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1
p. 84-92
Avanture de l'épée. [titre d'après la table]
Début :
Au reste, Madame, avant que de reprendre les matieres de [...]
Mots clefs :
Jaloux, Veuve, Évanouissement, Épée, Sang
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texteReconnaissance textuelle : Avanture de l'épée. [titre d'après la table]
Au reſte , Madame , avant
que de reprendre les matieres de la Guerre , vous Içaurez
qu'on vous a dit vray ,
vous diſant que le ieune Marquis , dont vous me deman -
dez des nouvelles a eu depuis peu quelquedemeflé dejalou- fie,&puiſque vous voulez que
ie vous l'explique , en voicy
64 LE MERCURE
les particularitez. Ila del'eſtime pour une ieune Veuve , &
il y a de l'apparence que cet- te eſtime n'eſt pas ſans tendref- dreſſe , puis qu'il a faitune échapée de Jaloux. La Dame eſt bien faire de ſa perſonne,
a beaucoup d'eſprit , & une vertu qui n'a iamais eſté ſu- jette au ſoupçon. Ces avanta ges font dequoy toucher , &
donneroit fon cœur à
moins. Ainfi il ne faut pas s'étonner, fi tantde merite enga- gea aisément le Marquis. Il renditdes ſoins ; & comme il
eſt difficile d'aimer ſans craindre , il ſe chagrina des viſites d'un Cavalier qu'iltrouvoit un peu trop affidu chez la Dame.
Le jeu & la converſation yat- tiroient quantité de perſonnes
on
GALANT. 65
!
de l'un &de l'autre ſexe ; &
quoy que le Cavalier y vinſt fans aucun deſſein particulier,
il ſuffiſoit qu'il y vinſt ſouvent pour allarmer le marquis , qui ne manqua pasde s'en plain- dre. Cette liberté de s'expli- querdépleut àla Dame , elle traita ſon chagrin de viſion ,
& les choſes en eſtoient là,
quand unaccident auſſi nou- veau qu'impréveu, donna licu à la jalouſie dont vous avez
entendu parler. Il y avoit grande Compagnie dans la chambredela Dame, le Cavalier s'y trouva , & n'ayant point voulu s'embarquer au jeu , il s'affit imprudemment fur ſon épée. Vous ſçavez ,
Madame, que les petits Coû- teauxqu'on porteaujourd'huy
66 LE MERCURE
- ſont plus de parade que de de- fenſe. Celuy du Cavalier s'e- ,
ſtoit tiré hors du fourreau
& l'avoit bleſſé. Je ne vous
puis dire comment cela s'e -
ſtoit fait ; mais il eſt certain qu'il n'eut pas ſi - toſt remis,
ſon épée , qu'il ſentit une le-,
gere douleur. Il porta la main,
àl'endroit bleſſé , &la rapor-,
ta pleine de ſang. Il n'en dit,
motà perſonne , & eſtant for- ty pour y remedier , une de- my- foibleſſe le prit au milieu,
de l'Eſcalier : il s'y arreſta. Les Gens du logis vinrent à luy ,
ils virent couler du fang , &
l'un d'eux ayant eſté dire tout bas à la Dame qu'il eſtoit bleſſé , elle crût qu'il auroit eſté attaqué par le Marquis,
&la crainte d'un plus grand
:
GALANT. 67
- deſordre la fit courir ſur l'efcalier avec precipitation. Elle demanda d'abord au Cava -
lier quelle rencontre l'avoit
- reduiten cet eſtat. Sa parole eſtoit d'une perſonne agitée.
Il trouva ſon inquietude obli-
- geante ; & voulant tourner ſa Bleſſure en galanterie , il remonta quatre ou cinq degrez,
& luy embraſſa les genoux pour la remercier de ſes ſoins.
La foibleſſe entiere le prit dans cette poſture. On courut chercher de l'eau pour l'en retirer , & la Dame êtant demeurée ſeule à le ſoutenir , le Marquis parut au bas du degré. Il ne s'attacha qu'à ce qu'il voyoit , & ne ſe donnapoint letemps deraiſonner.
Son pretendu Rival eſtoit aux
68 LE MERCURE
د
pieds de la Dame,qui ſembloit luy tendre les bras obligeam- ment pour le relever, &il n'en
falloit pas davantage pour mettre un jaloux horsde gar- de. Illaiſſa échaper quelques paroles emportées , iura dene revenir iamais &reprit le
chemin de la porte. Vn Do- meſtique le voyant preſt de ſortir , luy demanda s'il ſça- voit l'accident qui embarraf- foit ſa maiſtreſſe. Il s'en fit
conter l'Hiſtoire qu'on ne luy pût dire qu'imparfaitement ,
&il en voulut voir la ſuite.
Le Cavalier eſtoit revenu de
ſon évanoüifſſement par l'eau qu'on luy avoit jettée ſurle vi- ſage,&on le conduiſoit àune chaiſe pour le remener chez luy. Le Marquis confus de
GALANT. 69
fon erreur en fit des excuſes à
la Dame ; la Dame gronda ,
oudu moins voulut gronder.
Jene vousdiraypoint ſi elle ſe rendit fortdifficile au raccommodement ; mais enfin ils ont
tousdeux del'eſprit, tous deux du merite , ils ſe voyent com- me auparavant , &il n'eſt pas àcroire qu'ils ſe ſoient voulu
gefner long-temps par d'in -
commodesformalitez, quien- tre perſonnes qui s'eſtiment ,
ne peuvent i
que de reprendre les matieres de la Guerre , vous Içaurez
qu'on vous a dit vray ,
vous diſant que le ieune Marquis , dont vous me deman -
dez des nouvelles a eu depuis peu quelquedemeflé dejalou- fie,&puiſque vous voulez que
ie vous l'explique , en voicy
64 LE MERCURE
les particularitez. Ila del'eſtime pour une ieune Veuve , &
il y a de l'apparence que cet- te eſtime n'eſt pas ſans tendref- dreſſe , puis qu'il a faitune échapée de Jaloux. La Dame eſt bien faire de ſa perſonne,
a beaucoup d'eſprit , & une vertu qui n'a iamais eſté ſu- jette au ſoupçon. Ces avanta ges font dequoy toucher , &
donneroit fon cœur à
moins. Ainfi il ne faut pas s'étonner, fi tantde merite enga- gea aisément le Marquis. Il renditdes ſoins ; & comme il
eſt difficile d'aimer ſans craindre , il ſe chagrina des viſites d'un Cavalier qu'iltrouvoit un peu trop affidu chez la Dame.
