
43
1
-
retraite ; auffi eſt- cè un vray païs
d'Hermites. Je vous avouë ma
foibleffe , reprit le Chevalier , ce
n'eft point par le meſme efprit
quej'aime le grand air ; mais c'eft
que je fuis tout différent de moymefme
dans les lieux bas ., obfcurs
&
defagreables ; au lieu que
les belles vûes , les belles Maifons
, les belles Perfonnes , me
charment , & me donnent une
nouvelle vie. Toutes ces chofes
nous infpirent je ne fçay quel air
doux & tendre , qui nous rend de
belle humeur , & de bonne compagnie.
Je ne puis refpirer l'air de ces riches
Plaines ,
Qu'échauffent les Zéphirs , de leurs
tiédes baleines ;
Je ne puis de ces Prez voir l'émail
précieux ,
44
Extraordinaire
Ou tant de vives fleurs éblouiffent
Les yeux i
Entendre de ces caux l'agreable mur.
mure ,
·Contempler de ces Bois la verte chevelure
,
Que je ne fois touché de quelque
fainte horreur,
Et ne fente les traits d'une fainte
furcur.
Cela m'arrive dans tous les
beaux Lieux dont parle ce Poëte,
& principalement en celuy - cy ,
où il me femble que ma vûë s'ë.
chauffe , où vôtre vûë , qui eft
proprement vôtre air , m'anime
& me donne plus d'efprit que je
n'en ay d'ordinaire. Qu'est - ce
qu'un beau jour , pourſuivit - il,
qu'une continuation d'air, que le
Soleil dore & purifie , qui fait
du Mercure Galant. 45
naître & anime toutes choſes ?
Qu'eft.ce auffi qu'une fale journée
, qu'une continuation d'air
corrompu , pareil à ce vilain
brouillard dont parle Ovide dans
fes Metamorphofes , qui eft l'origine
de la pefte , & des maladies
contagieufes ,
PrincipioCalum fpißä caligine terras
Preffit.
Qu'eft ce, dis-je, qu'unejournée
trifte & pluvieufe , finon un
air épais & fumeux , qui veut fuffoquer
toute la Nature , & qui la
rend afinatique , & fans refpiration
, fi j'ofe parler de la forte devant
un Docteur , qui veut qu'on
foit ferieux jufque dans les plus
petites chofes , quand il s'agit de
Philofophie Apres qu'on eut
applaudy d'une maniere un peu
46
Extraordinaire
railleufe à ce que le Chevalier ve
noit de dire , le Docteur repris
ainfi .
Chaque lieu a fon air , qui a
fes proprietez différentes , &
quelquefois merveilleufes. Juvenal
dit que dans une certaine
Contrée de l'Espagne , l'air y
teint naturellement la laine des
Brebis d'une tres belle couleur
, & qui eftoit fort estimée
chez les Romains . Les Peuples
qui habitent divers Climats , ont .
auffi diverfes qualitez . Icy l'air
rend les Hommes triftes & melancoliques
, là gays & éveillez ;
icy fobres , là gourmans , icy lâches
, & ' à genéreux ; icy chaftes,
là débanchez. On attribue le
long âge des Suédois à la pureté
de l'air qu'ils refpirent dans les
du Mercure Galant.
47
Montagnes dont ce Royaume eft
remply. Il y a auffi des Lieux ,
comme Aiguemorte en Languedoc
, où l'on ne vieillit guere , à
caufe de l'intempérie de l'air.
Mais bien plus , ceux qui en ref-
#pirent un autre que le natal,
prennent les moeurs & les complexions
desPeuples avec lesquels
ils habitent. Il eft vray , dit le
EMarquis, & Voiture écrit galamment
à Mademoiſelle Paulet , en
parlant de l'Affrique, où il eftoit,
Ne vous étonnez pas de m'ouir dire
des Galanteries fi ouvertement , l'air
de ce Pais m'a déja donné je ne
Seay quoy de felon , qui fait queje
Vous crains moins ; & quand je
traiteray deformais avec vous , fai-
Les état que c'est de Turc à More.
Vous fçavez , continüe- t- il , que
48
Extraordinaire
l'Afrique eft le Pais de l'Amour , des
emportemens & des violentes paffions
; ainfi il rend les Gensfélons,
amoureux & emportez.
Vous eftes toûjours galant,
M' le Marquis , reprit le Docteur,
mais l'Autheur de la Recherche
de la Verité eft affez de vôtre
fentiment. Il prétend que l'air
fait le mefme effet en nous , que
le fuc des viandes dont nous tirons
notre nourriture . Or chacunfçit
les incommoditez qu'on
reçoit des méchantes viandes que
l'on prend , & combien elles alté
rent le tempérament & la fanté.
Mais cet Autheur va encore plus
loin . Il dit que l'air penétre les
poulmons , & s'infinue dans le
fang , ce qui aporte un tres- grand
changement à nos humeurs & à
nos
du Mercure Galant.
49
de la difnos
inclinations , & que
férence de l'air qu'on refpire en
différens Climats , vient la diffé
rence des efprits . Là où il eft groffier,
gras & pefant, les Hommes y
font plus mous , plus ftupides , &
plus mélancoliques , là où il eſt
pur, fubtil & délié , les Hommes
y font plus enjoüez , plus fpirituels
, & plus agiles. Mais, interrompit
le Préfident , ne peut-on
pas dire que comme il y a quatre
Elémens , qui composent le tempérament
de tous les Hommes ,
il y a auffi quatre fortes d'Efprits , il-y
par raport à ces quatre Elémens ,
les Ignez , les Aériens , les Aquatiques
, & les Terreftres , qui font
encore divifez chacun en deux
ordres. Il y a ceux qui font animez
du feu qui fait briller les
2. d'Octobre 1683. E
So
Extraordinaire
Aftres , ils font courageux , harë
dis , habiles , aimables & bienfaifans
; & ceux qui brûlent du feu
qui embrafe les Cométes , font
malicieux , ambitieux , & cruels.
Il y a ceux qui reffemblent aux
caux pures & claires des Fontaines
, ils font nets , doux & paifi.
bles , les autres , comme ces eaux
croupiffantes & fangeufes des
Marais , font lents , pareffeux,
fales , malicieux & couverts . Les
Terreftres font quelquefois comme
ces belles Plaines fleuries &
tapiffées de verdure , ils font feconds
, agreables , fermes & folides
; les autres qui font plus fouterrains
, font avares , opiniâtres,
impudens , & brûlans. Et pour
1: s Aérins dont vous avez parlé,
les uns font affables , complaifans,
!
du Mercure Galant.
5%
inventifs , agiffans , & de belle
humeur , & de ce genre font les
Perfonnes de Cour, les honneftes
Gens , les jolies Femmes , enfin
les Gens de qualité , d'honneur,
& tous ceux qui compofent ce
qu'on appelle le beau Monde , &
qui font propres à la Converfa.
tion ; ceux- là avec raifon font du
grand air , & font tout de bon
air . Mais ceux qui dégenérent
font grands mangeurs , grands
rieurs , vains flatteurs & diffolus,
pour les autres ; femblables à Pair
agité , à cet air obfcur & nuageux
, qui produit les orages &
les tempeftes , ils font coléres,
ombrageux , impatiens , incon
ftans & brouillons . Ce que vous
venez de dire eft parfaitement
beau,répondit le Docteur, j'ay lu
E ij
32
Extraordinaire
quelque chofe de femblable ; mais
le tour que vous y avez donné
mele fait paroître tout nouveau.
Je fçay peu de Gens qui fe fervent
de leur lecture auffi bien que
vous. Mon Dieu , M` le Docteur,
reprit le Préfident , ne me loüez
pas tant d'un peu de memoire, qui
pour le petit fervice qu'elle me
rend aujourd'huy, me fait tous les
jours mille fupercheries . Le Doc.
teur, pour ne pas pouffer plus loin
le Compliment , reprit ainfi la
parole.
La diverfité de l'air fait la diverfité
des maladies , & on peut
voir là- deffus le Livre qu'Hyppocrate
en a fait. L'air eft quel
quefois fi corrompu , qu'il fait
mourir les Créatures qui le refpirent.
Il y a des Régions où les
du Mercure Galant.
$3
animaux mefme ne peuvent vivre
, & il n'arrive jamais de gran .
des peftes, qu'il n'en meure bean .
coup dans les lieux où eft la contagion.
Perfonne n'ignore fur ce
fujet la délicateffe des Aeurs , &
fur tout des Oeillets, qui meurent
au méchant air. Mais peut- cftre
ne fçavez- vous point , que les
Peuples du Japon font fi prévenus
que l'air eft mal fain , & contraire
à l'Homme , qu'ils ne fouf.
frent pas que leur Dairo ou Empereur
foir jamais découvert à
l'air. Mais bien plus , il y a des
Hommes fidélicats, qu'ils diftinguent
l'air d'une mefine rüe , &
qu'ils affurent que celuy de la
main droite eft plus pur que celuy
de la main gauche , & qui féparent
ainsi l'air en marchant , avec
E iij
34
Extraordinaire
une grande fubtilité . Cette re.
marque eftoit digne de moy , interrompit
le Chevalier ; mais je
veux vous dire quelque chofe de
plus veritable & de plus folide ,
touchant la corruption de l'air.
Vous avez lû les Mémoires de
Pontis , cependant je croy que
vous ne ferez pas fâchez que je
vous faffe reffouvenir d'un accident
fort remarquable
, que raporte
cet Autheur. Il dit qu'apres
qu'on eut levé le fiege de Louvain
, l'Armée cft : nt allée pour
fe rafraîchir vers Ruremonde , it
s'y éleva une fi furicufe tempefte,
avec de fi grands tourbillons, que
comme ce Païs eft extrémement
fablonneux , on n'y refpira pendant
plufieurs jours que du fable
au lieu d'air. Cinq ou fix mille
du Mercure Galant.
S$
Hommes en furent étouffez fubi.
tement , ou moururent -en trespeu
de temps , par I.s maladies
que leur caufoit cette grande corruption.
Non feulement l'air
qu'on refpiroit par le nez , mais
celuy qu'on avaloit avec les viandes
, qui en eftoient toûjours fort.
affaifonnées , formoit une espece
de contagion , qui gâtoit les par
-ties de ceux qui en eftoient attaquez
, il falut que l'air natal chaffât
cet air malin , & redonnât aux
Troupes la fanté qu'il leur avoit
fi étrangement alterée.
Le changement d'air fait de
grands effets , reprit le Docteur,
mais s'il a fes avantages , il a auffi
fes incommoditez . A moins
que
la maladie qu'on a contractée , ne
vienne principalement de l'air où
E iiij
56 Extraordinaire
l'on eft , le changement n'y fait
rien de bien , & fouvent du mal ,
lors qu'il eft une qualité oppoſée
ouà la maladie ou au tépérament
du Malade. Mais il eft admirable
que l'air , qui vivifie toutes les
Créatures , les empoifonne , ou
par fa qualité naturelle , ou par la
malice des Hommes , qui ont
trouvé l'invention de le corrompre,
auffi -bien que les autres Elemens.
Mais enfin , il eft toûjours
bon d'éviter le méchant air , puis
qu'on en attire beaucoup plus
qu'on n'en pouffe , & que prefque
tout l'air qu'on refpire , paffe
&fe convertit en nourriture . L'air
de la Campagne eft auffi plus
pur & plus fain que celuy des Villes
, car outre toutes les vapeurs
des ordures & des immondices,
du Mercure Galant .
59م و
I
5
les Morts qu'on y enterre , y rendent
l'air gras , épais & corrompu
; ce qui caufe de grandes & de
fâcheufes maladies ' , qui fait les
perfonnes languiflantes & de pâle
couleur . Platon qui en connoiffoit
les accidens , veut par fes
Loix que les Cimetieres feient
fituez en forte que les Vivans ne
puiffent eftre incommodez du
mauvais air des Morts . Les Grecs
& les Egyptiens eftoient fort délicats
en cela , ayant des Ifles
éloignées & defertes , où ils faifoient
porter les corps des défunts
. Pour moy , dit le Marquis ,
j'aurois voulu fur tout demeurer
dans l'ifle de Delos , où il eftoit
défendu d'accoucher, & d'enterrer
les Morts . Ce lieu eftoit fans
doute bien agreable & bien fain,
58
Extraordinaire
car l'un ne contribue pas moins
que l'autre à l'infection de l'air.
Vous avez raifon , dit le Docteur,
& ceux deDelos obfervérét cette
loy depuis une furieufe pefte dont
ils furent affligez , qui ne procédoit
que de la puanteur des tombeaux
Les Romains défendoient
de brûler les morts dansla ville , &
Augufte ordonna que ce fût pour
le moins deux milles loin des mu
railles . On remarque meſme dans
l'antiquité , qu'il n'y a eu que les
Tarentins qui ayent enterré les
Morts dans leur Ville , apres que
l'Oracle leur ayant promis beaucoup
d'heureux fuccés , s'ils de.
meuroient avec le plus grand
nombre , ils crûrent que cela devoit
s'entendre des Morts. Mais
la Religion Chrétienne , qui prêdu
Mercure Galant. 59
che la mort & les fouffrances , n'a
pas eu ces égards pour les Fidel .
les ; à joindre que les Prieres pour
les Morts , & la venération pour
leurs Reliques , ont authorifé
cette coutume. Les Corps des
Saints ne fçauroient eftre trop
e prés de nous ; & les autres , dont
les Ames ont besoin de nos fe.
cours fpirituels , feroient peuteftre
negligez , fi les tombeaux
ne nous faifoient reſſouvenir de
leurs neceffitez . Et de plus , dit
le Préfident , les Corps Saints
font tous de bonne odeur , & ils
exhalent quelquefois une douce
vapeur , qui furpaffe les parfums
les plus exquis . Ileft vray , dit le
Chevalier, plufieurs Autheurs en
ont raporté témoignage ; mais
le nombre de ces Corps eft petit,
60 Extraordinaire
& pour un Saint combien de....
Tout beau , dit le Docteur , retirons-
nous de là , cet air nous
feroit contraire , prenons - le autre
part. Vous avez raiſon , dit
l'Abbé , je n'aime pas volontiers
à m'entretenir de Religion , dans
des converfations un peu familieres
, & auffi libres que le font les
nôtres.
Le grand air eft perilleux pour
les convalefcens qui fortent d'un
petit air , ou d'un air renfermé ;
ce n'eft pas qu'un air trop tranquille
eft auffi mal fain , parce
qu'il peut plus aisément fe charger
& s'alterer , que celuy qui eft
agité. C'est pourquoy on dit
l'air pour eftre bon , doit eftre
tantôt mû par le Zéphir qui le
rafraîchit , & tantôt comprimé
que
du Mercure Galant.
par l'Aquilon , qui le purge . L'air
de la Mer guérit de plufieurs maladies
, mais il en donne plufieurs
autres à ceux mefme qui y font
naturalifez ; & on affure que cet
air eft fi corrofif, que les Oiſeaux
qui fréquentent la Mer , ont le
plumage prefque tout rouge.
Mais l'air temperé & purifié d'une
certaine maniere , conferve la
fanté , & la redonne à ceux qui
l'ont perdue. Il prolonge la vie,
& fert mefme de nouriture à quel.
ques Oifeaux ,dit le Préfident . Les
Aftchomes qui font une espéce
d'Hommes , qui n'ont point de
bouche , fe nourriffent de bonnes
odeurs , comme ils meurent s'ils
en fentent de mauvaiſes . Le Caméleon
& les Pluviers vivent
d'air , & il ne faut pas s'en éton62
Extraordinaire
ner , puis que la vie ne confifte
qu'en ces deux qualité de l'air,
qui font le chaud & l'humide.
Si le feu nourrit la Salamandre,
pourquoy l'air qui a des qualitez
bien plus nutritives , ne peut - il
pas nourrir des Oifeaux , à moins
qu'on ne veüille dégraiffer l'air,
& en féparer la rofee , qui n'eft
pas moins une fubftance de cet
Elément , que des vapeurs de la
terre. Ce que vous venez de dire
eft bien imaginé , repartit le Doc
teur ; mais puifque les Pluviers &
les oifeaux deParadis vivent d'air ,
c'est encore une des crédulitez de
Pline . L'air eft bien l'élément des
Oiſeaux, & le lieu qu'ils habitent,
mais il ne peut pas nourir un corps
folide d'une viande fi creufe .
Si on ne trouve point d'alimens
du Mercure Galant
C
E groffiers dans l'eftomac de ces
Qifeaux , c'eft qu'ils la digérent
promptement , qu'ils mangent
peu , & des chofes fort delicates.
Le Caméleon vit de vermine;
mais comme il aime extraordinai.
rement le grand jour , & qu'il devore
le bel air , comme l'on dit,
cela fait croire qu'il vit par la ver
tu de cet Elément . Mais vous fçavez
, reprit le Préfident , combien
l'air que les Enfans foufflent,
& les Perfonnes qui font bien
compofées , eft doux & falubre.
Il en fort un fi grand nombre d'ef
prits , qu'ils communiquent
une
nouvelle
e à ceux qui le refpirent
; & c'est la raifon pourquoy
on a dit que ceux qui enfeignent,
& qui paffent leur vie avec la Jeunede,
vivent plus long- temps que
64
Extraordinaire
les autres , & ont la couleur beaucoup
meilleure. Il en eft au contraire
de ceux qui fréquentent
des Perfonnes mal faines , & qui
ont les parties gâtées, parce qu'el
les communiquent leurs indifpofirions
& leurs maladies. On ne
trouva point de meilleur expédient
pour éloigner le Cardinal
Pancirole d'aupres le Pape Innocent
X. qu'en gagnant fon Medecin
, qui affura fa Sainteté que
ce Cardinal eftoit pulmonique,
& que fon haleine eftoit dange .
reufe & nuifible à fa fanté , par les
fréquens entretiens qu'ils avoient
enfemble .
Le Loup a l'haleine fi mauvaife
, qu'on a raifon d'appeller cet
animal un cloaque animé , mais
la malignité de fon haleine eſt ſi
du Mercure Galant.
65
1
fubtile & fi penétrante , qu'il n'y
a point de chair qu'elle ne corrompe.
Cette Fille dont parle
Galien, qui vivoit de napel , avoit
P'haleine bien pernicieufe , interrompit
le Chevalier , puis qu'elle
faifoit mourir ceux qui l'apro .
choient. Cette autre que cite Albert
le Grand , qui vivoit d'Aragnées
, ne l'avoit pas meilleure,
dit le Marquis ; mais que dirons.
nous de ces haleines excellentes,
dont l'air eft fi doux & agréable ,
continua- t-il? Je me fouviens toûjours
de cette délicate expreffion
du Comte de Buffy parlant d'une
Belle, L'air qu'elle fouffle eft plus
pur que celui qu'elle refpire . Quel
avantage , quel charme pour moy
qui n'aime rien tất, qu'on ne ſente
rien!Mais comme il y en a qui ont
Q. d Octobre 1683.
F
66 Extraordinaire
la fueur parfumée , pour ainfi dire,
' il y en a auffi qui ont la refpiration
admirable , & qui reſſem.
blent aux Abeilles , tout ce qu'el
les mangent & qu'elles prennent
fe convertit en miel , & enfucre,
Mixtura quadam & proprietate fpiritus
fui, & quafi conditura fui.
Elles forment de l'ambrofie &
du nectar dans leurs entrailles , &
de là vient la bonté & la douceur
de leur baleine . Tel eftoit Alexandre
le Grand , dit le Préfident
; mais comme il y a peu de
Perfonnes de cette nature, & qui
ayent toutes les qualitez du tempérament
adpondus , comme parlent
les Medecins , il n'y a point
de choſes au monde où l'on puiffe
s'apliquer plus utilement dans un
Etat , qu'à empêcher la corrup
du Mercure Galant. 67
tion de l'air , ſoit qu'elle vienne
par la méchante haleine des Malades
, par l'infection des immondices
& des ordures qu'on laiffe
amaſſer dans les Villes , ou par
l'inclémence des faifons . On a
donc eu raiſon autrefois de féparer
les Ladres d'avec les autres,
& encore aujourd'huy d'interdire
l'entrée des Villes à ceux qui
viennent des Lieux foupçonnez.
de la pefte , ou de quelque autre
maladie contagieufe , comme la
petite vérole , & tant d'autres
maladies qui fe communiquent
par la corruption de l'air.
Comme le Préfident fait bâtir
à la Campagne , il n'oublia pas à
demander plufieurs avispour rendre
une Maiſon auffi faine qu'agreable
, & là - deffus le Docteur
Fij
68 Extraordinaire
auquel la Compagnie avoit toû
jours deferé , parla de la forte.
Ce n'eft pas d'aujourd'huy
qu'on a de la peine à bien s'habi
tuer. Les Anciens avoient diffé
rentes opinions fur ce fujet . Ils difoient
qu'il ne falloit point choifir
les lieux trop gras , trop bas
& trop humides , parce qu'ils
eftoient mal fains . Ils ajoûtoient
qu'on ne connoiffoit pas toujours
la bonté de l'air d'un Païs , par la
couleur & la bonne difpofition
des Habitans , parce qu'il y en a
qui fe portent bien dans l'air mê .
me de la pefte. Il y a encore des
lieux qui ne font fains qu'en de
certaines faifons de l'année, & qui
font dangereux dans d'autres.
Mais afin qu'un lieu foit jugé
fain, il faut pour le moins en avoir
du Mercure Galant.
79
J
Pexpérience une année entiere.
Les Maifons expofées au Midy,
dans les Païs chauds , font mal
faines , on y devient bilicux &
languiflans , & fujets à des fiévres
tres aigües . Dans les Païs froids,
lesMailons qui font tournées vers
le Septentrion , rendent ceux qui
les habitent fujets aux fluxions &
paralifies. Les Maifons qui regardant
l'Occident , dans les Païs
humides , caufent des foiblefles
d'eftomac & des ulcéres. Les
Maifons qui font placées du côté
de l'Orient , dans les Païs fecs,
rendent les jointures débiles , con
denfent les humeurs , &
> engendrent
de grandes obftructions.
Et où bâtirons.nous donc , s'écria
le Chevalier , puis que dans tous
les cantons du Monde il n'y a que
"
70
Extraordinaire
と
maladies , & pas un lieu qui foit
fain La terre ? eft donc inhabitable.
Non pas , M' le Chevalier,
reprit le Docteur , chaque Païs a
fon terroir , fes eaux , fes afpects
& fes vents , qui luy font ou nui
fibles ou falutaires , il ne faut que
les bien choisir , & alors il n'y a
point de lieu qui ne puiffe eftre
fain , au moins pour les naturels
du Païs , & il n'y a que les Voyageurs
, qui en puiffent recevoir
quelques incommoditez.
Pline qui a écrit fort au long
fur la maniere de bâtir les Maifons
de Campagne , pour les rendrefaines
& logeables , dit que fi le
Climat eft chaud , l'ouverture
doit regarder le Nort ; s'il eft
froid, elle doit regarder le Midy,
& s'il eft temperé, elle doit regar
du Mercure Galant. 71
[
1
der le Levant. Cela eft bon , interrompit
l'Abbé , mais je vou .
drois fçavoir s'il eft neceffaire
pour avoir le bon air , de percer
un Bâtiment par quantité de hau
tes & pleines croifées , comme on
fait aujourdhuy , ou de l'ouvrir
feulement par des feneftres médiocres
, comme on faifoit autrefois.
Ileft aifé de remarquer par
tous les vieux Châteeux , tant dehors
que das le Royaume, que nos
Peres n'aimoient pas le grand air
pour leursMaifons . Tous les vieux
Bâtimens font placez de biais, ou
accompagnez aux coſtez de tourelles,
qui couvrent les jours, afin
de rompre le vent , & de fendre
l'air , qu'ils croyoient nuifible à
la fanté , ſe perfuadant de vivre
plus long -temps , en fe tenans
$2
Extraordinaire
ainfi renfermez ; eftant bien contraires
aux Poiffons , qui aiment
à changer d'air , & qui montrent
fouvent la tefte au deffus de l'eau ,
& meurent fous la glace , fi on n'a
foin de la fendre en Hyver , afin
de leur conferver la vie. Mais
nos Peres difoient que les Maifons
cftoient faites pour fe mettre à
couvert des injures de l'air , &
non pas pour le recevoir par de
grandes ouvertures , que nous
avons inventées pour fatisfaire au
plaifir , & à la vanité . J'ay vû un
Homme plus vieux que fon fiecle
, qui durant les trois mois fâcheux
de l'Hyver ne fort point,
neveut ny voir ny fentir l'air , qu'il
refpire feulement par un petit
jour qui eft au.deffus de la porte
de fa Chambre , foutenant que le
trop
du Mercure Galant.
73
C
trop grand jour tüe. Elifabeth
Reyne d'Angleterre , en allant
voir le Chancelier Bacon , dans
un Château qu'il avoit nouvellement
fait bâtir , & percer de toutes
parts par de belles & grandes
croifées, elle luy demanda où l'on
s'y mettroit l'Hyver , voulant
luy marquer par là , que le trop
d'air n'eft pas toûjours bon ny
commode , & que les feneftres
médiocres font meilleures. Cela
dépend des Climats, & de la coutume
des Peuples , dit le Docteur.
En Angleterre toutes les fenêtres
font fort petites , mefme dans les
Maiſons de plaifance des Princes ,
auffi bien que des Particuliers ,
qui n'ont que des ouvertures
quarrées , fans corniches ; & à
Douvres , il n'y a que quelques
Q. d'Octobre 1683. G
-
74
Extraordinaire
il
vires pourtoutes fenêtres, qu'on
ouvre pour donner de l'air. Les
Maifons de Picardie font prefque
fans feneftres , ou du moins elles
font fipetites, que ces Maifons ne
reffemblent proprement qu'à des
lafnieres. Mais comme les Maifons
fermées & ombragées font
plus froides & plus mal faines,
parce que le Soleil n'y entre pas ,
& quel'air y eft plus humide ,
fait plus froid dans les Villes qu'à
la Campagne. Enfin , outre le
bon air qu'il faut obferver pour
rendre les Maiſons faines & bien
fituées , il ya encore le bel air, &
la maniere de bien bâtir , qui les
rend agreables & commodes ; &
c'eft de ce bel air, priscommemo.
de ou maniere , dont il nous refte
parler , mais je croy que ce que
du Mercure Galant. 75
nousen avons déja dit à l'entrée
de cette Converfation, doit fuffire
, renvoyant les Curieux au
beau Difcours que Mr le Chevalier
a fait de l'air du monde , &
de la veritable policeffe . Cela
s'appelle , interrompit le Chevalier
, renvoyer les Curieux au
Dialogue de la Bonne - Grace d'un de
nos vieux Poëtes. Pardonnezmoy
, Mr le Chevalier , reprit le
Docteur, nous fçavons la différence
qu'il y a entre l'illuftre Autheur
du Mercure Galant , &
Autheur des Apprehenfions Spirituelles.
Le premier n'expoſe rien
au Public , qui ne foit digne de
fon approbation , & de l'eſtine
qu'il s'eft acquife . On ne peut
rien auffi ajoûter à ce que vous
avez dit fur cette matiere , mais
Gij
·75 Extraordinaire
il me femble que c'eit affez battre
l'air, & fi M' l'Abbé le trouve
bon , nous irons prendre l'air de
cette foirée, qui eft fort agreable.
L'Abbé eftant dans le mefme
fentiment , toute la Compagnie
fe leva , & fortit pour aller à la
promenade .
Je croy auffi , Madame , qu'il
eft temps de finir , & de vous retirer
d'une fi longue lecture , pour
Jaquelle j'aurois mille excufes à
vous faire , fi je ne fçavois que
tout ce que je vous écris de cette
illuftre Compagnie, ne vous peut
eftre ennuyeux. C'eft donc avec
cette affurance , & en qualité de
leur fidelle Secretaire , que je
prens la qualité de vôtre , &c.
DE LA FEVRERIE.
Fermer
Résumé : CONVERSATION ACADEMIQUE, Dans laquelle il est traité des bonnes, & des mauvaises qualitez de l'Air. A Madame la Comtesse de C. R. C.
En 1680, une lettre adressée à Madame la Comtesse de C. R. C. relate une conversation académique impliquant un illustre abbé et plusieurs personnalités. La discussion porte sur les qualités et les défauts des individus en fonction de leur apparence et de leur 'air'. Des exemples historiques, comme Isabelle d'Espagne et le duc de Guise, illustrent comment l'apparence peut inspirer l'estime, la crainte ou le mépris. La conversation aborde également l'importance de la bonne mine et du port royal pour un souverain. Les participants débattent ensuite de la nature de l'air, considéré sous trois aspects : élément, température et manière. Ils explorent les propriétés de l'air, sa composition et ses interactions avec d'autres éléments. Le docteur présente diverses théories philosophiques sur l'air, incluant ses figures, sa couleur, son odeur et sa pesanteur. La discussion se termine par des réflexions sur la hauteur de l'air et les effets de son absence. Le texte distingue l'air élémentaire, pur et exempt de tout mélange, de l'air que nous respirons, composé de vapeurs et du mouvement des corps extérieurs. L'air est décrit comme un souffle vital, lié à l'âme et au mouvement du corps. Le vent est défini comme une agitation de l'air, avec des philosophes modernes le décrivant comme une agitation sensible de l'air. Les vents sont décrits comme ayant des qualités variées, pouvant être chauds, froids ou humides, et leur nature dépend des lieux et des saisons. L'air est comparé à un caméléon, capable de diverses impressions, et joue un rôle crucial dans la création et la formation des phénomènes naturels. Un voyageur partage son expérience sur le mont Ararat, où il a rencontré des nuages épais et froids. Le Chevalier exprime son amour pour le grand air, affirmant qu'il le rend plus gai et inspiré. Le Président compare le Chevalier à des arbres ou à des peuples adorant l'air, comme ceux de Siam. Le Chevalier précise qu'il apprécie l'air lorsqu'il lui fait du bien, mais ne souhaite pas des funérailles en l'air. Il préfère un air comme celui d'Égypte, qui inspire la sobriété et l'abstinence. Le texte mentionne également les ermites de l'ancienne Thébaïde, connus pour leur retraite en Égypte. Le Chevalier explique que les beaux lieux et les belles personnes lui inspirent un air doux et tendre, contrairement aux riches plaines qui lui provoquent une horreur subite. Il compare un beau jour à une continuation d'air purifié par le soleil, et une journée triste à un air corrompu causant des maladies. Le Docteur ajoute que chaque lieu a un air avec des propriétés spécifiques, influençant les qualités des habitants. Par exemple, l'air en Espagne teint naturellement la laine des brebis, et en Suède, il contribue à la longévité. Le Marquis cite Voiture, notant que l'air d'Afrique rend les gens audacieux et amoureux. Le Docteur conclut que l'air pénètre les poumons et altère les humeurs et les inclinations, influençant ainsi les esprits des personnes selon la pureté ou la corruption de l'air. Les interlocuteurs évoquent les prières pour les morts et la vénération des reliques dans la religion chrétienne, soulignant que les corps des saints sont considérés comme bénéfiques et exhalant une douce vapeur. Ils abordent les qualités de l'air, notant que l'air pur et tempéré conserve la santé et prolonge la vie, tandis que l'air corrompu peut transmettre des maladies. Le texte mentionne également des animaux comme les caméléons et les pluviers, qui se nourrissent d'air, et discute des effets de l'haleine des personnes sur leur environnement. Les interlocuteurs débattent des meilleures pratiques pour construire des maisons saines, en tenant compte de l'exposition aux vents et des saisons. Ils concluent que chaque région a ses particularités climatiques et que les maisons doivent être adaptées en conséquence pour assurer la santé des habitants. Le texte se termine par une promenade de la compagnie, appréciant l'air agréable de la soirée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 221-238
A Siam le 28. Novembre 1683.
Début :
Je me suis informé des Habillemens qu'on vous a dit que les [...]
Mots clefs :
Roi, Siam, Chinois, Pays, Terre, Prince, Gouverneur, Japon, Étrangers, Peine, Navires, Port, Ville, Empereur, Empire, Portugais, Langue, Chine, Cheveux, Vêtements
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : A Siam le 28. Novembre 1683.
A Siam le 28. Novembre 1683 .
les
E mefuis informé des Habillemens
qu'on vous a dit que
Soldats Faponnois portoient lars
qu'ils alloient à la Guerre , &
qui font à l'épreuve de toutesfor-
Tij
222 MERCURE
tes d'armes ; mais tous ceux qui
m'ont paru le dewair frayjoin le
mieux, pour avoir demeuré longtemps
dans le Japon , n'ont pú
m'en inftruire. Ils m'ont ſeulement
dit , qu'ils croyoient que ces
Soldats fe feruoient dans leurs
expéditions militaires des mefmes
Veftemens que les Chinois, qui les
font de plufieurs Erofes de foye
cousies enfemble , & piquées
fort prés à prés , e qui mettent
quelquefois foixante de ces Erofes
es unes fur les autres, avec du
coton ou de l'ouate entre deux.
Els difent que ces Habillemens réfiftent
mefme aux coups de Moufa.
GALANT 223
les
quet ; mais il n'y a que les Grands
qui s'en fervent & Les Gens du
commun ufent de Cuiraffes. Il
eft tres difficile d'avoir des nouvelles
füres de ce qui fe paſſe au
Fapon , parce qu'il n'y a que
Hollandois les Chinois qui y
trafiquent. Tous les Etrangers,
particuliérement ces premiers,
Ifont fi peu en liberté, que j'en
ay connu quelques - uns , qui y
avoient fairfix oùfept voyages,
qui à peine pouvoient rendre
raison de certaines chofes , qui ne
peuvent eftre ignorées d'une Per-
Sonne qui a demeuré quelque
temps dans un Pais. Vous fçan
T. iiij.
224 MERCURE
4
vez que la Compagnie de Hol
lande ne tire plus du Fapon ces
grands pr fus qu'elle y faifoit autrefois
les vexations qu'y fou
frent fes Officiers ont beaucoup
diminué ce Trafic. Il part chaque
année de Barravia trois ou
pour
le
quatre
grands
Navires
Japon , chargez
de toutes fortes
de Marchandifes
; & l'ordre
le
plus exprés qu'ont les Officiers
de
ces Bâtimens
, est de fe donner
bien de garde de montrer
aucun
figne de Chriftianifme
qu'ils demeureront
en ce Pais- là.
Le Gouverneur
de Nangazaqui
,
qui est le Port où les Navires
·tant⋅
GALANT 225
le
Etrangers arrivent , les force à
luy vendre toutes les Marchan
difes qu'ils apportent , au prix
qu'il fouhaite s'ils ne veulent
pas les donner , ilfaut qu'ils
rembarquent auffi tost , fans pouvoir
davantageles expofer en
vents. Ils voyent enfuite que
Gouverneur revend mefmes
Marchandifes de la main à la
main , avec un tres-grand profit,
fans qu'ils ofent en murmurer.
Auffi dit- on la Compagnie
Hollandoife est réfolie d'abandonner
ce Commerce , fi elle ne
peut avoir raison de ces awanies.
La Loge des Hollandois eft fituée
que
Ges
226 MERCURE
1
dans une petite Ifle qui eft dans
la Riviere de Nangazaqui , &
qui n'a de communication avec
La Ville, ou Terre ferme , que par
un Pont. Le Gouverneur a le
foin de leur fare fournir toutes
Les chofes dont ils ont besoin , &
il leur est défendu fous peine de
la vie, d'aller en Terre-ferme, on
à la Ville , fans fa permiffion
&fans avoir quelques Gardes.
Cet ordre est refpectif à l'égard
des Faponnois , qui ne peuvent
aller en la Loge des Hollandais
fans la permiffion du Gouverneur.
Tant que leurs Navires demeu
rent en ce Port of Riviere , le
GALANT 227
Gouvernail , la Poudre , & les
principales Armes , font à terre ;
codes,le moment qu'on leur a
rende ces chafes , il faut qu'ilsfe
mettent à la voile , quelque vent
qu'ilfaffe. Quand mefme ils auroient
la plus rude tempefte à effuyer,
ils ne peuventfans rifque
de la vie rentrer dans un Port
du Japon. Il faut que la Com
pagnie change toutes les années
Le Chef & Second de fon Comp
toir ; d'abord que les Japonnois
remarquent que quelque Hol
landois commence à fçavoir leur
Langue ou leurs Coutumes , ils
le renvoyent hors de leur Païs.
228 MERCURE
On efpéroit que la mort du vieil
Empereur , qui eftoit celuy qui
avoit entiérement coupé les fortes
racines que la Religion des Chré
tiens avoit jettées dans leJapon,
mettroit quelque fin aux précautions
pleines d'impieté qu'apportent
les Japonnois , pour empef
cher qu'on ne leur annonce une
autre fois l'Evangile ; mais les
Miniftres de fon Fils , qui a fuc-"
cedé à l'Empire
, n'en apportent
pas de moindres , t) femblent
ôter toute efpérance de pouvoir
voir de nos jours un fi grand
bien. Les Portugais publient ,
que leur Viceroy qui arriva l'an
GALANT 229
paffé à Goa , a deffein d'envoyer
une Fregate aufapon , avec des
Ambassadeurs , pour féliciter ce
nouvel Empereur fur fon heureux
avenement à la Couronne,
en mefme temps ménager le
rétabliſſement de la bonne correfpondance
qu'il y a eu autrefois
entre ces deux Nations ; mais je
ne croy pas qu'il envoye cette
Fregate , encore moins, qu'il
puiffe reüffirdansfesprojets,quand
il le feroit. Les Portugais s'attendent
de voir d'auffi grandes
chofes fous le Gouvernement de
ce Viceroy , que leurs Prédeseffeurs
en ont vu fous celuy
230 MERCURE
des Albuquerques . Il eft een
tain que c'est un Homme d'un
fort grand mérite , & qui täcke
d'établir toutes chofes fur le bon
pied. Le Prince Regent lay a
"donné un pouvoir , qu'aucun Va
ceroy n'a eu avant luy , qui eft
de faire châtier de peine capitalejufques
aus Fidalgués, quand
le mériteront , fans les renvoyer
en Portugal , comme on
faifoit autrefois.
M Evefque d'Heliopolis
partir de mois de fuiller dernier
far une Soume Chinoïfe , pour
aller à la Chine . Il est à craindre
que ce ware Prelarn'yforpas
GALANT. 231
1
reçû , à caufe des nouveaux orl'Empereur
a fait pudres
que
blier, par lesquels il défend l'entrée
le négoce dans fon Empire
à tous les Etrangers , à l'exception
des Portugais de Macao ,
qui peuvent le faire feulement
par terre.
Toutes les Provinces de la
Chine obeiffent préfentement au
Tartare , & il n'y a aucun Chinois
dans ce vafte Empire , qui
n'ait les cheveux coupez . Il ne
refte plus que l'Ile de Formofe;
mais on ne croit pas qu'elle puiffe
refifter contre les grandes forces
que l'EmpereurTartarepeut met232
MERCURE
a
tre fur terre & fur mer. Il y
a plufieurs Chinois qui demeurent
en ce Royaume de Siam. Ils
portent les cheveux longs ;
comme le Roy vouloit envoyer
une Ambaffade folemnelle à la
Chine , il nomma l'und'euxpour
un de fes Ambaffadeurs. Ce
Chinois fit tout ce qu'il pût pour
s'en excufer , parce qu'il auroit
efté obligé de couper fes cheveux;
mais voyant que le Roy vouloit
abfolument qu'il y allaft , il aima
mieux fe couper la
de confentir à cet affront.
J'envoye une petite Relation:
de Cochinchine , dont le Royau
gorge , que
4
GALANT. 233
me eft fameux en ces quartiers,
non feulement par la valeur de
fes Peuples , mais auffi par le progrés
qu'y a fait l'Evangile, Je
lay drefféefur quelques Mémoi
res que m'a fourny un Miffionnaire
François qui en fait par
faitement la Langue , pour y
avoir demeuré long- temps. Ilfe
nomme M Vachet, & eft affez
renommé dans les Relations que
M des Miffions Etrangeres
donnent de temps en temps au
Public Fe la croy affez jufte,
Je
j'espère que vous la lirez avec
plaifir. J'avois commencé une
autre Relation de mon Voyage
V Octobre
1684.
234
MERCURE
co
de Surate à la Cofte Coroman
delle , Malaca, Siam ; mais
elle n'est pas en état d'eftre envayée
, parce que jay encore
quelque chofe à y ajoûter , afin
depouvoir donner en meſme temps
une legere idée de l'état de ce
dernier Royaume.
Kone aure appris que depuis
les premiers honneurs que j'avois
reçûs du Rey de Siam à mon ar
rivée en fe Cour , j'en reçûs de
bien plus particuliers l'an paffé,
lors que ce Prince me donna audience
en fon Palais. It eftoit
affis en fon Trône , & ily avoit
enmefme temps des Ambaſſadeurs
-
GALANT 235
du Roy deFamby, à qui il donnoit
auffi audience ; mais il voulut par
la lieu où il me fi placer , faire
connoiftre la diférence qu'il wettoit
entre un Sujet du plus grand.
Prince du monde , & les
baffadeurs d'un Roy fon Voifin
Il me fit préfent d'un Juſtan
corps ou Vefte d'un Brocard d'Eu
rope tres-riche , d'un Sabre &
à la maniere des Indes , dont la
Garde & le Fourreau eftoient
garnis d'or ; & j'eus encore l'hon- -
neur de luy faire la reverence ·
le mois d'Avril dernier , & j'en
reçûs unſecond Préfent. C'efpit
un autre Juftaincoups › tres-beaus. ·
Vvijo
236 MERCURE
rares
Il feroit mal- aifé de raconter
les hautes idées que ce Roy a
de la puiffance , de la valeur,
& de la magnificence de noftre
invincible Monarque. Il ne fe
peutfur tout laffer d'admirer ces
qualitez qui le rendent auffi
recommandable en Paix qu'en \
Guerre, Vous voyez bien que las
Vie de Sa Majesté me fournit
affez de matiere pour pouvoir en_ ).
tretenir ce Prince dans cesfentimens
d'admiration. C'est ce que
je fais par quantité d actions particulieres
de cette illuftre Vie que
je fais traduire en fa Langue,
qu'un Mandarin de mes Amis,
GALANT. 237
lors
que
&fort en faveur aupres de luy,
a foin de luy préfenter. Le Roy
de Stam espere que Sa Majesté
tuy envoyera des Ambaſſadeurs,
les fiens reviendront. It
fait batir une Maiſon , qu'on
peut nommer magnifique pour le
Pais pour les recevoir & défrayer.
Dans ce deffein , on prépare
toutes les Uftancilles pour
la meubler à la maniere d'Europe:
Les faveurs que ce Prince
fait de jour en jour à M ™s les
Evefques François , Vicaires du
S. Siege en ces Païs , font tresparticulieres.
Il leur fait bâtir
une grande Eglife proche le beau
238 MERCURE
Seminaire qu'il leur fit conftruire
il y a quelques années ; & depuis
peu de jours iill lleeuurr aa fait
demander le modelle d'une autre
Eglife qu'il veut leur faire batir
à Lavau. C'est une Ville où il
fait fon fejour pendant fept ou
huit mois de l'année , & qui eft
éloignée de Siam de quinze à
feize lieües.
les
E mefuis informé des Habillemens
qu'on vous a dit que
Soldats Faponnois portoient lars
qu'ils alloient à la Guerre , &
qui font à l'épreuve de toutesfor-
Tij
222 MERCURE
tes d'armes ; mais tous ceux qui
m'ont paru le dewair frayjoin le
mieux, pour avoir demeuré longtemps
dans le Japon , n'ont pú
m'en inftruire. Ils m'ont ſeulement
dit , qu'ils croyoient que ces
Soldats fe feruoient dans leurs
expéditions militaires des mefmes
Veftemens que les Chinois, qui les
font de plufieurs Erofes de foye
cousies enfemble , & piquées
fort prés à prés , e qui mettent
quelquefois foixante de ces Erofes
es unes fur les autres, avec du
coton ou de l'ouate entre deux.
Els difent que ces Habillemens réfiftent
mefme aux coups de Moufa.
GALANT 223
les
quet ; mais il n'y a que les Grands
qui s'en fervent & Les Gens du
commun ufent de Cuiraffes. Il
eft tres difficile d'avoir des nouvelles
füres de ce qui fe paſſe au
Fapon , parce qu'il n'y a que
Hollandois les Chinois qui y
trafiquent. Tous les Etrangers,
particuliérement ces premiers,
Ifont fi peu en liberté, que j'en
ay connu quelques - uns , qui y
avoient fairfix oùfept voyages,
qui à peine pouvoient rendre
raison de certaines chofes , qui ne
peuvent eftre ignorées d'une Per-
Sonne qui a demeuré quelque
temps dans un Pais. Vous fçan
T. iiij.
224 MERCURE
4
vez que la Compagnie de Hol
lande ne tire plus du Fapon ces
grands pr fus qu'elle y faifoit autrefois
les vexations qu'y fou
frent fes Officiers ont beaucoup
diminué ce Trafic. Il part chaque
année de Barravia trois ou
pour
le
quatre
grands
Navires
Japon , chargez
de toutes fortes
de Marchandifes
; & l'ordre
le
plus exprés qu'ont les Officiers
de
ces Bâtimens
, est de fe donner
bien de garde de montrer
aucun
figne de Chriftianifme
qu'ils demeureront
en ce Pais- là.
Le Gouverneur
de Nangazaqui
,
qui est le Port où les Navires
·tant⋅
GALANT 225
le
Etrangers arrivent , les force à
luy vendre toutes les Marchan
difes qu'ils apportent , au prix
qu'il fouhaite s'ils ne veulent
pas les donner , ilfaut qu'ils
rembarquent auffi tost , fans pouvoir
davantageles expofer en
vents. Ils voyent enfuite que
Gouverneur revend mefmes
Marchandifes de la main à la
main , avec un tres-grand profit,
fans qu'ils ofent en murmurer.
Auffi dit- on la Compagnie
Hollandoife est réfolie d'abandonner
ce Commerce , fi elle ne
peut avoir raison de ces awanies.
La Loge des Hollandois eft fituée
que
Ges
226 MERCURE
1
dans une petite Ifle qui eft dans
la Riviere de Nangazaqui , &
qui n'a de communication avec
La Ville, ou Terre ferme , que par
un Pont. Le Gouverneur a le
foin de leur fare fournir toutes
Les chofes dont ils ont besoin , &
il leur est défendu fous peine de
la vie, d'aller en Terre-ferme, on
à la Ville , fans fa permiffion
&fans avoir quelques Gardes.
Cet ordre est refpectif à l'égard
des Faponnois , qui ne peuvent
aller en la Loge des Hollandais
fans la permiffion du Gouverneur.
Tant que leurs Navires demeu
rent en ce Port of Riviere , le
GALANT 227
Gouvernail , la Poudre , & les
principales Armes , font à terre ;
codes,le moment qu'on leur a
rende ces chafes , il faut qu'ilsfe
mettent à la voile , quelque vent
qu'ilfaffe. Quand mefme ils auroient
la plus rude tempefte à effuyer,
ils ne peuventfans rifque
de la vie rentrer dans un Port
du Japon. Il faut que la Com
pagnie change toutes les années
Le Chef & Second de fon Comp
toir ; d'abord que les Japonnois
remarquent que quelque Hol
landois commence à fçavoir leur
Langue ou leurs Coutumes , ils
le renvoyent hors de leur Païs.
228 MERCURE
On efpéroit que la mort du vieil
Empereur , qui eftoit celuy qui
avoit entiérement coupé les fortes
racines que la Religion des Chré
tiens avoit jettées dans leJapon,
mettroit quelque fin aux précautions
pleines d'impieté qu'apportent
les Japonnois , pour empef
cher qu'on ne leur annonce une
autre fois l'Evangile ; mais les
Miniftres de fon Fils , qui a fuc-"
cedé à l'Empire
, n'en apportent
pas de moindres , t) femblent
ôter toute efpérance de pouvoir
voir de nos jours un fi grand
bien. Les Portugais publient ,
que leur Viceroy qui arriva l'an
GALANT 229
paffé à Goa , a deffein d'envoyer
une Fregate aufapon , avec des
Ambassadeurs , pour féliciter ce
nouvel Empereur fur fon heureux
avenement à la Couronne,
en mefme temps ménager le
rétabliſſement de la bonne correfpondance
qu'il y a eu autrefois
entre ces deux Nations ; mais je
ne croy pas qu'il envoye cette
Fregate , encore moins, qu'il
puiffe reüffirdansfesprojets,quand
il le feroit. Les Portugais s'attendent
de voir d'auffi grandes
chofes fous le Gouvernement de
ce Viceroy , que leurs Prédeseffeurs
en ont vu fous celuy
230 MERCURE
des Albuquerques . Il eft een
tain que c'est un Homme d'un
fort grand mérite , & qui täcke
d'établir toutes chofes fur le bon
pied. Le Prince Regent lay a
"donné un pouvoir , qu'aucun Va
ceroy n'a eu avant luy , qui eft
de faire châtier de peine capitalejufques
aus Fidalgués, quand
le mériteront , fans les renvoyer
en Portugal , comme on
faifoit autrefois.
M Evefque d'Heliopolis
partir de mois de fuiller dernier
far une Soume Chinoïfe , pour
aller à la Chine . Il est à craindre
que ce ware Prelarn'yforpas
GALANT. 231
1
reçû , à caufe des nouveaux orl'Empereur
a fait pudres
que
blier, par lesquels il défend l'entrée
le négoce dans fon Empire
à tous les Etrangers , à l'exception
des Portugais de Macao ,
qui peuvent le faire feulement
par terre.
Toutes les Provinces de la
Chine obeiffent préfentement au
Tartare , & il n'y a aucun Chinois
dans ce vafte Empire , qui
n'ait les cheveux coupez . Il ne
refte plus que l'Ile de Formofe;
mais on ne croit pas qu'elle puiffe
refifter contre les grandes forces
que l'EmpereurTartarepeut met232
MERCURE
a
tre fur terre & fur mer. Il y
a plufieurs Chinois qui demeurent
en ce Royaume de Siam. Ils
portent les cheveux longs ;
comme le Roy vouloit envoyer
une Ambaffade folemnelle à la
Chine , il nomma l'und'euxpour
un de fes Ambaffadeurs. Ce
Chinois fit tout ce qu'il pût pour
s'en excufer , parce qu'il auroit
efté obligé de couper fes cheveux;
mais voyant que le Roy vouloit
abfolument qu'il y allaft , il aima
mieux fe couper la
de confentir à cet affront.
J'envoye une petite Relation:
de Cochinchine , dont le Royau
gorge , que
4
GALANT. 233
me eft fameux en ces quartiers,
non feulement par la valeur de
fes Peuples , mais auffi par le progrés
qu'y a fait l'Evangile, Je
lay drefféefur quelques Mémoi
res que m'a fourny un Miffionnaire
François qui en fait par
faitement la Langue , pour y
avoir demeuré long- temps. Ilfe
nomme M Vachet, & eft affez
renommé dans les Relations que
M des Miffions Etrangeres
donnent de temps en temps au
Public Fe la croy affez jufte,
Je
j'espère que vous la lirez avec
plaifir. J'avois commencé une
autre Relation de mon Voyage
V Octobre
1684.
234
MERCURE
co
de Surate à la Cofte Coroman
delle , Malaca, Siam ; mais
elle n'est pas en état d'eftre envayée
, parce que jay encore
quelque chofe à y ajoûter , afin
depouvoir donner en meſme temps
une legere idée de l'état de ce
dernier Royaume.
Kone aure appris que depuis
les premiers honneurs que j'avois
reçûs du Rey de Siam à mon ar
rivée en fe Cour , j'en reçûs de
bien plus particuliers l'an paffé,
lors que ce Prince me donna audience
en fon Palais. It eftoit
affis en fon Trône , & ily avoit
enmefme temps des Ambaſſadeurs
-
GALANT 235
du Roy deFamby, à qui il donnoit
auffi audience ; mais il voulut par
la lieu où il me fi placer , faire
connoiftre la diférence qu'il wettoit
entre un Sujet du plus grand.
Prince du monde , & les
baffadeurs d'un Roy fon Voifin
Il me fit préfent d'un Juſtan
corps ou Vefte d'un Brocard d'Eu
rope tres-riche , d'un Sabre &
à la maniere des Indes , dont la
Garde & le Fourreau eftoient
garnis d'or ; & j'eus encore l'hon- -
neur de luy faire la reverence ·
le mois d'Avril dernier , & j'en
reçûs unſecond Préfent. C'efpit
un autre Juftaincoups › tres-beaus. ·
Vvijo
236 MERCURE
rares
Il feroit mal- aifé de raconter
les hautes idées que ce Roy a
de la puiffance , de la valeur,
& de la magnificence de noftre
invincible Monarque. Il ne fe
peutfur tout laffer d'admirer ces
qualitez qui le rendent auffi
recommandable en Paix qu'en \
Guerre, Vous voyez bien que las
Vie de Sa Majesté me fournit
affez de matiere pour pouvoir en_ ).
tretenir ce Prince dans cesfentimens
d'admiration. C'est ce que
je fais par quantité d actions particulieres
de cette illuftre Vie que
je fais traduire en fa Langue,
qu'un Mandarin de mes Amis,
GALANT. 237
lors
que
&fort en faveur aupres de luy,
a foin de luy préfenter. Le Roy
de Stam espere que Sa Majesté
tuy envoyera des Ambaſſadeurs,
les fiens reviendront. It
fait batir une Maiſon , qu'on
peut nommer magnifique pour le
Pais pour les recevoir & défrayer.
Dans ce deffein , on prépare
toutes les Uftancilles pour
la meubler à la maniere d'Europe:
Les faveurs que ce Prince
fait de jour en jour à M ™s les
Evefques François , Vicaires du
S. Siege en ces Païs , font tresparticulieres.
Il leur fait bâtir
une grande Eglife proche le beau
238 MERCURE
Seminaire qu'il leur fit conftruire
il y a quelques années ; & depuis
peu de jours iill lleeuurr aa fait
demander le modelle d'une autre
Eglife qu'il veut leur faire batir
à Lavau. C'est une Ville où il
fait fon fejour pendant fept ou
huit mois de l'année , & qui eft
éloignée de Siam de quinze à
feize lieües.
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Résumé : A Siam le 28. Novembre 1683.
Le document est une lettre datée du 28 novembre 1683 à Siam, traitant des habits des soldats japonais et des difficultés de commerce avec le Japon. L'auteur note que les soldats japonais portent des vêtements similaires à ceux des Chinois, résistants aux armes à feu, mais il n'a pas pu obtenir de détails précis. Il souligne les restrictions imposées aux étrangers, notamment les Hollandais, qui sont surveillés et limités dans leurs mouvements. Le gouverneur de Nangazaqui contrôle strictement le commerce, forçant les navires étrangers à vendre leurs marchandises à des prix imposés. La Compagnie hollandaise envisage d'abandonner ce commerce en raison des vexations subies. La loge des Hollandais est située sur une île isolée, et les Japonais interdisent toute communication non autorisée. Les navires étrangers doivent quitter le port immédiatement après avoir récupéré leurs armes et poudre. La Compagnie hollandaise change annuellement ses chefs pour éviter qu'ils ne s'imprègnent de la langue ou des coutumes locales. La mort de l'empereur japonais n'a pas modifié les restrictions contre les chrétiens. Les Portugais prévoient d'envoyer une frégate pour rétablir les relations, mais cela semble peu probable. Le document mentionne également des événements en Chine, où les Tartares contrôlent les provinces, et en Cochinchine, connue pour la valeur de ses peuples et la progression de l'Évangile. L'auteur a reçu des honneurs du roi de Siam, qui admire la puissance et la magnificence du monarque français. Le roi de Siam prépare une maison pour recevoir des ambassadeurs français et construit des églises pour les missionnaires français.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 304-309
Audience donnée par M. le Marquis de Seignelay aux Envoyez de Siam, [titre d'après la table]
Début :
Le Roy de Siam estant en peine de l'arrivée des Ambassadeurs [...]
Mots clefs :
Jean-Baptiste Colbert de Seignelay, Roi de Siam, Envoyés, Pays, Marquis, Audience, Compagnie des Indes orientales, Révérences, Ambassadeurs, Ambassade
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texteReconnaissance textuelle : Audience donnée par M. le Marquis de Seignelay aux Envoyez de Siam, [titre d'après la table]
Le Roy de Siam eftant en
peine de l'arrivée des Am
baffadeurs qu'il envoya en
1680. au Roy , & ayant appris
par toutes les Nouvelles de
l'Europe, que le Vaiffeau fur
lequel ils s'eftoient embarquez
eftoit perdu , il choiſit
deux des Officiers de fa Maifon
pour eftre envoyez en
France , & en cas que ces
GALANT. 305
Ambaffadeurs y fuffent, leur
remettre la négotiation dont
ils eftoient chargez pour l'é
tabliffement d'un Commerce
entre la Compagnie des Indes
Orientales , & les Sujets
de ce Prince ; & comme le
Roy de Siam a beaucoup de
confiance aux Miffionnaires-
Apoftoliques qui font en ce
Païs -là , il pria M ' l'Evefque
de Metollopolis de joindre à
ces deux Officiers un Miffionnaire
pour les accompa
gner dans ce Voyage. M
Vachet, ancien Miffionnaire
de Cochinchine , ayant efté
Novembre 1684. C c
i
306 MERCURE
choify , les deux Envoyez
Okonne Pichay Valhiten ,
Khonne Pichife On ay tri , avec
fix autres Siamois &mun
Interprete du Païs , partirent
fur un Vaiffeau Anglois les
25. Janvier dernier , & apres
avoir paffé en Angleterre , ils
arrivérent à Calais , où ils fu
rent reçeus par les ordres que
M' le Marquis de Seignelay
avoit donnez pour les faire
conduire à Paris aux dépens
du Roy. Ce Marquis leur en
voya deux Carroffes , pour
rendre à l'Audience qu'il leur
a donnée , & les reçcut dans
fe
GALANT 307
ཋཱ་
fon Cabinet. Ces Envoyez,
apres avoir fait trois réveren
ces la face en terre , & les deux
mains jointes , élevées juſques
au fommet de la tefte , en la
maniere de leur Païs , s'affirent
fur un Tapis , & expliquérent
les principaux Chefs
de leur négotiation pour ce
qui regarde le Commerce, &
dirent en fuite , Qu'ils eftoient
chargez de la part de leur Roy,
de témoigner fa joye de la naiffance
de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne ; & que dans l'efpérance
que ce Prince avoit conçue
d'une Ambaſſade de la part de Sa
Cc ij
308 MERCURE
Majefté, il avoit fait baftir une
Maifon pour la recevoir, & une
tres grande Eglife pour les Chrétiens.
M' le Marquis de Seignelay,
apres les avoir remerciez de
leur civilité , & leur avoir fait
connoiftre qu'ils avoient efté
traitez par ordre du Roy, leur
témoigna , Que c'eftoit avec
douleur qu'il croyoit que le Vaiffean
fur lequel eftoit embarquez
Les Ambaffadeurs envoyez en
1680. eftoit perdu ; qu'il rendroit
compte à Sa Majefté de ce qu'ils
Luy avoient dit de la part du Roy
laur Maifire ; & qu'il pouvoit
GALANT. 309.
leur dire par avance,que Sa Majesté
eftoit difpofée à iuy envoyer
une Ambaffade, pour luy donner
des marques de l'amitié que Sa
Majefte luy accordoit d'autant
plus volontiers , qu'Elle eſpéroit
que le Roy de Siam inftruit des
erreurs de l'Idolâtrie, affermiroit
cette amitié par le lien d'une
mefme Religion. Les Envoyez
offrirent en fuite leurs Préfcns
, & furent conduits chez
eux de la mefme maniere
qu'ils avoient efté amenez .
peine de l'arrivée des Am
baffadeurs qu'il envoya en
1680. au Roy , & ayant appris
par toutes les Nouvelles de
l'Europe, que le Vaiffeau fur
lequel ils s'eftoient embarquez
eftoit perdu , il choiſit
deux des Officiers de fa Maifon
pour eftre envoyez en
France , & en cas que ces
GALANT. 305
Ambaffadeurs y fuffent, leur
remettre la négotiation dont
ils eftoient chargez pour l'é
tabliffement d'un Commerce
entre la Compagnie des Indes
Orientales , & les Sujets
de ce Prince ; & comme le
Roy de Siam a beaucoup de
confiance aux Miffionnaires-
Apoftoliques qui font en ce
Païs -là , il pria M ' l'Evefque
de Metollopolis de joindre à
ces deux Officiers un Miffionnaire
pour les accompa
gner dans ce Voyage. M
Vachet, ancien Miffionnaire
de Cochinchine , ayant efté
Novembre 1684. C c
i
306 MERCURE
choify , les deux Envoyez
Okonne Pichay Valhiten ,
Khonne Pichife On ay tri , avec
fix autres Siamois &mun
Interprete du Païs , partirent
fur un Vaiffeau Anglois les
25. Janvier dernier , & apres
avoir paffé en Angleterre , ils
arrivérent à Calais , où ils fu
rent reçeus par les ordres que
M' le Marquis de Seignelay
avoit donnez pour les faire
conduire à Paris aux dépens
du Roy. Ce Marquis leur en
voya deux Carroffes , pour
rendre à l'Audience qu'il leur
a donnée , & les reçcut dans
fe
GALANT 307
ཋཱ་
fon Cabinet. Ces Envoyez,
apres avoir fait trois réveren
ces la face en terre , & les deux
mains jointes , élevées juſques
au fommet de la tefte , en la
maniere de leur Païs , s'affirent
fur un Tapis , & expliquérent
les principaux Chefs
de leur négotiation pour ce
qui regarde le Commerce, &
dirent en fuite , Qu'ils eftoient
chargez de la part de leur Roy,
de témoigner fa joye de la naiffance
de Monfeigneur le Duc de
Bourgogne ; & que dans l'efpérance
que ce Prince avoit conçue
d'une Ambaſſade de la part de Sa
Cc ij
308 MERCURE
Majefté, il avoit fait baftir une
Maifon pour la recevoir, & une
tres grande Eglife pour les Chrétiens.
M' le Marquis de Seignelay,
apres les avoir remerciez de
leur civilité , & leur avoir fait
connoiftre qu'ils avoient efté
traitez par ordre du Roy, leur
témoigna , Que c'eftoit avec
douleur qu'il croyoit que le Vaiffean
fur lequel eftoit embarquez
Les Ambaffadeurs envoyez en
1680. eftoit perdu ; qu'il rendroit
compte à Sa Majefté de ce qu'ils
Luy avoient dit de la part du Roy
laur Maifire ; & qu'il pouvoit
GALANT. 309.
leur dire par avance,que Sa Majesté
eftoit difpofée à iuy envoyer
une Ambaffade, pour luy donner
des marques de l'amitié que Sa
Majefte luy accordoit d'autant
plus volontiers , qu'Elle eſpéroit
que le Roy de Siam inftruit des
erreurs de l'Idolâtrie, affermiroit
cette amitié par le lien d'une
mefme Religion. Les Envoyez
offrirent en fuite leurs Préfcns
, & furent conduits chez
eux de la mefme maniere
qu'ils avoient efté amenez .
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Résumé : Audience donnée par M. le Marquis de Seignelay aux Envoyez de Siam, [titre d'après la table]
En 1684, le roi de Siam, préoccupé par la perte d'un vaisseau transportant des ambassadeurs envoyés en 1680, désigna deux officiers pour négocier un accord commercial avec la Compagnie des Indes Orientales. Il demanda également à l'évêque de Metollopolis d'inclure le missionnaire M. Vachet dans la délégation. Les envoyés, Okonne Pichay Valhiten et Khonne Pichise On ay tri, accompagnés de six autres Siamois et d'un interprète, partirent le 25 janvier 1685 sur un vaisseau anglais. Après un passage en Angleterre, ils arrivèrent à Calais, puis furent conduits à Paris aux frais du roi de France. Le marquis de Seignelay les accueillit et écouta leurs propositions commerciales. Ils exprimèrent la joie du roi de Siam pour la naissance du duc de Bourgogne et mentionnèrent la construction d'une maison et d'une église pour les chrétiens. Le marquis de Seignelay assura que le roi de France était prêt à envoyer une ambassade en retour, espérant la conversion du roi de Siam au christianisme pour renforcer leur amitié.
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6
p. 87-106
DES CHOSES DIFFICILES A CROIRE.
Début :
Depuis qu'on a veu les Dialogues des Morts, tous / LAMBRET. Ouy, je me souviens que nous nous sommes [...]
Mots clefs :
Mariage, Peuple, Coutumes, Épouse, Raison, Témoignage, Moeurs, Sentiments, Pays, Étrangers
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texteReconnaissance textuelle : DES CHOSES DIFFICILES A CROIRE.
Depuis qu'on a veu les
88 MERCURE
Dialogues des Morts , tous les
Dialogues font devenus du
gouft du Public. On les aime
avec raifon , puis qu'en peu
de mots , & d'une maniere
agréable , on y apprend l'Hiftoire
, les Moeurs , & les Coû
tumes de divers Païs ,& quantité
d'autres chofes qui font
d'érudition . En voicy un de
M ' B .... On m'en promet
d'autres du mefme Autheur,
& fi l'on me tient parole,
vous me verrez ponctuel à
vous en donner une Copie.
GALANT. 89
$252525252525252
DES CHOSES
DIFFICILES A CROIRE.
DIALOGUE I.
LAMBRET,BELOROND.
LAMBRET.
QUY
Uy , je me fouviens que
nous nous fommes donnez
rendez- vous icy , & que:
tous les mois nous devos nous
y rendre compte de nos Le-
Aures, & particulierement
des
chofes qui à caufe qu'elles
Mars 1685.
H
90 MERCURE
font ou prodigieufes , ou extraordinaires
, ou oppofées à
nos Coûtumes , ou mesme
fauffes & impoffibles , nous
paroiffent tres difficiles à croire
, ou entierement incroyables
BELORO N´D..
Je ne doute point que vous ,
n'ayez fait diverfes recherches
fur cette matiere .
LAMBRE T.
Je vay vous en dire quelques-
unes touchant les Coûtumes
qui fe font établies
dans quelques Païs pour
conclure
le Mariage , & qui
GALANT.
pour
eftre fort differentes des
noftres , femblent fi extravagantes
, que nous pouvons
fans fcrupule les mettre au
nombre des chofes difficiles
à croire. Chez les Cimbres,
Peuples de Scythie , & qui
font aujourd'huy les Danois,
pour conclure le Mariage , il
falloit que le Fiancé fe rognaft
les ongles , & envoyaft les
rogneures à fa Fiancée, &que
celle- cy en fift autant à fona
Fiancé. Puis, s'ils acceptoient =
mutuellement leurs prefens,,
ils étoient cenfez entiere--
ment mariez ...
Hij
92 MERCURE
BELORO N D.
C'étoit peut- étre pour fe
témoigner
reciproquement
,
qu'ils ne fe feroient l'un à
l'autre aucun tort , fi nous en
croyons noftre Proverbe ,
quand pour témoigner que
nous ofterons à quelqu'un le
pouvoir de nous nuire , nous
difons , le luy rogneray les on
gles , ce que Pline appelle fort
bien , Exarmare.
LAMBRET.
Chez les Teutons anciens
'Allemands , pour conclure le
Mariage , la Femme rafoit les
cheveux à fon Amant , &
GALANT.
93
THomme les raſoit aufli à ſon
BELORON D.
Amante.
Vous n'ignorez pas que nos
Amans fe font icy un fort
grand plaifir, d'avoir des cheveux
de leurs . Maiftreffes,
parce qu'ils les regardent
comme autant de chaînes,
fur lefquelles ils trouvent matiere
de dire mille jolies chofes
, pour témoigner la douceur
de leur efclavage . Ne fe
peut-il pas
faire que les Peuples
dont vous me parlez
étoient dans les mefmes fentimens.
94 MERCURE
LAMBRET
Si vous voulez moralifer fur
toutes les Coûtumes, vous en
aurez bien à dire.
BELORO N D.
Il eft conftant que les Coû
rumes font fondées , ou fur
quelque évenement confiderable
, ou fur quelque raifon
de bien- féance , de moralité,
ou de précepte.
LAMBRE T
Ainfr .... Permettez- moy
de vous interrompre , ce qui
me vient maintenant
dans
la mémoire pourroit m'échaper.
Apprenez- moy , je vous
GALANT. 95
prie , pourquoy chez les Ar
meniens , pour contracter le
Mariage , l'Epoux tailloit le
bout de l'oreille droite à fon
Epoufe , & l'Epoufe celuy de
l'oreille gauche à fon Epouxa
BELORON D..
Vous fçavez ce que c'eft
lors que les oreilles cornent,
ce que Plaute appelle Tinni
mentum , ou lors que , comme
dic Celfus , Aures fonant intra
fe ipfas. Vous fçavez encore
qu'on
on dit , que lors que l'oreille
droite nous corne , c'eft
figne que l'on parle bien de
nous , & qu'au contraire , lors
96 MERCURE
que c'eft la gauche , nons
fommes les objets de la médifance
de quelqu'un . C'eft
là une fuperftition , je l'avouë,
mais ne fe peut-il pas faire
que cette fuperftition regnaft
chez les Armeniens , ainfi que
chez nous , & que l'Epoux
coupoit l'oreille droite à fon
Epouſe , pour la faire fouvenir
de ne pas écouter les cajoleries
& les fleurettes , qui
font ordinairement
fi agréables
aux Femmes , & que l'Epouſe
coupoit le bout de l'o
reille gauche à fon Epoux,
pour l'avertir de ne pas écou
ter
GALANT.
97
ter ce qu'on luy pourroit ra
porter de defagréable contre
la conduite , afin de le jetter.
dans la jalouſic , paffion ſi narurelle
à ceux de ce Pais - là ,
Mais , continuez je vous prie,
ce que vous avez fi bien commencé
, fans exiger de moy
que je vous rende raifon de
ce que vous m'aprendrez ,
puis que nous fommes convenus
de nous inftruire l'un
l'autre , de ce que nous aurions
lû
d'extraordinaire & de
difficile à croire , & non pas
de faire une differtation fur
ces
matieres , parce que ce
Mars 1685.. I
98 MERCURE
ne feroit plus un entretien
agréable ; mais une espece
d'étude , peut estre auffi ennuyeufe
qu'inutile . Avoüons
feulement pour faire en quelque
façon une Préface à ce
que nous dirons dans la fuite
touchant les
extravagantes
opinions , les coûtumes dif
ferentes , & les ſentimens paradoxes
; avoüons , dis - je ,
qu'il n'y a rien de fi conftant
& de fi certain en un lieu ,
dont le contraire ne foit encore
plus opiniaſtrément
tenu
en un autre , & dans la
contemplation
de cette obGALANT.
99
ftinée varieté , nous ne nous
étonnerons pas fi un Philofophe
interrogé de quelle matiere
l'Homme luy fembloit
eftre compofé , répondit,
d'un amas de difputes & de
conteftations . Il devoit adjoufter
de varietez & d'inconftances
. En effet , l'Homme
penſe bien autrement des
chofes en un temps qu'en un
autre , jeune que vieux , affamé
que raffafié, de nuit que
de jour, grand que petit, trifte
que joyeux,pauvre que riche.
Joignez à cela la difference
des temperamens , des cli
I ij
100 MERCURE
mats , des faifons , des employs
, & mille autres circon.
ftances qui le tiennent dans
une perpetuelle inftabilité, ce
qui a fait dire à Seneque,
Epift. 109. Pauci illam quam
conceperant mentem domum
pers
ferre potuerunt. C'eft cet efprit
de conteftation & d'inſtabilité
qu'on peut apporter, pour
principale caufe de toutes les
differentes coûtumes & opinions
, dont nous pourrons
parler dans la fuite de nos entretiens.
LAMBRET .
Vous ferez fans doute conGALANT.
Iof
firmé plus que jamais dans
les fentimens que vous venez
de me témoigner , quand
vous fçaurez encore quelquesautres
coûtumes fur le me
me fujet , comme ce qui fe
faifoit chez les Elamites,
Peuples qui habitoient entre
les Provinces de Perfe & de
Babylone , où le Mary pi
quoit le doigt du coeur de fa
Femme jufques au fang , & la
Femme en faifoit autant à fon
Mary ; chez les Numidiens
Peuples d'Afrique , ´óu l'Epoux
& l'Epoufe crachoient
en terre , & de la bouë qui fe
I iij
102 MERCURE
faifoit de leurs crachats , ils
s'oignoient le front l'un à
l'autre , chez les Sicyoniens,
Peuples du Peloponese , où le
Mary envoyoit un Soulier du
pied droit à fa Femme , & la
Femme un du pied gauche à
fon Mary; chez les Tarentins,
où le futur Epoux & la future
Epoufe ne concluoient leur
Mariage , qu'en prenant à
manger tous deux d'une mef
me main , en prefence de
leurs Parens affemblez ; chez
les Scythes , où le Mary & la
Femme fe touchoient réciproquement
les genoux , les
GALANT. 103
pieds , les coudes , le front,
les yeux , les oreilles , & la
bouche , chez les Moscovites ,
où les Parens de la Fille font
la demande du Mariage ; enfin
, chez les Talchéens , où
le Pere de celle qui étoit à
marier , appelloit à fouper
tous ceux qui la recherchoient
en mariage ; & apres
les avoir priez de faire chacun
un Conte plaiſant , celuy
à qui elle témoignoit par
un foûris que fon Conte
luy agréoit , étoit en mefme
temps reconnû pour fon
Epoux.
I
iij
104 MERCURE
BELOROND .
Si cela eft , Arlequin auroit
affurément épouſé la fille
du Souverain de ces derniers
Peuples , mais je me perfuade
qu'on ne trouvoit le Conte
agréable, qu'aprés avoir agreé
le Conteur ,
LAMBRE T.
Voilà ce que je fçay , & ce
que j'avois à vous dire d'extraordinaire
, fur les differentes
manieres de contracter le
Mariage. Je ne doute pas que
vous n'adjouftiez bien d'autres
chofes plus agréables fur
ce fujet , ou fur quelqu'autre.
GALANT. 105
BELORON D.
Je n'ay qu'une choſe à adjoûter
, & qui , fi vous me
croyez , fervira de fin à ce
premier Entretien. C'eſt que
tout ce que vous venez de
m'aprendre touchant les dif
ferentes manieres de s'époufer
, n'a rien de fi extravagant
que la ridicule opinion des
Effeniens , chez les Juifs . Solin
les appelle , Gentem aternam
fine connubiis . Ils faifoient
profeffion du Celibat , fur ce
feul fondement
, que jamais.
Femme n'avoit gardé la Foy
conjugale à fon Mary . Nous .
106 MERCURE
ne pouvons mieux finir , ce
me femble , qu'en mettant au
nombre des chofes difficiles à
croire , l'injuftice que ces
Peuples faifoient à cet aimable
Sexe.
LAMBRE T.
Si noftre entretien tombe
entre les mains du Public,
nous devons efperer qu'il en
fera bien reçeu , puis qu'en le .
finiffant , nous nous rendons
les Dames favorables par la
qualité de chofe difficile à
croire , que nous donnons à
l'infidelité dont on les accufe
.
88 MERCURE
Dialogues des Morts , tous les
Dialogues font devenus du
gouft du Public. On les aime
avec raifon , puis qu'en peu
de mots , & d'une maniere
agréable , on y apprend l'Hiftoire
, les Moeurs , & les Coû
tumes de divers Païs ,& quantité
d'autres chofes qui font
d'érudition . En voicy un de
M ' B .... On m'en promet
d'autres du mefme Autheur,
& fi l'on me tient parole,
vous me verrez ponctuel à
vous en donner une Copie.
GALANT. 89
$252525252525252
DES CHOSES
DIFFICILES A CROIRE.
DIALOGUE I.
LAMBRET,BELOROND.
LAMBRET.
QUY
Uy , je me fouviens que
nous nous fommes donnez
rendez- vous icy , & que:
tous les mois nous devos nous
y rendre compte de nos Le-
Aures, & particulierement
des
chofes qui à caufe qu'elles
Mars 1685.
H
90 MERCURE
font ou prodigieufes , ou extraordinaires
, ou oppofées à
nos Coûtumes , ou mesme
fauffes & impoffibles , nous
paroiffent tres difficiles à croire
, ou entierement incroyables
BELORO N´D..
Je ne doute point que vous ,
n'ayez fait diverfes recherches
fur cette matiere .
LAMBRE T.
Je vay vous en dire quelques-
unes touchant les Coûtumes
qui fe font établies
dans quelques Païs pour
conclure
le Mariage , & qui
GALANT.
pour
eftre fort differentes des
noftres , femblent fi extravagantes
, que nous pouvons
fans fcrupule les mettre au
nombre des chofes difficiles
à croire. Chez les Cimbres,
Peuples de Scythie , & qui
font aujourd'huy les Danois,
pour conclure le Mariage , il
falloit que le Fiancé fe rognaft
les ongles , & envoyaft les
rogneures à fa Fiancée, &que
celle- cy en fift autant à fona
Fiancé. Puis, s'ils acceptoient =
mutuellement leurs prefens,,
ils étoient cenfez entiere--
ment mariez ...
Hij
92 MERCURE
BELORO N D.
C'étoit peut- étre pour fe
témoigner
reciproquement
,
qu'ils ne fe feroient l'un à
l'autre aucun tort , fi nous en
croyons noftre Proverbe ,
quand pour témoigner que
nous ofterons à quelqu'un le
pouvoir de nous nuire , nous
difons , le luy rogneray les on
gles , ce que Pline appelle fort
bien , Exarmare.
LAMBRET.
Chez les Teutons anciens
'Allemands , pour conclure le
Mariage , la Femme rafoit les
cheveux à fon Amant , &
GALANT.
93
THomme les raſoit aufli à ſon
BELORON D.
Amante.
Vous n'ignorez pas que nos
Amans fe font icy un fort
grand plaifir, d'avoir des cheveux
de leurs . Maiftreffes,
parce qu'ils les regardent
comme autant de chaînes,
fur lefquelles ils trouvent matiere
de dire mille jolies chofes
, pour témoigner la douceur
de leur efclavage . Ne fe
peut-il pas
faire que les Peuples
dont vous me parlez
étoient dans les mefmes fentimens.
94 MERCURE
LAMBRET
Si vous voulez moralifer fur
toutes les Coûtumes, vous en
aurez bien à dire.
BELORO N D.
Il eft conftant que les Coû
rumes font fondées , ou fur
quelque évenement confiderable
, ou fur quelque raifon
de bien- féance , de moralité,
ou de précepte.
LAMBRE T
Ainfr .... Permettez- moy
de vous interrompre , ce qui
me vient maintenant
dans
la mémoire pourroit m'échaper.
Apprenez- moy , je vous
GALANT. 95
prie , pourquoy chez les Ar
meniens , pour contracter le
Mariage , l'Epoux tailloit le
bout de l'oreille droite à fon
Epoufe , & l'Epoufe celuy de
l'oreille gauche à fon Epouxa
BELORON D..
Vous fçavez ce que c'eft
lors que les oreilles cornent,
ce que Plaute appelle Tinni
mentum , ou lors que , comme
dic Celfus , Aures fonant intra
fe ipfas. Vous fçavez encore
qu'on
on dit , que lors que l'oreille
droite nous corne , c'eft
figne que l'on parle bien de
nous , & qu'au contraire , lors
96 MERCURE
que c'eft la gauche , nons
fommes les objets de la médifance
de quelqu'un . C'eft
là une fuperftition , je l'avouë,
mais ne fe peut-il pas faire
que cette fuperftition regnaft
chez les Armeniens , ainfi que
chez nous , & que l'Epoux
coupoit l'oreille droite à fon
Epouſe , pour la faire fouvenir
de ne pas écouter les cajoleries
& les fleurettes , qui
font ordinairement
fi agréables
aux Femmes , & que l'Epouſe
coupoit le bout de l'o
reille gauche à fon Epoux,
pour l'avertir de ne pas écou
ter
GALANT.
