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2
p. 73-78
EXTRAIT DE LA LETTRE de Mr des Landes, Bourreau, écrite de Siam, en datte du 22. Decembre 1682.
Début :
Monsieur l'Evesque d'Heliopolis a présenté les Lettres qu'il [...]
Mots clefs :
Roi de Siam, Audience, Trône, François Pallu, Artus de Lionne, Barcalon
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texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT DE LA LETTRE de Mr des Landes, Bourreau, écrite de Siam, en datte du 22. Decembre 1682.
EXTRAIT DE LA LETTRE
de MrdgsuLandcs,Bourreaq,.
écrite de Siam, en datte du22.
Décembre 1682. MOnjieurl'Eiefqtie dHe-
.lifJpolÚ a préfente les Let-
L 1 y très qu'ilavait de Sa Majefle
Très- Cbreflienne pour le Roy de
Sidm, & elles ont cJlé nçetlé's de
la mesme maniéré vue les premierea
le furent. Cet Evejque
tut le lendemain audience de ce
Monarque, à laquelle M11Ahbe
deLyonne seul affilia.
- Ilyavoit déja que
le Barcatlon m'avoit dit.que le
Roy Jon Mtiflrc,, avant que
d'aller à Lavau, me donneroit
une marque de l'eslime qu'ilfaisoit
de nostre Nation, & de la
considération particuliere qu'il
avoit pour moy i
lors qu'onniavertit
de me trouver le 11. Octobre
au Palau du Roy. Les
jimbaffadeurs du Roy de Damby
devoient le mejme jour avoir
audience. Je m'y rendis dés le
matin3 & après avoir passé
pltifieurs Courts, dans l'une desquelles,
qui efloit vis-a-vis le
Trône du Roy, il y avait pluGALANT.
7*
fleurs Soldats fous les armes9
l'on me fit ajifeoir dans un endroit
tout couvert de Tentes, au milieu
de plus de six cens Mandarins.
Lon fitasseoir les Ambajifadeurs
de Dam»y douze à quinze pas
derriere moy 3
cesi à dire que
feflois plus près du Trône du Roy
dequinze pas.Aufilialdequel-
,qua Inftrtmens,plusieurs riches
Rideaux qui couvroientleTrone
de ce 'Prince, Je tinrenty 19 sa
Majerréy parut avecbeaucoup
<£éclat, tantpour la beauté du
Trône-; que pour la richeffi du
Pirrrerie$;, dontJa tesie efes
habits efioient couverts. Apres
plujîeursfanfares de Trompettes]
le Barcdllonprit laparole, dr luy
dit, que félon l'ordre de Sa Majessé,
je me prêfcntois asespieds
pour recevoirses faveurs. Ce
Prince me fit quelques quefiions
sur le Roy de France, esur le
grttnti nombre de ses Conquefles.
jipras que j'eus repondu a ce
qu'il me demandait, l'onmit devant
moy une 73andeige d'ttrgent,
dans laquelle ily avoit un Juftrau
-corpsfait d'un 'Brocard d'or&
d'argent, dont mus luy avions
flcfiité quelques Pieces en arri- ,vanticyyun$>nbre à la manicredes
Indes, garny, d'or,
[Ayant élevé trois fois le t&ut a
la hauteur de ma tesse, l'en me
rcvejlit du Jufte-at4-corps,&je
recommençay la revérence a la
mode du Pais.Apres cela, le
Roy dit quelque chose aux AmbassadeursdeDxmlyy
r chacun
d'eux fut revcfîu de la mcfme
jorte d'un Jufie-aucorps de peu
devaleur,d,t,,sOignaldesInftm-*
1 mens que l'on avoit entenhis
d'abord, les i'i?l(rncs Rideaux rc-
cCoOutvrurirrlerfnntl.tele TTrrêcnneeRROoyYatil!.:TTcouutt
le monde a eite étonné de cet
honneur, que je ne puis attribuer
qua la haute efiime que le Roy
de Siam a peur Sa AIajefléTresChrefficnne,
dontle*Ân'A'Sn Cles
Hollandois ne peuvent s'emp:
fcher de parler avec ad miration.
Le Roy a ordonne que l'on
batij} une E'jJife pour M¡' Ics
Evcj-fJiucs* ¡rroche du Seminaire J e s!e,,,~ï ; .,,i ~,~
1*re
qu'il leur avoit déjà jatt bliïïry
& une Adaifonpoury recevoir
les ;4mbafpideurs qu'il s'attend
quenojlre invincible Monarque
luy envoyera. Il faitfaire de la
Vaiffille d'argent pour leurfervice.
Le Barcallon ma fandonner
une grandeMaijon di bois,
que fay fait élever dans nOJqre
Enclos.
de MrdgsuLandcs,Bourreaq,.
écrite de Siam, en datte du22.
Décembre 1682. MOnjieurl'Eiefqtie dHe-
.lifJpolÚ a préfente les Let-
L 1 y très qu'ilavait de Sa Majefle
Très- Cbreflienne pour le Roy de
Sidm, & elles ont cJlé nçetlé's de
la mesme maniéré vue les premierea
le furent. Cet Evejque
tut le lendemain audience de ce
Monarque, à laquelle M11Ahbe
deLyonne seul affilia.
- Ilyavoit déja que
le Barcatlon m'avoit dit.que le
Roy Jon Mtiflrc,, avant que
d'aller à Lavau, me donneroit
une marque de l'eslime qu'ilfaisoit
de nostre Nation, & de la
considération particuliere qu'il
avoit pour moy i
lors qu'onniavertit
de me trouver le 11. Octobre
au Palau du Roy. Les
jimbaffadeurs du Roy de Damby
devoient le mejme jour avoir
audience. Je m'y rendis dés le
matin3 & après avoir passé
pltifieurs Courts, dans l'une desquelles,
qui efloit vis-a-vis le
Trône du Roy, il y avait pluGALANT.
7*
fleurs Soldats fous les armes9
l'on me fit ajifeoir dans un endroit
tout couvert de Tentes, au milieu
de plus de six cens Mandarins.
Lon fitasseoir les Ambajifadeurs
de Dam»y douze à quinze pas
derriere moy 3
cesi à dire que
feflois plus près du Trône du Roy
dequinze pas.Aufilialdequel-
,qua Inftrtmens,plusieurs riches
Rideaux qui couvroientleTrone
de ce 'Prince, Je tinrenty 19 sa
Majerréy parut avecbeaucoup
<£éclat, tantpour la beauté du
Trône-; que pour la richeffi du
Pirrrerie$;, dontJa tesie efes
habits efioient couverts. Apres
plujîeursfanfares de Trompettes]
le Barcdllonprit laparole, dr luy
dit, que félon l'ordre de Sa Majessé,
je me prêfcntois asespieds
pour recevoirses faveurs. Ce
Prince me fit quelques quefiions
sur le Roy de France, esur le
grttnti nombre de ses Conquefles.
jipras que j'eus repondu a ce
qu'il me demandait, l'onmit devant
moy une 73andeige d'ttrgent,
dans laquelle ily avoit un Juftrau
-corpsfait d'un 'Brocard d'or&
d'argent, dont mus luy avions
flcfiité quelques Pieces en arri- ,vanticyyun$>nbre à la manicredes
Indes, garny, d'or,
[Ayant élevé trois fois le t&ut a
la hauteur de ma tesse, l'en me
rcvejlit du Jufte-at4-corps,&je
recommençay la revérence a la
mode du Pais.Apres cela, le
Roy dit quelque chose aux AmbassadeursdeDxmlyy
r chacun
d'eux fut revcfîu de la mcfme
jorte d'un Jufie-aucorps de peu
devaleur,d,t,,sOignaldesInftm-*
1 mens que l'on avoit entenhis
d'abord, les i'i?l(rncs Rideaux rc-
cCoOutvrurirrlerfnntl.tele TTrrêcnneeRROoyYatil!.:TTcouutt
le monde a eite étonné de cet
honneur, que je ne puis attribuer
qua la haute efiime que le Roy
de Siam a peur Sa AIajefléTresChrefficnne,
dontle*Ân'A'Sn Cles
Hollandois ne peuvent s'emp:
fcher de parler avec ad miration.
Le Roy a ordonne que l'on
batij} une E'jJife pour M¡' Ics
Evcj-fJiucs* ¡rroche du Seminaire J e s!e,,,~ï ; .,,i ~,~
1*re
qu'il leur avoit déjà jatt bliïïry
& une Adaifonpoury recevoir
les ;4mbafpideurs qu'il s'attend
quenojlre invincible Monarque
luy envoyera. Il faitfaire de la
Vaiffille d'argent pour leurfervice.
Le Barcallon ma fandonner
une grandeMaijon di bois,
que fay fait élever dans nOJqre
Enclos.
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Résumé : EXTRAIT DE LA LETTRE de Mr des Landes, Bourreau, écrite de Siam, en datte du 22. Decembre 1682.
Le 22 décembre 1682, le roi de Siam a accordé une audience à un représentant du roi de France, suivant le protocole habituel avec la présentation de lettres. Le lendemain, une audience privée a été organisée en présence du baron de Lyonne. Le roi de Siam a exprimé une marque d'estime envers la nation française et une considération particulière envers le représentant français. Le 11 octobre, ce dernier s'est rendu au palais royal, où il a été installé dans un endroit couvert de tentes, entouré de mandarins, tandis que les ambassadeurs de Damby étaient placés plus loin. Le roi de Siam, assis sur son trône richement décoré, a reçu une présentation du représentant français par le baron. Il a posé des questions sur le roi de France et ses conquêtes. En réponse, une grande robe d'honneur a été offerte au représentant français, qui a effectué les révérences appropriées. Les ambassadeurs de Damby ont été reçus avec moins d'honneur. Le roi de Siam a ordonné la construction d'une église pour les évêques français près du séminaire et a prévu une aumône pour les ambassadeurs attendus du roi de France. Il a également fait fabriquer de la vaisselle d'argent pour leur service. Le baron a offert au représentant français une grande maison en bois construite dans son enclos.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 16-17
POUR MONSEIGNEUR LE DAUPHIN.
Début :
Et pour vous Monseigneur, dont l'heureuse naissance [...]
Mots clefs :
Monseigneur, Naissance, Dieu, Trône, César
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texteReconnaissance textuelle : POUR MONSEIGNEUR LE DAUPHIN.
POUR MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.
Et pour vous . Monfeigneur , dont
L'heureufe naiffance
GALANT. 17
Et d'un fi beau préfage , eftant du
jour de Mars ;
Ce Dieu,dufecond Lot vous donnant
l'espérance,
Ioindra par ce Préfent au bonheur
de la France
Le Trône des Céfars
LE DAUPHIN.
Et pour vous . Monfeigneur , dont
L'heureufe naiffance
GALANT. 17
Et d'un fi beau préfage , eftant du
jour de Mars ;
Ce Dieu,dufecond Lot vous donnant
l'espérance,
Ioindra par ce Préfent au bonheur
de la France
Le Trône des Céfars
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4
p. 33-49
OENOPHILE CONTE.
Début :
Je vous envoye un Conte nouveau de Mr de la / Toutes les Grandeurs de la Terre [...]
Mots clefs :
Terre, Histoire, Rêve, Morale, Fortune, Gueux, Prédicateur, Conteur, Courtisans, Bonté, Duc, Enchantements, Galanterie, Catastrophe, Orgueil, Vainqueur, Opéra, Trône, Valets
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texteReconnaissance textuelle : OENOPHILE CONTE.
Je vous envoye un Conte
nouveau de M' de la Barre de
Tours. Ses Galans Ouvrages
ont tant d'agrément , & vous
avez toûjours pris tant de
plaifir à les lire , que je croy
vous en procurer un fort
grand , en vous faiſant part
de celuy- cy.
34 MERCURE
$25552555-2552 555
CNOPHILE
T
CONTE.
Outes les Grandeurs dé la
Terre
Sont auffifragiles que verre,
( De tel propos je n'auray pas les
Gants)
Etl'Hiftoirefournit mainte& mainte
Avanture
Parmy les Petits & les Grands,
Qui montre ce propos n'eftre pas imposture..
Suivons donc. Les grandeurs de l'Hu
maine Nature
N'ont rien que de prest àfinir;
Un mefme inftant les voit naiftre
& mourir;
GALANT. 35
C'est un refve qui plaist dans le moment
qu'il dure,
Etqui laiffe àfafuite un fâcheuxfou
venir;
C'est un abus, une peinture,
Une idée, unfantôme, une ombre,;
enfin un rien..
Quelque Cenfeur me defavoie,.
Et traite ma Morale en Morale de
Chien.
Quoy, ce gros Financier, dira- t- il,
&fon Bien
•
Sont des Chanfons ? Hé- oy. C'eft à
tort qu'on le loüc;
Je vais le montrer aujourd'huy;
Et le gueux Oenophile au milieu de fa
boue,
Quandil a bûdix coups , eftplus heureux
queluy.
Pafchal, un Autheur d'importance,
Dansfes Ecrits met peu de diférence
36 MERCURE
Entre le Gueux refvant la nuit
Poffederfous fon Toit tous les tréfors
de France,
Et le Riche avesfa Finance
Enpauvretéqui refve eftre réduit.
De Fortune en effet n'est - ce pas une
niche,
Que le dormir, & du Pauvre , & du
Riche?
Pourquoy ne pas dans lefommeil
Laiffer le Gueux , dont le réveil
Renouvelle les maux ? ou bien tout aw
contraire,
Pourquoy faire dormir qui doit veiller
toûjours?
Maisfans m'embarraffer àfaire .
De longs, & par ainfi defort mauvais
difcours;
Longs & mauvais , c'est affezpour
déplaire,
Quand onfait le Prédicateur.
GALANT.
37
e
Ne prefchons plus ; parlons d'une
autre Affaire,
Erplûtost devenons Conteur;
Car un Conte, fuft- il un Conte à la
Cigogne,
Vaut
toûjoursmieux qu'un
ennuyeux
Sermon.
Se
Difons done, que du temps de Philippe
le
Bon,
( Ce Philippe le Bon eftoit Duc de
Bourgogne )
Avint un certain Fait
Affez plaisant, & digne de mémoire,
Etpour moralifer un affezjoly trait,
Au
demeurant tres- vray, je l'ay lu
dans l'
Hiftoires
Quiconque ne me voudra croire,
La peut lire àfon tour. Philippé par
hazard
Dans letemps qu'on boit àla neige,
38 MERCURE
C'est à dire l'Eré) fuivy d'ungros
Cortége,
S'enrevenoitfert tard,
Apres avoirfait un tour du Rampart
DeBezançon, promenade ordinaire
Qu'avec fes Courtisans le bon Duc
fouloitfaire.
En traverfant la Rüe, il aperceut un
Gueux,
Faifant vilaine može,
Déchiré , plein defang, hideux,
Renverfe fur un tas de boue.
Cet objet émutle bon Duc,
Qui penfa que le Gueux tomboit du
malcaduci
Et comme il eftoit charitable,
Etpourtousfes Sujetsplein d'extréme
bonté,
Il voulut que ce Miſérable
Defon bourbier dés l'inſtantfuſt ôté,
Et bienplus, il voulut, pour eftre décroté
GALANT. 39
Qu'au Palais ilfust emporté.
Au premierappareil on connut Oenophile,
Fameux Beuveur, qui n'avoitpour
métier
Que defefferdu Vinde Quartieren
Quartier,
Etque de promener une foif inutile
Dans les Tavernes de la ville,
D'oùfortantfans avoir le moyen de
payer,
N'ayant pas vaillant une obole,
Tvremortildormoit dans le premier
bourbier.
Quand le Ducfceur qu'eftoit le
Drôle,
Car le nom d'Oenophile en tous lieux
faifoit bruit,
Et defes Faits en Vin chacun eftoit
inftruit )
Il luy fit préparer un aſſez plaisant
rôle,
40 MERCURE
Ilordonna qu'ilfustfrifé,
Mufqué, frotté, lavé, poudré, peigné,
razé,
Proprement
aromatizé
.
( Précaution
fort néceſſaire
Pour ce qu'on vouloitfaire )
Ilfut couchédans unfuperbe Lit,
Avecles Ornemens de nuit
Qu'on donne àGensde confequence,
Dontje tais la magnificence.
Pour la marquer en un mot, ilsuffit
Que le Duc de Bourgogne.
Ordonna qu'on traitast comme luy cet
Yvrogne.
Chacunfe retira pour predrefon repos ,
Laiffant au lendemain le refte.
La nuitfur le Palaisjetta d'heureux
Pavots ,
Tout dormit à merveille ; aucun refve
funefte,
ExcitéparBacchus &fa douce vapeur,
GALANT. 41
N'embarraffale cerveau du Beaveur.
Le Phabetor des Gens quife plaisent à
boire,
Luyparut mille fois verfant à pleines
mains
Parfa Corne d'yvoire
Tous les refves plaifans qu'il prodigue
aux Humains.
L'Aurore dont l'éclat embellit toutes
chofes,
Avoit, pourmarquer le retour
Du Dieu qui tous les jours du Monde
fait le tour,
Parfumé tous les airs de Fafmins &
de Rofes,
Cela veut dire en Profe, il eftoitjour-
Vous Seaurez que qui verfifie,
Je veux dire les Gens qu'Apollon
deifie,
Peuvent impunément s'exprimerpas
rébus,
Mars
1685,
42. MERCURE
Ouparmots qu'en François nous appellons
Phébus.
Dans mes Contes parfois je mele ce
langage,
Qui paroist tant.foit peu guindés :
Mais quoy ?jervais comejefurs guidé,
Sire Apollon pour moy n'en fait pas
davantage.
Nous avons defon Litfaitfortir le
Soleil,
Allons en Courtifan habile
Nous trouver au Levé du Seigneur
acnophile,
Et nousfaurons quelferafon réveil.
Imaginez vous lafurpriſe
D'un Gueux qui n'avoit pas vaillant
une Chemife,
Et qui (fouvent couchédehors)
Se trouve en Draps de lin bordez de
Point d'Espagne
,
Et comme un Prince de Cocagne,
GALANT. 43
Se voit environné des plus riches tréfors.
En croira- t - ilfes yeux ? Il n'oſe.
Est- ce un enchantement ? Est- ce métemplycofe,
Illufion, metamorphofe?
Par quei heureux deftin eft - il Grand
devenu;
Luy qui naguere eftoit tout nud?
Pendant qu'à débrouiller tel Cabos ili
s'applique,
Une douce Mufique.
Acheva de troubler fa petite raison;
Il ne pût s'empefcher de dire une
Oraifon
Qu'ilfçavoit contre l'Art Ma--
gigner
S'il eust crû goufter dans ces lieux
Des douceurs à la finfemblables aux
premieres,
Ilnefe pouvoit rien de mieux;
Dij
44 MERCURE
Mais il craignoit les Etrivieres,
Catastrophe où fouvent aboutit le
plaifir
De pareille galanterie.
De malle-peur ilfe fentitfaifir, ve
Eftimant, pis encor, que cefust Diablerie.
En Bourgogne en ce temps.couroient
des Farfadets,
Autrement dits Efprits Follets ,
Qui n'entendoient point raillerie,
Fougueux comme les Gens qui battent
leurs Valets.
Achevons. Ilentra quatre Pages bien
faits,
Maistre d' Hoftel, une autre Troupes
De Valets de pied , de Laquais,
Dont l'un tenoit une Soucouppe,
L'autre une Ecuelle- oreille avec un
Confommé.
Voicy, luy dit un Gentilhomme,
GALANT.
45
Voftre Bouillon accoûtumé,
Monfeigneur. Il leprit tout come
Si veritablement il eut tous les matins
Fait telmétier. Aifément l'habitude
Se feroit à tels Mets ; & quand d'heu
reux deftins
Succédent au mal le plus rude,
On s'accoutume avec facilité
Au bien que l'on n'a pointgoufté.
Bien plus , à noftre compte
Lebien qui nous vient nous eft dû;
Etfi quelque chagrin nous vient, tout
estperdu.
Mais heureux mille fois l'Homme qui
fefurmonte,
Et quifagementfe contient,
Quandle bien ou le mal luy vient!
Par tropje moralife ;
Wenons au Fait. Le Duc Philippefe
déguife ,
Et. vient accompagné de trente Cour
tifans
46 MERCURE
1
Sous autant de déguiſemens.
Chacun luy fait la révérence,
Luy vientfouhaiter le bonjour,
Et tout de mefme quà la Cour,
Luy dit autrement qu'il ne penfe ..
On l'habillefuperbement;
Tous les Bijoux du Ducfirent l'ajuste--
ment.
C'étoient Canons de Point de Géne.
( Génes lors s'amuſoit à fabriquer du
Point,
Etfon orgueil n'attiroitpoint
De Bombe à feu Grégeoisfurfafuperbe
arénej
Enfin pourtrancher court, l'Yvrogne
eftoitbrillant .
Autant
que
le Soleil levant;
Et Bacchus revenant des Climats dee
l'Aurore,
ParoiffoitmoinsVainqueur que luya.
Maispourrendre parfait ce Spectacles
inouy,
GALANT. 47
Ilmanquoit quelque chofe encores ›
C'ist que les Dames du Palais
Vinffent avec tous leurs attraits;
Ce quije fit.Ce dernier trait l'acable,.
Mais il revint dans un moment
Defon étonnement,
Quand on le fit paffer dans un Apar
tement,
Qui luy parut d'autant plus agreable:
Qu'ily vit uneTable
Qu'onfervoit magnifiquement.
Il nefoupçonna plus que cefust Dia
blerie,
Quand ilfe vitplacé dans l'endroit
leplus haut,
Oùfans fe déferrer il mangea comme
il faut,
Commençant à trouver l'invention.
jolie.
Dans cette Cour
Adiférensplaifirs onpaffa tout le jour
48 MERCURE
Comme au Bal, comme au feu, comme
à la Comédie,
On comme à l'Opéra. Mais non ; dans
ce temps - là
On ne connoifoit point ce que c'est
qu'Opera.
Bref, onfe divertit à ce qu'on eut
envie,
Fufqu'à ce que le Soleilſe coucha.
Onfervit le Souper, Oenophile foupas
Ily beut trop, ils'yfoula,
Sibien qu'il s'y couvritla vie,
Et fa Principautépar ce tropfut per
düe ;
Ce qui fit qu'à l'instant on le desha
billa,
De fes Haillons on lepouilla;
Quatre Valets de pied le portent dans
la Rüe,
Au mefme endroit d'où le Duc le
tira.
Voila
GALANT. 49
Voila comment la Fortune fe jouë,
Aujourd hayfur le Trône, & demain
dans la bouë.
Que nefçay je comment Oenophile
20 parla E
Dansle moment qu'il s'éveilla!
nouveau de M' de la Barre de
Tours. Ses Galans Ouvrages
ont tant d'agrément , & vous
avez toûjours pris tant de
plaifir à les lire , que je croy
vous en procurer un fort
grand , en vous faiſant part
de celuy- cy.
34 MERCURE
$25552555-2552 555
CNOPHILE
T
CONTE.
Outes les Grandeurs dé la
Terre
Sont auffifragiles que verre,
( De tel propos je n'auray pas les
Gants)
Etl'Hiftoirefournit mainte& mainte
Avanture
Parmy les Petits & les Grands,
Qui montre ce propos n'eftre pas imposture..
Suivons donc. Les grandeurs de l'Hu
maine Nature
N'ont rien que de prest àfinir;
Un mefme inftant les voit naiftre
& mourir;
GALANT. 35
C'est un refve qui plaist dans le moment
qu'il dure,
Etqui laiffe àfafuite un fâcheuxfou
venir;
C'est un abus, une peinture,
Une idée, unfantôme, une ombre,;
enfin un rien..
Quelque Cenfeur me defavoie,.
Et traite ma Morale en Morale de
Chien.
Quoy, ce gros Financier, dira- t- il,
&fon Bien
•
Sont des Chanfons ? Hé- oy. C'eft à
tort qu'on le loüc;
Je vais le montrer aujourd'huy;
Et le gueux Oenophile au milieu de fa
boue,
Quandil a bûdix coups , eftplus heureux
queluy.
Pafchal, un Autheur d'importance,
Dansfes Ecrits met peu de diférence
36 MERCURE
Entre le Gueux refvant la nuit
Poffederfous fon Toit tous les tréfors
de France,
Et le Riche avesfa Finance
Enpauvretéqui refve eftre réduit.
De Fortune en effet n'est - ce pas une
niche,
Que le dormir, & du Pauvre , & du
Riche?
Pourquoy ne pas dans lefommeil
Laiffer le Gueux , dont le réveil
Renouvelle les maux ? ou bien tout aw
contraire,
Pourquoy faire dormir qui doit veiller
toûjours?
Maisfans m'embarraffer àfaire .
De longs, & par ainfi defort mauvais
difcours;
Longs & mauvais , c'est affezpour
déplaire,
Quand onfait le Prédicateur.
GALANT.
37
e
Ne prefchons plus ; parlons d'une
autre Affaire,
Erplûtost devenons Conteur;
Car un Conte, fuft- il un Conte à la
Cigogne,
Vaut
toûjoursmieux qu'un
ennuyeux
Sermon.
Se
Difons done, que du temps de Philippe
le
Bon,
( Ce Philippe le Bon eftoit Duc de
Bourgogne )
Avint un certain Fait
Affez plaisant, & digne de mémoire,
Etpour moralifer un affezjoly trait,
Au
demeurant tres- vray, je l'ay lu
dans l'
Hiftoires
Quiconque ne me voudra croire,
La peut lire àfon tour. Philippé par
hazard
Dans letemps qu'on boit àla neige,
38 MERCURE
C'est à dire l'Eré) fuivy d'ungros
Cortége,
S'enrevenoitfert tard,
Apres avoirfait un tour du Rampart
DeBezançon, promenade ordinaire
Qu'avec fes Courtisans le bon Duc
fouloitfaire.
En traverfant la Rüe, il aperceut un
Gueux,
Faifant vilaine može,
Déchiré , plein defang, hideux,
Renverfe fur un tas de boue.
Cet objet émutle bon Duc,
Qui penfa que le Gueux tomboit du
malcaduci
Et comme il eftoit charitable,
Etpourtousfes Sujetsplein d'extréme
bonté,
Il voulut que ce Miſérable
Defon bourbier dés l'inſtantfuſt ôté,
Et bienplus, il voulut, pour eftre décroté
GALANT. 39
Qu'au Palais ilfust emporté.
Au premierappareil on connut Oenophile,
Fameux Beuveur, qui n'avoitpour
métier
Que defefferdu Vinde Quartieren
Quartier,
Etque de promener une foif inutile
Dans les Tavernes de la ville,
D'oùfortantfans avoir le moyen de
payer,
N'ayant pas vaillant une obole,
Tvremortildormoit dans le premier
bourbier.
Quand le Ducfceur qu'eftoit le
Drôle,
Car le nom d'Oenophile en tous lieux
faifoit bruit,
Et defes Faits en Vin chacun eftoit
inftruit )
Il luy fit préparer un aſſez plaisant
rôle,
40 MERCURE
Ilordonna qu'ilfustfrifé,
Mufqué, frotté, lavé, poudré, peigné,
razé,
Proprement
aromatizé
.
( Précaution
fort néceſſaire
Pour ce qu'on vouloitfaire )
Ilfut couchédans unfuperbe Lit,
Avecles Ornemens de nuit
Qu'on donne àGensde confequence,
Dontje tais la magnificence.
Pour la marquer en un mot, ilsuffit
Que le Duc de Bourgogne.
Ordonna qu'on traitast comme luy cet
Yvrogne.
Chacunfe retira pour predrefon repos ,
Laiffant au lendemain le refte.
La nuitfur le Palaisjetta d'heureux
Pavots ,
Tout dormit à merveille ; aucun refve
funefte,
ExcitéparBacchus &fa douce vapeur,
GALANT. 41
N'embarraffale cerveau du Beaveur.
Le Phabetor des Gens quife plaisent à
boire,
Luyparut mille fois verfant à pleines
mains
Parfa Corne d'yvoire
Tous les refves plaifans qu'il prodigue
aux Humains.
L'Aurore dont l'éclat embellit toutes
chofes,
Avoit, pourmarquer le retour
Du Dieu qui tous les jours du Monde
fait le tour,
Parfumé tous les airs de Fafmins &
de Rofes,
Cela veut dire en Profe, il eftoitjour-
Vous Seaurez que qui verfifie,
Je veux dire les Gens qu'Apollon
deifie,
Peuvent impunément s'exprimerpas
rébus,
Mars
1685,
42. MERCURE
Ouparmots qu'en François nous appellons
Phébus.
Dans mes Contes parfois je mele ce
langage,
Qui paroist tant.foit peu guindés :
Mais quoy ?jervais comejefurs guidé,
Sire Apollon pour moy n'en fait pas
davantage.
Nous avons defon Litfaitfortir le
Soleil,
Allons en Courtifan habile
Nous trouver au Levé du Seigneur
acnophile,
Et nousfaurons quelferafon réveil.
Imaginez vous lafurpriſe
D'un Gueux qui n'avoit pas vaillant
une Chemife,
Et qui (fouvent couchédehors)
Se trouve en Draps de lin bordez de
Point d'Espagne
,
Et comme un Prince de Cocagne,
GALANT. 43
Se voit environné des plus riches tréfors.
En croira- t - ilfes yeux ? Il n'oſe.
Est- ce un enchantement ? Est- ce métemplycofe,
Illufion, metamorphofe?
Par quei heureux deftin eft - il Grand
devenu;
Luy qui naguere eftoit tout nud?
Pendant qu'à débrouiller tel Cabos ili
s'applique,
Une douce Mufique.
Acheva de troubler fa petite raison;
Il ne pût s'empefcher de dire une
Oraifon
Qu'ilfçavoit contre l'Art Ma--
gigner
S'il eust crû goufter dans ces lieux
Des douceurs à la finfemblables aux
premieres,
Ilnefe pouvoit rien de mieux;
Dij
44 MERCURE
Mais il craignoit les Etrivieres,
Catastrophe où fouvent aboutit le
plaifir
De pareille galanterie.
De malle-peur ilfe fentitfaifir, ve
Eftimant, pis encor, que cefust Diablerie.
En Bourgogne en ce temps.couroient
des Farfadets,
Autrement dits Efprits Follets ,
Qui n'entendoient point raillerie,
Fougueux comme les Gens qui battent
leurs Valets.
Achevons. Ilentra quatre Pages bien
faits,
Maistre d' Hoftel, une autre Troupes
De Valets de pied , de Laquais,
Dont l'un tenoit une Soucouppe,
L'autre une Ecuelle- oreille avec un
Confommé.
Voicy, luy dit un Gentilhomme,
GALANT.
45
Voftre Bouillon accoûtumé,
Monfeigneur. Il leprit tout come
Si veritablement il eut tous les matins
Fait telmétier. Aifément l'habitude
Se feroit à tels Mets ; & quand d'heu
reux deftins
Succédent au mal le plus rude,
On s'accoutume avec facilité
Au bien que l'on n'a pointgoufté.
Bien plus , à noftre compte
Lebien qui nous vient nous eft dû;
Etfi quelque chagrin nous vient, tout
estperdu.
Mais heureux mille fois l'Homme qui
fefurmonte,
Et quifagementfe contient,
Quandle bien ou le mal luy vient!
Par tropje moralife ;
Wenons au Fait. Le Duc Philippefe
déguife ,
Et. vient accompagné de trente Cour
tifans
46 MERCURE
1
Sous autant de déguiſemens.
Chacun luy fait la révérence,
Luy vientfouhaiter le bonjour,
Et tout de mefme quà la Cour,
Luy dit autrement qu'il ne penfe ..
On l'habillefuperbement;
Tous les Bijoux du Ducfirent l'ajuste--
ment.
C'étoient Canons de Point de Géne.
( Génes lors s'amuſoit à fabriquer du
Point,
Etfon orgueil n'attiroitpoint
De Bombe à feu Grégeoisfurfafuperbe
arénej
Enfin pourtrancher court, l'Yvrogne
eftoitbrillant .
Autant
que
le Soleil levant;
Et Bacchus revenant des Climats dee
l'Aurore,
ParoiffoitmoinsVainqueur que luya.
Maispourrendre parfait ce Spectacles
inouy,
GALANT. 47
Ilmanquoit quelque chofe encores ›
C'ist que les Dames du Palais
Vinffent avec tous leurs attraits;
Ce quije fit.Ce dernier trait l'acable,.
Mais il revint dans un moment
Defon étonnement,
Quand on le fit paffer dans un Apar
tement,
Qui luy parut d'autant plus agreable:
Qu'ily vit uneTable
Qu'onfervoit magnifiquement.
Il nefoupçonna plus que cefust Dia
blerie,
Quand ilfe vitplacé dans l'endroit
leplus haut,
Oùfans fe déferrer il mangea comme
il faut,
Commençant à trouver l'invention.
jolie.
Dans cette Cour
Adiférensplaifirs onpaffa tout le jour
48 MERCURE
Comme au Bal, comme au feu, comme
à la Comédie,
On comme à l'Opéra. Mais non ; dans
ce temps - là
On ne connoifoit point ce que c'est
qu'Opera.
Bref, onfe divertit à ce qu'on eut
envie,
Fufqu'à ce que le Soleilſe coucha.
Onfervit le Souper, Oenophile foupas
Ily beut trop, ils'yfoula,
Sibien qu'il s'y couvritla vie,
Et fa Principautépar ce tropfut per
düe ;
Ce qui fit qu'à l'instant on le desha
billa,
De fes Haillons on lepouilla;
Quatre Valets de pied le portent dans
la Rüe,
Au mefme endroit d'où le Duc le
tira.
Voila
GALANT. 49
Voila comment la Fortune fe jouë,
Aujourd hayfur le Trône, & demain
dans la bouë.
Que nefçay je comment Oenophile
20 parla E
Dansle moment qu'il s'éveilla!
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Résumé : OENOPHILE CONTE.
Le texte est une lettre accompagnant un conte de M. de la Barre de Tours, connu pour ses œuvres agréables. Le conte commence par une réflexion sur la fragilité des grandeurs terrestres, illustrée par des exemples historiques. Il met en scène un dialogue entre un galant et un censeur, ce dernier critiquant la morale du conte. Le galant répond que les richesses sont éphémères et que le bonheur peut être trouvé même dans la pauvreté. L'histoire se déroule du temps de Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Un soir, Philippe découvre un gueux nommé Oenophile, ivre et endormi dans la boue. Ému par sa condition, Philippe ordonne de l'amener au palais, où Oenophile est lavé, habillé et traité comme un prince. Le lendemain, Oenophile se réveille entouré de richesses et de luxe, croyant d'abord à un enchantement. Il est servi par des pages et des valets, et Philippe, déguisé, lui rend visite avec sa cour. Oenophile passe la journée à profiter des plaisirs de la cour, mais le soir, il est ramené à son état initial, habillé en haillons et déposé dans la rue. Ce conte illustre la volatilité de la fortune, qui peut élever ou abaisser les individus en un instant.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 181-185
AU ROY.
Début :
Voicy les derniers Vers que Me des Houlieres a faits / L'Erreur seconde en attentats, [...]
Mots clefs :
Noms, Erreur, Peuple, Adorer, Trône
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AU ROY.
Voicy les derniers Vers
que Me des Houlieres a
faits
pour le Roy.
AU ROY; L
*Erreur feconde en attentats
£htitraifnoitLi Dijcorde&lOrgueil
àsifuite,
LH.UQ:)' ,
Ne répand plm enfin dam tes vasles
Efiats
Lepoifion dont L'armal'Enfer qui l'a
produite3
Tafiieté,Grand Roy,pourjamais I'd
détruite.
Quelle Hydreviens-tud'étouffer l
En vain tes Grands Ayeux oserent la
combatre,
Ces Héros ne pûrent abatre
Le Monjlre dontsans peine on te voit triompher.
far combiendeforfaits, de Batailles,
de Siercs
Son orginils'est-ilftgnalé*
gue d'AutelsontsentysesfureursfixeriUgcs!
Le Trône eu l'on te voit en fut mefime
ébranléi
Tu le feais
,
& tes foins toujours
prompts,toujoursfiages,
VxèferventnosATeuLUX aun defaflrc
FIïCd.
Ainji voyons-nouileSolcïl
Pour fiirt de beaux jours dtjjlper let
nuages.
Le plia rude Jcntiersiustes pass'a»
pla,lit.
Frince Inunhx, les Destinsfont pour
toy unscaprices,
Contre une Hydre indomptée un seul
ordresuffit,
A ta voixfont tombez, lesnombreux
Edifîrs
Ouse neuryifjoient les fureurs;
A ta voix elle rentre en ce goufre d'hor.
reurs
Dessinépeurpunir Us,vices.
Adesirrands plaudit, fitccestout le(Ce' ap- mie ( eit. 'it~
D, loaçrt emensi'abvMt reten- J~ ci' iime., ion secoursdérobeàfis
supplices!
Ah,pour(..uviyton Peuple
,
crpour
langerla FfJ),
Ce que tu nens de faire eJ1 au dejjus
de l'homme )
De quelques grands noms qu'on te
himme,
0) iabd'jjl, il n'ff plus d'¡!/fèz
grands noms pour toy.
-
Mau dans lu bras d, la Victoire
yplains-toy de ton bonheur, erainsl'excès deta gluire
,
Yoy lefort qu'a ton Peuple elle v-z
préparer;
Ta main pui/jante Ó;, Ucourabie
Tire 1 /., ,
ce
Prup( aiméd'uni tnenrdéploraiit,
Etparune autre Erreur fit le ïas égarer.
Inshu'i pAYcrnt fameux eXCrlJ?Ù;,
-
^uja de ras on a
>
des Jtmpla\
Contre ta modeflie on ose-mmmurer.
(kiy.sitapietériymcîioitdescbftdclesy
Tesjours fertiles en miracles
Nomforutoient a tyadorer.
que Me des Houlieres a
faits
pour le Roy.
AU ROY; L
*Erreur feconde en attentats
£htitraifnoitLi Dijcorde&lOrgueil
àsifuite,
LH.UQ:)' ,
Ne répand plm enfin dam tes vasles
Efiats
Lepoifion dont L'armal'Enfer qui l'a
produite3
Tafiieté,Grand Roy,pourjamais I'd
détruite.
Quelle Hydreviens-tud'étouffer l
En vain tes Grands Ayeux oserent la
combatre,
Ces Héros ne pûrent abatre
Le Monjlre dontsans peine on te voit triompher.
far combiendeforfaits, de Batailles,
de Siercs
Son orginils'est-ilftgnalé*
gue d'AutelsontsentysesfureursfixeriUgcs!
Le Trône eu l'on te voit en fut mefime
ébranléi
Tu le feais
,
& tes foins toujours
prompts,toujoursfiages,
VxèferventnosATeuLUX aun defaflrc
FIïCd.
Ainji voyons-nouileSolcïl
Pour fiirt de beaux jours dtjjlper let
nuages.
Le plia rude Jcntiersiustes pass'a»
pla,lit.
Frince Inunhx, les Destinsfont pour
toy unscaprices,
Contre une Hydre indomptée un seul
ordresuffit,
A ta voixfont tombez, lesnombreux
Edifîrs
Ouse neuryifjoient les fureurs;
A ta voix elle rentre en ce goufre d'hor.
reurs
Dessinépeurpunir Us,vices.
Adesirrands plaudit, fitccestout le(Ce' ap- mie ( eit. 'it~
D, loaçrt emensi'abvMt reten- J~ ci' iime., ion secoursdérobeàfis
supplices!
Ah,pour(..uviyton Peuple
,
crpour
langerla FfJ),
Ce que tu nens de faire eJ1 au dejjus
de l'homme )
De quelques grands noms qu'on te
himme,
0) iabd'jjl, il n'ff plus d'¡!/fèz
grands noms pour toy.
-
Mau dans lu bras d, la Victoire
yplains-toy de ton bonheur, erainsl'excès deta gluire
,
Yoy lefort qu'a ton Peuple elle v-z
préparer;
Ta main pui/jante Ó;, Ucourabie
Tire 1 /., ,
ce
Prup( aiméd'uni tnenrdéploraiit,
Etparune autre Erreur fit le ïas égarer.
Inshu'i pAYcrnt fameux eXCrlJ?Ù;,
-
^uja de ras on a
>
des Jtmpla\
Contre ta modeflie on ose-mmmurer.
(kiy.sitapietériymcîioitdescbftdclesy
Tesjours fertiles en miracles
Nomforutoient a tyadorer.
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Résumé : AU ROY.
Le poème s'adresse au roi et décrit les défis et les triomphes de son règne. Il évoque une 'Erreur feconde en attentats' et un 'Orgueil' menaçant le royaume, incarnés par une 'Hydre' représentant le mal et les troubles. Le roi est encouragé à vaincre cette Hydre, malgré les échecs des ancêtres héroïques. Le poème loue ses batailles et ses succès, qui ont apporté paix et prospérité, comparant le roi au soleil dispersant les nuages. Les destins favorables au roi permettent de triompher de l'hydre indomptée par un seul ordre. Le texte se termine par une réflexion sur la gloire du roi, qui doit rester humble et se souvenir des souffrances de son peuple. Il critique ceux qui murmurent contre la modestie du roi, soulignant que ses jours sont fertiles en miracles dignes d'être adorés.
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6
p. 171-225
Tout ce qui s'est fait le jour qu'ils ont esté à l'Audience du Roy à Versailles, les Ceremonies qui ont esté observées avec les complimens qu'ils ont faits à la pluspart des Princes & Princesses de la Maison Royale, [titre d'après la table]
Début :
Le Roy estant guery de la Fiévre-quarte, dont il [...]
Mots clefs :
Roi, Roi de Siam, Trône, Audience, Ambassadeur, Ambassadeurs, Gardes du corps, Prince, Galerie, Duc de La Feuillade, Dauphin, Gardes de la porte, Suisses, Bonnets, Fleurs, Inclinations, Religion, Parler, France, Officiers, Versailles, Gardes françaises, Louvre, Trompettes, Compliments, Cérémonies, Maison royale
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Tout ce qui s'est fait le jour qu'ils ont esté à l'Audience du Roy à Versailles, les Ceremonies qui ont esté observées avec les complimens qu'ils ont faits à la pluspart des Princes & Princesses de la Maison Royale, [titre d'après la table]
Le Roy estant guery de
la Fiévre- quarte , dont il
ayoit eu quelques accés ,
declara qu'il donneroit
Audience aux Ambaſſadeus
le premier jour de
Septembre . Ce jour - là
M'le Maréchal Duc de la
Feuillade, M'de Bonneuil,
Introducteur des Ambaffadeurs
, &M* Giraut, qui
맥 l'accompagne toujours
dans cette fonction , les
Pij
172 Voyage des Amb.
allerent prendre à l'Ho
ſtel des Ambaſſadeurs ,
dans les Caroffes du Roy,
& de Madame la Dauphine
, avec pluſieurs autres
Caroſſes de ſuite. M.
de la Feuillade leur marqua
la joye qu'il avoit de
les venir querir pour les
mener à l'Audience du
Roy , & leur dit qu'il auroit
l'honneur deles conduire
à toutes les Audiences
que leur donneroit Sa
Majefté. Le premier Amde
Siam.
173
.
a
baffadeur luy fit connoiſtre
l'extrême paffion qu'-
ils avoient de voir le Roy,
&luy dit, Que cet heureux
jour, pour lequel ils avoient
traverſé tant de Mers ,
estoit enfin arrivé Ils monterent
enfuite dans le Caroffe
du Roy , qui fut environné
de pluſieurs Va-
Iets de pied de Sa Majeſté
, & précedé par ceux
de M. de la Feuillade. Ils
s'entretinrent pendant la
plus grande partie du che-
Pij
174 Voyage des Amb.
min de la Religion des Siamois
, dont M. de la Feuillade
demanda les particularitez
. L'Ambaffadeur
luy répondit avec beaucoup
d'eſprit , Que tout ce
qu'on diſoit d'une Religion
inconnuë devoit d'abord
paroiftre ridicule à des per
Sonnes qui n'en avoient
nulle connoiffance , & qui
en profefforent une autre ,
parce qu'il eft naturel de
croire toûjours la Religion
que l'on a embraßee , 04
deSiam.
175
汇
dans laquelle on est né , la
1 meilleure de toutes , esqu'-
+ enfin il falloit plus de temps
pour parler à fond fur une
Afi grande matiere, &entrer
dans des details qui de
mandoient plus d'application
qu'ils n'en pouvoient
alors donner; qu'autrement
201
e
01
les choses les plus réelles pa-
* roiſſoient fans fondement
Es sans vray -Semblance..
Aprés cela ilsentrerent.en
10
conversation, & l'Ambaf_
fadeur ayant expliqué à
Pij
176 Voyage des Amb.
peu prés les chofes que je
vous ay déja marquées ſur
leur Religion , en ajoûta
trois , qu'il dit en eſtre les
trois principaux points ,
qui font, l'Amour des Ennemis
, l'Humilité , & la
Penitence.
Comme on ne peut aller
à Versailles fans voir
Saint Cloud & Meudon ,
& que ces Maiſons paroiffent
beaucoup , on dit
à l'Ambaſſadeur que l'une
appartenoit à Monfieur,
deSiam. 177
1
Frere unique de Sa Majeſté
, & l'autre à M. de
Louvois , Miniſtre d'Etat .
Il dit qu'il ne s'étonnoit
point de voir de fi belles
- Maiſons dans le Royaume,
Essur tout aprés le haut
point de gloire où le Roy avoit
mis la France. Enfin
on arriva à Versailles par
la grande avenuë, aprés
une converſation toute
pleine d'eſprit. Il y avoit
e dans la premiere Court
r mille hommes du Regi
178 Voyage des Amb.
ment des Gardes Françoi
fes& Suiffes ſous les armes
. Ils estoient tous veftus
en Juſteau corps rouges
brodez , & formoient
cinq files de chaque cofté,
Enſeignes déployées , &
tous lesOfficiers laPique à
la main. Les Suiffes eftoiet
à droite , & les François
à gauche , mais fans qu'ils
changent de diſpoſition ,
les François fe trouvent à
la droite de ceux qui fortent
du Chafteau , & les
de Siam. 179
S
ر
a
es
Suiffes à la gauche . On dit
aux Ambaſſadeurs que
c'eſtoit la Garde ordinaire
de dehors , qui monte
tous les trois jours. On
trouva les Gardes de la
Porte, qui formoient deux
hayes au delà de la porte
de la feconde Court . Ces
Gardes font pour ouvrir
la porte à ceux dont les
Caroffes ont droit d'enrrer
dans le Louvre ; ils
ne la gardent point la
nuit , & à fix heures du
180 Voyage des Amb.
ſoir les Gardes du Corps
en prennent poffeffion .
Les Ambaſſadeurs furent
conduits dans une Salle
appellée la Salle de Def
cente. C'est un lieu où l'on
mene tous les Ambaſſadeurs
en attendant l'heure
de l'Audience . On leur
fervit à déjeuner , mais ils
ne voulurent point manger
; ils ſe laverent feulement
, car ils font d'une
propreté extraordinaire .
Ils mirent enfuire les Bonde
Siam. 181
nets qui marquent leur
Dignité , & dont je vous
ay déja parlé. Ils ont au
bas de ces Bonnets , des
Couronnes d'or larges de
deux à trois doigts , d'où
fortent des fleurs faites de
feuilles d'or tres- minces ,
au milieu deſquelles font
1 quelques Rubis à la place
de la graine . Comme les
feüilles d'or qui forment
ces fleurs font fort lege-
-fres , elles ont un mouvement
qui les fait paroiſtre
e.
182 Voyage des Amb.
toûjours agitées. Le troifiéme
Ambaſſadeur n'a
point de ces fleurs autour
de ſa Couronne , il n'a
qu'un Cercle d'or large
de deux grands doigts &
cizelé. Lors qu'ils faifoient
travailler à ces Couronnes
par un Orphévre de
Paris , cét Orphévre leur
ayant dit qu'elles eſtoient
bien legeres , le premier
Ambaſſadeur répondit ,
Qu'ils les faisoient faire
pour des hommes, & quefi
de Siam. 183
10
هللا
be
elles estoient plus lourdes, il
les faudroit donner à porter
àdesBeftes . Leshuit Mandarins
qui accompagnent
les Ambaſsadeurs,ont une
pareille coëfure de Moufſeline
, mais il n'y a point
de Couronne autour de
leurs Bonnets. Ceux à qui
ces marquesde dignitéont
eſté données , n'oferoient
paroiftre devant le Roy
de Siam ſans les avoir,
L'heure de l'Audience étant
venuë , l'Introduce
184 Voyage des7
Amb.
teur des Ambassadeurs les
vint avertir que le Roy étoit
preſt á ſe mettre dans
fon Trône , & qu'il eſtoit
temps de partir. Il faut remarquer
que la Salle où
ils eftoient , regarde prefque
l'Eſcalierpar lequel ils
devoient monter chez le
Roy , & que pour ſe rendre
à cét Efcalier , il falloit
qu'ils traverſaffent la
Court. Ils trouverent en
haye dans cette Court les
Gardes de la Prevoſté, &
de Siam. 185
lesCent- Suiſses en approchant
de l'Eſcalier . M
Giraut marchoit à la teſte
des Domeſtiques des Ambassadeurs
; M' de Blainville
, grand Maiſtre des
Ceremonies , M. de Bon-
1 neuil Introducteur des
Ambassadeurs , & M
- Stolff Gentilhomme or-
Idinaire de la Maiſon du
| Roy , & nommé par Sa
Majesté pour les accom- el
pagner pendant tout le
| temps qu'ils feront ent
உ
186 Voyage des Amb.
France , venoient enfuite.
La Lettre du Roy de Siam
eſtoit portée par douze
Suifses dans la mesme
machine qui estoit à la
ruelle du Lit du premier
Ambassadeur , & que je
vous ay déja fait voir
gravée , & l'on portoit
quatre Parasols pour
couvrir cette Machine.
On avoit ordonné que
pour faire honneur à cette
Lettre , ily auroit au pied
de l'Escalier , en dehors ,
1
1
de Siam. 187
e
trente-fix Tambours , &
و
vingt - quatre Trompetes.
Les trois Ambaſsa
deurs marchoient de
front avec M² de la Feuillade
, & l'on portoit auprés
d'eux les marques de
leur dignité , qui font de
grandes Boetes rondes cizelées
avec des couvercles
relevez . C'eſt le Roy
de Siam qui les donne , &
l'on ne paroiſt jamais de--
vant luy ſans les avoir..
Elles font differentes auf
4
Qij
188 Voyage des Amb.
fi- bien que les Couronnes
, & font connoiſtre le
rang de ceux à qui elles apartiennent.
LesCours du
Chasteau estoient toutes
remplies de monde pour
voir paffer les Ambaffadeurs
. Ils trouverent deux
hayes desCent Suiffes, fur
le grand Efcalier , dont les
Eaux joüoient & faifoient
plufieurs napes dans le
milieu. Ils le traverſerent
au bruit des Fanfares des
yingt- quatre Trompetes
de Siam.
197
a
les falüa auffi. On ne
ſçauroit rien repreſenter
où le reſpect puiſse eftre
plus marqué , qu'il
l'eſtoit fur le viſage des
Ambassadeurs & de tous
ceux de leur fuire. Ils l'imprimerent
dans tous les
coeurs , & cette extreme
veneration qu'ilsfirent paroiſtre
pour laPerſonne de
Sa Majesté, leur attira de
S
S
grandes loüanges. Le Roy
avoit à la droite de fon
Trône Monſeigneur le
Riij
198 Voyage des Amb.
Dauphin , Monfieur le
Duc de Chartres , Monfieur
le Duc de Bourbon,
& Monfieur le Comte
de Toulouſe ; & à fa gauche,
Monfieur , Monfieur
le Duc , & Monfieur le
Ducdu Maine . Sonhabit
eftoit brodé à plein. Il y
avoit deſsus pour plufieurs
millions de Pierreries
, leſquelles formoient
en beaucoup d'endroisles
ornemens de la broderie.
Tous les Princes avoient
de Siam.
199
۲
د
des habits ou brodez , ou
de brocards d'or tous
couverts de Pierreries.Celuy
de Monfieur eftoit
noir , à cauſe que ce Prince
porte le deuil, & cette
couleur donnant un plus
vif éclat aux Diamans
dont il eſtoit remply, il n'y
avoit rien de plus brillant..
L'habit de Monfieur le
Duc du Maine estoit auffi
【
S
diftingué par un tresgrand
nombre de Rubis .Tous les
حا
grands Officiers du Roy
ו
Riiij
200 Voyage des Amb.
M.le Duc de Montaufier,
& ceux qui ont des Survivances
, eſtoient derriere
Sa Majesté , & derriere
ces Princes. Aprés
les troifiémes inclinations
dont je vous viens de parler
, le premier Ambaffadeur
commença ſa Harangue
. Quand il eut achevé,
M'l'Abbé de Lionne
, qui l'avoit traduire ,
la lût en François . Comme
c'eſt une Piece qui
peut eftre dérachée , je la
de Siam. 201
referve pour la fin de cette
Relation , afin de n'interrompre
pas les particularitez
de l'Audience.
M² l'Abbé de Lionne
ayant ceffé de parler ,
le premier Ambaſſadeur
monta pour remettre la
Lettre du Roy de Siam
entre les mains de SaMajeſté.
Les deux autres l'accompagnerent
, mais ils
laifferent toûjours une
marche entre eux , & le
premier Ambaſſadeur; ain202
Voyagedes Amb.
fi ils n'approcherent pas fi
prés . Le Roy ſeleva pour
prendre la Lettre , & la
reçeut debout , &découvert.
Enfuite Sa Majesté
appella M² l'Abbé de
Lionne , & luy dit qu'il
demandaſt à l'Ambaffadeur
des nouvelles de la
Santé du Roy de Siam, &
en quel eſtat il l'avoit
laiſsé quandil eſtoit party.
Le Roy demanda auſſi des
nouvelles de la Santé de
la Princeſse Reyne , & a
de Siam. 203
1
prés les réponſes de l'Ambaſsadeur,
Sa Majesté luy
ba
dit , Que s'il avoit quelque
choſe à luy propoſer , il le
pouvoitfaire,esqu Elle l'écouteroit.
L'Ambassadeur
demeura fi penetré des
bontez du Roy , qu'il ne
répondit qu'en ſe profternant
le plus bas qu'il put,
Ils recommencerent tous
juſqu'à trois fois les mefmes
inclinations qu'ils avoient
faires en s'approchant
du Trône du Roy,
204 Voyage des Amb.
& fe retirerent ayant toujours
les mains jointes, &
marchant à reculons jufqu'au
bout dela Galerie .
Ils ne ſe retournerent que
lors qu'ils ne pûrent plus
voir le Roy , qui demeura
dans ſon Trônejuſqu'à ce
qu'ils fuſsent fortis de la
Galerie. Comme ils avoient
traverſé tous les
Appartemens fans tourner
les yeux d'aucun coſté
, ſe croyant à tous momens
fur le point de pa
de Siam. 189
2
S
qui ſuivirent. Quand on
fut au haut de l'Efcalier ,
le premier Ambaffadeur
prit dans la Machine un
Vaſe où l'on avoit mis la
Boëte d'or qui renfermoit
la Lettre du Roy fon
Maistre , & le donna à
porter au troifiéme Ambaſſadeur
, puis l'on entra
dans la premiere Salle
des Gardes . Les Gardes du
Corps estoient en haye,
& fort ferrez des deux
coftez des deux premieres
190 Voyage des Amb.
Salles du grand Aparte
ment du Roy . M'le Duc
de Luxembourg les receut
à la porte de la premiere
avec trente Officiers
des Gardes fort lettes
& en jufte-au- corps bleu.
Le compliment de M'de
Luxembourg eftant finy ,
il accompagna les Ambaffadeurs
avec tous les Officiers
de ſa fuite , juſques
au bout de la Galerie où
eſtoir le Trône du Roy ,
& les Trompetes qui é
de Siam. 191
toient entrez avec les
meſmes Ambaffadeurs
pour accompagner la Lettre
du Roy de Siam,&luy
faire plus d'honneur,joue
rent juſques au bout de
la ſeconde Salle où les
Gardes du Corps eſtoient
en haye , & ne pafferent
point dans le reſte de l'Appartement,
que tous ceux
que je vous ay marquez
traverſerent. Ils entrerent
enfuite dans le Salon qui
eſt au bout de l'Apparte
192 Voyage des Amb.
ment , & par lequel on
va dans la Galerie , &
dés qu'ils furent ſous la
grande Arcade qui la ſepare
de ce Salon , & d'où
l'on pouvoit voir le Roy
en face , ils firent trois
profondes inclinations , &
tenant leurs mains jointes
, ils les éleverent autant
de fois juſques à leur
front . Ils firent la meſme
choſe au milieu de la Galerie,
dans laquelle étoient
environ quinze cens perſonnes
deSiam.
193
ſonnes , ce quiformoit fix
à fept rangs de chaque
cofté,& malgré cette foule
M'le Duc d'Aumont,
premier Gentilhomme de
la Chambre d'année , &
qui en cette qualité commandoit
dans lesAppartemens
avoit fi bien pris
ſes meſures , que fix perſonnes
pouvoient paffer
de front dans l'eſpace qui
reftoit vuide au milieu de
la Galerie . Le Trône d'argent
du Roy estoit poſé
د
R
194 Voyage des Amb.
fur une Eſtrade elevée de
neuf marches , & les marches
eftoient couvertes
d'un Tapis à fonds d'or.
Il y en avoit encore un
plus riche ſur l'eſplanade
, & autour de ce Tapis
eftoit une campanne
en broderie qui débordoit
fur la neuvième marche.
Les coſtez de ces neuf
marches eftoient garnis
de grandes Torcheres
d'argent de neuf pieds de
haut,&par delà les mar
de Siam. 195
ches , en élargiſſant toujours
, il y en avoit environ
dans l'eſpace de quatorze
ou quinze pieds de
long, entremelez de grandes
Buires , & de grands
Vaſes d'argent . Cet efpace
eſtoit pour mettre la
fuite des Ambaſſadeurs .
Comme elle precedoit ,
elley fut rangée à droite
& à gauche par M'Giraut ,
& ceux qui la compofoient
ſe profternerent
auffi - toft .Ils auroient toû-
Rij
196 Voyage des Amb.
jours eu le viſage contre
terre , fi le Roy n'euſt
permis qu'ils le regardaffent.
Lors qu'on en parla
à Sa Majesté , Elle dit,
Qu'ils estoient venus de
trop loin pour ne leur pas
permettre de le voir Quand
les trois Ambaſſadeurs furent
au pied de l'Eſtrade ,
ils firent leurs troiſiémes
inclinations , & les firent
fi profondes , qu'on
peut dire , que leur tefte
toucha la terre ; le Roy
de Siam.
205
roiſtre devant le Roy, la
beauté & la richesse des
Appartemens les furprirent
en fortant, & cedant
alors à la curiofité , ils ſe
détacherent pour en regarder
les Meubles . On
leur dit qu'on les ameneroit
tout exprés , afin qu'-
ils pûffent les voir à loifir ,
& le premier Ambaffadeur
répondit , Que c'eftoient
des choses à voir plus
d'une fois. Ils furent reconduits
dans la Salle où
206 Voyage des Amb.
,
ils eftoient defcendus en
arrivant ; & aprés qu'ils
s'y furent un peu repoſez ,
& qu'ils eurent ofté leurs
Bonnets de Ceremonie ,
on les mena dans une autre
Salle , où l'on avoit
ſervy un magnifique Difné.
Ils estoient tout remplis
de l'air majestueux &
delabontédu Roy , & en
parlement avec admiration
pendant la plus grande
partie du Repas ; ce
qu'ils font encore tous
de Siam .
T
0
207
les jours. M'de la Feüillade
diſna avec eux , &
fut placé à la droite entre
le premier , & le fecond
Ambaſſadeur . A la gauche
eſtoient le ſecond Ambaffadeur,
& M² de Bonneüil
enfuite ; à la droite M.
Stolf, à la gauche M. le
Chevalier de Chaumont;
à la droite les huit Mandarins
, à la gauche & vis
à vis , M' Delrieu , Maiftre
d'Hoſtel ordinaire de
la Maiſon du Roy , M.
r
208 Voyage des Amb.
l'Abbé de Lionne , & M.
Giraut. La Table estoit à
Pans,& comme elle estoit
extrémement grande , &
qu'il auroit eſté impoffible
que le plus grand
homme euſt placé des
plats juſques au milieu ,
on yavoit mis cinq Corbeilles
d'argent remplies
des plus belles fleurs, qui
toutes enſemble formoient
une piramide tresagreable.
Les plats furent
portez par les Cent Suif
de Siam. 209)
fes du Roy, ayant en tefte
M² de Riveroles , Controleur
de la Maiſon de Sa
Majeſté. Il y eur trois Services
,fans celuy du Fruit,,
& chaque fervice fut de
trente grands Plats , fans.
comprer les Hors- d'oen--
vre , & les Salades . Le
Defferr eſtoit parfaites
ment beau , & de pirami--
des fort élevées , & le
coloris des fruits , des
fleurs , & des confitures
1
ſeches faifoir un effer
2
S
210 Voyage des Amb.
plaiſant à la veuë. On fervit
quantité de Sous- coupes
, les unes remplies de
differentes liqueurs , &
les autres couvertes de
Taffes , remplies de toutes
fortes d'Eaux glacées ,
Onferviten meſme temps
une autre Table dans un
autre endroit , pour les
Secretaires , & les autres
Perſonnes de la fuite des
Ambaſſadeurs , fans celle
qui fut fervie pour les
Domestiques.Les Ambaf
deSiam. 211
fadeurs & les Mandarins
allerent en fortant de ta--
ble prendre leurs Bonnets.
de Ceremonie , parce que
c'eſtoit l'heure marquée:
pour l'Audience qu'ils de--
voient avoir de Monfeigueur
le Dauphin. Ils fe
rendirent chez ce Prince,
conduits par les mcfmess
Perſonnes qui les avoient
accompagnez à l'Audien
ce du Roy , & pafferent
au travers d'une double
S
e
es
1 haye de Gardes du Corps..
S. ij
212 Voyage des Amb.
Dés qu'ils apperçeûrent
Monſeigneur le Dauphin,
ils firent les meſmes inclinations
qu'ils avoient
faires chez leRoy.Le ſujet
du Compliment de l'Ambaſſadeur
fut fur ce que
le Roy Son Maistre regardoit
ce Prince comme le
digne Fils du plus grand
Roy de l'Europe , & dont
les grandes qualitez,
les Victoires s'estoient fait
connoistre jusques aux extrémite,
z de l'Univers , &
de Siam.
213
que mesme dans le temps
que le Roy faisoit des choses
qui paroiffent incroyables à
Ses Sujets-mefmes , le Roy
Son Maistre avoit eu le
bonheur de les apprendre ,
& d'en recevoir les confirmations
. Ilajoûta , que ce
mesme Roy esperoit que
Monseigneur le Dauphin
eftant forty d'un Sang ft
glorieux es fi genereux ,
-estant luy - mesme si bien-
- faisant , luy accorderoit les
= mesmes avantages , & la
214 Voyage des Amb.
misme amitié que le Roy
Son Pere , esqu'il estoit faché
de n'avoir pas eu le
temps de chercher dans toutes
les Indes des chofes plus
curieuses que celles qu'il luy
envoyoit. Monfcigneur le
Dauphin remercia non
ſeulement le Roy de
Siam , & les Ambaffadeurs
dans fa réponſe;
mais ce Prince fit auffi
connoiſtre qu'il leur donneroit
des marques de ſa
reconnoiffance . Les mou
deSiam. 215
vemens de leurs viſages
montrerent combien ils
eſtoient ſenſibles à des paroles
fi obligeantes , & ils
n'oferent y répondre
qu'en ſe profternant le
plus bas qu'il leur fut
poffible. Ils ſe retirerent
de la même maniere qu'ils
avoient fait chez le Roy.
Ils n'eurent point Audience
de Madame la Dauphine
, parce qu'elle eftoir
accouchée le jour precedent,&
en fortant de chez
216 Voyage des Amb.
Monteigneur le Dauphin,
ils allerent chez Monfeigneur
le Duc de Bourgogne.
Les meſmes Ceremonies
y furent obfervées.
Je ne les repereray
point , & vous diray feulement
qu'elles ont eſté
égales pour toute la Maifon
Royale. L'Ambaffadeur
dit à Monſeigneur le
Duc de Bourgogne , Que
le Roy de Siam s'estoit réjozy
de fon heureuse Naif-
Sance, &les avoit chargez,
de
de Siam. 217
2
de l'en afſeurer; que la Princeffe
Reine luy envoyoit de
petites bagatelles pour le divertir
quelques momens ,
&quefi elles luy plaiſoient,
elle auroit ſoin de luy en envoyer
d'autres. Ils firent à
peu prés le meſme compliment
chez Monfeigneur
le Duc d'Anjou ,
& pafferent enfuite dans
la Chambre de Monfeigneur
le Duc de Berry.
L'Ambaſſadeur luy dit
Qu'il ne pouvoit que Sou-
T
218 Voyage des Amb.
haitertoutessortes de profperitez
à un Prince qui ne
Sçavoit pas encore parler,
qu'il estoit persuadé qu'il
feroit un jour un tres- grand
Prince, puis qu'il ſembloit
n'eſtre né que pour donner
ſa premiere Audience
à des Ambaſſadeurs venus
defix mille lieuës , & d'un
Païs d'où il n'en estoit point
encore venu en France, &
qu'il ne doutoit pas que lors
qu'il feroit plus grand , le
Roy Son Maistre ne luy
de Siam. 219
fuft connu , & qu'il ne s'en
Souvinſt, puis qu'on avoit
foin d'écrire l'Histoire des
Princes , &que l'Audience
qu'ils avoient ,ſeroit le premier
évenement qu'il rencontreroit
dans la fienne aprés
ſa Naiſſance. Madame
la Mareſchale de la
Mothe, Gouvernantedes
Enfans de France, répondit
à tous ces Complimens
avec l'eſprit qu'on ſçait
qu'elle a toûjours fait paroiſtre
en de pareilles oc-
Tij
220 Voyagedes Amb.
cafions. Ils traverſerent
enfuite la Galerie qui conduit
à l'Appartement de
Monfieur. Ils furent reçûs
par le Capitaine , &
les Officiers deſes Gardes ,
& pafferent la premiere
Sale au travers d'une
double haye des Gardes
du Corps de fon Alteſſe
Royale , & aprés avoir
traverſé pluſieurs Chambres
ils trouverent ce
Prince environné de toude
ſa Cour qui estoit fort
de Siam. 220
nombreuſe. Le Premier
Ambaffadeur , aprés avoir
felicité Monfieur fur les
Villes qu'il a prifes , & fur
le gain de la Bataille de
Caffel , s'étendit ſur la
parfaite union qui eſt en-
:
tre le Roy & ce Prince ,
& qui fait que les Ennemis
du Roy tont les fiens. IL
ajoûta , Qu'il ne doutoit
point que cette union &cette
conformité defentimens
ne fust cauſe qu'il n'eust
pour le Roy Son Maſtre les
Tij
222 Voyage des Amb.
mesmes sentimens que le
Roy avoit pour ce Monarque
, & qu'il eſperoit
que les Amis du Roy Son
Frere seroient ſes Amis,
commeſes Ennemis étoient
devenus lesſiens. Monfieur -
ayant fait à ce compliment
une réponſe auſſi favorable
que les Ambaffadeurs
la pouvoient attendre
, ils allerent chez
Madame, & pafferent encore
au travers d'une
double haye de Gardes
de Siam. 223
du Corps rangez dans la
premiere Salle . Madame
eſtoit accompagnée d'un
grand nombre de Princeffes
& de Ducheffes , & des
principales Dames de fa
Mailo Maiſon , dont les habits
eſtoient tout garnis de
pierreries. Il dit à Madame
, Que c'estoit pour eux
un honneurfort grand , que
de pouvoirfalüer une Heroïne
, Femme d'un Heros
quiestoit Frere d'un grand
5 invincible Monarque ..
Tij (
224 Voyage des Amb.
Es qu'ils mettroient ce jour
là au nombre des plus heureux
de leur vie. Aprés cette
Audience on les reconduifit
dans la Salle où ils
eſtoient defcendus d'abord.
Ilsy quiterent leurs
Bonnets de ceremonie , &
on leur prefenta la Collation
, mais ils ne mangerent
point. Ils monterent
enfuire en Caroffe pour
s'en retourner , & pafferent
encore entre les
Compagnies Françoiſes &
de Siam. 22.5
Suiffes de Garde qui eftoient
fous les Armes. Le
reſte du jour ils ne parlerent
que du Roy , de fa
bonne mine,de ſa taille,&
de la bonté qu'il mefle fi
dignement avec la fierté
Royale qu'un Monarque
doit avoir.
la Fiévre- quarte , dont il
ayoit eu quelques accés ,
declara qu'il donneroit
Audience aux Ambaſſadeus
le premier jour de
Septembre . Ce jour - là
M'le Maréchal Duc de la
Feuillade, M'de Bonneuil,
Introducteur des Ambaffadeurs
, &M* Giraut, qui
맥 l'accompagne toujours
dans cette fonction , les
Pij
172 Voyage des Amb.
allerent prendre à l'Ho
ſtel des Ambaſſadeurs ,
dans les Caroffes du Roy,
& de Madame la Dauphine
, avec pluſieurs autres
Caroſſes de ſuite. M.
de la Feuillade leur marqua
la joye qu'il avoit de
les venir querir pour les
mener à l'Audience du
Roy , & leur dit qu'il auroit
l'honneur deles conduire
à toutes les Audiences
que leur donneroit Sa
Majefté. Le premier Amde
Siam.
173
.
a
baffadeur luy fit connoiſtre
l'extrême paffion qu'-
ils avoient de voir le Roy,
&luy dit, Que cet heureux
jour, pour lequel ils avoient
traverſé tant de Mers ,
estoit enfin arrivé Ils monterent
enfuite dans le Caroffe
du Roy , qui fut environné
de pluſieurs Va-
Iets de pied de Sa Majeſté
, & précedé par ceux
de M. de la Feuillade. Ils
s'entretinrent pendant la
plus grande partie du che-
Pij
174 Voyage des Amb.
min de la Religion des Siamois
, dont M. de la Feuillade
demanda les particularitez
. L'Ambaffadeur
luy répondit avec beaucoup
d'eſprit , Que tout ce
qu'on diſoit d'une Religion
inconnuë devoit d'abord
paroiftre ridicule à des per
Sonnes qui n'en avoient
nulle connoiffance , & qui
en profefforent une autre ,
parce qu'il eft naturel de
croire toûjours la Religion
que l'on a embraßee , 04
deSiam.
175
汇
dans laquelle on est né , la
1 meilleure de toutes , esqu'-
+ enfin il falloit plus de temps
pour parler à fond fur une
Afi grande matiere, &entrer
dans des details qui de
mandoient plus d'application
qu'ils n'en pouvoient
alors donner; qu'autrement
201
e
01
les choses les plus réelles pa-
* roiſſoient fans fondement
Es sans vray -Semblance..
Aprés cela ilsentrerent.en
10
conversation, & l'Ambaf_
fadeur ayant expliqué à
Pij
176 Voyage des Amb.
peu prés les chofes que je
vous ay déja marquées ſur
leur Religion , en ajoûta
trois , qu'il dit en eſtre les
trois principaux points ,
qui font, l'Amour des Ennemis
, l'Humilité , & la
Penitence.
Comme on ne peut aller
à Versailles fans voir
Saint Cloud & Meudon ,
& que ces Maiſons paroiffent
beaucoup , on dit
à l'Ambaſſadeur que l'une
appartenoit à Monfieur,
deSiam. 177
1
Frere unique de Sa Majeſté
, & l'autre à M. de
Louvois , Miniſtre d'Etat .
Il dit qu'il ne s'étonnoit
point de voir de fi belles
- Maiſons dans le Royaume,
Essur tout aprés le haut
point de gloire où le Roy avoit
mis la France. Enfin
on arriva à Versailles par
la grande avenuë, aprés
une converſation toute
pleine d'eſprit. Il y avoit
e dans la premiere Court
r mille hommes du Regi
178 Voyage des Amb.
ment des Gardes Françoi
fes& Suiffes ſous les armes
. Ils estoient tous veftus
en Juſteau corps rouges
brodez , & formoient
cinq files de chaque cofté,
Enſeignes déployées , &
tous lesOfficiers laPique à
la main. Les Suiffes eftoiet
à droite , & les François
à gauche , mais fans qu'ils
changent de diſpoſition ,
les François fe trouvent à
la droite de ceux qui fortent
du Chafteau , & les
de Siam. 179
S
ر
a
es
Suiffes à la gauche . On dit
aux Ambaſſadeurs que
c'eſtoit la Garde ordinaire
de dehors , qui monte
tous les trois jours. On
trouva les Gardes de la
Porte, qui formoient deux
hayes au delà de la porte
de la feconde Court . Ces
Gardes font pour ouvrir
la porte à ceux dont les
Caroffes ont droit d'enrrer
dans le Louvre ; ils
ne la gardent point la
nuit , & à fix heures du
180 Voyage des Amb.
ſoir les Gardes du Corps
en prennent poffeffion .
Les Ambaſſadeurs furent
conduits dans une Salle
appellée la Salle de Def
cente. C'est un lieu où l'on
mene tous les Ambaſſadeurs
en attendant l'heure
de l'Audience . On leur
fervit à déjeuner , mais ils
ne voulurent point manger
; ils ſe laverent feulement
, car ils font d'une
propreté extraordinaire .
Ils mirent enfuire les Bonde
Siam. 181
nets qui marquent leur
Dignité , & dont je vous
ay déja parlé. Ils ont au
bas de ces Bonnets , des
Couronnes d'or larges de
deux à trois doigts , d'où
fortent des fleurs faites de
feuilles d'or tres- minces ,
au milieu deſquelles font
1 quelques Rubis à la place
de la graine . Comme les
feüilles d'or qui forment
ces fleurs font fort lege-
-fres , elles ont un mouvement
qui les fait paroiſtre
e.
182 Voyage des Amb.
toûjours agitées. Le troifiéme
Ambaſſadeur n'a
point de ces fleurs autour
de ſa Couronne , il n'a
qu'un Cercle d'or large
de deux grands doigts &
cizelé. Lors qu'ils faifoient
travailler à ces Couronnes
par un Orphévre de
Paris , cét Orphévre leur
ayant dit qu'elles eſtoient
bien legeres , le premier
Ambaſſadeur répondit ,
Qu'ils les faisoient faire
pour des hommes, & quefi
de Siam. 183
10
هللا
be
elles estoient plus lourdes, il
les faudroit donner à porter
àdesBeftes . Leshuit Mandarins
qui accompagnent
les Ambaſsadeurs,ont une
pareille coëfure de Moufſeline
, mais il n'y a point
de Couronne autour de
leurs Bonnets. Ceux à qui
ces marquesde dignitéont
eſté données , n'oferoient
paroiftre devant le Roy
de Siam ſans les avoir,
L'heure de l'Audience étant
venuë , l'Introduce
184 Voyage des7
Amb.
teur des Ambassadeurs les
vint avertir que le Roy étoit
preſt á ſe mettre dans
fon Trône , & qu'il eſtoit
temps de partir. Il faut remarquer
que la Salle où
ils eftoient , regarde prefque
l'Eſcalierpar lequel ils
devoient monter chez le
Roy , & que pour ſe rendre
à cét Efcalier , il falloit
qu'ils traverſaffent la
Court. Ils trouverent en
haye dans cette Court les
Gardes de la Prevoſté, &
de Siam. 185
lesCent- Suiſses en approchant
de l'Eſcalier . M
Giraut marchoit à la teſte
des Domeſtiques des Ambassadeurs
; M' de Blainville
, grand Maiſtre des
Ceremonies , M. de Bon-
1 neuil Introducteur des
Ambassadeurs , & M
- Stolff Gentilhomme or-
Idinaire de la Maiſon du
| Roy , & nommé par Sa
Majesté pour les accom- el
pagner pendant tout le
| temps qu'ils feront ent
உ
186 Voyage des Amb.
France , venoient enfuite.
La Lettre du Roy de Siam
eſtoit portée par douze
Suifses dans la mesme
machine qui estoit à la
ruelle du Lit du premier
Ambassadeur , & que je
vous ay déja fait voir
gravée , & l'on portoit
quatre Parasols pour
couvrir cette Machine.
On avoit ordonné que
pour faire honneur à cette
Lettre , ily auroit au pied
de l'Escalier , en dehors ,
1
1
de Siam. 187
e
trente-fix Tambours , &
و
vingt - quatre Trompetes.
Les trois Ambaſsa
deurs marchoient de
front avec M² de la Feuillade
, & l'on portoit auprés
d'eux les marques de
leur dignité , qui font de
grandes Boetes rondes cizelées
avec des couvercles
relevez . C'eſt le Roy
de Siam qui les donne , &
l'on ne paroiſt jamais de--
vant luy ſans les avoir..
Elles font differentes auf
4
Qij
188 Voyage des Amb.
fi- bien que les Couronnes
, & font connoiſtre le
rang de ceux à qui elles apartiennent.
