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1
p. 1501-1510
LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. A. C. D. U. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques, &c.
Début :
Je n'ai pû, Monsieur, vous satisfaire plutôt sur les [...]
Mots clefs :
Marquis de Rosny, Duc de Sully, Diocèse, Maximilien de Bethune, Charge, Voyage, Pension
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. A. C. D. U. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques, &c.
LETTRE de M. D. L. R. écrite
à M. A. C. D. V. au sujet du Marquis
de Rosny , depuis Duc de Sully , &c.
contenant quelques Remarques Histori
ques , &c.
E n'ai pû , Monsieur , vous satisfaire
Jplutôt sur les éclaircissemensque vous
me demandez par votre derniere Lettre ;
la matiere ma paru mériter attention , et
ce n'est qu'après avoir fait les recherches
convenables , que je me vois enfin en
état de répondre un peu pertinemment
aux questions que vous me faites.
Vous voulez d'abord sçavoir s'il est
vrai que Maximilien de Bethune , Marquis de Rosny, puis I. Duc de Sully , et
Principal Ministre sous le Regne de Henry le Grand , ait possedé l'Abbaye de
S.Taurin d'Evreux,par nomination Royale , ainsi qu'un homme de Lettres , fort
versé dans l'Histoire de votre Diocèse ,
vous l'a assuré. Vous ajoûtez qu'il n'a
pas
502 MERCURE DE FRANCE
pas pû vous en fournir la preuve , et qu'il
ne se trouve aucun vestige de ce fait sin
gulier , même dans les Archives de l'AbBaye en question. La singularité consiste
en ce que le Marquis de Rosny a été de
la Religion P. R.
Je répons , Monsieur , que ce fait a
toujours passé chez moi pour très- certain,
et qu'il se trouve ainsi écrit dans mes
Memoires , recueillis depuis bien des années ; mais comme il faut des preuves et
des preuves solides à quiconque veut ,
comme vous , écrire une Histoire digne
de la Posterité , je me suis mis en devoir
de vous fournir celle dont il s'agit ici.
C'est d'abord inutilement que je l'ai cherchée dans l'Histoire de la Maison de Be
thune , publiée par André du Chesne en
1639. dans laquelle il y a un très- long
Chapitre et un détail curieux de la vie du
Marquis de Rosny , qui vivoit encore en
ce temps- là ; même silence dans le Gallia Christiana de M" de Sainte Marthe
Article de l'Abbaye de S.. Taurin , où
un semblable fait auroit dû , sans doute,
n'être pas omis, et encore dans l'Histoire
Genealogique du P. Anselme..
Je ne me suis pas rebuté pour cela , et
j'ai bien fait car j'ai enfin trouvé ce que:
i cherchois en ouvrant , presque à l'aventure,,
JUILLET. 1732 1503
venture , le premier volume des Memoires de Sully , et cela dans un endroit où
l'ordre des temps et la matiere sembloient
ne pas permettre de l'y trouver. C'est
dans le Chapitre XLIX. intitulé Affaires
d'Etat , avec beaucoup de raison ; car on
y voit la Ville de Roüen réduite à l'obéissance du Roy , et toute la Normandie rendue enfin paisible par les soins du
Marquis de Rosny.
Après un succès si heureux , ce Seigneur partit de Roüen au mois de Mars
1594. pour se rendre auprès du Roy son
Maître , dont la Cour étoit à Paris , et il
vint coucher à Louviers , petite Ville sur
la Riviere d'Eure. Là il lui arriva une:
aventure des plus plaisantes , et qui semble être faite pour servir d'Episode propre à égayer le grand sérieux de cet endroit des Memoires. Je vais vous le narrer. Elle contient le dénoument de votre
premiere Question.
Boisrosé,Gentilhomme Normand, Gou
verneur de Fécamp , arriva fort tard dans
la même Hôtellerie pour y loger , il alloit à Paris pour faire ses remontrances
ausujet de son petit Gouvernement , qu'il
lui falloit abandonner , en execution du
Traité négocié par M. de Rosny ; on lui
dit qu'il y avoit dans cette Maison un
grandi
1504 MERCURE DE FRANCE
grand Train logé d'un Seigneur qui s'en
alloit à la Cour , lequel étoit fort en faveur auprès du Roy, sans en dire le nom;
et sans que Boisrosé , qui croyoit le Marquis de Rosny encore à Rouen , s'avisat
de le demander. Là- dessus il monte à la
chambre de M. de Rosny , qu'il n'avoit
jamais vû , lui fait la réverence , et lui
entame un discours plaintif sur l'injustice criante qu'on lui faisoit , le suppliant
de vouloir bien l'aider de son crédit auprès de S. M. A quoi le bon Seigneur ,
sans le connoître et sans lui demander
son nom , ayant répondu obligeamment,
Boisrosé enhardi , répliqua en ces termes.
» Monsieur , les principales de mes
>> plaintes sont contre un Seigneur qu'on
» nommeM. de Rosny, qu'au diable soit-
» il donné , tant il me fait de mal ; sans
»jamais l'avoir en rien offensé , auquel le
Roy ayant donné pouvoir de traiter
»pour la réduction en son obéïssance de
» toutes les Villes qui sont de la Ligue en
» Normandie , sous ombre qu'il est des
>> anciens amis de M. l'Amiral de Villars,
»il semble qu'il n'aye songé qu'à le con-
»tenter au préjudice de qui que ce puisse
Ȑtre , sans se soucier de plusieurs bons
»Serviteurs du Roy , au nombre desquels
»je suis, et m'appelle Boisrosé , Gouverneur
JUILLET. 1732 1509
neur de Fécamp ; voire n'a pas craint
»de s'adresser à M"de Montpensier * et
» de Biron , tant il abuse de son pouvoir
»et de la faveur qu'il croit avoir auprès
de son Maître ; mais pardieu il en pour
>> roit tant faire , mettant tant de gens au
» desespoir, qu'il se repentiroit , et quel-
>> qu'un aussi étourdi qu'il sçauroit être,
»lui en joüeroit d'une, si l'on ne craignoit
»d'offenser le Roy.
Vous jugez bien , Monsieur , que
le Marquis de Rosny pensa perdre sa gravité ordinaire , aussi ne répondit- il qu'en
riant ce que vous allez entendre.
»
>> Monsieur, je n'estime pas que ce M.de
» Rosny , dont vous me parlez , ait rien
fait que suivant le commandement de
>> son Maître ; car il a toûjours affectionné les bons François , et ne doute point
même que le Roy, à sa sollicitation ,
» n'ait pensé à vous donner si bonne ré-
>compense , que vous aurez sujet de con-
»tentement ; car vous jugez bien qu'il
»n'eût pas été raisonnable de manquer 3
conclure un Traité de si grande impor
>>
François de Bourbon , Duc de Montpensier;
Gouverneur de Normandie , &c. Charles de Gonsault , Duc de Biron , Pair et Maréchal de France,
qui avoit beaucoup contribué à réduire cette Pro- wince,
> tance
1505 MERCURE DE FRANCE
·
tance , que celui qu'a manié M. de Ros-
»ny, pour interêts de quelques Particu-
»liers , aussi ai -je appris qu'il a voulu
»commencer par lui-même et donner
»exemple aux autres en quittant l'Abbaye
»de S. Taurin d'Evreux , que le feu Roy
» lui avoit donnée , et m'assure qu'il ne
Vous aura point porté de préjudice sans penser à vous en récompen-
»ser ; de quoi je vous oserai quasi repondre , dautant que je le connois ;
»voire est tellement de mes amis , que je
»lui ferai faire en votre faveur tout ce
>> qui sera raisonnable ; et lorsque nous
»serons à la Cour , venez m'en parler , et
»je vous ferai paroître que je suis votre
»ami , et que je prise votre courage.
"
"
Notre homme , après avoir fait ses remercimens se retira fort satisfait de
l'heureuse rencontre. Il ne lui restoit plus
que de sçavoir le nom d'un Seigneur si
genereux pour recourir à lui en tems et
lieu ; il le demanda dès qu'il fut descendu
au premier qu'il rencontra ; c'étoit justement un des Pages de M. de Rosny,
qui parla selon la verité. Boisrosé en fut
si troublé et prit là - dessus une telle allarme , qu'il remonta soudain à cheval ,
s'en alla loger à une autre Hôtellerie et
partit dès la pointe du jour pour aller à
la
JUILLET 1732. 1507
la Cour faire lui - même ses plaintes au
Roy, &c.
Mais laissons- là le pauvre Boisrosé , et
tirons parti de son aventure. Il étoit nécessaire de vous la raconter , puisqu'elle
contient la preuve d'une verité que nous
cherchons à constater. C'est le Marquis
de Rosny lui- même qui la déclare , et qui
la donne pour preuve de son attachement au Bien Public , de son désinteressement, et și vous voulez aussi pour motif de consolation à un homme qui étoit
dans des sentimens fort opposez.
Voilà donc Maximilien de Bethune
Abbé de S. Taurin d'Evreux , par la nomination du Roi Henry III. On ne peut
guéres que conjecturer le tems auquel il
en fut pourvû , et celui de sa démission ,
en conciliant différentes dates ; mais où
cette recherche nous meneroit- elle ? J'aime mieux vous apprendre ce que tout
habitant que vous êtes du Diocèse d'Evreux , et voisin de la Ville , vous n'avez
pû sçavoir , dites-vous , des Religieux
mêmes , je veux , dis-je , vous confirmer
le fait dont il s'agit ici , par , par les propres
Regitres de S. Taurin. Voici le petit Extrait qu'un sçavant Religieux du même
Ordre et d'une autre Abbaye , beaucoup
plus expert que ceux d'Evreux , vient
de
1508 MERCURE DE FRANCE
de m'envoyer, tiré , dit- il, des Registres
Journaux de cette Maison.
>> Maximilien de Bethune , Marquis de
»Rosny , et depuis Duc de Sully , a été
» Abbé de S. Taurin la donation de par
» Henry III. Il eut pour Successeur
» Guillaume de Pericard , Doyen de l'E-
» glise de Rouen , qui permuta ensuite
» cette Abbaye pour l'Evêché d'E-
» vreux , avec le Cardinal du Perron en
1604.
*
Vous ne me demanderez plus rien sans
doute là- dessus , après ce surcroît de preuve , et vous pourrez par- là rétablir la verité de l'Histoire , quand il en sera tems.
Vous rétablirez aussi ce qui n'est pas
éxact dans Mrs de Sainte Marthe , et dans
l'Histoire d'Evreux de M. le Brasseur , à
l'égard de quelques autres Abbez de Saint
Taurin , qui ont précedé le Marquis de
* Leterme de permuter n'est pas convenable
et paroit unpeu aventuré dans les Registres. Il ess toujours certain que Guillaume de Pericard n'auroit
jamais été Evêque d'Evreux sans la faveur de
M. de Rosny , qui avoit fait donner cet Evêché à
M. du Perron, comme il est marqué dans le 1 . vol.
de ses Mémoires , chap. 39. et qui sans doute avoit
eu part à ce qui se passa ensuite entre ces deux
Prélats , par rapport au changement en question. Il
fallut , sans doute , de nouvelles Provisions pour M. duPerron, devenu Abbé de S. Taurin.
¡Rosny
།
JUILLET . 1732. 1509
Rosny, ou qui lui ont succedé dans cette
Dignité.
Je m'apperçois, au reste,que ma réponse
à vos autres questions ne sçauroit entrer
dans cette Lettre , déja assez allongée.
Mais je ne veux pas la finir sans prévenir
la demande que vous êtes en droit de me
faire sur la suite de l'aventure de Boisrosé, et sur le succès de son Voyage à la
Cour. Le trouble , comme je l'ai dit , lui
donna des aîles ; il arriva un jour plutôt
que M. de Rosny, qui s'arrêta à Rosny
et à Mante , où il coucha. Ainsi ce petit
Gouverneur , petit génie , et on peut dire
encore,tant soit peu malhonnête homme
croyant le premier Miniftre très offense
de ses discours , et le considérant dès- lors
comme son plus cruel ennemi , eût tout
le tems de parler au Roi , et de déclamer
tant qu'il voulut contre lui , en donnant
-un tourNormand à la rencontre de Louviers. Mais qu'en arriva-t-il ? le voici.
Le Marquis de Rosny arrivé à la Cour
eûtd'abord un long entretien avec le Roi
sur sa Négociation de Normandie , » sans
oublier , disent les * Auteurs des Mé
Le Marquis de Rosny n'a pas écrit lui-même ses Mémoires. C'est l'ouvrage de quatre de ses Secretaires , lesquels dans la Narration addressent la
parole à leur Maître.
C » moires ,
1510 MERCURE
DE FRANCE
» moires , quasi une seule particularité ,
» car le Roi les voulut toutes sçavoir
» dont il y eut bien à rire lorsque vous
» lui contâtes ce qui s'étoit passé entre
» vous et le sieur de Boisrosé ; surquoi
» S. M. vous dit qu'il lui étoit venu faire
» de grandes plaintes de vous , et le prier
» de le vouloir pourvoir sans le renvoyer
» à vous , dautant qu'il sçavoit bien que
» vous étiez son ennemi , à cause de quel-
» ques propos qu'il vous avoit tenus sans
»vous connoître , et partant le Roi vous
» pria de l'envoyer querir , &c.
Ce que M. de Rosny éxecuta dès le
lendemain. Il promit à Boisrosé , & lui
assûra deux mille écus de récompense ,
une pension de 1200. liv. et une Place de
Capitaine en pied. Bien plus , ce génereux
Ministre le retint depuis à sa suite , et le
fit enfin son Lieutenant en l'Artillerie au
Département de Normandie , dès que
Roi lui eût donné la Charge de GrandMaître. Voilà quelle fût la fin et le succès de l'aventure de Louviers. Je vous
promets incessamment la réponse à vos
autres Questions , et je suis , Monsieur
Bic.
AParis , le 29 Février 1732
à M. A. C. D. V. au sujet du Marquis
de Rosny , depuis Duc de Sully , &c.
contenant quelques Remarques Histori
ques , &c.
E n'ai pû , Monsieur , vous satisfaire
Jplutôt sur les éclaircissemensque vous
me demandez par votre derniere Lettre ;
la matiere ma paru mériter attention , et
ce n'est qu'après avoir fait les recherches
convenables , que je me vois enfin en
état de répondre un peu pertinemment
aux questions que vous me faites.
Vous voulez d'abord sçavoir s'il est
vrai que Maximilien de Bethune , Marquis de Rosny, puis I. Duc de Sully , et
Principal Ministre sous le Regne de Henry le Grand , ait possedé l'Abbaye de
S.Taurin d'Evreux,par nomination Royale , ainsi qu'un homme de Lettres , fort
versé dans l'Histoire de votre Diocèse ,
vous l'a assuré. Vous ajoûtez qu'il n'a
pas
502 MERCURE DE FRANCE
pas pû vous en fournir la preuve , et qu'il
ne se trouve aucun vestige de ce fait sin
gulier , même dans les Archives de l'AbBaye en question. La singularité consiste
en ce que le Marquis de Rosny a été de
la Religion P. R.
Je répons , Monsieur , que ce fait a
toujours passé chez moi pour très- certain,
et qu'il se trouve ainsi écrit dans mes
Memoires , recueillis depuis bien des années ; mais comme il faut des preuves et
des preuves solides à quiconque veut ,
comme vous , écrire une Histoire digne
de la Posterité , je me suis mis en devoir
de vous fournir celle dont il s'agit ici.
C'est d'abord inutilement que je l'ai cherchée dans l'Histoire de la Maison de Be
thune , publiée par André du Chesne en
1639. dans laquelle il y a un très- long
Chapitre et un détail curieux de la vie du
Marquis de Rosny , qui vivoit encore en
ce temps- là ; même silence dans le Gallia Christiana de M" de Sainte Marthe
Article de l'Abbaye de S.. Taurin , où
un semblable fait auroit dû , sans doute,
n'être pas omis, et encore dans l'Histoire
Genealogique du P. Anselme..
Je ne me suis pas rebuté pour cela , et
j'ai bien fait car j'ai enfin trouvé ce que:
i cherchois en ouvrant , presque à l'aventure,,
JUILLET. 1732 1503
venture , le premier volume des Memoires de Sully , et cela dans un endroit où
l'ordre des temps et la matiere sembloient
ne pas permettre de l'y trouver. C'est
dans le Chapitre XLIX. intitulé Affaires
d'Etat , avec beaucoup de raison ; car on
y voit la Ville de Roüen réduite à l'obéissance du Roy , et toute la Normandie rendue enfin paisible par les soins du
Marquis de Rosny.
Après un succès si heureux , ce Seigneur partit de Roüen au mois de Mars
1594. pour se rendre auprès du Roy son
Maître , dont la Cour étoit à Paris , et il
vint coucher à Louviers , petite Ville sur
la Riviere d'Eure. Là il lui arriva une:
aventure des plus plaisantes , et qui semble être faite pour servir d'Episode propre à égayer le grand sérieux de cet endroit des Memoires. Je vais vous le narrer. Elle contient le dénoument de votre
premiere Question.