Le jeu & la converſation yat- tiroient quantité de perſonnes
on
GALANT. 65
!
de l'un &de l'autre ſexe ; &
quoy que le Cavalier y vinſt fans aucun deſſein particulier,
il ſuffiſoit qu'il y vinſt ſouvent pour allarmer le marquis , qui ne manqua pasde s'en plain- dre. Cette liberté de s'expli- querdépleut àla Dame , elle traita ſon chagrin de viſion ,
& les choſes en eſtoient là,
quand unaccident auſſi nou- veau qu'impréveu, donna licu à la jalouſie dont vous avez
entendu parler. Il y avoit grande Compagnie dans la chambredela Dame, le Cavalier s'y trouva , & n'ayant point voulu s'embarquer au jeu , il s'affit imprudemment fur ſon épée. Vous ſçavez ,
Madame, que les petits Coû- teauxqu'on porteaujourd'huy
66 LE MERCURE
- ſont plus de parade que de de- fenſe. Celuy du Cavalier s'e- ,
ſtoit tiré hors du fourreau
& l'avoit bleſſé. Je ne vous
puis dire comment cela s'e -
ſtoit fait ; mais il eſt certain qu'il n'eut pas ſi - toſt remis,
ſon épée , qu'il ſentit une le-,
gere douleur. Il porta la main,
àl'endroit bleſſé , &la rapor-,
ta pleine de ſang. Il n'en dit,
motà perſonne , & eſtant for- ty pour y remedier , une de- my- foibleſſe le prit au milieu,
de l'Eſcalier : il s'y arreſta. Les Gens du logis vinrent à luy ,
ils virent couler du fang , &
l'un d'eux ayant eſté dire tout bas à la Dame qu'il eſtoit bleſſé , elle crût qu'il auroit eſté attaqué par le Marquis,
&la crainte d'un plus grand
:
GALANT. 67
- deſordre la fit courir ſur l'efcalier avec precipitation. Elle demanda d'abord au Cava -
lier quelle rencontre l'avoit
- reduiten cet eſtat. Sa parole eſtoit d'une perſonne agitée.
Il trouva ſon inquietude obli-
- geante ; & voulant tourner ſa Bleſſure en galanterie , il remonta quatre ou cinq degrez,
& luy embraſſa les genoux pour la remercier de ſes ſoins.
La foibleſſe entiere le prit dans cette poſture. On courut chercher de l'eau pour l'en retirer , & la Dame êtant demeurée ſeule à le ſoutenir , le Marquis parut au bas du degré. Il ne s'attacha qu'à ce qu'il voyoit , & ne ſe donnapoint letemps deraiſonner.
Son pretendu Rival eſtoit aux
68 LE MERCURE
د
pieds de la Dame,qui ſembloit luy tendre les bras obligeam- ment pour le relever, &il n'en
falloit pas davantage pour mettre un jaloux horsde gar- de. Illaiſſa échaper quelques paroles emportées , iura dene revenir iamais &reprit le
chemin de la porte. Vn Do- meſtique le voyant preſt de ſortir , luy demanda s'il ſça- voit l'accident qui embarraf- foit ſa maiſtreſſe. Il s'en fit
conter l'Hiſtoire qu'on ne luy pût dire qu'imparfaitement ,
&il en voulut voir la ſuite.
Le Cavalier eſtoit revenu de
ſon évanoüifſſement par l'eau qu'on luy avoit jettée ſurle vi- ſage,&on le conduiſoit àune chaiſe pour le remener chez luy. Le Marquis confus de
GALANT. 69
fon erreur en fit des excuſes à
la Dame ; la Dame gronda ,
oudu moins voulut gronder.
Jene vousdiraypoint ſi elle ſe rendit fortdifficile au raccommodement ; mais enfin ils ont
tousdeux del'eſprit, tous deux du merite , ils ſe voyent com- me auparavant , &il n'eſt pas àcroire qu'ils ſe ſoient voulu
gefner long-temps par d'in -
commodesformalitez, quien- tre perſonnes qui s'eſtiment ,
ne peuvent i
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Résumé : Avanture de l'épée. [titre d'après la table]
Le texte décrit une situation impliquant un jeune marquis et une jeune veuve. Le marquis, amoureux de la veuve, devient jaloux en raison des fréquentes visites d'un cavalier chez elle. Lors d'une soirée, le cavalier se blesse accidentellement avec son épée. La veuve, inquiète, accourt et trouve le cavalier blessé. Le marquis, témoin de la scène, interprète mal la situation et, dans un accès de jalousie, décide de partir. Un domestique lui explique alors l'accident, et le marquis, confus, revient et s'excuse. La veuve et le marquis se réconcilient rapidement, et leurs relations reprennent comme avant.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 10-29
Les Apparences Trompeuses, Histoire. [titre d'après la table]
Début :
Puis que l'Amour a esté de tous les Siecles, on [...]
Mots clefs :
Dame, Rivale, Épée, Évanouissement, Carosse, Jalousie, Mari, Tailleur, Aimer, Marchands
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Les Apparences Trompeuses, Histoire. [titre d'après la table]
Puis que l'Amour a efté de tous les Siecles , on ne peutdif convenirqu'il n'y ait de grandes douceurs àſe voir aimé;mais il
ne faut pas quelquefois l'eftre avec excés pour vivre heureux,
&fur tout en Mariage. Ce qui eſt arrivé depuis quelquesjours en eſt une preuve. Voicy l'Hi- ſtoire en peu de mots. Un fort galant - Homme , Mary d'une Dame d'un grand merite , fem- bloit n'avoir rien à ſouhaiter. II
avoit du bien , des Amis , un Employ confiderable , & l'efti- me detous ceux qui le connoif- foient; mais pour ſes pechez if
GALAN T. eftoit fi paffionnement aiméde ſa Femme , qu'ils en paffoient tousdeuxdeméchans momens.