LesCours du
Chasteau estoient toutes
remplies de monde pour
voir paffer les Ambaffadeurs
. Ils trouverent deux
hayes desCent Suiffes, fur
le grand Efcalier , dont les
Eaux joüoient & faifoient
plufieurs napes dans le
milieu. Ils le traverſerent
au bruit des Fanfares des
yingt- quatre Trompetes
de Siam.
197
a
les falüa auffi. On ne
ſçauroit rien repreſenter
où le reſpect puiſse eftre
plus marqué , qu'il
l'eſtoit fur le viſage des
Ambassadeurs & de tous
ceux de leur fuire. Ils l'imprimerent
dans tous les
coeurs , & cette extreme
veneration qu'ilsfirent paroiſtre
pour laPerſonne de
Sa Majesté, leur attira de
S
S
grandes loüanges. Le Roy
avoit à la droite de fon
Trône Monſeigneur le
Riij
198 Voyage des Amb.
Dauphin , Monfieur le
Duc de Chartres , Monfieur
le Duc de Bourbon,
& Monfieur le Comte
de Toulouſe ; & à fa gauche,
Monfieur , Monfieur
le Duc , & Monfieur le
Ducdu Maine . Sonhabit
eftoit brodé à plein. Il y
avoit deſsus pour plufieurs
millions de Pierreries
, leſquelles formoient
en beaucoup d'endroisles
ornemens de la broderie.
Tous les Princes avoient
de Siam.
199
۲
د
des habits ou brodez , ou
de brocards d'or tous
couverts de Pierreries.Celuy
de Monfieur eftoit
noir , à cauſe que ce Prince
porte le deuil, & cette
couleur donnant un plus
vif éclat aux Diamans
dont il eſtoit remply, il n'y
avoit rien de plus brillant..
L'habit de Monfieur le
Duc du Maine estoit auffi
【
S
diftingué par un tresgrand
nombre de Rubis .Tous les
حا
grands Officiers du Roy
ו
Riiij
200 Voyage des Amb.
M.le Duc de Montaufier,
& ceux qui ont des Survivances
, eſtoient derriere
Sa Majesté , & derriere
ces Princes. Aprés
les troifiémes inclinations
dont je vous viens de parler
, le premier Ambaffadeur
commença ſa Harangue
. Quand il eut achevé,
M'l'Abbé de Lionne
, qui l'avoit traduire ,
la lût en François . Comme
c'eſt une Piece qui
peut eftre dérachée , je la
de Siam. 201
referve pour la fin de cette
Relation , afin de n'interrompre
pas les particularitez
de l'Audience.
M² l'Abbé de Lionne
ayant ceffé de parler ,
le premier Ambaſſadeur
monta pour remettre la
Lettre du Roy de Siam
entre les mains de SaMajeſté.
Les deux autres l'accompagnerent
, mais ils
laifferent toûjours une
marche entre eux , & le
premier Ambaſſadeur; ain202
Voyagedes Amb.
fi ils n'approcherent pas fi
prés . Le Roy ſeleva pour
prendre la Lettre , & la
reçeut debout , &découvert.
Enfuite Sa Majesté
appella M² l'Abbé de
Lionne , & luy dit qu'il
demandaſt à l'Ambaffadeur
des nouvelles de la
Santé du Roy de Siam, &
en quel eſtat il l'avoit
laiſsé quandil eſtoit party.
Le Roy demanda auſſi des
nouvelles de la Santé de
la Princeſse Reyne , & a
de Siam. 203
1
prés les réponſes de l'Ambaſsadeur,
Sa Majesté luy
ba
dit , Que s'il avoit quelque
choſe à luy propoſer , il le
pouvoitfaire,esqu Elle l'écouteroit.
L'Ambassadeur
demeura fi penetré des
bontez du Roy , qu'il ne
répondit qu'en ſe profternant
le plus bas qu'il put,
Ils recommencerent tous
juſqu'à trois fois les mefmes
inclinations qu'ils avoient
faires en s'approchant
du Trône du Roy,
204 Voyage des Amb.
& fe retirerent ayant toujours
les mains jointes, &
marchant à reculons jufqu'au
bout dela Galerie .
Ils ne ſe retournerent que
lors qu'ils ne pûrent plus
voir le Roy , qui demeura
dans ſon Trônejuſqu'à ce
qu'ils fuſsent fortis de la
Galerie. Comme ils avoient
traverſé tous les
Appartemens fans tourner
les yeux d'aucun coſté
, ſe croyant à tous momens
fur le point de pa
de Siam. 189
2
S
qui ſuivirent. Quand on
fut au haut de l'Efcalier ,
le premier Ambaffadeur
prit dans la Machine un
Vaſe où l'on avoit mis la
Boëte d'or qui renfermoit
la Lettre du Roy fon
Maistre , & le donna à
porter au troifiéme Ambaſſadeur
, puis l'on entra
dans la premiere Salle
des Gardes . Les Gardes du
Corps estoient en haye,
& fort ferrez des deux
coftez des deux premieres
190 Voyage des Amb.
Salles du grand Aparte
ment du Roy . M'le Duc
de Luxembourg les receut
à la porte de la premiere
avec trente Officiers
des Gardes fort lettes
& en jufte-au- corps bleu.
Le compliment de M'de
Luxembourg eftant finy ,
il accompagna les Ambaffadeurs
avec tous les Officiers
de ſa fuite , juſques
au bout de la Galerie où
eſtoir le Trône du Roy ,
& les Trompetes qui é
de Siam. 191
toient entrez avec les
meſmes Ambaffadeurs
pour accompagner la Lettre
du Roy de Siam,&luy
faire plus d'honneur,joue
rent juſques au bout de
la ſeconde Salle où les
Gardes du Corps eſtoient
en haye , & ne pafferent
point dans le reſte de l'Appartement,
que tous ceux
que je vous ay marquez
traverſerent. Ils entrerent
enfuite dans le Salon qui
eſt au bout de l'Apparte
192 Voyage des Amb.
ment , & par lequel on
va dans la Galerie , &
dés qu'ils furent ſous la
grande Arcade qui la ſepare
de ce Salon , & d'où
l'on pouvoit voir le Roy
en face , ils firent trois
profondes inclinations , &
tenant leurs mains jointes
, ils les éleverent autant
de fois juſques à leur
front . Ils firent la meſme
choſe au milieu de la Galerie,
dans laquelle étoient
environ quinze cens perſonnes
deSiam.
193
ſonnes , ce quiformoit fix
à fept rangs de chaque
cofté,& malgré cette foule
M'le Duc d'Aumont,
premier Gentilhomme de
la Chambre d'année , &
qui en cette qualité commandoit
dans lesAppartemens
avoit fi bien pris
ſes meſures , que fix perſonnes
pouvoient paffer
de front dans l'eſpace qui
reftoit vuide au milieu de
la Galerie . Le Trône d'argent
du Roy estoit poſé
د
R
194 Voyage des Amb.
fur une Eſtrade elevée de
neuf marches , & les marches
eftoient couvertes
d'un Tapis à fonds d'or.
Il y en avoit encore un
plus riche ſur l'eſplanade
, & autour de ce Tapis
eftoit une campanne
en broderie qui débordoit
fur la neuvième marche.
Les coſtez de ces neuf
marches eftoient garnis
de grandes Torcheres
d'argent de neuf pieds de
haut,&par delà les mar
de Siam. 195
ches , en élargiſſant toujours
, il y en avoit environ
dans l'eſpace de quatorze
ou quinze pieds de
long, entremelez de grandes
Buires , & de grands
Vaſes d'argent . Cet efpace
eſtoit pour mettre la
fuite des Ambaſſadeurs .
Comme elle precedoit ,
elley fut rangée à droite
& à gauche par M'Giraut ,
& ceux qui la compofoient
ſe profternerent
auffi - toft .Ils auroient toû-
Rij
196 Voyage des Amb.
jours eu le viſage contre
terre , fi le Roy n'euſt
permis qu'ils le regardaffent.
Lors qu'on en parla
à Sa Majesté , Elle dit,
Qu'ils estoient venus de
trop loin pour ne leur pas
permettre de le voir Quand
les trois Ambaſſadeurs furent
au pied de l'Eſtrade ,
ils firent leurs troiſiémes
inclinations , & les firent
fi profondes , qu'on
peut dire , que leur tefte
toucha la terre ; le Roy
de Siam.
205
roiſtre devant le Roy, la
beauté & la richesse des
Appartemens les furprirent
en fortant, & cedant
alors à la curiofité , ils ſe
détacherent pour en regarder
les Meubles . On
leur dit qu'on les ameneroit
tout exprés , afin qu'-
ils pûffent les voir à loifir ,
& le premier Ambaffadeur
répondit , Que c'eftoient
des choses à voir plus
d'une fois. Ils furent reconduits
dans la Salle où
206 Voyage des Amb.
,
ils eftoient defcendus en
arrivant ; & aprés qu'ils
s'y furent un peu repoſez ,
& qu'ils eurent ofté leurs
Bonnets de Ceremonie ,
on les mena dans une autre
Salle , où l'on avoit
ſervy un magnifique Difné.
Ils estoient tout remplis
de l'air majestueux &
delabontédu Roy , & en
parlement avec admiration
pendant la plus grande
partie du Repas ; ce
qu'ils font encore tous
de Siam .
T
0
207
les jours. M'de la Feüillade
diſna avec eux , &
fut placé à la droite entre
le premier , & le fecond
Ambaſſadeur . A la gauche
eſtoient le ſecond Ambaffadeur,
& M² de Bonneüil
enfuite ; à la droite M.
Stolf, à la gauche M. le
Chevalier de Chaumont;
à la droite les huit Mandarins
, à la gauche & vis
à vis , M' Delrieu , Maiftre
d'Hoſtel ordinaire de
la Maiſon du Roy , M.
r
208 Voyage des Amb.
l'Abbé de Lionne , & M.
Giraut. La Table estoit à
Pans,& comme elle estoit
extrémement grande , &
qu'il auroit eſté impoffible
que le plus grand
homme euſt placé des
plats juſques au milieu ,
on yavoit mis cinq Corbeilles
d'argent remplies
des plus belles fleurs, qui
toutes enſemble formoient
une piramide tresagreable.
Les plats furent
portez par les Cent Suif
de Siam. 209)
fes du Roy, ayant en tefte
M² de Riveroles , Controleur
de la Maiſon de Sa
Majeſté. Il y eur trois Services
,fans celuy du Fruit,,
& chaque fervice fut de
trente grands Plats , fans.
comprer les Hors- d'oen--
vre , & les Salades . Le
Defferr eſtoit parfaites
ment beau , & de pirami--
des fort élevées , & le
coloris des fruits , des
fleurs , & des confitures
1
ſeches faifoir un effer
2
S
210 Voyage des Amb.
plaiſant à la veuë. On fervit
quantité de Sous- coupes
, les unes remplies de
differentes liqueurs , &
les autres couvertes de
Taffes , remplies de toutes
fortes d'Eaux glacées ,
Onferviten meſme temps
une autre Table dans un
autre endroit , pour les
Secretaires , & les autres
Perſonnes de la fuite des
Ambaſſadeurs , fans celle
qui fut fervie pour les
Domestiques.Les Ambaf
deSiam. 211
fadeurs & les Mandarins
allerent en fortant de ta--
ble prendre leurs Bonnets.
de Ceremonie , parce que
c'eſtoit l'heure marquée:
pour l'Audience qu'ils de--
voient avoir de Monfeigueur
le Dauphin. Ils fe
rendirent chez ce Prince,
conduits par les mcfmess
Perſonnes qui les avoient
accompagnez à l'Audien
ce du Roy , & pafferent
au travers d'une double
S
e
es
1 haye de Gardes du Corps..
S. ij
212 Voyage des Amb.
Dés qu'ils apperçeûrent
Monſeigneur le Dauphin,
ils firent les meſmes inclinations
qu'ils avoient
faires chez leRoy.Le ſujet
du Compliment de l'Ambaſſadeur
fut fur ce que
le Roy Son Maistre regardoit
ce Prince comme le
digne Fils du plus grand
Roy de l'Europe , & dont
les grandes qualitez,
les Victoires s'estoient fait
connoistre jusques aux extrémite,
z de l'Univers , &
de Siam.
213
que mesme dans le temps
que le Roy faisoit des choses
qui paroiffent incroyables à
Ses Sujets-mefmes , le Roy
Son Maistre avoit eu le
bonheur de les apprendre ,
& d'en recevoir les confirmations
. Ilajoûta , que ce
mesme Roy esperoit que
Monseigneur le Dauphin
eftant forty d'un Sang ft
glorieux es fi genereux ,
-estant luy - mesme si bien-
- faisant , luy accorderoit les
= mesmes avantages , & la
214 Voyage des Amb.
misme amitié que le Roy
Son Pere , esqu'il estoit faché
de n'avoir pas eu le
temps de chercher dans toutes
les Indes des chofes plus
curieuses que celles qu'il luy
envoyoit. Monfcigneur le
Dauphin remercia non
ſeulement le Roy de
Siam , & les Ambaffadeurs
dans fa réponſe;
mais ce Prince fit auffi
connoiſtre qu'il leur donneroit
des marques de ſa
reconnoiffance . Les mou
deSiam. 215
vemens de leurs viſages
montrerent combien ils
eſtoient ſenſibles à des paroles
fi obligeantes , & ils
n'oferent y répondre
qu'en ſe profternant le
plus bas qu'il leur fut
poffible. Ils ſe retirerent
de la même maniere qu'ils
avoient fait chez le Roy.
Ils n'eurent point Audience
de Madame la Dauphine
, parce qu'elle eftoir
accouchée le jour precedent,&
en fortant de chez
216 Voyage des Amb.
Monteigneur le Dauphin,
ils allerent chez Monfeigneur
le Duc de Bourgogne.
Les meſmes Ceremonies
y furent obfervées.
Je ne les repereray
point , & vous diray feulement
qu'elles ont eſté
égales pour toute la Maifon
Royale. L'Ambaffadeur
dit à Monſeigneur le
Duc de Bourgogne , Que
le Roy de Siam s'estoit réjozy
de fon heureuse Naif-
Sance, &les avoit chargez,
de
de Siam. 217
2
de l'en afſeurer; que la Princeffe
Reine luy envoyoit de
petites bagatelles pour le divertir
quelques momens ,
&quefi elles luy plaiſoient,
elle auroit ſoin de luy en envoyer
d'autres. Ils firent à
peu prés le meſme compliment
chez Monfeigneur
le Duc d'Anjou ,
& pafferent enfuite dans
la Chambre de Monfeigneur
le Duc de Berry.
L'Ambaſſadeur luy dit
Qu'il ne pouvoit que Sou-
T
218 Voyage des Amb.
haitertoutessortes de profperitez
à un Prince qui ne
Sçavoit pas encore parler,
qu'il estoit persuadé qu'il
feroit un jour un tres- grand
Prince, puis qu'il ſembloit
n'eſtre né que pour donner
ſa premiere Audience
à des Ambaſſadeurs venus
defix mille lieuës , & d'un
Païs d'où il n'en estoit point
encore venu en France, &
qu'il ne doutoit pas que lors
qu'il feroit plus grand , le
Roy Son Maistre ne luy
de Siam. 219
fuft connu , & qu'il ne s'en
Souvinſt, puis qu'on avoit
foin d'écrire l'Histoire des
Princes , &que l'Audience
qu'ils avoient ,ſeroit le premier
évenement qu'il rencontreroit
dans la fienne aprés
ſa Naiſſance. Madame
la Mareſchale de la
Mothe, Gouvernantedes
Enfans de France, répondit
à tous ces Complimens
avec l'eſprit qu'on ſçait
qu'elle a toûjours fait paroiſtre
en de pareilles oc-
Tij
220 Voyagedes Amb.
cafions. Ils traverſerent
enfuite la Galerie qui conduit
à l'Appartement de
Monfieur. Ils furent reçûs
par le Capitaine , &
les Officiers deſes Gardes ,
& pafferent la premiere
Sale au travers d'une
double haye des Gardes
du Corps de fon Alteſſe
Royale , & aprés avoir
traverſé pluſieurs Chambres
ils trouverent ce
Prince environné de toude
ſa Cour qui estoit fort
de Siam. 220
nombreuſe. Le Premier
Ambaffadeur , aprés avoir
felicité Monfieur fur les
Villes qu'il a prifes , & fur
le gain de la Bataille de
Caffel , s'étendit ſur la
parfaite union qui eſt en-
:
tre le Roy & ce Prince ,
& qui fait que les Ennemis
du Roy tont les fiens. IL
ajoûta , Qu'il ne doutoit
point que cette union &cette
conformité defentimens
ne fust cauſe qu'il n'eust
pour le Roy Son Maſtre les
Tij
222 Voyage des Amb.
mesmes sentimens que le
Roy avoit pour ce Monarque
, & qu'il eſperoit
que les Amis du Roy Son
Frere seroient ſes Amis,
commeſes Ennemis étoient
devenus lesſiens. Monfieur -
ayant fait à ce compliment
une réponſe auſſi favorable
que les Ambaffadeurs
la pouvoient attendre
, ils allerent chez
Madame, & pafferent encore
au travers d'une
double haye de Gardes
de Siam. 223
du Corps rangez dans la
premiere Salle . Madame
eſtoit accompagnée d'un
grand nombre de Princeffes
& de Ducheffes , & des
principales Dames de fa
Mailo Maiſon , dont les habits
eſtoient tout garnis de
pierreries. Il dit à Madame
, Que c'estoit pour eux
un honneurfort grand , que
de pouvoirfalüer une Heroïne
, Femme d'un Heros
quiestoit Frere d'un grand
5 invincible Monarque ..
Tij (
224 Voyage des Amb.
Es qu'ils mettroient ce jour
là au nombre des plus heureux
de leur vie. Aprés cette
Audience on les reconduifit
dans la Salle où ils
eſtoient defcendus d'abord.
Ilsy quiterent leurs
Bonnets de ceremonie , &
on leur prefenta la Collation
, mais ils ne mangerent
point. Ils monterent
enfuire en Caroffe pour
s'en retourner , & pafferent
encore entre les
Compagnies Françoiſes &
de Siam. 22.5
Suiffes de Garde qui eftoient
fous les Armes. Le
reſte du jour ils ne parlerent
que du Roy , de fa
bonne mine,de ſa taille,&
de la bonté qu'il mefle fi
dignement avec la fierté
Royale qu'un Monarque
doit avoir.
Fermer
Résumé : Tout ce qui s'est fait le jour qu'ils ont esté à l'Audience du Roy à Versailles, les Ceremonies qui ont esté observées avec les complimens qu'ils ont faits à la pluspart des Princes & Princesses de la Maison Royale, [titre d'après la table]
Après sa guérison de la fièvre quarte, le roi de France annonça qu'il recevrait les ambassadeurs siamois le 1er septembre. Le maréchal Duc de la Feuillade, accompagné de M. de Bonneuil et M. Giraut, se rendit à leur hôtel pour les escorter. Durant le trajet vers Versailles, les ambassadeurs discutèrent de la religion des Siamois, soulignant que chaque religion peut sembler ridicule à ceux qui en ignorent les détails. À Versailles, les ambassadeurs furent accueillis par des gardes en uniforme et traversèrent plusieurs cours avant d'être conduits dans la salle de descente. Ils refusèrent de déjeuner mais se préparèrent en mettant leurs bonnets de dignité ornés de couronnes d'or et de rubis. Escortés par plusieurs dignitaires, ils furent conduits à l'escalier du roi. La lettre du roi de Siam, portée par douze Suisses, fut accompagnée de tambours et de trompettes. Les ambassadeurs traversèrent les cours remplies de monde, montèrent l'escalier au son des fanfares et firent des inclinations profondes en entrant dans la galerie. Le roi, vêtu d'un habit brodé de pierreries, était entouré de princes et de grands officiers. Après la harangue de l'ambassadeur, traduite par l'abbé de Lionne, le roi reçut la lettre debout et découvert. Il demanda des nouvelles du roi de Siam et de la reine, puis invita l'ambassadeur à faire des propositions. Les ambassadeurs se retirèrent en faisant des inclinations et en marchant à reculons jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus voir le roi. Les ambassadeurs exprimèrent leur admiration pour la beauté et la richesse des appartements royaux. Ils furent invités à un dîner somptueux, avec une table décorée de fleurs et de nombreux plats. Après le repas, ils rencontrèrent le Dauphin, qui répondit favorablement à leurs compliments. Ils rendirent également visite au duc de Bourgogne, au duc d'Anjou, et au duc de Berry, en leur adressant des compliments appropriés. Ils rencontrèrent également Monsieur et Madame, exprimant leur admiration pour leurs exploits et leur union avec le roi. Tout au long de leur visite, les ambassadeurs montrèrent une grande déférence et furent reçus avec des honneurs égaux pour toute la maison royale.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 324-331
Explication de tous les Chiffres de la Figure. [titre d'après la table]
Début :
Comme on a souhaitté d'avoir une Estampe du Thrône, [...]
Mots clefs :
Ambassadeurs, Trône, Roi, Duc, Audience, France, Premier ambassadeur, Second ambassadeur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Explication de tous les Chiffres de la Figure. [titre d'après la table]
Comme on a ſouhaitté d'avoir
une Eſtampe du Thrône ,
!
des Amb de Siam. 225
dans lequel Sa Majeſté a donné
Audience au bout de la
Galerie de Verſailles , & de
toute l'argenterie qui l'accompagnoit
, on en envoye une
gravée d'aprés le deſſein du
plus fameux Peintre que la
France ait aujourd'huy. Cette
Eſtampe fera connoître dans
les Climats les plus reculés ,
que ce qu'on y publie de la
magnificence du Roy eſt veritable
, & les Ambaſſadeurs
de Siam en pourront confirmer
la verité. Les Lettres
qu'on y voit gravées , marquent
les Places du Roy , des
326 III . P. du Voyage
Princes,de la Maiſon Royale,
& des grands Officiers de Sa
Majefté. Voicy l'ordre qu'on
a crû devoir obſerver pour les
faire connoître .
A Le Roy.
B Monseigneur le Dauphin.
C Monfieur.
D Menfieur le Duc de
Chartres.
E Monfieur le Duc
د
preſent Monfieur le Prince.
à
F Monfieur le Duc de
Bourbon.
G Monfieur le Duc du
Mayne.
H Monfieur le Comte de
des Amb . de Siam. 327
Thouloufe .
I Male Grand Maistre de
la Garderobe .
☑ Mrs les premiers Gentilshommes
de la Chambre.
Les Chifres marquent la
place des Ambaſſadeurs pendant
l'Audience , & de ceux
qui les accompagnoient.
1. Le premier Ambaſſadeur.
2. Le ſecond Ambaſſadeur.
3. Le troifiéme Ambaſſa
deur.
4. M le Maréchal de la
Feüillade. Il avoit rang à
329 III . P. du Voyage
1
cette Audience , parce que
les Maréchaux de France eftant
nommez chacun à leur
tour pour recevoir les Ambaſſadeurs
Extraordinaires ,
fuivant cét ordre M de la
Feüillade accompagnoit les
Ambaſſadeurs . Il eſtoit entre
le premier & le ſecond ; mais
quoy que ce fuſt ſa place , il
ne les coupoit pas tout- à-fait
devant le Roy.
5. M le Maréchal Duc
de Luxembourg. Il eſtoit directement
derriere le premier
Ambaſſadeur , en qualité de
Capitaine des Gardes du
des Amb. de Siam. 329
1
Corps en Quartier, qui avoit
reçû les Ambaſſadeurs à la
porte de la Salle des Gardes,
& qui les avoit conduits jafqu'au
pied du Trône du
Roy .
6. Me de Bonneüil , Introducteur
des Ambaſſadeurs.
7. M Torf, Gentilhomme
ordinaire de la Maiſon du
Roy , nommé pour aller recevoir
les Ambaſſadeurs lorf
qu'ils furent entrez en France,
& pour les accompagner jufqu'à
leur rembarquement .
8. M l'Abbé de Lionne.
Ec
330 III. P. duVoyage
Il n'avoit de rang en cette
Ceremonie , que parce qu'il
y ſervoit d'Interprete. Aprés
avoir interpreté tout haut
la Harangue de l'Ambaſſadeur
, il monta juſqu'auprés
du Roy , pour entendre la
réponſe de Sa Majefté.
9. M Giraut , dont la
place n'eſt pas tout-à- fait fixée
, & dont les foins l'obligent
à eſtre tantôt d'un côté,
& tantôt d'un autre.
10. Six Mandarins .
11. Ceux qui portoient les
marques de dignité des Ambaffadeurs.
desAmb. de Siam. 337
Il y avoit encore pluſieurs
Suivans , mais ils estoient
plus éloignez , & n'eftoient
pas dans cette enceinte.
On auroit donné les Por
traits des Ambaſſadeurs
mais le ſieur Hainzelman
les a fi bien gravez, qu'on a
crû qu'il eſtoit impoſſible de
les mieux faire .
une Eſtampe du Thrône ,
!
des Amb de Siam. 225
dans lequel Sa Majeſté a donné
Audience au bout de la
Galerie de Verſailles , & de
toute l'argenterie qui l'accompagnoit
, on en envoye une
gravée d'aprés le deſſein du
plus fameux Peintre que la
France ait aujourd'huy. Cette
Eſtampe fera connoître dans
les Climats les plus reculés ,
que ce qu'on y publie de la
magnificence du Roy eſt veritable
, & les Ambaſſadeurs
de Siam en pourront confirmer
la verité. Les Lettres
qu'on y voit gravées , marquent
les Places du Roy , des
326 III . P. du Voyage
Princes,de la Maiſon Royale,
& des grands Officiers de Sa
Majefté. Voicy l'ordre qu'on
a crû devoir obſerver pour les
faire connoître .
A Le Roy.
B Monseigneur le Dauphin.
C Monfieur.
D Menfieur le Duc de
Chartres.
E Monfieur le Duc
د
preſent Monfieur le Prince.
à
F Monfieur le Duc de
Bourbon.
G Monfieur le Duc du
Mayne.
H Monfieur le Comte de
des Amb . de Siam. 327
Thouloufe .
I Male Grand Maistre de
la Garderobe .
☑ Mrs les premiers Gentilshommes
de la Chambre.
Les Chifres marquent la
place des Ambaſſadeurs pendant
l'Audience , & de ceux
qui les accompagnoient.
1. Le premier Ambaſſadeur.
2. Le ſecond Ambaſſadeur.
3. Le troifiéme Ambaſſa
deur.
4. M le Maréchal de la
Feüillade. Il avoit rang à
329 III . P. du Voyage
1
cette Audience , parce que
les Maréchaux de France eftant
nommez chacun à leur
tour pour recevoir les Ambaſſadeurs
Extraordinaires ,
fuivant cét ordre M de la
Feüillade accompagnoit les
Ambaſſadeurs . Il eſtoit entre
le premier & le ſecond ; mais
quoy que ce fuſt ſa place , il
ne les coupoit pas tout- à-fait
devant le Roy.
5. M le Maréchal Duc
de Luxembourg. Il eſtoit directement
derriere le premier
Ambaſſadeur , en qualité de
Capitaine des Gardes du
des Amb. de Siam. 329
1
Corps en Quartier, qui avoit
reçû les Ambaſſadeurs à la
porte de la Salle des Gardes,
& qui les avoit conduits jafqu'au
pied du Trône du
Roy .
6. Me de Bonneüil , Introducteur
des Ambaſſadeurs.
7. M Torf, Gentilhomme
ordinaire de la Maiſon du
Roy , nommé pour aller recevoir
les Ambaſſadeurs lorf
qu'ils furent entrez en France,
& pour les accompagner jufqu'à
leur rembarquement .
8. M l'Abbé de Lionne.
Ec
330 III. P. duVoyage
Il n'avoit de rang en cette
Ceremonie , que parce qu'il
y ſervoit d'Interprete. Aprés
avoir interpreté tout haut
la Harangue de l'Ambaſſadeur
, il monta juſqu'auprés
du Roy , pour entendre la
réponſe de Sa Majefté.
9. M Giraut , dont la
place n'eſt pas tout-à- fait fixée
, & dont les foins l'obligent
à eſtre tantôt d'un côté,
& tantôt d'un autre.
10. Six Mandarins .
11. Ceux qui portoient les
marques de dignité des Ambaffadeurs.
desAmb. de Siam. 337
Il y avoit encore pluſieurs
Suivans , mais ils estoient
plus éloignez , & n'eftoient
pas dans cette enceinte.
On auroit donné les Por
traits des Ambaſſadeurs
mais le ſieur Hainzelman
les a fi bien gravez, qu'on a
crû qu'il eſtoit impoſſible de
les mieux faire .
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Résumé : Explication de tous les Chiffres de la Figure. [titre d'après la table]
Le texte décrit une estampe représentant le trône et l'audience accordée par le roi de France aux ambassadeurs de Siam dans la galerie de Versailles. Réalisée par un peintre célèbre, cette estampe vise à montrer la magnificence royale dans les régions éloignées. Elle inclut des lettres indiquant les places des membres de la famille royale, des princes, de la maison royale et des grands officiers. L'ordre des places est détaillé : le roi, le Dauphin, Monsieur (frère du roi), Monsieur le Duc de Chartres, Monsieur le Duc de Bourbon, Monsieur le Duc du Maine, Monsieur le Comte de Toulouse, Monsieur le Duc de Mayenne, le Grand Maistre de la Garderobe, et les premiers Gentilshommes de la Chambre. Les chiffres marquent les positions des ambassadeurs et de leur suite. Les ambassadeurs sont accompagnés par des personnalités telles que le Maréchal de la Feuillade, le Maréchal Duc de Luxembourg, l'Introducteur des Ambassadeurs, et l'interprète, l'Abbé de Lionne. L'estampe inclut également des mandarins et des porteurs de marques de dignité, bien que les portraits des ambassadeurs n'aient pas été ajoutés en raison de la qualité des gravures existantes.
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8
p. 108-119
ODE Sur le soin que le Roy prend de l'éducation d[e] la Noblesse.
Début :
Depuis que les Prix ont esté donnez, on a sceu que / Toy, par qui les Mortels rendent leurs noms celebres, [...]
Mots clefs :
Éducation, Terreur, Prix de poésie, Roi, Noblesse, Héros, Écoles, Fils, Filles, Portrait, Louis, Bienfaits, Trône, Protecteur des arts
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ODE Sur le soin que le Roy prend de l'éducation d[e] la Noblesse.
donnez, on a
sceu que
les deux Discours qui ont
Concouru sur cette mesme
matiere, estoient, l'un de Mcj l'AbbéRaguenet,& l'autre
de MrdeClervillç. Ils mentent tent l'un &c l'autreJde grandes louanges, ayant écrit
d'une maniérétres-noble, &
faitleportrait delaPatience
Chrestienne avec des traits
vifs qui la font aimer. Le
sujetsque Mrs de l'Academie
avoient donné pour le Prix
de Poësie,estoit l'éducation
de laNoblesse dans lesEcoles des Gentilshommes, &
dans la Maison de S. Cir,
Vous seriez contente de la
,.
--, - -,
-'
mianiere dont Mademoisel
le des Houlieres l'a traité»
quand mesme l'estime que
vous avez pour son nom &
l'interest que vous devez
prendre à tout ce qui fait ]
honneur à vostre Sexe, ne ]
vous engageroient pasà IirCJf
c.et Ouvrage avec plaisir.
ODE
Sur le foin que le Roy prend 4^ l'éducation da la Noblesse. T Oy, par qui les"Mortelsretî*
dent leurs noms célébrés,
Toy, quej'invoque icy pour la pre*
miere fois,
De mon ejprit confus dissipe les ter
nebres,
Etfoutiens ma timide voix,
teprojet queje faiscftbardy ,jâ
l'avoue
,
Il auroit effrayé le Pdfieur de Man.
touë
Etj'en connois tout le danger.
Mais9 Apollon, par toy si je fuk
inspirée
)
MesVerspourront desifens égaler
laduréei
Hasse-toy
,
viens m'snconwer*
»i,tf¿ dujour, tu me dois lesecours
que j'implore3
C'eficeHérossigrand,sicraint dans
irnivers,
te Protecteur des Arts, LOVIS que
l'on adose
,
[Fers.
Jî>ueje veux chanter dans mes
pepuis que chaque jour lufirs du
fein de l'onde,
1y n'as rien veu d'égal dans l'un
& l'autre monde,
Nysidigne dufoindesDieux.
,C'ejl peu pour enparler qu'un lan.
gageordinaire,
,
Etpour le bien louer, ce n-efipojnt
IlJlèZftire
Dés que l'on pourra faire mieux,
#
Ilsçait que triompher des erreurs &
desvices,
Répandre la terreur du Gange aux
flots glacez,
Elever en tous lieux de pompeux
Edifices,
Tour ungrandRoyn'efipas assiz.
Jî>uilfaut pourbien remplir cesi.
1
cre caraftere,
ght'au dessein d'arracherfin Peuple
-
a
la misere,
Cedent tous les autres projets,
Et que,quelque fierté que le Trône
demande,
bllfaut à tous momens quesa bonté
1 le rende
t
Le PeredetousifesSujets.
(1 peine a-t-il calme les troubles de
la Terre,
i
J^ue cefage Héros consulte avec la
Paix,
Les moyens deffacer les horreurs de
la Guerre
Par de mémorables bienfaits.
Il dérobe les cœursdesa jeune Nobkjji
Aux funefiesappas d'une indigne
molejfi
>
Compagne d'un trop long repos.
"France,quelsfoins pour toy prend'
ton au^ufieMaifire !
Ils s'en vont pourjamaisdans to& s
finfairenaifire
Vn nombre injiny de Heros.
Il établitpour eux des EcolesJille
vantes ( les mœurs\ ( Ou l'on régléa la sots le couUge &Î
D'où l'en les fait entrer dans
cesn
Mutes brillantes
G)ui menent aux plus grands
honncttrs.
On leur enseigne l'art de forcer des
murailles,
De bien asseoir un Camp3 de gagner
des batailles,
Etdedéfendre des remparts.
Dignes de commander au sortir de
l'enfance
,
-
ils verront Iii Victoireattachée à U
Erancê
Nefkivre que. fis Etendars?
Tel cet Eflre infinydonï LuFIS *cfil'Image,
Par lesifcrets ?effortsd'un pouvoir
,
atie,
Des dufferënspérils ou la mifire Desgage en-
»
1
SceutdcVvnrfion'Peuple
élu.
Long-tempsdans un Defiertfous de
fidelles Guides
il conduisitsespas vers les Vertus
solides,
Sources des grdndes allions,
Mtquand ileut acquis deparfaites
lumieresy
Il luyfîtfubjuguerdesNations entieres,
Terreur des autres Nations
Hais cyejt peu pour LOVIS d'élever
dansses Places
Les Fils de tantdevieux &sidelies
Guerriers,
.!<!!,i dans les champs de Mars
J
en
rnarchantsurses traces,
Ontfait des moiffins de lauriers,
four
feurs
Filles il montre autant de *
prévoyance
VMSmarne l'afilefiacrej]u'ildonne à l'in*
Contre tout ce qui la détruit;
Htpar les foins pieux d'une illufire
perflnne,
£)ue le Sort oHtrAgea, que la Vertu
couronne,
Vnsi beau dejjeinfut conduit.
Dans unsuperbe enclos ou lAflgeffi
habite,
Ou l'on fuit des rertus le sentier
épineux
,
D'un âge plein d'erreursmonfoiblc
Sexe évite
Les égarements dangereux.
D'enfans infortunez cent Familles
chargées,
Du foin de Uspourvoirse trouvent
fiulagées,
Jpjtelsecourscontreunfortingrat?
Pdr luy ce Héros paye en couronnant
leurspeines-
Lepingdont leurs AJeux ont épuisé
leurs veines
Tour la défense de l'Etat.
.dinfi dans les jardins l'on voit de
jeunes Plantes,
JZfu'on ne peut conserver que par
desfoins divers)
Vivre cf;. croiflre à l'abry des ardeurs
violentes
,
Etde la rigueurdes Hyvers.
far une habile main sans ceJlè cultivées
,
Et d'une eau vive dépure au besoin
abreuvées
,
Ellesflettriflènt dans leur temps:
Tandis qu'a la inercy des fatfons
orageuses
•
, Les autres au milieu des. campagxçs
pierrcùfes
Se flêtriffint dés leurPrintemps.
Mais quel brillant éclairvient de frâperma veuë!
.f<!!.i m'appelle? qu'entensje? &
qtt'efi-cequeje v»y?
Mon cœur efi transportéd'une joye
inconnue
,
,Zteets font ces presages pour
moy ?
Ne m'annoncent-ils point que je
verray la cheute
Des celebresRivaux avec qui je disi
pute
L'honneur de la lice où je cours?
.f<!je de gloire & quel prix! Ji le
Ciel me l'envoyé
>
Le Portrait de LOVIS à mes regards
en proye
Les occupera tousles jours.
sceu que
les deux Discours qui ont
Concouru sur cette mesme
matiere, estoient, l'un de Mcj l'AbbéRaguenet,& l'autre
de MrdeClervillç. Ils mentent tent l'un &c l'autreJde grandes louanges, ayant écrit
d'une maniérétres-noble, &
faitleportrait delaPatience
Chrestienne avec des traits
vifs qui la font aimer. Le
sujetsque Mrs de l'Academie
avoient donné pour le Prix
de Poësie,estoit l'éducation
de laNoblesse dans lesEcoles des Gentilshommes, &
dans la Maison de S. Cir,
Vous seriez contente de la
,.
--, - -,
-'
mianiere dont Mademoisel
le des Houlieres l'a traité»
quand mesme l'estime que
vous avez pour son nom &
l'interest que vous devez
prendre à tout ce qui fait ]
honneur à vostre Sexe, ne ]
vous engageroient pasà IirCJf
c.et Ouvrage avec plaisir.
ODE
Sur le foin que le Roy prend 4^ l'éducation da la Noblesse. T Oy, par qui les"Mortelsretî*
dent leurs noms célébrés,
Toy, quej'invoque icy pour la pre*
miere fois,
De mon ejprit confus dissipe les ter
nebres,
Etfoutiens ma timide voix,
teprojet queje faiscftbardy ,jâ
l'avoue
,
Il auroit effrayé le Pdfieur de Man.
touë
Etj'en connois tout le danger.
Mais9 Apollon, par toy si je fuk
inspirée
)
MesVerspourront desifens égaler
laduréei
Hasse-toy
,
viens m'snconwer*
»i,tf¿ dujour, tu me dois lesecours
que j'implore3
C'eficeHérossigrand,sicraint dans
irnivers,
te Protecteur des Arts, LOVIS que
l'on adose
,
[Fers.
Jî>ueje veux chanter dans mes
pepuis que chaque jour lufirs du
fein de l'onde,
1y n'as rien veu d'égal dans l'un
& l'autre monde,
Nysidigne dufoindesDieux.
,C'ejl peu pour enparler qu'un lan.
gageordinaire,
,
Etpour le bien louer, ce n-efipojnt
IlJlèZftire
Dés que l'on pourra faire mieux,
#
Ilsçait que triompher des erreurs &
desvices,
Répandre la terreur du Gange aux
flots glacez,
Elever en tous lieux de pompeux
Edifices,
Tour ungrandRoyn'efipas assiz.
Jî>uilfaut pourbien remplir cesi.
1
cre caraftere,
ght'au dessein d'arracherfin Peuple
-
a
la misere,
Cedent tous les autres projets,
Et que,quelque fierté que le Trône
demande,
bllfaut à tous momens quesa bonté
1 le rende
t
Le PeredetousifesSujets.
(1 peine a-t-il calme les troubles de
la Terre,
i
J^ue cefage Héros consulte avec la
Paix,
Les moyens deffacer les horreurs de
la Guerre
Par de mémorables bienfaits.
Il dérobe les cœursdesa jeune Nobkjji
Aux funefiesappas d'une indigne
molejfi
>
Compagne d'un trop long repos.
"France,quelsfoins pour toy prend'
ton au^ufieMaifire !
Ils s'en vont pourjamaisdans to& s
finfairenaifire
Vn nombre injiny de Heros.
Il établitpour eux des EcolesJille
vantes ( les mœurs\ ( Ou l'on régléa la sots le couUge &Î
D'où l'en les fait entrer dans
cesn
Mutes brillantes
G)ui menent aux plus grands
honncttrs.
On leur enseigne l'art de forcer des
murailles,
De bien asseoir un Camp3 de gagner
des batailles,
Etdedéfendre des remparts.
Dignes de commander au sortir de
l'enfance
,
-
ils verront Iii Victoireattachée à U
Erancê
Nefkivre que. fis Etendars?
Tel cet Eflre infinydonï LuFIS *cfil'Image,
Par lesifcrets ?effortsd'un pouvoir
,
atie,
Des dufferënspérils ou la mifire Desgage en-
»
1
SceutdcVvnrfion'Peuple
élu.
Long-tempsdans un Defiertfous de
fidelles Guides
il conduisitsespas vers les Vertus
solides,
Sources des grdndes allions,
Mtquand ileut acquis deparfaites
lumieresy
Il luyfîtfubjuguerdesNations entieres,
Terreur des autres Nations
Hais cyejt peu pour LOVIS d'élever
dansses Places
Les Fils de tantdevieux &sidelies
Guerriers,
.!<!!,i dans les champs de Mars
J
en
rnarchantsurses traces,
Ontfait des moiffins de lauriers,
four
feurs
Filles il montre autant de *
prévoyance
VMSmarne l'afilefiacrej]u'ildonne à l'in*
Contre tout ce qui la détruit;
Htpar les foins pieux d'une illufire
perflnne,
£)ue le Sort oHtrAgea, que la Vertu
couronne,
Vnsi beau dejjeinfut conduit.
Dans unsuperbe enclos ou lAflgeffi
habite,
Ou l'on fuit des rertus le sentier
épineux
,
D'un âge plein d'erreursmonfoiblc
Sexe évite
Les égarements dangereux.
D'enfans infortunez cent Familles
chargées,
Du foin de Uspourvoirse trouvent
fiulagées,
Jpjtelsecourscontreunfortingrat?
Pdr luy ce Héros paye en couronnant
leurspeines-
Lepingdont leurs AJeux ont épuisé
leurs veines
Tour la défense de l'Etat.
.dinfi dans les jardins l'on voit de
jeunes Plantes,
JZfu'on ne peut conserver que par
desfoins divers)
Vivre cf;. croiflre à l'abry des ardeurs
violentes
,
Etde la rigueurdes Hyvers.
far une habile main sans ceJlè cultivées
,
Et d'une eau vive dépure au besoin
abreuvées
,
Ellesflettriflènt dans leur temps:
Tandis qu'a la inercy des fatfons
orageuses
•
, Les autres au milieu des. campagxçs
pierrcùfes
Se flêtriffint dés leurPrintemps.
Mais quel brillant éclairvient de frâperma veuë!
.f<!!.i m'appelle? qu'entensje? &
qtt'efi-cequeje v»y?
Mon cœur efi transportéd'une joye
inconnue
,
,Zteets font ces presages pour
moy ?
Ne m'annoncent-ils point que je
verray la cheute
Des celebresRivaux avec qui je disi
pute
L'honneur de la lice où je cours?
.f<!je de gloire & quel prix! Ji le
Ciel me l'envoyé
>
Le Portrait de LOVIS à mes regards
en proye
Les occupera tousles jours.
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Résumé : ODE Sur le soin que le Roy prend de l'éducation d[e] la Noblesse.
Le texte présente deux discours sur la même matière, l'un de l'Abbé Raguenet et l'autre de Monsieur de Clervillç, tous deux loués pour leur style noble et leur description vivante de la patience chrétienne. Le sujet donné par les membres de l'Académie pour le prix de poésie était l'éducation de la noblesse, tant dans les écoles des gentilshommes que dans la Maison de Saint-Cyr. Une œuvre de Mademoiselle des Houlières sur ce sujet est également mentionnée, appréciée pour sa qualité intrinsèque indépendamment de la réputation de son auteur. Une ode suit, dédiée à l'éducation de la noblesse. L'auteur invoque Apollon pour dissiper ses doutes et inspirer sa voix. Il loue le roi Louis, protecteur des arts, et chante les bienfaits de son règne. Le roi est décrit comme un héros qui arrache son peuple à la misère, consulte avec la paix pour effacer les horreurs de la guerre, et établit des écoles illustres pour former la jeunesse noble. Ces écoles enseignent l'art de la guerre et préparent les jeunes nobles à commander et à défendre la France. Le roi est également loué pour sa prévoyance envers les filles, les protégeant des dangers et les conduisant vers la vertu. Le texte compare l'éducation des jeunes plantes dans un enclos protégé à celle des jeunes nobles formés par le roi. Enfin, l'auteur exprime sa joie à la vue du portrait du roi, qui occupera tous ses regards.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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9
p. 244-251
Adresse de l'Université de Cambridge à la Reine.
Début :
Madame, Bien que nous ayions eu souvent l'honneur d'apporter [...]
Mots clefs :
Université de Cambridge, Reine, Trône, Honneur, Angleterre, Royaume
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Adresse de l'Université de Cambridge à la Reine.
Adreffe de l'Univerfité de
Cambridge à la Reine.
Madame ,
Bien que nous avions eu
fouvent l'honneur d'approcher du Trône avec nos
Adreffes de joye , pour des
victoires remportées en
guerre , nous avons preſentement une occafion plus
convenable & plus confor-
GALANT. 245
de
me à nôtre profeſſion , de
congratuler Vôtre Majeſté
& vos Royaumes fur la vûë
prochaine d'une paix honorable & avantageuſe.
C'eft vôtre prerogative
inconteftable , de conclure
la paix , auffi - bien que
la commencer, & nous avons crû que nos interêts
dans la paix refidoient juftement en vôtre pouvoir ,
& étoient fûrement confiez
à vôtre ſageſle , même pendant que les negociations
étoient tenuës fecretes. Les
artifices même employez à
X iij
246 MERCURE
d'illa traverfer n'ont produit
aucun autre effet , que
luftrer la bonté de V. M.
& de hâter la joye de vos
fujets , lorfque pour arrêter
les fauffes clameur de l'envie & des factions , vous
avez la condeſcendance de
faire part à vos peuples des
conditions glorieuſes fur
lefquelles vous negocież
pour eux.
VospredeceffeursRoïaux
ont fouvent pouffé des guer
res avec fuccés , & la valeur
Angloife a été long - temps
fameuſe par toutes les na-
GALANT. 247
tions du monde : mais alors
les avantages qu'on en pouvoit tirer échapoient ordinairement en perdant le
temps propre de traiter , &
laiffant marcher d'autres
gens devant nous , pour tirer leurs propres avantages
de nôtre fang & de nôtre
argent. Mais à cette heure
nôtre nation tirera un grand
honneur fous la conduite
vigilante de V. M. & la prudence fera une partie de
nôtre caractere , auffi-bien
que le courage &la magnanimité.
X iiij
248 MERCURE
le
C'étoit une chofe digne
dujugement &de la fageffe
de V. M. de fçavoir quand
il faudroit arrefter
cours de vos victoires , de
peur de renverser l'équili
bre de vôtre pouvoir , dans
les pays étrangers que vous
avez travaillé à établir , ou
d'épuifer entierement la
fource de la puiffance dans
le Royaume , en la dépenfant trop prodigalement &
trop inégalement , pour faire gagner de vaſtes acquifitions à d'autres gens , &
en tirer peu de profit pour
nous.
GALANT. 249
L'établiſſement que vous
avez fait de la fucceffion à
ces Royaumes dans vos illuftres affinitez de la Maifon d'Hanover , & vôtre
pieux interêt pour les Proteftans d'Allemagne , qui
avoit été negligé dans un
traité fait ci- devant , exigent que vôtre ClergéVous
en remercie avec une particuliere reconnoiffance.
L'affermiffement & l'étenduë de nôtre commerce national dans toutes fes parties , que vous avez pouſſez
plus loin quela Grande Bre-
250 MERCURE
tagne n'en a jamais joüi ,
ni à quoy elle n'avoit jamais
auparavant aſpiré , excitent
une reconnoiffance univerfelle dans les cœurs de vôtre peuple , & le foin genereux que vous prenez de
vos alliez , en époufant vigoureuſement leurs juftes
interêts , & en leur procurant une barriere fuffifante,
rendra cette paix prochaifans doute Dieu
vous mettra en état de finir,
auffi generale & d'autant
d'étenduë que les limites
de l'Europe , & auſſi durane , que
GALANT 25¹
ble que les affaires humaines le peuvent permettre ;
de maniere qu'elle fera deformaisla gloire la plus brillante du regne heureux de
V. M. au-deffus des autres
lauriers que vous avez
cüeillis pendant une longue
guerre , accompagnée de
profperitez.
Cambridge à la Reine.
Madame ,
Bien que nous avions eu
fouvent l'honneur d'approcher du Trône avec nos
Adreffes de joye , pour des
victoires remportées en
guerre , nous avons preſentement une occafion plus
convenable & plus confor-
GALANT. 245
de
me à nôtre profeſſion , de
congratuler Vôtre Majeſté
& vos Royaumes fur la vûë
prochaine d'une paix honorable & avantageuſe.
C'eft vôtre prerogative
inconteftable , de conclure
la paix , auffi - bien que
la commencer, & nous avons crû que nos interêts
dans la paix refidoient juftement en vôtre pouvoir ,
& étoient fûrement confiez
à vôtre ſageſle , même pendant que les negociations
étoient tenuës fecretes. Les
artifices même employez à
X iij
246 MERCURE
d'illa traverfer n'ont produit
aucun autre effet , que
luftrer la bonté de V. M.
& de hâter la joye de vos
fujets , lorfque pour arrêter
les fauffes clameur de l'envie & des factions , vous
avez la condeſcendance de
faire part à vos peuples des
conditions glorieuſes fur
lefquelles vous negocież
pour eux.
VospredeceffeursRoïaux
ont fouvent pouffé des guer
res avec fuccés , & la valeur
Angloife a été long - temps
fameuſe par toutes les na-
GALANT. 247
tions du monde : mais alors
les avantages qu'on en pouvoit tirer échapoient ordinairement en perdant le
temps propre de traiter , &
laiffant marcher d'autres
gens devant nous , pour tirer leurs propres avantages
de nôtre fang & de nôtre
argent. Mais à cette heure
nôtre nation tirera un grand
honneur fous la conduite
vigilante de V. M. & la prudence fera une partie de
nôtre caractere , auffi-bien
que le courage &la magnanimité.
X iiij
248 MERCURE
le
C'étoit une chofe digne
dujugement &de la fageffe
de V. M. de fçavoir quand
il faudroit arrefter
cours de vos victoires , de
peur de renverser l'équili
bre de vôtre pouvoir , dans
les pays étrangers que vous
avez travaillé à établir , ou
d'épuifer entierement la
fource de la puiffance dans
le Royaume , en la dépenfant trop prodigalement &
trop inégalement , pour faire gagner de vaſtes acquifitions à d'autres gens , &
en tirer peu de profit pour
nous.
GALANT. 249
L'établiſſement que vous
avez fait de la fucceffion à
ces Royaumes dans vos illuftres affinitez de la Maifon d'Hanover , & vôtre
pieux interêt pour les Proteftans d'Allemagne , qui
avoit été negligé dans un
traité fait ci- devant , exigent que vôtre ClergéVous
en remercie avec une particuliere reconnoiffance.
L'affermiffement & l'étenduë de nôtre commerce national dans toutes fes parties , que vous avez pouſſez
plus loin quela Grande Bre-
250 MERCURE
tagne n'en a jamais joüi ,
ni à quoy elle n'avoit jamais
auparavant aſpiré , excitent
une reconnoiffance univerfelle dans les cœurs de vôtre peuple , & le foin genereux que vous prenez de
vos alliez , en époufant vigoureuſement leurs juftes
interêts , & en leur procurant une barriere fuffifante,
rendra cette paix prochaifans doute Dieu
vous mettra en état de finir,
auffi generale & d'autant
d'étenduë que les limites
de l'Europe , & auſſi durane , que
GALANT 25¹
ble que les affaires humaines le peuvent permettre ;
de maniere qu'elle fera deformaisla gloire la plus brillante du regne heureux de
V. M. au-deffus des autres
lauriers que vous avez
cüeillis pendant une longue
guerre , accompagnée de
profperitez.
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Résumé : Adresse de l'Université de Cambridge à la Reine.
L'Université de Cambridge adresse une lettre à la Reine pour la féliciter de la perspective d'une paix honorable et avantageuse. L'Université souligne que la Reine détient le pouvoir incontestable de conclure la paix et que les intérêts de la nation reposent sur sa sagesse. Les négociations secrètes et les artifices employés ont révélé la bonté de la Reine et hâté la joie de ses sujets. La Reine a partagé les conditions glorieuses des négociations avec son peuple pour apaiser les fausses clameurs de l'envie et des factions. Les prédécesseurs royaux ont souvent mené des guerres avec succès, mais les avantages étaient souvent perdus en raison d'un mauvais timing. Sous la conduite vigilante de la Reine, la nation tirera un grand honneur grâce à la prudence, le courage et la magnanimité. La Reine a su arrêter le cours de ses victoires pour éviter de renverser l'équilibre de son pouvoir et d'épuiser la force du Royaume. La Reine a établi la succession des Royaumes dans la Maison d'Hanover et a montré un intérêt pieux pour les protestants d'Allemagne, négligés dans un traité précédent. Le clergé la remercie avec une particulière reconnaissance. L'affermissement et l'extension du commerce national, poussés plus loin que jamais, excitent une reconnaissance universelle. Le soin généreux que la Reine porte à ses alliés, en protégeant vigoureusement leurs justes intérêts, rendra cette paix prochaine durable et étendue, formant la gloire la plus brillante de son règne.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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Fermer
10
p. 2006-2010
EXTRAIT du Panegirique de S. Louis prononcé en présence des Académies des Belles Lettres & des Sciences, auquel présidoit M. l'Abbé Bignon, par le Reverend Pere Dom Leandre Petuzet, Benedictin Reformé de l'Ordre de Cluni, dans l'Eglise des P P. de l'Oratoire de la rüe S. Honoré.
Début :
Il prit pour texte ce Passage de la Sagesse, Chapitre 9. Envoyez-moi, Seigneur, [...]
Mots clefs :
Saint Louis, Seigneur, Dieu, Sagesse, Ciel, Trône, Armée, Monarque, Tranquillité, Royaume, Royauté, Académie des Belles-Lettres, Académie des sciences
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT du Panegirique de S. Louis prononcé en présence des Académies des Belles Lettres & des Sciences, auquel présidoit M. l'Abbé Bignon, par le Reverend Pere Dom Leandre Petuzet, Benedictin Reformé de l'Ordre de Cluni, dans l'Eglise des P P. de l'Oratoire de la rüe S. Honoré.
EXTRAIT du Panegirique de S. Louis
prononcé en présence des Académies des
Belles Lettres & des Sciences , auquel
préfidoit M. l'Abbé Bignon , par le Reverend
Pere Dom Leandre Petuzet , Benedictin
Reformé de l'Ordre de Cluni ,
dans l'Eglife des P P. de l'Oratoire de la
rue S. Honoré.
Il prit pour texte ce Paffage de la Sageffe
, Chapitre 9. Envoyez-moi , Seigneur,
la fageffe du Ciel , votre Sanctuaire , qui eft
le Trône de votre Grandeur , afin qu'elle foit
& travaille avec moi.
P
Our prouver que S. Louis a été orné du don
de fageffe , l'Orateur diftingua deux chofes
effentielles dans la Royauté , qu'on ne peut défunir
fans en faire un phantôme. L'une que les
Rois doivent éviter , & ce font les dangers qui
en font incomparables ; l'autre qu'ils doivent
remplir , & ce font les charges qui y font attachées.
Ce font ces Charges & ces dangers qui lui
ont fourni la matiere de l'éloge de S. Louis.
En parlant de l'humilité de ce S. Roi , il dit
qu'il l'avoit portée à un point qu'on auroit peine
à atteindre ; mais qu'elle ne fut point l'effet du
temperament, & que s'il la poffeda dans un fouverain
degré , elle fut en lui une vertu chrétienne.
Jamais il n'y eut une ame plus douce , plus
debonnaire & plus humble, & jamais on n'en vît
de plus remplie de courage. Jamais Prince ne fut
plus difpofé que lui à s'aneantir devant le Seigneur
, & jamais il n'y en eut qui montrât plus
de
1
SEPTEMBRE. 1730. 2007
de fermeté devant les hommes , quand il s'agit de
foutenir les interêts de fa Couronne. Jamais Monarque
n'eut moins d'ambition pour étendre les
limites de fon Royaume , & jamais on n'en trouya
qui eut une plus fainte jaloufie de conferver
celui que le Ciel lui avoit donné pour fon heritage.
Il renonce au droit legitime qu'il avoit fur
le Royaume de Caftille , parce que la conquête
ne pouvoit s'en faire qu'aux dépens du fang de
fes Sujets. Il refuſe genereuſement l'Empire que
Gregoire IX . lui préfente , content de comman
der à ceux que le Ciel avoit foumis à ſa puiſfance
, & fi ce Souverain Pontife veut en revêtir
le Comte d'Artois , frere de ce S. Roi , il fçait
lui faire fentir ,fans s'éloigner de l'obéiffance qu'il
lui doit , qu'il n'appartient pas plus à la puiffance
Ecclefiaftique de toucher au Trône , qu'à là
temporelle de s'ingerer dans le Miniftere Sacré ;
mais il n'oublie rien pour contenir fes Sujets dans
les bornes étroites du devoir ; il porte , quand il
le faut, la terreur dans le coeur de ceux qui trou
blent la tranquillité publique &c.
En parlant de fa charité , il dit que cette divi
ne vertu qui avoit pris de profondes racines dans
fon coeur , ne lui permit pas d'avoir des entrail
les de fer pour le pauvre & le miſerable ; & ſi
Job nous dit que la mifericorde étoit fortie avec
lui du fein de fa mere & avoit crû enſemble ,
qu'on le pouvoit dire avec autant de juftice de
Louis , dequoi le Panegiriſte donna des preuves
par des faits éclatans .
>
En parlant des Charges attachées à la Royauté,
il en diftingua deux aufquelles toutes les autres
peuvent fe rapporter , & dont aucun Roi ne fe
peut difpenfer : l'une d'être équitable à l'égard
de leur peuple , l'autre d'être fidele à Dieu. Il remarqua
avec S. Jacques deux caracteres dans la
E vj Lageffe
2008 MERCURE DE FRANCE
fageffe Chrétienne qui engagent ceux qui la poffedent
à les remplir dignement ; elle n'eft point
diffimulée ; elle le porte avec docilité à tout le
bien qu'on lui propofe.
Quel eft , dit-il , le Roi Chrétien qui réduifie
plus fidelement en pratique ces deux nobles caracteres
Jufte à l'égard de fon peuple , il jugea
fans diffimulation , & avec équité. Fidele à Dieu,
il procura avec un faint zele toutes les bonnes
oeuvres qui pouvoient lui rendre le cu te qui lui
eft dû. I s'étendit beaucoup fur les preuves de
ces deux Propofitions , & retraça de beaux traits
de l'Histoire du S. Monarque.
Il peignit l'état pitoyable où étoit réduite la
Paleſtine , & tout ce que fit l'Eglife pour engager
les Princes Chrétiens à rendre la liberté cette
Terre fainte, où nous avions été délivrez de la fervitude
du démon. En falloit - il davantage , dit-il ,
pour remplir d'une fainte & noble ardeur le Fils
aîné de l'Eglife , & lui faire dire dans l'efprit de
David , je le jure devant le Seigneur , & j'en fais
un voeu au Dieu de Jacob , je n'entrerai point
dans ma maiſon , je ne repoſerai point fur mon
lit , je ne permettrai point à mes yeux de dormir
, ni à mes paupieres de fommeiller , que je
n'aye trouvé le moyen de rétablir le Seigneur
dans fa Maiſon.
Il entra dans le détail de toutes les rencontres
où S. Louis fignaia fon courage & donna à toute
fon armée le charmant fpectacle d'un Héros
vraiment Chrétien , il décrivit le Siege de Damiete
, la perte d'une Bataille qui mit l'armée de
S. Louis aux abois , & enfin la captivité. Que
vos Jugemens , ô mon Dieu , s'écria- t-il , font
impenetrables ! qui n'en admirera la profondeur ,
quand nous voyons dans les chaînes un Roi
Chrétien qui vient pour délivrer d'une cruelle
oppreffion
SEPTEMBRE . 1730. 2009
oppreffion ceux que vous avez rachetez de votre
Sang précieux ; mais ne le perdons pas de vûë
dans cette fâcheufe extremité ; le Seigneur qui
l'humilie eft à fes côtez pour le foutenir . Semblable
à Jofeph , fa fageffe ne l'abandonne pas dans la
prifon , ou comme l'Arche captive chez les Philifins
, ce Heros prifonnier fait plus honorer Dieu
par fa réfignation , que vainqueur des Infideles .
Il parla de fa feconde expedition contre les Infideles
pour aller fecourir les Chrétiens d'Afrique,
qui gémiffoient fans efperance & fans confolation .
Que n'eût - il pas fait , dit-il , pour la gloire du
Seigneur , fi en exigeant le facrifice de fa vie , il
ne le fût contenté de fa bonne volonté... Que ne
puis -je vous le préfenter accablé fous fa Tente
d'une maladie mortelle & prêt à recevoir fa récompenfe
de celui pour lequel il avoit fi glorieufement
combattu. Vit- on jamais une tranquillité
plus inalterable, une réfignation plus parfaite, des
defirs plus ardens de s'unir à fon Dieu , une préfence
d'efprit plus entiere il donne fes ordres
aux principaux Chefs de fon armée & leur recommande
de ne point faire de paix avec ceux
qui n'en avoient point avec Dieu ; il appelle fon
Fils , fucceffeur de fa Couronne , & lui fait des
leçons pleines de lumieres , de fageffe & de charité
; il donne à tous des exemples preffans d'une
folide pieté , il meurt enfin comme Moyfe dans
le baifer du Seigneur , & fi comme ce Patriarche
il n'entre pas en poffeffion de la Terre qui lui
fembloit promife , il va établir fon féjour dans
les Tabernacles éternels .
Après une courte morale le Panegyrifte finit
en s'adreffant à S. Louis & lui difant : Daignez
grand Roi , du haut du Ciel où vous regnez avec
Dieu , recevoir les voeux d'un Peuple zele pour
votre gloire , fidele à votre Sang & plein de
confiance
2010 MERCURE DE FRANCE
confiance en votre puissante protection . Mais
regardez toûjours d'un oeil propice cet augufte
Monarque , qui eft affis fur votre Trône , qui
n'eft pas moins heritier de vos vertus que de vctre
Sceptre, & qui fe voit heureusement renaître
dans un Prince que le Ciel n'a pas refufé à
la ferveur de nos prieres qu'il a accordé à la
falide pieté d'une Reine digne du fublime rang
qu'elle remplit & dont la Naissance affermit
notre esperance & affure notre tranquillité.
Seyez beni , ô mon Dieu , de nous avoirfait un
don fi précieux , confervez les pour en faire un
jour de bonheur du Royaume que S. Louis gouverna
avec tant de fageffe ; formez-le fur ce
modele des veritables Rois , & que semblable
à fon Pere , il exprime avec lui la valeur qui
le rendit redoutable à fes ennemis , la charité
qui le fit pere de fon Peuple , la Religion qui le
fanctifia fur le Trône.
prononcé en présence des Académies des
Belles Lettres & des Sciences , auquel
préfidoit M. l'Abbé Bignon , par le Reverend
Pere Dom Leandre Petuzet , Benedictin
Reformé de l'Ordre de Cluni ,
dans l'Eglife des P P. de l'Oratoire de la
rue S. Honoré.
Il prit pour texte ce Paffage de la Sageffe
, Chapitre 9. Envoyez-moi , Seigneur,
la fageffe du Ciel , votre Sanctuaire , qui eft
le Trône de votre Grandeur , afin qu'elle foit
& travaille avec moi.
P
Our prouver que S. Louis a été orné du don
de fageffe , l'Orateur diftingua deux chofes
effentielles dans la Royauté , qu'on ne peut défunir
fans en faire un phantôme. L'une que les
Rois doivent éviter , & ce font les dangers qui
en font incomparables ; l'autre qu'ils doivent
remplir , & ce font les charges qui y font attachées.
Ce font ces Charges & ces dangers qui lui
ont fourni la matiere de l'éloge de S. Louis.
En parlant de l'humilité de ce S. Roi , il dit
qu'il l'avoit portée à un point qu'on auroit peine
à atteindre ; mais qu'elle ne fut point l'effet du
temperament, & que s'il la poffeda dans un fouverain
degré , elle fut en lui une vertu chrétienne.
Jamais il n'y eut une ame plus douce , plus
debonnaire & plus humble, & jamais on n'en vît
de plus remplie de courage. Jamais Prince ne fut
plus difpofé que lui à s'aneantir devant le Seigneur
, & jamais il n'y en eut qui montrât plus
de
1
SEPTEMBRE. 1730. 2007
de fermeté devant les hommes , quand il s'agit de
foutenir les interêts de fa Couronne. Jamais Monarque
n'eut moins d'ambition pour étendre les
limites de fon Royaume , & jamais on n'en trouya
qui eut une plus fainte jaloufie de conferver
celui que le Ciel lui avoit donné pour fon heritage.
Il renonce au droit legitime qu'il avoit fur
le Royaume de Caftille , parce que la conquête
ne pouvoit s'en faire qu'aux dépens du fang de
fes Sujets. Il refuſe genereuſement l'Empire que
Gregoire IX . lui préfente , content de comman
der à ceux que le Ciel avoit foumis à ſa puiſfance
, & fi ce Souverain Pontife veut en revêtir
le Comte d'Artois , frere de ce S. Roi , il fçait
lui faire fentir ,fans s'éloigner de l'obéiffance qu'il
lui doit , qu'il n'appartient pas plus à la puiffance
Ecclefiaftique de toucher au Trône , qu'à là
temporelle de s'ingerer dans le Miniftere Sacré ;
mais il n'oublie rien pour contenir fes Sujets dans
les bornes étroites du devoir ; il porte , quand il
le faut, la terreur dans le coeur de ceux qui trou
blent la tranquillité publique &c.
En parlant de fa charité , il dit que cette divi
ne vertu qui avoit pris de profondes racines dans
fon coeur , ne lui permit pas d'avoir des entrail
les de fer pour le pauvre & le miſerable ; & ſi
Job nous dit que la mifericorde étoit fortie avec
lui du fein de fa mere & avoit crû enſemble ,
qu'on le pouvoit dire avec autant de juftice de
Louis , dequoi le Panegiriſte donna des preuves
par des faits éclatans .
>
En parlant des Charges attachées à la Royauté,
il en diftingua deux aufquelles toutes les autres
peuvent fe rapporter , & dont aucun Roi ne fe
peut difpenfer : l'une d'être équitable à l'égard
de leur peuple , l'autre d'être fidele à Dieu. Il remarqua
avec S. Jacques deux caracteres dans la
E vj Lageffe
2008 MERCURE DE FRANCE
fageffe Chrétienne qui engagent ceux qui la poffedent
à les remplir dignement ; elle n'eft point
diffimulée ; elle le porte avec docilité à tout le
bien qu'on lui propofe.
Quel eft , dit-il , le Roi Chrétien qui réduifie
plus fidelement en pratique ces deux nobles caracteres
Jufte à l'égard de fon peuple , il jugea
fans diffimulation , & avec équité. Fidele à Dieu,
il procura avec un faint zele toutes les bonnes
oeuvres qui pouvoient lui rendre le cu te qui lui
eft dû. I s'étendit beaucoup fur les preuves de
ces deux Propofitions , & retraça de beaux traits
de l'Histoire du S. Monarque.
Il peignit l'état pitoyable où étoit réduite la
Paleſtine , & tout ce que fit l'Eglife pour engager
les Princes Chrétiens à rendre la liberté cette
Terre fainte, où nous avions été délivrez de la fervitude
du démon. En falloit - il davantage , dit-il ,
pour remplir d'une fainte & noble ardeur le Fils
aîné de l'Eglife , & lui faire dire dans l'efprit de
David , je le jure devant le Seigneur , & j'en fais
un voeu au Dieu de Jacob , je n'entrerai point
dans ma maiſon , je ne repoſerai point fur mon
lit , je ne permettrai point à mes yeux de dormir
, ni à mes paupieres de fommeiller , que je
n'aye trouvé le moyen de rétablir le Seigneur
dans fa Maiſon.
Il entra dans le détail de toutes les rencontres
où S. Louis fignaia fon courage & donna à toute
fon armée le charmant fpectacle d'un Héros
vraiment Chrétien , il décrivit le Siege de Damiete
, la perte d'une Bataille qui mit l'armée de
S. Louis aux abois , & enfin la captivité. Que
vos Jugemens , ô mon Dieu , s'écria- t-il , font
impenetrables ! qui n'en admirera la profondeur ,
quand nous voyons dans les chaînes un Roi
Chrétien qui vient pour délivrer d'une cruelle
oppreffion
SEPTEMBRE . 1730. 2009
oppreffion ceux que vous avez rachetez de votre
Sang précieux ; mais ne le perdons pas de vûë
dans cette fâcheufe extremité ; le Seigneur qui
l'humilie eft à fes côtez pour le foutenir . Semblable
à Jofeph , fa fageffe ne l'abandonne pas dans la
prifon , ou comme l'Arche captive chez les Philifins
, ce Heros prifonnier fait plus honorer Dieu
par fa réfignation , que vainqueur des Infideles .
Il parla de fa feconde expedition contre les Infideles
pour aller fecourir les Chrétiens d'Afrique,
qui gémiffoient fans efperance & fans confolation .
Que n'eût - il pas fait , dit-il , pour la gloire du
Seigneur , fi en exigeant le facrifice de fa vie , il
ne le fût contenté de fa bonne volonté... Que ne
puis -je vous le préfenter accablé fous fa Tente
d'une maladie mortelle & prêt à recevoir fa récompenfe
de celui pour lequel il avoit fi glorieufement
combattu. Vit- on jamais une tranquillité
plus inalterable, une réfignation plus parfaite, des
defirs plus ardens de s'unir à fon Dieu , une préfence
d'efprit plus entiere il donne fes ordres
aux principaux Chefs de fon armée & leur recommande
de ne point faire de paix avec ceux
qui n'en avoient point avec Dieu ; il appelle fon
Fils , fucceffeur de fa Couronne , & lui fait des
leçons pleines de lumieres , de fageffe & de charité
; il donne à tous des exemples preffans d'une
folide pieté , il meurt enfin comme Moyfe dans
le baifer du Seigneur , & fi comme ce Patriarche
il n'entre pas en poffeffion de la Terre qui lui
fembloit promife , il va établir fon féjour dans
les Tabernacles éternels .
Après une courte morale le Panegyrifte finit
en s'adreffant à S. Louis & lui difant : Daignez
grand Roi , du haut du Ciel où vous regnez avec
Dieu , recevoir les voeux d'un Peuple zele pour
votre gloire , fidele à votre Sang & plein de
confiance
2010 MERCURE DE FRANCE
confiance en votre puissante protection . Mais
regardez toûjours d'un oeil propice cet augufte
Monarque , qui eft affis fur votre Trône , qui
n'eft pas moins heritier de vos vertus que de vctre
Sceptre, & qui fe voit heureusement renaître
dans un Prince que le Ciel n'a pas refufé à
la ferveur de nos prieres qu'il a accordé à la
falide pieté d'une Reine digne du fublime rang
qu'elle remplit & dont la Naissance affermit
notre esperance & affure notre tranquillité.
Seyez beni , ô mon Dieu , de nous avoirfait un
don fi précieux , confervez les pour en faire un
jour de bonheur du Royaume que S. Louis gouverna
avec tant de fageffe ; formez-le fur ce
modele des veritables Rois , & que semblable
à fon Pere , il exprime avec lui la valeur qui
le rendit redoutable à fes ennemis , la charité
qui le fit pere de fon Peuple , la Religion qui le
fanctifia fur le Trône.
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Résumé : EXTRAIT du Panegirique de S. Louis prononcé en présence des Académies des Belles Lettres & des Sciences, auquel présidoit M. l'Abbé Bignon, par le Reverend Pere Dom Leandre Petuzet, Benedictin Reformé de l'Ordre de Cluni, dans l'Eglise des P P. de l'Oratoire de la rüe S. Honoré.
Le Panégyrique de Saint Louis, prononcé par le Révérend Père Dom Leandre Petuzet, met en lumière les vertus et les actions du roi Saint Louis. L'orateur utilise un passage de la Sagesse pour démontrer que Saint Louis était doté du don de sagesse. Il distingue deux aspects essentiels de la royauté : les dangers à éviter et les charges à remplir. Saint Louis est loué pour son humilité, une vertu chrétienne qu'il cultivait malgré son rang. Il était à la fois doux et courageux, humble devant Dieu et ferme devant les hommes. Il refusait d'étendre son royaume par la violence et renonça à des opportunités de pouvoir, comme le trône de Castille et l'Empire offert par Grégoire IX. La charité de Saint Louis est également mise en avant. Il avait un profond sens de la miséricorde envers les pauvres. Les deux charges principales de la royauté, selon le texte, sont d'être équitable envers le peuple et fidèle à Dieu. Saint Louis est décrit comme un roi juste et zélé pour les bonnes œuvres. Le texte détaille ses actions en Terre Sainte, son courage lors des batailles, et sa captivité, où il resta fidèle à Dieu. Il mentionne également sa seconde expédition en Afrique pour secourir les chrétiens. Saint Louis est présenté comme un modèle de piété et de sagesse, mourant en paix et recommandant à son fils de ne pas faire la paix avec les infidèles. Le panégyrique se termine par des vœux pour que le roi actuel, héritier des vertus de Saint Louis, gouverne avec la même sagesse et charité.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 2740-2741
Prise de possession de S. Jean de Latran.
Début :
Le 19. Novembre, le Pape se rendit le matin du Palais du Quirinal à celui du Vatican [...]
Mots clefs :
Pape, Cardinaux, Cérémonie, Officiers, Chevaux, Trône, Vatican
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Prise de possession de S. Jean de Latran.
Prife de poffeffion de S. Jean de Latran.
L
E 19. Novembre , le Pape fe rendit le matin
du Palais du Quirinal à celui du Vatican,
où fa S. dîna. L'après midi , les Cardinaux , les
Prélats & les Seigneurs Romains qui avoient rang
dans la Cerémonie , s'y étant rendus , la marche
fe fit dans l'ordre fuivant, Un détachement des.
chevaux Legers de la Garde , habillés de drap
écarlatte galonné d'or , fortit du Palais , ayant à
fa tête le Marquis Caponi , Grand - Maréchal
des Logis du Pape . Il fut fuivi des Officiers de
la Chambre & de la livrée des Cardinaux , de
leurs Maffiers à cheval , de leurs Gentilshommes
& de la principale Nobleffe à cheval , ayant
livriée à fes cûtés .
fa
A quelque distance marchoient les bas Officiers
du Palais Apoftolique , la Haquenée du Pape couverte
d'un magnifique caparaçon , les litières de
S. S. fon Grand-Ecuyer , les Trompettes des Cheyaux
Legers de la Garde , les Cameriers extraor-
1. Vol dinaires
DECEMBRE. 1730 : 2741
dinaires , les Adjudans de la Chambre , les Avocats
Confiftoriaux , les Chapelains ordinaires , les
Chapelains Secrets , les Cameriers d'honneur de
Cape & d'Epée , les Cameriers d'honneur Ecclefiaftiques
, les Cameriers fecrets de Cape &
d'Epée , les Cameriers fecrets Écclefiaftiques , les
Abreviateurs , les Votans de la fignature 2. les
Clercs de la Chambre , les Auditeurs de Rote , le
Religieux Dominicain qui eft Maître du Palais
-Apoftolique, l'Ambaffadeur de laVille de Bologne,
le Prieur & les Confervateurs des Privileges du
Peuple Romain , le Connétable Colonne , Prince
du Soglio , le Gouverneur de Rome , les Maîtres
des Cerémonies Pontificales , M. Befonico , qui
étant le dernier des Auditeurs de Rote, portoit la
Croix au milieu de deux Acolites & marchoit
-immediatement devant le Pape , lequel étoit dans
un fauteuil de velours cramoifi , galonné d'or
porté fur un brancart par deux chevaux blancs ,
magnifiquement caparaçonnés . S.S. étoit entourée
de la Garde Suiffe , du refte de fa Compagnie,des
Chevaux Legers , de fes Pages , Coureurs, Palfre-
-niers , de deux Officiers portant des Ombrelles
-ou Parafols & de fes deux Maffiers à cheval. M.
Doria , Archevêque de Patraffo , Maître de la
Chambre du Pape , marchoit après S. S. au mi-
-lieu de deux Cameriers Secrets Affiftans. Il étoit
fuivi du Medecin , du Caudataire & du Maître de
la Garderobe du Pape , de deux Officiers de la
-bouche , avec leurs Cantines , du cheval que le
-Pape devoit monter , d'une chaife à porteurs , & de la Litière du Corps. Après ce Cortege marchoient
les Cardinaux
Barberin , Sous - Doyen du
Sacré College , Albani de S. Clement , Zondodari
, Belluga de S. Mathieu , Querini , Lercari , Caraffe , Borghefe , Cibo , Altieri , Alexandre
Albani, del Giudice & Rufpoli ; ils étoient fuivis
1. Vol.
I dés
2742 MERCURE DE FRANCE
des Patriarches, Archevêques &Evêques affiftans du
Trône, de l'Auditeur de S. S. & du Tréforier de
la Chambre Apoftolique. M.NeriCorfini, neveu du
Pape , marchoit au milieu des deux plus anciens
Protonotaires Apoftoliques , qui étoient fuivis des
autres Protonotaires , des Evêques non affiftans
des Referendaires des deux fignatures , des chevaux
de main & du Caroffe de S. S. devant lequel
étoient deux Trompettes de la Garde , de la Com.
pagnie des Cuiraffiers , de huit Compagnies d'Infanterie
, Enfeignes déployées , qui fe rangerent
en bataille dans la Place de S. Jean de Latran.
