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REFLEXIONS DE M** Sur la Tragedie de Rhadamiste & de Zenobie.
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Vous me demandez, Monsieur, une Critique exacte de la Tragedie [...]
Mots clefs :
Spectateur, Amour, Caractère, Théâtre, Vertu, Scène, Auteur, Crimes, Horreur, Sentiments, Coeur
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS DE M** Sur la Tragedie de Rhadamiste & de Zenobie.
REFLEXIONS
DEM **
SurlaTragedie de Rhadamiste&
deZenobie.
Vous me demandez ,
Monficur
, une Critique
exaéte de la Tragedie de
Rhadamiste* j'ay fait en la
lisant quelques Reflexions
dont j'espere quevous voudrez
bien vous contenter.
L'exposition du sujet
me paroist tres simple
pour la quantité de faits
dont elle est necessaire-
-
ment chargée
,
le recit
de Zenobie ne larenferme
pas toute entiere
Rhadamiste , vient l'achever
au sécond Aéte
,
dans le
rccit qu'il fait à Hieron
de quelques circonstances
que Zenobie ne peut pas
sçavoir :
il estoit bien
difficile d'éviter l'inconvenient
des répetitions,
en introduisant sur la
Scene deux personnes qui
racontent les mêmes faits:
l'Autcury a merveilleusement
réüssi. Rhadamiste
ne par le qu'en passant de
ceux donc Zenobie a déja
instruit sa Considence, &
seulement pour entrer avec
nettetédans ce que le Spectateur
ne sçait pas encore s'il
a donné dans cette occasion
une marque de sonhabileté,
sa délicatesse ne me paroist
pas moins grande dans le
récit qu'il fait faire à Zenobie
descruautez de Rhadamiste;
cette-Princesse garde
tous les ménagemens qu'elle
doit aux manes de son
époux ,&quand l'ordrede
son Di scours la conduit àce
moment horrible de sa vie,
où aprés avoir esté poignardée
,
elle fut jettée dans
l'Araxe; on diroit qu'elle
l'interrompt exprés pour
laisser ignorer à sa Considente
que son époux est l'Auteur
ducoup le plus barbare
que l'Histoire ait jamais
raporté; je ne sçay si ces sinesses
de l'art ont également
rciiffi dans tous les tfprKs ;
mais j'ay cru y trouver la
main de maistre.
A 'peine Zenobie a fini
son récit, qu'Arsameparoist
sur le Theatre: ce Prince
amoureux de Zenobie ne
peut plus supporter son
absence
,
&sans l'ordre
de Pharasmane son pere il
arrive dans sa Cour : Pharasmane
également charmé
de la Princesse la furprcnd
avec son fils: c'est-là que
son caractere commence à
se découvrir, peu arraché à
sesenfans par les sentimens
de la nature, rival pour eux
aussi dangereux que le plus
cruel ennemy ,
grand d'ailleurs
par son courage
, par son ambition
, & par -Ces
succés contre les Romains,
dont il n'est pas moins cnncmy
que Mithridate ,c'estce
me semble un fort beau
caractere,j'auroisvoulu seulement,
le trouver dans son
intrigue aussi fourbe ,&
aussiperside qu'il l'est dans rHIHoire;cnessèt l'artifice
n'est pas un des moindres
traits qui l'y caracterisenr,
& c'est à cetrait si négligé
dans la pieçequePharasmanme
deveoit lna coiureonn.e d'Ar-
Le second ACtc est ouvert
par Rhadamiste qui
arrive à la Cour de son
perc donc il se flatequ'il
ne sera pas. reconnu;chargé
des volontez du Senat il
vient de sa part deffendreà
Pharasmane d'aspirer à la
Couronne d'Armenie, il
opofe en fort beaux termes
les motifs qui ont engagé
les Romains à le nommer
leur A01baffadeur,&.
lesraisons qui l'ont porté à
demander cet honneur:
on y voit cette haine si violence
contre son pere , cet
amour furieux pour objet un qu'il desespere de
revoir jamais; c'est-là que
paroissent ces projets affreux
de vangeance, ces remords
pour des crimes passez
,
l'ardeur qui l'entraîne à des
crimes nouveaux: en un
mot on y trouve déja tout
son caractere qui doit se
développer par les circonstances
ou l'Auteur le place
dans le cours de la Tragédie.
C'est sur ce caractère que
je doit insister davantage,
c'est dans le contraste qu'il
fait avec celuy de Zenobie,
que l'Auteur a pris les plus
grandes beautezde sa Piece,
& sij'y trouve quelle dcffaut,
c'est sur tout dans ce
caractere que je les auray
cherchez
:
il mérite donc
une attention particuliers
que je luy donneray après
des reflexions plus generales.
Me voicy maintenant à la
Scene de l'Ambassade, elle
est bien digne d'un Ambassadeur
Romain,& Corneille
n'a pasce me femblc
fait parler Flaminius à Nicomede
avec plus de noblesse
& de dignité ; la manière
dont Pharasmane reçoit cet
Ambassadeur ne céde en
rien àcelle dont Nicomede
reçoitFlaminius: il en beau )de voir Pharasmane reprimer
l'orgueil des Romains,
jurqu'à traiter de fanfarons
ces Maistres du monde;
quel domageque l'Ambassadeurd'Armenie
rompe un
Discours qui ne finit pas à
l'honneur du Senat, on
attend une Sceneoù la grandeur
des Romains & celle
de Pharasmane soit soutenue
par les differens traits
qui les caraéterisent, & le
Spectateur ne peut souffrir
qu'un homme tel quHicron,
luy ostele plaisir d'entendre
deux Héros qui contcftent
de la grandeur, &
qui l'établissen0t sur l'opposition
de leurs interests, & de
leurs maximes: c'estencela
sur tout que la Scene entre
Nicomede & Flaminius est
admirable, en tâchant à
l'envy de diminuer la grandeur
l'un de l'autre: ils
se montrent tous deux si
grands que la Scene finit
sans que le Speétareur puisse
decider lequell'emporte ,si
l'Ambassadeurd'Arménie
estoitnecessaire icy comme
on le prétend, c'est une
necessité bien fatale à cette
Scene si digne d'une plus
belle fin.
Dans le troisiémeActe
Arsame quineconnoist pas
Rhadamistepour son frere,
vient luy demander son secours
pour Zenobie contre
les fureurs de Pharafmane , l'amour qu'il a pour cette
Princesse fait faire à ce
Prince vertueux & fidelle,
une démarche qui paroist
estre un peu contre son devoir
, le plaisir que Rhadamistesepropose
derenverfer
les projets d'amour d'un
pere qu'il deteste
, & sans
doute son penchant à prendre
des partis extrêmes,lui
font accepter avec transport
les propositions de son frere;
la haine qu'il aconçeuë contre
Pharafmane
, va jusqu'à
vouloir soustraire à son autorité
Ar same que les sentimens
de la nature &de laprobiré
ornent aux dépens de
toute sa famille. Un projet si
dénaturé révol te cette amc
si bien née, & l'exemple de
vertu que donne Arfame cn5
cette occasion, réveille des
remords dans le coeur du
plus grand des scelerats
c'est ainsi qu'en détestant
l'horrible caractere de Rhadamiste
, on admire celuy
d'Arsame qui feroit de plus
vives impressions dans le
coeur des Spéculateurs, s'ils
n'estoient pas accoutûmez
par les horreurs de son frère
à des mouvemens d'un autre
ordre.
Je passe à la Scene de la
reconnoinance, c'estàmon
avis la situation du monde
a plus interessante, ces deux
personnes
personnes autrefois si chercs
l'une à l'autre, & que l'action
la plus affreuse avoit
séparez, sont par leur réünion
un Spectacle bien
touchant à toute l'Assemblée.
Zenobie à qui la vertu
ne permet pas de méconnoistre
son époux, & dont
le bon coeur sent même du
plaisir à le retrouver ,excite
les transports de Rhadamille
; illuy promet d'effacer
tous ses forfaits à force
de vertus; les promesses
accompagnées de larmes
& de transports trouvent
grace devant le Spectateur
qui croit aux sermens de
Rhadai-nifle,&qui souhaite
de les luy voir observer;
parce que ceux en qui il
place son interest ne doivent
ny ne peuvent luy est suspeas
; si le Spectateur est
dans la suite la dupe de
ces sermens,c'est qu'en effet
il n'y a personne quinefut
trompé aux sentimens tendres,&
délicats que Rhadamiste
y fait paroistre : en
s'interessant pour luy on
0a fait que suivre le coeur
deZenobie qui s'attendrit
au Discours de son époux
tout barbare qu'elle le connoist
: je ne sçaurois trop
dire combien cette Scene
m'a paru belle Lorsque
Rhadamiste exagere l'horreur
de ses crimes à Zenobie
qui les luy pardonne, il
marque qu'illent bien vivement
une generosité si heroïque
,
il ne se trouve dans
ce moment si coupable que
parce qu'il est plus sensible à
la vertu de Zenobie
,
lorsqu'il
prétend en diminuer
l'horreur en les rapportant
tous à son amour excessif
les dispositions sont dans,
cet instant si contraires à
celles d'un scelerat qu'il ne
croit même pas qu'on ait
pu lettreautantqu'il l'a été,
le Spectateur touché de
tant de délicatesse
,
cesse de
lui imputer ses fortfaits,&
commence à les regarder
c?
comme des circonstances
malheureuses qui serviront
à son Heroîme : voilà l'efset
de cet espece de délicatesse
raisonée: elle est d'autant
plusaudessus de la simplevivacité,
quel'esprit &
le coeur en partagent également
le plaisir. >
Dans le quatrièmeActe,
Arsame vient chercher
Zenobie, allarmé de sa froideur
il s'en plaint à elle en
en amant respecteux , Zenobie
qui croit devoir du
moins payer son amour par
un aveu necessaireàson repos
luiaprend qu'elleest Zenobic,
& que l'Ambassadeur
Romain est son époux
, c'est un trait de generosité,
bien digne de cette Princesse
mais si malreçu de Rhadamiste
qu'ilestprêtd'éclater
contre elle,& contre son
frere ; le Spectateur se repent
alors de s'être interessépourlui,
il envisage de
continuels malheurs pour
Zenobie ; & fâché de voir
tant de vertus livrées à des
fureurs qu'il n'espere plus
de voir finir, il retracte
pour ainsi dire la joye que
lui a donné sa reconnaissance
, & souhaite quequelque
heureuse circonstance les separe
pour toujours, la vertu
deZenobie tire un merveilleux
lustred'une circonstancc
si désagrable d'ailleurs
pour clic; sa fermeté
,
son
courage&l'amourdu devoir
éclate dans le parti qu'elle
prend de suivre son époux.
Ils partent enfin, & Pharasmane
bien-tost averti de
leur fuite, court&s'en van;..
ge dans le fang de Rhadamiste,
qui vient rendre son
dernier soupir entre les bras
de Zenobie au milieu de toute
sa famille, Pharafmanc
qui le reconnaît fremit du
coup qu'illuy a porté; l'ignorance
ne diminuë point
assez à son gré l'horreur de
son crime, & il paraît ce
me semble bien touché d'une
mort qu'il avait autrefois
ordonnée avec tant de
barbarie; il cft bien Pere
en ce moment pour ne l'avoir
encore jamais été
, &
cet homme sur qui lanature
avoit eu jusques làsipeu
de pouvoir me paraît du
moins se démentir un peu: Quant à Rhadamiste il
meurt comme il a vécu, d'abord
il craint de répandre
le fang de son pere, & préféréla
mort à l'horreur du
parricide, c'était son, bon
intervalle qui ne dure pas
long-temps, un moment
après il accable la douleur
de son Pere loin de la respecter
, on ne devinerait
pas qu'un Fils qui craint
moins la mort que le parricide
,deust outrager un Pere
qui semontre tel pour la
premiere fois, dans ces derniers
moments où la nature
& la vertu se produisent.
plus que dans tous les ail*
très.
Un pareil caractere est
bien plein de bizarrerie, c'est
ici le lieu d'examiner s'il
convient au Theatre, Rhadamistefait
lui même son
portrait en ces termes :
Et que (fay
- je Hieron
J
furieux
,
incertain,
Criminelsans penchant
, vertueuxsans
dessein.
Jouet infortuné de ma douleur
extrême,
Dans l'état oùjefuismeconnais-
jemoi même
Mon coeur de soinsdiverssans
cesse combatu,
Ennemi duforfaitsans aimer
la vertu,
D'un amour malheureux déplorablevictime
S'abandonne au remord sans
renoncer au crime ;
Je cede au repentir, mais sans
en profiter
Et je ne me connois que pour
me detefler,cec.
S'il est vray que Rhadamisteest
criminel sans penchant,
Zenobie le connaît
mal, ou ne lui rend pas justicc
quand elle dit.
Je l'avouerai
,
sensible à sa
tcndrcjje extrême,
Je mefis un devoird'yreport«•
dre de même,
Ignorantqu'en effetsous des dehors
heureux
On peut cacher au crime un
penchant dangereux.
D'ailleurs ses crimes sont
trop noirs& en trop grand
nombre pour les rapporter
tous à sa jalousie ou aux circonstances
où il s'est trouvé;
il me semble que la fureur
qui l'anime contre son pere,
& qui peut le conduire jusqu'au
parricide, marque
un scelerat bien déterminé.
Quoi qu'il en foit la continuité
& l'uniformité de ses
remords m'étonnent; je ne
puis comprendre qu'il soit
si peu fait au crime
,
après
en avoir fait de si noirs.
Que les plus fameux criminelsayant
eu quelque fois
des retours je n'en fuis pas
surpris, ils ne franchissent
point de certaines bornes,
sans quelque effort qu'ils
doivent sentir ; mais qu'ils
detestent uniformement les
crimes dont ils ont une longue
habitude, de telle sorte
que les remords les caracterisent;
c'est ce qui me paroist
incroyable.
J avoue que les remords
que l'Auteur donne à son
Heros fondent l'interêt
que nous prenons à la Scene
de la reconnaissance ; mais
celle de la jalousie qui la
suit de près n'apprent elle
pas au Spectateur que Rhadamiste
en un phrenetique
dangereux qui a successivement
de bons & de mauvais
intervalles,avec lequel il
faut perpétuellement de
compter, qui ne merite ny
attention ny creance ny
iDtcrefi) était-ce la peine
de bâtirpourdétruire si
promptement; & ne valoiril
pas mieux réduire le mcrite
de la reconnoissance au
merveilleux de la furprifc
que fait naître larencontre
impreveüe de deux person-
- nes que de grands interests
unissent ouséparent ,il faloit
donc ou faire voir les fruits
de tant de remords,ou en
retrancher le principe, on
auroit sçeu à quoys'en tenir
avec Rhadamiste & nous
l'aurions aimé ou haï sans
risquer d'en estre un moment
la dupe: Cleoparre
ne s'estoit pas signalée par
plus de forfaits que Rhadamiste,
leur ressamblance est
assez grande en ce point,
Corneille n'a eu garde de
luy donner des remords qui
ne pouvant estre le fruit
d'une vertu qu'elle avoit
absolument étouffée,n'auroit
esté que foiblesse dans
sonesprit & qu'inconstance
dans son coeur; loinqu'ils
eussent adouci son caractère
par raport au Spectateur;ils
luy auroient osté le merveilleux
attaché aux grands
crimes : cette détestable
constance qui brave les loix
est d'autant plus grande au
Theatre qu'elle inspire plus
d'horreur.
C'est pour cela que les remords
Infructueux de Rhadamiste
rendent son caractere
petit & peu digne du
Theatre, un homme qu'on
me represente le joüet des
plus noires fureurs, & des
plus beaux sentimens, qui
n'a pas la force de secouër
l'un ou l'autre joug, un
pareil caraétere est-il digne
de l'attention publique, &
n'estil pas aussi méprisable
dans ses remords, qu'il est
detestable dans ses crimes.
Jugez, Monsieur, par
ce que je viens de vous dire
combien le caraé1;ere de
Zenobie doit briller par
opposition à celuy de Rhadamiste
: on ne peut mettre
sur le Theatre plus de generosité
,
plus de constance,
& plus de toutes ces qualitez
qui forment une Heroïne,
j'aurais seulement souhaité
que son amour pour Arfame
eut esté plus vif, sa gloire
auroit esté plus grande à
le surmonter
, ce caractère
c11 d'ailleurs plein des plus
grandes beautez : j'admire
sur tout l'aveu qu'elle fait
de son amour pour Arsame
en presence de son époux:
j'aime avoir un Auteur de
nostre siecle faire revivre la
fage hardiesse du grand
Corneille,& sij'estime beaucoup
ce qu'il a fait, j'admire
encore plus ce qu'il est capable
de faire.
DEM **
SurlaTragedie de Rhadamiste&
deZenobie.
Vous me demandez ,
Monficur
, une Critique
exaéte de la Tragedie de
Rhadamiste* j'ay fait en la
lisant quelques Reflexions
dont j'espere quevous voudrez
bien vous contenter.
L'exposition du sujet
me paroist tres simple
pour la quantité de faits
dont elle est necessaire-
-
ment chargée
,
le recit
de Zenobie ne larenferme
pas toute entiere
Rhadamiste , vient l'achever
au sécond Aéte
,
dans le
rccit qu'il fait à Hieron
de quelques circonstances
que Zenobie ne peut pas
sçavoir :
il estoit bien
difficile d'éviter l'inconvenient
des répetitions,
en introduisant sur la
Scene deux personnes qui
racontent les mêmes faits:
l'Autcury a merveilleusement
réüssi. Rhadamiste
ne par le qu'en passant de
ceux donc Zenobie a déja
instruit sa Considence, &
seulement pour entrer avec
nettetédans ce que le Spectateur
ne sçait pas encore s'il
a donné dans cette occasion
une marque de sonhabileté,
sa délicatesse ne me paroist
pas moins grande dans le
récit qu'il fait faire à Zenobie
descruautez de Rhadamiste;
cette-Princesse garde
tous les ménagemens qu'elle
doit aux manes de son
époux ,&quand l'ordrede
son Di scours la conduit àce
moment horrible de sa vie,
où aprés avoir esté poignardée
,
elle fut jettée dans
l'Araxe; on diroit qu'elle
l'interrompt exprés pour
laisser ignorer à sa Considente
que son époux est l'Auteur
ducoup le plus barbare
que l'Histoire ait jamais
raporté; je ne sçay si ces sinesses
de l'art ont également
rciiffi dans tous les tfprKs ;
mais j'ay cru y trouver la
main de maistre.