Boisrosé,Gentilhomme Normand, Gou
verneur de Fécamp , arriva fort tard dans
la même Hôtellerie pour y loger , il alloit à Paris pour faire ses remontrances
ausujet de son petit Gouvernement , qu'il
lui falloit abandonner , en execution du
Traité négocié par M. de Rosny ; on lui
dit qu'il y avoit dans cette Maison un
grandi
1504 MERCURE DE FRANCE
grand Train logé d'un Seigneur qui s'en
alloit à la Cour , lequel étoit fort en faveur auprès du Roy, sans en dire le nom;
et sans que Boisrosé , qui croyoit le Marquis de Rosny encore à Rouen , s'avisat
de le demander. Là- dessus il monte à la
chambre de M. de Rosny , qu'il n'avoit
jamais vû , lui fait la réverence , et lui
entame un discours plaintif sur l'injustice criante qu'on lui faisoit , le suppliant
de vouloir bien l'aider de son crédit auprès de S. M. A quoi le bon Seigneur ,
sans le connoître et sans lui demander
son nom , ayant répondu obligeamment,
Boisrosé enhardi , répliqua en ces termes.
» Monsieur , les principales de mes
>> plaintes sont contre un Seigneur qu'on
» nommeM. de Rosny, qu'au diable soit-
» il donné , tant il me fait de mal ; sans
»jamais l'avoir en rien offensé , auquel le
Roy ayant donné pouvoir de traiter
»pour la réduction en son obéïssance de
» toutes les Villes qui sont de la Ligue en
» Normandie , sous ombre qu'il est des
>> anciens amis de M. l'Amiral de Villars,
»il semble qu'il n'aye songé qu'à le con-
»tenter au préjudice de qui que ce puisse
Ȑtre , sans se soucier de plusieurs bons
»Serviteurs du Roy , au nombre desquels
»je suis, et m'appelle Boisrosé , Gouverneur
JUILLET. 1732 1509
neur de Fécamp ; voire n'a pas craint
»de s'adresser à M"de Montpensier * et
» de Biron , tant il abuse de son pouvoir
»et de la faveur qu'il croit avoir auprès
de son Maître ; mais pardieu il en pour
>> roit tant faire , mettant tant de gens au
» desespoir, qu'il se repentiroit , et quel-
>> qu'un aussi étourdi qu'il sçauroit être,
»lui en joüeroit d'une, si l'on ne craignoit
»d'offenser le Roy.
Vous jugez bien , Monsieur , que
le Marquis de Rosny pensa perdre sa gravité ordinaire , aussi ne répondit- il qu'en
riant ce que vous allez entendre.
»
>> Monsieur, je n'estime pas que ce M.de
» Rosny , dont vous me parlez , ait rien
fait que suivant le commandement de
>> son Maître ; car il a toûjours affectionné les bons François , et ne doute point
même que le Roy, à sa sollicitation ,
» n'ait pensé à vous donner si bonne ré-
>compense , que vous aurez sujet de con-
»tentement ; car vous jugez bien qu'il
»n'eût pas été raisonnable de manquer 3
conclure un Traité de si grande impor
>>
François de Bourbon , Duc de Montpensier;
Gouverneur de Normandie , &c. Charles de Gonsault , Duc de Biron , Pair et Maréchal de France,
qui avoit beaucoup contribué à réduire cette Pro- wince,
> tance
1505 MERCURE DE FRANCE
·
tance , que celui qu'a manié M. de Ros-
»ny, pour interêts de quelques Particu-
»liers , aussi ai -je appris qu'il a voulu
»commencer par lui-même et donner
»exemple aux autres en quittant l'Abbaye
»de S. Taurin d'Evreux , que le feu Roy
» lui avoit donnée , et m'assure qu'il ne
Vous aura point porté de préjudice sans penser à vous en récompen-
»ser ; de quoi je vous oserai quasi repondre , dautant que je le connois ;
»voire est tellement de mes amis , que je
»lui ferai faire en votre faveur tout ce
>> qui sera raisonnable ; et lorsque nous
»serons à la Cour , venez m'en parler , et
»je vous ferai paroître que je suis votre
»ami , et que je prise votre courage.
"
"
Notre homme , après avoir fait ses remercimens se retira fort satisfait de
l'heureuse rencontre. Il ne lui restoit plus
que de sçavoir le nom d'un Seigneur si
genereux pour recourir à lui en tems et
lieu ; il le demanda dès qu'il fut descendu
au premier qu'il rencontra ; c'étoit justement un des Pages de M. de Rosny,
qui parla selon la verité. Boisrosé en fut
si troublé et prit là - dessus une telle allarme , qu'il remonta soudain à cheval ,
s'en alla loger à une autre Hôtellerie et
partit dès la pointe du jour pour aller à
la
JUILLET 1732. 1507
la Cour faire lui - même ses plaintes au
Roy, &c.
Mais laissons- là le pauvre Boisrosé , et
tirons parti de son aventure. Il étoit nécessaire de vous la raconter , puisqu'elle
contient la preuve d'une verité que nous
cherchons à constater. C'est le Marquis
de Rosny lui- même qui la déclare , et qui
la donne pour preuve de son attachement au Bien Public , de son désinteressement, et și vous voulez aussi pour motif de consolation à un homme qui étoit
dans des sentimens fort opposez.
Voilà donc Maximilien de Bethune
Abbé de S. Taurin d'Evreux , par la nomination du Roi Henry III. On ne peut
guéres que conjecturer le tems auquel il
en fut pourvû , et celui de sa démission ,
en conciliant différentes dates ; mais où
cette recherche nous meneroit- elle ? J'aime mieux vous apprendre ce que tout
habitant que vous êtes du Diocèse d'Evreux , et voisin de la Ville , vous n'avez
pû sçavoir , dites-vous , des Religieux
mêmes , je veux , dis-je , vous confirmer
le fait dont il s'agit ici , par , par les propres
Regitres de S. Taurin. Voici le petit Extrait qu'un sçavant Religieux du même
Ordre et d'une autre Abbaye , beaucoup
plus expert que ceux d'Evreux , vient
de
1508 MERCURE DE FRANCE
de m'envoyer, tiré , dit- il, des Registres
Journaux de cette Maison.
>> Maximilien de Bethune , Marquis de
»Rosny , et depuis Duc de Sully , a été
» Abbé de S. Taurin la donation de par
» Henry III. Il eut pour Successeur
» Guillaume de Pericard , Doyen de l'E-
» glise de Rouen , qui permuta ensuite
» cette Abbaye pour l'Evêché d'E-
» vreux , avec le Cardinal du Perron en
1604.
*
Vous ne me demanderez plus rien sans
doute là- dessus , après ce surcroît de preuve , et vous pourrez par- là rétablir la verité de l'Histoire , quand il en sera tems.
Vous rétablirez aussi ce qui n'est pas
éxact dans Mrs de Sainte Marthe , et dans
l'Histoire d'Evreux de M. le Brasseur , à
l'égard de quelques autres Abbez de Saint
Taurin , qui ont précedé le Marquis de
* Leterme de permuter n'est pas convenable
et paroit unpeu aventuré dans les Registres. Il ess toujours certain que Guillaume de Pericard n'auroit
jamais été Evêque d'Evreux sans la faveur de
M. de Rosny , qui avoit fait donner cet Evêché à
M. du Perron, comme il est marqué dans le 1 . vol.
de ses Mémoires , chap. 39. et qui sans doute avoit
eu part à ce qui se passa ensuite entre ces deux
Prélats , par rapport au changement en question. Il
fallut , sans doute , de nouvelles Provisions pour M. duPerron, devenu Abbé de S. Taurin.
¡Rosny
།
JUILLET . 1732. 1509
Rosny, ou qui lui ont succedé dans cette
Dignité.
Je m'apperçois, au reste,que ma réponse
à vos autres questions ne sçauroit entrer
dans cette Lettre , déja assez allongée.
Mais je ne veux pas la finir sans prévenir
la demande que vous êtes en droit de me
faire sur la suite de l'aventure de Boisrosé, et sur le succès de son Voyage à la
Cour. Le trouble , comme je l'ai dit , lui
donna des aîles ; il arriva un jour plutôt
que M. de Rosny, qui s'arrêta à Rosny
et à Mante , où il coucha. Ainsi ce petit
Gouverneur , petit génie , et on peut dire
encore,tant soit peu malhonnête homme
croyant le premier Miniftre très offense
de ses discours , et le considérant dès- lors
comme son plus cruel ennemi , eût tout
le tems de parler au Roi , et de déclamer
tant qu'il voulut contre lui , en donnant
-un tourNormand à la rencontre de Louviers. Mais qu'en arriva-t-il ? le voici.
Le Marquis de Rosny arrivé à la Cour
eûtd'abord un long entretien avec le Roi
sur sa Négociation de Normandie , » sans
oublier , disent les * Auteurs des Mé
Le Marquis de Rosny n'a pas écrit lui-même ses Mémoires. C'est l'ouvrage de quatre de ses Secretaires , lesquels dans la Narration addressent la
parole à leur Maître.
C » moires ,
1510 MERCURE
DE FRANCE
» moires , quasi une seule particularité ,
» car le Roi les voulut toutes sçavoir
» dont il y eut bien à rire lorsque vous
» lui contâtes ce qui s'étoit passé entre
» vous et le sieur de Boisrosé ; surquoi
» S. M. vous dit qu'il lui étoit venu faire
» de grandes plaintes de vous , et le prier
» de le vouloir pourvoir sans le renvoyer
» à vous , dautant qu'il sçavoit bien que
» vous étiez son ennemi , à cause de quel-
» ques propos qu'il vous avoit tenus sans
»vous connoître , et partant le Roi vous
» pria de l'envoyer querir , &c.
Ce que M. de Rosny éxecuta dès le
lendemain. Il promit à Boisrosé , & lui
assûra deux mille écus de récompense ,
une pension de 1200. liv. et une Place de
Capitaine en pied. Bien plus , ce génereux
Ministre le retint depuis à sa suite , et le
fit enfin son Lieutenant en l'Artillerie au
Département de Normandie , dès que
Roi lui eût donné la Charge de GrandMaître. Voilà quelle fût la fin et le succès de l'aventure de Louviers. Je vous
promets incessamment la réponse à vos
autres Questions , et je suis , Monsieur
Bic.
AParis , le 29 Février 1732
Fermer
Résumé : LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. A. C. D. U. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques, &c.
La lettre de M. D. L. R. à M. A. C. D. V. aborde la possession de l'Abbaye de Saint-Taurin d'Évreux par Maximilien de Béthune, Marquis de Rosny et Duc de Sully. L'auteur répond à une demande d'éclaircissements sur ce sujet et confirme que Rosny a effectivement possédé cette abbaye par nomination royale sous Henri III. Bien que les archives de l'abbaye et certaines sources historiques ne mentionnent pas ce fait, l'auteur trouve la preuve dans les Mémoires de Sully. Il relate une anecdote où Boisrosé, gouverneur de Fécamp, rencontre Rosny à Louviers et se plaint de lui sans le reconnaître. Rosny, amusé, lui assure qu'il interviendra en sa faveur auprès du roi. L'auteur confirme ensuite la possession de l'abbaye par Rosny grâce à des registres et des témoignages religieux. Il mentionne également la suite de l'aventure de Boisrosé, qui arrive à la cour avant Rosny et se plaint au roi, mais finit par recevoir des récompenses et une place auprès de Rosny.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 2550-2562
SECONDE LETTRE DE M. D. L. R. à M. A. C. D. V. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques.
Début :
Avant que de répondre, Monsieur, aux autres demandes que vous me [...]
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Marquis de Rosny, Duc de Sully, Abbaye de Saint Taurin, Lettre, Mémoires, Boisrozé, Général, Henriade, Méprises, Courage
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texteReconnaissance textuelle : SECONDE LETTRE DE M. D. L. R. à M. A. C. D. V. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques.
SECONDE LETTRE de
M. D L. R. à M. A. C. D. V. au
sujet du Marquis de Rosny , depuis Duc
de Sully , &c. contenant quelques Remarques Historiques.
A
Vant que de répondre , Monsieur ,
aux autres demandes que vous me
faites au sujet du Marquis de Rosny.
j'ay encore quelque chose à vous dire
sur votre premiere question concernant
l'Abbaye de S. Taurin , que ce Seigneur
a possedée par la nomination du Roy
Henry III . Outre la double preuve que
je vous ai apportée de ce fait dans mapremiere Lettre , en voici encore deux autres
qu'il est bon de ne pas omettre.
La premiere est dans le XLI. Chapitre du I. Vol. des Memoires de
Sully. On voit sur la fin de ce Chapitre
que le Marquis de Rosny étant allé à sa
Terre de Bontin pour quelques affaires
domestiques , le Roy lui écrivit la Lettre
qui suit , pour le faire revenir à Fon- tainebleau.
Mon Ami, je ne vous avois donné congé
que pour dix jours , et neanmoins ily ena
1. Vol. déja
DECEMBRE. 1732. 2551 7
déja quinze que vous êtes partis ce n'estpas
votre coutume de manquer à ce que vous
promettez , ni d'être paresseux : partant revenez-vous-en me trouver , c'est chose necessaire pour mon service , tant pour voir
des Lettres que Madame de Simiers et un
nommé la Font (qui , à mon avis , est celui
de qui vous sçaviez des nouvelles durant
notre grand Siege ) qui vous écrivent de
Rouen, lesquelles sont en chiffres ; et par si
peu que nous en avons pu déchiffrer ( car
je les ai fait ouvrir ) nous jugeons qu'elles
importent à mon service. Il y en a encore.
une d'un nommé Desportes , qui demeure à
Verneuil, lequel vous prie de lui mander
s'il sera le bien venu pour vous parler d'une
chose dont vous conferâtes une fois ensemble.
à Evreux dans votre Abbaye de S. Taurin , que le feu Roy vous donna. J'ay aussi
plusieurs choses à vous dire , et s'en présente tous les jours une infinité sur lesquelles
je serai bien aise de prendre vos avis , comme j'ai fait sur beaucoup d'autres , dont je
me suis bien trouvé. Partant , partez en diligence et me venez trouver à Fontainebleau,
Adieu. Ce 3. Septembre 1593.
Vous voyez , Monsieur , dans cette Lettre le fait en question constaté de la main
du Roy ; on y voit aussi que le Marquis
de Rosny se retiroit quelquefois à saint
VI. Vel By Taurin
2552 MERCURE DE FRANCE
Taurin d'Evreux , pour gouter dans une
agréable solitude le repos qu'il ne trouvoit pas ailleurs , et qui ne laissoit pas
d'être encore interrompu dans cette Âbbaye par les affaires importantes qui le
sùivoient par tout.
L'autre preuve se trouve dans le même
premier Vol. des Memoires, Chap. XLVI.
où il est traité de la Négociation que
M. de Rosny fit à Rouen avec Amiral
de Villars , pour la réduction de toute
la Normandie. On voit là qu'entre autres demandes que faisoit cet Amiral de
là Ligue , il voulut avoir les Abbayes de
Jumieges, de Tiron , de Bomport , de
Valasse et de S. Taurin : les Memoires
ne disent point si c'étoit pour lui-même
ou pour ses amis qu'il faisoit cette de-,
mande , mais les Auteurs qui ont écrit
ces Memoires , et qui , comme vous sçavez , adressent toûjours la parole au Marquis de Rosny , leur Maître , s'expriment
én ces termes sur cet article.
De tous lesquels points dans quatre jours
vons convintes ensemble et en demeurâtes
d'accord , voire de S. Taurin , quoique
l'Abbayefût à vous.
Cela , au reste , ne fut pas un simple
projet , l'execution suivit et se trouve confirmée par le discours que tint M. de,
1. Vol A.,Rosny
DECEMBRE. 1732. 255 3
Rosny au sieur de Boisrosé , que vous
avez lû dans ma précédente Lettre ; ainsi
il est démontré non- seulement que ce
Seigneur a été Abbé de S. Taurin d'Evreux ; mais on sçait à peu près le temps.
et à quelle occasion il eut la generosité
de se dépouiller de cette Abbaye. 2
On apprend dans le même endroit que
quelque ample pouvoir qu'eût le Marquis de Rosny de traiter avec M. de Villars , pour l'entiere réduction de la Normandie , il y eut cependant trois Articles
sur lesquels il ne voulut rien prendre
sur lui.
Les deux premiers concernoient M. de
Montpensier et M. de Biron , et le troi,
siéme regardoit le sieur de Boisrozé , à
cause , disent les Memoires , de la baute
qualité des deux premiers , et de l'injustice
qu'il sembloit y avoir en l'autre. Sur quoi
M. de Rosny desira avoir un ordre particulier de la propre main du Roy, &c.
Vous êtes , sans doute surpris , Monsieur , de voir ici les petits interêts d'un
simple Gouverneur de Fécamp , mêlez
avec ceux d'un Prince du Sang , Gouverneur de Normandie et avec ceux de M. de
Biron , que le Roy avoit fait depuis peu
Amiral de France , Charge que M. de
Villars vouloit garder pour lui-même , les
2.1. Vol. B vj interêts
2554 MERCURE DE FRANCE
intetêts , dis-je , du sieur de Boisrozé
dont l'avanture vous a réjoui dans me
premiere Lettre , faire un objet considerable dans la Négociation d'un Traité si
important.