Le Pape étant arrivé au Capitole qui étoit tapiffé
de Velours cramoifi , avec des Crépines &
Galons d'or , le Marquis Marie Franchipani ,
en longue robbe de Sénateur , de toile d'or , accompagné
de fes Collegues , des Officiers du Capitole
, & affifté de deux Maîtres de cérémonies,
vint recevoir le Pape & lui rendre l'obédience au
nom du Sénat & du Peuple Romain. Son Difcours
fut reçû tres - favorablement de S. S. qui y
répondit en peu de mots.
>
Elle continua fa marche vers l'Arc de Triomphe
de Septime Severe, & quand on fût à une petite
diftance de celui de Tité, on trouva un autre
Arc de Triomphe , nouvellement érigé , fuivant
qu'il fe pratique en pareille cérémonie, par les Ordres
du Sereniff. Duc de Parme & de Plaiſance.
Cet Arc dont l'élevation, le gout, les riches ornemens
attirerent les regards de tous les connoiffeurs
, fut applaudi du Pape même , qui en marqua
une particuliere fatisfaction. On voyoit fur
la principale face deux grandes Statues dans des
Niches , l'une à droite, reprefentant la Charité
avec cette Infcription : Videant Pauperes &
latentur ; l'autre à gauche , fymbole de la Juftice
, avec ces mots : Juftitia ejus manet . Sur le
>
1. Velo milieu
DECEMBRE. 1730. 2743
milieu du comble de tout l'Edifice étoit pofé
entre deux Renommées , un grand Cartouche ,
contenant les Armes du Pape : avec cette Infcri
ption : CLEMENTI XII . P. O. M. genere virtutibus
praftantiffimo , Magno, Chriftiana Reipublica
bono & gaudio. Antonius Farnefius
Parma & Plac, Dux P. On lifoit cette autre Inf
cription fur la face oppofée , où les Armes du
Pape , foutenues par deux Renommées , étoient
encore répétées : AD ECCLESIAM OMNIUM
MATREM exoptatiffimi Principis iter , urbe
borbe plaudentibus , obfequentiffimè veneratur
Antonius Farnefius Parma & Plac. Dux. Il
feroit trop long de rapporter icy les autres Emblêmes
& Devifes qui ornoient toutes les parties
de ce Monument. Elles étoient toutes d'une heureufe
application & tirées pour la plupart de l'E
criture.Nous fommes auffi obligez de paffer fous
filence les autres magnificences du Duc de Parme
dans cette grande Fête. Elles brillerent fur tout
à la Façade du Jardin Farneſe , qui étoit fur la
même route , ainfi que l'Arc de Tite , à travers
duquel le Pape paffa,& le quartier des Juifs .L'Arc
de Tite étoit décoré de plufieurs Emblêmes, Devifes
, Infcriptions , &c. & on y lifoit fur divers
Rouleaux des Elegies latines à la gloire de S. S.
Le Pape fut reçû à l'entrée du Portail de l'Eglife
de S. Jean de Latran par le Card. Ottoboni
qui en eft Archiprêtre, à la tête du Chapitre.Etant
entré dans l'Eglife , ce Cardinal lui apporta la
Croix à baifer ; après quoi S. S. alla s'affeoir
fur fon Trône , préparé fous le Portique , qui
étoit tapiffé de brocard d'or & de damas. Elle y
prit les habits Pontificaux blancs & fa Mitre; alors
le Card. Ottoboni lui prefenta dans un Baffin
d'or deux Cefs , l'une d'or & l'autre d'argent.
Cette Cérémonie fut fuivie d'un Difcours latin
1. Vol. I ij très2744
MERCURE DE FRANCE
tres - éloquent que lui fit le même Cardinal ; après.
lequel les Cardinaux , les Patriarches , les Archevêques
& les Evêques qui s'étoient revêtus de
leurs habits Pontificaux dans une Salle à côté dụ
Portique , vinrent baifer les pieds du Pape ; cérémonie
qui fut enfuite obfervée par tous les Chanoines
, à chacun defquels le Tréforier de la
Chambre Apoftolique donna une Médaille d'argent.
Le Pape defcendit de fon Trône , précédé
de la Croix , des Cardinaux & des differens Or- .
dres de Prélature . Il entra dans l'Eglife donnant
l'Eau-benite à tous les affiftans. On lifoit deux
Infcriptions , l'une en dedans de la principale
Porte , & l'autre en dehors. La premiere contenoit
ce qui fuit , Ingredere, Sanctiffime Pater ,
exultantem adventu tuo comple&ere fponfam
Ecclefiarum Matrem que virtutis tua fulgoribus
illuftrata depofuit viduitatis infigne ut
novo tuorum latetur meritorum triumpho . Induit
fe veftimentis jucunditatis fua , Clementia
tua prafidio fulta nullos post hac fecura
pavebit incurfus . Pontifex pietate &munificentia
Optime , Maxime , diù vivas foelix aterno
Ecclefia decori , Corfinorum gloria perpe ,
tuo augmento. Publicè Urbis & Orbis Patri.
L'autre Infcription étoit en ces termes : Vox po
puli de Civitate , vox de Templo . Ecce venit defideratus
Gentibus fructus honoris quem dede-.
runtflores. CLEMENS XII. PONT. MAX.
occurrere latanti & facienti juftitiam . Lateranenfis
Ecclefia exultans clama magnum principium
, femita jufti recta eft , ofculate pedes ;
attolle portas ingredietur cuftodiens veritatem;
implebit Templum Majeftate nova. Parafii folium
, videbis Regem in decore fuc. Lorfque S.S.
fut arrivée dans le Choeur , elle y entonna le Te
Deum , après lequel elle fe rendit à fon Trône
I. Vol. élevé
DECEMBRE . 1730. 2743
élevé à côté du Grand Autel , où elle reçut l'obé
dience des Cardinaux qui lui baiferent la main, &
qui reçurent chacun une Médaille d'or & une
d'argent. Enfuite le Pape fut porté proceffionellement
à la grande Loge du Portail , où il donna
fa Benediction au peuple au fon des Timbales &
des Trompettes & au bruit d'une décharge gene
tale des Boëtes qui étoient rangées dans la Place.
Après la cérémonie , le Pape retourna en Chaife
à Porteurs au Palais du Quirinal.
Le foir , toute la Façade du Capitole fut ma
gnifiquement illuminée , ainfi que tous les Palais
de la Ville, & Pon fit plufieurs décharges de l'Ar
tillerie du Château S. Ange. A l'occafion de cette
cérémonie , le Pape a fait diftribuer du pain
toutes les pauvres familles , & diminuer confidérablement
le prix de la viande .
L
E 19. Novembre , le Pape fe rendit le matin
du Palais du Quirinal à celui du Vatican,
où fa S. dîna. L'après midi , les Cardinaux , les
Prélats & les Seigneurs Romains qui avoient rang
dans la Cerémonie , s'y étant rendus , la marche
fe fit dans l'ordre fuivant, Un détachement des.
chevaux Legers de la Garde , habillés de drap
écarlatte galonné d'or , fortit du Palais , ayant à
fa tête le Marquis Caponi , Grand - Maréchal
des Logis du Pape . Il fut fuivi des Officiers de
la Chambre & de la livrée des Cardinaux , de
leurs Maffiers à cheval , de leurs Gentilshommes
& de la principale Nobleffe à cheval , ayant
livriée à fes cûtés .
fa
A quelque distance marchoient les bas Officiers
du Palais Apoftolique , la Haquenée du Pape couverte
d'un magnifique caparaçon , les litières de
S. S. fon Grand-Ecuyer , les Trompettes des Cheyaux
Legers de la Garde , les Cameriers extraor-
1. Vol dinaires
DECEMBRE. 1730 : 2741
dinaires , les Adjudans de la Chambre , les Avocats
Confiftoriaux , les Chapelains ordinaires , les
Chapelains Secrets , les Cameriers d'honneur de
Cape & d'Epée , les Cameriers d'honneur Ecclefiaftiques
, les Cameriers fecrets de Cape &
d'Epée , les Cameriers fecrets Écclefiaftiques , les
Abreviateurs , les Votans de la fignature 2. les
Clercs de la Chambre , les Auditeurs de Rote , le
Religieux Dominicain qui eft Maître du Palais
-Apoftolique, l'Ambaffadeur de laVille de Bologne,
le Prieur & les Confervateurs des Privileges du
Peuple Romain , le Connétable Colonne , Prince
du Soglio , le Gouverneur de Rome , les Maîtres
des Cerémonies Pontificales , M. Befonico , qui
étant le dernier des Auditeurs de Rote, portoit la
Croix au milieu de deux Acolites & marchoit
-immediatement devant le Pape , lequel étoit dans
un fauteuil de velours cramoifi , galonné d'or
porté fur un brancart par deux chevaux blancs ,
magnifiquement caparaçonnés . S.S. étoit entourée
de la Garde Suiffe , du refte de fa Compagnie,des
Chevaux Legers , de fes Pages , Coureurs, Palfre-
-niers , de deux Officiers portant des Ombrelles
-ou Parafols & de fes deux Maffiers à cheval. M.
Doria , Archevêque de Patraffo , Maître de la
Chambre du Pape , marchoit après S. S. au mi-
-lieu de deux Cameriers Secrets Affiftans. Il étoit
fuivi du Medecin , du Caudataire & du Maître de
la Garderobe du Pape , de deux Officiers de la
-bouche , avec leurs Cantines , du cheval que le
-Pape devoit monter , d'une chaife à porteurs , & de la Litière du Corps. Après ce Cortege marchoient
les Cardinaux
Barberin , Sous - Doyen du
Sacré College , Albani de S. Clement , Zondodari
, Belluga de S. Mathieu , Querini , Lercari , Caraffe , Borghefe , Cibo , Altieri , Alexandre
Albani, del Giudice & Rufpoli ; ils étoient fuivis
1. Vol.
I dés
2742 MERCURE DE FRANCE
des Patriarches, Archevêques &Evêques affiftans du
Trône, de l'Auditeur de S. S. & du Tréforier de
la Chambre Apoftolique. M.NeriCorfini, neveu du
Pape , marchoit au milieu des deux plus anciens
Protonotaires Apoftoliques , qui étoient fuivis des
autres Protonotaires , des Evêques non affiftans
des Referendaires des deux fignatures , des chevaux
de main & du Caroffe de S. S. devant lequel
étoient deux Trompettes de la Garde , de la Com.
pagnie des Cuiraffiers , de huit Compagnies d'Infanterie
, Enfeignes déployées , qui fe rangerent
en bataille dans la Place de S. Jean de Latran.
Le Pape étant arrivé au Capitole qui étoit tapiffé
de Velours cramoifi , avec des Crépines &
Galons d'or , le Marquis Marie Franchipani ,
en longue robbe de Sénateur , de toile d'or , accompagné
de fes Collegues , des Officiers du Capitole
, & affifté de deux Maîtres de cérémonies,
vint recevoir le Pape & lui rendre l'obédience au
nom du Sénat & du Peuple Romain. Son Difcours
fut reçû tres - favorablement de S. S. qui y
répondit en peu de mots.
>
Elle continua fa marche vers l'Arc de Triomphe
de Septime Severe, & quand on fût à une petite
diftance de celui de Tité, on trouva un autre
Arc de Triomphe , nouvellement érigé , fuivant
qu'il fe pratique en pareille cérémonie, par les Ordres
du Sereniff. Duc de Parme & de Plaiſance.
Cet Arc dont l'élevation, le gout, les riches ornemens
attirerent les regards de tous les connoiffeurs
, fut applaudi du Pape même , qui en marqua
une particuliere fatisfaction. On voyoit fur
la principale face deux grandes Statues dans des
Niches , l'une à droite, reprefentant la Charité
avec cette Infcription : Videant Pauperes &
latentur ; l'autre à gauche , fymbole de la Juftice
, avec ces mots : Juftitia ejus manet . Sur le
>
1. Velo milieu
DECEMBRE. 1730. 2743
milieu du comble de tout l'Edifice étoit pofé
entre deux Renommées , un grand Cartouche ,
contenant les Armes du Pape : avec cette Infcri
ption : CLEMENTI XII . P. O. M. genere virtutibus
praftantiffimo , Magno, Chriftiana Reipublica
bono & gaudio. Antonius Farnefius
Parma & Plac, Dux P. On lifoit cette autre Inf
cription fur la face oppofée , où les Armes du
Pape , foutenues par deux Renommées , étoient
encore répétées : AD ECCLESIAM OMNIUM
MATREM exoptatiffimi Principis iter , urbe
borbe plaudentibus , obfequentiffimè veneratur
Antonius Farnefius Parma & Plac. Dux. Il
feroit trop long de rapporter icy les autres Emblêmes
& Devifes qui ornoient toutes les parties
de ce Monument. Elles étoient toutes d'une heureufe
application & tirées pour la plupart de l'E
criture.Nous fommes auffi obligez de paffer fous
filence les autres magnificences du Duc de Parme
dans cette grande Fête. Elles brillerent fur tout
à la Façade du Jardin Farneſe , qui étoit fur la
même route , ainfi que l'Arc de Tite , à travers
duquel le Pape paffa,& le quartier des Juifs .L'Arc
de Tite étoit décoré de plufieurs Emblêmes, Devifes
, Infcriptions , &c. & on y lifoit fur divers
Rouleaux des Elegies latines à la gloire de S. S.
Le Pape fut reçû à l'entrée du Portail de l'Eglife
de S. Jean de Latran par le Card. Ottoboni
qui en eft Archiprêtre, à la tête du Chapitre.Etant
entré dans l'Eglife , ce Cardinal lui apporta la
Croix à baifer ; après quoi S. S. alla s'affeoir
fur fon Trône , préparé fous le Portique , qui
étoit tapiffé de brocard d'or & de damas. Elle y
prit les habits Pontificaux blancs & fa Mitre; alors
le Card. Ottoboni lui prefenta dans un Baffin
d'or deux Cefs , l'une d'or & l'autre d'argent.
Cette Cérémonie fut fuivie d'un Difcours latin
1. Vol. I ij très2744
MERCURE DE FRANCE
tres - éloquent que lui fit le même Cardinal ; après.
lequel les Cardinaux , les Patriarches , les Archevêques
& les Evêques qui s'étoient revêtus de
leurs habits Pontificaux dans une Salle à côté dụ
Portique , vinrent baifer les pieds du Pape ; cérémonie
qui fut enfuite obfervée par tous les Chanoines
, à chacun defquels le Tréforier de la
Chambre Apoftolique donna une Médaille d'argent.
Le Pape defcendit de fon Trône , précédé
de la Croix , des Cardinaux & des differens Or- .
dres de Prélature . Il entra dans l'Eglife donnant
l'Eau-benite à tous les affiftans. On lifoit deux
Infcriptions , l'une en dedans de la principale
Porte , & l'autre en dehors. La premiere contenoit
ce qui fuit , Ingredere, Sanctiffime Pater ,
exultantem adventu tuo comple&ere fponfam
Ecclefiarum Matrem que virtutis tua fulgoribus
illuftrata depofuit viduitatis infigne ut
novo tuorum latetur meritorum triumpho . Induit
fe veftimentis jucunditatis fua , Clementia
tua prafidio fulta nullos post hac fecura
pavebit incurfus . Pontifex pietate &munificentia
Optime , Maxime , diù vivas foelix aterno
Ecclefia decori , Corfinorum gloria perpe ,
tuo augmento. Publicè Urbis & Orbis Patri.
L'autre Infcription étoit en ces termes : Vox po
puli de Civitate , vox de Templo . Ecce venit defideratus
Gentibus fructus honoris quem dede-.
runtflores. CLEMENS XII. PONT. MAX.
occurrere latanti & facienti juftitiam . Lateranenfis
Ecclefia exultans clama magnum principium
, femita jufti recta eft , ofculate pedes ;
attolle portas ingredietur cuftodiens veritatem;
implebit Templum Majeftate nova. Parafii folium
, videbis Regem in decore fuc. Lorfque S.S.
fut arrivée dans le Choeur , elle y entonna le Te
Deum , après lequel elle fe rendit à fon Trône
I. Vol. élevé
DECEMBRE . 1730. 2743
élevé à côté du Grand Autel , où elle reçut l'obé
dience des Cardinaux qui lui baiferent la main, &
qui reçurent chacun une Médaille d'or & une
d'argent. Enfuite le Pape fut porté proceffionellement
à la grande Loge du Portail , où il donna
fa Benediction au peuple au fon des Timbales &
des Trompettes & au bruit d'une décharge gene
tale des Boëtes qui étoient rangées dans la Place.
Après la cérémonie , le Pape retourna en Chaife
à Porteurs au Palais du Quirinal.
Le foir , toute la Façade du Capitole fut ma
gnifiquement illuminée , ainfi que tous les Palais
de la Ville, & Pon fit plufieurs décharges de l'Ar
tillerie du Château S. Ange. A l'occafion de cette
cérémonie , le Pape a fait diftribuer du pain
toutes les pauvres familles , & diminuer confidérablement
le prix de la viande .
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Résumé : Prise de possession de S. Jean de Latran.
Le 19 novembre, le Pape effectua un déplacement du Palais du Quirinal au Palais du Vatican. L'après-midi, une procession cérémonielle fut organisée, incluant divers dignitaires et membres de la cour pontificale. Le cortège comprenait des détachements de la Garde, des officiers de la Chambre, des gentilshommes et des nobles. Le Pape était transporté dans un fauteuil de velours cramoisi sur un brancard tiré par deux chevaux blancs, entouré par la Garde suisse, des pages et des trompettes. Les cardinaux, patriarches, archevêques et évêques suivaient derrière. La procession traversa plusieurs arcs de triomphe, dont un nouvellement érigé par le Duc de Parme, orné de statues et d'inscriptions. Au Capitole, le Pape fut accueilli par le Marquis Franchipani, qui lui rendit hommage au nom du Sénat et du peuple romain. La procession continua jusqu'à l'église Saint-Jean-de-Latran, où le Pape fut reçu par le Cardinal Ottoboni. Après avoir revêtu les habits pontificaux et écouté un discours en latin, le Pape donna la bénédiction au peuple. La cérémonie se conclut par des illuminations et des salves d'artillerie. Le lendemain, le Pape distribua du pain aux pauvres familles et réduisit le prix de la viande.
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12
p. 241-246
ODE. Sur la Canonisation des Saints Stanislas Kostka et Louis de Gonzague.
Début :
Quelle Cour pompeuse et brillante [...]
Mots clefs :
Canonisation, Stanislas Kostka, Louis de Gonzague, Regards , Cour fabuleuse, Lubriques Divinités, Trône, Religion, Couronne, Lyre
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texteReconnaissance textuelle : ODE. Sur la Canonisation des Saints Stanislas Kostka et Louis de Gonzague.
O D E.
Sur la Canonisation des Saints Stanislas
Kostka et Louis de Gonzague.
Q Uelle Cour pompeuse et brillante
Se dévoile à mes yeux surpris ?
Dans quelle Région charmante
Un Dieu ravit- il mes esprits ?
Que vois-je ? Ce n'est plus la Terre ;
Au-dessus même du Tonnerre
Je porte de libres regards..
Un Temple brille dans la Nuë :
Quel jour ! une main inconnuë
M'ouvre les Cieux de toutes parts.
Ce n'est point la Cour fabuleuse
Des Dieux que l'erreur a vantés ,
Séjour d'une foule orgueilleuse
De lubriques Divinités ;;
Il n'est plus ce culte coupable :
Dans le Sanctuaire adorable
Que soutient la voûte des airs ,
Un seul Maître , un seul Dieu réside
Sa Majesté sainte y préside ,
Et veille au sort de l'Univers,
247 MERCURE DE FRANCE
Inclinés au pied de son Thrône
Les Anges saisis de respect ,
De la splendeur qui l'environne ,
Ne peuvent soutenir l'aspect.
Mais quoi ! vers ce Trône terrible ,
A tout Mortel inaccessible ,
Dans un char plus brillant que
Par une route de lumiere ,
Quittant la terrestre carriere ,
l'or ,
Deux Mortels prennent leur essor !
M
Volez , Vertus , et sur vos aîles
Enlevez leur char radieux ;
Jusqu'aux demeures immortelles
Portez ces jeunes demi- Dieux :
Ils vont , ils entrent dans la Gloire ,
'Au milieu des chants de victoire
De tous les celestes Esprits ;
Frappé de cent voix unanimes ,
L'air retentit des noms sublimes
De Stanislas et de Louis.
Tout le Ciel avec allegrésse
Reçoit ces Habitans nouveaux
La Religion s'interesse
Au Triomphe de ses Héros ;
La Pieté leur dresse un Trône
La
FEVRIER.
243 1731.
La Pudeur forme leur couronne
De ses Myrrhes toujours fleuris
Et dans cette fête charmante
Chaque Vertu retrouve et vante
Ses plus fideles favoris.
L'éclat de leur saint diadême
Leur cause de moins doux transports
Que le pur amour que Dieu même ...
Mais quel bras suspend mes accords ?
Une secrette violence
Force ici ma Lyre au silence
Sur ce bonheur Mysterieux ;
Dans ses Conseils impénetrables
Dieu seul voit les dons inéfables
Que sa main répand dans les Cieur.
潞
Nouveaux Saints , ames fortunées
Regnez , jouissez , sans désirs ;
La Mort abrégea vos années
Pour éterniser vos plaisirs.
Jaloux d'une immortelle vie ,
La fleur de vos jours est ravie
Sans vous causer de vains regrets
Vous tombez dans la nuit profondé
Trop tôt pour l'ornement du monde ;
Trop tard encor pour vos souhaits.
Da
244 MERCURE DE FRANCE
Du haut des sacrés tabernacles ,
Par mille prodiges nouveaux ,
Couronnez les anciens miracles ,
Qui font l'honneur de vos tombeaux ;
Sur l'encens de nos sacrifices
Attirez les regards propices
Du Maître absolu des humains ;
Eteignez le feu du Tonnerre ,
Que l'impieté de la Terre
Allume souvent dans ses mains.
Pour un Roi pacifique et juste
Offrez nos voeux au Roi des Rois ;
Veillez sur une Reine auguste ,
Le
sang * exige ici ses droits.
Les fruits d'un heureux hymenée
Dont la France se voit ornée ,
De l'Eternel sont les bienfaits :
Soyez les Anges tutelaires
Et les premiers dépositaires
Des dons chéris qu'il nous a faits.
諾
Tout change. Aux mortelles contrées
Faut-il donc ramener mes yeux ?
Pourquoi les portes azurées
Me referment - elles les Cieux ?
* La Reine est parente de ces deux Saints:
Toug
FEVRIER. 1731 .
245
Tout a disparu comme un songe ;
Mais ce n'est point un vain mensonge
Qui trompe mes sens éblouis :
Rome a parlé tout doit l'en croire ;
Son Oracle a marqué la gloire
De Stanislas et de Louis.
M
Peuples , retracez dans vos fêtes
La Pompe du divin séjour ;
Que tout applaudisse aux conquêtes
Que le Ciel fait en ce beau jour .
- Unissons des chants de louanges
Aux Concerts que le choeur des Anges
Consacre aux nouveaux Immortels ;
Et que sous ces voutes sacrées
Leurs images de fleurs parées
Tiennent un rang sur nos Autels .
讚
Jeunes coeurs , troupe aimable et tendre
'Accourez , offrez votre encens ;
Deux jeunes Saints ont droit d'attendre
Vos hommages reconnoissans.
A leur héroïque courage.
L'Univers a vû que votre âge ,
Capable d'illustres travaux ,
Peut aux Enfers livrer la guerre ,
Etre
246 MERCURE DE FRANCE.
Etre l'exemple de la Terre ,
Et peupler le Ciel de Héros .
Gresset Jésuite .
Sur la Canonisation des Saints Stanislas
Kostka et Louis de Gonzague.
Q Uelle Cour pompeuse et brillante
Se dévoile à mes yeux surpris ?
Dans quelle Région charmante
Un Dieu ravit- il mes esprits ?
Que vois-je ? Ce n'est plus la Terre ;
Au-dessus même du Tonnerre
Je porte de libres regards..
Un Temple brille dans la Nuë :
Quel jour ! une main inconnuë
M'ouvre les Cieux de toutes parts.
Ce n'est point la Cour fabuleuse
Des Dieux que l'erreur a vantés ,
Séjour d'une foule orgueilleuse
De lubriques Divinités ;;
Il n'est plus ce culte coupable :
Dans le Sanctuaire adorable
Que soutient la voûte des airs ,
Un seul Maître , un seul Dieu réside
Sa Majesté sainte y préside ,
Et veille au sort de l'Univers,
247 MERCURE DE FRANCE
Inclinés au pied de son Thrône
Les Anges saisis de respect ,
De la splendeur qui l'environne ,
Ne peuvent soutenir l'aspect.
Mais quoi ! vers ce Trône terrible ,
A tout Mortel inaccessible ,
Dans un char plus brillant que
Par une route de lumiere ,
Quittant la terrestre carriere ,
l'or ,
Deux Mortels prennent leur essor !
M
Volez , Vertus , et sur vos aîles
Enlevez leur char radieux ;
Jusqu'aux demeures immortelles
Portez ces jeunes demi- Dieux :
Ils vont , ils entrent dans la Gloire ,
'Au milieu des chants de victoire
De tous les celestes Esprits ;
Frappé de cent voix unanimes ,
L'air retentit des noms sublimes
De Stanislas et de Louis.
Tout le Ciel avec allegrésse
Reçoit ces Habitans nouveaux
La Religion s'interesse
Au Triomphe de ses Héros ;
La Pieté leur dresse un Trône
La
FEVRIER.
243 1731.
La Pudeur forme leur couronne
De ses Myrrhes toujours fleuris
Et dans cette fête charmante
Chaque Vertu retrouve et vante
Ses plus fideles favoris.
L'éclat de leur saint diadême
Leur cause de moins doux transports
Que le pur amour que Dieu même ...
Mais quel bras suspend mes accords ?
Une secrette violence
Force ici ma Lyre au silence
Sur ce bonheur Mysterieux ;
Dans ses Conseils impénetrables
Dieu seul voit les dons inéfables
Que sa main répand dans les Cieur.
潞
Nouveaux Saints , ames fortunées
Regnez , jouissez , sans désirs ;
La Mort abrégea vos années
Pour éterniser vos plaisirs.
Jaloux d'une immortelle vie ,
La fleur de vos jours est ravie
Sans vous causer de vains regrets
Vous tombez dans la nuit profondé
Trop tôt pour l'ornement du monde ;
Trop tard encor pour vos souhaits.
Da
244 MERCURE DE FRANCE
Du haut des sacrés tabernacles ,
Par mille prodiges nouveaux ,
Couronnez les anciens miracles ,
Qui font l'honneur de vos tombeaux ;
Sur l'encens de nos sacrifices
Attirez les regards propices
Du Maître absolu des humains ;
Eteignez le feu du Tonnerre ,
Que l'impieté de la Terre
Allume souvent dans ses mains.
Pour un Roi pacifique et juste
Offrez nos voeux au Roi des Rois ;
Veillez sur une Reine auguste ,
Le
sang * exige ici ses droits.
Les fruits d'un heureux hymenée
Dont la France se voit ornée ,
De l'Eternel sont les bienfaits :
Soyez les Anges tutelaires
Et les premiers dépositaires
Des dons chéris qu'il nous a faits.
諾
Tout change. Aux mortelles contrées
Faut-il donc ramener mes yeux ?
Pourquoi les portes azurées
Me referment - elles les Cieux ?
* La Reine est parente de ces deux Saints:
Toug
FEVRIER. 1731 .
245
Tout a disparu comme un songe ;
Mais ce n'est point un vain mensonge
Qui trompe mes sens éblouis :
Rome a parlé tout doit l'en croire ;
Son Oracle a marqué la gloire
De Stanislas et de Louis.
M
Peuples , retracez dans vos fêtes
La Pompe du divin séjour ;
Que tout applaudisse aux conquêtes
Que le Ciel fait en ce beau jour .
- Unissons des chants de louanges
Aux Concerts que le choeur des Anges
Consacre aux nouveaux Immortels ;
Et que sous ces voutes sacrées
Leurs images de fleurs parées
Tiennent un rang sur nos Autels .
讚
Jeunes coeurs , troupe aimable et tendre
'Accourez , offrez votre encens ;
Deux jeunes Saints ont droit d'attendre
Vos hommages reconnoissans.
A leur héroïque courage.
L'Univers a vû que votre âge ,
Capable d'illustres travaux ,
Peut aux Enfers livrer la guerre ,
Etre
246 MERCURE DE FRANCE.
Etre l'exemple de la Terre ,
Et peupler le Ciel de Héros .
Gresset Jésuite .
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Résumé : ODE. Sur la Canonisation des Saints Stanislas Kostka et Louis de Gonzague.
Le poème célèbre la canonisation des saints Stanislas Kostka et Louis de Gonzague. L'auteur décrit une vision céleste où il aperçoit un temple divin habité par un seul Dieu, entouré d'anges respectueux. Deux mortels, Stanislas et Louis, montent vers ce trône divin dans un char lumineux, accompagnés par des vertus et des esprits célestes. Le ciel accueille ces nouveaux saints avec allégresse, et chaque vertu célèbre ses favoris. La pudeur, la piété et l'amour divin sont particulièrement mis en avant. Le poème exprime également l'admiration pour ces saints dont la vie fut écourtée pour une immortalité éternelle. Les saints sont invités à intercéder pour un roi pacifique et juste, ainsi que pour une reine auguste. Le texte se termine par un appel aux peuples et aux jeunes cœurs pour honorer ces saints et suivre leur exemple héroïque.
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13
p. 577-591
Arlequin Phaeton, &c. [titre d'après la table]
Début :
ARLEQUIN PHAETON, Parodie, &c. par les mêmes Auteurs, et chez [...]
Mots clefs :
Parodie, Arlequin, Théâtre, Comédie, Soleil, Trône, Décoration, Scène
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texteReconnaissance textuelle : Arlequin Phaeton, &c. [titre d'après la table]
ARLEQUIN PHAETON , Parodie ,
&c. par les mêmes Auteurs , et chez le
même Libraire , 1731 .
Cette Piece fut donnée sur le Théatre
de l'Hôtel de Bourgogne le 22. Février
et très -favorablement reçûë du Public.
Le Théatre représente la Mer dans le
fond , Libie ouvre la Scene par ces Vers
parodiez , sur l'Air : Ici sont venus ex
personne.
Heureuse une ame indifferente !
Le bonheur dont j'étois contente ,
Le
378 MERCURE DE FRANCE
Ne me sera-t'il point rendu ?
Dans ces beaux lieux tout est paisible .
Helas ! que ne m'est -il possible ,
D'y trouver ce que j'ai perdu !
C'est un petit coeur ingenu ,
C'est un coeur sincere et fidele ,
Dont je n'avois plus de nouvelle.
Quand une fois l'Amour le prend ,
Jamais le traitre ne le rend.
- Théone s'étonne de voir Libie seule et
rêveuse ; celle-cy lui dit qu'elle vient rêver
aussi en ce lieu , et qu'il est à présumer
qu'elle aime ; oui , lui répond- elle ,
je n'en fais aucun mistere.
Il faut aimer pour éprouver ,
Le plaisir de rêver.
Avoüez , ajoûte- t'elle , que vous en te
nez aussi bien que moi ; sur le Chant de
Opera :
Le Fils de Jupiter vous aime.
Libie.
Je ne serois qu'à lui s'il n'étoit qu'à moi-même.
Vous êtes plus heureuse que moi , contiñue-
t'elle , le fils du Soleil vous plaît .
vous joüissez d'un plein repos. Toutes deux.
Ah !
MARS.
1731. 379
Ah! Madame Enroux ,
>
Que l'Amour est fou ,
Et qu'il fait de folles !
Ah ! Madame Enroux ,
Combien de paroles ,
Ici perdons nous ?
Phaeton arrive tout rêveur. Vous passez
sans me voir , lui dit Théone , craignez-
vous ma presence ? Non , répond- il,
je cherche la Reine , ma Mere. Le bon
enfant , dit Théone. Est - il deffendu de
chercher sa mere , ajoûte Phaeton ? Oui ;
c'est sa Maîtresse qu'il faut chercher.Voilà
une Maîtresse , reprend Phaeton , qui
m'embarrasse autant qu'une femme. Il
affecte beaucoup d'indifference , et voyant
venir sa mere , il dit sur l'Air de l'Opera.
La Reine tourne ici ses pas.
Théone.
C'est bien répondre ; allez , ne vous contraignez
pas.
A la quatriéme Scène , Climene arrive
qui demande à son fils le sujet de son
chagrin , il lui répond que le Roi va se
choisir un Gendre qui doit succeder au
Trône; qu'Epaphus en brigue l'honneur, et
quece sont là les motifs de sa tristesse. Il
no
580 MERCURE DE FRANCE.
ne faut pas être envieux , lui répond Cli.
mene , mais il y a une chose qui m'embarrasse
, ajoûte Phaeton . Le Soleil est
mon pere , n'est- ce pas ? Oüi vraiment ,
répart Climene. Phaeton chante sur l'Air
Vous avez bean faire la fiere.
Comment avez- vous pu faire
Pour engager votre foi
Et de vous ma chere mere
>
Que pensé notre bon Roi ?
Avez-vous passé pour neuve ,
Dans l'esprit de ce butord .
Climene.
Il m'a prise comme veuve.
Phaeton.
Mais le Soleil n'est
pas
mort.
Tout cela me chicanne ; taisez-vous
lui dit Climene , vous êtes un épilogueur.
Prothée va venir ici avec ses Moutons
er je veux le consulter sur ce qui vous
regarde ; retirez-vous. Prothée chante ;
Air de M. Mouret.
Heureux qui peut sur les bords de la Seine ,
Se promener sans rien risquer ;
Heureux ceux que l'espoir d'une amoureuse an
baine ,
Ne force point à s'embarquer.
Dangere
ZWA
NOVUM
BRENNITATS
DUX
ANDEGAVENS NATUS
XXXAUGUSTI
M DCC XXX
PIGNUS
B
MARS.
581
1731.
Dangereux en est le voyage :
Jeunes Amans , craignez l'orage ,
Qui vous fait quelquefois ,
Faire nauffrage ,
A Javelle , au Port à Langlois,
Prothée s'endort. Climene dit à sea
frere Triton , qu'il faut l'obliger à s'expliquer
sur le sort de Phaeton . Triton
sur l'Air, A nos voix unissez vos Hautbois.
Bondissez ,
Petits Agneaux , paisser
Sur ces Rivages ;
Vous, Oiseaux ,
Vous , Chalumeaux ,
Et vous , murmure des Eaux ,
Vous , Feuillages ,
Vous , Ombrages ,
Vous , badins Zéphirs ,
Qui rimez à plaisirs ,
Vous , charmans Bocages ,
Vous , tendres desirs ,
Amoureux Soupirs ,
Et Sornettes
Qu'on a faites ,
Depuis si long-temps ,
Qu'on remet tous les ans ,
Dans les Chansonnettes ,
Remplissez nos Chants.
H Prothée
$82 MERCURE DE FRANCE
Prothée s'éveille , en disant qu'il est -eharmé
de cette Musique , mais que son
Troupeau s'égare , et qu'il ne peut rester
davantage; Triton et ses Suivans l'arrêtent
; il se change successivement en Arbre
, en Asne et en Cochon , en vendeur
de Ptisanne , et en pluye de feu ; ensuite
il paroît sous sa forme ordinaire , et se
voyant obligé de parler , il chante ce qui
suit , sur l'Air de l'Opera.
Puisque vous le voulez , je romprai le silence ,
Le sort de Phaeton se découvre à mes yeux :
Dieux ! que d'argent ; quel monde, ô Dieux !
Il ne doit son succés heureux ,
Qu'à sa magnificence , &c .
Phaeton demande à Climene , dans la
septiéme Scene , ce qu'a dit Prothée ; que
vous mourrez bientôt , lui répond Climene.
Adieu , mon fils , j'espere que
l'amour de Théone l'emportera sur l'ambition
. Phaeton chante sur l'Air , Je suis
Mousquetaire , moi.
He! quoi ! ma mere au besoin m'abandonne.
Climene.
Théone à votre foi.
Phaeton.
Je n'en veux plus ; la gloire me talonne ;
J'aime mieux être Roi.
Climene.
MARS. 1731. 583
Climene.
Mais vous mourrez, si vous montez au Trône.
Phaeton en pleurant.
Je veux la Couronne ,
Moi ,
Je veux la Couronne.
Dans la Scene suivante , Epaphus dít
à Libie , que le Roi vient de lui donner
son congé , et qu'un autre la possedera.
Ils chantent le Duo suivant sur
l'Air , Vendôme.
Que mon sort seroit doux ,
Si je passois avec vous ,
La vie , la vie.
Merops , suivi des Rois Tributaires ,
déclare qu'il a fait choix de Phaeton pour
lui succeder , et qu'il lui accorde Libie.
Il chante sur l'Air , du Mirliton.
De ma fille qu'il demande ;
Volontiers je lui fais don ;
De tous côtez qu'on entende ,
Retentir cent fois le nom ,
Du grand Phaeton ,
Mirliton , mirlitaine ,
Du grand Phaeton , ton , ton.
Après les Chants et les Danses , Théo-
Hij
84 MERCURE DE FRANCE.
ne arrive , et fait des reproches à Phaeton
sur son infidelité. Elle chante sur l'Air ,
La charmante Catin me desespere.
Vous aimez la Princesse à la folie ,
Et votre coeur perfide enfin m'oublie
Oui , l'Amour vous transporte ,
Et vous livre à ses appas.
Phaeton.
Non , le diable m'emporte ,
L'Amour ne s'en mêle pas , la , la :
Je n'épouse que ses ducats.
Theone se retire en pleurant. Phaeton
va rendre hommage à la Déesse Isis , et
se persuade qu'elle le recevra à merveille ,
puisqu'elle est la mere de son Rival ;
mais lorsqu'il veut entrer , une Furie
sort du Temple pour l'épouvanter , &c .
Epaphus en sort , et lui demande ce qu'il
prétend ? Epaphus sur l'Air , Ami , ne
parlons plus de guerre. ·
Votre attente sera trompée ,
Phaeton ;
Ca, commençons
Par ôter chacun notre épée ,
En bons poltrons.
Ils ôtent leurs épées ; Phaeton continuë :
Voilà nos mesures bien prises ,
Et
MARS . 1731.
Et nous pouvons ,
Nous dire toutes les sottises ,
Que nous voudrons.
Sçavez- vous bien que Jupiter est mon
Pere , lui dit Epaphus ; et qu'est- ce que
cela me fait ; le Soleil est le mien , répond
Phaeton . Epaphus : Air , Oniche , ouiche ,
et ouida.
Le grand Jupiter est mon Pere ,
Tout le monde sçait cela ,
Pour vous on ne vous connoît guere.
Phaeton.
Le Soleil est mon Papa.
Ah , ah ,
Epaphus.
ah.
Votre Mere vous dit cela ,
Mais elle triche .
Quiche , ouiche ,
Et ouida.
Ils reprennent leurs épées à la fin de la
Scene , et se font de grandes réverences .
Phaeton en pleurant dit à Climene , qui
entre :
Ah ! ma mere ,
A ce que dit Epaphus ,
bis,
Le Soleil n'est pas mon pere.
Ah ! ma mere. bis.
Hiij Quelle
586 MERCURE DE FRANCE
Quelle insolence , s'écrie Climene. Phaeton
chante sur l'Air : A la Foire , à la
Courtille.
Qu'ici votre coeur s'explique :
Confondrons-nous les jaloux ?
La chose est problématique ,
Car on trompe tant d'Epoux !
Dites ma mere ,
N'auriez-vous point , entre nous ,
Trompé mon pere.
Climene lui assure que le Soleil est son
pere. Vous n'en douterez plus , petit incrédule
, ajoûte-t'elle , voilà une voiture qu'il
vous envoye pour vous conduire à son
Palais. Un vent emporte Phaeton sur
ses épaules. Phaeton : Air , des Fraises.
Mon triomphe éclatera ,
De l'un à l'autre Pole.
Climene.
Partez , mon fils.
Phaeton.
M'y voilà.
Je vole , je vole.
Le Théatre change à la quatorzieme
Scene , et représente le Palais du Soleil ;
cette décoration est une des plus brillantes
MARS.
1731. $87
tes qu'on ait encore vûë sur le Théatre
de l'Hôtel de Bourgogne . Le Soleil représenté
par Trivelin , paroît assis sur
un Trône éclatant ; les heures du jour
forment un Divertissement très -gracieux,,
dont M. Mouret a composé la Musique ; .
Phaeton arrive dans le Palais..
Le Soleil l'embrasse , en lui disant qu'il
le reconnoît pour son fils. Phaston : Air
Marote fait bien la fiere.
Puisqu'il m'est permis , mon pere ,
De vous appeller ainsi ,
Faites donc taire ,
Le témeraire ,
Qui dit que ma mere
En a menti.
Le Soleil.
Quelle langue de vipere !
Que le monde est perverti !
biss
Tu n'as , mon fils , qu'à me demander tout
ce que tu voudras , je te l'accorderai , continue
le Soleil.
J'en jure par le Stix , effroïable serment ,
Que ne pourroit pas même enfraindre un Bas
Normand.
Phaeton : Air , Diogene en son tonneaus .
Dans votre beau chariot :
Hiiij Le
588 MERCURE DE FRANCE
Le Soleil.
4
Oh ! oh !
Phaeton.
De l'Orient jusqu'à l'Ourse ,
Je voudrois bien au grand trot :
Le Soleil.
Oh ! oh !
Phaeton.
Faire une petite course.
Le Soleil.
Diablezot ;
L'entreprise est trop témeraire.
Phacton.
Hé bien ! je n'irai , mon cher
Que de Paris à Chaillot :
Le Soleil.
Oh ! oh ! oh !
perc
Vous tomberez comme un sot.
Phacton lui dit qu'il ne peut plus s'en
dédire , pui qu'il a juré par le Seix enfin
le Soleil consent qu'il conduise son char;
Phaeton sort en s'applaudissant de son
bonheur.
Le Théatre change ; le Soleil paroît à
la
MARS. 1731. 589
la 15. Scene. Climene , Merops et leur,
suite chantent sur l'Air de l'Opera :
Que tout chante , que tout réponde &c.
Climene continuë sur l'Air : Oh reguingué
!
Mon fils éclaire ses jaloux ;
C'est lui qui brille aux yeux de tous.
Merops.
Par quel Courier le sçavez -vous ?
Pour moi je ne sçaurois le croire.
Climene.
On l'a vu de l'Observatoire.
Theone arrive en pleurs , et annonce à
Climene et à Merops que son pere Prothée
lui a dit que Phacton alloit périr ; aussitôt
des flammes se répandent dans les airs .
Phaeton paroît dans le Char du Soleil ;
Jupiter descend , et le foudroye en chantant
::
Malheureux , quel dégat tu fais !
On ne pourra plus boire au frais ;
Culbute , culbute à jamais..
Phaeton trébuche avec son Char ; co
qui finit la Parodie.
Le Palais du Soleil dans la décoration
Hv dont
590 MERCURE DE FRANCE
dont nous avons parlé , est en general d'un
ordre composite , et construit sur un
nombre de magnifiques colonnes isolées et
de pilastres , faisant corps avec les mêmes
colonnes , élevées sur des piédestaux ,
qui supportent entre elles les saillies d'une
riche corniche architravée , sur laquelle
s'éleve le plafond ceintré , désignant sur
les cotés un nombre d'arcades ornées de
bas- reliefs allegoriques et historiques. Au
bas des arcades , immédiatement sur la
corniche on voit de grandes consoles
qui soutiennent des festons de laurier et
d'olivier. Au milieu du plafond est un
percé en rond , qui découvre un Altique ,
où les Signes du Zodiaque sont représentés.
>
Dans le fond est un Salon de forme circulaire
, terminé en coupole , sous laquelle
est placé le Trône du Soleil , élevé de
plusieurs dégrés . Sur le devant il y a une
balustrade ornée de riches tapis avec
deux Grouppes de Génies tenant les Attributs
du Soleil .
ر
La partie du devant du Palais représente
une Gallerie en colonnes et pilastres
qui soutiennent les arcades. Dans les
trumeaux , sur des Piédestaux , sont placées
les Statuës du Soltice d'Eté et l'Equinoxe
du Printems sur des nuées ; le Soltice
d'Hyver et l'Equinoxe de l'Automne
sont sur le devant. Tous
MARS. 1731. 591
1
Tous les ornemens de l'Edifice , comme
Colonnes , Chapiteaux , Base , Piédestaux
, Corniche , Plafond et les Figures
sont en or , et toutes les parties ausquelles
sont adossées les Pilastres qui tiennent
aux corps solides et arrieres - corps , sont
en argent. On avoit placé des panneaux
de lapis aux frises de la Corniche , au
Plafond et aux Piédestaux qui portoient
les Figures et bas - reliefs simboliques , Trophées
et autres Attributs du Soleil . Les
Colonnes jusqu'au tiers de leur hauteur'
étoient enrichies par quantité de pierreries
de diverses couleurs , éclatantes , ainsi
que toutes les autres parties de l'Architecture
.
Cette ingénieuse et brillante décoration
est de M. Le Maire , qui en a donné
plusieurs que le Public a applaudies .
&c. par les mêmes Auteurs , et chez le
même Libraire , 1731 .
Cette Piece fut donnée sur le Théatre
de l'Hôtel de Bourgogne le 22. Février
et très -favorablement reçûë du Public.
Le Théatre représente la Mer dans le
fond , Libie ouvre la Scene par ces Vers
parodiez , sur l'Air : Ici sont venus ex
personne.
Heureuse une ame indifferente !
Le bonheur dont j'étois contente ,
Le
378 MERCURE DE FRANCE
Ne me sera-t'il point rendu ?
Dans ces beaux lieux tout est paisible .
Helas ! que ne m'est -il possible ,
D'y trouver ce que j'ai perdu !
C'est un petit coeur ingenu ,
C'est un coeur sincere et fidele ,
Dont je n'avois plus de nouvelle.
Quand une fois l'Amour le prend ,
Jamais le traitre ne le rend.
- Théone s'étonne de voir Libie seule et
rêveuse ; celle-cy lui dit qu'elle vient rêver
aussi en ce lieu , et qu'il est à présumer
qu'elle aime ; oui , lui répond- elle ,
je n'en fais aucun mistere.
Il faut aimer pour éprouver ,
Le plaisir de rêver.
Avoüez , ajoûte- t'elle , que vous en te
nez aussi bien que moi ; sur le Chant de
Opera :
Le Fils de Jupiter vous aime.
Libie.
Je ne serois qu'à lui s'il n'étoit qu'à moi-même.
Vous êtes plus heureuse que moi , contiñue-
t'elle , le fils du Soleil vous plaît .
vous joüissez d'un plein repos. Toutes deux.
Ah !
MARS.
1731. 379
Ah! Madame Enroux ,
>
Que l'Amour est fou ,
Et qu'il fait de folles !
Ah ! Madame Enroux ,
Combien de paroles ,
Ici perdons nous ?
Phaeton arrive tout rêveur. Vous passez
sans me voir , lui dit Théone , craignez-
vous ma presence ? Non , répond- il,
je cherche la Reine , ma Mere. Le bon
enfant , dit Théone. Est - il deffendu de
chercher sa mere , ajoûte Phaeton ? Oui ;
c'est sa Maîtresse qu'il faut chercher.Voilà
une Maîtresse , reprend Phaeton , qui
m'embarrasse autant qu'une femme. Il
affecte beaucoup d'indifference , et voyant
venir sa mere , il dit sur l'Air de l'Opera.
La Reine tourne ici ses pas.
Théone.
C'est bien répondre ; allez , ne vous contraignez
pas.
A la quatriéme Scène , Climene arrive
qui demande à son fils le sujet de son
chagrin , il lui répond que le Roi va se
choisir un Gendre qui doit succeder au
Trône; qu'Epaphus en brigue l'honneur, et
quece sont là les motifs de sa tristesse. Il
no
580 MERCURE DE FRANCE.
ne faut pas être envieux , lui répond Cli.
mene , mais il y a une chose qui m'embarrasse
, ajoûte Phaeton . Le Soleil est
mon pere , n'est- ce pas ? Oüi vraiment ,
répart Climene. Phaeton chante sur l'Air
Vous avez bean faire la fiere.
Comment avez- vous pu faire
Pour engager votre foi
Et de vous ma chere mere
>
Que pensé notre bon Roi ?
Avez-vous passé pour neuve ,
Dans l'esprit de ce butord .
Climene.
Il m'a prise comme veuve.
Phaeton.
Mais le Soleil n'est
pas
mort.
Tout cela me chicanne ; taisez-vous
lui dit Climene , vous êtes un épilogueur.
Prothée va venir ici avec ses Moutons
er je veux le consulter sur ce qui vous
regarde ; retirez-vous. Prothée chante ;
Air de M. Mouret.
Heureux qui peut sur les bords de la Seine ,
Se promener sans rien risquer ;
Heureux ceux que l'espoir d'une amoureuse an
baine ,
Ne force point à s'embarquer.
Dangere
ZWA
NOVUM
BRENNITATS
DUX
ANDEGAVENS NATUS
XXXAUGUSTI
M DCC XXX
PIGNUS
B
MARS.
581
1731.
Dangereux en est le voyage :
Jeunes Amans , craignez l'orage ,
Qui vous fait quelquefois ,
Faire nauffrage ,
A Javelle , au Port à Langlois,
Prothée s'endort. Climene dit à sea
frere Triton , qu'il faut l'obliger à s'expliquer
sur le sort de Phaeton . Triton
sur l'Air, A nos voix unissez vos Hautbois.
Bondissez ,
Petits Agneaux , paisser
Sur ces Rivages ;
Vous, Oiseaux ,
Vous , Chalumeaux ,
Et vous , murmure des Eaux ,
Vous , Feuillages ,
Vous , Ombrages ,
Vous , badins Zéphirs ,
Qui rimez à plaisirs ,
Vous , charmans Bocages ,
Vous , tendres desirs ,
Amoureux Soupirs ,
Et Sornettes
Qu'on a faites ,
Depuis si long-temps ,
Qu'on remet tous les ans ,
Dans les Chansonnettes ,
Remplissez nos Chants.
H Prothée
$82 MERCURE DE FRANCE
Prothée s'éveille , en disant qu'il est -eharmé
de cette Musique , mais que son
Troupeau s'égare , et qu'il ne peut rester
davantage; Triton et ses Suivans l'arrêtent
; il se change successivement en Arbre
, en Asne et en Cochon , en vendeur
de Ptisanne , et en pluye de feu ; ensuite
il paroît sous sa forme ordinaire , et se
voyant obligé de parler , il chante ce qui
suit , sur l'Air de l'Opera.
Puisque vous le voulez , je romprai le silence ,
Le sort de Phaeton se découvre à mes yeux :
Dieux ! que d'argent ; quel monde, ô Dieux !
Il ne doit son succés heureux ,
Qu'à sa magnificence , &c .
Phaeton demande à Climene , dans la
septiéme Scene , ce qu'a dit Prothée ; que
vous mourrez bientôt , lui répond Climene.
Adieu , mon fils , j'espere que
l'amour de Théone l'emportera sur l'ambition
. Phaeton chante sur l'Air , Je suis
Mousquetaire , moi.
He! quoi ! ma mere au besoin m'abandonne.
Climene.
Théone à votre foi.
Phaeton.
Je n'en veux plus ; la gloire me talonne ;
J'aime mieux être Roi.
Climene.
MARS. 1731. 583
Climene.
Mais vous mourrez, si vous montez au Trône.
Phaeton en pleurant.
Je veux la Couronne ,
Moi ,
Je veux la Couronne.
Dans la Scene suivante , Epaphus dít
à Libie , que le Roi vient de lui donner
son congé , et qu'un autre la possedera.
Ils chantent le Duo suivant sur
l'Air , Vendôme.
Que mon sort seroit doux ,
Si je passois avec vous ,
La vie , la vie.
Merops , suivi des Rois Tributaires ,
déclare qu'il a fait choix de Phaeton pour
lui succeder , et qu'il lui accorde Libie.
Il chante sur l'Air , du Mirliton.
De ma fille qu'il demande ;
Volontiers je lui fais don ;
De tous côtez qu'on entende ,
Retentir cent fois le nom ,
Du grand Phaeton ,
Mirliton , mirlitaine ,
Du grand Phaeton , ton , ton.
Après les Chants et les Danses , Théo-
Hij
84 MERCURE DE FRANCE.
ne arrive , et fait des reproches à Phaeton
sur son infidelité. Elle chante sur l'Air ,
La charmante Catin me desespere.
Vous aimez la Princesse à la folie ,
Et votre coeur perfide enfin m'oublie
Oui , l'Amour vous transporte ,
Et vous livre à ses appas.
Phaeton.
Non , le diable m'emporte ,
L'Amour ne s'en mêle pas , la , la :
Je n'épouse que ses ducats.
Theone se retire en pleurant. Phaeton
va rendre hommage à la Déesse Isis , et
se persuade qu'elle le recevra à merveille ,
puisqu'elle est la mere de son Rival ;
mais lorsqu'il veut entrer , une Furie
sort du Temple pour l'épouvanter , &c .
Epaphus en sort , et lui demande ce qu'il
prétend ? Epaphus sur l'Air , Ami , ne
parlons plus de guerre. ·
Votre attente sera trompée ,
Phaeton ;
Ca, commençons
Par ôter chacun notre épée ,
En bons poltrons.
Ils ôtent leurs épées ; Phaeton continuë :
Voilà nos mesures bien prises ,
Et
MARS . 1731.
Et nous pouvons ,
Nous dire toutes les sottises ,
Que nous voudrons.
Sçavez- vous bien que Jupiter est mon
Pere , lui dit Epaphus ; et qu'est- ce que
cela me fait ; le Soleil est le mien , répond
Phaeton . Epaphus : Air , Oniche , ouiche ,
et ouida.
Le grand Jupiter est mon Pere ,
Tout le monde sçait cela ,
Pour vous on ne vous connoît guere.
Phaeton.
Le Soleil est mon Papa.
Ah , ah ,
Epaphus.
ah.
Votre Mere vous dit cela ,
Mais elle triche .
Quiche , ouiche ,
Et ouida.
Ils reprennent leurs épées à la fin de la
Scene , et se font de grandes réverences .
Phaeton en pleurant dit à Climene , qui
entre :
Ah ! ma mere ,
A ce que dit Epaphus ,
bis,
Le Soleil n'est pas mon pere.
Ah ! ma mere. bis.
Hiij Quelle
586 MERCURE DE FRANCE
Quelle insolence , s'écrie Climene. Phaeton
chante sur l'Air : A la Foire , à la
Courtille.
Qu'ici votre coeur s'explique :
Confondrons-nous les jaloux ?
La chose est problématique ,
Car on trompe tant d'Epoux !
Dites ma mere ,
N'auriez-vous point , entre nous ,
Trompé mon pere.
Climene lui assure que le Soleil est son
pere. Vous n'en douterez plus , petit incrédule
, ajoûte-t'elle , voilà une voiture qu'il
vous envoye pour vous conduire à son
Palais. Un vent emporte Phaeton sur
ses épaules. Phaeton : Air , des Fraises.
Mon triomphe éclatera ,
De l'un à l'autre Pole.
Climene.
Partez , mon fils.
Phaeton.
M'y voilà.
Je vole , je vole.
Le Théatre change à la quatorzieme
Scene , et représente le Palais du Soleil ;
cette décoration est une des plus brillantes
MARS.
1731. $87
tes qu'on ait encore vûë sur le Théatre
de l'Hôtel de Bourgogne . Le Soleil représenté
par Trivelin , paroît assis sur
un Trône éclatant ; les heures du jour
forment un Divertissement très -gracieux,,
dont M. Mouret a composé la Musique ; .
Phaeton arrive dans le Palais..
Le Soleil l'embrasse , en lui disant qu'il
le reconnoît pour son fils. Phaston : Air
Marote fait bien la fiere.
Puisqu'il m'est permis , mon pere ,
De vous appeller ainsi ,
Faites donc taire ,
Le témeraire ,
Qui dit que ma mere
En a menti.
Le Soleil.
Quelle langue de vipere !
Que le monde est perverti !
biss
Tu n'as , mon fils , qu'à me demander tout
ce que tu voudras , je te l'accorderai , continue
le Soleil.
J'en jure par le Stix , effroïable serment ,
Que ne pourroit pas même enfraindre un Bas
Normand.
Phaeton : Air , Diogene en son tonneaus .
Dans votre beau chariot :
Hiiij Le
588 MERCURE DE FRANCE
Le Soleil.
4
Oh ! oh !
Phaeton.
De l'Orient jusqu'à l'Ourse ,
Je voudrois bien au grand trot :
Le Soleil.
Oh ! oh !
Phaeton.
Faire une petite course.
Le Soleil.
Diablezot ;
L'entreprise est trop témeraire.
Phacton.
Hé bien ! je n'irai , mon cher
Que de Paris à Chaillot :
Le Soleil.
Oh ! oh ! oh !
perc
Vous tomberez comme un sot.
Phacton lui dit qu'il ne peut plus s'en
dédire , pui qu'il a juré par le Seix enfin
le Soleil consent qu'il conduise son char;
Phaeton sort en s'applaudissant de son
bonheur.
Le Théatre change ; le Soleil paroît à
la
MARS. 1731. 589
la 15. Scene. Climene , Merops et leur,
suite chantent sur l'Air de l'Opera :
Que tout chante , que tout réponde &c.
Climene continuë sur l'Air : Oh reguingué
!
Mon fils éclaire ses jaloux ;
C'est lui qui brille aux yeux de tous.
Merops.
Par quel Courier le sçavez -vous ?
Pour moi je ne sçaurois le croire.
Climene.
On l'a vu de l'Observatoire.
Theone arrive en pleurs , et annonce à
Climene et à Merops que son pere Prothée
lui a dit que Phacton alloit périr ; aussitôt
des flammes se répandent dans les airs .
Phaeton paroît dans le Char du Soleil ;
Jupiter descend , et le foudroye en chantant
::
Malheureux , quel dégat tu fais !
On ne pourra plus boire au frais ;
Culbute , culbute à jamais..
Phaeton trébuche avec son Char ; co
qui finit la Parodie.
Le Palais du Soleil dans la décoration
Hv dont
590 MERCURE DE FRANCE
dont nous avons parlé , est en general d'un
ordre composite , et construit sur un
nombre de magnifiques colonnes isolées et
de pilastres , faisant corps avec les mêmes
colonnes , élevées sur des piédestaux ,
qui supportent entre elles les saillies d'une
riche corniche architravée , sur laquelle
s'éleve le plafond ceintré , désignant sur
les cotés un nombre d'arcades ornées de
bas- reliefs allegoriques et historiques. Au
bas des arcades , immédiatement sur la
corniche on voit de grandes consoles
qui soutiennent des festons de laurier et
d'olivier. Au milieu du plafond est un
percé en rond , qui découvre un Altique ,
où les Signes du Zodiaque sont représentés.
>
Dans le fond est un Salon de forme circulaire
, terminé en coupole , sous laquelle
est placé le Trône du Soleil , élevé de
plusieurs dégrés . Sur le devant il y a une
balustrade ornée de riches tapis avec
deux Grouppes de Génies tenant les Attributs
du Soleil .
ر
La partie du devant du Palais représente
une Gallerie en colonnes et pilastres
qui soutiennent les arcades. Dans les
trumeaux , sur des Piédestaux , sont placées
les Statuës du Soltice d'Eté et l'Equinoxe
du Printems sur des nuées ; le Soltice
d'Hyver et l'Equinoxe de l'Automne
sont sur le devant. Tous
MARS. 1731. 591
1
Tous les ornemens de l'Edifice , comme
Colonnes , Chapiteaux , Base , Piédestaux
, Corniche , Plafond et les Figures
sont en or , et toutes les parties ausquelles
sont adossées les Pilastres qui tiennent
aux corps solides et arrieres - corps , sont
en argent. On avoit placé des panneaux
de lapis aux frises de la Corniche , au
Plafond et aux Piédestaux qui portoient
les Figures et bas - reliefs simboliques , Trophées
et autres Attributs du Soleil . Les
Colonnes jusqu'au tiers de leur hauteur'
étoient enrichies par quantité de pierreries
de diverses couleurs , éclatantes , ainsi
que toutes les autres parties de l'Architecture
.
Cette ingénieuse et brillante décoration
est de M. Le Maire , qui en a donné
plusieurs que le Public a applaudies .
Fermer
Résumé : Arlequin Phaeton, &c. [titre d'après la table]
La pièce 'Arlequin Phaéton' est une parodie jouée au Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne le 22 février 1731, qui a été bien accueillie par le public. L'intrigue se concentre sur Phaéton, fils du Soleil, et ses interactions avec plusieurs personnages, notamment Libie, Théone, Climène et Épaphus. L'histoire commence avec Libie, qui exprime son chagrin et son amour perdu. Théone la rejoint et elles discutent de leurs amours respectives. Phaéton arrive et cherche sa mère, Climène, qui lui révèle que le roi Merops l'a choisi comme successeur et lui accorde Libie. Théone, jalouse, reproche à Phaéton son infidélité. Phaéton, ambitieux, souhaite la couronne et ignore les avertissements de Climène sur les dangers de monter sur le trône. Il se rend au temple d'Isis mais est effrayé par une Furie. Épaphus, rival de Phaéton, le défie, mais leur duel tourne en ridicule. Climène confirme à Phaéton que le Soleil est bien son père et lui envoie une voiture pour le conduire au palais du Soleil. Après avoir été reconnu par le Soleil, Phaéton demande à conduire son char. Malgré les avertissements du Soleil, Phaéton insiste et sort triomphant. La pièce se conclut par la chute de Phaéton, foudroyé par Jupiter après avoir causé des dégâts avec le char du Soleil. La décoration du palais du Soleil est décrite comme somptueuse, avec des éléments architecturaux et décoratifs riches et symboliques.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
14
s. p.
RELATION HISTORIQUE, exacte et détaillée de la derniere Révolution arrivée à Contantinople ; écrite d'abord en Turc par un Effendi, avec plusieurs circonstances de cet Evenement , tirées d'autres Memoires.
Début :
La décadence des affaires en Perse, faute par le Grand Vizir Ibrahim-Pacha [...]
Mots clefs :
Perse, Oppression, Turquie, Année de l'Hégire, Émir, Trône, Mahmout, Rebelles, Arménien, Arsenal de la Marine
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : RELATION HISTORIQUE, exacte et détaillée de la derniere Révolution arrivée à Contantinople ; écrite d'abord en Turc par un Effendi, avec plusieurs circonstances de cet Evenement , tirées d'autres Memoires.
RELATION
HISTORIQUE ;
exacte et détaillée de la derniere Révolution
arrivée à
Contantinople ; écrite d'abord
en Turc par un Effendi , avec plusieurs
circonstances de cet Evenement , tirées
d'autres Memoires.
L
A décadence des affaires enPerse ,
faute par le Grand Vizir Ibrahim-
Pacha , d'y avoir fait passer
des secours tels que les conjonctures le demandoient
, et l'oppression dans laquelle
le peuple gémissoit depuis long-temps par
les vexations des Ministres , ou de ceux
qui les exerçoient sous leur autorité et
par
l'établissement de plusieurs Impôts
jusqu'alors inconnus en Turquie , sont
A lcs
830 MERCURE DE FRANCE .
les deux causes principales de la Révotion
arrivée le 28. Septembre 1730.
Ce jour qui répond à l'année de l'Egire
1143. le 13. de la Lune de Rebiul Euvel,
un Jeudi à 9. heures du matin , Patrona-
Kalil, (a ) de Nation Albanoise, et quelques
autres gens sans aveu et de la lie du peuple
de Constantinople , comme Mouslouh
Emir- Ali , &c. produisirent ce grand
Evenement , qui par ses circonstances
mérite d'être transmis jusqu'aux siecles
les plus reculez ; il peut servir d'exemple
aux personnes revêtues d'éminens Emplois
, pour leur apprendre que quelques
élevez qu'ils soient , ils ne doivent jamais
perdre de vûë le vil état d'où on les a
tirez , (b) et que le dépôt du Gouvernement
de l'Empire leur étant confié , ils
doivent se comporter d'une maniere à s'attirer
l'approbation generale , comme s'ils
étoient toûjours environnez de vengeurs
de leur mauvaise administration , tels que
Patrona et ses Adhérans , qui tout inca-
(a) Il avoit été autrefois Leventy , c'est- à- dire
Soldat de Marine , et avoit servi sur le Vaisseau
la Patrone , d'où lui est venu le sobriquet de
Patrona. Depuis quelque temps il étoit Jannissaire
, ainsi que Mousloub et Emir- Ali.
(b) L'auteur fait cette refléxion , sur ce que n'y
ayant presque point de Noblesse en Turquie , ce
sont communément des gens de rien qui parvien
nent aux plus grands Emplois.
pables
AVRIL. 1731 . 831
pables qu'ils paroissoient d'une haute
entreprise , ont pourtant forcé le Sultan
Achmet III . d'abandonner le Trône de
ses Ancêtres.
Patrona-Kalil avoit merité plusieurs
fois la mort par ses actions de scelerat.
Il étoit âgé de 40. à 45. ans , de moyenne
taille , dégagée et bien prise , la mine
haute et fiere , portant moustache noire.
Mouslouh , et Emir- Ali , ne valoient pas
mieux que lui ; cependant ces hommes
si méprisables en apparence , tramant
depuis long-temps les moyens d'exciter
le peuple à la révolte , enfin parvinrent à
l'execution de leur dessein execrable . (a)
Voici comme ils s'y prirent.
Ils s'attrouperent d'abord en petit nombre
près d'une Fontaine dans la grande
Place qui est devant la Mosquée de Sultan
Bajazer ; là ils convinrent entr'eux de
se diviser en trois troupes , dont l'une iroit
au Bezestin , qu'elle traverseroit ; l'autre
sortiroit par la Porte de Bacché- Capi ; (b)
la troisiéme par la ruë de Divan Joleu, (c)
(a) Il paroît par cette expression et plusieurs
autres qu'on trouvera dans la suite , que l'Auteur
Turc n'approuve pas la Révolte , quelque bien
qu'elle ait apporté à l'Etat.
(b) Porte de Constantinople , appellée Porte
du Jardin .
(‹) C'est la grande ruë qui conduit au Serrail ,
A iij et
32 MERCURE DE FRANCE
et qu'ensuite elles se joindroient toutes
trois à la Place d'Etmeïdan. (a )
Cet arrangement pris , la Troupe de
Patrona - Kalil , partit la premiere ; ils
avoient un petit Drapeau déployé , le
Sabre à la main , et crioient par tout où ils
passoient , que les Marchands et Artisans
fermassent leurs Boutiques , et que tout
bon Musulman suivît leur Enseigne à
Etmeïdan , où l'on avoit à leur communiquer
de justes prétentions contre le Ministere
présent ; les deux autres Troupes
en ayant fait de- même dans la route qui
leur étoit prescrite , l'allarme se répandit
bien- tôt par tout Constantinople , les
Boutiques furent fermées , et la plus grande
partie des Turcs qui les occupoient
au lieu d'aller au rendez - vous , furent
se cacher dans leurs maisons , (b) ainsi
que les Chrétiens et les Juifs.
Le Grand -Seigneur et le Grand- Vizir
étoient au Camp de Scutary pendant ces
troubles naissants : Mustapha , Capitaneu
se tient le Divan du G. S. d'où elle tire son
aom , comme qui diroit la rue du Conseil.
(4) Etmeidan est une grande Place sur laquelle
donnent les Cazernes des Janissaires , et où on leur
distribue la viande.
(6) La plupart des Marchands et Artisans en.
Turquie , ne logent pas au même endroit où sont
Jeurs Boutiques,
Pacha
AVRIL. 1731 833
Pacha et Kaïmakan , qui en cette derniere
qualité devoit être instruit à porter un
prompt remede , se trouvoit près des Châteaux,
dans le Canal de la Mer Noire,à une
de ses Maisons de Campagne , où il s'amusoit
à faire planter des Oignons de
Tulipes ; et le Reys- Effendy , Secretaire
d'Etat , étoit pareillement à une de ses
Maisons du même Canal , où livré à son
indolence naturelle , il traitoit de bagatelles
ou de fable tous les avis qu'on venoit
lui donner de ce qui se passoit à
Constantinople ; de sorte qu'il n'y avoit
alors dans la Ville aucun Grand d'une certaine
autorité , pour y rétablir l'ordre ,
que le Janissaire Aga et le Kiaya du G.V.
Ce dernier ne fut pas plutôt averti de
l'émeute , dont il avoit plus lieu que
personne de redouter la fureur , que perdant
la tramontane , il fut s'embarquer à
P'Echelle la plus prochaine de son Palais,
et s'enfuit à Eyoup dans le fond du Port.
Quant aù Janissaire Aga , homme
venerable par son grand âge , il assembla
d'abord sa Garde ordinaire , se mit
à la tête et courut au-devant des Rebelles
, pour tâcher de les dissiper ou de
les ramener par la douceur ; mais voyant
qu'il ne faisoit que les aigrir davantage ;
que sa propre Garde , bien loin d'être disposée
à le seconder, murmuroit de ce qu'il
A iiij
ne
834
MERCURE
DE
FRANCE
.
ne se rangeoit pas de leur côté comme
ceux - cy l'y invitoient , et quelqu'un l'étant
venu avertir qu'une autre Troupe
de Séditieux marchoit droit à son Palais.
pour le piller , il ne songea plus qu'à sa
sureté personnelle ; il s'esquiva dans la
foule , se travestit , s'embarqua dans un
Bateau à une seule paire de Rames , afin
d'être moins reconnu et passa à Scutary ,
où il fut s'enfermer secretement dans une
maison qui lui appartenoit , sans informer
de rien le G. V.tant il avoit peur que
ce Ministre ne le fit mourir sur le champ,
pour n'avoir pas prévenu et étouffé dans
sa naissance ce soulevement.
Cependant les Rebelles ayant le champ
libre , leur nombre croissoit à vûë d'oeil;
ils entraînoient comme un Torrent tous
les Turcs qu'ils rencontroient , menaçant
de tuer ceux qui refuseroient de les suivre,
comme effectivement ils en massacrerent
plusieurs qui aimerent mieux mourir
fideles que de vivre traitres à leur
Souverain . Ils forcerent les Prisons et se
firent des Compagnons de fortune d'autant
de Turcs criminels qu'ils y trouverent.
D'ailleurs beaucoup de gens , qui
quoiqu'animez de leur même esprit ,
n'avoient pourtant encore osé se déclater
, n'hesiterent plus à se rendre sous
leurs Drapeaux , dès qu'ils virent des.
com
A V RIL. 1731. 833
mencemens si favorables et si prompts.
Or le feu de la sédition avoit déja fait
de grands progrès avant que le G.V. en fut
instruit,ceux qui étoient venus dans la matinée
de Constantinople à Scutary , et qui
n'avoient vû , pour ainsi dire, que les premieres
étincelles de ce grand incendie ,
lui ayant seulement rapporté que quelques
Bandits s'étoient battus devant le
Bezestin , sur quoi les Marchands naturellement
peureux, avoient pris l'épouvente,
et fermé leurs Boutiques ; mais que le Janissaire
Aga y étant accouru avec da
monde , les avoit fait r'ouvrir, avoit écar
té la canaille , et qu'il n'y avoit plus rien
à craindre. Ensorte que le G. V. trompé
et tranquillité par ces faux rapports , ne
sçût au vrai la cho e que vers les 4. heures
après midy , que le Mufty , le Kaïmakan,
le Kiaya et d'autres principaux Ministres
ou Officiers , vinrent à Scutary lui en faire
le funeste détail
Le Kaïmakan sur tout cherchant à se
disculper , lui dit qu'ayant appris le tumulte
entre 10 et 11. heures , il étoit
venu à Constantinople et qu'aussi - têt
il avoit monté à cheval pour rétablir la
tranquillité , mais qu'à mesure qu'il
faisoit r'ouvrir les Boutiques , les Rebelles
qui le suivoient , les faisoient re
fermer , et que n'étant soutenu d'aucu-
A v ne
836 MERCURE DE FRANCE
nes Troupes pour réprimer leur insolence,
il avoit été obligé de se retirer.
On tint Conseil sur le champ ; mais les
avis y furent si divers et si débattus , qu'il
dura jusqu'à l'entrée de la nuit , et qu'on
n'y résolut rien , sinon d'en aller tenir un
autre chez le G.S. Le résultat de celui - cy
fut qu'il falloit que Sa Hautesse et toute
sa Cour passassent à Constantinople où
l'on seroit plus à portée de remedier à
tout.Pour cet effet on envoya chercher une
Galere , sur laquelle s'embarqua le G. S.
et le G. V. le reste de la Cour les suivit
dans des Caïques , et tous furent débarquer
à minuit à l'Echelle de Top- Capy ,
qui est à la pointe du Serrail..
Le Sultan étant monté à la Kasoda ou
Chambre Imperiale , s'assit dans un coin
du Sopha , d'où il pouvoit entendre tout
ce qui se disoit dans un Appartement voisin
, où le G. V. les autres Ministres , les
Gens de Loy et autres Grands de l'Empire
s'assemblerent déliberer de nouveau
sur le parti qu'il y avoit à prendre dans
une si pressante extrémité ; mais les sentimens
y furent encore plus partagez
qu'au premier Conseil , et l'heure fatale
marquée par le sort pour la fin de
leur Regne étant venu , leurs délibepour
Fchelle du Canon , parce qu'il y en a là em
Baterie,
rations
A VRIL. 1735. 837
rations n'aboutirent qu'à précipiter leurs
destinées ; ils convinrent cependant tous
unanimement à la fin , que le nombre des
Rebelles n'étant pas encore assez.considerable
pour que l'on ne pût esperer de
les mettre à la raison , il falloit avant qu'ils.
se multipliaffent davantage , leur opposer
un Corps de Troupes , et les aller attaquer.
Quoique cet avis fût peut- être le meilleur
, s'il avoit été suivi sans differer , le
G. S. avant de s'y rendre , voulut tenter
une autre voye. Dès qu'il fut jour Sa Hautesse
envoya un Bach Asseski ( c'est un
des principaux Officiers du Corps des
Bostandgis ) à Etmeïdan , ordonner aux
Rebelles de se retirer et les menacer qu'on
feroit main-basse sur eux s'ils n'obéïssoient
promptement. Ils répondirent sans.
marquer la moindre crainte , qu'ils s'étoient
assemblez pour le bien et l'honneur
de l'Etat ; qu'ils avoient des représentations
équitables à faire à leur Émpereur
, et qu'ils ne quitteroient point les
armes qu'on ne leur eût rendu justice.
Sultan Achmet , indigné d'une réponse
si audacieuse , s'emporta fort contre le
G. V. ce qu'il avoit déja fait la veille , et
Paccusa de nouveau d'être la cause de
tout ce desordre . Le Ministre s'en disculpa
et en jetta , comme il avoit déja fait , la
A vj faute
838 MERCURE DE FRANCE
faute toute entiere aussi sur le Kaïmakans
il accabla même ce dernier des reproches
les plus durs en presence de Sa Hautesse ,
vers laquelle se tournant tout d'un coup :
Seigneur, lui dit-il avec transport , souffriras-
tu qu'une ame si vile et qu'un miserable
tel que celui- cy jouisse encore de la
lumiere.
Le Sultan frappé de ce qu'il venoit d'entendre
fit aussi- tôt arrêter le Kaïmakan
puis prenant un ton plus radouci , donna
divers ordres au G. V. sur la situation
des affaires ; l'habile Ministre qui les jugea
impraticables ou inutiles à suivre ,
lui répliqua sans s'amuser à combattre
ses sentimens : Seigneur, dans la crise où se
trouve l'Empire , je ne vois que deux choses
à hazarder, ou que Sa Hautesse se mette
elle-même à la tête de sa Maison et aille
fondre sur les Rebelles , étant persuadée que
sa seule presence pourra les désunir et les déconcerter
, ou qu'elle me permette d'y aller à
sa place , me flattant que je suis assez aimé
des Troupes pour me faire un Party considerable
dès que je paroîtrai.
Le craintif G. S. n'ayant goûté ni l'une
ni l'autre de ces propositions , essaya
vainement de s'attirer du secours du dehors
; il fit déployer le Sangiak- Cherif *
J
* C'est-à- dire le saint Etendart , qui selon les ,
Turs , fut apporté du Ciel à Mahomet par l'Ang
ge Gabriel.
AVRIL. 1737. 83
à la porte du Serail , et fit crier du haut
des murailles que tout Soldat qui voudroit
venir sous cette Baniere pour aider
l'Empereur à soumettre les Rebelles , auroit
30. écus de gratification et qu'on
lui augmenteroit sa paye de deux Aspres *
par jour.