A 'peine Zenobie a fini
son récit, qu'Arsameparoist
sur le Theatre: ce Prince
amoureux de Zenobie ne
peut plus supporter son
absence
,
&sans l'ordre
de Pharasmane son pere il
arrive dans sa Cour : Pharasmane
également charmé
de la Princesse la furprcnd
avec son fils: c'est-là que
son caractere commence à
se découvrir, peu arraché à
sesenfans par les sentimens
de la nature, rival pour eux
aussi dangereux que le plus
cruel ennemy ,
grand d'ailleurs
par son courage
, par son ambition
, & par -Ces
succés contre les Romains,
dont il n'est pas moins cnncmy
que Mithridate ,c'estce
me semble un fort beau
caractere,j'auroisvoulu seulement,
le trouver dans son
intrigue aussi fourbe ,&
aussiperside qu'il l'est dans rHIHoire;cnessèt l'artifice
n'est pas un des moindres
traits qui l'y caracterisenr,
& c'est à cetrait si négligé
dans la pieçequePharasmanme
deveoit lna coiureonn.e d'Ar-
Le second ACtc est ouvert
par Rhadamiste qui
arrive à la Cour de son
perc donc il se flatequ'il
ne sera pas. reconnu;chargé
des volontez du Senat il
vient de sa part deffendreà
Pharasmane d'aspirer à la
Couronne d'Armenie, il
opofe en fort beaux termes
les motifs qui ont engagé
les Romains à le nommer
leur A01baffadeur,&.
lesraisons qui l'ont porté à
demander cet honneur:
on y voit cette haine si violence
contre son pere , cet
amour furieux pour objet un qu'il desespere de
revoir jamais; c'est-là que
paroissent ces projets affreux
de vangeance, ces remords
pour des crimes passez
,
l'ardeur qui l'entraîne à des
crimes nouveaux: en un
mot on y trouve déja tout
son caractere qui doit se
développer par les circonstances
ou l'Auteur le place
dans le cours de la Tragédie.
C'est sur ce caractère que
je doit insister davantage,
c'est dans le contraste qu'il
fait avec celuy de Zenobie,
que l'Auteur a pris les plus
grandes beautezde sa Piece,
& sij'y trouve quelle dcffaut,
c'est sur tout dans ce
caractere que je les auray
cherchez
:
il mérite donc
une attention particuliers
que je luy donneray après
des reflexions plus generales.
Me voicy maintenant à la
Scene de l'Ambassade, elle
est bien digne d'un Ambassadeur
Romain,& Corneille
n'a pasce me femblc
fait parler Flaminius à Nicomede
avec plus de noblesse
& de dignité ; la manière
dont Pharasmane reçoit cet
Ambassadeur ne céde en
rien àcelle dont Nicomede
reçoitFlaminius: il en beau )de voir Pharasmane reprimer
l'orgueil des Romains,
jurqu'à traiter de fanfarons
ces Maistres du monde;
quel domageque l'Ambassadeurd'Armenie
rompe un
Discours qui ne finit pas à
l'honneur du Senat, on
attend une Sceneoù la grandeur
des Romains & celle
de Pharasmane soit soutenue
par les differens traits
qui les caraéterisent, & le
Spectateur ne peut souffrir
qu'un homme tel quHicron,
luy ostele plaisir d'entendre
deux Héros qui contcftent
de la grandeur, &
qui l'établissen0t sur l'opposition
de leurs interests, & de
leurs maximes: c'estencela
sur tout que la Scene entre
Nicomede & Flaminius est
admirable, en tâchant à
l'envy de diminuer la grandeur
l'un de l'autre: ils
se montrent tous deux si
grands que la Scene finit
sans que le Speétareur puisse
decider lequell'emporte ,si
l'Ambassadeurd'Arménie
estoitnecessaire icy comme
on le prétend, c'est une
necessité bien fatale à cette
Scene si digne d'une plus
belle fin.
Dans le troisiémeActe
Arsame quineconnoist pas
Rhadamistepour son frere,
vient luy demander son secours
pour Zenobie contre
les fureurs de Pharafmane , l'amour qu'il a pour cette
Princesse fait faire à ce
Prince vertueux & fidelle,
une démarche qui paroist
estre un peu contre son devoir
, le plaisir que Rhadamistesepropose
derenverfer
les projets d'amour d'un
pere qu'il deteste
, & sans
doute son penchant à prendre
des partis extrêmes,lui
font accepter avec transport
les propositions de son frere;
la haine qu'il aconçeuë contre
Pharafmane
, va jusqu'à
vouloir soustraire à son autorité
Ar same que les sentimens
de la nature &de laprobiré
ornent aux dépens de
toute sa famille. Un projet si
dénaturé révol te cette amc
si bien née, & l'exemple de
vertu que donne Arfame cn5
cette occasion, réveille des
remords dans le coeur du
plus grand des scelerats
c'est ainsi qu'en détestant
l'horrible caractere de Rhadamiste
, on admire celuy
d'Arsame qui feroit de plus
vives impressions dans le
coeur des Spéculateurs, s'ils
n'estoient pas accoutûmez
par les horreurs de son frère
à des mouvemens d'un autre
ordre.
Je passe à la Scene de la
reconnoinance, c'estàmon
avis la situation du monde
a plus interessante, ces deux
personnes
personnes autrefois si chercs
l'une à l'autre, & que l'action
la plus affreuse avoit
séparez, sont par leur réünion
un Spectacle bien
touchant à toute l'Assemblée.
Zenobie à qui la vertu
ne permet pas de méconnoistre
son époux, & dont
le bon coeur sent même du
plaisir à le retrouver ,excite
les transports de Rhadamille
; illuy promet d'effacer
tous ses forfaits à force
de vertus; les promesses
accompagnées de larmes
& de transports trouvent
grace devant le Spectateur
qui croit aux sermens de
Rhadai-nifle,&qui souhaite
de les luy voir observer;
parce que ceux en qui il
place son interest ne doivent
ny ne peuvent luy est suspeas
; si le Spectateur est
dans la suite la dupe de
ces sermens,c'est qu'en effet
il n'y a personne quinefut
trompé aux sentimens tendres,&
délicats que Rhadamiste
y fait paroistre : en
s'interessant pour luy on
0a fait que suivre le coeur
deZenobie qui s'attendrit
au Discours de son époux
tout barbare qu'elle le connoist
: je ne sçaurois trop
dire combien cette Scene
m'a paru belle Lorsque
Rhadamiste exagere l'horreur
de ses crimes à Zenobie
qui les luy pardonne, il
marque qu'illent bien vivement
une generosité si heroïque
,
il ne se trouve dans
ce moment si coupable que
parce qu'il est plus sensible à
la vertu de Zenobie
,
lorsqu'il
prétend en diminuer
l'horreur en les rapportant
tous à son amour excessif
les dispositions sont dans,
cet instant si contraires à
celles d'un scelerat qu'il ne
croit même pas qu'on ait
pu lettreautantqu'il l'a été,
le Spectateur touché de
tant de délicatesse
,
cesse de
lui imputer ses fortfaits,&
commence à les regarder
c?
comme des circonstances
malheureuses qui serviront
à son Heroîme : voilà l'efset
de cet espece de délicatesse
raisonée: elle est d'autant
plusaudessus de la simplevivacité,
quel'esprit &
le coeur en partagent également
le plaisir. >
Dans le quatrièmeActe,
Arsame vient chercher
Zenobie, allarmé de sa froideur
il s'en plaint à elle en
en amant respecteux , Zenobie
qui croit devoir du
moins payer son amour par
un aveu necessaireàson repos
luiaprend qu'elleest Zenobic,
& que l'Ambassadeur
Romain est son époux
, c'est un trait de generosité,
bien digne de cette Princesse
mais si malreçu de Rhadamiste
qu'ilestprêtd'éclater
contre elle,& contre son
frere ; le Spectateur se repent
alors de s'être interessépourlui,
il envisage de
continuels malheurs pour
Zenobie ; & fâché de voir
tant de vertus livrées à des
fureurs qu'il n'espere plus
de voir finir, il retracte
pour ainsi dire la joye que
lui a donné sa reconnaissance
, & souhaite quequelque
heureuse circonstance les separe
pour toujours, la vertu
deZenobie tire un merveilleux
lustred'une circonstancc
si désagrable d'ailleurs
pour clic; sa fermeté
,
son
courage&l'amourdu devoir
éclate dans le parti qu'elle
prend de suivre son époux.
Ils partent enfin, & Pharasmane
bien-tost averti de
leur fuite, court&s'en van;..
ge dans le fang de Rhadamiste,
qui vient rendre son
dernier soupir entre les bras
de Zenobie au milieu de toute
sa famille, Pharafmanc
qui le reconnaît fremit du
coup qu'illuy a porté; l'ignorance
ne diminuë point
assez à son gré l'horreur de
son crime, & il paraît ce
me semble bien touché d'une
mort qu'il avait autrefois
ordonnée avec tant de
barbarie; il cft bien Pere
en ce moment pour ne l'avoir
encore jamais été
, &
cet homme sur qui lanature
avoit eu jusques làsipeu
de pouvoir me paraît du
moins se démentir un peu: Quant à Rhadamiste il
meurt comme il a vécu, d'abord
il craint de répandre
le fang de son pere, & préféréla
mort à l'horreur du
parricide, c'était son, bon
intervalle qui ne dure pas
long-temps, un moment
après il accable la douleur
de son Pere loin de la respecter
, on ne devinerait
pas qu'un Fils qui craint
moins la mort que le parricide
,deust outrager un Pere
qui semontre tel pour la
premiere fois, dans ces derniers
moments où la nature
& la vertu se produisent.
plus que dans tous les ail*
très.
Un pareil caractere est
bien plein de bizarrerie, c'est
ici le lieu d'examiner s'il
convient au Theatre, Rhadamistefait
lui même son
portrait en ces termes :
Et que (fay
- je Hieron
J
furieux
,
incertain,
Criminelsans penchant
, vertueuxsans
dessein.
Jouet infortuné de ma douleur
extrême,
Dans l'état oùjefuismeconnais-
jemoi même
Mon coeur de soinsdiverssans
cesse combatu,
Ennemi duforfaitsans aimer
la vertu,
D'un amour malheureux déplorablevictime
S'abandonne au remord sans
renoncer au crime ;
Je cede au repentir, mais sans
en profiter
Et je ne me connois que pour
me detefler,cec.
S'il est vray que Rhadamisteest
criminel sans penchant,
Zenobie le connaît
mal, ou ne lui rend pas justicc
quand elle dit.
Je l'avouerai
,
sensible à sa
tcndrcjje extrême,
Je mefis un devoird'yreport«•
dre de même,
Ignorantqu'en effetsous des dehors
heureux
On peut cacher au crime un
penchant dangereux.
D'ailleurs ses crimes sont
trop noirs& en trop grand
nombre pour les rapporter
tous à sa jalousie ou aux circonstances
où il s'est trouvé;
il me semble que la fureur
qui l'anime contre son pere,
& qui peut le conduire jusqu'au
parricide, marque
un scelerat bien déterminé.
Quoi qu'il en foit la continuité
& l'uniformité de ses
remords m'étonnent; je ne
puis comprendre qu'il soit
si peu fait au crime
,
après
en avoir fait de si noirs.
Que les plus fameux criminelsayant
eu quelque fois
des retours je n'en fuis pas
surpris, ils ne franchissent
point de certaines bornes,
sans quelque effort qu'ils
doivent sentir ; mais qu'ils
detestent uniformement les
crimes dont ils ont une longue
habitude, de telle sorte
que les remords les caracterisent;
c'est ce qui me paroist
incroyable.
J avoue que les remords
que l'Auteur donne à son
Heros fondent l'interêt
que nous prenons à la Scene
de la reconnaissance ; mais
celle de la jalousie qui la
suit de près n'apprent elle
pas au Spectateur que Rhadamiste
en un phrenetique
dangereux qui a successivement
de bons & de mauvais
intervalles,avec lequel il
faut perpétuellement de
compter, qui ne merite ny
attention ny creance ny
iDtcrefi) était-ce la peine
de bâtirpourdétruire si
promptement; & ne valoiril
pas mieux réduire le mcrite
de la reconnoissance au
merveilleux de la furprifc
que fait naître larencontre
impreveüe de deux person-
- nes que de grands interests
unissent ouséparent ,il faloit
donc ou faire voir les fruits
de tant de remords,ou en
retrancher le principe, on
auroit sçeu à quoys'en tenir
avec Rhadamiste & nous
l'aurions aimé ou haï sans
risquer d'en estre un moment
la dupe: Cleoparre
ne s'estoit pas signalée par
plus de forfaits que Rhadamiste,
leur ressamblance est
assez grande en ce point,
Corneille n'a eu garde de
luy donner des remords qui
ne pouvant estre le fruit
d'une vertu qu'elle avoit
absolument étouffée,n'auroit
esté que foiblesse dans
sonesprit & qu'inconstance
dans son coeur; loinqu'ils
eussent adouci son caractère
par raport au Spectateur;ils
luy auroient osté le merveilleux
attaché aux grands
crimes : cette détestable
constance qui brave les loix
est d'autant plus grande au
Theatre qu'elle inspire plus
d'horreur.
C'est pour cela que les remords
Infructueux de Rhadamiste
rendent son caractere
petit & peu digne du
Theatre, un homme qu'on
me represente le joüet des
plus noires fureurs, & des
plus beaux sentimens, qui
n'a pas la force de secouër
l'un ou l'autre joug, un
pareil caraétere est-il digne
de l'attention publique, &
n'estil pas aussi méprisable
dans ses remords, qu'il est
detestable dans ses crimes.
Jugez, Monsieur, par
ce que je viens de vous dire
combien le caraé1;ere de
Zenobie doit briller par
opposition à celuy de Rhadamiste
: on ne peut mettre
sur le Theatre plus de generosité
,
plus de constance,
& plus de toutes ces qualitez
qui forment une Heroïne,
j'aurais seulement souhaité
que son amour pour Arfame
eut esté plus vif, sa gloire
auroit esté plus grande à
le surmonter
, ce caractère
c11 d'ailleurs plein des plus
grandes beautez : j'admire
sur tout l'aveu qu'elle fait
de son amour pour Arsame
en presence de son époux:
j'aime avoir un Auteur de
nostre siecle faire revivre la
fage hardiesse du grand
Corneille,& sij'estime beaucoup
ce qu'il a fait, j'admire
encore plus ce qu'il est capable
de faire.
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Résumé : REFLEXIONS DE M** Sur la Tragedie de Rhadamiste & de Zenobie.
Le texte est une critique de la tragédie 'Rhadamiste et Zénobie'. L'auteur admire la simplicité de l'exposition du sujet malgré la complexité des faits à traiter. Il apprécie l'évitation des répétitions grâce à l'introduction de personnages relatant les mêmes événements sous différents angles. La délicatesse avec laquelle Rhadamiste et Zénobie racontent leurs histoires est soulignée, notamment la manière dont Zénobie mentionne la cruauté de Rhadamiste avec ménagement. Le caractère de Pharasmane, le père d'Arsame, se révèle progressivement, bien que l'auteur regrette que Pharasmane ne soit pas aussi fourbe et perspicace dans la pièce qu'il l'est dans l'histoire. Le second acte commence avec Rhadamiste arrivant à la cour de son père en se dissimulant. Il est chargé par le Sénat romain de défendre les droits de Pharasmane sur la couronne d'Arménie. Rhadamiste exprime sa haine pour son père et son amour désespéré pour Zénobie, révélant ainsi son caractère complexe et ses projets de vengeance. L'auteur critique la scène de l'ambassade romaine, qu'il trouve digne mais interrompue de manière regrettable par l'ambassadeur arménien. Il admire la scène où Arsame demande de l'aide pour Zénobie contre Pharasmane, soulignant la vertu et la fidélité d'Arsame. La scène de la reconnaissance entre Rhadamiste et Zénobie est particulièrement touchante. Zénobie pardonne à Rhadamiste malgré ses crimes, émouvant le spectateur par cette générosité. Cependant, Rhadamiste retombe rapidement dans sa jalousie et sa fureur, décevant le spectateur. Dans le quatrième acte, Arsame découvre la véritable identité de l'ambassadeur romain, qui est Rhadamiste. Pharasmane, informé de la fuite de Rhadamiste et Zénobie, les poursuit et trouve Rhadamiste mourant. Pharasmane est touché par cette mort, contrairement à Rhadamiste qui, dans ses derniers moments, montre une bizarrerie de caractère en oscillant entre la crainte du parricide et l'outrage envers son père. L'auteur critique le caractère de Rhadamiste, le trouvant plein de bizarrerie et d'incohérence. Il juge les remords constants de Rhadamiste incroyables pour un criminel de son envergure, suggérant que la pièce aurait gagné en cohérence en montrant les fruits de ces remords ou en les supprimant complètement. Le texte souligne également que la faiblesse et l'inconstance d'un personnage ne le rendent pas admirable sur scène, car elles enlèvent le caractère extraordinaire des grands crimes. La constance dans le mal est plus impressionnante au théâtre car elle inspire l'horreur. Les remords infructueux de Rhadamiste sont critiqués car ils le rendent petit et indigne du théâtre, incapable de surmonter ses passions ou ses crimes. En opposition, le caractère de Zénobie est loué pour sa générosité, sa constance et ses qualités héroïques. L'auteur regrette seulement que son amour pour Arsame ne soit pas plus intense, ce qui aurait accru sa gloire en le surmontant. Zénobie est admirée pour son aveu d'amour en présence de son époux, une audace comparée à celle de Corneille. L'auteur apprécie l'œuvre et admire le potentiel de l'auteur pour de futures créations.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 3-79
AVANTURE nouvelle.
Début :
Un jeune Comte, d'une des meilleures Maisons du Royaume, [...]
Mots clefs :
Comte, Marquise , Conseiller, Amant, Coeur, Mari, Passion, Amour, Reproches, Monde, Liberté, Parti, Italien, Maîtresse, Caractère, Charmes, Mérite, Prétexte, Heureux, Colère, Jeu, Espérer, Nouvelles, Lettre, Campagne, Faveur, Commerce, Fidélité, Femmes, Raison
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AVANTURE nouvelle.
AVANTUR
nouvelle.
U
LYON
N jeune Comte ,
d'une des meilleures
Maifons
du Royaume , s'étant
nouvellement établi das
Avril 1714. A ij
4 MERCURE
un quartier où le jeu &
la galanterie regnoient
également , fut obligé
d'y prendre parti comme
les autres ; & parce
que fon coeur avoit des
engagemens ailleurs , il
fe declara pour le jeu ,
comme pour fa paffion
dominante mais le peu
d'empreffement qu'il y
avoit , faifoit affez voir
qu'il fe contraignoit , &
l'on jugea que c'étoir un
homme qui ne s'attaGALANT
.
S
choit à rien , & qui dans
la neceffité de choiſir
avoit encore mieux aimé
cet amuſement, que
de dire à quelque belle
ce qu'il ne fentoit pas .
Un jour une troupe de
jeunes Dames qui ne
joüoient point , l'entreprit
fur fon humeur indifferente.
Il s'en défendit
le mieux qu'il put ,
alleguant fon peu de
merite , & le peu d'ef
perance qu'il auroit d'ê-
A iij
6 MERCURE
tre heureux en amour :
mais on lui dit que
quand il fe connoîtroit
affez mal pour avoir une
fi méchante opinion de
lui - même , cette raiſon
feroit foible contre la
vûë d'une belle perfonne
; & là - deffus on le
menaça des charmes d'u
ne jeune Marquife , qui
demeuroit dans le voifinage
, & qu'on attendoit.
Il ne manqua pas de leur
repartir qu'elles-mêmes
GALANT.