Cela a besoin d'un petit Commentaire.
Je vais vous le faire d'autant plus volontiers , qu'après avoir un peu maltraité,
ce me semble , se pauvre Gentilhomme
( en vous parlant de l'avanture de Louviers ) je profiterai de l'occasion pour le
réhabiliter dans votre esprit , en vous le
montrant par le plus bel endroit , et je
vous exposerai en même- temps un trait
de hardiesse et de valeur peu commune
qui mérite d'être distingué dans notre
Histoire, et que je trouve peu exactement *
par Mezeray et par le P. Daniel.
Je trouve ce fait dans le XLIII. Chapitre des Memoires, intitulé : Affaires Mi
litaires et d'Etat. J'en abregerai la narration tant que je pourrai,sans en rien omettre d'essentiel.
narré
Fécamp est une petite Ville Maritime
de la Haute Normandie , située à 15.
* Mezeray a défiguré jusqu'au nom de ce brave
homme, qu'il appelloit Bosc Rosé, il lui rend d'ailleurs justice sur sa valeur. Il s'étoit auparavant
très- distingué dans Roïen assiegé par l'Armée da Roy en 1992.
1. Fol. lieües
DECEMBRE. 1732. 2555
lieuës de Rouen vers le Couchant , à 8.
du Havre de Grace , et à 12 de Dieppe.
Elle étoit munie alors d'une bonne For
teresse , qu'on appelle aujourd'hui le
Château , élevé sur un Rocher escarpé
qui regarde la Mer. Boisrozé étoit dans.
la Place, lorsque M. de Biron l'assiegea et
la prit sur ceux de la Ligue. Avant que
d'en sortir il forma le dessein de la reprendre et il s'y prit de la maniere qui
suit. Après avoir bien instruit deux Soldats de la valeur et de la fidelité desquels
il étoit assuré , il trouva le moyen de
les faire entrer et admettre parmi ceux
de la Garnison. De son côté il s'assura
de so. autres Soldats ou Matelots , des
plus déterminez et des plus experts au
métier de grimper aux Hunes par les
cordages , &c. son dessein étoit d'escalader lui et les siens , le Rocher dont je
viens de parler , et d'entrer par là dans la
Place.
L'entreprise étoit des plus témeraires.
Le Roc en question de cent toises de
hauteur , est non- seulement escarpé et
coupé en précipice , mais son pied est
ordinairement battu de vagues de
la Mer , excepté quatre ou cinq fois de
l'année , au temps des plus basses Marées;
alors durant quelques heures seulement
1. Vol
2556 MERCURE DE FRANCE
la Mer laisse un certain espace sec au
pied du Rocher, ce qui arrive quelquefois la nuit et quelquefois le jour,
Boisrozé devoit executer son dessein
dans l'un de ces intervales , assez incer
tains , et pour cela il se munit d'un Cable
de longueur convenable pour le Roc qu'il
vouloit gravir, et à icelui d'espace en espace,
fut fairedes noeuds pour se tenir des mains, et
des étriers de corde avec de petits bâtons
pour y apposer les pieds. Avec cet appareil il s'embarqua lui et ses Gens dans
deux Chalouppes et vint par une nuit fort
noire , aborder le plus près du Roc que
la bassesse de l'eau put le lui permettre.
Sur le haut de ce Roc logeoit dans quel
que Hute l'un des deux Soldats gagnez ,
et il veilloit exactement à toutes les basses marées , pour entendre le signal dont
on étoit convenu, Il ne fut donc pas difficile, au moyen de ce signal, de jetter une
corde à l'extremité de laquelle fut attaché le bout du gros cable , que le Soldat
tira incontinent à lui. Le bout du cable
étoit muni d'un crampon de fer qui fut
aussi-tôt attaché dans l'entre- deux, d'une
canoniere avec un gros levier.
Après avoir tiré et ébranlé plusieurs
fois le cable pour s'assurer de la solidité
d'une Echelle si périlleuse , Boisrosé fit
--- I. Vol. d'abord,
DECEMBRE. 1732. 2557
d'abord monter l'un des deux Sergens
du nombre des so. hommes , auquel il
se fioit le plus , et l'ayant fait suivre par
tous les autres , il monta lui- même tout
le dernier , afin que nul ne s'en pût dédire
et qu'il leur servit de chasse-avant.
Cette précaution étoit nécessaire , car,
dans le temps qu'il fallut employer pour
placer les so. hommes sur cette corde er
à monter les uns après les autres avec
leurs armes bien attachées autour du
corps , la marée avoit commencé de revenir et elle étoit déja à six pieds de
hauteur contre le Rocher , que Boisrozé
et les Siens n'étoient encore qu'à moitié
chemin ; desorte qu'étant ainsi pendus et
comme enfilez à ce cable , il ne leur restoit plus aucune esperance de salut que
par la prise de la Place. Boisrozé , armé
d'un courage intrépide et bien résolu de
mourir plutôt que de reculer , la tenoit
toûjours pour indubitable , lorsque le Sergent qui montoit le premier , soit à cause de l'extreme hauteur où il étoit parvenu , soit à cause du bruit des vagues
qui venoient se briser contre le Roc
commença de s'effrayer , à dire que la
tête lui tournoit , et qu'il étoit impossi
ble de monter plus haut.
Cet incident étant rapporté de bouche
1- Vol.... ...cn
2558 MERCURE DE FRANCE
en bouche à Boisrozé ; celui cy après
avoir tenté inutilement de faire rassurer
son homme, prit la résolution de l'aller
joindre lui- même , et passant par- dessus
les corps et les têtes de ses Compagnons
suspendus en l'air , il parvint jusqu'à lui
et le rassura aucunement ; puis le poignard à la main , il le contraignit de continuer à monter , tant qu'enfin le jour
étant prêt à paroître ils parvinrent tous
sur le haut du Rocher sans autre inconvenient. Ils furent incontinent reçûs par
les deux Soldats , et connoissant tous ensemble les êtres et les avenues du Fort , ils
surprirent facilement le Corps de Garde
et les Sentinelles qui étoient du côté de
la Ville , car on ne faisoit aucune gardedu côté de la Mer estimé inaccessible, On
fit main bisse sur eux , et on tailla
en pieces tout ce qui vint successivement
au secours ; enfin Boisrozé se rendït le
maître du Fort , de quoi il avertit aussitôt M. de Villars , tant pour lui deLe P. Daniel dit que Boisrozé mécontent de
Villars , surprit Fécamp et s'y retrancha si bien que
ce Gouverneur , qui vint l'y attaquer , ne put le
forcer, &c.
L'Auteur se trompe et confond ici les choses ,
étant bien certain que Boisrozé ne fit son Expedition de Fécamp, qu'en faveur de la Ligue et de
M. de Villars , et que sa brouillerie avec ce Ge
meral n'arriva que dans la suite , &c. ·
DECEMBRE. 1732. 2559.
mander du monde , afin de se saisir de
la Ville et de pouvoir la garder , que
pour s'assurer du Gouvernement de la
Place , qu'il croyoit avoir bien mérité.
:
Vous jugés bien , M. que ce General ne
lui refusa rien mais j'apprends au même,
endroit que dans la suite Boisrosé s'étant
brouillé avec lui , et craignant toujours
de perdre son Gouvernement , il se donna entierement au Roi , et ne voulut plus
reconnoître les ordres de M. Villars. Ce
General le fit investir et le resserra si fort
dans Fecamp , que le Roi , dont le nouveau Gouverneur implorà le secours ,
vint en personne le dégager , en contraignant les Troupes de la Ligue de se retirer , et en donnant tous les ordres néces
saires pour la conservation du Fort de
Fécamp, dont ce grand Prince reconnois
soit l'importance.
Boisrozé en étoit donc paisible Gouver
neur , lorsque le Marquis de Rosny- traitoit de la réduction de toute la Normandie avec M. de Villars , et qu'il fut obligé de passer au nom du Roi toutes les
conditions qu'on éxigeoit , à l'exception
des trois dont il est parlé ci-dessus. Vous
vous souvenez , Monsieur , que la considération particuliere de Boisrozé formoit
la troisième , et vous voyez à présent que
I. Vol. CO
2560 MERCURE DE FRANCE
ce n'est pas sans raison , M. de Rosny
trouvant de l'injustice de déplacer un si
brave homme, et ne pouvant se résoudre
de le faire de son chef. Ii fallut cependant y venir , le Roi , à qui les trois articles furent renvoyés , n'hesita pas de
les passer pour parvenir à un si grand
bien. Je ne vous dis rien du bruit qu'en
fir Boisrozé , vous en sçavez assez par le
récit de l'avanture de Louviers. Le bon
homme , plein de son ressentiment, ignoroit alors tout ce que M. de Rosny
avoit fait pour le maintenir dans son
poste.
Au reste , dès que le Traité eut été ar
rêté et signé , M. de Rosny en écrivit de
Rouen une Lettre au Roi , dont je ne
rapporterai ici que le commencement
pour abreger.
SIRE ,
-La bonté de Dieu , votre vertu et votre
fortune , ont tellement fortifié mon courage
et bien heuré mon entremise , queje vous puis
maintenant nommer Ducpaisible de toute la
Normandie , &c.
dit
Le Roi ayant reçû cette Lettre , répon
par le même Courrier , et de sa propre main , au Marquis de Rosny, de la maniere qui suit.
İvel. MON-
DECEMBRE. 1732. 2561
MONSIEUR,
J'ai vû > tant par votre derniere Lettre
que par vos précedentes , les signalez servi➡
ces que vous m'avez rendus pour la Rêduction entiere de la Normandie en mon obeissance , lesquels j'appellervis volontiers des
miracles , si je ne sçavois bien que l'on nè
donne point ce titre aux choses tantjourna
lieres et ordinaires , que me sont les preuves
par effet de votre loyale affection , laquelle
aussi je n'oublieraijamais , &c. Adieu mon
Ami. De Senlis , le 14. Mars 1594
HENRY.
Je finis ici ma Lettre , Monsieur, pour
ne plus vous parler de l'Abbaye de
S.Taurin, ni du sieur de Boisrozé. Il falloit
vous faire ce détail pour répondre perti
nemment à votre premiere question , et
ne vous laisserrien ignorer sur une matiere qui entre si naturellement dans l'éxecution du projet d'Histoire que vous avez formé.
J'ai mes Mémoires prêts pour répondre
à vos autres demandes au sujet du Marquis de Rosny , et je n'oublierai pas ceque vous me marqués en dernier lieu sur
les variations et sur les méprises de l'Auteur du Poëme de la Ligue , ou la Hen- I. Vol. riade
2562 MERCURE DE FRANCE riade , par rapport à ce Seigneur. Je suis
toujours , &c.
AParis , le 20 Mars 1732.
M. D L. R. à M. A. C. D. V. au
sujet du Marquis de Rosny , depuis Duc
de Sully , &c. contenant quelques Remarques Historiques.
A
Vant que de répondre , Monsieur ,
aux autres demandes que vous me
faites au sujet du Marquis de Rosny.
j'ay encore quelque chose à vous dire
sur votre premiere question concernant
l'Abbaye de S. Taurin , que ce Seigneur
a possedée par la nomination du Roy
Henry III . Outre la double preuve que
je vous ai apportée de ce fait dans mapremiere Lettre , en voici encore deux autres
qu'il est bon de ne pas omettre.
La premiere est dans le XLI. Chapitre du I. Vol. des Memoires de
Sully. On voit sur la fin de ce Chapitre
que le Marquis de Rosny étant allé à sa
Terre de Bontin pour quelques affaires
domestiques , le Roy lui écrivit la Lettre
qui suit , pour le faire revenir à Fon- tainebleau.
Mon Ami, je ne vous avois donné congé
que pour dix jours , et neanmoins ily ena
1. Vol. déja
DECEMBRE. 1732. 2551 7
déja quinze que vous êtes partis ce n'estpas
votre coutume de manquer à ce que vous
promettez , ni d'être paresseux : partant revenez-vous-en me trouver , c'est chose necessaire pour mon service , tant pour voir
des Lettres que Madame de Simiers et un
nommé la Font (qui , à mon avis , est celui
de qui vous sçaviez des nouvelles durant
notre grand Siege ) qui vous écrivent de
Rouen, lesquelles sont en chiffres ; et par si
peu que nous en avons pu déchiffrer ( car
je les ai fait ouvrir ) nous jugeons qu'elles
importent à mon service. Il y en a encore.
une d'un nommé Desportes , qui demeure à
Verneuil, lequel vous prie de lui mander
s'il sera le bien venu pour vous parler d'une
chose dont vous conferâtes une fois ensemble.
à Evreux dans votre Abbaye de S. Taurin , que le feu Roy vous donna. J'ay aussi
plusieurs choses à vous dire , et s'en présente tous les jours une infinité sur lesquelles
je serai bien aise de prendre vos avis , comme j'ai fait sur beaucoup d'autres , dont je
me suis bien trouvé. Partant , partez en diligence et me venez trouver à Fontainebleau,
Adieu. Ce 3. Septembre 1593.
Vous voyez , Monsieur , dans cette Lettre le fait en question constaté de la main
du Roy ; on y voit aussi que le Marquis
de Rosny se retiroit quelquefois à saint
VI. Vel By Taurin
2552 MERCURE DE FRANCE
Taurin d'Evreux , pour gouter dans une
agréable solitude le repos qu'il ne trouvoit pas ailleurs , et qui ne laissoit pas
d'être encore interrompu dans cette Âbbaye par les affaires importantes qui le
sùivoient par tout.
L'autre preuve se trouve dans le même
premier Vol. des Memoires, Chap. XLVI.
où il est traité de la Négociation que
M. de Rosny fit à Rouen avec Amiral
de Villars , pour la réduction de toute
la Normandie. On voit là qu'entre autres demandes que faisoit cet Amiral de
là Ligue , il voulut avoir les Abbayes de
Jumieges, de Tiron , de Bomport , de
Valasse et de S. Taurin : les Memoires
ne disent point si c'étoit pour lui-même
ou pour ses amis qu'il faisoit cette de-,
mande , mais les Auteurs qui ont écrit
ces Memoires , et qui , comme vous sçavez , adressent toûjours la parole au Marquis de Rosny , leur Maître , s'expriment
én ces termes sur cet article.
De tous lesquels points dans quatre jours
vons convintes ensemble et en demeurâtes
d'accord , voire de S. Taurin , quoique
l'Abbayefût à vous.
Cela , au reste , ne fut pas un simple
projet , l'execution suivit et se trouve confirmée par le discours que tint M. de,
1. Vol A.,Rosny
DECEMBRE. 1732. 255 3
Rosny au sieur de Boisrosé , que vous
avez lû dans ma précédente Lettre ; ainsi
il est démontré non- seulement que ce
Seigneur a été Abbé de S. Taurin d'Evreux ; mais on sçait à peu près le temps.
et à quelle occasion il eut la generosité
de se dépouiller de cette Abbaye. 2
On apprend dans le même endroit que
quelque ample pouvoir qu'eût le Marquis de Rosny de traiter avec M. de Villars , pour l'entiere réduction de la Normandie , il y eut cependant trois Articles
sur lesquels il ne voulut rien prendre
sur lui.
Les deux premiers concernoient M. de
Montpensier et M. de Biron , et le troi,
siéme regardoit le sieur de Boisrozé , à
cause , disent les Memoires , de la baute
qualité des deux premiers , et de l'injustice
qu'il sembloit y avoir en l'autre. Sur quoi
M. de Rosny desira avoir un ordre particulier de la propre main du Roy, &c.
Vous êtes , sans doute surpris , Monsieur , de voir ici les petits interêts d'un
simple Gouverneur de Fécamp , mêlez
avec ceux d'un Prince du Sang , Gouverneur de Normandie et avec ceux de M. de
Biron , que le Roy avoit fait depuis peu
Amiral de France , Charge que M. de
Villars vouloit garder pour lui-même , les
2.1. Vol. B vj interêts
2554 MERCURE DE FRANCE
intetêts , dis-je , du sieur de Boisrozé
dont l'avanture vous a réjoui dans me
premiere Lettre , faire un objet considerable dans la Négociation d'un Traité si
important.
Cela a besoin d'un petit Commentaire.
Je vais vous le faire d'autant plus volontiers , qu'après avoir un peu maltraité,
ce me semble , se pauvre Gentilhomme
( en vous parlant de l'avanture de Louviers ) je profiterai de l'occasion pour le
réhabiliter dans votre esprit , en vous le
montrant par le plus bel endroit , et je
vous exposerai en même- temps un trait
de hardiesse et de valeur peu commune
qui mérite d'être distingué dans notre
Histoire, et que je trouve peu exactement *
par Mezeray et par le P. Daniel.