Ces belles promesses ne gagnant le coeur
de personne , il fallut en revenir , mais,
trop tard , au dernier projet du Conseil ,
qui étoit , comme on a dit , de former un.
Corps deTroupes . On choisit les Bostangis
par préference à toute autre Milice
non-seulement parce qu'ils sont les gar
diens naturels du Serail , mais aussi parce
que les Ministres avoient toûjours eû.
quelques égards pour eux, au lieu que les.
Janissaires , les Spahis , les Tobgis et
Dgebedgis , ayant été maltraitez ou méprisez
( sur tout par le Kyaya , qui pendant
son orgueilleuse prosperité les avoit
menacés plusieurs fois en public de les
détruire entierement ) on ne devoit pas.
esperer d'en tirer beaucoup de secours.
dans cette occasion ..
2.
On s'adressa donc aux Bosdtangis , mais.
quand il fut question de les assembler
ceux sur qui l'on pouvoit compter pour
une action de vigueur s'étoient cachez ,
ou avoient pris la fuite , de maniere que
L'Aspre vaut deux Liards.
ne
840 MERCURE DE FRANCE .
ne se trouvant plus que des enfans , des
malingres , ou des gens sans courage , incapables
de faire tête aux Rebelles , on
vît bien qu'il falloit se tourner d'un autre
côté. On jetta les yeux sur le Corps de la
Marine , et le G. S. ayant honoré de la
Charge de Capitan Pacha Abdi- Capoudan
, qui avoit la Charge de Maître du
Port de Constantinople , homme de résolution
; il l'envoya à l'Arsenal pour s'y
faire reconnoître en cette qualité : on lui
tira à cet effet cinq coups de Canon de ce
lieu , et tous les Vaisseaux arborant leur
Pavillon , lui en tirerent chacun un. Ce
nouveau General de la Mer, pour donner à
son Souverain des preuves de sa reconnoissance
et de son zele , ordonna aux Galeres
de se rendre à la pointe du Serrail , et fit en
même-tems battre la Caisse au nom du G.S.
›
en'
Cette opération cut d'abord assez
de succés et l'on avoit déja débarqué
au Sérrail environ 300 Leventis , ou
Soldats de Marine , lorsque Patrona Kalil ,
tombant tout à coup sur l'Arsenal
chassa le Capitan Pacha , et fit sçavoir aux
Léventis que s'ils embrassoient la deffense.
de la Cour , il ne leur feroit aucun quar-`
tier , et qu'il brûleroit tout à la fois leurs.
maisons , les Vaisseaux et les Galeres de Sa
Hautesse. Ces menaces firent de si fortes:
impressions sur les Soldats de la Marine ,
que
AVRIL. 1731. 841
que ceux qui alloient encore au Serrail
pour s'enroller , s'en retournerent , et la
plûpart de ceux qui y étoient déja , et qui
avoient reçû chacun 25 écus de présent ,
trouverent le moyen de s'évader de côté
et d'autres , sous divers prétextes .
Patrona- Kalil se ressouvenant qu'il avoit
été autrefois condamné à mort , pour un
assasinat , lors qu'il étoit Léventis sur le
Vaisseau que commandoit alors le même
Abdi - Capoudan , et que cet Officier lui
avoit sauvé la vie , saisit cette occasion
pour lui en marquer sa gratitude : il le fit
revenir à l'Arsenal , le rétablit dans sa di
gnité de Capitan- Pacha , et l'assura de sa
protection ; mais il emmena avec lui le se
cours que ce dernier avoit destiné au Sultan
, et l'augmenta de tous les malfaiteurs.
Turcs qui etoient , tant dans le Bagne
lieu où l'on enferme la Chiourme , que
sur deux Galères , d'où il les retira , et à
la faveur desquels , contre son intention
plusieurs Esclaves Chrétiens se sauverent ;
si bien que Sa Hautesse se voyant totalement
frustrée de ses esperances du côté
des armes fut obligée d'avoir recours à
la négociation.
J
د
On n'entrera point ici dans le détail de
toutes les allées et venues des Agens de
l'Empereur et de Patrona , non plus que·
des menaces verbales et par écrit , qui fu
rent
42 MERCURE DE FRANCE
›
rent faites de part et d'autre durant ces
jours de discussions intestines , mais nous
renfermant à rapporter l'essentiel de tout
cela , nous dirons que le vendredy , vers
le soir , S. H. renvoya le Bach- Assekу
un des principaux Officiers des Bostangis
demander aux Rebelles ce qu'ils voufoient
> et quelles étoient leurs intentions.
Ils répondirent qu'ils prioient le
Sultan de leur faire remettre en vie le
Mufty , le G. V. Ibrahim-Pacha , avec
Mustapha-Pacha , Caïmacan , et le Kyaya
Mehemel , tous deux Gendres du G. V.
et qu'à l'égard de S. H. ils étoient trèssatisfaits
de son Régne , et lui souhaittoient
toutes sortes de prospéritez .
Le G. S. sur cette réponse , fit arrêter le
Kyaya ; que l'on consigna aux Bostangis
, comme on leur avoit déja consigné
Te Kaïmacam ; pour le Mufty et le G. Vizir
, le Bach Assesky eut ordre de retourner
vers les Rebelles , et de leur dire que
le Sultan alloit déposer et exiler ces deux
Ministres ; qu'il les prioit de vouloir bien
se contenter de cette punition , et ne pas
exiger qu'on les privât du jour , en reconnoissance
de ce qu'il leur livreroit les
deux autres pour en faire ce qu'ils jugeroient
à propos .
Le Bach-Asseky rapporta , que les Rebelles
se contentoient bien de la déposition
AVRIL. 1731. 843
tion et de l'éxil du Mufty , mais qu'ils persistoient
à vouloir le G. V. L'Empereur ,
malgré son affection pour ce Ministre
qui d'ailleurs étoit son Gendre , voyant
après avoir tenu plusieurs conseils avec
les Gens de Loy , qu'il ne pouvoit le sauver
sans risquer de se perdre lui- même
lui envoya demander son cachet par le
Kislar Aga, et le fit ensuite conduire dans
l'Appartement qu'on nomme Musafir-
Oda , ( ou Chambre des Etrangers ) sans
lui faire aucun mauvais traitement. Cela
arriva le Samedy à midy , et la Charge
de G. V. demeura vacante depuis ce moment
jusqu'à 9 heures du soir , que S. H.
en honora Mehemet - Pacha , aussi l'un
de ses Gendres. Il avoit été Selictar- Aga ,
ou Porte-Sabre du G. S. et étoit sorti depuis
peu du Sértail avec la qualité de Vizir
à trois queues , qui le faisoit conseiller
cubé ou de voute , c'est - à- dire , qu'il
avoit séance au Conseil qui se tient dans
un lieu vouté.
Pendant que tout étoit en agitation dans
le Sérrail , fes Rebelles n'étoient pas oisifs
dans la Ville ; ils détachercnt plusieurs
partis , dont les uns furent piller quelques
maisons de proscrits , ( c'est- à- dire de
ceux qui avoient eu directement ou indirectement
quelque part au Ministere )
entr'autres à Galata , celle du Vaivode →
on
844
MERCURE
DE
FRANCE
où ils trouverent beaucoup d'argent
qu'ils jetterent par les fenêtres , ainsi que
tous les meubles , disant que des Musulmans
ne devoient pas profiter des rapines
et des extorsions que cet indigne Officier
avoit fait sur les Dgiaours , ou Infideles ,
& comme c'étoit leur bien , qu'il étoit
juste qu'ils le reprissent , effectivement
nombre de Grecs et d'Arméniens et de
Juifs ramasserent ce qu'ils voulurent
sans que les Turcs s'y oposassent ni prissent
rien pour eux .
2
D'autres furent crier de nouveau par les
rues , car ils avoient déja crié , sur les me
naces que le G. S. avoit faites , d'appeller
ses sujets Chrétiens à son secours , ) que
pourvû queles Infideles nes'attroupassent
point , et qu'ils se tinssent tranquillement
chez eux , il ne leur seroit pas fait le
moindre tort , et cela s'observa religieusement
en general. Patrona ayant exigé
par serment de tous ses Camarades , qu'ils
ne commettroient aucun excès , il y cut
pourtant quelques coquins qui le fausserent
, mais ceux que l'on reconnut ou que
l'on prit sur le fait furent punis de mort
par
l'ordre même des Chefs de la rebel-
* Cette Charge réunit les fonctions de Gou
verneur et de Lieutenant de Police , le Vaivode de
Galata étend son distric jusqu'à la Mer Noire , le
long de la côte d'Europe.
lion.
AVRIL. 1731. 845
fion. Ils firent publier aussi que les Boutiques
où se débitent les choses necessaires
à la vie fussent toujours ouvertes , et
si bien garnies , que cette Capitale du
monde et ses vastes Fauxbourgs ne souffrissent
aucune disette .
Quoique toutes les Milices fussent dèslong-
tems révoltées dans le coeur , cependant
les deux premiers jours de la sédition
, il ne paroissoit pas que les Jannissaires
, les Topgis et Dgebedgis y rempassent
, du moins ouvertement , affectant
au contraire une espece de neutralité , qui ,
à la verité , ne les excusoit pas envers leur
Souverain.
,
Mais les Rebelles s'étant emparés du
Dgebe-Kané, ils se partagerent en deux
bandes , les uns furent inviter les Jannissaires
à se joindre à eux pour les aider
leur dirent- ils , à consommer une entreprise
aussi utile et aussi glorieuse à l'Empire
qu'étoit celle qu'ils avoient commencée
, tandis que les autres étant passez
à
Top-Hana, sollicitoient la même union auprès
des Topgis , et Dgebedgis ; ces differens
corps firent mine quelque tems par
un reste de bienséance , de ne vouloir pas
se prêter à leurs instances réïterées , mais.
* Gebé- Cavé , Magazin proche le Serail , on
sont les poudres , le plomb , et autres munitions,
de Guerre.
846 MERCURE DE FRANCE
y cédant à la fin ils y consentirent , a
moins tacitement.
Les Rebelles qui n'en demandoient pas
davantage , entrerent alors dans les Odas,
ou chambres des Cazernes de ces Troupes
,
d'où ils enleverent sans obstacle , les
tentes , les grandes marmites , et autres
ustanciles qu'ils transporterent à la place
d'Etmeïdan , où ils dresserent un Camp
dans les formes . Bientôt après , les Jannissaires
et les autres Milices les suivirent ,
faisant pourtant toujours semblant d'y
être forcez , quoiqu'ils courussent à l'envi
les uns des autres , pour arriver des premiers
au lieu de l'Assemblée , excepté les
Officiers , qui demeurerent constamment
attachées au G. S. et dont la plûpart s'étoient
déja retirez au Sérrail.
Cette jonction de la Soldatesque aux
Rebelles , acheva de déconcerter la Cour :
l'Empereur voulut cependant faire encore
une tentative auprès d'eux pour en obtenir
la grace d'Ibrahim - Pacha , mais ils
répondirent insolemment qu'ils avoient
assez fair , de pardonner au Mufty, à quoi
ils ne s'étoient même déterminez qu'en
consideration de son sçavoir , et de la
qualité de Chef de la Loy , et qu'ils vouloient
absolument qu'on leur remit le
G. V. et ses deux Gendres , pour leur faire
rendre compte de leur administration .
Le
AVRIL: 1731.
847
Le Sultan convaincu par l'opiniâtreté
de ces mutins , qu'il qu'il ne lui étoit
pas possible de soustraire son Ministre à
leur fureur , le fit condamner par le Kadilisker
d'Asie avec le Kaïmacan et le
Kyaya, à être étranglés, et ordonna qu'on
porteroit leurs corps à Etmeïdan .
,
Le Kyaya Mehemel , n'eut pas plutôt
appris , quand on vint le tirer de sa prison
, que c'étoit pour le mener au Kapon-
Orasy , endroit du Serail où l'on execute
les criminels d'Etat , que la frayeur dont
il fut saisi prévint les Bourreaux , et lui fit
rendre l'ame sur le champ ; ils ne laisserent
pas de le traîner au lieu du suplice ;
où par formalité pour l'éxecution de la
Sentence , on lui passa une corde d'arc au
col , ou corde de boyau ; à l'égard du
Vizir et du Kaïmakam , ils conserverent
leur fermeté jusqu'à la fin . Ce dernier fit
tranquillement ses ablutions et ses prieres,
mais le Visir ne fit ni l'un ni l'autre , disant
qu'étant si prés de perdre la vie , il
ne vouloit pas se donner tant de peine.
Ainsi finirent ces fléaux du peuple le
Is
de la Lune
de Rebiul
- Euvel
à 9 heures
du soir , du 30 Septembre
, dans le tems
même
que Sa Hautesse
faisoit
Mehemet
Pacha
G. V.
, Le lendemain matin , les trois cadavres
presque nuds , furent chargez chacun sur
un
$48 MERCURE DE FRANCE
un Chariot , et conduits à Etmeïdan ; le
peuple qui les suivoit , après avoir exercé
sur eux mille infamies , criant le long du
chemin , que tous les ennemis de l'empire
et de la Religion puissent avoir le même
sort. Quand les Rebelles les virent arriver,
ils entrerent dans une colere inexprimable
, se récriant sur ce qu'on ne leur avoit
livré ces traîtres en vie comme le
G. S. le leur avoit promis. On leur répondit
, qu'il n'étoit pas d'usage qu'un Sultan
remit ses Ministres vifs entre les mains
de leurs ennemis , et qu'ils devoient être
contents de ce que S. H. avoit eu la condescendance
de faire pour eux.
pas >
Les Rebelles qui avoient leurs veuës ;
n'eurent garde de se payer de ces raisons ;
ils redoublerent de fureur , et déclarerent
sans ménagement , qu'ils vouloient
qu'Achmet III. fut déposé , et que Mahmoud
, son Neveu fut mis sur le
Thrône.
>
Leur propre sûreté les entraîna dans cet
excès de révolte; faisant réfléxion qu'Ach
met étoit naturellement cruel ; qu'il avoit
fait mourir tous ceux qui avoient détrôné
son frere le Sultan Mustapha II. en 1703 .
pour lui donner sa place ; qu'ainsi ils n'en
devoient pas attendre de meilleur traitement
s'ils le laissoient en état de se venger
des outrages qu'ils venoient de lui
faire
AVRIL. 1731. 849
faire , au lieu qu'en élisant Mahmoud
qui languissoit depuis 27 ans en prison ,
ils auroient sujet d'esperer que ce Prince ,
par reconnoissance de ce qu'il leur devroit
sa liberté et son élevation , n'attenteroit
point à leur vie.
Mais comme il falloit au moins quelque
prétexte spécieux , pour colorer une
infidelité si formelle , non contents des
plaintes ameres qu'ils avoient déja faites'
contre leur Souverain , de ce qu'il leur
avoit manqué de parole en leur envoyant
morts les trois Ministres ; ils feignirent de
croire ( et peut-être le crurent- ils effectivement
) que ce n'étoit pas même le corps
du G. V. qu'on leur avoit apporté , mais
celui d'un forçat de Galere , qui lui ressembloit
, et que l'on avoit substitué à sa
place.
La verité est que ce Ministre étoit si
méconnoissable après sa mort , ( ce qui
avoit même fait répandre dans le public
qu'il s'étoit empoisonné ) que son premier
Batelier qui le voyoit tous les jours depuis
long- tems , affirma que ce n'étoit pas lui.
et qu'on verifia d'ailleurs qu'il n'étoit pas
circoncis . Il est vrai que Ibrahim étoit né
Chrétien , et que dans le fond , n'ayant
aucune Religion , il ne s'étoit pas embarrassé
de se faire circoncire quand il vint
d'Asie à Constantinople , professer l'exte
rieur du Mahometisme.
850 MERCURE DE FRANCE
que
Quoiqu'il en soit , les Rebelles se crurent
suffisamment authorisez à soûtenir
le G. S. les avoit doublement trompez
; ainsi , après avoir assouvi leur rage
sur les cadavres du Kaïmakam et du
Kyaya , qu'ils pendirent ensuite à deux
arbres , pour en donner le spectacle à tout
le peuple , ils attacherent à la queuë d'un
cheval celui du malheureux Ibrahim , et
le traînerent jusqu'à la porte du Serrail ;
là, par des clameurs affreuses , ils demanderent
qu'on leur remit en vie le veritable
Ibrahim , avec le Deys- Effendi , et
toutes les créatutes du premier , ajoûtant
que puisqu'on ne pouvoit compter sur
les promesses d'Achmet , et qu'il s'obstinoit
contre toutes les Loix à proteger un
monstre qui avoit désolé l'Empire , il n'étoit
plus digne de régner , et qu'il falloit
le renverser du Thrône pour y placer
Mahmoud , qu'ils avoient déja proclamé
Empereur.
Le Sultan - Achmet mit en vain tout
en oeuvre pour tâcher de les calmer , leur
faisant offrir des récompenses considérables
, et de leur sacrifier toutes les victimes
qu'ils demanderoient ; ils furent infléxibles
, et s'en retournant à Etmeïdan
ils jetterent en chemin le cadavre d'Ibrahim
auprès d'une belle Fontaine , que
se Ministre , qui étoit magnifique en
tout ,
AVRIL. 1731. 851
tout , avoit fait construire depuis deux
ans pour l'ornement de la Ville et la
commodité du Public.
>
l'é-
Les Rebelles , quoique résolus à ne se
point relâcher sur la déposition d'Achmet
, avoient pourtant besoin , pour
xécution d'un projet de cette importance,
d'être guidez par quelqu'un qui eût des
lumieres et du crédit , et qui entrât en
même-tems dans leurs sentimens . Ils trouverent
ce qu'ils cherchoient lorsqu'ils s'y
attendoient le moins , dans la personne de
Ispiri-Zadé , Prédicateur ordinaire de la
Cour et de Sainte Sophie . Cet hipocrite ,
qui , sous un air simple et mortifié , cachoit
une ambition démésurée , et qui
avoit reçû dans cent occasions des bienfaits
de l'Empereur , s'abandonnant à
l'ingratitude la plus noire , fut lui - même
trouver les conjurez ; il les confirma par
ses pernicieux conseils dans leur abominable
dessein leva toutes les difficultez
qu'ils croyoient le pouvoir faire échouer ,
et se chargeant de conduire l'affaire , il
fut au Serrail vers le soir du 16 de la Lune
( le premier Octobre ) dans le tems que
le G. S. étoit à la Kas- Oda , et que tous
les Ministres , les gens de Loi , et autres
Grands de l'Etat , étoient dans un
Kiosk ( espece de Pavillon ) consternez et
violemment agitez.
,
B Dès
852
MERCURE
DE FRANCE
Dès qu'il parut , chacun s'empressa de
le questionner sur ce qui se passoit dans.
la Ville ; il dit , contrefaisant l'homme
abbatu de tristesse , que les Rebelles ne
vouloient plus en aucune façon , qu'Achmet
restât sur le Trône ; et qu'après tout ce qu'il
avoitfait enfaveur de ce Prince , pour vaincre
leur animosité contre lui , il étoit inutile de
se flatter qu'on put les faire changer de réfolution.
A ces paroles toute l'Assemblée devint
comme immobile , et n'eut pas la force de
proferer un mot ; le perfide Ispiri -Zadé
voyant que personne ne se mettoit en devoir
d'aller annoncer cette nouvelle au
Sultan , il y fut de lui- même.
Hé bien , qu'y-a- t'il , lui dit Achmet ;
les Rebelles font- ils toujours à Etmeidan ?
Pourquoi ne se retirent-ils pas , pour vaquer
chacun à ses affaires ? Je les aifavorisez audelà
de ce que je devois , je leur ai offert des
préfens , et de leurfaire justice de tous ceux
dont ils croyent avoir à se plaindre , que veu
lent- ils , que souhaittent-ils encore ?
Seigneur , lui répondit cet homme pervers
,d'un ton ferme, et pourtant composé
, ton régne est fini , et tous tes sujets révol
tez ne te veulent plus pour Empereur, Alors,
Achmet se levant brusquement , répliqua
, et pourquoi ne me le disiez- vous pas
plutôt ? Vous vene ici tous les jours , d'où
و
vient
AVRIL. 1731. 853
vient tant tarder à me l'apprendre ? Puis sans
hésiter il courut à l'Appartement du Prince
Mahmoud , son Neveu ; le prit par la
main , le conduisit à la Kasoda , où il le
plaça lui-même sur le Trône , le salua Empereur
le premier , et lui dit entr'autres
choses fort touchantes : Souvenez - vous
que votre pere ne perdit la place que je vous
céde aujourd'hui , que par son aveugle complaisance
pour le Mufty Feyz -Oullah Effendi
, et que je ne la perds aujourd'hui moimême
que pour m'être trop confié à Ibrahim-
Pacha , mon Vizir , profitez de ces deux
grands exemples ; ne vous attachez à vos
Ministres , et ne vous reposez sur eux qu'avec
beaucoup de circonspection. Si j'avois
toujours suivi mon ancienne politique de ne
jamais laisser les miens trop long-tems en place
ou de leurfaire rendre souvent un compte
exact des affaires de l'Empire , j'aurois peutêtre
fini mon régne aussi glorieusement que je
Pai commencé. Adien , je souhaite que le
vêtre soit plus heureux ; je vous recommande
mes enfans et ma personne. Ensuite , l'infortuné
Achmet fût s'enfermer de lui-même
dans la prison , d'où il venoit de tirer son
Neveu .
Les fils d'Achmet s'enfermerent avec
lui ce jour- là ; Mahmoud l'ayant ainsi
ordonné pour consoler son Oncle , mais
le lendemain ces Princes furent logez ail-
Bij leurs ,
854 MERCURE DE FRANCE .
leurs , les trois plus jeunes ensemble , et
les trois aînez , chacun dans un Appartement
séparé.
Cette abdication se fit le 2 Octobre à
deux heures du matin : tout ce qui se
trouva dans le Serrail de Ministres et de
Gens de marque , fut admis cette nuit
même à baiser la veste du nouveau Sultan
.
Le jour venu , on lui éleva un Trône de
vant le Babiseadet , ou la Porte heureuse ;
c'est une porte du Serrail qui conduit à
l'Appartement où le G. S. donne Audien-.
ce aux Ministres Etrangers ; et c'est dans
cet Appartement que tous les Grands de
l'Empire , en Corps , vinrent le reconnoître
Empereur, et lui baiser la veste . Aussitôt
les Crieurs publics annoncerent son
Avénement par toute la Ville.
Le même jour , une Galere transporta le
Mufty à Tenedos , lieu de son exil, Les
Rebelles l'avoient redemandé de nouveau
pour le faire mourir , mais les Gens de
Loy agirent si efficacement , qu'ils lui sauverent
la vie ; dans le fond c'est un fort
bon homme , dont la viellesse et la douceur
naturelle ont peut-être été les seules
causes du seul crime qu'on lui a reproché,
de ne s'être pas opposé avec la vigueur
qu'éxigeoit son caractere , aux malversa
tions qu'il voyoit commettre,
Le
AVRIL 1731. 855
Le 3 Octobre , le G. S. curieux de connoître
le premier Chef de ces gens téméraires
, à qui il devoit l'Empire , commanda
qu'on lui fit venir Patrona-Kalil , lequel
se présenta comme il étoit vêtu ordinairement
, c'est - à- dire , en simple Janissaire
, et les jambes nuës. Il s'avança d'un
air assûré jusqu'au Trône du Sultan , et
lui baisa la main : Que puis -je faire pour
toi , lui dit Mahmout , tu es en droit de me
demander toutes les graces que tu voudras.
Cet homme de néant , et chargé de crimes
, mais subtil et plein d'artifice , montrant
alors des sentimens plus nobles et
plus élevez, que sa naissance et sa vie passée
ne sembloient en devoir promettre ,
répondit à l'Empereur , que jusqu'à présent
il avoit tout ce qu'il avoit le plus désiré
, qui étoit de le voir sur le Trône
Ottoman et que pour l'avenir
sçavoit bien qu'il n'avoit rien à attendre
de Sa Hautesse qu'une mort honteuse et
prochaine. Je te jures par les manes de mes
Ancêtres , répondit le G. S. que je ne te ferai
jamais de mal ; demande moi seulement
quelle récompense je te puis donner , je te
l'accorde d'avance. Puisque votre bonté
Imperiale est sans bornes , répondit Patrona
, je vous prie de vouloir bien supprimer
tous les nouveaux impots dont vos fideles sujets
ont été accablez sous le précédent Minis-
,
B iij
*
,
il
tere.
856 MERCURE DE FRANCE
>
tere. Mahmout y souscrivit sans hésiter
et sur le champ cette suppression fut publiée
par tout .
Ce jour- là , le G. S. confirma Mehemet-
Pacha , dans la Charge de G. V. et lui
nomma pour Kyaya le vieux -Nik-Deli-
Hali-Aga , qui avoit été fort attaché à
l'Empereur Mustapha , pere de Sa Hautesse
.
Le 4. les Rebelles furent piller quelques
maisons de proscrits , et rompirent
le Sceau Imperial qu'on y avoit apposé.
Le Sultan fut vivement picqué de ce manque
de respect ; mais n'étant pas en état
d'en marquer son ressentiment , il les envoya
prier de cesser ces sortes d'éxecutions
, et leur fit représenter , que puisqu'ils
l'avoient mis sur le Trône , ils lui
devoient laisser le soin et l'autorité de punir
les coupables de la maniere qu'il conviendroit.
Bien loin de se rendre à ses
remontrances , et si douces et si justes ,
ils répondirent qu'ils ne discontinueroient
point leurs vengeances qu'ils ne l'eussent
satisfaite eux - mêmes et demanderent
pour la seconde fois qu'on leur remit le
Reys Effendi , le Tchiaoux Bachy , et plu
sieurs autres , ce que la Cour ne pût et ne
jugea pas à propos de faire , le Reys - Ef
fendi , entr'autres , étant alors si bien ca
ché qu'on le croyoit en fuite.
,
Le
AVRIL. 1731. 857
,
Le 5. ils pillerent encore deux grands
Palais , en Asie , sur le Canal de la
Mer Noire et cependant le Grand-
Seigneur ne laissa pas de confirmer dans
leurs emplois , tous ceux qu'ils en avoient
revêtus , comme les nouveaux Janissaire-
Aga , Topgi -Bachi , &c .
Il est d'usage , selon les constitutions de
l'Empire Ottoman , que quand ' un Sultan
vient à mourir de mort naturelle , et
que le Prince qui doit lui succeder monte
sur le Trône , celui - ci n'est point obligé
de faire aucune gratification aux Troupes
; mais que lorsque par une révolution
comme celle-ci , un Prince parvient à
l'Empire , il doit leur augmenter leur
paye et leur faire un présent , ce
qui se pratique de la maniere suivante.
2
Chaque Cavalier a 1000. aspres de présent
( 25. liv . ) et deux aspres dé paye , de
plus qu'il n'avoit par jour , ou s'il l'aime
mieux , car cela est à son choix , que le
présent soit converti en paye journaliere ,
alors on la lui augmente de trois aspres au
lieu de deux ; de même les Janissaires ,
les Tobdgis , et les Dgedbedgis , ont cinq
aspres d'augmentation de solde , et point
de présent , ou s'ils préferent de le tou
cher , on leur donne 3000. aspres pour
ce présent , ou 75. liv . et leur solde n'est
B iiij aug858
MERCURE DE FRANCE
augmentée que de deux aspres.
Le nouveau Sultan , étant dans le cás
de ces libéralitez d'obligation , fit venir
le Tefterdar , ou le Grand Trésorier , et
les autres personnes chargées du maniement
des deniers Imperiaux , et ordonna
de tenir prêt l'argent qu'il falloit pour
P'acquitter envers les Milices. Ces Officiers
dans la vûë de faire leur cour , ne voulurent
point toucher aux Trésors de l'Etat
quoique depuis l'établissement de l'Empire
, ils n'eussent jamais été si remplis
étant assurez de trouver dans ceux que
le
Grand Vizir , son Kyaya et le Capitan
Pacha avoient amassez des fonds plus
que suffisans pour le payement en question
.
J
Ils firent chercher avec soin , quelquesuns
des plus affidez Officiers de ces trois
Ministres , pour en tirer des lumieres touchant
le bien de leurs Maîtres . On amena
d'abord au Tefterdar un jeune homme
qui avoit été L'Anactar- Oglan du Grand
Vizir , ( c'est comme qui diroit un gentilhomme
de la Clef, ) et qui en avoit eu
toute l'amitié et toute la confiance ; il dit
que pourvû qu'on ne lui fit point de
mal ,il découvriroit de grandes richesses ;
on l'assura que bien loin de le maltraiter ,
on le recompenseroit . L'Anactar un peu
remis de son trouble , et d'ailleurs ne pouvant
AVRIL. 1731. 859
*
vant mieux faire , puisque s'il eut voulu
garder le secret , on le lui eut arraché
par les tourmens , conduisit le Tefterdar
dans une cour du Serrail du Grand Vizir
, où ce Ministre avoit fait bâtir un
Colombier ; on creusa dessous , à l'endroit
qu'il indiqua , et l'on en tira quatre
cofres de fer , dont trois fort grands ,
renfermoient chacun 18. longues bourses
de cuir , de 60. mille Sequins Fondoukli
chacune. Le Sequin Fondoukli , étant évalué
à 400. afpres fait 10. livres monnoye
de France , ces trois coffres contenoient
la somme de 32. millions 400 .
mille livres.
A l'égard du quatrième , il étoit à la
vérité beaucoup plus petit , mais il étoit en
récompense rempli de pierres précieuses
d'une beauté singuliere , et d'un prix inestimable
, aussi bien que les riches étoffes et
les tapis de Perse et des Indes,les fourures ,
les Bijoux , les curiositez de tous les Pays ; en
un mot, les hardes et les meubles superbes
que l'on trouva en profusion dans ce Palais.
On se saisit ensuite du Kyaya du Harem:
un Eunuque noir , ayant l'Intendance de
l'appartement des femmes de Mehemet ,
Kiaya d'Ibrahim - Pacha , qui avoit aussi une
connoissance parfaite des grands biens de
cette sangsuë de peuple. Dès qu'il fut pré-
Bv senté
860 MERCURE DE FRANCE
senté au Tefterdar , il lui confessa tout , et
le mena dans les differens Souterains que
son Maître avoit fait construire pour enfoüir
ses trésors. Il dit que quand Mehemet
avoit fait remplir un coffre , il le
faisoit porter par des portefaix jusqu'à une
certaine distance du lieu où il vouloit que
son argent fut déposé , et que lui , Kyaya
du Harem se travestissoit
> par son
ordre la nuit ; vuidoit ce coffre à diver
ses reprises et emportoit le contenu
dans la cache , sans que personne s'en fût
jamais apperçu.
,
en
Suivant le compte du Tefterdar on
fait monter à 30. mille Bourses l'argent
comptant de cet infame monopoleur ;
et ses autres biens à présqu'autant ; soic
en pierreries , en Palais , maisons
fonds de terre , en rentes , en habits , ou
soit en denrées ou marchandises , dont il
faisoit commerce. Chaque bourse de soo .
piastres , évaluée 1500. liv. les 30. mille
bourses font 45. millions, de notre monnoye.
3
Quant au Capitan Pacha , il n'a pas
paru qu'il fut à beaucoup près si riche en
especes que
les autres mais outre ses
Palais qui étoient dignes de loger des
Sultans , il avoit une grande quantité
de pierreries plus belles et plus parfaites,
AVRIL. 1731. 861
tes , que celles du Grand Vizir et du
Kyaya , parce qu'il les payoit aussi bien ,
et il s'y connoissoit mieux qu'eux : enfin les
richesses que l'on a trouvées chez ces trois
Miniftres , sont si prodigieuses , que le
Roi Cresus , si fameux dans l'Histoire par
ses Trésors , auroit pû passer pour pauvre
auprès d'eux .
Le Sultan Achmet n'ignoroit pas que
le Kyaya , entre-autres , s'enrichissoit infiniment
au- delà de ce qu'avoit jamais fait
aucun particulier de l'Empire , surtout
d'une aussi basse origine que l'étoit celuilà
, mais au lieu de mettre un frein à ses
concussions , cet avare Empereur , lui facilitoit
les moyens d'en faire tous les jours
de plus criantes , parce qu'il se flattoit que
le vieux Ibrahim son Vizir , mourroit bientôt
; et qu'alors n'étant plus retenu par
aucune considération , il feroit étrangler
le Kyaya , et s'empareroit de tous ses
biens.
Avant que de finir sur le compte de cet
odieux Ministre, il ne sera pas hors de propos
de rapporter une particularité assez singuliere
; sa fille unique étoit promise au
jeune Anactar Oglan , dont on a parlé. It
avoit fait de magnifiques préparatifs pour
la célebration de la nôce , qui avoit été
fixée précisément au soir du jeudi , que la
sédition éclata ,et suivant la coutume tous
B vj les
862 MERCURE DE FRANCE:
les grands de l'Empire lui avoient fait à
ce sujet des présens considerables ; la bienséance
vouloit, ce semble , dans le trouble
et le désordre où la Cour et la Ville
étoient plongées , et dont il avoit paru
lui- même si fort effrayé , quand il se sauva
le matin , que ces nôces fussent remises
à un temps plus tranquille et plus
propre à la joye ; cependant , soit qu'il
se flatât que la rebellion n'auroit point de
suites fâcheuses , ou que son orgueil l'aveuglât
, il passa outre , et insultant au
peuple pour la derniere fois , le mariage
fut consommé à l'heure marquée ; mais
il fut d'un sinistre augure , puisque tandis
que la fille entroit au lit nuptial , le
pere mettoit déja le pied dans celui de la
mort.
}
7
Les richesses du Grand Vizir et de ses
deux Gendres , étant immenses , comme
on l'a pû voir par le petit détail que nous
en avons fait , elles étoient plus que suffis
ntes pour le payement des troupes ; on
déploya donc cinq étendarts à Atmerdam
, sous lesquels vinrent se ranger, et se
fire écrire,tous ceux qui devoient, ou pour
mieux dire , qui voulurent participer à
cette gratification ; car il est bon de remarquer
que d'ordinaire un Sultan , n'est
tenu à faire le présent de son avenement
à l'Empire , qu'aux Militaires en exercice
,
AVRIL 1731. 863
ze , et déja enrolez du temps de son Prédécesseur
, et non à ceux qui ne venant
s'engager , la plupart dans cette occasion ,
que pour profiter du benefice qui l'accompagne
, disparoissent après l'avoir reçû
parce que supposé que parmi ces
derniers , il s'en trouve , qui s'enrollent
avec l'intention de servir , ils doivent
s'estimer assez heureux d'être reçûs au
nombre des Kouls ou Esclaves de sa
Hautesste , avec la paye qu'on leur assigne
; mais le Sultan Mahmout , voulant
commencer son regne par un acte de générosité
, pour se concilier davantage le
coeur des Milices et du peuple
d'ôter tout prétexte aux mal intentionnez
, de continuer la révolte , donna un
Katcherifs pour que les nouveaux Soldats
reçussent également la gratification
comme les anciens , et qu'on délivrât
également aux uns et aux autres deux
quartiers de leur solde.
,
et afin
Malgré cet ordre , cependant le Lieutenant
General des Janissaires , par probité
, ou par reconnoissance de ce que
l'Empereur l'avoit confirmé dans cette
Charge , qu'il tenoit des Rebelles , ne
put voir sans indignation qu'ils abusassent
des bontez de Sa Hautesse , jusqu'au
point d'admettre à cette gratification
comme ils faisoient , un nombre infini de
و
petits
$64 MERCURE DE FRANCE
,
petits enfans , de vieillards et de gens
éclopez ou contrefaits ; il crut donc pouvoir
représenter à Patrona , que si l'on
continuoit de la sorte tous les trésors:
du Grand Seigneur ne suffiroient pas
gratifier tant de gens qui le méritoient
si peu ; mais celui- ci lui dit avec un ton
de Maître , que ce n'étoit pas à lui à vouloir
diriger des finances qui ne lui appartenoient
point et dont il n'étoit pas
chargé de rendre compte , et sans autres
discours , il commanda sur le champ
qu'on mit en pieces ce malheureux Officier
, qui par trop de zéle et de probité
perdit en un instant la vie , et sa nouvelle
dignité.
,
Le Grand Seigneur voyant de plus en
plus par ce qui venoit de se passer , qu'il
ne lui seroit pas possible de rétablir l'ordre
et la tranquillité dans Constantinople
, tant que Patrona y resteroit en armes
, et n'osant entreprendre de s'en défaire
, de crainte de causer une seconde révolution
aussi fatale pour lui , lui , que
que la premiere
l'avoit été pour son oncle , il tenta
de l'éloigner de la Capitale , en lui offrant
un des plus considerables Gouvernement
de l'Empire , et d'y attacher toutes
les marques d'honneur qu'il souhaiteroit.
Mais Fatrona se défiant avec raison
que
AVRIL. 1731. 865
réque
des offres si avantageuses ne cachassent
un piége , répondit qu'il ne se
soucioit pas de dignitez , et qu'il n'étoit
avide que du sang des proscrits , dont
il avoit fait une longue liste. Le Janissaire
Aga qui étoit présent , s'avisa de
vouloir conseiller à l'Empereur,de donner
à Patrona 100. mille Sequins , et de le
laisser le maître de se retirer où bon lui
sembleroit.Je n'ai pas besoin d'argent,
,, pondit ce fier Rebelle , puisque toutes les
bourses de Constantinople sont à mon service
; et lançant un regard terrible sur
le Janissaire Aga , il lui recommanda d'un
ton , et d'un air si impérieux , de ne se
jamais mêler de ce qui le regardoit , s'il
ne vouloit avoir le même sort de son Lieutenant
, que sans rien répliquer , ce General
de l'Infanterie , se prosterna trois
fois devant lui .
ور
"
> et à
Le 6. Patrona nomma de son chef de
nouveaux Officiers , à la plupart des principaux
emplois dans les troupes
mesure qu'ils se présentoient devant lui
il les faisoit revêtir de Pelisses de Samour
de Martre Zibeline , qu'on avoit prises
au pillage des maisons des proscrits . On
publia de nouveau ce jour-là de sa pare
que tous ceux qu'on trouveroit commettant
du désordre , seroient punis de mort
sur le champ. Cette Ordonnance produi
sit
865 MERCURE DE FRANCE
>
sit un si bon effet , que , quoique Gala
ta grand Fauxbourg de Constantinople,
fut plusieurs jours sans Commandant,
le Vaivode , dont la tête avoit été mise à
prix , s'étant sauvé , et que presque tous
les Marchands François qui y demeurent
fussent alors aux Isles des Princes , avec
leurs familles , les Rebelles qui vinrent
piller quelques maisons de Juifs , ne firent
aucunes insultes à celle des François.
Il est vrai , que ce qui contribua beaucoup
à les garantir des brigandages de la canaille,
fut la précaution que leur nation prit d'établir
et de payer une gardepour leur pro
pre sureté , composée des Rebelles mêmes.
Le 7. le Sultan Mahmout' , fut avant
midi à la Mosquée d'Eyoup , qui est dans
le fond du Port de Constantinople , à
environ deux heures de chemin du Serrail,
se faire ceindre le Sabre Imperial ; céré
monie qui tient lieu de couronnement aux
Sultans. Son cortege étoit fort nombreux ,
mais il y avoit beaucoup de confusion ; la
Marche défila entre deux hayes de Janissaires
de Topgis , et de Dgebedgis , en
simple Doloma , qui est l'habit long que
portent ordinairement les Janissaires , en
Calote rouge , sans bonnets de cérémo
nie , et sans armes , comme l'Empereur
l'avoit ordonné ; car il y eut la veille de
grandes contestations à ce sujet ; entre
la
•
t
AVRIL. 1731 867
la Cour et les Rebelles , Sa Hautesse ne
voulant point que personne vint armé à
cette Cavalcade , et ceux- ci au contraire
ne prétendant pas devoir mettre bas les
armes , qu'on ne leur eut donné satisfaction
sur les proscrits , et qu'ils n'eussent
été payez de ce qu'on leur devoit , tant
du présent , que de ce qu'on leur devoit
d'ailleurs ; de sorte que malgré les défenses
du Sultan ils y vinrent bien armez ;
Patrona monté sur un beau Cheval magnifiquement
harnaché , y précedoit le
Grand Vizir , et avoit à sa gauche un
autre Chef de son parti . Ces deux hommes
affectant de mépriser le faste
n'avoient
qu'un petit Turban , l'habit de Janissaire
, et les jambes nuës ; ils jettoient
des Sequins au peuple , et quatre Dervi- .
ches , qui marchoient à pied à leurs côtez,
faisoient les mêmes largesses de leur part.
Le Sultan se distingua aussi par sa generosité
, ayant fait jetter ou distribuer pareillement
50. bourses , au lieu de douze qu'il
en coûte d'ordinaire à un nouveau Grand-
Seigneur dans cette occasion . On revint
par terre comme on étoit allé , le mauvais
temps n'ayant pas permis qu'on prit la
voye de la Mer , comme c'est l'usage.
Le peuple avoit compté qu'après cette
céremonie la tranquilité se rétabliroit , et
qu'on r'ouvriroit les Boutiques; mais l'autorité
868 MERCURE DE FRANCE
, que
torité du Grand Seigneur étoit encore si
mal affermie , qu'on n'osa exposer les
Marchands aux nouveaux désordres
cette ouverture auroit pû attirer; les principaux
Officiers des Rebelles étant même
venus à la Porte le 8. Octobre , et le Grand
Visir leur ayant fait distribuer des Cafetans
et des Chevaux , ils se prirent de paroles
, & et se tiraillerent l'un l'autre , chacun
voulant saisir le meilleur Cheval,
cela jetta d'abord l'effroi par tout
parce
qu'on craignit que ce ne fût une feinte
concertée entre eux , pour exciter une
nouvelle sédition ; heureusement se querellant
de bonne foi , ils se reconcilierent
de même .
د
Patrona , vint aussi peu après voir le
Grand Visir , accompagné seulement de
trois de ses camarades , qui le suivoient à
pied comme des domestiques. Dès que ce
Ministre , tout gendre qu'il est d'un Sultan,
et qui ne se seroit pas levé pour l'Ambassadeur
d'un Souverain , sçut que cet
illustre scelerat arrivoit , il courut vite au
devant de lui jusqu'au bas de l'escalier ,
le mena dans son appartement , où ils resterent
deux heures ensemble , et il le reconduisit
bien civilement au lieu où il étoit
venu le prendre.
Dans le temps que Patrona alloit par
tir , un Bach Asseky , domestique favori
du
AVRIL. 1731. 869
du Grand Seigneur , vint lui parler en secret
de la part de Sa Hautesse : il ne daigna
pas descendre de Cheval pour cela ,
mais se courbant un peu seulement , leur
conversation dura un quart d'heure , après
quoi il s'en retourna d'un air résolu à son
Camp d'Etmeïdan .
Il s'étoit répandu ce jour-là dans la Ville
, que le Grand Seigneur devoit honorer
d'un nouveau Cafetan , Abdi Capoudan
, et le confirmer dans la dignité de
Capitan Pacha ; mais il arriva au contraire
que Sa Hautesse le déposa et mit à sa
place Kafis Mehemet Pacha , jeune homme
de 35. ans , qui n'a aucune experience
dans la Marine : aussi n'étoit-ce qu'en
attendant l'arrivée de Dgianum Codeca ,
un des plus braves et des plus grands
hommes de Mer qui soit dans l'Empire.
Ce même jour , les Ministres Etrangers
eurent permission de la Porte d'expédier
à leurs cours , pour donner avis de
l'avenement de Sultan Mahmout à l'Empire
, et plusieurs Tribunaux de justice reprirent
leurs cours ordinaires , au moyen
des nouveaux Officiers , qu'on y mit pour
remplacer ceux que les Rebelles avoient
proscrits , comme entre-autres , le Vaivode
de Galata , qui fut remplacé par un
ancien Officier du Corps des Baltadgis
lequel avoit déja exercé autrefois le même
870 MERCURE DE FRANCE
me emploi , avec l'approbation generale.
Il est fils de Cherkez - Osman-Pacha
qui dans tous les grands emplois , qui lui
ont été confiez , a donné des marques de
son amitié pour les François , et surtout
dans l'affaire de la restauration du Temple
de Jerusalem.
Le 9. on commanda 20. Janissaires sans
armes , de chaque compagnie , pour aller
prendre à la Porte, l'argent destiné au présent
, et escorter les 150. chariots , chargez
chacun de so . Bourses , qu'on conduisit
en cérémonie chez le Janissaire
Aga , ou la répartition s'en fit pendant
trois jours à 100. mille hommes ; sçavoir
40. mille Janissaires , 18. mille Topgis ,
22. mille Dgebedgis , et 20. mille Spahis
, ce qui fait en tout 11250000. liv .
Le Grand Visir fut importuné de quelques
plaintes au sujet de cette distribution :
plusieurs Officiers deshonorant leur carac
tere , s'aviserent de retenir pour eux une
partie de ce qui revenoit à leurs Soldats :
une conduite si indigne en tout temps , et
si dangereuse dans les circonstances presentes
, méritoit sans doute une punition
exemplaire , cependant ils en furent quittes
pour restituer à qui il appartenoit ,
tout ce qu'ils s'étoient si injustement approprié
; mais il pensa arriver entre les
Rebelles un autre affaire de même espece
,
AVRIL. 1731. 871
ce , qui , pour peu qu'elle eut eu de suites
auroit été capable de ruiner entierement
leur parti .
2
Patrona , qui jusqu'alors s'étoit montré
en public , sous le caractere d'un hommé
désinteressé , faisant apparemment réflexion
, que la gloire toute seule n'étoit
que fumée , voulut lui donner plus de
consistance en y joignant les richesses.
Beaucoup de proscrits cachez , le firent
sonder , pour obtenir leur grace , et lui
offrirent des presens proportionnez à leurs
facultez ; il leur accorda la liberté de se
retirer où ils voudroient , et reçut de l'un
20. bources , de l'autre 30. &c. le tout
sans en faire part à ses Camarades ; ceuxci
n'en eurent pas plutôt connoissance
qu'ils s'en plaignirent avec aigreur. Vous
fçavez bien , lui reprocherent-ils , que nous
n'avons tous pris les armes que pour tirerle
peuple d'oppression, et le délivrer d'une
troupe de Loups raviffants qui le rongeoient
depuis 14. années ; que par l'assistance divine
nous sommes venus à bout de ce
grand et perilleux ouvrage ; cependant
,, vous , Patrona , qui comme notre Chef devriez
nous montrer l'exemple
et être
plus religieux obfervateur du serment que
vous avez exigé de nous , et que vous avez
fait vous même de ne pardonner à aucun
des ennemis de la Patrie , Vous êtes le
د و
و و
ر و
د و
ر و
ور
"
و ر
و
premier
872 MERCURE DE FRANCE
mier qui pour un vil interêt , rompez de fi
saints engagemens. Un peuple infini adresse
ses prieres au Ciel pour nous , en reconnoissance
de notre juste entreprise , et vous êtes
le seul qui s'oppose à son entiere perfection ,
en vendant vosfaveurs aux tyrans de l'Etat
mais ajoûterent - ils , en élevant la
voix : bien loin que vous puissiez rencontrer
en nous des coeurs capables d'applaudir
à cette bassesse , fachez , que fi dans deux
jours vous ne faites retrouver ceux que vous
avez fait évader , nous vous mettrons nous
même en pieces.
,
Patrona , étourdi de la harangue répondit
avec douceur à ses camarades , leur protestant
que malgré le crime dont ils le
chargeoient , sur lequel il ne se mit pourtant
pas fort en peine de se juftifier , son
dessein avoit toûjours été d'exterminér
tous ceux qui étoient sur l'état des proscrits
, et qu'il alloit travailler à leur
donner une pleine satisfaction à cet
égard.
Les pillages , les recherches , les persécutions
continuant donc à Constantinople
et aux environs , le Sultan en fut si
penetré , qu'il convoqua au Serrail `un
grand Conseil , composé de tous les Gens
de loy , à la tête desquels étoit , Mirza-
Zade, nouveau Mufty , et des principaux
Officiers de l'Empire. Il y fut résolu que
le
AVRIL. 1731. 873
le Grand Seigneur donneroit un Katcherif
fulminant , qui seroit adressé et porté
aux Rébelles , par l'Asseky- Aga ou Bacha-
Asseky , et que le Mufty rendroit une
Sentence ou Feiza en conformité , dont
on chargeroit à Ballach Effendi , Lieute
nant General de Police de la Ville.
Il eft bon de remarquer , que cet Officier
qui étoit une espece de fou turbulent
, avoit d'abord pris le parti des Rebelles
, qui l'établirent dans ce poste , et
que la Cour sçachant qu'il étoit en grand
crédit parmi eux , avoit trouvé le secret
de le gagner et de se servir de lluuii ,
pour
porter les Janissaires à plier leurs étendarts
et à rentrer dans leurs cazernes ; effectivement
le Istamboul- Effendi ou
Abdollah Effendi , malgré le dérangement
de son cerveau , avoit si bien negocié
cette affaire , que les plus anciens et
les plus sensez de cette Milice و serendant
à ses avis , s'étoient retirez dans leurs
chambres , avec promesse de se soumettre
aux ordres de la Cour,
Le parti des Révoltez étant considerablement
affoibli par cette désertion ,
l'Istamboul- Effendi , et l'Asseкy- Aga , vinrent
à leur camp ; ce dernier leur demanda
s'ils n'avoient pas reçû leur paye , et
pourquoi n'ayant plus rien à exiger du
Grand Seigneur , ils ne se retiroient pas ;
ensuite
874 MERCURE DE FRANCE .
ensuite il leur présenta le Kacherif , qui
fut lû à haute voix. Il contenoit en substance
, que puisqu'ils avoient fait eux-même
Sultan Mahmout Empereur , et qu'en
consequence ils se reconnoissoient ses
Esclaves , ils devoient lui obéir aveuglement
, et sans délai , qu'ayant d'ailleurs
sujet d'être satisfaits de Sa Hautesse´, qui
leur avoit accordé au- delà de ce qu'ils
avoient souhaité , il étoit juste qu'à leur
tour ils lui donnassent des marques de
leur soumission , afin de rendre le calme
à la Capitale de l'Empire où elle vouloit
absolument faire cesser tous désordres :
que si après avoir eu connoissance de ses
intentions par ce sublime commandement
, ils étoient encore assez ingrats et
assez témeraires , pour ne s'y pas conformer
, elle feroit déployer l'Etendart du
Prophete à la porte du Serrail , et publier
de toutes parts que tout bon Musulman
eut à venir le joindre , pour aller
contre les Séditieux , qui dès ce moment-
là seroient déclarez traîtres , infidelles
et répudiez de leurs femmes , et
qu'on poursuivroit leur destruction jusqu'à
ce qu'il n'en restât pas un seul.
Le Feta du Mufti fut lû ensuite , et
s'exprimant d'une maniere aussi forte , les
Rébelles commencerent à s'ébranler ; mais
ze qui acheva de les réduire du moins
.
en
4
AVRIL. 1731. 875
›
en apparence , fut la déclaration que leur
firent faire les Janissaires . , qui s'étoient
déja rangez à leur devoir ; que s'ils ne
se retiroient pas comme eux ils les
avertissoient que dès que la Baniere
de Mahomet paroîtroit , ils iroient la
défendre et les combattre , jusqu'à la derniere
goute de leur fang.
Les plus mutins intimidez par ces avertissemens
, soit qu'ils rentrassent sincerement
en eux- mêmes , ou que la plûpart
dissimulassent , comme la conduite qu'ils
tinrent depuis donne assez lieu de le penset
, se soumirent enfin , mais à deux conditions
; que la Cour , dans l'esperance
d'avoir la paix , fut encore obligée de
leur accorder la premiere , que le Grand
Seigneur ne feroit jamais mourir aucun
d'eux pour avoir excité la sédition ; la
seconde , qu'ils auroient toûjours cinq
étendarts déployez , pour être en état de
se défendre , si on vouloit entreprendre
quelque chose contre eux.
Ce traité fait , le Mufty se rendit garand
de la parole de Sa Hautesse , et l'Istamboul-
Effendi de celle des Rébelles
qui promirent de ne plus commettre
aucun désordre ; plierent leurs étendarts ,
à l'exception des cinq qu'on leur avoit
accordez , et se retirerent , les uns dans
les cazernes , les autres où ils voulurent .
C Cela
876 MERCURE DE FRANCE
Cela fe passa le douze Octobre.
Conséquemment à cet accord le Grand
Seigneur ayant ordonné le 13. qu'on r'ouvrit
les boutiques , l'affluence du monde y
fut si grande , ainsi que dans les marchez
, sans qu'il y arrivât ni tumulte ni
bruit , qu'il sembloit que la bonne harmonie
fut rétablie ; cependant le même
jour il se commit encore des violences et
des meurtres , dans quelques endroits de
la Ville , qui firent assez juger que le
calme n'étoit pas si général qu'on s'en
étoit flatté , comme on va le voir.
Les Caffez étant à Constantinople ,
comme ailleurs , des lieux où toutes sortes
de gens s'assemblent sans se connoître
, et où il se trouve d'ordinaire beaucoup
de faineants , qui n'ont d'autre occupation
que de parler de nouvelles ; il
y en eut plusieurs de cette espece qui
payerent de leurs vies l'intemperance de
leurs langues. Comme les Révoltez étoient
fort éloignez de se croire criminels , et
qu'ils se consideroient,au contraire, comme
de glorieux liberateurs de la Patrie ,
ils s'étoient eux-mêmes qualifiez du titre
de Serdengueschtis , c'est- à-dire enfans ›
* Serdengueschti , signifie proprement un homme
qui sacrifie sa tête. Quand les Turcs vont à la
guerre , surtout contre les Chrétiens , ils ont toû
jours un corps de ces zelez combattans , dont les
perdus ,
1
AVRIL. 1731.
877
<
C
>
perdus , ou dans un sens plus figuré, Gens
d'honneur , qui se sacrifient pour le bien
public tellement qu'à leurs manieres.
de penser ,, la qualité de Rébelles leur
étoit tout-à- fait odieuse . Il vint donc dans
ces Caffez de ces imprudens Nouvellistes ,
qui tout haut et sans ménagement des affaires
d'Etat , traiterent de Zorbas ou de
Rébelles tous ceux qui avoient pris les
armes contre Achmet ; par malheur pour
eux il s'y trouva de ces enfans perdus
qui les écharperent sur le champ.
, Un de ces derniers , s'étant enivré à
Galata , repaffa le Port , et alla droit à la
Douane de Constantinople , avec deux Domestiques
, il y prit dans la caisse , devant
tout le monde , environ 300. piastres
, dont il donna une partie à ses valets
, et leur fit signe de se saisir de deux
filles esclaves que l'on avoit amenées au
Bureau pour en payer les droits , et trouvant
à la porte un Cheval tout fcellé
monta dessus et s'enfuit ; il fit tout cela
sans que personne s'y opposât , parce que
dans ces temps de trouble on ne sçavoit
à qui s'adresser pour avoir justice , et que
les gens de la Douane ne connoissant point
Officiers s'appellent Serdengueschtis Agalar ,
qui signifie les Messieurs , ou les Chefs des enfans
perdus , et c'est aussi le titre que prenoient
Patrona & les autres Chefs de la Rébellion.
Cij
cet
878 MERCURE DE FRANCE
cet hardi voleur , craignirent qu'ils ne
leur arrivât pis , s'ils lui faisoient la moindre
chose .
Le lendemain 14. un autre inconnu
bien vêtu , et bien monté , vint aussi descendre
à la Doüane , accompagné de six
domestiques ; il entre seul , et va s'asseoir
auprès de la Caisse ; les Commis qui s'attendoient
à une avanture au moins aussi
fâcheuse que celle de la veille , lui font
civilité, et l'invitent à se mettre dans l'angle
du Sopha , qui est la place d'honneur
; notre homme s'y met les saluë
de la tête , et prenant alors la parole :
Qu'est ce donc ,Messieurs , que vous est- il
arrivé hier : le récit lui en ayant été fait ,
tel qu'on l'a rapporté , il appelle un de
ses valets , et lui commande d'aller dans
un endroit de la Ville , qu'il lui désigne ,
et de faire prendre et tuer sur le champ
une personne qu'il lui nomme, Cet ordre
donné , il en donne deux ou trois
autres à peu prés semblables à ses autres
domestiques ; puis s'adressant aux Commis
, qui aussi surpris qu'effrayez , n'osoient
pas ouvrir la bouche. Sçavez vous
bien qui je suis leur demanda-t'il je
m'appelle Mouslouh : à ce nom l'assembléc
frémit sans rien répondre. J'ai , continua-
t'il , un talent tout particulier pour
connoître les honnêtesgens , et les fripons , et
, ,
j'estime
ㄢ
६
AVRIL. 17318 879
Festime autant les premiers , que les derniers
me sont en horreur ; ainsi c'est pour proteger
les uns et pour exterminer les autres que je
viens de donner les ordres que vous avez
entendus. Ensuite il s'informa du nom et
de la demeure de tous ceux qui étoient
présents , et leur promit que si quelqu'un
venoit encore les inquiéter , ils
n'avoient qu'à lui en écrire un mot ;
que dans l'instant même il les vangeroit
des coupables ; après quoi remontant
à Cheval , au grand soulagement de
la compagnie , que ces beaux discours
n'avoient point rassurée , il fut dans un
autre quartier faire la même manoeuvre.
Ce Mouslouh , ci- devant simple Janissaire
, et Marchand de Melons , étoit un
des principaux Chefs des Révoltez , comme
on l'a déja dit au commencement de
cette Relation ; outre qu'il avoit naturellement
de l'esprit et de l'éloquence , il
s'étoit encore rendu recommandable à son
parti , parce qu'il sçavoit passablement
lire et écrire , mérite d'autant plus révéré
dans ce pays -là , qu'il est rare surtout
parmi les gens du peuple.
,
Quand les Rébelles créerent des Officiers
dans les Troupes , pour remplacer
ceux qui n'avoient pas voulu être leurs
Complices , Mouslouh se nomma lui même
Kyaya du nouveau Janissaire Aga , ou
C iij
In88%
MERCURE DE FRANCE
;
Intendant de toutes les affaires de ce
General de l'Infanterie , qui fut élevé à
cette Charge Eminente d'une maniere
assez singuliere. Mehemet Aga , c'est le
nom de ce General , étoit un vieillard
qui de Janissaire étoit parvenu au Grade
d'Hassexi , qui est une espece de Prevôt
qu'il y a dans chaque Compagnie , et qui
est au rang des bas Officiers. Un poste si
modique ne lui fournissant pas dequoi
subsister , il faisoit le métier de Sellier
les Rébelles dans leur Conseil Payant
fait Janissaire Aga , il racommodoit une
vieille Selle lorsque leurs députez vinrent
lui annoncer son élection . Mes amis
leur dit- il , il faut que vous vous soyez
mépris , ou qu'on vous ait mal adressez , car
jefuis le Curé du quartier * ; cette profession
comme vous voyez , ne quadre point du tout
avec la Charge dont vous dites que vos
Messieurs m'ont honoré ; les députez en
convinrent , et en furent rendre compte
à leurs Chefs ; on rassembla le Conseil
une seconde fois , et toutes les voix ayant
encore été pour Mehemet Aga on le
renvoya chercher avec ordre de l'amener
de gré ou de force ; le bon homme fut
obligé d'obéïr , et avoua que ne se sentant
pas assez de force , pour se charger
d'un emploi d'un si grand poids , it
* Ou Iman d'une Mosquée.
>
s'étoit
AVRIL. 1731. 881
s'étoit avisé de feindre qu'il étoit Curé ,
dans l'esperance qu'on le laisseroit tranquille
; mais malgré sa modestie et sa
vieillesse , il donna pourtant dans la
suite des marques qu'il n'étoit pas indigne
de cette place , puisqu'on peut dire que
son activité , sa prudence , et sa fermeté ,
sauverent Constantinople d'une seconde
sédition , qui pensa s'allumer , comme
on le va voir au principal endroit où la
premiere avoit pris feu.
Les 14. 15. et 16. d'Octobre , les Rébelles
firent encore quelques désordres en
divers endroits. Un Emir, entre- autres , ce
dernier jour-là , marchanda quelques pieces
de drap chez un Grec au Bizestin , et
ne pouvant convenir de prix avec lui , le
menaça de le tuer ; le Grec effrayé cria
au secours , ferma sa boutique , les autres
Marchands en firent de même , et tout
alloit rentrer dans la confusion , quand le
Janissaire Aga arrivant à propos , se saisit
de l'Emir , et le fit executer sur le champ ;.
ce qui rassura tout le monde .
Ĉette nouvelle alla bientôt jusqu'au
Mufti, qui voyant avec douleur que le levain
de la révolte fermentoit toûjours, envoya
chercher Patrona - Kalil , Mouslouh
Aga , et quelques autres Chefs ; il leur dit ,
qu'il étoit vrai que la Patrie leur avoit l'obligation
de la liberté qu'elle commençoit
C iiij
182 MERCURE DE FRANCE
respirer , que le Grand - Seigneur reconnoissoit
pareillement qu'il leur étoit redevable
de son élevation au Trône ; mais
que de même , qu'ils ne pouvoient douter
par les graces que leur avoit fait Sa
Hautesse , qu'elle sçavoit récompenser les
bonnes actions , ils devoient craindre d'éprouver
qu'elle ne sçut aussi punir les
mauvaises ; que s'ils avoient bien fait d'abord
de prendre les armes pour détruire
un Ministre tiranique , ils faisoient trèsmal
à present de continuer à s'en servir ,
pour fomenter les troubles et la discorde
dans l'Etat ; puisqu'au lieu de le soulager
réellement , ce n'étoit que substituer aux
calamitez dont ils l'avoient délivrée , d'autres
calamitez encore plus affligeantes ;
qu'enfin s'ils ne se déterminoient à se retirer
paisiblement , où le devoir de chacun
les appelloit , ils alloient perdre nonseulement
tout le mérite du bien qu'ils
avoient procuré , mais que devenant des
objets d'indignation au Sultan , et d'horreur
à tout le peuple , la Cour et la Ville
agiroient de concert , et prendroient des
mesures pour les traitter avec autant de
rigueur , qu'ils avoient traité cux-mêmes
les derniers Ministres et leurs Suppôts
.
Patrona et les autres Chefs firent semblant
d'être touchez de ce que le Mufti
venoit
AVRIL 1731. 883
venoit de leur dire ; ils lui témoignerent
beaucoup de respect , et beaucoup de chagrin
du mal que quelques coquins , contre
leurs intentions, avoient pû faire ; enfin ils
lui promirent tout ce qu'il voulut exiger
d'eux , mais ils n'en continuerent pas
moins à se comporter avec leur audace
et leur insolence ordinaire.
Comme il n'est pas permis , sous quelque
prétexte que ce soit,de boire du vin , ni
de faire aucun désordre dans les Chambres
des Janissaires , ceux des Rébelles qui y
étoient rentrez , ainsi qu'on l'a dit , ne
pouvant s'assujettir long- temps à une discipline
si rigoureuse , prirent bientôt des
Maisons en Ville ; Patrona , entre plusieurs
qu'on lui offrit , donna la préference
à celle du Tefterdar , parce qu'elle est
voisine des cazernes des Janissaires.
>
Plus de 400. de ses camarades vinrent
se loger avec lui , ou aux environs . Là ses
Messieurs bien armez , se plongeant jour
et nuit dans toutes sortes de débauches
étoient ivres la plupart du tems ; il se rendirent
dans cet état à la Porte , s'asseyoient
d'eux-mêmes éfrontement auprès du Grand
Vizir ; lui demandoient des graces , ou
des emplois pour des créatures que leur
Chefhonoroit de sa protection , et ce Ministre
, au mépris de la justice et de sa dignité
, étoit forcé de déferer toûjours à
Cy leurs
884 MERCURE DE FRANCE
•
leurs requêtes , et sans délai . On ne finiroit
pas si on vouloit rapporter tous les traits
d'impudence de cette canaille ' ; mais en
voici un assez singulier. Après qu'on eut
étranglé le dernier Grand Vizir , Ibrahim
Pacha ,Mehemet-Pacha son fils, qui de même
que son Pere , étoit gendre du Sultan
Achmet , ayant été répudié par la Sultane sa
femme,et la Cour le regardant comme un
homme sans consequence , parce qu'il est
jeune , sujet à tomber du haut mal , d'un
esprit borné , et qui n'avoit eu aucune
partau Ministere ; le Grand Seigneur crut
que ce seroit assez punir ce malheureux
Pacha , en le releguant à Nicomédie avec
l'appanage de cette Ville pour sa subsistance.
La chose ne parut pourtant pas de même
aux Rébetles , qui trouvant au contraire
que cette peine étoit trop douce
Patrona vint déclarer au Grand Vizir que
les Agas et lui avoient jugé à propos d'exiler
Mehemet Pacha à Mouchkara , pour
y vivre des revenus que son Pere y avoit
laissez , et qu'il lui demandoit un ordre
pour cela ; le Ministre n'ayant garde de
rien refuser aux Agas , c'est -à-dire aux .
Chefs des Rébelles , l'ordre fut expedié et
executé aussi tôt.
,
Mais pour bien sentir le rafinement de
leurs vengeances contre Ibrahim dans
cette
AVRIL. 1731. 885
,
cette occasion , il faut sçavoir que Mouhs-
Kara étoit autrefois un mauvais Village
d'Asie , où ce grand homme étoit né d'un
pauvre Arménien
et qu'aspirant à immortaliser
son nom , comme il y seroit
parvenu , s'il eut plutôt fini ses jours , et
d'une mort naturelle , il avoit si fort orné
ce lieu , par les Colleges , les Mosquées
, les Bains , les Fontaines , les Kams ,
et autres Edifices publics et particuliers
qu'il y avoit fait bâtir durant son Viziariat
, que depuis quelques années on ne
l'appelloit plus que Neucheher , qui veut
dire nouvelle Ville ; or les Rébelles ne
voulant rien laisser subsister , autant qu'il
dépendroit d'eux , de tout ce qui pourroît
transmettre à la posterité , la memoire
d'Ibrahim , ordonnerent que tous ces
embellissemens fussent détruits , que Neucheher
redevint un miserable Village comme
il étoit auparavant, qu'il reprit son ancien
nom de Mouhs- Kara , et que l'infortuné
Mehemet y fut exilé pour toûjours
, afin qu'après avoir été le spectateur
de cette désolation , il n'eut continuellement
devant les yeux que des objets qui
pussent l'entretenir dans des réflexions
douloureuses , et qu'il ne lui restât
pour tout bien que les materiaux et
les décombres de cette Ville démolie.
C vj
Un
886 MERCURE DE FRANCE
h
Un Poste de Capidgy-Bachi étant venu
à vacquer , le G. V. en disposa en faveur
d'une de ses Créatures ; mais Patrona en
voulant disposer aussi , il fallut que ce
Ministre le donnât au Sujet presenté par
ce Rebelle , et qu'il révoquât la personne
qu'il en avoit déja pourvûë.
Un jour le G. V. tenant son Divan , fut
averti que Mouslouh , qui étoit déja ve
nu l'interrompre la veille à la même heure
, arrivoit chez lui avec un grand nom
bre de ses Agas ; il quitta d'abord le
Conseil , et vint le recevoir ; ils parlerent
pendant quelque temps tout bas ensemble
; ensuite ce Ministre passa chez le
G. S. et dans le temps que le Peuple assemblé
s'informoit avec empressement du
sujet de toutes ces démarches , on vit
sortir du Serrail un nouveau Kyaya nom .
mé Mustapha-Bey , lequel avoit été autrefois
Capigilar Kyayasy , ou Grand-
Maître des Ceremonies , et étoit depuis
peu Bujuk-Imbrahor , ou Grand- Ecuyer
du Sultan déposé. Son prédecesseur immédiat,
Nikdelihali- Aga , fut envoyé sur
le champ dans la Prison Bachbaki-Koulou
, c'est le Chef de ceux qui poursuipayement
des deniers dûs au Trévent
le
sor de l'Empire .
On rapporte plusieurs motifs de la disgrace
de ce dernier ; en premier lieu, que
s'étant
AVRIL. 1731. 887
s'étant livré aux conseils mal digerez d'un
de ses amis , il avoit formé le dessein de
détruire lui-même les Rebelles , et que
ceux - cy en ayant été informez , le prévinrent
et le firent déposer , comme on
vient de le dire , à la premiere requisition
de Mouslouh , Secondement cet hom- .
me étoit si avide , que sans être retenu.
par l'exemple récent et tragique de son
devancier , il prenoit de toutes mains et
avoit déja amassé plus de so . mille écus
en 15. jours seulement qu'il étoit en place.
On ajoûte à cela qu'on l'accusoit d'avoir
détourné des Effets de la succession
du feu G. V. Ibrahim , deux Ceintures
de diamans , un Couteau garni de diamans
et plus d'un million en argent.
Le 19. on fit dans le Serrail la paye de
deux quartiers aux Troupes , comme il
a été dit que le G. S. l'avoit ordonné
lorsqu'il leur accorda le present , et l'usage
étant aussi dans ces occasions qu'on
leur fasse manger le Pilau , Sa Hautesse
qui étoit venuë voir les sacs d'argent pour
la forme , commanda qu'on servît ce
Pilau dans des plats neufs , ne voulant
pas , dit-elle , que ce qui avoit été
employé sous le regne de son oncle le fût
encore sous le sien ; mais sur ce qu'on
lui représenta qu'il seroit impossible qu'on
f trouvât dans une matinée autant de vaisselle
888 MERCURE DE FRANCE
selle neuve qu'on en avoit besoin pour un
si grand nombre de personnes, elle répondit
qu'il falloit toûjours aller chercher
toute celle qu'on pourroit trouver , et
suppléer à ce qui en manqueroit par une
partie de la vieille qu'on feroit étammer
de nouveau , et cela fut executé avec une
promptitude dont il semble que les Turcs
seuls soient capables.
Comme on faisoit la paye , Patrona vint
au Serrail , il passa dans les rangs des
Janissaires , et les salua à droit et à
gauche
, et continua sa route jusqu'à l'Appartement
du G. S. La Validé ou Sultane
Mere , qui l'appelloit son second fils ,
parce qu'il avoit mis Sultan Mamouth sur
le Trône , fut quelque temps en conversation
avec lui , par l'organe d'un de ses
Eunuques, et lui donna 2000 Sequins , dont
il distribua la plus grande partie en sortant
aux Domestiques de cette Princesse.
Après la tenue du Divan , le G. V. revint
chez lui conferer la Principauté de
Valachie à Milka -Voda , qui avoit déja été
plusieurs fois Prince de Moldavie pendant
20. ans , et qui vivoit depuis quelques années
qu'on l'avoit déposé en simple Particulier
dans un Village du Canal de la
Mer Noire; il a succedé à Mauro-Cordato-
Roda , Prince d'un grand mérite , et sur
tout fort estimé pour son sçavoir , qui
mourut
AVRIL 1731. 889
mourut au commencement de Septembre
dernier.
Le Drogman de la Porte , à l'occasion
de cette ceremonie où il fallut qu'il assistât
, reçut un Caffetan , qui le confirmoit
dans son poste. Depuis le commencement
de la révolte il avoit toûjours
prié le G. V. de differer à lui faire cet
honneur , de crainte que les Rebelles le
voyant en fonction sous le nouveau Ministere
, comme sous l'ancien , ne le
fissent périr , ou n'exigeassent de lui des
sommes qu'il n'étoit pas en état de payer:
et de fait , Patrona l'ayant menacé en diverses
rencontres de le poignarder , il
n'osoit presque plus se montrer , et il fut
dans des frayeurs continuelles jusqu'au
jour que ce Barbare persecuteur de tous
ceux qui avoient eu part au dernier Gouvernement
, a subi lui- même la fin tragique
qu'il avoit déja fait souffrir aux uns ,
et qu'il destinoit encore aux autres .
Pour revenir à Milkavoda , sa Principauté
de Valachie lui avoit coûté 1500.
mille liv. sans compter les presens considerables
que suivant l'usage il avoit été
obligé de faire aux Ministres de la Porte ,
dès que lui , son fils et son Capy- Kyaya , *
* C'est un Homme d'Affaire , que les Princes
de Valachie et de Moldavie et même les Pachas
des Provinces entretiennent toûjours à la Porte
pour avoir soin de leurs interêts.
890 MERCURE DE FRANCE
eurent été revêtus du Cafetan d'honneur;
il fut conduit par les Principaux de la
Nation Grecque à leur Eglise Patriarchale ,
pour se faire reconnoître Prince . Le Patriarche
à la tête de son Clergé , vint le
recevoir à la Porte, et celebra la Messe en
habits Pontificaux , après quoi ce petit
Souverain s'embarqua dans un Bateau à
cinq paires de Rames , pour marque de
sa dignité , et retourna en pompe à son
Village.
Ce nouveau Prince fournit l'occasion
de parler ici d'un certain Manolaki, Grec
extrémement riche , et qui étoit Curtchi-
Bachi , ou Chef des Foureurs . Les Rebelles
, à cause des grandes liaisons qu'il
avoit eu avec Mehemet l'ancien Kyaya ,
l'ayant soupçonné d'avoir entre ses mains
beaucoup d'Effets de ce Ministre , furent
piller ses maisons , où ils ne le trouverent
pas. Il avoit d'abord pris la fuite et s'étoit
caché successivement en differens endroits,
d'où il faisoit agir secretement ses Emissaires
auprès de Patrona , pour avoir fa
permission de reparoître en sureté. On
prétend que ce dernier en reçut de grands
presens ; mais ces sortes de graces n'étoient
pas approuvées par ses Camarades ,
comme nous l'avons dit.
Le Curtchi- Bachi , qui vit que l'orage
qu'il croyoit avoir excité , étoit prêt à
tomber
AVRIL. 1731. 89 %
mer ,
tomber de nouveau sur sa tête , crut pouvoir
s'en garentir en se sauvant dans une
maison privilégiée , qu'il regardoit comme
un azile assuré pour lui ; mais malheureusement
peu de jours après on sçut
sa retraite , et la Porte l'ayant fait reclaon
ne put se dispenser de le re- .
mettre aussi-tôt à la Garde du Bostandgi-
Bachi , qui l'alla chercher. On le conduisit
et on le mit aux fers dans la Prison
du Bach-Baks -Coulou. Il fut interrogé
sur les biens du Kyaya , qu'on prétendoit
qu'il avoit en dépôt ; il répondit qu'il
n'en avoit qu'une petite cassette pleine
de papiers , que ce Ministre lui remit luimême
le jour de la révolte , parmi lesquels
on trouveroit un Etat détaillé de
toutes les affaires du Kyaya , qui faisoit
foi de la verité de sa déposition. Il ajoûta
que quant à lui , Curtchi - Bachi , il ne
désavoüoit pas qu'il ne fût fort opulent
, mais que ces richesses lui étoient
venues ou des heritages de sa famille ou
des gains legitimes qu'il faisoit depuis
long - temps dans son commerce de Pelleterie,
et que si quelqu'un pouvoit lui prouver
qu'il eût jamais rien pris injustement , il
étoit prêt à le restituer au triple. Par ces
raisons , appuyées de beaucoup d'argent
I qu'il fit glisser sous main à ceux qui le
pouvoient tirer d'embarras , il avoit enfin
recouvre
892 MERCURE DE FRANCE
recouvré sa liberté , lorsque notre nouveau
Prince venant à la traverse , l'accusa
à la Porte de lui avoir pris des sommes
considerables , dans le temps que lui Mikal
, étoit Prince de Moldavie , et que
Manolaki étoit dans la grande faveur du
Kyaya , et c'en fut assez pour que l'on
le remenât à la même Prison , d'où il sortit
pourtant cinq semaines après.
Le 23. le G. S. déposa Mengheli Chiray ,
Kam des Tartares de Crimée , et lui nomma
pour successeur son frere Kaplan-
Chiray , homme de tête et de coeur , et
qui avoit déja occupé ce Trône autrefois.
S. H. lui envoya son Grand - Ecuyer à
Brousse , où il étoit en exil , pour lui
annoncer cette agréable nouvelle , et une
Galere à Modenia , Port d'Asie , à une
journée de Brousse , pour le transporter à
Constantinople.
Ce Prince y étant arrivé le 31. Octobre
, on fit aussi- tôt publier une deffense
aux femmes et aux enfans de paroître dans
les rues , de peur que la curiosité ne les
y attirant pour voir son Entrée , il n'ar- ·
rivât quelques desordres. La Cour le logea
dans un Serrail du deffunt Kyaya . Le
6. Novembre il fut rendre visite au G. V.
qui le mena après chez le Sultan . S. H.
lui fit un gracieux accueil , et le fit revêtir
d'une Pelice de Martre Zibeline ; elle lui
4
1
fit
AVRIL. 1731 . 893
fit aussi donner un Cheval de son Ecurie
magnifiquement harnaché ; on le reconduisit
ensuite en ceremonie à son Palais ;
et dès le même jour le G. V. et les principaux
Ministres le vinrent voir, et lui firent
de magnifiques presens.