97
ter ce qu'on luy pourroit ra
porter de defagréable contre
la conduite , afin de le jetter.
dans la jalouſic , paffion ſi narurelle
à ceux de ce Pais - là ,
Mais , continuez je vous prie,
ce que vous avez fi bien commencé
, fans exiger de moy
que je vous rende raifon de
ce que vous m'aprendrez ,
puis que nous fommes convenus
de nous inftruire l'un
l'autre , de ce que nous aurions
lû
d'extraordinaire & de
difficile à croire , & non pas
de faire une differtation fur
ces
matieres , parce que ce
Mars 1685.. I
98 MERCURE
ne feroit plus un entretien
agréable ; mais une espece
d'étude , peut estre auffi ennuyeufe
qu'inutile . Avoüons
feulement pour faire en quelque
façon une Préface à ce
que nous dirons dans la fuite
touchant les
extravagantes
opinions , les coûtumes dif
ferentes , & les ſentimens paradoxes
; avoüons , dis - je ,
qu'il n'y a rien de fi conftant
& de fi certain en un lieu ,
dont le contraire ne foit encore
plus opiniaſtrément
tenu
en un autre , & dans la
contemplation
de cette obGALANT.
99
ftinée varieté , nous ne nous
étonnerons pas fi un Philofophe
interrogé de quelle matiere
l'Homme luy fembloit
eftre compofé , répondit,
d'un amas de difputes & de
conteftations . Il devoit adjoufter
de varietez & d'inconftances
. En effet , l'Homme
penſe bien autrement des
chofes en un temps qu'en un
autre , jeune que vieux , affamé
que raffafié, de nuit que
de jour, grand que petit, trifte
que joyeux,pauvre que riche.
Joignez à cela la difference
des temperamens , des cli
I ij
100 MERCURE
mats , des faifons , des employs
, & mille autres circon.
ftances qui le tiennent dans
une perpetuelle inftabilité, ce
qui a fait dire à Seneque,
Epift. 109. Pauci illam quam
conceperant mentem domum
pers
ferre potuerunt. C'eft cet efprit
de conteftation & d'inſtabilité
qu'on peut apporter, pour
principale caufe de toutes les
differentes coûtumes & opinions
, dont nous pourrons
parler dans la fuite de nos entretiens.
LAMBRET .
Vous ferez fans doute conGALANT.
Iof
firmé plus que jamais dans
les fentimens que vous venez
de me témoigner , quand
vous fçaurez encore quelquesautres
coûtumes fur le me
me fujet , comme ce qui fe
faifoit chez les Elamites,
Peuples qui habitoient entre
les Provinces de Perfe & de
Babylone , où le Mary pi
quoit le doigt du coeur de fa
Femme jufques au fang , & la
Femme en faifoit autant à fon
Mary ; chez les Numidiens
Peuples d'Afrique , ´óu l'Epoux
& l'Epoufe crachoient
en terre , & de la bouë qui fe
I iij
102 MERCURE
faifoit de leurs crachats , ils
s'oignoient le front l'un à
l'autre , chez les Sicyoniens,
Peuples du Peloponese , où le
Mary envoyoit un Soulier du
pied droit à fa Femme , & la
Femme un du pied gauche à
fon Mary; chez les Tarentins,
où le futur Epoux & la future
Epoufe ne concluoient leur
Mariage , qu'en prenant à
manger tous deux d'une mef
me main , en prefence de
leurs Parens affemblez ; chez
les Scythes , où le Mary & la
Femme fe touchoient réciproquement
les genoux , les
GALANT. 103
pieds , les coudes , le front,
les yeux , les oreilles , & la
bouche , chez les Moscovites ,
où les Parens de la Fille font
la demande du Mariage ; enfin
, chez les Talchéens , où
le Pere de celle qui étoit à
marier , appelloit à fouper
tous ceux qui la recherchoient
en mariage ; & apres
les avoir priez de faire chacun
un Conte plaiſant , celuy
à qui elle témoignoit par
un foûris que fon Conte
luy agréoit , étoit en mefme
temps reconnû pour fon
Epoux.
I
iij
104 MERCURE
BELOROND .
Si cela eft , Arlequin auroit
affurément épouſé la fille
du Souverain de ces derniers
Peuples , mais je me perfuade
qu'on ne trouvoit le Conte
agréable, qu'aprés avoir agreé
le Conteur ,
LAMBRE T.
Voilà ce que je fçay , & ce
que j'avois à vous dire d'extraordinaire
, fur les differentes
manieres de contracter le
Mariage. Je ne doute pas que
vous n'adjouftiez bien d'autres
chofes plus agréables fur
ce fujet , ou fur quelqu'autre.
GALANT. 105
BELORON D.
Je n'ay qu'une choſe à adjoûter
, & qui , fi vous me
croyez , fervira de fin à ce
premier Entretien. C'eſt que
tout ce que vous venez de
m'aprendre touchant les dif
ferentes manieres de s'époufer
, n'a rien de fi extravagant
que la ridicule opinion des
Effeniens , chez les Juifs . Solin
les appelle , Gentem aternam
fine connubiis . Ils faifoient
profeffion du Celibat , fur ce
feul fondement
, que jamais.
Femme n'avoit gardé la Foy
conjugale à fon Mary . Nous .
106 MERCURE
ne pouvons mieux finir , ce
me femble , qu'en mettant au
nombre des chofes difficiles à
croire , l'injuftice que ces
Peuples faifoient à cet aimable
Sexe.
LAMBRE T.
Si noftre entretien tombe
entre les mains du Public,
nous devons efperer qu'il en
fera bien reçeu , puis qu'en le .
finiffant , nous nous rendons
les Dames favorables par la
qualité de chofe difficile à
croire , que nous donnons à
l'infidelité dont on les accufe
.
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Résumé : DES CHOSES DIFFICILES A CROIRE.
Le dialogue entre Lambret et Belorond, publié dans le Mercure de Mars 1685, explore diverses coutumes matrimoniales observées dans différentes cultures. Lambret évoque plusieurs pratiques inhabituelles, telles que les Cimbres, ancêtres des Danois, qui se rognaient mutuellement les ongles, les Teutons, anciens Allemands, qui se rasaient les cheveux réciproquement, et les Arméniens qui se taillaient les oreilles. D'autres exemples incluent les Élamites qui se piquaient le doigt jusqu'au sang, les Numidiens qui s'oignaient le front avec de la boue faite de leurs crachats, et les Sicyoniens qui échangeaient des chaussures. Le dialogue aborde également des rituels matrimoniaux spécifiques à certaines cultures. Chez les Tarentins, les Scythes, les Moscovites et les Talchéens, chaque groupe possède des rituels uniques pour conclure un mariage. Belorond mentionne les Esséniens, un groupe juif pratiquant le célibat en raison de leur méfiance envers la fidélité des femmes, une opinion jugée injuste envers le sexe féminin. Le dialogue se termine par l'espoir que les dames recevront favorablement ce texte, en raison de la défense implicite de leur fidélité.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 185-325
Journal du Voyage de M. le Chevalier de Chaumont. [titre d'après la table]
Début :
Je viens au détail du Voyage de Mr le Chevalier [...]
Mots clefs :
Roi, Chevalier de Chaumont, Siam, Ambassadeur, Hollandais, Mandarins, Eau, Roi de Siam, Terre, Vaisseau, Pays, Banten, Bord, Canon, Tigre, Mer, Rivière, Batavia, Maisons, Côte, Royaume, Constance, Abbé, Vaisseaux, Cap, Général, Gouverneur, Loge, France, Pagode, Frégate, Malades, Europe, Indes, Siamois, Ballon, Alexandre de Chaumont
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Journal du Voyage de M. le Chevalier de Chaumont. [titre d'après la table]
Je viensau détail du VoyaJ.
ge de Mr le Chevalier
de Chaumont. Sa Majesté
l'ayant nommé son Ambasfadeur
vers leRoy de Siam.
Il se rendit à Brest avec Mr
l'Abbé de Choisy, sur la fin
de Fevrier de l'année der-
,
niere, & ils s'embarquerent
dans un des Vaisseaux du
Roy,appellél'Oiseau. Mrde
Vaudricourt qui le commandoit
fit mettreà la Voile
le3. de Mars & partit de
Brest avec la Fregate la Maligne,
commandéepar Mr de v
Joyeux. Le vent leur fut toû-
« jours assez favorable, ôc :
comme il y avoit dans le !
Vaisseaudes Millionnaires&
six Jesuites, ce n'estoit tous
les jours qu'Exercices de
pieté, & l'on y vivoitavec
la mesme regularité que
dans unConvent.Ilss'appliquoient
tour à tour à faire
des Exhortations à tout
Equipage. On disoit lar
Messe, on chantoitVespres,
& on passa fort heureufenent
la Ligne le 6. d'Aril
sans souffrir beaucoup
le lachaleur. Ce fut alors
su'il fut question de faire ce
u'on appelle la Ceremonie
u Bàptesme. Ceux qui n'ont
mais passé la Ligne, sont obligez
de souffrir qu'on leur
jette sur le corps certain
nombre de seaux d'eau, à
moins qu'ils ne donnent
quelque argent pour racheter
cette peine. Il n'y a personne
qui puisse s'en exempter
, de quelque condition
quel'on puisse estre, & on
fait jurer tout le monde sur
le Livre des Evangiles, pour
sçavoir si on a fait ce passage.
Mr le Chevalier de Chaumont
ne voulut point endurer
que l'on jurast sur les Evangiles.
Il fit faire ce Serment
sur une Mapemonde,
& mit de l'argent dans un
bassin
, ce que firent après
luy toutes les personnes considerables
du Vaisseau, pour
s'épargner la Ceremonie. La
somme montaà soixanteescus
quifurent distribuezaux
Matelots. Le reste de la traversée
fut tres heureux jusquesau
Cap de bonne Esperance.
On y arriva le 31. de
May,&l'on y receut les Saluts
ordinaires de quatre
Vaisseaux Hollandoisqu'on
y trouva. Ils portoient a Batavia
le Commissaire Generalde
laCompagnie des IiW
des
, avec Mr de S. Martin
François, Major Général.
M. le Chevalier de Chaumonts'arresta
sept jours à
ce Cap afin d'yfaire de l'eau,
& de prendre desrafraichisfemens.
Le Gouverneur qui
eA Hollandois
,
luy en envoya
de toutes fortes, aprés
l'avoir fait complimenter
par le Neveu&par le Secretaire
du Commissaire. Tous:
ceux du Vaisseau mirent pied
a, ~erre lIes urns a,près 1lesautres.
Ils'en trouva quelquesuns
qui estoient malades d&
Scorbut, & ils furent gueris
en quatre jours. La Forteresse
que les Hollandais ont.
fait bastir en ce lieu là
,
est
toute revestuë de pierres,
&a quatre bastions. Elle n'a.
point de fossez, mais elleest
Ilterès- bien garnie de Canon, Havre est fort seur
,
ôc
peut contenirungrand nom- bre de Vaisseaux. Il y a déja
quantité de Maisons qui forment
une espece de Ville.
^Cequ'ilya de plus remar-
,
quable est un Jardin fort
grand & fort spacieux avec
des allées à perte de veuë.
On y a planté tout cequ'il
ya de bons fruits en Europe
& dans les Indes. Les uns
sont d'un costé,les autres de
l'autre
,
& tous y viennent
fort bien. Celuy qui a foin
de ce beau Jardinest unFrançoisqui
est grand Seigneur
en ce Pays-là. Il reconnut
Mr le Chevalier de Chaumont,
qu'il avoit veu chez
Monsieur
, ou il avoit esté
Jardinier.
La terre que les Hollandoisoccupenr,
a esté achetée
d'un petit Roy du Pays, pour
des bagatelles de l'Europe.
Plus on avance en s'éloignant
gnant de la Mer, plus elle
est bonne & fertile, &sur
tout la Chasse y en merveilleuse
; mais on y doit craindre
les Bestes farouches,
comme Lyons,Tygres,Elephans,
& autres. Ces belles
s'écartent à mesure que le
Pays se découvre, & qu'on
y fair de nouvelles habitations.
Les Hollandoisont
déjàcommencé d'en faire
en plusieurs endroits. Pendant
le séjour de Mr l'Ambassadeurau
Cap, deux d'enreeuxestantallezàla
Chase
furent rencontrez & attaquez
par un Tigre. Il le
jetta sur l'un de ces Hollandois,
l'autrele tira & le blessa.
Le Tigre tout en fureur
vint à celuy qui l'avoir blessé,
& il l'auroit devoré sans
doute, si son Camarade qu'il
avoit jetté par terre, ne Ce
fust promptement relevé
pour tirer aussi son coup. Il
le tira si heureusement qu'il
cassa la teste au Tigre. On
l'apporta pour le faire voir.
Il estoit d'une grandeur effroyable.
On mit le Blessé à
un Hospital, qui est là tresbien
fondé, & oùl'on est
rtraité avec tous les soins imaginables.
Tous les Vaisseaux
Hollandois qui viennent
d'Europe, & ceux qui s'yen
retournent, laissent leurs
Malades en ce lieu là
,
& ils
y recouvrent incontinent
leur santé
,
l'air & les eaux
estant admirables.
Les Habitans y sont doux,
assez bien faisans, & il n'est
pas difficile de s'accommoier
de leurs manieres, mais
Ils sont laids, mal-faits, de
petite taille,& ont plus de
rapport à la façon de vivre
les bestes qu'à celle des hommes.
Leurvisageest tout ridé,
ils ont les cheveux remplis
de graisse
;
& comme ils
se frottent le corps d'huile
de Baleine,& qu'ilsne mangent
que de lachaircruë,ils
sont si puans qu'on les sent
de loin. Ils ne mangentleur
Betail que lorsqu'il est mort
de maladie
,
& ce leur est
un fort grand ragoust qu'une
Baleine morte ,
jettée par la
Mer sur le rivage, ou les
tri pes chaudes d'une Bê-
-
te. Ils les secoüent fort legerement
,
& les mangent
avec les ordures
,
aprés en
avoir osté les excremens,
dont quelques-uns se servent
pour se froter le visage. On
leur - a donné le nom de Cafres,&
les hommes &les femmes
n'ont qu'une peau coupée
en triangle pour se couvrir
ce que la nature apprend
à cacher. Ils se l'attachent
avec une ceintire de cuir au
milieu du corps. Quelquesuns
se couvrent les hanches
d'une peau de Boeuf ou de
Lyon. D'autres portent une
peau qui leur descend depuis
les épaules jusque sur les
hanches,& plusieurs se dé-
coupent le visage3 les bras:
& lescuisses
, & achevent
de se défigurer parlescaracteres
étranges qu'ilsy font.
LesFemmes portent aux bras
& aux jambes des Cercles de
fer ou de cuivre, que les Etrangers
troquent avec elles
toujours à leur avantage. Ils
demeurentende petites hûtes
où ils vivent avec leur
bétail fous un mesme couvert.
Ils n'ont ny lit,nysieges,
ny meubles, & s'asseient
sur leurs talons pous se reposer.
Ils nevont vers la Mer
,
que lors qu'ils sçaventqu'il
est arrivé quelque Navire,
& qu'ils peuvent troquer
leur betail. Ils ont aussides
peaux de Lyon, de Boeuf, de
Leopard, & de Tigre, qu'ils
donnent pour des Miroirs,
des Couteaux
,
des Cloux,
des Marteaux,des Haches,
& autres vieilles ferrailles..
Il est malaisé de découvrir
l'estat du Païs au dedans, ôc
les richesses qu'on y peut
trouver,àcause que les GouverneurHollandoisont
fait
faire ferment à tous ceux
qu'ils ont menez avant dans
les Terres, de n'en reveleraucune
chose,On a sçeud'un
Homme quia demeurelongtemps
dans la Forteresse que
depuis quelques années le
Gouverneur avoir esté avec
bonne escorte à plus de deux
cens cinquante lieuës pour
faire la découverte du Pays;
qu'ilavoir trouvé par tout
des Peu ples traitables, ôc
assezbienfaits, les Terres
fort bonnes & ca pables de
-
toute sorte de cu lture, ôc
qu'il y avoit ~desMi d'or,
de fer, & d'une espece de
cuivre où il entroit une septiéme
partie d'or. Onles
trouva chantans & dançans
& ilsavoient des manieres
de Flustes qui estoient sans
trous. Elles estoient creuses,
& une espece de coulisse
-
qu'ils haussoient ou baissoient
avec leurs doigts, faisoit
la diference des tons.
Ce Gouverneur avoit esté
conduit par un Cafre, & ce
Cafre ayant aperçeu deux
hommes de grande taille fqouri.s ven.oien,t à eux, s écria
alarmé
y
qu'ils estoient
perdus, & qu'il voyoit les
deux plus grands Magiciens
du Pays. Le Gouverneur
4
répondit qu'il estoit encore
plus grand Magicien qu'eux,
& qu'il ne s'étonnait point.
Les pretendus Magiciens s'étant
avancez, il sir aporter
un verre remply d'eau de
vie.On y mit le feu,& il lavala.
Ces Malheureux furent si
épouvantez d'un pareil prodige,
qu'ils prirent le Gouverneur
pour un Dieu, & Ce
mirent à genoux pour luy
demander la vie. Les Hollandois
ont fait un nouvel
établissèment au Cap. Il est
au bord de la Mer; mais ils.
le tiennent secret, ne vouIant
pas que les autres Nations
quiviennent s'y rafraischir,
en ayent connoissance.
Ce Cap est l'extremité de la
terre ferme d'Afrique, qui
avance dans la Mer vers le
Sud, à trente-six degrez au
delà de la Ligne.Cette extremité
de terre fut nommée
Cabo de Boa Speranza
, par
Jean II. Roy de Portugal,
fous lequel Barthélémy Dias
la découvriten1493 Ce Prince
la fit appeller ainsi à cause
qu'il esperoit découvrir
en fuite les richesses des Indes
Orientales, & les autres
Nations luy ont confirmé,
ce nom, parce qu a près que
l'ona doubléle Cap, quiest,
presque en distance égale de
deux mille cinq cens lieuës,
entre l'Europe & la Coste la
plus Orientale desIndes,on
a toute forte d'esperance de
pouvoirachever ce grand
Voyage.
Les Malades estant guéris
-' on fit du bois& de l'eau, on
acheta toutes les provisions
que l'onjugea necessaires
- pour aller à Batavia,& l'on
remit à laVoile le 7. de Juin,
après les Saluts donnez &
rendus de part & d'autre
comme onavaitfait en arrivant.
Cette seconde traver- senefut pas si douce que
la premiere. Les vents furent
violens,& la tempeste separa
la Fregate la Maligne du
Vaisseau de Mr l'Ambassadeur
,sans quelle pust le rejoindre
qu'auprés de Batavia.
Le 5. de Juilleton découvrit
l'Isle de Java,
-
& le 16. on
moüilla prés de Bantam. La
longueur del'Isle de Java est
de cent cinquante lieuës,
mais on n'a pas encore bien
sceu quelle est sa largeur.
C'est ce qui a fait croire à
quelques uns quecen'estoit
pas une Ble; mais qu'elle faisoit
partie du Continent que
l'on connoist fous le nom de
terre Australe au près du Détroit
de Magellanes. Les Habitans
pretendent que leurs
Predecesseurs estoient Chinois,&
que ne pouvant sousfrir
la trop severe domination
du Roy de la Chine, ils
passerent dans l'Isle de Java.
Ontrouveeneffet que les Ja- 1
vansontle front& les. machoires
larges,& les yeux pe- l
tits comme lesChinois. Il n'y t
àpresquepoint de Ville dans
Java qui n'ait son Roy, &
tous ces Rois obeissoient autrefoisà
un Empereur mais
depuis environ quatre-vingt
ans,ils ont aboly cette Souveraineté
,
& chacun d'eux
est indépendant. Celuy de
Bantam est le plus puissant.
de tous. La Ville qui porte ce
nom, estau pied d'une Montagne
de laquelle sortent
trois Rivieres,dont l'une traverse
Bantam
,
& les deux
autres lavent ses murailles y
mais elles ont si peu d'eau.
qu'aucune des trois n'est lia.
vigable.LesHollandois sont
maistres de cette Place depuis
peu d'années. Le Roy
de Bantam ayant cedé le
Royaume à son Fils, ce Fils
maltraita d'abord tous ceux
qui avoient esté considerez
de son Pere. Le vieux Roy
l'ayant appris luy en fit faire
des reprimandes, & le Fils
pour s'en vanger, fit massacrer
tous ces malheureux. Ce
différentalluma la guerre
entre le Pere & le Fils, & ce
dernier fut chassé. Dans cette
disgrace
,
il demanda du
secours aux Hollandois qui
le rétablirent & mirent le
vieux Roy dans une Prison
où ils le tiennent encore.
Tout se faitaunom du jeune
Roy
,
qui ay ant une grosse
GardeHollandoisetoujours
avec luy pour l'observer, n'a
pc pouvoirqu'autant que les
Hollandoisluy en laissent.
Le Vaisseau de Mrl'Ambassadeurn'entra
point dans le
Havre de Bantam, mais on
le laissa pas de prendre tous
es rafraichissemens. dont on
ut besoin
,
& ils furent apportez
à bord par ceux du
Pays. - -¡"., -,,-'-'f.
Le 18. on arriva devant Batavia
,
où l'on demeura sept
jours pour soulager les Malades
que l'on mit à terre.
Cette Ville est située à douze
lieuës de Bantam
, vers le
Levant dans une Baye
,
qui
estant couverte de quelques
petites Isles du costé de la
Mer, fait une des plus belles
rades de toutes les Indes.
Ce n'estoit d'abord qu'une
Loge que les Hollandois avoient
à Jacatra
,
& que le
Roy de ce nom leur avoir:
permis de bastir à causedes
avantages qu'il tiroit du de j
bit des Epiceries qu'ils y venoient
acheter. Le Roy de
Bantam leur avoit aussi permis
de bastir une Maison ou
Loge dans son Royaume,
pour y laisser les Facteurs qui
devoient veiller à la conservation
des Marchandises
dont ils trafiquoient. La
mesme permission avoit esté :
donnée aux Anglois, malgré
la repugnance qu'avoient les
Javans de souffrir aucun établissement
aux Estrangers
dans leur Isle, par lacrainte:
où ils estoient qu'ils ne les
traitassentavecla mesme rugueur
que les Portugais avoient
exercée contre les
Rois Indiens qui les avoient
receus chez eux. Les Traitez
que les Hollandois avoient
faits avec ceux de Jacatra &
de Bantam
,
regloient les
Droits d'Entrée &de Sorcier
mais comme ils haussoient
ces Droits àmesurequ'ils
voyoient que le Commerce
devenoit necessaire aux Etrangers,
la mauvaise foy
qu'ils eurent
5
obligea les
Hollandois à fortifier peu à
peu leur Loge de
-
Jacatra,
pour se mettre à couvert de I
la violence que leur pourroient
faire les Barbares
quand ils voudroient se
mettre à couvert de ces injustices.
LesIndiensnes'en
apperçeurent que lors que
la Loge futen estar de desense,
& ne pouvant plus se
décharger des Hollandois
par laforcey ils se servirent
de l'occasion de la mauvaise
ntelligence où ils les virent
Lvec les Anglois, & quiéclaa
principalement batNaval au Com- qui se donna entre
ux le 2. Janvier 1619. entre
acatra & Bantam. LaFlote
Angloise qui estoit d'onze
Ramberges
,
maltraita la
Hollandonise j , qui n'estoit,
composée que de sept Navires.
LesHollandoiss'étantretirez,
le Roy de Jacatra assiegea
leur Fort, auquel ils avoientdonné
le nom de Batavia.
Il se servit des Troupes
Angloises,qui après un Siege
de sixmois,furent contraintes
de l'ab andonnerles Hollandois
ayant renforce leur Flote,
des Navires qu'ils avoient
dans les Moluques. Le Roy
de Jacatrarejetta inutilement
sur lesAnglois la cause de ces
desordres, Le General Hollandois
se paya point de ces
excuses; Il fit débarquer ses
gens au nombre d'onze cens
hommes, attaqua la Ville de
Jacatray la prit de force, &
y fit mettre le feu. Aprés ce
succez,les Hollandoisacheverent
les Fortifications de
leur Loge, & en firent une
Place reguliere, à quatre Bâstionsrevestus
de pierre,bien
fossoyée&palissadée avec
ses demy-lunes, redoutes, ôc
autres Ouvrages. Le Royde
Matran
,
quiestoitcomme
l'Empereur de toute rIfle..
assiegea le Fort en 1628.& s'étant
logé fous le Canon, fit
donner plusieurs assauts à la
Place, mais il fut enfin contraint
de lever le Siege, aussibien
que l'année suivante,
& depuiscetemps là les Hollandois
y akr- étably leur
-
commerceavec lesChinois,
Japonois, Siamois, & autres
Peuples Voisins
,
se failanc
payer dix pour cent pour les
droits de laTraite-Foraine,
de toutes les Marchandises
qui s'y débitent. Ils sont
maistres de toute la Canelle
&du Clou deGirofle quiest
dans I
dans le monde,&envoyent
tous les deux ans un Vaisseau.
au Japon; mais ils n'ont presque
point de liberté en ce
lieu là. Si-tost queleurs Vaiffeaux
y sont arrivez, on 1.
prend leurs Voiles, leurs Agrés,
& tous lesMasts qu'on
met ians unMagasin &
quelque
tempsqu'il
puisse
Faire,on les oblige à partir au
OUI; qui leur est marqué.
Le Directeur du Comptoir
l'y peut estre que trois ans. 1
^.infi il y en a toujours trois,
'un quiva,l'autre qui revient,
( le dernier qui demeure.
On ne souffre point qu'ils
aillent dans le Pays, mais Us?
en rapportent tantde riches
ses, qu'ilssesoûmettent sans
peine à ce qu'on exige d'eux.
Le General Hollandois qui ij
està Batavia,n'est pas moins
puissant qu'un Roy. Quoy
qu'on ne l'élise General que 3
pour trois ans, l'élection se 5
confirme
,
& il est toujours 2
continué. Il a une Garde à i
pied & à cheval. Ses apoin- -
temens sont de quarre mille
francs par mois, & il prend h
tout ce qu'il veut dans les
Magasins sans rendre comp- -
se de rien. Il y a six Conseillers
ordinaires qui font toules
choses
,
& quand il en
meurt quelqu'un,c'est luy
qui luy nomme un Succes-
,- seur fous le bon plaisir de la
Compagnie.Son choix en elt
toujoursapprouve. Il yaaussi
des Conseillers extraordinaires
,mais quand on prend
leurs avis, on ne compte
point leurs voix, si ce n'est
sqeuil'lielrms anque un des six Conordinaires.
Ils sont
tous logez dans la Forteresse.
La Compagnie a dans ce
Pays-là plus de deux cens
Vaisseaux qui font tout le tra- 1 fie de l'Orient.Ondit que
les Hollandois y peuvent l
faireune armée de plus, de
cinquanteVaisseauxdeGuer- '-
re. Ils ont six Gouyernemens
Généraux, desquels dépendent
tous les Gouvernemens
particuliers de leurs Places,
& par consequent tous les
Comptoirs & Loges qu'ils
ont la en tresgrand nombre,
& dans tous les lieux où ils
croyent pouvoir trafiquer.
Mr l'Ambassadeur receut
toutes les honnestetez possibles
de ce General des Hbllandois,
quil'envoya visiter
à bord 7 j , &luy -Et porter toutes
fortes de rafraichissemens.
Quoy qu'il se fust excusé
de sortir de sonVaisseau,
comme il l'en, avoir fait
prier, il ne laissa pas de defcendre
à terre Incognito, ôc
d'aller voir les beaurez de
Batavia. Après avoir donné
quelques jours aux Malades
que l'air de la terre guerit en
fort peu de tem ps, il resolut
de poursuivre son Voyage;
mais comme aucun des Pilotes
n'avoit esté à Siam, il en
prit un du Payspour passer
le Détroit de Banca qui est
dangereux. Ce fut là que la
Fregate la Maligne le rejoignit
, ce qui fut à tous un
fort grand sujet de joye. Peu
de jours aprés, Mr d'Arbouville
Gentilhomme de Normandie
,mourut dans cette
Fregate, & il fut jetté à la.
Mer avec les ceremonies ordinaires
dans ces-tristes occa
fions. Les deux Mandarins
que l'on remenoit de France
à Siam
,
n'avoient sorty que
deux fois du trou où ils s'etoient
mis dans le Vaisseau
pendant tout y ce long Voyage
,
mais lors que l'on commença
a voirdeshommes
noirs vers ce Détroitde Banca,
ils monterentsur letillac,
& donnerent de grandes
marques de joye.
Le 3. de Septembre on repassa
la Ligne, & enfin le 14.
du mesme mois on moüilla
à la Barre de la Riviere de
Siam, qui est une des plus
grandes de toutes les Indes.
On l'appelle Menam, c'est à
dire, Mere des Eaux Elle
n'est pas bien. large , mais
elle est si longue, qu'on dit
qu'on n'a pû encore monter
jusqu'a sa source. Son cours
est du Nord au Sud.Elle f
passe par les Royaumes de
Pegu & d'Auva, & en suite
parceluy de Siam. Elle a
cela de commun avec le Nil,
qu'elle se déborde tous les
ans, & couvre la terre pen
dant quatremois. En s'en
retirant, elle y laisse un limonquiluy
donne lagraisse
& l'humidité dont elle a be.
foin pour la production du
Ris. Elle se dégorge dans le
Golse de Siam par trois grandes
embouchures, dont la
plus commode pour les Navires
& pour les Barques est
la plus orientale, mais ce qui
la rend presque inutile,c'est
uu Banc de sable d'une lieuë
d'étenduë, qui est vis-à-vis
de laRiviere,& qui n'a que
cinq ou six pieds d'eau avec
la basse Marée.Lahaute y
en amene jusqu'à quinze ou
seize; maiscen'e st pasassez
pour les grandsNavires qui
demeurent ordinairement à
la rade à deux lieuës de ce
Banc. Ils y sont en seureté,
& ont en tout temps six
brasses d'eau.Ainsi le Vaisseau
de Mrl'Ambassideur
demeura à cette rade, & la
Fregate qui prenoit moins
d'eau, passa sur le Banc avec
la Marée. Quand on l'apafsé
on peut entrer dans la Riviere
jusques à BancoK, qui
est une Ville éloignée dela
Mer de six lieuës. Celle de
Siam en cil: à vingt-quatre,
Si-tost qu'on eut mouillé à
cette embouchure, Mr le
Chevalier de Chaumont envoya
Mr Vachet, Miffionnaire
Apostolique, qui estoit
venu en France avec les
Mandarins de Siam
,
donner
avisdeson arrivéeàMr l'Evêque
de Metellopolis. Cette
nouvelle causa une extrême
joye au Roy de Siam. Il ordonna
aussi-tost qu'on prearast
toutes choses pour saie
une magnifiquereception
L Mr l'Ambassadeur, & nomna
deux Mandarins du prenier
Ordre pour luy venir
aire com pliment à bord.
C'est ce qu'apprit MrleChevalier
de Chaumont par Mr
Evesque de Metellopolis,
qui vint à bord le 29. avec
Mrl'Abbé de Lyonne. Cét
Abbé estoit passé à Siam en
581. avec Mr l'Evesque d'Heliopolis,
dont il y a quelques 1
mois que je vous appris la
mort. Son zeleestconnue,&
l'on peut juger par là dufruit
qu'il a fait en travaillant à la
Conversion desInfidelles.Le
lendemain les deux Mandarins
vinrentsaluer Mr l'Ambassadeur.
Il les receut dans
sa Chambre
,
assis dans un
Fauteüil
,
&ils s'assirent à la
mode du Pays sur des Carreaux
qui étoiét surle Tapis
de pied. Ilsluy marquerent
1 la joy e que le Roy leur Maîtreavoit
de sonarrivée,& dirent
qu'on luy avoir donné
une agréable Nouvelle,en
luy apprenant quele Roy de
France avoit vaincu tous ses
Ennemis, & donné ensuite
la Paix à l'Europe. Cette Audience
finie, on apporta du
Thé& des Confitures,& l'on
tira neufcoups de Canon à
leur sortie du Vaisseau.
Le I. d'Octobre,MrConstanceFavory
duRoy,envoya
son Secretaire avec des rafraichissemens
en si grand
nombre, qu'il y en eut pour
nourrir tout l'Equipage pendant
quatre jours. Mr Constance
est un homme d'un
fort grand merite, qui s'est
élevé par sa vertu au porte
où il est. Il est Grec,de Mie
de Cefalonie
,
& fut pris petit
Garçon par un Vaisseau,
où il fut fait Mousse. C'est
le nom qu'on donne à de
jeunes Matelots qui fervent
les gens de l'Equipage. On
le mena en Angleterre,&
il continua le service dans
les Vaisseaux. Il passa aux Indes,&
de degré en degré, il
devint enfin Capitaine de
Vaisseau. Il alloit à la Chine,
& au Japon, où il trafiquoit
pour le compte des Marchands.
La tempesteluy
ayant fait faire naufrage à la
Coste de Siam
,
il fut contraint
de semettreau service
du Barcalon, qui est un des
six grands Officiers de ce
Royaume. Son employ consiste
dans l'administration
des Finances. Le Roy de
Siam avoit alors un grand
démeslé avec ses voisins,
touchant un compte par lequel
on pretendoit qu'il demeuroit
redevable de fort
grosses sommes Les Siamois
n'entendent pas bien l'Arithmetique.
Mr Constance de-
-
manda à examiner tous les
Papiers que le Barcalon a-
, voit entre ses mains
,
& il
rendit le compte sinet, qu'il
fit connoistre non seulement
que le Roy de
-
Siam ne devoit
rien
,
mais que l'autre
Roy luy devoit des sommes
tres -
considera bles. Vous
pouvez juger dans quellefaveur
il se mit par là. Le Barcalon
estant mort peu de
temps aprés, le Roy le prit
JL son service ,&il est presentement
tout puissant dans
cet Estat. Il n'a voulu accepter
aucune des six grandes
Charges
,
mais il est sort diffusde au
tous ceux qui les
exercent
,
& il seroit dangereux
dene luy pas obeïr. Il
parle au Roy quand il veut, -
c'est un privilege qui luyest
particulier. Laprincipalede
ces grandes Charges rend
celuy qui la possede comme
Viceroy de tout le Rovau--»
me.elleest presentement
exercée par un Vieillard pour
cjm le Roy mesme a grand
:*e{peâ.-Il est son Oncle & a"
ïsté son Tuteur. Ce Vieilard
estsourd
,
& on luy par- eparile moyen d'uniennp
homme que l'on sait entrer,
& quien criantfort haut,
luy fait entendre ce qu'il faut
qu'il sçache. C'est un homme
de tres-bon sens, & on
s'est toûjours bien trouvé de
ses avis.
Le 8. Mr l'Evesque de Metellopolis
revint à bord avec
deux Mandarins plus qualifiez
que les premiers, qui furent
receus & saluez de la
>•
mesme forte. Ils venoient j
s'informer au nom du Roy
de la santé deMrl'Ambassadeur,
& l'inviter de descendre
à terre. Aprèsqu'ils furent
sortis du Vaisseau, cet
A mbassadeur se mit dans son
Canot, & sur le soir il entra
dans la Riviere avec les per-
»
sonnes de sa fuite, qui avoient
trouvédes Bateaux du
Roy pour les amener. A l'entrée
de cette Riviere estoient
cinqBalons sortmagnifiques
que le Roy avoit envoyez
pour le conduire à Siam. Ce
sont des Bastimens faits d'un
seul arbre. Il y ena qui ont.
cent pieds de longueur, &,
qui n'en ont que huit on
neufpar le milieu,quiest
l'endroit le plus large,& dans
lequel il y auneespece de
Trône couvert. Mrl'Ambassadeur
coucha ce soirlaà
bord de la Maligne, qui étoit
entrée dansla Riviere quelques
jours auparavant.
-
Le 9. deux nouveaux Mandarins
vinrent recevoir ses
ordres. Ils estoienthabillez
comme les autres, avec une
maniere d'écharpe fort large
depuis la peinture jusqu'aux
genoux, sans estre plissée.
Elle estoit de toile peinte,
& tomboitcomme une culote
Il y avoit au bas une
bordure fort bien travaillée,
!& des deux bouts de l'écharpe,
l'un passoit entre leurs
jambes, l'autre par derriere.
- Depuislaceinturejusqu'en
haut,ilsavoient une maniere
de chemise deMousseline
assez ample, tombant par
dessus l'écharpe, & toute ouverte
par le devant. Les
manches venoient un peu
au dessous du cou de
,
& étoient
passablement larges.
~ls avoient la teste nuë
,
ôc
~stoient sans bas & sans souiers.
La plus part de leurs
~alets n'avoient que l'éharpe
& point de chemise.
Onze Bateaux arriverent dej
Siam chargez de toutes sor- ni
tes de vivres. Mr Constance j
les envoyoit de la part du j
Roy,qui luy avoit ordonné t
de faire fournir aux Equipagestoutes
leschoses dontils
auroietbesoin pour leur sub- fl
sistance,pendant leur séjour.
Mr l'Ambassadeur s'étant "a
i < -
mis dans un Balon partità *'j
sept heures du marin, & apres
avoir fait cinqlieuës,
il arriva dans une Maison
bastie de Bambous, qui est
un Bois fort leger, & couverte
de Nates assez propresm
Il y avoir plusieurs Chambres
toutes tapissées de toiles.
peintes. Les Meubles en estoient
fort riches, & tous les
Planchers estoient couverts
de tres-beauxTapis. La
Chambre deMrl'Ambassadeur
estoit meublée plus
magnifiquement que les autres.
Il y avoir un Dais de
toile d'or, un Fauteüil doré,
&un tres- beau Lit. Deux
Mandarins, & les Gouververneurs
de BancoK& de
Pipely le receurent en cette
Maison, qui avoir esté bâtie
expres, ainsique toutes les
autres-où il logea jusqu'àson
arrivée à Siam. Il fautaussi
remarquer que les Meubles 1
de toutes ces Maisons estoient
neufs, & n'avoient
jamais servy. Il y eut un
grand Repas, aussi abondant
en viandes qu'en fruits.
Apres que l'on eut disné, Mr
l'Ambassadeur se remit dans
sonBalon, & arriva le soir à
BancoK, qui est la premiere
Place du Royaume de Siam
sur la Riviere. Un Navire~
Anglois qui se trouva à la
rade, le falüa de 21. coups de
Canon, & les deux Forteresses
ses qui sont des deux costez
de cette Riviere, tirerent
l'une 31. coups de Canon &
l'autre29. Il logea dans l'une
de ces Forteresses, en unf
Maison fort bien bastie, &",
que l'on avoit richement
meublée. Il y fut traité avec
la mefime magnificence.
Il partit le 10. à huitheures
du marin, & receut des Forteresses
le mesme salut qu'à
on arrivée. Il fut complimenté
avant son départ, par
eux nouveaux Mandarins
ui l'accompagnerent avec
~us les autres,auffi- bien que
le Gouverneur de Bancok.
Il trouva de cinq lieuës enn
cinq lieuës de nouvelles
Maisons toujours tres-commodes
,& fort richement
meublées
,
& arriva le 12. à"É
deux lieues de la Ville de
Siam. Il avoit plus de cinquante
Balons à sa suite, de i
cinquante jusqu'à cent pieds
de longueur, & depuis trente
jusqu'à six-vingt Rameurs..
Ilssontassis deux sur chaque *
banc,l'un d'un costé, & l'au-
-
tre de l'autre, le visage vers 2
le lieu où ilsveulent arriver..
Leurs rames sont longues de *
quatre pieds, lapluspart dorées,&
ils fatiguét beaucou p
enramant de cette forte. Il
- faut cependant fort peu de
chose pour les contenter.On
leur donne du ris qu'ils font
cuire avecde l'eau, &quand
on y ajoûte un peu de poisson,
on leur fait grand' chere.
Dans tout ce passageon rendit
à Mr l'Ambassadeur les
mesmes honneurs que l'on
rend au Roy. Il ne demeura
pei sonne dans les Maisons,
& comme toute la Campagne
estoit a lors inondée,tout
le monde estoit prosterné
dans desBalons, ou ssir<
des monceaux de terre élevez
à fleur d'eau,& chacun
avoir les mains jointes proche
le front. Devant toutes
les Maisons & Villages, il y
avoir une espece de parapet,
élevé de sept ou huit pieds
hors de l'eau avec des nates.
C'est ce qu'ils observent lors
que leRoy passe. Ils se jettent
le ventre contre terre, & par
respect ils n' osentjetter les
yeux sur luy. J'ayoublié de
vous dire que toutes les
Maisons où Mr l'Ambassadeur
logea, estoient peintes
derouge,ce qui est particu
lier aux Maisons du Roy.
On y faisoitgarde pendant
lanuit, & ilyavoit des feux
tout autour.
Le 13. Mr m'Ambassadeur
fit prier le Roy de luy vouloir
envoyer quelque personne
de confiance avec
qui il pust s'expliquer, parce
que les manieres de recevoir
les Ambassadeurs des Roys
d'Orient
,
estoient differentes
des Ceremonies que l'on
devoit observer en recevant
un Ambassadeur du Roy de
France. Mr Constance vint
à bord le lendemain
,
& ils
convinrent ensemble de
toutes choses.
Le 15 tout le Seminaire
de Siam vint saluer Mr le
Cheualier de Chaumont. Il
y avoit plusieurs Prestres venerables
par leur grande
barbe, & quantitéde jeunes
Chinois, Japonois, Cochinchinois,
Siamois & autres,
tous en long habit, & avec
une modestietres-édisiante.
Les uns sont dans les Ordres
Sacrez,&les autres aspirent
a y entrer.
Le 16. les Deputez de toutes
les Nations établies à
Siam au nombre de quarante
deux, le vinrentcomplimenter.
Ilsestoient tous habillez
à leur maniere, ce qui
faisoit un effet tres. agréable.
Lesunsavoient desTurbans,
les autres des Bonnetsàl'Arménienne,
ceux-cy des Calotes,&
quelques-uns des Babouches
comme les Turcs,
Il y en avoit qui estoient
teste nuë ainsi que les Siamois,
parmy lesquels ceux
qui font d'une qualité distingllée,
ont un Bonnetcomme
celuy d'un Dragon. Ilest
faitde Mousseline blanche,
& se tient toutdroit. Ils l'arrestent
avec un ruban qu'ils
passent tous leur menton.
Le 17. Mr Constance vint
voirles Presens que Sa Majesté
envoyait nu Roy son
Maistre
,
&il amena quatre
Ballons magnifiques pour
les porteràSiam.
Le 18. Feste de S. Luc,
M l'Ambassadeur sedisposa
à son entrée dés le matin, &
il commença par offrir à
Dieu son Ambassade
,
puisqu'elle
n'avoit esté resoluë
que pour sa gloire. Il fit ses
Dévorions avec sa pieté ordinaire
,
& ensuite il alla
:rouver deuxOyas& quaante
Mandarins qui l'attenloienc
dans la Salie. Les
Dyas sont comme les Ducs -
n France. Il prit la Lettre
lu Roy, & la mit dans une
Boëte d'or, cette Boëte dans
ne Coupe d'or, la Coupe
~DUS une sous-Coupe d'or, &
exposa ainsi sur la table, ou
stoitun richeDais. LesOyas
les Mandarins se profernerent
les mains jointes
11* lefront, levisage contre
rre, & salüerent trois fois
la Lettre en cette posture-
C'est un honneur qui n'avait
jamais esté rendu dans
ces fortes de Ceremonies.
Cela estant fait, Mr l'Ambassadeur
prit la Lettre avec
le Vase, le porta septouhuit
pas & l'ayant donné
à Mrl'Abbé de Choisyqui
marchoit un peu derriere.à
sa gauche,
il alla jusqu'a la
Riviere, où il trouva un Ba-
Ion très-doré
,
dans lequel
estoient deux grands Mandarins.
Alors il reprit la Lettre
du Roy, des mains de M
l'AbbédeChoisy,laportajusue
dans ce Balon & l'ayant
onnée à l'un desdeux Man-
~arins, ce Mandarin la mit
iixs un Dais fort élevé en
pince & tout brillant d'or.
* Balon où cette Lettre tmise
,
suivit ceux qui
~rtoient les Presens du Royeux
autres estoient de cha-
~e cofté
, & il y avoit.
~ux Mandarins dans chaa
pour garder la Lettre.
~tit autres Balons de l'Estat
Siam, tous fort magnifies
,
suivoient ceuxcy ,
Ôc
cedoient un tres -
super-
Balon où Mr l'Ambassadeurestoit
seul. Mrl'Abbé
de Choisy estoit aussi feullli,
dans un autre, & il y en avoit
de vuides qui servoient
d'escorte à droit& à gauche.
-
En suite parurenr quatreautres
Balons, où estoient les
Gentilshommes & les Officiers
de Mr l'Ambassadeur.
Dans d'autres estoientles
Gens de saisuite, tous fort
propres, & accompagnez de 3)
Trompettes & de dix-huit
hommJ.es de livrée. Elle cftoit
fort magnifique,&frap- -<j
pa les Siamois plus que l'or n
des Juste-au-corps. LesNations
étrangeres furent du
Cortege, & l'on ne voyoit
que Balons sur la Riviere.
Les grands Mandarins marchoient
à la teste en deux
colomnes. Le Balon oùef-
~oit la Lettre du Roy & les
leux Balons qui la garloient
avec celuy de Mr
»Ambassadeur
,
tenoient le
milieu. Si tostqu'il fut arrivé
terre, la Ville le salüa
, ce
qui ne s'estoit jamais fait
pour aucun Ambassadeur. Il
~ortit de son Balon,& ayant
~epris laLettre du Roy, illa
pic sur un Char de Triomphe
qui l'attendoit, & quiu
estoit encore plus magnifï--que
que que le Balon. On le ~fiéd
monter dans une Chaise ~déJj
couverte, toute d'or, & ~quoi,
dix hommes porterent. M"i\
l'Abbé de Choisy fut ~portôr
dans uneautre. Les~Gentils-?
hommes & les ~Mandainen
suivoient à cheval, & les/j
Trompettes, & tous les ~Genen
de laMaison de Mr~l'Am-rr
bassadeur alloient à ~piecVj
en fort bon ordre. Les Na~x,l
tions suivirent aussi à ~piedhz
On marcha de cette ~fortor;
dans une ruë assez longue, &&
largeà peu pres comme la
ruëdeS Honoré.Elleestoit
bordée d'arbres, & dune
double file deSoldats, le Pot
enrested'un metaldoré, leBouclier & ferentes au bras avec dif- armes, Sabres, Piques,
Dards, Mousquets,
Arcs & Lances. Ils estoient
nuds pieds., & avoient une Chemise rouge, avec une Echarpe de toile peinte qui leur servoit de culote, com-
~me j'ay déja marqué. Des Tambours sonnant comme des Timbales, des Musettes,
des manieres de petites Cloches,&
des Trompettes qui
nerendoient qu'un son des
Cornet,formoient une har- -
monieaussibizarre qu'extraordinaire.
Apres avoir passé
-
u
par cette ruë, on arriva dans 21
une assez grande Place. C'es- -
toit celle du Palais. On ~n
voy oit des deux costez plumesieurs
Elefans de guerre, & :),
des hommes à cheval habil- - lez à la moresque avec la
-
Lance à la main. Les Na- ~-
tions avec tout le restedu Il
Cortege,quitterent M'l'Am- -e
bassadeur en ce lieu là , à la Li
reserve de ses Gentilshom- -1
mes. Avant que d'entrer ij
dans lePalais, il prit la Lettre
du Roy qu'il remit entre les
mains de Mrl'Abbé de Choi-
(y. En suite on marcha à
pied fort gravement. Les
Gentilshommes & les Ovas
alloient devant en bon ordre.
On traversa plusieurs
Courts. Dans la premiereil
y avoit deux mille Soldats le
Pot en reste, & le Bouclier
lOfé) ayant devant eux leurs
Mousquetsfichez en terre;
ls estoient assis sur leurs taons.
Dans la seconde par~
uurreenntt tcrrooiiss cens CChheevvaauuxx-.
~en Escadron, avec plus de
quatre-vingts Elefans, & :
dans la derniere estoient : quantité de Mandarins le
visage en terre, & soute-
-
nu sur leurs coudes. Il y >
avoit six Chevaux dont 3
tout le harnois estoit d'une e
richesse que l'on auroit peine
à exprimer. Brides,Poitrails,
( Crou pieres,Courroyes
, tout 3
estoit garny d'or,& par des- -
sus il y avoit un nombre infiny
de Perles,de Rubis&de 3
Diamans, en sorte qu'on ne s
pouvoit voir le cuir. Les 2:
Estriers estoient d'or,& les v
Selles d'or ou d'argent. Ils EJ
avoient des anneaux d'or
aux pieds de devant
, &
estoient tenus chacun pardeux
Mandarins.On y voioit
aussi plusieurs Elephans richement
enharnachez,comme
des Chevaux de Carrosse.
Leur harnois estoit de velours
cramoisy avec des boucles
doréesLorsquel'on fut
arri vé auxdegrez de la Salle
destinée pour l' Audience,
Mr l'Ambassadeur s'arresta
avec Mr Constance qui l'cf---
toit venu trouver, pour donner
le tem ps à ses Gentilshommes
d'entrer avant luy
dans cette Salle. Ils y entrerent
à la Françoise, & s'assirent
sur de superbes Tapis,
dont tout le plancher estoit
couvert. Les Mandarins &
tous les Gens de la Garde se
placerent de l'autre costé, &
pendant ce temps le Barca-
Ion dont on n'avoit point
encore entendu parler, entretenoit
Mr l'Ambassadeur
au bas du degré. Il luy dit
qu'a la nouvelle de son arrivée
ala Barre de Siam, il avoit
eu envie de l'aller trouver,
mais que les Affaires de
l'Estat ne luy en avoient
point laissé le temps. Ce
compliment estoit à peine
~Un y
>
qu'on entendit les
Tronl pettes&les Tambours
~lu dedans. Les Trompettes
lu dehors répondirent à ~niit,quifaisoitconnoistcree
~ue le Roy montoit à son
~trône. En effetil parut dans
e moment, & à mesme
~nips tous les Mandarins se
~ofternerent" pat terre les
ains jointes, suivant leur
~»ultumé.' Les François le
~üerenr, mais sans se le.
~r de leurs places. Alors
~Confiance&leBarcalpn.
entrerent dans la Salle les
pieds nuds
,
& en rampant
sur les mains & sur les genoux.
Mr l'Ambassadeur les
suivit
, ayant à sa droite Mr
l'Evesque de Merellopolis,
&à (a gauche M l'Abbé de
Choisy
,
qui portoit le Vase
où estoit la Lettre du Roy.
On tient qu'il pesoit du
moins cent livres, & il l'avoit,
toûjours eu entre les.
mains depuis qu'on l'avoir
tiré du Char de Triomphe.
Il estoit en habit longavec
un Rochet, & son ~manteaux
par dessus.Mrl'Ambassadeurs
osta son chapeau sur le dernier
degré dela Salle, & appercevant
le Roy dés qu'il
fut entré,il fit une profonde
\- reverence. Mr l'Abbé de
Choisynefalüa pas , parce
qu'il portoit la Lettre du
Roy.Ilsmarcherent jusqu'au
milieu de la Salle
, entre les
François assis sur les ta pis dit
Plancher & deux rangs de
grands Mandarins prosternez,
parmy lesquels il y avoit
deux Fils du Roy de
Chiampa
,
& un Frere du
Roy de Camboie, Mr l'Ambassadeur
fit une seconde reverence
,& s'avançant toujours
vers le Trône; lors
qu'il fut proche du lieu où
estoituneChaise à bras
qu'on luy avoir preparée, il
en fit une troisième, & commença
sa Harangue,ne s'asseiant
Ôc ne mettant ion chapeau
qu'aprés en avoir prononcéle
premier mot. Il dit
au Roy de Siam
,
£hte le Roy
son Maistre, fameux par tant de
Victoires, & par la paix qu'il
avoit accordée tant de fois à jes
Ennemis, luy avoit commandé
de venir trouver Sa Majesté aux
extremitez de l'Univers
, pour
luyi
w
wy pfeflnter des marques de jon
ejftme, er l'afj-rcr de son amitié
; mais que rien nefloit plus ca..
fable d'unir deux sigrands Princes
t que de vivre dam les fntinjem
dune mtfrne croyance; que cestoitparticulièremint ce que le
Roy son Maiflreluyavot recommandé
de rrpYl/ enter à Sa
Al.siesté
;
Quele Royleconjuroit
Par l'interef}quilpi non: à ra
véritable gloire
)
de co?1.fidrer
tjue cettesuprême A/fcjefit dont il
ijloit revcjîu sur Li Tcrre
, ne
wàuvoit venirque 'u vr yT)iru dire, du Di u Tout puiss
ant ,
Eternel Infiny
,
tel que
Ses Cbreftiens le reconnoijfent*
qui seulfait regner les Roys,&
réglé lafortune de tous les Peuples
; Que c'efloit à ce Dieu du
Ciel & de la Terre qu'ilfalloit
soumettre toutessesgrandeurs,
non a ces 'Vi'Vinitez qu'on adore
dins l'Orient,rItr dont Sa Maje/
lequi avoittantde lumierese
de pénétration
, ne pouvoit manquer
de voir l'impmjfance. Il finieen
disant,quelaplus agreableNouvelle
quil pourroit porter
au Roy [on Maigre
y
feroit que
Sa Majeftéperfuadée dela veri.
té,sifaisoitinstruire dms la ReligionCbrejhenne
; que cela cimenterott
a jamais iejnme &
iamitié entre les deux Rays ; que
iesFrançoisviendraient dans fort
Royaume avec plus d'empreffimentg)
de confiance,&quâinfi
ea Majefié s'attireroit un honheur
eternel dans le Ciel, après a.
suoit régnéavec rant de prosperité
surla Terre.
- Mr TAmbassadeurprononça
cette Harangue toûjours
assis,& sans oster son Chapeau
, que lors qu'il nommoit
quelqu'un des deux
Roys. Mr Confiance en fut
l'Interprete, & se prosterna
trois fois avant que de corn»
mencer. Aprés quoy M41le
Chevalier deChaumont prit
la Lettre de Sa Majesté des
mainsde Mrl'AbbédeChoisy.
Le Vase où onl'avoitenfermée,
estoit soustenu d'un
grand manche d'or de plus
de trois pieds de long. Ils'avança
jusqu'au Trône, qui
estoitune manieredeTribune
assez élevée dans une fenestre
de la Salle,& il presenta
le Vase sans hausser la
main. Mr Constance luy dit
qu'il prist la Coupe par le
baston, mais il n'en voulut
rien faire. Le Roy se mit à
rire
,
& s'estant levé pour
prendre le Vase, il se baissade
maniere qu'on luy vit
plus de la moitiédu corps. Il
regarda la Lettre qui estoit
dans une autre Boëte d'or
que ce Princeouvrit. Il avoir
une Couronne toute brillante
de gros Diamans, avec un
Bonnet comme celuy d'un
Dragon, qui se tenoit droit,
artaché à la Couronne. Son
Habit estoit une maniere de
Juste-au-corps d'un Brocart
d'or, dont le fond estoit UEP
rouge enfoncé. Ce Juste-aucorps
luy serroit le col & les
poignets, & aux bords il y avoitde
l'or&desDiamans,qui
faisoient comme un collier
& des bracelets.. Il avoit aux
doigts quantitéde Diamans.
LaSalle de l'Audience étoit
elevée de douze ou quinze
degrez.Elle estoit quarrée &
assez grande, avec des fenestres
fort baffes de chaque
coste. Les murs estoient
peints, & il y avoit de grandes
Fleurs d'or depuis le
haut jusqu'au bas. Le platfond
estoit orné de quantité
de Festonsdorez, Deux
Escaliers conduisoient dans,
une Chambre ouestoit le
Roy, & au milieu de ces Escaliers
estoit une fenestre
brisée, devant laquelle on
voyoit troisgrands Parasols
par étages qui alloient jusqu'auPlat
fond,l'étoffe estoit
d'or,& une feüille d'or couvroit
le baston. L'un de ces
trois Parasols estoit au milieu
de la fenestre, & les deux:
autres aux costez. Ce fut par
cette fenêtreque leRoyparla,
Mr le Chevalier de Chaumont
estant retourné en [a'v
place, apres avoir donné la
Lettre de SaMajesté, ce qui:
futune grande marque de
distinction pour l'Ambassadeur
du Roy de France, les
Roisd'Orient ne prenant
aucune Lettre desmains des
Ambassadeurs, Sa Majesté
Siamoiseluyditqu'Elle recevoit
avec grande joye desmarques
de l'estime&del'amitié
du Roy & qu'il luy
seroit fort agréable de luy
faire voir en sa personne
combien elles luy estoient
cheres. Apres celaMrl'Am-
-
bassadeur luy montra quelques
Presens du nombre de
ceux que le Roy luy enroyoit,
& luy- presenta Mr
'AbbédeCkoify5&lesGen-
- iishommes. Ce Prince luy
larIa des Ambassadeurs qu'il
voit envoyez dans le Soleil
Orient, & demanda des
ouTelles de la Maison
.oyale, & ce qui se passoit
n Europe. Mr FAmbanaeur
répondit que Sa Mailsatcée,
apresavoir pris la forte
de Luxembourg avoit
oligél'Empereur,, les Espanols,
les Hollandois, & tous
s Princes d'Allemagne à
gner avec luy une Tréve
3 *
: vingtans. Il fit encore
d'autres Questions sur lesquelles
Mr l'Evesque de Metellopolis
servit d'Interprete,
& apres que M l'Ambassadeur
y eut répondu, on tiraun
Rideau devant la Fenestre
de la Tribune. Ce fut par
là que l' Audience finit. Elle
dura plus d'une heure, &
les Mandarins demeurerent.
prosternez pendant tout cor
temps. Ils avoient tous un.
Bonnet,mais sansCouronne,
& chacun d'eux tenoit une
Boëte, pleine de Betel &
d'Areque, dont ils usentencore
plus que nous ne faions
icy de Tabac, C'estpar
diference de ces Boëtes.
u'on peut distinguer leurs
ualitez.
Au sortir de l'Au dience,
Mr l'Ambassadeur fut conuit
dans le Palais, où il vit,
Elefant blanc. On luy rend
e grands honneurs, & on.
regarde comme une Diviité.
Quatre Mandarins sont
ûjours aupresde luy. Deux
ennent un Eventail pour
nasser les Mouches, & les
eux autres un Parasol, afin,
empescherqu'il ne soit inommodé
du Soleil.Ilest
servyen Vaisselle d'or.
-
One
en éleve un petit qui sert
son Successeur.. Lors qu'il 1
besoin de se laver, on le .me-si
ne à la Riviere, & alors les
Tambours &les Trompetes
marchentdevantluy. Dans
l'endroit où on le lave, il )(
a une espece deSale couverte,
destinée pour cet usage
Il y a eu autrefois de grandesGuerres
pour l'Eléphant
bbllanc '1 f1. 1 1 ,v,
,
& il a cousté la vie iî i
plus de six cens mille personnes.
Le Roy de Pegu
ayant appris que cet,Animal
estoit possedé par le Roy
e Siam,luy envoya une
mbassade des plus solembiles
pour le prier de le
lettre à prix, s'offrant d'en
lyer ce qu'il voudroit. Ce
t en 1568. Le Roy de Siam
rant refusédes'en défaire
luydePegu leva une Arée
d'unmillion d'hommes
en aguerris
,
dans laquelle
y avoit deux cens mille
hevaux
,
nans cinq mille Ele- ,
& trois mille Chaeaux.
Quoy que Pegu soit
Digne de Siam de soixante
cinqjournées de Chaeau
,
il ne laissa pas avec
cetteredoutable Armée, de
venir amener son Ennemi
dans laVille Capitale. Il
prit& laruinaentierement
s'estant rendu Maistre de se
Trésors, de sa Femme & db
ses Enfans, qu'il emmena i
Peguavecl'Eléphant blancs
Le Roy de Siam se défen
dit jusques à l'extremité, &
voyant sa Ville prise
,
il fl
jetta du haut de son Palais
en bas, d'où il fut tiré crû
pieces. Quelques-uns écrin
vent que le Siege dura vingt
deuxmois,&que cette guerre
re couta plus de cinq cen
mille hommes au Roy de
Pegu. Jugezcombien il en
dût perir ducosté des Siamois.
Les Indiens trouventquelque
chose de Divindans l'Elesant
blanc. Ils disent que
ce n'est pas feulement à
cause de sa couleur qu'ils le
respectent, mais que sa fierté
leur fait connoistre qu'il veut
qu'on le traite en Prince,
Sr. qu'ils ont remarqué plurieurs
fois qu'il se fâche,
quand les autres Elefans
nanquent à luy rendre
'honneur qu'ils luy doivent.
Apres que l'on eut fait
voir cet Elefant à M l'Am—r
bassadeur, il fut conduit àssi
l'Hostel qu'on luy avoitpreparé.
Par toutoù il passa, illi
trouva des Elefans avec les
Soldats qui bordoient les
chemins en tres-bel ordre,s
Quelques Troupes,& plusieurs
Mandarins montez sur
des Chevaux ou sur des Elesans
magnifiquementenharnachez,
marchoient devant
luy, & grand nombres
d'autres suivoient par hon- -c
neur, Ainsi il ne manqua &r
rien à cette Entrée pour la d
rendre très superbe. Tous
Siam joüit de ce grand Spectacle,&
ce qu'il y eut de surprenant,
c'est que tout le
monde estoit prosterné,comime
si le Roy eust passé luymesme,&
cela sefitavecun
si grand respect, que l'onnentendoit
personne cracher,
tousser, ny parler. Les
ordres du Roy avoient elle
donnez pour cela, ce qu'il
n'avoit jamais fait pour d'autres
Ambassadeurs. Il est remarquable
que les Siamois,
Rapportent aucun desous en
laissant, & qu'on ne voir
parmy eux, ny Boiteux, ny
Bossus, ny Borgnes. S'il y a
quelques Aveugles, ils ne le 1
font que pour avoir estécon- j damnez à cette peine pour
quelque crime commis.
La Ville de Siam, que î
quelques uns apellentIndia J
d'autres Iudia, est la Capitale
du Royaume, & l'une des j
plus grandes & des plus peuplées
de toutes les Indes. Ses 1
Remparts sont environ de z
trois toises de hauteur,&elle
a des Bastions de toutes les aj
sortesde plats, de coupez & al
desolides. La Riviere deMenam
qui y coule enhuit enadroits,
y forme deux Isles,
Elle a plusieurs belles Ruës,
& des Canaux qui sont assez
regulierement tirez. La plus
belle est celledesMores. Ce - qu'ils a ppellent le Quartier
de la Chine est aussi tresbeau.
LesMaisons ne sont
pas laides, & il y en a sort
peu où l'on ne puissealler
enBatcau. Surtout les Temples
& les Monasteres sont
tres-bienbattis. Ils ont tous
les Pyramides dorées qui
ontun très bel effet de loin
;zs, Faux-bourgs, des deux
costez de la Riviere sont
pour le moins aussi grands
& aussi ornez de Morquées
& de Palais que la Ville mesme.
Celuy du Roy est d'une
si grande estenglue, qu'on
le pourroit prendre pour une
seconde Ville. Il ases Remparts
separez ,& les Tours
qui l'environnent en grand
nombre sontfort élevées,
& très-magnifiques..
Mr le Chevalier de Chaumont
trouva au lieu où il sur
conduit,des Mandarins qui
estoient degarde
,
& que
l'on avoit chargez defaire
fournir tout ce qui luy seroit
necessaire pour sa dépense.
Le 19. Mr Confiance fit assembler
tous les Mandarins
Etrangers
,
& leur declara
que le Roy son Maistre vouloit
qu'ils se rendissent tous àl'Hostel de Mrl'Ambassadeur
,
afin qu'ils fussenttémoins
de la distinction avec
laquelle il traitoit le Roy de
France, comme estant un
Monarque tout- puissant, &
qui sçavoit reconnoistre les.
donneurs qu'on luy faifoir.
Ces Mandarins répondirent
qu'ilsn'avoient jamais veu
d'Ambassadeur de France;
mais qu'ils estoient fort persuadez
que cette distinction
estoit deuë à un Prince aussi
grand, aussi puissant, &
aussi victorieux que celuy
qui regnoit sur les François,
puisqu'il y avoit long-temps
que ses Victoires estoient
connuës par tout l'Orient.
Ils allerent aussi-tost salüer
Mr l'Ambassadeur, & le mesme
jour Mr l'Evesque de
Metellopolis se rendit au
Palais où le Roy l'avoit mandé
pour interpreter la Lettreque
Mr le Chevalier de
Chaumont luy avoir donnée
e jour precedent. Envoicy
es termes.
LETTRE
DU ROY
TAU ROY DE SIAM. RES HAFT, TRES PVISSANT,
TRES. EXCELLENT,
ET TRESMAGNANIMEPRINCE,
ET NOSTRE
;H'ER ET BON AMr, DIEV
rEVIllEAUGMENTER VOS-
-RE GRANDEVR AVEC YNE.
rIN HEVREYSE.
Nous 4ious appris avec déplaisir
la perte des mbfadeurSI
que :~ nous envoyajîa en1681. -
&Nous avons cflé informe^par
ItiPreflres Mijjionnaires quifont 1
njen;$ deSian
, C. par les Letj
très nueno?Adimlhts ont reteuës j
de h p.irt de celiiya qui vous 1
confia VO) pnncipules affaires e>rijffpm-nr 3, avec leCjnA vous
Joubair.'XnojhramneRoyale.
Ccflpouryfartsfa'rcque nous
avons choisy le Sieur Chevalier'
de Chaumontpouy nolire Ambaf-
Jadeur,quivous apprendra plusparticulièrement
nos intentions9
sur tout ce qui peut contribuer àK
ejldlirpout toujours cette amitié
fi/ide
fllidr entre nous.CependantAlc,
ferons tres-ais de trouver les
occûfons de tous témoigner la
reconnoijjance avec laqui lie nous
avons appris que vous conrznuez
a donner voflre protcfhon aux E-
'Vesques, cm euxautres ÀdiJJionnaires^
potfohcj'ei, quitravaillenta
linflrufliondetosSujets
ians laRetio-ion Cbjeflien,,,e,
lotreefiimep meulièreincurvons
Wus fait desirer ardernn em que
}OKS 'Vur¡fluZ bien vous-mfmc
k écouter) Çj7 apprendre d\u,x ïvéritables À^aximas @r les
fistres f^cre-^dune si fat.te
9y, dans laquelle un a la LulMijfance
du vray Dieu,qui Jîufa
peutJaprés TOUS avoirfait rtgnem
long temps & glorieusement (un
vos Sujets ,
101.$combler d'u
bon heur eternel. Nous avenui
chargénoflreAmb^Qaieur dese
choses les plus curreujes de noftrt
Royaume, qu'il vous prejenter
comme unemarque de noflre ePi_j
me
y
& il vous expliquera aussi
ce que nous pouvons Jfjinr dt
voui pour l'avantage du Com-A
merce de nos Sujets.Sur ce,Afousm
prions Dieu qu'ilvueilleaugmentas
tervoftre Grandeur avec toute fin^\
heureuse. Ecrit en Noflre Cha.X
(eaU Royal le u. Janvier168
Vostre tres cher & bon Amy,
LO VIS, & plus bas COLBERT.
Quelques jours a pres,
le Roy envoya des Presens
à Mr l'Ambassadeur,
sçavoir plusieurs pieces de
Brocart, des Robes du Japon,
une garniture de Boutons
d'or, & diverses curiositez
du Pays. Il y en eut
aussi pour Mr l'Abbé de
Choisy
,
& pour les Gentilshommes
François.
Le 2,5. il fut mené à une seconde
Audience dans une
Salle à costéd'uneautre où
,eHoir l-e Roy. Le disçours étant
tombé sur la Famille
Royale, Mr l' Ambassadeur *>
dit au Roy de Stam que lu-
- nion y estoit sigrande, que
Monsieur,Frere unique de Sa
Majesté,avoitgagné une
grande Bataille pour le Roy v
sonFrere, contre les Ennemis
liguez,& commandez s
par le General des Hollandois
, qui avoient le plus de s
Troupes danscette Armée;à
quoy le Roy de Siam répondità
peu prés en ces termes.
Je ne m'étonne point que le Roy \(
de France ait réüssidanstoutesses
r entreprises,puis qu'ilaun Frere
l
si bien uny avec luy.La desunion
ejb ce qui renverse les Etats. lec"
sçay les malheurs qu'elle a causez
dans la Famille Royale de Matran
, & dans celle de Bantam,
&sçache le Grand Dieu du Ciel
ce qui arrivera de la mienne.Ce-
Roy a deux Freres ,dont lais-
Xïéfiir tout est tres-remuant.
Il a trente-sept ans, & est
fort incommodé de sa Perfodne.
Peut-estre l'a t'on mis
en cétestat afin de tenir (on.
ambition dans l'impuissance
d'agir. Le plus jeune est
moins âgé de dixans. Il est
muet , ou il fait semblant de
l'estre. Ils ont chacun leur
Palais,& leurs Domestiques,
& ne voyent le Roy leur
Frere que deux fois l'année.
Le Roy peut avoir cinquante
cinq ans. Il est bazanné
de , moyenne taille, & a les
yeux noirs, petits
,
& fort
vifs. Outre deux Oncles qui
sont fort vieux, & dont l'un
luy a servy de Tuteur, il a
des Tantes qui n'ont jamais
esté mariées. Cette seconde
Audience dont j'ay déja
commencé à vous parl er , finit par une matiere de Religion
qui n'eut point de suite.
Mr l'Ambassadeur dit au
Roy, que le Roy son Maître
ne souhaitoit rienavec
plus d'ardeur que d'apprendre
qu'il consentist à se faire
instruire par les Evesques &
Missionnaires qui estoient
dans ses Etats. Il se leva, ôc
ne fit point de réponse. Lors
qu'il se fut retiré, Mr Constance
mena Mrle Chevalier
de Chaumont dans le Jardin
du Palais, où le disner
estoit preparé, Son Couvert.
estoit en Vaisselle d'or; tous
les autres furent servis en
Vaisselle d'argent. Le Grand-
Trésorier, le Capitaine des
Gardes, & d'autres grands
Mandarins servirent à table.
Lerepas dura trois heures,
& l'on allavoir delà l'Estang
du Jardin
,
où il se trouve
plusieurs poissons curieux.
Ilsenvirentun entre autres
avec un virage d'homme.
Le 26. Mr Constancerenditvisite
à Mr l'Ambassadeur.
La Conversion du Roy
fut le sujet de leur entretien.
Mr Constance yfit paroistre
de grandes difficultez
,
sur
ce qu'il seroit tresdangereux
de donner pretexte à
une revolte, en voulant
changer une Religion establie
& professéedepuis tant
de Siecles. Illuy fit connoîue
que leRoyavoit un Frere
quine cherchoitqu'à broüiller;
que c'estoit toûjours
beaucoup que Sa Majesté
permist qu'on enseignast la
Religion Chrestienne dans
son Royaume; qu'illafalloit
laisser embrasser aux Peuples
&aux Mandarins mesme,
si quelqu'un d'entr'eux
vouloit se faireChrestien,
8c qu'avec le temps les choses
pourroient prendre une
autre face.
Le29. Mr le Chevalier de
Chaumont alla visiter le Barcalon,
qui dans les honneurs.
qu'il luy Et rendre le distingua
desautresAmbassadeurs,
ainsi qu'avoit fait le Roy. Mr
l'Evesque de Metellopolis
l'accompagna dans cette visite
, & leur servit dInterprete.
Le 30. on alla au Palais
pour voir ta grande Pagode.
C'est ainsi que les Siamois
appellent leurs Temples
mais ils ne laissent pas de
donner aussi le nom de Paggooddeess
àà leurs Idoles. En pas- Isant
par la premiere Court,
Mr l'Ambassadeur eut le divertissement
d'un combat de
deux Elephans On les avoit
attachez ensemble par les
jambes de derriere
,
& deux
hommes estoient sur chacun,
de ces Animaux, l'un sur le
col
,
l'autre sur la crou pe. Ils
esanimoientavec un croc, lui leur servant d'aiguillon,
es faisoit tourner comme ils
ouloient. Ce Combat ne
onsista qu'en des coups de
ent & de trom pe. On dit
ue le Roy y estoit present
mais il ne se laissa pointvoir.
Les Elephans ont beaucoup
d'intelligence& onleur fait
comprendre aisément tout
ce qu'on leur dit. De cette
Court on passa dans plusieurs.
autres avant que de trouver
la Pagode. Le Portail en est
antique, de assez bien travail.
lé.C'estuntres-beau bastimens
, dont l'Architécture
est presque semblable à celle
de nos Eglises. Les yeux
furent fra ppez enentrant,de
plu sieurs Statuës - de cuivre
doré, qui semblent offrirun
Sacrifice à une grande Idole
qui est touted'or.Elle a quarante
pieds de longueur,
douze de largeur
,
& trois
pouces d'épaisseur. Son poids
est de plus de douze millions
d'or Dans-une guerre où
ceux de Pegu conquirent
presque tout leRoyaume de
Siam, ils couperent une
main à cette Idole. Elle a
icihe remplacée depuis. Aux
deux costezdecette Pagode,
il y a plusieurs autres petites
Idoles dont la plus grande
partie est d'or. Des Lampes
Allumées depuis le haut jusqu'au
bas, font voir dans
quelleveneration elles sont Au fond est une autre Idole
en forme de Mausolée. Elle
est d'un prix extraordinaire.
Parmy ce grand nombre on
en voit une qui bien qu'assise
les jambes en croix,asoixante
pieds de haut. De cette
Pagode M"1"Ambassadeur
alla dans une autre qui en
dépend, & pour y aller, il
passasous une voûte qui est
en forme de Cloistre. D'un
costé de cette voûte,il y avoit
de deux pieds en deux
pieds des Idoles toutes dorées
,& devant chacune bruloituneLampe
queles Talapoins
ont soin d'allulller
0,«Zous les soirs. Dans cette seconde
Pagode Mr l'Ambasfadeur
vit le Mausolée de la
Reyne dccedée depuis quatre
ans, & celuy d'un Roy
de Siam, representé par une
grande Statuü couchée sur
le costé. Il est habillé comme
le sont les Roys de ce
Pays là aux jours de Ceremonies.
Cette Statuë qui est de
cuivre doré
, .a vingtcinq
piedsde longueur. En d'autres
endroits font quantité
de Statuesd'or & d'argent,
avec des Rubis & des Diamans
aux doigts, La princi- pale - beau ré de toutcelaconsiste
dans les richesses,la-plus
grande partiede cequ'il y a s
de plus precieux dans le
Royaume, estantrenfermée
dans les Pagodes. Au sortir
de là, Mr l'Ambassadeur vit i
les ElephansduRoy qu'il fait i
nourrir au nombre de plus 2
de dix mille. Il vit aussi une i
piece de Canon de fonte q
fonduë à Siam qui est de s
vingt-quatre pieds, & qui a j
quatorze pouces de diamet-
-
tre par l'embouchure.
-
Le 3I. - on fit de fort grandies
réjoüissance pourle coueiincirient.
du. Roy de Portugal.
On tira quantitéde
f J
coups de Canon,&il y eut le
f*ir un feu d' Artifice.Cesréiouiflincesfurentcontinue'es
»
u lendemain,premierjour.
[^Novembre
, par Mr Con- rance qui donna un grand
'dhrT, où MrAmbassadeur
.le invité. Il s'y trouva avec
put ce qu'il y avoit d'Euroéens
dans la Ville. On n'enfndit
que coups de Canon
ifqua la nuit,& on tira
ujourssans discontinuer.
Tous les Bastimens qui é- -
toient sur la Rivierre
,
tirerent
aussi après le repas,
qui fut suivye d'uneComedie
de Chinois,&: d'un autre
Divertissement,façon de -j
Marionnettes. Il y eut quelque
chose d'assez surprenant
& de singulier dans cette
Feste. î
Le 4. de Novembre Mr
Constanceavertit Mr l'Ambassadeurque
leRoy devoit
sortir pour se rendre àune
Pagode,où il a accoûtumé
d'aller tous les ans. Comme
ce jour estoit un de ceux Otli
il se montre à ses Peuples,la
mSeremonie meritoit qu,'on
empressa pour la voir. On
e conduisit dans une Salle
ue l'on-avoir pre parée sur
eau pour luy donner ce
laisir. D'abord il passaun
rand Balontout doré,dans
quel estoit un Mandarin
si venoit voir si toutestoit
en dans l'ordre. Il fut suisde
plusieurs Balons rem- des plus qualifiez des
andarins, tous habillez de
ap rouge. Ils doiventestre
tus de mesme couleuren
pareils jours, & c'estle
y qui choisit cette couleur.
Ils avoient des bonnets <
blancs dont la pointe estoit j
fort élevée.Les Oyas étoient
distinguez par un bord d'or
qu'ils avoient a leurs Bon- J
nets. Je ne parle point de a
leur écharpe;elleestoit telle b
- que je l'ay déjàdécrite. On 11
vit paroistre aprés eux quan- titédeMandarins du second J]
ordre, des Gardes du Corps,
&piusieurs Soldatsqui oc<~
cuperent les ailles. Le Roy
estoit dansun Balonmagnisique,
à chaque collé duque
il yen avoit un autre qui nC.
-
toit pas moins brillant. Ce
trois Balons estoient plis rem- de Sculpture,& dorez
jusque sous l'eau. Je
1
vous
en a y déja tant parlé que
vous ne ferez pas fachéed'en
voir quelques uns dans cette
Planche, où j'en ay fait graver
quatre. Vous vous fou.
viendrez que je vous ay dit
qu'ils estoient fort longs, &
aits d'un seul arbre. Leur
ongueur est cause qu'il y a
n grand nombre de Raleurs
,
& qu'ils vont fort
ste. Quand les Rameurs
nantent , ce qu'ils fontsouet,
ilsemble que leurs rames
s'accordentavecleurs voix, JI
& qu'ils battent la mesure *
dans l'eau. Le Balon que
vousvoyez gravé le premier,
est celuy dans lequel estoit la
Lertre de Sa Majesté. Il eitJ
ce qu'ils appellent à trois
T'oirs, & ceux-là sont les
plus considerables. Je croy
mesme qu'ils sont particuliers
pour le Roy, & qu'il
n'est permis à personned'en
avoir. Vosyeux vous feront
voir aisément la diference
des autres, qui n'est
que dans le plus ou moins 1
d'élevation de l'espece de. I
petite Loge qui est au miieu.
Quand il pleut, on (e
netdans cet endroit qui approche
beaucoup des Bans
avec quoy l'on jouë iCYh
les Rameurs du Balon où
stoit le Roy, & des deux
utres qui luyservoientd'act)
i-n-pacrniement,efloienthaillez
comme les Soldats, h
reserve qu'ils avoient une.
aniere de Cuirasse, &de
asque enteste,quel'ondiit
estre d'or. Ils estoient
t nombre de cent quatrengt
sur chacun de cestrois
lons, a,yec-- des Rames.
toutes dorées, & sur ceux
des Mandarins il y en avoit
cent ou six-vingts. D'autres
Gardes du Corps suivoient
dans d'autres Balons, & alloient
devant d'autres Mandarins
qui faisoient l' Arriere
garde, de forte que le Cortege
estoit du moins de deux
cens Balôns. Toute la
Riviere enestoitcouverte,
& il y avoit plusde cent
mille personnesprosternées
& dans un profond silence,
pour joüir de la permission
qu'on avoit de voir le Roy
ce jourla; car en d'autres
temps
temps il faut qu'on s'éloigne
par respect, & ceux qui se
trouveroient à son passage
seroientpunis fort severement.
Ilavoit un Habit tressomptueux,
& tout parsemé
de pierreries, avec un Bonnet
rouge un peu élevé, &
une Aigrette enrichie aussi
de Pierreries. Mr l'Ambassadeur
entra sur le soir dans
ses Balons pour voir revenir
le Roy. Ilavoit changé de
Balon, & promis un Prix à
celuy qui arriveroit au Palais
avant les autres. Ce fut
le sien qui arriva le premier.
Il récompensa ses Rameurs
en Roy, en leur donnant à
chacun la valeur de cinquante
escus. Ce mesme soir
il y eut un Feu d'artifice, &
l'on tira quantité de cou ps
de Canon pour le Couronnement
du Roy d'Angeterre.
