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51
p. 312-316
Extrait de deux lettres d'Utrecht du 13. & du 14. Aoust.
Début :
Mylord Strafford est venu icy pour presser les Plenipotentiaires [...]
Mots clefs :
Angleterre, Utrecht, Reine d'Angleterre
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texteReconnaissance textuelle : Extrait de deux lettres d'Utrecht du 13. & du 14. Aoust.
Extraitde deux lettres d'Utrecht
du 13. Cm du 14.Aoust.
Mylord Strafford est venu
icy pour presser les Plenipotentiaires
d'Espagne & de
Portugal à- faire la
-
Paix. Ceux
de Portugal ont réponduqu'à
l'arrivée du Comte de Ribeyra.
à Madrid
, on luy avoir fait
quelques propositions
, »
sur
quoy
quoy ce Ministreavoitdepesché
à Lisbonne un Courrier
donc on attendoit la réponse.
Les Ministres d'Espagnerépondirent
de leurcosté qu'ils
attcndoient leurs infirulbons.
Ce marin 14 Mylord Straf- tford a receu par un Extraor-
>
binaire une LettredeMylord tBromley Secretaire d'Etat de
Ha Reine d'Angleterre, par la-
>quelle il luy mandeque la
[ Rcineayanccuë une attaque
> d'apoplexie, elle avoit étédeux
1 heures sans connoissance, & trevenue àforce deremedes,
;Çllc avoit eu le temps de fi---------
- - - gner laPatente de Grand Tresorier,
de laquelle Mylord
Arlay Comte d Oxfort avoit
fait sa demission del'ordre de
li Reine six jours auparavant
en faveur du Duc de Scherfbury.
Mylord Bromlay a-w
jousteque le Conseil d'Estat,
Nemine Contradicente
,
avoit
depesché un courier à l'Electeur
d'Hanover avec ces nouvelles
, le priant de passer incessamment
en Angleterre,
& qu'on avoit envoyé une Escadre
de Vaisseaux de guerre
pour l'y tranfportcr. Mylord
Straffort avoit ordredecom-
.,
muniquer ces nouvelles aux
Estats Generaux, & de les
exhorter en vertu des traiter
faits avec la Hollande, à mettre
l'Electeurd'Hanover cvl
possession de la Couronne
d'Angleterre.La manieredonc
le Secretaire d'Estat écrit, fait
voir qu'on est horsd'esperance
pour la santé de la Reine. Les
lettres de Londres du 13. confirmerent
aussi tostcettenouvelle
à Paris, où on a apprit le
1 y, que le , la Reine fut incommodée,
que le 10. au
matin elle eut une attaque
d'appplexie si violente, que
pendant plusieurs heures on la
crut motte :,
qu'elle en revint
neàncmoins^ mais qu'elle retomba&
mourut le 12. entre
$;-t&huic heures du matin.
-
Le¿ mesme jour à deuxheures
aprèsmidy,on proclama dans
lesMiëux''ordinaire!aveefde
grandes ceremonies&sans at*-
cun trouble l'ElecteurdHanbver
Roy 'det là Grande
Btétagne,&leParJemencsa4
journaaulendemain. **>VksÏ -fùunJifc
du 13. Cm du 14.Aoust.
Mylord Strafford est venu
icy pour presser les Plenipotentiaires
d'Espagne & de
Portugal à- faire la
-
Paix. Ceux
de Portugal ont réponduqu'à
l'arrivée du Comte de Ribeyra.
à Madrid
, on luy avoir fait
quelques propositions
, »
sur
quoy
quoy ce Ministreavoitdepesché
à Lisbonne un Courrier
donc on attendoit la réponse.
Les Ministres d'Espagnerépondirent
de leurcosté qu'ils
attcndoient leurs infirulbons.
Ce marin 14 Mylord Straf- tford a receu par un Extraor-
>
binaire une LettredeMylord tBromley Secretaire d'Etat de
Ha Reine d'Angleterre, par la-
>quelle il luy mandeque la
[ Rcineayanccuë une attaque
> d'apoplexie, elle avoit étédeux
1 heures sans connoissance, & trevenue àforce deremedes,
;Çllc avoit eu le temps de fi---------
- - - gner laPatente de Grand Tresorier,
de laquelle Mylord
Arlay Comte d Oxfort avoit
fait sa demission del'ordre de
li Reine six jours auparavant
en faveur du Duc de Scherfbury.
Mylord Bromlay a-w
jousteque le Conseil d'Estat,
Nemine Contradicente
,
avoit
depesché un courier à l'Electeur
d'Hanover avec ces nouvelles
, le priant de passer incessamment
en Angleterre,
& qu'on avoit envoyé une Escadre
de Vaisseaux de guerre
pour l'y tranfportcr. Mylord
Straffort avoit ordredecom-
.,
muniquer ces nouvelles aux
Estats Generaux, & de les
exhorter en vertu des traiter
faits avec la Hollande, à mettre
l'Electeurd'Hanover cvl
possession de la Couronne
d'Angleterre.La manieredonc
le Secretaire d'Estat écrit, fait
voir qu'on est horsd'esperance
pour la santé de la Reine. Les
lettres de Londres du 13. confirmerent
aussi tostcettenouvelle
à Paris, où on a apprit le
1 y, que le , la Reine fut incommodée,
que le 10. au
matin elle eut une attaque
d'appplexie si violente, que
pendant plusieurs heures on la
crut motte :,
qu'elle en revint
neàncmoins^ mais qu'elle retomba&
mourut le 12. entre
$;-t&huic heures du matin.
-
Le¿ mesme jour à deuxheures
aprèsmidy,on proclama dans
lesMiëux''ordinaire!aveefde
grandes ceremonies&sans at*-
cun trouble l'ElecteurdHanbver
Roy 'det là Grande
Btétagne,&leParJemencsa4
journaaulendemain. **>VksÏ -fùunJifc
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Résumé : Extrait de deux lettres d'Utrecht du 13. & du 14. Aoust.
Les lettres d'Utrecht des 13 et 14 août relatent des événements politiques et diplomatiques. Lord Strafford, présent à Utrecht, presse les plénipotentiaires d'Espagne et du Portugal pour conclure la paix. Les représentants portugais attendent des nouvelles du Comte de Ribeyra à Madrid, tandis que les ministres espagnols attendent des instructions de leurs supérieurs. Le 14 août, Lord Strafford reçoit une lettre de Lord Bromley, secrétaire d'État de la reine d'Angleterre, annonçant une attaque d'apoplexie subie par la reine, qui a été inconsciente pendant deux heures. Avant cet incident, la reine avait nommé le Duc de Scherfbury Grand Trésorier, succédant au Comte d'Oxfort. Lord Bromley informe également que l'Électeur d'Hanover a été convoqué en Angleterre et qu'une escadre de vaisseaux de guerre a été envoyée pour le transporter. Lord Strafford doit communiquer ces nouvelles aux États Généraux et les inciter à mettre l'Électeur d'Hanover en possession de la couronne d'Angleterre. Les lettres de Londres confirment que la reine a été incommodée le 11 août, a subi une attaque d'apoplexie le 10 août, et est décédée le 12 août. Le même jour, à 14 heures, l'Électeur d'Hanover est proclamé roi de Grande-Bretagne et d'Irlande.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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52
p. 1063-1073
MEMOIRE adressé aux Auteurs du Mercure de France, sur les Antiquitez de Northumberland en Angleterre.
Début :
Comme je sçai, Messieurs, qu'on voit votre Journal en Angleterre, [...]
Mots clefs :
Angleterre, York, Église, Antiquités, Évêques, Histoire, Diocèse, Northumberland
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texteReconnaissance textuelle : MEMOIRE adressé aux Auteurs du Mercure de France, sur les Antiquitez de Northumberland en Angleterre.
EMOIRE adreffe aux Auteurs du
Mercure de France , fur les Antiquitez
de Northumberland en Angleterre.
C
Omme je fçai , Meffieurs , qu'on
voit votre Journal en Angleterre ,
trouvez bon que je vous prie d'y inferer
I. Vol. la
A iiij
1064 MERCURE DE FRANCE
la demande de quelques éclairciffemens
que je ferois bien aiſe d'avoir ſur une des
Eglifes de ce Royaume , qui a été illuftre
dans fon temps . Il m'eft tombé entre les
mains un Manufcrit du milieu du treiziéme
fiecle , qui contient entre autres
chofes un Catalogue des Evêques de cette
Ifle. Pour en verifier quelque choſe fur
les Collections Benedictines de Dom Mabillon
, j'ai choifi les derniers Sieges dont
il eft parlé , c'est-à- dire les plus Septentrionnaux
& du Pays que les Anglois appellent
Northumberland , ou l'ancienne
Province Ecclefiaftique d'York , & je me
fuis apperçu de quelques difficultez qui
reftent à lever fur les origines de l'Eglife
d'Hauguftald , par rapport à ce qu'en a
dit le P. Mabillon en differens endroits
de fes Ouvrages .
On trouve dans la premiere Partie du
troifiéme fiecle Benedictin , p. 208. l'Ecrit
d'un Chanoine Régulier de cette Eglife ,
rédigé au XII. fiecle , par lequel il paroît
, Num. 24. que ce fut le Roi Egfrid,
à qui S. Wilfrid , placé dès l'an 664. fur
le Siege d'York , avoit le malheur de déplaire
, lequel conjointement avec Theodore
, Archevêque de Cantorbery , pour
diminuer l'étendue du Diocèfe d'York ,
érigea un Evêché à Hauguftald , & que
le premier Evêque placé fur ce nouveau
I. Vol. Siege
JUIN. 1730. 1065
Siege s'appelloit Eata ou Aata. Quoique
le Catalogue manuſcrit que j'ai vŷ , paroiffe
s'accorder avec cet Imprimé , j'en
tranfcrirai cependant ici le commencement
, afin qu'on puiffe juger s'il eſt ſuffifamment
conforme à l'Hiftoire de Bede ,
qui ne pouvoit ignorer l'Hiftoire d'un
Diocèfe dont il étoit.
1
Paulinus primus fuit Archiepifcopus Eboracenfis.
Quo expulfo Scotti videlicet Aidenus,
Finianus, Colemannus fuccefferunt ; qui
nec pallio nec Urbis nobilitate volentes at
tolli , in infula Lindisfarnenfi delituerunt.
Succeffit wilfridus. Quo ultra mare caufa
confecrationis moras nectente , Ceadda contra
regulas ob Ofwio rege inthronizatur :
fed ipfo ab Archiepifcopo Theodoro extrufo ,"
wilfridus , iterum Epifcopus conftituitur. Quo
iterum expulfo duo pro eo conftitui funt ; in
Eboraco Bofa ; in Auguftaldo Eata. Illo
autem defuncto Johannes pro eo ordinatur
tempore Alfridi Regis.. Iterum in totum Epif
copatum wilfridus expulfis Johanne de Auguftaldo
& Bofa de Eboraco receptus eft per
annos quinque. Expulfo iterum wilfrido , illi
fedibus fuis reftituti funt. Defuncto Rege Al
frido , iterum in concordiam wilfridus receptus
fedem apud Auguftaldum habuit , Johanne
in Eboraco migrante , quia jam Bofa
defunctus erat. Succeffit in Eboraco Wilfridus
Presbiter fuus. Ifto defuncto fubftituitur·
1
Egbertus , &c. is
Et A v
1066 MERCURE DE FRANCE
Et dans l'Article fuivant intitulé
Dunhelmenfes Epifcopi , le Catalogue commence
ainfi Lindefarne eft Infula exigua
que nomine à Provincialibus Haligeland
vocatur, in qua Aidanus primus fedit Epif
eopus : Succeffores ejus fuerunt Finianus ,
Colemannus , Tudda , Eata , Cuthbertus ,
Adbertus, Edbertus , Adelwoldus , Kinewlfus
, Higebaldus. Hujus temporibus dani
depopulati funt Infulam , & c.
La liaifon qui a parû à plufieurs Ecrivains
être entre le Siege de Lindisfarne.
& celui d'Auguftald , m'a engagé a rapporter
auffi les dix dernieres lignes que
vous venez de lire . On ne fçauroit produire
trop de Catalogues , lorsqu'on veut
être parfaitement éclaifci fur des points
d'antiquité fi reculez . Il faut auffi avouer
que les variations arrivées dans l'Eglife
d'York , & celles qui ont été formées de
fes démembremens furent fi frequentes:
en peu d'années , que le Pere Mabillonparoit
même s'y être trompé. Il le mar
que au bas de la vie de S. Wilfrid par
Éddi , qu'il a publiée à la fin du premier
Tome du quatriéme fiecle Benedictin
mais d'une maniere qui fe contredit , puifqu'à
la page 689. il dit que lorfque Théodofe
divifa en trois l'Evêché d'York , ce
fut à Haguftald ou Lindisfarne que fur
mis Bofa , & que celui qui s'appelloit Eate
I. Vol. fut
JUIN. 1730. 1067
fut placé à York , & à la page 712. il
place ces deux Evêques tout au contraire,
& neanmoins par la main de Théodore
Bofa à York , & Eate à Haguſtald : qui
eft le fentiment qu'il a fuivi depuis dans
fes Annales , & qui eft conforme à Bede
& aux autres qui ont écrit depuis lui.
Mais cette faute échappée au Pere Mabillon
, eft pour faire voir en paffant que
l'arrangement des Evêques portionnaires
du Diocèfe d'York eft un vrai caffe - tête ,
que les plus habiles peuvent s'y tromper
, jufqu'à ce que les Anglois ayent écrit
à fond fur cette matiere.
&
L'Anonyme Chanoine Régulier d'Hauguftald
au XII fiecle, dont l'écrit paroît
avoir déterminé le P. Mabillon à admettre
Eate pour premier Evêque d'Hauguf
tald , avoit fait des recherches dans les
Chroniques & les Hiftoires du Pays , ainfi
qu'il le dit lui-même , Num. 24. & voici
le rang qu'il femble qu'on doit donner
aux Evêques de ce Siege , fuivant les Memoires
qu'il en a laiffés. Saint Eate auroit
été le premier Evêque d'Hauguftald ; fon
Epifcopat auroit été interrompu par quelques
années de la prélature d'un nommé
Jumbert ou Trumbertht , & cependant
Ş. Eate feroit mort Evêque d'Hauguftald .
Il auroit eu pour fucceffeur S. Jean , puis
S. Wilfrid d'York, lorfque Jean eut choifi
I. Vol.
York
1068 MERCURE DE FRANCE
Yorc , au lieu d'Hauguftald , enfuite faint
Acca , puis les Evêques qui fuivent , fçavoir
, S. Fredbert , S. Alchmond , & un
autre nommé Tilbert. Richard , Prieur
de la même Eglife d'Hauguftald , qui a
auffi étrit au XII . fiecle , fur les origines
de cette Eglife , marque (a) que ce fut
fainte Ethelrede , Reine , Epoufe du Roi
Egfrid , qui fit prefent à S. Wilfrid en
674. de la petite Ville d'Hauguftald , pour
y établir un Evêché. Ut eam Epifcopali
Cathedra fublimaret , cui ipfe primus ac poft
eum alii jure Ecclefiaftico federent , & en
effet ce faint Evêque d'York y bâtit à ce
deffein une Eglife en l'honneur de faint-
André , felon Eddi , Cap. 21.- Auteur de
fa Vie , plus ancien que Bede : mais il n'eut
pas le loifir d'accomplir lui- même la condition
que lui avoit demandée la fainte
Reine. On a vû plus haut que ce fut
Théodore de Cantorbery qui fit cette
érection dans la perfonne d'Eate. Où donc
placer un nommé Oftfore , que Dom Mabillon
met parmi les Evêques du Siege
d'Hauguftald , qui ont été de la connoiffance
du venerable Bede ? Ce feroit un
embarras difficile à lever , s'il étoit certain'
que ce fçavant Benedictin ne fe fût pas
trompé dans cet endroit de ſes Annales ,(b)
. (a) Sac. iij. Bened. P. 1. pag. 228
(b), Annal. Bened. P. 1. pag. 474.
L..Vol.
Mais
JUIN. 1730. 1069
Mais en comparant avec ce qu'il dit ,
l'endroit du quatriéme Livre de Bede
qu'il cite , Num. 23 on reconnoît que-
F'Evêque d'Hauguftald , dont Bede fait là
mention , eft S. Jean , qui le fut après la
mort de S. Eate , & qu'Oftfore , que Bede
nomme le troifiéme des Prélats formez
dans leur jeuneffe par les Ecclefiaftiques :
ou Moines deflervans le Monaftere de
fainte Hilde , & non perfonnellement par
cette fainte Abbeffe , comme le dit Dom
Mabillon , fut Evêque dans la contrée dés
Wicciens , & non d'Hauguftald . Il eft inu
tile de faire remarquer que c'eft encore
par une espece d'inadvertance que les mê
mes Annales Benedictines , page 595. attribuent
à Aetla ou Elda , Evêque de
Dorceſter , tous les voyages & les actions
que Bede , au même endroit , attribue às
cet Oftfore , Evêque des Wicciens . Cela
ne fait rien à P'Hiftoire des Origines
d'Hauguftald..
Mais ce qu'il ne feroit pas indifferent
de fçavoir eft , touchant la maniere ,d'e
crire le nom de la Ville dont je parle ,,
& s'il n'eft pas de l'exactitude de le com--
mencer par une aſpiration & non pas fimplement
par la voyelle A , comme fait le:
Manufcrit que j'ai rapporté cy- deffus &
d'autres Auteurs pofterieurs. N'y ayant:
point d'apparence que les Villes d'An-
Lt.Voll gleterre
FOTO MERCURE DE FRANCE
gleterre ayent tiré leur nom du Latin ,
puifque l'afpiration y eft ufitée jufques
dans les noms qui commencent par une
confonne , tel que Hripis , qui fignifie
l'Abbaye de Ripon; il eft , ce femble, plus
conforme à l'origine des chofes , d'employer
l'afpiration à tous les endroits où
les Anciens l'employoient dans ces noms
propres. On dira peut-être que le nom
d'Auguftald vient de quelque Empereur
Romain, par exemple, d'Hadrien , lequel
fit bâtir peu loin delà le fameux mur qui
féparoit les Bretons Romains d'avec les
Barbares ; mais c'eft deviner que d'avancer
un tel fait fans aucun garant. Richard,
Prieur de cette Eglife , donna , ce femble,
il y a fix cens ans , le dénouement de cette
difficulté Géographique . Parlant des Origines
de cette Ville : Hac autem , dit- il ,
arivulo ibi de currente & quandoque ad
modum torrentis exuberante Heftild nomine
Heftoldeldam quafi prædium Heftild vocatur,
& ailleurs il l'appelle Heftoldesham. Selon
cette étimologie , le nom d'Hauguftald
n'appartient à la Langue Latine , que par
les terminaifons des cas qu'on y ajuste , à
la maniere ordinaire , comme a fait Bede
& les autres depuis lui ; car Eddi , plus
ancien que lui écrit toûjours Haguftaldefe,
fans aucune influxion de cas. Le Chanoine
Regulier anonyme du XII . fiecle qui
Ꮧ. Vol . emJUIN.
1730. 1071
·
employe plufieurs fois l'expreffion de
Sandla Hanguftaldenfis Ecclefia , s'eſt ſervi
auffi une fois du terme d'Haguftaldunum :
& delà vient , fans doute, que dans les
fiecles fuivans cette terminaifon a été ufitée.
Pierre de Natalibus rapportant toute
la vie de S. Jean d'Hauguftald , tirée de
Bede , donne à cet Evêché d'Angleterre
le nom d'Auguftodunum. Ce changement
ou adouciffement de nom s'étant introduit
peu à peu , Maurolycus , Abbé de
Mefane & Baronius depuis lui , s'y font
conformez dans leurs Martyrologes . C'eft
pourquoi j'excuferois volontiers le Cardinal
Baronius , d'avoir annoncé ainfi dans.
le fien au 29. Octobre l'une des Fêtes de
S. Jean d'Hauguftald ; Auguftoduni S. Johannis
Epifcopi & Confefforis. On voit
fuffisamment par la Note , où il fait mention
d'un Wilfrid , fucceffeur de ce faint
Jean , que ce Cardinal n'a nullement cu
en vûe l'Eglife d'Autun en France . Mais
fi ce qu'on me mande du Calendrier du
nouveau Breviare d'Autun eft veritable .
fçavoir que les Editeurs ont fait de ce
faint Evêque d'Angleterre un Evêque
Bourguignon & affis fur le Siege d'Autun ;
la méprife mérite d'être remarquée dans
le fiecle où nous fommes . C'eft comme fi
les Poitevins s'avifoient de mettre au rang
de leurs Evêques un S. Victorin , Evêque
I. Vol.
de
1072 MERCURE DE FRANCE
de Pettau en Stirie , duquel a parlé faine
Jérôme , & qu'ils fe laiffaffent féduire par
le mauvais Latin de Baronius , qui a mis
Pictavienfis au lieu de Pictabionenfis . Je
ne doute pas que les Anglois ne revendiquent
bien vîte le S. Prélat Jean d'Hau ▲ -
guftald,, qquuee M. Robert , dans fa Gaule
Chrétienne , & M. Chaſtelain depuis lui ,
dans fon Martyrologe univerfel , ont
reconnu leur appartenir , & nullement à
l'Eglife d'Autun.
Quoique excufe en quelque maniere
Baronius , fur l'annonce qu'il a faite au
29. Octobre , je dirai cependant qu'il ſeroit
à fouhaiter qu'il s'en fût abftenu ;-
parce que la regle n'eft pas de marquer
un même Saint à deux jours differens
à moins qu'on ne dife que l'un des deux
jours eft celui d'une Tranflation ou autre
Fête , fans quoi on induit les Lecteurs
dans l'erreur . Peut être eft- ce cette duplication
d'annonce qui a porté ceux qui
ont dreffé la Table Topographique de fon
Martyrologe , à ranger ce S. Jean parmi
les Evêques d'Autun , à caufe du mot
´d'Auguftodunum , qu'ils ne fçavoient pas
être le même qu'Auguftaldunum d'Angleterre.
Quoiqu'il en foit , Baronius avoit
déja mis au 7. May le faint Jean Evêque ·
d'Haguftald , fous le nom de Jean de Beverley
, Archevêque d'York. On a vit cy
L. vol. deffus
JUIN
1730. 1073
deffus par les Hiftoriens que j'ai rapportez,
qu'en effet il paffa au Siege d'York après
avoir été affis fur celui d'Hauguftald . Mais
fon grand âge l'obligeant de quitter , il
fe retira à Beverley , qui étoit une Terre
qu'il avoit acquife , & il y mourut. Delà
fui vint ce fur- nom de Beverley , fous lequel
il eft connu plus communément.
L'experience journaliere des Taureaux indomptez
qui devenoient doux comme des
Moutons , dès qu'on les avoit fait entrer
dans le Cimetiere de l'Eglife où il avoit
été inhumé , eft une chofe finguliere à lire
dans Guillaume de Malmesbury . On trouve
auffi que Rever- Ley tire fon étymologie
de Petuaria- Parifiorum. 11 eft affez
fenfible comment Bever vient de Petuaria :
mais on ne voit pas bien d'où a été formée
cette dénomination de Parifiorum. La Capitale
de notre Royaume auroit- elle
vigné jufques- là ? Y auroit- elle envoyé
une Colonie ? Voilà des doutes à réfoudre
, auffi-bien que l'étymologie veritable
d'Hauguftald , l'Egifcopat d'Oftfore & le
nom du premier Prélat qui occupa le
nouveau Siege d'Hauguſtald
Mercure de France , fur les Antiquitez
de Northumberland en Angleterre.
C
Omme je fçai , Meffieurs , qu'on
voit votre Journal en Angleterre ,
trouvez bon que je vous prie d'y inferer
I. Vol. la
A iiij
1064 MERCURE DE FRANCE
la demande de quelques éclairciffemens
que je ferois bien aiſe d'avoir ſur une des
Eglifes de ce Royaume , qui a été illuftre
dans fon temps . Il m'eft tombé entre les
mains un Manufcrit du milieu du treiziéme
fiecle , qui contient entre autres
chofes un Catalogue des Evêques de cette
Ifle. Pour en verifier quelque choſe fur
les Collections Benedictines de Dom Mabillon
, j'ai choifi les derniers Sieges dont
il eft parlé , c'est-à- dire les plus Septentrionnaux
& du Pays que les Anglois appellent
Northumberland , ou l'ancienne
Province Ecclefiaftique d'York , & je me
fuis apperçu de quelques difficultez qui
reftent à lever fur les origines de l'Eglife
d'Hauguftald , par rapport à ce qu'en a
dit le P. Mabillon en differens endroits
de fes Ouvrages .
On trouve dans la premiere Partie du
troifiéme fiecle Benedictin , p. 208. l'Ecrit
d'un Chanoine Régulier de cette Eglife ,
rédigé au XII. fiecle , par lequel il paroît
, Num. 24. que ce fut le Roi Egfrid,
à qui S. Wilfrid , placé dès l'an 664. fur
le Siege d'York , avoit le malheur de déplaire
, lequel conjointement avec Theodore
, Archevêque de Cantorbery , pour
diminuer l'étendue du Diocèfe d'York ,
érigea un Evêché à Hauguftald , & que
le premier Evêque placé fur ce nouveau
I. Vol. Siege
JUIN. 1730. 1065
Siege s'appelloit Eata ou Aata. Quoique
le Catalogue manuſcrit que j'ai vŷ , paroiffe
s'accorder avec cet Imprimé , j'en
tranfcrirai cependant ici le commencement
, afin qu'on puiffe juger s'il eſt ſuffifamment
conforme à l'Hiftoire de Bede ,
qui ne pouvoit ignorer l'Hiftoire d'un
Diocèfe dont il étoit.
1
Paulinus primus fuit Archiepifcopus Eboracenfis.
Quo expulfo Scotti videlicet Aidenus,
Finianus, Colemannus fuccefferunt ; qui
nec pallio nec Urbis nobilitate volentes at
tolli , in infula Lindisfarnenfi delituerunt.
Succeffit wilfridus. Quo ultra mare caufa
confecrationis moras nectente , Ceadda contra
regulas ob Ofwio rege inthronizatur :
fed ipfo ab Archiepifcopo Theodoro extrufo ,"
wilfridus , iterum Epifcopus conftituitur. Quo
iterum expulfo duo pro eo conftitui funt ; in
Eboraco Bofa ; in Auguftaldo Eata. Illo
autem defuncto Johannes pro eo ordinatur
tempore Alfridi Regis.. Iterum in totum Epif
copatum wilfridus expulfis Johanne de Auguftaldo
& Bofa de Eboraco receptus eft per
annos quinque. Expulfo iterum wilfrido , illi
fedibus fuis reftituti funt. Defuncto Rege Al
frido , iterum in concordiam wilfridus receptus
fedem apud Auguftaldum habuit , Johanne
in Eboraco migrante , quia jam Bofa
defunctus erat. Succeffit in Eboraco Wilfridus
Presbiter fuus. Ifto defuncto fubftituitur·
1
Egbertus , &c. is
Et A v
1066 MERCURE DE FRANCE
Et dans l'Article fuivant intitulé
Dunhelmenfes Epifcopi , le Catalogue commence
ainfi Lindefarne eft Infula exigua
que nomine à Provincialibus Haligeland
vocatur, in qua Aidanus primus fedit Epif
eopus : Succeffores ejus fuerunt Finianus ,
Colemannus , Tudda , Eata , Cuthbertus ,
Adbertus, Edbertus , Adelwoldus , Kinewlfus
, Higebaldus. Hujus temporibus dani
depopulati funt Infulam , & c.
La liaifon qui a parû à plufieurs Ecrivains
être entre le Siege de Lindisfarne.
& celui d'Auguftald , m'a engagé a rapporter
auffi les dix dernieres lignes que
vous venez de lire . On ne fçauroit produire
trop de Catalogues , lorsqu'on veut
être parfaitement éclaifci fur des points
d'antiquité fi reculez . Il faut auffi avouer
que les variations arrivées dans l'Eglife
d'York , & celles qui ont été formées de
fes démembremens furent fi frequentes:
en peu d'années , que le Pere Mabillonparoit
même s'y être trompé. Il le mar
que au bas de la vie de S. Wilfrid par
Éddi , qu'il a publiée à la fin du premier
Tome du quatriéme fiecle Benedictin
mais d'une maniere qui fe contredit , puifqu'à
la page 689. il dit que lorfque Théodofe
divifa en trois l'Evêché d'York , ce
fut à Haguftald ou Lindisfarne que fur
mis Bofa , & que celui qui s'appelloit Eate
I. Vol. fut
JUIN. 1730. 1067
fut placé à York , & à la page 712. il
place ces deux Evêques tout au contraire,
& neanmoins par la main de Théodore
Bofa à York , & Eate à Haguſtald : qui
eft le fentiment qu'il a fuivi depuis dans
fes Annales , & qui eft conforme à Bede
& aux autres qui ont écrit depuis lui.
Mais cette faute échappée au Pere Mabillon
, eft pour faire voir en paffant que
l'arrangement des Evêques portionnaires
du Diocèfe d'York eft un vrai caffe - tête ,
que les plus habiles peuvent s'y tromper
, jufqu'à ce que les Anglois ayent écrit
à fond fur cette matiere.
&
L'Anonyme Chanoine Régulier d'Hauguftald
au XII fiecle, dont l'écrit paroît
avoir déterminé le P. Mabillon à admettre
Eate pour premier Evêque d'Hauguf
tald , avoit fait des recherches dans les
Chroniques & les Hiftoires du Pays , ainfi
qu'il le dit lui-même , Num. 24. & voici
le rang qu'il femble qu'on doit donner
aux Evêques de ce Siege , fuivant les Memoires
qu'il en a laiffés. Saint Eate auroit
été le premier Evêque d'Hauguftald ; fon
Epifcopat auroit été interrompu par quelques
années de la prélature d'un nommé
Jumbert ou Trumbertht , & cependant
Ş. Eate feroit mort Evêque d'Hauguftald .
Il auroit eu pour fucceffeur S. Jean , puis
S. Wilfrid d'York, lorfque Jean eut choifi
I. Vol.
York
1068 MERCURE DE FRANCE
Yorc , au lieu d'Hauguftald , enfuite faint
Acca , puis les Evêques qui fuivent , fçavoir
, S. Fredbert , S. Alchmond , & un
autre nommé Tilbert. Richard , Prieur
de la même Eglife d'Hauguftald , qui a
auffi étrit au XII . fiecle , fur les origines
de cette Eglife , marque (a) que ce fut
fainte Ethelrede , Reine , Epoufe du Roi
Egfrid , qui fit prefent à S. Wilfrid en
674. de la petite Ville d'Hauguftald , pour
y établir un Evêché. Ut eam Epifcopali
Cathedra fublimaret , cui ipfe primus ac poft
eum alii jure Ecclefiaftico federent , & en
effet ce faint Evêque d'York y bâtit à ce
deffein une Eglife en l'honneur de faint-
André , felon Eddi , Cap. 21.- Auteur de
fa Vie , plus ancien que Bede : mais il n'eut
pas le loifir d'accomplir lui- même la condition
que lui avoit demandée la fainte
Reine. On a vû plus haut que ce fut
Théodore de Cantorbery qui fit cette
érection dans la perfonne d'Eate. Où donc
placer un nommé Oftfore , que Dom Mabillon
met parmi les Evêques du Siege
d'Hauguftald , qui ont été de la connoiffance
du venerable Bede ? Ce feroit un
embarras difficile à lever , s'il étoit certain'
que ce fçavant Benedictin ne fe fût pas
trompé dans cet endroit de ſes Annales ,(b)
. (a) Sac. iij. Bened. P. 1. pag. 228
(b), Annal. Bened. P. 1. pag. 474.
L..Vol.
Mais
JUIN. 1730. 1069
Mais en comparant avec ce qu'il dit ,
l'endroit du quatriéme Livre de Bede
qu'il cite , Num. 23 on reconnoît que-
F'Evêque d'Hauguftald , dont Bede fait là
mention , eft S. Jean , qui le fut après la
mort de S. Eate , & qu'Oftfore , que Bede
nomme le troifiéme des Prélats formez
dans leur jeuneffe par les Ecclefiaftiques :
ou Moines deflervans le Monaftere de
fainte Hilde , & non perfonnellement par
cette fainte Abbeffe , comme le dit Dom
Mabillon , fut Evêque dans la contrée dés
Wicciens , & non d'Hauguftald . Il eft inu
tile de faire remarquer que c'eft encore
par une espece d'inadvertance que les mê
mes Annales Benedictines , page 595. attribuent
à Aetla ou Elda , Evêque de
Dorceſter , tous les voyages & les actions
que Bede , au même endroit , attribue às
cet Oftfore , Evêque des Wicciens . Cela
ne fait rien à P'Hiftoire des Origines
d'Hauguftald..
Mais ce qu'il ne feroit pas indifferent
de fçavoir eft , touchant la maniere ,d'e
crire le nom de la Ville dont je parle ,,
& s'il n'eft pas de l'exactitude de le com--
mencer par une aſpiration & non pas fimplement
par la voyelle A , comme fait le:
Manufcrit que j'ai rapporté cy- deffus &
d'autres Auteurs pofterieurs. N'y ayant:
point d'apparence que les Villes d'An-
Lt.Voll gleterre
FOTO MERCURE DE FRANCE
gleterre ayent tiré leur nom du Latin ,
puifque l'afpiration y eft ufitée jufques
dans les noms qui commencent par une
confonne , tel que Hripis , qui fignifie
l'Abbaye de Ripon; il eft , ce femble, plus
conforme à l'origine des chofes , d'employer
l'afpiration à tous les endroits où
les Anciens l'employoient dans ces noms
propres. On dira peut-être que le nom
d'Auguftald vient de quelque Empereur
Romain, par exemple, d'Hadrien , lequel
fit bâtir peu loin delà le fameux mur qui
féparoit les Bretons Romains d'avec les
Barbares ; mais c'eft deviner que d'avancer
un tel fait fans aucun garant. Richard,
Prieur de cette Eglife , donna , ce femble,
il y a fix cens ans , le dénouement de cette
difficulté Géographique . Parlant des Origines
de cette Ville : Hac autem , dit- il ,
arivulo ibi de currente & quandoque ad
modum torrentis exuberante Heftild nomine
Heftoldeldam quafi prædium Heftild vocatur,
& ailleurs il l'appelle Heftoldesham. Selon
cette étimologie , le nom d'Hauguftald
n'appartient à la Langue Latine , que par
les terminaifons des cas qu'on y ajuste , à
la maniere ordinaire , comme a fait Bede
& les autres depuis lui ; car Eddi , plus
ancien que lui écrit toûjours Haguftaldefe,
fans aucune influxion de cas. Le Chanoine
Regulier anonyme du XII . fiecle qui
Ꮧ. Vol . emJUIN.
1730. 1071
·
employe plufieurs fois l'expreffion de
Sandla Hanguftaldenfis Ecclefia , s'eſt ſervi
auffi une fois du terme d'Haguftaldunum :
& delà vient , fans doute, que dans les
fiecles fuivans cette terminaifon a été ufitée.
Pierre de Natalibus rapportant toute
la vie de S. Jean d'Hauguftald , tirée de
Bede , donne à cet Evêché d'Angleterre
le nom d'Auguftodunum. Ce changement
ou adouciffement de nom s'étant introduit
peu à peu , Maurolycus , Abbé de
Mefane & Baronius depuis lui , s'y font
conformez dans leurs Martyrologes . C'eft
pourquoi j'excuferois volontiers le Cardinal
Baronius , d'avoir annoncé ainfi dans.
le fien au 29. Octobre l'une des Fêtes de
S. Jean d'Hauguftald ; Auguftoduni S. Johannis
Epifcopi & Confefforis. On voit
fuffisamment par la Note , où il fait mention
d'un Wilfrid , fucceffeur de ce faint
Jean , que ce Cardinal n'a nullement cu
en vûe l'Eglife d'Autun en France . Mais
fi ce qu'on me mande du Calendrier du
nouveau Breviare d'Autun eft veritable .
fçavoir que les Editeurs ont fait de ce
faint Evêque d'Angleterre un Evêque
Bourguignon & affis fur le Siege d'Autun ;
la méprife mérite d'être remarquée dans
le fiecle où nous fommes . C'eft comme fi
les Poitevins s'avifoient de mettre au rang
de leurs Evêques un S. Victorin , Evêque
I. Vol.
de
1072 MERCURE DE FRANCE
de Pettau en Stirie , duquel a parlé faine
Jérôme , & qu'ils fe laiffaffent féduire par
le mauvais Latin de Baronius , qui a mis
Pictavienfis au lieu de Pictabionenfis . Je
ne doute pas que les Anglois ne revendiquent
bien vîte le S. Prélat Jean d'Hau ▲ -
guftald,, qquuee M. Robert , dans fa Gaule
Chrétienne , & M. Chaſtelain depuis lui ,
dans fon Martyrologe univerfel , ont
reconnu leur appartenir , & nullement à
l'Eglife d'Autun.
Quoique excufe en quelque maniere
Baronius , fur l'annonce qu'il a faite au
29. Octobre , je dirai cependant qu'il ſeroit
à fouhaiter qu'il s'en fût abftenu ;-
parce que la regle n'eft pas de marquer
un même Saint à deux jours differens
à moins qu'on ne dife que l'un des deux
jours eft celui d'une Tranflation ou autre
Fête , fans quoi on induit les Lecteurs
dans l'erreur . Peut être eft- ce cette duplication
d'annonce qui a porté ceux qui
ont dreffé la Table Topographique de fon
Martyrologe , à ranger ce S. Jean parmi
les Evêques d'Autun , à caufe du mot
´d'Auguftodunum , qu'ils ne fçavoient pas
être le même qu'Auguftaldunum d'Angleterre.
Quoiqu'il en foit , Baronius avoit
déja mis au 7. May le faint Jean Evêque ·
d'Haguftald , fous le nom de Jean de Beverley
, Archevêque d'York. On a vit cy
L. vol. deffus
JUIN
1730. 1073
deffus par les Hiftoriens que j'ai rapportez,
qu'en effet il paffa au Siege d'York après
avoir été affis fur celui d'Hauguftald . Mais
fon grand âge l'obligeant de quitter , il
fe retira à Beverley , qui étoit une Terre
qu'il avoit acquife , & il y mourut. Delà
fui vint ce fur- nom de Beverley , fous lequel
il eft connu plus communément.
L'experience journaliere des Taureaux indomptez
qui devenoient doux comme des
Moutons , dès qu'on les avoit fait entrer
dans le Cimetiere de l'Eglife où il avoit
été inhumé , eft une chofe finguliere à lire
dans Guillaume de Malmesbury . On trouve
auffi que Rever- Ley tire fon étymologie
de Petuaria- Parifiorum. 11 eft affez
fenfible comment Bever vient de Petuaria :
mais on ne voit pas bien d'où a été formée
cette dénomination de Parifiorum. La Capitale
de notre Royaume auroit- elle
vigné jufques- là ? Y auroit- elle envoyé
une Colonie ? Voilà des doutes à réfoudre
, auffi-bien que l'étymologie veritable
d'Hauguftald , l'Egifcopat d'Oftfore & le
nom du premier Prélat qui occupa le
nouveau Siege d'Hauguſtald
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Résumé : MEMOIRE adressé aux Auteurs du Mercure de France, sur les Antiquitez de Northumberland en Angleterre.
L'auteur sollicite des éclaircissements auprès des rédacteurs du Mercure de France concernant une église anglaise illustre. Il possède un manuscrit du XIIIe siècle listant les évêques de cette île et se concentre sur les sièges épiscopaux du Northumberland, ancienne province ecclésiastique d'York. Il rencontre des difficultés concernant les origines de l'église d'Hauguftald, mentionnée par le Père Mabillon. Le manuscrit et les écrits de Bède le Vénérable, historien anglais du VIIIe siècle, indiquent que le roi Egfrid et l'archevêque Théodore de Cantorbéry ont fondé un évêché à Hauguftald. Le premier évêque de ce siège était Eata ou Aata. Le catalogue manuscrit de l'auteur confirme cette information mais inclut également des extraits pour comparaison. L'auteur examine les variations et erreurs possibles dans les écrits de Mabillon concernant les démembrements du diocèse d'York. Il mentionne un chanoine régulier du XIIe siècle et un prieur de l'église d'Hauguftald, qui ont écrit sur les origines de cette église. Ils indiquent que la reine Sainte Ethelrede a fait don de la ville d'Hauguftald à Saint Wilfrid pour y établir un évêché. L'auteur aborde également des questions d'étymologie et d'orthographe concernant le nom de la ville d'Hauguftald. Il examine les différentes formes du nom utilisées par divers auteurs et conclut que l'utilisation de l'aspiration est plus conforme à l'origine des choses. Il mentionne également des erreurs dans les martyrologes et les calendriers, notamment celle de confondre Saint Jean d'Hauguftald avec un évêque d'Autun en France. Enfin, l'auteur évoque des légendes locales et des étymologies incertaines concernant des lieux comme Beverley, où Saint Jean d'Hauguftald s'est retiré à la fin de sa vie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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53
p. 1990-1991
Abregé de l'Histoire d'Angleterre [titre d'après la table]
Début :
ABREGÉ DE L'HISTOIRE D'ANGLETERRE, avec des Reflexions [...]
Mots clefs :
Histoire de l'Angleterre, Angleterre, Histoire
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texteReconnaissance textuelle : Abregé de l'Histoire d'Angleterre [titre d'après la table]
BREGE' DE L'HISTOIRE D'ANGLETERRE
, avec des Reflexions
Politiques & Hiftoriques fur les Regnes
des Rois , leurs caracteres , leurs moeurs ,
leurs fucceffions au Trône , & tous les
autres évenemens remarquables jufqu'à
la Révolution de 1688. inclufivement.
Tiré des Memoires & des Manufcrits
les plus autentiques , tirez de l'Anglois
de M. Higgons , par M. L. B. D. G. vol.
in- 8. de 414. pages fans la Préface de
l'Auteur , & celle du Traducteur . A la
Haye , chez T. Jonſton , 1729 .
Si nous en croyons l'Auteur Anglois
de cet Ouvrage , c'eft une Maxime reçûe
dans tous les temps & dans tous les Pays
de ne pas écrire l'Hiftoire du fiecle où
l'on vit , & c'eft en confequence qu'il a ,
dit- il, laiffé fon Manuſcrit enfeveli dans la
pouffiere pendant 26. ans . , &c. Cette maxime
paroîtra peut -être trop geherale, &
on pourroit dire bien des chofes en faveur
de l'Hiftoire écrite dans le temps auquel
les évenemens font arrivez . Quoiqu'il en
foit , le Traducteur prétend que de toutes
SEPTEMBRE. 1730. 1991
tes les Hiftoires d'Angleterre celle- cy eft
la plus intereffante , tant pour les Souverains
que pour les Miniftres , & même
pour tous ceux qui fouhaitent apprendre
foncierement la forme du Gouvernement,
les Loix fondamentales, les Maximes , les
Moeurs , les Coûtumes de la Grand'Bretagne
: c'eft de quoi nous laiffons le jugement
au Public .
A l'occafion de cet Ouvrage nous ap
prendrons aux Amateurs de l'Hiftoire ,
que M *** a traduit en François l'Hif
toire generale d'Angletetre , écrite par le
Chevalier Richard Baker , celebre Hiftorien
Anglois , & continuée par J. Philips
, jufqu'au Couronnement du Roi
Charles II . arrivé en 1661. ce qui fait un
Corps complet de toute l'Hiftoire d'Angleterre
, écrite en notre Langue & prête
à imprimer. On y trouve un grand nombre
de Pieces originales qui n'ont jamais
parues dans le Public , & plufieurs autres
chofes très remarquables. Le Traducteur,
au refte, quoique François , doit paffer pour
un homme très -verfé dans la Langue &
dans la connoiffance des affaires & du génie
de la Nation Angloife , ayant paffé
tout jeune en Angleterre , où il a demeuré
plus de quinze ans.
, avec des Reflexions
Politiques & Hiftoriques fur les Regnes
des Rois , leurs caracteres , leurs moeurs ,
leurs fucceffions au Trône , & tous les
autres évenemens remarquables jufqu'à
la Révolution de 1688. inclufivement.
Tiré des Memoires & des Manufcrits
les plus autentiques , tirez de l'Anglois
de M. Higgons , par M. L. B. D. G. vol.
in- 8. de 414. pages fans la Préface de
l'Auteur , & celle du Traducteur . A la
Haye , chez T. Jonſton , 1729 .
Si nous en croyons l'Auteur Anglois
de cet Ouvrage , c'eft une Maxime reçûe
dans tous les temps & dans tous les Pays
de ne pas écrire l'Hiftoire du fiecle où
l'on vit , & c'eft en confequence qu'il a ,
dit- il, laiffé fon Manuſcrit enfeveli dans la
pouffiere pendant 26. ans . , &c. Cette maxime
paroîtra peut -être trop geherale, &
on pourroit dire bien des chofes en faveur
de l'Hiftoire écrite dans le temps auquel
les évenemens font arrivez . Quoiqu'il en
foit , le Traducteur prétend que de toutes
SEPTEMBRE. 1730. 1991
tes les Hiftoires d'Angleterre celle- cy eft
la plus intereffante , tant pour les Souverains
que pour les Miniftres , & même
pour tous ceux qui fouhaitent apprendre
foncierement la forme du Gouvernement,
les Loix fondamentales, les Maximes , les
Moeurs , les Coûtumes de la Grand'Bretagne
: c'eft de quoi nous laiffons le jugement
au Public .
A l'occafion de cet Ouvrage nous ap
prendrons aux Amateurs de l'Hiftoire ,
que M *** a traduit en François l'Hif
toire generale d'Angletetre , écrite par le
Chevalier Richard Baker , celebre Hiftorien
Anglois , & continuée par J. Philips
, jufqu'au Couronnement du Roi
Charles II . arrivé en 1661. ce qui fait un
Corps complet de toute l'Hiftoire d'Angleterre
, écrite en notre Langue & prête
à imprimer. On y trouve un grand nombre
de Pieces originales qui n'ont jamais
parues dans le Public , & plufieurs autres
chofes très remarquables. Le Traducteur,
au refte, quoique François , doit paffer pour
un homme très -verfé dans la Langue &
dans la connoiffance des affaires & du génie
de la Nation Angloife , ayant paffé
tout jeune en Angleterre , où il a demeuré
plus de quinze ans.
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Résumé : Abregé de l'Histoire d'Angleterre [titre d'après la table]
Le texte présente 'Brége' de l'Histoire d'Angleterre', traduit de l'anglais par M. L. B. D. G. et publié en 1729. Cet ouvrage, rédigé par M. Higgons, couvre les règnes des rois d'Angleterre, leurs caractères, leurs mœurs, leurs successions et les événements marquants jusqu'à la Révolution de 1688. L'auteur a laissé son manuscrit inédit pendant 26 ans, respectant la règle de ne pas écrire l'histoire contemporaine. Le traducteur souligne l'intérêt de cette histoire pour comprendre les souverains, les ministres et le gouvernement britannique, ainsi que ses lois fondamentales, maximes, mœurs et coutumes. Le texte mentionne également une autre traduction en français de l'histoire générale d'Angleterre par le Chevalier Richard Baker, continuée par J. Philips jusqu'au couronnement du roi Charles II en 1661. Cette traduction inclut de nombreuses pièces originales inédites et est prête à être imprimée. Le traducteur, bien que français, est décrit comme très compétent en langue et affaires anglaises, ayant vécu plus de quinze ans en Angleterre.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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54
p. 734
LOGOGRYPHE.
Début :
Il ne faut pas chercher jusques chez les Arabes, [...]
Mots clefs :
Angleterre
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LOGOGRYPHE.
LOGOGRY P.HE.
Il ne faut L pas chercher jusques chez les Arabes,
Puisqu'Europe m'enferme,où sont quatre sillabes.
La premiere à nos ans , met toujours un surcroît
;
Joignez-y la seconde , en pointe l'on me voit,
Par deux lignes formé. Quant à l'autre moitié ,
C'est notre mere à tous , qu'on ouvre sans pitié,
LA MOTTE TILLOY
Il ne faut L pas chercher jusques chez les Arabes,
Puisqu'Europe m'enferme,où sont quatre sillabes.
La premiere à nos ans , met toujours un surcroît
;
Joignez-y la seconde , en pointe l'on me voit,
Par deux lignes formé. Quant à l'autre moitié ,
C'est notre mere à tous , qu'on ouvre sans pitié,
LA MOTTE TILLOY
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55
p. 943
« Le Miroir, la Chemise et la Poudre à mettre sur l'écriture, sont les mots des [...] »
Début :
Le Miroir, la Chemise et la Poudre à mettre sur l'écriture, sont les mots des [...]
Mots clefs :
Miroir, Poudre à mettre sur l'écriture, Angleterre, Metz, Nostradamus
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texteReconnaissance textuelle : « Le Miroir, la Chemise et la Poudre à mettre sur l'écriture, sont les mots des [...] »
Le Miroir , la Chemise et la Poudre à
mettre sur l'écriture , sont les mots des
trois Enigmes d'Avril. Les trois Logogryphes
doivent s'expliquer par Angle
terre , Metz , et Nostradamus.
mettre sur l'écriture , sont les mots des
trois Enigmes d'Avril. Les trois Logogryphes
doivent s'expliquer par Angle
terre , Metz , et Nostradamus.
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56
p. 1559-1571
LETTRE CRITIQUE de M... sur une nouvelle Histoire Universelle d'Angleterre, entreprise par une Societé de Gens de Lettres.
Début :
Voici, Monsieur, de quoi entretenir notre commerce litteraire. Il est [...]
Mots clefs :
Histoire, Histoire universelle, Angleterre, Ouvrage, Esprit, Sujet, Égyptiens, Matières, Égypte, Érudition
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE CRITIQUE de M... sur une nouvelle Histoire Universelle d'Angleterre, entreprise par une Societé de Gens de Lettres.
LETTRE CRITIQUE de M...
sur une nouvelle Histoire Universelle
d'Angleterre , entreprise par une Societé
de Gens de Lettres.
Oici , Monsieur , de quoi entretenir
Voic notre commerce litteraire . Il est
arrivé d Angleterre ces jours passez le
Commencement d'une Histoire Universelle
, entreprise par une Societé de Gens
de Lettres , dont on dit qu'il y aura 24.
Volumes in 4. et je n'en doute pas sur
le plan et la méthode que suivent ces
Messieurs . Le premier volume contient
la Création du Monde , la chute d'Adam
et des Anges , l'Histoire Sacrée et Profane
des temps qui ont précedé le Dé
luge , la dispersion des Peuples , l'Histoire
des Egyptiens et des anciens Asia
tiques. Je l'ai lû avec empressement , par
l'idée avantageuse que j'ai des Sçavans
d'Angleterre ; mais je vous confesse d'avance
que je n'y ai pas trouvé ce que
me promettoit mon ancienne prévention .
On n'a gueres vû jusqu'à présent , disoit
M. de la Bruyere , un chef- d'oeuvre
d'esprit qui fût l'ouvrage de plusieurs.
Homere
1560 MERCURE DE FRANCE
Homere a composé l'Iliade , Virgile l'Enéïde
, Tite- Live ses Décades , et l'Orateur
Romain ses Oraisons ; s'il y avoit
une exception à cette Regle , elle seroit
préferablement en faveur de l'Histoire ,
où l'étenduë du sujet et la dispersion des
matieres , paroissent demander plusieurs
esprits qui y travaillent , et qui recueillent
les Mémoires et les Anecdotes répandus
dans une infinité d'Auteurs anciens
et modernes. Ce secours néanmoins
fait sentir ses inconvéniens dans celui qui
est chargé de rédiger l'Ouvrage lorsqu'il
en faut venir à l'éxecution . Quelqu'attention
qu'ayent eu les Compilateurs de
se réunir dans un même point , il est impossible
qu'ils ne soient frappez et conduits
par des idées particulieres , qui leur
semblent appartenir , ou pouvoir entrer
dans le sujet; ils grossissent ainsi leurs collections
de matieres indirectes et obliques,
propres à faire de gros volumes et rarement
des Ouvrages parfaits.
C'est l'écüeil où vient nécessairement
échouer celui qui doit rédiger leurs
compilations , à moins qu'il ne soit d'un
goût et d'un discernement incapable de
s'écarter ou d'être induit en erreur. Le
piege se présente sans cesse à son esprit.
Frappé par la lecture des matériaux qu'on
P
1
lui
JUILLET. 1733. 1561
lui donne , il entre imperceptiblement
dans les pensées de chacun de ses Compilateurs
; il est séduit par les approches ,
les ressemblances ou les rapports de leurs
idées au sujet principal ; elles l'entraînent
malgré lui ; l'envie de montrer de l'érudition
, les lui fait adopter ; la crainte
de désobliger ceux qui les lui donnent ,
l'engage à ne les pas omettre. Il insere
donc une infinité de matieres et de circonstances
naturellement étrangeres , et
qu'on n'y glisse qu'à force de transitions
ou de liaisons contraintes , toujours propres
à interrompre le fil du discours . C'est
ainsi qu'on multiplie les volumes et que
l'on ôte à l'Ouvrage ce naturel et cette
netteté qui en doivent être un des premiers
caracteres .
Celui qui a rédigé cette nouvelle Histoire
Universelle , a donné en plein dans
ce deffaur. L'Ouvrage est , sans contredit
, le plus sçavant Recueil qu'il y ait
en ce genre ; et la profonde érudition
qui y est répanduë , devient l'occasion
de ses défectuositez. Vous n'y verrez par
tout qu'un amas des sentimens , des faussetez
ou des erreurs de differens Ecrivains
sur le même sujet . Le volume in 12. que
l'on a donné pour servir d'Introduction ,
rapporte tout ce que les anciens Philo
E sophes
1562 MERCURE DE FRANCE
sophes ont jamais pensé sur la nature et
la création du Monde. Imaginez , s'il ett
possible , combien d'écarts et de rêveries ;
vous les trouverez exactement dans ce
Préliminaire. Pour le renfermer dans ses
justes bornes , il faudroit le réduire tout
au plus à la dixième partie. Alors il seroit
intelligible ; l'esprit du Lecteur ne
seroit pas surchargé d'une quantité de
faits qui dégénerent en questions personnelles
sur des Auteurs ausquels on ne
s'interesse plus guére , et on sçauroit
du moins à quoi s'en tenir. Au lieu qu'on
ne s'est appliqué qu'à nous dire ce qu'ont
pensé les autres dans leurs idées folles
et bizares , sans nous apprendre ce que
nous devons penser nous - mêmes .
Le même goût domine dans tout le
corps de l'Histoire. L'Auteur a meux aimé
rapporter les sentimens d'autrui , ou
faire voir qu'il les connoissoit , que
d'établir
les siens . Quelquefois il les donne
tous comme probables , d'autres fois il en
fait sentir la fausseté , sans en adopter
aucun, A chaque page il établit et il détruit.
Méthode d'un Pyrronisme continuel
qui dit beaucoup de choses sans rien
apprendre qu'à douter de tout , même
des faits les plus certains , parce qu'ils
sont mis à côté des plus douteux , sans
que
JUILLET. 1733. 1563
que l'on détermine lequel il faut croire.
Quelque persuadé que je sois qu'il n'a
pas travaillé uniquement pour faire de
gros volumes et en grande quantité , je
ne sçaurois cependant m'empêcher de dire
, que quand il auroit eu ce dessein , il
ne l'auroit pas mieux executé. Où est le
sçavant aujourd'hui qui prenne la moindre
part ou qui ajoûte la plus legere
croyance à ce que les Caldéens , les Egyptiens
, quelques Juifs ou autres Orientaux
, nous débitent sur l'Histoire Profane
qui a précedé le Déluge ? Le commun
des Lecteurs s'en embarasse encore
moins puisque la foi et la raison dé
montrent la fausseté de ces Monumens
apocrifes. Je m'attends bien que dans
le volume suivant on verra tout au long
les Généalogies et la Chronique de Bérose.
L'Auteur recueille soigneusement
toutes ces imaginations ; il y revient plusieurs
fois , et dit sérieusement qu'il faisseroit
quelque chose à desirer pour la
perfection de son Ouvrage , s'il osoit les
omettre.
C'est dans cet esprit qu'il commence
l'Histoire des Rois d'Egypte par ce conte
ennuyeux d'Osiris et d'Isis , qui occupe
cinq ou six pages , et qui est l'Endroit le
plus fabuleux , le plus mal concerté et
E ij le
1564 MERCURE DE FRANCE
le moins intéressant de toute la Mytologie.
A ce long détail succede l'Histoire
de Menès , qui tient un long espace pour
y renfermer très - peu de chose. Je crois
qu'elle est de neuf ou dix pages , dont
huit n'ont chacune que deux lignes , le
reste est rempli de Notes en caractere
fort petit , où se trouve la dispute de Perizonius
, de Mrs Newton et Whiston ,
pour sçavoir si Menès , reconnu pour fils
de Cham , a succedé aux Mestrai. Encore
l'Auteur se flate- t'il de nous faire grace
sur la brieveté. M.Whiston , dit-il , page
453. allegue treize argumens , dont nous
sauterons les neuf premiers pour venir au
dixième. N'est - ce pas avoir conspiré contre
la patience et la bourse du Public en
faveur des Libraires ?
A ces inutilitez fastidieuses joignez les
indécences qui s'y trouvent assez fréquemment,
Pour peu qu'on ait lû les Ancicas,
on sçait que leur Morale est moins qu'e
purée , Ils croyoient égayer leur stile par
ces sortes de libertez qu'ils regardoient
comme des amusemens indifferens . D'ailleurs
il faut convenir que quand la chose
ne va pas jusqu'à l'obscène , elle choque
beaucoup moins dans le Grec et le Latin
que dans notre Langue . L'Auteur n'a pas
été si scrupuleux ; il a regardé comme
des
JUILLET. 1733. 1565:
des embellissemens à son Histoire , ces
actions et ses discours qui offensent la
modestie et la politesse , quoiqu'il n'aille
pas jusqu'aux salletez ; en voici quelques
exemples , où je ne ferai qu'indiquer les
sujets . Ils sont tirez de la seule Histoire
d'Egypte , que j'ai lûe avec un peu plus.
d'attention , et cela dans l'espace de vingt
pages.