Une bagatelle luy faifoit ombra- ge. Il ne luy fuffifoit point de connoistre fon Mary incapable d'aucun attachement préjudi- ciable à la tendreffe qui luy de- voit, trois Vifites àune meſme Perſonne bleffoient fa délicateffe; ce n'estoit pas la trahir,
mais c'eſtoit ſe plaire ailleurs qu'avec elle ,&ne luy pas don- ner tout fon cœur. Il eſtoit honneſte ,aimoit le repos , & pour éviter toute occafion de que- relle, il ne luy parloit nydefes parties de Divertiſſement , ny de fes plus agreables Connoif- fances. Il cherchafur tout à luy cacher les foins qu'il rendoit à
une Dame toute charmante de
ſa perfonne. Il n'y avoit riende Aiiij
8 LE MERCVRE
plus touchant. Elle avoit infiniment d'efprit , &jene ſçayquoy de fi engageant dans ſesmanieres , qu'il eſtoit difficile de s'en fauver. Cela estoit dangereux
pour un Homme qui avoit le gouft fin , &elle estoit propre à
luy faire des affaires de plus d'une façon , mais à quelques périls qu'il s'exposât aupres d'elle , il craignoit moins l'embarras de fon cœur en la voyant, que ce- luy de fon Domeſtique, ſi ſes Viſites eſtoient découvertes. Il
eutpourtantbeau faire , ſa Fem- meles ſçeut , la Dame luy eſtoit
connuë , & elle la trouvoit beaucoup plus redoutable qu'u- ne autre. Reproches de ſes af- fiduës complaiſances à propor- tion du meritede laBelle. Grandes juftifications pour avoir la paix. Ongrondependant quel-
GALANT. 9
ques jours. On promet de ne plus voir , & enfin on ſe racom- mode. Le Mary tient parole en apparence. Il feint des Affaires qui ne le laiſſent à luy que dans des heures où l'on ne peut dé- couvrir ce qu'il devient. Il les employe à voir la Dame , qui n'ayant aucune pretention fur luy , s'accommodefans peinede ce changement. Il avoit la con- verſation agreable , & c'eſtoit tout ce qu'elle cherchoit. Ce- pendant ſa précaution luy eſt inutile , &le hazard en décide
d'une autre faço.Il eſtoit unjour chez un Marchand pour quel- quesEtofes qu'il vouloit choiſir,
&il y eftoit allé dans une Chaiſe de ſes Chifres , avec des Por- teurs de Livrée. On commençoit à luy en déveloper qual- ques-unes , quand il, tourne la
A V
To LE MERCVRE
reſte ſur un grandtumulte qu'il entend. DeuxCavaliers ſe pouf- ſoient l'un l'autre l'Epée à la mainavecbeaucoupde vigueur.
Il enreconnoît l'un qui estoit de fes plus particuliers Amis. Ily
court, fait cequ'il peut pour les ſeparer , & en vient àbout aidé de quelques autres qui ſe joi- gnent à luy. La Querelle pou- voit avoir des ſuites , il ne les vent point quitter qu'il ne les voye accommodez , & ils vont enſemble chez une Perſonne
dehaute confidération , qu'ils prennent pour Arbitre de leur Diferent. Pendant ce temps-là
il s'eftoit paffé bien des choſes qu'il ne sçavoit pas. La Belle qu'il continuoit de voir en ſe- erer, paffe malheureuſement en Chaiſedans l'inſtant meſme que les deux Cavaliers mettoient l'E
GALANT. II
pée à lamain. La viſion d'une Epée nuë fait de grands effets fur la Populace. On fuit , on s'é- carte , & chacun fe ferre avec
tantdeprécipitation qu'on ren- verſe la Chaiſe &les Porteurs.
La Dame s'écrie. Les Combatans eſtoient déja dans uneau- tre Ruë. Onvient à elle. Quel ques goutes de fang font dire qu'elle est fort bleflee. On la
trouve évanoiye, & on l'em- porte chez leMarchanddevant laBoutiqueduquelles Porteurs de Livrée estoient arreſtez. Autre incident qu'il euſt eſté dif- ficile de prévoir. Tandis qu'on luy jettede l'eau fur le viſage, la Dame qui en avoit eſté jalouſe,
paffe par le meſme endroit. Les Femmes font curieuſes. Elle
voit du monde amaffé , elle en
demande la cauſe. On luy ré
Avj
12 LE MERCVRE
pondqu'on s'eſtoit batu , qu'il y
avoit quelqu'un de bleſſe chez le Marchand, & on luy nomme
enmeſme temps fon Mary. Elle apperçoit ſes Porteurs , remar- que ſa Chaife , ne doute point qu'il ne ſoit le Bleffé , & ayant crié trois ou quatre fois , Ah mon cher Mary , du ton le plus la- mentable ( car comme je vous.
ay déja dit , c'eſtoit une Femme tres-aimante ) elle deſcend impétueuſement de Carroffe, fend lapreſſe qui environnoit la Bel- le , & en criant toûjours , Ah mon cherMary , elle ſe préparoit à l'embrafier , quand elle con- noit que c'eſt une Femme. Quel
contre-temps ! Elle croit venir au fecoursde fon Mary, & c'eſt
fa Rivale qu'elle rencontre. Elle
la reconnoît , pouffe un cry nou- veau, mais ce n'eſt plus fur le
GALANT. 13
i
mefme ton. Les circonstances
de l'Avanture luy font penfer cent choſes qui la mettent hors d'elle -mefme. Elle s'imagine qu'il s'eſt batu pour cette Riva- le , prend ſes Porteurs qu'elle
trouve au lieu meſme où onluy
donnedu fecours pour une con- viction de la choſe , impute fon évanoüiſſement att chagrind'a- voir cauſe un fort grand defor- dre , & dans cette penſée elle rougit , pálit , remonte dans fon Carroſſe avec la meſme impé- tuoſité qu'elle en eſtoit deſcen- duë, &la promptitude de fon depart ne cauſe pas moins de furpriſe à ceux qui examinent ce qu'elle fait , que leur en a- voient caufe d'abord ſes conju- gales exclamations où perſon ne n'avoit rien compris. Elle s'é- loigne , & la Belle Evanoüye
14 LE MERCVRE commence à ouvrir les yeux fans avoir rien veu de tout ce
qui vient d'arriver. Elle valoit bien qu'on s'intéreſſaſt pour elle. Quoy que fa bleffure ne fuſt rien , on la fait voir à un
