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1
p. 969-978
MEMOIRE sur les Villes de la Mecque, et de Medine, sur le Pelerinage des Mahometans, &c. Par M. D. L. R.
Début :
La Mecque est une ville de l'Arabie, pour laquelle les Mahometans ont [...]
Mots clefs :
Mecque, Vénération, Pèlerinage, Port de Djeddah, Mer Rouge, Déserts de l'Arabie, Versets de l'Alcoran, Maison de Dieu, Étoffes de soie, Fontaine de Zamzam
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texteReconnaissance textuelle : MEMOIRE sur les Villes de la Mecque, et de Medine, sur le Pelerinage des Mahometans, &c. Par M. D. L. R.
MEMOIRE sur les Villes de la Mecque ;
et de Medine , sur le Pelerinage des Mabometans
, &c. Par M. D. L. R.
L
A Mecque est une ville de l'Arabie ;
pour laquelle les Mahometans ont
une telle vénération , qu'ils croyent que
tous ceux qui ne sont pas de leur secte
sont indignes d'y entrer ; ainsi ils ne leur
permettent pas d'en approcher , même
de quelques journées ; et si un Chrétien
étoit surpris sur cette terre , ce seroit un
sacrilege que le feu seul pourroit expier ,
ou le changement de Religion.
La dévotion porte quantité de Musulmang
70 MERCURE DE FR ANCE.
mans à entreprendre ce Pelerinage : Il y
en a cependantbeaucoup qui le font pour
trafiquer car les Marchands viennent de
tous les côtez du monde Mahometan , débarquer
au Port de Gedda . ou Zieden >
sur la Mer Rouge , éloigné d'environ 15.
lieues de la Mecque.
>
Ce voyage absout de tout , et quand
on l'a fait on ne sçauroit plus être recherché
pour aucune sorte de haine.
,
Il part tous les ans cinq principales Ca
Lavanes qui vont à la Mecque ; sçavoir ,
celle du Grand Caire , qui est composée
des Egyptiens , et de tous ceux qui viennent
de Constantinople et des lieux circonvoisins.
Celle de Damas , qui emmene
tous ceux qui sont de Syrie ; celle des Magrebins
ou Ponentois , comprenant tous
les Pelerins de Barbarie , de Fez , de Maroc
, &c. qui s'assemblent au Caire ; cellede
Perse et celle des Indes , ou du Pays
du Mogol , &c. On s'arrêtera particulierement
ici à celle du Caire , qui servira
d'instruction pour les autres.
Après diverses cérémonies qui durent
plusieurs jours au Caire , on va camper
à douze milles de la Ville , proche d'un
Etang appellé la Birque : C'est le rendez-
vous de toute la Caravane qui est
souvent composé de cent mille Perfonnes.
On
}
AVRIL. 1731. 971
On ne marche que la nuit , pour éviter
la chaleur ; et lorsque la Lune n'éclaire
pas , on porte des Falots ; les Chameaux
sont attachez queuë à queuë , l'un à l'autre
, et il n'est pas besoin de les conduire.
Il y a trente-sept journées de chemin
du Caire à la Mecque , et tout ce chemin
se fait les déserts de l'Arabie on ne
par
mange que ce que l'on a porté; il y a peu
d'eau , encore est- elle bien mauvaise ; mais
ce qui est de plus fâcheux , ce sont des
vents chauds qui ôtent presque la respiration
; cependant beaucoup de femmes
d'enfans , et de vieillards font le voyage.
Durant toute la marche , on chante des
versets de l'Alcoran , avec tant de zele et
d'application , que l'on voit quantité de
personnes tomber tout à coup de leurs
Chameaux , par l'excessive fatigue , et
mourir en les chantant.
·
Deux jours avant que d'arriver à la Mecque
, chacun se dépouille presque nud
par plus de respect , et prend des Sandales,
pour ne pas fouler une terre qu'ils estiment
Sainte. Ils demeurent ainsi huit jours
à vivre dans la plus exacte régularité : les
Malades font des Aumônes au lieu de se
dépoüiller comme les autres .
La Mecque est une Ville à peu près de
la grandeur de Marseille , environnée de
G hautos
972 MERCURE DE FRANCE.
re ,
hautes Montagnes , et toute bâtie de pierdans
laquelle est une grande Mosquée,
au milieu de laquelle est le Kyabé ou Beit-
Allah , c'est-à- dire , Maison de Dieu
que les Mahometans disent avoir été bâ
tie par les Anges, visitée par Adam , trans,
portée au Ciel durant le Déluge , et depuis
rebâtie par Abraham sur le modele
de l'autre , qui lui fut envoyé du Ciel :
Ils ont une grande vénération pour ce
Temple , ainsi que pour une Pierre noire
qui est à main droite , en entrant prochę
de la Porte.
Ils prétendent qu'elle n'est devenuë noire
que par le péché des hommes ; qu'elle
étoit blanche , lorsque l'Ange Gabriel
l'apporta à Abraham ; qu'elle lui servoit
d'échafaut lorsqu'il bâtissoit cette maison ,
se haussant et se baissant à sa volonté
afin qu'il ne fit aucuns trous à la muraille.
Cette Maison est haute d'environ trente.
pieds , longue de quinze pas , et large de
douze. Le Seuil de la Porte est fort élevé
de terre , un homme pouvant à peine y
atteindre avec la main : la Porte est d'argent
massif, s'ouvrant à deux battans ;
large d'environ cinq pieds , et haute
de neuf à dix ; l'on y monte avec une
Echelle que soutiennent quatre rouës
Quand on veut entrer dans le Kyâbé ,
on
I
AVRIL.
1731 .. 973
on approche l'Echelle de la muraille par
le moyen de ces rouës .
Trois Colomnes ou Piliers de figure octogone,
d'environ vingt pieds de haute ir,
soutiennent cette maison ; elles sont de
bois d'Aloës, de la grosseur d'un homme
et chacune d'une seule piece.
Le dedans est orné d'Etoffes de soye
rouge et blanche , et le dehors d'une étoffe
de soye noire , façon de Damas : il y a
tout autour une muraille qui en empêche
l'abord , avec un certain espace entre la
muraille et la Maison.
Deux Ceintures brochées d'or , ceignent
exterieurement le Kyâbé ; l'une est vers
le bas , et l'autre vers le haut ; et à l'un
des côtez de la Terrasse qui le couvre , on
voit une goutiere d'or massif qui avance
en dehors d'environ six pieds , pour jetter
loin les eaux de la pluye , qui tombent
de la Terrasse dans cette goutiere.
Il y a dans le même Temple un autre
objet d'une grande dévotion pour les Ma
hometans'; sçavoir, le Puits ou la Fontaine
de Zemzem ; c'est , disent-ils , cetteEau
merveilleuse que Dieu fit paroître en faveur
d'Agar et de son fils Ismaël dans le
désert , après qu'Abraham l'eut obligée de
s'y retirer avec son fils : ils en boivent par
dévotion , et lui attribuent de grandes
vertus.
Gij
Les
974 MERCURE DE FRANCE
Les Pelerins passent trois jours à la Mecque
, et celui qui peut baiser le premier ta
-Pierre noire , est tenu pour Saint. Mais il
faut qu'il le fasse le Vendredi , qui se rencontre
toûjours pendant les trois jours , et
à la fin d'une priere publique : chacun se
jette à ses pieds pour les lui baiser ; et
souvent il est étouffé par la trop grande
foule.
• Pendant ce même temps , il faut faire
en cérémonie un chemin assez long qui
va autour du Kyâbé. Un Iman précéde
les Pelerins , et leur montre comme ils
doivent faire. Il s'agit de plusieurs genuflexions
, prosternations , &c.
Tous les ans on ôte les vieilles étoffes
qui entourent le Kyâbé , pour y en mettre
de neuves , et elles sont pour le G. S. et
pour le Sultan Scherif qui commande à
la Mecque ; elles servent à la dédicace
des Mosquées neuves , et à faire de
prétendues Reliques que ce Scherif vend
au prix de plusieurs Sequins.
Après les trois jours passez à la Mecque
, les Pelerins vont coucher à un lieu
nommé Minnet , où ils arrivent la veille
du petit Bayran ; et le lendemain ils font
un Sacrifice de Moutons qui sont distribués
aux Pauvres. Ce jour la même ils
reprennent leurs habits."
De-là , ils vont au Mont Arafat , éloigué
AVRIL. 1731. 975
gné d'une journée ; et ils s'y arrêtent aussi
trois jours; jettant chaque jour sept pierres
sur cette Montagne ; ils disent que
ces pierres sont jettées à la tête du Diable
qui vint tenter Abraham en cet endroit
Lorsqu'il étoit prêt de sacrifier son fils Ismaël
, et non pas Isaac ; Ils content de pareilles
Histoires d'Adam et d'Eveà l'occa
sion de cette Montagne.
›
Après plusieurs prieres faites dans la
Plaine , le Sultan Scherifles benit , et chacun
répond Amen, Ce Gouverneur de la
Mecque , tant pour le spirituel , que pour
le temporel , est soumis aux ordres du G.
S. quoiqu'il ait une très-grande autorité.
Après cette cérémonie on revient auVil-
Lage de Minnet , situé dans une Plaine où
il y a une Roche , dans laquelle on voit
une Caverne,où les Mahometans tiennent
que leur prétendu Prophete faisoit sou-,
vent oraison ; et ils montrent dans la partie
superieure de cette caverne un enfoncement
, qui represente la forme du haut
de la tête d'un homme , qu'ils assûrent y
avoir été fait lorsque Mahomet s'étant
prosterné en ce lieu , touchoit de la tête
en se relevant contre le haut de la caverne ;
ils veulent que la pierre s'amolît , &c .
Pour conserver la memoire de ce prétendu
Miracle , ils ont bâti une Mosquée en
ce même lieu Giij La
976 MERCURE DE FRANCE
La plupart de ceux qui vont à la Mecque
, font en même temps le voyage de
Medine ; mais ce n'est pas une obligation.
- Medine est aussi une Ville de l'Arabie ;
elle est à trois journées de la Mer Rouge
; et beaucoup moins grande que la
Mecque.
›
ap-
Au milieu de cette Ville est une Mosquée
, au coin de laquelle on voit le sépulchre
de Mahomet , il est de Marbre
blanc , avec les Tombeaux d'Abubeker
d'Omar &c. Califes ses Successeurs.
Il y a là un très-grand nombre de Lampes
qui brûlent toûjours ; ce Sépulchre est
dans une petite cour , ou bâtiment rond ,
couvert d'un Dôme que les Orientaux -
pellent Turbé : ce bâtiment est ouvert depuis
le milieu jusqu'à ce Dôme, et tout au-
Four il y a une Galerie , dont la muraille de
dehors est percée de plusieurs fenêtres , qui
ont des grilles d'argent. Celle de dedans
qui est la muraille de la Tour , est parée d'une
infinité de pierres précieuses à l'endroit
où paroît la tête du Sépulchre . On y voit
entre -autres un gros Diamant large de deux
doigts , et long à proportion ; et au dessus
est le Diamant que le Sultan Osman , fils
d'Achmet , y envoya pareil à celui que portent
les Empereurs Ottomans. Ces deux
Diamans n'en faisoient autrefois qu'un , que
2
ca
AVRIL. 1731.
977
ce Sultan fit couper par le milieu.
Il y a plus bas une demie Lune d'or , ou
sont attachés d'autres Diamans de fort grand
prix . La Porte par où l'on entre dans la Galerie
, qui est autour du Turbé , est d'argent
maffif , aussi bien que celle par où l'on entre
de la Galerie dans le Turbé : on ne l'ouvre
que quand il n'y a point de confusion
d'Etrangers ; c'est - à - dire quelques temps
après le départ des Pelerins , qui ne voyent
que la Galerie et les richesses qui sont ` dedans
par les fenêtres , et les grilles d'argent.
Le Tombeau est élevé sur trois dégrés du
Rez-de-Chaussée ; et ces dégrez sont aussi
de Marbre blanc.
J'aurois pû rapporter dans ce Memoire
plusieurs autres circonstances , mais j'ai
voulu n'y faire entrer précisement que ce
que j'ai appris ici de deux personnes de mérite
et dignes de créance ; sçavoir , Hadgy
Mehemet , Envoyé du Dey d'Alger au feu
Roi , lequel avoit fait tout récemment le
voyage de la Mecque ; et Mehemet- Effendi
, envoyé au même Prince , sur la fin de
son regne , par la Regence de Tripoly de
Barbarie , et depuis encore envoyé à la Cour
de France dans la minorité du Roi. Il étoit
Secretaire d'Etat , ou du Divan , et avoit
une instruction particuliere , très- bien écrite
en langue Turque , sur le sujet dont il
s'agit ici. Nous nous voyions presque tous
les Gin
278 MERCURE DE FRANCE
les jours , et ce qu'ils m'ont rapporté l'un
et l'autre se trouve conforme à ce que j'ai
appris là- dessus dans mon voyage du Leyant.
A Paris le 23. Juillet 1727.
et de Medine , sur le Pelerinage des Mabometans
, &c. Par M. D. L. R.
L
A Mecque est une ville de l'Arabie ;
pour laquelle les Mahometans ont
une telle vénération , qu'ils croyent que
tous ceux qui ne sont pas de leur secte
sont indignes d'y entrer ; ainsi ils ne leur
permettent pas d'en approcher , même
de quelques journées ; et si un Chrétien
étoit surpris sur cette terre , ce seroit un
sacrilege que le feu seul pourroit expier ,
ou le changement de Religion.
La dévotion porte quantité de Musulmang
70 MERCURE DE FR ANCE.
mans à entreprendre ce Pelerinage : Il y
en a cependantbeaucoup qui le font pour
trafiquer car les Marchands viennent de
tous les côtez du monde Mahometan , débarquer
au Port de Gedda . ou Zieden >
sur la Mer Rouge , éloigné d'environ 15.
lieues de la Mecque.
>
Ce voyage absout de tout , et quand
on l'a fait on ne sçauroit plus être recherché
pour aucune sorte de haine.
,
Il part tous les ans cinq principales Ca
Lavanes qui vont à la Mecque ; sçavoir ,
celle du Grand Caire , qui est composée
des Egyptiens , et de tous ceux qui viennent
de Constantinople et des lieux circonvoisins.
Celle de Damas , qui emmene
tous ceux qui sont de Syrie ; celle des Magrebins
ou Ponentois , comprenant tous
les Pelerins de Barbarie , de Fez , de Maroc
, &c. qui s'assemblent au Caire ; cellede
Perse et celle des Indes , ou du Pays
du Mogol , &c. On s'arrêtera particulierement
ici à celle du Caire , qui servira
d'instruction pour les autres.
Après diverses cérémonies qui durent
plusieurs jours au Caire , on va camper
à douze milles de la Ville , proche d'un
Etang appellé la Birque : C'est le rendez-
vous de toute la Caravane qui est
souvent composé de cent mille Perfonnes.
On
}
AVRIL. 1731. 971
On ne marche que la nuit , pour éviter
la chaleur ; et lorsque la Lune n'éclaire
pas , on porte des Falots ; les Chameaux
sont attachez queuë à queuë , l'un à l'autre
, et il n'est pas besoin de les conduire.
Il y a trente-sept journées de chemin
du Caire à la Mecque , et tout ce chemin
se fait les déserts de l'Arabie on ne
par
mange que ce que l'on a porté; il y a peu
d'eau , encore est- elle bien mauvaise ; mais
ce qui est de plus fâcheux , ce sont des
vents chauds qui ôtent presque la respiration
; cependant beaucoup de femmes
d'enfans , et de vieillards font le voyage.
Durant toute la marche , on chante des
versets de l'Alcoran , avec tant de zele et
d'application , que l'on voit quantité de
personnes tomber tout à coup de leurs
Chameaux , par l'excessive fatigue , et
mourir en les chantant.
·
Deux jours avant que d'arriver à la Mecque
, chacun se dépouille presque nud
par plus de respect , et prend des Sandales,
pour ne pas fouler une terre qu'ils estiment
Sainte. Ils demeurent ainsi huit jours
à vivre dans la plus exacte régularité : les
Malades font des Aumônes au lieu de se
dépoüiller comme les autres .
La Mecque est une Ville à peu près de
la grandeur de Marseille , environnée de
G hautos
972 MERCURE DE FRANCE.
re ,
hautes Montagnes , et toute bâtie de pierdans
laquelle est une grande Mosquée,
au milieu de laquelle est le Kyabé ou Beit-
Allah , c'est-à- dire , Maison de Dieu
que les Mahometans disent avoir été bâ
tie par les Anges, visitée par Adam , trans,
portée au Ciel durant le Déluge , et depuis
rebâtie par Abraham sur le modele
de l'autre , qui lui fut envoyé du Ciel :
Ils ont une grande vénération pour ce
Temple , ainsi que pour une Pierre noire
qui est à main droite , en entrant prochę
de la Porte.
Ils prétendent qu'elle n'est devenuë noire
que par le péché des hommes ; qu'elle
étoit blanche , lorsque l'Ange Gabriel
l'apporta à Abraham ; qu'elle lui servoit
d'échafaut lorsqu'il bâtissoit cette maison ,
se haussant et se baissant à sa volonté
afin qu'il ne fit aucuns trous à la muraille.
Cette Maison est haute d'environ trente.
pieds , longue de quinze pas , et large de
douze. Le Seuil de la Porte est fort élevé
de terre , un homme pouvant à peine y
atteindre avec la main : la Porte est d'argent
massif, s'ouvrant à deux battans ;
large d'environ cinq pieds , et haute
de neuf à dix ; l'on y monte avec une
Echelle que soutiennent quatre rouës
Quand on veut entrer dans le Kyâbé ,
on
I
AVRIL.
1731 .. 973
on approche l'Echelle de la muraille par
le moyen de ces rouës .
Trois Colomnes ou Piliers de figure octogone,
d'environ vingt pieds de haute ir,
soutiennent cette maison ; elles sont de
bois d'Aloës, de la grosseur d'un homme
et chacune d'une seule piece.
Le dedans est orné d'Etoffes de soye
rouge et blanche , et le dehors d'une étoffe
de soye noire , façon de Damas : il y a
tout autour une muraille qui en empêche
l'abord , avec un certain espace entre la
muraille et la Maison.
Deux Ceintures brochées d'or , ceignent
exterieurement le Kyâbé ; l'une est vers
le bas , et l'autre vers le haut ; et à l'un
des côtez de la Terrasse qui le couvre , on
voit une goutiere d'or massif qui avance
en dehors d'environ six pieds , pour jetter
loin les eaux de la pluye , qui tombent
de la Terrasse dans cette goutiere.
Il y a dans le même Temple un autre
objet d'une grande dévotion pour les Ma
hometans'; sçavoir, le Puits ou la Fontaine
de Zemzem ; c'est , disent-ils , cetteEau
merveilleuse que Dieu fit paroître en faveur
d'Agar et de son fils Ismaël dans le
désert , après qu'Abraham l'eut obligée de
s'y retirer avec son fils : ils en boivent par
dévotion , et lui attribuent de grandes
vertus.
Gij
Les
974 MERCURE DE FRANCE
Les Pelerins passent trois jours à la Mecque
, et celui qui peut baiser le premier ta
-Pierre noire , est tenu pour Saint. Mais il
faut qu'il le fasse le Vendredi , qui se rencontre
toûjours pendant les trois jours , et
à la fin d'une priere publique : chacun se
jette à ses pieds pour les lui baiser ; et
souvent il est étouffé par la trop grande
foule.
• Pendant ce même temps , il faut faire
en cérémonie un chemin assez long qui
va autour du Kyâbé. Un Iman précéde
les Pelerins , et leur montre comme ils
doivent faire. Il s'agit de plusieurs genuflexions
, prosternations , &c.
Tous les ans on ôte les vieilles étoffes
qui entourent le Kyâbé , pour y en mettre
de neuves , et elles sont pour le G. S. et
pour le Sultan Scherif qui commande à
la Mecque ; elles servent à la dédicace
des Mosquées neuves , et à faire de
prétendues Reliques que ce Scherif vend
au prix de plusieurs Sequins.
Après les trois jours passez à la Mecque
, les Pelerins vont coucher à un lieu
nommé Minnet , où ils arrivent la veille
du petit Bayran ; et le lendemain ils font
un Sacrifice de Moutons qui sont distribués
aux Pauvres. Ce jour la même ils
reprennent leurs habits."
De-là , ils vont au Mont Arafat , éloigué
AVRIL. 1731. 975
gné d'une journée ; et ils s'y arrêtent aussi
trois jours; jettant chaque jour sept pierres
sur cette Montagne ; ils disent que
ces pierres sont jettées à la tête du Diable
qui vint tenter Abraham en cet endroit
Lorsqu'il étoit prêt de sacrifier son fils Ismaël
, et non pas Isaac ; Ils content de pareilles
Histoires d'Adam et d'Eveà l'occa
sion de cette Montagne.
›
Après plusieurs prieres faites dans la
Plaine , le Sultan Scherifles benit , et chacun
répond Amen, Ce Gouverneur de la
Mecque , tant pour le spirituel , que pour
le temporel , est soumis aux ordres du G.
S. quoiqu'il ait une très-grande autorité.
Après cette cérémonie on revient auVil-
Lage de Minnet , situé dans une Plaine où
il y a une Roche , dans laquelle on voit
une Caverne,où les Mahometans tiennent
que leur prétendu Prophete faisoit sou-,
vent oraison ; et ils montrent dans la partie
superieure de cette caverne un enfoncement
, qui represente la forme du haut
de la tête d'un homme , qu'ils assûrent y
avoir été fait lorsque Mahomet s'étant
prosterné en ce lieu , touchoit de la tête
en se relevant contre le haut de la caverne ;
ils veulent que la pierre s'amolît , &c .
Pour conserver la memoire de ce prétendu
Miracle , ils ont bâti une Mosquée en
ce même lieu Giij La
976 MERCURE DE FRANCE
La plupart de ceux qui vont à la Mecque
, font en même temps le voyage de
Medine ; mais ce n'est pas une obligation.
- Medine est aussi une Ville de l'Arabie ;
elle est à trois journées de la Mer Rouge
; et beaucoup moins grande que la
Mecque.
›
ap-
Au milieu de cette Ville est une Mosquée
, au coin de laquelle on voit le sépulchre
de Mahomet , il est de Marbre
blanc , avec les Tombeaux d'Abubeker
d'Omar &c. Califes ses Successeurs.
Il y a là un très-grand nombre de Lampes
qui brûlent toûjours ; ce Sépulchre est
dans une petite cour , ou bâtiment rond ,
couvert d'un Dôme que les Orientaux -
pellent Turbé : ce bâtiment est ouvert depuis
le milieu jusqu'à ce Dôme, et tout au-
Four il y a une Galerie , dont la muraille de
dehors est percée de plusieurs fenêtres , qui
ont des grilles d'argent. Celle de dedans
qui est la muraille de la Tour , est parée d'une
infinité de pierres précieuses à l'endroit
où paroît la tête du Sépulchre . On y voit
entre -autres un gros Diamant large de deux
doigts , et long à proportion ; et au dessus
est le Diamant que le Sultan Osman , fils
d'Achmet , y envoya pareil à celui que portent
les Empereurs Ottomans. Ces deux
Diamans n'en faisoient autrefois qu'un , que
2
ca
AVRIL. 1731.
977
ce Sultan fit couper par le milieu.
Il y a plus bas une demie Lune d'or , ou
sont attachés d'autres Diamans de fort grand
prix . La Porte par où l'on entre dans la Galerie
, qui est autour du Turbé , est d'argent
maffif , aussi bien que celle par où l'on entre
de la Galerie dans le Turbé : on ne l'ouvre
que quand il n'y a point de confusion
d'Etrangers ; c'est - à - dire quelques temps
après le départ des Pelerins , qui ne voyent
que la Galerie et les richesses qui sont ` dedans
par les fenêtres , et les grilles d'argent.
Le Tombeau est élevé sur trois dégrés du
Rez-de-Chaussée ; et ces dégrez sont aussi
de Marbre blanc.
J'aurois pû rapporter dans ce Memoire
plusieurs autres circonstances , mais j'ai
voulu n'y faire entrer précisement que ce
que j'ai appris ici de deux personnes de mérite
et dignes de créance ; sçavoir , Hadgy
Mehemet , Envoyé du Dey d'Alger au feu
Roi , lequel avoit fait tout récemment le
voyage de la Mecque ; et Mehemet- Effendi
, envoyé au même Prince , sur la fin de
son regne , par la Regence de Tripoly de
Barbarie , et depuis encore envoyé à la Cour
de France dans la minorité du Roi. Il étoit
Secretaire d'Etat , ou du Divan , et avoit
une instruction particuliere , très- bien écrite
en langue Turque , sur le sujet dont il
s'agit ici. Nous nous voyions presque tous
les Gin
278 MERCURE DE FRANCE
les jours , et ce qu'ils m'ont rapporté l'un
et l'autre se trouve conforme à ce que j'ai
appris là- dessus dans mon voyage du Leyant.
A Paris le 23. Juillet 1727.
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Résumé : MEMOIRE sur les Villes de la Mecque, et de Medine, sur le Pelerinage des Mahometans, &c. Par M. D. L. R.
Le mémoire traite des villes sacrées de La Mecque et de Médine, ainsi que du pèlerinage musulman. La Mecque, située en Arabie, est interdite aux non-musulmans sous peine de sanctions. Les pèlerins s'y rendent par dévotion ou pour des raisons commerciales, espérant l'absolution de leurs péchés et une protection contre les haines. Le voyage se fait en caravanes, notamment celle du Caire, qui rassemble des pèlerins d'Égypte, de Constantinople et des régions voisines. Le trajet dure trente-sept journées à travers les déserts de l'Arabie, avec des conditions de vie difficiles. Les pèlerins chantent des versets du Coran et effectuent diverses cérémonies. La Mecque est décrite comme une ville de la taille de Marseille, entourée de hautes montagnes. Elle abrite la grande mosquée avec le Kaaba, un bâtiment sacré que les musulmans vénèrent. La Pierre Noire, située dans la mosquée, est un autre objet de dévotion. Les pèlerins effectuent des rites spécifiques, comme baiser la Pierre Noire et faire des circumambulations autour du Kaaba. Après trois jours à La Mecque, les pèlerins se rendent à Minnet pour sacrifier des moutons et reprendre leurs habits, puis se dirigent vers le mont Arafat pour des prières et des rituels supplémentaires. Le gouverneur de La Mecque, le Sultan Scherif, détient une autorité spirituelle et temporelle. Médine, située à trois journées de la mer Rouge, est moins grande que La Mecque. Elle abrite la mosquée avec le tombeau de Mahomet, décoré de pierres précieuses et de diamants. Les pèlerins visitent souvent Médine après La Mecque, bien que ce ne soit pas une obligation. Le mémoire est basé sur les témoignages de Hadgy Mehemet et Mehemet-Effendi, envoyés respectifs du Dey d'Alger et de la Régence de Tripoli.
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2
p. 1241-1251
LETTRE de M. D. L. R. sur un Ouvrage du R. P. Feijoo, Benedictin Espagnol.
Début :
J'ay enfin, Monsieur, entre les mains de l'Ouvrage dont vous avez entendu [...]
Mots clefs :
Rétablissement de la santé, Espagne, Ambassadeur, Madrid, Médecin, Épître, Théologie, Arts, Sciences
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. D. L. R. sur un Ouvrage du R. P. Feijoo, Benedictin Espagnol.
.I. Vol.
LET
JUIN 1731. 1241
}
****************
LETTRE de M. D. L. R. sur un
Ouvrage du R. P. Feijoo , Benedictin
Espagnol.
.
entre les
傻
l'Ouvrage dont vous avez entendu
parler. C'est M. Boyer , Docteur en Me
decine de la Faculté de Montpellier , et
Docteur- Régent en celle de Paris , qui l'a
apporté d'Eſpagne , depuis peu de tems .
Vous sçavez que ce Medecin partit d'ici
sur la fin du mois de Juillet dernier pour
le rétablissement de la santé de M. le
Marquis de Brancars , Ambassadeur de
France à la Cour de S. M. Catholique ;
vous sçavez aussi qu'il a fait un voyage
heureux, et qu'il a ramené M. l'Ambassa
deur parfaitement guéri.
Mais vous pouvez ignorer que notre
Medecin , toujours attentif sur la Litte
rature , et mettant tout à profit à cet
égard , quand il est obligé de voyager ,
n'a pas manqué d'apporter plusieurs Li
vres Espagnols , des meilleurs et des plus
nouveaux. Celui pour lequel vous vous
interessez , ne pouvoit pas être oublié ;
en voici le Titre.
I. Vol. THEA
1242 MERCURE DE FRANCE
THEATRO CRITICO , UNIVERSAL,
O Discursos varios en toto genero de Ma
terias para desengano de Errores comunes.
Dedicado A RP P. Fr. Joseph de Bar
nuero , General de la Congregacion de San
Benito de Espana , Inglaterra , & c. Escrito
por El M. R. P. M. Fr. Benito Jeronymo
Feijoo , Maestro General de la Religion de
San Benito , y Cathedratico de Visperas de
Theologia de la Universidad de Oviedo.
Tercera Impression En Madrid : En la
Imprenta de Francisco del Hierro , Anno de
M. DCC . XXIX . C'est-à -dire , THEA
TRE CRITIQUE UNIVERSEL , ou Discours
divers sur toute sorte de sujets pour désa
buser les hommes des erreurs communes
et ordinaires . Dédié au Reverendissime
Pere General de la Congrégation de saint
Benoît , établie en Espagne , en Angle
terre, &c. Composé par le R. P. BENOIST
JEROSME FEIJOO , Maître ou Professeur
General dans la même Congrégation ,
Professeur en Thélogie de l'Université
d'Oviedo; quatre Volumes in 4% Troisiéme
Edition. A Madrid , de l'Imprimerie de
François del Hierro , M. DCC. XXIX .
On trouve à la tête du premier Vo
lume une Epitre Dédicatoire fort bien
tournée , adressée au R. P. General Jo
seph de Barnuero , lequel , outre cette
I.Vol.
qualité
JUIN. 1731. 1243
qualité , avoit été le Maître des Etudes
de Théologie de l'Auteur , dans l'Uni
versité de Salamanque. Les Approba
tions de divers Docteurs suivent cette
Dédicace.
Une courte Préface qui déclare les in
tentions du P. Feijoo , et qui fait voir
l'ordre et la disposition de tout son Ou
vrage , est précedée d'une Lettre de Don
Louis de Salazar , Commandeur de l'Or
dre de Calatrava , Conseiller du Conseil
Royal des Ordres , et premier Historio
graphe de Castille et des Indes . Cette
Lettre écrite à notre Auteur le 11. Août
1726. est un Eloge raisonné de son Théa
tre critique ; on peut dire que le suffrage
de ce Seigneur en a entraîné quantité
d'autres , et qu'il n'avoit paru depuis
long- temps de Livre en Espagne plus ge
neralement estimé. D'un autre côté le
R. P. Jean de Champverd , de la Com
pagnie de Jesus , Docteur et Professeur
en Théologie de l'Université d'Alcala ,
Théologien du Roi , et Examinateur Sy
nodal de l'Archevêché de Tolede , pa
roît si content de cet Ouvrage , qu'il nous
assure dans son Approbation , que son
Auteur devoit être appellé le Maître Ge
neral de tous les Arts et des Sciences.
Ce premier Volume de 400. pages
I. Vol. contient
1244 MERCURE DE FRANCE
contient seize Discours divisez chacun en
plusieurs Paragraphes ou Articles . Le
1. Discours est intitulé la Voix du Peuple.
Le II. la Vertu et le Vice. Le III . L'ob
scurité et la haute fortune. IV. La plus
fine Politique. V. La Medecine. VI. Ré
gime pour la conservation de la santé.
VII. La Deffense de la Profession Litte
raire. VIII. L'Astrologie Judiciaire et les
Almanachs. IX. Les Eclipses. X. Les Co
metes. XI. Les Années Climateriques .
XII. La Vieillesse du Monde. XIII . Con
tre les Philosophes modernes . XIV. La
Musique des Eglises . XV. Parallele des
Langues. XVI . Apologie des femmes.
Toutes ces Dissertations fournissent une
lecture agréable et variée , elles sont bien
écrites , et instruisent de beaucoup de
choses. Les Medecins ne sont pas bien
traitez dans la V. s'ils s'avisent de mar
quer à notre Auteur quelque ressenti
ment , les Femmes , et sur tout les Fem
mes sçavantes et vertueuses , seront obli
gées , par reconnoissance , de prendre sa
deffense ; car rien n'est plus recherché
plus obligeant , plus étendu dans le I.Vo
lume , que la XVI. et derniere Disserta
tion , qui est toute employée à la deffense
du beau Sexe. Vous en jugerez si je puis
un jour vous en procurer la lecture .
I. Vol
Passons
JUIN. 1731.
1245
S
1
e.
Passons cependant au second Volume.
T.II. seconde Edition M. DCC . XXX .
Ce volume , comme le précedent, est orné
d'une Dedicace , addressée à un autre
Mecéne , et munie d'Approbations ma
gnifiques. La plus étendue et la plus fla
teuse , est sans doute celle du R. P. Este
van de la Torre , Professeur géneral des
Benedictins d'Espagne , Abbé de S. Vin
cent d'Oviedo , Professeur en Théologie ,
et de l'Ecriture Sainte en l'Université de
la même Ville , lequel paroît si prévenu
du merite de cet ouvrage , et de la haute
capacité de son Autheur , qu'il ne fait
point de difficulté de lui appliquer ce que
le Sçavant P. Mabillon a dit de l'ouvrage
de S. Bernard , de Consideratione , addressé
au Pape Eugene. Hac sane fuit Bernardi
dexteritas , ut , quam primum ejus Libri de
Consideratione in publicum prodiere , eos
certatim exquisierunt , lectitarunt , amave
runt universi. L'Approbateur ne doutant
point qu'il n'arrive la même chose à l'égard
de ce second volume , n'oublie pas dans
cette occasion d'appliquer aussi à nôtre
Autheur ce passage connu de l'Ecriture .
Faciendi plures Libros nullus eft finis.
Ecclesiast. C. 12.v. 12. C'est , dit- il , sui
vre à la lettre le conseil du Sage , on ne
doit , pour ainsi dire , point finir quand
1. Vol. on
1246 MERCURE DE FRANCE
on écrit des livres qui enseignent à dé
tromper les hommes de leurs erreurs , et
à établir des veritez . Enfin le R. P. Joseph
Navajas, Trinitaire, Professeur en Théo
logie , et Examinateur de l'Archevêché
de Toléde , en donnant aussi son attache
et ces éloges à ce livre , ne craint pas de
rien exagerer en le nommant une Biblio
theque entiere.
Hic liber est , Lector , librorum magna sup→
pellex.
Et non exigua Bibliotheca , lege.
Les Dissertations contenues dans ce
second Tome de plus de 400. pages , sont
précedées d'une assés courte Preface , la
quelle a deux principaux Objets : le pre
mier de remercier le public du favorable
accueil qu'il a fait au premier volume ,
le second de parler de quelques envieux ,
qui ont publié des écrits peu mésurés
contre ce livre. Chose inévitable et arri
vée dans tous les temps , à l'égard même
des Autheurs du premier merite. Sur
quoy le P. Feijoo nous parle des disgra
ces qu'eurent à essuyer en France deux cé
lebres Académiciens , sçavoir Pierre Cor
neille et Jean -Louis de Balzac , que les
suffrages du public dédomagerent ample
I. Vol. ment
JUIN. 1731 1247
ment, sur tout , dit- il , le grand Corneille,
qui ne succomba point sous le poids du
credit d'un fameux Ministre , et de la
censure de l'Academie el formidable Cuer
po
de la Academia Francesa , non pas , ajoû
te-t'il, qu'il veuille se comparer à ces deux
grands Genies , mais rappellant seulement
ce fameux exemple,à cause de la parité de
situation où la Fortune le met aujour
d'hui . Il se justifie ensuite sur le titre de
son Ouvrage,où il ne trouve rien de cette
présomption que ses Adversaires luy ont
reprochée. Il a jugé à propos , nous dit-il ,
enfin , par le conseil de personnes sages ,
de publier à la fin de ce second Tome
les deux réponses Apologetiques qu'on y
trouvera. Celle qui regarde le Docteur
Ros est en latin , parceque ce Docteur l'a
attaqué en la même Langue . Il a aussi fait
imprimer la lettre Apologetique du Doc
teur Martinez , crainte, dit il , que ce trait
précieux de sa plume ne soit enseveli dans
l'oubli , tout ce que ce sage et éloquent
Autheur écrit étant digne de l'immorta
lité ; c'est ainsi que nôtre autheur parle
de son Adversaire . A l'égard de la criti
que du Docteur Ros , elle étoit trop lon
gue pour l'imprimer pareillement à la
fin de ce second volume.
>
Les Dissertations qui le composent sont
4. Vol.
au
1248 MERCURE DE FRANCE
au nombre de quinze , dont je me con
tenterai de vous rapporter les titres. I.
Les Guerres Philosophiques . II . L'Histoi
re Naturelle. III. L'Art Divinatoire.
I V. Les Propheties supposées. V. L'Usage
de la Magie . VI. Les modes. VII. La
Vieillesse Morale du Genre Humain .
VIII. La Science Aparente et Superfi
ciele. IX. L'Antipathie entre les Fran
çois et les Espagnols. X. Les Jours Cri
tiques. XI. Le Poids de l'Air. XII . La
Sphere du Feu. XIII. L'Antiperistase .
XIV. Paradoxes Phisiques . XV. Table
contenant la comparaison des Nations..
Ces quinze Discours sont suivis de trois
morceaux de Critique anoncés dans la
Préface, qui ont été composez dépuis l'im
pression du premier volume , lequel en a été
l'occasion.Le premier est intituléCarta De
fensiva & c. ou , Lettre Apologetique de
Don Martin Martinez Docteur en Mede
cine , Medecin de la Maison du Roy, Pro
fesseur d'Anatomie , et actuellement Presi
dent de la Societé Royale des Sciences de
Seville & c.Sur le premier Tome du Thea
tre critique universel du R. P. Feijoo . Il y a
de trés bonnes choses dans cette Lettre ,
elle donne our ainsi dire , un nouveau
lustre au Theatre critique , sur lequel l'Au
theur avoit prié le Medecin de lui mar
I.Vol.
quer
JUIN. 1731. 1249
quer ses sentimens. Il s'en acquitte en
parcourant toutes les dissertations , et en
discourant sommairement sur chacune.
Il paroît que ce Docteur a réservé toute
son érudition , et toute sa critique , à
l'égard de celle qui regarde la Medecine.
Le P. Feijoo a dû s'y attendre aprés tout
ce qu'il a dit de cette science dans sa V.
Dissert. du premier vol. M. Martinez fait
non seulement l'Apologie de la Medeci
ne et des Medecins , mais l'Eloge de cette
Science , et de ceux qui l'ont professée
dans tous les temps ; sur quoy ce Doc
teur nous étale une grande lecture et des
Recherches singulieres. Je vais en éfleurer
quelques -unes. Les Egyptiens , dit il
faisoient des Medecins leurs Prêtres , et
des Prêtres leurs Rois , sur quoy les an
ciens Historiens nous ont conservé cette
formule. Medicus non es ; nolo te constitue
re Regem. Giges et Sapor Rois des Medes
ont été Medecins , sans parler des Prin
ces qui l'ont pareillement été parmi les
Perses , les Arabes , les Syriens & c . La lis
te de ces Rois ou Princes Medecins , est
longue chez nôtre Docteur , et on est tout
étonné d'y trouver des Sujets d'un grand
nom , mais peu connus de côté la ; par
exemple , Hercule , Alexandre le Grand ,
l'Empereur Hadrien &c. Vous jugez bien ,
I. Vol.
Monsieur
1250 MERCURE DE FRANCE
Monsieur que le Pere de la Medecine
Grecque , le Prince , et le Chef de tous'
les Medecins qui sont venus depuis , je
veux dire, Hippocrate , n'est pas oublié;
il finit par lui sa liste et ses éloges , en re
marquant que les Grecs rendirent à ce
grand Homme des honneurs divins , et les
mêmes qu'ils rendoient à Hercule. M.
Martinez pouvoit ajoûter qu'on frappa
aussi pour lui des Medailles ; vous avez
vû . Monsieur , chez
chez moy la
gravure
d'une de ces Medailles où l'on voit d'un
côté la tête d'Hippocrate et autour IП...
TOY et sur le Revers le fameux Baton
d'Esculape entouré d'un Serpent avec ce
mot KION , pour signifier que la
Medaille a été frappée par les habitans de
l'Isle de Cos , Patrie d'Hippocrate , sur
quoy je vous entretiendrai un jour plus
précisement dans un autre Ecrit .
,
Les Medecins chrétiens d'un rang il
lustre , sont joints à ceux du Paganisme.
L'Auteur prend les choses de bien haut ,
il trouve dans des temps posterieurs des
Papes , des Cardinaux , des Prelats Me
decins ; je vous renvoye là dessus au livre
même.
Le second morceau de critique est la Ré
ponse du P. Feijoo à la lettre dont je viens
de vous donner une idée du Docteur
I. Vol. Martinez
JUIN. 1731.
7251
Martinez. Cette Réponse est sage et ac
compagnée de tous les égards , et de tous
les ménagemens qui ne se rencontrent
guéres ordinairement entre des Sçavans
qui écrivent l'un contre l'autre , pour
soutenir des opinions differentes . L'habi
le et poli Benedictin avoue même obli
geamment à son Antagoniste , qu'il ne
fait aucun doute que dans cette contesta
tion litteraire ils ne soient au fond tous
deux de même sentiment ; car , dit- il ,
vous ne disconvenez point que la Mede
cine ne soit accompagnée d'incertitude ,
et moi je n'ay jamais nié positivement
l'utilité de cette Science. Quoique la
Réponse dont il s'agit icy soit addressée
au Docteur Martinez même , elle est pré
cedée d'une Epitre Dedicatoire à l'Illus
triss. Don Fr. Joseph Garcia , Evêque de
Siguenza , pour le remercier de l'accueil
favorable qu'il a fait au premier vol . du
Theatre Critique, et pour le prier de pro
teger également et l'ouvrage et l'Autheur.
Je ne vous dirai rien de la derniere
Piece , parce qu'elle roule a peu prés sur
le même sujet , et que je suis bien aise
que vous en jugiez un jour par vous mê
me ; je me prépare cependant à vous ren
dre compte de la suite de cet Ouvrage
et je suis toujours. & c.
A Paris ce 19. Fevrier 1731 .
LET
JUIN 1731. 1241
}
****************
LETTRE de M. D. L. R. sur un
Ouvrage du R. P. Feijoo , Benedictin
Espagnol.
.
entre les
傻
l'Ouvrage dont vous avez entendu
parler. C'est M. Boyer , Docteur en Me
decine de la Faculté de Montpellier , et
Docteur- Régent en celle de Paris , qui l'a
apporté d'Eſpagne , depuis peu de tems .
Vous sçavez que ce Medecin partit d'ici
sur la fin du mois de Juillet dernier pour
le rétablissement de la santé de M. le
Marquis de Brancars , Ambassadeur de
France à la Cour de S. M. Catholique ;
vous sçavez aussi qu'il a fait un voyage
heureux, et qu'il a ramené M. l'Ambassa
deur parfaitement guéri.
Mais vous pouvez ignorer que notre
Medecin , toujours attentif sur la Litte
rature , et mettant tout à profit à cet
égard , quand il est obligé de voyager ,
n'a pas manqué d'apporter plusieurs Li
vres Espagnols , des meilleurs et des plus
nouveaux. Celui pour lequel vous vous
interessez , ne pouvoit pas être oublié ;
en voici le Titre.
I. Vol. THEA
1242 MERCURE DE FRANCE
THEATRO CRITICO , UNIVERSAL,
O Discursos varios en toto genero de Ma
terias para desengano de Errores comunes.
Dedicado A RP P. Fr. Joseph de Bar
nuero , General de la Congregacion de San
Benito de Espana , Inglaterra , & c. Escrito
por El M. R. P. M. Fr. Benito Jeronymo
Feijoo , Maestro General de la Religion de
San Benito , y Cathedratico de Visperas de
Theologia de la Universidad de Oviedo.
Tercera Impression En Madrid : En la
Imprenta de Francisco del Hierro , Anno de
M. DCC . XXIX . C'est-à -dire , THEA
TRE CRITIQUE UNIVERSEL , ou Discours
divers sur toute sorte de sujets pour désa
buser les hommes des erreurs communes
et ordinaires . Dédié au Reverendissime
Pere General de la Congrégation de saint
Benoît , établie en Espagne , en Angle
terre, &c. Composé par le R. P. BENOIST
JEROSME FEIJOO , Maître ou Professeur
General dans la même Congrégation ,
Professeur en Thélogie de l'Université
d'Oviedo; quatre Volumes in 4% Troisiéme
Edition. A Madrid , de l'Imprimerie de
François del Hierro , M. DCC. XXIX .
On trouve à la tête du premier Vo
lume une Epitre Dédicatoire fort bien
tournée , adressée au R. P. General Jo
seph de Barnuero , lequel , outre cette
I.Vol.
qualité
JUIN. 1731. 1243
qualité , avoit été le Maître des Etudes
de Théologie de l'Auteur , dans l'Uni
versité de Salamanque. Les Approba
tions de divers Docteurs suivent cette
Dédicace.
Une courte Préface qui déclare les in
tentions du P. Feijoo , et qui fait voir
l'ordre et la disposition de tout son Ou
vrage , est précedée d'une Lettre de Don
Louis de Salazar , Commandeur de l'Or
dre de Calatrava , Conseiller du Conseil
Royal des Ordres , et premier Historio
graphe de Castille et des Indes . Cette
Lettre écrite à notre Auteur le 11. Août
1726. est un Eloge raisonné de son Théa
tre critique ; on peut dire que le suffrage
de ce Seigneur en a entraîné quantité
d'autres , et qu'il n'avoit paru depuis
long- temps de Livre en Espagne plus ge
neralement estimé. D'un autre côté le
R. P. Jean de Champverd , de la Com
pagnie de Jesus , Docteur et Professeur
en Théologie de l'Université d'Alcala ,
Théologien du Roi , et Examinateur Sy
nodal de l'Archevêché de Tolede , pa
roît si content de cet Ouvrage , qu'il nous
assure dans son Approbation , que son
Auteur devoit être appellé le Maître Ge
neral de tous les Arts et des Sciences.
Ce premier Volume de 400. pages
I. Vol. contient
1244 MERCURE DE FRANCE
contient seize Discours divisez chacun en
plusieurs Paragraphes ou Articles . Le
1. Discours est intitulé la Voix du Peuple.
Le II. la Vertu et le Vice. Le III . L'ob
scurité et la haute fortune. IV. La plus
fine Politique. V. La Medecine. VI. Ré
gime pour la conservation de la santé.
VII. La Deffense de la Profession Litte
raire. VIII. L'Astrologie Judiciaire et les
Almanachs. IX. Les Eclipses. X. Les Co
metes. XI. Les Années Climateriques .
XII. La Vieillesse du Monde. XIII . Con
tre les Philosophes modernes . XIV. La
Musique des Eglises . XV. Parallele des
Langues. XVI . Apologie des femmes.
Toutes ces Dissertations fournissent une
lecture agréable et variée , elles sont bien
écrites , et instruisent de beaucoup de
choses. Les Medecins ne sont pas bien
traitez dans la V. s'ils s'avisent de mar
quer à notre Auteur quelque ressenti
ment , les Femmes , et sur tout les Fem
mes sçavantes et vertueuses , seront obli
gées , par reconnoissance , de prendre sa
deffense ; car rien n'est plus recherché
plus obligeant , plus étendu dans le I.Vo
lume , que la XVI. et derniere Disserta
tion , qui est toute employée à la deffense
du beau Sexe. Vous en jugerez si je puis
un jour vous en procurer la lecture .
I. Vol
Passons
JUIN. 1731.
1245
S
1
e.
Passons cependant au second Volume.
T.II. seconde Edition M. DCC . XXX .
Ce volume , comme le précedent, est orné
d'une Dedicace , addressée à un autre
Mecéne , et munie d'Approbations ma
gnifiques. La plus étendue et la plus fla
teuse , est sans doute celle du R. P. Este
van de la Torre , Professeur géneral des
Benedictins d'Espagne , Abbé de S. Vin
cent d'Oviedo , Professeur en Théologie ,
et de l'Ecriture Sainte en l'Université de
la même Ville , lequel paroît si prévenu
du merite de cet ouvrage , et de la haute
capacité de son Autheur , qu'il ne fait
point de difficulté de lui appliquer ce que
le Sçavant P. Mabillon a dit de l'ouvrage
de S. Bernard , de Consideratione , addressé
au Pape Eugene. Hac sane fuit Bernardi
dexteritas , ut , quam primum ejus Libri de
Consideratione in publicum prodiere , eos
certatim exquisierunt , lectitarunt , amave
runt universi. L'Approbateur ne doutant
point qu'il n'arrive la même chose à l'égard
de ce second volume , n'oublie pas dans
cette occasion d'appliquer aussi à nôtre
Autheur ce passage connu de l'Ecriture .
Faciendi plures Libros nullus eft finis.
Ecclesiast. C. 12.v. 12. C'est , dit- il , sui
vre à la lettre le conseil du Sage , on ne
doit , pour ainsi dire , point finir quand
1. Vol. on
1246 MERCURE DE FRANCE
on écrit des livres qui enseignent à dé
tromper les hommes de leurs erreurs , et
à établir des veritez . Enfin le R. P. Joseph
Navajas, Trinitaire, Professeur en Théo
logie , et Examinateur de l'Archevêché
de Toléde , en donnant aussi son attache
et ces éloges à ce livre , ne craint pas de
rien exagerer en le nommant une Biblio
theque entiere.
Hic liber est , Lector , librorum magna sup→
pellex.
Et non exigua Bibliotheca , lege.
Les Dissertations contenues dans ce
second Tome de plus de 400. pages , sont
précedées d'une assés courte Preface , la
quelle a deux principaux Objets : le pre
mier de remercier le public du favorable
accueil qu'il a fait au premier volume ,
le second de parler de quelques envieux ,
qui ont publié des écrits peu mésurés
contre ce livre. Chose inévitable et arri
vée dans tous les temps , à l'égard même
des Autheurs du premier merite. Sur
quoy le P. Feijoo nous parle des disgra
ces qu'eurent à essuyer en France deux cé
lebres Académiciens , sçavoir Pierre Cor
neille et Jean -Louis de Balzac , que les
suffrages du public dédomagerent ample
I. Vol. ment
JUIN. 1731 1247
ment, sur tout , dit- il , le grand Corneille,
qui ne succomba point sous le poids du
credit d'un fameux Ministre , et de la
censure de l'Academie el formidable Cuer
po
de la Academia Francesa , non pas , ajoû
te-t'il, qu'il veuille se comparer à ces deux
grands Genies , mais rappellant seulement
ce fameux exemple,à cause de la parité de
situation où la Fortune le met aujour
d'hui . Il se justifie ensuite sur le titre de
son Ouvrage,où il ne trouve rien de cette
présomption que ses Adversaires luy ont
reprochée. Il a jugé à propos , nous dit-il ,
enfin , par le conseil de personnes sages ,
de publier à la fin de ce second Tome
les deux réponses Apologetiques qu'on y
trouvera. Celle qui regarde le Docteur
Ros est en latin , parceque ce Docteur l'a
attaqué en la même Langue . Il a aussi fait
imprimer la lettre Apologetique du Doc
teur Martinez , crainte, dit il , que ce trait
précieux de sa plume ne soit enseveli dans
l'oubli , tout ce que ce sage et éloquent
Autheur écrit étant digne de l'immorta
lité ; c'est ainsi que nôtre autheur parle
de son Adversaire . A l'égard de la criti
que du Docteur Ros , elle étoit trop lon
gue pour l'imprimer pareillement à la
fin de ce second volume.
>
Les Dissertations qui le composent sont
4. Vol.
au
1248 MERCURE DE FRANCE
au nombre de quinze , dont je me con
tenterai de vous rapporter les titres. I.
Les Guerres Philosophiques . II . L'Histoi
re Naturelle. III. L'Art Divinatoire.
I V. Les Propheties supposées. V. L'Usage
de la Magie . VI. Les modes. VII. La
Vieillesse Morale du Genre Humain .
VIII. La Science Aparente et Superfi
ciele. IX. L'Antipathie entre les Fran
çois et les Espagnols. X. Les Jours Cri
tiques. XI. Le Poids de l'Air. XII . La
Sphere du Feu. XIII. L'Antiperistase .
XIV. Paradoxes Phisiques . XV. Table
contenant la comparaison des Nations..
Ces quinze Discours sont suivis de trois
morceaux de Critique anoncés dans la
Préface, qui ont été composez dépuis l'im
pression du premier volume , lequel en a été
l'occasion.Le premier est intituléCarta De
fensiva & c. ou , Lettre Apologetique de
Don Martin Martinez Docteur en Mede
cine , Medecin de la Maison du Roy, Pro
fesseur d'Anatomie , et actuellement Presi
dent de la Societé Royale des Sciences de
Seville & c.Sur le premier Tome du Thea
tre critique universel du R. P. Feijoo . Il y a
de trés bonnes choses dans cette Lettre ,
elle donne our ainsi dire , un nouveau
lustre au Theatre critique , sur lequel l'Au
theur avoit prié le Medecin de lui mar
I.Vol.
quer
JUIN. 1731. 1249
quer ses sentimens. Il s'en acquitte en
parcourant toutes les dissertations , et en
discourant sommairement sur chacune.
Il paroît que ce Docteur a réservé toute
son érudition , et toute sa critique , à
l'égard de celle qui regarde la Medecine.
Le P. Feijoo a dû s'y attendre aprés tout
ce qu'il a dit de cette science dans sa V.
Dissert. du premier vol. M. Martinez fait
non seulement l'Apologie de la Medeci
ne et des Medecins , mais l'Eloge de cette
Science , et de ceux qui l'ont professée
dans tous les temps ; sur quoy ce Doc
teur nous étale une grande lecture et des
Recherches singulieres. Je vais en éfleurer
quelques -unes. Les Egyptiens , dit il
faisoient des Medecins leurs Prêtres , et
des Prêtres leurs Rois , sur quoy les an
ciens Historiens nous ont conservé cette
formule. Medicus non es ; nolo te constitue
re Regem. Giges et Sapor Rois des Medes
ont été Medecins , sans parler des Prin
ces qui l'ont pareillement été parmi les
Perses , les Arabes , les Syriens & c . La lis
te de ces Rois ou Princes Medecins , est
longue chez nôtre Docteur , et on est tout
étonné d'y trouver des Sujets d'un grand
nom , mais peu connus de côté la ; par
exemple , Hercule , Alexandre le Grand ,
l'Empereur Hadrien &c. Vous jugez bien ,
I. Vol.
Monsieur
1250 MERCURE DE FRANCE
Monsieur que le Pere de la Medecine
Grecque , le Prince , et le Chef de tous'
les Medecins qui sont venus depuis , je
veux dire, Hippocrate , n'est pas oublié;
il finit par lui sa liste et ses éloges , en re
marquant que les Grecs rendirent à ce
grand Homme des honneurs divins , et les
mêmes qu'ils rendoient à Hercule. M.
Martinez pouvoit ajoûter qu'on frappa
aussi pour lui des Medailles ; vous avez
vû . Monsieur , chez
chez moy la
gravure
d'une de ces Medailles où l'on voit d'un
côté la tête d'Hippocrate et autour IП...
TOY et sur le Revers le fameux Baton
d'Esculape entouré d'un Serpent avec ce
mot KION , pour signifier que la
Medaille a été frappée par les habitans de
l'Isle de Cos , Patrie d'Hippocrate , sur
quoy je vous entretiendrai un jour plus
précisement dans un autre Ecrit .
,
Les Medecins chrétiens d'un rang il
lustre , sont joints à ceux du Paganisme.
L'Auteur prend les choses de bien haut ,
il trouve dans des temps posterieurs des
Papes , des Cardinaux , des Prelats Me
decins ; je vous renvoye là dessus au livre
même.
Le second morceau de critique est la Ré
ponse du P. Feijoo à la lettre dont je viens
de vous donner une idée du Docteur
I. Vol. Martinez
JUIN. 1731.
7251
Martinez. Cette Réponse est sage et ac
compagnée de tous les égards , et de tous
les ménagemens qui ne se rencontrent
guéres ordinairement entre des Sçavans
qui écrivent l'un contre l'autre , pour
soutenir des opinions differentes . L'habi
le et poli Benedictin avoue même obli
geamment à son Antagoniste , qu'il ne
fait aucun doute que dans cette contesta
tion litteraire ils ne soient au fond tous
deux de même sentiment ; car , dit- il ,
vous ne disconvenez point que la Mede
cine ne soit accompagnée d'incertitude ,
et moi je n'ay jamais nié positivement
l'utilité de cette Science. Quoique la
Réponse dont il s'agit icy soit addressée
au Docteur Martinez même , elle est pré
cedée d'une Epitre Dedicatoire à l'Illus
triss. Don Fr. Joseph Garcia , Evêque de
Siguenza , pour le remercier de l'accueil
favorable qu'il a fait au premier vol . du
Theatre Critique, et pour le prier de pro
teger également et l'ouvrage et l'Autheur.
Je ne vous dirai rien de la derniere
Piece , parce qu'elle roule a peu prés sur
le même sujet , et que je suis bien aise
que vous en jugiez un jour par vous mê
me ; je me prépare cependant à vous ren
dre compte de la suite de cet Ouvrage
et je suis toujours. & c.
A Paris ce 19. Fevrier 1731 .
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Résumé : LETTRE de M. D. L. R. sur un Ouvrage du R. P. Feijoo, Benedictin Espagnol.
En juin 1731, une lettre fait référence à un ouvrage du Père Benito Jerónimo Feijoo, bénédictin espagnol, intitulé 'Théâtre critique universel'. Cet ouvrage, composé de plusieurs volumes, vise à corriger les erreurs communes chez les hommes à travers divers discours. Le premier volume, dédié au Père Joseph de Barnuero, contient seize discours abordant des sujets tels que la médecine, l'astrologie et la défense des femmes. Le second volume, dédié à un autre mécène, comprend quinze discours ainsi que des réponses apologétiques à des critiques. L'ouvrage a été bien accueilli par plusieurs docteurs et professeurs, qui ont souligné son mérite et son utilité. Par exemple, le Docteur Martinez a écrit une lettre apologétique en réponse à la critique de la médecine dans le premier volume. Le Père Feijoo a répondu à cette lettre de manière respectueuse et mesurée. Une lettre datée du 19 février 1731 à Paris mentionne également cet ouvrage. L'auteur de cette lettre indique qu'il ne commentera pas la dernière pièce, car elle traite d'un sujet similaire à une œuvre précédente et préfère que le destinataire se forme sa propre opinion. Il se prépare toutefois à fournir un compte rendu de la suite de l'ouvrage. La lettre se termine par une formule de politesse, indiquant la continuité de la correspondance.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 1262-1275
LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. Boyer, Docteur en Medecine de la Faculté de Montpellier, & Docteur-Regent en celle de Paris, au sujet d'une Medaille Latine de la Ville de Troade, & d'une Médaille Grecque des Dardaniens.
Début :
Ce n'est pas assez, Monsieur, d'avoir reçû avec reconnaissance les onze [...]
Mots clefs :
Médaille latine, Médaille grecque, Voyages du Levant, Bronze, Troie, Embellissements, Colonie romaine
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. Boyer, Docteur en Medecine de la Faculté de Montpellier, & Docteur-Regent en celle de Paris, au sujet d'une Medaille Latine de la Ville de Troade, & d'une Médaille Grecque des Dardaniens.
LETTRE de M. D. L. R. écrite à M.
Boyer , Docteur en Medecine de la Facul
té de Montpellier , & Docteur- Regent en
celle de Paris , au sujet d'une Medaille
Latine de la Ville de Troade , & du
ne Médaille Grecque des Dardaniens .
E n'est pas Monsieur , d'avoir
Creçu avec reconnoissance les onze
Médailles antiques , qu'il vous a plû de
me donner ces jours passés , que vous
avez rapportées de vos Voyages du Le
vant , et qui ont été trouvées aux envi
rons desDardanelles et des ruines de Troye ,
c'est- à-dire , sur les lieux du Monde les
I. Vol. plus
JUIN . 17317 r263
plus fameux dans l'Antiquité Grecque et
Romaine . La même reconnoissance m'en
gage de tenir ma parole , et de vous
marquer ce que ces Médailles peuvent
avoir de singulier , n'ayant pû , comme
vous sçavez , les examiner sur le champ .
Permettez moi d'en mettre d'abord neuf
au nombre de celles qui ne feront jamais
suer les Antiquaires , et qu'on trouve as
sez communément . En revanche , il y en
a deux qui me paroissent meriter une con
sideration particuliere , elles feront aussi
tout le sujet de cette Lettre .
La premiere est de moyen bronze , fort
nette , et bien conservée . On y voit d'un
côté une tête de femme couronnée , ou
coëffée de Tours ; comme vous savez que
•
les Anciens symbolisoient les principales
Villes avec une Enseigne Militaire derrie→
re; cette Legende est autour de la Tête CO .
ALEX TR , et encore ces deux Let
tres dans l'Enseigne Militaire CO. Sur
le revers est représentée la Louve avec les
deux Jumeaux , Fondateurs de Rome : on
lit au dessus COL AVG. et dans l'E
xergue T RO A. C'est -à -dire , d'un côté
Colonia Alexandrina Troadis , & de l'au
tre , Colonia Augusta Troadis ; avec la ré
petition du mot Colonia dans l'Enseigne
Militaire. Ainsi , M. je ne fais nul doute
I. Vol. que
1264 MERCURE
DE
FRANCE
que cette Médaille n'apartienne , et n'aig
été frapée à Troade , Ville de Phrygie ,
devenue dans la suite Colonie Romaine ;
mais cela ne suffit pas , il faut vous faire
connoitre cette Ville plus particuliere
ment , expliquer par-là notre Medaille,
et vous en faire connoître la singularité.
Troade étoit située sur les bords de
l'Hellespont dans cette Partie de la Phry
gie qui portoit aussi le nom de Troade ,
et selon le sentiment de plusieurs , elle de
voit son origine et sa fondation à la fa
meuse Troye , qui n'étoit éloignée du ter
rain occupé par cette nouvelle Ville , que
d'environ cinq ou six lieuës . Alexandre
le Grand , ajoûte- t-on , après avoir visité
les restes de l'ancienne Troye , et déploré
ses malheurs , fit bâtir une ville de ses
ruines , et pour mieux conserver la mé
moire de Troye , il donna le nom de
Troade a cette nouvelle Ville , qui porta
aussi le nom d'Alexandrie , à cause de son
Fondateur et du Restaurateur de Troye..
Dans la suite des tems , les Romains
ayant conquis la Grece , et cette partie de
l'Asie qui en dépendoit , la Ville de
Troade fut chez eux d'une grande consi
deration , et devint Colonie Romaine dès
le tems d'Auguste : d'autres Empereurs la
favoriserent en plusieurs manieres , et la
1.Vol.
dis
JUIN. 1731.
1265
distinguerent beaucoup par des Embelis
semens , des Privileges , &c. c'est pour
conserver la memoire de ces faveurs , et
pour marquer sa reconnoissance
que
Troade , à l'imitation des autres fameu
ses Villes , fit fraper plusieurs Médailles ,
dont quelques- unes se voyent encore dans
les Cabinets des Curieux , et sont rapor
tées dans les Ouvrages des Antiquaires.
M. Vaillant , qui en a composé un ex
près sur les Medailles des Colonies , a fait
graver les plus curieuses de celles de Troa
de qui étoient venuës à sa connoissance
lesquelles ont été frapées dans cette Ville
en l'honneur de plusieurs Empereurs et
Imperatrices depuis Trajan jusqu'à Gallus.
Ces Médailles ont d'un côtê la tête de
PEmpereur couronnée de laurier , ou de
l'Imperatrice , en l'honneur de qui elles
ont été frapées , avec la legende qui con
vient. Les Revers sont presque tous dif
ferens , et contiennent des symboles , qui
ont rapport à l'Histoire ancienne , et aux
motifs que ceux de Troade avoient en
fabriquant ces Monumens , ainsi que nous
le remarquerons dans la suite.Les légendes:
des Revers sont pareillement differentes ::
les unes ne contiennent que ces deux mots,,
Col. Troad , les autres Col. Aug. Troc ..
quelques unes Col. Alex. Aug. et dans l'E
.
د و
1. Vol.
xergue
1266 MERCURE DE FRANCE
xergue Tro. d'autres Col. Alexand. Aug. II
s'en trouve enfin qui portent ces mots Col.
Aur. Antoniana Alex. J'ajoûte que ces Me
dailles sont de moyen ou de petit bronze,
et que le sçavant Antiquaire qui les ra
porte , assure qu'elles sont presque tou
tes rares et quelques-unes d'une trés
grande rareté , et d'une consideration sin
guliere.
>
Si cela est , comme il y a lieu de le croi
re , j'ose vous assurer , Monsieur , que
notre Medaille de Troade surpasse toutes
celles dont nous venons de parler par sa
singularité et je crois que vous allez
en convenir. Elle n'a point été frapée pour
un Empereur, c'est une Medaille de Ville,
comme nous en voyons plusieurs de ces
Villes fameuses , qui ont fait une grande
figure dans l'Antiquité , lesquelles portent
d'un côté le Type de la Ville sous la figure
d'une Femme , ou d'une Déesse , comme
celles d'Athenes de Marseille , d'An
tioche, de Smyrne , & c. et sur le Revers ,
les symboles qui leur sont propres.
2
Comme Troade tiroit sa principale
gloire d'être Colonie Romaine , et qu'elle
vouloit plaire à ses Maîtres en faisant va
loir cette circonstance , on voit sur notre
Medaille une chose qui n'est pas ordinaí
re , sçavoir , non-seulement le nom de la
Ville , gravé sur les deux côtez , mais ce
qui est encore plus rare , le Titre de Co
lonie répété jusqu'à trois fois dans cette
même Médaille. Je sçai qu'il y a quel
ques exemples de Médailles Grecques ,
dont le nom de la Ville qui les a faites
fraper , se trouve sur les deux côtés ; mais
àPégard de la répetition du Titre de Colo
nie , je n'ai encore rien vû de semblable.
Au reste , Monsieur , je ne prétends
pas vous insinuer par ce que je viens de
vous dire ,, que les Médailles de la Ville de
Troade , comme Médailles de Villé , soient
plus rares que les Médailles Imperiales
de la même Ville , qui le sont déja as
sez , et par-là faire valoir plus que de rai
son notre découverte , qui sans cela
aura toûjours son mérite et sa singularité.
Il est cependant vrai , que dans Goltzius ,
dans Patin et dans le P. Hardouin , on
ne trouve la Médaille de Troade , que
comme frappée en l'honneur de quelque
Empereur ou Imperatrice ; mais comme il
se fait tous les jours de nouvelles décou
vertes , je trouve une Médaille de la qua
lité de la nôtre , quoiqu'elle n'ait ni les
mêmes symboles au Revers , ni les mêmes
Legendes , rapportée dans le bel Ouvrage
du Tresor de Brandebourg , composé par
Beger , T. I. p . 491. et j'aprens que M.
>
I. Vol. Le
1268 MERCURE DE FRANCE
Lebret , Conseiller d'Etat , Premier Pré
sident du Parlement d'Aix , Intendant de
Justice et du Commerce en Provence
possede dans son riche Cabinet quelques
Medailles de Troade , de la qualité de
celle dont il s'agit ici .
La Médaille du Tresor de Brandebourg
a d'un côté le Type de la Ville de Troade,
tout-à fait semblable à celui qui paroît sur
la nôtre , c'est- à - dire, une Tête de femme,
couronnée de Tours , et une Enseigne Mi
litaire derriere , avec ces Lettres autour.
ALEX TRO. l'Enseigne Militaire
ne porte aucunes Lettres. Le Revers est
tout-à- fait different. On y voit un Che
val qui paît , et cette Legende autour :
COL. AVG O , et dans l'ExergueTROĄ.
Si vous me demandez ce qu'il faut enten
dre par la Lettre O , qui suit après COL
AVG sur cette Medaille et sur quel
ques - unes semblables du Cabinet de
M. Lebret , je vous répondrai que c'est
un mistere qui a été jusqu'à present
impénétrable à tous les Antiquaires , et .
sur lequel on ne peut que hazarder des
conjectures.
→
Mais revenons à notre propre Medaille,
sur laquelle il y a encore deux observa
tions à faire. Commençons par le sym
bole de la Louve , et des deux Jumeaux
I.Vol. qui
JUIN. 1731. 1269
qui paroît sur son Revers . Rien ne con
vient mieux que ce symbole à une Me
daille de la Ville de Troade , qui , cor
sidérée seulement comme Colonie Ro
maine , devoit l'employer. Rien en effet de
plus jufte , & de plus flateur pour ses Maî
tres ,que de désigner ainsi la Ville de Rome
par le Type de sa fondation : mais le sym
bole paroit encore plus convenable , & plus
heureusement appliqué , s'il étoit vrai que
Troade ait été bâtie des débris de l'ancien
neTroye, et qu'elle représentoit en quelque
façon cette fameuse Ville , qui par Enée
Troyen, et par Remus et Romulus ses des
cendans , a , felon l'Histoire ancienne ,
donné naissance à la Ville de Rome , et au
Peuple Romain.
L'autre observation tombe sur la Legen
de de laTête CO ALEX TR.c'est- à- dire,
Colonia AlexandrinaTroadensis, ou Colonia
Alexandria Troadis . Il s'agit de sçavoir la
veritable raison de cette dénomination ..
Tous les Antiquaires qui ont parlé des Mé
dailles de Troade avec le titre ou le nom
d'Alexandriene, car toutes ne le portent pas,
comme nous le remarquerons en son lieu .
Tous les Antiquaires , dis-je , n'hésitent
point d'attribuer la fondation de la Ville:
de Troade à Alexandre le Grand.
M. Vaillant s'en explique dans ce sens .
I. Vol . même
1270 MERCURE DE FRANCE
même sur une Médaille de cette Ville
>
›
qui ne porte point le titre d'Alexan
drienne Troas urbs Phrygia minoris ab
Alexandro Magno , unde Troas Alexandri
seu Alexandria ut pluribus narrat Q
Curtius. Ce sont ces paroles ; cependant ,
le croiriez - vous Monsieur Quinte
Curce , si précisément cité , ne dit rien
là -deffus dans son Histoire. Il est seule
ment vrai que dans les Suplemens de cet
Hiftorien , Edition d'Elzevir 1664. il est
dit qu'Alexandre est venu deux fois à l'an
cienne Troye , que l'Auteur Latin ap
pelle aussi Ilium , qu'il y a visité le tom
beau d'Achille dont il se disoit issu du côté
de sa Mere , qu'il y a fait des Sacrifices , et
d'autres Ceremonies , qui sont décrites
dans le même Livre ; mais on n'y trouve
point , que ce Conquerant ait fait bâtir de
Ville dans ce Païs.
Le même M. Vaillant , prévenu sans
doute sur cette opinion , en expliquanr
dans ses Colonies,T.II. une autreMédaille
de Troade , frapée pour l'Empereur Ale
xandre Severe , avec le Titre d'Alexandri
ne,allegue encore le témoignage deQuinte
Curce , qu'il joint à celui de Strabon.sur
le même fait , Alexandria , dit - il . appet
* Medaille d'Antonin Pie , expliquée dans le
IT det Colonies de Vaillant.
1. Vol.
tationem
JUIN. 1731. 1271
lationem habet, vel ab Alexandro Magno, à
quo ex Troja ruderibus extructa est , Strabo
ne et Q. Curtio testibus , vel ab Alexandro
Severo , &c.
Nous venons de voir que la Citation
de Quinte - Curce est ici tout-à- fait gra
tuite ; celle de Strabon n'est gueres mieux
fondée ; mais elle demandera quelque exa
men , aussi - bien que ces dernieres paroles
de M. Vaillant , vel ab Alexandro Severo,
K
c. Je vous dirai cependant , que dans
Plutarque , dans Arrien , dans Êlien , et
dans les autres Auteurs qui ont parlé d'A
lexandre , je ne trouve rien qui favorise
Popinion et la citation de M. Vaillant.
Strabon a écrit
Voyons d'abord ce que
sur cette Ville : je trouve dans le second
Livre de ce celebre Auteur , la Ville dont
nous parlons , placée , comme on l'a déja
vû , dans la Phrygie , et située sur la Côte
de l'Hellespont. Dans ce même Livre , il
est aussi parlé d'une Ville d'Alexandrie
du Pays de Troade .
Strabon , en revenant dans son XIII.Li
vre à la Côte de l'Hellespont et de la
Propontide , dit expressément que Troade
est la premiere des Villes de cette Côte , il
ajoûte que sa réputation est celebre , et
que toute désolée et toute deserte qu'on la
voyoit alors , elle fourniroit la matiere
1
1
1
1
1
I
1
1
4
1
I
1
1
I
d'un ample discours.
1
1272 MERCURE DE FRANCE
En continuant la Description de l'Hel
lespont , après avoir nommé Ilium et Te
nedos , il nomme tout de suite Alexandrie
Troade , Villes , ajoûte-t'il , au- dessus des
quelles s'éleve le Mont Ida ...
Dans la suite il parle de la Ville qui
subsistoit de son tems sous le nom d'I
lium > et rapporte ce qu'on en disoit ,
sçavoir , qu'Alexandre le Grand l'ayant
visitée , après le combat du Granique ,
lui fit de grandes liberalitez , qu'il lui
donna son nom , et ordonna à ses Lieu
tenans de la réparer , ajoûtant qu'il l'a
mit au nombre des Villes libres, et qui ne
payoient aucun tribut. Enfin que ce Con
querant,après avoir vaincu les Perses, écri
vit à ces mêmes Lieutenans une Lettre
très-obligeante en faveur d'Ilium , pro
mettant d'en faire une grande Ville , d'y
bâtir un Temple superbe , et d'y établir
des Combats et es Jeux sacrez .
Après la mort d'Alexandre , c'est toû
jours Strabon qui parle , Lysimachus prit
un soin particulier de cette Ville , il y
bâtit un Temple , lui fit faire une grande
enceinte de murailles , et ordonna que
les Habitans des Villes voisines ruinées
s'y retireroient. Dans ce même tems
Lysimachus prit aussi soin de rétablir
Alexandrie , Ville qu'Antigonus avoit
1. Vol. bâtie
JUIN.
1731. 1273
bâtie au même Pays , laquelle fut d'abord
appellée Antigone , et qui changea ce
nom en celui d'Alexandrie ; cette Ville a
duré long- tems et a beaucoup prosperé.
C'est même encore aujourd'hui , dit Stra
bon , une Colonie Romaine , une Ville
enfin du nombre de celles qu'on appelle
Villes Nobles.
L'Auteur Grec revient à Ilium , pour
remarquer que quand les Romains y ar
riverent pour la premiere fois , et qu'ils
chasserent Antiochus le Grand , au-delà
du Mont Taurus , cette Ville n'étoit
gueres alors qu'un Village : il fait voir
aussi par plusieurs raisons que l'ancien
Ilium qui subsistoit du temps d'Homere ,
n'étoit point situé dans le même Lieu ,
qu'occupoit cet autre Ilium , dont il
parle .
Strabon observe de plus que le Lieu oc
cupé par cette Alexandrie,dont il est parlé
cy- dessus , étoit auparavant appellé Sigée.
Enfin il fait un peu plus bas mention
dans le même Pays d'une autre Ville nom
mée Alexandrie , bâtie au pied d'une
Montagne , et appellée aussi Antandrus.
C'est-là , ajoûte- t'il, qu'on assure qu'arriva
la celebre contestation des trois Déesses
au sujet de leur beauté , dont Pâris fut
1'Arbitre.
.
1. Vol
Il
1.274 MERCURE
DE FRANCE
Il étoit à propos , Monsieur , de vous
rapporter sommairement ce que dit Stra
bon , non-seulement au sujet de Troade;
mais encore de quelques Villes voisines ,
pour bien éclaircir la matiere dont il est ici
question . Vous voyez déja , Monsieur, que
Strabon n'a jamais dit , non plus que
Quinte- Curce , que notre Troade ait été
bâtie par Alexandre , des ruines de l'an
cienne Troye , ainsi que M. Vaillant l'a
écrit , et après lui ou avec lui , Baudrand ,
dans sa Géographie , lequel se sert à peu
près des mêmes termes , ab Alexandre
Magno excitata ut narrat Q. Curtius .
Il nous reste à voir , s'il est possible ;
ce qui peut avoir donné lieu à une er
reur de fait si considerable , à établir en
suite ce qu'il y a de certain et de plus
curieux à sçavoir sur la Ville de Troade,
principalement depuis son union à l'Em
pire Romain , et depuis que cette Ville fut
devenue une fameuse Colonie Romai ne
sans oublier ce que j'ai à vous dire sur la
Médaille des Dardaniens , que vous voyez
ici gravée avec celle de Troade .
Mais commeje prévois , Monsieur , que
cette matiere peut exceder les bornes d'une
Lettre , sans compter le peché * dont parle
In publica commoda peccem ,
· ·
Si longo sermone morer tua tempora ,
1. Vol. Horace
JUIN. 1731. . 1275
Horace , que je veux éviter , en n'arrêtant
pas trop long temps un Homme aussi dé
voué que vous à l'utilité publique ; je crois
devoir m'arrêter ici , en vous promettant
le plutôt qu'il me sera possible la suite de
ma Dissertation . Je suis , Monsieur , &c.
A Paris , le 1. Janvier 1731 .
Boyer , Docteur en Medecine de la Facul
té de Montpellier , & Docteur- Regent en
celle de Paris , au sujet d'une Medaille
Latine de la Ville de Troade , & du
ne Médaille Grecque des Dardaniens .
E n'est pas Monsieur , d'avoir
Creçu avec reconnoissance les onze
Médailles antiques , qu'il vous a plû de
me donner ces jours passés , que vous
avez rapportées de vos Voyages du Le
vant , et qui ont été trouvées aux envi
rons desDardanelles et des ruines de Troye ,
c'est- à-dire , sur les lieux du Monde les
I. Vol. plus
JUIN . 17317 r263
plus fameux dans l'Antiquité Grecque et
Romaine . La même reconnoissance m'en
gage de tenir ma parole , et de vous
marquer ce que ces Médailles peuvent
avoir de singulier , n'ayant pû , comme
vous sçavez , les examiner sur le champ .
Permettez moi d'en mettre d'abord neuf
au nombre de celles qui ne feront jamais
suer les Antiquaires , et qu'on trouve as
sez communément . En revanche , il y en
a deux qui me paroissent meriter une con
sideration particuliere , elles feront aussi
tout le sujet de cette Lettre .
La premiere est de moyen bronze , fort
nette , et bien conservée . On y voit d'un
côté une tête de femme couronnée , ou
coëffée de Tours ; comme vous savez que
•
les Anciens symbolisoient les principales
Villes avec une Enseigne Militaire derrie→
re; cette Legende est autour de la Tête CO .
ALEX TR , et encore ces deux Let
tres dans l'Enseigne Militaire CO. Sur
le revers est représentée la Louve avec les
deux Jumeaux , Fondateurs de Rome : on
lit au dessus COL AVG. et dans l'E
xergue T RO A. C'est -à -dire , d'un côté
Colonia Alexandrina Troadis , & de l'au
tre , Colonia Augusta Troadis ; avec la ré
petition du mot Colonia dans l'Enseigne
Militaire. Ainsi , M. je ne fais nul doute
I. Vol. que
1264 MERCURE
DE
FRANCE
que cette Médaille n'apartienne , et n'aig
été frapée à Troade , Ville de Phrygie ,
devenue dans la suite Colonie Romaine ;
mais cela ne suffit pas , il faut vous faire
connoitre cette Ville plus particuliere
ment , expliquer par-là notre Medaille,
et vous en faire connoître la singularité.
Troade étoit située sur les bords de
l'Hellespont dans cette Partie de la Phry
gie qui portoit aussi le nom de Troade ,
et selon le sentiment de plusieurs , elle de
voit son origine et sa fondation à la fa
meuse Troye , qui n'étoit éloignée du ter
rain occupé par cette nouvelle Ville , que
d'environ cinq ou six lieuës . Alexandre
le Grand , ajoûte- t-on , après avoir visité
les restes de l'ancienne Troye , et déploré
ses malheurs , fit bâtir une ville de ses
ruines , et pour mieux conserver la mé
moire de Troye , il donna le nom de
Troade a cette nouvelle Ville , qui porta
aussi le nom d'Alexandrie , à cause de son
Fondateur et du Restaurateur de Troye..
Dans la suite des tems , les Romains
ayant conquis la Grece , et cette partie de
l'Asie qui en dépendoit , la Ville de
Troade fut chez eux d'une grande consi
deration , et devint Colonie Romaine dès
le tems d'Auguste : d'autres Empereurs la
favoriserent en plusieurs manieres , et la
1.Vol.
dis
JUIN. 1731.
1265
distinguerent beaucoup par des Embelis
semens , des Privileges , &c. c'est pour
conserver la memoire de ces faveurs , et
pour marquer sa reconnoissance
que
Troade , à l'imitation des autres fameu
ses Villes , fit fraper plusieurs Médailles ,
dont quelques- unes se voyent encore dans
les Cabinets des Curieux , et sont rapor
tées dans les Ouvrages des Antiquaires.
M. Vaillant , qui en a composé un ex
près sur les Medailles des Colonies , a fait
graver les plus curieuses de celles de Troa
de qui étoient venuës à sa connoissance
lesquelles ont été frapées dans cette Ville
en l'honneur de plusieurs Empereurs et
Imperatrices depuis Trajan jusqu'à Gallus.
Ces Médailles ont d'un côtê la tête de
PEmpereur couronnée de laurier , ou de
l'Imperatrice , en l'honneur de qui elles
ont été frapées , avec la legende qui con
vient. Les Revers sont presque tous dif
ferens , et contiennent des symboles , qui
ont rapport à l'Histoire ancienne , et aux
motifs que ceux de Troade avoient en
fabriquant ces Monumens , ainsi que nous
le remarquerons dans la suite.Les légendes:
des Revers sont pareillement differentes ::
les unes ne contiennent que ces deux mots,,
Col. Troad , les autres Col. Aug. Troc ..
quelques unes Col. Alex. Aug. et dans l'E
.
د و
1. Vol.
xergue
1266 MERCURE DE FRANCE
xergue Tro. d'autres Col. Alexand. Aug. II
s'en trouve enfin qui portent ces mots Col.
Aur. Antoniana Alex. J'ajoûte que ces Me
dailles sont de moyen ou de petit bronze,
et que le sçavant Antiquaire qui les ra
porte , assure qu'elles sont presque tou
tes rares et quelques-unes d'une trés
grande rareté , et d'une consideration sin
guliere.
>
Si cela est , comme il y a lieu de le croi
re , j'ose vous assurer , Monsieur , que
notre Medaille de Troade surpasse toutes
celles dont nous venons de parler par sa
singularité et je crois que vous allez
en convenir. Elle n'a point été frapée pour
un Empereur, c'est une Medaille de Ville,
comme nous en voyons plusieurs de ces
Villes fameuses , qui ont fait une grande
figure dans l'Antiquité , lesquelles portent
d'un côté le Type de la Ville sous la figure
d'une Femme , ou d'une Déesse , comme
celles d'Athenes de Marseille , d'An
tioche, de Smyrne , & c. et sur le Revers ,
les symboles qui leur sont propres.
2
Comme Troade tiroit sa principale
gloire d'être Colonie Romaine , et qu'elle
vouloit plaire à ses Maîtres en faisant va
loir cette circonstance , on voit sur notre
Medaille une chose qui n'est pas ordinaí
re , sçavoir , non-seulement le nom de la
Ville , gravé sur les deux côtez , mais ce
qui est encore plus rare , le Titre de Co
lonie répété jusqu'à trois fois dans cette
même Médaille. Je sçai qu'il y a quel
ques exemples de Médailles Grecques ,
dont le nom de la Ville qui les a faites
fraper , se trouve sur les deux côtés ; mais
àPégard de la répetition du Titre de Colo
nie , je n'ai encore rien vû de semblable.
Au reste , Monsieur , je ne prétends
pas vous insinuer par ce que je viens de
vous dire ,, que les Médailles de la Ville de
Troade , comme Médailles de Villé , soient
plus rares que les Médailles Imperiales
de la même Ville , qui le sont déja as
sez , et par-là faire valoir plus que de rai
son notre découverte , qui sans cela
aura toûjours son mérite et sa singularité.
Il est cependant vrai , que dans Goltzius ,
dans Patin et dans le P. Hardouin , on
ne trouve la Médaille de Troade , que
comme frappée en l'honneur de quelque
Empereur ou Imperatrice ; mais comme il
se fait tous les jours de nouvelles décou
vertes , je trouve une Médaille de la qua
lité de la nôtre , quoiqu'elle n'ait ni les
mêmes symboles au Revers , ni les mêmes
Legendes , rapportée dans le bel Ouvrage
du Tresor de Brandebourg , composé par
Beger , T. I. p . 491. et j'aprens que M.
>
I. Vol. Le
1268 MERCURE DE FRANCE
Lebret , Conseiller d'Etat , Premier Pré
sident du Parlement d'Aix , Intendant de
Justice et du Commerce en Provence
possede dans son riche Cabinet quelques
Medailles de Troade , de la qualité de
celle dont il s'agit ici .
La Médaille du Tresor de Brandebourg
a d'un côté le Type de la Ville de Troade,
tout-à fait semblable à celui qui paroît sur
la nôtre , c'est- à - dire, une Tête de femme,
couronnée de Tours , et une Enseigne Mi
litaire derriere , avec ces Lettres autour.
ALEX TRO. l'Enseigne Militaire
ne porte aucunes Lettres. Le Revers est
tout-à- fait different. On y voit un Che
val qui paît , et cette Legende autour :
COL. AVG O , et dans l'ExergueTROĄ.
Si vous me demandez ce qu'il faut enten
dre par la Lettre O , qui suit après COL
AVG sur cette Medaille et sur quel
ques - unes semblables du Cabinet de
M. Lebret , je vous répondrai que c'est
un mistere qui a été jusqu'à present
impénétrable à tous les Antiquaires , et .
sur lequel on ne peut que hazarder des
conjectures.
→
Mais revenons à notre propre Medaille,
sur laquelle il y a encore deux observa
tions à faire. Commençons par le sym
bole de la Louve , et des deux Jumeaux
I.Vol. qui
JUIN. 1731. 1269
qui paroît sur son Revers . Rien ne con
vient mieux que ce symbole à une Me
daille de la Ville de Troade , qui , cor
sidérée seulement comme Colonie Ro
maine , devoit l'employer. Rien en effet de
plus jufte , & de plus flateur pour ses Maî
tres ,que de désigner ainsi la Ville de Rome
par le Type de sa fondation : mais le sym
bole paroit encore plus convenable , & plus
heureusement appliqué , s'il étoit vrai que
Troade ait été bâtie des débris de l'ancien
neTroye, et qu'elle représentoit en quelque
façon cette fameuse Ville , qui par Enée
Troyen, et par Remus et Romulus ses des
cendans , a , felon l'Histoire ancienne ,
donné naissance à la Ville de Rome , et au
Peuple Romain.
L'autre observation tombe sur la Legen
de de laTête CO ALEX TR.c'est- à- dire,
Colonia AlexandrinaTroadensis, ou Colonia
Alexandria Troadis . Il s'agit de sçavoir la
veritable raison de cette dénomination ..
Tous les Antiquaires qui ont parlé des Mé
dailles de Troade avec le titre ou le nom
d'Alexandriene, car toutes ne le portent pas,
comme nous le remarquerons en son lieu .
Tous les Antiquaires , dis-je , n'hésitent
point d'attribuer la fondation de la Ville:
de Troade à Alexandre le Grand.
M. Vaillant s'en explique dans ce sens .
I. Vol . même
1270 MERCURE DE FRANCE
même sur une Médaille de cette Ville
>
›
qui ne porte point le titre d'Alexan
drienne Troas urbs Phrygia minoris ab
Alexandro Magno , unde Troas Alexandri
seu Alexandria ut pluribus narrat Q
Curtius. Ce sont ces paroles ; cependant ,
le croiriez - vous Monsieur Quinte
Curce , si précisément cité , ne dit rien
là -deffus dans son Histoire. Il est seule
ment vrai que dans les Suplemens de cet
Hiftorien , Edition d'Elzevir 1664. il est
dit qu'Alexandre est venu deux fois à l'an
cienne Troye , que l'Auteur Latin ap
pelle aussi Ilium , qu'il y a visité le tom
beau d'Achille dont il se disoit issu du côté
de sa Mere , qu'il y a fait des Sacrifices , et
d'autres Ceremonies , qui sont décrites
dans le même Livre ; mais on n'y trouve
point , que ce Conquerant ait fait bâtir de
Ville dans ce Païs.
Le même M. Vaillant , prévenu sans
doute sur cette opinion , en expliquanr
dans ses Colonies,T.II. une autreMédaille
de Troade , frapée pour l'Empereur Ale
xandre Severe , avec le Titre d'Alexandri
ne,allegue encore le témoignage deQuinte
Curce , qu'il joint à celui de Strabon.sur
le même fait , Alexandria , dit - il . appet
* Medaille d'Antonin Pie , expliquée dans le
IT det Colonies de Vaillant.
1. Vol.
tationem
JUIN. 1731. 1271
lationem habet, vel ab Alexandro Magno, à
quo ex Troja ruderibus extructa est , Strabo
ne et Q. Curtio testibus , vel ab Alexandro
Severo , &c.
Nous venons de voir que la Citation
de Quinte - Curce est ici tout-à- fait gra
tuite ; celle de Strabon n'est gueres mieux
fondée ; mais elle demandera quelque exa
men , aussi - bien que ces dernieres paroles
de M. Vaillant , vel ab Alexandro Severo,
K
c. Je vous dirai cependant , que dans
Plutarque , dans Arrien , dans Êlien , et
dans les autres Auteurs qui ont parlé d'A
lexandre , je ne trouve rien qui favorise
Popinion et la citation de M. Vaillant.
Strabon a écrit
Voyons d'abord ce que
sur cette Ville : je trouve dans le second
Livre de ce celebre Auteur , la Ville dont
nous parlons , placée , comme on l'a déja
vû , dans la Phrygie , et située sur la Côte
de l'Hellespont. Dans ce même Livre , il
est aussi parlé d'une Ville d'Alexandrie
du Pays de Troade .
Strabon , en revenant dans son XIII.Li
vre à la Côte de l'Hellespont et de la
Propontide , dit expressément que Troade
est la premiere des Villes de cette Côte , il
ajoûte que sa réputation est celebre , et
que toute désolée et toute deserte qu'on la
voyoit alors , elle fourniroit la matiere
1
1
1
1
1
I
1
1
4
1
I
1
1
I
d'un ample discours.
1
1272 MERCURE DE FRANCE
En continuant la Description de l'Hel
lespont , après avoir nommé Ilium et Te
nedos , il nomme tout de suite Alexandrie
Troade , Villes , ajoûte-t'il , au- dessus des
quelles s'éleve le Mont Ida ...
Dans la suite il parle de la Ville qui
subsistoit de son tems sous le nom d'I
lium > et rapporte ce qu'on en disoit ,
sçavoir , qu'Alexandre le Grand l'ayant
visitée , après le combat du Granique ,
lui fit de grandes liberalitez , qu'il lui
donna son nom , et ordonna à ses Lieu
tenans de la réparer , ajoûtant qu'il l'a
mit au nombre des Villes libres, et qui ne
payoient aucun tribut. Enfin que ce Con
querant,après avoir vaincu les Perses, écri
vit à ces mêmes Lieutenans une Lettre
très-obligeante en faveur d'Ilium , pro
mettant d'en faire une grande Ville , d'y
bâtir un Temple superbe , et d'y établir
des Combats et es Jeux sacrez .
Après la mort d'Alexandre , c'est toû
jours Strabon qui parle , Lysimachus prit
un soin particulier de cette Ville , il y
bâtit un Temple , lui fit faire une grande
enceinte de murailles , et ordonna que
les Habitans des Villes voisines ruinées
s'y retireroient. Dans ce même tems
Lysimachus prit aussi soin de rétablir
Alexandrie , Ville qu'Antigonus avoit
1. Vol. bâtie
JUIN.
1731. 1273
bâtie au même Pays , laquelle fut d'abord
appellée Antigone , et qui changea ce
nom en celui d'Alexandrie ; cette Ville a
duré long- tems et a beaucoup prosperé.
C'est même encore aujourd'hui , dit Stra
bon , une Colonie Romaine , une Ville
enfin du nombre de celles qu'on appelle
Villes Nobles.
L'Auteur Grec revient à Ilium , pour
remarquer que quand les Romains y ar
riverent pour la premiere fois , et qu'ils
chasserent Antiochus le Grand , au-delà
du Mont Taurus , cette Ville n'étoit
gueres alors qu'un Village : il fait voir
aussi par plusieurs raisons que l'ancien
Ilium qui subsistoit du temps d'Homere ,
n'étoit point situé dans le même Lieu ,
qu'occupoit cet autre Ilium , dont il
parle .
Strabon observe de plus que le Lieu oc
cupé par cette Alexandrie,dont il est parlé
cy- dessus , étoit auparavant appellé Sigée.
Enfin il fait un peu plus bas mention
dans le même Pays d'une autre Ville nom
mée Alexandrie , bâtie au pied d'une
Montagne , et appellée aussi Antandrus.
C'est-là , ajoûte- t'il, qu'on assure qu'arriva
la celebre contestation des trois Déesses
au sujet de leur beauté , dont Pâris fut
1'Arbitre.
.
1. Vol
Il
1.274 MERCURE
DE FRANCE
Il étoit à propos , Monsieur , de vous
rapporter sommairement ce que dit Stra
bon , non-seulement au sujet de Troade;
mais encore de quelques Villes voisines ,
pour bien éclaircir la matiere dont il est ici
question . Vous voyez déja , Monsieur, que
Strabon n'a jamais dit , non plus que
Quinte- Curce , que notre Troade ait été
bâtie par Alexandre , des ruines de l'an
cienne Troye , ainsi que M. Vaillant l'a
écrit , et après lui ou avec lui , Baudrand ,
dans sa Géographie , lequel se sert à peu
près des mêmes termes , ab Alexandre
Magno excitata ut narrat Q. Curtius .
Il nous reste à voir , s'il est possible ;
ce qui peut avoir donné lieu à une er
reur de fait si considerable , à établir en
suite ce qu'il y a de certain et de plus
curieux à sçavoir sur la Ville de Troade,
principalement depuis son union à l'Em
pire Romain , et depuis que cette Ville fut
devenue une fameuse Colonie Romai ne
sans oublier ce que j'ai à vous dire sur la
Médaille des Dardaniens , que vous voyez
ici gravée avec celle de Troade .
Mais commeje prévois , Monsieur , que
cette matiere peut exceder les bornes d'une
Lettre , sans compter le peché * dont parle
In publica commoda peccem ,
· ·
Si longo sermone morer tua tempora ,
1. Vol. Horace
JUIN. 1731. . 1275
Horace , que je veux éviter , en n'arrêtant
pas trop long temps un Homme aussi dé
voué que vous à l'utilité publique ; je crois
devoir m'arrêter ici , en vous promettant
le plutôt qu'il me sera possible la suite de
ma Dissertation . Je suis , Monsieur , &c.
A Paris , le 1. Janvier 1731 .
Fermer
Résumé : LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. Boyer, Docteur en Medecine de la Faculté de Montpellier, & Docteur-Regent en celle de Paris, au sujet d'une Medaille Latine de la Ville de Troade, & d'une Médaille Grecque des Dardaniens.
La lettre de M. D. L. R. à M. Boyer, docteur en médecine, discute de deux médailles antiques provenant des environs des Dardanelles et des ruines de Troie. L'auteur exprime sa gratitude pour les onze médailles reçues et se concentre sur l'examen de deux d'entre elles. La première médaille, en moyen bronze, présente sur une face une tête de femme couronnée avec l'inscription 'CO. ALEX TR' et une enseigne militaire. Sur l'autre face, elle montre la louve avec les jumeaux Romulus et Rémus, symbolisant la fondation de Rome, avec les inscriptions 'COL AVG.' et 'T RO A'. Cette médaille est identifiée comme appartenant à la ville de Troade, une colonie romaine en Phrygie fondée par Alexandre le Grand sur les ruines de l'ancienne Troie. Troade, située sur les bords de l'Hellespont, était une ville importante qui devint une colonie romaine sous Auguste. Plusieurs empereurs l'ont favorisée par des embellissements et des privilèges. La médaille en question est unique car elle répète le titre de 'Colonie' jusqu'à trois fois, ce qui est rare pour les médailles de ville. L'auteur mentionne également d'autres médailles de Troade, frappées en l'honneur de divers empereurs, et note que la sienne est singulière car elle n'est pas dédiée à un empereur mais à la ville elle-même. Le texte traite également de plusieurs villes historiques mentionnées par Strabon. Alexandrie, initialement nommée Antigone, a été fondée par Antigonus et est aujourd'hui une colonie romaine et une ville noble. Strabon mentionne également Ilium, qui n'était qu'un village lorsque les Romains y arrivèrent pour chasser Antiochus le Grand. Il précise que l'ancien Ilium d'Homère n'était pas situé au même endroit que celui de son époque. Strabon observe que l'emplacement d'Alexandrie était auparavant appelé Sigée. Il parle également d'une autre ville nommée Alexandrie, située au pied d'une montagne et appelée Antandrus, où aurait eu lieu la célèbre contestation des trois déesses au sujet de leur beauté, avec Pâris comme arbitre. L'auteur souligne que Strabon et Quintus Curtius n'ont jamais affirmé que la Troade avait été bâtie par Alexandre à partir des ruines de l'ancienne Troie, contrairement à ce que certains auteurs comme M. Vaillant et Baudrand ont écrit. Il promet de poursuivre sa dissertation sur la ville de Troade, son union à l'Empire romain, et sa transformation en une célèbre colonie romaine, ainsi que sur la médaille des Dardaniens.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 2277-2295
LETTRE écrite par M. D. L. R. à M ...... de l'Abbaye S. Victor de Marseille au sujet de deux Medailles antiques.
Début :
MONSIEUR, La Médaille Romaine de grand Bronze que vous m'avez envoyée depuis peu, et [...]
Mots clefs :
Abbaye, Médailles, Impératrice Lucille, Argent, Tête de Jupiter, Prêtresse, Phocéens d'Ionie, Traducteurs latins, Marseille, Bronze
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite par M. D. L. R. à M ...... de l'Abbaye S. Victor de Marseille au sujet de deux Medailles antiques.
LETTRE écrite par M. D. L. R. à
M ...... de l'Abbaye S. Victor de Marseille
au sujet de deux Medailles an
tiques .
>
MONSIE ONSIEUR ,
La Médaille Romaine de grand Bronze
que vous m'avez envoyée depuis peu , et
qui a été deterrée dans nôtre Vignoble
de S. Just , a bien son mérite . Si vous ne
l'avez pas reconnue d'abord pour ce qu'elle
est , je ne m'en étonne pas ; il auroit fallu
là nettoyer et en rétablir » pour
ain si dire
, la verité
,
la verité
, obscurcie
par les injures
du temps
, et par la qualité
du lieu
où ce monument
est resté
depuis
tant de
siécles
. Quoi
qu'il
en soit , j'ai aisément connu
, après
quelque
soin
, que c'est
une
Medaille
de l'Imperatrice
Lucille
fille du sage Marc
- Aurelle
, et de Faustine la jeune
, qui porta
en dot à son Epoux
l'Empire
Romain
, avec
une mediocre vertu
. Lucille
épousa
Luce
Vere
, associé
à l'Empire
avec son Beau-Pere.
Mais avant que de m'étendre davan-"
tage sur cette Médaille , je dois vous dire
A v que
2278 MERCURE DE FRANCE
>
que peu de jours avant que je l'eusse
reçûë , M. Vergile de la Bastide , Gentilhomme
de Languedoc , Languedoc , le même qui a
fait depuis peu la découverte d'un beau
reste de chemins des Romains entre
Beaucaire et Nismes , dont vous entendrez
parler bien- tôt dans un Memoire
que je me dispose à publier , m'ayant apporté
plusieurs Médailles qui ont été
trouvées depuis peu en ce Pays- là , je fûs
charmé de rencontrer dans ce nombre
une fort belle Médaille Grecque d'Argent
, qui regarde la Ville de Marseille
differente de toutes celles de cette ancienne
Ville , qui sont venues à ma connoissance
l'estime que j'en fais ainsi
que de la Médaille Romaine,qu'il vous a
plû de m'envoyer presqu'en même temps,
m'a engagé de faire graver l'une et l'autre
,
>
>
pour les exposer à vos yeux sur une
même Planche , et d'en faire le sujet de
cette Lettre. Par droit d'ancienneté , jet
commencerai par la Médaille Grecque ,
qui doit d'ailleurs nous interesser plus
particulierement.