Le 24. on tint plusieurs Conseils sur
ce qu'il y avoit à faire pour parvenir à
dissiper les Rebelles. Il fut arrêté de leur
proposer , et on leur proposa en effet de
se retirer sur telle Frontiere de l'Empire
qu'ils voudroient ; bien loin de gouter
cette proposition , ils demanderent que
le G. V. fut déposé ; mais Mouslouh Aga,
qui n'étoit pas d'abord avec eux , arriva
et les fit changer de sentiment .
Le lendemain ils se présenterent au
Serrail en plus grand nombre que la veille
, ils se plaignirent de ce qu'on continuoit
à conserver et à rétablir des personnes
indignes des places qu'on leur faisoit
occuper , comme Mehemet-Effendi ,
ancien Reys Effendy , que la Porte venoit
de faire Dester - Emini , ou Gardien des
Registres de l'Empire pour ce qui regarde
les Troupes , et par le canal duquel les
Pensions Militaires s'obtiennent . Îls ajoûterent
qu'ils voyoient bien qu'on avoit
envie de faire revivre la derniere administration
, mais qu'ils y mettroient bon
ordre.
On
894 MERCURE DE FRANCE
On ne peut éviter de faire ici une disgression
sur les diverses agitations que
souffrit la fortune de ce Ministre pendant
la Révolte. Après avoir été caché les premiers
jours , il reparoît à la Cour tout
d'un coup , s'étant accommodé avec Patrona
; mais les autres Rebelles ayant
trouvé cela mauvais , il fut contraint de
s'éclipser de nouveau . Ensuite par le
moyen d'un Emir qui lui avoit obligation
et qui étoit intime ami de Mouslouh
il eut la liberté de revenir chez lui ,
pourvû qu'il ne fréquentât qui que ce
fût de dehors.
Le Kyaya-Nikdeli- Ali - Aga , dont nous
avons parlé , fâché de ce que cet ancien
Secretaire d'Etat qu'il n'aimoit pas , et dont
la capacité lui faisoit ombrage , n'eut pas
péri comme les autres , résolut de le perdre.
Pour y parvenir il lui fit faire des
complimens de félicitation , il le fit prier
avec les instances les plus vives de revenir
à la Porte , où l'on ne pouvoit , disoitil
, se passer de son secours , sur tout par
rapport aux affaires de Perse , que personne
ne possedoit comme lui.
Le vieux Mehemet-Effendi , fit rendre
mille graces au Kyaya , de toutes ses politesses
, et de l'opinion avantageuse qu'il
témoignoit avoir de son peu de lumieres ;
mais il le fit prier à même- temps de le
"
1
disAVRIL.
1731. 895
dispenser de se plus mêler de rien , s'en
excusant sur son grand âge et sur ses
infirmitez , qui le rendoient incapable
d'aucune application.
-
Le Kyaya voyant qu'il ne pouvoit attirer
tout seul son Ennemi dans le piege,
fit agir le G. V. qui envoya un ordre à
Mehemet Effendi de se rendre à la
-Porte ; il fallut obéïr ; il y fut donc , on
l'accabla de caresses chez ces deux Ministres
, et au bout de quelques jours le
G. S. le fit Defter Emini.
Le Kyaya sçavoit bien que les Rebelles
ne le souffriroient pas long- temps dans ce
poste ,aussi ne tarderent- ils pas long- temps
à s'en plaindre , comme nous l'avons rapporté
; on tint Conseil sur leurs menaces;
et pour en prévenir les effets , on déposa
plusieurs Officiers , dont Mehemet- Effendi
fut du nombre , et de plus exilé à
Tenedos.
Mais à peine étoit- il parti , que le reconnoissant
Emir qui l'avoit déja si bien
servi , s'employa une seconde fois en sa
faveur auprès de Mouslouh , et obtint
son rappel , desorte qu'il revint encore
dans sa maison , mais toûjours sous la
condition de ne communiquer avec personne
, ce qu'il observa fidelement jusqu'à
l'entiere abolition des Rebelles ,
Revenons à ces derniers ; après qu'ils
eurent
896 MERCURE DE FRANCE
eurent marqué leur mécontentement à la
Porte , de ce qu'on employoit encore des
proscrits , ils demanderent que Ruslan-
Pacha , qu'ils avoient fait venir de Bosnie ,
fut nommé General de l'Armée de Perse.
Le G. S. y consentit , moyennant qu'ils
voulussent y suivre ce Pacha. Ils promirent
de le faire ; mais comme ils ne cherchoient
qu'à amuser S. H. , cela n'empêcha
pas qu'ils ne fissent entre- eux les jours
suivans de nouvelles assemblées , et qu'ils
ne parussent à la Porte le 29. pour y demander
que Patrona-Kalil fût fait Capi- ,
tan Pacha , le Janissaire Aga G. V. et que
Mouslouh eût la Charge de ce dernier.
La Cour surprise au dernier point de ce
nouveau trait de la teméraire audace des
Rebelles , ne pût se persuader qu'ils se
portassent d'eux-mêmes à des prétentions
si déraisonnables , et crut que quelques
Gens de Loi , qui étoient très- suspects au
Gouvernement , étoient les secrets Promoteurs
de toutes leurs démarches outrées.
Elle jetta d'abord tous ses soupçons
sur Zulalizade-Effendi , Kadilesker d'Asie,
en exercice .
On se rappella , 1 ° . qu'Achmet III.
étant encore sur le Trône , avoit reproché
en face à ce Kadilisker , qu'il étoit
un traître et un des principaux Auteurs
de la premiere Révolte ; que celui- cy au
lieu
AVRIL. 1731. 897
lieu de se disculper de cette accusation ,
avoit reproché à son tour au G. S. que
depuis long- temps il étoit déchu de la
Souveraineté , et que du moment même
qu'il signa le Traité de Passorouvits , par
lequel il avoit cedé honteusement Bellegrade
aux Allemans , il ne l'avoit plus
consideré comme Empereur.
2º. Qu'Achmet ayant assemblé les
Gens de Loy pour les consulter sur les
moyens de conserver la vie à son G. V.
il lui avoit dit que les séditieux lui demandoient
trois personnes , le Vizir , le
Kyaya et le Capitan - Pacha . Qu'à l'égard
des deux derniers il consentoit à les leur
abandonner , mais que pour Ibrahim , il
vouloit tâcher de le sauver ; qu'il étoit
même dans le dessein d'écrire aux Rebelles
pour en obtenir la grace , et que
cependant il souhaitoit auparavant qu'ils
lui dissent leur avis là- dessus ; que Zulali
Zadé prenant alors la parole , avoit répondu
au Sultan qu'il entreprenoit là une
chose bien difficile , et que le mal étoit
devenu trop grand pour pouvoir y porter
du remede ; que le G. V. ayant aussi voulu
hazarder son avis , ce Kadilisker l'interrompit
, et s'emportant comme
furieux , lui dit qu'il étoit réprouvé des
hommes et de Dieu , et qu'un méchant
comme lui méritoit la mort la plus
igno398
MERCURE DE FRANCE
> ignominieuse. Sur quoi Ibrahim sans
rien répliquer , se leva , les larmes aux
yeux , et se retira . Que le G. S. outré de
douleur et de dépit , s'étoit pareillement
levé et avoit dit au Kadilesker, que puisque
tout étoit désesperé , qu'il rendît
donc sa Sentence de mort contre le Visir
comme contre les deux autres , ce que
Zulalizadé avoit fait sur le champ.
Ces refléxions et plusieurs autres du
Sultan et de ses Ministres , sur le procedé ,
dace Kadilesker , firent regarder comme
des preuves les indices qu'on avoit de ses
pratiques avec les Rebelles ; mais comme
on n'avoit pas encore pris les arrangemens
necessaires pour leur châtiment et
leur destruction , on se contenta de répondre
qu'on ne pouvoit leur accorder
les changemens qu'ils demandoient qu'on
fit dans le Ministere .
Lc 2. Novembre le G. S. donna un
Katcherif, qui leur enjoignit de prendre
bien garde de faire aucun desordre ; S. H.
étant résoluë de punir de mort tous ceux
qui en seroient coupables ; et comme ils
s'étoient distinguez de ses autres Sujets
en portant des Turbans rouges , ce qui
ne faisoit qu'entretenir la division et l'esprit
de parti dans Constantinople , elles
prétendoient qu'ils en prissent chacun de
conformes à leurs differentes Professions,
#
(
= afin
AVRI L. 1731. 899
afin que rien ne démentît en cux l'obéi'ssance
et la fidelité qu'ils devoient.
Les Rebelles firent honneur au Katcherif
, quant à ce dernier article qui ne
regardoit qu'une soumission exterieure
mais quant à ce premier qui touchoit à
la réforme de leur conduite , ils ne tarderent
pas à marquer qu'elle étoit toûjours
la même.
Patrona Kalil , refléchissant dans sa
haute prosperité , qu'il avoit fait du bien.
à tous ceux à qui il avoit obligation ,
excepté à un Boucher Grec nommé Tanaki
, lequel s'étoit avanturé de lui fournir
abondamment , tant à lui qu'à ses Camarades
, d'excellente viande , lorsqu'ils
étoient campez à Etmeïdan , et que cet
homme d'ailleurs lui avoit autrefois prêté
deux écus dont il avoit eu la discretion
de ne lui jamais parler , il l'envoya chercher
, et lui dit : qu'étant très sensible à
l'assistance qu'il avoit reçûë de lui , il
vouloit lui en témoigner sa reconnoissance
d'une maniere autentique. Il lui fic
d'abord present de 1000. Sequins , valant
près de 1oooo. liv. puis lui dit, en riant :
Ne vous souciez- vous pas de vivre plus
Long-temps que moi ; Yanaki répondit aussitôt
, que , lui mort , il ne se soucioit plus
de la vie. He bien, puisque cela est ainsi,
reprit Patrona , charmé de cette réponse :
D dites
goo MERCURE DE FRANCE .
dites-moi ce que vous souhaitez que je fasse
pour vous , et soyez sûr de l'obtenir. Alors
mille désirs confus s'élevant dans le coeur
du Boucher , et ne sçachant auquel s'arrêter,
il dit à son Bien- faicteur : Que pour
le present il ne sçavoir que lui demander ,
mais qu'il alloit consulter ses amis , et qu'il
lui rendroit bien tôt réponse. Yanaki fut
trouver le Kasab- Bachy , qui est comme
le Fermier ou Inspecteur general des
Boucheries ; et après lui avoir exposé sa
bonne fortune : Que me conseillez vous ,
lui dit-il , j'ai envie de porter Patrona
qu'il fasse revivre en ma faveur la Charge
de Surdgy- Bachi , * qu'on a supprimée,
elle est de mon état et j'en connois tout
l'exercice . Celui- cy qui vie qu'il alloit per
dre la plus grande partie de ses droits ,
si cette Charge dont il avoit réüni les
fonctions à la sienne , étoit rétablie , répondit
au Boucher : Vous n'y pensez past
à quoi vous amusez vous ? votre Protecteur
est tout-puissant , il vous met en état par
ses offres et par son crédit , d'aspirer aux
Postes les plus brillans , et vous allez vous
borner à une petite Charge de rien , sou-
* C'étoit une Ferme et en même temps une Ingpection
sur les Boeufs , Moutons , &c. à peu près
comme la Ferme du Pied- Fourché à Paris , et
qui rapportoit au Fermier par an environ 106.
mille livres.
vent
AVRIL: 1731 .
vent même plus ruineuse que lucrative :
Que lui demanderai- je donc? Demandez
lui , reprit l'autre , qu'ils vous fasse Prin
ce de Moldavie ; et si vous n'avez pas assez
d'argent pour payer cette Principauté
, que cela ne vous embarrasse pas , je
vous fournirai tout ce qu'il vous en faudra.
La vanité qui est comme incarnée chez
les Grecs , tourna en un moment si bien
la cervele à celui-ci , qu'oubliant la dis
tance de sa bassesse , au rang qu'on lui
proposoit , il s'en revint chez Patrona , et
-lui dit que puisque l'affection dont il
l'honoroit étoit sans égale , et qu'il avoit
tout pouvoir dans l'Empire , il le prioit
de le faire Prince de Moldavie . Soit , ré-
-pondit Patrona , et sur le champ , il l'en
voya avec un de ses gens chez le G. V.
Ce Ministre étonné d'une pareille proposition
, resta muet quelque-tems ; ensuite
reprenant ses esprits , il dit que ce que deamandoit
l'Aga Patrona étoit impossible
qu'on ne nommoit à ces sortes de Principautez
que des gens de naissance , ou qui
avoient rendu de grands services à l'Etat ,
qu'outre que le sujet qu'on lui présentoit
, n'étoit dans l'un ni dans l'autre cas ,
'Empereur n'ayant confirmé que depuis
quatre jours Gregorasko - Ghika , dans sa
Principauté , il n'étoit ni de l'honneur ,
Dij
ni
jo MERCURE DE FRANCE
ni de la justice de Sa Hautesse , de déposer
ce Prince , dont elle étoit satisfaite , pour
mettre un vil Artisan à sa place.
pas
Le tout ayant été rapporté à Patrona :
Bon, bon , voilà de belles raisons , dit- il ,
qu'est-ce que cela signifie ? Gregorasko
n'est- il pas Dgiaour ? Yanaki n'est- il
Dgiaour aussi ? Que l'un ou l'autre
soit Prince , n'est - ce pas toujours
la même chose ? En un mot , je veux que
mon ami soit préferé. Là- dessus il renvoya
le Boucher au G. V. et le fit accom-
Mouslouh.
pagner par
it
Ce second Chef parla si haut , que le
Gr. V. ne sçachant plus quel parti prendre
, dit qu'une affaire de cette importance
ne dépendoit pas de lui , qu'il alloit
la communiquer au Sultan , et sçavoir sa
volonté : Allez donc , répondit Mouslouh,
mais songez toujours à complaire à Pafrona.
Le G. S. ne fut pas moins surpris , ni
indigné que l'avoit été son Vizir ; cependant
, jugeant bien que dans peu tout
changeroit de face , et qu'on seroit alors
en état de faire payer cherement au Bou
cher et à son protecteur leur impudence ;
il dit à son Ministre qu'il n'y avoit qu'à
les contenter. Ainsi maître Yanaky fut
revêtu du Caftan de Prince de Moldavie
le 2 Novembre et reçût tous les au-
?
tres
་
{
AVRIL. 1731. 903
tres honneurs usitez en pareille occasion
tant à la Porte , qu'à l'Eglise Patriar
chale .
Ce fut un coup de foudre pour la Nation
Grecque l'orgueil humilié , et le désespoir
étoient peints sur tous les visages
pendant la cérémonie , à laquelle il fallut
que le Drogman de la Porte eut la mortification
d'assister. Comme c'est un fort
honnête homme , tout le monde prit
part au juste chagrin qu'il avoit d'être
obligé par le devoir de sa Charge de concourir
, quoi qu'indirectement,à la déposition
de son propre frere , que le Boy
Yanaky alloit relever.
Mais la grandeur de ce Prince-Boucher
passa comme un songe; il ne pût parvenir à
ramasser que 30 Bourses,qu'il donna , et qui
furent perdues,au lieu de près d'un million
dont il avoit besoin , pour satisfaire la Porte
et ses Ministres , ainsi que Patrona qui lui
demandoit 60 Bourses , et les autres Agas
qui en vouloient avoir presque autant. Le
Kasab- Bachi , qui ne lui avoit offert de luimême
son secours , que pour l'engager
dans ce mauvais pas , et l'y laisser , s'éclipsa
subitement , et Patrona même , son
zelé protecteur , en apparence , l'ayant
fait Prince moins par reconnoissance
que pour son interêt particulier , et pour
braver le G. S. en faisant parade de son
Diij -au-
,
904 MERCURE DE FRANCE
autorité , l'abandonna comme l'autre; ensorte
que ce Prince , en idée , au lieu d'être
conduit pompeusement auTrône,fut traî
né honteusement en prison , où nous le
laisserons déplorer sa folie , jusqu'à ce
qu'une plus grande punition l'en tire.
Le même jour , 2 Novembre , l'Ambassadeur
de France étant allé rendre sa
premiere visite à Kafis - Mehemet , noųveau
Capitan- Pacha , pour le complimen
ter sur són Avenement à cette dignité ;
le Janis aire Aga se figura que les Ministres
Etrangers en devoient faire autant à
son égard. Il envoya chercher un Drogman
au Palais de France , et lui demanda
pourquoi son Ambassadeur ne l'étoit pas.
venu voir , comme c'étoit l'usage . Le
Drogman lui répondit , qu'on l'avoit sans
doute mal informé , puisque cela ne s'étoit
jamais pratiqué envers les Janissaires.
Agas , et que sûrement son Ambassadeur
n'établiroit pas cette nouveauté. On conduisit
ensuite le Drogman chez Mouslouh
, qui s'étoit fait de lui-même , comme
on a dit , Kyaya de ce General de
P'Infanterie il dit à ce Drogman' que
puisque l'Ambassadeur de France ne vou
loit pas venir voir con Maître , il devoit
au moins envoyer à lui Kyaya , les présens
usitez. Je ne sç che pas, répondit l'In
terprete , que les Ambassadenrs de Fran-
:
AVRIL. 1731. 905
"
ce en ayent jamais fait aux Agas des Janissaires
, ni à leurs Kyayas ; cependant ,
ajouta- t-il , j'en parlerai à son Excellence.
Je vous en prie , répliqua Mouslouh ;
car après tout , il me semble que le bon
ordre que j'ai fait observer pendant les
troubles , mérite bien quelque récompense.
Le 5. il y eut une grande altercation
entre les Serdingueschtis , et les plus anciens
Officiers et Soldats des Janissaires.
Un de ces premiers prit querelle avec un
Capitaine de cette Milice , et le tua, Ceçte
action irrita si fort les Janissaires, qu'ils
furent en grand nombre s'artrouper à
Orta-Dgiani , Mosquée où les Janissaires
tiennent leurs Assemblées tumultueuses ,
et ils convinrent entr'eux de chasser de
leurs chambres tous les enfans perdus .
Ils en étoient sur cette déliberation
quand Patrona , qui avoit été averti du
tumulte , arriva avec une vingtaine des
siens , et leur ayant demandé , comme
s'il l'avoit ignoré le sujet de leur assemblée
, un Hoda -Bachi , de la 32 Compa
gnie , ou Chef de chambrée , prenant la
parole , lui répondit qu'ils s'étoient assemblez
dans le dessein de n'avoir plus
aucune societé avec ses camarades qui
deshonoroient journellement leur Corps ,
par leurs crimes , et que s'il ne se rangeoit
>
Dij lui
906 MERCURE DE FRANCE
>
>
3
>
lui même à son devoir , on lui feroit un
mauvais parti. Patrona répliqua qu'il ne
les craignoit guéres , que s'ils étoient assez
hardis pour venir l'attaquer lui et ses
gens , qu'ils trouveroient à qui parler , et
qu'il avoit dans Constantinople 12000.
Albanois prêts à se joindre à lui. Quand
tu ferois venir toute l'Albanie à ton secours
répondit courageusement Lodabach
- nous ne l'èn exterminerions pas moins toi et
les tiens . Mon ami , répondit Patrona
vous avez tort de vous emporter contre moi
puisque je ne fais de mal à personne. Il ne
suffit pas,dit alors cet Officier,que tu nefasse
point de mal, il ne te convient pas non plus,
comme tu fais , de te mêler des affaires de
Etat. Il semble à te voirfourrer le nez par
tout , que le Sultan et son Vizir ayent besoin
de tes lumieres pour se conduire. Si tu es Janissaire
, tu dois te comporter en Janissaire ,
et non pas en Ministre , ni le laisser faire
à ton camarade Mouslouh , qui vient tous
les jours à la Porte avec autant de faste et de
fierté que le défunt Kyaya. Mais , interrompit
Patrona , si je ne m'informe pas de
ce qui se passe , il arrivera infailliblement
qu'on remettra en place des infames qui renouvelleront
la tiranie du dernier
gouvernement
; tous les mouvemens que je me donne
n'ont d'autre objet que de procurer le soulagement
du peuple. Ce n'est pas d'un homme tel
C
que
1
1
1
AVRIL. 1731 .
907
que toi , répondirent plusieurs Janissaires ,
que le peuple doit attendre du soulagement ;
notre Empereur est assez juste et assez éclairé
pour gouverner et pour rendre ses sujets beureux
; c'est à lui feul à disposer des emplois
et des Charges en faveur de ceux qu'il croit
les mériter quant à nous , ce que nous
avons à défirer , c'est qu'il régne , et qu'il
vive long- tems , et qu'on nous paye toujours
avec exactitude ; nous n'avons jusqu'à présent
qu'à nous louerde ce côté-là , aussi -bien
que
des liberalitez de S. H. Ce seroit nous
en rendre tout-àfait indignes , si notre Corps
qui est le plus ancien et le plus illustre de l'Etat,
souffroit qu'un Particulier , quel qu'il pût
être , osat s'ingerer de partager l'authorité
fouveraine.
>
Ainsi , continuerent-ils , s'adressant toujours
à Patrona nous te donnons encore
trois jours , pour réduire , on dissiper tes
gens ; si ce terme expiré nous entendons encore
parler de quelques désordres de leur part ,
nous ferons main basse sur eux par tout où
nous les trouverons . Ces dernieres paroles ,
prononcées d'une voix plus forte , finirent
l'Assemblée , et on se sépara.
Quoique Patrona fut un déterminé , et
qu'il ne craignît pas que les Janissaires ,
parmi lesquels il étoit sûr d'avoir encore
un gros parti , missent à exécution leurs
menaces , il ne laissa pourtant pas de com-
DY prendre
908 MERCURE DE FRANCE
prendre par le discours qu'on lui avoit tenu
, que les esprits étoient fort échaufez
contre lui , et qu'il avoit plus d'ennemis
qu'il ne croyoit. Pour s'en mieux éclaircir
, il fut voir Damud- Zadé , ancien Kadelisker
, qui le reçût froidement , et même
avec mépris . Nonobstant cet accueil
peu favorable , il ne se rebuta point , et
faisant tomber la conversation sur tout ce
qui s'étoit passé , il dit à cet Effendi d'un
ton hypocrite , qu'il n'avoit pris les armes
que pour la cause commune , que
Dieu avoit bien voulu se servir de son foible
bras pour tirer le peuple Musulman
de l'oppression du précédent Ministere
et que lui-même Damudzadé , étant un
personage saint et éclairé , et qui pouvoit
Tire jusques dans les replis les plus secrets
de son coeur , il lui étoit aisé de reconnoître
que ses intentions avoient été bon
nes. Cependant , ajoûta -t- il , en soupirant ,
je trouve tous les jours en mon chemin de manvais
esprits , qui donnent des interprétations
criminelles à tout ce que je fais , et qui ne
travaillent qu'à me noircir auprès de mon
Empereur , pour lequel j'ai tant de fois exposé
ma vie. Souffrez , grand Effendi , queje
vous demande votre protection contre eux s'ils
continuent à me calomnier dans l'esprit de Sa:
Hautesse.
Damudzadé , qui est effectivement un
hom
AVRIL. 1731. ୨୦୨
Homme de beaucoup de merite , et surtout
plein de droiture , lui répondit qu'il
ne rougiroit jamais de dire la verité , et
qu'ayant le mensonge en horreur , il pouvoit
s'assurer que quand on lui demande
roit ce qu'il pense sur son compte , il le
diroit sans le moindre déguisement.
Patrona dont la curiosité n'eut pas
trop lieu d'être satisfaite par cette réponse
ambigue , affecta pourtant d'en être fort
content , comme si le Kadilesker ne pou
voit que parler avantageusement de lui ,
il lui baisa la main , se retira , et répandit
en sortant une poignée de Seguins à ses
Domestiques. Damudzade Payant appris,
ordonna que tous ceux qui en avoient
tamassez les jettassent dans la Mer devant
lui , et regardant Patrona comme un scelerat
, dont la seule présence avoit souillé
sa maison , il fit balayer et froter par tout
sur le champ où il avoir mis les pieds.
Le 10 Novembre , le G. S. déposa Kafis-
Mehemet Pacha , de la Charge de Ca
pitan-Pacha , et l'honora en échange d'une
Pelisse de Martre- Zibeline, et du Gouver
nement de Seyde , que son pere avoit eu
autrefois ; mais soir que les Rebelles entrevissent
une partie de ce qu'ils avoient
à craindre de la réputation et de la capacité
de Codgea Dgianon , qu'on
attendoit et auquel ils soupçonnoient
D vj
*
-
qu'on
910 MERCURE DE FRANCE:
qu'on destinoit cette importante Charge
ou soit que Patrona qui la briguoit pour
lui-même , voulut en éloigner un concurrent
si redoutable , ils firent tant de bruit
de la déposition de Kafis -Mehemet , que
la Cour , pour les leurrer , le rétablit dès
le lendemain.
On prétend que ce dernier avoit d'abord
sollicité les Rebelles , afin d'empê
cher qu'on ne le dépouillât de cette dignité
, mais que dans la suite , voyant d'un
côté que Patrona y aspiroit , et que de
l'autre Sa Hautesse faisoit venir Dgiannum-
Codgea pour la lui donner , il demanda
secretement à la Porte sa démission
lui- même , et le Pachalik de Seyde ,
ce qu'il obtint aisément par l'entremise
du nouveau Kam des Tartares , dont son
pere avoit été esclave ; de sorte que quoi-
Kafis-Mehemet revint à l'Arsenal le
lendemain avec tous ses effets , qu'il en
ayoit déja fait enlever la veille , et qu'il
y reçût les complimens de tous les Officiers
de la Marine sur son rétablissement
il n'exerça pourtant plus le Generalat de
la Mer que par intern , et jusqu'au 21
jour que Dgiannum. Codgea en prit posque
session.
Comme il étoit impossible que les affaires
subsistassent encore long- tems dans
la confusion , où la continuation de la Ré-
7
volte
AVRIL. 1731. gif
volte les avoit mises , et qu'il falloit
ou qu'elles bouleversassent totalement
l'Etat , ou qu'elles reprissent leurs cours
ordinaires , la Cour et les Rebelles , chacun
suivant ses differentes vuës , songerent
à appliquer les remedes convenables au
mal.
,
>
Les Chefs de ceux-ci voyant bien que
pour se maintenir dans l'autorité , qu'ils
avoient commencé d'usurper , il leur étoit
essentiel de ne point abandonner le séjour
de Constantinople , et de s'y fixer au contraire
, en partageant entr'eux les principaux
emplois de l'Empire. Ils tinrent un
Conseil le 16 Novembre , et convinrent
qu'il falloit d'abord faire élire Mouslouh ,
Koul - Kyassi
ou Lieutenant General
des Janissaires ; mais prévoyant qu'ils
y trouveroient de grands obstacles , parl'on
ne parvient d'ordinaire à ce
Grade qu'après avoir passé par tous les
autres qui lui sont inferieurs , tellement
que celui qui y arrive est toujours un homme
respectable par son âge et par son experience
, et que Mouslouh n'étant qu'un
homme de rien , de 25 à 30 ans , et simple
Janissaire , n'avoit aucune des qualitez
requises , ils eurent recours à l'argent ,
qui , en Turquie , applanit presque toutes
les difficultez .
ce que
Ils firent distribuer so mille Piastres
aux
912 MERCURE DE FRANCE
>
aux plus anciens et plus accréditez des
Janissaires , et leur firent entendre que
s'ils vouloient favoriser l'Election deMous
Jouh , il leur feroit payer le présent de la
Reine - Mere. Pour l'intelligence de ce fait,
il est nécessaire de dire que cette Princesse
, dans les premiers transports de sa
joye , de voir son fils Mahmout sur le
Trône avoit promis aux Troupes , qui
lui en avoient frayé la route , une récompence
de cinq écus à chaque Soldat , mais
que quelque tems après , les refléxions
lui ayant fait trouver cette promesse in
considerée , elle ne parla plus de l'executer
, soit qu'elle n'eut pas assez de fond
Pour y satisfaire ou que le Kislar-
Aga , qui a beaucoup d'empire sur soir
esprit , l'en détournất , en lui
tant que l'Empereur avoit assez marqué
sa reconnoissance aux Milices par les grandes
liberalitez qu'il leur avoit faites , sans
qu'elle y en ajoûtât de son chef qui n'étoient
point d'usage.
} ›
represen-
Quoiqu'il en soit de ces conseils , ils
penserent causer la perte du Kislar-Aga
Les Janissaires vouloient qu'il fut déposé
et murmuroient hautement contre la Va
lidé , regardant ce qu'elle leur avoir
promis , non comme une grace , mais
comme une dette , dont elle ne pouvoit
se dispenser de s'acquitter ; ainsi , ceux
*
2
AVRIL 1731. 913
aqui les so mille écus des Rebelles furent
partagez , consentirent volontiers à
l'élection de Mouslouh ; ceux qui n'en eurent
rien ne lui en donnerent pas moins
leurs voix , parce que les uns et les autres
esperoient que dès qu'il les auroit fair
payer de ce présent , ils se déferoient de
lui sans peine , et nommeroient à sa place
le plus digne de leurs Officiers.
Les esprits préparez de la sorte , Mouslouh
fut chez le G. V. le 18. lui demander
le Caftan pour la Charge de Koul-
Kyassy. Le Ministre le lui refusa , disant
qu'il n'étoit ni d'un rang , ni d'une ancienneté
à y prétendre , que le Corps des
Janissaires ne le soufriroit jamais , et que
l'Empereur ne pouvoit sans blesser sa dignité
et sa ju tice , instaler dans un poste
si considérable quelqu'un qui ne fut pas
au gré de ce Corps. Ce Rebelle répondit
sans se rebuter , qu'il avoit pourvû à
tout , qu'il lui donnât seulement le Cafetan
, sans s'embarasser du reste. Le G. V.
s'obstinant à le lui refuser , Mouslouh le
quitta fort irrité.
Dès que ses Camarades sçûrent le peu
de succès de sa négociation , ils jurerent
avec lui de se vanger du G. V. et s'en fu
rent comme des forcenez , au nombre d'une
trentaine , chez le Kam des Tartares ,
ils lui déclarerent absolument qu'ils vou
loient
914 MERCURE DE FRANCE
loient que Mouslouh fut Koul- Kyasty , et
lui firent entendre que si leG.V.continuoit
dans ses refus , ce Ministre ne le porteroit
pas loin. Ce Prince vit bien à leur air
qu'ils seroient gens à tenir parole , et qu qu'il
étoit de la prudence de céder au torrent ,
jusqu'à ce qu'on pût lui opposer une Digue.
Il les appaisa de son mieux , leur dit
qu'il alloit de ce pas à la Porte , que ne
doutant point que le G. V. ne se conformât
aux representations qu'il lui feroit
ils pouvoient compter d'avance , qu'il
leur obtiendroit ce qu'ils souhaittoient.
Il courut effectivement chez le G. V.
et après lui avoir exposé en peu de mots
le sujet de sa visite : A quoi pensez - vous ,
lui dit- il , de vous roidir contre ces coquinslà
, ne voyez- vous pas qu'ils travaillent euxmêmes
à leur perte , et que plus ils se rendent
odieux aux Troupes et au et au Peuple .
plus ils vous préparent de facilité à les détruire
: Croiez-moi , ajoûta -t- il , donnez à
Mousloub , non -seulement la Charge qu'il
vous demande , mais une plus éminente encore
, s'il vous en témoigne la moindre envie ;
il n'en jouira pas assez long-tems pour que
votre complaisance en cette occasion vous soit
jamais un motifde repentir.
Le Vizir entra dans ses raisons ; ils passerent
ensemble chez le G. S. et S. H. s'en
rapportant à leurs avis , on envoya chercher
AVRIL. 1731. 915
cher Mouslouh; cet orgüeilleux et insolent
Rebelle , se rendit à la Porte avec une măgnificence
et un Equipage de Pacha à
trois queues,on le revêtit du Cafetan , qui
le faisoit Koul-Kyassy ; après quoi il s'en
retourna triomphant à son Palais , où ses
Confreres et ceux qui le craignoient , vinrent
le feliciter sur les faveurs qu'il avoit
reçûës , poussant la flaterie jusqu'à lui dire
qu'elles étoient encore fort au- dessous de
son mérite.
Ce premier coup frappé , les Rebelles
s'assemblerent le 19 , et remirent sur le
tapis leur ancien projet , de faire Patrona
Capitan - Pacha , Mouslouh Janissaire-
Aga , et le Janissaire- Aga Grand-Vizir :
moyennant cela , dirent-ils , nous serons
entierement les maîtres, et ils raisonnoient
fort juste , car ils avoient dans leur Cabale
plusieursGens deLoy d'un grand pouvoir :
entr'autres , le Zulali-Kadé Kadilesker
d'Asie , et Abdollah- Effendi , Lieutenant
General de Police , dont on a parlé. Quant
au G. S. ajoûterent- ils , nous en ferons ce
que nous voudrons , parce qu'étant sans
experience, il nous redoutera , et que d'ailleurs
il nous doit tout , puisque sans nous .
il auroit peut-être gémi toute sa vie en
prison.
,
Cependant , soit qu'ils crussent devoir
penser plus d'une fois à l'éxecution de ce
plan ,
915 MERCURE DE FRANCE
plan , ou qu'ils eussent d'autres raisons
pour la retarder de quelques jours , ils tinrent
fort secret le Résultat de cette derniere
Conférence; mais la Cour , qui comme
nous l'avons die , travailloit à secouer e
le joug honteux que sembloit lui vouloir
imposer cette Ligue de traîtres , se détermina
tout- à- fait à s'en vanger promptėment
, et d'une maniere éclatante.
Le Kan des Tartares , sur- tout , fut celui
qui poussa le plus à la roue. Il avoit
été outré en plusieurs rencontres , de ce
que Patrona et ses pareils , qui n'avoient
aucune teinture des affaires , avoient vou-
·lu que leurs avis extravagans prévalussent
aux siens ; Dgiannum Codgea arriva dans
le même-tems à Constantinople , et aussi
zanimé contre eux que le Kam , il excita
de nouveau l'Empereur à les exterminer.
S. H. lui avoüia ingénument qu'elle appréhendoit
qu'ils ne fussent soutenus par
les Troupes , si l'on en venoit à cette extrémité
, et que ce qui l'avoit obligé à
temporiser , c'étoit la crainte de voir
Constantinople replongé dans de plus
grands désordres .
Dgiannum- Codgea , sans trop s'attacher
aux termes , dit alors au Sultan , avec une
liberté genereuse : Seigneur , dès que tu te
seras défait des principaux Chefs , personne
me branlera , outre qu'une action de vigueur
est
(
4.
AVRIL. 1731. 917
est nécessaire pour t'affermir sur le Trône , elle
sera agréable à ton. Peuple , qui ne supporte
qu'avec une peine extrême les violences où il
est journellement exposé. De plus , cela te
mettra en honneur chez toutes les Nations
qui ont les yeux fixez sur toi , dans le commencement
de ton Régne ; au lieu qu'elles
n'auront aucune considération pour ta personne
, si tu ne montres assez de force pour bri
ser les entraves où quelques séditieux osent
retenir ton autorité. Ces paroles du General
de la Mer , prononcées avec feu , pénétrerent
S. H. et lui firent juret de se prêter
et de concourir à ce que luf et le Kam
des Tartares jugeroient nécessaire pour exterminer
ces audacieux ennemis domestiques
, perturbateurs du repos public.
Le 22. Dgiannum- Codgca , que le G. S.
avoit déclaré la veille Capitan Pacha
vint à l'Arsenal , où il reçûr les complimens
des Officiers des Vaisseaux , et des
Beys des Galeres , mais on ne lui tira point
' de Canon , parce qu'il deffendit qu'on lui
rendit ces honneurs.
Le 23. Patrona convoqua un Conseil
extraordinaire à la Porte , auquel le G. S.
" admit le Kam des Tartares , le Mufty , et
generalement tous les Gens de Loy et les
Officiers des Milices. Patrona y vint toujours
en simple Janissaire , les jambes
nuës , et avec environ 40 Serdenguetchis
OLL
918 MERCURE DE FRANCE
ou enfans perdus , et Mouslouh vêtu superbement
, avec le cortege attaché à son
nouveau rang de Koul - Kyassy.
du
›
›
que
Patrona ouvrit le premier l'assemblée ,
et s'adressant au Kam , lui dit : J'ai convoqué
ce conseil , pour un pressant besoin
de l'Empire je sçai que nos affaires en
Perse vont toujours plus mal Parce que
les Moscovites donnent de continuels fecours
aux Persans , ainsi mon avis est › qu'on
leur déclare la guerre , et que pour tirer vens
geance sang Musulman qu'ils sont cause
qu'on a répandu , on envoye incessament
une grande armée contre eux tandis Les
Tartares entrant d'un autre côté dans le pays
de ces Infidelles , le ravageront et en emmeneront
tous les habitans en esclavage 3 je pense
pareillement , qu'il est d'une nécessité absoluë
de réprimer les malversations des Pachas
des Frontieres , qui , bien loin d'avoir
soin des Troupes , et de regarder les Janissaires
comme leurs enfans , et le plus ferme
appuy de cette Monarchie les maltraitent
et retiennent leurpaye pour l'appliquer à leur
propre usage, ou en gratifier leurs Créatures :
il tint encore beaucoup d'autres discours de
la même nature , et sans égard pour les per
fonnes qui assistoient à ce Conseil.
J
Tout le monde gardant un morne
silence , déploroit en secret de voir la
conduite de l'Etat tombée , en de si
<
1
AVRIL. 1731. 919
si mauvaises mains ; et il revenoit toujours
à sa premiere idée de porter le fer
et le feu chez les Moscovites , proposant
même d'en faire arrêter les deux
Résidens *.
و
→
Le Kam des Tartares , fatigué d'entendre
tant d'impertinences , que personne
n'osoit relever : Mais vous , lui dit ce
Prince , qui parlez tant de guerre , sçavez
vous ce que c'est ? pour quelle raison voulez
vous que Sa Hautesse la déclare aux
Moscovites ? Ignorez- vous quelle est en paix
avec eux et que sans de justes motifs elle ne
sçauroit la rompre. Il faut , poursuivit-il
avant que de se résoudre à rien , être bien sûr
des nouvelles que vous nous débitez sans preuves,
après quoi on verrapar de mures déliberations
ce qui sera le plus utile,et le plus honorable
à l'Empire de la guerre ou de la paix et ce
sont là des choses qui ne se décident pas à la
legere , ni sur le champ comme vous venez de
le demanders d'ailleurs dites-moi parquel endroit
penetrerez vous en Moscovie ? Par quel
endroit ! interrompt Patrona plaisante
question ! par les endroits où nous y pénétrions
autrefois , vous d'un côté et nous de l'autre :
Doucement, répondit le Kam : autrefois nous
allions par la Pologne , parce que nous étions
→
* Il y en a deux à Constantinople , depuis environ
un an , M. Neplieuf, et M. Visnacoff , venu
pour relever ce premier.
en
20 MERCURE DE FRANCE
enguerre avec les Polonois , mais aujourd'hui
qu'ils sont de nos amis , est- il juste d'aller
porter la désolation chez des peuples dons
nous n'avons aucun sujet de nous plaindre
Sçavez- vous que conduire 100. mille Tar
tares dans un pays , c'est le perdre entierement
, et que par tout où ilsfoulent l'herbe , il
n'y croit rien de sept années : Tant mieux
dit Patrona , c'est de cette façon que j'aime
àfaire laguerre. Je ne demanderois pas mieux
ni mes sujets , reprit ce Prince, car outre que
la guerre est notre véritable élement , elle est
la source de toutes nos richesses ; et dès
que
cette source taritpar la paix , renfermés dans
la Krimée , steriles et sans commerce , nous
retombons dans l'indigence ; mais nous sçavons
la supporter , et sacrifier à la droiture
nos interêtsparticuliers : ilfaut refléchir avant
que de prendre les armes , afin de n'avoirpas
lieu de s'en repentir en les quittant , et ce ne
sont pas de ces petites affaires qui se termi→
ment en une ou deux assemblées .
Je trouve que celle - ci est bien nombreuse
répliqua Patrona ; je n'atendois pas que tant
de gens y assistassent ; j'avois compté au
Contraire que le Conseil ne seroit composé que
de vous , de Monsloub , du Janissaire Aga ,
du Grand Vizir , de quelques autres personnes
et de moi ; et à l'avenir il faudra , s'il
vous plaît,que cela soit ainsi , autrement plus
de secret , et les Infideles seront bientôt instruits
AVRIL: 1731. 921
et de toutes nos
truits de tous nos discours
démarches.
Quand il s'agit d'entreprendre la guerre ,
ou de continuer la paix , répondit le Roi
des Tartares , c'est une maxime fagement.
établie , que de faire degrandes assemblées .
pour y mieux débattre des matieres si gra
ves , et d'y appeller sur tout les Gens de loi ;
parce qu'étant plus éclairez que les autres , es
les dépositaires de la justice , les résolutions
qu'on prend par leurs avis , sont plus équitables
, et le succès qui les suit plus heureux ;
au lieu que quand on les exclut des Conseils ,
et qu'onfait rouler tous les interêts de l'Empi
re sur trois ou quatre têtes seulement , il arrive
d'ordinaire ce que vous venez de voir
sous le regne d' Ibrahim Pacha , qui pourn'avoir
voulu se conduire que par ses foibles lu
mieres et celles de ces deux gendres, a mis l' Etat
à deux doigts de sa pertes aussi pour les
punir de leur trop grande présomption , Dien
a t'il permis , que ces trois Ministres , après
avoir souffert une mort ignominieuse , n'ayent
trouvé d'autres sépultures que les entrailles des
Chiens , dont leurs cadavres ont été la
proye.
Il est étonnant , continua ce Prince
qu'un exemple si récent et si terrible , ne vous
corrige pas de la manie que vous avez de tout
regler, et de toutfaire par vous-même , mais si
sela continue , je vous déclare dés- à - present
queje supplierai Sa Hautesse de me renvoyer
922 MERCURE DE FRANCE
à Brousse pour y vivre en repos , dans la
folitude , et n'être plus témoin des attentats
qui se commettent ici impunément tous les
jours contre son honneur et le bien de son
service.
D
.
On voit par ce qui vient d'être rappor
té , qu'il n'y eut que le Kam et Patrona ,
qui parlerent dans ce Conseil , et qu'on
n'y conclut rien . Le premier se retira
bien résolu de redoubler ses instances auprès
du Grand Seigneur , pour hâter la
destruction des Rébelles ; tous les autres
assistans se retirerent le coeur ulceré
contre eux. Ceux- ci s'en furent chez le Janissaire
Aga , où ils s'applaudirent de
tout ce qui venoit de se passer , et prirent
de nouvelles mesures pour mettre
la derniere main à leur grand oeuvre ,
qui étoit , comme nous l'avons déja dit ,
de s'emparer des premieres Charges du
Gouvernement.
Patrona fut le lendemain 24 à l'Arsenal
de la Marine , rendre une visite de
politique , à Dgiannum-Codgea , pour lui
faire compliment sur sa nouvelle dignité,
qu'il comptoit de lui ravir bientôt , ne se
doutant pas que la foudre fut si prête d'é
clater sur sa tête . Le Capitan Pacha , aussi
fin et plus prudent que lui , le reçut
avec des honneurs extraordinaires , et lui
fat l'accueil du monde le plus gracieux ;
ik
AVRIL. 1731. 923'
3
Hs s'entretinrent ensemble avec toutes les
démonstrations d'une estime et d'une ami
tié réciproque , et lorsque Patrona l'eut
quitté pour s'embarquer dans un Bateau
à trois paires de Rames seulement accompagné
de deux autres , où se mirent
six personnes qui composoient toute sa
suite ; la foule fut si grande qu'il fut
comme porté jusqu'à l'Echelle , d'où il
jetta encore , ainsi qu'il avoit fait en sortant
, des poignées de Sequins au peuple :
en remarqua qu'il étoit chaussé ce jour -là,
contre son ordinaire , et que sa chaussu
re consistoit en un demi bas qui s'agraffe
sur le gras de la jambe , comme en portent
les Officiers de Mer.
•
Ce même jour qui étoit un vendredi ,
le Grand Seigneur vint faire sa priere du
midi , à la Mosquée de Topana de
l'autre côté du Port ; de- là Sa Hautesse fut
visiter la Fonderie de l'Arsenal où l'on
fabrique les Canons ,, dont on avoit
fait une décharge . générale à son débarquement
; ensuite prenant par les der
rieres de Pera , elle monta avec un grand
cortége au Serrail des Itchoglans , où elle
dîna. On avoit compté que le Sultan traverseroit
le Fauxbourg,à son retour, mais
des flateurs courtisans , et de faux dévots
en détournerent Sa Hautesse
représentant d'un air empressé , quand
elle E
>
>
cn lui
924 MERCURE
DE FRANCE
elle voulut se remettre en marche , que
ces ruës n'étoient habitées que par des
Infideles , et que leurs regards pourroient
lui être d'un sinistre présage. Cet avis
supersticieux lui ayant fait changer de
sentiment , elle reprit la même route par
où elle étoit venue , aprés avoir donné
75. mille livres aux jeunes gens de ce
Serrail qu'on y éleve pour son service , et
dont elle emmena quelques uns avec elle
des mieux faits et des plus capables.
Pendant que l'Empereur se promenoit
ainsi avec la plus grande partie de sa
Cout , et qu'il ne paroissoit pas qu'on
songeat qu'il y cut des Rébelles à Constantinople
, le Kam des Tartares , le G.
V. le Mufty , Dgianum-Codgca , et quelassemblez
secret- ques autres Ministres ,
tement au Serrail prononçoient leur
Sentence de mort. Ils travaillerent jusà
trouver ques bien avant dans la nuit ,
les moyens de l'executer , car ils furent
long- temps embarrassez sur le choix des
Acteurs de cette Tragedie.
›
}
Le Capitan - Pacha avoit d'abord proposé
d'en charger ses Leventis , mais on
fit réflexion que la plupart des Révoltez
étoient Janissaires , et que ce seroit jete
ter une semence de haine implacable entre
ces deux corps , qui ne finiroit peutêtre
que par l'extinction de l'un ou de
l'autre
AVRIL 1731. 985
T'autre ; enfin après s'être tournez de tous
les côtez , ils convinrent qu'il falloit don
ner cette expedition à faire aux Bostangis
, et autres domestiques du Serrail
parce que ,étant particulierement attachez
à la personne du G. S. les Janissaires ne
pourroient pas se formaliser de leur obéissance,
aux ordres deS.H.d'autant plus qu'il
y a plusieurs exemples que les Bostangis
ont été commis à de pareilles executions.
Le 25 au matin , tout étant préparé
le G. V. envoya inviter Patrona , Mouslouh
, et le Janissaire Aga , de venir au
Serrail , pour y rendre compte au Sultan
, de la conference qui avoit été tenue
le 23. et pour prendre des arrangemens
avec eux , tant sur les affaires de Perse
que sur toutes les autres qui regardoient
l'Empire. Ils s'y rendirent sur les onze
heures avec 26. personnes seulement , qui
resterent dans la premiere cour . Pour
eux ils furent introduits dans l'interieur
de ce Palais , à la Chambre nomméc
Sunnet- Odassi , où ils trouverent le Kam
des Tartares , le Mufty , le G. V. Dgianum
- Codgca , les deux Kadileskers en e
xercice , l'Istamboul-Effendi, et grand nombre
de Gens de Loy, tous assis sur le Sopha ,
chacun selon son rang ; ils s'y mirent aus,
C'est la Chambre où l'on fait la cérémonie de
la Circoncision des Princes Ottomans.
E ij si
916 MERCURE DE FRANCE
si selon le leur , et quoiqu'il y eut
dans la même Chambre ↑
beaucoup
d'Officiers, Dasseskis , et de Bostangis , qui
se tenoient de bout , ils ne soupçonerent
rien de la catastrophe qui leur de
voit arriver , parce que n'étant pas permis
à ceux qui entrent dans le Conseil de
faire entrer leurs gens dans cet endroit ,
ce sont toûjours des domestiques du G.
S. qui les servent en ce dont ils peu
vent avoir besoin ; de sorte que par la
grande quantité de Maîtres qu'il y avoit
alors , celle des Officiers et des domestiques
de S. H. ne devoit point paroître
extraordinaire aux Rébelles.
9
Tout le monde étant donc en ordre , le
G. V. prit la parole , et la portant d'abord
à Patrona , S. H. lui dit- il , vous
fait Bieylierbey de Romele , et vous donne
le Commandement de 30. mille hommes ,pour
aller joindre Achmet , Pacha de Babilone ,
avec lequel vous agirez de concert contre les
Persans.
1 Il s'adressa ensuite à Mouslouh et au Janissaire
Aga; il dit au premier,que l'Empereur
lui donnoit la qualité de Bieylierbey
de Natolie , avec un Commandement de
Troupes aussi , et au second qu'on le faisoit
Pacha à trois queues . Quant à vous ,
ajoûta- t'il ,se tournant vers Zulali - Zadé
Kadilisker- d'Asie , et vers Abdollach - Ef
fendį .
AVRIL. 1731. 927
-
fendi, Lieutenant General de Police , le G.
vous fait présent d'une queue à chacun .
A peine ce Ministre eut-il proferé ces
derniers mots , que Mustapha-Aga , dont
nous parlerons dans la suite cria , qu'on
extermine tous ces ennemis de l'Empereur et.
de l'Empire : aussi- tôt plus de trente personnes
se jettant le sabre à la main sur
Patrona , Mouslouh , et le Janissaire
Aga , les tuerent avant qu'ils eussent le
tems de se reconnoître.
On raconte ce massacre de differentes
manieres ; il y en a qui prétendent que
ces trois Rébelles se voyant perdus , vendirent
cher leurs vies , en blessant à mort
plusieurs Bostangis , et que Dgianum ,
Codgea fut le premier qui porta un coup
au Janissaire Aga , lequel se mettoit en
devoir de le tuer; d'autres rapportent qu'il
ne fit seulement que lui saisir les mains ,
et cela est assez vrai - semblable ; on dir
les Leventis furent enployez
dans cette affaire ; il est vrai que le Capitan
- Pacha , en avoit amené beaucoup
avec lui , mais ils resterent dans la premiere
Cour , et ne penetrerent point plus
encore que
avant.
Il y a peut être lieu de s'étonner que Patrona
, rusé et prévoyant comme il étoit,
se fut exposé à entrer dans le Serrail' sans
armes et sans suite , d'autant plus que les
E iij autres
928 MERCURE DE FRANCE
autres fois qu'il y étoit allé , il avoit toû
jours porté son sabre et ses pistolets , er
s'étoit fait accompagner par beaucoup de
ses camarades ; mais on répond à cela que
le G. V. pour le faire mieux tomber
dans le piége , lui avoit fait dire en
particulier , qu'ayant cette fois ci des matieres
à traiter de la derniere importance ,
et que reconnoissant qu'il avoit en raison
de se plaindre dans le dernier Conseil que
F'assemblée étoit trop nombreuse , il le
prioit de ne mener que peu de monde avec
Jui , afin que les secrets de l'Etat ne fussent
pas divulguez aux Infideles ; si bien
que Patrona , flatté de ce que ce Ministre
donnoit dans son sens , se livra avec tant
de confiance, qu'il fit même rester ses gens.
dans la premiere cour , et qu'il n'avoit
d'autre armes qu'un espece de Couperet ,
caché sous sa Pelisse , encore ne lui servitil
de rien , car ayant voulu le prendre ,
quand il vit qu'on venoit sur lui , Mustapha
Aga le prévint et lui abatit un bras
d'un coup
de Sabre.
و
A l'égard de Mouslouh qu'il avoit
aussi engagé à venir comme lui sans atmes
, il s'enveloppa dans ses Pelisses magnifiques
, et se laissa tuer sans faire le
moindre mouvement.
Quoiqu'il en soit de toutes ces cir
constances , dès que ces séditieux furent
J morts
AVRIL. 1731. 929
s
morts , on jetta leurs cadavres dans la
troisiéme cour , où est la chambre de Sunnet
- Odassi et l'on fut chercher les
26. enfans perdus , qui étoient demeurez
dans la premiere . On leur dit avec
politesse , que le G. V. qui venoit de donner
des Pelisses à leurs Chefs , les demandoit
pour leur donner aussi à chacun un
Caftan ; mais on ne les fit entrer que trois
ou quatre à la fois , à diverses reprises
sous prétexte de faire cette cérémonie
avec plus de décence , mais à mesure que
ces miserables étoient passez dans la seconde
cour , on les assomoit. Cependant au
bout d'une demie heure , quelques uns de
ceux qui restoient encore , ne voyant revenir
aucun de leurs camarades eurent
quelque soupçon de ce qui se passoit , et
voulurent se sauver , mais trouvant toutes
les portes fermées , ils furent investis
et tuez comme les autres .
,
Le bruit s'étant répandu par la Ville ,
que les Chefs des Rebelles étoient depuis
long- tems au Serrail, dont on avoit fermé
les Portes ; cela réveilla quelques- uns de
leur partisans qui y vinrent avec précipitation
, mais les Portes ayant été ouvertes ,
ces Agas , qui faisoient tant les braves , ne
virent pas plutôt des Chariots chargez de
corps massacrez , que saisis d'épouvante ,
Eij
›
ils
930 MERCURE DE FRANCE.
ils s'en furent , et abandonnerent même
leurs Chevaux.
Tous ces cadavres furent étalez dans
la rue ; il s'y amassa
>
ruë il s'y amassa un peuple innombrable
, pour les considerer , surtout
celui de Patrona , que chacun voulut voir
préferablement
aux autres ; ils ne furent
pourtant exposez que deux heures , après
quoi on fut les jetter dans la Mer , de
crainte qu'un spectacle si effrayant n'eut
des suites dangereuses , et que les Rébelles
, qu'on sçavoit être en grandnombre ,
se sentant aussi coupables que ceux dont
ils voyoient les tristes restes n'excitassent
un second soulevement populaire
dans l'esperance d'éviter un pareil sort
à la faveur des nouveaux désordres
en effet il y en eut plusieurs qui furent
au Bezestin pour en faire fermer les boutiques
, mais ils n'y purent jamais parvenir
, le G. S. ayant pris le devant par un
Katcherif adressé au Bt zestin Kyassi ,.
( c'est à peu près comme le Prevôt des
Marchands , ) qui menaçoit de mort
quiconque fermeroit ou souffriroit que
Fon fermât les boutiques pour quelque
cause que ce fut.
>
On vient de voir que les dons imaginaires
. que le G. V. avoit faits de la part du
Sultan , à Patrona , à Mouslouk`, et au
Janissaire Aga , avoient été le signal de
leus
AVRIL 17313 931
perte , mais comme tout le monde ne
comprendra pas , que ce ministre en disant
ensuite à Zulali - Kadé , et Abdollah-
Effendi , que Sa Hautesse leur faisoit présent
d'une queue , leur anfonçoit aussi la
mort ; il ne sera pas hors de propos
d'expliquer
cette espece d'Enygme..
Les Effendi , ou Gens de Loy , sont en
si grande vénération dans cet Empire
sur tout par rapport à leur sçavoir, que les
Empereurs les ayans toûjours honorez jus
qu'à la superstition , il y a très - peu d'exemples
qu'ils en ayent fait mourir. Ainsi
quoique ceux dont il s'agit ici , pour
avoir été les Arcsboutans de la Révolte ,
méritassent le dernier supplice ; S. H. qui
ne voulut point violer leur caractere ,
fut obligée de les en dépouiller , afin d'àvoir
la liberté de satisfaire à sa justice ,
et ce fut en leur donnant cette queue que
se fit leur dégradation , parce que ce signe
d'honneur , qui est incompatible avec
l'état d'homme de Loy , les faisants passer
dans celui d'homme de guerre , auquel
il est particulierement affecté , le
Sultan n'étoit plus arrêté par aucun scrupule
, et pouvoit disposer à son gré de
leur vie , dés le moment qu'ils avoient
cessé d'être Effendi ..
Il sembleroit par cette raison , que
S. H. auroit donc dû les faire périr sur le
Ev champ
32 MERCURE DE FRANCE
champ comme les autres , mais un reste
de menagement pour leur dignité , et la
présence de leurs confreres l'engagea à les
faire executer ailleurs .
Dès que le G. V. leur eut donné la funeste
marque de distinction , dont on
vient de parler , on les conduisît à la pri
son du Bostangis- Bachi ; ils y trouverent
beaucoup de personnes de l'ancien ministere
, que Patrona et Mouslouh y avoient
fait mettre , et Abdoullah- Effendi , que
les approches de la mort ne rendoient
pas plus sage , appercevant parmi ces pri
sonniers le Vaivode de Galata , qui après
avoir été long-temps caché avoit enfin
été pris , lui dit , Vous l'avez tous échapez
belle , car nous étions bien résolus de
vous envoyer en l'autre monde ; heureusementpour
vous on nous a prévenus. Le vieux.
Vaivode piqué , lui répondit d'un air gra
ve ,
.
et colere tout ensemble ; je me sousie
si peu de la vie , que je mourrois satisfait
, si je pouvois auparavant avoir le plai..
sir de teindre ma barbe blanche de ton
sang. Leur conversation n'en seroit pas
demeurée là , mais des Officiers vinrent
l'interrompre pour conduire ces deux
Effendi degradés sur une Galere qui
étoit à la pointe du Serrail , et de laquelle
, après les avoir étranglez , on les
jetta dans la Mer.
La
AVRIL. 1731% 933
La nouvelle de toutes ces exécutions
templit d'une joye universelle tout Constantinople
et ses Fauxbourgs ; la plûpart
des Turcs égorgerent des Moutons en sacrifice
, de leur propre mouvement , et
devancerent les ordres du G. S. qui fit
publier que tout le monde rendit grace à
Dieu , de ce que par sa misericorde , l'Etat
étoit enfin délivré des traîtres et perfides
Chefs de la rébellion .
S. H. commanda en même- tems qu'on
eut à dénoncer et à saisir tous ceux qu'on
reconnoîtroit avoir été de leurs compli
ces , pour leur faire souffrir les mêmes
châtimens ; de sorte qu'en trois ou quatre
jours il périt par differens genres de
mort , la plupart dans le silence de la nuit,
près de 6000 de ces malheureux . Ils ne
sçavoient où fuir , ni à qui se confier ; on
les trouvoit on les arrêtoit , on les
déceloit par tout.
›
Il y en eut pourtant sept des plus criminels
, qui se sauverent chez le Kam des
Tartares ; ce Prince les garantit de la main
des bourreaux , moins par un effet de sa
compassion , dont ils étoient indignes.
que pour conserver à son Palais le droit
qu'il a d'azile inviolable ; mais il prit la
précaution de faire poser des Gardes à
toutes ses portes , afin qu'à l'avenir son
équité ne fut plus compromise en réfus
Evj giant
934 MERCURE DE FRANCE
giant chez lui de pareils scelerats .
Sultan Mahmout , encore plus attentif´
à récompenser qu'à punir , donna le même
jour la dignité de Janissaire- Aga , à
Mussin- Oglou - Abdullah , Pacha de Nisse,
qu'on avoit fait venir depuis peu , et dont
on se servit utilement dans ces conjonctures.
S. H. le fit outre celá Vizir à tros
queues. Il est vrai que la Charge de Ja- ·
nissaire Aga donne bien ce rang par ellemême,
mais quand on en est honoré indépendamment
de la Charge , celui qui´là .
pos ede en a plus de relief et d'autorité
et c'est par cette raison , que sous le précédent
Ministere , on n'a jamais fait de
Jani saires Agas , que des Pachas à deux
queues , afin qu'ils n'eussent pas tant dė
crédit. Dgannum Codgea , qui venoit
d'être fait Capitan Pacha , n'avoit aussi
qquuee deux queues ; mais le G. S. satisfait
de ses bons conseils et de son courage , lui :
en donna une troi iéme.
Mustapha Aga , dont nous avons promis
de parler , reçût pareillement des
marques dé la bien -veillance du G. S. On
le connoissoit autrefois sous le nom dè
Pehlivan , qui veut dire le Lutteur , parce
qu'en effet son adresse et sa force à là
lutte , et dans tous les autres exercices du
corps , jetterent les premiers fondements .
de sa fortune. Il avoit été dès son bass
âgé
AVRIL 17317 935
་
age créature du Kan des Tartares , à présent
régnant , qui le fit ensuite Officier
dans les Janissaires , et il se trouvoit Capitaine
de la 17 Compagnie , lorsque la ré
volte éclata. Pelivan s'enfuit: aussi tôt à
Brousse , auprès de son ancien Maître ' ,
pour n'être point impliqué dans tous les
forfaits qui s'alloient commettre ; puis
étant revenu à la Cour avec le Kam , ce
Prince le présenta au G. S. comme un su
jet fidele , et d'une valeur éprouvée : ce
*fut lui , comme nous l'avons dit , qui fut
chargé d'annoncer l'ordre du massacre
des Rebelles , et qui le commença le pre
mier , en coupant un bras à Patrona. S.
H. voulant donc reconnoître ce service ,
ket se souvenant aussi des rapports avantageux
que le Kam lui en avoit fait , le nomma
Lieutenant General des Janissaires , à
la place de Mouslouh. Sa modestie lui fit
d'abord refuser cette faveur; il representa
qu'il n'étoit pas assez ancien dans son
Corps , qu'il n'avoit pas assez de méri
te pour remplir une Charge si distinguée,
et que cela pourroit lui attirer l'envie et :
la haine des autres Officiers , qui en étoient :
plus digne que lui ; mais le G. S: passant
pat- dessus toutes ces considérations , lui
commanda d'obéir , ce qu'il fit en rendant
mille graces à S. H.
8
Le lendemain 26 Novembre , l'Empe →
reur
936 MERCURE DE FRANCE
reur envoya des Katcherifs à tous les
Chefs des differentes Milices , pour leur
faire part de ses heureux succès , et leur
enjoindre de faire observer une exacte discipline
à leurs Soldats ces commandemens
furent accompagnez de sommes considerables
, dont S. H. voulut qu'on fe
distribution dans chaque Corps . Elle envoya
so mille écus aux Janissaires , 60
mille livres aux Tobgdgis , et 75 mille
aux Gbedgis. Les Troupes , charmées des
génerositez de leur Souverain , firent des
prieres pour sa conservation et sa prospérité
, et durant toute cette journée , Constantinople
fut dans l'allegresse , excepté
les Rebelles , dont on prit un grand nombre
, qui ne survêcurent que peu d'heures
à leur emprisonnement .
Le miserable Yanuki eut aussi la tête
coupée , pour le punir de la témerité qu'il
avoit euë , de vouloir devenir Prince de
Moldavie malgré le G. S. Ainsi l'espece
de prédiction de Patrona , quand il demanda
à ce Boucher s'il ne se soucioit pas.
de vivre plus long-tems que lui , s'accomplit
presqu'à la lettre , puisqu'ils moururent
à un jour l'un de l'autre.
Le 27. les principaux Ministres , et les
premiers Officiers des Troupes , donnerent
toute leur application à redoubler
leurs recherches et leurs poursuites contre
le
*
AVRIL 1731.
937
"
Te reste des Rebelles , surtout pour empê
cher les incendies , car Patrona avoit déclaré
plusieurs fois , que si jamais on attentoit
à ses jours , il feroit mettre le feu
aux quatre coins de Constantinople , et
pour y mieux parvenir , il avoit placé
dans tous les Bains , des gens qui lui étoient
dévoüez entierement. Effectivement , la
plupart des gens qui les servent sont Albanois
, comme il l'étoit or il y a
une grande quantité de cette Nation parmi
la populace , et l'on remarquoit en eux
un certain air d'arrogance et de révolté ;
jusques- là , que ceux qui tiroient d'eux.
quelques services , étoient obligés de les.
payer au double , encore les menaçoientils
de Patrona , dont la prosperité rapide
et brillante , les avoit si fort éblouis , qu'ils
croyoient tous faire fortune par son cainal
; mais depuis sa mort , ces rustres glo
ricux sont devenus si humbles , et si craintifs
, qu'on n'en voit presque plus paroî
tre dans les rues . Le G. V. en a beaucoup
fait pendre , et pour des fautes les plus légeres
, on leur donne de cruelles bastonades
, afin qu'ils n'oublient pas si - tôt l'auteur
de leurs biens chimeriques , er de
leurs maux réels .
Le 28 Novembre , jour auquel nous finirons
cette Relation et auquel
ent aussi fini les suites de la Révolté
,
сем
9
938 MERCURE DE FRANCE
commencée à pareil jour du mois de Sep
tembre précédent , toutes les personnes
de l'ancien Ministere qui étoient encore
en prison , furent élargies , moyennant
des taxes modiques , et le G. S. fermant
l'oreille à la séverité , pour n'écouter plus
que la clémence , accorda une amnistie
generale à tous ceux qu'on pouvoit encore
accuser d'avoir eu part et d'avoir contribué
aux troubles de l'Erat; avec cette modifica--
tion pourtant , que ceux qui seroient reconnus
pour avoir été du nombre des premiers
conjurez , et qui auroient persisté?
dans la rébellion jusqu'à la fin , n'auroient
que la vie sauve , et subiroient l'éxil qu'on
leur prescriroit.
HISTORIQUE ;
exacte et détaillée de la derniere Révolution
arrivée à
Contantinople ; écrite d'abord
en Turc par un Effendi , avec plusieurs
circonstances de cet Evenement , tirées
d'autres Memoires.
L
A décadence des affaires enPerse ,
faute par le Grand Vizir Ibrahim-
Pacha , d'y avoir fait passer
des secours tels que les conjonctures le demandoient
, et l'oppression dans laquelle
le peuple gémissoit depuis long-temps par
les vexations des Ministres , ou de ceux
qui les exerçoient sous leur autorité et
par
l'établissement de plusieurs Impôts
jusqu'alors inconnus en Turquie , sont
A lcs
830 MERCURE DE FRANCE .
les deux causes principales de la Révotion
arrivée le 28. Septembre 1730.
Ce jour qui répond à l'année de l'Egire
1143. le 13. de la Lune de Rebiul Euvel,
un Jeudi à 9. heures du matin , Patrona-
Kalil, (a ) de Nation Albanoise, et quelques
autres gens sans aveu et de la lie du peuple
de Constantinople , comme Mouslouh
Emir- Ali , &c. produisirent ce grand
Evenement , qui par ses circonstances
mérite d'être transmis jusqu'aux siecles
les plus reculez ; il peut servir d'exemple
aux personnes revêtues d'éminens Emplois
, pour leur apprendre que quelques
élevez qu'ils soient , ils ne doivent jamais
perdre de vûë le vil état d'où on les a
tirez , (b) et que le dépôt du Gouvernement
de l'Empire leur étant confié , ils
doivent se comporter d'une maniere à s'attirer
l'approbation generale , comme s'ils
étoient toûjours environnez de vengeurs
de leur mauvaise administration , tels que
Patrona et ses Adhérans , qui tout inca-
(a) Il avoit été autrefois Leventy , c'est- à- dire
Soldat de Marine , et avoit servi sur le Vaisseau
la Patrone , d'où lui est venu le sobriquet de
Patrona. Depuis quelque temps il étoit Jannissaire
, ainsi que Mousloub et Emir- Ali.
(b) L'auteur fait cette refléxion , sur ce que n'y
ayant presque point de Noblesse en Turquie , ce
sont communément des gens de rien qui parvien
nent aux plus grands Emplois.
pables
AVRIL. 1731 . 831
pables qu'ils paroissoient d'une haute
entreprise , ont pourtant forcé le Sultan
Achmet III . d'abandonner le Trône de
ses Ancêtres.
Patrona-Kalil avoit merité plusieurs
fois la mort par ses actions de scelerat.
Il étoit âgé de 40. à 45. ans , de moyenne
taille , dégagée et bien prise , la mine
haute et fiere , portant moustache noire.
Mouslouh , et Emir- Ali , ne valoient pas
mieux que lui ; cependant ces hommes
si méprisables en apparence , tramant
depuis long-temps les moyens d'exciter
le peuple à la révolte , enfin parvinrent à
l'execution de leur dessein execrable . (a)
Voici comme ils s'y prirent.
Ils s'attrouperent d'abord en petit nombre
près d'une Fontaine dans la grande
Place qui est devant la Mosquée de Sultan
Bajazer ; là ils convinrent entr'eux de
se diviser en trois troupes , dont l'une iroit
au Bezestin , qu'elle traverseroit ; l'autre
sortiroit par la Porte de Bacché- Capi ; (b)
la troisiéme par la ruë de Divan Joleu, (c)
(a) Il paroît par cette expression et plusieurs
autres qu'on trouvera dans la suite , que l'Auteur
Turc n'approuve pas la Révolte , quelque bien
qu'elle ait apporté à l'Etat.
(b) Porte de Constantinople , appellée Porte
du Jardin .
(‹) C'est la grande ruë qui conduit au Serrail ,
A iij et
32 MERCURE DE FRANCE
et qu'ensuite elles se joindroient toutes
trois à la Place d'Etmeïdan. (a )
Cet arrangement pris , la Troupe de
Patrona - Kalil , partit la premiere ; ils
avoient un petit Drapeau déployé , le
Sabre à la main , et crioient par tout où ils
passoient , que les Marchands et Artisans
fermassent leurs Boutiques , et que tout
bon Musulman suivît leur Enseigne à
Etmeïdan , où l'on avoit à leur communiquer
de justes prétentions contre le Ministere
présent ; les deux autres Troupes
en ayant fait de- même dans la route qui
leur étoit prescrite , l'allarme se répandit
bien- tôt par tout Constantinople , les
Boutiques furent fermées , et la plus grande
partie des Turcs qui les occupoient
au lieu d'aller au rendez - vous , furent
se cacher dans leurs maisons , (b) ainsi
que les Chrétiens et les Juifs.
Le Grand -Seigneur et le Grand- Vizir
étoient au Camp de Scutary pendant ces
troubles naissants : Mustapha , Capitaneu
se tient le Divan du G. S. d'où elle tire son
aom , comme qui diroit la rue du Conseil.
(4) Etmeidan est une grande Place sur laquelle
donnent les Cazernes des Janissaires , et où on leur
distribue la viande.
(6) La plupart des Marchands et Artisans en.
Turquie , ne logent pas au même endroit où sont
Jeurs Boutiques,
Pacha
AVRIL. 1731 833
Pacha et Kaïmakan , qui en cette derniere
qualité devoit être instruit à porter un
prompt remede , se trouvoit près des Châteaux,
dans le Canal de la Mer Noire,à une
de ses Maisons de Campagne , où il s'amusoit
à faire planter des Oignons de
Tulipes ; et le Reys- Effendy , Secretaire
d'Etat , étoit pareillement à une de ses
Maisons du même Canal , où livré à son
indolence naturelle , il traitoit de bagatelles
ou de fable tous les avis qu'on venoit
lui donner de ce qui se passoit à
Constantinople ; de sorte qu'il n'y avoit
alors dans la Ville aucun Grand d'une certaine
autorité , pour y rétablir l'ordre ,
que le Janissaire Aga et le Kiaya du G.V.
Ce dernier ne fut pas plutôt averti de
l'émeute , dont il avoit plus lieu que
personne de redouter la fureur , que perdant
la tramontane , il fut s'embarquer à
P'Echelle la plus prochaine de son Palais,
et s'enfuit à Eyoup dans le fond du Port.
Quant aù Janissaire Aga , homme
venerable par son grand âge , il assembla
d'abord sa Garde ordinaire , se mit
à la tête et courut au-devant des Rebelles
, pour tâcher de les dissiper ou de
les ramener par la douceur ; mais voyant
qu'il ne faisoit que les aigrir davantage ;
que sa propre Garde , bien loin d'être disposée
à le seconder, murmuroit de ce qu'il
A iiij
ne
834
MERCURE
DE
FRANCE
.
ne se rangeoit pas de leur côté comme
ceux - cy l'y invitoient , et quelqu'un l'étant
venu avertir qu'une autre Troupe
de Séditieux marchoit droit à son Palais.
pour le piller , il ne songea plus qu'à sa
sureté personnelle ; il s'esquiva dans la
foule , se travestit , s'embarqua dans un
Bateau à une seule paire de Rames , afin
d'être moins reconnu et passa à Scutary ,
où il fut s'enfermer secretement dans une
maison qui lui appartenoit , sans informer
de rien le G. V.tant il avoit peur que
ce Ministre ne le fit mourir sur le champ,
pour n'avoir pas prévenu et étouffé dans
sa naissance ce soulevement.
Cependant les Rebelles ayant le champ
libre , leur nombre croissoit à vûë d'oeil;
ils entraînoient comme un Torrent tous
les Turcs qu'ils rencontroient , menaçant
de tuer ceux qui refuseroient de les suivre,
comme effectivement ils en massacrerent
plusieurs qui aimerent mieux mourir
fideles que de vivre traitres à leur
Souverain . Ils forcerent les Prisons et se
firent des Compagnons de fortune d'autant
de Turcs criminels qu'ils y trouverent.
D'ailleurs beaucoup de gens , qui
quoiqu'animez de leur même esprit ,
n'avoient pourtant encore osé se déclater
, n'hesiterent plus à se rendre sous
leurs Drapeaux , dès qu'ils virent des.
com
A V RIL. 1731. 833
mencemens si favorables et si prompts.
Or le feu de la sédition avoit déja fait
de grands progrès avant que le G.V. en fut
instruit,ceux qui étoient venus dans la matinée
de Constantinople à Scutary , et qui
n'avoient vû , pour ainsi dire, que les premieres
étincelles de ce grand incendie ,
lui ayant seulement rapporté que quelques
Bandits s'étoient battus devant le
Bezestin , sur quoi les Marchands naturellement
peureux, avoient pris l'épouvente,
et fermé leurs Boutiques ; mais que le Janissaire
Aga y étant accouru avec da
monde , les avoit fait r'ouvrir, avoit écar
té la canaille , et qu'il n'y avoit plus rien
à craindre. Ensorte que le G. V. trompé
et tranquillité par ces faux rapports , ne
sçût au vrai la cho e que vers les 4. heures
après midy , que le Mufty , le Kaïmakan,
le Kiaya et d'autres principaux Ministres
ou Officiers , vinrent à Scutary lui en faire
le funeste détail
Le Kaïmakan sur tout cherchant à se
disculper , lui dit qu'ayant appris le tumulte
entre 10 et 11. heures , il étoit
venu à Constantinople et qu'aussi - têt
il avoit monté à cheval pour rétablir la
tranquillité , mais qu'à mesure qu'il
faisoit r'ouvrir les Boutiques , les Rebelles
qui le suivoient , les faisoient re
fermer , et que n'étant soutenu d'aucu-
A v ne
836 MERCURE DE FRANCE
nes Troupes pour réprimer leur insolence,
il avoit été obligé de se retirer.
On tint Conseil sur le champ ; mais les
avis y furent si divers et si débattus , qu'il
dura jusqu'à l'entrée de la nuit , et qu'on
n'y résolut rien , sinon d'en aller tenir un
autre chez le G.S. Le résultat de celui - cy
fut qu'il falloit que Sa Hautesse et toute
sa Cour passassent à Constantinople où
l'on seroit plus à portée de remedier à
tout.Pour cet effet on envoya chercher une
Galere , sur laquelle s'embarqua le G. S.
et le G. V. le reste de la Cour les suivit
dans des Caïques , et tous furent débarquer
à minuit à l'Echelle de Top- Capy ,
qui est à la pointe du Serrail..
Le Sultan étant monté à la Kasoda ou
Chambre Imperiale , s'assit dans un coin
du Sopha , d'où il pouvoit entendre tout
ce qui se disoit dans un Appartement voisin
, où le G. V. les autres Ministres , les
Gens de Loy et autres Grands de l'Empire
s'assemblerent déliberer de nouveau
sur le parti qu'il y avoit à prendre dans
une si pressante extrémité ; mais les sentimens
y furent encore plus partagez
qu'au premier Conseil , et l'heure fatale
marquée par le sort pour la fin de
leur Regne étant venu , leurs délibepour
Fchelle du Canon , parce qu'il y en a là em
Baterie,
rations
A VRIL. 1735. 837
rations n'aboutirent qu'à précipiter leurs
destinées ; ils convinrent cependant tous
unanimement à la fin , que le nombre des
Rebelles n'étant pas encore assez.considerable
pour que l'on ne pût esperer de
les mettre à la raison , il falloit avant qu'ils.
se multipliaffent davantage , leur opposer
un Corps de Troupes , et les aller attaquer.
Quoique cet avis fût peut- être le meilleur
, s'il avoit été suivi sans differer , le
G. S. avant de s'y rendre , voulut tenter
une autre voye. Dès qu'il fut jour Sa Hautesse
envoya un Bach Asseski ( c'est un
des principaux Officiers du Corps des
Bostandgis ) à Etmeïdan , ordonner aux
Rebelles de se retirer et les menacer qu'on
feroit main-basse sur eux s'ils n'obéïssoient
promptement. Ils répondirent sans.
marquer la moindre crainte , qu'ils s'étoient
assemblez pour le bien et l'honneur
de l'Etat ; qu'ils avoient des représentations
équitables à faire à leur Émpereur
, et qu'ils ne quitteroient point les
armes qu'on ne leur eût rendu justice.