L'Histoire de Phéron , page 466. qui ,
pour guérir ses yeux , cherchoit , selon
l'Oracle , l'urine d'une femme fidele à
son mari. La Reine et quelques autres
lui ayant parû suspectes par cette raison ,
il les fit toutes mourir.
La fille de Chops , prostituée par son
Pere , qui bâtit une grande Piramide des
pierres que lui apportoient ses Amans ,
quoique chacun ne lui en donnât qu'une.
Celle de la fille de Micerin .... Quelle
pitoyable observation de faire remarquer
la differente attitude des hommes et des
femmes en Egypte pour satisfaire au
moindre besoin de la Nature .
Les Soldats de Psammetiques , qui disoient
en se découvrant d'une maniere
honteuse ; nous n'avons pas peur de manquer
de femmes , ni d'enfans.
Le nouveau Roy qui étoit assis à cheval
, se leya tant soit peu et répondit à
E iij
cette
1566 MERCURE DE FRANCE
cette sommation par un vent toujours
impoli , qu'il pria l'Ambassadeur de reporter
à son Maître , pag . 484
La Statue faite par Amasis , de la Cuvette
où les Egyptiens avoient souvent
vomi , lavé leurs pieds et fait de l'eau ,
pag. 485.
Enfin l'indécent récit de l'impuissance
d'Amasis et de ses circonstances , p . 488.
J'ai lû plusieurs fois Hérodote et Diodore
, et je ne crois pas que l'Auteur ait
rien omis en ce genre de ce qui regarde
'Histoire des Egyptiens. Il faut cependant
avouer que parmi ces traits il en
est quelques - uns qui pourroient se raconter
en prenant les précautions que
demande la bienséance , comme l'Apo- '
logue d'Amasis pour la Cuvette. Mais
c'est à quoi l'Auteur ne s'est point applique.
Il auroit pû prendre exemple sur
M. Rollin , qu'il avoit devant les yeux ,
puisqu'il le cite quelquefois. Cet Ecrivain
judicieux avoit puisé dans les mêmes
sources , sans y prendre indifferemment
tous ces mauvais contes qui ne font
rien à l'Histoire que de la rendre basse
et rampante . Il les a omis ; dira- t'on
que c'est un deffaut et un vuide qui dépare
son Histoire ?
Mais bien loin que l'Auteur qui a rédigé
JUILLET. 1733. 1567
gé cette Histoire Universelle , ait assez de
Tégéreté dans le stile , pour toucher adroitement
ces Endroits délicats ; il s'en faut
bien qu'il n'en ait assez pour entreprendre
de donner une bonne Histoire .Après
les grands modeles que nous avons et qui
ont rendu le Public si difficile , si l'on
n'est pas obligé d'écrire parfaitement, du
moins l'on n'est plus recevable à le faire
si mal. J'y remarque deux fautes essentielles
; la superfluité des matiéres , et le
deffaut d'arrangement dans les faits .
M. l'Abbé Fleury disoit avec esprit
que l'Histoire ressemble à un Bâtiment
qu'on ne peut élever qu'avec des Echafauds
, des Cordes , des Poulies et une infinité
d'Outils ; mais que rien de tout cela
ne devoit plus paroître quand la Maison
étoit achevée. C'est à quoi l'Auteur dont
je vous parle , n'a pas fait attention . Il
nous a donné à lire son Ouvrage seulement
ébauché , avec toutes les discussions
, les doutes , les matériaux informes,
et, pour ainsi dire , tous les instrumens
dont il s'est servi pour le composer.
On y voit presque à chaque article
quelque Ecrivain nommé ou désigné par
ces mots : Quelques- uns disent... D'autres
soutiennent.... Il y en a qui prétendent....
Après quoi il ajoutera : Mais
E iiij
tout
1568 MERCURE DE FRANCE
tout cela n'est point vrai. Il n'étoit donc
pas nécessaire de le dire ; si ce n'est pour
faire parade d'érudition , ou pour ne pas
désobliger ceux qui avoient fourni les
Mémoires , à qui celui qui rédige est
comtable jusqu'à un certain point. Ce
stile seroit tout au plus supportable dans
la Dissertation ou dans le Recueil.
Enfin les faits y sont mis avec si peu
d'ordre que souvent l'Auteur y empiéte
d'un Regne à l'autre , et revient ensuite
sur ses pas ; où il lui est très- ordinaire de
perdre
son sujet de vue par des incidens
étangers , que l'envie de tout mettre lui
fait insérer dans le corps de l'Histoire ;
après lesquels vous l'entendez si - souvent
dire: Mais revenons. Deux Phrases qui
lui sont encore favorites sont celles ci ,
comme nous l'avons dit plus haut, ou, comme
nous le dirons plus bas. Cela n'est plus
d'usage dans les bons Ecrivains.Ce qu'on
a déja dit , il faut rendre la justice au Lecteur
, de croire qu'il s'en souvient ; et
qu'il sçaura bien rapprocher ce qu'il
trouvera dans la suite.
Ces deffauts de l'Historien Anglois
sont encore malheureusement augmentez
et mis dans tout leur jour par son
Traducteur. J'ai de la peine à croire qu'il
soit François d'origine , du moins il ne
conJUILLET.
1733 1569
connoît pas assez , je ne dis pas l'élégance
, mais la pureté de notre langue, pour
tenter d'écrire ; aujourd'hui , que les personnes
même du commun , exigent de
Pexactitude et de la délicatesse ; sans être
critique , vous ne lirez pas trois Phrases
sans en trouver une de louche . En voici
quelques- unes qu'il ne m'a pas été difficile
de trouver , car tout y est plein d'expressions
basses et vicieuses .
Ensuite notre Auteur allégue treize
Argumens , dont nous sautons les neuf
premiers , pour venir au dixiéme
453.
, page
Finalement , Mycérinus , est dit avoir
bâti une Piramide , page 474.
Mais avant que d'entrer
dans le détail
du regne de Sabacco , faisons
quelques
pas
en arriere , et jettons la vue sur les trois
Regnes
que nous venons
de parcourir
.
Ce coup d'oeil nous convaincra
, ... page
475. Ce retour
consiste
en quatorze
lignes
, après lesquelles
on dit : Mais revenons
à Sabacco
.
Somme-toute , le Roy lui donna sa fille
en mariage. 471 .
La mort de sa fille ne fut pas le seul
malheur qui accueillit Mycerinus.
Psammetique mit fin au Duodecim- virat.
473. 478 .
E v Les
1570 MERCURE DE FRANCE
Les Expéditions des Flottes de Néchus,
și tant est qu'elles en ayent fait , ne se
trouvent écrite nulle part , que nous sçachions.
480 .
On conte qu'en guise de monument de
sa bonne fortune . 481 .
Psammis demanda aux Ambassadeurs
Eléens si leurs propres Citoïens étoient
admis aux Jeux Olympiques : Question
à laquelle ils répondirent qu'oüi. 482 .
Le petit nombre qui échapa , revint
tout en fureur contre Apriès, comme si ce
Roy les avoit envoyés à la boucherie . 484 .
La clémence est mal employée envers les
ennemis . 485.
Mais avant que l'Orage crevat , Amasis
mourut , et son corps mort fut embaumé.491 .
La Muraille blanche de Memphis , qui
servoit d'une seconde enceinte , y est appellée
une Paroi- blanche . 494 .
Mais Nectanebe pourvut si- bien à la
sûreté de la Ville, qu'il n'y eut pas moïen
d'y mordre ; et d'un autre côté , les Commandans
ne firent rien qui vaille. 497.
Plinius tâcha de déloger Nicostrate de ses
retranchemens
. 459.
Les Grecs demanderent un Pour-parler,
avec Lacharès . 500 .
En voilà assez , Monsieur , car je vous
prie d'observer que je vais de page en
page
JUILLET. 1733. 1571
page. Au premier ordinaire je vous parlerai
de là Chronologie de l'Auteur , et
en particulier de son Histoire d'Egypte.
Je suis , Monsieur , &c.
A Paris , ce 20 May 1733 •
sur une nouvelle Histoire Universelle
d'Angleterre , entreprise par une Societé
de Gens de Lettres.
Oici , Monsieur , de quoi entretenir
Voic notre commerce litteraire . Il est
arrivé d Angleterre ces jours passez le
Commencement d'une Histoire Universelle
, entreprise par une Societé de Gens
de Lettres , dont on dit qu'il y aura 24.
Volumes in 4. et je n'en doute pas sur
le plan et la méthode que suivent ces
Messieurs . Le premier volume contient
la Création du Monde , la chute d'Adam
et des Anges , l'Histoire Sacrée et Profane
des temps qui ont précedé le Dé
luge , la dispersion des Peuples , l'Histoire
des Egyptiens et des anciens Asia
tiques. Je l'ai lû avec empressement , par
l'idée avantageuse que j'ai des Sçavans
d'Angleterre ; mais je vous confesse d'avance
que je n'y ai pas trouvé ce que
me promettoit mon ancienne prévention .
On n'a gueres vû jusqu'à présent , disoit
M. de la Bruyere , un chef- d'oeuvre
d'esprit qui fût l'ouvrage de plusieurs.
Homere
1560 MERCURE DE FRANCE
Homere a composé l'Iliade , Virgile l'Enéïde
, Tite- Live ses Décades , et l'Orateur
Romain ses Oraisons ; s'il y avoit
une exception à cette Regle , elle seroit
préferablement en faveur de l'Histoire ,
où l'étenduë du sujet et la dispersion des
matieres , paroissent demander plusieurs
esprits qui y travaillent , et qui recueillent
les Mémoires et les Anecdotes répandus
dans une infinité d'Auteurs anciens
et modernes. Ce secours néanmoins
fait sentir ses inconvéniens dans celui qui
est chargé de rédiger l'Ouvrage lorsqu'il
en faut venir à l'éxecution . Quelqu'attention
qu'ayent eu les Compilateurs de
se réunir dans un même point , il est impossible
qu'ils ne soient frappez et conduits
par des idées particulieres , qui leur
semblent appartenir , ou pouvoir entrer
dans le sujet; ils grossissent ainsi leurs collections
de matieres indirectes et obliques,
propres à faire de gros volumes et rarement
des Ouvrages parfaits.
C'est l'écüeil où vient nécessairement
échouer celui qui doit rédiger leurs
compilations , à moins qu'il ne soit d'un
goût et d'un discernement incapable de
s'écarter ou d'être induit en erreur. Le
piege se présente sans cesse à son esprit.
Frappé par la lecture des matériaux qu'on
P
1
lui
JUILLET. 1733. 1561
lui donne , il entre imperceptiblement
dans les pensées de chacun de ses Compilateurs
; il est séduit par les approches ,
les ressemblances ou les rapports de leurs
idées au sujet principal ; elles l'entraînent
malgré lui ; l'envie de montrer de l'érudition
, les lui fait adopter ; la crainte
de désobliger ceux qui les lui donnent ,
l'engage à ne les pas omettre. Il insere
donc une infinité de matieres et de circonstances
naturellement étrangeres , et
qu'on n'y glisse qu'à force de transitions
ou de liaisons contraintes , toujours propres
à interrompre le fil du discours . C'est
ainsi qu'on multiplie les volumes et que
l'on ôte à l'Ouvrage ce naturel et cette
netteté qui en doivent être un des premiers
caracteres .
Celui qui a rédigé cette nouvelle Histoire
Universelle , a donné en plein dans
ce deffaur. L'Ouvrage est , sans contredit
, le plus sçavant Recueil qu'il y ait
en ce genre ; et la profonde érudition
qui y est répanduë , devient l'occasion
de ses défectuositez. Vous n'y verrez par
tout qu'un amas des sentimens , des faussetez
ou des erreurs de differens Ecrivains
sur le même sujet . Le volume in 12. que
l'on a donné pour servir d'Introduction ,
rapporte tout ce que les anciens Philo
E sophes
1562 MERCURE DE FRANCE
sophes ont jamais pensé sur la nature et
la création du Monde. Imaginez , s'il ett
possible , combien d'écarts et de rêveries ;
vous les trouverez exactement dans ce
Préliminaire. Pour le renfermer dans ses
justes bornes , il faudroit le réduire tout
au plus à la dixième partie. Alors il seroit
intelligible ; l'esprit du Lecteur ne
seroit pas surchargé d'une quantité de
faits qui dégénerent en questions personnelles
sur des Auteurs ausquels on ne
s'interesse plus guére , et on sçauroit
du moins à quoi s'en tenir. Au lieu qu'on
ne s'est appliqué qu'à nous dire ce qu'ont
pensé les autres dans leurs idées folles
et bizares , sans nous apprendre ce que
nous devons penser nous - mêmes .
Le même goût domine dans tout le
corps de l'Histoire. L'Auteur a meux aimé
rapporter les sentimens d'autrui , ou
faire voir qu'il les connoissoit , que
d'établir
les siens . Quelquefois il les donne
tous comme probables , d'autres fois il en
fait sentir la fausseté , sans en adopter
aucun, A chaque page il établit et il détruit.
Méthode d'un Pyrronisme continuel
qui dit beaucoup de choses sans rien
apprendre qu'à douter de tout , même
des faits les plus certains , parce qu'ils
sont mis à côté des plus douteux , sans
que
JUILLET. 1733. 1563
que l'on détermine lequel il faut croire.
Quelque persuadé que je sois qu'il n'a
pas travaillé uniquement pour faire de
gros volumes et en grande quantité , je
ne sçaurois cependant m'empêcher de dire
, que quand il auroit eu ce dessein , il
ne l'auroit pas mieux executé. Où est le
sçavant aujourd'hui qui prenne la moindre
part ou qui ajoûte la plus legere
croyance à ce que les Caldéens , les Egyptiens
, quelques Juifs ou autres Orientaux
, nous débitent sur l'Histoire Profane
qui a précedé le Déluge ? Le commun
des Lecteurs s'en embarasse encore
moins puisque la foi et la raison dé
montrent la fausseté de ces Monumens
apocrifes. Je m'attends bien que dans
le volume suivant on verra tout au long
les Généalogies et la Chronique de Bérose.
L'Auteur recueille soigneusement
toutes ces imaginations ; il y revient plusieurs
fois , et dit sérieusement qu'il faisseroit
quelque chose à desirer pour la
perfection de son Ouvrage , s'il osoit les
omettre.
C'est dans cet esprit qu'il commence
l'Histoire des Rois d'Egypte par ce conte
ennuyeux d'Osiris et d'Isis , qui occupe
cinq ou six pages , et qui est l'Endroit le
plus fabuleux , le plus mal concerté et
E ij le
1564 MERCURE DE FRANCE
le moins intéressant de toute la Mytologie.
A ce long détail succede l'Histoire
de Menès , qui tient un long espace pour
y renfermer très - peu de chose. Je crois
qu'elle est de neuf ou dix pages , dont
huit n'ont chacune que deux lignes , le
reste est rempli de Notes en caractere
fort petit , où se trouve la dispute de Perizonius
, de Mrs Newton et Whiston ,
pour sçavoir si Menès , reconnu pour fils
de Cham , a succedé aux Mestrai. Encore
l'Auteur se flate- t'il de nous faire grace
sur la brieveté. M.Whiston , dit-il , page
453. allegue treize argumens , dont nous
sauterons les neuf premiers pour venir au
dixième. N'est - ce pas avoir conspiré contre
la patience et la bourse du Public en
faveur des Libraires ?
A ces inutilitez fastidieuses joignez les
indécences qui s'y trouvent assez fréquemment,
Pour peu qu'on ait lû les Ancicas,
on sçait que leur Morale est moins qu'e
purée , Ils croyoient égayer leur stile par
ces sortes de libertez qu'ils regardoient
comme des amusemens indifferens . D'ailleurs
il faut convenir que quand la chose
ne va pas jusqu'à l'obscène , elle choque
beaucoup moins dans le Grec et le Latin
que dans notre Langue . L'Auteur n'a pas
été si scrupuleux ; il a regardé comme
des
JUILLET. 1733. 1565:
des embellissemens à son Histoire , ces
actions et ses discours qui offensent la
modestie et la politesse , quoiqu'il n'aille
pas jusqu'aux salletez ; en voici quelques
exemples , où je ne ferai qu'indiquer les
sujets . Ils sont tirez de la seule Histoire
d'Egypte , que j'ai lûe avec un peu plus.
d'attention , et cela dans l'espace de vingt
pages.
L'Histoire de Phéron , page 466. qui ,
pour guérir ses yeux , cherchoit , selon
l'Oracle , l'urine d'une femme fidele à
son mari. La Reine et quelques autres
lui ayant parû suspectes par cette raison ,
il les fit toutes mourir.
La fille de Chops , prostituée par son
Pere , qui bâtit une grande Piramide des
pierres que lui apportoient ses Amans ,
quoique chacun ne lui en donnât qu'une.
Celle de la fille de Micerin .... Quelle
pitoyable observation de faire remarquer
la differente attitude des hommes et des
femmes en Egypte pour satisfaire au
moindre besoin de la Nature .
Les Soldats de Psammetiques , qui disoient
en se découvrant d'une maniere
honteuse ; nous n'avons pas peur de manquer
de femmes , ni d'enfans.
Le nouveau Roy qui étoit assis à cheval
, se leya tant soit peu et répondit à
E iij
cette
1566 MERCURE DE FRANCE
cette sommation par un vent toujours
impoli , qu'il pria l'Ambassadeur de reporter
à son Maître , pag . 484
La Statue faite par Amasis , de la Cuvette
où les Egyptiens avoient souvent
vomi , lavé leurs pieds et fait de l'eau ,
pag. 485.
Enfin l'indécent récit de l'impuissance
d'Amasis et de ses circonstances , p . 488.
J'ai lû plusieurs fois Hérodote et Diodore
, et je ne crois pas que l'Auteur ait
rien omis en ce genre de ce qui regarde
'Histoire des Egyptiens. Il faut cependant
avouer que parmi ces traits il en
est quelques - uns qui pourroient se raconter
en prenant les précautions que
demande la bienséance , comme l'Apo- '
logue d'Amasis pour la Cuvette. Mais
c'est à quoi l'Auteur ne s'est point applique.
Il auroit pû prendre exemple sur
M. Rollin , qu'il avoit devant les yeux ,
puisqu'il le cite quelquefois. Cet Ecrivain
judicieux avoit puisé dans les mêmes
sources , sans y prendre indifferemment
tous ces mauvais contes qui ne font
rien à l'Histoire que de la rendre basse
et rampante . Il les a omis ; dira- t'on
que c'est un deffaut et un vuide qui dépare
son Histoire ?
Mais bien loin que l'Auteur qui a rédigé
JUILLET. 1733. 1567
gé cette Histoire Universelle , ait assez de
Tégéreté dans le stile , pour toucher adroitement
ces Endroits délicats ; il s'en faut
bien qu'il n'en ait assez pour entreprendre
de donner une bonne Histoire .Après
les grands modeles que nous avons et qui
ont rendu le Public si difficile , si l'on
n'est pas obligé d'écrire parfaitement, du
moins l'on n'est plus recevable à le faire
si mal. J'y remarque deux fautes essentielles
; la superfluité des matiéres , et le
deffaut d'arrangement dans les faits .
M. l'Abbé Fleury disoit avec esprit
que l'Histoire ressemble à un Bâtiment
qu'on ne peut élever qu'avec des Echafauds
, des Cordes , des Poulies et une infinité
d'Outils ; mais que rien de tout cela
ne devoit plus paroître quand la Maison
étoit achevée. C'est à quoi l'Auteur dont
je vous parle , n'a pas fait attention . Il
nous a donné à lire son Ouvrage seulement
ébauché , avec toutes les discussions
, les doutes , les matériaux informes,
et, pour ainsi dire , tous les instrumens
dont il s'est servi pour le composer.
On y voit presque à chaque article
quelque Ecrivain nommé ou désigné par
ces mots : Quelques- uns disent... D'autres
soutiennent.... Il y en a qui prétendent....
Après quoi il ajoutera : Mais
E iiij
tout
1568 MERCURE DE FRANCE
tout cela n'est point vrai. Il n'étoit donc
pas nécessaire de le dire ; si ce n'est pour
faire parade d'érudition , ou pour ne pas
désobliger ceux qui avoient fourni les
Mémoires , à qui celui qui rédige est
comtable jusqu'à un certain point. Ce
stile seroit tout au plus supportable dans
la Dissertation ou dans le Recueil.
Enfin les faits y sont mis avec si peu
d'ordre que souvent l'Auteur y empiéte
d'un Regne à l'autre , et revient ensuite
sur ses pas ; où il lui est très- ordinaire de
perdre
son sujet de vue par des incidens
étangers , que l'envie de tout mettre lui
fait insérer dans le corps de l'Histoire ;
après lesquels vous l'entendez si - souvent
dire: Mais revenons. Deux Phrases qui
lui sont encore favorites sont celles ci ,
comme nous l'avons dit plus haut, ou, comme
nous le dirons plus bas. Cela n'est plus
d'usage dans les bons Ecrivains.Ce qu'on
a déja dit , il faut rendre la justice au Lecteur
, de croire qu'il s'en souvient ; et
qu'il sçaura bien rapprocher ce qu'il
trouvera dans la suite.
Ces deffauts de l'Historien Anglois
sont encore malheureusement augmentez
et mis dans tout leur jour par son
Traducteur. J'ai de la peine à croire qu'il
soit François d'origine , du moins il ne
conJUILLET.
1733 1569
connoît pas assez , je ne dis pas l'élégance
, mais la pureté de notre langue, pour
tenter d'écrire ; aujourd'hui , que les personnes
même du commun , exigent de
Pexactitude et de la délicatesse ; sans être
critique , vous ne lirez pas trois Phrases
sans en trouver une de louche . En voici
quelques- unes qu'il ne m'a pas été difficile
de trouver , car tout y est plein d'expressions
basses et vicieuses .
Ensuite notre Auteur allégue treize
Argumens , dont nous sautons les neuf
premiers , pour venir au dixiéme
453.
, page
Finalement , Mycérinus , est dit avoir
bâti une Piramide , page 474.
Mais avant que d'entrer
dans le détail
du regne de Sabacco , faisons
quelques
pas
en arriere , et jettons la vue sur les trois
Regnes
que nous venons
de parcourir
.
Ce coup d'oeil nous convaincra
, ... page
475. Ce retour
consiste
en quatorze
lignes
, après lesquelles
on dit : Mais revenons
à Sabacco
.
Somme-toute , le Roy lui donna sa fille
en mariage. 471 .
La mort de sa fille ne fut pas le seul
malheur qui accueillit Mycerinus.
Psammetique mit fin au Duodecim- virat.
473. 478 .
E v Les
1570 MERCURE DE FRANCE
Les Expéditions des Flottes de Néchus,
și tant est qu'elles en ayent fait , ne se
trouvent écrite nulle part , que nous sçachions.
480 .
On conte qu'en guise de monument de
sa bonne fortune . 481 .
Psammis demanda aux Ambassadeurs
Eléens si leurs propres Citoïens étoient
admis aux Jeux Olympiques : Question
à laquelle ils répondirent qu'oüi. 482 .
Le petit nombre qui échapa , revint
tout en fureur contre Apriès, comme si ce
Roy les avoit envoyés à la boucherie . 484 .
La clémence est mal employée envers les
ennemis . 485.
Mais avant que l'Orage crevat , Amasis
mourut , et son corps mort fut embaumé.491 .
La Muraille blanche de Memphis , qui
servoit d'une seconde enceinte , y est appellée
une Paroi- blanche . 494 .
Mais Nectanebe pourvut si- bien à la
sûreté de la Ville, qu'il n'y eut pas moïen
d'y mordre ; et d'un autre côté , les Commandans
ne firent rien qui vaille. 497.
Plinius tâcha de déloger Nicostrate de ses
retranchemens
. 459.
Les Grecs demanderent un Pour-parler,
avec Lacharès . 500 .
En voilà assez , Monsieur , car je vous
prie d'observer que je vais de page en
page
JUILLET. 1733. 1571
page. Au premier ordinaire je vous parlerai
de là Chronologie de l'Auteur , et
en particulier de son Histoire d'Egypte.
Je suis , Monsieur , &c.
A Paris , ce 20 May 1733 •
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Résumé : LETTRE CRITIQUE de M... sur une nouvelle Histoire Universelle d'Angleterre, entreprise par une Societé de Gens de Lettres.
La lettre critique examine une nouvelle 'Histoire Universelle d'Angleterre' en 24 volumes, dont le premier traite de la Création du Monde, de la chute d'Adam et des Anges, et de l'histoire des temps antérieurs au Déluge. L'auteur de la lettre, bien que favorablement impressionné par la réputation des savants anglais, trouve l'ouvrage décevant. Il souligne que les grandes œuvres sont généralement l'œuvre d'un seul auteur et que la collaboration peut entraîner des inconvénients, tels que l'inclusion de matières indirectes et l'interruption du fil du discours. L''Histoire Universelle' est décrite comme un recueil savant mais encombré de sentiments, de faussetés et d'erreurs provenant de divers écrivains. Le volume d'introduction rapporte les pensées des anciens philosophes sur la création du Monde, ce qui alourdit le texte sans apporter de clarté. L'auteur de l''Histoire Universelle' rapporte souvent les sentiments d'autrui sans établir les siens, adoptant une méthode pyrrhonienne qui sème le doute. La lettre critique mentionne également des inutilités fastidieuses et des indécences fréquentes dans le texte, comme des récits obscènes ou indécents tirés de l'histoire des Égyptiens. L'auteur de l''Histoire Universelle' n'a pas pris les précautions nécessaires pour éviter ces inconvénients, contrairement à d'autres historiens comme M. Rollin. Enfin, la lettre souligne deux fautes essentielles dans l'ouvrage : la superfluité des matières et le défaut d'arrangement dans les faits. L'auteur de l''Histoire Universelle' n'a pas su masquer les discussions, les doutes et les matériaux informes utilisés pour composer l'ouvrage, rendant la lecture confuse et désordonnée. Le traducteur français aggrave ces défauts par une mauvaise maîtrise de la langue. Le texte traite également de divers événements historiques liés à l'Égypte antique. Mycerinus connut plusieurs malheurs, dont la mort de sa fille. Psammétique mit fin au Duodecimvirat, un conseil de douze membres. Les expéditions des flottes de Néchus ne sont pas documentées. Psammis interrogea les ambassadeurs éléens sur la participation de leurs citoyens aux Jeux Olympiques, à quoi ils répondirent affirmativement. Après une défaite, les survivants accusèrent le roi Apriès de les avoir envoyés à la mort. Amasis mourut avant une tempête, et son corps fut embaumé. La muraille blanche de Memphis est décrite comme une seconde enceinte. Nectanébo renforça la sécurité de la ville, rendant toute attaque impossible. Plinius tenta de déloger Nicostrate de ses positions. Les Grecs demandèrent un pourparler avec Lacharès. Le texte se conclut par une mention de la chronologie de l'auteur et de son histoire de l'Égypte, datée du 20 mai 1733 à Paris.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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57
p. 1611-1612
Nouvelle Edition de Robert Etienne, [titre d'après la table]
Début :
On nous écrit d'Angleterre, qu'on y prépare une tres-belle Edition du grand Dictionnaire [...]
Mots clefs :
Dictionnaire latin, Robert Estienne, Angleterre, Impression
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Nouvelle Edition de Robert Etienne, [titre d'après la table]
On nous écrit d'Angleterre, qu'on y prépare
une tres belle Edition du grand Dictionnaire
Latin , de Robert Etienne , avec des corrections
et des augmentations considérables , qui sont
dues aux soins de plusieurs Membres de l'Université
de Cambridge, C'est Samuel Harding, Libraire
à Londres , rue S. Martin , qui en a entrepris
l'impression par souscription , sous le titre
ordinaire : Roberti Stephani , Thesaurus Lingue
Latina; en 4 vol . in fol.
Cette impression sera faite sur du tres beau
Papier et avec des Caracteres nouvellement fondus
exprès. L'Ouvrage entier contiendra au
moins mille feuilles. Les Souscripteurs payeront
deux Guinées en souscrivant , deux Guinées en
recevant les deux premiers Tomes , dans l'hyver
prochain ; et deux autres Guinées , lorsqu'on
leur délivrera les deux derniers Tomes , quelques
mois après . Ceux qui n'auront pas souscrit
payeront sept Guinées. En faveur des Curieux
, il y aura un petit nombre d'Exemplaires,
imprimez sur du grand Papier , dont le prix sera
de dix Guinées. On pourra souscrire chez les
Gij prin162
MERCURE DE FRANCE
principaux Libraires d'Angleterre , et chez ceux
des autres Païs .
une tres belle Edition du grand Dictionnaire
Latin , de Robert Etienne , avec des corrections
et des augmentations considérables , qui sont
dues aux soins de plusieurs Membres de l'Université
de Cambridge, C'est Samuel Harding, Libraire
à Londres , rue S. Martin , qui en a entrepris
l'impression par souscription , sous le titre
ordinaire : Roberti Stephani , Thesaurus Lingue
Latina; en 4 vol . in fol.
Cette impression sera faite sur du tres beau
Papier et avec des Caracteres nouvellement fondus
exprès. L'Ouvrage entier contiendra au
moins mille feuilles. Les Souscripteurs payeront
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recevant les deux premiers Tomes , dans l'hyver
prochain ; et deux autres Guinées , lorsqu'on
leur délivrera les deux derniers Tomes , quelques
mois après . Ceux qui n'auront pas souscrit
payeront sept Guinées. En faveur des Curieux
, il y aura un petit nombre d'Exemplaires,
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MERCURE DE FRANCE
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des autres Païs .
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Résumé : Nouvelle Edition de Robert Etienne, [titre d'après la table]
En Angleterre, une nouvelle édition du grand Dictionnaire Latin de Robert Étienne est en préparation. Intitulée 'Roberti Stephani, Thesaurus Lingue Latina', elle sera publiée en quatre volumes in-folio. Cette édition inclura des corrections et des augmentations significatives, réalisées par des membres de l'Université de Cambridge. L'impression, dirigée par Samuel Harding, libraire à Londres, se fera par souscription et utilisera un papier de haute qualité ainsi que des caractères nouvellement fondus. L'ouvrage complet comptera au moins mille feuilles. Les souscripteurs devront payer deux Guinées lors de la souscription, deux autres Guinées à la réception des deux premiers tomes, et deux Guinées supplémentaires à la livraison des deux derniers tomes. Les non-souscripteurs paieront sept Guinées. Un petit nombre d'exemplaires sur grand papier sera également disponible au prix de dix Guinées. Les souscriptions peuvent être faites auprès des principaux libraires en Angleterre et dans d'autres pays.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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58
p. 2213-2214
Remarques historiques et critiques sur l'histoire d'Angleterre, de Toyras. [titre d'après la table]
Début :
REMARQUES Historiques et Critiques, sur l'Histoire d'Angleterre de M. de Rapin [...]
Mots clefs :
Rapin de Thoyras, Angleterre, Tindal, Remarques, Abrégé historique
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texteReconnaissance textuelle : Remarques historiques et critiques sur l'histoire d'Angleterre, de Toyras. [titre d'après la table]
REMARQUES Historiques et Critiques ,
sur l'Histoire d'Angleterre de M. de Rapin
de Thoyras , par M. Tindal , &c. Et
Abregé Historique du Recueil des Actes
publics d'Angleterre , de Thomas Rymer ,
E iij pas
2214 MERCURE DE FRANCE
par M. de Rapin de Thoyras , avec les Notes
de M. Etienne Watley. A la Haye
chez Gosse et Neaulme , z . vol. in 4. E
se vend à Paris , chez Montalant , Libraire
, Quay des Augustins .
Les Remarques de M. Tindal , pareissent
ici pour la premiere fois ; afin de
les lire utilement , il faut avoir sous les
yeux l'Histoire d'Angleterre de M. de Rapin
de Thoyras , à laquelle elles servent
de Supplément en plusieurs endroits
qu'elles corrigent en d'autres ; il n'importe
qu'on ait l'Edition d'Hollande ou
celle de Trévoux , y ayant en marge des
renvois à l'une et l'autre Edition , M. Tindal
paroît avoir une grande connoissance
des anciens usages de son Pays , et
en avoir lû avec soin les Historiens ; il
les cite tous ; quand ils ne s'accordent
pas dans la narration des mêmes faits ,
il en prend des circonstances des noms
omis ; il releve un assez grand nombre
de méprises plus ou moins considerables ;
quelquefois même il produit des Actes
que M. de Rapin de Thoyras n'avoit pas
nus; on a ajoûté à l'abregé Historique
des Actes , des Notes de M. Watley , qui
n'avoient point encore parû.
sur l'Histoire d'Angleterre de M. de Rapin
de Thoyras , par M. Tindal , &c. Et
Abregé Historique du Recueil des Actes
publics d'Angleterre , de Thomas Rymer ,
E iij pas
2214 MERCURE DE FRANCE
par M. de Rapin de Thoyras , avec les Notes
de M. Etienne Watley. A la Haye
chez Gosse et Neaulme , z . vol. in 4. E
se vend à Paris , chez Montalant , Libraire
, Quay des Augustins .
Les Remarques de M. Tindal , pareissent
ici pour la premiere fois ; afin de
les lire utilement , il faut avoir sous les
yeux l'Histoire d'Angleterre de M. de Rapin
de Thoyras , à laquelle elles servent
de Supplément en plusieurs endroits
qu'elles corrigent en d'autres ; il n'importe
qu'on ait l'Edition d'Hollande ou
celle de Trévoux , y ayant en marge des
renvois à l'une et l'autre Edition , M. Tindal
paroît avoir une grande connoissance
des anciens usages de son Pays , et
en avoir lû avec soin les Historiens ; il
les cite tous ; quand ils ne s'accordent
pas dans la narration des mêmes faits ,
il en prend des circonstances des noms
omis ; il releve un assez grand nombre
de méprises plus ou moins considerables ;
quelquefois même il produit des Actes
que M. de Rapin de Thoyras n'avoit pas
nus; on a ajoûté à l'abregé Historique
des Actes , des Notes de M. Watley , qui
n'avoient point encore parû.
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Résumé : Remarques historiques et critiques sur l'histoire d'Angleterre, de Toyras. [titre d'après la table]
Le texte présente deux ouvrages historiques et leurs commentaires. Le premier est les 'Remarques Historiques et Critiques' de Matthew Tindal sur l''Histoire d'Angleterre' de Paul de Rapin de Thoyras. Ces remarques, publiées pour la première fois, servent de supplément à l'œuvre de Rapin, corrigeant certains passages et ajoutant des informations. Tindal démontre une grande connaissance des anciens usages anglais et des historiens de son pays, citant ceux qui ne s'accordent pas sur les mêmes faits et relevant des erreurs. Il mentionne également des actes publics que Rapin n'avait pas inclus. Le second ouvrage est l''Abregé Historique du Recueil des Actes publics d'Angleterre' de Thomas Rymer, complété par des notes de Étienne Watley, qui n'avaient pas encore été publiées. Ces ouvrages sont disponibles à La Haye et à Paris.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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59
p. 2658-2659
Pour et contre, [titre d'après la table]
Début :
La Feüille du Pour et Contre, se soutient toujours et se fait lire avec plaisir, [...]
Mots clefs :
Ouvrage, Angleterre, Anglais, Ouvrages d'esprit
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Pour et contre, [titre d'après la table]
La Feuille du Pour et Contre , se- sousient
toujours et se fait lire avec plaisir ,
non-seulement par le choix des matieres,
presqu'aussi interessantes que variées ,
mais par lasmaniere fine , simple et ai
sée dont cet Ouvrage est écrit.
faire
On trouve à la page 82. de la 19. Letda
tre du II . Tome , un article trop avantageux
à la Nation , pour n'en pas
part à nos Lecteurs , d'autant plus que
l'Auteur a toujours paru avoir bien de la
prédilection pour l'Angleterre et pour
les Anglois ; en effet , après avoir vanté
leur disposition d'esprit avantageuse , qui
ne se fait pas un deshonneur de recevoir
des autres Nations ce qu'elles ont d'agréable
ou d'utile , il s'exprime en ces
termes :
.1
เล
เพ
» Il est vrai neanmoins que par rapport
aux Ouvrages d'esprit , les voisins
de l'Angleterre pourroient desirer
» que ce qu'elle emprunte d'eux fût pris
avec un peu plus de ménagement et
1. Vol. employé
→
DECEMBRE. 1733. 2659
employé , si je l'ose dire , avec des marques
un peu plus claires de reconnois-
» sance. Je touche un article délicat ;
» mais la verité m'oblige de déclarer que
» j'ai bien vû des Auteurs Anglois se pas.
» rer des dépouilles de la France , et ou-
» blier d'avertir leurs Compatriotes , que
»les richesses qu'ils leur offroient ne
» venoient pas de leur Isle. Il me seroit
» aisé d'entrer là -dessus dans un détail
» curieux ; mais la matiere mérite d'être
» traitée dans un Ouvrage plus important
que cette Feuille. C'est un pré-
» sent que je promets au Public. On
» sera surpris d'apprendre que non- seu-
» lement les meilleurs Ecrivains d'Angleterre
se sont fait quelquefois honneur
» du travail des François , sans faire semnblant
de leur avoir obligation ; mais
» qu'un grand nombre de bons Livres ,
traduits de notre Langue en Anglois
»passent dans le Pays pour l'Ouvrage
des Traducteurs , parce que les Titres
» sont déguisez , ou qu'il n'y paroit rien
qui fasse connoître que c'est une Tra-
» duction .
toujours et se fait lire avec plaisir ,
non-seulement par le choix des matieres,
presqu'aussi interessantes que variées ,
mais par lasmaniere fine , simple et ai
sée dont cet Ouvrage est écrit.
faire
On trouve à la page 82. de la 19. Letda
tre du II . Tome , un article trop avantageux
à la Nation , pour n'en pas
part à nos Lecteurs , d'autant plus que
l'Auteur a toujours paru avoir bien de la
prédilection pour l'Angleterre et pour
les Anglois ; en effet , après avoir vanté
leur disposition d'esprit avantageuse , qui
ne se fait pas un deshonneur de recevoir
des autres Nations ce qu'elles ont d'agréable
ou d'utile , il s'exprime en ces
termes :
.1
เล
เพ
» Il est vrai neanmoins que par rapport
aux Ouvrages d'esprit , les voisins
de l'Angleterre pourroient desirer
» que ce qu'elle emprunte d'eux fût pris
avec un peu plus de ménagement et
1. Vol. employé
→
DECEMBRE. 1733. 2659
employé , si je l'ose dire , avec des marques
un peu plus claires de reconnois-
» sance. Je touche un article délicat ;
» mais la verité m'oblige de déclarer que
» j'ai bien vû des Auteurs Anglois se pas.
» rer des dépouilles de la France , et ou-
» blier d'avertir leurs Compatriotes , que
»les richesses qu'ils leur offroient ne
» venoient pas de leur Isle. Il me seroit
» aisé d'entrer là -dessus dans un détail
» curieux ; mais la matiere mérite d'être
» traitée dans un Ouvrage plus important
que cette Feuille. C'est un pré-
» sent que je promets au Public. On
» sera surpris d'apprendre que non- seu-
» lement les meilleurs Ecrivains d'Angleterre
se sont fait quelquefois honneur
» du travail des François , sans faire semnblant
de leur avoir obligation ; mais
» qu'un grand nombre de bons Livres ,
traduits de notre Langue en Anglois
»passent dans le Pays pour l'Ouvrage
des Traducteurs , parce que les Titres
» sont déguisez , ou qu'il n'y paroit rien
qui fasse connoître que c'est une Tra-
» duction .
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Résumé : Pour et contre, [titre d'après la table]
La Feuille du Pour et Contre est une publication reconnue pour la diversité et l'intérêt de ses sujets, ainsi que pour son style élégant et accessible. Dans le dix-neuvième numéro du deuxième tome, à la page 82, un article se distingue par son soutien marqué à la Nation. L'auteur, bien que généralement favorable à l'Angleterre et aux Anglais, critique leur tendance à s'approprier les œuvres intellectuelles des autres nations sans toujours les reconnaître. Il souligne que les écrivains anglais empruntent fréquemment des œuvres françaises sans en créditer les auteurs originaux. L'auteur mentionne qu'il pourrait développer ce sujet, mais préfère le traiter dans un ouvrage plus important. Il promet de révéler que même les meilleurs écrivains anglais se sont parfois approprié le travail des Français sans les créditer. De plus, il indique que de nombreux livres traduits du français en anglais sont présentés comme des œuvres originales en raison de titres modifiés ou de l'absence de mention de la traduction.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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60
p. 153
AUTRE.
Début :
Pour venir me trouver il faut plus que ses pieds [...]
Mots clefs :
Angleterre
61
p. 111-147
« MEMOIRES historiques, militaires & politiques de l'Europe, depuis l'élévation [...] »
Début :
MEMOIRES historiques, militaires & politiques de l'Europe, depuis l'élévation [...]
Mots clefs :
Mémoires historiques, Suède, Angleterre, Prince, Pape, Clergé, Cour, Royaume, Divorce, Divorce de Henri VIII, Henri VIII, Roi d'Angleterre, Catherine d'Aragon, Révolutions en Suède, Conjuration de Fiesque, Conjuration , Politique, Danemark
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texteReconnaissance textuelle : « MEMOIRES historiques, militaires & politiques de l'Europe, depuis l'élévation [...] »
MEMOIRES hiftoriques , militaires &
politiques de l'Europe , depuis l'élévation
de Charles- Quint au thrône de l'Empire ,
jufqu'au traité d'Aix - la-Chapelle en 1748.
Par M. l'Abbé Raynal , de la Société royale
de Londres , & de l'Académie royale des
Sciences & Belles Lettres de Pruffe . Se
vend chez Durand , au Griffon , rue Saint
-Jacques ; 1754 , 3 vol . in- 8 °.
J'ai déja rendu compte des deux pres
miers volumes de mon ouvrage , je vais
donner l'extrait du troifieme ; il renferme
trois morceaux.
112 MERCURE DE FRANCE.
Hiftoire des révolutions arrivées en Suede
depuis 1515 jufqu'en 1544.
La Suede qui avoit jetté un fi grand éclat ,
lorfque fes habitans , connus fous le nom
de Goths , renverferent l'Empire romain &
changerent la face de l'Europe , étoit retombée
peu -à-peu dans l'obfcurité . Des dif
fenfions domeftiques & les vices du gouvernement
, avoient formé une efpece
d'anarchie , qui auroit cent fois perdu le
Royaume fi les peuples voifins avoient eu
des loix plus fages . Toutes les nations du
Nord languiffoient dans la même barbarie ,
& l'afcendant que les unes pouvoient prendre
fur les autres , ne devoit point venir
de la fupériorité de politique , mais du
bonheur des circonftances ; elles furent
pour le Dannemarc.
Marguerite qui y regnoit , joignoit à
»l'ambition ordinaire à fon fexe , une fui-
» te de vûes qu'il n'a pas fi communément.
» Elle parloit avec grace , & fçavoit em-
»ployer au befoin ce ton de fentiment , qui
» tient fouvent lieu de raifon & qui la rend
toujours plus forte. Contre l'ufage des
» Souverains , elle abandonnoit les appa-
» rences de l'autorité pour l'autorité même ;
» & elle retenoit le Clergé dans fes inté-
» rêts , en lui faifant prendre des déférences
DECEMBRE. 1754 113
»
ور
»
"
pour du crédit. Ce qu'elle faifoit éclater
de magnificence , n'avoit jamais pour ob-
»jet fes goûts , mais fa place ; & foit qu'el-
» le donnât , foit qu'elle récompenfât , c'é
»toit toujours en Reine & au profit de la
Royauté. Lorfque fes projets n'étoient
pas traversés par la loi , elle la faifoit
» obferver avec une fermeté louable ; &
» l'ordre public étoit ce qu'elle aimoit le
» mieux après fes intérêts particuliers . On
» n'a gueres pouffé plus loin qu'elle le faifoit
le talent de paroître redoutable fans
l'être : elle intimidoit fes ennerais par
» d'autres ennemis qu'elle avoit l'art de
» faire croire fes partifans. Ce que fes
» moeurs avoient d'irrégulier étoit réparé
» dans l'efprit des peuples par les dons
» qu'elle faifoit aux Eglifes. Ces facrifices
» coûtoient à fon caractere ; mais fa politique
les faifoit à fa réputation.
"
"
Cette Princeffe entreprit de réunir la
Suede à fes autres Etats , & elle y réuſſit :
mais les Danois ayant abufé de leur fupériorité
, les Suédois trouverent bientôt l'occafion
de fecouer un joug qu'ils déteftoient
, & ils fe donnerent un maître qui
prit le titre d'Aminiftrateur. Les Rois de
Dannemarc n'abandonnerent pas les droits
qu'ils prétendoient avoir fur la Suede , &
ce fut une fource de guerres longues &
114 MERCURE DE FRANCE .
fanglantes entre ces deux Etats.
Chriftiern étoit monté fur le thrône de
Dannemarc ; c'étoit un monftre , qui prefque
au fortir de l'enfance avoit pouffé aux
derniers excès tous les vices , & n'avoit
pas même le mafque d'une vertu . Il ne
chercha point à rapprocher les Suedois du
traité d'union des deux Royaumes , il ne
chercha qu'à les foumettre. Le mécontentement
du Clergé de Suede étoit une difpofition
favorable pour ce Prince. Les Evêques
avoient joui d'une autorité fi étendue
fous les Rois Danois , qu'ils croyoient
ne devoir rien oublier pour ramener les
mêmes circonftances. L'Adminiftrateur
étant mort , ils voulurent mettre à fa place
Elric Trolle , vieillard timide , indolent
irréfolu , & qu'ils auroient fait fervir à
leurs vûes ; mais ce projet échoua. Stenon ,
fils du dernier Adminiftrateur , fut élu , &
il fit conférer l'Archevêché d'Upfal au fils
de Trolle ; démarche qu'il crut propre ,
fans doute , à confoler fon rival de fon
exclufion . Ĉe bienfait politique n'eut pas
le fuccès qu'il en attendoit . Trolle plus humilié
que touché du tendre & généreux
intérêt que ce Prince avoit pris à lui , fit
éclater un reffentiment qui allarma égale
ment pour Stenon & pour la patrie. Le
jeune Prélat ne pouvoit pas fe conføler de
DECEM BR E. 1754. 115
n'être que le fecond dans un état qu'il avoit
compté gouverner d'abord ſous le nom de
fon pere , & dans la fuite fous le fien . Son
mécontentement éclata bientôt.Il fe mit à la
tête du Clergé , s'unit avec les Danois , &
corrompit le Gouverneur de quelques places
fortes. Stenon inftruit de tout ce qui
fe tramoit contre l'Etat , convoqua le Sénat
, & Trolle fut reconnu pour l'auteur
& le chef de la confpiration. L'Archevêque
déterminé à la ruine de fon pays , par
un reffentiment que les contretems rendoient
plus vif, ne daigna ni juftifier fa
conduite , ni fe plaindre de fes complices :
il fe retira dans le châreau de Steke , en
attendant du fecours de Chriftiern. A perne
l'Adminiftrateur eut - il commencé le
fiége de cette place , que les Danois vinrent
faire une defcente près de Stockolm ;
Stenon y marcha avec une partie de fon
armée , & il fe livra un combat auffi fanglant
qu'il devoit l'être au commencement
d'une campagne entre deux nations rivales
, dans une occafion décifive & pour de
grands intérêts. La victoire fe déclara pour
La Suede , les Danois regagnerent leurs
vaiſſeaux , & l'Archevêque fut obligé de
fe rendre. Les Etats le déclarerent ennemi
de la patrie , l'obligerent de renoncer à fa
dignité , & le condamnerent à finir fés
jours dans un cloître.
116 MERCURE DE FRANCE.
"
23
» Quand le Pape n'auroit pas été follicité
par le Prélat dépofé & par Chriftiern
» de s'élever contre ce jugement , il l'au- |
» roit fait. La Cour de Rome dont les droits
» n'avoient pas été auffi bien éclaircis
» qu'ils l'ont été depuis , appuyoit indiffé-
» remment le Clergé dans toutes les affai-
» res , avec une vivacité & une fierté qui
» ne fe démentirent pas en cette occaſion .
» Elle fit menacer les Etats & l'Adminif
» trateur des cenfures de l'Eglife , s'il ne
rétabliffoient fans tarder l'Archevêque
fur fon fiége , & dans tous les avantages
» dont on l'avoit privé.
"
» Il eft glorieux pour l'humanité que
» dans un fiécle où la Philofophie avoit fait
» fi peu de progrès , un peuple entier ait
» diftingué l'autorité légitime du chef de
» la religion , de l'abus qu'il en peut faire.
» Les Suédois en marquant beaucoup de
» refpect au Souverain Pontife , parurent
» affez tranquilles fur les foudres qu'il préparoit
contr'eux. Ils témoignerent de la
répugnance à lui defobéir ; mais enfin ils
» lui defobéirent , & ils aimerent mieux
» l'avoir pour ennemi que de rifquer de
» rallumer dans leur patrie le feu des
» guerres civiles qu'ils avoient eu tant de
peine à éteindre. Si cette généreufe réfolution
avoit été accompagnée d'un ex-
"
و د
DECEMBRE. 1754 117
cès d'emportement , Rome fe feroit trou-
» vée heureufe : dans la réfolution où elle
» étoit de pouffer les chofes à l'extrêmité ,
elle auroit voula paroître forcée à des
❞ violences par des outrages qui les juftifiaffent.
L'impoffibilité de mettre les apparences
de fon côté , ne lui fit pas aban-
» donner fes vûes : elle mit en interdit la
» Suede , excommunia l'Administrateur &
» le Sénat , ordonna le rétabliſſement de
» Trolle , & pour comble d'injuftice , chargea
le Roi de Dannemarc de procurer
" par la voie des armes l'exécution d'une
Bulle fi odieufe.
و د
Chriſtiern étoit & fe montra digne d'une
telle commiffion. Il entra en Suede , & mit
tout à feu & à fang ; après bien des ravages
& bien des cruautés , les Suédois furent
défaits dans une bataille où Stenon fut
rué ; cet événement fit la deftinée de la
Suede ; tout tomba dans une confufion
horrible. Trolle qui avoit profité des malheurs
publics pour remonter fur fon fiége ,
convoqua les Etats. La craintelou la féduc
tion y firent reconnoître fans obftacle l'au
torité de Chriftiern , qui commença par
immoler à fon reffentiment & à fon ambition
tout ce qui auroit pu lui faire quelque
ombrage. Il fit maffacrer les Seigneurs
les plus diftingués de Suede & tout ce qui
118 MERCURE DE FRANCE.
reltoit d'hommes puiffans affectionnés à
leur patrie , ou aimés des peuples. Avec ces
victimes expira l'efpérance & prefque le
defir de la liberté. Les loix anciennes furent
abrogées , le defpotifme porté au dernier
période , & il ne fe fit aucun mouve
ment . Rien ne caufoit & ne pouvoit caufer
d'inquiétude à Chriftiern que la
fonne de Guftave Vaſa.
per-
Ce jeune Seigneur defcendoit des anciens
Rois de Suede , & s'étoit fignalé dans
plufieurs occafions ; c'étoit un homme fupérieur
, né pour l'honneur de fa nation
& de fon fiécle , qui n'eut point de vices ,
peu de défauts , de grandes vertus & encore
plus de grands talens.
Retenu en Dannemarc par une perfidie ,
il avoit trouvé l'occafion de s'échapper des
mains de Chriftiern , & s'étoit caché dans
les montagnes de la Dalecarlie. Après avoir
erré long- tems , forcé par le befoin de travailler
aux mines , il trouva enfin chez un
Curé un afyle , qui devint le berceâu de la
liberté , de la gloire & du bonheur de la
Suede. De concert avec cet Eccléfiaftique ,
homme fage , defintéreffé , inftruit , accrédité
, zélé pour fa patrie , Guftave commença
par échauffer les efprits , & il profita
du premier feu de l'enthoufiafme qu'il fit
aaître pour fe faire un parti. A la tête de
DECEMBRE. 1754. 119
par
quatre cens hommes il emporta d'affaut
une place commandée le Gouverneur
de la province ; fes premiers fuccès donnerent
de l'audace ; fa petite armée s'accrut
à vûe d'oeil , & il n'eût qu'à fe montrer
dans les provinces voisines de la Dalecarlie
pour les foulever. La timidité & l'indolence
du Viceroi que Chriftiern avoit
laiffé en Suede , donna à Guſtave le tems
de faire des progrès plus confidérables , de
groffir & de difcipliner fes troupes . Trolle
faifit le tems où les Dalecarliens s'étoient
retirés dans leurs pays pour faire la moiffon
; il fe mit à la tête de quatre mille
hommes , & alla attaquer brufquement
Guftave , qui n'étoit pas affez fort pour
l'attendre. Ce léger échec fut bientôt réparé
par Guftave , qui l'attaqua à fon tour
fi vivement , que l'Archevêque échappa à
peine avec la dixieme partie de fes troupes.
Les vainqueurs marcherent droit à Stockholm
; le Viceroi & l'Archevêque , dans la
crainte que quelque malheureux hazard
ne les fit tomber entre les mains de leurs
ennemis , s'enfuirent en Dannemarc . Leur
retraite fut un événement décifif pour
mécontens. L'indépendance du Royaume
parut affez affurée
pour qu'on crût pouvoir
convoquer fans rifque les Etats Généraux
, & donner quelque forme à un
,
les
120 MERCURE DE FRANCE.
Gouvernement qui n'en avoit point .
» L'affemblée ne fut pas nombreufe ; il
ne s'y trouva de Députés que ceux que
» l'amour de la patrie & la haine des tyrans
» élevoient au - deffus de tous les périls.
» Les réfolutions des hommes de ce carac-
» tere ne pouvoient manquer d'être har-
» dies & leurs démarches vigoureufes . Ils
» renoncerent folemnellement à l'obéïffan
» ce qu'ils avoient promife à Chriftiern ,
» éleverent leur Général , qui n'avoit dû
» jufqu'alors for autorité qu'à fon coura-
» ge , à la dignité d'Adminiftrateur , & ar-
» rêterent qu'on continueroit à faire une
» guerre vive & fanglante.
Tandis que Guftave reprenoit fur les
Danois les places qui leur reftoient en Suede
& qu'il formoit le fiége de Stockholm ;
la révolution qui fe fit en Dannemarc affûra
l'indépendance de la Suede. La tyrannie
& les excès de Chriftiern révolterent fes
fujets , & leur infpirerent une réfolution
violente . Ils déthrônerent ce Prince , qui
fe retira auprès de Charles - Quint fon beaufrere
, & ils placerent fur le thrône Frideric
, Duc de Holſtein.
Cet événement ôta aux Danois , qui
étoient encore en Suede , le courage , l'efpérance
& la force de s'y maintenir. Ceux
qui défendoient Stockholm offrirent de
capituler;
DECEMBRE . 1754. 125
capituler ; mais l'Adminiftrateur laiffa traîner
le fiége , fous prétexte de le finir d'une
maniere plus honorable , mais en effet pour
obliger par ce fantôme de péril les Etats
Généraux de lui déférer la couronne . Cette
politique étoit plus artificieufe que néceffaire.
Guftave fut proclamé Roi avec une
unanimité & un enthouſiaſme qui étoient
fûrement les fuites de la plus vive admiration
& d'une efpece d'idolâtrie . L'union
que fit ce Prince avec Frideric , acheva
d'établir la tranquillité , la gloire & l'indépendance
de la Suede. Guftave ne fongea
plus qu'à réformer l'intérieur du Royaume
, en fubftituant de bonnes loix à la barbarie
ancienne, & une police fage aux abus
introduits par les troubles civils. Il fut
éclairé , foutenu & dirigé dans fes vûes
par un homme célebre , qu'il eft important
de connoître à fond.
Ce confident habile fe nommoit Larz-
Anderfon , né de parens obfcurs & fans
fortune. Il avoit commencé à fe diftinguer
dans l'Eglife ; mais dégoûté d'une carriere
où l'on n'avançoit que par les fuffrages de
la multitude , il s'attacha à la Cour. » Guftave
démêla bientôt dans la foule des
» courtifans empreffés à lui plaire, un hom-
» me propre à le fervir ; & dédaignant
»toutes ces petites expériences fi néceffai-
11. Fol.
و د
F
22 MERCURE DE FRANCE.
» res aux Princes médiocres , & qui ne leur
»fuffifent même pas , il l'éleva tout de
» fuite au premier pofte du Royaume , &
» le fit fon Chancelier,
و ر
» Anderſon juſtifia cette hardieffe . C'é-
» toit un génie que la nature avoit fait pro-
» fond , & que les réflexions avoient étendu,
Quoiqu'il eut l'ambition des grandes
places , il avoit encore plus l'ambition
» des grandes chofes , & il aimoit mieux
voir croître fa réputation que fon crédit.
» Il n'étoit pas citoyen dans ce fens qu'il fe
» fût facrifié pour fa patrie ; mais il méri-
>> toit ce beau nom , fi on veut l'accorder
» aux Miniftres qui ont des idées aflez juf-
» tes pour croire que leur gloire eft infé-
»parable de celle de leur Roi & de leur na-
» tion. L'exemple de ceux qui l'avoient pré-
» cédé ni le jugement de ceux qui le devoient
» fuivre , n'étoient pas la régle de fa con-
»duite ; fes projets n'étoient cités qu'à fon
» tribunal & à celui de fon maître. Cette
» indépendance qui ne peut être fentie que
» par ceux qui l'ont , étoit accompagnée
» d'une fagacité qui faififfoit tout , depuis
»les premiers principes jufqu'aux dernie-
" res conféquences , & d'une lumiere qui
» fourniffoit des vûes fublimes & les expédiens
propres à les faire réuffir . Letalent
» de hâter les événemens fans les précipi
ter lui étoit comme naturel ; & en par
و د
39
DECEMBRE. 1754 123
-99
93
و د
roiffant céder quelquefois aux difficultés,
il venoit toujours à bout de les furmonter.