Elle est , comme je l'ai déja dit , d'Argent
, et presque de la grandeur de la
gravure. On y voit d'un côté une très-
* Ce Memoire a depuis été imprimé dans le
Mercure d'Août 1731. p. 1894.
belle
OCTOBRE. 1731 . 2279
belle Tête d'Homme ,
une espece de Sautoir
et sur le revers
› avec ces deux
lettres M A commencement
du nom de
Marseille , ou de son Fondateur , qui se
trouve quelquefois tout entier , quelquefois
en diminutif , comme MAZZA , et
MA dans les Médailles qui nous restent
de cette Ville .
J'ay dit dans une Lettre imprimée
dans le Mercure de Septembre 1722 .
tout ce qu'on peut observer au sujet des
Médailles de Marseille , en fixant au
nombre de 22. celles qui étoient venuës
à ma connoissance , ou que je passedois
alors. J'ay même fait graver l'une des
plus belles de ces dernieres , et cette gravure
se trouve dans le Mercure d'Avril
1723. page 689. Ainsi point de répetition
sur les Médailles de Marseille en
general , contentons nous d'expliquer ,
s'il est possible , celle dont il s'agit ici
et qui est pour moy toute nouvelle.
La Tête d'Homme , parfaitement belle
et bien conservée , qui paroît d'un côté ,
doit faire le principal objet de notre attention
. Ce n'est ni la Tête de Jupiter ,
ni celle d'Apollon , Divinitez adorées
dans Marseille Payenne ; nul symbole
nul attribut qui les désigne comme
elles sont désignées dans d'autres Mé
A vj dailles
,
2280 MERCURE DE FRANCE
>
et
dailles de la même Ville. Ce n'est pas
celle d'Aristarcha Prêtresse de Diane ,
qui vint d'Ephese sur les côtes de la
Gaule Narbonnoise avec les Chefs des
Phocéens , Fondateurs de Marseille
qui cût beaucoup de part à cette Fondation
. On voit , si on en croit Goltzius
la Tête de cette Prêtresse , qui exerça
à Marseille les mêmes fonctions qu'à
Ephese , sur l'une des Medailles Marseilloises
rapportées dans son Recueil , c'est
la IX ; cette Tête a un certain air mâle
qui n'est pas ordinaire aux Têtes de Femmes
, et qui seule peut faire douter de la
verité de l'application de Goltzius. La
Tête au contraire , qui paroît sur nôtre
Medaille n'a rien d'ambigu ; les moins
éclairez la prendront dabord pour celle
d'un homme ; elle est d'ailleurs toute
differente de celles que Goltzius a gravées
lui - même d'après les Originaux
qu'il dit avoir vûs au nombre de dix .
و
Pour moi , après avoir examiné la chose
avec quelque attention , je crois ne
rien risquer
en pensant que c'est ici la
Tête d'un des Fondateurs de Marseille ,
Justin en nomme deux , Furius et Peranus
, qui n'ont pas les mêmes noms
dans Athenée ; plusieurs bons Auteurs
tiennent d'ailleurs que les Phocéens d'Ionie
OCTOBRE. 1731. 2281
nie ont fait deux voyages sur les côtes
du Pays des Saliens , où ils bâtirent enfin
la Ville dont nous parlons.
Selon Plutarque , dans la vie de Solon
le Chef de la premiere expedition , ou
pour me servir de ses termes ,
bien entendus
, le premier Fondateur de Marseille
avoit nom Maasaλías qui donna sans doute
son nom à la nouvelle Ville , et en
ce cas , toutes les autres étymologies qu'on
a données jusqu'ici du nom de Marseille ,
tombent d'elles- mêmes , elles paroissent
aussi pour la plus part bien forcées.
le
Je repete , Monsieur , que Plutarque
bien entendu , fait Mawanias le premier
Fondateur de Marseille ; car je n'ignore
pas que quelques Traducteurs Latins
suivis par Amiot , et par M. Dacier, font
de ce même nom celui de la Ville fondée .
M. de Ruffi le Pere s'est déclaré pour
sentiment contraire , qu'il appuye d'une
judicieuse Critique sur le Passage de
Plutarque , rapporté en entier dans la
premiere édition ( 1642. ) de son Histoire
de Marseille . Xilander , bon critique et
bon Traducteur , avoit pensé la même
chose en traduisant l'endroit en question
ὡς καὶ Μασσαλίας πρῶτος parut Massi
lias Massilia Autor ; à quoi je puis
ajoûter l'autorité d'Isidore de Seville >
qui
2282 MERCURE DE FRANCE
qui reconnoît que Marseille a pris son
nom de celui du General des Phocéens.
Г
C'est donc à ce premier Fondateur que
j'attribuerois volontiers nôtre Medaille
et toutes les raisons de convenance me
paroissent favoriser cette opinion . Quant
à Furius et à Peranus , qui après le témoignage
de Justin &c . peuvent aussi passer
pour Fondateurs de Marseille on ne
sçauroit guere , au sentiment des meilleurs
Critiques , les admettre en cette
qualité , que posterieurement et plus
d'un demi- siécle après la premiere fondation
, faite , selon le témoignage d'un
Auteur respectable , tel que Plutarque
par Μαγαλίας. Ces seconds Chefs ne peuvent
en ce cas être considerez que comme
les Ampliateurs du premier établissement
des Phocéens , qu'ils ont , sans doute, perfectionné
et fini.
Il est donc à croire que dans le temps
de Marseille Grecque et florissante , les
descendans des Phocéens qui l'avoient
bâtie , en frapant des Medailles avec les
Têtes de Jupiter , d'Apollon , de Diane,
&c. pour marquer leur pieté et leur culte
particulier en vers ces Divinitez , n'oublicrent
pas d'en fraper aussi pour immortaliser
la mémoire du Fondateur , qui avoit
donné son nom et la premiete forme à
une
OCTOBRE.
1731. 2283
une Ville , devenue depuis également
puissante et celebre.
,
Les lettres M A qui paroissent sur le
revers de la Medaille en question , peuvent
fort bien être le commencement du
nom de ce premier Fondateur et faire
ici un surcroît de preuves : elles peuvent
Erre aussi le diminutif de ΜΑΣΣΑΛΙΗΤΩΝ
qu'on
qu'on trouve ordinairement sur les Medailles
Marseilloises , ce qui est presque
la même chose . A l'égard de l'espece de
sautoir qui est sur nôtre revers , c'est un
mistere d'antiquité que personne n'est ,
selon moi , en état d'éclaircir aujourd'hui
; Caprice ou Marque du Monetaire,
et tout ce qu'il plaira d'imaginer là - dessus
paroîtra toujours hazardé aux per- ›
sonnes sensées.
C'est un autre mistere non moins impénetrable
, et qui semble exiger plus d'attention
, que parmi les grandes découvertes
qu'on a faites , et celles qu'on fait
tous les jours , en fait de Monumens Antiques
, et sur- tout de Medailles , on n'en
ait point encore trouvé de frappées en
cette Ville au nom de quelque Empereur
, depuis qu'elle tomba sous la puissance
des Romains comme on en voit
de presque toutes les Villes Grecques d'origine
qui comme Marseille fûrent
sou2284
MERCURE DE FRANCE
soumises à l'Empire Romain. M. de
Ruffy, copié là - dessus par le P. Guesnay ,
dans ses Annales Latines de Marseille
a prétendu le contraire ; mais il ne rapporte
ni Monuments
sorte de preuve.
,
>
>
ni aucune autre
Je laisse à ceux de nos sçavans Compatriotes
, qui , comme je l'apprens , ont
entrepris de travailler à une nouvelle
Histoire de Marseille , le soin d'éclaircir
ce point d'Antiquité , et de rapporter le
plus qu'il leur sera possible , de Medailles
de cette Ville en n'oubliant pas de les
faire mieux graver que ne le sont celles
que Mrs. de Ruffy ont empruntées de
Goltzius ou d'ailleurs , et en donnant de
ces Medailles des explications plus exactes
et plus étendues et ce n'est pas la seule
chose en quoi ces Messieurs seront obligez
de reformer , d'éclaircir , d'ajoûter
dans la nouvelle Histoire .
Pour ne point sortir de mon sujet , et
pour ny rien ômettre , il est bon que je
donne ici un avis , qui épargnera une
erreur de fait à ceux qui traiteront dans
la suite le même sujet , en prenant pour
une découverte une veritable méprise ou
l'effet de la préoccupation d'un Sçavant de
réputation , sçavoir , M. Baudelot de
Dairval , qui dans un petit livre de 96.
pages
OCTOBRE. 1731 2285
=
pages , imprimé à Paris en 1698. chez
Aubouin et Clousier , intitulé , Reponse
à M. G......... où l'on examine plusieurs
questions d'Antiquité & c.. nous donne à la
tête de son Ecrit plusieurs Medailles gravées
, dont la derniere de son cabinet a
été , selon lui , frappée à Marseille
l'Empereur Posthume.
pour
Cette Medaille est de grand Bronze ;
voit d'un côté une Tête d'Empe-
, reur couronnée de Laurier avec une
Inscription au tour , luë parM. Baudelot.
»
ΑΥΤΚΛΑΤΙ . Π . ETYMOCCEBACTEYCEB
Au revers est une Sirenne ou Figure de
Femme , dont le bas se termine en Poisson
pour Legende MACCAAIHTON
selon le même Antiquaire , avec cette
époque L QIZ. Anno 817. qu'il assure
aussi s'y trouver,quoique dit- il , elle n'ait
pas été découverte d'abord. Je dis que
c'est M. Baudelot qui asseure tout cela :
mais je puis assurer à mon tour , que tout
cela est très -gratuitement avancé et uniquement
fondé sur une imagination , séduite
par l'attrait de posseder une Medaille
unique et encore inconnue à tous
les Antiquaires , une Medaille , dis-je ,
frappée à Marseille au visage d'un Empereur
Romain. Mes Garands là - dessus sont
des Antiquaires du premier ordre qui
ont
2286 MERCURE DE FRANCE
ont vu avant moy cette Medaille , à la
tête desquels je dois mettre M. Galland ,
à qui M. Baudelot adresse sa lettre . Ces
connoisseurs ont tous jugé qu'il étoit d'abord
très incertain que la Medaille fût
de Posthume ; M. Galland la croyoit
d'Antonin Pie , et qu'au surplus de quel
que Empereur qu'elle soit , à moins d'une
prévention extraordinaire , on n'y voyoit
pas plus de caracteres Grecs que de caracteres
Romains , tant la Medaille étoit
fruste et méconnoissable aux yeux les
plus clair-voyans .
,
,
Ainsi encore une fois , tout ce que M.
B. a étalé d'érudition , ou employé de sagacité
pour soutenir son idée tout ce
que le sçavant P. Pezron , Abbé de la
Charmoye , qui n'avoit pas vû la Piece
a ajouté du sien dans une Lettre écrite
à notre Académicien où ce Pere s'efforce
de faire quadrer l'Epoque prétendue
L. Qiz , ou l'Année 817. d'une seconde
Fondation de Marseille , avec l'an
265 de J. C. temps auquel Posthume regnoit
dans les Gaules &c. tout cela , disje
, en y joignant encore si l'on veut ,
l'habileté du Graveur Ettinger , dont le
talent à faire revivre les Medailles , est ici
›
* Cette Lettre est Imprimée dans le méme
livre , p.77.
expeOCTOBRE.
1731. 2287
>
expressement vanté par M. de Dairval
n'operera jamais rien de certain en faveur
de celle dont il est ici question , à l'égard
de Marseille ; et il sera toujours vrai de
dire que jusqu'à present , malgré tant d'heureuses découvertes
faites depuis
près d'un siècle que la recherche et l'étude
des Medailles sont en si grande vogue
il ne s'est point encore trouvé de
Medaille frappée à Marseille pour un Empereur
Romain : il ne sera pas moins vrai
que nous ne devons rien admettre d'incertain
et de douteux pour illustrer nôtre
Histoire . Marseille se passera bien d'un
tel ornement. Il faut donc convenir que
M. B. s'est trompé , il n'avoit pas alors
toutes les lumieres qu'il a acquises depuis.
C'étoit long - temps avant son entrée à
l'Académie dont il a été un sujet des ,
plus distinguez .
Je laisse , comme je l'ay déja dit , à mes
illustres Compatriotes , Membres de la
nouvelle Académie , chargez de travailler
à l'Histoire de notre Ville , le soin
d'approfondir la singularité dont je viens
de parler , et d'en découvrir , s'il est possible
, la veritable cause ; ce soin est digne
de leurs recherches. Je les avertis
encore , en finissant , de ne point se laisser
éblouir sur ce sujet par l'autorité du
,
R
2288 MERCURE DE FRANCE
R. P. Hardouin , reclamée reclamée ici et alle-
2.
guée, en vain par M. B. pag. 75. de son
livre. Ce Pere , quelque habileté qu'il
cût d'ailleurs , a trop donné dans des
idées extraordinaires et manifestement
chimeriques sur le fait de plusieurs Medailles
, pour être crû dans celui dont il
s'agit ici.
>
?
Qui pourra , par exemple , se persuader
sur sa garantie que ces quatre lettres
DMKV qu'on trouve sur le revers
d'une Medaille par lui rapportée de Maximien
Hercule , marquent que cette
Medaille fû frappée à Marseille Il est
vrai que ce Prince , poursuivi par Constantin
, s'y réfugia ; le Héros Chrétien
dont votre Abbaye porte le nom , lui
doit la gloire de son martyre. Mais cette
retraite ne prouve rien ; au contraire ,
comme elle fût faite dans le temps de
l'entiere décadence des affaires de Maximien
, il y a tout lieu de présumer , contre
la pensée de M. B. qu'il ne s'occupa
point à y faire battre de la Monnoye , et
que les Marseillois ne songerent pas non
plus à frapper des Medailles en l'honneur
d'un Prince infortuné , qui pensa enveloper
Marseille dans son malheur , et qui
gueres , après la prise de la Ville
par Constantin , a finir tragiquement ses
ne tarda
jours.
OCTOBRE 1731. 2289
jours. Mais en voilà assès sur le sujet de
notre Medaille Grecque.
Venons à la Medaille Romaine que .
vous venez de m'envoyer , elle ne nous
occupera pas si long - temps ; je vous ay
déja dit qu'elle est de l'Imperatrice Lucille
, Fille de Marc- Antonin , et de Faustine
la jeune , laquelle , après une disgrace
éclatante , et un évenement extraordinaire
dont le recit est ici inutile ,
épousa l'Empereur Luce - Vere. On voit
d'un côté sa Tête avec cette Legende
LUCILLE AU G. ANTONINI AUG. F.
et sur le revers une figure de Femme assise
tenant d'une main une Fleur et
sur l'autre bras un petit enfant emmailloté
avec cette Inscription , JUNONI LUCINE.
A l'Exergue S. C.
,
و
C'est ce revers qui fait , selon moi , la
singularité de votre Médaille , car en general
, les Médailles de cette Imperatrice
ne sont pas rares. M. Vaillant n'en marque
que trois d'une grande rareté parmi
celles de grand Bronze , j'ai tout lieu de
croire qu'on peut joindre la nôtre à ce
petit nombre , et que ce fameux Antiquaire
avoit vû un revers tout semblable;
c'est celle dont il parle * p . 94. art . 2 .
* Numismata Imperat. Romanorum &c. vol.
4. Paris 1692.
Mais
2290 MERCURE DE FRANCE
Mais il falloit que la Médaille qu'il a vûë
fût bien fruste et bien usée par le temps ,
ce qui ne permettoit pas , sans doute ,
d'en bien fire l'inscription ; car au lieu
de JUNONI LUCILLE , M. Vaillant a imprimé
JUNONI REGINE. Il n'a pas non
plus distingué ce que la figure de Femme
portoit sur son bras. Au surplus c'est à
peu près la même chose : la Femme est
assise et tient une Fleur d'une main comme
sur notre revers.
و
En supposant même que je me trompe
dans ma conjectare , et qu'il n'y ait
point cû de méprise ou d'omission du
côté de M. Vaillant notre Medaille ,
par rapport à son revers , aura toûjours
sa rareté et son mérite. Lucille y est representée
simboliquement sous la figure
et le nom de JUNON LUCINE : excès de
flatterie de la part des Romains , qui doubloient
, pour ainsi dire , la Divinité dans
une même Personne , de quoy il y a plus
d'un exemple , et cela pour égaler leur
Imperatrice à la premiere des Déesses
et pour la considerer en même temps
comme une autre Lucine , Déesse de la
Fecondité &c. ce qui joint au Simbole de
l'Enfant emmailloté présageoit , sans
doute , que Lucille donneroit bien - tôt
un successeur à l'Empire. Il se peut faire
و
>
aussi
OCTOBRE. 1731. 2291
aussi , et je le croirois plus volontiers ,
que cette Imperatrice fût déja Mere lorsque
notre Medaille a été frappée , et en ce
cas c'étoit pour marquer cet heureux évevement
, et pour celebrer la fécondité de
Lucille ; la Fleur qu'elle tient à la main
désigneroit l'attente du Peuple Romain .
qui avoit lieu d'esperer encore d'autres
fruits de cette fécondité.
و
Ce que je viens de vous dire de la Fé- ´
condité , arrivée ou attenduë de Lucille ,
se confirme non - seulement par un Medaillon
de çerte Imperatrice , décrit ainsi
par Vaillant , p. 210. du même livre
d'un côté sa Tête avec la même Legende
que sur la notre et au revers Lucille
assise , tenant dans ses bras un petit Enfant
, mais encore par une Medaille d'Argent
, de Lucille , rapportée dans le 2 .
vol. du même Auteur , pag. 187. au revers
de laquelle est encore une figure de
Femme assise tenant entre ses bras un
petit Enfant , un autre Enfant est debout
devant elle et pour Legende FOECUNDITAS
AUGUSTE: C'est ainsi que les
Auteurs du revers de la Medaille , presentée
au Roy , le premier jour de cette année
1731. en ont usé très - à - propos pour
désigner la continuation de l'heureuse
fecondité de la Reine par la naissance du
>
Duc
2292 MERCURE DE FRANCE
Duc d'Anjou. La France assise et caracterisée
par ses Symboles , tient sur un
bras le Prince nouveau né enveloppé de
Langes , et le Dauphin de l'autre main
debout entre ses genoux , ce qui marque
le bon goût et la capacité de ces Auteurs.
Cette Medaille est gravée dans le Mercure
de Mars p. 5 74.
Je voudrois bien , au reste , pour la
rareté du fait , que parmi les Medailles
que vous m'annoncez , et que vous avez
reçûes depuis peu pour moy de Syrie , il
se trouvât la Medaille Grecque de Lucille
dont je vais parler : cela n'est pas impossible.
M. Baudelot a marqué dans son
Catalogue des Medailles Imperiales , que
les Medailles Grecques de cette Imperatrice
sont communes : ce qui n'est pas
tout-à-fait exact , puisqu'il y en a quelques-
unes de singulieres et de fort rares
en ce genre là : telle est , par exemple ,
celle qui est gravée dans le Selecta Numismata
antiqua de P. Seguin , Doyen
* Ce Catalogue est dans le a. T. de l'Utilitê
des Voyages , p. 345. derniere Edit. 1727 ,
faite après la mort de M. Baudelot , qui auroit
rendu un si bon Livre parfait en corrigeant
quelques méprises en petit nombre , et
en suppleant à plusieurs ômissions . On n'y verroit
pas non plus les fautes qui viennent des
Editeurs denuez de la capacité de M. B.
de
OCTOBRE. 1731 2293
de S. Germain de l'Auxerrois , p. 158.
Cette Medaille est d'Argent , on y
voit d'un côté la Têre de Lucille coëffée
plus galamment qu'ailleurs " avec cette
Legende AOTKIÄÄA CEBACTH . et sur
le revers la même Princesse assise et representée
sous la figure de Cerés , tenant
d'une main desEpis , et de l'autre un flambeau
, avec cette Inscription B CIAEYC
MANNOC ΦΙΛΟΡΩΜΑΙΟΣ qui indique et
qui confirme un point d'Histoire considerable.
C'est Mannus , Roy des Arabes,
qui a fait frapper cette Medaille. Il étoit
Fils ou Neveu et Successeur du Roy de
même nom , dont il est parlé dans Dion,
L. 68. qui regnoit sur les Arabes , Habitans
du Pays situé au -delà de l'Euphra
re , entre la grande Armenie et l'Osrhoëne
, lequel devint suspect à Trajan , dans
son expédition contre les Parthes , par
une manoeuvre marquée dans cette His-
Foire.
C'est le successeur de ce Prince , qui
plus avisé et plus politique que lui , nonseulement
se ménagea beaucoup avec les
Romains , mais qui affecta de les aimer
jusqu'à prendre le titre de ΦΙΛΟΡΩΜΑΙΟΣ
qui est expressement marqué dans cette
Medaille Grecque de Lucille. Elle fût
frappée par les ordres de ce Roy , vray➡
B sem2294
MERCURE DE FRANCE
,
semblablement dans le temps que Luce
Vere son epoux et elle séjournoient
à Antioche , Ville peu éloignée des
Etats du Monarque Arabe , et que l'Ar
mée Romaine , sous le commandement
de A. Cassius , agi soit contre les Parthes.
Que ce Prince eût le même nom de
Mannus , que celui qui regnoit sous
Trajan , l'usage constant de tous les Rois
voisins de la Syrie , qui portoient tous
un même nom , le prouve ,
le prouve , la Medaille
dont je viers de parler le confirme.
M. Seguin , en parlant de cette Medaille
a marqué par ces paroles le cas
qu'il en faisoit , Rarior mihi videtur bie
Nummus , tum quia Gracus tum quia Regis
Barbari nomen minus notum profitetur.
Ajoûtant que Savot , qui a écrit sur la rareté
des Medailles antiques , a mis au
nombre des plus rares les Medailles Imperiales
Grecques d'Argent. Ce que Seguin
dit avoir souvent éprouvé , sur-tout à
Pégard des Medailles d'Imperatrices.
M. Vaillant , qui n'a dit que quelques
mots sur la Medaille en question , ajoute,
après avoir renvoyé au livre de M. Se
guin , Hic Nummus eximia raritatis et elegantia
habetur. Et ce n'est point trop dire
Il croit, au reste , que c'est l'Empereur
L. Vere lui -même , qui , à la priere de
Mannus
OCTOBRE. 1731. 2295
Mannus , lui accorda ce titre d'Ami des
Romains , et que ce fût pour en marquer
sa reconnoissance , et pour faire sa Cour
à l'Empereur , que ce Prince Arabe fit
frapper une Medaille où ce titre est ex--
pressement marqué. 1105 0
Quoiqu'il en soit, ne vous lassez point,
Monsieur , de m'envoyer de pareils Monumens,
on en trouve tous les jours de singuliers
, et qui ont échapé à la recherche
de ceux qui nous ont précedé dans cette
trude , je vous rendrai bon compte de
tout ce qui me viendra de curieux de
vôtre part. Je suis ,
AParis , le 15. Mars 1731.
M ...... de l'Abbaye S. Victor de Marseille
au sujet de deux Medailles an
tiques .
>
MONSIE ONSIEUR ,
La Médaille Romaine de grand Bronze
que vous m'avez envoyée depuis peu , et
qui a été deterrée dans nôtre Vignoble
de S. Just , a bien son mérite . Si vous ne
l'avez pas reconnue d'abord pour ce qu'elle
est , je ne m'en étonne pas ; il auroit fallu
là nettoyer et en rétablir » pour
ain si dire
, la verité
,
la verité
, obscurcie
par les injures
du temps
, et par la qualité
du lieu
où ce monument
est resté
depuis
tant de
siécles
. Quoi
qu'il
en soit , j'ai aisément connu
, après
quelque
soin
, que c'est
une
Medaille
de l'Imperatrice
Lucille
fille du sage Marc
- Aurelle
, et de Faustine la jeune
, qui porta
en dot à son Epoux
l'Empire
Romain
, avec
une mediocre vertu
. Lucille
épousa
Luce
Vere
, associé
à l'Empire
avec son Beau-Pere.
Mais avant que de m'étendre davan-"
tage sur cette Médaille , je dois vous dire
A v que
2278 MERCURE DE FRANCE
>
que peu de jours avant que je l'eusse
reçûë , M. Vergile de la Bastide , Gentilhomme
de Languedoc , Languedoc , le même qui a
fait depuis peu la découverte d'un beau
reste de chemins des Romains entre
Beaucaire et Nismes , dont vous entendrez
parler bien- tôt dans un Memoire
que je me dispose à publier , m'ayant apporté
plusieurs Médailles qui ont été
trouvées depuis peu en ce Pays- là , je fûs
charmé de rencontrer dans ce nombre
une fort belle Médaille Grecque d'Argent
, qui regarde la Ville de Marseille
differente de toutes celles de cette ancienne
Ville , qui sont venues à ma connoissance
l'estime que j'en fais ainsi
que de la Médaille Romaine,qu'il vous a
plû de m'envoyer presqu'en même temps,
m'a engagé de faire graver l'une et l'autre
,
>
>
pour les exposer à vos yeux sur une
même Planche , et d'en faire le sujet de
cette Lettre. Par droit d'ancienneté , jet
commencerai par la Médaille Grecque ,
qui doit d'ailleurs nous interesser plus
particulierement.
Elle est , comme je l'ai déja dit , d'Argent
, et presque de la grandeur de la
gravure. On y voit d'un côté une très-
* Ce Memoire a depuis été imprimé dans le
Mercure d'Août 1731. p. 1894.
belle
OCTOBRE. 1731 . 2279
belle Tête d'Homme ,
une espece de Sautoir
et sur le revers
› avec ces deux
lettres M A commencement
du nom de
Marseille , ou de son Fondateur , qui se
trouve quelquefois tout entier , quelquefois
en diminutif , comme MAZZA , et
MA dans les Médailles qui nous restent
de cette Ville .
J'ay dit dans une Lettre imprimée
dans le Mercure de Septembre 1722 .
tout ce qu'on peut observer au sujet des
Médailles de Marseille , en fixant au
nombre de 22. celles qui étoient venuës
à ma connoissance , ou que je passedois
alors. J'ay même fait graver l'une des
plus belles de ces dernieres , et cette gravure
se trouve dans le Mercure d'Avril
1723. page 689. Ainsi point de répetition
sur les Médailles de Marseille en
general , contentons nous d'expliquer ,
s'il est possible , celle dont il s'agit ici
et qui est pour moy toute nouvelle.
La Tête d'Homme , parfaitement belle
et bien conservée , qui paroît d'un côté ,
doit faire le principal objet de notre attention
. Ce n'est ni la Tête de Jupiter ,
ni celle d'Apollon , Divinitez adorées
dans Marseille Payenne ; nul symbole
nul attribut qui les désigne comme
elles sont désignées dans d'autres Mé
A vj dailles
,
2280 MERCURE DE FRANCE
>
et
dailles de la même Ville. Ce n'est pas
celle d'Aristarcha Prêtresse de Diane ,
qui vint d'Ephese sur les côtes de la
Gaule Narbonnoise avec les Chefs des
Phocéens , Fondateurs de Marseille
qui cût beaucoup de part à cette Fondation
. On voit , si on en croit Goltzius
la Tête de cette Prêtresse , qui exerça
à Marseille les mêmes fonctions qu'à
Ephese , sur l'une des Medailles Marseilloises
rapportées dans son Recueil , c'est
la IX ; cette Tête a un certain air mâle
qui n'est pas ordinaire aux Têtes de Femmes
, et qui seule peut faire douter de la
verité de l'application de Goltzius. La
Tête au contraire , qui paroît sur nôtre
Medaille n'a rien d'ambigu ; les moins
éclairez la prendront dabord pour celle
d'un homme ; elle est d'ailleurs toute
differente de celles que Goltzius a gravées
lui - même d'après les Originaux
qu'il dit avoir vûs au nombre de dix .
و
Pour moi , après avoir examiné la chose
avec quelque attention , je crois ne
rien risquer
en pensant que c'est ici la
Tête d'un des Fondateurs de Marseille ,
Justin en nomme deux , Furius et Peranus
, qui n'ont pas les mêmes noms
dans Athenée ; plusieurs bons Auteurs
tiennent d'ailleurs que les Phocéens d'Ionie
OCTOBRE. 1731. 2281
nie ont fait deux voyages sur les côtes
du Pays des Saliens , où ils bâtirent enfin
la Ville dont nous parlons.
Selon Plutarque , dans la vie de Solon
le Chef de la premiere expedition , ou
pour me servir de ses termes ,
bien entendus
, le premier Fondateur de Marseille
avoit nom Maasaλías qui donna sans doute
son nom à la nouvelle Ville , et en
ce cas , toutes les autres étymologies qu'on
a données jusqu'ici du nom de Marseille ,
tombent d'elles- mêmes , elles paroissent
aussi pour la plus part bien forcées.
le
Je repete , Monsieur , que Plutarque
bien entendu , fait Mawanias le premier
Fondateur de Marseille ; car je n'ignore
pas que quelques Traducteurs Latins
suivis par Amiot , et par M. Dacier, font
de ce même nom celui de la Ville fondée .
M. de Ruffi le Pere s'est déclaré pour
sentiment contraire , qu'il appuye d'une
judicieuse Critique sur le Passage de
Plutarque , rapporté en entier dans la
premiere édition ( 1642. ) de son Histoire
de Marseille . Xilander , bon critique et
bon Traducteur , avoit pensé la même
chose en traduisant l'endroit en question
ὡς καὶ Μασσαλίας πρῶτος parut Massi
lias Massilia Autor ; à quoi je puis
ajoûter l'autorité d'Isidore de Seville >
qui
2282 MERCURE DE FRANCE
qui reconnoît que Marseille a pris son
nom de celui du General des Phocéens.
Г
C'est donc à ce premier Fondateur que
j'attribuerois volontiers nôtre Medaille
et toutes les raisons de convenance me
paroissent favoriser cette opinion . Quant
à Furius et à Peranus , qui après le témoignage
de Justin &c . peuvent aussi passer
pour Fondateurs de Marseille on ne
sçauroit guere , au sentiment des meilleurs
Critiques , les admettre en cette
qualité , que posterieurement et plus
d'un demi- siécle après la premiere fondation
, faite , selon le témoignage d'un
Auteur respectable , tel que Plutarque
par Μαγαλίας. Ces seconds Chefs ne peuvent
en ce cas être considerez que comme
les Ampliateurs du premier établissement
des Phocéens , qu'ils ont , sans doute, perfectionné
et fini.
Il est donc à croire que dans le temps
de Marseille Grecque et florissante , les
descendans des Phocéens qui l'avoient
bâtie , en frapant des Medailles avec les
Têtes de Jupiter , d'Apollon , de Diane,
&c. pour marquer leur pieté et leur culte
particulier en vers ces Divinitez , n'oublicrent
pas d'en fraper aussi pour immortaliser
la mémoire du Fondateur , qui avoit
donné son nom et la premiete forme à
une
OCTOBRE.
1731. 2283
une Ville , devenue depuis également
puissante et celebre.
,
Les lettres M A qui paroissent sur le
revers de la Medaille en question , peuvent
fort bien être le commencement du
nom de ce premier Fondateur et faire
ici un surcroît de preuves : elles peuvent
Erre aussi le diminutif de ΜΑΣΣΑΛΙΗΤΩΝ
qu'on
qu'on trouve ordinairement sur les Medailles
Marseilloises , ce qui est presque
la même chose . A l'égard de l'espece de
sautoir qui est sur nôtre revers , c'est un
mistere d'antiquité que personne n'est ,
selon moi , en état d'éclaircir aujourd'hui
; Caprice ou Marque du Monetaire,
et tout ce qu'il plaira d'imaginer là - dessus
paroîtra toujours hazardé aux per- ›
sonnes sensées.
C'est un autre mistere non moins impénetrable
, et qui semble exiger plus d'attention
, que parmi les grandes découvertes
qu'on a faites , et celles qu'on fait
tous les jours , en fait de Monumens Antiques
, et sur- tout de Medailles , on n'en
ait point encore trouvé de frappées en
cette Ville au nom de quelque Empereur
, depuis qu'elle tomba sous la puissance
des Romains comme on en voit
de presque toutes les Villes Grecques d'origine
qui comme Marseille fûrent
sou2284
MERCURE DE FRANCE
soumises à l'Empire Romain. M. de
Ruffy, copié là - dessus par le P. Guesnay ,
dans ses Annales Latines de Marseille
a prétendu le contraire ; mais il ne rapporte
ni Monuments
sorte de preuve.
,
>
>
ni aucune autre
Je laisse à ceux de nos sçavans Compatriotes
, qui , comme je l'apprens , ont
entrepris de travailler à une nouvelle
Histoire de Marseille , le soin d'éclaircir
ce point d'Antiquité , et de rapporter le
plus qu'il leur sera possible , de Medailles
de cette Ville en n'oubliant pas de les
faire mieux graver que ne le sont celles
que Mrs. de Ruffy ont empruntées de
Goltzius ou d'ailleurs , et en donnant de
ces Medailles des explications plus exactes
et plus étendues et ce n'est pas la seule
chose en quoi ces Messieurs seront obligez
de reformer , d'éclaircir , d'ajoûter
dans la nouvelle Histoire .
Pour ne point sortir de mon sujet , et
pour ny rien ômettre , il est bon que je
donne ici un avis , qui épargnera une
erreur de fait à ceux qui traiteront dans
la suite le même sujet , en prenant pour
une découverte une veritable méprise ou
l'effet de la préoccupation d'un Sçavant de
réputation , sçavoir , M. Baudelot de
Dairval , qui dans un petit livre de 96.
pages
OCTOBRE. 1731 2285
=
pages , imprimé à Paris en 1698. chez
Aubouin et Clousier , intitulé , Reponse
à M. G......... où l'on examine plusieurs
questions d'Antiquité & c.. nous donne à la
tête de son Ecrit plusieurs Medailles gravées
, dont la derniere de son cabinet a
été , selon lui , frappée à Marseille
l'Empereur Posthume.
pour
Cette Medaille est de grand Bronze ;
voit d'un côté une Tête d'Empe-
, reur couronnée de Laurier avec une
Inscription au tour , luë parM. Baudelot.
»
ΑΥΤΚΛΑΤΙ . Π . ETYMOCCEBACTEYCEB
Au revers est une Sirenne ou Figure de
Femme , dont le bas se termine en Poisson
pour Legende MACCAAIHTON
selon le même Antiquaire , avec cette
époque L QIZ. Anno 817. qu'il assure
aussi s'y trouver,quoique dit- il , elle n'ait
pas été découverte d'abord. Je dis que
c'est M. Baudelot qui asseure tout cela :
mais je puis assurer à mon tour , que tout
cela est très -gratuitement avancé et uniquement
fondé sur une imagination , séduite
par l'attrait de posseder une Medaille
unique et encore inconnue à tous
les Antiquaires , une Medaille , dis-je ,
frappée à Marseille au visage d'un Empereur
Romain. Mes Garands là - dessus sont
des Antiquaires du premier ordre qui
ont
2286 MERCURE DE FRANCE
ont vu avant moy cette Medaille , à la
tête desquels je dois mettre M. Galland ,
à qui M. Baudelot adresse sa lettre . Ces
connoisseurs ont tous jugé qu'il étoit d'abord
très incertain que la Medaille fût
de Posthume ; M. Galland la croyoit
d'Antonin Pie , et qu'au surplus de quel
que Empereur qu'elle soit , à moins d'une
prévention extraordinaire , on n'y voyoit
pas plus de caracteres Grecs que de caracteres
Romains , tant la Medaille étoit
fruste et méconnoissable aux yeux les
plus clair-voyans .
,
,
Ainsi encore une fois , tout ce que M.
B. a étalé d'érudition , ou employé de sagacité
pour soutenir son idée tout ce
que le sçavant P. Pezron , Abbé de la
Charmoye , qui n'avoit pas vû la Piece
a ajouté du sien dans une Lettre écrite
à notre Académicien où ce Pere s'efforce
de faire quadrer l'Epoque prétendue
L. Qiz , ou l'Année 817. d'une seconde
Fondation de Marseille , avec l'an
265 de J. C. temps auquel Posthume regnoit
dans les Gaules &c. tout cela , disje
, en y joignant encore si l'on veut ,
l'habileté du Graveur Ettinger , dont le
talent à faire revivre les Medailles , est ici
›
* Cette Lettre est Imprimée dans le méme
livre , p.77.
expeOCTOBRE.
1731. 2287
>
expressement vanté par M. de Dairval
n'operera jamais rien de certain en faveur
de celle dont il est ici question , à l'égard
de Marseille ; et il sera toujours vrai de
dire que jusqu'à present , malgré tant d'heureuses découvertes
faites depuis
près d'un siècle que la recherche et l'étude
des Medailles sont en si grande vogue
il ne s'est point encore trouvé de
Medaille frappée à Marseille pour un Empereur
Romain : il ne sera pas moins vrai
que nous ne devons rien admettre d'incertain
et de douteux pour illustrer nôtre
Histoire . Marseille se passera bien d'un
tel ornement. Il faut donc convenir que
M. B. s'est trompé , il n'avoit pas alors
toutes les lumieres qu'il a acquises depuis.
C'étoit long - temps avant son entrée à
l'Académie dont il a été un sujet des ,
plus distinguez .
Je laisse , comme je l'ay déja dit , à mes
illustres Compatriotes , Membres de la
nouvelle Académie , chargez de travailler
à l'Histoire de notre Ville , le soin
d'approfondir la singularité dont je viens
de parler , et d'en découvrir , s'il est possible
, la veritable cause ; ce soin est digne
de leurs recherches. Je les avertis
encore , en finissant , de ne point se laisser
éblouir sur ce sujet par l'autorité du
,
R
2288 MERCURE DE FRANCE
R. P. Hardouin , reclamée reclamée ici et alle-
2.
guée, en vain par M. B. pag. 75. de son
livre. Ce Pere , quelque habileté qu'il
cût d'ailleurs , a trop donné dans des
idées extraordinaires et manifestement
chimeriques sur le fait de plusieurs Medailles
, pour être crû dans celui dont il
s'agit ici.
>
?
Qui pourra , par exemple , se persuader
sur sa garantie que ces quatre lettres
DMKV qu'on trouve sur le revers
d'une Medaille par lui rapportée de Maximien
Hercule , marquent que cette
Medaille fû frappée à Marseille Il est
vrai que ce Prince , poursuivi par Constantin
, s'y réfugia ; le Héros Chrétien
dont votre Abbaye porte le nom , lui
doit la gloire de son martyre. Mais cette
retraite ne prouve rien ; au contraire ,
comme elle fût faite dans le temps de
l'entiere décadence des affaires de Maximien
, il y a tout lieu de présumer , contre
la pensée de M. B. qu'il ne s'occupa
point à y faire battre de la Monnoye , et
que les Marseillois ne songerent pas non
plus à frapper des Medailles en l'honneur
d'un Prince infortuné , qui pensa enveloper
Marseille dans son malheur , et qui
gueres , après la prise de la Ville
par Constantin , a finir tragiquement ses
ne tarda
jours.
OCTOBRE 1731. 2289
jours. Mais en voilà assès sur le sujet de
notre Medaille Grecque.
Venons à la Medaille Romaine que .
vous venez de m'envoyer , elle ne nous
occupera pas si long - temps ; je vous ay
déja dit qu'elle est de l'Imperatrice Lucille
, Fille de Marc- Antonin , et de Faustine
la jeune , laquelle , après une disgrace
éclatante , et un évenement extraordinaire
dont le recit est ici inutile ,
épousa l'Empereur Luce - Vere. On voit
d'un côté sa Tête avec cette Legende
LUCILLE AU G. ANTONINI AUG. F.
et sur le revers une figure de Femme assise
tenant d'une main une Fleur et
sur l'autre bras un petit enfant emmailloté
avec cette Inscription , JUNONI LUCINE.
A l'Exergue S. C.
,
و
C'est ce revers qui fait , selon moi , la
singularité de votre Médaille , car en general
, les Médailles de cette Imperatrice
ne sont pas rares. M. Vaillant n'en marque
que trois d'une grande rareté parmi
celles de grand Bronze , j'ai tout lieu de
croire qu'on peut joindre la nôtre à ce
petit nombre , et que ce fameux Antiquaire
avoit vû un revers tout semblable;
c'est celle dont il parle * p . 94. art . 2 .
* Numismata Imperat. Romanorum &c. vol.
4. Paris 1692.
Mais
2290 MERCURE DE FRANCE
Mais il falloit que la Médaille qu'il a vûë
fût bien fruste et bien usée par le temps ,
ce qui ne permettoit pas , sans doute ,
d'en bien fire l'inscription ; car au lieu
de JUNONI LUCILLE , M. Vaillant a imprimé
JUNONI REGINE. Il n'a pas non
plus distingué ce que la figure de Femme
portoit sur son bras. Au surplus c'est à
peu près la même chose : la Femme est
assise et tient une Fleur d'une main comme
sur notre revers.
و
En supposant même que je me trompe
dans ma conjectare , et qu'il n'y ait
point cû de méprise ou d'omission du
côté de M. Vaillant notre Medaille ,
par rapport à son revers , aura toûjours
sa rareté et son mérite. Lucille y est representée
simboliquement sous la figure
et le nom de JUNON LUCINE : excès de
flatterie de la part des Romains , qui doubloient
, pour ainsi dire , la Divinité dans
une même Personne , de quoy il y a plus
d'un exemple , et cela pour égaler leur
Imperatrice à la premiere des Déesses
et pour la considerer en même temps
comme une autre Lucine , Déesse de la
Fecondité &c. ce qui joint au Simbole de
l'Enfant emmailloté présageoit , sans
doute , que Lucille donneroit bien - tôt
un successeur à l'Empire. Il se peut faire
و
>
aussi
OCTOBRE. 1731. 2291
aussi , et je le croirois plus volontiers ,
que cette Imperatrice fût déja Mere lorsque
notre Medaille a été frappée , et en ce
cas c'étoit pour marquer cet heureux évevement
, et pour celebrer la fécondité de
Lucille ; la Fleur qu'elle tient à la main
désigneroit l'attente du Peuple Romain .
qui avoit lieu d'esperer encore d'autres
fruits de cette fécondité.
و
Ce que je viens de vous dire de la Fé- ´
condité , arrivée ou attenduë de Lucille ,
se confirme non - seulement par un Medaillon
de çerte Imperatrice , décrit ainsi
par Vaillant , p. 210. du même livre
d'un côté sa Tête avec la même Legende
que sur la notre et au revers Lucille
assise , tenant dans ses bras un petit Enfant
, mais encore par une Medaille d'Argent
, de Lucille , rapportée dans le 2 .
vol. du même Auteur , pag. 187. au revers
de laquelle est encore une figure de
Femme assise tenant entre ses bras un
petit Enfant , un autre Enfant est debout
devant elle et pour Legende FOECUNDITAS
AUGUSTE: C'est ainsi que les
Auteurs du revers de la Medaille , presentée
au Roy , le premier jour de cette année
1731. en ont usé très - à - propos pour
désigner la continuation de l'heureuse
fecondité de la Reine par la naissance du
>
Duc
2292 MERCURE DE FRANCE
Duc d'Anjou. La France assise et caracterisée
par ses Symboles , tient sur un
bras le Prince nouveau né enveloppé de
Langes , et le Dauphin de l'autre main
debout entre ses genoux , ce qui marque
le bon goût et la capacité de ces Auteurs.
Cette Medaille est gravée dans le Mercure
de Mars p. 5 74.
Je voudrois bien , au reste , pour la
rareté du fait , que parmi les Medailles
que vous m'annoncez , et que vous avez
reçûes depuis peu pour moy de Syrie , il
se trouvât la Medaille Grecque de Lucille
dont je vais parler : cela n'est pas impossible.
M. Baudelot a marqué dans son
Catalogue des Medailles Imperiales , que
les Medailles Grecques de cette Imperatrice
sont communes : ce qui n'est pas
tout-à-fait exact , puisqu'il y en a quelques-
unes de singulieres et de fort rares
en ce genre là : telle est , par exemple ,
celle qui est gravée dans le Selecta Numismata
antiqua de P. Seguin , Doyen
* Ce Catalogue est dans le a. T. de l'Utilitê
des Voyages , p. 345. derniere Edit. 1727 ,
faite après la mort de M. Baudelot , qui auroit
rendu un si bon Livre parfait en corrigeant
quelques méprises en petit nombre , et
en suppleant à plusieurs ômissions . On n'y verroit
pas non plus les fautes qui viennent des
Editeurs denuez de la capacité de M. B.
de
OCTOBRE. 1731 2293
de S. Germain de l'Auxerrois , p. 158.
Cette Medaille est d'Argent , on y
voit d'un côté la Têre de Lucille coëffée
plus galamment qu'ailleurs " avec cette
Legende AOTKIÄÄA CEBACTH . et sur
le revers la même Princesse assise et representée
sous la figure de Cerés , tenant
d'une main desEpis , et de l'autre un flambeau
, avec cette Inscription B CIAEYC
MANNOC ΦΙΛΟΡΩΜΑΙΟΣ qui indique et
qui confirme un point d'Histoire considerable.
C'est Mannus , Roy des Arabes,
qui a fait frapper cette Medaille. Il étoit
Fils ou Neveu et Successeur du Roy de
même nom , dont il est parlé dans Dion,
L. 68. qui regnoit sur les Arabes , Habitans
du Pays situé au -delà de l'Euphra
re , entre la grande Armenie et l'Osrhoëne
, lequel devint suspect à Trajan , dans
son expédition contre les Parthes , par
une manoeuvre marquée dans cette His-
Foire.
C'est le successeur de ce Prince , qui
plus avisé et plus politique que lui , nonseulement
se ménagea beaucoup avec les
Romains , mais qui affecta de les aimer
jusqu'à prendre le titre de ΦΙΛΟΡΩΜΑΙΟΣ
qui est expressement marqué dans cette
Medaille Grecque de Lucille. Elle fût
frappée par les ordres de ce Roy , vray➡
B sem2294
MERCURE DE FRANCE
,
semblablement dans le temps que Luce
Vere son epoux et elle séjournoient
à Antioche , Ville peu éloignée des
Etats du Monarque Arabe , et que l'Ar
mée Romaine , sous le commandement
de A. Cassius , agi soit contre les Parthes.
Que ce Prince eût le même nom de
Mannus , que celui qui regnoit sous
Trajan , l'usage constant de tous les Rois
voisins de la Syrie , qui portoient tous
un même nom , le prouve ,
le prouve , la Medaille
dont je viers de parler le confirme.
M. Seguin , en parlant de cette Medaille
a marqué par ces paroles le cas
qu'il en faisoit , Rarior mihi videtur bie
Nummus , tum quia Gracus tum quia Regis
Barbari nomen minus notum profitetur.
Ajoûtant que Savot , qui a écrit sur la rareté
des Medailles antiques , a mis au
nombre des plus rares les Medailles Imperiales
Grecques d'Argent. Ce que Seguin
dit avoir souvent éprouvé , sur-tout à
Pégard des Medailles d'Imperatrices.
M. Vaillant , qui n'a dit que quelques
mots sur la Medaille en question , ajoute,
après avoir renvoyé au livre de M. Se
guin , Hic Nummus eximia raritatis et elegantia
habetur. Et ce n'est point trop dire
Il croit, au reste , que c'est l'Empereur
L. Vere lui -même , qui , à la priere de
Mannus
OCTOBRE. 1731. 2295
Mannus , lui accorda ce titre d'Ami des
Romains , et que ce fût pour en marquer
sa reconnoissance , et pour faire sa Cour
à l'Empereur , que ce Prince Arabe fit
frapper une Medaille où ce titre est ex--
pressement marqué. 1105 0
Quoiqu'il en soit, ne vous lassez point,
Monsieur , de m'envoyer de pareils Monumens,
on en trouve tous les jours de singuliers
, et qui ont échapé à la recherche
de ceux qui nous ont précedé dans cette
trude , je vous rendrai bon compte de
tout ce qui me viendra de curieux de
vôtre part. Je suis ,
AParis , le 15. Mars 1731.
Fermer
Résumé : LETTRE écrite par M. D. L. R. à M ...... de l'Abbaye S. Victor de Marseille au sujet de deux Medailles antiques.
La lettre de M. D. L. R. à M...... de l'Abbaye Saint-Victor de Marseille discute de deux médailles antiques. La première est une médaille romaine en bronze découverte dans le vignoble de Saint-Just, attribuée à l'impératrice Lucille, fille de Marc-Aurèle et de Faustine la Jeune. Lucille avait épousé Lucius Verus, associé à l'Empire avec son beau-père. La seconde est une pièce grecque en argent trouvée dans le Languedoc par M. Vergile de la Bastide. Elle représente une tête d'homme et un sautoir, avec les lettres 'M A' au revers, probablement en référence à Marseille ou à son fondateur. L'auteur attribue cette médaille à Massalia, le premier fondateur de Marseille selon Plutarque, tout en mentionnant d'autres fondateurs potentiels comme Furius et Peranus, qu'il considère comme secondaires. Le texte aborde également une médaille attribuée à Maximien Hercule, portant les lettres DMKV sur son revers. Le Père Hardouin interprète ces lettres comme indiquant une frappe à Marseille, mais cette hypothèse est contestée car Maximien, poursuivi par Constantin, s'y réfugia durant une période de décadence, rendant improbable la frappe de monnaie en son honneur. La médaille romaine de Lucille présente sur son revers une figure féminine assise tenant une fleur et un enfant emmailloté, avec l'inscription JUNONI LUCINE. Cette représentation symbolise Lucille sous les traits de Junon Lucine, déesse de la fécondité, suggérant soit une fécondité future, soit une maternité déjà réalisée. Cette interprétation est confirmée par d'autres médailles et médaillons similaires décrits par Vaillant. Le texte mentionne aussi une médaille grecque de Lucille, frappée par le roi arabe Mannus, qui se présente comme ami des Romains. Cette médaille est rare et élégante, frappée durant le séjour de Lucius Verus et Lucille à Antioche. L'auteur encourage les savants de Marseille à approfondir ces découvertes et à publier des explications plus exactes et étendues dans la nouvelle histoire de la ville.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
5
p. 1501-1510
LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. A. C. D. U. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques, &c.
Début :
Je n'ai pû, Monsieur, vous satisfaire plutôt sur les [...]
Mots clefs :
Marquis de Rosny, Duc de Sully, Diocèse, Maximilien de Bethune, Charge, Voyage, Pension
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. A. C. D. U. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques, &c.
LETTRE de M. D. L. R. écrite
à M. A. C. D. V. au sujet du Marquis
de Rosny , depuis Duc de Sully , &c.
contenant quelques Remarques Histori
ques , &c.
E n'ai pû , Monsieur , vous satisfaire
Jplutôt sur les éclaircissemensque vous
me demandez par votre derniere Lettre ;
la matiere ma paru mériter attention , et
ce n'est qu'après avoir fait les recherches
convenables , que je me vois enfin en
état de répondre un peu pertinemment
aux questions que vous me faites.
Vous voulez d'abord sçavoir s'il est
vrai que Maximilien de Bethune , Marquis de Rosny, puis I. Duc de Sully , et
Principal Ministre sous le Regne de Henry le Grand , ait possedé l'Abbaye de
S.Taurin d'Evreux,par nomination Royale , ainsi qu'un homme de Lettres , fort
versé dans l'Histoire de votre Diocèse ,
vous l'a assuré. Vous ajoûtez qu'il n'a
pas
502 MERCURE DE FRANCE
pas pû vous en fournir la preuve , et qu'il
ne se trouve aucun vestige de ce fait sin
gulier , même dans les Archives de l'AbBaye en question. La singularité consiste
en ce que le Marquis de Rosny a été de
la Religion P. R.
Je répons , Monsieur , que ce fait a
toujours passé chez moi pour très- certain,
et qu'il se trouve ainsi écrit dans mes
Memoires , recueillis depuis bien des années ; mais comme il faut des preuves et
des preuves solides à quiconque veut ,
comme vous , écrire une Histoire digne
de la Posterité , je me suis mis en devoir
de vous fournir celle dont il s'agit ici.
C'est d'abord inutilement que je l'ai cherchée dans l'Histoire de la Maison de Be
thune , publiée par André du Chesne en
1639. dans laquelle il y a un très- long
Chapitre et un détail curieux de la vie du
Marquis de Rosny , qui vivoit encore en
ce temps- là ; même silence dans le Gallia Christiana de M" de Sainte Marthe
Article de l'Abbaye de S.. Taurin , où
un semblable fait auroit dû , sans doute,
n'être pas omis, et encore dans l'Histoire
Genealogique du P. Anselme..
Je ne me suis pas rebuté pour cela , et
j'ai bien fait car j'ai enfin trouvé ce que:
i cherchois en ouvrant , presque à l'aventure,,
JUILLET. 1732 1503
venture , le premier volume des Memoires de Sully , et cela dans un endroit où
l'ordre des temps et la matiere sembloient
ne pas permettre de l'y trouver. C'est
dans le Chapitre XLIX. intitulé Affaires
d'Etat , avec beaucoup de raison ; car on
y voit la Ville de Roüen réduite à l'obéissance du Roy , et toute la Normandie rendue enfin paisible par les soins du
Marquis de Rosny.
Après un succès si heureux , ce Seigneur partit de Roüen au mois de Mars
1594. pour se rendre auprès du Roy son
Maître , dont la Cour étoit à Paris , et il
vint coucher à Louviers , petite Ville sur
la Riviere d'Eure. Là il lui arriva une:
aventure des plus plaisantes , et qui semble être faite pour servir d'Episode propre à égayer le grand sérieux de cet endroit des Memoires. Je vais vous le narrer. Elle contient le dénoument de votre
premiere Question.
Boisrosé,Gentilhomme Normand, Gou
verneur de Fécamp , arriva fort tard dans
la même Hôtellerie pour y loger , il alloit à Paris pour faire ses remontrances
ausujet de son petit Gouvernement , qu'il
lui falloit abandonner , en execution du
Traité négocié par M. de Rosny ; on lui
dit qu'il y avoit dans cette Maison un
grandi
1504 MERCURE DE FRANCE
grand Train logé d'un Seigneur qui s'en
alloit à la Cour , lequel étoit fort en faveur auprès du Roy, sans en dire le nom;
et sans que Boisrosé , qui croyoit le Marquis de Rosny encore à Rouen , s'avisat
de le demander. Là- dessus il monte à la
chambre de M. de Rosny , qu'il n'avoit
jamais vû , lui fait la réverence , et lui
entame un discours plaintif sur l'injustice criante qu'on lui faisoit , le suppliant
de vouloir bien l'aider de son crédit auprès de S. M. A quoi le bon Seigneur ,
sans le connoître et sans lui demander
son nom , ayant répondu obligeamment,
Boisrosé enhardi , répliqua en ces termes.
» Monsieur , les principales de mes
>> plaintes sont contre un Seigneur qu'on
» nommeM. de Rosny, qu'au diable soit-
» il donné , tant il me fait de mal ; sans
»jamais l'avoir en rien offensé , auquel le
Roy ayant donné pouvoir de traiter
»pour la réduction en son obéïssance de
» toutes les Villes qui sont de la Ligue en
» Normandie , sous ombre qu'il est des
>> anciens amis de M. l'Amiral de Villars,
»il semble qu'il n'aye songé qu'à le con-
»tenter au préjudice de qui que ce puisse
Ȑtre , sans se soucier de plusieurs bons
»Serviteurs du Roy , au nombre desquels
»je suis, et m'appelle Boisrosé , Gouverneur
JUILLET. 1732 1509
neur de Fécamp ; voire n'a pas craint
»de s'adresser à M"de Montpensier * et
» de Biron , tant il abuse de son pouvoir
»et de la faveur qu'il croit avoir auprès
de son Maître ; mais pardieu il en pour
>> roit tant faire , mettant tant de gens au
» desespoir, qu'il se repentiroit , et quel-
>> qu'un aussi étourdi qu'il sçauroit être,
»lui en joüeroit d'une, si l'on ne craignoit
»d'offenser le Roy.
Vous jugez bien , Monsieur , que
le Marquis de Rosny pensa perdre sa gravité ordinaire , aussi ne répondit- il qu'en
riant ce que vous allez entendre.
»
>> Monsieur, je n'estime pas que ce M.de
» Rosny , dont vous me parlez , ait rien
fait que suivant le commandement de
>> son Maître ; car il a toûjours affectionné les bons François , et ne doute point
même que le Roy, à sa sollicitation ,
» n'ait pensé à vous donner si bonne ré-
>compense , que vous aurez sujet de con-
»tentement ; car vous jugez bien qu'il
»n'eût pas été raisonnable de manquer 3
conclure un Traité de si grande impor
>>
François de Bourbon , Duc de Montpensier;
Gouverneur de Normandie , &c. Charles de Gonsault , Duc de Biron , Pair et Maréchal de France,
qui avoit beaucoup contribué à réduire cette Pro- wince,
> tance
1505 MERCURE DE FRANCE
·
tance , que celui qu'a manié M. de Ros-
»ny, pour interêts de quelques Particu-
»liers , aussi ai -je appris qu'il a voulu
»commencer par lui-même et donner
»exemple aux autres en quittant l'Abbaye
»de S. Taurin d'Evreux , que le feu Roy
» lui avoit donnée , et m'assure qu'il ne
Vous aura point porté de préjudice sans penser à vous en récompen-
»ser ; de quoi je vous oserai quasi repondre , dautant que je le connois ;
»voire est tellement de mes amis , que je
»lui ferai faire en votre faveur tout ce
>> qui sera raisonnable ; et lorsque nous
»serons à la Cour , venez m'en parler , et
»je vous ferai paroître que je suis votre
»ami , et que je prise votre courage.
"
"
Notre homme , après avoir fait ses remercimens se retira fort satisfait de
l'heureuse rencontre. Il ne lui restoit plus
que de sçavoir le nom d'un Seigneur si
genereux pour recourir à lui en tems et
lieu ; il le demanda dès qu'il fut descendu
au premier qu'il rencontra ; c'étoit justement un des Pages de M. de Rosny,
qui parla selon la verité. Boisrosé en fut
si troublé et prit là - dessus une telle allarme , qu'il remonta soudain à cheval ,
s'en alla loger à une autre Hôtellerie et
partit dès la pointe du jour pour aller à
la
JUILLET 1732. 1507
la Cour faire lui - même ses plaintes au
Roy, &c.
Mais laissons- là le pauvre Boisrosé , et
tirons parti de son aventure. Il étoit nécessaire de vous la raconter , puisqu'elle
contient la preuve d'une verité que nous
cherchons à constater. C'est le Marquis
de Rosny lui- même qui la déclare , et qui
la donne pour preuve de son attachement au Bien Public , de son désinteressement, et și vous voulez aussi pour motif de consolation à un homme qui étoit
dans des sentimens fort opposez.
Voilà donc Maximilien de Bethune
Abbé de S. Taurin d'Evreux , par la nomination du Roi Henry III. On ne peut
guéres que conjecturer le tems auquel il
en fut pourvû , et celui de sa démission ,
en conciliant différentes dates ; mais où
cette recherche nous meneroit- elle ? J'aime mieux vous apprendre ce que tout
habitant que vous êtes du Diocèse d'Evreux , et voisin de la Ville , vous n'avez
pû sçavoir , dites-vous , des Religieux
mêmes , je veux , dis-je , vous confirmer
le fait dont il s'agit ici , par , par les propres
Regitres de S. Taurin. Voici le petit Extrait qu'un sçavant Religieux du même
Ordre et d'une autre Abbaye , beaucoup
plus expert que ceux d'Evreux , vient
de
1508 MERCURE DE FRANCE
de m'envoyer, tiré , dit- il, des Registres
Journaux de cette Maison.
>> Maximilien de Bethune , Marquis de
»Rosny , et depuis Duc de Sully , a été
» Abbé de S. Taurin la donation de par
» Henry III. Il eut pour Successeur
» Guillaume de Pericard , Doyen de l'E-
» glise de Rouen , qui permuta ensuite
» cette Abbaye pour l'Evêché d'E-
» vreux , avec le Cardinal du Perron en
1604.
*
Vous ne me demanderez plus rien sans
doute là- dessus , après ce surcroît de preuve , et vous pourrez par- là rétablir la verité de l'Histoire , quand il en sera tems.
Vous rétablirez aussi ce qui n'est pas
éxact dans Mrs de Sainte Marthe , et dans
l'Histoire d'Evreux de M. le Brasseur , à
l'égard de quelques autres Abbez de Saint
Taurin , qui ont précedé le Marquis de
* Leterme de permuter n'est pas convenable
et paroit unpeu aventuré dans les Registres. Il ess toujours certain que Guillaume de Pericard n'auroit
jamais été Evêque d'Evreux sans la faveur de
M. de Rosny , qui avoit fait donner cet Evêché à
M. du Perron, comme il est marqué dans le 1 . vol.
de ses Mémoires , chap. 39. et qui sans doute avoit
eu part à ce qui se passa ensuite entre ces deux
Prélats , par rapport au changement en question. Il
fallut , sans doute , de nouvelles Provisions pour M. duPerron, devenu Abbé de S. Taurin.
¡Rosny
།
JUILLET . 1732. 1509
Rosny, ou qui lui ont succedé dans cette
Dignité.
Je m'apperçois, au reste,que ma réponse
à vos autres questions ne sçauroit entrer
dans cette Lettre , déja assez allongée.
Mais je ne veux pas la finir sans prévenir
la demande que vous êtes en droit de me
faire sur la suite de l'aventure de Boisrosé, et sur le succès de son Voyage à la
Cour. Le trouble , comme je l'ai dit , lui
donna des aîles ; il arriva un jour plutôt
que M. de Rosny, qui s'arrêta à Rosny
et à Mante , où il coucha. Ainsi ce petit
Gouverneur , petit génie , et on peut dire
encore,tant soit peu malhonnête homme
croyant le premier Miniftre très offense
de ses discours , et le considérant dès- lors
comme son plus cruel ennemi , eût tout
le tems de parler au Roi , et de déclamer
tant qu'il voulut contre lui , en donnant
-un tourNormand à la rencontre de Louviers. Mais qu'en arriva-t-il ? le voici.
Le Marquis de Rosny arrivé à la Cour
eûtd'abord un long entretien avec le Roi
sur sa Négociation de Normandie , » sans
oublier , disent les * Auteurs des Mé
Le Marquis de Rosny n'a pas écrit lui-même ses Mémoires. C'est l'ouvrage de quatre de ses Secretaires , lesquels dans la Narration addressent la
parole à leur Maître.
C » moires ,
1510 MERCURE
DE FRANCE
» moires , quasi une seule particularité ,
» car le Roi les voulut toutes sçavoir
» dont il y eut bien à rire lorsque vous
» lui contâtes ce qui s'étoit passé entre
» vous et le sieur de Boisrosé ; surquoi
» S. M. vous dit qu'il lui étoit venu faire
» de grandes plaintes de vous , et le prier
» de le vouloir pourvoir sans le renvoyer
» à vous , dautant qu'il sçavoit bien que
» vous étiez son ennemi , à cause de quel-
» ques propos qu'il vous avoit tenus sans
»vous connoître , et partant le Roi vous
» pria de l'envoyer querir , &c.
Ce que M. de Rosny éxecuta dès le
lendemain. Il promit à Boisrosé , & lui
assûra deux mille écus de récompense ,
une pension de 1200. liv. et une Place de
Capitaine en pied. Bien plus , ce génereux
Ministre le retint depuis à sa suite , et le
fit enfin son Lieutenant en l'Artillerie au
Département de Normandie , dès que
Roi lui eût donné la Charge de GrandMaître. Voilà quelle fût la fin et le succès de l'aventure de Louviers. Je vous
promets incessamment la réponse à vos
autres Questions , et je suis , Monsieur
Bic.
AParis , le 29 Février 1732
à M. A. C. D. V. au sujet du Marquis
de Rosny , depuis Duc de Sully , &c.
contenant quelques Remarques Histori
ques , &c.
E n'ai pû , Monsieur , vous satisfaire
Jplutôt sur les éclaircissemensque vous
me demandez par votre derniere Lettre ;
la matiere ma paru mériter attention , et
ce n'est qu'après avoir fait les recherches
convenables , que je me vois enfin en
état de répondre un peu pertinemment
aux questions que vous me faites.
Vous voulez d'abord sçavoir s'il est
vrai que Maximilien de Bethune , Marquis de Rosny, puis I. Duc de Sully , et
Principal Ministre sous le Regne de Henry le Grand , ait possedé l'Abbaye de
S.Taurin d'Evreux,par nomination Royale , ainsi qu'un homme de Lettres , fort
versé dans l'Histoire de votre Diocèse ,
vous l'a assuré. Vous ajoûtez qu'il n'a
pas
502 MERCURE DE FRANCE
pas pû vous en fournir la preuve , et qu'il
ne se trouve aucun vestige de ce fait sin
gulier , même dans les Archives de l'AbBaye en question. La singularité consiste
en ce que le Marquis de Rosny a été de
la Religion P. R.
Je répons , Monsieur , que ce fait a
toujours passé chez moi pour très- certain,
et qu'il se trouve ainsi écrit dans mes
Memoires , recueillis depuis bien des années ; mais comme il faut des preuves et
des preuves solides à quiconque veut ,
comme vous , écrire une Histoire digne
de la Posterité , je me suis mis en devoir
de vous fournir celle dont il s'agit ici.
C'est d'abord inutilement que je l'ai cherchée dans l'Histoire de la Maison de Be
thune , publiée par André du Chesne en
1639. dans laquelle il y a un très- long
Chapitre et un détail curieux de la vie du
Marquis de Rosny , qui vivoit encore en
ce temps- là ; même silence dans le Gallia Christiana de M" de Sainte Marthe
Article de l'Abbaye de S.. Taurin , où
un semblable fait auroit dû , sans doute,
n'être pas omis, et encore dans l'Histoire
Genealogique du P. Anselme..
Je ne me suis pas rebuté pour cela , et
j'ai bien fait car j'ai enfin trouvé ce que:
i cherchois en ouvrant , presque à l'aventure,,
JUILLET. 1732 1503
venture , le premier volume des Memoires de Sully , et cela dans un endroit où
l'ordre des temps et la matiere sembloient
ne pas permettre de l'y trouver. C'est
dans le Chapitre XLIX. intitulé Affaires
d'Etat , avec beaucoup de raison ; car on
y voit la Ville de Roüen réduite à l'obéissance du Roy , et toute la Normandie rendue enfin paisible par les soins du
Marquis de Rosny.
Après un succès si heureux , ce Seigneur partit de Roüen au mois de Mars
1594. pour se rendre auprès du Roy son
Maître , dont la Cour étoit à Paris , et il
vint coucher à Louviers , petite Ville sur
la Riviere d'Eure. Là il lui arriva une:
aventure des plus plaisantes , et qui semble être faite pour servir d'Episode propre à égayer le grand sérieux de cet endroit des Memoires. Je vais vous le narrer. Elle contient le dénoument de votre
premiere Question.
Boisrosé,Gentilhomme Normand, Gou
verneur de Fécamp , arriva fort tard dans
la même Hôtellerie pour y loger , il alloit à Paris pour faire ses remontrances
ausujet de son petit Gouvernement , qu'il
lui falloit abandonner , en execution du
Traité négocié par M. de Rosny ; on lui
dit qu'il y avoit dans cette Maison un
grandi
1504 MERCURE DE FRANCE
grand Train logé d'un Seigneur qui s'en
alloit à la Cour , lequel étoit fort en faveur auprès du Roy, sans en dire le nom;
et sans que Boisrosé , qui croyoit le Marquis de Rosny encore à Rouen , s'avisat
de le demander. Là- dessus il monte à la
chambre de M. de Rosny , qu'il n'avoit
jamais vû , lui fait la réverence , et lui
entame un discours plaintif sur l'injustice criante qu'on lui faisoit , le suppliant
de vouloir bien l'aider de son crédit auprès de S. M. A quoi le bon Seigneur ,
sans le connoître et sans lui demander
son nom , ayant répondu obligeamment,
Boisrosé enhardi , répliqua en ces termes.
» Monsieur , les principales de mes
>> plaintes sont contre un Seigneur qu'on
» nommeM. de Rosny, qu'au diable soit-
» il donné , tant il me fait de mal ; sans
»jamais l'avoir en rien offensé , auquel le
Roy ayant donné pouvoir de traiter
»pour la réduction en son obéïssance de
» toutes les Villes qui sont de la Ligue en
» Normandie , sous ombre qu'il est des
>> anciens amis de M. l'Amiral de Villars,
»il semble qu'il n'aye songé qu'à le con-
»tenter au préjudice de qui que ce puisse
Ȑtre , sans se soucier de plusieurs bons
»Serviteurs du Roy , au nombre desquels
»je suis, et m'appelle Boisrosé , Gouverneur
JUILLET. 1732 1509
neur de Fécamp ; voire n'a pas craint
»de s'adresser à M"de Montpensier * et
» de Biron , tant il abuse de son pouvoir
»et de la faveur qu'il croit avoir auprès
de son Maître ; mais pardieu il en pour
>> roit tant faire , mettant tant de gens au
» desespoir, qu'il se repentiroit , et quel-
>> qu'un aussi étourdi qu'il sçauroit être,
»lui en joüeroit d'une, si l'on ne craignoit
»d'offenser le Roy.
Vous jugez bien , Monsieur , que
le Marquis de Rosny pensa perdre sa gravité ordinaire , aussi ne répondit- il qu'en
riant ce que vous allez entendre.
»
>> Monsieur, je n'estime pas que ce M.de
» Rosny , dont vous me parlez , ait rien
fait que suivant le commandement de
>> son Maître ; car il a toûjours affectionné les bons François , et ne doute point
même que le Roy, à sa sollicitation ,
» n'ait pensé à vous donner si bonne ré-
>compense , que vous aurez sujet de con-
»tentement ; car vous jugez bien qu'il
»n'eût pas été raisonnable de manquer 3
conclure un Traité de si grande impor
>>
François de Bourbon , Duc de Montpensier;
Gouverneur de Normandie , &c. Charles de Gonsault , Duc de Biron , Pair et Maréchal de France,
qui avoit beaucoup contribué à réduire cette Pro- wince,
> tance
1505 MERCURE DE FRANCE
·
tance , que celui qu'a manié M. de Ros-
»ny, pour interêts de quelques Particu-
»liers , aussi ai -je appris qu'il a voulu
»commencer par lui-même et donner
»exemple aux autres en quittant l'Abbaye
»de S. Taurin d'Evreux , que le feu Roy
» lui avoit donnée , et m'assure qu'il ne
Vous aura point porté de préjudice sans penser à vous en récompen-
»ser ; de quoi je vous oserai quasi repondre , dautant que je le connois ;
»voire est tellement de mes amis , que je
»lui ferai faire en votre faveur tout ce
>> qui sera raisonnable ; et lorsque nous
»serons à la Cour , venez m'en parler , et
»je vous ferai paroître que je suis votre
»ami , et que je prise votre courage.
"
"
Notre homme , après avoir fait ses remercimens se retira fort satisfait de
l'heureuse rencontre. Il ne lui restoit plus
que de sçavoir le nom d'un Seigneur si
genereux pour recourir à lui en tems et
lieu ; il le demanda dès qu'il fut descendu
au premier qu'il rencontra ; c'étoit justement un des Pages de M. de Rosny,
qui parla selon la verité. Boisrosé en fut
si troublé et prit là - dessus une telle allarme , qu'il remonta soudain à cheval ,
s'en alla loger à une autre Hôtellerie et
partit dès la pointe du jour pour aller à
la
JUILLET 1732. 1507
la Cour faire lui - même ses plaintes au
Roy, &c.
Mais laissons- là le pauvre Boisrosé , et
tirons parti de son aventure. Il étoit nécessaire de vous la raconter , puisqu'elle
contient la preuve d'une verité que nous
cherchons à constater. C'est le Marquis
de Rosny lui- même qui la déclare , et qui
la donne pour preuve de son attachement au Bien Public , de son désinteressement, et și vous voulez aussi pour motif de consolation à un homme qui étoit
dans des sentimens fort opposez.
Voilà donc Maximilien de Bethune
Abbé de S. Taurin d'Evreux , par la nomination du Roi Henry III. On ne peut
guéres que conjecturer le tems auquel il
en fut pourvû , et celui de sa démission ,
en conciliant différentes dates ; mais où
cette recherche nous meneroit- elle ? J'aime mieux vous apprendre ce que tout
habitant que vous êtes du Diocèse d'Evreux , et voisin de la Ville , vous n'avez
pû sçavoir , dites-vous , des Religieux
mêmes , je veux , dis-je , vous confirmer
le fait dont il s'agit ici , par , par les propres
Regitres de S. Taurin. Voici le petit Extrait qu'un sçavant Religieux du même
Ordre et d'une autre Abbaye , beaucoup
plus expert que ceux d'Evreux , vient
de
1508 MERCURE DE FRANCE
de m'envoyer, tiré , dit- il, des Registres
Journaux de cette Maison.
>> Maximilien de Bethune , Marquis de
»Rosny , et depuis Duc de Sully , a été
» Abbé de S. Taurin la donation de par
» Henry III. Il eut pour Successeur
» Guillaume de Pericard , Doyen de l'E-
» glise de Rouen , qui permuta ensuite
» cette Abbaye pour l'Evêché d'E-
» vreux , avec le Cardinal du Perron en
1604.
*
Vous ne me demanderez plus rien sans
doute là- dessus , après ce surcroît de preuve , et vous pourrez par- là rétablir la verité de l'Histoire , quand il en sera tems.
Vous rétablirez aussi ce qui n'est pas
éxact dans Mrs de Sainte Marthe , et dans
l'Histoire d'Evreux de M. le Brasseur , à
l'égard de quelques autres Abbez de Saint
Taurin , qui ont précedé le Marquis de
* Leterme de permuter n'est pas convenable
et paroit unpeu aventuré dans les Registres. Il ess toujours certain que Guillaume de Pericard n'auroit
jamais été Evêque d'Evreux sans la faveur de
M. de Rosny , qui avoit fait donner cet Evêché à
M. du Perron, comme il est marqué dans le 1 . vol.
de ses Mémoires , chap. 39. et qui sans doute avoit
eu part à ce qui se passa ensuite entre ces deux
Prélats , par rapport au changement en question. Il
fallut , sans doute , de nouvelles Provisions pour M. duPerron, devenu Abbé de S. Taurin.
¡Rosny
།
JUILLET . 1732. 1509
Rosny, ou qui lui ont succedé dans cette
Dignité.
Je m'apperçois, au reste,que ma réponse
à vos autres questions ne sçauroit entrer
dans cette Lettre , déja assez allongée.
Mais je ne veux pas la finir sans prévenir
la demande que vous êtes en droit de me
faire sur la suite de l'aventure de Boisrosé, et sur le succès de son Voyage à la
Cour. Le trouble , comme je l'ai dit , lui
donna des aîles ; il arriva un jour plutôt
que M. de Rosny, qui s'arrêta à Rosny
et à Mante , où il coucha. Ainsi ce petit
Gouverneur , petit génie , et on peut dire
encore,tant soit peu malhonnête homme
croyant le premier Miniftre très offense
de ses discours , et le considérant dès- lors
comme son plus cruel ennemi , eût tout
le tems de parler au Roi , et de déclamer
tant qu'il voulut contre lui , en donnant
-un tourNormand à la rencontre de Louviers. Mais qu'en arriva-t-il ? le voici.
Le Marquis de Rosny arrivé à la Cour
eûtd'abord un long entretien avec le Roi
sur sa Négociation de Normandie , » sans
oublier , disent les * Auteurs des Mé
Le Marquis de Rosny n'a pas écrit lui-même ses Mémoires. C'est l'ouvrage de quatre de ses Secretaires , lesquels dans la Narration addressent la
parole à leur Maître.
C » moires ,
1510 MERCURE
DE FRANCE
» moires , quasi une seule particularité ,
» car le Roi les voulut toutes sçavoir
» dont il y eut bien à rire lorsque vous
» lui contâtes ce qui s'étoit passé entre
» vous et le sieur de Boisrosé ; surquoi
» S. M. vous dit qu'il lui étoit venu faire
» de grandes plaintes de vous , et le prier
» de le vouloir pourvoir sans le renvoyer
» à vous , dautant qu'il sçavoit bien que
» vous étiez son ennemi , à cause de quel-
» ques propos qu'il vous avoit tenus sans
»vous connoître , et partant le Roi vous
» pria de l'envoyer querir , &c.
Ce que M. de Rosny éxecuta dès le
lendemain. Il promit à Boisrosé , & lui
assûra deux mille écus de récompense ,
une pension de 1200. liv. et une Place de
Capitaine en pied. Bien plus , ce génereux
Ministre le retint depuis à sa suite , et le
fit enfin son Lieutenant en l'Artillerie au
Département de Normandie , dès que
Roi lui eût donné la Charge de GrandMaître. Voilà quelle fût la fin et le succès de l'aventure de Louviers. Je vous
promets incessamment la réponse à vos
autres Questions , et je suis , Monsieur
Bic.
AParis , le 29 Février 1732
Fermer
Résumé : LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. A. C. D. U. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques, &c.
La lettre de M. D. L. R. à M. A. C. D. V. aborde la possession de l'Abbaye de Saint-Taurin d'Évreux par Maximilien de Béthune, Marquis de Rosny et Duc de Sully. L'auteur répond à une demande d'éclaircissements sur ce sujet et confirme que Rosny a effectivement possédé cette abbaye par nomination royale sous Henri III. Bien que les archives de l'abbaye et certaines sources historiques ne mentionnent pas ce fait, l'auteur trouve la preuve dans les Mémoires de Sully. Il relate une anecdote où Boisrosé, gouverneur de Fécamp, rencontre Rosny à Louviers et se plaint de lui sans le reconnaître. Rosny, amusé, lui assure qu'il interviendra en sa faveur auprès du roi. L'auteur confirme ensuite la possession de l'abbaye par Rosny grâce à des registres et des témoignages religieux. Il mentionne également la suite de l'aventure de Boisrosé, qui arrive à la cour avant Rosny et se plaint au roi, mais finit par recevoir des récompenses et une place auprès de Rosny.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 1637-1643
LETTRE écrite par M. D. L. R. à M. le Marquis de B. au sujet de l'Armement du Roy d'Espagne, et de la Ville d'Oran.
Début :
L'Interêt que vous prenez, Monsieur, au succès des Armes [...]
Mots clefs :
Armement du roi d'Espagne, Conquête d'Oran, Flotte, Chrétienté Maritime, Afrique, Marine, Médaille, Barberousse
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite par M. D. L. R. à M. le Marquis de B. au sujet de l'Armement du Roy d'Espagne, et de la Ville d'Oran.
MORTS,
XXXXX
NAISSANCES,
et Mariage des Pays Etrangers.
E Duc Theodore , Prince Souverain de Sultz- bach, de la Maison Palatine,mourut le 11.
de ce mois à Dinckelspiel , dans la 74e année de
son âge , étant né le 14. Février 1659. Ce Prince
qui avoit épousé le 9. Juin 1692. Marie- Elonore
Amelie de Hesse- Reinfels- Rotembourg , morte
le 19. Janvier 1720. laisse pour heritier de ses
Etats , le Prince Joseph- Charles- Emanuel de Sultzbach , né le 17 Mars 1693. lequel avoit
épousé en 1717. Sophie- Auguste , fille de Charles Philippe Electeur Palatin , qui mourut en
couches le 30. Janvier 1728. duquel Mariage il
reste un Prince né le 15 Juin 1724.
Le 8. Juin , la Duchesse de Brunswick Beve- ren , sœur de l'Imperatrice et Epouse du Duc
Ferdinand Albert de Brunswick , accoucha d'un Prince.
On a appris de Milan, que le General Comte de
Stampa avoit conclu le Mariage du jeune Prince
Eugene de Savoye , avec la Princesse fille unique et heritiere du feu Duc de Massa de Carrara , et
que la celebration de ce Mariage devoit se faire incessamment.
XXXXX
NAISSANCES,
et Mariage des Pays Etrangers.
E Duc Theodore , Prince Souverain de Sultz- bach, de la Maison Palatine,mourut le 11.
de ce mois à Dinckelspiel , dans la 74e année de
son âge , étant né le 14. Février 1659. Ce Prince
qui avoit épousé le 9. Juin 1692. Marie- Elonore
Amelie de Hesse- Reinfels- Rotembourg , morte
le 19. Janvier 1720. laisse pour heritier de ses
Etats , le Prince Joseph- Charles- Emanuel de Sultzbach , né le 17 Mars 1693. lequel avoit
épousé en 1717. Sophie- Auguste , fille de Charles Philippe Electeur Palatin , qui mourut en
couches le 30. Janvier 1728. duquel Mariage il
reste un Prince né le 15 Juin 1724.
Le 8. Juin , la Duchesse de Brunswick Beve- ren , sœur de l'Imperatrice et Epouse du Duc
Ferdinand Albert de Brunswick , accoucha d'un Prince.
On a appris de Milan, que le General Comte de
Stampa avoit conclu le Mariage du jeune Prince
Eugene de Savoye , avec la Princesse fille unique et heritiere du feu Duc de Massa de Carrara , et
que la celebration de ce Mariage devoit se faire incessamment.
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Résumé : LETTRE écrite par M. D. L. R. à M. le Marquis de B. au sujet de l'Armement du Roy d'Espagne, et de la Ville d'Oran.
Le texte évoque plusieurs événements familiaux et décès au sein de la noblesse européenne. Le duc Théodore, prince souverain de Sulzbach, est décédé le 11 du mois à Dinckelspiel à l'âge de 74 ans. Né le 14 février 1659, il avait épousé Marie-Éléonore Amélie de Hesse-Reinfel-Rotembourg le 9 juin 1692, décédée le 19 janvier 1720. Leur héritier, le prince Joseph-Charles-Emanuel de Sulzbach, né le 17 mars 1693, avait épousé en 1717 Sophie-Auguste, fille de Charles Philippe Électeur Palatin, décédée en couches le 30 janvier 1728. De cette union est né un prince le 15 juin 1724. Le 8 juin, la duchesse de Brunswick-Bevern, sœur de l'impératrice et épouse du duc Ferdinand Albert de Brunswick, a accouché d'un prince. À Milan, le général comte de Stampa a arrangé le mariage du jeune prince Eugène de Savoie avec la princesse héritière du défunt duc de Massa de Carrara, dont la célébration devait avoir lieu prochainement.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 1866-1874
SECONDE LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. le Marquis de B. au sujet de la Priste d'Oran, &c.
Début :
La premiere nouvelle, Monsieur, de la conquête d'Oran, est venuë ici par un Courier [...]
Mots clefs :
Conquête d'Oran, Roi d'Espagne, Flotte, Bâtiments, Ennemis, Armée, Marquis de Santa Cruz
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SECONDE LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. le Marquis de B. au sujet de la Priste d'Oran, &c.
SECONDE LETTRE de M. D. L. R.
écrite à M. le Marquis de B. au sujet de
la Prise d'Oran , &c.
L
A premiere nouvelle , Monsieur , de la conquête d'Oran , est venue ici par un Courier
Extraordinaire dépêché de Séville le 10. de co
3
mois
A OUST. 1732. 1867
mois au Marquis de Castellar, Ambassadeur d'Es
pagne , lequel arriva à Paris le 20. Ce Ministrer
en fit part au Roy le lendemain , et présenta
S. M. une Lettre du Roy d'Espagne sur ce sujet.
Quelques jours après il donna un grand repas
aux Ministres Etrangers, aux Grands d'Espagne,
et aux Chevaliers de la Toison d'Or. Il y eut le
soir des Illuminations et une Fête entiere dans
son Hôtel ; on peut dire que toute la Ville y a
pris une grande part ; mais venons au détail que
vous avez droit d'attendre de moy sur cet Evene- ment.
Le premier soin du Roy d'Espagne , avant
que sa Flote se mit en Mer , a été de recomman der à Dieu le succès d'une entreprise si impor
tante , et d'ordonner des Prieres publiques dans
tous ses Etats. S. M. rendit pour cela un Decret
solemnel que je vais transcrire ici dans la Langue de l'Original , sçachant d'ailleurs que les
principales Langues de l'Europe vous sont fami lieres.
;
Siendo mi Real animo non, dejar separado del
gremio de laYglezia , y de nuestra Catholica Religion parte alguna de los Dominios que la Divina
Providega intrego a mi cuidado , quando me co- loco en el trono de esta Monarquia , y que la superioridad , y multiplicidad de mis enemigos arranco despues de mi obediencia violenta y fraudalen
tamente , he miditado en todos tiempos reunirlas
pero como la diversidad de las experimentadas contingincias ha embarazado hasta a hora el logro de
mis deseos , no hepodido ante aplicar a este importante'fin las considerables fuerzas que la Divina
omnipotencia hafiado in mi arbitrio ; y al presente
a unque no enteramente libre de ostros evidados
he resuelto no dilatar el de recobrar la importante
I ij Plaza
1668 MERCURE DE FRANCE
Plaza de Oran , que ha sido ostras vezer objecto
ร
valor , y de la piedad Christiana de la Nacion
spannola, considerandomuy principalmente que estando esta Plaza en poder de los Barbaros Africa- nos es una Purta Cerrada a la estencion de nuestra
Sagrada Religion , y abierta à la esclavidad de
los Habitadores de las immediatas Costas de Espanna , non sin fundato rezelo de que instruida esta Nacion de la guerra de Mar y tierra le facilite
la situacion de esta Paza y Puerto formidables , y
`fatales Ventay as sobre las vezings Provincias de
estos Ceynos , si tal Vez sehallazen entregadas al
descuido , o menos prorcidas de las fuerzas militares, conque presentemente, con la assistencia del
todo proderoso quedan superabundamente resguardadas , para et logro de tan importantefin he mandadojuntar en Alicante un exercito de hasta 30 M.
Infantes, y Cavallos ( si fuere menester ) provedido
de todos los viveros , Artilleria , municiones , y persechos correspondientes aquelquera ardua empressa
baxo las ordines del Capitan general Conde de Monsemar, y de mas Officiales Generales, y particulares , que he nombrado , y de Cuyas experiencias ,
y valor meprometo qualquera exito favorable , y
glorioso para que embarcados en el considerable numero de embarcaciones preventidas y escortadas de
las Esquadras de Navios , Galeras , y Galeotas
que a estefin he madato aprestar , passen immediamente a la recuperacion de mencionada Plaza de
Oran. Yporque todas las prevenciones humanas no
pueden sin los auxilios de la divina omnipotencia
assegurar el logro de empressa alguna , mando que
por la Camara se comunique luego esta determinacion a los Arzobispos , Obispos , y Cabildos Echlesiasticos , y atodas las Cuidades , y Villas de e
mes Reynos , segun se ha hecho en Otras occasiones,
*
+ estospara
A CUST. 1732 1869
para que se emplene en las Publicas , fervorosas Ro
gativas altodo Poderoso , afin que proteja mis reales
armas, y mes vivos deseos in tan importante expedicion. Expedido in Sevilla à 6 de Junio de 1732 .
Executese assi al Arzobispo Governador de Consejo
de Castilla. Yo EL REY.
Cet Acte de la pieté du Roy fut reçu avec un
applaudissement universel , principalement par
le Clergé. Un même zele parut aussi- tôt enflammer tous les cœurs , et par toute la Monarchie
d'Espagne on fit des vœux et on repeta ces grandes et édifiantes paroles qui furent autrefois prononcées avec tant de succès par le fameux Cardinal qui fit la premiere conquête d'Oran , * elles
méritent d'être transmises à la Posterité. Seigneur , ayez pitié de votre Peuple , et n'abandonnez
point votre héritage à des Barbares qui vous meconnoissent. Assistez-nous , puisque nous ne mettons
notre confiance qu'en vous et que nous n'adorons
que vous. Quoique nous n'ayons , mon Dieu , d'autre pensée ni d'autre dessein que d'étendre votre
sainte Foy et defaire honorer votre S. Nom ; nous
ne pouvons rien , toutefois , si vous ne nous prétez
la force de votre bras tout-puissant. Qu'est- ce que
peut la fragilité humaine sans votre secours La
puissance , l'Empire , la vertu , n'appartiennent qu'à
vous. Faites connoître à ceux qui vous haissent que
vous nous protegez , et ils seront confondus. Envoyez
le secours d'enhaut ; brisez la force de vos Ennemis et dissipez-les , afin qu'ils scachent qu'il n'y a que
vous qui êtes notre Dieu , qui combattez pour nous.
Cependant la Flotte équipée en la Baye d'Alicant , étant prête , et les derniers ordres de la Cour étant arrivez , elle mit à la voile le 15. de
Frias de Bello Oran. Art. XIV.
I iij. Juin
1870. MERCURE DE FRANCE
Juin , composée de plus de 5oo. Bâtimens de
transport de douze Vaisseaux de ligne , deux
Frégates , deux Galiotes à Bombes , sept Galeres ,
dix-huit Galiotes à Rames , et douze Barques
longes armées. Elle trouva bien- tôt des vents
contraires qui l'obligerent de rester pendant sept
jours à l'abri du Cap de Palos , d'où elle partit le 24. favorisée d'un bon vent qui la fit entrer dans le Canal , ensorte que le 25. elle se trouva
à la vue de la Côte d'Oran ; cependant les vents
contraires et la rapidité des courans ,
mirent pas de mouiller dans la Baye de cette
Ville avant le 28. Ce moüillage se fit sans perdre
aucun Bâtiment. Le 29. au point du jour on
commença de faire la descente en la Plage dite
des Aiguadas , à une lieuë à l'Ouest du Château
Almarza ou Marzalquibir , par le moyen de
Joo. Chaloupes formant une ligne , soutenuë de
tout le feu des Vaisseaux et des Galeres.
ne lui perLes Ennemis , qui s'étoient avancez au nombre
de dix ou douze mille Turcs ou Maures , divisez
en plusieurs troupes , voulurent s'opposer au dé- barquement; mais l'Artillerie des Vaisseaux et
des Galeres ayant redoublé son feu , et le principal Etendart des Ennemis ayant été abatu par Je premier coup de Canon que tira la Galere
S. Joseph , ils reculerent jusqu'à une certaine
* Ces Etendars sont ordinairement faits de quelque riche Etoffe dont le fond est verd et qui a servi a orner le Tombeau de Mahomet. Il y a au milieu
La Profession de Foy ordinaire ALLAH , ALLAH ,
c. en caracteres Arabes , brodez d'or ou d'argent
quelquefois de Perles. Rien n'est plus capable de
consterner les Infideles , que l'enlevement "d'un tel
Etendart.
distance.
A OUST. 1732. 1871
distance. Dans le même temps les Troupes du
Roy sauterent à terre. Toute l'Infanterie acheva
de débarquer le même jour avec une partie de la
Cavalerie, le tout dans un très bon ordre , mal
gré les continuelles escarmouches des Maures ,
ensorte qu'il n'y eut que quelques Soldats de blessez dans l'Armée du Roy.
Dès que les Ennemis eurent vů que la descente.
étoit faite , ils tenterent avec, un Corps de leur
Cavalerie , de tomber sur une troupe de Soldats
Espagnols, qui s'étoient écartez pour se rafrai
chir à une Fontaine assez éloignée de l'Armée ,
mais ce mouvement ayant été apperçu du General , il détacha 16. Compagnies de Grenadiers';
commandées par Don Lucas Fernando Patino ,
Maréchal de Camp , et 400. Chevaliers sous les
ordres du Marquis de las- Minas , aussi Maréchal de Camp , pour leur couper la retraite et pour s'emparer d'un poste avantageux qui étoit à la droite de l'Armée. Chrétienne. Le hazard
voulut que le Régiment du Prince étant débarqué du côté de la même Fontaine , une partie de
ce Régiment chargea les Maures , ce qui empêcha de les couper ; mas on se saisit toûjours du
poste en question , avantage qui les força tous à
gagner le haut de la Montagne et qui donna la facilité de pourvoir l'Armée d'eau pour deux
jours , afin de se mettre aussi -tôt en marche pour scontinuer ses progrès.
Le 30. Juin on se hâta de construire un Fort
sur la Plage, au pied de la Montagne del Sancto,
pour assurer la communication , la subsistance
de Armée et le reste du Débarquement ; mais le
Détachement qui couvroir les Travailleurs , s'étant peu à peu engagé avec les Maures , qui le
chargeoient avec beaucoup de violence , fut obliI´ iiij gé
1872 MERCURE DE FRANCE
gé de faire un mouvement vers la Ligne et les
Postes qui pouvoient le secourir ; ce qui ne suffisant pas , le General fit avancer quelques Compagnies de Grenadiers; mais la multitude et le feu
des Barbares augmentant toûjours , le General accourut lui- même , et fut enfin obligé de mettre toute l'Armée en mouvement.
Le Comte de Montemar marcha d'abord en
six colomnes pour se saisir des Montagnes d'où
les ennemis étoient descendus , ce qui fut heureusement executé , après un combat très- opiniâtré ; ensorte que les Troupes du Roy s'établirent principalement sur la Montagne del Sanco,
qui commande la Forteresse de Marzarquibir , ce
qui coupa aux Maures toute communication
et leur ota tout espoir. }
En effet le lendemain premier Juillet , l'Armée
s'étant mise en marche pour aller chercher les
ennemis , on apprit que les Infideles avoient abandonné la Place et les Forts d'Oran , et qu'ayant
le Bey ou Commandant à leur tête , ils avoient
pris le parti de se retirer , ou plutôt de s'enfuir à
la faveur de la nuit. Le Bey étoit au milieu de
sa Garde , suivi de 200. chevaux chargez de ses
effets les plus précieux ; ensorte que l'Arméa
Chrétienne trouva la Place deserte , quantité de
meubles dans la maison du Bey , les Magazins.
remplis de munitions de toute espece , et un Camp
formé par des Baraques entre Oran et le Fort de
Marzalquibir.. - i
On a sçu que le jour du combat- l'Armée des
Maures étoit de 220co. Africains , et de 2000.
Turcs , dont une partie étoit de la Garnison de
Marzalquibir , qui ne purent entrer dans la Forteresse , les Troupes Chrétiennes s'étant emparées
très à propos de la Montagne del Sancto. Cetre,
action
AOUST. 17521 1873
action a été sanglante et il y est péri un grand
nombre d'infideles , àતે en juger par la quantité de
riches dépouilles , d'argent monnoyé, d'Armes
et de Harnois garnis d'orfévrerie , &c qui furent ...le partage des Soldats.
On a trouvé dans les Forteresses 138 pieces
de Canon , dont-87. sont de fonte , Sept Mortiers
et une grande quantité de munitions de guerre et
de bouche. Il y avoit dans le Mole d'Oran , une
grande Galiote et cinq Brigantins pour la course , qui furent pareillement abandonnez par les Maures.
Dans l'Armée du Roy il n'y a eu que 30 hom- mes de tuez et cent de blessez. Deux Officiersseulement sont du nombre des morts et six du
nombre des blessez.
Le 2 Juillet, le Gouverneur Turc de la Forteresse
de Marzarquibir, ayant été sommé de se rendré.il
sortit avec sa Garnison de 150. Tures , mais un
grand nombre d'Africains qui étoient dans la
Place , prirent le parti de se jetter dans la Mer
et d'aller à la nage rejoindre leur Armée.
Voilà , Monsieur , le précis de ce que j'ai lu
dans plusieurs Lettres originales écrites du Campdevant Oran le 30. Juin, et de Séville le 6. et le 8.
de Juillet. Le succès , comme vous voyez , a été
dès plus heureux. On donne de justes éloges au
Comte de Montemar, General, aux Officiers Generaux et aux autres Officiers qui ont servi sous
ses ordres , et à la valeur des Troupes , sur tout
aux Grenadiers , qur, malgré la résistance , le
grand feu des Ennemis et la situation des lieux
escarpez et difficiles , les ont enfin entierement:
défaits et mis en déroute.
J'aurai soin de vous instruire des suites de ces
heureux évenement. Je suis, &c.
AParis , ce 4. Août 17320
فل
Dy
1874 MERCURE DE FRANCE
J'apprends , en fermant ma Lettre , que le Roy
d'Espagne a nommé Gouverneur d'Oran le Marquis de Santa Cruz , qui l'étoit de Ceuta, et qui
a servi dans cette Expedition en sa qualité de
Maréchal de Camp. C'est le même que vous avez
connu ici et qui étoit Ambassadeur Plénipotentiaire du Roi d'Espagne au Congrès de Cambray,
écrite à M. le Marquis de B. au sujet de
la Prise d'Oran , &c.
L
A premiere nouvelle , Monsieur , de la conquête d'Oran , est venue ici par un Courier
Extraordinaire dépêché de Séville le 10. de co
3
mois
A OUST. 1732. 1867
mois au Marquis de Castellar, Ambassadeur d'Es
pagne , lequel arriva à Paris le 20. Ce Ministrer
en fit part au Roy le lendemain , et présenta
S. M. une Lettre du Roy d'Espagne sur ce sujet.
Quelques jours après il donna un grand repas
aux Ministres Etrangers, aux Grands d'Espagne,
et aux Chevaliers de la Toison d'Or. Il y eut le
soir des Illuminations et une Fête entiere dans
son Hôtel ; on peut dire que toute la Ville y a
pris une grande part ; mais venons au détail que
vous avez droit d'attendre de moy sur cet Evene- ment.
Le premier soin du Roy d'Espagne , avant
que sa Flote se mit en Mer , a été de recomman der à Dieu le succès d'une entreprise si impor
tante , et d'ordonner des Prieres publiques dans
tous ses Etats. S. M. rendit pour cela un Decret
solemnel que je vais transcrire ici dans la Langue de l'Original , sçachant d'ailleurs que les
principales Langues de l'Europe vous sont fami lieres.
;
Siendo mi Real animo non, dejar separado del
gremio de laYglezia , y de nuestra Catholica Religion parte alguna de los Dominios que la Divina
Providega intrego a mi cuidado , quando me co- loco en el trono de esta Monarquia , y que la superioridad , y multiplicidad de mis enemigos arranco despues de mi obediencia violenta y fraudalen
tamente , he miditado en todos tiempos reunirlas
pero como la diversidad de las experimentadas contingincias ha embarazado hasta a hora el logro de
mis deseos , no hepodido ante aplicar a este importante'fin las considerables fuerzas que la Divina
omnipotencia hafiado in mi arbitrio ; y al presente
a unque no enteramente libre de ostros evidados
he resuelto no dilatar el de recobrar la importante
I ij Plaza
1668 MERCURE DE FRANCE
Plaza de Oran , que ha sido ostras vezer objecto
ร
valor , y de la piedad Christiana de la Nacion
spannola, considerandomuy principalmente que estando esta Plaza en poder de los Barbaros Africa- nos es una Purta Cerrada a la estencion de nuestra
Sagrada Religion , y abierta à la esclavidad de
los Habitadores de las immediatas Costas de Espanna , non sin fundato rezelo de que instruida esta Nacion de la guerra de Mar y tierra le facilite
la situacion de esta Paza y Puerto formidables , y
`fatales Ventay as sobre las vezings Provincias de
estos Ceynos , si tal Vez sehallazen entregadas al
descuido , o menos prorcidas de las fuerzas militares, conque presentemente, con la assistencia del
todo proderoso quedan superabundamente resguardadas , para et logro de tan importantefin he mandadojuntar en Alicante un exercito de hasta 30 M.
Infantes, y Cavallos ( si fuere menester ) provedido
de todos los viveros , Artilleria , municiones , y persechos correspondientes aquelquera ardua empressa
baxo las ordines del Capitan general Conde de Monsemar, y de mas Officiales Generales, y particulares , que he nombrado , y de Cuyas experiencias ,
y valor meprometo qualquera exito favorable , y
glorioso para que embarcados en el considerable numero de embarcaciones preventidas y escortadas de
las Esquadras de Navios , Galeras , y Galeotas
que a estefin he madato aprestar , passen immediamente a la recuperacion de mencionada Plaza de
Oran. Yporque todas las prevenciones humanas no
pueden sin los auxilios de la divina omnipotencia
assegurar el logro de empressa alguna , mando que
por la Camara se comunique luego esta determinacion a los Arzobispos , Obispos , y Cabildos Echlesiasticos , y atodas las Cuidades , y Villas de e
mes Reynos , segun se ha hecho en Otras occasiones,
*
+ estospara
A CUST. 1732 1869
para que se emplene en las Publicas , fervorosas Ro
gativas altodo Poderoso , afin que proteja mis reales
armas, y mes vivos deseos in tan importante expedicion. Expedido in Sevilla à 6 de Junio de 1732 .
Executese assi al Arzobispo Governador de Consejo
de Castilla. Yo EL REY.