Cette Feste fut continuée
le lendemain. Mr Constance
donna encore à disner
à Mr l'Ambassadeur avec
beaucoup de magnisicence,
& tous les Européens 2
furent invitez à ce Repas.
Le Roy qui se montre au
Peuple deux ou trois fois
cous les ans, va aussi quelquefois
par terre faire ses
Offrandes à quelque Mosquée.
Deux cens Elefans, ou
environ, commencent la
marche, portant chacun
trois Hommes armez Apres
eeuuxxvvieienntltala MM-usique. Elle
est composée de Timbales,
de Tambours, & de Hautbois.
Millehommes de pied
armez paroissent ensuite,distribuez
en diverses Compagnies,
qui ont leurs Drapeaux
& leurs Bannieres.
Tout cela precede les grands
Mandarins qui sont à cheval.
Il y en a qui ont une j
Couronne d'or sur la teste, i
ôc une fuite de soixante, ! j
quatre-vingts ôc cent per- 1
sonnes à pied. Entre lesGar- -|
des du Corps & ces Manda-
-
rins marchent deux cens
Soldats Japonois, en équipage
fort leste. Apres eux on f\
voit les Chevaux & les Ele- -j
sans qui ne fervent que pour aPersonne du RtÜY: Leurs zi
Harnois sont magnifiques.
Ils sont chargez de boucles 21
8c de lames d' or, & les dia- -4
mans & les pierreries y brillent
de toutes parts. Ceux
qui portent les Presenschoisis
pourl'Offrande,marchent
devant les plus qualifiez du
Royaume, parmy lesquels
il y en a deux, dont l'untient
l'Etendart du Roy,& l'autre
le Sceptre de Justice. Ils marchent
tous deux à pied immediatement
devant leRoy,
qui est monté sur un Elefant
magnifiquement enharnaché.
Il est porté sur son dos,
assis dans une Chaise d'or.
Cet Elefant marche gravement
tout fier de sa charge.
Il semble connoistre l'honneur
qu'il reçoit,puis qu'il
le met à genoux quand le
Roy s'appreste à monter sur
luy, & qu'il ne soufriroit pas
qu'un autre y montast.Lors
quele Roy a un Fils,ce Prince
le fuit, & apres luy la
Reyne & sesautres Femmes.
Elles sont aussi sur des Elefans
, mais enfermées dans
des manieres de Guerites de
bois doré, en forte qu'il est
impossible de les voir. La
marche tH: fermée par d'autres
Gardes, environ au nombre
de six cens, & tout le
Cortege est composé de
quinze ou seize mille personnes.
La vie du Rov est allez
réglée.
(
Il Ce leve à quatre
heures tous les jours, & la
premiere chose qu'il fait
c'est de donner l'aumosne à
des Talapoins, quine manquent
pas de se montrer devant
luy si tostqu'il paroist.
Ces Talapoins sont comme
nos Religieux Mendians.
Apres celail donne Audience,
dans l'intérieur de [on:
Palais,à. ses Concubines, aux.
Esclaves & aux Eunuques,
& ensuite à un Magistrat
qui luy vient montrer tous
les Procez que l'on a jugez.
Il les approuve ou infirme
comme il luy plaist. Lors
que ce Magistratest forty,
1 Audience est ouverte à
tout le monde jusqu'à l'heure
du Disner. Il disne avec
la Princesse sa Fille, que l'en.L
appelle la Princesse Reyne.,
& dontje vous parleray dans
unautre endroit. La Reyne -
qui est morte depuis peu
d'annees ne'luy a la~ aue
cette Fille. Le Medecin qui
està la porte, visite toutes
les Viandes, & renvoye celles
qu'illuy croit nuisibles.
Pendant ce Repas,qui estle
seul qu'il sait chaque jour,
on luy lit les Procez criminels,&
il ordonne du fort -
de chacun. Apres le Disné,
il entre dans une Salle, oùil
se met sur quelque Lit de
Repos. Il est suivy d'un
Lecteur qui luy lit ordinairement
la Vie de quelqu'un
des Rois qui ont
regné avant luy
,
& lors
qu'il s'endort
,
le Lecteur
paisse la voix, & peu a prés se
etire. Ce mesme Lecteur
entre dans la Salle sur les
quatre heures, & il recomnence
à lire d'un ton si aigu,
qu'il faut neceffiirciiie-ilt
que le Roy s'éveille. Alors il
donne Audience à chacun,
de ses six grands Officiers,
& sur les dix heures le Conseil
s'a ssemble. Il dure ordi-;
nairement jusques à minuit.
MrConfianceaussison Au-j
dience particuliere
,
& si l
toutcela va tropavant dans
la nuit,le Medecin luy vient
dire qu'il faut qu'il se couche.
Ce Medecin est receu
dans le Conseil, mais il ne
fait qu'écouter, & l'on n'y
prend jamais son avis.
Je m'apperçois de la longueur
de ma Lettre ; mais
comment songer à la finir,
ayant encore tant de choses
curieuses à vous a pprendre
touchant le Royaume de
Siam? Je n'ay pas encore
conduit M le Chevalier de
Chaumont à Louvo
,
qui est
une Maison de Plaisance du
Roy, où il alla prendre son
Audience de Congé, & ce
qui s'y est passé pendant le
séjourqu'ily a fait, fournit
la matiere d'un tres-long
Article. Ainsi, Madame,en
vous envoyant cette prernle.
re - Partie de ma Lettre ,je
vous en promets une seconde
quevous aurez dans fort peu
dejours. Je joindray à ce qui |
me reste à vous dire du }
Royaume deSiam les autres V
Nouvelles que vous atten- ;.
dez de moy. Ce sont celles;
quiregardent les Venitiens |
& la Hongrie. Cette seconde j
Partie finira par deuxEnigmes
nouvelles, & par les
noms de ceux qui ont expliqué
les deux dernieres. i
Onvient de m'apprendre ;
que ce que je vous ay dit au
commencement de cette
Rèlation, touchant des Ambassadeurs
que le Roy J de
Slam avoit envoyez à Sa
Majesté par le Portugal,
n'est point véritable. Cesont
des Envoyez de Siam qui
rie vont qu'en Portugal
,
8c
que l'on a chargez des Presens
, dont vous avez trouvé
une Lifte dans ma Lettre
de May. Ainsi cette Liste
est vraye ,
& ils ont ordre
d'envoyer en France les Presens
qu'elle contient.
ge de Mr le Chevalier
de Chaumont. Sa Majesté
l'ayant nommé son Ambasfadeur
vers leRoy de Siam.
Il se rendit à Brest avec Mr
l'Abbé de Choisy, sur la fin
de Fevrier de l'année der-
,
niere, & ils s'embarquerent
dans un des Vaisseaux du
Roy,appellél'Oiseau. Mrde
Vaudricourt qui le commandoit
fit mettreà la Voile
le3. de Mars & partit de
Brest avec la Fregate la Maligne,
commandéepar Mr de v
Joyeux. Le vent leur fut toû-
« jours assez favorable, ôc :
comme il y avoit dans le !
Vaisseaudes Millionnaires&
six Jesuites, ce n'estoit tous
les jours qu'Exercices de
pieté, & l'on y vivoitavec
la mesme regularité que
dans unConvent.Ilss'appliquoient
tour à tour à faire
des Exhortations à tout
Equipage. On disoit lar
Messe, on chantoitVespres,
& on passa fort heureufenent
la Ligne le 6. d'Aril
sans souffrir beaucoup
le lachaleur. Ce fut alors
su'il fut question de faire ce
u'on appelle la Ceremonie
u Bàptesme. Ceux qui n'ont
mais passé la Ligne, sont obligez
de souffrir qu'on leur
jette sur le corps certain
nombre de seaux d'eau, à
moins qu'ils ne donnent
quelque argent pour racheter
cette peine. Il n'y a personne
qui puisse s'en exempter
, de quelque condition
quel'on puisse estre, & on
fait jurer tout le monde sur
le Livre des Evangiles, pour
sçavoir si on a fait ce passage.
Mr le Chevalier de Chaumont
ne voulut point endurer
que l'on jurast sur les Evangiles.
Il fit faire ce Serment
sur une Mapemonde,
& mit de l'argent dans un
bassin
, ce que firent après
luy toutes les personnes considerables
du Vaisseau, pour
s'épargner la Ceremonie. La
somme montaà soixanteescus
quifurent distribuezaux
Matelots. Le reste de la traversée
fut tres heureux jusquesau
Cap de bonne Esperance.
On y arriva le 31. de
May,&l'on y receut les Saluts
ordinaires de quatre
Vaisseaux Hollandoisqu'on
y trouva. Ils portoient a Batavia
le Commissaire Generalde
laCompagnie des IiW
des
, avec Mr de S. Martin
François, Major Général.
M. le Chevalier de Chaumonts'arresta
sept jours à
ce Cap afin d'yfaire de l'eau,
& de prendre desrafraichisfemens.
Le Gouverneur qui
eA Hollandois
,
luy en envoya
de toutes fortes, aprés
l'avoir fait complimenter
par le Neveu&par le Secretaire
du Commissaire. Tous:
ceux du Vaisseau mirent pied
a, ~erre lIes urns a,près 1lesautres.
Ils'en trouva quelquesuns
qui estoient malades d&
Scorbut, & ils furent gueris
en quatre jours. La Forteresse
que les Hollandais ont.
fait bastir en ce lieu là
,
est
toute revestuë de pierres,
&a quatre bastions. Elle n'a.
point de fossez, mais elleest
Ilterès- bien garnie de Canon, Havre est fort seur
,
ôc
peut contenirungrand nom- bre de Vaisseaux. Il y a déja
quantité de Maisons qui forment
une espece de Ville.
^Cequ'ilya de plus remar-
,
quable est un Jardin fort
grand & fort spacieux avec
des allées à perte de veuë.
On y a planté tout cequ'il
ya de bons fruits en Europe
& dans les Indes. Les uns
sont d'un costé,les autres de
l'autre
,
& tous y viennent
fort bien. Celuy qui a foin
de ce beau Jardinest unFrançoisqui
est grand Seigneur
en ce Pays-là. Il reconnut
Mr le Chevalier de Chaumont,
qu'il avoit veu chez
Monsieur
, ou il avoit esté
Jardinier.
La terre que les Hollandoisoccupenr,
a esté achetée
d'un petit Roy du Pays, pour
des bagatelles de l'Europe.
Plus on avance en s'éloignant
gnant de la Mer, plus elle
est bonne & fertile, &sur
tout la Chasse y en merveilleuse
; mais on y doit craindre
les Bestes farouches,
comme Lyons,Tygres,Elephans,
& autres. Ces belles
s'écartent à mesure que le
Pays se découvre, & qu'on
y fair de nouvelles habitations.
Les Hollandoisont
déjàcommencé d'en faire
en plusieurs endroits. Pendant
le séjour de Mr l'Ambassadeurau
Cap, deux d'enreeuxestantallezàla
Chase
furent rencontrez & attaquez
par un Tigre. Il le
jetta sur l'un de ces Hollandois,
l'autrele tira & le blessa.
Le Tigre tout en fureur
vint à celuy qui l'avoir blessé,
& il l'auroit devoré sans
doute, si son Camarade qu'il
avoit jetté par terre, ne Ce
fust promptement relevé
pour tirer aussi son coup. Il
le tira si heureusement qu'il
cassa la teste au Tigre. On
l'apporta pour le faire voir.
Il estoit d'une grandeur effroyable.
On mit le Blessé à
un Hospital, qui est là tresbien
fondé, & oùl'on est
rtraité avec tous les soins imaginables.
Tous les Vaisseaux
Hollandois qui viennent
d'Europe, & ceux qui s'yen
retournent, laissent leurs
Malades en ce lieu là
,
& ils
y recouvrent incontinent
leur santé
,
l'air & les eaux
estant admirables.
Les Habitans y sont doux,
assez bien faisans, & il n'est
pas difficile de s'accommoier
de leurs manieres, mais
Ils sont laids, mal-faits, de
petite taille,& ont plus de
rapport à la façon de vivre
les bestes qu'à celle des hommes.
Leurvisageest tout ridé,
ils ont les cheveux remplis
de graisse
;
& comme ils
se frottent le corps d'huile
de Baleine,& qu'ilsne mangent
que de lachaircruë,ils
sont si puans qu'on les sent
de loin. Ils ne mangentleur
Betail que lorsqu'il est mort
de maladie
,
& ce leur est
un fort grand ragoust qu'une
Baleine morte ,
jettée par la
Mer sur le rivage, ou les
tri pes chaudes d'une Bê-
-
te. Ils les secoüent fort legerement
,
& les mangent
avec les ordures
,
aprés en
avoir osté les excremens,
dont quelques-uns se servent
pour se froter le visage. On
leur - a donné le nom de Cafres,&
les hommes &les femmes
n'ont qu'une peau coupée
en triangle pour se couvrir
ce que la nature apprend
à cacher. Ils se l'attachent
avec une ceintire de cuir au
milieu du corps. Quelquesuns
se couvrent les hanches
d'une peau de Boeuf ou de
Lyon. D'autres portent une
peau qui leur descend depuis
les épaules jusque sur les
hanches,& plusieurs se dé-
coupent le visage3 les bras:
& lescuisses
, & achevent
de se défigurer parlescaracteres
étranges qu'ilsy font.
LesFemmes portent aux bras
& aux jambes des Cercles de
fer ou de cuivre, que les Etrangers
troquent avec elles
toujours à leur avantage. Ils
demeurentende petites hûtes
où ils vivent avec leur
bétail fous un mesme couvert.
Ils n'ont ny lit,nysieges,
ny meubles, & s'asseient
sur leurs talons pous se reposer.
Ils nevont vers la Mer
,
que lors qu'ils sçaventqu'il
est arrivé quelque Navire,
& qu'ils peuvent troquer
leur betail. Ils ont aussides
peaux de Lyon, de Boeuf, de
Leopard, & de Tigre, qu'ils
donnent pour des Miroirs,
des Couteaux
,
des Cloux,
des Marteaux,des Haches,
& autres vieilles ferrailles..
Il est malaisé de découvrir
l'estat du Païs au dedans, ôc
les richesses qu'on y peut
trouver,àcause que les GouverneurHollandoisont
fait
faire ferment à tous ceux
qu'ils ont menez avant dans
les Terres, de n'en reveleraucune
chose,On a sçeud'un
Homme quia demeurelongtemps
dans la Forteresse que
depuis quelques années le
Gouverneur avoir esté avec
bonne escorte à plus de deux
cens cinquante lieuës pour
faire la découverte du Pays;
qu'ilavoir trouvé par tout
des Peu ples traitables, ôc
assezbienfaits, les Terres
fort bonnes & ca pables de
-
toute sorte de cu lture, ôc
qu'il y avoit ~desMi d'or,
de fer, & d'une espece de
cuivre où il entroit une septiéme
partie d'or. Onles
trouva chantans & dançans
& ilsavoient des manieres
de Flustes qui estoient sans
trous. Elles estoient creuses,
& une espece de coulisse
-
qu'ils haussoient ou baissoient
avec leurs doigts, faisoit
la diference des tons.
Ce Gouverneur avoit esté
conduit par un Cafre, & ce
Cafre ayant aperçeu deux
hommes de grande taille fqouri.s ven.oien,t à eux, s écria
alarmé
y
qu'ils estoient
perdus, & qu'il voyoit les
deux plus grands Magiciens
du Pays. Le Gouverneur
4
répondit qu'il estoit encore
plus grand Magicien qu'eux,
& qu'il ne s'étonnait point.
Les pretendus Magiciens s'étant
avancez, il sir aporter
un verre remply d'eau de
vie.On y mit le feu,& il lavala.
Ces Malheureux furent si
épouvantez d'un pareil prodige,
qu'ils prirent le Gouverneur
pour un Dieu, & Ce
mirent à genoux pour luy
demander la vie. Les Hollandois
ont fait un nouvel
établissèment au Cap. Il est
au bord de la Mer; mais ils.
le tiennent secret, ne vouIant
pas que les autres Nations
quiviennent s'y rafraischir,
en ayent connoissance.
Ce Cap est l'extremité de la
terre ferme d'Afrique, qui
avance dans la Mer vers le
Sud, à trente-six degrez au
delà de la Ligne.Cette extremité
de terre fut nommée
Cabo de Boa Speranza
, par
Jean II. Roy de Portugal,
fous lequel Barthélémy Dias
la découvriten1493 Ce Prince
la fit appeller ainsi à cause
qu'il esperoit découvrir
en fuite les richesses des Indes
Orientales, & les autres
Nations luy ont confirmé,
ce nom, parce qu a près que
l'ona doubléle Cap, quiest,
presque en distance égale de
deux mille cinq cens lieuës,
entre l'Europe & la Coste la
plus Orientale desIndes,on
a toute forte d'esperance de
pouvoirachever ce grand
Voyage.
Les Malades estant guéris
-' on fit du bois& de l'eau, on
acheta toutes les provisions
que l'onjugea necessaires
- pour aller à Batavia,& l'on
remit à laVoile le 7. de Juin,
après les Saluts donnez &
rendus de part & d'autre
comme onavaitfait en arrivant.
Cette seconde traver- senefut pas si douce que
la premiere. Les vents furent
violens,& la tempeste separa
la Fregate la Maligne du
Vaisseau de Mr l'Ambassadeur
,sans quelle pust le rejoindre
qu'auprés de Batavia.
Le 5. de Juilleton découvrit
l'Isle de Java,
-
& le 16. on
moüilla prés de Bantam. La
longueur del'Isle de Java est
de cent cinquante lieuës,
mais on n'a pas encore bien
sceu quelle est sa largeur.
C'est ce qui a fait croire à
quelques uns quecen'estoit
pas une Ble; mais qu'elle faisoit
partie du Continent que
l'on connoist fous le nom de
terre Australe au près du Détroit
de Magellanes. Les Habitans
pretendent que leurs
Predecesseurs estoient Chinois,&
que ne pouvant sousfrir
la trop severe domination
du Roy de la Chine, ils
passerent dans l'Isle de Java.
Ontrouveeneffet que les Ja- 1
vansontle front& les. machoires
larges,& les yeux pe- l
tits comme lesChinois. Il n'y t
àpresquepoint de Ville dans
Java qui n'ait son Roy, &
tous ces Rois obeissoient autrefoisà
un Empereur mais
depuis environ quatre-vingt
ans,ils ont aboly cette Souveraineté
,
& chacun d'eux
est indépendant. Celuy de
Bantam est le plus puissant.
de tous. La Ville qui porte ce
nom, estau pied d'une Montagne
de laquelle sortent
trois Rivieres,dont l'une traverse
Bantam
,
& les deux
autres lavent ses murailles y
mais elles ont si peu d'eau.
qu'aucune des trois n'est lia.
vigable.LesHollandois sont
maistres de cette Place depuis
peu d'années. Le Roy
de Bantam ayant cedé le
Royaume à son Fils, ce Fils
maltraita d'abord tous ceux
qui avoient esté considerez
de son Pere. Le vieux Roy
l'ayant appris luy en fit faire
des reprimandes, & le Fils
pour s'en vanger, fit massacrer
tous ces malheureux. Ce
différentalluma la guerre
entre le Pere & le Fils, & ce
dernier fut chassé. Dans cette
disgrace
,
il demanda du
secours aux Hollandois qui
le rétablirent & mirent le
vieux Roy dans une Prison
où ils le tiennent encore.
Tout se faitaunom du jeune
Roy
,
qui ay ant une grosse
GardeHollandoisetoujours
avec luy pour l'observer, n'a
pc pouvoirqu'autant que les
Hollandoisluy en laissent.
Le Vaisseau de Mrl'Ambassadeurn'entra
point dans le
Havre de Bantam, mais on
le laissa pas de prendre tous
es rafraichissemens. dont on
ut besoin
,
& ils furent apportez
à bord par ceux du
Pays. - -¡"., -,,-'-'f.
Le 18. on arriva devant Batavia
,
où l'on demeura sept
jours pour soulager les Malades
que l'on mit à terre.
Cette Ville est située à douze
lieuës de Bantam
, vers le
Levant dans une Baye
,
qui
estant couverte de quelques
petites Isles du costé de la
Mer, fait une des plus belles
rades de toutes les Indes.
Ce n'estoit d'abord qu'une
Loge que les Hollandois avoient
à Jacatra
,
& que le
Roy de ce nom leur avoir:
permis de bastir à causedes
avantages qu'il tiroit du de j
bit des Epiceries qu'ils y venoient
acheter. Le Roy de
Bantam leur avoit aussi permis
de bastir une Maison ou
Loge dans son Royaume,
pour y laisser les Facteurs qui
devoient veiller à la conservation
des Marchandises
dont ils trafiquoient. La
mesme permission avoit esté :
donnée aux Anglois, malgré
la repugnance qu'avoient les
Javans de souffrir aucun établissement
aux Estrangers
dans leur Isle, par lacrainte:
où ils estoient qu'ils ne les
traitassentavecla mesme rugueur
que les Portugais avoient
exercée contre les
Rois Indiens qui les avoient
receus chez eux. Les Traitez
que les Hollandois avoient
faits avec ceux de Jacatra &
de Bantam
,
regloient les
Droits d'Entrée &de Sorcier
mais comme ils haussoient
ces Droits àmesurequ'ils
voyoient que le Commerce
devenoit necessaire aux Etrangers,
la mauvaise foy
qu'ils eurent
5
obligea les
Hollandois à fortifier peu à
peu leur Loge de
-
Jacatra,
pour se mettre à couvert de I
la violence que leur pourroient
faire les Barbares
quand ils voudroient se
mettre à couvert de ces injustices.
LesIndiensnes'en
apperçeurent que lors que
la Loge futen estar de desense,
& ne pouvant plus se
décharger des Hollandois
par laforcey ils se servirent
de l'occasion de la mauvaise
ntelligence où ils les virent
Lvec les Anglois, & quiéclaa
principalement batNaval au Com- qui se donna entre
ux le 2. Janvier 1619. entre
acatra & Bantam. LaFlote
Angloise qui estoit d'onze
Ramberges
,
maltraita la
Hollandonise j , qui n'estoit,
composée que de sept Navires.
LesHollandoiss'étantretirez,
le Roy de Jacatra assiegea
leur Fort, auquel ils avoientdonné
le nom de Batavia.
Il se servit des Troupes
Angloises,qui après un Siege
de sixmois,furent contraintes
de l'ab andonnerles Hollandois
ayant renforce leur Flote,
des Navires qu'ils avoient
dans les Moluques. Le Roy
de Jacatrarejetta inutilement
sur lesAnglois la cause de ces
desordres, Le General Hollandois
se paya point de ces
excuses; Il fit débarquer ses
gens au nombre d'onze cens
hommes, attaqua la Ville de
Jacatray la prit de force, &
y fit mettre le feu. Aprés ce
succez,les Hollandoisacheverent
les Fortifications de
leur Loge, & en firent une
Place reguliere, à quatre Bâstionsrevestus
de pierre,bien
fossoyée&palissadée avec
ses demy-lunes, redoutes, ôc
autres Ouvrages. Le Royde
Matran
,
quiestoitcomme
l'Empereur de toute rIfle..
assiegea le Fort en 1628.& s'étant
logé fous le Canon, fit
donner plusieurs assauts à la
Place, mais il fut enfin contraint
de lever le Siege, aussibien
que l'année suivante,
& depuiscetemps là les Hollandois
y akr- étably leur
-
commerceavec lesChinois,
Japonois, Siamois, & autres
Peuples Voisins
,
se failanc
payer dix pour cent pour les
droits de laTraite-Foraine,
de toutes les Marchandises
qui s'y débitent. Ils sont
maistres de toute la Canelle
&du Clou deGirofle quiest
dans I
dans le monde,&envoyent
tous les deux ans un Vaisseau.
au Japon; mais ils n'ont presque
point de liberté en ce
lieu là. Si-tost queleurs Vaiffeaux
y sont arrivez, on 1.
prend leurs Voiles, leurs Agrés,
& tous lesMasts qu'on
met ians unMagasin &
quelque
tempsqu'il
puisse
Faire,on les oblige à partir au
OUI; qui leur est marqué.
Le Directeur du Comptoir
l'y peut estre que trois ans. 1
^.infi il y en a toujours trois,
'un quiva,l'autre qui revient,
( le dernier qui demeure.
On ne souffre point qu'ils
aillent dans le Pays, mais Us?
en rapportent tantde riches
ses, qu'ilssesoûmettent sans
peine à ce qu'on exige d'eux.
Le General Hollandois qui ij
està Batavia,n'est pas moins
puissant qu'un Roy. Quoy
qu'on ne l'élise General que 3
pour trois ans, l'élection se 5
confirme
,
& il est toujours 2
continué. Il a une Garde à i
pied & à cheval. Ses apoin- -
temens sont de quarre mille
francs par mois, & il prend h
tout ce qu'il veut dans les
Magasins sans rendre comp- -
se de rien. Il y a six Conseillers
ordinaires qui font toules
choses
,
& quand il en
meurt quelqu'un,c'est luy
qui luy nomme un Succes-
,- seur fous le bon plaisir de la
Compagnie.Son choix en elt
toujoursapprouve. Il yaaussi
des Conseillers extraordinaires
,mais quand on prend
leurs avis, on ne compte
point leurs voix, si ce n'est
sqeuil'lielrms anque un des six Conordinaires.
Ils sont
tous logez dans la Forteresse.
La Compagnie a dans ce
Pays-là plus de deux cens
Vaisseaux qui font tout le tra- 1 fie de l'Orient.Ondit que
les Hollandois y peuvent l
faireune armée de plus, de
cinquanteVaisseauxdeGuer- '-
re. Ils ont six Gouyernemens
Généraux, desquels dépendent
tous les Gouvernemens
particuliers de leurs Places,
& par consequent tous les
Comptoirs & Loges qu'ils
ont la en tresgrand nombre,
& dans tous les lieux où ils
croyent pouvoir trafiquer.
Mr l'Ambassadeur receut
toutes les honnestetez possibles
de ce General des Hbllandois,
quil'envoya visiter
à bord 7 j , &luy -Et porter toutes
fortes de rafraichissemens.
Quoy qu'il se fust excusé
de sortir de sonVaisseau,
comme il l'en, avoir fait
prier, il ne laissa pas de defcendre
à terre Incognito, ôc
d'aller voir les beaurez de
Batavia. Après avoir donné
quelques jours aux Malades
que l'air de la terre guerit en
fort peu de tem ps, il resolut
de poursuivre son Voyage;
mais comme aucun des Pilotes
n'avoit esté à Siam, il en
prit un du Payspour passer
le Détroit de Banca qui est
dangereux. Ce fut là que la
Fregate la Maligne le rejoignit
, ce qui fut à tous un
fort grand sujet de joye. Peu
de jours aprés, Mr d'Arbouville
Gentilhomme de Normandie
,mourut dans cette
Fregate, & il fut jetté à la.
Mer avec les ceremonies ordinaires
dans ces-tristes occa
fions. Les deux Mandarins
que l'on remenoit de France
à Siam
,
n'avoient sorty que
deux fois du trou où ils s'etoient
mis dans le Vaisseau
pendant tout y ce long Voyage
,
mais lors que l'on commença
a voirdeshommes
noirs vers ce Détroitde Banca,
ils monterentsur letillac,
& donnerent de grandes
marques de joye.
Le 3. de Septembre on repassa
la Ligne, & enfin le 14.
du mesme mois on moüilla
à la Barre de la Riviere de
Siam, qui est une des plus
grandes de toutes les Indes.
On l'appelle Menam, c'est à
dire, Mere des Eaux Elle
n'est pas bien. large , mais
elle est si longue, qu'on dit
qu'on n'a pû encore monter
jusqu'a sa source. Son cours
est du Nord au Sud.Elle f
passe par les Royaumes de
Pegu & d'Auva, & en suite
parceluy de Siam. Elle a
cela de commun avec le Nil,
qu'elle se déborde tous les
ans, & couvre la terre pen
dant quatremois. En s'en
retirant, elle y laisse un limonquiluy
donne lagraisse
& l'humidité dont elle a be.
foin pour la production du
Ris. Elle se dégorge dans le
Golse de Siam par trois grandes
embouchures, dont la
plus commode pour les Navires
& pour les Barques est
la plus orientale, mais ce qui
la rend presque inutile,c'est
uu Banc de sable d'une lieuë
d'étenduë, qui est vis-à-vis
de laRiviere,& qui n'a que
cinq ou six pieds d'eau avec
la basse Marée.Lahaute y
en amene jusqu'à quinze ou
seize; maiscen'e st pasassez
pour les grandsNavires qui
demeurent ordinairement à
la rade à deux lieuës de ce
Banc. Ils y sont en seureté,
& ont en tout temps six
brasses d'eau.Ainsi le Vaisseau
de Mrl'Ambassideur
demeura à cette rade, & la
Fregate qui prenoit moins
d'eau, passa sur le Banc avec
la Marée. Quand on l'apafsé
on peut entrer dans la Riviere
jusques à BancoK, qui
est une Ville éloignée dela
Mer de six lieuës. Celle de
Siam en cil: à vingt-quatre,
Si-tost qu'on eut mouillé à
cette embouchure, Mr le
Chevalier de Chaumont envoya
Mr Vachet, Miffionnaire
Apostolique, qui estoit
venu en France avec les
Mandarins de Siam
,
donner
avisdeson arrivéeàMr l'Evêque
de Metellopolis. Cette
nouvelle causa une extrême
joye au Roy de Siam. Il ordonna
aussi-tost qu'on prearast
toutes choses pour saie
une magnifiquereception
L Mr l'Ambassadeur, & nomna
deux Mandarins du prenier
Ordre pour luy venir
aire com pliment à bord.
C'est ce qu'apprit MrleChevalier
de Chaumont par Mr
Evesque de Metellopolis,
qui vint à bord le 29. avec
Mrl'Abbé de Lyonne. Cét
Abbé estoit passé à Siam en
581. avec Mr l'Evesque d'Heliopolis,
dont il y a quelques 1
mois que je vous appris la
mort. Son zeleestconnue,&
l'on peut juger par là dufruit
qu'il a fait en travaillant à la
Conversion desInfidelles.Le
lendemain les deux Mandarins
vinrentsaluer Mr l'Ambassadeur.
Il les receut dans
sa Chambre
,
assis dans un
Fauteüil
,
&ils s'assirent à la
mode du Pays sur des Carreaux
qui étoiét surle Tapis
de pied. Ilsluy marquerent
1 la joy e que le Roy leur Maîtreavoit
de sonarrivée,& dirent
qu'on luy avoir donné
une agréable Nouvelle,en
luy apprenant quele Roy de
France avoit vaincu tous ses
Ennemis, & donné ensuite
la Paix à l'Europe. Cette Audience
finie, on apporta du
Thé& des Confitures,& l'on
tira neufcoups de Canon à
leur sortie du Vaisseau.
Le I. d'Octobre,MrConstanceFavory
duRoy,envoya
son Secretaire avec des rafraichissemens
en si grand
nombre, qu'il y en eut pour
nourrir tout l'Equipage pendant
quatre jours. Mr Constance
est un homme d'un
fort grand merite, qui s'est
élevé par sa vertu au porte
où il est. Il est Grec,de Mie
de Cefalonie
,
& fut pris petit
Garçon par un Vaisseau,
où il fut fait Mousse. C'est
le nom qu'on donne à de
jeunes Matelots qui fervent
les gens de l'Equipage. On
le mena en Angleterre,&
il continua le service dans
les Vaisseaux. Il passa aux Indes,&
de degré en degré, il
devint enfin Capitaine de
Vaisseau. Il alloit à la Chine,
& au Japon, où il trafiquoit
pour le compte des Marchands.
La tempesteluy
ayant fait faire naufrage à la
Coste de Siam
,
il fut contraint
de semettreau service
du Barcalon, qui est un des
six grands Officiers de ce
Royaume. Son employ consiste
dans l'administration
des Finances. Le Roy de
Siam avoit alors un grand
démeslé avec ses voisins,
touchant un compte par lequel
on pretendoit qu'il demeuroit
redevable de fort
grosses sommes Les Siamois
n'entendent pas bien l'Arithmetique.
Mr Constance de-
-
manda à examiner tous les
Papiers que le Barcalon a-
, voit entre ses mains
,
& il
rendit le compte sinet, qu'il
fit connoistre non seulement
que le Roy de
-
Siam ne devoit
rien
,
mais que l'autre
Roy luy devoit des sommes
tres -
considera bles. Vous
pouvez juger dans quellefaveur
il se mit par là. Le Barcalon
estant mort peu de
temps aprés, le Roy le prit
JL son service ,&il est presentement
tout puissant dans
cet Estat. Il n'a voulu accepter
aucune des six grandes
Charges
,
mais il est sort diffusde au
tous ceux qui les
exercent
,
& il seroit dangereux
dene luy pas obeïr. Il
parle au Roy quand il veut, -
c'est un privilege qui luyest
particulier. Laprincipalede
ces grandes Charges rend
celuy qui la possede comme
Viceroy de tout le Rovau--»
me.elleest presentement
exercée par un Vieillard pour
cjm le Roy mesme a grand
:*e{peâ.-Il est son Oncle & a"
ïsté son Tuteur. Ce Vieilard
estsourd
,
& on luy par- eparile moyen d'uniennp
homme que l'on sait entrer,
& quien criantfort haut,
luy fait entendre ce qu'il faut
qu'il sçache. C'est un homme
de tres-bon sens, & on
s'est toûjours bien trouvé de
ses avis.
Le 8. Mr l'Evesque de Metellopolis
revint à bord avec
deux Mandarins plus qualifiez
que les premiers, qui furent
receus & saluez de la
>•
mesme forte. Ils venoient j
s'informer au nom du Roy
de la santé deMrl'Ambassadeur,
& l'inviter de descendre
à terre. Aprèsqu'ils furent
sortis du Vaisseau, cet
A mbassadeur se mit dans son
Canot, & sur le soir il entra
dans la Riviere avec les per-
»
sonnes de sa fuite, qui avoient
trouvédes Bateaux du
Roy pour les amener. A l'entrée
de cette Riviere estoient
cinqBalons sortmagnifiques
que le Roy avoit envoyez
pour le conduire à Siam. Ce
sont des Bastimens faits d'un
seul arbre. Il y ena qui ont.
cent pieds de longueur, &,
qui n'en ont que huit on
neufpar le milieu,quiest
l'endroit le plus large,& dans
lequel il y auneespece de
Trône couvert. Mrl'Ambassadeur
coucha ce soirlaà
bord de la Maligne, qui étoit
entrée dansla Riviere quelques
jours auparavant.
-
Le 9. deux nouveaux Mandarins
vinrent recevoir ses
ordres. Ils estoienthabillez
comme les autres, avec une
maniere d'écharpe fort large
depuis la peinture jusqu'aux
genoux, sans estre plissée.
Elle estoit de toile peinte,
& tomboitcomme une culote
Il y avoit au bas une
bordure fort bien travaillée,
!& des deux bouts de l'écharpe,
l'un passoit entre leurs
jambes, l'autre par derriere.
- Depuislaceinturejusqu'en
haut,ilsavoient une maniere
de chemise deMousseline
assez ample, tombant par
dessus l'écharpe, & toute ouverte
par le devant. Les
manches venoient un peu
au dessous du cou de
,
& étoient
passablement larges.
~ls avoient la teste nuë
,
ôc
~stoient sans bas & sans souiers.
La plus part de leurs
~alets n'avoient que l'éharpe
& point de chemise.
Onze Bateaux arriverent dej
Siam chargez de toutes sor- ni
tes de vivres. Mr Constance j
les envoyoit de la part du j
Roy,qui luy avoit ordonné t
de faire fournir aux Equipagestoutes
leschoses dontils
auroietbesoin pour leur sub- fl
sistance,pendant leur séjour.
Mr l'Ambassadeur s'étant "a
i < -
mis dans un Balon partità *'j
sept heures du marin, & apres
avoir fait cinqlieuës,
il arriva dans une Maison
bastie de Bambous, qui est
un Bois fort leger, & couverte
de Nates assez propresm
Il y avoir plusieurs Chambres
toutes tapissées de toiles.
peintes. Les Meubles en estoient
fort riches, & tous les
Planchers estoient couverts
de tres-beauxTapis. La
Chambre deMrl'Ambassadeur
estoit meublée plus
magnifiquement que les autres.
Il y avoir un Dais de
toile d'or, un Fauteüil doré,
&un tres- beau Lit. Deux
Mandarins, & les Gouververneurs
de BancoK& de
Pipely le receurent en cette
Maison, qui avoir esté bâtie
expres, ainsique toutes les
autres-où il logea jusqu'àson
arrivée à Siam. Il fautaussi
remarquer que les Meubles 1
de toutes ces Maisons estoient
neufs, & n'avoient
jamais servy. Il y eut un
grand Repas, aussi abondant
en viandes qu'en fruits.
Apres que l'on eut disné, Mr
l'Ambassadeur se remit dans
sonBalon, & arriva le soir à
BancoK, qui est la premiere
Place du Royaume de Siam
sur la Riviere. Un Navire~
Anglois qui se trouva à la
rade, le falüa de 21. coups de
Canon, & les deux Forteresses
ses qui sont des deux costez
de cette Riviere, tirerent
l'une 31. coups de Canon &
l'autre29. Il logea dans l'une
de ces Forteresses, en unf
Maison fort bien bastie, &",
que l'on avoit richement
meublée. Il y fut traité avec
la mefime magnificence.
Il partit le 10. à huitheures
du marin, & receut des Forteresses
le mesme salut qu'à
on arrivée. Il fut complimenté
avant son départ, par
eux nouveaux Mandarins
ui l'accompagnerent avec
~us les autres,auffi- bien que
le Gouverneur de Bancok.
Il trouva de cinq lieuës enn
cinq lieuës de nouvelles
Maisons toujours tres-commodes
,& fort richement
meublées
,
& arriva le 12. à"É
deux lieues de la Ville de
Siam. Il avoit plus de cinquante
Balons à sa suite, de i
cinquante jusqu'à cent pieds
de longueur, & depuis trente
jusqu'à six-vingt Rameurs..
Ilssontassis deux sur chaque *
banc,l'un d'un costé, & l'au-
-
tre de l'autre, le visage vers 2
le lieu où ilsveulent arriver..
Leurs rames sont longues de *
quatre pieds, lapluspart dorées,&
ils fatiguét beaucou p
enramant de cette forte. Il
- faut cependant fort peu de
chose pour les contenter.On
leur donne du ris qu'ils font
cuire avecde l'eau, &quand
on y ajoûte un peu de poisson,
on leur fait grand' chere.
Dans tout ce passageon rendit
à Mr l'Ambassadeur les
mesmes honneurs que l'on
rend au Roy. Il ne demeura
pei sonne dans les Maisons,
& comme toute la Campagne
estoit a lors inondée,tout
le monde estoit prosterné
dans desBalons, ou ssir<
des monceaux de terre élevez
à fleur d'eau,& chacun
avoir les mains jointes proche
le front. Devant toutes
les Maisons & Villages, il y
avoir une espece de parapet,
élevé de sept ou huit pieds
hors de l'eau avec des nates.
C'est ce qu'ils observent lors
que leRoy passe. Ils se jettent
le ventre contre terre, & par
respect ils n' osentjetter les
yeux sur luy. J'ayoublié de
vous dire que toutes les
Maisons où Mr l'Ambassadeur
logea, estoient peintes
derouge,ce qui est particu
lier aux Maisons du Roy.
On y faisoitgarde pendant
lanuit, & ilyavoit des feux
tout autour.
Le 13. Mr m'Ambassadeur
fit prier le Roy de luy vouloir
envoyer quelque personne
de confiance avec
qui il pust s'expliquer, parce
que les manieres de recevoir
les Ambassadeurs des Roys
d'Orient
,
estoient differentes
des Ceremonies que l'on
devoit observer en recevant
un Ambassadeur du Roy de
France. Mr Constance vint
à bord le lendemain
,
& ils
convinrent ensemble de
toutes choses.
Le 15 tout le Seminaire
de Siam vint saluer Mr le
Cheualier de Chaumont. Il
y avoit plusieurs Prestres venerables
par leur grande
barbe, & quantitéde jeunes
Chinois, Japonois, Cochinchinois,
Siamois & autres,
tous en long habit, & avec
une modestietres-édisiante.
Les uns sont dans les Ordres
Sacrez,&les autres aspirent
a y entrer.
Le 16. les Deputez de toutes
les Nations établies à
Siam au nombre de quarante
deux, le vinrentcomplimenter.
Ilsestoient tous habillez
à leur maniere, ce qui
faisoit un effet tres. agréable.
Lesunsavoient desTurbans,
les autres des Bonnetsàl'Arménienne,
ceux-cy des Calotes,&
quelques-uns des Babouches
comme les Turcs,
Il y en avoit qui estoient
teste nuë ainsi que les Siamois,
parmy lesquels ceux
qui font d'une qualité distingllée,
ont un Bonnetcomme
celuy d'un Dragon. Ilest
faitde Mousseline blanche,
& se tient toutdroit. Ils l'arrestent
avec un ruban qu'ils
passent tous leur menton.
Le 17. Mr Constance vint
voirles Presens que Sa Majesté
envoyait nu Roy son
Maistre
,
&il amena quatre
Ballons magnifiques pour
les porteràSiam.
Le 18. Feste de S. Luc,
M l'Ambassadeur sedisposa
à son entrée dés le matin, &
il commença par offrir à
Dieu son Ambassade
,
puisqu'elle
n'avoit esté resoluë
que pour sa gloire. Il fit ses
Dévorions avec sa pieté ordinaire
,
& ensuite il alla
:rouver deuxOyas& quaante
Mandarins qui l'attenloienc
dans la Salie. Les
Dyas sont comme les Ducs -
n France. Il prit la Lettre
lu Roy, & la mit dans une
Boëte d'or, cette Boëte dans
ne Coupe d'or, la Coupe
~DUS une sous-Coupe d'or, &
exposa ainsi sur la table, ou
stoitun richeDais. LesOyas
les Mandarins se profernerent
les mains jointes
11* lefront, levisage contre
rre, & salüerent trois fois
la Lettre en cette posture-
C'est un honneur qui n'avait
jamais esté rendu dans
ces fortes de Ceremonies.
Cela estant fait, Mr l'Ambassadeur
prit la Lettre avec
le Vase, le porta septouhuit
pas & l'ayant donné
à Mrl'Abbé de Choisyqui
marchoit un peu derriere.à
sa gauche,
il alla jusqu'a la
Riviere, où il trouva un Ba-
Ion très-doré
,
dans lequel
estoient deux grands Mandarins.
Alors il reprit la Lettre
du Roy, des mains de M
l'AbbédeChoisy,laportajusue
dans ce Balon & l'ayant
onnée à l'un desdeux Man-
~arins, ce Mandarin la mit
iixs un Dais fort élevé en
pince & tout brillant d'or.
* Balon où cette Lettre tmise
,
suivit ceux qui
~rtoient les Presens du Royeux
autres estoient de cha-
~e cofté
, & il y avoit.
~ux Mandarins dans chaa
pour garder la Lettre.
~tit autres Balons de l'Estat
Siam, tous fort magnifies
,
suivoient ceuxcy ,
Ôc
cedoient un tres -
super-
Balon où Mr l'Ambassadeurestoit
seul. Mrl'Abbé
de Choisy estoit aussi feullli,
dans un autre, & il y en avoit
de vuides qui servoient
d'escorte à droit& à gauche.
-
En suite parurenr quatreautres
Balons, où estoient les
Gentilshommes & les Officiers
de Mr l'Ambassadeur.
Dans d'autres estoientles
Gens de saisuite, tous fort
propres, & accompagnez de 3)
Trompettes & de dix-huit
hommJ.es de livrée. Elle cftoit
fort magnifique,&frap- -<j
pa les Siamois plus que l'or n
des Juste-au-corps. LesNations
étrangeres furent du
Cortege, & l'on ne voyoit
que Balons sur la Riviere.
Les grands Mandarins marchoient
à la teste en deux
colomnes. Le Balon oùef-
~oit la Lettre du Roy & les
leux Balons qui la garloient
avec celuy de Mr
»Ambassadeur
,
tenoient le
milieu. Si tostqu'il fut arrivé
terre, la Ville le salüa
, ce
qui ne s'estoit jamais fait
pour aucun Ambassadeur. Il
~ortit de son Balon,& ayant
~epris laLettre du Roy, illa
pic sur un Char de Triomphe
qui l'attendoit, & quiu
estoit encore plus magnifï--que
que que le Balon. On le ~fiéd
monter dans une Chaise ~déJj
couverte, toute d'or, & ~quoi,
dix hommes porterent. M"i\
l'Abbé de Choisy fut ~portôr
dans uneautre. Les~Gentils-?
hommes & les ~Mandainen
suivoient à cheval, & les/j
Trompettes, & tous les ~Genen
de laMaison de Mr~l'Am-rr
bassadeur alloient à ~piecVj
en fort bon ordre. Les Na~x,l
tions suivirent aussi à ~piedhz
On marcha de cette ~fortor;
dans une ruë assez longue, &&
largeà peu pres comme la
ruëdeS Honoré.Elleestoit
bordée d'arbres, & dune
double file deSoldats, le Pot
enrested'un metaldoré, leBouclier & ferentes au bras avec dif- armes, Sabres, Piques,
Dards, Mousquets,
Arcs & Lances. Ils estoient
nuds pieds., & avoient une Chemise rouge, avec une Echarpe de toile peinte qui leur servoit de culote, com-
~me j'ay déja marqué. Des Tambours sonnant comme des Timbales, des Musettes,
des manieres de petites Cloches,&
des Trompettes qui
nerendoient qu'un son des
Cornet,formoient une har- -
monieaussibizarre qu'extraordinaire.
Apres avoir passé
-
u
par cette ruë, on arriva dans 21
une assez grande Place. C'es- -
toit celle du Palais. On ~n
voy oit des deux costez plumesieurs
Elefans de guerre, & :),
des hommes à cheval habil- - lez à la moresque avec la
-
Lance à la main. Les Na- ~-
tions avec tout le restedu Il
Cortege,quitterent M'l'Am- -e
bassadeur en ce lieu là , à la Li
reserve de ses Gentilshom- -1
mes. Avant que d'entrer ij
dans lePalais, il prit la Lettre
du Roy qu'il remit entre les
mains de Mrl'Abbé de Choi-
(y. En suite on marcha à
pied fort gravement. Les
Gentilshommes & les Ovas
alloient devant en bon ordre.
On traversa plusieurs
Courts. Dans la premiereil
y avoit deux mille Soldats le
Pot en reste, & le Bouclier
lOfé) ayant devant eux leurs
Mousquetsfichez en terre;
ls estoient assis sur leurs taons.
Dans la seconde par~
uurreenntt tcrrooiiss cens CChheevvaauuxx-.
~en Escadron, avec plus de
quatre-vingts Elefans, & :
dans la derniere estoient : quantité de Mandarins le
visage en terre, & soute-
-
nu sur leurs coudes. Il y >
avoit six Chevaux dont 3
tout le harnois estoit d'une e
richesse que l'on auroit peine
à exprimer. Brides,Poitrails,
( Crou pieres,Courroyes
, tout 3
estoit garny d'or,& par des- -
sus il y avoit un nombre infiny
de Perles,de Rubis&de 3
Diamans, en sorte qu'on ne s
pouvoit voir le cuir. Les 2:
Estriers estoient d'or,& les v
Selles d'or ou d'argent. Ils EJ
avoient des anneaux d'or
aux pieds de devant
, &
estoient tenus chacun pardeux
Mandarins.On y voioit
aussi plusieurs Elephans richement
enharnachez,comme
des Chevaux de Carrosse.
Leur harnois estoit de velours
cramoisy avec des boucles
doréesLorsquel'on fut
arri vé auxdegrez de la Salle
destinée pour l' Audience,
Mr l'Ambassadeur s'arresta
avec Mr Constance qui l'cf---
toit venu trouver, pour donner
le tem ps à ses Gentilshommes
d'entrer avant luy
dans cette Salle. Ils y entrerent
à la Françoise, & s'assirent
sur de superbes Tapis,
dont tout le plancher estoit
couvert. Les Mandarins &
tous les Gens de la Garde se
placerent de l'autre costé, &
pendant ce temps le Barca-
Ion dont on n'avoit point
encore entendu parler, entretenoit
Mr l'Ambassadeur
au bas du degré. Il luy dit
qu'a la nouvelle de son arrivée
ala Barre de Siam, il avoit
eu envie de l'aller trouver,
mais que les Affaires de
l'Estat ne luy en avoient
point laissé le temps. Ce
compliment estoit à peine
~Un y
>
qu'on entendit les
Tronl pettes&les Tambours
~lu dedans. Les Trompettes
lu dehors répondirent à ~niit,quifaisoitconnoistcree
~ue le Roy montoit à son
~trône. En effetil parut dans
e moment, & à mesme
~nips tous les Mandarins se
~ofternerent" pat terre les
ains jointes, suivant leur
~»ultumé.' Les François le
~üerenr, mais sans se le.
~r de leurs places. Alors
~Confiance&leBarcalpn.
entrerent dans la Salle les
pieds nuds
,
& en rampant
sur les mains & sur les genoux.
Mr l'Ambassadeur les
suivit
, ayant à sa droite Mr
l'Evesque de Merellopolis,
&à (a gauche M l'Abbé de
Choisy
,
qui portoit le Vase
où estoit la Lettre du Roy.
On tient qu'il pesoit du
moins cent livres, & il l'avoit,
toûjours eu entre les.
mains depuis qu'on l'avoir
tiré du Char de Triomphe.
Il estoit en habit longavec
un Rochet, & son ~manteaux
par dessus.Mrl'Ambassadeurs
osta son chapeau sur le dernier
degré dela Salle, & appercevant
le Roy dés qu'il
fut entré,il fit une profonde
\- reverence. Mr l'Abbé de
Choisynefalüa pas , parce
qu'il portoit la Lettre du
Roy.Ilsmarcherent jusqu'au
milieu de la Salle
, entre les
François assis sur les ta pis dit
Plancher & deux rangs de
grands Mandarins prosternez,
parmy lesquels il y avoit
deux Fils du Roy de
Chiampa
,
& un Frere du
Roy de Camboie, Mr l'Ambassadeur
fit une seconde reverence
,& s'avançant toujours
vers le Trône; lors
qu'il fut proche du lieu où
estoituneChaise à bras
qu'on luy avoir preparée, il
en fit une troisième, & commença
sa Harangue,ne s'asseiant
Ôc ne mettant ion chapeau
qu'aprés en avoir prononcéle
premier mot. Il dit
au Roy de Siam
,
£hte le Roy
son Maistre, fameux par tant de
Victoires, & par la paix qu'il
avoit accordée tant de fois à jes
Ennemis, luy avoit commandé
de venir trouver Sa Majesté aux
extremitez de l'Univers
, pour
luyi
w
wy pfeflnter des marques de jon
ejftme, er l'afj-rcr de son amitié
; mais que rien nefloit plus ca..
fable d'unir deux sigrands Princes
t que de vivre dam les fntinjem
dune mtfrne croyance; que cestoitparticulièremint ce que le
Roy son Maiflreluyavot recommandé
de rrpYl/ enter à Sa
Al.siesté
;
Quele Royleconjuroit
Par l'interef}quilpi non: à ra
véritable gloire
)
de co?1.fidrer
tjue cettesuprême A/fcjefit dont il
ijloit revcjîu sur Li Tcrre
, ne
wàuvoit venirque 'u vr yT)iru dire, du Di u Tout puiss
ant ,
Eternel Infiny
,
tel que
Ses Cbreftiens le reconnoijfent*
qui seulfait regner les Roys,&
réglé lafortune de tous les Peuples
; Que c'efloit à ce Dieu du
Ciel & de la Terre qu'ilfalloit
soumettre toutessesgrandeurs,
non a ces 'Vi'Vinitez qu'on adore
dins l'Orient,rItr dont Sa Maje/
lequi avoittantde lumierese
de pénétration
, ne pouvoit manquer
de voir l'impmjfance. Il finieen
disant,quelaplus agreableNouvelle
quil pourroit porter
au Roy [on Maigre
y
feroit que
Sa Majeftéperfuadée dela veri.
té,sifaisoitinstruire dms la ReligionCbrejhenne
; que cela cimenterott
a jamais iejnme &
iamitié entre les deux Rays ; que
iesFrançoisviendraient dans fort
Royaume avec plus d'empreffimentg)
de confiance,&quâinfi
ea Majefié s'attireroit un honheur
eternel dans le Ciel, après a.
suoit régnéavec rant de prosperité
surla Terre.
- Mr TAmbassadeurprononça
cette Harangue toûjours
assis,& sans oster son Chapeau
, que lors qu'il nommoit
quelqu'un des deux
Roys. Mr Confiance en fut
l'Interprete, & se prosterna
trois fois avant que de corn»
mencer. Aprés quoy M41le
Chevalier deChaumont prit
la Lettre de Sa Majesté des
mainsde Mrl'AbbédeChoisy.
Le Vase où onl'avoitenfermée,
estoit soustenu d'un
grand manche d'or de plus
de trois pieds de long. Ils'avança
jusqu'au Trône, qui
estoitune manieredeTribune
assez élevée dans une fenestre
de la Salle,& il presenta
le Vase sans hausser la
main. Mr Constance luy dit
qu'il prist la Coupe par le
baston, mais il n'en voulut
rien faire. Le Roy se mit à
rire
,
& s'estant levé pour
prendre le Vase, il se baissade
maniere qu'on luy vit
plus de la moitiédu corps. Il
regarda la Lettre qui estoit
dans une autre Boëte d'or
que ce Princeouvrit. Il avoir
une Couronne toute brillante
de gros Diamans, avec un
Bonnet comme celuy d'un
Dragon, qui se tenoit droit,
artaché à la Couronne. Son
Habit estoit une maniere de
Juste-au-corps d'un Brocart
d'or, dont le fond estoit UEP
rouge enfoncé. Ce Juste-aucorps
luy serroit le col & les
poignets, & aux bords il y avoitde
l'or&desDiamans,qui
faisoient comme un collier
& des bracelets.. Il avoit aux
doigts quantitéde Diamans.
LaSalle de l'Audience étoit
elevée de douze ou quinze
degrez.Elle estoit quarrée &
assez grande, avec des fenestres
fort baffes de chaque
coste. Les murs estoient
peints, & il y avoit de grandes
Fleurs d'or depuis le
haut jusqu'au bas. Le platfond
estoit orné de quantité
de Festonsdorez, Deux
Escaliers conduisoient dans,
une Chambre ouestoit le
Roy, & au milieu de ces Escaliers
estoit une fenestre
brisée, devant laquelle on
voyoit troisgrands Parasols
par étages qui alloient jusqu'auPlat
fond,l'étoffe estoit
d'or,& une feüille d'or couvroit
le baston. L'un de ces
trois Parasols estoit au milieu
de la fenestre, & les deux:
autres aux costez. Ce fut par
cette fenêtreque leRoyparla,
Mr le Chevalier de Chaumont
estant retourné en [a'v
place, apres avoir donné la
Lettre de SaMajesté, ce qui:
futune grande marque de
distinction pour l'Ambassadeur
du Roy de France, les
Roisd'Orient ne prenant
aucune Lettre desmains des
Ambassadeurs, Sa Majesté
Siamoiseluyditqu'Elle recevoit
avec grande joye desmarques
de l'estime&del'amitié
du Roy & qu'il luy
seroit fort agréable de luy
faire voir en sa personne
combien elles luy estoient
cheres. Apres celaMrl'Am-
-
bassadeur luy montra quelques
Presens du nombre de
ceux que le Roy luy enroyoit,
& luy- presenta Mr
'AbbédeCkoify5&lesGen-
- iishommes. Ce Prince luy
larIa des Ambassadeurs qu'il
voit envoyez dans le Soleil
Orient, & demanda des
ouTelles de la Maison
.oyale, & ce qui se passoit
n Europe. Mr FAmbanaeur
répondit que Sa Mailsatcée,
apresavoir pris la forte
de Luxembourg avoit
oligél'Empereur,, les Espanols,
les Hollandois, & tous
s Princes d'Allemagne à
gner avec luy une Tréve
3 *
: vingtans. Il fit encore
d'autres Questions sur lesquelles
Mr l'Evesque de Metellopolis
servit d'Interprete,
& apres que M l'Ambassadeur
y eut répondu, on tiraun
Rideau devant la Fenestre
de la Tribune. Ce fut par
là que l' Audience finit. Elle
dura plus d'une heure, &
les Mandarins demeurerent.
prosternez pendant tout cor
temps. Ils avoient tous un.
Bonnet,mais sansCouronne,
& chacun d'eux tenoit une
Boëte, pleine de Betel &
d'Areque, dont ils usentencore
plus que nous ne faions
icy de Tabac, C'estpar
diference de ces Boëtes.
u'on peut distinguer leurs
ualitez.
Au sortir de l'Au dience,
Mr l'Ambassadeur fut conuit
dans le Palais, où il vit,
Elefant blanc. On luy rend
e grands honneurs, & on.
regarde comme une Diviité.
Quatre Mandarins sont
ûjours aupresde luy. Deux
ennent un Eventail pour
nasser les Mouches, & les
eux autres un Parasol, afin,
empescherqu'il ne soit inommodé
du Soleil.Ilest
servyen Vaisselle d'or.
-
One
en éleve un petit qui sert
son Successeur.. Lors qu'il 1
besoin de se laver, on le .me-si
ne à la Riviere, & alors les
Tambours &les Trompetes
marchentdevantluy. Dans
l'endroit où on le lave, il )(
a une espece deSale couverte,
destinée pour cet usage
Il y a eu autrefois de grandesGuerres
pour l'Eléphant
bbllanc '1 f1. 1 1 ,v,
,
& il a cousté la vie iî i
plus de six cens mille personnes.
Le Roy de Pegu
ayant appris que cet,Animal
estoit possedé par le Roy
e Siam,luy envoya une
mbassade des plus solembiles
pour le prier de le
lettre à prix, s'offrant d'en
lyer ce qu'il voudroit. Ce
t en 1568. Le Roy de Siam
rant refusédes'en défaire
luydePegu leva une Arée
d'unmillion d'hommes
en aguerris
,
dans laquelle
y avoit deux cens mille
hevaux
,
nans cinq mille Ele- ,
& trois mille Chaeaux.
Quoy que Pegu soit
Digne de Siam de soixante
cinqjournées de Chaeau
,
il ne laissa pas avec
cetteredoutable Armée, de
venir amener son Ennemi
dans laVille Capitale. Il
prit& laruinaentierement
s'estant rendu Maistre de se
Trésors, de sa Femme & db
ses Enfans, qu'il emmena i
Peguavecl'Eléphant blancs
Le Roy de Siam se défen
dit jusques à l'extremité, &
voyant sa Ville prise
,
il fl
jetta du haut de son Palais
en bas, d'où il fut tiré crû
pieces. Quelques-uns écrin
vent que le Siege dura vingt
deuxmois,&que cette guerre
re couta plus de cinq cen
mille hommes au Roy de
Pegu. Jugezcombien il en
dût perir ducosté des Siamois.
Les Indiens trouventquelque
chose de Divindans l'Elesant
blanc. Ils disent que
ce n'est pas feulement à
cause de sa couleur qu'ils le
respectent, mais que sa fierté
leur fait connoistre qu'il veut
qu'on le traite en Prince,
Sr. qu'ils ont remarqué plurieurs
fois qu'il se fâche,
quand les autres Elefans
nanquent à luy rendre
'honneur qu'ils luy doivent.
Apres que l'on eut fait
voir cet Elefant à M l'Am—r
bassadeur, il fut conduit àssi
l'Hostel qu'on luy avoitpreparé.
Par toutoù il passa, illi
trouva des Elefans avec les
Soldats qui bordoient les
chemins en tres-bel ordre,s
Quelques Troupes,& plusieurs
Mandarins montez sur
des Chevaux ou sur des Elesans
magnifiquementenharnachez,
marchoient devant
luy, & grand nombres
d'autres suivoient par hon- -c
neur, Ainsi il ne manqua &r
rien à cette Entrée pour la d
rendre très superbe. Tous
Siam joüit de ce grand Spectacle,&
ce qu'il y eut de surprenant,
c'est que tout le
monde estoit prosterné,comime
si le Roy eust passé luymesme,&
cela sefitavecun
si grand respect, que l'onnentendoit
personne cracher,
tousser, ny parler. Les
ordres du Roy avoient elle
donnez pour cela, ce qu'il
n'avoit jamais fait pour d'autres
Ambassadeurs. Il est remarquable
que les Siamois,
Rapportent aucun desous en
laissant, & qu'on ne voir
parmy eux, ny Boiteux, ny
Bossus, ny Borgnes. S'il y a
quelques Aveugles, ils ne le 1
font que pour avoir estécon- j damnez à cette peine pour
quelque crime commis.
La Ville de Siam, que î
quelques uns apellentIndia J
d'autres Iudia, est la Capitale
du Royaume, & l'une des j
plus grandes & des plus peuplées
de toutes les Indes. Ses 1
Remparts sont environ de z
trois toises de hauteur,&elle
a des Bastions de toutes les aj
sortesde plats, de coupez & al
desolides. La Riviere deMenam
qui y coule enhuit enadroits,
y forme deux Isles,
Elle a plusieurs belles Ruës,
& des Canaux qui sont assez
regulierement tirez. La plus
belle est celledesMores. Ce - qu'ils a ppellent le Quartier
de la Chine est aussi tresbeau.
LesMaisons ne sont
pas laides, & il y en a sort
peu où l'on ne puissealler
enBatcau. Surtout les Temples
& les Monasteres sont
tres-bienbattis. Ils ont tous
les Pyramides dorées qui
ontun très bel effet de loin
;zs, Faux-bourgs, des deux
costez de la Riviere sont
pour le moins aussi grands
& aussi ornez de Morquées
& de Palais que la Ville mesme.
Celuy du Roy est d'une
si grande estenglue, qu'on
le pourroit prendre pour une
seconde Ville. Il ases Remparts
separez ,& les Tours
qui l'environnent en grand
nombre sontfort élevées,
& très-magnifiques..
Mr le Chevalier de Chaumont
trouva au lieu où il sur
conduit,des Mandarins qui
estoient degarde
,
& que
l'on avoit chargez defaire
fournir tout ce qui luy seroit
necessaire pour sa dépense.
Le 19. Mr Confiance fit assembler
tous les Mandarins
Etrangers
,
& leur declara
que le Roy son Maistre vouloit
qu'ils se rendissent tous àl'Hostel de Mrl'Ambassadeur
,
afin qu'ils fussenttémoins
de la distinction avec
laquelle il traitoit le Roy de
France, comme estant un
Monarque tout- puissant, &
qui sçavoit reconnoistre les.
donneurs qu'on luy faifoir.
Ces Mandarins répondirent
qu'ilsn'avoient jamais veu
d'Ambassadeur de France;
mais qu'ils estoient fort persuadez
que cette distinction
estoit deuë à un Prince aussi
grand, aussi puissant, &
aussi victorieux que celuy
qui regnoit sur les François,
puisqu'il y avoit long-temps
que ses Victoires estoient
connuës par tout l'Orient.
Ils allerent aussi-tost salüer
Mr l'Ambassadeur, & le mesme
jour Mr l'Evesque de
Metellopolis se rendit au
Palais où le Roy l'avoit mandé
pour interpreter la Lettreque
Mr le Chevalier de
Chaumont luy avoir donnée
e jour precedent. Envoicy
es termes.
LETTRE
DU ROY
TAU ROY DE SIAM. RES HAFT, TRES PVISSANT,
TRES. EXCELLENT,
ET TRESMAGNANIMEPRINCE,
ET NOSTRE
;H'ER ET BON AMr, DIEV
rEVIllEAUGMENTER VOS-
-RE GRANDEVR AVEC YNE.
rIN HEVREYSE.
Nous 4ious appris avec déplaisir
la perte des mbfadeurSI
que :~ nous envoyajîa en1681. -
&Nous avons cflé informe^par
ItiPreflres Mijjionnaires quifont 1
njen;$ deSian
, C. par les Letj
très nueno?Adimlhts ont reteuës j
de h p.irt de celiiya qui vous 1
confia VO) pnncipules affaires e>rijffpm-nr 3, avec leCjnA vous
Joubair.'XnojhramneRoyale.
Ccflpouryfartsfa'rcque nous
avons choisy le Sieur Chevalier'
de Chaumontpouy nolire Ambaf-
Jadeur,quivous apprendra plusparticulièrement
nos intentions9
sur tout ce qui peut contribuer àK
ejldlirpout toujours cette amitié
fi/ide
fllidr entre nous.CependantAlc,
ferons tres-ais de trouver les
occûfons de tous témoigner la
reconnoijjance avec laqui lie nous
avons appris que vous conrznuez
a donner voflre protcfhon aux E-
'Vesques, cm euxautres ÀdiJJionnaires^
potfohcj'ei, quitravaillenta
linflrufliondetosSujets
ians laRetio-ion Cbjeflien,,,e,
lotreefiimep meulièreincurvons
Wus fait desirer ardernn em que
}OKS 'Vur¡fluZ bien vous-mfmc
k écouter) Çj7 apprendre d\u,x ïvéritables À^aximas @r les
fistres f^cre-^dune si fat.te
9y, dans laquelle un a la LulMijfance
du vray Dieu,qui Jîufa
peutJaprés TOUS avoirfait rtgnem
long temps & glorieusement (un
vos Sujets ,
101.$combler d'u
bon heur eternel. Nous avenui
chargénoflreAmb^Qaieur dese
choses les plus curreujes de noftrt
Royaume, qu'il vous prejenter
comme unemarque de noflre ePi_j
me
y
& il vous expliquera aussi
ce que nous pouvons Jfjinr dt
voui pour l'avantage du Com-A
merce de nos Sujets.Sur ce,Afousm
prions Dieu qu'ilvueilleaugmentas
tervoftre Grandeur avec toute fin^\
heureuse. Ecrit en Noflre Cha.X
(eaU Royal le u. Janvier168
Vostre tres cher & bon Amy,
LO VIS, & plus bas COLBERT.
Quelques jours a pres,
le Roy envoya des Presens
à Mr l'Ambassadeur,
sçavoir plusieurs pieces de
Brocart, des Robes du Japon,
une garniture de Boutons
d'or, & diverses curiositez
du Pays. Il y en eut
aussi pour Mr l'Abbé de
Choisy
,
& pour les Gentilshommes
François.
Le 2,5. il fut mené à une seconde
Audience dans une
Salle à costéd'uneautre où
,eHoir l-e Roy. Le disçours étant
tombé sur la Famille
Royale, Mr l' Ambassadeur *>
dit au Roy de Stam que lu-
- nion y estoit sigrande, que
Monsieur,Frere unique de Sa
Majesté,avoitgagné une
grande Bataille pour le Roy v
sonFrere, contre les Ennemis
liguez,& commandez s
par le General des Hollandois
, qui avoient le plus de s
Troupes danscette Armée;à
quoy le Roy de Siam répondità
peu prés en ces termes.
Je ne m'étonne point que le Roy \(
de France ait réüssidanstoutesses
r entreprises,puis qu'ilaun Frere
l
si bien uny avec luy.La desunion
ejb ce qui renverse les Etats. lec"
sçay les malheurs qu'elle a causez
dans la Famille Royale de Matran
, & dans celle de Bantam,
&sçache le Grand Dieu du Ciel
ce qui arrivera de la mienne.Ce-
Roy a deux Freres ,dont lais-
Xïéfiir tout est tres-remuant.
Il a trente-sept ans, & est
fort incommodé de sa Perfodne.
Peut-estre l'a t'on mis
en cétestat afin de tenir (on.
ambition dans l'impuissance
d'agir. Le plus jeune est
moins âgé de dixans. Il est
muet , ou il fait semblant de
l'estre. Ils ont chacun leur
Palais,& leurs Domestiques,
& ne voyent le Roy leur
Frere que deux fois l'année.
Le Roy peut avoir cinquante
cinq ans. Il est bazanné
de , moyenne taille, & a les
yeux noirs, petits
,
& fort
vifs. Outre deux Oncles qui
sont fort vieux, & dont l'un
luy a servy de Tuteur, il a
des Tantes qui n'ont jamais
esté mariées. Cette seconde
Audience dont j'ay déja
commencé à vous parl er , finit par une matiere de Religion
qui n'eut point de suite.
Mr l'Ambassadeur dit au
Roy, que le Roy son Maître
ne souhaitoit rienavec
plus d'ardeur que d'apprendre
qu'il consentist à se faire
instruire par les Evesques &
Missionnaires qui estoient
dans ses Etats. Il se leva, ôc
ne fit point de réponse. Lors
qu'il se fut retiré, Mr Constance
mena Mrle Chevalier
de Chaumont dans le Jardin
du Palais, où le disner
estoit preparé, Son Couvert.
estoit en Vaisselle d'or; tous
les autres furent servis en
Vaisselle d'argent. Le Grand-
Trésorier, le Capitaine des
Gardes, & d'autres grands
Mandarins servirent à table.
Lerepas dura trois heures,
& l'on allavoir delà l'Estang
du Jardin
,
où il se trouve
plusieurs poissons curieux.
Ilsenvirentun entre autres
avec un virage d'homme.
Le 26. Mr Constancerenditvisite
à Mr l'Ambassadeur.
La Conversion du Roy
fut le sujet de leur entretien.
Mr Constance yfit paroistre
de grandes difficultez
,
sur
ce qu'il seroit tresdangereux
de donner pretexte à
une revolte, en voulant
changer une Religion establie
& professéedepuis tant
de Siecles. Illuy fit connoîue
que leRoyavoit un Frere
quine cherchoitqu'à broüiller;
que c'estoit toûjours
beaucoup que Sa Majesté
permist qu'on enseignast la
Religion Chrestienne dans
son Royaume; qu'illafalloit
laisser embrasser aux Peuples
&aux Mandarins mesme,
si quelqu'un d'entr'eux
vouloit se faireChrestien,
8c qu'avec le temps les choses
pourroient prendre une
autre face.
Le29. Mr le Chevalier de
Chaumont alla visiter le Barcalon,
qui dans les honneurs.
qu'il luy Et rendre le distingua
desautresAmbassadeurs,
ainsi qu'avoit fait le Roy. Mr
l'Evesque de Metellopolis
l'accompagna dans cette visite
, & leur servit dInterprete.
Le 30. on alla au Palais
pour voir ta grande Pagode.
C'est ainsi que les Siamois
appellent leurs Temples
mais ils ne laissent pas de
donner aussi le nom de Paggooddeess
àà leurs Idoles. En pas- Isant
par la premiere Court,
Mr l'Ambassadeur eut le divertissement
d'un combat de
deux Elephans On les avoit
attachez ensemble par les
jambes de derriere
,
& deux
hommes estoient sur chacun,
de ces Animaux, l'un sur le
col
,
l'autre sur la crou pe. Ils
esanimoientavec un croc, lui leur servant d'aiguillon,
es faisoit tourner comme ils
ouloient. Ce Combat ne
onsista qu'en des coups de
ent & de trom pe. On dit
ue le Roy y estoit present
mais il ne se laissa pointvoir.
Les Elephans ont beaucoup
d'intelligence& onleur fait
comprendre aisément tout
ce qu'on leur dit. De cette
Court on passa dans plusieurs.
autres avant que de trouver
la Pagode. Le Portail en est
antique, de assez bien travail.
lé.C'estuntres-beau bastimens
, dont l'Architécture
est presque semblable à celle
de nos Eglises. Les yeux
furent fra ppez enentrant,de
plu sieurs Statuës - de cuivre
doré, qui semblent offrirun
Sacrifice à une grande Idole
qui est touted'or.Elle a quarante
pieds de longueur,
douze de largeur
,
& trois
pouces d'épaisseur. Son poids
est de plus de douze millions
d'or Dans-une guerre où
ceux de Pegu conquirent
presque tout leRoyaume de
Siam, ils couperent une
main à cette Idole. Elle a
icihe remplacée depuis. Aux
deux costezdecette Pagode,
il y a plusieurs autres petites
Idoles dont la plus grande
partie est d'or. Des Lampes
Allumées depuis le haut jusqu'au
bas, font voir dans
quelleveneration elles sont Au fond est une autre Idole
en forme de Mausolée. Elle
est d'un prix extraordinaire.
Parmy ce grand nombre on
en voit une qui bien qu'assise
les jambes en croix,asoixante
pieds de haut. De cette
Pagode M"1"Ambassadeur
alla dans une autre qui en
dépend, & pour y aller, il
passasous une voûte qui est
en forme de Cloistre. D'un
costé de cette voûte,il y avoit
de deux pieds en deux
pieds des Idoles toutes dorées
,& devant chacune bruloituneLampe
queles Talapoins
ont soin d'allulller
0,«Zous les soirs. Dans cette seconde
Pagode Mr l'Ambasfadeur
vit le Mausolée de la
Reyne dccedée depuis quatre
ans, & celuy d'un Roy
de Siam, representé par une
grande Statuü couchée sur
le costé. Il est habillé comme
le sont les Roys de ce
Pays là aux jours de Ceremonies.
Cette Statuë qui est de
cuivre doré
, .a vingtcinq
piedsde longueur. En d'autres
endroits font quantité
de Statuesd'or & d'argent,
avec des Rubis & des Diamans
aux doigts, La princi- pale - beau ré de toutcelaconsiste
dans les richesses,la-plus
grande partiede cequ'il y a s
de plus precieux dans le
Royaume, estantrenfermée
dans les Pagodes. Au sortir
de là, Mr l'Ambassadeur vit i
les ElephansduRoy qu'il fait i
nourrir au nombre de plus 2
de dix mille. Il vit aussi une i
piece de Canon de fonte q
fonduë à Siam qui est de s
vingt-quatre pieds, & qui a j
quatorze pouces de diamet-
-
tre par l'embouchure.
-
Le 3I. - on fit de fort grandies
réjoüissance pourle coueiincirient.
du. Roy de Portugal.
On tira quantitéde
f J
coups de Canon,&il y eut le
f*ir un feu d' Artifice.Cesréiouiflincesfurentcontinue'es
»
u lendemain,premierjour.
[^Novembre
, par Mr Con- rance qui donna un grand
'dhrT, où MrAmbassadeur
.le invité. Il s'y trouva avec
put ce qu'il y avoit d'Euroéens
dans la Ville. On n'enfndit
que coups de Canon
ifqua la nuit,& on tira
ujourssans discontinuer.
Tous les Bastimens qui é- -
toient sur la Rivierre
,
tirerent
aussi après le repas,
qui fut suivye d'uneComedie
de Chinois,&: d'un autre
Divertissement,façon de -j
Marionnettes. Il y eut quelque
chose d'assez surprenant
& de singulier dans cette
Feste. î
Le 4. de Novembre Mr
Constanceavertit Mr l'Ambassadeurque
leRoy devoit
sortir pour se rendre àune
Pagode,où il a accoûtumé
d'aller tous les ans. Comme
ce jour estoit un de ceux Otli
il se montre à ses Peuples,la
mSeremonie meritoit qu,'on
empressa pour la voir. On
e conduisit dans une Salle
ue l'on-avoir pre parée sur
eau pour luy donner ce
laisir. D'abord il passaun
rand Balontout doré,dans
quel estoit un Mandarin
si venoit voir si toutestoit
en dans l'ordre. Il fut suisde
plusieurs Balons rem- des plus qualifiez des
andarins, tous habillez de
ap rouge. Ils doiventestre
tus de mesme couleuren
pareils jours, & c'estle
y qui choisit cette couleur.
Ils avoient des bonnets <
blancs dont la pointe estoit j
fort élevée.Les Oyas étoient
distinguez par un bord d'or
qu'ils avoient a leurs Bon- J
nets. Je ne parle point de a
leur écharpe;elleestoit telle b
- que je l'ay déjàdécrite. On 11
vit paroistre aprés eux quan- titédeMandarins du second J]
ordre, des Gardes du Corps,
&piusieurs Soldatsqui oc<~
cuperent les ailles. Le Roy
estoit dansun Balonmagnisique,
à chaque collé duque
il yen avoit un autre qui nC.
-
toit pas moins brillant. Ce
trois Balons estoient plis rem- de Sculpture,& dorez
jusque sous l'eau. Je
1
vous
en a y déja tant parlé que
vous ne ferez pas fachéed'en
voir quelques uns dans cette
Planche, où j'en ay fait graver
quatre. Vous vous fou.
viendrez que je vous ay dit
qu'ils estoient fort longs, &
aits d'un seul arbre. Leur
ongueur est cause qu'il y a
n grand nombre de Raleurs
,
& qu'ils vont fort
ste. Quand les Rameurs
nantent , ce qu'ils fontsouet,
ilsemble que leurs rames
s'accordentavecleurs voix, JI
& qu'ils battent la mesure *
dans l'eau. Le Balon que
vousvoyez gravé le premier,
est celuy dans lequel estoit la
Lertre de Sa Majesté. Il eitJ
ce qu'ils appellent à trois
T'oirs, & ceux-là sont les
plus considerables. Je croy
mesme qu'ils sont particuliers
pour le Roy, & qu'il
n'est permis à personned'en
avoir. Vosyeux vous feront
voir aisément la diference
des autres, qui n'est
que dans le plus ou moins 1
d'élevation de l'espece de. I
petite Loge qui est au miieu.
Quand il pleut, on (e
netdans cet endroit qui approche
beaucoup des Bans
avec quoy l'on jouë iCYh
les Rameurs du Balon où
stoit le Roy, & des deux
utres qui luyservoientd'act)
i-n-pacrniement,efloienthaillez
comme les Soldats, h
reserve qu'ils avoient une.
aniere de Cuirasse, &de
asque enteste,quel'ondiit
estre d'or. Ils estoient
t nombre de cent quatrengt
sur chacun de cestrois
lons, a,yec-- des Rames.
toutes dorées, & sur ceux
des Mandarins il y en avoit
cent ou six-vingts. D'autres
Gardes du Corps suivoient
dans d'autres Balons, & alloient
devant d'autres Mandarins
qui faisoient l' Arriere
garde, de forte que le Cortege
estoit du moins de deux
cens Balôns. Toute la
Riviere enestoitcouverte,
& il y avoit plusde cent
mille personnesprosternées
& dans un profond silence,
pour joüir de la permission
qu'on avoit de voir le Roy
ce jourla; car en d'autres
temps
temps il faut qu'on s'éloigne
par respect, & ceux qui se
trouveroient à son passage
seroientpunis fort severement.
Ilavoit un Habit tressomptueux,
& tout parsemé
de pierreries, avec un Bonnet
rouge un peu élevé, &
une Aigrette enrichie aussi
de Pierreries. Mr l'Ambassadeur
entra sur le soir dans
ses Balons pour voir revenir
le Roy. Ilavoit changé de
Balon, & promis un Prix à
celuy qui arriveroit au Palais
avant les autres. Ce fut
le sien qui arriva le premier.
Il récompensa ses Rameurs
en Roy, en leur donnant à
chacun la valeur de cinquante
escus. Ce mesme soir
il y eut un Feu d'artifice, &
l'on tira quantité de cou ps
de Canon pour le Couronnement
du Roy d'Angeterre.
Cette Feste fut continuée
le lendemain. Mr Constance
donna encore à disner
à Mr l'Ambassadeur avec
beaucoup de magnisicence,
& tous les Européens 2
furent invitez à ce Repas.
Le Roy qui se montre au
Peuple deux ou trois fois
cous les ans, va aussi quelquefois
par terre faire ses
Offrandes à quelque Mosquée.
Deux cens Elefans, ou
environ, commencent la
marche, portant chacun
trois Hommes armez Apres
eeuuxxvvieienntltala MM-usique. Elle
est composée de Timbales,
de Tambours, & de Hautbois.
Millehommes de pied
armez paroissent ensuite,distribuez
en diverses Compagnies,
qui ont leurs Drapeaux
& leurs Bannieres.
Tout cela precede les grands
Mandarins qui sont à cheval.