L'étude de l'hiftoire & fes réflexions
» l'avoient affermi contre les murmures ,
les tumultes , les révoltes même ; & il
» étoit convaincu qu'avec du courage , du
fang froid & de la politique on vient
» tôt ou tard à bout de fubjuguer les hom-
" mes & de les ramener à leurs intérêts. Il
fçavoit le détail des loix comme un Ma-
» giftrat , & en poffédoit l'efprit en Légiflateur.
On réfiftoit d'autant moins à fon
éloquence , qu'elle partoit d'une raifon
» forte . Ce Miniftre appartenoit plus à un
autre âge qu'à celui où il vivoit ; & fes
» contemporains qui n'étoient pas à beau-
>> coup près auffi avancés que lui , n'apperçurent
pas toute l'élévation de fon ca-
» ractere , ni l'influence qu'il eut fur les
» révolutions qu'éprouva la Suede .
บ
93
"
Ce Royaume étoit la proye des Eccléfiaftiques
: leur autorité pouvoit exciter de
nouveaux troubles , & ils poffédoient tout
l'argent , toutes les richeffes de la Suede . I
falloit trouver un prétexte pour les dépouiller.
Anderſon en imagina un ; c'étoit
d'introduire le Luthéranifme , qui faifoit
des progrès rapides en Allemagne , & qu'il
avoit adopté par cet efprit d'inquiétude fi
ordinaire à ceux qui font nés plus grands
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
que leur condition. Guſtave adopta les
vûes de fon Chancelier ; mais cette révolution
ne pouvoit fe faire que par dégrés :
on laiffa le tems au Luthéranifme de s'établir
dans le Royaume. Des Docteurs de
réputation qu'on fit venir d'Allemagne , lui
donnerent de l'éclat ; la faveur qu'ils parurent
avoir, leurs déclamations, le goût de la
nouveauté entraînerent bientôt une partie
de la nation . A mefure que le Luthéranifme
faifoit des conquêtes fur le Royaume ,
Guftave en faifoit fur le Clergé. Il commença
par abolir une efpece d'impôt que
les Curés avoient mis fur certains péchés .
Il ôta aux Evêques le droit qu'ils avoient
ufurpé d'hériter de tous les Eccléfiaftiques
du fecond ordre. Les troupes furent mifes
en quartier d'hiver fur les terres du Clergé ,
ce qui étoit fans exemple : enfin il propofa
de prendre les deux tiers des dîmes pour
l'entretien des troupes , & une partie de
l'argenterie & des cloches des Eglifes riches
pour abolir , en payant les étrangers ,
les privileges odieux dont ils jouiffoient.
Ces expédiens furent généralement approuvés
; & s'il y eut quelque mécontentement
, il n'éclata pas.
Guftave mit la derniere main à fes grands
deffeins, en convoquant les Etats Généraux
à Vefteras en 1527. Les innovations qu'il
DECEMBRE . 1754. 125
propofa pour achever d'écrafer la puiffance
du Clergé , parurent trop hardies , &
le ton de defpotifine qu'il prit étoit trop
nouveaupour ne pas exciter quelques mou.
vemens ; mais ils n'eurent point de fuites .
Les troubles furent bientôt appaifés , & ce
que les Etats avoient arrêté fut établi fans
obftacle. » Le mépris pour la Communion
» Romaine fuivit la ruine & l'aviliffement
» du Clergé , qui avoient été le but de tou-
» tes les innovations qu'on venoit d'intro-
» duire. Guftave fe déclara enfin Luthe-
» rien , & toute la nation voulut être de
» la religion du Prince . Rien ne prouve
» les progrès de l'efprit de fervitude dans
» un Etat , comme l'influence du Souverain
fur la croyance des peuples. Le facrifice
de fes opinions qui coûte fi peu à
» la Cour , où on n'a proprement que des
préjugés , eft fi grand à la ville & dans
» les provinces où on a des principes ,
» qu'il prépare à tous les autres facrifices ,
» & même les affure . Auffi lorfque Guf-
» tave demanda aux Etats en 1544 , que
» la Couronne qui avoit toujours été élec-
» tive fû: déclarée héréditaire , il n'éprou
» ya point de contradictions .
" Tel fut le dernier acte d'un des regnes
les plus éclatans que le Nord ai vû ;
» nous ajouterions d'un des plus heureux ,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
»fi Guſtave avoit été auffi jufte qu'il étoir
»grand , & fi en faifant par fon caractere
»le bonheur de la génération qu'il gou-
» vernoit , il n'avoit pas préparé le mal-
» heur de celles qui devoient la fuivre ,
en établiffant un defpotifme dont fes fuc-
»ceffeurs ne pouvoient manquer d'abuſer .
Hiftoire du divorce de Henri VIII. Roi
d'Angleterre , & de Catherine d' Arragon ,
depuis 1527 jufqu'en 1534.
Henri VII , furnommé dans l'hiftoire le
Salomon de l'Angleterre , voulut rendre à
fa couronne , par une alliance avantageufe,
l'éclat que les guerres civiles lui avoient
fait perdre , & il obtint pour le Prince de
Galles fon fils , Catherine d'Arragon . Ce
mariage ne fut pas heureux ; le jeune Prince
mourut un an après , à l'âge de quinze
ou de feize ans. Cet événement pouvoit
Fompre les liens qui uniffoient l'Espagne
& l'Angleterre , & qui les rendoient redoutables
à tous leurs voifins. Pour calmer
les inquiétudes des deux Puiffances , il fut
arrêté que le nouveau Prince de Galles
épouferoit la veuve de fon frere . Pour former
ces nouveaux noeuds , on eut befoin
d'une difpenfe , & le Pape Jules fecond
l'accorda,
DECEMBRE. 1754. 127
Henri & fa belle-four furent fiancés
folemnellement en 150;, & le Prince qui
n'avoit alors que douze ans , n'eut pas
plutôt atteint fa quatorziéme année qu'il
it en préſence de plufieurs témoins une
proteftation en forme contre le confentement
qu'il avoit donné. Cette proteſtation
fut tenue fecrette jufqu'à la mort de
Henri VII en 1509 , & le mariage fur
célébré la même année . » Catherine avoit
» des vertus , mais les agrémens de fon
» fexe lui manquerent. Elle n'avoit ni grace
» ni dignité , ni defir de plaire ; fa triftefle
» & fon indolence augmenterent avec l'âge
» & les infirmités . Le dégoût de Henri qui
»> ne l'avoit jamais aimée , devint infen-
» fiblement extrême , & ouvrit le coeur de
» ce Prince à une paffion fort vive pour
» Anne de Boulen.
Anne étoit plus que belle , elle étoit
piquante. Ses traits manquoient de régularité
; il en réfultoit cependant un
enfemble qui furpaffoit la beauté même.
» Une taille parfaite , le goût de la danfe ,
» une voix touchante , & le talent de
jouer avec grace de plufieurs inftru-
» mens , relevoient en elle l'éclat de la
premiere jeuneffe. Quoique la France
ne fût pas alors autant qu'elle l'a été
depuis en poffeffion de fervir de modele
"
Fiiij
128 MERCURE DE FRANCE.
» aux autres peuples , Anne y avoit pris
» des manieres , un ton , des modes , qui
» fixerent fur elle les yeux & prefque l'ad-
» miration de la Cour de Londres. Cette
premiere impreffion fut foutenue par une
» converfation vive & légere , par un enjouement
ingénieux & de tous les inftans.
Les foupçons que pouvoit faire naître
fon air libre & trop carreffant, étoient
détruits par fon âge & par fa diffipation.
Elle ne montroit de l'empreffement
"que pour les plaifirs & pour les fêtes ; &
il paroiffoit fi peu d'art dans fa conduite Ᏺ
qu'il étoit prefque impoffible de lui fup-
»pofer des projets. Sa coquetterie ne fit
pas & ne devoit pas faire des impref-
»lions fâcheufes on la regarda comme
» une fuite de l'éducation frivole qu'elle
avoit reçue , & non comme un vice du
» coeur, ou le fruit de la réflexion . Les
» événemens prouverent que fon caractere
» avoit échappé aux courtifans les plus dé-
» liés : elle fe trouva diffimulée , profonde
, ambitieufe , & fut tout cela à un
» haut dégré & avant vingt ans.
Percy parut le premier fenfible aux char
mes d'Anne , ou fut , fi l'on veut , le premier
féduit par fon adreffe. Ses foins furent
acceptés , & leur union alloit être
confommée fi l'amour du Roi n'y avoit mis
DECEMBRE. 1754. 129
1
obftacle. Percy fut forcé de renoncer à fa
maîtrelle : Henri déclara lui-même à Anne
les fentimens qu'il avoit pour elle , mais
il la trouva plus fiere qu'il ne l'avoit cru.
Eclairée fur la violence de la paffion qu'elle
avoit infpirée , elle parut plus offenfée que
Alattée des propofitions du Prince , & lui
fignifia qu'elle feroit fa femme ou ne lui
feroit rien. C'est à cette époque que les
écrivains Catholiques fixent la premiere
idée qu'eut Henri de faire divorce avec
Catherine ; les Proteftans la font remonter
plus haut. On n'eft pas moins embarraſſé
fur la date précife de la réfolution qu'il
en prit ; on auroit évité de longues & ameres
conteftations , fi on avoit été affez
defintéreffé de part & d'autre , pour voir
que le Cardinal Wolfey étoit l'unique ,
ou du moins la principale caufe de ce
grand événement.
Cet homme célébre , rapidement paffé
de la condition la plus baffe au miniſtere
& à la pourpre , avoit d'abord embraffé le
parti de l'Empereur , & il l'abandonna
enfuite , parce qu'il vit que ce Prince l'avoit
trompé par les fauffes efpérances qu'il
lui avoit données de le placer fur le trône
de l'Eglife . Wolfey voulut humilier Charles-
Quint , en faisant répudier Catherine
d'Arragon fa tante. Ce Cardinal porta
Fv
130 MERCURE DE FRANCE..
dans cet odieux procès plus d'adreffe que :
la paffion n'en permet ordinairement , &
plus de circonfpection qu'on ne l'auroit:
dû efpérer de la hauteur & de l'emporte--
ment de fon caractere. Il commença par
perfuader le Confeffeur du Roi , dont les .
remontrances firent naître des doutes dans
l'efprit de Henri , & ces fcrupules joints à
la décision de quelques Théologiens , le
déciderent entierement pour le divorce..
Sa réfolution ne tarda pas d'éclater. Trois
Ambaffadeurs François étant arrivés en Angleterre
, conclurent fans beaucoup de difficultés
, un traité de paix perpétuelle entre
les deux nations , & ils arrêterent que:
Marie , fille de Henri , épouferoit François
I. ou fon fecond fils le Duc d'Orléans
.
"
"
» L'Evêque de Tarbes , celui des Am-
» baffadeurs qui avoit le plus le talent des
" affaires , & le feul qui eut le fecret de
» celle-là , parut environ huit jours après
la fignature du traité , mécontent d'une
» négociation dont le fuccès éroit regardé
» comme complet. Son chagrin fut remar
» qué comme il le devoit être , & on cher-
» cha à en deviner la caufe . Le public s'é-
" puifa à l'ordinaire en conjectures , & les
gens en place en queftions. Lorfque le
» Prélat crut avoir affez long-tems tenu
DECEMBRE. 1754. 131
les efprits en fufpens , il fe laiffa arra-
» chet fon fecret : il dit avec un certain
embarras affez ordinaire à ceux qui ont
des vérités fâcheufes à annoncer aux
Princes , qu'il craignoit beaucoup qu'u-
»ne partie des liens que venoient de for-
>> mer les deux nations , ne fuffent bien-
» tôt rompus , & qu'en particulier le mariage
projetté ne pût pas s'exécuter. Preffé
» de s'expliquer fur le myftere que renfer-
» moient ces dernieres paroles , il avoua
» qu'il croyoit nulle l'union de Henri &
» de Catherine , & qu'il étoit inftruit que
» les Théologiens les plus habiles ne pen-
» foient pas autrement que lui.
» Le Roi parut frappé de ce difcours
» comme il l'eût été d'un coup de foudre ;
fon but étoit de perfuader par cet éton-
» nement à l'Europe que le premier doute
» fur fon mariage lui étoit venu à cette oc--
» cafion.
Les fcrupules de l'Evêque de Tarbes furent
regardés comme des vérités incontef
tables , & il partit fur le champ pour l'I--
talie un Miniſtre , chargé de folliciter au--
près du Saint Siége la diffolution du ma--
riage avec Catherine .
Člement VII . qui gouvernoit alors , étoit
encore prifonnier au Château Saint - Ange.-
Le fecours prompt & affuré qu'on lui pro-
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
mit , l'auroit infailliblement déterminé à
faire ce qu'on exigeoit de lui , s'il n'eût
été arrêté par la crainte de Charles - Quint.
Lorfque le Pape fut libre , les négociateurs
Anglois devinrent plus preffans , mais leur
adreffe & leur activité ne purent vaincre
fes irréfolutions. Il vint à bout de faire
naître des obftacles & des incidens fort
naturels , qui reculoient la décifion de cette
affaire . Après bien des détours & des lenteurs
, preflé par les inftances de l'Angleterre
, Clement établit enfin Wolfey juge
de l'affaire du divorce , & on lui donna
pour adjoint le Cardinal de Campege , qui
s'étoit trouvé du goût des deux Cours.
Il n'y avoit qu'à fuivre la négociation
de Campege , pour être convaincu que le
Pape ne donneroit jamais les mains à un
projet contraire aux intérêts de fon Siége
& à ceux de fa maifon , & qu'il vouloit
feulement obtenir par ce moyen un traitement
plus avantageux de Charles. Quint.
L'affaire fe rempliffoit tous les jours de
nouvelles difficultés. Henri que fa paffion
mettoit dans un état violent , fatigué
de tant d'indécifions , envoya de nouveau
à Clément deux Miniftres pour preffer l'exécution
de fon projet ; mais leurs infinuations
n'ayant pas eu le fuccès qu'ils
s'étoient promis , ils eurent recours à des
DECEMBRE. 1754 133
moyens odieux. Ils joignirent aux reproches
les plus humilians , des menaces effrayantes.
On faifoit craindre au Pape d'être déposé ,
fous prétexte que fon élection avoit été
irréguliere ; que l'Angleterre ne fecouât un
joug qui devenoit tous les jours plus dur &
plus injufte , & que l'Europe entiere éclairée
& enhardie par un exemple fi frappant ,
ne renonçât à l'ancien préjugé qui la tenoit
fous la domination du S. Siége. Ces
moyens ne réuffirent pas , & l'affaire du
divorce fut ramenée au tribunal de Wolfey
& de Campege. Les Légats , après l'examen
de cette caufe finguliere , citerent le
Roi & la Reine pour le 18 Juin 1529. La
Reine comparut devant eux , mais les recufa
pour juges , & ne voulut jamais fe
défifter de fa récufation . » On l'auroit peut-
» être crue occupée de fa vengeance , fi
nenfe précipitant devant toute l'aflemblée
" aux pieds du Roi , elle n'avoit fait voir
» qu'il n'y avoit dans fon coeur que le défir
» & peut- être l'efpérance de regagner un
» coeur qu'elle avoit malheureufement perdu.
Cette pofture , fon amour & fes infortunes
lui infpirerent tout ce qu'on
peut imaginer de plus modeste , de plus
» tendre & de plus touchant. Dès qu'elle
» eut fini de parler , elle fe retira , & alla
attendre dans l'obfcurité , dans les lar134
MERCURE DE FRANCE.
" mes & dans l'incertitude les effets d'une
» fcene aufli attendriffante que celle qui
» venoit de fe paller.
» Le denouement de ce coup de théatre
» ne fut pas tel qu'on avoit cru pouvoir
» l'efpérer. Tout l'attendriffement qu'on
avoit remarqué dans le Prince fe réduifoit
à une compaffion ftérile , & à des
éloges vagues. Henri rendit justice à la
» conduite exemplaire , à l'humeur douce ,
» à la foumiffion fans bornes de Cathe-
» rine ; & il parut fâché que la religion &
la confcience ne lui permiffent pas de
finir fes jours avec une Reine malheureufe
, qui n'avoit jamais rien dit ni rien-
»fait que de louable .
Tandis que Campege éloignoit tant qu'il
pouvoit la décifion de cette affaire , l'Empereur
fit un traité à Barcelone , dans lequel
il traitoit favorablement le S. Siége
dans la vûe de fe venger , fur tout du Roi
d'Angleterre , qui l'infultoit cruellement
dans la perfonne de fa tante. Le Pape immédiatement
après fon raccommodement
avec l'Empereur , évoqua l'affaire du divorce
, & fe rendit par cette démarche foible
& imprudente , l'inftrument d'une hai
ne , d'un orgueil , d'une politique qu'il auroit
dû traverfer , & dont il pouvoit trèsaifément
devenir la victime.
DECEMBRE.
1754. 135
Campege s'en retourna à Rome , & Wol- .
fey fut immolé au reffentiment du Roi ; il
fe vit accablé d'une fuite d'accufations
d'opprobres & de malheurs qui le conduifirent
au tombeau.
Henri dont les contretems ne faifoient
qu'irriter la paffion , fut obligé de chercher
d'autres moyens on lui confeilla deconfulter
toutes les Univerfités de l'Europe.
Celle d'Oxford & de Cambridge étoient
vendues à la Cour , & déclarerent le mariage
nul. Celles de France furent affez
partagées , & la Sorbonne , divifée en plufieurs
factions , ne céda qu'à des vûes d'intérêt
& de politique à la volonté du Roi
& à l'argent d'Angleterre. Le dernier de
ces moyens fut feul affez puiffant pour gagner
les Univerfités d'Italie . La fureur de
fe vendre étoit montée à tel point qu'on
avoit un Théologien pour un écu ; quelquefois
pour deux une Communauté entiere
, & qu'un Couvent de Cordeliers
paffa pour cher parce qu'il en coûtoit dix.
Mais les Théologiens Allemans ne cederent
ni à la féduction ni aux follicitations ,.
& refuferent de fe déclarer pour le divorce.
La Cour de Rome vit ces manoeuvres
avec une indifférence méprifante : c'étoit
un étrange aveuglement de penfer qu'on
136 MERCURE DE FRANCE.
la fubjugueroit par les décisions de quelques
Théologiens . Cette Cour trop intéreffée
depuis long-tems , & trop politique
pour fe conduire par les maximes foibles ,
bornées & incertaines des cafuiftes , regardoit
malheureufement moins la religion
comme fa fin , que comme un moyen d'y
arriver.
Henri qui voyoit avec douleur le peu
de fruit qu'il tiroit de toutes fes démarches
, forma , pour fe venger de Clement ,
le deffein de lui enlever l'Angleterre . Il
commença par défendre , fous des peines
capitales , de recevoir aucune expédition
de Rome qui ne fût appuyée de fon autorité
. Il attaqua les privileges du Clergé , &
dépouilla le Pape de fes droits les plus effentiels.
Dans le même tems , Catherine
preffée de nouveau de confentir au divorce
, & toujours ferme dans ſon refus , fut
obligée de s'éloigner de la Cour , où elle
ne retourna jamais.
Le Roi d'Angleterre voulut enfin terminer
fes irréfolutions , en fuivant le confeil
que lui donna François I. de fe paffer
de la difpenfe du Pape , & d'époufer fans
délai une femme aimable , qui étoit devenue
néceffaire à fon bonheur. Le mariage
fe fit , & demeura fecret jufqu'à la
groffeffe d'Anne de Boulen , qui força de
DECEMBRE . 1754. 137
le rendre public avant même qu'on eût pû
déclarer nul celui de Catherine. Cette derniere
opération fut l'ouvrage de Cranmer ,
Archevêque de Cantorbery , qui engagea
le Clergé d'Angleterre à prononcer fur
l'affaire du divorce ; & malgré la précaution
qu'avoit prife le Pape de fe referver
la connoiffance de ce grand procès , le ma--
riage fut caffé folemnellement. Anne entra
en triomphe dans Londres , & y fut reçue
avec un éclat & une magnificence finguliere
.
Clément apprit avec un dépit fenfible
ce qui venoit de fe paffer : il fit une Bulle
qui excommunioit Henri & Anne de Boulen
, s'ils ne fe quittoient dans quelques
mois ; & après de nouvelles négociations
pour terminer cette affaire , le Pape affembla
fon Confiftoire , & le réfultat fut une
fentence qui obligeoit le Prince à repren
dre Catherine , fous peine d'excommunication
pour lui , & d'interdit pour fon
Royaume. Le Parlement avoit prévenu ce
jugement par une loi qu'il avoit faite quelques
jours aparavant , & qui défendoit de
reconnoître l'autorité du Pape. Henri recueillir
le fruit d'une politique profonde &
fuivie ; & fans faire d'autres changemens
dans la religion , il défendit tout commerce
avec le S. Siége , & voulut être lui -même
138 MERCURE DE FRANCE.
chef de l'Eglife dans fon Royaume . La nation
adopta les idées fchifmatiques qu'on
lui préfentoit ; elle fuivit depuis les opinion
de Zuingle fous Edouard , retourna à
la communion de Rome fous Marie , & fe
forma fous Elizabeth un culte qu'elle profeffe
encore aujourd'hui , fous le nom de
Religion Anglicane.
Hiftoire de la conjuration de Fiefque
en 1546 & 1547.
André Doria délivra en 1528 la République
de Gênes du joug de la France ,
& y établit l'ordre qui fubfifte encore aujourd'hui,
Ce plan de Gouvernement , le feul
peut-être qui pût convenir au caractere
» des Génois , & à la fituation où ils fe
» trouvoient , les devoit raffurer naturelle-
» ment contre les entreprifes de Doria . Si
» ce grand Capitaine eût en réellement
» les vûes que lui ont fuppofées la plupart
" des hiftoriens , ou il auroit laillé fon
"pays dans l'anarchie , ou il y auroit éta-
39
bli des loix mauvaifes , ou il fe feroit
" emparé de la dignité de Doge ; trois
» voies qu'il lui étoit aifé de prendre , &
» dont chacune devoit prefque néceffaire-
» ment le rendre maître de la République.:
33
DECEMBRE. 1754. 139
» Avec un peu d'attention , on démêle
» qu'il ne cherchoit ni à être tyran ni à
» être citoyen , & qu'il vouloit fe venger
» feulement de la France , qu'il avoit bien
fervie , & dont il étoit mal traité. Ce
projet qui étoit connu de tout le monde
, & celui de maintenir la révolution ,
» l'autorifoit , fans qu'on en prît ombrage ,
» à fe charger , comme il fit , du comman
dement des galeres de Charles Quint . 11
eft vrai que ce moyen avoit quelque
» chofe d'équivoque , & qu'il pouvoit fer-
» vir à opprimer la liberté publique auffi
bien qu'à la défendre : mais l'ordre que
» Doria avoit d'abord établi dans l'Etat ,
étoit une preuve de modération , que ce
» qu'il avoit laiffé voir d'ambition ne de-
» voit gueres affoiblir , & que fa conduite
» fortifioit extrêmement. Content de l'em-
» pire que lui donnoient fur les efprits &
>> fur les coeurs les grandes chofes qu'il
» avoit faites , il paroiffoit préférer de
» bonne foi la tranquillité de la vie privée
» à l'embarras des grandes places , & fe
» livrer aux affaires plutôt par zéle que
" par goût. Il y a apparence que des dehors
auffi impofans auroient trouvé une
» confiance entiere , fans la préfomption:
» & les hauteurs d'un parent éloigné qu'il.
avoit adopté pour fils ..
140 MERCURE DE FRANCE.
Ce jeune homme fe nommoit Jeannetin
Doria : condamné dès fes premieres années
à des travaux obfcurs , l'yvreffe où le jetta
le changement de fa fortune lui donna un
orgueil & des manieres qui révolterent
tout ce qui avoit de l'élévation dans l'ame ,
& fingulierement Jean- Louis de Fiefque ,
Comte de Lavagna. Ce jeune Seigneur ,
l'homme le plus riche de la République ,
éroit magnifique , aimable & féduifant :
avec un grand nombre de qualités brillan
res , il avoit l'apparence de plufieurs vertus.
» L'inquiétude qui le pouffoit aux gran-
» des places , venoit du defir qu'il avoit de
» faire de grandes chofes ; l'ambition ne
» lui étoit infpirée que par la gloire. Une
" erreur , qui étoit plutôt un malheur de
» fon âge qu'un défaut de fon efprit , lui
» fit confondre la célébrité avec une répu-
" tation fondée : il alla jufqu'à croire qu'il
» lui fuffiroit d'occuper de lui fes contem-
" porains , pour llaaiiffffeerr uunn grand nom à la
» poftérité. Tous ceux qui l'avoient étu-
» dié & qui fe connoiffoient en hommes ,
» lui trouvoient à vingt- deux ans une po-
»litique très- raffinée & une diffimulation
impénétrable : il leur paroiffoit né pour
» affervir fa patrie ou pour l'illuftrer .
Fiefque ne pouvoit manquer d'être mécontent
de la fituation où fe trouvoit la
DECEMBRE.
1754. 141
République . Il lui parut également indigne
de lui de vivre dans l'obfcurité , ou d'en
fortir par la faveur d'un homme qu'il méprifoit.
» Entre plufieurs moyens que lui
و ر
préfenta une imagination forte & impé-
» tueufe , celui de faire périr les Doria fut
» le feul qui lui parût infaillible , & il s'y
» arrêta avec beaucoup de fang-froid & de
» fermeté. La néceffité de changer la for-
» me du Gouvernement pour foutenir
» une démarche auffi hardie , ne l'effraya
» pas , & fut peut -être fans qu'il s'en dou-
» tât un motif de plus : il devoit paroître
» doux à un homme de fon caractere d'ab-
» battre d'un même coup fes ennemis , &
» de fe placer à la tête d'un Etat affez puif-
» fant. La révolution devoit être l'ouvrage
» du génie feul pour la maintenir , la
force étoit néceflaire , & Fiefque qui le
» vit , penſa à ſe ménager l'appui de la
» France.
Cette Cour entra aifément dans les vûes
de Fiefque ; & dans l'efpérance de fe venger
de Doria & de reprendre le Milanès fur
l'Empereur , elle accorda des fecours confidérables.
Fiefque inftruit que les mêmes
paffions qui lui avoient rendu la Cour de
France favorable , regnoient à celle du
Pape , s'occuppa du foin de les mettre en
jeu. Il alla lui-même à Rome pour négo142
MERCURE DE FRANCE.
cier cette affaire , & il écarta les foupçons
que ce voyage pouvoit faire naître , par,
l'attention qu'il eut au milieu de fes projets
de ne paroître occupé que de fes plaifirs
, & par l'art de cacher des deffeins
profonds fous un air frivole. Il trouva
Paul III. auffi bien difpofé qu'il le fouhaitoit
, & ce Pontife approuva la révolution
avec de grands éloges .
Fiefque ne s'occupa plus que du foin
de mettre la derniere main à fon entre-"
prife , & il ne put en être détourné
par les
remontrances d'un de fes plus zélés partifans
: c'étoit Vincent Calcagno , homme
d'un certain âge , & qui avoit une efpéce
de paffion pour le jeune Comte. » Comme
" il avoit le fens droit , les grandes entre-
» prifes commencoient par lui être toujours
fufpectes . Il étoit d'ailleurs né timide ,
» & les réflexions ou l'expérience qui chan
» gent quelquefois les caracteres , l'avoient
» affermi dans le fien. Tout ce qui avoit
» l'air trop élevé lui paroiffoit chimérique ,
" & il regardoit comme imprudent tout
» ce qu'on abandonnoit au hazard. Son
imagination étoit plus aifément étonnee
» que fon coeur ; & il étoit ferme jufques
» dans les périls qu'il avoit prévûs & qu'il
ور
و ر
avoit craints.
Le chef de la conjuration forma d'i
DECEMBRE. 1754. 143
bord fon attention à ne pas fe laiffer pénétrer
, & il fe rendit en effet impénétrable.
Sa conduite avoit quelque chofe de fi naturel
& de fiaifé , qu'il n'étoit pas poffible d'y
foupçonner le moindre myftere. André Doria
, malgré la profonde connoiffance qu'il
-avoit des hommes , fe laiffa impofer par ces
apparences , & Jeannetin fut féduit par les
témoignages d'eftime & d'attachement que
Fiefque lui prodigua.
Le Comte fçut fe concilier les négocians
, cette précieufe portion de citoyens
fi honorée dans le gouvernement populaire
, fi opprimée dans le defpotique , fi
négligée dans le monarchique , & fi méprifée
dans l'ariftocratique , en leur exagérant
le tyrannique orgueil des nobles
& en leur laiffant entrevoir la poffibilité
-de s'en délivrer. Par là il s'affuroit du peuple
, qui fuit aveuglément le mouvement
qui lui eft communiqué par ceux qui le font
travailler ou qui le font vivre un extérieur
brillant , des manieres ouvertes & polies
, des bienfaits répandus adroitement ,
acheverent de lui gagner la multitude.
Il ne manquoit à Fiefque que des fol-
' dats. Il eut une occafion favorable , & qui
fe préfentoit naturellement , d'en lever dans
fes terres. Il prit des arrangemens fecrets
avec Pierre- Louis Farnefe Duc de Parme
144 MERCURE DE FRANCE.
& de Plaifance , qui lui promit un fecours
de deux mille hommes. Il fit venir une
galere qui lui appartenoit , dans le port de
Gênes fes amis débaucherent quelques
foldats de la garnifon , & s'affurerent dedix
mille habitans déterminés : avec ces forces
réunies , les conjurés crurent qu'il étoit
tems de prendre une derniere réfolution.
La nuit du premier au fecond Janvier
fut l'inftant arrêté pour l'exécution de leur
projet . L'époque étoit adroitement fixée.
Comme le Doge qui fortoit de place le
premier du mois , ne pouvoit être remplacé
que le quatre , la République devoit fe
trouver dans une eſpèce d'anarchie , dont
il étoit poffible de tirer parti.
Un des chefs de la conjuration , & un
de ceux fur qui Fiefque comptoit le plus ,
étoit Jean Baptifte Verrina , » homme bra-
» ve , impétueux , éloquent : il avoit l'efprit
vafte , mais déréglé ; le coeur élevé ,
» mais corrompu . Son penchant l'entraî
»noit au crime , & le mauvais état de
» fes affaires le lui rendoit prefque indifpenfable.
Une imagination vive &
» forte lui préfentoit fans ceffe des projets
finguliers & hardis , dont il n'examinoit
» jamais ni la juftice ni les refforts , &
» dont il prévoyoit rarement les fuites. Il
étoit ennemi de tout repos , du fien
33
par
inquiétude ,
DÉCEMBRE. 1754. 145
99
inquiétude , de celui des autres par ambition
. Le Gouvernement établi dans fa
patrie lui déplaifoit , précisément parce
qu'il y étoit établi ; & tous ceux qui
» entreprendroient de le changer étoient
fûrs de trouver en lui des confeils dangereux
& des fervices utiles . Ce caractere
»l'avoit rendu cher à Fiefque , dont il régloit
les plaifirs , partageoit la fortune
» & dirigeoit en quelque maniere les paf-
"
fions.
>
Le jour arrêté pour la révolution commençoit
à luire , que les conjurés firent les
dernieres difpofitions. Verrina fe rendit à
l'entrée de la nuit fur la galere de Fieſque
qui étoit fon pofte ; il donna par un coup
de canon le fignal de l'attaque , & l'action
fut auffi - tôt engagée dans l'ordre qui avoit
été projetté. On commença par attaquer
ceux qui défendoient les portes de la ville
les plus effentielles , & dont on ſe rendit
bientôt maître . Jeannetin s'étant éveillé au
bruit , & étant accouru , fut reconnu &
maffacré fur le champ. André Doria euc
le tems de fe fauver dans un château à
quinze mille de Gênes . Cette lâcheté dans
un vieillard célébre par fa valeur , ne doit
furprendre que ceux qui ne connoiffent pas
les hommes .
Les avantages que remporterent les con-
II.Fol, G
146 MERCURE DE FRANCE.
jurés , redoubla leur activité & leur courage
: après s'être fortifiés à la hâte dans les
poftes dont ils s'étoient emparés , ils ſe
répandirent dans les rues en criant , Fiefque
& liberté. Ces deux mots , dont l'un rappelloit
à un grand nombre d'ouvriers le
nom de leur bienfaicteur , & l'autre réveil
loit dans tous les efprits l'idée du plus
grand des biens , féduifirent la populace ,
qui prit auffi-tôt les armes.
Les tentatives que fit le Sénat pour oppofer
la force aux conjurés ayant été funeftes
, il tourna fes'vûes vers la négociation.
Anfaldo Juftiniani , un des Sénateurs
députés , s'avança dans le lieu du tumulte
, & demanda froidement à parler au
nom de la République , au Comte de Fiefque
. Cet homme dangereux n'étoit plus ;
en voulant paffer fur une galere , il étoit
tombé dans la mer , & s'y étoit noyé. » Le
» fecret pouvoit être facilement gardé juf-
» qu'à la fin de l'action , fans la vanité
» puérilę de Jerôme , qui répondit à Juſ
» tiniani qu'il n'y avoit plus d'autre Com-
» te de Fiefque que lui , & qu'il n'écou-
» teroit les propofitions qu'on avoit à lui
faire , que lorfqu'on lui auroit livré le
Palais . Une réponſe auffi imprudente
» eut les fuites qu'elle devoit avoir. Le Sénat
raſſuré par le feul événement qui pût
"
DECEMBRE. 1754. 147.
changer fur le champ & d'une maniere
» ftable la fituation des chofes , montra de
» la fermeté ; & les conjurés , par une rai-
» fon contraire , perdirent toute leur au-
ور
"
dace. A mefure que la mort de leur
» cheffe répandoit , & elle fe répandit fort
» vîte , on voyoit les efprits fe refroidir ,
le-courage expirer dans tous les coeurs ,
& les armes tomber des mains . Ceux
»même que des haines plus vives , de
plus grands intérêts, ou un caractere plus
emporté avoient rendus jufqu'alors plus
» redoutables que les autres , fe laiffoient
» abbattre par la terreur commune. La ré-
» volution fut fi générale , qu'au point du
" jour il n'y avoit pas un feul factieux dans
» les rues de Gênes : ils étoient tous reti-
» rés dans leurs maifons , difperfés dans
» la campagne , ou retranchés dans quel-
» que pofte .
Aing finit cette confpiration , qui par
l'événement établit fur des fondemens prefque
inébranlables l'autorité qu'on avoit
voulu détruire.
politiques de l'Europe , depuis l'élévation
de Charles- Quint au thrône de l'Empire ,
jufqu'au traité d'Aix - la-Chapelle en 1748.
Par M. l'Abbé Raynal , de la Société royale
de Londres , & de l'Académie royale des
Sciences & Belles Lettres de Pruffe . Se
vend chez Durand , au Griffon , rue Saint
-Jacques ; 1754 , 3 vol . in- 8 °.
J'ai déja rendu compte des deux pres
miers volumes de mon ouvrage , je vais
donner l'extrait du troifieme ; il renferme
trois morceaux.
112 MERCURE DE FRANCE.
Hiftoire des révolutions arrivées en Suede
depuis 1515 jufqu'en 1544.
La Suede qui avoit jetté un fi grand éclat ,
lorfque fes habitans , connus fous le nom
de Goths , renverferent l'Empire romain &
changerent la face de l'Europe , étoit retombée
peu -à-peu dans l'obfcurité . Des dif
fenfions domeftiques & les vices du gouvernement
, avoient formé une efpece
d'anarchie , qui auroit cent fois perdu le
Royaume fi les peuples voifins avoient eu
des loix plus fages . Toutes les nations du
Nord languiffoient dans la même barbarie ,
& l'afcendant que les unes pouvoient prendre
fur les autres , ne devoit point venir
de la fupériorité de politique , mais du
bonheur des circonftances ; elles furent
pour le Dannemarc.
Marguerite qui y regnoit , joignoit à
»l'ambition ordinaire à fon fexe , une fui-
» te de vûes qu'il n'a pas fi communément.
» Elle parloit avec grace , & fçavoit em-
»ployer au befoin ce ton de fentiment , qui
» tient fouvent lieu de raifon & qui la rend
toujours plus forte. Contre l'ufage des
» Souverains , elle abandonnoit les appa-
» rences de l'autorité pour l'autorité même ;
» & elle retenoit le Clergé dans fes inté-
» rêts , en lui faifant prendre des déférences
DECEMBRE. 1754 113
»
ور
»
"
pour du crédit. Ce qu'elle faifoit éclater
de magnificence , n'avoit jamais pour ob-
»jet fes goûts , mais fa place ; & foit qu'el-
» le donnât , foit qu'elle récompenfât , c'é
»toit toujours en Reine & au profit de la
Royauté. Lorfque fes projets n'étoient
pas traversés par la loi , elle la faifoit
» obferver avec une fermeté louable ; &
» l'ordre public étoit ce qu'elle aimoit le
» mieux après fes intérêts particuliers . On
» n'a gueres pouffé plus loin qu'elle le faifoit
le talent de paroître redoutable fans
l'être : elle intimidoit fes ennerais par
» d'autres ennemis qu'elle avoit l'art de
» faire croire fes partifans. Ce que fes
» moeurs avoient d'irrégulier étoit réparé
» dans l'efprit des peuples par les dons
» qu'elle faifoit aux Eglifes. Ces facrifices
» coûtoient à fon caractere ; mais fa politique
les faifoit à fa réputation.
"
"
Cette Princeffe entreprit de réunir la
Suede à fes autres Etats , & elle y réuſſit :
mais les Danois ayant abufé de leur fupériorité
, les Suédois trouverent bientôt l'occafion
de fecouer un joug qu'ils déteftoient
, & ils fe donnerent un maître qui
prit le titre d'Aminiftrateur. Les Rois de
Dannemarc n'abandonnerent pas les droits
qu'ils prétendoient avoir fur la Suede , &
ce fut une fource de guerres longues &
114 MERCURE DE FRANCE .
fanglantes entre ces deux Etats.
Chriftiern étoit monté fur le thrône de
Dannemarc ; c'étoit un monftre , qui prefque
au fortir de l'enfance avoit pouffé aux
derniers excès tous les vices , & n'avoit
pas même le mafque d'une vertu . Il ne
chercha point à rapprocher les Suedois du
traité d'union des deux Royaumes , il ne
chercha qu'à les foumettre. Le mécontentement
du Clergé de Suede étoit une difpofition
favorable pour ce Prince. Les Evêques
avoient joui d'une autorité fi étendue
fous les Rois Danois , qu'ils croyoient
ne devoir rien oublier pour ramener les
mêmes circonftances. L'Adminiftrateur
étant mort , ils voulurent mettre à fa place
Elric Trolle , vieillard timide , indolent
irréfolu , & qu'ils auroient fait fervir à
leurs vûes ; mais ce projet échoua. Stenon ,
fils du dernier Adminiftrateur , fut élu , &
il fit conférer l'Archevêché d'Upfal au fils
de Trolle ; démarche qu'il crut propre ,
fans doute , à confoler fon rival de fon
exclufion . Ĉe bienfait politique n'eut pas
le fuccès qu'il en attendoit . Trolle plus humilié
que touché du tendre & généreux
intérêt que ce Prince avoit pris à lui , fit
éclater un reffentiment qui allarma égale
ment pour Stenon & pour la patrie. Le
jeune Prélat ne pouvoit pas fe conføler de
DECEM BR E. 1754. 115
n'être que le fecond dans un état qu'il avoit
compté gouverner d'abord ſous le nom de
fon pere , & dans la fuite fous le fien . Son
mécontentement éclata bientôt.Il fe mit à la
tête du Clergé , s'unit avec les Danois , &
corrompit le Gouverneur de quelques places
fortes. Stenon inftruit de tout ce qui
fe tramoit contre l'Etat , convoqua le Sénat
, & Trolle fut reconnu pour l'auteur
& le chef de la confpiration. L'Archevêque
déterminé à la ruine de fon pays , par
un reffentiment que les contretems rendoient
plus vif, ne daigna ni juftifier fa
conduite , ni fe plaindre de fes complices :
il fe retira dans le châreau de Steke , en
attendant du fecours de Chriftiern. A perne
l'Adminiftrateur eut - il commencé le
fiége de cette place , que les Danois vinrent
faire une defcente près de Stockolm ;
Stenon y marcha avec une partie de fon
armée , & il fe livra un combat auffi fanglant
qu'il devoit l'être au commencement
d'une campagne entre deux nations rivales
, dans une occafion décifive & pour de
grands intérêts. La victoire fe déclara pour
La Suede , les Danois regagnerent leurs
vaiſſeaux , & l'Archevêque fut obligé de
fe rendre. Les Etats le déclarerent ennemi
de la patrie , l'obligerent de renoncer à fa
dignité , & le condamnerent à finir fés
jours dans un cloître.
116 MERCURE DE FRANCE.
"
23
» Quand le Pape n'auroit pas été follicité
par le Prélat dépofé & par Chriftiern
» de s'élever contre ce jugement , il l'au- |
» roit fait. La Cour de Rome dont les droits
» n'avoient pas été auffi bien éclaircis
» qu'ils l'ont été depuis , appuyoit indiffé-
» remment le Clergé dans toutes les affai-
» res , avec une vivacité & une fierté qui
» ne fe démentirent pas en cette occaſion .
» Elle fit menacer les Etats & l'Adminif
» trateur des cenfures de l'Eglife , s'il ne
rétabliffoient fans tarder l'Archevêque
fur fon fiége , & dans tous les avantages
» dont on l'avoit privé.
"
» Il eft glorieux pour l'humanité que
» dans un fiécle où la Philofophie avoit fait
» fi peu de progrès , un peuple entier ait
» diftingué l'autorité légitime du chef de
» la religion , de l'abus qu'il en peut faire.
» Les Suédois en marquant beaucoup de
» refpect au Souverain Pontife , parurent
» affez tranquilles fur les foudres qu'il préparoit
contr'eux. Ils témoignerent de la
répugnance à lui defobéir ; mais enfin ils
» lui defobéirent , & ils aimerent mieux
» l'avoir pour ennemi que de rifquer de
» rallumer dans leur patrie le feu des
» guerres civiles qu'ils avoient eu tant de
peine à éteindre. Si cette généreufe réfolution
avoit été accompagnée d'un ex-
"
و د
DECEMBRE. 1754 117
cès d'emportement , Rome fe feroit trou-
» vée heureufe : dans la réfolution où elle
» étoit de pouffer les chofes à l'extrêmité ,
elle auroit voula paroître forcée à des
❞ violences par des outrages qui les juftifiaffent.
L'impoffibilité de mettre les apparences
de fon côté , ne lui fit pas aban-
» donner fes vûes : elle mit en interdit la
» Suede , excommunia l'Administrateur &
» le Sénat , ordonna le rétabliſſement de
» Trolle , & pour comble d'injuftice , chargea
le Roi de Dannemarc de procurer
" par la voie des armes l'exécution d'une
Bulle fi odieufe.
و د
Chriſtiern étoit & fe montra digne d'une
telle commiffion. Il entra en Suede , & mit
tout à feu & à fang ; après bien des ravages
& bien des cruautés , les Suédois furent
défaits dans une bataille où Stenon fut
rué ; cet événement fit la deftinée de la
Suede ; tout tomba dans une confufion
horrible. Trolle qui avoit profité des malheurs
publics pour remonter fur fon fiége ,
convoqua les Etats. La craintelou la féduc
tion y firent reconnoître fans obftacle l'au
torité de Chriftiern , qui commença par
immoler à fon reffentiment & à fon ambition
tout ce qui auroit pu lui faire quelque
ombrage. Il fit maffacrer les Seigneurs
les plus diftingués de Suede & tout ce qui
118 MERCURE DE FRANCE.
reltoit d'hommes puiffans affectionnés à
leur patrie , ou aimés des peuples. Avec ces
victimes expira l'efpérance & prefque le
defir de la liberté. Les loix anciennes furent
abrogées , le defpotifme porté au dernier
période , & il ne fe fit aucun mouve
ment . Rien ne caufoit & ne pouvoit caufer
d'inquiétude à Chriftiern que la
fonne de Guftave Vaſa.
per-
Ce jeune Seigneur defcendoit des anciens
Rois de Suede , & s'étoit fignalé dans
plufieurs occafions ; c'étoit un homme fupérieur
, né pour l'honneur de fa nation
& de fon fiécle , qui n'eut point de vices ,
peu de défauts , de grandes vertus & encore
plus de grands talens.
Retenu en Dannemarc par une perfidie ,
il avoit trouvé l'occafion de s'échapper des
mains de Chriftiern , & s'étoit caché dans
les montagnes de la Dalecarlie. Après avoir
erré long- tems , forcé par le befoin de travailler
aux mines , il trouva enfin chez un
Curé un afyle , qui devint le berceâu de la
liberté , de la gloire & du bonheur de la
Suede. De concert avec cet Eccléfiaftique ,
homme fage , defintéreffé , inftruit , accrédité
, zélé pour fa patrie , Guftave commença
par échauffer les efprits , & il profita
du premier feu de l'enthoufiafme qu'il fit
aaître pour fe faire un parti. A la tête de
DECEMBRE. 1754. 119
par
quatre cens hommes il emporta d'affaut
une place commandée le Gouverneur
de la province ; fes premiers fuccès donnerent
de l'audace ; fa petite armée s'accrut
à vûe d'oeil , & il n'eût qu'à fe montrer
dans les provinces voisines de la Dalecarlie
pour les foulever. La timidité & l'indolence
du Viceroi que Chriftiern avoit
laiffé en Suede , donna à Guſtave le tems
de faire des progrès plus confidérables , de
groffir & de difcipliner fes troupes . Trolle
faifit le tems où les Dalecarliens s'étoient
retirés dans leurs pays pour faire la moiffon
; il fe mit à la tête de quatre mille
hommes , & alla attaquer brufquement
Guftave , qui n'étoit pas affez fort pour
l'attendre. Ce léger échec fut bientôt réparé
par Guftave , qui l'attaqua à fon tour
fi vivement , que l'Archevêque échappa à
peine avec la dixieme partie de fes troupes.
Les vainqueurs marcherent droit à Stockholm
; le Viceroi & l'Archevêque , dans la
crainte que quelque malheureux hazard
ne les fit tomber entre les mains de leurs
ennemis , s'enfuirent en Dannemarc . Leur
retraite fut un événement décifif pour
mécontens. L'indépendance du Royaume
parut affez affurée
pour qu'on crût pouvoir
convoquer fans rifque les Etats Généraux
, & donner quelque forme à un
,
les
120 MERCURE DE FRANCE.
Gouvernement qui n'en avoit point .
» L'affemblée ne fut pas nombreufe ; il
ne s'y trouva de Députés que ceux que
» l'amour de la patrie & la haine des tyrans
» élevoient au - deffus de tous les périls.
» Les réfolutions des hommes de ce carac-
» tere ne pouvoient manquer d'être har-
» dies & leurs démarches vigoureufes . Ils
» renoncerent folemnellement à l'obéïffan
» ce qu'ils avoient promife à Chriftiern ,
» éleverent leur Général , qui n'avoit dû
» jufqu'alors for autorité qu'à fon coura-
» ge , à la dignité d'Adminiftrateur , & ar-
» rêterent qu'on continueroit à faire une
» guerre vive & fanglante.
Tandis que Guftave reprenoit fur les
Danois les places qui leur reftoient en Suede
& qu'il formoit le fiége de Stockholm ;
la révolution qui fe fit en Dannemarc affûra
l'indépendance de la Suede. La tyrannie
& les excès de Chriftiern révolterent fes
fujets , & leur infpirerent une réfolution
violente . Ils déthrônerent ce Prince , qui
fe retira auprès de Charles - Quint fon beaufrere
, & ils placerent fur le thrône Frideric
, Duc de Holſtein.
Cet événement ôta aux Danois , qui
étoient encore en Suede , le courage , l'efpérance
& la force de s'y maintenir. Ceux
qui défendoient Stockholm offrirent de
capituler;
DECEMBRE . 1754. 125
capituler ; mais l'Adminiftrateur laiffa traîner
le fiége , fous prétexte de le finir d'une
maniere plus honorable , mais en effet pour
obliger par ce fantôme de péril les Etats
Généraux de lui déférer la couronne . Cette
politique étoit plus artificieufe que néceffaire.
Guftave fut proclamé Roi avec une
unanimité & un enthouſiaſme qui étoient
fûrement les fuites de la plus vive admiration
& d'une efpece d'idolâtrie . L'union
que fit ce Prince avec Frideric , acheva
d'établir la tranquillité , la gloire & l'indépendance
de la Suede. Guftave ne fongea
plus qu'à réformer l'intérieur du Royaume
, en fubftituant de bonnes loix à la barbarie
ancienne, & une police fage aux abus
introduits par les troubles civils. Il fut
éclairé , foutenu & dirigé dans fes vûes
par un homme célebre , qu'il eft important
de connoître à fond.
Ce confident habile fe nommoit Larz-
Anderfon , né de parens obfcurs & fans
fortune. Il avoit commencé à fe diftinguer
dans l'Eglife ; mais dégoûté d'une carriere
où l'on n'avançoit que par les fuffrages de
la multitude , il s'attacha à la Cour. » Guftave
démêla bientôt dans la foule des
» courtifans empreffés à lui plaire, un hom-
» me propre à le fervir ; & dédaignant
»toutes ces petites expériences fi néceffai-
11. Fol.
و د
F
22 MERCURE DE FRANCE.
» res aux Princes médiocres , & qui ne leur
»fuffifent même pas , il l'éleva tout de
» fuite au premier pofte du Royaume , &
» le fit fon Chancelier,
و ر
» Anderſon juſtifia cette hardieffe . C'é-
» toit un génie que la nature avoit fait pro-
» fond , & que les réflexions avoient étendu,
Quoiqu'il eut l'ambition des grandes
places , il avoit encore plus l'ambition
» des grandes chofes , & il aimoit mieux
voir croître fa réputation que fon crédit.
» Il n'étoit pas citoyen dans ce fens qu'il fe
» fût facrifié pour fa patrie ; mais il méri-
>> toit ce beau nom , fi on veut l'accorder
» aux Miniftres qui ont des idées aflez juf-
» tes pour croire que leur gloire eft infé-
»parable de celle de leur Roi & de leur na-
» tion. L'exemple de ceux qui l'avoient pré-
» cédé ni le jugement de ceux qui le devoient
» fuivre , n'étoient pas la régle de fa con-
»duite ; fes projets n'étoient cités qu'à fon
» tribunal & à celui de fon maître. Cette
» indépendance qui ne peut être fentie que
» par ceux qui l'ont , étoit accompagnée
» d'une fagacité qui faififfoit tout , depuis
»les premiers principes jufqu'aux dernie-
" res conféquences , & d'une lumiere qui
» fourniffoit des vûes fublimes & les expédiens
propres à les faire réuffir . Letalent
» de hâter les événemens fans les précipi
ter lui étoit comme naturel ; & en par
و د
39
DECEMBRE. 1754 123
-99
93
و د
roiffant céder quelquefois aux difficultés,
il venoit toujours à bout de les furmonter.
L'étude de l'hiftoire & fes réflexions
» l'avoient affermi contre les murmures ,
les tumultes , les révoltes même ; & il
» étoit convaincu qu'avec du courage , du
fang froid & de la politique on vient
» tôt ou tard à bout de fubjuguer les hom-
" mes & de les ramener à leurs intérêts. Il
fçavoit le détail des loix comme un Ma-
» giftrat , & en poffédoit l'efprit en Légiflateur.
On réfiftoit d'autant moins à fon
éloquence , qu'elle partoit d'une raifon
» forte . Ce Miniftre appartenoit plus à un
autre âge qu'à celui où il vivoit ; & fes
» contemporains qui n'étoient pas à beau-
>> coup près auffi avancés que lui , n'apperçurent
pas toute l'élévation de fon ca-
» ractere , ni l'influence qu'il eut fur les
» révolutions qu'éprouva la Suede .
บ
93
"
Ce Royaume étoit la proye des Eccléfiaftiques
: leur autorité pouvoit exciter de
nouveaux troubles , & ils poffédoient tout
l'argent , toutes les richeffes de la Suede . I
falloit trouver un prétexte pour les dépouiller.
Anderſon en imagina un ; c'étoit
d'introduire le Luthéranifme , qui faifoit
des progrès rapides en Allemagne , & qu'il
avoit adopté par cet efprit d'inquiétude fi
ordinaire à ceux qui font nés plus grands
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
que leur condition. Guſtave adopta les
vûes de fon Chancelier ; mais cette révolution
ne pouvoit fe faire que par dégrés :
on laiffa le tems au Luthéranifme de s'établir
dans le Royaume. Des Docteurs de
réputation qu'on fit venir d'Allemagne , lui
donnerent de l'éclat ; la faveur qu'ils parurent
avoir, leurs déclamations, le goût de la
nouveauté entraînerent bientôt une partie
de la nation . A mefure que le Luthéranifme
faifoit des conquêtes fur le Royaume ,
Guftave en faifoit fur le Clergé. Il commença
par abolir une efpece d'impôt que
les Curés avoient mis fur certains péchés .
Il ôta aux Evêques le droit qu'ils avoient
ufurpé d'hériter de tous les Eccléfiaftiques
du fecond ordre. Les troupes furent mifes
en quartier d'hiver fur les terres du Clergé ,
ce qui étoit fans exemple : enfin il propofa
de prendre les deux tiers des dîmes pour
l'entretien des troupes , & une partie de
l'argenterie & des cloches des Eglifes riches
pour abolir , en payant les étrangers ,
les privileges odieux dont ils jouiffoient.
Ces expédiens furent généralement approuvés
; & s'il y eut quelque mécontentement
, il n'éclata pas.
Guftave mit la derniere main à fes grands
deffeins, en convoquant les Etats Généraux
à Vefteras en 1527. Les innovations qu'il
DECEMBRE . 1754. 125
propofa pour achever d'écrafer la puiffance
du Clergé , parurent trop hardies , &
le ton de defpotifine qu'il prit étoit trop
nouveaupour ne pas exciter quelques mou.
vemens ; mais ils n'eurent point de fuites .
Les troubles furent bientôt appaifés , & ce
que les Etats avoient arrêté fut établi fans
obftacle. » Le mépris pour la Communion
» Romaine fuivit la ruine & l'aviliffement
» du Clergé , qui avoient été le but de tou-
» tes les innovations qu'on venoit d'intro-
» duire. Guftave fe déclara enfin Luthe-
» rien , & toute la nation voulut être de
» la religion du Prince . Rien ne prouve
» les progrès de l'efprit de fervitude dans
» un Etat , comme l'influence du Souverain
fur la croyance des peuples. Le facrifice
de fes opinions qui coûte fi peu à
» la Cour , où on n'a proprement que des
préjugés , eft fi grand à la ville & dans
» les provinces où on a des principes ,
» qu'il prépare à tous les autres facrifices ,
» & même les affure . Auffi lorfque Guf-
» tave demanda aux Etats en 1544 , que
» la Couronne qui avoit toujours été élec-
» tive fû: déclarée héréditaire , il n'éprou
» ya point de contradictions .
" Tel fut le dernier acte d'un des regnes
les plus éclatans que le Nord ai vû ;
» nous ajouterions d'un des plus heureux ,
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
»fi Guſtave avoit été auffi jufte qu'il étoir
»grand , & fi en faifant par fon caractere
»le bonheur de la génération qu'il gou-
» vernoit , il n'avoit pas préparé le mal-
» heur de celles qui devoient la fuivre ,
en établiffant un defpotifme dont fes fuc-
»ceffeurs ne pouvoient manquer d'abuſer .
Hiftoire du divorce de Henri VIII. Roi
d'Angleterre , & de Catherine d' Arragon ,
depuis 1527 jufqu'en 1534.
Henri VII , furnommé dans l'hiftoire le
Salomon de l'Angleterre , voulut rendre à
fa couronne , par une alliance avantageufe,
l'éclat que les guerres civiles lui avoient
fait perdre , & il obtint pour le Prince de
Galles fon fils , Catherine d'Arragon . Ce
mariage ne fut pas heureux ; le jeune Prince
mourut un an après , à l'âge de quinze
ou de feize ans. Cet événement pouvoit
Fompre les liens qui uniffoient l'Espagne
& l'Angleterre , & qui les rendoient redoutables
à tous leurs voifins. Pour calmer
les inquiétudes des deux Puiffances , il fut
arrêté que le nouveau Prince de Galles
épouferoit la veuve de fon frere . Pour former
ces nouveaux noeuds , on eut befoin
d'une difpenfe , & le Pape Jules fecond
l'accorda,
DECEMBRE. 1754. 127
Henri & fa belle-four furent fiancés
folemnellement en 150;, & le Prince qui
n'avoit alors que douze ans , n'eut pas
plutôt atteint fa quatorziéme année qu'il
it en préſence de plufieurs témoins une
proteftation en forme contre le confentement
qu'il avoit donné. Cette proteſtation
fut tenue fecrette jufqu'à la mort de
Henri VII en 1509 , & le mariage fur
célébré la même année . » Catherine avoit
» des vertus , mais les agrémens de fon
» fexe lui manquerent. Elle n'avoit ni grace
» ni dignité , ni defir de plaire ; fa triftefle
» & fon indolence augmenterent avec l'âge
» & les infirmités . Le dégoût de Henri qui
»> ne l'avoit jamais aimée , devint infen-
» fiblement extrême , & ouvrit le coeur de
» ce Prince à une paffion fort vive pour
» Anne de Boulen.
Anne étoit plus que belle , elle étoit
piquante. Ses traits manquoient de régularité
; il en réfultoit cependant un
enfemble qui furpaffoit la beauté même.
» Une taille parfaite , le goût de la danfe ,
» une voix touchante , & le talent de
jouer avec grace de plufieurs inftru-
» mens , relevoient en elle l'éclat de la
premiere jeuneffe. Quoique la France
ne fût pas alors autant qu'elle l'a été
depuis en poffeffion de fervir de modele
"
Fiiij
128 MERCURE DE FRANCE.
» aux autres peuples , Anne y avoit pris
» des manieres , un ton , des modes , qui
» fixerent fur elle les yeux & prefque l'ad-
» miration de la Cour de Londres. Cette
premiere impreffion fut foutenue par une
» converfation vive & légere , par un enjouement
ingénieux & de tous les inftans.