Je trouve ce fait dans le XLIII. Chapitre des Memoires, intitulé : Affaires Mi
litaires et d'Etat. J'en abregerai la narration tant que je pourrai,sans en rien omettre d'essentiel.
narré
Fécamp est une petite Ville Maritime
de la Haute Normandie , située à 15.
* Mezeray a défiguré jusqu'au nom de ce brave
homme, qu'il appelloit Bosc Rosé, il lui rend d'ailleurs justice sur sa valeur. Il s'étoit auparavant
très- distingué dans Roïen assiegé par l'Armée da Roy en 1992.
1. Fol. lieües
DECEMBRE. 1732. 2555
lieuës de Rouen vers le Couchant , à 8.
du Havre de Grace , et à 12 de Dieppe.
Elle étoit munie alors d'une bonne For
teresse , qu'on appelle aujourd'hui le
Château , élevé sur un Rocher escarpé
qui regarde la Mer. Boisrozé étoit dans.
la Place, lorsque M. de Biron l'assiegea et
la prit sur ceux de la Ligue. Avant que
d'en sortir il forma le dessein de la reprendre et il s'y prit de la maniere qui
suit. Après avoir bien instruit deux Soldats de la valeur et de la fidelité desquels
il étoit assuré , il trouva le moyen de
les faire entrer et admettre parmi ceux
de la Garnison. De son côté il s'assura
de so. autres Soldats ou Matelots , des
plus déterminez et des plus experts au
métier de grimper aux Hunes par les
cordages , &c. son dessein étoit d'escalader lui et les siens , le Rocher dont je
viens de parler , et d'entrer par là dans la
Place.
L'entreprise étoit des plus témeraires.
Le Roc en question de cent toises de
hauteur , est non- seulement escarpé et
coupé en précipice , mais son pied est
ordinairement battu de vagues de
la Mer , excepté quatre ou cinq fois de
l'année , au temps des plus basses Marées;
alors durant quelques heures seulement
1. Vol
2556 MERCURE DE FRANCE
la Mer laisse un certain espace sec au
pied du Rocher, ce qui arrive quelquefois la nuit et quelquefois le jour,
Boisrozé devoit executer son dessein
dans l'un de ces intervales , assez incer
tains , et pour cela il se munit d'un Cable
de longueur convenable pour le Roc qu'il
vouloit gravir, et à icelui d'espace en espace,
fut fairedes noeuds pour se tenir des mains, et
des étriers de corde avec de petits bâtons
pour y apposer les pieds. Avec cet appareil il s'embarqua lui et ses Gens dans
deux Chalouppes et vint par une nuit fort
noire , aborder le plus près du Roc que
la bassesse de l'eau put le lui permettre.
Sur le haut de ce Roc logeoit dans quel
que Hute l'un des deux Soldats gagnez ,
et il veilloit exactement à toutes les basses marées , pour entendre le signal dont
on étoit convenu, Il ne fut donc pas difficile, au moyen de ce signal, de jetter une
corde à l'extremité de laquelle fut attaché le bout du gros cable , que le Soldat
tira incontinent à lui. Le bout du cable
étoit muni d'un crampon de fer qui fut
aussi-tôt attaché dans l'entre- deux, d'une
canoniere avec un gros levier.
Après avoir tiré et ébranlé plusieurs
fois le cable pour s'assurer de la solidité
d'une Echelle si périlleuse , Boisrosé fit
--- I. Vol. d'abord,
DECEMBRE. 1732. 2557
d'abord monter l'un des deux Sergens
du nombre des so. hommes , auquel il
se fioit le plus , et l'ayant fait suivre par
tous les autres , il monta lui- même tout
le dernier , afin que nul ne s'en pût dédire
et qu'il leur servit de chasse-avant.
Cette précaution étoit nécessaire , car,
dans le temps qu'il fallut employer pour
placer les so. hommes sur cette corde er
à monter les uns après les autres avec
leurs armes bien attachées autour du
corps , la marée avoit commencé de revenir et elle étoit déja à six pieds de
hauteur contre le Rocher , que Boisrozé
et les Siens n'étoient encore qu'à moitié
chemin ; desorte qu'étant ainsi pendus et
comme enfilez à ce cable , il ne leur restoit plus aucune esperance de salut que
par la prise de la Place. Boisrozé , armé
d'un courage intrépide et bien résolu de
mourir plutôt que de reculer , la tenoit
toûjours pour indubitable , lorsque le Sergent qui montoit le premier , soit à cause de l'extreme hauteur où il étoit parvenu , soit à cause du bruit des vagues
qui venoient se briser contre le Roc
commença de s'effrayer , à dire que la
tête lui tournoit , et qu'il étoit impossi
ble de monter plus haut.
Cet incident étant rapporté de bouche
1- Vol.... ...cn
2558 MERCURE DE FRANCE
en bouche à Boisrozé ; celui cy après
avoir tenté inutilement de faire rassurer
son homme, prit la résolution de l'aller
joindre lui- même , et passant par- dessus
les corps et les têtes de ses Compagnons
suspendus en l'air , il parvint jusqu'à lui
et le rassura aucunement ; puis le poignard à la main , il le contraignit de continuer à monter , tant qu'enfin le jour
étant prêt à paroître ils parvinrent tous
sur le haut du Rocher sans autre inconvenient. Ils furent incontinent reçûs par
les deux Soldats , et connoissant tous ensemble les êtres et les avenues du Fort , ils
surprirent facilement le Corps de Garde
et les Sentinelles qui étoient du côté de
la Ville , car on ne faisoit aucune gardedu côté de la Mer estimé inaccessible, On
fit main bisse sur eux , et on tailla
en pieces tout ce qui vint successivement
au secours ; enfin Boisrozé se rendït le
maître du Fort , de quoi il avertit aussitôt M. de Villars , tant pour lui deLe P. Daniel dit que Boisrozé mécontent de
Villars , surprit Fécamp et s'y retrancha si bien que
ce Gouverneur , qui vint l'y attaquer , ne put le
forcer, &c.
L'Auteur se trompe et confond ici les choses ,
étant bien certain que Boisrozé ne fit son Expedition de Fécamp, qu'en faveur de la Ligue et de
M. de Villars , et que sa brouillerie avec ce Ge
meral n'arriva que dans la suite , &c. ·
DECEMBRE. 1732. 2559.
mander du monde , afin de se saisir de
la Ville et de pouvoir la garder , que
pour s'assurer du Gouvernement de la
Place , qu'il croyoit avoir bien mérité.
:
Vous jugés bien , M. que ce General ne
lui refusa rien mais j'apprends au même,
endroit que dans la suite Boisrosé s'étant
brouillé avec lui , et craignant toujours
de perdre son Gouvernement , il se donna entierement au Roi , et ne voulut plus
reconnoître les ordres de M. Villars. Ce
General le fit investir et le resserra si fort
dans Fecamp , que le Roi , dont le nouveau Gouverneur implorà le secours ,
vint en personne le dégager , en contraignant les Troupes de la Ligue de se retirer , et en donnant tous les ordres néces
saires pour la conservation du Fort de
Fécamp, dont ce grand Prince reconnois
soit l'importance.
Boisrozé en étoit donc paisible Gouver
neur , lorsque le Marquis de Rosny- traitoit de la réduction de toute la Normandie avec M. de Villars , et qu'il fut obligé de passer au nom du Roi toutes les
conditions qu'on éxigeoit , à l'exception
des trois dont il est parlé ci-dessus. Vous
vous souvenez , Monsieur , que la considération particuliere de Boisrozé formoit
la troisième , et vous voyez à présent que
I. Vol. CO
2560 MERCURE DE FRANCE
ce n'est pas sans raison , M. de Rosny
trouvant de l'injustice de déplacer un si
brave homme, et ne pouvant se résoudre
de le faire de son chef. Ii fallut cependant y venir , le Roi , à qui les trois articles furent renvoyés , n'hesita pas de
les passer pour parvenir à un si grand
bien. Je ne vous dis rien du bruit qu'en
fir Boisrozé , vous en sçavez assez par le
récit de l'avanture de Louviers. Le bon
homme , plein de son ressentiment, ignoroit alors tout ce que M. de Rosny
avoit fait pour le maintenir dans son
poste.
Au reste , dès que le Traité eut été ar
rêté et signé , M. de Rosny en écrivit de
Rouen une Lettre au Roi , dont je ne
rapporterai ici que le commencement
pour abreger.
SIRE ,
-La bonté de Dieu , votre vertu et votre
fortune , ont tellement fortifié mon courage
et bien heuré mon entremise , queje vous puis
maintenant nommer Ducpaisible de toute la
Normandie , &c.
dit
Le Roi ayant reçû cette Lettre , répon
par le même Courrier , et de sa propre main , au Marquis de Rosny, de la maniere qui suit.
İvel. MON-
DECEMBRE. 1732. 2561
MONSIEUR,
J'ai vû > tant par votre derniere Lettre
que par vos précedentes , les signalez servi➡
ces que vous m'avez rendus pour la Rêduction entiere de la Normandie en mon obeissance , lesquels j'appellervis volontiers des
miracles , si je ne sçavois bien que l'on nè
donne point ce titre aux choses tantjourna
lieres et ordinaires , que me sont les preuves
par effet de votre loyale affection , laquelle
aussi je n'oublieraijamais , &c. Adieu mon
Ami. De Senlis , le 14. Mars 1594
HENRY.
Je finis ici ma Lettre , Monsieur, pour
ne plus vous parler de l'Abbaye de
S.Taurin, ni du sieur de Boisrozé. Il falloit
vous faire ce détail pour répondre perti
nemment à votre premiere question , et
ne vous laisserrien ignorer sur une matiere qui entre si naturellement dans l'éxecution du projet d'Histoire que vous avez formé.
J'ai mes Mémoires prêts pour répondre
à vos autres demandes au sujet du Marquis de Rosny , et je n'oublierai pas ceque vous me marqués en dernier lieu sur
les variations et sur les méprises de l'Auteur du Poëme de la Ligue , ou la Hen- I. Vol. riade
2562 MERCURE DE FRANCE riade , par rapport à ce Seigneur. Je suis
toujours , &c.
AParis , le 20 Mars 1732.
Fermer
Résumé : SECONDE LETTRE DE M. D. L. R. à M. A. C. D. V. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques.
La lettre de M. D L. R. à M. A. C. D. V. traite de la possession de l'Abbaye de Saint-Taurin par le Marquis de Rosny, devenu Duc de Sully. L'auteur répond à une question concernant cette abbaye, dont la possession par le Marquis de Rosny a été confirmée par la nomination du roi Henri III. Deux preuves sont fournies pour étayer ce fait. La première est une lettre du roi Henri III, datée du 3 septembre 1593, où le roi demande au Marquis de Rosny de revenir à Fontainebleau pour des affaires importantes, mentionnant explicitement l'Abbaye de Saint-Taurin. La seconde preuve se trouve dans les Mémoires de Sully, où il est question d'une négociation à Rouen avec l'Amiral de Villars pour la réduction de la Normandie. L'Amiral demandait plusieurs abbayes, dont celle de Saint-Taurin, confirmant ainsi la possession du Marquis de Rosny. La lettre détaille également une négociation complexe où le Marquis de Rosny refusait de prendre des décisions sur trois articles sans un ordre particulier du roi. L'un de ces articles concernait le sieur de Boisrosé, gouverneur de Fécamp. L'auteur narre ensuite une expédition audacieuse de Boisrosé pour reprendre Fécamp, malgré les dangers et les obstacles. Cette action est décrite en détail, soulignant le courage et la détermination de Boisrosé. Par ailleurs, une autre correspondance, datée du 14 mars 1594, montre le roi Henri IV exprimant sa gratitude au Marquis de Rosny pour ses services dans la réduction de la Normandie. Le roi qualifie ces services de 'miracles' en raison de leur efficacité et de leur régularité. La lettre du roi a été écrite de Senlis. Un autre correspondant, écrivant en mars 1732, mentionne la fin d'une lettre concernant l'Abbaye de Saint-Taurin et le sieur de Boisrozé, et indique qu'il a des mémoires prêts pour répondre à d'autres demandes concernant le Marquis de Rosny. Il fait également référence aux variations et méprises de l'auteur du poème 'La Ligue' ou 'La Henriade' par rapport au Marquis de Rosny.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
3
p. 1101-1125
TROISIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. A. C. D. S. T. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques.
Début :
Vous me marquez, Monsieur, quelque satisfaction des Eclaircissemens contenus dans [...]
Mots clefs :
Marquis de Rosny, Prince, Artillerie, Religion, Duc de Sully, Duc de Savoie, Médaille, Mémoires, Seigneur, Dieu, Corps, Esprit, Enfants, Béthune, Melun
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texteReconnaissance textuelle : TROISIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. A. C. D. S. T. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques.
TROISIEME LETTRE de M. D. L.
R. écrite à M. A. C. D. S.T.au sujet du
Marquis de Rosny , depuis Duc de Sully
, &c. contenant quelques Remarques
Historiques.
Ous me Monsieur
quelque satisfaction des Eclaircissemens
contenus dans mes deux Lettres
précédentes , sur la premiere Question
que vous m'avez faite , au sujet du
Marquis de Rosny , premier Ministre
du Roi Henri Le Grand. Cela m'engage
de redoubler mes soins pour répondre
avec la même éxactitude et le même succès
aux autres demandes que vous me
faites sur ce sujet.
و
Instruit par P'Histoire de l'ancienneté
et de la Catholicité de la Maison de Bethune
dont le Marquis de Rosny se
trouvoit le Chef , vous êtes surpris que
ce Seigneur n'ait pas persevere dans la
Religion de ses Ancêtres vous me demandez
la cause de ce changement , à
quoi vous ajoutez deux ou trois autres
Questions , dont la Réponse fera tout le
sujet de cette Lettre.:
1. Fol. Cvi Da1102
MERCURE DE FRANCE
D'abord il est bon de vous dire , Monsieur
, que ce n'est pas le Marquis de
Rosny qui fait la premiere cause de cette
variation . Pour en être bien instruit , il
faut remonter jusqu'à Jean de Bethune
IV. du nom son Ayeul , lequel étant
encore assez jeune épousa Anne de Melun
, qui lui apporta en dot la Baronie
de Rosny , &c. Il en eut plusieurs Enfans
, lesquels eurent un double malheur
; le premier de perdre leur Mere
dans leur bas âge , et le second de voir
remarier leur Pere avec une simple Demoiselle
sans biens. Un troisiéme malheur
, suite des premiers , voulut que
Jean de Bethune n'eut ni ordre , ni oeconomie
dans ses affaires , qu'il s'endetta -
beaucoup , et qu'en mourant enfin retiré
au Château de Coucy , après avoir
aliené ses plus beaux Domaines
il ne
laissa presque rien à ses Enfans : de sorte
que François de Bethune son fils aîné ,
dépouillé de tous les grands biens de ses
Ancêtres , et ne jouissant que de ceux
d'Anne de Melun sa Mere , est comparé
par un Historien au Prince * Jean , surnommé
sans Terre , qui étant fils de Roi ,
se trouva presque sans aucune possession
, & c.
D
* Jean , fils de Henri II . Roi d'Angleterre .
1. Vol.
Ce
JUIN. 1733- 1103
Ce fils aîné épousa en 1557. Charlotte
Dauvet , qui lui donna sept Enfans. Il
s'attacha de bonne heure à Louis de Bourbon
, Prince de Condé , qui étoit alors
le Chef des Huguenots , et fit Profession
de la nouvelle Religion , à l'imitation de
plusieurs Grands Seigneurs , séduits par
les opinions des Novateurs , ou par des
motifs humains. En courant toutes les
fortunes du Prince il se trouva à la Bataille
de Jarnac , où il fut fait Prisonnier ;
j'omets le reste de son histoire pour marquer
seulement qu'en mourant en l'année
1577. il laissa pour Chef de sa Maison
Maximilien de Bethune, son Fils puisné ,
dont il s'agit particulierement ici .
Ce Seigneur suivit les traces de Fran
çois de Bethune son Pere , tant pour la
Religion dans laquelle il étoit né , que
du côté de la Fortune; il pourroit fournir
seul la matière d'une longue Histoire ,
que j'avois eu autrefois dessein d'entreprendre
ce Pere homme vertueux
de bon esprit , et brûlant du
loüable désir de relever sa Maison , avoit
jetté les yeux sur notre Maximilien , le
second des quatre fils qu'il eut de Charlotte
Dauvet.
,
د
Il avoit remarqué en lui non - seulement
une grande vigueur de corps et
I. Vol. d'es
1104 MERCURE DE FRANCE
d'esprit , mais encore une grande inclination
à la vertu , et une forte aversion
pour le vice , ce qui lui ayant fait concevoir
une grande espérance , il le fit appeller
un jour , disent les Mémoires qui
portent son nom , dans sa Chambre de
la Haute Tour , et en la seule présence
de la Durandiere , son Précepteur, il lui
tint un discours que sa briéveté et l'importance
du sujet m'engagent de rappor
ter ici.