Sultan Achmet , indigné d'une réponse
si audacieuse , s'emporta fort contre le
G. V. ce qu'il avoit déja fait la veille , et
Paccusa de nouveau d'être la cause de
tout ce desordre . Le Ministre s'en disculpa
et en jetta , comme il avoit déja fait , la
A vj faute
838 MERCURE DE FRANCE
faute toute entiere aussi sur le Kaïmakans
il accabla même ce dernier des reproches
les plus durs en presence de Sa Hautesse ,
vers laquelle se tournant tout d'un coup :
Seigneur, lui dit-il avec transport , souffriras-
tu qu'une ame si vile et qu'un miserable
tel que celui- cy jouisse encore de la
lumiere.
Le Sultan frappé de ce qu'il venoit d'entendre
fit aussi- tôt arrêter le Kaïmakan
puis prenant un ton plus radouci , donna
divers ordres au G. V. sur la situation
des affaires ; l'habile Ministre qui les jugea
impraticables ou inutiles à suivre ,
lui répliqua sans s'amuser à combattre
ses sentimens : Seigneur, dans la crise où se
trouve l'Empire , je ne vois que deux choses
à hazarder, ou que Sa Hautesse se mette
elle-même à la tête de sa Maison et aille
fondre sur les Rebelles , étant persuadée que
sa seule presence pourra les désunir et les déconcerter
, ou qu'elle me permette d'y aller à
sa place , me flattant que je suis assez aimé
des Troupes pour me faire un Party considerable
dès que je paroîtrai.
Le craintif G. S. n'ayant goûté ni l'une
ni l'autre de ces propositions , essaya
vainement de s'attirer du secours du dehors
; il fit déployer le Sangiak- Cherif *
J
* C'est-à- dire le saint Etendart , qui selon les ,
Turs , fut apporté du Ciel à Mahomet par l'Ang
ge Gabriel.
AVRIL. 1737. 83
à la porte du Serail , et fit crier du haut
des murailles que tout Soldat qui voudroit
venir sous cette Baniere pour aider
l'Empereur à soumettre les Rebelles , auroit
30. écus de gratification et qu'on
lui augmenteroit sa paye de deux Aspres *
par jour.
Ces belles promesses ne gagnant le coeur
de personne , il fallut en revenir , mais,
trop tard , au dernier projet du Conseil ,
qui étoit , comme on a dit , de former un.
Corps deTroupes . On choisit les Bostangis
par préference à toute autre Milice
non-seulement parce qu'ils sont les gar
diens naturels du Serail , mais aussi parce
que les Ministres avoient toûjours eû.
quelques égards pour eux, au lieu que les.
Janissaires , les Spahis , les Tobgis et
Dgebedgis , ayant été maltraitez ou méprisez
( sur tout par le Kyaya , qui pendant
son orgueilleuse prosperité les avoit
menacés plusieurs fois en public de les
détruire entierement ) on ne devoit pas.
esperer d'en tirer beaucoup de secours.
dans cette occasion ..
2.
On s'adressa donc aux Bosdtangis , mais.
quand il fut question de les assembler
ceux sur qui l'on pouvoit compter pour
une action de vigueur s'étoient cachez ,
ou avoient pris la fuite , de maniere que
L'Aspre vaut deux Liards.
ne
840 MERCURE DE FRANCE .
ne se trouvant plus que des enfans , des
malingres , ou des gens sans courage , incapables
de faire tête aux Rebelles , on
vît bien qu'il falloit se tourner d'un autre
côté. On jetta les yeux sur le Corps de la
Marine , et le G. S. ayant honoré de la
Charge de Capitan Pacha Abdi- Capoudan
, qui avoit la Charge de Maître du
Port de Constantinople , homme de résolution
; il l'envoya à l'Arsenal pour s'y
faire reconnoître en cette qualité : on lui
tira à cet effet cinq coups de Canon de ce
lieu , et tous les Vaisseaux arborant leur
Pavillon , lui en tirerent chacun un. Ce
nouveau General de la Mer, pour donner à
son Souverain des preuves de sa reconnoissance
et de son zele , ordonna aux Galeres
de se rendre à la pointe du Serrail , et fit en
même-tems battre la Caisse au nom du G.S.
›
en'
Cette opération cut d'abord assez
de succés et l'on avoit déja débarqué
au Sérrail environ 300 Leventis , ou
Soldats de Marine , lorsque Patrona Kalil ,
tombant tout à coup sur l'Arsenal
chassa le Capitan Pacha , et fit sçavoir aux
Léventis que s'ils embrassoient la deffense.
de la Cour , il ne leur feroit aucun quar-`
tier , et qu'il brûleroit tout à la fois leurs.
maisons , les Vaisseaux et les Galeres de Sa
Hautesse. Ces menaces firent de si fortes:
impressions sur les Soldats de la Marine ,
que
AVRIL. 1731. 841
que ceux qui alloient encore au Serrail
pour s'enroller , s'en retournerent , et la
plûpart de ceux qui y étoient déja , et qui
avoient reçû chacun 25 écus de présent ,
trouverent le moyen de s'évader de côté
et d'autres , sous divers prétextes .
Patrona- Kalil se ressouvenant qu'il avoit
été autrefois condamné à mort , pour un
assasinat , lors qu'il étoit Léventis sur le
Vaisseau que commandoit alors le même
Abdi - Capoudan , et que cet Officier lui
avoit sauvé la vie , saisit cette occasion
pour lui en marquer sa gratitude : il le fit
revenir à l'Arsenal , le rétablit dans sa di
gnité de Capitan- Pacha , et l'assura de sa
protection ; mais il emmena avec lui le se
cours que ce dernier avoit destiné au Sultan
, et l'augmenta de tous les malfaiteurs.
Turcs qui etoient , tant dans le Bagne
lieu où l'on enferme la Chiourme , que
sur deux Galères , d'où il les retira , et à
la faveur desquels , contre son intention
plusieurs Esclaves Chrétiens se sauverent ;
si bien que Sa Hautesse se voyant totalement
frustrée de ses esperances du côté
des armes fut obligée d'avoir recours à
la négociation.
J
د
On n'entrera point ici dans le détail de
toutes les allées et venues des Agens de
l'Empereur et de Patrona , non plus que·
des menaces verbales et par écrit , qui fu
rent
42 MERCURE DE FRANCE
›
rent faites de part et d'autre durant ces
jours de discussions intestines , mais nous
renfermant à rapporter l'essentiel de tout
cela , nous dirons que le vendredy , vers
le soir , S. H. renvoya le Bach- Assekу
un des principaux Officiers des Bostangis
demander aux Rebelles ce qu'ils voufoient
> et quelles étoient leurs intentions.
Ils répondirent qu'ils prioient le
Sultan de leur faire remettre en vie le
Mufty , le G. V. Ibrahim-Pacha , avec
Mustapha-Pacha , Caïmacan , et le Kyaya
Mehemel , tous deux Gendres du G. V.
et qu'à l'égard de S. H. ils étoient trèssatisfaits
de son Régne , et lui souhaittoient
toutes sortes de prospéritez .
Le G. S. sur cette réponse , fit arrêter le
Kyaya ; que l'on consigna aux Bostangis
, comme on leur avoit déja consigné
Te Kaïmacam ; pour le Mufty et le G. Vizir
, le Bach Assesky eut ordre de retourner
vers les Rebelles , et de leur dire que
le Sultan alloit déposer et exiler ces deux
Ministres ; qu'il les prioit de vouloir bien
se contenter de cette punition , et ne pas
exiger qu'on les privât du jour , en reconnoissance
de ce qu'il leur livreroit les
deux autres pour en faire ce qu'ils jugeroient
à propos .
Le Bach-Asseky rapporta , que les Rebelles
se contentoient bien de la déposition
AVRIL. 1731. 843
tion et de l'éxil du Mufty , mais qu'ils persistoient
à vouloir le G. V. L'Empereur ,
malgré son affection pour ce Ministre
qui d'ailleurs étoit son Gendre , voyant
après avoir tenu plusieurs conseils avec
les Gens de Loy , qu'il ne pouvoit le sauver
sans risquer de se perdre lui- même
lui envoya demander son cachet par le
Kislar Aga, et le fit ensuite conduire dans
l'Appartement qu'on nomme Musafir-
Oda , ( ou Chambre des Etrangers ) sans
lui faire aucun mauvais traitement. Cela
arriva le Samedy à midy , et la Charge
de G. V. demeura vacante depuis ce moment
jusqu'à 9 heures du soir , que S. H.
en honora Mehemet - Pacha , aussi l'un
de ses Gendres. Il avoit été Selictar- Aga ,
ou Porte-Sabre du G. S. et étoit sorti depuis
peu du Sértail avec la qualité de Vizir
à trois queues , qui le faisoit conseiller
cubé ou de voute , c'est - à- dire , qu'il
avoit séance au Conseil qui se tient dans
un lieu vouté.
Pendant que tout étoit en agitation dans
le Sérrail , fes Rebelles n'étoient pas oisifs
dans la Ville ; ils détachercnt plusieurs
partis , dont les uns furent piller quelques
maisons de proscrits , ( c'est- à- dire de
ceux qui avoient eu directement ou indirectement
quelque part au Ministere )
entr'autres à Galata , celle du Vaivode →
on
844
MERCURE
DE
FRANCE
où ils trouverent beaucoup d'argent
qu'ils jetterent par les fenêtres , ainsi que
tous les meubles , disant que des Musulmans
ne devoient pas profiter des rapines
et des extorsions que cet indigne Officier
avoit fait sur les Dgiaours , ou Infideles ,
& comme c'étoit leur bien , qu'il étoit
juste qu'ils le reprissent , effectivement
nombre de Grecs et d'Arméniens et de
Juifs ramasserent ce qu'ils voulurent
sans que les Turcs s'y oposassent ni prissent
rien pour eux .
2
D'autres furent crier de nouveau par les
rues , car ils avoient déja crié , sur les me
naces que le G. S. avoit faites , d'appeller
ses sujets Chrétiens à son secours , ) que
pourvû queles Infideles nes'attroupassent
point , et qu'ils se tinssent tranquillement
chez eux , il ne leur seroit pas fait le
moindre tort , et cela s'observa religieusement
en general. Patrona ayant exigé
par serment de tous ses Camarades , qu'ils
ne commettroient aucun excès , il y cut
pourtant quelques coquins qui le fausserent
, mais ceux que l'on reconnut ou que
l'on prit sur le fait furent punis de mort
par
l'ordre même des Chefs de la rebel-
* Cette Charge réunit les fonctions de Gou
verneur et de Lieutenant de Police , le Vaivode de
Galata étend son distric jusqu'à la Mer Noire , le
long de la côte d'Europe.
lion.
AVRIL. 1731. 845
fion. Ils firent publier aussi que les Boutiques
où se débitent les choses necessaires
à la vie fussent toujours ouvertes , et
si bien garnies , que cette Capitale du
monde et ses vastes Fauxbourgs ne souffrissent
aucune disette .
Quoique toutes les Milices fussent dèslong-
tems révoltées dans le coeur , cependant
les deux premiers jours de la sédition
, il ne paroissoit pas que les Jannissaires
, les Topgis et Dgebedgis y rempassent
, du moins ouvertement , affectant
au contraire une espece de neutralité , qui ,
à la verité , ne les excusoit pas envers leur
Souverain.
,
Mais les Rebelles s'étant emparés du
Dgebe-Kané, ils se partagerent en deux
bandes , les uns furent inviter les Jannissaires
à se joindre à eux pour les aider
leur dirent- ils , à consommer une entreprise
aussi utile et aussi glorieuse à l'Empire
qu'étoit celle qu'ils avoient commencée
, tandis que les autres étant passez
à
Top-Hana, sollicitoient la même union auprès
des Topgis , et Dgebedgis ; ces differens
corps firent mine quelque tems par
un reste de bienséance , de ne vouloir pas
se prêter à leurs instances réïterées , mais.
* Gebé- Cavé , Magazin proche le Serail , on
sont les poudres , le plomb , et autres munitions,
de Guerre.
846 MERCURE DE FRANCE
y cédant à la fin ils y consentirent , a
moins tacitement.
Les Rebelles qui n'en demandoient pas
davantage , entrerent alors dans les Odas,
ou chambres des Cazernes de ces Troupes
,
d'où ils enleverent sans obstacle , les
tentes , les grandes marmites , et autres
ustanciles qu'ils transporterent à la place
d'Etmeïdan , où ils dresserent un Camp
dans les formes . Bientôt après , les Jannissaires
et les autres Milices les suivirent ,
faisant pourtant toujours semblant d'y
être forcez , quoiqu'ils courussent à l'envi
les uns des autres , pour arriver des premiers
au lieu de l'Assemblée , excepté les
Officiers , qui demeurerent constamment
attachées au G. S. et dont la plûpart s'étoient
déja retirez au Sérrail.
Cette jonction de la Soldatesque aux
Rebelles , acheva de déconcerter la Cour :
l'Empereur voulut cependant faire encore
une tentative auprès d'eux pour en obtenir
la grace d'Ibrahim - Pacha , mais ils
répondirent insolemment qu'ils avoient
assez fair , de pardonner au Mufty, à quoi
ils ne s'étoient même déterminez qu'en
consideration de son sçavoir , et de la
qualité de Chef de la Loy , et qu'ils vouloient
absolument qu'on leur remit le
G. V. et ses deux Gendres , pour leur faire
rendre compte de leur administration .
Le
AVRIL: 1731.
847
Le Sultan convaincu par l'opiniâtreté
de ces mutins , qu'il qu'il ne lui étoit
pas possible de soustraire son Ministre à
leur fureur , le fit condamner par le Kadilisker
d'Asie avec le Kaïmacan et le
Kyaya, à être étranglés, et ordonna qu'on
porteroit leurs corps à Etmeïdan .
,
Le Kyaya Mehemel , n'eut pas plutôt
appris , quand on vint le tirer de sa prison
, que c'étoit pour le mener au Kapon-
Orasy , endroit du Serail où l'on execute
les criminels d'Etat , que la frayeur dont
il fut saisi prévint les Bourreaux , et lui fit
rendre l'ame sur le champ ; ils ne laisserent
pas de le traîner au lieu du suplice ;
où par formalité pour l'éxecution de la
Sentence , on lui passa une corde d'arc au
col , ou corde de boyau ; à l'égard du
Vizir et du Kaïmakam , ils conserverent
leur fermeté jusqu'à la fin . Ce dernier fit
tranquillement ses ablutions et ses prieres,
mais le Visir ne fit ni l'un ni l'autre , disant
qu'étant si prés de perdre la vie , il
ne vouloit pas se donner tant de peine.
Ainsi finirent ces fléaux du peuple le
Is
de la Lune
de Rebiul
- Euvel
à 9 heures
du soir , du 30 Septembre
, dans le tems
même
que Sa Hautesse
faisoit
Mehemet
Pacha
G. V.
, Le lendemain matin , les trois cadavres
presque nuds , furent chargez chacun sur
un
$48 MERCURE DE FRANCE
un Chariot , et conduits à Etmeïdan ; le
peuple qui les suivoit , après avoir exercé
sur eux mille infamies , criant le long du
chemin , que tous les ennemis de l'empire
et de la Religion puissent avoir le même
sort. Quand les Rebelles les virent arriver,
ils entrerent dans une colere inexprimable
, se récriant sur ce qu'on ne leur avoit
livré ces traîtres en vie comme le
G. S. le leur avoit promis. On leur répondit
, qu'il n'étoit pas d'usage qu'un Sultan
remit ses Ministres vifs entre les mains
de leurs ennemis , et qu'ils devoient être
contents de ce que S. H. avoit eu la condescendance
de faire pour eux.
pas >
Les Rebelles qui avoient leurs veuës ;
n'eurent garde de se payer de ces raisons ;
ils redoublerent de fureur , et déclarerent
sans ménagement , qu'ils vouloient
qu'Achmet III. fut déposé , et que Mahmoud
, son Neveu fut mis sur le
Thrône.
>
Leur propre sûreté les entraîna dans cet
excès de révolte; faisant réfléxion qu'Ach
met étoit naturellement cruel ; qu'il avoit
fait mourir tous ceux qui avoient détrôné
son frere le Sultan Mustapha II. en 1703 .
pour lui donner sa place ; qu'ainsi ils n'en
devoient pas attendre de meilleur traitement
s'ils le laissoient en état de se venger
des outrages qu'ils venoient de lui
faire
AVRIL. 1731. 849
faire , au lieu qu'en élisant Mahmoud
qui languissoit depuis 27 ans en prison ,
ils auroient sujet d'esperer que ce Prince ,
par reconnoissance de ce qu'il leur devroit
sa liberté et son élevation , n'attenteroit
point à leur vie.
Mais comme il falloit au moins quelque
prétexte spécieux , pour colorer une
infidelité si formelle , non contents des
plaintes ameres qu'ils avoient déja faites'
contre leur Souverain , de ce qu'il leur
avoit manqué de parole en leur envoyant
morts les trois Ministres ; ils feignirent de
croire ( et peut-être le crurent- ils effectivement
) que ce n'étoit pas même le corps
du G. V. qu'on leur avoit apporté , mais
celui d'un forçat de Galere , qui lui ressembloit
, et que l'on avoit substitué à sa
place.
La verité est que ce Ministre étoit si
méconnoissable après sa mort , ( ce qui
avoit même fait répandre dans le public
qu'il s'étoit empoisonné ) que son premier
Batelier qui le voyoit tous les jours depuis
long- tems , affirma que ce n'étoit pas lui.
et qu'on verifia d'ailleurs qu'il n'étoit pas
circoncis . Il est vrai que Ibrahim étoit né
Chrétien , et que dans le fond , n'ayant
aucune Religion , il ne s'étoit pas embarrassé
de se faire circoncire quand il vint
d'Asie à Constantinople , professer l'exte
rieur du Mahometisme.
850 MERCURE DE FRANCE
que
Quoiqu'il en soit , les Rebelles se crurent
suffisamment authorisez à soûtenir
le G. S. les avoit doublement trompez
; ainsi , après avoir assouvi leur rage
sur les cadavres du Kaïmakam et du
Kyaya , qu'ils pendirent ensuite à deux
arbres , pour en donner le spectacle à tout
le peuple , ils attacherent à la queuë d'un
cheval celui du malheureux Ibrahim , et
le traînerent jusqu'à la porte du Serrail ;
là, par des clameurs affreuses , ils demanderent
qu'on leur remit en vie le veritable
Ibrahim , avec le Deys- Effendi , et
toutes les créatutes du premier , ajoûtant
que puisqu'on ne pouvoit compter sur
les promesses d'Achmet , et qu'il s'obstinoit
contre toutes les Loix à proteger un
monstre qui avoit désolé l'Empire , il n'étoit
plus digne de régner , et qu'il falloit
le renverser du Thrône pour y placer
Mahmoud , qu'ils avoient déja proclamé
Empereur.
Le Sultan - Achmet mit en vain tout
en oeuvre pour tâcher de les calmer , leur
faisant offrir des récompenses considérables
, et de leur sacrifier toutes les victimes
qu'ils demanderoient ; ils furent infléxibles
, et s'en retournant à Etmeïdan
ils jetterent en chemin le cadavre d'Ibrahim
auprès d'une belle Fontaine , que
se Ministre , qui étoit magnifique en
tout ,
AVRIL. 1731. 851
tout , avoit fait construire depuis deux
ans pour l'ornement de la Ville et la
commodité du Public.
>
l'é-
Les Rebelles , quoique résolus à ne se
point relâcher sur la déposition d'Achmet
, avoient pourtant besoin , pour
xécution d'un projet de cette importance,
d'être guidez par quelqu'un qui eût des
lumieres et du crédit , et qui entrât en
même-tems dans leurs sentimens . Ils trouverent
ce qu'ils cherchoient lorsqu'ils s'y
attendoient le moins , dans la personne de
Ispiri-Zadé , Prédicateur ordinaire de la
Cour et de Sainte Sophie . Cet hipocrite ,
qui , sous un air simple et mortifié , cachoit
une ambition démésurée , et qui
avoit reçû dans cent occasions des bienfaits
de l'Empereur , s'abandonnant à
l'ingratitude la plus noire , fut lui - même
trouver les conjurez ; il les confirma par
ses pernicieux conseils dans leur abominable
dessein leva toutes les difficultez
qu'ils croyoient le pouvoir faire échouer ,
et se chargeant de conduire l'affaire , il
fut au Serrail vers le soir du 16 de la Lune
( le premier Octobre ) dans le tems que
le G. S. étoit à la Kas- Oda , et que tous
les Ministres , les gens de Loi , et autres
Grands de l'Etat , étoient dans un
Kiosk ( espece de Pavillon ) consternez et
violemment agitez.
,
B Dès
852
MERCURE
DE FRANCE
Dès qu'il parut , chacun s'empressa de
le questionner sur ce qui se passoit dans.
la Ville ; il dit , contrefaisant l'homme
abbatu de tristesse , que les Rebelles ne
vouloient plus en aucune façon , qu'Achmet
restât sur le Trône ; et qu'après tout ce qu'il
avoitfait enfaveur de ce Prince , pour vaincre
leur animosité contre lui , il étoit inutile de
se flatter qu'on put les faire changer de réfolution.
A ces paroles toute l'Assemblée devint
comme immobile , et n'eut pas la force de
proferer un mot ; le perfide Ispiri -Zadé
voyant que personne ne se mettoit en devoir
d'aller annoncer cette nouvelle au
Sultan , il y fut de lui- même.
Hé bien , qu'y-a- t'il , lui dit Achmet ;
les Rebelles font- ils toujours à Etmeidan ?
Pourquoi ne se retirent-ils pas , pour vaquer
chacun à ses affaires ? Je les aifavorisez audelà
de ce que je devois , je leur ai offert des
préfens , et de leurfaire justice de tous ceux
dont ils croyent avoir à se plaindre , que veu
lent- ils , que souhaittent-ils encore ?
Seigneur , lui répondit cet homme pervers
,d'un ton ferme, et pourtant composé
, ton régne est fini , et tous tes sujets révol
tez ne te veulent plus pour Empereur, Alors,
Achmet se levant brusquement , répliqua
, et pourquoi ne me le disiez- vous pas
plutôt ? Vous vene ici tous les jours , d'où
و
vient
AVRIL. 1731. 853
vient tant tarder à me l'apprendre ? Puis sans
hésiter il courut à l'Appartement du Prince
Mahmoud , son Neveu ; le prit par la
main , le conduisit à la Kasoda , où il le
plaça lui-même sur le Trône , le salua Empereur
le premier , et lui dit entr'autres
choses fort touchantes : Souvenez - vous
que votre pere ne perdit la place que je vous
céde aujourd'hui , que par son aveugle complaisance
pour le Mufty Feyz -Oullah Effendi
, et que je ne la perds aujourd'hui moimême
que pour m'être trop confié à Ibrahim-
Pacha , mon Vizir , profitez de ces deux
grands exemples ; ne vous attachez à vos
Ministres , et ne vous reposez sur eux qu'avec
beaucoup de circonspection. Si j'avois
toujours suivi mon ancienne politique de ne
jamais laisser les miens trop long-tems en place
ou de leurfaire rendre souvent un compte
exact des affaires de l'Empire , j'aurois peutêtre
fini mon régne aussi glorieusement que je
Pai commencé. Adien , je souhaite que le
vêtre soit plus heureux ; je vous recommande
mes enfans et ma personne. Ensuite , l'infortuné
Achmet fût s'enfermer de lui-même
dans la prison , d'où il venoit de tirer son
Neveu .
Les fils d'Achmet s'enfermerent avec
lui ce jour- là ; Mahmoud l'ayant ainsi
ordonné pour consoler son Oncle , mais
le lendemain ces Princes furent logez ail-
Bij leurs ,
854 MERCURE DE FRANCE .
leurs , les trois plus jeunes ensemble , et
les trois aînez , chacun dans un Appartement
séparé.
Cette abdication se fit le 2 Octobre à
deux heures du matin : tout ce qui se
trouva dans le Serrail de Ministres et de
Gens de marque , fut admis cette nuit
même à baiser la veste du nouveau Sultan
.
Le jour venu , on lui éleva un Trône de
vant le Babiseadet , ou la Porte heureuse ;
c'est une porte du Serrail qui conduit à
l'Appartement où le G. S. donne Audien-.
ce aux Ministres Etrangers ; et c'est dans
cet Appartement que tous les Grands de
l'Empire , en Corps , vinrent le reconnoître
Empereur, et lui baiser la veste . Aussitôt
les Crieurs publics annoncerent son
Avénement par toute la Ville.
Le même jour , une Galere transporta le
Mufty à Tenedos , lieu de son exil, Les
Rebelles l'avoient redemandé de nouveau
pour le faire mourir , mais les Gens de
Loy agirent si efficacement , qu'ils lui sauverent
la vie ; dans le fond c'est un fort
bon homme , dont la viellesse et la douceur
naturelle ont peut-être été les seules
causes du seul crime qu'on lui a reproché,
de ne s'être pas opposé avec la vigueur
qu'éxigeoit son caractere , aux malversa
tions qu'il voyoit commettre,
Le
AVRIL 1731. 855
Le 3 Octobre , le G. S. curieux de connoître
le premier Chef de ces gens téméraires
, à qui il devoit l'Empire , commanda
qu'on lui fit venir Patrona-Kalil , lequel
se présenta comme il étoit vêtu ordinairement
, c'est - à- dire , en simple Janissaire
, et les jambes nuës. Il s'avança d'un
air assûré jusqu'au Trône du Sultan , et
lui baisa la main : Que puis -je faire pour
toi , lui dit Mahmout , tu es en droit de me
demander toutes les graces que tu voudras.
Cet homme de néant , et chargé de crimes
, mais subtil et plein d'artifice , montrant
alors des sentimens plus nobles et
plus élevez, que sa naissance et sa vie passée
ne sembloient en devoir promettre ,
répondit à l'Empereur , que jusqu'à présent
il avoit tout ce qu'il avoit le plus désiré
, qui étoit de le voir sur le Trône
Ottoman et que pour l'avenir
sçavoit bien qu'il n'avoit rien à attendre
de Sa Hautesse qu'une mort honteuse et
prochaine. Je te jures par les manes de mes
Ancêtres , répondit le G. S. que je ne te ferai
jamais de mal ; demande moi seulement
quelle récompense je te puis donner , je te
l'accorde d'avance. Puisque votre bonté
Imperiale est sans bornes , répondit Patrona
, je vous prie de vouloir bien supprimer
tous les nouveaux impots dont vos fideles sujets
ont été accablez sous le précédent Minis-
,
B iij
*
,
il
tere.
856 MERCURE DE FRANCE
>
tere. Mahmout y souscrivit sans hésiter
et sur le champ cette suppression fut publiée
par tout .
Ce jour- là , le G. S. confirma Mehemet-
Pacha , dans la Charge de G. V. et lui
nomma pour Kyaya le vieux -Nik-Deli-
Hali-Aga , qui avoit été fort attaché à
l'Empereur Mustapha , pere de Sa Hautesse
.
Le 4. les Rebelles furent piller quelques
maisons de proscrits , et rompirent
le Sceau Imperial qu'on y avoit apposé.
Le Sultan fut vivement picqué de ce manque
de respect ; mais n'étant pas en état
d'en marquer son ressentiment , il les envoya
prier de cesser ces sortes d'éxecutions
, et leur fit représenter , que puisqu'ils
l'avoient mis sur le Trône , ils lui
devoient laisser le soin et l'autorité de punir
les coupables de la maniere qu'il conviendroit.
Bien loin de se rendre à ses
remontrances , et si douces et si justes ,
ils répondirent qu'ils ne discontinueroient
point leurs vengeances qu'ils ne l'eussent
satisfaite eux - mêmes et demanderent
pour la seconde fois qu'on leur remit le
Reys Effendi , le Tchiaoux Bachy , et plu
sieurs autres , ce que la Cour ne pût et ne
jugea pas à propos de faire , le Reys - Ef
fendi , entr'autres , étant alors si bien ca
ché qu'on le croyoit en fuite.
,
Le
AVRIL. 1731. 857
,
Le 5. ils pillerent encore deux grands
Palais , en Asie , sur le Canal de la
Mer Noire et cependant le Grand-
Seigneur ne laissa pas de confirmer dans
leurs emplois , tous ceux qu'ils en avoient
revêtus , comme les nouveaux Janissaire-
Aga , Topgi -Bachi , &c .
Il est d'usage , selon les constitutions de
l'Empire Ottoman , que quand ' un Sultan
vient à mourir de mort naturelle , et
que le Prince qui doit lui succeder monte
sur le Trône , celui - ci n'est point obligé
de faire aucune gratification aux Troupes
; mais que lorsque par une révolution
comme celle-ci , un Prince parvient à
l'Empire , il doit leur augmenter leur
paye et leur faire un présent , ce
qui se pratique de la maniere suivante.
2
Chaque Cavalier a 1000. aspres de présent
( 25. liv . ) et deux aspres dé paye , de
plus qu'il n'avoit par jour , ou s'il l'aime
mieux , car cela est à son choix , que le
présent soit converti en paye journaliere ,
alors on la lui augmente de trois aspres au
lieu de deux ; de même les Janissaires ,
les Tobdgis , et les Dgedbedgis , ont cinq
aspres d'augmentation de solde , et point
de présent , ou s'ils préferent de le tou
cher , on leur donne 3000. aspres pour
ce présent , ou 75. liv . et leur solde n'est
B iiij aug858
MERCURE DE FRANCE
augmentée que de deux aspres.
Le nouveau Sultan , étant dans le cás
de ces libéralitez d'obligation , fit venir
le Tefterdar , ou le Grand Trésorier , et
les autres personnes chargées du maniement
des deniers Imperiaux , et ordonna
de tenir prêt l'argent qu'il falloit pour
P'acquitter envers les Milices. Ces Officiers
dans la vûë de faire leur cour , ne voulurent
point toucher aux Trésors de l'Etat
quoique depuis l'établissement de l'Empire
, ils n'eussent jamais été si remplis
étant assurez de trouver dans ceux que
le
Grand Vizir , son Kyaya et le Capitan
Pacha avoient amassez des fonds plus
que suffisans pour le payement en question
.
J
Ils firent chercher avec soin , quelquesuns
des plus affidez Officiers de ces trois
Ministres , pour en tirer des lumieres touchant
le bien de leurs Maîtres . On amena
d'abord au Tefterdar un jeune homme
qui avoit été L'Anactar- Oglan du Grand
Vizir , ( c'est comme qui diroit un gentilhomme
de la Clef, ) et qui en avoit eu
toute l'amitié et toute la confiance ; il dit
que pourvû qu'on ne lui fit point de
mal ,il découvriroit de grandes richesses ;
on l'assura que bien loin de le maltraiter ,
on le recompenseroit . L'Anactar un peu
remis de son trouble , et d'ailleurs ne pouvant
AVRIL. 1731. 859
*
vant mieux faire , puisque s'il eut voulu
garder le secret , on le lui eut arraché
par les tourmens , conduisit le Tefterdar
dans une cour du Serrail du Grand Vizir
, où ce Ministre avoit fait bâtir un
Colombier ; on creusa dessous , à l'endroit
qu'il indiqua , et l'on en tira quatre
cofres de fer , dont trois fort grands ,
renfermoient chacun 18. longues bourses
de cuir , de 60. mille Sequins Fondoukli
chacune. Le Sequin Fondoukli , étant évalué
à 400. afpres fait 10. livres monnoye
de France , ces trois coffres contenoient
la somme de 32. millions 400 .
mille livres.
A l'égard du quatrième , il étoit à la
vérité beaucoup plus petit , mais il étoit en
récompense rempli de pierres précieuses
d'une beauté singuliere , et d'un prix inestimable
, aussi bien que les riches étoffes et
les tapis de Perse et des Indes,les fourures ,
les Bijoux , les curiositez de tous les Pays ; en
un mot, les hardes et les meubles superbes
que l'on trouva en profusion dans ce Palais.
On se saisit ensuite du Kyaya du Harem:
un Eunuque noir , ayant l'Intendance de
l'appartement des femmes de Mehemet ,
Kiaya d'Ibrahim - Pacha , qui avoit aussi une
connoissance parfaite des grands biens de
cette sangsuë de peuple. Dès qu'il fut pré-
Bv senté
860 MERCURE DE FRANCE
senté au Tefterdar , il lui confessa tout , et
le mena dans les differens Souterains que
son Maître avoit fait construire pour enfoüir
ses trésors. Il dit que quand Mehemet
avoit fait remplir un coffre , il le
faisoit porter par des portefaix jusqu'à une
certaine distance du lieu où il vouloit que
son argent fut déposé , et que lui , Kyaya
du Harem se travestissoit
> par son
ordre la nuit ; vuidoit ce coffre à diver
ses reprises et emportoit le contenu
dans la cache , sans que personne s'en fût
jamais apperçu.
,
en
Suivant le compte du Tefterdar on
fait monter à 30. mille Bourses l'argent
comptant de cet infame monopoleur ;
et ses autres biens à présqu'autant ; soic
en pierreries , en Palais , maisons
fonds de terre , en rentes , en habits , ou
soit en denrées ou marchandises , dont il
faisoit commerce. Chaque bourse de soo .
piastres , évaluée 1500. liv. les 30. mille
bourses font 45. millions, de notre monnoye.
3
Quant au Capitan Pacha , il n'a pas
paru qu'il fut à beaucoup près si riche en
especes que
les autres mais outre ses
Palais qui étoient dignes de loger des
Sultans , il avoit une grande quantité
de pierreries plus belles et plus parfaites,
AVRIL. 1731. 861
tes , que celles du Grand Vizir et du
Kyaya , parce qu'il les payoit aussi bien ,
et il s'y connoissoit mieux qu'eux : enfin les
richesses que l'on a trouvées chez ces trois
Miniftres , sont si prodigieuses , que le
Roi Cresus , si fameux dans l'Histoire par
ses Trésors , auroit pû passer pour pauvre
auprès d'eux .
Le Sultan Achmet n'ignoroit pas que
le Kyaya , entre-autres , s'enrichissoit infiniment
au- delà de ce qu'avoit jamais fait
aucun particulier de l'Empire , surtout
d'une aussi basse origine que l'étoit celuilà
, mais au lieu de mettre un frein à ses
concussions , cet avare Empereur , lui facilitoit
les moyens d'en faire tous les jours
de plus criantes , parce qu'il se flattoit que
le vieux Ibrahim son Vizir , mourroit bientôt
; et qu'alors n'étant plus retenu par
aucune considération , il feroit étrangler
le Kyaya , et s'empareroit de tous ses
biens.
Avant que de finir sur le compte de cet
odieux Ministre, il ne sera pas hors de propos
de rapporter une particularité assez singuliere
; sa fille unique étoit promise au
jeune Anactar Oglan , dont on a parlé. It
avoit fait de magnifiques préparatifs pour
la célebration de la nôce , qui avoit été
fixée précisément au soir du jeudi , que la
sédition éclata ,et suivant la coutume tous
B vj les
862 MERCURE DE FRANCE:
les grands de l'Empire lui avoient fait à
ce sujet des présens considerables ; la bienséance
vouloit, ce semble , dans le trouble
et le désordre où la Cour et la Ville
étoient plongées , et dont il avoit paru
lui- même si fort effrayé , quand il se sauva
le matin , que ces nôces fussent remises
à un temps plus tranquille et plus
propre à la joye ; cependant , soit qu'il
se flatât que la rebellion n'auroit point de
suites fâcheuses , ou que son orgueil l'aveuglât
, il passa outre , et insultant au
peuple pour la derniere fois , le mariage
fut consommé à l'heure marquée ; mais
il fut d'un sinistre augure , puisque tandis
que la fille entroit au lit nuptial , le
pere mettoit déja le pied dans celui de la
mort.
}
7
Les richesses du Grand Vizir et de ses
deux Gendres , étant immenses , comme
on l'a pû voir par le petit détail que nous
en avons fait , elles étoient plus que suffis
ntes pour le payement des troupes ; on
déploya donc cinq étendarts à Atmerdam
, sous lesquels vinrent se ranger, et se
fire écrire,tous ceux qui devoient, ou pour
mieux dire , qui voulurent participer à
cette gratification ; car il est bon de remarquer
que d'ordinaire un Sultan , n'est
tenu à faire le présent de son avenement
à l'Empire , qu'aux Militaires en exercice
,
AVRIL 1731. 863
ze , et déja enrolez du temps de son Prédécesseur
, et non à ceux qui ne venant
s'engager , la plupart dans cette occasion ,
que pour profiter du benefice qui l'accompagne
, disparoissent après l'avoir reçû
parce que supposé que parmi ces
derniers , il s'en trouve , qui s'enrollent
avec l'intention de servir , ils doivent
s'estimer assez heureux d'être reçûs au
nombre des Kouls ou Esclaves de sa
Hautesste , avec la paye qu'on leur assigne
; mais le Sultan Mahmout , voulant
commencer son regne par un acte de générosité
, pour se concilier davantage le
coeur des Milices et du peuple
d'ôter tout prétexte aux mal intentionnez
, de continuer la révolte , donna un
Katcherifs pour que les nouveaux Soldats
reçussent également la gratification
comme les anciens , et qu'on délivrât
également aux uns et aux autres deux
quartiers de leur solde.
,
et afin
Malgré cet ordre , cependant le Lieutenant
General des Janissaires , par probité
, ou par reconnoissance de ce que
l'Empereur l'avoit confirmé dans cette
Charge , qu'il tenoit des Rebelles , ne
put voir sans indignation qu'ils abusassent
des bontez de Sa Hautesse , jusqu'au
point d'admettre à cette gratification
comme ils faisoient , un nombre infini de
و
petits
$64 MERCURE DE FRANCE
,
petits enfans , de vieillards et de gens
éclopez ou contrefaits ; il crut donc pouvoir
représenter à Patrona , que si l'on
continuoit de la sorte tous les trésors:
du Grand Seigneur ne suffiroient pas
gratifier tant de gens qui le méritoient
si peu ; mais celui- ci lui dit avec un ton
de Maître , que ce n'étoit pas à lui à vouloir
diriger des finances qui ne lui appartenoient
point et dont il n'étoit pas
chargé de rendre compte , et sans autres
discours , il commanda sur le champ
qu'on mit en pieces ce malheureux Officier
, qui par trop de zéle et de probité
perdit en un instant la vie , et sa nouvelle
dignité.
,
Le Grand Seigneur voyant de plus en
plus par ce qui venoit de se passer , qu'il
ne lui seroit pas possible de rétablir l'ordre
et la tranquillité dans Constantinople
, tant que Patrona y resteroit en armes
, et n'osant entreprendre de s'en défaire
, de crainte de causer une seconde révolution
aussi fatale pour lui , lui , que
que la premiere
l'avoit été pour son oncle , il tenta
de l'éloigner de la Capitale , en lui offrant
un des plus considerables Gouvernement
de l'Empire , et d'y attacher toutes
les marques d'honneur qu'il souhaiteroit.
Mais Fatrona se défiant avec raison
que
AVRIL. 1731. 865
réque
des offres si avantageuses ne cachassent
un piége , répondit qu'il ne se
soucioit pas de dignitez , et qu'il n'étoit
avide que du sang des proscrits , dont
il avoit fait une longue liste. Le Janissaire
Aga qui étoit présent , s'avisa de
vouloir conseiller à l'Empereur,de donner
à Patrona 100. mille Sequins , et de le
laisser le maître de se retirer où bon lui
sembleroit.Je n'ai pas besoin d'argent,
,, pondit ce fier Rebelle , puisque toutes les
bourses de Constantinople sont à mon service
; et lançant un regard terrible sur
le Janissaire Aga , il lui recommanda d'un
ton , et d'un air si impérieux , de ne se
jamais mêler de ce qui le regardoit , s'il
ne vouloit avoir le même sort de son Lieutenant
, que sans rien répliquer , ce General
de l'Infanterie , se prosterna trois
fois devant lui .
ور
"
> et à
Le 6. Patrona nomma de son chef de
nouveaux Officiers , à la plupart des principaux
emplois dans les troupes
mesure qu'ils se présentoient devant lui
il les faisoit revêtir de Pelisses de Samour
de Martre Zibeline , qu'on avoit prises
au pillage des maisons des proscrits . On
publia de nouveau ce jour-là de sa pare
que tous ceux qu'on trouveroit commettant
du désordre , seroient punis de mort
sur le champ. Cette Ordonnance produi
sit
865 MERCURE DE FRANCE
>
sit un si bon effet , que , quoique Gala
ta grand Fauxbourg de Constantinople,
fut plusieurs jours sans Commandant,
le Vaivode , dont la tête avoit été mise à
prix , s'étant sauvé , et que presque tous
les Marchands François qui y demeurent
fussent alors aux Isles des Princes , avec
leurs familles , les Rebelles qui vinrent
piller quelques maisons de Juifs , ne firent
aucunes insultes à celle des François.
Il est vrai , que ce qui contribua beaucoup
à les garantir des brigandages de la canaille,
fut la précaution que leur nation prit d'établir
et de payer une gardepour leur pro
pre sureté , composée des Rebelles mêmes.
Le 7. le Sultan Mahmout' , fut avant
midi à la Mosquée d'Eyoup , qui est dans
le fond du Port de Constantinople , à
environ deux heures de chemin du Serrail,
se faire ceindre le Sabre Imperial ; céré
monie qui tient lieu de couronnement aux
Sultans. Son cortege étoit fort nombreux ,
mais il y avoit beaucoup de confusion ; la
Marche défila entre deux hayes de Janissaires
de Topgis , et de Dgebedgis , en
simple Doloma , qui est l'habit long que
portent ordinairement les Janissaires , en
Calote rouge , sans bonnets de cérémo
nie , et sans armes , comme l'Empereur
l'avoit ordonné ; car il y eut la veille de
grandes contestations à ce sujet ; entre
la
•
t
AVRIL. 1731 867
la Cour et les Rebelles , Sa Hautesse ne
voulant point que personne vint armé à
cette Cavalcade , et ceux- ci au contraire
ne prétendant pas devoir mettre bas les
armes , qu'on ne leur eut donné satisfaction
sur les proscrits , et qu'ils n'eussent
été payez de ce qu'on leur devoit , tant
du présent , que de ce qu'on leur devoit
d'ailleurs ; de sorte que malgré les défenses
du Sultan ils y vinrent bien armez ;
Patrona monté sur un beau Cheval magnifiquement
harnaché , y précedoit le
Grand Vizir , et avoit à sa gauche un
autre Chef de son parti . Ces deux hommes
affectant de mépriser le faste
n'avoient
qu'un petit Turban , l'habit de Janissaire
, et les jambes nuës ; ils jettoient
des Sequins au peuple , et quatre Dervi- .
ches , qui marchoient à pied à leurs côtez,
faisoient les mêmes largesses de leur part.
Le Sultan se distingua aussi par sa generosité
, ayant fait jetter ou distribuer pareillement
50. bourses , au lieu de douze qu'il
en coûte d'ordinaire à un nouveau Grand-
Seigneur dans cette occasion . On revint
par terre comme on étoit allé , le mauvais
temps n'ayant pas permis qu'on prit la
voye de la Mer , comme c'est l'usage.
Le peuple avoit compté qu'après cette
céremonie la tranquilité se rétabliroit , et
qu'on r'ouvriroit les Boutiques; mais l'autorité
868 MERCURE DE FRANCE
, que
torité du Grand Seigneur étoit encore si
mal affermie , qu'on n'osa exposer les
Marchands aux nouveaux désordres
cette ouverture auroit pû attirer; les principaux
Officiers des Rebelles étant même
venus à la Porte le 8. Octobre , et le Grand
Visir leur ayant fait distribuer des Cafetans
et des Chevaux , ils se prirent de paroles
, & et se tiraillerent l'un l'autre , chacun
voulant saisir le meilleur Cheval,
cela jetta d'abord l'effroi par tout
parce
qu'on craignit que ce ne fût une feinte
concertée entre eux , pour exciter une
nouvelle sédition ; heureusement se querellant
de bonne foi , ils se reconcilierent
de même .
د
Patrona , vint aussi peu après voir le
Grand Visir , accompagné seulement de
trois de ses camarades , qui le suivoient à
pied comme des domestiques. Dès que ce
Ministre , tout gendre qu'il est d'un Sultan,
et qui ne se seroit pas levé pour l'Ambassadeur
d'un Souverain , sçut que cet
illustre scelerat arrivoit , il courut vite au
devant de lui jusqu'au bas de l'escalier ,
le mena dans son appartement , où ils resterent
deux heures ensemble , et il le reconduisit
bien civilement au lieu où il étoit
venu le prendre.
Dans le temps que Patrona alloit par
tir , un Bach Asseky , domestique favori
du
AVRIL. 1731. 869
du Grand Seigneur , vint lui parler en secret
de la part de Sa Hautesse : il ne daigna
pas descendre de Cheval pour cela ,
mais se courbant un peu seulement , leur
conversation dura un quart d'heure , après
quoi il s'en retourna d'un air résolu à son
Camp d'Etmeïdan .
Il s'étoit répandu ce jour-là dans la Ville
, que le Grand Seigneur devoit honorer
d'un nouveau Cafetan , Abdi Capoudan
, et le confirmer dans la dignité de
Capitan Pacha ; mais il arriva au contraire
que Sa Hautesse le déposa et mit à sa
place Kafis Mehemet Pacha , jeune homme
de 35. ans , qui n'a aucune experience
dans la Marine : aussi n'étoit-ce qu'en
attendant l'arrivée de Dgianum Codeca ,
un des plus braves et des plus grands
hommes de Mer qui soit dans l'Empire.
Ce même jour , les Ministres Etrangers
eurent permission de la Porte d'expédier
à leurs cours , pour donner avis de
l'avenement de Sultan Mahmout à l'Empire
, et plusieurs Tribunaux de justice reprirent
leurs cours ordinaires , au moyen
des nouveaux Officiers , qu'on y mit pour
remplacer ceux que les Rebelles avoient
proscrits , comme entre-autres , le Vaivode
de Galata , qui fut remplacé par un
ancien Officier du Corps des Baltadgis
lequel avoit déja exercé autrefois le même
870 MERCURE DE FRANCE
me emploi , avec l'approbation generale.
Il est fils de Cherkez - Osman-Pacha
qui dans tous les grands emplois , qui lui
ont été confiez , a donné des marques de
son amitié pour les François , et surtout
dans l'affaire de la restauration du Temple
de Jerusalem.
Le 9. on commanda 20. Janissaires sans
armes , de chaque compagnie , pour aller
prendre à la Porte, l'argent destiné au présent
, et escorter les 150. chariots , chargez
chacun de so . Bourses , qu'on conduisit
en cérémonie chez le Janissaire
Aga , ou la répartition s'en fit pendant
trois jours à 100. mille hommes ; sçavoir
40. mille Janissaires , 18. mille Topgis ,
22. mille Dgebedgis , et 20. mille Spahis
, ce qui fait en tout 11250000. liv .
Le Grand Visir fut importuné de quelques
plaintes au sujet de cette distribution :
plusieurs Officiers deshonorant leur carac
tere , s'aviserent de retenir pour eux une
partie de ce qui revenoit à leurs Soldats :
une conduite si indigne en tout temps , et
si dangereuse dans les circonstances presentes
, méritoit sans doute une punition
exemplaire , cependant ils en furent quittes
pour restituer à qui il appartenoit ,
tout ce qu'ils s'étoient si injustement approprié
; mais il pensa arriver entre les
Rebelles un autre affaire de même espece
,
AVRIL. 1731. 871
ce , qui , pour peu qu'elle eut eu de suites
auroit été capable de ruiner entierement
leur parti .
2
Patrona , qui jusqu'alors s'étoit montré
en public , sous le caractere d'un hommé
désinteressé , faisant apparemment réflexion
, que la gloire toute seule n'étoit
que fumée , voulut lui donner plus de
consistance en y joignant les richesses.
Beaucoup de proscrits cachez , le firent
sonder , pour obtenir leur grace , et lui
offrirent des presens proportionnez à leurs
facultez ; il leur accorda la liberté de se
retirer où ils voudroient , et reçut de l'un
20. bources , de l'autre 30. &c. le tout
sans en faire part à ses Camarades ; ceuxci
n'en eurent pas plutôt connoissance
qu'ils s'en plaignirent avec aigreur. Vous
fçavez bien , lui reprocherent-ils , que nous
n'avons tous pris les armes que pour tirerle
peuple d'oppression, et le délivrer d'une
troupe de Loups raviffants qui le rongeoient
depuis 14. années ; que par l'assistance divine
nous sommes venus à bout de ce
grand et perilleux ouvrage ; cependant
,, vous , Patrona , qui comme notre Chef devriez
nous montrer l'exemple
et être
plus religieux obfervateur du serment que
vous avez exigé de nous , et que vous avez
fait vous même de ne pardonner à aucun
des ennemis de la Patrie , Vous êtes le
د و
و و
ر و
د و
ر و
ور
"
و ر
و
premier
872 MERCURE DE FRANCE
mier qui pour un vil interêt , rompez de fi
saints engagemens. Un peuple infini adresse
ses prieres au Ciel pour nous , en reconnoissance
de notre juste entreprise , et vous êtes
le seul qui s'oppose à son entiere perfection ,
en vendant vosfaveurs aux tyrans de l'Etat
mais ajoûterent - ils , en élevant la
voix : bien loin que vous puissiez rencontrer
en nous des coeurs capables d'applaudir
à cette bassesse , fachez , que fi dans deux
jours vous ne faites retrouver ceux que vous
avez fait évader , nous vous mettrons nous
même en pieces.
,
Patrona , étourdi de la harangue répondit
avec douceur à ses camarades , leur protestant
que malgré le crime dont ils le
chargeoient , sur lequel il ne se mit pourtant
pas fort en peine de se juftifier , son
dessein avoit toûjours été d'exterminér
tous ceux qui étoient sur l'état des proscrits
, et qu'il alloit travailler à leur
donner une pleine satisfaction à cet
égard.
Les pillages , les recherches , les persécutions
continuant donc à Constantinople
et aux environs , le Sultan en fut si
penetré , qu'il convoqua au Serrail `un
grand Conseil , composé de tous les Gens
de loy , à la tête desquels étoit , Mirza-
Zade, nouveau Mufty , et des principaux
Officiers de l'Empire. Il y fut résolu que
le
AVRIL. 1731. 873
le Grand Seigneur donneroit un Katcherif
fulminant , qui seroit adressé et porté
aux Rébelles , par l'Asseky- Aga ou Bacha-
Asseky , et que le Mufty rendroit une
Sentence ou Feiza en conformité , dont
on chargeroit à Ballach Effendi , Lieute
nant General de Police de la Ville.
Il eft bon de remarquer , que cet Officier
qui étoit une espece de fou turbulent
, avoit d'abord pris le parti des Rebelles
, qui l'établirent dans ce poste , et
que la Cour sçachant qu'il étoit en grand
crédit parmi eux , avoit trouvé le secret
de le gagner et de se servir de lluuii ,
pour
porter les Janissaires à plier leurs étendarts
et à rentrer dans leurs cazernes ; effectivement
le Istamboul- Effendi ou
Abdollah Effendi , malgré le dérangement
de son cerveau , avoit si bien negocié
cette affaire , que les plus anciens et
les plus sensez de cette Milice و serendant
à ses avis , s'étoient retirez dans leurs
chambres , avec promesse de se soumettre
aux ordres de la Cour,
Le parti des Révoltez étant considerablement
affoibli par cette désertion ,
l'Istamboul- Effendi , et l'Asseкy- Aga , vinrent
à leur camp ; ce dernier leur demanda
s'ils n'avoient pas reçû leur paye , et
pourquoi n'ayant plus rien à exiger du
Grand Seigneur , ils ne se retiroient pas ;
ensuite
874 MERCURE DE FRANCE .
ensuite il leur présenta le Kacherif , qui
fut lû à haute voix. Il contenoit en substance
, que puisqu'ils avoient fait eux-même
Sultan Mahmout Empereur , et qu'en
consequence ils se reconnoissoient ses
Esclaves , ils devoient lui obéir aveuglement
, et sans délai , qu'ayant d'ailleurs
sujet d'être satisfaits de Sa Hautesse´, qui
leur avoit accordé au- delà de ce qu'ils
avoient souhaité , il étoit juste qu'à leur
tour ils lui donnassent des marques de
leur soumission , afin de rendre le calme
à la Capitale de l'Empire où elle vouloit
absolument faire cesser tous désordres :
que si après avoir eu connoissance de ses
intentions par ce sublime commandement
, ils étoient encore assez ingrats et
assez témeraires , pour ne s'y pas conformer
, elle feroit déployer l'Etendart du
Prophete à la porte du Serrail , et publier
de toutes parts que tout bon Musulman
eut à venir le joindre , pour aller
contre les Séditieux , qui dès ce moment-
là seroient déclarez traîtres , infidelles
et répudiez de leurs femmes , et
qu'on poursuivroit leur destruction jusqu'à
ce qu'il n'en restât pas un seul.
Le Feta du Mufti fut lû ensuite , et
s'exprimant d'une maniere aussi forte , les
Rébelles commencerent à s'ébranler ; mais
ze qui acheva de les réduire du moins
.
en
4
AVRIL. 1731. 875
›
en apparence , fut la déclaration que leur
firent faire les Janissaires . , qui s'étoient
déja rangez à leur devoir ; que s'ils ne
se retiroient pas comme eux ils les
avertissoient que dès que la Baniere
de Mahomet paroîtroit , ils iroient la
défendre et les combattre , jusqu'à la derniere
goute de leur fang.
Les plus mutins intimidez par ces avertissemens
, soit qu'ils rentrassent sincerement
en eux- mêmes , ou que la plûpart
dissimulassent , comme la conduite qu'ils
tinrent depuis donne assez lieu de le penset
, se soumirent enfin , mais à deux conditions
; que la Cour , dans l'esperance
d'avoir la paix , fut encore obligée de
leur accorder la premiere , que le Grand
Seigneur ne feroit jamais mourir aucun
d'eux pour avoir excité la sédition ; la
seconde , qu'ils auroient toûjours cinq
étendarts déployez , pour être en état de
se défendre , si on vouloit entreprendre
quelque chose contre eux.
Ce traité fait , le Mufty se rendit garand
de la parole de Sa Hautesse , et l'Istamboul-
Effendi de celle des Rébelles
qui promirent de ne plus commettre
aucun désordre ; plierent leurs étendarts ,
à l'exception des cinq qu'on leur avoit
accordez , et se retirerent , les uns dans
les cazernes , les autres où ils voulurent .
C Cela
876 MERCURE DE FRANCE
Cela fe passa le douze Octobre.
Conséquemment à cet accord le Grand
Seigneur ayant ordonné le 13. qu'on r'ouvrit
les boutiques , l'affluence du monde y
fut si grande , ainsi que dans les marchez
, sans qu'il y arrivât ni tumulte ni
bruit , qu'il sembloit que la bonne harmonie
fut rétablie ; cependant le même
jour il se commit encore des violences et
des meurtres , dans quelques endroits de
la Ville , qui firent assez juger que le
calme n'étoit pas si général qu'on s'en
étoit flatté , comme on va le voir.
Les Caffez étant à Constantinople ,
comme ailleurs , des lieux où toutes sortes
de gens s'assemblent sans se connoître
, et où il se trouve d'ordinaire beaucoup
de faineants , qui n'ont d'autre occupation
que de parler de nouvelles ; il
y en eut plusieurs de cette espece qui
payerent de leurs vies l'intemperance de
leurs langues. Comme les Révoltez étoient
fort éloignez de se croire criminels , et
qu'ils se consideroient,au contraire, comme
de glorieux liberateurs de la Patrie ,
ils s'étoient eux-mêmes qualifiez du titre
de Serdengueschtis , c'est- à-dire enfans ›
* Serdengueschti , signifie proprement un homme
qui sacrifie sa tête. Quand les Turcs vont à la
guerre , surtout contre les Chrétiens , ils ont toû
jours un corps de ces zelez combattans , dont les
perdus ,
1
AVRIL. 1731.
877
<
C
>
perdus , ou dans un sens plus figuré, Gens
d'honneur , qui se sacrifient pour le bien
public tellement qu'à leurs manieres.
de penser ,, la qualité de Rébelles leur
étoit tout-à- fait odieuse . Il vint donc dans
ces Caffez de ces imprudens Nouvellistes ,
qui tout haut et sans ménagement des affaires
d'Etat , traiterent de Zorbas ou de
Rébelles tous ceux qui avoient pris les
armes contre Achmet ; par malheur pour
eux il s'y trouva de ces enfans perdus
qui les écharperent sur le champ.
, Un de ces derniers , s'étant enivré à
Galata , repaffa le Port , et alla droit à la
Douane de Constantinople , avec deux Domestiques
, il y prit dans la caisse , devant
tout le monde , environ 300. piastres
, dont il donna une partie à ses valets
, et leur fit signe de se saisir de deux
filles esclaves que l'on avoit amenées au
Bureau pour en payer les droits , et trouvant
à la porte un Cheval tout fcellé
monta dessus et s'enfuit ; il fit tout cela
sans que personne s'y opposât , parce que
dans ces temps de trouble on ne sçavoit
à qui s'adresser pour avoir justice , et que
les gens de la Douane ne connoissant point
Officiers s'appellent Serdengueschtis Agalar ,
qui signifie les Messieurs , ou les Chefs des enfans
perdus , et c'est aussi le titre que prenoient
Patrona & les autres Chefs de la Rébellion.
Cij
cet
878 MERCURE DE FRANCE
cet hardi voleur , craignirent qu'ils ne
leur arrivât pis , s'ils lui faisoient la moindre
chose .
Le lendemain 14. un autre inconnu
bien vêtu , et bien monté , vint aussi descendre
à la Doüane , accompagné de six
domestiques ; il entre seul , et va s'asseoir
auprès de la Caisse ; les Commis qui s'attendoient
à une avanture au moins aussi
fâcheuse que celle de la veille , lui font
civilité, et l'invitent à se mettre dans l'angle
du Sopha , qui est la place d'honneur
; notre homme s'y met les saluë
de la tête , et prenant alors la parole :
Qu'est ce donc ,Messieurs , que vous est- il
arrivé hier : le récit lui en ayant été fait ,
tel qu'on l'a rapporté , il appelle un de
ses valets , et lui commande d'aller dans
un endroit de la Ville , qu'il lui désigne ,
et de faire prendre et tuer sur le champ
une personne qu'il lui nomme, Cet ordre
donné , il en donne deux ou trois
autres à peu prés semblables à ses autres
domestiques ; puis s'adressant aux Commis
, qui aussi surpris qu'effrayez , n'osoient
pas ouvrir la bouche. Sçavez vous
bien qui je suis leur demanda-t'il je
m'appelle Mouslouh : à ce nom l'assembléc
frémit sans rien répondre. J'ai , continua-
t'il , un talent tout particulier pour
connoître les honnêtesgens , et les fripons , et
, ,
j'estime
ㄢ
६
AVRIL. 17318 879
Festime autant les premiers , que les derniers
me sont en horreur ; ainsi c'est pour proteger
les uns et pour exterminer les autres que je
viens de donner les ordres que vous avez
entendus. Ensuite il s'informa du nom et
de la demeure de tous ceux qui étoient
présents , et leur promit que si quelqu'un
venoit encore les inquiéter , ils
n'avoient qu'à lui en écrire un mot ;
que dans l'instant même il les vangeroit
des coupables ; après quoi remontant
à Cheval , au grand soulagement de
la compagnie , que ces beaux discours
n'avoient point rassurée , il fut dans un
autre quartier faire la même manoeuvre.
Ce Mouslouh , ci- devant simple Janissaire
, et Marchand de Melons , étoit un
des principaux Chefs des Révoltez , comme
on l'a déja dit au commencement de
cette Relation ; outre qu'il avoit naturellement
de l'esprit et de l'éloquence , il
s'étoit encore rendu recommandable à son
parti , parce qu'il sçavoit passablement
lire et écrire , mérite d'autant plus révéré
dans ce pays -là , qu'il est rare surtout
parmi les gens du peuple.
,
Quand les Rébelles créerent des Officiers
dans les Troupes , pour remplacer
ceux qui n'avoient pas voulu être leurs
Complices , Mouslouh se nomma lui même
Kyaya du nouveau Janissaire Aga , ou
C iij
In88%
MERCURE DE FRANCE
;
Intendant de toutes les affaires de ce
General de l'Infanterie , qui fut élevé à
cette Charge Eminente d'une maniere
assez singuliere. Mehemet Aga , c'est le
nom de ce General , étoit un vieillard
qui de Janissaire étoit parvenu au Grade
d'Hassexi , qui est une espece de Prevôt
qu'il y a dans chaque Compagnie , et qui
est au rang des bas Officiers. Un poste si
modique ne lui fournissant pas dequoi
subsister , il faisoit le métier de Sellier
les Rébelles dans leur Conseil Payant
fait Janissaire Aga , il racommodoit une
vieille Selle lorsque leurs députez vinrent
lui annoncer son élection . Mes amis
leur dit- il , il faut que vous vous soyez
mépris , ou qu'on vous ait mal adressez , car
jefuis le Curé du quartier * ; cette profession
comme vous voyez , ne quadre point du tout
avec la Charge dont vous dites que vos
Messieurs m'ont honoré ; les députez en
convinrent , et en furent rendre compte
à leurs Chefs ; on rassembla le Conseil
une seconde fois , et toutes les voix ayant
encore été pour Mehemet Aga on le
renvoya chercher avec ordre de l'amener
de gré ou de force ; le bon homme fut
obligé d'obéïr , et avoua que ne se sentant
pas assez de force , pour se charger
d'un emploi d'un si grand poids , it
* Ou Iman d'une Mosquée.
>
s'étoit
AVRIL. 1731. 881
s'étoit avisé de feindre qu'il étoit Curé ,
dans l'esperance qu'on le laisseroit tranquille
; mais malgré sa modestie et sa
vieillesse , il donna pourtant dans la
suite des marques qu'il n'étoit pas indigne
de cette place , puisqu'on peut dire que
son activité , sa prudence , et sa fermeté ,
sauverent Constantinople d'une seconde
sédition , qui pensa s'allumer , comme
on le va voir au principal endroit où la
premiere avoit pris feu.
Les 14. 15. et 16. d'Octobre , les Rébelles
firent encore quelques désordres en
divers endroits. Un Emir, entre- autres , ce
dernier jour-là , marchanda quelques pieces
de drap chez un Grec au Bizestin , et
ne pouvant convenir de prix avec lui , le
menaça de le tuer ; le Grec effrayé cria
au secours , ferma sa boutique , les autres
Marchands en firent de même , et tout
alloit rentrer dans la confusion , quand le
Janissaire Aga arrivant à propos , se saisit
de l'Emir , et le fit executer sur le champ ;.
ce qui rassura tout le monde .
Ĉette nouvelle alla bientôt jusqu'au
Mufti, qui voyant avec douleur que le levain
de la révolte fermentoit toûjours, envoya
chercher Patrona - Kalil , Mouslouh
Aga , et quelques autres Chefs ; il leur dit ,
qu'il étoit vrai que la Patrie leur avoit l'obligation
de la liberté qu'elle commençoit
C iiij
182 MERCURE DE FRANCE
respirer , que le Grand - Seigneur reconnoissoit
pareillement qu'il leur étoit redevable
de son élevation au Trône ; mais
que de même , qu'ils ne pouvoient douter
par les graces que leur avoit fait Sa
Hautesse , qu'elle sçavoit récompenser les
bonnes actions , ils devoient craindre d'éprouver
qu'elle ne sçut aussi punir les
mauvaises ; que s'ils avoient bien fait d'abord
de prendre les armes pour détruire
un Ministre tiranique , ils faisoient trèsmal
à present de continuer à s'en servir ,
pour fomenter les troubles et la discorde
dans l'Etat ; puisqu'au lieu de le soulager
réellement , ce n'étoit que substituer aux
calamitez dont ils l'avoient délivrée , d'autres
calamitez encore plus affligeantes ;
qu'enfin s'ils ne se déterminoient à se retirer
paisiblement , où le devoir de chacun
les appelloit , ils alloient perdre nonseulement
tout le mérite du bien qu'ils
avoient procuré , mais que devenant des
objets d'indignation au Sultan , et d'horreur
à tout le peuple , la Cour et la Ville
agiroient de concert , et prendroient des
mesures pour les traitter avec autant de
rigueur , qu'ils avoient traité cux-mêmes
les derniers Ministres et leurs Suppôts
.
Patrona et les autres Chefs firent semblant
d'être touchez de ce que le Mufti
venoit
AVRIL 1731. 883
venoit de leur dire ; ils lui témoignerent
beaucoup de respect , et beaucoup de chagrin
du mal que quelques coquins , contre
leurs intentions, avoient pû faire ; enfin ils
lui promirent tout ce qu'il voulut exiger
d'eux , mais ils n'en continuerent pas
moins à se comporter avec leur audace
et leur insolence ordinaire.
Comme il n'est pas permis , sous quelque
prétexte que ce soit,de boire du vin , ni
de faire aucun désordre dans les Chambres
des Janissaires , ceux des Rébelles qui y
étoient rentrez , ainsi qu'on l'a dit , ne
pouvant s'assujettir long- temps à une discipline
si rigoureuse , prirent bientôt des
Maisons en Ville ; Patrona , entre plusieurs
qu'on lui offrit , donna la préference
à celle du Tefterdar , parce qu'elle est
voisine des cazernes des Janissaires.
>
Plus de 400. de ses camarades vinrent
se loger avec lui , ou aux environs . Là ses
Messieurs bien armez , se plongeant jour
et nuit dans toutes sortes de débauches
étoient ivres la plupart du tems ; il se rendirent
dans cet état à la Porte , s'asseyoient
d'eux-mêmes éfrontement auprès du Grand
Vizir ; lui demandoient des graces , ou
des emplois pour des créatures que leur
Chefhonoroit de sa protection , et ce Ministre
, au mépris de la justice et de sa dignité
, étoit forcé de déferer toûjours à
Cy leurs
884 MERCURE DE FRANCE
•
leurs requêtes , et sans délai . On ne finiroit
pas si on vouloit rapporter tous les traits
d'impudence de cette canaille ' ; mais en
voici un assez singulier. Après qu'on eut
étranglé le dernier Grand Vizir , Ibrahim
Pacha ,Mehemet-Pacha son fils, qui de même
que son Pere , étoit gendre du Sultan
Achmet , ayant été répudié par la Sultane sa
femme,et la Cour le regardant comme un
homme sans consequence , parce qu'il est
jeune , sujet à tomber du haut mal , d'un
esprit borné , et qui n'avoit eu aucune
partau Ministere ; le Grand Seigneur crut
que ce seroit assez punir ce malheureux
Pacha , en le releguant à Nicomédie avec
l'appanage de cette Ville pour sa subsistance.
La chose ne parut pourtant pas de même
aux Rébetles , qui trouvant au contraire
que cette peine étoit trop douce
Patrona vint déclarer au Grand Vizir que
les Agas et lui avoient jugé à propos d'exiler
Mehemet Pacha à Mouchkara , pour
y vivre des revenus que son Pere y avoit
laissez , et qu'il lui demandoit un ordre
pour cela ; le Ministre n'ayant garde de
rien refuser aux Agas , c'est -à-dire aux .
Chefs des Rébelles , l'ordre fut expedié et
executé aussi tôt.
,
Mais pour bien sentir le rafinement de
leurs vengeances contre Ibrahim dans
cette
AVRIL. 1731. 885
,
cette occasion , il faut sçavoir que Mouhs-
Kara étoit autrefois un mauvais Village
d'Asie , où ce grand homme étoit né d'un
pauvre Arménien
et qu'aspirant à immortaliser
son nom , comme il y seroit
parvenu , s'il eut plutôt fini ses jours , et
d'une mort naturelle , il avoit si fort orné
ce lieu , par les Colleges , les Mosquées
, les Bains , les Fontaines , les Kams ,
et autres Edifices publics et particuliers
qu'il y avoit fait bâtir durant son Viziariat
, que depuis quelques années on ne
l'appelloit plus que Neucheher , qui veut
dire nouvelle Ville ; or les Rébelles ne
voulant rien laisser subsister , autant qu'il
dépendroit d'eux , de tout ce qui pourroît
transmettre à la posterité , la memoire
d'Ibrahim , ordonnerent que tous ces
embellissemens fussent détruits , que Neucheher
redevint un miserable Village comme
il étoit auparavant, qu'il reprit son ancien
nom de Mouhs- Kara , et que l'infortuné
Mehemet y fut exilé pour toûjours
, afin qu'après avoir été le spectateur
de cette désolation , il n'eut continuellement
devant les yeux que des objets qui
pussent l'entretenir dans des réflexions
douloureuses , et qu'il ne lui restât
pour tout bien que les materiaux et
les décombres de cette Ville démolie.
C vj
Un
886 MERCURE DE FRANCE
h
Un Poste de Capidgy-Bachi étant venu
à vacquer , le G. V. en disposa en faveur
d'une de ses Créatures ; mais Patrona en
voulant disposer aussi , il fallut que ce
Ministre le donnât au Sujet presenté par
ce Rebelle , et qu'il révoquât la personne
qu'il en avoit déja pourvûë.
Un jour le G. V. tenant son Divan , fut
averti que Mouslouh , qui étoit déja ve
nu l'interrompre la veille à la même heure
, arrivoit chez lui avec un grand nom
bre de ses Agas ; il quitta d'abord le
Conseil , et vint le recevoir ; ils parlerent
pendant quelque temps tout bas ensemble
; ensuite ce Ministre passa chez le
G. S. et dans le temps que le Peuple assemblé
s'informoit avec empressement du
sujet de toutes ces démarches , on vit
sortir du Serrail un nouveau Kyaya nom .
mé Mustapha-Bey , lequel avoit été autrefois
Capigilar Kyayasy , ou Grand-
Maître des Ceremonies , et étoit depuis
peu Bujuk-Imbrahor , ou Grand- Ecuyer
du Sultan déposé. Son prédecesseur immédiat,
Nikdelihali- Aga , fut envoyé sur
le champ dans la Prison Bachbaki-Koulou
, c'est le Chef de ceux qui poursuipayement
des deniers dûs au Trévent
le
sor de l'Empire .
On rapporte plusieurs motifs de la disgrace
de ce dernier ; en premier lieu, que
s'étant
AVRIL. 1731. 887
s'étant livré aux conseils mal digerez d'un
de ses amis , il avoit formé le dessein de
détruire lui-même les Rebelles , et que
ceux - cy en ayant été informez , le prévinrent
et le firent déposer , comme on
vient de le dire , à la premiere requisition
de Mouslouh , Secondement cet hom- .
me étoit si avide , que sans être retenu.
par l'exemple récent et tragique de son
devancier , il prenoit de toutes mains et
avoit déja amassé plus de so . mille écus
en 15. jours seulement qu'il étoit en place.
On ajoûte à cela qu'on l'accusoit d'avoir
détourné des Effets de la succession
du feu G. V. Ibrahim , deux Ceintures
de diamans , un Couteau garni de diamans
et plus d'un million en argent.
Le 19. on fit dans le Serrail la paye de
deux quartiers aux Troupes , comme il
a été dit que le G. S. l'avoit ordonné
lorsqu'il leur accorda le present , et l'usage
étant aussi dans ces occasions qu'on
leur fasse manger le Pilau , Sa Hautesse
qui étoit venuë voir les sacs d'argent pour
la forme , commanda qu'on servît ce
Pilau dans des plats neufs , ne voulant
pas , dit-elle , que ce qui avoit été
employé sous le regne de son oncle le fût
encore sous le sien ; mais sur ce qu'on
lui représenta qu'il seroit impossible qu'on
f trouvât dans une matinée autant de vaisselle
888 MERCURE DE FRANCE
selle neuve qu'on en avoit besoin pour un
si grand nombre de personnes, elle répondit
qu'il falloit toûjours aller chercher
toute celle qu'on pourroit trouver , et
suppléer à ce qui en manqueroit par une
partie de la vieille qu'on feroit étammer
de nouveau , et cela fut executé avec une
promptitude dont il semble que les Turcs
seuls soient capables.
Comme on faisoit la paye , Patrona vint
au Serrail , il passa dans les rangs des
Janissaires , et les salua à droit et à
gauche
, et continua sa route jusqu'à l'Appartement
du G. S. La Validé ou Sultane
Mere , qui l'appelloit son second fils ,
parce qu'il avoit mis Sultan Mamouth sur
le Trône , fut quelque temps en conversation
avec lui , par l'organe d'un de ses
Eunuques, et lui donna 2000 Sequins , dont
il distribua la plus grande partie en sortant
aux Domestiques de cette Princesse.
Après la tenue du Divan , le G. V. revint
chez lui conferer la Principauté de
Valachie à Milka -Voda , qui avoit déja été
plusieurs fois Prince de Moldavie pendant
20. ans , et qui vivoit depuis quelques années
qu'on l'avoit déposé en simple Particulier
dans un Village du Canal de la
Mer Noire; il a succedé à Mauro-Cordato-
Roda , Prince d'un grand mérite , et sur
tout fort estimé pour son sçavoir , qui
mourut
AVRIL 1731. 889
mourut au commencement de Septembre
dernier.
Le Drogman de la Porte , à l'occasion
de cette ceremonie où il fallut qu'il assistât
, reçut un Caffetan , qui le confirmoit
dans son poste. Depuis le commencement
de la révolte il avoit toûjours
prié le G. V. de differer à lui faire cet
honneur , de crainte que les Rebelles le
voyant en fonction sous le nouveau Ministere
, comme sous l'ancien , ne le
fissent périr , ou n'exigeassent de lui des
sommes qu'il n'étoit pas en état de payer:
et de fait , Patrona l'ayant menacé en diverses
rencontres de le poignarder , il
n'osoit presque plus se montrer , et il fut
dans des frayeurs continuelles jusqu'au
jour que ce Barbare persecuteur de tous
ceux qui avoient eu part au dernier Gouvernement
, a subi lui- même la fin tragique
qu'il avoit déja fait souffrir aux uns ,
et qu'il destinoit encore aux autres .
Pour revenir à Milkavoda , sa Principauté
de Valachie lui avoit coûté 1500.
mille liv. sans compter les presens considerables
que suivant l'usage il avoit été
obligé de faire aux Ministres de la Porte ,
dès que lui , son fils et son Capy- Kyaya , *
* C'est un Homme d'Affaire , que les Princes
de Valachie et de Moldavie et même les Pachas
des Provinces entretiennent toûjours à la Porte
pour avoir soin de leurs interêts.
890 MERCURE DE FRANCE
eurent été revêtus du Cafetan d'honneur;
il fut conduit par les Principaux de la
Nation Grecque à leur Eglise Patriarchale ,
pour se faire reconnoître Prince . Le Patriarche
à la tête de son Clergé , vint le
recevoir à la Porte, et celebra la Messe en
habits Pontificaux , après quoi ce petit
Souverain s'embarqua dans un Bateau à
cinq paires de Rames , pour marque de
sa dignité , et retourna en pompe à son
Village.
Ce nouveau Prince fournit l'occasion
de parler ici d'un certain Manolaki, Grec
extrémement riche , et qui étoit Curtchi-
Bachi , ou Chef des Foureurs . Les Rebelles
, à cause des grandes liaisons qu'il
avoit eu avec Mehemet l'ancien Kyaya ,
l'ayant soupçonné d'avoir entre ses mains
beaucoup d'Effets de ce Ministre , furent
piller ses maisons , où ils ne le trouverent
pas. Il avoit d'abord pris la fuite et s'étoit
caché successivement en differens endroits,
d'où il faisoit agir secretement ses Emissaires
auprès de Patrona , pour avoir fa
permission de reparoître en sureté. On
prétend que ce dernier en reçut de grands
presens ; mais ces sortes de graces n'étoient
pas approuvées par ses Camarades ,
comme nous l'avons dit.
Le Curtchi- Bachi , qui vit que l'orage
qu'il croyoit avoir excité , étoit prêt à
tomber
AVRIL. 1731. 89 %
mer ,
tomber de nouveau sur sa tête , crut pouvoir
s'en garentir en se sauvant dans une
maison privilégiée , qu'il regardoit comme
un azile assuré pour lui ; mais malheureusement
peu de jours après on sçut
sa retraite , et la Porte l'ayant fait reclaon
ne put se dispenser de le re- .
mettre aussi-tôt à la Garde du Bostandgi-
Bachi , qui l'alla chercher. On le conduisit
et on le mit aux fers dans la Prison
du Bach-Baks -Coulou. Il fut interrogé
sur les biens du Kyaya , qu'on prétendoit
qu'il avoit en dépôt ; il répondit qu'il
n'en avoit qu'une petite cassette pleine
de papiers , que ce Ministre lui remit luimême
le jour de la révolte , parmi lesquels
on trouveroit un Etat détaillé de
toutes les affaires du Kyaya , qui faisoit
foi de la verité de sa déposition. Il ajoûta
que quant à lui , Curtchi - Bachi , il ne
désavoüoit pas qu'il ne fût fort opulent
, mais que ces richesses lui étoient
venues ou des heritages de sa famille ou
des gains legitimes qu'il faisoit depuis
long - temps dans son commerce de Pelleterie,
et que si quelqu'un pouvoit lui prouver
qu'il eût jamais rien pris injustement , il
étoit prêt à le restituer au triple. Par ces
raisons , appuyées de beaucoup d'argent
I qu'il fit glisser sous main à ceux qui le
pouvoient tirer d'embarras , il avoit enfin
recouvre
892 MERCURE DE FRANCE
recouvré sa liberté , lorsque notre nouveau
Prince venant à la traverse , l'accusa
à la Porte de lui avoir pris des sommes
considerables , dans le temps que lui Mikal
, étoit Prince de Moldavie , et que
Manolaki étoit dans la grande faveur du
Kyaya , et c'en fut assez pour que l'on
le remenât à la même Prison , d'où il sortit
pourtant cinq semaines après.