Les foupçons que pouvoit faire naître
fon air libre & trop carreffant, étoient
détruits par fon âge & par fa diffipation.
Elle ne montroit de l'empreffement
"que pour les plaifirs & pour les fêtes ; &
il paroiffoit fi peu d'art dans fa conduite Ᏺ
qu'il étoit prefque impoffible de lui fup-
»pofer des projets. Sa coquetterie ne fit
pas & ne devoit pas faire des impref-
»lions fâcheufes on la regarda comme
» une fuite de l'éducation frivole qu'elle
avoit reçue , & non comme un vice du
» coeur, ou le fruit de la réflexion . Les
» événemens prouverent que fon caractere
» avoit échappé aux courtifans les plus dé-
» liés : elle fe trouva diffimulée , profonde
, ambitieufe , & fut tout cela à un
» haut dégré & avant vingt ans.
Percy parut le premier fenfible aux char
mes d'Anne , ou fut , fi l'on veut , le premier
féduit par fon adreffe. Ses foins furent
acceptés , & leur union alloit être
confommée fi l'amour du Roi n'y avoit mis
DECEMBRE. 1754. 129
1
obftacle. Percy fut forcé de renoncer à fa
maîtrelle : Henri déclara lui-même à Anne
les fentimens qu'il avoit pour elle , mais
il la trouva plus fiere qu'il ne l'avoit cru.
Eclairée fur la violence de la paffion qu'elle
avoit infpirée , elle parut plus offenfée que
Alattée des propofitions du Prince , & lui
fignifia qu'elle feroit fa femme ou ne lui
feroit rien. C'est à cette époque que les
écrivains Catholiques fixent la premiere
idée qu'eut Henri de faire divorce avec
Catherine ; les Proteftans la font remonter
plus haut. On n'eft pas moins embarraſſé
fur la date précife de la réfolution qu'il
en prit ; on auroit évité de longues & ameres
conteftations , fi on avoit été affez
defintéreffé de part & d'autre , pour voir
que le Cardinal Wolfey étoit l'unique ,
ou du moins la principale caufe de ce
grand événement.
Cet homme célébre , rapidement paffé
de la condition la plus baffe au miniſtere
& à la pourpre , avoit d'abord embraffé le
parti de l'Empereur , & il l'abandonna
enfuite , parce qu'il vit que ce Prince l'avoit
trompé par les fauffes efpérances qu'il
lui avoit données de le placer fur le trône
de l'Eglife . Wolfey voulut humilier Charles-
Quint , en faisant répudier Catherine
d'Arragon fa tante. Ce Cardinal porta
Fv
130 MERCURE DE FRANCE..
dans cet odieux procès plus d'adreffe que :
la paffion n'en permet ordinairement , &
plus de circonfpection qu'on ne l'auroit:
dû efpérer de la hauteur & de l'emporte--
ment de fon caractere. Il commença par
perfuader le Confeffeur du Roi , dont les .
remontrances firent naître des doutes dans
l'efprit de Henri , & ces fcrupules joints à
la décision de quelques Théologiens , le
déciderent entierement pour le divorce..
Sa réfolution ne tarda pas d'éclater. Trois
Ambaffadeurs François étant arrivés en Angleterre
, conclurent fans beaucoup de difficultés
, un traité de paix perpétuelle entre
les deux nations , & ils arrêterent que:
Marie , fille de Henri , épouferoit François
I. ou fon fecond fils le Duc d'Orléans
.
"
"
» L'Evêque de Tarbes , celui des Am-
» baffadeurs qui avoit le plus le talent des
" affaires , & le feul qui eut le fecret de
» celle-là , parut environ huit jours après
la fignature du traité , mécontent d'une
» négociation dont le fuccès éroit regardé
» comme complet. Son chagrin fut remar
» qué comme il le devoit être , & on cher-
» cha à en deviner la caufe . Le public s'é-
" puifa à l'ordinaire en conjectures , & les
gens en place en queftions. Lorfque le
» Prélat crut avoir affez long-tems tenu
DECEMBRE. 1754. 131
les efprits en fufpens , il fe laiffa arra-
» chet fon fecret : il dit avec un certain
embarras affez ordinaire à ceux qui ont
des vérités fâcheufes à annoncer aux
Princes , qu'il craignoit beaucoup qu'u-
»ne partie des liens que venoient de for-
>> mer les deux nations , ne fuffent bien-
» tôt rompus , & qu'en particulier le mariage
projetté ne pût pas s'exécuter. Preffé
» de s'expliquer fur le myftere que renfer-
» moient ces dernieres paroles , il avoua
» qu'il croyoit nulle l'union de Henri &
» de Catherine , & qu'il étoit inftruit que
» les Théologiens les plus habiles ne pen-
» foient pas autrement que lui.
» Le Roi parut frappé de ce difcours
» comme il l'eût été d'un coup de foudre ;
fon but étoit de perfuader par cet éton-
» nement à l'Europe que le premier doute
» fur fon mariage lui étoit venu à cette oc--
» cafion.
Les fcrupules de l'Evêque de Tarbes furent
regardés comme des vérités incontef
tables , & il partit fur le champ pour l'I--
talie un Miniſtre , chargé de folliciter au--
près du Saint Siége la diffolution du ma--
riage avec Catherine .
Člement VII . qui gouvernoit alors , étoit
encore prifonnier au Château Saint - Ange.-
Le fecours prompt & affuré qu'on lui pro-
Fvj
132 MERCURE DE FRANCE.
mit , l'auroit infailliblement déterminé à
faire ce qu'on exigeoit de lui , s'il n'eût
été arrêté par la crainte de Charles - Quint.
Lorfque le Pape fut libre , les négociateurs
Anglois devinrent plus preffans , mais leur
adreffe & leur activité ne purent vaincre
fes irréfolutions. Il vint à bout de faire
naître des obftacles & des incidens fort
naturels , qui reculoient la décifion de cette
affaire . Après bien des détours & des lenteurs
, preflé par les inftances de l'Angleterre
, Clement établit enfin Wolfey juge
de l'affaire du divorce , & on lui donna
pour adjoint le Cardinal de Campege , qui
s'étoit trouvé du goût des deux Cours.
Il n'y avoit qu'à fuivre la négociation
de Campege , pour être convaincu que le
Pape ne donneroit jamais les mains à un
projet contraire aux intérêts de fon Siége
& à ceux de fa maifon , & qu'il vouloit
feulement obtenir par ce moyen un traitement
plus avantageux de Charles. Quint.
L'affaire fe rempliffoit tous les jours de
nouvelles difficultés. Henri que fa paffion
mettoit dans un état violent , fatigué
de tant d'indécifions , envoya de nouveau
à Clément deux Miniftres pour preffer l'exécution
de fon projet ; mais leurs infinuations
n'ayant pas eu le fuccès qu'ils
s'étoient promis , ils eurent recours à des
DECEMBRE. 1754 133
moyens odieux. Ils joignirent aux reproches
les plus humilians , des menaces effrayantes.
On faifoit craindre au Pape d'être déposé ,
fous prétexte que fon élection avoit été
irréguliere ; que l'Angleterre ne fecouât un
joug qui devenoit tous les jours plus dur &
plus injufte , & que l'Europe entiere éclairée
& enhardie par un exemple fi frappant ,
ne renonçât à l'ancien préjugé qui la tenoit
fous la domination du S. Siége. Ces
moyens ne réuffirent pas , & l'affaire du
divorce fut ramenée au tribunal de Wolfey
& de Campege. Les Légats , après l'examen
de cette caufe finguliere , citerent le
Roi & la Reine pour le 18 Juin 1529. La
Reine comparut devant eux , mais les recufa
pour juges , & ne voulut jamais fe
défifter de fa récufation . » On l'auroit peut-
» être crue occupée de fa vengeance , fi
nenfe précipitant devant toute l'aflemblée
" aux pieds du Roi , elle n'avoit fait voir
» qu'il n'y avoit dans fon coeur que le défir
» & peut- être l'efpérance de regagner un
» coeur qu'elle avoit malheureufement perdu.
Cette pofture , fon amour & fes infortunes
lui infpirerent tout ce qu'on
peut imaginer de plus modeste , de plus
» tendre & de plus touchant. Dès qu'elle
» eut fini de parler , elle fe retira , & alla
attendre dans l'obfcurité , dans les lar134
MERCURE DE FRANCE.
" mes & dans l'incertitude les effets d'une
» fcene aufli attendriffante que celle qui
» venoit de fe paller.
» Le denouement de ce coup de théatre
» ne fut pas tel qu'on avoit cru pouvoir
» l'efpérer. Tout l'attendriffement qu'on
avoit remarqué dans le Prince fe réduifoit
à une compaffion ftérile , & à des
éloges vagues. Henri rendit justice à la
» conduite exemplaire , à l'humeur douce ,
» à la foumiffion fans bornes de Cathe-
» rine ; & il parut fâché que la religion &
la confcience ne lui permiffent pas de
finir fes jours avec une Reine malheureufe
, qui n'avoit jamais rien dit ni rien-
»fait que de louable .
Tandis que Campege éloignoit tant qu'il
pouvoit la décifion de cette affaire , l'Empereur
fit un traité à Barcelone , dans lequel
il traitoit favorablement le S. Siége
dans la vûe de fe venger , fur tout du Roi
d'Angleterre , qui l'infultoit cruellement
dans la perfonne de fa tante. Le Pape immédiatement
après fon raccommodement
avec l'Empereur , évoqua l'affaire du divorce
, & fe rendit par cette démarche foible
& imprudente , l'inftrument d'une hai
ne , d'un orgueil , d'une politique qu'il auroit
dû traverfer , & dont il pouvoit trèsaifément
devenir la victime.
DECEMBRE.
1754. 135
Campege s'en retourna à Rome , & Wol- .
fey fut immolé au reffentiment du Roi ; il
fe vit accablé d'une fuite d'accufations
d'opprobres & de malheurs qui le conduifirent
au tombeau.
Henri dont les contretems ne faifoient
qu'irriter la paffion , fut obligé de chercher
d'autres moyens on lui confeilla deconfulter
toutes les Univerfités de l'Europe.
Celle d'Oxford & de Cambridge étoient
vendues à la Cour , & déclarerent le mariage
nul. Celles de France furent affez
partagées , & la Sorbonne , divifée en plufieurs
factions , ne céda qu'à des vûes d'intérêt
& de politique à la volonté du Roi
& à l'argent d'Angleterre. Le dernier de
ces moyens fut feul affez puiffant pour gagner
les Univerfités d'Italie . La fureur de
fe vendre étoit montée à tel point qu'on
avoit un Théologien pour un écu ; quelquefois
pour deux une Communauté entiere
, & qu'un Couvent de Cordeliers
paffa pour cher parce qu'il en coûtoit dix.
Mais les Théologiens Allemans ne cederent
ni à la féduction ni aux follicitations ,.
& refuferent de fe déclarer pour le divorce.
La Cour de Rome vit ces manoeuvres
avec une indifférence méprifante : c'étoit
un étrange aveuglement de penfer qu'on
136 MERCURE DE FRANCE.
la fubjugueroit par les décisions de quelques
Théologiens . Cette Cour trop intéreffée
depuis long-tems , & trop politique
pour fe conduire par les maximes foibles ,
bornées & incertaines des cafuiftes , regardoit
malheureufement moins la religion
comme fa fin , que comme un moyen d'y
arriver.
Henri qui voyoit avec douleur le peu
de fruit qu'il tiroit de toutes fes démarches
, forma , pour fe venger de Clement ,
le deffein de lui enlever l'Angleterre . Il
commença par défendre , fous des peines
capitales , de recevoir aucune expédition
de Rome qui ne fût appuyée de fon autorité
. Il attaqua les privileges du Clergé , &
dépouilla le Pape de fes droits les plus effentiels.
Dans le même tems , Catherine
preffée de nouveau de confentir au divorce
, & toujours ferme dans ſon refus , fut
obligée de s'éloigner de la Cour , où elle
ne retourna jamais.
Le Roi d'Angleterre voulut enfin terminer
fes irréfolutions , en fuivant le confeil
que lui donna François I. de fe paffer
de la difpenfe du Pape , & d'époufer fans
délai une femme aimable , qui étoit devenue
néceffaire à fon bonheur. Le mariage
fe fit , & demeura fecret jufqu'à la
groffeffe d'Anne de Boulen , qui força de
DECEMBRE . 1754. 137
le rendre public avant même qu'on eût pû
déclarer nul celui de Catherine. Cette derniere
opération fut l'ouvrage de Cranmer ,
Archevêque de Cantorbery , qui engagea
le Clergé d'Angleterre à prononcer fur
l'affaire du divorce ; & malgré la précaution
qu'avoit prife le Pape de fe referver
la connoiffance de ce grand procès , le ma--
riage fut caffé folemnellement. Anne entra
en triomphe dans Londres , & y fut reçue
avec un éclat & une magnificence finguliere
.
Clément apprit avec un dépit fenfible
ce qui venoit de fe paffer : il fit une Bulle
qui excommunioit Henri & Anne de Boulen
, s'ils ne fe quittoient dans quelques
mois ; & après de nouvelles négociations
pour terminer cette affaire , le Pape affembla
fon Confiftoire , & le réfultat fut une
fentence qui obligeoit le Prince à repren
dre Catherine , fous peine d'excommunication
pour lui , & d'interdit pour fon
Royaume. Le Parlement avoit prévenu ce
jugement par une loi qu'il avoit faite quelques
jours aparavant , & qui défendoit de
reconnoître l'autorité du Pape. Henri recueillir
le fruit d'une politique profonde &
fuivie ; & fans faire d'autres changemens
dans la religion , il défendit tout commerce
avec le S. Siége , & voulut être lui -même
138 MERCURE DE FRANCE.
chef de l'Eglife dans fon Royaume . La nation
adopta les idées fchifmatiques qu'on
lui préfentoit ; elle fuivit depuis les opinion
de Zuingle fous Edouard , retourna à
la communion de Rome fous Marie , & fe
forma fous Elizabeth un culte qu'elle profeffe
encore aujourd'hui , fous le nom de
Religion Anglicane.
Hiftoire de la conjuration de Fiefque
en 1546 & 1547.
André Doria délivra en 1528 la République
de Gênes du joug de la France ,
& y établit l'ordre qui fubfifte encore aujourd'hui,
Ce plan de Gouvernement , le feul
peut-être qui pût convenir au caractere
» des Génois , & à la fituation où ils fe
» trouvoient , les devoit raffurer naturelle-
» ment contre les entreprifes de Doria . Si
» ce grand Capitaine eût en réellement
» les vûes que lui ont fuppofées la plupart
" des hiftoriens , ou il auroit laillé fon
"pays dans l'anarchie , ou il y auroit éta-
39
bli des loix mauvaifes , ou il fe feroit
" emparé de la dignité de Doge ; trois
» voies qu'il lui étoit aifé de prendre , &
» dont chacune devoit prefque néceffaire-
» ment le rendre maître de la République.:
33
DECEMBRE. 1754. 139
» Avec un peu d'attention , on démêle
» qu'il ne cherchoit ni à être tyran ni à
» être citoyen , & qu'il vouloit fe venger
» feulement de la France , qu'il avoit bien
fervie , & dont il étoit mal traité. Ce
projet qui étoit connu de tout le monde
, & celui de maintenir la révolution ,
» l'autorifoit , fans qu'on en prît ombrage ,
» à fe charger , comme il fit , du comman
dement des galeres de Charles Quint . 11
eft vrai que ce moyen avoit quelque
» chofe d'équivoque , & qu'il pouvoit fer-
» vir à opprimer la liberté publique auffi
bien qu'à la défendre : mais l'ordre que
» Doria avoit d'abord établi dans l'Etat ,
étoit une preuve de modération , que ce
» qu'il avoit laiffé voir d'ambition ne de-
» voit gueres affoiblir , & que fa conduite
» fortifioit extrêmement. Content de l'em-
» pire que lui donnoient fur les efprits &
>> fur les coeurs les grandes chofes qu'il
» avoit faites , il paroiffoit préférer de
» bonne foi la tranquillité de la vie privée
» à l'embarras des grandes places , & fe
» livrer aux affaires plutôt par zéle que
" par goût. Il y a apparence que des dehors
auffi impofans auroient trouvé une
» confiance entiere , fans la préfomption:
» & les hauteurs d'un parent éloigné qu'il.
avoit adopté pour fils ..
140 MERCURE DE FRANCE.
Ce jeune homme fe nommoit Jeannetin
Doria : condamné dès fes premieres années
à des travaux obfcurs , l'yvreffe où le jetta
le changement de fa fortune lui donna un
orgueil & des manieres qui révolterent
tout ce qui avoit de l'élévation dans l'ame ,
& fingulierement Jean- Louis de Fiefque ,
Comte de Lavagna. Ce jeune Seigneur ,
l'homme le plus riche de la République ,
éroit magnifique , aimable & féduifant :
avec un grand nombre de qualités brillan
res , il avoit l'apparence de plufieurs vertus.
» L'inquiétude qui le pouffoit aux gran-
» des places , venoit du defir qu'il avoit de
» faire de grandes chofes ; l'ambition ne
» lui étoit infpirée que par la gloire. Une
" erreur , qui étoit plutôt un malheur de
» fon âge qu'un défaut de fon efprit , lui
» fit confondre la célébrité avec une répu-
" tation fondée : il alla jufqu'à croire qu'il
» lui fuffiroit d'occuper de lui fes contem-
" porains , pour llaaiiffffeerr uunn grand nom à la
» poftérité. Tous ceux qui l'avoient étu-
» dié & qui fe connoiffoient en hommes ,
» lui trouvoient à vingt- deux ans une po-
»litique très- raffinée & une diffimulation
impénétrable : il leur paroiffoit né pour
» affervir fa patrie ou pour l'illuftrer .
Fiefque ne pouvoit manquer d'être mécontent
de la fituation où fe trouvoit la
DECEMBRE.
1754. 141
République . Il lui parut également indigne
de lui de vivre dans l'obfcurité , ou d'en
fortir par la faveur d'un homme qu'il méprifoit.
» Entre plufieurs moyens que lui
و ر
préfenta une imagination forte & impé-
» tueufe , celui de faire périr les Doria fut
» le feul qui lui parût infaillible , & il s'y
» arrêta avec beaucoup de fang-froid & de
» fermeté. La néceffité de changer la for-
» me du Gouvernement pour foutenir
» une démarche auffi hardie , ne l'effraya
» pas , & fut peut -être fans qu'il s'en dou-
» tât un motif de plus : il devoit paroître
» doux à un homme de fon caractere d'ab-
» battre d'un même coup fes ennemis , &
» de fe placer à la tête d'un Etat affez puif-
» fant. La révolution devoit être l'ouvrage
» du génie feul pour la maintenir , la
force étoit néceflaire , & Fiefque qui le
» vit , penſa à ſe ménager l'appui de la
» France.
Cette Cour entra aifément dans les vûes
de Fiefque ; & dans l'efpérance de fe venger
de Doria & de reprendre le Milanès fur
l'Empereur , elle accorda des fecours confidérables.
Fiefque inftruit que les mêmes
paffions qui lui avoient rendu la Cour de
France favorable , regnoient à celle du
Pape , s'occuppa du foin de les mettre en
jeu. Il alla lui-même à Rome pour négo142
MERCURE DE FRANCE.
cier cette affaire , & il écarta les foupçons
que ce voyage pouvoit faire naître , par,
l'attention qu'il eut au milieu de fes projets
de ne paroître occupé que de fes plaifirs
, & par l'art de cacher des deffeins
profonds fous un air frivole. Il trouva
Paul III. auffi bien difpofé qu'il le fouhaitoit
, & ce Pontife approuva la révolution
avec de grands éloges .
Fiefque ne s'occupa plus que du foin
de mettre la derniere main à fon entre-"
prife , & il ne put en être détourné
par les
remontrances d'un de fes plus zélés partifans
: c'étoit Vincent Calcagno , homme
d'un certain âge , & qui avoit une efpéce
de paffion pour le jeune Comte. » Comme
" il avoit le fens droit , les grandes entre-
» prifes commencoient par lui être toujours
fufpectes . Il étoit d'ailleurs né timide ,
» & les réflexions ou l'expérience qui chan
» gent quelquefois les caracteres , l'avoient
» affermi dans le fien. Tout ce qui avoit
» l'air trop élevé lui paroiffoit chimérique ,
" & il regardoit comme imprudent tout
» ce qu'on abandonnoit au hazard. Son
imagination étoit plus aifément étonnee
» que fon coeur ; & il étoit ferme jufques
» dans les périls qu'il avoit prévûs & qu'il
ور
و ر
avoit craints.
Le chef de la conjuration forma d'i
DECEMBRE. 1754. 143
bord fon attention à ne pas fe laiffer pénétrer
, & il fe rendit en effet impénétrable.
Sa conduite avoit quelque chofe de fi naturel
& de fiaifé , qu'il n'étoit pas poffible d'y
foupçonner le moindre myftere. André Doria
, malgré la profonde connoiffance qu'il
-avoit des hommes , fe laiffa impofer par ces
apparences , & Jeannetin fut féduit par les
témoignages d'eftime & d'attachement que
Fiefque lui prodigua.
Le Comte fçut fe concilier les négocians
, cette précieufe portion de citoyens
fi honorée dans le gouvernement populaire
, fi opprimée dans le defpotique , fi
négligée dans le monarchique , & fi méprifée
dans l'ariftocratique , en leur exagérant
le tyrannique orgueil des nobles
& en leur laiffant entrevoir la poffibilité
-de s'en délivrer. Par là il s'affuroit du peuple
, qui fuit aveuglément le mouvement
qui lui eft communiqué par ceux qui le font
travailler ou qui le font vivre un extérieur
brillant , des manieres ouvertes & polies
, des bienfaits répandus adroitement ,
acheverent de lui gagner la multitude.
Il ne manquoit à Fiefque que des fol-
' dats. Il eut une occafion favorable , & qui
fe préfentoit naturellement , d'en lever dans
fes terres. Il prit des arrangemens fecrets
avec Pierre- Louis Farnefe Duc de Parme
144 MERCURE DE FRANCE.
& de Plaifance , qui lui promit un fecours
de deux mille hommes. Il fit venir une
galere qui lui appartenoit , dans le port de
Gênes fes amis débaucherent quelques
foldats de la garnifon , & s'affurerent dedix
mille habitans déterminés : avec ces forces
réunies , les conjurés crurent qu'il étoit
tems de prendre une derniere réfolution.
La nuit du premier au fecond Janvier
fut l'inftant arrêté pour l'exécution de leur
projet . L'époque étoit adroitement fixée.
Comme le Doge qui fortoit de place le
premier du mois , ne pouvoit être remplacé
que le quatre , la République devoit fe
trouver dans une eſpèce d'anarchie , dont
il étoit poffible de tirer parti.
Un des chefs de la conjuration , & un
de ceux fur qui Fiefque comptoit le plus ,
étoit Jean Baptifte Verrina , » homme bra-
» ve , impétueux , éloquent : il avoit l'efprit
vafte , mais déréglé ; le coeur élevé ,
» mais corrompu . Son penchant l'entraî
»noit au crime , & le mauvais état de
» fes affaires le lui rendoit prefque indifpenfable.
Une imagination vive &
» forte lui préfentoit fans ceffe des projets
finguliers & hardis , dont il n'examinoit
» jamais ni la juftice ni les refforts , &
» dont il prévoyoit rarement les fuites. Il
étoit ennemi de tout repos , du fien
33
par
inquiétude ,
DÉCEMBRE. 1754. 145
99
inquiétude , de celui des autres par ambition
. Le Gouvernement établi dans fa
patrie lui déplaifoit , précisément parce
qu'il y étoit établi ; & tous ceux qui
» entreprendroient de le changer étoient
fûrs de trouver en lui des confeils dangereux
& des fervices utiles . Ce caractere
»l'avoit rendu cher à Fiefque , dont il régloit
les plaifirs , partageoit la fortune
» & dirigeoit en quelque maniere les paf-
"
fions.
>
Le jour arrêté pour la révolution commençoit
à luire , que les conjurés firent les
dernieres difpofitions. Verrina fe rendit à
l'entrée de la nuit fur la galere de Fieſque
qui étoit fon pofte ; il donna par un coup
de canon le fignal de l'attaque , & l'action
fut auffi - tôt engagée dans l'ordre qui avoit
été projetté. On commença par attaquer
ceux qui défendoient les portes de la ville
les plus effentielles , & dont on ſe rendit
bientôt maître . Jeannetin s'étant éveillé au
bruit , & étant accouru , fut reconnu &
maffacré fur le champ. André Doria euc
le tems de fe fauver dans un château à
quinze mille de Gênes . Cette lâcheté dans
un vieillard célébre par fa valeur , ne doit
furprendre que ceux qui ne connoiffent pas
les hommes .
Les avantages que remporterent les con-
II.Fol, G
146 MERCURE DE FRANCE.
jurés , redoubla leur activité & leur courage
: après s'être fortifiés à la hâte dans les
poftes dont ils s'étoient emparés , ils ſe
répandirent dans les rues en criant , Fiefque
& liberté. Ces deux mots , dont l'un rappelloit
à un grand nombre d'ouvriers le
nom de leur bienfaicteur , & l'autre réveil
loit dans tous les efprits l'idée du plus
grand des biens , féduifirent la populace ,
qui prit auffi-tôt les armes.
Les tentatives que fit le Sénat pour oppofer
la force aux conjurés ayant été funeftes
, il tourna fes'vûes vers la négociation.
Anfaldo Juftiniani , un des Sénateurs
députés , s'avança dans le lieu du tumulte
, & demanda froidement à parler au
nom de la République , au Comte de Fiefque
. Cet homme dangereux n'étoit plus ;
en voulant paffer fur une galere , il étoit
tombé dans la mer , & s'y étoit noyé. » Le
» fecret pouvoit être facilement gardé juf-
» qu'à la fin de l'action , fans la vanité
» puérilę de Jerôme , qui répondit à Juſ
» tiniani qu'il n'y avoit plus d'autre Com-
» te de Fiefque que lui , & qu'il n'écou-
» teroit les propofitions qu'on avoit à lui
faire , que lorfqu'on lui auroit livré le
Palais . Une réponſe auffi imprudente
» eut les fuites qu'elle devoit avoir. Le Sénat
raſſuré par le feul événement qui pût
"
DECEMBRE. 1754. 147.
changer fur le champ & d'une maniere
» ftable la fituation des chofes , montra de
» la fermeté ; & les conjurés , par une rai-
» fon contraire , perdirent toute leur au-
ور
"
dace. A mefure que la mort de leur
» cheffe répandoit , & elle fe répandit fort
» vîte , on voyoit les efprits fe refroidir ,
le-courage expirer dans tous les coeurs ,
& les armes tomber des mains . Ceux
»même que des haines plus vives , de
plus grands intérêts, ou un caractere plus
emporté avoient rendus jufqu'alors plus
» redoutables que les autres , fe laiffoient
» abbattre par la terreur commune. La ré-
» volution fut fi générale , qu'au point du
" jour il n'y avoit pas un feul factieux dans
» les rues de Gênes : ils étoient tous reti-
» rés dans leurs maifons , difperfés dans
» la campagne , ou retranchés dans quel-
» que pofte .
Aing finit cette confpiration , qui par
l'événement établit fur des fondemens prefque
inébranlables l'autorité qu'on avoit
voulu détruire.
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Résumé : « MEMOIRES historiques, militaires & politiques de l'Europe, depuis l'élévation [...] »
Le texte extrait des 'Mémoires historiques, militaires & politiques de l'Europe' de l'Abbé Raynal couvre la période de l'élévation de Charles Quint au trône de l'Empire jusqu'au traité d'Aix-la-Chapelle en 1748. Il se concentre sur les révolutions en Suède de 1515 à 1544. La Suède, autrefois puissante sous les Goths, était retombée dans l'obscurité en raison de divisions internes et de vices gouvernementaux. Marguerite, reine du Danemark, ambitieuse et politique, chercha à réunir la Suède à ses autres États. Les Suédois se rebellèrent contre le joug danois et se donnèrent un administrateur. Les conflits entre la Suède et le Danemark s'intensifièrent sous le règne de Christiern, un monarque cruel et tyrannique. Christiern chercha à soumettre les Suédois et exploita les mécontentements du clergé. Stenon, fils du dernier administrateur, fut élu pour succéder à l'administrateur décédé, mais des conspirations menées par Trolle, un archevêque déchu, compliquèrent la situation. Stenon dut faire face à une rébellion soutenue par les Danois et le clergé. Après une victoire suédoise, Trolle fut déclaré ennemi de la patrie et exilé. Le pape, sollicité par Trolle et Christiern, menaça les Suédois d'excommunication s'ils ne rétablissaient pas Trolle. Les Suédois refusèrent de se soumettre pour éviter des guerres civiles. Rome excommunia alors l'administrateur et le Sénat, et ordonna à Christiern de rétablir Trolle par la force. Christiern envahit la Suède, semant la destruction et la cruauté. Stenon fut tué, et Christiern établit une tyrannie en Suède. Cependant, Gustave Vasa, descendant des anciens rois de Suède, s'échappa du Danemark et rallia les Suédois. Avec l'aide d'un curé, Gustave mobilisa les Dalécarliens et remporta plusieurs victoires, forçant Christiern à fuir. Gustave fut proclamé administrateur et continua la guerre contre les Danois. Une révolution au Danemark déposa Christiern, et Frédéric de Holstein monta sur le trône. Gustave fut finalement proclamé roi de Suède avec l'unanimité du peuple. Il se consacra à réformer le royaume, substituant de bonnes lois à la barbarie ancienne et introduisant une police sage. Il fut soutenu dans ses réformes par Lars-Anderfon, un homme célèbre et habile. Parallèlement, Henri VIII, roi d'Angleterre, chercha à divorcer de Catherine d'Arragon pour épouser Anne Boleyn. Le cardinal Wolsey joua un rôle clé dans cette décision. Henri consulta les universités européennes, certaines déclarant le mariage nul, d'autres refusant. Henri finit par se passer de la dispense papale et épousa Anne Boleyn. Le pape excommunia Henri, mais le Parlement anglais défendit l'autorité papale. Henri devint chef de l'Église en Angleterre, initiant la Réforme anglicane. Le texte décrit également une conjuration à Gênes en décembre 1754, orchestrée par le Comte Fiesque. Fiesque, timide et prudent, réussit à gagner la confiance des négociants et du peuple. Il conclut un arrangement secret avec Pierre-Louis Farnèse, Duc de Parme et de Plaisance, qui lui promit un soutien militaire. La nuit du 1er au 2 janvier fut choisie pour l'exécution du projet. L'attaque débuta par la prise des portes de la ville les plus essentielles. Les conjurés prirent rapidement le contrôle des rues en criant 'Fiesque et liberté'. Cependant, Fiesque mourut en tombant à la mer, ce qui refroidit les ardeurs des conjurés, qui se dispersèrent. La conjuration échoua, renforçant ainsi l'autorité qu'elle avait voulu détruire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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62
p. 200
Lettre à l'Auteur du Mercure de France.
Début :
En parcourant, Monsieur, * le Magasin anglois, j'y trouve dans l'article [...]
Mots clefs :
Angleterre, Prisons de Chelmsford, Médée, Infanticide, Le Magasin anglais
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Lettre à l'Auteur du Mercure de France.
Lettre à l'Auteur du Mercure de France.
EN
N parcourant , Monfieur , le Magaſin anglois
, j'y trouve dans l'article des Chroniques
hiftoriques une relation qui m'a rempli d'horreur,
& qui fait voir qu'il refte encore dans le monde
de la race d'Atrée ou de Médée , comme vous allez ,
le voir.
Le 8 Juillet 1754 ( Angleterre , province d'Effex
, près de Blachwater ) la femme d'un Fermier ,
pour fe venger de fon mari avec qui elle avoit
eu un violent démêlé , étouffa fa propre fille au
berceau , en pendit une feconde , âgée de quatre
ans , à un crochet , & fe difpofoit à égorger fon
fils mais ce dernier plus : heureux ou plus fort ,fe
débarraffa des mains fanglantes de cette Médée
angloife , & fe fauva par la fuite . Elle eft actuellement
dans les prifons de Chelmsford , & ne paroît
pas avoir l'efprit aliéné.
* Journal qui s'imprime à Londres.
EN
N parcourant , Monfieur , le Magaſin anglois
, j'y trouve dans l'article des Chroniques
hiftoriques une relation qui m'a rempli d'horreur,
& qui fait voir qu'il refte encore dans le monde
de la race d'Atrée ou de Médée , comme vous allez ,
le voir.
Le 8 Juillet 1754 ( Angleterre , province d'Effex
, près de Blachwater ) la femme d'un Fermier ,
pour fe venger de fon mari avec qui elle avoit
eu un violent démêlé , étouffa fa propre fille au
berceau , en pendit une feconde , âgée de quatre
ans , à un crochet , & fe difpofoit à égorger fon
fils mais ce dernier plus : heureux ou plus fort ,fe
débarraffa des mains fanglantes de cette Médée
angloife , & fe fauva par la fuite . Elle eft actuellement
dans les prifons de Chelmsford , & ne paroît
pas avoir l'efprit aliéné.
* Journal qui s'imprime à Londres.
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Résumé : Lettre à l'Auteur du Mercure de France.
Le 8 juillet 1754, en Angleterre, une fermière a étouffé sa fille au berceau et pendu sa seconde fille, âgée de quatre ans, après une dispute avec son mari. Son fils a réussi à s'enfuir. La femme est incarcérée à Chelmsford et semble saine d'esprit.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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63
p. 39-57
HISTOIRE ANGLOISE. PAR MLLE DE L. A MADAME LA C... DE G....
Début :
Je vous devois une dédicace, pourrois-je mieux la placer qu'en vous adressant [...]
Mots clefs :
Kylemore, Château, Comte, Homme, Femme, Honneur, Vertu, Plaisir, Irlande, Histoire anglaise, Amour, Angleterre
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HISTOIRE ANGLOISE. PAR MLLE DE L. A MADAME LA C... DE G....
HISTOIRE ANGLOISE.
PAR MLLE DE L.
A MADAME LA C ... DE G ....
E vous devois une dédicace , pourrois-
Jje micus la placer qu'en vous adreffant
une hiftoire que vous avez defiré de voir
écrite il eft jufte de fervir vos defirs .
Ah ! peut-on vous dédier un ouvrage qui
vous foit plus propre que celui qui fait
l'éloge d'une femme qui a mérité toute la
confidération & toute l'eftime de fon mari
, vous qui faites la félicité du vôtre , &
le bonheur de tous vos amis ? Vous aimez
ce qui peint la vertu & l'amour honnête ;
j'ai écrit ce que vous avez bien voulu
m'en apprendre : heureuſe de vous écouter
quand je vous vois , & de m'occuper de
ce que vous m'avez dit quand je vous
perds de vûe. S'il vous eût plû de me dicter
cette hiftoire , j'aurois eu plus de plaifir
à l'écrire , & l'on en auroit eu davantage
à la lire ; recevez- la donc telle que je
l'ai reçue de vous , comme un gage de ma
complaifance pour ce qui peut vous plaire ,
& un hommage de ma tendre amitié.
40 MERCURE DE FRANCE.
Les Comtes de Kilmore , originairement
Irlandois , s'établirent en Angleterre
dès que ce royaume eut réuni fous les mêmes
loix l'Ecoffe & l'Irlande. Les grandes
alliances qu'ils firent dans l'Angleterre les
en rendirent comme citoyens. Poffeffeurs
de grandes terres dans ce royaume , elles
fe trouverent réunies fur la tête d'un feul
fous ce dernier regne. Le Comte de Kilmore
, unique héritier de tant de riches
fucceffions , ne fe fentit point flaté du defir
de conferver fon nom , prêt à s'éteindre .
Un dégoût univerfel pour tout ce pour tout ce qui peut
charmer un homme de fon âge & de fon
rang , lui fit envifager la Cour avec la
plus profonde indifférence ; il ne voulut
y entendre parler d'aucun établiſſement.
Uniquement occupé de l'étude en tous
genres , où la fagacité de fon efprit lui
faifoit faire chaque jour de nouvelles découvertes
, il réfolut de s'y livier tout entier
, & fe retira dans le Caernarvand , où
il avoit une fort belle terre . C'étoit un
château fort noble & fort ancien , fitué fur
le bord du canal de Menay , dont on découvroit
de loin la fameufe ifle d'Anglefei.
Lorfque le ciel étoit ferein , la mer ,
par fa vafte étendue , rendoit ce lieu trifte
, mais analogue aux penfées du Comte ;
de hautes montagnes couvertes de bois ou
MA I. 1755. 41
de petits villages , terminoient la vue de
l'autre côté , & offroient dans leurs gorges
de jolies prairies entrecoupées de petits
ruiffeaux. Cette fituation terrible &
fauvage parut fort agréable au Comte , il
s'y établit avec un plaifir d'autant plus
fenfible qu'il crut avec raifon qu'il ne ſeroit
point interrompu dans fes fçavantes
méditations.
Kilmore avoit déja paffé dix années
dans le château ; la philofophié le foutenoit
contre l'ennui de la folitude : un feul
ami lui étoit refté , qui de temps en tems
venoit partager la retraite ou ranimer la
converfation du Comte. Cet ami fe nommoit
Laflei.
Un jour que Kilmore & lui fe promenoient
fur une grande terraffe qui s'élevoit
au- deffus de la mer , & que Kilmore
admiroit avec fon ami la vaſte étendue
de cet élément , Laflei prit la parole :
j'approuve avec vous , Milord , lui ditil
, que les beautés de la nature , toutes
admirables & toutes diverfifiées qu'elles
font , portent l'ame à la trifteffe la plus
profonde. Cette mer , cette ifle que nous
appercevons là-bas , ces prairies , ces jolis
villages qui couvrent ces montagnes dont
la cime perce les nûes , tout cela , mon
cher Kilmore , eft au premier coup d'oeil
42 MERCURE DE FRANCE..
d'une beauté fans pareille ; mais cette
beauté eſt toujours la même : encore fi ,
comme dans les tems où les ténébres du
paganifme enveloppoient la terre , nous
voyions dans les bois des dryades , des
nymphes dans les prairies , des nayades
dans les fontaines , fur cette vafte mer
Neptune dans un char entouré de tritons
& de fes charmantes fyrenes , dont les
chants mélodieux raviffoient les mortels ,
tout cela , dis- je , animéroit votre folitu
de. Mais votre fage religion a fait mainbaffe
fur tous ces êtres divertiffans ; la
philofophie chrétienne nous a rendu la
nature fimple & dénuée de ces agrémens
que la folie des anciens avoit divinifés ;
un férieux noble & majeftueux en a pris
la place , & je ne conçois pas comment
depuis dix ans vous refiftez à la langueur
que cette folitude doit jetter dans.
votre ame. Kilmore fourit de l'enthoufiafme
de fon ami ; j'avoue , dit- il , qu'il
eft très- malheureux que votre univers foit
privé de tous les objets que vous venez de
décrire ; mais comme je ne fuis pas accoutumé
à les trouver , je ne me fuis pas
avifé de les regretter. Une fleur qui fe
développe , fon progrès , fa deftruction
un fruit que je cultive , un arbre que j'émonde
, & qui s'éleve à vûe d'oeil , me
3
M A I. 1755. 43
tiennent lieu de vos nymphes & de vos
dryades ; la république des oifeaux , celle
des fourmis ou des mouches à miel me
conduifent à des réflexions folides que vos
fyrenes dérangeroient fans doute ainfi ,
mon cher Laffei , je vis tranquille , &
mon ennui eft fi doux qu'il ne me pefe
point du tout. Il eft vrai qu'il me vient
quelquefois en penfée d'avoir quelques
témoins de mes découvertes , & par un
refte d'amitié pour le genre humain , je
fens que je ne ferois point fâché d'avoir
quelques amis , ou qui partageaffent mon
goût & mes connoiffances , ou qui me
donnaffent les leurs.
Après que ces deux amis eurent longtems
cherché les moyens de rendre la folitude
de Kilmore plus animée fans qu'il
lui en coutât le chagrin de changer de
vie , celui-ci dit à Laflei qu'il avoit envie
d'écrire à quelques- uns des amis qu'il avoit
laiffés à Londres dans le tems qu'il y vivoit
, & de les prier de venir paffer avec
lui le tems qu'ils auroient de libre dans
l'année.
Cette idée , reprit Laflei , ne s'accorde
point du tout avec votre philofophie ; &
où, Milord , avez vous connu des hommes
qui fe fouviennent d'un ami qu'ils
n'ont pas vû depuis dix ans peut-être un
+
44 MERCURE DE FRANCE.
de ceux- là s'en fouvient , cela peut être ;
mais comptez-vous fur le refte , en bonne
foi ? avouez qu'en approfondiffant la nature
vous avez oublié les défauts de l'humanité
; d'ailleurs je veux que tous ceux qui
ont été vos amis en foient les chef-d'oeuvres
: croyez- vous , Milord , qu'après avoir
fait cent vingt- huit milles pour venir vous
voir par curiofité , ils y reviennent affidument
, & s'accommodent de ne vous voir
que des inftans dans la journée ? n'y comptez
pas mais mariez- vous ; voilà ce que
je crois plus poffible : ayez une femme
aimable qui tienne votre maiſon , annoncez-
le à vos amis , alors ils y viendront ,
& vous , maître de vous livrer à vos férieufes
occupations , vous le ferez auffi de
revenir chez votre femme aux heures qui
vous conviendront , & d'y trouver des
de vous délaffer , par une converfation
agréable , de la fatigue de votre camoyens
binet.
Il faut convenir , dit Kilmore , que
cette idée eft très -jufte & plus raifonnable
que la mienne . Je conviens , mon cher
Laflei , que vous avez raifon , & que c'eft
le feul parti que j'aie à prendre : choififfez-
moi une femme telle qu'il me la faut
je vous en ferai très -obligé.
Moi , choifir ! dit Laflei , vous n'y penMA
I. 1755. 45
fez
pas , Milord : je pourrois à peine en
choifir une pour moi-même ; jugez ſi je
le rifquerois pour vous. D'ailleurs j'ignore
ce qui vous convient ... Ah ! Milord , reprit
Kilmore , ni le bien , ni la naiffance
ne peuvent me déterminer . Pour le premier
article , vous fçavez que je fuis affez
riche pour me paffer des biens qu'une
femme m'apporteroit ; quant au fecond ,
je crois que ce n'eft pas toujours dans la
plus haute nobleffe qu'on trouve les femmes
les mieux nées ; cela arrive quelque
fois j'en conviens , mais les préjugés
qu'on a là - deffus font impertinens , & Dieu
merci , je m'en fuis garanti. Je fçai que
l'éducation peut beaucoup fur une belle'
ame ; mais qu'avance -t-elle fur celle qui
eft née fans vertu ?
>
Ces belles ames ont- elles le droit d'animer
feulement les filles de qualité ? elles
dérivent du même principe , & font départies
dans nos corps au hazard ; ainfi
l'on trouve également la vertu avec l'éducation
, comme la vertu fans éducation ;
fouvent même ces principes ne fervenţ
qu'à mafquer les défauts d'une jeune perfonne
, elle fe contraint inceffamment
les cacher au public , tandis qu'un mal- i
heureux mari eft le martyr de fa difcrette
moitié , qui fe fait un jeu de le deshopour
46 MERCURE DE FRANCE.
norer. Je ne veux donc point , mon cher
Laflei , de ces filles élevées avec tant de
foin , & qui en prendroient fi peu
de me.
rendre heureux. Je fçai qu'un homme fage,
ne fait pas dépendre fon honneur d'une
femme folle & imprudente ; mais le préjugé
eft contre lui , & tout homme raifonnable
doit éviter ce malheur : cherchez-
moi donc une fille fage & honnête ,
fur tout que fon humeur fympatife avec
la mienne , que vous fçavez n'être pas
bien extraordinaire.
Milord , reprit Laflei , je ne doute pas
qu'il n'y ait des femmes telles que vous
les defirez , mais je n'en connois point ,
& me garderois bien de vous confeiller
en pareil cas. Mais puifque vous êtes affez
philofophe pour paffer par-deffus le bien
& la qualité , voyez vous même autour
de vous : votre pafteur , par exemple , a
trois filles élevées fous fes yeux ; la fimplicité
de fes moeurs , la fageffe de fon
caractere répondent que fes filles n'ont
point reçu cette éducation redoutable qui
mafque l'art fous les traits de la nature.
Confultez votre coeur , & choififfez parmi
les jeunes filles laquelle il vous dictera de
prendre.
Ce n'eft point ici une affaire de coeur ,
reprit Kilmore , ne vous y trompez pas;
MA I. 1755. 47
c'eft une affaire jufte & raiſonnable : vous
avez bien imaginé , j'irai demain voir M.
Humfroy , & je lui demanderai une de
fes filles. Kilmore ayant pris ce parti
n'en parla plus de la foirée à fon ami , qui
le quitta après fouper pour retourner au
château qu'il avoit dans le voifinage , où
quelques affaires le demandoient.
Kilmore , ſuivant fon caractere , ne fe
leva pas le lendemain plutôt qu'à l'ordinaire.
Quand il fut habillé , il fit mettre
fes chevaux à une chaife pour aller à fon
village , diftant d'environ deux milles de
fon château , & fut defcendre droit au
prefbytere. Il trouva M. Humfroy corrigeant
un fermon qu'il devoit prêcher le
lendemain .
Surpris de voir fon Seigneur chez lui ,
honneur qu'il ne lui avoit jamais fait , M."
Humfroy le reçut avec toutes les marques
d'un profond refpect ; il cherchoit
dans fa tête de quoi il pourroit dignement
l'entretenir , lorfque Kilmore arrêta brufquement
la confufion de fes penfées , en
lui déclarant clairement le fujet qui l'amenoit
chez lui.
Si M. Humfroy avoit été étonné de
voir Kilmore , il le fut bien davantage
quand il apprit ce qui l'y amenoit. Comme
il étoit homme de bon fens , il ne fit
pas
48 MERCURE DE FRANCE.
d'autre réponſe que de lui demander s'il
avoit bien fongé à ce qu'il faifoit , & s'il
étoit poffible de croire qu'un homme de fa
naiffance voulût s'abaiffer jufqu'à faire une
pareille alliance ?
J'y ai très-fort fongé , reprit Kilmore ;
vos bonnes moeurs , votre vertu , m'ont fait
penfer que vos filles vous reffemblent ; je
ne veux pas pourtant contraindre leurs volontés
, je veux qu'un choix libre les détermine
faites-les venir , expofez leur le
fujer pour lequel vous les appellez : je
vous ai dit la façon dont je vis ; fi l'une
d'elles n'a aucune répugnance à partager
ma folitude , je fuis prêt à lui donner ma
foi tout à l'heure.
M. Humfroy ne douta plus que tout ce
que difoit Kilmore ne fûr certain ; il appella
fes filles qui , fimplement vêtues ,
mais très-proprement , vinrent aux ordres
de leur pere. M. Humfroy les fit affeoir
felon l'ordre de l'âge en face du Milord ,
il leur expofa nettement le fujet de fa vifite.
Ces trois filles , dont l'aînée avoit à
peine dix -huit ans , & les deux autres environ
feize & dix- fept , écouterent en grand
filence ce que difoit leur pere ; elles le
garderent même encore affez long- tems
après qu'il eut parlé : elles fe regarderent
les
MAI. 1755 . 49
les unes & les autres , & refterent les
yeux baiffés en attendant que leur pere les
interrogeât. Dès que M. Humfroy crut
leur avoir laiffé affez de tems pour refléchir
, il s'adreffa à l'aînée : Laure , lui ditil
, c'étoit le nom de cette belle fille , avez
vous penfé à ce que je viens de vous dire ?
& fi vous m'avez entendu , y confentezvous
? dites votre avis naturellement , fans'
crainte de me déplaire.
›
L'honneur que Milord nous fait , reprit
modeftement Laure me flate fenfiblement
; mais , mon pere , puifque vous me
permettez que je dife mon fentiment , je
n'ai point encore affez de connoiffance
des chofes du monde pour trouver qu'un
mariage fi honorable me rende plus heureufe
; je fuis contente de mon état , &
je vous fupplie de ne pas trouver mauvais
que je vous demande d'y refter .
Cette réponſe de la belle Laure fâcha
Kilmore ; il trouva qu'une perfonne qui
penfoit fi fagement , méritoit qu'on la regrettât
. Et vous , ma fille , dit M. Humfroy
à Julie , la feconde de fes filles , penfez-
vous comme votre foeur ? répondez ,
mais répondez felon ce que vous penfez.
Non , mon pere , répondit la jeune Julie
, je trouve ce mariage au- deffus de mon
attente ; mais je l'accepte dans l'idée où je
C
So MERCURE DE FRANCE.
fuis que Milord me rendra heureufe ;:
puifqu'il vient choifir parmi nous , & que.
vous l'agréez .
M. Humfroy prit alors fa fille par la
main , & la préfenta à Kilmore, qui l'affura ,
qu'il tâcheroit par toutes fortes de bons
procédés de juftifier les idées avantageufes
qu'elle avoit prife de lui. Alors il fut,
queftion d'appeller un Notaire ; M. Humfroy
y alla lui -même , & l'amena fur le
champ , avec un ancien Alderman qui avoit
une maifon dans le village , & qui voulut
bien fervir de témoin.
M. Humfroy étoit fi tranfporté du bonheur
qui arrivoit à fa fille , qu'il ne fe
connoiffoit plus ; il nommoit fes trois
filles à tous propos , embraffoit le Milord
& l'Alderman tour à tour fans fonger
qu'il troubloit le Notaire dans fa fonction.
Kilmore de fon côté voulant paroître
aimable à Julie , lui difoit, quelques
mots polis , & caufoit avec fes fours qui
avoient l'air plus gai & moins embarraſſe
qu'elle. Elimais fur- tout la plus jeune de
difoit mille chofes agréables à Julie
, qui fembloit enfevelie dans une profonde
rêverie.
toutes ,
Quand il fut queftion de lire le contrat,
il fe trouva qu'au lieu du nom de Julie le
Notaire y avoit fubftitué celui d'Elimaïs.
MAI 1755 SI
Ce contre-tems embarraffa fort le Milord,
qui avoit trouvé déja cet ouvrage fort
long , & qui s'impatientoit de ce qu'il
falloit le recommencer de point en point.
Cette difcuffion avoit arrêté toute la joie ;
chacun difoit fon avis , & perfonne no
convainquoit le Notaire , qui prouvoit
invinciblement qu'il falloit recommencer.
On alloit enfin céder à la vérité de cette
repréſentation , lorfque Julie fe leva , &
s'avançant vers fon pere ; cette affaire , lui
dit-elle avec un rouge modefte qui lui
couvrit les joues , peut aifément s'accommoder
; permettez , mon pere , que je céde
mes droits & l'honneur que me fait Milord
à ma foeur Elimaïs , tout fera dit alors,
& il n'y aura plus d'embarras. Comment
Julie , dit M. Humfroy , penfez- vous bien
à ce que vous faites ? oui , mon pere , reprit-
elle,; un engagement auffi grand me
fait peur , & je vous fupplie de permettre
que je m'en défifte. Elimaïs eft plus jeune ,
& par conféquent elle fera moins de réflexions
, d'ailleurs elle aura moins de tems
pour les écouter & .....Je n'entens point
cela , interrompit brufquement M. Humfroy
, vous avez donné votre parole de
bonne grace ; ainfi , Julie , je veux .....
Non , Monfieur , interrompit à fon tour
Kilmore , ma propofition n'eft faite qu'à
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
condition qu'elle fera acceptée fans nulle
répugnance. Julie la refufe , je vous prie
de ne la pas contraindre : interrogez la
belle Elimaïs , fi elle penfe comme fes
foeurs , rien ne fera fait , & je me retirerai
en vous remerciant de votre bonne volonté.
Eh bien , Elimaïs ! dit le bon Minif
refufes- tu comme Laure & Julie
Phonneur que Milord veut nous faire ?
répons , ma fille , & ne te troubles point
mais répons comine tu penfes ? Elimaïs
ne balança pas , elle répondit de trèsbonne
grace qu'elle fe faifoit un plaifir
d'obéir à fon pere ; alors jettant fur lui
un regard timide pour fçavoir fi ce qu'elle
avoit dit lui avoit plû ou non ; comme
elle le vit fourire , elle fe jetta à fon col
avec une grace enfantine & fi tendre que
les larmes en vinrent aux yeux du bon
homme ; Kilmore même fut ému , & ne
put s'empêcher de baifer la main de la
jeune Elimaïs , que M. Humfroy lui préfenta
. Milord prit au plus vite la plume &
la pria de vouloir ne pas différer de figner
fon bonheur. Elimaïs figna tout de fuite ;
tout le monde ayant figné à fon tour , Kilmore
& Elimaïs furent conduits à l'Eglife ,
où ils recurent la bénédiction nuptiale de
M. Humfroy , qui ne fe fentoit pas de joig
de voir Elimais fi bien établie .
M -A I
1755. 33
En fortant de la paroiffe , M. Humfroy
dit à fon gendre qu'il efpéroit qu'il voudroit
bien recevoir de lui un repas fimple
& frugal , n'ayant pas eu le tems de lui en
faire préparer un plus digne de lui.
Monfieur , dit Kilmore , j'accepterois
volontiers ce que vous voulez bien m'offrir
fi je n'étois preffé de mener ma femme
dans fon château , elle & moi aurons
cet honneur une autre fois , mais je vous
fupplie de ne pas vous oppofer en ce moment
-ci à l'empreffement que j'ai de la
rendre maîtreffe de mon château , ni elle
ni moi ne tarderons pas à venir vous rendre
ce que nous vous devons , & je vous
prie d'être perfuadé qu'en mon particulier
je n'y manquerai jamais . Cela dit , Kilmore
embraffa fon beau -pere & fes bellesfours.
M. Humfroy n'infifta pas davantage
fit une courte exhortation à Elimaïs
fur fes devoirs , & Milord lui donna la
main pour monter dans la chaife , où montant
après elle ils fortirent du village , &
arriverent bientôt chez lui.is , Hood brib
A
Le premier foin de Kilmore en arrivant,
fut de faire ouvrir le plus bel appartement
& d'y conduire Elimais voilà , dit- il
l'appartement que j'ai toujours deſtiné à
mon époufe , & j'efpere que vous voudrez
bien que je le partage feulement la nuit
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
*
avec vous. Elimaïs répondit naïvement
qu'il en étoit le maître. Madame , lui ditil
, vous voyez que je n'ai pas eu le tems
de me préparer à vous recevoir , ainfi je
n'ai à vous offrir ni bijoux , ni diamans ,
en un mot tout ce qui pourroit vous
plaire , mais vous ferez la maîtreffe d'en
faire l'emplette à votre goût , & comme il
vous plaira l'argent néceffaire vous fera
donné auffi-tôt que vous le voudrez . Milord
, reprit Elimaïs , je n'ai jamais conçu
que ces bagatelles puffent faire le vrai
bonheur , & par conféquent je ne les ai
jamais defirées : fi cependant elles doivent
m'aider à foutenir l'éclat du rang ou
Vous venez de m'élever , je ne refuſerai
rien de ce qui me pourra fervir à vous faire
honneur Kilmore trouva beaucoup de
bon fens & de fentiment honnête à cette
réponſes iben loua fon époufe , qui fur
étonnée qu'on louât une chofe qu'elle
Groyoit que tout le monde devoit penfer
naturellement. On vint leur dire que le
ils fe mirent à table , la
confervation ne fut pas fört animée. Après
qu'ils en furent fortis , Kilmore apporta
un petit rouet à fa femme. Vous aimez
peut-être à travailler , lui dit- il , je vous
apporte ce rouet pour vous prévenir contre
l'ennui de la defoccupation: Vous me
"
2
dîné étoit fer . Op m
MASI. 1755.
55
faites plaifir , lui dit- elle , je penfois déja
que j'aurois été bien aife d'envoyer chez
mon pere chercher ma quenouille ; alors
Elimaïs , d'une main adroite , mit en train
fon rouet , & fila de la meilleure grace du
monde.
Pendant ce tems Milord lut , écrivit ,
l'interrogea quelquefois fur fes goûts , fur
fes amufemens , fur la vie qu'elle menoit
chez fon pere ; à quoi elle répondit trèsjufte
, très-fenfément & en peu de mots.
Le foleil étant couché , Kilmore propofa
de s'aller promener , ce qu'Elimaïs accepta
avec plaifir. Ils entrerent enſemble dans le
jardin , elle en loua les beautés avec difcernement
; ce qui lui parut moins agréable
, elle le dit avec la même franchiſe ,
donnant des raifons très- conféquentes de
ce qu'elle difoit : elle prouva à Kilmore
qu'elle avoit autant d'efprit que de goût.
Comme la foirée étoit belle , les deux
époux le promenerent jufqu'à l'heure du
fouper ; en rentrant ils fe mirent à table.
Comme la journée n'avoit pas produit
de grands événemens , ils ne parlerent
gueres plus à fouper qu'ils avoient
fait à dîner. La. converfation d'après ne
fut pas plus intéreffante : quelques quefftions
entrecoupées , des réponfes laconiques
, voilà à quoi cela fe termina .
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Les femmes d'Elimaïs entrerent , fon mari
paffa dans un cabinet pour fe deshabiller
tandis qu'elle fe mettoit au lit ; & quand
on vint l'avertir qu'elle y étoit , il congédia
fes domeftiques , & vint fe mettre auprès
d'elle.
Il y étoit à peine , que fe mettant fur fon
féant , il fonna fes gens avec un grand
empreffement. Que vous plaît- il , Milord
lui demanda Elimaïs ? C'eft , dit- il , que j'ai
oublié quelque chofe : un valet entra dans
le moment ; ouvre mon rideau, dit Kilmore
à cet homme , allume mon bougeoir , &
m'apporte ma grande Bible & mes lunettes
: le domeftique obéit & fe retira.