7.
ne fe connoiffoient point
affez , & que s'il pouvoit
échaper au peril où il
fe trouvoit alors , il ne
devoit plus rien craindre
pour fon coeur . Pour
réponse à fa galanterie ,
elles lui montrerent la
Dame dont il étoit queftion
, qui entroit dans
ce moment . Nous parlions
de vous , Madame ,
lui dirent - elles en l'appercevant
. Voici un indifferent
que nous vous
A iiij
8 MERCURE
donnons à convertir :
Vous y êtes engagée
d'honneur ; car il femble
yous défier auffi - bien
que nous. La Dame &
le jeune Comte ſe reconnurent
, pour s'être
vûs quelquefois à la campagne
chez une de leurs
amies . Elle étoit fort convaincuë
qu'il ne meritoit
rien moins que le
reproche qu'on luy faifoit
, & il n'étoit que
trop ſenſible à ſon gré :
GALANT. 9
mais elle avoit les raifons
pour feindre de croire
ce qu'on lui difoit.
C'étoit une occafion de
commerce avec un homme
, fur lequel depuis
long - temps elle avoit
fait des deffeins qu'elle
n'avoit pû executer . Elle
lui trouvoit de l'efprit
& de l'enjouement , &
elle avoit hazardé des
complaisāces pour beaucoup
de gens qui afſurément
ne le valoient
to MERCURE
pas : mais fon plus grand
merite étoit l'opinion
qu'elle avoit qu'il fût aimé
d'une jeune Demoifelle
qu'elle haïffoit , &
dont elle vouloit fe vanger.
Elle prit donc fans
balancer le parti qu'on
lui offroit ; & aprés lui
avoit dit qu'il faloit qu'-
on ne le crût pas bien
endurci , puis qu'on s'adreffoit
à elle pour le
toucher , elle entreprit
de faire un infidele , fous
GALANT . 11
pretexte de convertir un
indifferent. Le Comte
aimoit paffionsément la
Demoiſelle dont on le
croyoit aimé, & il tenoit
à elle par des
engagemens
fi puiffans
, qu'il
ne craignoit
pas que rien
l'en pût détacher
. Sur
tout il fe croyoit
fort en
fûreté contre les charmes
de la Marquife. Il
la connoiffoit pour une
de ces coquettes de profeffion
qui veulent , à
12 MERCURE
quelque prix que ce ſoit ,
engager tout le monde ,
& qui ne trouvent rien
de plus honteux que de
manquer une conquête .
Il fçavoit encore quedepuis
peu elle avoit un
amant , dont la nouveauté
faifoit le plus grand
merite , & pour qui elle
avoit rompu avec un
autre qu'elle aimoit depuis
long - temps , & à
qui elle avoit des obligations
effentielles . Ces
と
GALANT .
13
connoiffances lui fmbloient
un remede affuré
contre les tentations
les plus preffantes. La
Dame l'avoit affez veu
pour connoître quel étoit
fon éloignement
pour des femmes
de fon
caractere
: mais cela ne
fit que flater fa vanité.
Elle trouva plus de gloire
à triompher
d'un
coeur qui devoit être fi
bien défendu. Elle lui
fit d'abord
des reproches
14 MERCURE
de ne l'eftre pas venu
voir depuis qu'il étoit
dans le quartier , & l'engagea
à reparer fa faute
dés le lendemain . Il
alla chez elle , & s'y fit
introduire par un Confeiller
de fes amis , avec
qui il logcoit , & qui
avoit des liaiſons étroites
avec le mari de la
Marquife, Les honneftetez
qu'elle lui fit l'obligerent
enfuite d'y aller
plufieurs fois fans inGALANT.
15
troducteur ; & à chaque
yifite la Dame mit en
ufage tout ce qu'elle
crut de plus propre à .
l'engager. Elle trouva
d'abord toute la refiftance
qu'elle avoit attendue.
Ses foins , loin .
de faire effet , ne lui attirerent
pas feulement
une parole qui tendît à
une declaration : mais
elle ne defefpera point
pour cela du pouvoir de
fes charmes ; ils l'avoient
16 MERCURE
fervie trop fidelement en
d'autres occafions
, pour
ne lui donner pas lieu
de fe flater d'un pareil
fuccés en celle - ci ; elle
crut mefme remarquer
bientôt qu'elle ne s'étoit
pas trompée. Les vifites
du Comte furent
plus frequentes : elle lui
trouvoit un enjouëment
que l'on n'a point quand
on n'a aucun deffein de
plaire.Mille railleries divertissantes
qu'il faifoit
fur
+
GALANT . 17
für fon nouvel amant ;
le chagrin qu'il témoignoit
quand il ne pouvoit
eftre feul avec elle ;
Fattention qu'il preftoit.
aux moindres chofes
qu'il luy voyoit faire :
tout cela lui parut d'un
augure merveilleux , &
il eft certain que fi elle
n'avoit pas encore le
coeur de ce pretendu indifferent
, elle occupoit.
du moins fon efprit . Ih
alloit plus rarement chez
Avril 1714. B :
18 MERCURE
la Demoiſelle qu'il aimoit
, & quand il étoit
avec elle, il n'avoit point
d'autre foin , que de faire
tomber le difcours fur
la Marquife . Il aimoit
mieux railler d'elle que
de n'en rien dire . Enfin
foit qu'il fût feul , ou
en compagnie , fon idée
ne l'abandonnoit jamais
. Quel dommage ,
difoit - il quelquefois
que le Ciel ait répandu
tant de graces dans une
,
GALANT . 19
coquette ? Faut - il que la
voyant fi aimable , on
ait tant de raiſon de ne
point l'aimer ? Il ne pouvoit
lui pardonner tous
fes charmes ; & plus il
lui en trouvoit , plus il
croyoit la haïr. Il s'oublia
même un foir jufques
à lui reprocher fa
conduite , mais avec une
aigreur qu'elle n'auroit,
pas ofé efperer fitoft. A
quoy bon , lui dit- il ,
Madame , toutes ces oil-
Bij
20 MERCURE
lades & ces manieres étu
diées que chacun regarde
, & dont tant de gens
fe donnent le droit de
parler Ces foins de
chercher à plaire à tout
le monde , ne font pardonnables
qu'à celles à
qui ils tiennent lieu de
beauté . Croyez - moy ,
Madame , quittez des
affectations qui font indignes
de vous. C'étoit
où on l'attendoit . La
Dame étoit trop habile
GALANT. 2ม1
pour ne diftinguer past
les confeils de l'amitié
des reproches de la jaloufie
. Elle lui en marqua
de la reconnoiſſance
, & tâcha enfuite de
lui perfuader que ce qui
paroiffoit coquetterie ,
n'étoit en elle que la
crainte
d'un veritable
attachement ; que du
naturel dont elle fe connoiffoit
, elle ne pourroit
être heureufe dans.
un engagement , parce
22 MERCURE
qu'elle ne ſe verroit jamais
aimée , ni avec la
même fincerité , ni avec
la même delicateſſe dont
elle fouhaiteroit de l'être
, & dont elle fçavoit
bien qu'elle aimeroit .
Enfin elle lui fit an faux
portrait de fon coeur , qui
fut pour lui un veritable
poifon. Il ne pouvoit
croire tout à fait qu'elle
fût fincere : mais il ne
pouvoit s'empefcher de
le fouhaiter. Il cherGALANT.
23
choit des
apparences
ce qu'elle
lui difoit , &
il lui rappelloit
mille actions
qu'il lui avoit vû
faire , afin qu'elle les juſtifiât
; & en effet , fe fervant
du pouvoir qu'elle
commençoit à prendre
fur lui , elle y donna
des couleurs qui diffiperent
une partie de fes
foupçons mais qui
pourtant n'auroient pas
trompé un homme qui
cuft moins fouhaité de
24 MERCURE
l'eftre. Cependant, ajouta-
t- elle d'un air enjoüé ,
je ne veux pas tout à fait
difconvenir d'un défaut
qui peut me donner lieu
de vous avoir quelque
obligation . Vous fçavez
ce que j'ai entrepris pour
vous corriger de celui
qu'on vous reprochoit .
Le peu de fuccés que j'ai
eu ne vous diſpenſe pas
de reconnoître mes bonnes
intentions , & vous
me devez les mefmes
foins.
GALANT. 25
foins . Voyons fi vous ne
ferez pas plus heureux à
fixer une inconftante ,
que je l'ay été à toucher
un infenfible. Cette propofition
, quoique faite
en riant , le fit rentrer en
lui - mefme , & alarma
d'abord fa fidelité . Il vit
qu'elle n'avoit peut - eftre
que trop reüffi dans
fon entrepriſe , & il reconnut
le danger où il
étoit : mais fon penchant
commençant à lui ren-
Avril 1714.
C
26 MERCURE
dre ces reflexions facheuſes
, il tâcha bientôt
à s'en délivrer . Il
penfa avec plaifir que fa
crainte étoit indigne de
lui , & de la perfonne
qu'il aimoit depuis fi
long- temps . Sa delicateffe
alla meſme juſqu'à
fe la reprocher
comme
une infidelité
; & aprés
s'eftre dit à foy- meſme
,
que c'étoit déja eſtre inconftant
que de craindre
de changer , il embraſſa
GALANT . 27
avec joye le parti qu'on
lui offroit . Ce fut un
commerce fort agreable
de part & d'autre. Le
pretexte qu'ils prenoient
rendant leur empreffement
un jeu , ils goutoient
des plaifirs qui
n'étoient troublez d'aucuns
fcrupules. L'Italien
, qu'ils fçavoient tous
deux , étoit l'interprete :
de leurs tendres fentimens.
Ils ne fe voyoient
jamais qu'ils n'euffent à
Cij
28 MERCURE
fe donner un billet en
cette langue ; car pour
plus grande feureté, ils
étoient convenus qu'ils
ne s'enverroient jamais
leurs lettres . Sur - tout
elle lui avoit défendu dé
parler de leur commerce
au Confeiller avec qui
il logcoit , parce qu'il
étoit beaucoup plus des
amis de fon mari que des
fiens , & qu'autrefois ,
fur de moindres apparences,
il lui avoit donné
GALANT . 29
des foupçons d'elle fort
defavantageux . Elle lui
marqua même des heures
où il pouvoit le moins
craindre de les rencontrer
chez elle l'un ou
l'autre , & ils convinrent
de certains fignes d'intelligence
pour les temps
qu'ilsyferoient. Cemyf
tere étoit un nouveau
charme pour le jeune
Comte. La Marquife
prit enfuite des manieres
fiéloignées d'une co-
C
iij
30 MERCURE
quette , qu'elle acheva
bientoft
de le perdre
.
Jufques là elle avoit eu
un de ces caracteres enjoüez
, qui reviennent
quafi à tout le monde ,
mais qui deſeſperent un
amant ; & elle le quitta
pour en prendre un tout
oppofé , fans le lui faire
valoir comme un facri.
fice . Elle écarta fon nouvel
amant , qui étoit un
Cavalier fort bien fait .
Enfin loin d'aimer l'éGALANT.
31
clat , toute fon application
étoit d'empêcher
qu'on ne s'apperçût de
l'attachement que le
Comte avoit pour elle :
mais malgré tous fes
foins, il tomba unjour de
ſes poches une lettre que
fon mari ramaffa fans
qu'elle y prît garde . 11
n'en connut point le caractere
, & n'en entendit
pas le langage : mais ne
doutant pas que ce ne
fût de l'Italien , il courut
Ciiij
32 MERCURE
chez le Conſeiller , qu'il
fçavoit bien n'être pas
chez lui , feignant de lui
vouloir
communiquer
quelque affaire . C'étoit
afin d'avoir occafion de
parler au Comte , qu'il
ne foupçonnoit point
d'être l'auteur de la lettre
, parce qu'elle étoit
d'une autre main. Pour
prévenir les malheurs
qui arrivent quelquefois
des lettres perduës , le
Comte faifoit écrire touGALANT
. 33
tes celles qu'il donnoit à
la Marquise par une perfonne
dont le caractere
étoit inconnu . Il lui avoit
porté le jour precedent
le billet Italien
dont il s'agiffoit. Il étoit
écrit fur ce qu'elle avoit
engagé le Confeiller à
lui donner
à fouper ce
même jour- là ; & parce
qu'elle avoit fçû qu'il
devoit aller avec fon mari
à deux lieuës de Paris
l'apréfdînée , & qu'ils
34 MERCURE
n'en reviendroient que
fort tard , elle étoit convenue
avec ſon amant
qu'elle fe rendroit chez
lui avant leur retour. La
lettre du Comte étoit
pour l'en faire fouvenir ,
& comme un avantgoût
de la fatisfaction qu'ils
promettoient cette fe
foirée. Le mari n'ayant
point trouvé le Confeiller
, demanda le Comte .
Dés qu'il le vit , il tira
de fa poche d'un air emGALANT
.
35
preffé quantité de papiers
, & le pria de les
lui remettre quand il
féroit revenu. Parmi ces
papiers étoit celui qui
lui donnoit tant d'agitation
. En voici un , lui
dit- il en feignant de s'être
mépris , qui n'en eſt
pas. Je ne fçai ce que
c'eft , voyez fi vous l'entendrez
mieux que moy :
& l'ayant ouvert , il en
lut lui - mefme les premie-i
res lignes , de peur que
36 MERCURE
le Comte
jettant les
yeux fur la fuite , ne connût
la part que la Marquife
y pouvoit avoir ,
& que la crainte de lui
apprendre de fâcheufes
nouvelles , ne l'obligeât
à lui déguifer la verité.
Le Comte fut fort furpris
quand il reconnut
fa lettre. Untrouble foudain
s'empara de fon efprit
, & il eut befoin que
le mari fût occupé de fa
lecture , pour lui donner
(
GALANT. 37
le temps de fe remettre .
Aprés en avoir entendu
le commencement : Voila
, dit - il , contrefaifant
¡ l'étonné , ce que je chersche
depuis long - temps .
C'est le rôle d'une fille
qui ne fçait que l'Italien ,
- & qui parle à ſon amant
qui ne l'entend pas . Vous
a
aurez veu cela dans une
Comedie Françoiſe qui
a paru cet hyver. Mille
gens me l'ont demandé ,
& il faut que vous me
38.
MERCURE
faffiez le plaifir de me
le laiffer. J'y confens , lui
répondit le mari , pourveu
que vous le rendiez
à ma femme , car je croy
qu'il eft à elle. Quand le
jeune Comte crut avoir
porté affez loin la crédulité
du mari , il n'y
eut pas un mot dans ce
prétendu rôle Italien ,
dont il ne lui voulût faire
entendre l'explication
: mais le mari ayant
ce qu'il fouhaitoit , béGALANT.
39
nit le Ciel en lui - mefme
de s'être trompé fi
heureuſement , & s'en
alla où l'appelloient fes
affaires . Auffitôt qu'il
e fut forti , le Comte courut
à l'Eglife , où il étoit
fûr de trouver la Dame ,
qu'il avertit par un bilelet
, qu'il lui donna ſecretement
, de ce qui ve-
-noit de fe paffer , & de
1
l'artifice dont il s'étoit
fervi pour retirer fa let
tre. Elle ne fut pas fitôt
40 MERCURE
rentrée chez elle , qu'elle
.mit tous les domeſtiques
à la quête du papier , &
fon mari étant de retour,
elle lui demanda . Il lui
avoüa qu'il l'avoit trouvé
, & que le Comte en
ayant beſoin , il lui avoit
laiffé entre les mains .
Me voyez- vous des curiofitez
femblables pour
les lettres que vous recevez
, lui répondit- elle
d'un ton qui faifoit paroître
un peu de colere ?
Si
GALANT 41
Si c'étoit un billet tendre
, fi c'étoit un rendezvous
que l'on me donnât
, feroit - il , agréable.
que vous nous vinffiez
troubler ? Son mari lui
dic en l'embraffant , qu'il
fçavoit fort bien ce que
c'étoit ; & pour l'empêcher
de croire qu'il l'eût
foupçonnée , il l'affura
qu'il avoit cru ce papier
à lui lors qu'il l'avoit ramaffe.
La Dame ne borna
pas fon reffentiment
Avril 1714. D
42 MERCURE
à une raillerie de cette
nature . Elle fe rendit
chez le Comte de meilleure
heure qu'elle n'auroit
fait . La commodité
d'un jardin dans cette
maiſon étoit un
pretexte
pour y aller avant le
temps du foupé. La jaloufie
dans un mari eft
un défaut fi blâmable ,
quand elle n'eft pas bien
fondée , qu'elle fe fit un
devoir de juftifier ce que
le fien lui en avoit fait
J
GALANT. 43
paroître. Tout favorifoit
un fi beau deffein ;
toutes fortes de témoins
étoient éloignez , & le
Comte & la Marquiſe
pouvoient le parler en
liberté. Ce n'étoit plus
par des lettres & par des
fignes qu'ils exprimoient
leur tendreffe . Loin d'avoir
recours à une langue
étrangere , à peine
trouvoient - ils qu'ils
fçuffent affez bien le
François pour fe dire
Dij
44 MERCURE
tout ce qu'ils fentoient ;
& la défiance du mari
leur rendant tout légitime
, la Dame eut des
complaifances pour le
jeune Comte , qu'il n'auroit
pas ofé efperer. Le
mari & le Confeiller étant
arrivez fort tard ,
leur firent de grandes excufes
de les avoir fait fi
long - temps attendre.
On n'eut pas de peine à
les recevoir
, parce que
jamais on ne
s'étoit
4.
GALANT . 45
moins impatienté . Pendant
le foupé leurs yeux
firent leur devoir admirablement
; & la contrainte
où ils fe trouvoient
par la préſence
de deux témoins incommodes
, prêtoit à leurs
regards une éloquence
qui les confoloit de ne
pouvoir s'expliquer avec
plus de liberté. Le mari :
gea
ayant quelque chofe à
dire au Comte
, l'engaà
venir faire avec lui
46 MERCURE
un tour de jardin . Le
Comte en marqua par
un coup d'oeil fon déplaifir
à la Dame , & la.
Dame lui fit connoître
par un autre figne combien
l'entretien du Confeiller
alloit la faire fouffrir.
On fe fepara . Jamais
le Comte n'avoit
trouvé de fi doux momens
que ceux qu'il paffa
dans fon tête - à - tête
avec la Marquife . Il la
quitta fatisfait au derGALANT
. 47
nier point :mais dés qu'il
fut ſeul , il ne put s'abandonner
à lui mefme
fans reffentir les plus
cruelles agitations. Que
n'eut- il point à fe dire
fur l'état où il furprenoit
fon coeur ! Il n'en étoit
pas à connoître que fon
trop de confiance lui avoit
fait faire plus de
chemin qu'il ne lui étoit
permis : mais il s'étoit
imaginé jufques là qu'-
un amuſement avec une
48 MERCURE
coquete ne pouvoit bleffer
en rien la fidelité qu'il
devoit à fa maîtreffe
. Il
s'étoit toujours repofé
fur ce qu'une femme qui
ne pourroit lui donner
qu'un coeur partagé , ne
feroit jamais capable
d'inſpirer au fien un vrai
amour ; & alors il commença
à voir que ce qu'il
avoit traité d'amufement
, étoit devenu une
paffion dont il n'étoit
plus le maitre. Aprés ce
qui
GALANT 49
qui s'étoit paffé avec la
Marquife
, il fe fût flaté
inutilement de l'efperance
de n'en être point
aimé uniquement , & de
bonne foy: Peut - être
même que des doutes
là - deffus auroient été
d'un foible fecours . Il
fongeoit fans ceffe à tout
ce qu'il lupavoit trouvé
de paffion , à cet air vif
& touchant qu'elle don-*
noit à toutes les actions ;
& 'ces réflexions enfin
Avril 1714.