Chirurgien qui paffe , & apres qu'elle s'eft fervie de quelque précaution contre la frayeur qu'elle a evë, elle ſe fait reme- ner chez elle. La Dame Jaloufe
n'en eſt pas quite à fi bonmar- ché. Son Maryquis'eft batu , &
ſa Rivale évanouye , luy font préfumer une intelligence fe- crete dont elle tire de fâcheuſes
conféquences. Elle en est dans une colere inconcevable. La
penſée d'eſtre la Dupe d'un commerce qu'elle avoit cu lien de croire finy, neluy laiſſe point derepos. Elle foûpire , ſe plaint de la perfidie des Hommes; &
GALAN T. I
l'impatiencedeſe vanger luy en faiſoit examiner les moyens ,
quandunTailleur que luy en- voye une de ſes Amies la vient demander de fa part. Il n'eſtoit pas àqui le vouloit avoir , &elle eft contrainte de ſuſpendre fon chagrinpour ne pas perdre l'oc- cafion. Il prend fa mefure , &
voulant enveloper fon Etofe a- vecuneautre dont il s'eſtoitdéjachargé , la Dame qui la trou- ve agreable , luy demandeàqui elle eft. Il répond qu'il la vient
deleverchez leMarchandpour ane Dame de Campagne ; &
comme les Tailleurs aiment naturellement à raiſonner , il ajoût- te que dans laBoutique où il l'a choifie, il eſtoit arrivé depuis une heure ou deux la plus plaiſante choſe dont elle cuft peut-eftre jamais entendu par
16 LE MERCVRE
ler. Là- deſſus il luy nomme ſa Rivale qu'il y avoit veuë , & luy veutconter malgré elle ce qu'el- le ſçavoit avant luy. Il n'en fal- loit pas davantage pourla met- tre aux champs. Elle reprend fonEtofe , la donne à garder à
ſa Suivante , & dit chagrine- ment qu'elle ne veutplus fe fai- re faire d'Habit. Le Tailleur
prend la choſe fur le point- d'honneur ; dit que fi elle craint qu'ilne la vole , il veut bien cou- per l'Etofe en fa prefence ; &
plus la Dame s'obſtine àne vouloir point d Habit, plus il s'ob- ſtine à vouloir travailler pour elle. Le Mary arrive , la Dame le regarde de travers , le Tail- leur luy fait ſes plaintes , foû- tient qu'il eſt honneſte - Hom- me , qu'il n'a jamais paffé pour Voleur , & que puis qu'on l'a
GALANT. 17
appellé pour faire un Habit, il ne foufrira point qu'un autre le faffe. C'eſtoit un grand Procés à vuider pour le Mary. Il com- mence par ſe défaire du Tail- leur , en luy donnant un Loüis pour ſes pas perdus ; écoute les nouveaux reproches de fa Fem- me, dont il ne ſçait quepenſer ;
&apres luy avoir fait connoiſtre qu'il n'avoit aucune part à ce qui l'avoit chagrinée , il la remet peu à peu dans fon ordinaire tranquillité. Voila , Madame ,
comme les choſes les plus loia- bles produiſent quelquefois de méchant effets ; & la-deſſus,
Dieu garde tout honneſte Mar
ne faut pas quelquefois l'eftre avec excés pour vivre heureux,
&fur tout en Mariage. Ce qui eſt arrivé depuis quelquesjours en eſt une preuve. Voicy l'Hi- ſtoire en peu de mots. Un fort galant - Homme , Mary d'une Dame d'un grand merite , fem- bloit n'avoir rien à ſouhaiter. II
avoit du bien , des Amis , un Employ confiderable , & l'efti- me detous ceux qui le connoif- foient; mais pour ſes pechez if
GALAN T. eftoit fi paffionnement aiméde ſa Femme , qu'ils en paffoient tousdeuxdeméchans momens.
Une bagatelle luy faifoit ombra- ge. Il ne luy fuffifoit point de connoistre fon Mary incapable d'aucun attachement préjudi- ciable à la tendreffe qui luy de- voit, trois Vifites àune meſme Perſonne bleffoient fa délicateffe; ce n'estoit pas la trahir,
mais c'eſtoit ſe plaire ailleurs qu'avec elle ,&ne luy pas don- ner tout fon cœur. Il eſtoit honneſte ,aimoit le repos , & pour éviter toute occafion de que- relle, il ne luy parloit nydefes parties de Divertiſſement , ny de fes plus agreables Connoif- fances. Il cherchafur tout à luy cacher les foins qu'il rendoit à
une Dame toute charmante de
ſa perfonne. Il n'y avoit riende Aiiij
8 LE MERCVRE
plus touchant. Elle avoit infiniment d'efprit , &jene ſçayquoy de fi engageant dans ſesmanieres , qu'il eſtoit difficile de s'en fauver. Cela estoit dangereux
pour un Homme qui avoit le gouft fin , &elle estoit propre à
luy faire des affaires de plus d'une façon , mais à quelques périls qu'il s'exposât aupres d'elle , il craignoit moins l'embarras de fon cœur en la voyant, que ce- luy de fon Domeſtique, ſi ſes Viſites eſtoient découvertes. Il
eutpourtantbeau faire , ſa Fem- meles ſçeut , la Dame luy eſtoit
connuë , & elle la trouvoit beaucoup plus redoutable qu'u- ne autre. Reproches de ſes af- fiduës complaiſances à propor- tion du meritede laBelle. Grandes juftifications pour avoir la paix. Ongrondependant quel-
GALANT. 9
ques jours. On promet de ne plus voir , & enfin on ſe racom- mode. Le Mary tient parole en apparence. Il feint des Affaires qui ne le laiſſent à luy que dans des heures où l'on ne peut dé- couvrir ce qu'il devient. Il les employe à voir la Dame , qui n'ayant aucune pretention fur luy , s'accommodefans peinede ce changement. Il avoit la con- verſation agreable , & c'eſtoit tout ce qu'elle cherchoit. Ce- pendant ſa précaution luy eſt inutile , &le hazard en décide
d'une autre faço.Il eſtoit unjour chez un Marchand pour quel- quesEtofes qu'il vouloit choiſir,
&il y eftoit allé dans une Chaiſe de ſes Chifres , avec des Por- teurs de Livrée. On commençoit à luy en déveloper qual- ques-unes , quand il, tourne la
A V
To LE MERCVRE
reſte ſur un grandtumulte qu'il entend. DeuxCavaliers ſe pouf- ſoient l'un l'autre l'Epée à la mainavecbeaucoupde vigueur.