Kilmore mit effectivement fes lunettes
& ouvrit fa grande Bible , où il fe mit à lire
apparemment tout haut. Elimaïs ne marqua
aucun étonnement de cette façon extraordinaire
de fe comporter : elle écouta paiſiblement
pendant une grande demi -heure
cette férieufe lecture ; mais à fon tour fe
mettant fur fon féant , elle fonna fes femmes.
Que voulez- vous , Madame , lui dit
Kilmore ? Ce n'eft rien , Milord , dit-elle ,
ne vous interrompez pas pour cela ; donnezmoi
mon rouet , dit- elle à fa fille qui entra.
Kilmore , à cette demande , éclata de
rire , & jettant la Bible , les lunettes & foufflant
le bougeoir , il renvoya la femme de
M A 57
*
I. 1755.
་
chambre avec le rouet & la lumiere ; &
fe jettant au col de fa femme , ma chere
Elimaïs , lui dit- il en l'embraffant , vous
êtes une perfonne charmante , ce dernier
trait d'efprit & d'attention pour moi vous
donne mon coeur à jamais ; je vous ai
éprouvé toute la journée ; vous n'êtes
fufceptible ni d'ennui , ni d'humeur ; vous
êtes celle qui devoit me rendre le plus
heureux des hommes ; ma chere Elimaïs ,
je vous adore. Alors Milord ferma fon rideau
, & nous le tirerons auffi fur le refte
de l'hiſtoire , pour ne point troubler les
myſteres de l'amour conjugal , dont la décence
& la modeſtie doivent faire l'appanage..
On a appris depuis cette relation écrite ,
très-vraie dans toutes fes circonstances , que
Milord Kilmore , enchanté de ſon choix &
des vertus de fa femme , ainfi de fes
que
agrémens , a abandonné fon goût pour la
retraite & pour la Philofophie. Uniquement
occupé de plaire à Elimaïs , il eft"
revenu à Londres avec elle ; leur union
fait l'envie & l'admiration de cette ville.
Ils y tiennent un grand état , & tout ce
qu'il y a de confidérable & d'aimable dans
l'un & l'autre fexe s'y raflemble journellement.
PAR MLLE DE L.
A MADAME LA C ... DE G ....
E vous devois une dédicace , pourrois-
Jje micus la placer qu'en vous adreffant
une hiftoire que vous avez defiré de voir
écrite il eft jufte de fervir vos defirs .
Ah ! peut-on vous dédier un ouvrage qui
vous foit plus propre que celui qui fait
l'éloge d'une femme qui a mérité toute la
confidération & toute l'eftime de fon mari
, vous qui faites la félicité du vôtre , &
le bonheur de tous vos amis ? Vous aimez
ce qui peint la vertu & l'amour honnête ;
j'ai écrit ce que vous avez bien voulu
m'en apprendre : heureuſe de vous écouter
quand je vous vois , & de m'occuper de
ce que vous m'avez dit quand je vous
perds de vûe. S'il vous eût plû de me dicter
cette hiftoire , j'aurois eu plus de plaifir
à l'écrire , & l'on en auroit eu davantage
à la lire ; recevez- la donc telle que je
l'ai reçue de vous , comme un gage de ma
complaifance pour ce qui peut vous plaire ,
& un hommage de ma tendre amitié.
40 MERCURE DE FRANCE.
Les Comtes de Kilmore , originairement
Irlandois , s'établirent en Angleterre
dès que ce royaume eut réuni fous les mêmes
loix l'Ecoffe & l'Irlande. Les grandes
alliances qu'ils firent dans l'Angleterre les
en rendirent comme citoyens. Poffeffeurs
de grandes terres dans ce royaume , elles
fe trouverent réunies fur la tête d'un feul
fous ce dernier regne. Le Comte de Kilmore
, unique héritier de tant de riches
fucceffions , ne fe fentit point flaté du defir
de conferver fon nom , prêt à s'éteindre .
Un dégoût univerfel pour tout ce pour tout ce qui peut
charmer un homme de fon âge & de fon
rang , lui fit envifager la Cour avec la
plus profonde indifférence ; il ne voulut
y entendre parler d'aucun établiſſement.
Uniquement occupé de l'étude en tous
genres , où la fagacité de fon efprit lui
faifoit faire chaque jour de nouvelles découvertes
, il réfolut de s'y livier tout entier
, & fe retira dans le Caernarvand , où
il avoit une fort belle terre . C'étoit un
château fort noble & fort ancien , fitué fur
le bord du canal de Menay , dont on découvroit
de loin la fameufe ifle d'Anglefei.
Lorfque le ciel étoit ferein , la mer ,
par fa vafte étendue , rendoit ce lieu trifte
, mais analogue aux penfées du Comte ;
de hautes montagnes couvertes de bois ou
MA I. 1755. 41
de petits villages , terminoient la vue de
l'autre côté , & offroient dans leurs gorges
de jolies prairies entrecoupées de petits
ruiffeaux. Cette fituation terrible &
fauvage parut fort agréable au Comte , il
s'y établit avec un plaifir d'autant plus
fenfible qu'il crut avec raifon qu'il ne ſeroit
point interrompu dans fes fçavantes
méditations.
Kilmore avoit déja paffé dix années
dans le château ; la philofophié le foutenoit
contre l'ennui de la folitude : un feul
ami lui étoit refté , qui de temps en tems
venoit partager la retraite ou ranimer la
converfation du Comte. Cet ami fe nommoit
Laflei.
Un jour que Kilmore & lui fe promenoient
fur une grande terraffe qui s'élevoit
au- deffus de la mer , & que Kilmore
admiroit avec fon ami la vaſte étendue
de cet élément , Laflei prit la parole :
j'approuve avec vous , Milord , lui ditil
, que les beautés de la nature , toutes
admirables & toutes diverfifiées qu'elles
font , portent l'ame à la trifteffe la plus
profonde. Cette mer , cette ifle que nous
appercevons là-bas , ces prairies , ces jolis
villages qui couvrent ces montagnes dont
la cime perce les nûes , tout cela , mon
cher Kilmore , eft au premier coup d'oeil
42 MERCURE DE FRANCE..
d'une beauté fans pareille ; mais cette
beauté eſt toujours la même : encore fi ,
comme dans les tems où les ténébres du
paganifme enveloppoient la terre , nous
voyions dans les bois des dryades , des
nymphes dans les prairies , des nayades
dans les fontaines , fur cette vafte mer
Neptune dans un char entouré de tritons
& de fes charmantes fyrenes , dont les
chants mélodieux raviffoient les mortels ,
tout cela , dis- je , animéroit votre folitu
de. Mais votre fage religion a fait mainbaffe
fur tous ces êtres divertiffans ; la
philofophie chrétienne nous a rendu la
nature fimple & dénuée de ces agrémens
que la folie des anciens avoit divinifés ;
un férieux noble & majeftueux en a pris
la place , & je ne conçois pas comment
depuis dix ans vous refiftez à la langueur
que cette folitude doit jetter dans.
votre ame. Kilmore fourit de l'enthoufiafme
de fon ami ; j'avoue , dit- il , qu'il
eft très- malheureux que votre univers foit
privé de tous les objets que vous venez de
décrire ; mais comme je ne fuis pas accoutumé
à les trouver , je ne me fuis pas
avifé de les regretter. Une fleur qui fe
développe , fon progrès , fa deftruction
un fruit que je cultive , un arbre que j'émonde
, & qui s'éleve à vûe d'oeil , me
3
M A I. 1755. 43
tiennent lieu de vos nymphes & de vos
dryades ; la république des oifeaux , celle
des fourmis ou des mouches à miel me
conduifent à des réflexions folides que vos
fyrenes dérangeroient fans doute ainfi ,
mon cher Laffei , je vis tranquille , &
mon ennui eft fi doux qu'il ne me pefe
point du tout. Il eft vrai qu'il me vient
quelquefois en penfée d'avoir quelques
témoins de mes découvertes , & par un
refte d'amitié pour le genre humain , je
fens que je ne ferois point fâché d'avoir
quelques amis , ou qui partageaffent mon
goût & mes connoiffances , ou qui me
donnaffent les leurs.
Après que ces deux amis eurent longtems
cherché les moyens de rendre la folitude
de Kilmore plus animée fans qu'il
lui en coutât le chagrin de changer de
vie , celui-ci dit à Laflei qu'il avoit envie
d'écrire à quelques- uns des amis qu'il avoit
laiffés à Londres dans le tems qu'il y vivoit
, & de les prier de venir paffer avec
lui le tems qu'ils auroient de libre dans
l'année.
Cette idée , reprit Laflei , ne s'accorde
point du tout avec votre philofophie ; &
où, Milord , avez vous connu des hommes
qui fe fouviennent d'un ami qu'ils
n'ont pas vû depuis dix ans peut-être un
+
44 MERCURE DE FRANCE.
de ceux- là s'en fouvient , cela peut être ;
mais comptez-vous fur le refte , en bonne
foi ? avouez qu'en approfondiffant la nature
vous avez oublié les défauts de l'humanité
; d'ailleurs je veux que tous ceux qui
ont été vos amis en foient les chef-d'oeuvres
: croyez- vous , Milord , qu'après avoir
fait cent vingt- huit milles pour venir vous
voir par curiofité , ils y reviennent affidument
, & s'accommodent de ne vous voir
que des inftans dans la journée ? n'y comptez
pas mais mariez- vous ; voilà ce que
je crois plus poffible : ayez une femme
aimable qui tienne votre maiſon , annoncez-
le à vos amis , alors ils y viendront ,
& vous , maître de vous livrer à vos férieufes
occupations , vous le ferez auffi de
revenir chez votre femme aux heures qui
vous conviendront , & d'y trouver des
de vous délaffer , par une converfation
agréable , de la fatigue de votre camoyens
binet.
Il faut convenir , dit Kilmore , que
cette idée eft très -jufte & plus raifonnable
que la mienne . Je conviens , mon cher
Laflei , que vous avez raifon , & que c'eft
le feul parti que j'aie à prendre : choififfez-
moi une femme telle qu'il me la faut
je vous en ferai très -obligé.
Moi , choifir ! dit Laflei , vous n'y penMA
I. 1755. 45
fez
pas , Milord : je pourrois à peine en
choifir une pour moi-même ; jugez ſi je
le rifquerois pour vous. D'ailleurs j'ignore
ce qui vous convient ... Ah ! Milord , reprit
Kilmore , ni le bien , ni la naiffance
ne peuvent me déterminer . Pour le premier
article , vous fçavez que je fuis affez
riche pour me paffer des biens qu'une
femme m'apporteroit ; quant au fecond ,
je crois que ce n'eft pas toujours dans la
plus haute nobleffe qu'on trouve les femmes
les mieux nées ; cela arrive quelque
fois j'en conviens , mais les préjugés
qu'on a là - deffus font impertinens , & Dieu
merci , je m'en fuis garanti. Je fçai que
l'éducation peut beaucoup fur une belle'
ame ; mais qu'avance -t-elle fur celle qui
eft née fans vertu ?
>
Ces belles ames ont- elles le droit d'animer
feulement les filles de qualité ? elles
dérivent du même principe , & font départies
dans nos corps au hazard ; ainfi
l'on trouve également la vertu avec l'éducation
, comme la vertu fans éducation ;
fouvent même ces principes ne fervenţ
qu'à mafquer les défauts d'une jeune perfonne
, elle fe contraint inceffamment
les cacher au public , tandis qu'un mal- i
heureux mari eft le martyr de fa difcrette
moitié , qui fe fait un jeu de le deshopour
46 MERCURE DE FRANCE.
norer. Je ne veux donc point , mon cher
Laflei , de ces filles élevées avec tant de
foin , & qui en prendroient fi peu
de me.
rendre heureux. Je fçai qu'un homme fage,
ne fait pas dépendre fon honneur d'une
femme folle & imprudente ; mais le préjugé
eft contre lui , & tout homme raifonnable
doit éviter ce malheur : cherchez-
moi donc une fille fage & honnête ,
fur tout que fon humeur fympatife avec
la mienne , que vous fçavez n'être pas
bien extraordinaire.
Milord , reprit Laflei , je ne doute pas
qu'il n'y ait des femmes telles que vous
les defirez , mais je n'en connois point ,
& me garderois bien de vous confeiller
en pareil cas. Mais puifque vous êtes affez
philofophe pour paffer par-deffus le bien
& la qualité , voyez vous même autour
de vous : votre pafteur , par exemple , a
trois filles élevées fous fes yeux ; la fimplicité
de fes moeurs , la fageffe de fon
caractere répondent que fes filles n'ont
point reçu cette éducation redoutable qui
mafque l'art fous les traits de la nature.
Confultez votre coeur , & choififfez parmi
les jeunes filles laquelle il vous dictera de
prendre.
Ce n'eft point ici une affaire de coeur ,
reprit Kilmore , ne vous y trompez pas;
MA I. 1755. 47
c'eft une affaire jufte & raiſonnable : vous
avez bien imaginé , j'irai demain voir M.
Humfroy , & je lui demanderai une de
fes filles. Kilmore ayant pris ce parti
n'en parla plus de la foirée à fon ami , qui
le quitta après fouper pour retourner au
château qu'il avoit dans le voifinage , où
quelques affaires le demandoient.
Kilmore , ſuivant fon caractere , ne fe
leva pas le lendemain plutôt qu'à l'ordinaire.
Quand il fut habillé , il fit mettre
fes chevaux à une chaife pour aller à fon
village , diftant d'environ deux milles de
fon château , & fut defcendre droit au
prefbytere. Il trouva M. Humfroy corrigeant
un fermon qu'il devoit prêcher le
lendemain .
Surpris de voir fon Seigneur chez lui ,
honneur qu'il ne lui avoit jamais fait , M."
Humfroy le reçut avec toutes les marques
d'un profond refpect ; il cherchoit
dans fa tête de quoi il pourroit dignement
l'entretenir , lorfque Kilmore arrêta brufquement
la confufion de fes penfées , en
lui déclarant clairement le fujet qui l'amenoit
chez lui.
Si M. Humfroy avoit été étonné de
voir Kilmore , il le fut bien davantage
quand il apprit ce qui l'y amenoit. Comme
il étoit homme de bon fens , il ne fit
pas
48 MERCURE DE FRANCE.
d'autre réponſe que de lui demander s'il
avoit bien fongé à ce qu'il faifoit , & s'il
étoit poffible de croire qu'un homme de fa
naiffance voulût s'abaiffer jufqu'à faire une
pareille alliance ?
J'y ai très-fort fongé , reprit Kilmore ;
vos bonnes moeurs , votre vertu , m'ont fait
penfer que vos filles vous reffemblent ; je
ne veux pas pourtant contraindre leurs volontés
, je veux qu'un choix libre les détermine
faites-les venir , expofez leur le
fujer pour lequel vous les appellez : je
vous ai dit la façon dont je vis ; fi l'une
d'elles n'a aucune répugnance à partager
ma folitude , je fuis prêt à lui donner ma
foi tout à l'heure.
M. Humfroy ne douta plus que tout ce
que difoit Kilmore ne fûr certain ; il appella
fes filles qui , fimplement vêtues ,
mais très-proprement , vinrent aux ordres
de leur pere. M. Humfroy les fit affeoir
felon l'ordre de l'âge en face du Milord ,
il leur expofa nettement le fujet de fa vifite.
Ces trois filles , dont l'aînée avoit à
peine dix -huit ans , & les deux autres environ
feize & dix- fept , écouterent en grand
filence ce que difoit leur pere ; elles le
garderent même encore affez long- tems
après qu'il eut parlé : elles fe regarderent
les
MAI. 1755 . 49
les unes & les autres , & refterent les
yeux baiffés en attendant que leur pere les
interrogeât. Dès que M. Humfroy crut
leur avoir laiffé affez de tems pour refléchir
, il s'adreffa à l'aînée : Laure , lui ditil
, c'étoit le nom de cette belle fille , avez
vous penfé à ce que je viens de vous dire ?
& fi vous m'avez entendu , y confentezvous
? dites votre avis naturellement , fans'
crainte de me déplaire.
›
L'honneur que Milord nous fait , reprit
modeftement Laure me flate fenfiblement
; mais , mon pere , puifque vous me
permettez que je dife mon fentiment , je
n'ai point encore affez de connoiffance
des chofes du monde pour trouver qu'un
mariage fi honorable me rende plus heureufe
; je fuis contente de mon état , &
je vous fupplie de ne pas trouver mauvais
que je vous demande d'y refter .
Cette réponſe de la belle Laure fâcha
Kilmore ; il trouva qu'une perfonne qui
penfoit fi fagement , méritoit qu'on la regrettât
. Et vous , ma fille , dit M. Humfroy
à Julie , la feconde de fes filles , penfez-
vous comme votre foeur ? répondez ,
mais répondez felon ce que vous penfez.
Non , mon pere , répondit la jeune Julie
, je trouve ce mariage au- deffus de mon
attente ; mais je l'accepte dans l'idée où je
C
So MERCURE DE FRANCE.
fuis que Milord me rendra heureufe ;:
puifqu'il vient choifir parmi nous , & que.
vous l'agréez .
M. Humfroy prit alors fa fille par la
main , & la préfenta à Kilmore, qui l'affura ,
qu'il tâcheroit par toutes fortes de bons
procédés de juftifier les idées avantageufes
qu'elle avoit prife de lui. Alors il fut,
queftion d'appeller un Notaire ; M. Humfroy
y alla lui -même , & l'amena fur le
champ , avec un ancien Alderman qui avoit
une maifon dans le village , & qui voulut
bien fervir de témoin.
M. Humfroy étoit fi tranfporté du bonheur
qui arrivoit à fa fille , qu'il ne fe
connoiffoit plus ; il nommoit fes trois
filles à tous propos , embraffoit le Milord
& l'Alderman tour à tour fans fonger
qu'il troubloit le Notaire dans fa fonction.
Kilmore de fon côté voulant paroître
aimable à Julie , lui difoit, quelques
mots polis , & caufoit avec fes fours qui
avoient l'air plus gai & moins embarraſſe
qu'elle. Elimais fur- tout la plus jeune de
difoit mille chofes agréables à Julie
, qui fembloit enfevelie dans une profonde
rêverie.
toutes ,
Quand il fut queftion de lire le contrat,
il fe trouva qu'au lieu du nom de Julie le
Notaire y avoit fubftitué celui d'Elimaïs.
MAI 1755 SI
Ce contre-tems embarraffa fort le Milord,
qui avoit trouvé déja cet ouvrage fort
long , & qui s'impatientoit de ce qu'il
falloit le recommencer de point en point.
Cette difcuffion avoit arrêté toute la joie ;
chacun difoit fon avis , & perfonne no
convainquoit le Notaire , qui prouvoit
invinciblement qu'il falloit recommencer.
On alloit enfin céder à la vérité de cette
repréſentation , lorfque Julie fe leva , &
s'avançant vers fon pere ; cette affaire , lui
dit-elle avec un rouge modefte qui lui
couvrit les joues , peut aifément s'accommoder
; permettez , mon pere , que je céde
mes droits & l'honneur que me fait Milord
à ma foeur Elimaïs , tout fera dit alors,
& il n'y aura plus d'embarras. Comment
Julie , dit M. Humfroy , penfez- vous bien
à ce que vous faites ? oui , mon pere , reprit-
elle,; un engagement auffi grand me
fait peur , & je vous fupplie de permettre
que je m'en défifte. Elimaïs eft plus jeune ,
& par conféquent elle fera moins de réflexions
, d'ailleurs elle aura moins de tems
pour les écouter & .....Je n'entens point
cela , interrompit brufquement M. Humfroy
, vous avez donné votre parole de
bonne grace ; ainfi , Julie , je veux .....
Non , Monfieur , interrompit à fon tour
Kilmore , ma propofition n'eft faite qu'à
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
condition qu'elle fera acceptée fans nulle
répugnance. Julie la refufe , je vous prie
de ne la pas contraindre : interrogez la
belle Elimaïs , fi elle penfe comme fes
foeurs , rien ne fera fait , & je me retirerai
en vous remerciant de votre bonne volonté.
Eh bien , Elimaïs ! dit le bon Minif
refufes- tu comme Laure & Julie
Phonneur que Milord veut nous faire ?
répons , ma fille , & ne te troubles point
mais répons comine tu penfes ? Elimaïs
ne balança pas , elle répondit de trèsbonne
grace qu'elle fe faifoit un plaifir
d'obéir à fon pere ; alors jettant fur lui
un regard timide pour fçavoir fi ce qu'elle
avoit dit lui avoit plû ou non ; comme
elle le vit fourire , elle fe jetta à fon col
avec une grace enfantine & fi tendre que
les larmes en vinrent aux yeux du bon
homme ; Kilmore même fut ému , & ne
put s'empêcher de baifer la main de la
jeune Elimaïs , que M. Humfroy lui préfenta
. Milord prit au plus vite la plume &
la pria de vouloir ne pas différer de figner
fon bonheur. Elimaïs figna tout de fuite ;
tout le monde ayant figné à fon tour , Kilmore
& Elimaïs furent conduits à l'Eglife ,
où ils recurent la bénédiction nuptiale de
M. Humfroy , qui ne fe fentoit pas de joig
de voir Elimais fi bien établie .
M -A I
1755. 33
En fortant de la paroiffe , M. Humfroy
dit à fon gendre qu'il efpéroit qu'il voudroit
bien recevoir de lui un repas fimple
& frugal , n'ayant pas eu le tems de lui en
faire préparer un plus digne de lui.
Monfieur , dit Kilmore , j'accepterois
volontiers ce que vous voulez bien m'offrir
fi je n'étois preffé de mener ma femme
dans fon château , elle & moi aurons
cet honneur une autre fois , mais je vous
fupplie de ne pas vous oppofer en ce moment
-ci à l'empreffement que j'ai de la
rendre maîtreffe de mon château , ni elle
ni moi ne tarderons pas à venir vous rendre
ce que nous vous devons , & je vous
prie d'être perfuadé qu'en mon particulier
je n'y manquerai jamais . Cela dit , Kilmore
embraffa fon beau -pere & fes bellesfours.
M. Humfroy n'infifta pas davantage
fit une courte exhortation à Elimaïs
fur fes devoirs , & Milord lui donna la
main pour monter dans la chaife , où montant
après elle ils fortirent du village , &
arriverent bientôt chez lui.is , Hood brib
A
Le premier foin de Kilmore en arrivant,
fut de faire ouvrir le plus bel appartement
& d'y conduire Elimais voilà , dit- il
l'appartement que j'ai toujours deſtiné à
mon époufe , & j'efpere que vous voudrez
bien que je le partage feulement la nuit
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
*
avec vous. Elimaïs répondit naïvement
qu'il en étoit le maître. Madame , lui ditil
, vous voyez que je n'ai pas eu le tems
de me préparer à vous recevoir , ainfi je
n'ai à vous offrir ni bijoux , ni diamans ,
en un mot tout ce qui pourroit vous
plaire , mais vous ferez la maîtreffe d'en
faire l'emplette à votre goût , & comme il
vous plaira l'argent néceffaire vous fera
donné auffi-tôt que vous le voudrez . Milord
, reprit Elimaïs , je n'ai jamais conçu
que ces bagatelles puffent faire le vrai
bonheur , & par conféquent je ne les ai
jamais defirées : fi cependant elles doivent
m'aider à foutenir l'éclat du rang ou
Vous venez de m'élever , je ne refuſerai
rien de ce qui me pourra fervir à vous faire
honneur Kilmore trouva beaucoup de
bon fens & de fentiment honnête à cette
réponſes iben loua fon époufe , qui fur
étonnée qu'on louât une chofe qu'elle
Groyoit que tout le monde devoit penfer
naturellement. On vint leur dire que le
ils fe mirent à table , la
confervation ne fut pas fört animée. Après
qu'ils en furent fortis , Kilmore apporta
un petit rouet à fa femme. Vous aimez
peut-être à travailler , lui dit- il , je vous
apporte ce rouet pour vous prévenir contre
l'ennui de la defoccupation: Vous me
"
2
dîné étoit fer . Op m
MASI. 1755.
55
faites plaifir , lui dit- elle , je penfois déja
que j'aurois été bien aife d'envoyer chez
mon pere chercher ma quenouille ; alors
Elimaïs , d'une main adroite , mit en train
fon rouet , & fila de la meilleure grace du
monde.
Pendant ce tems Milord lut , écrivit ,
l'interrogea quelquefois fur fes goûts , fur
fes amufemens , fur la vie qu'elle menoit
chez fon pere ; à quoi elle répondit trèsjufte
, très-fenfément & en peu de mots.
Le foleil étant couché , Kilmore propofa
de s'aller promener , ce qu'Elimaïs accepta
avec plaifir. Ils entrerent enſemble dans le
jardin , elle en loua les beautés avec difcernement
; ce qui lui parut moins agréable
, elle le dit avec la même franchiſe ,
donnant des raifons très- conféquentes de
ce qu'elle difoit : elle prouva à Kilmore
qu'elle avoit autant d'efprit que de goût.
Comme la foirée étoit belle , les deux
époux le promenerent jufqu'à l'heure du
fouper ; en rentrant ils fe mirent à table.
Comme la journée n'avoit pas produit
de grands événemens , ils ne parlerent
gueres plus à fouper qu'ils avoient
fait à dîner. La. converfation d'après ne
fut pas plus intéreffante : quelques quefftions
entrecoupées , des réponfes laconiques
, voilà à quoi cela fe termina .
Civ
56 MERCURE DE FRANCE.
Les femmes d'Elimaïs entrerent , fon mari
paffa dans un cabinet pour fe deshabiller
tandis qu'elle fe mettoit au lit ; & quand
on vint l'avertir qu'elle y étoit , il congédia
fes domeftiques , & vint fe mettre auprès
d'elle.
Il y étoit à peine , que fe mettant fur fon
féant , il fonna fes gens avec un grand
empreffement. Que vous plaît- il , Milord
lui demanda Elimaïs ? C'eft , dit- il , que j'ai
oublié quelque chofe : un valet entra dans
le moment ; ouvre mon rideau, dit Kilmore
à cet homme , allume mon bougeoir , &
m'apporte ma grande Bible & mes lunettes
: le domeftique obéit & fe retira.
Kilmore mit effectivement fes lunettes
& ouvrit fa grande Bible , où il fe mit à lire
apparemment tout haut. Elimaïs ne marqua
aucun étonnement de cette façon extraordinaire
de fe comporter : elle écouta paiſiblement
pendant une grande demi -heure
cette férieufe lecture ; mais à fon tour fe
mettant fur fon féant , elle fonna fes femmes.
Que voulez- vous , Madame , lui dit
Kilmore ? Ce n'eft rien , Milord , dit-elle ,
ne vous interrompez pas pour cela ; donnezmoi
mon rouet , dit- elle à fa fille qui entra.
Kilmore , à cette demande , éclata de
rire , & jettant la Bible , les lunettes & foufflant
le bougeoir , il renvoya la femme de
M A 57
*
I. 1755.
་
chambre avec le rouet & la lumiere ; &
fe jettant au col de fa femme , ma chere
Elimaïs , lui dit- il en l'embraffant , vous
êtes une perfonne charmante , ce dernier
trait d'efprit & d'attention pour moi vous
donne mon coeur à jamais ; je vous ai
éprouvé toute la journée ; vous n'êtes
fufceptible ni d'ennui , ni d'humeur ; vous
êtes celle qui devoit me rendre le plus
heureux des hommes ; ma chere Elimaïs ,
je vous adore. Alors Milord ferma fon rideau
, & nous le tirerons auffi fur le refte
de l'hiſtoire , pour ne point troubler les
myſteres de l'amour conjugal , dont la décence
& la modeſtie doivent faire l'appanage..
On a appris depuis cette relation écrite ,
très-vraie dans toutes fes circonstances , que
Milord Kilmore , enchanté de ſon choix &
des vertus de fa femme , ainfi de fes
que
agrémens , a abandonné fon goût pour la
retraite & pour la Philofophie. Uniquement
occupé de plaire à Elimaïs , il eft"
revenu à Londres avec elle ; leur union
fait l'envie & l'admiration de cette ville.
Ils y tiennent un grand état , & tout ce
qu'il y a de confidérable & d'aimable dans
l'un & l'autre fexe s'y raflemble journellement.
Fermer
Résumé : HISTOIRE ANGLOISE. PAR MLLE DE L. A MADAME LA C... DE G....
L'œuvre 'Histoire Anglaise' est dédiée par Mlle de L. à Madame la C... de G..., qui apprécie les récits mettant en avant la vertu et l'amour honnête. L'histoire commence avec la famille des Comtes de Kilmore, une famille irlandaise installée en Angleterre après l'unification des lois entre l'Écosse et l'Irlande. Le Comte de Kilmore, unique héritier de vastes terres, se retire dans un château à Caernarvand pour se consacrer à l'étude, loin des plaisirs de la cour. Il y vit en solitaire, accompagné seulement de son ami Laflei. Un jour, en se promenant, Laflei exprime son admiration pour la beauté de la nature mais regrette l'absence de divinités païennes qui l'animaient autrefois. Kilmore, quant à lui, trouve du plaisir dans l'observation de la nature et des petites choses de la vie. Il avoue cependant ressentir parfois le besoin de partager ses découvertes avec des amis. Laflei suggère alors à Kilmore de se marier pour animer sa solitude. Kilmore accepte l'idée et demande à Laflei de lui trouver une femme sage et honnête, dont l'humeur soit compatible avec la sienne. Laflei propose que Kilmore choisisse parmi les filles de son pasteur, M. Humfroy, connues pour leur simplicité et leur sagesse. Kilmore décide de rendre visite à M. Humfroy pour lui demander la main de l'une de ses filles. Lors de cette visite, Kilmore expose son désir de mariage à M. Humfroy, qui est surpris mais accepte de présenter ses filles. Les trois filles, Laure, Julie et Henriette, écoutent en silence la proposition de leur père. Laure, l'aînée, décline poliment l'offre, préférant rester dans son état actuel. Kilmore est impressionné par la sagesse de Laure mais attend la réponse des autres sœurs. L'histoire se poursuit avec Julie et Elimaïs, filles de M. Humfroy, et Milord Kilmore. Julie accepte initialement un mariage avec Milord Kilmore, mais lors de la signature du contrat, une erreur du notaire révèle que le nom d'Elimaïs est inscrit à la place de celui de Julie. Julie, effrayée par l'engagement, propose de céder sa place à Elimaïs. Milord Kilmore accepte cette solution à condition que la jeune fille accepte de son plein gré. Elimaïs accepte avec grâce et tendresse, émouvant ainsi son père et Milord Kilmore. Le mariage est alors célébré, et le couple part pour le château de Milord. À leur arrivée, Milord Kilmore montre à Elimaïs l'appartement destiné à son épouse et lui offre de l'argent pour acheter des bijoux. Elimaïs répond qu'elle ne désire pas ces objets, mais accepte de les acquérir pour maintenir l'éclat de son rang. La journée se passe calmement, avec des conversations modérées. Le soir, après une promenade, Milord Kilmore simule une lecture de la Bible pour tester Elimaïs, qui reste imperturbable et demande son rouet. Touché par son attitude, Milord Kilmore lui avoue son amour et son admiration. Par la suite, on apprend que Milord Kilmore, enchanté par les vertus et les agréments d'Elimaïs, abandonne sa retraite et sa philosophie pour se consacrer à elle. Ils vivent à Londres dans l'opulence et reçoivent régulièrement des visiteurs distingués.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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64
p. 163-178
EXTRAIT du rapport de M. Hosty, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine de Paris, pendant son séjour à Londres, au sujet de l'Inoculation.
Début :
Ma profession de Médecin, ma qualité de sujet de la Grande Bretagne, [...]
Mots clefs :
Inoculation, Médecin, Faculté de médecine de Paris, Angleterre, Londres, Hôpital, Enfant, Maladie, Petite vérole
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT du rapport de M. Hosty, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine de Paris, pendant son séjour à Londres, au sujet de l'Inoculation.
MEDECINE.
EXTRAIT du rapport de M. Hofty ,
Docteur- Régent de la Faculté de Médeci
ne de Paris , pendant ſon féjour à Londres,
au fujet de l'Inoculation .
Mite de fujet de la Grande Bretagne ,
A profeffion de Médecin , ma qualité
& la connoiffance que j'ai de la langue ,
m'ont procuré l'avantage d'être appellé de164
MERCURE DE FRANCE.
puis la paix par la plupart de més compatriotes
, qui voyagent à Paris , & qui y
font tombés malades , & de m'entretenir
avec eux fur ce qui pouvoit être relatif à
la pratique de la Médecine en Angleterre ;
mais pour me mettre encore plus au fait
j'ai formé le deffein de me tranfporter à
Londres , afin d'y juger par moi- même des
variations arrivées depuis quelques années
en ce pays dans l'art de guérir.
Les fuccès conftans qu'a depuis trente
ans à Londres l'Inoculation de la petite
vérole , & les avantages que la France
pourroit retirer en l'introduifant chez elle ,
m'ont fur-tout déterminé à entreprendre
ce voyage .
J'arrivai à Londres le 12 Mars 1755 .
Mon premier foin fut d'aller voir MM .
Cox Willmod , Médecin du Roi , Hoadly ,
Garnier , Ranby , Mideleton , Hawkins ,
Gataker , Truifdal , Adair , Taylor , Heberdin
, Médecin de la Cour , Shaw , Kirk
Patrick , auteur de l'analyse de l'Inoculation
, le Docteur Maty , auteur du Journal
britannique , M. Pringle , connu par fon
excellent ouvrage fur les maladies des armées
, qui eft en commerce de lettres avec
M. Senac , les Docteurs Clephane , Jarnagagne,
Connel, MM . Bell, Pingfton , Brumfield,
Wal , Chirurgien de l'Hôpital de l'Inocu-
1
A O UST. 1755 : 165
lation , Tompkins , Chirurgien des Enfans
trouvés , M. Morton qui en eft le Médecin.
Je cite tous ces Meffieurs comme autant
de garans de la vérité de ce rapport.
Ce font les praticiens les plus employés à
Londres , & les plus connus en France.
Il n'eft pas poffible de marquer plus de
zéle pour le bien du genre humain qu'ils
en ont fait éclater à mes yeux , ni plus
d'envie de répandre dans toute l'Europe
une pratique qu'ils jugent fi falutaire.
Les facilités qu'ils m'ont procurées pour
l'exécution de mon projet en font des
preuves autentiques .
L'Evêque de Worceſter , fi recommandable
par fa charité envers les pauvres , ce
Prélat qu'on peut regarder comme le fondateur
de l'Hôpital de l'Inoculation dont
il eft actuellemeut Préfident , & qui fans
contrédit eft l'homme d'Angleterre le plus
éclairé fur tous les faits qui concernent
l'Inoculation , s'eft fait un mérite de m'inftruire
de tout ce qui y avoit rapport :
d'ailleurs , la protection dont m'a honoré
M. le Duc de Mirepoix à la recommendation
de M. Rouillé , Miniftre des affaires
étrangeres , & la connoiffance que j'avois
déja faite à Paris de plufieurs Seigneurs
anglois , ne m'ont laiffé rien à defirer fur
ce qui faifoit le principal objet de mon
voyage.
166 MERCURE DE FRANCE.
Pendant le tems que j'ai été à Londres
j'ai fuivi tant aux Hôpitaux qu'en ville
deux cens cinquante-deux perfonnes ino
culées , de différens âges & de conditions
différentes , qui m'ont fourni les obſerva
tions fuivantes . *
Le fujet qu'on veut inoculer étant préparé
, on lui fait une incifion très - légere à
un ou aux deux bras , fuivant l'idée de l'Inoculateur
; on y infére un fil impreigné de
la matiere variolique bien choifie , on
daiffe ce fil dans l'incifion l'efpace de
trente-fix heures , on l'ôte enfuite. Quelques-
uns appliquent fur la plaie une emplâtre
, mais d'autres n'y mettent rien du
tout ; elle paroît ordinairement guérie au
bout de quarante heures ; mais le troifiéme
ou quatrième jour elle s'enflamme de
nouveau , les bords en deviennent rouges,
J'en ai vû inoculer depuis l'âge de trois jufqu'à
vingt-huit , & même jufqu'à trente- fix ans.
&
Il me paroît démontré que les adultes qu'on
voit inoculer à préfent , font les enfans d'autant
de gens autrefois ennemis de cette pratique , qui
ne le font rendus qu'à l'évidence du fuccès ,
qui forment aujourd'hui des preuves éclatantes
du progrès & de la bonté de cette méthode. J'ofe
dire que dans peu d'années il ne ſe trouvera perfonne
en Angleterre , à l'âge de quinze ans , qui
n'ait eu la petite vérole naturellement , ou par
infertion.
A O UST . 1755. 167
fignes prefque certains que l'infertion a
bien pris. Le cinq ou fix on apperçoit une
ligne blanche dans le milieu , l'urine eft
de couleur de citron , indications plus fu
res que les précédentes. Le feptiéme ou le
huitième , le malade qui jufqu'alors n'a
point apperçu de changement dans fon
état , commence à fentir une douleur plus
ou moins vive , à une aiffelle , & quelquefois
aux deux . C'eſt pour l'ordinaire le
premier fymptome , enfuite un malaiſe ,
une fievre plus ou moins forte , un mal
de tête , de reins , des naufées fuivies de
vomiffemens . Le neuvième ou le dixiéme
il paroît une fueur très - abondante , ac
compagnée d'une éruption milliaire par
tout le corps. Ces deux fymptomes prééédent
communément de vingt- quatre heures
, plus ou moins , l'éruption de la petite
verole , & difparoiffent avec les autres , a
mefare que
fe fait cette éruption , qui
arrive pour l'ordinaire vers le dixiéme
jour de l'infertion ; dès qu'elle eft parfaite
le malade ne fouffre plus , il eft cenfé hors
de danger , puifqu'autant que l'expérience
me l'a fait voir , l'on n'a rien à craindre
de la fievre de fuppuration , qui eft fi dangereufe
, & fouvent fi funefte dans cette
maladie , lorfqu'on l'a naturellement . Les
inoculés paffent prefque toujours ce roms
}
16S MERCURE DE FRANCE.
fans fievre & fans accident , ce que les
Médecins regardent comme une preuve
convaincante des avantages de l'inoculation
; la fuppuration finit vers le feizième,
& la deffication vers le vingtiéme . On
purge plufieurs fois le malade , on lui donne
alors des alimens plus folides. Pendant
le cours de la maladie on ne permet que
des végétaux , ou des chofes légeres en
ufage dans le
des
que
pays , telles
des afperges , &c, mais ni viande ni poiffon.
navets
Les ulceres de l'incifion fe dilatent &
fuppurent confidérablement vers l'état de
la maladie ; cette fuppuration continue
quelquefois après le traitement , ce qui
provient principalement de la profondeur
de l'incifion , & n'arrive que très- rarement
depuis qu'on ne fait plus qu'une incifion
très-fuperficielle , ou pour mieux dire une
égratignure ; les fymptomes font quelquefois
fi légers , & le nombre des boutons fi
petit , qu'à la diete près , le malade vit à
fon ordinaire , s'occupe & s'amufe fuivant
fon âge , & n'eft pas obligé de garder
le lit. L'Envoyé de Dannemarck en Angleterre
qui s'eft fait inoculer avec la permiffion
de fa Cour & du confentement de
fa famille , à qui cette maladie a été fouvent
fatale , n'a prefque rien changé à fa
maniere
AOUST. 1755: 169
maniere de vivre accoutumée ; c'eft de
tui-même que j'ai eu le détail journalier
de fon traitement .
Le fils de l'Ambaffadeur de Sardaigne
s'eft foumis avec le même fuccès à cette
pratique.
Je paffe aux effets de cette méthode .
Les deux cens cinquante -deux perſonnes
que j'ai vûes inoculées , ont toutes
été guéries fans aucunes fuites fâcheufes ,
elles m'ont paru fe fortifier après le traitement,
& pas une d'elles n'a été marquée;
mais ce qui m'a bien furpris , c'eft que
ceux - mêmes qui avoient beaucoup de
boutons & fort gros , ne paroiffoient pref
que pas rouges après la deffication , comme
ils le font dans la petite vérole naturelle.
L'avantage de conferver la beauté
n'a pas peu contribué à accréditer cette
méthode , auffi eft-il rare de voir à Londres
quelqu'un au- deffous de vingt ans
défiguré par la petite vérole , à moins que
ce ne foit parmi le bas peuple qui n'a pas
le moyen de fe faire inoculer , où qui conferve
encore les anciens préjugés .
OBSERVATIONS PARTICULIERES.
19. Des deux cens cinquante - deux perfonnes
dont j'ai fuivi l'inoculation , deux
H
170 MERCURE DE FRANCE.
feulement m'ont paru en danger. L'un
étoit le fils du Major Jennings , homme de
condition , fort riche , âgé de trois ans ,
inoculé avec fa foeur , âgée de quatre ans ,
& fa gouvernante âgée de vingt trois. Cet
enfant a eu fix accès de convulfions dans
l'efpace de dix- huit heures , immédiatement
avant l'éruption , ce qui a donné de
vives allarmes à fes parens , mais non aux
Médecins ni aux Chirurgiens ; il a évacué
par le moyen de deux remedes , l'éruption
s'eft bien faite , & auffi- tôt tous les acci
dens ont difparu . Au refte cet enfant eft
fujet à ces accès convulfifs , il en avoit eus
antérieurement dans deux autres maladies.
2°. Il m'a paru que les enfans délicats
& les filles avoient les fymptomes moins
violens , plufieurs praticiens n'ont fait aucunes
obfervations là-deffus .
3°. Les Anglois pour fauver leurs enfans
du danger de cette maladie , m'ont
paru anticiper fur l'âge convénable en les
faifant inoculer à la mammelle & au - def
fous de quatre ans . J'ai obfervé conftamment
que l'âge depuis quatre ans jufqu'à
quinze , étoit le plus propre , & que les
perfonnes au -deffus de quinze fouffroient
moins les enfans au-deffous de quatre que
ans. Cette remarque eft conforme à celles
des gens de l'art.
;
AOUST. 1755. 171
” . J'ai vû des adultes des deux fexes ,
même forts , replets & très- robuftes guérir
fans accident , & d'une façon furprenante,
5°. Quoiqu'on choififfe pour l'inoculation
le tems qui fuit immédiatement les
régles , elles furviennent cependant prefque
toujours dans le cours de la maladie
ont plus ou moins de durée , & finiffent
fans aucun accident.
6°. J'ai vû plufieurs perfonnes n'avoir
que très-peu de boutons , quelquefois feulement
autour de l'incifion , comme la
fille du Comte de Fitz Williams . Un adulte
en eut une douzaine ; le premier lui
vint au gros doigt du pied , remarque curieufe
, & qui prouve inconteftablement
que le virus a circulé par toute la maffe du
fang , quoiqu'il n'y eut que peu de boutons.
Quelquefois la feule fuppuration des
ulceres tient lieu de tout.
7°. Les fymptomes & l'éruption paroiffent
quelquefois fort tard . La fille de Mylord
Dalkitk à qui ils n'ont paru que le
quatorziéme jour après l'infertion , & un
enfant trouvé , dont je parlerai plus bas ,
auquel ils n'ont paru que le vingt-fix en
font des exemples.
8°. Cinq perfonnes n'ont pu prendre la
petite vérole , quoiqu'on eut réitéré l'infertion
; l'un étoit en ville , & les quatre
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
autres aux Hôpitaux ; & quoiqu'ils fuffent
tous cinq expofés pendant le traitement
des autres à l'infection , ils ne la contracterent
pas.
Les deux Hôpitaux dans lefquels fe pra
tique cette méthode , font celui de la petite
verole , ainfi nommé , parce que l'on
n'y traite que cette feule maladie , foit naturelle
, foit artificielle , & celui des Enfans
trouvés. J'ai apporté tout ce qui regarde
l'établiffement & les réglemens de ces Hôpitaux
, auffi - bien que l'hiftoire de l'inoculation
, depuis le jour de leur établiſſement
jufqu'à celui de mon départ , qui m'ont été
remis par ordre du Commité : en voici
le détail . *
Depuis le 26 Septembre 1746 , jour de
l'ouverture de l'Hôpital de l'Inoculation ,
jufqu'au 14 Mai 1755 , il y a eu fix cens
quatre inoculés , y compris quatre- vingtdix-
fept de cette année. Les cinq premieres
années de fon établiſſement cette méthode
Y étant encore dans fon enfance , & l'hôpital
n'étant pas encore en état de fournir
toutes les commodités aux malades , de cent
trente une perfonnes , il en eft mort deux ;
l'une attaquée de vers , l'autre foupçonnée
d'avoir cette maladie naturellement dans
le tems de fon inoculation * . Les quatre
* L'Hôpital pour l'Inoculation eft encore bieg
A O UST. 1755 . 173
dernieres années , de quatre cens foixantetreize
, un feul eft mort ; & fuivant les regiftres
de ce même hôpital , de neuf perfonnes
qui ont la petite vérole naturelle ,
il en meurt deux .
Depuis 1741 , on a inoculé aux Enfans
trouvés deux cens quarante-fept , dont un
feul eft mort , ce que l'on croit , par un
accident étranger à l'inoculation.
à
Total des inoculés dans les deux Hôpitaux
,
Morts ,
851.
4.
La premiere fois que je vifitai l'Hôpital
de l'Inoculation , je fus témoin d'un contrafte
bien frappant. Il y avoit fur le même
quarré deux falles ; l'une deftinée à la
petite vérole naturelle , l'autre à la petite
vérole , qui s'y donne par infertion. Dans
la premiere de ces falles je vis des malades
qui excitoient non feulement la compaffion
, mais la terreur , hideux , gémiffans
, prêts à rendre l'ame ; on les auroit
cru frappés de la maladie la plus cruelle
& la plus dégoûtante. Dans l'autre falle
pauvre , ce qui oblige de mettre les inoculés avec
ceux qui font attaqués de la petite vérole naturelle
ce qui ne peut manquer d'infecter l'air , &
de rendre en cet endroit la pratique de l'inoculation
plus fujette à des accidens qu'ailleurs,
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
on n'entendoit ni cris de douleur , ni voix
mourante ; on ne voyoit ni fouffrance ni
accidens , ni même aucun malaiſe : au contraire
les malades étoient gais , & jouoient
entr'eux. Il y avoit vingt-fix filles inocu-
1ées , depuis l'âge de dix ans jufqu'à vingtquatre
, qui n'étoient point alitées , qui
couroient les unes après les autres , & fe
divertiffoient comme on a coutume de le
faire à cet âge , lorfqu'on fe porte bien .
J'eus occafion de faire aux Enfans trou
vés une obfervation très intéreffante fur le
nommé Claringdon , âgé de cinq ans , qui
fe trouva pris de la rougeole , fans que
T'on s'en fût apperçu , dans le tems qu'il fut
inoculé. Le lendemain les fymptomes de
la rougeole fe manifefterent avec affez de
violence pour faire craindre pour fa vie ,
les taches parurent au tems ordinaire ; la
maladie prenant fon cours fe termina heureufement.
Le vingt- fixième jour de l'inoculation
la petite vérole parut en affez
grande quantité , & eut fon cours fans
aucun accident remarquable . Le malade
guérit des deux maladies , ce qui prouve le
peu de danger de cette pratique , & que
l'humeur de la petite vérole eft différente
des autres humeurs , & ne fe mêle point
avec elles.
AOUST. 1755 175
FAITS ET INFORMATIONS.
1º. Je n'ai pu trouver dans tout Londres
un feul Medecin , Chirurgien ou
Apoticaire qui s'oppofât à l'inoculation ,
ils en font au contraire tellement partifans
qu'ils font tous inoculer leurs propres
enfans. Ils regardent cette pratique
comme la plus grande découverte que
l'on ait fait en médecine depuis Hyppocrate
.
J'ai vu inoculer avec fuccès les deux
filles du Docteur Ruffel , l'une âgée de 2 9
ans , l'autre de 23 .
20. M. Ranby , premier chirurgien du
Roy d'Angleterre m'a affuré avoir inoculé
plus de 1600 perfonnes fans qu'il en foit
mort une feule. M. Bell , éleve de M. Morand
, 90 , avec le même fuccès. Enfin
M. Hadow , médecin à Warvick & ami du
docteur Pringle , inocule depuis 18 ans
avec un fuccès furprenant (a) .
( a ) Le Docteur Pringle connu de M. Senac , a
écrit au docteur Hadow pendant mon féjour à
Londres , pour le prier de répondre à quelques
queftions que j'avois faites par écrit . J'ai reçu la
réponse aux trois premieres avec une lettre du
Docteur Pringle , depuis mon arrivée à Paris . J'ajoute
ici la traduction des deux lettres . Ces Mefhieurs
me promettent de répondre aux douze autres
questions.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
3°. Il ne fe trouve pas un feul exemple
qu'une perfonne qui ait eu la petite vérole
bien caractérisée par l'inoculation , l'ait eu
une feconde fois , cela eft fondé fur plu
fieurs expériences réïtérées & bien avérées.
Pour décider que le malade eft à l'abri de
cette infection , ils ne demandent qu'une
preuve non équivoque que le virus a opéré
fur la maffe du fang : quelques boutons fur
le corps , ou la fuppuration des incifions
fans éruption leur fuffifent.
4°. Il ne fe trouve pas d'exemple d'aucune
autre humeur fcorbutique , &c. qui
ait été introduite par l'inoculation , cela
eft même confirmé par quelques expériences
, hardies à la vérité ; auffi l'on ne s'inquiette
plus à cet égard d'ailleurs il eſt
facile par le choix du fujet qui fournit la
matiere d'en éviter le rifque (a).
5. Il ne fe trouve point un médecin à
Londres , autant que je l'ai pû apprendre ,
qui croye que l'on ait la petite vérole plufieurs
fois (b).
(a ) L'exemple de la complication de la rougeole
& de la petite vérole dans l'enfant trouvé
dont je viens de parler , me paroît ne laiffer aucun
doute là -deffus.
(b ) Le docteur Maty , qui avoit eu la petite.
vérole naturelle , voulant fe convaincre de ce fait,
s'eft inoculé lui-même fans pouvoir . ſe la donnen
AOUST. 1755. 177
6. Les Catholiques s'y foumettent ainſi
que les Proteftans , Mylord Dillon a fait
inoculer fon fils & fa fille aînée ; Madame
Chelldon , fa parente , craignant beaucoup
cette maladie , s'eft fait inoculer ce printemps
à l'âge de trente- fix ans , & mere de
douze enfans aufquels elle a ainfi donné
l'exemple du courage.
La fille du Duc de Beaufort , âgée de 15
ans, m'a fourni un fecond exemple de réfolution
, elle s'eft fait inoculer le 25 Avril
dernier de fon propre mouvement . On la
regarde comme la beauté de l'Angleterre ;
tout le monde s'intéreffoit à cet évenement ,
& le fuccès a répondu aux voeux que le
public formoit pour elle. J'ai retardé mon
retour de quinze jours pour affifter à fon
traitement.
Je pourrois citer plufieurs autres obfervations
curieufes & intéreffantes touchant
cette pratique que je tiens de perſonnes
très- dignes de foi , mais voyant que ce
rapport paffe les bornes convenables , &
n'ayant d'autres but que de rapporter fimplement
ce que j'ai vâ , & nullement de
décider la queſtion , je finirai en affurant
que les libéralités des perfonnes prévenues
autrefois contre cette pratique par religion
Ce détail ſe trouve dans fon Journal Britannique
des mois de Novembre & Décembre 1754
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
ou par quelque autre motif, font aujour
d'hui le principal revenu de l'hôpital de
l'inoculation , & que les regiftres font
remplis d'exemples curieux & touchans de
peres & meres qui ayant été maltraités par
la petite vérole naturelle ont eu recours
malgré leurs préjugés à l'inoculation fouvent
pour fe conferver l'unique enfant qui
leur reftoit.
EXTRAIT du rapport de M. Hofty ,
Docteur- Régent de la Faculté de Médeci
ne de Paris , pendant ſon féjour à Londres,
au fujet de l'Inoculation .
Mite de fujet de la Grande Bretagne ,
A profeffion de Médecin , ma qualité
& la connoiffance que j'ai de la langue ,
m'ont procuré l'avantage d'être appellé de164
MERCURE DE FRANCE.
puis la paix par la plupart de més compatriotes
, qui voyagent à Paris , & qui y
font tombés malades , & de m'entretenir
avec eux fur ce qui pouvoit être relatif à
la pratique de la Médecine en Angleterre ;
mais pour me mettre encore plus au fait
j'ai formé le deffein de me tranfporter à
Londres , afin d'y juger par moi- même des
variations arrivées depuis quelques années
en ce pays dans l'art de guérir.
Les fuccès conftans qu'a depuis trente
ans à Londres l'Inoculation de la petite
vérole , & les avantages que la France
pourroit retirer en l'introduifant chez elle ,
m'ont fur-tout déterminé à entreprendre
ce voyage .
J'arrivai à Londres le 12 Mars 1755 .
Mon premier foin fut d'aller voir MM .
Cox Willmod , Médecin du Roi , Hoadly ,
Garnier , Ranby , Mideleton , Hawkins ,
Gataker , Truifdal , Adair , Taylor , Heberdin
, Médecin de la Cour , Shaw , Kirk
Patrick , auteur de l'analyse de l'Inoculation
, le Docteur Maty , auteur du Journal
britannique , M. Pringle , connu par fon
excellent ouvrage fur les maladies des armées
, qui eft en commerce de lettres avec
M. Senac , les Docteurs Clephane , Jarnagagne,
Connel, MM . Bell, Pingfton , Brumfield,
Wal , Chirurgien de l'Hôpital de l'Inocu-
1
A O UST. 1755 : 165
lation , Tompkins , Chirurgien des Enfans
trouvés , M. Morton qui en eft le Médecin.
Je cite tous ces Meffieurs comme autant
de garans de la vérité de ce rapport.
Ce font les praticiens les plus employés à
Londres , & les plus connus en France.
Il n'eft pas poffible de marquer plus de
zéle pour le bien du genre humain qu'ils
en ont fait éclater à mes yeux , ni plus
d'envie de répandre dans toute l'Europe
une pratique qu'ils jugent fi falutaire.
Les facilités qu'ils m'ont procurées pour
l'exécution de mon projet en font des
preuves autentiques .
L'Evêque de Worceſter , fi recommandable
par fa charité envers les pauvres , ce
Prélat qu'on peut regarder comme le fondateur
de l'Hôpital de l'Inoculation dont
il eft actuellemeut Préfident , & qui fans
contrédit eft l'homme d'Angleterre le plus
éclairé fur tous les faits qui concernent
l'Inoculation , s'eft fait un mérite de m'inftruire
de tout ce qui y avoit rapport :
d'ailleurs , la protection dont m'a honoré
M. le Duc de Mirepoix à la recommendation
de M. Rouillé , Miniftre des affaires
étrangeres , & la connoiffance que j'avois
déja faite à Paris de plufieurs Seigneurs
anglois , ne m'ont laiffé rien à defirer fur
ce qui faifoit le principal objet de mon
voyage.
166 MERCURE DE FRANCE.
Pendant le tems que j'ai été à Londres
j'ai fuivi tant aux Hôpitaux qu'en ville
deux cens cinquante-deux perfonnes ino
culées , de différens âges & de conditions
différentes , qui m'ont fourni les obſerva
tions fuivantes . *
Le fujet qu'on veut inoculer étant préparé
, on lui fait une incifion très - légere à
un ou aux deux bras , fuivant l'idée de l'Inoculateur
; on y infére un fil impreigné de
la matiere variolique bien choifie , on
daiffe ce fil dans l'incifion l'efpace de
trente-fix heures , on l'ôte enfuite. Quelques-
uns appliquent fur la plaie une emplâtre
, mais d'autres n'y mettent rien du
tout ; elle paroît ordinairement guérie au
bout de quarante heures ; mais le troifiéme
ou quatrième jour elle s'enflamme de
nouveau , les bords en deviennent rouges,
J'en ai vû inoculer depuis l'âge de trois jufqu'à
vingt-huit , & même jufqu'à trente- fix ans.
&
Il me paroît démontré que les adultes qu'on
voit inoculer à préfent , font les enfans d'autant
de gens autrefois ennemis de cette pratique , qui
ne le font rendus qu'à l'évidence du fuccès ,
qui forment aujourd'hui des preuves éclatantes
du progrès & de la bonté de cette méthode. J'ofe
dire que dans peu d'années il ne ſe trouvera perfonne
en Angleterre , à l'âge de quinze ans , qui
n'ait eu la petite vérole naturellement , ou par
infertion.
A O UST . 1755. 167
fignes prefque certains que l'infertion a
bien pris. Le cinq ou fix on apperçoit une
ligne blanche dans le milieu , l'urine eft
de couleur de citron , indications plus fu
res que les précédentes. Le feptiéme ou le
huitième , le malade qui jufqu'alors n'a
point apperçu de changement dans fon
état , commence à fentir une douleur plus
ou moins vive , à une aiffelle , & quelquefois
aux deux . C'eſt pour l'ordinaire le
premier fymptome , enfuite un malaiſe ,
une fievre plus ou moins forte , un mal
de tête , de reins , des naufées fuivies de
vomiffemens . Le neuvième ou le dixiéme
il paroît une fueur très - abondante , ac
compagnée d'une éruption milliaire par
tout le corps. Ces deux fymptomes prééédent
communément de vingt- quatre heures
, plus ou moins , l'éruption de la petite
verole , & difparoiffent avec les autres , a
mefare que
fe fait cette éruption , qui
arrive pour l'ordinaire vers le dixiéme
jour de l'infertion ; dès qu'elle eft parfaite
le malade ne fouffre plus , il eft cenfé hors
de danger , puifqu'autant que l'expérience
me l'a fait voir , l'on n'a rien à craindre
de la fievre de fuppuration , qui eft fi dangereufe
, & fouvent fi funefte dans cette
maladie , lorfqu'on l'a naturellement . Les
inoculés paffent prefque toujours ce roms
}
16S MERCURE DE FRANCE.
fans fievre & fans accident , ce que les
Médecins regardent comme une preuve
convaincante des avantages de l'inoculation
; la fuppuration finit vers le feizième,
& la deffication vers le vingtiéme . On
purge plufieurs fois le malade , on lui donne
alors des alimens plus folides. Pendant
le cours de la maladie on ne permet que
des végétaux , ou des chofes légeres en
ufage dans le
des
que
pays , telles
des afperges , &c, mais ni viande ni poiffon.
navets
Les ulceres de l'incifion fe dilatent &
fuppurent confidérablement vers l'état de
la maladie ; cette fuppuration continue
quelquefois après le traitement , ce qui
provient principalement de la profondeur
de l'incifion , & n'arrive que très- rarement
depuis qu'on ne fait plus qu'une incifion
très-fuperficielle , ou pour mieux dire une
égratignure ; les fymptomes font quelquefois
fi légers , & le nombre des boutons fi
petit , qu'à la diete près , le malade vit à
fon ordinaire , s'occupe & s'amufe fuivant
fon âge , & n'eft pas obligé de garder
le lit. L'Envoyé de Dannemarck en Angleterre
qui s'eft fait inoculer avec la permiffion
de fa Cour & du confentement de
fa famille , à qui cette maladie a été fouvent
fatale , n'a prefque rien changé à fa
maniere
AOUST. 1755: 169
maniere de vivre accoutumée ; c'eft de
tui-même que j'ai eu le détail journalier
de fon traitement .