Il y en a qui ont une j
Couronne d'or sur la teste, i
ôc une fuite de soixante, ! j
quatre-vingts ôc cent per- 1
sonnes à pied. Entre lesGar- -|
des du Corps & ces Manda-
-
rins marchent deux cens
Soldats Japonois, en équipage
fort leste. Apres eux on f\
voit les Chevaux & les Ele- -j
sans qui ne fervent que pour aPersonne du RtÜY: Leurs zi
Harnois sont magnifiques.
Ils sont chargez de boucles 21
8c de lames d' or, & les dia- -4
mans & les pierreries y brillent
de toutes parts. Ceux
qui portent les Presenschoisis
pourl'Offrande,marchent
devant les plus qualifiez du
Royaume, parmy lesquels
il y en a deux, dont l'untient
l'Etendart du Roy,& l'autre
le Sceptre de Justice. Ils marchent
tous deux à pied immediatement
devant leRoy,
qui est monté sur un Elefant
magnifiquement enharnaché.
Il est porté sur son dos,
assis dans une Chaise d'or.
Cet Elefant marche gravement
tout fier de sa charge.
Il semble connoistre l'honneur
qu'il reçoit,puis qu'il
le met à genoux quand le
Roy s'appreste à monter sur
luy, & qu'il ne soufriroit pas
qu'un autre y montast.Lors
quele Roy a un Fils,ce Prince
le fuit, & apres luy la
Reyne & sesautres Femmes.
Elles sont aussi sur des Elefans
, mais enfermées dans
des manieres de Guerites de
bois doré, en forte qu'il est
impossible de les voir. La
marche tH: fermée par d'autres
Gardes, environ au nombre
de six cens, & tout le
Cortege est composé de
quinze ou seize mille personnes.
La vie du Rov est allez
réglée.
(
Il Ce leve à quatre
heures tous les jours, & la
premiere chose qu'il fait
c'est de donner l'aumosne à
des Talapoins, quine manquent
pas de se montrer devant
luy si tostqu'il paroist.
Ces Talapoins sont comme
nos Religieux Mendians.
Apres celail donne Audience,
dans l'intérieur de [on:
Palais,à. ses Concubines, aux.
Esclaves & aux Eunuques,
& ensuite à un Magistrat
qui luy vient montrer tous
les Procez que l'on a jugez.
Il les approuve ou infirme
comme il luy plaist. Lors
que ce Magistratest forty,
1 Audience est ouverte à
tout le monde jusqu'à l'heure
du Disner. Il disne avec
la Princesse sa Fille, que l'en.L
appelle la Princesse Reyne.,
& dontje vous parleray dans
unautre endroit. La Reyne -
qui est morte depuis peu
d'annees ne'luy a la~ aue
cette Fille. Le Medecin qui
està la porte, visite toutes
les Viandes, & renvoye celles
qu'illuy croit nuisibles.
Pendant ce Repas,qui estle
seul qu'il sait chaque jour,
on luy lit les Procez criminels,&
il ordonne du fort -
de chacun. Apres le Disné,
il entre dans une Salle, oùil
se met sur quelque Lit de
Repos. Il est suivy d'un
Lecteur qui luy lit ordinairement
la Vie de quelqu'un
des Rois qui ont
regné avant luy
,
& lors
qu'il s'endort
,
le Lecteur
paisse la voix, & peu a prés se
etire. Ce mesme Lecteur
entre dans la Salle sur les
quatre heures, & il recomnence
à lire d'un ton si aigu,
qu'il faut neceffiirciiie-ilt
que le Roy s'éveille. Alors il
donne Audience à chacun,
de ses six grands Officiers,
& sur les dix heures le Conseil
s'a ssemble. Il dure ordi-;
nairement jusques à minuit.
MrConfianceaussison Au-j
dience particuliere
,
& si l
toutcela va tropavant dans
la nuit,le Medecin luy vient
dire qu'il faut qu'il se couche.
Ce Medecin est receu
dans le Conseil, mais il ne
fait qu'écouter, & l'on n'y
prend jamais son avis.
Je m'apperçois de la longueur
de ma Lettre ; mais
comment songer à la finir,
ayant encore tant de choses
curieuses à vous a pprendre
touchant le Royaume de
Siam? Je n'ay pas encore
conduit M le Chevalier de
Chaumont à Louvo
,
qui est
une Maison de Plaisance du
Roy, où il alla prendre son
Audience de Congé, & ce
qui s'y est passé pendant le
séjourqu'ily a fait, fournit
la matiere d'un tres-long
Article. Ainsi, Madame,en
vous envoyant cette prernle.
re - Partie de ma Lettre ,je
vous en promets une seconde
quevous aurez dans fort peu
dejours. Je joindray à ce qui |
me reste à vous dire du }
Royaume deSiam les autres V
Nouvelles que vous atten- ;.
dez de moy. Ce sont celles;
quiregardent les Venitiens |
& la Hongrie. Cette seconde j
Partie finira par deuxEnigmes
nouvelles, & par les
noms de ceux qui ont expliqué
les deux dernieres. i
Onvient de m'apprendre ;
que ce que je vous ay dit au
commencement de cette
Rèlation, touchant des Ambassadeurs
que le Roy J de
Slam avoit envoyez à Sa
Majesté par le Portugal,
n'est point véritable. Cesont
des Envoyez de Siam qui
rie vont qu'en Portugal
,
8c
que l'on a chargez des Presens
, dont vous avez trouvé
une Lifte dans ma Lettre
de May. Ainsi cette Liste
est vraye ,
& ils ont ordre
d'envoyer en France les Presens
qu'elle contient.
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Résumé : Journal du Voyage de M. le Chevalier de Chaumont. [titre d'après la table]
Le texte relate le voyage du Chevalier de Chaumont, ambassadeur du roi de France, vers le roi de Siam, accompagné de l'Abbé de Choisy. Ils embarquent à Brest le 3 mars sur le vaisseau 'L'Oiseau' et la frégate 'La Maligne'. La traversée jusqu'à la ligne équatoriale se déroule sans incident, marquée par des exercices de piété quotidiens. Chaumont refuse de jurer sur les Évangiles lors de la cérémonie du baptême équatorial et paie pour éviter cette obligation. Le voyage continue jusqu'au Cap de Bonne Espérance, où ils font escale pour se ravitailler et soigner les malades. Le Cap est décrit comme un lieu bien fortifié avec un jardin luxuriant et des habitants locaux appelés Cafres, vivant de manière primitive. Les Hollandais y ont établi une forteresse et des habitations. Après sept jours, ils repartent vers Batavia, mais la traversée est plus difficile. Ils arrivent à Java, une île dont les habitants prétendent descendre des Chinois. Ils font escale à Bantam, où les Hollandais contrôlent le royaume après une guerre civile. Enfin, ils atteignent Batavia, où ils restent sept jours pour soigner les malades. Batavia est décrite comme une ville bien située et protégée. Le texte mentionne également les conflits entre les Hollandais, les Anglais, et les Indiens dans les Indes orientales au début du XVIIe siècle. En 1619, les Indiens profitent de la mauvaise entente entre les Hollandais et les Anglais pour se libérer de la domination hollandaise. Une bataille navale entre les flottes anglaise et hollandaise a lieu le 2 janvier 1619, et les Hollandais reprennent le fort de Batavia après six mois de siège. Ils consolident leur position en construisant des fortifications et en établissant des relations commerciales avec les Chinois, les Japonais, et les Siamois. À Siam, l'ambassadeur est accueilli avec magnificence et loge dans des maisons neuves et richement meublées. Il reçoit des saluts canoniques et est traité avec honneur. Il rencontre des dignitaires siamois et présente la lettre du roi de France de manière solennelle. La salle de l'audience est richement décorée, et le roi du Siam exprime sa joie de recevoir les marques d'estime et d'amitié du roi de France. L'ambassadeur visite également plusieurs pagodes, dont une contenant une grande idole d'or endommagée lors d'une guerre contre Pegu. Il observe les éléphants du roi et une pièce de canon de fonte. Des réjouissances sont organisées pour célébrer le couronnement du roi de Portugal. Le roi de Siam mène une vie réglée, se levant tôt pour donner l'aumône et recevoir des audiences. Le texte se termine par la mention de la visite de l'ambassadeur à Louvo, une maison de plaisance du roi, et promet une seconde partie avec d'autres nouvelles sur le royaume de Siam.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 1-70
ETAT Du Gouvernement, des Moeurs, de la Religion, & du Commerce du Royaume de Siam, dans les pays voisins, & plusieurs autres particularités.
Début :
TOUS les jours les Mandarins qui sont destinez pour rendre [...]
Mots clefs :
Roi de Siam, Royaume, Ambassadeur, Siamois, Argent, Commerce, Nation, Chine, Manière, Marchandises, Officiers, Femmes, Fille, Pays, Étrangers, Terre, Talpoins, Corps, Ville, Fruit, Mandarins, Palais, Éléphants, Pagodes, Ministres, Alexandre de Chaumont
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ETAT Du Gouvernement, des Moeurs, de la Religion, & du Commerce du Royaume de Siam, dans les pays voisins, & plusieurs autres particularités.
ETAT
Du Gouvernement , des
Moeurs, de la Religion ,
& du Commerce du
Royaume de Siam, dans
les pays voisins , &plufieurs
autres particularités.
OUS les jours les
Mandarins qui font
deſtinez pour rendre
la juſtice s'aſſemblent
dans une falle où ils
donnent audiance , c'eſt comme
1a Cour du Palais à Paris ,& elle
2 RELATION
eſt dans le Palais du Roy , où
ceux qui ont quelque requête à
preſenter ſe tiennent à la porte
juſqu'à ce qu'on les appellé , &
quand on le fait ils entrent leur
requête à la main & la prefentent.
Les Etrangers qui intentent
procés au ſujet des marchandiſes,
la preſentent au Barcalon , c'eſt
le premier Miniſtre du Roy ,
qui juge toutes les affaires concernant
les Marchands & les
Etrangers ; en ſon abſence , c'eſt
ſon Lieutenant , & en l'absence
des deux , une maniere d'Eſche
wins. Il y a un Officier prépoſé
pour les tailles & tributs auquel
on s'adreſſe , & ainſi des autres
Officiers. Aprés que les affaires
font difcutées on les fait ſçavoir
aux Officiers du dedans du Palais
, qui en avertiſſent le Roy
eſtant lors ſur un Trône élevé
DU VOYAGE DE SIAM . 3
de trois braffes , tous les Mandarins
ſe proſternent la face contre
terre , & le Barcalon ou autres
des premiers Oyas , rapportent
au Roy les affaires & leurs jugemens
, il les confirme , ou il les
change ſuivant ſa volonté , c'eſt
à l'égard des principaux procés ,
& tres- ſouvent il ſe fait apporter
les procés au dedans du Palais
, & leur envoye ſon jugementpar
écrit.
Le Roy eſt tres- abſolu , on diroit
quaſi qu'il eſt le Dieu des
Siamois , ils n'ofent pas l'appeller
de ſon nom. Il châtie tres-feverement
le moindre crime ; car
ſes Sujets veulent eſtre gouvernez
la verge à la main , il ſeſert même
quelquefois des Soldats de ſa
garde pour punir les coupables
quand leur crime eſt extraordinaire
& fuffisamment prouvé.
Ceux qui font ordinairement ema
ij
4 RELATION
ployez ces fortes d'executions
font 150. Soldats ou environ qui
ont les bras peints depuis l'épaule
juſqu'au poignet ; les châtimens
ordinaires ſont des coups
de rottes , trente, quarante , cinquante
& plus , ſur les épaules des
criminels , felon la grandeur du
crime , aux autres il fait piquer
la tête avec un fer pointu : à l'égard
des complices d'un crime
digne de mort , aprés avoir fait
couper la tête au veritable criminel
, il la fait attacher au col
du complice , & on la laiſſe pourir
expoſée au Soleil fans couvrir
la tête pendant trois jours
&trois nuits , ce qui cauſe à celui
qui la porteune grande puantour,
Dans ce Royaume , la peine
du talion eſt fort en uſage , le
dernier des fupplices eſtoit , il n'y
a pas long-temps, de les condamDU
VOYAGE DE SIAM. یک
ner à la Riviere , qui eſt proprement
comme nos Forçats de Galere
, & encorepis ; mais maintenant
on les punit de mort. Le
Roy fait travailler plus qu'aucun
Roy de ſes predeceffeurs, en bâ
timens , à reparer les murs des
Villes , à édifier des Pagodes , à
embellir fon Palais , à bâtir des
Maiſons pour les Etrangers , & à
conſtruire des Navires à l'Euro .
peane , il eſt fort favorable aux
Etrangers , il en a beaucoup à
fon ſervice,& en prend quand il
en trouve .
Les Roys de Siam n'avoient'
pas accoûtumé de ſe faire voir
auſſi ſouvent que celui-cy. Ils
vivoient preſque ſeuls , celuy
d'apreſent vivoit comme les autres
: mais Monfieur de Berithe
Vicaire Apoftolique , s'eſtant ſer
vi d'un certain Brame , qui faifant
le plaiſant avoit beaucoup
1
a iij
6 RELATION
de liberté de parler à ce Monarque
, trouva le moyen de faire
connoître à ce Prince , la puif
fance & la maniere de gouverner
de nôtre grand Roy , & en même
temps les coûtumes de tous
les Roys d'Europe , de ſe faire
voir à leurs Sujets & aux Etrangers
; de maniere qu'ayant un
auffi grand ſens que je l'ay déja
remarqué , il jugea à propos de
voir Monfieur de Berithe , & enfuite
pluſieurs autres ; depuis ce
temps- là il s'eſt rendu affable &
acceſſible à tous les Etrangers.
On appelle ceux qui rendent la
justice ſuivant leurs differentes
fonctions , Oyas Obrat , Oyas
Momrat , Oyas Campheng, Oyas
Ricchou , Oyas Shaynan , Opran,
Oluan ; Oeun , Omun .
Comme autrefois les Roys ne
ſe faisoient point voir , les Miniftres
faifoient ce qu'ils vouloient,
DU VOYAGE DE SIAM. 7
mais le Roy d'apreſent qui a un
tres-grand jugement , & eſt un
grand Politique,veut ſçavoir tout;
il a attaché auprés de luy le Sei
gneur Conftans dont j'ay déja
parlé diverſes fois , il eſt Grec
de nation , d'une grande penetration
, & vivacité d'eſprit
&d'une prudence toute extraordinaire
, il peut & fait tout
fous l'autorité du Roy dans le
Royaume , mais ce Miniſtre n'a
jamais voulu accepter aucune des
premieres Charges que leRoyluy
a fait offrir pluſieurs fois. Le Barcalon
qui mourut ily a deux ans ,&
qui par le droit de ſa Charge
avoit le gouvernement de toutes
les affaires del'Etat , eſtoit homme
d'un tres-grand eſprit , qui
gouvernoit fort bien , & fe faifoit
fort aimer , celuy quiluy fucce
da eſtoit Malais de nation, qui eft
un pays voiſin de Siam , il ſe fera
iiij
8 RELATION
vit de Monfieur Baron , Anglois.
de nation , pour mettre mal Monſieur
Conftans dans l'eſprit du
Roy , & le luy rendre ſuſpect ,
mais le Roy reconnut ſa malice ,
il le fit battre juſqu'à le laiſſer
pour mort , & le dépoſſeda de ſa
Charge , celui qui l'occupe preſentement
vit dans une grande
intelligence avec Monfieur Conſtans
.
Comme par les loix introduites
par les Sacrificateurs des Idoles
qu'on nomme Talapoins , il
n'eſt pas permis de tuer , on condamnoit
autrefois les grands criminels
ou à la chaîne pour leur
vie , ou à les jetter dans quelques
deferts pout y mourir de faim ;
mais le Roy d'apreſent leur fait
maintenant trancher la teſte &
les livre aux Elephans .
Le Roy a des Eſpions pour
ſcavoir ſi on luy cache quelque
DU VOYAGE DE SIAM .
choſe d'importance , il fait châtier
tres - rigoureuſement ceux qui
abuſent de leur autorité . Chaque
Nation étrangere établie dans le
Royaume de Siam a ſes Officiers
particuliers , & le Roy prend de
toutes ces Nations- là des gens
qu'il fait Officiers generaux pour
tout ſon Royaume. Il y a dans
fon Etat beaucoup de Chinois ,
& il y avoit autrefois beaucoup
de Maures ; mais les années pafſées
il découvrit de ſi noires trahiſons
, des concuffions & des
tromperies ſi grandes dans ceux
de cette nation , qu'il en a obligé
un fort grand nombre à déferter
, & à s'en aller en d'autres.
Royaumes.
Le commerce des Marchands
Etrangers y eſtoit autrefois tresbon
, on y en trouvoit de toutes
parts ; mais depuis quelques années
,les diverſes revolutions qui
ΟΙ RELATION
font arrivées à la Chine , au Japon
& dans les Indes , ont empeſché
les Marchands Etrangers
de venir en ſi grand nombre.
On eſpere neanmoins, que puif
que tousces troubles font appaiſez
, le commerce recommencera
comme auparavant , & que le
Roy de Siam par le moyen de fon
Miniſtre envoyera fes Vaiſſeaux
pour aller prendre les Marchandi
ſes les plus precieuſes , & les
plus rares de tous les Royaumes
d'Orient,&remettra toutes chofes
en leur premier & fleuriſſant état.
Ils font la guerre d'une maniere
bien differente de celle de la plûpart
des autres nations , c'eſt à
dire à pouſſer leurs ennemis hors
de leurs places ſans pourtant
leur faire d'autre mal que de les
rendre eſclaves , & s'ils portent
des armes , c'eſt ce ſemble plûtôt
pour leur faire peur en les tirant
,
DU VOYAGE DE SIAM. II
contre terre , ou en l'air, que pour
les tuër , & s'ils le font c'eſt tout
au plus pour ſe deffendre dans la
neceſſité ; mais cette neceſſité
de tuër arrive rarement parce
que prefque tous leurs ennenemis
qui en uſent comme eux,ne
tendent qu'aux mêmes fins . Il ya
des Compagnies & des Regimens
qui ſe détachentde l'arméependát
la nuit,&vont enlever tous leshabitans
des Villages ennemis , &
font marcher hommes, femmes &
enfans que l'on fait eſclaves , &
le Roy leur donne des terres&
des bufles pour les labourer , &
quand le Roy en a beſoin il s'en
fert. Ces dernieres années , le
Roi a fait la guerre contre les
Cambogiens revoltez , aidez des
Chinois & Cochinchinois , où il
a fallu ſe battre tout de bon , & il
y a eu pluſieurs Soldats tuez de
part &d'autre ; il a eu pluſieurs
21 RELATION
Chefs d'Europeans qui les inſtrui
fent àcombattre en nôtre maniere .
Ils ont une continuelle guerre
contre ceux du Royaume de
Laos , qui eſt venuë , de ce qu'un
Maure tres-riche allant en ce
Royaume- là pour le compte du
Royde Siam,y reſta avec de grandes
ſommes , le Roy de Siam , le
demanda auRoy de Laos , mais
celui-cile luy refuſa, ce qui a obligé
le Roy de Siam de luydeclarer
la guerre.
Avant cette guerre ily avoit un
grand commerce entre leurs Etats,
& celuy de Siam en tiroit de
grands profits par l'extrême
quantité d'or , de muſc , de benjoüin
, de dents d'Elephant &
autres marchandiſes qui lui venoient
de Laos , en échange des
toiles & autres marchandiſes .
Le Roy de Siam a encore guerre
contre celui de Pegu ; il y a quanDU
VOYAGE DE SIAM . 13
tité d'Eſclaves de cette Nation .
Il y a pluſieurs Nations Etrangeres
dans ſon Royaume , les
Maures y estoient , comme j'ay
dit , en tres-grand nombre , mais
maintenant il y en a pluſieurs qui
font refugiez dans le Royaume
de Colconde, ils eſtoient au ſervice
du Roy , & ils luy ont emporté
plus de vingt mille catis , chaque
catis vallant cinquante écus , le
Roy de Siam écrivit au Roy de
Colconde de luy rendre ces perſonnes
ou de les obliger à luy
payer cette ſomme , mais le Roy
de Colconden'en voulutrien faire
, ny même écouter les Ambafſadeurs
qu'il luy envoya ; ce quia
fait que le Roy de Siam luy a
declaré la guerre & luy a pris
dans le tems que j'étois à Siam ,
un Navire dont la charge valloit
plus de centmille écus . Il y a fix
Fregates commandées par des
14
RELATION
François & des Anglois qui
croiſent ſur ſes côtes .
Depuis quelque temps l'Empereur
de la Chine a donné liberté
à tous les Etrangers de venir
negocier en ſon Royaume ;
cette liberté n'eſt donnée que
pour cinq ans , mais on efpere
qu'elle durera , puiſque c'eſt un
grand avatage pour ſon Royaume .
Ce Prince a grand nombre de
Malais dans ſon Royaume , ils
font Mahometans , & bons Soldats
, mais il y a quelque difference
de leur Religion à celle
des Maures. Les Pegovans font
dans ſon Etat preſque en auſſi
grande quantité queles Siamois
originaires du pays .
Les Laos y font en tres-grande
quantité , principalement vers
le Nort.
Il y a dans cet Etat huit ou neuf
familles de Portugais veritables ,
DU VOYAGE DE SIAM.
mais de ceux que l'on nomme
Meſties , plus de mille , c'eſt à dire
de ceux qui naiſſent d'un Portugais
& d'une Siamoiſe .
Les Hollandois n'y ont qu'une
facturie.
Les Anglois de même.
Les François de même.
Les Cochinchinois ſont environ
cent familles , la plupart
Chreftiens.
Parmy les Tonquinois ily en a
ſeptou huit familles Chrétiennes .
Les Malais y font en afſez grand
nombre,qui font la plupart eſclaves,&
qui par conſequent ne font
pointde corps .
Les Macaſſars & pluſieurs des
peuples de l'Iſle de Java y font
établis, de meſme que les Maures:
ſous le nom de ces derniers ſont
compris en ce pays- là, les Turcs,
les Perfans les Mogols les
Colcondois & ceux de Bengala .
, د
16 RELATION
Les Armeniens font un corps
à part , ils font quinze ou ſeize
familles toutes Chrétiennes , Catholiques
, la plupart ſont Cavaliers
de la garde du Roy.
A l'égard des moeurs des Siamois
ils font d'une grande docilité
qui procede plûtoſt de leur
naturel amoureux du repos que
de toute autre cauſe , c'eſt pourquoi
les Talapoins qui fontprofeffion
de cette apparente vertu ,
defendentpour cela de tuër toutes
fortes d'animaux ; cependant lorfque
tout autre qu'eux tuë des
poules & des canards , ils en mangentla
chair ſans s'informer qui
les a tués , ou pourquoi on les a
tués , & ainſi des autres animaux .
Les Siamois font ordinairement
chaſtes , ils n'ont qu'une femme ,
mais les riches comme les Mandarins
ont des Concubines , qui
demeurent enfermées toute leur
vie
DU VOYAGE DE SIAM. 17
vie. Le peuple eſt aſſez fidele &
ne volle point ; mais il n'en eft
pas de même de quelques-uns des
Mandarins , les Malais qui font
en tres-grand nombre dans ce
Royaume- là font tres- méchants
&grands voleurs .
Dans ce grand Royaume il y
a beaucoup de Pegovans qui
ont eſté pris en guerre , ils font
plus remuants que les Siamois
& font d'ordinaire plus vigoureux
, il y a parmy les femmes du
libertinage , leur converſation eft
perilleuſe.
Les Laos peuplent la quatriéme
partie du Royaume de Siam",
comme ils font à demy Chinois ,
ils tiennent de leur humeur , de
leur adreſſe& de l'inclination a
voller par fineſſe; leurs femmes
font blanches & belles , tres - familieres
& par confequent dangereuſes.
Dans le Royaume de
b
18 RELATION
Laos , un homme qui rencontre
une femme pour la falüer avec
la civilité accoûtumée , la baife
publiquement ; & s'il ne le faiſoit
pas il l'offenferoit .
Les Siamois tant Officiers que
Mandarins ſont ordinairement
riches , parce qu'ils ne dépenfent
preſque rien , le Roy leur
donnant des valets pour les fervir
, ces valets font obligez de ſe
nourir à leurs dépens, eſtant com--
me efclaves,ils font en obligation
de les ſervir pour rien pendant:
la moitié de l'année : & comme
cesMeſſieurs-làen ontbeaucoup,
ils ſe ſervent d'une partie pendant
que l'autre ſe repoſe ; mais
ceux qui ne les ſervent point:
leur payent une fomme tous les
ans , leurs vivres font à bon marché
, car ce n'eſt que duris , du
poiffon , & tres -peu de viande, &
tout cela eft en abondance dans
DU VOYAGE DE SIAM . 19
leur pays ; leurs vêtemens leur
fervent long- temps , ce ne font
que des pieces d'étoffes toutes
entieres qui ne s'uſent pas fi faci
lement que nos habits &ne coutent
que tres-peu : la plupart des
Siamois font Maſſons ou Charpentiers
, & il y en a de tres habiles,
imitant parfaitement bien les
beaux ouvrages de l'Europe en
Sculpture& en dorure. Pour ce
qui eſt de la peinture ils ne ſçavent
point s'en ſervir , il y a des
ouvrages en Sculpture dans leurs
Pagodes , & dans leurs Mauſolées
fort polis & tres-beaux.
Ils en font auſſi de tres -beaux
avec de la chaux , qu'ils détrempent
dans de l'eau qu'ils tirent de
l'écorce d'un arbre qu'on trouve
dans les Forefts , quilarend ſi forte,
qu'elle dure des cent& deux
cens ans , quoi qu'ils foient expoſés
aux injures du temps ..
bij
20 RELATION
1
i
1.
i
Leur Religion n'eſt à parler proprement
qu'un grand ramas
d'Hiſtoires fabuleuſes , qui ne
tend qu'à faire rendre des hommages
& deshonneurs auxTalapoins,
qui ne recommandent tant:
aucune vertu que celle de leur
faire l'aumône , ils ont des loix
qu'ils obfervent exactement au
moins dans l'exterieur ; leur fin
dans toutes leurs bonnes oeuvres
eſt l'eſperance d'une heureuſe
tranfmigration aprés leur mort ,
dans le corps d'un homme riche ,..
d'un Roy , d'un grand Seigneur
ou d'un animal docile , comme
font les Vaches & les Moutons :
car ces peuples-là croyent la Metempſicoſe
; ils eſtiment pour cette
raiſonbeaucoup ces animaux ,
&n'ofent, comme je l'ai déja dit,
en tuër aucun , craignant de donner
la mort à leur Pere ou à leur
Mere , ou à quelqu'un de leurs
DU VOYAGE DE SIAM . 2
parens . Ils croyent un enfer où les
énormes pechez ſont ſeverement .
punis , ſeulement pour quelque
temps , ainſi qu'un Paradis , dans
lequel les vertus fublimes ſont
recompenſées dans le Ciel , où aprés
eſtre devenus des Anges
pour quelque temps , ils retournent
dans quelque corps d'hom--
me ou d'animal .
L'occupation des Talapoins .
eſt de lire , dormir, manger, chan--
ter , & demander l'aumône ; de
cette forte , ils vont tous les matins
ſe preſenter devant la porte
ou balon des perſonnes qu'ils connoiffent
,&ſe tiennent-là unmométavecunegrande
modeſtie ſans
rien dire, tenant leur évantail , de
maniere qu'il leur couvre la moitié
du viſage , s'ils voyent qu'on ſe
diſpoſe àleur donner quelque choſe
, ils attendent juſqu'à ce qu'ils
l'ayent receuë ; ils mangent de
biij
22 RELATION
د
3
tout ce qu'on leur donne même
des poulles & autres viandes
mais ils ne boiventjamais de vin ,
au moins en prefence des gens du
monde; ils ne font point d'office
ny de prieres à aucune Divinité.
Les Siamois croyent qu'il y a eu
trois grands Talapoins , qui par
leurs merites tres-fublimes acquis
dans pluſieurs milliers de tranſmigrations
ſont devenus des Dieux ,
&aprés avoir eſté faits Dieux ,
ils ont encore acquis de ſi grands
merites qu'ils ont eſté tous aneantis
, ce qui eſt le terme du plus .
grand merite & la plus grande recompenſe
qu'on puiffe acquerir ,
pour n'eſtre plus fatigué en changeant
ſi ſouventde corps dans un
autre; le dernier de ces trois Ta--
lapoins eſt le plus grand Dieu appellé
Nacodon , parce qu'il a eſté
dans cinq mille corps , dans l'une
de ces tranfmigrations , de Talapoin
il devint vache , fon frere le
DU VOYAGE DE SIAM .
23
voulut tuër pluſieurs fois ; mais il
faudroit un gros livre pour décrire
les grands miracles qu'ils difent
que la nature& non pasDieu,
fit pour le proteger : enfin ce frere
fut precipité en Enfer pour ſes
grands pechez , où Nacodon le
fit crucifier ; c'eſt pour cette raifon
qu'ils ont en horreur l'Image
de Jeſus-Chriſt crucifié , diſant
que nous adorons l'Image de ce
frere de leur grand Dieu , qui
avoit eſté crucifié pour ſes crimes ..
CeNacodon eſtant doncaneanti,
il ne leur reſte plus de Dieu à
preſent , ſaloy ſubſiſte pourtant ;
mais ſeulement parmi les Talapoins
qui diſent qu'aprés quelques
fiecles il y aura un Ange qui
viendra ſe faire Talapoin ,& enfuite
Dieu Souverain , qui par ſes
grands merites pourra être anean
ti : voilà le fondement de leur
creance ; car il ne faut pas s'imaginer
qu'ils adorent les Idoles
24 RELATION
"
1
qui font dans leurs Pagodes comme
des Divinitez , mais ils leur
rendent ſeulement des honneurs'
comme à des hommes d'un grand
merite , dont l'ame eſt à preſent
en quelque Roy , vache ou Talapoin
: voilà en quoi conſiſte leur
Religion , qui à proprement parler
ne reconnoît aucun Dieu , &
qui n'attribuë toute la recompenſede
la vertu qu'à la vertumême ,
qui a par elle le pouvoir de rendre
heureux celuy dont elle fair
paſſer l'ame dans le corps de quelque
puiſſant & riche Seigneur
ou dans celuy de quelque vache ,
levice ,diſent-ils, porte avec ſoy
ſon châtiment , en faiſant paffer
l'ame dans le corps de quelque
méchant homme , de quelque
Pourceau , de quelque Corbeau ,
Tigre ou autre animal. Ils admetrent
des Anges , qu'ils croyent
eſtre les ames des juſtes & des
bons
2
L
L
DUVOYAGE DE SIAM. 25
bons Talapoins; pour ce qui eſt des
Demons , ils eſtiment qu'ils font
les ames des méchans .
Les Talapoins font tres-refpe-
Etés de tout le peuple , & même
du Roy, ils ne ſe profternent point
lorſqu'ils luy parlent comme le
font les plusgrands du Royaume ,
& le Roy & les grands Seigneurs
les ſaluënt les premiers ; lorſque
ces Talapoins remercient quelqu'un,
ils mettentla main proche
leur front , mais pour ce qui eſt du
petit peuple, ils ne le ſalüent point ;
leurs vêtemens ſont ſemblables à
ceux des Siamois ,àla referve que
la toile eſt jaune , ils font nuds
jambes & nuds pieds fans chapeau
, ils portent ſur leur tête un
évantail fait d'une fcüille de palme
fort grande pour ſe garantir
du Soleil , qui eſt fort brûlant ;
ils ne font qu'un veritable repas
par jour, à ſçavoir le matin , & ils
G
26 RELATION
ne mangent le ſoir que quelques
bananes ou quelques figues ou
d'autres fruits ; ils peuvent quitter
quand ils veulent l'habit de
Talapoin pour ſe marier , n'ayant
aucun engagement que celuy de
porter l'habit jaune , & quand ils
le quittentils deviennent libres ;
cela fait qu'ils font en ſi grand
nombre qu'ils font preſque le tiers
du Royaume de Siam . Ce qu'ils
chantent dans les Pagodes font
quelques Hiſtoires fabuleuſes.,
entremêlées de quelques Sentences;
celles qu'ils chantent pendant
les funerailles des Morts font ,
nous devons tous mourir , nous
ſommes tous mortels ; on brûle les
corps morts au ſon des muſettes
& autres Inſtrumens , on dépenſe
beaucoup à ces funerailles , &
aprés qu'on a brûlé les corps de
ceux qui font morts , l'on met
leurs cendres ſous de grandes piramides
toutes dorées , élevées à
DU VOYAGE DE SIAM. 27
l'entour de leur Pagodes. Les
Talapoins pratiquent une eſpece
de Confeſſion ; car les Novices
vont au Soleil levantſe proſterner
ou s'affeoir fur leurs talons & marmottent
quelques paroles , aprés
quoy le vieux Talapoin leve la
main à côté deſa joie & lui donne
une forte de benediction , aprés
laquelle le Novice ſe retire.
Quand ils prêchent, ils exhortent
de donner l'aumône au Talapoin ,
& ſe creyent fort ſçavants , lorfqu'ils
citent quelques paſſages
de leurs Livres anciens en Langue
Baly , qui eft comme le Latin
chez nous; cette Langue eſt tresbelle
& emphatique , elle a ſes
conjuguaiſons comme la Latine.
Lorſqueles Siamois veulent ſe
marier , les parens de l'homme
vont premierement ſonder la volontéde
ceux de la fille, & quand
ils ont fait leur accord entr'eux
cij
28 RELATION
les parens du garçon vont preſenter
ſept boſſettes ou boiſtes de
betel & d'arest à ceux de la fille ,
& quoy qu'ils les acceptent &
qu'on les regarde déja comme
mariez le mariage ſe peut rompre
, & on ne peut encore асси-
fer devant le Juge , ny les uns ny
les autres , s'ils le ſeparent aprés
cette ceremonie .
Quelques jours aprés les parens
de l'homme le vont preſenter , &
il offre luy-même plus de boſſettes
qu'auparavant ; l'ordinaire eft
qu'il y en ait dix ou quatorze ,
& lors celuy qui ſe marie demeure
dans la maiſon de ſon beaupere,
ſans pourtant qu'il y ait conſommation
, & ce n'eſt que pour
voir la fille & pour s'accoûtumer
peu à peu à vivre avec elle durant
un ou deux mois ; aprés cela
tous les parens s'aſſemblent
avec les plus anciens de la caſte
ou nation ; ils mettent dans une
DU VOYAGE DE SIAM. 2.9
bourſe, l'un un anneau & l'autre
des bracelets , l'autre de l'argent ,
il y en a d'autres qui mettentdes
pieces d'étoffes au milieu de la table
: enſuite le plus ancien prend
une bougie allumée & la paffe
ſept fois au tour de ces prefens,
pendant que toute l'aſſemblée
crie en ſouhaitant aux Epoux un
heureux mariage , une parfaite
ſanté &une longue vie , ils mangent
& boivent enfuite , & voilà
le mariage achevé. Pour le dot
c'eſt comme en France , finon
que les parens du garçon portent
ſon argent aux parens de la fille ,
mais tout cela revient à un ; car
le dot de la fille eſt auſſi mis à
part , & tout eſt donné aux nouveaux
mariez pour le faire valoir.
Si le mary repudie ſa femme ſans
forme de Juſtice , it perd l'argent
qu'onluy a donné, s'illarepudie
par Sentence de Juge , qui
č iij
30
RELATION
ne la refuſe jamais, les parensde
la fille luy rendent ſon bien ; s'il
y a des enfans , ſi c'eſt un garçon
ou une fille , le garçon fuit la mere
, & la fille le pere , s'il y a deux
garçons & deux filles , un garçon
&une fille vont avec le pere, &
un garçon & une fille vont avec
lamere.
,
Al'égarddes monnoyes ilsn'en
ontpoint d'or , la plus groſſe d'argent
s'appelle tical , & vaut environ
quarante ſols , la ſeconde
mayon qui péſe la quatriéme partie
d'un tical , & vaux dix fols
la troiſieme eſt un foüen , qui
vaut cinq ſols , la quatriéme eſt
un fontpaye qui vaut deux fols
&demy, enfin les plus baſſes monnoyes
font les coris qui font des
coquillages que les Hollandois
leur portent des Maldives , ouυ
qui leur viennent des Malais &
des Cochinchinois ou d'autres
DU VOYAGE DE SIAM. 31
côtez , donthuit cens valent un
fouën qui eſt cinq fols .
le
Al'égard des Places fortes dur
Royaume , il ya Bancoc qui eft
environ dix lieuës dans la Riviere
de Siam , où il y a deux Forterefſes
, comme j'ay déja dit. Il y a la
Ville Capitale nommée Juthia ,
autrement nommée Siam , qu'on
fortifie de nouveau par une enceinte
de murailles de bricque ;
Corfuma frontiere contre
Royaume de Camboye eſt peu
forte; Tanaferin à l'oppoſite de la
côte de Malabar eft peu fortifiée .
Merequi n'eſt pas fortifiée, mais
ſe pouroit fortifier , & on y pouroit
faire un bon Port. Porcelut
frontiere de Laos eſt auſſi peu
fortifiée . Chenat n'a que le nom
de Ville , & il reſte quelque apparence
de barrieres , qui autrefois
faifoient fon mur. Louvo où
le Roy demeure neuf mois de
c iiij
32 RELATION
l'année , pour prendre le plaiſir
de la chaſſe del'Elephant & du
Tygre , étoit autrefois un aſſem-
Blage de Pagodes entouré de
terraffes , mais à preſent le Roy
l'arendu incomparablement plus
beau par les Edifices qu'il y fait
faire , & quant au Palais qu'il ya
it l'a extrêmement embelli par les
caux qu'il y fait venir des Montagnes.
Patang eſt un Port des plus
beaux du côté des Malais , où
l'on peut faire grand commerce.
LeRoy de Siam a refuſé aux Compagnies
Angloiſes & Hollandoiſes
de s'y établir : l'on y pourroit
faire un grand établiſſement qui
feroit plus avantageux que Siam
àcausede la ſituation du lieu ; les
Chinois y vont& pluſieurs autres
Nations , on peut s'y fortifier aifément
fur le bord de la Riviere .
CettePlace appartient àune Rey
DU VOYAGE DE SIAM. 33
nequi eſt tributaire du Roy de
Siam , qui à parler proprement en
eſt quaſi le maître .
Quant à leurs Soldats ce n'étoit
point lacoûtume de les payer;
le Roy d'apreſent ayant ouy dire
que les Roys d'Europe payoient
leurs troupes , voulut faire la ſupputationà
combien monteroit la
paye d'un foüen par jour , qui eſt
cinq fols ; mais les Controlleurs
luy firent voir qu'il falloit des
ſommes immenfes , à cauſe de la
multitude de ſes Soldats , de forte
qu'il changea cette paye en ris
qu'il leur fait diſtribuer , du depuis
, il y en a ſuffisamment pour
Ieurs nourritures, &cela lesrend
tres- contens ; car autrefois il falloit
que chaque Soldat ſe fournit
de ris , & qu'il le portât avec ſes
armes, ce qui leur peſoitbeaucoup .
A l'égard de leurs Bâteaux &
Vaiſſeaux , leurs Balons d'Etat ou
34
RELATION
Bâteaux que nous appellons font
les plus beauxdu monde; ils font
d'un ſeul arbre , &d'une longueur
prodigieuſe , il y ena qui tiennent
cinquante juſqu'à cent & cent
quatre-vingt rameurs ; les deux
pointes font tres- relevées , & celuy
qui les gouverne donnant du
pied ſur lapoupefait branler tout
le Balon , & l'on diroit que c'eſt
un Cheval qui ſaute,touty eft doré
avec des Sculptures tres- belles
, & au milieu il y a un Siege
fait en forme de Trône en piramide
, d'une Sculpture tres- belle
& toute dorée , & il y en a de
plus de cent ornemens differents,
mais tous bien dorez &tres-beaux.
Autrefois ils n'avoient que des
Navires faits comme ceux de la
Chine , qu'on nomme Somme ; il
y ena encore pour aller auJapon,
à la Chine , à Tonquin ; mais le
Roy a fait faire pluſieurs Vaif-
1
DU VOYAGE DE SIAM. 35
feaux à l'Europeenne , & en a
acheté des Anglois quelques-uns,
tous agréés & appareillés . Il y a
environ cinquante Galeres pour
garder la Riviere & la côte ; ſes
Galeres ne font pas comme ceux
de France , il n'y a qu'un homme
àchâque Rame , & font environ
quarante ou cinquante au plus fur
chacune ; les Rameurs fervent de
Soldats , le Royne ſe ſert que des
Mores , des Chinois&des Malabars
pour naviger , & s'il y met
quelque Siamois pour Matelots,
cen'eſt qu'en petit nombre,& afin
qu'ils apprennent la navigation.
LesCommandants de ſes Navires
font Anglois ou François , parce
que les autres Nations font tresméchants
navigateurs .
Il envoye tous les ans cinq ou
fix de ces Vaiſſeaux appellez
Sommes à la Chine , dont il y en
a de mille juſqu'à quinze cens
36 RELATION
Tonneaux chargés de quelques
draps , corail , de diverſes marchandiſes
de la côte de Coromandel
& de Suratte , du ſalpêtre , de
l'étain &de l'argent; il en tire des
ſoyes cruës , des étoffes de ſoye ,
des ſatin's de Thé , dumufc , de la
rubarbe , des poureelines , des
ouvrages vernis , du bois de la
Chine , de l'or , & des rubis . Ils
ſe ſervent de pluſieurs racines
pour la Medecine , entr'autres de
la couproſe , ce qui leur apporte
de grands profits .
Le Roy envoye au Japon deux
ou trois Sommes , mais plus petites
que les autres , chargées des
mêmes marchandises , & il n'eſt
pas neceſſaire d'y envoyer de
l'argent ; les marchandiſes que
L'ony porte ſont des moindres ,
&au meilleur marché , les cuirs
de toutes fortes d'animaux y font
bons , & c'eſt la meilleure marDU
VOYAGE DE SIAM. 37
chandiſe que l'on y peut porter ;
on en tire de l'or , de l'argent en
barre , du cuivre rouge , toutes
fortes d'ouvrages d'Orphevrerie ,
des paravants , des Cabinets vernis
,des porcelines , du Thé &
autres choſes ; il en envoye quelquefois
un , deux & trois au
Tonquin de deux à trois cent tonneaux
au plus , avec des draps ,
de corail , de l'Etain , de l'Ivoire ,
du poivre , du ſalpêtre , du bois
de ſapin, & quelques autres marchandiſes
des Indes & de l'argent
au moins le tiers du capital,
on en tire du muſc , des étoffes
de ſoye , de la ſoye crüe , & jaune,
des Camelots , de pluſieurs fortes
de ſatins , du velours , toutes fortes
de bois vernis , des porcelines
propres pour les Indes , & de l'ar
-en barre , à Macao , le Roy envoye
un Navire au plus chargé
de pareilles Marchandiſes qu'à la
38
RELATION
•
Chine. On y peut encore envoyer
quelque mercerie , des dentelles
d'or , d'argent & de foye & des
armes , on en tire des mêmes
marchandiſes que de la Chine ,
mais pas à ſi bon compte.
A Labs le commerce ſe fait par
terre ou par la Riviere , ayant des
bâteaux plats , on y envoye des
draps & des toiles de Surate , &
de la côte , & on en tire des rubis
, du muſc , de la gomme ,
des dents d'Elephans, du Canfre ,
des cornes de Rinocerot , des
peaux de Buffes & d'Elans , à
tres-bon marché , & il y a grand
profit à ce commerce que l'on
fait ſans riſque.
ACamboye on envoye des petites
barques avec quelques draps,
des toiles de Surate & de la côte,
des uſtenciles de cuiſine qui viennent
de la Chine , on en tire des
dents d'Elephans , du benjoüin ,
DU VOYAGE DE SIAM. 39
trois fortes de gomes gutte , des
peaux de Buffes , & d'Elans , des
nids d'oiſeaux pour la Chine dont
je parleray bien- toft & des nerfs
de Cerfs .
On envoye auſſi à la Cochinchine
, mais rarement : car de peuple
n'eſt pas bien traitable , parce
qu'ils font la plupart de méchante
foy , ce qui empéche le commerce
, on y porte de l'argent
du Japon où l'on profite confiderablement
, du laurier rouge ,
de la cire jaune, duris , du plomb,
du ſalpêtre , quelques draps rouges&
noirs , quelques toiles blanches
, de la terre rouge , du vermillon
& vif argent.
On en tire de la ſoye cruë , du
fucre candy , & de la cafſonnade
, peu de poivre , des nids
d'oiſeaux qui ſont faits comme
ceux des Irondelles qu'on trouve
fur des Rochers au bord de
J
40 RELATION
la mer , ils font de tres-bon commerce
pour la Chine & pour pluſieurs
autres endroits ; car aprés
avoir bien lavé ces nids & les
avoir bien feichés ils deviennent
durs comme de la corne , & on
les met dans des boüillons ; ils
font admirables pour les maladies
de langueur &pour les maux d'eftomach
, j'en ay apporté quelques-
uns en France , du bois d'aigle
&de Calamba , du cuivre &
autres marchandises qu'on y apporte
du Japon , de l'or de plufieurs
touches , & du bois de fapan.
Lorſqu'on ne trouve pas de
Navire à Fret , on en envoye un
à Surate , chargé avec du cuivre ,
de l'étain , du ſalpêtre , de l'alun ,
des dents d'Elephants , du bois
de ſapan , &pluſieurs autres marchandiſes
qui viennent des autres
parts des Indes , on en tire des
toiles
DU VOYAGE DE- SIAM. 41
& autres marchandifes d'Europe,
quand il n'en vient point à Siam .
On envoye à la côte de Coromandel
, Malabar , & Bengala
&de Tanaferin , des Elephans
de l'étein , du ſalpêtre , du, cuivre
du plomb , & l'on en tire des toiles
de toutes fortes ,
,
On envoye à Borneo rarement ;
c'eſt une Iſle qui eſt proche de
celle de Java , d'où l'on tire du
poivre . du ſangde Dragon , camphre
blanc , cire jaune ,bois d'aigle
, du bray , de l'or , des perles,
&desdiamans les plus beaux du
monde ; on y envoye des marchandiſes
de Surate , c'eſt à dire
des toiles , quelques pieces de
drap rouge & vert , & de l'argent
d'Eſpagne..
Le Prince qui poffede cette Ifle
ne fouffre qu'avec peine le commerce
, & il craint toûjours d'êtte
ſurpris ; il ne veut pas permetd
42
RELATION
tre à aucune Nation Europeenne
de s'établir chez luy. Il y a cu
des François qui y ont commercé
, il ſe fie plus à eux qu'à aucune
autre Nation .
On envoye encore à Timor
Ifle proche des Molucques , d'où
l'on tire de la cire jaune & blanche
, de l'or de trois touches , des
eſclaves, du gamouty noir , dont
on ſe ſett pour faire des cordages
, & on y envoye des toiles de
Surate , du plomb, des dents d'Elephans,
de la poudre, de l'eau-devie
, quelques armes , peu de drap
rouge & noir , & de l'argent. Le
peuple y eſt paiſible , & negocie
fort bien . Il y a grand nombre
de Portugais.
Al'égard des Marchandiſes du
crû de Siam , il n'y a que de l'étain
, du plomb , du bois de fapan,
de l'Ivoire , des cuirs d'Elans.
& d'Elephans ; il y aura quantité
1
1
!
DU VOYAGE DE SIAM. 43
de poivre en peu de temps , c'eſt
à dire l'année prochaine ,de larrek
, du fer en petits morceaux ,
du ris en quantité , mais l'on y
trouve des marchandises de tous
les lieux ſpecifiés ci-deſfus , & à
affez bon compte. On y apporte
quelques draps & ferges d'Angleterre,
peu de corail &d'ambre,
des toiles de la côte de Coromandel
& de Surate , de l'argent en
piaſtre que l'on trocque ; mais
comme je l'ai dit maintenant ,
que la plupart des Marchands ont
quitté depuis que le Roi a voulu
faire le commerce , les Etrangers
n'y apportent que tres-peu de
choſes ,que les Navires qui ont
accoûtumé d'yvenir n'y font pas
venus l'année derniere , &on n'y
trouve rien , & fi peu qu'il y en
a , il eſt entre les mains du Roi ,
& ſes Miniſtres les vendent au
prix qu'ils veulent.
dij
44
RELATION
Le Roïaume de Siam a prés de
trois cens lieuës de long , fans y
comprendre les Roïaumes tributaires
, à ſçavoir Camboges ,
Gelior , Patavi , Queda , &c . du
Septentrion au Midi , il eſt plus
étroit de l'Orient à l'Occident. Il
eſt borné du côté du Septentrion
par le Roïaume de Pegu & parla
Mer du Gange du côté du Couchant,
du Midi par le petit détroit
de Maláca , qui fut enlevé au Roi
de Siam par les Portugais ils l'ont
poſſedé plus de foixante ans . Les
Hollandois le leur ont pris , &
le poffedent encore ; du côté
d'Orient , il eſt borné par la Mer
& par les Montagnes qui le ſeparent
de. Camboges & de Laos ..
La fituation de ce Roïaume eſt
avantageuſe à cauſe de la grande
étenduë de ſes côtes , ſe trouvant
comme entre deux Mers qui
lui ouvrent le paſſage à tant de.
DU VOYAGE DE SIAM. 45
vaſtes Regions , ſes côtes ont
cinq cens lieuës de tour ; on y
aborde de toutes parts , du Japon
, de la Chine , des Iſles Philippines
, du Tonquin , de la Cochinchine
, de Siampa , de Camboge
, des Ifles de Java , de Sumatra
, de Colconde , de Bengala
, de toute la côte de Coromandel
, de Perſe , de Surate , de Lameque,
de l'Arabie ,& d'Europe
c'eſtpourquoi l'on y peut faire un
grand commerce , ſuppoſé que le
Roi permette à tous les MarchandsEtrangers
d'y revenir comme
ils le faifoient autrefois .
Le Roïaume ſe diviſe en onze
Provinces , ſçavoir celle de Siam ,
de Mitavin , de Tanaferin , de
Jonſalam, de Reda, de Pra, d'Ior,
de Paam, de Parana , de Ligor ,
de Siama . Ces Provinces - là
avoient autrefois la qualité de
Roïaume ; mais elles ſont aujour
46 RELATION
d'hui ſous ladomination du Roide
Siam qui leur donne des Gouverneurs
. Il y en a telles qui peuvent
retenir le nomde Principauté;mais
les Gouverneurs dépendent du
Roy& lui payent tribut. Siam eft
la principale Province de ce
Royaume , la Ville Capitale eſt ſituée
à quatorze degrez & demy
de latitude du Nort , fur le bord
d'une tres-grande & belle riviere ,
& les Vaiſſeaux tous chargés la
paſſent juſqu'aux portes de la Ville,
qui eſt éloignée de la Mer de
plus de quarante lieuës , & s'étend
àplus de deux cens lieuës dans le
pays , & parce moyen elle conduit
dans une partie des Provinces,
dontj'ai parlé ci- deſſus.Cette
Riviere eſt fort poiſſonneuſe &
fes rivages font affez bien peuplez
, quoiqu'ils demeurentinondésune
partie de l'année. Le terroir
y eſt paſſablement fertile 3
DU VOYAGE DE SIAM . 47
mais tres-mal cultivé , l'inondation
provient des grandes pluyes
qu'il y tombe durant trois ou quatre
mois de l'année ; ce qui fait
beaucoup croître leur ris ; en forte
que plus l'inondation dure ,
plus les recoltes du ris ſont en
abondance , & loin des'en plaindre
ils ne craignent que la trop
grande ſeichereſſe. Il y a beaucoup
de terre en friche ,& faute
d'habitans elles ont eſté dépeu--
plées par les guerres precedentes,
& comme ils font ennemis du
travail , ils n'aiment à faire que
les choſes aiſées. Ces plaines abandonnées
& ces épaiſſes Fo--
rets qu'on voit ſur les Montagnes
ſervent de retraite aux Elephans,
aux Tygres , aux Boeufs & Vaches
ſauvages , aux Cerfs , aux Biches,
Rinoceros & autres animaux
que l'ony trouve en quantité.
Al'égard des plantes & des
د
48 RELATION
fruits , il y en a pluſieurs dans le
païs ; mais qui ne font pas rares.
& qui ne ſe peuvent porter que,
difficilement en France , à cauſe
de lalongueur de la navigation .
Il n'y a point d'oiſeaux particuliers
qui ne foient en France , à
la referve d'un oiſeau fait comme
un merle ,qui contrefa it l'homme
à l'égard du rire , du chanter &
du fiffler , les fruits les plus eſtimés
y font les durions ;ils ont
une odeur tres- forte qui n'agrée
pas à pluſieurs, mais à l'égard du
goût il eſt tres- excellent. Ce fruit
eſt tres chaud & tres -dangereux
pour lafanté , quand on en mange
beaucoup; il ya un gros noyau,
à l'entour duquel eſt une eſpece
de creme renfermée dans une écorce
environnée de pluſieurs piquants
, & qui eft faite en pointe
de diamant ; mon goût n'a ja
mais pu s'y accommoder. La mangue
:
DU VOYAGE DE SIAM . 49
gue en ce pays-là eſt en prodigieuſe
quantité , & c'eſt le meil
leur fruit des Indes , d'un goût
exquis , n'incommodant aucunement,
àmoins que d'en manger en
trop grande quantité , alors elle
pouroit bien cauſer la fiévre ; elle
a la figure d'une amande , mais
auffi groſſe qu'une poire de Mef
fire-Jean; ſa peau eſt aſſés mince
& a la chair jaune ; le mangoûstan
eſt un fruit reſſemblant à
une noix verte , qui a dedans un
fruit blanc d'un goût aigret &
agreable , & qui approche fort
deceluide la pêche &de la prune,
il est tres- froid & reſtraintif.
LeJacques eſtun gros fruit qui
eſt bon , mais tres- chaud & indigefte
, & cauſe le flus de ventre
quand on en mange avec excés .
La nana eft preſque comme le
durion , c'eſt à dire à l'égard de
la peau ; il a au bout une courone
50
RELATION
ne de feüilles comme celle de
l'artichaud ; la chair en eſt tresbonne
& a le goût de la pêche
& de l'abricot tout enſemble ; il
eft tres-chaud & furieux ; ce qui
fait que l'on le mange ordinairement
trempé dans le vin.
La figue eſtun fruit tres -doux,
fuave&bien faiſant ; cependant
un peu flegmatique , il y en a pendant
toute l'année .
L'ate eſt un fruit doux & tresbon
, & ne fait point de mal ; il
y en a qui l'eſtiment plus que
tous les fruits des Indes. Il y a
des oranges en tres - grande
quantité de pluſieurs fortes tresbonnes
& fort douces .
La pataïe eſt un fruit tres-bon,
mais l'arbre qui le porte ne dure
que deux ans.
Il y a de toute forte d'oranges
en quantité & de tres - bon goût .
La penplemouſe eſt un fruit
tres-bon pour la ſanté à peu prés
DU VOYAGE DE SIAM . SI
comme l'orange,mais qui a un petit
goût aigret. Il y a pluſieurs
autres fruits qui ne font pas fort
bons.
On a commencé il y a quelques
années à ſemer beaucoup
de bleds dans le pays haut proche
des montagnes qui y vient
bien & eft tres - bon .
On y a planté pluſieurs fois
des vignes qui y viennent bien ,
mais qui ne peuventdurer, à cauſe
d'une eſpece de fourmy blanc
qui la mange juſqu'à la racine.
Il y a beaucoup de canes de
fucre qui rapportent extrémement
; il y a auſſi du tabac en
quantité que les Siamois mangent
avec l'arrek & la chaud .
A l'égard de l'arrek, les Siamois
eſliment ce fruit plus que tout
autre , & c'eſt leur manger ordi
naire ; il y en a une ſi grande
quantité que les marchés en
e ij
52 RELATION
font pleins , & un Siamois croiroit
faire une grande incivilité
s'il parloit à quelqu'un ſans avoir
la bouche pleine de darek , de
betel , de chaud ou de tabac .
,
Il y a grande quantité de ris
dans tout le Roïaume & à tresbon
compte ,& comme ce païs
eſt toûjours inondé , cela fait
qu'il eſt plus abondant , car le ris
ſe nourrit dans l'eau & à meſure
que l'eau croît , le ris croît pareillement
,& fil'eau croît d'un pied
en vingt-quatre heures ce qui
arrive quelquefois , le ris croît
aufli àproportion &a toûjours fa
tige au deſſus de l'eau , il ne reſte
que cinq ou fix mois au plus en
terre , il vient comme l'avoine,
Il n'y a point de ville dans l'Orient
où l'on voye plus de Nations
differentes , que dans la Ville
Capitale de Siam , & où l'on
parle de tant de langues differentes
, elle a deux lieuës de
DU VOYAGE DE SIAM .
53
tour & une demie lieuë de large,
elle eſt tres- peuplée , quoi qu'elle
ſoit preſque toûjours inondée ,
enfortequ'elle reſſemble plûtoſtà
une Ifle , il n'y a que des Maures
, des Chinois , des François
& des Anglois , qui demeurent
dans la Ville , toutes les autres
Nations eſtant logées aux environspar
camps ; c'eſt à dire chaque
nation enſemble , ſi elles estoient
affemblées elles occuperoient
autant d'eſpace que la Ville qui
eſtoit autrefois tres- marchande ,
mais les raiſons que j'ay dites cydevant
empêchent la plupartdes
Nations Etrangeres d'y venir &
d'y rien porter.
Le peuple eſt obligé de ſervir
le Roy quatre mois de l'année
regulierement , & durant toute
l'année , s'il en a beſoin ; il ne leur
donne pas un fol de paye, eſtant
obligez de ſe nourir eux-mêmes
e iij
54 RELATION
& de s'entretenir ; c'eſt ce qui
a faitque les femmes travaillent
afin de nourir leurs maris .
A l'égard des Officiers depuis
les plus grands Seigneurs de la
Cour juſqu'au plus petit du
Royaume, le Roy neleur donne
que de tres- petits appointemens,
ils font auſſi eſclaves que les autres
, & c'eſt ce qui luy épargne
beaucoup d'argent. Les Provinces
éloignées dont les habitans
ne le ſervent point actuellement,
luy payent un certain tribut par
teſte. J'arrivay dans le temps que
le pays eſtoit tout-à-fait inondé
, la Ville en paroît plus agreable,
les ruës en ſont extremement
longues , larges & fort droites,
il y a aux deux côtez des
maiſons bâties ſur des pilotis &
des arbres plantés tout à l'entour
, ce qui fait une verdeur
admirable , & on n'y peut aller
DU VOYAGE DE SIAM. 55
qu'en ballon ; en la regardant l'on
croiroit voir d'un coup d'oeil ,
une ville , une mer & une vaſte
foreſt , où l'on trouve quantité
de Pagodes qui font leurs Eglifes
, & la plupart font fort dorées,
à l'entour de ces Pagodes', il ya
comme des Cemetieres plantés
d'arbres la plupart fruitiers , les
maiſons des Talapoins font les
plus grandes& les plus belles&
font en tres-grand nombre .
Ce païs-là eſt plus ſain que les
autres des Indes ,les Siamois ſont
communément affez bien-faits ,
quoi qu'ils ayent tous le viſage
bazanné , leur taille eſt affez
grande , leurs cheveux font
noirs , ils les portent aſſez courts
àcauſe de la chaleur , ils ſe baignent
ſouvent , ce qui contribuë
àla conſervation de leur ſanté
les Europeans qui y demeurent
en font de même pour éviter les
a
e iiij
56 RELATION
maladies ; ils tiennent leurs marchés
ſur des places inondées dans
leurs balons pendant fix ou ſept
mois de l'année que l'inondation
dure.
Le Roy ſe leve du matin &
tient un grand Conſeil vers les
dix heures ,où l'on parle de toutes
fortes d'affaires, qui dure juſqu'à
midy , aprés qu'il eſt fini ſes Medecins
s'aſſemblent pour ſçavoir
l'état de ſa ſanté , & enſuite il
va dîner ; il ne fait qu'un repas
par jour , l'aprés-dînée il ſe retire
dans ſon appartement où il dort
deux ou trois heures , & l'on ne
ſçait pas à quoyil employe le reſte
dujour, n'étant permis pas même
à ſes Officiers d'entrer dans ſa
chambre . Sur les dix heures du
foir, il tient un autre Conſeil ſecret
, où il y a ſept ou huit Mandarins
de ceux qu'il favoriſe le
plus , ce Conſeil dure juſqu'à
DU VOYAGE DE SIAM . 57
minuit . Enſuite on luy lit des
hiſtoires ou des vers qui ſont faits
à leurs manieres , pour le divertir
& d'ordinaire après ce Conſeil ,
Monfieur Conſtans demeure ſeul
aveclui , auquel il parle à coeur
ouvert , comme le Roy luy trouve
un eſprit tout-à- fait vaſte , ſa
converſation luy plaît , & il luy
communique toutes ſes plus fecrettes
penſées ; il ne ſe retire
d'ordinaire qu'à trois heures aprés
minuit pour s'aller coucher , voilà
la maniere dontle Roy vît toûjours
, & de cette forte toutes les
affaires de ſon Royaume paſſent
devant luy ; dans de certains
tempsil prend plaiſir à la chaſſe ,
comme j'ay dit ; il aime fort les
bijoux même ceux d'émail & de
verre , il eſt toûjours fort proprement
vêtu , il n'a d'enfans qu'une
fille , que l'on appelle la Princef
ſeReyne , âgée d'environ vingt58
RELATION
fept ou vingt-huit ans le Roi
l'aime beaucoup , on m'a dit qu'elle
étoit bien faite ; mais jamais les
hommes ne la voyent, elle mange
dans le même lieu & à même
tems que le Roy,mais à une table
feparée ; & ce ſont des femmes
qui les ſervent qui ſont toûjours
proſternées.
Cette Princeſſe a ſa Cour compoſéedes
femmes des Mandarins
qui la voyent tous les jours , &
elletientConſeil avec ſes femmes
de toutes ſes affaires , elle rend
juſticeà ceux qui luy appartiennent
, &leRoy luy ayant donné
desProvinces dont elle tire le revenu&
en entretient fa Maiſon ,
elle a ſes châtimens & exerce la
juſtice. Il y eſt arrivé quelquefois
que lorſque quelques femmes de
ſamaiſon ont eſté convaincuës de
mediſances d'extrême confideration
, ou d'avoir revelé des ſecrets
DU VOYAGE DE SIAM. 59
de tres-grende importance , elle
leur a fait coudre la bouche .
Avant la mort de la Reyne ſa
mere, elle avoit à ce que l'on dit
du penchant à faire punir avec
plus de ſeverité , mais du depuis
qu'elle l'a perduë elle en uſe avec
beaucoup plus de douceur ; elle
va quelquefois àla chaſſe avec le
Roy , mais c'eſt dans une fort
belle chaiſe placée ſur un Elephant
& où quoy qu'on ne la
voye point elle voit neanmoins
tout ce qui s'y paſſe. Il y a des Cavaliers
qui marchent devant elle
pour faire retirer le monde , & fi
par hazard il ſe trouvoit quelque
homme ſur ſon chemin qui ne pût
pas ſe retirer,il ſe proſterne en terre
& luy tourne le dos. Elle eſt
tout le jour enfermée avec ſes
femmes ne ſe divertiſſantà faire
aucun ouvrage , ſon habillement
eſt affez ſimple & fort leger , elle
60 RELATION'
eſt nuë jambe , elle a à ſes pieds
des petites mulles ſans talons
d'un autre façon que celles de
France ; ce qui lui fertdejuppe eſt
une piece d'étoffe de ſoye ou de
coton qu'on appelle paigne , qui
l'enveloppe depuis la ceinture
en bas & s'atrache par les deux
bouts, qui n'eſt point plicée , de
la ſceinture en haut elle n'a rien
qu'une chemiſe de mouſſeline
qui luy tombe deſſus cette maniere
de juppe , & qui eſt faite
de meſme que celle des hommes,
elle a une écharpe fur la gorge
qui luy couvre le col & qui paffe
par deſſous les bras , elle eſt toûjours
nuë teſte , & n'a pas les
cheveux plus longs que de quatre
ou cinq doigts , ils lui font comme
une tête naiſſante ; elle aime
fort les odeurs , elle fe met de
P'huileà la teſte ; car il faut en ces
lieux-là que les cheveux foient
DU VOYAGE DE SIAM . 61
luifans , pour eſtre beaux , elle
ſe baigne tous les jours meſme
plus d'une fois qui eſt la coûtume
de toutes les Indes , tant à l'égard
deshommes quedes femmes ;j'ay
apris tout ceci de Madame Conſtans
qui va ſouvent luy faire ſa
Cour. Toutes les femmes qui
font dans ſa Chambre ſont toûjours
proſternées & par rang ,
c'eſt à dire les plus vieilles ſont
les plus proches d'elle , & elles
ont la liberté de regarder la Princeffe
, ce que les hommes n'ont
point avec le Roy de quelque
qualité qu'ils foient , car tant
qu'ils font devant luy , ils ſont
profternez & meſme en luy parlant.
Le Roy a deux freres , les freres
du Roy heritent de la Couronne
de Siam preferablement à
fes enfans . Quand le Roy fort
pour aller à la Chaſſe ou à la
62 RELATION
promenade, on fait avertir tous
les Européens de ne ſe point trouver
ſur ſon chemin , à moins qu'ils
ne veulent ſe profterner un moment:
avant qu'il forte de fon Palais
on entend des trompettes &
des tambours qui avertiſſent &
qui marchent devant le Roy , à
ce bruit les Soldats qui font en
haye ſe proſternent le front contre
terre & tiennent leurs moufquets
ſous eux ; ils font en cette
poſture autant de temps que
le Roy les peut voirde deſſus ſon
Elephant , où il eſt aſſis dans une
chaiſe d'or couverte , la garde à
cheval qui l'accompagne & qui
eſt compoſée de Maures eſt environ
quarante Maiſtres marchant
fur les aîles ; toute la Maiſon du
Roy eſt à pied devant , derriere
&à côté , tenant les mains jointes,&
elle le ſuit de cette maniere.
Il y a quelques Mandarins des
DUVOYAGE DE SIAM. 63
principaux qui le fuivent ſur des
Elephans , dix ou douze Officiers
qui portent de grands paraſſols
tout à l'entour du Roy , & il n'y
a que ceux- là qui ne ſe proſternent
point ; car dés le moment
que le Roy s'arreſte tous les autres
ſe proſternent , & mefme
ceux qui ſont ſur les Elephans.
Quant à la maniere que le Roy
de Siam obſerve à la reception
des Ambaſſadeurs , comme ceux
de la Cochinchine , de Tonquin,
de Colconda , des Malais , de
Java & des autres Roys , il les
reçoit dans une Salle couverte de
tapis , les grands & principaux
du Roïaume font dans une autre
ſalleun peu plus baffe , & les autres
Officiers de moindre qualité
dans une autre ſalle encore plus
baſſe, tous proſternés ſur des tapis
en attendant que le Roy pa
64 RELATION
roiſſe par une feneſtre qui eſt visà-
vis; la ſalle où doivent eſtre les
Ambaſſadeurs eſt élevée d'environ
dix ou douze pieds & diſtante
de cette falle de trente pieds ;
l'on ſçait que le Roy va paroître
par le bruit des trompettes , des
tambours & des autres Inſtrumens
; les Ambaſſadeurs font derriere
une muraille qui renferme
cette ſalle qui attendent la fortie
du Roy , & ordre des Miniſtres
que le Roy envoye appeller par
un des Officiers de ſa Chambre,
ſuivant la qualité des Ambaſſadeurs
, & fes Officiers fervent en
telles occaſions; aprés queles Miniſtres
ont la permiffion du Roy
on ouvre la porte de la ſalle &
auſſi- tôt les Ambaſſadeurs paroifſent
avec leur Interprete , &
l'Officier de la Chambre du Roi
qui ſert de Maiſtre de Ceremonies&
marchent devant eux profternez
DU VOYAGE DE SIAM. 65
ternez ſur des tapis qui ſont ſur
la terre , faiſant trois reverences
la teſte en bas à leur maniere
aprés quoy le Maiſtre des Ceremonie
marche à genoux les mains
jointes , l'Ambaſſadeur avec fes
Interprettes le ſuit en la même
poſture avec beaucoup de modeſtie
juſques au milieu de la
diſtance d'où il doit aller , & fait
trois reverences en la meſme forme
; il continue à marcher jufqu'au
coin le plus proche des falles
où les Grands font , & il recommence
à faire des reverences
où il s'arrête ; il y a une table
entre le Roy & l'Ambaſſadeur ,
diſtante de huit pieds , où ſont
les preſens que l'Ambaſſadeur apporte
au Roy , & entre cette table
& les Ambaſſadeurs il ya un
Mandarin qui reçoit les paroles
de ſa Majesté , & dans cette Salle
ſont les Miniſtres du Roy diff
66 RELATION
tants de l'Ambaſſadeur d'environ
trois pas , & le Capitaine qui
gouverne la Nation d'où eſt l'Ambaffadeur
eft entre luy & les Miniſtres
; le Roy commence à parler
le premier & non l'Ambaffadeur
, ordonnant à ſes Miniſtres
de s'informer de l'Ambaffadeur
quand il eſt party de la preſence
duRoy ſon Maiſtre , file Roy
& toute la famille Royale eſtoit
en ſanté , auquel l'Ambaſſadeur
répond ce qui en eſt par fon Interprete
, l'Interprete le dit au
Capitaine de la Nation d'où eſt
l'Ambaſſadeur , le Capitaine au
Barcalon & leBarcalon au Roy.
Aprés cela le Roy fait quelque
demande fur deux ou trois points
concernant l'Ambaſſadeur ; enfuitele
Roy ordonne à l'Officier
qui eſt proche la table de donner
du betel àl'Ambaſſadeur , ce
qui ſert de ſignal pour que l'on
DU VOYAGE DE SIAM. 67
luy preſente une veſte , & incontinent
le Roy ſe retire au bruit
des tambours, des trompettes&
des autres inſtrumens. La premiereAudiencede
l'Ambaſſadeur
ſe paſſe entreluy & le Ministre ,
qui examine la Lettre &les prefens
du Prince qui l'a envoyés
l'Ambaſſadeur ne preſente point
la Lettre au Roy , mais au Miniſtre
, aprés quelques jours du
Conſeil tenu ſur ce ſujet.
Quand ce font des Ambaſſadeurs
des Roys indépendans de
quelque Couronne , que ce ſoit
de ſes pays , commePerſe , grand
Mogol , l'Empereur de la Chine ,
de Japon , on les reçoit enlamaniere
ſuivanre.
Les Grands du premier & du
ſecond Ordre vont aupied de la
feneſtre où eſt le Roy ſe proſter-:
ner ſuivant leurs qualitez ſur des
tapis , & ceux du troiſieme , quafij
68 RELATION
triéme & cinquiéme , ſont dans
une ſalle plus baffe & attendent
la fortie du Roy qui paroiſt par
une feneſtre qui eſt enfoncée
dans la muraille , & élevée de
dix pieds ; les Ambaſſadeurs font
dans un lieuhors du Palais , en
attendant le Maiſtre des Ceremonies
qui les vient recevoir , &
l'on fait les meſmes ceremonies
dont j'ay parlé cy -deſſus : l'Ambaſſadeur
entrant dans le Palais
leve les mains ſur ſa teſte & marche
entre deux Salles qu'il ya &
monte des degrez qui font visà-
vis la feneſtre où eſtle Roy , &
quand il eſtau haut il poſe un genou
en terre , & auffi-tôt on
ouvre une porte pour qu'il puiſſe
paroître devant le Roy ; enſuite
on pratique les mêmes ceremonies
qui viennent d'eſtre marquées
cy-devant. Ily a un bandege
ou plat d'or ſur la table où
DU VOYAGE DE SIAM. 69
eſt la Lettre traduite & ouverte ,
ayant été receuë par les Miniſtres
quelques jours auparavant dans
une ſalle deſtinée à cet uſage ;
quand l'Ambaſſadeur eſt dans ſa
place le Lieutenant du Miniſtre
prend laLettre& la lit tout haut;
aprés qu'il l'a leuë , le Roy fait
faire quelque demande à l'Ambaſſadeur
par ſon Miniſtre , fon
Miniſtre par le Capitaine de la
Nation , & le Capitaine par l'Interprete
, & l'Interprete enfin
parle à l'Ambaſſadeur. Ces demandes
ſont ſile Roy ſon Maître
& la famille Royale font en ſanté
, & s'il la chargé de quelqu'au
tre choſe qui ne fût pas dans la
Lettre , à quoy l'Ambaſſadeur
répond ce qui en eſt ; leRoy luy
fait encore troisou quatre deman.
des , & donne ordre qu'on luy
donne une veſte & du betel : aprés
quoy le Roy ſe retire au bruit des
70 RELATION
tambours & des trompettes ,&
l'Ambaſſadeur reſte un peu de
temps , & ceux qui l'ont reccu
le reconduiſent juſqu'à fon logis
fans autre accompagnement ; &
comme j'appris cette manierede
recevoir les Ambaſſadeurs qui ne
me parût pas répondre à la grandeur
du Monarque de la part
de qui je venois , j'envoyay au
Roy de Siam deux Mandarins
qui estoientavec moy de ſa part ,
pour ſçavoir ce que je ſouhaitterois
, pour le prier de me faire la
mefme reception que l'on a accoûtumé
de faire en France , ce
qu'il m'accorda de la maniere
queje l'ay raconté cy-devant.
Du Gouvernement , des
Moeurs, de la Religion ,
& du Commerce du
Royaume de Siam, dans
les pays voisins , &plufieurs
autres particularités.
OUS les jours les
Mandarins qui font
deſtinez pour rendre
la juſtice s'aſſemblent
dans une falle où ils
donnent audiance , c'eſt comme
1a Cour du Palais à Paris ,& elle
2 RELATION
eſt dans le Palais du Roy , où
ceux qui ont quelque requête à
preſenter ſe tiennent à la porte
juſqu'à ce qu'on les appellé , &
quand on le fait ils entrent leur
requête à la main & la prefentent.
Les Etrangers qui intentent
procés au ſujet des marchandiſes,
la preſentent au Barcalon , c'eſt
le premier Miniſtre du Roy ,
qui juge toutes les affaires concernant
les Marchands & les
Etrangers ; en ſon abſence , c'eſt
ſon Lieutenant , & en l'absence
des deux , une maniere d'Eſche
wins. Il y a un Officier prépoſé
pour les tailles & tributs auquel
on s'adreſſe , & ainſi des autres
Officiers. Aprés que les affaires
font difcutées on les fait ſçavoir
aux Officiers du dedans du Palais
, qui en avertiſſent le Roy
eſtant lors ſur un Trône élevé
DU VOYAGE DE SIAM . 3
de trois braffes , tous les Mandarins
ſe proſternent la face contre
terre , & le Barcalon ou autres
des premiers Oyas , rapportent
au Roy les affaires & leurs jugemens
, il les confirme , ou il les
change ſuivant ſa volonté , c'eſt
à l'égard des principaux procés ,
& tres- ſouvent il ſe fait apporter
les procés au dedans du Palais
, & leur envoye ſon jugementpar
écrit.
Le Roy eſt tres- abſolu , on diroit
quaſi qu'il eſt le Dieu des
Siamois , ils n'ofent pas l'appeller
de ſon nom. Il châtie tres-feverement
le moindre crime ; car
ſes Sujets veulent eſtre gouvernez
la verge à la main , il ſeſert même
quelquefois des Soldats de ſa
garde pour punir les coupables
quand leur crime eſt extraordinaire
& fuffisamment prouvé.
Ceux qui font ordinairement ema
ij
4 RELATION
ployez ces fortes d'executions
font 150. Soldats ou environ qui
ont les bras peints depuis l'épaule
juſqu'au poignet ; les châtimens
ordinaires ſont des coups
de rottes , trente, quarante , cinquante
& plus , ſur les épaules des
criminels , felon la grandeur du
crime , aux autres il fait piquer
la tête avec un fer pointu : à l'égard
des complices d'un crime
digne de mort , aprés avoir fait
couper la tête au veritable criminel
, il la fait attacher au col
du complice , & on la laiſſe pourir
expoſée au Soleil fans couvrir
la tête pendant trois jours
&trois nuits , ce qui cauſe à celui
qui la porteune grande puantour,
Dans ce Royaume , la peine
du talion eſt fort en uſage , le
dernier des fupplices eſtoit , il n'y
a pas long-temps, de les condamDU
VOYAGE DE SIAM. یک
ner à la Riviere , qui eſt proprement
comme nos Forçats de Galere
, & encorepis ; mais maintenant
on les punit de mort. Le
Roy fait travailler plus qu'aucun
Roy de ſes predeceffeurs, en bâ
timens , à reparer les murs des
Villes , à édifier des Pagodes , à
embellir fon Palais , à bâtir des
Maiſons pour les Etrangers , & à
conſtruire des Navires à l'Euro .
peane , il eſt fort favorable aux
Etrangers , il en a beaucoup à
fon ſervice,& en prend quand il
en trouve .
Les Roys de Siam n'avoient'
pas accoûtumé de ſe faire voir
auſſi ſouvent que celui-cy. Ils
vivoient preſque ſeuls , celuy
d'apreſent vivoit comme les autres
: mais Monfieur de Berithe
Vicaire Apoftolique , s'eſtant ſer
vi d'un certain Brame , qui faifant
le plaiſant avoit beaucoup
1
a iij
6 RELATION
de liberté de parler à ce Monarque
, trouva le moyen de faire
connoître à ce Prince , la puif
fance & la maniere de gouverner
de nôtre grand Roy , & en même
temps les coûtumes de tous
les Roys d'Europe , de ſe faire
voir à leurs Sujets & aux Etrangers
; de maniere qu'ayant un
auffi grand ſens que je l'ay déja
remarqué , il jugea à propos de
voir Monfieur de Berithe , & enfuite
pluſieurs autres ; depuis ce
temps- là il s'eſt rendu affable &
acceſſible à tous les Etrangers.
On appelle ceux qui rendent la
justice ſuivant leurs differentes
fonctions , Oyas Obrat , Oyas
Momrat , Oyas Campheng, Oyas
Ricchou , Oyas Shaynan , Opran,
Oluan ; Oeun , Omun .
Comme autrefois les Roys ne
ſe faisoient point voir , les Miniftres
faifoient ce qu'ils vouloient,
DU VOYAGE DE SIAM. 7
mais le Roy d'apreſent qui a un
tres-grand jugement , & eſt un
grand Politique,veut ſçavoir tout;
il a attaché auprés de luy le Sei
gneur Conftans dont j'ay déja
parlé diverſes fois , il eſt Grec
de nation , d'une grande penetration
, & vivacité d'eſprit
&d'une prudence toute extraordinaire
, il peut & fait tout
fous l'autorité du Roy dans le
Royaume , mais ce Miniſtre n'a
jamais voulu accepter aucune des
premieres Charges que leRoyluy
a fait offrir pluſieurs fois. Le Barcalon
qui mourut ily a deux ans ,&
qui par le droit de ſa Charge
avoit le gouvernement de toutes
les affaires del'Etat , eſtoit homme
d'un tres-grand eſprit , qui
gouvernoit fort bien , & fe faifoit
fort aimer , celuy quiluy fucce
da eſtoit Malais de nation, qui eft
un pays voiſin de Siam , il ſe fera
iiij
8 RELATION
vit de Monfieur Baron , Anglois.
de nation , pour mettre mal Monſieur
Conftans dans l'eſprit du
Roy , & le luy rendre ſuſpect ,
mais le Roy reconnut ſa malice ,
il le fit battre juſqu'à le laiſſer
pour mort , & le dépoſſeda de ſa
Charge , celui qui l'occupe preſentement
vit dans une grande
intelligence avec Monfieur Conſtans
.
Comme par les loix introduites
par les Sacrificateurs des Idoles
qu'on nomme Talapoins , il
n'eſt pas permis de tuer , on condamnoit
autrefois les grands criminels
ou à la chaîne pour leur
vie , ou à les jetter dans quelques
deferts pout y mourir de faim ;
mais le Roy d'apreſent leur fait
maintenant trancher la teſte &
les livre aux Elephans .