Cet Acte de la pieté du Roy fut reçu avec un
applaudissement universel , principalement par
le Clergé. Un même zele parut aussi- tôt enflammer tous les cœurs , et par toute la Monarchie
d'Espagne on fit des vœux et on repeta ces grandes et édifiantes paroles qui furent autrefois prononcées avec tant de succès par le fameux Cardinal qui fit la premiere conquête d'Oran , * elles
méritent d'être transmises à la Posterité. Seigneur , ayez pitié de votre Peuple , et n'abandonnez
point votre héritage à des Barbares qui vous meconnoissent. Assistez-nous , puisque nous ne mettons
notre confiance qu'en vous et que nous n'adorons
que vous. Quoique nous n'ayons , mon Dieu , d'autre pensée ni d'autre dessein que d'étendre votre
sainte Foy et defaire honorer votre S. Nom ; nous
ne pouvons rien , toutefois , si vous ne nous prétez
la force de votre bras tout-puissant. Qu'est- ce que
peut la fragilité humaine sans votre secours La
puissance , l'Empire , la vertu , n'appartiennent qu'à
vous. Faites connoître à ceux qui vous haissent que
vous nous protegez , et ils seront confondus. Envoyez
le secours d'enhaut ; brisez la force de vos Ennemis et dissipez-les , afin qu'ils scachent qu'il n'y a que
vous qui êtes notre Dieu , qui combattez pour nous.
Cependant la Flotte équipée en la Baye d'Alicant , étant prête , et les derniers ordres de la Cour étant arrivez , elle mit à la voile le 15. de
Frias de Bello Oran. Art. XIV.
I iij. Juin
1870. MERCURE DE FRANCE
Juin , composée de plus de 5oo. Bâtimens de
transport de douze Vaisseaux de ligne , deux
Frégates , deux Galiotes à Bombes , sept Galeres ,
dix-huit Galiotes à Rames , et douze Barques
longes armées. Elle trouva bien- tôt des vents
contraires qui l'obligerent de rester pendant sept
jours à l'abri du Cap de Palos , d'où elle partit le 24. favorisée d'un bon vent qui la fit entrer dans le Canal , ensorte que le 25. elle se trouva
à la vue de la Côte d'Oran ; cependant les vents
contraires et la rapidité des courans ,
mirent pas de mouiller dans la Baye de cette
Ville avant le 28. Ce moüillage se fit sans perdre
aucun Bâtiment. Le 29. au point du jour on
commença de faire la descente en la Plage dite
des Aiguadas , à une lieuë à l'Ouest du Château
Almarza ou Marzalquibir , par le moyen de
Joo. Chaloupes formant une ligne , soutenuë de
tout le feu des Vaisseaux et des Galeres.
ne lui perLes Ennemis , qui s'étoient avancez au nombre
de dix ou douze mille Turcs ou Maures , divisez
en plusieurs troupes , voulurent s'opposer au dé- barquement; mais l'Artillerie des Vaisseaux et
des Galeres ayant redoublé son feu , et le principal Etendart des Ennemis ayant été abatu par Je premier coup de Canon que tira la Galere
S. Joseph , ils reculerent jusqu'à une certaine
* Ces Etendars sont ordinairement faits de quelque riche Etoffe dont le fond est verd et qui a servi a orner le Tombeau de Mahomet. Il y a au milieu
La Profession de Foy ordinaire ALLAH , ALLAH ,
c. en caracteres Arabes , brodez d'or ou d'argent
quelquefois de Perles. Rien n'est plus capable de
consterner les Infideles , que l'enlevement "d'un tel
Etendart.
distance.
A OUST. 1732. 1871
distance. Dans le même temps les Troupes du
Roy sauterent à terre. Toute l'Infanterie acheva
de débarquer le même jour avec une partie de la
Cavalerie, le tout dans un très bon ordre , mal
gré les continuelles escarmouches des Maures ,
ensorte qu'il n'y eut que quelques Soldats de blessez dans l'Armée du Roy.
Dès que les Ennemis eurent vů que la descente.
étoit faite , ils tenterent avec, un Corps de leur
Cavalerie , de tomber sur une troupe de Soldats
Espagnols, qui s'étoient écartez pour se rafrai
chir à une Fontaine assez éloignée de l'Armée ,
mais ce mouvement ayant été apperçu du General , il détacha 16. Compagnies de Grenadiers';
commandées par Don Lucas Fernando Patino ,
Maréchal de Camp , et 400. Chevaliers sous les
ordres du Marquis de las- Minas , aussi Maréchal de Camp , pour leur couper la retraite et pour s'emparer d'un poste avantageux qui étoit à la droite de l'Armée. Chrétienne. Le hazard
voulut que le Régiment du Prince étant débarqué du côté de la même Fontaine , une partie de
ce Régiment chargea les Maures , ce qui empêcha de les couper ; mas on se saisit toûjours du
poste en question , avantage qui les força tous à
gagner le haut de la Montagne et qui donna la facilité de pourvoir l'Armée d'eau pour deux
jours , afin de se mettre aussi -tôt en marche pour scontinuer ses progrès.
Le 30. Juin on se hâta de construire un Fort
sur la Plage, au pied de la Montagne del Sancto,
pour assurer la communication , la subsistance
de Armée et le reste du Débarquement ; mais le
Détachement qui couvroir les Travailleurs , s'étant peu à peu engagé avec les Maures , qui le
chargeoient avec beaucoup de violence , fut obliI´ iiij gé
1872 MERCURE DE FRANCE
gé de faire un mouvement vers la Ligne et les
Postes qui pouvoient le secourir ; ce qui ne suffisant pas , le General fit avancer quelques Compagnies de Grenadiers; mais la multitude et le feu
des Barbares augmentant toûjours , le General accourut lui- même , et fut enfin obligé de mettre toute l'Armée en mouvement.
Le Comte de Montemar marcha d'abord en
six colomnes pour se saisir des Montagnes d'où
les ennemis étoient descendus , ce qui fut heureusement executé , après un combat très- opiniâtré ; ensorte que les Troupes du Roy s'établirent principalement sur la Montagne del Sanco,
qui commande la Forteresse de Marzarquibir , ce
qui coupa aux Maures toute communication
et leur ota tout espoir. }
En effet le lendemain premier Juillet , l'Armée
s'étant mise en marche pour aller chercher les
ennemis , on apprit que les Infideles avoient abandonné la Place et les Forts d'Oran , et qu'ayant
le Bey ou Commandant à leur tête , ils avoient
pris le parti de se retirer , ou plutôt de s'enfuir à
la faveur de la nuit. Le Bey étoit au milieu de
sa Garde , suivi de 200. chevaux chargez de ses
effets les plus précieux ; ensorte que l'Arméa
Chrétienne trouva la Place deserte , quantité de
meubles dans la maison du Bey , les Magazins.
remplis de munitions de toute espece , et un Camp
formé par des Baraques entre Oran et le Fort de
Marzalquibir.. - i
On a sçu que le jour du combat- l'Armée des
Maures étoit de 220co. Africains , et de 2000.
Turcs , dont une partie étoit de la Garnison de
Marzalquibir , qui ne purent entrer dans la Forteresse , les Troupes Chrétiennes s'étant emparées
très à propos de la Montagne del Sancto. Cetre,
action
AOUST. 17521 1873
action a été sanglante et il y est péri un grand
nombre d'infideles , àતે en juger par la quantité de
riches dépouilles , d'argent monnoyé, d'Armes
et de Harnois garnis d'orfévrerie , &c qui furent ...le partage des Soldats.
On a trouvé dans les Forteresses 138 pieces
de Canon , dont-87. sont de fonte , Sept Mortiers
et une grande quantité de munitions de guerre et
de bouche. Il y avoit dans le Mole d'Oran , une
grande Galiote et cinq Brigantins pour la course , qui furent pareillement abandonnez par les Maures.
Dans l'Armée du Roy il n'y a eu que 30 hom- mes de tuez et cent de blessez. Deux Officiersseulement sont du nombre des morts et six du
nombre des blessez.
Le 2 Juillet, le Gouverneur Turc de la Forteresse
de Marzarquibir, ayant été sommé de se rendré.il
sortit avec sa Garnison de 150. Tures , mais un
grand nombre d'Africains qui étoient dans la
Place , prirent le parti de se jetter dans la Mer
et d'aller à la nage rejoindre leur Armée.
Voilà , Monsieur , le précis de ce que j'ai lu
dans plusieurs Lettres originales écrites du Campdevant Oran le 30. Juin, et de Séville le 6. et le 8.
de Juillet. Le succès , comme vous voyez , a été
dès plus heureux. On donne de justes éloges au
Comte de Montemar, General, aux Officiers Generaux et aux autres Officiers qui ont servi sous
ses ordres , et à la valeur des Troupes , sur tout
aux Grenadiers , qur, malgré la résistance , le
grand feu des Ennemis et la situation des lieux
escarpez et difficiles , les ont enfin entierement:
défaits et mis en déroute.
J'aurai soin de vous instruire des suites de ces
heureux évenement. Je suis, &c.
AParis , ce 4. Août 17320
فل
Dy
1874 MERCURE DE FRANCE
J'apprends , en fermant ma Lettre , que le Roy
d'Espagne a nommé Gouverneur d'Oran le Marquis de Santa Cruz , qui l'étoit de Ceuta, et qui
a servi dans cette Expedition en sa qualité de
Maréchal de Camp. C'est le même que vous avez
connu ici et qui étoit Ambassadeur Plénipotentiaire du Roi d'Espagne au Congrès de Cambray,
Fermer
Résumé : SECONDE LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. le Marquis de B. au sujet de la Priste d'Oran, &c.
En 1732, la prise d'Oran par les Espagnols fut annoncée par un courrier extraordinaire de Séville à Paris le 20 juin. Avant l'expédition, le roi d'Espagne ordonna des prières publiques dans tous ses États pour assurer le succès de l'entreprise. Une flotte composée de plus de 500 bâtiments quitta Alicante le 15 juin et arriva devant Oran le 28 juin. Le débarquement des troupes espagnoles eut lieu le 29 juin, malgré la résistance des ennemis, qui furent repoussés par l'artillerie des vaisseaux. Les Espagnols construisirent un fort sur la plage pour sécuriser la communication et la subsistance de l'armée. Le 30 juin, les troupes espagnoles prirent les montagnes stratégiques, forçant les Maures à se retirer. Le 1er juillet, l'armée chrétienne trouva la place d'Oran désertée par les ennemis, qui avaient fui pendant la nuit. Les Espagnols découvrirent des munitions et des richesses abandonnées. La bataille fit 30 morts et 100 blessés dans les rangs espagnols. Le 2 juillet, la forteresse de Marzarquivir se rendit. Le roi d'Espagne nomma le Marquis de Santa Cruz gouverneur d'Oran. Le texte mentionne également une personne connue en tant qu'Ambassadeur Plénipotentiaire du Roi d'Espagne au Congrès de Cambray, sans fournir de détails supplémentaires sur cette personne.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
8
p. 1933-1940
EXTRAIT d'une Lettre écrite par M. D. L. R. à M*** sur la Litterature des Mahometans, et sur celle des Turcs en particulier.
Début :
L'Orient a toûjours eu et a encore aujourd'hui des Gens de Lettres de Profession [...]
Mots clefs :
Orient, Mahométisme, Érudition, Alcoran, Science, Histoire orientale, Savant, Auteurs orientaux, Sultan Bajazet Kan
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre écrite par M. D. L. R. à M*** sur la Litterature des Mahometans, et sur celle des Turcs en particulier.
EXTRAIT d'une Lettre écrite par
M.D. L. R. à M*** sur la Litterature
des Mahometans , et sur celle des Turcs
en particulier.
'Orient a
toûjous eu et a encore auLo Lettres
fession ; on y cultive les Sciences et les
Beaux-Arts la plupart des Européens
sont là-dessus dans une étrange préjugé,
croyant que le Mahometisme a absolument détruit, dans son Empire tout ce
qui s'appelle bon goût et érudition. Je
sortirois trop du sujet principal de ma
Lettre , si j'entreprenois de combattre ce
préjugé , avec quelque étendue , et je ne
dirois rien qui ne vous fût en quelque
façon connu. Je me contenterai de faire.
ici quelques Remarques pour prouver ce
que je viens d'avancer.
Premierement , dans l'Alcoran même,
la Science en general est fort exaltée et
recommandée aux Musulmans ,
jusquesfà qu'un des plus anciens Docteurs Mahométans , disoit que celui qui s'exerce
dans les bonnes œuvres sans la Science ,
est semblable àl'âne d'un Moulin qui tourC no
1934 MERCURE DE FRANCE
"
ne toujours sans avancer chemin. Le
Monde , dit une des Traditions Mahometanes , ne subsiste que par quatre choses ; par la science des Docteurs , par la
justice des Princes , par les prieres des
gens de bien , et par la valeur des Braves.
Enfin un des plus grands Personnages de
cette Secte , étant au lit de la mort ,
disoit à ses Enfans , apprenez toutes les
Sciences , si vous pouvez , à l'exception
de trois , qui sont l'Astrologie judiciaire,
la Chimie , qui n'a pour but que la Pierre
Philosophale , et la Controverse ; car la
premiere ne sert qu'à augmenter les chagrins de la vie ; la seconde , à consumer
son bien , et la troisième , qu'à causer des
doutes , qui font enfin perdre la Religion.
Depuis l'établissement des Califes , successeurs de Mahomet , et la fondation
de leur Monarchie , plus vaste que celle
des Romains , il y a toujours eu parr i
les Arabes une infinité de gens qui s
sont appliquez à l'étude des Sciences
des Arts ; ils ont traduit en leur Langu
l'une des plus anciennes , les meilleu
Livres Grecs , Hebreux , &c. qu'ils or
pû trouver. Plusieurs même de ces C
lifes ont été sçavans et ont aimé et pro
regé les Gens de Lettre ; ils ont fon
des Colleges , établi des Académies
SC
SEPTEMBRE. 1732: 1935
sont celebres dans l'Histoire Orientale.
Il faut avouer , dit le Pere Rapin dans
ses Refléxions sur l'Histoire , que les
Arabes , par la qualité de leur esprit et
par le loisir que la prosperité de leurs
Armes et l'abondance leur procurerent ,
s'appliquerent tellement à l'étude de la
Philosophie et des Mathématiques , qu'ils
devinrent les premiers Sçavans du Monde.
Les autres Princes Mahométans contemporains ou successeurs des Califes
sur tout les Princes Asiatiques , se sont
piquez de science , et de faire fleurir les
Lettres dans leurs Etats. L'Histoire Orientale parle d'un Sultan si studieux , qu'il
faisoit porter à l'armée et dans tous ses
voyages , une Bibliotheque , qui faisoit
seule la charge de 400. Chameaux. Le
Grand Visir Kupruli , tué à la Bataille
de Salamkemen , a fait la même chose
de nos jours.
J'ajoûterai l'exemple de deux autres
Sultans amateurs des Sciences ; le preier est Kedder Kan , qui regnoit dans
a Transoxane , ou le Turquestan , dans
te Ve Siecle de l'Hegire. C'étoit un Prince
- puissant , sçavant et des plus magnifiques
de son temps. Il avoit formé une Acaémie qui s'assembloit en sa présence
nt assis sur une Estrade élevée , au
Cij pied
1936 MERCURE DE FRANCE
pied de laquelle étoient quatre grands
bassins remplis d'or et d'argent , qu'il
distribuoit aux Académiciens , suivant le
prix et le mérite de leurs Ouvrages. Ce
Prince avoit toûjours à sa Cour une centaine de Sçavans d'élite , qui l'accompagnoient partout, et auxquels il donnoit
de grosses pensions.
L'autre Prince est Atsiz , Sultan de Karisme , qui se distinguoit par sa liberalité
envers les Gens de Lettres. Il assembloit
souvent au milieu de sa Cour une Académie pour conferer sur les Sciences et
sur les Belles Lettres , et il récompensoit
les Sçavans suivant leur mérite et celui
de leurs productions. Ce Prince vivoit
vers le milieu du VI. siecle de l'Hegire
le XII. de J. C.
On dira peut- être , Monsieur , que ces
traits recueillis des Auteurs Orientaux ,
regardent des temps fort éloignez du
nôtre , et que depuis les conquêtes des
Turcs dans le Levant , sur tout depuis la
prise de Constantinople , cette Nation ,
qu'on suppose toujours ennemie des Lettres et des études , a aboli toute espece
de science et d'érudition en ce Pays- là.
On le dira , si on veut , mais on le dira
sans autorité et sans fondement. Il est
rai que cette Nation a fait dès le com
mencement
SEPTEMBRE. 1732. 1937
mencement une profession particuliers
des armes , mais il est vrai, aussi qu'elle n'a
jamais méprisé l'étude des Lettres , qu'elle
s'est polie dans la suite , qu'elle a eu pour
Maîtres dans les Sciences , ces mêmes Arabes dont elle a détruit l'Empire , qu'elle
les a même surpassez en plusieurs choses';
et qu'enfin les Turcs ont traduit en leur
Langue les plus beaux Ouvrages des Arabes et des Persans. Mahomet II. les deux
Bajazets , Selim I. et le grand Soliman ,
dont nous avons des Lettres écrites à
François I. étoient des Princes curieux et
sçavans. Les Lettres de Soliman se trouvent dans la Bibliotheque du Roy , dans
celle du Chancelier Seguier , aujourd'hui
de M. l'Evêque de Metz , Duc de Coislin,
et dans des Cabinets particuliers. J'en
possede deux , dont l'une est l'original
Turc, lesquelles ne se trouvent point ailleurs. J'ajoûterai à cette occasion qu'à la
fin du premier volume de la nouvelle
Edition de Gallia Christiana on trouve
la Traduction Latine d'une Lettre assez
singuliere de Bajazet II. écrite au Pape
Alexandre VI. pour le prier de faire CardinalNicolas Cibo , Archevêque d'Arles,
Cette Lettre n'est pas dattée à la maniere
des Musulmans , par l'Hegite , mais par
la Naissance du Messie , ce qui ne peutC iij ërre
1938 MERCURE DE FRANCE
de être regardé que comme une espece
politesse de la part de Bajazet , écrivant
au Souverain Pontife des Chrétiens.
Nous voyons enfin dans la Bibliotheque Orientale de Hagi Kalfah , Turc
moderne de Constantinople , qui contient un ample Recueil alphabetique de
tous les Auteurs Orientaux , et de leurs
Ouvrages , depuis l'origine du Mohometisme jusqu'à son temps ; nous voyons ,
dis-je , par ce Recueil , que les Turcs ont
écrit sur toute sorte de matieres , et qu'ils
ont une très- bonne part dans cette Bibliotheque , laquelle contient une Encyclopedie de toutes les Sciences et des Arts.
Ce Hagi Kalfah , natif, comme je l'ai dit,
de Constantinople , étoit fils du premier
Secretaire du Divan ; il fut premier Commis du Secretaire d'Etat en Chef de la
Cour Ottomane , et il a passé pour un
des plus habiles hommes de son temps.
Sa Bibliographie est dans la Bibliotheque
du Roy et dans celle de M. Colbert ,
M. Petis de la Croix , mort en 1713. en
a laissé une Traduction en notre Langue,
qui contient plusieurs volumes in folio s
il avoit dessein de la publier.
Je finis en disant que ceux qui ont fait
le voyage du Levant avec les dispositions
necessaires pour en profiter , sçavent que dans
SEPTEMBR E. 1732. 1939
dans la Capitale et dans les principales
Villes de l'Empire Turc , il y a des Professeurs publics , des Maîtres particuliers
et des Livres en toute sorte de Sciences
et sur les Beaux Arts , et que les Empereurs Ottomans n'ont jamais fait bâtir
de Mosquées sans y joindre un College
magnifiquement fondé et entretenu. Il y
en a plusieurs de cette espece à Constantinople. Il y en a aussi au Grand Caire , à
Damas , à Alep , &c. Je suis , Monsieur , &c.
>
Comme vous n'êtes pas à portée de
voir dans le nouveau Gallia Christiana
la Lettre dont je viens de parler , j'ai
crû que vous ne seriez pas fâché de la
trouver ici telle que le R. P. de SainteMarthe l'a rapportée , T. I. page 103.
N°. 32. parmi les titres qui regardent la
Métropole d'Arles.
SULTAN BAJAZET KAN , Dei Gratia
Rex Maximus et Imperator utriusque Continentis Asia et Europe ; Christianorum
excellenti, Patri et DD. Alexandro, divinâ
Providentia Romana Ecclesia Pontifici dignissimo. Post convenientem et justam Sa
iutationem ; notum sit tuo supremo Pontificio , quemadmodum Reverendus Dominus
Nicolaus Cybo , Archiepiscopus Arelatensis
est dignus et fidelis homo ipsius et à temCij pore
1940 MERCURE DE FRANCE
pore precedentis Papa Supremi Pontificis
Domini Innocentii usque in hodiernum diem
in tempus sue Magnitudinis, continuè adpacem et amicitiamfestinat, semperque animò et^
corpore in fidelissimâ fide duabus Partibus
servivit et adhuc servit. Hujus rei causâ
justum est et vobis decet majori in ordine
ipsum esse debere ; et rogavimus Supremum Pontificem ut faceret illum Cardinalem , et assensus est nostre petitioni , adeò
ut litteris nobis significaverit quod petitum est
daturum fuisse ipsi. Verùm quia non erat
tempus, Idibus Septembris mensis non sedet
in ordine suo , et ut requirit consuetudo. Intereà verò jussu Dei dedit Pontifex commune debitum , et sic ipse remansit. Ea igitur
de causâ scribimus et rogamus tuam Magnitudinem propter amicitiam et pacem quam
inter nos habuimus , et propter mutuum cor ,
ut ad impleat ipsi tuum Pontificium , videlicet , ut faciat ipsum perfectum Cardinalem , habebimus et nos id in magnâ gratiâ.
·Datum in Aulâ nostra Sultania Auctoritatis in Constantinopoli , M. ccccxcrv.
Anno à Jesu Propheta Nativitate VIII.
Septembris
M.D. L. R. à M*** sur la Litterature
des Mahometans , et sur celle des Turcs
en particulier.
'Orient a
toûjous eu et a encore auLo Lettres
fession ; on y cultive les Sciences et les
Beaux-Arts la plupart des Européens
sont là-dessus dans une étrange préjugé,
croyant que le Mahometisme a absolument détruit, dans son Empire tout ce
qui s'appelle bon goût et érudition. Je
sortirois trop du sujet principal de ma
Lettre , si j'entreprenois de combattre ce
préjugé , avec quelque étendue , et je ne
dirois rien qui ne vous fût en quelque
façon connu. Je me contenterai de faire.
ici quelques Remarques pour prouver ce
que je viens d'avancer.
Premierement , dans l'Alcoran même,
la Science en general est fort exaltée et
recommandée aux Musulmans ,
jusquesfà qu'un des plus anciens Docteurs Mahométans , disoit que celui qui s'exerce
dans les bonnes œuvres sans la Science ,
est semblable àl'âne d'un Moulin qui tourC no
1934 MERCURE DE FRANCE
"
ne toujours sans avancer chemin. Le
Monde , dit une des Traditions Mahometanes , ne subsiste que par quatre choses ; par la science des Docteurs , par la
justice des Princes , par les prieres des
gens de bien , et par la valeur des Braves.
Enfin un des plus grands Personnages de
cette Secte , étant au lit de la mort ,
disoit à ses Enfans , apprenez toutes les
Sciences , si vous pouvez , à l'exception
de trois , qui sont l'Astrologie judiciaire,
la Chimie , qui n'a pour but que la Pierre
Philosophale , et la Controverse ; car la
premiere ne sert qu'à augmenter les chagrins de la vie ; la seconde , à consumer
son bien , et la troisième , qu'à causer des
doutes , qui font enfin perdre la Religion.
Depuis l'établissement des Califes , successeurs de Mahomet , et la fondation
de leur Monarchie , plus vaste que celle
des Romains , il y a toujours eu parr i
les Arabes une infinité de gens qui s
sont appliquez à l'étude des Sciences
des Arts ; ils ont traduit en leur Langu
l'une des plus anciennes , les meilleu
Livres Grecs , Hebreux , &c. qu'ils or
pû trouver. Plusieurs même de ces C
lifes ont été sçavans et ont aimé et pro
regé les Gens de Lettre ; ils ont fon
des Colleges , établi des Académies
SC
SEPTEMBRE. 1732: 1935
sont celebres dans l'Histoire Orientale.
Il faut avouer , dit le Pere Rapin dans
ses Refléxions sur l'Histoire , que les
Arabes , par la qualité de leur esprit et
par le loisir que la prosperité de leurs
Armes et l'abondance leur procurerent ,
s'appliquerent tellement à l'étude de la
Philosophie et des Mathématiques , qu'ils
devinrent les premiers Sçavans du Monde.
Les autres Princes Mahométans contemporains ou successeurs des Califes
sur tout les Princes Asiatiques , se sont
piquez de science , et de faire fleurir les
Lettres dans leurs Etats. L'Histoire Orientale parle d'un Sultan si studieux , qu'il
faisoit porter à l'armée et dans tous ses
voyages , une Bibliotheque , qui faisoit
seule la charge de 400. Chameaux. Le
Grand Visir Kupruli , tué à la Bataille
de Salamkemen , a fait la même chose
de nos jours.
J'ajoûterai l'exemple de deux autres
Sultans amateurs des Sciences ; le preier est Kedder Kan , qui regnoit dans
a Transoxane , ou le Turquestan , dans
te Ve Siecle de l'Hegire. C'étoit un Prince
- puissant , sçavant et des plus magnifiques
de son temps. Il avoit formé une Acaémie qui s'assembloit en sa présence
nt assis sur une Estrade élevée , au
Cij pied
1936 MERCURE DE FRANCE
pied de laquelle étoient quatre grands
bassins remplis d'or et d'argent , qu'il
distribuoit aux Académiciens , suivant le
prix et le mérite de leurs Ouvrages. Ce
Prince avoit toûjours à sa Cour une centaine de Sçavans d'élite , qui l'accompagnoient partout, et auxquels il donnoit
de grosses pensions.
L'autre Prince est Atsiz , Sultan de Karisme , qui se distinguoit par sa liberalité
envers les Gens de Lettres. Il assembloit
souvent au milieu de sa Cour une Académie pour conferer sur les Sciences et
sur les Belles Lettres , et il récompensoit
les Sçavans suivant leur mérite et celui
de leurs productions. Ce Prince vivoit
vers le milieu du VI. siecle de l'Hegire
le XII. de J. C.
On dira peut- être , Monsieur , que ces
traits recueillis des Auteurs Orientaux ,
regardent des temps fort éloignez du
nôtre , et que depuis les conquêtes des
Turcs dans le Levant , sur tout depuis la
prise de Constantinople , cette Nation ,
qu'on suppose toujours ennemie des Lettres et des études , a aboli toute espece
de science et d'érudition en ce Pays- là.
On le dira , si on veut , mais on le dira
sans autorité et sans fondement. Il est
rai que cette Nation a fait dès le com
mencement
SEPTEMBRE. 1732. 1937
mencement une profession particuliers
des armes , mais il est vrai, aussi qu'elle n'a
jamais méprisé l'étude des Lettres , qu'elle
s'est polie dans la suite , qu'elle a eu pour
Maîtres dans les Sciences , ces mêmes Arabes dont elle a détruit l'Empire , qu'elle
les a même surpassez en plusieurs choses';
et qu'enfin les Turcs ont traduit en leur
Langue les plus beaux Ouvrages des Arabes et des Persans. Mahomet II. les deux
Bajazets , Selim I. et le grand Soliman ,
dont nous avons des Lettres écrites à
François I. étoient des Princes curieux et
sçavans. Les Lettres de Soliman se trouvent dans la Bibliotheque du Roy , dans
celle du Chancelier Seguier , aujourd'hui
de M. l'Evêque de Metz , Duc de Coislin,
et dans des Cabinets particuliers. J'en
possede deux , dont l'une est l'original
Turc, lesquelles ne se trouvent point ailleurs. J'ajoûterai à cette occasion qu'à la
fin du premier volume de la nouvelle
Edition de Gallia Christiana on trouve
la Traduction Latine d'une Lettre assez
singuliere de Bajazet II. écrite au Pape
Alexandre VI. pour le prier de faire CardinalNicolas Cibo , Archevêque d'Arles,
Cette Lettre n'est pas dattée à la maniere
des Musulmans , par l'Hegite , mais par
la Naissance du Messie , ce qui ne peutC iij ërre
1938 MERCURE DE FRANCE
de être regardé que comme une espece
politesse de la part de Bajazet , écrivant
au Souverain Pontife des Chrétiens.
Nous voyons enfin dans la Bibliotheque Orientale de Hagi Kalfah , Turc
moderne de Constantinople , qui contient un ample Recueil alphabetique de
tous les Auteurs Orientaux , et de leurs
Ouvrages , depuis l'origine du Mohometisme jusqu'à son temps ; nous voyons ,
dis-je , par ce Recueil , que les Turcs ont
écrit sur toute sorte de matieres , et qu'ils
ont une très- bonne part dans cette Bibliotheque , laquelle contient une Encyclopedie de toutes les Sciences et des Arts.
Ce Hagi Kalfah , natif, comme je l'ai dit,
de Constantinople , étoit fils du premier
Secretaire du Divan ; il fut premier Commis du Secretaire d'Etat en Chef de la
Cour Ottomane , et il a passé pour un
des plus habiles hommes de son temps.
Sa Bibliographie est dans la Bibliotheque
du Roy et dans celle de M. Colbert ,
M. Petis de la Croix , mort en 1713. en
a laissé une Traduction en notre Langue,
qui contient plusieurs volumes in folio s
il avoit dessein de la publier.
Je finis en disant que ceux qui ont fait
le voyage du Levant avec les dispositions
necessaires pour en profiter , sçavent que dans
SEPTEMBR E. 1732. 1939
dans la Capitale et dans les principales
Villes de l'Empire Turc , il y a des Professeurs publics , des Maîtres particuliers
et des Livres en toute sorte de Sciences
et sur les Beaux Arts , et que les Empereurs Ottomans n'ont jamais fait bâtir
de Mosquées sans y joindre un College
magnifiquement fondé et entretenu. Il y
en a plusieurs de cette espece à Constantinople. Il y en a aussi au Grand Caire , à
Damas , à Alep , &c. Je suis , Monsieur , &c.
>
Comme vous n'êtes pas à portée de
voir dans le nouveau Gallia Christiana
la Lettre dont je viens de parler , j'ai
crû que vous ne seriez pas fâché de la
trouver ici telle que le R. P. de SainteMarthe l'a rapportée , T. I. page 103.
N°. 32. parmi les titres qui regardent la
Métropole d'Arles.
SULTAN BAJAZET KAN , Dei Gratia
Rex Maximus et Imperator utriusque Continentis Asia et Europe ; Christianorum
excellenti, Patri et DD. Alexandro, divinâ
Providentia Romana Ecclesia Pontifici dignissimo. Post convenientem et justam Sa
iutationem ; notum sit tuo supremo Pontificio , quemadmodum Reverendus Dominus
Nicolaus Cybo , Archiepiscopus Arelatensis
est dignus et fidelis homo ipsius et à temCij pore
1940 MERCURE DE FRANCE
pore precedentis Papa Supremi Pontificis
Domini Innocentii usque in hodiernum diem
in tempus sue Magnitudinis, continuè adpacem et amicitiamfestinat, semperque animò et^
corpore in fidelissimâ fide duabus Partibus
servivit et adhuc servit. Hujus rei causâ
justum est et vobis decet majori in ordine
ipsum esse debere ; et rogavimus Supremum Pontificem ut faceret illum Cardinalem , et assensus est nostre petitioni , adeò
ut litteris nobis significaverit quod petitum est
daturum fuisse ipsi. Verùm quia non erat
tempus, Idibus Septembris mensis non sedet
in ordine suo , et ut requirit consuetudo. Intereà verò jussu Dei dedit Pontifex commune debitum , et sic ipse remansit. Ea igitur
de causâ scribimus et rogamus tuam Magnitudinem propter amicitiam et pacem quam
inter nos habuimus , et propter mutuum cor ,
ut ad impleat ipsi tuum Pontificium , videlicet , ut faciat ipsum perfectum Cardinalem , habebimus et nos id in magnâ gratiâ.
·Datum in Aulâ nostra Sultania Auctoritatis in Constantinopoli , M. ccccxcrv.
Anno à Jesu Propheta Nativitate VIII.
Septembris
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Résumé : EXTRAIT d'une Lettre écrite par M. D. L. R. à M*** sur la Litterature des Mahometans, et sur celle des Turcs en particulier.
L'auteur de la lettre conteste le préjugé européen selon lequel l'islam aurait détruit le bon goût et l'érudition dans l'Empire ottoman. Il souligne que l'Alcoran valorise la science et que les musulmans la considèrent essentielle. Plusieurs traditions islamiques mettent en avant l'importance de la science, de la justice, des prières et du courage. Les califes et autres princes musulmans ont encouragé les sciences et les arts en traduisant des œuvres grecques et hébraïques et en fondant des académies. Les Arabes sont devenus des savants éminents en philosophie et en mathématiques. Des sultans comme Kedder Kan et Atsiz ont soutenu les lettres et les sciences, formant des académies et récompensant les savants. Les Turcs, bien que connus pour leurs conquêtes militaires, n'ont jamais méprisé les lettres. Ils ont traduit des œuvres arabes et persanes et ont eu des sultans savants comme Mahomet II, Bajazet II, Selim I et Soliman le Magnifique. La Bibliothèque Orientale de Hagi Kalfah témoigne de la contribution des Turcs à diverses sciences et arts. Les villes de l'Empire ottoman, comme Constantinople, Le Caire, Damas et Alep, possèdent des collèges et des professeurs publics. L'auteur conclut en affirmant que les empereurs ottomans ont toujours soutenu l'éducation et les lettres.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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9
p. 1953-1969
TROISIÈME LETTRE écrite par M. D. L. R. à M. le Marquis de B. au sujet de l'Armement du Roy d'Espagne, et de la Conquête d'Oran.
Début :
Je suis ravi, Monsieur, que vous soyez un peu content de moi, par l'exactitude que j'ai [...]
Mots clefs :
Conquête d'Oran, Armement du roi d'Espagne, Marsalquibir, Doria, Ville, Cardinal, Golfe, Bataille
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : TROISIÈME LETTRE écrite par M. D. L. R. à M. le Marquis de B. au sujet de l'Armement du Roy d'Espagne, et de la Conquête d'Oran.
TROISIEME
J
LETTRE écrite
par M. D. L. R. à M. le Marquis de
B. au sujet de l'Armement du Roy d'Es
pagne, et de la Conquête d'Oran.
E suis ravi , Monsieur , que vous soyez un peu
content de moi , par l'exactitude que j'ai apportée à vous instruire de tout ce qui regarde la
prise de la Ville d'Oran , du Port et de la Forteresse de Marsalquibir ; c'est ce qui m'oblige de continuer de vous écrire sur le même sujet , pour
ne vous laisser rien ignorer de tout ce qui peut y
avoir quelque rapport . Vous me faites cependant
Monsieur, quelques demandes ausquelles il est de mon devoir de satisfaire avant toutes choses.
D'abord vous êtes surpris de n'avoir pas reçu
avec ma premiere Lettre le Dessein de la Médailie du celebre André Doria , qui devoit l'accompagner , et vous me faites l'honneur de me demander ce Dessein. Pour réparer cette omission ,
qui vient moins de moi que du Dessinateur , lequel ne fut pas prêt lorsque ma Lettre vous fut
envoyée
1954 MERCURE DE FRANCE
envoyée ; je joins à celle- cy la Medaille en question , que j'ai fait graver par une habile main ,
et dont j'espere que vous serez content. Je ne repete point la Description que j'en ai déja faite dans l'autre Lettre ; mais vous ne me sçaurez pas
mauvais gré,si j'ajoûte ici quelque chose d'histo
rique sur ce grand Homme, après m'être instruit
plus que je ne l'étois avant la gravure de la Mé- daille.
André Dorianaquit à Oneille * le 30. Novembre , jour de S. André , 1468. d'une des plus anciennes , des plus illustres etcr des plus illustrées
Maisons de l'Etat de Genes. Il aima la Marine
dès son enfance , et dans un âge peu avancé il acquit la réputation du plus grand Homme de
Mer de son temps. Il servit dabord sa Patrie en
cette qualité très- utilement , puis passa au service
du Roy François I. qui le fit General des Galeres
de France et lui donna le Collier de ses Ordres ;
mais un chagrin , reçû à l'occasion de quelques Prisonniers de distinction , faits dans une Bataille
Navalle , fomenté et menagé d'ailleurs par les En- nemis de la France , fit déclarer Doria pour l'Empereur Charles V. qui lui confia toutes ses forces
Maritimes , avec lesquelles il fit plusieurs conquêtes en Barbarie et dans la Morée et gagna plusieurs Batailles , malgré la bravoure et l'experience de Barberousse , Amiral de Soliman II. son Concurrent. La fortune né lui tourna le dos presque qu'une seule fois , ce fut en l'année 1552.
que Dragut Rais, Capitaine General des Corsaires
Barbaresques , à qui André Doria avoit cy-devant accordé la vie et la liberté , le surprit lors-
* Ou Oneglia , Ville Maritime , située entre
Nice et Genes , dont le Pere de Doria étoit Seigneur .
qu'il
REAS
DORIA
KS NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
SEPTEMBR E. 1732. 1955
qu'il y pensoit le moins , et lui prit plusieurs
Vaisseaux dans une retraite précipitée . Il se dédommagea de cet Echet deux ans après en pre- nant Sansiotenzo , dans l'Isle de Corse , Place
occupée par les François. Les Grands Hommes
ne sont pas exempts de défauts ; une severité
quelquefois outrée,peut être necessaire,fut, dit on,
celui de Doria; il parloit de faire jetter à la Mer,
et de pendre, comme d'un châtiment familier ;
témoin ce Pilote , qui après l'avoir déja importuné, se présenta encore devant lui pour le
prier de lui laisser dire seulement trois paroles.
Je le veux bien , répondit le General , mais si tu
en dis davantage je te ferai pendre. Le Pilote ,
sans s'émouvoir, répliqua , argent ou congé. Doria , très -satisfait de sa hardiesse , le fit payer sur
le champ et continua de se servir de lui. Notre Heros reçut. du Ciel une faveur singuliere , lorsque sur la fin d'une longue et glorieuse carriere ,
il se retira dans le Palais qu'il avoit fait bâtir dans`
le principal Fauxbourg de Genes , où il ne s'oc
cupa que de sa Religion , et où il mourut âgé
d'environ 94. ans , en l'année 1560. on l'inhuma
sans pompe , suivant ses ordres précis ; mais
quelques jours après le Sénat lui fit des Obseques
magnifiques dans la grande Eglise , et toute la Ville de Gennes , sans distinction de Sexe ni de
condition , prit le deuil.
Jamais Maison , au reste , n'a été plus féconde
en Grands Hommes dans l'Italie , et sur tout en
Grands Hommes de Mer , que celle de Doria. Je
me contenterai de vous nommer ici par occasion
les principaux sujets qui ont illustré cette Maison. André Doria épousa vers l'année 1150. la
fille de Barrison , Roy de Sardaigne . Jacques Doria , qui vivoit en 1170. fut un des quatre Sça- vans
1956 MERCURE DE FRANCE
vans Citoyens de Genes , nommez pour écrire
'Histoire de la République. Perceval et Simon
D. qui vivoient dans le même siecle , se firent
admirer par leur capacité et par leur politesse à
la Cour de Charles -I . Roy de Naples , &c. Comte de Provence. Le premier étoit grand Philosophe , et tenoit le premier rang parmi les Poëtes
Provençaux ; il eut beaucoup de part à la faveur de la Reine Beatrix , et mourut à Naples en 1276.
après avoir été Podestat d'Arles et d'Avignon."
Hilaire D. épousa en 1397.une fille d'Emmanuel,
Empereur de Constantinople.
Jerôme Doria , Comte de Cremolin , rendit
de grands services à la République de Genes qui
l'envoya en 1512. auprès du Pape Jules II. pour
une négociation importante. 11 embrassa l'Etat
Ecclesiastique après la mort de son Epouse , fur
Evêque de Nebbi , puis de Jacca et de Huesca
reçut le Chapeau de Cardinal en 1530. à la solli
citation d'André Doria , et enfin fut fait Archevêque de Tarragone. Il mourut à Genes en 1550.
Philippe Doria défit en 1518. l'Armée Navale
des Espagnols devant Naples , et fit beaucoup de
Prisonniers. Jannetin Doria , fils de Thomas, fut
choisi par notre André Doria , qui n'avoitpoint
d'enfans , pour son heritier , comme son plus proche parent , et il lui donna le commandement
de vingt Galeres. Le jeune Doria , marchant sur
les traces de son Oncle , fit diverses Expeditions
glorieuses , dont la plus flateuse et la plus importante fut la défaite et la prise du fameux Corsaire
Dragut, trouvé dans un Port de l'Ile de Corse.
Il lui enleva treize Galeres et mit le Pyrate à la chaîne. Ce brave homme fut tué en 1547. dans
fa malheureuse Conjuration des Fiesques , si con- nue dans l'Histoire.
Jean
SEPTEMBRE. 1732. 1957
Jean-André Doria , son fils , élevé par son
grand-oncle et institué son heritier , commanda
l'Armée Navale d'Espagne en 1560 à l'entreprise de Tripoly , se signala en 1564. en l'Isle
de Corse , offrit l'année suivante d'aller secourir
Malte , assiegée par les Turcs , commanda encore en 1570. l'Armée d'Espagne destinée au secours de l'Isle de Chypre , et l'année d'après il eut
beaucoup de part à la Victoire de Lepante.
J'omets ; Monsieur , plusieurs autres Illustres -
de cette Maison , en particulier divers Doges de
Genes de ce même nom et d'un rare mérite. Je
finis par Antoine Doria , autre grand Capitaine ,
qui se rendit celebre sous Charles V. Il est Auteur d'une Histoire de son temps fort estimée,laquelle fut publiée en 1571. sous le titre de Compendia d'Antonio Doria , delle Cose di sua Notitia et Memorie Occorse al Mondo , nel tempo dell' Im-,
peratore Carlo V. Elle mérite une place dans vo~
tre Cabinet.
Il y a depuis deux cent ans , au moins , une
Branche de cette Maison établie à Marseille , qui
est devenue toute Françoise. Je trouve que Lazarin
Doria fut premier Consul de cette Ville en l'année 1558. Pour posseder cette Charge , il falloit
être né à Marseille et d'une noblelle qualifiée. Jean
Doria fut Assesseur de Marseille en 1564
Les Doria avoient une Maison magnifique ou
plutôt un Palais presque dans le cœur de la Ville.
Ceux qui connoissent Marseille , pourront juger
de sa grandeur de la beauté de l'Emplacement
et de ses Jardins , en leur apprenant que tout cela
forme aujourd'hui le Monastere des Dames Reeuses Augustines. Dans ma jeunesse on voyoit encore sur l'une des Portes les Armes de Doria
dans un Ecu de Marbre blanc, artistement travail- D lé ,
1958 MERCURE DE FRANCE.
lé , où , malgré l'injure du temps , on remarquoit
un Aigle à aîles éployées. L'Ecu est panché, comme étoit représenté dans ce temps- là celui des plus grandes et des plus anciennes Maisons.
Avant que de finir , je reviens encore une fois
à la Médaille d'André Doria , pour faire deux
Remarques : la prémiere , sur la Légende du côté
de la tête , qui est telle , ANDREAS DORIA PP.
ces deux P P. selon moi , ne peuvent s'expliquer
que par ces mots imitez des Médailles Romaines,
PATER PATRIA , et fort justement appliquez à
notre Héros , qui , selon l'Histoire de sa Vie ,
écrite par Sigonius , fut veritablement le Pere et leiberateur de sa Patrie , sur tout depuis que
pour la servir plus utilement , il eut quitté le serviće de François I. après que ce grand Prince eut
fait la conquête de Genes 1527. &c. Et je ne
doute point que la Médaille n'ait été frappée par P'ordre du Sénat ; s'il est vrai , comme je viens de
le lire dans un Auteur anonyme contemporain ,
que la Patrie de Doria lui fit ériger une belle et
grande Statue de Marbre dans la principale Place
de Genes , au Piedestal de laquelle on lisoit ces
deux mots PATRI PATRIA, J'apprens par le
même Auteur, que l'Empereur Charlequint , dans
toutes ses Lettres , et en parlant de vive voix à
A Doria , l'appelloit toujours son Pere , et l'ac- cabloit de caresses.
Ma seconde Remarque est une suite de ce que
je vous ai déja dit , Monsieur , au sujet du Revers de notre Médaille , où l'on voit la tête d'un
Captif, et autour , des Chaînes et d'autres symboles d'esclavage. J'ai pensé d'abord que cette
Tête pouvoit être prise pour celle du fame
* Doria porte d'Or à l'Aigle à deux Têtes de sable,
..
Bar
SEPTEMBRE. 1732. 1959
•
Barberousse , homme obscur dans son origine,
Esclave de Soliman II . puis Capitan Pacha , l'Emule et le Rival de Doria , qui le batit en 1536.
et reprit ensuite Tunis , &c. mais il seroit peutêtre plus naturel de croire que c'est ici la tête du
Pyrate Dragut , que Jannetin Doria batit avec
les Galeres et sous les auspices de son Oncle
comme je l'ai dit cy-dessus , qu'il lui amena
Genes chargé de chaînes , pour augmenter ses
triomphes,et que le genereux Doriamit en liberté.
Quoiqu'il en soit , voilà , Monsieur , tout ce que j'ai pu vous dire en peu de mots d'André
Doria et de sa Maison. Si je n'avois pas été si
pressé de vous envoyer ma Lettre par les circonstances du temps , &c. j'aurois pû profiter d'un
Memoire Historique , que M. le Marquis Doria,
actuellement Envoyé de la République de Genes auprès du Roy , a eu la bonté de me promettre
et qu'il attend tous les jours , dans lequel peuvent être d'autres faits curieux et Anecdotes ; en tout
cas je pourrai vous en faire part dans une autre
occasion. Il est temps de revenir à la Ville d'Oran.
Vous me demandez , Monsieur , si je crois cette
Ville aussi ancienne que je vous l'ai exposé dans
ma premiere Lettre , sur la foi de quelques Auteurs modernes. Je vous avoue avec franchise que
je les crois dans l'erreur sur ce sujet , et que
M. Corneille en particulier , s'est fort abusé quand il nous dit dans son Dictionnaire Universel, Géographique et Historique, que du temps des Romains, on appelloit la Ville d'Oran Unica Colonia. Il est vrai qu'Ortelius , dans son Trésor
Geographique , donne le nom d'Unuca à une
Ville de l'Afrique , proprement dite , en citant
là-dessus l'Itineraire d'Antonin , ce qui peut avoir Dij donné
1960 MERCURE DE FRANCE
donné lieu à l'erreur de M. Corneille ; mais cet
Itineraire consulté , je trouve seulement qu'il y
est fait mention d'une Ville nommée Unaca , et
non pas Unuca , ni Unica , laquelle est située dans la Mauritanie Cesarienne , qui comprend , si vous
voulez, le Pays où est Oran ; ce qui ne suffit pas
pour se déterminer en faveur de l'Antiquité de
cette Ville ; outre que l'Unaca de l'Itineraire n'est
en aucune façon qualifiée de Colonie.
Mais quelle antiquité peut- on donner à Oran?
Vous l'allez voir , Monsieur, dans le petit Narré
qui suit ; et par- là je répons aussi à une autre
question que vous me faites au sujet de l'Eglise
d'Oran , que vous avez lû quelque part avoir été
une Cathédrale , dont l'Evêque étoit suffragant
de l'Archevêque de Tolede , depuis la conquête
du Cardinal Ximenés.
Lorsque ce Prélat forma le projet de cette conquête , qu'il devoitent reprendre , comme il fit en
personne et à ses dépens , il stipula expressément
avec le Roy Catholique, que la Ville et le Territoire d'Oran dépendroient pour le spirituel de
'Archevêché de Tolede. Cette dépendance , dit
un Historien , étoit coinme un Monument de sa
conquête , qui devoit en conserver le souvenir à
la Posterité. C'étoit aussi pour engager tous ses
Successeurs dans cet Archevêché d'avoir une attention particuliere sur la Ville d'Oran , au cas
qu'elle fût attaquée ou reprise par les Infideles. Il
Jeur avoit donné un exemple trop signalé de son
zele pour la Religion , et d'un parfait désinteresşement , pour n'être pas imité.
Cependant Ximenés fut traversé dans la
possession d'un droit si clairement énoncé et si
bien acquis. Cette affaire lui donna même beau- coup de peine et de chagrin. Un Religieux Fran- ciscain
Q
SEPTEMBRE. 1732 1961
ciscain , nommé Fr. Louis-Guillaume , ayant
sollicité en Cour de Rome le titre d'Evêque in
Partibus , obtint enfin des Bulles , qui le nommoient Episcopum Aurensem , avant qu'il fût ques
tion de l'Expedition d'Oran , et il fut sacré en
cette qualité. Cette Ville n'eut pas plutôt été con- quise , que la ressemblance des noins lui fit ima.
giner que ce pouvoit bien être son Evêché , ne
sçachant pas auparavant en quelle partie du Mon
de étoit situé son Diocèse. Là- dessus il se fit appeller l'Evêque d'Oran , et sans faire la moindre
honnêteté au Cardinal , il lui fit signifier ses prétentions , &c. avec déclaration qu'il alloit pren
dre possession , &c.
Ce grand homme, quoique bien fondé et persuadé que les prétentions du Cordelier Espagnol
étoient frivoles , les fit examiner en sa présence.
par un esprit d'équité et de Religion avec la derniere exactitude. Deux principes furent d'abord
établis. 1 ° . Que quand le Pape confere un Evêque in Partibus on supposoit toujours que cer
Evêché avoit existé lorsque les Chrétiens étoient
en possession du Pays où il étoit situé. 2 °. Que
le Pape n'avoit point érigé Oran en Evêché ; qu'il
n'avoit pû par consequent le conferer sans pré- tendre que c'en étoit un dès le temps que les Chrétiens étoient les maîtres de l'Afrique , et que
Christianisme y Aeurissoit,Principe que la Patrie
interessée ne pouvoit pas contester.
le
Il n'y avoit donc proprement qu'à examiner
si Oran avoit été un Evêché avant que lesArabes
eussent conquis l'Affrique , n'étant pas possible
d'imaginer qu'il l'eût été depuis. Là-dessus on
Koceda à l'examen de tous les Auteurs qui
avoient traité des Antiquitez Ecclesiastiques et
Civiles d'Affrique. On lut les Conciles qui y
Diij avoient
1962 MERCURE DE FRANCE
avoient été tenus , et les autres Conciles où les
Évêques Affricains s'étoient trouvez , on parcoufut toutes les Souscriptions ; aucun Concile ne
faisoit mention de l'Evêché ni de l'Evêque d'Oran ou d'Aure. Même silence parmi les Cosmographes anciens , &c.
Pour n'avoir rien à se reprocher , le Cardinal
fit faire avec le même soin et par d'habiles gens
une recherche exacte de l'origine d'Oran , et on
trouva que cette Ville avoit été bâtie récemment
par les Habitans de Trémesen , qui étant attirez
par la beauté et par la commoditể du Port , y
avoient envoyé une Colonie. La conclusion étoit
aisée à tirer contre les prétentions de l'Evêque * in
Partibus.
Celui- cy , loin de se rendre à une pareille Dé- monstration , et de renoncer à des esperances
mal fondées , eut la témerité de dire en face au
Cardinal et avec émotion , que le Pape avoit prétendu lui conferer un Evêché , et qu'il falloit bien
que ce fût Oran , puisqu'il ne se trouvoit point
ailleurs. Vous le chercherez où il vous plaira , lai
répondit Ximenés , mais contez que tant que je
vivrai vous ne serez point Evêque d'Oran.
Il est étonnant , Monsieur , que ce Moine ayant
à faire à un homme du rang et de l'autorité de
Ce qui donnoit lieu à l'erreur du Prélat Cordelier , c'est que dans la Province Ecclesiastique de
Carthage on comptoit parmi les Villes Episcopales
Aurian ou Auran , mais cette Ville étoit éloignée
d'Oran , dont il s'agisso t de plus de 20. lieuës , et
c'est apparemment le titre de cet Evêché , que le Pape
avoit voulu lui conferer ; l'esprit d'interêt et l'entête
ment ne permirent pas à ce Religieux d'ouvrir les
yeux.
P'Archevêque
SEPTEMBRE. 1732. 1963
PArchevêque Cardinal , ne se rendit pas à cette
réponse. Il partit au contraire pour la Cour et
fit tant par ses intrigues , qu'il obtint du Roy des
Lettres pour le Cardinal , par lesquelles S. M.
le prioit de lui donner toute la satisfaction qu'il se pourroit. Il ne restoit plus pour embrouiller
cette affaire et pour la faire devenir de consequence , que le Pape , sollicité de soutenir sa no.
mination , vint à s'en mêler.
C'est ce qui engagea Ximenés à proposer an accommodement qui fut qu'on établiroit à Oran une Collégiale dont on donneroit à ce Prétendant la premiere Dignité , avec le
le titre d'Abbé , et un revenu égal à celui des
Dignitez du Chapitre de Tolede, parmi lesquelles
il auroit un rang, sans être obligé à la résidence,
sans renoncer même ni à son titre d'Evêque , ni
à ce prétendu Diocèse , s'il se trouvoit jamais être
quelque chose de réel ; accommodement qui fut réfusé.
Alors le Cardinal envoya au Roy les Recherches qu'il avoit faites au sujet d'Oran , et le projet d'accommodement , suivi d'un refus opiniâtre,
suppliant S. M. de trouver bon que les choses
restassent à cet égard dans l'état dont on étoit
convenu ; ce que ce Prince trouva si juste , qu'il
ne voulut plus entendre parler de cette affaire ;
desorte que durant la vie de Ximenés, ni après sa
mort , il n'y eut jamais d'Evêque d'Otan. On n'y établit pas même la Collégiale dont il avoit fait
le projet , et tout se réduisit à l'établissement d'un
Grand- Vicaire et d'un Official , que l'Archevêque de Tolede tient à Oran pour l'exercice de sa
Jurisdiction.
Vous voyez , Monsieur , deux choses également vrayes par cet Exposé; la premiere , que la Diiij Ville
1964 MERCURE DE FRANCE
Ville d'Oran n'a pas l'antiquité prétendue par
quelques Auteurs , puisqu'elle doit sa fondation
aune Ville qui n'est connue que depuis la conquête de l'Afrique par les Mohometans Arabes ,
et que les Califes ont vrai- semblablement bâtie.
La seconde verité est qu'il n'y a jamais eu d'Eyêque ni d'Eglise Cathédrale à Oran , comme le
veut Davity , dans sa Description generale de
l'Affrique Tom. VI. de l'Edit de Rocolles , falio ,
Paris, 1660.
Il y auroit plus de fondement à croire la petite
Ville de Marsalquibir , voisine d'Oran , veritablement ancienne, et de lui appliquer cet Endroit
de Ptolomée , où en décrivant la situation Maritime de la Mauritanie Césarienne , ce fameux
Géographe fait mention d'un lieu qu'il a nommé πορτος μαγνος selon la dénomination de son
temps , Portus magnus et Fretum magnum , selon
le Traducteur Latin. Marsalquibir, qui d'ailleurs
est un mot Arabe signifiant la même chose
mérite assurément ce nom et cette croyance ,
cause de la grandeur de son Port , qui forme un
petit Golfe sur cette Côte.
Davity , dont je viens de parler , en faisant
mention de ces deux Places , qualifie Oran de
Marquisat ; je ne vois pas trop sur quel fondement , et il dit que Marsalquibir fut enlevé aux
Maures par le Marquis de Comarez en isos. Ce n'est pas ici le lieu d'éclaircir ces faits et d'autres
Circonstances historiques que l'Auteur ajoûte sur P'une et sur l'autre Ville.
Mais laissons ces temps éloignez pour venir
aux affaires présentes d'Oran, Vous vous étonnez,
Monsieur , avec raison , que les Maures fortifiez
par un secours considerable de Turcs , ayant une
pombreuse Artillerie , prévenus d'ailleurs et mepaccz
SEPTEMBRE. 1732. 1965
་
nacez d'une prochaine descente de l'Armée Espagnole, ne se soient pas opposez plus vigoureusement à cette entreprise ; que du moins la descente étant faite , Oran et Marsalquibir , bien
munis comme ils étoient , n'ayent pas merité ,
pour ainsi dire , l'honneur d'un Siége , et qu'une
Bataille , imprudemment engagée de leur part ,
ait presque , en arrivant , décidé du sort de ces
Places. Cela vous a fait juger qu'elles étoient
peut être sans deffense du côté de l'Art
les Maures n'ayant pas eu soin de se fortifier ,
d'entretenir du moins les Ouvrages faits depuis
la Conquête de Ximenés.
-
Mais c'est tout le contraire , suivant toutes
les Lettres les plus exactes et les mieux circonstanciées , qui nous sont venues de ce Païs- là.
Vous en jugeriez ; Monsieur, autant que personne , si le Plan de ces deux Places et de leurs environs, qui vient de m'être communiqué par un
ami de distinction , qui l'a reçu depuis peu de la
Cour d'Espagne, pouvoit vous être envoyé avec
ma Lettre. On y voit Oran entouré de Fortifications , attachées au Corps de la Place , dont le
principal Ouvrage est ce qu'on appelle le Donjon. Dans les dehors sont les Châteaux de RosalCasar , de S. André , de S. Philippe , de Sainte
Croix , de S. Grégoice , avantageusement situez sur des hauteurs , et dans des distances convenables, sans parler de la Tour du Madrigal et de
la grosse Tour. Marsalquibir est à proportion
fortifié de même , deffendu aux environs par le
Fort de S. Sauveur , et par le Fortin , qui est le
plus près de la Ville , avec un chemin de com- munication d'une Ville à l'autre , qui cottoye le
fonds du Golphe ou du grand Port de Marsalquibir.
DV
3
1966 MERCURE DE FRANCE
1
Ce Golphe represente un demi Cercle presque
parfait.Oran est situé sur la pointe Orientale , et
Marsalquibir,vis- à- vis,sur la pointe Occidentale;
l'espace de l'une à l'autre pointe , ou l'ouverture
du Golphe , est de plus de 900 toises , avec en
viron 700 toises de profondeur. De plus,la Ville
d'Oran a son Port particulier, mais qui n'est pas,
à beaucoup près , si considérable,
Le même Plan me confirme qu'Oran ne manque point d'Eaux. Il y a auprès de la Ville une
Riviere , sur laquelle est le Pont de Trémésen ,
et un grand Ruisseau encore plus près des Murailles , qui arrose des Jardins Potagers et des Vergers. De sorte Monsieur , que dans toutes
ces circonstances réunies , c'est une espece de Miracle , que cette Conquête ait été si subitement
décidée par le sort d'un Bataille generale, laquelle , selon toutes les Regles de la Guerre , ne devoit pas si-tôt se donner , et qui n'a été engagée que casuellement, comme parle l'Autheur de
la Relation Espagnole que j'ai Il y a eu cependant de part et d'autre beaucoup de bravoure dans le combat; et sur tout du
côté des Espagnols , des Actions d'une valeur
peu commune. Il m'est venu là- dessus de nouveaux détails , qui allongeroient trop ma Lettre; mais je n'obmettrai point l'Action plus que hardie d'un simple Sergent, qui fut commandé avec
16 Soldats le jour du débarquement , pour
s'emparer d'un Poste. Il fut d'abord enveloppé
par un détachement de 300 Cavaliers Turcs ;
mais le Sergent et sa foible Trouble , sans s'embarrasser de la superiorité , se deffendirent avec
tant de courage et chargerent si à propos , qu'ils !
gagnerent enfin le Poste en question , et oblige- rent les Turcs de se retirer.
Оц
SEPTEMBRE. 1732. 1967
On ne peut,au reste.rien ajoûter à la pieuse reconnoissance du Roy d'Espagne envers le Ciel ,
pour un succès si heureux. Toutes les nouvelles
publiques sont remplies des Actes de sa piété , et du zéle de ses Sujets à célébrer cet Evenement.
Le Cardinal d'Astorga , Archevêque de Tolede ,
Primat des Espagnes, &c. s'est particulierement distingué en cette occasion , ainsi que le Chapitre de son Eglise , la Ville d'Oran étant de la Ju- risdiction de cet Archevêché. Dès le 27 Juin , il y avoit eu à Tolede une Procession Generale de
tout le Clergé Séculier et Régulier , suivie des Magistrats , de joutes les Personnes de distinction , et d'un Peuple infini. On y porta l'Etendart avec lequel le Cardinal Ximenés entra en
triomphe dans Oran. La Procession se rendit de
l'Eglise Métropolitaine à celle de l'Hôpital
Royal , où se conserve une Image celebre de
Notte-Dame , Patrone de la Ville d'Oran , d'où
elle a été transportée à Tolede , après la derniere invasion des Maures. Il y a eu depuis des Ac- tions de Graces tres- solemnelles dans la même
Ville de Tolede.
Sa M, C. rendit quelques jours après justice
aux Officiers qui ont servi dans cette Expédition.
Elle fit le Comte de Montemar , Commandant
en Chef, Capitaine General de ses Armées ; plusieurs Lieutenans Generaux , parmi lesquels est
le Marquis de Santa Cruz que vous connoissez ;
plusieurs Marêchaux de Camp, et Brigadiers. On
y voit aussi plusieurs Capitaines, qui ont été faits
Colonels .
Cependant depuis la Bataille d'Oran et la
prise des deux Places , on n'a été occupé qu'à débarquer l'Artillerie , les Munitions et les Equi--
D vj pages
1968 MERCURE DE FRANCE
pages , et à réparer et augmenter les Fortifications , à fortifier le Camp , à faire enfin les dispositions necessaires pour s'assurer du plat Païs,
afin d'en tirer des Vivres , &c. On écrit même
déja que les Habitans de plus de vingt lieuës à
la ronde , sont venus se soumettre.
Je ne vous parle point d'une petite disgrace, arrivée aux Espagnols le 16 Juillet. Un Détachement de leur Armée , envoyé pour attaquer les
Maures dans les Montagnes , est tombé dans
une Embuscade des Ennemis , ce qui a coûté la
vie environ à 300 hommes, sans compter le Due
de S. Blas , et quelques autres Personnes de
moindre considération , qui ont été tuées dans
cette rencontre Disgrace, dont les Troupes Espagnoles ont eu leur revanche quelques jours
après , par un détachement de mille Grenadiers ,
placez dans une Embuscade , avec du Canon .
chargé à cartouche, qui a fait périr plus de mille
Maures , sans compter plusieurs autres avantages remportez depuis , et la prise de quelques Convois des Infideles ; un entr'autres de mille
Chameaux chargez , &c.
Les dernieres Lettres parlent de l'arrivée au
Camp Espagnol , d'un Grand du Païs , que les
nouvelles publiques ont appellé Bacha , terme
impropre et inusité parmi les Maures , pour
offrir au Comte de Montemar de mettre 30000
Maures en Campagne pour le service de S. M.
C. et d'autres avantages , à de certaines conditions ; pour la seureté desquelles offres il ajoutoit celle de laisser son fils , qui l'accompagnoit,
en otage. Le bruit couroit même à Madrid, que Ice Prince Maure devoit y arriver incessamment
avec un train considérable.
Les mêmes Lettres parlent d'un nouveau Dé- tache
SEPTEMBRE. 1732 1969
tachement que le Comte de Montemar venoit
de faire sous les Ordres du Marquis de Villadarias , composé de 5000 hommes d'Infanterie .
et de 2000 de Cavalerie , pour aller assiéger
Mazagran , Ville située à is lieuës d'Oran et
sur la même Côte, dans le temps que 2 Vaisseaux
de Guerre et 7 Galeres devoient attaquer la Place par Mer.
Je finis , Monsieur , en vous confirmant que
le Marquis de Santa- Cruz a été fait Gouverneur
des Villes d'Oran et de Marsalquibir. Ces Places
ne pouvoient être confiées à un plus digne Sujer
et qui entendît mieux l'art de les fortifier et de les deffendre en cas de besoin , sans parler de ses
autres excellentes qualitez. On a publié icy une
Traduction Françoise du X I. Tome de son grand Ouvrage, intitulé : Reflexiones Militares..
Cette Traduction compose un vol. in 4. imprimé à Paris , chez Langlois. Pour vous mettre au
fait de ce Livre , que je ne puis pas vous faire
tenir présentement , je vous envoye le Journal
de Trévoux , du mois de Janvier dernier , où
vous en trouverez l'Extrait. J'ai l'honneur d'ê tre , Monsieur , &c.
A Paris , les Aoust 17322-
J
LETTRE écrite
par M. D. L. R. à M. le Marquis de
B. au sujet de l'Armement du Roy d'Es
pagne, et de la Conquête d'Oran.
E suis ravi , Monsieur , que vous soyez un peu
content de moi , par l'exactitude que j'ai apportée à vous instruire de tout ce qui regarde la
prise de la Ville d'Oran , du Port et de la Forteresse de Marsalquibir ; c'est ce qui m'oblige de continuer de vous écrire sur le même sujet , pour
ne vous laisser rien ignorer de tout ce qui peut y
avoir quelque rapport . Vous me faites cependant
Monsieur, quelques demandes ausquelles il est de mon devoir de satisfaire avant toutes choses.
D'abord vous êtes surpris de n'avoir pas reçu
avec ma premiere Lettre le Dessein de la Médailie du celebre André Doria , qui devoit l'accompagner , et vous me faites l'honneur de me demander ce Dessein. Pour réparer cette omission ,
qui vient moins de moi que du Dessinateur , lequel ne fut pas prêt lorsque ma Lettre vous fut
envoyée
1954 MERCURE DE FRANCE
envoyée ; je joins à celle- cy la Medaille en question , que j'ai fait graver par une habile main ,
et dont j'espere que vous serez content. Je ne repete point la Description que j'en ai déja faite dans l'autre Lettre ; mais vous ne me sçaurez pas
mauvais gré,si j'ajoûte ici quelque chose d'histo
rique sur ce grand Homme, après m'être instruit
plus que je ne l'étois avant la gravure de la Mé- daille.
André Dorianaquit à Oneille * le 30. Novembre , jour de S. André , 1468. d'une des plus anciennes , des plus illustres etcr des plus illustrées
Maisons de l'Etat de Genes. Il aima la Marine
dès son enfance , et dans un âge peu avancé il acquit la réputation du plus grand Homme de
Mer de son temps. Il servit dabord sa Patrie en
cette qualité très- utilement , puis passa au service
du Roy François I. qui le fit General des Galeres
de France et lui donna le Collier de ses Ordres ;
mais un chagrin , reçû à l'occasion de quelques Prisonniers de distinction , faits dans une Bataille
Navalle , fomenté et menagé d'ailleurs par les En- nemis de la France , fit déclarer Doria pour l'Empereur Charles V. qui lui confia toutes ses forces
Maritimes , avec lesquelles il fit plusieurs conquêtes en Barbarie et dans la Morée et gagna plusieurs Batailles , malgré la bravoure et l'experience de Barberousse , Amiral de Soliman II. son Concurrent. La fortune né lui tourna le dos presque qu'une seule fois , ce fut en l'année 1552.
que Dragut Rais, Capitaine General des Corsaires
Barbaresques , à qui André Doria avoit cy-devant accordé la vie et la liberté , le surprit lors-
* Ou Oneglia , Ville Maritime , située entre
Nice et Genes , dont le Pere de Doria étoit Seigneur .
qu'il
REAS
DORIA
KS NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
SEPTEMBR E. 1732. 1955
qu'il y pensoit le moins , et lui prit plusieurs
Vaisseaux dans une retraite précipitée . Il se dédommagea de cet Echet deux ans après en pre- nant Sansiotenzo , dans l'Isle de Corse , Place
occupée par les François. Les Grands Hommes
ne sont pas exempts de défauts ; une severité
quelquefois outrée,peut être necessaire,fut, dit on,
celui de Doria; il parloit de faire jetter à la Mer,
et de pendre, comme d'un châtiment familier ;
témoin ce Pilote , qui après l'avoir déja importuné, se présenta encore devant lui pour le
prier de lui laisser dire seulement trois paroles.
Je le veux bien , répondit le General , mais si tu
en dis davantage je te ferai pendre. Le Pilote ,
sans s'émouvoir, répliqua , argent ou congé. Doria , très -satisfait de sa hardiesse , le fit payer sur
le champ et continua de se servir de lui. Notre Heros reçut. du Ciel une faveur singuliere , lorsque sur la fin d'une longue et glorieuse carriere ,
il se retira dans le Palais qu'il avoit fait bâtir dans`
le principal Fauxbourg de Genes , où il ne s'oc
cupa que de sa Religion , et où il mourut âgé
d'environ 94. ans , en l'année 1560. on l'inhuma
sans pompe , suivant ses ordres précis ; mais
quelques jours après le Sénat lui fit des Obseques
magnifiques dans la grande Eglise , et toute la Ville de Gennes , sans distinction de Sexe ni de
condition , prit le deuil.
Jamais Maison , au reste , n'a été plus féconde
en Grands Hommes dans l'Italie , et sur tout en
Grands Hommes de Mer , que celle de Doria. Je
me contenterai de vous nommer ici par occasion
les principaux sujets qui ont illustré cette Maison. André Doria épousa vers l'année 1150. la
fille de Barrison , Roy de Sardaigne . Jacques Doria , qui vivoit en 1170. fut un des quatre Sça- vans
1956 MERCURE DE FRANCE
vans Citoyens de Genes , nommez pour écrire
'Histoire de la République. Perceval et Simon
D. qui vivoient dans le même siecle , se firent
admirer par leur capacité et par leur politesse à
la Cour de Charles -I . Roy de Naples , &c. Comte de Provence. Le premier étoit grand Philosophe , et tenoit le premier rang parmi les Poëtes
Provençaux ; il eut beaucoup de part à la faveur de la Reine Beatrix , et mourut à Naples en 1276.
après avoir été Podestat d'Arles et d'Avignon."
Hilaire D. épousa en 1397.une fille d'Emmanuel,
Empereur de Constantinople.
Jerôme Doria , Comte de Cremolin , rendit
de grands services à la République de Genes qui
l'envoya en 1512. auprès du Pape Jules II. pour
une négociation importante. 11 embrassa l'Etat
Ecclesiastique après la mort de son Epouse , fur
Evêque de Nebbi , puis de Jacca et de Huesca
reçut le Chapeau de Cardinal en 1530. à la solli
citation d'André Doria , et enfin fut fait Archevêque de Tarragone. Il mourut à Genes en 1550.
Philippe Doria défit en 1518. l'Armée Navale
des Espagnols devant Naples , et fit beaucoup de
Prisonniers. Jannetin Doria , fils de Thomas, fut
choisi par notre André Doria , qui n'avoitpoint
d'enfans , pour son heritier , comme son plus proche parent , et il lui donna le commandement
de vingt Galeres. Le jeune Doria , marchant sur
les traces de son Oncle , fit diverses Expeditions
glorieuses , dont la plus flateuse et la plus importante fut la défaite et la prise du fameux Corsaire
Dragut, trouvé dans un Port de l'Ile de Corse.
Il lui enleva treize Galeres et mit le Pyrate à la chaîne. Ce brave homme fut tué en 1547. dans
fa malheureuse Conjuration des Fiesques , si con- nue dans l'Histoire.
Jean
SEPTEMBRE. 1732. 1957
Jean-André Doria , son fils , élevé par son
grand-oncle et institué son heritier , commanda
l'Armée Navale d'Espagne en 1560 à l'entreprise de Tripoly , se signala en 1564. en l'Isle
de Corse , offrit l'année suivante d'aller secourir
Malte , assiegée par les Turcs , commanda encore en 1570. l'Armée d'Espagne destinée au secours de l'Isle de Chypre , et l'année d'après il eut
beaucoup de part à la Victoire de Lepante.
J'omets ; Monsieur , plusieurs autres Illustres -
de cette Maison , en particulier divers Doges de
Genes de ce même nom et d'un rare mérite. Je
finis par Antoine Doria , autre grand Capitaine ,
qui se rendit celebre sous Charles V. Il est Auteur d'une Histoire de son temps fort estimée,laquelle fut publiée en 1571. sous le titre de Compendia d'Antonio Doria , delle Cose di sua Notitia et Memorie Occorse al Mondo , nel tempo dell' Im-,
peratore Carlo V. Elle mérite une place dans vo~
tre Cabinet.
Il y a depuis deux cent ans , au moins , une
Branche de cette Maison établie à Marseille , qui
est devenue toute Françoise. Je trouve que Lazarin
Doria fut premier Consul de cette Ville en l'année 1558. Pour posseder cette Charge , il falloit
être né à Marseille et d'une noblelle qualifiée. Jean
Doria fut Assesseur de Marseille en 1564
Les Doria avoient une Maison magnifique ou
plutôt un Palais presque dans le cœur de la Ville.
Ceux qui connoissent Marseille , pourront juger
de sa grandeur de la beauté de l'Emplacement
et de ses Jardins , en leur apprenant que tout cela
forme aujourd'hui le Monastere des Dames Reeuses Augustines. Dans ma jeunesse on voyoit encore sur l'une des Portes les Armes de Doria
dans un Ecu de Marbre blanc, artistement travail- D lé ,
1958 MERCURE DE FRANCE.
lé , où , malgré l'injure du temps , on remarquoit
un Aigle à aîles éployées. L'Ecu est panché, comme étoit représenté dans ce temps- là celui des plus grandes et des plus anciennes Maisons.
Avant que de finir , je reviens encore une fois
à la Médaille d'André Doria , pour faire deux
Remarques : la prémiere , sur la Légende du côté
de la tête , qui est telle , ANDREAS DORIA PP.
ces deux P P. selon moi , ne peuvent s'expliquer
que par ces mots imitez des Médailles Romaines,
PATER PATRIA , et fort justement appliquez à
notre Héros , qui , selon l'Histoire de sa Vie ,
écrite par Sigonius , fut veritablement le Pere et leiberateur de sa Patrie , sur tout depuis que
pour la servir plus utilement , il eut quitté le serviće de François I. après que ce grand Prince eut
fait la conquête de Genes 1527. &c. Et je ne
doute point que la Médaille n'ait été frappée par P'ordre du Sénat ; s'il est vrai , comme je viens de
le lire dans un Auteur anonyme contemporain ,
que la Patrie de Doria lui fit ériger une belle et
grande Statue de Marbre dans la principale Place
de Genes , au Piedestal de laquelle on lisoit ces
deux mots PATRI PATRIA, J'apprens par le
même Auteur, que l'Empereur Charlequint , dans
toutes ses Lettres , et en parlant de vive voix à
A Doria , l'appelloit toujours son Pere , et l'ac- cabloit de caresses.
Ma seconde Remarque est une suite de ce que
je vous ai déja dit , Monsieur , au sujet du Revers de notre Médaille , où l'on voit la tête d'un
Captif, et autour , des Chaînes et d'autres symboles d'esclavage. J'ai pensé d'abord que cette
Tête pouvoit être prise pour celle du fame
* Doria porte d'Or à l'Aigle à deux Têtes de sable,
..
Bar
SEPTEMBRE. 1732. 1959
•
Barberousse , homme obscur dans son origine,
Esclave de Soliman II . puis Capitan Pacha , l'Emule et le Rival de Doria , qui le batit en 1536.
et reprit ensuite Tunis , &c. mais il seroit peutêtre plus naturel de croire que c'est ici la tête du
Pyrate Dragut , que Jannetin Doria batit avec
les Galeres et sous les auspices de son Oncle
comme je l'ai dit cy-dessus , qu'il lui amena
Genes chargé de chaînes , pour augmenter ses
triomphes,et que le genereux Doriamit en liberté.
Quoiqu'il en soit , voilà , Monsieur , tout ce que j'ai pu vous dire en peu de mots d'André
Doria et de sa Maison. Si je n'avois pas été si
pressé de vous envoyer ma Lettre par les circonstances du temps , &c. j'aurois pû profiter d'un
Memoire Historique , que M. le Marquis Doria,
actuellement Envoyé de la République de Genes auprès du Roy , a eu la bonté de me promettre
et qu'il attend tous les jours , dans lequel peuvent être d'autres faits curieux et Anecdotes ; en tout
cas je pourrai vous en faire part dans une autre
occasion. Il est temps de revenir à la Ville d'Oran.
Vous me demandez , Monsieur , si je crois cette
Ville aussi ancienne que je vous l'ai exposé dans
ma premiere Lettre , sur la foi de quelques Auteurs modernes. Je vous avoue avec franchise que
je les crois dans l'erreur sur ce sujet , et que
M. Corneille en particulier , s'est fort abusé quand il nous dit dans son Dictionnaire Universel, Géographique et Historique, que du temps des Romains, on appelloit la Ville d'Oran Unica Colonia. Il est vrai qu'Ortelius , dans son Trésor
Geographique , donne le nom d'Unuca à une
Ville de l'Afrique , proprement dite , en citant
là-dessus l'Itineraire d'Antonin , ce qui peut avoir Dij donné
1960 MERCURE DE FRANCE
donné lieu à l'erreur de M. Corneille ; mais cet
Itineraire consulté , je trouve seulement qu'il y
est fait mention d'une Ville nommée Unaca , et
non pas Unuca , ni Unica , laquelle est située dans la Mauritanie Cesarienne , qui comprend , si vous
voulez, le Pays où est Oran ; ce qui ne suffit pas
pour se déterminer en faveur de l'Antiquité de
cette Ville ; outre que l'Unaca de l'Itineraire n'est
en aucune façon qualifiée de Colonie.
Mais quelle antiquité peut- on donner à Oran?
Vous l'allez voir , Monsieur, dans le petit Narré
qui suit ; et par- là je répons aussi à une autre
question que vous me faites au sujet de l'Eglise
d'Oran , que vous avez lû quelque part avoir été
une Cathédrale , dont l'Evêque étoit suffragant
de l'Archevêque de Tolede , depuis la conquête
du Cardinal Ximenés.
Lorsque ce Prélat forma le projet de cette conquête , qu'il devoitent reprendre , comme il fit en
personne et à ses dépens , il stipula expressément
avec le Roy Catholique, que la Ville et le Territoire d'Oran dépendroient pour le spirituel de
'Archevêché de Tolede. Cette dépendance , dit
un Historien , étoit coinme un Monument de sa
conquête , qui devoit en conserver le souvenir à
la Posterité. C'étoit aussi pour engager tous ses
Successeurs dans cet Archevêché d'avoir une attention particuliere sur la Ville d'Oran , au cas
qu'elle fût attaquée ou reprise par les Infideles. Il
Jeur avoit donné un exemple trop signalé de son
zele pour la Religion , et d'un parfait désinteresşement , pour n'être pas imité.
Cependant Ximenés fut traversé dans la
possession d'un droit si clairement énoncé et si
bien acquis. Cette affaire lui donna même beau- coup de peine et de chagrin. Un Religieux Fran- ciscain
Q
SEPTEMBRE. 1732 1961
ciscain , nommé Fr. Louis-Guillaume , ayant
sollicité en Cour de Rome le titre d'Evêque in
Partibus , obtint enfin des Bulles , qui le nommoient Episcopum Aurensem , avant qu'il fût ques
tion de l'Expedition d'Oran , et il fut sacré en
cette qualité. Cette Ville n'eut pas plutôt été con- quise , que la ressemblance des noins lui fit ima.
giner que ce pouvoit bien être son Evêché , ne
sçachant pas auparavant en quelle partie du Mon
de étoit situé son Diocèse. Là- dessus il se fit appeller l'Evêque d'Oran , et sans faire la moindre
honnêteté au Cardinal , il lui fit signifier ses prétentions , &c. avec déclaration qu'il alloit pren
dre possession , &c.
Ce grand homme, quoique bien fondé et persuadé que les prétentions du Cordelier Espagnol
étoient frivoles , les fit examiner en sa présence.
par un esprit d'équité et de Religion avec la derniere exactitude. Deux principes furent d'abord
établis. 1 ° . Que quand le Pape confere un Evêque in Partibus on supposoit toujours que cer
Evêché avoit existé lorsque les Chrétiens étoient
en possession du Pays où il étoit situé. 2 °. Que
le Pape n'avoit point érigé Oran en Evêché ; qu'il
n'avoit pû par consequent le conferer sans pré- tendre que c'en étoit un dès le temps que les Chrétiens étoient les maîtres de l'Afrique , et que
Christianisme y Aeurissoit,Principe que la Patrie
interessée ne pouvoit pas contester.
le
Il n'y avoit donc proprement qu'à examiner
si Oran avoit été un Evêché avant que lesArabes
eussent conquis l'Affrique , n'étant pas possible
d'imaginer qu'il l'eût été depuis. Là-dessus on
Koceda à l'examen de tous les Auteurs qui
avoient traité des Antiquitez Ecclesiastiques et
Civiles d'Affrique. On lut les Conciles qui y
Diij avoient
1962 MERCURE DE FRANCE
avoient été tenus , et les autres Conciles où les
Évêques Affricains s'étoient trouvez , on parcoufut toutes les Souscriptions ; aucun Concile ne
faisoit mention de l'Evêché ni de l'Evêque d'Oran ou d'Aure. Même silence parmi les Cosmographes anciens , &c.
Pour n'avoir rien à se reprocher , le Cardinal
fit faire avec le même soin et par d'habiles gens
une recherche exacte de l'origine d'Oran , et on
trouva que cette Ville avoit été bâtie récemment
par les Habitans de Trémesen , qui étant attirez
par la beauté et par la commoditể du Port , y
avoient envoyé une Colonie. La conclusion étoit
aisée à tirer contre les prétentions de l'Evêque * in
Partibus.
Celui- cy , loin de se rendre à une pareille Dé- monstration , et de renoncer à des esperances
mal fondées , eut la témerité de dire en face au
Cardinal et avec émotion , que le Pape avoit prétendu lui conferer un Evêché , et qu'il falloit bien
que ce fût Oran , puisqu'il ne se trouvoit point
ailleurs. Vous le chercherez où il vous plaira , lai
répondit Ximenés , mais contez que tant que je
vivrai vous ne serez point Evêque d'Oran.
Il est étonnant , Monsieur , que ce Moine ayant
à faire à un homme du rang et de l'autorité de
Ce qui donnoit lieu à l'erreur du Prélat Cordelier , c'est que dans la Province Ecclesiastique de
Carthage on comptoit parmi les Villes Episcopales
Aurian ou Auran , mais cette Ville étoit éloignée
d'Oran , dont il s'agisso t de plus de 20. lieuës , et
c'est apparemment le titre de cet Evêché , que le Pape
avoit voulu lui conferer ; l'esprit d'interêt et l'entête
ment ne permirent pas à ce Religieux d'ouvrir les
yeux.
P'Archevêque
SEPTEMBRE. 1732. 1963
PArchevêque Cardinal , ne se rendit pas à cette
réponse. Il partit au contraire pour la Cour et
fit tant par ses intrigues , qu'il obtint du Roy des
Lettres pour le Cardinal , par lesquelles S. M.
le prioit de lui donner toute la satisfaction qu'il se pourroit. Il ne restoit plus pour embrouiller
cette affaire et pour la faire devenir de consequence , que le Pape , sollicité de soutenir sa no.
mination , vint à s'en mêler.
C'est ce qui engagea Ximenés à proposer an accommodement qui fut qu'on établiroit à Oran une Collégiale dont on donneroit à ce Prétendant la premiere Dignité , avec le
le titre d'Abbé , et un revenu égal à celui des
Dignitez du Chapitre de Tolede, parmi lesquelles
il auroit un rang, sans être obligé à la résidence,
sans renoncer même ni à son titre d'Evêque , ni
à ce prétendu Diocèse , s'il se trouvoit jamais être
quelque chose de réel ; accommodement qui fut réfusé.
Alors le Cardinal envoya au Roy les Recherches qu'il avoit faites au sujet d'Oran , et le projet d'accommodement , suivi d'un refus opiniâtre,
suppliant S. M. de trouver bon que les choses
restassent à cet égard dans l'état dont on étoit
convenu ; ce que ce Prince trouva si juste , qu'il
ne voulut plus entendre parler de cette affaire ;
desorte que durant la vie de Ximenés, ni après sa
mort , il n'y eut jamais d'Evêque d'Otan. On n'y établit pas même la Collégiale dont il avoit fait
le projet , et tout se réduisit à l'établissement d'un
Grand- Vicaire et d'un Official , que l'Archevêque de Tolede tient à Oran pour l'exercice de sa
Jurisdiction.
Vous voyez , Monsieur , deux choses également vrayes par cet Exposé; la premiere , que la Diiij Ville
1964 MERCURE DE FRANCE
Ville d'Oran n'a pas l'antiquité prétendue par
quelques Auteurs , puisqu'elle doit sa fondation
aune Ville qui n'est connue que depuis la conquête de l'Afrique par les Mohometans Arabes ,
et que les Califes ont vrai- semblablement bâtie.
La seconde verité est qu'il n'y a jamais eu d'Eyêque ni d'Eglise Cathédrale à Oran , comme le
veut Davity , dans sa Description generale de
l'Affrique Tom. VI. de l'Edit de Rocolles , falio ,
Paris, 1660.
Il y auroit plus de fondement à croire la petite
Ville de Marsalquibir , voisine d'Oran , veritablement ancienne, et de lui appliquer cet Endroit
de Ptolomée , où en décrivant la situation Maritime de la Mauritanie Césarienne , ce fameux
Géographe fait mention d'un lieu qu'il a nommé πορτος μαγνος selon la dénomination de son
temps , Portus magnus et Fretum magnum , selon
le Traducteur Latin. Marsalquibir, qui d'ailleurs
est un mot Arabe signifiant la même chose
mérite assurément ce nom et cette croyance ,
cause de la grandeur de son Port , qui forme un
petit Golfe sur cette Côte.
Davity , dont je viens de parler , en faisant
mention de ces deux Places , qualifie Oran de
Marquisat ; je ne vois pas trop sur quel fondement , et il dit que Marsalquibir fut enlevé aux
Maures par le Marquis de Comarez en isos. Ce n'est pas ici le lieu d'éclaircir ces faits et d'autres
Circonstances historiques que l'Auteur ajoûte sur P'une et sur l'autre Ville.
Mais laissons ces temps éloignez pour venir
aux affaires présentes d'Oran, Vous vous étonnez,
Monsieur , avec raison , que les Maures fortifiez
par un secours considerable de Turcs , ayant une
pombreuse Artillerie , prévenus d'ailleurs et mepaccz
SEPTEMBRE. 1732. 1965
་
nacez d'une prochaine descente de l'Armée Espagnole, ne se soient pas opposez plus vigoureusement à cette entreprise ; que du moins la descente étant faite , Oran et Marsalquibir , bien
munis comme ils étoient , n'ayent pas merité ,
pour ainsi dire , l'honneur d'un Siége , et qu'une
Bataille , imprudemment engagée de leur part ,
ait presque , en arrivant , décidé du sort de ces
Places. Cela vous a fait juger qu'elles étoient
peut être sans deffense du côté de l'Art
les Maures n'ayant pas eu soin de se fortifier ,
d'entretenir du moins les Ouvrages faits depuis
la Conquête de Ximenés.
-
Mais c'est tout le contraire , suivant toutes
les Lettres les plus exactes et les mieux circonstanciées , qui nous sont venues de ce Païs- là.
Vous en jugeriez ; Monsieur, autant que personne , si le Plan de ces deux Places et de leurs environs, qui vient de m'être communiqué par un
ami de distinction , qui l'a reçu depuis peu de la
Cour d'Espagne, pouvoit vous être envoyé avec
ma Lettre. On y voit Oran entouré de Fortifications , attachées au Corps de la Place , dont le
principal Ouvrage est ce qu'on appelle le Donjon. Dans les dehors sont les Châteaux de RosalCasar , de S. André , de S. Philippe , de Sainte
Croix , de S. Grégoice , avantageusement situez sur des hauteurs , et dans des distances convenables, sans parler de la Tour du Madrigal et de
la grosse Tour. Marsalquibir est à proportion
fortifié de même , deffendu aux environs par le
Fort de S. Sauveur , et par le Fortin , qui est le
plus près de la Ville , avec un chemin de com- munication d'une Ville à l'autre , qui cottoye le
fonds du Golphe ou du grand Port de Marsalquibir.
DV
3
1966 MERCURE DE FRANCE
1
Ce Golphe represente un demi Cercle presque
parfait.Oran est situé sur la pointe Orientale , et
Marsalquibir,vis- à- vis,sur la pointe Occidentale;
l'espace de l'une à l'autre pointe , ou l'ouverture
du Golphe , est de plus de 900 toises , avec en
viron 700 toises de profondeur. De plus,la Ville
d'Oran a son Port particulier, mais qui n'est pas,
à beaucoup près , si considérable,
Le même Plan me confirme qu'Oran ne manque point d'Eaux. Il y a auprès de la Ville une
Riviere , sur laquelle est le Pont de Trémésen ,
et un grand Ruisseau encore plus près des Murailles , qui arrose des Jardins Potagers et des Vergers. De sorte Monsieur , que dans toutes
ces circonstances réunies , c'est une espece de Miracle , que cette Conquête ait été si subitement
décidée par le sort d'un Bataille generale, laquelle , selon toutes les Regles de la Guerre , ne devoit pas si-tôt se donner , et qui n'a été engagée que casuellement, comme parle l'Autheur de
la Relation Espagnole que j'ai Il y a eu cependant de part et d'autre beaucoup de bravoure dans le combat; et sur tout du
côté des Espagnols , des Actions d'une valeur
peu commune. Il m'est venu là- dessus de nouveaux détails , qui allongeroient trop ma Lettre; mais je n'obmettrai point l'Action plus que hardie d'un simple Sergent, qui fut commandé avec
16 Soldats le jour du débarquement , pour
s'emparer d'un Poste. Il fut d'abord enveloppé
par un détachement de 300 Cavaliers Turcs ;
mais le Sergent et sa foible Trouble , sans s'embarrasser de la superiorité , se deffendirent avec
tant de courage et chargerent si à propos , qu'ils !
gagnerent enfin le Poste en question , et oblige- rent les Turcs de se retirer.
Оц
SEPTEMBRE. 1732. 1967
On ne peut,au reste.rien ajoûter à la pieuse reconnoissance du Roy d'Espagne envers le Ciel ,
pour un succès si heureux. Toutes les nouvelles
publiques sont remplies des Actes de sa piété , et du zéle de ses Sujets à célébrer cet Evenement.
Le Cardinal d'Astorga , Archevêque de Tolede ,
Primat des Espagnes, &c. s'est particulierement distingué en cette occasion , ainsi que le Chapitre de son Eglise , la Ville d'Oran étant de la Ju- risdiction de cet Archevêché. Dès le 27 Juin , il y avoit eu à Tolede une Procession Generale de
tout le Clergé Séculier et Régulier , suivie des Magistrats , de joutes les Personnes de distinction , et d'un Peuple infini. On y porta l'Etendart avec lequel le Cardinal Ximenés entra en
triomphe dans Oran. La Procession se rendit de
l'Eglise Métropolitaine à celle de l'Hôpital
Royal , où se conserve une Image celebre de
Notte-Dame , Patrone de la Ville d'Oran , d'où
elle a été transportée à Tolede , après la derniere invasion des Maures. Il y a eu depuis des Ac- tions de Graces tres- solemnelles dans la même
Ville de Tolede.
Sa M, C. rendit quelques jours après justice
aux Officiers qui ont servi dans cette Expédition.
Elle fit le Comte de Montemar , Commandant
en Chef, Capitaine General de ses Armées ; plusieurs Lieutenans Generaux , parmi lesquels est
le Marquis de Santa Cruz que vous connoissez ;
plusieurs Marêchaux de Camp, et Brigadiers. On
y voit aussi plusieurs Capitaines, qui ont été faits
Colonels .
Cependant depuis la Bataille d'Oran et la
prise des deux Places , on n'a été occupé qu'à débarquer l'Artillerie , les Munitions et les Equi--
D vj pages
1968 MERCURE DE FRANCE
pages , et à réparer et augmenter les Fortifications , à fortifier le Camp , à faire enfin les dispositions necessaires pour s'assurer du plat Païs,
afin d'en tirer des Vivres , &c. On écrit même
déja que les Habitans de plus de vingt lieuës à
la ronde , sont venus se soumettre.
Je ne vous parle point d'une petite disgrace, arrivée aux Espagnols le 16 Juillet. Un Détachement de leur Armée , envoyé pour attaquer les
Maures dans les Montagnes , est tombé dans
une Embuscade des Ennemis , ce qui a coûté la
vie environ à 300 hommes, sans compter le Due
de S. Blas , et quelques autres Personnes de
moindre considération , qui ont été tuées dans
cette rencontre Disgrace, dont les Troupes Espagnoles ont eu leur revanche quelques jours
après , par un détachement de mille Grenadiers ,
placez dans une Embuscade , avec du Canon .
chargé à cartouche, qui a fait périr plus de mille
Maures , sans compter plusieurs autres avantages remportez depuis , et la prise de quelques Convois des Infideles ; un entr'autres de mille
Chameaux chargez , &c.
Les dernieres Lettres parlent de l'arrivée au
Camp Espagnol , d'un Grand du Païs , que les
nouvelles publiques ont appellé Bacha , terme
impropre et inusité parmi les Maures , pour
offrir au Comte de Montemar de mettre 30000
Maures en Campagne pour le service de S. M.
C. et d'autres avantages , à de certaines conditions ; pour la seureté desquelles offres il ajoutoit celle de laisser son fils , qui l'accompagnoit,
en otage. Le bruit couroit même à Madrid, que Ice Prince Maure devoit y arriver incessamment
avec un train considérable.
Les mêmes Lettres parlent d'un nouveau Dé- tache
SEPTEMBRE. 1732 1969
tachement que le Comte de Montemar venoit
de faire sous les Ordres du Marquis de Villadarias , composé de 5000 hommes d'Infanterie .
et de 2000 de Cavalerie , pour aller assiéger
Mazagran , Ville située à is lieuës d'Oran et
sur la même Côte, dans le temps que 2 Vaisseaux
de Guerre et 7 Galeres devoient attaquer la Place par Mer.
Je finis , Monsieur , en vous confirmant que
le Marquis de Santa- Cruz a été fait Gouverneur
des Villes d'Oran et de Marsalquibir. Ces Places
ne pouvoient être confiées à un plus digne Sujer
et qui entendît mieux l'art de les fortifier et de les deffendre en cas de besoin , sans parler de ses
autres excellentes qualitez. On a publié icy une
Traduction Françoise du X I. Tome de son grand Ouvrage, intitulé : Reflexiones Militares..
Cette Traduction compose un vol. in 4. imprimé à Paris , chez Langlois. Pour vous mettre au
fait de ce Livre , que je ne puis pas vous faire
tenir présentement , je vous envoye le Journal
de Trévoux , du mois de Janvier dernier , où
vous en trouverez l'Extrait. J'ai l'honneur d'ê tre , Monsieur , &c.
A Paris , les Aoust 17322-
Fermer
Résumé : TROISIÈME LETTRE écrite par M. D. L. R. à M. le Marquis de B. au sujet de l'Armement du Roy d'Espagne, et de la Conquête d'Oran.
La lettre de M. D. L. R. au Marquis de B. discute de la prise de la ville d'Oran, du port et de la forteresse de Marsalquivir. L'auteur exprime sa satisfaction de continuer à informer le Marquis sur ce sujet et répond à une demande concernant le dessin de la médaille d'André Doria, qu'il joint à la lettre. La médaille, gravée par un artiste habile, représente les exploits de Doria, et l'auteur espère que le Marquis en sera content. André Doria, né à Oneille le 30 novembre 1468, appartenait à une des plus anciennes et illustres familles de Gênes. Passionné par la marine dès son enfance, il acquit rapidement une réputation de grand homme de mer. Il servit d'abord sa patrie, puis le roi François I, qui le nomma général des galères de France. Après un chagrin lié à des prisonniers de distinction, il changea d'allégeance pour servir l'empereur Charles V, qui lui confia toutes ses forces maritimes. Doria remporta plusieurs victoires en Barbarie et en Morée, malgré la bravoure de Barberousse, amiral de Soliman II. Il connut une défaite en 1552 face à Dragut Rais, mais se rattrapa en prenant Sansiotenzo en Corse deux ans plus tard. Doria était connu pour sa sévérité, parfois excessive. Il mourut à Gênes en 1560 à l'âge de 94 ans, après une carrière glorieuse. La maison Doria a produit de nombreux grands hommes, notamment des marins et des savants. En septembre 1732, le franciscain Frère Louis-Guillaume obtint des bulles papales le nommant Évêque d'Aurensem avant la conquête d'Oran. Après la prise de la ville, il se proclama Évêque d'Oran, revendiquant ce titre sans en informer le Cardinal. Le Cardinal Ximenés examina la question avec équité et établit que l'évêché d'Oran n'avait jamais existé historiquement. Le moine refusa de se rendre à ces démonstrations et insista sur ses prétentions. Le Cardinal proposa un accommodement, offrant une dignité collégiale à Oran, mais cette offre fut refusée. Le Roi d'Espagne soutint le Cardinal, et aucune collégiale ni évêque ne fut établi à Oran. Le texte mentionne également des événements militaires et nominations. Une proposition est faite au Comte de Montemar d'engager 30 000 Maures pour le service du roi, avec des conditions spécifiques. À Madrid, des rumeurs circulent sur l'arrivée imminente du Prince Maure avec une suite importante. Un détachement dirigé par le Comte de Montemar, sous les ordres du Marquis de Villadarias, composé de 5 000 hommes d'infanterie et 2 000 de cavalerie, doit assiéger Mazagran, une ville située à 15 lieues d'Oran. Simultanément, deux vaisseaux de guerre et sept galères doivent attaquer Mazagran par mer. Le Marquis de Santa-Cruz a été nommé gouverneur des villes d'Oran et de Marsalquivir, reconnu pour ses compétences en fortification et défense.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
10
p. 2117-2139
SUITE du Voyage de Basse-Normandie, par M. D. L. R. IX. LETTRE,
Début :
Les raisons que j'avois, Monsieur, de séjourner à Caën, énoncées dans mes [...]
Mots clefs :
Voyage, Basse-Normandie, Abbaye de Cerisy, Bayeux, Cathédrale, Messe, Sacristie, Trésor, Ornements, Croix, Chanoine, Inscription, Buste, Diane de Poitiers
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE du Voyage de Basse-Normandie, par M. D. L. R. IX. LETTRE,
UITE du Voyage de Basse - Normandie ,
par M. D. L. R.
*
IX. LETTRE,
Lséjournerà Caen , énoncées dans mes Es raisons que j'avois , Monsieur , de
dernieres Lettres , subsistoient toujours:
elles m'engagerent de profiter de cette
occasion pour aller voir la Ville de
Bayeux , et l'Abbaye de Cerisy , l'une
des plus considérables de ce Diocèse. Le
même Docteur en Médecinè , homme
comme je vous ai dit , d'érudition , et
d'un agréable commerce ,
voulut encore
m'accompagner dans cette course. Nous
partîmes de Caën d'assez bon matin , et
comme Bayeux n'en est éloigné que de
six licuës , nous y arrivâmes avant l'heu-
* Ces Lettres sont dans le Mercure de Juin 1730.
vol.11 . et dans le Mercure d'Avril 1732.
re
2118 MERCURE DE FRANCE
re de dîner. Nous allâmes d'abord à la
Cathedrale , où après avoir entendu laMesse , nous fumes abordez fort gracieusement par M. l'Abbé de... Chanoine de
la connoissance du Médecin , qui nous
fit voir tout ce qu'il y a de remarquable
dans cette Eglise dédiée à la Vierge , et
nous instruisit de tout ce que des Voyageurs de notre espéce étoient bien aises
de ne pas ignorer. Le Bâtiment est un
Vaisseau assez spacieux , d'une Architecture gothique , mais bien éxécutée L'Autel principal , placé au fond du Chœur ,
est d'une simplicité noble et édifiante.
Le Chœur est seulement orné d'une Tapisserie qui représente la vie de la sainte
Vierge , à qui l'Eglise est dédiée , et les
Mysteres quiy ont du rapport. Leon Conseil , Chancelier de cette Eglise , en fit
faire les desseins, qui furent assez bien éxécutez , et lui en fit présent.
Une autre Tapisserie d'une fabrique
bien différente , régne autour de la Nef.
Elle n'a pas plus de deux pieds et demi
de hauteur ; c'est cependant un ornement instructif et des plus curieux qu'on
puisse trouver en ce genre. On y trouve
toute l'Histoire du fameux Guillaume II.
Duc de Normandie , par rapport à sa
Conquête du Royaume d'Angleterre , et
on
OCTOBRE. 1732. 2119
on peut dire que pour le tems auquel cet
ouvrage a été fait , il n'y a presque rien
à désirer pour les Figures , qu'un peu
plus de correction de dessein. Tous les
fonds restent à remplir , ce qui fait présumer que le projet étoit de faire ces
fonds en or ou en argent mais il ne
manque rien aux personnages , et aux Figures , qui composent ensemble un Monument respectable et instructif. Tout le
monde veut que la Princesse Mathilde
fille de Baudouin , Comte de Flandres Niéce du Roi Robert et de la Reine
Constance , Epouse du Duc Guillaume
fit faire cette Tapisserie pour immortaliser ses Exploits. Apparemment
cette Princesse ne vêcut pas assez pour faire achever entierement l'ouvrage. M. Foucault , qui en connoissoit le mérite , en
avoit fait dessiner quelques morceaux
qu'on a vûs à Paris dans sa Bibliotheque.