» Maximilian , puisque la Coûtume
ne me permet pas de vous faire le prin-
» cipal Héritier de mes biens , je veux en
» récompense essayer de vous enrichir
» de vertus , et par le moyen d'icelles
» comme on me l'a prédit , j'espere que
» vous serez un jour quelque chose . Pré-
» parez- vous donc à supporter avec cou-
» rage , toutes les traverses et difficultez
» que vous rencontrerez dans le monde ,
» ct en les surmontant genereusement ,
acquerez- vous l'estime des gens d'hon-
» neur , et particulierement celle du
» Maître à qui je veux vous donner ; au
Service duquel je vous commande de
» vivre et mourir. Et quand je serai sur
mon partement pour aller à Vendôme
>> trouver la Reine de Navarre , et Mon-
» sieur le Prince son fils , auquel je veux
»
1. Vol. » Yous
JUIN. 1733- 1109
» vous donner , disposez-vous à venir
» avec moi , et vous préparer par une
Harangue à lui offrir votre service
» lors que je lui présenterai votre -Per-
» sonne .
la
Ce Discours pathétique et sensé , écou
té avec attention par un fils né pour
vertu , eut dans les suites tout le succès
que l'affection et la prévoyance d'un sage
Pere pouvoient esperer. Le Pere et le
Fils se rendirent bien-tôt auprès de la
Reine de Navarre , et le jeune Rosny
fut présenté au Prince son Fils , qui étoit
aussi fort jeune.
»
*
» Cela se fit , disent les Auteurs des
» Mémoires , en présence de la Reine sa
mere , avec des protestations que
» vous lui seriez à jamais très - fidele er
n très- obéïssant serviteur : ee que vous.
» lui jurâtes aussi , en si beaux termes
» avec tant de grace et d'assûrance
>> et un ton de voix si agréable , qu'il
conçût dès lors de bonnes espérances de
» vous. Et vous ayant relevé ( car vous
>> étiez à genoux , ) il vous embrassa deux
» fois , et vous dit : qu'il admiroit votre
gentillesse , vû votre âge , qui n'étoit
"
ת
La parole est ici adressée au Marquis de
Rosny , comme dans tout le corps de l'Ouvrage.
I. Vol.
» que
1106 MERCURE DE FRANCE
>>
que de onze années , et que lui aviés
» présenté votre service avec une si gran-
» de facilité , et étiés de si bonne race
» qu'il ne doutoit point qu'un jour vous
» n'en fissiés paroître les effets en vrai
» Gentilhomme . Et aussi vous promit il
» en foi de Prince , qu'en vous recevant
» de fort bon coeur , il vous aimeroit tou-
» jours , et qu'il ne se présenteroit jamais
» occasion de vous faire acquerir du bien
>> et de l'honneur , qu'il ne s'y employât
» de tout son coeur. Tous lesquels dis-
» cours , qui n'étoient lors que par com-
» plimens , ont eu depuis des Evénemens.
» plus avantageux que vous n'aviez ´es-
» péré.
Ces Evénemens que les mêmes Auteurs
ont rapporté fort au long , furent précédez
et mêlez de bien des traversés. La
Religion surtout , dont ce jeune Seigneur
faisoit profession , et qui fait le
principal article de vos demandes , pensa
lui coûter cher , dans la fatale journée
qui vit couler tant de sang François , au
milieu d'une profonde paix. Sa conservation
a quelque chose de singulier et de
merveilleux : elle merite bien que j'en
place ici le petit détail , tiré des mêmes
Mémoires .
» Voici ce que nous vous en avons
1. Vol. » oui
JUIN. 1733. 1107
noui conter : à sçavoir que vous ayant
» fait dessein d'aller faire votre Cour ce
» jour là , vous vous étiés couché la veille
de bonne heure , et que sur les trois
>> heures du matin , vous vous réveillâ-
» tes au bruit de plusieurs cris de peu-
» ples , et des allarmes que l'on sonnoit
» dans tous les Clochers. Le sieur de
» S. Julien , votre Gouverneur , et votre
» Valet de Chambre , ( qui s'étoient aussi
» éveillés au bruit , ) étant sortis de vo-
» tre logis , pour apprendre ce que c'é-
» toit , n'y rentrerent point ; et n'avez-
» vous jamais sçû ce qu'ils étoient deve-
» nus. De sorte qu'étant réduit vous
>> seul dans votre chambre et votre
» Hôte qui étoit de la Religion , vous
» pressant d'aller avec lui à la Messe , afin
» de garantir sa vie et sa maison de sac-
» cagement , vous vous résolûtes d'es-
» sayer à vous sauver dans le College de
Bourgogne.
"3
,
>> Pour ce faire,yous prîtes votre Robbe
>> d'Ecolier , un Livre sous votre bras , et
» vous vous mîtes en chemin . Par les
» ruës vous rencontrâtes trois Corps de
» Garde , l'un à celle de S. Jacques , un
>> autre à celle de la Harpe , et l'autre à
» l'issue du Cloître de S. Benoît. Au pre
» mier ayant été arrêté et rudoyé par
1. Vol. >> ceux
108 MERCURE DE FRANCE
» ceux de la Garde , un d'entr'eux pre
> nant votre Livre , et voyant que , de
» bonheur pour vous , c'étoit de grosses'
» Heures , vous fit passer , ce qui vous
» servit de passeport aux autres. En al-
>> lant vous vîtes enfoncer et piller des
» maisons , massacrer hommes , femmes .
» et enfans , avec les cris de tuë , tuë , ô
»Huguenot , ô Huguenot , ce qui vous
» faisoit souhaiter avec impatience d'être
» arrivé à la porte du College , où enfin
>> Dieu vous accompagna , sans qu'il vous
>> fût arrivé autre mal que la peur.
»
» A l'abord , le Portier vous refusa deux
» fois l'entrée de la porte mais enfin
» moyennant quatre Testons que vous
» lui donnâtes , il alla dire au Principal ,
» nommé la Faye , que vous étiés à la
» porte , et ce que vous demandiez , lequel
aussi- tôt meu de compassion
» étant votre particulier ami , vous vint
» faire entrer , empêché toutefois de ce
» qu'il feroit de vous , à cause de deux
» Ecclésiastiques qui étoient dans sa
» chambre , et qui disoient y avoir des-
» sein formé de tuer tous les Huguenots ,
» jusqu'aux enfans à la mammelle , et ce
à l'exemple des Vêpres Siciliennes .
» Néanmoins , par pitié , ce bon Personnage
vous mit dans une chambre fort
"
I. Vol. ≫ seJUIN.
1733.
1109
» secrette , dans laquelle personne n'en-
» trât que son Valet , qui vous y por-
» toit des vivres , et vous y servît trois
» jours durant , au bout desquels il se
» fit une publication de par le Roi , por-
" tant deffenses de plus tuer ni saccager
>> personne.
» Alors deux Archers de la Garde, Vas-
» saux de M. votre Pere , l'un nommé
» Ferrieres , et l'autre la Vieville , vin-
» rent avec leurs Hocquetons , et Halle-
» bardes à ce College , pour s'enquerir de
» vos nouvelles , et les mander à M. vo-
» tre Pere , qui étoit fort en peine de
» vous , duquel vous reçûtes une Lettre
» trois jours après , par laquelle il vous
mandoit de demeurer à Paris , et d'y
» continuer vos Etudes comme auparavant.
Et pour ce faire il jugeoit bien
qu'il vous faudroit aller à la Messe , à
» quoi il vous falloit résoudre , aussi-
» bien avoit fait votre Maître et beau-
>> coup d'autres : et que sur tout il vou-
» loit que vous courussiez toutes les for-
» tunes de ce Prince jusqu'à la mort
» afin que l'on ne vous pût reprocher de
l'avoir quitté en son adversité : à quoi
» vous vous rendîtes si soigneux , que
» vous en acquires l'estime d'un chacun .
Tout le monde sçait avec quelle exac-
I. Vol. titude
1110 MERCURE DE FRANCE
titude et quelle constante fidelité ce dernier
commandement de courir toutes les
fortunes de ce grand Prince fut éxécuté.
On en peut voir la preuve dans l'Histoire
, et sur tout dans les Mémoires des
Ecrivains que nous avons citez , lesquels
remarquent particulierement qu'au milieu
de toutes ses assiduitez auprès du
Prince , dans ces premiers tems de trouble
et de confusion , le jeune Rosny s'appliquoit
toujours à cultiver son esprit
par des connoissances solides. Ils parlent
en ces termes de cette circonstance ; en
» quelque condition que vous fussiés
» vous preniés toujours le tems de conti-
» nuer vos Etudes , sur tout de l'Histoi
de laquelle vous faisiés déja des Ex-
>> traits , tant pour les moeurs , que pour
» les choses naturelles ; et des Mathéma
>> re ,
tiques , lesquelles occupations fai-
» soient paroître votre inclination à la
>> vertu .
Dans la suite il se présenta une occasion
qui auroit pû , si Dieu l'avoit permis
, servir à éclairer ce jeune Seigneur
et à le faire rentrer dans la Religion de
ses Ancêtres. Il n'avoit qu'environ vingtdeux
ans , lorsqu'en l'année 1581. il lui
prit envie de faire un petit voyage en
Flandres , principalement pour y visiter
la
矍
1
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M•
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NAHL
FDE
BETHUN
01
SA
SSA
JUIN. 1733 1111
la Comtesse de Mastin sa Tante . Cette
Tante et le Vicomte de Gand son Ayeul
maternel , et son Parrain , l'avoient deshérité
, lui et François de Bethune son-
Pere , à cause de la Religion, Il partit
muni d'un Passe- port du Comte * de
Barlemont , son Parent et se rendit à
la Bassée , où demeuroit cette Dame. Il
en fut accueilli assez froidement , préve
nuë sur son sujet de la maniere que nous
allons le voir,
ར་ ་ .
Le lendemain matin elle mena son Ne
veu dans la grande Eglise de l'Abbaye
qu'elle avoit fondée , pour lui faire voir
les Sépultures de Marbre de ses Ancêtres,
qu'elle y avoit fait construire ; et entre
les autres celles d'Helene de Melun , femme
de Robert d'Artois , d'Hugues de
Melun , son Ayeul , le même qui l'avoit
deshérité , et d'Anne de Melun son Ayeule
, celle enfin qu'elle avoit fait élever
pour elle-même. Elle lui dit alors , ayant
les larmes aux yeux : » hélas ! mon Ne-
» veu , mon ami , que mon Pere votre
» Ayeul , et ma Soeur votre Grand mere,
* Le Comte de Barlemont étoit Président du
Conseil Royal des Finances , Gouverneur de Namur
Chevalier de la Toison d'Or , &c. J'ai
une Médaille de ce Seigneur frapée en 1576. selon
Laquelle il faut lire BERLAYMONT.
>
"
» s'ils
1112 MERCURE DE FRANCE
» s'ils étoient en vie , jetteroient de lar-
>> mes , et ressentiroient de déplaisirs ,
» aussi-bien que moi , de voir en vous
» l'un de leurs Enfans , ne point croire
» en Dieu , ni en sa Messe , et n'adresser
» ses Prieres qu'à l'ennemi d'enfer , qui
» vous renal ennemi des bonnes oeuvres ,
» ainsi que je l'ai entendu dire à nos bons
>> Peres ! & c.
"
•
Le jeune Neveu étrangement surpris ,
s'écria là- dessus : » Vrai Dieu , ma Tan-
» te , que dites - vous ? Jesus ! seroit- il
> bien possible que vous disiés ceci à bon
» escient , et qu'il y ait eu des gens si
pleins d'impostures et de calomnies
» que de vous avoir voulu persuader tel-
» les éxécrations , qui nous rendroient
indignes de vivre sur la terre ? 11 lui fit
ensuite un détail de sa Créance, lui récita
même l'Oraison Dominicale , le Symbole
, &c. Tout cela fait un Dialogue qui
mérite d'être lû dans le 18. Chap. du pre
mier Tome des Mémoires , on en jugera
par la fin , qui est telle. La Dame écou
ta fort attentivement cette récitation
sans rien repondre , tant que le Neveu
ne parla que de Dieu , de Jesus-Christ
et du S. Esprit , mais lorsqu'il dit qui est
né de la Vierge Marie , et ensuite , je crois
Ja Communion des Saints , & c. Elle se mit
JUIN. 1733. 1113
à crier , » hélas ! mon Neveu , mon ami ,
» est- il possible qu'en vos Oraisons vous
» parliés de la bonne Dame , et fassiés
» mention des Saints Bienheureux ? Or
» venez m'embrasser , puisque cela est :
» car je vous aime comme mon bon Ne-
» veu , et me semble en vous voyant , et
" vous oyant parler , que ma pauvre soeur
» est encore en vie : ô que j'ai de déplai-
» sir que mon Neveu votre Parrain et
» moi , vous avons deshérité : vrayement
je veux essayer à rompre tout cela , et
» vous le jure par la Sainte Vierge : les
» effets néanmoins ne suivirent pas les
» paroles , &c.
>>
t
Il faut convenir , Monsieur , qu'une
telle occasion de parler de la nouvelle
Religion , mieux ménagée , auroit pû
produire quelque bon effet sur l'esprit
du jeune Parent , mais ce n'étoit pas le
moyen sans doute de le faire entrer dans
la bonne voye , que d'employer de pareils
argumens , on ne corrige point l'erreur
par
d'autres erreurs .
Quoiqu'il en soit , le Marquis de Rosny
, en quittant la Dame sa Tante prit
le chemin de Bethune , Ville qu'il avoit
toujours souhaité de voir , et où malgré
sa Religion , opposée à la grande Catholicité
de ses Ancêtres , à celle des Fla-
S
I. Vol. mands
1114 MERCURE DE FRANCE
mands en général , et aux circonstances
du tems , il fut parfaitement bien reçû
régalé du vin de Ville , et honoré en plu
sieurs manieres comme descendu de
l'antique Maison des anciens Seigneurs
de Bethune. Il vit tout ce qui étoit à
voir dans cette Ville , et visita principalement
les Eglises où sont les Mausolées
de ces Seigneurs , d'où il revint en droi
ture à Rosny. 7
L'ordre des tems , qui s'accorde avec
celui de vos demandes , me fait passer ,
Monsicur , de la Religion de Maximilien
de Bethune , à laquelle j'aurai occasion
de revenir , à ses grandeurs temporelles
, récompense de son mérite et de
son attachement à la fortune et aux interêts
d'un grand Prince. Vous voulez
sçavoir d'abord quand et comment il fût
pourvû de la Charge de Grand - Maître
de l'Artillerie , et comment il en fût destitué
après la mort de son cher Maître.
Je crois d'abord trouver la premiere
origine de son élévation à cette Charge
dans l'Evénement de la Bataille de Coutras
, donnée le 20 Octobre 1587. entre
l'Armée Royale , ou plutôt de la Ligue ,
commandée par M. de Joyeuse , et celle
du Roi de Navarre , commandée par ce
Prince en personne , accompagné du
I. Vol. Prince
JUI N. 1733 : 1115
·
Prince de Condé , du Comte de Soissons
; et d'un nombre de Seigneurs des
plus qualifiez , qui suivoient sa Religion
et sa fortune . Le Marquis de Rosny
étoit non seulement des premiers
dans ce nombre ; mais le Roy son
Maître lui commit dans cette importante
journée le soin de tout ce qui regardoit
l'Artillerie , quoiqu'il ne fût encore
âgé que de 28 ans .
>>
,
Je n'oublierai pas ici ce que lui dit ce
vaillant Prince , au moment qu'il se sépara
de sa Personne pour aller éxécuter
ses ordres. » Mon ami Rosny ,
» c'est à ce coup qu'il faut faire paroî-
» tre votre esprit et votre diligence , qui
» nous est mille fois plus nécessaire
» qu'elle n'étoit hier , à cause que le
» corps nous presse , et que de l'Artillerie
bien logée , bien munie et bien exploitée
, dépendra en grande partie le
» gain de la bataille , lequelj'attends de
» Dieu , & c. Les Mémoires qui ont conservé
ce trait , marquent aussi de quelle
maniere le Marquis de Rosny éxécuta
les ordres du Roi , ils détaillent particulierement
l'opération de deux Canons et
d'une Coulevrine , placées et employées
» si à propos , qu'elles firent des mer-
» veilles , ne tirant une seule volée
I. Vol. D » qu'ils
1116 MERCURE DE FRANCE
» qu'ils ne fissent des rues dans les Es
» cadrons et Bataillons du Camp ennemi
, qui étoient jonchées de douze
» quinze , vingt , et quelquefois jusqu'à
vingt- cinq corps d'hommes et
» chevaux ; si bien que les ennemis , &c .
Le reste du Narré mene au gain entier
de la Bataille , dû en bonne partie
à cette vigoureuse canonade , ainsi que
le Roi l'avoit prédit.