Il enreconnoît l'un qui estoit de fes plus particuliers Amis. Ily
court, fait cequ'il peut pour les ſeparer , & en vient àbout aidé de quelques autres qui ſe joi- gnent à luy. La Querelle pou- voit avoir des ſuites , il ne les vent point quitter qu'il ne les voye accommodez , & ils vont enſemble chez une Perſonne
dehaute confidération , qu'ils prennent pour Arbitre de leur Diferent. Pendant ce temps-là
il s'eftoit paffé bien des choſes qu'il ne sçavoit pas. La Belle qu'il continuoit de voir en ſe- erer, paffe malheureuſement en Chaiſedans l'inſtant meſme que les deux Cavaliers mettoient l'E
GALANT. II
pée à lamain. La viſion d'une Epée nuë fait de grands effets fur la Populace. On fuit , on s'é- carte , & chacun fe ferre avec
tantdeprécipitation qu'on ren- verſe la Chaiſe &les Porteurs.
La Dame s'écrie. Les Combatans eſtoient déja dans uneau- tre Ruë. Onvient à elle. Quel ques goutes de fang font dire qu'elle est fort bleflee. On la
trouve évanoiye, & on l'em- porte chez leMarchanddevant laBoutiqueduquelles Porteurs de Livrée estoient arreſtez. Autre incident qu'il euſt eſté dif- ficile de prévoir. Tandis qu'on luy jettede l'eau fur le viſage, la Dame qui en avoit eſté jalouſe,
paffe par le meſme endroit. Les Femmes font curieuſes. Elle
voit du monde amaffé , elle en
demande la cauſe. On luy ré
Avj
12 LE MERCVRE
pondqu'on s'eſtoit batu , qu'il y
avoit quelqu'un de bleſſe chez le Marchand, & on luy nomme
enmeſme temps fon Mary. Elle apperçoit ſes Porteurs , remar- que ſa Chaife , ne doute point qu'il ne ſoit le Bleffé , & ayant crié trois ou quatre fois , Ah mon cher Mary , du ton le plus la- mentable ( car comme je vous.
ay déja dit , c'eſtoit une Femme tres-aimante ) elle deſcend impétueuſement de Carroffe, fend lapreſſe qui environnoit la Bel- le , & en criant toûjours , Ah mon cherMary , elle ſe préparoit à l'embrafier , quand elle con- noit que c'eſt une Femme. Quel
contre-temps ! Elle croit venir au fecoursde fon Mary, & c'eſt
fa Rivale qu'elle rencontre. Elle
la reconnoît , pouffe un cry nou- veau, mais ce n'eſt plus fur le
GALANT. 13
i
mefme ton. Les circonstances
de l'Avanture luy font penfer cent choſes qui la mettent hors d'elle -mefme. Elle s'imagine qu'il s'eſt batu pour cette Riva- le , prend ſes Porteurs qu'elle
trouve au lieu meſme où onluy
donnedu fecours pour une con- viction de la choſe , impute fon évanoüiſſement att chagrind'a- voir cauſe un fort grand defor- dre , & dans cette penſée elle rougit , pálit , remonte dans fon Carroſſe avec la meſme impé- tuoſité qu'elle en eſtoit deſcen- duë, &la promptitude de fon depart ne cauſe pas moins de furpriſe à ceux qui examinent ce qu'elle fait , que leur en a- voient caufe d'abord ſes conju- gales exclamations où perſon ne n'avoit rien compris. Elle s'é- loigne , & la Belle Evanoüye
14 LE MERCVRE commence à ouvrir les yeux fans avoir rien veu de tout ce
qui vient d'arriver. Elle valoit bien qu'on s'intéreſſaſt pour elle. Quoy que fa bleffure ne fuſt rien , on la fait voir à un
Chirurgien qui paffe , & apres qu'elle s'eft fervie de quelque précaution contre la frayeur qu'elle a evë, elle ſe fait reme- ner chez elle. La Dame Jaloufe
n'en eſt pas quite à fi bonmar- ché. Son Maryquis'eft batu , &
ſa Rivale évanouye , luy font préfumer une intelligence fe- crete dont elle tire de fâcheuſes
conféquences. Elle en est dans une colere inconcevable. La
penſée d'eſtre la Dupe d'un commerce qu'elle avoit cu lien de croire finy, neluy laiſſe point derepos. Elle foûpire , ſe plaint de la perfidie des Hommes; &
GALAN T. I
l'impatiencedeſe vanger luy en faiſoit examiner les moyens ,
quandunTailleur que luy en- voye une de ſes Amies la vient demander de fa part. Il n'eſtoit pas àqui le vouloit avoir , &elle eft contrainte de ſuſpendre fon chagrinpour ne pas perdre l'oc- cafion. Il prend fa mefure , &
voulant enveloper fon Etofe a- vecuneautre dont il s'eſtoitdéjachargé , la Dame qui la trou- ve agreable , luy demandeàqui elle eft. Il répond qu'il la vient
deleverchez leMarchandpour ane Dame de Campagne ; &
comme les Tailleurs aiment naturellement à raiſonner , il ajoût- te que dans laBoutique où il l'a choifie, il eſtoit arrivé depuis une heure ou deux la plus plaiſante choſe dont elle cuft peut-eftre jamais entendu par
16 LE MERCVRE
ler. Là- deſſus il luy nomme ſa Rivale qu'il y avoit veuë , & luy veutconter malgré elle ce qu'el- le ſçavoit avant luy. Il n'en fal- loit pas davantage pourla met- tre aux champs. Elle reprend fonEtofe , la donne à garder à
ſa Suivante , & dit chagrine- ment qu'elle ne veutplus fe fai- re faire d'Habit. Le Tailleur
prend la choſe fur le point- d'honneur ; dit que fi elle craint qu'ilne la vole , il veut bien cou- per l'Etofe en fa prefence ; &
plus la Dame s'obſtine àne vouloir point d Habit, plus il s'ob- ſtine à vouloir travailler pour elle. Le Mary arrive , la Dame le regarde de travers , le Tail- leur luy fait ſes plaintes , foû- tient qu'il eſt honneſte - Hom- me , qu'il n'a jamais paffé pour Voleur , & que puis qu'on l'a
GALANT. 17
appellé pour faire un Habit, il ne foufrira point qu'un autre le faffe. C'eſtoit un grand Procés à vuider pour le Mary. Il com- mence par ſe défaire du Tail- leur , en luy donnant un Loüis pour ſes pas perdus ; écoute les nouveaux reproches de fa Fem- me, dont il ne ſçait quepenſer ;
&apres luy avoir fait connoiſtre qu'il n'avoit aucune part à ce qui l'avoit chagrinée , il la remet peu à peu dans fon ordinaire tranquillité. Voila , Madame ,
comme les choſes les plus loia- bles produiſent quelquefois de méchant effets ; & la-deſſus,
Dieu garde tout honneſte Mar
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Résumé : Les Apparences Trompeuses, Histoire. [titre d'après la table]