Depuis mon Voyage de Normandie , et après
la mort de M. Foucault , ce qu'il en avoit fait copier est heureusement tombé entre les mains de
M. Lancelot , qui a composé là- dessus un très-beau .
Discours qu'il a lû à l'Académie , dont il en est un
très-digne Membre ; et le R. P. de Montfaucon a
fait graver le même Monument dont il donne aussi l'explication dans les premiers Volumes de ses
Monumens de la Monarchie.
Nous
2120 MERCURE DE FRANCE
2 que
Nous passâmes dans la Sacristie , où
nous vîmes le Trésor , et beaucoup de riches Ornemens : nous y vîmes le petit
Coffre d'yvoire , de fabrique Moresque
qui renferme la Chasuble de S. Renobert,
second Evêque de Bayeux , fermé d'une
espéce de serrure d'argent , sur laquelle
est gravée une Inscription Arabe. J'ai
parlé,comme vous le sçavez , de ce Coffre
et de l'Inscription avant de les
avoir vûs , dans une de mes Lettres écrite à M. Rigord , qui est imprimée dans
les Mémoires de Trévoux du mois d'Octobre 1714. vous sçavez , dis je ,
sieur , par cette Lettre , que l'Inscription
éxactement copiée et apportée à M. Petist
de la Croix , Interpréte du Roi , chez qui
j'étois alors , se trouva être une Sentence
Mahometane , dont le sens est tel. Au
NOM DE DIEU. Quelque honneur que nousrendions à Dieu , nous ne pouvons pas l'honorer autant qu'il le mérite ; mais nous l'honoronspar son Saint Nom.
MonJe dis à cette occasion dans ma Lettre
que tout se peut concilier par le moyen
de l'Histoire et de la raison , mais que je
n'entreprenois pas de démêler comment ,
par qui , et en quel tems , deux choses
aussi opposées , que le sont la Relique
de S. Kenobert et le Coffret à Inscription
OCTOBRE.
1732 2121 tion Mahometane , ont pû se rencontrer
ensemble dans le lieu où elles sont aujourd'hui. Le R. P. Tournemine , qui dirigeoit alors le Journal de Trévoux , proposa là - dessus une conjecture qui paroît
plausible , et qu'il fit imprimer à la fin de
ma Lettre dans le même Journal.
» On sçait , dit- il , que Charles Martel
»
vainquit les Sarrazins proche de Tours ,
leur Camp fut pillé , la Cassete marquée de l'Inscription Arabe aura été
» prise en cette occasion , et la Reine
»
Ermantrude, Epouse de Charles le Chauve , à qui cette Cassete venoit de la suċcession de son Trisayeul, l'ayant euë de
» son mari , la consacra à
renfermer les
»Reliques de S. Renobert , qui avoit guéri le Roi son époux. Cette guérison et
la magnifique reconnoissance d'Ermantrude , sont marquées dans les Historiens. Cette Cassete étoit apparemment
» celle du Prince Sarrazin Abdarrha-
> man.
Quoiqu'il en soit , deux Auteurs nouveaux , sçavoir Dom Beaunier , Benedictin , et M. Piganiol de la Force , ont profité de ce que j'avois appris au public làdessus dès l'année 1714. l'un dans son
Recueil Historique, & c. des Archevêchez e
Evêchez de France , &c. Tom. II. p. 714.
B publié
2122 MERCURE DE FRANCE
publié en 1726. et l'autre dans son nou
veau Voyage de France , pag. 582. qui a
paru presque en même tems. Ils onttrouvé à propos l'un et l'autre de s'en faire
honneur , et de ne pas déclarer où ils ont
pris cette découverte , ce qui n'arrive ja- mais aux véritables Sçavans.
Le Chapitre de 1Eglise de Bayeux est
un des plus considérables qu'il y ait en
France il est composé de douze Digni
tez , dont la premiere est celle de Doyen,
et de cinquante Chanoines. Cette Eglise
reconnoît pour son premier Evêque saint
Exupere , vers la fin du deuxième, * siecle : pour second , S. Renobert , auquel
plusieurs autres saints Evêques ont suc- cedé. Elle a eu aussi des Cardinaux et des
Prélats très- distinguez par leur naissance ,
par leur doctrine et par leur pieté.. Les
Cardinaux sont Renaud , ou René de
Prie , Augustin Trivulce , Arnaud Dossat , Charles d'Humieres.
Au sortir de l'Eglise nous allâmes voir
le Subdelegué de M. l'Intendant , qui
*C'est la Chronologie d'un Historien Moderne
laquelle est rejettée par les meilleurs Critiques.
5. Renobert , second Evêque de Bayeux , assista
en 1630. à un Concile de Rheims , et par conséquent, &c.
nous
OCTOBRE. 1732.
nous retint à dîner, et nous engagea,
2723 puisque nous devions coucher à Bayeux , d'aller l'après dîner nous promener à S. Vigor , qui n'en est éloigné que d'un bon
quart de lieuë. Le Chanoine dont j'ai
parlé se joignit à nous , et j'appris encore bien des choses dans cette promenade.
S. Vigor ,
surnommé le Grand , pour
le distinguer de plusieurs Paroisses de même nom, dans le même pays , est un Prieuré de Benedictins de la Congrégation de
S. Maur ; le lieu est fort élevé , ensorte
qu'il y a beaucoup à monter pour y arriver ; mais il est très-agréable , et on découvre de- là une grande étendue de
Il est en même tems fort renommépays par.'
la dévotion des Peuples envers le Saint
de ce nom , qui a été l'un des premiers
Evêques de Bayeux , et par la cérémonie
qui s'y fait à chaque changement d'Evêque , lorsque le Prélat fait pour la premiere fois son Entrée publique dans la
Ville , et prend possession de son Eglise.
a
On ne voit rien à S. Vigor qui mérite
une attention singuliere.
L'Eglise du
Prieuré paroît bâtie sur une autre plus ancienne et ce qu'il y de nouveau
n'est pas achevé. Celle de la Paroisse est
très- moderne et fort propre. Les BeneBij dic
,
2124 MERCURE DE FRANCE
dictins de S. Maur , qui sont là en assez
petit nombre , ont bien réparé le Monastere , et ils édifient par leur éxacte régularité. Nous fûmes très-contens de leur
réception. Je trouvai dans leur petite
Bibliotheque , où sont aussi quelques titres , et les papiers de la Maison , une
Copie du Procès Verbal de la cérémonie
dont je viens de parler , telle qu'elle se
passa , lorsque François de Nesmond fit
sa premiere entrée dans la Ville de Bayeux.
Un Religieux âgé de près de 9o . ans , qui
ayoit assisté à cette cérémonie , me don-"
na l'Extrait qu'il avoit fait de ce Procès
Verbal , qui me parut curieux , et sur le
quel j'ai fait le petit narré que vous ne serez pas fâché de trouver ici.
M. l'Evêque ayant fixé le jour de son
Entrée solemnelle dans la Ville de Bayeux
au 15 Mai 1662. Il se rendit , selon la
coûtume, le matin du jour précédent à la
Chapelle de Notre Dame de la Délivrande. M. Buhot de Cartigny , Docteur de
Sorbonne , Directeur de cette Chapelle
le reçût à la Porte , revêtu d'une Chape
assisté des Prêtres qui la desservent , et le
harangua, L'Evêque étant entré , et s'étant mis à genoux sur un Prie- Dieu , le
même Chanoine lui présenta la Croix à
baiser. Après avoir fait sa priere , il célébra
OCTOBRE. 1732. 2125
6
bra la Messe , il se rendit ensuite à saing
Vigor,monté sur une Haquenéé blanche
pour y passer le reste du jour , et coucher
dans le Monastere.
Le Prélat fut conduit-une partie du chemin les Vassaux et les Habitans sous par
les armes de la Baronie de Douvres. Il
rencontra à deux ou trois lieues de Saint
Vigor les Députez du Chapitre deBayeux,
quatre Dignitez , et quatre Chanoines
qui le complimenterent. La Noblesse
vint aussi en grand nombre le saluer , le
Marquis de Colombieres , quoique de la
Religion P. R. portant la parole , ce
Marquis et les principaux de la Noblesse
l'accompagnerent jusqu'au Prieuré.
M. de Choisy , Seigneur du Fief de
Beaumont , qui releve de l'Evêché , se
trouva à la descente , et tint l'étrier , suivant l'obligation de son Fief ; le Prélat
étant descendu , le Gentilhomme se saisit
de la Haquenée , qu'il envoya , montée
par un autre Gentilhomme,à son Ecurie ,
selon le droit du même Fief.
L'Evêque se mit tout de suite sous un
Dais porté par quatre Religieux ; et prenant le chemin de l'Eglise , il fût reçû à
l'entrée du Cimetiere de la Paroisse par
le Prieur des Benedictins . Quand il fût arrivé à l'Eglise du Prieuré , on chanta le
B iij Te
2126 MERCURE DE FRANCE
1
Te Deum , et ensuite il fut conduit à sor
Appartement parles principaux de la Ng
blesse , &c. A l'heure du souper on lu
servit en maigre un Repas fort frugal
suivant le Cérémonial.
Le lendemain de grand matin , tout I
Clergé Séculier et Régulier de la Vill
s'étant assemblé au son des grosses Clo
ches dans l'Eglise Cathedrale , il se form
une Procession , dont le Corps du Cha
pitre faisoit la queue , laquelle se rendi
au Prieuré de S. Vigor. Le Doyen et le
principaux du Chapitre monterent à
l'appartement du Prélat , qu'ils trouve.
rent en prieres. Après de profondes révé rences , le Doyen le conduisit dans un
Chapelle de l'Eglise , où le Sacristain lu
ôta ses souliers et ses bas , et lui mit ur
espéce de sandales fort minces. On le r
vêtit en même-tems d'une Chappe blan
che , et on lui mit une Mitre toute sir
ple. Il alla ainsi se placer dans une ancie
ne Chaire de marbre, couverte d'un Dai
qui est près le grand Autel , où M.
Franqueville de Longaulnay le harai. ;
en présence du Clergé. L'Evêque se le
immédiatement après , et partit de S. Y
gor pour se rendre à Bayeux en
ordre.
Il étoit placé entre Mrs de Chois Bai
OCTOBRE. 1732. 2127
le Baron deBeaumont, et le Baron de Bosqbrunville , représentant le Seigneur d'E
trehan , soutenant l'un et l'autre les bouts
de sa Chappe , dont deux Aumoniers portoient la queue. Derriere étoit un Gentilhomme armé de toutes piéces à l'antique,'
portant une Hallebarde sur l'épaule , seÎon le devoir de son Fief, et un autre
Vassal marchoit immédiatement devant
le Prélat , semant de la paille depuis saint
Vigor jusqu'à la Porte de l'Eglise de
S. Sauveur de Bayeux. Les Compagnies
Bourgeoises qui étoient sous les armes ,
formerent cependant une double haye
depuis le Monastere des Capucins jusqu'à
l'Eglise Cathedrale.
L'Evêque entra , suivant la coûtume ,
dans l'Eglise de S. Sauveur , on lui lava
les mains et les pieds. Le Bassin et l'Aiguiere d'argent appartiennent au Curé
de cette Eglise ; mais le Curé étant alors
en * Déport , ils furent donnez au Chapitre. Après avoir pris des Habits pontificaux , plus riches que les précedens , il
$ rendit à la Porte de l'Eglise Cathedra
qu'il trouva fermée , et qui fût ou-
* Déport est le nom qu'on donne au droit qu'ont
les Evêques de Normandie , de joüir des revenus des
Cures de leurs Diocèses la premiere année de la vacance de chacun de ces Benefices.
B iiij verte
2128 MERCURE DE FRANCE
1
verte un moment après par quatre Chanoines.
Le Prélat se mit à genoux , à l'entrée ,
sur un Carreau de velours violet ; et après
avoir fait la priete , il fit le serment accoutumé. On le conduisit tout de suite
au Chœur jusqu'à sa Chaire Episcopale ,
et après qu'on eut chanté solemnellement
le Te Deum , il entra dans la Sacristie ,
il prit les plus magnifiques ornemens. Il
celebra la Messe pontificalement , assisté
de quatre Diacres , et de quatre Soudiacres.
où
La Messe étant finie , l'Evêque fut conduit en son Palais par le Chapitre , qu'il
retint à dîner , ainsi que les Barons , et
plusieurs autres personnes de condition
qui s'étoient trouvez à la cérémonie. Le
même jour il reçut les complimens de
tous les Corps de la Ville. Il reçut même
celui du Ministre de la Religion P.R.qui
fut éloquent , respectueux , et fort applaudi.
* La même ceremonie icy décrite , a été renouvellée depuis peu à la prise de possession de M. de
Luynes , actuellement Evêque de Bayeux ; et il en a paru une Relation en forme de Lettre , addressée
par le Chevalier de S. Jory , à Madame la Duchesse
de Chevreuse, imprimée à Caen. Cette Relation oùs
il ne falloit que de la simplicité et de l'exactitude ,
est si pleine d'emphase et de choses déplacées , &e,
qu'on peut dire qu'elle n'a contenté personne.
OCTOBRE. 1732. 2129
Nous rentrâmes de fort bonne heure
dans la Ville , ce qui me donna lieu de retourner à l'Eglise Cathedrale, pour voir la
Bibliotheque et le Chartrier du Chapitre ;
c'est presque la même chose. Quoique cette Bibliotheque , comme la plupart de
celles des autres Chapitres , Abbayes et
Monasteres ait souffert beaucoup de diminution par la vicissitude et par les malheurs des temps , on y trouve encore de
bons Manuscrits , qui regardent non- seu
lement l'Eglise , et le Diocèse de Bayeux,
mais qui pourroient encore beaucoup servir pour 'Histoire generale de la Province , même pour l'Histoire d'Angleterre ;
à cause de la part qu'ont eû quelques Evêques de Bayeux aux affaires d'Etat des
Ducs de Normandie , devenus Rois de la
Grande Bretagne. On tireroit sur tout
beaucoup de lumieres des Ecrits d'Eusebe
l'Angevin , docte Chanoine de Bayeux ;
qui sont dans ce Chartrier.
Ony apprend que l'Evêque deBayeux a
droit de sacrer le Métropolitain , Primat
de Normandie , en qualité de Doyen des
Evêques de la Province,et que cette qualité de Doyen lui fut confirmée dans un
Synode de la mêmeProvince, tenu à Caën
en 1061. en présence du Duc Guillaume ,
à cause de l'ancienneté de son Eglise , anB v te
2130 MERCURE DE FRANCE
.
térieure même à celle de Rouen , et à toutes les autres Eglises de la Normandie. Les Evêques y sont nommez en
cer ordre: Bayeux , Avranches , Evreux
Séez , Lisieux , Coûtances ; ce qui se trouve ainsi établi dans tous les Conciles Provinciaux , jusqu'au différend survenu entre Louis du Moulinet , Evêque de Séez
et Bernardin de S. François , Evêque de
Bayeux.
anco.com-
,
Le premier prétendoit la préséanc
me plus ancien Evêque dans le Concile
Provincial tņu à Rouen en 1581 , où
pré-idoit le Cardinal Chales de Bourbon.
Le second la lui disputoir par la prééminence don Siege , et par l'usage. On jugea par provision en faveur de lEvêque
de Bayeux comme Doyen de la Provin
ce Ecclésiastique. Il est vrai que le Pape
Grégoire X II. consulté sur cetre contestation, ordonna par son Rescrit de la même année 1581. qu'on se regleroit à l'avenir sur l'ancienn té de l'ordination ou
du Sacre des Evêques.
On trouve aussi dans ce même Lieu les
Ecrits historiques de Robert Cénalis ,
Chanoine de Bayeux , puis Evêque d'Avranches , l'un des meilleurs Esprits de
son temps , et dont l'ouvrage sur l'Histoire Topographyque de France est plein
de recherches curieuses. On
OCTOBRE. 1732. 21L
On apprend encore bien des choses.dans
un grand Cartulaire, nommé le Livre noir,
tout rempli de Titres et d'Actes autentiques.
C'est dans ce lieu qu'on est informé surement du mérite distingué, de plusieurs
Personnages illustres du Chapitre de cette
Eglise , entr'autres , de Robert Vaice, ou
de Vace , Chanoine sous Philippe de Harcourt , Auteur du Roman de Rou et des
Normans , écrit en Vers François , vers
l'an 1160. et dédié à Henry II. Roy d'Angleterre, dans lequel on apprend bien des
faits historiques , &c.
,
De Roger du Hommet, Archidiacre de
Bayeux, élu Evêque de Dol en 1160. d'Arnoul , Trésorier de la même Eglise , puis
Evêque de Lisieux , sçavant homme et
Auteur de plusieurs Ouvrages , mort en
1182. et enterré à S. Victor de Paris , où il
s'étoit retiré. De Pierre de Blois , Chanoine , Précepteur , puis Sécretaire de Guillaume.II. Roy de Sicile , ensuite Chancelier de Richard , Archevêque de Cantorbery, grand Homme d'Etat, et qui a beaucoup écrit , mort vers l'année 1200.
D'Etienne , Chanoine de Gavrai , neveu
du Pape Innocent III . qui le fit Cardinal,
mort en 1254.
D'Henry de Vezelai , Archidiacre , l'un
B vj des
2132 MERCURE DE FRANCE
/
des Exécuteurs du Testament de S.Louis,
puis l'un des Regens du Royaume , sous
Philippe le Hardy , enfin Chancelier de
France , mort vers l'année 1280.
De Raoul ou Radulphe de Harcourt ,
Chancelier de l'Eglise de Bayeux , Archidiacre et Chanoine de Rouen, Chantre de
la Cathedrale d'Evreux , Archidiacre de
Coutance , puis premier Aumônier du
Comte de Valois , fils de Philippe le Hardi , Conseiller d'Etat , &c. mort en 1301.
Les Eclaircissemens Historiques , pris
dans cette Bibliotheque et dans les Archives de l'Evêché , que nous visitâmes ensuite, me fourniroient une ample matiere
de parler aussi de plusieurs Evêques de
Bayeux Illustres par la naissance , par la
doctrine ou par la piéré ; mais je dois me
souvenir que j'écris une Lettre et non pas.
une Hi toire. Je me contenterai de faire
icy mention de deux outrois des plus distinguez de ces Prélats.
Ŏdon ou Eudes , surnommé le Grand,
fils de Herluin ou Hellouin , Comte de
Conteville , et d'Arlete,qui fut aimée par Robert , Duc de Normandie , amour qui
donna naissance au fameux Duc Guillaume, fut le trentiéme Evêque de Bayeux ,
en 1055. Il fit bâtir l'Eglise Cathedrale
et peindre dans la voute du Chanr , les
Ενέ
OCTOBRE. 1732. 2133
Evêques de Bayeux , réputez Saints. Il fit
faire aussi le grand Vitrage de la Nef,
peint suivant l'art de ce temps-là, qui s'est
perdu depuis , avec diverses représentations instructives et convenables au Lieu.
Ce Prélat donna , par une Charte , en
108 2. le Prieuré de S. Vigor , dont nous
avons parlé , à Gerenton , Abbé de saint
Benigne de Dijon , qui lui avoit rendu
favorable le Pape Urbain II. et choisit
pour sa sépulture , et pour celle de ses
Successeurs et de son Clergé , l'Eglise de
S. Vigor. Ce qui fut confirmé par une Bulle de l'année 1096.
Le même Evêque a joué un grand rôle
en Angleterre unie à la Normandie sous
un même Prince , dès l'année 1065. Il en
fut le Viceroy ; mais l'Histoire remarque
que son Gouvernement fut dur , et qu'il
usurpa souvent l'autorité souveraine ; ce
qui lui causa bien des disgraces.
Il partit enfin pour la Terre- Sainte avec
le Duc Robert son neveu ; ce voyage lui
fut fatal , car étant arrivé en Sicile, il tomba malade , et mourut à Palerme en l'année 1097. Gilbert , Evêque d'Evreux, prit
soin de ses Obseques , le fit inhumer dans
la Cathedrale , et Roger , Comte de Sicile , honora son Tombeau d'une Epitaphe.
Ce Prélat régit l'Eglise de Bayeux pendant
2134 MERCURE DE FRANCE "
dant so années. Il assista à 7 Conciles ou
Assemblées de la Province.
Philippe de Harcourt , 35 Evêque, est
celui qui après Odon , a fait le plus de
bien à l'Eglise de Bayeux. Il étoit Fils de
Robert , Sire de Hircourt , premier du
nom , et Frere de Guillaume Richard
Chevalier du Temple, qui en l'année 11115050. fonda la Commanderie de S. Etien- .
ne de Renneville , au Diocèse d'Evreux ,
dont j'ai parlé dans ma premiere Lettre ,
et où , comme je l'ai dit, on voit le Tombeau du Fondateur.
*
Ce Prélat fut d'abord Archidiac re d'Evreux; puis étant Evêque , il fonda l'Abbaye du Val- Richer , Ordre de Citeaux
et fit rebâtir en 1159. l'Eglise Cathédrale , où l'on voit son Tombeau, d'un Mar◄
bre grisatre. Sa mort arriva en l'année
1163 .
Pierre de Benais , Doyen , puis 42º Evêque de Bayeux , tint un Concile Diocésain , pour le rétablissement de la Disclpline , dans lequel furent faits 113 Statuts , qui sont insérez dans la Collection
des PP. Labbe et Cossart de l'année 1671.
et fort louez par le Sçavant P. Sirmond
qui les a aussi donnez dans son Recueil
* Cette Lettre est dans le Mercure de Decembre
1726. vol. 1. pag. 2696,
des
4
OCTOBRE. 1732. 2135
'des Conciles de France. Ce Prélat mourut
en 1306. six ans après la publication de ces
Statuts , dont il y a un beau Manuscrit
dans la Biblioteque de S. Victor de Paris.
C'est le même qui fonda le Collège de
Bayeux à Paris , qui subsiste encore dans
la rue de la Harpe.
que
Ason imitation François Servien, Evêde Bayeux , publia long-temps après
des Ordonnances Synodales , qui furent
imprimées en 1656. Et à propos de ce
dernier Prélat, nous apprimes que quand
on voulut l'inhumer en 1659.on ouvrit le
Tombeau de l'Evêque Guy, mort en 1259.
Son Corps fut trouvé entier , mais l'air le
réduisit bientôt en poussiere ; on lui trouva un Anneau d'or , enrichi d'un Saphir ,
qui nous fut montré dans le Trésor de '
l'Eglise Cathédrale.
Jean de Bayenx n'a pas gouverné ce
Diocèse , mais il mérite de tenir un rang
distingué parmi les Hommes Illust es qui
y sont nez. Ce vertueux Prélat fut d'abord Evêque d'Avranches, et ensuite Archevêque de Rollen. Grand amateur de la
Discipline il tint en l'année 1074. un Concile à Rouen , dans lequel on érigea en
Abbaye le Prieuré de S. Victor en Caux ,
à la priere de Roger de Mortemer. C'est
lui qui fit la Dédicace solemnelle de l'Eglise
2136 MERCURE DE FRANCE
glise de S. Etienne de Caën en présence
du Duc Guillaume , qui en est le Fondateur. Ce Prélat composa un Ouvrage estimé : De Divinis Officiis , qui a été imprimé en 1641.
Nous apprîmes encore dans le Chartrier
de l'Evêché , qui peut fournir beaucoup .
de fait, historiques , principalement dans
un Cartulaire , nommé Le Livre Rouge ;
nous apprîmes , dis- je , qu'il y a une ancienne union entre PEglise Cathedrale
d'Auverre et celle de Bayeux , fondée sur
ce qu'on croit qu'Exupere venant d'Italie , passa par la Ville d'Auxerre , et y précha le Christianisme. Cette union fut renouvellée en 1520. par la Députation que
fit le Chapitre d'Auxerre , d'un de ses
Chanoines lequel reçut dans l'Eglise de
Bayeux les mêmes honneurs et jouit des
mêmes droits qui sont dûs aux Chanoines
de cette Eglise.
François Armand de Lorraine , fils de
Louis de Lorraine, Comte d'Armagnac &c.
Grand Ecuyer de France , et de Catherine de Neufville- Villeroy , est aujourd'hui Evêque de Bayeux depuis l'année
714. Il a succedé à François de Nesmond, Prélat d'un mérite accompli.
Je ne vous dirai rien , Monsieur, de la
Ville de Bayeux , qui n'est pas considé
rable
OCTOBRE. 1732. 2137
1
rable , quoique la Capitale du Païs Bessin,
à une lieue et demie de la Mer , ce qui
peut lui donner de grandes commoditez.
On y compte plus de quinze Paroisses ,
cependant elle est assez mal peuplée.Cette Ville a été long- temps au pouvoir des
Anglois ; mais le fameux Comte de Dunoit l'ayant assiégée pour le Roy Charles VII. il la prit par Capitulation , suivant laquelle tous les Anglois en sortirent
desarmez , et un bâton à la main. Ce qui arriva en 1450.
Comme nous étions sur le point de monter à Cheval , pour voir l'Abbaye de Cérisi , et retourner à Caën, je vis arriver un
Exprès qu'on m'envoyoit de Torigny, lequel ne m'ayant point trouvé dans cette Ville , crut devoir faire le voyage de
Bayeux, pour me rendre une Lettre, par la
quelle j'étois invité le plus gracieusement du monde , à me rendre dans ce beau
séjour , sous peine de ne revoir de longtemps mes compagnons de voyage, et d'ê
tre privé des plaisirs de plus d'une espece.'
On ajoutoit que je trouverois - là de l'Antique et du Moderne , pour contenter ma
curiosité et pour grossir mes Memoires.
Il ne fallut qu'un moment pour me déterminer; mais comme il étoit déja un peu
tard, je pris le parti de coucher à Bayeux
et
2138 MERCURE DE FRANCE
#
et d'aller à Torigny , par l'Abbaye de
Cérisy , sans repasser par Caën. Je passai
le reste du jour à revoir mon Memoire sur
Bayeux , et je le lus à deux ou trois personnes intelligentes et instruites , qui y
trouverent de l'exactitude ; à un parent ,
sur tout defeu M. Petite ,Chanoine et Of
ficial de Bayeux , qui lui a laissé quantité de Memoires d'un travail immense
sur l'Histoire Ecclesiastique et Civile de
Bayeux , qu'il avoit dessein de publier, et
qui manque à ce grand Diocèse.
*
Ce Chanoine étoit aussi fort curieux de
Médailles Antiques et Modernes , dont
il avoit amassé un très- grand nombre; les
Antiques furent acquises après sa mort ,
par M. Foucault ; et une partie des Modernes sont encore au pouvoir de ce proche Parent , qui voulut bien me les com-
* On peut dire que cette Histoire manque au Diocèse de Bayeux. Celle qui a été écrite par M. Her- mant, Curé de Maltot , et imprimée à Caën en
1705. ne peut gueres passer que pour une ébauche;
outre que des trois Parties, dont elle devoit être composée , l'Autheur n'en a encore publié que la premiere, qui est peu exacte du côté de la Chronologie ,
at qui ne donne pas une grande idée de sa Criti
que, &c. J'apprens que Dom Toussaints du Plessis
qui a écrit avec succès l'Histoire du Diocèse de
Meaux, et qui compose actuellement celle de l'Archevêché de Rouen, a pris des engagemens pour écrive aussi l'Histoire du Diocèse de Bayeux.
niquer
THE NEW YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR, LENOX AND TILDEN
FOUNDATION8
.
VALENTINORVA DVX
DIANA
CLARISSIMA
AE
I
WAINWO
REM VICI
OCTOBRE. 1732 2139
muniquer aussi obligemment que les Manuscrits. Il fit plus , il me donna celle de
Diane de Poitiers, Duchesse deValentinois,
celebre dans notre Histoire , qui ne m'étoit point encore tombée entre les mains :
vous en trouverez ici un Dessein qui sarisfera , sans doute , votre curiosité ; il est
de la grandeur de l'Original . On y voit
d'un côté le Buste de cette Dame coëffée
et habillée suivant l'usage de son tems
avec cette Inscription : DIANA DUX VALENTINORUM CLARISSIMA , et de l'autre la
figure de Diane en pied avec son équipade Chasse ,foulant fierement l'Amour,
qui est terrassé à ses pieds, et ces mots auge
tour : OMNIUM VICTOREM VICI. Vous sentez , sans doute , l'allusion et la justesse
de ce symbole , pour le moins aussi flateur pour la Dame que pour le Grand et
Victorieux Monarque dont elle avoit fait
la conquête , il n'est pas nécessaire de
vous en dire davantage , ni de vous avertir que ma premiere Lettre vous rendra
un compte fidele de mon Voyage
par M. D. L. R.
*
IX. LETTRE,
Lséjournerà Caen , énoncées dans mes Es raisons que j'avois , Monsieur , de
dernieres Lettres , subsistoient toujours:
elles m'engagerent de profiter de cette
occasion pour aller voir la Ville de
Bayeux , et l'Abbaye de Cerisy , l'une
des plus considérables de ce Diocèse. Le
même Docteur en Médecinè , homme
comme je vous ai dit , d'érudition , et
d'un agréable commerce ,
voulut encore
m'accompagner dans cette course. Nous
partîmes de Caën d'assez bon matin , et
comme Bayeux n'en est éloigné que de
six licuës , nous y arrivâmes avant l'heu-
* Ces Lettres sont dans le Mercure de Juin 1730.
vol.11 . et dans le Mercure d'Avril 1732.
re
2118 MERCURE DE FRANCE
re de dîner. Nous allâmes d'abord à la
Cathedrale , où après avoir entendu laMesse , nous fumes abordez fort gracieusement par M. l'Abbé de... Chanoine de
la connoissance du Médecin , qui nous
fit voir tout ce qu'il y a de remarquable
dans cette Eglise dédiée à la Vierge , et
nous instruisit de tout ce que des Voyageurs de notre espéce étoient bien aises
de ne pas ignorer. Le Bâtiment est un
Vaisseau assez spacieux , d'une Architecture gothique , mais bien éxécutée L'Autel principal , placé au fond du Chœur ,
est d'une simplicité noble et édifiante.
Le Chœur est seulement orné d'une Tapisserie qui représente la vie de la sainte
Vierge , à qui l'Eglise est dédiée , et les
Mysteres quiy ont du rapport. Leon Conseil , Chancelier de cette Eglise , en fit
faire les desseins, qui furent assez bien éxécutez , et lui en fit présent.
Une autre Tapisserie d'une fabrique
bien différente , régne autour de la Nef.
Elle n'a pas plus de deux pieds et demi
de hauteur ; c'est cependant un ornement instructif et des plus curieux qu'on
puisse trouver en ce genre. On y trouve
toute l'Histoire du fameux Guillaume II.
Duc de Normandie , par rapport à sa
Conquête du Royaume d'Angleterre , et
on
OCTOBRE. 1732. 2119
on peut dire que pour le tems auquel cet
ouvrage a été fait , il n'y a presque rien
à désirer pour les Figures , qu'un peu
plus de correction de dessein. Tous les
fonds restent à remplir , ce qui fait présumer que le projet étoit de faire ces
fonds en or ou en argent mais il ne
manque rien aux personnages , et aux Figures , qui composent ensemble un Monument respectable et instructif. Tout le
monde veut que la Princesse Mathilde
fille de Baudouin , Comte de Flandres Niéce du Roi Robert et de la Reine
Constance , Epouse du Duc Guillaume
fit faire cette Tapisserie pour immortaliser ses Exploits. Apparemment
cette Princesse ne vêcut pas assez pour faire achever entierement l'ouvrage. M. Foucault , qui en connoissoit le mérite , en
avoit fait dessiner quelques morceaux
qu'on a vûs à Paris dans sa Bibliotheque.
Depuis mon Voyage de Normandie , et après
la mort de M. Foucault , ce qu'il en avoit fait copier est heureusement tombé entre les mains de
M. Lancelot , qui a composé là- dessus un très-beau .
Discours qu'il a lû à l'Académie , dont il en est un
très-digne Membre ; et le R. P. de Montfaucon a
fait graver le même Monument dont il donne aussi l'explication dans les premiers Volumes de ses
Monumens de la Monarchie.
Nous
2120 MERCURE DE FRANCE
2 que
Nous passâmes dans la Sacristie , où
nous vîmes le Trésor , et beaucoup de riches Ornemens : nous y vîmes le petit
Coffre d'yvoire , de fabrique Moresque
qui renferme la Chasuble de S. Renobert,
second Evêque de Bayeux , fermé d'une
espéce de serrure d'argent , sur laquelle
est gravée une Inscription Arabe. J'ai
parlé,comme vous le sçavez , de ce Coffre
et de l'Inscription avant de les
avoir vûs , dans une de mes Lettres écrite à M. Rigord , qui est imprimée dans
les Mémoires de Trévoux du mois d'Octobre 1714. vous sçavez , dis je ,
sieur , par cette Lettre , que l'Inscription
éxactement copiée et apportée à M. Petist
de la Croix , Interpréte du Roi , chez qui
j'étois alors , se trouva être une Sentence
Mahometane , dont le sens est tel. Au
NOM DE DIEU. Quelque honneur que nousrendions à Dieu , nous ne pouvons pas l'honorer autant qu'il le mérite ; mais nous l'honoronspar son Saint Nom.
MonJe dis à cette occasion dans ma Lettre
que tout se peut concilier par le moyen
de l'Histoire et de la raison , mais que je
n'entreprenois pas de démêler comment ,
par qui , et en quel tems , deux choses
aussi opposées , que le sont la Relique
de S. Kenobert et le Coffret à Inscription
OCTOBRE.
1732 2121 tion Mahometane , ont pû se rencontrer
ensemble dans le lieu où elles sont aujourd'hui. Le R. P. Tournemine , qui dirigeoit alors le Journal de Trévoux , proposa là - dessus une conjecture qui paroît
plausible , et qu'il fit imprimer à la fin de
ma Lettre dans le même Journal.
» On sçait , dit- il , que Charles Martel
»
vainquit les Sarrazins proche de Tours ,
leur Camp fut pillé , la Cassete marquée de l'Inscription Arabe aura été
» prise en cette occasion , et la Reine
»
Ermantrude, Epouse de Charles le Chauve , à qui cette Cassete venoit de la suċcession de son Trisayeul, l'ayant euë de
» son mari , la consacra à
renfermer les
»Reliques de S. Renobert , qui avoit guéri le Roi son époux. Cette guérison et
la magnifique reconnoissance d'Ermantrude , sont marquées dans les Historiens. Cette Cassete étoit apparemment
» celle du Prince Sarrazin Abdarrha-
> man.
Quoiqu'il en soit , deux Auteurs nouveaux , sçavoir Dom Beaunier , Benedictin , et M. Piganiol de la Force , ont profité de ce que j'avois appris au public làdessus dès l'année 1714. l'un dans son
Recueil Historique, & c. des Archevêchez e
Evêchez de France , &c. Tom. II. p. 714.
B publié
2122 MERCURE DE FRANCE
publié en 1726. et l'autre dans son nou
veau Voyage de France , pag. 582. qui a
paru presque en même tems. Ils onttrouvé à propos l'un et l'autre de s'en faire
honneur , et de ne pas déclarer où ils ont
pris cette découverte , ce qui n'arrive ja- mais aux véritables Sçavans.
Le Chapitre de 1Eglise de Bayeux est
un des plus considérables qu'il y ait en
France il est composé de douze Digni
tez , dont la premiere est celle de Doyen,
et de cinquante Chanoines. Cette Eglise
reconnoît pour son premier Evêque saint
Exupere , vers la fin du deuxième, * siecle : pour second , S. Renobert , auquel
plusieurs autres saints Evêques ont suc- cedé. Elle a eu aussi des Cardinaux et des
Prélats très- distinguez par leur naissance ,
par leur doctrine et par leur pieté.. Les
Cardinaux sont Renaud , ou René de
Prie , Augustin Trivulce , Arnaud Dossat , Charles d'Humieres.
Au sortir de l'Eglise nous allâmes voir
le Subdelegué de M. l'Intendant , qui
*C'est la Chronologie d'un Historien Moderne
laquelle est rejettée par les meilleurs Critiques.
5. Renobert , second Evêque de Bayeux , assista
en 1630. à un Concile de Rheims , et par conséquent, &c.
nous
OCTOBRE. 1732.
nous retint à dîner, et nous engagea,
2723 puisque nous devions coucher à Bayeux , d'aller l'après dîner nous promener à S. Vigor , qui n'en est éloigné que d'un bon
quart de lieuë. Le Chanoine dont j'ai
parlé se joignit à nous , et j'appris encore bien des choses dans cette promenade.
S. Vigor ,
surnommé le Grand , pour
le distinguer de plusieurs Paroisses de même nom, dans le même pays , est un Prieuré de Benedictins de la Congrégation de
S. Maur ; le lieu est fort élevé , ensorte
qu'il y a beaucoup à monter pour y arriver ; mais il est très-agréable , et on découvre de- là une grande étendue de
Il est en même tems fort renommépays par.'
la dévotion des Peuples envers le Saint
de ce nom , qui a été l'un des premiers
Evêques de Bayeux , et par la cérémonie
qui s'y fait à chaque changement d'Evêque , lorsque le Prélat fait pour la premiere fois son Entrée publique dans la
Ville , et prend possession de son Eglise.
a
On ne voit rien à S. Vigor qui mérite
une attention singuliere.
L'Eglise du
Prieuré paroît bâtie sur une autre plus ancienne et ce qu'il y de nouveau
n'est pas achevé. Celle de la Paroisse est
très- moderne et fort propre. Les BeneBij dic
,
2124 MERCURE DE FRANCE
dictins de S. Maur , qui sont là en assez
petit nombre , ont bien réparé le Monastere , et ils édifient par leur éxacte régularité. Nous fûmes très-contens de leur
réception. Je trouvai dans leur petite
Bibliotheque , où sont aussi quelques titres , et les papiers de la Maison , une
Copie du Procès Verbal de la cérémonie
dont je viens de parler , telle qu'elle se
passa , lorsque François de Nesmond fit
sa premiere entrée dans la Ville de Bayeux.
Un Religieux âgé de près de 9o . ans , qui
ayoit assisté à cette cérémonie , me don-"
na l'Extrait qu'il avoit fait de ce Procès
Verbal , qui me parut curieux , et sur le
quel j'ai fait le petit narré que vous ne serez pas fâché de trouver ici.
M. l'Evêque ayant fixé le jour de son
Entrée solemnelle dans la Ville de Bayeux
au 15 Mai 1662. Il se rendit , selon la
coûtume, le matin du jour précédent à la
Chapelle de Notre Dame de la Délivrande. M. Buhot de Cartigny , Docteur de
Sorbonne , Directeur de cette Chapelle
le reçût à la Porte , revêtu d'une Chape
assisté des Prêtres qui la desservent , et le
harangua, L'Evêque étant entré , et s'étant mis à genoux sur un Prie- Dieu , le
même Chanoine lui présenta la Croix à
baiser. Après avoir fait sa priere , il célébra
OCTOBRE. 1732. 2125
6
bra la Messe , il se rendit ensuite à saing
Vigor,monté sur une Haquenéé blanche
pour y passer le reste du jour , et coucher
dans le Monastere.
Le Prélat fut conduit-une partie du chemin les Vassaux et les Habitans sous par
les armes de la Baronie de Douvres. Il
rencontra à deux ou trois lieues de Saint
Vigor les Députez du Chapitre deBayeux,
quatre Dignitez , et quatre Chanoines
qui le complimenterent. La Noblesse
vint aussi en grand nombre le saluer , le
Marquis de Colombieres , quoique de la
Religion P. R. portant la parole , ce
Marquis et les principaux de la Noblesse
l'accompagnerent jusqu'au Prieuré.
M. de Choisy , Seigneur du Fief de
Beaumont , qui releve de l'Evêché , se
trouva à la descente , et tint l'étrier , suivant l'obligation de son Fief ; le Prélat
étant descendu , le Gentilhomme se saisit
de la Haquenée , qu'il envoya , montée
par un autre Gentilhomme,à son Ecurie ,
selon le droit du même Fief.
L'Evêque se mit tout de suite sous un
Dais porté par quatre Religieux ; et prenant le chemin de l'Eglise , il fût reçû à
l'entrée du Cimetiere de la Paroisse par
le Prieur des Benedictins . Quand il fût arrivé à l'Eglise du Prieuré , on chanta le
B iij Te
2126 MERCURE DE FRANCE
1
Te Deum , et ensuite il fut conduit à sor
Appartement parles principaux de la Ng
blesse , &c. A l'heure du souper on lu
servit en maigre un Repas fort frugal
suivant le Cérémonial.
Le lendemain de grand matin , tout I
Clergé Séculier et Régulier de la Vill
s'étant assemblé au son des grosses Clo
ches dans l'Eglise Cathedrale , il se form
une Procession , dont le Corps du Cha
pitre faisoit la queue , laquelle se rendi
au Prieuré de S. Vigor. Le Doyen et le
principaux du Chapitre monterent à
l'appartement du Prélat , qu'ils trouve.
rent en prieres. Après de profondes révé rences , le Doyen le conduisit dans un
Chapelle de l'Eglise , où le Sacristain lu
ôta ses souliers et ses bas , et lui mit ur
espéce de sandales fort minces. On le r
vêtit en même-tems d'une Chappe blan
che , et on lui mit une Mitre toute sir
ple. Il alla ainsi se placer dans une ancie
ne Chaire de marbre, couverte d'un Dai
qui est près le grand Autel , où M.
Franqueville de Longaulnay le harai. ;
en présence du Clergé. L'Evêque se le
immédiatement après , et partit de S. Y
gor pour se rendre à Bayeux en
ordre.
Il étoit placé entre Mrs de Chois Bai
OCTOBRE. 1732. 2127
le Baron deBeaumont, et le Baron de Bosqbrunville , représentant le Seigneur d'E
trehan , soutenant l'un et l'autre les bouts
de sa Chappe , dont deux Aumoniers portoient la queue. Derriere étoit un Gentilhomme armé de toutes piéces à l'antique,'
portant une Hallebarde sur l'épaule , seÎon le devoir de son Fief, et un autre
Vassal marchoit immédiatement devant
le Prélat , semant de la paille depuis saint
Vigor jusqu'à la Porte de l'Eglise de
S. Sauveur de Bayeux. Les Compagnies
Bourgeoises qui étoient sous les armes ,
formerent cependant une double haye
depuis le Monastere des Capucins jusqu'à
l'Eglise Cathedrale.
L'Evêque entra , suivant la coûtume ,
dans l'Eglise de S. Sauveur , on lui lava
les mains et les pieds. Le Bassin et l'Aiguiere d'argent appartiennent au Curé
de cette Eglise ; mais le Curé étant alors
en * Déport , ils furent donnez au Chapitre. Après avoir pris des Habits pontificaux , plus riches que les précedens , il
$ rendit à la Porte de l'Eglise Cathedra
qu'il trouva fermée , et qui fût ou-
* Déport est le nom qu'on donne au droit qu'ont
les Evêques de Normandie , de joüir des revenus des
Cures de leurs Diocèses la premiere année de la vacance de chacun de ces Benefices.
B iiij verte
2128 MERCURE DE FRANCE
1
verte un moment après par quatre Chanoines.
Le Prélat se mit à genoux , à l'entrée ,
sur un Carreau de velours violet ; et après
avoir fait la priete , il fit le serment accoutumé. On le conduisit tout de suite
au Chœur jusqu'à sa Chaire Episcopale ,
et après qu'on eut chanté solemnellement
le Te Deum , il entra dans la Sacristie ,
il prit les plus magnifiques ornemens. Il
celebra la Messe pontificalement , assisté
de quatre Diacres , et de quatre Soudiacres.
où
La Messe étant finie , l'Evêque fut conduit en son Palais par le Chapitre , qu'il
retint à dîner , ainsi que les Barons , et
plusieurs autres personnes de condition
qui s'étoient trouvez à la cérémonie. Le
même jour il reçut les complimens de
tous les Corps de la Ville. Il reçut même
celui du Ministre de la Religion P.R.qui
fut éloquent , respectueux , et fort applaudi.
* La même ceremonie icy décrite , a été renouvellée depuis peu à la prise de possession de M. de
Luynes , actuellement Evêque de Bayeux ; et il en a paru une Relation en forme de Lettre , addressée
par le Chevalier de S. Jory , à Madame la Duchesse
de Chevreuse, imprimée à Caen. Cette Relation oùs
il ne falloit que de la simplicité et de l'exactitude ,
est si pleine d'emphase et de choses déplacées , &e,
qu'on peut dire qu'elle n'a contenté personne.
OCTOBRE. 1732. 2129
Nous rentrâmes de fort bonne heure
dans la Ville , ce qui me donna lieu de retourner à l'Eglise Cathedrale, pour voir la
Bibliotheque et le Chartrier du Chapitre ;
c'est presque la même chose. Quoique cette Bibliotheque , comme la plupart de
celles des autres Chapitres , Abbayes et
Monasteres ait souffert beaucoup de diminution par la vicissitude et par les malheurs des temps , on y trouve encore de
bons Manuscrits , qui regardent non- seu
lement l'Eglise , et le Diocèse de Bayeux,
mais qui pourroient encore beaucoup servir pour 'Histoire generale de la Province , même pour l'Histoire d'Angleterre ;
à cause de la part qu'ont eû quelques Evêques de Bayeux aux affaires d'Etat des
Ducs de Normandie , devenus Rois de la
Grande Bretagne. On tireroit sur tout
beaucoup de lumieres des Ecrits d'Eusebe
l'Angevin , docte Chanoine de Bayeux ;
qui sont dans ce Chartrier.
Ony apprend que l'Evêque deBayeux a
droit de sacrer le Métropolitain , Primat
de Normandie , en qualité de Doyen des
Evêques de la Province,et que cette qualité de Doyen lui fut confirmée dans un
Synode de la mêmeProvince, tenu à Caën
en 1061. en présence du Duc Guillaume ,
à cause de l'ancienneté de son Eglise , anB v te
2130 MERCURE DE FRANCE
.
térieure même à celle de Rouen , et à toutes les autres Eglises de la Normandie. Les Evêques y sont nommez en
cer ordre: Bayeux , Avranches , Evreux
Séez , Lisieux , Coûtances ; ce qui se trouve ainsi établi dans tous les Conciles Provinciaux , jusqu'au différend survenu entre Louis du Moulinet , Evêque de Séez
et Bernardin de S. François , Evêque de
Bayeux.
anco.com-
,
Le premier prétendoit la préséanc
me plus ancien Evêque dans le Concile
Provincial tņu à Rouen en 1581 , où
pré-idoit le Cardinal Chales de Bourbon.
Le second la lui disputoir par la prééminence don Siege , et par l'usage. On jugea par provision en faveur de lEvêque
de Bayeux comme Doyen de la Provin
ce Ecclésiastique. Il est vrai que le Pape
Grégoire X II. consulté sur cetre contestation, ordonna par son Rescrit de la même année 1581. qu'on se regleroit à l'avenir sur l'ancienn té de l'ordination ou
du Sacre des Evêques.
On trouve aussi dans ce même Lieu les
Ecrits historiques de Robert Cénalis ,
Chanoine de Bayeux , puis Evêque d'Avranches , l'un des meilleurs Esprits de
son temps , et dont l'ouvrage sur l'Histoire Topographyque de France est plein
de recherches curieuses. On
OCTOBRE. 1732. 21L
On apprend encore bien des choses.dans
un grand Cartulaire, nommé le Livre noir,
tout rempli de Titres et d'Actes autentiques.
C'est dans ce lieu qu'on est informé surement du mérite distingué, de plusieurs
Personnages illustres du Chapitre de cette
Eglise , entr'autres , de Robert Vaice, ou
de Vace , Chanoine sous Philippe de Harcourt , Auteur du Roman de Rou et des
Normans , écrit en Vers François , vers
l'an 1160. et dédié à Henry II. Roy d'Angleterre, dans lequel on apprend bien des
faits historiques , &c.
,
De Roger du Hommet, Archidiacre de
Bayeux, élu Evêque de Dol en 1160. d'Arnoul , Trésorier de la même Eglise , puis
Evêque de Lisieux , sçavant homme et
Auteur de plusieurs Ouvrages , mort en
1182. et enterré à S. Victor de Paris , où il
s'étoit retiré. De Pierre de Blois , Chanoine , Précepteur , puis Sécretaire de Guillaume.II. Roy de Sicile , ensuite Chancelier de Richard , Archevêque de Cantorbery, grand Homme d'Etat, et qui a beaucoup écrit , mort vers l'année 1200.
D'Etienne , Chanoine de Gavrai , neveu
du Pape Innocent III . qui le fit Cardinal,
mort en 1254.
D'Henry de Vezelai , Archidiacre , l'un
B vj des
2132 MERCURE DE FRANCE
/
des Exécuteurs du Testament de S.Louis,
puis l'un des Regens du Royaume , sous
Philippe le Hardy , enfin Chancelier de
France , mort vers l'année 1280.
De Raoul ou Radulphe de Harcourt ,
Chancelier de l'Eglise de Bayeux , Archidiacre et Chanoine de Rouen, Chantre de
la Cathedrale d'Evreux , Archidiacre de
Coutance , puis premier Aumônier du
Comte de Valois , fils de Philippe le Hardi , Conseiller d'Etat , &c. mort en 1301.
Les Eclaircissemens Historiques , pris
dans cette Bibliotheque et dans les Archives de l'Evêché , que nous visitâmes ensuite, me fourniroient une ample matiere
de parler aussi de plusieurs Evêques de
Bayeux Illustres par la naissance , par la
doctrine ou par la piéré ; mais je dois me
souvenir que j'écris une Lettre et non pas.
une Hi toire. Je me contenterai de faire
icy mention de deux outrois des plus distinguez de ces Prélats.
Ŏdon ou Eudes , surnommé le Grand,
fils de Herluin ou Hellouin , Comte de
Conteville , et d'Arlete,qui fut aimée par Robert , Duc de Normandie , amour qui
donna naissance au fameux Duc Guillaume, fut le trentiéme Evêque de Bayeux ,
en 1055. Il fit bâtir l'Eglise Cathedrale
et peindre dans la voute du Chanr , les
Ενέ
OCTOBRE. 1732. 2133
Evêques de Bayeux , réputez Saints. Il fit
faire aussi le grand Vitrage de la Nef,
peint suivant l'art de ce temps-là, qui s'est
perdu depuis , avec diverses représentations instructives et convenables au Lieu.
Ce Prélat donna , par une Charte , en
108 2. le Prieuré de S. Vigor , dont nous
avons parlé , à Gerenton , Abbé de saint
Benigne de Dijon , qui lui avoit rendu
favorable le Pape Urbain II. et choisit
pour sa sépulture , et pour celle de ses
Successeurs et de son Clergé , l'Eglise de
S. Vigor. Ce qui fut confirmé par une Bulle de l'année 1096.
Le même Evêque a joué un grand rôle
en Angleterre unie à la Normandie sous
un même Prince , dès l'année 1065. Il en
fut le Viceroy ; mais l'Histoire remarque
que son Gouvernement fut dur , et qu'il
usurpa souvent l'autorité souveraine ; ce
qui lui causa bien des disgraces.
Il partit enfin pour la Terre- Sainte avec
le Duc Robert son neveu ; ce voyage lui
fut fatal , car étant arrivé en Sicile, il tomba malade , et mourut à Palerme en l'année 1097. Gilbert , Evêque d'Evreux, prit
soin de ses Obseques , le fit inhumer dans
la Cathedrale , et Roger , Comte de Sicile , honora son Tombeau d'une Epitaphe.
Ce Prélat régit l'Eglise de Bayeux pendant
2134 MERCURE DE FRANCE "
dant so années. Il assista à 7 Conciles ou
Assemblées de la Province.
Philippe de Harcourt , 35 Evêque, est
celui qui après Odon , a fait le plus de
bien à l'Eglise de Bayeux. Il étoit Fils de
Robert , Sire de Hircourt , premier du
nom , et Frere de Guillaume Richard
Chevalier du Temple, qui en l'année 11115050. fonda la Commanderie de S. Etien- .
ne de Renneville , au Diocèse d'Evreux ,
dont j'ai parlé dans ma premiere Lettre ,
et où , comme je l'ai dit, on voit le Tombeau du Fondateur.
*
Ce Prélat fut d'abord Archidiac re d'Evreux; puis étant Evêque , il fonda l'Abbaye du Val- Richer , Ordre de Citeaux
et fit rebâtir en 1159. l'Eglise Cathédrale , où l'on voit son Tombeau, d'un Mar◄
bre grisatre. Sa mort arriva en l'année
1163 .
Pierre de Benais , Doyen , puis 42º Evêque de Bayeux , tint un Concile Diocésain , pour le rétablissement de la Disclpline , dans lequel furent faits 113 Statuts , qui sont insérez dans la Collection
des PP. Labbe et Cossart de l'année 1671.
et fort louez par le Sçavant P. Sirmond
qui les a aussi donnez dans son Recueil
* Cette Lettre est dans le Mercure de Decembre
1726. vol. 1. pag. 2696,
des
4
OCTOBRE. 1732. 2135
'des Conciles de France. Ce Prélat mourut
en 1306. six ans après la publication de ces
Statuts , dont il y a un beau Manuscrit
dans la Biblioteque de S. Victor de Paris.
C'est le même qui fonda le Collège de
Bayeux à Paris , qui subsiste encore dans
la rue de la Harpe.
que
Ason imitation François Servien, Evêde Bayeux , publia long-temps après
des Ordonnances Synodales , qui furent
imprimées en 1656. Et à propos de ce
dernier Prélat, nous apprimes que quand
on voulut l'inhumer en 1659.on ouvrit le
Tombeau de l'Evêque Guy, mort en 1259.
Son Corps fut trouvé entier , mais l'air le
réduisit bientôt en poussiere ; on lui trouva un Anneau d'or , enrichi d'un Saphir ,
qui nous fut montré dans le Trésor de '
l'Eglise Cathédrale.
Jean de Bayenx n'a pas gouverné ce
Diocèse , mais il mérite de tenir un rang
distingué parmi les Hommes Illust es qui
y sont nez. Ce vertueux Prélat fut d'abord Evêque d'Avranches, et ensuite Archevêque de Rollen. Grand amateur de la
Discipline il tint en l'année 1074. un Concile à Rouen , dans lequel on érigea en
Abbaye le Prieuré de S. Victor en Caux ,
à la priere de Roger de Mortemer. C'est
lui qui fit la Dédicace solemnelle de l'Eglise
2136 MERCURE DE FRANCE
glise de S. Etienne de Caën en présence
du Duc Guillaume , qui en est le Fondateur. Ce Prélat composa un Ouvrage estimé : De Divinis Officiis , qui a été imprimé en 1641.
Nous apprîmes encore dans le Chartrier
de l'Evêché , qui peut fournir beaucoup .
de fait, historiques , principalement dans
un Cartulaire , nommé Le Livre Rouge ;
nous apprîmes , dis- je , qu'il y a une ancienne union entre PEglise Cathedrale
d'Auverre et celle de Bayeux , fondée sur
ce qu'on croit qu'Exupere venant d'Italie , passa par la Ville d'Auxerre , et y précha le Christianisme. Cette union fut renouvellée en 1520. par la Députation que
fit le Chapitre d'Auxerre , d'un de ses
Chanoines lequel reçut dans l'Eglise de
Bayeux les mêmes honneurs et jouit des
mêmes droits qui sont dûs aux Chanoines
de cette Eglise.
François Armand de Lorraine , fils de
Louis de Lorraine, Comte d'Armagnac &c.
Grand Ecuyer de France , et de Catherine de Neufville- Villeroy , est aujourd'hui Evêque de Bayeux depuis l'année
714. Il a succedé à François de Nesmond, Prélat d'un mérite accompli.
Je ne vous dirai rien , Monsieur, de la
Ville de Bayeux , qui n'est pas considé
rable
OCTOBRE. 1732. 2137
1
rable , quoique la Capitale du Païs Bessin,
à une lieue et demie de la Mer , ce qui
peut lui donner de grandes commoditez.
On y compte plus de quinze Paroisses ,
cependant elle est assez mal peuplée.Cette Ville a été long- temps au pouvoir des
Anglois ; mais le fameux Comte de Dunoit l'ayant assiégée pour le Roy Charles VII. il la prit par Capitulation , suivant laquelle tous les Anglois en sortirent
desarmez , et un bâton à la main. Ce qui arriva en 1450.
Comme nous étions sur le point de monter à Cheval , pour voir l'Abbaye de Cérisi , et retourner à Caën, je vis arriver un
Exprès qu'on m'envoyoit de Torigny, lequel ne m'ayant point trouvé dans cette Ville , crut devoir faire le voyage de
Bayeux, pour me rendre une Lettre, par la
quelle j'étois invité le plus gracieusement du monde , à me rendre dans ce beau
séjour , sous peine de ne revoir de longtemps mes compagnons de voyage, et d'ê
tre privé des plaisirs de plus d'une espece.'
On ajoutoit que je trouverois - là de l'Antique et du Moderne , pour contenter ma
curiosité et pour grossir mes Memoires.
Il ne fallut qu'un moment pour me déterminer; mais comme il étoit déja un peu
tard, je pris le parti de coucher à Bayeux
et
2138 MERCURE DE FRANCE
#
et d'aller à Torigny , par l'Abbaye de
Cérisy , sans repasser par Caën. Je passai
le reste du jour à revoir mon Memoire sur
Bayeux , et je le lus à deux ou trois personnes intelligentes et instruites , qui y
trouverent de l'exactitude ; à un parent ,
sur tout defeu M. Petite ,Chanoine et Of
ficial de Bayeux , qui lui a laissé quantité de Memoires d'un travail immense
sur l'Histoire Ecclesiastique et Civile de
Bayeux , qu'il avoit dessein de publier, et
qui manque à ce grand Diocèse.
*
Ce Chanoine étoit aussi fort curieux de
Médailles Antiques et Modernes , dont
il avoit amassé un très- grand nombre; les
Antiques furent acquises après sa mort ,
par M. Foucault ; et une partie des Modernes sont encore au pouvoir de ce proche Parent , qui voulut bien me les com-
* On peut dire que cette Histoire manque au Diocèse de Bayeux. Celle qui a été écrite par M. Her- mant, Curé de Maltot , et imprimée à Caën en
1705. ne peut gueres passer que pour une ébauche;
outre que des trois Parties, dont elle devoit être composée , l'Autheur n'en a encore publié que la premiere, qui est peu exacte du côté de la Chronologie ,
at qui ne donne pas une grande idée de sa Criti
que, &c. J'apprens que Dom Toussaints du Plessis
qui a écrit avec succès l'Histoire du Diocèse de
Meaux, et qui compose actuellement celle de l'Archevêché de Rouen, a pris des engagemens pour écrive aussi l'Histoire du Diocèse de Bayeux.
niquer
THE NEW YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR, LENOX AND TILDEN
FOUNDATION8
.
VALENTINORVA DVX
DIANA
CLARISSIMA
AE
I
WAINWO
REM VICI
OCTOBRE. 1732 2139
muniquer aussi obligemment que les Manuscrits. Il fit plus , il me donna celle de
Diane de Poitiers, Duchesse deValentinois,
celebre dans notre Histoire , qui ne m'étoit point encore tombée entre les mains :
vous en trouverez ici un Dessein qui sarisfera , sans doute , votre curiosité ; il est
de la grandeur de l'Original . On y voit
d'un côté le Buste de cette Dame coëffée
et habillée suivant l'usage de son tems
avec cette Inscription : DIANA DUX VALENTINORUM CLARISSIMA , et de l'autre la
figure de Diane en pied avec son équipade Chasse ,foulant fierement l'Amour,
qui est terrassé à ses pieds, et ces mots auge
tour : OMNIUM VICTOREM VICI. Vous sentez , sans doute , l'allusion et la justesse
de ce symbole , pour le moins aussi flateur pour la Dame que pour le Grand et
Victorieux Monarque dont elle avoit fait
la conquête , il n'est pas nécessaire de
vous en dire davantage , ni de vous avertir que ma premiere Lettre vous rendra
un compte fidele de mon Voyage
Fermer
Résumé : SUITE du Voyage de Basse-Normandie, par M. D. L. R. IX. LETTRE,
L'auteur décrit son séjour à Caen et sa visite de Bayeux en compagnie d'un médecin érudit. Ils se rendent à la cathédrale de Bayeux, dédiée à la Vierge, où ils sont accueillis par un chanoine. La cathédrale présente une architecture gothique avec un autel principal sobre et édifiant. Elle abrite des tapisseries remarquables, dont une représentant la vie de la Vierge et une autre illustrant la conquête de l'Angleterre par Guillaume II, attribuée à la princesse Mathilde. Cette tapisserie est incomplète mais riche en détails historiques. Après la visite de la cathédrale, ils se rendent à la sacristie pour voir le trésor et divers ornements, notamment un coffret en ivoire contenant la chasuble de Saint Renobert, le second évêque de Bayeux. Ce coffret porte une inscription arabe interprétée comme une sentence mahométane. L'auteur mentionne des conjectures sur l'origine de ce coffret, notamment une victoire de Charles Martel sur les Sarrazins. Le chapitre de l'église de Bayeux est l'un des plus importants de France, composé de douze dignités et cinquante chanoines. L'église reconnaît saint Exupère comme premier évêque et saint Renobert comme second. Plusieurs cardinaux et prélats distingués ont marqué l'histoire de cette église. L'auteur et son accompagnateur se rendent ensuite à Saint-Vigor, un prieuré bénédictin situé à un quart de lieue de Bayeux. Ils assistent à une cérémonie traditionnelle lors de l'entrée solennelle d'un nouvel évêque dans la ville. Cette cérémonie inclut une procession, des prières et des discours, et se termine par une entrée solennelle à la cathédrale de Bayeux. Le texte décrit également la cérémonie de prise de possession de l'évêque de Bayeux, qui inclut un serment, une messe pontificale, et un dîner avec le chapitre et les barons. Cette cérémonie a été renouvelée pour M. de Luynes, mais la relation écrite de cet événement a été critiquée pour son emphase et son manque de simplicité. La bibliothèque et le chartrier du chapitre de Bayeux contiennent des manuscrits précieux pour l'histoire de la région et de l'Angleterre. L'évêque de Bayeux a le droit de sacrer le métropolitain, en tant que doyen des évêques de la province, un privilège confirmé en 1061. La bibliothèque conserve des écrits historiques importants, notamment ceux d'Eusèbe l'Angevin et de Robert Cénalis. Le texte évoque plusieurs personnages illustres du chapitre de Bayeux, tels que Robert Wace, auteur du Roman de Rou, et Pierre de Blois, homme d'État et écrivain. Parmi les évêques notables, Odon le Grand et Philippe de Harcourt sont mentionnés pour leurs contributions à l'église de Bayeux. Le texte se termine par une description de la ville de Bayeux, son histoire, et une invitation à visiter l'abbaye de Cérisy.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 2174-2187
QUATRIEME Lettre écrite par M. D. L. R. à M- le Marquis de B. au sujet de la conquête d'Oran, &c.
Début :
Il me reste, Monsieur, peu de chose à vous dire au sujet de la Conquête d'Oran en elle-même. [...]
Mots clefs :
Conquête d'Oran, Commerce, Pirates, Prince Maure, Troupes, Alger, Nonce d'Espagne, Rome, André Doria, Gloire
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : QUATRIEME Lettre écrite par M. D. L. R. à M- le Marquis de B. au sujet de la conquête d'Oran, &c.
QUATRIEME Lettre écrite par M. D.
L. R. à M-le Marquis de B. au sujet de
la conquête d'Oran , &c.
Idire au sujet de la Conquête d'Oran en elle- L me reste , Monsieur , peu de chose à vous
même. C'est une affaire heureusement copsommée par rapport au principal objet de larement et de l'Expédition. Sçavoir la prise de deux
Places importantes , qui assûrent la Navigation
et le Commerce dans une partie de la Mer Méditerrannée , contre les courses des Pyrates, Maures , et qui font aussi la sûreté des côtes d'Espagne très- peu éloignées de celles de Barbarie ; outre que la Religion et la Couronne d'Espagne rentrent par là dans leur ancienne possession. IL
est vrai , Monsieur , que par ma derniere Lettre
vous vous attendez d'apprendre de nouveaux
progrez des Armes de S. M. C. en Affrique. En
effet , le Comte de Montemar , après avoir sou
mis beaucoup de Païs aux environs , avoit fait ,
comme je vous l'ai mandé, un détachement considérable d'Infanterie et de Cavalerie , commandé par le Marquis de Villa - Darias , pour aller
faire le Siége de Mostagran , Ville située à l'em- bouchure de la Riviere de Chilef , à IS lieuës
d'Oran , du côté d'Alger ; à laquelle embouchure il avoit envoyé des Vaisseaux de Guerre et des
Galleres pour ' attaquer en même- temps la Place
par Mer. Mais les Vents contraires ayant empêché pendant plusieurs jours l'Escadre d'avancer , temps dont les ennemis ont sçu profiter
pour
OCTOBRE. 1732. 2175
pour se fortifier et pour recevoir des secours , le
Comte de Montemar envoya ordre au Marquis
de Villa- Darias de revenir au Camp avec ses
Troupes, remettant cette Expédition à une con- joncture plus favorable.
Depuis , ce General ayant reçu du Roy d'Espagne des Ordres précis de faire rembarquer toutes les Troupes , à l'exception de ce qui doit
composer les Garnisons des Places conquises , il
y a satisfait , et on a eu avis que la Flote et tous
les Bâtimens de transport étoient heureusement
arrivez dans les Ports d'Espagne. Le Comte de
Montemar s'est ensuite embarqué lui- même
venir rendre compte au Roy du succès de l'Expédition. On apprend qu'il est arrivé à la Cour le 17 d'Aoust que S. M. l'avoit fait Chevalier
de la Toison d'or , ainsi que Don Joseph Pathino , et qu'elle avoit honoré le Comte d'un
accueil des plus favorables.
pour
Pour ce qui regarde le Prince Maure, dont toutes les Nouvelles publiques ont parlé , qui offroit
la jonction de ses Troupes , pour réduire une
grande étendue de Païs , de donner son Fils en
Otage , &c. et qu'on attendoit même à Madrid ,
je n'en ai encore rien appris que je puisse vous donner pour certain. Mais la chose est
très-vraisemblable , et il n'est pas nouveau que
des Princes Mautes ayent recherché l'alliance des
Rois d'Espagne. Pour ne point sortir du sujet ni du Pays d'Oran , je vous dirai , Monsieur
ce que l'Histoire m'apprend à cet égard.
pour
A peine le Cardinal Ximenés étoit repassé en
Espagne , de retour de sa conquête , qu'il arriva
à la Cour des Ambassadeurs faire des propositions de la part du Roi de Tremesen ,
quelques moindres Princes de la Mautitanic , ofDiiij frant
et de
9
2176 MERCURE DE FRANCE
frant de rendre tous les Esclaves Chrétiens , de
payer même un tribut à laCouronne d'Epagne , en
faisant de grandes instances pour l'ouverture du commerce entre Oran et les Etats de ces Princes.
Ces Ambassadeurs , entr'autres choses , présenterent au Roi dix des plus beaux chevaux du pays,
magnifiquement harnachez , dix Faucons tout
dressez , de riches tapis , et un Lion apprivoisé
d'une grandeur et d'une beauté extraordinaire.
Je ne doute pas , Monsieur , qu'à mesure que
le Roi d'Espagne s'affermira dans sa nouvelle
conquête , et que ses Armes auront du progrès
dans le pays , les Puissances voisines ne tiennent
une pareille conduite.
Vous avez sçû , sans doute , que l'allarme a
été grande à Alger avant même la prise d'Oran ,
qui faisoit partie de cette Régence ; Alger , dis- je,
Ville si fiere , si bien munie , et si redoutable à la
Navigation , et au Commerce de la Chrétienté.
Aux seuls préparatifs de l'armement , la terreur
a été telle que les Algeriens avoient envoyé les
femmes , les enfans et leurs meilleurs effets dans
les Montagnes , et que la Régence avoit envoyé
une députation au Grand Seigneur pour deman- der du secours. Le Bailli de Vattan étant allé
dans le même tems à Alger avec l'Escadre des
Vaisseaux du Roi , qu'il commande , il a trouvé
les choses sur le pied que je viens de dire ; quelques Lettres ajoûtent que le Dey allarmé lui
avoit demandé si la France s'unissoit à l'Espagne
contre cette Régence , à quoi M. de Vattan
avoit répondu que quand le Roi son Maître auroit sujet de se plaindre d'elle il sçauroit la punir,
sans avoir besoin d'autré puissance que dela sienne.Veuille le Ciel humilier de plus en plus ces ennemis du Christianisme et du Genre humain. Et
puis-
OCTOBRE. 1732. 2177
puissent enfin les Vainqueurs d'Oran y faire
reporter ces fameuses Cloches qui en furent
' enlevées lors de la derniere invasion , et menées ,
pour ainsi dire , Captives à Alger.
D
Cependant vous ne sçauriez croire , Monsieur,
combien tout le Monde chrétien à été sensible
à l'heureux succès des Armes du Roi d'Espagne
à commencer par la capitale. Le Cardinal Ben
tivoglio , Ministre de cette Couronne à Rome
reçût l'heureuse nouvelle le 2.1 . Juillet , sans par- ler des dépêches du Nonce d'Espagne , qu'un autre Courrier apporta le même jour. Le Pape reçût cette nouvelle avec un excès de joye. S. S. en donna sur le champ des marques publiques Après
avoir fait l'éloge de la pieté et du zele de S. M. C.
elle assura le Cardinal B. qu'elle feroit tout ce
qui seroit en son pouvoir pour seconder ses
grands et ses pieux desseins. Le Pape résolut en
même-tems d'envoyer au Roi d'Espagne un Bref de félicitation , d'exhortation , &c. Le Cardinal
Alberoni partit quelques jours après pour Florence pour complimenter l'Infant Don Carlos sur cet évenement.
Ce Prince qui avoir reçu la même nouvelle le
20. se rendit d'abord à l'Église de l'Annonciade ,
où il fit chanter le Te Deum , en actions de gra
ces. Le Grand Duc le fit chanter dans l'Eglise
Métropolitaine de Florence..
* Ce sont les grandes Cloches que le C. Ximenés
fit fondrepour la principale Eglise d'Oran , qu'il nomma Notre- Dame de la Victoire. Les Maures
Les enleverent en l'année 1708. les porterent à Alger, et affecterent de les placer à une des Portes de
La Ville , où on les voit encore comme une espece de
triomphe sur les Chrétiens.. D Y
2178 MERCURE DE FRANCE
Je reviens à Rome , pour ajouter que le Pape
fit part au Sacré Collège de la prise d'Oran, &c.
dans un Consistoire particulier,tenu le 11 Aoust;
et le 13 , on commença par ordre de S. S. les ré
jouissances publiques. On sonna toutes les Cloches de la Ville , on tira le Canon du Château
S. Ange , et le soir il y eut des Feux et des Illuminations par toute la Ville. Le 15. Fête de l'Assomption, le Pape se rendit, en grand Cortege , à
l'Eglise de Sainte Marie Majeure , où S. S. tint
Chapelle Pontificale , à laquelle le Sacré Collége
assista. La Messe y fut célebrée par le Cardinal de
la Mirandole, Archiprêtre de cette Eglise, et aprèsla Messe on chanta le Te Deum à plusieurs
Chœurs de Musique. Il y eut un grand concours de personnes de distinction , et une affluance extraordinaire de Peuple. Le Château S. Ange
fit plusieurs décharges de toute son Artillerie.
Le Cardinal Bentivoglio avoit déja fait chanter le Te Deum solemnellement dans l'Eglise Nationnale des Espagnols , le 25 Juillet , jour de St
Jacques , auquel le Cardinal Belluga , Protecteur
des Affaires d'Espagne , celebra , avec beaucoup
de pompe , la Fête de cet Apôtre , Patron des
Espagnes.
-Je m'attens bien d'apprendre dans peu de jours:
que de pareilles actions de graces ont été renduës
dans Oran même , et que l'exercice de la vraie
Religion s'y fait actuellement dans les mêmes
Temples , dont le Mahométisme s'étoit emparé;
que les Livres d'Eglise y sont à la place de l'Alcoran et de la à Sunnah , et que la Foy pourroit
a C'est ainsi que les Mahometans appellent le Recueil des Faits et Dits de Mahomet , conservez
par tradition , &c. C'est comme la Miscnah des
Hebreux; la seconde Loy , la Loy Orale . c.
enfin
OCTOBRE. 1732. 2179
enfin penetrer delà dans le reste de cette Partie
de l'Affrique , où elle a été autrefois si floris- sante.
Vous me demanderez peut être , Monsieur , si
on n'a point rapporté parmi les dépouilles des
deux Places conquises , quelques Manuscrits de
Littérature Arabe? Cela se pourroit fort bien ;
les Sciences n'ont pas moins fleuri sous les Califes d'Affrique que sous ceux de l'Asie, et particu- lierement dans les Païs circonvoisins d'Oran, sur
tout après l'expulsion des Arabes de toute l'Espagne ; expulsion qui contribua beaucoup à faire
de cette Ville , l'une des plus grandes , des plus:
celebres et des plus riches Villes du Mahométisme,où se retirerent les Personnages les plus con- sidérables en tout genre.
Les Historiens Espagnols m'apprennent que
lorsque le Cardinal Ximenés fit son entrée solemnelle dans Alcala , après la Conquête d'Oran ; la
seconde chose qui parut dans son triomphe, après
plusieurs Chameaux , conduits par des Esclaves
chargez de Pieces d'or et d'Argent destinées pour
le Roy , ce fut une quantité de Livres Arabes d'Histoire , de Médecine , d'Astrologie , &c. qui
furent placez dans la Bibliotheque du Cardinal ,
lequel les laissa depuis à la Bibliotheque de l'Université d'Alcala , qu'il avoit fondée , où on les
voit encore aujourd'hui.
Ximenês n'a pas sans doute tout enlevé, et dans
Fespace d'environ 25 années qu'a duré la derniere invasion , il peut être entré dans Oran d'au
tres Manuscrits Arabes , curieux et utiles ; le
Païs des environs et sur tout la Ville de Trémé
sen , qui a fondé celle d'Oran , ne doivent pas em
être dépourvûs. Je connois deux Autheurs de réputation , originaires de cette même Ville , done D vi les:
3 MERCURE DE FRANCE
-
les Ouvrages sont fort estimez par les Bibliogra
phes Orientaux. Le premier est Assifeddin , Soliman Ben Ali , surnommé Telmessani ou de
Tremesen , Autheur d'un Scharh , ou Commentaire sur le Poeme du celebre Ebn * Faredh , intitulé , Taiiah. Ce Commentateur est mort l'an
690 de l'Hégire 1291. de J. C. L'autre Ecrivain
Arabe est Schamseddin , Mohammed Ben Amed,
Ebn Al Merousi , Marzouk , aussi surnommé
Talmessani, ou de Trémésen. Il est Autheur d'un
Livre , intitulé : AschrafAl Thoraf l'Almalek Al
Aschraf: C'est un Recueil de Eons Mots et de
Contes agréables , dédié à Malek Al Aschraf
Roy d'Egypte , avec un Traité de l'Egypte, dans
lequel l'Autheur prétend prouver que c'est le meilleur Pais de toute la Terre habitable Il mourut l'an 781. de l'H.gire ou l'an 1379. de notre
époque. Mais lais ons à l'illustre Gouverneur
d'Oran 1 soin de recueillir tout ce qui peut être
resté de bon dans le Païs , en fait d'Erudition
Arabe Il est plus en état que personne de le faire,
avec un juste discernement , et d'en enrichir un
jour la République des Lettres.
Vous me paroissez touché du mérite d'André
Doria , le Liberateur d'Oran , et content de la
Médaille de ce grand Homme , dont je vous ai
Scharfeddin Omar Ebn' Faredh , originaire
de Hamal , en Syrie , né au Caire l'an 577 de
l'Hegire , ou 1181. de J. C. fut l'un des plut Illus- tres Poëtes Arabes. Le Recueil de ses Poësies, sous le
nom de Divan , est tres- estimé , et a eu plusieurs
Commentateurs. Il composa le Taiiah , en faveur
des Sofis , espece de Religieux Musulmans qui
donnent dans la Mysticité , &c. Les Foësies de cet Autheur sont dans la Bibliotheque du Roy.. entre
1
OCTOBRE. 1732. 2181
entretenu dans ma derniere Lettre. Je puis bien
avoir fait quelque omission sur ce sujet , car , je
vous avoue , Monsieur , que ce n'est qu'en finissant cette Lettre , que j'étois pressé de faire partir, que j'ai sçu que Doria avoit eu un Historien,
et que cet Historien est le fameux Jesuite Sigonius , dont les Ouvrages , en grand nombre, sont
en réputation et ne se trouvent pas tous ensemble bien aisément. J'ai cependant eû le plaisir de
lire depuis dans cet Autheur la Vie a d'André
Doria , et d'avoir trouvé en lui un garant des
principales choses que je vous ai écrites sur ce
sujet.
de
Il en faut seulement excepter l'article de la
Statue , érigée par la République de Génes , en
l'honneur de Doria Elle est de Marbre blanc ,
selon mes Mémoires , et suivant le rapport
ceux qui l'ont vûë placée dans le Vestibule du
Palais où s'assemble le Sénat , et élevée sur un
Pié d'Estal , sur lequel est l'Inscription que j'ai
rapportée.
Aprendre littéralement le Narré de Sigonius,
qui rapporte tout du long le Decret du Sénat , la
Statue seroit de Bronze , et placée dans la grande Sale de ce Palais. Mais cela me paroît aisé a
concilier. Dans ce Decret , datté du mois d'Octobre 1578. le Sénat , après avoir fait un Előge magnifique de Doria , qui avoit, dit-il , rendu
la liberté à sa Patrie , &c . s'exprime ainsi , au su
a Cette Vie se trouve dans un des Volumes des
Oeuvres de Sigonius , intitulé : Caroli Sigonii ,
Historia de Rebus Bononiensibus , Libri VIII.
Ejusdem de vita ANDREE DORIE , Libri duo..
quibus accesserunt , &c. 1. vol. Fol. Francofurti ,
1603
jer
2182 MERCURE DE FRANCE
jet de la Statuë : Decrevit ut Andrea Doria Enea
Statua in magna Pratorii Aula , quoadfieri possit
ornatissima , cum ipsius nominis Inscriptione ponatur. Il est sans doute arrivé que dans l'exécution
de ce Décret , le Sénat , toujours le Maitre de ses
Décisions , ait , par des raisons qui nous sont inconnues , trouvé à propos de changer la matiere
et la situation de ce Monument , qui en effet se
trouve plus exposé à la vénération publique à
l'entrée du Palais , qu'il ne le seroit dans l'enté- rieur de ce Bâtiment. L'intention du Sénat est
toujours remplie , et l'Historien qui a écrit , et
qui est mort avant l'exécution , n'a point de
tort.
à
Je n'ai pû trouver, au reste , dans cet Historien, ni dans aucun autre Ecrivain le nom et la famille
de l'Epouse d'André Doria , dont le même Historien éleve si fort le rare génie et le mérite superieur, dont il fait, en un mot , une Héroïne , laquelle l'Empereur Charles V. voulut rendre visite en passant par Génes et qui donna à ce Prince des Conseils admirables , &c Je ne comprens pas trop cette omission de la part de Sigonius, d'ailleurs si exacts qu'en nommant la Mere
de Doria , il nous fait entendre qu'elle étoit de la
même Maison que son Epoux. J'ai aussi appris de cet Autheur que la Principauté de Melphe , donnée par Charles V. à Doria , et généreusement refusée d'abord, est située
dans le Royaume de Naples , relevant de cette.
Couronne. Elle Y avoit été réunie par la défection , ou la félonie de Jean Carracioli , Prince de
Melphe. Vous avez vû , Monsieur , dans ma derniere
Lettre , que le fameux Pyrate Dragut , pris par char- les Galeres de Doria , fut amené à Génes ,
gé
OCTOBRE. 1732. 218
é de chaînes , &c. Sigonius décrit élégamment
Phumanité et la générosité exercée par A. Doria
envers ce Captif , que je crois plus que jamais ,
après cette lecture , être representé sur le Revers
de notre Médaille , et non pas Barbarousse, com
me je l'avois d'abord pensé. Ce Captif , dis- je ,
homme féroce et barbare , s'il en fut jamais , est
bien connu sur ce pied-là par Doria Norat enim feros illius. moreş , et immanem naturam , dit notre Historien. Je crois que vous le reconnoîtrez à
ces traits sur la Médaille même , tant l'habileté
du Graveur a été grande àexprimer tout cela, par son Burin.
Rien,au reste, n'est plus pathétique et plus moral que le Discours de Doria fait à Dragut en le mettant en liberté. Il mérite d'être lû dans cet
Autheur: Morale et Eloquence perduës! les monstres ne s'apprivoisent presque jamais. Vous sçavez de quelle ingratitude Dragut paya dans la
suite son Libérateur, qui pensa être la Dupe d'une
générosité sans exemple.
J'apprens encore dans le même Livre , que les
Génois avoient fait Doria leur Généralissime de
Terre et de Mer. C'est la matiere du 38 Chap.
du onzième Livre , intitulé : De Maritimo ac
Terrestri Imperio ei à Genuensib, delato.
Je trouve enfin une circonstance singuliere dans
le 43 et dernier Chapitre , qui donne une grande idée de l'attachement et de la reconnoissance
de ce General , pour l'Empereur Charles V. en
ordonnant par l'Acte solemnel de ses dernieres
volontez, qu'on mit avec lui dans son Tombeau
Les Lettres de ce Prince par lesquelles il l'avoit
créé Chevalier de la Toison d'or.
Une autre circonstance non moins singuliere ,
que j'ai tirée d'un Mémoire particulier, venu de- puis
2184 MERCURE DE FRANCE
puis peu de Génes , c'est qu'André Doria , né
pour ainsi dire , pour les Armes et pour les Exploits Guerriers, ne porta jamais d'Epée ni de Poignard ; il disoit sur cela que toute sa force êtoit dans sa tête et dans l'amour de ses Concitoyens. Ne vous semble-t -il pas, Monsieur , être
transporté dans les meilleurs temps de la Republique Romaine , et voir revivre les Fabius , les
Lucullus , les Catons , dans ce grand Personnage ?
Finissons par un court Eloge , consacré à sa
Mémoire , et composé à Génes , en 158 6. à l'occasion de la Statue dont nous avons déja parlé ,
par l'Editeur de Sigonius :
Hic tamferventi Patria flagravit amore ,
Illius ut chara pro libertate tuenda
Horribiles Regum non formidaverit iras ,
Hic quoque cum Patria Regno , Sceptroquepotiri
Posset et aurata frontem redimire corona ,
Contempsit Regni fastus , nomenque Tyranni.
Huic maris Imperium vasti , sævumque tridentem
Neptunus , Pelagique leves concessit habenas :
Quin etiam aratis premerit cum classibus &quor,
Haud Pauci impavidi admirantes pectoris ausa.
Neptunum , aut sacro Neptuni è sanguine cretum
Mortalesque Deum vultus sumpsisse putarunt.
Hoc certum est , nullas Neptunum amplectier oras
Quá non ille simulfama penetrarit et armis,
Je finirois ici ma Lettre , Monsieur , si par vo
tre Réponse à ma précedente , je n'étois pas obligé
OCTOBRE. 1732. 2185
gé de revenir à Oran , pour vous dire en trèspeu de mots, qu'après quelques recherches je n'ai
rien trouvé qui autorise ce que Davity * en a dit,
sçavoir , qu'elle est la Capitale d'un petit Etat
nommé le Marquizat d'Oran , &c. et qu'à l'égard de Marzalquibir , dépendant , dit il , de ce
Marquisat, cette Ville fut enlevée aux Maures par
le Marquis de Comarez en 1555. Ce dernier fait
me paroît contredit par les meilleurs Historiens,
qui s'accordent tous à mettre la premiere conquête de Marzalquibir par les Espagnols en 1508.
ce fut comme le prélude de celle d'Oran , qui ne
fut réduit que l'année d'après. Don Fernand de
Cordoue commandoit l'Armée qui prit Marzalquibir , et non pas le Marquis de Comarez.
Dans mes Recherches j'ai trouvé quelquefois
cette expression dans certains Auteurs le Royaume d'Oran , cela n'est peut-être pas exact, mais il sert àprouver que cette Ville , Colonie , comme
je l'ai dit ailleurs , de celle de Tremesen et dans l'entiere dépendance des Rois de Tremesen , devenue extrêmement puissante par le commerce
et par la navigation , avoit secoué le joug de ses
prémiers Maîtres pour se faire Capitale d'un Etat
particulier , qui obéissoit apparemment à quelque Chef qui prit le nom de Roy , Etat qui devint ensuite presque Républiquain et qui étoit
tel lorsque les Espagnols conquirent Oran et ses
dépendances.
A l'égard de la puissance de cette Ville lors de
la Conquête , l'Historien du Ministere du Cardinal Ximenés , dit que les Maures chassez d'Espagne qui s'y étoient retirez , l'avoient tellement peu-
* Description generale de l'Affrique. Edition de
Rocolles , T. VI, in fol. Paris 1660.
plée
2186 MERCURE DE FRANCE
›
*
plée et enrichie, qu'elle pouvoit mettre sur pied des
Armées assez considerables. On peut juger , ajoûtet'il , de la grandeur et des richesses d'Oran par son
commerce et de son commerce par le nombre de
1500. Boutiques qui y étoient lorsque Ximenés la
prit.Le butin, sans y comprendre ce qui fut détourné,
fut estimé 500. mille écus d'or ; toute l'Armée s'enrichit à cetteprise , et il y eut tel particulier qui en rapporta jusqu'à dix mille ducats. Les richesses
d'Oran n'étoient pas ce qui contribuoit le plus à sa
réputation; sa grandeur , le nombre de ses habitans,
sa situation , son Port , son Arcenal , où l'on trouva
plus de 60 Pieces de gros Canons , sans compter les
moindres , et un nombre infini de toutes sortes d'armes >
la faisoient passer pour la plus importante
Ville de toute l'Afrique.
Il est vrai qu'il y a eu du changement dans la
fortune de cette Ville; mais sa situation maritime,
et ses autres avantages naturels étant toûjours les
mêmes , c'est un coup important pour l'Espagne
d'en avoir fait la conquête , contre la pensée de
certaines gens mal instruits et peu éclairez , qui
font des raisonnemens contraires et qui comptent
pour peu de chose la prise de ces deux Places. La
seule prise du Port de Marzalquibir met toute la
Côte d'Espagne même en sureté,et ouvre une entrée à la conquête de l'Affrique. C'est ainsi que
s'estexprimésur ce sujet un Historien Espagnol
des plus sensez.
Qu'il me soit permis , Monsieur , en finissant
Jerome Julien , Historien , qui étoit à la conquête d'Oran , dit les avoir comptées , par le nom
de Boutiques ilfaut entendre des Magazins remplis de Marchandises , c.
* Alvar-Gomez de Castro de reb. gestis Ximen.
d'observer
OCTOBRE. 1732. 2187
d'observer ici une méprise de M. d'Herbelor
dans sa Bibliotheque Orientale au sujet de notre
Marzalquibir , page 558 , que l'Auteur confond
avec le Port et la Ville de Velez , autrement le
Penon de Velez, situez sur la même Côte de Barbarie , mais c'est si peu la même chose , que selon les meilleurs Géographes et selon la nouvelle
Carte de la Mer Méditerranée , il y a de Marzalquibir à Velez , situé près le Détroit , plus de
deux cens cinquante milles, ou environ soixante
et dix lieuës Françoises. M. d'Herbelot ajoûte
que Garcia de Tolede , Capitaine Espagnol , prit
Velez en 1564. ce qui ne s'accorde pas avec l'Histoire de la conquête d'Oran par Ximenés ; l'Au- teur Espagnol qui l'a écrite , marque expressément que peu de temps avant la prise d'O
*
ran, le même Pierre de Navarre , dont il est tant
parlé dans cette Histoire , avoit réduit cette Ville
de Velez sous l'obéissance du Roy d'Espagne. Ce
General après le départ de Ximenés fit encore
d'autres conquêtes ; il prit Bugie , Capitale du
Royaume de ce nom , puis Tripoly , &c. et se
rendit la terreur de toute l'Affrique. Enfin Alger
se rendit tributaire de la Couronne d'Espagne.
,
Je souhaite aux Armes de S. M. C. de pareils
succès et de plus considerables pour le bien de la
Chrétienté , pour la gloire de ce grand Prince et
pour celle de la Religion. Je m'engage en même
temps de vous instruire avec la même exactitude
de la suite des Evenemens. Je suis, Monsieur, &c.
A Paris , le 26. Septembre 1732..
*Pi
L. R. à M-le Marquis de B. au sujet de
la conquête d'Oran , &c.
Idire au sujet de la Conquête d'Oran en elle- L me reste , Monsieur , peu de chose à vous
même. C'est une affaire heureusement copsommée par rapport au principal objet de larement et de l'Expédition. Sçavoir la prise de deux
Places importantes , qui assûrent la Navigation
et le Commerce dans une partie de la Mer Méditerrannée , contre les courses des Pyrates, Maures , et qui font aussi la sûreté des côtes d'Espagne très- peu éloignées de celles de Barbarie ; outre que la Religion et la Couronne d'Espagne rentrent par là dans leur ancienne possession. IL
est vrai , Monsieur , que par ma derniere Lettre
vous vous attendez d'apprendre de nouveaux
progrez des Armes de S. M. C. en Affrique. En
effet , le Comte de Montemar , après avoir sou
mis beaucoup de Païs aux environs , avoit fait ,
comme je vous l'ai mandé, un détachement considérable d'Infanterie et de Cavalerie , commandé par le Marquis de Villa - Darias , pour aller
faire le Siége de Mostagran , Ville située à l'em- bouchure de la Riviere de Chilef , à IS lieuës
d'Oran , du côté d'Alger ; à laquelle embouchure il avoit envoyé des Vaisseaux de Guerre et des
Galleres pour ' attaquer en même- temps la Place
par Mer. Mais les Vents contraires ayant empêché pendant plusieurs jours l'Escadre d'avancer , temps dont les ennemis ont sçu profiter
pour
OCTOBRE. 1732. 2175
pour se fortifier et pour recevoir des secours , le
Comte de Montemar envoya ordre au Marquis
de Villa- Darias de revenir au Camp avec ses
Troupes, remettant cette Expédition à une con- joncture plus favorable.
Depuis , ce General ayant reçu du Roy d'Espagne des Ordres précis de faire rembarquer toutes les Troupes , à l'exception de ce qui doit
composer les Garnisons des Places conquises , il
y a satisfait , et on a eu avis que la Flote et tous
les Bâtimens de transport étoient heureusement
arrivez dans les Ports d'Espagne. Le Comte de
Montemar s'est ensuite embarqué lui- même
venir rendre compte au Roy du succès de l'Expédition. On apprend qu'il est arrivé à la Cour le 17 d'Aoust que S. M. l'avoit fait Chevalier
de la Toison d'or , ainsi que Don Joseph Pathino , et qu'elle avoit honoré le Comte d'un
accueil des plus favorables.
pour
Pour ce qui regarde le Prince Maure, dont toutes les Nouvelles publiques ont parlé , qui offroit
la jonction de ses Troupes , pour réduire une
grande étendue de Païs , de donner son Fils en
Otage , &c. et qu'on attendoit même à Madrid ,
je n'en ai encore rien appris que je puisse vous donner pour certain. Mais la chose est
très-vraisemblable , et il n'est pas nouveau que
des Princes Mautes ayent recherché l'alliance des
Rois d'Espagne. Pour ne point sortir du sujet ni du Pays d'Oran , je vous dirai , Monsieur
ce que l'Histoire m'apprend à cet égard.
pour
A peine le Cardinal Ximenés étoit repassé en
Espagne , de retour de sa conquête , qu'il arriva
à la Cour des Ambassadeurs faire des propositions de la part du Roi de Tremesen ,
quelques moindres Princes de la Mautitanic , ofDiiij frant
et de
9
2176 MERCURE DE FRANCE
frant de rendre tous les Esclaves Chrétiens , de
payer même un tribut à laCouronne d'Epagne , en
faisant de grandes instances pour l'ouverture du commerce entre Oran et les Etats de ces Princes.
Ces Ambassadeurs , entr'autres choses , présenterent au Roi dix des plus beaux chevaux du pays,
magnifiquement harnachez , dix Faucons tout
dressez , de riches tapis , et un Lion apprivoisé
d'une grandeur et d'une beauté extraordinaire.
Je ne doute pas , Monsieur , qu'à mesure que
le Roi d'Espagne s'affermira dans sa nouvelle
conquête , et que ses Armes auront du progrès
dans le pays , les Puissances voisines ne tiennent
une pareille conduite.
Vous avez sçû , sans doute , que l'allarme a
été grande à Alger avant même la prise d'Oran ,
qui faisoit partie de cette Régence ; Alger , dis- je,
Ville si fiere , si bien munie , et si redoutable à la
Navigation , et au Commerce de la Chrétienté.
Aux seuls préparatifs de l'armement , la terreur
a été telle que les Algeriens avoient envoyé les
femmes , les enfans et leurs meilleurs effets dans
les Montagnes , et que la Régence avoit envoyé
une députation au Grand Seigneur pour deman- der du secours. Le Bailli de Vattan étant allé
dans le même tems à Alger avec l'Escadre des
Vaisseaux du Roi , qu'il commande , il a trouvé
les choses sur le pied que je viens de dire ; quelques Lettres ajoûtent que le Dey allarmé lui
avoit demandé si la France s'unissoit à l'Espagne
contre cette Régence , à quoi M. de Vattan
avoit répondu que quand le Roi son Maître auroit sujet de se plaindre d'elle il sçauroit la punir,
sans avoir besoin d'autré puissance que dela sienne.Veuille le Ciel humilier de plus en plus ces ennemis du Christianisme et du Genre humain. Et
puis-
OCTOBRE. 1732. 2177
puissent enfin les Vainqueurs d'Oran y faire
reporter ces fameuses Cloches qui en furent
' enlevées lors de la derniere invasion , et menées ,
pour ainsi dire , Captives à Alger.
D
Cependant vous ne sçauriez croire , Monsieur,
combien tout le Monde chrétien à été sensible
à l'heureux succès des Armes du Roi d'Espagne
à commencer par la capitale. Le Cardinal Ben
tivoglio , Ministre de cette Couronne à Rome
reçût l'heureuse nouvelle le 2.1 . Juillet , sans par- ler des dépêches du Nonce d'Espagne , qu'un autre Courrier apporta le même jour. Le Pape reçût cette nouvelle avec un excès de joye. S. S. en donna sur le champ des marques publiques Après
avoir fait l'éloge de la pieté et du zele de S. M. C.
elle assura le Cardinal B. qu'elle feroit tout ce
qui seroit en son pouvoir pour seconder ses
grands et ses pieux desseins. Le Pape résolut en
même-tems d'envoyer au Roi d'Espagne un Bref de félicitation , d'exhortation , &c. Le Cardinal
Alberoni partit quelques jours après pour Florence pour complimenter l'Infant Don Carlos sur cet évenement.
Ce Prince qui avoir reçu la même nouvelle le
20. se rendit d'abord à l'Église de l'Annonciade ,
où il fit chanter le Te Deum , en actions de gra
ces. Le Grand Duc le fit chanter dans l'Eglise
Métropolitaine de Florence..
* Ce sont les grandes Cloches que le C. Ximenés
fit fondrepour la principale Eglise d'Oran , qu'il nomma Notre- Dame de la Victoire. Les Maures
Les enleverent en l'année 1708. les porterent à Alger, et affecterent de les placer à une des Portes de
La Ville , où on les voit encore comme une espece de
triomphe sur les Chrétiens.. D Y
2178 MERCURE DE FRANCE
Je reviens à Rome , pour ajouter que le Pape
fit part au Sacré Collège de la prise d'Oran, &c.
dans un Consistoire particulier,tenu le 11 Aoust;
et le 13 , on commença par ordre de S. S. les ré
jouissances publiques. On sonna toutes les Cloches de la Ville , on tira le Canon du Château
S. Ange , et le soir il y eut des Feux et des Illuminations par toute la Ville. Le 15. Fête de l'Assomption, le Pape se rendit, en grand Cortege , à
l'Eglise de Sainte Marie Majeure , où S. S. tint
Chapelle Pontificale , à laquelle le Sacré Collége
assista. La Messe y fut célebrée par le Cardinal de
la Mirandole, Archiprêtre de cette Eglise, et aprèsla Messe on chanta le Te Deum à plusieurs
Chœurs de Musique. Il y eut un grand concours de personnes de distinction , et une affluance extraordinaire de Peuple. Le Château S. Ange
fit plusieurs décharges de toute son Artillerie.
Le Cardinal Bentivoglio avoit déja fait chanter le Te Deum solemnellement dans l'Eglise Nationnale des Espagnols , le 25 Juillet , jour de St
Jacques , auquel le Cardinal Belluga , Protecteur
des Affaires d'Espagne , celebra , avec beaucoup
de pompe , la Fête de cet Apôtre , Patron des
Espagnes.
-Je m'attens bien d'apprendre dans peu de jours:
que de pareilles actions de graces ont été renduës
dans Oran même , et que l'exercice de la vraie
Religion s'y fait actuellement dans les mêmes
Temples , dont le Mahométisme s'étoit emparé;
que les Livres d'Eglise y sont à la place de l'Alcoran et de la à Sunnah , et que la Foy pourroit
a C'est ainsi que les Mahometans appellent le Recueil des Faits et Dits de Mahomet , conservez
par tradition , &c. C'est comme la Miscnah des
Hebreux; la seconde Loy , la Loy Orale . c.
enfin
OCTOBRE. 1732. 2179
enfin penetrer delà dans le reste de cette Partie
de l'Affrique , où elle a été autrefois si floris- sante.
Vous me demanderez peut être , Monsieur , si
on n'a point rapporté parmi les dépouilles des
deux Places conquises , quelques Manuscrits de
Littérature Arabe? Cela se pourroit fort bien ;
les Sciences n'ont pas moins fleuri sous les Califes d'Affrique que sous ceux de l'Asie, et particu- lierement dans les Païs circonvoisins d'Oran, sur
tout après l'expulsion des Arabes de toute l'Espagne ; expulsion qui contribua beaucoup à faire
de cette Ville , l'une des plus grandes , des plus:
celebres et des plus riches Villes du Mahométisme,où se retirerent les Personnages les plus con- sidérables en tout genre.
Les Historiens Espagnols m'apprennent que
lorsque le Cardinal Ximenés fit son entrée solemnelle dans Alcala , après la Conquête d'Oran ; la
seconde chose qui parut dans son triomphe, après
plusieurs Chameaux , conduits par des Esclaves
chargez de Pieces d'or et d'Argent destinées pour
le Roy , ce fut une quantité de Livres Arabes d'Histoire , de Médecine , d'Astrologie , &c. qui
furent placez dans la Bibliotheque du Cardinal ,
lequel les laissa depuis à la Bibliotheque de l'Université d'Alcala , qu'il avoit fondée , où on les
voit encore aujourd'hui.
Ximenês n'a pas sans doute tout enlevé, et dans
Fespace d'environ 25 années qu'a duré la derniere invasion , il peut être entré dans Oran d'au
tres Manuscrits Arabes , curieux et utiles ; le
Païs des environs et sur tout la Ville de Trémé
sen , qui a fondé celle d'Oran , ne doivent pas em
être dépourvûs. Je connois deux Autheurs de réputation , originaires de cette même Ville , done D vi les:
3 MERCURE DE FRANCE
-
les Ouvrages sont fort estimez par les Bibliogra
phes Orientaux. Le premier est Assifeddin , Soliman Ben Ali , surnommé Telmessani ou de
Tremesen , Autheur d'un Scharh , ou Commentaire sur le Poeme du celebre Ebn * Faredh , intitulé , Taiiah. Ce Commentateur est mort l'an
690 de l'Hégire 1291. de J. C. L'autre Ecrivain
Arabe est Schamseddin , Mohammed Ben Amed,
Ebn Al Merousi , Marzouk , aussi surnommé
Talmessani, ou de Trémésen. Il est Autheur d'un
Livre , intitulé : AschrafAl Thoraf l'Almalek Al
Aschraf: C'est un Recueil de Eons Mots et de
Contes agréables , dédié à Malek Al Aschraf
Roy d'Egypte , avec un Traité de l'Egypte, dans
lequel l'Autheur prétend prouver que c'est le meilleur Pais de toute la Terre habitable Il mourut l'an 781. de l'H.gire ou l'an 1379. de notre
époque. Mais lais ons à l'illustre Gouverneur
d'Oran 1 soin de recueillir tout ce qui peut être
resté de bon dans le Païs , en fait d'Erudition
Arabe Il est plus en état que personne de le faire,
avec un juste discernement , et d'en enrichir un
jour la République des Lettres.