Le 23. le G. S. déposa Mengheli Chiray ,
Kam des Tartares de Crimée , et lui nomma
pour successeur son frere Kaplan-
Chiray , homme de tête et de coeur , et
qui avoit déja occupé ce Trône autrefois.
S. H. lui envoya son Grand - Ecuyer à
Brousse , où il étoit en exil , pour lui
annoncer cette agréable nouvelle , et une
Galere à Modenia , Port d'Asie , à une
journée de Brousse , pour le transporter à
Constantinople.
Ce Prince y étant arrivé le 31. Octobre
, on fit aussi- tôt publier une deffense
aux femmes et aux enfans de paroître dans
les rues , de peur que la curiosité ne les
y attirant pour voir son Entrée , il n'ar- ·
rivât quelques desordres. La Cour le logea
dans un Serrail du deffunt Kyaya . Le
6. Novembre il fut rendre visite au G. V.
qui le mena après chez le Sultan . S. H.
lui fit un gracieux accueil , et le fit revêtir
d'une Pelice de Martre Zibeline ; elle lui
4
1
fit
AVRIL. 1731 . 893
fit aussi donner un Cheval de son Ecurie
magnifiquement harnaché ; on le reconduisit
ensuite en ceremonie à son Palais ;
et dès le même jour le G. V. et les principaux
Ministres le vinrent voir, et lui firent
de magnifiques presens.
Le 24. on tint plusieurs Conseils sur
ce qu'il y avoit à faire pour parvenir à
dissiper les Rebelles. Il fut arrêté de leur
proposer , et on leur proposa en effet de
se retirer sur telle Frontiere de l'Empire
qu'ils voudroient ; bien loin de gouter
cette proposition , ils demanderent que
le G. V. fut déposé ; mais Mouslouh Aga,
qui n'étoit pas d'abord avec eux , arriva
et les fit changer de sentiment .
Le lendemain ils se présenterent au
Serrail en plus grand nombre que la veille
, ils se plaignirent de ce qu'on continuoit
à conserver et à rétablir des personnes
indignes des places qu'on leur faisoit
occuper , comme Mehemet-Effendi ,
ancien Reys Effendy , que la Porte venoit
de faire Dester - Emini , ou Gardien des
Registres de l'Empire pour ce qui regarde
les Troupes , et par le canal duquel les
Pensions Militaires s'obtiennent . Îls ajoûterent
qu'ils voyoient bien qu'on avoit
envie de faire revivre la derniere administration
, mais qu'ils y mettroient bon
ordre.
On
894 MERCURE DE FRANCE
On ne peut éviter de faire ici une disgression
sur les diverses agitations que
souffrit la fortune de ce Ministre pendant
la Révolte. Après avoir été caché les premiers
jours , il reparoît à la Cour tout
d'un coup , s'étant accommodé avec Patrona
; mais les autres Rebelles ayant
trouvé cela mauvais , il fut contraint de
s'éclipser de nouveau . Ensuite par le
moyen d'un Emir qui lui avoit obligation
et qui étoit intime ami de Mouslouh
il eut la liberté de revenir chez lui ,
pourvû qu'il ne fréquentât qui que ce
fût de dehors.
Le Kyaya-Nikdeli- Ali - Aga , dont nous
avons parlé , fâché de ce que cet ancien
Secretaire d'Etat qu'il n'aimoit pas , et dont
la capacité lui faisoit ombrage , n'eut pas
péri comme les autres , résolut de le perdre.
Pour y parvenir il lui fit faire des
complimens de félicitation , il le fit prier
avec les instances les plus vives de revenir
à la Porte , où l'on ne pouvoit , disoitil
, se passer de son secours , sur tout par
rapport aux affaires de Perse , que personne
ne possedoit comme lui.
Le vieux Mehemet-Effendi , fit rendre
mille graces au Kyaya , de toutes ses politesses
, et de l'opinion avantageuse qu'il
témoignoit avoir de son peu de lumieres ;
mais il le fit prier à même- temps de le
"
1
disAVRIL.
1731. 895
dispenser de se plus mêler de rien , s'en
excusant sur son grand âge et sur ses
infirmitez , qui le rendoient incapable
d'aucune application.
-
Le Kyaya voyant qu'il ne pouvoit attirer
tout seul son Ennemi dans le piege,
fit agir le G. V. qui envoya un ordre à
Mehemet Effendi de se rendre à la
-Porte ; il fallut obéïr ; il y fut donc , on
l'accabla de caresses chez ces deux Ministres
, et au bout de quelques jours le
G. S. le fit Defter Emini.
Le Kyaya sçavoit bien que les Rebelles
ne le souffriroient pas long- temps dans ce
poste ,aussi ne tarderent- ils pas long- temps
à s'en plaindre , comme nous l'avons rapporté
; on tint Conseil sur leurs menaces;
et pour en prévenir les effets , on déposa
plusieurs Officiers , dont Mehemet- Effendi
fut du nombre , et de plus exilé à
Tenedos.
Mais à peine étoit- il parti , que le reconnoissant
Emir qui l'avoit déja si bien
servi , s'employa une seconde fois en sa
faveur auprès de Mouslouh , et obtint
son rappel , desorte qu'il revint encore
dans sa maison , mais toûjours sous la
condition de ne communiquer avec personne
, ce qu'il observa fidelement jusqu'à
l'entiere abolition des Rebelles ,
Revenons à ces derniers ; après qu'ils
eurent
896 MERCURE DE FRANCE
eurent marqué leur mécontentement à la
Porte , de ce qu'on employoit encore des
proscrits , ils demanderent que Ruslan-
Pacha , qu'ils avoient fait venir de Bosnie ,
fut nommé General de l'Armée de Perse.
Le G. S. y consentit , moyennant qu'ils
voulussent y suivre ce Pacha. Ils promirent
de le faire ; mais comme ils ne cherchoient
qu'à amuser S. H. , cela n'empêcha
pas qu'ils ne fissent entre- eux les jours
suivans de nouvelles assemblées , et qu'ils
ne parussent à la Porte le 29. pour y demander
que Patrona-Kalil fût fait Capi- ,
tan Pacha , le Janissaire Aga G. V. et que
Mouslouh eût la Charge de ce dernier.
La Cour surprise au dernier point de ce
nouveau trait de la teméraire audace des
Rebelles , ne pût se persuader qu'ils se
portassent d'eux-mêmes à des prétentions
si déraisonnables , et crut que quelques
Gens de Loi , qui étoient très- suspects au
Gouvernement , étoient les secrets Promoteurs
de toutes leurs démarches outrées.
Elle jetta d'abord tous ses soupçons
sur Zulalizade-Effendi , Kadilesker d'Asie,
en exercice .
On se rappella , 1 ° . qu'Achmet III.
étant encore sur le Trône , avoit reproché
en face à ce Kadilisker , qu'il étoit
un traître et un des principaux Auteurs
de la premiere Révolte ; que celui- cy au
lieu
AVRIL. 1731. 897
lieu de se disculper de cette accusation ,
avoit reproché à son tour au G. S. que
depuis long- temps il étoit déchu de la
Souveraineté , et que du moment même
qu'il signa le Traité de Passorouvits , par
lequel il avoit cedé honteusement Bellegrade
aux Allemans , il ne l'avoit plus
consideré comme Empereur.
2º. Qu'Achmet ayant assemblé les
Gens de Loy pour les consulter sur les
moyens de conserver la vie à son G. V.
il lui avoit dit que les séditieux lui demandoient
trois personnes , le Vizir , le
Kyaya et le Capitan - Pacha . Qu'à l'égard
des deux derniers il consentoit à les leur
abandonner , mais que pour Ibrahim , il
vouloit tâcher de le sauver ; qu'il étoit
même dans le dessein d'écrire aux Rebelles
pour en obtenir la grace , et que
cependant il souhaitoit auparavant qu'ils
lui dissent leur avis là- dessus ; que Zulali
Zadé prenant alors la parole , avoit répondu
au Sultan qu'il entreprenoit là une
chose bien difficile , et que le mal étoit
devenu trop grand pour pouvoir y porter
du remede ; que le G. V. ayant aussi voulu
hazarder son avis , ce Kadilisker l'interrompit
, et s'emportant comme
furieux , lui dit qu'il étoit réprouvé des
hommes et de Dieu , et qu'un méchant
comme lui méritoit la mort la plus
igno398
MERCURE DE FRANCE
> ignominieuse. Sur quoi Ibrahim sans
rien répliquer , se leva , les larmes aux
yeux , et se retira . Que le G. S. outré de
douleur et de dépit , s'étoit pareillement
levé et avoit dit au Kadilesker, que puisque
tout étoit désesperé , qu'il rendît
donc sa Sentence de mort contre le Visir
comme contre les deux autres , ce que
Zulalizadé avoit fait sur le champ.
Ces refléxions et plusieurs autres du
Sultan et de ses Ministres , sur le procedé ,
dace Kadilesker , firent regarder comme
des preuves les indices qu'on avoit de ses
pratiques avec les Rebelles ; mais comme
on n'avoit pas encore pris les arrangemens
necessaires pour leur châtiment et
leur destruction , on se contenta de répondre
qu'on ne pouvoit leur accorder
les changemens qu'ils demandoient qu'on
fit dans le Ministere .
Lc 2. Novembre le G. S. donna un
Katcherif, qui leur enjoignit de prendre
bien garde de faire aucun desordre ; S. H.
étant résoluë de punir de mort tous ceux
qui en seroient coupables ; et comme ils
s'étoient distinguez de ses autres Sujets
en portant des Turbans rouges , ce qui
ne faisoit qu'entretenir la division et l'esprit
de parti dans Constantinople , elles
prétendoient qu'ils en prissent chacun de
conformes à leurs differentes Professions,
#
(
= afin
AVRI L. 1731. 899
afin que rien ne démentît en cux l'obéi'ssance
et la fidelité qu'ils devoient.
Les Rebelles firent honneur au Katcherif
, quant à ce dernier article qui ne
regardoit qu'une soumission exterieure
mais quant à ce premier qui touchoit à
la réforme de leur conduite , ils ne tarderent
pas à marquer qu'elle étoit toûjours
la même.
Patrona Kalil , refléchissant dans sa
haute prosperité , qu'il avoit fait du bien.
à tous ceux à qui il avoit obligation ,
excepté à un Boucher Grec nommé Tanaki
, lequel s'étoit avanturé de lui fournir
abondamment , tant à lui qu'à ses Camarades
, d'excellente viande , lorsqu'ils
étoient campez à Etmeïdan , et que cet
homme d'ailleurs lui avoit autrefois prêté
deux écus dont il avoit eu la discretion
de ne lui jamais parler , il l'envoya chercher
, et lui dit : qu'étant très sensible à
l'assistance qu'il avoit reçûë de lui , il
vouloit lui en témoigner sa reconnoissance
d'une maniere autentique. Il lui fic
d'abord present de 1000. Sequins , valant
près de 1oooo. liv. puis lui dit, en riant :
Ne vous souciez- vous pas de vivre plus
Long-temps que moi ; Yanaki répondit aussitôt
, que , lui mort , il ne se soucioit plus
de la vie. He bien, puisque cela est ainsi,
reprit Patrona , charmé de cette réponse :
D dites
goo MERCURE DE FRANCE .
dites-moi ce que vous souhaitez que je fasse
pour vous , et soyez sûr de l'obtenir. Alors
mille désirs confus s'élevant dans le coeur
du Boucher , et ne sçachant auquel s'arrêter,
il dit à son Bien- faicteur : Que pour
le present il ne sçavoir que lui demander ,
mais qu'il alloit consulter ses amis , et qu'il
lui rendroit bien tôt réponse. Yanaki fut
trouver le Kasab- Bachy , qui est comme
le Fermier ou Inspecteur general des
Boucheries ; et après lui avoir exposé sa
bonne fortune : Que me conseillez vous ,
lui dit-il , j'ai envie de porter Patrona
qu'il fasse revivre en ma faveur la Charge
de Surdgy- Bachi , * qu'on a supprimée,
elle est de mon état et j'en connois tout
l'exercice . Celui- cy qui vie qu'il alloit per
dre la plus grande partie de ses droits ,
si cette Charge dont il avoit réüni les
fonctions à la sienne , étoit rétablie , répondit
au Boucher : Vous n'y pensez past
à quoi vous amusez vous ? votre Protecteur
est tout-puissant , il vous met en état par
ses offres et par son crédit , d'aspirer aux
Postes les plus brillans , et vous allez vous
borner à une petite Charge de rien , sou-
* C'étoit une Ferme et en même temps une Ingpection
sur les Boeufs , Moutons , &c. à peu près
comme la Ferme du Pied- Fourché à Paris , et
qui rapportoit au Fermier par an environ 106.
mille livres.
vent
AVRIL: 1731 .
vent même plus ruineuse que lucrative :
Que lui demanderai- je donc? Demandez
lui , reprit l'autre , qu'ils vous fasse Prin
ce de Moldavie ; et si vous n'avez pas assez
d'argent pour payer cette Principauté
, que cela ne vous embarrasse pas , je
vous fournirai tout ce qu'il vous en faudra.
La vanité qui est comme incarnée chez
les Grecs , tourna en un moment si bien
la cervele à celui-ci , qu'oubliant la dis
tance de sa bassesse , au rang qu'on lui
proposoit , il s'en revint chez Patrona , et
-lui dit que puisque l'affection dont il
l'honoroit étoit sans égale , et qu'il avoit
tout pouvoir dans l'Empire , il le prioit
de le faire Prince de Moldavie . Soit , ré-
-pondit Patrona , et sur le champ , il l'en
voya avec un de ses gens chez le G. V.
Ce Ministre étonné d'une pareille proposition
, resta muet quelque-tems ; ensuite
reprenant ses esprits , il dit que ce que deamandoit
l'Aga Patrona étoit impossible
qu'on ne nommoit à ces sortes de Principautez
que des gens de naissance , ou qui
avoient rendu de grands services à l'Etat ,
qu'outre que le sujet qu'on lui présentoit
, n'étoit dans l'un ni dans l'autre cas ,
'Empereur n'ayant confirmé que depuis
quatre jours Gregorasko - Ghika , dans sa
Principauté , il n'étoit ni de l'honneur ,
Dij
ni
jo MERCURE DE FRANCE
ni de la justice de Sa Hautesse , de déposer
ce Prince , dont elle étoit satisfaite , pour
mettre un vil Artisan à sa place.
pas
Le tout ayant été rapporté à Patrona :
Bon, bon , voilà de belles raisons , dit- il ,
qu'est-ce que cela signifie ? Gregorasko
n'est- il pas Dgiaour ? Yanaki n'est- il
Dgiaour aussi ? Que l'un ou l'autre
soit Prince , n'est - ce pas toujours
la même chose ? En un mot , je veux que
mon ami soit préferé. Là- dessus il renvoya
le Boucher au G. V. et le fit accom-
Mouslouh.
pagner par
it
Ce second Chef parla si haut , que le
Gr. V. ne sçachant plus quel parti prendre
, dit qu'une affaire de cette importance
ne dépendoit pas de lui , qu'il alloit
la communiquer au Sultan , et sçavoir sa
volonté : Allez donc , répondit Mouslouh,
mais songez toujours à complaire à Pafrona.
Le G. S. ne fut pas moins surpris , ni
indigné que l'avoit été son Vizir ; cependant
, jugeant bien que dans peu tout
changeroit de face , et qu'on seroit alors
en état de faire payer cherement au Bou
cher et à son protecteur leur impudence ;
il dit à son Ministre qu'il n'y avoit qu'à
les contenter. Ainsi maître Yanaky fut
revêtu du Caftan de Prince de Moldavie
le 2 Novembre et reçût tous les au-
?
tres
་
{
AVRIL. 1731. 903
tres honneurs usitez en pareille occasion
tant à la Porte , qu'à l'Eglise Patriar
chale .
Ce fut un coup de foudre pour la Nation
Grecque l'orgueil humilié , et le désespoir
étoient peints sur tous les visages
pendant la cérémonie , à laquelle il fallut
que le Drogman de la Porte eut la mortification
d'assister. Comme c'est un fort
honnête homme , tout le monde prit
part au juste chagrin qu'il avoit d'être
obligé par le devoir de sa Charge de concourir
, quoi qu'indirectement,à la déposition
de son propre frere , que le Boy
Yanaky alloit relever.
Mais la grandeur de ce Prince-Boucher
passa comme un songe; il ne pût parvenir à
ramasser que 30 Bourses,qu'il donna , et qui
furent perdues,au lieu de près d'un million
dont il avoit besoin , pour satisfaire la Porte
et ses Ministres , ainsi que Patrona qui lui
demandoit 60 Bourses , et les autres Agas
qui en vouloient avoir presque autant. Le
Kasab- Bachi , qui ne lui avoit offert de luimême
son secours , que pour l'engager
dans ce mauvais pas , et l'y laisser , s'éclipsa
subitement , et Patrona même , son
zelé protecteur , en apparence , l'ayant
fait Prince moins par reconnoissance
que pour son interêt particulier , et pour
braver le G. S. en faisant parade de son
Diij -au-
,
904 MERCURE DE FRANCE
autorité , l'abandonna comme l'autre; ensorte
que ce Prince , en idée , au lieu d'être
conduit pompeusement auTrône,fut traî
né honteusement en prison , où nous le
laisserons déplorer sa folie , jusqu'à ce
qu'une plus grande punition l'en tire.
Le même jour , 2 Novembre , l'Ambassadeur
de France étant allé rendre sa
premiere visite à Kafis - Mehemet , noųveau
Capitan- Pacha , pour le complimen
ter sur són Avenement à cette dignité ;
le Janis aire Aga se figura que les Ministres
Etrangers en devoient faire autant à
son égard. Il envoya chercher un Drogman
au Palais de France , et lui demanda
pourquoi son Ambassadeur ne l'étoit pas.
venu voir , comme c'étoit l'usage . Le
Drogman lui répondit , qu'on l'avoit sans
doute mal informé , puisque cela ne s'étoit
jamais pratiqué envers les Janissaires.
Agas , et que sûrement son Ambassadeur
n'établiroit pas cette nouveauté. On conduisit
ensuite le Drogman chez Mouslouh
, qui s'étoit fait de lui-même , comme
on a dit , Kyaya de ce General de
P'Infanterie il dit à ce Drogman' que
puisque l'Ambassadeur de France ne vou
loit pas venir voir con Maître , il devoit
au moins envoyer à lui Kyaya , les présens
usitez. Je ne sç che pas, répondit l'In
terprete , que les Ambassadenrs de Fran-
:
AVRIL. 1731. 905
"
ce en ayent jamais fait aux Agas des Janissaires
, ni à leurs Kyayas ; cependant ,
ajouta- t-il , j'en parlerai à son Excellence.
Je vous en prie , répliqua Mouslouh ;
car après tout , il me semble que le bon
ordre que j'ai fait observer pendant les
troubles , mérite bien quelque récompense.
Le 5. il y eut une grande altercation
entre les Serdingueschtis , et les plus anciens
Officiers et Soldats des Janissaires.
Un de ces premiers prit querelle avec un
Capitaine de cette Milice , et le tua, Ceçte
action irrita si fort les Janissaires, qu'ils
furent en grand nombre s'artrouper à
Orta-Dgiani , Mosquée où les Janissaires
tiennent leurs Assemblées tumultueuses ,
et ils convinrent entr'eux de chasser de
leurs chambres tous les enfans perdus .
Ils en étoient sur cette déliberation
quand Patrona , qui avoit été averti du
tumulte , arriva avec une vingtaine des
siens , et leur ayant demandé , comme
s'il l'avoit ignoré le sujet de leur assemblée
, un Hoda -Bachi , de la 32 Compa
gnie , ou Chef de chambrée , prenant la
parole , lui répondit qu'ils s'étoient assemblez
dans le dessein de n'avoir plus
aucune societé avec ses camarades qui
deshonoroient journellement leur Corps ,
par leurs crimes , et que s'il ne se rangeoit
>
Dij lui
906 MERCURE DE FRANCE
>
>
3
>
lui même à son devoir , on lui feroit un
mauvais parti. Patrona répliqua qu'il ne
les craignoit guéres , que s'ils étoient assez
hardis pour venir l'attaquer lui et ses
gens , qu'ils trouveroient à qui parler , et
qu'il avoit dans Constantinople 12000.
Albanois prêts à se joindre à lui. Quand
tu ferois venir toute l'Albanie à ton secours
répondit courageusement Lodabach
- nous ne l'èn exterminerions pas moins toi et
les tiens . Mon ami , répondit Patrona
vous avez tort de vous emporter contre moi
puisque je ne fais de mal à personne. Il ne
suffit pas,dit alors cet Officier,que tu nefasse
point de mal, il ne te convient pas non plus,
comme tu fais , de te mêler des affaires de
Etat. Il semble à te voirfourrer le nez par
tout , que le Sultan et son Vizir ayent besoin
de tes lumieres pour se conduire. Si tu es Janissaire
, tu dois te comporter en Janissaire ,
et non pas en Ministre , ni le laisser faire
à ton camarade Mouslouh , qui vient tous
les jours à la Porte avec autant de faste et de
fierté que le défunt Kyaya. Mais , interrompit
Patrona , si je ne m'informe pas de
ce qui se passe , il arrivera infailliblement
qu'on remettra en place des infames qui renouvelleront
la tiranie du dernier
gouvernement
; tous les mouvemens que je me donne
n'ont d'autre objet que de procurer le soulagement
du peuple. Ce n'est pas d'un homme tel
C
que
1
1
1
AVRIL. 1731 .
907
que toi , répondirent plusieurs Janissaires ,
que le peuple doit attendre du soulagement ;
notre Empereur est assez juste et assez éclairé
pour gouverner et pour rendre ses sujets beureux
; c'est à lui feul à disposer des emplois
et des Charges en faveur de ceux qu'il croit
les mériter quant à nous , ce que nous
avons à défirer , c'est qu'il régne , et qu'il
vive long- tems , et qu'on nous paye toujours
avec exactitude ; nous n'avons jusqu'à présent
qu'à nous louerde ce côté-là , aussi -bien
que
des liberalitez de S. H. Ce seroit nous
en rendre tout-àfait indignes , si notre Corps
qui est le plus ancien et le plus illustre de l'Etat,
souffroit qu'un Particulier , quel qu'il pût
être , osat s'ingerer de partager l'authorité
fouveraine.
>
Ainsi , continuerent-ils , s'adressant toujours
à Patrona nous te donnons encore
trois jours , pour réduire , on dissiper tes
gens ; si ce terme expiré nous entendons encore
parler de quelques désordres de leur part ,
nous ferons main basse sur eux par tout où
nous les trouverons . Ces dernieres paroles ,
prononcées d'une voix plus forte , finirent
l'Assemblée , et on se sépara.
Quoique Patrona fut un déterminé , et
qu'il ne craignît pas que les Janissaires ,
parmi lesquels il étoit sûr d'avoir encore
un gros parti , missent à exécution leurs
menaces , il ne laissa pourtant pas de com-
DY prendre
908 MERCURE DE FRANCE
prendre par le discours qu'on lui avoit tenu
, que les esprits étoient fort échaufez
contre lui , et qu'il avoit plus d'ennemis
qu'il ne croyoit. Pour s'en mieux éclaircir
, il fut voir Damud- Zadé , ancien Kadelisker
, qui le reçût froidement , et même
avec mépris . Nonobstant cet accueil
peu favorable , il ne se rebuta point , et
faisant tomber la conversation sur tout ce
qui s'étoit passé , il dit à cet Effendi d'un
ton hypocrite , qu'il n'avoit pris les armes
que pour la cause commune , que
Dieu avoit bien voulu se servir de son foible
bras pour tirer le peuple Musulman
de l'oppression du précédent Ministere
et que lui-même Damudzadé , étant un
personage saint et éclairé , et qui pouvoit
Tire jusques dans les replis les plus secrets
de son coeur , il lui étoit aisé de reconnoître
que ses intentions avoient été bon
nes. Cependant , ajoûta -t- il , en soupirant ,
je trouve tous les jours en mon chemin de manvais
esprits , qui donnent des interprétations
criminelles à tout ce que je fais , et qui ne
travaillent qu'à me noircir auprès de mon
Empereur , pour lequel j'ai tant de fois exposé
ma vie. Souffrez , grand Effendi , queje
vous demande votre protection contre eux s'ils
continuent à me calomnier dans l'esprit de Sa:
Hautesse.
Damudzadé , qui est effectivement un
hom
AVRIL. 1731. ୨୦୨
Homme de beaucoup de merite , et surtout
plein de droiture , lui répondit qu'il
ne rougiroit jamais de dire la verité , et
qu'ayant le mensonge en horreur , il pouvoit
s'assurer que quand on lui demande
roit ce qu'il pense sur son compte , il le
diroit sans le moindre déguisement.
Patrona dont la curiosité n'eut pas
trop lieu d'être satisfaite par cette réponse
ambigue , affecta pourtant d'en être fort
content , comme si le Kadilesker ne pou
voit que parler avantageusement de lui ,
il lui baisa la main , se retira , et répandit
en sortant une poignée de Seguins à ses
Domestiques. Damudzade Payant appris,
ordonna que tous ceux qui en avoient
tamassez les jettassent dans la Mer devant
lui , et regardant Patrona comme un scelerat
, dont la seule présence avoit souillé
sa maison , il fit balayer et froter par tout
sur le champ où il avoir mis les pieds.
Le 10 Novembre , le G. S. déposa Kafis-
Mehemet Pacha , de la Charge de Ca
pitan-Pacha , et l'honora en échange d'une
Pelisse de Martre- Zibeline, et du Gouver
nement de Seyde , que son pere avoit eu
autrefois ; mais soir que les Rebelles entrevissent
une partie de ce qu'ils avoient
à craindre de la réputation et de la capacité
de Codgea Dgianon , qu'on
attendoit et auquel ils soupçonnoient
D vj
*
-
qu'on
910 MERCURE DE FRANCE:
qu'on destinoit cette importante Charge
ou soit que Patrona qui la briguoit pour
lui-même , voulut en éloigner un concurrent
si redoutable , ils firent tant de bruit
de la déposition de Kafis -Mehemet , que
la Cour , pour les leurrer , le rétablit dès
le lendemain.
On prétend que ce dernier avoit d'abord
sollicité les Rebelles , afin d'empê
cher qu'on ne le dépouillât de cette dignité
, mais que dans la suite , voyant d'un
côté que Patrona y aspiroit , et que de
l'autre Sa Hautesse faisoit venir Dgiannum-
Codgea pour la lui donner , il demanda
secretement à la Porte sa démission
lui- même , et le Pachalik de Seyde ,
ce qu'il obtint aisément par l'entremise
du nouveau Kam des Tartares , dont son
pere avoit été esclave ; de sorte que quoi-
Kafis-Mehemet revint à l'Arsenal le
lendemain avec tous ses effets , qu'il en
ayoit déja fait enlever la veille , et qu'il
y reçût les complimens de tous les Officiers
de la Marine sur son rétablissement
il n'exerça pourtant plus le Generalat de
la Mer que par intern , et jusqu'au 21
jour que Dgiannum. Codgea en prit posque
session.
Comme il étoit impossible que les affaires
subsistassent encore long- tems dans
la confusion , où la continuation de la Ré-
7
volte
AVRIL. 1731. gif
volte les avoit mises , et qu'il falloit
ou qu'elles bouleversassent totalement
l'Etat , ou qu'elles reprissent leurs cours
ordinaires , la Cour et les Rebelles , chacun
suivant ses differentes vuës , songerent
à appliquer les remedes convenables au
mal.
,
>
Les Chefs de ceux-ci voyant bien que
pour se maintenir dans l'autorité , qu'ils
avoient commencé d'usurper , il leur étoit
essentiel de ne point abandonner le séjour
de Constantinople , et de s'y fixer au contraire
, en partageant entr'eux les principaux
emplois de l'Empire. Ils tinrent un
Conseil le 16 Novembre , et convinrent
qu'il falloit d'abord faire élire Mouslouh ,
Koul - Kyassi
ou Lieutenant General
des Janissaires ; mais prévoyant qu'ils
y trouveroient de grands obstacles , parl'on
ne parvient d'ordinaire à ce
Grade qu'après avoir passé par tous les
autres qui lui sont inferieurs , tellement
que celui qui y arrive est toujours un homme
respectable par son âge et par son experience
, et que Mouslouh n'étant qu'un
homme de rien , de 25 à 30 ans , et simple
Janissaire , n'avoit aucune des qualitez
requises , ils eurent recours à l'argent ,
qui , en Turquie , applanit presque toutes
les difficultez .
ce que
Ils firent distribuer so mille Piastres
aux
912 MERCURE DE FRANCE
>
aux plus anciens et plus accréditez des
Janissaires , et leur firent entendre que
s'ils vouloient favoriser l'Election deMous
Jouh , il leur feroit payer le présent de la
Reine - Mere. Pour l'intelligence de ce fait,
il est nécessaire de dire que cette Princesse
, dans les premiers transports de sa
joye , de voir son fils Mahmout sur le
Trône avoit promis aux Troupes , qui
lui en avoient frayé la route , une récompence
de cinq écus à chaque Soldat , mais
que quelque tems après , les refléxions
lui ayant fait trouver cette promesse in
considerée , elle ne parla plus de l'executer
, soit qu'elle n'eut pas assez de fond
Pour y satisfaire ou que le Kislar-
Aga , qui a beaucoup d'empire sur soir
esprit , l'en détournất , en lui
tant que l'Empereur avoit assez marqué
sa reconnoissance aux Milices par les grandes
liberalitez qu'il leur avoit faites , sans
qu'elle y en ajoûtât de son chef qui n'étoient
point d'usage.
} ›
represen-
Quoiqu'il en soit de ces conseils , ils
penserent causer la perte du Kislar-Aga
Les Janissaires vouloient qu'il fut déposé
et murmuroient hautement contre la Va
lidé , regardant ce qu'elle leur avoir
promis , non comme une grace , mais
comme une dette , dont elle ne pouvoit
se dispenser de s'acquitter ; ainsi , ceux
*
2
AVRIL 1731. 913
aqui les so mille écus des Rebelles furent
partagez , consentirent volontiers à
l'élection de Mouslouh ; ceux qui n'en eurent
rien ne lui en donnerent pas moins
leurs voix , parce que les uns et les autres
esperoient que dès qu'il les auroit fair
payer de ce présent , ils se déferoient de
lui sans peine , et nommeroient à sa place
le plus digne de leurs Officiers.
Les esprits préparez de la sorte , Mouslouh
fut chez le G. V. le 18. lui demander
le Caftan pour la Charge de Koul-
Kyassy. Le Ministre le lui refusa , disant
qu'il n'étoit ni d'un rang , ni d'une ancienneté
à y prétendre , que le Corps des
Janissaires ne le soufriroit jamais , et que
l'Empereur ne pouvoit sans blesser sa dignité
et sa ju tice , instaler dans un poste
si considérable quelqu'un qui ne fut pas
au gré de ce Corps. Ce Rebelle répondit
sans se rebuter , qu'il avoit pourvû à
tout , qu'il lui donnât seulement le Cafetan
, sans s'embarasser du reste. Le G. V.
s'obstinant à le lui refuser , Mouslouh le
quitta fort irrité.
Dès que ses Camarades sçûrent le peu
de succès de sa négociation , ils jurerent
avec lui de se vanger du G. V. et s'en fu
rent comme des forcenez , au nombre d'une
trentaine , chez le Kam des Tartares ,
ils lui déclarerent absolument qu'ils vou
loient
914 MERCURE DE FRANCE
loient que Mouslouh fut Koul- Kyasty , et
lui firent entendre que si leG.V.continuoit
dans ses refus , ce Ministre ne le porteroit
pas loin. Ce Prince vit bien à leur air
qu'ils seroient gens à tenir parole , et qu qu'il
étoit de la prudence de céder au torrent ,
jusqu'à ce qu'on pût lui opposer une Digue.
Il les appaisa de son mieux , leur dit
qu'il alloit de ce pas à la Porte , que ne
doutant point que le G. V. ne se conformât
aux representations qu'il lui feroit
ils pouvoient compter d'avance , qu'il
leur obtiendroit ce qu'ils souhaittoient.
Il courut effectivement chez le G. V.
et après lui avoir exposé en peu de mots
le sujet de sa visite : A quoi pensez - vous ,
lui dit- il , de vous roidir contre ces coquinslà
, ne voyez- vous pas qu'ils travaillent euxmêmes
à leur perte , et que plus ils se rendent
odieux aux Troupes et au et au Peuple .
plus ils vous préparent de facilité à les détruire
: Croiez-moi , ajoûta -t- il , donnez à
Mousloub , non -seulement la Charge qu'il
vous demande , mais une plus éminente encore
, s'il vous en témoigne la moindre envie ;
il n'en jouira pas assez long-tems pour que
votre complaisance en cette occasion vous soit
jamais un motifde repentir.
Le Vizir entra dans ses raisons ; ils passerent
ensemble chez le G. S. et S. H. s'en
rapportant à leurs avis , on envoya chercher
AVRIL. 1731. 915
cher Mouslouh; cet orgüeilleux et insolent
Rebelle , se rendit à la Porte avec une măgnificence
et un Equipage de Pacha à
trois queues,on le revêtit du Cafetan , qui
le faisoit Koul-Kyassy ; après quoi il s'en
retourna triomphant à son Palais , où ses
Confreres et ceux qui le craignoient , vinrent
le feliciter sur les faveurs qu'il avoit
reçûës , poussant la flaterie jusqu'à lui dire
qu'elles étoient encore fort au- dessous de
son mérite.
Ce premier coup frappé , les Rebelles
s'assemblerent le 19 , et remirent sur le
tapis leur ancien projet , de faire Patrona
Capitan - Pacha , Mouslouh Janissaire-
Aga , et le Janissaire- Aga Grand-Vizir :
moyennant cela , dirent-ils , nous serons
entierement les maîtres, et ils raisonnoient
fort juste , car ils avoient dans leur Cabale
plusieursGens deLoy d'un grand pouvoir :
entr'autres , le Zulali-Kadé Kadilesker
d'Asie , et Abdollah- Effendi , Lieutenant
General de Police , dont on a parlé. Quant
au G. S. ajoûterent- ils , nous en ferons ce
que nous voudrons , parce qu'étant sans
experience, il nous redoutera , et que d'ailleurs
il nous doit tout , puisque sans nous .
il auroit peut-être gémi toute sa vie en
prison.
,
Cependant , soit qu'ils crussent devoir
penser plus d'une fois à l'éxecution de ce
plan ,
915 MERCURE DE FRANCE
plan , ou qu'ils eussent d'autres raisons
pour la retarder de quelques jours , ils tinrent
fort secret le Résultat de cette derniere
Conférence; mais la Cour , qui comme
nous l'avons die , travailloit à secouer e
le joug honteux que sembloit lui vouloir
imposer cette Ligue de traîtres , se détermina
tout- à- fait à s'en vanger promptėment
, et d'une maniere éclatante.
Le Kan des Tartares , sur- tout , fut celui
qui poussa le plus à la roue. Il avoit
été outré en plusieurs rencontres , de ce
que Patrona et ses pareils , qui n'avoient
aucune teinture des affaires , avoient vou-
·lu que leurs avis extravagans prévalussent
aux siens ; Dgiannum Codgea arriva dans
le même-tems à Constantinople , et aussi
zanimé contre eux que le Kam , il excita
de nouveau l'Empereur à les exterminer.
S. H. lui avoüia ingénument qu'elle appréhendoit
qu'ils ne fussent soutenus par
les Troupes , si l'on en venoit à cette extrémité
, et que ce qui l'avoit obligé à
temporiser , c'étoit la crainte de voir
Constantinople replongé dans de plus
grands désordres .
Dgiannum- Codgea , sans trop s'attacher
aux termes , dit alors au Sultan , avec une
liberté genereuse : Seigneur , dès que tu te
seras défait des principaux Chefs , personne
me branlera , outre qu'une action de vigueur
est
(
4.
AVRIL. 1731. 917
est nécessaire pour t'affermir sur le Trône , elle
sera agréable à ton. Peuple , qui ne supporte
qu'avec une peine extrême les violences où il
est journellement exposé. De plus , cela te
mettra en honneur chez toutes les Nations
qui ont les yeux fixez sur toi , dans le commencement
de ton Régne ; au lieu qu'elles
n'auront aucune considération pour ta personne
, si tu ne montres assez de force pour bri
ser les entraves où quelques séditieux osent
retenir ton autorité. Ces paroles du General
de la Mer , prononcées avec feu , pénétrerent
S. H. et lui firent juret de se prêter
et de concourir à ce que luf et le Kam
des Tartares jugeroient nécessaire pour exterminer
ces audacieux ennemis domestiques
, perturbateurs du repos public.
Le 22. Dgiannum- Codgca , que le G. S.
avoit déclaré la veille Capitan Pacha
vint à l'Arsenal , où il reçûr les complimens
des Officiers des Vaisseaux , et des
Beys des Galeres , mais on ne lui tira point
' de Canon , parce qu'il deffendit qu'on lui
rendit ces honneurs.
Le 23. Patrona convoqua un Conseil
extraordinaire à la Porte , auquel le G. S.
" admit le Kam des Tartares , le Mufty , et
generalement tous les Gens de Loy et les
Officiers des Milices. Patrona y vint toujours
en simple Janissaire , les jambes
nuës , et avec environ 40 Serdenguetchis
OLL
918 MERCURE DE FRANCE
ou enfans perdus , et Mouslouh vêtu superbement
, avec le cortege attaché à son
nouveau rang de Koul - Kyassy.
du
›
›
que
Patrona ouvrit le premier l'assemblée ,
et s'adressant au Kam , lui dit : J'ai convoqué
ce conseil , pour un pressant besoin
de l'Empire je sçai que nos affaires en
Perse vont toujours plus mal Parce que
les Moscovites donnent de continuels fecours
aux Persans , ainsi mon avis est › qu'on
leur déclare la guerre , et que pour tirer vens
geance sang Musulman qu'ils sont cause
qu'on a répandu , on envoye incessament
une grande armée contre eux tandis Les
Tartares entrant d'un autre côté dans le pays
de ces Infidelles , le ravageront et en emmeneront
tous les habitans en esclavage 3 je pense
pareillement , qu'il est d'une nécessité absoluë
de réprimer les malversations des Pachas
des Frontieres , qui , bien loin d'avoir
soin des Troupes , et de regarder les Janissaires
comme leurs enfans , et le plus ferme
appuy de cette Monarchie les maltraitent
et retiennent leurpaye pour l'appliquer à leur
propre usage, ou en gratifier leurs Créatures :
il tint encore beaucoup d'autres discours de
la même nature , et sans égard pour les per
fonnes qui assistoient à ce Conseil.
J
Tout le monde gardant un morne
silence , déploroit en secret de voir la
conduite de l'Etat tombée , en de si
<
1
AVRIL. 1731. 919
si mauvaises mains ; et il revenoit toujours
à sa premiere idée de porter le fer
et le feu chez les Moscovites , proposant
même d'en faire arrêter les deux
Résidens *.
و
→
Le Kam des Tartares , fatigué d'entendre
tant d'impertinences , que personne
n'osoit relever : Mais vous , lui dit ce
Prince , qui parlez tant de guerre , sçavez
vous ce que c'est ? pour quelle raison voulez
vous que Sa Hautesse la déclare aux
Moscovites ? Ignorez- vous quelle est en paix
avec eux et que sans de justes motifs elle ne
sçauroit la rompre. Il faut , poursuivit-il
avant que de se résoudre à rien , être bien sûr
des nouvelles que vous nous débitez sans preuves,
après quoi on verrapar de mures déliberations
ce qui sera le plus utile,et le plus honorable
à l'Empire de la guerre ou de la paix et ce
sont là des choses qui ne se décident pas à la
legere , ni sur le champ comme vous venez de
le demanders d'ailleurs dites-moi parquel endroit
penetrerez vous en Moscovie ? Par quel
endroit ! interrompt Patrona plaisante
question ! par les endroits où nous y pénétrions
autrefois , vous d'un côté et nous de l'autre :
Doucement, répondit le Kam : autrefois nous
allions par la Pologne , parce que nous étions
→
* Il y en a deux à Constantinople , depuis environ
un an , M. Neplieuf, et M. Visnacoff , venu
pour relever ce premier.
en
20 MERCURE DE FRANCE
enguerre avec les Polonois , mais aujourd'hui
qu'ils sont de nos amis , est- il juste d'aller
porter la désolation chez des peuples dons
nous n'avons aucun sujet de nous plaindre
Sçavez- vous que conduire 100. mille Tar
tares dans un pays , c'est le perdre entierement
, et que par tout où ilsfoulent l'herbe , il
n'y croit rien de sept années : Tant mieux
dit Patrona , c'est de cette façon que j'aime
àfaire laguerre. Je ne demanderois pas mieux
ni mes sujets , reprit ce Prince, car outre que
la guerre est notre véritable élement , elle est
la source de toutes nos richesses ; et dès
que
cette source taritpar la paix , renfermés dans
la Krimée , steriles et sans commerce , nous
retombons dans l'indigence ; mais nous sçavons
la supporter , et sacrifier à la droiture
nos interêtsparticuliers : ilfaut refléchir avant
que de prendre les armes , afin de n'avoirpas
lieu de s'en repentir en les quittant , et ce ne
sont pas de ces petites affaires qui se termi→
ment en une ou deux assemblées .
Je trouve que celle - ci est bien nombreuse
répliqua Patrona ; je n'atendois pas que tant
de gens y assistassent ; j'avois compté au
Contraire que le Conseil ne seroit composé que
de vous , de Monsloub , du Janissaire Aga ,
du Grand Vizir , de quelques autres personnes
et de moi ; et à l'avenir il faudra , s'il
vous plaît,que cela soit ainsi , autrement plus
de secret , et les Infideles seront bientôt instruits
AVRIL: 1731. 921
et de toutes nos
truits de tous nos discours
démarches.
Quand il s'agit d'entreprendre la guerre ,
ou de continuer la paix , répondit le Roi
des Tartares , c'est une maxime fagement.
établie , que de faire degrandes assemblées .
pour y mieux débattre des matieres si gra
ves , et d'y appeller sur tout les Gens de loi ;
parce qu'étant plus éclairez que les autres , es
les dépositaires de la justice , les résolutions
qu'on prend par leurs avis , sont plus équitables
, et le succès qui les suit plus heureux ;
au lieu que quand on les exclut des Conseils ,
et qu'onfait rouler tous les interêts de l'Empi
re sur trois ou quatre têtes seulement , il arrive
d'ordinaire ce que vous venez de voir
sous le regne d' Ibrahim Pacha , qui pourn'avoir
voulu se conduire que par ses foibles lu
mieres et celles de ces deux gendres, a mis l' Etat
à deux doigts de sa pertes aussi pour les
punir de leur trop grande présomption , Dien
a t'il permis , que ces trois Ministres , après
avoir souffert une mort ignominieuse , n'ayent
trouvé d'autres sépultures que les entrailles des
Chiens , dont leurs cadavres ont été la
proye.
Il est étonnant , continua ce Prince
qu'un exemple si récent et si terrible , ne vous
corrige pas de la manie que vous avez de tout
regler, et de toutfaire par vous-même , mais si
sela continue , je vous déclare dés- à - present
queje supplierai Sa Hautesse de me renvoyer
922 MERCURE DE FRANCE
à Brousse pour y vivre en repos , dans la
folitude , et n'être plus témoin des attentats
qui se commettent ici impunément tous les
jours contre son honneur et le bien de son
service.
D
.
On voit par ce qui vient d'être rappor
té , qu'il n'y eut que le Kam et Patrona ,
qui parlerent dans ce Conseil , et qu'on
n'y conclut rien . Le premier se retira
bien résolu de redoubler ses instances auprès
du Grand Seigneur , pour hâter la
destruction des Rébelles ; tous les autres
assistans se retirerent le coeur ulceré
contre eux. Ceux- ci s'en furent chez le Janissaire
Aga , où ils s'applaudirent de
tout ce qui venoit de se passer , et prirent
de nouvelles mesures pour mettre
la derniere main à leur grand oeuvre ,
qui étoit , comme nous l'avons déja dit ,
de s'emparer des premieres Charges du
Gouvernement.
Patrona fut le lendemain 24 à l'Arsenal
de la Marine , rendre une visite de
politique , à Dgiannum-Codgea , pour lui
faire compliment sur sa nouvelle dignité,
qu'il comptoit de lui ravir bientôt , ne se
doutant pas que la foudre fut si prête d'é
clater sur sa tête . Le Capitan Pacha , aussi
fin et plus prudent que lui , le reçut
avec des honneurs extraordinaires , et lui
fat l'accueil du monde le plus gracieux ;
ik
AVRIL. 1731. 923'
3
Hs s'entretinrent ensemble avec toutes les
démonstrations d'une estime et d'une ami
tié réciproque , et lorsque Patrona l'eut
quitté pour s'embarquer dans un Bateau
à trois paires de Rames seulement accompagné
de deux autres , où se mirent
six personnes qui composoient toute sa
suite ; la foule fut si grande qu'il fut
comme porté jusqu'à l'Echelle , d'où il
jetta encore , ainsi qu'il avoit fait en sortant
, des poignées de Sequins au peuple :
en remarqua qu'il étoit chaussé ce jour -là,
contre son ordinaire , et que sa chaussu
re consistoit en un demi bas qui s'agraffe
sur le gras de la jambe , comme en portent
les Officiers de Mer.
•
Ce même jour qui étoit un vendredi ,
le Grand Seigneur vint faire sa priere du
midi , à la Mosquée de Topana de
l'autre côté du Port ; de- là Sa Hautesse fut
visiter la Fonderie de l'Arsenal où l'on
fabrique les Canons ,, dont on avoit
fait une décharge . générale à son débarquement
; ensuite prenant par les der
rieres de Pera , elle monta avec un grand
cortége au Serrail des Itchoglans , où elle
dîna. On avoit compté que le Sultan traverseroit
le Fauxbourg,à son retour, mais
des flateurs courtisans , et de faux dévots
en détournerent Sa Hautesse
représentant d'un air empressé , quand
elle E
>
>
cn lui
924 MERCURE
DE FRANCE
elle voulut se remettre en marche , que
ces ruës n'étoient habitées que par des
Infideles , et que leurs regards pourroient
lui être d'un sinistre présage. Cet avis
supersticieux lui ayant fait changer de
sentiment , elle reprit la même route par
où elle étoit venue , aprés avoir donné
75. mille livres aux jeunes gens de ce
Serrail qu'on y éleve pour son service , et
dont elle emmena quelques uns avec elle
des mieux faits et des plus capables.
Pendant que l'Empereur se promenoit
ainsi avec la plus grande partie de sa
Cout , et qu'il ne paroissoit pas qu'on
songeat qu'il y cut des Rébelles à Constantinople
, le Kam des Tartares , le G.
V. le Mufty , Dgianum-Codgca , et quelassemblez
secret- ques autres Ministres ,
tement au Serrail prononçoient leur
Sentence de mort. Ils travaillerent jusà
trouver ques bien avant dans la nuit ,
les moyens de l'executer , car ils furent
long- temps embarrassez sur le choix des
Acteurs de cette Tragedie.
›
}
Le Capitan - Pacha avoit d'abord proposé
d'en charger ses Leventis , mais on
fit réflexion que la plupart des Révoltez
étoient Janissaires , et que ce seroit jete
ter une semence de haine implacable entre
ces deux corps , qui ne finiroit peutêtre
que par l'extinction de l'un ou de
l'autre
AVRIL 1731. 985
T'autre ; enfin après s'être tournez de tous
les côtez , ils convinrent qu'il falloit don
ner cette expedition à faire aux Bostangis
, et autres domestiques du Serrail
parce que ,étant particulierement attachez
à la personne du G. S. les Janissaires ne
pourroient pas se formaliser de leur obéissance,
aux ordres deS.H.d'autant plus qu'il
y a plusieurs exemples que les Bostangis
ont été commis à de pareilles executions.
Le 25 au matin , tout étant préparé
le G. V. envoya inviter Patrona , Mouslouh
, et le Janissaire Aga , de venir au
Serrail , pour y rendre compte au Sultan
, de la conference qui avoit été tenue
le 23. et pour prendre des arrangemens
avec eux , tant sur les affaires de Perse
que sur toutes les autres qui regardoient
l'Empire. Ils s'y rendirent sur les onze
heures avec 26. personnes seulement , qui
resterent dans la premiere cour . Pour
eux ils furent introduits dans l'interieur
de ce Palais , à la Chambre nomméc
Sunnet- Odassi , où ils trouverent le Kam
des Tartares , le Mufty , le G. V. Dgianum
- Codgca , les deux Kadileskers en e
xercice , l'Istamboul-Effendi, et grand nombre
de Gens de Loy, tous assis sur le Sopha ,
chacun selon son rang ; ils s'y mirent aus,
C'est la Chambre où l'on fait la cérémonie de
la Circoncision des Princes Ottomans.
E ij si
916 MERCURE DE FRANCE
si selon le leur , et quoiqu'il y eut
dans la même Chambre ↑
beaucoup
d'Officiers, Dasseskis , et de Bostangis , qui
se tenoient de bout , ils ne soupçonerent
rien de la catastrophe qui leur de
voit arriver , parce que n'étant pas permis
à ceux qui entrent dans le Conseil de
faire entrer leurs gens dans cet endroit ,
ce sont toûjours des domestiques du G.
S. qui les servent en ce dont ils peu
vent avoir besoin ; de sorte que par la
grande quantité de Maîtres qu'il y avoit
alors , celle des Officiers et des domestiques
de S. H. ne devoit point paroître
extraordinaire aux Rébelles.
9
Tout le monde étant donc en ordre , le
G. V. prit la parole , et la portant d'abord
à Patrona , S. H. lui dit- il , vous
fait Bieylierbey de Romele , et vous donne
le Commandement de 30. mille hommes ,pour
aller joindre Achmet , Pacha de Babilone ,
avec lequel vous agirez de concert contre les
Persans.
1 Il s'adressa ensuite à Mouslouh et au Janissaire
Aga; il dit au premier,que l'Empereur
lui donnoit la qualité de Bieylierbey
de Natolie , avec un Commandement de
Troupes aussi , et au second qu'on le faisoit
Pacha à trois queues . Quant à vous ,
ajoûta- t'il ,se tournant vers Zulali - Zadé
Kadilisker- d'Asie , et vers Abdollach - Ef
fendį .
AVRIL. 1731. 927
-
fendi, Lieutenant General de Police , le G.
vous fait présent d'une queue à chacun .
A peine ce Ministre eut-il proferé ces
derniers mots , que Mustapha-Aga , dont
nous parlerons dans la suite cria , qu'on
extermine tous ces ennemis de l'Empereur et.
de l'Empire : aussi- tôt plus de trente personnes
se jettant le sabre à la main sur
Patrona , Mouslouh , et le Janissaire
Aga , les tuerent avant qu'ils eussent le
tems de se reconnoître.
On raconte ce massacre de differentes
manieres ; il y en a qui prétendent que
ces trois Rébelles se voyant perdus , vendirent
cher leurs vies , en blessant à mort
plusieurs Bostangis , et que Dgianum ,
Codgea fut le premier qui porta un coup
au Janissaire Aga , lequel se mettoit en
devoir de le tuer; d'autres rapportent qu'il
ne fit seulement que lui saisir les mains ,
et cela est assez vrai - semblable ; on dir
les Leventis furent enployez
dans cette affaire ; il est vrai que le Capitan
- Pacha , en avoit amené beaucoup
avec lui , mais ils resterent dans la premiere
Cour , et ne penetrerent point plus
encore que
avant.
Il y a peut être lieu de s'étonner que Patrona
, rusé et prévoyant comme il étoit,
se fut exposé à entrer dans le Serrail' sans
armes et sans suite , d'autant plus que les
E iij autres
928 MERCURE DE FRANCE
autres fois qu'il y étoit allé , il avoit toû
jours porté son sabre et ses pistolets , er
s'étoit fait accompagner par beaucoup de
ses camarades ; mais on répond à cela que
le G. V. pour le faire mieux tomber
dans le piége , lui avoit fait dire en
particulier , qu'ayant cette fois ci des matieres
à traiter de la derniere importance ,
et que reconnoissant qu'il avoit en raison
de se plaindre dans le dernier Conseil que
F'assemblée étoit trop nombreuse , il le
prioit de ne mener que peu de monde avec
Jui , afin que les secrets de l'Etat ne fussent
pas divulguez aux Infideles ; si bien
que Patrona , flatté de ce que ce Ministre
donnoit dans son sens , se livra avec tant
de confiance, qu'il fit même rester ses gens.
dans la premiere cour , et qu'il n'avoit
d'autre armes qu'un espece de Couperet ,
caché sous sa Pelisse , encore ne lui servitil
de rien , car ayant voulu le prendre ,
quand il vit qu'on venoit sur lui , Mustapha
Aga le prévint et lui abatit un bras
d'un coup
de Sabre.
و
A l'égard de Mouslouh qu'il avoit
aussi engagé à venir comme lui sans atmes
, il s'enveloppa dans ses Pelisses magnifiques
, et se laissa tuer sans faire le
moindre mouvement.
Quoiqu'il en soit de toutes ces cir
constances , dès que ces séditieux furent
J morts
AVRIL. 1731. 929
s
morts , on jetta leurs cadavres dans la
troisiéme cour , où est la chambre de Sunnet
- Odassi et l'on fut chercher les
26. enfans perdus , qui étoient demeurez
dans la premiere . On leur dit avec
politesse , que le G. V. qui venoit de donner
des Pelisses à leurs Chefs , les demandoit
pour leur donner aussi à chacun un
Caftan ; mais on ne les fit entrer que trois
ou quatre à la fois , à diverses reprises
sous prétexte de faire cette cérémonie
avec plus de décence , mais à mesure que
ces miserables étoient passez dans la seconde
cour , on les assomoit. Cependant au
bout d'une demie heure , quelques uns de
ceux qui restoient encore , ne voyant revenir
aucun de leurs camarades eurent
quelque soupçon de ce qui se passoit , et
voulurent se sauver , mais trouvant toutes
les portes fermées , ils furent investis
et tuez comme les autres .
,
Le bruit s'étant répandu par la Ville ,
que les Chefs des Rebelles étoient depuis
long- tems au Serrail, dont on avoit fermé
les Portes ; cela réveilla quelques- uns de
leur partisans qui y vinrent avec précipitation
, mais les Portes ayant été ouvertes ,
ces Agas , qui faisoient tant les braves , ne
virent pas plutôt des Chariots chargez de
corps massacrez , que saisis d'épouvante ,
Eij
›
ils
930 MERCURE DE FRANCE.
ils s'en furent , et abandonnerent même
leurs Chevaux.
Tous ces cadavres furent étalez dans
la rue ; il s'y amassa
>
ruë il s'y amassa un peuple innombrable
, pour les considerer , surtout
celui de Patrona , que chacun voulut voir
préferablement
aux autres ; ils ne furent
pourtant exposez que deux heures , après
quoi on fut les jetter dans la Mer , de
crainte qu'un spectacle si effrayant n'eut
des suites dangereuses , et que les Rébelles
, qu'on sçavoit être en grandnombre ,
se sentant aussi coupables que ceux dont
ils voyoient les tristes restes n'excitassent
un second soulevement populaire
dans l'esperance d'éviter un pareil sort
à la faveur des nouveaux désordres
en effet il y en eut plusieurs qui furent
au Bezestin pour en faire fermer les boutiques
, mais ils n'y purent jamais parvenir
, le G. S. ayant pris le devant par un
Katcherif adressé au Bt zestin Kyassi ,.
( c'est à peu près comme le Prevôt des
Marchands , ) qui menaçoit de mort
quiconque fermeroit ou souffriroit que
Fon fermât les boutiques pour quelque
cause que ce fut.
>
On vient de voir que les dons imaginaires
. que le G. V. avoit faits de la part du
Sultan , à Patrona , à Mouslouk`, et au
Janissaire Aga , avoient été le signal de
leus
AVRIL 17313 931
perte , mais comme tout le monde ne
comprendra pas , que ce ministre en disant
ensuite à Zulali - Kadé , et Abdollah-
Effendi , que Sa Hautesse leur faisoit présent
d'une queue , leur anfonçoit aussi la
mort ; il ne sera pas hors de propos
d'expliquer
cette espece d'Enygme..
Les Effendi , ou Gens de Loy , sont en
si grande vénération dans cet Empire
sur tout par rapport à leur sçavoir, que les
Empereurs les ayans toûjours honorez jus
qu'à la superstition , il y a très - peu d'exemples
qu'ils en ayent fait mourir. Ainsi
quoique ceux dont il s'agit ici , pour
avoir été les Arcsboutans de la Révolte ,
méritassent le dernier supplice ; S. H. qui
ne voulut point violer leur caractere ,
fut obligée de les en dépouiller , afin d'àvoir
la liberté de satisfaire à sa justice ,
et ce fut en leur donnant cette queue que
se fit leur dégradation , parce que ce signe
d'honneur , qui est incompatible avec
l'état d'homme de Loy , les faisants passer
dans celui d'homme de guerre , auquel
il est particulierement affecté , le
Sultan n'étoit plus arrêté par aucun scrupule
, et pouvoit disposer à son gré de
leur vie , dés le moment qu'ils avoient
cessé d'être Effendi ..
Il sembleroit par cette raison , que
S. H. auroit donc dû les faire périr sur le
Ev champ
32 MERCURE DE FRANCE
champ comme les autres , mais un reste
de menagement pour leur dignité , et la
présence de leurs confreres l'engagea à les
faire executer ailleurs .
Dès que le G. V. leur eut donné la funeste
marque de distinction , dont on
vient de parler , on les conduisît à la pri
son du Bostangis- Bachi ; ils y trouverent
beaucoup de personnes de l'ancien ministere
, que Patrona et Mouslouh y avoient
fait mettre , et Abdoullah- Effendi , que
les approches de la mort ne rendoient
pas plus sage , appercevant parmi ces pri
sonniers le Vaivode de Galata , qui après
avoir été long-temps caché avoit enfin
été pris , lui dit , Vous l'avez tous échapez
belle , car nous étions bien résolus de
vous envoyer en l'autre monde ; heureusementpour
vous on nous a prévenus. Le vieux.
Vaivode piqué , lui répondit d'un air gra
ve ,
.
et colere tout ensemble ; je me sousie
si peu de la vie , que je mourrois satisfait
, si je pouvois auparavant avoir le plai..
sir de teindre ma barbe blanche de ton
sang. Leur conversation n'en seroit pas
demeurée là , mais des Officiers vinrent
l'interrompre pour conduire ces deux
Effendi degradés sur une Galere qui
étoit à la pointe du Serrail , et de laquelle
, après les avoir étranglez , on les
jetta dans la Mer.
La
AVRIL. 1731% 933
La nouvelle de toutes ces exécutions
templit d'une joye universelle tout Constantinople
et ses Fauxbourgs ; la plûpart
des Turcs égorgerent des Moutons en sacrifice
, de leur propre mouvement , et
devancerent les ordres du G. S. qui fit
publier que tout le monde rendit grace à
Dieu , de ce que par sa misericorde , l'Etat
étoit enfin délivré des traîtres et perfides
Chefs de la rébellion .
S. H. commanda en même- tems qu'on
eut à dénoncer et à saisir tous ceux qu'on
reconnoîtroit avoir été de leurs compli
ces , pour leur faire souffrir les mêmes
châtimens ; de sorte qu'en trois ou quatre
jours il périt par differens genres de
mort , la plupart dans le silence de la nuit,
près de 6000 de ces malheureux . Ils ne
sçavoient où fuir , ni à qui se confier ; on
les trouvoit on les arrêtoit , on les
déceloit par tout.
›
Il y en eut pourtant sept des plus criminels
, qui se sauverent chez le Kam des
Tartares ; ce Prince les garantit de la main
des bourreaux , moins par un effet de sa
compassion , dont ils étoient indignes.
que pour conserver à son Palais le droit
qu'il a d'azile inviolable ; mais il prit la
précaution de faire poser des Gardes à
toutes ses portes , afin qu'à l'avenir son
équité ne fut plus compromise en réfus
Evj giant
934 MERCURE DE FRANCE
giant chez lui de pareils scelerats .
Sultan Mahmout , encore plus attentif´
à récompenser qu'à punir , donna le même
jour la dignité de Janissaire- Aga , à
Mussin- Oglou - Abdullah , Pacha de Nisse,
qu'on avoit fait venir depuis peu , et dont
on se servit utilement dans ces conjonctures.
S. H. le fit outre celá Vizir à tros
queues. Il est vrai que la Charge de Ja- ·
nissaire Aga donne bien ce rang par ellemême,
mais quand on en est honoré indépendamment
de la Charge , celui qui´là .
pos ede en a plus de relief et d'autorité
et c'est par cette raison , que sous le précédent
Ministere , on n'a jamais fait de
Jani saires Agas , que des Pachas à deux
queues , afin qu'ils n'eussent pas tant dė
crédit. Dgannum Codgea , qui venoit
d'être fait Capitan Pacha , n'avoit aussi
qquuee deux queues ; mais le G. S. satisfait
de ses bons conseils et de son courage , lui :
en donna une troi iéme.
Mustapha Aga , dont nous avons promis
de parler , reçût pareillement des
marques dé la bien -veillance du G. S. On
le connoissoit autrefois sous le nom dè
Pehlivan , qui veut dire le Lutteur , parce
qu'en effet son adresse et sa force à là
lutte , et dans tous les autres exercices du
corps , jetterent les premiers fondements .
de sa fortune. Il avoit été dès son bass
âgé
AVRIL 17317 935
་
age créature du Kan des Tartares , à présent
régnant , qui le fit ensuite Officier
dans les Janissaires , et il se trouvoit Capitaine
de la 17 Compagnie , lorsque la ré
volte éclata. Pelivan s'enfuit: aussi tôt à
Brousse , auprès de son ancien Maître ' ,
pour n'être point impliqué dans tous les
forfaits qui s'alloient commettre ; puis
étant revenu à la Cour avec le Kam , ce
Prince le présenta au G. S. comme un su
jet fidele , et d'une valeur éprouvée : ce
*fut lui , comme nous l'avons dit , qui fut
chargé d'annoncer l'ordre du massacre
des Rebelles , et qui le commença le pre
mier , en coupant un bras à Patrona. S.
H. voulant donc reconnoître ce service ,
ket se souvenant aussi des rapports avantageux
que le Kam lui en avoit fait , le nomma
Lieutenant General des Janissaires , à
la place de Mouslouh. Sa modestie lui fit
d'abord refuser cette faveur; il representa
qu'il n'étoit pas assez ancien dans son
Corps , qu'il n'avoit pas assez de méri
te pour remplir une Charge si distinguée,
et que cela pourroit lui attirer l'envie et :
la haine des autres Officiers , qui en étoient :
plus digne que lui ; mais le G. S: passant
pat- dessus toutes ces considérations , lui
commanda d'obéir , ce qu'il fit en rendant
mille graces à S. H.
8
Le lendemain 26 Novembre , l'Empe →
reur
936 MERCURE DE FRANCE
reur envoya des Katcherifs à tous les
Chefs des differentes Milices , pour leur
faire part de ses heureux succès , et leur
enjoindre de faire observer une exacte discipline
à leurs Soldats ces commandemens
furent accompagnez de sommes considerables
, dont S. H. voulut qu'on fe
distribution dans chaque Corps . Elle envoya
so mille écus aux Janissaires , 60
mille livres aux Tobgdgis , et 75 mille
aux Gbedgis. Les Troupes , charmées des
génerositez de leur Souverain , firent des
prieres pour sa conservation et sa prospérité
, et durant toute cette journée , Constantinople
fut dans l'allegresse , excepté
les Rebelles , dont on prit un grand nombre
, qui ne survêcurent que peu d'heures
à leur emprisonnement .
Le miserable Yanuki eut aussi la tête
coupée , pour le punir de la témerité qu'il
avoit euë , de vouloir devenir Prince de
Moldavie malgré le G. S. Ainsi l'espece
de prédiction de Patrona , quand il demanda
à ce Boucher s'il ne se soucioit pas.
de vivre plus long-tems que lui , s'accomplit
presqu'à la lettre , puisqu'ils moururent
à un jour l'un de l'autre.
Le 27. les principaux Ministres , et les
premiers Officiers des Troupes , donnerent
toute leur application à redoubler
leurs recherches et leurs poursuites contre
le
*
AVRIL 1731.
937
"
Te reste des Rebelles , surtout pour empê
cher les incendies , car Patrona avoit déclaré
plusieurs fois , que si jamais on attentoit
à ses jours , il feroit mettre le feu
aux quatre coins de Constantinople , et
pour y mieux parvenir , il avoit placé
dans tous les Bains , des gens qui lui étoient
dévoüez entierement. Effectivement , la
plupart des gens qui les servent sont Albanois
, comme il l'étoit or il y a
une grande quantité de cette Nation parmi
la populace , et l'on remarquoit en eux
un certain air d'arrogance et de révolté ;
jusques- là , que ceux qui tiroient d'eux.
quelques services , étoient obligés de les.
payer au double , encore les menaçoientils
de Patrona , dont la prosperité rapide
et brillante , les avoit si fort éblouis , qu'ils
croyoient tous faire fortune par son cainal
; mais depuis sa mort , ces rustres glo
ricux sont devenus si humbles , et si craintifs
, qu'on n'en voit presque plus paroî
tre dans les rues . Le G. V. en a beaucoup
fait pendre , et pour des fautes les plus légeres
, on leur donne de cruelles bastonades
, afin qu'ils n'oublient pas si - tôt l'auteur
de leurs biens chimeriques , er de
leurs maux réels .
Le 28 Novembre , jour auquel nous finirons
cette Relation et auquel
ent aussi fini les suites de la Révolté
,
сем
9
938 MERCURE DE FRANCE
commencée à pareil jour du mois de Sep
tembre précédent , toutes les personnes
de l'ancien Ministere qui étoient encore
en prison , furent élargies , moyennant
des taxes modiques , et le G. S. fermant
l'oreille à la séverité , pour n'écouter plus
que la clémence , accorda une amnistie
generale à tous ceux qu'on pouvoit encore
accuser d'avoir eu part et d'avoir contribué
aux troubles de l'Erat; avec cette modifica--
tion pourtant , que ceux qui seroient reconnus
pour avoir été du nombre des premiers
conjurez , et qui auroient persisté?
dans la rébellion jusqu'à la fin , n'auroient
que la vie sauve , et subiroient l'éxil qu'on
leur prescriroit.
Fermer
Résumé : RELATION HISTORIQUE, exacte et détaillée de la derniere Révolution arrivée à Contantinople ; écrite d'abord en Turc par un Effendi, avec plusieurs circonstances de cet Evenement , tirées d'autres Memoires.
En septembre 1730, une révolte éclate à Constantinople, principalement due à la décadence des affaires en Perse et à l'oppression du peuple turc. Patrona-Kalil, un Albanois, et d'autres individus de basse extraction mènent la révolte contre le ministère en place. Le sultan Achmet III et le Grand Vizir Ibrahim-Pacha tentent sans succès de réprimer la révolte. Les rebelles libèrent des prisonniers et augmentent leurs rangs, forçant Achmet III à abdiquer. En 1731, les rebelles exigent la libération de plusieurs personnalités, dont le Mufty et Ibrahim Pacha. Le sultan refuse de libérer ce dernier, le condamnant à mort avec d'autres ministres. Les rebelles, furieux, exigent la déposition d'Achmet III et l'élévation de Mahmoud au trône. Mahmoud est proclamé sultan le 2 octobre et reçoit l'hommage des grands de l'Empire. Cependant, les rebelles continuent de piller et de défier l'autorité de Mahmoud, qui doit négocier pour éviter de nouvelles violences. Des trésors cachés par les anciens ministres sont découverts, révélant des sommes considérables. Le sultan Mahmoud ordonne des gratifications pour les troupes et tente d'apaiser la rébellion. Patrona-Kalil refuse des offres de gouvernement et exige le sang des proscrits. Le sultan destitue le Capitan Pacha et nomme un successeur temporaire. Les ministres étrangers sont informés de l'accession au trône de Mahmoud, et plusieurs tribunaux reprennent leurs activités avec de nouveaux officiers. En avril 1731, des fonds sont distribués à diverses unités militaires ottomanes, incluant les Janissaires, les Topgis, les Dgebedgis et les Spahis. Des plaintes concernant des officiers retenaient une partie de la solde des soldats sont adressées au Grand Vizir, qui contraint ces officiers à restituer les sommes indûment appropriées. Patrona accepte des pots-de-vin en échange de la grâce de proscrits, provoquant des réactions hostiles parmi ses camarades. Les persécutions et pillages continuent à Constantinople, poussant le sultan à convoquer un grand conseil. Ce conseil décide d'envoyer un édit aux rebelles, menacés de répression s'ils ne se soumettent pas. Les Janissaires, ayant déserté les rebelles, renforcent cet édit en menaçant de les combattre. Les rebelles finissent par se soumettre, obtenant la promesse que le sultan ne les punirait pas et qu'ils pourraient conserver cinq étendards pour leur défense. Mehemet Aga, un sellier, est élu Janissaire Aga en avril 1731 malgré ses protestations. Il avoue avoir feint d'être curé pour éviter cette charge, mais montre par la suite des qualités de leadership, sauvant Constantinople d'une sédition. Les rebelles continuent de semer le trouble, mais Mehemet Aga intervient pour rétablir l'ordre. Le Mufti tente de raisonner les chefs rebelles, mais ceux-ci restent insolents et continuent leurs désordres. Les rebelles s'installent dans des maisons en ville, se livrant à des débauches et exigeant des faveurs du Grand Vizir. Ils exilent Mehmet Pacha à Mouhs-Kara, détruisant les embellissements de la ville. Le Grand Vizir doit céder à leurs demandes, même pour les nominations de postes importants. Le Grand Seigneur dépose Mengheli Chiray, Khan des Tartares de Crimée, et nomme son frère Kaplan-Chiray comme successeur. Ce dernier reçoit des honneurs et des présents à Constantinople. Les rebelles, influencés par Mouslouh Aga, demandent des réformes et la déposition de certains ministres. Ils accusent des hauts fonctionnaires de trahison et exigent des changements dans le ministère. Le gouvernement répond par des mesures de répression et des avertissements. Patrona Kalil montre sa reconnaissance envers un boucher grec qui l'avait aidé, en lui offrant une somme d'argent et en lui promettant une faveur. En avril 1731, Yanaky, un boucher, est nommé Prince de Moldavie malgré l'opposition du Grand Vizir. Cette nomination provoque le désespoir parmi les Grecs. Yanaky ne parvient pas à rassembler les fonds nécessaires et est rapidement emprisonné. Des tensions émergent au sein des Janissaires, qui menacent Patrona et exigent la dissolution de ses troupes. Kafis-Mehemet Pacha est brièvement déposé de son poste de Capitain-Pacha avant d'être rétabli sous la pression des rebelles.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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15
p. 1039-1041
CANTIQUE d'Anne, Mere du Prophete Samuel, Lib. I. Chap. 2. des Rois, traduit de l'Hebreu en Prose Poëtique Françoise, par M. L'Abbé le Camus de Provence, suivant l'idée de M. de la Motte, de l'Académie Françoise.
Début :
Feu pur et sacré que l'amour allume dans mon cœur, exhalez vous en saintes [...]
Mots clefs :
Cantique, Samuel, Hébreu, Prose poétique , Jacob, Arc du Fort , Trône, Christ
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : CANTIQUE d'Anne, Mere du Prophete Samuel, Lib. I. Chap. 2. des Rois, traduit de l'Hebreu en Prose Poëtique Françoise, par M. L'Abbé le Camus de Provence, suivant l'idée de M. de la Motte, de l'Académie Françoise.
CANTIQUE d'Anne , Mere du
Prophete Samuel , Lib. 1. Chap. 2 .
des Rois , traduit de l'Hebreu en Prose
Poëtique Françoise , par M. l'Abbé le
Camus de Provence , suivant l'idée de
M.de la Motte, de l'Académie Françoise.
Fdans mon coeur, exhalez vous en sain-
Eu pur et sacré que l'amour allume
tes louanges.
C'est toi , Dieu tout puissant et bon ;
quis releves ma force abbattuë ;
C Mes
1040 MERCURE DE FRANCE
Mes ennemis étonnez , m'entendent
élever la voix . Joye douce qui me vient
de tes bontez secourables !
Non , il n'est de Saint que notre Dieu ;
non , il n'est que toi de rampart assuré.
Que l'impieté se taise ; et vous , superbes
, écoutez-moi.
Connoissez le Dieu de Jacob. La sagesse
est son partage inaliénable ; point
de projet heureux qu'il ne l'ait formé.
C'est par lui que l'Arc du Fort est
brisé ;
Que les pieds incertains du foible sont
affermis.
C'est lui qui livre au travail ingrat
à la misere imprévûë , désespérante
le Riche amolli dans la volupté.
.
Mais , les jours du pauvre tristes et laborieux
, il les change en des jours de Fêtes.
Une troupe inesperée d'enfans badins
entourent une mere n'aguéres sterile. La
joye inonde son coeur ;
Tandis que cette autre , fiere d'une posterité
flatteuse, languit dans l'abbattement
et le désespoir,
Fehova conduit au tombeau , et ramené
des portes du trépas.
Dans tes mains toutes- puissantes sont
la mort et la vie , la richesse et la
vreté ,
pau-
11
MAY. 1731. 1041
Il abbaisse , il éleve .
Et d'un tas de poudre et d'ordure sort
à sa voix l'affreuse indigence.
Lui même il la place sur un Trône , et
Les Grands s'empressent à l'entour , éblouis
de ce naissant éclat .
Mon Dieu tient d'une main les bases
profondes sur lesquelles il a posé la Terre.
Et de l'autre main il guide les pas du
Juste.
L'Impie le voit en frémissant , du fond
de l'obscurité , où il croupit.
Force humaine , tu n'es que foiblesse ;
jamais tu n'enfantas les succès .
Mais , ô Dieu fort , ne perds point de
vue ton Christ , ni ses envieux obstinez .
Verse sur eux la terreur et la ruine .
Que ton Tonnerre gronde , que les
Cieux s'ébranlent en sa faveur.
D'un bout de la Terre à l'autre , tu
juges les foibles Mortels.
Tu fortifies ton Christ , et la gloire brille
sur son front couronné .
M. l'Abbé le Camus , qui sçait bien
l'Hébreu , pourroit , s'il vouloit , donner
au Public une Traduction des Pseaumes
de la même maniere.
Prophete Samuel , Lib. 1. Chap. 2 .
des Rois , traduit de l'Hebreu en Prose
Poëtique Françoise , par M. l'Abbé le
Camus de Provence , suivant l'idée de
M.de la Motte, de l'Académie Françoise.
Fdans mon coeur, exhalez vous en sain-
Eu pur et sacré que l'amour allume
tes louanges.
C'est toi , Dieu tout puissant et bon ;
quis releves ma force abbattuë ;
C Mes
1040 MERCURE DE FRANCE
Mes ennemis étonnez , m'entendent
élever la voix . Joye douce qui me vient
de tes bontez secourables !
Non , il n'est de Saint que notre Dieu ;
non , il n'est que toi de rampart assuré.
Que l'impieté se taise ; et vous , superbes
, écoutez-moi.
Connoissez le Dieu de Jacob. La sagesse
est son partage inaliénable ; point
de projet heureux qu'il ne l'ait formé.
C'est par lui que l'Arc du Fort est
brisé ;
Que les pieds incertains du foible sont
affermis.
C'est lui qui livre au travail ingrat
à la misere imprévûë , désespérante
le Riche amolli dans la volupté.
.
Mais , les jours du pauvre tristes et laborieux
, il les change en des jours de Fêtes.
Une troupe inesperée d'enfans badins
entourent une mere n'aguéres sterile. La
joye inonde son coeur ;
Tandis que cette autre , fiere d'une posterité
flatteuse, languit dans l'abbattement
et le désespoir,
Fehova conduit au tombeau , et ramené
des portes du trépas.
Dans tes mains toutes- puissantes sont
la mort et la vie , la richesse et la
vreté ,
pau-
11
MAY. 1731. 1041
Il abbaisse , il éleve .
Et d'un tas de poudre et d'ordure sort
à sa voix l'affreuse indigence.
Lui même il la place sur un Trône , et
Les Grands s'empressent à l'entour , éblouis
de ce naissant éclat .
Mon Dieu tient d'une main les bases
profondes sur lesquelles il a posé la Terre.
Et de l'autre main il guide les pas du
Juste.
L'Impie le voit en frémissant , du fond
de l'obscurité , où il croupit.
Force humaine , tu n'es que foiblesse ;
jamais tu n'enfantas les succès .
Mais , ô Dieu fort , ne perds point de
vue ton Christ , ni ses envieux obstinez .
Verse sur eux la terreur et la ruine .
Que ton Tonnerre gronde , que les
Cieux s'ébranlent en sa faveur.
D'un bout de la Terre à l'autre , tu
juges les foibles Mortels.
Tu fortifies ton Christ , et la gloire brille
sur son front couronné .