Les Auteurs en finissant ce Narré
ajoûtent une circonstance qui ne doit
pas être omise , et qui confirme d'ailleurs
ce que je viens de dire au sujet de
l'Artillerie.
39 Si- tôt que vous vîtes les ennemis
» en déroute ( c'est toujours à M、de
» Rosny qu'ils parlent ) et que sans
» doute la Bataille étant gagnée , vous
» n'aviez plus que faire au Canon : Vous
» montâtes sur votre grand Cheval d'Es-
» pagne Bay , lequel M. de Bois- Breuil
>> vous faisoit tenir prêt derriere les Pié-
» ces , pour essayer d'apprendre des
> nouvelles de Mrs vos Freres que vous
cuidiés être avec M. de Joyeuse , er
» sçavoir aussi en quel état le Roy de
» Navarre étoit , lequel vous rencontrâ-
» tes. par- delà la Garenne , l'épée toute
sanglante au poing , poursuivant la
>>
1. Vol.
vicJUIN.
1733. 1117
>
» victoire et si- tôt qu'il vous apper-
» çût , vous cría ; et bien , mon ami
c'est à ce coup que nous ferons per-
»> dre l'opinion que l'on avoit prise
» que les Huguenots ne gagnoient jamais
de Batailles ; car en celle- ci la
» victoire est toute entiere.... et faut
>> confesser qu'à Dieu seul en appar-
" tient la gloire , car ils étoient deux
» fois aussi forts que nous ; et s'il en
» faut attribuer quelque chose aux hom-
» mes , croyez que M. de Clermont
» vous , et Bois du Lys , y devez avoir
» bonne part ; car vos Piéces ont fait
» merveilles aussi vous promets- je que
» je n'oublierai jamais le service que vous
» m'y avez rendu .
C'est ainsi que lui parla ce Prince
incomparable , et on peut dire qu'il
tint magnifiquement sa parole Royale :
car dès qu'il fût Roi de France , ce
qui arriva deux ans après , il eut une
attention particulière sur la fortune
d'un homme qui le servoit si bien , et
qui ne le quitta pas d'un pas , surtout
aux Batailles d'Arques et d'Ivry qui
suivirent , où l'Artillerie fit encore des
merveilles , et où M. de Rosny emporté
par sa valeur , fut percé de coups.
Enfin , le Roi après l'avoir fait suc-
1. Vol. Dij ces
1118 MERCURE DE FRANCE
· ,
>
après
cessivement Grand Voyer de France
Sur Intendant des Finances
avoir érigé la Baronie de Rosny en
Marquisat , lui accorda en l'année 1599.
la Charge de Grand - Maître de l'Artillerie
, sur la démission de M. d'Etrées
avec la qualité d'Officier de la Couronne
, Charge que ce Prince lui ménageoit
depuis long- tems , et dont il y a lieu de
croire que
la journée de Coutras avoit
été comme le gage. Il fut presque en
même- tems pourvû de la Sur- Intendance
des Bâtimens et de celles des Fortifications
, qui furent suivies du Gouverne
ment de la Bastille , de la grande Maîtrise
des Ports et Havres du Royaume
et du Gouvernement de Poictou,
L'Artillerie avoit asşûrément besoin
d'un Grand - Maître aussi entendu et
aussi vigilant , que l'étoit le Marquis
de Rosny. Tout étoit en désordre à cer
égard dans les Provinces , où il fut obligé
de casser près de 500 Officiers , inuti
les ou mal - intentionnez , et l'Arcenal
étoit dénué presque de toutes choses
quand il en prit possession . Le Roi l'y
vint voir quinze jours après. Il reçût ensuite
un pareil honneur de Charles Emanuel
, Duc de Savoye , qui étoit venu
en France pour traiter en pe sonne d'af-
>
faires importantes.
JUIN. 1733 1119
T
Les Mémoires qui font le détail de
cette visite , marquent une circonstance
qui doit avoir icy sa place.
» Comme M. de Savoye fût arrivé à
» l'Arsenac, il vous demanda aussi- tôt où
» étoient toutes vos Armes , Munitions
» et Artilleries; sur quoi vous vous trouvâtes
bien empêché , ayant honte de
» lui faire voir une Maison si pauvre et
» dénuée de toutes ces choses , qu'étoit
» l'Arsenac ; tellement qu'au lieu d'aller
aux Magazins, vous le menates aux At-
» teliers , ausquels vous faisiez ouvrer à
» puissance; et lors voyant quelques qua-
» rante affuts et rouage , ésquels on tra
» vailloit ; vingt Canons , nouvellement
» fondus , et des provisions et préparatifs
pour en fondre encore autant ; il
» vous demanda que c'est que vous vou-
» liez faire de tant d'Artillerie nouvelle-
» ment fonduë ? Vous lui répondites en
» riant : Monsieur , c'est pour prendre
" Mont-Mélian. Lors il vous demanda
y avez vous été ? Non, Monsieur , dit-
» tes-vous ; vraiement je le vois bien , ré-
' pondit- il , car vous ne diriez pas cela ;
>> Mont-Mélian ne se peut prendre. Bien ,
>> bien , Monsieur , dittes - vous , je vous
» en crois , neanmoins ne mettez pas le
» Roy en cette peine ; s'il me l'avoit
I.Vol. Diij >> com1120
MERCURE DE FRANCE
» commandé j'en viendrois bien à bout
>> mais je veux croire qu'il n'en sera point
» besoin, et que le Roy et vous, vous sé-
»parerez bien contens l'un de l'autre, & c. .
M. de Rosny avoit sans doute ses raisons
pour parler ainsi au Duc de Savoye ,
qui n'oublia rien pour le mettre dans ses
interêts. C'est en partie la matiere du 93
chap. dans le second volume des Mémoires
, où l'on voit que si ce Seigneur refusa
, de la part du Prince , une Boëte de
Diamans , et jusqu'à son Portrait , enrichi
de Pierreries , de trop grand prix , il
ne manqua en rien à son égard du côté
des bienséances et de la politesse . Dans le
même jour que se passa ce que je viens
de rapporter ; il eût l'honneur de traiter
splendidement à souper, dans l'Arsenal ,le
Roy , le Duc de Savoye , les Dames et les
Seigneurs les plus qualifiez de la Cour :
mais revenons à l'Artillerie.
Elle changea absolument de face sous
sa conduite , et l'Arsenal cy - devant si
dépourvu, qu'on n'osoit presque le laisser
voir aux Etrangers , devint , pour ainsi
dire , sous le nouveau Grand- Maître , la
terreur des Ennemis de la France , et cela
dans moins d'une année. Le premier
Prince , à qui la vigilance du Marquis de
Rosny devint fatale fut le Duc de Sa-
1. Vol.
voye
JUIN. 1733. 1121
voye même , et ce qui s'étoit dit dans
l'Arsenal entre ce Prince et le Grand
Maître , par maniere d'entretien et de
plaisanterie , au sujet de Mont - Mélian' ,
devint une affaire sérieuse et une verité
dont les circonstances sont marquées
dans l'Histoire.
»
Je n'en rapporterai icy qu'une. Le Duc
de Savoye refufant d'exécuter le Traité
conclu à Paris , le Roy lui déclara la Guerre
, marcha en personne avec deux corps
d'Armée , qui firent des Exploits rapides
dans la Savoye et dans la Bresse; et Montmélian
, Place prétendue imprénable ,
fut prise ; le Marquis de Rosny se signala
en plusieurs manieres dans cette Expedi
tion , et fit plus que le devoir de sa Charge
, en ne s'exposant que trop par tout.
La diligence de Rosny , dit Mezerai ;
» pourvût. si bien aux Munitions et à
» l'Artillerie , les ayant fait charrier par
» les Rivieres,qu'à la fin de Juillet(1600)
» il eût en ce Païs-là 40 Piéces de Canon
>> et de quoi tirer quarante mille coups.
» Aussi n'oublia -t - il rien en cette occa-
»sion pour se montrer digne de la Char-
>> ge de Grand- Maître de l'Artillerie, dont
» le Roy venoit de l'honorer , l'ayant
» même érigée en Charge de la Couron-
» ne. Deux ans auparavant il lui avoit
-
I. Vol.
D iiij » aussi
Î122 MERCURE DE FRANCE
» aussi donné celle de Grand -Voyer, con-
» noissant qu'il étoit Homme d'ordre et
qu'il pourvoiroit soigneusement à la
» réparation et à l'entretenement des
» Chemins, pour la commodité du Char-
» roy , dont en effet il s'acquitta fort
» bien. Entre autres choses , il obligea les
» Particuliers de planter des Ormes de
» distance en distance dans leurs Terres ,
» sur les bords des grands Chemins , pour
» fournir un jour de bois de Charonage
au roulage de l'Artillerie. On appelle
» encore aujourd'hui ces Arbres des
» Rosnys.
>
C'est à cette occasion de la Guerre de
Savoye , que fût frappée une belle Médaille
d'Henri IV. en opposition et pour
répondre à la Médaille satyrique , que les-
Courtisans du Duc de Savoye firent fraper
peu de temps après qu'il se fût emparé
du Marquisat de Saluces , en profitant
des Troubles de la Ligue. Sur celle - cy on
voyoit d'un côté la tête du Prince , avec
cette Légende : CAR . EM. D.G.Dux Sab .
P. PED . Et sur le Revers , un Centaure
qui en décochant une Fléche pose le pied
sur une Couronne renversée ; ce seul mot
OPPORTUNE se lisoit autour ; et dans
l'Exergue M. D. LXXXVIII . Dans la Médaille
du Roy , la face étoit chargée du
>
I.Vol. Buste
JUIN. 1733. 1123
Buste de ce grand Prince , la tête ceinte
de Laurier, et les épaules couvertes d'une
Peau de Lyon , avec cette Inscription :
ALCIDES HIC NOVUS OR BI . Au revers ,
le Roy , armé d'une Massuë , paroît assommer
d'une main le Centaure abbatu ,"
sur lequel est posé l'un des pieds du Vainqueur
, qui de l'autre main releve une
Couronne , avec ce seul mot : OPPORTUNIUS
. Cette Médaille qui n'est chargée.
d'aucune datte , doit avoir été frappée
dans le courant de l'année 1600.ou avant
le Traité de Paix conclu entre les deux
Princes , en l'année 1601.
Le Marquis de Rosny , qui avoit eu tant
de part aux travaux de son Maître dans
cette Guerre , eut aussi part à sa gloire ; car
quelque tems après on lui frappa une Médaille,
où l'on voit d'un côté sonBuste, avec
cette Légende : MAXI. DE BETHUNE , DUC
DE SULLY.G.M.DE L'ART.DE F.Et sur le revers
, une Aigle élevée dans les Airs , la
tête tournée vers le ciel , tenant dans ses
Serres la Foudre de Jupiter , dont ilsemble
attendre les ordres pour la lancer
avec ces mots : Quo JUSSA Jovis . Dans
l'Exergue M. DC. VII. Cette Devise semble
faire allusion à ce que notre Grand
Maître répondit au Duc de Savoye , au
sujet de Mont-Mélian : Si le Roy m'avoit
1.Vol DY
Ccm1124
MERCURE DE FRANCE
commandé de le prendre,j'en viendrois bien- '
tôt à bout , &c. L'Evenement justifia cette
réponse.» Le Gouverneur de cette Place,
» dit Mezeray , triompha d'abord en pa-
» roles , parce qu'il ne croyoit pas.qu'on
put dresser des Batteries pour l'attaquer;
» mais quand Rosny eut trouvé moyen
» d'en planter à cinq ou six endroits (car
que ne peuvent l'argent et le travail ) sa
» fierté s'amollit tout d'un coup ; il per-
» mit que sa femme nouât conversation
avec celle de Rosny , et ses craintes
» s'augmentant d'heure en heure , il ca-
» pitula le 14 Octobre , &c.
»
Maximilien de Bethune .est qualifié
Duc de Sully sur cette Médaille , parce
qu'en l'année précédente 1606. le Roy
avoit érigé la Baronie de Sully en Duché
et Pairie ; sa reception fut des plus magnifiques
, le Roy ayant assisté au Festin ,
qui fut donné à l'Arsenal , &c. Ce Grand-
Prince lui donna aussi la même année , la
Charge de Capitaine - Lieutenant de deux
cent Hommes d'Armes de la Reine.
Comme la Médaille de ce premier Duc
'de Sully , Grand- Maître de l'Artillerie ,
&c. est assez rare , je vous envoïe la gra
vure , que j'en ai fait faire par une ha-
* Anne de Courtenay , Epouse du Marquis de
Rosny , qui l'avoit suivi dans cette Guerre.
I.Vol bile
JUIN. 1733. 1125
bile main , sur l'Original du Cabinet de
M. le Duc de Sully , que ce Seigneur a
bien voulu me communiquer. Cet Original
est des mieux conservez , et si beau
que je le crois de Germain Dupré , cxcellent
Graveur de ce temps-là , dont
nous avons de tres - belles Médailles. Les
deux autres Médailles dont je viens de
vous parler,de Henry le Grand et du Duc
de Savoye , sont dans mon Cabinet .Vous
pourrez les voir quand vous viendrez à
Paris.
Je suis forcé de renvoyer à une autre
Lettre ce qui me reste à vous dire pour
satisfaire pleinement à toutes vos demandes
, et pour ne point allonger celle - ci
lavantage. Je suis toujours , Monsieur ,
& c .
A Paris , le 25 Avril 1733 .
R. écrite à M. A. C. D. S.T.au sujet du
Marquis de Rosny , depuis Duc de Sully
, &c. contenant quelques Remarques
Historiques.
Ous me Monsieur
quelque satisfaction des Eclaircissemens
contenus dans mes deux Lettres
précédentes , sur la premiere Question
que vous m'avez faite , au sujet du
Marquis de Rosny , premier Ministre
du Roi Henri Le Grand. Cela m'engage
de redoubler mes soins pour répondre
avec la même éxactitude et le même succès
aux autres demandes que vous me
faites sur ce sujet.
و
Instruit par P'Histoire de l'ancienneté
et de la Catholicité de la Maison de Bethune
dont le Marquis de Rosny se
trouvoit le Chef , vous êtes surpris que
ce Seigneur n'ait pas persevere dans la
Religion de ses Ancêtres vous me demandez
la cause de ce changement , à
quoi vous ajoutez deux ou trois autres
Questions , dont la Réponse fera tout le
sujet de cette Lettre.:
1. Fol. Cvi Da1102
MERCURE DE FRANCE
D'abord il est bon de vous dire , Monsieur
, que ce n'est pas le Marquis de
Rosny qui fait la premiere cause de cette
variation . Pour en être bien instruit , il
faut remonter jusqu'à Jean de Bethune
IV. du nom son Ayeul , lequel étant
encore assez jeune épousa Anne de Melun
, qui lui apporta en dot la Baronie
de Rosny , &c. Il en eut plusieurs Enfans
, lesquels eurent un double malheur
; le premier de perdre leur Mere
dans leur bas âge , et le second de voir
remarier leur Pere avec une simple Demoiselle
sans biens. Un troisiéme malheur
, suite des premiers , voulut que
Jean de Bethune n'eut ni ordre , ni oeconomie
dans ses affaires , qu'il s'endetta -
beaucoup , et qu'en mourant enfin retiré
au Château de Coucy , après avoir
aliené ses plus beaux Domaines
il ne
laissa presque rien à ses Enfans : de sorte
que François de Bethune son fils aîné ,
dépouillé de tous les grands biens de ses
Ancêtres , et ne jouissant que de ceux
d'Anne de Melun sa Mere , est comparé
par un Historien au Prince * Jean , surnommé
sans Terre , qui étant fils de Roi ,
se trouva presque sans aucune possession
, & c.
D
* Jean , fils de Henri II . Roi d'Angleterre .
1. Vol.
Ce
JUIN. 1733- 1103
Ce fils aîné épousa en 1557. Charlotte
Dauvet , qui lui donna sept Enfans. Il
s'attacha de bonne heure à Louis de Bourbon
, Prince de Condé , qui étoit alors
le Chef des Huguenots , et fit Profession
de la nouvelle Religion , à l'imitation de
plusieurs Grands Seigneurs , séduits par
les opinions des Novateurs , ou par des
motifs humains. En courant toutes les
fortunes du Prince il se trouva à la Bataille
de Jarnac , où il fut fait Prisonnier ;
j'omets le reste de son histoire pour marquer
seulement qu'en mourant en l'année
1577. il laissa pour Chef de sa Maison
Maximilien de Bethune, son Fils puisné ,
dont il s'agit particulierement ici .
Ce Seigneur suivit les traces de Fran
çois de Bethune son Pere , tant pour la
Religion dans laquelle il étoit né , que
du côté de la Fortune; il pourroit fournir
seul la matière d'une longue Histoire ,
que j'avois eu autrefois dessein d'entreprendre
ce Pere homme vertueux
de bon esprit , et brûlant du
loüable désir de relever sa Maison , avoit
jetté les yeux sur notre Maximilien , le
second des quatre fils qu'il eut de Charlotte
Dauvet.