*
E
fo MERCURE
jointes au peu de fuccés
qu'il avoit eu dans l'attachement
qu'il avoit
pris pour la premiere
maîtreffe , mirent fa raifon
dans le parti de fon
coeur, & diffiperent tous
fes remords. Ainfi il s'abandonna
fans fcrupule
à ſon penchant , & ne
fongea plus qu'à fe ménager
mille nouvelles
douceurs avec la Marquife
; mais la jalouſic
les vinte troubler lors
GALANT. S1
qu'il s'y étoit le moins
attendu. Un jour il la
furprit feule avec l'amant
qu'il croyoit qu'el
le cût banni ; & le Cavalier
ne l'eut pas fitôt
quittée , qu'il lui en fic
des reproches , comme
d'un outrage qui ne pouvoit
être pardonné . Vous
n'avez pû long - temps
vous démentir , lui ditil
, Madame. Lorfque
vous m'avez crû affez
engagé , vous avez cellé
E ij
52 MERCURE
de vous faire violence .
J'avoue que j'applaudif
fois à ma paſſion , d'avoir
pû changer vôtre
naturel ; mais des femmes
comme
vous ne
changent jamais. J'avois
tort d'efperer un miracle
en ma faveur . Il la pria
enfuite de ne ſe plus contraindre
pour lui , & l'aſfura
qu'il la laifferoit en
liberté de recevoir toutes
les vifites qu'il lui
plairoit . La Dame fe
GALANT.
$3
connoiffoit trop bien en
dépit , pour rien apprehender
de celui - là . Elle
en tira de nouvelles affurances
de fon pouvoir
fur le jeune Comte ; &
affectant une colere qu'-
elle n'avoit pas , elle lui
fic comprendre qu'elle
ne daignoit pas ſe juſtifier
, quoy qu'elle eût de
bonnes raifons , qu'elle
lui cachoit pour le punir.
Elle lui fit même
promettre plus pofitive-
E iij
$4 MERCURE
ment qc'il n'avoit fait ,
de ne plus revenir chez
elle. Ce fut là où il put
s'appercevoir combien il
étoit peu maître de ſa
paffion . Dans un moment
il fe trouva le feul
criminel ; & plus affligé
de l'avoir irritée par les
reproches , que de la trahifon
qu'il penfoit lui
eftre faite , il fe jetta à
fes genoux , trop heureux
de pouvoir efperer
le pardon , qu'il croyoit
GALANT .
$$
auparavant qu'on lui devoit
demander
. Par quelles
foumiffions ne tâcha
t- il point de le meriter !
Bien loin de lui remetles
tre devant les yeux
marques de paffion qu'il
avoit reçues d'elle , &
qui fembloient lui donner
le droit de ſe plaindre
, il paroiffoit les avoir
oubliées , ou s'il s'en
refſouvenoit , ce n'étoit
que pour le trouver cent
fois plus coupable . Il
E mij
56 MERCURE
n'alleguoit que l'excés
de fon amour qui le faifoit
ceder à la jalousie ,
& quien de pareilles occafions
ne s'explique jamais
mieux que par la
colere. Quand elle crut
avoir pouffé fon triomphe
affez loin , elle lui
jetta un regard plein de
douceur , qui en un moment
rendit à fon ame
toute fa tranquilité . C'eft
affez me contraindre ,
lui dit- elle ; auffi bien ma
•
"
GALANT. SZ
joye & mon amour commencent
à me trahir.
Non , mon cher Comte
, ne craignez point
que je me plaigne de vôtre
colere. Je me plaindrois
bien plutôt fi vous
n'en aviez point eu . Vos
reproches il est vrai ,
>
bleffent ma fidelité : mais
je leur pardonne ce qu'ils
ont d'injurieux , en faveur
de ce qu'ils ont de
paffionné. Ces affurances
de vôtre tendreffe m'é58
MERCURE
toient fi cheres , qu'elles
ont arrefté jufqu'ici l'im
patience que j'avois de
me juftifier. Là - deffus
elle lui fit connoître
combien ſes ſoupçons étoient
indignes d'elle &
de lui ; que n'ayant point
défendu au Cavalier de
venir chez elle , elle n'avoit
pu refufer de le voir;
qu'un tel refus auroit été
une faveur pour lui ; que.
s'il le
fouhaitoit pourtant
, elle lui défendroit
V
GALANT. 59
fa maiſon pour jamais :
mais qu'il confiderât
combien il feroit peu
agreable pour elle , qu'-
un homme de cette forte
s'allât vanter dans le
monde qu'elle cuft rompu
avec lui , & laiſsât
croire qu'il y euft des
gens à qui il donnoit de
l'ombrage. L'amoureux
Comte étoit fi touché
des marques de tendreſſe
qu'on venoit de lui donner
, qu'il ſe feroit vo60
MERCURE
>
lontiers payé d'une plus
méchante raiſon . Il eut
honte de fes foupçons ,
& la pria lui- meſine de
ne point changer de conduite
. Il paffa ainfi quelques
jours à recevoir fans
ceffe de nouvelles affurances
qu'il étoit aimé ,
& il merita dans peu
qu'on lui accordât une
entrevue fecrete la nuit .
Le mari étoit à la campagne
pour quelque
temps ; & la Marquife ,
*
1
GALANT. 61
maîtreffe alors d'ellemeſme
, ne voulut pas
perdre une occafion fi
favorable de voir fon a
mant avec liberté . Le
jour que le Comte étoit
attendu chez elle fur les
neuf heures du foir , le
Confeiller foupant avec
lui , ( ce qu'il faifoit fort
fouvent ) voulut le mener
à une affemblée de
femmes du voisinage ,
qu'on regaloit d'un concert
de voix & d'inftru62
MERCURE
mens. Le Comte s'en
excufa , & ayant laiffé
fortir le Confeiller , qui
le preffa inutilement de
venir jouir de ce regal ,
il fe rendit chez la Dame
, qui les reçut avec
beaucoup de marques
d'amour
. Aprés quatre
heures d'une converfation
trés-tendre , il falut
fe féparer. Le Comte cut
fait à peine dix pas dans
la ruë , qu'il ſe vit ſuivi
d'un homme qui avoit le
GALANT. 63
vifage envelopé d'un
manteau . Il marcha toujours
; & s'il le regarda
comme un efpion , il eut
du moins le plaifir de
remarquer
qu'il étoit
trop grand pour être le
mari de la Marquife . En
rentrant chez lui , il trouva
encore le pretendu
cfpion , qu'il reconnut
enfin pour le Confeiller.
Les refus du jeune Comte
touchant le concert
de voix , lui avoit fait
64 MERCURE
croire qu'il avoit un rendez-
vous. Il le foupçonnoit
déja d'aimer la Marquife
, & fur ce foupçon
il etoit venu l'attendre à
quelques pas de fa porte
, & l'avoit vû fe couler
chez elle. Il y avoit
frapé auffitôt , & la fui-:
vante lui étoit venu dire
de la part de fa maîtreffe,
qu'un grand mal de tête
l'obligeoit à fe coucher ,
& qu'il lui étoit impoffible
de le recevoir. Par
cette
GALANT. 65
cette réponſe il avoit
compris tout le myftere.
Il fuivit le Comte dans
fa chambre , & lui ayam
declaré ce qu'il avoit fait
depuis qu'ils s'étoient
quittez : Vous avez pris ,
lui dit - il , de l'engagement
pour la Marquife ;
il faut qu'en fincere ami
je vous la faffe connoître.
J'ai commencé à l'aimer
avant que vous yinfficz
loger avec moy , &
quand elle a fçû nôtre
Avril 1714.
F
66 MERCURE
liaifon , elle m'a fait promettre
par tant de fermens
, que je vous ferois
un fecret de cet amour ,
que je n'ai ofé vous en
parler . Vous fçavez , me
difoit - elle , qu'il aime
une perfonne qui me hait
mortellement . Il ne manquera
jamais de lui apprendre
combien mon
coeur eft foible pour
vous. La diſcretion qu'-
on doit à un ami ne tient
guere contre la joye que
GALANT. 67
l'on a quand on croit
pouvoir divertir une
maîtreffe. La perfide
vouloit même que je lui
fuffe obligé de ce qu'elle
conſentoit à recevoir
vos vifites. Elle me recommandoit
fans ceffe
de n'aller jamais la voir
avec vous ; & quand
vous arriviez , elle affectoit
un air chagrin dont
je me plaignois quelquefois
à elle , & qu'apparemment
elle vous laif,
F ij
68 MERCURE
foit expliquer favorablement
pour vous . Mille
fignes & mille geſtes ,
qu'elle faifoit dans ces
temps - là , nous étoient
t
fans doute communs . Je
rappelle préfentement
une infinité de chofes
que je croyois alors indifferentes
, & je ne doute
point qu'elle ne fe foit
fait un merite auprés de
vous , de la partie qu'elle
fit il y a quelque temps
de fouper ici . Cependant
GALANT . 69
quand elle vous vit engagé
dans le jardin avec
fon mari , quels tendres
reproches ne me fit- elle
point d'être revenu ' fi
tard de la campagne , &
de l'avoir laiffée filongtemps
avec un homme
qu'elle n'aimoit pas !
Hier même encore qu'-
elle me préparoit avec
vous une trahiſon ſi noire
elle eut le front de
vous faire porteur d'une
lettre , par laquelle elle
70 MERCURE
me donnoit un rendezvous
pour ce matin ,
vous difant que c'étoit
un papier que fon mari
l'avoit chargée en partant
de me remettre. Le
Comte étoit fi troublé
de tout ce que le Confeiller
lui difoit , qu'il
n'eut pas la force de l'interrompre.
Dés qu'il fut
remis , il lui apprit comme
fon amour au commencement
n'étoit qu'
un jeu , & comme dés
GALANT. 71
S
lors la Marquife lui avoit
fait les mêmes loix
de difcretion qu'à lui.
Ils firent enfuite d'autres
éclairciffemens , qui
découvrirent au Comte
qu'il ne devoit qu'à la
coquetterie de la Dame
ce qu'il croyoit devoir à
fa paffion ; car c'étoit le
Confeiller qui avoit exigé
d'elle qu'elle ne vît
plus tant de monde , &
fur- tout qu'elle éloignât
fon troifiéme amant ; &
72 MERCURE
ils trouverent que quand
elle l'eut rappellé , elle
avoit allegué le même
pretexte
au Confeiller
qu'au Comte , pour continuer
de le voir. Il n'y
a gueres
d'amour
à l'épreuve
d'une telle perfidie
; auffi ne fe piquerent-
ils pas de conftance
pour une femme qui la
méritoit fi peu . Le Comte
honteux de la trahifon
qui'l avoit faite à fa premiere
maitreſſe , refolut
de
GALANT .
73
de n'avoir plus d'affiduitez
que pour elle feule ,
& le Confeiller fut bientôt
determiné fur les mefures
qu'il avoit à prendre
mais quelque promeffe
qu'ils fe fillent l'un
à l'autre de ne plus voir
la Marquife , ils ne purent
fe refufer le foulagement
de lui faire des reproches.
Dés qu'il leur
parut qu'ils la trouveroient
levée , ils fe tendirent
chez elle . Le
Avril
1714.
G
74 MERCURE
Comte lui dit d'abord ,
que le Confeiller étant
fon ami , l'avoit voulu
faire profiter du rendezvous
qu'elle lui avoit
donné , & qu'ainſi elle
ne devoit pas s'étonner
s'ils venoient enſemble .
Le Conſeiller prit aufſi.
tôt la parole , & n'oublia
rien de tout ce qu'il
crut capable de faire
honte à la Dame , & de
le vanger de fon infidelité.
Il lui remit devant
M
GALANT . 75
les yeux l'ardeur fincere
avec laquelle il l'avoit
aimée , les marques de
paffion qu'il avoit reçûës
d'elle , & les fermens
: qu'elle lui avoit tant de
I fois reiterez de n'aimer
jamais que lui . Elle l'écouta
fans l'interrompre
; & ayant pris fon
parti pendant qu'il parloit
: Il eft vrai , lui ré-
#pondit - elle d'un air
moins embaraffé que jamais
, je vous avois pro-
Gij
76 MERCURE
mis de n'aimer que vous :
mais vous avez attiré
Monfieur le Comte dans
ce quartier , vous l'avez
amené chez moy , & il
eft venu à m'aimer .D'ailleurs
, de quoy pouvezvous
vous plaindre ?
Tout ce qui a dépendu
de moy pour vous rendre
heureux , je l'ai fait.
Vous fçavez vous - même
quelles précautions
j'ai prifes pour vous cacher
l'un à l'autre vôtre
GALANT . 77
paffion . Si vous l'aviez
fçûë , vôtre amitié vous
auroit coûté des violences
ou des remords , que
ma bonté & ma prudence
vous ont épargnez .
N'eft- il pas vrai qu'avant
cette nuit , que vous aviez
épić Monfieur le
Comte , vous étiez tous
deux les amans du monde
les plus contens ? Suisje
coupable de vôtre indifcrétion
Pourquoy me
venir chercher le foir ?
Giij
78 MERCURE
Ne vous avois - je pas averti
par une lettre que
je donnai à Monfieur le
Comte , de ne venir que
ce matin ? Tout cela fut
dit d'une maniere fi lipeu
déconcerbre
, &
fi
tée
, que
ce
trait
leur
fit
connoître la Dame encore
mieux qu'ils n'avoient
fait . Ils admirerent
un caractere fi particulier
, & laifferent à
qui le voulut la liberté
d'en être la dupe . La
"
GALANT. 79
Marquife fe confola de
leur perte , en faiſant
croire au troifieme amant
nouvellement rappellé
, qu'elle les avoit
bannis pour lui ; & comme
elle ne pouvoit vivre
fans intrigue , elle en fit
· bientôt une nouvelle .
nouvelle.
U
LYON
N jeune Comte ,
d'une des meilleures
Maifons
du Royaume , s'étant
nouvellement établi das
Avril 1714. A ij
4 MERCURE
un quartier où le jeu &
la galanterie regnoient
également , fut obligé
d'y prendre parti comme
les autres ; & parce
que fon coeur avoit des
engagemens ailleurs , il
fe declara pour le jeu ,
comme pour fa paffion
dominante mais le peu
d'empreffement qu'il y
avoit , faifoit affez voir
qu'il fe contraignoit , &
l'on jugea que c'étoir un
homme qui ne s'attaGALANT
.
S
choit à rien , & qui dans
la neceffité de choiſir
avoit encore mieux aimé
cet amuſement, que
de dire à quelque belle
ce qu'il ne fentoit pas .
Un jour une troupe de
jeunes Dames qui ne
joüoient point , l'entreprit
fur fon humeur indifferente.
Il s'en défendit
le mieux qu'il put ,
alleguant fon peu de
merite , & le peu d'ef
perance qu'il auroit d'ê-
A iij
6 MERCURE
tre heureux en amour :
mais on lui dit que
quand il fe connoîtroit
affez mal pour avoir une
fi méchante opinion de
lui - même , cette raiſon
feroit foible contre la
vûë d'une belle perfonne
; & là - deffus on le
menaça des charmes d'u
ne jeune Marquife , qui
demeuroit dans le voifinage
, & qu'on attendoit.
Il ne manqua pas de leur
repartir qu'elles-mêmes
GALANT.
7.
ne fe connoiffoient point
affez , & que s'il pouvoit
échaper au peril où il
fe trouvoit alors , il ne
devoit plus rien craindre
pour fon coeur . Pour
réponse à fa galanterie ,
elles lui montrerent la
Dame dont il étoit queftion
, qui entroit dans
ce moment . Nous parlions
de vous , Madame ,
lui dirent - elles en l'appercevant
. Voici un indifferent
que nous vous
A iiij
8 MERCURE
donnons à convertir :
Vous y êtes engagée
d'honneur ; car il femble
yous défier auffi - bien
que nous. La Dame &
le jeune Comte ſe reconnurent
, pour s'être
vûs quelquefois à la campagne
chez une de leurs
amies . Elle étoit fort convaincuë
qu'il ne meritoit
rien moins que le
reproche qu'on luy faifoit
, & il n'étoit que
trop ſenſible à ſon gré :
GALANT. 9
mais elle avoit les raifons
pour feindre de croire
ce qu'on lui difoit.
C'étoit une occafion de
commerce avec un homme
, fur lequel depuis
long - temps elle avoit
fait des deffeins qu'elle
n'avoit pû executer . Elle
lui trouvoit de l'efprit
& de l'enjouement , &
elle avoit hazardé des
complaisāces pour beaucoup
de gens qui afſurément
ne le valoient
to MERCURE
pas : mais fon plus grand
merite étoit l'opinion
qu'elle avoit qu'il fût aimé
d'une jeune Demoifelle
qu'elle haïffoit , &
dont elle vouloit fe vanger.
Elle prit donc fans
balancer le parti qu'on
lui offroit ; & aprés lui
avoit dit qu'il faloit qu'-
on ne le crût pas bien
endurci , puis qu'on s'adreffoit
à elle pour le
toucher , elle entreprit
de faire un infidele , fous
GALANT . 11
pretexte de convertir un
indifferent. Le Comte
aimoit paffionsément la
Demoiſelle dont on le
croyoit aimé, & il tenoit
à elle par des
engagemens
fi puiffans
, qu'il
ne craignoit
pas que rien
l'en pût détacher
. Sur
tout il fe croyoit
fort en
fûreté contre les charmes
de la Marquife. Il
la connoiffoit pour une
de ces coquettes de profeffion
qui veulent , à
12 MERCURE
quelque prix que ce ſoit ,
engager tout le monde ,
& qui ne trouvent rien
de plus honteux que de
manquer une conquête .
Il fçavoit encore quedepuis
peu elle avoit un
amant , dont la nouveauté
faifoit le plus grand
merite , & pour qui elle
avoit rompu avec un
autre qu'elle aimoit depuis
long - temps , & à
qui elle avoit des obligations
effentielles . Ces
と
GALANT .
13
connoiffances lui fmbloient
un remede affuré
contre les tentations
les plus preffantes. La
Dame l'avoit affez veu
pour connoître quel étoit
fon éloignement
pour des femmes
de fon
caractere
: mais cela ne
fit que flater fa vanité.
Elle trouva plus de gloire
à triompher
d'un
coeur qui devoit être fi
bien défendu. Elle lui
fit d'abord
des reproches
14 MERCURE
de ne l'eftre pas venu
voir depuis qu'il étoit
dans le quartier , & l'engagea
à reparer fa faute
dés le lendemain . Il
alla chez elle , & s'y fit
introduire par un Confeiller
de fes amis , avec
qui il logcoit , & qui
avoit des liaiſons étroites
avec le mari de la
Marquife, Les honneftetez
qu'elle lui fit l'obligerent
enfuite d'y aller
plufieurs fois fans inGALANT.
15
troducteur ; & à chaque
yifite la Dame mit en
ufage tout ce qu'elle
crut de plus propre à .
l'engager. Elle trouva
d'abord toute la refiftance
qu'elle avoit attendue.