Vous me paroissez touché du mérite d'André
Doria , le Liberateur d'Oran , et content de la
Médaille de ce grand Homme , dont je vous ai
Scharfeddin Omar Ebn' Faredh , originaire
de Hamal , en Syrie , né au Caire l'an 577 de
l'Hegire , ou 1181. de J. C. fut l'un des plut Illus- tres Poëtes Arabes. Le Recueil de ses Poësies, sous le
nom de Divan , est tres- estimé , et a eu plusieurs
Commentateurs. Il composa le Taiiah , en faveur
des Sofis , espece de Religieux Musulmans qui
donnent dans la Mysticité , &c. Les Foësies de cet Autheur sont dans la Bibliotheque du Roy.. entre
1
OCTOBRE. 1732. 2181
entretenu dans ma derniere Lettre. Je puis bien
avoir fait quelque omission sur ce sujet , car , je
vous avoue , Monsieur , que ce n'est qu'en finissant cette Lettre , que j'étois pressé de faire partir, que j'ai sçu que Doria avoit eu un Historien,
et que cet Historien est le fameux Jesuite Sigonius , dont les Ouvrages , en grand nombre, sont
en réputation et ne se trouvent pas tous ensemble bien aisément. J'ai cependant eû le plaisir de
lire depuis dans cet Autheur la Vie a d'André
Doria , et d'avoir trouvé en lui un garant des
principales choses que je vous ai écrites sur ce
sujet.
de
Il en faut seulement excepter l'article de la
Statue , érigée par la République de Génes , en
l'honneur de Doria Elle est de Marbre blanc ,
selon mes Mémoires , et suivant le rapport
ceux qui l'ont vûë placée dans le Vestibule du
Palais où s'assemble le Sénat , et élevée sur un
Pié d'Estal , sur lequel est l'Inscription que j'ai
rapportée.
Aprendre littéralement le Narré de Sigonius,
qui rapporte tout du long le Decret du Sénat , la
Statue seroit de Bronze , et placée dans la grande Sale de ce Palais. Mais cela me paroît aisé a
concilier. Dans ce Decret , datté du mois d'Octobre 1578. le Sénat , après avoir fait un Előge magnifique de Doria , qui avoit, dit-il , rendu
la liberté à sa Patrie , &c . s'exprime ainsi , au su
a Cette Vie se trouve dans un des Volumes des
Oeuvres de Sigonius , intitulé : Caroli Sigonii ,
Historia de Rebus Bononiensibus , Libri VIII.
Ejusdem de vita ANDREE DORIE , Libri duo..
quibus accesserunt , &c. 1. vol. Fol. Francofurti ,
1603
jer
2182 MERCURE DE FRANCE
jet de la Statuë : Decrevit ut Andrea Doria Enea
Statua in magna Pratorii Aula , quoadfieri possit
ornatissima , cum ipsius nominis Inscriptione ponatur. Il est sans doute arrivé que dans l'exécution
de ce Décret , le Sénat , toujours le Maitre de ses
Décisions , ait , par des raisons qui nous sont inconnues , trouvé à propos de changer la matiere
et la situation de ce Monument , qui en effet se
trouve plus exposé à la vénération publique à
l'entrée du Palais , qu'il ne le seroit dans l'enté- rieur de ce Bâtiment. L'intention du Sénat est
toujours remplie , et l'Historien qui a écrit , et
qui est mort avant l'exécution , n'a point de
tort.
à
Je n'ai pû trouver, au reste , dans cet Historien, ni dans aucun autre Ecrivain le nom et la famille
de l'Epouse d'André Doria , dont le même Historien éleve si fort le rare génie et le mérite superieur, dont il fait, en un mot , une Héroïne , laquelle l'Empereur Charles V. voulut rendre visite en passant par Génes et qui donna à ce Prince des Conseils admirables , &c Je ne comprens pas trop cette omission de la part de Sigonius, d'ailleurs si exacts qu'en nommant la Mere
de Doria , il nous fait entendre qu'elle étoit de la
même Maison que son Epoux. J'ai aussi appris de cet Autheur que la Principauté de Melphe , donnée par Charles V. à Doria , et généreusement refusée d'abord, est située
dans le Royaume de Naples , relevant de cette.
Couronne. Elle Y avoit été réunie par la défection , ou la félonie de Jean Carracioli , Prince de
Melphe. Vous avez vû , Monsieur , dans ma derniere
Lettre , que le fameux Pyrate Dragut , pris par char- les Galeres de Doria , fut amené à Génes ,
gé
OCTOBRE. 1732. 218
é de chaînes , &c. Sigonius décrit élégamment
Phumanité et la générosité exercée par A. Doria
envers ce Captif , que je crois plus que jamais ,
après cette lecture , être representé sur le Revers
de notre Médaille , et non pas Barbarousse, com
me je l'avois d'abord pensé. Ce Captif , dis- je ,
homme féroce et barbare , s'il en fut jamais , est
bien connu sur ce pied-là par Doria Norat enim feros illius. moreş , et immanem naturam , dit notre Historien. Je crois que vous le reconnoîtrez à
ces traits sur la Médaille même , tant l'habileté
du Graveur a été grande àexprimer tout cela, par son Burin.
Rien,au reste, n'est plus pathétique et plus moral que le Discours de Doria fait à Dragut en le mettant en liberté. Il mérite d'être lû dans cet
Autheur: Morale et Eloquence perduës! les monstres ne s'apprivoisent presque jamais. Vous sçavez de quelle ingratitude Dragut paya dans la
suite son Libérateur, qui pensa être la Dupe d'une
générosité sans exemple.
J'apprens encore dans le même Livre , que les
Génois avoient fait Doria leur Généralissime de
Terre et de Mer. C'est la matiere du 38 Chap.
du onzième Livre , intitulé : De Maritimo ac
Terrestri Imperio ei à Genuensib, delato.
Je trouve enfin une circonstance singuliere dans
le 43 et dernier Chapitre , qui donne une grande idée de l'attachement et de la reconnoissance
de ce General , pour l'Empereur Charles V. en
ordonnant par l'Acte solemnel de ses dernieres
volontez, qu'on mit avec lui dans son Tombeau
Les Lettres de ce Prince par lesquelles il l'avoit
créé Chevalier de la Toison d'or.
Une autre circonstance non moins singuliere ,
que j'ai tirée d'un Mémoire particulier, venu de- puis
2184 MERCURE DE FRANCE
puis peu de Génes , c'est qu'André Doria , né
pour ainsi dire , pour les Armes et pour les Exploits Guerriers, ne porta jamais d'Epée ni de Poignard ; il disoit sur cela que toute sa force êtoit dans sa tête et dans l'amour de ses Concitoyens. Ne vous semble-t -il pas, Monsieur , être
transporté dans les meilleurs temps de la Republique Romaine , et voir revivre les Fabius , les
Lucullus , les Catons , dans ce grand Personnage ?
Finissons par un court Eloge , consacré à sa
Mémoire , et composé à Génes , en 158 6. à l'occasion de la Statue dont nous avons déja parlé ,
par l'Editeur de Sigonius :
Hic tamferventi Patria flagravit amore ,
Illius ut chara pro libertate tuenda
Horribiles Regum non formidaverit iras ,
Hic quoque cum Patria Regno , Sceptroquepotiri
Posset et aurata frontem redimire corona ,
Contempsit Regni fastus , nomenque Tyranni.
Huic maris Imperium vasti , sævumque tridentem
Neptunus , Pelagique leves concessit habenas :
Quin etiam aratis premerit cum classibus &quor,
Haud Pauci impavidi admirantes pectoris ausa.
Neptunum , aut sacro Neptuni è sanguine cretum
Mortalesque Deum vultus sumpsisse putarunt.
Hoc certum est , nullas Neptunum amplectier oras
Quá non ille simulfama penetrarit et armis,
Je finirois ici ma Lettre , Monsieur , si par vo
tre Réponse à ma précedente , je n'étois pas obligé
OCTOBRE. 1732. 2185
gé de revenir à Oran , pour vous dire en trèspeu de mots, qu'après quelques recherches je n'ai
rien trouvé qui autorise ce que Davity * en a dit,
sçavoir , qu'elle est la Capitale d'un petit Etat
nommé le Marquizat d'Oran , &c. et qu'à l'égard de Marzalquibir , dépendant , dit il , de ce
Marquisat, cette Ville fut enlevée aux Maures par
le Marquis de Comarez en 1555. Ce dernier fait
me paroît contredit par les meilleurs Historiens,
qui s'accordent tous à mettre la premiere conquête de Marzalquibir par les Espagnols en 1508.
ce fut comme le prélude de celle d'Oran , qui ne
fut réduit que l'année d'après. Don Fernand de
Cordoue commandoit l'Armée qui prit Marzalquibir , et non pas le Marquis de Comarez.
Dans mes Recherches j'ai trouvé quelquefois
cette expression dans certains Auteurs le Royaume d'Oran , cela n'est peut-être pas exact, mais il sert àprouver que cette Ville , Colonie , comme
je l'ai dit ailleurs , de celle de Tremesen et dans l'entiere dépendance des Rois de Tremesen , devenue extrêmement puissante par le commerce
et par la navigation , avoit secoué le joug de ses
prémiers Maîtres pour se faire Capitale d'un Etat
particulier , qui obéissoit apparemment à quelque Chef qui prit le nom de Roy , Etat qui devint ensuite presque Républiquain et qui étoit
tel lorsque les Espagnols conquirent Oran et ses
dépendances.
A l'égard de la puissance de cette Ville lors de
la Conquête , l'Historien du Ministere du Cardinal Ximenés , dit que les Maures chassez d'Espagne qui s'y étoient retirez , l'avoient tellement peu-
* Description generale de l'Affrique. Edition de
Rocolles , T. VI, in fol. Paris 1660.
plée
2186 MERCURE DE FRANCE
›
*
plée et enrichie, qu'elle pouvoit mettre sur pied des
Armées assez considerables. On peut juger , ajoûtet'il , de la grandeur et des richesses d'Oran par son
commerce et de son commerce par le nombre de
1500. Boutiques qui y étoient lorsque Ximenés la
prit.Le butin, sans y comprendre ce qui fut détourné,
fut estimé 500. mille écus d'or ; toute l'Armée s'enrichit à cetteprise , et il y eut tel particulier qui en rapporta jusqu'à dix mille ducats. Les richesses
d'Oran n'étoient pas ce qui contribuoit le plus à sa
réputation; sa grandeur , le nombre de ses habitans,
sa situation , son Port , son Arcenal , où l'on trouva
plus de 60 Pieces de gros Canons , sans compter les
moindres , et un nombre infini de toutes sortes d'armes >
la faisoient passer pour la plus importante
Ville de toute l'Afrique.
Il est vrai qu'il y a eu du changement dans la
fortune de cette Ville; mais sa situation maritime,
et ses autres avantages naturels étant toûjours les
mêmes , c'est un coup important pour l'Espagne
d'en avoir fait la conquête , contre la pensée de
certaines gens mal instruits et peu éclairez , qui
font des raisonnemens contraires et qui comptent
pour peu de chose la prise de ces deux Places. La
seule prise du Port de Marzalquibir met toute la
Côte d'Espagne même en sureté,et ouvre une entrée à la conquête de l'Affrique. C'est ainsi que
s'estexprimésur ce sujet un Historien Espagnol
des plus sensez.
Qu'il me soit permis , Monsieur , en finissant
Jerome Julien , Historien , qui étoit à la conquête d'Oran , dit les avoir comptées , par le nom
de Boutiques ilfaut entendre des Magazins remplis de Marchandises , c.
* Alvar-Gomez de Castro de reb. gestis Ximen.
d'observer
OCTOBRE. 1732. 2187
d'observer ici une méprise de M. d'Herbelor
dans sa Bibliotheque Orientale au sujet de notre
Marzalquibir , page 558 , que l'Auteur confond
avec le Port et la Ville de Velez , autrement le
Penon de Velez, situez sur la même Côte de Barbarie , mais c'est si peu la même chose , que selon les meilleurs Géographes et selon la nouvelle
Carte de la Mer Méditerranée , il y a de Marzalquibir à Velez , situé près le Détroit , plus de
deux cens cinquante milles, ou environ soixante
et dix lieuës Françoises. M. d'Herbelot ajoûte
que Garcia de Tolede , Capitaine Espagnol , prit
Velez en 1564. ce qui ne s'accorde pas avec l'Histoire de la conquête d'Oran par Ximenés ; l'Au- teur Espagnol qui l'a écrite , marque expressément que peu de temps avant la prise d'O
*
ran, le même Pierre de Navarre , dont il est tant
parlé dans cette Histoire , avoit réduit cette Ville
de Velez sous l'obéissance du Roy d'Espagne. Ce
General après le départ de Ximenés fit encore
d'autres conquêtes ; il prit Bugie , Capitale du
Royaume de ce nom , puis Tripoly , &c. et se
rendit la terreur de toute l'Affrique. Enfin Alger
se rendit tributaire de la Couronne d'Espagne.
,
Je souhaite aux Armes de S. M. C. de pareils
succès et de plus considerables pour le bien de la
Chrétienté , pour la gloire de ce grand Prince et
pour celle de la Religion. Je m'engage en même
temps de vous instruire avec la même exactitude
de la suite des Evenemens. Je suis, Monsieur, &c.
A Paris , le 26. Septembre 1732..
*Pi
Fermer
Résumé : QUATRIEME Lettre écrite par M. D. L. R. à M- le Marquis de B. au sujet de la conquête d'Oran, &c.
La lettre de M. D. L. R. au Marquis de B. discute de la conquête d'Oran et de ses conséquences. La prise d'Oran et d'une autre place stratégique sécurise la navigation et le commerce en Méditerranée, protégeant ainsi les côtes espagnoles des attaques des pirates maures. Cette victoire permet à la religion et à la couronne d'Espagne de récupérer des possessions anciennes. Le Comte de Montemar, après avoir soumis plusieurs pays voisins, avait envoyé un détachement dirigé par le Marquis de Villa-Darias pour assiéger Mostagran. Cependant, des vents contraires ont empêché l'escadre d'avancer, permettant aux ennemis de se renforcer. Montemar a donc ordonné le retrait des troupes et reporté l'expédition à une date plus favorable. Par la suite, Montemar a reçu l'ordre du roi d'Espagne de rembarquer toutes les troupes, sauf celles nécessaires pour les garnisons des places conquises. La flotte est arrivée en Espagne, et Montemar a été fait Chevalier de la Toison d'or pour ses succès. La lettre mentionne également un prince maure offrant son alliance, bien que cette proposition manque de confirmation certaine. Historiquement, des ambassadeurs avaient déjà proposé des alliances et des tributs à l'Espagne après la conquête d'Oran par le Cardinal Ximenès. La nouvelle de la conquête a suscité une grande joie à Rome et à Florence, où des actions de grâce ont été organisées. Le pape a félicité le roi d'Espagne et a ordonné des réjouissances publiques. La lettre évoque aussi la possibilité de retrouver des manuscrits arabes de littérature, de médecine et d'astrologie, similaires à ceux rapportés par Ximenès lors de sa conquête. Elle mentionne deux auteurs arabes réputés originaires de Trémésen, ville voisine d'Oran. Enfin, la lettre fait référence à André Doria, libérateur d'Oran, et à son historien, le jésuite Sigonius, qui a écrit sur la vie de Doria.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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12
p. 2389-2397
CINQUIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M le Marquis de B. dans laquelle, à l'occasion d'Oran, et d'André Doria, il est parlé d'une nouvelle Edition des Oeuvres de Sigonius, &c.
Début :
Je ne vous parle plus, Monsieur, d'Oran, ni de Marsalquibir. Vous êtes suffisamment instruit [...]
Mots clefs :
Oran, Sigonius, Bibliothèques, République des Lettres, Ouvrage, M. Argelati, Histoire, Antiquité, André Doria
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texteReconnaissance textuelle : CINQUIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M le Marquis de B. dans laquelle, à l'occasion d'Oran, et d'André Doria, il est parlé d'une nouvelle Edition des Oeuvres de Sigonius, &c.
CINQUIEME LETTRE de M. D.
L. R. écrite à M le Marquis de B.
dans laquelle , à l'occasion d'Oran , et
d'André Doria, il est parlé d'une nouvelle
Edition des Oeuvres de Sigonius , &C.
J
2
E ne vous parle plus , Monsieur , d'Oran ni
de Marsalquibir. Vous êtes suffisamment ins
truit de toutes les circonstances de la conquête
de ces deux Places, et des suites qu'elle a eues jus
qu'à présent. La saison où nous sommes défend
L'attendre d'autres progrès avant le retour du
Printemps. Vous sçavez , sans doute , Monsieur , que dès le commencement du mois de
Septembre la Mer Mediterranée n'est presque
plus praticable du côté de la Barbarie , et qu'il
en coûta cher à l'Empereur Charles V. lorsqu'il
entreprit en personne, au mois d'Octobre 1541 .
La Conquête d'Alger , avec une puissante Flote
qui périt miserablement sur ces Côtes. Laissons
donc pour quelque- tems les Affaires d'Affrique.
Oran sçaura bien- en attendant , se soutenir
avec un si brave * Gouverneur, contre les foibles
efforts des Maures. C'est inutilement qu'ils ont
attaqué depuis quelques tems le Fort de S. André , c'est avec aussi peu de succès qu'ils ont
cru faire une diversion importante en engageant
le Roi de Maroc à faire de nouveaux efforts contre la Ville de Ceuta , efforts favorisez par la
*Le Marquis de Santa-Crux.
D v
déser-
1 2390 MERCURE DE FRANCE
* désertion et par la trahison d'unSeigneur Espagnol , que sa conscience punit peut être déja , et
que le Ciel confondra un jour. Mettons plutôt
Monsieur , à la place d'Exploits guerriers , qui
ne sont pas de saison , quelque chose qui ne soie
guéres moins de votre ressort , et qui puisse vous
Occuper agréablement dans le séjour que vous continuez de faire dans vos Terres.
>
Un sujet se présente ici naturellement , et qui
un raport indirect à celui que je suis obligé de
quitter ou de suspendre. J'ai eu l'honneur de
vous parler dans ma derniere Lettre du Sçavant
Jesuite , Charles Sigonius , Auteur de la vie d'André Doria , et je vous ai dit , ce me semble
qu'il n'est pas aisé d'assembler tous ses Ouvra→
ges , qui sont cependant considérables , cet Au- teur n'ayant traité que de grands sujets et
Payant toujours fait habilement, ils manquent aut
jourdhui dans plusieurs bonnes Bibliotheques , et
les Provinces en sont presque entierement de
pourvûës. Comme je me plaignois de cette disette,
et que je faisois des vœux pour une nouvelle Edia
tion , j'ai été agréablement surpris par la récep
tion d'un Imprimé latin de 8. pages in- 4. pu
blié à Milan il y a quelques mois , qui contient
le plan d'une belle Edition de Sigonius , laquelle
se fait actuellement dans cette Ville. C'est, Monsieur , de quoi j'aurai l'honneur de vous rendre
compte dans ma Lettre d'aujourd'hui.
L'Auteur de cette entreprise est M. Argelati ,
Homme du premier mérite , et des plus connus
dans la République des Lettres , singulierement par la part qu'il à au vaste Recueil des Ecrivains
de l'Histoire d'Italie Il est Directeur de la Sa
*Le Duc de Riperda.
cieté
NOVEMBRE. 1732 2391
cieté Palatine , Académie des plus celébres de
l'Europe , fondée à Milan par le Comte Archin
to , Neveu du Cardinal- Archevêque de ce même ´nom.
M. Argelati commence dans son Ecrit adressé
à tous les Sçavans de l'Europe , par relever le
mérite litteraire de Sigonius , reconnu de tout
le monde sçavant , et le prix de ses Ouvrages ,
imprimez plus d'une fois , tant en Italie que
dans le reste de l'Europe , ce qui n'a pas empê
ché , dit-il , qu'ils ne soient devenus enfin d'une
grande rareté , au regret des habiles gens , et
surtout des amateurs de l'Antiquité. Il y a longtems que notre Sçavant s'étoit proposé de remé
dier à cet inconvenient, en donnant une nouvelle
Edition de Sigonius ; il s'y est enfin déterminé ,
et il a mis la main à l'œuvre dans les conjonctures , et par les considerations énoncées assez au
long dans son Programme que je me dispense de répéter ici.
Je n'obmettrai pas cependant une circonstance bien louable , qui marque un grand désinteressement et un pareil amour pour les Lettres ,
c'est que pour accelerer cette Edition, et pour le
ver toute difficulté , M. Argelati s'est mis en
état de fournir de son propre fonds tout ce qui
peut être nécessaire à l'éxecution de son entreprise , pour ne faire aucun tort aux Membres de
Ja Societé Palatine ni au Public , ne Palatinorum
Sociorum , dit- il , rationes diverterem in aliam causam , vel postrema comuni cura priorem aliquantisperpublico cum incommodo turbarem.
Le premier soin du sçavant Editeur a été de rechercher et d'assembler en un corps , non- seulement tous les Ouvrages imprimez de Sigonius ,
dont quelques-uns sont devenus très-rares , mais
D vj encore
2392 MERCURE DE FRANCE
encore ceux qui n'ont jamais vu le jour : ce qu'il n'a pû faire par lui-même a été éxecuté par des
Amis sçavans et éclairez. Visite de Bibliotheques, d'Archives publiques et particulieres , rien
n'a été oublié ; ce qui a été suivi d'un succès
auquel M. Argelati avoue que la grande réputa tion de Sigonius a eu beaucoup de part , particulierement à l'égard des Ouvrages Manuscrits de
notre Auteur , dont cette nouvelle Edition sera enrichie dans les derniers volumes.
L'ordre et la coutume demandoient de mettre
à la tête de l'Edition un abregé de la vie du celébre Sigonius. Personne ne pouvoit mieux s'en
acquitter , dit M. Argelati , que M. L. A. Muratori , qui outre son rate sçavoir et sa sagacité ,
se trouve être de la même Ville de Modene , Paarie de Sigonius , et par conséquent plus à portée
qu'un autre de prendre des instructions domesiques et sûres. Le succès de ce travail a été audelà de tout ce qu'on pouvoit attendre de M. Muratori. Ceux qui aiment à s'instruire de l'Histoire Litteraire et personnelle de certains Sçavans ,
trouveront, sans doute,de quoi se contenter dans le travail dont il s'est chargé au sujet de Sigonius. Sur quoi M. Argelati lui marque une parfaite reconnoissance.
Le premier volume de la nouvelle Edition commence par les Fastes Consulaires de cet Auteur.
Tout le monde connoît l'importance et la necessité des Fastes Consulaires , on sçait aussi en combien d'embarras et de difficultez ils ont souvent jetté les amateurs de l'Antiquité. On avoit
lieu de croire que cet Ouvrage , si pénible en soi,
avoit été rendu parfait par le travail de Sigonius:
mais comme depuis sa mort , on a déterré quan
tité de Monumens Antiques , et qu'on en désouyre
NOVEMBRE. 1732. 2393
couvre encore tous les jours , on s'en est servi
pour perfectionner encore davantage , pour corriger même en plusieurs endroits l'Ouvrage du docte Ecrivain, C'est un soin dont a bien voulu
se charger , à la priere de M. Argelati , le R. P.
Joseph- Marie Stampa de Côme , Clerc Régulier
de la Congrégation des Somasques , qui a fait entrer dans cette Edition toutes les Observations
des plus célebres Critiques sur le sujet en question, sçavoir celles du P. Petau, de Pighius , d'Almelowen , qui ont plus servi à confirmer qu'à
corriger les Fastes de Sigonius , celles de Mezabarba , du P. Pagi , de M. de Tillemont , du P. Blanchini , et suivant l'ordre des tems , celles
du Cardinal Noris , de M. Reland , de Cuspinien , et de Panvinius , sans oublier les propres
Observations du P. Stampa , qui n'a pas toujours
souscrit à toutes les Remarques de ces grands
Critiques , et qui a donné de son fonds une belle
Dissertation préliminaire , et d'autres Discours
remplis d'érudition sur cette matiere , à quoi il
faut ajoûter la continuation des mêmes Fastes ,
qu'il a conduits depuis la mort d'Auguste , Epoque où Sigonius s'étoit arrêté , jusqu'à l'Empire
de Diocletien et de Max imien. Autre Epoque où
commence un second Ouvrage de notre Auteur,,
dont on va parler , et qui acheve de remplir le
premier Tome.
Cet Ouvrage , divisé en plusieurs Livres , est
tout historique , et regarde l'Empire d'Occident ,
de Occidentali Imperio. Il a été revû et illustré
par un sçavant Benedictin du Mont- Cassin, nommé le P. Dom Janvier Salinas , Napolitain.
M. Arlegati fait ici un court éloge de la capacité
de ce Religieux , dont le travail immense doit Stre
2394 MERCURE DE FRANCE
1
être d'un grand secours
à ceux qui étudieront cet
autre Quvrage de Sigonius
.
Le second Volume contiendra en XX
. Livres
P'Histoire du Regne d'Italie
, de REGNO ITALIE
C'est la revision de ce grand Ouvrage
, qui occupe actuellement M. Argelati , aidé des lumieres et du travail infatigable de M. Joseph- Antoi
ne Saxi
, Préfet de la Bibliotheque Ambroisienne. Ce travail sera sans doute d'une grande utilité à cette partie de l'Edition de Sigonius , on
en peut juger par le témoignage qu'en rend l'Editeur , il est magnifique et fort étendu dans le
Programme Latin
.
,
M. Argelati déclare ensuite qu'il n'a fait encore aucun arrangement à l'égard des autres
Ouvrages de Sigonius
, mais que chacun de ces
Ouvrages paroîtra dans cette Edition avec les
Notes et les Observations qui lui conviennent
soit anciennes et déja publiées
, soit nouvelles et
fournies par de sçavans Hommes
. Par exemple
,
à l'égard des Traitez intitulez de Antiquo Jure Civium Romanorum , Italia ac Provinciarum,
de Judiciis. De Binis Comitiis et Lege curiata.
On aura dans la nouvelle Edition
, non
-seulement les Annotations de Grævius , répandues
dans son Trésor des Antiquitez Romaines
, mais
encore les Prolegomenes du sçavant Horatius
Blanci
. Jurisconsulte Romain
, et les Commentaires suivis de Jean Maderni de Milan , autre
fameux Jurisconsulte
.
,
et.
Pour ce qui regarde les Livres de Atheniensium,
eorumque ac Lacedamoniorum Temporibus
, P'Illustre Editeur nous apprend qu'ils ont occupé la
capacité d'un Homme de Lettres des plus versez dans la connoissance des Langues Orientales , et
dans celle de l'Histoire
, lequel s'est enfin renda
NOVEMBRE. 1732. 2395
du à ses instances réïterées , à condition qu'il ne
seroit point nommé ; rare exemple de modestie , consentant avec peine qu'on nommât seulement la Compagnie de Jesus , dont il est mem
bre. Surquoi M. Argelati prend occasion de
marquer en ces termes , sa reconnoissance generale et particuliere : Hoc erit perpetua laudis argumentum; nam sicut cœtus iste Lucidissimas quot in cœlo stellas doctrinarum omnium faces enumerat.
ita cuique me devotum beneficiorum acceptorum memoria perpetuo profiteor.
Sigonius ne s'est pas contenté de traiter l'Histoire et l'Antiquité prophane. Il a aussi écrit sur
la Republique des Hebreux , et des Commentaires
sur l'Histoire de Sulpice Severe , qui ont été publiez de son vivant ; sans compter huit Livres entiers de l'Histoire de l'Eglise , qu'il avoit composez , et qu'on ne desespere pas de retrouver. Le
tout ensemble pourra former un volume entier ,
séparé des autres , suivant le plan de l'habile Editeur , qui a eu soin d'enrichir les deux premiers Ouvrages des Notes et des Eclaircissemens dont
ils avoient besoin.
Il marque là-dessus sa parfaité reconnoissance
envers M. l'Abbé Laurent Maffei , si connu par
ses Ouvrages , et particulierement par ses Re- marques sur le 4° Tome d'Anastase le Bibliotequaire. Ce Docte Abbé s'est en effet donné de
grands soins pour ce qui regarde les Livres de
la République des Hebreux , et les Commentalres sur Sulpice Severe , lesquels servent beaucoup pour l'intelligence du premier Ouvrage.
Nul n'étoit plus propre que lui pour ce travail
ni plus à portée de profiter de plusieurs secours ;
singulierement de celui de la Biblioteque du Comte Charles Archinto , l'une des plus belles et des
mieux fournies dè l'Italic,
Majs
2396 MERCURE DE FRANCE
Mais ce que M. Argelati a le plus affectionné
entre les Ouvrages de Sigonius , c'est ce que cet
Auteur a écrit de la Ville de Boulogne , Patrie de
l'Editeur , qui a quelque rapport à l'Histoire
tant sacrée que prophane. Il s'est présenté plusieurs Sçavans Boulonnois , que le même amour
de la Patrie a portés à concourir là - dessus, avec
M. Argelati. Deux de ces Sçavans , Auteurs de
plusieurs Ouvrages imprimez , ont principalement mis la main à l'œuvre : sçavoir , le R. P.
Louis Rabbi Servite , qui a revû tout ce qui concerne l'Histoire Sainte ; et M. Alexandre Machiavelli, fameux Jurisca soulte , qui s'est donné
le mêmesoin pour l'Histoire prophane.
A l'égard de la Vie du Celebre André Doria
écrite par Sigonius, M Argelati ne s'est déchargé sur personne du soin de la revoir et d'y faire
les augmentations convenables ; il s'est attaché
sur tout à y ajouter les Traitez, les Négociations
et les autres Actes publics des affaires importan
tes ausquelles ce grand Capitaine a eu part. Ces Monumens ont été tirez des Archives de la République de Gennes, et obligemment communiquez par M. Mutius , à qui la Garde en est confiée , et qui aime beaucoup les Lettres et les
Sçavans.
Je ne doute pas , Monsieur , que M. Argelati
ne voye aussi , avec plaisir , peut-être avec quel- que profit,certaines circonstances de la Vie d'André Doria , qui sont dans les Lettres que je me suis donné l'honneur de vous écrire au sujet de
la conquête d'Oran , et qui sont omises dans
Sigonius : La Médaille , par exemple , frappée
en son honneur , que j'ai fait graver , et la Statue de Marbre qui lui a été érigée , qu'on peut
• Mercure de Septembre 1732.
faire
NOVEMBRE. 1732. 2397
faire graver dans la nouvelle Edition ; à quoi je
dois ajoûter deux beaux Portraits du même An
dré Doria , qui ont été peints , l'un par Sébas
tien Vénitien Frate del Piombo , vers l'année
1540 et l'autre par Agnolo Bronzino , Peintre
de réputation , Eleve de Piantorme , vers 1550.
lesquels doivent être à Gennes , dans le Palais
Doria.
Sigonius ayant aussi écrit la Vie de Scipion , et celle de P. Emile , sur les Monumens Histori-'
ques , Grecs et Latins , M. Argelati s'est pareillement appliqué à les revoir et à les perfectionner.
Enfin le Sçavant Editeur s'est entierement prêté
à la revision, à la Critique et à l'illustration du Traité , intitulé : Judicium de Romana Historia
Scriptoribus : Ouvrage que plusieurs Critiques ont douté être veritablement de Sigonius. M. Argelati y a épuisé sa patience et n'a rien oublié pour le rendre utile ; nouvelles Cartes Géographiques ,
plus exactes que les premieres , Tables et Indices
tres amples , enfin tout ce qui peut concourir à
rendre un Ouvrage parfait , a été employé.
Voilà , Monsieur , l'Exposition la plus exacte
et la plus abrégée que je puis vous faire de l'entreprise et du labeur de M. Argelati , sur les Euvres de Sigonius , tirée de son Programme Latin.
Je ne doute pas que vous n'en soyicz édifié , ainsi
que de sa générosité et de son désinteressement. Ilfinit , en marquant sa parfaite reconnoissance
envers Sa Majesté Imperiale , Auguste Protec
trice de la Société Palatine de Milan , sous les
Auspices de laquelle , lui et tous les Membres de
cette Académie , travaillent heureusement à l'avancement des Lettres , et en particulier à la perfection de l'Histoire, Je suis , Monsieur , &c.
A Paris , ce 25 Octobre 1732
L. R. écrite à M le Marquis de B.
dans laquelle , à l'occasion d'Oran , et
d'André Doria, il est parlé d'une nouvelle
Edition des Oeuvres de Sigonius , &C.
J
2
E ne vous parle plus , Monsieur , d'Oran ni
de Marsalquibir. Vous êtes suffisamment ins
truit de toutes les circonstances de la conquête
de ces deux Places, et des suites qu'elle a eues jus
qu'à présent. La saison où nous sommes défend
L'attendre d'autres progrès avant le retour du
Printemps. Vous sçavez , sans doute , Monsieur , que dès le commencement du mois de
Septembre la Mer Mediterranée n'est presque
plus praticable du côté de la Barbarie , et qu'il
en coûta cher à l'Empereur Charles V. lorsqu'il
entreprit en personne, au mois d'Octobre 1541 .
La Conquête d'Alger , avec une puissante Flote
qui périt miserablement sur ces Côtes. Laissons
donc pour quelque- tems les Affaires d'Affrique.
Oran sçaura bien- en attendant , se soutenir
avec un si brave * Gouverneur, contre les foibles
efforts des Maures. C'est inutilement qu'ils ont
attaqué depuis quelques tems le Fort de S. André , c'est avec aussi peu de succès qu'ils ont
cru faire une diversion importante en engageant
le Roi de Maroc à faire de nouveaux efforts contre la Ville de Ceuta , efforts favorisez par la
*Le Marquis de Santa-Crux.
D v
déser-
1 2390 MERCURE DE FRANCE
* désertion et par la trahison d'unSeigneur Espagnol , que sa conscience punit peut être déja , et
que le Ciel confondra un jour. Mettons plutôt
Monsieur , à la place d'Exploits guerriers , qui
ne sont pas de saison , quelque chose qui ne soie
guéres moins de votre ressort , et qui puisse vous
Occuper agréablement dans le séjour que vous continuez de faire dans vos Terres.
>
Un sujet se présente ici naturellement , et qui
un raport indirect à celui que je suis obligé de
quitter ou de suspendre. J'ai eu l'honneur de
vous parler dans ma derniere Lettre du Sçavant
Jesuite , Charles Sigonius , Auteur de la vie d'André Doria , et je vous ai dit , ce me semble
qu'il n'est pas aisé d'assembler tous ses Ouvra→
ges , qui sont cependant considérables , cet Au- teur n'ayant traité que de grands sujets et
Payant toujours fait habilement, ils manquent aut
jourdhui dans plusieurs bonnes Bibliotheques , et
les Provinces en sont presque entierement de
pourvûës. Comme je me plaignois de cette disette,
et que je faisois des vœux pour une nouvelle Edia
tion , j'ai été agréablement surpris par la récep
tion d'un Imprimé latin de 8. pages in- 4. pu
blié à Milan il y a quelques mois , qui contient
le plan d'une belle Edition de Sigonius , laquelle
se fait actuellement dans cette Ville. C'est, Monsieur , de quoi j'aurai l'honneur de vous rendre
compte dans ma Lettre d'aujourd'hui.
L'Auteur de cette entreprise est M. Argelati ,
Homme du premier mérite , et des plus connus
dans la République des Lettres , singulierement par la part qu'il à au vaste Recueil des Ecrivains
de l'Histoire d'Italie Il est Directeur de la Sa
*Le Duc de Riperda.
cieté
NOVEMBRE. 1732 2391
cieté Palatine , Académie des plus celébres de
l'Europe , fondée à Milan par le Comte Archin
to , Neveu du Cardinal- Archevêque de ce même ´nom.
M. Argelati commence dans son Ecrit adressé
à tous les Sçavans de l'Europe , par relever le
mérite litteraire de Sigonius , reconnu de tout
le monde sçavant , et le prix de ses Ouvrages ,
imprimez plus d'une fois , tant en Italie que
dans le reste de l'Europe , ce qui n'a pas empê
ché , dit-il , qu'ils ne soient devenus enfin d'une
grande rareté , au regret des habiles gens , et
surtout des amateurs de l'Antiquité. Il y a longtems que notre Sçavant s'étoit proposé de remé
dier à cet inconvenient, en donnant une nouvelle
Edition de Sigonius ; il s'y est enfin déterminé ,
et il a mis la main à l'œuvre dans les conjonctures , et par les considerations énoncées assez au
long dans son Programme que je me dispense de répéter ici.
Je n'obmettrai pas cependant une circonstance bien louable , qui marque un grand désinteressement et un pareil amour pour les Lettres ,
c'est que pour accelerer cette Edition, et pour le
ver toute difficulté , M. Argelati s'est mis en
état de fournir de son propre fonds tout ce qui
peut être nécessaire à l'éxecution de son entreprise , pour ne faire aucun tort aux Membres de
Ja Societé Palatine ni au Public , ne Palatinorum
Sociorum , dit- il , rationes diverterem in aliam causam , vel postrema comuni cura priorem aliquantisperpublico cum incommodo turbarem.
Le premier soin du sçavant Editeur a été de rechercher et d'assembler en un corps , non- seulement tous les Ouvrages imprimez de Sigonius ,
dont quelques-uns sont devenus très-rares , mais
D vj encore
2392 MERCURE DE FRANCE
encore ceux qui n'ont jamais vu le jour : ce qu'il n'a pû faire par lui-même a été éxecuté par des
Amis sçavans et éclairez. Visite de Bibliotheques, d'Archives publiques et particulieres , rien
n'a été oublié ; ce qui a été suivi d'un succès
auquel M. Argelati avoue que la grande réputa tion de Sigonius a eu beaucoup de part , particulierement à l'égard des Ouvrages Manuscrits de
notre Auteur , dont cette nouvelle Edition sera enrichie dans les derniers volumes.
L'ordre et la coutume demandoient de mettre
à la tête de l'Edition un abregé de la vie du celébre Sigonius. Personne ne pouvoit mieux s'en
acquitter , dit M. Argelati , que M. L. A. Muratori , qui outre son rate sçavoir et sa sagacité ,
se trouve être de la même Ville de Modene , Paarie de Sigonius , et par conséquent plus à portée
qu'un autre de prendre des instructions domesiques et sûres. Le succès de ce travail a été audelà de tout ce qu'on pouvoit attendre de M. Muratori. Ceux qui aiment à s'instruire de l'Histoire Litteraire et personnelle de certains Sçavans ,
trouveront, sans doute,de quoi se contenter dans le travail dont il s'est chargé au sujet de Sigonius. Sur quoi M. Argelati lui marque une parfaite reconnoissance.
Le premier volume de la nouvelle Edition commence par les Fastes Consulaires de cet Auteur.
Tout le monde connoît l'importance et la necessité des Fastes Consulaires , on sçait aussi en combien d'embarras et de difficultez ils ont souvent jetté les amateurs de l'Antiquité. On avoit
lieu de croire que cet Ouvrage , si pénible en soi,
avoit été rendu parfait par le travail de Sigonius:
mais comme depuis sa mort , on a déterré quan
tité de Monumens Antiques , et qu'on en désouyre
NOVEMBRE. 1732. 2393
couvre encore tous les jours , on s'en est servi
pour perfectionner encore davantage , pour corriger même en plusieurs endroits l'Ouvrage du docte Ecrivain, C'est un soin dont a bien voulu
se charger , à la priere de M. Argelati , le R. P.
Joseph- Marie Stampa de Côme , Clerc Régulier
de la Congrégation des Somasques , qui a fait entrer dans cette Edition toutes les Observations
des plus célebres Critiques sur le sujet en question, sçavoir celles du P. Petau, de Pighius , d'Almelowen , qui ont plus servi à confirmer qu'à
corriger les Fastes de Sigonius , celles de Mezabarba , du P. Pagi , de M. de Tillemont , du P. Blanchini , et suivant l'ordre des tems , celles
du Cardinal Noris , de M. Reland , de Cuspinien , et de Panvinius , sans oublier les propres
Observations du P. Stampa , qui n'a pas toujours
souscrit à toutes les Remarques de ces grands
Critiques , et qui a donné de son fonds une belle
Dissertation préliminaire , et d'autres Discours
remplis d'érudition sur cette matiere , à quoi il
faut ajoûter la continuation des mêmes Fastes ,
qu'il a conduits depuis la mort d'Auguste , Epoque où Sigonius s'étoit arrêté , jusqu'à l'Empire
de Diocletien et de Max imien. Autre Epoque où
commence un second Ouvrage de notre Auteur,,
dont on va parler , et qui acheve de remplir le
premier Tome.
Cet Ouvrage , divisé en plusieurs Livres , est
tout historique , et regarde l'Empire d'Occident ,
de Occidentali Imperio. Il a été revû et illustré
par un sçavant Benedictin du Mont- Cassin, nommé le P. Dom Janvier Salinas , Napolitain.
M. Arlegati fait ici un court éloge de la capacité
de ce Religieux , dont le travail immense doit Stre
2394 MERCURE DE FRANCE
1
être d'un grand secours
à ceux qui étudieront cet
autre Quvrage de Sigonius
.
Le second Volume contiendra en XX
. Livres
P'Histoire du Regne d'Italie
, de REGNO ITALIE
C'est la revision de ce grand Ouvrage
, qui occupe actuellement M. Argelati , aidé des lumieres et du travail infatigable de M. Joseph- Antoi
ne Saxi
, Préfet de la Bibliotheque Ambroisienne. Ce travail sera sans doute d'une grande utilité à cette partie de l'Edition de Sigonius , on
en peut juger par le témoignage qu'en rend l'Editeur , il est magnifique et fort étendu dans le
Programme Latin
.
,
M. Argelati déclare ensuite qu'il n'a fait encore aucun arrangement à l'égard des autres
Ouvrages de Sigonius
, mais que chacun de ces
Ouvrages paroîtra dans cette Edition avec les
Notes et les Observations qui lui conviennent
soit anciennes et déja publiées
, soit nouvelles et
fournies par de sçavans Hommes
. Par exemple
,
à l'égard des Traitez intitulez de Antiquo Jure Civium Romanorum , Italia ac Provinciarum,
de Judiciis. De Binis Comitiis et Lege curiata.
On aura dans la nouvelle Edition
, non
-seulement les Annotations de Grævius , répandues
dans son Trésor des Antiquitez Romaines
, mais
encore les Prolegomenes du sçavant Horatius
Blanci
. Jurisconsulte Romain
, et les Commentaires suivis de Jean Maderni de Milan , autre
fameux Jurisconsulte
.
,
et.
Pour ce qui regarde les Livres de Atheniensium,
eorumque ac Lacedamoniorum Temporibus
, P'Illustre Editeur nous apprend qu'ils ont occupé la
capacité d'un Homme de Lettres des plus versez dans la connoissance des Langues Orientales , et
dans celle de l'Histoire
, lequel s'est enfin renda
NOVEMBRE. 1732. 2395
du à ses instances réïterées , à condition qu'il ne
seroit point nommé ; rare exemple de modestie , consentant avec peine qu'on nommât seulement la Compagnie de Jesus , dont il est mem
bre. Surquoi M. Argelati prend occasion de
marquer en ces termes , sa reconnoissance generale et particuliere : Hoc erit perpetua laudis argumentum; nam sicut cœtus iste Lucidissimas quot in cœlo stellas doctrinarum omnium faces enumerat.
ita cuique me devotum beneficiorum acceptorum memoria perpetuo profiteor.
Sigonius ne s'est pas contenté de traiter l'Histoire et l'Antiquité prophane. Il a aussi écrit sur
la Republique des Hebreux , et des Commentaires
sur l'Histoire de Sulpice Severe , qui ont été publiez de son vivant ; sans compter huit Livres entiers de l'Histoire de l'Eglise , qu'il avoit composez , et qu'on ne desespere pas de retrouver. Le
tout ensemble pourra former un volume entier ,
séparé des autres , suivant le plan de l'habile Editeur , qui a eu soin d'enrichir les deux premiers Ouvrages des Notes et des Eclaircissemens dont
ils avoient besoin.
Il marque là-dessus sa parfaité reconnoissance
envers M. l'Abbé Laurent Maffei , si connu par
ses Ouvrages , et particulierement par ses Re- marques sur le 4° Tome d'Anastase le Bibliotequaire. Ce Docte Abbé s'est en effet donné de
grands soins pour ce qui regarde les Livres de
la République des Hebreux , et les Commentalres sur Sulpice Severe , lesquels servent beaucoup pour l'intelligence du premier Ouvrage.
Nul n'étoit plus propre que lui pour ce travail
ni plus à portée de profiter de plusieurs secours ;
singulierement de celui de la Biblioteque du Comte Charles Archinto , l'une des plus belles et des
mieux fournies dè l'Italic,
Majs
2396 MERCURE DE FRANCE
Mais ce que M. Argelati a le plus affectionné
entre les Ouvrages de Sigonius , c'est ce que cet
Auteur a écrit de la Ville de Boulogne , Patrie de
l'Editeur , qui a quelque rapport à l'Histoire
tant sacrée que prophane. Il s'est présenté plusieurs Sçavans Boulonnois , que le même amour
de la Patrie a portés à concourir là - dessus, avec
M. Argelati. Deux de ces Sçavans , Auteurs de
plusieurs Ouvrages imprimez , ont principalement mis la main à l'œuvre : sçavoir , le R. P.
Louis Rabbi Servite , qui a revû tout ce qui concerne l'Histoire Sainte ; et M. Alexandre Machiavelli, fameux Jurisca soulte , qui s'est donné
le mêmesoin pour l'Histoire prophane.
A l'égard de la Vie du Celebre André Doria
écrite par Sigonius, M Argelati ne s'est déchargé sur personne du soin de la revoir et d'y faire
les augmentations convenables ; il s'est attaché
sur tout à y ajouter les Traitez, les Négociations
et les autres Actes publics des affaires importan
tes ausquelles ce grand Capitaine a eu part. Ces Monumens ont été tirez des Archives de la République de Gennes, et obligemment communiquez par M. Mutius , à qui la Garde en est confiée , et qui aime beaucoup les Lettres et les
Sçavans.
Je ne doute pas , Monsieur , que M. Argelati
ne voye aussi , avec plaisir , peut-être avec quel- que profit,certaines circonstances de la Vie d'André Doria , qui sont dans les Lettres que je me suis donné l'honneur de vous écrire au sujet de
la conquête d'Oran , et qui sont omises dans
Sigonius : La Médaille , par exemple , frappée
en son honneur , que j'ai fait graver , et la Statue de Marbre qui lui a été érigée , qu'on peut
• Mercure de Septembre 1732.
faire
NOVEMBRE. 1732. 2397
faire graver dans la nouvelle Edition ; à quoi je
dois ajoûter deux beaux Portraits du même An
dré Doria , qui ont été peints , l'un par Sébas
tien Vénitien Frate del Piombo , vers l'année
1540 et l'autre par Agnolo Bronzino , Peintre
de réputation , Eleve de Piantorme , vers 1550.
lesquels doivent être à Gennes , dans le Palais
Doria.
Sigonius ayant aussi écrit la Vie de Scipion , et celle de P. Emile , sur les Monumens Histori-'
ques , Grecs et Latins , M. Argelati s'est pareillement appliqué à les revoir et à les perfectionner.
Enfin le Sçavant Editeur s'est entierement prêté
à la revision, à la Critique et à l'illustration du Traité , intitulé : Judicium de Romana Historia
Scriptoribus : Ouvrage que plusieurs Critiques ont douté être veritablement de Sigonius. M. Argelati y a épuisé sa patience et n'a rien oublié pour le rendre utile ; nouvelles Cartes Géographiques ,
plus exactes que les premieres , Tables et Indices
tres amples , enfin tout ce qui peut concourir à
rendre un Ouvrage parfait , a été employé.
Voilà , Monsieur , l'Exposition la plus exacte
et la plus abrégée que je puis vous faire de l'entreprise et du labeur de M. Argelati , sur les Euvres de Sigonius , tirée de son Programme Latin.
Je ne doute pas que vous n'en soyicz édifié , ainsi
que de sa générosité et de son désinteressement. Ilfinit , en marquant sa parfaite reconnoissance
envers Sa Majesté Imperiale , Auguste Protec
trice de la Société Palatine de Milan , sous les
Auspices de laquelle , lui et tous les Membres de
cette Académie , travaillent heureusement à l'avancement des Lettres , et en particulier à la perfection de l'Histoire, Je suis , Monsieur , &c.
A Paris , ce 25 Octobre 1732
Fermer
Résumé : CINQUIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M le Marquis de B. dans laquelle, à l'occasion d'Oran, et d'André Doria, il est parlé d'une nouvelle Edition des Oeuvres de Sigonius, &c.
La cinquième lettre de M. D. au Marquis de B. aborde les récentes conquêtes d'Oran et de Marsalquibir, soulignant que la saison rend impossible toute nouvelle avancée militaire avant le printemps. L'auteur évoque les difficultés rencontrées par l'Empereur Charles V lors de la conquête d'Alger en 1541 et espère qu'Oran, sous la gouvernance du Marquis de Santa-Crux, pourra résister aux attaques maures. Le texte change ensuite de sujet pour discuter de la nouvelle édition des œuvres de Carlo Sigonio (Sigonius), un savant jésuite. Les œuvres de Sigonius, bien que considérées comme importantes, sont rares et difficiles à trouver. Une nouvelle édition est en cours à Milan, dirigée par M. Argelati, un homme de lettres renommé. Cette édition inclut non seulement les œuvres imprimées de Sigonius, mais aussi des manuscrits inédits. M. Argelati a rassemblé ces œuvres avec l'aide de savants et de bibliothèques publiques et privées. L'édition est enrichie par des contributions de plusieurs érudits, comme le Père Joseph-Marie Stampa pour les Fastes Consulaires, et le Père Dom Janvier Salinas pour l'histoire de l'Empire d'Occident. Le second volume traitera de l'histoire du règne d'Italie, révisée par M. Joseph-Antoine Saxi. Chaque ouvrage sera accompagné de notes et d'observations, anciennes et nouvelles, fournies par des savants. M. Argelati a également révisé et perfectionné plusieurs écrits de Sigonius, notamment la vie de Scipion et celle de P. Émile, en se basant sur des monuments historiques grecs et latins. Il a travaillé sur la révision critique et l'illustration du traité 'Judicium de Romana Historia Scriptoribus', dont l'authenticité avait été remise en question. Pour ce traité, Argelati a ajouté des cartes géographiques plus exactes, des tables et des indices amples afin de rendre l'ouvrage parfait. Le texte mentionne également des portraits d'André Doria, peints par Sébastien Vénitien Frate del Piombo vers 1540 et par Agnolo Bronzino vers 1550, conservés à Gênes dans le Palais Doria. Enfin, Argelati exprime sa reconnaissance envers Sa Majesté Impériale, protectrice de la Société Palatine de Milan, sous l'égide de laquelle il et les membres de l'Académie travaillent à l'avancement des lettres et à la perfection de l'histoire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
13
p. 2550-2562
SECONDE LETTRE DE M. D. L. R. à M. A. C. D. V. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques.
Début :
Avant que de répondre, Monsieur, aux autres demandes que vous me [...]
Mots clefs :
Marquis de Rosny, Duc de Sully, Abbaye de Saint Taurin, Lettre, Mémoires, Boisrozé, Général, Henriade, Méprises, Courage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SECONDE LETTRE DE M. D. L. R. à M. A. C. D. V. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques.
SECONDE LETTRE de
M. D L. R. à M. A. C. D. V. au
sujet du Marquis de Rosny , depuis Duc
de Sully , &c. contenant quelques Remarques Historiques.
A
Vant que de répondre , Monsieur ,
aux autres demandes que vous me
faites au sujet du Marquis de Rosny.
j'ay encore quelque chose à vous dire
sur votre premiere question concernant
l'Abbaye de S. Taurin , que ce Seigneur
a possedée par la nomination du Roy
Henry III . Outre la double preuve que
je vous ai apportée de ce fait dans mapremiere Lettre , en voici encore deux autres
qu'il est bon de ne pas omettre.
La premiere est dans le XLI. Chapitre du I. Vol. des Memoires de
Sully. On voit sur la fin de ce Chapitre
que le Marquis de Rosny étant allé à sa
Terre de Bontin pour quelques affaires
domestiques , le Roy lui écrivit la Lettre
qui suit , pour le faire revenir à Fon- tainebleau.
Mon Ami, je ne vous avois donné congé
que pour dix jours , et neanmoins ily ena
1. Vol. déja
DECEMBRE. 1732. 2551 7
déja quinze que vous êtes partis ce n'estpas
votre coutume de manquer à ce que vous
promettez , ni d'être paresseux : partant revenez-vous-en me trouver , c'est chose necessaire pour mon service , tant pour voir
des Lettres que Madame de Simiers et un
nommé la Font (qui , à mon avis , est celui
de qui vous sçaviez des nouvelles durant
notre grand Siege ) qui vous écrivent de
Rouen, lesquelles sont en chiffres ; et par si
peu que nous en avons pu déchiffrer ( car
je les ai fait ouvrir ) nous jugeons qu'elles
importent à mon service. Il y en a encore.
une d'un nommé Desportes , qui demeure à
Verneuil, lequel vous prie de lui mander
s'il sera le bien venu pour vous parler d'une
chose dont vous conferâtes une fois ensemble.
à Evreux dans votre Abbaye de S. Taurin , que le feu Roy vous donna. J'ay aussi
plusieurs choses à vous dire , et s'en présente tous les jours une infinité sur lesquelles
je serai bien aise de prendre vos avis , comme j'ai fait sur beaucoup d'autres , dont je
me suis bien trouvé. Partant , partez en diligence et me venez trouver à Fontainebleau,
Adieu. Ce 3. Septembre 1593.
Vous voyez , Monsieur , dans cette Lettre le fait en question constaté de la main
du Roy ; on y voit aussi que le Marquis
de Rosny se retiroit quelquefois à saint
VI. Vel By Taurin
2552 MERCURE DE FRANCE
Taurin d'Evreux , pour gouter dans une
agréable solitude le repos qu'il ne trouvoit pas ailleurs , et qui ne laissoit pas
d'être encore interrompu dans cette Âbbaye par les affaires importantes qui le
sùivoient par tout.
L'autre preuve se trouve dans le même
premier Vol. des Memoires, Chap. XLVI.
où il est traité de la Négociation que
M. de Rosny fit à Rouen avec Amiral
de Villars , pour la réduction de toute
la Normandie. On voit là qu'entre autres demandes que faisoit cet Amiral de
là Ligue , il voulut avoir les Abbayes de
Jumieges, de Tiron , de Bomport , de
Valasse et de S. Taurin : les Memoires
ne disent point si c'étoit pour lui-même
ou pour ses amis qu'il faisoit cette de-,
mande , mais les Auteurs qui ont écrit
ces Memoires , et qui , comme vous sçavez , adressent toûjours la parole au Marquis de Rosny , leur Maître , s'expriment
én ces termes sur cet article.
De tous lesquels points dans quatre jours
vons convintes ensemble et en demeurâtes
d'accord , voire de S. Taurin , quoique
l'Abbayefût à vous.
Cela , au reste , ne fut pas un simple
projet , l'execution suivit et se trouve confirmée par le discours que tint M. de,
1. Vol A.,Rosny
DECEMBRE. 1732. 255 3
Rosny au sieur de Boisrosé , que vous
avez lû dans ma précédente Lettre ; ainsi
il est démontré non- seulement que ce
Seigneur a été Abbé de S. Taurin d'Evreux ; mais on sçait à peu près le temps.
et à quelle occasion il eut la generosité
de se dépouiller de cette Abbaye. 2
On apprend dans le même endroit que
quelque ample pouvoir qu'eût le Marquis de Rosny de traiter avec M. de Villars , pour l'entiere réduction de la Normandie , il y eut cependant trois Articles
sur lesquels il ne voulut rien prendre
sur lui.
Les deux premiers concernoient M. de
Montpensier et M. de Biron , et le troi,
siéme regardoit le sieur de Boisrozé , à
cause , disent les Memoires , de la baute
qualité des deux premiers , et de l'injustice
qu'il sembloit y avoir en l'autre. Sur quoi
M. de Rosny desira avoir un ordre particulier de la propre main du Roy, &c.
Vous êtes , sans doute surpris , Monsieur , de voir ici les petits interêts d'un
simple Gouverneur de Fécamp , mêlez
avec ceux d'un Prince du Sang , Gouverneur de Normandie et avec ceux de M. de
Biron , que le Roy avoit fait depuis peu
Amiral de France , Charge que M. de
Villars vouloit garder pour lui-même , les
2.1. Vol. B vj interêts
2554 MERCURE DE FRANCE
intetêts , dis-je , du sieur de Boisrozé
dont l'avanture vous a réjoui dans me
premiere Lettre , faire un objet considerable dans la Négociation d'un Traité si
important.
Cela a besoin d'un petit Commentaire.
Je vais vous le faire d'autant plus volontiers , qu'après avoir un peu maltraité,
ce me semble , se pauvre Gentilhomme
( en vous parlant de l'avanture de Louviers ) je profiterai de l'occasion pour le
réhabiliter dans votre esprit , en vous le
montrant par le plus bel endroit , et je
vous exposerai en même- temps un trait
de hardiesse et de valeur peu commune
qui mérite d'être distingué dans notre
Histoire, et que je trouve peu exactement *
par Mezeray et par le P. Daniel.
Je trouve ce fait dans le XLIII. Chapitre des Memoires, intitulé : Affaires Mi
litaires et d'Etat. J'en abregerai la narration tant que je pourrai,sans en rien omettre d'essentiel.
narré
Fécamp est une petite Ville Maritime
de la Haute Normandie , située à 15.
* Mezeray a défiguré jusqu'au nom de ce brave
homme, qu'il appelloit Bosc Rosé, il lui rend d'ailleurs justice sur sa valeur. Il s'étoit auparavant
très- distingué dans Roïen assiegé par l'Armée da Roy en 1992.
1. Fol. lieües
DECEMBRE. 1732. 2555
lieuës de Rouen vers le Couchant , à 8.
du Havre de Grace , et à 12 de Dieppe.
Elle étoit munie alors d'une bonne For
teresse , qu'on appelle aujourd'hui le
Château , élevé sur un Rocher escarpé
qui regarde la Mer. Boisrozé étoit dans.
la Place, lorsque M. de Biron l'assiegea et
la prit sur ceux de la Ligue. Avant que
d'en sortir il forma le dessein de la reprendre et il s'y prit de la maniere qui
suit. Après avoir bien instruit deux Soldats de la valeur et de la fidelité desquels
il étoit assuré , il trouva le moyen de
les faire entrer et admettre parmi ceux
de la Garnison. De son côté il s'assura
de so. autres Soldats ou Matelots , des
plus déterminez et des plus experts au
métier de grimper aux Hunes par les
cordages , &c. son dessein étoit d'escalader lui et les siens , le Rocher dont je
viens de parler , et d'entrer par là dans la
Place.
L'entreprise étoit des plus témeraires.
Le Roc en question de cent toises de
hauteur , est non- seulement escarpé et
coupé en précipice , mais son pied est
ordinairement battu de vagues de
la Mer , excepté quatre ou cinq fois de
l'année , au temps des plus basses Marées;
alors durant quelques heures seulement
1. Vol
2556 MERCURE DE FRANCE
la Mer laisse un certain espace sec au
pied du Rocher, ce qui arrive quelquefois la nuit et quelquefois le jour,
Boisrozé devoit executer son dessein
dans l'un de ces intervales , assez incer
tains , et pour cela il se munit d'un Cable
de longueur convenable pour le Roc qu'il
vouloit gravir, et à icelui d'espace en espace,
fut fairedes noeuds pour se tenir des mains, et
des étriers de corde avec de petits bâtons
pour y apposer les pieds. Avec cet appareil il s'embarqua lui et ses Gens dans
deux Chalouppes et vint par une nuit fort
noire , aborder le plus près du Roc que
la bassesse de l'eau put le lui permettre.
Sur le haut de ce Roc logeoit dans quel
que Hute l'un des deux Soldats gagnez ,
et il veilloit exactement à toutes les basses marées , pour entendre le signal dont
on étoit convenu, Il ne fut donc pas difficile, au moyen de ce signal, de jetter une
corde à l'extremité de laquelle fut attaché le bout du gros cable , que le Soldat
tira incontinent à lui. Le bout du cable
étoit muni d'un crampon de fer qui fut
aussi-tôt attaché dans l'entre- deux, d'une
canoniere avec un gros levier.
Après avoir tiré et ébranlé plusieurs
fois le cable pour s'assurer de la solidité
d'une Echelle si périlleuse , Boisrosé fit
--- I. Vol. d'abord,
DECEMBRE. 1732. 2557
d'abord monter l'un des deux Sergens
du nombre des so. hommes , auquel il
se fioit le plus , et l'ayant fait suivre par
tous les autres , il monta lui- même tout
le dernier , afin que nul ne s'en pût dédire
et qu'il leur servit de chasse-avant.
Cette précaution étoit nécessaire , car,
dans le temps qu'il fallut employer pour
placer les so. hommes sur cette corde er
à monter les uns après les autres avec
leurs armes bien attachées autour du
corps , la marée avoit commencé de revenir et elle étoit déja à six pieds de
hauteur contre le Rocher , que Boisrozé
et les Siens n'étoient encore qu'à moitié
chemin ; desorte qu'étant ainsi pendus et
comme enfilez à ce cable , il ne leur restoit plus aucune esperance de salut que
par la prise de la Place. Boisrozé , armé
d'un courage intrépide et bien résolu de
mourir plutôt que de reculer , la tenoit
toûjours pour indubitable , lorsque le Sergent qui montoit le premier , soit à cause de l'extreme hauteur où il étoit parvenu , soit à cause du bruit des vagues
qui venoient se briser contre le Roc
commença de s'effrayer , à dire que la
tête lui tournoit , et qu'il étoit impossi
ble de monter plus haut.
Cet incident étant rapporté de bouche
1- Vol.... ...cn
2558 MERCURE DE FRANCE
en bouche à Boisrozé ; celui cy après
avoir tenté inutilement de faire rassurer
son homme, prit la résolution de l'aller
joindre lui- même , et passant par- dessus
les corps et les têtes de ses Compagnons
suspendus en l'air , il parvint jusqu'à lui
et le rassura aucunement ; puis le poignard à la main , il le contraignit de continuer à monter , tant qu'enfin le jour
étant prêt à paroître ils parvinrent tous
sur le haut du Rocher sans autre inconvenient. Ils furent incontinent reçûs par
les deux Soldats , et connoissant tous ensemble les êtres et les avenues du Fort , ils
surprirent facilement le Corps de Garde
et les Sentinelles qui étoient du côté de
la Ville , car on ne faisoit aucune gardedu côté de la Mer estimé inaccessible, On
fit main bisse sur eux , et on tailla
en pieces tout ce qui vint successivement
au secours ; enfin Boisrozé se rendït le
maître du Fort , de quoi il avertit aussitôt M. de Villars , tant pour lui deLe P. Daniel dit que Boisrozé mécontent de
Villars , surprit Fécamp et s'y retrancha si bien que
ce Gouverneur , qui vint l'y attaquer , ne put le
forcer, &c.
L'Auteur se trompe et confond ici les choses ,
étant bien certain que Boisrozé ne fit son Expedition de Fécamp, qu'en faveur de la Ligue et de
M. de Villars , et que sa brouillerie avec ce Ge
meral n'arriva que dans la suite , &c. ·
DECEMBRE. 1732. 2559.
mander du monde , afin de se saisir de
la Ville et de pouvoir la garder , que
pour s'assurer du Gouvernement de la
Place , qu'il croyoit avoir bien mérité.
:
Vous jugés bien , M. que ce General ne
lui refusa rien mais j'apprends au même,
endroit que dans la suite Boisrosé s'étant
brouillé avec lui , et craignant toujours
de perdre son Gouvernement , il se donna entierement au Roi , et ne voulut plus
reconnoître les ordres de M. Villars. Ce
General le fit investir et le resserra si fort
dans Fecamp , que le Roi , dont le nouveau Gouverneur implorà le secours ,
vint en personne le dégager , en contraignant les Troupes de la Ligue de se retirer , et en donnant tous les ordres néces
saires pour la conservation du Fort de
Fécamp, dont ce grand Prince reconnois
soit l'importance.
Boisrozé en étoit donc paisible Gouver
neur , lorsque le Marquis de Rosny- traitoit de la réduction de toute la Normandie avec M. de Villars , et qu'il fut obligé de passer au nom du Roi toutes les
conditions qu'on éxigeoit , à l'exception
des trois dont il est parlé ci-dessus. Vous
vous souvenez , Monsieur , que la considération particuliere de Boisrozé formoit
la troisième , et vous voyez à présent que
I. Vol. CO
2560 MERCURE DE FRANCE
ce n'est pas sans raison , M. de Rosny
trouvant de l'injustice de déplacer un si
brave homme, et ne pouvant se résoudre
de le faire de son chef. Ii fallut cependant y venir , le Roi , à qui les trois articles furent renvoyés , n'hesita pas de
les passer pour parvenir à un si grand
bien. Je ne vous dis rien du bruit qu'en
fir Boisrozé , vous en sçavez assez par le
récit de l'avanture de Louviers. Le bon
homme , plein de son ressentiment, ignoroit alors tout ce que M. de Rosny
avoit fait pour le maintenir dans son
poste.
Au reste , dès que le Traité eut été ar
rêté et signé , M. de Rosny en écrivit de
Rouen une Lettre au Roi , dont je ne
rapporterai ici que le commencement
pour abreger.
SIRE ,
-La bonté de Dieu , votre vertu et votre
fortune , ont tellement fortifié mon courage
et bien heuré mon entremise , queje vous puis
maintenant nommer Ducpaisible de toute la
Normandie , &c.
dit
Le Roi ayant reçû cette Lettre , répon
par le même Courrier , et de sa propre main , au Marquis de Rosny, de la maniere qui suit.
İvel. MON-
DECEMBRE. 1732. 2561
MONSIEUR,
J'ai vû > tant par votre derniere Lettre
que par vos précedentes , les signalez servi➡
ces que vous m'avez rendus pour la Rêduction entiere de la Normandie en mon obeissance , lesquels j'appellervis volontiers des
miracles , si je ne sçavois bien que l'on nè
donne point ce titre aux choses tantjourna
lieres et ordinaires , que me sont les preuves
par effet de votre loyale affection , laquelle
aussi je n'oublieraijamais , &c. Adieu mon
Ami. De Senlis , le 14. Mars 1594
HENRY.
Je finis ici ma Lettre , Monsieur, pour
ne plus vous parler de l'Abbaye de
S.Taurin, ni du sieur de Boisrozé. Il falloit
vous faire ce détail pour répondre perti
nemment à votre premiere question , et
ne vous laisserrien ignorer sur une matiere qui entre si naturellement dans l'éxecution du projet d'Histoire que vous avez formé.
J'ai mes Mémoires prêts pour répondre
à vos autres demandes au sujet du Marquis de Rosny , et je n'oublierai pas ceque vous me marqués en dernier lieu sur
les variations et sur les méprises de l'Auteur du Poëme de la Ligue , ou la Hen- I. Vol. riade
2562 MERCURE DE FRANCE riade , par rapport à ce Seigneur. Je suis
toujours , &c.
AParis , le 20 Mars 1732.
M. D L. R. à M. A. C. D. V. au
sujet du Marquis de Rosny , depuis Duc
de Sully , &c. contenant quelques Remarques Historiques.
A
Vant que de répondre , Monsieur ,
aux autres demandes que vous me
faites au sujet du Marquis de Rosny.
j'ay encore quelque chose à vous dire
sur votre premiere question concernant
l'Abbaye de S. Taurin , que ce Seigneur
a possedée par la nomination du Roy
Henry III . Outre la double preuve que
je vous ai apportée de ce fait dans mapremiere Lettre , en voici encore deux autres
qu'il est bon de ne pas omettre.
La premiere est dans le XLI. Chapitre du I. Vol. des Memoires de
Sully. On voit sur la fin de ce Chapitre
que le Marquis de Rosny étant allé à sa
Terre de Bontin pour quelques affaires
domestiques , le Roy lui écrivit la Lettre
qui suit , pour le faire revenir à Fon- tainebleau.
Mon Ami, je ne vous avois donné congé
que pour dix jours , et neanmoins ily ena
1. Vol. déja
DECEMBRE. 1732. 2551 7
déja quinze que vous êtes partis ce n'estpas
votre coutume de manquer à ce que vous
promettez , ni d'être paresseux : partant revenez-vous-en me trouver , c'est chose necessaire pour mon service , tant pour voir
des Lettres que Madame de Simiers et un
nommé la Font (qui , à mon avis , est celui
de qui vous sçaviez des nouvelles durant
notre grand Siege ) qui vous écrivent de
Rouen, lesquelles sont en chiffres ; et par si
peu que nous en avons pu déchiffrer ( car
je les ai fait ouvrir ) nous jugeons qu'elles
importent à mon service. Il y en a encore.
une d'un nommé Desportes , qui demeure à
Verneuil, lequel vous prie de lui mander
s'il sera le bien venu pour vous parler d'une
chose dont vous conferâtes une fois ensemble.
à Evreux dans votre Abbaye de S. Taurin , que le feu Roy vous donna. J'ay aussi
plusieurs choses à vous dire , et s'en présente tous les jours une infinité sur lesquelles
je serai bien aise de prendre vos avis , comme j'ai fait sur beaucoup d'autres , dont je
me suis bien trouvé. Partant , partez en diligence et me venez trouver à Fontainebleau,
Adieu. Ce 3. Septembre 1593.
Vous voyez , Monsieur , dans cette Lettre le fait en question constaté de la main
du Roy ; on y voit aussi que le Marquis
de Rosny se retiroit quelquefois à saint
VI. Vel By Taurin
2552 MERCURE DE FRANCE
Taurin d'Evreux , pour gouter dans une
agréable solitude le repos qu'il ne trouvoit pas ailleurs , et qui ne laissoit pas
d'être encore interrompu dans cette Âbbaye par les affaires importantes qui le
sùivoient par tout.
L'autre preuve se trouve dans le même
premier Vol. des Memoires, Chap. XLVI.
où il est traité de la Négociation que
M. de Rosny fit à Rouen avec Amiral
de Villars , pour la réduction de toute
la Normandie. On voit là qu'entre autres demandes que faisoit cet Amiral de
là Ligue , il voulut avoir les Abbayes de
Jumieges, de Tiron , de Bomport , de
Valasse et de S. Taurin : les Memoires
ne disent point si c'étoit pour lui-même
ou pour ses amis qu'il faisoit cette de-,
mande , mais les Auteurs qui ont écrit
ces Memoires , et qui , comme vous sçavez , adressent toûjours la parole au Marquis de Rosny , leur Maître , s'expriment
én ces termes sur cet article.
De tous lesquels points dans quatre jours
vons convintes ensemble et en demeurâtes
d'accord , voire de S. Taurin , quoique
l'Abbayefût à vous.
Cela , au reste , ne fut pas un simple
projet , l'execution suivit et se trouve confirmée par le discours que tint M. de,
1. Vol A.,Rosny
DECEMBRE. 1732. 255 3
Rosny au sieur de Boisrosé , que vous
avez lû dans ma précédente Lettre ; ainsi
il est démontré non- seulement que ce
Seigneur a été Abbé de S. Taurin d'Evreux ; mais on sçait à peu près le temps.
et à quelle occasion il eut la generosité
de se dépouiller de cette Abbaye. 2
On apprend dans le même endroit que
quelque ample pouvoir qu'eût le Marquis de Rosny de traiter avec M. de Villars , pour l'entiere réduction de la Normandie , il y eut cependant trois Articles
sur lesquels il ne voulut rien prendre
sur lui.
Les deux premiers concernoient M. de
Montpensier et M. de Biron , et le troi,
siéme regardoit le sieur de Boisrozé , à
cause , disent les Memoires , de la baute
qualité des deux premiers , et de l'injustice
qu'il sembloit y avoir en l'autre. Sur quoi
M. de Rosny desira avoir un ordre particulier de la propre main du Roy, &c.
Vous êtes , sans doute surpris , Monsieur , de voir ici les petits interêts d'un
simple Gouverneur de Fécamp , mêlez
avec ceux d'un Prince du Sang , Gouverneur de Normandie et avec ceux de M. de
Biron , que le Roy avoit fait depuis peu
Amiral de France , Charge que M. de
Villars vouloit garder pour lui-même , les
2.1. Vol. B vj interêts
2554 MERCURE DE FRANCE
intetêts , dis-je , du sieur de Boisrozé
dont l'avanture vous a réjoui dans me
premiere Lettre , faire un objet considerable dans la Négociation d'un Traité si
important.
Cela a besoin d'un petit Commentaire.
Je vais vous le faire d'autant plus volontiers , qu'après avoir un peu maltraité,
ce me semble , se pauvre Gentilhomme
( en vous parlant de l'avanture de Louviers ) je profiterai de l'occasion pour le
réhabiliter dans votre esprit , en vous le
montrant par le plus bel endroit , et je
vous exposerai en même- temps un trait
de hardiesse et de valeur peu commune
qui mérite d'être distingué dans notre
Histoire, et que je trouve peu exactement *
par Mezeray et par le P. Daniel.
Je trouve ce fait dans le XLIII. Chapitre des Memoires, intitulé : Affaires Mi
litaires et d'Etat. J'en abregerai la narration tant que je pourrai,sans en rien omettre d'essentiel.
narré
Fécamp est une petite Ville Maritime
de la Haute Normandie , située à 15.
* Mezeray a défiguré jusqu'au nom de ce brave
homme, qu'il appelloit Bosc Rosé, il lui rend d'ailleurs justice sur sa valeur. Il s'étoit auparavant
très- distingué dans Roïen assiegé par l'Armée da Roy en 1992.
1. Fol. lieües
DECEMBRE. 1732. 2555
lieuës de Rouen vers le Couchant , à 8.
du Havre de Grace , et à 12 de Dieppe.
Elle étoit munie alors d'une bonne For
teresse , qu'on appelle aujourd'hui le
Château , élevé sur un Rocher escarpé
qui regarde la Mer. Boisrozé étoit dans.
la Place, lorsque M. de Biron l'assiegea et
la prit sur ceux de la Ligue. Avant que
d'en sortir il forma le dessein de la reprendre et il s'y prit de la maniere qui
suit. Après avoir bien instruit deux Soldats de la valeur et de la fidelité desquels
il étoit assuré , il trouva le moyen de
les faire entrer et admettre parmi ceux
de la Garnison. De son côté il s'assura
de so. autres Soldats ou Matelots , des
plus déterminez et des plus experts au
métier de grimper aux Hunes par les
cordages , &c. son dessein étoit d'escalader lui et les siens , le Rocher dont je
viens de parler , et d'entrer par là dans la
Place.
L'entreprise étoit des plus témeraires.
Le Roc en question de cent toises de
hauteur , est non- seulement escarpé et
coupé en précipice , mais son pied est
ordinairement battu de vagues de
la Mer , excepté quatre ou cinq fois de
l'année , au temps des plus basses Marées;
alors durant quelques heures seulement
1. Vol
2556 MERCURE DE FRANCE
la Mer laisse un certain espace sec au
pied du Rocher, ce qui arrive quelquefois la nuit et quelquefois le jour,
Boisrozé devoit executer son dessein
dans l'un de ces intervales , assez incer
tains , et pour cela il se munit d'un Cable
de longueur convenable pour le Roc qu'il
vouloit gravir, et à icelui d'espace en espace,
fut fairedes noeuds pour se tenir des mains, et
des étriers de corde avec de petits bâtons
pour y apposer les pieds. Avec cet appareil il s'embarqua lui et ses Gens dans
deux Chalouppes et vint par une nuit fort
noire , aborder le plus près du Roc que
la bassesse de l'eau put le lui permettre.
Sur le haut de ce Roc logeoit dans quel
que Hute l'un des deux Soldats gagnez ,
et il veilloit exactement à toutes les basses marées , pour entendre le signal dont
on étoit convenu, Il ne fut donc pas difficile, au moyen de ce signal, de jetter une
corde à l'extremité de laquelle fut attaché le bout du gros cable , que le Soldat
tira incontinent à lui. Le bout du cable
étoit muni d'un crampon de fer qui fut
aussi-tôt attaché dans l'entre- deux, d'une
canoniere avec un gros levier.
Après avoir tiré et ébranlé plusieurs
fois le cable pour s'assurer de la solidité
d'une Echelle si périlleuse , Boisrosé fit
--- I. Vol. d'abord,
DECEMBRE. 1732. 2557
d'abord monter l'un des deux Sergens
du nombre des so. hommes , auquel il
se fioit le plus , et l'ayant fait suivre par
tous les autres , il monta lui- même tout
le dernier , afin que nul ne s'en pût dédire
et qu'il leur servit de chasse-avant.
Cette précaution étoit nécessaire , car,
dans le temps qu'il fallut employer pour
placer les so. hommes sur cette corde er
à monter les uns après les autres avec
leurs armes bien attachées autour du
corps , la marée avoit commencé de revenir et elle étoit déja à six pieds de
hauteur contre le Rocher , que Boisrozé
et les Siens n'étoient encore qu'à moitié
chemin ; desorte qu'étant ainsi pendus et
comme enfilez à ce cable , il ne leur restoit plus aucune esperance de salut que
par la prise de la Place. Boisrozé , armé
d'un courage intrépide et bien résolu de
mourir plutôt que de reculer , la tenoit
toûjours pour indubitable , lorsque le Sergent qui montoit le premier , soit à cause de l'extreme hauteur où il étoit parvenu , soit à cause du bruit des vagues
qui venoient se briser contre le Roc
commença de s'effrayer , à dire que la
tête lui tournoit , et qu'il étoit impossi
ble de monter plus haut.
Cet incident étant rapporté de bouche
1- Vol.... ...cn
2558 MERCURE DE FRANCE
en bouche à Boisrozé ; celui cy après
avoir tenté inutilement de faire rassurer
son homme, prit la résolution de l'aller
joindre lui- même , et passant par- dessus
les corps et les têtes de ses Compagnons
suspendus en l'air , il parvint jusqu'à lui
et le rassura aucunement ; puis le poignard à la main , il le contraignit de continuer à monter , tant qu'enfin le jour
étant prêt à paroître ils parvinrent tous
sur le haut du Rocher sans autre inconvenient. Ils furent incontinent reçûs par
les deux Soldats , et connoissant tous ensemble les êtres et les avenues du Fort , ils
surprirent facilement le Corps de Garde
et les Sentinelles qui étoient du côté de
la Ville , car on ne faisoit aucune gardedu côté de la Mer estimé inaccessible, On
fit main bisse sur eux , et on tailla
en pieces tout ce qui vint successivement
au secours ; enfin Boisrozé se rendït le
maître du Fort , de quoi il avertit aussitôt M. de Villars , tant pour lui deLe P. Daniel dit que Boisrozé mécontent de
Villars , surprit Fécamp et s'y retrancha si bien que
ce Gouverneur , qui vint l'y attaquer , ne put le
forcer, &c.
L'Auteur se trompe et confond ici les choses ,
étant bien certain que Boisrozé ne fit son Expedition de Fécamp, qu'en faveur de la Ligue et de
M. de Villars , et que sa brouillerie avec ce Ge
meral n'arriva que dans la suite , &c. ·
DECEMBRE. 1732. 2559.
mander du monde , afin de se saisir de
la Ville et de pouvoir la garder , que
pour s'assurer du Gouvernement de la
Place , qu'il croyoit avoir bien mérité.
:
Vous jugés bien , M. que ce General ne
lui refusa rien mais j'apprends au même,
endroit que dans la suite Boisrosé s'étant
brouillé avec lui , et craignant toujours
de perdre son Gouvernement , il se donna entierement au Roi , et ne voulut plus
reconnoître les ordres de M. Villars. Ce
General le fit investir et le resserra si fort
dans Fecamp , que le Roi , dont le nouveau Gouverneur implorà le secours ,
vint en personne le dégager , en contraignant les Troupes de la Ligue de se retirer , et en donnant tous les ordres néces
saires pour la conservation du Fort de
Fécamp, dont ce grand Prince reconnois
soit l'importance.
Boisrozé en étoit donc paisible Gouver
neur , lorsque le Marquis de Rosny- traitoit de la réduction de toute la Normandie avec M. de Villars , et qu'il fut obligé de passer au nom du Roi toutes les
conditions qu'on éxigeoit , à l'exception
des trois dont il est parlé ci-dessus. Vous
vous souvenez , Monsieur , que la considération particuliere de Boisrozé formoit
la troisième , et vous voyez à présent que
I. Vol. CO
2560 MERCURE DE FRANCE
ce n'est pas sans raison , M. de Rosny
trouvant de l'injustice de déplacer un si
brave homme, et ne pouvant se résoudre
de le faire de son chef. Ii fallut cependant y venir , le Roi , à qui les trois articles furent renvoyés , n'hesita pas de
les passer pour parvenir à un si grand
bien. Je ne vous dis rien du bruit qu'en
fir Boisrozé , vous en sçavez assez par le
récit de l'avanture de Louviers. Le bon
homme , plein de son ressentiment, ignoroit alors tout ce que M. de Rosny
avoit fait pour le maintenir dans son
poste.
Au reste , dès que le Traité eut été ar
rêté et signé , M. de Rosny en écrivit de
Rouen une Lettre au Roi , dont je ne
rapporterai ici que le commencement
pour abreger.
SIRE ,
-La bonté de Dieu , votre vertu et votre
fortune , ont tellement fortifié mon courage
et bien heuré mon entremise , queje vous puis
maintenant nommer Ducpaisible de toute la
Normandie , &c.
dit
Le Roi ayant reçû cette Lettre , répon
par le même Courrier , et de sa propre main , au Marquis de Rosny, de la maniere qui suit.
İvel. MON-
DECEMBRE. 1732. 2561
MONSIEUR,
J'ai vû > tant par votre derniere Lettre
que par vos précedentes , les signalez servi➡
ces que vous m'avez rendus pour la Rêduction entiere de la Normandie en mon obeissance , lesquels j'appellervis volontiers des
miracles , si je ne sçavois bien que l'on nè
donne point ce titre aux choses tantjourna
lieres et ordinaires , que me sont les preuves
par effet de votre loyale affection , laquelle
aussi je n'oublieraijamais , &c. Adieu mon
Ami. De Senlis , le 14. Mars 1594
HENRY.
Je finis ici ma Lettre , Monsieur, pour
ne plus vous parler de l'Abbaye de
S.Taurin, ni du sieur de Boisrozé. Il falloit
vous faire ce détail pour répondre perti
nemment à votre premiere question , et
ne vous laisserrien ignorer sur une matiere qui entre si naturellement dans l'éxecution du projet d'Histoire que vous avez formé.
J'ai mes Mémoires prêts pour répondre
à vos autres demandes au sujet du Marquis de Rosny , et je n'oublierai pas ceque vous me marqués en dernier lieu sur
les variations et sur les méprises de l'Auteur du Poëme de la Ligue , ou la Hen- I. Vol. riade
2562 MERCURE DE FRANCE riade , par rapport à ce Seigneur. Je suis
toujours , &c.
AParis , le 20 Mars 1732.
Fermer
Résumé : SECONDE LETTRE DE M. D. L. R. à M. A. C. D. V. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques.
La lettre de M. D L. R. à M. A. C. D. V. traite de la possession de l'Abbaye de Saint-Taurin par le Marquis de Rosny, devenu Duc de Sully. L'auteur répond à une question concernant cette abbaye, dont la possession par le Marquis de Rosny a été confirmée par la nomination du roi Henri III. Deux preuves sont fournies pour étayer ce fait. La première est une lettre du roi Henri III, datée du 3 septembre 1593, où le roi demande au Marquis de Rosny de revenir à Fontainebleau pour des affaires importantes, mentionnant explicitement l'Abbaye de Saint-Taurin. La seconde preuve se trouve dans les Mémoires de Sully, où il est question d'une négociation à Rouen avec l'Amiral de Villars pour la réduction de la Normandie. L'Amiral demandait plusieurs abbayes, dont celle de Saint-Taurin, confirmant ainsi la possession du Marquis de Rosny. La lettre détaille également une négociation complexe où le Marquis de Rosny refusait de prendre des décisions sur trois articles sans un ordre particulier du roi. L'un de ces articles concernait le sieur de Boisrosé, gouverneur de Fécamp. L'auteur narre ensuite une expédition audacieuse de Boisrosé pour reprendre Fécamp, malgré les dangers et les obstacles. Cette action est décrite en détail, soulignant le courage et la détermination de Boisrosé. Par ailleurs, une autre correspondance, datée du 14 mars 1594, montre le roi Henri IV exprimant sa gratitude au Marquis de Rosny pour ses services dans la réduction de la Normandie. Le roi qualifie ces services de 'miracles' en raison de leur efficacité et de leur régularité. La lettre du roi a été écrite de Senlis. Un autre correspondant, écrivant en mars 1732, mentionne la fin d'une lettre concernant l'Abbaye de Saint-Taurin et le sieur de Boisrozé, et indique qu'il a des mémoires prêts pour répondre à d'autres demandes concernant le Marquis de Rosny. Il fait également référence aux variations et méprises de l'auteur du poème 'La Ligue' ou 'La Henriade' par rapport au Marquis de Rosny.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
14
p. 2581-2588
SIXIÈME Lettre écrite par M. D. L. R. à M. le Marquis de B. au sujet de la Conquête d'Oran, &c.
Début :
Je n'ai pas conjecturé juste, Monsieur, quand je vous ai marqué par ma derniere Lettre que [...]
Mots clefs :
Conquête d'Oran, Château de Sainte Croix, Royaume d'Alger, Marquis de Santa Cruz, Chevalier Wogan, Maures, Troupes, Provisions, Secours
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SIXIÈME Lettre écrite par M. D. L. R. à M. le Marquis de B. au sujet de la Conquête d'Oran, &c.
SIXIE'ME Lettre écrite par M. D. L. R.
à M. le Marquis de B. au sujet de la
Conquête d'Oran , &c.
JT
E n'ai pas conjecturé juste , Monsieur , quand
je vous ai marqué par ma derniere Lettre que
je ne croyois pas d'avoir rien à vous écrire au
sujet d'Oran avant le Printemps prochain ; les
apparences étoient telles , mais l'Evenement a
détruit les apparences : Les Maures se sont mis
en campagne pour executer de grands projets ,
ils veulent batailler en plein hyver, d'un côté devant Oran , de l'autre devant Ceuta ; il faut vous
rendre compte de leurs Operations ; elles sont
yenues depuis peu à ma connoissance par plu- I. Vol. sieurs
2582 MERCURE DE FRANCE
sieurs Lettres écrites d'Espagne et d'Affrique,
Vous sçavez , Monsieur , qu'Oran et Marsalquibir ont fait partie du Royaume d'Alger , et
quelle a été la consternation de la Ville d'Alger
et de tout le Païs , lors de la prise de ces deux
Places par l'armée du Roy d'Espagne. La retraite
de cette Armée , le départ de la Flote , la mort
du vieux Dey d'Alger , âgé de 88. ans auquel a
succedé le Khaznadar ou Trésorier de la Régence , tout cela ensemble a fait cesser la consternation ; les Maures ont repris courage et paroissent disposez à faire de grands efforts pour
reprendre les Places conquises et chasser entierement les Espagnols des Côtes d'Affrique.
Dabord cette Régence a envoyé un secours
considerable au Dey Bigotillos , qu'on dit être
un Renegat Catalan , cy-devant Gouverneur d'Oran , lequel pendant une partie du mois de Septembre à fort inquieté la Garnison , occupée aux
nouvelles Fortifications de cette Place. Les escarmouches ont été fréquents , toûjours avec grande perte du côté des Maures , qui cependant ont
reçû d'autres renforts , et enfin ils se sont trouvez
en état de commencer le Siege d'Oran avec deux
Armées , dont l'une est commandée par Bigotillos , et l'autre par le fils du dernier Dey d'Alger, qui est Aga des Spahis , ou Commandant de
la Cavalerie.
Leurs premieres vûës ont été de surprendre
quelques-uns des principaux Châteaux qui envi
ronnent la Place et dont vous connoissez la si
tuation et l'importance par le Plan general d'O
ran et de Marsalquibir , que je vous ai envoyé.
Le Marquis de Santa- Cruz a pris là - dessus toutes
les précautions necessaires, et a fait les plus sages
dispositions pour la conservation de ces Forts.
1. Vol. Le
DECEMBRE. 1732. 2583
Le dernier jour du mois de Septembre , les
Maures , suivant le projet que je viens de dire ,
ayant formé un Corps considerable , tenterent de
couper la communication de la Place avec le Fort
de S. Philippe , ils y vinrent dabord avec une
grande intrépidité , mais ils furent repoussez par
un Détachement de Grenadiers , et enfin entierement chassez par un Détachement de Cavalerie. L'action fut des plus vives , les Maures y
perdirent près de deux mille hommes , sans les
blessez. Les Espagnols n'eurent que huit hommes
de tuez et quelques blessez.
Le 4. d'Octobre il se donna un combat plus
considerable , à l'occasion d'un convoy que le
Marquis de Santa- Cruz voulut faire entrer dans le
Fort de Sainte- Croix, et qui y entra effectivement.
Toutes les circonstances de cette Action sont remarquables et interessantes ; je suis assuré , Monsieur, que vous me sçaurez bon gré de vous en ap- prendre le détail , au risque d'allonger un peu ma Lettre. Le voici tel qu'il a été envoyé à la Cour,
et conforme à toutes mes Lettres particulieres.
Le Chevalier Wogan , Colonel de jour , ( 4.
Octobre ) sortit vers les cinq heures du ma- tin , à la tête d'un Détachement composé de plusieurs Compagnies de Grenadiers et de quelques
Compagnies de Cavalerie pour escorter un grand Convoi de Vivres et de Munitions , que le Mar
quis de Santa-Cruz envoyoit au Château de Sainte-Croix , qui domine la Ville d'Oran , tous les Châteaux voisins et même l'entrée du Port. Il y
avoit près d'un mois que Bigotillos , cy-devant
Gouverneur d'Oran, assiegeoit ce Château, ayant
placé ses Batteries sur la Mezeta , Montagne fort
élevée et à une portée de fusil , mais séparée du
Château par une gorge très-profonde et très- es- I. Vel. carpée.
2584 MERCURE DE FRANCE
carpée. Cette Batterie avec déja fait une breche
considerable à la muraille du Château ; mais la
breche étant inutile aux ennemis , à cause des Rochers escarpez qui se trouvoient entre leur Camp
et le Château , Bigotillos prit le parti d'appliquer
le Mineur à l'autre côté du demi- Bastion qu'il
avoit battu en breche : les Mines ne firent aucun
effet , parce qu'elles ne penetroient pas le Roc ,
plusieurs assauts qu'il voulut donner par escalade,
firent périr près de 10000. Turcs ou Algeriens ,
fils de Turcs.
Cependant la Garnison Espagnole du Château de Sainte-Croix , qui n'est que de 5oo. hommes,
étoit considerablement diminuée par toutes ces
attaques ; et manquant de tout , elle auroit été
obligée de se rendre. C'est ce qui détermina le
Marquis de Santa- Cruz à tout risquer pour la
secourir ; ainsi avant que de faire sortir le Détachement commandé par le Chevalier de Wogan , il fit faire une fausse attaque du Fort de
S. Philippe sur la batterie des Retranchemens du
fils du Dey d'Alger , qui étoit à la droite de la
tranchée des Ennemis , afin d'y attirer les Troupes de Bigotillos et de dégarnir son poste de la
gauche. Pendant le feu continuel de cette fausse
attaque , le Chevalier de Wogan , Colonel Commandant du Détachement , fit avancer quatre
Compagnies de Grenadiers sur la demi Côte entre
les Châteaux de S. Gregoire et de Sainte Croix ,
pour arrêter ceux qui tenteroient de couper le
Convoy par en haut. Il envoya deux autres Compagnies au bas du Rocher qui est au pied du dernier de ces deux Châteaux , et il marcha ensuite
en bataille avec le reste de son Détachement , occupant toute la Plaine par son front jusqu'au
bord du Baranco , gorge profonde , où les Mau- - Vol. *CS
DECEMBRE. 1732. 2585
res et les Turcs se tenoient ordinairement en
embuscade.
Vers les sept heures du matin , la tête du Convoy s'étant avancée jusqu'à Sainte- Croix , quelques Compagnies de la Garnison de ce Château ,
sortirent pour renforcer l'Escorte , et se posterent sous le Canon du demi- Bastion , qui fit un
feu si continuel et si violent , que les Maures en
furent épouventez , et s'il eût été permis au Chevalier de Wogan de contrevenir aux ordres du
Marquis de Santa-Cruz, et de passer les bords du
Baranco , on ne doute point qu'il ne les`eût chassez de leur retranchement, et qu'il n'eût pû jetter
leur batterie dans les précipices; mais le Marquis de Santa Cruz n'avoit d'autre vûé que de secou
rir le Fort sans rien risquer ; cependant les En- nemis voyant qu'on ne tentoit pas de passer le
Baranco , revinrent y planter leurs Etendarts par
maniere de défi , et il y eut pendant une heure un
feu continuel de Mousqueterie , qui leur tua plus
de 1000 ou 1200. hommes. Bigotillos ayant fait
revenir une partie de ses Troupes , que la fausse attaque du Fort S. Philippe avoit attirée , se dé- termina à traverser la gorge du Baranco. Alors
le Chevalier de Wogan fit marcher deux Compagnies de Grenadiers pour occuper le passage de cette gorge , par lequel les Maures auroient pu couper le Convoy, ils commencerent à entrer dans
Sainte Croix , ce qui obligea Bigotillos à changer de dessein , quoique ses Troupes qui étoient
alors dans la gorge, montassent à plus de 15000
hommes , et après avoir essuyé plusieurs déchar ges de l'Artillerie du Fort , il alla se mettre à
couvert derriere les Rochers qui sont au - dessous
du Château , d'où les bombes qu'on y rouloit ,
obligerent les Maures de se retirer et de remonter i. Vol.
wyers
2585 MERCURE DE FRANCE
vers leur batterie , dont un coup de Canon bles
sa un Officier Espagnol et couvrit de poussiere le Chevalier de Wogan.
Vers les neuf heures du matin , toutes les voitures du Convoi étant retournées à Oran , après
avoir déchargé leurs provisions dans le Fort de
Sainte Croix , la Cavalerie du Détachement se
mit en bataille du côté de la Marine , pour soutenir l'Infanterie voisine dans sa retraite. Le
Chevalier deWogan reçut en cet endroit un coup
de fusil qui l'obligea de se retirer et de laisser le
commandement au Marquis de Turbilly , son
Lieutenant Colonel ; il étoit resté vers le Rocher
de Sainte- Croix six Compagnies de Grenadiers ,
dont trois devoient rentrer dans le Château, et les
trois autres retourner à Oran avec le reste du Détachement.
La Cavalerie , par un ordre mal entendu , commençoit déja à défiler , et ne pouvoit plus les secourir , desorte que ces Compagnies furent obligées de lâcher pied et de se retirer en confusion,
trois sous le Canon de Sainte Croix et le reste du
côté du Fortin de la Marine. Un Capitaine du
Régiment de Dragons de Belgia , nommé le Chevalier de Wuilts , au desespoir de voir les Maures
courir la Plaine impunément , s'avança à la tête
de 30. de ses Dragons , les arrêta pour quelque
temps, et après en avoir tué un grand nombre, et
perdu la moitié de sa Troupe , il se retira en bon ordre.
Les Maures , de leur côté , craignant une sortie
de la Garnison d'Oran , se retirerent par les Rochers de Sainte- Croix , où ils essuyerent tout le
feu de l'Artillerie du Château , et on compte que
pendant le défilé du Convoy , ils ont perdu prés
de 3000. hommes , parmi lesquels il y a cu 19.
" I. Vol.
Agas
DECEMBRE. 1732. 2587
Agas ou Officiers de distinction et un des fils de
Bigotillos. Cette journée a été très- glorieuse pour
les Espagnols , malgré la déroute des Compagnies
de Grenadiers qui n'ont pû faire assez iôt leur retraite.
Le Château de Sainte-Croix a présentement
en abondance toutes sortes de provisions et de munitions de guerre; l'entrée du Convoy a tellement déconcerté les Turcs et les Maures , que
malgré le cordon ou la ligne que Bigotillos avoit fait faire derriere son Camp , pour empêcher la
désertion , la plus grande partie de sa Cavalerie l'a abandonné. Le Détachement de la Garnison
d'Oran n'étoit en tout que de 1300. hommes.
L'Armée des Maures , dont ce Détachement a
soutenu les differentes attaques , étoit au moins de 17. à 18000. hommes.
On a appris par des Lettres posterieures , qu'on
avoit construit un Ouvrage entre le Château de
Sainte-Croix et celui de S. Gregoire , pour conserver la communication entre ces deux Forts ,
qu'on avoit introduit un nouveau secours dans le
premier , dont les Maures continuoient le Siege ,
mais avec moins de vigueur que cy-devant , qu'ils
avoient fait sauter une Mine qui n'avoit point endommagé la muraille , mais qui avoit tué trois
Mineurs d'une Contremine et blessé trois Grenadiers , qu'il n'y avoit que trois minutes que le
Marquis de Santa- Cruz et M. de la Croix , Commandant de l'Artillerie , étoient sortis de cette
Contremine , qu'ils étoient allé visiter ; que les
trois derniers jours du mois d'Octobre , l'Artil- lerie des Ennemis avoit fait peu de feu ; qu'on
avoit appris depuis que de trois grosses pieces de
Canons qu'ils avoient dans leur batterie de la
Mezetta , il y en avoit deux de crevées ; que les I. Vel, Maures
2588 MERCURE DE FRANCE
>
Maures qui font le Siege du Fort de S. Philippe ,
avoient cessé de tirer depuis cinq jours , ce qu'on
attribue au deffaut de Munitions et aux pluyes continuelles qui sont tombées pendant ce tempslà, et qui ont inondé toutes leurs tranchées ; enfin
que la Garnison avoit profité de ce temps pour
élever une nouvelle batterie , qui incommodoit
beaucoup les Ennemis , et que le fils du feu Dey
d'Alger, qui commande au Siege du Fort de
S. Philippe et qui s'en étoit absenté pendant
quelques jours , y étoit révenu
Cependant il est arrivé à Oran plusieurs secours de Troupes et de Provisions , ensorte qu'il
y a tout lieu d'esperer que les Maures , après
avoir perdu bien du monde , n'auront fait qu'une
tentative inutile et témeraire. Les principaux Algeriens sont convenus eux-mêmes en plein Divan, que sans le secours d'une Flote , qu'ils ne
sont pas en état d'équiper , il leur est absolument
impossible de reprendre cette Place. Il est vrai
que suivant les dernieres Lettres il avoit paru au commencement de Novembre aux environs d'Oran , huit ou neuf Vaisseaux de guerre d'Alger ;
mais ces Lettres ajoûtent que sur les premiers
avis , le Roy d'Espagne avoit envoyé des ordres précis aux Commandans de trois de ses Vaisseaux de guerre , de joindre trois autres
Vaisseaux de guerre de Malthe qui sont dans ces
Mers et d'aller attaquer conjointement les Vaisseaux Turcs; ensorte , Monsieur , que nous sommes actuellement dans l'attente de plusieurs nouvelles importantessur la suite des affaires d'Oran.
Je renvoye à une autre Lettre celles qui regardent Ceuta , pour ne point donner ici dans
une excessive longueur. J'ai l'honneur d'être, &c.
A Paris , le 22. Novembre 1732.
I. Vol.
R
à M. le Marquis de B. au sujet de la
Conquête d'Oran , &c.
JT
E n'ai pas conjecturé juste , Monsieur , quand
je vous ai marqué par ma derniere Lettre que
je ne croyois pas d'avoir rien à vous écrire au
sujet d'Oran avant le Printemps prochain ; les
apparences étoient telles , mais l'Evenement a
détruit les apparences : Les Maures se sont mis
en campagne pour executer de grands projets ,
ils veulent batailler en plein hyver, d'un côté devant Oran , de l'autre devant Ceuta ; il faut vous
rendre compte de leurs Operations ; elles sont
yenues depuis peu à ma connoissance par plu- I. Vol. sieurs
2582 MERCURE DE FRANCE
sieurs Lettres écrites d'Espagne et d'Affrique,
Vous sçavez , Monsieur , qu'Oran et Marsalquibir ont fait partie du Royaume d'Alger , et
quelle a été la consternation de la Ville d'Alger
et de tout le Païs , lors de la prise de ces deux
Places par l'armée du Roy d'Espagne. La retraite
de cette Armée , le départ de la Flote , la mort
du vieux Dey d'Alger , âgé de 88. ans auquel a
succedé le Khaznadar ou Trésorier de la Régence , tout cela ensemble a fait cesser la consternation ; les Maures ont repris courage et paroissent disposez à faire de grands efforts pour
reprendre les Places conquises et chasser entierement les Espagnols des Côtes d'Affrique.
Dabord cette Régence a envoyé un secours
considerable au Dey Bigotillos , qu'on dit être
un Renegat Catalan , cy-devant Gouverneur d'Oran , lequel pendant une partie du mois de Septembre à fort inquieté la Garnison , occupée aux
nouvelles Fortifications de cette Place. Les escarmouches ont été fréquents , toûjours avec grande perte du côté des Maures , qui cependant ont
reçû d'autres renforts , et enfin ils se sont trouvez
en état de commencer le Siege d'Oran avec deux
Armées , dont l'une est commandée par Bigotillos , et l'autre par le fils du dernier Dey d'Alger, qui est Aga des Spahis , ou Commandant de
la Cavalerie.