Le fils de l'Ambaffadeur de Sardaigne
s'eft foumis avec le même fuccès à cette
pratique.
Je paffe aux effets de cette méthode .
Les deux cens cinquante -deux perſonnes
que j'ai vûes inoculées , ont toutes
été guéries fans aucunes fuites fâcheufes ,
elles m'ont paru fe fortifier après le traitement,
& pas une d'elles n'a été marquée;
mais ce qui m'a bien furpris , c'eft que
ceux - mêmes qui avoient beaucoup de
boutons & fort gros , ne paroiffoient pref
que pas rouges après la deffication , comme
ils le font dans la petite vérole naturelle.
L'avantage de conferver la beauté
n'a pas peu contribué à accréditer cette
méthode , auffi eft-il rare de voir à Londres
quelqu'un au- deffous de vingt ans
défiguré par la petite vérole , à moins que
ce ne foit parmi le bas peuple qui n'a pas
le moyen de fe faire inoculer , où qui conferve
encore les anciens préjugés .
OBSERVATIONS PARTICULIERES.
19. Des deux cens cinquante - deux perfonnes
dont j'ai fuivi l'inoculation , deux
H
170 MERCURE DE FRANCE.
feulement m'ont paru en danger. L'un
étoit le fils du Major Jennings , homme de
condition , fort riche , âgé de trois ans ,
inoculé avec fa foeur , âgée de quatre ans ,
& fa gouvernante âgée de vingt trois. Cet
enfant a eu fix accès de convulfions dans
l'efpace de dix- huit heures , immédiatement
avant l'éruption , ce qui a donné de
vives allarmes à fes parens , mais non aux
Médecins ni aux Chirurgiens ; il a évacué
par le moyen de deux remedes , l'éruption
s'eft bien faite , & auffi- tôt tous les acci
dens ont difparu . Au refte cet enfant eft
fujet à ces accès convulfifs , il en avoit eus
antérieurement dans deux autres maladies.
2°. Il m'a paru que les enfans délicats
& les filles avoient les fymptomes moins
violens , plufieurs praticiens n'ont fait aucunes
obfervations là-deffus .
3°. Les Anglois pour fauver leurs enfans
du danger de cette maladie , m'ont
paru anticiper fur l'âge convénable en les
faifant inoculer à la mammelle & au - def
fous de quatre ans . J'ai obfervé conftamment
que l'âge depuis quatre ans jufqu'à
quinze , étoit le plus propre , & que les
perfonnes au -deffus de quinze fouffroient
moins les enfans au-deffous de quatre que
ans. Cette remarque eft conforme à celles
des gens de l'art.
;
AOUST. 1755. 171
” . J'ai vû des adultes des deux fexes ,
même forts , replets & très- robuftes guérir
fans accident , & d'une façon furprenante,
5°. Quoiqu'on choififfe pour l'inoculation
le tems qui fuit immédiatement les
régles , elles furviennent cependant prefque
toujours dans le cours de la maladie
ont plus ou moins de durée , & finiffent
fans aucun accident.
6°. J'ai vû plufieurs perfonnes n'avoir
que très-peu de boutons , quelquefois feulement
autour de l'incifion , comme la
fille du Comte de Fitz Williams . Un adulte
en eut une douzaine ; le premier lui
vint au gros doigt du pied , remarque curieufe
, & qui prouve inconteftablement
que le virus a circulé par toute la maffe du
fang , quoiqu'il n'y eut que peu de boutons.
Quelquefois la feule fuppuration des
ulceres tient lieu de tout.
7°. Les fymptomes & l'éruption paroiffent
quelquefois fort tard . La fille de Mylord
Dalkitk à qui ils n'ont paru que le
quatorziéme jour après l'infertion , & un
enfant trouvé , dont je parlerai plus bas ,
auquel ils n'ont paru que le vingt-fix en
font des exemples.
8°. Cinq perfonnes n'ont pu prendre la
petite vérole , quoiqu'on eut réitéré l'infertion
; l'un étoit en ville , & les quatre
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
autres aux Hôpitaux ; & quoiqu'ils fuffent
tous cinq expofés pendant le traitement
des autres à l'infection , ils ne la contracterent
pas.
Les deux Hôpitaux dans lefquels fe pra
tique cette méthode , font celui de la petite
verole , ainfi nommé , parce que l'on
n'y traite que cette feule maladie , foit naturelle
, foit artificielle , & celui des Enfans
trouvés. J'ai apporté tout ce qui regarde
l'établiffement & les réglemens de ces Hôpitaux
, auffi - bien que l'hiftoire de l'inoculation
, depuis le jour de leur établiſſement
jufqu'à celui de mon départ , qui m'ont été
remis par ordre du Commité : en voici
le détail . *
Depuis le 26 Septembre 1746 , jour de
l'ouverture de l'Hôpital de l'Inoculation ,
jufqu'au 14 Mai 1755 , il y a eu fix cens
quatre inoculés , y compris quatre- vingtdix-
fept de cette année. Les cinq premieres
années de fon établiſſement cette méthode
Y étant encore dans fon enfance , & l'hôpital
n'étant pas encore en état de fournir
toutes les commodités aux malades , de cent
trente une perfonnes , il en eft mort deux ;
l'une attaquée de vers , l'autre foupçonnée
d'avoir cette maladie naturellement dans
le tems de fon inoculation * . Les quatre
* L'Hôpital pour l'Inoculation eft encore bieg
A O UST. 1755 . 173
dernieres années , de quatre cens foixantetreize
, un feul eft mort ; & fuivant les regiftres
de ce même hôpital , de neuf perfonnes
qui ont la petite vérole naturelle ,
il en meurt deux .
Depuis 1741 , on a inoculé aux Enfans
trouvés deux cens quarante-fept , dont un
feul eft mort , ce que l'on croit , par un
accident étranger à l'inoculation.
à
Total des inoculés dans les deux Hôpitaux
,
Morts ,
851.
4.
La premiere fois que je vifitai l'Hôpital
de l'Inoculation , je fus témoin d'un contrafte
bien frappant. Il y avoit fur le même
quarré deux falles ; l'une deftinée à la
petite vérole naturelle , l'autre à la petite
vérole , qui s'y donne par infertion. Dans
la premiere de ces falles je vis des malades
qui excitoient non feulement la compaffion
, mais la terreur , hideux , gémiffans
, prêts à rendre l'ame ; on les auroit
cru frappés de la maladie la plus cruelle
& la plus dégoûtante. Dans l'autre falle
pauvre , ce qui oblige de mettre les inoculés avec
ceux qui font attaqués de la petite vérole naturelle
ce qui ne peut manquer d'infecter l'air , &
de rendre en cet endroit la pratique de l'inoculation
plus fujette à des accidens qu'ailleurs,
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
on n'entendoit ni cris de douleur , ni voix
mourante ; on ne voyoit ni fouffrance ni
accidens , ni même aucun malaiſe : au contraire
les malades étoient gais , & jouoient
entr'eux. Il y avoit vingt-fix filles inocu-
1ées , depuis l'âge de dix ans jufqu'à vingtquatre
, qui n'étoient point alitées , qui
couroient les unes après les autres , & fe
divertiffoient comme on a coutume de le
faire à cet âge , lorfqu'on fe porte bien .
J'eus occafion de faire aux Enfans trou
vés une obfervation très intéreffante fur le
nommé Claringdon , âgé de cinq ans , qui
fe trouva pris de la rougeole , fans que
T'on s'en fût apperçu , dans le tems qu'il fut
inoculé. Le lendemain les fymptomes de
la rougeole fe manifefterent avec affez de
violence pour faire craindre pour fa vie ,
les taches parurent au tems ordinaire ; la
maladie prenant fon cours fe termina heureufement.
Le vingt- fixième jour de l'inoculation
la petite vérole parut en affez
grande quantité , & eut fon cours fans
aucun accident remarquable . Le malade
guérit des deux maladies , ce qui prouve le
peu de danger de cette pratique , & que
l'humeur de la petite vérole eft différente
des autres humeurs , & ne fe mêle point
avec elles.
AOUST. 1755 175
FAITS ET INFORMATIONS.
1º. Je n'ai pu trouver dans tout Londres
un feul Medecin , Chirurgien ou
Apoticaire qui s'oppofât à l'inoculation ,
ils en font au contraire tellement partifans
qu'ils font tous inoculer leurs propres
enfans. Ils regardent cette pratique
comme la plus grande découverte que
l'on ait fait en médecine depuis Hyppocrate
.
J'ai vu inoculer avec fuccès les deux
filles du Docteur Ruffel , l'une âgée de 2 9
ans , l'autre de 23 .
20. M. Ranby , premier chirurgien du
Roy d'Angleterre m'a affuré avoir inoculé
plus de 1600 perfonnes fans qu'il en foit
mort une feule. M. Bell , éleve de M. Morand
, 90 , avec le même fuccès. Enfin
M. Hadow , médecin à Warvick & ami du
docteur Pringle , inocule depuis 18 ans
avec un fuccès furprenant (a) .
( a ) Le Docteur Pringle connu de M. Senac , a
écrit au docteur Hadow pendant mon féjour à
Londres , pour le prier de répondre à quelques
queftions que j'avois faites par écrit . J'ai reçu la
réponse aux trois premieres avec une lettre du
Docteur Pringle , depuis mon arrivée à Paris . J'ajoute
ici la traduction des deux lettres . Ces Mefhieurs
me promettent de répondre aux douze autres
questions.
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
3°. Il ne fe trouve pas un feul exemple
qu'une perfonne qui ait eu la petite vérole
bien caractérisée par l'inoculation , l'ait eu
une feconde fois , cela eft fondé fur plu
fieurs expériences réïtérées & bien avérées.
Pour décider que le malade eft à l'abri de
cette infection , ils ne demandent qu'une
preuve non équivoque que le virus a opéré
fur la maffe du fang : quelques boutons fur
le corps , ou la fuppuration des incifions
fans éruption leur fuffifent.
4°. Il ne fe trouve pas d'exemple d'aucune
autre humeur fcorbutique , &c. qui
ait été introduite par l'inoculation , cela
eft même confirmé par quelques expériences
, hardies à la vérité ; auffi l'on ne s'inquiette
plus à cet égard d'ailleurs il eſt
facile par le choix du fujet qui fournit la
matiere d'en éviter le rifque (a).
5. Il ne fe trouve point un médecin à
Londres , autant que je l'ai pû apprendre ,
qui croye que l'on ait la petite vérole plufieurs
fois (b).
(a ) L'exemple de la complication de la rougeole
& de la petite vérole dans l'enfant trouvé
dont je viens de parler , me paroît ne laiffer aucun
doute là -deffus.
(b ) Le docteur Maty , qui avoit eu la petite.
vérole naturelle , voulant fe convaincre de ce fait,
s'eft inoculé lui-même fans pouvoir . ſe la donnen
AOUST. 1755. 177
6. Les Catholiques s'y foumettent ainſi
que les Proteftans , Mylord Dillon a fait
inoculer fon fils & fa fille aînée ; Madame
Chelldon , fa parente , craignant beaucoup
cette maladie , s'eft fait inoculer ce printemps
à l'âge de trente- fix ans , & mere de
douze enfans aufquels elle a ainfi donné
l'exemple du courage.
La fille du Duc de Beaufort , âgée de 15
ans, m'a fourni un fecond exemple de réfolution
, elle s'eft fait inoculer le 25 Avril
dernier de fon propre mouvement . On la
regarde comme la beauté de l'Angleterre ;
tout le monde s'intéreffoit à cet évenement ,
& le fuccès a répondu aux voeux que le
public formoit pour elle. J'ai retardé mon
retour de quinze jours pour affifter à fon
traitement.
Je pourrois citer plufieurs autres obfervations
curieufes & intéreffantes touchant
cette pratique que je tiens de perſonnes
très- dignes de foi , mais voyant que ce
rapport paffe les bornes convenables , &
n'ayant d'autres but que de rapporter fimplement
ce que j'ai vâ , & nullement de
décider la queſtion , je finirai en affurant
que les libéralités des perfonnes prévenues
autrefois contre cette pratique par religion
Ce détail ſe trouve dans fon Journal Britannique
des mois de Novembre & Décembre 1754
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
ou par quelque autre motif, font aujour
d'hui le principal revenu de l'hôpital de
l'inoculation , & que les regiftres font
remplis d'exemples curieux & touchans de
peres & meres qui ayant été maltraités par
la petite vérole naturelle ont eu recours
malgré leurs préjugés à l'inoculation fouvent
pour fe conferver l'unique enfant qui
leur reftoit.
Fermer
Résumé : EXTRAIT du rapport de M. Hosty, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine de Paris, pendant son séjour à Londres, au sujet de l'Inoculation.
Le Dr. Hofty, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine de Paris, a effectué un séjour à Londres pour étudier l'inoculation de la petite vérole, une pratique médicale couronnée de succès depuis trente ans. Grâce à ses compétences linguistiques et médicales, Hofty a été consulté par de nombreux compatriotes malades à Paris, ce qui l'a incité à se rendre à Londres pour observer les méthodes locales. À Londres, Hofty a rencontré des médecins et chirurgiens éminents, tels que Cox Willmoth, Médecin du Roi, et l'Évêque de Worcester, fondateur de l'Hôpital de l'Inoculation. Il a suivi 252 personnes inoculées, de différents âges et conditions, et a observé les procédures et les symptômes de la maladie. L'inoculation consiste à faire une incision légère sur le bras, y introduire un fil imprégné de matière variolique, et laisser la plaie se guérir. Les symptômes apparaissent généralement entre le troisième et le dixième jour, avec une éruption de boutons qui se résorbe vers le vingtième jour. Hofty a noté que les adultes inoculés étaient souvent des enfants de parents autrefois opposés à cette pratique, mais convaincus par son succès. Il a également observé que les symptômes étaient moins violents chez les enfants délicats et les filles. Les Anglais pratiquent l'inoculation dès l'âge de quatre ans, jugé le plus propice. Les hôpitaux londoniens pratiquant l'inoculation sont l'Hôpital de la petite vérole et celui des Enfants trouvés. Depuis l'ouverture de l'Hôpital de l'Inoculation en 1746, sur 851 inoculés, seulement quatre sont morts, contre deux sur neuf pour la petite vérole naturelle. Hofty a constaté un contraste frappant entre les malades atteints naturellement et ceux inoculés, ces derniers ne montrant presque aucun malaise ou souffrance. En août 1755, un observateur a noté une expérience intéressante concernant un enfant nommé Claringdon, âgé de cinq ans, qui contracta la rougeole peu après avoir été inoculé contre la variole. La rougeole se manifesta violemment le lendemain, mais l'enfant guérit sans complications. Vingt-cinq jours après l'inoculation, la variole apparut en grande quantité et se déroula sans incidents, prouvant ainsi que l'inoculation est peu dangereuse et que l'humeur de la variole ne se mélange pas avec d'autres maladies. À Londres, aucun médecin, chirurgien ou apothicaire ne s'opposait à l'inoculation, la considérant comme une grande découverte médicale. Plusieurs chirurgiens et médecins ont inoculé des centaines de personnes avec succès. Il n'existe aucun cas documenté de réinfection par la variole après une inoculation réussie. Les expériences montrent également que d'autres humeurs morbides, comme le scorbut, ne sont pas introduites par l'inoculation. Les catholiques et les protestants, y compris des nobles comme Mylord Dillon et la fille du Duc de Beaufort, se soumettent à l'inoculation. Les libéralités des personnes autrefois prévenues contre cette pratique contribuent désormais au revenu de l'hôpital de l'inoculation. Les registres de l'hôpital contiennent de nombreux exemples de parents ayant recours à l'inoculation pour protéger leurs enfants.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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65
p. 228-237
« Il a paru successivement plusieurs Ecrits, qui ont pour objet la [...] »
Début :
Il a paru successivement plusieurs Ecrits, qui ont pour objet la [...]
Mots clefs :
France, Angleterre, Acadie, Traité, Frontières, Amérique, Canada, Troubles politiques, Déclaration du roi, Abbé de la Chateigneray
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Il a paru successivement plusieurs Ecrits, qui ont pour objet la [...] »
La paru fucceffivement plufieurs Ecrits , qui ont
pour objet la grande question agitée entre la
France & l'Angleterre , fur les anciennes limites
de l'Acadie. Le premier eft une Lettre de M. ... a
M. de & ne contient que onze pages . Celui qui
eft intitulé Hiftoire Géographique de la nouvelle
Ecoffe , c. contient la defcription du Pays auquel
les Anglois donnent ce nom , & on y.expofe les
avantages propofés par la Nation à ceux qui voudront
Y tormer des établiffemens. C'eft une traduction
à laquelle on a feulement joint quelques
notes dans lesquelles le fyftême anglois eft réfuté.
La conduite des François par rapport à la nouvelle
Ecoffe , depuis le premier établiffement de cette
Colonie jufqu'à nos jours , &c. eft auffi traduite
de l'Anglois , & il eft aifé de le reconnoître . Ce
n'eft qu'un ouvrage polémique dans lequel l'Auteur
a marqué peu de retenue & même de politeffe
dans les expreffions dont il fe fert , en parlant
tant de la France , que de quelques François
en particulier. Les argumens qu'il employe n'ont
pas paru affez redoutables pour les déguifer , &
l'Auteur François n'a pu mieux défendre la caufe
de fa patrie , qu'en expofant par une traduction.
fidelle les objections de fon adverfaire , & en rétabliffant
feulement le véritable état de la queſtion
par des notes fuccinctes .
La difcuffion fommaire fur les anciennes limites
de l'Acadie , & fur les ftipulations du Traité d'U
trecht qui y font relatives , eft un ouvrage fran
OCTOBRE. 1755. 229
çois. C'eft proprement l'extrait des Mémoires refpectifs
des Commiffaires des deux Nations : l'Auteur,
après y avoir examiné la queftion , fuivans les
principes de droit & la teneur des Traités , ajoute
quelques réflexions fur la politique des Anglois
en général , & fur l'équilibre des puiffances en
Amérique. Comme ces réflexions font très - courtes
, & que l'objet en eſt différent de celui du refte
de la differtation , nous croyons qu'il fera plus
aifé de les tranſcrire , que de les extraire.
Toutes les raifons & les confidérations que
l'on vient d'expofer , peuvent fervir à dévoiler les
raifons qui doivent engager la France à ne ſe
point défifter des ftipulations du Traité d'Utrecht
qui bornent la ceffion de l'Acadie , à celle de
Pancienne Acadie ; qui n'ajoutent à cette ceffion
que celle de Port- Royal & nullement celle de
la Baye- Françoife , ni de la côte des Etchemins ;
qui par le gilement des ôtes , déterminent l'étendue
des mers de l'Acadie , depuis le Sable jufqu'à
la hauteur du Cap Fourchu ; qui déclarent
que toutes les Illes quelconques fituées dans l'embouchure
& le Golfe S. Laurent appartiennent à
la France ; qui par - là excluent les Anglois de rien
prétendre fur les côtes de ce même Golfe , & en
même tems fuppofent évidemment , que le Golfe
appartient en entier à la France.
On ne craint point de dire que l'objet des Anglois
ne fe borne pas aux Pays qu'ils reclament
fous le nom d'Acadie , & qui la plupart font
ingrats , ftériles & fans commerce. Leur objet
eft d'envahir le Canada en entier , & de ſe préparer
par- là le chemin à l'empire univerfel de
P'Amérique , & des richeffes dont elle eft la fource
la plus abondante.
Leurs prétentions d'une part , annoncées par
30 MERCURE DE FRANCE.
leurs Livres & leurs Cartes ; de l'autre , les entre
prifes projettées dans leurs colonies de l'Amérique
, & qui viennent d'éclore , pour attaquer en
même tems le Canada de tous les côtés , avec des
forces très -fupérieures ( ce qui ne juftifie que
trop la fageffe des mefures qui ont déterminé la
France à y faire paffer des Troupes ) ces mêmes
entrepriſes autorifées & fomentées par le Gouvernement
d'Angleterre , dans le tems qu'il affuroit
la France des difpofitions les plus pacifiques ,
& qu'il auroit voulu l'amufer par de vaines négociations
toutes ces circonstances prouvent le
projet formé de s'emparer du Canada & s'ils
parvenoient à y réuffir , rien ne feroit plus capable
de mettre un frein à leur cupidité.
Actuellement leurs prétentions fur les poffeffions
des Efpagnols en Amérique , dorment : il
ne feroit pas de leur prudence de provoquer en
même tems la France & l'Eſpagne ; mais leurs
vues fur une partie de la Floride , fur la Baye de
Campeche , & fur le pays des Mofquites , ne font
ignorées de perfonne ; & leur maniere de foutenir
leurs prétentions fait connoître qu'ils ne manqueront
jamais de prétexte pour envahir ce que
leur cupidité pourra leur faire defirer. Quelles en
feront les bornes ? En connoît - elle ?
Il fuffit de lire la Relation du voyage de l'Amiral
Anfon , pour connoître que leurs valtes projets
embraffent toute l'Amérique Espagnole , &
que leur efprit ne ceffe de travailler fur les
moyens de dépouiller toutes les autres Nations de
ce qui eft à leur convenance. Ils ne leur font
grace que de ce dont ils ne fe foucient point , ou
de ce qui ne pourroit pas contribuer à l'augmentation
de leurs richeffes ; & encore même dans
te cas , nulle Nation n'eft affurée de ne point
OCTOBRE. 1755. 231
reflentir les effets de leur hauteur & de leur defpotifme.
La Cour de Vienne en a plus d'une fois
fait l'épreuve , lorfqu'il lui eft arrivé feulement
de balancer à entrer dans leurs vues.
Quant aux Hollandois , les entrepriſes faites
en dernier lieu par les Anglois , pour leur enlever
la Pêche & le commerce du Harang ; les infractions
qu'ils ont ites dans tous les tems à la
neutralité du pavillon Hollandois , contre les ftipulations
les plus formelles & les plus précifes
des Traités , fuivant lefquels le pavillon doit
couvrir la marchandife ; leurs interprétations
arbitraires des principes du droit des Gens ,
concernant la vifite des navires en mer , fuivant
que leurs intérêts & les circonftances les ont déterminés
à étendre ou à reftreindre ces principes ;
tout prouve qu'il n'y a ni alliance , ni amitié , ni
Traités , ni principes qui puiflent contenir leur
cupidité. Heureux les Hollandois , s'ils fçavoient
fe méfier des alliances Angloiſes ; fi convaincus de
la chimere & du danger d'une barriere éloignée
& étrangere , ils s'enveloppoient dans leurs eaux ,
comme les Suiffes aimés & refpectés de toute
P'Europe , le font dans leurs montagnes ; fi ne
s'intéreffant au fyftême des autres Puiffances , que
relativement à la confervation de leur République
& à celle de leur commerce , ils n'avoient fait
ufage de leurs forces & de leurs richeffes , que
pour affurer leur liberté & leur indépendance , &
faire refpecter leur neutralité & leur Pavillon ;
leur nation riche , puiffante & accréditée , ne fe
trouveroit pas vraisemblablement dans un épuife
ment , dont elle ne parviendra peut-être à fe relever
qu'en recourant aux principes par lesquels
elle auroit pu s'en garantir.
Il faudroit s'aveugler volontairement , pour ne
232 MERCURE DE FRANCE.
pas appercevoir que dans les troubles que les An
glois viennent d'exciter , ils ne cherchent d'abord
qu'à fe débarraffer des obftacles que la France
peut leur oppofer ; & qu'enfuite & fucceffivement
viendra le tour de l'Espagne & de toutes les autres
Nations qui ont des poffeffions en Amérique , &
qui refuferont de baiffer la tête fous le joug. C'eſt
par la deftruction de la liberté & de l'indépendance
de l'Amérique , qu'ils fe propofent de parvenir
au projet de dicter la Loi à toute l'Europe.
Cette derniere brochure fe trouve chez Prault fils ,
quay de Conty, ainfi que l'Hifloiregéographique.
Le 27 Août , le Roi donna , pour proroger les-
Séances du Parlement , une Déclaration dont voici
la teneur. « LOUIS , par la grace de Dieu , &c .
>> Notre Cour de Parlement nous ayant fait repréfenter
qu'il feroit néceffaire , pour l'avantage
» de nos Sujets , de continuer pendant les Vaca-
» tions de la préfente année ſes Séances ordinai
>> res ; Nous avons reçu les Supplications qu'elle
nous a fait faire à ce fujet , avec autant plus de
» fatisfaction , que notre intention fera toujours
» de contribuer par notre autorité à tout ce qui
» peut accélérer la juftice que nous devons à nos
» peuples. A CES CAUSES , ... Nous avons conti-
» nué , & continuons les Séances ordinaires de
» notre Cour de Parlement , nonobftant l'époque
» de la ceffation defdites Séances . Voulons que
» toutes les affaires , dont notredite Cour a droit
» de connoître, y foient valablement traitées & dé-
» cidées , comme elles le feroient pendant le cours
» de fes Séances ordinaires , dérogeant à cet effet
» à toutes Loix à ce contraires. SI DONNONS , &c.
>>
Madame fe réveilla le 30 Août au matin avec
de violentes douleurs de colique . On donna à
cette Princeffe quelque fecours , qui parurent la
OCTOBRE. 1755 231
foulager , & elle s'affoupit. Mais bientôt on eut
de nouveaux fujets d'inquiétude . A un fommeil
d'une heure & demie fuccéda une agitation extraordinaire
de pouls . La fievre augmenta confidérablement
le 31. Pendant la journée du premier
Septembre , la maladie devint de plus en plus dangereufe
, & Madame mourut à minuit. Cette Princeffe
étoit âgée de cinq ans & fix jours , étant née
le 26 Août 1750. Quelques inftans avant la mort ,
l'Abbé de Chabannes , Aumônier du Roi en Quar
tier , lui a fuppléé les cérémonies du Baptême.
Elle a eu pour Mareine la Comteffe de Marfan ,
Gouvernante des Enfans de France ; pour Parein
le Prince Ferdinand de Rohan ; & elle a été nommée
Marie-Zephirine.
Le Roi , ayant appris la mort de Madame ;
revint à Verſailles le 2 Septembre .
Le 3 , le Roi , la Reine , Monfeigneur le Dauphin
, Madame la Dauphine , Monfeigneur le Duc
de Bourgogne , Monfeigneur le Duc de Berry , &
Mefdames de France , ainfi que le Roi de Pologne
Duc de Lorraine & de Bar , reçurent , à l'occafion
de cette mort , les complimens des Princes &
Priceffes du Sang.
On célébra le premier Septembre dans l'Eglife
de l'Abbaye Royale de faint Denis le Service fo
lemnel qui s'y fait tous les ans pour le repos de
l'ame de Louis XIV ; & l'Evêque de Rieux y offi
cia pontificalement. Le Comte d'Eu & le Due de
Penthiévre y affifterent , ainfi que plufieurs perfonnes
de diftinction .
Le Roi de Pologne a repris le 4 la route de
Luneville .
Le 2 Septembre , le Corps de feue Madame ,
fut apporté de Verfailles au Palais des Tuilleries .
Après y avoir été expofé à vifage découvert , il a
234 MERCURE DE FRANCE .
été embaumé , & mis dans le cercueil. Les , jour
fixé pour le conduire à l'Abbaye Royale de faint
Denis , le Convoi fe mit en marche fur les fept
heures du foir , dans l'ordre fuivant . Deux carrosfes
du Roi , remplis par les femmes de chambre
de la Princeffe ; un troisieme carroffe de Sa Majeſté
, dans lequel étoient les huit Gentilshommes
ordinaires deftinés à porter le cercueil & les quatre
coins du poèle qui le couvroit ; un détachement
de chacune des deux Compagnies des Moufquetaires
; un détachement de ce le des Chevauxlégers
; plufieurs Pages de la Reine & de Madame
la Dauphine ; vingt - quatre Pages de la Grande &
de la Petite Ecurie du Roi. Les Officiers des céré
monies étoient à cheval devant le carroffe ou
étoit le corps de Madame. Plufieurs valets de pied
de Leurs Majeftés entouroient ce carofie , après
lequel marchoient le détachement des Gardes du
Corps & le détachement des Gendarmes. L'Abbé
de la Châteigneraye , Aumônier du Roi , étoit
dans le carroffe à la droite , & il portoit le coeur
de la Princeffe . La Princeffe Douairiere de Conty,
nommée par le Roi pour accompagner le corps ,
étoit à la gauche , ayant avec elle la Princeffe de
Chimay. La Comteffe de Marfan , Gouvernante
des Enfans de France , étoit vis - a - vis du corps .
La Dame de Butler , Sous- Gouvernante , & l'Abbé
de Barral , Aumônier du Roi , étoient aux portieres.
Les carroffes de la Princefle de Conty &
ceux de la Comteffe de Marfan fermoient la marche.
Le Convoi étant arrivé à l'Abbaye de faint
Denis vers les dix heures du foir , l'Abbé de la
Châteigneraye préfenta le corps au Prieur de l'Abbaye
, l'on fit Pinhumation avec les cérémonies
accoutumées . On porta enfuite le coeur avec
le même cortège à l'Abbaye Royale du Val de
Grace.
4
OCTOBRE. 1755. 235
Les Fermiers Généraux ont offert cent dix
millions au Roi pour le bail prochain , ce qui fait
une augmentation de plus de fept millions par
an. Ils s'engagent de faire à Sa Majefté , à commencer
du premier Octobre prochain , une avance
de foixante millions , dont l'intérêt leur fera
payé à quatre pour cent. La propofition a été acceptée
par Sa Majefté. En conféquence , le Bail
des Fermes générales vient d'être renouvellé , fans
augmentation de nouveaux droits ou impôts. Le
Roi a réuni toutes les Sous-Fermes à la Ferme
générale , laiffant les Fermiers Généraux les maîtres
d'en faire la régie pour leur plus grand avan-
& de difpofer pleinement & entierement
de tous les emplois Sa Majefté a jugé à propos
d'augmenter le nombre de fes fermiers Généraux
, & l'a fixé à foixante pour le nouveau Bail.
L'Efcadre commandée par le Comte du Guay ,
eft rentrée le 3 Septembre à Breft. Le Roi ayant été
informé qu'une des Frégates de cette Eſcadre avoit
arrêté , en revenant de Cadix , la Frégate Angloife
le Blandfort ; Sa Majesté a envoyé fur le champ
ordre de relâcher cette Frégate , & de renvoyer
en même tems le fieur Lidleton , Gouverneur de
la Caroline , qui s'y étoit embarqué en Angleterre
, pour paffer à fon gouvernement .
La Demoiſelle Marie-Anne Androl eft morte
à Paris le 3 Septembre, âgée de quatre-vingt- dixhuit
ans, cinq mois & quinze jours. Depuis l'année
elle jouiffoit de vingt- fix mille fept cens
foixante-quinze livres de rente , pour le montant
de la neuvieme claffe de la feconde Tontine ,
établie par Edit du mois de Février 1696 , dans
laquelle elle avoit deux Actions produifant originairement
cinquante livres de rente.
La nuit du 4 au 5 Septembre , le feu prit chez
23% MERCURE DE FRANCE.
un Braffeur dans le village de Homblieres , fitué
à une lieue de Saint Quentin ; & dix - huit maifons
, en trois quarts d'heure , furent embrasées
de façon à ne pouvoir recevoir de fecours . Un
des premiers Laboureurs du lieu a perdu , avec
tous fes bâtimens , la plus riche moiffon qu'il
eût faite depuis un grand nombre d'années . Plufieurs
autres habitans font de même totalement
ruinés , & il ne leur refte de reffource , que dans
la commifération publique .
Le 8 , M. le Comte de Saint-Florentin , Miniftre
& Secrétaire d'Etat , préfenta au Roi une Députation
du Clergé. Elle étoit compofée du Cardinal
de la Rochefoucauld , de l'Archevêque de
Narbonne , de deux Evêques , de quatre Députés
du fecond Ordre , & des deux Agens Généraux .
Le 15 , le Maréchal Duc de Duras prêta ferment
entre les mains de Sa Majefté , pour le
Gouvernement de Franche- Comté , que le Roi
lui a accordé . Ce Maréchal s'étant démis du Gouvernement
de Château- Trompette , le Roi en a
difpofé en faveur du Duc de Duras , Lieutenant-
Général des Armées de Sa Majeſté , & ſon Ambaffadeur
extraordinaire auprès du Roi d'Efpagne.
Sa Majesté a érigé en Pairie le Duché de
Duras , qui n'étoit qu'héréditaire.
Le Roi a nommé l'Abbé Comte de Bernis , fon
Ambaffadeur extraordinaire auprès du Roi d'Efpagne
, & le Marquis de Durfort fon Ambaffadeur
ordinaire auprès de la République de Venife.
Sa Majefté a accordé le Régiment d'Infanterie
de Monfeigneur le Dauphin , vacant par la démiffion
du Comte de Grammont , au Marquis
de Boufflers , Lieutenant des Gardes du Corps du
Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de Bar.
Il paroît un Arrêt du Confeil d'Etat , qui proOCTOBRE.
1755. 237
roge jufqu'au premier Juillet 1760 la furféance
accordée au Clergé , pour rendre les foi & hommage
, & fournir les déclarations du temporel des
Bénéfices, tenant lieu d'aveux & dénombremens .
Le 18 Septembre , les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à treize cens quatre-vingt - quinze
livres. Les billets de la premiere Lotterie royale
, & ceux de la feconde Lotterie n'avoient point
de prix fixe .
pour objet la grande question agitée entre la
France & l'Angleterre , fur les anciennes limites
de l'Acadie. Le premier eft une Lettre de M. ... a
M. de & ne contient que onze pages . Celui qui
eft intitulé Hiftoire Géographique de la nouvelle
Ecoffe , c. contient la defcription du Pays auquel
les Anglois donnent ce nom , & on y.expofe les
avantages propofés par la Nation à ceux qui voudront
Y tormer des établiffemens. C'eft une traduction
à laquelle on a feulement joint quelques
notes dans lesquelles le fyftême anglois eft réfuté.
La conduite des François par rapport à la nouvelle
Ecoffe , depuis le premier établiffement de cette
Colonie jufqu'à nos jours , &c. eft auffi traduite
de l'Anglois , & il eft aifé de le reconnoître . Ce
n'eft qu'un ouvrage polémique dans lequel l'Auteur
a marqué peu de retenue & même de politeffe
dans les expreffions dont il fe fert , en parlant
tant de la France , que de quelques François
en particulier. Les argumens qu'il employe n'ont
pas paru affez redoutables pour les déguifer , &
l'Auteur François n'a pu mieux défendre la caufe
de fa patrie , qu'en expofant par une traduction.
fidelle les objections de fon adverfaire , & en rétabliffant
feulement le véritable état de la queſtion
par des notes fuccinctes .
La difcuffion fommaire fur les anciennes limites
de l'Acadie , & fur les ftipulations du Traité d'U
trecht qui y font relatives , eft un ouvrage fran
OCTOBRE. 1755. 229
çois. C'eft proprement l'extrait des Mémoires refpectifs
des Commiffaires des deux Nations : l'Auteur,
après y avoir examiné la queftion , fuivans les
principes de droit & la teneur des Traités , ajoute
quelques réflexions fur la politique des Anglois
en général , & fur l'équilibre des puiffances en
Amérique. Comme ces réflexions font très - courtes
, & que l'objet en eſt différent de celui du refte
de la differtation , nous croyons qu'il fera plus
aifé de les tranſcrire , que de les extraire.
Toutes les raifons & les confidérations que
l'on vient d'expofer , peuvent fervir à dévoiler les
raifons qui doivent engager la France à ne ſe
point défifter des ftipulations du Traité d'Utrecht
qui bornent la ceffion de l'Acadie , à celle de
Pancienne Acadie ; qui n'ajoutent à cette ceffion
que celle de Port- Royal & nullement celle de
la Baye- Françoife , ni de la côte des Etchemins ;
qui par le gilement des ôtes , déterminent l'étendue
des mers de l'Acadie , depuis le Sable jufqu'à
la hauteur du Cap Fourchu ; qui déclarent
que toutes les Illes quelconques fituées dans l'embouchure
& le Golfe S. Laurent appartiennent à
la France ; qui par - là excluent les Anglois de rien
prétendre fur les côtes de ce même Golfe , & en
même tems fuppofent évidemment , que le Golfe
appartient en entier à la France.
On ne craint point de dire que l'objet des Anglois
ne fe borne pas aux Pays qu'ils reclament
fous le nom d'Acadie , & qui la plupart font
ingrats , ftériles & fans commerce. Leur objet
eft d'envahir le Canada en entier , & de ſe préparer
par- là le chemin à l'empire univerfel de
P'Amérique , & des richeffes dont elle eft la fource
la plus abondante.
Leurs prétentions d'une part , annoncées par
30 MERCURE DE FRANCE.
leurs Livres & leurs Cartes ; de l'autre , les entre
prifes projettées dans leurs colonies de l'Amérique
, & qui viennent d'éclore , pour attaquer en
même tems le Canada de tous les côtés , avec des
forces très -fupérieures ( ce qui ne juftifie que
trop la fageffe des mefures qui ont déterminé la
France à y faire paffer des Troupes ) ces mêmes
entrepriſes autorifées & fomentées par le Gouvernement
d'Angleterre , dans le tems qu'il affuroit
la France des difpofitions les plus pacifiques ,
& qu'il auroit voulu l'amufer par de vaines négociations
toutes ces circonstances prouvent le
projet formé de s'emparer du Canada & s'ils
parvenoient à y réuffir , rien ne feroit plus capable
de mettre un frein à leur cupidité.
Actuellement leurs prétentions fur les poffeffions
des Efpagnols en Amérique , dorment : il
ne feroit pas de leur prudence de provoquer en
même tems la France & l'Eſpagne ; mais leurs
vues fur une partie de la Floride , fur la Baye de
Campeche , & fur le pays des Mofquites , ne font
ignorées de perfonne ; & leur maniere de foutenir
leurs prétentions fait connoître qu'ils ne manqueront
jamais de prétexte pour envahir ce que
leur cupidité pourra leur faire defirer. Quelles en
feront les bornes ? En connoît - elle ?
Il fuffit de lire la Relation du voyage de l'Amiral
Anfon , pour connoître que leurs valtes projets
embraffent toute l'Amérique Espagnole , &
que leur efprit ne ceffe de travailler fur les
moyens de dépouiller toutes les autres Nations de
ce qui eft à leur convenance. Ils ne leur font
grace que de ce dont ils ne fe foucient point , ou
de ce qui ne pourroit pas contribuer à l'augmentation
de leurs richeffes ; & encore même dans
te cas , nulle Nation n'eft affurée de ne point
OCTOBRE. 1755. 231
reflentir les effets de leur hauteur & de leur defpotifme.
La Cour de Vienne en a plus d'une fois
fait l'épreuve , lorfqu'il lui eft arrivé feulement
de balancer à entrer dans leurs vues.
Quant aux Hollandois , les entrepriſes faites
en dernier lieu par les Anglois , pour leur enlever
la Pêche & le commerce du Harang ; les infractions
qu'ils ont ites dans tous les tems à la
neutralité du pavillon Hollandois , contre les ftipulations
les plus formelles & les plus précifes
des Traités , fuivant lefquels le pavillon doit
couvrir la marchandife ; leurs interprétations
arbitraires des principes du droit des Gens ,
concernant la vifite des navires en mer , fuivant
que leurs intérêts & les circonftances les ont déterminés
à étendre ou à reftreindre ces principes ;
tout prouve qu'il n'y a ni alliance , ni amitié , ni
Traités , ni principes qui puiflent contenir leur
cupidité. Heureux les Hollandois , s'ils fçavoient
fe méfier des alliances Angloiſes ; fi convaincus de
la chimere & du danger d'une barriere éloignée
& étrangere , ils s'enveloppoient dans leurs eaux ,
comme les Suiffes aimés & refpectés de toute
P'Europe , le font dans leurs montagnes ; fi ne
s'intéreffant au fyftême des autres Puiffances , que
relativement à la confervation de leur République
& à celle de leur commerce , ils n'avoient fait
ufage de leurs forces & de leurs richeffes , que
pour affurer leur liberté & leur indépendance , &
faire refpecter leur neutralité & leur Pavillon ;
leur nation riche , puiffante & accréditée , ne fe
trouveroit pas vraisemblablement dans un épuife
ment , dont elle ne parviendra peut-être à fe relever
qu'en recourant aux principes par lesquels
elle auroit pu s'en garantir.
Il faudroit s'aveugler volontairement , pour ne
232 MERCURE DE FRANCE.
pas appercevoir que dans les troubles que les An
glois viennent d'exciter , ils ne cherchent d'abord
qu'à fe débarraffer des obftacles que la France
peut leur oppofer ; & qu'enfuite & fucceffivement
viendra le tour de l'Espagne & de toutes les autres
Nations qui ont des poffeffions en Amérique , &
qui refuferont de baiffer la tête fous le joug. C'eſt
par la deftruction de la liberté & de l'indépendance
de l'Amérique , qu'ils fe propofent de parvenir
au projet de dicter la Loi à toute l'Europe.
Cette derniere brochure fe trouve chez Prault fils ,
quay de Conty, ainfi que l'Hifloiregéographique.
Le 27 Août , le Roi donna , pour proroger les-
Séances du Parlement , une Déclaration dont voici
la teneur. « LOUIS , par la grace de Dieu , &c .
>> Notre Cour de Parlement nous ayant fait repréfenter
qu'il feroit néceffaire , pour l'avantage
» de nos Sujets , de continuer pendant les Vaca-
» tions de la préfente année ſes Séances ordinai
>> res ; Nous avons reçu les Supplications qu'elle
nous a fait faire à ce fujet , avec autant plus de
» fatisfaction , que notre intention fera toujours
» de contribuer par notre autorité à tout ce qui
» peut accélérer la juftice que nous devons à nos
» peuples. A CES CAUSES , ... Nous avons conti-
» nué , & continuons les Séances ordinaires de
» notre Cour de Parlement , nonobftant l'époque
» de la ceffation defdites Séances . Voulons que
» toutes les affaires , dont notredite Cour a droit
» de connoître, y foient valablement traitées & dé-
» cidées , comme elles le feroient pendant le cours
» de fes Séances ordinaires , dérogeant à cet effet
» à toutes Loix à ce contraires. SI DONNONS , &c.
>>
Madame fe réveilla le 30 Août au matin avec
de violentes douleurs de colique . On donna à
cette Princeffe quelque fecours , qui parurent la
OCTOBRE. 1755 231
foulager , & elle s'affoupit. Mais bientôt on eut
de nouveaux fujets d'inquiétude . A un fommeil
d'une heure & demie fuccéda une agitation extraordinaire
de pouls . La fievre augmenta confidérablement
le 31. Pendant la journée du premier
Septembre , la maladie devint de plus en plus dangereufe
, & Madame mourut à minuit. Cette Princeffe
étoit âgée de cinq ans & fix jours , étant née
le 26 Août 1750. Quelques inftans avant la mort ,
l'Abbé de Chabannes , Aumônier du Roi en Quar
tier , lui a fuppléé les cérémonies du Baptême.
Elle a eu pour Mareine la Comteffe de Marfan ,
Gouvernante des Enfans de France ; pour Parein
le Prince Ferdinand de Rohan ; & elle a été nommée
Marie-Zephirine.
Le Roi , ayant appris la mort de Madame ;
revint à Verſailles le 2 Septembre .
Le 3 , le Roi , la Reine , Monfeigneur le Dauphin
, Madame la Dauphine , Monfeigneur le Duc
de Bourgogne , Monfeigneur le Duc de Berry , &
Mefdames de France , ainfi que le Roi de Pologne
Duc de Lorraine & de Bar , reçurent , à l'occafion
de cette mort , les complimens des Princes &
Priceffes du Sang.
On célébra le premier Septembre dans l'Eglife
de l'Abbaye Royale de faint Denis le Service fo
lemnel qui s'y fait tous les ans pour le repos de
l'ame de Louis XIV ; & l'Evêque de Rieux y offi
cia pontificalement. Le Comte d'Eu & le Due de
Penthiévre y affifterent , ainfi que plufieurs perfonnes
de diftinction .
Le Roi de Pologne a repris le 4 la route de
Luneville .
Le 2 Septembre , le Corps de feue Madame ,
fut apporté de Verfailles au Palais des Tuilleries .
Après y avoir été expofé à vifage découvert , il a
234 MERCURE DE FRANCE .
été embaumé , & mis dans le cercueil. Les , jour
fixé pour le conduire à l'Abbaye Royale de faint
Denis , le Convoi fe mit en marche fur les fept
heures du foir , dans l'ordre fuivant . Deux carrosfes
du Roi , remplis par les femmes de chambre
de la Princeffe ; un troisieme carroffe de Sa Majeſté
, dans lequel étoient les huit Gentilshommes
ordinaires deftinés à porter le cercueil & les quatre
coins du poèle qui le couvroit ; un détachement
de chacune des deux Compagnies des Moufquetaires
; un détachement de ce le des Chevauxlégers
; plufieurs Pages de la Reine & de Madame
la Dauphine ; vingt - quatre Pages de la Grande &
de la Petite Ecurie du Roi. Les Officiers des céré
monies étoient à cheval devant le carroffe ou
étoit le corps de Madame. Plufieurs valets de pied
de Leurs Majeftés entouroient ce carofie , après
lequel marchoient le détachement des Gardes du
Corps & le détachement des Gendarmes. L'Abbé
de la Châteigneraye , Aumônier du Roi , étoit
dans le carroffe à la droite , & il portoit le coeur
de la Princeffe . La Princeffe Douairiere de Conty,
nommée par le Roi pour accompagner le corps ,
étoit à la gauche , ayant avec elle la Princeffe de
Chimay. La Comteffe de Marfan , Gouvernante
des Enfans de France , étoit vis - a - vis du corps .
La Dame de Butler , Sous- Gouvernante , & l'Abbé
de Barral , Aumônier du Roi , étoient aux portieres.
Les carroffes de la Princefle de Conty &
ceux de la Comteffe de Marfan fermoient la marche.
Le Convoi étant arrivé à l'Abbaye de faint
Denis vers les dix heures du foir , l'Abbé de la
Châteigneraye préfenta le corps au Prieur de l'Abbaye
, l'on fit Pinhumation avec les cérémonies
accoutumées . On porta enfuite le coeur avec
le même cortège à l'Abbaye Royale du Val de
Grace.
4
OCTOBRE. 1755. 235
Les Fermiers Généraux ont offert cent dix
millions au Roi pour le bail prochain , ce qui fait
une augmentation de plus de fept millions par
an. Ils s'engagent de faire à Sa Majefté , à commencer
du premier Octobre prochain , une avance
de foixante millions , dont l'intérêt leur fera
payé à quatre pour cent. La propofition a été acceptée
par Sa Majefté. En conféquence , le Bail
des Fermes générales vient d'être renouvellé , fans
augmentation de nouveaux droits ou impôts. Le
Roi a réuni toutes les Sous-Fermes à la Ferme
générale , laiffant les Fermiers Généraux les maîtres
d'en faire la régie pour leur plus grand avan-
& de difpofer pleinement & entierement
de tous les emplois Sa Majefté a jugé à propos
d'augmenter le nombre de fes fermiers Généraux
, & l'a fixé à foixante pour le nouveau Bail.
L'Efcadre commandée par le Comte du Guay ,
eft rentrée le 3 Septembre à Breft. Le Roi ayant été
informé qu'une des Frégates de cette Eſcadre avoit
arrêté , en revenant de Cadix , la Frégate Angloife
le Blandfort ; Sa Majesté a envoyé fur le champ
ordre de relâcher cette Frégate , & de renvoyer
en même tems le fieur Lidleton , Gouverneur de
la Caroline , qui s'y étoit embarqué en Angleterre
, pour paffer à fon gouvernement .
La Demoiſelle Marie-Anne Androl eft morte
à Paris le 3 Septembre, âgée de quatre-vingt- dixhuit
ans, cinq mois & quinze jours. Depuis l'année
elle jouiffoit de vingt- fix mille fept cens
foixante-quinze livres de rente , pour le montant
de la neuvieme claffe de la feconde Tontine ,
établie par Edit du mois de Février 1696 , dans
laquelle elle avoit deux Actions produifant originairement
cinquante livres de rente.
La nuit du 4 au 5 Septembre , le feu prit chez
23% MERCURE DE FRANCE.
un Braffeur dans le village de Homblieres , fitué
à une lieue de Saint Quentin ; & dix - huit maifons
, en trois quarts d'heure , furent embrasées
de façon à ne pouvoir recevoir de fecours . Un
des premiers Laboureurs du lieu a perdu , avec
tous fes bâtimens , la plus riche moiffon qu'il
eût faite depuis un grand nombre d'années . Plufieurs
autres habitans font de même totalement
ruinés , & il ne leur refte de reffource , que dans
la commifération publique .
Le 8 , M. le Comte de Saint-Florentin , Miniftre
& Secrétaire d'Etat , préfenta au Roi une Députation
du Clergé. Elle étoit compofée du Cardinal
de la Rochefoucauld , de l'Archevêque de
Narbonne , de deux Evêques , de quatre Députés
du fecond Ordre , & des deux Agens Généraux .
Le 15 , le Maréchal Duc de Duras prêta ferment
entre les mains de Sa Majefté , pour le
Gouvernement de Franche- Comté , que le Roi
lui a accordé . Ce Maréchal s'étant démis du Gouvernement
de Château- Trompette , le Roi en a
difpofé en faveur du Duc de Duras , Lieutenant-
Général des Armées de Sa Majeſté , & ſon Ambaffadeur
extraordinaire auprès du Roi d'Efpagne.
Sa Majesté a érigé en Pairie le Duché de
Duras , qui n'étoit qu'héréditaire.
Le Roi a nommé l'Abbé Comte de Bernis , fon
Ambaffadeur extraordinaire auprès du Roi d'Efpagne
, & le Marquis de Durfort fon Ambaffadeur
ordinaire auprès de la République de Venife.
Sa Majefté a accordé le Régiment d'Infanterie
de Monfeigneur le Dauphin , vacant par la démiffion
du Comte de Grammont , au Marquis
de Boufflers , Lieutenant des Gardes du Corps du
Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de Bar.
Il paroît un Arrêt du Confeil d'Etat , qui proOCTOBRE.
1755. 237
roge jufqu'au premier Juillet 1760 la furféance
accordée au Clergé , pour rendre les foi & hommage
, & fournir les déclarations du temporel des
Bénéfices, tenant lieu d'aveux & dénombremens .
Le 18 Septembre , les Actions de la Compagnie
des Indes étoient à treize cens quatre-vingt - quinze
livres. Les billets de la premiere Lotterie royale
, & ceux de la feconde Lotterie n'avoient point
de prix fixe .
Fermer
Résumé : « Il a paru successivement plusieurs Ecrits, qui ont pour objet la [...] »
Le texte traite de plusieurs écrits concernant la dispute entre la France et l'Angleterre sur les anciennes limites de l'Acadie. Parmi ces écrits, on trouve une lettre de M.... à M. de, une traduction de l'*Histoire Géographique de la nouvelle Écosse* avec des notes réfutant le système anglais, et une traduction de la conduite des Français en Nouvelle-Écosse, marquée par un ton polémique. Un autre ouvrage, *Diffusion sommaire sur les anciennes limites de l'Acadie*, examine la question selon les principes de droit et les traités, avec des réflexions sur la politique anglaise et l'équilibre des puissances en Amérique. Les traités d'Utrecht stipulent que la cession de l'Acadie concerne uniquement l'ancienne Acadie, incluant Port-Royal mais excluant la baie Françoise et la côte des Etchemins. Les limites des mers de l'Acadie sont définies depuis le Sable jusqu'au Cap Fourchu, et toutes les îles dans le golfe Saint-Laurent appartiennent à la France, excluant ainsi les prétentions anglaises sur ces côtes. Les Anglais visent à envahir le Canada pour établir leur empire en Amérique et accéder à ses richesses. Leurs ambitions incluent également les possessions espagnoles. Les Hollandais sont mis en garde contre les alliances anglaises, souvent violatrices de la neutralité et des traités. Le texte mentionne également des événements à la cour de France, notamment la mort de Madame, fille du roi, âgée de cinq ans, et les cérémonies funéraires qui ont suivi. Les Fermiers Généraux ont proposé une offre de cent dix millions pour le prochain bail, acceptée par le roi. Une escadre commandée par le Comte du Guay a relâché une frégate anglaise arrêtée en mer. En septembre 1755, plusieurs événements notables ont eu lieu. Le gouverneur de la Caroline, M. Lidleton, s'est embarqué pour l'Angleterre. La demoiselle Marie-Anne Androl est décédée à Paris à l'âge de 98 ans, percevant une rente de 25 765 livres. Un incendie a détruit dix-huit maisons à Homblieres, près de Saint Quentin. Le comte de Saint-Florentin a présenté au roi une députation du clergé. Le maréchal duc de Duras a prêté serment pour le gouvernement de Franche-Comté. Le roi a nommé l'abbé comte de Bernis ambassadeur extraordinaire auprès du roi d'Espagne et le marquis de Durfort ambassadeur ordinaire auprès de la République de Venise. Le régiment d'infanterie du Dauphin a été attribué au marquis de Boufflers. Un arrêt du Conseil d'État a prolongé jusqu'en 1760 la surseance accordée au clergé pour rendre les foi et hommage. Enfin, les actions de la Compagnie des Indes étaient cotées à 1 395 livres, tandis que les billets des lotteries royales n'avaient pas de prix fixe.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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66
p. 36-47
Mémoire sur feu M. Montaudouin, de la Société Royale de Londres, Correspondant de l'Académie des Sciences, & Négociant.
Début :
Ecuyer, Daniel-René Montaudouin naquit à Nantes, le 21 Janvier 1715. [...]
Mots clefs :
Commerce, Angleterre, Écuyer, Nantes, Académie des sciences, Société royale de Londres
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Mémoire sur feu M. Montaudouin, de la Société Royale de Londres, Correspondant de l'Académie des Sciences, & Négociant.
Mémoire fur feu M. Montaudouin , de ta
Société Royale de Londres ,
Correfpondant
de l'Académie des Sciences , & Négociant.
Cuyer , Daniel - René Montaudouin
naquit à Nantes , le 21 Janvier 1715 .
Sa famille s'eft fait un nom par l'étendue
de fon commerce , & par fa grande probité.
Il alla de bonne heure au College de
la Fleche ; mais fa vivacité le rendit incapable
de la moindre application , & on ne
put jamais difcipliner fon efprit. On lui
fit quitter des études qui n'en étoient pas
pour lui , & on l'envoya à Rouen où il
n'apprit pas davantage à s'appliquer. La
tendreffe ou plutôt la foibleffe d'une grand'
mere chez qui il demeuroit , donna un
nouvel effor à fa vivacité , & à l'indépendance
de fon efprit. On prit le parti
de le faire paffer en Angleterre. Il y fit un
féjour affez long , & il en rapporta des
fentimens d'admiration pour ce peuple
penfeur ; cependant fa jeuneffe continuoit
d'être vive , impétueufe & inappliquée
lorfque tout- à- coup , il fe fit en lui une de
ces révolutions étonnantes dont jufqu'à
préfent on n'avoit vu d'exemple que dans
l'ordre de la Religion. Jamais converfion
DECEMBRE . 1755 37
1
ne fut plus éclatante. Il alla trouver le
R. P. Giraud , Prêtre de l'Oratoire , aujourd'hui
Bibliothécaire de la ville , homme
d'un mérite rare. Il le fupplia de lui
donner des leçons de Mathématiques. Le
P. Giraud qui ne le connoiffoit point du
tout , & qui n'étoit pas fur le pied de
prendre des écoliers , chercha à le détourner
de fon deffein. Il vouloit fans doute
éprouver la vocation. Le difciple revint à
la charge , & le maître fut obligé de fe
rendre. Cette complaifance fut fentie comme
un bienfait fignalé ; on chercha à la
payer par un travail affidu . L'éleve fit de
très grands progrès fous la direction de
cet habile homme. Une application extraordinaire
remplaça les avantages que le
fecours des premieres études & d'une mémoire
plus heureufe auroit pu donner.
Après plufieurs années confacrées à l'Algebre
& à la Géométrie , où les connoiffances
furent portées fort loin , on dirigea fa
marche vers la Métaphyfique , fcience à la
fois immenſe , fi l'on confidere fon objet ,
& bornée , fi l'on s'en tient aux vérités inconteftables
qu'elle contient , mais fcience
toujours honorable pour l'efprit humain
& qui mérite toute l'attention d'un être
penfant , parce que c'eft celle qui met fans
38 MERCURE DE FRANCE.
doute le plus grand intervalle entre la raifon
& l'instinct après la faculté de parler
qui en fait partie. M. Montaudouin entra
dans ce nouveau champ avec une nouvelle
ardeur. Après avoir forcé des broffailles
épailles , il découvrit un partere délicieux
, où la beauté raviffante de quelque
fleurs épanouies , lui faifoit fouhaiter
avec la plus vive impatience d'en voir
éclorre une multitude d'autres qui y font
plantées dans l'ordre le plus régulier , &
qui femblent fe refufer à la bonté du climat
, à la fertilité du fol , & à l'habileté
- des cultivateurs.