Ses foins , loin .
de faire effet , ne lui attirerent
pas feulement
une parole qui tendît à
une declaration : mais
elle ne defefpera point
pour cela du pouvoir de
fes charmes ; ils l'avoient
16 MERCURE
fervie trop fidelement en
d'autres occafions
, pour
ne lui donner pas lieu
de fe flater d'un pareil
fuccés en celle - ci ; elle
crut mefme remarquer
bientôt qu'elle ne s'étoit
pas trompée. Les vifites
du Comte furent
plus frequentes : elle lui
trouvoit un enjouëment
que l'on n'a point quand
on n'a aucun deffein de
plaire.Mille railleries divertissantes
qu'il faifoit
fur
+
GALANT . 17
für fon nouvel amant ;
le chagrin qu'il témoignoit
quand il ne pouvoit
eftre feul avec elle ;
Fattention qu'il preftoit.
aux moindres chofes
qu'il luy voyoit faire :
tout cela lui parut d'un
augure merveilleux , &
il eft certain que fi elle
n'avoit pas encore le
coeur de ce pretendu indifferent
, elle occupoit.
du moins fon efprit . Ih
alloit plus rarement chez
Avril 1714. B :
18 MERCURE
la Demoiſelle qu'il aimoit
, & quand il étoit
avec elle, il n'avoit point
d'autre foin , que de faire
tomber le difcours fur
la Marquife . Il aimoit
mieux railler d'elle que
de n'en rien dire . Enfin
foit qu'il fût feul , ou
en compagnie , fon idée
ne l'abandonnoit jamais
. Quel dommage ,
difoit - il quelquefois
que le Ciel ait répandu
tant de graces dans une
,
GALANT . 19
coquette ? Faut - il que la
voyant fi aimable , on
ait tant de raiſon de ne
point l'aimer ? Il ne pouvoit
lui pardonner tous
fes charmes ; & plus il
lui en trouvoit , plus il
croyoit la haïr. Il s'oublia
même un foir jufques
à lui reprocher fa
conduite , mais avec une
aigreur qu'elle n'auroit,
pas ofé efperer fitoft. A
quoy bon , lui dit- il ,
Madame , toutes ces oil-
Bij
20 MERCURE
lades & ces manieres étu
diées que chacun regarde
, & dont tant de gens
fe donnent le droit de
parler Ces foins de
chercher à plaire à tout
le monde , ne font pardonnables
qu'à celles à
qui ils tiennent lieu de
beauté . Croyez - moy ,
Madame , quittez des
affectations qui font indignes
de vous. C'étoit
où on l'attendoit . La
Dame étoit trop habile
GALANT. 2ม1
pour ne diftinguer past
les confeils de l'amitié
des reproches de la jaloufie
. Elle lui en marqua
de la reconnoiſſance
, & tâcha enfuite de
lui perfuader que ce qui
paroiffoit coquetterie ,
n'étoit en elle que la
crainte
d'un veritable
attachement ; que du
naturel dont elle fe connoiffoit
, elle ne pourroit
être heureufe dans.
un engagement , parce
22 MERCURE
qu'elle ne ſe verroit jamais
aimée , ni avec la
même fincerité , ni avec
la même delicateſſe dont
elle fouhaiteroit de l'être
, & dont elle fçavoit
bien qu'elle aimeroit .
Enfin elle lui fit an faux
portrait de fon coeur , qui
fut pour lui un veritable
poifon. Il ne pouvoit
croire tout à fait qu'elle
fût fincere : mais il ne
pouvoit s'empefcher de
le fouhaiter. Il cherGALANT.
23
choit des
apparences
ce qu'elle
lui difoit , &
il lui rappelloit
mille actions
qu'il lui avoit vû
faire , afin qu'elle les juſtifiât
; & en effet , fe fervant
du pouvoir qu'elle
commençoit à prendre
fur lui , elle y donna
des couleurs qui diffiperent
une partie de fes
foupçons mais qui
pourtant n'auroient pas
trompé un homme qui
cuft moins fouhaité de
24 MERCURE
l'eftre. Cependant, ajouta-
t- elle d'un air enjoüé ,
je ne veux pas tout à fait
difconvenir d'un défaut
qui peut me donner lieu
de vous avoir quelque
obligation . Vous fçavez
ce que j'ai entrepris pour
vous corriger de celui
qu'on vous reprochoit .
Le peu de fuccés que j'ai
eu ne vous diſpenſe pas
de reconnoître mes bonnes
intentions , & vous
me devez les mefmes
foins.
GALANT. 25
foins . Voyons fi vous ne
ferez pas plus heureux à
fixer une inconftante ,
que je l'ay été à toucher
un infenfible. Cette propofition
, quoique faite
en riant , le fit rentrer en
lui - mefme , & alarma
d'abord fa fidelité . Il vit
qu'elle n'avoit peut - eftre
que trop reüffi dans
fon entrepriſe , & il reconnut
le danger où il
étoit : mais fon penchant
commençant à lui ren-
Avril 1714.
C
26 MERCURE
dre ces reflexions facheuſes
, il tâcha bientôt
à s'en délivrer . Il
penfa avec plaifir que fa
crainte étoit indigne de
lui , & de la perfonne
qu'il aimoit depuis fi
long- temps . Sa delicateffe
alla meſme juſqu'à
fe la reprocher
comme
une infidelité
; & aprés
s'eftre dit à foy- meſme
,
que c'étoit déja eſtre inconftant
que de craindre
de changer , il embraſſa
GALANT . 27
avec joye le parti qu'on
lui offroit . Ce fut un
commerce fort agreable
de part & d'autre. Le
pretexte qu'ils prenoient
rendant leur empreffement
un jeu , ils goutoient
des plaifirs qui
n'étoient troublez d'aucuns
fcrupules. L'Italien
, qu'ils fçavoient tous
deux , étoit l'interprete :
de leurs tendres fentimens.
Ils ne fe voyoient
jamais qu'ils n'euffent à
Cij
28 MERCURE
fe donner un billet en
cette langue ; car pour
plus grande feureté, ils
étoient convenus qu'ils
ne s'enverroient jamais
leurs lettres . Sur - tout
elle lui avoit défendu dé
parler de leur commerce
au Confeiller avec qui
il logcoit , parce qu'il
étoit beaucoup plus des
amis de fon mari que des
fiens , & qu'autrefois ,
fur de moindres apparences,
il lui avoit donné
GALANT . 29
des foupçons d'elle fort
defavantageux . Elle lui
marqua même des heures
où il pouvoit le moins
craindre de les rencontrer
chez elle l'un ou
l'autre , & ils convinrent
de certains fignes d'intelligence
pour les temps
qu'ilsyferoient. Cemyf
tere étoit un nouveau
charme pour le jeune
Comte. La Marquife
prit enfuite des manieres
fiéloignées d'une co-
C
iij
30 MERCURE
quette , qu'elle acheva
bientoft
de le perdre
.
Jufques là elle avoit eu
un de ces caracteres enjoüez
, qui reviennent
quafi à tout le monde ,
mais qui deſeſperent un
amant ; & elle le quitta
pour en prendre un tout
oppofé , fans le lui faire
valoir comme un facri.
fice . Elle écarta fon nouvel
amant , qui étoit un
Cavalier fort bien fait .
Enfin loin d'aimer l'éGALANT.
31
clat , toute fon application
étoit d'empêcher
qu'on ne s'apperçût de
l'attachement que le
Comte avoit pour elle :
mais malgré tous fes
foins, il tomba unjour de
ſes poches une lettre que
fon mari ramaffa fans
qu'elle y prît garde . 11
n'en connut point le caractere
, & n'en entendit
pas le langage : mais ne
doutant pas que ce ne
fût de l'Italien , il courut
Ciiij
32 MERCURE
chez le Conſeiller , qu'il
fçavoit bien n'être pas
chez lui , feignant de lui
vouloir
communiquer
quelque affaire . C'étoit
afin d'avoir occafion de
parler au Comte , qu'il
ne foupçonnoit point
d'être l'auteur de la lettre
, parce qu'elle étoit
d'une autre main. Pour
prévenir les malheurs
qui arrivent quelquefois
des lettres perduës , le
Comte faifoit écrire touGALANT
. 33
tes celles qu'il donnoit à
la Marquise par une perfonne
dont le caractere
étoit inconnu . Il lui avoit
porté le jour precedent
le billet Italien
dont il s'agiffoit. Il étoit
écrit fur ce qu'elle avoit
engagé le Confeiller à
lui donner
à fouper ce
même jour- là ; & parce
qu'elle avoit fçû qu'il
devoit aller avec fon mari
à deux lieuës de Paris
l'apréfdînée , & qu'ils
34 MERCURE
n'en reviendroient que
fort tard , elle étoit convenue
avec ſon amant
qu'elle fe rendroit chez
lui avant leur retour. La
lettre du Comte étoit
pour l'en faire fouvenir ,
& comme un avantgoût
de la fatisfaction qu'ils
promettoient cette fe
foirée. Le mari n'ayant
point trouvé le Confeiller
, demanda le Comte .
Dés qu'il le vit , il tira
de fa poche d'un air emGALANT
.
35
preffé quantité de papiers
, & le pria de les
lui remettre quand il
féroit revenu. Parmi ces
papiers étoit celui qui
lui donnoit tant d'agitation
. En voici un , lui
dit- il en feignant de s'être
mépris , qui n'en eſt
pas. Je ne fçai ce que
c'eft , voyez fi vous l'entendrez
mieux que moy :
& l'ayant ouvert , il en
lut lui - mefme les premie-i
res lignes , de peur que
36 MERCURE
le Comte
jettant les
yeux fur la fuite , ne connût
la part que la Marquife
y pouvoit avoir ,
& que la crainte de lui
apprendre de fâcheufes
nouvelles , ne l'obligeât
à lui déguifer la verité.
Le Comte fut fort furpris
quand il reconnut
fa lettre. Untrouble foudain
s'empara de fon efprit
, & il eut befoin que
le mari fût occupé de fa
lecture , pour lui donner
(
GALANT. 37
le temps de fe remettre .
Aprés en avoir entendu
le commencement : Voila
, dit - il , contrefaifant
¡ l'étonné , ce que je chersche
depuis long - temps .
C'est le rôle d'une fille
qui ne fçait que l'Italien ,
- & qui parle à ſon amant
qui ne l'entend pas . Vous
a
aurez veu cela dans une
Comedie Françoiſe qui
a paru cet hyver. Mille
gens me l'ont demandé ,
& il faut que vous me
38.
MERCURE
faffiez le plaifir de me
le laiffer. J'y confens , lui
répondit le mari , pourveu
que vous le rendiez
à ma femme , car je croy
qu'il eft à elle. Quand le
jeune Comte crut avoir
porté affez loin la crédulité
du mari , il n'y
eut pas un mot dans ce
prétendu rôle Italien ,
dont il ne lui voulût faire
entendre l'explication
: mais le mari ayant
ce qu'il fouhaitoit , béGALANT.
39
nit le Ciel en lui - mefme
de s'être trompé fi
heureuſement , & s'en
alla où l'appelloient fes
affaires . Auffitôt qu'il
e fut forti , le Comte courut
à l'Eglife , où il étoit
fûr de trouver la Dame ,
qu'il avertit par un bilelet
, qu'il lui donna ſecretement
, de ce qui ve-
-noit de fe paffer , & de
1
l'artifice dont il s'étoit
fervi pour retirer fa let
tre. Elle ne fut pas fitôt
40 MERCURE
rentrée chez elle , qu'elle
.mit tous les domeſtiques
à la quête du papier , &
fon mari étant de retour,
elle lui demanda . Il lui
avoüa qu'il l'avoit trouvé
, & que le Comte en
ayant beſoin , il lui avoit
laiffé entre les mains .
Me voyez- vous des curiofitez
femblables pour
les lettres que vous recevez
, lui répondit- elle
d'un ton qui faifoit paroître
un peu de colere ?
Si
GALANT 41
Si c'étoit un billet tendre
, fi c'étoit un rendezvous
que l'on me donnât
, feroit - il , agréable.
que vous nous vinffiez
troubler ? Son mari lui
dic en l'embraffant , qu'il
fçavoit fort bien ce que
c'étoit ; & pour l'empêcher
de croire qu'il l'eût
foupçonnée , il l'affura
qu'il avoit cru ce papier
à lui lors qu'il l'avoit ramaffe.
La Dame ne borna
pas fon reffentiment
Avril 1714. D
42 MERCURE
à une raillerie de cette
nature . Elle fe rendit
chez le Comte de meilleure
heure qu'elle n'auroit
fait . La commodité
d'un jardin dans cette
maiſon étoit un
pretexte
pour y aller avant le
temps du foupé. La jaloufie
dans un mari eft
un défaut fi blâmable ,
quand elle n'eft pas bien
fondée , qu'elle fe fit un
devoir de juftifier ce que
le fien lui en avoit fait
J
GALANT. 43
paroître. Tout favorifoit
un fi beau deffein ;
toutes fortes de témoins
étoient éloignez , & le
Comte & la Marquiſe
pouvoient le parler en
liberté. Ce n'étoit plus
par des lettres & par des
fignes qu'ils exprimoient
leur tendreffe . Loin d'avoir
recours à une langue
étrangere , à peine
trouvoient - ils qu'ils
fçuffent affez bien le
François pour fe dire
Dij
44 MERCURE
tout ce qu'ils fentoient ;
& la défiance du mari
leur rendant tout légitime
, la Dame eut des
complaifances pour le
jeune Comte , qu'il n'auroit
pas ofé efperer. Le
mari & le Confeiller étant
arrivez fort tard ,
leur firent de grandes excufes
de les avoir fait fi
long - temps attendre.
On n'eut pas de peine à
les recevoir
, parce que
jamais on ne
s'étoit
4.
GALANT . 45
moins impatienté . Pendant
le foupé leurs yeux
firent leur devoir admirablement
; & la contrainte
où ils fe trouvoient
par la préſence
de deux témoins incommodes
, prêtoit à leurs
regards une éloquence
qui les confoloit de ne
pouvoir s'expliquer avec
plus de liberté. Le mari :
gea
ayant quelque chofe à
dire au Comte
, l'engaà
venir faire avec lui
46 MERCURE
un tour de jardin . Le
Comte en marqua par
un coup d'oeil fon déplaifir
à la Dame , & la.
Dame lui fit connoître
par un autre figne combien
l'entretien du Confeiller
alloit la faire fouffrir.
On fe fepara . Jamais
le Comte n'avoit
trouvé de fi doux momens
que ceux qu'il paffa
dans fon tête - à - tête
avec la Marquife . Il la
quitta fatisfait au derGALANT
. 47
nier point :mais dés qu'il
fut ſeul , il ne put s'abandonner
à lui mefme
fans reffentir les plus
cruelles agitations. Que
n'eut- il point à fe dire
fur l'état où il furprenoit
fon coeur ! Il n'en étoit
pas à connoître que fon
trop de confiance lui avoit
fait faire plus de
chemin qu'il ne lui étoit
permis : mais il s'étoit
imaginé jufques là qu'-
un amuſement avec une
48 MERCURE
coquete ne pouvoit bleffer
en rien la fidelité qu'il
devoit à fa maîtreffe
. Il
s'étoit toujours repofé
fur ce qu'une femme qui
ne pourroit lui donner
qu'un coeur partagé , ne
feroit jamais capable
d'inſpirer au fien un vrai
amour ; & alors il commença
à voir que ce qu'il
avoit traité d'amufement
, étoit devenu une
paffion dont il n'étoit
plus le maitre. Aprés ce
qui
GALANT 49
qui s'étoit paffé avec la
Marquife
, il fe fût flaté
inutilement de l'efperance
de n'en être point
aimé uniquement , & de
bonne foy: Peut - être
même que des doutes
là - deffus auroient été
d'un foible fecours . Il
fongeoit fans ceffe à tout
ce qu'il lupavoit trouvé
de paffion , à cet air vif
& touchant qu'elle don-*
noit à toutes les actions ;
& 'ces réflexions enfin
Avril 1714.
*
E
fo MERCURE
jointes au peu de fuccés
qu'il avoit eu dans l'attachement
qu'il avoit
pris pour la premiere
maîtreffe , mirent fa raifon
dans le parti de fon
coeur, & diffiperent tous
fes remords. Ainfi il s'abandonna
fans fcrupule
à ſon penchant , & ne
fongea plus qu'à fe ménager
mille nouvelles
douceurs avec la Marquife
; mais la jalouſic
les vinte troubler lors
GALANT. S1
qu'il s'y étoit le moins
attendu. Un jour il la
furprit feule avec l'amant
qu'il croyoit qu'el
le cût banni ; & le Cavalier
ne l'eut pas fitôt
quittée , qu'il lui en fic
des reproches , comme
d'un outrage qui ne pouvoit
être pardonné . Vous
n'avez pû long - temps
vous démentir , lui ditil
, Madame. Lorfque
vous m'avez crû affez
engagé , vous avez cellé
E ij
52 MERCURE
de vous faire violence .
J'avoue que j'applaudif
fois à ma paſſion , d'avoir
pû changer vôtre
naturel ; mais des femmes
comme
vous ne
changent jamais. J'avois
tort d'efperer un miracle
en ma faveur . Il la pria
enfuite de ne ſe plus contraindre
pour lui , & l'aſfura
qu'il la laifferoit en
liberté de recevoir toutes
les vifites qu'il lui
plairoit . La Dame fe
GALANT.
$3
connoiffoit trop bien en
dépit , pour rien apprehender
de celui - là . Elle
en tira de nouvelles affurances
de fon pouvoir
fur le jeune Comte ; &
affectant une colere qu'-
elle n'avoit pas , elle lui
fic comprendre qu'elle
ne daignoit pas ſe juſtifier
, quoy qu'elle eût de
bonnes raifons , qu'elle
lui cachoit pour le punir.
Elle lui fit même
promettre plus pofitive-
E iij
$4 MERCURE
ment qc'il n'avoit fait ,
de ne plus revenir chez
elle. Ce fut là où il put
s'appercevoir combien il
étoit peu maître de ſa
paffion . Dans un moment
il fe trouva le feul
criminel ; & plus affligé
de l'avoir irritée par les
reproches , que de la trahifon
qu'il penfoit lui
eftre faite , il fe jetta à
fes genoux , trop heureux
de pouvoir efperer
le pardon , qu'il croyoit
GALANT .
$$
auparavant qu'on lui devoit
demander
. Par quelles
foumiffions ne tâcha
t- il point de le meriter !
Bien loin de lui remetles
tre devant les yeux
marques de paffion qu'il
avoit reçues d'elle , &
qui fembloient lui donner
le droit de ſe plaindre
, il paroiffoit les avoir
oubliées , ou s'il s'en
refſouvenoit , ce n'étoit
que pour le trouver cent
fois plus coupable . Il
E mij
56 MERCURE
n'alleguoit que l'excés
de fon amour qui le faifoit
ceder à la jalousie ,
& quien de pareilles occafions
ne s'explique jamais
mieux que par la
colere. Quand elle crut
avoir pouffé fon triomphe
affez loin , elle lui
jetta un regard plein de
douceur , qui en un moment
rendit à fon ame
toute fa tranquilité . C'eft
affez me contraindre ,
lui dit- elle ; auffi bien ma
•
"
GALANT. SZ
joye & mon amour commencent
à me trahir.