Leurs premieres vûës ont été de surprendre
quelques-uns des principaux Châteaux qui envi
ronnent la Place et dont vous connoissez la si
tuation et l'importance par le Plan general d'O
ran et de Marsalquibir , que je vous ai envoyé.
Le Marquis de Santa- Cruz a pris là - dessus toutes
les précautions necessaires, et a fait les plus sages
dispositions pour la conservation de ces Forts.
1. Vol. Le
DECEMBRE. 1732. 2583
Le dernier jour du mois de Septembre , les
Maures , suivant le projet que je viens de dire ,
ayant formé un Corps considerable , tenterent de
couper la communication de la Place avec le Fort
de S. Philippe , ils y vinrent dabord avec une
grande intrépidité , mais ils furent repoussez par
un Détachement de Grenadiers , et enfin entierement chassez par un Détachement de Cavalerie. L'action fut des plus vives , les Maures y
perdirent près de deux mille hommes , sans les
blessez. Les Espagnols n'eurent que huit hommes
de tuez et quelques blessez.
Le 4. d'Octobre il se donna un combat plus
considerable , à l'occasion d'un convoy que le
Marquis de Santa- Cruz voulut faire entrer dans le
Fort de Sainte- Croix, et qui y entra effectivement.
Toutes les circonstances de cette Action sont remarquables et interessantes ; je suis assuré , Monsieur, que vous me sçaurez bon gré de vous en ap- prendre le détail , au risque d'allonger un peu ma Lettre. Le voici tel qu'il a été envoyé à la Cour,
et conforme à toutes mes Lettres particulieres.
Le Chevalier Wogan , Colonel de jour , ( 4.
Octobre ) sortit vers les cinq heures du ma- tin , à la tête d'un Détachement composé de plusieurs Compagnies de Grenadiers et de quelques
Compagnies de Cavalerie pour escorter un grand Convoi de Vivres et de Munitions , que le Mar
quis de Santa-Cruz envoyoit au Château de Sainte-Croix , qui domine la Ville d'Oran , tous les Châteaux voisins et même l'entrée du Port. Il y
avoit près d'un mois que Bigotillos , cy-devant
Gouverneur d'Oran, assiegeoit ce Château, ayant
placé ses Batteries sur la Mezeta , Montagne fort
élevée et à une portée de fusil , mais séparée du
Château par une gorge très-profonde et très- es- I. Vel. carpée.
2584 MERCURE DE FRANCE
carpée. Cette Batterie avec déja fait une breche
considerable à la muraille du Château ; mais la
breche étant inutile aux ennemis , à cause des Rochers escarpez qui se trouvoient entre leur Camp
et le Château , Bigotillos prit le parti d'appliquer
le Mineur à l'autre côté du demi- Bastion qu'il
avoit battu en breche : les Mines ne firent aucun
effet , parce qu'elles ne penetroient pas le Roc ,
plusieurs assauts qu'il voulut donner par escalade,
firent périr près de 10000. Turcs ou Algeriens ,
fils de Turcs.
Cependant la Garnison Espagnole du Château de Sainte-Croix , qui n'est que de 5oo. hommes,
étoit considerablement diminuée par toutes ces
attaques ; et manquant de tout , elle auroit été
obligée de se rendre. C'est ce qui détermina le
Marquis de Santa- Cruz à tout risquer pour la
secourir ; ainsi avant que de faire sortir le Détachement commandé par le Chevalier de Wogan , il fit faire une fausse attaque du Fort de
S. Philippe sur la batterie des Retranchemens du
fils du Dey d'Alger , qui étoit à la droite de la
tranchée des Ennemis , afin d'y attirer les Troupes de Bigotillos et de dégarnir son poste de la
gauche. Pendant le feu continuel de cette fausse
attaque , le Chevalier de Wogan , Colonel Commandant du Détachement , fit avancer quatre
Compagnies de Grenadiers sur la demi Côte entre
les Châteaux de S. Gregoire et de Sainte Croix ,
pour arrêter ceux qui tenteroient de couper le
Convoy par en haut. Il envoya deux autres Compagnies au bas du Rocher qui est au pied du dernier de ces deux Châteaux , et il marcha ensuite
en bataille avec le reste de son Détachement , occupant toute la Plaine par son front jusqu'au
bord du Baranco , gorge profonde , où les Mau- - Vol. *CS
DECEMBRE. 1732. 2585
res et les Turcs se tenoient ordinairement en
embuscade.
Vers les sept heures du matin , la tête du Convoy s'étant avancée jusqu'à Sainte- Croix , quelques Compagnies de la Garnison de ce Château ,
sortirent pour renforcer l'Escorte , et se posterent sous le Canon du demi- Bastion , qui fit un
feu si continuel et si violent , que les Maures en
furent épouventez , et s'il eût été permis au Chevalier de Wogan de contrevenir aux ordres du
Marquis de Santa-Cruz, et de passer les bords du
Baranco , on ne doute point qu'il ne les`eût chassez de leur retranchement, et qu'il n'eût pû jetter
leur batterie dans les précipices; mais le Marquis de Santa Cruz n'avoit d'autre vûé que de secou
rir le Fort sans rien risquer ; cependant les En- nemis voyant qu'on ne tentoit pas de passer le
Baranco , revinrent y planter leurs Etendarts par
maniere de défi , et il y eut pendant une heure un
feu continuel de Mousqueterie , qui leur tua plus
de 1000 ou 1200. hommes. Bigotillos ayant fait
revenir une partie de ses Troupes , que la fausse attaque du Fort S. Philippe avoit attirée , se dé- termina à traverser la gorge du Baranco. Alors
le Chevalier de Wogan fit marcher deux Compagnies de Grenadiers pour occuper le passage de cette gorge , par lequel les Maures auroient pu couper le Convoy, ils commencerent à entrer dans
Sainte Croix , ce qui obligea Bigotillos à changer de dessein , quoique ses Troupes qui étoient
alors dans la gorge, montassent à plus de 15000
hommes , et après avoir essuyé plusieurs déchar ges de l'Artillerie du Fort , il alla se mettre à
couvert derriere les Rochers qui sont au - dessous
du Château , d'où les bombes qu'on y rouloit ,
obligerent les Maures de se retirer et de remonter i. Vol.
wyers
2585 MERCURE DE FRANCE
vers leur batterie , dont un coup de Canon bles
sa un Officier Espagnol et couvrit de poussiere le Chevalier de Wogan.
Vers les neuf heures du matin , toutes les voitures du Convoi étant retournées à Oran , après
avoir déchargé leurs provisions dans le Fort de
Sainte Croix , la Cavalerie du Détachement se
mit en bataille du côté de la Marine , pour soutenir l'Infanterie voisine dans sa retraite. Le
Chevalier deWogan reçut en cet endroit un coup
de fusil qui l'obligea de se retirer et de laisser le
commandement au Marquis de Turbilly , son
Lieutenant Colonel ; il étoit resté vers le Rocher
de Sainte- Croix six Compagnies de Grenadiers ,
dont trois devoient rentrer dans le Château, et les
trois autres retourner à Oran avec le reste du Détachement.
La Cavalerie , par un ordre mal entendu , commençoit déja à défiler , et ne pouvoit plus les secourir , desorte que ces Compagnies furent obligées de lâcher pied et de se retirer en confusion,
trois sous le Canon de Sainte Croix et le reste du
côté du Fortin de la Marine. Un Capitaine du
Régiment de Dragons de Belgia , nommé le Chevalier de Wuilts , au desespoir de voir les Maures
courir la Plaine impunément , s'avança à la tête
de 30. de ses Dragons , les arrêta pour quelque
temps, et après en avoir tué un grand nombre, et
perdu la moitié de sa Troupe , il se retira en bon ordre.
Les Maures , de leur côté , craignant une sortie
de la Garnison d'Oran , se retirerent par les Rochers de Sainte- Croix , où ils essuyerent tout le
feu de l'Artillerie du Château , et on compte que
pendant le défilé du Convoy , ils ont perdu prés
de 3000. hommes , parmi lesquels il y a cu 19.
" I. Vol.
Agas
DECEMBRE. 1732. 2587
Agas ou Officiers de distinction et un des fils de
Bigotillos. Cette journée a été très- glorieuse pour
les Espagnols , malgré la déroute des Compagnies
de Grenadiers qui n'ont pû faire assez iôt leur retraite.
Le Château de Sainte-Croix a présentement
en abondance toutes sortes de provisions et de munitions de guerre; l'entrée du Convoy a tellement déconcerté les Turcs et les Maures , que
malgré le cordon ou la ligne que Bigotillos avoit fait faire derriere son Camp , pour empêcher la
désertion , la plus grande partie de sa Cavalerie l'a abandonné. Le Détachement de la Garnison
d'Oran n'étoit en tout que de 1300. hommes.
L'Armée des Maures , dont ce Détachement a
soutenu les differentes attaques , étoit au moins de 17. à 18000. hommes.
On a appris par des Lettres posterieures , qu'on
avoit construit un Ouvrage entre le Château de
Sainte-Croix et celui de S. Gregoire , pour conserver la communication entre ces deux Forts ,
qu'on avoit introduit un nouveau secours dans le
premier , dont les Maures continuoient le Siege ,
mais avec moins de vigueur que cy-devant , qu'ils
avoient fait sauter une Mine qui n'avoit point endommagé la muraille , mais qui avoit tué trois
Mineurs d'une Contremine et blessé trois Grenadiers , qu'il n'y avoit que trois minutes que le
Marquis de Santa- Cruz et M. de la Croix , Commandant de l'Artillerie , étoient sortis de cette
Contremine , qu'ils étoient allé visiter ; que les
trois derniers jours du mois d'Octobre , l'Artil- lerie des Ennemis avoit fait peu de feu ; qu'on
avoit appris depuis que de trois grosses pieces de
Canons qu'ils avoient dans leur batterie de la
Mezetta , il y en avoit deux de crevées ; que les I. Vel, Maures
2588 MERCURE DE FRANCE
>
Maures qui font le Siege du Fort de S. Philippe ,
avoient cessé de tirer depuis cinq jours , ce qu'on
attribue au deffaut de Munitions et aux pluyes continuelles qui sont tombées pendant ce tempslà, et qui ont inondé toutes leurs tranchées ; enfin
que la Garnison avoit profité de ce temps pour
élever une nouvelle batterie , qui incommodoit
beaucoup les Ennemis , et que le fils du feu Dey
d'Alger, qui commande au Siege du Fort de
S. Philippe et qui s'en étoit absenté pendant
quelques jours , y étoit révenu
Cependant il est arrivé à Oran plusieurs secours de Troupes et de Provisions , ensorte qu'il
y a tout lieu d'esperer que les Maures , après
avoir perdu bien du monde , n'auront fait qu'une
tentative inutile et témeraire. Les principaux Algeriens sont convenus eux-mêmes en plein Divan, que sans le secours d'une Flote , qu'ils ne
sont pas en état d'équiper , il leur est absolument
impossible de reprendre cette Place. Il est vrai
que suivant les dernieres Lettres il avoit paru au commencement de Novembre aux environs d'Oran , huit ou neuf Vaisseaux de guerre d'Alger ;
mais ces Lettres ajoûtent que sur les premiers
avis , le Roy d'Espagne avoit envoyé des ordres précis aux Commandans de trois de ses Vaisseaux de guerre , de joindre trois autres
Vaisseaux de guerre de Malthe qui sont dans ces
Mers et d'aller attaquer conjointement les Vaisseaux Turcs; ensorte , Monsieur , que nous sommes actuellement dans l'attente de plusieurs nouvelles importantessur la suite des affaires d'Oran.
Je renvoye à une autre Lettre celles qui regardent Ceuta , pour ne point donner ici dans
une excessive longueur. J'ai l'honneur d'être, &c.
A Paris , le 22. Novembre 1732.
I. Vol.
R
Fermer
Résumé : SIXIÈME Lettre écrite par M. D. L. R. à M. le Marquis de B. au sujet de la Conquête d'Oran, &c.
La lettre de M. D. L. R. au Marquis de B. décrit la situation à Oran et les opérations militaires des Maures. Contrairement aux attentes, les Maures ont lancé des offensives en hiver pour reprendre Oran et Ceuta. La prise de ces villes par l'Espagne avait initialement causé une consternation à Alger, mais la retraite de l'armée espagnole et la mort du Dey avaient redonné courage aux Maures. Les Maures ont envoyé des renforts à Bigotillos, un renégat catalan et ancien gouverneur d'Oran, qui harcelait la garnison espagnole. Ils ont tenté de surprendre des châteaux autour d'Oran, mais ont été repoussés. Le 4 octobre, un combat significatif a eu lieu lors de l'escorte d'un convoi vers le château de Sainte-Croix. Les Espagnols, sous le commandement du Chevalier Wogan, ont réussi à sécuriser le convoi malgré les attaques des Maures, qui ont subi de lourdes pertes. Le château de Sainte-Croix est désormais bien approvisionné, et les Maures ont perdu une grande partie de leur cavalerie. Des renforts espagnols sont arrivés à Oran, et les Maures semblent manquer de munitions. La situation reste tendue, avec des attentes de nouvelles importantes concernant les opérations à Oran.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
15
p. 65-74
SEPTIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. le Marquis de B. au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta.
Début :
Je vous fais, Monsieur, mon compliment sur votre heureux retour à Paris. Ce retour me [...]
Mots clefs :
Ceuta, Oran, Alger, Barbarie, Siège, Vaisseaux, Arabe, Mer, Cloches, Espagnols
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SEPTIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. le Marquis de B. au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta.
SEL.PRT.IécÈritMe Eà M.LÇleTMTarRqEuidsede; B. au
sujet de: Villes d’Or4n et de Gema.
_, E- vous fais, Monsieur, mon compliment su:
» votre heureux retour à Paris. Ce retour me
fait un double laisir car il me dis ense de vous
. 4 . P *. .
écrire aa_ suite des affaires d’Oran depuis ma der
_niere Lettre; vous en êtes sans doute déa lei-s
. . . i . l l’
nement instruit. Il m’e ar ne aussi le chaorin de
_ O
:vous apprendre le premier une triste nouvelle,
le malheur arrive’ au Marquis de Saï-n'a‘ Cruz dans
l'action du 1.1. Novembre dernier. A cela près, je
-n’aurois presque eu que des choses agréables a‘.
vous dire , et ÿaurois fini par la levée du Siege
.de cette Place , par la démolition des travaux des
Maures et par leur retraite, circonstances qui
{ont Pétat présent des choses, suivant les der-e
pseres Lettres (Pfispagne et (Ÿliflïique. .
' D v Au
l.
Z5 MERCURE DE FRANCE
Au lieu de tout ce détail’, qui seroit pour vous,’
Monsieur , une répcrition , je crois devoir vous
faire part du précis d’une Lettre que ÿai reçûë
depuis peu d’Algcr , dans laquelle Oran n'est pas
oublié , et qui contient certaines particularitez
que vous ne serez pas fâché de sçavoir. La.
Lettre est datée du 2.3. Octobre dernier et
écrite par un Voyageur éclairé. ‘
sa Jamais Expedition n’a été plus heureuse ni
u plus visiblement favorisée du Ciel que celle
a d’0ran.Le Gouverneur Maure étoit eu état de
se faire acheter bien cher cette Place aux Espa-g
a gnols, il ne manquait ni de monde ni de mus
a: nitions pour faire une longue résistance , favo
g, risé d’ailleurs par la situation avantageuse des
u Forts, et par une Arméede sa Nation , qui de
ne voit rendre le débarquement des Troupes Chré
o. tiennes très-difficile. Si ce débarquement eût
a été diEeré seulement de deux jours , il devenait
o: presque impossible, â cause d’un vent d’Est,
p: qui survinr si frais et si violent , que tous les
hBâtimens de transport seroienr in ailliblement
upériær avec leur charge. De plus , en ternpori-i
u sant un peu de la part du Commandant , une
nseconde Armée de Turcs et de Maures , accou
u rus de toutes parts , se seroit jointe à la pre-j
n» miere, et auroit rendu la retraite et le rembar
p; quement de PArmée Chrétienne absolument
a nécessaire et évalement érilleux - mais comme
. D ’
aje l’ai d'abord reimrque’, le Ciel a voulu benitfi
m les Armes et les pieuses intentions du Roy d’Es-_'
D) Pflgfltn
a Après un ‘tel succès qui a d'abord rempli
‘a de consternation et d'épouvante toute la Bar—,
ce barie ,- si la saison avancée, ou cl’autres Consi-j
a dcrations , m'envoient "pas arrêté les progrès de
i . 98E
JANVIER. I733, 57
a ces mêmes Armes , on peut assurer que les Es
» pagnols se scroicnt rendus maîtres de toute
a: cette Côte et d’Alger même, saris beaucoup
u dbposition. On craignait ici si fort cet éve
.. nemcnt, que le Dey et tout le Pays étaient
a: plus disposez â la retraite , ou plutôt â la fuite
w dans les Montagnes les plus inaccessibles, qu'à.
a la deffense.
.. Mais ces dispositions n’ont ‘pas duré; l'in
a action des Espagnols a fait reprendre courage
æ aux Infidelcs , ils ont réütii toutes leurs Forces
a pour faire le Sicge d’Oran , qu’ils ont elfective
un ment formé depuis la my-Septembre , avec une
a grande Armée de Terre et avec une Escadre
v» tic dix Vaisseaux de guerre , sans compter plu
“sieurs Galiotes , et autres Bâtimens chargez de
v munitions pour le Camp et de quelques Trou
v pes de débarquement.
v D'autres Vaisseaux Algeriens croisent ce
s: pendant sur les Côtes dOEspagne, tnlevent tou
are sorte de Bâtimens , sur tout ceux qui sont
vchargez ‘pour Oran, et troublent cntieremen;
vie commerce D’un autre côte’ les Chrétiens
Pqui sont à Alger sont assez maltraitcz dans les
' v circonstances où sont les choses. .
n Vous jugez bien que dans ce temps «le trou
cible il n’est pas facile de faire les recherches
.0- clont vous me chargez dans votre dernier Me
v moire. La Ville de Tcmectn, ou comme on
ä> prononce ici, Tlmuan, subsiste encore , mais
m elle est fort éloignée de son ancienne splendeur.
u Avant la Prise d’Oran par les Maures sur les
a: Espagnols en 17.38. c’étoit le Siege des Deys,
u ou des Gouverneurs de la Province de Porteur.
.3: On y entretient une Garnison de zoo hommes
a giron clçang tous les ans, selon Pusagc du
V . D_ v; a: Royaume
58 MERCURE DE "FRANCE
wkoyaume cPAlger à Pégard de toutes les Places‘
si qui en dépendent. Cette Ville est admirable-g
sur-ment bien située , l’air y est très-salubre , et la
sa fertilité de son Territoire ne sçauroit être plus
a grande avec les meilleures eaux du monde. Elle
a; est a go milles environ au Sud-Ouest d’Oran, et
a après de 340. milies.d’Alger.Les habitans son:
,, presque tous ]uifs. Ses Fortifications sont fore
M peu de chose. Vous trouverés dans le Morerï
a une autre peinture de cette Ville, mais for!
,, éloignée de la verité. Alger est traité de même
_,, dans ce Livre, tout y est éxageré s surtout
ale nombre des Esclaves Chrétiens qu’en y fait:
s, monter âquarante milles , et qui ne sont pas
a seulement au nombre de zyoo.
- ne M. Thomas Shaw, Ministre AnglicamDoc.‘
m1611]: de l’Université d’Oxford , et fort habile
a. homme , dont je crois vous avoir déja par-«j
a. lé , nous a epfin quitté; il s’est embarqué le
9: t; juillet det-‘Ëiier pour se retirer en Angleterre;
sa après avoir visité Pîtalie. Il a demeuré plus
a de douze ans à A-lger , pendant lequel tems il
p a parcouru tous les Lieux qui en dépendent, le—_
5, vant les Plans des plus considérables , et faisan:
n: des Cirtes éxactes des Provinces , 8re. pour en
a richir PHistoire naturelle qu’il a composée du.
o: Royaume d’Algtr , et qu-’il prétend publier
u en peu de tems. ‘On peut présumer que cette
a Histoire sera curieuse et‘ recherchée, ifAuteut
a: ayant eu tout le tems et toutes les commodi
5o tez nécessaires pour être instruit , et ayant v6
a: et éxaminé tout ce qui a été écrit sur cette
o: matiere par M. Durand , ci-devant Consul
n: d’Alger , par les Religieux Trinitaires , pars
a: M. Laugier , Commissaire de la Marine ê’
m Amstrtdam l dont [Ouvrage q; imprimé , et
' n paç
JANVIER. I733. ‘G9
a- par‘ M. Peyssonnel, Médecin de Marseille , en
» voyé par le Roi en 172,1‘. à Alger et à Tunia
o: pour faire de nouvellesdécouvertes , &c.
n Les Cloches ‘d’©ran , dont vous mäævcz
se parlé , se voyent encore aujourdïiui ici â la.
w Porte qui conduit au Port. 1l y en a six de dif
n lereute grandeur , poséeseles unes sur les au
» rres contre une muÙille. Cette situation , ce
a; les COOEODCIUIÉS présentes ne permettent guéres
a: d’en prendre les Inscriptions. Elles ne sont pas
a: extrêmement grosses , la plus considérable n’a.
a» quïînviron quatre pieds de hauteur ,avec un
a: diamétrc proportionné. ]’ai liî une seule Ins
» criprion , laquelle est en Espagnol, e: contient:
- ces mots: Ai mm de la. sais que est» hache m
uMurrin si endo Prelado el Rmo Padre Balus
ovzar al Arma 1,74. C’ÎsÎ'ài-diÎC, qu"il y a une
v des six Cloches qui a été fondue à Murcie Pan
e: 1 r74. Le Très-Révereixd Pere Baltazar en étant
u alors Evêque.
n Vous sçavez‘ que les Mahometans se font
sa une espécc de trophée des Cloches par eux en
» levées sur les Chrétiens. On. voir encore au
a jounÿhui dans la principale Mosquée de la‘
a Ville de Maroc deux grandes Cloches suspen
n: duës à rebours, attachées a‘. la Net‘ par de gros
sa ses clæînes , que le Roi Almanzot fit empor
v: ter «Pläspagne.
Depuis la date de cette Lettre les choses ont‘
changé -:lc face , comme vous le sçavez , Mon
sieur; une Escadre de Vaisseaux de Guerre Es-i
pagnols , fortifiée par deux Vaisseaux de guerre
de Malte , a fait disparoîtrc PEscadre Turque 9
qui est rentrée i A-lger. Oran a reçû 4658660113
considérables , et vous êtes instruit de’ tout le
ICÜIC.
7o MERCURE DE FRANCE
Je ne vous dirai donc rien ici d’une Relation ‘Ê
Espagnole imprimée à Barcclone, des deux sari-g
glantes actions du u. Cedu 2. 3. Novembre _, 1a
quelle je viens de recevoir , après une attente de
près d’un mois, de la part du plus lent et du
plus distrait de mes amis. On y rend bien justi
ce a‘. la conduite et à la valeur du Marquis de
Sania-Cruz , qui a été t'a’ dans une fatale cir
consiance , ex rimée en ces termes dans la Re
lation. Vifîldûp erre desarden las Moras se nacre»
nm à aprovecharla cm las arma: 1214m4: , y fue
pretisso pasmssm par encima de elles para incorpo
nme ton l» Trop» : En cuya arnsion se perdra à cl
Marque: de SantmCmz , sir; que las paras Solda
das de Crwnlltri» , y Dragage: que le Mompanns
km , pudiessen emlmraznr su desgvacizda mume ,
ton lntima univerml , par la; prendas , y valor que
l: adornalzavz. l
Mais c’est assez parler dflllger et d'Oran , je
n’oul>lit pas , Monsieur , ce que je vous ai pro
mis au sujet de la Ville de Ccuta , dont le S:égc
par les Troupes du Roi de Maroc , a déja sur
passé en longueur le Siège de Troye. je ne
crois pas cependant que Ccuta fournisse jamais
le sujet d’une lliade: ce sera beaucoup pour cette
Ville si‘ le petit morceau historique que voici
peut. se trouver de votre goût, et vougamuser
agréablement. j -
La Ville de Ceuta est située dans FEmbOu.‘
chute du détroit de Gibraltar , à Pcntlroit où ce
"' Reluion du la succedzda m las do: Funcianfs
que m et dia u. y 1,3. de Noviembre de 1731.
inca la Guamitian de 012m ton el extraite de
les Turco: , y Maros , que l» sitinwn. Barcclona.
P9: Joseph Texido, 8re. 1732.. «
fameux
JANVIER. 1733. 7:
fameux Détroit est le plus retressi par les deux
Côtes, ensorte que le trajet de celle düfllïrique ,
ou est Ceuta . en Espagne , n’esr que d’environ
cinq lieues. Si on en croit quelques Écrivains
Espagnols , cette Ville est des plus anciennes et
des plus illustres de toute la Mauritanie, les Ro- _
\
mains qui la bâtirenr y tenoient leurs Flores , a
cause de la commodite de son Port , et la nom
merent enfin la Ville des Romains , ou la Ville
ar excellence , ce ue {ont aujourd’hui setrcible lceonnfiormmgruû’elle Potte C111
Un Historien Arabe lui donne une origine
‘bien plus ancienne ; c’est , selon lui , un Fils de
Noë qui l’a fondée deux cens trente ans après
le Déluge : mais défions-nous un peu des Ecri
vains de cette Nation , qui donnent pour la plâ
art dans le merveilleux ; et traitent PI-Iistoire
gomme la Fable. Ortelius vent que Ccuta soit
Pancienne Essilissn . dont la position " est mar
qué dans Ptoloméc, mais cette position est fort
differente de celle de Ceuta , comme nous Pal
Ions voir.
Abulfeda , ce fameux Geographe Arabe dont
j’ai parlé plusieurs fois, et dont on vient de
donner une belle Édition , avec une Traduction
Latine , &c. en Angleterre , parle de Ceuta qu’il
nomme 525m au nombre LXXVII. de ses Ta
bles Géographiques: il la place â neuf degrez
cinq minutes de longitude , et â g; dcgrcz tren
.te minutes de latitude sous le (V. Climat dans
la Barbarie * Ulterieure. sa Elle est, dit-il , si
’ 1393m’. 3o min. de longit. et 3; kg. ;6
min. de tarit. - -
9‘ Cc Giagrapêc divise la Barbarie m «vitrerie»
v 7€
72 MERCURE m: FRANCE
h tuée entre deux Mers , Pocean et la Médireg:
mranée, c’est Pabord de deux grands Pays .
o: la Barbarie et FESpagne , Ville de passage e:
n de commerce. Elle est baignée de la Mer de
‘ puis son Entrée du côte’ de Terre. Le chemin
Vaoqui conduit à cette Entrée est du côté du
v Couchant: il est fort ÿroit et presque tout
h entouré de la Mer, de sorte qu’il ne tiendroit
” qu’au’x Habitans de faire passer la Mer autour
°= de la Ville , et n’cn faire une Isle. Elle a de
'° hautes muuilles de pierre. Le Port est a 1'0
=> rient de la Ville , et la Mer est très-étroite en
a cct endroit ; de sorte que quand le tems es:
o: serain on découvre de Seâta la Ville dflâlgezi
u rat-Alkozra , ou Algezire , sur les Terres .1’Es
"pagne- L’Eau y est en abondance, et il y a.
a d’ailleurs des Citernes dans lesquelles on con-g
v serve l'eau de pluye. ’
Tel émit Pétat-cie Ceuta au temps dvlbulfeda
qui acheva son ouvrage vers Pannée r32. r. Il clé
clare que cc qu’il dit de cette Ville est tire’ prin
cipalement dflothman EBnsaid,surnorume'./1l ma.
3726i, ou FAlTricain , qui étoit de ce même Païs.
Abnlfcda, pour le dire en passant , que j'ai qua
lifié de Géographe Arabe , n’avoit rien d'Arabe
que la Langue et la Religion , c'est» â-dire , celle
de Mahomct. Il éroit de Syrie et d’une Race dis
tinguée , la même qui a donné naissance au
n ou Orientale . qui commence aux Frontieres
dOEgypte , et finit à telle: du Royaume de Tzmis ,'
devers Cuzmvan ; en moyenne , qui comprend le
‘Roy vume de Tunis , et les Provinces Orientales de
celui nlîalger ,- et en uloerieuré , qui commente aux
Frontieres Occidentales dÏ/Ilgêr , et comprend tout
l; reste de la Barbarie du tête’ du Couohnnt:
grand
r JANVTER.‘ 173;: '73»
‘grand Saladin , comme je‘ l'ai remarqué ailleurs.
Lorsque les premiers Califes , successeurs de
Mahomqt , eurent conquis PAIÏriquc . cc qui aré
riva vers" Pan 4;. de l’Hégire’66 s. de j. C.) ils
chasserent les Goths de plusieurs Contrées Mari
times , dont ces Barbares s’e'toient emparcz, dans
la décadence de PEmpire Romain, et en PSHÎCÜH,
lier de la Ville de Ceuta. Cette Ville devint ce
lebre sous la Domination des Arabes , cfiest-âs
dire, sous les Califes et sous divers Rois ou Prin
' ces leurs successeurs , lesquels y firent fleurir le
commerce et les Arts. Les Artisans de Ceuta sur-Ï
passaient en habileté ceux de Damas pour toute
sorte d’Ouvrage d’Orfévrerie , de Coutellerie , et
pour la fabrique des plus belles Îztotïes, et sur
tout de riches Tapis ,dont on venoit se pour-i
voir de toutes les Parties de l'intrigue et de
PEurope. ' ‘
Les Lettres fleurirent aussi dans Ceuta , pen
dant sa. prosperité . ce qui paroît par les noms e:
par les ouvrages de quelques Sçavans , originai.
res de cette Vrle {qui sont rapporte: par les Bi
bliographes Mahométaxis; lesquels par cette rai
son , portent tous le surnom J'AI Seétbi , ou de
Ceuta. Eqtflaurres Aboulfadhl Abbns, plus connu
sous le nom de Cadhi-Aïadh , qui mourut Pan
544.. de PHégire ( r r49. de]. C. ) Il est parlé
de lui avec de grands Eloges , par Ben Schunah ,
qui a donné un Cazalogue de ses Ouvrages. [o
seph Ben jahia , fameux Medecin juif, 8c grand
Philosophe , q-ii fut" premier Medccin du Sultan
d’Alcp Aldhacr. Il mourut l’an 513. de PHégi-ä
re n26. de j.C. et Mohammes. Ben-Omar , mort
l’an 7m. de la même Époque r tu. de j. C. Son
principal Ouvrage est’ intitulé : Erlaircissemem
mr le: dxfertnzt: 8cm: du Mahamémmc ; Ou
yrage
74MERCUREDEFRANCL
vrage dont la traduction seroit necessaire pouf
empêcher les hcrivains de l’Europe de coneinuer
leurs méprises sur ce sujet.
La prosperité de cette Ville fut altérée dans
la suite par de grandes disgraces ; la plus fatale
lui vint de la part d’Abdulmumen , Roy de Ma
xoc , qui l'ayant prise,après un Siège opiniâtre ,
la fit démolir et en transporta les Habitans. Al.
mansor , l’un de ses successeurs, la fie rebâtir, et
la repeupla â cause de sa situation; ensortc qu’el.
le devint encore une Place cousidérablumais un
Roy Mahométan de Grenade s’en étant emparé
dans des tems de troublc,il la désola une seconde
fois. Il est vrai qu’elle se rétablit encore par les
avantages du commerce et de la situation _. mais
on remarque que Ceuta n’est jamais revenue dans
cette grande splendeur , où elle s’étoit vuë sous
PEmpire des Califes ,et sous quelques Princes
leurs successeurs.
Il me reste, Monsieur ,’ à vous apprendre com.‘
ment cette Ville a passé pour la premiere foil
de la domination des Mahométans au pouvoir
d'un Monarque Chrétien ; ce qui est un point
(Pflistoire des plus singuliers , et i conduire le
morceau Historique que j’ai entrepris sur Ceuta,
jusquäu temps present; ce qui fera le sujet d’une
autre Lettre , moins longue que eelle-cy , et que
vous nïattendrez pas long-temps. j’ai Fhonneu
d’être , Monsieur . 8re
_ A Pari: , ce 24 Decembrt 173 2..
sujet de: Villes d’Or4n et de Gema.
_, E- vous fais, Monsieur, mon compliment su:
» votre heureux retour à Paris. Ce retour me
fait un double laisir car il me dis ense de vous
. 4 . P *. .
écrire aa_ suite des affaires d’Oran depuis ma der
_niere Lettre; vous en êtes sans doute déa lei-s
. . . i . l l’
nement instruit. Il m’e ar ne aussi le chaorin de
_ O
:vous apprendre le premier une triste nouvelle,
le malheur arrive’ au Marquis de Saï-n'a‘ Cruz dans
l'action du 1.1. Novembre dernier. A cela près, je
-n’aurois presque eu que des choses agréables a‘.
vous dire , et ÿaurois fini par la levée du Siege
.de cette Place , par la démolition des travaux des
Maures et par leur retraite, circonstances qui
{ont Pétat présent des choses, suivant les der-e
pseres Lettres (Pfispagne et (Ÿliflïique. .
' D v Au
l.
Z5 MERCURE DE FRANCE
Au lieu de tout ce détail’, qui seroit pour vous,’
Monsieur , une répcrition , je crois devoir vous
faire part du précis d’une Lettre que ÿai reçûë
depuis peu d’Algcr , dans laquelle Oran n'est pas
oublié , et qui contient certaines particularitez
que vous ne serez pas fâché de sçavoir. La.
Lettre est datée du 2.3. Octobre dernier et
écrite par un Voyageur éclairé. ‘
sa Jamais Expedition n’a été plus heureuse ni
u plus visiblement favorisée du Ciel que celle
a d’0ran.Le Gouverneur Maure étoit eu état de
se faire acheter bien cher cette Place aux Espa-g
a gnols, il ne manquait ni de monde ni de mus
a: nitions pour faire une longue résistance , favo
g, risé d’ailleurs par la situation avantageuse des
u Forts, et par une Arméede sa Nation , qui de
ne voit rendre le débarquement des Troupes Chré
o. tiennes très-difficile. Si ce débarquement eût
a été diEeré seulement de deux jours , il devenait
o: presque impossible, â cause d’un vent d’Est,
p: qui survinr si frais et si violent , que tous les
hBâtimens de transport seroienr in ailliblement
upériær avec leur charge. De plus , en ternpori-i
u sant un peu de la part du Commandant , une
nseconde Armée de Turcs et de Maures , accou
u rus de toutes parts , se seroit jointe à la pre-j
n» miere, et auroit rendu la retraite et le rembar
p; quement de PArmée Chrétienne absolument
a nécessaire et évalement érilleux - mais comme
. D ’
aje l’ai d'abord reimrque’, le Ciel a voulu benitfi
m les Armes et les pieuses intentions du Roy d’Es-_'
D) Pflgfltn
a Après un ‘tel succès qui a d'abord rempli
‘a de consternation et d'épouvante toute la Bar—,
ce barie ,- si la saison avancée, ou cl’autres Consi-j
a dcrations , m'envoient "pas arrêté les progrès de
i . 98E
JANVIER. I733, 57
a ces mêmes Armes , on peut assurer que les Es
» pagnols se scroicnt rendus maîtres de toute
a: cette Côte et d’Alger même, saris beaucoup
u dbposition. On craignait ici si fort cet éve
.. nemcnt, que le Dey et tout le Pays étaient
a: plus disposez â la retraite , ou plutôt â la fuite
w dans les Montagnes les plus inaccessibles, qu'à.
a la deffense.
.. Mais ces dispositions n’ont ‘pas duré; l'in
a action des Espagnols a fait reprendre courage
æ aux Infidelcs , ils ont réütii toutes leurs Forces
a pour faire le Sicge d’Oran , qu’ils ont elfective
un ment formé depuis la my-Septembre , avec une
a grande Armée de Terre et avec une Escadre
v» tic dix Vaisseaux de guerre , sans compter plu
“sieurs Galiotes , et autres Bâtimens chargez de
v munitions pour le Camp et de quelques Trou
v pes de débarquement.
v D'autres Vaisseaux Algeriens croisent ce
s: pendant sur les Côtes dOEspagne, tnlevent tou
are sorte de Bâtimens , sur tout ceux qui sont
vchargez ‘pour Oran, et troublent cntieremen;
vie commerce D’un autre côte’ les Chrétiens
Pqui sont à Alger sont assez maltraitcz dans les
' v circonstances où sont les choses. .
n Vous jugez bien que dans ce temps «le trou
cible il n’est pas facile de faire les recherches
.0- clont vous me chargez dans votre dernier Me
v moire. La Ville de Tcmectn, ou comme on
ä> prononce ici, Tlmuan, subsiste encore , mais
m elle est fort éloignée de son ancienne splendeur.
u Avant la Prise d’Oran par les Maures sur les
a: Espagnols en 17.38. c’étoit le Siege des Deys,
u ou des Gouverneurs de la Province de Porteur.
.3: On y entretient une Garnison de zoo hommes
a giron clçang tous les ans, selon Pusagc du
V . D_ v; a: Royaume
58 MERCURE DE "FRANCE
wkoyaume cPAlger à Pégard de toutes les Places‘
si qui en dépendent. Cette Ville est admirable-g
sur-ment bien située , l’air y est très-salubre , et la
sa fertilité de son Territoire ne sçauroit être plus
a grande avec les meilleures eaux du monde. Elle
a; est a go milles environ au Sud-Ouest d’Oran, et
a après de 340. milies.d’Alger.Les habitans son:
,, presque tous ]uifs. Ses Fortifications sont fore
M peu de chose. Vous trouverés dans le Morerï
a une autre peinture de cette Ville, mais for!
,, éloignée de la verité. Alger est traité de même
_,, dans ce Livre, tout y est éxageré s surtout
ale nombre des Esclaves Chrétiens qu’en y fait:
s, monter âquarante milles , et qui ne sont pas
a seulement au nombre de zyoo.
- ne M. Thomas Shaw, Ministre AnglicamDoc.‘
m1611]: de l’Université d’Oxford , et fort habile
a. homme , dont je crois vous avoir déja par-«j
a. lé , nous a epfin quitté; il s’est embarqué le
9: t; juillet det-‘Ëiier pour se retirer en Angleterre;
sa après avoir visité Pîtalie. Il a demeuré plus
a de douze ans à A-lger , pendant lequel tems il
p a parcouru tous les Lieux qui en dépendent, le—_
5, vant les Plans des plus considérables , et faisan:
n: des Cirtes éxactes des Provinces , 8re. pour en
a richir PHistoire naturelle qu’il a composée du.
o: Royaume d’Algtr , et qu-’il prétend publier
u en peu de tems. ‘On peut présumer que cette
a Histoire sera curieuse et‘ recherchée, ifAuteut
a: ayant eu tout le tems et toutes les commodi
5o tez nécessaires pour être instruit , et ayant v6
a: et éxaminé tout ce qui a été écrit sur cette
o: matiere par M. Durand , ci-devant Consul
n: d’Alger , par les Religieux Trinitaires , pars
a: M. Laugier , Commissaire de la Marine ê’
m Amstrtdam l dont [Ouvrage q; imprimé , et
' n paç
JANVIER. I733. ‘G9
a- par‘ M. Peyssonnel, Médecin de Marseille , en
» voyé par le Roi en 172,1‘. à Alger et à Tunia
o: pour faire de nouvellesdécouvertes , &c.
n Les Cloches ‘d’©ran , dont vous mäævcz
se parlé , se voyent encore aujourdïiui ici â la.
w Porte qui conduit au Port. 1l y en a six de dif
n lereute grandeur , poséeseles unes sur les au
» rres contre une muÙille. Cette situation , ce
a; les COOEODCIUIÉS présentes ne permettent guéres
a: d’en prendre les Inscriptions. Elles ne sont pas
a: extrêmement grosses , la plus considérable n’a.
a» quïînviron quatre pieds de hauteur ,avec un
a: diamétrc proportionné. ]’ai liî une seule Ins
» criprion , laquelle est en Espagnol, e: contient:
- ces mots: Ai mm de la. sais que est» hache m
uMurrin si endo Prelado el Rmo Padre Balus
ovzar al Arma 1,74. C’ÎsÎ'ài-diÎC, qu"il y a une
v des six Cloches qui a été fondue à Murcie Pan
e: 1 r74. Le Très-Révereixd Pere Baltazar en étant
u alors Evêque.
n Vous sçavez‘ que les Mahometans se font
sa une espécc de trophée des Cloches par eux en
» levées sur les Chrétiens. On. voir encore au
a jounÿhui dans la principale Mosquée de la‘
a Ville de Maroc deux grandes Cloches suspen
n: duës à rebours, attachées a‘. la Net‘ par de gros
sa ses clæînes , que le Roi Almanzot fit empor
v: ter «Pläspagne.
Depuis la date de cette Lettre les choses ont‘
changé -:lc face , comme vous le sçavez , Mon
sieur; une Escadre de Vaisseaux de Guerre Es-i
pagnols , fortifiée par deux Vaisseaux de guerre
de Malte , a fait disparoîtrc PEscadre Turque 9
qui est rentrée i A-lger. Oran a reçû 4658660113
considérables , et vous êtes instruit de’ tout le
ICÜIC.
7o MERCURE DE FRANCE
Je ne vous dirai donc rien ici d’une Relation ‘Ê
Espagnole imprimée à Barcclone, des deux sari-g
glantes actions du u. Cedu 2. 3. Novembre _, 1a
quelle je viens de recevoir , après une attente de
près d’un mois, de la part du plus lent et du
plus distrait de mes amis. On y rend bien justi
ce a‘. la conduite et à la valeur du Marquis de
Sania-Cruz , qui a été t'a’ dans une fatale cir
consiance , ex rimée en ces termes dans la Re
lation. Vifîldûp erre desarden las Moras se nacre»
nm à aprovecharla cm las arma: 1214m4: , y fue
pretisso pasmssm par encima de elles para incorpo
nme ton l» Trop» : En cuya arnsion se perdra à cl
Marque: de SantmCmz , sir; que las paras Solda
das de Crwnlltri» , y Dragage: que le Mompanns
km , pudiessen emlmraznr su desgvacizda mume ,
ton lntima univerml , par la; prendas , y valor que
l: adornalzavz. l
Mais c’est assez parler dflllger et d'Oran , je
n’oul>lit pas , Monsieur , ce que je vous ai pro
mis au sujet de la Ville de Ccuta , dont le S:égc
par les Troupes du Roi de Maroc , a déja sur
passé en longueur le Siège de Troye. je ne
crois pas cependant que Ccuta fournisse jamais
le sujet d’une lliade: ce sera beaucoup pour cette
Ville si‘ le petit morceau historique que voici
peut. se trouver de votre goût, et vougamuser
agréablement. j -
La Ville de Ceuta est située dans FEmbOu.‘
chute du détroit de Gibraltar , à Pcntlroit où ce
"' Reluion du la succedzda m las do: Funcianfs
que m et dia u. y 1,3. de Noviembre de 1731.
inca la Guamitian de 012m ton el extraite de
les Turco: , y Maros , que l» sitinwn. Barcclona.
P9: Joseph Texido, 8re. 1732.. «
fameux
JANVIER. 1733. 7:
fameux Détroit est le plus retressi par les deux
Côtes, ensorte que le trajet de celle düfllïrique ,
ou est Ceuta . en Espagne , n’esr que d’environ
cinq lieues. Si on en croit quelques Écrivains
Espagnols , cette Ville est des plus anciennes et
des plus illustres de toute la Mauritanie, les Ro- _
\
mains qui la bâtirenr y tenoient leurs Flores , a
cause de la commodite de son Port , et la nom
merent enfin la Ville des Romains , ou la Ville
ar excellence , ce ue {ont aujourd’hui setrcible lceonnfiormmgruû’elle Potte C111
Un Historien Arabe lui donne une origine
‘bien plus ancienne ; c’est , selon lui , un Fils de
Noë qui l’a fondée deux cens trente ans après
le Déluge : mais défions-nous un peu des Ecri
vains de cette Nation , qui donnent pour la plâ
art dans le merveilleux ; et traitent PI-Iistoire
gomme la Fable. Ortelius vent que Ccuta soit
Pancienne Essilissn . dont la position " est mar
qué dans Ptoloméc, mais cette position est fort
differente de celle de Ceuta , comme nous Pal
Ions voir.
Abulfeda , ce fameux Geographe Arabe dont
j’ai parlé plusieurs fois, et dont on vient de
donner une belle Édition , avec une Traduction
Latine , &c. en Angleterre , parle de Ceuta qu’il
nomme 525m au nombre LXXVII. de ses Ta
bles Géographiques: il la place â neuf degrez
cinq minutes de longitude , et â g; dcgrcz tren
.te minutes de latitude sous le (V. Climat dans
la Barbarie * Ulterieure. sa Elle est, dit-il , si
’ 1393m’. 3o min. de longit. et 3; kg. ;6
min. de tarit. - -
9‘ Cc Giagrapêc divise la Barbarie m «vitrerie»
v 7€
72 MERCURE m: FRANCE
h tuée entre deux Mers , Pocean et la Médireg:
mranée, c’est Pabord de deux grands Pays .
o: la Barbarie et FESpagne , Ville de passage e:
n de commerce. Elle est baignée de la Mer de
‘ puis son Entrée du côte’ de Terre. Le chemin
Vaoqui conduit à cette Entrée est du côté du
v Couchant: il est fort ÿroit et presque tout
h entouré de la Mer, de sorte qu’il ne tiendroit
” qu’au’x Habitans de faire passer la Mer autour
°= de la Ville , et n’cn faire une Isle. Elle a de
'° hautes muuilles de pierre. Le Port est a 1'0
=> rient de la Ville , et la Mer est très-étroite en
a cct endroit ; de sorte que quand le tems es:
o: serain on découvre de Seâta la Ville dflâlgezi
u rat-Alkozra , ou Algezire , sur les Terres .1’Es
"pagne- L’Eau y est en abondance, et il y a.
a d’ailleurs des Citernes dans lesquelles on con-g
v serve l'eau de pluye. ’
Tel émit Pétat-cie Ceuta au temps dvlbulfeda
qui acheva son ouvrage vers Pannée r32. r. Il clé
clare que cc qu’il dit de cette Ville est tire’ prin
cipalement dflothman EBnsaid,surnorume'./1l ma.
3726i, ou FAlTricain , qui étoit de ce même Païs.
Abnlfcda, pour le dire en passant , que j'ai qua
lifié de Géographe Arabe , n’avoit rien d'Arabe
que la Langue et la Religion , c'est» â-dire , celle
de Mahomct. Il éroit de Syrie et d’une Race dis
tinguée , la même qui a donné naissance au
n ou Orientale . qui commence aux Frontieres
dOEgypte , et finit à telle: du Royaume de Tzmis ,'
devers Cuzmvan ; en moyenne , qui comprend le
‘Roy vume de Tunis , et les Provinces Orientales de
celui nlîalger ,- et en uloerieuré , qui commente aux
Frontieres Occidentales dÏ/Ilgêr , et comprend tout
l; reste de la Barbarie du tête’ du Couohnnt:
grand
r JANVTER.‘ 173;: '73»
‘grand Saladin , comme je‘ l'ai remarqué ailleurs.
Lorsque les premiers Califes , successeurs de
Mahomqt , eurent conquis PAIÏriquc . cc qui aré
riva vers" Pan 4;. de l’Hégire’66 s. de j. C.) ils
chasserent les Goths de plusieurs Contrées Mari
times , dont ces Barbares s’e'toient emparcz, dans
la décadence de PEmpire Romain, et en PSHÎCÜH,
lier de la Ville de Ceuta. Cette Ville devint ce
lebre sous la Domination des Arabes , cfiest-âs
dire, sous les Califes et sous divers Rois ou Prin
' ces leurs successeurs , lesquels y firent fleurir le
commerce et les Arts. Les Artisans de Ceuta sur-Ï
passaient en habileté ceux de Damas pour toute
sorte d’Ouvrage d’Orfévrerie , de Coutellerie , et
pour la fabrique des plus belles Îztotïes, et sur
tout de riches Tapis ,dont on venoit se pour-i
voir de toutes les Parties de l'intrigue et de
PEurope. ' ‘
Les Lettres fleurirent aussi dans Ceuta , pen
dant sa. prosperité . ce qui paroît par les noms e:
par les ouvrages de quelques Sçavans , originai.
res de cette Vrle {qui sont rapporte: par les Bi
bliographes Mahométaxis; lesquels par cette rai
son , portent tous le surnom J'AI Seétbi , ou de
Ceuta. Eqtflaurres Aboulfadhl Abbns, plus connu
sous le nom de Cadhi-Aïadh , qui mourut Pan
544.. de PHégire ( r r49. de]. C. ) Il est parlé
de lui avec de grands Eloges , par Ben Schunah ,
qui a donné un Cazalogue de ses Ouvrages. [o
seph Ben jahia , fameux Medecin juif, 8c grand
Philosophe , q-ii fut" premier Medccin du Sultan
d’Alcp Aldhacr. Il mourut l’an 513. de PHégi-ä
re n26. de j.C. et Mohammes. Ben-Omar , mort
l’an 7m. de la même Époque r tu. de j. C. Son
principal Ouvrage est’ intitulé : Erlaircissemem
mr le: dxfertnzt: 8cm: du Mahamémmc ; Ou
yrage
74MERCUREDEFRANCL
vrage dont la traduction seroit necessaire pouf
empêcher les hcrivains de l’Europe de coneinuer
leurs méprises sur ce sujet.
La prosperité de cette Ville fut altérée dans
la suite par de grandes disgraces ; la plus fatale
lui vint de la part d’Abdulmumen , Roy de Ma
xoc , qui l'ayant prise,après un Siège opiniâtre ,
la fit démolir et en transporta les Habitans. Al.
mansor , l’un de ses successeurs, la fie rebâtir, et
la repeupla â cause de sa situation; ensortc qu’el.
le devint encore une Place cousidérablumais un
Roy Mahométan de Grenade s’en étant emparé
dans des tems de troublc,il la désola une seconde
fois. Il est vrai qu’elle se rétablit encore par les
avantages du commerce et de la situation _. mais
on remarque que Ceuta n’est jamais revenue dans
cette grande splendeur , où elle s’étoit vuë sous
PEmpire des Califes ,et sous quelques Princes
leurs successeurs.
Il me reste, Monsieur ,’ à vous apprendre com.‘
ment cette Ville a passé pour la premiere foil
de la domination des Mahométans au pouvoir
d'un Monarque Chrétien ; ce qui est un point
(Pflistoire des plus singuliers , et i conduire le
morceau Historique que j’ai entrepris sur Ceuta,
jusquäu temps present; ce qui fera le sujet d’une
autre Lettre , moins longue que eelle-cy , et que
vous nïattendrez pas long-temps. j’ai Fhonneu
d’être , Monsieur . 8re
_ A Pari: , ce 24 Decembrt 173 2..
Fermer
Résumé : SEPTIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. le Marquis de B. au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta.
La lettre traite des événements récents à Oran et Gema, et commence par féliciter le destinataire pour son retour à Paris. L'auteur mentionne la mort du Marquis de Santa Cruz lors d'une action militaire le 1er novembre précédent. Malgré ce deuil, il rapporte des nouvelles positives, notamment la levée du siège d'Oran, la démolition des travaux des Maures et leur retraite. La lettre détaille une expédition espagnole à Oran, soulignant que les Espagnols ont réussi à vaincre les Maures grâce à une intervention divine, malgré les défenses maures et les conditions météorologiques défavorables. Après cette victoire, les Espagnols ont continué leurs progrès, menaçant même Alger. Cependant, les Maures ont repris courage et ont formé un siège autour d'Oran avec une armée terrestre et une escadre navale. L'auteur mentionne également la ville de Tlemcen, autrefois siège des Deys, et sa situation géographique par rapport à Oran et Alger. Il parle des recherches difficiles dans ces circonstances et des mauvais traitements subis par les Chrétiens à Alger. La lettre se termine par des informations sur les cloches d'Oran, encore visibles à la porte du port, et sur les intentions des Mahometans de se servir des cloches comme trophées. L'auteur mentionne également des changements récents, comme la disparition de l'escadre turque et les renforts reçus par Oran. Il promet de parler de la ville de Ceuta dans une prochaine lettre. Ceuta, sous la domination arabe, connut une période de prospérité marquée par le développement du commerce et des arts. Les artisans de Ceuta étaient renommés pour leur habileté en orfèvrerie, coutellerie, et fabrication de tapisseries, attirant des clients de toute la Méditerranée et de l'Europe. La ville fut également un centre de savoir, avec des savants comme Aboulfadhl Abns, connu sous le nom de Cadhi-Aïadh, et Joseph Ben Jahia, un médecin et philosophe juif. La prospérité de Ceuta fut perturbée par des événements tragiques, notamment la destruction ordonnée par Abdulmumen, roi de Maroc, et la désolation causée par un roi mahométan de Grenade. Bien que la ville se soit rétablie par la suite, elle n'atteignit jamais plus la splendeur qu'elle avait connue sous l'Empire des Califes. Le texte mentionne également la transition de Ceuta sous la domination d'un monarque chrétien.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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16
p. 292-298
HUITIÈME Lettre écrite par M. D. L. R. à M. le Marquis de B. au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta.
Début :
Je continue, Monsieur, dans la Lettre que je me donne aujourd'hui l'honneur de vous écrire, [...]
Mots clefs :
Roi de Maroc, Ceuta, Maures, Siège, Portugal, Espagne, Princes, Place
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HUITIÈME Lettre écrite par M. D. L. R. à M. le Marquis de B. au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta.
HUITIE' ME Lettre écrite par
M. D. L. R. à M. le Marquis de B.
au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta .
J
E continue , Monsieur , dans la Lettre que je
me donne aujourd'hui l'honneur de vous écri
re , et je compte achever le Memoire Historique
que j'ai commencé au sujet de la Ville de Ceuta.
Nous avons laissé cette Ville sous la domination
des Maures ; mais à la veille d'être conquise par
un Monarque Chrétien ; il faut commencer par
vous rendre compte de cet Evenement qui doit
tenir un rang considerable dans les Annales de
la Religion , et dans les Révolutions du XV .
Siecle.
*
Jean I. Roy de Portugal , surnommé Pere de
la Patrie , cut cinq fils de son Mariage avec Philippe
de Lancastre , sçavoir , Edouard , Pierre ,
Henri , Jean et Fernand . Quand les trois ainez
de ces Princes curent atteint un certain âge , le
Roy , charmé de leurs belles qualitez , pour les
faire entrer plus glorieusement dans la carriere de
la vertu militaire , résolut de les armer lui - même
Chevalier , avec toute la solemnité qu'exigeoit
une telle Ceremonie. On en faisoit déja les préparatifs,
qui mettoient tout le Royaume en mouyement
, lorsque le Grand- Trésorier de Portu-
5262-
* Philippe de Lancastre étoit fille de Jean ,
nommé le Grand , Duc de Lancastre et de Blanche
sa premiere femme , soeur de Henry IV, Roy d'Angleterre.
gal,
1
FEVRIER. 1733. 253
gal , chargé de faire les fonds de cette dépense ,
vint trouver le Roy , et comme bon oeconome ,
bon serviteur , excellent Ministre , lui tint un de
ces discours , tels qu'en a tenu long- temps après
en France un parfait Ministre de votre Sang à
P'un de nos plus grands Rois.
L'Endroit le plus pathétique de ce Discours ;
et le mieux touché , fut de soutenir que la dépense
de cette Chevalerie seroit immense , et
qu'il en coûteroit moins de prendre une Place sur
les Maures ajoûtant que l'Expedition seroit plus
glorieuse et plus utile à la Religion et à l'Etat
et qu'après un tel Exploit rien n'empêcheroit
d'armer les Princes Chevaliers , la Céremonie
devenant alors , pour ainsi - dire , autorisée , juste
et plus convenable en toutes manieres.
Le Discours qui contenoit un avis si important
, plut au Roy , et l'avis d'attaquer les Maures
ayant été proposé au Conseil , il fut résolu
de leur enlever la Ville de Ceuta , comme la
Place qui étoit le plus à la bienséance des Portugais
, et qui pouvoit ouvrir le chemin à d'autres
Conquêtes. On délibera en même temps que
l'entreprise seroit tenue secrette , et qu'en faisant
les préparatifs on publieroit , pour amuser les
Maures , que l'Armement regardoit le Duc de
Bretagne , contre qui la Couronne de Portugal
avoit en effet des prétentions , et on fit sçavoir
secretement à ce Prince qu'il n'avoit rien
craindre.
Tout étant prêt pour mettre à la voile , le Roy
et les trois Princes ses Enfans , après s'être préparez
par des Actes de Religion , s'embarquerent
sur une Flote des mieux équipées , laquelle vint
heureusement moniller au Port de Barbasote , à
E l'Ouest .
294 MERCURE DE FRANCE
P'Ouest de Ceuta le 14. d'Août * de l'année 1415.
Les Maures , malgré leur surprise , s'opposerent
tant qu'ils purent à la descente , se deffendirent
au- dehors et en - dedans de la Place avec toute la
valeur possible ; mais enfin ils ne purent résister
à la bravoure des Portugais , animez par la présence
et par l'exemple du Roy et des Princes qui
se signalerent au-delà de toute expression. La
Victoire et la Place leur demeurerent , et rien nẹ
parut plus juste que de faire au retour la Céremonic
proposée avant l'Expedition de Ceuta, duë,
sans doute , avec son heureux succès , aux conseils
éclairez d'un sage Ministre. C'est ainsi que
Ceuta fut démembré du Royaume de Fez et de
la Province de Stabat , pour être unie à la
Couronne de Portugal.
Cette Couronne a toûjours possedé cette Place,
malgré diverses tentatives des Maures pour la
reprendre , jusqu'en l'année 1580. temps auquel
Philippe II . Roy d'Espagne , acheva de réduire
tout le Portugal sous son obéissance. Ce Prince
eut la précaution de mettre à Ceuta un Gouver
neur Espagnol , à cause de l'importance de la
Place , précaution dont les Espagnols sentirent
P'utilité en l'année 1640. lors de la Révolution
de Portugal , qui secoua le joug de l'Espagne , et
se déclara pour la Maison de Bragance. Les Gouverneurs
Espagnols ayant toujours été continuez
à Ceuta , celui qui l'étoit alors se maințint dans
son poste, et demeura fidele à son Maître , fidelité
* Quelques Historiens marquent que le Roy et les
Princes jeûnerent rigoureusement ce jour l'à , veille
de l'Assomption de la sainte Vierge , et d'autres ,
qu'ils ne mangerent qu'après la réduction de la
Place,
qui
FEVRIER. 1733. 295
qui a mérité d'être confirmée par le Traité de
1658. fait entre les deux Couronnes , en vertu
duquel la Ville de Ceuta a été cedée à l'Espagne.
Vous jugez bien , Monsieur , qu'après la prise
de la Ville par le Roy Jean , le Christianisme y
triompha bien-tôt du Mahometisme. On établit
à Ceuta une principale Eglise avec un College de
Chanoines , sous le titre de Cathedrale , parce
qu'on forma un Evêché des Villes de Tanger et
deCeuta,dont le nouvel Evêque devint Suffragant
de l'Archevêque de Lisbonne. Aujourd'hui que
Tanger est retombé au pouvoir des Maures, après
avoir été possedé par les Anglois , et que Ceuta
est unie à la Monarchie d'Espagne , on a changé
cette disposition Ecclesiastique. Ceuta seule est
érigée en Evêché suffragant de l'Archevêché de
Séville , et c'est le Roy qui fournit les revenus de
F'Evêque et de son Chapitre.
: Il est surprenant , au reste , qu'une Place aussi
importante par sa situation , aussi nécessaire au
Roy de Maroc et de Fez , Prince puissant , et
dont les Etats sont d'une si vaste étenduë , il est ,
dis-je , surprenant qu'une telle Place démembrée
d'une Monarchie Mahométane, et qui lui est contigue
du côté du Levant , ait pû se maintenir jusqu'à
présent sous la domination d'un Prince
Chrétien , dont les Etats sont séparez par la Mer.
Il est encore aussi surprenant qu'après un Siege
de plus de quarante années , les Maures soient
aussi peu avancez devant cette Place qua le premier
jour qu'ils l'ont investie.
4
- Ce Siege commença d'être formé en l'année
1690. sous le Regne de Mouley- Ismaël , Roy
de Maroc , & c. et sous le commandement de
l'Alcaide Ali Ben Abdala , Gouverneur de Tanger
et de Tetuan. Ce Commandant , après une
E ij somⓇ
296 MERCURE DE FRANCE
sommation inutile de rendre la Place , campa
autour , fit ouvrir la Tranchée et les autres dispositions
convenables, Mais il fut bien- tôt déconcerté
par la valeur des Espagnols , qui firent
des sorties heureuses et tuerent beaucoup de
monde aux Ennemis. Ceux-cy tenterent ensuite
de faire des Mines , puis l'escalade des murailles,
et enfin ils se contenterent de jetter quelques
Bombes dans la Ville , le tout sans aucun succès.
Cependant les Lettres menaçantes du Roy de
Maroc , tenoient toujours le General Ali devant
Ceuta , mais un nouveau Gouverneur Espagnol
de cette Place imagina un stratagême qui le déconcerta
, et fit retirer l'Armée des Infideles.
Comme il faisoit faire plusieurs sorties en un
même jour , à chaque sortie il habilloit differem .
ment les mêmes Soldats , tantôt de rouge , tantôt
de bleu , et tantôt de blanc. Rien ne décou
rageoit davantage les Maures , qui croyoient
avoir toujours à combattre contre des Troupes
fraîches ; de sorte qu'après avoir perdu bien du
monde ils abandonnerent enfin leurs Tranchées
et leverent honteusement le Siege.
Je n'entrerai point , Monsieur , dans le détail
des autres entreprises des Maures contre la mê→
me Ville qui ont suivi sous differens Regnés et
sous differens Generaux. Ce détail seroit immen¬
se , Sieges , Blocus , Combats , Escarmouches
&c. toujours au desavantage des Infideles qui
ont continué de faire paroître une grande ignorance
dans l'Art Militaire , sur tout dans celui
d'attaquer les Places , et souvent beaucoup de lâ–
cheté. Ensorte qu'à moins d'une į trahison ( ou
d'une surprise , il n'y a aucune apparence que les
Maures reprennent jamais la Ville de Ceuta.
L'occasion d'une trahison s'est présentée dans
FEVRIER. 1733. 297
ees derniers temps , et je crois , Monsieur , vous
en avoir touché quelque chose dans une de mes
Lettres. Vous vous rappellez , sans doute , ce que
je vous ai marqué de l'infidélité de Riperda , lequel
après avoir été Secretaire d'Etat , puis illus
tré de la dignité de Duc , * quoiqu'étranger , mit
le comble à ses trahisons , en prenant l'année
derniere 1732. des engagemens avec le Roy de
Maroc, et en embrassant le Mahometisme.
Presque dans le même temps les Algeriens
ayant perdu Oran et Marsalquibir , ils
envoyerent une Ambassade au Roy de Maroc ,
pour lui demander des secours , celui , du moins,
d'une diversion en leur faveur , en redoublant ses
efforts pour enlever enfin la Ville de Ceuta aux
Espagnols. Un nouveau Siege de cette Place fut
aussi- tôt résolu , et le Roy Maure en donna le
commandement à Ali- Pacha , avec Riperda pour
Adjoint et pour Directeur du Siege. Celui - cy
promit beaucoup , et les Infideles ne douterent
du succès de l'entreprise. pas
Ils parurent en effet bien - tôt à la vûë de Ceuta
jusqu'au nombre de 7. ou 8000. hommes , au
rapport de quelques Esclaves fugitifs , avec de.
PArtillerie et prêts à faire les dispositions du
Siege. Mais le Gouverneur Espagnol ne leur donna
pas le temps
de les commencer , par la vigou
reuse sortie qu'il fit sur les Ennemis le matin du
17. Octobre dernier , sous le commandement de
D. Joseph d'Arambaru , Brigadier et Capitaine
des Gardes Espagnoles.
Les Maures furent attaquez et chargez avec
tant de valeur et tant de conduite , qu'ils furent
d'abord contraints d'abandonner leurs postes et
* Riperda est originaire de Hollande.
E iij de
&
298 MERCURE DE FRANCE
de se retirer au Fort de leur Camp , où ils furene
poursuivis et mis en déroute , le Pacha même
prenant la fuite. Enfin malgré quelque ralliment
et quelque résistance de la part des Maures , on
combla toutes leurs tranchées , on détruisit leurs
Ouvrages , et on enleva quantité de munitions
sans compter les Prisonniers et quelques Etendarts.
La perte a été grande du côté des Infideles
et peu considerable du côté des Espagnols.
>
•
C'est ainsi , Monsieur , que le Ciel a continué
de favoriser les pieux desseins et les Armes de
S. M. C. lesquelles ont glorieusement triomphé
presque en même temps en deux differens endroits
de l'Affrique ; car après cette action du 17.
Octobre devant Ceuta , la Garnison d'Oran eut
comme vous sçavez , le même succès et remporta
une pareille victoire contre les Maures qui en
avoient entrepris le Siege , dans les actions du
21. et du 23. du mois de Novembre. Les principaux
Etendarts des Maures pris devant les deux
Places furent dabord arborez dans le Palais
Royal de Séville , le Roy n'étant pas encore en
état de sortir de ses Appartemens , et après les
actions de graces particulieres rendues dans la
Chapelle du Palais , ces mêmes Etendarts furent
déposez dans l'Eglise Métropolitaine , où l'on
rendit à Dieu des actions de graces plus solemnelles
pour les deux victoires , ce qui a été pareillement
executé par toute l'Espagne.
la
J'espère, Monsieur,que le retour du Printemps,
Popiniâtreté des Maures et d'autres circonstances,
donneront lieu à de nouveaux évenemens , que
protection du Ciel continuera de rendre favora
bles à la Chrétienté.Je ne manquerai pas de vous
en rendre un fidele compte en cas que vous soyez
absent deParis. J'ai l'honneur d'être, Monsieur, &c.
A Paris le 15 Janvier 1733•
M. D. L. R. à M. le Marquis de B.
au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta .
J
E continue , Monsieur , dans la Lettre que je
me donne aujourd'hui l'honneur de vous écri
re , et je compte achever le Memoire Historique
que j'ai commencé au sujet de la Ville de Ceuta.
Nous avons laissé cette Ville sous la domination
des Maures ; mais à la veille d'être conquise par
un Monarque Chrétien ; il faut commencer par
vous rendre compte de cet Evenement qui doit
tenir un rang considerable dans les Annales de
la Religion , et dans les Révolutions du XV .
Siecle.
*
Jean I. Roy de Portugal , surnommé Pere de
la Patrie , cut cinq fils de son Mariage avec Philippe
de Lancastre , sçavoir , Edouard , Pierre ,
Henri , Jean et Fernand . Quand les trois ainez
de ces Princes curent atteint un certain âge , le
Roy , charmé de leurs belles qualitez , pour les
faire entrer plus glorieusement dans la carriere de
la vertu militaire , résolut de les armer lui - même
Chevalier , avec toute la solemnité qu'exigeoit
une telle Ceremonie. On en faisoit déja les préparatifs,
qui mettoient tout le Royaume en mouyement
, lorsque le Grand- Trésorier de Portu-
5262-
* Philippe de Lancastre étoit fille de Jean ,
nommé le Grand , Duc de Lancastre et de Blanche
sa premiere femme , soeur de Henry IV, Roy d'Angleterre.
gal,
1
FEVRIER. 1733. 253
gal , chargé de faire les fonds de cette dépense ,
vint trouver le Roy , et comme bon oeconome ,
bon serviteur , excellent Ministre , lui tint un de
ces discours , tels qu'en a tenu long- temps après
en France un parfait Ministre de votre Sang à
P'un de nos plus grands Rois.
L'Endroit le plus pathétique de ce Discours ;
et le mieux touché , fut de soutenir que la dépense
de cette Chevalerie seroit immense , et
qu'il en coûteroit moins de prendre une Place sur
les Maures ajoûtant que l'Expedition seroit plus
glorieuse et plus utile à la Religion et à l'Etat
et qu'après un tel Exploit rien n'empêcheroit
d'armer les Princes Chevaliers , la Céremonie
devenant alors , pour ainsi - dire , autorisée , juste
et plus convenable en toutes manieres.
Le Discours qui contenoit un avis si important
, plut au Roy , et l'avis d'attaquer les Maures
ayant été proposé au Conseil , il fut résolu
de leur enlever la Ville de Ceuta , comme la
Place qui étoit le plus à la bienséance des Portugais
, et qui pouvoit ouvrir le chemin à d'autres
Conquêtes. On délibera en même temps que
l'entreprise seroit tenue secrette , et qu'en faisant
les préparatifs on publieroit , pour amuser les
Maures , que l'Armement regardoit le Duc de
Bretagne , contre qui la Couronne de Portugal
avoit en effet des prétentions , et on fit sçavoir
secretement à ce Prince qu'il n'avoit rien
craindre.
Tout étant prêt pour mettre à la voile , le Roy
et les trois Princes ses Enfans , après s'être préparez
par des Actes de Religion , s'embarquerent
sur une Flote des mieux équipées , laquelle vint
heureusement moniller au Port de Barbasote , à
E l'Ouest .
294 MERCURE DE FRANCE
P'Ouest de Ceuta le 14. d'Août * de l'année 1415.
Les Maures , malgré leur surprise , s'opposerent
tant qu'ils purent à la descente , se deffendirent
au- dehors et en - dedans de la Place avec toute la
valeur possible ; mais enfin ils ne purent résister
à la bravoure des Portugais , animez par la présence
et par l'exemple du Roy et des Princes qui
se signalerent au-delà de toute expression. La
Victoire et la Place leur demeurerent , et rien nẹ
parut plus juste que de faire au retour la Céremonic
proposée avant l'Expedition de Ceuta, duë,
sans doute , avec son heureux succès , aux conseils
éclairez d'un sage Ministre. C'est ainsi que
Ceuta fut démembré du Royaume de Fez et de
la Province de Stabat , pour être unie à la
Couronne de Portugal.
Cette Couronne a toûjours possedé cette Place,
malgré diverses tentatives des Maures pour la
reprendre , jusqu'en l'année 1580. temps auquel
Philippe II . Roy d'Espagne , acheva de réduire
tout le Portugal sous son obéissance. Ce Prince
eut la précaution de mettre à Ceuta un Gouver
neur Espagnol , à cause de l'importance de la
Place , précaution dont les Espagnols sentirent
P'utilité en l'année 1640. lors de la Révolution
de Portugal , qui secoua le joug de l'Espagne , et
se déclara pour la Maison de Bragance. Les Gouverneurs
Espagnols ayant toujours été continuez
à Ceuta , celui qui l'étoit alors se maințint dans
son poste, et demeura fidele à son Maître , fidelité
* Quelques Historiens marquent que le Roy et les
Princes jeûnerent rigoureusement ce jour l'à , veille
de l'Assomption de la sainte Vierge , et d'autres ,
qu'ils ne mangerent qu'après la réduction de la
Place,
qui
FEVRIER. 1733. 295
qui a mérité d'être confirmée par le Traité de
1658. fait entre les deux Couronnes , en vertu
duquel la Ville de Ceuta a été cedée à l'Espagne.
Vous jugez bien , Monsieur , qu'après la prise
de la Ville par le Roy Jean , le Christianisme y
triompha bien-tôt du Mahometisme. On établit
à Ceuta une principale Eglise avec un College de
Chanoines , sous le titre de Cathedrale , parce
qu'on forma un Evêché des Villes de Tanger et
deCeuta,dont le nouvel Evêque devint Suffragant
de l'Archevêque de Lisbonne. Aujourd'hui que
Tanger est retombé au pouvoir des Maures, après
avoir été possedé par les Anglois , et que Ceuta
est unie à la Monarchie d'Espagne , on a changé
cette disposition Ecclesiastique. Ceuta seule est
érigée en Evêché suffragant de l'Archevêché de
Séville , et c'est le Roy qui fournit les revenus de
F'Evêque et de son Chapitre.
: Il est surprenant , au reste , qu'une Place aussi
importante par sa situation , aussi nécessaire au
Roy de Maroc et de Fez , Prince puissant , et
dont les Etats sont d'une si vaste étenduë , il est ,
dis-je , surprenant qu'une telle Place démembrée
d'une Monarchie Mahométane, et qui lui est contigue
du côté du Levant , ait pû se maintenir jusqu'à
présent sous la domination d'un Prince
Chrétien , dont les Etats sont séparez par la Mer.
Il est encore aussi surprenant qu'après un Siege
de plus de quarante années , les Maures soient
aussi peu avancez devant cette Place qua le premier
jour qu'ils l'ont investie.
4
- Ce Siege commença d'être formé en l'année
1690. sous le Regne de Mouley- Ismaël , Roy
de Maroc , & c. et sous le commandement de
l'Alcaide Ali Ben Abdala , Gouverneur de Tanger
et de Tetuan. Ce Commandant , après une
E ij somⓇ
296 MERCURE DE FRANCE
sommation inutile de rendre la Place , campa
autour , fit ouvrir la Tranchée et les autres dispositions
convenables, Mais il fut bien- tôt déconcerté
par la valeur des Espagnols , qui firent
des sorties heureuses et tuerent beaucoup de
monde aux Ennemis. Ceux-cy tenterent ensuite
de faire des Mines , puis l'escalade des murailles,
et enfin ils se contenterent de jetter quelques
Bombes dans la Ville , le tout sans aucun succès.
Cependant les Lettres menaçantes du Roy de
Maroc , tenoient toujours le General Ali devant
Ceuta , mais un nouveau Gouverneur Espagnol
de cette Place imagina un stratagême qui le déconcerta
, et fit retirer l'Armée des Infideles.
Comme il faisoit faire plusieurs sorties en un
même jour , à chaque sortie il habilloit differem .
ment les mêmes Soldats , tantôt de rouge , tantôt
de bleu , et tantôt de blanc. Rien ne décou
rageoit davantage les Maures , qui croyoient
avoir toujours à combattre contre des Troupes
fraîches ; de sorte qu'après avoir perdu bien du
monde ils abandonnerent enfin leurs Tranchées
et leverent honteusement le Siege.
Je n'entrerai point , Monsieur , dans le détail
des autres entreprises des Maures contre la mê→
me Ville qui ont suivi sous differens Regnés et
sous differens Generaux. Ce détail seroit immen¬
se , Sieges , Blocus , Combats , Escarmouches
&c. toujours au desavantage des Infideles qui
ont continué de faire paroître une grande ignorance
dans l'Art Militaire , sur tout dans celui
d'attaquer les Places , et souvent beaucoup de lâ–
cheté. Ensorte qu'à moins d'une į trahison ( ou
d'une surprise , il n'y a aucune apparence que les
Maures reprennent jamais la Ville de Ceuta.
L'occasion d'une trahison s'est présentée dans
FEVRIER. 1733. 297
ees derniers temps , et je crois , Monsieur , vous
en avoir touché quelque chose dans une de mes
Lettres. Vous vous rappellez , sans doute , ce que
je vous ai marqué de l'infidélité de Riperda , lequel
après avoir été Secretaire d'Etat , puis illus
tré de la dignité de Duc , * quoiqu'étranger , mit
le comble à ses trahisons , en prenant l'année
derniere 1732. des engagemens avec le Roy de
Maroc, et en embrassant le Mahometisme.
Presque dans le même temps les Algeriens
ayant perdu Oran et Marsalquibir , ils
envoyerent une Ambassade au Roy de Maroc ,
pour lui demander des secours , celui , du moins,
d'une diversion en leur faveur , en redoublant ses
efforts pour enlever enfin la Ville de Ceuta aux
Espagnols. Un nouveau Siege de cette Place fut
aussi- tôt résolu , et le Roy Maure en donna le
commandement à Ali- Pacha , avec Riperda pour
Adjoint et pour Directeur du Siege. Celui - cy
promit beaucoup , et les Infideles ne douterent
du succès de l'entreprise. pas
Ils parurent en effet bien - tôt à la vûë de Ceuta
jusqu'au nombre de 7. ou 8000. hommes , au
rapport de quelques Esclaves fugitifs , avec de.
PArtillerie et prêts à faire les dispositions du
Siege. Mais le Gouverneur Espagnol ne leur donna
pas le temps
de les commencer , par la vigou
reuse sortie qu'il fit sur les Ennemis le matin du
17. Octobre dernier , sous le commandement de
D. Joseph d'Arambaru , Brigadier et Capitaine
des Gardes Espagnoles.
Les Maures furent attaquez et chargez avec
tant de valeur et tant de conduite , qu'ils furent
d'abord contraints d'abandonner leurs postes et
* Riperda est originaire de Hollande.
E iij de
&
298 MERCURE DE FRANCE
de se retirer au Fort de leur Camp , où ils furene
poursuivis et mis en déroute , le Pacha même
prenant la fuite. Enfin malgré quelque ralliment
et quelque résistance de la part des Maures , on
combla toutes leurs tranchées , on détruisit leurs
Ouvrages , et on enleva quantité de munitions
sans compter les Prisonniers et quelques Etendarts.
La perte a été grande du côté des Infideles
et peu considerable du côté des Espagnols.
>
•
C'est ainsi , Monsieur , que le Ciel a continué
de favoriser les pieux desseins et les Armes de
S. M. C. lesquelles ont glorieusement triomphé
presque en même temps en deux differens endroits
de l'Affrique ; car après cette action du 17.
Octobre devant Ceuta , la Garnison d'Oran eut
comme vous sçavez , le même succès et remporta
une pareille victoire contre les Maures qui en
avoient entrepris le Siege , dans les actions du
21. et du 23. du mois de Novembre. Les principaux
Etendarts des Maures pris devant les deux
Places furent dabord arborez dans le Palais
Royal de Séville , le Roy n'étant pas encore en
état de sortir de ses Appartemens , et après les
actions de graces particulieres rendues dans la
Chapelle du Palais , ces mêmes Etendarts furent
déposez dans l'Eglise Métropolitaine , où l'on
rendit à Dieu des actions de graces plus solemnelles
pour les deux victoires , ce qui a été pareillement
executé par toute l'Espagne.
la
J'espère, Monsieur,que le retour du Printemps,
Popiniâtreté des Maures et d'autres circonstances,
donneront lieu à de nouveaux évenemens , que
protection du Ciel continuera de rendre favora
bles à la Chrétienté.Je ne manquerai pas de vous
en rendre un fidele compte en cas que vous soyez
absent deParis. J'ai l'honneur d'être, Monsieur, &c.
A Paris le 15 Janvier 1733•
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Résumé : HUITIÈME Lettre écrite par M. D. L. R. à M. le Marquis de B. au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta.
La lettre de M. D. L. R. au Marquis de B. relate l'histoire des villes d'Oran et de Ceuta. Elle commence par évoquer la ville de Ceuta, alors sous domination maure, sur le point d'être conquise par un monarque chrétien. Jean Ier, roi de Portugal, surnommé le Père de la Patrie, avait cinq fils avec Philippe de Lancastre. Pour les initier à la carrière militaire, il prévoyait de les adouber chevaliers. Le Grand-Trésorier du Portugal suggéra de financer cette cérémonie en conquérant une place maure, proposant Ceuta comme cible. Cette idée fut approuvée, et l'expédition fut préparée en secret, prétextant une campagne contre le duc de Bretagne. Le 14 août 1415, Jean Ier et ses trois fils aînés, après des prières, débarquèrent à Ceuta. Malgré la résistance des Maures, les Portugais prirent la ville. À leur retour, les princes furent adoubés chevaliers. Ceuta resta sous domination portugaise jusqu'en 1580, date à laquelle Philippe II d'Espagne annexa le Portugal et plaça un gouverneur espagnol à Ceuta. En 1640, lors de la révolution portugaise, le gouverneur espagnol resta fidèle à l'Espagne, et Ceuta fut cédée à l'Espagne par le traité de 1658. La lettre mentionne également les tentatives des Maures pour reprendre Ceuta, notamment un siège en 1690 dirigé par Ali Ben Abdala, qui échoua grâce à la stratégie des Espagnols. Plus récemment, en 1732, le traître Riperda s'allia avec le roi de Maroc pour attaquer Ceuta, mais une sortie espagnole en octobre 1732 repoussa les assaillants. Simultanément, la garnison d'Oran repoussa également une attaque maure. Les étendards capturés furent exposés à Séville et dans les églises pour des actions de grâce. L'auteur espère continuer à informer le Marquis des événements futurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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17
p. 300-310
LETTRE écrite par M. D. L. R. à M. D... au sujet d'une Lampe Antique, trouvée en Provence, au mois de Juillet dernier.
Début :
Vous m'avez fait, Monsieur, beaucoup de plaisir en m'envoïant, avec une [...]
Mots clefs :
Lampe antique, Amour, Pied, Enfant, Provence, Antiques, Vénus, Monument, Planche, Ornements, Antiquaires, Cupidon, Figure
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite par M. D. L. R. à M. D... au sujet d'une Lampe Antique, trouvée en Provence, au mois de Juillet dernier.
LETTRE écrite par M. D. L. R. à M.
·D... au sujet d'une Lampe Antique ,
trouvée en Provence , au mois de fuillet
dernier.
V
Ous m'avez fait , Monsieur , beaucoup
de plaisir en m'envoïant, avec
une de vos Lettres , dattée de Marseille
le 4 Août, le dessein de votre façon d'une
Lampe Antique , trouvée depuis peu par
un Païsan , dans le Territoire de la Ville
d'Apt , auprès du Village de Caseneuve.
Ce Monument que vous me marquez être
de la grandeur du Dessein , et qui représente
un pied , couvert d'une simple Sandale,
FEVRIER . 1733. 301
dale , avec quelques ornemens aux Courroyes,&
c. a cinq à six pouces de longueur,
depuis le Talon jusqu'à l'autre extrêmité
du pied , d'où sort une espece de Bec ,
que vous appellez Corne d'abondance, par
lequel on versoit de l'Huile dans la Lampe
, et où l'on mettoit la Méche . Au dessus
du cou du pied , terminé par un Orle
en maniere de petites perles , s'éleve une
espece de petit Rocher ,sur lequel est assis
un Enfant nud et aîlé , qui semble pleu
rer et tenir quelque chose dans ses mains.
Le tout fait une hauteur d'environ trois
pouces.Je n'oublie pas l'Anse qui déborde
au delà de la longueur du pied , du côté
du Talon, ayant à son extrémité un Anneau.
Il y a un autre Anneau au commencement
du gros doigt du pied , et voilà,
je crois , une Description exacte de ce
Monument.
Vous me marquez , Monsieur , que
l'Enfanr aîlé a les aîles et un brasselet
d'argent , et que le Pied qui forme la
Lampe a les ongles , et les petits Ornemens
des Courroyes aussi d'argent. Vous
ajoûtez que la Lampe est de Métail de
Corinthe , parfaitement bien conservée.
Ces circonstances sont curieuses et remarquables.
Pour ce qui est de l'explication conte-
E v nue
302 MERCURE DE FRANCE
nue dans votre Lettre , qui fait de cette
Lampe le Pied de Venus , qu'on pendoit ,
ajoutez - vous, par les deux Anneaux dans
le Temple de cette Déesse , en prenant
l'Enfant aîlé pour l'Amour , et par les au
tres convenances que vous trouvez . Cette
Explication , dis- je , me paroît ingénieu
se , fortifiée mêine par la figure du Rocher,
sur lequel l'Amour prétendu est assis,
Venus , érant , comme vous le sçavez, née
dans le sein de la Mer , &c. Mais à vous
parler sincerement , je ne trouve rien de
bien plausible dans cette Explication , qui
est , selon moi , toute conjecturale .
Ce que vous me marquez dans une se
conde Lettre plus réfléchie , du premier
de ce mois , prouve ce que je viens de dire.
Cela prouve aussi , Monsieur , que vous
n'êtes pas de ces Curieux entêtez qui ne
démordent jamais de leur premier sentiment.
Vous me dires qu'il vous est venu
une autre pensée sur ce Monument antique
et que des amis connoisseurs
l'ont
trouvée plus plausible que la premiere.
C'est icy , continuez- vous , le pied de
Psyché plutôt que celui de Venus. Une
Lampe fut fatale à Psyché aussi bien qu'à
l'Amour , représenté sur la nôtre , faisant
une triste figure ; ce qui explique assez ,
dires- vous , la pensée qui vous est venuë,
& c.
PerFEVRIER.
1733. 303
Permettez-moi d'être encore un peu
incrédule sur cette nouvelle explication
en donnant à votre sincérité toute la loüange
qu'elle mérite , lorsque dans le même
temps vous convenez que dénué de preuves
et d'autoritez vous laissez aux Antiquaires
la gloire de deviner cette Enigme ,
si c'en est une.
Je dis , si c'en est une , car il y a longtemps
que je suis persuadé que les Ouvriers
de l'Antiquité, en fabriquant la plus
part des Morceaux qui nous restent de
leur façon , n'ont le plus souvent suivi
que leur caprice ou leur goût particulier ,
celui quelquefois des personnes qui les
leur commandoient , sans s'embarrasser
de la Mythologie , sans y entendre , disje
, d'autre finesse . Si ma proposition est
vraie en general , ou a beaucoup d'égards ,
je crois qu'on peut l'appliquer particuliement
à la fabrique des Lampes ; c'est en
effet de tous les Monumens Antiques celui
dont on a découvert un plus grand
nombre , et dont on a le plus varié la
forme et les ornemens.Vous pouvez, Monsieur
, vous en convaincre , en parcourant
le Livre entier de F. Liceti , sur les
Lampes des Anciens et les différens Ouvrages
des Antiquaires qui ont écrit depuis
Liceti , à la tête desquels il faut mettre le
beau
E vj
3.4 MERCURE DE FRANCE.
beau et vaste Recueil du R. P. de Mont
faucon .
>
Les Lampes tiennent un rang considé
rable dans le Recueil , et occupent en Iz
Chapitres tout le second Livre de la seconde
Partie du se tome. On y en voit de
tres singulieres et de tres bizares , comme
le sont celles des 3 premiers Chapitres
totes la plupart de pur caprice. Les plus
belles , les plus chargées d'ornemens , et
qui paroissent manifestement symboliques
, et appartenir à la Mythologie , ou
aux Coutumes du Pagnanisme , se trouvent
dans les Chapitres suivans. Tout ce
que le Sçavant Auteur dit des unes et
des autres est fort sensé et fort instructif.
Il s'en faut bien qu'il n'adopte toutes les
idées et toutes les conjectures de Liceti ,
et de quelques autres Antiquaires sur ce
sujet.
Une Planche entiere , c'est la 148. contient
quatre Lampes en forme de Pied et
de Sandale, comme la vôtre, avec quelque
petite difference entr'elles pour les ornemens.
La 3 est la plus remarquable , à
cause de la Semele de la Sandale , gravée
séparément , qui est toute couverte de têtes
de clous. La 4º, a pour Anse un Serpent
entortillé , et differe un peu des autres
et de la vôtre dans la forme. Une autre
FEVRIER. 1733 305
tre Lampe représentée dans la Planche
d'après , dont l'Original est dans le Cabinet
du Duc de Médina - Celi , est toute
semblable à la vôtre ; pareil Pied , pareille
Sandale , mêmes dimensions . De plus
il y a,comme sur la vôtre , un Enfant aîlé
élevé au dessus du Talon.Cet Enfant tient
d'une main un Oyseau , et de l'autre , quelque
chose qu'on ne sçauroit discerner.
L'Enfant de votre Lampe paroît aussi
tenir quelque chose . Si vous avicz pris
garde à la Semele de la vôtre , vous y
auriez peut-être vû au dessous les mêmes
curieux ornemens qui sont sur celle de
Medina- Celi , que le Graveur a représentée
séparément. Je dis le dessous de la
Semele , dans la même Planche.
Je puis ajoûter une sixième Lampe de
meme forme , de même fabrique , de
même métal , en un mot, toute semblable
à la vôtre , que le R. P. de Montfaucon
m'a montrée dans son Cabinet , et qui
lui est venue depuis l'impression de son
Ouvrage , comme il lui arrive tous les
jours des Monumens d'Antiquité de toute
espece.
Mais , me direz-vous , dans ce grand
nombre de Lampes rapportées et représentées
dans cet Ouvrage, n'en trouve- t'on
point quelqu'une qui paroisse manifestement
305 MERCURE DE FRANCE.
ment avoir été consacrée à Venus , ou à
l'Amour ! Oui , Monsieur , il s'en trouve ;
mais ce n'est aucune de celles qui ressem
blent à la vôtre. Les Planches 170. et 172.
du même Livre , en présentent deux consacrées
à Venus par des Symboles qu'on
ne sçauroit méconnoître. La premiere a
la forme d'une Colombe , Oyseaur favori
de cette Déesse , qu'elle portoit à la main,
qu'elle attachoit à son Char , &c. La scconde
dont la forme est assez singuliere ,
porte au lieu de Symboles , l'Image mêm
de Venus en relief avec fort peu de Draperie
, &c. Deux autres Lampes gravées
dans les mêmes Planches appartiennent
visiblement à Cupidon . Sur l'une , outre
ses ailes , il est désigné par son flambeau
allumé qu'il tient à la main , et sur l'autre
il tient d'une main un Bouclier , et
porte l'autre main sur une cotte d'armes
, ayant désarmé Mars , &c. comme
le dit Lucrece , &c. sans parler de deux
autres Lampes aussi curieuses ; l'une de
Cupidon Marin , et l'autre de Cupidon et
Psyché ensemble qui s'embrassent , Planche
161. du même Vol . ausquelles on
peut joindre par Analogie une trèsbelle
Lampe des trois Graces , Planche
171.
Au reste , Monsieur , un Enfant nud
repréFEVRIER.
1733. 307
A
représenté avec des aîles , accompagné
même de quelques Symboles , sur des
Monumens Antiques,ne signifie pas toujours
Cupidon ou l'Amour , comme je
l'ai déja insinué. La preuve de cette verité
me meneroit trop loin , et ma Lettre
est déja assez longue : souffrés que je vous
renvoye pour cela à une pareille figure
d'Enfant aîlé , qui est sur un Monument
Antique de Bronze découvert dans la
Basse Normandie , du tems que j'y séjournois
, et que j'ai donné gravée avec le
Monument entier dans le Journal de
Trevoux , du mois de Sept. 1713.p.1536.
Cet Enfant , qui tient d'une main une
Bourse , et de l'autre un Oyseau par le
col , n'est pas Cupidon , malgré l'ingénieuse
explication qu'en a prétendu faire
P'Auteur du Journal , qui assûre que l'Enigme
de cet Enfant n'est pas difficile à
deviner. Voyez pour en juger ce qui est
dit dans le même Journal ( Octobre 1714.
pag. 1778. ) et surtout la Citation d'une
Médaille de Lucille , fille de Marc- Aurele
, rapportée dans le Selectiora Numismata
de Vaillant , où l'on voit deux Enfans
nuds et aîlez , semblables à celui dont
il est question dans le Monument de Normandie
, et qui ne sont assûrément pas
l'Amour. Voyez aussi la Figure aîlée ,
gravée
308 MERCURE DE FRANCE
gravée dans le même Journal ( Juillet
1715. p.1969. ) du Cabinet de M. Rigord,
qui accompagne une Lettre de ce Sçavant.
Vous y verrez que si c'est l'Amour,
ce qui est assez équivoque , ce n'est pas
l'Amour tout seul , puisque , selon M. R.
c'est en même- tems Harpocrate , Minerve
, la Déesse de la Santé , celle de l'Abondance
, la Fermeté , la Pudeur , et le
Dieu Orus , c'est-à- dire , dans le langage
des Antiquaires , une Figure Panthée.
Je vous cire , au reste, un Livre ( le Jour
nal de Trévoux ) que je crois familier dans
votre Ville , car vous me surprenez beaucoup
en disant que le seul Livre que vous
y avez trouvé pour chercher quelque lumiere
au sujet de votre Lampe , est le
Trésor de Brandebourg , ou la Description
des Antiquitez du Cabinet du Roi de
Prusse , par Beger , dans lequel encore
vous n'avez rien appris à cet égard .
C'est aussi par cette raison que je me suis
un peu étendu pour vous procurer les
éclaircissemens qu'il me paroît que vous
cherchez de bonne foi , et sans attachement
à votre opinion particuliere .
J'ai oublié de vous dire au sujet des
Enfans aîlez , pris communément pour
l'Amour quand on les trouve sur des Monu
FEVRIER . 1733. 309
numens Antiques , que dans le Recüell
des Lampes de Liceti il s'en trouve une
assez singuliere , faite en forme de Calice
, et soutenue par trois Garçons allez
qui ne sont pas plus l'Amour que les autres
figures ailées dont je viens de parler.
Liceti leur donne en effet une autre signification
, les expliquant par les trois
temps , le présent , le passé , le futar
explication gratuite et toute idéale , refutée
par le Pere de Montfaucon , qui
croit avec raison que ce n'est là qu'un
pur caprice d'ouvrier : mais on pourroit
demander pourquoi dans cette supposi
tion , il a néanmoins placé cette Lampe
parmi celles qui dans son Livre appartiennent
à la Mithologie et aux divers
usages du Paganisme. Ön la trouve en effet
en ce rang dans la même Planche 170.
ci-devant citée , &c. -
Je reviens à la Lettre de M. Rigord
dont j'ai parlé plus haut , pour finir la
mienne par une refléxion qui y est contenuë,
et qui vient ici naturellement . » Le
Métier d'un Antiquaire seroit , dit- il ,
» bien pénible , si parce qu'il est Anti-
» quaire , on vouloit l'obliger de donner
» raison de certains desseins que l'Ou-
» vrier a faits sans raison , et par caprice.
Il avoit dit un peu auparavant qu'en
cer
310 MERCURE DE FRANCE
certain cas l'Ouvrier pouvoit , comme
» on fait aujourd'hui , suivre son capri-
» ce , et par là préparer des tortures aux
» Antiquaires à venir. Je m'en tiens à
cette pensée d'un homme éclairé qui avoit
vieilli dans l'étude des Antiques , et conforme
en cela au sentiment des plus habiles.
Continuez -moi cependant , Monsieur ;
votre obligeante attention , en me faisant
part de tout ce que vous pourrez découvrir
de remarquable en ce genre , en prenant
la peine de les dessiner vous -même
avec cette précision et ce goût qui vous
sontnaturels . Les belles Figures Antiques
de Marbre trouvées dans le même Terris
toire que votre Lampe , transportées à Paris
, et dont il est parlé dans le Mercure
d'Août dernier , p. 1809. ont enfin trouvé
maître. J'ai toujours passionnément
souhaitté qu'un pareil Trésor pût rester
ici , mais j'apprens avec chagrin que ces
rares Monumens de la plus belle Antiquité
vont passer la Mer sans retour. Je
suis , & c.
A Paris , le 15 Septembre 1732 .
·D... au sujet d'une Lampe Antique ,
trouvée en Provence , au mois de fuillet
dernier.
V
Ous m'avez fait , Monsieur , beaucoup
de plaisir en m'envoïant, avec
une de vos Lettres , dattée de Marseille
le 4 Août, le dessein de votre façon d'une
Lampe Antique , trouvée depuis peu par
un Païsan , dans le Territoire de la Ville
d'Apt , auprès du Village de Caseneuve.
Ce Monument que vous me marquez être
de la grandeur du Dessein , et qui représente
un pied , couvert d'une simple Sandale,
FEVRIER . 1733. 301
dale , avec quelques ornemens aux Courroyes,&
c. a cinq à six pouces de longueur,
depuis le Talon jusqu'à l'autre extrêmité
du pied , d'où sort une espece de Bec ,
que vous appellez Corne d'abondance, par
lequel on versoit de l'Huile dans la Lampe
, et où l'on mettoit la Méche . Au dessus
du cou du pied , terminé par un Orle
en maniere de petites perles , s'éleve une
espece de petit Rocher ,sur lequel est assis
un Enfant nud et aîlé , qui semble pleu
rer et tenir quelque chose dans ses mains.
Le tout fait une hauteur d'environ trois
pouces.Je n'oublie pas l'Anse qui déborde
au delà de la longueur du pied , du côté
du Talon, ayant à son extrémité un Anneau.
Il y a un autre Anneau au commencement
du gros doigt du pied , et voilà,
je crois , une Description exacte de ce
Monument.
Vous me marquez , Monsieur , que
l'Enfanr aîlé a les aîles et un brasselet
d'argent , et que le Pied qui forme la
Lampe a les ongles , et les petits Ornemens
des Courroyes aussi d'argent. Vous
ajoûtez que la Lampe est de Métail de
Corinthe , parfaitement bien conservée.
Ces circonstances sont curieuses et remarquables.
Pour ce qui est de l'explication conte-
E v nue
302 MERCURE DE FRANCE
nue dans votre Lettre , qui fait de cette
Lampe le Pied de Venus , qu'on pendoit ,
ajoutez - vous, par les deux Anneaux dans
le Temple de cette Déesse , en prenant
l'Enfant aîlé pour l'Amour , et par les au
tres convenances que vous trouvez . Cette
Explication , dis- je , me paroît ingénieu
se , fortifiée mêine par la figure du Rocher,
sur lequel l'Amour prétendu est assis,
Venus , érant , comme vous le sçavez, née
dans le sein de la Mer , &c. Mais à vous
parler sincerement , je ne trouve rien de
bien plausible dans cette Explication , qui
est , selon moi , toute conjecturale .
Ce que vous me marquez dans une se
conde Lettre plus réfléchie , du premier
de ce mois , prouve ce que je viens de dire.
Cela prouve aussi , Monsieur , que vous
n'êtes pas de ces Curieux entêtez qui ne
démordent jamais de leur premier sentiment.
Vous me dires qu'il vous est venu
une autre pensée sur ce Monument antique
et que des amis connoisseurs
l'ont
trouvée plus plausible que la premiere.
C'est icy , continuez- vous , le pied de
Psyché plutôt que celui de Venus. Une
Lampe fut fatale à Psyché aussi bien qu'à
l'Amour , représenté sur la nôtre , faisant
une triste figure ; ce qui explique assez ,
dires- vous , la pensée qui vous est venuë,
& c.
PerFEVRIER.
1733. 303
Permettez-moi d'être encore un peu
incrédule sur cette nouvelle explication
en donnant à votre sincérité toute la loüange
qu'elle mérite , lorsque dans le même
temps vous convenez que dénué de preuves
et d'autoritez vous laissez aux Antiquaires
la gloire de deviner cette Enigme ,
si c'en est une.
Je dis , si c'en est une , car il y a longtemps
que je suis persuadé que les Ouvriers
de l'Antiquité, en fabriquant la plus
part des Morceaux qui nous restent de
leur façon , n'ont le plus souvent suivi
que leur caprice ou leur goût particulier ,
celui quelquefois des personnes qui les
leur commandoient , sans s'embarrasser
de la Mythologie , sans y entendre , disje
, d'autre finesse . Si ma proposition est
vraie en general , ou a beaucoup d'égards ,
je crois qu'on peut l'appliquer particuliement
à la fabrique des Lampes ; c'est en
effet de tous les Monumens Antiques celui
dont on a découvert un plus grand
nombre , et dont on a le plus varié la
forme et les ornemens.Vous pouvez, Monsieur
, vous en convaincre , en parcourant
le Livre entier de F. Liceti , sur les
Lampes des Anciens et les différens Ouvrages
des Antiquaires qui ont écrit depuis
Liceti , à la tête desquels il faut mettre le
beau
E vj
3.4 MERCURE DE FRANCE.
beau et vaste Recueil du R. P. de Mont
faucon .
>
Les Lampes tiennent un rang considé
rable dans le Recueil , et occupent en Iz
Chapitres tout le second Livre de la seconde
Partie du se tome. On y en voit de
tres singulieres et de tres bizares , comme
le sont celles des 3 premiers Chapitres
totes la plupart de pur caprice. Les plus
belles , les plus chargées d'ornemens , et
qui paroissent manifestement symboliques
, et appartenir à la Mythologie , ou
aux Coutumes du Pagnanisme , se trouvent
dans les Chapitres suivans. Tout ce
que le Sçavant Auteur dit des unes et
des autres est fort sensé et fort instructif.
Il s'en faut bien qu'il n'adopte toutes les
idées et toutes les conjectures de Liceti ,
et de quelques autres Antiquaires sur ce
sujet.
Une Planche entiere , c'est la 148. contient
quatre Lampes en forme de Pied et
de Sandale, comme la vôtre, avec quelque
petite difference entr'elles pour les ornemens.
La 3 est la plus remarquable , à
cause de la Semele de la Sandale , gravée
séparément , qui est toute couverte de têtes
de clous. La 4º, a pour Anse un Serpent
entortillé , et differe un peu des autres
et de la vôtre dans la forme. Une autre
FEVRIER. 1733 305
tre Lampe représentée dans la Planche
d'après , dont l'Original est dans le Cabinet
du Duc de Médina - Celi , est toute
semblable à la vôtre ; pareil Pied , pareille
Sandale , mêmes dimensions . De plus
il y a,comme sur la vôtre , un Enfant aîlé
élevé au dessus du Talon.Cet Enfant tient
d'une main un Oyseau , et de l'autre , quelque
chose qu'on ne sçauroit discerner.