Le Roy a des Eſpions pour
ſcavoir ſi on luy cache quelque
DU VOYAGE DE SIAM .
choſe d'importance , il fait châtier
tres - rigoureuſement ceux qui
abuſent de leur autorité . Chaque
Nation étrangere établie dans le
Royaume de Siam a ſes Officiers
particuliers , & le Roy prend de
toutes ces Nations- là des gens
qu'il fait Officiers generaux pour
tout ſon Royaume. Il y a dans
fon Etat beaucoup de Chinois ,
& il y avoit autrefois beaucoup
de Maures ; mais les années pafſées
il découvrit de ſi noires trahiſons
, des concuffions & des
tromperies ſi grandes dans ceux
de cette nation , qu'il en a obligé
un fort grand nombre à déferter
, & à s'en aller en d'autres.
Royaumes.
Le commerce des Marchands
Etrangers y eſtoit autrefois tresbon
, on y en trouvoit de toutes
parts ; mais depuis quelques années
,les diverſes revolutions qui
ΟΙ RELATION
font arrivées à la Chine , au Japon
& dans les Indes , ont empeſché
les Marchands Etrangers
de venir en ſi grand nombre.
On eſpere neanmoins, que puif
que tousces troubles font appaiſez
, le commerce recommencera
comme auparavant , & que le
Roy de Siam par le moyen de fon
Miniſtre envoyera fes Vaiſſeaux
pour aller prendre les Marchandi
ſes les plus precieuſes , & les
plus rares de tous les Royaumes
d'Orient,&remettra toutes chofes
en leur premier & fleuriſſant état.
Ils font la guerre d'une maniere
bien differente de celle de la plûpart
des autres nations , c'eſt à
dire à pouſſer leurs ennemis hors
de leurs places ſans pourtant
leur faire d'autre mal que de les
rendre eſclaves , & s'ils portent
des armes , c'eſt ce ſemble plûtôt
pour leur faire peur en les tirant
,
DU VOYAGE DE SIAM. II
contre terre , ou en l'air, que pour
les tuër , & s'ils le font c'eſt tout
au plus pour ſe deffendre dans la
neceſſité ; mais cette neceſſité
de tuër arrive rarement parce
que prefque tous leurs ennenemis
qui en uſent comme eux,ne
tendent qu'aux mêmes fins . Il ya
des Compagnies & des Regimens
qui ſe détachentde l'arméependát
la nuit,&vont enlever tous leshabitans
des Villages ennemis , &
font marcher hommes, femmes &
enfans que l'on fait eſclaves , &
le Roy leur donne des terres&
des bufles pour les labourer , &
quand le Roy en a beſoin il s'en
fert. Ces dernieres années , le
Roi a fait la guerre contre les
Cambogiens revoltez , aidez des
Chinois & Cochinchinois , où il
a fallu ſe battre tout de bon , & il
y a eu pluſieurs Soldats tuez de
part &d'autre ; il a eu pluſieurs
21 RELATION
Chefs d'Europeans qui les inſtrui
fent àcombattre en nôtre maniere .
Ils ont une continuelle guerre
contre ceux du Royaume de
Laos , qui eſt venuë , de ce qu'un
Maure tres-riche allant en ce
Royaume- là pour le compte du
Royde Siam,y reſta avec de grandes
ſommes , le Roy de Siam , le
demanda auRoy de Laos , mais
celui-cile luy refuſa, ce qui a obligé
le Roy de Siam de luydeclarer
la guerre.
Avant cette guerre ily avoit un
grand commerce entre leurs Etats,
& celuy de Siam en tiroit de
grands profits par l'extrême
quantité d'or , de muſc , de benjoüin
, de dents d'Elephant &
autres marchandiſes qui lui venoient
de Laos , en échange des
toiles & autres marchandiſes .
Le Roy de Siam a encore guerre
contre celui de Pegu ; il y a quanDU
VOYAGE DE SIAM . 13
tité d'Eſclaves de cette Nation .
Il y a pluſieurs Nations Etrangeres
dans ſon Royaume , les
Maures y estoient , comme j'ay
dit , en tres-grand nombre , mais
maintenant il y en a pluſieurs qui
font refugiez dans le Royaume
de Colconde, ils eſtoient au ſervice
du Roy , & ils luy ont emporté
plus de vingt mille catis , chaque
catis vallant cinquante écus , le
Roy de Siam écrivit au Roy de
Colconde de luy rendre ces perſonnes
ou de les obliger à luy
payer cette ſomme , mais le Roy
de Colconden'en voulutrien faire
, ny même écouter les Ambafſadeurs
qu'il luy envoya ; ce quia
fait que le Roy de Siam luy a
declaré la guerre & luy a pris
dans le tems que j'étois à Siam ,
un Navire dont la charge valloit
plus de centmille écus . Il y a fix
Fregates commandées par des
14
RELATION
François & des Anglois qui
croiſent ſur ſes côtes .
Depuis quelque temps l'Empereur
de la Chine a donné liberté
à tous les Etrangers de venir
negocier en ſon Royaume ;
cette liberté n'eſt donnée que
pour cinq ans , mais on efpere
qu'elle durera , puiſque c'eſt un
grand avatage pour ſon Royaume .
Ce Prince a grand nombre de
Malais dans ſon Royaume , ils
font Mahometans , & bons Soldats
, mais il y a quelque difference
de leur Religion à celle
des Maures. Les Pegovans font
dans ſon Etat preſque en auſſi
grande quantité queles Siamois
originaires du pays .
Les Laos y font en tres-grande
quantité , principalement vers
le Nort.
Il y a dans cet Etat huit ou neuf
familles de Portugais veritables ,
DU VOYAGE DE SIAM.
mais de ceux que l'on nomme
Meſties , plus de mille , c'eſt à dire
de ceux qui naiſſent d'un Portugais
& d'une Siamoiſe .
Les Hollandois n'y ont qu'une
facturie.
Les Anglois de même.
Les François de même.
Les Cochinchinois ſont environ
cent familles , la plupart
Chreftiens.
Parmy les Tonquinois ily en a
ſeptou huit familles Chrétiennes .
Les Malais y font en afſez grand
nombre,qui font la plupart eſclaves,&
qui par conſequent ne font
pointde corps .
Les Macaſſars & pluſieurs des
peuples de l'Iſle de Java y font
établis, de meſme que les Maures:
ſous le nom de ces derniers ſont
compris en ce pays- là, les Turcs,
les Perfans les Mogols les
Colcondois & ceux de Bengala .
, د
16 RELATION
Les Armeniens font un corps
à part , ils font quinze ou ſeize
familles toutes Chrétiennes , Catholiques
, la plupart ſont Cavaliers
de la garde du Roy.
A l'égard des moeurs des Siamois
ils font d'une grande docilité
qui procede plûtoſt de leur
naturel amoureux du repos que
de toute autre cauſe , c'eſt pourquoi
les Talapoins qui fontprofeffion
de cette apparente vertu ,
defendentpour cela de tuër toutes
fortes d'animaux ; cependant lorfque
tout autre qu'eux tuë des
poules & des canards , ils en mangentla
chair ſans s'informer qui
les a tués , ou pourquoi on les a
tués , & ainſi des autres animaux .
Les Siamois font ordinairement
chaſtes , ils n'ont qu'une femme ,
mais les riches comme les Mandarins
ont des Concubines , qui
demeurent enfermées toute leur
vie
DU VOYAGE DE SIAM. 17
vie. Le peuple eſt aſſez fidele &
ne volle point ; mais il n'en eft
pas de même de quelques-uns des
Mandarins , les Malais qui font
en tres-grand nombre dans ce
Royaume- là font tres- méchants
&grands voleurs .
Dans ce grand Royaume il y
a beaucoup de Pegovans qui
ont eſté pris en guerre , ils font
plus remuants que les Siamois
& font d'ordinaire plus vigoureux
, il y a parmy les femmes du
libertinage , leur converſation eft
perilleuſe.
Les Laos peuplent la quatriéme
partie du Royaume de Siam",
comme ils font à demy Chinois ,
ils tiennent de leur humeur , de
leur adreſſe& de l'inclination a
voller par fineſſe; leurs femmes
font blanches & belles , tres - familieres
& par confequent dangereuſes.
Dans le Royaume de
b
18 RELATION
Laos , un homme qui rencontre
une femme pour la falüer avec
la civilité accoûtumée , la baife
publiquement ; & s'il ne le faiſoit
pas il l'offenferoit .
Les Siamois tant Officiers que
Mandarins ſont ordinairement
riches , parce qu'ils ne dépenfent
preſque rien , le Roy leur
donnant des valets pour les fervir
, ces valets font obligez de ſe
nourir à leurs dépens, eſtant com--
me efclaves,ils font en obligation
de les ſervir pour rien pendant:
la moitié de l'année : & comme
cesMeſſieurs-làen ontbeaucoup,
ils ſe ſervent d'une partie pendant
que l'autre ſe repoſe ; mais
ceux qui ne les ſervent point:
leur payent une fomme tous les
ans , leurs vivres font à bon marché
, car ce n'eſt que duris , du
poiffon , & tres -peu de viande, &
tout cela eft en abondance dans
DU VOYAGE DE SIAM . 19
leur pays ; leurs vêtemens leur
fervent long- temps , ce ne font
que des pieces d'étoffes toutes
entieres qui ne s'uſent pas fi faci
lement que nos habits &ne coutent
que tres-peu : la plupart des
Siamois font Maſſons ou Charpentiers
, & il y en a de tres habiles,
imitant parfaitement bien les
beaux ouvrages de l'Europe en
Sculpture& en dorure. Pour ce
qui eſt de la peinture ils ne ſçavent
point s'en ſervir , il y a des
ouvrages en Sculpture dans leurs
Pagodes , & dans leurs Mauſolées
fort polis & tres-beaux.
Ils en font auſſi de tres -beaux
avec de la chaux , qu'ils détrempent
dans de l'eau qu'ils tirent de
l'écorce d'un arbre qu'on trouve
dans les Forefts , quilarend ſi forte,
qu'elle dure des cent& deux
cens ans , quoi qu'ils foient expoſés
aux injures du temps ..
bij
20 RELATION
1
i
1.
i
Leur Religion n'eſt à parler proprement
qu'un grand ramas
d'Hiſtoires fabuleuſes , qui ne
tend qu'à faire rendre des hommages
& deshonneurs auxTalapoins,
qui ne recommandent tant:
aucune vertu que celle de leur
faire l'aumône , ils ont des loix
qu'ils obfervent exactement au
moins dans l'exterieur ; leur fin
dans toutes leurs bonnes oeuvres
eſt l'eſperance d'une heureuſe
tranfmigration aprés leur mort ,
dans le corps d'un homme riche ,..
d'un Roy , d'un grand Seigneur
ou d'un animal docile , comme
font les Vaches & les Moutons :
car ces peuples-là croyent la Metempſicoſe
; ils eſtiment pour cette
raiſonbeaucoup ces animaux ,
&n'ofent, comme je l'ai déja dit,
en tuër aucun , craignant de donner
la mort à leur Pere ou à leur
Mere , ou à quelqu'un de leurs
DU VOYAGE DE SIAM . 2
parens . Ils croyent un enfer où les
énormes pechez ſont ſeverement .
punis , ſeulement pour quelque
temps , ainſi qu'un Paradis , dans
lequel les vertus fublimes ſont
recompenſées dans le Ciel , où aprés
eſtre devenus des Anges
pour quelque temps , ils retournent
dans quelque corps d'hom--
me ou d'animal .
L'occupation des Talapoins .
eſt de lire , dormir, manger, chan--
ter , & demander l'aumône ; de
cette forte , ils vont tous les matins
ſe preſenter devant la porte
ou balon des perſonnes qu'ils connoiffent
,&ſe tiennent-là unmométavecunegrande
modeſtie ſans
rien dire, tenant leur évantail , de
maniere qu'il leur couvre la moitié
du viſage , s'ils voyent qu'on ſe
diſpoſe àleur donner quelque choſe
, ils attendent juſqu'à ce qu'ils
l'ayent receuë ; ils mangent de
biij
22 RELATION
د
3
tout ce qu'on leur donne même
des poulles & autres viandes
mais ils ne boiventjamais de vin ,
au moins en prefence des gens du
monde; ils ne font point d'office
ny de prieres à aucune Divinité.
Les Siamois croyent qu'il y a eu
trois grands Talapoins , qui par
leurs merites tres-fublimes acquis
dans pluſieurs milliers de tranſmigrations
ſont devenus des Dieux ,
&aprés avoir eſté faits Dieux ,
ils ont encore acquis de ſi grands
merites qu'ils ont eſté tous aneantis
, ce qui eſt le terme du plus .
grand merite & la plus grande recompenſe
qu'on puiffe acquerir ,
pour n'eſtre plus fatigué en changeant
ſi ſouventde corps dans un
autre; le dernier de ces trois Ta--
lapoins eſt le plus grand Dieu appellé
Nacodon , parce qu'il a eſté
dans cinq mille corps , dans l'une
de ces tranfmigrations , de Talapoin
il devint vache , fon frere le
DU VOYAGE DE SIAM .
23
voulut tuër pluſieurs fois ; mais il
faudroit un gros livre pour décrire
les grands miracles qu'ils difent
que la nature& non pasDieu,
fit pour le proteger : enfin ce frere
fut precipité en Enfer pour ſes
grands pechez , où Nacodon le
fit crucifier ; c'eſt pour cette raifon
qu'ils ont en horreur l'Image
de Jeſus-Chriſt crucifié , diſant
que nous adorons l'Image de ce
frere de leur grand Dieu , qui
avoit eſté crucifié pour ſes crimes ..
CeNacodon eſtant doncaneanti,
il ne leur reſte plus de Dieu à
preſent , ſaloy ſubſiſte pourtant ;
mais ſeulement parmi les Talapoins
qui diſent qu'aprés quelques
fiecles il y aura un Ange qui
viendra ſe faire Talapoin ,& enfuite
Dieu Souverain , qui par ſes
grands merites pourra être anean
ti : voilà le fondement de leur
creance ; car il ne faut pas s'imaginer
qu'ils adorent les Idoles
24 RELATION
"
1
qui font dans leurs Pagodes comme
des Divinitez , mais ils leur
rendent ſeulement des honneurs'
comme à des hommes d'un grand
merite , dont l'ame eſt à preſent
en quelque Roy , vache ou Talapoin
: voilà en quoi conſiſte leur
Religion , qui à proprement parler
ne reconnoît aucun Dieu , &
qui n'attribuë toute la recompenſede
la vertu qu'à la vertumême ,
qui a par elle le pouvoir de rendre
heureux celuy dont elle fair
paſſer l'ame dans le corps de quelque
puiſſant & riche Seigneur
ou dans celuy de quelque vache ,
levice ,diſent-ils, porte avec ſoy
ſon châtiment , en faiſant paffer
l'ame dans le corps de quelque
méchant homme , de quelque
Pourceau , de quelque Corbeau ,
Tigre ou autre animal. Ils admetrent
des Anges , qu'ils croyent
eſtre les ames des juſtes & des
bons
2
L
L
DUVOYAGE DE SIAM. 25
bons Talapoins; pour ce qui eſt des
Demons , ils eſtiment qu'ils font
les ames des méchans .
Les Talapoins font tres-refpe-
Etés de tout le peuple , & même
du Roy, ils ne ſe profternent point
lorſqu'ils luy parlent comme le
font les plusgrands du Royaume ,
& le Roy & les grands Seigneurs
les ſaluënt les premiers ; lorſque
ces Talapoins remercient quelqu'un,
ils mettentla main proche
leur front , mais pour ce qui eſt du
petit peuple, ils ne le ſalüent point ;
leurs vêtemens ſont ſemblables à
ceux des Siamois ,àla referve que
la toile eſt jaune , ils font nuds
jambes & nuds pieds fans chapeau
, ils portent ſur leur tête un
évantail fait d'une fcüille de palme
fort grande pour ſe garantir
du Soleil , qui eſt fort brûlant ;
ils ne font qu'un veritable repas
par jour, à ſçavoir le matin , & ils
G
26 RELATION
ne mangent le ſoir que quelques
bananes ou quelques figues ou
d'autres fruits ; ils peuvent quitter
quand ils veulent l'habit de
Talapoin pour ſe marier , n'ayant
aucun engagement que celuy de
porter l'habit jaune , & quand ils
le quittentils deviennent libres ;
cela fait qu'ils font en ſi grand
nombre qu'ils font preſque le tiers
du Royaume de Siam . Ce qu'ils
chantent dans les Pagodes font
quelques Hiſtoires fabuleuſes.,
entremêlées de quelques Sentences;
celles qu'ils chantent pendant
les funerailles des Morts font ,
nous devons tous mourir , nous
ſommes tous mortels ; on brûle les
corps morts au ſon des muſettes
& autres Inſtrumens , on dépenſe
beaucoup à ces funerailles , &
aprés qu'on a brûlé les corps de
ceux qui font morts , l'on met
leurs cendres ſous de grandes piramides
toutes dorées , élevées à
DU VOYAGE DE SIAM. 27
l'entour de leur Pagodes. Les
Talapoins pratiquent une eſpece
de Confeſſion ; car les Novices
vont au Soleil levantſe proſterner
ou s'affeoir fur leurs talons & marmottent
quelques paroles , aprés
quoy le vieux Talapoin leve la
main à côté deſa joie & lui donne
une forte de benediction , aprés
laquelle le Novice ſe retire.
Quand ils prêchent, ils exhortent
de donner l'aumône au Talapoin ,
& ſe creyent fort ſçavants , lorfqu'ils
citent quelques paſſages
de leurs Livres anciens en Langue
Baly , qui eft comme le Latin
chez nous; cette Langue eſt tresbelle
& emphatique , elle a ſes
conjuguaiſons comme la Latine.
Lorſqueles Siamois veulent ſe
marier , les parens de l'homme
vont premierement ſonder la volontéde
ceux de la fille, & quand
ils ont fait leur accord entr'eux
cij
28 RELATION
les parens du garçon vont preſenter
ſept boſſettes ou boiſtes de
betel & d'arest à ceux de la fille ,
& quoy qu'ils les acceptent &
qu'on les regarde déja comme
mariez le mariage ſe peut rompre
, & on ne peut encore асси-
fer devant le Juge , ny les uns ny
les autres , s'ils le ſeparent aprés
cette ceremonie .
Quelques jours aprés les parens
de l'homme le vont preſenter , &
il offre luy-même plus de boſſettes
qu'auparavant ; l'ordinaire eft
qu'il y en ait dix ou quatorze ,
& lors celuy qui ſe marie demeure
dans la maiſon de ſon beaupere,
ſans pourtant qu'il y ait conſommation
, & ce n'eſt que pour
voir la fille & pour s'accoûtumer
peu à peu à vivre avec elle durant
un ou deux mois ; aprés cela
tous les parens s'aſſemblent
avec les plus anciens de la caſte
ou nation ; ils mettent dans une
DU VOYAGE DE SIAM. 2.9
bourſe, l'un un anneau & l'autre
des bracelets , l'autre de l'argent ,
il y en a d'autres qui mettentdes
pieces d'étoffes au milieu de la table
: enſuite le plus ancien prend
une bougie allumée & la paffe
ſept fois au tour de ces prefens,
pendant que toute l'aſſemblée
crie en ſouhaitant aux Epoux un
heureux mariage , une parfaite
ſanté &une longue vie , ils mangent
& boivent enfuite , & voilà
le mariage achevé. Pour le dot
c'eſt comme en France , finon
que les parens du garçon portent
ſon argent aux parens de la fille ,
mais tout cela revient à un ; car
le dot de la fille eſt auſſi mis à
part , & tout eſt donné aux nouveaux
mariez pour le faire valoir.
Si le mary repudie ſa femme ſans
forme de Juſtice , it perd l'argent
qu'onluy a donné, s'illarepudie
par Sentence de Juge , qui
č iij
30
RELATION
ne la refuſe jamais, les parensde
la fille luy rendent ſon bien ; s'il
y a des enfans , ſi c'eſt un garçon
ou une fille , le garçon fuit la mere
, & la fille le pere , s'il y a deux
garçons & deux filles , un garçon
&une fille vont avec le pere, &
un garçon & une fille vont avec
lamere.
,
Al'égarddes monnoyes ilsn'en
ontpoint d'or , la plus groſſe d'argent
s'appelle tical , & vaut environ
quarante ſols , la ſeconde
mayon qui péſe la quatriéme partie
d'un tical , & vaux dix fols
la troiſieme eſt un foüen , qui
vaut cinq ſols , la quatriéme eſt
un fontpaye qui vaut deux fols
&demy, enfin les plus baſſes monnoyes
font les coris qui font des
coquillages que les Hollandois
leur portent des Maldives , ouυ
qui leur viennent des Malais &
des Cochinchinois ou d'autres
DU VOYAGE DE SIAM. 31
côtez , donthuit cens valent un
fouën qui eſt cinq fols .
le
Al'égard des Places fortes dur
Royaume , il ya Bancoc qui eft
environ dix lieuës dans la Riviere
de Siam , où il y a deux Forterefſes
, comme j'ay déja dit. Il y a la
Ville Capitale nommée Juthia ,
autrement nommée Siam , qu'on
fortifie de nouveau par une enceinte
de murailles de bricque ;
Corfuma frontiere contre
Royaume de Camboye eſt peu
forte; Tanaferin à l'oppoſite de la
côte de Malabar eft peu fortifiée .
Merequi n'eſt pas fortifiée, mais
ſe pouroit fortifier , & on y pouroit
faire un bon Port. Porcelut
frontiere de Laos eſt auſſi peu
fortifiée . Chenat n'a que le nom
de Ville , & il reſte quelque apparence
de barrieres , qui autrefois
faifoient fon mur. Louvo où
le Roy demeure neuf mois de
c iiij
32 RELATION
l'année , pour prendre le plaiſir
de la chaſſe del'Elephant & du
Tygre , étoit autrefois un aſſem-
Blage de Pagodes entouré de
terraffes , mais à preſent le Roy
l'arendu incomparablement plus
beau par les Edifices qu'il y fait
faire , & quant au Palais qu'il ya
it l'a extrêmement embelli par les
caux qu'il y fait venir des Montagnes.
Patang eſt un Port des plus
beaux du côté des Malais , où
l'on peut faire grand commerce.
LeRoy de Siam a refuſé aux Compagnies
Angloiſes & Hollandoiſes
de s'y établir : l'on y pourroit
faire un grand établiſſement qui
feroit plus avantageux que Siam
àcausede la ſituation du lieu ; les
Chinois y vont& pluſieurs autres
Nations , on peut s'y fortifier aifément
fur le bord de la Riviere .
CettePlace appartient àune Rey
DU VOYAGE DE SIAM. 33
nequi eſt tributaire du Roy de
Siam , qui à parler proprement en
eſt quaſi le maître .
Quant à leurs Soldats ce n'étoit
point lacoûtume de les payer;
le Roy d'apreſent ayant ouy dire
que les Roys d'Europe payoient
leurs troupes , voulut faire la ſupputationà
combien monteroit la
paye d'un foüen par jour , qui eſt
cinq fols ; mais les Controlleurs
luy firent voir qu'il falloit des
ſommes immenfes , à cauſe de la
multitude de ſes Soldats , de forte
qu'il changea cette paye en ris
qu'il leur fait diſtribuer , du depuis
, il y en a ſuffisamment pour
Ieurs nourritures, &cela lesrend
tres- contens ; car autrefois il falloit
que chaque Soldat ſe fournit
de ris , & qu'il le portât avec ſes
armes, ce qui leur peſoitbeaucoup .
A l'égard de leurs Bâteaux &
Vaiſſeaux , leurs Balons d'Etat ou
34
RELATION
Bâteaux que nous appellons font
les plus beauxdu monde; ils font
d'un ſeul arbre , &d'une longueur
prodigieuſe , il y ena qui tiennent
cinquante juſqu'à cent & cent
quatre-vingt rameurs ; les deux
pointes font tres- relevées , & celuy
qui les gouverne donnant du
pied ſur lapoupefait branler tout
le Balon , & l'on diroit que c'eſt
un Cheval qui ſaute,touty eft doré
avec des Sculptures tres- belles
, & au milieu il y a un Siege
fait en forme de Trône en piramide
, d'une Sculpture tres- belle
& toute dorée , & il y en a de
plus de cent ornemens differents,
mais tous bien dorez &tres-beaux.
Autrefois ils n'avoient que des
Navires faits comme ceux de la
Chine , qu'on nomme Somme ; il
y ena encore pour aller auJapon,
à la Chine , à Tonquin ; mais le
Roy a fait faire pluſieurs Vaif-
1
DU VOYAGE DE SIAM. 35
feaux à l'Europeenne , & en a
acheté des Anglois quelques-uns,
tous agréés & appareillés . Il y a
environ cinquante Galeres pour
garder la Riviere & la côte ; ſes
Galeres ne font pas comme ceux
de France , il n'y a qu'un homme
àchâque Rame , & font environ
quarante ou cinquante au plus fur
chacune ; les Rameurs fervent de
Soldats , le Royne ſe ſert que des
Mores , des Chinois&des Malabars
pour naviger , & s'il y met
quelque Siamois pour Matelots,
cen'eſt qu'en petit nombre,& afin
qu'ils apprennent la navigation.
LesCommandants de ſes Navires
font Anglois ou François , parce
que les autres Nations font tresméchants
navigateurs .
Il envoye tous les ans cinq ou
fix de ces Vaiſſeaux appellez
Sommes à la Chine , dont il y en
a de mille juſqu'à quinze cens
36 RELATION
Tonneaux chargés de quelques
draps , corail , de diverſes marchandiſes
de la côte de Coromandel
& de Suratte , du ſalpêtre , de
l'étain &de l'argent; il en tire des
ſoyes cruës , des étoffes de ſoye ,
des ſatin's de Thé , dumufc , de la
rubarbe , des poureelines , des
ouvrages vernis , du bois de la
Chine , de l'or , & des rubis . Ils
ſe ſervent de pluſieurs racines
pour la Medecine , entr'autres de
la couproſe , ce qui leur apporte
de grands profits .
Le Roy envoye au Japon deux
ou trois Sommes , mais plus petites
que les autres , chargées des
mêmes marchandises , & il n'eſt
pas neceſſaire d'y envoyer de
l'argent ; les marchandiſes que
L'ony porte ſont des moindres ,
&au meilleur marché , les cuirs
de toutes fortes d'animaux y font
bons , & c'eſt la meilleure marDU
VOYAGE DE SIAM. 37
chandiſe que l'on y peut porter ;
on en tire de l'or , de l'argent en
barre , du cuivre rouge , toutes
fortes d'ouvrages d'Orphevrerie ,
des paravants , des Cabinets vernis
,des porcelines , du Thé &
autres choſes ; il en envoye quelquefois
un , deux & trois au
Tonquin de deux à trois cent tonneaux
au plus , avec des draps ,
de corail , de l'Etain , de l'Ivoire ,
du poivre , du ſalpêtre , du bois
de ſapin, & quelques autres marchandiſes
des Indes & de l'argent
au moins le tiers du capital,
on en tire du muſc , des étoffes
de ſoye , de la ſoye crüe , & jaune,
des Camelots , de pluſieurs fortes
de ſatins , du velours , toutes fortes
de bois vernis , des porcelines
propres pour les Indes , & de l'ar
-en barre , à Macao , le Roy envoye
un Navire au plus chargé
de pareilles Marchandiſes qu'à la
38
RELATION
•
Chine. On y peut encore envoyer
quelque mercerie , des dentelles
d'or , d'argent & de foye & des
armes , on en tire des mêmes
marchandiſes que de la Chine ,
mais pas à ſi bon compte.
A Labs le commerce ſe fait par
terre ou par la Riviere , ayant des
bâteaux plats , on y envoye des
draps & des toiles de Surate , &
de la côte , & on en tire des rubis
, du muſc , de la gomme ,
des dents d'Elephans, du Canfre ,
des cornes de Rinocerot , des
peaux de Buffes & d'Elans , à
tres-bon marché , & il y a grand
profit à ce commerce que l'on
fait ſans riſque.
ACamboye on envoye des petites
barques avec quelques draps,
des toiles de Surate & de la côte,
des uſtenciles de cuiſine qui viennent
de la Chine , on en tire des
dents d'Elephans , du benjoüin ,
DU VOYAGE DE SIAM. 39
trois fortes de gomes gutte , des
peaux de Buffes , & d'Elans , des
nids d'oiſeaux pour la Chine dont
je parleray bien- toft & des nerfs
de Cerfs .
On envoye auſſi à la Cochinchine
, mais rarement : car de peuple
n'eſt pas bien traitable , parce
qu'ils font la plupart de méchante
foy , ce qui empéche le commerce
, on y porte de l'argent
du Japon où l'on profite confiderablement
, du laurier rouge ,
de la cire jaune, duris , du plomb,
du ſalpêtre , quelques draps rouges&
noirs , quelques toiles blanches
, de la terre rouge , du vermillon
& vif argent.
On en tire de la ſoye cruë , du
fucre candy , & de la cafſonnade
, peu de poivre , des nids
d'oiſeaux qui ſont faits comme
ceux des Irondelles qu'on trouve
fur des Rochers au bord de
J
40 RELATION
la mer , ils font de tres-bon commerce
pour la Chine & pour pluſieurs
autres endroits ; car aprés
avoir bien lavé ces nids & les
avoir bien feichés ils deviennent
durs comme de la corne , & on
les met dans des boüillons ; ils
font admirables pour les maladies
de langueur &pour les maux d'eftomach
, j'en ay apporté quelques-
uns en France , du bois d'aigle
&de Calamba , du cuivre &
autres marchandises qu'on y apporte
du Japon , de l'or de plufieurs
touches , & du bois de fapan.
Lorſqu'on ne trouve pas de
Navire à Fret , on en envoye un
à Surate , chargé avec du cuivre ,
de l'étain , du ſalpêtre , de l'alun ,
des dents d'Elephants , du bois
de ſapan , &pluſieurs autres marchandiſes
qui viennent des autres
parts des Indes , on en tire des
toiles
DU VOYAGE DE- SIAM. 41
& autres marchandifes d'Europe,
quand il n'en vient point à Siam .
On envoye à la côte de Coromandel
, Malabar , & Bengala
&de Tanaferin , des Elephans
de l'étein , du ſalpêtre , du, cuivre
du plomb , & l'on en tire des toiles
de toutes fortes ,
,
On envoye à Borneo rarement ;
c'eſt une Iſle qui eſt proche de
celle de Java , d'où l'on tire du
poivre . du ſangde Dragon , camphre
blanc , cire jaune ,bois d'aigle
, du bray , de l'or , des perles,
&desdiamans les plus beaux du
monde ; on y envoye des marchandiſes
de Surate , c'eſt à dire
des toiles , quelques pieces de
drap rouge & vert , & de l'argent
d'Eſpagne..
Le Prince qui poffede cette Ifle
ne fouffre qu'avec peine le commerce
, & il craint toûjours d'êtte
ſurpris ; il ne veut pas permetd
42
RELATION
tre à aucune Nation Europeenne
de s'établir chez luy. Il y a cu
des François qui y ont commercé
, il ſe fie plus à eux qu'à aucune
autre Nation .
On envoye encore à Timor
Ifle proche des Molucques , d'où
l'on tire de la cire jaune & blanche
, de l'or de trois touches , des
eſclaves, du gamouty noir , dont
on ſe ſett pour faire des cordages
, & on y envoye des toiles de
Surate , du plomb, des dents d'Elephans,
de la poudre, de l'eau-devie
, quelques armes , peu de drap
rouge & noir , & de l'argent. Le
peuple y eſt paiſible , & negocie
fort bien . Il y a grand nombre
de Portugais.
Al'égard des Marchandiſes du
crû de Siam , il n'y a que de l'étain
, du plomb , du bois de fapan,
de l'Ivoire , des cuirs d'Elans.
& d'Elephans ; il y aura quantité
1
1
!
DU VOYAGE DE SIAM. 43
de poivre en peu de temps , c'eſt
à dire l'année prochaine ,de larrek
, du fer en petits morceaux ,
du ris en quantité , mais l'on y
trouve des marchandises de tous
les lieux ſpecifiés ci-deſfus , & à
affez bon compte. On y apporte
quelques draps & ferges d'Angleterre,
peu de corail &d'ambre,
des toiles de la côte de Coromandel
& de Surate , de l'argent en
piaſtre que l'on trocque ; mais
comme je l'ai dit maintenant ,
que la plupart des Marchands ont
quitté depuis que le Roi a voulu
faire le commerce , les Etrangers
n'y apportent que tres-peu de
choſes ,que les Navires qui ont
accoûtumé d'yvenir n'y font pas
venus l'année derniere , &on n'y
trouve rien , & fi peu qu'il y en
a , il eſt entre les mains du Roi ,
& ſes Miniſtres les vendent au
prix qu'ils veulent.
dij
44
RELATION
Le Roïaume de Siam a prés de
trois cens lieuës de long , fans y
comprendre les Roïaumes tributaires
, à ſçavoir Camboges ,
Gelior , Patavi , Queda , &c . du
Septentrion au Midi , il eſt plus
étroit de l'Orient à l'Occident. Il
eſt borné du côté du Septentrion
par le Roïaume de Pegu & parla
Mer du Gange du côté du Couchant,
du Midi par le petit détroit
de Maláca , qui fut enlevé au Roi
de Siam par les Portugais ils l'ont
poſſedé plus de foixante ans . Les
Hollandois le leur ont pris , &
le poffedent encore ; du côté
d'Orient , il eſt borné par la Mer
& par les Montagnes qui le ſeparent
de. Camboges & de Laos ..
La fituation de ce Roïaume eſt
avantageuſe à cauſe de la grande
étenduë de ſes côtes , ſe trouvant
comme entre deux Mers qui
lui ouvrent le paſſage à tant de.
DU VOYAGE DE SIAM. 45
vaſtes Regions , ſes côtes ont
cinq cens lieuës de tour ; on y
aborde de toutes parts , du Japon
, de la Chine , des Iſles Philippines
, du Tonquin , de la Cochinchine
, de Siampa , de Camboge
, des Ifles de Java , de Sumatra
, de Colconde , de Bengala
, de toute la côte de Coromandel
, de Perſe , de Surate , de Lameque,
de l'Arabie ,& d'Europe
c'eſtpourquoi l'on y peut faire un
grand commerce , ſuppoſé que le
Roi permette à tous les MarchandsEtrangers
d'y revenir comme
ils le faifoient autrefois .
Le Roïaume ſe diviſe en onze
Provinces , ſçavoir celle de Siam ,
de Mitavin , de Tanaferin , de
Jonſalam, de Reda, de Pra, d'Ior,
de Paam, de Parana , de Ligor ,
de Siama . Ces Provinces - là
avoient autrefois la qualité de
Roïaume ; mais elles ſont aujour
46 RELATION
d'hui ſous ladomination du Roide
Siam qui leur donne des Gouverneurs
. Il y en a telles qui peuvent
retenir le nomde Principauté;mais
les Gouverneurs dépendent du
Roy& lui payent tribut. Siam eft
la principale Province de ce
Royaume , la Ville Capitale eſt ſituée
à quatorze degrez & demy
de latitude du Nort , fur le bord
d'une tres-grande & belle riviere ,
& les Vaiſſeaux tous chargés la
paſſent juſqu'aux portes de la Ville,
qui eſt éloignée de la Mer de
plus de quarante lieuës , & s'étend
àplus de deux cens lieuës dans le
pays , & parce moyen elle conduit
dans une partie des Provinces,
dontj'ai parlé ci- deſſus.Cette
Riviere eſt fort poiſſonneuſe &
fes rivages font affez bien peuplez
, quoiqu'ils demeurentinondésune
partie de l'année. Le terroir
y eſt paſſablement fertile 3
DU VOYAGE DE SIAM . 47
mais tres-mal cultivé , l'inondation
provient des grandes pluyes
qu'il y tombe durant trois ou quatre
mois de l'année ; ce qui fait
beaucoup croître leur ris ; en forte
que plus l'inondation dure ,
plus les recoltes du ris ſont en
abondance , & loin des'en plaindre
ils ne craignent que la trop
grande ſeichereſſe. Il y a beaucoup
de terre en friche ,& faute
d'habitans elles ont eſté dépeu--
plées par les guerres precedentes,
& comme ils font ennemis du
travail , ils n'aiment à faire que
les choſes aiſées. Ces plaines abandonnées
& ces épaiſſes Fo--
rets qu'on voit ſur les Montagnes
ſervent de retraite aux Elephans,
aux Tygres , aux Boeufs & Vaches
ſauvages , aux Cerfs , aux Biches,
Rinoceros & autres animaux
que l'ony trouve en quantité.
Al'égard des plantes & des
د
48 RELATION
fruits , il y en a pluſieurs dans le
païs ; mais qui ne font pas rares.
& qui ne ſe peuvent porter que,
difficilement en France , à cauſe
de lalongueur de la navigation .
Il n'y a point d'oiſeaux particuliers
qui ne foient en France , à
la referve d'un oiſeau fait comme
un merle ,qui contrefa it l'homme
à l'égard du rire , du chanter &
du fiffler , les fruits les plus eſtimés
y font les durions ;ils ont
une odeur tres- forte qui n'agrée
pas à pluſieurs, mais à l'égard du
goût il eſt tres- excellent. Ce fruit
eſt tres chaud & tres -dangereux
pour lafanté , quand on en mange
beaucoup; il ya un gros noyau,
à l'entour duquel eſt une eſpece
de creme renfermée dans une écorce
environnée de pluſieurs piquants
, & qui eft faite en pointe
de diamant ; mon goût n'a ja
mais pu s'y accommoder. La mangue
:
DU VOYAGE DE SIAM . 49
gue en ce pays-là eſt en prodigieuſe
quantité , & c'eſt le meil
leur fruit des Indes , d'un goût
exquis , n'incommodant aucunement,
àmoins que d'en manger en
trop grande quantité , alors elle
pouroit bien cauſer la fiévre ; elle
a la figure d'une amande , mais
auffi groſſe qu'une poire de Mef
fire-Jean; ſa peau eſt aſſés mince
& a la chair jaune ; le mangoûstan
eſt un fruit reſſemblant à
une noix verte , qui a dedans un
fruit blanc d'un goût aigret &
agreable , & qui approche fort
deceluide la pêche &de la prune,
il est tres- froid & reſtraintif.
LeJacques eſtun gros fruit qui
eſt bon , mais tres- chaud & indigefte
, & cauſe le flus de ventre
quand on en mange avec excés .
La nana eft preſque comme le
durion , c'eſt à dire à l'égard de
la peau ; il a au bout une courone
50
RELATION
ne de feüilles comme celle de
l'artichaud ; la chair en eſt tresbonne
& a le goût de la pêche
& de l'abricot tout enſemble ; il
eft tres-chaud & furieux ; ce qui
fait que l'on le mange ordinairement
trempé dans le vin.
La figue eſtun fruit tres -doux,
fuave&bien faiſant ; cependant
un peu flegmatique , il y en a pendant
toute l'année .
L'ate eſt un fruit doux & tresbon
, & ne fait point de mal ; il
y en a qui l'eſtiment plus que
tous les fruits des Indes. Il y a
des oranges en tres - grande
quantité de pluſieurs fortes tresbonnes
& fort douces .
La pataïe eſt un fruit tres-bon,
mais l'arbre qui le porte ne dure
que deux ans.
Il y a de toute forte d'oranges
en quantité & de tres - bon goût .
La penplemouſe eſt un fruit
tres-bon pour la ſanté à peu prés
DU VOYAGE DE SIAM . SI
comme l'orange,mais qui a un petit
goût aigret. Il y a pluſieurs
autres fruits qui ne font pas fort
bons.
On a commencé il y a quelques
années à ſemer beaucoup
de bleds dans le pays haut proche
des montagnes qui y vient
bien & eft tres - bon .
On y a planté pluſieurs fois
des vignes qui y viennent bien ,
mais qui ne peuventdurer, à cauſe
d'une eſpece de fourmy blanc
qui la mange juſqu'à la racine.
Il y a beaucoup de canes de
fucre qui rapportent extrémement
; il y a auſſi du tabac en
quantité que les Siamois mangent
avec l'arrek & la chaud .
A l'égard de l'arrek, les Siamois
eſliment ce fruit plus que tout
autre , & c'eſt leur manger ordi
naire ; il y en a une ſi grande
quantité que les marchés en
e ij
52 RELATION
font pleins , & un Siamois croiroit
faire une grande incivilité
s'il parloit à quelqu'un ſans avoir
la bouche pleine de darek , de
betel , de chaud ou de tabac .
,
Il y a grande quantité de ris
dans tout le Roïaume & à tresbon
compte ,& comme ce païs
eſt toûjours inondé , cela fait
qu'il eſt plus abondant , car le ris
ſe nourrit dans l'eau & à meſure
que l'eau croît , le ris croît pareillement
,& fil'eau croît d'un pied
en vingt-quatre heures ce qui
arrive quelquefois , le ris croît
aufli àproportion &a toûjours fa
tige au deſſus de l'eau , il ne reſte
que cinq ou fix mois au plus en
terre , il vient comme l'avoine,
Il n'y a point de ville dans l'Orient
où l'on voye plus de Nations
differentes , que dans la Ville
Capitale de Siam , & où l'on
parle de tant de langues differentes
, elle a deux lieuës de
DU VOYAGE DE SIAM .
53
tour & une demie lieuë de large,
elle eſt tres- peuplée , quoi qu'elle
ſoit preſque toûjours inondée ,
enfortequ'elle reſſemble plûtoſtà
une Ifle , il n'y a que des Maures
, des Chinois , des François
& des Anglois , qui demeurent
dans la Ville , toutes les autres
Nations eſtant logées aux environspar
camps ; c'eſt à dire chaque
nation enſemble , ſi elles estoient
affemblées elles occuperoient
autant d'eſpace que la Ville qui
eſtoit autrefois tres- marchande ,
mais les raiſons que j'ay dites cydevant
empêchent la plupartdes
Nations Etrangeres d'y venir &
d'y rien porter.
Le peuple eſt obligé de ſervir
le Roy quatre mois de l'année
regulierement , & durant toute
l'année , s'il en a beſoin ; il ne leur
donne pas un fol de paye, eſtant
obligez de ſe nourir eux-mêmes
e iij
54 RELATION
& de s'entretenir ; c'eſt ce qui
a faitque les femmes travaillent
afin de nourir leurs maris .
A l'égard des Officiers depuis
les plus grands Seigneurs de la
Cour juſqu'au plus petit du
Royaume, le Roy neleur donne
que de tres- petits appointemens,
ils font auſſi eſclaves que les autres
, & c'eſt ce qui luy épargne
beaucoup d'argent. Les Provinces
éloignées dont les habitans
ne le ſervent point actuellement,
luy payent un certain tribut par
teſte. J'arrivay dans le temps que
le pays eſtoit tout-à-fait inondé
, la Ville en paroît plus agreable,
les ruës en ſont extremement
longues , larges & fort droites,
il y a aux deux côtez des
maiſons bâties ſur des pilotis &
des arbres plantés tout à l'entour
, ce qui fait une verdeur
admirable , & on n'y peut aller
DU VOYAGE DE SIAM. 55
qu'en ballon ; en la regardant l'on
croiroit voir d'un coup d'oeil ,
une ville , une mer & une vaſte
foreſt , où l'on trouve quantité
de Pagodes qui font leurs Eglifes
, & la plupart font fort dorées,
à l'entour de ces Pagodes', il ya
comme des Cemetieres plantés
d'arbres la plupart fruitiers , les
maiſons des Talapoins font les
plus grandes& les plus belles&
font en tres-grand nombre .
Ce païs-là eſt plus ſain que les
autres des Indes ,les Siamois ſont
communément affez bien-faits ,
quoi qu'ils ayent tous le viſage
bazanné , leur taille eſt affez
grande , leurs cheveux font
noirs , ils les portent aſſez courts
àcauſe de la chaleur , ils ſe baignent
ſouvent , ce qui contribuë
àla conſervation de leur ſanté
les Europeans qui y demeurent
en font de même pour éviter les
a
e iiij
56 RELATION
maladies ; ils tiennent leurs marchés
ſur des places inondées dans
leurs balons pendant fix ou ſept
mois de l'année que l'inondation
dure.
Le Roy ſe leve du matin &
tient un grand Conſeil vers les
dix heures ,où l'on parle de toutes
fortes d'affaires, qui dure juſqu'à
midy , aprés qu'il eſt fini ſes Medecins
s'aſſemblent pour ſçavoir
l'état de ſa ſanté , & enſuite il
va dîner ; il ne fait qu'un repas
par jour , l'aprés-dînée il ſe retire
dans ſon appartement où il dort
deux ou trois heures , & l'on ne
ſçait pas à quoyil employe le reſte
dujour, n'étant permis pas même
à ſes Officiers d'entrer dans ſa
chambre . Sur les dix heures du
foir, il tient un autre Conſeil ſecret
, où il y a ſept ou huit Mandarins
de ceux qu'il favoriſe le
plus , ce Conſeil dure juſqu'à
DU VOYAGE DE SIAM . 57
minuit . Enſuite on luy lit des
hiſtoires ou des vers qui ſont faits
à leurs manieres , pour le divertir
& d'ordinaire après ce Conſeil ,
Monfieur Conſtans demeure ſeul
aveclui , auquel il parle à coeur
ouvert , comme le Roy luy trouve
un eſprit tout-à- fait vaſte , ſa
converſation luy plaît , & il luy
communique toutes ſes plus fecrettes
penſées ; il ne ſe retire
d'ordinaire qu'à trois heures aprés
minuit pour s'aller coucher , voilà
la maniere dontle Roy vît toûjours
, & de cette forte toutes les
affaires de ſon Royaume paſſent
devant luy ; dans de certains
tempsil prend plaiſir à la chaſſe ,
comme j'ay dit ; il aime fort les
bijoux même ceux d'émail & de
verre , il eſt toûjours fort proprement
vêtu , il n'a d'enfans qu'une
fille , que l'on appelle la Princef
ſeReyne , âgée d'environ vingt58
RELATION
fept ou vingt-huit ans le Roi
l'aime beaucoup , on m'a dit qu'elle
étoit bien faite ; mais jamais les
hommes ne la voyent, elle mange
dans le même lieu & à même
tems que le Roy,mais à une table
feparée ; & ce ſont des femmes
qui les ſervent qui ſont toûjours
proſternées.
Cette Princeſſe a ſa Cour compoſéedes
femmes des Mandarins
qui la voyent tous les jours , &
elletientConſeil avec ſes femmes
de toutes ſes affaires , elle rend
juſticeà ceux qui luy appartiennent
, &leRoy luy ayant donné
desProvinces dont elle tire le revenu&
en entretient fa Maiſon ,
elle a ſes châtimens & exerce la
juſtice. Il y eſt arrivé quelquefois
que lorſque quelques femmes de
ſamaiſon ont eſté convaincuës de
mediſances d'extrême confideration
, ou d'avoir revelé des ſecrets
DU VOYAGE DE SIAM. 59
de tres-grende importance , elle
leur a fait coudre la bouche .
Avant la mort de la Reyne ſa
mere, elle avoit à ce que l'on dit
du penchant à faire punir avec
plus de ſeverité , mais du depuis
qu'elle l'a perduë elle en uſe avec
beaucoup plus de douceur ; elle
va quelquefois àla chaſſe avec le
Roy , mais c'eſt dans une fort
belle chaiſe placée ſur un Elephant
& où quoy qu'on ne la
voye point elle voit neanmoins
tout ce qui s'y paſſe. Il y a des Cavaliers
qui marchent devant elle
pour faire retirer le monde , & fi
par hazard il ſe trouvoit quelque
homme ſur ſon chemin qui ne pût
pas ſe retirer,il ſe proſterne en terre
& luy tourne le dos. Elle eſt
tout le jour enfermée avec ſes
femmes ne ſe divertiſſantà faire
aucun ouvrage , ſon habillement
eſt affez ſimple & fort leger , elle
60 RELATION'
eſt nuë jambe , elle a à ſes pieds
des petites mulles ſans talons
d'un autre façon que celles de
France ; ce qui lui fertdejuppe eſt
une piece d'étoffe de ſoye ou de
coton qu'on appelle paigne , qui
l'enveloppe depuis la ceinture
en bas & s'atrache par les deux
bouts, qui n'eſt point plicée , de
la ſceinture en haut elle n'a rien
qu'une chemiſe de mouſſeline
qui luy tombe deſſus cette maniere
de juppe , & qui eſt faite
de meſme que celle des hommes,
elle a une écharpe fur la gorge
qui luy couvre le col & qui paffe
par deſſous les bras , elle eſt toûjours
nuë teſte , & n'a pas les
cheveux plus longs que de quatre
ou cinq doigts , ils lui font comme
une tête naiſſante ; elle aime
fort les odeurs , elle fe met de
P'huileà la teſte ; car il faut en ces
lieux-là que les cheveux foient
DU VOYAGE DE SIAM . 61
luifans , pour eſtre beaux , elle
ſe baigne tous les jours meſme
plus d'une fois qui eſt la coûtume
de toutes les Indes , tant à l'égard
deshommes quedes femmes ;j'ay
apris tout ceci de Madame Conſtans
qui va ſouvent luy faire ſa
Cour. Toutes les femmes qui
font dans ſa Chambre ſont toûjours
proſternées & par rang ,
c'eſt à dire les plus vieilles ſont
les plus proches d'elle , & elles
ont la liberté de regarder la Princeffe
, ce que les hommes n'ont
point avec le Roy de quelque
qualité qu'ils foient , car tant
qu'ils font devant luy , ils ſont
profternez & meſme en luy parlant.
Le Roy a deux freres , les freres
du Roy heritent de la Couronne
de Siam preferablement à
fes enfans . Quand le Roy fort
pour aller à la Chaſſe ou à la
62 RELATION
promenade, on fait avertir tous
les Européens de ne ſe point trouver
ſur ſon chemin , à moins qu'ils
ne veulent ſe profterner un moment:
avant qu'il forte de fon Palais
on entend des trompettes &
des tambours qui avertiſſent &
qui marchent devant le Roy , à
ce bruit les Soldats qui font en
haye ſe proſternent le front contre
terre & tiennent leurs moufquets
ſous eux ; ils font en cette
poſture autant de temps que
le Roy les peut voirde deſſus ſon
Elephant , où il eſt aſſis dans une
chaiſe d'or couverte , la garde à
cheval qui l'accompagne & qui
eſt compoſée de Maures eſt environ
quarante Maiſtres marchant
fur les aîles ; toute la Maiſon du
Roy eſt à pied devant , derriere
&à côté , tenant les mains jointes,&
elle le ſuit de cette maniere.
Il y a quelques Mandarins des
DUVOYAGE DE SIAM. 63
principaux qui le fuivent ſur des
Elephans , dix ou douze Officiers
qui portent de grands paraſſols
tout à l'entour du Roy , & il n'y
a que ceux- là qui ne ſe proſternent
point ; car dés le moment
que le Roy s'arreſte tous les autres
ſe proſternent , & mefme
ceux qui ſont ſur les Elephans.
Quant à la maniere que le Roy
de Siam obſerve à la reception
des Ambaſſadeurs , comme ceux
de la Cochinchine , de Tonquin,
de Colconda , des Malais , de
Java & des autres Roys , il les
reçoit dans une Salle couverte de
tapis , les grands & principaux
du Roïaume font dans une autre
ſalleun peu plus baffe , & les autres
Officiers de moindre qualité
dans une autre ſalle encore plus
baſſe, tous proſternés ſur des tapis
en attendant que le Roy pa
64 RELATION
roiſſe par une feneſtre qui eſt visà-
vis; la ſalle où doivent eſtre les
Ambaſſadeurs eſt élevée d'environ
dix ou douze pieds & diſtante
de cette falle de trente pieds ;
l'on ſçait que le Roy va paroître
par le bruit des trompettes , des
tambours & des autres Inſtrumens
; les Ambaſſadeurs font derriere
une muraille qui renferme
cette ſalle qui attendent la fortie
du Roy , & ordre des Miniſtres
que le Roy envoye appeller par
un des Officiers de ſa Chambre,
ſuivant la qualité des Ambaſſadeurs
, & fes Officiers fervent en
telles occaſions; aprés queles Miniſtres
ont la permiffion du Roy
on ouvre la porte de la ſalle &
auſſi- tôt les Ambaſſadeurs paroifſent
avec leur Interprete , &
l'Officier de la Chambre du Roi
qui ſert de Maiſtre de Ceremonies&
marchent devant eux profternez
DU VOYAGE DE SIAM. 65
ternez ſur des tapis qui ſont ſur
la terre , faiſant trois reverences
la teſte en bas à leur maniere
aprés quoy le Maiſtre des Ceremonie
marche à genoux les mains
jointes , l'Ambaſſadeur avec fes
Interprettes le ſuit en la même
poſture avec beaucoup de modeſtie
juſques au milieu de la
diſtance d'où il doit aller , & fait
trois reverences en la meſme forme
; il continue à marcher jufqu'au
coin le plus proche des falles
où les Grands font , & il recommence
à faire des reverences
où il s'arrête ; il y a une table
entre le Roy & l'Ambaſſadeur ,
diſtante de huit pieds , où ſont
les preſens que l'Ambaſſadeur apporte
au Roy , & entre cette table
& les Ambaſſadeurs il ya un
Mandarin qui reçoit les paroles
de ſa Majesté , & dans cette Salle
ſont les Miniſtres du Roy diff
66 RELATION
tants de l'Ambaſſadeur d'environ
trois pas , & le Capitaine qui
gouverne la Nation d'où eſt l'Ambaffadeur
eft entre luy & les Miniſtres
; le Roy commence à parler
le premier & non l'Ambaffadeur
, ordonnant à ſes Miniſtres
de s'informer de l'Ambaffadeur
quand il eſt party de la preſence
duRoy ſon Maiſtre , file Roy
& toute la famille Royale eſtoit
en ſanté , auquel l'Ambaſſadeur
répond ce qui en eſt par fon Interprete
, l'Interprete le dit au
Capitaine de la Nation d'où eſt
l'Ambaſſadeur , le Capitaine au
Barcalon & leBarcalon au Roy.
Aprés cela le Roy fait quelque
demande fur deux ou trois points
concernant l'Ambaſſadeur ; enfuitele
Roy ordonne à l'Officier
qui eſt proche la table de donner
du betel àl'Ambaſſadeur , ce
qui ſert de ſignal pour que l'on
DU VOYAGE DE SIAM. 67
luy preſente une veſte , & incontinent
le Roy ſe retire au bruit
des tambours, des trompettes&
des autres inſtrumens. La premiereAudiencede
l'Ambaſſadeur
ſe paſſe entreluy & le Ministre ,
qui examine la Lettre &les prefens
du Prince qui l'a envoyés
l'Ambaſſadeur ne preſente point
la Lettre au Roy , mais au Miniſtre
, aprés quelques jours du
Conſeil tenu ſur ce ſujet.
Quand ce font des Ambaſſadeurs
des Roys indépendans de
quelque Couronne , que ce ſoit
de ſes pays , commePerſe , grand
Mogol , l'Empereur de la Chine ,
de Japon , on les reçoit enlamaniere
ſuivanre.
Les Grands du premier & du
ſecond Ordre vont aupied de la
feneſtre où eſt le Roy ſe proſter-:
ner ſuivant leurs qualitez ſur des
tapis , & ceux du troiſieme , quafij
68 RELATION
triéme & cinquiéme , ſont dans
une ſalle plus baffe & attendent
la fortie du Roy qui paroiſt par
une feneſtre qui eſt enfoncée
dans la muraille , & élevée de
dix pieds ; les Ambaſſadeurs font
dans un lieuhors du Palais , en
attendant le Maiſtre des Ceremonies
qui les vient recevoir , &
l'on fait les meſmes ceremonies
dont j'ay parlé cy -deſſus : l'Ambaſſadeur
entrant dans le Palais
leve les mains ſur ſa teſte & marche
entre deux Salles qu'il ya &
monte des degrez qui font visà-
vis la feneſtre où eſtle Roy , &
quand il eſtau haut il poſe un genou
en terre , & auffi-tôt on
ouvre une porte pour qu'il puiſſe
paroître devant le Roy ; enſuite
on pratique les mêmes ceremonies
qui viennent d'eſtre marquées
cy-devant. Ily a un bandege
ou plat d'or ſur la table où
DU VOYAGE DE SIAM. 69
eſt la Lettre traduite & ouverte ,
ayant été receuë par les Miniſtres
quelques jours auparavant dans
une ſalle deſtinée à cet uſage ;
quand l'Ambaſſadeur eſt dans ſa
place le Lieutenant du Miniſtre
prend laLettre& la lit tout haut;
aprés qu'il l'a leuë , le Roy fait
faire quelque demande à l'Ambaſſadeur
par ſon Miniſtre , fon
Miniſtre par le Capitaine de la
Nation , & le Capitaine par l'Interprete
, & l'Interprete enfin
parle à l'Ambaſſadeur. Ces demandes
ſont ſile Roy ſon Maître
& la famille Royale font en ſanté
, & s'il la chargé de quelqu'au
tre choſe qui ne fût pas dans la
Lettre , à quoy l'Ambaſſadeur
répond ce qui en eſt ; leRoy luy
fait encore troisou quatre deman.
des , & donne ordre qu'on luy
donne une veſte & du betel : aprés
quoy le Roy ſe retire au bruit des
70 RELATION
tambours & des trompettes ,&
l'Ambaſſadeur reſte un peu de
temps , & ceux qui l'ont reccu
le reconduiſent juſqu'à fon logis
fans autre accompagnement ; &
comme j'appris cette manierede
recevoir les Ambaſſadeurs qui ne
me parût pas répondre à la grandeur
du Monarque de la part
de qui je venois , j'envoyay au
Roy de Siam deux Mandarins
qui estoientavec moy de ſa part ,
pour ſçavoir ce que je ſouhaitterois
, pour le prier de me faire la
mefme reception que l'on a accoûtumé
de faire en France , ce
qu'il m'accorda de la maniere
queje l'ay raconté cy-devant.
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Résumé : ETAT Du Gouvernement, des Moeurs, de la Religion, & du Commerce du Royaume de Siam, dans les pays voisins, & plusieurs autres particularités.
Le texte décrit l'organisation politique, judiciaire et sociale du Royaume de Siam. Les mandarins, responsables de la justice, se réunissent au palais royal pour entendre les requêtes. Les étrangers peuvent porter des plaintes concernant les marchandises auprès du Barcalon, premier ministre du roi, ou de son lieutenant. Le roi de Siam est décrit comme absolu et sévère, châtiant sévèrement les crimes. Les peines incluent des coups de rotte, la décapitation, et des supplices publics pour les complices de crimes capitaux. Le roi travaille intensément à des projets de construction et est favorable aux étrangers, qu'il emploie dans son service. Le roi actuel de Siam se distingue par sa volonté de se montrer à ses sujets et aux étrangers, influencé par les coutumes européennes. Il est assisté par un ministre grec, Monsieur Conftans, qui exerce une grande autorité. Les lois traditionnelles, influencées par les Talapoins, interdisent le meurtre, mais le roi actuel a introduit des peines plus sévères, comme la décapitation et la livraison aux éléphants. Le royaume de Siam est peuplé de diverses nations étrangères, chacune ayant ses officiers particuliers. Le commerce étranger a diminué en raison des troubles dans les régions voisines, mais il est espéré qu'il reprendra. Le royaume est en guerre avec plusieurs voisins, notamment les Cambogiens et le Royaume de Laos, en raison de conflits et de trahisons. Les Siamois sont décrits comme dociles et chastes, bien que les riches puissent avoir des concubines. Les mœurs varient selon les groupes ethniques, avec des différences notables entre Siamois, Pegovans, Laos, et Malais. Les étrangers présents dans le royaume incluent des Portugais, Hollandais, Anglais, Français, Cochinchinois, Tonquinois, Macassars, et Arméniens, chacun ayant des rôles et des statuts variés. Les valets sont contraints de servir les Siamois sans rémunération pendant la moitié de l'année et sont nourris à bas coût, principalement avec du riz et du poisson. Les Siamois sont souvent maçons ou charpentiers, et certains sont très habiles en sculpture et dorure, mais ils ne maîtrisent pas la peinture. Leur religion est marquée par des histoires fabuleuses et la croyance en la métempsycose, où l'âme se réincarne après la mort. Les Talapoins (moines) sont respectés et vivent de l'aumône, sans prier les divinités. Ils croient en trois grands Talapoins devenus dieux et anéantis après avoir acquis des mérites. Les navires siamois, autrefois similaires aux navires chinois appelés 'Sommes', ont été modernisés avec des vaisseaux européens. Le roi de Siam possède environ cinquante galères pour protéger la rivière et la côte, avec des rameurs soldats et des navigateurs principalement mores, chinois et malabars. Les commandants des navires sont souvent anglais ou français. Le commerce de Siam est vaste et diversifié, avec des échanges réguliers avec la Chine, le Japon, le Tonquin, et d'autres régions. Le royaume s'étend sur près de trois cents lieues et est divisé en onze provinces, chacune ayant autrefois été un royaume indépendant mais maintenant sous la domination du roi de Siam. La capitale est située sur une grande rivière, permettant aux vaisseaux de naviguer jusqu'aux portes de la ville. Le territoire est fertile mais mal cultivé, avec de vastes plaines et forêts abritant divers animaux. Les fruits et plantes du Siam sont nombreux, bien que certains soient difficiles à transporter en France. Les orangers produisent en abondance des fruits de bonne qualité, mais les arbres ne durent que deux ans. La pompelmouse est également appréciée pour sa valeur nutritive. Le pays cultive du blé et du riz en grande quantité, ce dernier profitant des inondations fréquentes. Les vignes, bien que prospères, sont détruites par des fourmis blanches. Le tabac et l'arrak sont consommés en grande quantité par les Siamois. La capitale du Siam est une ville très peuplée et cosmopolite, où résident des Maures, des Chinois, des Français et des Anglais. Les habitants doivent servir le roi quatre mois par an sans rémunération, ce qui oblige les femmes à travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Le roi tient des conseils matinaux et nocturnes pour gérer les affaires du royaume. Il a une fille, la princesse, qui exerce également des fonctions judiciaires et vit recluse avec ses femmes. Les cérémonies et les audiences avec les ambassadeurs suivent des protocoles rigoureux, incluant des prosternations et des révérences. Le roi et la princesse se baignent fréquemment pour des raisons de santé.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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9
p. 13-29
EXTRAIT d'un manuscrit par quelques François, dont on n'avoit encore eu aucunes nouvelles, parce qu'il s'en sauva que deux, qui ne sont arrivez à Brest que depuis quelques mois.
Début :
Il y a quelques années que dix François escortez de [...]
Mots clefs :
Brest, Roi, Hommes, Nation, Français, Peuple, Rivière, Pays, Découverte, Mississippi
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texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'un manuscrit par quelques François, dont on n'avoit encore eu aucunes nouvelles, parce qu'il s'en sauva que deux, qui ne sont arrivez à Brest que depuis quelques mois.
.Ex-'TRAIT
d'un manuscrit de rua.
yageentrepris parquelques
François, donton
n'avait encore eu aucunes
nouvelles,parce
qud'eilunxe,qsu'einnessaounvtaarqruievez,
a Brestque depuis
quelques mots* I L y a quelques années
que dix François escortez
de deuxSauvages,estant
partisde Montreal,&s'estant
arrestez dans le pays
des Illinois, & sur le bord
de la riviere de Mififtapy,
ils eurent envied'aller à la
découverte. Ils prirent
trois Canotsd'écorce pour
remonter Misissipy
,
sur
lesquels ayant fait cent
cinquante lieuës,ils trouverent
un sault qui les obligea
à faire pendant six
lieuës un portage ,
aprés
lequel ils se rembarquerent
sur le mesmefleuve,
& remonterent encore
quarante lieues sans trouvsr
aucune Nation. Ils
chafiercnr pendant un
mois & demy
,
& tenterent
quelque nouvelle découverte
;enfin ils trouverent
une riviere à quatorze
lieuës de là qui couroit au
Sud Sud-Ouest ce qui
leur fie croire qu'elle alloit
se rendre dans la mer du
Sud, ayant son cours opposé
à celles qui vont se
rendre dans la mer du
Nord. ils resolurent de
porter leurs Canots, pour
y naviger. Dans ce trajet
ils trouverent des lions,
des leopards
,
des tigres,
qui ne leur firent aucun
mal. Estant entrez dans
cette riviere, &: estant descendus
environ centcinquante
lieuës,ilstrouverent
une grande Nation,
qu'on appelle Escaniba,
qui occupe pour le moins
deux cens lieuësde pays,
dans lequelils trouverent
plu sieurs villes,villages
forts, dont les maisons sont
basties de bois & d'écorces.
Ilsont un Roy qui
se dit Descendant de Montcztmu,
& quiestordinairement
habillé de peaux
d'hommes, qui fontcommunes
en ces pays-là,les
peu ples mesme s'en habillent
aum.
Ils font policés en leurs
manieres, Idolatres,leurs
Idoles font affreuses & d'une
grandeur énorme
,
lesquelles
sont dans le Palais
du Roy. Il y en a deux entre
autres, dont l'une est de
figure humaine, armée de
lances & de traits, tenant
un pied enterre,& l'autre
en l'air
* avec la main sur
une figure decheval, comme
s'il vouloit le monter.
Ils disent quec'estla ftai
tuë d'un de leurs Roys qui
qui a filé grand conqueranr.
Cette statuë a dans
la bouche une escarboucle
de formequarrée,&grosse
comme un oeuf d'houtarde
,
qui brille & éc laire
pendant la nuit comme
un feu. L'autre de ces Idoles
estune femme, qui eH:
une Reine montéeen selle
sur une figure de Licorne
à costé de quatre grands
chiens. Ces figures sont
d'or fin nlafIif, & très- malfaites.
Elles sont placées
sur une estradequiest aussi
d'or,& de trente piedsen
quarré. Entre les deux fta*
tuës on entre dans l'appartement
duRoypar unvestibule
magnifique, c'est
là où se tient la garde du
Roy composée de deux
cens hommes.
-.. Le Palais du Roy est
tres grand, & a trois étages
,
les murailles de
huit pieds, font d'or massifen
carreaux rangez l'un
sur l'autre comme des briques
, avec des cram pons
& des barres de mesme
métal,le resteest decharpente
couverte de bois
JeRoy :t y demeure seul avec
ses femmes.À --vj.
'h'
Ces peuples font un.
grand commerce d'or; on
n'a pu deviner avec quel..
le Nation, si ce n'est,laJaponnoise
; car ils le tran sportent
fort loinparcaravannes,
& ils direntà nos
François, qu'ily avoit six
Lunes de chemin jusqu'à
cette Nation. Nos avanturiers
virent partir une
de ces caravannes dans le
tempsde leur sejour, COIHT.-
posée de plus de trois cens
boeufs tous chargez d'or
cscortez d'un pareil nombre
de cavaliers armez dis
lances & de flèches , avec
une espece de poignard;
la Nation leur donne en
- troc du fer, de l'acier, Irlz
des armes blanches. Ils
n'ont point l'usage de l'escriture,
ilsontuneespece
d'écorce apprestée comme
du papier
,
sur laquelle ils
marquent la quantité d'os
dont le conducteur est
chargé
).
& dont il doit
compter a sonretour.
,.
Le Roy s'a ppelle Agauzan,
qui veut dire en leur
langage,le Grand Roy;
il n'a aucune guerre , &
cependant il a tousjours
cent mille hommes tant
Cavalerie qu'Infanterie»
Leurs trompettes font
droites & d'or, dont ils sonnent
fort mal, & des especes
de tambours portez
par des boeufs, faits comme
des chaudrons d'or ,
couverts de peaux de cerfs;
les troupes s'exercent une
fois la semaine en presence
du Roy.
Ces peuples font basanez
, hideux, la teste Ion:"
gue & estroite, parce qu'on
leur ferre la teste estant
jeunes avec du bois ; les
femmes y sont belles &
blanches comme en Europe
; elles ont aussibien
que les hommes de grandes
oreilles qu'ils estiment
une beauté,&qu'ils chargent
danneaux dor ; ife
ont aussi les ongles fort
grands, & cela est une distinéction
,
les hommes les
plus velus y sont les plus
-beàux.,
La poligamie y cffc en
usage, & ils le mettent peu
en peine de la conduite
desfilles, pourveu qu'elles
ne soient point engagées.
Ils aiment la joye & la
danse,mangent beaucoup,
font du vin de palme
,
ôc
ont d'autres boissons3
grands fumeurs, le tabac
y est bon, ôc vient sans
cftre cultivé;ils receurent
parfaitement bien lesFrançois
qui estoient les prcmiers
Européensqu'ils eussent
veus.
Le Roy voulutles retenir
,
& les marier, & il
leur fit promettre de revenir.
Ils estoient surpris de
l'effet des fusils
, • & les
craignoientsifort qu'ils
D'oÍtrCnr enapprocher.
Lepaysest fort tempere,
on y vit jusqu'à une extrêmevieillesse
,&les peuples
ne sontsujets à aucune
maladie.
On y trouve toutes fortes
de fruitstant d'Europe
que des Indes. Ily a du
bled (1'Inde) & dela folle
avoine aussi bonne & au-ni
blancheque le ris; ils font
du pain de l'un & de l'autre,
on n'y cultive que le
bled d'Inde, les plaines y
sont belles, les paturages
excellents, & remplis de
toutes fortes d'animaux,
les rivieres poissonneuses,
& les terres & les bois remplis
d'oiseaux
,
de perroquets
,de singes,& d'animaux
singuliers. La ville
capitale est esloignéed'environ
six lieuës de la riviere
de Missi
, qui veut dire
Riviere d'or ony l.
Nos François,après avoir
pris congé du Roy , promirent
de revenir dans
trente six Lunes, & d'apporter
du corail, des nasfades
& d'autres marchandises
du Canada, pour troquer
contre de l'or. Ils en
fonc si peu de cas que le
Roy leur dit d'en prendre
à leur discretion
,
de maniere
qu'ils s'en chargerent
,
& prirent chacun
soixante barres d'environ
une palme de long, & du
poids r de quatre livres.
Deux de nos avanturiers
eurent la curiosité d'aller
voir l'endroit d'où l'on tire
cet or,ils rapporterentque
les mines estoient dans le
creux des montagnes, ôc
quedans lesdebordemens
les eaux les entraisnoient,
& que la seicheresse estant
venuë on en trouvoit de
gros monceaux sur le lit
des terres qui demeurent
àsec quatremois de l'année.
Lapluspart denosFrançois
furent maffectez dans
leur retour auxembouchures
du fleuve saint Laurent
, par un forban Anglois;
il n'yen a que deux
qui
quise soient échappez,&
qui après une longue captivité
en différences bayes
aux Indes orientales
, occidentales
,& à laChine,
sesonsenfin rendus à Brest,
ils assurent sur leur teste,
que si l'on veut les conduire
à Mi/ifli-py.ilsretrouveront
aisément le chemin
qu'ils ont fait, &c conduit,
rontàce nouveau Perou.
d'un manuscrit de rua.
yageentrepris parquelques
François, donton
n'avait encore eu aucunes
nouvelles,parce
qud'eilunxe,qsu'einnessaounvtaarqruievez,
a Brestque depuis
quelques mots* I L y a quelques années
que dix François escortez
de deuxSauvages,estant
partisde Montreal,&s'estant
arrestez dans le pays
des Illinois, & sur le bord
de la riviere de Mififtapy,
ils eurent envied'aller à la
découverte. Ils prirent
trois Canotsd'écorce pour
remonter Misissipy
,
sur
lesquels ayant fait cent
cinquante lieuës,ils trouverent
un sault qui les obligea
à faire pendant six
lieuës un portage ,
aprés
lequel ils se rembarquerent
sur le mesmefleuve,
& remonterent encore
quarante lieues sans trouvsr
aucune Nation. Ils
chafiercnr pendant un
mois & demy
,
& tenterent
quelque nouvelle découverte
;enfin ils trouverent
une riviere à quatorze
lieuës de là qui couroit au
Sud Sud-Ouest ce qui
leur fie croire qu'elle alloit
se rendre dans la mer du
Sud, ayant son cours opposé
à celles qui vont se
rendre dans la mer du
Nord. ils resolurent de
porter leurs Canots, pour
y naviger. Dans ce trajet
ils trouverent des lions,
des leopards
,
des tigres,
qui ne leur firent aucun
mal. Estant entrez dans
cette riviere, &: estant descendus
environ centcinquante
lieuës,ilstrouverent
une grande Nation,
qu'on appelle Escaniba,
qui occupe pour le moins
deux cens lieuësde pays,
dans lequelils trouverent
plu sieurs villes,villages
forts, dont les maisons sont
basties de bois & d'écorces.
Ilsont un Roy qui
se dit Descendant de Montcztmu,
& quiestordinairement
habillé de peaux
d'hommes, qui fontcommunes
en ces pays-là,les
peu ples mesme s'en habillent
aum.
Ils font policés en leurs
manieres, Idolatres,leurs
Idoles font affreuses & d'une
grandeur énorme
,
lesquelles
sont dans le Palais
du Roy. Il y en a deux entre
autres, dont l'une est de
figure humaine, armée de
lances & de traits, tenant
un pied enterre,& l'autre
en l'air
* avec la main sur
une figure decheval, comme
s'il vouloit le monter.
Ils disent quec'estla ftai
tuë d'un de leurs Roys qui
qui a filé grand conqueranr.
Cette statuë a dans
la bouche une escarboucle
de formequarrée,&grosse
comme un oeuf d'houtarde
,
qui brille & éc laire
pendant la nuit comme
un feu. L'autre de ces Idoles
estune femme, qui eH:
une Reine montéeen selle
sur une figure de Licorne
à costé de quatre grands
chiens. Ces figures sont
d'or fin nlafIif, & très- malfaites.
Elles sont placées
sur une estradequiest aussi
d'or,& de trente piedsen
quarré. Entre les deux fta*
tuës on entre dans l'appartement
duRoypar unvestibule
magnifique, c'est
là où se tient la garde du
Roy composée de deux
cens hommes.
-.. Le Palais du Roy est
tres grand, & a trois étages
,
les murailles de
huit pieds, font d'or massifen
carreaux rangez l'un
sur l'autre comme des briques
, avec des cram pons
& des barres de mesme
métal,le resteest decharpente
couverte de bois
JeRoy :t y demeure seul avec
ses femmes.À --vj.
'h'
Ces peuples font un.
grand commerce d'or; on
n'a pu deviner avec quel..
le Nation, si ce n'est,laJaponnoise
; car ils le tran sportent
fort loinparcaravannes,
& ils direntà nos
François, qu'ily avoit six
Lunes de chemin jusqu'à
cette Nation. Nos avanturiers
virent partir une
de ces caravannes dans le
tempsde leur sejour, COIHT.-
posée de plus de trois cens
boeufs tous chargez d'or
cscortez d'un pareil nombre
de cavaliers armez dis
lances & de flèches , avec
une espece de poignard;
la Nation leur donne en
- troc du fer, de l'acier, Irlz
des armes blanches. Ils
n'ont point l'usage de l'escriture,
ilsontuneespece
d'écorce apprestée comme
du papier
,
sur laquelle ils
marquent la quantité d'os
dont le conducteur est
chargé
).
& dont il doit
compter a sonretour.
,.
Le Roy s'a ppelle Agauzan,
qui veut dire en leur
langage,le Grand Roy;
il n'a aucune guerre , &
cependant il a tousjours
cent mille hommes tant
Cavalerie qu'Infanterie»
Leurs trompettes font
droites & d'or, dont ils sonnent
fort mal, & des especes
de tambours portez
par des boeufs, faits comme
des chaudrons d'or ,
couverts de peaux de cerfs;
les troupes s'exercent une
fois la semaine en presence
du Roy.
Ces peuples font basanez
, hideux, la teste Ion:"
gue & estroite, parce qu'on
leur ferre la teste estant
jeunes avec du bois ; les
femmes y sont belles &
blanches comme en Europe
; elles ont aussibien
que les hommes de grandes
oreilles qu'ils estiment
une beauté,&qu'ils chargent
danneaux dor ; ife
ont aussi les ongles fort
grands, & cela est une distinéction
,
les hommes les
plus velus y sont les plus
-beàux.,
La poligamie y cffc en
usage, & ils le mettent peu
en peine de la conduite
desfilles, pourveu qu'elles
ne soient point engagées.
Ils aiment la joye & la
danse,mangent beaucoup,
font du vin de palme
,
ôc
ont d'autres boissons3
grands fumeurs, le tabac
y est bon, ôc vient sans
cftre cultivé;ils receurent
parfaitement bien lesFrançois
qui estoient les prcmiers
Européensqu'ils eussent
veus.
Le Roy voulutles retenir
,
& les marier, & il
leur fit promettre de revenir.
Ils estoient surpris de
l'effet des fusils
, • & les
craignoientsifort qu'ils
D'oÍtrCnr enapprocher.
Lepaysest fort tempere,
on y vit jusqu'à une extrêmevieillesse
,&les peuples
ne sontsujets à aucune
maladie.
On y trouve toutes fortes
de fruitstant d'Europe
que des Indes. Ily a du
bled (1'Inde) & dela folle
avoine aussi bonne & au-ni
blancheque le ris; ils font
du pain de l'un & de l'autre,
on n'y cultive que le
bled d'Inde, les plaines y
sont belles, les paturages
excellents, & remplis de
toutes fortes d'animaux,
les rivieres poissonneuses,
& les terres & les bois remplis
d'oiseaux
,
de perroquets
,de singes,& d'animaux
singuliers. La ville
capitale est esloignéed'environ
six lieuës de la riviere
de Missi
, qui veut dire
Riviere d'or ony l.
Nos François,après avoir
pris congé du Roy , promirent
de revenir dans
trente six Lunes, & d'apporter
du corail, des nasfades
& d'autres marchandises
du Canada, pour troquer
contre de l'or. Ils en
fonc si peu de cas que le
Roy leur dit d'en prendre
à leur discretion
,
de maniere
qu'ils s'en chargerent
,
& prirent chacun
soixante barres d'environ
une palme de long, & du
poids r de quatre livres.
Deux de nos avanturiers
eurent la curiosité d'aller
voir l'endroit d'où l'on tire
cet or,ils rapporterentque
les mines estoient dans le
creux des montagnes, ôc
quedans lesdebordemens
les eaux les entraisnoient,
& que la seicheresse estant
venuë on en trouvoit de
gros monceaux sur le lit
des terres qui demeurent
àsec quatremois de l'année.
Lapluspart denosFrançois
furent maffectez dans
leur retour auxembouchures
du fleuve saint Laurent
, par un forban Anglois;
il n'yen a que deux
qui
quise soient échappez,&
qui après une longue captivité
en différences bayes
aux Indes orientales
, occidentales
,& à laChine,
sesonsenfin rendus à Brest,
ils assurent sur leur teste,
que si l'on veut les conduire
à Mi/ifli-py.ilsretrouveront
aisément le chemin
qu'ils ont fait, &c conduit,
rontàce nouveau Perou.
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Résumé : EXTRAIT d'un manuscrit par quelques François, dont on n'avoit encore eu aucunes nouvelles, parce qu'il s'en sauva que deux, qui ne sont arrivez à Brest que depuis quelques mois.
Un groupe de dix Français, accompagné de deux autochtones, quitta Montréal pour explorer le pays des Illinois, près de la rivière Mississippi. Ils entreprirent une expédition en remontant le Mississippi sur trois canots d'écorce, parcourant environ 150 lieues avant de rencontrer un obstacle les forçant à faire un portage de six lieues. Après avoir remonté encore 40 lieues sans rencontrer de nation, ils découvrirent une rivière coulant vers le sud-sud-ouest, qu'ils pensèrent mener à la mer du Sud. En naviguant sur cette rivière, ils parcoururent environ 150 lieues et trouvèrent une grande nation appelée Escaniba, occupant au moins 200 lieues de territoire. Cette nation possédait plusieurs villes fortifiées avec des maisons en bois et en écorce. Leur roi, se prétendant descendant de Montezuma, était souvent vêtu de peaux humaines. Les habitants étaient idolâtres, avec des idoles énormes et affreuses dans le palais royal. Ils pratiquaient un grand commerce d'or, transporté par caravanes de bœufs, et échangeaient l'or contre du fer et des armes blanches. Le roi, nommé Agauzan, disposait d'une armée de 100 000 hommes et vivait dans un palais en or massif. Les Français furent bien accueillis et promirent de revenir avec des marchandises pour échanger contre de l'or. Cependant, lors de leur retour, la plupart furent capturés par un forban anglais, et seuls deux survivants parvinrent à Brest après une longue captivité. Ils affirmèrent pouvoir retrouver le chemin du 'nouveau Pérou' s'ils étaient conduits au Mississippi.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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10
p. 194-202
Extrait d'une Lettre de Gironne le 16 Avril.