Non , mon cher Comte
, ne craignez point
que je me plaigne de vôtre
colere. Je me plaindrois
bien plutôt fi vous
n'en aviez point eu . Vos
reproches il est vrai ,
>
bleffent ma fidelité : mais
je leur pardonne ce qu'ils
ont d'injurieux , en faveur
de ce qu'ils ont de
paffionné. Ces affurances
de vôtre tendreffe m'é58
MERCURE
toient fi cheres , qu'elles
ont arrefté jufqu'ici l'im
patience que j'avois de
me juftifier. Là - deffus
elle lui fit connoître
combien ſes ſoupçons étoient
indignes d'elle &
de lui ; que n'ayant point
défendu au Cavalier de
venir chez elle , elle n'avoit
pu refufer de le voir;
qu'un tel refus auroit été
une faveur pour lui ; que.
s'il le
fouhaitoit pourtant
, elle lui défendroit
V
GALANT. 59
fa maiſon pour jamais :
mais qu'il confiderât
combien il feroit peu
agreable pour elle , qu'-
un homme de cette forte
s'allât vanter dans le
monde qu'elle cuft rompu
avec lui , & laiſsât
croire qu'il y euft des
gens à qui il donnoit de
l'ombrage. L'amoureux
Comte étoit fi touché
des marques de tendreſſe
qu'on venoit de lui donner
, qu'il ſe feroit vo60
MERCURE
>
lontiers payé d'une plus
méchante raiſon . Il eut
honte de fes foupçons ,
& la pria lui- meſine de
ne point changer de conduite
. Il paffa ainfi quelques
jours à recevoir fans
ceffe de nouvelles affurances
qu'il étoit aimé ,
& il merita dans peu
qu'on lui accordât une
entrevue fecrete la nuit .
Le mari étoit à la campagne
pour quelque
temps ; & la Marquife ,
*
1
GALANT. 61
maîtreffe alors d'ellemeſme
, ne voulut pas
perdre une occafion fi
favorable de voir fon a
mant avec liberté . Le
jour que le Comte étoit
attendu chez elle fur les
neuf heures du foir , le
Confeiller foupant avec
lui , ( ce qu'il faifoit fort
fouvent ) voulut le mener
à une affemblée de
femmes du voisinage ,
qu'on regaloit d'un concert
de voix & d'inftru62
MERCURE
mens. Le Comte s'en
excufa , & ayant laiffé
fortir le Confeiller , qui
le preffa inutilement de
venir jouir de ce regal ,
il fe rendit chez la Dame
, qui les reçut avec
beaucoup de marques
d'amour
. Aprés quatre
heures d'une converfation
trés-tendre , il falut
fe féparer. Le Comte cut
fait à peine dix pas dans
la ruë , qu'il ſe vit ſuivi
d'un homme qui avoit le
GALANT. 63
vifage envelopé d'un
manteau . Il marcha toujours
; & s'il le regarda
comme un efpion , il eut
du moins le plaifir de
remarquer
qu'il étoit
trop grand pour être le
mari de la Marquife . En
rentrant chez lui , il trouva
encore le pretendu
cfpion , qu'il reconnut
enfin pour le Confeiller.
Les refus du jeune Comte
touchant le concert
de voix , lui avoit fait
64 MERCURE
croire qu'il avoit un rendez-
vous. Il le foupçonnoit
déja d'aimer la Marquife
, & fur ce foupçon
il etoit venu l'attendre à
quelques pas de fa porte
, & l'avoit vû fe couler
chez elle. Il y avoit
frapé auffitôt , & la fui-:
vante lui étoit venu dire
de la part de fa maîtreffe,
qu'un grand mal de tête
l'obligeoit à fe coucher ,
& qu'il lui étoit impoffible
de le recevoir. Par
cette
GALANT. 65
cette réponſe il avoit
compris tout le myftere.
Il fuivit le Comte dans
fa chambre , & lui ayam
declaré ce qu'il avoit fait
depuis qu'ils s'étoient
quittez : Vous avez pris ,
lui dit - il , de l'engagement
pour la Marquife ;
il faut qu'en fincere ami
je vous la faffe connoître.
J'ai commencé à l'aimer
avant que vous yinfficz
loger avec moy , &
quand elle a fçû nôtre
Avril 1714.
F
66 MERCURE
liaifon , elle m'a fait promettre
par tant de fermens
, que je vous ferois
un fecret de cet amour ,
que je n'ai ofé vous en
parler . Vous fçavez , me
difoit - elle , qu'il aime
une perfonne qui me hait
mortellement . Il ne manquera
jamais de lui apprendre
combien mon
coeur eft foible pour
vous. La diſcretion qu'-
on doit à un ami ne tient
guere contre la joye que
GALANT. 67
l'on a quand on croit
pouvoir divertir une
maîtreffe. La perfide
vouloit même que je lui
fuffe obligé de ce qu'elle
conſentoit à recevoir
vos vifites. Elle me recommandoit
fans ceffe
de n'aller jamais la voir
avec vous ; & quand
vous arriviez , elle affectoit
un air chagrin dont
je me plaignois quelquefois
à elle , & qu'apparemment
elle vous laif,
F ij
68 MERCURE
foit expliquer favorablement
pour vous . Mille
fignes & mille geſtes ,
qu'elle faifoit dans ces
temps - là , nous étoient
t
fans doute communs . Je
rappelle préfentement
une infinité de chofes
que je croyois alors indifferentes
, & je ne doute
point qu'elle ne fe foit
fait un merite auprés de
vous , de la partie qu'elle
fit il y a quelque temps
de fouper ici . Cependant
GALANT . 69
quand elle vous vit engagé
dans le jardin avec
fon mari , quels tendres
reproches ne me fit- elle
point d'être revenu ' fi
tard de la campagne , &
de l'avoir laiffée filongtemps
avec un homme
qu'elle n'aimoit pas !
Hier même encore qu'-
elle me préparoit avec
vous une trahiſon ſi noire
elle eut le front de
vous faire porteur d'une
lettre , par laquelle elle
70 MERCURE
me donnoit un rendezvous
pour ce matin ,
vous difant que c'étoit
un papier que fon mari
l'avoit chargée en partant
de me remettre. Le
Comte étoit fi troublé
de tout ce que le Confeiller
lui difoit , qu'il
n'eut pas la force de l'interrompre.
Dés qu'il fut
remis , il lui apprit comme
fon amour au commencement
n'étoit qu'
un jeu , & comme dés
GALANT. 71
S
lors la Marquife lui avoit
fait les mêmes loix
de difcretion qu'à lui.
Ils firent enfuite d'autres
éclairciffemens , qui
découvrirent au Comte
qu'il ne devoit qu'à la
coquetterie de la Dame
ce qu'il croyoit devoir à
fa paffion ; car c'étoit le
Confeiller qui avoit exigé
d'elle qu'elle ne vît
plus tant de monde , &
fur- tout qu'elle éloignât
fon troifiéme amant ; &
72 MERCURE
ils trouverent que quand
elle l'eut rappellé , elle
avoit allegué le même
pretexte
au Confeiller
qu'au Comte , pour continuer
de le voir. Il n'y
a gueres
d'amour
à l'épreuve
d'une telle perfidie
; auffi ne fe piquerent-
ils pas de conftance
pour une femme qui la
méritoit fi peu . Le Comte
honteux de la trahifon
qui'l avoit faite à fa premiere
maitreſſe , refolut
de
GALANT .
73
de n'avoir plus d'affiduitez
que pour elle feule ,
& le Confeiller fut bientôt
determiné fur les mefures
qu'il avoit à prendre
mais quelque promeffe
qu'ils fe fillent l'un
à l'autre de ne plus voir
la Marquife , ils ne purent
fe refufer le foulagement
de lui faire des reproches.
Dés qu'il leur
parut qu'ils la trouveroient
levée , ils fe tendirent
chez elle . Le
Avril
1714.
G
74 MERCURE
Comte lui dit d'abord ,
que le Confeiller étant
fon ami , l'avoit voulu
faire profiter du rendezvous
qu'elle lui avoit
donné , & qu'ainſi elle
ne devoit pas s'étonner
s'ils venoient enſemble .
Le Conſeiller prit aufſi.
tôt la parole , & n'oublia
rien de tout ce qu'il
crut capable de faire
honte à la Dame , & de
le vanger de fon infidelité.
Il lui remit devant
M
GALANT . 75
les yeux l'ardeur fincere
avec laquelle il l'avoit
aimée , les marques de
paffion qu'il avoit reçûës
d'elle , & les fermens
: qu'elle lui avoit tant de
I fois reiterez de n'aimer
jamais que lui . Elle l'écouta
fans l'interrompre
; & ayant pris fon
parti pendant qu'il parloit
: Il eft vrai , lui ré-
#pondit - elle d'un air
moins embaraffé que jamais
, je vous avois pro-
Gij
76 MERCURE
mis de n'aimer que vous :
mais vous avez attiré
Monfieur le Comte dans
ce quartier , vous l'avez
amené chez moy , & il
eft venu à m'aimer .D'ailleurs
, de quoy pouvezvous
vous plaindre ?
Tout ce qui a dépendu
de moy pour vous rendre
heureux , je l'ai fait.
Vous fçavez vous - même
quelles précautions
j'ai prifes pour vous cacher
l'un à l'autre vôtre
GALANT . 77
paffion . Si vous l'aviez
fçûë , vôtre amitié vous
auroit coûté des violences
ou des remords , que
ma bonté & ma prudence
vous ont épargnez .
N'eft- il pas vrai qu'avant
cette nuit , que vous aviez
épić Monfieur le
Comte , vous étiez tous
deux les amans du monde
les plus contens ? Suisje
coupable de vôtre indifcrétion
Pourquoy me
venir chercher le foir ?
Giij
78 MERCURE
Ne vous avois - je pas averti
par une lettre que
je donnai à Monfieur le
Comte , de ne venir que
ce matin ? Tout cela fut
dit d'une maniere fi lipeu
déconcerbre
, &
fi
tée
, que
ce
trait
leur
fit
connoître la Dame encore
mieux qu'ils n'avoient
fait . Ils admirerent
un caractere fi particulier
, & laifferent à
qui le voulut la liberté
d'en être la dupe . La
"
GALANT. 79
Marquife fe confola de
leur perte , en faiſant
croire au troifieme amant
nouvellement rappellé
, qu'elle les avoit
bannis pour lui ; & comme
elle ne pouvoit vivre
fans intrigue , elle en fit
· bientôt une nouvelle .
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Résumé : AVANTURE nouvelle.
En avril 1714, un jeune comte, issu d'une famille prestigieuse du Royaume, s'installe dans un quartier de Lyon où le jeu et la galanterie dominent. Bien qu'il préfère le jeu, il n'y joue pas avec passion. Un groupe de jeunes dames tente de l'intéresser à l'amour, mais il se défend en invoquant son manque de mérite et d'espoir en amour. Elles lui parlent alors d'une jeune marquise voisine qu'elles attendent. Un jour, les jeunes dames montrent au comte la marquise en question, qui entre dans la pièce. Le comte et la marquise se reconnaissent, ayant déjà été présentés à la campagne chez une amie commune. La marquise, convaincue que le comte ne mérite pas les reproches qu'on lui fait, décide de profiter de cette occasion pour engager une relation avec lui. Elle voit en lui un homme d'esprit et d'enjouement, et elle est motivée par le désir de se venger d'une jeune demoiselle qu'elle hait et dont elle croit que le comte est amoureux. Le comte, quant à lui, est passionnément amoureux de cette demoiselle et ne craint pas de se laisser séduire par la marquise, qu'il connaît pour une coquette professionnelle. Cependant, la marquise, flattée par le défi, entreprend de le séduire. Elle l'invite chez elle et utilise divers stratagèmes pour le charmer. Le comte, malgré ses résistances initiales, finit par se laisser séduire par les attentions de la marquise. La marquise utilise des billets en italien pour communiquer avec le comte, évitant ainsi les soupçons. Elle prend des précautions pour éviter que leur relation ne soit découverte, notamment en fixant des heures où ils peuvent se voir sans risque. Le comte, de son côté, fait écrire ses lettres par une personne dont l'écriture est inconnue pour éviter les malentendus. Un jour, le mari de la marquise trouve une lettre italienne dans les poches de sa femme. Ne comprenant pas l'italien, il la montre au comte, feignant de ne pas savoir de quoi il s'agit. Le comte, pris de court, doit improviser une explication. La lettre est en réalité un message du comte à la marquise, lui rappelant un rendez-vous qu'ils doivent avoir. Le mari, sans se douter de la vérité, remet la lettre au comte, qui doit alors trouver une manière de se sortir de cette situation délicate. Le mari, un conseiller, découvre la liaison en suivant le comte jusqu'à la maison de la marquise. Il confronte le comte et révèle qu'il aime également la marquise depuis longtemps. Le comte est troublé mais apprend que la marquise avait imposé la discrétion à tous deux. Ils décident de clarifier leurs sentiments et leurs actions passées. La marquise avait été contrainte par le conseiller de se séparer de son troisième amant, mais elle avait continué à le voir en utilisant le même prétexte auprès du conseiller et du comte. Lorsque le comte et le conseiller découvrirent cette perfidie, ils décidèrent de ne plus avoir confiance en elle. Le comte, honteux de sa trahison envers sa première maîtresse, résolut de n'avoir plus d'attache que pour elle. Le conseiller prit également des mesures, mais malgré leurs promesses de ne plus voir la marquise, ils ne purent s'empêcher de lui faire des reproches.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 794-806
EXTRAIT du nouveau Samson, annoncé dans le dernier Mercure.
Début :
L'Auteur est très-modeste, quand il ne donne cette Tragi-Comédie, que comme une simple [...]
Mots clefs :
Samson, Théâtre, Tragicomédie, Amour, Secret, Force, Mort, Dieu, Coeur, Caractère
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texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT du nouveau Samson, annoncé dans le dernier Mercure.
EXTRAIT du nouveau Samfon
annoncé dans le dernier Mercure .
'Auteur eft très-modefte , quand il ne donne
cette Tragi- Comédie , que comme une fimple
Traduction ; la nouvelle forme fous laquelle il l'a
fait reparoître , mérite bien qu'il s'en dife l'Auteur
; le fieur Riccoboni , qui la mit au Théatre
én 1717. en avoue les deffauts dans fon Avis aux
Lecteurs : voici les termes dont il fe fert. La compofition
Théatrale que je vous prefente aujourd'hui
eft un de ces Monftres dont le Théatrefut
f prodigue en Italie pendant le dernier fiecle.
Cette Piece , telle qu'elle étoit alors , ne laiffa pas
d'avoir un grand fuccès. Le fieur Romagneſi en
a retranché ce qu'il y avoit de monſtrueux. La
Dalila d'autre fois étoit infoutenable au Théatre,
au lieu que celle d'aujourd'hui eft intereffante &
ne tombe dans le malheur que par foibleffe. On
n'a vu de long-temps de fuccès plus frappant que
celui-cy. On n'a pas laiffé cependant de trouver
des deffauts dans la Piéce ; nous ferons part au
Public de ce qui eft venu jufqu'à nous, à la fin de
cet Extrait.
Le Théatre repréfente im Bois, dans l'enfoncement
duquel on découvre le Temple de Dagon.
Dalila ouvre la Scene avec fa Suivante Armillā ; -
elle fait connoître qu'elle s'eft dérobée de la Cour
de Gaza, pour venir implorer le fecours de Dagon,
Idole des Philiftins; elle apprend à Armilla qu'elle
brûle d'un coupable amour pour un Hebreu qu'elle
ne trouva que trop aimable la premiere fois qu'il
parut à fes yeux parmi les Captifs qu'Achab avoit
faits dans fa derniere victoire. Samfon eft . cet
Hebreu dont elle parle ; elle ne laiffe pas de fe
promettre de triompher d'un amour condamné
par une Loi expreffe du Roi des Philiftins. Azael
reproche
AVRIL. 1730. 795
1
1
reproche à Samſon l'indigne repos dans lequel il
languit , au lieu de tourner contre les ennemis de
Dieu ces traits qu'il n'employe que contre des
animaux , dans les vains plaifirs de la Chaffe, Samfon
lui répond qu'il foufcrit aux decrets éternels
qui ont condamné les Hebreux à un pénible ef
clavage , en punition de leurs crimes ; voici comment
il s'exprime :
Du Dieu qui nous punit refpectons la puiffance ;
J'éprouve en l'adorant les traits de fa vengeance,
Et je ne porterois que coups criminels ,
Si je les oppofois aux decrets éternels.
des
L'Auteur ne pouvoit mieux excufer l'inaction
de Samfon . En effet il n'eft déterminé à faire
éclater la force prodigieufe dont le Ciel l'a
doué , que par ces mêmes decrets qu'il refpecte.
Il s'endort fous un Olivier.Pendant fon fommeil
il entend une voix qui chante les Vers fuivans :
La gloire en d'autres lieux t'appelle ,
Samfon , brife ton Arc , abandonne ces bois ;
Que fans tarder le Philiftin rebelle ,
De ton bras triomphant éprouve tout le poids
Que ton coeur à ce bruit de guerre ,
A ces Eclairs , à ce Tonnerre ,
Du Ciel reconnoiffe la voix ;
Et que cet Olivier paifible ,
Difparoiffe à l'afpect terrible ,
De ce Laurier , garant de tes exploits ..
Tout ce qui eft exprimé dans ces Vers arrive
796 MERCURE DE FFRRAANNCE
à mesure qu'on les chante ; les Eclairs brillent , le
Tonnerre gronde & l'Olivier eft changé en Laurier.
Samfon , rempli de l'Efprit de Dieu , jette
fon Carquois comme un indigne ornement ,
il fe prépare à venger les Hebreux , & à les tirer
d'eclavage. Il combat un Lion prêt à dévorer
Dalila , il l'étouffe . Dalila reconnoît l'objet
de fon amour dans celui qui vient de lui fauver
la vie. Samfon ne peut voir tant d'attraits fans
leur rendre les armes. Dalila oppoſe à cet amour
fon devoir & fa Religion ; elle lui fait connoître
qu'elle doit en ce même jour épouſer Achab ,
General des Philiftins ; Samfon fe roidit contre
tous ces obftacles ; Dalila le quitte après lui avoir
fait connoître qu'elle n'eft que trop fenfible à fon
amour. Nous fupprimons ici les Scenes comiques;
elles font trop de diverfion à l'interêt , & ce n'eft
que fur le Théatre Italien que de pareilles difparates
peuvent être excufées ; d'ailleurs la Piece n'a'
pas befoin d'un épiſode fi monftrueux.
Au fecond Acte , le Théatre repréfente le Palais
du Roi des Philiftins . Achab & Dalila com→
mencent cet Acte. Dalila avoue ingenument à
Achab , non-feulement qu'elle ne l'aime point ,'
mais qu'elle aime Samfon ; elle s'excufe par ces
Vers qu'on a trouvés des plus beaux de la Piéce :
Acab , de notre coeur les mouvemens rapides
Naiffent des paffions qui leur fervent de guides ;
Sur nos foibles efprits leur empire abſolu
Malgré tous nos efforts a toûjours prévalu ;
Pour l'un indifferents, pour l'autre pleins de flam
mes ,
Nous ne difpofons point du penchant de nos ames
Sous les traits de l'Amour , lorfque nous flechif-
Lons , Ce
AVRIL. 1730.