L'Enfant de votre Lampe paroît aussi
tenir quelque chose . Si vous avicz pris
garde à la Semele de la vôtre , vous y
auriez peut-être vû au dessous les mêmes
curieux ornemens qui sont sur celle de
Medina- Celi , que le Graveur a représentée
séparément. Je dis le dessous de la
Semele , dans la même Planche.
Je puis ajoûter une sixième Lampe de
meme forme , de même fabrique , de
même métal , en un mot, toute semblable
à la vôtre , que le R. P. de Montfaucon
m'a montrée dans son Cabinet , et qui
lui est venue depuis l'impression de son
Ouvrage , comme il lui arrive tous les
jours des Monumens d'Antiquité de toute
espece.
Mais , me direz-vous , dans ce grand
nombre de Lampes rapportées et représentées
dans cet Ouvrage, n'en trouve- t'on
point quelqu'une qui paroisse manifestement
305 MERCURE DE FRANCE.
ment avoir été consacrée à Venus , ou à
l'Amour ! Oui , Monsieur , il s'en trouve ;
mais ce n'est aucune de celles qui ressem
blent à la vôtre. Les Planches 170. et 172.
du même Livre , en présentent deux consacrées
à Venus par des Symboles qu'on
ne sçauroit méconnoître. La premiere a
la forme d'une Colombe , Oyseaur favori
de cette Déesse , qu'elle portoit à la main,
qu'elle attachoit à son Char , &c. La scconde
dont la forme est assez singuliere ,
porte au lieu de Symboles , l'Image mêm
de Venus en relief avec fort peu de Draperie
, &c. Deux autres Lampes gravées
dans les mêmes Planches appartiennent
visiblement à Cupidon . Sur l'une , outre
ses ailes , il est désigné par son flambeau
allumé qu'il tient à la main , et sur l'autre
il tient d'une main un Bouclier , et
porte l'autre main sur une cotte d'armes
, ayant désarmé Mars , &c. comme
le dit Lucrece , &c. sans parler de deux
autres Lampes aussi curieuses ; l'une de
Cupidon Marin , et l'autre de Cupidon et
Psyché ensemble qui s'embrassent , Planche
161. du même Vol . ausquelles on
peut joindre par Analogie une trèsbelle
Lampe des trois Graces , Planche
171.
Au reste , Monsieur , un Enfant nud
repréFEVRIER.
1733. 307
A
représenté avec des aîles , accompagné
même de quelques Symboles , sur des
Monumens Antiques,ne signifie pas toujours
Cupidon ou l'Amour , comme je
l'ai déja insinué. La preuve de cette verité
me meneroit trop loin , et ma Lettre
est déja assez longue : souffrés que je vous
renvoye pour cela à une pareille figure
d'Enfant aîlé , qui est sur un Monument
Antique de Bronze découvert dans la
Basse Normandie , du tems que j'y séjournois
, et que j'ai donné gravée avec le
Monument entier dans le Journal de
Trevoux , du mois de Sept. 1713.p.1536.
Cet Enfant , qui tient d'une main une
Bourse , et de l'autre un Oyseau par le
col , n'est pas Cupidon , malgré l'ingénieuse
explication qu'en a prétendu faire
P'Auteur du Journal , qui assûre que l'Enigme
de cet Enfant n'est pas difficile à
deviner. Voyez pour en juger ce qui est
dit dans le même Journal ( Octobre 1714.
pag. 1778. ) et surtout la Citation d'une
Médaille de Lucille , fille de Marc- Aurele
, rapportée dans le Selectiora Numismata
de Vaillant , où l'on voit deux Enfans
nuds et aîlez , semblables à celui dont
il est question dans le Monument de Normandie
, et qui ne sont assûrément pas
l'Amour. Voyez aussi la Figure aîlée ,
gravée
308 MERCURE DE FRANCE
gravée dans le même Journal ( Juillet
1715. p.1969. ) du Cabinet de M. Rigord,
qui accompagne une Lettre de ce Sçavant.
Vous y verrez que si c'est l'Amour,
ce qui est assez équivoque , ce n'est pas
l'Amour tout seul , puisque , selon M. R.
c'est en même- tems Harpocrate , Minerve
, la Déesse de la Santé , celle de l'Abondance
, la Fermeté , la Pudeur , et le
Dieu Orus , c'est-à- dire , dans le langage
des Antiquaires , une Figure Panthée.
Je vous cire , au reste, un Livre ( le Jour
nal de Trévoux ) que je crois familier dans
votre Ville , car vous me surprenez beaucoup
en disant que le seul Livre que vous
y avez trouvé pour chercher quelque lumiere
au sujet de votre Lampe , est le
Trésor de Brandebourg , ou la Description
des Antiquitez du Cabinet du Roi de
Prusse , par Beger , dans lequel encore
vous n'avez rien appris à cet égard .
C'est aussi par cette raison que je me suis
un peu étendu pour vous procurer les
éclaircissemens qu'il me paroît que vous
cherchez de bonne foi , et sans attachement
à votre opinion particuliere .
J'ai oublié de vous dire au sujet des
Enfans aîlez , pris communément pour
l'Amour quand on les trouve sur des Monu
FEVRIER . 1733. 309
numens Antiques , que dans le Recüell
des Lampes de Liceti il s'en trouve une
assez singuliere , faite en forme de Calice
, et soutenue par trois Garçons allez
qui ne sont pas plus l'Amour que les autres
figures ailées dont je viens de parler.
Liceti leur donne en effet une autre signification
, les expliquant par les trois
temps , le présent , le passé , le futar
explication gratuite et toute idéale , refutée
par le Pere de Montfaucon , qui
croit avec raison que ce n'est là qu'un
pur caprice d'ouvrier : mais on pourroit
demander pourquoi dans cette supposi
tion , il a néanmoins placé cette Lampe
parmi celles qui dans son Livre appartiennent
à la Mithologie et aux divers
usages du Paganisme. Ön la trouve en effet
en ce rang dans la même Planche 170.
ci-devant citée , &c. -
Je reviens à la Lettre de M. Rigord
dont j'ai parlé plus haut , pour finir la
mienne par une refléxion qui y est contenuë,
et qui vient ici naturellement . » Le
Métier d'un Antiquaire seroit , dit- il ,
» bien pénible , si parce qu'il est Anti-
» quaire , on vouloit l'obliger de donner
» raison de certains desseins que l'Ou-
» vrier a faits sans raison , et par caprice.
Il avoit dit un peu auparavant qu'en
cer
310 MERCURE DE FRANCE
certain cas l'Ouvrier pouvoit , comme
» on fait aujourd'hui , suivre son capri-
» ce , et par là préparer des tortures aux
» Antiquaires à venir. Je m'en tiens à
cette pensée d'un homme éclairé qui avoit
vieilli dans l'étude des Antiques , et conforme
en cela au sentiment des plus habiles.
Continuez -moi cependant , Monsieur ;
votre obligeante attention , en me faisant
part de tout ce que vous pourrez découvrir
de remarquable en ce genre , en prenant
la peine de les dessiner vous -même
avec cette précision et ce goût qui vous
sontnaturels . Les belles Figures Antiques
de Marbre trouvées dans le même Terris
toire que votre Lampe , transportées à Paris
, et dont il est parlé dans le Mercure
d'Août dernier , p. 1809. ont enfin trouvé
maître. J'ai toujours passionnément
souhaitté qu'un pareil Trésor pût rester
ici , mais j'apprens avec chagrin que ces
rares Monumens de la plus belle Antiquité
vont passer la Mer sans retour. Je
suis , & c.
A Paris , le 15 Septembre 1732 .
Fermer
Résumé : LETTRE écrite par M. D. L. R. à M. D... au sujet d'une Lampe Antique, trouvée en Provence, au mois de Juillet dernier.
La lettre de M. D. L. R. à M. D... traite de la découverte d'une lampe antique en Provence, près du village de Caseneuve, dans le territoire de la ville d'Apt. Cette lampe, illustrée par un dessin envoyé par M. D..., mesure environ cinq à six pouces de longueur et trois pouces de hauteur. Fabriquée en métal de Corinthe, elle est ornée d'un pied avec une sandale, d'une corne d'abondance et d'un enfant ailé pleurant. La lampe possède deux anneaux, l'un à l'extrémité de l'anse et l'autre au début du gros orteil. M. D... suggère que cette lampe pourrait représenter le pied de Vénus, avec l'enfant ailé symbolisant l'Amour. Cependant, M. D. L. R. trouve cette interprétation conjecturale et propose une autre hypothèse : la lampe pourrait être liée à Psyché, en raison de la présence de l'enfant ailé et de la lampe fatale à Psyché. M. D. L. R. souligne que les lampes antiques étaient souvent fabriquées selon les caprices des ouvriers ou les goûts particuliers des commanditaires, sans nécessairement suivre la mythologie. Il cite divers ouvrages sur les lampes antiques, notamment ceux de Liceti et du Père de Montfaucon, qui décrivent une grande variété de formes et d'ornements. La lettre se conclut par une réflexion sur la difficulté du métier d'antiquaire, qui doit souvent interpréter des objets créés sans raison particulière par les artisans antiques. M. D. L. R. exprime également son regret que des figures antiques en marbre découvertes dans la même région que la lampe soient envoyées à l'étranger.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
18
p. 643-649
NEUVIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. le Marquis de B. au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta, en particulier sur M. le Marquis de Santa-Cruz.
Début :
Vous me faites, Monsieur, l'honneur de me demander ce que je pense de certains bruits [...]
Mots clefs :
Oran, Ceuta, Alger, Maures, Marquis de Santa Cruz, Espagnols, Prisonnier
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : NEUVIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. le Marquis de B. au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta, en particulier sur M. le Marquis de Santa-Cruz.
NEUVIE' ME LETTRE de
M. D. L R. écrite à M. le Marquis
de B. au sujet des Villes d'Oran et de
Ceuta , en particulier sur M. le Marquis
de Santa-Cruz;
'Ous me faites , Monsieur , l'honneur de me
V demander ceque je pense de certains bruits
qui se sont répandus , et dont on a même imprimé
quelque chose dans des Nouvelles publiques
, au sujet du Marquis de Santa- Cruz , qu'on
a prétendu n'avoir pas été tué dans l'Action du
21. Novembre devant Oran , et être actuellement
prisonnier à Alger . Votre demande ne pouvoit
jamais me venir plus à propos ; une Lettre tout
récemment reçuë d'Alger , me met en état d'y
répondre pertinemment. Elle est de la même personne
, dont vous avez déja vû une autre Lettre,
insérée dans une des miennes. Voici , Monsieur,
tout ce qu'elle contient sur ce sujet.
93
MONSIEUR,
J'ai reçû le premier jour de cette année la
B Lettre
644 MERCURE DE FRANCE
>>
రు
95
» Lettre que vous m'avez fait l'honneur de mé
crire pour avoir quelque éclaircissement sur le
>> triste sort de M. le Marquis de Santa- Cruz ,
dans la malheureuse sortie qu'il fit le 21. Novembre
dernier. Les motifs que vous me détaillez
pour m'y engager , font connoître la
haute estime qu'on avoit pour ce grand hommè,
et que son mérite personnel rend sa perte
» veritablement digne des regrets les plus amers ;
mais il n'en falloit pas tant pour me porter
faire une chose à laquelle je m'interesse et je
» prens autant de part que personne ; heureux si
dans mes perquisitions je pouvois trouver de
quoi flatter les foibles esperances de Madame
la Marquise son Epouse, et temperer un peu sa
juste douleur ; mais la mort de ce Seigneur ne
» me paroît que trop certaine ; les Turcs et les
»Maures d'une part , et de l'autre les Officiers er
» les Soldats faits prisonniers , et arrivez ici de-'
» puis huit jours , l'assurent tous unanimement ;
גכ
و د
il y en a même plusieurs qui certifient avoir
» été témoins oculaires de la barbare cruauté avec
laquelle ce brave Géneral a été traité ; enfin ,
Monsieur , quelques Algeriens ajoûtent les fus
» nestes circonstances que voici.
ɔɔ
Ayant été d'abord renversé de son cheval
par un coup de fusil à la cuisse , et le cheval s'é-
" tant échappé , le General fut aussi - tôt saisi par
cinq ou six Maures , ausquels il se fit connoî-
» tre , avec promesse d'une grande récompense
»si on le traitoit humainement ; ces Barbares lui
" arracherent d'abord tout ce qu'il avoit de pré
" cieux , en commençant par la chaîne d'or à laquelle
étoient attachez ses Ordres de Chevale-
Prie , ensuite une Montre et une Bague de grand
prix , l'or qu'il avoit sur lui , & c . Il survint
un
AVRIL. 1733- 645
၁
» un moment après une dispute entre les Maures
au sujet du Prisonnier , chacun voulant le
posseder ; mais enfin craignant que le Commandant
des Turcs ne se le fit rendre d'autorité
avec toutes ses dépouilles , ils prirent le
cruel parti de lui couper la tête et de met-
» tre ensuite son corps en pieces : voilà ce
» que j'ai entendu dire à plusieurs personnes ,qui,
comme je l'ai dit , se donnent pour témoins
D de l'action.
» Ce qu'il y a de bien certain , Monsieur , c'est
» que M. de Santa - Cruz n'est ni à Alger ni dans
»le Camp des Algeriens ; il n'y a pas non plus
םכ
23
d'apparence qu'il soit prisonnier parmi les
» Maures. Après les grandes diligences qu'a fait
Bigotillos pour le découvrir mort ou vif, il
» n'auroit pas manqué de le trouver , s'il étoit
» en vie , je crois que sa tête et son corps ont été
»si fort défigurez qu'il n'aura pas été possible
» de le reconnoître. Une partie de ceux qui fu-
» rent faits prisonniers dans cette même journée,
au nombre de 119. sont ici, comme je l'ai
marqué cy- dessus ; j'en ai questionné plusieurs,
» les autres Font été par les Religieux Espagnols
de laRédemption,que j'ai employez pour ce sujet,
lesquels m'ont donné une Liste des Officiers,
la même que le General Turc fit faire par une
» feinte qui lui réussit ; car pour bien reconnoî-
> noître les Officiers , il fit dire à toute la troupe
»des Prisonniers , qu'il vouloit envoyer les Soldats
à Alger , mais qu'à l'égard des Officiers ,
»son intention étoit de négocier leur rançon
par argent ou par échange , et cependant les
renvoyer à Oran ; alors chacun s'empressa de
>> se faire connoître pour ce qu'il étoit ; mais le
» General Turc ayant fait le discernement qu'il
Bij souhaitoit
"
646
MERCURE
DE FRANCE
souhaitoit , les a tous envoyez à Alger avec la
Liste contenant leurs qualitez . Aucun de ces
Officiers n'est François, mais il y a beaucoup de
» Soldats ; on assure qu'il y en a encore un grand
nombre de toutes les Nations de l'Europe , qui
» sont restez au pouvoir des Maures , lesquels
> ne veulent ni les rendre ni les vendre aux
Turcs, dans l'esperance d'en tirer un plus grand
prix d'ailleurs.
כ כ
ם כ
Voilà , Monsieur , tout ce que j'ai pû apprendre
de la fatale destinée de M. le Marqnis
» de Santa- Cruz . La perte d'un General si plein
» de valeur , si expérimenté , si zelé pour la Religion
et pour sa Patrie , ne peut être assez
» pleurée ; sur tout , s'il est vrai , comme on le
» dit, qu'elle ait été occasionnée par la mauvaise
>> manoeuvre de quelques Régimens , qui auroient
dû se sacrifier mille fois pour la conservation
de ce grand Capitaine . Nous commençons d'être
ici un peu plus tranquiles, ce qui m'engagera
à continuer de vous donner de mes nouvelles.
» J'ai l'honneur d'être , &c.
>>
A Alger , le 6. Janvier 1733 .
Je n'aurai pas , Monsieur , beaucoup de cho
ses à vous dire aujourd'hui au sujet d'Ōran et de
Ceuta 3 vous sçavez , sans doute , les nouvelles
courantes et l'inaction qu'il y a eû de
part et d'autre à l'égard de ces deux Places jusqu'au
. Février , jour auquel il y eut une action
assez vive entre les Troupes de la Garnison d'Oran
et les Maures , laquelle dura depuis le matinjusqu'au
soir , et fut tout à l'avantage des Espagnols.
La saison où nous allons entrer , fournira
, sans doute , d'autres Evenemens , et je
17
compte
AVRIL. 1733. 647
compte fort sur mes Correspondances pour avoir
le plaisir de continuer de vous instruire des nouvelles
d'Affrique , sur tout si dans ce temps-là
vous n'êtes point à Paris .
En attendant je crois , Monsieur , que vous
ferez bien de continuer votre lecture de Marmol,
Auteur Espagnol , qui a fait un Ouvrage assez
instructif sur cette grande Partie du Monde ;
vous y apprendrez des choses curieuses , et qui
vous mettront au fait de plusieurs sujets qui se
présentent souvent , et sur lesquels on n'a ordinairement
que des idées superficielles ; mais lisez
, s'il est possible , cet Auteur dans sa Langue
naturelle , n'ayez pas , du moins , trop de confiance
en la Traduction qu'en a faite M. d'Ablancourt
, qui n'eut ni le temps de la revoir ni
de publier lui-même son travail. Outre que les
noms Arabes composez, des Lieux et des Personnes
, déja assez mal traitez pár Marmol , sont
encore plus défigurez dans d'Ablancourt , je
trouve en quelques endroits sa Version fort deffectueuse
, peu limée , même par rapport à notre
Langue , qu'il devoit sçavoir mieux qu'un autre ,
vous pourrez en juger par la maniere dont il
s'exprime à l'égard du fameux Port de Marsalquibir
, qui est auprès d'Oran , et dont le nom
signifie en Arabe ce que les Romains ont dit en
Latin , Portus Magnus . Notre Traducteur écrit
Marsa-qui-Vir , ce qui est une veritable corruption.
Cette Place , dit - il ensuite , qui signifie le
grand Port , &c. Je vous demande , Monsieur , si
c'est là du François ? une place qui signifie , &c .
Je puis vous assurer que ce n'est pas non plus le
sens de la phrase Espagnole.
Je vois aussi avec plaisir que vous prenez goût
à la Géographie d'Abulfeda , cet Auteur Arabe ,
B iij
dont
648 MERCURE DE FRANCE
dont je vous ai parlé à l'occasion de la Ville de
Ceuta , et dont l'Edition entiere doit être présentement
publiée à Londres. Vous me demandez
si ce Géographe , qui vivoit dans le XIV . siecle ,
a fait quelque mention d'Oran . Il n'a assurément
pas oublié cette Ville dans la courte Description
qu'il fait de la Côte de Barbarie. » Oran,
ou Ouahran , dit - il , est une Ville du Pays des
» Bereberes,du côté du Couchant située sur le bord
» de la Mer , distante d'une journée de chemin
de Tremecen ; ceux qui l'ont vûë rapportent
qu'elle sert de Port à Tremecen ; elle est située
» à l'Orient , tant soit peu Septentrional de cette
Capitale. Sa longitude est d'environ 15. D. 20.
M. et sa latitude de 18 : D. 5o . M. Le Cherif
Edrisi dit dans sa Géographie , que cette Ville
» Maritime est ceinte d'une très forte Muraille ,
et qu'elle est située vis - à- vis d'Almerie en Espagne.
39
Marmol n'a pas connu ce Géographe qui auroit
pû le redresser en plusieurs endroirs de son
Affrique , Ouvrage , comme je l'ai déja dit , qui a
son merite et ses deffauts . L'Auteur est presque
toujours prévenu en faveur de la prétendue antiquité
des Lieux dont il parle . C'est lui qui le
premier a fait d'Oran , de Ceuta , et de quelques
autres Places de l'Affrique , des Colonies Romai
nes , ce qui n'a pas le moindre fondement dans
l'Histoire ni ailleurs . La plupart de ces Villes
doivent leur origine aux Califes ou à des Princes
Mahométans leurs Successeurs.
Il me reste à vous dire un mot des affaires de
Ceuta , qui n'ont pas changé de situation depuis
mes dernieres Lettres. L'inaction est encore plus
grande de la part des Maures qui sont devant
cette Place , que de ceux qui sont aux environs
d'Oran
AVRIL. 1733. 649
d'Oran. On prétend même que les Troupes du
Camp de Ceuta sont fort diminuées par la retrai
te de près de 2000. Noirs , occasionnée par les
troubles du Royaume de Maroc , que le nouveau
Roy a bien de la peine à appaiser. Quoiqu'il en
soit c'est une grande entreprise pour d'aussi mauvais
guerriers , que celle de prendre par force une
telle Place .
Je suis encore plus fortifié dans mon opinion
depuis que j'en ai vu le Plan ces jours passez tel
qu'il a été levé sur les lieux par d'habiles Ingénieurs
Espagnols ; ce qui me donne une grande
idée de la Ville et des Fortifications , qui sont en
grand nombre et bien entendues. Comme rien
n'est oublié dans ce Plan , et que tous les environs
de Ceuta y sont exactement décrits , j'y ai
remarqué avec plaisir jusqu'à l'ancienne Eglise
de S. Samson , qui subsiste encore à une lieue du
corps de la Place , dans laquelle Jean I. Roy de
Portugal , fit les Princes ses fils Chevaliers , après
la Prise d'Oran , suivant le Projet dont je vous
ai parlé dans ma précédente Lettre. J'ai l'honneur
d'être , Monsieur , &c.
A Paris le 14. Mars 1733-
M. D. L R. écrite à M. le Marquis
de B. au sujet des Villes d'Oran et de
Ceuta , en particulier sur M. le Marquis
de Santa-Cruz;
'Ous me faites , Monsieur , l'honneur de me
V demander ceque je pense de certains bruits
qui se sont répandus , et dont on a même imprimé
quelque chose dans des Nouvelles publiques
, au sujet du Marquis de Santa- Cruz , qu'on
a prétendu n'avoir pas été tué dans l'Action du
21. Novembre devant Oran , et être actuellement
prisonnier à Alger . Votre demande ne pouvoit
jamais me venir plus à propos ; une Lettre tout
récemment reçuë d'Alger , me met en état d'y
répondre pertinemment. Elle est de la même personne
, dont vous avez déja vû une autre Lettre,
insérée dans une des miennes. Voici , Monsieur,
tout ce qu'elle contient sur ce sujet.
93
MONSIEUR,
J'ai reçû le premier jour de cette année la
B Lettre
644 MERCURE DE FRANCE
>>
రు
95
» Lettre que vous m'avez fait l'honneur de mé
crire pour avoir quelque éclaircissement sur le
>> triste sort de M. le Marquis de Santa- Cruz ,
dans la malheureuse sortie qu'il fit le 21. Novembre
dernier. Les motifs que vous me détaillez
pour m'y engager , font connoître la
haute estime qu'on avoit pour ce grand hommè,
et que son mérite personnel rend sa perte
» veritablement digne des regrets les plus amers ;
mais il n'en falloit pas tant pour me porter
faire une chose à laquelle je m'interesse et je
» prens autant de part que personne ; heureux si
dans mes perquisitions je pouvois trouver de
quoi flatter les foibles esperances de Madame
la Marquise son Epouse, et temperer un peu sa
juste douleur ; mais la mort de ce Seigneur ne
» me paroît que trop certaine ; les Turcs et les
»Maures d'une part , et de l'autre les Officiers er
» les Soldats faits prisonniers , et arrivez ici de-'
» puis huit jours , l'assurent tous unanimement ;
גכ
و د
il y en a même plusieurs qui certifient avoir
» été témoins oculaires de la barbare cruauté avec
laquelle ce brave Géneral a été traité ; enfin ,
Monsieur , quelques Algeriens ajoûtent les fus
» nestes circonstances que voici.
ɔɔ
Ayant été d'abord renversé de son cheval
par un coup de fusil à la cuisse , et le cheval s'é-
" tant échappé , le General fut aussi - tôt saisi par
cinq ou six Maures , ausquels il se fit connoî-
» tre , avec promesse d'une grande récompense
»si on le traitoit humainement ; ces Barbares lui
" arracherent d'abord tout ce qu'il avoit de pré
" cieux , en commençant par la chaîne d'or à laquelle
étoient attachez ses Ordres de Chevale-
Prie , ensuite une Montre et une Bague de grand
prix , l'or qu'il avoit sur lui , & c . Il survint
un
AVRIL. 1733- 645
၁
» un moment après une dispute entre les Maures
au sujet du Prisonnier , chacun voulant le
posseder ; mais enfin craignant que le Commandant
des Turcs ne se le fit rendre d'autorité
avec toutes ses dépouilles , ils prirent le
cruel parti de lui couper la tête et de met-
» tre ensuite son corps en pieces : voilà ce
» que j'ai entendu dire à plusieurs personnes ,qui,
comme je l'ai dit , se donnent pour témoins
D de l'action.
» Ce qu'il y a de bien certain , Monsieur , c'est
» que M. de Santa - Cruz n'est ni à Alger ni dans
»le Camp des Algeriens ; il n'y a pas non plus
םכ
23
d'apparence qu'il soit prisonnier parmi les
» Maures. Après les grandes diligences qu'a fait
Bigotillos pour le découvrir mort ou vif, il
» n'auroit pas manqué de le trouver , s'il étoit
» en vie , je crois que sa tête et son corps ont été
»si fort défigurez qu'il n'aura pas été possible
» de le reconnoître. Une partie de ceux qui fu-
» rent faits prisonniers dans cette même journée,
au nombre de 119. sont ici, comme je l'ai
marqué cy- dessus ; j'en ai questionné plusieurs,
» les autres Font été par les Religieux Espagnols
de laRédemption,que j'ai employez pour ce sujet,
lesquels m'ont donné une Liste des Officiers,
la même que le General Turc fit faire par une
» feinte qui lui réussit ; car pour bien reconnoî-
> noître les Officiers , il fit dire à toute la troupe
»des Prisonniers , qu'il vouloit envoyer les Soldats
à Alger , mais qu'à l'égard des Officiers ,
»son intention étoit de négocier leur rançon
par argent ou par échange , et cependant les
renvoyer à Oran ; alors chacun s'empressa de
>> se faire connoître pour ce qu'il étoit ; mais le
» General Turc ayant fait le discernement qu'il
Bij souhaitoit
"
646
MERCURE
DE FRANCE
souhaitoit , les a tous envoyez à Alger avec la
Liste contenant leurs qualitez . Aucun de ces
Officiers n'est François, mais il y a beaucoup de
» Soldats ; on assure qu'il y en a encore un grand
nombre de toutes les Nations de l'Europe , qui
» sont restez au pouvoir des Maures , lesquels
> ne veulent ni les rendre ni les vendre aux
Turcs, dans l'esperance d'en tirer un plus grand
prix d'ailleurs.
כ כ
ם כ
Voilà , Monsieur , tout ce que j'ai pû apprendre
de la fatale destinée de M. le Marqnis
» de Santa- Cruz . La perte d'un General si plein
» de valeur , si expérimenté , si zelé pour la Religion
et pour sa Patrie , ne peut être assez
» pleurée ; sur tout , s'il est vrai , comme on le
» dit, qu'elle ait été occasionnée par la mauvaise
>> manoeuvre de quelques Régimens , qui auroient
dû se sacrifier mille fois pour la conservation
de ce grand Capitaine . Nous commençons d'être
ici un peu plus tranquiles, ce qui m'engagera
à continuer de vous donner de mes nouvelles.
» J'ai l'honneur d'être , &c.
>>
A Alger , le 6. Janvier 1733 .
Je n'aurai pas , Monsieur , beaucoup de cho
ses à vous dire aujourd'hui au sujet d'Ōran et de
Ceuta 3 vous sçavez , sans doute , les nouvelles
courantes et l'inaction qu'il y a eû de
part et d'autre à l'égard de ces deux Places jusqu'au
. Février , jour auquel il y eut une action
assez vive entre les Troupes de la Garnison d'Oran
et les Maures , laquelle dura depuis le matinjusqu'au
soir , et fut tout à l'avantage des Espagnols.
La saison où nous allons entrer , fournira
, sans doute , d'autres Evenemens , et je
17
compte
AVRIL. 1733. 647
compte fort sur mes Correspondances pour avoir
le plaisir de continuer de vous instruire des nouvelles
d'Affrique , sur tout si dans ce temps-là
vous n'êtes point à Paris .
En attendant je crois , Monsieur , que vous
ferez bien de continuer votre lecture de Marmol,
Auteur Espagnol , qui a fait un Ouvrage assez
instructif sur cette grande Partie du Monde ;
vous y apprendrez des choses curieuses , et qui
vous mettront au fait de plusieurs sujets qui se
présentent souvent , et sur lesquels on n'a ordinairement
que des idées superficielles ; mais lisez
, s'il est possible , cet Auteur dans sa Langue
naturelle , n'ayez pas , du moins , trop de confiance
en la Traduction qu'en a faite M. d'Ablancourt
, qui n'eut ni le temps de la revoir ni
de publier lui-même son travail. Outre que les
noms Arabes composez, des Lieux et des Personnes
, déja assez mal traitez pár Marmol , sont
encore plus défigurez dans d'Ablancourt , je
trouve en quelques endroits sa Version fort deffectueuse
, peu limée , même par rapport à notre
Langue , qu'il devoit sçavoir mieux qu'un autre ,
vous pourrez en juger par la maniere dont il
s'exprime à l'égard du fameux Port de Marsalquibir
, qui est auprès d'Oran , et dont le nom
signifie en Arabe ce que les Romains ont dit en
Latin , Portus Magnus . Notre Traducteur écrit
Marsa-qui-Vir , ce qui est une veritable corruption.
Cette Place , dit - il ensuite , qui signifie le
grand Port , &c. Je vous demande , Monsieur , si
c'est là du François ? une place qui signifie , &c .
Je puis vous assurer que ce n'est pas non plus le
sens de la phrase Espagnole.
Je vois aussi avec plaisir que vous prenez goût
à la Géographie d'Abulfeda , cet Auteur Arabe ,
B iij
dont
648 MERCURE DE FRANCE
dont je vous ai parlé à l'occasion de la Ville de
Ceuta , et dont l'Edition entiere doit être présentement
publiée à Londres. Vous me demandez
si ce Géographe , qui vivoit dans le XIV . siecle ,
a fait quelque mention d'Oran . Il n'a assurément
pas oublié cette Ville dans la courte Description
qu'il fait de la Côte de Barbarie. » Oran,
ou Ouahran , dit - il , est une Ville du Pays des
» Bereberes,du côté du Couchant située sur le bord
» de la Mer , distante d'une journée de chemin
de Tremecen ; ceux qui l'ont vûë rapportent
qu'elle sert de Port à Tremecen ; elle est située
» à l'Orient , tant soit peu Septentrional de cette
Capitale. Sa longitude est d'environ 15. D. 20.
M. et sa latitude de 18 : D. 5o . M. Le Cherif
Edrisi dit dans sa Géographie , que cette Ville
» Maritime est ceinte d'une très forte Muraille ,
et qu'elle est située vis - à- vis d'Almerie en Espagne.
39
Marmol n'a pas connu ce Géographe qui auroit
pû le redresser en plusieurs endroirs de son
Affrique , Ouvrage , comme je l'ai déja dit , qui a
son merite et ses deffauts . L'Auteur est presque
toujours prévenu en faveur de la prétendue antiquité
des Lieux dont il parle . C'est lui qui le
premier a fait d'Oran , de Ceuta , et de quelques
autres Places de l'Affrique , des Colonies Romai
nes , ce qui n'a pas le moindre fondement dans
l'Histoire ni ailleurs . La plupart de ces Villes
doivent leur origine aux Califes ou à des Princes
Mahométans leurs Successeurs.
Il me reste à vous dire un mot des affaires de
Ceuta , qui n'ont pas changé de situation depuis
mes dernieres Lettres. L'inaction est encore plus
grande de la part des Maures qui sont devant
cette Place , que de ceux qui sont aux environs
d'Oran
AVRIL. 1733. 649
d'Oran. On prétend même que les Troupes du
Camp de Ceuta sont fort diminuées par la retrai
te de près de 2000. Noirs , occasionnée par les
troubles du Royaume de Maroc , que le nouveau
Roy a bien de la peine à appaiser. Quoiqu'il en
soit c'est une grande entreprise pour d'aussi mauvais
guerriers , que celle de prendre par force une
telle Place .
Je suis encore plus fortifié dans mon opinion
depuis que j'en ai vu le Plan ces jours passez tel
qu'il a été levé sur les lieux par d'habiles Ingénieurs
Espagnols ; ce qui me donne une grande
idée de la Ville et des Fortifications , qui sont en
grand nombre et bien entendues. Comme rien
n'est oublié dans ce Plan , et que tous les environs
de Ceuta y sont exactement décrits , j'y ai
remarqué avec plaisir jusqu'à l'ancienne Eglise
de S. Samson , qui subsiste encore à une lieue du
corps de la Place , dans laquelle Jean I. Roy de
Portugal , fit les Princes ses fils Chevaliers , après
la Prise d'Oran , suivant le Projet dont je vous
ai parlé dans ma précédente Lettre. J'ai l'honneur
d'être , Monsieur , &c.
A Paris le 14. Mars 1733-
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Résumé : NEUVIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. le Marquis de B. au sujet des Villes d'Oran et de Ceuta, en particulier sur M. le Marquis de Santa-Cruz.
Le texte est une lettre adressée au Marquis de B. pour clarifier les rumeurs concernant la mort du Marquis de Santa-Cruz. L'auteur répond à une demande d'éclaircissements sur ces rumeurs et fournit des informations basées sur une lettre récente reçue d'Alger. Cette lettre confirme la mort du Marquis de Santa-Cruz, tué après avoir été renversé de son cheval et capturé par des Maures. Les témoins et les prisonniers confirment la cruauté de son traitement et l'absence de son corps reconnaissable. La lettre mentionne également l'inaction militaire récente à Oran et Ceuta. Elle rapporte une action militaire vive en février où les Espagnols ont eu l'avantage. L'auteur recommande la lecture de l'œuvre de Marmol sur l'Afrique et discute de la géographie d'Abulfeda concernant Oran. Il note également les troubles au Maroc et l'état des fortifications de Ceuta.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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19
p. 869-874
ELOGE du R. P. le Quien, Dominiquain. Extrait d'une Lettre de M D. L. R. écrite à M. l'Abbé L. B. Chanoine de la Cathedrale d'Auxerre.
Début :
Le P. Michel le Quien nâquit à Boulogne sur Mer le 8. Octobre 1661. [...]
Mots clefs :
Michel Le Quien, Ouvrages, Mort, Éloge, Savant, Savants, Mémoires
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ELOGE du R. P. le Quien, Dominiquain. Extrait d'une Lettre de M D. L. R. écrite à M. l'Abbé L. B. Chanoine de la Cathedrale d'Auxerre.
ELOGE du R. P. le Quien , Dominiquain.
Extrait d'une Lettre de M D.L..
R. écrite à M. l'Abbé L.B. Chanoine de
la Cathedrale d'Auxerre.
L
E P. Michel le Quien nîquit à Boulogne
sur Mer le 8. Octobre 1661 ..
d'une honnête famille , originaire de la
même Ville. Il fit ses premieres études à
Paris , dans le College du Plessis. A l'âge:
d'environ vingt ans il prit l'habit de
P'Ordre de S. Dominique , et fit son Noviciat
dans le Convent du Fauxbourg.
S. Germain ; mais dans la suite son amour
pour la plus exacte régularité le détermi
na à se faire affilier dans le Monastere
de la rue S. Honoré , qui est d'une Province
Réformée , où il a toujours demeu
ré , et où il est mort le 12 Mars dernier.
En sortant du Noviciat il apprit l'Hé
bren
870 MERCURE DE FRANCE
breu du P. Massoulié , qui possedoit à
fond cette Langue . Ce Religieux est connu
par plusieurs Ouvrages , sur tout par
celui qui est intitulé : Divus Thomas`sui
interpres. Le P. le Quien se mit ensuite
à la lecture de la Langue Grecque , qu'il
sçavoit parfaitement , et voulut aussi ap.
prendre l'Arabe ; connoissances qui lut
furent depuis d'une grande utilité.
Il n'avoit que trente ans lorsqu'il écrivit
contre l'Antiquité des Temps , du Pere
Pezron , qui fit une réponse , à laquelle
notre Sçavant repliqua , l'un et Fautre
Ouvrage , en 2 vol. in 12.
Dans la suite il fit encore une Dissertation
sur un autre Livre du P. Pezron,
intitulé: Essai du Commentaire sur les Prophetes.
Cette Dissertation fut insérée dans
les Mémoires de Trevoux , 1711 .
En 1712.il publia les Oeuvres de S. Jean
Damascene , tirées de diverses Editions
et des Monuscrits de France , d'Italie et
d'Angleterre, revues, traduites en Latin,
éclaircies par des Notes et des Dissertations
préliminaires, &c. 2. vol. infal.chez
de l'Epine
.
Il composa depuis quelques Ouvrages
particuliers , dont le plus important est
la Panoplie , contre les Grecs Schismatiques,
il s'est caché dans cet Ouvrage sous
le nom d'Etienne de Altimura.
Il
MAY. 871
#733 .
Il y a plusieurs Dissertations de sa façon
dans le Journal , intitulé : Mémoires
de Litterature et d'Histoire ; entr'autres sur
Sanchoniat , Auteur Phénicien ; sur S.Nicolas
, sur le Portus Iccius , &c.
Il a eu de plus une tres bonne part à
la nouvelle Edition de l'Historien Josephe
qui s'est faite en Angleterre , et que
tous les Sçavans estiment beaucoup .
Mais l'objet principal de l'application
infatigable du P. le Quien , a été depuis
plusieurs années , la composition d'une
Histoire generale de toutes les Eglises
d'Orient , et de celles de l'Affrique , dont
il publia le Projet dès l'année 1713. sous
le titre ORIENS CHRISTIANUS ET AFFRICA.
Plusieurs empêchemens , des Maladies
sur tout, ont retardé l'exécution de ce
Projet , qui se trouve cependant bien
avancée comme vous le verrez à la fin
de ma Lettre.
,
On peut mettre parmi les Distractions
qui ont empêché l'Auteur de publier luimême
son Ouvrage , la contestation , ou
plutôt la vive dispute qu'il a eue avec le
P. le Courrayer, au sujet des Ordinations
Anglicanes. Notre Sçavant Religieux s'y
donna tout entier ; ce qui a produit de
sa part une Réfutation en 2 vol. in 12.et
ensuite une Replique , sans compter la
Lettre
872 MERCURE DE FRANCE
Lettre qu'il me fit l'honneur de m'addresser
, sur la même matiere , du 14 Février
1731. insérée dans le Mercure d'Avril
suivant.
Le P. le Quien fut lié de bonne heure
avec beaucoup de Sçavans , sur tout
avec le R. P. Montfaucon , dont l'intime
amitié étoit de 46 ans , avec les Abbez
Renaudot , de Fleury , de Longuerie et
des Thuilleries , le P. Hardouin , M. Simon
, M. Ernest Grabbe , sçavant Anglois
, qui a parlé si avantageusement de
lui dans ses Notes sur S. Irenée , et avec
d'autres Sçavans et vertueux Etrangers.
Du nombre de ces derniers sont Mauto
Cordato , Prince de Valachie , qui lui
a envoyé son Livre des Offices , composé
en grec , à l'imitation de celui de Ciceron
, et Chrysante , dernier Patriarche
de Jerusalem , qui lui a aussi envoyé un
Ouvrage grec fort estimé , de sa composition.
La Piété du P. le Quien fut au moins
égale à son érudition , et on peut dire que
la science , bien loin d'affoiblir sa foy ,
servit au contraire toujours à nourrir en
lui l'esprit de Religion . La veritable
science , disoit- il souvent , enseigne à
être humble ; aussi n'a - t - on jamais vû de
mort plus chrétienne que celle qui a ter
phiné
MAY. 1733 . 873
miné sa course ; entr'autres dispositions
qu'il a fait paroître en mourant , il a déclaré
qu'il renonçoit à toute l'estime que
les hommes pourroient faire de sa personne
et de ses Ecrits , ne souhaitant autre
chose , si ce n'est que Dieu fut glorifié
par ses Ouvrages , &c. enfin ses
dernieres paroles , et qu'il repeta souvent,
furent celles de S. Ignace Martyr : Amor
meus Crucifixus est .
La veille de sa mort il parla avec une
parfaite tranquilité de son principal Ouvrage
, donnant à ceux qui doivent en
continuer l'Edition , tous les conseils et
tous les enseignemens necessaires ; il parla
aussi , et de la même maniere , de ses
autres Ouvrages Manuscrits , entre lesquels
sont plusieurs Dissert ons et l'His
toire de Boulogne sa Patrie , sans oublier
plusieurs petits détails Litteraires , les Livres
empruntez à ses amis , & c. le tout
avec la présence d'esprit d'un homme
bien sain , qui se dispose à faire un voyage.
Vous serez bien- alse d'apprendre que
le premier volume du grand Ouvrage
Oriens Christianus , est presque entierement
imprimé, et que le Manuscrit est
dans un tel état que l'impression pour
être continuée , comme elle le sera en
effet
874 MERCURE DE FRANCE
effer , sans que la mort de l'Auteur caus
aucune interruption .
Ce que je dois à sa mémoire et le mérite
de l'Ouvrage m'engageront à continuer
mes attentions , pour procurer du
côté du Levant , tous les Mémoires et les
aurres secours qui peuvent contribuer à
sa perfection.
Extrait d'une Lettre de M D.L..
R. écrite à M. l'Abbé L.B. Chanoine de
la Cathedrale d'Auxerre.
L
E P. Michel le Quien nîquit à Boulogne
sur Mer le 8. Octobre 1661 ..
d'une honnête famille , originaire de la
même Ville. Il fit ses premieres études à
Paris , dans le College du Plessis. A l'âge:
d'environ vingt ans il prit l'habit de
P'Ordre de S. Dominique , et fit son Noviciat
dans le Convent du Fauxbourg.
S. Germain ; mais dans la suite son amour
pour la plus exacte régularité le détermi
na à se faire affilier dans le Monastere
de la rue S. Honoré , qui est d'une Province
Réformée , où il a toujours demeu
ré , et où il est mort le 12 Mars dernier.
En sortant du Noviciat il apprit l'Hé
bren
870 MERCURE DE FRANCE
breu du P. Massoulié , qui possedoit à
fond cette Langue . Ce Religieux est connu
par plusieurs Ouvrages , sur tout par
celui qui est intitulé : Divus Thomas`sui
interpres. Le P. le Quien se mit ensuite
à la lecture de la Langue Grecque , qu'il
sçavoit parfaitement , et voulut aussi ap.
prendre l'Arabe ; connoissances qui lut
furent depuis d'une grande utilité.
Il n'avoit que trente ans lorsqu'il écrivit
contre l'Antiquité des Temps , du Pere
Pezron , qui fit une réponse , à laquelle
notre Sçavant repliqua , l'un et Fautre
Ouvrage , en 2 vol. in 12.
Dans la suite il fit encore une Dissertation
sur un autre Livre du P. Pezron,
intitulé: Essai du Commentaire sur les Prophetes.
Cette Dissertation fut insérée dans
les Mémoires de Trevoux , 1711 .
En 1712.il publia les Oeuvres de S. Jean
Damascene , tirées de diverses Editions
et des Monuscrits de France , d'Italie et
d'Angleterre, revues, traduites en Latin,
éclaircies par des Notes et des Dissertations
préliminaires, &c. 2. vol. infal.chez
de l'Epine
.
Il composa depuis quelques Ouvrages
particuliers , dont le plus important est
la Panoplie , contre les Grecs Schismatiques,
il s'est caché dans cet Ouvrage sous
le nom d'Etienne de Altimura.
Il
MAY. 871
#733 .
Il y a plusieurs Dissertations de sa façon
dans le Journal , intitulé : Mémoires
de Litterature et d'Histoire ; entr'autres sur
Sanchoniat , Auteur Phénicien ; sur S.Nicolas
, sur le Portus Iccius , &c.
Il a eu de plus une tres bonne part à
la nouvelle Edition de l'Historien Josephe
qui s'est faite en Angleterre , et que
tous les Sçavans estiment beaucoup .
Mais l'objet principal de l'application
infatigable du P. le Quien , a été depuis
plusieurs années , la composition d'une
Histoire generale de toutes les Eglises
d'Orient , et de celles de l'Affrique , dont
il publia le Projet dès l'année 1713. sous
le titre ORIENS CHRISTIANUS ET AFFRICA.
Plusieurs empêchemens , des Maladies
sur tout, ont retardé l'exécution de ce
Projet , qui se trouve cependant bien
avancée comme vous le verrez à la fin
de ma Lettre.
,
On peut mettre parmi les Distractions
qui ont empêché l'Auteur de publier luimême
son Ouvrage , la contestation , ou
plutôt la vive dispute qu'il a eue avec le
P. le Courrayer, au sujet des Ordinations
Anglicanes. Notre Sçavant Religieux s'y
donna tout entier ; ce qui a produit de
sa part une Réfutation en 2 vol. in 12.et
ensuite une Replique , sans compter la
Lettre
872 MERCURE DE FRANCE
Lettre qu'il me fit l'honneur de m'addresser
, sur la même matiere , du 14 Février
1731. insérée dans le Mercure d'Avril
suivant.
Le P. le Quien fut lié de bonne heure
avec beaucoup de Sçavans , sur tout
avec le R. P. Montfaucon , dont l'intime
amitié étoit de 46 ans , avec les Abbez
Renaudot , de Fleury , de Longuerie et
des Thuilleries , le P. Hardouin , M. Simon
, M. Ernest Grabbe , sçavant Anglois
, qui a parlé si avantageusement de
lui dans ses Notes sur S. Irenée , et avec
d'autres Sçavans et vertueux Etrangers.
Du nombre de ces derniers sont Mauto
Cordato , Prince de Valachie , qui lui
a envoyé son Livre des Offices , composé
en grec , à l'imitation de celui de Ciceron
, et Chrysante , dernier Patriarche
de Jerusalem , qui lui a aussi envoyé un
Ouvrage grec fort estimé , de sa composition.
La Piété du P. le Quien fut au moins
égale à son érudition , et on peut dire que
la science , bien loin d'affoiblir sa foy ,
servit au contraire toujours à nourrir en
lui l'esprit de Religion . La veritable
science , disoit- il souvent , enseigne à
être humble ; aussi n'a - t - on jamais vû de
mort plus chrétienne que celle qui a ter
phiné
MAY. 1733 . 873
miné sa course ; entr'autres dispositions
qu'il a fait paroître en mourant , il a déclaré
qu'il renonçoit à toute l'estime que
les hommes pourroient faire de sa personne
et de ses Ecrits , ne souhaitant autre
chose , si ce n'est que Dieu fut glorifié
par ses Ouvrages , &c. enfin ses
dernieres paroles , et qu'il repeta souvent,
furent celles de S. Ignace Martyr : Amor
meus Crucifixus est .
La veille de sa mort il parla avec une
parfaite tranquilité de son principal Ouvrage
, donnant à ceux qui doivent en
continuer l'Edition , tous les conseils et
tous les enseignemens necessaires ; il parla
aussi , et de la même maniere , de ses
autres Ouvrages Manuscrits , entre lesquels
sont plusieurs Dissert ons et l'His
toire de Boulogne sa Patrie , sans oublier
plusieurs petits détails Litteraires , les Livres
empruntez à ses amis , & c. le tout
avec la présence d'esprit d'un homme
bien sain , qui se dispose à faire un voyage.
Vous serez bien- alse d'apprendre que
le premier volume du grand Ouvrage
Oriens Christianus , est presque entierement
imprimé, et que le Manuscrit est
dans un tel état que l'impression pour
être continuée , comme elle le sera en
effet
874 MERCURE DE FRANCE
effer , sans que la mort de l'Auteur caus
aucune interruption .
Ce que je dois à sa mémoire et le mérite
de l'Ouvrage m'engageront à continuer
mes attentions , pour procurer du
côté du Levant , tous les Mémoires et les
aurres secours qui peuvent contribuer à
sa perfection.
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Résumé : ELOGE du R. P. le Quien, Dominiquain. Extrait d'une Lettre de M D. L. R. écrite à M. l'Abbé L. B. Chanoine de la Cathedrale d'Auxerre.
Le Père Michel Le Quien, dominicain, est né à Boulogne-sur-Mer le 8 octobre 1661. Après des études à Paris, il rejoignit l'Ordre de Saint Dominique et se distingua par son attachement à la régularité monastique. Polyglotte, il maîtrisait l'hébreu, le grec et l'arabe. Il publia plusieurs ouvrages, notamment en réponse aux écrits du Père Pezron. En 1712, il édita les œuvres de Saint Jean Damascène et rédigea diverses dissertations pour des journaux. Son œuvre majeure est l'Histoire générale des Églises d'Orient et d'Afrique, intitulée 'Oriens Christianus et Africa', dont le projet fut publié en 1713. Le Père Le Quien fut également impliqué dans une controverse avec le Père Le Courrayer au sujet des ordinations anglicanes. Connu pour ses amitiés avec de nombreux savants et sa piété, il mourut le 12 mars, laissant un ouvrage presque achevé et des instructions pour sa publication.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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20
p. 1101-1125
TROISIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. A. C. D. S. T. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques.
Début :
Vous me marquez, Monsieur, quelque satisfaction des Eclaircissemens contenus dans [...]
Mots clefs :
Marquis de Rosny, Prince, Artillerie, Religion, Duc de Sully, Duc de Savoie, Médaille, Mémoires, Seigneur, Dieu, Corps, Esprit, Enfants, Béthune, Melun
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : TROISIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. A. C. D. S. T. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques.
TROISIEME LETTRE de M. D. L.
R. écrite à M. A. C. D. S.T.au sujet du
Marquis de Rosny , depuis Duc de Sully
, &c. contenant quelques Remarques
Historiques.
Ous me Monsieur
quelque satisfaction des Eclaircissemens
contenus dans mes deux Lettres
précédentes , sur la premiere Question
que vous m'avez faite , au sujet du
Marquis de Rosny , premier Ministre
du Roi Henri Le Grand. Cela m'engage
de redoubler mes soins pour répondre
avec la même éxactitude et le même succès
aux autres demandes que vous me
faites sur ce sujet.
و
Instruit par P'Histoire de l'ancienneté
et de la Catholicité de la Maison de Bethune
dont le Marquis de Rosny se
trouvoit le Chef , vous êtes surpris que
ce Seigneur n'ait pas persevere dans la
Religion de ses Ancêtres vous me demandez
la cause de ce changement , à
quoi vous ajoutez deux ou trois autres
Questions , dont la Réponse fera tout le
sujet de cette Lettre.:
1. Fol. Cvi Da1102
MERCURE DE FRANCE
D'abord il est bon de vous dire , Monsieur
, que ce n'est pas le Marquis de
Rosny qui fait la premiere cause de cette
variation . Pour en être bien instruit , il
faut remonter jusqu'à Jean de Bethune
IV. du nom son Ayeul , lequel étant
encore assez jeune épousa Anne de Melun
, qui lui apporta en dot la Baronie
de Rosny , &c. Il en eut plusieurs Enfans
, lesquels eurent un double malheur
; le premier de perdre leur Mere
dans leur bas âge , et le second de voir
remarier leur Pere avec une simple Demoiselle
sans biens. Un troisiéme malheur
, suite des premiers , voulut que
Jean de Bethune n'eut ni ordre , ni oeconomie
dans ses affaires , qu'il s'endetta -
beaucoup , et qu'en mourant enfin retiré
au Château de Coucy , après avoir
aliené ses plus beaux Domaines
il ne
laissa presque rien à ses Enfans : de sorte
que François de Bethune son fils aîné ,
dépouillé de tous les grands biens de ses
Ancêtres , et ne jouissant que de ceux
d'Anne de Melun sa Mere , est comparé
par un Historien au Prince * Jean , surnommé
sans Terre , qui étant fils de Roi ,
se trouva presque sans aucune possession
, & c.
D
* Jean , fils de Henri II . Roi d'Angleterre .
1. Vol.
Ce
JUIN. 1733- 1103
Ce fils aîné épousa en 1557. Charlotte
Dauvet , qui lui donna sept Enfans. Il
s'attacha de bonne heure à Louis de Bourbon
, Prince de Condé , qui étoit alors
le Chef des Huguenots , et fit Profession
de la nouvelle Religion , à l'imitation de
plusieurs Grands Seigneurs , séduits par
les opinions des Novateurs , ou par des
motifs humains. En courant toutes les
fortunes du Prince il se trouva à la Bataille
de Jarnac , où il fut fait Prisonnier ;
j'omets le reste de son histoire pour marquer
seulement qu'en mourant en l'année
1577. il laissa pour Chef de sa Maison
Maximilien de Bethune, son Fils puisné ,
dont il s'agit particulierement ici .
Ce Seigneur suivit les traces de Fran
çois de Bethune son Pere , tant pour la
Religion dans laquelle il étoit né , que
du côté de la Fortune; il pourroit fournir
seul la matière d'une longue Histoire ,
que j'avois eu autrefois dessein d'entreprendre
ce Pere homme vertueux
de bon esprit , et brûlant du
loüable désir de relever sa Maison , avoit
jetté les yeux sur notre Maximilien , le
second des quatre fils qu'il eut de Charlotte
Dauvet.
,
د
Il avoit remarqué en lui non - seulement
une grande vigueur de corps et
I. Vol. d'es
1104 MERCURE DE FRANCE
d'esprit , mais encore une grande inclination
à la vertu , et une forte aversion
pour le vice , ce qui lui ayant fait concevoir
une grande espérance , il le fit appeller
un jour , disent les Mémoires qui
portent son nom , dans sa Chambre de
la Haute Tour , et en la seule présence
de la Durandiere , son Précepteur, il lui
tint un discours que sa briéveté et l'importance
du sujet m'engagent de rappor
ter ici.
» Maximilian , puisque la Coûtume
ne me permet pas de vous faire le prin-
» cipal Héritier de mes biens , je veux en
» récompense essayer de vous enrichir
» de vertus , et par le moyen d'icelles
» comme on me l'a prédit , j'espere que
» vous serez un jour quelque chose . Pré-
» parez- vous donc à supporter avec cou-
» rage , toutes les traverses et difficultez
» que vous rencontrerez dans le monde ,
» ct en les surmontant genereusement ,
acquerez- vous l'estime des gens d'hon-
» neur , et particulierement celle du
» Maître à qui je veux vous donner ; au
Service duquel je vous commande de
» vivre et mourir. Et quand je serai sur
mon partement pour aller à Vendôme
>> trouver la Reine de Navarre , et Mon-
» sieur le Prince son fils , auquel je veux
»
1. Vol. » Yous
JUIN. 1733- 1109
» vous donner , disposez-vous à venir
» avec moi , et vous préparer par une
Harangue à lui offrir votre service
» lors que je lui présenterai votre -Per-
» sonne .
la
Ce Discours pathétique et sensé , écou
té avec attention par un fils né pour
vertu , eut dans les suites tout le succès
que l'affection et la prévoyance d'un sage
Pere pouvoient esperer. Le Pere et le
Fils se rendirent bien-tôt auprès de la
Reine de Navarre , et le jeune Rosny
fut présenté au Prince son Fils , qui étoit
aussi fort jeune.
»
*
» Cela se fit , disent les Auteurs des
» Mémoires , en présence de la Reine sa
mere , avec des protestations que
» vous lui seriez à jamais très - fidele er
n très- obéïssant serviteur : ee que vous.
» lui jurâtes aussi , en si beaux termes
» avec tant de grace et d'assûrance
>> et un ton de voix si agréable , qu'il
conçût dès lors de bonnes espérances de
» vous. Et vous ayant relevé ( car vous
>> étiez à genoux , ) il vous embrassa deux
» fois , et vous dit : qu'il admiroit votre
gentillesse , vû votre âge , qui n'étoit
"
ת
La parole est ici adressée au Marquis de
Rosny , comme dans tout le corps de l'Ouvrage.
I. Vol.
» que
1106 MERCURE DE FRANCE
>>
que de onze années , et que lui aviés
» présenté votre service avec une si gran-
» de facilité , et étiés de si bonne race
» qu'il ne doutoit point qu'un jour vous
» n'en fissiés paroître les effets en vrai
» Gentilhomme . Et aussi vous promit il
» en foi de Prince , qu'en vous recevant
» de fort bon coeur , il vous aimeroit tou-
» jours , et qu'il ne se présenteroit jamais
» occasion de vous faire acquerir du bien
>> et de l'honneur , qu'il ne s'y employât
» de tout son coeur. Tous lesquels dis-
» cours , qui n'étoient lors que par com-
» plimens , ont eu depuis des Evénemens.
» plus avantageux que vous n'aviez ´es-
» péré.
Ces Evénemens que les mêmes Auteurs
ont rapporté fort au long , furent précédez
et mêlez de bien des traversés. La
Religion surtout , dont ce jeune Seigneur
faisoit profession , et qui fait le
principal article de vos demandes , pensa
lui coûter cher , dans la fatale journée
qui vit couler tant de sang François , au
milieu d'une profonde paix. Sa conservation
a quelque chose de singulier et de
merveilleux : elle merite bien que j'en
place ici le petit détail , tiré des mêmes
Mémoires .
» Voici ce que nous vous en avons
1. Vol. » oui
JUIN. 1733. 1107
noui conter : à sçavoir que vous ayant
» fait dessein d'aller faire votre Cour ce
» jour là , vous vous étiés couché la veille
de bonne heure , et que sur les trois
>> heures du matin , vous vous réveillâ-
» tes au bruit de plusieurs cris de peu-
» ples , et des allarmes que l'on sonnoit
» dans tous les Clochers. Le sieur de
» S. Julien , votre Gouverneur , et votre
» Valet de Chambre , ( qui s'étoient aussi
» éveillés au bruit , ) étant sortis de vo-
» tre logis , pour apprendre ce que c'é-
» toit , n'y rentrerent point ; et n'avez-
» vous jamais sçû ce qu'ils étoient deve-
» nus. De sorte qu'étant réduit vous
>> seul dans votre chambre et votre
» Hôte qui étoit de la Religion , vous
» pressant d'aller avec lui à la Messe , afin
» de garantir sa vie et sa maison de sac-
» cagement , vous vous résolûtes d'es-
» sayer à vous sauver dans le College de
Bourgogne.
"3
,
>> Pour ce faire,yous prîtes votre Robbe
>> d'Ecolier , un Livre sous votre bras , et
» vous vous mîtes en chemin . Par les
» ruës vous rencontrâtes trois Corps de
» Garde , l'un à celle de S. Jacques , un
>> autre à celle de la Harpe , et l'autre à
» l'issue du Cloître de S. Benoît. Au pre
» mier ayant été arrêté et rudoyé par
1. Vol. >> ceux
108 MERCURE DE FRANCE
» ceux de la Garde , un d'entr'eux pre
> nant votre Livre , et voyant que , de
» bonheur pour vous , c'étoit de grosses'
» Heures , vous fit passer , ce qui vous
» servit de passeport aux autres. En al-
>> lant vous vîtes enfoncer et piller des
» maisons , massacrer hommes , femmes .
» et enfans , avec les cris de tuë , tuë , ô
»Huguenot , ô Huguenot , ce qui vous
» faisoit souhaiter avec impatience d'être
» arrivé à la porte du College , où enfin
>> Dieu vous accompagna , sans qu'il vous
>> fût arrivé autre mal que la peur.
»
» A l'abord , le Portier vous refusa deux
» fois l'entrée de la porte mais enfin
» moyennant quatre Testons que vous
» lui donnâtes , il alla dire au Principal ,
» nommé la Faye , que vous étiés à la
» porte , et ce que vous demandiez , lequel
aussi- tôt meu de compassion
» étant votre particulier ami , vous vint
» faire entrer , empêché toutefois de ce
» qu'il feroit de vous , à cause de deux
» Ecclésiastiques qui étoient dans sa
» chambre , et qui disoient y avoir des-
» sein formé de tuer tous les Huguenots ,
» jusqu'aux enfans à la mammelle , et ce
à l'exemple des Vêpres Siciliennes .
» Néanmoins , par pitié , ce bon Personnage
vous mit dans une chambre fort
"
I. Vol. ≫ seJUIN.
1733.
1109
» secrette , dans laquelle personne n'en-
» trât que son Valet , qui vous y por-
» toit des vivres , et vous y servît trois
» jours durant , au bout desquels il se
» fit une publication de par le Roi , por-
" tant deffenses de plus tuer ni saccager
>> personne.
» Alors deux Archers de la Garde, Vas-
» saux de M. votre Pere , l'un nommé
» Ferrieres , et l'autre la Vieville , vin-
» rent avec leurs Hocquetons , et Halle-
» bardes à ce College , pour s'enquerir de
» vos nouvelles , et les mander à M. vo-
» tre Pere , qui étoit fort en peine de
» vous , duquel vous reçûtes une Lettre
» trois jours après , par laquelle il vous
mandoit de demeurer à Paris , et d'y
» continuer vos Etudes comme auparavant.
Et pour ce faire il jugeoit bien
qu'il vous faudroit aller à la Messe , à
» quoi il vous falloit résoudre , aussi-
» bien avoit fait votre Maître et beau-
>> coup d'autres : et que sur tout il vou-
» loit que vous courussiez toutes les for-
» tunes de ce Prince jusqu'à la mort
» afin que l'on ne vous pût reprocher de
l'avoir quitté en son adversité : à quoi
» vous vous rendîtes si soigneux , que
» vous en acquires l'estime d'un chacun .
Tout le monde sçait avec quelle exac-
I. Vol. titude
1110 MERCURE DE FRANCE
titude et quelle constante fidelité ce dernier
commandement de courir toutes les
fortunes de ce grand Prince fut éxécuté.
On en peut voir la preuve dans l'Histoire
, et sur tout dans les Mémoires des
Ecrivains que nous avons citez , lesquels
remarquent particulierement qu'au milieu
de toutes ses assiduitez auprès du
Prince , dans ces premiers tems de trouble
et de confusion , le jeune Rosny s'appliquoit
toujours à cultiver son esprit
par des connoissances solides. Ils parlent
en ces termes de cette circonstance ; en
» quelque condition que vous fussiés
» vous preniés toujours le tems de conti-
» nuer vos Etudes , sur tout de l'Histoi
de laquelle vous faisiés déja des Ex-
>> traits , tant pour les moeurs , que pour
» les choses naturelles ; et des Mathéma
>> re ,
tiques , lesquelles occupations fai-
» soient paroître votre inclination à la
>> vertu .
Dans la suite il se présenta une occasion
qui auroit pû , si Dieu l'avoit permis
, servir à éclairer ce jeune Seigneur
et à le faire rentrer dans la Religion de
ses Ancêtres. Il n'avoit qu'environ vingtdeux
ans , lorsqu'en l'année 1581. il lui
prit envie de faire un petit voyage en
Flandres , principalement pour y visiter
la
矍
1
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NAHL
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BETHUN
01
SA
SSA
JUIN. 1733 1111
la Comtesse de Mastin sa Tante . Cette
Tante et le Vicomte de Gand son Ayeul
maternel , et son Parrain , l'avoient deshérité
, lui et François de Bethune son-
Pere , à cause de la Religion, Il partit
muni d'un Passe- port du Comte * de
Barlemont , son Parent et se rendit à
la Bassée , où demeuroit cette Dame. Il
en fut accueilli assez froidement , préve
nuë sur son sujet de la maniere que nous
allons le voir,
ར་ ་ .
Le lendemain matin elle mena son Ne
veu dans la grande Eglise de l'Abbaye
qu'elle avoit fondée , pour lui faire voir
les Sépultures de Marbre de ses Ancêtres,
qu'elle y avoit fait construire ; et entre
les autres celles d'Helene de Melun , femme
de Robert d'Artois , d'Hugues de
Melun , son Ayeul , le même qui l'avoit
deshérité , et d'Anne de Melun son Ayeule
, celle enfin qu'elle avoit fait élever
pour elle-même. Elle lui dit alors , ayant
les larmes aux yeux : » hélas ! mon Ne-
» veu , mon ami , que mon Pere votre
» Ayeul , et ma Soeur votre Grand mere,
* Le Comte de Barlemont étoit Président du
Conseil Royal des Finances , Gouverneur de Namur
Chevalier de la Toison d'Or , &c. J'ai
une Médaille de ce Seigneur frapée en 1576. selon
Laquelle il faut lire BERLAYMONT.
>
"
» s'ils
1112 MERCURE DE FRANCE
» s'ils étoient en vie , jetteroient de lar-
>> mes , et ressentiroient de déplaisirs ,
» aussi-bien que moi , de voir en vous
» l'un de leurs Enfans , ne point croire
» en Dieu , ni en sa Messe , et n'adresser
» ses Prieres qu'à l'ennemi d'enfer , qui
» vous renal ennemi des bonnes oeuvres ,
» ainsi que je l'ai entendu dire à nos bons
>> Peres ! & c.
"
•
Le jeune Neveu étrangement surpris ,
s'écria là- dessus : » Vrai Dieu , ma Tan-
» te , que dites - vous ? Jesus ! seroit- il
> bien possible que vous disiés ceci à bon
» escient , et qu'il y ait eu des gens si
pleins d'impostures et de calomnies
» que de vous avoir voulu persuader tel-
» les éxécrations , qui nous rendroient
indignes de vivre sur la terre ? 11 lui fit
ensuite un détail de sa Créance, lui récita
même l'Oraison Dominicale , le Symbole
, &c. Tout cela fait un Dialogue qui
mérite d'être lû dans le 18. Chap. du pre
mier Tome des Mémoires , on en jugera
par la fin , qui est telle. La Dame écou
ta fort attentivement cette récitation
sans rien repondre , tant que le Neveu
ne parla que de Dieu , de Jesus-Christ
et du S. Esprit , mais lorsqu'il dit qui est
né de la Vierge Marie , et ensuite , je crois
Ja Communion des Saints , & c. Elle se mit
JUIN. 1733. 1113
à crier , » hélas ! mon Neveu , mon ami ,
» est- il possible qu'en vos Oraisons vous
» parliés de la bonne Dame , et fassiés
» mention des Saints Bienheureux ? Or
» venez m'embrasser , puisque cela est :
» car je vous aime comme mon bon Ne-
» veu , et me semble en vous voyant , et
" vous oyant parler , que ma pauvre soeur
» est encore en vie : ô que j'ai de déplai-
» sir que mon Neveu votre Parrain et
» moi , vous avons deshérité : vrayement
je veux essayer à rompre tout cela , et
» vous le jure par la Sainte Vierge : les
» effets néanmoins ne suivirent pas les
» paroles , &c.
>>
t
Il faut convenir , Monsieur , qu'une
telle occasion de parler de la nouvelle
Religion , mieux ménagée , auroit pû
produire quelque bon effet sur l'esprit
du jeune Parent , mais ce n'étoit pas le
moyen sans doute de le faire entrer dans
la bonne voye , que d'employer de pareils
argumens , on ne corrige point l'erreur
par
d'autres erreurs .
Quoiqu'il en soit , le Marquis de Rosny
, en quittant la Dame sa Tante prit
le chemin de Bethune , Ville qu'il avoit
toujours souhaité de voir , et où malgré
sa Religion , opposée à la grande Catholicité
de ses Ancêtres , à celle des Fla-
S
I. Vol. mands
1114 MERCURE DE FRANCE
mands en général , et aux circonstances
du tems , il fut parfaitement bien reçû
régalé du vin de Ville , et honoré en plu
sieurs manieres comme descendu de
l'antique Maison des anciens Seigneurs
de Bethune. Il vit tout ce qui étoit à
voir dans cette Ville , et visita principalement
les Eglises où sont les Mausolées
de ces Seigneurs , d'où il revint en droi
ture à Rosny. 7
L'ordre des tems , qui s'accorde avec
celui de vos demandes , me fait passer ,
Monsicur , de la Religion de Maximilien
de Bethune , à laquelle j'aurai occasion
de revenir , à ses grandeurs temporelles
, récompense de son mérite et de
son attachement à la fortune et aux interêts
d'un grand Prince. Vous voulez
sçavoir d'abord quand et comment il fût
pourvû de la Charge de Grand - Maître
de l'Artillerie , et comment il en fût destitué
après la mort de son cher Maître.
Je crois d'abord trouver la premiere
origine de son élévation à cette Charge
dans l'Evénement de la Bataille de Coutras
, donnée le 20 Octobre 1587. entre
l'Armée Royale , ou plutôt de la Ligue ,
commandée par M. de Joyeuse , et celle
du Roi de Navarre , commandée par ce
Prince en personne , accompagné du
I. Vol. Prince
JUI N. 1733 : 1115
·
Prince de Condé , du Comte de Soissons
; et d'un nombre de Seigneurs des
plus qualifiez , qui suivoient sa Religion
et sa fortune . Le Marquis de Rosny
étoit non seulement des premiers
dans ce nombre ; mais le Roy son
Maître lui commit dans cette importante
journée le soin de tout ce qui regardoit
l'Artillerie , quoiqu'il ne fût encore
âgé que de 28 ans .
>>
,
Je n'oublierai pas ici ce que lui dit ce
vaillant Prince , au moment qu'il se sépara
de sa Personne pour aller éxécuter
ses ordres. » Mon ami Rosny ,
» c'est à ce coup qu'il faut faire paroî-
» tre votre esprit et votre diligence , qui
» nous est mille fois plus nécessaire
» qu'elle n'étoit hier , à cause que le
» corps nous presse , et que de l'Artillerie
bien logée , bien munie et bien exploitée
, dépendra en grande partie le
» gain de la bataille , lequelj'attends de
» Dieu , & c. Les Mémoires qui ont conservé
ce trait , marquent aussi de quelle
maniere le Marquis de Rosny éxécuta
les ordres du Roi , ils détaillent particulierement
l'opération de deux Canons et
d'une Coulevrine , placées et employées
» si à propos , qu'elles firent des mer-
» veilles , ne tirant une seule volée
I. Vol. D » qu'ils
1116 MERCURE DE FRANCE
» qu'ils ne fissent des rues dans les Es
» cadrons et Bataillons du Camp ennemi
, qui étoient jonchées de douze
» quinze , vingt , et quelquefois jusqu'à
vingt- cinq corps d'hommes et
» chevaux ; si bien que les ennemis , &c .
Le reste du Narré mene au gain entier
de la Bataille , dû en bonne partie
à cette vigoureuse canonade , ainsi que
le Roi l'avoit prédit.
Les Auteurs en finissant ce Narré
ajoûtent une circonstance qui ne doit
pas être omise , et qui confirme d'ailleurs
ce que je viens de dire au sujet de
l'Artillerie.
39 Si- tôt que vous vîtes les ennemis
» en déroute ( c'est toujours à M、de
» Rosny qu'ils parlent ) et que sans
» doute la Bataille étant gagnée , vous
» n'aviez plus que faire au Canon : Vous
» montâtes sur votre grand Cheval d'Es-
» pagne Bay , lequel M. de Bois- Breuil
>> vous faisoit tenir prêt derriere les Pié-
» ces , pour essayer d'apprendre des
> nouvelles de Mrs vos Freres que vous
cuidiés être avec M. de Joyeuse , er
» sçavoir aussi en quel état le Roy de
» Navarre étoit , lequel vous rencontrâ-
» tes. par- delà la Garenne , l'épée toute
sanglante au poing , poursuivant la
>>
1. Vol.
vicJUIN.
1733. 1117
>
» victoire et si- tôt qu'il vous apper-
» çût , vous cría ; et bien , mon ami
c'est à ce coup que nous ferons per-
»> dre l'opinion que l'on avoit prise
» que les Huguenots ne gagnoient jamais
de Batailles ; car en celle- ci la
» victoire est toute entiere.... et faut
>> confesser qu'à Dieu seul en appar-
" tient la gloire , car ils étoient deux
» fois aussi forts que nous ; et s'il en
» faut attribuer quelque chose aux hom-
» mes , croyez que M. de Clermont
» vous , et Bois du Lys , y devez avoir
» bonne part ; car vos Piéces ont fait
» merveilles aussi vous promets- je que
» je n'oublierai jamais le service que vous
» m'y avez rendu .
C'est ainsi que lui parla ce Prince
incomparable , et on peut dire qu'il
tint magnifiquement sa parole Royale :
car dès qu'il fût Roi de France , ce
qui arriva deux ans après , il eut une
attention particulière sur la fortune
d'un homme qui le servoit si bien , et
qui ne le quitta pas d'un pas , surtout
aux Batailles d'Arques et d'Ivry qui
suivirent , où l'Artillerie fit encore des
merveilles , et où M. de Rosny emporté
par sa valeur , fut percé de coups.
Enfin , le Roi après l'avoir fait suc-
1. Vol. Dij ces
1118 MERCURE DE FRANCE
· ,
>
après
cessivement Grand Voyer de France
Sur Intendant des Finances
avoir érigé la Baronie de Rosny en
Marquisat , lui accorda en l'année 1599.
la Charge de Grand - Maître de l'Artillerie
, sur la démission de M. d'Etrées
avec la qualité d'Officier de la Couronne
, Charge que ce Prince lui ménageoit
depuis long- tems , et dont il y a lieu de
croire que
la journée de Coutras avoit
été comme le gage. Il fut presque en
même- tems pourvû de la Sur- Intendance
des Bâtimens et de celles des Fortifications
, qui furent suivies du Gouverne
ment de la Bastille , de la grande Maîtrise
des Ports et Havres du Royaume
et du Gouvernement de Poictou,
L'Artillerie avoit asşûrément besoin
d'un Grand - Maître aussi entendu et
aussi vigilant , que l'étoit le Marquis
de Rosny. Tout étoit en désordre à cer
égard dans les Provinces , où il fut obligé
de casser près de 500 Officiers , inuti
les ou mal - intentionnez , et l'Arcenal
étoit dénué presque de toutes choses
quand il en prit possession . Le Roi l'y
vint voir quinze jours après. Il reçût ensuite
un pareil honneur de Charles Emanuel
, Duc de Savoye , qui étoit venu
en France pour traiter en pe sonne d'af-
>
faires importantes.
JUIN. 1733 1119
T
Les Mémoires qui font le détail de
cette visite , marquent une circonstance
qui doit avoir icy sa place.
» Comme M. de Savoye fût arrivé à
» l'Arsenac, il vous demanda aussi- tôt où
» étoient toutes vos Armes , Munitions
» et Artilleries; sur quoi vous vous trouvâtes
bien empêché , ayant honte de
» lui faire voir une Maison si pauvre et
» dénuée de toutes ces choses , qu'étoit
» l'Arsenac ; tellement qu'au lieu d'aller
aux Magazins, vous le menates aux At-
» teliers , ausquels vous faisiez ouvrer à
» puissance; et lors voyant quelques qua-
» rante affuts et rouage , ésquels on tra
» vailloit ; vingt Canons , nouvellement
» fondus , et des provisions et préparatifs
pour en fondre encore autant ; il
» vous demanda que c'est que vous vou-
» liez faire de tant d'Artillerie nouvelle-
» ment fonduë ? Vous lui répondites en
» riant : Monsieur , c'est pour prendre
" Mont-Mélian. Lors il vous demanda
y avez vous été ? Non, Monsieur , dit-
» tes-vous ; vraiement je le vois bien , ré-
' pondit- il , car vous ne diriez pas cela ;
>> Mont-Mélian ne se peut prendre. Bien ,
>> bien , Monsieur , dittes - vous , je vous
» en crois , neanmoins ne mettez pas le
» Roy en cette peine ; s'il me l'avoit
I.Vol. Diij >> com1120
MERCURE DE FRANCE
» commandé j'en viendrois bien à bout
>> mais je veux croire qu'il n'en sera point
» besoin, et que le Roy et vous, vous sé-
»parerez bien contens l'un de l'autre, & c. .
M. de Rosny avoit sans doute ses raisons
pour parler ainsi au Duc de Savoye ,
qui n'oublia rien pour le mettre dans ses
interêts. C'est en partie la matiere du 93
chap. dans le second volume des Mémoires
, où l'on voit que si ce Seigneur refusa
, de la part du Prince , une Boëte de
Diamans , et jusqu'à son Portrait , enrichi
de Pierreries , de trop grand prix , il
ne manqua en rien à son égard du côté
des bienséances et de la politesse . Dans le
même jour que se passa ce que je viens
de rapporter ; il eût l'honneur de traiter
splendidement à souper, dans l'Arsenal ,le
Roy , le Duc de Savoye , les Dames et les
Seigneurs les plus qualifiez de la Cour :
mais revenons à l'Artillerie.
Elle changea absolument de face sous
sa conduite , et l'Arsenal cy - devant si
dépourvu, qu'on n'osoit presque le laisser
voir aux Etrangers , devint , pour ainsi
dire , sous le nouveau Grand- Maître , la
terreur des Ennemis de la France , et cela
dans moins d'une année. Le premier
Prince , à qui la vigilance du Marquis de
Rosny devint fatale fut le Duc de Sa-
1. Vol.
voye
JUIN. 1733. 1121
voye même , et ce qui s'étoit dit dans
l'Arsenal entre ce Prince et le Grand
Maître , par maniere d'entretien et de
plaisanterie , au sujet de Mont - Mélian' ,
devint une affaire sérieuse et une verité
dont les circonstances sont marquées
dans l'Histoire.
»
Je n'en rapporterai icy qu'une. Le Duc
de Savoye refufant d'exécuter le Traité
conclu à Paris , le Roy lui déclara la Guerre
, marcha en personne avec deux corps
d'Armée , qui firent des Exploits rapides
dans la Savoye et dans la Bresse; et Montmélian
, Place prétendue imprénable ,
fut prise ; le Marquis de Rosny se signala
en plusieurs manieres dans cette Expedi
tion , et fit plus que le devoir de sa Charge
, en ne s'exposant que trop par tout.
La diligence de Rosny , dit Mezerai ;
» pourvût. si bien aux Munitions et à
» l'Artillerie , les ayant fait charrier par
» les Rivieres,qu'à la fin de Juillet(1600)
» il eût en ce Païs-là 40 Piéces de Canon
>> et de quoi tirer quarante mille coups.
» Aussi n'oublia -t - il rien en cette occa-
»sion pour se montrer digne de la Char-
>> ge de Grand- Maître de l'Artillerie, dont
» le Roy venoit de l'honorer , l'ayant
» même érigée en Charge de la Couron-
» ne. Deux ans auparavant il lui avoit
-
I. Vol.
D iiij » aussi
Î122 MERCURE DE FRANCE
» aussi donné celle de Grand -Voyer, con-
» noissant qu'il étoit Homme d'ordre et
qu'il pourvoiroit soigneusement à la
» réparation et à l'entretenement des
» Chemins, pour la commodité du Char-
» roy , dont en effet il s'acquitta fort
» bien. Entre autres choses , il obligea les
» Particuliers de planter des Ormes de
» distance en distance dans leurs Terres ,
» sur les bords des grands Chemins , pour
» fournir un jour de bois de Charonage
au roulage de l'Artillerie. On appelle
» encore aujourd'hui ces Arbres des
» Rosnys.
>
C'est à cette occasion de la Guerre de
Savoye , que fût frappée une belle Médaille
d'Henri IV. en opposition et pour
répondre à la Médaille satyrique , que les-
Courtisans du Duc de Savoye firent fraper
peu de temps après qu'il se fût emparé
du Marquisat de Saluces , en profitant
des Troubles de la Ligue. Sur celle - cy on
voyoit d'un côté la tête du Prince , avec
cette Légende : CAR . EM. D.G.Dux Sab .
P. PED . Et sur le Revers , un Centaure
qui en décochant une Fléche pose le pied
sur une Couronne renversée ; ce seul mot
OPPORTUNE se lisoit autour ; et dans
l'Exergue M. D. LXXXVIII . Dans la Médaille
du Roy , la face étoit chargée du
>
I.Vol. Buste
JUIN. 1733. 1123
Buste de ce grand Prince , la tête ceinte
de Laurier, et les épaules couvertes d'une
Peau de Lyon , avec cette Inscription :
ALCIDES HIC NOVUS OR BI . Au revers ,
le Roy , armé d'une Massuë , paroît assommer
d'une main le Centaure abbatu ,"
sur lequel est posé l'un des pieds du Vainqueur
, qui de l'autre main releve une
Couronne , avec ce seul mot : OPPORTUNIUS
. Cette Médaille qui n'est chargée.
d'aucune datte , doit avoir été frappée
dans le courant de l'année 1600.ou avant
le Traité de Paix conclu entre les deux
Princes , en l'année 1601.
Le Marquis de Rosny , qui avoit eu tant
de part aux travaux de son Maître dans
cette Guerre , eut aussi part à sa gloire ; car
quelque tems après on lui frappa une Médaille,
où l'on voit d'un côté sonBuste, avec
cette Légende : MAXI. DE BETHUNE , DUC
DE SULLY.G.M.DE L'ART.DE F.Et sur le revers
, une Aigle élevée dans les Airs , la
tête tournée vers le ciel , tenant dans ses
Serres la Foudre de Jupiter , dont ilsemble
attendre les ordres pour la lancer
avec ces mots : Quo JUSSA Jovis . Dans
l'Exergue M. DC. VII. Cette Devise semble
faire allusion à ce que notre Grand
Maître répondit au Duc de Savoye , au
sujet de Mont-Mélian : Si le Roy m'avoit
1.Vol DY
Ccm1124
MERCURE DE FRANCE
commandé de le prendre,j'en viendrois bien- '
tôt à bout , &c. L'Evenement justifia cette
réponse.» Le Gouverneur de cette Place,
» dit Mezeray , triompha d'abord en pa-
» roles , parce qu'il ne croyoit pas.qu'on
put dresser des Batteries pour l'attaquer;
» mais quand Rosny eut trouvé moyen
» d'en planter à cinq ou six endroits (car
que ne peuvent l'argent et le travail ) sa
» fierté s'amollit tout d'un coup ; il per-
» mit que sa femme nouât conversation
avec celle de Rosny , et ses craintes
» s'augmentant d'heure en heure , il ca-
» pitula le 14 Octobre , &c.
»
Maximilien de Bethune .est qualifié
Duc de Sully sur cette Médaille , parce
qu'en l'année précédente 1606. le Roy
avoit érigé la Baronie de Sully en Duché
et Pairie ; sa reception fut des plus magnifiques
, le Roy ayant assisté au Festin ,
qui fut donné à l'Arsenal , &c. Ce Grand-
Prince lui donna aussi la même année , la
Charge de Capitaine - Lieutenant de deux
cent Hommes d'Armes de la Reine.
Comme la Médaille de ce premier Duc
'de Sully , Grand- Maître de l'Artillerie ,
&c. est assez rare , je vous envoïe la gra
vure , que j'en ai fait faire par une ha-
* Anne de Courtenay , Epouse du Marquis de
Rosny , qui l'avoit suivi dans cette Guerre.
I.Vol bile
JUIN. 1733. 1125
bile main , sur l'Original du Cabinet de
M. le Duc de Sully , que ce Seigneur a
bien voulu me communiquer. Cet Original
est des mieux conservez , et si beau
que je le crois de Germain Dupré , cxcellent
Graveur de ce temps-là , dont
nous avons de tres - belles Médailles. Les
deux autres Médailles dont je viens de
vous parler,de Henry le Grand et du Duc
de Savoye , sont dans mon Cabinet .Vous
pourrez les voir quand vous viendrez à
Paris.
Je suis forcé de renvoyer à une autre
Lettre ce qui me reste à vous dire pour
satisfaire pleinement à toutes vos demandes
, et pour ne point allonger celle - ci
lavantage. Je suis toujours , Monsieur ,
& c .
A Paris , le 25 Avril 1733 .
R. écrite à M. A. C. D. S.T.au sujet du
Marquis de Rosny , depuis Duc de Sully
, &c. contenant quelques Remarques
Historiques.
Ous me Monsieur
quelque satisfaction des Eclaircissemens
contenus dans mes deux Lettres
précédentes , sur la premiere Question
que vous m'avez faite , au sujet du
Marquis de Rosny , premier Ministre
du Roi Henri Le Grand. Cela m'engage
de redoubler mes soins pour répondre
avec la même éxactitude et le même succès
aux autres demandes que vous me
faites sur ce sujet.
و
Instruit par P'Histoire de l'ancienneté
et de la Catholicité de la Maison de Bethune
dont le Marquis de Rosny se
trouvoit le Chef , vous êtes surpris que
ce Seigneur n'ait pas persevere dans la
Religion de ses Ancêtres vous me demandez
la cause de ce changement , à
quoi vous ajoutez deux ou trois autres
Questions , dont la Réponse fera tout le
sujet de cette Lettre.:
1. Fol. Cvi Da1102
MERCURE DE FRANCE
D'abord il est bon de vous dire , Monsieur
, que ce n'est pas le Marquis de
Rosny qui fait la premiere cause de cette
variation . Pour en être bien instruit , il
faut remonter jusqu'à Jean de Bethune
IV. du nom son Ayeul , lequel étant
encore assez jeune épousa Anne de Melun
, qui lui apporta en dot la Baronie
de Rosny , &c. Il en eut plusieurs Enfans
, lesquels eurent un double malheur
; le premier de perdre leur Mere
dans leur bas âge , et le second de voir
remarier leur Pere avec une simple Demoiselle
sans biens. Un troisiéme malheur
, suite des premiers , voulut que
Jean de Bethune n'eut ni ordre , ni oeconomie
dans ses affaires , qu'il s'endetta -
beaucoup , et qu'en mourant enfin retiré
au Château de Coucy , après avoir
aliené ses plus beaux Domaines
il ne
laissa presque rien à ses Enfans : de sorte
que François de Bethune son fils aîné ,
dépouillé de tous les grands biens de ses
Ancêtres , et ne jouissant que de ceux
d'Anne de Melun sa Mere , est comparé
par un Historien au Prince * Jean , surnommé
sans Terre , qui étant fils de Roi ,
se trouva presque sans aucune possession
, & c.
D
* Jean , fils de Henri II . Roi d'Angleterre .
1. Vol.
Ce
JUIN. 1733- 1103
Ce fils aîné épousa en 1557. Charlotte
Dauvet , qui lui donna sept Enfans. Il
s'attacha de bonne heure à Louis de Bourbon
, Prince de Condé , qui étoit alors
le Chef des Huguenots , et fit Profession
de la nouvelle Religion , à l'imitation de
plusieurs Grands Seigneurs , séduits par
les opinions des Novateurs , ou par des
motifs humains. En courant toutes les
fortunes du Prince il se trouva à la Bataille
de Jarnac , où il fut fait Prisonnier ;
j'omets le reste de son histoire pour marquer
seulement qu'en mourant en l'année
1577. il laissa pour Chef de sa Maison
Maximilien de Bethune, son Fils puisné ,
dont il s'agit particulierement ici .
Ce Seigneur suivit les traces de Fran
çois de Bethune son Pere , tant pour la
Religion dans laquelle il étoit né , que
du côté de la Fortune; il pourroit fournir
seul la matière d'une longue Histoire ,
que j'avois eu autrefois dessein d'entreprendre
ce Pere homme vertueux
de bon esprit , et brûlant du
loüable désir de relever sa Maison , avoit
jetté les yeux sur notre Maximilien , le
second des quatre fils qu'il eut de Charlotte
Dauvet.
,
د
Il avoit remarqué en lui non - seulement
une grande vigueur de corps et
I. Vol. d'es
1104 MERCURE DE FRANCE
d'esprit , mais encore une grande inclination
à la vertu , et une forte aversion
pour le vice , ce qui lui ayant fait concevoir
une grande espérance , il le fit appeller
un jour , disent les Mémoires qui
portent son nom , dans sa Chambre de
la Haute Tour , et en la seule présence
de la Durandiere , son Précepteur, il lui
tint un discours que sa briéveté et l'importance
du sujet m'engagent de rappor
ter ici.
» Maximilian , puisque la Coûtume
ne me permet pas de vous faire le prin-
» cipal Héritier de mes biens , je veux en
» récompense essayer de vous enrichir
» de vertus , et par le moyen d'icelles
» comme on me l'a prédit , j'espere que
» vous serez un jour quelque chose . Pré-
» parez- vous donc à supporter avec cou-
» rage , toutes les traverses et difficultez
» que vous rencontrerez dans le monde ,
» ct en les surmontant genereusement ,
acquerez- vous l'estime des gens d'hon-
» neur , et particulierement celle du
» Maître à qui je veux vous donner ; au
Service duquel je vous commande de
» vivre et mourir. Et quand je serai sur
mon partement pour aller à Vendôme
>> trouver la Reine de Navarre , et Mon-
» sieur le Prince son fils , auquel je veux
»
1. Vol. » Yous
JUIN. 1733- 1109
» vous donner , disposez-vous à venir
» avec moi , et vous préparer par une
Harangue à lui offrir votre service
» lors que je lui présenterai votre -Per-
» sonne .
la
Ce Discours pathétique et sensé , écou
té avec attention par un fils né pour
vertu , eut dans les suites tout le succès
que l'affection et la prévoyance d'un sage
Pere pouvoient esperer. Le Pere et le
Fils se rendirent bien-tôt auprès de la
Reine de Navarre , et le jeune Rosny
fut présenté au Prince son Fils , qui étoit
aussi fort jeune.
»
*
» Cela se fit , disent les Auteurs des
» Mémoires , en présence de la Reine sa
mere , avec des protestations que
» vous lui seriez à jamais très - fidele er
n très- obéïssant serviteur : ee que vous.
» lui jurâtes aussi , en si beaux termes
» avec tant de grace et d'assûrance
>> et un ton de voix si agréable , qu'il
conçût dès lors de bonnes espérances de
» vous. Et vous ayant relevé ( car vous
>> étiez à genoux , ) il vous embrassa deux
» fois , et vous dit : qu'il admiroit votre
gentillesse , vû votre âge , qui n'étoit
"
ת
La parole est ici adressée au Marquis de
Rosny , comme dans tout le corps de l'Ouvrage.
I. Vol.
» que
1106 MERCURE DE FRANCE
>>
que de onze années , et que lui aviés
» présenté votre service avec une si gran-
» de facilité , et étiés de si bonne race
» qu'il ne doutoit point qu'un jour vous
» n'en fissiés paroître les effets en vrai
» Gentilhomme . Et aussi vous promit il
» en foi de Prince , qu'en vous recevant
» de fort bon coeur , il vous aimeroit tou-
» jours , et qu'il ne se présenteroit jamais
» occasion de vous faire acquerir du bien
>> et de l'honneur , qu'il ne s'y employât
» de tout son coeur. Tous lesquels dis-
» cours , qui n'étoient lors que par com-
» plimens , ont eu depuis des Evénemens.
» plus avantageux que vous n'aviez ´es-
» péré.
Ces Evénemens que les mêmes Auteurs
ont rapporté fort au long , furent précédez
et mêlez de bien des traversés. La
Religion surtout , dont ce jeune Seigneur
faisoit profession , et qui fait le
principal article de vos demandes , pensa
lui coûter cher , dans la fatale journée
qui vit couler tant de sang François , au
milieu d'une profonde paix. Sa conservation
a quelque chose de singulier et de
merveilleux : elle merite bien que j'en
place ici le petit détail , tiré des mêmes
Mémoires .
» Voici ce que nous vous en avons
1. Vol. » oui
JUIN. 1733. 1107
noui conter : à sçavoir que vous ayant
» fait dessein d'aller faire votre Cour ce
» jour là , vous vous étiés couché la veille
de bonne heure , et que sur les trois
>> heures du matin , vous vous réveillâ-
» tes au bruit de plusieurs cris de peu-
» ples , et des allarmes que l'on sonnoit
» dans tous les Clochers. Le sieur de
» S. Julien , votre Gouverneur , et votre
» Valet de Chambre , ( qui s'étoient aussi
» éveillés au bruit , ) étant sortis de vo-
» tre logis , pour apprendre ce que c'é-
» toit , n'y rentrerent point ; et n'avez-
» vous jamais sçû ce qu'ils étoient deve-
» nus. De sorte qu'étant réduit vous
>> seul dans votre chambre et votre
» Hôte qui étoit de la Religion , vous
» pressant d'aller avec lui à la Messe , afin
» de garantir sa vie et sa maison de sac-
» cagement , vous vous résolûtes d'es-
» sayer à vous sauver dans le College de
Bourgogne.
"3
,
>> Pour ce faire,yous prîtes votre Robbe
>> d'Ecolier , un Livre sous votre bras , et
» vous vous mîtes en chemin . Par les
» ruës vous rencontrâtes trois Corps de
» Garde , l'un à celle de S. Jacques , un
>> autre à celle de la Harpe , et l'autre à
» l'issue du Cloître de S. Benoît. Au pre
» mier ayant été arrêté et rudoyé par
1. Vol. >> ceux
108 MERCURE DE FRANCE
» ceux de la Garde , un d'entr'eux pre
> nant votre Livre , et voyant que , de
» bonheur pour vous , c'étoit de grosses'
» Heures , vous fit passer , ce qui vous
» servit de passeport aux autres. En al-
>> lant vous vîtes enfoncer et piller des
» maisons , massacrer hommes , femmes .
» et enfans , avec les cris de tuë , tuë , ô
»Huguenot , ô Huguenot , ce qui vous
» faisoit souhaiter avec impatience d'être
» arrivé à la porte du College , où enfin
>> Dieu vous accompagna , sans qu'il vous
>> fût arrivé autre mal que la peur.
»
» A l'abord , le Portier vous refusa deux
» fois l'entrée de la porte mais enfin
» moyennant quatre Testons que vous
» lui donnâtes , il alla dire au Principal ,
» nommé la Faye , que vous étiés à la
» porte , et ce que vous demandiez , lequel
aussi- tôt meu de compassion
» étant votre particulier ami , vous vint
» faire entrer , empêché toutefois de ce
» qu'il feroit de vous , à cause de deux
» Ecclésiastiques qui étoient dans sa
» chambre , et qui disoient y avoir des-
» sein formé de tuer tous les Huguenots ,
» jusqu'aux enfans à la mammelle , et ce
à l'exemple des Vêpres Siciliennes .
» Néanmoins , par pitié , ce bon Personnage
vous mit dans une chambre fort
"
I. Vol. ≫ seJUIN.
1733.
1109
» secrette , dans laquelle personne n'en-
» trât que son Valet , qui vous y por-
» toit des vivres , et vous y servît trois
» jours durant , au bout desquels il se
» fit une publication de par le Roi , por-
" tant deffenses de plus tuer ni saccager
>> personne.
» Alors deux Archers de la Garde, Vas-
» saux de M. votre Pere , l'un nommé
» Ferrieres , et l'autre la Vieville , vin-
» rent avec leurs Hocquetons , et Halle-
» bardes à ce College , pour s'enquerir de
» vos nouvelles , et les mander à M. vo-
» tre Pere , qui étoit fort en peine de
» vous , duquel vous reçûtes une Lettre
» trois jours après , par laquelle il vous
mandoit de demeurer à Paris , et d'y
» continuer vos Etudes comme auparavant.
Et pour ce faire il jugeoit bien
qu'il vous faudroit aller à la Messe , à
» quoi il vous falloit résoudre , aussi-
» bien avoit fait votre Maître et beau-
>> coup d'autres : et que sur tout il vou-
» loit que vous courussiez toutes les for-
» tunes de ce Prince jusqu'à la mort
» afin que l'on ne vous pût reprocher de
l'avoir quitté en son adversité : à quoi
» vous vous rendîtes si soigneux , que
» vous en acquires l'estime d'un chacun .
Tout le monde sçait avec quelle exac-
I. Vol. titude
1110 MERCURE DE FRANCE
titude et quelle constante fidelité ce dernier
commandement de courir toutes les
fortunes de ce grand Prince fut éxécuté.
On en peut voir la preuve dans l'Histoire
, et sur tout dans les Mémoires des
Ecrivains que nous avons citez , lesquels
remarquent particulierement qu'au milieu
de toutes ses assiduitez auprès du
Prince , dans ces premiers tems de trouble
et de confusion , le jeune Rosny s'appliquoit
toujours à cultiver son esprit
par des connoissances solides. Ils parlent
en ces termes de cette circonstance ; en
» quelque condition que vous fussiés
» vous preniés toujours le tems de conti-
» nuer vos Etudes , sur tout de l'Histoi
de laquelle vous faisiés déja des Ex-
>> traits , tant pour les moeurs , que pour
» les choses naturelles ; et des Mathéma
>> re ,
tiques , lesquelles occupations fai-
» soient paroître votre inclination à la
>> vertu .
Dans la suite il se présenta une occasion
qui auroit pû , si Dieu l'avoit permis
, servir à éclairer ce jeune Seigneur
et à le faire rentrer dans la Religion de
ses Ancêtres. Il n'avoit qu'environ vingtdeux
ans , lorsqu'en l'année 1581. il lui
prit envie de faire un petit voyage en
Flandres , principalement pour y visiter
la
矍
1
•
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NAHL
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BETHUN
01
SA
SSA
JUIN. 1733 1111
la Comtesse de Mastin sa Tante . Cette
Tante et le Vicomte de Gand son Ayeul
maternel , et son Parrain , l'avoient deshérité
, lui et François de Bethune son-
Pere , à cause de la Religion, Il partit
muni d'un Passe- port du Comte * de
Barlemont , son Parent et se rendit à
la Bassée , où demeuroit cette Dame. Il
en fut accueilli assez froidement , préve
nuë sur son sujet de la maniere que nous
allons le voir,
ར་ ་ .
Le lendemain matin elle mena son Ne
veu dans la grande Eglise de l'Abbaye
qu'elle avoit fondée , pour lui faire voir
les Sépultures de Marbre de ses Ancêtres,
qu'elle y avoit fait construire ; et entre
les autres celles d'Helene de Melun , femme
de Robert d'Artois , d'Hugues de
Melun , son Ayeul , le même qui l'avoit
deshérité , et d'Anne de Melun son Ayeule
, celle enfin qu'elle avoit fait élever
pour elle-même. Elle lui dit alors , ayant
les larmes aux yeux : » hélas ! mon Ne-
» veu , mon ami , que mon Pere votre
» Ayeul , et ma Soeur votre Grand mere,
* Le Comte de Barlemont étoit Président du
Conseil Royal des Finances , Gouverneur de Namur
Chevalier de la Toison d'Or , &c. J'ai
une Médaille de ce Seigneur frapée en 1576. selon
Laquelle il faut lire BERLAYMONT.
>
"
» s'ils
1112 MERCURE DE FRANCE
» s'ils étoient en vie , jetteroient de lar-
>> mes , et ressentiroient de déplaisirs ,
» aussi-bien que moi , de voir en vous
» l'un de leurs Enfans , ne point croire
» en Dieu , ni en sa Messe , et n'adresser
» ses Prieres qu'à l'ennemi d'enfer , qui
» vous renal ennemi des bonnes oeuvres ,
» ainsi que je l'ai entendu dire à nos bons
>> Peres ! & c.
"
•
Le jeune Neveu étrangement surpris ,
s'écria là- dessus : » Vrai Dieu , ma Tan-
» te , que dites - vous ? Jesus ! seroit- il
> bien possible que vous disiés ceci à bon
» escient , et qu'il y ait eu des gens si
pleins d'impostures et de calomnies
» que de vous avoir voulu persuader tel-
» les éxécrations , qui nous rendroient
indignes de vivre sur la terre ? 11 lui fit
ensuite un détail de sa Créance, lui récita
même l'Oraison Dominicale , le Symbole
, &c. Tout cela fait un Dialogue qui
mérite d'être lû dans le 18. Chap. du pre
mier Tome des Mémoires , on en jugera
par la fin , qui est telle. La Dame écou
ta fort attentivement cette récitation
sans rien repondre , tant que le Neveu
ne parla que de Dieu , de Jesus-Christ
et du S. Esprit , mais lorsqu'il dit qui est
né de la Vierge Marie , et ensuite , je crois
Ja Communion des Saints , & c. Elle se mit
JUIN. 1733. 1113
à crier , » hélas ! mon Neveu , mon ami ,
» est- il possible qu'en vos Oraisons vous
» parliés de la bonne Dame , et fassiés
» mention des Saints Bienheureux ? Or
» venez m'embrasser , puisque cela est :
» car je vous aime comme mon bon Ne-
» veu , et me semble en vous voyant , et
" vous oyant parler , que ma pauvre soeur
» est encore en vie : ô que j'ai de déplai-
» sir que mon Neveu votre Parrain et
» moi , vous avons deshérité : vrayement
je veux essayer à rompre tout cela , et
» vous le jure par la Sainte Vierge : les
» effets néanmoins ne suivirent pas les
» paroles , &c.
>>
t
Il faut convenir , Monsieur , qu'une
telle occasion de parler de la nouvelle
Religion , mieux ménagée , auroit pû
produire quelque bon effet sur l'esprit
du jeune Parent , mais ce n'étoit pas le
moyen sans doute de le faire entrer dans
la bonne voye , que d'employer de pareils
argumens , on ne corrige point l'erreur
par
d'autres erreurs .