,
د
Il avoit remarqué en lui non - seulement
une grande vigueur de corps et
I. Vol. d'es
1104 MERCURE DE FRANCE
d'esprit , mais encore une grande inclination
à la vertu , et une forte aversion
pour le vice , ce qui lui ayant fait concevoir
une grande espérance , il le fit appeller
un jour , disent les Mémoires qui
portent son nom , dans sa Chambre de
la Haute Tour , et en la seule présence
de la Durandiere , son Précepteur, il lui
tint un discours que sa briéveté et l'importance
du sujet m'engagent de rappor
ter ici.
» Maximilian , puisque la Coûtume
ne me permet pas de vous faire le prin-
» cipal Héritier de mes biens , je veux en
» récompense essayer de vous enrichir
» de vertus , et par le moyen d'icelles
» comme on me l'a prédit , j'espere que
» vous serez un jour quelque chose . Pré-
» parez- vous donc à supporter avec cou-
» rage , toutes les traverses et difficultez
» que vous rencontrerez dans le monde ,
» ct en les surmontant genereusement ,
acquerez- vous l'estime des gens d'hon-
» neur , et particulierement celle du
» Maître à qui je veux vous donner ; au
Service duquel je vous commande de
» vivre et mourir. Et quand je serai sur
mon partement pour aller à Vendôme
>> trouver la Reine de Navarre , et Mon-
» sieur le Prince son fils , auquel je veux
»
1. Vol. » Yous
JUIN. 1733- 1109
» vous donner , disposez-vous à venir
» avec moi , et vous préparer par une
Harangue à lui offrir votre service
» lors que je lui présenterai votre -Per-
» sonne .
la
Ce Discours pathétique et sensé , écou
té avec attention par un fils né pour
vertu , eut dans les suites tout le succès
que l'affection et la prévoyance d'un sage
Pere pouvoient esperer. Le Pere et le
Fils se rendirent bien-tôt auprès de la
Reine de Navarre , et le jeune Rosny
fut présenté au Prince son Fils , qui étoit
aussi fort jeune.
»
*
» Cela se fit , disent les Auteurs des
» Mémoires , en présence de la Reine sa
mere , avec des protestations que
» vous lui seriez à jamais très - fidele er
n très- obéïssant serviteur : ee que vous.
» lui jurâtes aussi , en si beaux termes
» avec tant de grace et d'assûrance
>> et un ton de voix si agréable , qu'il
conçût dès lors de bonnes espérances de
» vous. Et vous ayant relevé ( car vous
>> étiez à genoux , ) il vous embrassa deux
» fois , et vous dit : qu'il admiroit votre
gentillesse , vû votre âge , qui n'étoit
"
ת
La parole est ici adressée au Marquis de
Rosny , comme dans tout le corps de l'Ouvrage.
I. Vol.
» que
1106 MERCURE DE FRANCE
>>
que de onze années , et que lui aviés
» présenté votre service avec une si gran-
» de facilité , et étiés de si bonne race
» qu'il ne doutoit point qu'un jour vous
» n'en fissiés paroître les effets en vrai
» Gentilhomme . Et aussi vous promit il
» en foi de Prince , qu'en vous recevant
» de fort bon coeur , il vous aimeroit tou-
» jours , et qu'il ne se présenteroit jamais
» occasion de vous faire acquerir du bien
>> et de l'honneur , qu'il ne s'y employât
» de tout son coeur. Tous lesquels dis-
» cours , qui n'étoient lors que par com-
» plimens , ont eu depuis des Evénemens.
» plus avantageux que vous n'aviez ´es-
» péré.
Ces Evénemens que les mêmes Auteurs
ont rapporté fort au long , furent précédez
et mêlez de bien des traversés. La
Religion surtout , dont ce jeune Seigneur
faisoit profession , et qui fait le
principal article de vos demandes , pensa
lui coûter cher , dans la fatale journée
qui vit couler tant de sang François , au
milieu d'une profonde paix. Sa conservation
a quelque chose de singulier et de
merveilleux : elle merite bien que j'en
place ici le petit détail , tiré des mêmes
Mémoires .
» Voici ce que nous vous en avons
1. Vol. » oui
JUIN. 1733. 1107
noui conter : à sçavoir que vous ayant
» fait dessein d'aller faire votre Cour ce
» jour là , vous vous étiés couché la veille
de bonne heure , et que sur les trois
>> heures du matin , vous vous réveillâ-
» tes au bruit de plusieurs cris de peu-
» ples , et des allarmes que l'on sonnoit
» dans tous les Clochers. Le sieur de
» S. Julien , votre Gouverneur , et votre
» Valet de Chambre , ( qui s'étoient aussi
» éveillés au bruit , ) étant sortis de vo-
» tre logis , pour apprendre ce que c'é-
» toit , n'y rentrerent point ; et n'avez-
» vous jamais sçû ce qu'ils étoient deve-
» nus. De sorte qu'étant réduit vous
>> seul dans votre chambre et votre
» Hôte qui étoit de la Religion , vous
» pressant d'aller avec lui à la Messe , afin
» de garantir sa vie et sa maison de sac-
» cagement , vous vous résolûtes d'es-
» sayer à vous sauver dans le College de
Bourgogne.
"3
,
>> Pour ce faire,yous prîtes votre Robbe
>> d'Ecolier , un Livre sous votre bras , et
» vous vous mîtes en chemin . Par les
» ruës vous rencontrâtes trois Corps de
» Garde , l'un à celle de S. Jacques , un
>> autre à celle de la Harpe , et l'autre à
» l'issue du Cloître de S. Benoît. Au pre
» mier ayant été arrêté et rudoyé par
1. Vol. >> ceux
108 MERCURE DE FRANCE
» ceux de la Garde , un d'entr'eux pre
> nant votre Livre , et voyant que , de
» bonheur pour vous , c'étoit de grosses'
» Heures , vous fit passer , ce qui vous
» servit de passeport aux autres. En al-
>> lant vous vîtes enfoncer et piller des
» maisons , massacrer hommes , femmes .
» et enfans , avec les cris de tuë , tuë , ô
»Huguenot , ô Huguenot , ce qui vous
» faisoit souhaiter avec impatience d'être
» arrivé à la porte du College , où enfin
>> Dieu vous accompagna , sans qu'il vous
>> fût arrivé autre mal que la peur.
»
» A l'abord , le Portier vous refusa deux
» fois l'entrée de la porte mais enfin
» moyennant quatre Testons que vous
» lui donnâtes , il alla dire au Principal ,
» nommé la Faye , que vous étiés à la
» porte , et ce que vous demandiez , lequel
aussi- tôt meu de compassion
» étant votre particulier ami , vous vint
» faire entrer , empêché toutefois de ce
» qu'il feroit de vous , à cause de deux
» Ecclésiastiques qui étoient dans sa
» chambre , et qui disoient y avoir des-
» sein formé de tuer tous les Huguenots ,
» jusqu'aux enfans à la mammelle , et ce
à l'exemple des Vêpres Siciliennes .
» Néanmoins , par pitié , ce bon Personnage
vous mit dans une chambre fort
"
I. Vol. ≫ seJUIN.
1733.
1109
» secrette , dans laquelle personne n'en-
» trât que son Valet , qui vous y por-
» toit des vivres , et vous y servît trois
» jours durant , au bout desquels il se
» fit une publication de par le Roi , por-
" tant deffenses de plus tuer ni saccager
>> personne.
» Alors deux Archers de la Garde, Vas-
» saux de M. votre Pere , l'un nommé
» Ferrieres , et l'autre la Vieville , vin-
» rent avec leurs Hocquetons , et Halle-
» bardes à ce College , pour s'enquerir de
» vos nouvelles , et les mander à M. vo-
» tre Pere , qui étoit fort en peine de
» vous , duquel vous reçûtes une Lettre
» trois jours après , par laquelle il vous
mandoit de demeurer à Paris , et d'y
» continuer vos Etudes comme auparavant.
Et pour ce faire il jugeoit bien
qu'il vous faudroit aller à la Messe , à
» quoi il vous falloit résoudre , aussi-
» bien avoit fait votre Maître et beau-
>> coup d'autres : et que sur tout il vou-
» loit que vous courussiez toutes les for-
» tunes de ce Prince jusqu'à la mort
» afin que l'on ne vous pût reprocher de
l'avoir quitté en son adversité : à quoi
» vous vous rendîtes si soigneux , que
» vous en acquires l'estime d'un chacun .
Tout le monde sçait avec quelle exac-
I. Vol. titude
1110 MERCURE DE FRANCE
titude et quelle constante fidelité ce dernier
commandement de courir toutes les
fortunes de ce grand Prince fut éxécuté.
On en peut voir la preuve dans l'Histoire
, et sur tout dans les Mémoires des
Ecrivains que nous avons citez , lesquels
remarquent particulierement qu'au milieu
de toutes ses assiduitez auprès du
Prince , dans ces premiers tems de trouble
et de confusion , le jeune Rosny s'appliquoit
toujours à cultiver son esprit
par des connoissances solides. Ils parlent
en ces termes de cette circonstance ; en
» quelque condition que vous fussiés
» vous preniés toujours le tems de conti-
» nuer vos Etudes , sur tout de l'Histoi
de laquelle vous faisiés déja des Ex-
>> traits , tant pour les moeurs , que pour
» les choses naturelles ; et des Mathéma
>> re ,
tiques , lesquelles occupations fai-
» soient paroître votre inclination à la
>> vertu .
Dans la suite il se présenta une occasion
qui auroit pû , si Dieu l'avoit permis
, servir à éclairer ce jeune Seigneur
et à le faire rentrer dans la Religion de
ses Ancêtres. Il n'avoit qu'environ vingtdeux
ans , lorsqu'en l'année 1581. il lui
prit envie de faire un petit voyage en
Flandres , principalement pour y visiter
la
矍
1
•
M•
DEL
SVLLY
HO
DVC
•DE
NAHL
FDE
BETHUN
01
SA
SSA
JUIN. 1733 1111
la Comtesse de Mastin sa Tante . Cette
Tante et le Vicomte de Gand son Ayeul
maternel , et son Parrain , l'avoient deshérité
, lui et François de Bethune son-
Pere , à cause de la Religion, Il partit
muni d'un Passe- port du Comte * de
Barlemont , son Parent et se rendit à
la Bassée , où demeuroit cette Dame. Il
en fut accueilli assez froidement , préve
nuë sur son sujet de la maniere que nous
allons le voir,
ར་ ་ .
Le lendemain matin elle mena son Ne
veu dans la grande Eglise de l'Abbaye
qu'elle avoit fondée , pour lui faire voir
les Sépultures de Marbre de ses Ancêtres,
qu'elle y avoit fait construire ; et entre
les autres celles d'Helene de Melun , femme
de Robert d'Artois , d'Hugues de
Melun , son Ayeul , le même qui l'avoit
deshérité , et d'Anne de Melun son Ayeule
, celle enfin qu'elle avoit fait élever
pour elle-même. Elle lui dit alors , ayant
les larmes aux yeux : » hélas ! mon Ne-
» veu , mon ami , que mon Pere votre
» Ayeul , et ma Soeur votre Grand mere,
* Le Comte de Barlemont étoit Président du
Conseil Royal des Finances , Gouverneur de Namur
Chevalier de la Toison d'Or , &c. J'ai
une Médaille de ce Seigneur frapée en 1576. selon
Laquelle il faut lire BERLAYMONT.
>
"
» s'ils
1112 MERCURE DE FRANCE
» s'ils étoient en vie , jetteroient de lar-
>> mes , et ressentiroient de déplaisirs ,
» aussi-bien que moi , de voir en vous
» l'un de leurs Enfans , ne point croire
» en Dieu , ni en sa Messe , et n'adresser
» ses Prieres qu'à l'ennemi d'enfer , qui
» vous renal ennemi des bonnes oeuvres ,
» ainsi que je l'ai entendu dire à nos bons
>> Peres ! & c.
"
•
Le jeune Neveu étrangement surpris ,
s'écria là- dessus : » Vrai Dieu , ma Tan-
» te , que dites - vous ? Jesus ! seroit- il
> bien possible que vous disiés ceci à bon
» escient , et qu'il y ait eu des gens si
pleins d'impostures et de calomnies
» que de vous avoir voulu persuader tel-
» les éxécrations , qui nous rendroient
indignes de vivre sur la terre ? 11 lui fit
ensuite un détail de sa Créance, lui récita
même l'Oraison Dominicale , le Symbole
, &c. Tout cela fait un Dialogue qui
mérite d'être lû dans le 18. Chap. du pre
mier Tome des Mémoires , on en jugera
par la fin , qui est telle. La Dame écou
ta fort attentivement cette récitation
sans rien repondre , tant que le Neveu
ne parla que de Dieu , de Jesus-Christ
et du S. Esprit , mais lorsqu'il dit qui est
né de la Vierge Marie , et ensuite , je crois
Ja Communion des Saints , & c. Elle se mit
JUIN. 1733. 1113
à crier , » hélas ! mon Neveu , mon ami ,
» est- il possible qu'en vos Oraisons vous
» parliés de la bonne Dame , et fassiés
» mention des Saints Bienheureux ? Or
» venez m'embrasser , puisque cela est :
» car je vous aime comme mon bon Ne-
» veu , et me semble en vous voyant , et
" vous oyant parler , que ma pauvre soeur
» est encore en vie : ô que j'ai de déplai-
» sir que mon Neveu votre Parrain et
» moi , vous avons deshérité : vrayement
je veux essayer à rompre tout cela , et
» vous le jure par la Sainte Vierge : les
» effets néanmoins ne suivirent pas les
» paroles , &c.
>>
t
Il faut convenir , Monsieur , qu'une
telle occasion de parler de la nouvelle
Religion , mieux ménagée , auroit pû
produire quelque bon effet sur l'esprit
du jeune Parent , mais ce n'étoit pas le
moyen sans doute de le faire entrer dans
la bonne voye , que d'employer de pareils
argumens , on ne corrige point l'erreur
par
d'autres erreurs .
Quoiqu'il en soit , le Marquis de Rosny
, en quittant la Dame sa Tante prit
le chemin de Bethune , Ville qu'il avoit
toujours souhaité de voir , et où malgré
sa Religion , opposée à la grande Catholicité
de ses Ancêtres , à celle des Fla-
S
I. Vol. mands
1114 MERCURE DE FRANCE
mands en général , et aux circonstances
du tems , il fut parfaitement bien reçû
régalé du vin de Ville , et honoré en plu
sieurs manieres comme descendu de
l'antique Maison des anciens Seigneurs
de Bethune. Il vit tout ce qui étoit à
voir dans cette Ville , et visita principalement
les Eglises où sont les Mausolées
de ces Seigneurs , d'où il revint en droi
ture à Rosny. 7
L'ordre des tems , qui s'accorde avec
celui de vos demandes , me fait passer ,
Monsicur , de la Religion de Maximilien
de Bethune , à laquelle j'aurai occasion
de revenir , à ses grandeurs temporelles
, récompense de son mérite et de
son attachement à la fortune et aux interêts
d'un grand Prince. Vous voulez
sçavoir d'abord quand et comment il fût
pourvû de la Charge de Grand - Maître
de l'Artillerie , et comment il en fût destitué
après la mort de son cher Maître.
Je crois d'abord trouver la premiere
origine de son élévation à cette Charge
dans l'Evénement de la Bataille de Coutras
, donnée le 20 Octobre 1587. entre
l'Armée Royale , ou plutôt de la Ligue ,
commandée par M. de Joyeuse , et celle
du Roi de Navarre , commandée par ce
Prince en personne , accompagné du
I. Vol. Prince
JUI N. 1733 : 1115
·
Prince de Condé , du Comte de Soissons
; et d'un nombre de Seigneurs des
plus qualifiez , qui suivoient sa Religion
et sa fortune . Le Marquis de Rosny
étoit non seulement des premiers
dans ce nombre ; mais le Roy son
Maître lui commit dans cette importante
journée le soin de tout ce qui regardoit
l'Artillerie , quoiqu'il ne fût encore
âgé que de 28 ans .
>>
,
Je n'oublierai pas ici ce que lui dit ce
vaillant Prince , au moment qu'il se sépara
de sa Personne pour aller éxécuter
ses ordres. » Mon ami Rosny ,
» c'est à ce coup qu'il faut faire paroî-
» tre votre esprit et votre diligence , qui
» nous est mille fois plus nécessaire
» qu'elle n'étoit hier , à cause que le
» corps nous presse , et que de l'Artillerie
bien logée , bien munie et bien exploitée
, dépendra en grande partie le
» gain de la bataille , lequelj'attends de
» Dieu , & c. Les Mémoires qui ont conservé
ce trait , marquent aussi de quelle
maniere le Marquis de Rosny éxécuta
les ordres du Roi , ils détaillent particulierement
l'opération de deux Canons et
d'une Coulevrine , placées et employées
» si à propos , qu'elles firent des mer-
» veilles , ne tirant une seule volée
I. Vol. D » qu'ils
1116 MERCURE DE FRANCE
» qu'ils ne fissent des rues dans les Es
» cadrons et Bataillons du Camp ennemi
, qui étoient jonchées de douze
» quinze , vingt , et quelquefois jusqu'à
vingt- cinq corps d'hommes et
» chevaux ; si bien que les ennemis , &c .