797
Ce Dieu nomme l'objet , & nous obéiffons.
On croit que ces Vers feroient encore plus
beaux dans le fiftême Payen. On a trouvé que l'amour
déifié ne convient pas à une Philiftine.
A l'approche de Samfon , Acab redouble fa colere
contre un Rival aimé ; Dalila le fait retirer
par ce Vers , dont on n'a pas bien compris le fens :
Suis mes pas ; vien fçavoir ce que le fort t'aprête.
Emanuel reproche à Samfon fon amour pour
Dalila ; Samfon le raffure par ce ferment :
Oui , je jure , Seigneur , par vos jours précieux
De brifer , de venger nos fers injurieux ,
Et fi je ne remplis toute votre efperance ,
Puiffe pour m'en punir la celefte vengeance -
Me livrer en opprobre aux Philiftins cruets ;
Que traîné par leurs mains au pied de leurs Autels
, ·
Je ferve de jouet à tout ce Peuple impie ,
Et que j'y meure enfin couvert d'ignominie.
Ce ferment n'eft pas tout-à- fait verifié à la fin
de la Piece. Samfon meurt comblé de gloire &
non d'ignominie,
Dans la Scene fuivante qui eft entre Phanor ,
Acab & Dalila , Samfon fe tient au fond du Théatre
fans être apperçû. Le Roi fait d'abord parade
d'un caractere de vertu , qu'il ne foûtient pas dans
la fuite ; il rend ce qu'il doit à la valeur de Samfon
, & dit qu'il l'admire fans la craindre. Samfon
indigné des menaces d'Acab s'approche ; il
défie fon Rival , & brave le Roi même. Le Roi
affectant une espece de juftice , confent que Dalila
798 MERCURE DE FRANCE
lila prononce entre fes deux Amans ; Dalila ne fe
déclare pour aucun des deux ; & n'écoutant que
le zele de la Religion , ôte toute efperance à Samfon
, & dit en fe retirant :
- Je n'épouferai point Samfon. à part , Cruel
devoir !
1
Sur un coeur vertueux connois tout ton pouvoir.
Samfon croyant que Dalila n'a fait jufqu'ici
que le jouer , s'abandonne à toute fa fureur.
Le Théatre repréſente au troifiéme Acte le
Camp des Philiftins . Acab , pour confoler le Roi
du carnage que Samfon feul vient de faire de fes
meilleures Troupes , lui apprend que le Grand-
Prêtre des Hebreux , intimidé par fes menaces
lui a promis de livrer Samfon entre ſes mains
Phanor n'en eft pas plus raffuré.
que
On amene Emanuel , pere de Samfon , priſonnier
; ce genereux Vieillard brave le Roi , & lui
dit fi l'amour de Samfon pour Dalila a long
tems fufpendu fa vengeance , la priſon de fon Pere
le va determiner à la faire éclater. Phanor ordonne
qu'on l'enferme dans une Tour qui paroit
au fond du Théatre.
On vient annoncer à Phanor que Samfon
s'eft laiffé furprendre , & qu'on le lui amene
chargé de fers ; le Roi fort , après avoir rendu
Acab Arbitre du fort de fon Rival . Samfon paroît
chargé de fers; il fait connoître pour quoi il
paroît en cet état par cet à parte.
Pour punir mes Tyrans ma haine a profité
D'un ftratagême heureux qu'eux -mêmes ont inventé
;
Traîtres , qui n'avez pû me vaincre à force oui
yerte ,
Votre
AVRIL. 1730. 799
Votre propre artifice avance votre perte ,
Puifqu'il m'approche enfin de ces lâches Soldats
de mourir déroboit à bras.
Que la peur mon
Acab ordonne à fes Soldats de donner la mort
à Samfon ; l'Hebreu lui dit que c'eft à lui-même
& à tous fes Soldats à trembler ; Acab le menace
d'époufer Dalila en fa préfence même ; ce dernier
outrage pouffe à bout la patience de Samfon ;
il brife fes chaînes , & trouvant par hazard une
mâchoire d'Afne à fes pieds , il les met tous en
fuite avec ce vil inftrument.
Les efforts que Samfon vient de faire lui caufent
une foif qui lui annonce une mort prochai
ne , il reconnoît alors que le bras du Seigneur
s'appefantit fur lui pour le punir de fon amour
pour une Philiftine . Voici comment s'expriment
Les juftes remords,
Mais quel aveuglement fuit ta préfomption
Tu n'as pû furmonter ta folle paffion ,
Et tu veux ignorer , lâche , quels font les crimes
Qui rendent aujourd'hui tes tourmens legitimes!
Souviens- toi que tu viens de combattre en ce lieu
Pour venger ton amour , & non pas pour ton
Dieu,
Malheureux ! tu croyois ne devoir qu'à toi -même
Le fuccès que tu tiens de la bonté fuprême ;
Appuyé de fon bras tu faifois tout trembler ; .
Mais fans lui le plus foible auroit pû t'accabler.
Les Vers fuivans ne font pas moins beaux.
Mon mal redouble ; helas ! mes fens s'évanouifil
tombe ,
Lent ;
Mcs
800 MERCURE DE FRANCE
font obfcurcis & mes genoux flechif
Mes yeux
fent ;
Je vois l'horrible Mort errer autour de moi ;
C'en eft fait ... Dieu puiffant , j'efpere encore en
toi.
Sur les maux de Samfon jette un regard propice
Ta clemence toujours balança ta juftice.
Indigne des honneurs que tu m'as préſentés
Que je partage ici tes immenfes bontés ;
Ah ! fi le repentir fait defcendre ta grace ,
Je ne fçaurois périr , & mon crime s'efface ;
Ce foudre , deftructeur de tant de Philiftins
Produira , fi tu veux , une fource en mes mains ;
C'est toi qui me l'offris contre ce Peuple impie
Il lui donna la mort ; qu'il me rende la vie ,
Semblable à ce Rocher dont Moïfe autrefois
Vit jaillir un torrent fur ton Peuple aux abois.
Ou t'exauce Samfon &c.
il met
II fort une fource d'eau de la mâchoire d'Afne;
..Samfon ayant étanché fa foif, force la Prifon de
fon Pere , & chargé d'une proye fi chere ,
encore fur fes épaules les portes de la Prifon , dont
le poids eft énorme.
Nous fupprimons la premiere Scene du quatriéme
Acte ( où le Théatre repréfente le Palais
du Roi des Philiftins ) à caufe du comique deplacé.
Dans la feconde , le Roi inftruit de la défaite
de fes Troupes n'a point d'autre confident que
Ja fuivante de Dalila , qui lui confeille d'employer
l'artifice , puifque la force ne fert de rien contre
Samfon ; elle lui dit qu'il faut que fa Maîtreffe
Alatte
AVRIL. 1730. 801.
flatte l'efpoir de ce terrible fleau de fes Sujets ,
pour l'engager à lui declarer d'où naît fa prodigieufe
valeur ; Samſòn , continuë -t'elle , a autrefois
brulé pour Tamnatée , il faut faire croire à
Dalila qu'il l'aime encore , afin que fon Amant
ne puiffe calmer fa défiance qu'en lui revelant ce
fatal fecret . Le Roi dont le caractere , comme on
l'a déja remarqué , eft tantôt vicieux , tantôt vertueux
, ne fe détermine qu'avec peine à recourir
à la tromperie qu'avec ce temperament.
Qu'elle perde Samfon ; mais dans cette entre
prife
Que l'amour du devoir , s'il fe peut , la conduiſed
Dalila vient ; le Roi la preffe d'employer pour
le falut de fa Patrie ces mêmes charmes qui ont
triomphé de Samfon. Voici comment il s'exprime.
La force dont Samfon nous accable aujour
d'hui
Confiſte en un ſecret qui n'eſt ſçû que de lui ;
Flattez le d'un hymen , pour percer ce myſtere
Il eft vaincu.
Dalila fe refufe à la perfidie que le Roi exige
d'elle. Acab effrayé vient annoncer au Roi que
tout eft perdu , & le prie de garantir la Tête du
péril qui la menace par une promte fuite. Phanor
ordonne à Dalila de voir Samfon & d'executer
ce qu'il vient de lui propofer pour le bien
de fes Sujets.
Armilla jette adroitement des foupçons jaloux
dans le coeur de Dalila au fujet de Tamnatée , &
lui perfuade qu'elle ne peut mieux s'affurer de la
fidelité de Samfon qu'en exigeant de lui qu'il lui
H dife
802 -MERCURE DE FRANCE
dife d'où peut naître fa force prodigieufe ; Dalila
qui voit alors les confequences d'un tel fecret lui
répond
Et s'il peut reveler ce fecret important
J'en dois aux Philiftins l'avis au même inftant.
Armilla lui fait entendre que rien ne l'oblige`
à donner cet avis , & qu'elle pourra ſe conferver
Samfon , affurée de fa fidelité par cette marque
de confiance .
Samfon arrive ; Armilla fe retire dans le deffein
d'écouter fans être apperçue .
La Scene entre Samfon & Dalila a paru fort
belle , quoique fufceptible de beaucoup de critique.
Samfon fans appercevoir Dalila dont il fe
croit trahi en faveur d'Acab , jure de perdre fon
Rival & le Roi même. Dalila rompant le filence
lui offre fon coeur à percer ; elle fe juftifie de l'infidelité
qu'il lui reproche , & l'ayant amené au
point qu'elle s'eft propofé , elle lui demande le
fatal fecret ; Samfon lui fait entendre qu'il ne
peut lui accorder ce qu'elle lui demande. Voici
les propres paroles :
Princeffe , épargnez-vous un inutile effort ;
Si ce fatal fecret n'entraînoit que ma mort ....
Mais , Madame , à lui feul ma gloire eft attachée
D'une honte éternelle elle feroit tachée ;
A tout autre péril je m'offre fans regret ;
Je vous accorde tout ; laiffez moi mon fecret.
Dalila fe retire , indignée du refus de Samfon,
& lui défend de la yoir jamais ; Samfon la fuit
fans fçavoir ce qu'il doit faire.
Armilla , dans la premiere Scene du cinquiéme
Acto
I
AVRIL. 1730. 803
Acte raconte au Roi tout ce qui s'eft paffé dans
l'Appartement de Dalila ; elle lui dit que s'étant
cachée de maniere à pouvoir tout voir & tour
entendre fans être apperçue , elle a vû Samſon ſe
jetter aux pieds de Dalila , que cette Princeffe
s'obftinant à vouloir apprendre fon fecret , il l'a
voit long- tems trompée par de fauffes confidences
, qu'enfin pour calmer fa colere , il lui avoit
avoué que fa force confiftoit dans fes cheveux ;
elle ajoûte qu'à peine Samfon avoit - il fait ce fatal,
aveu qu'il s'étoit plongé dans un profond fommeil
, qu'elle s'étoit approchée alors , & qu'elle
avoit dit à Dalila que fans doute Samſon la trompoit
& que fa Rivale fe vantoit hautement d'être
la feule dépofitaire de fon fecret , que Dalila pour
le convaincre de menfonge avoit confenti à faire
l'épreuve de fa fincerité ou de fa tromperie , en
lui faifant couper les cheveux , ce qui avoit d'abord
été executé par Armilla. Le Roi promet à
cette perfide fuivante des récompenfes dignes du
fervice qu'elle vient de rendre à fa Patrie.
Le Théatre repréfente l'Appartement de Dalila.
Dalila allarmée du long fommeil de Samfon ,
commence à craindre qu'il n'ait été que trop fincere
, & voyant le Roi fuivi d'une Troupe de
Soldats pour ſe ſaiſir de ſon Amant , elle l'éveille ;
Samfon voulant fe défendre tombe de foibleffe ;
il reproche à Dalila fa perfidie , & avoue qu'il
ne l'a que trop meritée. Phanor ordonne qu'on
lui aille crever les yeux. Dalila fe plonge un poignard
dans le fein. Nous fupprimons encore ici
une Scene comique qui a été trouvée déplacéedans
un fujet fi refpectable.
il
Le Théatre repréfente le Temple de Dagon
où le Roi & toute fa Cour font affemblés. Samfon
privé de la lumiere reconnoit fon crime ,
Lent un repentir fincere , & prie le Seigneur de lui´
rendre
H
804 MERCURE DE FRANCE
rendre fa premiere force afin qu'il puiffe employer
fes derniers momens à delivrer les Hebreux
de l'esclavage & à perdre fes ennemis en
periffant avec eux . Voici une partie de l'ardente
priere qu'il adreffe au Seigneur :
:
Rends leur premiere force à mes bras défarmés
;
Que ma mort foit utile aux Hebreux opprimés
Anime de mes mains les fecouffes rapides ,
Que je puiffe ébranler ces colomnes folides ,
Et que tes ennemis trouvent leurs monumens
Sous ces murs écroulés jufques aux fondemens .
Sanfon eft exaucé : il fecoue les colomnes , &
il est écrafé lui- même avec tous les Philiftins
fous les ruines du Temple de Dagon , ce qui fait
un fpectacle auffi terrible qu'admirable. Ce Temple
, pour le dire en paffant , eft un riche morceau
d'Architecture en rotonde , d'Ordre compofite
, à colomnes torfes de marbre , dont les
Chapiteaux , Bazes & autres ornemens font en
or. Sur le premier Ordre eft une Gallerie remplie
de plufieurs figures de coloris , repréfentant les
Peuples Philiftins. Les Arçades du bas qui conduifent
aux bas côtés font auffi remplies d'un grand
nombre de figures , ainfi que fur la Gallerie d'en
haut. Cette décoration produit un effet admirable
à la vue , fur tout la deftruction totale de ce
fuperbe Edifice . Elle a été compofée fur les deffeins
de M. Le Maire , & peinte par lui .
'Le fuccès étonnant de Samfon , n'a pas peu
contribué à rendre la critique plus fevere qu'elle
ne l'eft ordinairement pour le Théatre Italien .
La juftice qu'on a rendue à beauconp de beaux
Vers qui font répandus dans la Piéce n'a pas empêché
AVRIL. 1730. 805
pêché que les fpectateurs délicats n'ayent fed
mauvais gré à l'Auteur de s'être , pour ainfi dire,
laffé de bien faire dans plufieurs endroits. Tout
le monde a condamné la difparate du bas comique
, & fi la gentilleffe du jeu du St Thomaffin a
fait paffer ce deffaut dans la Repréfentation , la
lecture l'a fait fentir tout entier ; les caracteres
n'ont pas paru également foutenus. Achab , ar'on
dit , n'a prefque point de fentimens d'honneur
, il n'a en vûë que la mort de fon Rival , &
ne veut parvenir à fon but que par des chemins
indignes d'un Chef d'Armée . Phanor n'a rien de
Roi qu'un vain exterieur ; il fait parade de generofité
dans fes paroles ; mais fes actions démentent
fes maximes. Pour Samfon , on convient
qu'il eft tel que l'Ecriture le dépeint , c'eſt - à-dire,
aveuglé par un fol amour ; on peut même dire
que l'Auteur rectifie fon caractere autant que le
refpect qu'on doit avoir pour l'Histoire Sacrée
le peut permettre. Tout le monde a fait un mérite
au fieur Romagnefi d'avoir ennobli le caractere
de Dalila ; mais il ne l'a pu faire fans tomber
dans des inconveniens prefque inévitables . Dalila
a-t'on ajoûté , telle qu'elle eft vertueufe & fidelle
Amante , ne doit pas exiger de Samſon un ſecret
qui doit lui couter & l'honneur & la vie ; elle doit
fe contenter de l'offre qu'il lui fait d'épargner le
fang des Philiftins : en effet peut-elle exiger une
plus grande preuve de fon amour. Samfon ( pourfuivit-
on ) ne doit pas lui feveler fon fecret , furtout
, lui ayant déja voulu donner le change ; fes
premiers menfonges doivent rendre fufpecte à
Dalila la verité qu'il va lui dire ; fa juſte défiance
doit la porter à en faire l'épreuve , & cette épreuve
doit le livrer à la fureur des Philiftins , & entraîner
tous les Hebreux dans fa perte ; on dit à
la décharge de l'Auteur que fon caractere eſt en-
H iij core
306 MERCURE DE FRANCE
core plus defectueux dans l'Hiftoire , mais c'étoit
à l'Auteur à fubftituer le vrai- femblable Théatral
au vrai hiftorique ; on convient que cela éto it
très- embaraffant , mais du moins il n'étoit pas
bien difficile à l'Auteur de rendre fa Dalila vertueufe
jufqu'au bout , & de ne la point faire confentir
à la fatale épreuve ; Armilla auroit pû la
faire à l'infçu de fa Maîtreffe , & même contre fa
défenfe expreffe.
annoncé dans le dernier Mercure .
'Auteur eft très-modefte , quand il ne donne
cette Tragi- Comédie , que comme une fimple
Traduction ; la nouvelle forme fous laquelle il l'a
fait reparoître , mérite bien qu'il s'en dife l'Auteur
; le fieur Riccoboni , qui la mit au Théatre
én 1717. en avoue les deffauts dans fon Avis aux
Lecteurs : voici les termes dont il fe fert. La compofition
Théatrale que je vous prefente aujourd'hui
eft un de ces Monftres dont le Théatrefut
f prodigue en Italie pendant le dernier fiecle.
Cette Piece , telle qu'elle étoit alors , ne laiffa pas
d'avoir un grand fuccès. Le fieur Romagneſi en
a retranché ce qu'il y avoit de monſtrueux. La
Dalila d'autre fois étoit infoutenable au Théatre,
au lieu que celle d'aujourd'hui eft intereffante &
ne tombe dans le malheur que par foibleffe. On
n'a vu de long-temps de fuccès plus frappant que
celui-cy. On n'a pas laiffé cependant de trouver
des deffauts dans la Piéce ; nous ferons part au
Public de ce qui eft venu jufqu'à nous, à la fin de
cet Extrait.
Le Théatre repréfente im Bois, dans l'enfoncement
duquel on découvre le Temple de Dagon.
Dalila ouvre la Scene avec fa Suivante Armillā ; -
elle fait connoître qu'elle s'eft dérobée de la Cour
de Gaza, pour venir implorer le fecours de Dagon,
Idole des Philiftins; elle apprend à Armilla qu'elle
brûle d'un coupable amour pour un Hebreu qu'elle
ne trouva que trop aimable la premiere fois qu'il
parut à fes yeux parmi les Captifs qu'Achab avoit
faits dans fa derniere victoire. Samfon eft . cet
Hebreu dont elle parle ; elle ne laiffe pas de fe
promettre de triompher d'un amour condamné
par une Loi expreffe du Roi des Philiftins. Azael
reproche
AVRIL. 1730. 795
1
1
reproche à Samſon l'indigne repos dans lequel il
languit , au lieu de tourner contre les ennemis de
Dieu ces traits qu'il n'employe que contre des
animaux , dans les vains plaifirs de la Chaffe, Samfon
lui répond qu'il foufcrit aux decrets éternels
qui ont condamné les Hebreux à un pénible ef
clavage , en punition de leurs crimes ; voici comment
il s'exprime :
Du Dieu qui nous punit refpectons la puiffance ;
J'éprouve en l'adorant les traits de fa vengeance,
Et je ne porterois que coups criminels ,
Si je les oppofois aux decrets éternels.
des
L'Auteur ne pouvoit mieux excufer l'inaction
de Samfon . En effet il n'eft déterminé à faire
éclater la force prodigieufe dont le Ciel l'a
doué , que par ces mêmes decrets qu'il refpecte.