M. l'Abbé le Camus , qui sçait bien
l'Hébreu , pourroit , s'il vouloit , donner
au Public une Traduction des Pseaumes
de la même maniere.
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Résumé : CANTIQUE d'Anne, Mere du Prophete Samuel, Lib. I. Chap. 2. des Rois, traduit de l'Hebreu en Prose Poëtique Françoise, par M. L'Abbé le Camus de Provence, suivant l'idée de M. de la Motte, de l'Académie Françoise.
Le texte présente une traduction en prose poétique du 'Cantique d'Anne, Mère du Prophète Samuel' du Livre des Rois, réalisée par l'Abbé le Camus de Provence, inspirée par M. de la Motte de l'Académie Française. Anne exprime sa gratitude envers Dieu pour avoir exaucé sa prière et lui avoir donné un fils. Elle loue Dieu pour sa puissance et sa bonté, affirmant qu'il est le seul saint et le seul rempart sûr. Anne invite les impies et les superbes à reconnaître le Dieu de Jacob, qui possède une sagesse inaliénable et forme des projets heureux. Le texte décrit comment Dieu brise l'arc des forts, affermit les pieds des faibles, et change les jours tristes des pauvres en jours de fête. Il montre également comment Dieu abaisse les riches et élève les pauvres, plaçant parfois ces derniers sur un trône. Dieu tient la Terre d'une main et guide les pas des justes de l'autre, tandis que les impies le voient avec frayeur. Le cantique se termine par une prière pour que Dieu protège son Christ et verse la terreur et la ruine sur ses ennemis, jugeant les mortels de la Terre entière et fortifiant son Christ.
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16
p. 2012-2013
ESPAGNE.
Début :
On mande de Seville que le 14. du mois dernier, le Roy donna Audience publique [...]
Mots clefs :
Séville, Roi de Maroc, Trône, Oran, Tanger, Cadix, Escadre
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texteReconnaissance textuelle : ESPAGNE.
mande de Seville que fe 14. du mois
dernier, le Roy donna Audience publique
à Muley - Hamet , Prince Maure , fils de Muley-
Bonfar et Neveu de Muley- Ismael : ce Prince
qui est un des prétendans à la Couronne du Feu
Roy de Maroc, a demandé un secours pour remonter
sur le Trône de ses ancêtres , en promettant
de ceder à S. M. Cath. les Villes d'Oran
et de Tanger , et quelques autres Places le long
de la Mer. Après l'Audience du Roy , il eut Audience
de la Reyne , du Prince , de la Princesse
des Assuries et des Infans , qui le reçurent avec
beaucoup d'accueil .
Le 28. de Juin , il arriva à Seville un Ambassadeur
de Muley- Abdallah , actuellement Roy
de Maroc , au nom duquel il est chargé de faire
au Roy des propositions fort avantageuses pour
détourner S. M. d'accorder du secours au Prince
Maure dont on vient de parler.
Le Roy a fait demander à la Chambre du
Commerce de Cadix un emprunt de 1100. mille
pieces de huit , avec promesse de faire délivrer
incessamment le reste des Effets de la Flotille.
On a publié une Ordonnance du Roy dans
les Ports d'Espagne , par laquelle S M. Cath
déclare que tous les effets appartenants à des ALgeriens
qu'on trouvera sur des Vais caux por
tant Pavillon Anglois , seront confisqués , le
Roy d'Espagne ne voulant pas permettre que les
Negocians d'Alger puissent faire aucun commerce
dans ses Etats directement ny indirectement.
2.
Qn
༢ །།
A O UST. 1731. 2013
On écrit de Cadix que le 14, Juillet , les trois
Vaisseaux de Guerre et la Fregate commandés
par le Chef d'Escadre Don Rodrigue de Torres ,
étoient arrivés de la nouvelle Espagne , et en
dernier lieu de la Havane , avec une charge très
considerable, qu'on fait monter à trois milions
sa mille , 888. Pieces de huit , sans comprendre
les autres marchandises qui sont pour
compte du Roy et pour celui des Negocians interessés
dans cette Flotille. Ces Vaisseaux avoient
été joints à quelques heues de la Baye de Cadix
par le Comte de Clavijo qui croisoit avec son
Escadre à la hauteur du Cap de S. Vincent et de
Sainte Marie.
L'Escadre du Roy , à laquelle doit se joindre
PEscadre Angloise qu'on attend à Cadix , sera
de 10. Vaisseaux de Guerre: Les Regimens qui
doivent composer les 6000 : hommes que S. M.-
envoye en Italie sont nommés; le Comte de Charny,
Lieutenant - General des Armées du Roy, doit.
les commander ; le Duc de Castro Pignano let
Marquis d'Hautefort et deux autres Officiers
Generaux serviront sous lui en qualité de Marechaux
de Camp
La nuit du 21. au 2. on essuya une Tempte
terrible du côté de Palencia , où le Tonnerre
tomba sur le Convent de la Sainte Epine,, de
P'Ordre de Citeaux , et mit le feu à plusieurs
endroits de ce Monastere , qui fut consumé par
les flammes en moins de deux heures. Les Religieux
qui furent obligés de se sauver à moitié
habillés , n'eurent que le temps d'emporter avec
eux le S. Sacrement et la Sainte Epine , qu's .
mirent en dépot dans un Hermitage des en
virons ,
dernier, le Roy donna Audience publique
à Muley - Hamet , Prince Maure , fils de Muley-
Bonfar et Neveu de Muley- Ismael : ce Prince
qui est un des prétendans à la Couronne du Feu
Roy de Maroc, a demandé un secours pour remonter
sur le Trône de ses ancêtres , en promettant
de ceder à S. M. Cath. les Villes d'Oran
et de Tanger , et quelques autres Places le long
de la Mer. Après l'Audience du Roy , il eut Audience
de la Reyne , du Prince , de la Princesse
des Assuries et des Infans , qui le reçurent avec
beaucoup d'accueil .
Le 28. de Juin , il arriva à Seville un Ambassadeur
de Muley- Abdallah , actuellement Roy
de Maroc , au nom duquel il est chargé de faire
au Roy des propositions fort avantageuses pour
détourner S. M. d'accorder du secours au Prince
Maure dont on vient de parler.
Le Roy a fait demander à la Chambre du
Commerce de Cadix un emprunt de 1100. mille
pieces de huit , avec promesse de faire délivrer
incessamment le reste des Effets de la Flotille.
On a publié une Ordonnance du Roy dans
les Ports d'Espagne , par laquelle S M. Cath
déclare que tous les effets appartenants à des ALgeriens
qu'on trouvera sur des Vais caux por
tant Pavillon Anglois , seront confisqués , le
Roy d'Espagne ne voulant pas permettre que les
Negocians d'Alger puissent faire aucun commerce
dans ses Etats directement ny indirectement.
2.
Qn
༢ །།
A O UST. 1731. 2013
On écrit de Cadix que le 14, Juillet , les trois
Vaisseaux de Guerre et la Fregate commandés
par le Chef d'Escadre Don Rodrigue de Torres ,
étoient arrivés de la nouvelle Espagne , et en
dernier lieu de la Havane , avec une charge très
considerable, qu'on fait monter à trois milions
sa mille , 888. Pieces de huit , sans comprendre
les autres marchandises qui sont pour
compte du Roy et pour celui des Negocians interessés
dans cette Flotille. Ces Vaisseaux avoient
été joints à quelques heues de la Baye de Cadix
par le Comte de Clavijo qui croisoit avec son
Escadre à la hauteur du Cap de S. Vincent et de
Sainte Marie.
L'Escadre du Roy , à laquelle doit se joindre
PEscadre Angloise qu'on attend à Cadix , sera
de 10. Vaisseaux de Guerre: Les Regimens qui
doivent composer les 6000 : hommes que S. M.-
envoye en Italie sont nommés; le Comte de Charny,
Lieutenant - General des Armées du Roy, doit.
les commander ; le Duc de Castro Pignano let
Marquis d'Hautefort et deux autres Officiers
Generaux serviront sous lui en qualité de Marechaux
de Camp
La nuit du 21. au 2. on essuya une Tempte
terrible du côté de Palencia , où le Tonnerre
tomba sur le Convent de la Sainte Epine,, de
P'Ordre de Citeaux , et mit le feu à plusieurs
endroits de ce Monastere , qui fut consumé par
les flammes en moins de deux heures. Les Religieux
qui furent obligés de se sauver à moitié
habillés , n'eurent que le temps d'emporter avec
eux le S. Sacrement et la Sainte Epine , qu's .
mirent en dépot dans un Hermitage des en
virons ,
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Résumé : ESPAGNE.
Le 14 du mois précédent, le roi d'Espagne a reçu Muley-Hamet, prince maure et prétendant au trône du Maroc, qui a sollicité un soutien pour récupérer son trône en échange de la cession des villes d'Oran et de Tanger. Muley-Hamet a également été accueilli par la reine et les membres de la famille royale. Le 28 juin, un ambassadeur de Muley-Abdallah, roi actuel du Maroc, est arrivé à Séville pour proposer des offres au roi d'Espagne afin de dissuader son soutien à Muley-Hamet. Le roi a demandé un emprunt de 1 100 000 pièces de huit à la Chambre du Commerce de Cadix et a publié une ordonnance royale pour confisquer les effets algériens trouvés sur des vaisseaux anglais. Le 14 juillet, trois vaisseaux de guerre et une frégate sont arrivés à Cadix avec une cargaison évaluée à trois millions et 888 pièces de huit. L'escadre royale, renforcée par l'escadre anglaise, comptera 10 vaisseaux de guerre. Les régiments envoyés en Italie seront commandés par le comte de Charny et d'autres officiers généraux. Le 21 juillet, une tempête a détruit le couvent de la Sainte-Épine à Palencia.
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17
p. 1929-1932
ODE. SUR LE JUGEMENT DERNIER.
Début :
Quelle puissance souveraine, [...]
Mots clefs :
Jugement dernier, Christ, Trompette, Trône, Sang
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ODE. SUR LE JUGEMENT DERNIER.
OD E.
SUR LE JUGEMENT DERNIER.
QuUelle puissance souveraine ,
Trouble l'ordre de l'Univers !
Quels crls de fureur et de haine !
De quels feux s'allument les Airs !
Les Cieux , de leurs voûtes brisées ,
Ouvrent les portes embrasées ,
Aux Eclairs , aux Foudres brulans,
J'entens une voix menaçante ,
Qui dit à la Terre tremblante ,
Ce jour est le dernier des temps.
>
Mais que vois-je ! quels tas terrible ,
D'ossemens et de membres morts !
Le son d'une Trompette horrible
En ranime tous les ressorts.
Quel divin rayon de lumiere ,
poussiere ,
Donne à cet amas de
De la chaleur , du mouvement !
Quel esprit , quel souffle de vie ,
Agite,
1930 MERCURE DE FRANCE
Agite , échauffe , vivifie,
Les cendres de ce Monument !
Quels cris de joye et de victoire !
Voici le Juge des Humains ,
Le CHRIST sur un Trône de gloire ,
Ouvre le Livre des Destins ,
Au pied du Trône inaccessible ,
Sont la Justice incorruptible ,
Et l'immuable verité.
Tremblez , Mortels , je vois la Foudre ,
Qui va bien-tôt réduire en poudre ,
Le mensonge et l'iniquité.
Satan , du funeste volume ,
Transcrit les fastes criminels.
Ah ! quelle source d'amertume ,
Pour vous , ô malheureux Mortels !
Sur le fer , l'airain et le cuivre ,
Sont gravez dans l'immense Livre ,
Les trahisons , les noirs projets.
Egalement on y découvre ,
Et de la Cabane et du Louvre ,
Les attentats les plus secrets.
Sur le marbre , l'or et l'yvoire ,
Un Chérubin majestueux ,
A le soin de tracer l'Histoire,
Des
SEPTEMBRE. 1732. 1931
Des faits des hommes vertueux.
Du haut de son Trône suprême ,
Le Fils d'un Dieu pese lui- même ,
Et les vices et les vertus.
Au mouvement de la balance ,
Sa main punit ou récompense,
Les Réprouvez ou les Elus.
Du Seigneur , la voix redoutable ,
Trouble les Airs épouvantez.
Je frémis. Sa bouche équitable ,
Va m'anoncer ses volontez.
Qu'entens-je ! quelle horreur soudaine ...
Ciel ! un Fleuve de sang m'entraîne ,
Dans l'éternelle obscurité.
Ah ! Seigneur , je suis ton Ouvrage ,
Voudrois-tu détruire l'Image ;
De ta divine Majesté.
Suspens les coups de ton Tonnerre ,
Qu'ont allumé tant de forfaits ;
Ne me déclare plus la guerre ;
Je fus l'objet de tes bienfaits.
Jadis dans le sein de Marie ,
L'Esprit-Saint te donna la vie ,
Qui me garantit du trépas ,
Et victime de ta Justice,
Tu
1932 MERCURE DE FRANCE
Tu t'offris toi-même au supplice ,
Que méritoient mes attentats.
Contre moi ta juste colere ,
Devroit armer ton bras vengeur ;
Du Châtiment le plus sévere ,
Mon crime égale la rigueur.
Mais souviens-toi qu'en Pere tendre ,
Tu voulus autrefois répandre ,
Tout ton Sang pour briser mes fers ,
Ce Sang dont une seule goute ,
Auroit pû racheter , sans doute ,
Les crimes de tout l'Univers.
Dieu de bonté , mes cris funebres
Sont parvenus jusques à toi ;
Ton éclat perce les tenebres ,
Dont l'horreur me glaçoit d'effroi ;
Oui, déja ta main secourable ,
Comble l'abîme épouventable ,
Où m'entraînoit l'iniquité.
Tu m'appelles. O joye extrême !
Je touche à mon bonheur suprême ,
Et je le dois à ta bonté.
Cavaliez , Avocat à Montpellier.
SUR LE JUGEMENT DERNIER.
QuUelle puissance souveraine ,
Trouble l'ordre de l'Univers !
Quels crls de fureur et de haine !
De quels feux s'allument les Airs !
Les Cieux , de leurs voûtes brisées ,
Ouvrent les portes embrasées ,
Aux Eclairs , aux Foudres brulans,
J'entens une voix menaçante ,
Qui dit à la Terre tremblante ,
Ce jour est le dernier des temps.
>
Mais que vois-je ! quels tas terrible ,
D'ossemens et de membres morts !
Le son d'une Trompette horrible
En ranime tous les ressorts.
Quel divin rayon de lumiere ,
poussiere ,
Donne à cet amas de
De la chaleur , du mouvement !
Quel esprit , quel souffle de vie ,
Agite,
1930 MERCURE DE FRANCE
Agite , échauffe , vivifie,
Les cendres de ce Monument !
Quels cris de joye et de victoire !
Voici le Juge des Humains ,
Le CHRIST sur un Trône de gloire ,
Ouvre le Livre des Destins ,
Au pied du Trône inaccessible ,
Sont la Justice incorruptible ,
Et l'immuable verité.
Tremblez , Mortels , je vois la Foudre ,
Qui va bien-tôt réduire en poudre ,
Le mensonge et l'iniquité.
Satan , du funeste volume ,
Transcrit les fastes criminels.
Ah ! quelle source d'amertume ,
Pour vous , ô malheureux Mortels !
Sur le fer , l'airain et le cuivre ,
Sont gravez dans l'immense Livre ,
Les trahisons , les noirs projets.
Egalement on y découvre ,
Et de la Cabane et du Louvre ,
Les attentats les plus secrets.
Sur le marbre , l'or et l'yvoire ,
Un Chérubin majestueux ,
A le soin de tracer l'Histoire,
Des
SEPTEMBRE. 1732. 1931
Des faits des hommes vertueux.
Du haut de son Trône suprême ,
Le Fils d'un Dieu pese lui- même ,
Et les vices et les vertus.
Au mouvement de la balance ,
Sa main punit ou récompense,
Les Réprouvez ou les Elus.
Du Seigneur , la voix redoutable ,
Trouble les Airs épouvantez.
Je frémis. Sa bouche équitable ,
Va m'anoncer ses volontez.
Qu'entens-je ! quelle horreur soudaine ...
Ciel ! un Fleuve de sang m'entraîne ,
Dans l'éternelle obscurité.
Ah ! Seigneur , je suis ton Ouvrage ,
Voudrois-tu détruire l'Image ;
De ta divine Majesté.
Suspens les coups de ton Tonnerre ,
Qu'ont allumé tant de forfaits ;
Ne me déclare plus la guerre ;
Je fus l'objet de tes bienfaits.
Jadis dans le sein de Marie ,
L'Esprit-Saint te donna la vie ,
Qui me garantit du trépas ,
Et victime de ta Justice,
Tu
1932 MERCURE DE FRANCE
Tu t'offris toi-même au supplice ,
Que méritoient mes attentats.
Contre moi ta juste colere ,
Devroit armer ton bras vengeur ;
Du Châtiment le plus sévere ,
Mon crime égale la rigueur.
Mais souviens-toi qu'en Pere tendre ,
Tu voulus autrefois répandre ,
Tout ton Sang pour briser mes fers ,
Ce Sang dont une seule goute ,
Auroit pû racheter , sans doute ,
Les crimes de tout l'Univers.
Dieu de bonté , mes cris funebres
Sont parvenus jusques à toi ;
Ton éclat perce les tenebres ,
Dont l'horreur me glaçoit d'effroi ;
Oui, déja ta main secourable ,
Comble l'abîme épouventable ,
Où m'entraînoit l'iniquité.
Tu m'appelles. O joye extrême !
Je touche à mon bonheur suprême ,
Et je le dois à ta bonté.
Cavaliez , Avocat à Montpellier.
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Résumé : ODE. SUR LE JUGEMENT DERNIER.
Le Jugement Dernier est un événement apocalyptique où l'ordre de l'univers est perturbé par des cris de fureur et de haine. Les cieux s'ouvrent, laissant passer éclairs et foudres, tandis qu'une voix menaçante annonce la fin des temps. Les morts ressuscitent grâce à une trompette divine et un rayon de lumière, formant un amas de membres et d'ossements animés. Le Christ, assis sur un trône de gloire, ouvre le Livre des Destins, accompagné de la Justice et de la Vérité. Satan transcrit les crimes des hommes, révélant trahisons et projets secrets, tandis qu'un chérubin trace l'histoire des vertueux. Le Christ pèse les vices et les vertus, punissant ou récompensant les hommes. Terrifié, le narrateur implore la miséricorde divine, rappelant le sacrifice du Christ pour racheter les péchés. Dieu, dans sa bonté, secourt le narrateur, le sauvant de l'iniquité et lui offrant le bonheur suprême.
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18
p. 2267-2275
Motifs des Résolutions du Roy, &c. [titre d'après la table]
Début :
Le 15 de ce mois, on distribua à l'Imprimerie Royale, un imprimé, intitulé : Motifs [...]
Mots clefs :
Roi de Pologne, Pologne, Empereur, République, Prince, Cour de Vienne, Armes, Électeur de Saxe, Europe, Liberté, Troupes, Trône, Élection, Couronne, Paix, Roi
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Motifs des Résolutions du Roy, &c. [titre d'après la table]
L
E. 1s de ce mois , on distribua à l'Imprimerie
Royale , un imprimé , intitulé : Motifs
des Résolutions du Roy , dont voici la teneur.
LE ROY a donné depuis son avenement à la
Couronne , des preuves éclatantes de sa modération
et de son amour pour la Paix , peut- être
même pourroit-on lui imputer de les avoir portées
trop loin : Cependant il a préféré le repos et
la félicité de ses peuples , à la funeste ambition
d'étendre les Limites de son Empire. Mais la mo,"
dération a ses bornes comme les autres vertus , ét
l'Europe jouiroit encore d'une tranquillité profonde
, si lès Ennemis de la France n'avoient pas
G vj forcé
·
2263 MERCURE DE FRANCE
forcé Sa Majesté à prendre les armes pour def
fendre la dignité de sa Couronne , la gloire de
la Nation Françoise , l'honneur et la liberté de
la Pologne.
*
Depuis que le Thrône de Pologne a été va
cant , le Roy a constamment, respecté la liberte
Polonoise , il n'a rien cxigé d'un peuple libre , et
seul arbitre de son sort. La République elle- mê--
me a imploré son secours, elle a redoublé ses instances
, à mesure que ses allarmes croissoient ,
et qu'elle se voyoit environnée d'armées ennemies
; elle a cherché dans l'équité et dans les for,
ces de Sa Majesté , un azyle toujours ouvert aux
Puissances qui sont menacées d'être opprimées,
Le Roy, a l'exemple de ses Ancêtres , a assuré sa
protection à la Pologne , il l'a déclaré 1 à tous
fes Souverains, mais dans, les termes les plus mesurez
, et avec cette modération digne des grands .
Princes. Il a même , dès les premiers momens.
fait connoître à la Cour de Vienne ce qui pou
voit seul prévenir les troubles en Europe ; et tou--
tes les démarches qu'il a faites depuis , sont autant
de monumens illustres de son amour pour
le maintien de la tranquillité publique..
Une conduite aussi sage n'a pas empêché la
Cour de Vienne , d'éclater contre un Prince né
dans le sein de la Pologne , et attaché au Roy
par des liens aussi étroits. Cette Cour encoura
gée par tant de mesures antérieures , favorables
a ses projets particuliers, a prodigué pour répondre
2 à la déclaration de Sa Majesté , les termes
les plus offensans , et qui devroient être inconnus
entre Princes que leurs Sceptres rendent égaux.Le
Roy n'est point sorti des bornes que sa sagesse
1. Cette declaration est imprimée N. 1.
2.Cette réponse est imprimée N. a.
lui
OCTOBRE 135 2269
lui avoit prefcrites : Il ne s'est point pressé de
tirer la vengeance que demandoit une insulte qui
lui devenoit personnelle ; et si les préparatifs necessaires
ont annoncé son juste ressentiment , il
en a suspendu les effets jusqu'au moment où il
ne lui a plus été possible de conserver la paix
sans blesser la dignité de sa Couronne , et l'honneur
de son Sang..
Peut-on douter que l'interêt personnel de l'Empereur
n'ait décidé de sa conduite , et n'ait dé◄
terminé les engagemens qu'il avoit pris pour dis
poser d'une Couronne indépendante de l'Empi
re , et qui n'étoit pas même encore vacante ID
prétendoit exclure également le Roy. Stanislaa
par le seul motif de ses liaisons avec la Francel'Electeur
de Saxe , parce qu'il paroissoit alors
avoir des interêts opposez à ceux de la Maison
d'Autriche. La mort du Roy Auguste a donné
lieu à de nouveaux projets : Cet Electeur s'est
hâté d'entrer dans toutes les vûës de l'Empereur,
et dès- lors il a cessé de mériter l'exclusion que
çe Prince et la Czarine lui avoient donnée . Cette
exclusion a été levée ; l'on a promis par un nou
veau Traité , d'élever l'Electeur de Saxe sur le
Thrône de Pologne , et les Troupes ennemies se
sont rapprochées de la République , pour la forcer
à souscrire à ces arrangemens ..
Les Polonois ont crú necessaire à leur liberté ,
d'exclure tout Prince étranger de la Couronne
qui étoit vacante. Cette exclusion a été pronon
cée par la Dictte de convocation , et elle a para
si essentielle , qu'elle a été affermie par un serment
solemnel. La Cour de Vienne a voulu franchir
cette nouvelle Barriere ; il n'est rien qu'elle
n'ait tenté pour procurer l'absolution de ce ser
ment ; comme si les interêts , et les projets sans
bor2270
MERCURE DE FRANCE
bornes ; de la Maison d'Autriche , devoient dé
cider d'un engagement, consacré par la Religion.
L'Empereur a redoublé ses efforts ; il avoit annoncé:
Qu'il ne permettroit jamais que Scanis-
» las remontât sur le Throne , sous prétexee de
sa premiere Election , ou de quelqu'autre ma-
» niere que ce fut. Ses Ministres près de la République
ont agi dans une parfaite intelligence
avec ceux de Saxe et de Moscovie ; il ont même
fait trophée de leur union, ils l'ont publiée avec
éclat à Warsovie ; toutes leurs déclarations ont
été faites dans le même esprit , mêmes insultes
au Roy de Pologne , mêmes ordres à la Répu
blique ; les menaces , les intrigues , les supposi
tions les plus calomnieuses, la marche des Troupes
, tout a été concerté entr'eux , tout leur a été
commun. Les Ministres de Saxe et de Moscovie,
fors de l'Election , se sont retirez chez celui de
l'Empereur ; et afin qu'il ne restår plus aucun
doute de leur union , le Ministre de l'Empereur
s'est joint à celui de Moscovie , pour notifier pus
bliquement au Primat l'entrée des Moscovites en
Pologne , et pour montrer à la République as➡
semblée les Fers qu'on lui avoit préparez. 1
"
La Cour de Vienne a -t-elle pu penser en im
poser à l'Europe , et se flatter de dissiper l'oras
ge, en differant de faire entrer ses Troupes en Po
logne , lors même qu'elle détérminoit les Moscovites
à y faire une irruption ? Elle a esperé que
les armes des Moscovites suffiroient pour intimider
et asservir les Polonois et d'ailleurs les
Troupes Imperiales et Saxones'n'étoient- elles
pas toujours sur les Frontieres de la Pologne
prêtes à y entrer pour soutenir leur violence !
** Cette déclaration est imprimée Nutz& A
A
OCTOBR E. 1733. 2271
A tous ces traits , il est difficile de reconnof
tre l'aggresseur. Les Traitez, par lesquels l'Empereur
a voulu disposer en Maître absolu de la
Couronne de Pologne ; l'exclusion qu'il s'est ef-
' forcé de donner sans authorité et sans pouvoir,
à un Prince que ses vertus rendent digne du
Thrône ; les assurances données à l'Electeur de
Saxe, pour le récompenser de sa docilité; la marche
des Troupes Impériales , de concert avec
celles de Saxe et de Moscovie; l'hoftilité que les
Moscovites ont commise dans le temps même de :
l'Election , pour assûrer par la force des armes
l'execution des projets de l'Empereur; cette hostilité
approuvée , et même annoncée par son Mi--
nistre. Toute cette conduite sera à jamais un té---
moignage public que ce Prince est seul autheur
de la guerre ; qu'il a forcé le Roy à prendre les
armes , par l'outrage qu'il a voulu faire à S. M.
et par les violences exercées ou par lui , on de
-son aveu , contre la République de Pologne.
>
Si tous ces efforts ont été inutiles lors de l'E- -
lection , le Roy et le Royaume de Pologne en
sont uniquement redevables à celui à qui seul
appartient de disposer des Couronnes , et qui
tient en ses mains les coeurs des Peuples, comme
ceux des Rois. Le courage des Polonois les a af
franchis de la servitude dans laquelle la Cour
'de Vienne vouloit les précipiter ; mais le Roy
ne peut demander raison qu'à l'Empereur, de son
opposition au rétablissement du Roy de Pologne
, de ses déclarations injurieuses , répandues
dans toute l'Europe par les Ennemis qu'il a suscitez
à la France et à la Pologne qui ne désiroient
que la paix et la liberté , des conseils qu'il
a donnez à la Cour de Russie des esperances
dont il a flatté celle de Saxe ; enfin de tous less
efforts
»
2272 MERCURE DE FRANCE
1
afforts qu'il fait encore pour soûtenir ses premiers
projets.
Envain la Cour de Vienne espere de cacher ses
intrigues aux yeux de l'Europe. On retrouve par
tout ses conseils , ses principes , ses expressions
indécentes , ses desseins formez contre la liberté
Polonoise.
›
Le Prince respectable contre lequel l'Empereur
s'éleve , est le même en qui la plus grande partie
des Souverains de l'Europe , et nommément
P'Empereur Joseph avoient reconnu le sacré
caractere de la Rayauté . L'alliance que le Roy
Stanislas avoit contractée avec le Roy , a changé
les dispositions et le langage de la Cour de Vienne
: Ce Prince est devenu dèslors,selon l'expics
sion des Alliez , un Citoyen proscrit de sa
Patrie . Cette variation auroit de quoi surpren
dre , si l'on n'en voyoit pas le principe dans le
projet que l'Empereur a formé d'offenser S. M.
dans la personne d'un Prince qui lui est cher , er
de se rendre le dispenrateur des Couronnes.
La République de Pologne n'a point de pré-
10gative plus précieuse que celle de disposer de
son Throne , attribut éminent de sa liberté , et
pour la conservation duquel on l'a vu verser son
sang. L'Empereur a voulu y donner atteinte ; il
n'a pas craint de marquer et le Prince qu'il vou
Toit exclure , et celui qu'il vouloit porter sur le
Throne. Il a entrepris de prononcer sans autho
rité , sur ce qui s'étoit passé dans l'intérieur de
la République au sujet de la premiere Election du
Roy de Pologne , il a décidé en Legislateur sou
verain des Loix qui doivent subsister en Pologne,
et des fondemens de la liberté qu'il a voulu ren-.
verser. Le seul menagement qu'il a cû pour elle ,
a été de déguiser ses entreprises sous les appa
rences
OCTOBRE . 1733. 2273
rences d'une protection trompeuse , et sous le
voile d'un prétendu Traité que le tumulte des
armes enfanta avec précipitation , et que la Republique
rendue à elle- même n'a pas crû devoir
suivre .
1
L'Empereur et la Czarine se sont toujours expliquez
à la République , comme on parle à un
Royaume tributaire , ou à une Nation subjugée .
Leurs menaces ont été accompagnées de la marche
de leurs Troupes jusques sur les Frontieres
P'armée Moscovite est entrée en Pologne . afin
de remplir ses engagemens avec l'Empereur , dans
le temps même de l'Election , dans la vue et pour
étouffer par le bruit des armes les Loix et les suf
frages de la République .
Cependant la Nation Polonoise a délibéré sur
l'Election de son Roy , avec cette tranquillité
que la justice seule peut inspirer au milieu des
dangers . Les voeux de la République avoient prévenu
le retour du Roy de Pologne , sa presence
a réuni les esprits , le Champ d'Election n'a retenti
que d'une voix en sa faveur , et cette déliberation
a été consommée avec une unanimité
dont on n'a pas vû d'exemple dans les Faftes de
la Pologne.
C'est cette unanimité qui devoit imposer un
silence eternel à ses Ennemis , puisqu'elle annonçoit
la volonté du Maître des Rois ; et c'est cependant
ce qui les détermine à se porter aux derniers
excès. Le comble est mis à la violence ; l'ar-'
mée Moscovite,par le concert des Alliez,s'avance
vers Varsovie ; les Troupes de l'Empereur et
de l'Electeur de Saxe sont prêtes à marcher sur
les mêmes traces , si les armes Moscovites ne
suffisent pas pour accabler un Peuple libre , qui
reclame ses droits les plus incontestables , et le
glorieux usage de sa liberté.
•
2174 MERCURE DE FRANCE
Que les Cours de Vienne et de Russie cessent
d'usurper l'auguste titre de Protecteurs de lo Pologne
: A ce titre même auroient - elles le droit
d'ouvrir et de fermer les Barrieres qui deffendent
l'accès du Throne vacant ? Ce n'est point e
touffant les droits d'une Nation , qu'on merite
le nom de son Protecteur , mais en la deffendant
contre ceux qui la voudroient opprimer.Le Roy
en avoit donné l'exemple à l'Empereur : Il no
craint point d'en prendre à témoin la Républi
que même et toute l'Europe : Quoique S. M.
dut souhaiter le rétablissement d'un Prince que
la France avoit reçu dans ses malheurs , et qui
lui est uni par les liens les plus sacrez , Elle n'a
rien exigé des Polonois , persuadée qu'il n'ap
partient qu'à la Nation Polonoise de rappeller
un Prince que les malheurs des temps avoient
long- temps séparé d'elle. La Lettre i de S. M.
au Primat du... ne réspire que la juftice et la
paix : l'Europe y reconnoîtra la droiture des intentions
du Roy; elle y verra combien le Roy
est éloigné d'inspirer au Roy de Pologne des
sentimens opposez aux interêts de la Républi
que ; et que s'il a souhaité avec empressement le
rétablissement de ce Prince , c'est pour concou
rir avec lui à l'observation des Traitez qui interessent
la Pologne, et contribuer en même- temps
à la félicité et à la gloire de cette République
à la tranquillité du Nord .
Ce n'est donc point par des vues d'ambition
ou d'interêt que le Roy prend les armes . Contente
de posseder un Royaume florissant , et de
regner sur un Peuple fidelle , Sa Majesté ne cherthe
point à reculer les bornes de sa domination.
Cette Lettre est imprimée N. 4
Ex
OCTOBRE. 17337 2275
Envain l'Empereur , pour interesser l'Empire
dans ses projets , cherche - t - il à l'allarmer sur
les desseins qu'il attribuë faussement à Sa Marsté.
L'Empereur a voulu la guerre , qu'il a renue
necessaire en outrageant le Roy dans ce qui
doit être le plus sacré parmi les Souverains . S
M. se propose d'effacer jusques aux moindres
traces de l'outrage que la Cour de Vienne a cru
lui faire , et de soutenir l'honneur de la France.
D'aussi justes motifs redoubleront encore l'ar
deur des Troupes Françoises : Elles prennent les
armes avec empressement pour vanger leur
Roy, et pour empêcher d'illustres Alliez de succomber
sous les forces que l'Empereur a suscitées
contre eux.C'est au Dieu des armées à donner
la Victoire. Le Roy peut l'invoquer avec
confiance , et esperer que ses succès respondront
à sa modération , à sa patience et à la pureté de
ses sentimens.
E. 1s de ce mois , on distribua à l'Imprimerie
Royale , un imprimé , intitulé : Motifs
des Résolutions du Roy , dont voici la teneur.
LE ROY a donné depuis son avenement à la
Couronne , des preuves éclatantes de sa modération
et de son amour pour la Paix , peut- être
même pourroit-on lui imputer de les avoir portées
trop loin : Cependant il a préféré le repos et
la félicité de ses peuples , à la funeste ambition
d'étendre les Limites de son Empire. Mais la mo,"
dération a ses bornes comme les autres vertus , ét
l'Europe jouiroit encore d'une tranquillité profonde
, si lès Ennemis de la France n'avoient pas
G vj forcé
·
2263 MERCURE DE FRANCE
forcé Sa Majesté à prendre les armes pour def
fendre la dignité de sa Couronne , la gloire de
la Nation Françoise , l'honneur et la liberté de
la Pologne.
*
Depuis que le Thrône de Pologne a été va
cant , le Roy a constamment, respecté la liberte
Polonoise , il n'a rien cxigé d'un peuple libre , et
seul arbitre de son sort. La République elle- mê--
me a imploré son secours, elle a redoublé ses instances
, à mesure que ses allarmes croissoient ,
et qu'elle se voyoit environnée d'armées ennemies
; elle a cherché dans l'équité et dans les for,
ces de Sa Majesté , un azyle toujours ouvert aux
Puissances qui sont menacées d'être opprimées,
Le Roy, a l'exemple de ses Ancêtres , a assuré sa
protection à la Pologne , il l'a déclaré 1 à tous
fes Souverains, mais dans, les termes les plus mesurez
, et avec cette modération digne des grands .
Princes. Il a même , dès les premiers momens.
fait connoître à la Cour de Vienne ce qui pou
voit seul prévenir les troubles en Europe ; et tou--
tes les démarches qu'il a faites depuis , sont autant
de monumens illustres de son amour pour
le maintien de la tranquillité publique..
Une conduite aussi sage n'a pas empêché la
Cour de Vienne , d'éclater contre un Prince né
dans le sein de la Pologne , et attaché au Roy
par des liens aussi étroits. Cette Cour encoura
gée par tant de mesures antérieures , favorables
a ses projets particuliers, a prodigué pour répondre
2 à la déclaration de Sa Majesté , les termes
les plus offensans , et qui devroient être inconnus
entre Princes que leurs Sceptres rendent égaux.Le
Roy n'est point sorti des bornes que sa sagesse
1. Cette declaration est imprimée N. 1.
2.Cette réponse est imprimée N. a.
lui
OCTOBRE 135 2269
lui avoit prefcrites : Il ne s'est point pressé de
tirer la vengeance que demandoit une insulte qui
lui devenoit personnelle ; et si les préparatifs necessaires
ont annoncé son juste ressentiment , il
en a suspendu les effets jusqu'au moment où il
ne lui a plus été possible de conserver la paix
sans blesser la dignité de sa Couronne , et l'honneur
de son Sang..
Peut-on douter que l'interêt personnel de l'Empereur
n'ait décidé de sa conduite , et n'ait dé◄
terminé les engagemens qu'il avoit pris pour dis
poser d'une Couronne indépendante de l'Empi
re , et qui n'étoit pas même encore vacante ID
prétendoit exclure également le Roy. Stanislaa
par le seul motif de ses liaisons avec la Francel'Electeur
de Saxe , parce qu'il paroissoit alors
avoir des interêts opposez à ceux de la Maison
d'Autriche. La mort du Roy Auguste a donné
lieu à de nouveaux projets : Cet Electeur s'est
hâté d'entrer dans toutes les vûës de l'Empereur,
et dès- lors il a cessé de mériter l'exclusion que
çe Prince et la Czarine lui avoient donnée . Cette
exclusion a été levée ; l'on a promis par un nou
veau Traité , d'élever l'Electeur de Saxe sur le
Thrône de Pologne , et les Troupes ennemies se
sont rapprochées de la République , pour la forcer
à souscrire à ces arrangemens ..
Les Polonois ont crú necessaire à leur liberté ,
d'exclure tout Prince étranger de la Couronne
qui étoit vacante. Cette exclusion a été pronon
cée par la Dictte de convocation , et elle a para
si essentielle , qu'elle a été affermie par un serment
solemnel. La Cour de Vienne a voulu franchir
cette nouvelle Barriere ; il n'est rien qu'elle
n'ait tenté pour procurer l'absolution de ce ser
ment ; comme si les interêts , et les projets sans
bor2270
MERCURE DE FRANCE
bornes ; de la Maison d'Autriche , devoient dé
cider d'un engagement, consacré par la Religion.
L'Empereur a redoublé ses efforts ; il avoit annoncé:
Qu'il ne permettroit jamais que Scanis-
» las remontât sur le Throne , sous prétexee de
sa premiere Election , ou de quelqu'autre ma-
» niere que ce fut. Ses Ministres près de la République
ont agi dans une parfaite intelligence
avec ceux de Saxe et de Moscovie ; il ont même
fait trophée de leur union, ils l'ont publiée avec
éclat à Warsovie ; toutes leurs déclarations ont
été faites dans le même esprit , mêmes insultes
au Roy de Pologne , mêmes ordres à la Répu
blique ; les menaces , les intrigues , les supposi
tions les plus calomnieuses, la marche des Troupes
, tout a été concerté entr'eux , tout leur a été
commun. Les Ministres de Saxe et de Moscovie,
fors de l'Election , se sont retirez chez celui de
l'Empereur ; et afin qu'il ne restår plus aucun
doute de leur union , le Ministre de l'Empereur
s'est joint à celui de Moscovie , pour notifier pus
bliquement au Primat l'entrée des Moscovites en
Pologne , et pour montrer à la République as➡
semblée les Fers qu'on lui avoit préparez. 1
"
La Cour de Vienne a -t-elle pu penser en im
poser à l'Europe , et se flatter de dissiper l'oras
ge, en differant de faire entrer ses Troupes en Po
logne , lors même qu'elle détérminoit les Moscovites
à y faire une irruption ? Elle a esperé que
les armes des Moscovites suffiroient pour intimider
et asservir les Polonois et d'ailleurs les
Troupes Imperiales et Saxones'n'étoient- elles
pas toujours sur les Frontieres de la Pologne
prêtes à y entrer pour soutenir leur violence !
** Cette déclaration est imprimée Nutz& A
A
OCTOBR E. 1733. 2271
A tous ces traits , il est difficile de reconnof
tre l'aggresseur. Les Traitez, par lesquels l'Empereur
a voulu disposer en Maître absolu de la
Couronne de Pologne ; l'exclusion qu'il s'est ef-
' forcé de donner sans authorité et sans pouvoir,
à un Prince que ses vertus rendent digne du
Thrône ; les assurances données à l'Electeur de
Saxe, pour le récompenser de sa docilité; la marche
des Troupes Impériales , de concert avec
celles de Saxe et de Moscovie; l'hoftilité que les
Moscovites ont commise dans le temps même de :
l'Election , pour assûrer par la force des armes
l'execution des projets de l'Empereur; cette hostilité
approuvée , et même annoncée par son Mi--
nistre. Toute cette conduite sera à jamais un té---
moignage public que ce Prince est seul autheur
de la guerre ; qu'il a forcé le Roy à prendre les
armes , par l'outrage qu'il a voulu faire à S. M.
et par les violences exercées ou par lui , on de
-son aveu , contre la République de Pologne.
>
Si tous ces efforts ont été inutiles lors de l'E- -
lection , le Roy et le Royaume de Pologne en
sont uniquement redevables à celui à qui seul
appartient de disposer des Couronnes , et qui
tient en ses mains les coeurs des Peuples, comme
ceux des Rois. Le courage des Polonois les a af
franchis de la servitude dans laquelle la Cour
'de Vienne vouloit les précipiter ; mais le Roy
ne peut demander raison qu'à l'Empereur, de son
opposition au rétablissement du Roy de Pologne
, de ses déclarations injurieuses , répandues
dans toute l'Europe par les Ennemis qu'il a suscitez
à la France et à la Pologne qui ne désiroient
que la paix et la liberté , des conseils qu'il
a donnez à la Cour de Russie des esperances
dont il a flatté celle de Saxe ; enfin de tous less
efforts
»
2272 MERCURE DE FRANCE
1
afforts qu'il fait encore pour soûtenir ses premiers
projets.
Envain la Cour de Vienne espere de cacher ses
intrigues aux yeux de l'Europe. On retrouve par
tout ses conseils , ses principes , ses expressions
indécentes , ses desseins formez contre la liberté
Polonoise.
›
Le Prince respectable contre lequel l'Empereur
s'éleve , est le même en qui la plus grande partie
des Souverains de l'Europe , et nommément
P'Empereur Joseph avoient reconnu le sacré
caractere de la Rayauté . L'alliance que le Roy
Stanislas avoit contractée avec le Roy , a changé
les dispositions et le langage de la Cour de Vienne
: Ce Prince est devenu dèslors,selon l'expics
sion des Alliez , un Citoyen proscrit de sa
Patrie . Cette variation auroit de quoi surpren
dre , si l'on n'en voyoit pas le principe dans le
projet que l'Empereur a formé d'offenser S. M.
dans la personne d'un Prince qui lui est cher , er
de se rendre le dispenrateur des Couronnes.
La République de Pologne n'a point de pré-
10gative plus précieuse que celle de disposer de
son Throne , attribut éminent de sa liberté , et
pour la conservation duquel on l'a vu verser son
sang. L'Empereur a voulu y donner atteinte ; il
n'a pas craint de marquer et le Prince qu'il vou
Toit exclure , et celui qu'il vouloit porter sur le
Throne. Il a entrepris de prononcer sans autho
rité , sur ce qui s'étoit passé dans l'intérieur de
la République au sujet de la premiere Election du
Roy de Pologne , il a décidé en Legislateur sou
verain des Loix qui doivent subsister en Pologne,
et des fondemens de la liberté qu'il a voulu ren-.
verser. Le seul menagement qu'il a cû pour elle ,
a été de déguiser ses entreprises sous les appa
rences
OCTOBRE . 1733. 2273
rences d'une protection trompeuse , et sous le
voile d'un prétendu Traité que le tumulte des
armes enfanta avec précipitation , et que la Republique
rendue à elle- même n'a pas crû devoir
suivre .
1
L'Empereur et la Czarine se sont toujours expliquez
à la République , comme on parle à un
Royaume tributaire , ou à une Nation subjugée .
Leurs menaces ont été accompagnées de la marche
de leurs Troupes jusques sur les Frontieres
P'armée Moscovite est entrée en Pologne . afin
de remplir ses engagemens avec l'Empereur , dans
le temps même de l'Election , dans la vue et pour
étouffer par le bruit des armes les Loix et les suf
frages de la République .
Cependant la Nation Polonoise a délibéré sur
l'Election de son Roy , avec cette tranquillité
que la justice seule peut inspirer au milieu des
dangers . Les voeux de la République avoient prévenu
le retour du Roy de Pologne , sa presence
a réuni les esprits , le Champ d'Election n'a retenti
que d'une voix en sa faveur , et cette déliberation
a été consommée avec une unanimité
dont on n'a pas vû d'exemple dans les Faftes de
la Pologne.
C'est cette unanimité qui devoit imposer un
silence eternel à ses Ennemis , puisqu'elle annonçoit
la volonté du Maître des Rois ; et c'est cependant
ce qui les détermine à se porter aux derniers
excès. Le comble est mis à la violence ; l'ar-'
mée Moscovite,par le concert des Alliez,s'avance
vers Varsovie ; les Troupes de l'Empereur et
de l'Electeur de Saxe sont prêtes à marcher sur
les mêmes traces , si les armes Moscovites ne
suffisent pas pour accabler un Peuple libre , qui
reclame ses droits les plus incontestables , et le
glorieux usage de sa liberté.
•
2174 MERCURE DE FRANCE
Que les Cours de Vienne et de Russie cessent
d'usurper l'auguste titre de Protecteurs de lo Pologne
: A ce titre même auroient - elles le droit
d'ouvrir et de fermer les Barrieres qui deffendent
l'accès du Throne vacant ? Ce n'est point e
touffant les droits d'une Nation , qu'on merite
le nom de son Protecteur , mais en la deffendant
contre ceux qui la voudroient opprimer.Le Roy
en avoit donné l'exemple à l'Empereur : Il no
craint point d'en prendre à témoin la Républi
que même et toute l'Europe : Quoique S. M.
dut souhaiter le rétablissement d'un Prince que
la France avoit reçu dans ses malheurs , et qui
lui est uni par les liens les plus sacrez , Elle n'a
rien exigé des Polonois , persuadée qu'il n'ap
partient qu'à la Nation Polonoise de rappeller
un Prince que les malheurs des temps avoient
long- temps séparé d'elle. La Lettre i de S. M.
au Primat du... ne réspire que la juftice et la
paix : l'Europe y reconnoîtra la droiture des intentions
du Roy; elle y verra combien le Roy
est éloigné d'inspirer au Roy de Pologne des
sentimens opposez aux interêts de la Républi
que ; et que s'il a souhaité avec empressement le
rétablissement de ce Prince , c'est pour concou
rir avec lui à l'observation des Traitez qui interessent
la Pologne, et contribuer en même- temps
à la félicité et à la gloire de cette République
à la tranquillité du Nord .
Ce n'est donc point par des vues d'ambition
ou d'interêt que le Roy prend les armes . Contente
de posseder un Royaume florissant , et de
regner sur un Peuple fidelle , Sa Majesté ne cherthe
point à reculer les bornes de sa domination.
Cette Lettre est imprimée N. 4
Ex
OCTOBRE. 17337 2275
Envain l'Empereur , pour interesser l'Empire
dans ses projets , cherche - t - il à l'allarmer sur
les desseins qu'il attribuë faussement à Sa Marsté.
L'Empereur a voulu la guerre , qu'il a renue
necessaire en outrageant le Roy dans ce qui
doit être le plus sacré parmi les Souverains . S
M. se propose d'effacer jusques aux moindres
traces de l'outrage que la Cour de Vienne a cru
lui faire , et de soutenir l'honneur de la France.
D'aussi justes motifs redoubleront encore l'ar
deur des Troupes Françoises : Elles prennent les
armes avec empressement pour vanger leur
Roy, et pour empêcher d'illustres Alliez de succomber
sous les forces que l'Empereur a suscitées
contre eux.C'est au Dieu des armées à donner
la Victoire. Le Roy peut l'invoquer avec
confiance , et esperer que ses succès respondront
à sa modération , à sa patience et à la pureté de
ses sentimens.
Fermer
Résumé : Motifs des Résolutions du Roy, &c. [titre d'après la table]
En octobre 1733, un imprimé intitulé 'Motifs des Résolutions du Roy' est distribué à l'Imprimerie Royale. Le roi de France y expose sa modération et son amour pour la paix, tout en soulignant que les ennemis de la France l'ont contraint à prendre les armes. Cette décision vise à défendre la dignité de sa couronne, la gloire de la nation française, ainsi que l'honneur et la liberté de la Pologne. Depuis la vacance du trône de Pologne, le roi a respecté la liberté polonaise et a protégé la Pologne face aux menaces extérieures. Cependant, la Cour de Vienne, encouragée par des mesures favorables à ses projets, a adopté des termes offensants et a incité des troupes ennemies à menacer la Pologne. Le roi de France a suspendu ses préparatifs de vengeance jusqu'à ce qu'il ne puisse plus conserver la paix sans blesser sa dignité. L'Empereur et la Czarine ont tenté d'imposer leurs choix pour le trône de Pologne, malgré les serments et les lois polonaises. Les troupes moscovites, saxonnes et impériales ont menacé et envahi la Pologne pour imposer leurs projets. Le roi de France affirme que ces actions sont la preuve que l'Empereur est l'agresseur et que la France ne cherche pas à étendre son empire mais à défendre la liberté et la paix. Les troupes françaises sont déterminées à défendre l'honneur de la France et à soutenir leur roi. Elles prennent les armes avec empressement pour venger leur souverain et protéger leurs alliés illustres menacés par les forces de l'empereur. La victoire est confiée au 'Dieu des armées'. Le roi peut invoquer ce divin soutien avec confiance, espérant que ses succès refléteront sa modération, sa patience et la pureté de ses sentiments.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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19
p. 190-191
De LA HAYE, le 9 Novembre.
Début :
On a appris par les Lettres de l'Inde, la véritable cause du [...]
Mots clefs :
Inde, Compagnie, Trône, Prince, Gouverneur, Bengale, Expédition, Vaisseaux, Attaques
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : De LA HAYE, le 9 Novembre.
De LA HAYE, le 9 Novembre.
On a apprispar les Lettres de l'Inde, la véritable
DECEMBRE. 1760. 19t
cauſe du démêlé furvenu à Bengale , entre notre
Compagnie & celle des Anglois. Ceux - ci ayant
placé fur le Trône le Nabab régnant , ce Prince
les a affranchis de toute redevance , & en a impofé
de nouvelles fur notre Commerce. Il venoit d'ex
torquer récemment à notre Compagnie une fomme
fort confidérable . Le Gouverneur de Battavia
envoya pour le faire rendre juftice , quelques Vaif
feaux de ligne dans le Golfe de Bengale ; mais les
Anglois , Alliés de Nabab , les ont attaqués avec
des forces fupérieures , & les ont empêchés d'exécuter
leur projet. Ils ont enfuite repréſenté en
Europe cette expédition avec les traits les plus
noirs,& commeune entrepriſe fur leur Commerce,
pendant qu'elle avoit un objet très- différent.
Le Prince de Stadhouder & fa maiſon , ont pris
le deuil pour fix mois , à l'occaſion de la mort du
Roi d'Angleterre.
On a apprispar les Lettres de l'Inde, la véritable
DECEMBRE. 1760. 19t
cauſe du démêlé furvenu à Bengale , entre notre
Compagnie & celle des Anglois. Ceux - ci ayant
placé fur le Trône le Nabab régnant , ce Prince
les a affranchis de toute redevance , & en a impofé
de nouvelles fur notre Commerce. Il venoit d'ex
torquer récemment à notre Compagnie une fomme
fort confidérable . Le Gouverneur de Battavia
envoya pour le faire rendre juftice , quelques Vaif
feaux de ligne dans le Golfe de Bengale ; mais les
Anglois , Alliés de Nabab , les ont attaqués avec
des forces fupérieures , & les ont empêchés d'exécuter
leur projet. Ils ont enfuite repréſenté en
Europe cette expédition avec les traits les plus
noirs,& commeune entrepriſe fur leur Commerce,
pendant qu'elle avoit un objet très- différent.
Le Prince de Stadhouder & fa maiſon , ont pris
le deuil pour fix mois , à l'occaſion de la mort du
Roi d'Angleterre.
Fermer
Résumé : De LA HAYE, le 9 Novembre.
Le 9 novembre 1760, des lettres de l'Inde rapportent un conflit entre les compagnies française et anglaise à Bengale. Les Anglais, soutenus par un Nabab, ont imposé de nouvelles taxes au commerce français et extorqué une somme importante. La Compagnie française a envoyé des vaisseaux pour obtenir justice, mais les Anglais les ont attaqués. Les Anglais ont ensuite déformé cette expédition en Europe. Par ailleurs, le Prince de Stadhouder a observé un deuil de six mois après la mort du roi d'Angleterre.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
20
p. 40-41
VERS présentés au ROI.
Début :
SOUFFREZ, SIRE, souffrez qu'un Citoyen fidèle [...]
Mots clefs :
Vers, Trône, Noblesse de l'âme, Sagesse, Paix, Sire
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : VERS présentés au ROI.
VERS préfentés au ROI.
SOUFFREZ , SIRE , fouffrez qu'un Citoyen fidèle
Qui fait de l'art des vers les uniques emplois ,
S'abandonnant fans crainte aux fougues de fon
zěle,
Jufques à votre Trône ofe élever la voix.
Le même jour que vous , * Sire , j'ai pris naiſſance.
J'ai vu par deux foisnaître & mourir treize hyvers.
Le fort d'un bras d'airain a plongé mon enfance
Dans un abîme de revers.
Dans un cercle de maux j'ai vu languir mon Etre.
Sire , je fuis obſcur : l'Aftre qui m'a fait naître ,
N'a point infcrit mon nom aux faftes des honneurs
.
Mais par la nobleffe de l'âme ,
Mais par l'amour qui pour mon Roi m'enflâme ,
Je le difputerois à vos plus grands Seigneurs.
Du Maître des deftins la prudente fagelſe ,
En me privant de tout , m'apprit a me borner
Souvent je vois avec triſteſſe ,
Que le fort contre moi fe plaît à s'acharner.
Mais quand le ciel fur vous répand quelqu'avan
tage ,
Au monde entier quand vous donnez la paix ,
* Le 15 Février.
1
JANVIER. 1763. 41
Quand je vois tous les coeurs heureux par vos
bienfaits ;
Sire , je fuis content , & j'ai tout en partage.
Par un Parifien.
SOUFFREZ , SIRE , fouffrez qu'un Citoyen fidèle
Qui fait de l'art des vers les uniques emplois ,
S'abandonnant fans crainte aux fougues de fon
zěle,
Jufques à votre Trône ofe élever la voix.
Le même jour que vous , * Sire , j'ai pris naiſſance.
J'ai vu par deux foisnaître & mourir treize hyvers.
Le fort d'un bras d'airain a plongé mon enfance
Dans un abîme de revers.
Dans un cercle de maux j'ai vu languir mon Etre.
Sire , je fuis obſcur : l'Aftre qui m'a fait naître ,
N'a point infcrit mon nom aux faftes des honneurs
.
Mais par la nobleffe de l'âme ,
Mais par l'amour qui pour mon Roi m'enflâme ,
Je le difputerois à vos plus grands Seigneurs.
Du Maître des deftins la prudente fagelſe ,
En me privant de tout , m'apprit a me borner
Souvent je vois avec triſteſſe ,
Que le fort contre moi fe plaît à s'acharner.
Mais quand le ciel fur vous répand quelqu'avan
tage ,
Au monde entier quand vous donnez la paix ,
* Le 15 Février.
1
JANVIER. 1763. 41
Quand je vois tous les coeurs heureux par vos
bienfaits ;
Sire , je fuis content , & j'ai tout en partage.
Par un Parifien.
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Résumé : VERS présentés au ROI.
Le poème est adressé au roi et exprime la fidélité et l'admiration de son auteur. Ce dernier mentionne être né le même jour que le roi et avoir vécu quarante-six ans, ayant connu des épreuves dès son enfance. Il se décrit comme obscur et non honoré, mais affirme sa noblesse d'âme et son amour pour le roi. Malgré les difficultés, il se réjouit des bienfaits et de la paix que le roi apporte au monde, se contentant de cette situation. Le poème est daté du 15 février 1763 et signé par un Parisien.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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21
p. 205-206
DÉCLARATION de l'Impératrice de toutes les Russies, remise par son Ministre à M. le Castellan de Lipski.
Début :
Sa Majesté Impériale ne permettra jamais que S. E. M. le Castellan & M. le [...]
Mots clefs :
Majesté impériale, Commission, Acte de juridiction, Duché, Courlande, Impératrice, Fiefs, Trône, Affaires, République
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texteReconnaissance textuelle : DÉCLARATION de l'Impératrice de toutes les Russies, remise par son Ministre à M. le Castellan de Lipski.
DÉCLARATION de l'Impératrice de toutes les
Ruffies , remife parfon Miniftre à M. le Caftellan
de Lipski.
Sa Majefté Impériale ne permettra jamais
que S. E. M. lé Caftellan & M.le Palatin de
Glateo éxécutent la commiffion dont Sa Ma
» jefté Polonoiſe les a chargés , ni qu'ils éxer
cent aucun acte de Jurifdiction dans les Duchés
de Courlande & de Semigallé.
*
??
""
""
1
Les affaires actuelles de la Courlande font des
affaires d'Etat qui demandent la concurrence
de toute la République ; le Roi & le Sénat ne
peuvent feuls s'en attribuer la décifion .
L'Impératrice ne reconnoît & ne reconnoîtra
jamais d'autre Duc que S. A. S. l'ancien Due
Erneft -Jean , légitimement inveſti du conſentement
de toute la République , & pour
l'é
largiffement duquel le Roi , conjointement avec
la République , s'eft fi fouvent intéreffé.
» Sa Majefté Impériale n'ignore point que ces
Duchés font un Fief dépendant du Corps entier
de la République , & non du Trône des
Rois de Pologne ; conféquemment l'Impéra
ratrice ne fouffrira jamais qu'on faffe la moin
206 MERCURE DE FRANCE:
» dre infraction aux droits & aux immunités de
ladite République , & qu'on s'arroge des affaires
qui font de fa compétence feule .
33
( Signé ) C. DE SIMOLIN . »
Ce Sénateur Lipski a fait à cette Déclaration
la Réponse fuivante .
Ruffies , remife parfon Miniftre à M. le Caftellan
de Lipski.
Sa Majefté Impériale ne permettra jamais
que S. E. M. lé Caftellan & M.le Palatin de
Glateo éxécutent la commiffion dont Sa Ma
» jefté Polonoiſe les a chargés , ni qu'ils éxer
cent aucun acte de Jurifdiction dans les Duchés
de Courlande & de Semigallé.
*
??
""
""
1
Les affaires actuelles de la Courlande font des
affaires d'Etat qui demandent la concurrence
de toute la République ; le Roi & le Sénat ne
peuvent feuls s'en attribuer la décifion .
L'Impératrice ne reconnoît & ne reconnoîtra
jamais d'autre Duc que S. A. S. l'ancien Due
Erneft -Jean , légitimement inveſti du conſentement
de toute la République , & pour
l'é
largiffement duquel le Roi , conjointement avec
la République , s'eft fi fouvent intéreffé.
» Sa Majefté Impériale n'ignore point que ces
Duchés font un Fief dépendant du Corps entier
de la République , & non du Trône des
Rois de Pologne ; conféquemment l'Impéra
ratrice ne fouffrira jamais qu'on faffe la moin
206 MERCURE DE FRANCE:
» dre infraction aux droits & aux immunités de
ladite République , & qu'on s'arroge des affaires
qui font de fa compétence feule .
33
( Signé ) C. DE SIMOLIN . »
Ce Sénateur Lipski a fait à cette Déclaration
la Réponse fuivante .
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Résumé : DÉCLARATION de l'Impératrice de toutes les Russies, remise par son Ministre à M. le Castellan de Lipski.
La déclaration de l'Impératrice de toutes les Ruffies, transmise par son ministre à M. le Caftellan de Lipski, interdit au Caftellan et à M. le Palatin de Glateo d'exécuter la commission du roi de Pologne concernant les Duchés de Courlande et de Semigallie. Les affaires courlandaises sont considérées comme des affaires d'État nécessitant l'intervention de toute la République. Le roi et le Sénat ne peuvent donc pas décider seuls de ces questions. L'Impératrice reconnaît uniquement l'ancien Duc Ernest-Jean comme légitime, investi du consentement de toute la République. Elle souligne que les Duchés sont un fief dépendant du Corps entier de la République et non du trône des rois de Pologne. Elle ne tolérera aucune infraction aux droits et immunités de la République ni aucune usurpation des affaires relevant de sa compétence exclusive. La déclaration est signée par C. de Simolin.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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22
p. 206
De PETERSBOURG, le 10 Janvier 1764.
Début :
Le sieur de Saint Sauveur, Consul Général de France & cidevant Commissaire [...]
Mots clefs :
Consul général, Commissaire, Secrétaire, Impératrice, Trône
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texteReconnaissance textuelle : De PETERSBOURG, le 10 Janvier 1764.
De PETERSBOURG , le 10 Janvier 1764.
La ſieur de Saint Sauveur , Conſul Général de
France & cidevant Commiſſaire de la même Couronne
à Amſterdam , eſt mort ici le 8 de ce mois .
Le ſieur Wolkoff , ci-devant Secrétaire des
Commandemens du feu Empereur Pierre III , a
été rappellé d'Orembourg , où il avoit été exilé
lors de l'avénement de l'Impératrice au Trône.
On croit qu'il ſera employé de nouveau dans les
affaires étrangères .
La ſieur de Saint Sauveur , Conſul Général de
France & cidevant Commiſſaire de la même Couronne
à Amſterdam , eſt mort ici le 8 de ce mois .
Le ſieur Wolkoff , ci-devant Secrétaire des
Commandemens du feu Empereur Pierre III , a
été rappellé d'Orembourg , où il avoit été exilé
lors de l'avénement de l'Impératrice au Trône.
On croit qu'il ſera employé de nouveau dans les
affaires étrangères .
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24
p. 173-176
CÉRÉMONIE PUBLIQUE. De Francfort, le 11 Avril 1764.
Début :
L'Empereur, le Roi des Romains & l'Archiduc Leopold sont partis hier de [...]
Mots clefs :
Empereur, Roi des Romains, Archiduc, Cérémonie, Couronnement, Musique, Vêtements d'apparat, Soldats, Église, Magistrats, Cour, Ambassadeur, Ornements, Trône, Illuminations, Inscriptions
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texteReconnaissance textuelle : CÉRÉMONIE PUBLIQUE. De Francfort, le 11 Avril 1764.
CÉRÉMONIE PUBLIQUE.
De Francfort , le 11´ Avril 1764.
L'Empereur , le Roi des Romains & l'Archiduc
Leopold font partis hier de certe Ville aux acclamations
d'un peuple innombrable. Leurs Majeſtés
& l'Archiduc font arrivés , le même jour , à Mergenthal
d'où ils fe rendront aujourd'hui à Creilsheim
, demain à Wallerſtein & le 13 à Donawerth:
on compte qu'ils arriveront à Vienne le 23.
On joint ici les principaux détails de la cérémonie
du couronnement du Roi des Romains.
Le 1. de ce mois , à trois heures après-midi , on
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
fit , au fon des trompettes & des tymbales , la
publication folemnelle du Couronnement . Le
lendemain , le boeuf deſtiné ſuivant l'uſage , à
être rôti & livré au peuple le jour de cette cérémonie
fut promené par toute la Ville : les cornes
de cet animal étoient dorées & il étoit orné de
guirlandes de fleurs : les Bouchers de la Cour Impériale
qui le conduifoient étoient vêtus d'habits
d'écarlate galonnés d'argent , les gaînes & les
manches de leurs couteaux , ainfi que la hache
dont le boeuf devoit être frappé , étoit d'argent
maffif. Cette marche fe fit au fon de plufieurs inftrumens
de Mufique. Le 3 jour du couronne
ment , la Bourgeoifie fe mit fous les armes dès les
fept heures du matin , & la Cavalerie monta à
cheval fur la grande Place qui aboutit à la rue du
marché aux herbes. La Garnifon de la Ville fe
mit auffi en parade devant le corps - de - Garde éle--
vé vis- à- vis le Roemer ou Hôtel de Ville . Depuis
huit heures jufqu'à onze les Electeurs de Cologne
& de Treves , ainfi que les feconds & troifiémes
Ambaffadeurs des Electeurs Séculiers , fe rendirent
fucceffivement du Roemer à l'Eglife du
Dôme dans l'appareil le plus pompeux. Le Prince
Archi Chancelier de l'Empire , devant facrer
& couronner le Roi , fe rendit en droiture à la
même Eglife. Avant onze heures , deux Seigneurs
Eccléfiaftiques de la Cour de Mayence , la pre
mière des Cours Electorales , tranfportérent au
Roemer , dans un carroffe précédé de la livrée
du Prince , la Couronne Royale. Enfin à onze
heures & demie , l'Empereur & le nouveau Roi
fe mirent en marche , depuis le Roemer jufqu'à
l'Eglife du Dôme , précédés de leurs livrées , de
leurs Pages & des Grands Officiers de leurs
Maiſons , & fuivis des fix premiers Ambaſſadeurs
JUILLET. 1764. 175
Electoraux & d'un multitude de Seigneurs , de
Chevaliers & de Généraux des Armées de S M.I.
qui formoit un cortège auffi brillant que nombreux.
L'Empereur , revêtu des ornemens & du
manteau Impériaux , ainſi que du grand Collier
de la Toifon d'Or la Couronne Impériale fur la
tête & le Sceptre à la main , étoit monté fur un
fuperbe cheval , ainfi que le nouveau Roi des
Romains qui marchoit après Sa Majesté Impériale
couvert de la Couronne Archiducale & revêtu des
ornemens de cette dignité Le dais fous lequel
l'Empereur & le nouveau Roi marchoient , étoit
porté par les deux plus anciens Echevins & les
deux Bourguemaîtres actuels du Sénat. La marche
étoit fermée par les Gardes , tant de l'Em
pereur que du Roi des Romains & des Electeurs
de Mayence , de Tréves & de Cologne. La porte
d'entrée de l'Eglife da Dôme étoit gardée par les
Trabans Saxons . Sa Majesté Impériale & le nouveau
Roi y furent reçus par Lears Alteffes Electorales
fuivies de tous les Membres de ce Chapitre.
L'Eglife étoit tendue en entier de tapifferies
de haureliffe qui repréſentoient les faits mémorables
qui le fout paffé ( pécialement fous les régnes
de la Mailon d'Autriche. On avoit placé à la
droite de l'Aurel , qui avoit été élevé devant la
porte du choeur , le Trône de Sa Majefté Impériale
; à ganche , celui de l'Electeur de Mayence,
& vis-a- vis celui du nouveau Rọi. Après la cérémonie
& la Melle du Sacre qui fut chantée par
une très - belle Mafique , le Roi des Romains fit
une inauguration de Chevaliers. Comme il eft
d'usage qu'au retour du Sacre l'Empereur & le
Roi des Romains reviennent à pied au Roemer ,
on avoit dreſſé , pendant la cérémonie même ,
depuis la porte d'entrée de l'Eglife jufqu'au haut
H iv
176 MERCURE DE FRANCE .
de cet Hôtel , une efpéce de pont de planches
couvert de tapis . Le cortége Impérial & Royal
retourna au Roemer à - peu-près dans le même
ordre qu'auparavant , excepté que le Roi des
Romains étoit revêtu des ornemens Royaux , la
tête couverte de la Couronne Royale & le Sceptre
à la main . Le feftin s'eft donné dans la
voute du Romer. On a fait diftribuer à la populace
une grande quantité de piéces d'or & d'argent
; & Leurs Majeftés Impériale & Royale fe
font montrées au Peuple d'une fenêtre de la
Salle après le feftin qui a commencé à cinq
heures & a fini à fept , Leurs Majeftés font retournées
en grande pompe à leur Palais. Parmi
les illuminations qu'il y a eu à l'occafion du
Couronnement du Roi des Romains , on a diftingué
celles que le Prince Efterhazy de Galanta
, Premier Ambaffadeur Royal- Electoral de Bohême
, a fait faire dans la grande promenade
qui aboutit à la place de Rofmarek :
:: on y a furrout
remarqué à l'extrémité qui termine cette
promenade un fuperbe arc de triomphe , au-deffus
duquel étoit repréfenté le Monarque environné
de la Valeur , de la Piété , de la Prudence &
de la Juſtice , & recevant la Couronne des mains
de la Nation , ainfi que le coeur des Peuples :
aux deux côtés étoient deux Renommées annon
çant à toute la Tèrre le Couronnement de ce
Prince. Au- deſſous des deux côtés on lifoit ces
mors : Cara Deûmfoboles. Cet arc étoit orné de
deux Médaillons , fur l'un defquels étoit cette Légende
: Curru nitido diem promit , & fur l'autre:
Deus nobis hac otia fecit . L'Inſcription étoit ,
Jos. BENED. AUG . OPT . PIO.. FELICI ROM. R.
INAUG. A. R. S. M. BCC. LXIV.
De Francfort , le 11´ Avril 1764.
L'Empereur , le Roi des Romains & l'Archiduc
Leopold font partis hier de certe Ville aux acclamations
d'un peuple innombrable. Leurs Majeſtés
& l'Archiduc font arrivés , le même jour , à Mergenthal
d'où ils fe rendront aujourd'hui à Creilsheim
, demain à Wallerſtein & le 13 à Donawerth:
on compte qu'ils arriveront à Vienne le 23.
On joint ici les principaux détails de la cérémonie
du couronnement du Roi des Romains.
Le 1. de ce mois , à trois heures après-midi , on
H iij
174 MERCURE DE FRANCE .
fit , au fon des trompettes & des tymbales , la
publication folemnelle du Couronnement . Le
lendemain , le boeuf deſtiné ſuivant l'uſage , à
être rôti & livré au peuple le jour de cette cérémonie
fut promené par toute la Ville : les cornes
de cet animal étoient dorées & il étoit orné de
guirlandes de fleurs : les Bouchers de la Cour Impériale
qui le conduifoient étoient vêtus d'habits
d'écarlate galonnés d'argent , les gaînes & les
manches de leurs couteaux , ainfi que la hache
dont le boeuf devoit être frappé , étoit d'argent
maffif. Cette marche fe fit au fon de plufieurs inftrumens
de Mufique. Le 3 jour du couronne
ment , la Bourgeoifie fe mit fous les armes dès les
fept heures du matin , & la Cavalerie monta à
cheval fur la grande Place qui aboutit à la rue du
marché aux herbes. La Garnifon de la Ville fe
mit auffi en parade devant le corps - de - Garde éle--
vé vis- à- vis le Roemer ou Hôtel de Ville . Depuis
huit heures jufqu'à onze les Electeurs de Cologne
& de Treves , ainfi que les feconds & troifiémes
Ambaffadeurs des Electeurs Séculiers , fe rendirent
fucceffivement du Roemer à l'Eglife du
Dôme dans l'appareil le plus pompeux. Le Prince
Archi Chancelier de l'Empire , devant facrer
& couronner le Roi , fe rendit en droiture à la
même Eglife. Avant onze heures , deux Seigneurs
Eccléfiaftiques de la Cour de Mayence , la pre
mière des Cours Electorales , tranfportérent au
Roemer , dans un carroffe précédé de la livrée
du Prince , la Couronne Royale. Enfin à onze
heures & demie , l'Empereur & le nouveau Roi
fe mirent en marche , depuis le Roemer jufqu'à
l'Eglife du Dôme , précédés de leurs livrées , de
leurs Pages & des Grands Officiers de leurs
Maiſons , & fuivis des fix premiers Ambaſſadeurs
JUILLET. 1764. 175
Electoraux & d'un multitude de Seigneurs , de
Chevaliers & de Généraux des Armées de S M.I.
qui formoit un cortège auffi brillant que nombreux.
L'Empereur , revêtu des ornemens & du
manteau Impériaux , ainſi que du grand Collier
de la Toifon d'Or la Couronne Impériale fur la
tête & le Sceptre à la main , étoit monté fur un
fuperbe cheval , ainfi que le nouveau Roi des
Romains qui marchoit après Sa Majesté Impériale
couvert de la Couronne Archiducale & revêtu des
ornemens de cette dignité Le dais fous lequel
l'Empereur & le nouveau Roi marchoient , étoit
porté par les deux plus anciens Echevins & les
deux Bourguemaîtres actuels du Sénat. La marche
étoit fermée par les Gardes , tant de l'Em
pereur que du Roi des Romains & des Electeurs
de Mayence , de Tréves & de Cologne. La porte
d'entrée de l'Eglife da Dôme étoit gardée par les
Trabans Saxons . Sa Majesté Impériale & le nouveau
Roi y furent reçus par Lears Alteffes Electorales
fuivies de tous les Membres de ce Chapitre.
L'Eglife étoit tendue en entier de tapifferies
de haureliffe qui repréſentoient les faits mémorables
qui le fout paffé ( pécialement fous les régnes
de la Mailon d'Autriche. On avoit placé à la
droite de l'Aurel , qui avoit été élevé devant la
porte du choeur , le Trône de Sa Majefté Impériale
; à ganche , celui de l'Electeur de Mayence,
& vis-a- vis celui du nouveau Rọi. Après la cérémonie
& la Melle du Sacre qui fut chantée par
une très - belle Mafique , le Roi des Romains fit
une inauguration de Chevaliers. Comme il eft
d'usage qu'au retour du Sacre l'Empereur & le
Roi des Romains reviennent à pied au Roemer ,
on avoit dreſſé , pendant la cérémonie même ,
depuis la porte d'entrée de l'Eglife jufqu'au haut
H iv
176 MERCURE DE FRANCE .
de cet Hôtel , une efpéce de pont de planches
couvert de tapis . Le cortége Impérial & Royal
retourna au Roemer à - peu-près dans le même
ordre qu'auparavant , excepté que le Roi des
Romains étoit revêtu des ornemens Royaux , la
tête couverte de la Couronne Royale & le Sceptre
à la main . Le feftin s'eft donné dans la
voute du Romer. On a fait diftribuer à la populace
une grande quantité de piéces d'or & d'argent
; & Leurs Majeftés Impériale & Royale fe
font montrées au Peuple d'une fenêtre de la
Salle après le feftin qui a commencé à cinq
heures & a fini à fept , Leurs Majeftés font retournées
en grande pompe à leur Palais. Parmi
les illuminations qu'il y a eu à l'occafion du
Couronnement du Roi des Romains , on a diftingué
celles que le Prince Efterhazy de Galanta
, Premier Ambaffadeur Royal- Electoral de Bohême
, a fait faire dans la grande promenade
qui aboutit à la place de Rofmarek :
:: on y a furrout
remarqué à l'extrémité qui termine cette
promenade un fuperbe arc de triomphe , au-deffus
duquel étoit repréfenté le Monarque environné
de la Valeur , de la Piété , de la Prudence &
de la Juſtice , & recevant la Couronne des mains
de la Nation , ainfi que le coeur des Peuples :
aux deux côtés étoient deux Renommées annon
çant à toute la Tèrre le Couronnement de ce
Prince. Au- deſſous des deux côtés on lifoit ces
mors : Cara Deûmfoboles. Cet arc étoit orné de
deux Médaillons , fur l'un defquels étoit cette Légende
: Curru nitido diem promit , & fur l'autre:
Deus nobis hac otia fecit . L'Inſcription étoit ,
Jos. BENED. AUG . OPT . PIO.. FELICI ROM. R.
INAUG. A. R. S. M. BCC. LXIV.
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Résumé : CÉRÉMONIE PUBLIQUE. De Francfort, le 11 Avril 1764.
Le 11 avril 1764, à Francfort, l'Empereur, le Roi des Romains et l'Archiduc Léopold quittèrent la ville sous les acclamations de la population. Ils se dirigèrent ensuite vers Mergenthal, Creilsheim, Wallerstein et Donawerth, avec l'intention d'arriver à Vienne le 23 avril. La cérémonie du couronnement du Roi des Romains débuta le 1er avril. Ce jour-là, la publication solennelle du couronnement eut lieu au son des trompettes et des tymbales. Le lendemain, un bœuf destiné à être rôti et distribué au peuple fut promené dans la ville, orné de guirlandes de fleurs et accompagné par des musiciens. Le 3 avril, la bourgeoisie se mit sous les armes et la cavalerie se rassembla sur la grande place. Les électeurs de Cologne et de Trèves, ainsi que les ambassadeurs des électeurs séculiers, se rendirent à l'église du Dôme dans un appareil pompeux. À onze heures et demie, l'Empereur et le nouveau Roi des Romains se mirent en marche vers l'église du Dôme, précédés de leurs livrées et suivis d'un cortège nombreux et brillant. L'Empereur, revêtu des ornements impériaux, et le nouveau Roi, couvert de la couronne archiducale, montèrent à cheval. La marche fut fermée par les gardes de l'Empereur et du Roi des Romains. L'église du Dôme était tendue de tapisseries représentant des faits mémorables, notamment sous les règnes de la Maison d'Autriche. Après la cérémonie et la messe du sacre, le Roi des Romains procéda à l'inauguration de chevaliers. Au retour, l'Empereur et le Roi des Romains revinrent à pied au Roemer sur un pont de planches couvert de tapis. Un festin fut donné dans la voûte du Roemer, et des pièces d'or et d'argent furent distribuées à la populace. Des illuminations, notamment un arc de triomphe, furent remarquées lors du couronnement.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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