A la paix de 1748. il entreprit un nouveau
voyage en Angleterre. La principale
raifon qui l'y détermina fut l'efpérance d'y
trouver beaucoup d'iées exactes . D'ail
leurs ayant paffé plufieurs années dans l'étude
des fciences abftraites , il crut qu'il
lui feroit utile de fe répandre pendant quelque
tems dans le monde , parce que c'eft
le meilleur moyen de bien connoître les
hommes , & de fe connoître bien foimême.
Il ne fe borna pas , comme la plûpart
des voyageurs , à voir la ville de Londres
: il voulut connoître l'Angleterre
même ; & il donna une attention particuliere
à tout ce qui intéreffoit les Sciences
DECEMBRE. 1755. 39
& le Commerce , & à tout ce qui pouvoit
être utile à fon pays ( 1 ) . A Oxford , il faifoit
fa cour aux fçavans Profeffeurs ; à
Porftmouth , aux Conftructeurs habiles ; à
Liverpool & à Bristol , aux Négocians éclairés.
De retour à Londres , il vit tout ce
que cette grande ville renferme . Il examina
tout. Il fréquenta un grand nombre de Sçavans
en tout genre ; mais principalement
Meffieurs Folkes , Robins , Mitchell , de
Moivre , Bradley , Watfon , Tremblay ,
Graham , Smith , Mortimer , Maſſon ,
King , Knith , Blin , Ray , Beker , Stwart ,
Mead , &c. Il fut comblé d'honnêtetés par
M. le Duc de Richmond , & par Meffieurs
Ch. Stanhope & Ch . Cavendish : il contracta
une amitié intime avec Don Pedro
Maldonado , Gouverneur de la Province
des Emeraudes , illuftre Américain , qui
lui avoit été recommandé par M. Bouguer
de l'Académie des Sciences . A la premiere
nouvelle qu'il eut de fa maladie , il fit porter
fon lit chez lui , & il ne le quitta ni
jour ni nuit. Il lui fit adminiftrer tous les
fecours temporels & fpirituels. Les Doc-
(1 ) Il fe donna des foins infinis pour faire reftituer
les papiers pris fur les François pendant la
guerre , & il vint à bout d'en recouvrer un grand
nombre qu'il fit remettre en France à ceux à qui
ils appartenoient.
40 MERCURE DE FRANCE .
teurs Watfon & Wisbraham , ni le célebre
Docteur Mead , malgré toute leur capacité
, & leur zele ne purent dompter la violence
du mal qui emporta le malade en
peu de jours.
Au mois de Novembre , M. Montaudouin
fut proposé par plufieurs Membres
de la Société Royale , entr'autres par Meſfieurs
Folkes , Wafton & Graham pour être
admis dans cet illuftre corps ; ce qui s'effectua
au terme ordinaire. Enfin après un
an de féjour en Angleterre , comblé d'honneurs
& de politeffes , il s'arracha à tous les
agrémens qu'il goutoit dans ce pays. Il prit
fa route par la Hollande. Il alla voir à
Leyde Meffieurs Allemand & Mufchenbroek
, qui lui firent mille amitiés . Il reçut
à la Haie des marques d'attention de
M. le Comte de Bentheim .
Il retrouva à Paris M. le Marquis de
Croifmare , l'homme de France le plus curieux
, le plus obligeant & le plus aimable,
avec qui il s'étoit lié dans un précédent
voyage. Ils ne fe quitterent plus. Ils recommencerent
leurs courfes dans cette
grande ville. On y revit tout ce qui méritoit
d'être vu . Rien n'échappa. On voyoit
fouvent les illuftres Membres de l'Acadé
mie des Sciences , Meffieurs de Fontenelle
, de Reaumur , Juffieu , Duhamel , de
1
DECEMBRE. 1755 41
> la Condamine de Buffon , Rouelle ,
l'Abbé Nollet , & principalement M. Bouguer
pour qui M. Montaudouin avoit depuis
longtems la plus parfaite amitié. Pendant
fon féjour à Paris , l'Académie le
nomma fon Correſpondant , il avoit toujours
eu des fentimens d'admiration & de
refpect pour ce Sénat littéraire qui compte
parmi fes Membres tant de Souverains
dans le monde fçavant.
A fon retour à Nantes , il entreprit de
faire conftruire un Navire fur les principes
de M. Bouguer. Il fallut lutter contre
tous les préjugés du public marin. Les préventions
furent portées fi loin qu'on s'opiniâtra
à foutenir que le Navire feroit capot
en allant à l'eau . Il fut lancé , & il conferva
mieux fa direction qu'aucun navire.
On foutint enfuite qu'il ne pourroit pas
naviguer. On eut de la peine à trouver un
Capitaine & un équipage . Cependant il a
fait plufieurs voyages à S. Domingue. La
prévention ne fe décourage jamais ; elle
s'eft dédommagée de fes premieres erreurs
fur la marche de ce Navire : il eft vrai
qu'il n'a pas eu d'avantage de ce côté - là
fur les navires ordinaires ; ce n'eft point la
faute du fyftême du célebre Académicien.
La folidité de fes principes n'en eft point
affectée , & fa découverte conſerve toute
42 MERCURE DE FRANCE.
port ,
fa beauté , & mérite les plus grands éloges.
Le Problême confiftoit à trouver le navire
de la plus grande vitelle , du plus grand
& du moindre tirant d'eau . Pour
bien faire cette expérience , il eût fallu
être en place. Un particulier ne peut pas
rifquer la dépenfe d'une niachine auffi couteufe.
C'est ce que repréfentoit fortement
M. Bouguer qui n'étant pas fur
les lieux , ne pouvoit ni voir les chofes par
lui- même , ni donner tous les confeils qu'il
étoit naturel d'attendre de lui . M. Montaudouin
n'eut pour intéreffé dans cette
entreprife que fon frere. Il en auroit cherché
inutilement un autre . Cette confidération
importante fit faire des changemens.
Le constructeur n'exécuta pas toutes les parties
avec la même attention . Les frayeurs
du Capitaine obligerent de faire la mâture
trop courte ; & ces frayeurs ont encore
augmenté la longueur des traverfées.
Ainfi il n'eft point décidé que l'objet
de la marche foit manqué dans cette conftruction
, & il eft démontré que les deux
autres conditions du problème font parfaitement
remplies. Ce navire porte beaucoup
à raifon de fa grandeur , & il tire
près de trois pieds d'eau moins que les navires
ordinaires de fa capacité .
En 1753 , M. Montaudouin fut éla
DECEMBRE. 1755. 43
Conful. Cette place eft très - importante à
Nantes , parce qu'outre l'adminiſtration
de la juftice , elle embraffe la direction
des affaires générales du Commerce . Le
Confulat totalement diftinct dans fon origine
du Bureau de Ville , fe trouvoit par
une longue fuite d'abus , dans une dépendance
abfolue des Maire & Echevins . Ils
avoient la plus grande part aux élections ,
& y préfidoient . Le fiege du Confulat
étoit placé à l'Hôtel de Ville , c'est - à - dire ,
dans un éloignement extrême des Juges &
des parties. C'étoit - là la caufe principalede
l'abus . M. Montaudouin forma le projet
de remettre les chofes dans l'ordre . Il
avoit vu fur quel pied les Négocians
étoient en Angleterre & en Hollande Il
étoit fâché pour l'honneur de fon pays , &
de la raifon humaine , que les citoyens les
plus utiles fuflent regardés comme les plus
petits citoyens. Il y avoit de grands obſtacles
à combattre. La chofe avoit été tentée
plufieurs fois fans fuccès. L'abus étoit
ancien , & par conféquent refpectable pour
la multitude . La prévention affez répandue
dans le Royaume contre le commerce,
eft extrême en Bretagne ,
, & . fur-tout à
Nantes , quoique cette ville doive fa célébrité
& fon aifance au commerce . Ces
44 MERCURE DE FRANCE
difficultés , loin de le rebuter , l'animerent
davantage à la pourfuite de fon projer.
Ceux qui crurent devoir le traverſer , firent
les plus grands efforts ; ils fe permirent
même des excès que l'urbanité du
dix-huitieme fiecle ne comporte pas . On
ne leur oppofa que des raifons. Le Confeil
en fentit toute la folidité. Les chofes
font à préfent dans l'ordre. Le Tribunal
devant qui les affaires de commerce font
portées eft placé dans le bâtiment même
où les affaires du commerce fe font tous
les jours ; & le commerce élit paifiblement
ceux qui doivent le juger & le défendre.
M. Montaudouin remplit les différentes
fonctions attachées au Confulat avec le
plus grand éclat. Il traita plufieurs grandes
parties du commerce dans de fçavans
mémoires. Son grand talent étoit une aptitude
merveilleufe à trouver des raifons
folides , & il les ramenoit toujours à des
principes fimples & lumineux. Sa fanté
étoit très- délicate , l'application trop forte
qu'il donna aux affaires publiques , renverfa
bientôt cette foible fanté , qui ne fe
foutenoit que par un régime auftere ; il ne
buvoir que de l'eau , & ne foupoit point ;
mais l'excès du travail rendit fa fobriété
inutile . Il fut attaqué d'une fievre mali-
វ
DECEMBRE. 1755. 45
gne , qui l'emporta le 11 Septembre 1754,
l'âge de trente - neuf ans fept mois vingt
jours ( 1 ) . Jamais un fimple particulier
ne fut fi généralement regretté . Cette perte
fut regardée comme un malheur public .
Il est vrai qu'on ne vit jamais un meilleur
citoyen. Il dirigeoit toutes fes vues vers
le bien de fon pays. Il eftimoit moins
dans le commerce les avantages perfonnels
qui peuvent en réfulter , que les
moyens infinis que cette profeffion donne
d'être utile aux autres hommes , & d'exercer
fans ceffe la bienfaiſance , Son extérieur
étoit fort fimple. Son abord étoit facile ,
quoiqu'un peu froid , mais jamais ami ne
fut plus chaud. Il étoit parvenu, en aguerriffant
fans ceffe fa raifon , à conferver fon
ame dans une grande tranquillité : il ne s'en
écartoit guere , que quand il falloit lutter
contre de mauvais raifonnemens. La vérité
trouva en lui un défenſeur toujours zelé ,
mais jamais paffionné . Sa modeftie l'empêchoit
de s'appercevoir de ce qu'il valoit.
Il n'a rien donné au Public. On a trouvé
dans fes papiers un journal de fon voyage
en Angleterre , qui renferme des détails
utiles & curieux. Il avoit entrepris un
(1 ) La Gazette d'Avignon du 27 Septembra
1754 , en rapportant cette mort à l'article de Pa
ris , lui donne mal à propos 41 ans .
'
46 MERCURE DE FRANCE.
grand ouvrage fur les affurances maritimes.
Perfuadé que l'empire du hazard n'a
d'appui que dans la pareffe des hommes ,
il s'étoit propofé de déterminer la valeur
réelle des affurances fur le commerce maritime
de la ville de Nantes avec la Guinée
& les colonies en tems de paix . Il
étoit queſtion d'avoir la fomme des voyages
, & celle des pertes pendant un affez
long efpace de tems. Il embraffa dans fa
recherche trente années. Le grand embarras
confiftoit à avoir exactement les
états des pertes partielles ou avaries , parce
que ces objets ne font inférés fur aucun
regiftre public. Il entreprit d'en venir à
bout , & il en raffembla un grand nombre.
Pour rendre cet ouvrage d'une plus
grande utilité , il additionna le nombre de
jours de toutes les traverfées des navires
: par-là il avoit furement les traversées
moyennes ; mais cela ne le contenta pas
encore il vouloit avoir les traversées
moyennes dans les différens tems de l'année
, & il comptoit additionner à cet effet
toutes les traverfées des mêmes mois. Par
ce moyen , le jour de départ , & la prime
d'une traverfée ordinaire étant connus , on
peut déterminer l'augmentation de la prime
pour chaque jour qui excede la traverfée
ordinaire. La prime eft la fomme
DECEMBRE. 1755. 47
des dégrés de probabilité de perte , plus le
profit de l'affureur.
Il a auffi commencé un traité des Avaries.
Il vouloit établir un certain nombre
de formules qui puffent embraffer tous les
cas , & ôter tout l'arbitraire dans cette
partie , la plus difficile du commerce maritime.
On ne peut mieux terminer ce Mémoire
qu'en obfervant que M. le Duc d'Aiguillon
avoit une eftime particuliere pour
M. Montaudouin . Il a dit plufieurs fois
publiquement qu'il regardoit fa mort comme
une perte confidérable. On fçait que
ce refpectable Seigneur , fecond créateur
de la ville de Nantes & de fa navigation ,
n'eſt pas moins exercé dans la connoiffance
des hommes que dans la bienfaiſance.
Société Royale de Londres ,
Correfpondant
de l'Académie des Sciences , & Négociant.
Cuyer , Daniel - René Montaudouin
naquit à Nantes , le 21 Janvier 1715 .
Sa famille s'eft fait un nom par l'étendue
de fon commerce , & par fa grande probité.
Il alla de bonne heure au College de
la Fleche ; mais fa vivacité le rendit incapable
de la moindre application , & on ne
put jamais difcipliner fon efprit. On lui
fit quitter des études qui n'en étoient pas
pour lui , & on l'envoya à Rouen où il
n'apprit pas davantage à s'appliquer. La
tendreffe ou plutôt la foibleffe d'une grand'
mere chez qui il demeuroit , donna un
nouvel effor à fa vivacité , & à l'indépendance
de fon efprit. On prit le parti
de le faire paffer en Angleterre. Il y fit un
féjour affez long , & il en rapporta des
fentimens d'admiration pour ce peuple
penfeur ; cependant fa jeuneffe continuoit
d'être vive , impétueufe & inappliquée
lorfque tout- à- coup , il fe fit en lui une de
ces révolutions étonnantes dont jufqu'à
préfent on n'avoit vu d'exemple que dans
l'ordre de la Religion. Jamais converfion
DECEMBRE . 1755 37
1
ne fut plus éclatante. Il alla trouver le
R. P. Giraud , Prêtre de l'Oratoire , aujourd'hui
Bibliothécaire de la ville , homme
d'un mérite rare. Il le fupplia de lui
donner des leçons de Mathématiques. Le
P. Giraud qui ne le connoiffoit point du
tout , & qui n'étoit pas fur le pied de
prendre des écoliers , chercha à le détourner
de fon deffein. Il vouloit fans doute
éprouver la vocation. Le difciple revint à
la charge , & le maître fut obligé de fe
rendre. Cette complaifance fut fentie comme
un bienfait fignalé ; on chercha à la
payer par un travail affidu . L'éleve fit de
très grands progrès fous la direction de
cet habile homme. Une application extraordinaire
remplaça les avantages que le
fecours des premieres études & d'une mémoire
plus heureufe auroit pu donner.
Après plufieurs années confacrées à l'Algebre
& à la Géométrie , où les connoiffances
furent portées fort loin , on dirigea fa
marche vers la Métaphyfique , fcience à la
fois immenſe , fi l'on confidere fon objet ,
& bornée , fi l'on s'en tient aux vérités inconteftables
qu'elle contient , mais fcience
toujours honorable pour l'efprit humain
& qui mérite toute l'attention d'un être
penfant , parce que c'eft celle qui met fans
38 MERCURE DE FRANCE.
doute le plus grand intervalle entre la raifon
& l'instinct après la faculté de parler
qui en fait partie. M. Montaudouin entra
dans ce nouveau champ avec une nouvelle
ardeur. Après avoir forcé des broffailles
épailles , il découvrit un partere délicieux
, où la beauté raviffante de quelque
fleurs épanouies , lui faifoit fouhaiter
avec la plus vive impatience d'en voir
éclorre une multitude d'autres qui y font
plantées dans l'ordre le plus régulier , &
qui femblent fe refufer à la bonté du climat
, à la fertilité du fol , & à l'habileté
- des cultivateurs.
A la paix de 1748. il entreprit un nouveau
voyage en Angleterre. La principale
raifon qui l'y détermina fut l'efpérance d'y
trouver beaucoup d'iées exactes . D'ail
leurs ayant paffé plufieurs années dans l'étude
des fciences abftraites , il crut qu'il
lui feroit utile de fe répandre pendant quelque
tems dans le monde , parce que c'eft
le meilleur moyen de bien connoître les
hommes , & de fe connoître bien foimême.
Il ne fe borna pas , comme la plûpart
des voyageurs , à voir la ville de Londres
: il voulut connoître l'Angleterre
même ; & il donna une attention particuliere
à tout ce qui intéreffoit les Sciences
DECEMBRE. 1755. 39
& le Commerce , & à tout ce qui pouvoit
être utile à fon pays ( 1 ) . A Oxford , il faifoit
fa cour aux fçavans Profeffeurs ; à
Porftmouth , aux Conftructeurs habiles ; à
Liverpool & à Bristol , aux Négocians éclairés.
De retour à Londres , il vit tout ce
que cette grande ville renferme . Il examina
tout. Il fréquenta un grand nombre de Sçavans
en tout genre ; mais principalement
Meffieurs Folkes , Robins , Mitchell , de
Moivre , Bradley , Watfon , Tremblay ,
Graham , Smith , Mortimer , Maſſon ,
King , Knith , Blin , Ray , Beker , Stwart ,
Mead , &c. Il fut comblé d'honnêtetés par
M. le Duc de Richmond , & par Meffieurs
Ch. Stanhope & Ch . Cavendish : il contracta
une amitié intime avec Don Pedro
Maldonado , Gouverneur de la Province
des Emeraudes , illuftre Américain , qui
lui avoit été recommandé par M. Bouguer
de l'Académie des Sciences . A la premiere
nouvelle qu'il eut de fa maladie , il fit porter
fon lit chez lui , & il ne le quitta ni
jour ni nuit. Il lui fit adminiftrer tous les
fecours temporels & fpirituels. Les Doc-
(1 ) Il fe donna des foins infinis pour faire reftituer
les papiers pris fur les François pendant la
guerre , & il vint à bout d'en recouvrer un grand
nombre qu'il fit remettre en France à ceux à qui
ils appartenoient.
40 MERCURE DE FRANCE .
teurs Watfon & Wisbraham , ni le célebre
Docteur Mead , malgré toute leur capacité
, & leur zele ne purent dompter la violence
du mal qui emporta le malade en
peu de jours.
Au mois de Novembre , M. Montaudouin
fut proposé par plufieurs Membres
de la Société Royale , entr'autres par Meſfieurs
Folkes , Wafton & Graham pour être
admis dans cet illuftre corps ; ce qui s'effectua
au terme ordinaire. Enfin après un
an de féjour en Angleterre , comblé d'honneurs
& de politeffes , il s'arracha à tous les
agrémens qu'il goutoit dans ce pays. Il prit
fa route par la Hollande. Il alla voir à
Leyde Meffieurs Allemand & Mufchenbroek
, qui lui firent mille amitiés . Il reçut
à la Haie des marques d'attention de
M. le Comte de Bentheim .
Il retrouva à Paris M. le Marquis de
Croifmare , l'homme de France le plus curieux
, le plus obligeant & le plus aimable,
avec qui il s'étoit lié dans un précédent
voyage. Ils ne fe quitterent plus. Ils recommencerent
leurs courfes dans cette
grande ville. On y revit tout ce qui méritoit
d'être vu . Rien n'échappa. On voyoit
fouvent les illuftres Membres de l'Acadé
mie des Sciences , Meffieurs de Fontenelle
, de Reaumur , Juffieu , Duhamel , de
1
DECEMBRE. 1755 41
> la Condamine de Buffon , Rouelle ,
l'Abbé Nollet , & principalement M. Bouguer
pour qui M. Montaudouin avoit depuis
longtems la plus parfaite amitié. Pendant
fon féjour à Paris , l'Académie le
nomma fon Correſpondant , il avoit toujours
eu des fentimens d'admiration & de
refpect pour ce Sénat littéraire qui compte
parmi fes Membres tant de Souverains
dans le monde fçavant.
A fon retour à Nantes , il entreprit de
faire conftruire un Navire fur les principes
de M. Bouguer. Il fallut lutter contre
tous les préjugés du public marin. Les préventions
furent portées fi loin qu'on s'opiniâtra
à foutenir que le Navire feroit capot
en allant à l'eau . Il fut lancé , & il conferva
mieux fa direction qu'aucun navire.
On foutint enfuite qu'il ne pourroit pas
naviguer. On eut de la peine à trouver un
Capitaine & un équipage . Cependant il a
fait plufieurs voyages à S. Domingue. La
prévention ne fe décourage jamais ; elle
s'eft dédommagée de fes premieres erreurs
fur la marche de ce Navire : il eft vrai
qu'il n'a pas eu d'avantage de ce côté - là
fur les navires ordinaires ; ce n'eft point la
faute du fyftême du célebre Académicien.
La folidité de fes principes n'en eft point
affectée , & fa découverte conſerve toute
42 MERCURE DE FRANCE.
port ,
fa beauté , & mérite les plus grands éloges.
Le Problême confiftoit à trouver le navire
de la plus grande vitelle , du plus grand
& du moindre tirant d'eau . Pour
bien faire cette expérience , il eût fallu
être en place. Un particulier ne peut pas
rifquer la dépenfe d'une niachine auffi couteufe.
C'est ce que repréfentoit fortement
M. Bouguer qui n'étant pas fur
les lieux , ne pouvoit ni voir les chofes par
lui- même , ni donner tous les confeils qu'il
étoit naturel d'attendre de lui . M. Montaudouin
n'eut pour intéreffé dans cette
entreprife que fon frere. Il en auroit cherché
inutilement un autre . Cette confidération
importante fit faire des changemens.
Le constructeur n'exécuta pas toutes les parties
avec la même attention . Les frayeurs
du Capitaine obligerent de faire la mâture
trop courte ; & ces frayeurs ont encore
augmenté la longueur des traverfées.
Ainfi il n'eft point décidé que l'objet
de la marche foit manqué dans cette conftruction
, & il eft démontré que les deux
autres conditions du problème font parfaitement
remplies. Ce navire porte beaucoup
à raifon de fa grandeur , & il tire
près de trois pieds d'eau moins que les navires
ordinaires de fa capacité .
En 1753 , M. Montaudouin fut éla
DECEMBRE. 1755. 43
Conful. Cette place eft très - importante à
Nantes , parce qu'outre l'adminiſtration
de la juftice , elle embraffe la direction
des affaires générales du Commerce . Le
Confulat totalement diftinct dans fon origine
du Bureau de Ville , fe trouvoit par
une longue fuite d'abus , dans une dépendance
abfolue des Maire & Echevins . Ils
avoient la plus grande part aux élections ,
& y préfidoient . Le fiege du Confulat
étoit placé à l'Hôtel de Ville , c'est - à - dire ,
dans un éloignement extrême des Juges &
des parties. C'étoit - là la caufe principalede
l'abus . M. Montaudouin forma le projet
de remettre les chofes dans l'ordre . Il
avoit vu fur quel pied les Négocians
étoient en Angleterre & en Hollande Il
étoit fâché pour l'honneur de fon pays , &
de la raifon humaine , que les citoyens les
plus utiles fuflent regardés comme les plus
petits citoyens. Il y avoit de grands obſtacles
à combattre. La chofe avoit été tentée
plufieurs fois fans fuccès. L'abus étoit
ancien , & par conféquent refpectable pour
la multitude . La prévention affez répandue
dans le Royaume contre le commerce,
eft extrême en Bretagne ,
, & . fur-tout à
Nantes , quoique cette ville doive fa célébrité
& fon aifance au commerce . Ces
44 MERCURE DE FRANCE
difficultés , loin de le rebuter , l'animerent
davantage à la pourfuite de fon projer.
Ceux qui crurent devoir le traverſer , firent
les plus grands efforts ; ils fe permirent
même des excès que l'urbanité du
dix-huitieme fiecle ne comporte pas . On
ne leur oppofa que des raifons. Le Confeil
en fentit toute la folidité. Les chofes
font à préfent dans l'ordre. Le Tribunal
devant qui les affaires de commerce font
portées eft placé dans le bâtiment même
où les affaires du commerce fe font tous
les jours ; & le commerce élit paifiblement
ceux qui doivent le juger & le défendre.
M. Montaudouin remplit les différentes
fonctions attachées au Confulat avec le
plus grand éclat. Il traita plufieurs grandes
parties du commerce dans de fçavans
mémoires. Son grand talent étoit une aptitude
merveilleufe à trouver des raifons
folides , & il les ramenoit toujours à des
principes fimples & lumineux. Sa fanté
étoit très- délicate , l'application trop forte
qu'il donna aux affaires publiques , renverfa
bientôt cette foible fanté , qui ne fe
foutenoit que par un régime auftere ; il ne
buvoir que de l'eau , & ne foupoit point ;
mais l'excès du travail rendit fa fobriété
inutile . Il fut attaqué d'une fievre mali-
វ
DECEMBRE. 1755. 45
gne , qui l'emporta le 11 Septembre 1754,
l'âge de trente - neuf ans fept mois vingt
jours ( 1 ) . Jamais un fimple particulier
ne fut fi généralement regretté . Cette perte
fut regardée comme un malheur public .
Il est vrai qu'on ne vit jamais un meilleur
citoyen. Il dirigeoit toutes fes vues vers
le bien de fon pays. Il eftimoit moins
dans le commerce les avantages perfonnels
qui peuvent en réfulter , que les
moyens infinis que cette profeffion donne
d'être utile aux autres hommes , & d'exercer
fans ceffe la bienfaiſance , Son extérieur
étoit fort fimple. Son abord étoit facile ,
quoiqu'un peu froid , mais jamais ami ne
fut plus chaud. Il étoit parvenu, en aguerriffant
fans ceffe fa raifon , à conferver fon
ame dans une grande tranquillité : il ne s'en
écartoit guere , que quand il falloit lutter
contre de mauvais raifonnemens. La vérité
trouva en lui un défenſeur toujours zelé ,
mais jamais paffionné . Sa modeftie l'empêchoit
de s'appercevoir de ce qu'il valoit.
Il n'a rien donné au Public. On a trouvé
dans fes papiers un journal de fon voyage
en Angleterre , qui renferme des détails
utiles & curieux. Il avoit entrepris un
(1 ) La Gazette d'Avignon du 27 Septembra
1754 , en rapportant cette mort à l'article de Pa
ris , lui donne mal à propos 41 ans .
'
46 MERCURE DE FRANCE.
grand ouvrage fur les affurances maritimes.
Perfuadé que l'empire du hazard n'a
d'appui que dans la pareffe des hommes ,
il s'étoit propofé de déterminer la valeur
réelle des affurances fur le commerce maritime
de la ville de Nantes avec la Guinée
& les colonies en tems de paix . Il
étoit queſtion d'avoir la fomme des voyages
, & celle des pertes pendant un affez
long efpace de tems. Il embraffa dans fa
recherche trente années. Le grand embarras
confiftoit à avoir exactement les
états des pertes partielles ou avaries , parce
que ces objets ne font inférés fur aucun
regiftre public. Il entreprit d'en venir à
bout , & il en raffembla un grand nombre.
Pour rendre cet ouvrage d'une plus
grande utilité , il additionna le nombre de
jours de toutes les traverfées des navires
: par-là il avoit furement les traversées
moyennes ; mais cela ne le contenta pas
encore il vouloit avoir les traversées
moyennes dans les différens tems de l'année
, & il comptoit additionner à cet effet
toutes les traverfées des mêmes mois. Par
ce moyen , le jour de départ , & la prime
d'une traverfée ordinaire étant connus , on
peut déterminer l'augmentation de la prime
pour chaque jour qui excede la traverfée
ordinaire. La prime eft la fomme
DECEMBRE. 1755. 47
des dégrés de probabilité de perte , plus le
profit de l'affureur.
Il a auffi commencé un traité des Avaries.
Il vouloit établir un certain nombre
de formules qui puffent embraffer tous les
cas , & ôter tout l'arbitraire dans cette
partie , la plus difficile du commerce maritime.
On ne peut mieux terminer ce Mémoire
qu'en obfervant que M. le Duc d'Aiguillon
avoit une eftime particuliere pour
M. Montaudouin . Il a dit plufieurs fois
publiquement qu'il regardoit fa mort comme
une perte confidérable. On fçait que
ce refpectable Seigneur , fecond créateur
de la ville de Nantes & de fa navigation ,
n'eſt pas moins exercé dans la connoiffance
des hommes que dans la bienfaiſance.
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Résumé : Mémoire sur feu M. Montaudouin, de la Société Royale de Londres, Correspondant de l'Académie des Sciences, & Négociant.
René Montaudouin naquit à Nantes le 21 janvier 1715 dans une famille réputée pour son commerce et sa probité. Après des études infructueuses au Collège de la Flèche et à Rouen, il fut envoyé en Angleterre, où il admira le peuple pensant. De retour en France, il connut une conversion religieuse et se consacra aux mathématiques et à la métaphysique sous la direction du Père Giraud. En 1748, il retourna en Angleterre pour approfondir ses connaissances scientifiques et commerciales. Il fréquenta de nombreux savants et fut honoré par des personnalités influentes. De retour en France, il fut nommé correspondant de l'Académie des Sciences et construisit un navire selon les principes de Bouguer, malgré les préjugés du public marin. En 1753, il devint consul à Nantes, réformant le système judiciaire et commercial. Sa santé fragile, due à un régime austère et à un travail excessif, le conduisit à une mort prématurée le 11 septembre 1754 à l'âge de 39 ans. Montaudouin était respecté pour son dévouement au bien public et sa modestie. Il avait entrepris un ouvrage sur les assurances maritimes, mais il n'a rien publié de son vivant. Montaudouin a travaillé à améliorer l'utilité d'un ouvrage en calculant les traversées moyennes des navires. Il a d'abord additionné les jours de toutes les traversées pour obtenir une moyenne, puis cherché à déterminer les traversées moyennes pour différents moments de l'année en additionnant les traversées des mêmes mois. Cela permettrait, connaissant le jour de départ et la prime d'une traversée ordinaire, de déterminer l'augmentation de la prime pour chaque jour dépassant la traversée ordinaire. La prime est définie comme la somme des degrés de probabilité de perte et du profit de l'assureur. Montaudouin a également commencé un traité sur les avaries, visant à établir des formules pour embrasser tous les cas et éliminer l'arbitraire dans cette partie difficile du commerce maritime. Le Duc d'Aiguillon, seigneur respecté et bienfaiteur de la ville de Nantes, avait une grande estime pour Montaudouin, le considérant comme une perte considérable après sa mort.
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67
p. *198-198
DE LA HAYE, le 2 Avril.
Début :
Tous les fonds baissent en Angleterre. Les Anglois invitent nos Négocians [...]
Mots clefs :
Angleterre, Négociants, Fonds, Emprunt, Refus, Députés, Général York, Corsaires , Armements
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DE LA HAYE, le 2 Avril.
De LA HAY E , le 2 Avril.
Tous les fonds baiſſent en Angleterre. Les An
glois invitent nos Négocians d'Amſterdam & de
Rotterdam à mettre des fonds dans l'emprunt
qu'on a ouvert à Londres ; mais, malgré l'avan
tage de deux & de quatre pour cent ſur le capital ,
& de ſix mois d'intérêt de plus qu'on a promis,
nos Négocians ont refuſé conſtamment de riſquer
leur argent en Angleterre, où ils ſçavent qu'il K
a peu de ſureté. -
Du 8. -
Le Général Yorc a fait part aux Députés des
Etats Généraux de quelques réſolutions favorables
du Conſeil d'Angleterre. Cependant, pour éviter
toute ſurpriſe, & pour ne pas nous abandonner à
une ſécurité dont les Corſaires Anglois pourroient
ſe prévaloir , les Colléges de l'Amirauté font tra
vailler avec diligence à l'armement des vingt-cinq
vaiſſeaux de guerre.
Tous les fonds baiſſent en Angleterre. Les An
glois invitent nos Négocians d'Amſterdam & de
Rotterdam à mettre des fonds dans l'emprunt
qu'on a ouvert à Londres ; mais, malgré l'avan
tage de deux & de quatre pour cent ſur le capital ,
& de ſix mois d'intérêt de plus qu'on a promis,
nos Négocians ont refuſé conſtamment de riſquer
leur argent en Angleterre, où ils ſçavent qu'il K
a peu de ſureté. -
Du 8. -
Le Général Yorc a fait part aux Députés des
Etats Généraux de quelques réſolutions favorables
du Conſeil d'Angleterre. Cependant, pour éviter
toute ſurpriſe, & pour ne pas nous abandonner à
une ſécurité dont les Corſaires Anglois pourroient
ſe prévaloir , les Colléges de l'Amirauté font tra
vailler avec diligence à l'armement des vingt-cinq
vaiſſeaux de guerre.
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Résumé : DE LA HAYE, le 2 Avril.
Le 2 avril, les fonds baissent en Angleterre. Les Anglais proposent aux négociants néerlandais des taux d'intérêt plus élevés et six mois d'intérêts supplémentaires pour investir à Londres, mais ceux-ci refusent en raison de l'insécurité. Le 8 avril, le Général York informe les députés des États Généraux de résolutions favorables du Conseil d'Angleterre. Les collèges de l'Amirauté armement vingt-cinq vaisseaux pour prévenir les attaques des corsaires anglais.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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68
p. 192-194
DE VIENNE, le 4 Juin.
Début :
L'Impératrice Reine a fait remettre aux Etats-Géneraux, par le baron [...]
Mots clefs :
Impératrice Reine, Baron, États généraux , Majestés, Déclaration, Angleterre, Prusse, Nominations, Ministre plénipotentiaire, Duc, Mémoire, Prince Charles de Lorraine, Fêtes, Préparatifs , Baron de Laudon, Marquis de Paulmy, Varsovie, Ambassadeur, Congrès
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texteReconnaissance textuelle : DE VIENNE, le 4 Juin.
De VIENNE , le 4 Juin.
L'Impératrice Reine a fait remettre aux Etats-
Géneraux , par le Baron de Reifchach , Ambaffadeur
Plénipotentiaire de Leurs Majeſtés Imriales
, une déclaration en réponſe à celle des Rois
d'Angleterre & de Pruile.
Elle porte que , pour répondre aux deſirs de
Leurs Majeftés Britannique & Pruffienne pour le
rérabliſſement de la paix , Leurs Majeſtés l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Bohême , le
Roi Très-Chrétien , & l'Impératrice de toutes les
Ruffies , également animées du defir de contri
buer au rétabliffement de la tranquillité publiqua
fur un pied folide & équitable , déclaren:,
Que Sa Majefté Catholique ayant bien voulu
» offrir la médiation pour la guèrre qui fubfifte
» depuis quelques années entre la Erance & l'An-
» gleterre
JUILLET. 1786.
>>
gleterre ; & cette guèrre n'ayant d'ailleurs rien
de commun avec celle que foutiennent égale
ment depuis quelques années les deux Impératrices
avec leurs Alliés contre le Roi de Pruffe
; Sa Majefté Très-Chrétienne eft prête à trai
ter de la paix perſonnelle avec l'Angleterre, par
les bons offices de Sa Majefté Catholique, dont
elle s'eft fait un plaifir d'accepter la médiation.
"Quant à la guerre qui regarde directement
Sa Majefté Pruffienne; leurs Majeftés l'Impérasitrice
Reine de Hongrie & de Bohême , le Rai
Très- Chrétien , & l'Impératrice de Ruffie, font
>> difpofés à donner les mains à l'établitlement du
Congrès propofé. Mais comme , en vertu de
leurs traités , elles ne peuvent prendre aucun
engagement relatif à la paix , que conjointe-
» ment avec leurs Alliés ; il fera nécellaire pour
qu'elles puiffent s'expliquer définitivement fur
ce fajet , qu'avant tout il plaife à Leurs Majeftés
Britannique & Pruffienne de faire parvenir
lear invitation à un Congrès , à toutes.
celles des Puiffances qui fe trouvent directement
en guèrre contre le Roi de Prulle ; nommément
à Sa Majefté le Roi de Suéde , ainfi
» qu'à Sa Majefté le Roi de Pologne , Electeur
» de Saxe , lefquels fpécialement doivent être
invités au futur Congrès.
L'Impératrice Reine nomma , le 3 du mois
dernier , jour de l'Invention de la Sainte-Croix ,
I'Infante Ifabelle, Dame de l'Ordre de la Croix
Etoilée. L'Archiducheffe Marie-Anne reçut , en
fon nom , la Croix , des mains de Sa Majesté.
Le 13 du même mois , la Cour , raſſemblée à
Schonbrun , fut en Gala , à l'occafion de l'Anniverſaire
de l'Impératrice Reine , qui eſt entrée
de ce jour , dans la quarante-quatrième année.
I, Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE:
Le Baron de Breteuil , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi de France auprès de l'Impératrice de
Ruffie , eft parti d'ici pour continuer la route
après avoir pris congé de Leurs Majeſtés .
On apprend de Warfovie , que le Duc
de Courlande eft dangereufement malade. Le
fieur Benoit , Sécrétaire de Légation du Roi de
Pruffe , à la Cour de Pologne , a remis un Mémoire
, en réponse à celui que cette Cour lui avoit
fait remettre parfon Vice- Chancelier . Il nie dans
ce Mémoire la plupart des griefs allégués par
ce Miniftre , & il y forme contre le Roi & la
République de Pologne , un grand nombre dé
plaintes, énoncées d'une maniere fort vive.
Le Prince Charles de Lorraine , & la Prin
ceffe fa foeur , arriveront le mois prochain de
Bruxelles en cette Ville , pour affifter au mariage
de l'Archiduc Jofeph . On travaille aux prépaatifs
des fêtes que l'on donnera à cette occafion.
Toutes les troupes,aux ordres du Baron de Lau
don , campèrent le 31 du mois dernier , dans
les environs de Frankenſtein.
Le Marquis de Paulmy, Miniftre , ci - devant
Secrétaire d'Etat de la Guerre , eft arrivé depuis
peu , dans cette Ville , pour le rendre a Warfovie
en qualité d'Ambafladeur de Sa Majesté Très-
Chrétienne auprès du Roi & de la République de
Pologne. Il a été préfenté , le z de ce mois , à
Leurs Majeftés Impériales & Royales , & à leur
Famille , par le Comte de Choifeul , Ambaffadeur
de France en cette Cour ; & l'Ambaffadrice
a préfenté le même jour , à Sa Majesté Impériale
& Royale Apoftolique , la Marquise de Paulmy.
L'Impératrice Reine a fait remettre aux Etats-
Géneraux , par le Baron de Reifchach , Ambaffadeur
Plénipotentiaire de Leurs Majeſtés Imriales
, une déclaration en réponſe à celle des Rois
d'Angleterre & de Pruile.
Elle porte que , pour répondre aux deſirs de
Leurs Majeftés Britannique & Pruffienne pour le
rérabliſſement de la paix , Leurs Majeſtés l'Impératrice
Reine de Hongrie & de Bohême , le
Roi Très-Chrétien , & l'Impératrice de toutes les
Ruffies , également animées du defir de contri
buer au rétabliffement de la tranquillité publiqua
fur un pied folide & équitable , déclaren:,
Que Sa Majefté Catholique ayant bien voulu
» offrir la médiation pour la guèrre qui fubfifte
» depuis quelques années entre la Erance & l'An-
» gleterre
JUILLET. 1786.
>>
gleterre ; & cette guèrre n'ayant d'ailleurs rien
de commun avec celle que foutiennent égale
ment depuis quelques années les deux Impératrices
avec leurs Alliés contre le Roi de Pruffe
; Sa Majefté Très-Chrétienne eft prête à trai
ter de la paix perſonnelle avec l'Angleterre, par
les bons offices de Sa Majefté Catholique, dont
elle s'eft fait un plaifir d'accepter la médiation.
"Quant à la guerre qui regarde directement
Sa Majefté Pruffienne; leurs Majeftés l'Impérasitrice
Reine de Hongrie & de Bohême , le Rai
Très- Chrétien , & l'Impératrice de Ruffie, font
>> difpofés à donner les mains à l'établitlement du
Congrès propofé. Mais comme , en vertu de
leurs traités , elles ne peuvent prendre aucun
engagement relatif à la paix , que conjointe-
» ment avec leurs Alliés ; il fera nécellaire pour
qu'elles puiffent s'expliquer définitivement fur
ce fajet , qu'avant tout il plaife à Leurs Majeftés
Britannique & Pruffienne de faire parvenir
lear invitation à un Congrès , à toutes.
celles des Puiffances qui fe trouvent directement
en guèrre contre le Roi de Prulle ; nommément
à Sa Majefté le Roi de Suéde , ainfi
» qu'à Sa Majefté le Roi de Pologne , Electeur
» de Saxe , lefquels fpécialement doivent être
invités au futur Congrès.
L'Impératrice Reine nomma , le 3 du mois
dernier , jour de l'Invention de la Sainte-Croix ,
I'Infante Ifabelle, Dame de l'Ordre de la Croix
Etoilée. L'Archiducheffe Marie-Anne reçut , en
fon nom , la Croix , des mains de Sa Majesté.
Le 13 du même mois , la Cour , raſſemblée à
Schonbrun , fut en Gala , à l'occafion de l'Anniverſaire
de l'Impératrice Reine , qui eſt entrée
de ce jour , dans la quarante-quatrième année.
I, Vol. I
194 MERCURE DE FRANCE:
Le Baron de Breteuil , Miniftre Plénipotentiaire
du Roi de France auprès de l'Impératrice de
Ruffie , eft parti d'ici pour continuer la route
après avoir pris congé de Leurs Majeſtés .
On apprend de Warfovie , que le Duc
de Courlande eft dangereufement malade. Le
fieur Benoit , Sécrétaire de Légation du Roi de
Pruffe , à la Cour de Pologne , a remis un Mémoire
, en réponse à celui que cette Cour lui avoit
fait remettre parfon Vice- Chancelier . Il nie dans
ce Mémoire la plupart des griefs allégués par
ce Miniftre , & il y forme contre le Roi & la
République de Pologne , un grand nombre dé
plaintes, énoncées d'une maniere fort vive.
Le Prince Charles de Lorraine , & la Prin
ceffe fa foeur , arriveront le mois prochain de
Bruxelles en cette Ville , pour affifter au mariage
de l'Archiduc Jofeph . On travaille aux prépaatifs
des fêtes que l'on donnera à cette occafion.
Toutes les troupes,aux ordres du Baron de Lau
don , campèrent le 31 du mois dernier , dans
les environs de Frankenſtein.
Le Marquis de Paulmy, Miniftre , ci - devant
Secrétaire d'Etat de la Guerre , eft arrivé depuis
peu , dans cette Ville , pour le rendre a Warfovie
en qualité d'Ambafladeur de Sa Majesté Très-
Chrétienne auprès du Roi & de la République de
Pologne. Il a été préfenté , le z de ce mois , à
Leurs Majeftés Impériales & Royales , & à leur
Famille , par le Comte de Choifeul , Ambaffadeur
de France en cette Cour ; & l'Ambaffadrice
a préfenté le même jour , à Sa Majesté Impériale
& Royale Apoftolique , la Marquise de Paulmy.
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Résumé : DE VIENNE, le 4 Juin.
Le 4 juin 1786, l'Impératrice Reine de Hongrie et de Bohême a transmis une déclaration aux États-Généraux via le Baron de Reifchach, ambassadeur des Majestés Impériales. Cette déclaration répondait à celle des Rois d'Angleterre et de Prusse concernant le rétablissement de la paix. L'Impératrice Reine, le Roi Très-Chrétien et l'Impératrice de toutes les Russies exprimaient leur désir de contribuer à la tranquillité publique sur une base solide et équitable. La France, par l'intermédiaire de Sa Majesté Catholique, proposait sa médiation pour mettre fin à la guerre entre la France et l'Angleterre, indépendamment des conflits impliquant les deux Impératrices et leurs alliés contre le Roi de Prusse. La France était prête à négocier une paix personnelle avec l'Angleterre sous la médiation de la Majesté Catholique. Pour la guerre impliquant la Prusse, les Majestés Impériales étaient disposées à participer à un congrès proposé, mais elles nécessitaient l'invitation de toutes les puissances en guerre contre la Prusse, notamment le Roi de Suède et le Roi de Pologne. Le 3 juillet, l'Impératrice Reine a nommé l'Infante Isabelle, Dame de l'Ordre de la Croix Étoilée, et l'Archiduchesse Marie-Anne a reçu la Croix des mains de Sa Majesté. Le 13 juillet, la Cour s'est rassemblée à Schönbrun pour célébrer l'anniversaire de l'Impératrice Reine, qui entrait dans sa quarante-quatrième année. Le Baron de Breteuil, ministre plénipotentiaire du Roi de France auprès de l'Impératrice de Russie, a quitté Vienne. À Varsovie, le Duc de Courlande était gravement malade, et le Sieur Benoit, secrétaire de légation du Roi de Prusse, a remis un mémoire en réponse à celui du Vice-Chancelier de Pologne, contestant les griefs et formulant de nombreuses plaintes. Le Prince Charles de Lorraine et la Princesse sa sœur devaient arriver de Bruxelles pour assister au mariage de l'Archiduc Joseph. Les troupes du Baron de Laudon ont campé près de Frankenstein. Le Marquis de Paulmy, ancien secrétaire d'État à la Guerre, est arrivé en qualité d'ambassadeur de Sa Majesté Très-Chrétienne auprès du Roi et de la République de Pologne.
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69
p. 197-198
De LONDRES, le 24 Juin.
Début :
Quoique les forces navales de l'Angleterr n'ayant jamais été si formidables [...]
Mots clefs :
Forces navales, Angleterre, Vaisseaux, Pertes, Caroline, Guerre, Amérique, Colons, Négociants, Québec, Défaite, Français, Marche
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : De LONDRES, le 24 Juin.
De LONDRES , le 24 Juin.
Quoique les forces navales de l'Angleterr
n'ayent jamais été fi formidables qu'à préfent , le
commerce de la nation ne laiffe pas de fouffrir
beaucoup des prifes que les Armateurs François
font continuellement. On compte deux cens de
nos Vailleaux pris depuis le commencement de
Mars ; fçavoir , trente deux au mois de Mars ,
quarante-fept dans le cours d'Avril , quatre- vingt
en Mai & quarante- un depuis le commencement
de ce mois . On obferve, avec chagrin, cet accroiffement
journalier de nos pertes . Toutes ces prifes
font évaluées à quatre cens cinquante mille livres
fterlings.
On s'apprête dans la Caroline à pouffer vigoureulement
la guerre contre les Chiroquois Nous
avons remporté fur cux quelques avantages , mais
peu décififs . Les Colons qui habitent leurs frontierés
font toujours dans la derniere confternation ,
& ils abandonnent le pays de crainte d'être les
victimes de leur cruauté.
Les Négocians qui ont fait des envois pour
Québec , font dans de grandes allarmes depuis
lés fâcheufes nouvelles que l'on a reçues de la
défaite des troupes du Brigadier général Murray .
On dit que les François , profitant de leur avan
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
tage , ont continué leur marche vers cette Capitale
du Canada , & que nos troupes l'ont abandonnées
Quoique les forces navales de l'Angleterr
n'ayent jamais été fi formidables qu'à préfent , le
commerce de la nation ne laiffe pas de fouffrir
beaucoup des prifes que les Armateurs François
font continuellement. On compte deux cens de
nos Vailleaux pris depuis le commencement de
Mars ; fçavoir , trente deux au mois de Mars ,
quarante-fept dans le cours d'Avril , quatre- vingt
en Mai & quarante- un depuis le commencement
de ce mois . On obferve, avec chagrin, cet accroiffement
journalier de nos pertes . Toutes ces prifes
font évaluées à quatre cens cinquante mille livres
fterlings.
On s'apprête dans la Caroline à pouffer vigoureulement
la guerre contre les Chiroquois Nous
avons remporté fur cux quelques avantages , mais
peu décififs . Les Colons qui habitent leurs frontierés
font toujours dans la derniere confternation ,
& ils abandonnent le pays de crainte d'être les
victimes de leur cruauté.
Les Négocians qui ont fait des envois pour
Québec , font dans de grandes allarmes depuis
lés fâcheufes nouvelles que l'on a reçues de la
défaite des troupes du Brigadier général Murray .
On dit que les François , profitant de leur avan
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
tage , ont continué leur marche vers cette Capitale
du Canada , & que nos troupes l'ont abandonnées
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Résumé : De LONDRES, le 24 Juin.
Le 24 juin à Londres, malgré la supériorité navale britannique, le commerce national subit des pertes significatives dues aux captures de navires par les armateurs français. Depuis mars, 200 vaisseaux ont été capturés : 32 en mars, 47 en avril, 80 en mai et 41 en juin. Ces pertes, évaluées à 450 000 livres sterling, augmentent quotidiennement, provoquant une grande inquiétude. En Caroline, les préparatifs pour la guerre contre les Chiroquois sont en cours. Quelques avantages ont été obtenus, mais ils ne sont pas décisifs. Les colons frontaliers vivent dans la consternation et abandonnent leurs terres par crainte des attaques. Les négociants envoyant des marchandises à Québec sont alarmés par la défaite des troupes du brigadier général Murray. Les Français, profitant de leur avantage, avancent vers Québec, contraignant les troupes britanniques à se retirer.
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70
p. 175-183
COMÉDIE ITALIENNE.
Début :
ONN continue fur ce Théâtre avec un succès égal & soutenu le Roi & le [...]
Mots clefs :
Comédie, Angleterre, Scène dramatique, Roi, Scène, Troupeau, Musique
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COMÉDIE ITALIENNE.
La Scène eft en Angleterre.
Le premier & fecond Acte font dans
une forêt , & le troifiéme eft dans la
maifon du Fermier.
RICHARD , fils d'un Fermier, Infpecteur
des Gardes de la Forêt de Scheroud,
areçu de fon pere la meilleure éducation;
on l'a fait étudier, on l'afait voyager, peutêtre
pour le diftraire du trop vif attachement
qu'il commençoit à témoigner
pour une petite coufine nomnéeJENNY ,
& qui , orpheline dès fon bas âge , avoit
été élevée dans la maifon & par la mere
de RICHARD .
Après la mort du pere , le fils , de retour
dans fa patrie , prend poffeffion , &
de la ferme & de l'inſpection des chaffes ,
ainfi que du coeur de JENNY , plus belle,
& plus tendre que jamais. La mere apJANVIER.
1763. 177
prouvoit cette union ; le mariage étoit
près de fe faire ; mais JENNY n'avoit
pour tout bien qu'un troupeau qu'elle
conduifoit elle- même aux champs.
Un jeune Milord , qui avoit voyagé
auffi , mais qui n'avoit rapporté de fes
voyages que des vices & des ridicules ,
poffédoit un château aux environs , où
il faifoit fa réfidence . Il devient amoureux
de JENNY , fait détourner par fes
gens dans les cours de fon Château , le
troupeau de la Bergère. On lui dit d'aller
demander juſtice à Milord ; elle y court ,
mais loin de trouver, un Seigneur équitable
& bienfaifant , le Juge étoit le
complice , ou plutôt l'auteur du délit . Il
lui offre fon coeur & beaucoup d'or. Il
la prie , il la menace ; l'innocence étoit
fur le point d'être opprimée par la violence
, lorfqu'un ordre du Roi force le
Milord de monter à chevalpour le fuivre à
la chaffe.LeMilord ne perdpoint fes vûes,
il laiffe JENNY entre les mains d'une
femme qui , après avoir mis en ufage
toutes les infinuations de la féduction
l'enferme dans un cabinet à rez-de -chauffée
, & qui donnoit fur les foffés du château.
JENNY vive , alerte , en mefure
des yeux la profondeur , détache des ri
H v
178 MERCURE DE FRANCE.
deaux , les attache , fe gliffe , & le fauve
chez la mere de RICHARD .
2. Tout ce qu'on vient de rapporter pré-
'cede l'infant où commence la Comédie .
RICHARD ouvre la Scène ; fes premiers
regards dans la plaine avoient cherché
le troupeau de JENNY ; il apprend
qu'elle - même & fans efforts elle avoit
conduit fon troupeau chez le Milord , &-
qu'elle n'en étoit pas fortie : tous les tourmens
de la jaloufie & de l'incertitude
l'agitent tour-à- tour.
Des Gardes- Chaffe arrivent , il leur
donne l'ordre de battre le bois , d'arrêter
les Braconniers & de les amener chez
lui. Il demande comment le Roi eft vêtu,
il ne l'avoit jamais vû ; le Roi chaffoit
rarement dans cette forêt.
JENNY de retour chez la mere de
RICHARD , devant laqnelle elle s'étoit
totalement juftifiée , ( fon troupeau retenu
devenoit une preuve ) JENNY, certaine
de l'inquiétude de fon Amant,court le
chercher dans la forêt , accompagnée de
BETSY foeur de RICHARD , petite fille
de
quatorze ans , plus folle même que
fon âge : Elles le trouvent ; JENNY fait
connoître toute fon innocence , dans les
plus vives expreffions de la joye & de la
JANVIER. 1763. 179
tendreffe. Un orage annoncé dès le commencement
de la Piéce,forceRICHARD ,
BETSY & JENNY de fe retirer,
La nuit fuccéde à l'orage dont le
bruit exprimé par la fymphonie , remplit
T'Entre-Acte . Les Chaffeurs font difperfés
, le Roi eft égaré ; il eft tombé de
cheval , accablé de fatigues , ne ſçachant
où paffer la nuit , & comment retrouver
fa route. RICHARD le rencontre fans
le connoître, lui offre fon fouper ; le Roi
l'accepte & ne fe nomme point . Les
Gardes -Chaffe cependant rodent dans le
bois , trouvent deux Milords qu'ils prennent
pour des Braconniers ; ils les arrê
tent & les conduifent chez RICHARD.
Le troifiéme Acte repréfente l'intérieur
de la Ferme , la maifon de RICHARD .
Sa mere , JENNY & BETSY travaillent
en l'attendant. Il arrive avec le Roi
qui couvert d'une Redingotte n'a nulle
marque extérieure. Le fouper prêt, il fait
paffer le Roi dans une autre chambre.le
vin manque : RICHARD Court à la cave;
mais en revenant , un regard de JENNY
Tarrête fur la Scène ; il oublie le Roi &
l'Univers.
Le Roi laiffé feul à table , peut-êue
ennuyé des propos de la mere de R1-
CHARD , fort du lieu où il foupoit ; BIH
W
180 MERCURE DE FRANCE.
CHARD veut le faire rentrer : Non , dit
le Roi , je refte là ; vite , des verres , dit
le Fermier ; le Roi & lui boivent à la
fanté du Roi . JENNY & RICHARD
s'efforcent à l'amufer , en attendant un
Garde qui doit amener un cheval . Ils
chantent ; BETSY, qui eft fortie , rentre
en difant: Voilà les Gardes qui amènent
des voleurs. Ah Ciel ! dit JENNY , c'eſt
le Milord . Et elle fe cache.
La Scène eft difpofée de façon que
RICHARD , fa mere , & BETSY empêchent
que les Milords n'apperçoivent
le Roi.
Il est témoin fans être vû , de toute la
dureté d'expreffion de l'ironie amère que
peut mettre dans fes difcours un homme
puiffant qui abuſe du privilége de fa
naiffance. JENNY , dit le Milord ,
fortira de chez moi qu'à bonnes enfeignes.
Ilfied bien à un drôle comme toi... Voilà
le Roi , dit l'autre Milord . Le Roi fe
léve , & paroît.
ne
Après la furpriſe , le mouvement , le
murmure , caufés par fa préfence inattendue
, après les complimens emphafés
des Courtifans , après la confufion & les
excufes de RICHARD , ( tout cela exprimé
dans le cours du morceau de mufique
, ) le Roi demande au Milord ce
JANVIER. 1763.
181
que RICHARD veut dire touchant cette
fille , touchant cette JENNY . Ah ! Sire,
répond le Milord : une orpheline , une
infortunée de ce canton , que j'ai prife
fous ma protection,parce que RICHARD
vouloit l'époufer malgré elle. Malgré mois
dit JENNY ,dont l'apparition fubite confond
le Milord. Al'inftant le Roi punit
le Miord en l'éxilant , récompenfe RICHARD
en l'annobliffant , venge JENNY
en payant fa dot ; enfin il comble de
bienfaits une famille honnête , qui finit
la Piéce par des voeux pour le meilleur
des Rois.
N. B. Cette Piéce imprimée , fe vend
à Paris chez C. HERISSANT rue
Neuve Notre- Dame , à la Croix d'Or.
Prix 24fols. Les Airs détachés fe trouvent
chez le même Libraire , féparément.
Le prix 36 fols. La Partition générale
fe trouve auffi au même endroit & chez les
"Marchands de Mufique.
cien
REMARQUES.
L'Auteur des paroles , dans un Avertiffement ,
nous informe de la peine qu'il a eue à faire paroître
fa Piéce , par celle qu'il y avoit à trouver un Mufiun
grand Artifte qui voulût rifquer un
genre auffi nouveau en mufique. Il prévient par-
Ta les fuffrages que l'on doit & que le Public ac-
Corde à M. de MoNSIGNI. On prévoit facilement
182 MERCURE DE FRANCE.
en effet par la feule lecture de l'Analyſe du Sujet,
combien il étoit plus propre à la récitation fimple
de la Scène Dramatiqué , que fufceptible des ornemens
de la Mulique. Malgré tous les facrifices
qu'a fait l'Auteur du Drame à Idole nationale
du jour , à l'effet mufical , il luia fallu un arc
infini pour conferver ce qu'il y a dans quelques
Scènes de comique de l'efprit & de morale fpirituelle.
C'est ce que l'on reconnoîtra à la lecture de
l'ouvrage , beaucoup plus fatisfaifante que celle
d'autres Piéces qui font & ne peuvent être que des .
canevas de mots difpofés à recevoir des chants .