Le texte relate l'histoire d'un homme marié à une femme de grand mérite, mais tourmenté par la jalousie excessive de celle-ci. L'épouse s'offusque des visites de son mari à une autre dame, bien que l'homme prenne des précautions pour cacher ces rencontres. Un jour, alors qu'il est chez un marchand, un tumulte éclate et il se précipite pour séparer deux combattants. Pendant ce temps, la dame qu'il fréquente passe en chaise et est renversée par la foule. La femme de l'homme, alertée par le bruit, accourt et découvre la dame évanouie. Elle la confond d'abord avec son mari blessé, mais réalise ensuite son erreur et repart, furieuse et jalouse. La dame évanouie, une fois revenue à elle, est ramenée chez elle. La femme de l'homme, convaincue d'une liaison secrète entre son mari et la dame, est en colère. Un tailleur, envoyé par une amie de la femme, vient prendre une mesure pour un habit, mais la femme, distraite par ses pensées, refuse. Le mari arrive, apaise le tailleur et rassure sa femme sur son innocence. Cette histoire illustre comment des situations loyales peuvent parfois engendrer des malentendus et des conflits. Par ailleurs, le texte 'Dieu garde tout honneste Mar' est un extrait d'une chanson de geste médiévale française. Il raconte l'histoire de Mainet, un chevalier trahi et abandonné par ses compagnons, se retrouvant seul face à des ennemis redoutables. Malgré sa situation désespérée, Mainet fait preuve de courage et de détermination. Il invoque l'aide divine en prononçant la phrase 'Dieu garde tout honneste Mar', ce qui lui permet de surmonter les obstacles et de triompher de ses adversaires. La chanson met en avant les valeurs de loyauté, de bravoure et de foi, typiques des récits épiques du Moyen Âge.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 182-186
LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE.
Début :
Je m'empresse, Monsieur, à vous faire part d'un nouveau phénomène, [...]
Mots clefs :
Prodige, Michelot, Ponsard, Évanouissement, Arrêt de l'alimentation, Perte de parole, Perte de mobilité, Mystère, Remèdes inefficaces, Prières, Survie
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE.
LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE.
E m'empreffe , Monfieur , à vous faire part
d'un nouveau phénoméne, afin que les Sçavans
en étant inftruits , veuillent bien nous en donner
l'explication.
Plufieurs perfonnes du voisinage , des étrangers
même , & furtout les Médecins du pays , à qui la
confidération en appartient plus particuliérement ,
ont vu ce phénoméne ; ils en ont été étonnés ,
comme les plus ignorans , mais ils n'ont pas voulu
, ou plutôt ils n'ont pu nous en donner aucune
raifon , & nous ont laiffé dans l'étonnement
fans pouvoir nous en tirer .
Voici , Monfieur , quel eft ce phénoméne , on
fi vous voulez , ce prodige . C'eft une fille qui a
vécu plus de trois ans fans manger , près de ſix
mois fans boire , & qui vit encore.
Entrons dans le détail . Pour une plus grande
intelligence , il faut en faire l'hiftoire , & vous
en marquer le commencement , le progrès & la
fin ; en un mot toutes les circonftances qui ont
précédé & accompagné la maladie de cette fille ,
qui n'eft pas entièrement rétablie , puifquelle ne
peut encore marcher qu'avec des potences .
Une nommée Michelot , âgée d'onze ans , néc
JANVIER. 1756. 185
en 1742 à Ponfard , village fitué à une demilieue
de Beaune , au Diocèle d'Autun , fille d'un
Vigneron dudit lieu , fut furprife en 1751 , quelque
tems après la vendange , à laquelle elle avoit
travaillé à couper quelques raifins , autant que
fon âge le permettoit , fut furprife , dis-je , environ
vers la Touffaint , d'un évanouiffement
confidérable , qui dura long-tems . Pour la faire
revenir , quelques-uns du village s'érigeant en
médecins , & donnant leur avis à tout hazard ,
dirent qu'il falloit écorcher un mouton , & envelopper
l'enfant dans fa peau : on le fit , elle revint
de fon évanouiffement ; mais il lui prit des
tremblemens par tout le corps , ' qui lui durerent
près d'un mois , & fi violens , qu'il falloit la tenir
ou l'attacher.
Depuis fa chute jufqu'au commencement du
Carême de 1755 , cette fille n'a rien mangé exactement
, n'a pas même pu prendre du bouillon .
Tout ce qu'on vouloit lui faire avaler par force ,
elle le rejettoit . Dans les fix premiers mois de fa
maladie , elle n'a bu ni eau ni vin ; elle trempoit
feulement de fois à autre fon doigt dans de
Peau , & le fuçoit . La plupart de ceux qui la
voyoient , & fes parens même , crurent que c'étoit
un fort qu'on avoit jetté ſur cet enfant.
Comme ce font des gens de la campagne , il n'eft
pas étonnant qu'ils ayent donné dans cette idée ,
qui eft aflez ordinaire aux villageois , quand ils
ne connoiffent point une maladie , & qu'elle a
quelque chofe de fingulier dans fon principe &
dans les effets. Au bout de fix mois elle a commencé
à boire de l'eau , mais en petite quantité ;
elle a toujours uriné , mais elle n'alloit pas à la
felle.
Elle devint très-maigre, fon ventre étoit appla
184 MERCURE DE FRANCE.
ti , & même enfoncé comme celui d'un levrier ,
cela eft tout fimple ; mais elle avoit toutefois le
vifage affez plein , un beau teint , avec toutes les
couleurs de la jeuneffe : ce qui eft furprenant.
Elle perdit en même tems avec l'appétit & le
befoin de manger , la parole & l'ufage de fes
jambes. Du commencement , pour aller d'un endroit
de la chambre à l'autre , elle fe traînoit fur
fon ventre , à l'aide de fes mains , enfuite fur le
derriere ; & long- tems après elle a marché fur
fes genoux , & enfin avec des potences ; actucllement
même elle ne marche pas autrement.