Début :
Aprés avoir chassé les rebelles de Repoüilh, & avoir établi [...]
Mots clefs :
Rebelles, Troupes, Plaine de Vic, Bracamonte, Quartiers, Barcelone, Pays, Montagnes, Gérone
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Extrait d'une Lettre de Gironne le 16 Avril.
Extrait d'une Lettre de Gironne
le 16 Avril.
Aprés avoir chaffé les rebelles
de Repoülh , & avoir
établi des quartiers depuis Ollot
& Campredon julqu'à
cette ville là , pour contenir.
cette Montagne & conferver
la communication avec la
Cerdagne , & avoir un corps
GALANT 195
à portée de foûtenir la Plaine
de Vich , voyant que les rebelles
s'eftoient difperfez
dans tout le Luzanez pour
fubfifter , & eftoient dans les
endroits les plus difficiles à
aborder. Je marchay à Ollot
pour renvoyer les troupes
dans leurs quartiers
; mais
j'appris en y arrivant que les
rebelles s'eftoient raffemblez
à Conga , c'est le chemin de
Vich à Barcelone
, & qu'ils y
eftoient en grand nombre ;
Mr de Bracamonte
me mande
qu'ils eftoient même def-
¿cendus dans la Plaine , &
W
Rij
196 MERCURE
avoient brûlé plufieurs maifons
dépendantes de Centeillas
, qui eft un endroit tresfilele
, qu'il marchoit à eux
avec toutes les troupes , &
qu'il me prioit d'envoyer un
gros détachement pour contenir
cette Place pendant fon
abfence. J'y allay moy même ,
je marchay à la Roda , c'eft
l'endroit où eft le Pont fur le
Ter qu'on doit paffer pour en-
'trer dans la Plaine de Vich afin
de pouvoir mieux impoler
aux rebelles. A peine y fus je
aivé que j'appris que les rebelles
s'eltoient retirez fur les
GALANT 197
c't
Tur
urd
ha
pos
fus
les to
urle
Con
hautes Montagnes & dans
des endroits impraticables ,Mr
de Bracamonte ne les y pou
vant attaquer revint à Vich ,
avec les troupes , le lendemain
de mon arrivée , & me propo
fa de chaſtier avec luy Afbu
cas & le Village de Montfeny,
d'où cette canaille tiroit la
fubfiftance , & que c'eftoit le
moyen de les faire fortir d'où
ils eftoient ; au furplus il me
dit qu'il avoit ordre de faire
un exemple de tous ces endroits
- là , ayant taillé en
pieces les deux bataillons
Wallons que l'on envoyoit
Riij.
+98 MERCURE
à fon fervice , & qu'il ne le
pouvoit pas faire dans un Pays
auffi difficile fi je ne me mettois
en état de le favorifer dans
faretraite , commeje voisque ce
feroit toûjours à recommencer
, auffi- toft que les troupes
s'éloignerent de Vich , &
que les rebelles dans le Montfeny
m'inquietoient pour nos
poftes & nos quartiers dans la
Plaine & de la Marine , je ne
balançay pas d'aller à Velladrace
pour favorifer Mr de
Bracamonte , & dans le temps
qu'il marchoit à Aſbuſcas dans
un Pays difficile , j'avançay du
THEQUE
DELA
yad
n
na
des
GALANTY
mienpour aller jufqu
lieuë de- là , & fis occuper
hauteurs de Montagnes par
nos fufiliers des Montagnes.
Tous les rebelles qui comproient
ce Pays imprenable ,
s'enfuirent à la vue de nos
Troupes avec tous les Payfans
qui avoient pris les armes, en
forte que M' de Bracamonte
y arriva tres facilement , ce
Village & plufieurs autres furent
pillez & bruflez . Je vous
puis affurer que Sa Majeſté
Catholique a efté bien vangée
de la perfidie de ces peuples ,
l'on y trouva beaucoup de
R iiij
200 MERCURE
provifions de toutes fortes ;
& je fuis perfuadé que cette
execution a fort dérangé leurs
projets , ils le font jettez depuis
ce temps là du coſté de
la Marine , & comme ils n'étoient
qu'à trois quarts de
lieuë d'Oftalrick & au haut de
nos poftes les plus avancez , je
manday à Mr de Valoufe ,
d'affembler quelques Troupes
de celles qui font de ce coſtélà
afin de s'opposer à leurs
deffeins ; mais leurs féjours ne
leurs a fervi qu'à éxiger des
fubfiftances en vivres & en
argent de plufieurs Villages
GALANT . 201
UT
er
où ils s'eftoient mis , ils font
prefentement répandus de
Tous coftez pour vivre plus fa
cilement , & j'apprens que
400. s'eftoient retirez à Saint
Barthelemy Delgrace , c'est le
chemin de le Luzanez à la
Plaine de Vich , & demanderent
des Sommetans de tous
coftez pour engager une fe
conde fois les Payfans à prendre
les armes pour les faire
paffer vers la Montagne de
Saint Jerome.
Il y a quelques jours que
le mauvais chemin ayant obligé
les Vaiffeaux qui font
202 MERCURE
devant Barcelone de s'en éloigner
, les Barcelonois profiterent
de ce moment pour en
faire fortir so.
Barques & -2 .
Vaiffeaux chargez de familles
qui fe retirent à
Mayorque.
J'appris hier que Mr le
Duc de Popoly faifoit bombarder
Barcelone , & qu'il y
avoit déja beaucoup de maifons
ruuinées , & même le
meilleur quartier.
le 16 Avril.
Aprés avoir chaffé les rebelles
de Repoülh , & avoir
établi des quartiers depuis Ollot
& Campredon julqu'à
cette ville là , pour contenir.
cette Montagne & conferver
la communication avec la
Cerdagne , & avoir un corps
GALANT 195
à portée de foûtenir la Plaine
de Vich , voyant que les rebelles
s'eftoient difperfez
dans tout le Luzanez pour
fubfifter , & eftoient dans les
endroits les plus difficiles à
aborder. Je marchay à Ollot
pour renvoyer les troupes
dans leurs quartiers
; mais
j'appris en y arrivant que les
rebelles s'eftoient raffemblez
à Conga , c'est le chemin de
Vich à Barcelone
, & qu'ils y
eftoient en grand nombre ;
Mr de Bracamonte
me mande
qu'ils eftoient même def-
¿cendus dans la Plaine , &
W
Rij
196 MERCURE
avoient brûlé plufieurs maifons
dépendantes de Centeillas
, qui eft un endroit tresfilele
, qu'il marchoit à eux
avec toutes les troupes , &
qu'il me prioit d'envoyer un
gros détachement pour contenir
cette Place pendant fon
abfence. J'y allay moy même ,
je marchay à la Roda , c'eft
l'endroit où eft le Pont fur le
Ter qu'on doit paffer pour en-
'trer dans la Plaine de Vich afin
de pouvoir mieux impoler
aux rebelles. A peine y fus je
aivé que j'appris que les rebelles
s'eltoient retirez fur les
GALANT 197
c't
Tur
urd
ha
pos
fus
les to
urle
Con
hautes Montagnes & dans
des endroits impraticables ,Mr
de Bracamonte ne les y pou
vant attaquer revint à Vich ,
avec les troupes , le lendemain
de mon arrivée , & me propo
fa de chaſtier avec luy Afbu
cas & le Village de Montfeny,
d'où cette canaille tiroit la
fubfiftance , & que c'eftoit le
moyen de les faire fortir d'où
ils eftoient ; au furplus il me
dit qu'il avoit ordre de faire
un exemple de tous ces endroits
- là , ayant taillé en
pieces les deux bataillons
Wallons que l'on envoyoit
Riij.
+98 MERCURE
à fon fervice , & qu'il ne le
pouvoit pas faire dans un Pays
auffi difficile fi je ne me mettois
en état de le favorifer dans
faretraite , commeje voisque ce
feroit toûjours à recommencer
, auffi- toft que les troupes
s'éloignerent de Vich , &
que les rebelles dans le Montfeny
m'inquietoient pour nos
poftes & nos quartiers dans la
Plaine & de la Marine , je ne
balançay pas d'aller à Velladrace
pour favorifer Mr de
Bracamonte , & dans le temps
qu'il marchoit à Aſbuſcas dans
un Pays difficile , j'avançay du
THEQUE
DELA
yad
n
na
des
GALANTY
mienpour aller jufqu
lieuë de- là , & fis occuper
hauteurs de Montagnes par
nos fufiliers des Montagnes.
Tous les rebelles qui comproient
ce Pays imprenable ,
s'enfuirent à la vue de nos
Troupes avec tous les Payfans
qui avoient pris les armes, en
forte que M' de Bracamonte
y arriva tres facilement , ce
Village & plufieurs autres furent
pillez & bruflez . Je vous
puis affurer que Sa Majeſté
Catholique a efté bien vangée
de la perfidie de ces peuples ,
l'on y trouva beaucoup de
R iiij
200 MERCURE
provifions de toutes fortes ;
& je fuis perfuadé que cette
execution a fort dérangé leurs
projets , ils le font jettez depuis
ce temps là du coſté de
la Marine , & comme ils n'étoient
qu'à trois quarts de
lieuë d'Oftalrick & au haut de
nos poftes les plus avancez , je
manday à Mr de Valoufe ,
d'affembler quelques Troupes
de celles qui font de ce coſtélà
afin de s'opposer à leurs
deffeins ; mais leurs féjours ne
leurs a fervi qu'à éxiger des
fubfiftances en vivres & en
argent de plufieurs Villages
GALANT . 201
UT
er
où ils s'eftoient mis , ils font
prefentement répandus de
Tous coftez pour vivre plus fa
cilement , & j'apprens que
400. s'eftoient retirez à Saint
Barthelemy Delgrace , c'est le
chemin de le Luzanez à la
Plaine de Vich , & demanderent
des Sommetans de tous
coftez pour engager une fe
conde fois les Payfans à prendre
les armes pour les faire
paffer vers la Montagne de
Saint Jerome.
Il y a quelques jours que
le mauvais chemin ayant obligé
les Vaiffeaux qui font
202 MERCURE
devant Barcelone de s'en éloigner
, les Barcelonois profiterent
de ce moment pour en
faire fortir so.
Barques & -2 .
Vaiffeaux chargez de familles
qui fe retirent à
Mayorque.
J'appris hier que Mr le
Duc de Popoly faifoit bombarder
Barcelone , & qu'il y
avoit déja beaucoup de maifons
ruuinées , & même le
meilleur quartier.
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Résumé : Extrait d'une Lettre de Gironne le 16 Avril.
Le texte est un extrait d'une lettre datée du 16 avril, relatant les opérations militaires contre des rebelles dans la région de Gironne. Les forces royales ont d'abord repoussé les rebelles à Repoülh et établi des quartiers entre Ollot, Campredon et Gironne. Leur objectif est de sécuriser la communication avec la Cerdagne et de protéger la plaine de Vich. Les rebelles, initialement dispersés dans le Luzanez, se regroupent à Conga, sur la route de Vich à Barcelone, et incendient des maisons à Centeillas. Les troupes, dirigées par Mr de Bracamonte, se dirigent vers les rebelles, mais ceux-ci se retirent dans des montagnes inaccessibles. Mr de Bracamonte propose de punir les villages d'Asbuscas et Montfeny pour couper les approvisionnements des rebelles. Les forces royales avancent et occupent des hauteurs stratégiques, forçant les rebelles à fuir. Plusieurs villages sont pillés et brûlés, perturbant les projets des rebelles. Ces derniers se déplacent ensuite vers la marine et exigent des subsistances dans divers villages. Les Barcelonois profitent d'une opportunité pour faire sortir des barques et des vaisseaux chargés de familles se retirant à Majorque. Enfin, il est rapporté que le Duc de Popoly bombarde Barcelone, causant des destructions significatives.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 205-229
ECLAIRCISSEMENS. / ADDITION.
Début :
Sur le lieu où furent données deux Batailles en France, les années 596. & [...]
Mots clefs :
Lieu, Lieux, Bataille, Diocèse, Palais, Bourgogne, Pays, Roi, Royaume de Bourgogne, Histoire
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ECLAIRCISSEMENS. / ADDITION.
ECL4IRCISS EMENS.
Sur le lieu où furent données deux Ba
tailles -en France, les années 595. &
600. & fur un ancien Palais de nos
Rois de la première Race , duquel
personne jusqu'ici n'a assigné la situa
tion. Paf -M' le Beuf , Sous-Chantrt
& Chanoine de V Eglise d' Auxerre.
E Journal de Verdun du mois
de Mars dernier , nciis a com
muniqué une Remarque faite
un habile homme , touchant l'en-
A ij droit
%o6 MERCURE DE FRANCE;
droit où fut. donnée une Bataille l'an 59^.
ou 597. entre les Troupes de Clotaire
II. Roi de Soissons & de Paris , fils de
la Reine Fredegonde , d'une part , & les
Troupes de Theodebert II. Roi d'Auftrasie
, jointes à celles de Thierry II. Roi
d'Orléans & de Bourgogne. Ce lieu se
trouve appellé Latofao dans les Impri
més de la Chronique , connue fous le
nom de Fredegaire, M. Maillard , Avo
cat , Auteur de la Remarque du Jour
nal j observe que le Pere Daniel dit qu'on
ne connoît plus ce lieu ; mais que le
Pere Ruinart a marque dans ses Notes
(at Fredegaire que feion quelques uns
ce Latofao est dans le Diocèse de Sens.
Cette désignation générale ne satisfait
point le Lecteur. On aime à voir les
«hoses indiquées plus particulièrement.
C'est ce que tache de faire M. Maillard,
en produisant un garant pour la situa
tion de çe lieu dans le Diocèse de Sens.
Xe garant qu'il croit suffisant est l'Histoire
du Gâcinois , écrite il y a cent ans
par Morin , Grand-Prieur de perrières.
C'est un Ouvrage où , à la vérité , il y
z quelque chose à apprendre } mais en
prenant les précautions nécessaires >
c?cst-à-dire , en vérifiant la plupart des
choses qu'il avance , il y a lieu de se
/défier de tout ce qu'il produit , fans
FEVRIER. i7jo. So?
én apporter la preuve ; Sc je ne vois
pas qu'on puisse fonder fur son simple
témoignage un fait aussi ancien qu'est
celui en question. Cet Historien est fi
peu exacb , & si rempli de fautes , que
dès le premier mot du Chapitre où il
parle de ce Latofao , il dit que Moret
& Doromel font la même chose selon
Aimoin , ce qui est doublement faux ,
puisqu'Aimoin ne parle aucunement de
Moret , lib. 3. e. 8 8. & que Dormèil,
loin d'être Moret , en est éloigné de
trois lieues ou environ.Le PereLe Cointe
die aussi à l'an 596. num. 4. que quel
ques nouveaux Auteurs placent ce La
tofao dans le Diocèse de Sens. ïl ne les
eite point par leur nom , & on ne
connoît que Morin qui ait avancé cette
opinion. C'est lui apparemment que le
Pere Le Cointe a en vue. Mais avec ust
peu d'attention , on s'apperçoit aisément
que ce qui a conduit Morin dans le sen
timent qu'il embrasse sur la Bataille de
Latofao , est que Dormeil , où il s'en
donna quatre ans après une seconde ,
est situé dans le Diocèse de Sens , 8c
peu éloigné de Moret. Pour moi , je
fuis d'un sentiment bien opposé au sienj'
je prétends que les Places où se don
nèrent ces deux Batailles ne font point
si voisines } & que comme l'iflue en suc
A Uj diffe2
»8 MERCURE DE FRANGE;
différente , le terrain en fut aussi fors
diffèrent. Dans celle de Latefao de Pan
y 9 6. c'est Clotaire qui parent aggiesfeur
& qui vient fondre fur les Armées de
Theodeberr & de Thierry , qu'il taille
en pieces. Dans celle de Dormeil , ce
font Theodeberr & Thierry qui venant
à leur tour contre Clotaire , lui rendi
rent la pareille , & mirent toute son
Armée en déroute. Il paroît plus natu
rel que la première Bataille se soit don
née sur un terrain appartenant à Theo
deberr ou à Thierry , de même que la
seconde fut donnée vrai- semblablement
dans un lieu des Etats de Clotaire. U
ne faut point s'astreindre tellement aux
noms marques dans les imprimés de la
Chronique de Fredegaire , qu'on ne
puisse avouer que quelquefois ces noms
ont été mal écrits par les Copistes. Que
penser de certains noms propres dont il
est fait mention dans cet Ecrivain , lors
que l'on voit que dès le titre de fa' Chro
nique , qui étoit intitulée .• Extrait de
FHiftoire de S. Grégoire de Tours , du
mot Greji , les Copistes les plus anciens
avoient fait G >-aec , & de Turonici 3 il*
avoient fait Thoromachi ? Le Pere Ruinart
fait cette Observation dans son ex
cellente Préface, num. 137. Aidons un
peu à la lettré , & voyons si dans la mê
me
FÉVRÏÉR. trtú. ioj
iiie Chronique ou dans ses Continua
teurs , il n'y a pas encore d'autre Ba
taille donnée dans un lieu d'un nom ap*
prochanr. Je découvre par le mûyen des;
íçavantes Notes du P Ruinart , que
l'endroit où le second Continûareur mar
que une Bataille donnée en 680. & que
les imprimés appellent mal Locofico ;
est nommé dans les manuscrits Locofaa
ou Lnfmo , & autrement Lucofaco Lttu _
eofngo 5 je le trouve aussi appelle Luco*
fao dans l'Hiftoirc d'Aimoin. Comme le
Manuscrit des Continuateurs de la Chro
nique , & celui du premier Auteur n'ont
pas toujours paíté par les mêmes mains,
il ne fau! pas s'étonner de la petite dif
férence qui se trouve entre Latofao 8c
Lacofao. Mais je croirois volontiers que
c'est un seul & même endroit ; il s'agit
d'abord d» fixer fa situation. Dom Thierry
Ruinart dit que Monsieur Valois n'a pas
connu cet endroit , mais que ce pour*-
roit être Loixi en Lannois ; il ajoûtfr
ensuite , que cependant il paroîtra à
d'autres assez vrai-semblable , que ce liea
est celui dont prie l'Histoire des Evê
ques d'Auxerre , & qu'elle dit être situé
dans le Pays de Toul. Cette Histoire
e'crite fous le Règne de Charles le Chau-
▼Cy, rapporte que Hainmar , Evêque
d'Auxerre vers l'an j6y ayant été con-
A, iiij duir
ïio MERCURE DE FRANCE:
duit par ordre du Roi sur de faux rap^
porcs à Bastognes , dans la Forée des
Ardennes , fut adroitement tiré de cette
prison par un de ses neveux ; & que
comme il íe sauvoit à cheval , il fut sur
pris & arrêté à Lufaiis , dans le Pays de
Toul , où se£ ennemis en firent un Mar
tyr. Adverfarii infequentes in loco qui
Lufaiis dieitur , j» Pago Tullenfì , eum
conficuti funt &c. Il semble qu-'il ne fauc
point chercher ailleurs ce Lufaiis que
dans le Diocèse de Toul ; ainsi c'est in
failliblement ce qu'on appelle aujour
d'hui Lifou, Il y a Lifou le grand & Lifou
le petit , qui font deux Villages contigus,
à six ou sept lieues de Joinville r
vers L'Orient , tous les deux dans le Dio
cèse de TouL , & dans l'ancienne Austrasie.
Le nom de Lifoldium , que le
P. Benoit , Capucin , leur donne dans son
nouveau Pouiller de Toul, ne m'arrête
aucunement , pareeque j'ai connu que
dans beaucoup d'articles , il a latinisé les
noms fur le François , & que lorsque la
terminaison d'un nom étok susceptible
de deux différentes inflexions Latines ,
il a souvent pris la moins fondée dans
l'antiquité , & a laisse l'autre qui-lui étoit
inconnue*. Telle est la derniere syllabe
du nom Lifou ou Lufou , laquelle n'a
pas été formée de l' Allemand Bold , mais
d»
FEVRIER. 1730. m
du Latin Fagus. A l'égard de la première
syllabe , il est plus probable qu'elle vient
du mot Lhcus que d'aucun autre , & je
me persuade que quiconque est au sait
de la formation des noms propres des
lieux , ne fera aucunement surpris que
de LucasAgus , on ait fait Lifou , qui
auparavant étort écrit & prononcé Luc*
foug 3 soit que ce mot vienne de Leucorum
Fagus , ou de Lucus Fagorum. Je
laisse au Lecteur à juger sì Lifou, quia,
plutôt été le Théâtre de la Guerre de
tan 6 S o. qu'aucun autre lieu , n'est pas
aussi l'endroit de la Bataille de l'an j^óV
puisqu'il étoit dans les Etats de Theodebert
, où il est plus vrai semblable que
Clotaire envoya ses Troupes , que noa
pas dans fes propres Etau , à 1 5. ou
16. lieues de Paris. On pourroit m'objecter,
que qUandmême il seseroit donné
une Bataille à Lifou cn l'an £80. il ne
s'ensuivroir pas delà qu'il s'y en soit aussi
donné une en ^96. Qu'inferec l'un de
l'autre , c'est retomber dans le deffauc
de raisonnement que je blâme dans Morin.
Mais la différence qu'il ya, est que
Latofao & Lucofao , ou par abrégé L«-
fao , se ressemblent si fort , qu'à moins
qu on ne trouve un lieu véritablement
nommé Latofao , diffèrent de Lifou , on
est toujours bien fondé à croire que c'est
A v le
212 MERCURE DE FRANCE.
le même. M. Maillard avoiie qu'on ne
connoît point de lieu appelle' Latofao
où Morin dit qu'il y en a un. II ne pro
duit non plus aucun titre , ni aucune
Histoire qui donne ce nom à aucun en~
droit voisin de Dormeil & de Moret ;
d'où je conclus que fa Remarque est
trop foiblement appuye'e pour qu'on
puisse y avoir égard , &c que si Latofaon'est
pas Lifou , il faut continuer à avouer
avec le Pere Daniel qu'on ne connoîe
plus ce Latofao.
Comme cette Observation tend à ôter
au Diocèse de Sens un endroit mémora
ble que M. Maillard a essayé de lui at
tribuer, je fuis bien aise de lui assigner
' en dédommagemenr un autre lieu plus
célèbre , & qui mériteroit d'être regar
dé avec distinction par les Historiogra
phes de France. C'est le lieu que nos^
anciennes Chroniques , nos Annales Sc
certaines Chartes appellent A4ap>loecnmt,
Aí ■npìlacum Afanfolagum. J'en ai déja
touché quelque chose dans une Note qui»
est au bas de la page 87 du Mercure
de Janvier 1725. Mais comme il n'y a
gueres que les curieux & les personnes,
studieuses qui lisent ce qui est au bas des
pages , j'ai crû devoir m'étendre un peu
plus fur ce point Topographique. Le
HJjet est d'autant plus digne d'attention
que:
FEVRIER. 1730. 213
que 1c Perc Mabiilon avoue dans son cjuatriéme
Livre de la Diplomatique\, qu'il
n'a pû découvrir quel lieu est ce Masolacum
, & que lc P. Ruinart en publiant
Fredegaire , de'clare qu'il ne le connoîc
pas davantage. Ignotus mihi Aianfolaci
fttus , dit le Pere Mabiilon. Hujus Viíl*
Jîtns ignotus est , dit le Pere Ruinart.
Cet endroit n'étant pas un fimple Vil
lage du commun , mais une terre dis*
ringuée par un Palais R oyal , ne doit
pas être non plus , par conséquent , de
ceux qui peuvent rester dans l'obsciuké.
Les Antiquaires qui aiment à suivre la
marche de nos Rois ne peuvent regardée
comme indifferens dans la Géographie
les lieux où ils se retiroient queîquefoisì
soit pour y prendre le divertissement de
la chasse , soit- pour y tenir leurs Etats ,
oti y faire quelqu'autre action éclatante.
Aíaffolacurn est dans ce cas. Ce fut là^
que Clotaire II. fit comparoître l'an 6\ j.
devant lui le Patrice Alethée , lequel
n?ayant pû se purger des crimes dont il
étoit accusé } fut condamné à périr par
le glaive. Dagobert I. étant mort , ce
fcit aussi à Massolac que les Seigneurs de
Neustrie & de Bourgogne s'assemblèrent
pour proclamer Roi , son fils Clovis..
Ces faits font affectés par Fredegaire ,
Auteur du tems , Ôc depuis par Aimoin.
A*j M»is
ZT4 MERCURE DE FRANCE:
Mais où éroit situé ce Maffolac ? & cot»;
ment l'appclle-t'on aujourd'hui ? C'est
suc quoi je me suis déja déclaré en 1725,»
en marquant que c'est Maíky » à une
lieue de Sens. Dom Jean Mabillon die
que ce Maffolac a du être certainement
un Palais Royal du Royaume de Bour
gogne avant le Règne de Clotake I I.
Regni Burgunàici Palatium fuijse cons-
Ut. il le dit fans aíSgner le lieu où il ctoic
situé; mais le voisinage de Sens suffit pour
décider, que ce Palais étoit du même
Royaume que. Sens j & quoique je ne
veuille pas contredire ouvertement le
fçavant Pere Mabillon , je ne crois pas
qu'après la resolution prise par le Roi
Clotaire d'entendre les Chefs d'accusa*
tion contre un Patrice de Bourgogne y.
il fut nécessaire pour cela que l' Assem
blée se íint dans un Palais du Royau
me de Bourgogne , quoique ce Roi en
fut devenu le Maître, On voit que trois
ans après*, ce même Roi fit venir tous
les Evêques & Seigneurs de Bourgogne
au Palais de Boneuil proche Paris , qui
constament n'a jamais été Aa Royaume
de Bourgogne; Il suffisoit donc que ce
fut un lieu sur les limites des Royaumes
de Neustrie & de Bourgogne , comme
cn effet ce fut là que les premiers de
ces deux Royaumes élevèrent l'an 637»
FEVRIER. 1730. sijj
I la Royauté Clovis , fils de Dagobctr.
Or que ce fut dans le voisinage de Sens»
bous en avons une bonne preuve dans
un acte produit par le Perc Mabillon ,
Sec. j. BenediU. part. 2. p. 6 1 4 . on y
lit qu'Emmon , Archevêque de Sens , íc
servant de la présence d'un grand nom
bre d'Evêques assemblés en ce lieu l'an
£57. leur fit signer un Privilège con
cernant l'Abbaye de Saint-Pierre le Vif;
il est daté Mansolaco Curte Dowinica*
II étoit assez naturel à- un Archevêque
de saisir cette occasion , ayant le Roi &
les Evêques si proches de lui. On peur
dire que c'étoit comme le Fontainebleau;
de ce siecle-là ■, les. Rois de France y venoient
de tems en tems , & \& Cour y
étant , il éroit nécessaire que les Prélats,
qui avoient des affaires d'importance à
icgler , s'y transportassent. Clotaire III.
y étoic la troisième année de son Règne,
selon l'Acte ci deflus cité. Il y vint en
core la huitième année , & c'est de la
que fut daté un Oiplome de confirmation
de la terre de Larrey à l'Abbaye de Sains
Bénigne de Dijon qu'on trouve dans Pé
tard à l'an 6x7 > mais qui doit être placé
à l'an 660. comme l'a fait remarquer
le Pere Mabillon. Datum Masolapo in
íalatio nofl'-o. Si depuis ce tems là on
oc trouve plus de mention du Palais de
Massas
%\C MERCURE 0E FRANCE.
Maíïay , c'est qu'il fut peut- être dérruir
par les guerres des Sarrazins au siécle
suivant* Mais le nom de fa première
destination lui est toujours resté , puis
que des deux Maslay contigus , il y en
a un qui est appelle Mastay-le-Roy , ce
qui marque , comme dit le Privilège de
ì' Archevêque Emmon , un Territoire
Royal, Curtem Dominicain. Ces deux en*
droits font à l'Orient dliyver de la yûlede
Sens , fur la Rivière de Vanne , Sc
peu éloignf-s de la Forêt d*Othe qui
étoit alors fort vaste , & qui l'eft encore
assez. J'ai trouvé aux marges d'un Mar
tyrologe de la Cathédrale de Sens , écrit
au dixième siécle , quelques additions de
personnes notables décedees dans le mê
me siécle , & entr'autres une Hermengarde
, Dame de Maflay. XVII. KaLJunii
, obiit Hermengardis de Mafiiaco
Domina , anno Domini D. CCCC LV.
Ces additions font au plus tard d'une
écriture du XI. siécle. L'original est dans
la Bibliothèque de Saint-Benoît fur Loire,
It y a apparence que les deux Maflay
croient originairement une feule & mê
me terre , dont les guerres ont fait faire
des partages , en forte que l'un des Mas
lay s'est appelle le Grand-Maflay , &
l'autre le petit Maslay. Je ne sçai pour
quoi ce dernier est celui qu'on appc líe
autreFEVRTER.
i7Jo: a r
ffutrcment Mastay-le-Roy , ni pourquoi
celui qu'on surnomme le petit est échuau
Roi. Il arrive quelquefois que ce qui
est plus périr , quant au nombre des-
Feux & des Habirans , est d'un plus
grand produit pour le revenu à caufedes
dépendances. Quoiqu'il en soit , le
grand Mastay est nommé dans un His
torien de Sens , contemporain du Roy
Robert : C'est Odoran , Moine de Saint"
Pierre le Vif. Son Ouvrage seroit peutêtre
resté jusqu'ici dans l'obscurité , si cc
n'étoir que M. Jean Baptiste Oudinet
Prieur de l' Abbaye de .Saint ■« Marien
de notre Ville , se fit un plaisir de
le communiquer à Dom Mabillon. Il
renferme plusieurs parricularitez qui ne
font pas indifférentes- à l'Histoire du
Roi Robert, & que je tais parce qu'elles
ne font rien à mon sujet. On peut les
voir au second volume du VI siécle Bé
nédictin. Cer Ecrivain rapporrant dansfbn
ii. Chapitre la punition d'un hom
me qui fit un faux ferment dans l'fgliso
de S. Savinien, proche Sens , dit que cet
homme étoit nomim Rothb rthiti in vicin*
ortus villa , cm nomen JUaftiacm Aft jor
dédit antlcjuitau le Moine C.larius,de
la mime Abbaye de S. l ierre le vif , qui
vivoit cent ans après Odoran , rapportant
dans fa Chronique, imprimée au II. lo
vas
tit MERCURE DE FRANCE:
me du Specilege , les violences qu'on em
ploya l'a n 10 j 2. pour obliger les Senonois
de recevoir Gelduin , que le Roi
Henry I. leur avoit donné pour Evêque ,
dír que ce Roi se transporta en personne
sur les lieux > qu'il vint assiéger la Ville de
Sens,& que ce fut au Grand-Mastay qu'il
fit camper son armée : Rex copiosum exerçitam
applicuit y & in villa qut Maftiacus
M.ijor dicitur cafi'a p»s»it. Ces trois té
moignages prouvent que dans le X.XI. &
XII. siécles on disoit encore dans le pays
M.ifliacHS , qui e'toit une expression moins
éloignée de Moefolacut. Mais dans les fic
elés suivans on commença à corrompre
ee mot de plus en plus. Je trouve dans
un Manuscrit de la Bibliothèque de la Ca.-
thédrale de Sens, qui est du XIII. siécle,
qu'il est fait mention en ces termes du
Maire de Maílay-le- Vicomte & de l'Eglise
de Maíliy-le-Roy : Aíajori de Mas-
Uio-Vicecomiús . & Ecclejit, de MaJIcìo
Régis. Au reste il ne doit pas paroître sur
prenant que l'on ait corrompu Mafìlacurn
en Míijliacum & Majlciam : ces deux ma
nières de latiniser ce nom dans les bas
siécles , marquent que dans le langage
vulgaire on faisoit. la première syllabe
longue comme aujourd'hui , si on ne proaonçoit
pas la lettre S , ce qui est d'au
tant plus véritable que les Titres François
FEVRIER. ï7jo. 219
da XIV. siécle mettent un second a pouc
tenir la place de la lettre S , ensorte qu'on
y lit ce mot ainsi écrit ; Maalay. U est na
turel que dès-là qu'on réduit plusieurs
syllabes à n'en former qu'une , cette syl
labe devienne longue de prononciation»
Quant à la terminaison en ay , il est vrai
que de nos côtez elle est moins communa
que celle en y, qui nous vient de tous
les- noms deg lièux finissant en latin pas
iacurn ; cependant il reste encore dans dis*
ferens cantons de la Province Senonoifs
des noms de lieu en ay qui viennent du
latin iacum ou acam . . . Nous avons dans
notre Diocèse , presque sur les bords da
la Loirp, Mannay qui s'appelloit Man-,
nacum í au sixième siécle, Annay qui se
disoit en latin au neuvième siécle Abundiacum
, & Seignelay, qui est un endrok
fort connu , Seligniacum. Dans le Diocèser
de Senion trouve Bray& Lorayidont les
noms latins ne Yont autres que Braiacum
&cLoriacum. Je ne puis donc croire qu'il y
ait lieu de douter du côté de l'analogie
des deux Langues , que Mallay ne vienne
de Afafolacnrn. Les Antiquaires font obli
gez d'admettre des noms qui sont encore
plus méconnoissibles & moins «pportans
l'un à l'autre. Je n'ái passé qu'une
seule fois dans le grand Maflay , & j'ajr
apoerçji que la Plaine de ce lieu est très*
fertile
iià MERCLÎRÈ DÈ FRAftCÉ.x
fertile. La Rivière de Vanne entoure cti^s
tierement ce Bourg & erl fait une verira^
ble Isle. Comme cette Rivière ne tatis
gueres, elle contribue beaucoup à rendre
cet endroit verdoyant & fort gai en été.
Le petit Maflay est un peu plus vers l'Otient
, la Rivière entre deux. Plus haut
est le Village de Teil , que je pourrois enquelque
forte qualifier d'ancienne Mai
son Royale, en me fondant fur le texta
d'Odoran, quoique te P. Mabillon n'en
ait fait aucune mention. Odoran rap
porte dans son 2 6. Chapitre , que Teil
rut le lieu de la résidence de la ReineConftance
pendant tout le temps que lc Roi
Robert employa à faire son voyage de
Rome. Faïium efi dum quadam terr.port
Robmtts Rex Romam peteret , ut Cons'
tant'ta Regina un à cum filio sue Hagent
parvalo Tille remaneret. Peut être que
Mâlay s'étendbit autrefois jufques-là. Au
moins il est certain que Teil fait encore
partie de k Châtellenie de Mâ!ay-le-Roi«
Cette Châtellenie fut échangée par Phi
lippe le Bel avec Marie Comtesse de Sancerre
, & l'échange fut ratifié au mois
d'Août 1318. par Philippe le Long ,en
faveur de Thibaud & Louis de Sancerre.
M. Couste, Lieutenant Civil & Particu
lier de la Ville de Sens , qui possède une
gartie de cc Mâ-lay , m'apprend par le
Me
FEVRIER. i7jo. ni
Mémoire qu'il a eu la bonté de m'envoyer,
que dans les Titres d'échange & de ra*
tification , ce lieu est écrit Maalay-le-Roi.
II ajoûte que cette Châtellenie appartint
depuis cet échange à un seul Seigneur ,
qui ayant eu huit enfans , en fit le par
tage entre eux dès son vivant ; ce qui est;
cause qu'elle est aujourd'hui divisée etï
sept ou huit portion ì. Et quoiqu'il ob
serve que Mâlay-Ie-Roy , dent la Châtel
lenie porte le nom ,soit le plus petit dessept
Villages qui la composent , & que le
Siège du Bailliage soit à Teil , cela ne doit
point cependant empêcher de croire que
tout ce terrain n'ait été un territoire Royal
dans le temps que j'ai marqué cy-dessus.
Cette supériorité de Seigneuries se trouve
même appuyée par le nom de Villiers-
Louis, qui est un des sept Villages, & qui
est contigu à Mâlay-lc-Roy. Au reste si
cette Châtellenie relevé aujourd'hui de»
Comtes de Joigny , ce n'est que depuis
k Règne de Philippe V. Ce Prince céda
cette Mouvance à Jean Comte de Joigny
en 1 3 r 7. pour avoir la Mouvance de Châ
teau-Renard , qui appartenoit au Comte
de Joigny. Je ne sçai si ce que Nicole
Gilles, Belleforelt& Chappuis, prennent
pour un retranchement fait à Mâlay par
les Anglois au XIV. siécle , ne seroit point
un vestige de l'enceiate daChâteau de nos
Roisïti
MERCURE DE FRANCK
Rois de la première Race , ou du tcrraírf
vqui fut occupé par les Troupes du Rot
Henry I. lorsqu'elles campèrent à Mâlay.
il s'est conservé au Grand- Mâlay , autre
ment dit Mâlay- Ie-Vicomte , une Tradi
tion que S. Agnan Evêque d'Orléans étoit
natif de ce lieu. Tel a été le sentiment de
M. Tripaut, Avocat d'Orléans. On écrit
cependant plus communément que saint
Agnan étoic né à Vienne en Ôaufiné,
plutôt que dans cette Bourgade de la Ri
vière de Venne. Il resterok a examiner s'il
fi 'y a point eu de méprise d'un nora pout
un autre , à cause de la ressemblance des
noms de Venne & de Vienne. Mâlay- le-
Vicomte a été de la Commune de Sensjusques
fous Louis le Gros ; c'est aujour
d'hui une Prévôté Royale : 5c M. le Duc
de Bourbon en nomme tous les Officiers,
soit comme étant aux droits du Vicomte,
ou comme jouissant du Domaine de Sens
& de la Banlieue.
En finissant ces Observations , je reçois
de M. Ferrani , l'un des fçavans Cures
du Diocèse de Sens , Doyen Rural de Marolles
, un Mémoire qu'il a rédigé , fur la
Rivière dont Fredegaire & Aimoin font
mention par rapport à la Bataille qui y fut
donnée en l'an 600. La remarque de
M. Maillard , inférée dans le Journal de
Verdun , m'ayanc engagé à fake des perFEVRIER.
1730.. 11}
quisuions , tant pour constater la choie
que pour corriger ce que j'ai mal mis
moi-même en vouse'crivant fur les lumieres
Célestes qui furent vues l'année de
cette Bataille; (a) je reconnois ne les avoir
point faites inutilement , & qu'il seroit
bon que ceux , qui dans la fuite youdronc
donner une Edition de S. Grégoire de
Tours , de Fredegairc & de toutes nos ar» •
ciennes Annales Latines avec des Notes,
prissent la peine ou de se transporter suc
les lieux ou de faire venir des mémoires
exacts. J'avoue que j'ay e'té trompé en
1716. par la Note de Dom Ruinart fur
la Rivière Aroanna , que j'avois mal com
prise à cause du nom François d'Ouainc
qu'il lui donne. Ce n'est ni de la Rivière
d'Ouaineen Gâtinois ni de celle de Vanne
en Senonois , qu'il faut entendre ce qui
est dit de la Bataille où Clotaire II. suc
défait ; mais de la Rivière qui passe à Dor--
melle même. ( On dit Dormelle dans le
pays , & non Dormeil. ) Elle prend fa
source à trois quarts de lieue" au-dessus
de Dollot , qui est la Cure de M. Fer^
rand , Auteur des Remarques que je vais
rapporter , mais dans la Paroisse de saint
Valerien. Au bout de cent pas , fortifiée
par plusieurs fontaines , elle fait tourfa)
Mercure de Utvembrt vji.6' i4*á«
nef
iî4 MERCURE DE FRANCE,
jner un moulin. Jusques là , elle n'a que
le nom 1 de Fontaine de Saint - Biaise ,
à cause d'une Chapellû voisine de la source
.mais au-dessous du moulin , elle com
mence à s'apeller la Rivière d'Orvanne.
Elle passe ensuite à Dollot , à Valéry ,
JBlennes , Diant , Vaux , Ferrotes > Fla~
gis,Dormelle, Château-Saint-Ange ,8c
va former l'e'tang de Moret, dans le
quel elle est absorbée ; puis delà elle se
décharge dans le Loin , un peu au-dessus
.de Moret i le tout fait l'étenduè" de six
lieues de pays. Le Vallon que cette pe
tite Rivière arrose s'appelle le Vallon
d'Orvanne , & les Paroisses qui y font
k jîtuées ou contigues s'appellent de même
les Paroisses de la Vallée d'Orvanne. On
assure que tous les Contrats de partages
& de ventes dans tous ces pays là n'appellent
point cette Rivière autrement
que la Rivière d'Orvanne. Ce qu'il y a
de singuliers que le nom de cette même
Rivière change dans la bouche de plusieurs
personnes au delà de Dormelle , &
près de fa décharge dans l'Etang de Mo
ret. En ces lieux- là on Pappelle quelque
fois la Rivière de Ravanne , & ce font fur
tout les Paysans voisins de cet Etang qui
lui donnent ce nom , parce qu'au-dessus de
cet Etang elle passe dans un Château assez
distingué, appelle k Château de Rnvanne,
donc
\
FEVRIER. 1750. 22$
dont elle traverse les Jardins , y formant
outre sonCanal,des pieces d'eau trés agréa
bles. Mais si l'on remonte une lieue plus
haut , on voit que ce nom est inconnu.
Au dessus de ce Château 6V une de
mie lieue au-dessous de Dormelle, est la
belle maison de feu M. de Cajumartin ,
bâtie sur la croupe d'une Montagne. Cette
maison s'appelle le Château Saint- Ange.
C'est peut-être l'endoit -où se donna la
Bataille, super fluvium Arvennam nec procul
a Doromdlo vico, ainsi que dit Aimoin.
Cette lecture du mot Arvenna est plus
exacte que celle du mot Aroanna em
ployée dans Fredegaire de la derniere Edi
tion. 11 est incontestable par le moyen de
cet éclaircissement qu'il s'agit dans Fre
degaire & dans Aimoin de la Rivière <sPO»
vanne , qui plus anciennement a dû. être
prononcée Arvanne. Il faut abandonner
en cette occasion la Rivière d'O'ùaine
(Odona ) qui est éloignée de Dormelle de
plus de huit lieues. Le P. Daniel a eu
raison de dire que la Bataille fut donnée
sur une Rivière qui se jette dans le Loiiam
au-dessus lie Moret; mais il s'est trompé
en lui donnant le nom de Rivière d'Oiiaine
, aussi-bien que le P. Ruinart. On doit
en être convaincu par la raison que je
viens de rapporter -, celle d'Odaine étant
bjçn différente, puisqu'elle prend sa source '
% i4 MERCURE DE FRANCE,
à quatre lieuës d'Auxerre , & qu'elle va
/e jetter dans le Loiiain , au-deflus de
Montargis. Ce n'est point non-plur la
Rivière de Vanne , comme le Père le Com
te à l'an £eo. Num. i. semble l'avoir
crû après le Président Fauchet. Encore
moins faut -il aller chercher cette Rivière
dans le Pays du Maine , où il y a un traî
na fiuviolus. II faut quelque chose de plus
que la ressemblance des noms dans leLatin,
pour pouvoir avec fondement e'ioigner de
ros quartiers le Théâtre de cette guerre,
A Auxerre ce 18. May 172.8.
ADDITION.
Après avoir envoyé ces éclairciíTemem
aux Auteurs du Mercure, j'ai eu occasion
d'aller à Paris. Comme le cours de la Ri*
viere d'Or vanne est collatéral à celui de 1»
Rivière d'Yonne , & n'est éloigné du
grand chemin que de deux lieuës ou en
viron , je n'ai pas manqué de vérifier par
moi-même avant que de me rendre dans
la voiture publique, le Mémoire de M. le
Prieur de Dollot. Je l'ai trouvé*' très- juste
à un article près } j'ai remarqué en mêmetemps
que nés Géographes mettent sou
vent à droite d'une Rivière ce qui est à
gauche , ou qu'ils font quelquefois tout
Je contraire. C'est pourquoi si vous avez
U
FEVRIER. i7jo; M7
Ja Carte du Diocèse de Sens dressée par
Samson , vous pouvez en touce fureté ,
yous & vos amis, y faire les corrections
suivantes. Mettez la source de la Rivière
d'Orvannc à une portée de Mousquet du
Bourg de Saint Valerien, à POtient d'Eté; '
mettez ensuite Dollot à droite , comme
a fait le Géographe , mais à gauche du
Ruisseau. Vallery est bien placé dans les
Cartes. C'est un lieu célèbre par fa destin
nation à la sépulture des Princes de la
Maison de Condé. Plus bas à droite est:
Blenne,mal nommé Blaineux par Samfonj1
plus bas encore est Diant. Ensuite à gau
che est le Bourg de Voux, qui çst ferme
de murs, & que les Cartes ont tort de re
présenter comme un simple Hameau.
Après Voux & du mime côté le Villa
ge de Ferrotes , & plus bas encore ì
gauche est le Bourg de Flagy , qui a du
coté du Midi des níurs si élevez & si con
sidérables pour leur épaisseur , qu'on U
peut comparer à ceux des plus anciennes
Villes. Ce Bourg a été cependant fort en
dommagé par les Huguenots , ainsi que
l'Eglise du lieu en fait foi. Au sortir de
Flagy on voit à gauche une Plaine qui
règne jusqu'auprès de Dormelle. Ce der
nier Village est fur une éminence. On
passe la Rivière d'Orvanne fur un
Pont, &dps lois on cesse d'en suivre le
, B cours.
ni MERCURE DE FRANCE,
cours. Lorsqu'on a atteint le haut <kp
Coteau, on apperçoit encore une autre
Plaine à droite , laquelle s'étend dti
<ôré de rOtient & dfi Septentrion. Il y
a plus d'apparence que ce fut en cette
derniere Plaine que fut donne'e la Ba
taille de Dormelle , en tirant vers le
Village de Fossar 3 dont le nom vient
peut-être à Fojsario Jeu loco Fojfitrum. Ce
.que j'ai lemarqué plus loin après avoir
laissé le Village de Montarlpt i gauche,
«e s'accorde plus ayee le Mémoire dont
je vous ai parlé. Il ne m'a point paru que
la Rivière d'Orvanne se jettât dans un
Etang-, c'est elle qui forme cette es
pèce d'Etang par le moyen des murs Sfi.
des Ecluses qui fervent à retenir ses eaux,
Cette Rivière ayant repris ensuite fa pre
mière liberté , ne va point se jettes dans
le Loiiain si tôt que Messieurs Samson
& Deíifle l'ont marqué dans leuts Cartes ;
ce n'est point au-dessus de Motet qu'elle
s'y jette , mais au-dessous } presque vis-àvis
sangle Septentrional des murs de cette
petite Ville ; desorte qu'il y a à More*
Jeux Ponts l'un au bout de l'autre; le plus
grand pour la Rivière de Loiiain au bout
duquel est le Prieuré de Pont Loii f Pons
Lupa; (c'est le nom de la Rivière qui
joint le Canal de Briare à la Seine Lupa-
/ámnis) & l'autre petit Pont est fur la. Ri
vière,
FEVRIER. 1740: 139
viere d'Orvanne. C'est ainsi qu'en une
matinée de temps j'ai eu le plaisir de voie
cette Rivière depuis fa source jusqu'à son
embouchure , avec tout ce qu'il y a de
-curieux sur les bords de la Vallée à laquel
le elle donne son nom.
Ce 15. Juillet 1718.
Sur le lieu où furent données deux Ba
tailles -en France, les années 595. &
600. & fur un ancien Palais de nos
Rois de la première Race , duquel
personne jusqu'ici n'a assigné la situa
tion. Paf -M' le Beuf , Sous-Chantrt
& Chanoine de V Eglise d' Auxerre.
E Journal de Verdun du mois
de Mars dernier , nciis a com
muniqué une Remarque faite
un habile homme , touchant l'en-
A ij droit
%o6 MERCURE DE FRANCE;
droit où fut. donnée une Bataille l'an 59^.
ou 597. entre les Troupes de Clotaire
II. Roi de Soissons & de Paris , fils de
la Reine Fredegonde , d'une part , & les
Troupes de Theodebert II. Roi d'Auftrasie
, jointes à celles de Thierry II. Roi
d'Orléans & de Bourgogne. Ce lieu se
trouve appellé Latofao dans les Impri
més de la Chronique , connue fous le
nom de Fredegaire, M. Maillard , Avo
cat , Auteur de la Remarque du Jour
nal j observe que le Pere Daniel dit qu'on
ne connoît plus ce lieu ; mais que le
Pere Ruinart a marque dans ses Notes
(at Fredegaire que feion quelques uns
ce Latofao est dans le Diocèse de Sens.
Cette désignation générale ne satisfait
point le Lecteur. On aime à voir les
«hoses indiquées plus particulièrement.
C'est ce que tache de faire M. Maillard,
en produisant un garant pour la situa
tion de çe lieu dans le Diocèse de Sens.
Xe garant qu'il croit suffisant est l'Histoire
du Gâcinois , écrite il y a cent ans
par Morin , Grand-Prieur de perrières.
C'est un Ouvrage où , à la vérité , il y
z quelque chose à apprendre } mais en
prenant les précautions nécessaires >
c?cst-à-dire , en vérifiant la plupart des
choses qu'il avance , il y a lieu de se
/défier de tout ce qu'il produit , fans
FEVRIER. i7jo. So?
én apporter la preuve ; Sc je ne vois
pas qu'on puisse fonder fur son simple
témoignage un fait aussi ancien qu'est
celui en question. Cet Historien est fi
peu exacb , & si rempli de fautes , que
dès le premier mot du Chapitre où il
parle de ce Latofao , il dit que Moret
& Doromel font la même chose selon
Aimoin , ce qui est doublement faux ,
puisqu'Aimoin ne parle aucunement de
Moret , lib. 3. e. 8 8. & que Dormèil,
loin d'être Moret , en est éloigné de
trois lieues ou environ.Le PereLe Cointe
die aussi à l'an 596. num. 4. que quel
ques nouveaux Auteurs placent ce La
tofao dans le Diocèse de Sens. ïl ne les
eite point par leur nom , & on ne
connoît que Morin qui ait avancé cette
opinion. C'est lui apparemment que le
Pere Le Cointe a en vue. Mais avec ust
peu d'attention , on s'apperçoit aisément
que ce qui a conduit Morin dans le sen
timent qu'il embrasse sur la Bataille de
Latofao , est que Dormeil , où il s'en
donna quatre ans après une seconde ,
est situé dans le Diocèse de Sens , 8c
peu éloigné de Moret. Pour moi , je
fuis d'un sentiment bien opposé au sienj'
je prétends que les Places où se don
nèrent ces deux Batailles ne font point
si voisines } & que comme l'iflue en suc
A Uj diffe2
»8 MERCURE DE FRANGE;
différente , le terrain en fut aussi fors
diffèrent. Dans celle de Latefao de Pan
y 9 6. c'est Clotaire qui parent aggiesfeur
& qui vient fondre fur les Armées de
Theodeberr & de Thierry , qu'il taille
en pieces. Dans celle de Dormeil , ce
font Theodeberr & Thierry qui venant
à leur tour contre Clotaire , lui rendi
rent la pareille , & mirent toute son
Armée en déroute. Il paroît plus natu
rel que la première Bataille se soit don
née sur un terrain appartenant à Theo
deberr ou à Thierry , de même que la
seconde fut donnée vrai- semblablement
dans un lieu des Etats de Clotaire. U
ne faut point s'astreindre tellement aux
noms marques dans les imprimés de la
Chronique de Fredegaire , qu'on ne
puisse avouer que quelquefois ces noms
ont été mal écrits par les Copistes. Que
penser de certains noms propres dont il
est fait mention dans cet Ecrivain , lors
que l'on voit que dès le titre de fa' Chro
nique , qui étoit intitulée .• Extrait de
FHiftoire de S. Grégoire de Tours , du
mot Greji , les Copistes les plus anciens
avoient fait G >-aec , & de Turonici 3 il*
avoient fait Thoromachi ? Le Pere Ruinart
fait cette Observation dans son ex
cellente Préface, num. 137. Aidons un
peu à la lettré , & voyons si dans la mê
me
FÉVRÏÉR. trtú. ioj
iiie Chronique ou dans ses Continua
teurs , il n'y a pas encore d'autre Ba
taille donnée dans un lieu d'un nom ap*
prochanr. Je découvre par le mûyen des;
íçavantes Notes du P Ruinart , que
l'endroit où le second Continûareur mar
que une Bataille donnée en 680. & que
les imprimés appellent mal Locofico ;
est nommé dans les manuscrits Locofaa
ou Lnfmo , & autrement Lucofaco Lttu _
eofngo 5 je le trouve aussi appelle Luco*
fao dans l'Hiftoirc d'Aimoin. Comme le
Manuscrit des Continuateurs de la Chro
nique , & celui du premier Auteur n'ont
pas toujours paíté par les mêmes mains,
il ne fau! pas s'étonner de la petite dif
férence qui se trouve entre Latofao 8c
Lacofao. Mais je croirois volontiers que
c'est un seul & même endroit ; il s'agit
d'abord d» fixer fa situation. Dom Thierry
Ruinart dit que Monsieur Valois n'a pas
connu cet endroit , mais que ce pour*-
roit être Loixi en Lannois ; il ajoûtfr
ensuite , que cependant il paroîtra à
d'autres assez vrai-semblable , que ce liea
est celui dont prie l'Histoire des Evê
ques d'Auxerre , & qu'elle dit être situé
dans le Pays de Toul. Cette Histoire
e'crite fous le Règne de Charles le Chau-
▼Cy, rapporte que Hainmar , Evêque
d'Auxerre vers l'an j6y ayant été con-
A, iiij duir
ïio MERCURE DE FRANCE:
duit par ordre du Roi sur de faux rap^
porcs à Bastognes , dans la Forée des
Ardennes , fut adroitement tiré de cette
prison par un de ses neveux ; & que
comme il íe sauvoit à cheval , il fut sur
pris & arrêté à Lufaiis , dans le Pays de
Toul , où se£ ennemis en firent un Mar
tyr. Adverfarii infequentes in loco qui
Lufaiis dieitur , j» Pago Tullenfì , eum
conficuti funt &c. Il semble qu-'il ne fauc
point chercher ailleurs ce Lufaiis que
dans le Diocèse de Toul ; ainsi c'est in
failliblement ce qu'on appelle aujour
d'hui Lifou, Il y a Lifou le grand & Lifou
le petit , qui font deux Villages contigus,
à six ou sept lieues de Joinville r
vers L'Orient , tous les deux dans le Dio
cèse de TouL , & dans l'ancienne Austrasie.
Le nom de Lifoldium , que le
P. Benoit , Capucin , leur donne dans son
nouveau Pouiller de Toul, ne m'arrête
aucunement , pareeque j'ai connu que
dans beaucoup d'articles , il a latinisé les
noms fur le François , & que lorsque la
terminaison d'un nom étok susceptible
de deux différentes inflexions Latines ,
il a souvent pris la moins fondée dans
l'antiquité , & a laisse l'autre qui-lui étoit
inconnue*. Telle est la derniere syllabe
du nom Lifou ou Lufou , laquelle n'a
pas été formée de l' Allemand Bold , mais
d»
FEVRIER. 1730. m
du Latin Fagus. A l'égard de la première
syllabe , il est plus probable qu'elle vient
du mot Lhcus que d'aucun autre , & je
me persuade que quiconque est au sait
de la formation des noms propres des
lieux , ne fera aucunement surpris que
de LucasAgus , on ait fait Lifou , qui
auparavant étort écrit & prononcé Luc*
foug 3 soit que ce mot vienne de Leucorum
Fagus , ou de Lucus Fagorum. Je
laisse au Lecteur à juger sì Lifou, quia,
plutôt été le Théâtre de la Guerre de
tan 6 S o. qu'aucun autre lieu , n'est pas
aussi l'endroit de la Bataille de l'an j^óV
puisqu'il étoit dans les Etats de Theodebert
, où il est plus vrai semblable que
Clotaire envoya ses Troupes , que noa
pas dans fes propres Etau , à 1 5. ou
16. lieues de Paris. On pourroit m'objecter,
que qUandmême il seseroit donné
une Bataille à Lifou cn l'an £80. il ne
s'ensuivroir pas delà qu'il s'y en soit aussi
donné une en ^96. Qu'inferec l'un de
l'autre , c'est retomber dans le deffauc
de raisonnement que je blâme dans Morin.
Mais la différence qu'il ya, est que
Latofao & Lucofao , ou par abrégé L«-
fao , se ressemblent si fort , qu'à moins
qu on ne trouve un lieu véritablement
nommé Latofao , diffèrent de Lifou , on
est toujours bien fondé à croire que c'est
A v le
212 MERCURE DE FRANCE.
le même. M. Maillard avoiie qu'on ne
connoît point de lieu appelle' Latofao
où Morin dit qu'il y en a un. II ne pro
duit non plus aucun titre , ni aucune
Histoire qui donne ce nom à aucun en~
droit voisin de Dormeil & de Moret ;
d'où je conclus que fa Remarque est
trop foiblement appuye'e pour qu'on
puisse y avoir égard , &c que si Latofaon'est
pas Lifou , il faut continuer à avouer
avec le Pere Daniel qu'on ne connoîe
plus ce Latofao.
Comme cette Observation tend à ôter
au Diocèse de Sens un endroit mémora
ble que M. Maillard a essayé de lui at
tribuer, je fuis bien aise de lui assigner
' en dédommagemenr un autre lieu plus
célèbre , & qui mériteroit d'être regar
dé avec distinction par les Historiogra
phes de France. C'est le lieu que nos^
anciennes Chroniques , nos Annales Sc
certaines Chartes appellent A4ap>loecnmt,
Aí ■npìlacum Afanfolagum. J'en ai déja
touché quelque chose dans une Note qui»
est au bas de la page 87 du Mercure
de Janvier 1725. Mais comme il n'y a
gueres que les curieux & les personnes,
studieuses qui lisent ce qui est au bas des
pages , j'ai crû devoir m'étendre un peu
plus fur ce point Topographique. Le
HJjet est d'autant plus digne d'attention
que:
FEVRIER. 1730. 213
que 1c Perc Mabiilon avoue dans son cjuatriéme
Livre de la Diplomatique\, qu'il
n'a pû découvrir quel lieu est ce Masolacum
, & que lc P. Ruinart en publiant
Fredegaire , de'clare qu'il ne le connoîc
pas davantage. Ignotus mihi Aianfolaci
fttus , dit le Pere Mabiilon. Hujus Viíl*
Jîtns ignotus est , dit le Pere Ruinart.
Cet endroit n'étant pas un fimple Vil
lage du commun , mais une terre dis*
ringuée par un Palais R oyal , ne doit
pas être non plus , par conséquent , de
ceux qui peuvent rester dans l'obsciuké.
Les Antiquaires qui aiment à suivre la
marche de nos Rois ne peuvent regardée
comme indifferens dans la Géographie
les lieux où ils se retiroient queîquefoisì
soit pour y prendre le divertissement de
la chasse , soit- pour y tenir leurs Etats ,
oti y faire quelqu'autre action éclatante.
Aíaffolacurn est dans ce cas. Ce fut là^
que Clotaire II. fit comparoître l'an 6\ j.
devant lui le Patrice Alethée , lequel
n?ayant pû se purger des crimes dont il
étoit accusé } fut condamné à périr par
le glaive. Dagobert I. étant mort , ce
fcit aussi à Massolac que les Seigneurs de
Neustrie & de Bourgogne s'assemblèrent
pour proclamer Roi , son fils Clovis..
Ces faits font affectés par Fredegaire ,
Auteur du tems , Ôc depuis par Aimoin.
A*j M»is
ZT4 MERCURE DE FRANCE:
Mais où éroit situé ce Maffolac ? & cot»;
ment l'appclle-t'on aujourd'hui ? C'est
suc quoi je me suis déja déclaré en 1725,»
en marquant que c'est Maíky » à une
lieue de Sens. Dom Jean Mabillon die
que ce Maffolac a du être certainement
un Palais Royal du Royaume de Bour
gogne avant le Règne de Clotake I I.
Regni Burgunàici Palatium fuijse cons-
Ut. il le dit fans aíSgner le lieu où il ctoic
situé; mais le voisinage de Sens suffit pour
décider, que ce Palais étoit du même
Royaume que. Sens j & quoique je ne
veuille pas contredire ouvertement le
fçavant Pere Mabillon , je ne crois pas
qu'après la resolution prise par le Roi
Clotaire d'entendre les Chefs d'accusa*
tion contre un Patrice de Bourgogne y.
il fut nécessaire pour cela que l' Assem
blée se íint dans un Palais du Royau
me de Bourgogne , quoique ce Roi en
fut devenu le Maître, On voit que trois
ans après*, ce même Roi fit venir tous
les Evêques & Seigneurs de Bourgogne
au Palais de Boneuil proche Paris , qui
constament n'a jamais été Aa Royaume
de Bourgogne; Il suffisoit donc que ce
fut un lieu sur les limites des Royaumes
de Neustrie & de Bourgogne , comme
cn effet ce fut là que les premiers de
ces deux Royaumes élevèrent l'an 637»
FEVRIER. 1730. sijj
I la Royauté Clovis , fils de Dagobctr.
Or que ce fut dans le voisinage de Sens»
bous en avons une bonne preuve dans
un acte produit par le Perc Mabillon ,
Sec. j. BenediU. part. 2. p. 6 1 4 . on y
lit qu'Emmon , Archevêque de Sens , íc
servant de la présence d'un grand nom
bre d'Evêques assemblés en ce lieu l'an
£57. leur fit signer un Privilège con
cernant l'Abbaye de Saint-Pierre le Vif;
il est daté Mansolaco Curte Dowinica*
II étoit assez naturel à- un Archevêque
de saisir cette occasion , ayant le Roi &
les Evêques si proches de lui. On peur
dire que c'étoit comme le Fontainebleau;
de ce siecle-là ■, les. Rois de France y venoient
de tems en tems , & \& Cour y
étant , il éroit nécessaire que les Prélats,
qui avoient des affaires d'importance à
icgler , s'y transportassent. Clotaire III.
y étoic la troisième année de son Règne,
selon l'Acte ci deflus cité. Il y vint en
core la huitième année , & c'est de la
que fut daté un Oiplome de confirmation
de la terre de Larrey à l'Abbaye de Sains
Bénigne de Dijon qu'on trouve dans Pé
tard à l'an 6x7 > mais qui doit être placé
à l'an 660. comme l'a fait remarquer
le Pere Mabillon. Datum Masolapo in
íalatio nofl'-o. Si depuis ce tems là on
oc trouve plus de mention du Palais de
Massas
%\C MERCURE 0E FRANCE.
Maíïay , c'est qu'il fut peut- être dérruir
par les guerres des Sarrazins au siécle
suivant* Mais le nom de fa première
destination lui est toujours resté , puis
que des deux Maslay contigus , il y en
a un qui est appelle Mastay-le-Roy , ce
qui marque , comme dit le Privilège de
ì' Archevêque Emmon , un Territoire
Royal, Curtem Dominicain. Ces deux en*
droits font à l'Orient dliyver de la yûlede
Sens , fur la Rivière de Vanne , Sc
peu éloignf-s de la Forêt d*Othe qui
étoit alors fort vaste , & qui l'eft encore
assez. J'ai trouvé aux marges d'un Mar
tyrologe de la Cathédrale de Sens , écrit
au dixième siécle , quelques additions de
personnes notables décedees dans le mê
me siécle , & entr'autres une Hermengarde
, Dame de Maflay. XVII. KaLJunii
, obiit Hermengardis de Mafiiaco
Domina , anno Domini D. CCCC LV.
Ces additions font au plus tard d'une
écriture du XI. siécle. L'original est dans
la Bibliothèque de Saint-Benoît fur Loire,
It y a apparence que les deux Maflay
croient originairement une feule & mê
me terre , dont les guerres ont fait faire
des partages , en forte que l'un des Mas
lay s'est appelle le Grand-Maflay , &
l'autre le petit Maslay. Je ne sçai pour
quoi ce dernier est celui qu'on appc líe
autreFEVRTER.
i7Jo: a r
ffutrcment Mastay-le-Roy , ni pourquoi
celui qu'on surnomme le petit est échuau
Roi. Il arrive quelquefois que ce qui
est plus périr , quant au nombre des-
Feux & des Habirans , est d'un plus
grand produit pour le revenu à caufedes
dépendances. Quoiqu'il en soit , le
grand Mastay est nommé dans un His
torien de Sens , contemporain du Roy
Robert : C'est Odoran , Moine de Saint"
Pierre le Vif. Son Ouvrage seroit peutêtre
resté jusqu'ici dans l'obscurité , si cc
n'étoir que M. Jean Baptiste Oudinet
Prieur de l' Abbaye de .Saint ■« Marien
de notre Ville , se fit un plaisir de
le communiquer à Dom Mabillon. Il
renferme plusieurs parricularitez qui ne
font pas indifférentes- à l'Histoire du
Roi Robert, & que je tais parce qu'elles
ne font rien à mon sujet. On peut les
voir au second volume du VI siécle Bé
nédictin. Cer Ecrivain rapporrant dansfbn
ii. Chapitre la punition d'un hom
me qui fit un faux ferment dans l'fgliso
de S. Savinien, proche Sens , dit que cet
homme étoit nomim Rothb rthiti in vicin*
ortus villa , cm nomen JUaftiacm Aft jor
dédit antlcjuitau le Moine C.larius,de
la mime Abbaye de S. l ierre le vif , qui
vivoit cent ans après Odoran , rapportant
dans fa Chronique, imprimée au II. lo
vas
tit MERCURE DE FRANCE:
me du Specilege , les violences qu'on em
ploya l'a n 10 j 2. pour obliger les Senonois
de recevoir Gelduin , que le Roi
Henry I. leur avoit donné pour Evêque ,
dír que ce Roi se transporta en personne
sur les lieux > qu'il vint assiéger la Ville de
Sens,& que ce fut au Grand-Mastay qu'il
fit camper son armée : Rex copiosum exerçitam
applicuit y & in villa qut Maftiacus
M.ijor dicitur cafi'a p»s»it. Ces trois té
moignages prouvent que dans le X.XI. &
XII. siécles on disoit encore dans le pays
M.ifliacHS , qui e'toit une expression moins
éloignée de Moefolacut. Mais dans les fic
elés suivans on commença à corrompre
ee mot de plus en plus. Je trouve dans
un Manuscrit de la Bibliothèque de la Ca.-
thédrale de Sens, qui est du XIII. siécle,
qu'il est fait mention en ces termes du
Maire de Maílay-le- Vicomte & de l'Eglise
de Maíliy-le-Roy : Aíajori de Mas-
Uio-Vicecomiús . & Ecclejit, de MaJIcìo
Régis. Au reste il ne doit pas paroître sur
prenant que l'on ait corrompu Mafìlacurn
en Míijliacum & Majlciam : ces deux ma
nières de latiniser ce nom dans les bas
siécles , marquent que dans le langage
vulgaire on faisoit. la première syllabe
longue comme aujourd'hui , si on ne proaonçoit
pas la lettre S , ce qui est d'au
tant plus véritable que les Titres François
FEVRIER. ï7jo. 219
da XIV. siécle mettent un second a pouc
tenir la place de la lettre S , ensorte qu'on
y lit ce mot ainsi écrit ; Maalay. U est na
turel que dès-là qu'on réduit plusieurs
syllabes à n'en former qu'une , cette syl
labe devienne longue de prononciation»
Quant à la terminaison en ay , il est vrai
que de nos côtez elle est moins communa
que celle en y, qui nous vient de tous
les- noms deg lièux finissant en latin pas
iacurn ; cependant il reste encore dans dis*
ferens cantons de la Province Senonoifs
des noms de lieu en ay qui viennent du
latin iacum ou acam . . . Nous avons dans
notre Diocèse , presque sur les bords da
la Loirp, Mannay qui s'appelloit Man-,
nacum í au sixième siécle, Annay qui se
disoit en latin au neuvième siécle Abundiacum
, & Seignelay, qui est un endrok
fort connu , Seligniacum. Dans le Diocèser
de Senion trouve Bray& Lorayidont les
noms latins ne Yont autres que Braiacum
&cLoriacum. Je ne puis donc croire qu'il y
ait lieu de douter du côté de l'analogie
des deux Langues , que Mallay ne vienne
de Afafolacnrn. Les Antiquaires font obli
gez d'admettre des noms qui sont encore
plus méconnoissibles & moins «pportans
l'un à l'autre. Je n'ái passé qu'une
seule fois dans le grand Maflay , & j'ajr
apoerçji que la Plaine de ce lieu est très*
fertile
iià MERCLÎRÈ DÈ FRAftCÉ.x
fertile. La Rivière de Vanne entoure cti^s
tierement ce Bourg & erl fait une verira^
ble Isle. Comme cette Rivière ne tatis
gueres, elle contribue beaucoup à rendre
cet endroit verdoyant & fort gai en été.
Le petit Maflay est un peu plus vers l'Otient
, la Rivière entre deux. Plus haut
est le Village de Teil , que je pourrois enquelque
forte qualifier d'ancienne Mai
son Royale, en me fondant fur le texta
d'Odoran, quoique te P. Mabillon n'en
ait fait aucune mention. Odoran rap
porte dans son 2 6. Chapitre , que Teil
rut le lieu de la résidence de la ReineConftance
pendant tout le temps que lc Roi
Robert employa à faire son voyage de
Rome. Faïium efi dum quadam terr.port
Robmtts Rex Romam peteret , ut Cons'
tant'ta Regina un à cum filio sue Hagent
parvalo Tille remaneret. Peut être que
Mâlay s'étendbit autrefois jufques-là. Au
moins il est certain que Teil fait encore
partie de k Châtellenie de Mâ!ay-le-Roi«
Cette Châtellenie fut échangée par Phi
lippe le Bel avec Marie Comtesse de Sancerre
, & l'échange fut ratifié au mois
d'Août 1318. par Philippe le Long ,en
faveur de Thibaud & Louis de Sancerre.
M. Couste, Lieutenant Civil & Particu
lier de la Ville de Sens , qui possède une
gartie de cc Mâ-lay , m'apprend par le
Me
FEVRIER. i7jo. ni
Mémoire qu'il a eu la bonté de m'envoyer,
que dans les Titres d'échange & de ra*
tification , ce lieu est écrit Maalay-le-Roi.
II ajoûte que cette Châtellenie appartint
depuis cet échange à un seul Seigneur ,
qui ayant eu huit enfans , en fit le par
tage entre eux dès son vivant ; ce qui est;
cause qu'elle est aujourd'hui divisée etï
sept ou huit portion ì. Et quoiqu'il ob
serve que Mâlay-Ie-Roy , dent la Châtel
lenie porte le nom ,soit le plus petit dessept
Villages qui la composent , & que le
Siège du Bailliage soit à Teil , cela ne doit
point cependant empêcher de croire que
tout ce terrain n'ait été un territoire Royal
dans le temps que j'ai marqué cy-dessus.
Cette supériorité de Seigneuries se trouve
même appuyée par le nom de Villiers-
Louis, qui est un des sept Villages, & qui
est contigu à Mâlay-lc-Roy. Au reste si
cette Châtellenie relevé aujourd'hui de»
Comtes de Joigny , ce n'est que depuis
k Règne de Philippe V. Ce Prince céda
cette Mouvance à Jean Comte de Joigny
en 1 3 r 7. pour avoir la Mouvance de Châ
teau-Renard , qui appartenoit au Comte
de Joigny. Je ne sçai si ce que Nicole
Gilles, Belleforelt& Chappuis, prennent
pour un retranchement fait à Mâlay par
les Anglois au XIV. siécle , ne seroit point
un vestige de l'enceiate daChâteau de nos
Roisïti
MERCURE DE FRANCK
Rois de la première Race , ou du tcrraírf
vqui fut occupé par les Troupes du Rot
Henry I. lorsqu'elles campèrent à Mâlay.
il s'est conservé au Grand- Mâlay , autre
ment dit Mâlay- Ie-Vicomte , une Tradi
tion que S. Agnan Evêque d'Orléans étoit
natif de ce lieu. Tel a été le sentiment de
M. Tripaut, Avocat d'Orléans. On écrit
cependant plus communément que saint
Agnan étoic né à Vienne en Ôaufiné,
plutôt que dans cette Bourgade de la Ri
vière de Venne. Il resterok a examiner s'il
fi 'y a point eu de méprise d'un nora pout
un autre , à cause de la ressemblance des
noms de Venne & de Vienne. Mâlay- le-
Vicomte a été de la Commune de Sensjusques
fous Louis le Gros ; c'est aujour
d'hui une Prévôté Royale : 5c M. le Duc
de Bourbon en nomme tous les Officiers,
soit comme étant aux droits du Vicomte,
ou comme jouissant du Domaine de Sens
& de la Banlieue.
En finissant ces Observations , je reçois
de M. Ferrani , l'un des fçavans Cures
du Diocèse de Sens , Doyen Rural de Marolles
, un Mémoire qu'il a rédigé , fur la
Rivière dont Fredegaire & Aimoin font
mention par rapport à la Bataille qui y fut
donnée en l'an 600. La remarque de
M. Maillard , inférée dans le Journal de
Verdun , m'ayanc engagé à fake des perFEVRIER.
1730.. 11}
quisuions , tant pour constater la choie
que pour corriger ce que j'ai mal mis
moi-même en vouse'crivant fur les lumieres
Célestes qui furent vues l'année de
cette Bataille; (a) je reconnois ne les avoir
point faites inutilement , & qu'il seroit
bon que ceux , qui dans la fuite youdronc
donner une Edition de S. Grégoire de
Tours , de Fredegairc & de toutes nos ar» •
ciennes Annales Latines avec des Notes,
prissent la peine ou de se transporter suc
les lieux ou de faire venir des mémoires
exacts. J'avoue que j'ay e'té trompé en
1716. par la Note de Dom Ruinart fur
la Rivière Aroanna , que j'avois mal com
prise à cause du nom François d'Ouainc
qu'il lui donne. Ce n'est ni de la Rivière
d'Ouaineen Gâtinois ni de celle de Vanne
en Senonois , qu'il faut entendre ce qui
est dit de la Bataille où Clotaire II. suc
défait ; mais de la Rivière qui passe à Dor--
melle même. ( On dit Dormelle dans le
pays , & non Dormeil. ) Elle prend fa
source à trois quarts de lieue" au-dessus
de Dollot , qui est la Cure de M. Fer^
rand , Auteur des Remarques que je vais
rapporter , mais dans la Paroisse de saint
Valerien. Au bout de cent pas , fortifiée
par plusieurs fontaines , elle fait tourfa)
Mercure de Utvembrt vji.6' i4*á«
nef
iî4 MERCURE DE FRANCE,
jner un moulin. Jusques là , elle n'a que
le nom 1 de Fontaine de Saint - Biaise ,
à cause d'une Chapellû voisine de la source
.mais au-dessous du moulin , elle com
mence à s'apeller la Rivière d'Orvanne.
Elle passe ensuite à Dollot , à Valéry ,
JBlennes , Diant , Vaux , Ferrotes > Fla~
gis,Dormelle, Château-Saint-Ange ,8c
va former l'e'tang de Moret, dans le
quel elle est absorbée ; puis delà elle se
décharge dans le Loin , un peu au-dessus
.de Moret i le tout fait l'étenduè" de six
lieues de pays. Le Vallon que cette pe
tite Rivière arrose s'appelle le Vallon
d'Orvanne , & les Paroisses qui y font
k jîtuées ou contigues s'appellent de même
les Paroisses de la Vallée d'Orvanne. On
assure que tous les Contrats de partages
& de ventes dans tous ces pays là n'appellent
point cette Rivière autrement
que la Rivière d'Orvanne. Ce qu'il y a
de singuliers que le nom de cette même
Rivière change dans la bouche de plusieurs
personnes au delà de Dormelle , &
près de fa décharge dans l'Etang de Mo
ret. En ces lieux- là on Pappelle quelque
fois la Rivière de Ravanne , & ce font fur
tout les Paysans voisins de cet Etang qui
lui donnent ce nom , parce qu'au-dessus de
cet Etang elle passe dans un Château assez
distingué, appelle k Château de Rnvanne,
donc
\
FEVRIER. 1750. 22$
dont elle traverse les Jardins , y formant
outre sonCanal,des pieces d'eau trés agréa
bles. Mais si l'on remonte une lieue plus
haut , on voit que ce nom est inconnu.
Au dessus de ce Château 6V une de
mie lieue au-dessous de Dormelle, est la
belle maison de feu M. de Cajumartin ,
bâtie sur la croupe d'une Montagne. Cette
maison s'appelle le Château Saint- Ange.
C'est peut-être l'endoit -où se donna la
Bataille, super fluvium Arvennam nec procul
a Doromdlo vico, ainsi que dit Aimoin.
Cette lecture du mot Arvenna est plus
exacte que celle du mot Aroanna em
ployée dans Fredegaire de la derniere Edi
tion. 11 est incontestable par le moyen de
cet éclaircissement qu'il s'agit dans Fre
degaire & dans Aimoin de la Rivière <sPO»
vanne , qui plus anciennement a dû. être
prononcée Arvanne. Il faut abandonner
en cette occasion la Rivière d'O'ùaine
(Odona ) qui est éloignée de Dormelle de
plus de huit lieues. Le P. Daniel a eu
raison de dire que la Bataille fut donnée
sur une Rivière qui se jette dans le Loiiam
au-dessus lie Moret; mais il s'est trompé
en lui donnant le nom de Rivière d'Oiiaine
, aussi-bien que le P. Ruinart. On doit
en être convaincu par la raison que je
viens de rapporter -, celle d'Odaine étant
bjçn différente, puisqu'elle prend sa source '
% i4 MERCURE DE FRANCE,
à quatre lieuës d'Auxerre , & qu'elle va
/e jetter dans le Loiiain , au-deflus de
Montargis. Ce n'est point non-plur la
Rivière de Vanne , comme le Père le Com
te à l'an £eo. Num. i. semble l'avoir
crû après le Président Fauchet. Encore
moins faut -il aller chercher cette Rivière
dans le Pays du Maine , où il y a un traî
na fiuviolus. II faut quelque chose de plus
que la ressemblance des noms dans leLatin,
pour pouvoir avec fondement e'ioigner de
ros quartiers le Théâtre de cette guerre,
A Auxerre ce 18. May 172.8.
ADDITION.
Après avoir envoyé ces éclairciíTemem
aux Auteurs du Mercure, j'ai eu occasion
d'aller à Paris. Comme le cours de la Ri*
viere d'Or vanne est collatéral à celui de 1»
Rivière d'Yonne , & n'est éloigné du
grand chemin que de deux lieuës ou en
viron , je n'ai pas manqué de vérifier par
moi-même avant que de me rendre dans
la voiture publique, le Mémoire de M. le
Prieur de Dollot. Je l'ai trouvé*' très- juste
à un article près } j'ai remarqué en mêmetemps
que nés Géographes mettent sou
vent à droite d'une Rivière ce qui est à
gauche , ou qu'ils font quelquefois tout
Je contraire. C'est pourquoi si vous avez
U
FEVRIER. i7jo; M7
Ja Carte du Diocèse de Sens dressée par
Samson , vous pouvez en touce fureté ,
yous & vos amis, y faire les corrections
suivantes. Mettez la source de la Rivière
d'Orvannc à une portée de Mousquet du
Bourg de Saint Valerien, à POtient d'Eté; '
mettez ensuite Dollot à droite , comme
a fait le Géographe , mais à gauche du
Ruisseau. Vallery est bien placé dans les
Cartes. C'est un lieu célèbre par fa destin
nation à la sépulture des Princes de la
Maison de Condé. Plus bas à droite est:
Blenne,mal nommé Blaineux par Samfonj1
plus bas encore est Diant. Ensuite à gau
che est le Bourg de Voux, qui çst ferme
de murs, & que les Cartes ont tort de re
présenter comme un simple Hameau.