Le reste du Narré mene au gain entier
de la Bataille , dû en bonne partie
à cette vigoureuse canonade , ainsi que
le Roi l'avoit prédit.
Les Auteurs en finissant ce Narré
ajoûtent une circonstance qui ne doit
pas être omise , et qui confirme d'ailleurs
ce que je viens de dire au sujet de
l'Artillerie.
39 Si- tôt que vous vîtes les ennemis
» en déroute ( c'est toujours à M、de
» Rosny qu'ils parlent ) et que sans
» doute la Bataille étant gagnée , vous
» n'aviez plus que faire au Canon : Vous
» montâtes sur votre grand Cheval d'Es-
» pagne Bay , lequel M. de Bois- Breuil
>> vous faisoit tenir prêt derriere les Pié-
» ces , pour essayer d'apprendre des
> nouvelles de Mrs vos Freres que vous
cuidiés être avec M. de Joyeuse , er
» sçavoir aussi en quel état le Roy de
» Navarre étoit , lequel vous rencontrâ-
» tes. par- delà la Garenne , l'épée toute
sanglante au poing , poursuivant la
>>
1. Vol.
vicJUIN.
1733. 1117
>
» victoire et si- tôt qu'il vous apper-
» çût , vous cría ; et bien , mon ami
c'est à ce coup que nous ferons per-
»> dre l'opinion que l'on avoit prise
» que les Huguenots ne gagnoient jamais
de Batailles ; car en celle- ci la
» victoire est toute entiere.... et faut
>> confesser qu'à Dieu seul en appar-
" tient la gloire , car ils étoient deux
» fois aussi forts que nous ; et s'il en
» faut attribuer quelque chose aux hom-
» mes , croyez que M. de Clermont
» vous , et Bois du Lys , y devez avoir
» bonne part ; car vos Piéces ont fait
» merveilles aussi vous promets- je que
» je n'oublierai jamais le service que vous
» m'y avez rendu .
C'est ainsi que lui parla ce Prince
incomparable , et on peut dire qu'il
tint magnifiquement sa parole Royale :
car dès qu'il fût Roi de France , ce
qui arriva deux ans après , il eut une
attention particulière sur la fortune
d'un homme qui le servoit si bien , et
qui ne le quitta pas d'un pas , surtout
aux Batailles d'Arques et d'Ivry qui
suivirent , où l'Artillerie fit encore des
merveilles , et où M. de Rosny emporté
par sa valeur , fut percé de coups.
Enfin , le Roi après l'avoir fait suc-
1. Vol. Dij ces
1118 MERCURE DE FRANCE
· ,
>
après
cessivement Grand Voyer de France
Sur Intendant des Finances
avoir érigé la Baronie de Rosny en
Marquisat , lui accorda en l'année 1599.
la Charge de Grand - Maître de l'Artillerie
, sur la démission de M. d'Etrées
avec la qualité d'Officier de la Couronne
, Charge que ce Prince lui ménageoit
depuis long- tems , et dont il y a lieu de
croire que
la journée de Coutras avoit
été comme le gage. Il fut presque en
même- tems pourvû de la Sur- Intendance
des Bâtimens et de celles des Fortifications
, qui furent suivies du Gouverne
ment de la Bastille , de la grande Maîtrise
des Ports et Havres du Royaume
et du Gouvernement de Poictou,
L'Artillerie avoit asşûrément besoin
d'un Grand - Maître aussi entendu et
aussi vigilant , que l'étoit le Marquis
de Rosny. Tout étoit en désordre à cer
égard dans les Provinces , où il fut obligé
de casser près de 500 Officiers , inuti
les ou mal - intentionnez , et l'Arcenal
étoit dénué presque de toutes choses
quand il en prit possession . Le Roi l'y
vint voir quinze jours après. Il reçût ensuite
un pareil honneur de Charles Emanuel
, Duc de Savoye , qui étoit venu
en France pour traiter en pe sonne d'af-
>
faires importantes.
JUIN. 1733 1119
T
Les Mémoires qui font le détail de
cette visite , marquent une circonstance
qui doit avoir icy sa place.
» Comme M. de Savoye fût arrivé à
» l'Arsenac, il vous demanda aussi- tôt où
» étoient toutes vos Armes , Munitions
» et Artilleries; sur quoi vous vous trouvâtes
bien empêché , ayant honte de
» lui faire voir une Maison si pauvre et
» dénuée de toutes ces choses , qu'étoit
» l'Arsenac ; tellement qu'au lieu d'aller
aux Magazins, vous le menates aux At-
» teliers , ausquels vous faisiez ouvrer à
» puissance; et lors voyant quelques qua-
» rante affuts et rouage , ésquels on tra
» vailloit ; vingt Canons , nouvellement
» fondus , et des provisions et préparatifs
pour en fondre encore autant ; il
» vous demanda que c'est que vous vou-
» liez faire de tant d'Artillerie nouvelle-
» ment fonduë ? Vous lui répondites en
» riant : Monsieur , c'est pour prendre
" Mont-Mélian. Lors il vous demanda
y avez vous été ? Non, Monsieur , dit-
» tes-vous ; vraiement je le vois bien , ré-
' pondit- il , car vous ne diriez pas cela ;
>> Mont-Mélian ne se peut prendre. Bien ,
>> bien , Monsieur , dittes - vous , je vous
» en crois , neanmoins ne mettez pas le
» Roy en cette peine ; s'il me l'avoit
I.Vol. Diij >> com1120
MERCURE DE FRANCE
» commandé j'en viendrois bien à bout
>> mais je veux croire qu'il n'en sera point
» besoin, et que le Roy et vous, vous sé-
»parerez bien contens l'un de l'autre, & c. .
M. de Rosny avoit sans doute ses raisons
pour parler ainsi au Duc de Savoye ,
qui n'oublia rien pour le mettre dans ses
interêts. C'est en partie la matiere du 93
chap. dans le second volume des Mémoires
, où l'on voit que si ce Seigneur refusa
, de la part du Prince , une Boëte de
Diamans , et jusqu'à son Portrait , enrichi
de Pierreries , de trop grand prix , il
ne manqua en rien à son égard du côté
des bienséances et de la politesse . Dans le
même jour que se passa ce que je viens
de rapporter ; il eût l'honneur de traiter
splendidement à souper, dans l'Arsenal ,le
Roy , le Duc de Savoye , les Dames et les
Seigneurs les plus qualifiez de la Cour :
mais revenons à l'Artillerie.
Elle changea absolument de face sous
sa conduite , et l'Arsenal cy - devant si
dépourvu, qu'on n'osoit presque le laisser
voir aux Etrangers , devint , pour ainsi
dire , sous le nouveau Grand- Maître , la
terreur des Ennemis de la France , et cela
dans moins d'une année. Le premier
Prince , à qui la vigilance du Marquis de
Rosny devint fatale fut le Duc de Sa-
1. Vol.
voye
JUIN. 1733. 1121
voye même , et ce qui s'étoit dit dans
l'Arsenal entre ce Prince et le Grand
Maître , par maniere d'entretien et de
plaisanterie , au sujet de Mont - Mélian' ,
devint une affaire sérieuse et une verité
dont les circonstances sont marquées
dans l'Histoire.
»
Je n'en rapporterai icy qu'une. Le Duc
de Savoye refufant d'exécuter le Traité
conclu à Paris , le Roy lui déclara la Guerre
, marcha en personne avec deux corps
d'Armée , qui firent des Exploits rapides
dans la Savoye et dans la Bresse; et Montmélian
, Place prétendue imprénable ,
fut prise ; le Marquis de Rosny se signala
en plusieurs manieres dans cette Expedi
tion , et fit plus que le devoir de sa Charge
, en ne s'exposant que trop par tout.
La diligence de Rosny , dit Mezerai ;
» pourvût. si bien aux Munitions et à
» l'Artillerie , les ayant fait charrier par
» les Rivieres,qu'à la fin de Juillet(1600)
» il eût en ce Païs-là 40 Piéces de Canon
>> et de quoi tirer quarante mille coups.
» Aussi n'oublia -t - il rien en cette occa-
»sion pour se montrer digne de la Char-
>> ge de Grand- Maître de l'Artillerie, dont
» le Roy venoit de l'honorer , l'ayant
» même érigée en Charge de la Couron-
» ne. Deux ans auparavant il lui avoit
-
I. Vol.
D iiij » aussi
Î122 MERCURE DE FRANCE
» aussi donné celle de Grand -Voyer, con-
» noissant qu'il étoit Homme d'ordre et
qu'il pourvoiroit soigneusement à la
» réparation et à l'entretenement des
» Chemins, pour la commodité du Char-
» roy , dont en effet il s'acquitta fort
» bien. Entre autres choses , il obligea les
» Particuliers de planter des Ormes de
» distance en distance dans leurs Terres ,
» sur les bords des grands Chemins , pour
» fournir un jour de bois de Charonage
au roulage de l'Artillerie. On appelle
» encore aujourd'hui ces Arbres des
» Rosnys.
>
C'est à cette occasion de la Guerre de
Savoye , que fût frappée une belle Médaille
d'Henri IV. en opposition et pour
répondre à la Médaille satyrique , que les-
Courtisans du Duc de Savoye firent fraper
peu de temps après qu'il se fût emparé
du Marquisat de Saluces , en profitant
des Troubles de la Ligue. Sur celle - cy on
voyoit d'un côté la tête du Prince , avec
cette Légende : CAR . EM. D.G.Dux Sab .
P. PED . Et sur le Revers , un Centaure
qui en décochant une Fléche pose le pied
sur une Couronne renversée ; ce seul mot
OPPORTUNE se lisoit autour ; et dans
l'Exergue M. D. LXXXVIII . Dans la Médaille
du Roy , la face étoit chargée du
>
I.Vol. Buste
JUIN. 1733. 1123
Buste de ce grand Prince , la tête ceinte
de Laurier, et les épaules couvertes d'une
Peau de Lyon , avec cette Inscription :
ALCIDES HIC NOVUS OR BI . Au revers ,
le Roy , armé d'une Massuë , paroît assommer
d'une main le Centaure abbatu ,"
sur lequel est posé l'un des pieds du Vainqueur
, qui de l'autre main releve une
Couronne , avec ce seul mot : OPPORTUNIUS
. Cette Médaille qui n'est chargée.
d'aucune datte , doit avoir été frappée
dans le courant de l'année 1600.ou avant
le Traité de Paix conclu entre les deux
Princes , en l'année 1601.
Le Marquis de Rosny , qui avoit eu tant
de part aux travaux de son Maître dans
cette Guerre , eut aussi part à sa gloire ; car
quelque tems après on lui frappa une Médaille,
où l'on voit d'un côté sonBuste, avec
cette Légende : MAXI. DE BETHUNE , DUC
DE SULLY.G.M.DE L'ART.DE F.Et sur le revers
, une Aigle élevée dans les Airs , la
tête tournée vers le ciel , tenant dans ses
Serres la Foudre de Jupiter , dont ilsemble
attendre les ordres pour la lancer
avec ces mots : Quo JUSSA Jovis . Dans
l'Exergue M. DC. VII. Cette Devise semble
faire allusion à ce que notre Grand
Maître répondit au Duc de Savoye , au
sujet de Mont-Mélian : Si le Roy m'avoit
1.Vol DY
Ccm1124
MERCURE DE FRANCE
commandé de le prendre,j'en viendrois bien- '
tôt à bout , &c. L'Evenement justifia cette
réponse.» Le Gouverneur de cette Place,
» dit Mezeray , triompha d'abord en pa-
» roles , parce qu'il ne croyoit pas.qu'on
put dresser des Batteries pour l'attaquer;
» mais quand Rosny eut trouvé moyen
» d'en planter à cinq ou six endroits (car
que ne peuvent l'argent et le travail ) sa
» fierté s'amollit tout d'un coup ; il per-
» mit que sa femme nouât conversation
avec celle de Rosny , et ses craintes
» s'augmentant d'heure en heure , il ca-
» pitula le 14 Octobre , &c.
»
Maximilien de Bethune .est qualifié
Duc de Sully sur cette Médaille , parce
qu'en l'année précédente 1606. le Roy
avoit érigé la Baronie de Sully en Duché
et Pairie ; sa reception fut des plus magnifiques
, le Roy ayant assisté au Festin ,
qui fut donné à l'Arsenal , &c. Ce Grand-
Prince lui donna aussi la même année , la
Charge de Capitaine - Lieutenant de deux
cent Hommes d'Armes de la Reine.
Comme la Médaille de ce premier Duc
'de Sully , Grand- Maître de l'Artillerie ,
&c. est assez rare , je vous envoïe la gra
vure , que j'en ai fait faire par une ha-
* Anne de Courtenay , Epouse du Marquis de
Rosny , qui l'avoit suivi dans cette Guerre.
I.Vol bile
JUIN. 1733. 1125
bile main , sur l'Original du Cabinet de
M. le Duc de Sully , que ce Seigneur a
bien voulu me communiquer. Cet Original
est des mieux conservez , et si beau
que je le crois de Germain Dupré , cxcellent
Graveur de ce temps-là , dont
nous avons de tres - belles Médailles. Les
deux autres Médailles dont je viens de
vous parler,de Henry le Grand et du Duc
de Savoye , sont dans mon Cabinet .Vous
pourrez les voir quand vous viendrez à
Paris.
Je suis forcé de renvoyer à une autre
Lettre ce qui me reste à vous dire pour
satisfaire pleinement à toutes vos demandes
, et pour ne point allonger celle - ci
lavantage. Je suis toujours , Monsieur ,
& c .
A Paris , le 25 Avril 1733 .
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Résumé : TROISIÈME LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. A. C. D. S. T. au sujet du Marquis de Rosny, depuis Duc de Sully, &c. contenant quelques Remarques Historiques.
La troisième lettre de M. D. L. à M. A. C. D. S. T. traite de la vie et de la conversion religieuse du Marquis de Rosny, devenu Duc de Sully. L'auteur répond à des questions sur les raisons de cette conversion et sur l'histoire de la famille Bethune. Jean de Bethune IV, ancêtre de Rosny, avait épousé Anne de Melun, apportant ainsi la Baronie de Rosny en dot. Après la mort de sa première épouse, il se remaria et dilapida ses biens, laissant ses enfants dans une situation précaire. François de Bethune, fils aîné de Jean, épousa Charlotte Dauvet et eut sept enfants. Il s'attacha au Prince de Condé et adopta la religion protestante. Son fils Maximilien, futur Marquis de Rosny, suivit ses traces. François, conscient des qualités de Maximilien, le prépara à servir le Prince de Condé, futur Henri IV. Maximilien fut présenté au Prince et jura fidélité, débutant ainsi une carrière marquée par la fidélité et l'excellence. Lors du massacre de la Saint-Barthélemy, Maximilien échappa à la mort en se déguisant et en se réfugiant au Collège de Bourgogne. Il continua ses études et servit fidèlement Henri IV, cultivant son esprit par des connaissances solides en histoire et en mathématiques. En 1581, il visita sa tante en Flandres, mais celle-ci, en raison de sa religion, l'accueillit froidement. Malgré les tentatives de retour à la foi catholique, Maximilien resta protestant et continua à servir Henri IV avec dévouement. La carrière militaire de Rosny fut marquée par des événements cruciaux, notamment la bataille de Coutras en 1587, où il dirigea l'artillerie pour le Roi de Navarre. Cette victoire fut en grande partie due à l'efficacité de l'artillerie dirigée par Rosny. Après la bataille, le Roi de Navarre exprima sa gratitude et reconnut l'importance de Rosny dans la victoire. Rosny reçut plusieurs charges et honneurs, notamment celle de Grand Maître de l'Artillerie en 1599, après avoir été successivement Grand Voyer de France et Surintendant des Finances. Il réorganisa l'artillerie, cassa des officiers inutiles ou mal intentionnés, et modernisa l'arsenal. Sa gestion fut si efficace que l'arsenal devint une terreur pour les ennemis de la France. Lors de la guerre contre le Duc de Savoie, Rosny joua un rôle clé en assurant les munitions et l'artillerie, contribuant à la prise de Montmélian. Sa diligence et son organisation furent saluées par Mezeray. Rosny avait également été chargé de la réparation et de l'entretien des chemins, obligeant les particuliers à planter des ormes pour le charroi de l'artillerie. Ces arbres sont encore appelés 'les Rosnys' de nos jours. Maximilien de Bethune fut élevé au rang de Duc de Sully en 1606, et reçut la charge de Capitaine-Lieutenant de deux cents hommes d'armes de la Reine la même année.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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