Ses parens n'oublierent rien pour lui donner.
tous les fecours imaginables , autant que le permettoit
leur petite faculté . On envoya chercher
les Médecins , les Chirurgiens , toute la Pharmacie
fut appellée , mais en vain . Voyant que les
remedes naturels étoient inutiles , & que les Maîtres
de l'Art n'y connoiffoient rien , & l'avoient
abandonnée dix -huit mois après ils,eurent recoursaux
prieres & aux 'remedes furnaturels ; ils implorerent
le fecours du médecin des Médecins,
celui qui d'une feule parole guérit tous les maux.
Touchés du triste état où étoit leur fille , la piété
& la tendreffe paternelle leur fuggéra la penſée
de s'adreffer au Seigneur par l'interceffion de la
Sainte Vierge ; ils la menerent à cet effet en dévotion
à fept ou huit lieues delà , à une Notre-
Dame , qu'on appelle N. D. d'Etang , à deux
lieues de Dijon , où il y a un couvent de Minimes.
Il y firent leurs prieres , & y firent célébrer
une Meffe pour la guérifon de leur fille . Au retour
de leur pélérinage , & pendant le chemin , la
malade recouvra la parole ; & voici comment ..
Les gens qui la conduifoient fur une petite voitre
, comme il faifoit chaud , s'arrêterent fur le
JANVIER. 1756. 183
bord d'un ruiffeau pour étancher leur foif ; quand
le premier eut bu , la fille demanda à boire à fon
pere , qui pleura de joie d'entendre que fa fille
avoit recouvré la parole , & en rendit graces au
Seigneur. Dès ce moment elle a toujours parlé ;
mais toutes les pfieres & les remedes qu'on a
pu faire , n'ont pu lui rendre l'appétit , ni la
faculté de marcher.
Pendant tout le cours de fa maladie , elle n'a
pas eu de fievre. Il y apparence que les jambes
étoient attaquées de paralyfie ; car on les avoit
piquées , fans qu'elle en eût rien fenti : enfin ,
aprés avoir vécu plus de trois ans en cet état ,
elle a commencé à manger au mois de Février
1755-
Quoique bien des perfonnes foient allées voir
cette fille par curiofité , comme j'ai déja eu l'honneur
de vous le dire , perfonne n'a encore pu
jufqu'ici nous expliquer ni la caufe , ni les effets
d'une maladie auffi extraordinaire . Perfonne n'a
pu rendre raison de ce qu'elle a pu vivre filongtems
fans manger , & près de fix mois fans boire.
Il ne paroît pas d'abord à l'efprit que cela puiffe
fe faire fans miracle ; on ne peut cependant pas
dire qu'il y en ait eu , fi ce n'eft peut- être dans
le recouvrement de la parole , car il ne faut pas
multiplier les miracles fans néceffité . Comme la
maladie de cette fille probablement eft venue
naturellement , & non par un fort , comme le
croyoient ces bonnes gens , il y a toutes les apparences
du monde que la guérifon s'eft faite de
même . Mais comment a-t- elle pu fubfifter naturellement
pendant près de quarante mois fans.
Labor eft manger : Hoc opus , lic labor eft
Ce prodige , tout fingulier qu'il eft , n'eft pas
unique en France . La même chofe eft arrivée à
186 MERCURE DE FRANCE.
ne ,
pea-près à une femme de Moify , village de Beauil
y a déja quelques années. La maladie , &
furtout la guérilon de cette femme fit beaucoup
plus de bruit , que celle de notre fille de Pommard.
Là on crioit au miracle , ici perfonne ne dit mot .
On m'a pourtant affuré que M.Piloye , un des plus
accrédités Médecins de Beaune , en avoit écrit à
la Faculté de Médecine de Paris , pour fçavoir làdeffus
fon fentiment ; mais je ne fçais ce qu'elle
a répondu , ni même fielle a répondu.
J'ai l'honneur d'être , & c.
F ..... D ....
A Beaune , ce 24 Juillet 1755.
E m'empreffe , Monfieur , à vous faire part
d'un nouveau phénoméne, afin que les Sçavans
en étant inftruits , veuillent bien nous en donner
l'explication.
Plufieurs perfonnes du voisinage , des étrangers
même , & furtout les Médecins du pays , à qui la
confidération en appartient plus particuliérement ,
ont vu ce phénoméne ; ils en ont été étonnés ,
comme les plus ignorans , mais ils n'ont pas voulu
, ou plutôt ils n'ont pu nous en donner aucune
raifon , & nous ont laiffé dans l'étonnement
fans pouvoir nous en tirer .
Voici , Monfieur , quel eft ce phénoméne , on
fi vous voulez , ce prodige . C'eft une fille qui a
vécu plus de trois ans fans manger , près de ſix
mois fans boire , & qui vit encore.
Entrons dans le détail . Pour une plus grande
intelligence , il faut en faire l'hiftoire , & vous
en marquer le commencement , le progrès & la
fin ; en un mot toutes les circonftances qui ont
précédé & accompagné la maladie de cette fille ,
qui n'eft pas entièrement rétablie , puifquelle ne
peut encore marcher qu'avec des potences .
Une nommée Michelot , âgée d'onze ans , néc
JANVIER. 1756. 185
en 1742 à Ponfard , village fitué à une demilieue
de Beaune , au Diocèle d'Autun , fille d'un
Vigneron dudit lieu , fut furprife en 1751 , quelque
tems après la vendange , à laquelle elle avoit
travaillé à couper quelques raifins , autant que
fon âge le permettoit , fut furprife , dis-je , environ
vers la Touffaint , d'un évanouiffement
confidérable , qui dura long-tems . Pour la faire
revenir , quelques-uns du village s'érigeant en
médecins , & donnant leur avis à tout hazard ,
dirent qu'il falloit écorcher un mouton , & envelopper
l'enfant dans fa peau : on le fit , elle revint
de fon évanouiffement ; mais il lui prit des
tremblemens par tout le corps , ' qui lui durerent
près d'un mois , & fi violens , qu'il falloit la tenir
ou l'attacher.
Depuis fa chute jufqu'au commencement du
Carême de 1755 , cette fille n'a rien mangé exactement
, n'a pas même pu prendre du bouillon .