D'un autre côté , l'Auteur de la Mufique mérité
de très- juftes éloges , non-feulement des belles
images ingénieuſes & raiſonnées répandues dans
fes fymphonies , mais de la fagacité avec la
quelle il a trouvé le moyen de faire parler le
chant , & de le faire parler fans confufion dans les
morceaux à plufieurs parties. La Scène , où en at
tendant RICHARD , la MERE , BETSI & JENNI
chantent chacune des chofes différentes , eft un
tableau très-bien renda , & dont l'effet agréable
n'avoit pu être auffi bien fenti à la premiere
Repréfentation ; attendu la difficulté del'extrême
précifion qu'il exige dans l'exécution .
M. SEDAINE , décemment inqnier des foapçons
qu'on auroit pû concevoir contre certaines vérités
exprimées avec la fermeté qu'il avoit imitée du
modéle Anglois , a fait imprimer ce peu de phraſes
fur un feuillet joint à l'édition . On voit par - là
qu'elles ne font que des vérités de tous les temps ,
de toutes les nations , & que far-tout juftifie le
cadre où il avoit cu deffein de les enchâller Mais
il fe foumet modeftement aux regles policées de
notre goût , qui n'admettent pas l'air de dureté
qu'elles auroient pu avoir dans l'énonciation.
JANVIER. 1763. 183
On a remis fur ce Théâtre le 27 Décembre
Solimanfecond on Les Sultanes.
agréable Ouvrage de M. FAVART
dont on continue les Repréfentations
& que le Public revoit toujours avec un
nouveau plaifir .
Le premier & fecond Acte font dans
une forêt , & le troifiéme eft dans la
maifon du Fermier.
RICHARD , fils d'un Fermier, Infpecteur
des Gardes de la Forêt de Scheroud,
areçu de fon pere la meilleure éducation;
on l'a fait étudier, on l'afait voyager, peutêtre
pour le diftraire du trop vif attachement
qu'il commençoit à témoigner
pour une petite coufine nomnéeJENNY ,
& qui , orpheline dès fon bas âge , avoit
été élevée dans la maifon & par la mere
de RICHARD .
Après la mort du pere , le fils , de retour
dans fa patrie , prend poffeffion , &
de la ferme & de l'inſpection des chaffes ,
ainfi que du coeur de JENNY , plus belle,
& plus tendre que jamais. La mere apJANVIER.
1763. 177
prouvoit cette union ; le mariage étoit
près de fe faire ; mais JENNY n'avoit
pour tout bien qu'un troupeau qu'elle
conduifoit elle- même aux champs.
Un jeune Milord , qui avoit voyagé
auffi , mais qui n'avoit rapporté de fes
voyages que des vices & des ridicules ,
poffédoit un château aux environs , où
il faifoit fa réfidence . Il devient amoureux
de JENNY , fait détourner par fes
gens dans les cours de fon Château , le
troupeau de la Bergère. On lui dit d'aller
demander juſtice à Milord ; elle y court ,
mais loin de trouver, un Seigneur équitable
& bienfaifant , le Juge étoit le
complice , ou plutôt l'auteur du délit . Il
lui offre fon coeur & beaucoup d'or. Il
la prie , il la menace ; l'innocence étoit
fur le point d'être opprimée par la violence
, lorfqu'un ordre du Roi force le
Milord de monter à chevalpour le fuivre à
la chaffe.LeMilord ne perdpoint fes vûes,
il laiffe JENNY entre les mains d'une
femme qui , après avoir mis en ufage
toutes les infinuations de la féduction
l'enferme dans un cabinet à rez-de -chauffée
, & qui donnoit fur les foffés du château.
JENNY vive , alerte , en mefure
des yeux la profondeur , détache des ri
H v
178 MERCURE DE FRANCE.
deaux , les attache , fe gliffe , & le fauve
chez la mere de RICHARD .
2. Tout ce qu'on vient de rapporter pré-
'cede l'infant où commence la Comédie .
RICHARD ouvre la Scène ; fes premiers
regards dans la plaine avoient cherché
le troupeau de JENNY ; il apprend
qu'elle - même & fans efforts elle avoit
conduit fon troupeau chez le Milord , &-
qu'elle n'en étoit pas fortie : tous les tourmens
de la jaloufie & de l'incertitude
l'agitent tour-à- tour.
Des Gardes- Chaffe arrivent , il leur
donne l'ordre de battre le bois , d'arrêter
les Braconniers & de les amener chez
lui. Il demande comment le Roi eft vêtu,
il ne l'avoit jamais vû ; le Roi chaffoit
rarement dans cette forêt.
JENNY de retour chez la mere de
RICHARD , devant laqnelle elle s'étoit
totalement juftifiée , ( fon troupeau retenu
devenoit une preuve ) JENNY, certaine
de l'inquiétude de fon Amant,court le
chercher dans la forêt , accompagnée de
BETSY foeur de RICHARD , petite fille
de
quatorze ans , plus folle même que
fon âge : Elles le trouvent ; JENNY fait
connoître toute fon innocence , dans les
plus vives expreffions de la joye & de la
JANVIER. 1763. 179
tendreffe. Un orage annoncé dès le commencement
de la Piéce,forceRICHARD ,
BETSY & JENNY de fe retirer,
La nuit fuccéde à l'orage dont le
bruit exprimé par la fymphonie , remplit
T'Entre-Acte . Les Chaffeurs font difperfés
, le Roi eft égaré ; il eft tombé de
cheval , accablé de fatigues , ne ſçachant
où paffer la nuit , & comment retrouver
fa route. RICHARD le rencontre fans
le connoître, lui offre fon fouper ; le Roi
l'accepte & ne fe nomme point . Les
Gardes -Chaffe cependant rodent dans le
bois , trouvent deux Milords qu'ils prennent
pour des Braconniers ; ils les arrê
tent & les conduifent chez RICHARD.
Le troifiéme Acte repréfente l'intérieur
de la Ferme , la maifon de RICHARD .
Sa mere , JENNY & BETSY travaillent
en l'attendant. Il arrive avec le Roi
qui couvert d'une Redingotte n'a nulle
marque extérieure. Le fouper prêt, il fait
paffer le Roi dans une autre chambre.le
vin manque : RICHARD Court à la cave;
mais en revenant , un regard de JENNY
Tarrête fur la Scène ; il oublie le Roi &
l'Univers.
Le Roi laiffé feul à table , peut-êue
ennuyé des propos de la mere de R1-
CHARD , fort du lieu où il foupoit ; BIH
W
180 MERCURE DE FRANCE.
CHARD veut le faire rentrer : Non , dit
le Roi , je refte là ; vite , des verres , dit
le Fermier ; le Roi & lui boivent à la
fanté du Roi . JENNY & RICHARD
s'efforcent à l'amufer , en attendant un
Garde qui doit amener un cheval . Ils
chantent ; BETSY, qui eft fortie , rentre
en difant: Voilà les Gardes qui amènent
des voleurs. Ah Ciel ! dit JENNY , c'eſt
le Milord . Et elle fe cache.
La Scène eft difpofée de façon que
RICHARD , fa mere , & BETSY empêchent
que les Milords n'apperçoivent
le Roi.
Il est témoin fans être vû , de toute la
dureté d'expreffion de l'ironie amère que
peut mettre dans fes difcours un homme
puiffant qui abuſe du privilége de fa
naiffance. JENNY , dit le Milord ,
fortira de chez moi qu'à bonnes enfeignes.
Ilfied bien à un drôle comme toi... Voilà
le Roi , dit l'autre Milord . Le Roi fe
léve , & paroît.
ne
Après la furpriſe , le mouvement , le
murmure , caufés par fa préfence inattendue
, après les complimens emphafés
des Courtifans , après la confufion & les
excufes de RICHARD , ( tout cela exprimé
dans le cours du morceau de mufique
, ) le Roi demande au Milord ce
JANVIER. 1763.
181
que RICHARD veut dire touchant cette
fille , touchant cette JENNY . Ah ! Sire,
répond le Milord : une orpheline , une
infortunée de ce canton , que j'ai prife
fous ma protection,parce que RICHARD
vouloit l'époufer malgré elle. Malgré mois
dit JENNY ,dont l'apparition fubite confond
le Milord. Al'inftant le Roi punit
le Miord en l'éxilant , récompenfe RICHARD
en l'annobliffant , venge JENNY
en payant fa dot ; enfin il comble de
bienfaits une famille honnête , qui finit
la Piéce par des voeux pour le meilleur
des Rois.
N. B. Cette Piéce imprimée , fe vend
à Paris chez C. HERISSANT rue
Neuve Notre- Dame , à la Croix d'Or.
Prix 24fols. Les Airs détachés fe trouvent
chez le même Libraire , féparément.
Le prix 36 fols. La Partition générale
fe trouve auffi au même endroit & chez les
"Marchands de Mufique.
cien
REMARQUES.
L'Auteur des paroles , dans un Avertiffement ,
nous informe de la peine qu'il a eue à faire paroître
fa Piéce , par celle qu'il y avoit à trouver un Mufiun
grand Artifte qui voulût rifquer un
genre auffi nouveau en mufique. Il prévient par-
Ta les fuffrages que l'on doit & que le Public ac-
Corde à M. de MoNSIGNI. On prévoit facilement
182 MERCURE DE FRANCE.
en effet par la feule lecture de l'Analyſe du Sujet,
combien il étoit plus propre à la récitation fimple
de la Scène Dramatiqué , que fufceptible des ornemens
de la Mulique. Malgré tous les facrifices
qu'a fait l'Auteur du Drame à Idole nationale
du jour , à l'effet mufical , il luia fallu un arc
infini pour conferver ce qu'il y a dans quelques
Scènes de comique de l'efprit & de morale fpirituelle.
C'est ce que l'on reconnoîtra à la lecture de
l'ouvrage , beaucoup plus fatisfaifante que celle
d'autres Piéces qui font & ne peuvent être que des .
canevas de mots difpofés à recevoir des chants .
D'un autre côté , l'Auteur de la Mufique mérité
de très- juftes éloges , non-feulement des belles
images ingénieuſes & raiſonnées répandues dans
fes fymphonies , mais de la fagacité avec la
quelle il a trouvé le moyen de faire parler le
chant , & de le faire parler fans confufion dans les
morceaux à plufieurs parties. La Scène , où en at
tendant RICHARD , la MERE , BETSI & JENNI
chantent chacune des chofes différentes , eft un
tableau très-bien renda , & dont l'effet agréable
n'avoit pu être auffi bien fenti à la premiere
Repréfentation ; attendu la difficulté del'extrême
précifion qu'il exige dans l'exécution .
M. SEDAINE , décemment inqnier des foapçons
qu'on auroit pû concevoir contre certaines vérités
exprimées avec la fermeté qu'il avoit imitée du
modéle Anglois , a fait imprimer ce peu de phraſes
fur un feuillet joint à l'édition . On voit par - là
qu'elles ne font que des vérités de tous les temps ,
de toutes les nations , & que far-tout juftifie le
cadre où il avoit cu deffein de les enchâller Mais
il fe foumet modeftement aux regles policées de
notre goût , qui n'admettent pas l'air de dureté
qu'elles auroient pu avoir dans l'énonciation.
JANVIER. 1763. 183
On a remis fur ce Théâtre le 27 Décembre
Solimanfecond on Les Sultanes.
agréable Ouvrage de M. FAVART
dont on continue les Repréfentations
& que le Public revoit toujours avec un
nouveau plaifir .
Fermer
Résumé : COMÉDIE ITALIENNE.
La scène se déroule en Angleterre. Richard, fils d'un fermier et inspecteur des gardes de la forêt de Scheroud, a reçu une éducation soignée et a voyagé pour se distraire de son attachement pour Jenny, une orpheline élevée par la mère de Richard. Après la mort de son père, Richard revient dans sa patrie, prend possession de la ferme et de l'inspection des chasses, et épouse Jenny. Leur union est approuvée par la mère de Richard, mais Jenny ne possède qu'un troupeau comme bien. Un jeune milord voisin, de retour de voyages, devient amoureux de Jenny et fait détourner son troupeau vers son château. Jenny se rend chez le milord pour réclamer justice, mais il tente de la séduire et la fait enfermer. Jenny s'échappe et retourne chez la mère de Richard. La comédie commence avec Richard cherchant Jenny, qui a été retenue chez le milord. Jenny revient chez la mère de Richard et explique la situation. Un orage les force à se réfugier. Pendant la nuit, Richard rencontre le roi égaré et l'invite à souper. Des gardes amènent deux milords, pris pour des braconniers, chez Richard. Dans le troisième acte, à la ferme, Richard, sa mère, Jenny et Betsy, la sœur de Richard, attendent. Le roi, déguisé, reste à table. Jenny se cache à l'arrivée des milords, qui réclament Jenny. Le roi intervient, punit le milord en l'exilant, anoblit Richard et paie la dot de Jenny. La famille exprime ses vœux pour le roi. La pièce est disponible à la vente à Paris. L'auteur mentionne les difficultés rencontrées pour trouver un musicien capable de composer pour ce genre nouveau en musique. La pièce est appréciée pour son esprit et sa morale spirituelle.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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71
p. *203-203
De LONDRES, le 16 Août 1763.
Début :
Ce matin, entre dix & onze heures, la Reine est accouchée [...]
Mots clefs :
Naissance, Reine, Prince, Angleterre
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : De LONDRES, le 16 Août 1763.
De LONDRES , le 16 Août 1763.
Ce matin , entre dix & onze heures , la Reine
eft accouchée fort heureuſement d'un Prince.
Ce matin , entre dix & onze heures , la Reine
eft accouchée fort heureuſement d'un Prince.
Fermer
72
s. p.
LETTRE AUX AUTEURS DU MERCURE DE FRANCE SUR LE COMTE DE WARVICK TRAGÉDIE NOUVELLE EN CINQ ACTES ET EN VERS Représentée, pour la première fois, le lundi 7 Novembre 1763.
Début :
Voici, Messieurs, une nouvelle preuve de cette vérité que Corneille a devinée [...]
Mots clefs :
Warvick, Comte, Roi, Gloire, Coeur, Scène, Théâtre, Vengeance, Angleterre, Ingratitude, Destin, Espoir, Tragédie, Amour, Victoire
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE AUX AUTEURS DU MERCURE DE FRANCE SUR LE COMTE DE WARVICK TRAGÉDIE NOUVELLE EN CINQ ACTES ET EN VERS Représentée, pour la première fois, le lundi 7 Novembre 1763.
LETTRE
AUX AUTEURS
DU MERCURE
DE FRANCE ,
SUR LE
COMTE DE WARVICK,
TRAGÉDIE NOUVELLE ,
EN CINQ ACTES ET EN VERS
Repréſentée , pour la première fois , le Lundi
2 Novembre 1763.
M. DCC . LXIII.
TELEEH
LETTRE
AUX AUTEURS
DU
MERCURE DE FRANCE.
VOICI , Meſſieurs , une nouvelle preuve
de cette vérité que Corneille a devinée
parſentiment &qu'il a fi bien placée dans
ſaTragédie duCid : e'eſt le Cid qui parle :
«Mes pareils à deux fois ne ſe font point connoître;
»Et pour leurs coups d'eſſai veulent des coups de
Maître. >>>
C'eſt ainſi que les Racine & les Voltaires'annonçoient
ſur laScène Françoiſe.
Monfieur de la Harpe paroît avoir bien
étudié la manière de ces grands Peintres
del'ame, & ſe voit, comme eux, couronné
A iij
dès le premier pas qu'il a fait dans la car
rière du Théatre .
La Tragédie de Warvick, dont je vais
faire l'analyſe exacte , eſt un Ouvrage
qu'on ne devoit pas attendre d'un Ecolier
àpeine forti des Univerſités. Il est vrai
que ſes premiers Maîtres n'avoient pas
méconnu fon génie , & que M. de la
Harpe , avant l'âge de vingt ans , avoit
rendu fon nom celebre & intéreſſant dans
les faſtes de cette Ecole de goût & de
moeurs , qui compte plus d'un Rollin parmi
ſes Chefs .
Tout le monde paroît demeurer d'ac
cord que le plan de cette Tragédie eft
heureuſement conçu , que les caractères
en font nobles , & auffi - bien foutenus
que contraſtés , les ſentimens vrais
& grands fans enfure , le ſtyle élégant
& la verſification facile , mais toujours
harmonieuſe . Ceux qui s'intéreſſent à la
gloire de notre Theatre voient avec plaifir
s'élever un jeune Poëte , qui a le courage
de ſacrifier à la préciſion de ſes
dialogues ces maximes & ces ſentences
tant rebattues & toujours applaudies .
Ils lui ſçauront gré ſans doute d'avoir
composé dans un genre preſque oublié de
nos jours , & qui a fait place aux monf
trueuſes &burleſques Pantomimes qu'on
nous apporte d'Angleterre ou d'Italie .
Mais outre le mérite réel de cette Tragé
die , il en eſt un qui appartient plus aux
moeurs qu'au génie ; l'Auteur ſemble ne
s'être écarté de l'hiſtoire que pour donner
à Warvick toute la grandeurdont une
ame eft capable. Auguſte qui pardonne a
Cinna , n'eſt pas plus généreux que Warvick
empriſonné par Edouard , & qui ne
fort de ſa priſon que pour le couronner
une ſeconde fois . Les acclamations univerfelles
données au Comte de Warvick
dans ce moment , font un témoignage
irrécuſable contre les détracteurs
de la Scène Françoiſe . Ce n'eſtpoint affez
qu'un beau diſcours devenu preſque une
action par la véhémente éloquence de
l'Orateur , nous imprime des leçons de
vertu , ce ſont des exemples de générofité
qui nous frappent au Théatre , qui rappellent
l'homme à ſa première dignité :
ce font peut - être ces applaudiſſemens
unanimes & forcés que nous donnons à
la vertu qui nous emportent juſqu'à elle ,
qui nous rendent capables d'y atteindre ,
& font du Théatre même une école de
moeurs , que rien ne peut remplacer.
A iiij
NOMS DES ACTEURS.
YORCK , Roi d'Angleterre , ſous le nom
d'Edouard.
MARGUERITE D'AN JOU , femme de
Lancaftre , Roi d'Angleterre, ſous le nom
de HENRY.
LE COMTE DE WARVICK.
SUFFOLK , Confident d'Edouard.
SUMMER , Ami de Warvick.
ELISABETH , Amante de Warwick.
NEVILLE , Confidente de Margueritean
GARDES.
?
A
C
Ho La Scène est à Londres.
?
1612
ACTE PREMIER
MARGUERITE ouvre la ſcèneavecNéville
ſa confidente , & lui découvre les
ſecrets motifs de ſa joie &de ſes nouvelles
eſpérances : Edouard vainqueur de
Henri VI , & placé ſur ſon Trône par la
valeur & l'amitié de Warvick , va dans
l'absence de ce guerrier lui ravir ſa Maîtreffe
, & doit ce jour même épouſer Elifabeth
de Gray. Marguerite ſe flatte que
Warvick , irrité d'un affront fi peu attendu
, va travailler avec elle à rétablir
fon mari ſur le Trône d'Angleterre :
c'eſt pourquoi elle ſe propoſe d'obtenir
d'Edouard la liberté de paſſer en France
pour y joindre le Comte de Warvick ,
& l'inſtruire des amours & de l'ingratitude
du Maître qu'il s'eſt donné.
Edouard , ſans lui refuſer ni lui accorder
ſa demande , lui fait entendre que
le moment de la paix ſera celui de ſa liberté.
Le Roi ouvre à Suffolck les replis
de ſon coeur , il lui confie ſes projets , ſes
craintes , ſes combats, la violence de fon
amour . C'eſt ſurtout l'amitié de Warvick
qui lui peſe ; c'eſt Warvick , c'eſt un ami
Av
A
qu'il craint d'offenſer ; mais il eſpere le
fléchir & ordonne à Suffolck de ſe rendre
à la Cour de France , &c. &c. Alors
on apprend que le Comte vient d'arriver
dans Londres aux acclamations de tout le
Peuple , & le Roi ſe retire dans le plus
grand trouble .
Telle eſt la marche du premier Acte ,
nous n'en citerons qu'un trait rendu ſublime
par Mademoiselle Dumeſnil , &
qui le paroîtra peut - être encore ſans
elle.
Cet MARGUERITE qui parle.
Demomens en momens j'attendois le trépas ;
Unbrigand ſe préſente ,& fon avide joie
Brille dans ſes regards à l'aſpect de ſa proie.
Il eſt prêt à frapper : je reſtai ſans frayeur ,
Un eſpoir imprévu vint ranimer mon coeur.
Sans guide , fans ſecours ,dans ce lieu folitaire,
J'oſai dans ce brigand voir un Dieu tutélaire.
« Tiens , approche , ( lui dis-je, en lui montrant
mon fils , 1
Qu'à peine ſoutenoient mes bras appeſantis,)
Ofe fauver ton Prince , oſe ſauver ſamere.>>>>
J'étonnai , j'attendris ce mortel ſanguinaire ,
Mon inttépidité le rendit généreux. alloy
LeCiel veilloit alors fur mon fils malheureux,
Oubien le front des Rois , que le deſtin accable ;
Sous les traits du malheur ſemble plus refpectable,
a Suivez-moi , me dit-il , &le fer à la main ,
Portant mon fils de Pautre, il nous fraye un ches
9039
2
2
Et ce mortel abject , tout fier de ouvrage ,
fon
Sembloit , en me ſauvant , égaler mon courage.
apne me ACTE II
WARVICK commence à s'applaudir
C
avec Summer d'avoir rétabli la paix entre
deux Nations rivales & hautaines , d'avoir
obtenu pour fon Maître la Soeur de Louis
XI , & de ſe voir à la fois l'arbitre , la
zerreur & le foutien des Rois. C'eſt dans
cet eſprit qu'il rend compte enſuite au Roi
du ſuccès de ſa négociation , & qu'il ſe
félicite de l'avoir ſervi dans la Cour des
Rois comme dans les combats. Edouard
loue ſon zèle , & conſent à ratifier la paix,
mais non à épouſer la Soeur de Louis XI .
Le Comte de Warvick inſiſte ſur la né
ceffité de fatisfaire au traité dont il fut
garant lui-même ; & le Roi , fans lui devoiler
tout-à-fait le myſtère de ſes nouvelles
amours , ſe retire en lui laiſſant
voir autantde trouble que d'amitié : War
vick reſte dans l'étonnement. Marguerite
vient l'en tirer , & s'exprime ainfier
MARGUERITE. ( Elle continue àparler
d'Edouard.)
Onditque ſur ſon coeur l'amour leplus ardent
Prend, depuis quelques jours, un ſuprême afcen
dant....
1.
On dit plus , & peut- être allez-vous en douter :
Ondit que cet objet, qu'il eût dû reſpecter,
Avoit promis ſa main , gage d'unfeufincère,
Auplus grand des Guerriers qu'ait produit l'Angle
terre ,
A qui même Edouard doit toute fa grandeur :
Qu'Edouard lâchement trahit ſon bienfaiteur :
Que pour prix de ſon zèle , & d'une foi conſtantel
Il lui ravit enfin ſa femme& ſon amante!
Ce ſont-là ſes projets , ſes voeux & ſon eſpoir,
Et c'eſt Elifabeth qu'il époufe ce ſoir.
•
: • • :
Pourquoi trouveriez -vous ce récit incroyable?
Lorſque l'on a trahi ſon Prince & ſon devoir ,
Voilà, voilà le prix qu'on en doit recevoir.
Si Warvick eût ſuivi de plusjuſtes maximes ,
S'il eût cherché pour moi des exploits légitimes,
४
Il me connoît aſſez , pour croire quemon cosur
D'unplus digne retour eût payé ſa valeur.
Adieu. Dans peu d'inftans vous pourrez reconnoî
tre
Cequ'a produit pour vous le choix d'un nouveau
Maître;
Vous apprendrez bien-tôt qui vous deviez ſervir.
Vous apprendrez du moins qui vous devez hair .
Je rends grace au deſtin. Oui , ſa faveur commence
Amefaireaujourd'hui goûter quelque vengeance ;
Et j'ai vû l'ennemi qui combattit ſon Roi,
Puni parun ingrat qu'il ſervît contre moi.
Warvick veut encore douter des dif
cours de Marguerite , & de l'ingratitude
de fon ami ; mais Summer & enſuite Eli
ſabeth viennent confirmer tout ce qu'il
a appris . Warvick jure d'en tirer ven
geance. Elifabeth s'efforce en vain de le19
calmer , & Warvick fort en menaçant.
Cof
3????? ?????????????
MA
ACTE III
ARGUERITE s'applaudit d'avoir irrite
Warvick , & peint ainſi le génie des
Anglois dont il eſt l'idole .
MARGUERITE, a Néville.
:
おす
)
Ne crois pas qu'Edouard triomphe impunément,
Mets-toi devant les yeux ce long enchaînement
De meurtres , de forfaits , dont la guerre civile
A, depuis fi long-tems , épouvanté cette Iſle.
Songe au ſang dont nos yeux ont vû couler des
flots ,
по
3
53
A
Sous le fer des foldats , ſous le fer des bourreaux ;
Ou d'un père ou d'un fils chacun pleure la perte ,
Et d'un deuil éternel l'Angleterre eſt couverte.
De vingt mille proſcrits les malheureux enfans
Brûlent tous en ſecret de venger leurs parens ;
Ils ont tous entendu , le jour de leur naiſſance ,
Autour de leur berceau le cri de la vengeance :
Tous ont été , depuis , nourris dans cet eſpoir ,
Et pour eux , en naiſſant , le meurtre eſt un devoirs
Je te dirai bien plus , le ſang & le ravage
Ont endurci ce Peuple , ont irrité ſa rage;
Et depuis ſi long-tems au carnage exercé;
II conferve la foifdu ſang qu'il a verſé.
Mais elle craint que ce Guerrier trop
ſuperbe n'éclate en menaces inſultantes
devant fon maître , & que le Roi ne le
faffe arrêter , elle fort : ( ce qui laiſſe le
Théatre vuide afſfez inutilement. C'eſt un
défaut dont les plus grands Maîtres ont
donné l'exemple , mais que leurs éleves ne
doivent jamais imiter. )Edouard cependant
qui vient d'apprendre de Suffolck
que Warvick ne lui a répondu que par
des emportemens , commande qu'on l'éloigne
Mais Warvick paroît , &
lui fait une longue énumération de ſes
ſervices , il lui rappelle ſes propres difcours
fur le champ de bataille où fon
pere venoit d'expirer , & ſe plaint de
fon ingratitude . Edouard lui fait une
réponſe très-moderée , quoique noble , &
qu'on ſera peut-être bien aiſe de trouver
ici.
?
...
Ceft EDOUARD qui parle.
Moderez devant moi ce tranſportqui m'offenfe.
Vantez moins vos exploits, j'en connois l'impor
tance;
Mais ſçachez qu'Edouard , arbitre de ſon fort,
Auroit trouvé ſans vous la victoire ou llaamort;
Vous n'enpouvezdouter, vous devez me connol
tre.
Eh! quels ſont donc enfin les torts de votre Mai-
; tre?
Je vous promis beaucoup: vous ai-je donnémoins ?
Lerang, où pres de moi vous ontplacé mes ſoins,
L'éclat de vos honneurs, vosbiens, votre puiſlance,
Sont-ils de vains effets de ma reconnoiſſance ?
Il eſt vrai, j'ai cherché l'Hymen d'Elifabeth.
N'ai-je pû faire au moins ce qu'a fait mon Sujet ,
Etm'est- il défendu d'écouter ma tendreſſe ,
De brûler pour l'objet où votre eſpoir s'adreſſe ?
Queme reprochez-vous? Suis-je injuſte ou cruel ?
L'ai-je, comme unTyran , fait traîner à l'autel ??
Je me fuis , comme vous , efforcé de lui plaire ,
Je me ſuis appuyé de l'aveu de ſon pere ;
J'ai demandé le ſien; & s'il faut dire plus ,
Elle n'a point encor expliqué ſes refus.
Laiſſez-moi juſques-là me flatter que ma flamme
Quemes foins , mes reſpects , n'offenſent point fon
ame;
Etqu'un coeur qui du vôtre a mérité les voeux,
Peut être , malgré vous, ſenſible à d'autres feux.
•
WARVICK & EDOUARD.
Jamais Elifabeth ne me ſera ravie ,
Onvous ne l'obtiendrez qu'aux dépen de maviej
Jamais impunémentje ne fus offenfé
יצ
Y
EDOUARD.
Jamais impunément je ne fus menacé ;
Et fi d'une amitié , qui me fut long-tems chère?
Le ſouvenir encor n'arrêtoit ma colère ,
Vous en auriez déjà reſſenti les effets ....
Peut-être cet effort vaut ſeul tous vos bienfaits.
Nepouſſez pas plus loinma bonté qui ſe laſſe
Et ne me forcez pas à punir votre audace.
Edouard peut d'un mot venger ſes droits bleſſés,
Etfût-il votre ouvrage ; il eſt Roi, frémiſſez.
Le Comte de Warvick lui répond
par des reproches encore plus amers ;
Edouard fait entrer ſesGardes ; Elifabeth
arrive avec eux : le Comte lui exagere
les torts de l'ingrat Yorck , & la quitte
pour courir à la vengeance. Edouard or
donne qu'on arrête le Comte de Warvick .
Elifabeth demeure avec le Roi pour l'appaifer
, & l'on vient leur annoncer que
Warvick s'eſt laiſſe conduire à la tour ,
mais que le peuple s'émeut en fa faveur :
le Roi fort pour aller le contenir.
SOIVAAT
0
C
ACTE IV.
WARVICK feul & dans la prifon , fe
retrace ainſi le fort de ſon premier maître :
.. C'eſt dans ces lieux, dans cette tour horrible
Qu'à vivre dans les fers par moi ſeul condamné
Lemalheureux Henri languit abandonné ,
L'Oppreſſeur , l'Opprimé n'ont plus qu'un même
afyle.
Hélas ! dans ſon malheur il eſt calme& tranquille,
Il eſt loin de penſer qu'un revers plein d'horreur
Enchaîne auprès de lui ſon ſuperbe vainqueur.
Summer vient lui apprendre que le parti
de Marguerite doit bientôt le délivrer.
Warvick le conjure par les pleurs qu'il
verſe encore devant lui , de hâter le moment
de ſa liberté. Summer lui promet
tout , & fort pour lui obéir.
Plus calme après ces eſpérances , Warwick
réfléchit ſur l'illuſion qui l'a confolé
; Elifabeth arrive,
L'objet de cette Scène n'eſt ni précis ,
ni déterminé ; mais l'art de l'Auteur , la
figure aimable & la voix touchante de MademoiſelleDubois,
fur-tout les talens ſupérieurs
de M. Le Kain , qu'on peut appellerleGarrickFrançois
, concourent àpal
lier ce léger défaut .
Enfin des Gardes viennent chercher
Elifabeth pour la conduire auprès du
Roi ; Warvick retombe dans ſes incertitudes
, & dans l'agitation . Alors
des Gardes enfoncent la prifon , & Summer
à leur tête parle ainfi.
SCENE VII.
SUMMER..
J'apporte la vengeance ,
Ami , prenez ce fer ; foyez libre & vainqueur .
WARVICK.
Tout estdonc réparé ? .. Cherami , quel bonheut !
SUMMER.
Votre nom, votre gloire, & la Reine & moi-même ,
Tout range ſous vos loix un peuple qui vous aime
Marguerite , échappée aux Gardes du Palais ,
D'abord, à votre nom , raſſemble les Anglois ,
Jemejoins à ſes cris : tout s'émeut, tout s'emprefle,
Tous veulent vous offrir une main vengereſſe.
On attaque , on aſſiége Edouard allarmé
Avec Elifabeth au Palais renfermé.
Paroiſſez ; c'eſt à vous d'achever la victoire.
mivenez chercher la vengeance & la gloire.
WARVICK.
Voilàdonc où ſa faute & le fort l'ont réduit :
De ſon ingratitude il voît enfin le fruit.
Il l'a trop mérité. Marchons ... Warvick, arrête.
Tu vas donc d'une femme achever la conquête
Ecrafer fans effort un rival abbatu?
20 Sont-ce làdes exploits dignes de ta vertu ?
Eft-ce un ſi beautriomphe offert à ta vaillance ;
D'immoler Edouard, quand il eſt ſans défenſe ?
Ah!j'embraffe unprojetplus grand,plus généreux.
Voici de mes inftans l'inſtant le plus heureux.
Ce jour de mes malheurs eſt le jour de ma gloire.
C'eſt moiqui vais fixer le fort & la victoire.
Le deſtin d'Edouard ne dépend que de moi.
J'ai guidé ſa jeuneſſe & mon bras l'a fait Roi ;
J'al conſervé ſes jours & je vais les défendre .
Je luidonnai le ſceptre , &je vais le lui rendre
Detous les ennemis confondre les projets,
Et je veux le punit à force de bienfaitsig
Il connoîtra mon coeur autant que mon courage W
Une ſeconde fois il ſera monouvrage, Do
Qu'il va ſe repentir de m'avoir outrage
Combien it va rougir ! ... Amis , je ſuis venge.
Allons, braves Anglois , c'eſt Warvick qui vous
guide,
Ne déſavouez point votre Chef intrépide.
Sivous aimez l'honneur, venez tous avec mo
Et combattre Lançaſtre, & fauver votre Roi
Fin du quatrième Alte
uby
ACTE V
ELISABETH qui ne connoîtdeWarvick
que fa fureur &fes projets de vengeance ,
tremble également pour les jours de fon
amant , &pour ceux de fon Roi. Suffolck
vient la raſſurer par le récit de ce qui
s'eſt paffé ſous les yeux, Warvick a
diffipe le parti de Marguerite qui affiés
geoit Edouard dans ſon palais , & l'a
couronné pour la feconde fois. Elifabeth
ſe livre à la joie. Edouard l'augmente
encore en lui déclarant qu'il eſt prêt à
épouſer la foeur de Louis XI , & à
l'unir au Comte de Warvick. Marguerite
priſonniere , mais triomphante , leur apprend
qu'elle s'eſt vengée du Comte de
Warvick , & qu'il eſt expirant,
Voici les vers qui ſont dans la bouche
du Comte de Warvick qu'on amene ſur
le Théatre , & qui terminent la piece :
... Ecoutez moins de vains reſſentimens.
Renvoyez à Louis cette femme cruelle ,
Il pourroit la venger , ne craignez plus riend'elle.
Cepeuplequi m'aima ,la déteſte aujourd'hui
Quim'adonné la mort ne peut régner ſur lui,
Pleurez moinsmon trépas. Macarriere eſt finic
Aumoment leplus beaudont s'illuſtrama vie.
Mavoix a fait encor le deſtin des Anglois :
Etj'emporte au tombeau ma gloire & vos regrets
Π
WARVICK continueens'adreſſant à EDOUARD.
N'accuſons de vos maux que yous & que moi
même.
Votre amour fut aveugle &mon orgueil extrême,
Vous aviez oublié mes ſervices : &moi
J'oubliai trop , hélas ! que vous étiez monRei,
J'ai l'honneur d'être ,
MESSIEURS,
Votre très-humble & très
obéiſſant Serviteur ,
JOUBERT.
AUX AUTEURS
DU MERCURE
DE FRANCE ,
SUR LE
COMTE DE WARVICK,
TRAGÉDIE NOUVELLE ,
EN CINQ ACTES ET EN VERS
Repréſentée , pour la première fois , le Lundi
2 Novembre 1763.
M. DCC . LXIII.
TELEEH
LETTRE
AUX AUTEURS
DU
MERCURE DE FRANCE.
VOICI , Meſſieurs , une nouvelle preuve
de cette vérité que Corneille a devinée
parſentiment &qu'il a fi bien placée dans
ſaTragédie duCid : e'eſt le Cid qui parle :
«Mes pareils à deux fois ne ſe font point connoître;
»Et pour leurs coups d'eſſai veulent des coups de
Maître. >>>
C'eſt ainſi que les Racine & les Voltaires'annonçoient
ſur laScène Françoiſe.
Monfieur de la Harpe paroît avoir bien
étudié la manière de ces grands Peintres
del'ame, & ſe voit, comme eux, couronné
A iij
dès le premier pas qu'il a fait dans la car
rière du Théatre .
La Tragédie de Warvick, dont je vais
faire l'analyſe exacte , eſt un Ouvrage
qu'on ne devoit pas attendre d'un Ecolier
àpeine forti des Univerſités. Il est vrai
que ſes premiers Maîtres n'avoient pas
méconnu fon génie , & que M. de la
Harpe , avant l'âge de vingt ans , avoit
rendu fon nom celebre & intéreſſant dans
les faſtes de cette Ecole de goût & de
moeurs , qui compte plus d'un Rollin parmi
ſes Chefs .
Tout le monde paroît demeurer d'ac
cord que le plan de cette Tragédie eft
heureuſement conçu , que les caractères
en font nobles , & auffi - bien foutenus
que contraſtés , les ſentimens vrais
& grands fans enfure , le ſtyle élégant
& la verſification facile , mais toujours
harmonieuſe . Ceux qui s'intéreſſent à la
gloire de notre Theatre voient avec plaifir
s'élever un jeune Poëte , qui a le courage
de ſacrifier à la préciſion de ſes
dialogues ces maximes & ces ſentences
tant rebattues & toujours applaudies .
Ils lui ſçauront gré ſans doute d'avoir
composé dans un genre preſque oublié de
nos jours , & qui a fait place aux monf
trueuſes &burleſques Pantomimes qu'on
nous apporte d'Angleterre ou d'Italie .
Mais outre le mérite réel de cette Tragé
die , il en eſt un qui appartient plus aux
moeurs qu'au génie ; l'Auteur ſemble ne
s'être écarté de l'hiſtoire que pour donner
à Warvick toute la grandeurdont une
ame eft capable. Auguſte qui pardonne a
Cinna , n'eſt pas plus généreux que Warvick
empriſonné par Edouard , & qui ne
fort de ſa priſon que pour le couronner
une ſeconde fois . Les acclamations univerfelles
données au Comte de Warvick
dans ce moment , font un témoignage
irrécuſable contre les détracteurs
de la Scène Françoiſe . Ce n'eſtpoint affez
qu'un beau diſcours devenu preſque une
action par la véhémente éloquence de
l'Orateur , nous imprime des leçons de
vertu , ce ſont des exemples de générofité
qui nous frappent au Théatre , qui rappellent
l'homme à ſa première dignité :
ce font peut - être ces applaudiſſemens
unanimes & forcés que nous donnons à
la vertu qui nous emportent juſqu'à elle ,
qui nous rendent capables d'y atteindre ,
& font du Théatre même une école de
moeurs , que rien ne peut remplacer.
A iiij
NOMS DES ACTEURS.
YORCK , Roi d'Angleterre , ſous le nom
d'Edouard.
MARGUERITE D'AN JOU , femme de
Lancaftre , Roi d'Angleterre, ſous le nom
de HENRY.
LE COMTE DE WARVICK.
SUFFOLK , Confident d'Edouard.
SUMMER , Ami de Warvick.
ELISABETH , Amante de Warwick.
NEVILLE , Confidente de Margueritean
GARDES.
?
A
C
Ho La Scène est à Londres.
?
1612
ACTE PREMIER
MARGUERITE ouvre la ſcèneavecNéville
ſa confidente , & lui découvre les
ſecrets motifs de ſa joie &de ſes nouvelles
eſpérances : Edouard vainqueur de
Henri VI , & placé ſur ſon Trône par la
valeur & l'amitié de Warvick , va dans
l'absence de ce guerrier lui ravir ſa Maîtreffe
, & doit ce jour même épouſer Elifabeth
de Gray. Marguerite ſe flatte que
Warvick , irrité d'un affront fi peu attendu
, va travailler avec elle à rétablir
fon mari ſur le Trône d'Angleterre :
c'eſt pourquoi elle ſe propoſe d'obtenir
d'Edouard la liberté de paſſer en France
pour y joindre le Comte de Warvick ,
& l'inſtruire des amours & de l'ingratitude
du Maître qu'il s'eſt donné.
Edouard , ſans lui refuſer ni lui accorder
ſa demande , lui fait entendre que
le moment de la paix ſera celui de ſa liberté.
Le Roi ouvre à Suffolck les replis
de ſon coeur , il lui confie ſes projets , ſes
craintes , ſes combats, la violence de fon
amour . C'eſt ſurtout l'amitié de Warvick
qui lui peſe ; c'eſt Warvick , c'eſt un ami
Av
A
qu'il craint d'offenſer ; mais il eſpere le
fléchir & ordonne à Suffolck de ſe rendre
à la Cour de France , &c. &c. Alors
on apprend que le Comte vient d'arriver
dans Londres aux acclamations de tout le
Peuple , & le Roi ſe retire dans le plus
grand trouble .
Telle eſt la marche du premier Acte ,
nous n'en citerons qu'un trait rendu ſublime
par Mademoiselle Dumeſnil , &
qui le paroîtra peut - être encore ſans
elle.
Cet MARGUERITE qui parle.
Demomens en momens j'attendois le trépas ;
Unbrigand ſe préſente ,& fon avide joie
Brille dans ſes regards à l'aſpect de ſa proie.
Il eſt prêt à frapper : je reſtai ſans frayeur ,
Un eſpoir imprévu vint ranimer mon coeur.
Sans guide , fans ſecours ,dans ce lieu folitaire,
J'oſai dans ce brigand voir un Dieu tutélaire.
« Tiens , approche , ( lui dis-je, en lui montrant
mon fils , 1
Qu'à peine ſoutenoient mes bras appeſantis,)
Ofe fauver ton Prince , oſe ſauver ſamere.>>>>
J'étonnai , j'attendris ce mortel ſanguinaire ,
Mon inttépidité le rendit généreux. alloy
LeCiel veilloit alors fur mon fils malheureux,
Oubien le front des Rois , que le deſtin accable ;
Sous les traits du malheur ſemble plus refpectable,
a Suivez-moi , me dit-il , &le fer à la main ,
Portant mon fils de Pautre, il nous fraye un ches
9039
2
2
Et ce mortel abject , tout fier de ouvrage ,
fon
Sembloit , en me ſauvant , égaler mon courage.
apne me ACTE II
WARVICK commence à s'applaudir
C
avec Summer d'avoir rétabli la paix entre
deux Nations rivales & hautaines , d'avoir
obtenu pour fon Maître la Soeur de Louis
XI , & de ſe voir à la fois l'arbitre , la
zerreur & le foutien des Rois. C'eſt dans
cet eſprit qu'il rend compte enſuite au Roi
du ſuccès de ſa négociation , & qu'il ſe
félicite de l'avoir ſervi dans la Cour des
Rois comme dans les combats. Edouard
loue ſon zèle , & conſent à ratifier la paix,
mais non à épouſer la Soeur de Louis XI .
Le Comte de Warvick inſiſte ſur la né
ceffité de fatisfaire au traité dont il fut
garant lui-même ; & le Roi , fans lui devoiler
tout-à-fait le myſtère de ſes nouvelles
amours , ſe retire en lui laiſſant
voir autantde trouble que d'amitié : War
vick reſte dans l'étonnement. Marguerite
vient l'en tirer , & s'exprime ainfier
MARGUERITE. ( Elle continue àparler
d'Edouard.)
Onditque ſur ſon coeur l'amour leplus ardent
Prend, depuis quelques jours, un ſuprême afcen
dant....
1.
On dit plus , & peut- être allez-vous en douter :
Ondit que cet objet, qu'il eût dû reſpecter,
Avoit promis ſa main , gage d'unfeufincère,
Auplus grand des Guerriers qu'ait produit l'Angle
terre ,
A qui même Edouard doit toute fa grandeur :
Qu'Edouard lâchement trahit ſon bienfaiteur :
Que pour prix de ſon zèle , & d'une foi conſtantel
Il lui ravit enfin ſa femme& ſon amante!
Ce ſont-là ſes projets , ſes voeux & ſon eſpoir,
Et c'eſt Elifabeth qu'il époufe ce ſoir.
•
: • • :
Pourquoi trouveriez -vous ce récit incroyable?
Lorſque l'on a trahi ſon Prince & ſon devoir ,
Voilà, voilà le prix qu'on en doit recevoir.
Si Warvick eût ſuivi de plusjuſtes maximes ,
S'il eût cherché pour moi des exploits légitimes,
४
Il me connoît aſſez , pour croire quemon cosur
D'unplus digne retour eût payé ſa valeur.
Adieu. Dans peu d'inftans vous pourrez reconnoî
tre
Cequ'a produit pour vous le choix d'un nouveau
Maître;
Vous apprendrez bien-tôt qui vous deviez ſervir.
Vous apprendrez du moins qui vous devez hair .
Je rends grace au deſtin. Oui , ſa faveur commence
Amefaireaujourd'hui goûter quelque vengeance ;
Et j'ai vû l'ennemi qui combattit ſon Roi,
Puni parun ingrat qu'il ſervît contre moi.
Warvick veut encore douter des dif
cours de Marguerite , & de l'ingratitude
de fon ami ; mais Summer & enſuite Eli
ſabeth viennent confirmer tout ce qu'il
a appris . Warvick jure d'en tirer ven
geance. Elifabeth s'efforce en vain de le19
calmer , & Warvick fort en menaçant.
Cof
3????? ?????????????
MA
ACTE III
ARGUERITE s'applaudit d'avoir irrite
Warvick , & peint ainſi le génie des
Anglois dont il eſt l'idole .
MARGUERITE, a Néville.
:
おす
)
Ne crois pas qu'Edouard triomphe impunément,
Mets-toi devant les yeux ce long enchaînement
De meurtres , de forfaits , dont la guerre civile
A, depuis fi long-tems , épouvanté cette Iſle.
Songe au ſang dont nos yeux ont vû couler des
flots ,
по
3
53
A
Sous le fer des foldats , ſous le fer des bourreaux ;
Ou d'un père ou d'un fils chacun pleure la perte ,
Et d'un deuil éternel l'Angleterre eſt couverte.
De vingt mille proſcrits les malheureux enfans
Brûlent tous en ſecret de venger leurs parens ;
Ils ont tous entendu , le jour de leur naiſſance ,
Autour de leur berceau le cri de la vengeance :
Tous ont été , depuis , nourris dans cet eſpoir ,
Et pour eux , en naiſſant , le meurtre eſt un devoirs
Je te dirai bien plus , le ſang & le ravage
Ont endurci ce Peuple , ont irrité ſa rage;
Et depuis ſi long-tems au carnage exercé;
II conferve la foifdu ſang qu'il a verſé.
Mais elle craint que ce Guerrier trop
ſuperbe n'éclate en menaces inſultantes
devant fon maître , & que le Roi ne le
faffe arrêter , elle fort : ( ce qui laiſſe le
Théatre vuide afſfez inutilement. C'eſt un
défaut dont les plus grands Maîtres ont
donné l'exemple , mais que leurs éleves ne
doivent jamais imiter. )Edouard cependant
qui vient d'apprendre de Suffolck
que Warvick ne lui a répondu que par
des emportemens , commande qu'on l'éloigne
Mais Warvick paroît , &
lui fait une longue énumération de ſes
ſervices , il lui rappelle ſes propres difcours
fur le champ de bataille où fon
pere venoit d'expirer , & ſe plaint de
fon ingratitude . Edouard lui fait une
réponſe très-moderée , quoique noble , &
qu'on ſera peut-être bien aiſe de trouver
ici.
?
...
Ceft EDOUARD qui parle.
Moderez devant moi ce tranſportqui m'offenfe.
Vantez moins vos exploits, j'en connois l'impor
tance;
Mais ſçachez qu'Edouard , arbitre de ſon fort,
Auroit trouvé ſans vous la victoire ou llaamort;
Vous n'enpouvezdouter, vous devez me connol
tre.
Eh! quels ſont donc enfin les torts de votre Mai-
; tre?
Je vous promis beaucoup: vous ai-je donnémoins ?
Lerang, où pres de moi vous ontplacé mes ſoins,
L'éclat de vos honneurs, vosbiens, votre puiſlance,
Sont-ils de vains effets de ma reconnoiſſance ?
Il eſt vrai, j'ai cherché l'Hymen d'Elifabeth.
N'ai-je pû faire au moins ce qu'a fait mon Sujet ,
Etm'est- il défendu d'écouter ma tendreſſe ,
De brûler pour l'objet où votre eſpoir s'adreſſe ?
Queme reprochez-vous? Suis-je injuſte ou cruel ?
L'ai-je, comme unTyran , fait traîner à l'autel ??
Je me fuis , comme vous , efforcé de lui plaire ,
Je me ſuis appuyé de l'aveu de ſon pere ;
J'ai demandé le ſien; & s'il faut dire plus ,
Elle n'a point encor expliqué ſes refus.
Laiſſez-moi juſques-là me flatter que ma flamme
Quemes foins , mes reſpects , n'offenſent point fon
ame;
Etqu'un coeur qui du vôtre a mérité les voeux,
Peut être , malgré vous, ſenſible à d'autres feux.
•
WARVICK & EDOUARD.
Jamais Elifabeth ne me ſera ravie ,
Onvous ne l'obtiendrez qu'aux dépen de maviej
Jamais impunémentje ne fus offenfé
יצ
Y
EDOUARD.
Jamais impunément je ne fus menacé ;
Et fi d'une amitié , qui me fut long-tems chère?
Le ſouvenir encor n'arrêtoit ma colère ,
Vous en auriez déjà reſſenti les effets ....
Peut-être cet effort vaut ſeul tous vos bienfaits.
Nepouſſez pas plus loinma bonté qui ſe laſſe
Et ne me forcez pas à punir votre audace.
Edouard peut d'un mot venger ſes droits bleſſés,
Etfût-il votre ouvrage ; il eſt Roi, frémiſſez.
Le Comte de Warvick lui répond
par des reproches encore plus amers ;
Edouard fait entrer ſesGardes ; Elifabeth
arrive avec eux : le Comte lui exagere
les torts de l'ingrat Yorck , & la quitte
pour courir à la vengeance. Edouard or
donne qu'on arrête le Comte de Warvick .
Elifabeth demeure avec le Roi pour l'appaifer
, & l'on vient leur annoncer que
Warvick s'eſt laiſſe conduire à la tour ,
mais que le peuple s'émeut en fa faveur :
le Roi fort pour aller le contenir.
SOIVAAT
0
C
ACTE IV.
WARVICK feul & dans la prifon , fe
retrace ainſi le fort de ſon premier maître :
.. C'eſt dans ces lieux, dans cette tour horrible
Qu'à vivre dans les fers par moi ſeul condamné
Lemalheureux Henri languit abandonné ,
L'Oppreſſeur , l'Opprimé n'ont plus qu'un même
afyle.
Hélas ! dans ſon malheur il eſt calme& tranquille,
Il eſt loin de penſer qu'un revers plein d'horreur
Enchaîne auprès de lui ſon ſuperbe vainqueur.
Summer vient lui apprendre que le parti
de Marguerite doit bientôt le délivrer.
Warvick le conjure par les pleurs qu'il
verſe encore devant lui , de hâter le moment
de ſa liberté. Summer lui promet
tout , & fort pour lui obéir.
Plus calme après ces eſpérances , Warwick
réfléchit ſur l'illuſion qui l'a confolé
; Elifabeth arrive,
L'objet de cette Scène n'eſt ni précis ,
ni déterminé ; mais l'art de l'Auteur , la
figure aimable & la voix touchante de MademoiſelleDubois,
fur-tout les talens ſupérieurs
de M. Le Kain , qu'on peut appellerleGarrickFrançois
, concourent àpal
lier ce léger défaut .
Enfin des Gardes viennent chercher
Elifabeth pour la conduire auprès du
Roi ; Warvick retombe dans ſes incertitudes
, & dans l'agitation . Alors
des Gardes enfoncent la prifon , & Summer
à leur tête parle ainfi.
SCENE VII.
SUMMER..
J'apporte la vengeance ,
Ami , prenez ce fer ; foyez libre & vainqueur .
WARVICK.
Tout estdonc réparé ? .. Cherami , quel bonheut !
SUMMER.
Votre nom, votre gloire, & la Reine & moi-même ,
Tout range ſous vos loix un peuple qui vous aime
Marguerite , échappée aux Gardes du Palais ,
D'abord, à votre nom , raſſemble les Anglois ,
Jemejoins à ſes cris : tout s'émeut, tout s'emprefle,
Tous veulent vous offrir une main vengereſſe.
On attaque , on aſſiége Edouard allarmé
Avec Elifabeth au Palais renfermé.
Paroiſſez ; c'eſt à vous d'achever la victoire.
mivenez chercher la vengeance & la gloire.
WARVICK.
Voilàdonc où ſa faute & le fort l'ont réduit :
De ſon ingratitude il voît enfin le fruit.
Il l'a trop mérité. Marchons ... Warvick, arrête.
Tu vas donc d'une femme achever la conquête
Ecrafer fans effort un rival abbatu?
20 Sont-ce làdes exploits dignes de ta vertu ?
Eft-ce un ſi beautriomphe offert à ta vaillance ;
D'immoler Edouard, quand il eſt ſans défenſe ?
Ah!j'embraffe unprojetplus grand,plus généreux.
Voici de mes inftans l'inſtant le plus heureux.
Ce jour de mes malheurs eſt le jour de ma gloire.
C'eſt moiqui vais fixer le fort & la victoire.
Le deſtin d'Edouard ne dépend que de moi.
J'ai guidé ſa jeuneſſe & mon bras l'a fait Roi ;
J'al conſervé ſes jours & je vais les défendre .
Je luidonnai le ſceptre , &je vais le lui rendre
Detous les ennemis confondre les projets,
Et je veux le punit à force de bienfaitsig
Il connoîtra mon coeur autant que mon courage W
Une ſeconde fois il ſera monouvrage, Do
Qu'il va ſe repentir de m'avoir outrage
Combien it va rougir ! ... Amis , je ſuis venge.
Allons, braves Anglois , c'eſt Warvick qui vous
guide,
Ne déſavouez point votre Chef intrépide.
Sivous aimez l'honneur, venez tous avec mo
Et combattre Lançaſtre, & fauver votre Roi
Fin du quatrième Alte
uby
ACTE V
ELISABETH qui ne connoîtdeWarvick
que fa fureur &fes projets de vengeance ,
tremble également pour les jours de fon
amant , &pour ceux de fon Roi. Suffolck
vient la raſſurer par le récit de ce qui
s'eſt paffé ſous les yeux, Warvick a
diffipe le parti de Marguerite qui affiés
geoit Edouard dans ſon palais , & l'a
couronné pour la feconde fois. Elifabeth
ſe livre à la joie. Edouard l'augmente
encore en lui déclarant qu'il eſt prêt à
épouſer la foeur de Louis XI , & à
l'unir au Comte de Warvick. Marguerite
priſonniere , mais triomphante , leur apprend
qu'elle s'eſt vengée du Comte de
Warvick , & qu'il eſt expirant,
Voici les vers qui ſont dans la bouche
du Comte de Warvick qu'on amene ſur
le Théatre , & qui terminent la piece :
... Ecoutez moins de vains reſſentimens.
Renvoyez à Louis cette femme cruelle ,
Il pourroit la venger , ne craignez plus riend'elle.
Cepeuplequi m'aima ,la déteſte aujourd'hui
Quim'adonné la mort ne peut régner ſur lui,
Pleurez moinsmon trépas. Macarriere eſt finic
Aumoment leplus beaudont s'illuſtrama vie.
Mavoix a fait encor le deſtin des Anglois :
Etj'emporte au tombeau ma gloire & vos regrets
Π
WARVICK continueens'adreſſant à EDOUARD.
N'accuſons de vos maux que yous & que moi
même.
Votre amour fut aveugle &mon orgueil extrême,
Vous aviez oublié mes ſervices : &moi
J'oubliai trop , hélas ! que vous étiez monRei,
J'ai l'honneur d'être ,
MESSIEURS,
Votre très-humble & très
obéiſſant Serviteur ,
JOUBERT.
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Résumé : LETTRE AUX AUTEURS DU MERCURE DE FRANCE SUR LE COMTE DE WARVICK TRAGÉDIE NOUVELLE EN CINQ ACTES ET EN VERS Représentée, pour la première fois, le lundi 7 Novembre 1763.
La lettre aux auteurs du Mercure de France présente la tragédie 'Le Comte de Warwick', représentée pour la première fois le 2 novembre 1763. L'auteur de la pièce, Jean-François de La Harpe, est comparé à Corneille, Racine et Voltaire, soulignant son talent précoce et prometteur. La tragédie est appréciée pour son plan bien conçu, ses personnages nobles et contrastés, ainsi que pour son style élégant et sa versification harmonieuse. Elle se distingue par des dialogues précis et l'absence de maximes rebattues. L'intrigue se déroule à Londres en 1612 et met en scène des personnages historiques tels que le roi Édouard, Marguerite d'Anjou, le comte de Warwick, et Élisabeth. Marguerite, épouse de Henri VI, espère que Warwick, irrité par l'infidélité d'Édouard, l'aidera à restaurer son mari sur le trône. Édouard est partagé entre son amour pour Élisabeth et son amitié pour Warwick. La pièce explore les thèmes de la loyauté, de l'ingratitude et de la générosité, avec Warwick incarnant une grandeur d'âme comparable à celle d'Auguste pardonnant Cinna. Les actes suivants développent les tensions entre Warwick et Édouard, avec Marguerite manipulant les événements pour provoquer une rébellion. Warwick, après avoir été emprisonné, est libéré par le peuple et retourne sur le trône. La pièce illustre la capacité du théâtre à inspirer des leçons de vertu et de générosité. Warwick, confronté à des dilemmes moraux et politiques, hésite à se venger d'Édouard mais décide de le protéger et de restaurer son trône. Il rappelle son rôle crucial dans l'ascension d'Édouard et rallie les Anglais pour combattre les ennemis du roi. Élisabeth, amoureuse de Warwick, est rassurée par Suffolk qui lui raconte les actions héroïques de Warwick. Édouard, reconnaissant, accepte d'épouser la sœur de Louis XI et de l'unir à Warwick. Marguerite, prisonnière, révèle que Warwick est mortellement blessé. Sur son lit de mort, Warwick conseille Édouard de renvoyer la femme cruelle à Louis XI et exprime son regret pour les erreurs passées. Il meurt en héros, laissant derrière lui une nation reconnaissante.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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p. 61
LOGOGRYPHE.
Début :
Chez-moi, pour parvenir, il faut plus que ses piés, [...]
Mots clefs :
Angleterre