Quoiqu'il en soit , le Marquis de Rosny
, en quittant la Dame sa Tante prit
le chemin de Bethune , Ville qu'il avoit
toujours souhaité de voir , et où malgré
sa Religion , opposée à la grande Catholicité
de ses Ancêtres , à celle des Fla-
S
I. Vol. mands
1114 MERCURE DE FRANCE
mands en général , et aux circonstances
du tems , il fut parfaitement bien reçû
régalé du vin de Ville , et honoré en plu
sieurs manieres comme descendu de
l'antique Maison des anciens Seigneurs
de Bethune. Il vit tout ce qui étoit à
voir dans cette Ville , et visita principalement
les Eglises où sont les Mausolées
de ces Seigneurs , d'où il revint en droi
ture à Rosny. 7
L'ordre des tems , qui s'accorde avec
celui de vos demandes , me fait passer ,
Monsicur , de la Religion de Maximilien
de Bethune , à laquelle j'aurai occasion
de revenir , à ses grandeurs temporelles
, récompense de son mérite et de
son attachement à la fortune et aux interêts
d'un grand Prince. Vous voulez
sçavoir d'abord quand et comment il fût
pourvû de la Charge de Grand - Maître
de l'Artillerie , et comment il en fût destitué
après la mort de son cher Maître.
Je crois d'abord trouver la premiere
origine de son élévation à cette Charge
dans l'Evénement de la Bataille de Coutras
, donnée le 20 Octobre 1587. entre
l'Armée Royale , ou plutôt de la Ligue ,
commandée par M. de Joyeuse , et celle
du Roi de Navarre , commandée par ce
Prince en personne , accompagné du
I. Vol. Prince
JUI N. 1733 : 1115
·
Prince de Condé , du Comte de Soissons
; et d'un nombre de Seigneurs des
plus qualifiez , qui suivoient sa Religion
et sa fortune . Le Marquis de Rosny
étoit non seulement des premiers
dans ce nombre ; mais le Roy son
Maître lui commit dans cette importante
journée le soin de tout ce qui regardoit
l'Artillerie , quoiqu'il ne fût encore
âgé que de 28 ans .
>>
,
Je n'oublierai pas ici ce que lui dit ce
vaillant Prince , au moment qu'il se sépara
de sa Personne pour aller éxécuter
ses ordres. » Mon ami Rosny ,
» c'est à ce coup qu'il faut faire paroî-
» tre votre esprit et votre diligence , qui
» nous est mille fois plus nécessaire
» qu'elle n'étoit hier , à cause que le
» corps nous presse , et que de l'Artillerie
bien logée , bien munie et bien exploitée
, dépendra en grande partie le
» gain de la bataille , lequelj'attends de
» Dieu , & c. Les Mémoires qui ont conservé
ce trait , marquent aussi de quelle
maniere le Marquis de Rosny éxécuta
les ordres du Roi , ils détaillent particulierement
l'opération de deux Canons et
d'une Coulevrine , placées et employées
» si à propos , qu'elles firent des mer-
» veilles , ne tirant une seule volée
I. Vol. D » qu'ils
1116 MERCURE DE FRANCE
» qu'ils ne fissent des rues dans les Es
» cadrons et Bataillons du Camp ennemi
, qui étoient jonchées de douze
» quinze , vingt , et quelquefois jusqu'à
vingt- cinq corps d'hommes et
» chevaux ; si bien que les ennemis , &c .
Le reste du Narré mene au gain entier
de la Bataille , dû en bonne partie
à cette vigoureuse canonade , ainsi que
le Roi l'avoit prédit.
Les Auteurs en finissant ce Narré
ajoûtent une circonstance qui ne doit
pas être omise , et qui confirme d'ailleurs
ce que je viens de dire au sujet de
l'Artillerie.
39 Si- tôt que vous vîtes les ennemis
» en déroute ( c'est toujours à M、de
» Rosny qu'ils parlent ) et que sans
» doute la Bataille étant gagnée , vous
» n'aviez plus que faire au Canon : Vous
» montâtes sur votre grand Cheval d'Es-
» pagne Bay , lequel M. de Bois- Breuil
>> vous faisoit tenir prêt derriere les Pié-
» ces , pour essayer d'apprendre des
> nouvelles de Mrs vos Freres que vous
cuidiés être avec M. de Joyeuse , er
» sçavoir aussi en quel état le Roy de
» Navarre étoit , lequel vous rencontrâ-
» tes. par- delà la Garenne , l'épée toute
sanglante au poing , poursuivant la
>>
1. Vol.
vicJUIN.
1733. 1117
>
» victoire et si- tôt qu'il vous apper-
» çût , vous cría ; et bien , mon ami
c'est à ce coup que nous ferons per-
»> dre l'opinion que l'on avoit prise
» que les Huguenots ne gagnoient jamais
de Batailles ; car en celle- ci la
» victoire est toute entiere.... et faut
>> confesser qu'à Dieu seul en appar-
" tient la gloire , car ils étoient deux
» fois aussi forts que nous ; et s'il en
» faut attribuer quelque chose aux hom-
» mes , croyez que M. de Clermont
» vous , et Bois du Lys , y devez avoir
» bonne part ; car vos Piéces ont fait
» merveilles aussi vous promets- je que
» je n'oublierai jamais le service que vous
» m'y avez rendu .
C'est ainsi que lui parla ce Prince
incomparable , et on peut dire qu'il
tint magnifiquement sa parole Royale :
car dès qu'il fût Roi de France , ce
qui arriva deux ans après , il eut une
attention particulière sur la fortune
d'un homme qui le servoit si bien , et
qui ne le quitta pas d'un pas , surtout
aux Batailles d'Arques et d'Ivry qui
suivirent , où l'Artillerie fit encore des
merveilles , et où M. de Rosny emporté
par sa valeur , fut percé de coups.
Enfin , le Roi après l'avoir fait suc-
1. Vol. Dij ces
1118 MERCURE DE FRANCE
· ,
>
après
cessivement Grand Voyer de France
Sur Intendant des Finances
avoir érigé la Baronie de Rosny en
Marquisat , lui accorda en l'année 1599.
la Charge de Grand - Maître de l'Artillerie
, sur la démission de M. d'Etrées
avec la qualité d'Officier de la Couronne
, Charge que ce Prince lui ménageoit
depuis long- tems , et dont il y a lieu de
croire que
la journée de Coutras avoit
été comme le gage. Il fut presque en
même- tems pourvû de la Sur- Intendance
des Bâtimens et de celles des Fortifications
, qui furent suivies du Gouverne
ment de la Bastille , de la grande Maîtrise
des Ports et Havres du Royaume
et du Gouvernement de Poictou,
L'Artillerie avoit asşûrément besoin
d'un Grand - Maître aussi entendu et
aussi vigilant , que l'étoit le Marquis
de Rosny. Tout étoit en désordre à cer
égard dans les Provinces , où il fut obligé
de casser près de 500 Officiers , inuti
les ou mal - intentionnez , et l'Arcenal
étoit dénué presque de toutes choses
quand il en prit possession . Le Roi l'y
vint voir quinze jours après. Il reçût ensuite
un pareil honneur de Charles Emanuel
, Duc de Savoye , qui étoit venu
en France pour traiter en pe sonne d'af-
>
faires importantes.
JUIN. 1733 1119
T
Les Mémoires qui font le détail de
cette visite , marquent une circonstance
qui doit avoir icy sa place.
» Comme M. de Savoye fût arrivé à
» l'Arsenac, il vous demanda aussi- tôt où
» étoient toutes vos Armes , Munitions
» et Artilleries; sur quoi vous vous trouvâtes
bien empêché , ayant honte de
» lui faire voir une Maison si pauvre et
» dénuée de toutes ces choses , qu'étoit
» l'Arsenac ; tellement qu'au lieu d'aller
aux Magazins, vous le menates aux At-
» teliers , ausquels vous faisiez ouvrer à
» puissance; et lors voyant quelques qua-
» rante affuts et rouage , ésquels on tra
» vailloit ; vingt Canons , nouvellement
» fondus , et des provisions et préparatifs
pour en fondre encore autant ; il
» vous demanda que c'est que vous vou-
» liez faire de tant d'Artillerie nouvelle-
» ment fonduë ? Vous lui répondites en
» riant : Monsieur , c'est pour prendre
" Mont-Mélian. Lors il vous demanda
y avez vous été ? Non, Monsieur , dit-
» tes-vous ; vraiement je le vois bien , ré-
' pondit- il , car vous ne diriez pas cela ;
>> Mont-Mélian ne se peut prendre. Bien ,
>> bien , Monsieur , dittes - vous , je vous
» en crois , neanmoins ne mettez pas le
» Roy en cette peine ; s'il me l'avoit
I.Vol. Diij >> com1120
MERCURE DE FRANCE
» commandé j'en viendrois bien à bout
>> mais je veux croire qu'il n'en sera point
» besoin, et que le Roy et vous, vous sé-
»parerez bien contens l'un de l'autre, & c. .
M. de Rosny avoit sans doute ses raisons
pour parler ainsi au Duc de Savoye ,
qui n'oublia rien pour le mettre dans ses
interêts. C'est en partie la matiere du 93
chap. dans le second volume des Mémoires
, où l'on voit que si ce Seigneur refusa
, de la part du Prince , une Boëte de
Diamans , et jusqu'à son Portrait , enrichi
de Pierreries , de trop grand prix , il
ne manqua en rien à son égard du côté
des bienséances et de la politesse . Dans le
même jour que se passa ce que je viens
de rapporter ; il eût l'honneur de traiter
splendidement à souper, dans l'Arsenal ,le
Roy , le Duc de Savoye , les Dames et les
Seigneurs les plus qualifiez de la Cour :
mais revenons à l'Artillerie.
Elle changea absolument de face sous
sa conduite , et l'Arsenal cy - devant si
dépourvu, qu'on n'osoit presque le laisser
voir aux Etrangers , devint , pour ainsi
dire , sous le nouveau Grand- Maître , la
terreur des Ennemis de la France , et cela
dans moins d'une année. Le premier
Prince , à qui la vigilance du Marquis de
Rosny devint fatale fut le Duc de Sa-
1. Vol.
voye
JUIN. 1733. 1121
voye même , et ce qui s'étoit dit dans
l'Arsenal entre ce Prince et le Grand
Maître , par maniere d'entretien et de
plaisanterie , au sujet de Mont - Mélian' ,
devint une affaire sérieuse et une verité
dont les circonstances sont marquées
dans l'Histoire.
»
Je n'en rapporterai icy qu'une. Le Duc
de Savoye refufant d'exécuter le Traité
conclu à Paris , le Roy lui déclara la Guerre
, marcha en personne avec deux corps
d'Armée , qui firent des Exploits rapides
dans la Savoye et dans la Bresse; et Montmélian
, Place prétendue imprénable ,
fut prise ; le Marquis de Rosny se signala
en plusieurs manieres dans cette Expedi
tion , et fit plus que le devoir de sa Charge
, en ne s'exposant que trop par tout.
La diligence de Rosny , dit Mezerai ;
» pourvût. si bien aux Munitions et à
» l'Artillerie , les ayant fait charrier par
» les Rivieres,qu'à la fin de Juillet(1600)
» il eût en ce Païs-là 40 Piéces de Canon
>> et de quoi tirer quarante mille coups.
» Aussi n'oublia -t - il rien en cette occa-
»sion pour se montrer digne de la Char-
>> ge de Grand- Maître de l'Artillerie, dont
» le Roy venoit de l'honorer , l'ayant
» même érigée en Charge de la Couron-
» ne. Deux ans auparavant il lui avoit
-
I. Vol.
D iiij » aussi
Î122 MERCURE DE FRANCE
» aussi donné celle de Grand -Voyer, con-
» noissant qu'il étoit Homme d'ordre et
qu'il pourvoiroit soigneusement à la
» réparation et à l'entretenement des
» Chemins, pour la commodité du Char-
» roy , dont en effet il s'acquitta fort
» bien. Entre autres choses , il obligea les
» Particuliers de planter des Ormes de
» distance en distance dans leurs Terres ,
» sur les bords des grands Chemins , pour
» fournir un jour de bois de Charonage
au roulage de l'Artillerie. On appelle
» encore aujourd'hui ces Arbres des
» Rosnys.
>
C'est à cette occasion de la Guerre de
Savoye , que fût frappée une belle Médaille
d'Henri IV. en opposition et pour
répondre à la Médaille satyrique , que les-
Courtisans du Duc de Savoye firent fraper
peu de temps après qu'il se fût emparé
du Marquisat de Saluces , en profitant
des Troubles de la Ligue. Sur celle - cy on
voyoit d'un côté la tête du Prince , avec
cette Légende : CAR . EM. D.G.Dux Sab .
P. PED . Et sur le Revers , un Centaure
qui en décochant une Fléche pose le pied
sur une Couronne renversée ; ce seul mot
OPPORTUNE se lisoit autour ; et dans
l'Exergue M. D. LXXXVIII . Dans la Médaille
du Roy , la face étoit chargée du
>
I.Vol. Buste
JUIN. 1733. 1123
Buste de ce grand Prince , la tête ceinte
de Laurier, et les épaules couvertes d'une
Peau de Lyon , avec cette Inscription :
ALCIDES HIC NOVUS OR BI . Au revers ,
le Roy , armé d'une Massuë , paroît assommer
d'une main le Centaure abbatu ,"
sur lequel est posé l'un des pieds du Vainqueur
, qui de l'autre main releve une
Couronne , avec ce seul mot : OPPORTUNIUS
. Cette Médaille qui n'est chargée.
d'aucune datte , doit avoir été frappée
dans le courant de l'année 1600.ou avant
le Traité de Paix conclu entre les deux
Princes , en l'année 1601.
Le Marquis de Rosny , qui avoit eu tant
de part aux travaux de son Maître dans
cette Guerre , eut aussi part à sa gloire ; car
quelque tems après on lui frappa une Médaille,
où l'on voit d'un côté sonBuste, avec
cette Légende : MAXI. DE BETHUNE , DUC
DE SULLY.G.M.DE L'ART.DE F.Et sur le revers
, une Aigle élevée dans les Airs , la
tête tournée vers le ciel , tenant dans ses
Serres la Foudre de Jupiter , dont ilsemble
attendre les ordres pour la lancer
avec ces mots : Quo JUSSA Jovis . Dans
l'Exergue M. DC. VII. Cette Devise semble
faire allusion à ce que notre Grand
Maître répondit au Duc de Savoye , au
sujet de Mont-Mélian : Si le Roy m'avoit
1.Vol DY
Ccm1124
MERCURE DE FRANCE
commandé de le prendre,j'en viendrois bien- '
tôt à bout , &c. L'Evenement justifia cette
réponse.» Le Gouverneur de cette Place,
» dit Mezeray , triompha d'abord en pa-
» roles , parce qu'il ne croyoit pas.qu'on
put dresser des Batteries pour l'attaquer;
» mais quand Rosny eut trouvé moyen
» d'en planter à cinq ou six endroits (car
que ne peuvent l'argent et le travail ) sa
» fierté s'amollit tout d'un coup ; il per-
» mit que sa femme nouât conversation
avec celle de Rosny , et ses craintes
» s'augmentant d'heure en heure , il ca-
» pitula le 14 Octobre , &c.
»
Maximilien de Bethune .est qualifié
Duc de Sully sur cette Médaille , parce
qu'en l'année précédente 1606. le Roy
avoit érigé la Baronie de Sully en Duché
et Pairie ; sa reception fut des plus magnifiques
, le Roy ayant assisté au Festin ,
qui fut donné à l'Arsenal , &c. Ce Grand-
Prince lui donna aussi la même année , la
Charge de Capitaine - Lieutenant de deux
cent Hommes d'Armes de la Reine.
Comme la Médaille de ce premier Duc
'de Sully , Grand- Maître de l'Artillerie ,
&c. est assez rare , je vous envoïe la gra
vure , que j'en ai fait faire par une ha-
* Anne de Courtenay , Epouse du Marquis de
Rosny , qui l'avoit suivi dans cette Guerre.
I.Vol bile
JUIN. 1733. 1125
bile main , sur l'Original du Cabinet de
M. le Duc de Sully , que ce Seigneur a
bien voulu me communiquer. Cet Original
est des mieux conservez , et si beau
que je le crois de Germain Dupré , cxcellent
Graveur de ce temps-là , dont
nous avons de tres - belles Médailles. Les
deux autres Médailles dont je viens de
vous parler,de Henry le Grand et du Duc
de Savoye , sont dans mon Cabinet .Vous
pourrez les voir quand vous viendrez à
Paris.
Je suis forcé de renvoyer à une autre
Lettre ce qui me reste à vous dire pour
satisfaire pleinement à toutes vos demandes
, et pour ne point allonger celle - ci
lavantage. Je suis toujours , Monsieur ,
& c .
A Paris , le 25 Avril 1733 .
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Résumé : TROISIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. A. C. D. S. T. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques.
La troisième lettre de M. D. L. à M. A. C. D. S. T. traite de la vie et de la conversion religieuse du Marquis de Rosny, devenu Duc de Sully. L'auteur répond à des questions sur les raisons de cette conversion et sur l'histoire de la famille Bethune. Jean de Bethune IV, ancêtre de Rosny, avait épousé Anne de Melun, apportant ainsi la Baronie de Rosny en dot. Après la mort de sa première épouse, il se remaria et dilapida ses biens, laissant ses enfants dans une situation précaire. François de Bethune, fils aîné de Jean, épousa Charlotte Dauvet et eut sept enfants. Il s'attacha au Prince de Condé et adopta la religion protestante. Son fils Maximilien, futur Marquis de Rosny, suivit ses traces. François, conscient des qualités de Maximilien, le prépara à servir le Prince de Condé, futur Henri IV. Maximilien fut présenté au Prince et jura fidélité, débutant ainsi une carrière marquée par la fidélité et l'excellence. Lors du massacre de la Saint-Barthélemy, Maximilien échappa à la mort en se déguisant et en se réfugiant au Collège de Bourgogne. Il continua ses études et servit fidèlement Henri IV, cultivant son esprit par des connaissances solides en histoire et en mathématiques. En 1581, il visita sa tante en Flandres, mais celle-ci, en raison de sa religion, l'accueillit froidement. Malgré les tentatives de retour à la foi catholique, Maximilien resta protestant et continua à servir Henri IV avec dévouement. La carrière militaire de Rosny fut marquée par des événements cruciaux, notamment la bataille de Coutras en 1587, où il dirigea l'artillerie pour le Roi de Navarre. Cette victoire fut en grande partie due à l'efficacité de l'artillerie dirigée par Rosny. Après la bataille, le Roi de Navarre exprima sa gratitude et reconnut l'importance de Rosny dans la victoire. Rosny reçut plusieurs charges et honneurs, notamment celle de Grand Maître de l'Artillerie en 1599, après avoir été successivement Grand Voyer de France et Surintendant des Finances. Il réorganisa l'artillerie, cassa des officiers inutiles ou mal intentionnés, et modernisa l'arsenal. Sa gestion fut si efficace que l'arsenal devint une terreur pour les ennemis de la France. Lors de la guerre contre le Duc de Savoie, Rosny joua un rôle clé en assurant les munitions et l'artillerie, contribuant à la prise de Montmélian. Sa diligence et son organisation furent saluées par Mezeray. Rosny avait également été chargé de la réparation et de l'entretien des chemins, obligeant les particuliers à planter des ormes pour le charroi de l'artillerie. Ces arbres sont encore appelés 'les Rosnys' de nos jours. Maximilien de Bethune fut élevé au rang de Duc de Sully en 1606, et reçut la charge de Capitaine-Lieutenant de deux cents hommes d'armes de la Reine la même année.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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21
p. 1774-1787
LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. l'Abbé Foubert, Docteur de Sorbonne, au sujet d'une Prophetie attribuée au Roy David.
Début :
La difficulté que je vous ai proposée, Monsieur, il y a quelque temps, et [...]
Mots clefs :
Texte hébreu, Septante, Anciens, Paroles, Église, Calmet, Version, Auteur, Psautier, David, Vulgate, Génébrard, Justin, Verset, Hymne, Leçon
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. l'Abbé Foubert, Docteur de Sorbonne, au sujet d'une Prophetie attribuée au Roy David.
LETTRE de M. D. L. R. écrite à:
M.l'Abbé Foubert , Docteur de Sorbonne,
au sujet d'une Prophetie attribuée au
Roy David.
1
LA
A difficulté que je vous ai proposée,
y a et
Monsieur , il y a quelque temps ,
que vos occupations ne vous permirent
pas alors de me résoudre , a fait le sujet
de quelques recherches de ma part ; vous.
me demandez ce que j'ai appris là- dessus
; la demande ne sçauroit venir plus
propos ; car d'un côté je suis en état
de vous rendre quelque compte , et de
l'autre nous voila dans le temps où l'Eglise
a commencé de chanter l'Hymne
respectable qui a donné lieu à la diffi
• à
culté .
Il s'agit , comme vous sçavez , d'accorder:
A O UST. 1733. 1775
der l'exacte verité avec les paroles de la
strophe que voici de l'Hymne Vexilla
Regis , &c.
Impleta sunt qua concinit
Davidfideli carmine "
Dicens in Nationibus ,
Regnavit à ligno Deus.
David , selon le pieux Auteur de l'Hym
ne , a donc chanté prophétiquement dans
ses Pseaumes que J. C. regneroit par le
Bois de la Croix , et c'est , Monsieur , ce
que d'abord j'ai été chercher dans ces sacrez
Cantiques dans la Vulgate , ne me
souvenant pas d'y avoir jamais lû rien
de pareil. Il est vrai que dans le Pseaume
XCV. Verset 10. on trouve ces paroles ,
dicite in gentibus quia Dominus regnavit
et rien davantage. Est- ce assez pour attribuer
à David la Prophétie en question?
Cependant c'est Fortunat , Evêque de
Poitiers , selon la plus commune opinion ,
qui a composé cet Hymne au vi . sie
cle , et il y a preuve qu'on l'a chanté en
France , au moins dès le IX.
Comme tout le monde n'a pas chez
soi une Bibliotheque , je n'ai pas été en
état d'abord de voir dans les sources ce
qui peut avoir donné lieu aux paroles de
Fortunat , mais j'ai tiré de Genebrard ,
dont
1776 MERCURE DE FRANCE
dont j'ai le Pseautier dans mon Cabinet ,
autant de lumieres qu'il m'en falloit pour
commencer au moins d'éclaircir ma dif
ficulté.
Vous sçavez que Genebrard , sçavant
Benedictin Docteur de Paris , Professeur
des Langues Saintes au College Royal ,
puis Archevêque d'Aix , a donné une Edition
des Pacaumes , selon la Vulgate, qu'il
a accompagnée de sçavans Commentaires
, Ouvrage dont il étoit plus capable
qu'un autre , et dont il y a eu cinq Editions.
La mienne est d'Anvers 1592. et
toute la derniere ,
Son Commentaire sur ce 10. Verset
du Pseaume 95. est assez long et rempli
d'une pieuse érudition . Voici le précis
de ce qui regarde notre Question . Genebrard
convient que regnavu à ligno n'est
point dans le Texte Hebreu ; mais il prétend
que les Septante l'ont ajoûté par
an esprit prophétique , en traduisant ce
Verset , trois cent ans avant J. C. c'est
ainsi , dit-il , que les Anciens l'ont tou
jours cité , sçavoir , S. Justin Martyr, Lactance
, Tertullien , Arnobe , S. Augustin,
Cassiodore, Théodulphe, (4 ) le Pseautier
Romain , &c. c'étoit , selon lui , la ma
(a) Théodulphe , Evêque d'Orleans , auquel on
attribuë aussi l'Hymne de la Passion.
niere
A O UST. 17335 1777
niere des Anciens , en traduisant l'Ecri
ture , d'insérer quelques mots , en passant
, pour servir à l'intelligence de ce
que la Lettre renferme de mysterieux.
c'est ainsi , continue- t'il , qu'en ont souvent
usé Jonathan et Onkelos , qui pour
cela même ne sont pas tant appellez Traducteurs
que Paraphrastes Chaldéens , en
quoi ils ont été imitcz par les Septante..
Genebrard donne ensuite quelques exemples
de cette maniere de traduire des
Septante , pour éclairer davantage le
Texte , et il paroît si persuadé de ce sentiment
, qu'il traite d'imprudence et de
témerité d'avoir retranché à ligno des
Exemplaires qui ont suivi , ces paroles
ayant , dit- il , été inspirées (a) par le
S. Esprit à ces très saints Prophetes ,
Traducteurs des Livres Sacrez. Il accuse
de ce retranchement les Juifs , comme
S. Justin le leur a effectivement reproché
, ou quelques demi sçavans , pour,
faire montre de leur capacité dans la
Langue Hébraïque , et pour critiquer les
Septante , ce qu'il appelle une vanité et
une méchanceté dont on ne voit , dit- il ,
(a) Male ergo has duas Voculas è nostris Exemplaribus
, qua de industria et per Spiritum Sanctum
a sanctissimis
his Prophetis fuerant interjecta sustlerunt
, sive Judai, &c. Genebr.
que
1778 MERCURE DE FRANCE
que trop d'exemples . Il finit en soute
mant la nécessité de cette Leçon , et en
l'expliquant d'une maniere plausible et
toujours édifiante par rapport à l'appli
cation qu'il en fait.
Je crois , Monsieur qu'en voilà autant
qu'il en faut pour justifier , du moins
pour autoriser l'Auteur de l'Hymne Ve
xilla Regis , d'avoir cité David avec l'addition
à ligno , qui a tant de Deffenseurs
et de si illustres Garants . Mais est- ce
assez , encore une fois , en bonne crititique
pour admettre des paroles qui ne
se trouvent ni dans le Texte Hébreu
qui est l'original , ni dans les Exemplaires
que nous avons aujourd'hui de la
Version des Septante , premiers Auteurs ,
selon Genebrard , de cette Addition ? Ce
qui , à vous dire le vrai , me paroît un
peu embarassant. Vous sçavez qu'on ne
peut jamais prescrire contre la verité
c'est un des plus beaux mots (a) de Tertullien
et une maxime certaine. Vous sçavez
aussi que la Mort du Messie est assez marquée
dans les Prophetes , dans David même
, qui en est lui- même une figure , sans
qu'il soit besoin de la caractériser ici
(a) Veritati nemo prascribere potest , non spatium
temporum , non patrocinia personarum , non privil
Begium regionum . Lib. de Velan. Virginib.
Par
JUILLET. 17337 1779
par des termes qui ne se trouvent pas
dans le Texte original .
it
A
i. Cela supposé , je crois qu'on peut en-
Gore reclamer en faveur de la verité contre
l'addition ou la glose attribuée aux
Septante , que je ne sçaurois encore bien
me persuader venir de la plume de ces
fameux Interpretes ; mais je n'ai pas envie
, Monsieur , pour constater ce fait ,
du moins pour l'éclaircir , d'aller m'enfoncer
dans une Bibliotheque avec une
foule d'Interpretes , de Commentateurs
de Critiques , qui peut- être , après avoir
employé bien du temps , me laisseroient
encore dans le doute où je suis. Je vous
défere cette pénible entreprise , comme
vous convenant mieux qu'à moy , et je
me contente de joindre à ce que j'ai déja
eu l'honneur de vous dire , quelques Remarques
d'un Critique moderne sur le
sujet en question , qui m'ont parâ avoir
de la solidité. Ce Critique est Dom Augustin
Calmet , Auteur d'un Commenraire
Litteral sur tous les Livres de l'Ancien
et du Nouveau Testament , dont
les premiers Volumes ont parû au commencement
de ce siecle. Vous connoissez
Get Ouvrage et vous pouvez en juger
mieux qu'un autre. Pour moi je fais un
sas particulier de son travail sur les Pseaumés,
1780 MERCURE DE FRANCE
mes. Ce Livre publié en 1713. 2. vol. in
4. chez Emery , a mérité l'Approbation
d'un ( 4 ) de vos illustres Confreres , qui
nous assure que les Explications de l'Auteur
, tirées des S S. Peres et des meilleurs
Interpretes , contribuent beaucoup à faire
entendre ce qu'il y a de plus difficile
et de plus obscur dans ce Livre divin .
Dom Calmet , après avoir rapporté le
Verset en question , Commoveatur ....
Dicite in gentibus quia Dominus regnavit
du XCV . Pseaume , et rapporte aussi un
Passage des Paralipomenes , parallele à
ce Verset pour le sens , mais un peu different
pour les expressions , fait voir qu'il
y a là -dessus dans les anciens Peres et
dans quelques anciens Pseautiers , une varieté
encore plus grande et bien plus importante
, qui est de lire regnavit à ligno ,
et il ajoûte aux autoritez citées par Genebrard
, celles de S. Léon Pape , de
l'Auteur de l'Opuscule des Montagnes de
Sina et de Sion. Sous le nom de S. Cyprien
, le Pseautier Gotique, celui de saint.
Germain des Prez , celui de Chartres , tous
Monumens où on lit , Dominus regnavit
àligno. Le P. Calmet auroit pû ajoûter
que cette Leçon se trouve aussi dansa
(a) M. Pastel, Docteur et ancien Professeur
orbonne.
Version
A O UST. 1733. 1781
Version Italique de l'Ecriture , faite sur
le Grec dès le siécle des Apôtres , et dont
toute l'Eglise Latine s'est servie jusqu'à
la Version de S. Jérôme , l'Eglise de Ro
me n'en ayant point eû d'autre dans l'Office
public , jusqu'au Pontificat de Pie V.
qui fit recevoir la Vulgate dans Rome.
C'est D. Calmet * même qui nous donne
cette instruction ; or cette ancienne Version
Italique , publiée de nouveau à
Rome en 1683. par le Cardinal Thomasi,
porte aussi Dominus regnavit à ligno.
Pour ne rien oublier , s'il est possible,
sur ce sujet , notre habile Commentateur
rapporte jusqu'à une conjecture proposée
par Agellius ; sçavoir , que les anciens
Textes Hébreux , au moins dans quelques
Livres , au lieu de Aph , que nous
lisons aujourd'hui après Malac, il a regné,
lisoient He du bois ; ce qui auroit donné
lieu aux Septante de traduire par : Le
Seigneur a regné par le bois . Leçon qui a
subsisté pendant quelques siecles , jusqu'à
ce que les Sçavans en Hébreu s'étant apperçus
que cela ne s'accordoit pas avec
le vrai Original , ils la retrancherent et
conserverent etenim , du . suivant , qui .
répond à Aph de l'Hébreu . Conjecture®
Dissert, sur le Texte et sur les anciennes V´ersions
des Pseaumes. Art. III . p. xxv.
assez
1782 MERCURE DE FRANCE
assez foible et assez mal appuyée , dit
D. Calmet , qui ouvre enfin son sentiment
particulier , et raisonne ainsi sur la
glose en question.
Si cette Leçon étoit autrefois géneralement
dans tous les Exemplaires des Septante
et dans les premieres Traductions.
Latines qui furent faites à l'usage des
Chrétiens , comment ceux - ci ont- ils si
facilement abandonné un Texte qui leur
étoit si favorable ? Si ce sont les Juifs
qui ont fait ce retranchement , pourquoi
les Chrétiens ont- ils eu pour eux la condescendance
d'admettre leur correction
dans leurs Exemplaires. Enfin si quelque
demi sçavant a pû êter de son Livre à
ligno , comment a- t'il pû faire le même
changement dans tous les Exemplaires
du Monde ?
Ces paroles ne sont en effet ni dans
PHébreu, ni dans le Chaldaique , ni dans
le Syriaque , ni dans les anciennes Versions
Grecques , faites sur l'Hébreu , ni
dans la Vulgate , l'Arabe et l'Ethiopienne,
faites sur les Septante ; ni dans la
Version de S. Jerôme , faite sur l'Hebreu.
Personne , que je sçache , continue Dom
Calmet , n'a accusé les Juifs d'avoir ôté
ces termes de leurs Exemplaires Hébreus
on ne les y trouve ni ici , ni dans le
passage
A O UST. 1733. 1783
passage parallele des Paralipomenes. Depuis
S. Justin on ne les a point vûs dans
les Septante.
N'est- il donc pas bien plus probable , com .
me le veut le Févre d'Estaples , et après
lui Justiniani , de Muis et quelques - autres
, que ces paroles à ligno , ayant été
mises par quelqu'un sur la marge de son
Pseautier , à l'endroit de regnavit , furent
ensuite inconsidérément fourrées dans le
Texte ; d'où enfin elles ont été bannies ,
parce qu'on a reconnu qu'elles n'étoient
ni dans les sources hébraïques , ni dans
les anciennes Versions des Grecs .
Il y a beaucoup d'apparence , ajoûtet'il
, que les Hexaples d'Origene servic
rent à arrêter le cours de cette maniere
de lire , en montrant qu'elle n'étoit fondée
ni dans le Texte Hébreu , ni dans
aucune Version ; et en effet , dit D. Calmet
en finissant , je ne sçache que saint
Justin le Martyr parmi les Grecs , qui
l'ait suivie ; tous les autres Peres , qui
ont vécu depuis Origene , et qui sont
en très - grand nombre , ne faisant pas
même mention de cette Leçon . Si elle
subsista plus long- temps parmi les Latins,
c'est que les Hexaples y furent moins
connues et qu'on étoit moins en état de reconnoître
l'erreur de cette Glose ajoutée, et ,
Ε inserée
1984 MERCURE DE FRANCE
inserée dans le Texte , par l'inspection
des Originaux .
Je crois , Monsieur, que ce raisonnement
et la conséquence vous paroîtront
justes. Il peut cependant rester un scrupule
là- dessus , c'est que si d'un côté les
Peres Grecs , à l'exception de S. Justin ,
n'ont point admis , n'ont pas même connû
la glose à ligno ; d'un autre côté l'E
glise Romaine l'a non - seulement admise,
mais elle l'a en quelque façon consacrée ,
en la chantant universellement par tout
dans son Office public , comme elle fait
depuis plus de 700. ans.
On pourroit opposer d'abord à cette
difficulté la grande maxime de Tertullien
, déja rapportée ; mais j'estime qu'il
est plus naturel de la concilier par l'autorité
de S. Jérôme , que vous trouverez ,
je crois , formelle et venir expressément
au sujet que nous traitons . Elle se trou-
·
* Outre S. Justin , on pourroit croire que Les
Heretiques dont il est parlé dans Origane , L. VI,
P. 298. contre Celse , faisoient allusion à ce Passage,
repetant sans cesse dans leurs Ecrits ces paroles
: Ubique autem illic lignum vitæ et Resurrec
tio carnis à ligno. Et en remontant encore plus
haut , l'Auteur de l'Epitre attribuée à S. Barnabé
pouvoit avoir en vûë ce même Passage, lorsqu'il dit.
Regnum Jesu in ligno extitit βασιλεία τοῦ Ἰησοῦ
καὶ τῷ ξύλω,
ve
A OUST. 1733 1785
ve dans l'Epitre à Sunia et à Fréteila
qui est toute remplie de varietez de Leçons
et de Remarques critiques sur le
Texte des Septante et sur la Vulgate. C'est
dans cette Lettre que le S. Docteur propose
une belle Regle dont l'application
se fait ici naturellement. Ilfaut , dit- il ,
réciter et chanter les Pseaumes ainsi que
Eglise les chante , mais aussi il faut sçavoir
, autant que l'on peut , ce que porte
le Texte Hébreu , et qu'autre chose est ce
qu'il faut chanter dans l'Eglise , par respect
pour l'Antiquité ; et autre chose , ce
qu'il faut sçavoir pour la parfaite intelligence
des Ecritures.
Le même S. Docteur qui a proposé cett
Regle , se plaint cependant qu'après avoi
corrigé le Pseautier de l'ancienne Vulgate
qui étoit fort altérée , par l'ordre du
Pape Damase , l'ancienne erreur eût plus
de force qu'à sa nouvelle réformation
plus antiquum errorem , quàm novam emendationem
valere , tant il est difficile d'abolir
certaines choses quand elles ont été
* Sic omninò psallendum ut fit in Ecclesia : es
tamen sciendum quid Hebraica veritas habeat :
atque aliud esse propter vetustatem in Ecclesia
decantandum , aliud sciendum propter eruditionem
scripturarum. S. Hyeron. Epist, ad Sun. es
Fretell.
Eij en
1736 MERCURE DE FRANCE .
en quelque façon consacrées par leur antiquité.
Je finis , .Monsieur , en soumettant à
vos lumieres tout ce que je viens de vous
exposer , et en vous exhortant d'étudier
vous-même cette matiere pour l'éclaircir
encore davantage. Vous trouverez un trèsbeau
Pseautier dans votre Bibliotheque de
Sorbonne, c'est un des plus anciens Manuscrits
de ce genre et des plus curieux. Si ,
quand j'étois au milieu de l'Eglise Marónite
du Mont Liban , la difficulté s'étoit
présentée , j'aurois pû m'assurer de
l'état où sont les anciens Pseautiers des
Maronites par rapport à la glose à
ligno si unis , comme ils se picquent de
l'être de tout temps , à l'Eglise Romaine
, ils l'ont admise , ou si , au contraire,
ils ont suivi la façon de lire le Verset
en question, comme le lit l'Eglise Orientale
, sans addition et conformément au
Texte Hébreu , cela peut avoir sa curiosité.
Je pourrai m'en éclaircir avec le
sçavant M. Assemanni , Maronite, dont
je vous ai parlé plus d'une fois , et à qui
>
Joseph Assemanni , Maronite du Mont Liban ;
Garde de la Bibliotheque du Vatican et Auteur
d'un nouveau Recueil d'anciens Monumens Ecclesiastiques
, sous le titre de Bibiotheque Orientale ,
&c, imprimé à Rome,
AOUST. 1733. 1787
je dois écrire au premier jour sur d'autres
sujets. J'ai l'honneur d'être , &c .
A Paris le 27. Mars 1733 .
M.l'Abbé Foubert , Docteur de Sorbonne,
au sujet d'une Prophetie attribuée au
Roy David.
1
LA
A difficulté que je vous ai proposée,
y a et
Monsieur , il y a quelque temps ,
que vos occupations ne vous permirent
pas alors de me résoudre , a fait le sujet
de quelques recherches de ma part ; vous.
me demandez ce que j'ai appris là- dessus
; la demande ne sçauroit venir plus
propos ; car d'un côté je suis en état
de vous rendre quelque compte , et de
l'autre nous voila dans le temps où l'Eglise
a commencé de chanter l'Hymne
respectable qui a donné lieu à la diffi
• à
culté .
Il s'agit , comme vous sçavez , d'accorder:
A O UST. 1733. 1775
der l'exacte verité avec les paroles de la
strophe que voici de l'Hymne Vexilla
Regis , &c.
Impleta sunt qua concinit
Davidfideli carmine "
Dicens in Nationibus ,
Regnavit à ligno Deus.
David , selon le pieux Auteur de l'Hym
ne , a donc chanté prophétiquement dans
ses Pseaumes que J. C. regneroit par le
Bois de la Croix , et c'est , Monsieur , ce
que d'abord j'ai été chercher dans ces sacrez
Cantiques dans la Vulgate , ne me
souvenant pas d'y avoir jamais lû rien
de pareil. Il est vrai que dans le Pseaume
XCV. Verset 10. on trouve ces paroles ,
dicite in gentibus quia Dominus regnavit
et rien davantage. Est- ce assez pour attribuer
à David la Prophétie en question?
Cependant c'est Fortunat , Evêque de
Poitiers , selon la plus commune opinion ,
qui a composé cet Hymne au vi . sie
cle , et il y a preuve qu'on l'a chanté en
France , au moins dès le IX.
Comme tout le monde n'a pas chez
soi une Bibliotheque , je n'ai pas été en
état d'abord de voir dans les sources ce
qui peut avoir donné lieu aux paroles de
Fortunat , mais j'ai tiré de Genebrard ,
dont
1776 MERCURE DE FRANCE
dont j'ai le Pseautier dans mon Cabinet ,
autant de lumieres qu'il m'en falloit pour
commencer au moins d'éclaircir ma dif
ficulté.
Vous sçavez que Genebrard , sçavant
Benedictin Docteur de Paris , Professeur
des Langues Saintes au College Royal ,
puis Archevêque d'Aix , a donné une Edition
des Pacaumes , selon la Vulgate, qu'il
a accompagnée de sçavans Commentaires
, Ouvrage dont il étoit plus capable
qu'un autre , et dont il y a eu cinq Editions.
La mienne est d'Anvers 1592. et
toute la derniere ,
Son Commentaire sur ce 10. Verset
du Pseaume 95. est assez long et rempli
d'une pieuse érudition . Voici le précis
de ce qui regarde notre Question . Genebrard
convient que regnavu à ligno n'est
point dans le Texte Hebreu ; mais il prétend
que les Septante l'ont ajoûté par
an esprit prophétique , en traduisant ce
Verset , trois cent ans avant J. C. c'est
ainsi , dit-il , que les Anciens l'ont tou
jours cité , sçavoir , S. Justin Martyr, Lactance
, Tertullien , Arnobe , S. Augustin,
Cassiodore, Théodulphe, (4 ) le Pseautier
Romain , &c. c'étoit , selon lui , la ma
(a) Théodulphe , Evêque d'Orleans , auquel on
attribuë aussi l'Hymne de la Passion.
niere
A O UST. 17335 1777
niere des Anciens , en traduisant l'Ecri
ture , d'insérer quelques mots , en passant
, pour servir à l'intelligence de ce
que la Lettre renferme de mysterieux.
c'est ainsi , continue- t'il , qu'en ont souvent
usé Jonathan et Onkelos , qui pour
cela même ne sont pas tant appellez Traducteurs
que Paraphrastes Chaldéens , en
quoi ils ont été imitcz par les Septante..
Genebrard donne ensuite quelques exemples
de cette maniere de traduire des
Septante , pour éclairer davantage le
Texte , et il paroît si persuadé de ce sentiment
, qu'il traite d'imprudence et de
témerité d'avoir retranché à ligno des
Exemplaires qui ont suivi , ces paroles
ayant , dit- il , été inspirées (a) par le
S. Esprit à ces très saints Prophetes ,
Traducteurs des Livres Sacrez. Il accuse
de ce retranchement les Juifs , comme
S. Justin le leur a effectivement reproché
, ou quelques demi sçavans , pour,
faire montre de leur capacité dans la
Langue Hébraïque , et pour critiquer les
Septante , ce qu'il appelle une vanité et
une méchanceté dont on ne voit , dit- il ,
(a) Male ergo has duas Voculas è nostris Exemplaribus
, qua de industria et per Spiritum Sanctum
a sanctissimis
his Prophetis fuerant interjecta sustlerunt
, sive Judai, &c. Genebr.
que
1778 MERCURE DE FRANCE
que trop d'exemples . Il finit en soute
mant la nécessité de cette Leçon , et en
l'expliquant d'une maniere plausible et
toujours édifiante par rapport à l'appli
cation qu'il en fait.
Je crois , Monsieur qu'en voilà autant
qu'il en faut pour justifier , du moins
pour autoriser l'Auteur de l'Hymne Ve
xilla Regis , d'avoir cité David avec l'addition
à ligno , qui a tant de Deffenseurs
et de si illustres Garants . Mais est- ce
assez , encore une fois , en bonne crititique
pour admettre des paroles qui ne
se trouvent ni dans le Texte Hébreu
qui est l'original , ni dans les Exemplaires
que nous avons aujourd'hui de la
Version des Septante , premiers Auteurs ,
selon Genebrard , de cette Addition ? Ce
qui , à vous dire le vrai , me paroît un
peu embarassant. Vous sçavez qu'on ne
peut jamais prescrire contre la verité
c'est un des plus beaux mots (a) de Tertullien
et une maxime certaine. Vous sçavez
aussi que la Mort du Messie est assez marquée
dans les Prophetes , dans David même
, qui en est lui- même une figure , sans
qu'il soit besoin de la caractériser ici
(a) Veritati nemo prascribere potest , non spatium
temporum , non patrocinia personarum , non privil
Begium regionum . Lib. de Velan. Virginib.
Par
JUILLET. 17337 1779
par des termes qui ne se trouvent pas
dans le Texte original .
it
A
i. Cela supposé , je crois qu'on peut en-
Gore reclamer en faveur de la verité contre
l'addition ou la glose attribuée aux
Septante , que je ne sçaurois encore bien
me persuader venir de la plume de ces
fameux Interpretes ; mais je n'ai pas envie
, Monsieur , pour constater ce fait ,
du moins pour l'éclaircir , d'aller m'enfoncer
dans une Bibliotheque avec une
foule d'Interpretes , de Commentateurs
de Critiques , qui peut- être , après avoir
employé bien du temps , me laisseroient
encore dans le doute où je suis. Je vous
défere cette pénible entreprise , comme
vous convenant mieux qu'à moy , et je
me contente de joindre à ce que j'ai déja
eu l'honneur de vous dire , quelques Remarques
d'un Critique moderne sur le
sujet en question , qui m'ont parâ avoir
de la solidité. Ce Critique est Dom Augustin
Calmet , Auteur d'un Commenraire
Litteral sur tous les Livres de l'Ancien
et du Nouveau Testament , dont
les premiers Volumes ont parû au commencement
de ce siecle. Vous connoissez
Get Ouvrage et vous pouvez en juger
mieux qu'un autre. Pour moi je fais un
sas particulier de son travail sur les Pseaumés,
1780 MERCURE DE FRANCE
mes. Ce Livre publié en 1713. 2. vol. in
4. chez Emery , a mérité l'Approbation
d'un ( 4 ) de vos illustres Confreres , qui
nous assure que les Explications de l'Auteur
, tirées des S S. Peres et des meilleurs
Interpretes , contribuent beaucoup à faire
entendre ce qu'il y a de plus difficile
et de plus obscur dans ce Livre divin .
Dom Calmet , après avoir rapporté le
Verset en question , Commoveatur ....
Dicite in gentibus quia Dominus regnavit
du XCV . Pseaume , et rapporte aussi un
Passage des Paralipomenes , parallele à
ce Verset pour le sens , mais un peu different
pour les expressions , fait voir qu'il
y a là -dessus dans les anciens Peres et
dans quelques anciens Pseautiers , une varieté
encore plus grande et bien plus importante
, qui est de lire regnavit à ligno ,
et il ajoûte aux autoritez citées par Genebrard
, celles de S. Léon Pape , de
l'Auteur de l'Opuscule des Montagnes de
Sina et de Sion. Sous le nom de S. Cyprien
, le Pseautier Gotique, celui de saint.
Germain des Prez , celui de Chartres , tous
Monumens où on lit , Dominus regnavit
àligno. Le P. Calmet auroit pû ajoûter
que cette Leçon se trouve aussi dansa
(a) M. Pastel, Docteur et ancien Professeur
orbonne.
Version
A O UST. 1733. 1781
Version Italique de l'Ecriture , faite sur
le Grec dès le siécle des Apôtres , et dont
toute l'Eglise Latine s'est servie jusqu'à
la Version de S. Jérôme , l'Eglise de Ro
me n'en ayant point eû d'autre dans l'Office
public , jusqu'au Pontificat de Pie V.
qui fit recevoir la Vulgate dans Rome.
C'est D. Calmet * même qui nous donne
cette instruction ; or cette ancienne Version
Italique , publiée de nouveau à
Rome en 1683. par le Cardinal Thomasi,
porte aussi Dominus regnavit à ligno.
Pour ne rien oublier , s'il est possible,
sur ce sujet , notre habile Commentateur
rapporte jusqu'à une conjecture proposée
par Agellius ; sçavoir , que les anciens
Textes Hébreux , au moins dans quelques
Livres , au lieu de Aph , que nous
lisons aujourd'hui après Malac, il a regné,
lisoient He du bois ; ce qui auroit donné
lieu aux Septante de traduire par : Le
Seigneur a regné par le bois . Leçon qui a
subsisté pendant quelques siecles , jusqu'à
ce que les Sçavans en Hébreu s'étant apperçus
que cela ne s'accordoit pas avec
le vrai Original , ils la retrancherent et
conserverent etenim , du . suivant , qui .
répond à Aph de l'Hébreu . Conjecture®
Dissert, sur le Texte et sur les anciennes V´ersions
des Pseaumes. Art. III . p. xxv.
assez
1782 MERCURE DE FRANCE
assez foible et assez mal appuyée , dit
D. Calmet , qui ouvre enfin son sentiment
particulier , et raisonne ainsi sur la
glose en question.
Si cette Leçon étoit autrefois géneralement
dans tous les Exemplaires des Septante
et dans les premieres Traductions.
Latines qui furent faites à l'usage des
Chrétiens , comment ceux - ci ont- ils si
facilement abandonné un Texte qui leur
étoit si favorable ? Si ce sont les Juifs
qui ont fait ce retranchement , pourquoi
les Chrétiens ont- ils eu pour eux la condescendance
d'admettre leur correction
dans leurs Exemplaires. Enfin si quelque
demi sçavant a pû êter de son Livre à
ligno , comment a- t'il pû faire le même
changement dans tous les Exemplaires
du Monde ?
Ces paroles ne sont en effet ni dans
PHébreu, ni dans le Chaldaique , ni dans
le Syriaque , ni dans les anciennes Versions
Grecques , faites sur l'Hébreu , ni
dans la Vulgate , l'Arabe et l'Ethiopienne,
faites sur les Septante ; ni dans la
Version de S. Jerôme , faite sur l'Hebreu.
Personne , que je sçache , continue Dom
Calmet , n'a accusé les Juifs d'avoir ôté
ces termes de leurs Exemplaires Hébreus
on ne les y trouve ni ici , ni dans le
passage
A O UST. 1733. 1783
passage parallele des Paralipomenes. Depuis
S. Justin on ne les a point vûs dans
les Septante.
N'est- il donc pas bien plus probable , com .
me le veut le Févre d'Estaples , et après
lui Justiniani , de Muis et quelques - autres
, que ces paroles à ligno , ayant été
mises par quelqu'un sur la marge de son
Pseautier , à l'endroit de regnavit , furent
ensuite inconsidérément fourrées dans le
Texte ; d'où enfin elles ont été bannies ,
parce qu'on a reconnu qu'elles n'étoient
ni dans les sources hébraïques , ni dans
les anciennes Versions des Grecs .
Il y a beaucoup d'apparence , ajoûtet'il
, que les Hexaples d'Origene servic
rent à arrêter le cours de cette maniere
de lire , en montrant qu'elle n'étoit fondée
ni dans le Texte Hébreu , ni dans
aucune Version ; et en effet , dit D. Calmet
en finissant , je ne sçache que saint
Justin le Martyr parmi les Grecs , qui
l'ait suivie ; tous les autres Peres , qui
ont vécu depuis Origene , et qui sont
en très - grand nombre , ne faisant pas
même mention de cette Leçon . Si elle
subsista plus long- temps parmi les Latins,
c'est que les Hexaples y furent moins
connues et qu'on étoit moins en état de reconnoître
l'erreur de cette Glose ajoutée, et ,
Ε inserée
1984 MERCURE DE FRANCE
inserée dans le Texte , par l'inspection
des Originaux .
Je crois , Monsieur, que ce raisonnement
et la conséquence vous paroîtront
justes. Il peut cependant rester un scrupule
là- dessus , c'est que si d'un côté les
Peres Grecs , à l'exception de S. Justin ,
n'ont point admis , n'ont pas même connû
la glose à ligno ; d'un autre côté l'E
glise Romaine l'a non - seulement admise,
mais elle l'a en quelque façon consacrée ,
en la chantant universellement par tout
dans son Office public , comme elle fait
depuis plus de 700. ans.
On pourroit opposer d'abord à cette
difficulté la grande maxime de Tertullien
, déja rapportée ; mais j'estime qu'il
est plus naturel de la concilier par l'autorité
de S. Jérôme , que vous trouverez ,
je crois , formelle et venir expressément
au sujet que nous traitons . Elle se trou-
·
* Outre S. Justin , on pourroit croire que Les
Heretiques dont il est parlé dans Origane , L. VI,
P. 298. contre Celse , faisoient allusion à ce Passage,
repetant sans cesse dans leurs Ecrits ces paroles
: Ubique autem illic lignum vitæ et Resurrec
tio carnis à ligno. Et en remontant encore plus
haut , l'Auteur de l'Epitre attribuée à S. Barnabé
pouvoit avoir en vûë ce même Passage, lorsqu'il dit.
Regnum Jesu in ligno extitit βασιλεία τοῦ Ἰησοῦ
καὶ τῷ ξύλω,
ve
A OUST. 1733 1785
ve dans l'Epitre à Sunia et à Fréteila
qui est toute remplie de varietez de Leçons
et de Remarques critiques sur le
Texte des Septante et sur la Vulgate. C'est
dans cette Lettre que le S. Docteur propose
une belle Regle dont l'application
se fait ici naturellement. Ilfaut , dit- il ,
réciter et chanter les Pseaumes ainsi que
Eglise les chante , mais aussi il faut sçavoir
, autant que l'on peut , ce que porte
le Texte Hébreu , et qu'autre chose est ce
qu'il faut chanter dans l'Eglise , par respect
pour l'Antiquité ; et autre chose , ce
qu'il faut sçavoir pour la parfaite intelligence
des Ecritures.
Le même S. Docteur qui a proposé cett
Regle , se plaint cependant qu'après avoi
corrigé le Pseautier de l'ancienne Vulgate
qui étoit fort altérée , par l'ordre du
Pape Damase , l'ancienne erreur eût plus
de force qu'à sa nouvelle réformation
plus antiquum errorem , quàm novam emendationem
valere , tant il est difficile d'abolir
certaines choses quand elles ont été
* Sic omninò psallendum ut fit in Ecclesia : es
tamen sciendum quid Hebraica veritas habeat :
atque aliud esse propter vetustatem in Ecclesia
decantandum , aliud sciendum propter eruditionem
scripturarum. S. Hyeron. Epist, ad Sun. es
Fretell.
Eij en
1736 MERCURE DE FRANCE .
en quelque façon consacrées par leur antiquité.
Je finis , .Monsieur , en soumettant à
vos lumieres tout ce que je viens de vous
exposer , et en vous exhortant d'étudier
vous-même cette matiere pour l'éclaircir
encore davantage. Vous trouverez un trèsbeau
Pseautier dans votre Bibliotheque de
Sorbonne, c'est un des plus anciens Manuscrits
de ce genre et des plus curieux. Si ,
quand j'étois au milieu de l'Eglise Marónite
du Mont Liban , la difficulté s'étoit
présentée , j'aurois pû m'assurer de
l'état où sont les anciens Pseautiers des
Maronites par rapport à la glose à
ligno si unis , comme ils se picquent de
l'être de tout temps , à l'Eglise Romaine
, ils l'ont admise , ou si , au contraire,
ils ont suivi la façon de lire le Verset
en question, comme le lit l'Eglise Orientale
, sans addition et conformément au
Texte Hébreu , cela peut avoir sa curiosité.
Je pourrai m'en éclaircir avec le
sçavant M. Assemanni , Maronite, dont
je vous ai parlé plus d'une fois , et à qui
>
Joseph Assemanni , Maronite du Mont Liban ;
Garde de la Bibliotheque du Vatican et Auteur
d'un nouveau Recueil d'anciens Monumens Ecclesiastiques
, sous le titre de Bibiotheque Orientale ,
&c, imprimé à Rome,
AOUST. 1733. 1787
je dois écrire au premier jour sur d'autres
sujets. J'ai l'honneur d'être , &c .
A Paris le 27. Mars 1733 .
Fermer
Résumé : LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. l'Abbé Foubert, Docteur de Sorbonne, au sujet d'une Prophetie attribuée au Roy David.
La lettre de M. D. L. R. à l'Abbé Foubert traite d'une prophétie attribuée au roi David, mentionnée dans l'hymne 'Vexilla Regis'. L'auteur cherche à vérifier l'exactitude des paroles 'Regnavit à ligno Deus' (Dieu a régné par le bois de la croix) dans les Psaumes. Ces mots ne figurent pas dans le texte hébreu original mais sont présents dans la version des Septante, traduite trois cents ans avant J.-C. Genebrard, un érudit bénédictin, soutient que les Septante ont ajouté ces mots par esprit prophétique, une pratique confirmée par plusieurs Pères de l'Église. Dom Augustin Calmet rapporte diverses lectures anciennes et suggère que les mots 'à ligno' pourraient avoir été ajoutés en marge et ensuite intégrés dans le texte. Calmet estime que cette glose n'est pas originaire des Septante et a été retirée lorsque les savants ont reconnu son inexactitude. L'auteur conclut en soulignant la difficulté de concilier ces divergences et en se référant à l'autorité de saint Jérôme pour résoudre cette question. Par ailleurs, un saint docteur propose une règle pour la récitation et le chant des Psaumes, recommandant de suivre la tradition de l'Église tout en connaissant le texte hébreu pour une meilleure compréhension des Écritures. Il déplore que, malgré la correction du Psaume par le Pape Damase, l'ancienne erreur ait persisté, soulignant la difficulté de réformer des pratiques anciennes. L'auteur mentionne également un Psaume ancien et curieux dans la bibliothèque de la Sorbonne et évoque une difficulté rencontrée au sein de l'Église Maronite du Mont Liban concernant la glose et la lecture des versets. Il se demande si les Maronites suivent la tradition romaine ou orientale et envisage de consulter Joseph Assemanni, un Maronite savant et gardien de la bibliothèque du Vatican, auteur d'un recueil de monuments ecclésiastiques. La lettre se conclut par une soumission des propos à la lumière du destinataire, l'encourageant à étudier davantage la matière.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
22
p. 2819-2834
SECONDE Lettre de M. D. L. R. sur la Litterature des Mahometans, et sur celle des Turcs en particulier.
Début :
Je réponds, Monsieur, le plutôt qu'il m'est possible à la derniere Lettre que [...]
Mots clefs :
Littérature des mahométans, Turcs, Constantinople, Bibliothèque, Histoire, Ignorance, Sciences, Roi, Vérité, Paris, Levant, Lettres, Mosquée, Préjugé, Langues
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SECONDE Lettre de M. D. L. R. sur la Litterature des Mahometans, et sur celle des Turcs en particulier.
SECONDE Lettre de M. D. L. R.
sur la Litterature des Mahometans , et
sur celle des Turcs en particulier.
J
E réponds , Monsieur , le plutôt qu'il
m'est possible à la derniere Lettre que
vous m'avez fait l'honneur de m'écrire
de Constantinople le 30 Mars dernier ,
et je commence par l'Article le plus es
sentiel et que vous me recommandez
particulierement. Vous me demandez si
j'ai prétendu parler bien sérieusement ,
II. Vol.
2820 MERCURE DE FRANCE
du moins s'il n'y a rien d'exagéré dans
la Lettre qui concerne la Litterature des
Mahometans et celle des Turcs en particulier
, que vous avez lue dans le Mercure
de Septembre 1732. ajoûtant que
vous attendez ma réponse pour me développer
les Reflexions que vous avez
faites là-dessus et que dès à présent, c'està-
dire , sans attendre ma Réponse , vous
êtes dans le Préjugé general que les Turcs
sont d'une ignorance crasse ,
très- peu
curieux d'en sortir , &c.
Je vous dirai d'abord , Monsieur , que
j'ai écrit très sérieusement sur le sujet en
question , que je ne crois pas avoir rien
exageré et que je n'ai rien avancé sans
autorité , sur quoi je vous renvoye à ma
Lettre même du Mercure , sans préjudice
des autres autoritez que je puis encore
vous alleguer.
J'ajoûterai à cette affirmation que ce
n'est pas mon Voyage du Levant seul
qui m'a détrompé sur la prétendue ignorance
des Turcs ; je suis allé dans l'Orient
presque avec le même Préjugé où
vous êtes aujourd'hui , et que plusieurs
années de séjour n'ont pas encore détruit
chez vous , Préjugé , pour le dire
en passant , qui empêche , qui ôte l'envie
de s'instruire et de parvenir à la découverte
de la verité.
DECEMBRE . 1733. 2827
Mon voyage ne m'a donné là - dessus
qu'une premiere lueur , mais cette lueur
est devenue lumiere et certitude par les
lectures que j'ai faites depuis mon retour
des ouvrages des Mahometans Anciens et
Modernes , qui fe trouvent dans la Bibliotheque
du Roy et ailleurs , et par le
long commerce que j'ai eû avec plusieurs
sçavans d'élite en érudition orientale ,
qui ont passé une partie de leur vie dans
le Levant et qui sont morts à Paris dans
une haute réputation de vertu , et d'amour
pour la verité. Je n'en nommerai
ici que deux , sçavoir.
François Peris de la Croix Parisien
Sécretaire , Interprete du Roy pour les
Langues Orientales , Professeur en Arabe
au Collège Royal , mort sur la fin de
l'année 1713. M. Colbert le fit passer
dans fa jeunesse et séjourner fuccessivement
à Alep , à Hispaham , à Constantinople
, pour apprendre en perfection les
trois principales Langues , l'Histoire , les
Coutumes & c . des Nations du Levant.
Dans son instruction , dont j'ai une copie,
cette habile Ministre lui ordonne de
s'instruire particulierement à l'égard des
Sciences et des Arts cultivez dans ces differens
Pays. M. Petis en rapporta beaucoup
de doctrine Orientale , dequoi il a
?
11, Vol. donné
822 MERCURE DE FRANCE
·
donné des preuves toute sa vie , et plusieurs
Manuscrits utiles , dont il a tra
duit une bonne partie , entre lesquels est
la curieuse Bibliotheque de Hadgi Calfa,
Turc moderne de Constantinople , * qui
feule est capable de détruire le Préjugé
commun de la prétendue ignorance des
Mahometans & c .
Et Antoine Galland de Noyon , de
PAcadémie Royale des Inscriptions et
des Belles Lettres associé à celle des
Ricovrati de Padoue , Antiquaire du Roy,
Professeur en Arabe au Collège Royal ,
mort au mois de Février 1715 Il suivie
le Marquis de Nointel dans fon Ambassade
de Constantinople , dans son voyage
de la Palestine,et dans sa visite des Echelles
du Levant. De retour en France il fit
encore dux voyages à Constantinople
et au Levant par les ordres de M M. Col
* Ce seul Ouvrage peut détromper bien des gens,
et même quelques Sçavans , qui croyent que les
Turcs et autres Mahometans négligent les Sciences ,
trompez par des Voyageurs , qui ne sçackant pas les
Langues , n'ont pas på conferer avec les Sçavans
des l'ays qu'ils ont parcourus . Cette Bibliotheque
est une veritable Encyclopedie de toutes les Sciences
et de tous les Arts chez les Orientaux . Préface de
P'Histoire de Tamerlan , traduite du Persan pat
M. Peus de la Croix, et donnée au Public après
sa mort. 4. vol. 1 12. Paris 1722.
11. Vol. bert
DECEMBRE . 1733. 2823
1
bert er de Louvois , pour la recherche
des Medalles et des Manuscrits . ce qui
acheva de le perf.ctionner dans l'intelligence
des Langues , et dans la connoissance
de l'Histoire et de tout ce qui concerne
les Orientaux . Il étoit d'ailleurs bon
Critique , excellent Antiquaire et naturellement
Philofophe. Il a composé plusieurs
Ouvrages , dont quelques uns ont
été imprimez. De ses Manuscrits ceux
qui regardent l'Orient ont passé dans la
Bibliotheque du Roy. On lui doit l'Edition
de la Bibliotheque Crientale de
M. d'He belot , faite à Paris en 1697 ,
grand in fol.de 106 pag. et la belle Préface
qui est à la tête . a Preface dont la
(a) On fait quelque grace aux Arabes , et ils
passent pour avoir autrefois cult vé les Sciences aves
grande application. On attribue de la politesse aux
Per ans et on leur rend justice .Mais , par leur nom
seul , les Turcs sont tellement décriez , qu'il suffit
ordinairement de les nommer pour signifier une
Nation grossiere , barbare et d'une ignorance achevée
, et sous leur nom on entend parler de ceux qui
sont sous la domination de l'Empire Ottoman . Cependant
on leur fait injustice ; car sans s'arréter à
Les justifier ici de barbarie et de grossiereté , ce qui
demanderoit un détail .... On peut dire à l'égard
de l'ignorance , qu'ils ne cedent ni aux Arabės ni
aux Iersans dans les Sciences et dans les Belles- Lettrer
, communes à ces trois at.ons , et qu'ils les
cultivent presque dès le commencement de lcur Em-
II. Vol.
scule
2824 ME RCURE DE FRANCE
seule lecture est capable de détruire l'erreur
des Européens qui excluent la cul
ture des Sciences et des beaux Arts de
tout le Mahométisme.
Je pourrois , Monsieur , m'en tenir à
ces autoritez , persuadé qu'elles sont plus
que suffisantes pour confirmer tout ce
que j'ai avancé dans ma premiere Lettres
mais je ne puis omettre un troisiéme Témoin
qui se presente icy bien naturelle.
ment ; Témoin illustre et des plus recevables
sur le sujet qui est en question ;
c'est le fameux Comte de Marsigli, dort
on vient de publier un bel Ouvrage sur
l'Etat (a ) Militaire de l'Empire Ottoman ,
& c.
Ce Seigneur vint à Constantinople avec
pire. La Bibliotheque Orientale en fait foi, et observe
dans leur Histoire une suite continuelle de Docteurs
de leur Religion et de leur Loy , très fameux et
très estimez parmi eux , tant pa . leur Doctrine que
par leurs Ecrits. Ils ont aussi des Historiens trèscelebres
e: très - exacts des Actions de leurs Sultans ,
et on peut compter comme une marque de la délicatesse
de leur esprit le nombre considerable de leurs
Poëtes , qui montoit à 590. vers la fin du siecle
passé , & c. A. Galland , dans son Discours pour
servir de Préface à la Bibliotheque Orientale de
B. d'Herbelot.
(a ) STATO MILITARE dell' Imperio Ottomano
, &c. 1. vol . fol. A la Haye et à Amsterdam
1732.
11. Vol.
DECEM DK E. 1733. 2825
an Ambassadeur de la République de
Venise , n'étant encore âgé que de vingt
ans , dans le dessein de s'instruire à fond,
principalement sur le sujet que je viens
que
de dire , rempli auparavant des préjugez
ordinaires , & c . Il servit ensuite l'Empereur
dans les Guerres de Hongrie . Pris
par les Tartares,qui le vendirent au Pacha
de Témiswar , &c. il sçut mettre à profit
son infortune , pour acquerir toutes les
connoissances qui lui manquoient. Après
avoir recouvré sa liberté , il reprit ses
Emplois dans l'Armée Impériale , et il les
conserva jusqu'à la Paix de Carlowits
à laquelle il servit même utilement ; et ,
après la Paix il fut établi Commissaire
Général pour le Reglement des Limites.
Dans l'Ouvrage qui vient de paroître ,
où il ne s'agit rien moins que de Science
et de Litterature , l'Auteur n'a pû
s'empêcher de rendre là - dessus un témoignage
à la verité. Après avoir dépeint
les Turcs , qu'il dégrade tant qu'il
peut , indolens , mous , oisifs , sur tout
les Asiatiques , n'agissant que par nécessité
, &c. il se récrie contre nos préjugez
sur le point de leurs Etudes. Il par
fe de Constantinople et des autres grandes
Villes , » comme étant remplies de
Personnes instruites dans le Mahome-
II. Vol. Ꭰ tisme
2020 TRANCE
» tisme , qui sçavent au moins les trois
» Langues , le Turc , le Persan et l'A-
» rabe : Esprits cultivez en plus d'un gen-
» re de Litterature , Poëtes délicats , His-
» toriens polis , mais d'une exactitude ,
» scrupuleuse , et par là un peu ennuyeuxs
Dialecticiens subtils , Moralistes pro-
» fonds , Géomêtres , Astronomes , Géographes
, et par dessus tout grands Alchymistes
; ce qu'il a été en état , de :
» prouver par un Catalogue de plus de
» 86000 Ecrivains du dernier siécle , re
>> cueillis dans sa Bibliotheque de Boulogne
, et dont il à fourni une Copie:
» pour celle du Vatican . Si les Turcs
n'impriment pas , ce n'est pas , dit il ,
» qu'il ne leur soit libre de le faire ; leur
» motif est de ne pas empêcher une mul-
>> titude innombrable de Copistes de ga
» gner leur vie. On en comptoit 90009
>> pendant son séjour à Constantinople..
» Une autre sorte d'Etude , selon le mê
» me Auteur , c'est que nul Gouverne,
ment au monde n'est plus appliqué et
plus ponctuel que le Gouvernement
Turc , pour conserver des Registres
A
* Le Comte de Marsigli est de Boulogne , et y a
fondé une Académie . Il est des Académies Royales
des Sciences de Paris et de Montpellier , et de la
Societé Royale de Londres,
II. Vol exacts
DECEM DN E. 1733• 2027
exacts en tout ce qui regarde les Trai-,
a tez avec les Puissances Etrangeres , le..
» Domaine , le Cérémonial , l'Expédi
tion des Ordres , celles des Arrêts ou
Ordonnances et Commandemens ; l'E-
>> tat des Officiers en service , et singulie
☐rement les Finances.
Au reste , Monsieur , je vous connois
un si bon esprit , tant d'amour et de vénération
pour la vérité , pour me servir
de vos termes sur ce sujet , que je ne désespere
pas de vous voir changer un jour
de sentiment , sur tout si vous voulez
vous donner la peine d'apprendre seulement
le Turc , qui n'est pas une Langue
fort difficile, et dans laquelle je vous crois
déja initié;cela vous mettroit en état d'entrer
plus souvent dans cette grande Ville,
de laquelle vous êtes peut - être autant separé
par le préjugé , que par un petit bras
de Mer , et de vous instruire par vousmême
, en conferant avec les Gens de Lettres
, & c. Je ne doute pas que vous
in'ayez trouvé des Turcs d'une ignorance
crasse , et comme vous dites , tres- peu
curieux d'en sortir ; mais ce n'est pas
assez pour affirmet la même chose de
toute la Nation . Où ne trouve- t-on pas
dans l'Europe même , de la rusticité et de
l'ignorance ? On trouve aussi du goûr
II. Vol. Dij de
2808 MENCURE
de la Politesse , et de l'Erudition , quand
rien n'empêche d'en chercher. Mais en
voilà asez sur ce sujet.
Rien n'est plus sensé et plus dans le
vrai que ce que vous me dites , Monsieur,
sur l'impropriété du mot de Sophi , par
lequel les Ecrivains Européens , suivis en
dernier lieu par le a P. du Cerceau , désignent
le Roy de Perse. Vous convenez
qu'à ne consulter que la raison , cette
expression est tout- à fait vicieuse , comme
je l'ai prouvé dans un article de mes
Lettres , auquel votre politesse donne le
nom de Dissertation. La verité est qu'on
n'a point encore décidé dans les formes
que ce terme doive être proscrit parmi
ceux qui se piquent de parler correcte
ment mais en attendant cette décision ,
et malgré la continuation du mauvais
usage par des Ecrivains mal instruits , ou
entêtez , ibn'est pas moins certain qu'on
-he prescrit jamais contre la vérité et contre
la raison , et qu'il est toujours temps
de reclamer en leur faveur. L'usage ,j'en
-conviens ; décide le plus souvent en fait
de langue , au préjudice du bon sens et
des régles, mais c'est quand il ne s'agit
précisément que de la Grammaire. Icy il
( a ) Hissoire de la derniere Révolution de Perse
2 vol . in 12. Paris. 1728,
M. Vel.
s'agie
DECEMBRE . 1733. 2829
s'agit d'un point d'Histoire et de Critique.
J'espere m'étendre davantage sur
ce sujet dans un Ecrit que je prépare , et
qui soutiendra peut- être le titre que vous
voulez bien lui donner par avance .
J'ai enfin reçu depuis peu le beau Jusdam
, ou le Porte Lettres de fabrique
Turque , que vous m'aviez annoncé, orné
d'une broderie parlante ; et si cela se
peut dire , bien obligeante de la part de
ceux qui me font l'honneur de me l'envoyer.
Ils devoient en envoyer aussi l'interprétation
; car je ne sçai si nous aurons
bien réussi à expliquer les deux Vers Persans
qui sont si artistement brodez dessus.
C'est ce que vous pourrez faire examiner
par vos Experts . Voici comment
on a lû et interpreté icy cette galanterie
orientale.
Djah toй hemtchou ni i met ferdaous bi zevăl ,
Felicitas tua sicut gratia Paradisi sine defectu
Umr toй hemtchou middet eflāk bi chumăr,
Atas tua sicut spatium sæculorum sine numero.
On s'est servi de la Langue latine pour
mieux rendre l'original Persan , auquel
les Vers suivans , ajoutez par l'Autheur
ême de la Traduction , pourront servir
de Paraphrase :
II. Vol. Djij N...
2830 MERCURE DE FRANCE
N... qu'un bonheur durable
Soit compagnon de tes travaux ,
Qu'il soit exempt de tous les maux ,
Qu'aux biens du ciel il soit semblable.
Que des jours longs et gracieux
Rendenr ton sort digne d'envie ,
Que le terme du cours des Cieux
Soit aussi celui de ta vie.
J'ai reçu presque en même- tems et da
-même Païs , une très- belle Cornaline ,
qui à, sans doute, servi de Cachet à quelque
dévot Musulman de distinction , car
on y lit ces mots Arabes , tres-bien gravez
en caracteres Persans : Mazhar ila
faiz Aichay , c'est- à-dire , protegé par les
faveurs d'Aichay.
Aichay ou Aischah est une Personne
des plus respectables du Mahométisme
en qualité de troisiéme Femme de Mahomet
, et de Fille d'Abdallah , surnommé
depuis a Abubekre ou Pere de la Pudelle
, parce qu'à son exception , ce faux
Prophete n'a épousé que des Veuves . S'il
y a jamais eu des Héroïnes et des Femmes
sçavantes chez les Musulmans , cel
(a ) Abubckre , successeur immédiat de Mabomet
, et le premier des Califes.
11. Kola
k.
DECEMBRÉ . 1933 . 2831
le-cy doit être considérée comme la plus
celebre et la plus ancienne. Son autorité
dans la Religion fut grande de tout tems
parmi les Sunnites , ou les Orthodoxes
pour avoir retenu et transmis ce grand.
nombre de Paroles prétendues Remarquables
de Mahomet , et de Traditions ,
qui ont fait depuis un corps de Doctrine
appellé la Sunna. Aischah par cette raison
est souvent qualifiée de Nabiah ơs
de Prophétesse , et de Seddika , ou de témoin
fidele et authentique. Ils l'appel
lent aussi la Mere des Fidelles .
Sa renommée n'est gueres moins grande
dans l'Histoire du côté de la Politique
et du Gouvernement , et par la valeur
qu'elle fit enfin paroître à la fatale journée
du (a ) Chameau, dans la Bataille qu'elle
donna contre l'Armée d'Ali , pour vanger
la mort du Kalife - Othman , donnant
par sa présence et par son exemple le
mouvement et le courage à ses Troupes.
Bataille sanglante dans laquelle il y eut
près de zo mille Arabes de tuez sur la
place ; qu'elle perdit cependant avec sa
: ( a ) Ainsi nommée par les Historiens , à cause
du Chameau que montoit Aischah , lequel on ne
put jamais arrêter dans la mêlée , qu'en lui coupant
les Jarrets , ce qui donna lieu à la prise de la
Princesse , et à la déroute de son armée , c. )
II. Vol. D iiij.li2832
MERCURE DE FRANCE
liberté. Ali la lui rendit depuis , en la
renvoyant à Médine, où elle mourut l'an
58 de l'Hégire (a) , c'est à.dire fort âgée,
et fut inhumée auprès de Mahomet son
Epoux.
Je vous envoye avec plaisir, le Plan de
la Principale Face de la Mosquée de sainte
Sophie de Constantinople , gravé icy
par le Sr Surugue , Graveur du Roy , à
l'occasion duquel on a fait en peu de
mots la Description et l'Histoire de ce
fameux Temple, dans le II.Vol.du Mercure
de Juin 1732. Cette Description a
donné lieu à une Critique . M. A .. . de
Marseille , qui a séjourné à Constantinople
, soutient que l'eau de la Mer entre
dans les voutes souterraines , sur les
quelles tout l'Edifice est bâti , et qu'on
peut y aller en Batteau ; circonstance
qu'il ne falloit pas , dit-il , omettre dans
cette Description ; promettant de don
ner là-dessus un Ecrit , qu'il ne donne ce
pendant point.
J'admire , Monsieur , votre complaisance
, laquelle , quoique persuadé du
contraire , par la haute situation où se
trouve cette Mosquée , et par son grand
éloignement du Niveau de la Mer , vous
a porté à vouloir éclaircir ce fait extraor
(a ) 677 de JESUS -CHRIS T.
1x 11. Vol.
diDECEMBRE.
1733. 2833
'dinaire. Cet article de votre Lettre est
réjouissant ; il me semble vor ce vieux
Officier de la Mosquée , chargé du soin
de conduire par tout les Etrangers de
distinction , que vous avez consulté,douter
d'abord , si on lui parloit sérieusement
, puis hausser les épaules , éclater
de rire , et enfin après avoir repris son
sérieux , et bien promené sa main sur sa
barbe , vous assurer gravement qu'il n'y
avoit point d'autre Eau sous Sainte Sophie
, que celle d'une Citerne tres - spacieuse
, d'où on la tire pour l'usage des
Gens attachez au service de la Mosquée ,
par un Puits , dont l'ouverture est dans
le Temple même , et que le reste de ces
Voutes souterraines est divisé en plusieurs
Magazins remplis de Munitions de
Guerre , &c. Cet article mérite d'être
communiqué à M. A... si ses autres Mémoires
sur Constantinople ne sont pas
plus exacts , on ne lui conseille pas de les
mettre au jour.
Au reste j'ai été ravi de voir confirmer
par votre Officier de Sainte Sophie , tout
ce que Guillaume-Joseph Grelor, fameux
Ingénieur François , avoit déja dit de
Eaux souterraines de cette Mosquée
presque dans les mêmes termes , en mar
quant dans ses Plans , la Place précise
II. Vol Dv P
2834 MERCURE DE FRANCE
Puits , de la Citerne , des dégrez pour
descendre aux différens Robiners , & c,
Ce qui marque la grande exactitude de
ce Voyageur , envoyé exprès dans le Levant
par le feu Roy , et dont nous avons
un excellent Ouvrage sur Constantino
ple. Je suis , Monsieur , & c.
A Paris , ce fuillet 1733 .
sur la Litterature des Mahometans , et
sur celle des Turcs en particulier.
J
E réponds , Monsieur , le plutôt qu'il
m'est possible à la derniere Lettre que
vous m'avez fait l'honneur de m'écrire
de Constantinople le 30 Mars dernier ,
et je commence par l'Article le plus es
sentiel et que vous me recommandez
particulierement. Vous me demandez si
j'ai prétendu parler bien sérieusement ,
II. Vol.
2820 MERCURE DE FRANCE
du moins s'il n'y a rien d'exagéré dans
la Lettre qui concerne la Litterature des
Mahometans et celle des Turcs en particulier
, que vous avez lue dans le Mercure
de Septembre 1732. ajoûtant que
vous attendez ma réponse pour me développer
les Reflexions que vous avez
faites là-dessus et que dès à présent, c'està-
dire , sans attendre ma Réponse , vous
êtes dans le Préjugé general que les Turcs
sont d'une ignorance crasse ,
très- peu
curieux d'en sortir , &c.
Je vous dirai d'abord , Monsieur , que
j'ai écrit très sérieusement sur le sujet en
question , que je ne crois pas avoir rien
exageré et que je n'ai rien avancé sans
autorité , sur quoi je vous renvoye à ma
Lettre même du Mercure , sans préjudice
des autres autoritez que je puis encore
vous alleguer.
J'ajoûterai à cette affirmation que ce
n'est pas mon Voyage du Levant seul
qui m'a détrompé sur la prétendue ignorance
des Turcs ; je suis allé dans l'Orient
presque avec le même Préjugé où
vous êtes aujourd'hui , et que plusieurs
années de séjour n'ont pas encore détruit
chez vous , Préjugé , pour le dire
en passant , qui empêche , qui ôte l'envie
de s'instruire et de parvenir à la découverte
de la verité.
DECEMBRE . 1733. 2827
Mon voyage ne m'a donné là - dessus
qu'une premiere lueur , mais cette lueur
est devenue lumiere et certitude par les
lectures que j'ai faites depuis mon retour
des ouvrages des Mahometans Anciens et
Modernes , qui fe trouvent dans la Bibliotheque
du Roy et ailleurs , et par le
long commerce que j'ai eû avec plusieurs
sçavans d'élite en érudition orientale ,
qui ont passé une partie de leur vie dans
le Levant et qui sont morts à Paris dans
une haute réputation de vertu , et d'amour
pour la verité. Je n'en nommerai
ici que deux , sçavoir.
François Peris de la Croix Parisien
Sécretaire , Interprete du Roy pour les
Langues Orientales , Professeur en Arabe
au Collège Royal , mort sur la fin de
l'année 1713. M. Colbert le fit passer
dans fa jeunesse et séjourner fuccessivement
à Alep , à Hispaham , à Constantinople
, pour apprendre en perfection les
trois principales Langues , l'Histoire , les
Coutumes & c . des Nations du Levant.
Dans son instruction , dont j'ai une copie,
cette habile Ministre lui ordonne de
s'instruire particulierement à l'égard des
Sciences et des Arts cultivez dans ces differens
Pays. M. Petis en rapporta beaucoup
de doctrine Orientale , dequoi il a
?
11, Vol. donné
822 MERCURE DE FRANCE
·
donné des preuves toute sa vie , et plusieurs
Manuscrits utiles , dont il a tra
duit une bonne partie , entre lesquels est
la curieuse Bibliotheque de Hadgi Calfa,
Turc moderne de Constantinople , * qui
feule est capable de détruire le Préjugé
commun de la prétendue ignorance des
Mahometans & c .
Et Antoine Galland de Noyon , de
PAcadémie Royale des Inscriptions et
des Belles Lettres associé à celle des
Ricovrati de Padoue , Antiquaire du Roy,
Professeur en Arabe au Collège Royal ,
mort au mois de Février 1715 Il suivie
le Marquis de Nointel dans fon Ambassade
de Constantinople , dans son voyage
de la Palestine,et dans sa visite des Echelles
du Levant. De retour en France il fit
encore dux voyages à Constantinople
et au Levant par les ordres de M M. Col
* Ce seul Ouvrage peut détromper bien des gens,
et même quelques Sçavans , qui croyent que les
Turcs et autres Mahometans négligent les Sciences ,
trompez par des Voyageurs , qui ne sçackant pas les
Langues , n'ont pas på conferer avec les Sçavans
des l'ays qu'ils ont parcourus . Cette Bibliotheque
est une veritable Encyclopedie de toutes les Sciences
et de tous les Arts chez les Orientaux . Préface de
P'Histoire de Tamerlan , traduite du Persan pat
M. Peus de la Croix, et donnée au Public après
sa mort. 4. vol. 1 12. Paris 1722.
11. Vol. bert
DECEMBRE . 1733. 2823
1
bert er de Louvois , pour la recherche
des Medalles et des Manuscrits . ce qui
acheva de le perf.ctionner dans l'intelligence
des Langues , et dans la connoissance
de l'Histoire et de tout ce qui concerne
les Orientaux . Il étoit d'ailleurs bon
Critique , excellent Antiquaire et naturellement
Philofophe. Il a composé plusieurs
Ouvrages , dont quelques uns ont
été imprimez. De ses Manuscrits ceux
qui regardent l'Orient ont passé dans la
Bibliotheque du Roy. On lui doit l'Edition
de la Bibliotheque Crientale de
M. d'He belot , faite à Paris en 1697 ,
grand in fol.de 106 pag. et la belle Préface
qui est à la tête . a Preface dont la
(a) On fait quelque grace aux Arabes , et ils
passent pour avoir autrefois cult vé les Sciences aves
grande application. On attribue de la politesse aux
Per ans et on leur rend justice .Mais , par leur nom
seul , les Turcs sont tellement décriez , qu'il suffit
ordinairement de les nommer pour signifier une
Nation grossiere , barbare et d'une ignorance achevée
, et sous leur nom on entend parler de ceux qui
sont sous la domination de l'Empire Ottoman . Cependant
on leur fait injustice ; car sans s'arréter à
Les justifier ici de barbarie et de grossiereté , ce qui
demanderoit un détail .... On peut dire à l'égard
de l'ignorance , qu'ils ne cedent ni aux Arabės ni
aux Iersans dans les Sciences et dans les Belles- Lettrer
, communes à ces trois at.ons , et qu'ils les
cultivent presque dès le commencement de lcur Em-
II. Vol.
scule
2824 ME RCURE DE FRANCE
seule lecture est capable de détruire l'erreur
des Européens qui excluent la cul
ture des Sciences et des beaux Arts de
tout le Mahométisme.
Je pourrois , Monsieur , m'en tenir à
ces autoritez , persuadé qu'elles sont plus
que suffisantes pour confirmer tout ce
que j'ai avancé dans ma premiere Lettres
mais je ne puis omettre un troisiéme Témoin
qui se presente icy bien naturelle.
ment ; Témoin illustre et des plus recevables
sur le sujet qui est en question ;
c'est le fameux Comte de Marsigli, dort
on vient de publier un bel Ouvrage sur
l'Etat (a ) Militaire de l'Empire Ottoman ,
& c.
Ce Seigneur vint à Constantinople avec
pire. La Bibliotheque Orientale en fait foi, et observe
dans leur Histoire une suite continuelle de Docteurs
de leur Religion et de leur Loy , très fameux et
très estimez parmi eux , tant pa . leur Doctrine que
par leurs Ecrits. Ils ont aussi des Historiens trèscelebres
e: très - exacts des Actions de leurs Sultans ,
et on peut compter comme une marque de la délicatesse
de leur esprit le nombre considerable de leurs
Poëtes , qui montoit à 590. vers la fin du siecle
passé , & c. A. Galland , dans son Discours pour
servir de Préface à la Bibliotheque Orientale de
B. d'Herbelot.
(a ) STATO MILITARE dell' Imperio Ottomano
, &c. 1. vol . fol. A la Haye et à Amsterdam
1732.
11. Vol.
DECEM DK E. 1733. 2825
an Ambassadeur de la République de
Venise , n'étant encore âgé que de vingt
ans , dans le dessein de s'instruire à fond,
principalement sur le sujet que je viens
que
de dire , rempli auparavant des préjugez
ordinaires , & c . Il servit ensuite l'Empereur
dans les Guerres de Hongrie . Pris
par les Tartares,qui le vendirent au Pacha
de Témiswar , &c. il sçut mettre à profit
son infortune , pour acquerir toutes les
connoissances qui lui manquoient. Après
avoir recouvré sa liberté , il reprit ses
Emplois dans l'Armée Impériale , et il les
conserva jusqu'à la Paix de Carlowits
à laquelle il servit même utilement ; et ,
après la Paix il fut établi Commissaire
Général pour le Reglement des Limites.
Dans l'Ouvrage qui vient de paroître ,
où il ne s'agit rien moins que de Science
et de Litterature , l'Auteur n'a pû
s'empêcher de rendre là - dessus un témoignage
à la verité. Après avoir dépeint
les Turcs , qu'il dégrade tant qu'il
peut , indolens , mous , oisifs , sur tout
les Asiatiques , n'agissant que par nécessité
, &c. il se récrie contre nos préjugez
sur le point de leurs Etudes. Il par
fe de Constantinople et des autres grandes
Villes , » comme étant remplies de
Personnes instruites dans le Mahome-
II. Vol. Ꭰ tisme
2020 TRANCE
» tisme , qui sçavent au moins les trois
» Langues , le Turc , le Persan et l'A-
» rabe : Esprits cultivez en plus d'un gen-
» re de Litterature , Poëtes délicats , His-
» toriens polis , mais d'une exactitude ,
» scrupuleuse , et par là un peu ennuyeuxs
Dialecticiens subtils , Moralistes pro-
» fonds , Géomêtres , Astronomes , Géographes
, et par dessus tout grands Alchymistes
; ce qu'il a été en état , de :
» prouver par un Catalogue de plus de
» 86000 Ecrivains du dernier siécle , re
>> cueillis dans sa Bibliotheque de Boulogne
, et dont il à fourni une Copie:
» pour celle du Vatican . Si les Turcs
n'impriment pas , ce n'est pas , dit il ,
» qu'il ne leur soit libre de le faire ; leur
» motif est de ne pas empêcher une mul-
>> titude innombrable de Copistes de ga
» gner leur vie. On en comptoit 90009
>> pendant son séjour à Constantinople..
» Une autre sorte d'Etude , selon le mê
» me Auteur , c'est que nul Gouverne,
ment au monde n'est plus appliqué et
plus ponctuel que le Gouvernement
Turc , pour conserver des Registres
A
* Le Comte de Marsigli est de Boulogne , et y a
fondé une Académie . Il est des Académies Royales
des Sciences de Paris et de Montpellier , et de la
Societé Royale de Londres,
II. Vol exacts
DECEM DN E. 1733• 2027
exacts en tout ce qui regarde les Trai-,
a tez avec les Puissances Etrangeres , le..
» Domaine , le Cérémonial , l'Expédi
tion des Ordres , celles des Arrêts ou
Ordonnances et Commandemens ; l'E-
>> tat des Officiers en service , et singulie
☐rement les Finances.
Au reste , Monsieur , je vous connois
un si bon esprit , tant d'amour et de vénération
pour la vérité , pour me servir
de vos termes sur ce sujet , que je ne désespere
pas de vous voir changer un jour
de sentiment , sur tout si vous voulez
vous donner la peine d'apprendre seulement
le Turc , qui n'est pas une Langue
fort difficile, et dans laquelle je vous crois
déja initié;cela vous mettroit en état d'entrer
plus souvent dans cette grande Ville,
de laquelle vous êtes peut - être autant separé
par le préjugé , que par un petit bras
de Mer , et de vous instruire par vousmême
, en conferant avec les Gens de Lettres
, & c. Je ne doute pas que vous
in'ayez trouvé des Turcs d'une ignorance
crasse , et comme vous dites , tres- peu
curieux d'en sortir ; mais ce n'est pas
assez pour affirmet la même chose de
toute la Nation . Où ne trouve- t-on pas
dans l'Europe même , de la rusticité et de
l'ignorance ? On trouve aussi du goûr
II. Vol. Dij de
2808 MENCURE
de la Politesse , et de l'Erudition , quand
rien n'empêche d'en chercher. Mais en
voilà asez sur ce sujet.
Rien n'est plus sensé et plus dans le
vrai que ce que vous me dites , Monsieur,
sur l'impropriété du mot de Sophi , par
lequel les Ecrivains Européens , suivis en
dernier lieu par le a P. du Cerceau , désignent
le Roy de Perse. Vous convenez
qu'à ne consulter que la raison , cette
expression est tout- à fait vicieuse , comme
je l'ai prouvé dans un article de mes
Lettres , auquel votre politesse donne le
nom de Dissertation. La verité est qu'on
n'a point encore décidé dans les formes
que ce terme doive être proscrit parmi
ceux qui se piquent de parler correcte
ment mais en attendant cette décision ,
et malgré la continuation du mauvais
usage par des Ecrivains mal instruits , ou
entêtez , ibn'est pas moins certain qu'on
-he prescrit jamais contre la vérité et contre
la raison , et qu'il est toujours temps
de reclamer en leur faveur. L'usage ,j'en
-conviens ; décide le plus souvent en fait
de langue , au préjudice du bon sens et
des régles, mais c'est quand il ne s'agit
précisément que de la Grammaire. Icy il
( a ) Hissoire de la derniere Révolution de Perse
2 vol . in 12. Paris. 1728,
M. Vel.
s'agie
DECEMBRE . 1733. 2829
s'agit d'un point d'Histoire et de Critique.
J'espere m'étendre davantage sur
ce sujet dans un Ecrit que je prépare , et
qui soutiendra peut- être le titre que vous
voulez bien lui donner par avance .
J'ai enfin reçu depuis peu le beau Jusdam
, ou le Porte Lettres de fabrique
Turque , que vous m'aviez annoncé, orné
d'une broderie parlante ; et si cela se
peut dire , bien obligeante de la part de
ceux qui me font l'honneur de me l'envoyer.
Ils devoient en envoyer aussi l'interprétation
; car je ne sçai si nous aurons
bien réussi à expliquer les deux Vers Persans
qui sont si artistement brodez dessus.
C'est ce que vous pourrez faire examiner
par vos Experts . Voici comment
on a lû et interpreté icy cette galanterie
orientale.
Djah toй hemtchou ni i met ferdaous bi zevăl ,
Felicitas tua sicut gratia Paradisi sine defectu
Umr toй hemtchou middet eflāk bi chumăr,
Atas tua sicut spatium sæculorum sine numero.
On s'est servi de la Langue latine pour
mieux rendre l'original Persan , auquel
les Vers suivans , ajoutez par l'Autheur
ême de la Traduction , pourront servir
de Paraphrase :
II. Vol. Djij N...
2830 MERCURE DE FRANCE
N... qu'un bonheur durable
Soit compagnon de tes travaux ,
Qu'il soit exempt de tous les maux ,
Qu'aux biens du ciel il soit semblable.
Que des jours longs et gracieux
Rendenr ton sort digne d'envie ,
Que le terme du cours des Cieux
Soit aussi celui de ta vie.
J'ai reçu presque en même- tems et da
-même Païs , une très- belle Cornaline ,
qui à, sans doute, servi de Cachet à quelque
dévot Musulman de distinction , car
on y lit ces mots Arabes , tres-bien gravez
en caracteres Persans : Mazhar ila
faiz Aichay , c'est- à-dire , protegé par les
faveurs d'Aichay.
Aichay ou Aischah est une Personne
des plus respectables du Mahométisme
en qualité de troisiéme Femme de Mahomet
, et de Fille d'Abdallah , surnommé
depuis a Abubekre ou Pere de la Pudelle
, parce qu'à son exception , ce faux
Prophete n'a épousé que des Veuves . S'il
y a jamais eu des Héroïnes et des Femmes
sçavantes chez les Musulmans , cel
(a ) Abubckre , successeur immédiat de Mabomet
, et le premier des Califes.
11. Kola
k.
DECEMBRÉ . 1933 . 2831
le-cy doit être considérée comme la plus
celebre et la plus ancienne. Son autorité
dans la Religion fut grande de tout tems
parmi les Sunnites , ou les Orthodoxes
pour avoir retenu et transmis ce grand.
nombre de Paroles prétendues Remarquables
de Mahomet , et de Traditions ,
qui ont fait depuis un corps de Doctrine
appellé la Sunna. Aischah par cette raison
est souvent qualifiée de Nabiah ơs
de Prophétesse , et de Seddika , ou de témoin
fidele et authentique. Ils l'appel
lent aussi la Mere des Fidelles .
Sa renommée n'est gueres moins grande
dans l'Histoire du côté de la Politique
et du Gouvernement , et par la valeur
qu'elle fit enfin paroître à la fatale journée
du (a ) Chameau, dans la Bataille qu'elle
donna contre l'Armée d'Ali , pour vanger
la mort du Kalife - Othman , donnant
par sa présence et par son exemple le
mouvement et le courage à ses Troupes.
Bataille sanglante dans laquelle il y eut
près de zo mille Arabes de tuez sur la
place ; qu'elle perdit cependant avec sa
: ( a ) Ainsi nommée par les Historiens , à cause
du Chameau que montoit Aischah , lequel on ne
put jamais arrêter dans la mêlée , qu'en lui coupant
les Jarrets , ce qui donna lieu à la prise de la
Princesse , et à la déroute de son armée , c. )
II. Vol. D iiij.li2832
MERCURE DE FRANCE
liberté. Ali la lui rendit depuis , en la
renvoyant à Médine, où elle mourut l'an
58 de l'Hégire (a) , c'est à.dire fort âgée,
et fut inhumée auprès de Mahomet son
Epoux.
Je vous envoye avec plaisir, le Plan de
la Principale Face de la Mosquée de sainte
Sophie de Constantinople , gravé icy
par le Sr Surugue , Graveur du Roy , à
l'occasion duquel on a fait en peu de
mots la Description et l'Histoire de ce
fameux Temple, dans le II.Vol.du Mercure
de Juin 1732. Cette Description a
donné lieu à une Critique . M. A .. . de
Marseille , qui a séjourné à Constantinople
, soutient que l'eau de la Mer entre
dans les voutes souterraines , sur les
quelles tout l'Edifice est bâti , et qu'on
peut y aller en Batteau ; circonstance
qu'il ne falloit pas , dit-il , omettre dans
cette Description ; promettant de don
ner là-dessus un Ecrit , qu'il ne donne ce
pendant point.
J'admire , Monsieur , votre complaisance
, laquelle , quoique persuadé du
contraire , par la haute situation où se
trouve cette Mosquée , et par son grand
éloignement du Niveau de la Mer , vous
a porté à vouloir éclaircir ce fait extraor
(a ) 677 de JESUS -CHRIS T.
1x 11. Vol.
diDECEMBRE.
1733. 2833
'dinaire. Cet article de votre Lettre est
réjouissant ; il me semble vor ce vieux
Officier de la Mosquée , chargé du soin
de conduire par tout les Etrangers de
distinction , que vous avez consulté,douter
d'abord , si on lui parloit sérieusement
, puis hausser les épaules , éclater
de rire , et enfin après avoir repris son
sérieux , et bien promené sa main sur sa
barbe , vous assurer gravement qu'il n'y
avoit point d'autre Eau sous Sainte Sophie
, que celle d'une Citerne tres - spacieuse
, d'où on la tire pour l'usage des
Gens attachez au service de la Mosquée ,
par un Puits , dont l'ouverture est dans
le Temple même , et que le reste de ces
Voutes souterraines est divisé en plusieurs
Magazins remplis de Munitions de
Guerre , &c. Cet article mérite d'être
communiqué à M. A... si ses autres Mémoires
sur Constantinople ne sont pas
plus exacts , on ne lui conseille pas de les
mettre au jour.
Au reste j'ai été ravi de voir confirmer
par votre Officier de Sainte Sophie , tout
ce que Guillaume-Joseph Grelor, fameux
Ingénieur François , avoit déja dit de
Eaux souterraines de cette Mosquée
presque dans les mêmes termes , en mar
quant dans ses Plans , la Place précise
II. Vol Dv P
2834 MERCURE DE FRANCE
Puits , de la Citerne , des dégrez pour
descendre aux différens Robiners , & c,
Ce qui marque la grande exactitude de
ce Voyageur , envoyé exprès dans le Levant
par le feu Roy , et dont nous avons
un excellent Ouvrage sur Constantino
ple. Je suis , Monsieur , & c.
A Paris , ce fuillet 1733 .
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Résumé : SECONDE Lettre de M. D. L. R. sur la Litterature des Mahometans, et sur celle des Turcs en particulier.
La lettre de M. D. L. R., datée de 1732, répond à une missive reçue de Constantinople le 30 mars 1732, qui interrogeait la véracité de ses propos sur la littérature des Mahometans et des Turcs, publiés dans le Mercure de Septembre 1732. L'auteur affirme avoir écrit sérieusement et sans exagération, s'appuyant sur des autorités et ses propres lectures. Il mentionne que son voyage au Levant et ses lectures des ouvrages orientaux, ainsi que ses échanges avec des savants comme François Pétis de la Croix et Antoine Galland, l'ont détrompé sur l'ignorance supposée des Turcs. Ces savants ont rapporté des connaissances orientales et des manuscrits précieux, comme la Bibliothèque de Hadji Calfa, qui démontre la culture scientifique et artistique des Orientaux. L'auteur cite également le Comte de Marsigli, dont l'ouvrage sur l'État militaire de l'Empire Ottoman atteste de la culture et des études des Turcs. Il encourage son correspondant à apprendre le turc pour se rendre compte par lui-même de la richesse littéraire et scientifique de cette nation. La lettre se termine par une discussion sur l'impropriété du terme 'Sophi' pour désigner le roi de Perse et l'annonce de la réception d'un porte-lettres turc brodé. Le texte traite également de divers sujets historiques et culturels. Il commence par une traduction en vers français d'un texte persan souhaitant un bonheur durable et exempt de maux. Il mentionne une cornaline gravée en caractères persans, appartenant à un dévot musulman, avec l'inscription 'Mazhar ila faiz Aichay', signifiant 'protégé par les faveurs d'Aichay'. Aichay, ou Aïcha, est identifiée comme la troisième femme de Mahomet et la fille d'Abdallah, surnommé Abou Bakr. Elle est respectée pour son savoir et son rôle dans la transmission des paroles de Mahomet, ce qui lui vaut le titre de 'Mère des Fidèles'. Aïcha est également célèbre pour son intervention dans la bataille du Chameau contre l'armée d'Ali, après l'assassinat du calife Othman. Elle fut capturée et plus tard libérée par Ali, retournant à Médine où elle mourut à un âge avancé. Le texte aborde également la mosquée Sainte-Sophie à Constantinople, en mentionnant une critique de M. A... de Marseille, qui affirme que l'eau de la mer pénètre dans les voûtes souterraines de la mosquée. Cette affirmation est contestée par un officier de la mosquée et confirmée par les observations de Guillaume-Joseph Grelot, un ingénieur français. Le texte se termine par une confirmation de l'exactitude des descriptions de Grelot concernant les eaux souterraines et les installations de la mosquée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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