Après Voux & du mime côté le Villa
ge de Ferrotes , & plus bas encore ì
gauche est le Bourg de Flagy , qui a du
coté du Midi des níurs si élevez & si con
sidérables pour leur épaisseur , qu'on U
peut comparer à ceux des plus anciennes
Villes. Ce Bourg a été cependant fort en
dommagé par les Huguenots , ainsi que
l'Eglise du lieu en fait foi. Au sortir de
Flagy on voit à gauche une Plaine qui
règne jusqu'auprès de Dormelle. Ce der
nier Village est fur une éminence. On
passe la Rivière d'Orvanne fur un
Pont, &dps lois on cesse d'en suivre le
, B cours.
ni MERCURE DE FRANCE,
cours. Lorsqu'on a atteint le haut <kp
Coteau, on apperçoit encore une autre
Plaine à droite , laquelle s'étend dti
<ôré de rOtient & dfi Septentrion. Il y
a plus d'apparence que ce fut en cette
derniere Plaine que fut donne'e la Ba
taille de Dormelle , en tirant vers le
Village de Fossar 3 dont le nom vient
peut-être à Fojsario Jeu loco Fojfitrum. Ce
.que j'ai lemarqué plus loin après avoir
laissé le Village de Montarlpt i gauche,
«e s'accorde plus ayee le Mémoire dont
je vous ai parlé. Il ne m'a point paru que
la Rivière d'Orvanne se jettât dans un
Etang-, c'est elle qui forme cette es
pèce d'Etang par le moyen des murs Sfi.
des Ecluses qui fervent à retenir ses eaux,
Cette Rivière ayant repris ensuite fa pre
mière liberté , ne va point se jettes dans
le Loiiain si tôt que Messieurs Samson
& Deíifle l'ont marqué dans leuts Cartes ;
ce n'est point au-dessus de Motet qu'elle
s'y jette , mais au-dessous } presque vis-àvis
sangle Septentrional des murs de cette
petite Ville ; desorte qu'il y a à More*
Jeux Ponts l'un au bout de l'autre; le plus
grand pour la Rivière de Loiiain au bout
duquel est le Prieuré de Pont Loii f Pons
Lupa; (c'est le nom de la Rivière qui
joint le Canal de Briare à la Seine Lupa-
/ámnis) & l'autre petit Pont est fur la. Ri
vière,
FEVRIER. 1740: 139
viere d'Orvanne. C'est ainsi qu'en une
matinée de temps j'ai eu le plaisir de voie
cette Rivière depuis fa source jusqu'à son
embouchure , avec tout ce qu'il y a de
-curieux sur les bords de la Vallée à laquel
le elle donne son nom.
Ce 15. Juillet 1718.
Fermer
Résumé : ECLAIRCISSEMENS. / ADDITION.
Le texte traite de la localisation de deux batailles en France, survenues en 595 et 600, près d'un ancien palais royal de la première race. Le Journal de Verdun de mars mentionne une remarque sur le lieu de la bataille de 596 ou 597, entre les troupes de Clotaire II et celles de Théodebert II et Thierry II. Ce lieu est appelé Latofao dans la Chronique de Fredegaire. M. Maillard, avocat, cite le Père Daniel et le Père Ruinart, qui situent Latofao dans le diocèse de Sens. Cependant, Maillard critique l'historien Morin pour ses erreurs dans l'Histoire du Gâtinois. La bataille de Dormeil, qui eut lieu quatre ans après celle de Latofao, est également discutée. L'auteur affirme que les lieux des deux batailles ne sont pas proches et que les terrains étaient différents. Il suggère que les noms des lieux dans les chroniques peuvent avoir été mal copiés. Le Père Ruinart note que certains noms propres dans la Chronique de Fredegaire sont mal écrits. L'auteur explore la possibilité que Latofao soit en réalité Lifou, un village dans le diocèse de Toul. Il soutient que Latofao et Lifou pourraient être le même endroit, en se basant sur des similitudes dans les noms et les descriptions. Il conclut que si Latofao n'est pas Lifou, il faut admettre avec le Père Daniel que ce lieu n'est plus connu. Le texte mentionne également Massolacum, un autre lieu historique situé à Marly près de Sens, où des événements royaux importants se sont déroulés. Il critique les incertitudes des historiens précédents sur la localisation de ce palais royal. Le texte traite aussi de l'histoire et de l'évolution des noms des localités de Massas et de Maslay, situées près de la rivière de Vanne et de la forêt d'Othe. Le nom de Maslay-le-Roy indique un territoire royal, et deux Maslay contigus existent : le Grand-Maslay et le Petit-Maslay. Des documents historiques, comme un martyrologe de la cathédrale de Sens du dixième siècle, mentionnent des personnes notables de Maslay. Les guerres ont probablement divisé ces terres, et des historiens comme Odoran et Clarius ont mentionné ces localités dans leurs œuvres. Le texte explore les variations linguistiques et orthographiques des noms de ces lieux au fil des siècles. Par exemple, le nom 'Maslay' a été corrompu en 'Mastay' et 'Mallay' dans divers documents. La rivière de Vanne entoure le bourg de Maslay, contribuant à sa fertilité et à son aspect verdoyant. Le Petit-Maslay est situé plus à l'est, et le village de Teil, autrefois résidence de la reine Constance, fait partie de la châtellenie de Maslay-le-Roi. La châtellenie de Maslay-le-Roi a été échangée par Philippe le Bel avec Marie Comtesse de Sancerre en 1318. Aujourd'hui, cette châtellenie est divisée en plusieurs portions et relève des Comtes de Joigny depuis Philippe V. Le texte mentionne également des traditions locales, comme celle de Saint Agnan, évêque d'Orléans, supposé natif de Maslay-le-Vicomte. Enfin, le texte aborde la rivière d'Orvanne, mentionnée par des historiens comme Fredegaire et Aimoin, et corrige des erreurs historiques concernant son nom et son emplacement. La bataille de l'an 600, où Clotaire II a été défait, s'est probablement déroulée près de la rivière d'Orvanne, et non de la rivière d'Ouaine. L'auteur, après avoir envoyé des éclaircissements aux auteurs du Mercure, se rend à Paris et vérifie personnellement le mémoire de M. le Prieur de Dollot. Il confirme la justesse du mémoire à un article près et note des erreurs fréquentes chez les géographes concernant la position des lieux par rapport aux rivières. Il fournit des corrections pour la carte du Diocèse de Sens dressée par Samson, précisant la localisation de divers lieux tels que Saint-Valérien, Dollot, Vallery, Blenne, Diant, Voux, Ferrières, Flagy, et Dormelle. Il décrit également la bataille de Dormelle et la topographie des environs. La rivière d'Orvanne ne se jette pas dans un étang mais forme un étang par des écluses. Il corrige également l'emplacement où la rivière d'Orvanne se jette dans le Loing, précisant que cela se fait au-dessous de Montargis, et non au-dessus comme indiqué sur certaines cartes.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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12
p. 692-710
SUITE du Voyage de Basse Normandie. LETTRE X.
Début :
Je partis de Bayeux, Monsieur, d'assez bon matin, accompagné seulement [...]
Mots clefs :
Bayeux, Basse-Normandie, Inscription, Torigny, Marbre, Fastes, Matignon, Provinces, Piédestal, Monument, Gaule, Gaules, Normandie, Pays
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE du Voyage de Basse Normandie. LETTRE X.
SUITE du Voyage de Basse Normandie.
J
LETTRE X.
E partis de Bayeux , Monsieur , d'assez
bon matin , accompagné seulement
d'un domestique à cheval, non sans
quelque regret de quitter si - tôt des personnes
qui m'avoient traité avec tant de
politesse , et de n'avoir pas salué M. Evêque
, qui étoit alors occupé à la visite
de son Diocèse. J'eus aussi de la peine à
me séparer du sçavant et obligeant Medecin
qui m'avoit tenu si - bonne compagnie
à Caen et à Bayeux. Sa profession
et ses affaires domestiques le redeman
doient chez lui .
J'arrivai avant midi à l'Abbaye de Cé
risy , en me détoufnant un peu du droit
chemin qui mene à Torigny. Les Bene
dictins de la Congrégation de S. Maur ,
qui l'occupent , me firent un accueil tresgracieux
et fort bonne chere à diner, après
lequel je visitai toute la Maison , qui est
fort-bien bâtie et spacieuse. Sa situation
est dans une Forêt , qui a donné son nom
à l'Abbaye,à 4 lieues desVilles de Bayeux
et de S. Lo . Robert , surnommé le Magnifi'
AVRIL:
17333 693
nifique , Duc de Normandie , Pere de
uillaume le
Conquerant , la fonda en
année 1032. Elle porte dans les anciens
tres , le nom de S. Vigor de Cerisy :
anctus Vigor Ciriacensis . Ce Saint , dont
ous avons déja parlé au sujet du Prieué
de S. Vigor , près de Bayeux , en a été
'un des premiers Evêques . La tradition
orte que ce fut un grand destructeur
e Serpens , qui infestoient alors le Pays
t sur tout les Terres d'un grand Seineur
, lequel en reconnoissance donna
S. Vigor celle de Cérisy , où fut ensuie
bâti un Monastere,que le Duc de Normandie
, dont je viens de parler , restaura
, et dont il fit une belle Abbaye , à laquelle
il donna des biens considérables.
Elle possede encore aujourd'hui environ
12000 liv. de rente ; et c'est M. de Vendôme
, Grand Prieur de France , qui en
est Abbé .
On n'a que 4 lieues de chemin à faire
pour aller de cette Abbaye à Torigny.et
par un Pays fort agréable. J'arrivai donc
de fort bonne heure , le même jour à ce
magnifique Château , où je trouvai une
illustre et
nombreuse compagnie , et où
je fus reçu avec tous les agrémens possibles
; principalement de la part du Seigneur,
dont je n'oublierai jamais les bon-
Dij
tez.
694 MERCURE DE FRANCE
tez. Ce Seigneur est, comme vous le sçavez
, Monsieur , Jacques de Matignon ,
Comte de Torigny , &c. Chevalier des
Ordres du Roy , Lieutenant General des
Armées du Roy , et Lieutenant General
de la Basse- Normandie. J'allongerois extrémement
ma Lettre , si je vous parlois
à cette occasion , de l'ancienneté , des
grandes alliances , et des illustrations de
la Maison de Matignon, qui a possedé et
possede encore les plus hautes Dignitez
de l'Eglise et de l'Epée ; et je ne vous apprendrois
rien en le faisant j'ajouterai
seulement que M. le Comte de Matignon,
dont je viens de parler, frere aîné du Marêchal
de Matignon , est aujourd'hui le
Chef de toute cette Illustre Maison , et
qu'il n'a de son mariage avec D.Charlotte
de Matignon , qu'un Fils unique ,
François-Léonor-Jacques de Matignon ,
qui porte le nom de Comte de Torigny
et qui dans un âge peu avancé , a déja
donné des marques de valeur et de conduite
, à la tête d'un Régiment distingué.
Je n'aurois jamais fait , s'il falloit entrer
icy dans un détail de tous les plaisirs
auxquels j'ai pris part pendant les
huit ou dix jours que j'ai demeuré à Torigni
; espace qui m'a semblé bien court,
par
AVRIL. 1733. 695
par la variété de ces innocens plaisirs ,
par l'attention et par les politesses continuelles
du Maître , et sur tout par cette
liberté aimable , si peu ordinaire dans les
Maisons des Grands , qui bannit toute
gêne , toute contrainte ; et qu'on goûte
si parfaitement à Torigny .
Vous me croirez , sans peine , Monsieur
, quand je vous dirai que le jour
même de mon arrivée je fis usage
de cette
liberté , pour satisfaire l'extrême passion
que j'avois de voir de mes propres
yeux le fameux Marbre de Torigny,dont
il a été parlé dans mes précedentes Lettres
; c'est - à - dire , le Pié - destal de la
Statuë de TITUS SENNIUS SOLLEMNIS ,
chargé d'une longue et curieuse Inscription
Romaine , dont je n'ai vû jusqu'à
present que des Copies imparfaites. Heureusement
je n'étois pas le seul homme
curieux de la compagnie ; deux autres
personnes de cette aimable Cour, avoient
formé le dessein de prendre cette Inscription
; mais on s'étoit rebuté par les
difficultez dont je vais parler. En effet ,
Monsieur , l'Inscription est aujourd'hui
extrêmement frustré , endommagée , interrompue
par l'injure du temps et par
d'autres accidens. Elle a suivi enfin le
sort du Pié - destal qui la contient , et
D iij
dont
696 MERCURE DE FRANCE
dont voici l'histoire en peu de mots.
Une tradition generale et constante
dans tout le Païs , principalement à Torigny
, veut que ce Monument ait été
trouvé à Vieux , près de Caën , dans les
ruines , qu'on a toujours crû être celles
d'une ancienne Ville ; ruines qui sont amplement
décrites , et sur lesquelles il y a
une Dissertation dans la huitiéme Lettre
du Voyage de Normandie. Une chose
encore plus certaine , c'est qu'en l'année
1580. ce Monument fut transporté au
Château de Torigny , par les ordres du
Maréchal de Matignon , qui le fit apparemment
placer dans un lieu convenable
; mais après la mort de ce Seigneur ,
arrivée en 1594. il y a tout lieu de croire
qu'il fût déplacé et mis dans une espece
d'oubli , jusqu'au temps de Dame Anne
Malon de Bercy , veuve de François de
Matignon , Comte de Torigny , &c. Il
fut alors trouvé dans des mazures, qu'on
achevoit de démolir , pour creuser les
fondemens d'un Bâtiment , destiné au lo
gement des Domestiques. On le laissa
tout auprès et il ne sortit de cette place
que pour être transporté dans l'Orangerie
, par ordre de M. le Comte de Matignon
d'aujourd'hui . L'Orangerie ayant
* Mercure d'Avril 1732.
été
AVRIL. 1733. 697
été brûlée en 1712. et n'ayant point été
rebâtie , le Monument resta exposé aux
injures du temps , et par surcroît d'infortune
des Couvreurs prirent la liberté ,
en l'absence des Maîtres , de tailler dessus
leurs ardoises , pendant un espace de
temgs considérable ; ce qui , comme on
peut penser, a extrêmement endommagé
l'Inscription : Quelle barbarie ! vous
écrierez -vous ; mais c'est le sort des plus
belles choses d'essuyer de pareilles disgraces
.
C'est , Monsieur , dans cet état et dans
cette situation que je trouvai , en arrivant
à Torigny , le Marbre en question ; Il est
de couleur rougeâtre et de même espece
et qualité que celui de la Carriere d'au
près de Vieux , dont on voit divers Ouvrages
dans quelques Eglises de Caën
comme je l'ai observé ailleurs. Pour peu
qu'on soit initié dans les Monumens antiques
, on reconnoît aisément celui - ci
pour avoir été le Pié-destal d'une Statuë ;
il est sans base , cet ornement ayant été
ou détruit, ou étant resté dans les ruines,
d'où il a été enlevé ; sa hauteur totale est.
d'un peu plus de quatre pieds , en y comprenant
le Plinthe , sur lequel posoit la
Statue, qui a environ trois pouces de saillie;
la face ou la largeur du Pié- destal est
de
698 MERCURE DE FRANCE
de deux pieds deux pouces ; et l'épaisseur
ou la largeur de chaque côté est d'environ
vingt pouces.
S'il avoit été aussi facile de copier l'Inscription
telle qu'elle a été gravée sur ce
Pié-destal ,, comme il le fût , d'en sçavoir
l'histoire , et d'en prendre les dimensions
, nous aurions eû une satisfaction
entiere; mais l'état dans lequel j'ai representé
ce Marbre , ne nous permit autre
chose que de le tenter ; ce que nous fimes
,avec le plus d'attention qu'il nous
fût possible , et ce travail ne laissa pas
de nous coûter.
Nous fûmes un peu raillez au retour,
pendant le souper , d'avoir , disoit - on ,
employé tant de temps après un Monument
qui n'offre presque plus rien aux
Antiquaires , que des regrets et des tortures
. La raillerie fût suivie d'un trait de
bonté et de politesse de la part du Maître
de la Maison , qui prit notre deffense
d'une maniere qui me fit esperer quelque
chose . Je ne me trompai point .
Le Repas fini , après avoir vû joüer
quelque-temps , je ne fus pas plutôt retiré
dans ma chambre, que je vis arriver
un Officier de la Justice de Torigny, c'étoit
, si je m'en souviens bien , le Procureur
Fiscal , lequel me mit entre les
mains
CAVRI L. 1733. 699
mains une coppie de l'Inscription , tirée ,
dit - il, des Papiers de feù son pere ; exacte
, ajouta- t -il , et faite d'après le Marbre,
avant les disgraces qui lui sont arrivées
par un habile homme qui n'avoit rien
épargné pour en venir à bout. Je le remerciai
, comme vous pouvez croire ;
et après avoir examiné cette Piece , qui
avoit l'air ancien , je reconnus qu'elle
suppléoit à beaucoup de Lacunes , et
qu'elle formoit un sens plus parfait que
tout ce que j'avois vû jusqu'alors de cette
Inscription .
Le lendemain je me trouvai au lever
du Seigneur , pour le remercier de ce
que son Officier m'avoit communiqué ,
sans doute par son ordre. Il me dit qu'il
avoit lui- même quelque chose de plus
important à me montrer et à me dire sur
ce sujet ; et me faisant entrer dans son
Cabinet , il me donna à lire une autre
copie de l'Inscription , plus ancienne que
la précedente , et tout au moins d'une
aussi habile main ; il étoit aisé de s'en appercevoir,
car cette autre copie étoit parfaitement
imitée de l'original ; mêmes caracteres
romains , mêmes abbreviations
même nombre de mots à chaque ligne
mêmes distances , &c . enfin , un scrupule
entier : Vous jugez bien , Monsieur ,
que D v
,
>
700
MERCURE DE FRANCE
que cette nouvelle découverte me fit un
extrême plaisir, et que je profitai de toutes
ces lumieres , pour avoir le Monument
presque dans son entier ; je dis presque ,
car il y a certains mots que l'injure du
temps a entierement détruits , sur tout sur
la premiere Face du Pié- destal.
Mais ce qui me causa une veritable
joye , c'est l'assurance que me donna le
même Seigneur , qu'un Sçavant du premier
ordre, avoit non seulement lû l'Ins
cription de la maniere qu'elle doit l'être,
mais qu'il l'avoit expliquée totalement
par des Remarques critiques , capables de
satisfaire. Il n'avoit pas ces Remarques ,
mais il eût la bonté de me donner des
ouvertures , dont je profitai , étant de retour
à Paris , pour les découvrir et pour
les avoir. Vous en profiterez aussi , Monsieur
, car je vais les inserer icy de suite ,
pour ne pas vous parler deux fois sur la
même matiere ; et je renvoïe pour cela à
une autre Lettre tout ce que j'ai à vous
dire au sujet de Torigny , &c.
Remarques de M... , .. sur l'Inscription
Romaine du Marbre de Torigny.
Voici d'abord comme je crois qu'il faut
lire cette Inscription.
SVR
AVRIL. 1733. got
SUR LE DEVANT.
Tito Sennio Sollemni Sollemnini Filie
non sine solido marmore statue honorem deferre
cupimus , heredes mandamus. Vir erat
Sennius Mercurii , Martis , atque Diana
Sacerdos , cujus curâ omne genus Spectaculorum,
atque Epinicia Diana data , recepta
millia nummorum -XXVII . ex quibus per quatriduum
sine tntermissione ediderunt *
fuit commendabilis
consummate peritia. Ex
Civitate Viducassium Oriundus . Iste Sollemnis
amicus bene merentis Claudii Plantini
Legati .Cæsaris Augusti Proprætore
Provincia Lugdunensis fuit. Cui postea
Britannia Legato Augusti penes eum ad
Legionem sextam adsedit , cui obsalarium
militia [ de sextertiis viginti quinque num→
mos ] in auro aliaque munera longe pluris
missa. Fuit Cliens Probatissimus AEdinii
Juliani Legati Augusti Provincia Lugdu-
Il y icy un espace qui est effacé , et qu'on
ne sçauroit rétablir , dit l'Auteur des Remarques
en cet Endroit.Selon l'inspection du Marbre , et suivant
les copies que j'ai vuë , cet cspace n'est pas considerable
, il est même rétabli par une de ces copies
faite apparamment avant la ruine de l'original.
D vj
nensis
702 MERCURE DE FRANCE
nensis cui semper affectus fuit , sicut Epistula
que ad nos scripta est declaratur. Adsedit
etiam in Provinciam Lugdunensem
Valerio Floro Tribuno militum cobortis ter
tia Augusta Judici Arca Ferrariorum.
Tres Provincia Galliarum Monumentum
in Civitate pofuerunt , locum ordo civitatis
Viducassium libenter dedit pedum XVIIII.
Annio Pio et Proculo Consulibus.
D'un côté du même Marbre , on lit :
Exemplum Epistula Claudi Paulini Legati
Augusti Proprætore Provincia Britannie
ad Sennium Sollemnem gratiam profitentis.
Licet plura moerenti tibi , à me pauca
tamen , quoniam honoris causa offeruntur ,
velim accipias libenter , Chlamidem Carbasinam
, Dalmaticum Laodicenam , fibulam
auream , cum gemmis , Lacernas duas , Trossulam
Britannicam , Pellem vituli marini
semestris. Alteram Epistulam ubi propediem
vacare coeperis , mittam ob cujus militia
salarium de sextertiis viginti quinque_nummos
in aura suscipe . Diis faventibus et
Majestate sancta Imperatoris deinceps pro
meritis adfectionis magis digna consequuturus,
concordia, &c.
Ce mot , Concordia , ne paroît avoir
aucune liaison avec ceux qui le précédent
; ainsi la Lettre de Paulinus reste
imAVRIL
703 1733 .
imparfaite , comme la suivante , écrite.au
Tribun Comnianus.
De l'autre côté du Marbre .
Exemplum Epistula AEdini Juliani Prafecti
Pratorio ad Badium Comnianum Tribunam
Vice Presidis agentem.
AEdinnis Juliano Badio Comniano sa-
Lutem in Provincia Lugdunensi quinquenmalia
fiscalia dum exigerem plerosque bones
viros prospexit , inter quos sollemnem istum
oriundum ex civitate viducassium Sacerdotem
quem propter sectam , gravitatem et
honestos mores amare coepi , his accedit quod
cum Claudio Paulino Decessori meo in Concilio
Galliarum instinctu quorumdam qui ab
eo propter merita sua ladi videbantur quasi
ex consensu accusationem instituere tentarunt
, Sollemnis iste meus proposito eorum
restitit. Provocatione fcilicet interjecta quod
Patria ejus cum inter cæteros Legatum eum
creasset nihil de accusatione mandassem , imo
contra laudarent. Qua ratione effectum est ut
omnes ab accufatione desisterent , quem magis
magisque amare et comprobare coepi . Is
certus honoris mei erga eum ad videndum
me in urbem venit proficifcens petiit ut eum
ibi commendarem . Recte itaque feceris si
desiderio illius annueris , & c.
RI704
MERCURE DE FRANCE
REMARQUES.
I. Ce Marbre avec son Inscription ;
a été dédié à l'honneur de Solemnis ,
Citoyen de Bayeux , par les trois Provinces
des Gaules sous le Consulat d'Annius
Pius et de Proculus en CCXXXVIII.
de l'Ere Chrétienne , l'an 991. de la Fondation
de Rome , qui est le temps auquel
Censorinus publia son Livre de Die
Natali , où l'on voit au Chapitre XV.
que dans la même année Ulpius et Pontianus
avoient été Consuls ordinaires . Notre
Inscription démontre d'abord qu'au
lieu d'Ulpius il faut lire Pius, dans le Texte
de Censorin , qui n'a pû se tromper
sur un fait dont il a été témoin oculaire
, on doit donc rejetter cette faute
sur les Copistes . On lit le même nom
de Pius , non - seulement dans l'Inscription
de notre Marbre , mais dans une
autre , rapportée par Gruter , page 104.
N. 3. dans trois Rescrits de l'Empereur
Gordien , inserez au Code de Justinien ,
L. II . T. X. Leg. 2. et au T. XXII . L. V.
T. 58. aussi bien que dans les Fastes trèsanciens
et très - exacts , tirez de la Bibliotheque
Impériale , dans ceux d'idace et
de Cassiodore , et dans les Fastes Grecs ,
qui sont en Angleterre , donnez à la fin
d'un
A VRLI.
1733. 705
d'un Manuscrit de Theon desquels
M. Dodwel a imprimé une partie à la
fin de ses Dissertations sur S. Cyprien .
Il n'y a que les Fastes de Sicile qui
donnent pour Collegue à Pontien Ulpicius
ΟΥΑΠΙΚΙΟΣ , qui est un mot visi
blement corrompu par les Grecules . Les
deux noms d'Ulpius et de Pius , se
trouvent d'ailleurs dans les Fastes de
Victorius , qui a crû qu'Ulpius étoit
le Prenom de ce Consul , mais il s'esttrompé
; car ces Lettres A N. de l'Inscription
de notre Marbre , marquent le
Prenom du Consul Pius , appellé Annius
Pius , et non pas Antonius , ni Antoninus
, ni Ulpius. Le nom d'Annius
Pius , se trouve encore gravé sur un
Marbre dans la Collection du Comte
Malvasia , page 346. L'autre Consul
de cette année est appellé Pontianus
dans les Constitutions de Gordien ;
dans l'Inscription de Gruter , et aut
Chapitre XV . du Livre de Censorinus.
Les Fastes de la Bibliotheque Imperiale ,
ceux d'Idace et les Fastes de Sicile , ont
tous le nom de Pontianus. Mais les Fastes
de Cassiodore ceux de Victorinus , et les
Fastes Grecs de Dodwel , marquent le
nom de Proculus. Comme ces derniers
sont appuyez de l'autorité de notre Inscription
706 MERCURE DE FRANCE
1
cription , on ne peut douter que le Col
legue d'Annius Pius n'ait été appellé
Pontianus Proculus. Chaque Consul Romain
ayant plusieurs noms , les Ecrivains
choisissoient indifferemment celui des
surnoms ou des Prenoms qui lui plaisoit s
ce qui étoit aussi pratiqué par ceux qui
gravoient les Inscriptions , aussi- bien que
par les Empereurs dans leurs Rescrits ou
Constitutions , et par ceux qui dressoient
les Actes publics , ou qui rédigeoient les
Fastes.
II. Tres Provincia Galliarum Monumentum
posuerunt in civitate. Ces trois Provinces
étoient la Lyonnoise , la Belgique.
et l'Aquitaine , qui composoient la Gaule
Cheveluë . Elles avoient ensemble une
étroite union , et étoient distinguées de
la Narbonnoise ; car lorsqu'on agita si
on donneroit le droit de Bourgeoisie à
toutes les Gaules , et si on recevroit dans
le Sénat les Naturels de ce Pays , l'Empereur
Claude fit une . Harangue dans le
Sénat , qui fut gravée sur des Tables de
cuivre. Gruter , p . 502. rapporte cet ancien
Monument après Paradin . Claude
*
* Ces Tables furent trouvées en 1528. auprès de
Lyon , en creusant pour chercher des Eaux. Elles
sont aujourd'hui exposées dans le Vestibule de l'Hôtel
de Ville , avec une Inscription Latine de M. de
dans
A VRIL. 1733.
707
dans cette Harangue dit en s'apostrophant
soi-même , Tempus est jam Tiberi Casar
Germanicè ( id est Claudius Imperator )
detegere te Patribus conscriptis quò tendat
oratio tua. Jam enim ad extremos fines Gallia
Narbonensis venisti ( Viennam nempe
) ...... Ensuite addressant la parole
aux Sénateurs , il dit : Quod si ita esse consensitis
, quid ultra desideratis quam ut
vobis digito demonstrem solum ipsum ultra
fines Provincie Narbonensis jam vobis Senatores
mittere , quando ex Lugduno habere
nos nostri ordinis viros non poenitet , timide
quidem , Patres conscripti , egressus assuetos
familiaresque Urbis Provinciarum terminos
sum. Sed districta jam Comate Gallia
causa agenda est .....
Une Inscription rapportée par Grüter ,
page 375. N. III. en l'honneur d'un
Vermandois , fait encore voir que la Gaule
Belgique étoit des trois Proivinces des
Gaules. Lucio Bessio Superiori Viromanduo
Equiti Romano omnibus honoribus apud
suos ( Belgas ) functo .... ob allecturam fideliter
administratam tres Provincia Galliarum.
Bellierre . Le P. de Colonia rapporte la teneur des
Tables , avec une Traduction , dans la I. Partie
de son Histoire Litteraire de la Ville de Lyon ,
page 136.
De -là
708 MERCURE DE FRANCE
De-là on doit conclure que les Belges
Compatriotes des Bessins , étoient compris
dans les trois Provinces. Aussi la
Gaule étoit souvent considerée comme
un Pays qui étoit séparé de la Narbonnoise
, et qui ne comprenoit que trois
Provinces ; la Celtique ou Lyonnoise ,
l'Aquitaine et la Belgique . Gallia omnis ,
dit César au commencement de ses Commentaires
, Divisa in partes tres , quarum
unam incolunt Belga , aliam Aquitani , tertiam
qui ipsorum lingua Celta , nostra Galli
appellantur.
Pline regarde la Narbonnoise ou Gallia
Bracchata , comme un Pays entierement
distingué de la veritable Gaule ,
appellée Cheveluë. Il décrit ainsi les confins
de cette Province , L. II. Ch. I V.
Narbonensis Provincia appellatur pars Galliarum
que interno mari allutitur , Bracchata
ante dicta , amni Varo ab Italia discreta ,
alpiumque saluberrimis Romano Imperio jagis
; reliqua vero Gallia Latere Septemtrionali
montibus Gibenna et Jura. Ensuite au
L. IV. Ch . XVII. il décrit la Gaule
Cheveluë qui comprenoit trois Provinces.
Gallia omnis Comata , dit - il , uno nomine
appellata in tria populorum genera
dividitur , amnibus maxime distincta , Ascaldi
ad Sequanam Belgica , ab co ad Garumnam
AVRIL . 1733. 709
rumnam Celtica , eademque Lugdunensis ;
inde Pyrenei Montis excursum Aquitania.
Il ajoûte encore ces mots : Agrippa universarum
Galliarum inter Rhenum et Pyrenaum
atque Oceanum ac Montes Gebennam
ac Juram quibus Narbonensem Gal,
liam excludit longitudinem quadringinta viginti
millia passuum , latitudinem trecentatredecim
computavit.
Enfin Auguste , après avoir partagé
les Provinces de l'Empire Romain avec
le Sénat et le Peuple , ceda au Peuple la
Gaule Narbonnoise , et ne se réserva que
la Cheveluë , divisée en trois Provinces
comme nous l'apprenons de Dion , Liv.
LIII. pag. 54. desorte que ces trois
Provinces des Gaules , qui étoient Imperiales
, avoient entre elles une plus
étroite union , et tenoient en commun
leurs Assemblées generales , soit pour
de
mander justice des concussions de leurs
Magistrats , soit pour reconnoître par des
témoignages publics les bons offices qu'el
les avoient reçus de ceux qui s'étoient
acquitez dignement de leurs Emplois ; et
elles en userent ainsi à l'égard de Sennius
Solemnis , qui est celui qui fut honoré
de l'Inscription gravée sur le Marbre
de Torigny; et à l'égard de Bessus
Superior , dont il est fait mention dans
l'Inscrip710
MERCURE DE FRANCE
l'Inscription de Gruter , citée cy - dessus .
Je m'arrête ici , Monsieur. Vous jugerez
par ces premieres Remarques sur
la principale des trois Inscriptions gravées
sur le Marbre en question , de la
capacité de l'Auteur et du mérite que
peuvent avoir celles qui suivent. J'espere
les faire entrer toutes dans ma premiere
Lettre , en continuant de petites
Notes où je les trouverai necessaires , c'est
pour ne pas trop allonger celle - cy que
je ne vous envoye pas l'Inscription écrite
conformément à l'original , ou aux
meilleures copies ; c'est - à dire , dans les
mêmes caracteres Romains et avec les abbreviations
bizares , qu'elle a été gravée
selon l'usage de ce temps - là . Cela seroit
dailleurs inutile par rapport à l'impression
, si vous publiez ma Lettre ; il
faudroit des caracteres faits exprès qui
manquent aux Imprimeurs ordinaires .
On ne peut y suppléer que par la
gravûre
, et c'est à quoi je vous promets de
penser. Je suis , Monsieur , &c.
J
LETTRE X.
E partis de Bayeux , Monsieur , d'assez
bon matin , accompagné seulement
d'un domestique à cheval, non sans
quelque regret de quitter si - tôt des personnes
qui m'avoient traité avec tant de
politesse , et de n'avoir pas salué M. Evêque
, qui étoit alors occupé à la visite
de son Diocèse. J'eus aussi de la peine à
me séparer du sçavant et obligeant Medecin
qui m'avoit tenu si - bonne compagnie
à Caen et à Bayeux. Sa profession
et ses affaires domestiques le redeman
doient chez lui .
J'arrivai avant midi à l'Abbaye de Cé
risy , en me détoufnant un peu du droit
chemin qui mene à Torigny. Les Bene
dictins de la Congrégation de S. Maur ,
qui l'occupent , me firent un accueil tresgracieux
et fort bonne chere à diner, après
lequel je visitai toute la Maison , qui est
fort-bien bâtie et spacieuse. Sa situation
est dans une Forêt , qui a donné son nom
à l'Abbaye,à 4 lieues desVilles de Bayeux
et de S. Lo . Robert , surnommé le Magnifi'
AVRIL:
17333 693
nifique , Duc de Normandie , Pere de
uillaume le
Conquerant , la fonda en
année 1032. Elle porte dans les anciens
tres , le nom de S. Vigor de Cerisy :
anctus Vigor Ciriacensis . Ce Saint , dont
ous avons déja parlé au sujet du Prieué
de S. Vigor , près de Bayeux , en a été
'un des premiers Evêques . La tradition
orte que ce fut un grand destructeur
e Serpens , qui infestoient alors le Pays
t sur tout les Terres d'un grand Seineur
, lequel en reconnoissance donna
S. Vigor celle de Cérisy , où fut ensuie
bâti un Monastere,que le Duc de Normandie
, dont je viens de parler , restaura
, et dont il fit une belle Abbaye , à laquelle
il donna des biens considérables.
Elle possede encore aujourd'hui environ
12000 liv. de rente ; et c'est M. de Vendôme
, Grand Prieur de France , qui en
est Abbé .
On n'a que 4 lieues de chemin à faire
pour aller de cette Abbaye à Torigny.et
par un Pays fort agréable. J'arrivai donc
de fort bonne heure , le même jour à ce
magnifique Château , où je trouvai une
illustre et
nombreuse compagnie , et où
je fus reçu avec tous les agrémens possibles
; principalement de la part du Seigneur,
dont je n'oublierai jamais les bon-
Dij
tez.
694 MERCURE DE FRANCE
tez. Ce Seigneur est, comme vous le sçavez
, Monsieur , Jacques de Matignon ,
Comte de Torigny , &c. Chevalier des
Ordres du Roy , Lieutenant General des
Armées du Roy , et Lieutenant General
de la Basse- Normandie. J'allongerois extrémement
ma Lettre , si je vous parlois
à cette occasion , de l'ancienneté , des
grandes alliances , et des illustrations de
la Maison de Matignon, qui a possedé et
possede encore les plus hautes Dignitez
de l'Eglise et de l'Epée ; et je ne vous apprendrois
rien en le faisant j'ajouterai
seulement que M. le Comte de Matignon,
dont je viens de parler, frere aîné du Marêchal
de Matignon , est aujourd'hui le
Chef de toute cette Illustre Maison , et
qu'il n'a de son mariage avec D.Charlotte
de Matignon , qu'un Fils unique ,
François-Léonor-Jacques de Matignon ,
qui porte le nom de Comte de Torigny
et qui dans un âge peu avancé , a déja
donné des marques de valeur et de conduite
, à la tête d'un Régiment distingué.
Je n'aurois jamais fait , s'il falloit entrer
icy dans un détail de tous les plaisirs
auxquels j'ai pris part pendant les
huit ou dix jours que j'ai demeuré à Torigni
; espace qui m'a semblé bien court,
par
AVRIL. 1733. 695
par la variété de ces innocens plaisirs ,
par l'attention et par les politesses continuelles
du Maître , et sur tout par cette
liberté aimable , si peu ordinaire dans les
Maisons des Grands , qui bannit toute
gêne , toute contrainte ; et qu'on goûte
si parfaitement à Torigny .
Vous me croirez , sans peine , Monsieur
, quand je vous dirai que le jour
même de mon arrivée je fis usage
de cette
liberté , pour satisfaire l'extrême passion
que j'avois de voir de mes propres
yeux le fameux Marbre de Torigny,dont
il a été parlé dans mes précedentes Lettres
; c'est - à - dire , le Pié - destal de la
Statuë de TITUS SENNIUS SOLLEMNIS ,
chargé d'une longue et curieuse Inscription
Romaine , dont je n'ai vû jusqu'à
present que des Copies imparfaites. Heureusement
je n'étois pas le seul homme
curieux de la compagnie ; deux autres
personnes de cette aimable Cour, avoient
formé le dessein de prendre cette Inscription
; mais on s'étoit rebuté par les
difficultez dont je vais parler. En effet ,
Monsieur , l'Inscription est aujourd'hui
extrêmement frustré , endommagée , interrompue
par l'injure du temps et par
d'autres accidens. Elle a suivi enfin le
sort du Pié - destal qui la contient , et
D iij
dont
696 MERCURE DE FRANCE
dont voici l'histoire en peu de mots.
Une tradition generale et constante
dans tout le Païs , principalement à Torigny
, veut que ce Monument ait été
trouvé à Vieux , près de Caën , dans les
ruines , qu'on a toujours crû être celles
d'une ancienne Ville ; ruines qui sont amplement
décrites , et sur lesquelles il y a
une Dissertation dans la huitiéme Lettre
du Voyage de Normandie. Une chose
encore plus certaine , c'est qu'en l'année
1580. ce Monument fut transporté au
Château de Torigny , par les ordres du
Maréchal de Matignon , qui le fit apparemment
placer dans un lieu convenable
; mais après la mort de ce Seigneur ,
arrivée en 1594. il y a tout lieu de croire
qu'il fût déplacé et mis dans une espece
d'oubli , jusqu'au temps de Dame Anne
Malon de Bercy , veuve de François de
Matignon , Comte de Torigny , &c. Il
fut alors trouvé dans des mazures, qu'on
achevoit de démolir , pour creuser les
fondemens d'un Bâtiment , destiné au lo
gement des Domestiques. On le laissa
tout auprès et il ne sortit de cette place
que pour être transporté dans l'Orangerie
, par ordre de M. le Comte de Matignon
d'aujourd'hui . L'Orangerie ayant
* Mercure d'Avril 1732.
été
AVRIL. 1733. 697
été brûlée en 1712. et n'ayant point été
rebâtie , le Monument resta exposé aux
injures du temps , et par surcroît d'infortune
des Couvreurs prirent la liberté ,
en l'absence des Maîtres , de tailler dessus
leurs ardoises , pendant un espace de
temgs considérable ; ce qui , comme on
peut penser, a extrêmement endommagé
l'Inscription : Quelle barbarie ! vous
écrierez -vous ; mais c'est le sort des plus
belles choses d'essuyer de pareilles disgraces
.
C'est , Monsieur , dans cet état et dans
cette situation que je trouvai , en arrivant
à Torigny , le Marbre en question ; Il est
de couleur rougeâtre et de même espece
et qualité que celui de la Carriere d'au
près de Vieux , dont on voit divers Ouvrages
dans quelques Eglises de Caën
comme je l'ai observé ailleurs. Pour peu
qu'on soit initié dans les Monumens antiques
, on reconnoît aisément celui - ci
pour avoir été le Pié-destal d'une Statuë ;
il est sans base , cet ornement ayant été
ou détruit, ou étant resté dans les ruines,
d'où il a été enlevé ; sa hauteur totale est.
d'un peu plus de quatre pieds , en y comprenant
le Plinthe , sur lequel posoit la
Statue, qui a environ trois pouces de saillie;
la face ou la largeur du Pié- destal est
de
698 MERCURE DE FRANCE
de deux pieds deux pouces ; et l'épaisseur
ou la largeur de chaque côté est d'environ
vingt pouces.
S'il avoit été aussi facile de copier l'Inscription
telle qu'elle a été gravée sur ce
Pié-destal ,, comme il le fût , d'en sçavoir
l'histoire , et d'en prendre les dimensions
, nous aurions eû une satisfaction
entiere; mais l'état dans lequel j'ai representé
ce Marbre , ne nous permit autre
chose que de le tenter ; ce que nous fimes
,avec le plus d'attention qu'il nous
fût possible , et ce travail ne laissa pas
de nous coûter.
Nous fûmes un peu raillez au retour,
pendant le souper , d'avoir , disoit - on ,
employé tant de temps après un Monument
qui n'offre presque plus rien aux
Antiquaires , que des regrets et des tortures
. La raillerie fût suivie d'un trait de
bonté et de politesse de la part du Maître
de la Maison , qui prit notre deffense
d'une maniere qui me fit esperer quelque
chose . Je ne me trompai point .
Le Repas fini , après avoir vû joüer
quelque-temps , je ne fus pas plutôt retiré
dans ma chambre, que je vis arriver
un Officier de la Justice de Torigny, c'étoit
, si je m'en souviens bien , le Procureur
Fiscal , lequel me mit entre les
mains
CAVRI L. 1733. 699
mains une coppie de l'Inscription , tirée ,
dit - il, des Papiers de feù son pere ; exacte
, ajouta- t -il , et faite d'après le Marbre,
avant les disgraces qui lui sont arrivées
par un habile homme qui n'avoit rien
épargné pour en venir à bout. Je le remerciai
, comme vous pouvez croire ;
et après avoir examiné cette Piece , qui
avoit l'air ancien , je reconnus qu'elle
suppléoit à beaucoup de Lacunes , et
qu'elle formoit un sens plus parfait que
tout ce que j'avois vû jusqu'alors de cette
Inscription .
Le lendemain je me trouvai au lever
du Seigneur , pour le remercier de ce
que son Officier m'avoit communiqué ,
sans doute par son ordre. Il me dit qu'il
avoit lui- même quelque chose de plus
important à me montrer et à me dire sur
ce sujet ; et me faisant entrer dans son
Cabinet , il me donna à lire une autre
copie de l'Inscription , plus ancienne que
la précedente , et tout au moins d'une
aussi habile main ; il étoit aisé de s'en appercevoir,
car cette autre copie étoit parfaitement
imitée de l'original ; mêmes caracteres
romains , mêmes abbreviations
même nombre de mots à chaque ligne
mêmes distances , &c . enfin , un scrupule
entier : Vous jugez bien , Monsieur ,
que D v
,
>
700
MERCURE DE FRANCE
que cette nouvelle découverte me fit un
extrême plaisir, et que je profitai de toutes
ces lumieres , pour avoir le Monument
presque dans son entier ; je dis presque ,
car il y a certains mots que l'injure du
temps a entierement détruits , sur tout sur
la premiere Face du Pié- destal.
Mais ce qui me causa une veritable
joye , c'est l'assurance que me donna le
même Seigneur , qu'un Sçavant du premier
ordre, avoit non seulement lû l'Ins
cription de la maniere qu'elle doit l'être,
mais qu'il l'avoit expliquée totalement
par des Remarques critiques , capables de
satisfaire. Il n'avoit pas ces Remarques ,
mais il eût la bonté de me donner des
ouvertures , dont je profitai , étant de retour
à Paris , pour les découvrir et pour
les avoir. Vous en profiterez aussi , Monsieur
, car je vais les inserer icy de suite ,
pour ne pas vous parler deux fois sur la
même matiere ; et je renvoïe pour cela à
une autre Lettre tout ce que j'ai à vous
dire au sujet de Torigny , &c.
Remarques de M... , .. sur l'Inscription
Romaine du Marbre de Torigny.
Voici d'abord comme je crois qu'il faut
lire cette Inscription.
SVR
AVRIL. 1733. got
SUR LE DEVANT.
Tito Sennio Sollemni Sollemnini Filie
non sine solido marmore statue honorem deferre
cupimus , heredes mandamus. Vir erat
Sennius Mercurii , Martis , atque Diana
Sacerdos , cujus curâ omne genus Spectaculorum,
atque Epinicia Diana data , recepta
millia nummorum -XXVII . ex quibus per quatriduum
sine tntermissione ediderunt *
fuit commendabilis
consummate peritia. Ex
Civitate Viducassium Oriundus . Iste Sollemnis
amicus bene merentis Claudii Plantini
Legati .Cæsaris Augusti Proprætore
Provincia Lugdunensis fuit. Cui postea
Britannia Legato Augusti penes eum ad
Legionem sextam adsedit , cui obsalarium
militia [ de sextertiis viginti quinque num→
mos ] in auro aliaque munera longe pluris
missa. Fuit Cliens Probatissimus AEdinii
Juliani Legati Augusti Provincia Lugdu-
Il y icy un espace qui est effacé , et qu'on
ne sçauroit rétablir , dit l'Auteur des Remarques
en cet Endroit.Selon l'inspection du Marbre , et suivant
les copies que j'ai vuë , cet cspace n'est pas considerable
, il est même rétabli par une de ces copies
faite apparamment avant la ruine de l'original.
D vj
nensis
702 MERCURE DE FRANCE
nensis cui semper affectus fuit , sicut Epistula
que ad nos scripta est declaratur. Adsedit
etiam in Provinciam Lugdunensem
Valerio Floro Tribuno militum cobortis ter
tia Augusta Judici Arca Ferrariorum.
Tres Provincia Galliarum Monumentum
in Civitate pofuerunt , locum ordo civitatis
Viducassium libenter dedit pedum XVIIII.
Annio Pio et Proculo Consulibus.
D'un côté du même Marbre , on lit :
Exemplum Epistula Claudi Paulini Legati
Augusti Proprætore Provincia Britannie
ad Sennium Sollemnem gratiam profitentis.
Licet plura moerenti tibi , à me pauca
tamen , quoniam honoris causa offeruntur ,
velim accipias libenter , Chlamidem Carbasinam
, Dalmaticum Laodicenam , fibulam
auream , cum gemmis , Lacernas duas , Trossulam
Britannicam , Pellem vituli marini
semestris. Alteram Epistulam ubi propediem
vacare coeperis , mittam ob cujus militia
salarium de sextertiis viginti quinque_nummos
in aura suscipe . Diis faventibus et
Majestate sancta Imperatoris deinceps pro
meritis adfectionis magis digna consequuturus,
concordia, &c.
Ce mot , Concordia , ne paroît avoir
aucune liaison avec ceux qui le précédent
; ainsi la Lettre de Paulinus reste
imAVRIL
703 1733 .
imparfaite , comme la suivante , écrite.au
Tribun Comnianus.
De l'autre côté du Marbre .
Exemplum Epistula AEdini Juliani Prafecti
Pratorio ad Badium Comnianum Tribunam
Vice Presidis agentem.
AEdinnis Juliano Badio Comniano sa-
Lutem in Provincia Lugdunensi quinquenmalia
fiscalia dum exigerem plerosque bones
viros prospexit , inter quos sollemnem istum
oriundum ex civitate viducassium Sacerdotem
quem propter sectam , gravitatem et
honestos mores amare coepi , his accedit quod
cum Claudio Paulino Decessori meo in Concilio
Galliarum instinctu quorumdam qui ab
eo propter merita sua ladi videbantur quasi
ex consensu accusationem instituere tentarunt
, Sollemnis iste meus proposito eorum
restitit. Provocatione fcilicet interjecta quod
Patria ejus cum inter cæteros Legatum eum
creasset nihil de accusatione mandassem , imo
contra laudarent. Qua ratione effectum est ut
omnes ab accufatione desisterent , quem magis
magisque amare et comprobare coepi . Is
certus honoris mei erga eum ad videndum
me in urbem venit proficifcens petiit ut eum
ibi commendarem . Recte itaque feceris si
desiderio illius annueris , & c.
RI704
MERCURE DE FRANCE
REMARQUES.
I. Ce Marbre avec son Inscription ;
a été dédié à l'honneur de Solemnis ,
Citoyen de Bayeux , par les trois Provinces
des Gaules sous le Consulat d'Annius
Pius et de Proculus en CCXXXVIII.
de l'Ere Chrétienne , l'an 991. de la Fondation
de Rome , qui est le temps auquel
Censorinus publia son Livre de Die
Natali , où l'on voit au Chapitre XV.
que dans la même année Ulpius et Pontianus
avoient été Consuls ordinaires . Notre
Inscription démontre d'abord qu'au
lieu d'Ulpius il faut lire Pius, dans le Texte
de Censorin , qui n'a pû se tromper
sur un fait dont il a été témoin oculaire
, on doit donc rejetter cette faute
sur les Copistes . On lit le même nom
de Pius , non - seulement dans l'Inscription
de notre Marbre , mais dans une
autre , rapportée par Gruter , page 104.
N. 3. dans trois Rescrits de l'Empereur
Gordien , inserez au Code de Justinien ,
L. II . T. X. Leg. 2. et au T. XXII . L. V.
T. 58. aussi bien que dans les Fastes trèsanciens
et très - exacts , tirez de la Bibliotheque
Impériale , dans ceux d'idace et
de Cassiodore , et dans les Fastes Grecs ,
qui sont en Angleterre , donnez à la fin
d'un
A VRLI.
1733. 705
d'un Manuscrit de Theon desquels
M. Dodwel a imprimé une partie à la
fin de ses Dissertations sur S. Cyprien .
Il n'y a que les Fastes de Sicile qui
donnent pour Collegue à Pontien Ulpicius
ΟΥΑΠΙΚΙΟΣ , qui est un mot visi
blement corrompu par les Grecules . Les
deux noms d'Ulpius et de Pius , se
trouvent d'ailleurs dans les Fastes de
Victorius , qui a crû qu'Ulpius étoit
le Prenom de ce Consul , mais il s'esttrompé
; car ces Lettres A N. de l'Inscription
de notre Marbre , marquent le
Prenom du Consul Pius , appellé Annius
Pius , et non pas Antonius , ni Antoninus
, ni Ulpius. Le nom d'Annius
Pius , se trouve encore gravé sur un
Marbre dans la Collection du Comte
Malvasia , page 346. L'autre Consul
de cette année est appellé Pontianus
dans les Constitutions de Gordien ;
dans l'Inscription de Gruter , et aut
Chapitre XV . du Livre de Censorinus.
Les Fastes de la Bibliotheque Imperiale ,
ceux d'Idace et les Fastes de Sicile , ont
tous le nom de Pontianus. Mais les Fastes
de Cassiodore ceux de Victorinus , et les
Fastes Grecs de Dodwel , marquent le
nom de Proculus. Comme ces derniers
sont appuyez de l'autorité de notre Inscription
706 MERCURE DE FRANCE
1
cription , on ne peut douter que le Col
legue d'Annius Pius n'ait été appellé
Pontianus Proculus. Chaque Consul Romain
ayant plusieurs noms , les Ecrivains
choisissoient indifferemment celui des
surnoms ou des Prenoms qui lui plaisoit s
ce qui étoit aussi pratiqué par ceux qui
gravoient les Inscriptions , aussi- bien que
par les Empereurs dans leurs Rescrits ou
Constitutions , et par ceux qui dressoient
les Actes publics , ou qui rédigeoient les
Fastes.
II. Tres Provincia Galliarum Monumentum
posuerunt in civitate. Ces trois Provinces
étoient la Lyonnoise , la Belgique.
et l'Aquitaine , qui composoient la Gaule
Cheveluë . Elles avoient ensemble une
étroite union , et étoient distinguées de
la Narbonnoise ; car lorsqu'on agita si
on donneroit le droit de Bourgeoisie à
toutes les Gaules , et si on recevroit dans
le Sénat les Naturels de ce Pays , l'Empereur
Claude fit une . Harangue dans le
Sénat , qui fut gravée sur des Tables de
cuivre. Gruter , p . 502. rapporte cet ancien
Monument après Paradin . Claude
*
* Ces Tables furent trouvées en 1528. auprès de
Lyon , en creusant pour chercher des Eaux. Elles
sont aujourd'hui exposées dans le Vestibule de l'Hôtel
de Ville , avec une Inscription Latine de M. de
dans
A VRIL. 1733.
707
dans cette Harangue dit en s'apostrophant
soi-même , Tempus est jam Tiberi Casar
Germanicè ( id est Claudius Imperator )
detegere te Patribus conscriptis quò tendat
oratio tua. Jam enim ad extremos fines Gallia
Narbonensis venisti ( Viennam nempe
) ...... Ensuite addressant la parole
aux Sénateurs , il dit : Quod si ita esse consensitis
, quid ultra desideratis quam ut
vobis digito demonstrem solum ipsum ultra
fines Provincie Narbonensis jam vobis Senatores
mittere , quando ex Lugduno habere
nos nostri ordinis viros non poenitet , timide
quidem , Patres conscripti , egressus assuetos
familiaresque Urbis Provinciarum terminos
sum. Sed districta jam Comate Gallia
causa agenda est .....
Une Inscription rapportée par Grüter ,
page 375. N. III. en l'honneur d'un
Vermandois , fait encore voir que la Gaule
Belgique étoit des trois Proivinces des
Gaules. Lucio Bessio Superiori Viromanduo
Equiti Romano omnibus honoribus apud
suos ( Belgas ) functo .... ob allecturam fideliter
administratam tres Provincia Galliarum.
Bellierre . Le P. de Colonia rapporte la teneur des
Tables , avec une Traduction , dans la I. Partie
de son Histoire Litteraire de la Ville de Lyon ,
page 136.
De -là
708 MERCURE DE FRANCE
De-là on doit conclure que les Belges
Compatriotes des Bessins , étoient compris
dans les trois Provinces. Aussi la
Gaule étoit souvent considerée comme
un Pays qui étoit séparé de la Narbonnoise
, et qui ne comprenoit que trois
Provinces ; la Celtique ou Lyonnoise ,
l'Aquitaine et la Belgique . Gallia omnis ,
dit César au commencement de ses Commentaires
, Divisa in partes tres , quarum
unam incolunt Belga , aliam Aquitani , tertiam
qui ipsorum lingua Celta , nostra Galli
appellantur.
Pline regarde la Narbonnoise ou Gallia
Bracchata , comme un Pays entierement
distingué de la veritable Gaule ,
appellée Cheveluë. Il décrit ainsi les confins
de cette Province , L. II. Ch. I V.
Narbonensis Provincia appellatur pars Galliarum
que interno mari allutitur , Bracchata
ante dicta , amni Varo ab Italia discreta ,
alpiumque saluberrimis Romano Imperio jagis
; reliqua vero Gallia Latere Septemtrionali
montibus Gibenna et Jura. Ensuite au
L. IV. Ch . XVII. il décrit la Gaule
Cheveluë qui comprenoit trois Provinces.
Gallia omnis Comata , dit - il , uno nomine
appellata in tria populorum genera
dividitur , amnibus maxime distincta , Ascaldi
ad Sequanam Belgica , ab co ad Garumnam
AVRIL . 1733. 709
rumnam Celtica , eademque Lugdunensis ;
inde Pyrenei Montis excursum Aquitania.
Il ajoûte encore ces mots : Agrippa universarum
Galliarum inter Rhenum et Pyrenaum
atque Oceanum ac Montes Gebennam
ac Juram quibus Narbonensem Gal,
liam excludit longitudinem quadringinta viginti
millia passuum , latitudinem trecentatredecim
computavit.
Enfin Auguste , après avoir partagé
les Provinces de l'Empire Romain avec
le Sénat et le Peuple , ceda au Peuple la
Gaule Narbonnoise , et ne se réserva que
la Cheveluë , divisée en trois Provinces
comme nous l'apprenons de Dion , Liv.
LIII. pag. 54. desorte que ces trois
Provinces des Gaules , qui étoient Imperiales
, avoient entre elles une plus
étroite union , et tenoient en commun
leurs Assemblées generales , soit pour
de
mander justice des concussions de leurs
Magistrats , soit pour reconnoître par des
témoignages publics les bons offices qu'el
les avoient reçus de ceux qui s'étoient
acquitez dignement de leurs Emplois ; et
elles en userent ainsi à l'égard de Sennius
Solemnis , qui est celui qui fut honoré
de l'Inscription gravée sur le Marbre
de Torigny; et à l'égard de Bessus
Superior , dont il est fait mention dans
l'Inscrip710
MERCURE DE FRANCE
l'Inscription de Gruter , citée cy - dessus .
Je m'arrête ici , Monsieur. Vous jugerez
par ces premieres Remarques sur
la principale des trois Inscriptions gravées
sur le Marbre en question , de la
capacité de l'Auteur et du mérite que
peuvent avoir celles qui suivent. J'espere
les faire entrer toutes dans ma premiere
Lettre , en continuant de petites
Notes où je les trouverai necessaires , c'est
pour ne pas trop allonger celle - cy que
je ne vous envoye pas l'Inscription écrite
conformément à l'original , ou aux
meilleures copies ; c'est - à dire , dans les
mêmes caracteres Romains et avec les abbreviations
bizares , qu'elle a été gravée
selon l'usage de ce temps - là . Cela seroit
dailleurs inutile par rapport à l'impression
, si vous publiez ma Lettre ; il
faudroit des caracteres faits exprès qui
manquent aux Imprimeurs ordinaires .
On ne peut y suppléer que par la
gravûre
, et c'est à quoi je vous promets de
penser. Je suis , Monsieur , &c.
Fermer
Résumé : SUITE du Voyage de Basse Normandie. LETTRE X.
Le texte décrit un voyage en Basse-Normandie, débutant à Bayeux. L'auteur exprime son regret de quitter des hôtes polis et un médecin savant. Il se rend ensuite à l'Abbaye de Cerisy, fondée en 1032 par Robert le Magnifique, duc de Normandie. Cette abbaye, située dans une forêt, est occupée par des bénédictins et possède une rente annuelle d'environ 12 000 livres. L'auteur visite ensuite le château de Torigny, où il est accueilli par Jacques de Matignon, Comte de Torigny et Lieutenant Général des Armées du Roi et de la Basse-Normandie. Le comte et sa famille sont décrits comme illustres et hospitaliers. L'auteur admire un marbre de Torigny, un piédestal de statue romaine avec une inscription endommagée. Ce monument, trouvé à Vieux près de Caen, a été transporté à Torigny en 1580. L'inscription, bien que frustée, est copiée avec soin. Grâce à la bonté du comte et de ses officiers, l'auteur reçoit des copies plus complètes de l'inscription. Le texte se conclut par des remarques sur l'inscription romaine, dédiée à Solemnis, citoyen de Bayeux, par les trois provinces des Gaules sous le consulat d'Annius Pius et de Proculus en 238 de l'ère chrétienne. L'auteur, Juliano Badio Comniano, mentionne avoir rencontré Solemnis lors de ses fonctions fiscales en Provence. Solemnis, originaire de Bayeux, a été injustement accusé mais défendu par ses pairs pour sa probité et ses mérites. Il a ensuite demandé à être recommandé par l'auteur, qui accepte de le faire. Les remarques historiques précisent que l'inscription date de l'année où Ulpius et Pontianus étaient consuls ordinaires, mais l'inscription correcte devrait mentionner Annius Pius et Proculus. Les trois provinces des Gaules (Lyonnoise, Belgique et Aquitaine) avaient une union étroite et étaient distinctes de la Narbonnoise. Elles tenaient des assemblées générales pour des questions de justice et pour honorer ceux qui avaient bien servi leurs intérêts. L'auteur conclut en promettant de fournir plus de détails dans une prochaine lettre et en espérant que ses remarques démontrent sa capacité et le mérite de ses observations.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
13
p. 1751-1757
EXTRAIT d'une Lettre de Czaritien, contenant quelques Particularitez du Pays des Tartares Kalmuques.
Début :
Depuis la Lettre que je vous écrivis de Nova-Paulava, j'ai continué ma [...]
Mots clefs :
Kalmouks, Tartares, Pays, Nez, Femmes, Tentes, Tribut, Crimée, Gengis Khan
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre de Czaritien, contenant quelques Particularitez du Pays des Tartares Kalmuques.
EXTRAIT d'une Lettre de Czaritien,
contenant quelques Particularitez du
Pays des Tartares Kalmuques .
Epuis la Lettre que je vous écrivis
trivia
de Nova- Paulava , j'ai continué ma
route jusqu'aux Lignes de Czaritien , et la
Ville de ce nom , où je me trouve à present
est presque
dans un nouveau Monde.Rien
ne s'y voit que des Kalmuques et des
Dromadaires
; et vers le Levant , il n'y
a pas une seule Ville jusqu'aux Frontieres
de la Chine . Le Pays au - delà du Volga
, Fleuve qui lave cette Ville , est entierement
habité par les Kalmuques ,
dans l'étenduë de 2000. Woërtes , du côté
de l'Orient . Ils sont sujets à l'Empire de
Russie , et gouvernez par un Kan de
leur Nation , qui est nommé par la Czarine
, quoique toujours choisi dans la mê
me Maison. Cette forme de Gouvernement
n'est pas ancienne parmi eux , car
le Kan d'aujourd'hui
n'en est que le septiéme
.
Au1752
MERCURE DE FRANCE
•
Autrefois chique Famille étoit gouvernée
par son Chef , sans relever que du
Souverain de la Russie ; mais à la fin ,
ce Prince trouva à propos de gouverner
ces Peuples par un Kan ou Viceroy , qui
tient de lui toute son autorité , et dont
la Charge est à vie. Je n'ai pû encore
apprendre s'ils payent de tribut ; mais
je suis plus disposé à croire qu'ils ne sont
obligez que de servir à leurs dépens ,
quand ils sont commandez dans les Expeditions
militaires. Ils sont tous Cavaliers
, et peuvent monter , à ce que j'ai
oui dire , à 200000. Combattans . Ils ne'
Sçavent presque ce que c'est que les Armes
à feu , mais ils sont très - adroits à ti
rer de l'Arc , et 1000. Kalmuques tiennent
bien tête à 3 ou 4. mille Tartares de
Krimée . Ils ont beaucoup de l'air des Negres
d'Affrique , mais leurs nez sont encore
plus camus , et leurs yeux à la Chinoise
, ne sont pas si ouverts de la moitié
Ils sont originairement Mogols , et fu÷
rent , dit-on , laissez dans ce Pays par
Ghengis Khan , lorsqu'il fit la conquête
de l'Asie; et quoiqu'ils disent eux -mê
mes qu'ils sont un reste de l'Armée Macédonienne
, qu'Alexandre le Grand laissa
sur les bords du Volga , leur langage et
leur écriture , qui sont un mauvais Mogol
,
A OUST . 1753 1733.
gol , prouvent clairement leur origine ;
outre qu'ils ont la même Religion , et
que leur Grand- Prêtre , ou Lama , réside
dans le Pays des Mogols , où les principaux
de leur Clergé sont obligez d'ailer
pour recevoir les Ordres Sacrez de leur
Religion. Ils sont fort dévots ; car dès
qu'ils cessent de parler , on les voit occupez
à dire leurs Chapelets , qu'ils portent
toujours pendus à leur col. Un jour
étant surpris de la vitesse avec laquelle
ils parcouroient ces Chapelets , je leur
dis que leur formule de priere devoit être
extrémement courte , ils me répondirent
qu'elle ne consistoit qu'en deux paroles.
mystérieuses , sçavoir , Ommani Badmehunc
, ce qui signifie une belle Fleur , et
une Pierre qui ne tire sa lumiere d'ellemêmes
mais de temps- en- temps ils prennent
un Grain de Chapeler plus grand
qui sert à des Prieres plus longues , dont
je n'ai pas appris le sens.
que
Ces gens - là content mille Miracles deleur
Lama , disant , que celui qui lui doit
succeder , déclare sa Mission aussi - tôt
qu'il est né. Ils s'imaginent qu'il connoît
leurs pensées et sçait leur faire
des réponses , sans qu'ils se donnent la
peine de lui parler. Il y a parmi eux plusieurs
Sectes differentes , quelques - uns
adorent
1754 MERCURE DE FRANCE
adorent des Idoles , les autres la Peau
d'un Lievre , car ils prétendent qu'autrefois
pendant tout le temps d'une famine,
40000. personnes avoient été nourries de
la chair d'un seul animal de cette espece.
Ils traitent leurs Morts de quatre manieres
differentes , suivant les quatre Elemens
, car ils brûlent les uns , ils jertent
les autres dans l'eau , ils en enterrent , et
11 y en a qu'ils exposent à l'air , observant
pour cela le temps de la Lune qu'ils
sont nez , ou qu'ils sont morts . Ils n'ont
presque aucune idée de compassion ; car
si leurs Femmes , leurs Peres ou leurs
Meres sont travaillez d'une longue maladie
, ou vicillissent , il les laissent mourir
de faim .
Leurs Tentes sont infiniment mieux
imaginées que les nôtres , et garantissent
mieux du froid ; aussi aimerois je mieux
y loger que dans certaines maisons que
j'ai vûës ailleurs . On place le feu au beau
milieu de la Tente , et l'on pratique une
ouverture dans le toit , qui est façonné
en dôme , par où la fumée monte , et
quand il ne fume plus , on ferme l'ouverture
; de sorte qu'on s'y chauffe tout
aussi-bien que dans une maison . Ces Tentes
sont construites d'une espece de Feutre
, mais qui est six fois plus épais que
celui
AOUS T. 1733 1755
celui dont on fait nos chapeaux , ce qui
fait qu'on y est chaudement en hyver
et fraîchement en é é . Mais le malheur
est qu'elles sont si pesantes , que la plus
ordinaire fait la charge d'un Dromadaire,
car je n'ai point vŷ de Chameaux à une
bosse , et une bonne Tente , ou dix ou̟
douze personnes pourroient coucher , feroit
bien la charge de deux de ces animaux
. Le Kan est à present à 15. ou, 16,
lieues d'ici , avec 10000. Tentes , habitées
par ses Sujets ; je compte de l'aller
voir avant de quitter ce Pays,
Les Kalmuques ont un usage singulier
en fait d'hospitalité , quand un Etranger
vient chez eux , la marque la plus
ordinaire de leur distinction , c'est de
lui donner le choix de leurs femmes ou
de leurs filles , pour passer la nuit avec
celle qu'il trouve le plus à son gré. Les
femmes sont habillées de même que les
hommes , ce qui cause souvent qu'on
se méprend de Sexe. Ils n'ont d'autres ri
chesses que leur Bétail , dont ils font un
grand trafic avec les Rus es. Leurs Chevaux
ne sont pas beaux , mais ils sont
d'une vigueur surprenante , ils font 20,
ou 25. liües par jour sans se fatiguer,
Le meilleur Cheval du Pays se vend 4,
5. pistoles , et un Cheval ordinaire ne
vaus
1756 MERCURE DE FRANCE
vaut que 4. ou 5. écus ; il est cependant
difficile de dompter leur férocité natarelle
,
ils vont presque tous le pas naturellement.
Je viens d'acheter ici quel
ques- uns de leurs Arcs et de leurs Fleches
, et comme vous me mandez que
vous en avez des Indes Occidentales , j'en
troquerai volontiers deux contre un des
vôtres.
J'espere partir de ce Pays- cy dans 8.
ou 10. jouts , et de continuer mon voyage
par le Don jusqu'à Asoph , là je serai
voisin d'un Peuple poli , et de deux Peuples
barbares. Vous jugerez facilement
que par le premier , j'entends les Turcs ,
et que les deux autres sont les Tartares
de Krimée et ceux de Cuban , les uns
sont au Couchant du Don , les autres au
Levant. Si j'y vois quelque chose digne
de remarque , je ne manquerai pas de
Vous en faire part.
Vous trouverez cy - jointe un Lettre du
Baron de Wedel ; il avoit la fievre lorsqu'il
l'écrivit , c'est une espece de tribut
que tout Etranger doit à ce climat , lorsqu'il
arrive , mais on en est quitte pour
3. ou 4. accès. Il paroît par sa Lettre
qu'il alloit marcher contre quelques Kalmuques
qui refusoient de déferer aux ordres
du Kan .
J'ai
A O UST. 1733. 1757
J'ai acheté un petit Kalmuque qui est
d'une beauté parfaite , selon cux , il n'a
presque rien qui ressemble à un nez , excepté
les narinesses yeux ne sont ouverts
que de la largeur d'une paille. Il est d'un
teint couleut de caivre , couleur trèsestimée
parmi eux.; sçachant lire et écrire
sa Langue. Si vous en avez la moindre
envie , mandez - le- moi , et aussi - tôt
que je serai à Petersbourg , où je compte
d'arriver vers la fin de l'année , je le ferai
partir.
contenant quelques Particularitez du
Pays des Tartares Kalmuques .
Epuis la Lettre que je vous écrivis
trivia
de Nova- Paulava , j'ai continué ma
route jusqu'aux Lignes de Czaritien , et la
Ville de ce nom , où je me trouve à present
est presque
dans un nouveau Monde.Rien
ne s'y voit que des Kalmuques et des
Dromadaires
; et vers le Levant , il n'y
a pas une seule Ville jusqu'aux Frontieres
de la Chine . Le Pays au - delà du Volga
, Fleuve qui lave cette Ville , est entierement
habité par les Kalmuques ,
dans l'étenduë de 2000. Woërtes , du côté
de l'Orient . Ils sont sujets à l'Empire de
Russie , et gouvernez par un Kan de
leur Nation , qui est nommé par la Czarine
, quoique toujours choisi dans la mê
me Maison. Cette forme de Gouvernement
n'est pas ancienne parmi eux , car
le Kan d'aujourd'hui
n'en est que le septiéme
.
Au1752
MERCURE DE FRANCE
•
Autrefois chique Famille étoit gouvernée
par son Chef , sans relever que du
Souverain de la Russie ; mais à la fin ,
ce Prince trouva à propos de gouverner
ces Peuples par un Kan ou Viceroy , qui
tient de lui toute son autorité , et dont
la Charge est à vie. Je n'ai pû encore
apprendre s'ils payent de tribut ; mais
je suis plus disposé à croire qu'ils ne sont
obligez que de servir à leurs dépens ,
quand ils sont commandez dans les Expeditions
militaires. Ils sont tous Cavaliers
, et peuvent monter , à ce que j'ai
oui dire , à 200000. Combattans . Ils ne'
Sçavent presque ce que c'est que les Armes
à feu , mais ils sont très - adroits à ti
rer de l'Arc , et 1000. Kalmuques tiennent
bien tête à 3 ou 4. mille Tartares de
Krimée . Ils ont beaucoup de l'air des Negres
d'Affrique , mais leurs nez sont encore
plus camus , et leurs yeux à la Chinoise
, ne sont pas si ouverts de la moitié
Ils sont originairement Mogols , et fu÷
rent , dit-on , laissez dans ce Pays par
Ghengis Khan , lorsqu'il fit la conquête
de l'Asie; et quoiqu'ils disent eux -mê
mes qu'ils sont un reste de l'Armée Macédonienne
, qu'Alexandre le Grand laissa
sur les bords du Volga , leur langage et
leur écriture , qui sont un mauvais Mogol
,
A OUST . 1753 1733.
gol , prouvent clairement leur origine ;
outre qu'ils ont la même Religion , et
que leur Grand- Prêtre , ou Lama , réside
dans le Pays des Mogols , où les principaux
de leur Clergé sont obligez d'ailer
pour recevoir les Ordres Sacrez de leur
Religion. Ils sont fort dévots ; car dès
qu'ils cessent de parler , on les voit occupez
à dire leurs Chapelets , qu'ils portent
toujours pendus à leur col. Un jour
étant surpris de la vitesse avec laquelle
ils parcouroient ces Chapelets , je leur
dis que leur formule de priere devoit être
extrémement courte , ils me répondirent
qu'elle ne consistoit qu'en deux paroles.
mystérieuses , sçavoir , Ommani Badmehunc
, ce qui signifie une belle Fleur , et
une Pierre qui ne tire sa lumiere d'ellemêmes
mais de temps- en- temps ils prennent
un Grain de Chapeler plus grand
qui sert à des Prieres plus longues , dont
je n'ai pas appris le sens.
que
Ces gens - là content mille Miracles deleur
Lama , disant , que celui qui lui doit
succeder , déclare sa Mission aussi - tôt
qu'il est né. Ils s'imaginent qu'il connoît
leurs pensées et sçait leur faire
des réponses , sans qu'ils se donnent la
peine de lui parler. Il y a parmi eux plusieurs
Sectes differentes , quelques - uns
adorent
1754 MERCURE DE FRANCE
adorent des Idoles , les autres la Peau
d'un Lievre , car ils prétendent qu'autrefois
pendant tout le temps d'une famine,
40000. personnes avoient été nourries de
la chair d'un seul animal de cette espece.
Ils traitent leurs Morts de quatre manieres
differentes , suivant les quatre Elemens
, car ils brûlent les uns , ils jertent
les autres dans l'eau , ils en enterrent , et
11 y en a qu'ils exposent à l'air , observant
pour cela le temps de la Lune qu'ils
sont nez , ou qu'ils sont morts . Ils n'ont
presque aucune idée de compassion ; car
si leurs Femmes , leurs Peres ou leurs
Meres sont travaillez d'une longue maladie
, ou vicillissent , il les laissent mourir
de faim .
Leurs Tentes sont infiniment mieux
imaginées que les nôtres , et garantissent
mieux du froid ; aussi aimerois je mieux
y loger que dans certaines maisons que
j'ai vûës ailleurs . On place le feu au beau
milieu de la Tente , et l'on pratique une
ouverture dans le toit , qui est façonné
en dôme , par où la fumée monte , et
quand il ne fume plus , on ferme l'ouverture
; de sorte qu'on s'y chauffe tout
aussi-bien que dans une maison . Ces Tentes
sont construites d'une espece de Feutre
, mais qui est six fois plus épais que
celui
AOUS T. 1733 1755
celui dont on fait nos chapeaux , ce qui
fait qu'on y est chaudement en hyver
et fraîchement en é é . Mais le malheur
est qu'elles sont si pesantes , que la plus
ordinaire fait la charge d'un Dromadaire,
car je n'ai point vŷ de Chameaux à une
bosse , et une bonne Tente , ou dix ou̟
douze personnes pourroient coucher , feroit
bien la charge de deux de ces animaux
. Le Kan est à present à 15. ou, 16,
lieues d'ici , avec 10000. Tentes , habitées
par ses Sujets ; je compte de l'aller
voir avant de quitter ce Pays,
Les Kalmuques ont un usage singulier
en fait d'hospitalité , quand un Etranger
vient chez eux , la marque la plus
ordinaire de leur distinction , c'est de
lui donner le choix de leurs femmes ou
de leurs filles , pour passer la nuit avec
celle qu'il trouve le plus à son gré. Les
femmes sont habillées de même que les
hommes , ce qui cause souvent qu'on
se méprend de Sexe. Ils n'ont d'autres ri
chesses que leur Bétail , dont ils font un
grand trafic avec les Rus es. Leurs Chevaux
ne sont pas beaux , mais ils sont
d'une vigueur surprenante , ils font 20,
ou 25. liües par jour sans se fatiguer,
Le meilleur Cheval du Pays se vend 4,
5. pistoles , et un Cheval ordinaire ne
vaus
1756 MERCURE DE FRANCE
vaut que 4. ou 5. écus ; il est cependant
difficile de dompter leur férocité natarelle
,
ils vont presque tous le pas naturellement.
Je viens d'acheter ici quel
ques- uns de leurs Arcs et de leurs Fleches
, et comme vous me mandez que
vous en avez des Indes Occidentales , j'en
troquerai volontiers deux contre un des
vôtres.
J'espere partir de ce Pays- cy dans 8.
ou 10. jouts , et de continuer mon voyage
par le Don jusqu'à Asoph , là je serai
voisin d'un Peuple poli , et de deux Peuples
barbares. Vous jugerez facilement
que par le premier , j'entends les Turcs ,
et que les deux autres sont les Tartares
de Krimée et ceux de Cuban , les uns
sont au Couchant du Don , les autres au
Levant. Si j'y vois quelque chose digne
de remarque , je ne manquerai pas de
Vous en faire part.
Vous trouverez cy - jointe un Lettre du
Baron de Wedel ; il avoit la fievre lorsqu'il
l'écrivit , c'est une espece de tribut
que tout Etranger doit à ce climat , lorsqu'il
arrive , mais on en est quitte pour
3. ou 4. accès. Il paroît par sa Lettre
qu'il alloit marcher contre quelques Kalmuques
qui refusoient de déferer aux ordres
du Kan .
J'ai
A O UST. 1733. 1757
J'ai acheté un petit Kalmuque qui est
d'une beauté parfaite , selon cux , il n'a
presque rien qui ressemble à un nez , excepté
les narinesses yeux ne sont ouverts
que de la largeur d'une paille. Il est d'un
teint couleut de caivre , couleur trèsestimée
parmi eux.; sçachant lire et écrire
sa Langue. Si vous en avez la moindre
envie , mandez - le- moi , et aussi - tôt
que je serai à Petersbourg , où je compte
d'arriver vers la fin de l'année , je le ferai
partir.
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Résumé : EXTRAIT d'une Lettre de Czaritien, contenant quelques Particularitez du Pays des Tartares Kalmuques.
L'auteur d'une lettre, écrite depuis Czaritien, décrit les particularités du pays des Tartares Kalmuques. Il a voyagé depuis Nova-Paulava jusqu'à Czaritien, une ville peuplée uniquement de Kalmuques et de dromadaires. Le territoire au-delà du Volga, s'étendant sur 2000 Woërtes vers l'Orient, est entièrement habité par les Kalmuques, qui sont sujets de l'Empire de Russie. Ils sont gouvernés par un Kan nommé par la Czarine, le Kan actuel étant le septième de cette lignée. Les Kalmuques sont des cavaliers experts, capables de mobiliser 200 000 combattants. Ils maîtrisent l'arc mais ignorent les armes à feu. Physiquement, ils présentent des traits asiatiques et se considèrent comme les descendants de Gengis Khan, bien que leur langue et leur écriture soient mogoles. Leur religion est dirigée par un Lama résidant en pays mogol. Ils pratiquent diverses formes de dévotion, utilisant des chapelets pour prier et croient en plusieurs sectes, certaines adorant des idoles, d'autres la peau d'un lièvre. Ils traitent leurs morts selon les quatre éléments : par le feu, l'eau, la terre ou l'air. L'hospitalité kalmuque inclut l'offre de leurs femmes ou filles aux étrangers. Leurs tentes, en feutre épais, sont adaptées au climat et transportables par des dromadaires. Ils possèdent des chevaux vigoureux mais difficiles à dompter. L'auteur prévoit de quitter le pays dans huit à dix jours pour continuer son voyage vers le Don, puis vers Azoph, où il rencontrera les Turcs, les Tartares de Crimée et ceux de Cuban. Il mentionne également une lettre du Baron de Wedel, souffrant de fièvre, et l'achat d'un jeune Kalmuque qu'il propose de vendre.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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14
p. 77-104
Analyse de l'Esprit des Loix, contenue dans la note qui accompagne l'Eloge de M. de Montesquieu par M. d'Alembert. Nous l'avions annoncée pour le premier Mercure de ce mois, & nous acquittons notre parole.
Début :
La plûpart des gens de Lettres qui ont parlé de l'Esprit des Loix, s'étant plus [...]
Mots clefs :
Montesquieu, De l'esprit des lois, Gouvernement, Peuple, Nature, Hommes, Lois, États, Esprit, Pays, Peuple, Peuples, Liberté, Religion, Gouvernement, Monarchie, Égalité, République, Servitude, Crimes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Analyse de l'Esprit des Loix, contenue dans la note qui accompagne l'Eloge de M. de Montesquieu par M. d'Alembert. Nous l'avions annoncée pour le premier Mercure de ce mois, & nous acquittons notre parole.