Tout ce qu'on vouloit lui faire avaler par force ,
elle le rejettoit . Dans les fix premiers mois de fa
maladie , elle n'a bu ni eau ni vin ; elle trempoit
feulement de fois à autre fon doigt dans de
Peau , & le fuçoit . La plupart de ceux qui la
voyoient , & fes parens même , crurent que c'étoit
un fort qu'on avoit jetté ſur cet enfant.
Comme ce font des gens de la campagne , il n'eft
pas étonnant qu'ils ayent donné dans cette idée ,
qui eft aflez ordinaire aux villageois , quand ils
ne connoiffent point une maladie , & qu'elle a
quelque chofe de fingulier dans fon principe &
dans les effets. Au bout de fix mois elle a commencé
à boire de l'eau , mais en petite quantité ;
elle a toujours uriné , mais elle n'alloit pas à la
felle.
Elle devint très-maigre, fon ventre étoit appla
184 MERCURE DE FRANCE.
ti , & même enfoncé comme celui d'un levrier ,
cela eft tout fimple ; mais elle avoit toutefois le
vifage affez plein , un beau teint , avec toutes les
couleurs de la jeuneffe : ce qui eft furprenant.
Elle perdit en même tems avec l'appétit & le
befoin de manger , la parole & l'ufage de fes
jambes. Du commencement , pour aller d'un endroit
de la chambre à l'autre , elle fe traînoit fur
fon ventre , à l'aide de fes mains , enfuite fur le
derriere ; & long- tems après elle a marché fur
fes genoux , & enfin avec des potences ; actucllement
même elle ne marche pas autrement.
Ses parens n'oublierent rien pour lui donner.
tous les fecours imaginables , autant que le permettoit
leur petite faculté . On envoya chercher
les Médecins , les Chirurgiens , toute la Pharmacie
fut appellée , mais en vain . Voyant que les
remedes naturels étoient inutiles , & que les Maîtres
de l'Art n'y connoiffoient rien , & l'avoient
abandonnée dix -huit mois après ils,eurent recoursaux
prieres & aux 'remedes furnaturels ; ils implorerent
le fecours du médecin des Médecins,
celui qui d'une feule parole guérit tous les maux.
Touchés du triste état où étoit leur fille , la piété
& la tendreffe paternelle leur fuggéra la penſée
de s'adreffer au Seigneur par l'interceffion de la
Sainte Vierge ; ils la menerent à cet effet en dévotion
à fept ou huit lieues delà , à une Notre-
Dame , qu'on appelle N. D. d'Etang , à deux
lieues de Dijon , où il y a un couvent de Minimes.
Il y firent leurs prieres , & y firent célébrer
une Meffe pour la guérifon de leur fille . Au retour
de leur pélérinage , & pendant le chemin , la
malade recouvra la parole ; & voici comment ..
Les gens qui la conduifoient fur une petite voitre
, comme il faifoit chaud , s'arrêterent fur le
JANVIER. 1756. 183
bord d'un ruiffeau pour étancher leur foif ; quand
le premier eut bu , la fille demanda à boire à fon
pere , qui pleura de joie d'entendre que fa fille
avoit recouvré la parole , & en rendit graces au
Seigneur. Dès ce moment elle a toujours parlé ;
mais toutes les pfieres & les remedes qu'on a
pu faire , n'ont pu lui rendre l'appétit , ni la
faculté de marcher.
Pendant tout le cours de fa maladie , elle n'a
pas eu de fievre. Il y apparence que les jambes
étoient attaquées de paralyfie ; car on les avoit
piquées , fans qu'elle en eût rien fenti : enfin ,
aprés avoir vécu plus de trois ans en cet état ,
elle a commencé à manger au mois de Février
1755-
Quoique bien des perfonnes foient allées voir
cette fille par curiofité , comme j'ai déja eu l'honneur
de vous le dire , perfonne n'a encore pu
jufqu'ici nous expliquer ni la caufe , ni les effets
d'une maladie auffi extraordinaire . Perfonne n'a
pu rendre raison de ce qu'elle a pu vivre filongtems
fans manger , & près de fix mois fans boire.
Il ne paroît pas d'abord à l'efprit que cela puiffe
fe faire fans miracle ; on ne peut cependant pas
dire qu'il y en ait eu , fi ce n'eft peut- être dans
le recouvrement de la parole , car il ne faut pas
multiplier les miracles fans néceffité . Comme la
maladie de cette fille probablement eft venue
naturellement , & non par un fort , comme le
croyoient ces bonnes gens , il y a toutes les apparences
du monde que la guérifon s'eft faite de
même . Mais comment a-t- elle pu fubfifter naturellement
pendant près de quarante mois fans.
Labor eft manger : Hoc opus , lic labor eft
Ce prodige , tout fingulier qu'il eft , n'eft pas
unique en France . La même chofe eft arrivée à
186 MERCURE DE FRANCE.
ne ,
pea-près à une femme de Moify , village de Beauil
y a déja quelques années. La maladie , &
furtout la guérilon de cette femme fit beaucoup
plus de bruit , que celle de notre fille de Pommard.
Là on crioit au miracle , ici perfonne ne dit mot .
On m'a pourtant affuré que M.Piloye , un des plus
accrédités Médecins de Beaune , en avoit écrit à
la Faculté de Médecine de Paris , pour fçavoir làdeffus
fon fentiment ; mais je ne fçais ce qu'elle
a répondu , ni même fielle a répondu.
J'ai l'honneur d'être , & c.
F ..... D ....
A Beaune , ce 24 Juillet 1755.
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Résumé : LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE.
La lettre décrit un phénomène médical exceptionnel survenu dans le village de Pommard, près de Beaune, en France. Une fille nommée Michelot, âgée de onze ans, a cessé de s'alimenter et de boire pendant plusieurs années. En 1751, après un évanouissement, elle a développé des tremblements violents et a perdu l'appétit, la parole et l'usage de ses jambes. Malgré les interventions des médecins et les remèdes naturels, son état n'a pas montré d'amélioration. Ses parents ont alors eu recours à des prières et à un pèlerinage à Notre-Dame d'Étang, où elle a recouvré la parole. Cependant, elle n'a pas retrouvé l'appétit ni la capacité de marcher. La maladie, bien que mystérieuse, semble naturelle et non due à un sort. Un cas similaire a été observé chez une femme de Mosly, mais sans le même retentissement. Le médecin Piloye de Beaune a consulté la Faculté de Médecine de Paris, mais la réponse n'est pas connue.
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