Analyfe de l'Esprit des Loix , contenue dans
la note qui accompagne l'Eloge de M. de
Montefquieu par M. d'Alembert. Nous
l'avions annoncée pour le premier Mercure
de ce mois , & nous acquittons notre
parole.
Lparle de l'efprit des Loix , s étant plus
A plupart des gens de Lettres qui ont
attachés à le critiquer qu'à en donner une
idée juſte , nous allons tâcher de fuppléer
à ce qu'ils auroient dû faire , & d'en développer
le plan , le caractere & l'objet.
Ceux qui en trouveront l'analy fe trop longue
, jugeront peut être, après l'avoir lue ,
qu'il n'y avoit que ce feul moyen de bien
faire faifir la méthode de l'Auteur . On
doit fe fouvenir d'ailleurs que l'hiftoire
des écrivains célebres n'eft que celle de
leurs penfées & de leurs travaux , & que
cette partie de leur éloge en eft la plus
effentielle & la plus utile , fur-tout à la
tête d'un ouvrage rel que l'Encyclopédie.
Les homme dans l'état de nature , abf-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
traction faite de toute religion , ne connoiffant
dans les différends qu'ils peuvent
avoir , d'autre loi que celle des animaux ,
le droit du plus fort, on doit regarder l'établiffement
des fociétés comme une espece
de traité contre ce droit injufte ; traité
deftiné à établir entre les différentes parties
du genre humain une forte de balance.
Mais il en eft de l'équilibre moral
comme du phyſique : il eft rare qu'il foit
parfait & durable ; & les traités du genre
humain font , comme les traités entre nos
Princes , une femence continuelle de divifion.
L'intérêt , le befoin & le plaifir ,
ont rapproché les hommes ; mais ces mêmes
motifs les pouffent fans ceffe à vouloir
jouir des avantages de la focieté fans en
porter les charges ; & c'eft en ce fens qu'on
peut dire avec l'Auteur , que les hommes ,
dès qu'ils font en focieté , font en état de
guerre. Car la guerre fuppofe dans ceux
qui fe la font , finon l'égalité de force ,
au moins l'opinion de cette égalité , d'où
naît le defir & l'efpoir mutuel de fe vaincre
. Or dans l'état de focieté , fi la balance
n'eft jamais parfaite entre les hommes ,
elle n'eft pas non plus trop inégale : au contraire
, où ils n'auroient rien à fe difputer
dans l'état de nature , ou fi la néceffité les
y obligeoit , on ne verroit que la foibleffe
DECEMBRE. 1755 . 79
fuyant devant la force , des oppreffeurs
fans combat , & des opprimés fans réfiftance .
Voilà donc les hommes réunis & armés
tout-à- la-fois , s'embraffant d'un côté , fi
on peut parler ainfi , & cherchant de l'autre
à fe bleffer mutuellement : les loix font
le lien plus ou moins efficace , deſtiné à
fufpendre ou à retenir leurs coups. Mais
l'étendue prodigieufe du globe que nous
habitons , la nature différente des régions
de la terre & des peuples qui la couvrent ,
ne permettant pas que tous les hommes
vivent fous un feul & même gouvernement
, le humain a dû fe partager
genre
en un certain nombre d'Etats , diftingués
par la différence des loix auxquelles ils
obéiffent. Un feul gouvernement n'auroit
fait du genre humain qu'un corps exténué
& languiffant , étendu fans vigueur fur la
furface de la terre . Les différens Etats font
autant de corps agiles & robuftes , qui en
fe donnant la main les uns aux autres ,
n'en forment qu'un , & dont l'action réciproque
entretient partout le mouvement
& la vie .
On peut diftinguer trois fortes de gouvernemens
; le Républicain , le Monarchique
, le Defpotique . Dans le Républicain ,
le peuple en corps a la fouveraine puiffance
; dans le Monarchique , un feul
Div
So MERCURE DE FRANCE.
gouverne par des loix fondamentales ;
dans le Defpotique , on ne connoît d'autre
loi que la volonté du maître , ou plutôt
du tyran. Ce n'eft pas à dire qu'il n'y
ait dans l'univers que ces trois efpeces
d'Etats , ce n'eft pas à dire même qu'il y
ait des Etats qui appartiennent uniquement
& rigoureufement à quelqu'une de
ces formes : la plupart font , pour ainfi
dire , mi partis ou nuancés les uns des autres.
Ici la Monarchie incline au Defpotifme
; là le gouvernement monarchique eft
combiné avec le Républicain ; ailleurs ce
n'eft pas le peuple entier , c'eft feulement
une partie du peuple qui fait les loix .
Mais la divifion précédente n'en eft pas
moins exacte & moins jufte : les trois efpeces
de gouvernement qu'elle renferme
font tellement diftingués , qu'elles n'ont
proprement rien de commun ; & d'ailleurs
tous les Etats que nous connoiffons , participent
de l'une ou de l'autre. Il étoit
donc néceffaire de former de ces trois
efpeces des claffes particulieres , & de
s'appliquer à déterminer les loix qui leur
font propres ; il fera facile enfuite de modifier
ces loix dans l'application à quelque
gouvernement que ce foit , felon
qu'il appartiendra plus ou moins à ces différentes
formes.
DECEMBRE . 1755 .
Dans les divers Etats , les loix doivent
être relatives à leur nature , c'est- à- dire à
ce qui les conftitue , & à leur principe ,
c'eft-à- dire à ce qui les foutient & les fait
agir ; diftinction importante , la clef d'une
infinité de loix , & dont l'Auteur tire bien
des conféquences.
Les principales loix relatives à la nature
de la Démocratie font , que le peuple
y foit à certains égards le Monarque ,
à d'autres le Sujet ; qu'il élife & juge fes
Magiftrats , & que les Magiftrats en certaines
occafions décident. La nature de la
Monarchie demande qu'il y ait entre le
Monarque & le peuple beaucoup de pouvoirs
& de rangs intermédiaires , & un
corps , dépofitaire des loix médiateur
entre les fujets & le Prince . La nature du
Defpotifme exige que le tyran exerce fon
autorité , ou par lui feul , ou par un feul
qui le repréfente.
>
Quant au principe des trois gouvernemens
, celui de la Démocratie eft l'amour
de la République , c'eft à dire de l'égalité
dans les Monarchies où un feul eft le
difpenfareur des diftinctions & des ré- ,
compenfes , & où l'on s'accoutume à conconfondre
l'Etat avec ce feul homme , le
principe eft l'honneur , c'eft- à- dire l'ambition
& l'amour de l'eftime : fous le Def-
Dv
82
MERCURE DE FRANCE.
potifme enfin , c'eft la crainte. Plus ces
principes font en vigueur , plus le gouvernement
eft ftable ; plus ils s'alterent &
fe corrompent , plus il incline à fa deftruction
. Quand l'Auteur parle de l'égalité
dans les Démocraties , il n'entend pas
une égalité extrême , abfolue , & par conféquent
chimérique ; il entend cet heureux
équilibre qui rend tous les citoyens
également foumis aux loix , & également
intéreffés à les obferver.
Dans chaque gouvernement les loix de
l'éducation doivent être relatives au principe
; on entend ici par éducation celle
qu'on reçoit en entrant dans le monde , &
non celle des parens & des maîtres , qui
fouvent y eft contraire , fur- tout dans cerrains
Etats . Dans les Monarchies , l'éducation
doit avoir pour objet l'urbanité &
les égards réciproques : dans les Etats defpotiques
, la terreur & l'aviliffement des
efprits : dans les Républiques on a befoin
de toute la puiffance de l'éducation : elle
doit infpirer un fentiment noble , mais
pénible , le renoncement à foi-même , d'où
naît l'amour de la patrie.
Les loix que le Législateur donne , doivent
être conformes au principe de chaque
gouvernement ; dans la République ,
entretenir l'égalité & la frugalité ; dans
DECEMBRE. 1755. 83
la Monarchie , foutenir la nobleffe fans
écrafer le peuple ; fous le gouvernement
defpotique , tenir également tous les Etats
dans le filence. On ne doit point accufer
M. de Montefquieu d'avoir ici tracé aux
Souverains les principes du pouvoir arbitraire
, dont le nom feul eft fi odieux aux
Princes juftes , & à plus forte raifon au citoyen
fage & vertueux . C'eft travailler à
l'anéantir que de montrer ce qu'il faut faire
pour le conferver : la perfection de ce
gouvernement en eft la ruine ; & le code
exact de la tyrannie , tel que l'Auteur le
donne , eft en même tems la fatyre & le
fléau le plus redoutable des tyrans. A l'égard
des autres gouvernemens, ils ont chacun
leurs avantages ; le républicain eft plus
propte aux petits Etats ; le monarchique ,
aux grands ; le républicain plus fujer aux
excès , le monarchique, aux abus ; le républicain
apporte plus de maturité dans l'exécution
des loix , le monarchique plus de
promptitude.
La différence des principes des trois
gouvernemens doit en produire dans le
nombre & l'objet des loix , dans la forme
des jugemens & la nature des peines. La
conftitution des Monarchies étant invariable
& fondamentale , exige plus de loix
civiles & de tribunaux , afin que la juftice
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
foit rendue d'une maniere plus uniforme
& moins arbitraire ; dans les Etats modérés
, foit Monarchies , foit Républiques ,
on ne fçauroit apporter trop de formalités
aux loix criminelles. Les peines doivent
non feulement être en proportion avec le
crime , mais encore les plus douces qu'il
eft poffible , fur- tout dans la Démocratie ;
l'opinion attachée aux peines fera fouvent
plus d'effet que leur grandeur même. Dans
les Républiques , il faut juger felon la loi ,
parce qu'aucun particulier n'eft le maître
de l'altérer. Dans les Monarchies , la clémence
du Souverain peut quelquefois l'adoucir
; mais les crimes ne doivent jamais
y être jugés que par les Magiftrats expreffément
chargés d'en connoître. Enfin c'eft
principalement dans les Démocraties que
les loix doivent être féveres contre le luxe,
le relâchement des moeurs & la féduction
des femmes. Leur douceur & leur foibleffe
même les rend affez propres à gouverner
dans les Monarchies , & l'Hiftoire prouve
que fouvent elles ont porté la couronne
avec gloire.
M. de Montefquieu ayant ainfi parcouru
chaque gouvernement en particulier ,
les examine enfuite dans le rapport qu'ils
peuvent avoir les uns aux autres , mais
feulement fous le point de vue le plus
DECEM BRE. 1755. 85
"
général , c'est-à-dire fous celui qui eft uniquement
relatif à leur nature & à leur
principe. Envifagés de cette maniere , les
Etats ne peuvent avoir d'autres rapports
que celui de fe défendre , ou d'attaquer.
Les Républiques devant , par leur nature ,
renfermer un petit Etat , elles ne peuvent
fe défendre fans alliance ; mais c'eft avec
des Républiques qu'elles doivent s'allier .
La force defenfive de la Monarchie confifte
principalement à avoir des frontieres
hors d'infulte. Les Etats ont , comme les
hommes , le droit d'attaquer pour leur propre
confervation. Du droit de la guerre
dérive celui de conquête ; droit nécellaire ,
légitime & malheureux , qui laiſſe toujours
à payer une dette immenfe pour s'acquitter
envers la nature humaine , & dont la loi
générale eft de faire aux vaincus le moins
de mal qu'il eft poffible . Les Républiques
peuvent moins conquérir que les Monarchies
; des conquêtes immenfes fuppofent
le defpotifme ou l'affurent . Un des grands
principes de l'efprit de conquête doit être
de rendre meilleure , autant qu'il eft poffible
, la condition du peuple conquis :
c'eft fatisfaire tout- à - la-fois la loi naturelle
& la maxime , d'Etat . Rien n'eft plus
beau que le traité de paix de Gelon avec
les Carthaginois , par lequel il leur défen86
MERCURE DE FRANCE.
dit d'immoler à l'avenir leurs propres enfans.
Les Efpagnols , en conquérant le Pérou
, auroient dû obliger de même les habitans
à ne plus immoler des hommes à
leurs Dieux ; mais ils crurent plus avantageux
d'immoler ces peuples mêmes . Ils
n'eurent plus pour conquête qu'un vafte
défert : ils furent forcés à dépeupler leur
pays , & s'affoiblirent pour toujours par
leur propre victoire . On peut être obligé
quelquefois de changer les loix du peuple
vaincu ; rien ne peut jamais obliger de lui
ôter fes moeurs ou même fes coutumes ,
qui font fouvent toutes les moeurs . Mais
le moyen le plus für de conferver une conquête
, c'eft de mettre , s'il eft poffible , le
peuple vaincu au niveau du peuple conquerant
; de lui accorder les mêmes droits
& les mêmes privileges : c'eft ainfi qu'en
ont fouvent ufé les Romains ; c'eft ainfi
fur-tout qu'en ufa Céfar à l'égard des
Gaulois.
Jufqu'ici , en confiderant chaque gouvernement
, tant en lui-même , que dans
fon rapport aux autres , nous n'avons eu
égard ni à ce qui doit leur être commun ,
ni aux circonftances particulieres tirées
ou de la nature du pays , ou du génie des
peuples : c'eft ce qu'il faut maintenant développer.
DECEMBRE . 1755. 87
La loi commune de tous les gouvernemens
, du moins des gouvernemens modérés
, & par conféquent juftes , eft la liberté
politique dont chaque citoyen doit
jouir. Cette liberté n'eft point la licence
abfurde de faire tout ce qu'on veut , mais
le pouvoir de faire tout ce que les loix
permettent. Elle peut être envisagée , ou
dans fon rapport à la conftitution
dans fon rapport au citoyen.
ou
Il y a dans la conftitution de chaque
Etat deux fortes de pouvoirs , la puiflance
législative & l'exécutrice ; & cette derniere
a deux objets , l'intérieur de l'Etat
& le dehors . C'eft de la diftribution légitime
& de la répartition convenable de
ces différentes efpeces de pouvoirs que dépend
la plus grande perfection de la liberté
politique par rapport à la conftitution.
M. de Montefquieu en apporte pour
preuve la conftitution de la République
Romaine & celle de l'Angleterre . Il trouve
le principe de celle- ci dans cette loi
fondamentale du gouvernement des anciens
Germains , que les affaires peu importantes
y étoient décidées par les chefs ,
& que les grandes étoient portées au tribunal
de la nation , après avoir auparavant
été agitées par les chefs. M. de Monrefquieu
n'examine point fi les Anglois
8S MERCURE DE FRANCE.
jouiffent ou non de cette extrême liberté
politique que leur conftitution leur donne
, il lui fuffit qu'elle foit établie par
leurs loix : il eft encore plus éloigné de
vouloir faire la fatyre des autres Etats. Il
croit au contraire que l'excès , même dans
le bien , n'eft pas toujours défirable ; que
la liberté extrême a fes inconveniens ›
comme l'extrême fervitude ; & qu'en général
la nature humaine s'accommode
mieux d'un état moyen.
La liberté politique confidérée par rapport
au citoyen , confifte dans la fureté
où il eft à l'abri des loix , ou du moins
dans l'opinion de cette fureté, qui fait qu'un
citoyen n'en craint point un autre . C'eſt
principalement par la nature & la proportion
des peines , que cette liberté s'établit
ou fe détruit. Les crimes contre la Religion
doivent être punis par la privation
des biens que la Religion procure ; les
crimes contre les moeurs , par la honte
les crimes contre la tranquillité publique ,
par la prifon ou l'exil ; les crimes contre
la fureté , par les fupplices . Les écrits doivent
être moins punis que les actions , jamais
les fimples penfées ne doivent l'être :
accufations non juridiques , efpions , lettres
anonymes , toutes ces reffources de la
tyrannie , également honteufes à ceux qui
;
DECEMBRE . 1755. Se
en font l'inftrument, & à ceux qui s'en fervent
, doivent être profcrites dans un bon
gouvernement monarchique . Il n'eft permis
d'accufer qu'en face de la loi , qui punit
toujours ou l'accufé , ou le calomniateur.
Dans tout autre cas , ceux qui
gouvernent doivent dire avec l'Empereur
Conftance : Nous ne sçaurions foupçonner
celui à qui il a manqué un accuſateur , lorf
qu'il ne lui manquoit pas un ennemi . C'eſt
une très -bonne inftitution que celle d'une
partie publique qui fe charge , au nom de
l'Etat , de pourfuivre les crimes , & qui ait
toute l'utilité des délateurs , fans en avoir
les vils intérêts , les inconvéniens , & l'infamie.
La grandeur des impôts doit être en
proportion directe avec la liberté . Ainfi
dans les Démocraties ils peuvent être plus
grands qu'ailleurs, fans être onéreux , parce
que chaque citoyen les regarde comme
un tribut qu'il fe paye à lui-même , & qui
affure la tranquillité & le fort de chaque
membre. De plus , dans un Etat démocratique
, l'emploi infidele des deniers pu-,
blics eft plus difficile , parce qu'il eft plus
aifé de le connoître & de le punir , le dépofitaire
en devant compte , pour ainsi
dire , au premier citoyen qui l'exige .
Dans quelque gouvernement que ce foit,
90 MERCURE DE FRANCE.
l'efpece de tributs la moins onéreuſe , eft
celle qui eft établie fur les marchandiſes ;
parce que le citoyen paye
fans s'en appercevoir.
La quantité exceffive de troupes
en tems de paix , n'eft qu'un prétexte pour
charger le peuple d'impôts , un moyen
d'énerver l'Etat , & un inftrument de fervitude.
La régie des tributs qui en fait
rentrer le produit en entier dans le fifc
public , eft fans comparaifon moins à charge
au peuple, & par conféquent plus avantageufe
, lorfqu'elle peut avoir lieu , que
la ferme de ces mêmes tributs , qui laiſſe
toujours entre les mains de quelques particuliers
une partie des revenus de l'Etat.
Tout eft perdu furtout ( ce font ici les
termes de l'Auteur ) lorfque la profeffion
de traitant devient honorable ; & elle le
devient dès que le luxe eft en vigueur.
Laiffer quelques hommes fe nourrir de la
fubftance publique , pour les dépouiller à
leur tour , comme on l'a autrefois pratiqué
dans certains Etats , c'eft réparer une
injuftice par une autre , & faire deux maux
au lieu d'un .
Venons maintenant , avec M. de Montefquieu
, aux circonftances particulieres
indépendantes de la nature du gouvernement
, & qui doivent en modifier les loix.
Les circonftances qui viennent de la naDECEMBRE
1755. 91
ture du pays font de deux fortes ; les unes
ont rapport au climat , les autres au terrein.
Perfonne ne doute que le climat
n'influe fur la difpofition habituelle des
corps , & par conféquent fur les caracteres.
C'eft pourquoi les loix doivent fe conformer
au phyfique du climat dans les
chofes indifférentes , & au contraire le
combattre dans les effets vicieux : ainfi
dans les pays où l'ufage du vin eft nuifible
, c'eft une très -bonne loi que celle qui
l'interdit. Dans les pays où la chaleur du
climat porte à la pareffe , c'eft une trèsbonne
loi que celle qui encourage au travail.
Le gouvernement peut donc corriger
les effets du climat , & cela fuffit pour
mettre l'Esprit des Loix à couvert du reproche
très- injufte qu'on lui a fait d'attribuer
tout au froid & à la chaleur : car
outre que la chaleur & le froid ne font
pas la feule chofe par laquelle les climats
foient diftingués , il feroit auffi abfurde
de nier certains effets du climat que de
vouloir lui attribuer tout.
L'ufage des Efclaves établi dans les Pays
chauds de l'Afie & de l'Amérique , & réprouvé
dans les climats tempérés de l'Europe
, donne fujet à l'Auteur de traiter de
l'Esclavage civil. Les hommes n'ayant pas
plus de droit fur la liberté que fur la vie
92 MERCURE DE FRANCE.
les uns des autres , il s'enfuit que l'efclavage
, généralement parlant , eft contre la
loi naturelle. En effet , le droit d'esclavage
ne peut venir ni de la guerre , puifqu'il ne
pourroit être alors fondé que fur le rachat.
de la vie , & qu'il n'y a plus de droit fur la
vie de ceux qui n'attaquent plus ; ni de la
vente qu'un homme fait de lui- même à un
autre , puifque tout citoyen étant redevable
de fa vie à l'Etat , lui eft à plus forte
raifon redevable de fa liberté , & par conféquent
n'eft pas le maître de la vendre .
D'ailleurs quel feroit le prix de cette vente
? Ce ne peut être l'argent donné au vendeur
, puifqu'au moment qu'on fe rend
efclave , toutes les poffeffions appartiennent
au maître : or une vente fans prix eft
auffi chimérique qu'un contrat fans condition.
Il n'y a peut- être jamais eu qu'une
loi jufte en faveur de l'efclavage , c'étoit
la loi Romaine qui rendoit le débiteur efclave
du créancier ; encore cette loi ,
pour
être équitable , devoit borner la fervitude
quant au dégré & quant au tems. L'efclavage
peut tout au plus être toléré dans les
Etats defpotiques , où les hommes libres ,
trop foibles contre le gouvernement, cherchent
à devenir , pour leur propre utilité ,
les efclaves de ceux qui tyrannifent l'Etat ;
ou bien dans les climats dont la chaleur
2
DECEMBRE . 1755. 93
énerve fi fort le corps , & affoiblit tellement
le courage , que les hommes n'y font
portés à un devoir pénible , que par la
crainte du châtiment.
A côté de l'esclavage civil on peut placer
la fervitude domeftique , c'eft- à-dire ,
celle où les femmes font dans certains climats
: elle peut avoir lieu dans ces contrées
de l'Afie où elles font en état d'habiter
avec les hommes avant que de pouvoir
faire ufage de leur raifon ; nubiles par la
loi du climat , enfans par celle de la nature.
Cette fujétion devient encore plus néceffaire
dans les Pays où la polygamie eft
établie ; ufage que M. de Montefquieu ne
prétend pas juftifier dans ce qu'il a de contraire
à la Religion , mais qui dans les
lieux où il eft reçu ( & à ne parler que politiquement
) peut être fondé jufqu'à`un
certain point , ou fur la nature du Pays
ou fur le rapport du nombre des femmes
au nombre des hommes. M. de Montefquieu
parle à cette occafion de la Répudiation
& du Divorce ; & il établit fur de
bonnes raifons , que la répudiation une
fois admife , devroit être permife aux femmes
comme aux hommes.
Si le climat a tant d'influence fur la fervitude
domestique & civile , il n'en a pas
moins fur la fervitude politique , c'est- à94
MERCURE DE FRANCE.
dire fur celle qui foumet un peuple à un
autre. Les peuples du Nord font plus forts
& plus courageux que ceux du Midi ; ceux
ci doivent donc en géneral être fubjugués ,
ceux - là conquérans ; ceux - ci efclaves ,
ceux -là libres : c'eft auffi ce que l'Hiftoire
confirme . L'Afie a été conquiſe onze fois
par lès peuples du Nord ; l'Europe a fouffert
beaucoup moins de révolutions .
A l'égard des loix relatives à la nature
du terrein , il eft clair que la Démocratie
convient mieux que la Monarchie aux
Pays ftériles , où la terre a befoin de toute
l'induftrie des hommes. La liberté d'ailleurs
eft en ce cas une efpece de dédommagement
de la dureté du travail . Il faut
plus de loix pour un peuple agriculteur que
pour un peuple qui nourrit des troupeaux,
pour celui - ci que pour un peuple chaffeur,
pour un peuple qui fait ufage de la monnoie
, que pour celui qui l'ignore.
Enfin on doit avoir égard au génie particulier
de la Nation . La vanité qui groffit
les objets , eft un bon reffort pour le gouvernement
; l'orgueil qui les dépriſe eft un
reffort dangereux . Le Légiflateur doit ref
pecter jufqu'à un certain point les préjugés
, les paffions , les abus. Il doit imiter
Solon , qui avoit donné aux Athéniens ,
non les meilleures loix en elles-mêmes ,
DECEMBRE
1755. 95
mais les meilleures qu'ils puffent avoir . Le
caractere gai de ces peuples demandoit des
loix plus faciles ; le caractere dur des Lacédémoniens
, des loix plus féveres. Les
loix font un mauvais moyen pour changer
les manieres & les ufages ; c'eft par les récompenfes
& l'exemple qu'il faut tâcher
d'y parvenir. Il eft pourtant vrai en mêmetems
, que les loix d'un peuple , quand on
n'affecte pas d'y choquer groffierement &
directement fes moeurs , doivent influer
infenfiblement fur elles , foit pour les affermir,
foit pour les changer.
Après avoir approfondi de cette maniere
la nature & l'efprit des Loix par rapport
aux différentes efpeces de Pays & de
peuples , l'Auteur revient de nouveau à
confidérer les Etats les uns par rapport aux
autres. D'abord en les comparant entre
eux d'une maniere générale , il n'avoit
pu les envifager que par rapport au mal
qu'ils peuvent fe faire. Ici il les envifage
par rapport aux fecours mutuels
qu'ils peuvent le donner : or ces fecours
font principalement fondés fur le Commerce.
Si l'efprit de Commerce produit
naturellement un efprit d'intérêt oppofé
à la fublimité des vertus morales , il
rend auffi un peuple naturellement jufte ,
& en éloigne l'oifiveté & le brigandage.
96 MERCURE DE FRANCE.
Les Nations libres qui vivent fous des
gouvernemens modérés , doivent s'y livrer
plus que les Nations efclaves. Jamais une
Nation ne doit exclure de fon commerce
une autre Nation , fans de grandes raifons.
Au refte la liberté en ce genre n'eft pas une
faculté abfolue accordée aux Négocians de
faire ce qu'ils veulent ; faculté qui leur
feroit fouvent préjudiciable : elle confifte
à ne gêner les Négocians qu'en faveur du
Commerce. Dans la Monarchie la Nobleffe
ne doit point s'y adonner , encore
moins le Prince . Enfin il eft des Nations
auxquelles le Commerce eft défavantageux
; ce ne font pas celles qui n'ont befoin
de rien , mais celles qui ont besoin de
tout : paradoxe que l'Auteur rend fenfible
par l'exemple de la Pologne , qui manque
de tout , excepté de bled , & qui , par
le commerce qu'elle en fait , prive les
payfans de leur nourriture , pour fatisfaire
au luxe des Seigneurs. M. de Montefquieu ,
à l'occafion des loix que le Commerce
exige , fait l'hiftoire de fes différentes révolutions
; & cette partie de fon livre
n'eft ni la moins intéreffante , ni la moins
curieufe. Il compare l'appauvriffement de
l'Espagne ,, par la découverte de l'Amérique
, au fort de ce Prince imbécille de la
Fable , prêt à mourir de faim , pour avoir
demandé
1
DECEMBRE. 1755 : 97
demandé aux Dieux que tout ce qu'il toucheroit
fe convertit en or. L'ufage de la
monnoie étant une partie confidérable de
l'objet du Commerce , & fon principal
inftrument , il a cru devoir , en conféquence
, traiter des opérations fur la monnoie
, du change , du payement des dettes
publiques , du prêt à intérêt dont il fixe
les loix & les limites , & qu'il ne confond
nullement avec les excès fi juftement condamnés
de l'ufure.
La population & le nombre des habitans
ont avec le Commerce un rapport
immédiat ; & les mariages ayant pour objet
la population , M. de Montefquieu approfondit
ici cette importante matiere. Če
qui favorife le plus la propagation eft la
continence publique ; l'expérience prouve
que les conjonctions illicites y contribuent
peu , & même y nuifent. On a établi avec
juftice , pour les mariages , le confentement
des peres ; cependant on y doit mettre
des reftrictions : car la loi doit en général
favorifer les mariages. La loi qui
défend le mariage des meres avec les fils ,
oft ( indépendamment des préceptes de la
Religion ) une très-bonne loi civilę ; car
fans parler de plufieurs autres raifons , les
contractans étant d'âge très- différent , ces
fortes de mariages peuvent rarement avoir
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
>
la propagation pour objet. La loi qui défend
le mariage du pere avec la fille , eſt
fondée fur les mêmes motifs : cependant
( à ne parler que civilement ) elle n'eft pas
fi indifpenfablement néceffaire que l'autre
à l'objet de la population , puifque la vertu
d'engendrer finit beaucoup plus tard
dans les hommes ; auffi l'ufage contraire
a t'il eu lieu chez certains peuples que la
lumiere du Chriftianifme n'a point éclairés.
Comme la nature porte d'elle -même
au mariage , c'eft un mauvais gouvernement
que celui où on aura befoin d'y encourager.
La liberté , la fûreté , la modération
des impôts , la profcription du luxe,
font les vrais principes & les vrais foutiens
de la population : cependant on peut
avec fuccès faire des loix pour encourager
les mariages , quand , malgré la corruption
, il reste encore des refforts dans
le peuple qui l'attachent à fa patrie. Rien
n'eft plus beau que les loix d'Augufte pour
favorifer la propagation de l'efpece : par
malheur il fit ces loix dans la décadence ,
ou plutôt dans la chute de la République ;
& les citoyens découragés devoient prévoir
qu'ils ne mettroient plus au monde
que
des efclaves : auffi l'exécution de ces
loix fut elle bien foible durant tout le
tems des Empereurs payens. Conftantin
DECEM BRE . 1755. 99
enfin les abolit en fe faifant Chrétien ,
comme fi le Chriftianifme avoit pour but
de dépeupler la fociété , en confeillant à
un petit nombre la perfection du célibat.
L'établiſſement des hôpitaux , felon l'efprit
dans lequel il eft fait , peut nuire à la;
population , ou la favorifer. Il peut & il
doit même y avoir des hôpitaux dans un
Etat dont la plupart des citoyens n'ont que
leur , induftrie pour reffource , parce que
cette induftrie peut quelquefois être malheureuſe
; mais les fecours que ces hôpitaux
donnent , ne doivent être que paffagers
, pour ne point encourager la mendicité
& la fainéantife. Il faut commencer
par rendre le peuple riche , & bâtir enfuite
des hôpitaux pour les befoins imprévus
& preffans . Malheureux les Pays où
la multitude des hôpitaux & des monafteres
, qui ne font que des hôpitaux perpétuels
, fait que tout le monde eft à fon
aife , excepté ceux qui travaillent.
M. de Montefquieu n'a encore parlé
que des loix humaines. Il paffe maintenant
à celles de la Religion , qui dans prefque
tous les Etats font un objet fi effentiel
du gouvernement. Par- tout il fait l'éloge
du Chriftaifine ; il en montre les avantages
& la grandeur ; il cherche à le faire
aimer. Il foutient qu'il n'eft pas impoffi
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
ble , comme Bayle l'a prétendu , qu'une
fociété de parfaits Chrétiens forme un
Etat fubfiftant & durable . Mais il s'eft cru
permis auffi d'examiner ce que les différentes
Religions ( humainement parlant )
peuvent avoir de conforme ou de contraire
au génie & à la fituation des peuples
qui les profeffent. C'est dans ce point de
vue qu'il faut lire tout ce qu'il a écrit fur
cette matiere , & qui a été l'objet de tant
de déclamations injuftes. Il eft furprenant
furtout que dans un fiecle qui en appelle
tant d'autres barbares , on lui ait fait un
crime de ce qu'il dit de la tolérance ; comme
fi c'étoit approuver une religion que
de la tolérer comme fi enfin l'Evangile
même ne profcrivoit pas tout autre moyende
le répandre , que la douceur & la perfuafion.
Ceux en qui la fuperftition n'a
pas éteint tout fentiment de compaflion
& de juftice , ne pourront lire , fans être
attendris , la remontrance aux Inquifiteurs,
ce tribunal odieux , qui outrage la Religion
en paroiffant la venger.
Enfin après avoir traité en particulier
des différentes efpeces de loix que les
hommes peuvent avoir , il ne reste plus
qu'à les comparer toutes enfemble , & à
les examiner dans leur rapport avec les
chofes fur lefquelles elles ftatuent. Les
DECEMBRE. 1755. 101
hommes font gouvernés par différentes efpeces
de loix ; par le droit naturel , commun
à chaque individu ; par le droit divin
, qui eft celui de la Religion ; par le
droit eccléfiaftique , qui eft celui de la
police de la Religion ; par le droit civil ,
qui eft celui des membres d'une même
fociété
; par
le droit politique , qui eft celui
du gouvernement de cette fociété ; par
le droit des gens , qui eft celui des fociétés
les unes par rapport aux autres. Ces droits
ont chacun leurs objets diftingués , qu'il
faut bien fe garder de confondre. On
ne doit jamais régler par l'un ce qui appar
tient à l'autre , pour ne point mettre de dé
fordre ni d'injuftice dans les principes qui
gouvernent les hommes . Il faut enfin que
les principes qui prefcrivent le genre des
loix , & qui en circonfcrivent l'objet , regnent
auffi dans la maniere de les compofer.
L'efprit de modération doit , autant qu'il eft
poffible , en dicter toutes les difpofitions.
Des loix bien faites feront conformes à
l'efprit du Législateur , même en paroiffant
s'y oppofer. Telle étoit la fameuſe
loi de Solon , par laquelle tous ceux qui
ne prenoient point de part dans les féditions
, étoient déclarés infâmes . Elle prévenoit
les féditions , ou les rendoit utiles.
en forçant tous les membres de la Répu
1
1
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
blique à s'occuper de fes vrais intérêts .
L'Oftracifime même étoit une très - bonne
loi ; car d'un côté elle étoit honorable au
citoyen qui en étoit l'objet , & prévenoit
de l'autre les effets de l'ambition ; il falloit
d'ailleurs un très - grand nombre de fuffrages,
& on ne pouvoit bannir que tous les
cinq ans. Souvent les loix qui paroiffent les
mêmes, n'ont ni le même motif, ni le même
effet , ni la même équité : la forme du gouvernement
, les conjonctures & le génie du
peuple changent tout . Enfin le ftyle des
loix doit être fimple & grave : elles peuvent
fe difpenfer de motiver , parce que
le motif eft fuppofé exifter dans l'efprit
du Législateur ; mais quand elles motivent
, ce doit être fur des principes évidens
elles ne doivent pas reffembler à
cette loi qui , défendant aux aveugles de
plaider , apporte pour raifon qu'ils ne peuvent
pas voir les ornemens de la Magiftrature
.
M. de Montefquieu , pour montrer par
des exemples l'application de fes principes
, a choifi deux différens peuples , le
plus célébre de la terre , & celui dont
'Hiftoire nous intéreffe le plus , les Romains
& les François. Il ne s'attache qu'a
une partie de la Jurifprudence du premier;
celle qui regarde les fucceffions . A l'égard
DECEMBRE. 1755. 103
turs ,
des François , il entre dans le plus grand
détail fur l'origine & les révolutions de
leurs loix civiles , & fur les différens
ufages abolis ou fubfiftans , qui en ont été
la fuite il s'étend principalement fur les
loix féodales , cette efpece de gouvernement
inconnu à toute l'antiquité , qui le
fera peut- être pour toujours aux fiecles fur-
& qui a fait tant de biens & tant
de maux. Il difcute fur-tout ces loix dans
le rapport qu'elles ont à l'établiffement &
aux révolutions de la Monarchie Françoife
; il prouve , contre M. l'Abbé du
Bos , que les Francs font réellement entrés
en conquérans dans les Gaules , &
qu'il n'eft pas vrai , comme cet Auteur le
prétend , qu'ils ayent été appellés par les
peuples pour fuccéder aux droits des Empereurs
Romains qui les opprimoient :
détail profond , exact & curieux , mais
dans lequel il nous eft impoffible de le
fuivre , & dont les points principaux fe
trouveront d'ailleurs répandus dans différens
endroits de ce Dictionnaire , aux articles
qui s'y rapportent.
Telle eft l'analyfe générale , mais trèsinforme
& très-imparfaite , de l'ouvrage
de M. de Montefquieu : nous l'avons féparée
du refte de fon éloge , pour ne pas
trop interrompre la fuite de notre récit.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
M. Dalembert nous permettra de combattre
ici fa modeftie . Nous ofons dire , d'après
la voix publique , que cette analyſe
eft un modele, qu'elle met l'Efprit des Loix
dans tout fon jour , & qu'il n'eft pas poffible
d'en faire une meilleure . Heureux
le texte , quelque mérite qu'il ait en foi ,
qui eft ainfi commenté !
la note qui accompagne l'Eloge de M. de
Montefquieu par M. d'Alembert. Nous
l'avions annoncée pour le premier Mercure
de ce mois , & nous acquittons notre
parole.
Lparle de l'efprit des Loix , s étant plus
A plupart des gens de Lettres qui ont
attachés à le critiquer qu'à en donner une
idée juſte , nous allons tâcher de fuppléer
à ce qu'ils auroient dû faire , & d'en développer
le plan , le caractere & l'objet.
Ceux qui en trouveront l'analy fe trop longue
, jugeront peut être, après l'avoir lue ,
qu'il n'y avoit que ce feul moyen de bien
faire faifir la méthode de l'Auteur . On
doit fe fouvenir d'ailleurs que l'hiftoire
des écrivains célebres n'eft que celle de
leurs penfées & de leurs travaux , & que
cette partie de leur éloge en eft la plus
effentielle & la plus utile , fur-tout à la
tête d'un ouvrage rel que l'Encyclopédie.
Les homme dans l'état de nature , abf-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
traction faite de toute religion , ne connoiffant
dans les différends qu'ils peuvent
avoir , d'autre loi que celle des animaux ,
le droit du plus fort, on doit regarder l'établiffement
des fociétés comme une espece
de traité contre ce droit injufte ; traité
deftiné à établir entre les différentes parties
du genre humain une forte de balance.
Mais il en eft de l'équilibre moral
comme du phyſique : il eft rare qu'il foit
parfait & durable ; & les traités du genre
humain font , comme les traités entre nos
Princes , une femence continuelle de divifion.
L'intérêt , le befoin & le plaifir ,
ont rapproché les hommes ; mais ces mêmes
motifs les pouffent fans ceffe à vouloir
jouir des avantages de la focieté fans en
porter les charges ; & c'eft en ce fens qu'on
peut dire avec l'Auteur , que les hommes ,
dès qu'ils font en focieté , font en état de
guerre. Car la guerre fuppofe dans ceux
qui fe la font , finon l'égalité de force ,
au moins l'opinion de cette égalité , d'où
naît le defir & l'efpoir mutuel de fe vaincre
. Or dans l'état de focieté , fi la balance
n'eft jamais parfaite entre les hommes ,
elle n'eft pas non plus trop inégale : au contraire
, où ils n'auroient rien à fe difputer
dans l'état de nature , ou fi la néceffité les
y obligeoit , on ne verroit que la foibleffe
DECEMBRE. 1755 . 79
fuyant devant la force , des oppreffeurs
fans combat , & des opprimés fans réfiftance .
Voilà donc les hommes réunis & armés
tout-à- la-fois , s'embraffant d'un côté , fi
on peut parler ainfi , & cherchant de l'autre
à fe bleffer mutuellement : les loix font
le lien plus ou moins efficace , deſtiné à
fufpendre ou à retenir leurs coups. Mais
l'étendue prodigieufe du globe que nous
habitons , la nature différente des régions
de la terre & des peuples qui la couvrent ,
ne permettant pas que tous les hommes
vivent fous un feul & même gouvernement
, le humain a dû fe partager
genre
en un certain nombre d'Etats , diftingués
par la différence des loix auxquelles ils
obéiffent. Un feul gouvernement n'auroit
fait du genre humain qu'un corps exténué
& languiffant , étendu fans vigueur fur la
furface de la terre . Les différens Etats font
autant de corps agiles & robuftes , qui en
fe donnant la main les uns aux autres ,
n'en forment qu'un , & dont l'action réciproque
entretient partout le mouvement
& la vie .
On peut diftinguer trois fortes de gouvernemens
; le Républicain , le Monarchique
, le Defpotique . Dans le Républicain ,
le peuple en corps a la fouveraine puiffance
; dans le Monarchique , un feul
Div
So MERCURE DE FRANCE.
gouverne par des loix fondamentales ;
dans le Defpotique , on ne connoît d'autre
loi que la volonté du maître , ou plutôt
du tyran. Ce n'eft pas à dire qu'il n'y
ait dans l'univers que ces trois efpeces
d'Etats , ce n'eft pas à dire même qu'il y
ait des Etats qui appartiennent uniquement
& rigoureufement à quelqu'une de
ces formes : la plupart font , pour ainfi
dire , mi partis ou nuancés les uns des autres.
Ici la Monarchie incline au Defpotifme
; là le gouvernement monarchique eft
combiné avec le Républicain ; ailleurs ce
n'eft pas le peuple entier , c'eft feulement
une partie du peuple qui fait les loix .
Mais la divifion précédente n'en eft pas
moins exacte & moins jufte : les trois efpeces
de gouvernement qu'elle renferme
font tellement diftingués , qu'elles n'ont
proprement rien de commun ; & d'ailleurs
tous les Etats que nous connoiffons , participent
de l'une ou de l'autre. Il étoit
donc néceffaire de former de ces trois
efpeces des claffes particulieres , & de
s'appliquer à déterminer les loix qui leur
font propres ; il fera facile enfuite de modifier
ces loix dans l'application à quelque
gouvernement que ce foit , felon
qu'il appartiendra plus ou moins à ces différentes
formes.
DECEMBRE . 1755 .
Dans les divers Etats , les loix doivent
être relatives à leur nature , c'est- à- dire à
ce qui les conftitue , & à leur principe ,
c'eft-à- dire à ce qui les foutient & les fait
agir ; diftinction importante , la clef d'une
infinité de loix , & dont l'Auteur tire bien
des conféquences.
Les principales loix relatives à la nature
de la Démocratie font , que le peuple
y foit à certains égards le Monarque ,
à d'autres le Sujet ; qu'il élife & juge fes
Magiftrats , & que les Magiftrats en certaines
occafions décident. La nature de la
Monarchie demande qu'il y ait entre le
Monarque & le peuple beaucoup de pouvoirs
& de rangs intermédiaires , & un
corps , dépofitaire des loix médiateur
entre les fujets & le Prince . La nature du
Defpotifme exige que le tyran exerce fon
autorité , ou par lui feul , ou par un feul
qui le repréfente.
>
Quant au principe des trois gouvernemens
, celui de la Démocratie eft l'amour
de la République , c'eft à dire de l'égalité
dans les Monarchies où un feul eft le
difpenfareur des diftinctions & des ré- ,
compenfes , & où l'on s'accoutume à conconfondre
l'Etat avec ce feul homme , le
principe eft l'honneur , c'eft- à- dire l'ambition
& l'amour de l'eftime : fous le Def-
Dv
82
MERCURE DE FRANCE.
potifme enfin , c'eft la crainte. Plus ces
principes font en vigueur , plus le gouvernement
eft ftable ; plus ils s'alterent &
fe corrompent , plus il incline à fa deftruction
. Quand l'Auteur parle de l'égalité
dans les Démocraties , il n'entend pas
une égalité extrême , abfolue , & par conféquent
chimérique ; il entend cet heureux
équilibre qui rend tous les citoyens
également foumis aux loix , & également
intéreffés à les obferver.
Dans chaque gouvernement les loix de
l'éducation doivent être relatives au principe
; on entend ici par éducation celle
qu'on reçoit en entrant dans le monde , &
non celle des parens & des maîtres , qui
fouvent y eft contraire , fur- tout dans cerrains
Etats . Dans les Monarchies , l'éducation
doit avoir pour objet l'urbanité &
les égards réciproques : dans les Etats defpotiques
, la terreur & l'aviliffement des
efprits : dans les Républiques on a befoin
de toute la puiffance de l'éducation : elle
doit infpirer un fentiment noble , mais
pénible , le renoncement à foi-même , d'où
naît l'amour de la patrie.
Les loix que le Législateur donne , doivent
être conformes au principe de chaque
gouvernement ; dans la République ,
entretenir l'égalité & la frugalité ; dans
DECEMBRE. 1755. 83
la Monarchie , foutenir la nobleffe fans
écrafer le peuple ; fous le gouvernement
defpotique , tenir également tous les Etats
dans le filence. On ne doit point accufer
M. de Montefquieu d'avoir ici tracé aux
Souverains les principes du pouvoir arbitraire
, dont le nom feul eft fi odieux aux
Princes juftes , & à plus forte raifon au citoyen
fage & vertueux . C'eft travailler à
l'anéantir que de montrer ce qu'il faut faire
pour le conferver : la perfection de ce
gouvernement en eft la ruine ; & le code
exact de la tyrannie , tel que l'Auteur le
donne , eft en même tems la fatyre & le
fléau le plus redoutable des tyrans. A l'égard
des autres gouvernemens, ils ont chacun
leurs avantages ; le républicain eft plus
propte aux petits Etats ; le monarchique ,
aux grands ; le républicain plus fujer aux
excès , le monarchique, aux abus ; le républicain
apporte plus de maturité dans l'exécution
des loix , le monarchique plus de
promptitude.
La différence des principes des trois
gouvernemens doit en produire dans le
nombre & l'objet des loix , dans la forme
des jugemens & la nature des peines. La
conftitution des Monarchies étant invariable
& fondamentale , exige plus de loix
civiles & de tribunaux , afin que la juftice
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
foit rendue d'une maniere plus uniforme
& moins arbitraire ; dans les Etats modérés
, foit Monarchies , foit Républiques ,
on ne fçauroit apporter trop de formalités
aux loix criminelles. Les peines doivent
non feulement être en proportion avec le
crime , mais encore les plus douces qu'il
eft poffible , fur- tout dans la Démocratie ;
l'opinion attachée aux peines fera fouvent
plus d'effet que leur grandeur même. Dans
les Républiques , il faut juger felon la loi ,
parce qu'aucun particulier n'eft le maître
de l'altérer. Dans les Monarchies , la clémence
du Souverain peut quelquefois l'adoucir
; mais les crimes ne doivent jamais
y être jugés que par les Magiftrats expreffément
chargés d'en connoître. Enfin c'eft
principalement dans les Démocraties que
les loix doivent être féveres contre le luxe,
le relâchement des moeurs & la féduction
des femmes. Leur douceur & leur foibleffe
même les rend affez propres à gouverner
dans les Monarchies , & l'Hiftoire prouve
que fouvent elles ont porté la couronne
avec gloire.
M. de Montefquieu ayant ainfi parcouru
chaque gouvernement en particulier ,
les examine enfuite dans le rapport qu'ils
peuvent avoir les uns aux autres , mais
feulement fous le point de vue le plus
DECEM BRE. 1755. 85
"
général , c'est-à-dire fous celui qui eft uniquement
relatif à leur nature & à leur
principe. Envifagés de cette maniere , les
Etats ne peuvent avoir d'autres rapports
que celui de fe défendre , ou d'attaquer.
Les Républiques devant , par leur nature ,
renfermer un petit Etat , elles ne peuvent
fe défendre fans alliance ; mais c'eft avec
des Républiques qu'elles doivent s'allier .
La force defenfive de la Monarchie confifte
principalement à avoir des frontieres
hors d'infulte. Les Etats ont , comme les
hommes , le droit d'attaquer pour leur propre
confervation. Du droit de la guerre
dérive celui de conquête ; droit nécellaire ,
légitime & malheureux , qui laiſſe toujours
à payer une dette immenfe pour s'acquitter
envers la nature humaine , & dont la loi
générale eft de faire aux vaincus le moins
de mal qu'il eft poffible . Les Républiques
peuvent moins conquérir que les Monarchies
; des conquêtes immenfes fuppofent
le defpotifme ou l'affurent . Un des grands
principes de l'efprit de conquête doit être
de rendre meilleure , autant qu'il eft poffible
, la condition du peuple conquis :
c'eft fatisfaire tout- à - la-fois la loi naturelle
& la maxime , d'Etat . Rien n'eft plus
beau que le traité de paix de Gelon avec
les Carthaginois , par lequel il leur défen86
MERCURE DE FRANCE.
dit d'immoler à l'avenir leurs propres enfans.
Les Efpagnols , en conquérant le Pérou
, auroient dû obliger de même les habitans
à ne plus immoler des hommes à
leurs Dieux ; mais ils crurent plus avantageux
d'immoler ces peuples mêmes . Ils
n'eurent plus pour conquête qu'un vafte
défert : ils furent forcés à dépeupler leur
pays , & s'affoiblirent pour toujours par
leur propre victoire . On peut être obligé
quelquefois de changer les loix du peuple
vaincu ; rien ne peut jamais obliger de lui
ôter fes moeurs ou même fes coutumes ,
qui font fouvent toutes les moeurs . Mais
le moyen le plus für de conferver une conquête
, c'eft de mettre , s'il eft poffible , le
peuple vaincu au niveau du peuple conquerant
; de lui accorder les mêmes droits
& les mêmes privileges : c'eft ainfi qu'en
ont fouvent ufé les Romains ; c'eft ainfi
fur-tout qu'en ufa Céfar à l'égard des
Gaulois.
Jufqu'ici , en confiderant chaque gouvernement
, tant en lui-même , que dans
fon rapport aux autres , nous n'avons eu
égard ni à ce qui doit leur être commun ,
ni aux circonftances particulieres tirées
ou de la nature du pays , ou du génie des
peuples : c'eft ce qu'il faut maintenant développer.
DECEMBRE . 1755. 87
La loi commune de tous les gouvernemens
, du moins des gouvernemens modérés
, & par conféquent juftes , eft la liberté
politique dont chaque citoyen doit
jouir. Cette liberté n'eft point la licence
abfurde de faire tout ce qu'on veut , mais
le pouvoir de faire tout ce que les loix
permettent. Elle peut être envisagée , ou
dans fon rapport à la conftitution
dans fon rapport au citoyen.
ou
Il y a dans la conftitution de chaque
Etat deux fortes de pouvoirs , la puiflance
législative & l'exécutrice ; & cette derniere
a deux objets , l'intérieur de l'Etat
& le dehors . C'eft de la diftribution légitime
& de la répartition convenable de
ces différentes efpeces de pouvoirs que dépend
la plus grande perfection de la liberté
politique par rapport à la conftitution.
M. de Montefquieu en apporte pour
preuve la conftitution de la République
Romaine & celle de l'Angleterre . Il trouve
le principe de celle- ci dans cette loi
fondamentale du gouvernement des anciens
Germains , que les affaires peu importantes
y étoient décidées par les chefs ,
& que les grandes étoient portées au tribunal
de la nation , après avoir auparavant
été agitées par les chefs. M. de Monrefquieu
n'examine point fi les Anglois
8S MERCURE DE FRANCE.
jouiffent ou non de cette extrême liberté
politique que leur conftitution leur donne
, il lui fuffit qu'elle foit établie par
leurs loix : il eft encore plus éloigné de
vouloir faire la fatyre des autres Etats. Il
croit au contraire que l'excès , même dans
le bien , n'eft pas toujours défirable ; que
la liberté extrême a fes inconveniens ›
comme l'extrême fervitude ; & qu'en général
la nature humaine s'accommode
mieux d'un état moyen.
La liberté politique confidérée par rapport
au citoyen , confifte dans la fureté
où il eft à l'abri des loix , ou du moins
dans l'opinion de cette fureté, qui fait qu'un
citoyen n'en craint point un autre . C'eſt
principalement par la nature & la proportion
des peines , que cette liberté s'établit
ou fe détruit. Les crimes contre la Religion
doivent être punis par la privation
des biens que la Religion procure ; les
crimes contre les moeurs , par la honte
les crimes contre la tranquillité publique ,
par la prifon ou l'exil ; les crimes contre
la fureté , par les fupplices . Les écrits doivent
être moins punis que les actions , jamais
les fimples penfées ne doivent l'être :
accufations non juridiques , efpions , lettres
anonymes , toutes ces reffources de la
tyrannie , également honteufes à ceux qui
;
DECEMBRE . 1755. Se
en font l'inftrument, & à ceux qui s'en fervent
, doivent être profcrites dans un bon
gouvernement monarchique . Il n'eft permis
d'accufer qu'en face de la loi , qui punit
toujours ou l'accufé , ou le calomniateur.
Dans tout autre cas , ceux qui
gouvernent doivent dire avec l'Empereur
Conftance : Nous ne sçaurions foupçonner
celui à qui il a manqué un accuſateur , lorf
qu'il ne lui manquoit pas un ennemi . C'eſt
une très -bonne inftitution que celle d'une
partie publique qui fe charge , au nom de
l'Etat , de pourfuivre les crimes , & qui ait
toute l'utilité des délateurs , fans en avoir
les vils intérêts , les inconvéniens , & l'infamie.
La grandeur des impôts doit être en
proportion directe avec la liberté . Ainfi
dans les Démocraties ils peuvent être plus
grands qu'ailleurs, fans être onéreux , parce
que chaque citoyen les regarde comme
un tribut qu'il fe paye à lui-même , & qui
affure la tranquillité & le fort de chaque
membre. De plus , dans un Etat démocratique
, l'emploi infidele des deniers pu-,
blics eft plus difficile , parce qu'il eft plus
aifé de le connoître & de le punir , le dépofitaire
en devant compte , pour ainsi
dire , au premier citoyen qui l'exige .
Dans quelque gouvernement que ce foit,
90 MERCURE DE FRANCE.
l'efpece de tributs la moins onéreuſe , eft
celle qui eft établie fur les marchandiſes ;
parce que le citoyen paye
fans s'en appercevoir.
La quantité exceffive de troupes
en tems de paix , n'eft qu'un prétexte pour
charger le peuple d'impôts , un moyen
d'énerver l'Etat , & un inftrument de fervitude.
La régie des tributs qui en fait
rentrer le produit en entier dans le fifc
public , eft fans comparaifon moins à charge
au peuple, & par conféquent plus avantageufe
, lorfqu'elle peut avoir lieu , que
la ferme de ces mêmes tributs , qui laiſſe
toujours entre les mains de quelques particuliers
une partie des revenus de l'Etat.
Tout eft perdu furtout ( ce font ici les
termes de l'Auteur ) lorfque la profeffion
de traitant devient honorable ; & elle le
devient dès que le luxe eft en vigueur.
Laiffer quelques hommes fe nourrir de la
fubftance publique , pour les dépouiller à
leur tour , comme on l'a autrefois pratiqué
dans certains Etats , c'eft réparer une
injuftice par une autre , & faire deux maux
au lieu d'un .
Venons maintenant , avec M. de Montefquieu
, aux circonftances particulieres
indépendantes de la nature du gouvernement
, & qui doivent en modifier les loix.
Les circonftances qui viennent de la naDECEMBRE
1755. 91
ture du pays font de deux fortes ; les unes
ont rapport au climat , les autres au terrein.
Perfonne ne doute que le climat
n'influe fur la difpofition habituelle des
corps , & par conféquent fur les caracteres.
C'eft pourquoi les loix doivent fe conformer
au phyfique du climat dans les
chofes indifférentes , & au contraire le
combattre dans les effets vicieux : ainfi
dans les pays où l'ufage du vin eft nuifible
, c'eft une très -bonne loi que celle qui
l'interdit. Dans les pays où la chaleur du
climat porte à la pareffe , c'eft une trèsbonne
loi que celle qui encourage au travail.
Le gouvernement peut donc corriger
les effets du climat , & cela fuffit pour
mettre l'Esprit des Loix à couvert du reproche
très- injufte qu'on lui a fait d'attribuer
tout au froid & à la chaleur : car
outre que la chaleur & le froid ne font
pas la feule chofe par laquelle les climats
foient diftingués , il feroit auffi abfurde
de nier certains effets du climat que de
vouloir lui attribuer tout.
L'ufage des Efclaves établi dans les Pays
chauds de l'Afie & de l'Amérique , & réprouvé
dans les climats tempérés de l'Europe
, donne fujet à l'Auteur de traiter de
l'Esclavage civil. Les hommes n'ayant pas
plus de droit fur la liberté que fur la vie
92 MERCURE DE FRANCE.
les uns des autres , il s'enfuit que l'efclavage
, généralement parlant , eft contre la
loi naturelle. En effet , le droit d'esclavage
ne peut venir ni de la guerre , puifqu'il ne
pourroit être alors fondé que fur le rachat.
de la vie , & qu'il n'y a plus de droit fur la
vie de ceux qui n'attaquent plus ; ni de la
vente qu'un homme fait de lui- même à un
autre , puifque tout citoyen étant redevable
de fa vie à l'Etat , lui eft à plus forte
raifon redevable de fa liberté , & par conféquent
n'eft pas le maître de la vendre .
D'ailleurs quel feroit le prix de cette vente
? Ce ne peut être l'argent donné au vendeur
, puifqu'au moment qu'on fe rend
efclave , toutes les poffeffions appartiennent
au maître : or une vente fans prix eft
auffi chimérique qu'un contrat fans condition.
Il n'y a peut- être jamais eu qu'une
loi jufte en faveur de l'efclavage , c'étoit
la loi Romaine qui rendoit le débiteur efclave
du créancier ; encore cette loi ,
pour
être équitable , devoit borner la fervitude
quant au dégré & quant au tems. L'efclavage
peut tout au plus être toléré dans les
Etats defpotiques , où les hommes libres ,
trop foibles contre le gouvernement, cherchent
à devenir , pour leur propre utilité ,
les efclaves de ceux qui tyrannifent l'Etat ;
ou bien dans les climats dont la chaleur
2
DECEMBRE . 1755. 93
énerve fi fort le corps , & affoiblit tellement
le courage , que les hommes n'y font
portés à un devoir pénible , que par la
crainte du châtiment.
A côté de l'esclavage civil on peut placer
la fervitude domeftique , c'eft- à-dire ,
celle où les femmes font dans certains climats
: elle peut avoir lieu dans ces contrées
de l'Afie où elles font en état d'habiter
avec les hommes avant que de pouvoir
faire ufage de leur raifon ; nubiles par la
loi du climat , enfans par celle de la nature.
Cette fujétion devient encore plus néceffaire
dans les Pays où la polygamie eft
établie ; ufage que M. de Montefquieu ne
prétend pas juftifier dans ce qu'il a de contraire
à la Religion , mais qui dans les
lieux où il eft reçu ( & à ne parler que politiquement
) peut être fondé jufqu'à`un
certain point , ou fur la nature du Pays
ou fur le rapport du nombre des femmes
au nombre des hommes. M. de Montefquieu
parle à cette occafion de la Répudiation
& du Divorce ; & il établit fur de
bonnes raifons , que la répudiation une
fois admife , devroit être permife aux femmes
comme aux hommes.
Si le climat a tant d'influence fur la fervitude
domestique & civile , il n'en a pas
moins fur la fervitude politique , c'est- à94
MERCURE DE FRANCE.
dire fur celle qui foumet un peuple à un
autre. Les peuples du Nord font plus forts
& plus courageux que ceux du Midi ; ceux
ci doivent donc en géneral être fubjugués ,
ceux - là conquérans ; ceux - ci efclaves ,
ceux -là libres : c'eft auffi ce que l'Hiftoire
confirme . L'Afie a été conquiſe onze fois
par lès peuples du Nord ; l'Europe a fouffert
beaucoup moins de révolutions .
A l'égard des loix relatives à la nature
du terrein , il eft clair que la Démocratie
convient mieux que la Monarchie aux
Pays ftériles , où la terre a befoin de toute
l'induftrie des hommes. La liberté d'ailleurs
eft en ce cas une efpece de dédommagement
de la dureté du travail . Il faut
plus de loix pour un peuple agriculteur que
pour un peuple qui nourrit des troupeaux,
pour celui - ci que pour un peuple chaffeur,
pour un peuple qui fait ufage de la monnoie
, que pour celui qui l'ignore.
Enfin on doit avoir égard au génie particulier
de la Nation . La vanité qui groffit
les objets , eft un bon reffort pour le gouvernement
; l'orgueil qui les dépriſe eft un
reffort dangereux . Le Légiflateur doit ref
pecter jufqu'à un certain point les préjugés
, les paffions , les abus. Il doit imiter
Solon , qui avoit donné aux Athéniens ,
non les meilleures loix en elles-mêmes ,
DECEMBRE
1755. 95
mais les meilleures qu'ils puffent avoir . Le
caractere gai de ces peuples demandoit des
loix plus faciles ; le caractere dur des Lacédémoniens
, des loix plus féveres. Les
loix font un mauvais moyen pour changer
les manieres & les ufages ; c'eft par les récompenfes
& l'exemple qu'il faut tâcher
d'y parvenir. Il eft pourtant vrai en mêmetems
, que les loix d'un peuple , quand on
n'affecte pas d'y choquer groffierement &
directement fes moeurs , doivent influer
infenfiblement fur elles , foit pour les affermir,
foit pour les changer.
Après avoir approfondi de cette maniere
la nature & l'efprit des Loix par rapport
aux différentes efpeces de Pays & de
peuples , l'Auteur revient de nouveau à
confidérer les Etats les uns par rapport aux
autres. D'abord en les comparant entre
eux d'une maniere générale , il n'avoit
pu les envifager que par rapport au mal
qu'ils peuvent fe faire. Ici il les envifage
par rapport aux fecours mutuels
qu'ils peuvent le donner : or ces fecours
font principalement fondés fur le Commerce.
Si l'efprit de Commerce produit
naturellement un efprit d'intérêt oppofé
à la fublimité des vertus morales , il
rend auffi un peuple naturellement jufte ,
& en éloigne l'oifiveté & le brigandage.
96 MERCURE DE FRANCE.
Les Nations libres qui vivent fous des
gouvernemens modérés , doivent s'y livrer
plus que les Nations efclaves. Jamais une
Nation ne doit exclure de fon commerce
une autre Nation , fans de grandes raifons.
Au refte la liberté en ce genre n'eft pas une
faculté abfolue accordée aux Négocians de
faire ce qu'ils veulent ; faculté qui leur
feroit fouvent préjudiciable : elle confifte
à ne gêner les Négocians qu'en faveur du
Commerce. Dans la Monarchie la Nobleffe
ne doit point s'y adonner , encore
moins le Prince . Enfin il eft des Nations
auxquelles le Commerce eft défavantageux
; ce ne font pas celles qui n'ont befoin
de rien , mais celles qui ont besoin de
tout : paradoxe que l'Auteur rend fenfible
par l'exemple de la Pologne , qui manque
de tout , excepté de bled , & qui , par
le commerce qu'elle en fait , prive les
payfans de leur nourriture , pour fatisfaire
au luxe des Seigneurs. M. de Montefquieu ,
à l'occafion des loix que le Commerce
exige , fait l'hiftoire de fes différentes révolutions
; & cette partie de fon livre
n'eft ni la moins intéreffante , ni la moins
curieufe. Il compare l'appauvriffement de
l'Espagne ,, par la découverte de l'Amérique
, au fort de ce Prince imbécille de la
Fable , prêt à mourir de faim , pour avoir
demandé
1
DECEMBRE. 1755 : 97
demandé aux Dieux que tout ce qu'il toucheroit
fe convertit en or. L'ufage de la
monnoie étant une partie confidérable de
l'objet du Commerce , & fon principal
inftrument , il a cru devoir , en conféquence
, traiter des opérations fur la monnoie
, du change , du payement des dettes
publiques , du prêt à intérêt dont il fixe
les loix & les limites , & qu'il ne confond
nullement avec les excès fi juftement condamnés
de l'ufure.
La population & le nombre des habitans
ont avec le Commerce un rapport
immédiat ; & les mariages ayant pour objet
la population , M. de Montefquieu approfondit
ici cette importante matiere. Če
qui favorife le plus la propagation eft la
continence publique ; l'expérience prouve
que les conjonctions illicites y contribuent
peu , & même y nuifent. On a établi avec
juftice , pour les mariages , le confentement
des peres ; cependant on y doit mettre
des reftrictions : car la loi doit en général
favorifer les mariages. La loi qui
défend le mariage des meres avec les fils ,
oft ( indépendamment des préceptes de la
Religion ) une très-bonne loi civilę ; car
fans parler de plufieurs autres raifons , les
contractans étant d'âge très- différent , ces
fortes de mariages peuvent rarement avoir
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
>
la propagation pour objet. La loi qui défend
le mariage du pere avec la fille , eſt
fondée fur les mêmes motifs : cependant
( à ne parler que civilement ) elle n'eft pas
fi indifpenfablement néceffaire que l'autre
à l'objet de la population , puifque la vertu
d'engendrer finit beaucoup plus tard
dans les hommes ; auffi l'ufage contraire
a t'il eu lieu chez certains peuples que la
lumiere du Chriftianifme n'a point éclairés.
Comme la nature porte d'elle -même
au mariage , c'eft un mauvais gouvernement
que celui où on aura befoin d'y encourager.
La liberté , la fûreté , la modération
des impôts , la profcription du luxe,
font les vrais principes & les vrais foutiens
de la population : cependant on peut
avec fuccès faire des loix pour encourager
les mariages , quand , malgré la corruption
, il reste encore des refforts dans
le peuple qui l'attachent à fa patrie. Rien
n'eft plus beau que les loix d'Augufte pour
favorifer la propagation de l'efpece : par
malheur il fit ces loix dans la décadence ,
ou plutôt dans la chute de la République ;
& les citoyens découragés devoient prévoir
qu'ils ne mettroient plus au monde
que
des efclaves : auffi l'exécution de ces
loix fut elle bien foible durant tout le
tems des Empereurs payens. Conftantin
DECEM BRE . 1755. 99
enfin les abolit en fe faifant Chrétien ,
comme fi le Chriftianifme avoit pour but
de dépeupler la fociété , en confeillant à
un petit nombre la perfection du célibat.
L'établiſſement des hôpitaux , felon l'efprit
dans lequel il eft fait , peut nuire à la;
population , ou la favorifer. Il peut & il
doit même y avoir des hôpitaux dans un
Etat dont la plupart des citoyens n'ont que
leur , induftrie pour reffource , parce que
cette induftrie peut quelquefois être malheureuſe
; mais les fecours que ces hôpitaux
donnent , ne doivent être que paffagers
, pour ne point encourager la mendicité
& la fainéantife. Il faut commencer
par rendre le peuple riche , & bâtir enfuite
des hôpitaux pour les befoins imprévus
& preffans . Malheureux les Pays où
la multitude des hôpitaux & des monafteres
, qui ne font que des hôpitaux perpétuels
, fait que tout le monde eft à fon
aife , excepté ceux qui travaillent.
M. de Montefquieu n'a encore parlé
que des loix humaines. Il paffe maintenant
à celles de la Religion , qui dans prefque
tous les Etats font un objet fi effentiel
du gouvernement. Par- tout il fait l'éloge
du Chriftaifine ; il en montre les avantages
& la grandeur ; il cherche à le faire
aimer. Il foutient qu'il n'eft pas impoffi
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
ble , comme Bayle l'a prétendu , qu'une
fociété de parfaits Chrétiens forme un
Etat fubfiftant & durable . Mais il s'eft cru
permis auffi d'examiner ce que les différentes
Religions ( humainement parlant )
peuvent avoir de conforme ou de contraire
au génie & à la fituation des peuples
qui les profeffent. C'est dans ce point de
vue qu'il faut lire tout ce qu'il a écrit fur
cette matiere , & qui a été l'objet de tant
de déclamations injuftes. Il eft furprenant
furtout que dans un fiecle qui en appelle
tant d'autres barbares , on lui ait fait un
crime de ce qu'il dit de la tolérance ; comme
fi c'étoit approuver une religion que
de la tolérer comme fi enfin l'Evangile
même ne profcrivoit pas tout autre moyende
le répandre , que la douceur & la perfuafion.
Ceux en qui la fuperftition n'a
pas éteint tout fentiment de compaflion
& de juftice , ne pourront lire , fans être
attendris , la remontrance aux Inquifiteurs,
ce tribunal odieux , qui outrage la Religion
en paroiffant la venger.
Enfin après avoir traité en particulier
des différentes efpeces de loix que les
hommes peuvent avoir , il ne reste plus
qu'à les comparer toutes enfemble , & à
les examiner dans leur rapport avec les
chofes fur lefquelles elles ftatuent. Les
DECEMBRE. 1755. 101
hommes font gouvernés par différentes efpeces
de loix ; par le droit naturel , commun
à chaque individu ; par le droit divin
, qui eft celui de la Religion ; par le
droit eccléfiaftique , qui eft celui de la
police de la Religion ; par le droit civil ,
qui eft celui des membres d'une même
fociété
; par
le droit politique , qui eft celui
du gouvernement de cette fociété ; par
le droit des gens , qui eft celui des fociétés
les unes par rapport aux autres. Ces droits
ont chacun leurs objets diftingués , qu'il
faut bien fe garder de confondre. On
ne doit jamais régler par l'un ce qui appar
tient à l'autre , pour ne point mettre de dé
fordre ni d'injuftice dans les principes qui
gouvernent les hommes . Il faut enfin que
les principes qui prefcrivent le genre des
loix , & qui en circonfcrivent l'objet , regnent
auffi dans la maniere de les compofer.
L'efprit de modération doit , autant qu'il eft
poffible , en dicter toutes les difpofitions.
Des loix bien faites feront conformes à
l'efprit du Législateur , même en paroiffant
s'y oppofer. Telle étoit la fameuſe
loi de Solon , par laquelle tous ceux qui
ne prenoient point de part dans les féditions
, étoient déclarés infâmes . Elle prévenoit
les féditions , ou les rendoit utiles.
en forçant tous les membres de la Répu
1
1
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
blique à s'occuper de fes vrais intérêts .
L'Oftracifime même étoit une très - bonne
loi ; car d'un côté elle étoit honorable au
citoyen qui en étoit l'objet , & prévenoit
de l'autre les effets de l'ambition ; il falloit
d'ailleurs un très - grand nombre de fuffrages,
& on ne pouvoit bannir que tous les
cinq ans. Souvent les loix qui paroiffent les
mêmes, n'ont ni le même motif, ni le même
effet , ni la même équité : la forme du gouvernement
, les conjonctures & le génie du
peuple changent tout . Enfin le ftyle des
loix doit être fimple & grave : elles peuvent
fe difpenfer de motiver , parce que
le motif eft fuppofé exifter dans l'efprit
du Législateur ; mais quand elles motivent
, ce doit être fur des principes évidens
elles ne doivent pas reffembler à
cette loi qui , défendant aux aveugles de
plaider , apporte pour raifon qu'ils ne peuvent
pas voir les ornemens de la Magiftrature
.
M. de Montefquieu , pour montrer par
des exemples l'application de fes principes
, a choifi deux différens peuples , le
plus célébre de la terre , & celui dont
'Hiftoire nous intéreffe le plus , les Romains
& les François. Il ne s'attache qu'a
une partie de la Jurifprudence du premier;
celle qui regarde les fucceffions . A l'égard
DECEMBRE. 1755. 103
turs ,
des François , il entre dans le plus grand
détail fur l'origine & les révolutions de
leurs loix civiles , & fur les différens
ufages abolis ou fubfiftans , qui en ont été
la fuite il s'étend principalement fur les
loix féodales , cette efpece de gouvernement
inconnu à toute l'antiquité , qui le
fera peut- être pour toujours aux fiecles fur-
& qui a fait tant de biens & tant
de maux. Il difcute fur-tout ces loix dans
le rapport qu'elles ont à l'établiffement &
aux révolutions de la Monarchie Françoife
; il prouve , contre M. l'Abbé du
Bos , que les Francs font réellement entrés
en conquérans dans les Gaules , &
qu'il n'eft pas vrai , comme cet Auteur le
prétend , qu'ils ayent été appellés par les
peuples pour fuccéder aux droits des Empereurs
Romains qui les opprimoient :
détail profond , exact & curieux , mais
dans lequel il nous eft impoffible de le
fuivre , & dont les points principaux fe
trouveront d'ailleurs répandus dans différens
endroits de ce Dictionnaire , aux articles
qui s'y rapportent.
Telle eft l'analyfe générale , mais trèsinforme
& très-imparfaite , de l'ouvrage
de M. de Montefquieu : nous l'avons féparée
du refte de fon éloge , pour ne pas
trop interrompre la fuite de notre récit.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
M. Dalembert nous permettra de combattre
ici fa modeftie . Nous ofons dire , d'après
la voix publique , que cette analyſe
eft un modele, qu'elle met l'Efprit des Loix
dans tout fon jour , & qu'il n'eft pas poffible
d'en faire une meilleure . Heureux
le texte , quelque mérite qu'il ait en foi ,
qui eft ainfi commenté !
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Résumé : Analyse de l'Esprit des Loix, contenue dans la note qui accompagne l'Eloge de M. de Montesquieu par M. d'Alembert. Nous l'avions annoncée pour le premier Mercure de ce mois, & nous acquittons notre parole.
Le texte présente une analyse de l'œuvre 'De l'esprit des lois' de Montesquieu, souvent mal comprise par les critiques. L'auteur de l'analyse se propose d'explorer le plan, le caractère et l'objet de l'ouvrage, en se concentrant sur les pensées et travaux de Montesquieu, ce qui est pertinent dans le contexte de l'Encyclopédie. L'analyse examine les concepts d'état de nature et de société, où les hommes, initialement régis par le droit du plus fort, établissent des sociétés pour créer un équilibre moral. Cet équilibre est rare et durable, et les hommes cherchent souvent à jouir des avantages de la société sans en porter les charges, ce qui les met en état de guerre. Le texte distingue trois types de gouvernements : républicain, monarchique et despotique. Dans le gouvernement républicain, le peuple détient la souveraineté ; dans le monarchique, un seul gouvernant règne selon des lois fondamentales ; dans le despotique, la loi est la volonté du maître. Ces formes de gouvernement peuvent se combiner ou se nuancer. Les lois doivent être adaptées à la nature et au principe de chaque gouvernement. Par exemple, dans une démocratie, le peuple est à la fois monarque et sujet, élisant et jugeant ses magistrats. Dans une monarchie, il existe des pouvoirs intermédiaires entre le monarque et le peuple. Dans un despotisme, le tyran exerce son autorité seul ou par un représentant. Les principes des gouvernements sont l'amour de la République pour la démocratie, l'honneur pour la monarchie, et la crainte pour le despotisme. L'éducation doit également être adaptée à ces principes. Les lois doivent être conformes au principe de chaque gouvernement, et les peines doivent être proportionnées aux crimes, avec une préférence pour les peines douces dans les démocraties. Le texte examine ensuite les rapports entre les gouvernements, soulignant que les républiques doivent s'allier entre elles pour se défendre, tandis que les monarchies doivent avoir des frontières sûres. Le droit de conquête est légitime mais doit être utilisé pour améliorer la condition des peuples conquis. Enfin, l'analyse aborde la liberté politique, définie comme le pouvoir de faire ce que les lois permettent. Cette liberté dépend de la distribution légitime et de la répartition convenable des pouvoirs législatif et exécutif dans chaque État. Montesquieu examine les constitutions de la République romaine et de l'Angleterre, soulignant que l'excès de liberté ou de servitude a des inconvénients et que la nature humaine s'accommode mieux d'un état moyen. Les crimes doivent être punis de manière proportionnée à leur gravité. Les impôts doivent être proportionnés à la liberté, et dans les démocraties, ils peuvent être plus élevés sans être onéreux. Une quantité excessive de troupes en temps de paix est un moyen d'énerver l'État et d'instaurer la servitude. Le texte aborde également les circonstances particulières qui modifient les lois, telles que le climat et le terrain. L'esclavage civil est jugé contraire à la loi naturelle et peut être toléré uniquement dans les États despotiques ou dans les climats chauds. Montesquieu traite des lois relatives à la nature du terrain et au génie particulier de la nation, soulignant que la démocratie convient mieux aux pays stériles où la terre nécessite toute l'industrie des hommes. Le texte discute également des lois concernant le mariage et la population, ainsi que des principes de gouvernement et des lois religieuses. Les lois contre les mariages incestueux sont fondées sur des motifs naturels, bien que leur nécessité puisse varier selon les cultures. La propagation de l'espèce est favorisée par la liberté, la sécurité, la modération des impôts et la prohibition du luxe. Montesquieu examine les lois humaines et religieuses, soulignant les avantages du christianisme tout en discutant de la tolérance religieuse. Il compare différentes espèces de lois, insistant sur l'importance de ne pas les confondre. Les lois doivent être simples, graves et motivées par des principes évidents.
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15
p. 30-31
A URANIE.
Début :
QU'UN autre vous enseigne, ô ma chère Uranie, [...]
Mots clefs :
Amour, Yeux, Pays
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texteReconnaissance textuelle : A URANIE.
A URANI E.
U'UN autre vous enfeigne , ô ma chère Uranie,
A meſurer la terre , à lire dans les cieux ,
Et foumettre à votre génie
Ce que l'amour foumet au pouvoir de vos yeux.
Pour moi , fans diſputer ni du plein ni du vuide ,
Ce que j'aime eſt mon Univers ;
Mon fyftême eft celui d'Ovide ,
Et l'amour le ſujet & l'âme de mes vers :
Ecoutez les leçons : du pays des chimeres
Souffrez qu'il vous conduiſe au pays des defirs :
Je vous apprendrai fes myſtères :.
Heureux , fi vous vouliez m'apprendre fes plaifirs !
Des Grâces vous avez la figure légère ,
D'une Mufe l'efprit , le coeur d'une Bergère ,
Un vifage charmant , où fans être empruntés ,
On voit briller les dons de Flore ,
FEVRIER. 1763 . 31
Que le doigt de l'amour marque des deux côtés ,
Quand par un doux fouris il s'embellit encore.
Mais que vous fervent tant d'appas ?
Quoi ! de fi belles mains pour tenir un compas
Ou pour pointer une lunette ?
Quoi ! des yeux fi charmans pour obferver le cours
Ou lee taches d'une Planette ?
Non , la main de Vénus eft faite
Pour toucher le lut des Amours ;
1
Et deux beaux yeux doivent eux- mêmes
Eire nos aftres ici - bas.
Laiffez donc là tous ces fyftèmes ,
Sources d'erreurs & de débats ;
Et choififfant l'Amour pour maître ,
Jouiffez au lieu de connaître.
U'UN autre vous enfeigne , ô ma chère Uranie,
A meſurer la terre , à lire dans les cieux ,
Et foumettre à votre génie
Ce que l'amour foumet au pouvoir de vos yeux.
Pour moi , fans diſputer ni du plein ni du vuide ,
Ce que j'aime eſt mon Univers ;
Mon fyftême eft celui d'Ovide ,
Et l'amour le ſujet & l'âme de mes vers :
Ecoutez les leçons : du pays des chimeres
Souffrez qu'il vous conduiſe au pays des defirs :
Je vous apprendrai fes myſtères :.
Heureux , fi vous vouliez m'apprendre fes plaifirs !
Des Grâces vous avez la figure légère ,
D'une Mufe l'efprit , le coeur d'une Bergère ,
Un vifage charmant , où fans être empruntés ,
On voit briller les dons de Flore ,
FEVRIER. 1763 . 31
Que le doigt de l'amour marque des deux côtés ,
Quand par un doux fouris il s'embellit encore.
Mais que vous fervent tant d'appas ?
Quoi ! de fi belles mains pour tenir un compas
Ou pour pointer une lunette ?
Quoi ! des yeux fi charmans pour obferver le cours
Ou lee taches d'une Planette ?
Non , la main de Vénus eft faite
Pour toucher le lut des Amours ;
1
Et deux beaux yeux doivent eux- mêmes
Eire nos aftres ici - bas.
Laiffez donc là tous ces fyftèmes ,
Sources d'erreurs & de débats ;
Et choififfant l'Amour pour maître ,
Jouiffez au lieu de connaître.
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Résumé : A URANIE.
L'auteur adresse une lettre poétique à Uranie, personnification de l'astronomie et de la géographie, exprimant son admiration et son désir de la guider vers les plaisirs de l'amour. Il affirme que son univers est gouverné par l'amour, à l'instar des écrits d'Ovide, et souhaite lui enseigner les mystères de l'amour. L'auteur loue la beauté et les qualités d'Uranie, comparant sa figure aux Grâces, son esprit à celui d'une muse et son cœur à celui d'une bergère. Il admire également son visage charmant, marqué par les dons de Flore. Critiquant l'utilisation des mains et des yeux d'Uranie pour des instruments scientifiques, il estime qu'ils sont mieux adaptés aux plaisirs de l'amour. Il invite Uranie à abandonner les systèmes scientifiques, sources d'erreurs et de débats, pour se consacrer à l'amour et au plaisir.
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16
p. 39-41
LOGOGRYPHE
Début :
Lecteur, je suis par-tout sur ce vaste Univers. [...]
Mots clefs :
Pays