Il s'endort fous un Olivier.Pendant fon fommeil
il entend une voix qui chante les Vers fuivans :
La gloire en d'autres lieux t'appelle ,
Samfon , brife ton Arc , abandonne ces bois ;
Que fans tarder le Philiftin rebelle ,
De ton bras triomphant éprouve tout le poids
Que ton coeur à ce bruit de guerre ,
A ces Eclairs , à ce Tonnerre ,
Du Ciel reconnoiffe la voix ;
Et que cet Olivier paifible ,
Difparoiffe à l'afpect terrible ,
De ce Laurier , garant de tes exploits ..
Tout ce qui eft exprimé dans ces Vers arrive
796 MERCURE DE FFRRAANNCE
à mesure qu'on les chante ; les Eclairs brillent , le
Tonnerre gronde & l'Olivier eft changé en Laurier.
Samfon , rempli de l'Efprit de Dieu , jette
fon Carquois comme un indigne ornement ,
il fe prépare à venger les Hebreux , & à les tirer
d'eclavage. Il combat un Lion prêt à dévorer
Dalila , il l'étouffe . Dalila reconnoît l'objet
de fon amour dans celui qui vient de lui fauver
la vie. Samfon ne peut voir tant d'attraits fans
leur rendre les armes. Dalila oppoſe à cet amour
fon devoir & fa Religion ; elle lui fait connoître
qu'elle doit en ce même jour épouſer Achab ,
General des Philiftins ; Samfon fe roidit contre
tous ces obftacles ; Dalila le quitte après lui avoir
fait connoître qu'elle n'eft que trop fenfible à fon
amour. Nous fupprimons ici les Scenes comiques;
elles font trop de diverfion à l'interêt , & ce n'eft
que fur le Théatre Italien que de pareilles difparates
peuvent être excufées ; d'ailleurs la Piece n'a'
pas befoin d'un épiſode fi monftrueux.
Au fecond Acte , le Théatre repréfente le Palais
du Roi des Philiftins . Achab & Dalila com→
mencent cet Acte. Dalila avoue ingenument à
Achab , non-feulement qu'elle ne l'aime point ,'
mais qu'elle aime Samfon ; elle s'excufe par ces
Vers qu'on a trouvés des plus beaux de la Piéce :
Acab , de notre coeur les mouvemens rapides
Naiffent des paffions qui leur fervent de guides ;
Sur nos foibles efprits leur empire abſolu
Malgré tous nos efforts a toûjours prévalu ;
Pour l'un indifferents, pour l'autre pleins de flam
mes ,
Nous ne difpofons point du penchant de nos ames
Sous les traits de l'Amour , lorfque nous flechif-
Lons , Ce
AVRIL. 1730.
797
Ce Dieu nomme l'objet , & nous obéiffons.
On croit que ces Vers feroient encore plus
beaux dans le fiftême Payen. On a trouvé que l'amour
déifié ne convient pas à une Philiftine.
A l'approche de Samfon , Acab redouble fa colere
contre un Rival aimé ; Dalila le fait retirer
par ce Vers , dont on n'a pas bien compris le fens :
Suis mes pas ; vien fçavoir ce que le fort t'aprête.
Emanuel reproche à Samfon fon amour pour
Dalila ; Samfon le raffure par ce ferment :
Oui , je jure , Seigneur , par vos jours précieux
De brifer , de venger nos fers injurieux ,
Et fi je ne remplis toute votre efperance ,
Puiffe pour m'en punir la celefte vengeance -
Me livrer en opprobre aux Philiftins cruets ;
Que traîné par leurs mains au pied de leurs Autels
, ·
Je ferve de jouet à tout ce Peuple impie ,
Et que j'y meure enfin couvert d'ignominie.
Ce ferment n'eft pas tout-à- fait verifié à la fin
de la Piece. Samfon meurt comblé de gloire &
non d'ignominie,
Dans la Scene fuivante qui eft entre Phanor ,
Acab & Dalila , Samfon fe tient au fond du Théatre
fans être apperçû. Le Roi fait d'abord parade
d'un caractere de vertu , qu'il ne foûtient pas dans
la fuite ; il rend ce qu'il doit à la valeur de Samfon
, & dit qu'il l'admire fans la craindre. Samfon
indigné des menaces d'Acab s'approche ; il
défie fon Rival , & brave le Roi même. Le Roi
affectant une espece de juftice , confent que Dalila
798 MERCURE DE FRANCE
lila prononce entre fes deux Amans ; Dalila ne fe
déclare pour aucun des deux ; & n'écoutant que
le zele de la Religion , ôte toute efperance à Samfon
, & dit en fe retirant :
- Je n'épouferai point Samfon. à part , Cruel
devoir !
1
Sur un coeur vertueux connois tout ton pouvoir.
Samfon croyant que Dalila n'a fait jufqu'ici
que le jouer , s'abandonne à toute fa fureur.
Le Théatre repréſente au troifiéme Acte le
Camp des Philiftins . Acab , pour confoler le Roi
du carnage que Samfon feul vient de faire de fes
meilleures Troupes , lui apprend que le Grand-
Prêtre des Hebreux , intimidé par fes menaces
lui a promis de livrer Samfon entre ſes mains
Phanor n'en eft pas plus raffuré.
que
On amene Emanuel , pere de Samfon , priſonnier
; ce genereux Vieillard brave le Roi , & lui
dit fi l'amour de Samfon pour Dalila a long
tems fufpendu fa vengeance , la priſon de fon Pere
le va determiner à la faire éclater. Phanor ordonne
qu'on l'enferme dans une Tour qui paroit
au fond du Théatre.
On vient annoncer à Phanor que Samfon
s'eft laiffé furprendre , & qu'on le lui amene
chargé de fers ; le Roi fort , après avoir rendu
Acab Arbitre du fort de fon Rival . Samfon paroît
chargé de fers; il fait connoître pour quoi il
paroît en cet état par cet à parte.
Pour punir mes Tyrans ma haine a profité
D'un ftratagême heureux qu'eux -mêmes ont inventé
;
Traîtres , qui n'avez pû me vaincre à force oui
yerte ,
Votre
AVRIL. 1730. 799
Votre propre artifice avance votre perte ,
Puifqu'il m'approche enfin de ces lâches Soldats
de mourir déroboit à bras.
Que la peur mon
Acab ordonne à fes Soldats de donner la mort
à Samfon ; l'Hebreu lui dit que c'eft à lui-même
& à tous fes Soldats à trembler ; Acab le menace
d'époufer Dalila en fa préfence même ; ce dernier
outrage pouffe à bout la patience de Samfon ;
il brife fes chaînes , & trouvant par hazard une
mâchoire d'Afne à fes pieds , il les met tous en
fuite avec ce vil inftrument.
Les efforts que Samfon vient de faire lui caufent
une foif qui lui annonce une mort prochai
ne , il reconnoît alors que le bras du Seigneur
s'appefantit fur lui pour le punir de fon amour
pour une Philiftine . Voici comment s'expriment
Les juftes remords,
Mais quel aveuglement fuit ta préfomption
Tu n'as pû furmonter ta folle paffion ,
Et tu veux ignorer , lâche , quels font les crimes
Qui rendent aujourd'hui tes tourmens legitimes!
Souviens- toi que tu viens de combattre en ce lieu
Pour venger ton amour , & non pas pour ton
Dieu,
Malheureux ! tu croyois ne devoir qu'à toi -même
Le fuccès que tu tiens de la bonté fuprême ;
Appuyé de fon bras tu faifois tout trembler ; .
Mais fans lui le plus foible auroit pû t'accabler.
Les Vers fuivans ne font pas moins beaux.
Mon mal redouble ; helas ! mes fens s'évanouifil
tombe ,
Lent ;
Mcs
800 MERCURE DE FRANCE
font obfcurcis & mes genoux flechif
Mes yeux
fent ;
Je vois l'horrible Mort errer autour de moi ;
C'en eft fait ... Dieu puiffant , j'efpere encore en
toi.
Sur les maux de Samfon jette un regard propice
Ta clemence toujours balança ta juftice.
Indigne des honneurs que tu m'as préſentés
Que je partage ici tes immenfes bontés ;
Ah ! fi le repentir fait defcendre ta grace ,
Je ne fçaurois périr , & mon crime s'efface ;
Ce foudre , deftructeur de tant de Philiftins
Produira , fi tu veux , une fource en mes mains ;
C'est toi qui me l'offris contre ce Peuple impie
Il lui donna la mort ; qu'il me rende la vie ,
Semblable à ce Rocher dont Moïfe autrefois
Vit jaillir un torrent fur ton Peuple aux abois.
Ou t'exauce Samfon &c.
il met
II fort une fource d'eau de la mâchoire d'Afne;
..Samfon ayant étanché fa foif, force la Prifon de
fon Pere , & chargé d'une proye fi chere ,
encore fur fes épaules les portes de la Prifon , dont
le poids eft énorme.
Nous fupprimons la premiere Scene du quatriéme
Acte ( où le Théatre repréfente le Palais
du Roi des Philiftins ) à caufe du comique deplacé.
Dans la feconde , le Roi inftruit de la défaite
de fes Troupes n'a point d'autre confident que
Ja fuivante de Dalila , qui lui confeille d'employer
l'artifice , puifque la force ne fert de rien contre
Samfon ; elle lui dit qu'il faut que fa Maîtreffe
Alatte
AVRIL. 1730. 801.
flatte l'efpoir de ce terrible fleau de fes Sujets ,
pour l'engager à lui declarer d'où naît fa prodigieufe
valeur ; Samſòn , continuë -t'elle , a autrefois
brulé pour Tamnatée , il faut faire croire à
Dalila qu'il l'aime encore , afin que fon Amant
ne puiffe calmer fa défiance qu'en lui revelant ce
fatal fecret . Le Roi dont le caractere , comme on
l'a déja remarqué , eft tantôt vicieux , tantôt vertueux
, ne fe détermine qu'avec peine à recourir
à la tromperie qu'avec ce temperament.
Qu'elle perde Samfon ; mais dans cette entre
prife
Que l'amour du devoir , s'il fe peut , la conduiſed
Dalila vient ; le Roi la preffe d'employer pour
le falut de fa Patrie ces mêmes charmes qui ont
triomphé de Samfon. Voici comment il s'exprime.
La force dont Samfon nous accable aujour
d'hui
Confiſte en un ſecret qui n'eſt ſçû que de lui ;
Flattez le d'un hymen , pour percer ce myſtere
Il eft vaincu.
Dalila fe refufe à la perfidie que le Roi exige
d'elle. Acab effrayé vient annoncer au Roi que
tout eft perdu , & le prie de garantir la Tête du
péril qui la menace par une promte fuite. Phanor
ordonne à Dalila de voir Samfon & d'executer
ce qu'il vient de lui propofer pour le bien
de fes Sujets.
Armilla jette adroitement des foupçons jaloux
dans le coeur de Dalila au fujet de Tamnatée , &
lui perfuade qu'elle ne peut mieux s'affurer de la
fidelité de Samfon qu'en exigeant de lui qu'il lui
H dife
802 -MERCURE DE FRANCE
dife d'où peut naître fa force prodigieufe ; Dalila
qui voit alors les confequences d'un tel fecret lui
répond
Et s'il peut reveler ce fecret important
J'en dois aux Philiftins l'avis au même inftant.
Armilla lui fait entendre que rien ne l'oblige`
à donner cet avis , & qu'elle pourra ſe conferver
Samfon , affurée de fa fidelité par cette marque
de confiance .
Samfon arrive ; Armilla fe retire dans le deffein
d'écouter fans être apperçue .
La Scene entre Samfon & Dalila a paru fort
belle , quoique fufceptible de beaucoup de critique.
Samfon fans appercevoir Dalila dont il fe
croit trahi en faveur d'Acab , jure de perdre fon
Rival & le Roi même. Dalila rompant le filence
lui offre fon coeur à percer ; elle fe juftifie de l'infidelité
qu'il lui reproche , & l'ayant amené au
point qu'elle s'eft propofé , elle lui demande le
fatal fecret ; Samfon lui fait entendre qu'il ne
peut lui accorder ce qu'elle lui demande. Voici
les propres paroles :
Princeffe , épargnez-vous un inutile effort ;
Si ce fatal fecret n'entraînoit que ma mort ....
Mais , Madame , à lui feul ma gloire eft attachée
D'une honte éternelle elle feroit tachée ;
A tout autre péril je m'offre fans regret ;
Je vous accorde tout ; laiffez moi mon fecret.
Dalila fe retire , indignée du refus de Samfon,
& lui défend de la yoir jamais ; Samfon la fuit
fans fçavoir ce qu'il doit faire.
Armilla , dans la premiere Scene du cinquiéme
Acto
I
AVRIL. 1730. 803
Acte raconte au Roi tout ce qui s'eft paffé dans
l'Appartement de Dalila ; elle lui dit que s'étant
cachée de maniere à pouvoir tout voir & tour
entendre fans être apperçue , elle a vû Samſon ſe
jetter aux pieds de Dalila , que cette Princeffe
s'obftinant à vouloir apprendre fon fecret , il l'a
voit long- tems trompée par de fauffes confidences
, qu'enfin pour calmer fa colere , il lui avoit
avoué que fa force confiftoit dans fes cheveux ;
elle ajoûte qu'à peine Samfon avoit - il fait ce fatal,
aveu qu'il s'étoit plongé dans un profond fommeil
, qu'elle s'étoit approchée alors , & qu'elle
avoit dit à Dalila que fans doute Samſon la trompoit
& que fa Rivale fe vantoit hautement d'être
la feule dépofitaire de fon fecret , que Dalila pour
le convaincre de menfonge avoit confenti à faire
l'épreuve de fa fincerité ou de fa tromperie , en
lui faifant couper les cheveux , ce qui avoit d'abord
été executé par Armilla. Le Roi promet à
cette perfide fuivante des récompenfes dignes du
fervice qu'elle vient de rendre à fa Patrie.
Le Théatre repréfente l'Appartement de Dalila.
Dalila allarmée du long fommeil de Samfon ,
commence à craindre qu'il n'ait été que trop fincere
, & voyant le Roi fuivi d'une Troupe de
Soldats pour ſe ſaiſir de ſon Amant , elle l'éveille ;
Samfon voulant fe défendre tombe de foibleffe ;
il reproche à Dalila fa perfidie , & avoue qu'il
ne l'a que trop meritée. Phanor ordonne qu'on
lui aille crever les yeux. Dalila fe plonge un poignard
dans le fein. Nous fupprimons encore ici
une Scene comique qui a été trouvée déplacéedans
un fujet fi refpectable.
il
Le Théatre repréfente le Temple de Dagon
où le Roi & toute fa Cour font affemblés. Samfon
privé de la lumiere reconnoit fon crime ,
Lent un repentir fincere , & prie le Seigneur de lui´
rendre
H
804 MERCURE DE FRANCE
rendre fa premiere force afin qu'il puiffe employer
fes derniers momens à delivrer les Hebreux
de l'esclavage & à perdre fes ennemis en
periffant avec eux . Voici une partie de l'ardente
priere qu'il adreffe au Seigneur :
:
Rends leur premiere force à mes bras défarmés
;
Que ma mort foit utile aux Hebreux opprimés
Anime de mes mains les fecouffes rapides ,
Que je puiffe ébranler ces colomnes folides ,
Et que tes ennemis trouvent leurs monumens
Sous ces murs écroulés jufques aux fondemens .
Sanfon eft exaucé : il fecoue les colomnes , &
il est écrafé lui- même avec tous les Philiftins
fous les ruines du Temple de Dagon , ce qui fait
un fpectacle auffi terrible qu'admirable. Ce Temple
, pour le dire en paffant , eft un riche morceau
d'Architecture en rotonde , d'Ordre compofite
, à colomnes torfes de marbre , dont les
Chapiteaux , Bazes & autres ornemens font en
or. Sur le premier Ordre eft une Gallerie remplie
de plufieurs figures de coloris , repréfentant les
Peuples Philiftins. Les Arçades du bas qui conduifent
aux bas côtés font auffi remplies d'un grand
nombre de figures , ainfi que fur la Gallerie d'en
haut. Cette décoration produit un effet admirable
à la vue , fur tout la deftruction totale de ce
fuperbe Edifice . Elle a été compofée fur les deffeins
de M. Le Maire , & peinte par lui .
'Le fuccès étonnant de Samfon , n'a pas peu
contribué à rendre la critique plus fevere qu'elle
ne l'eft ordinairement pour le Théatre Italien .
La juftice qu'on a rendue à beauconp de beaux
Vers qui font répandus dans la Piéce n'a pas empêché
AVRIL. 1730. 805
pêché que les fpectateurs délicats n'ayent fed
mauvais gré à l'Auteur de s'être , pour ainfi dire,
laffé de bien faire dans plufieurs endroits. Tout
le monde a condamné la difparate du bas comique
, & fi la gentilleffe du jeu du St Thomaffin a
fait paffer ce deffaut dans la Repréfentation , la
lecture l'a fait fentir tout entier ; les caracteres
n'ont pas paru également foutenus. Achab , ar'on
dit , n'a prefque point de fentimens d'honneur
, il n'a en vûë que la mort de fon Rival , &
ne veut parvenir à fon but que par des chemins
indignes d'un Chef d'Armée . Phanor n'a rien de
Roi qu'un vain exterieur ; il fait parade de generofité
dans fes paroles ; mais fes actions démentent
fes maximes. Pour Samfon , on convient
qu'il eft tel que l'Ecriture le dépeint , c'eſt - à-dire,
aveuglé par un fol amour ; on peut même dire
que l'Auteur rectifie fon caractere autant que le
refpect qu'on doit avoir pour l'Histoire Sacrée
le peut permettre. Tout le monde a fait un mérite
au fieur Romagnefi d'avoir ennobli le caractere
de Dalila ; mais il ne l'a pu faire fans tomber
dans des inconveniens prefque inévitables . Dalila
a-t'on ajoûté , telle qu'elle eft vertueufe & fidelle
Amante , ne doit pas exiger de Samſon un ſecret
qui doit lui couter & l'honneur & la vie ; elle doit
fe contenter de l'offre qu'il lui fait d'épargner le
fang des Philiftins : en effet peut-elle exiger une
plus grande preuve de fon amour. Samfon ( pourfuivit-
on ) ne doit pas lui feveler fon fecret , furtout
, lui ayant déja voulu donner le change ; fes
premiers menfonges doivent rendre fufpecte à
Dalila la verité qu'il va lui dire ; fa juſte défiance
doit la porter à en faire l'épreuve , & cette épreuve
doit le livrer à la fureur des Philiftins , & entraîner
tous les Hebreux dans fa perte ; on dit à
la décharge de l'Auteur que fon caractere eſt en-
H iij core
306 MERCURE DE FRANCE
core plus defectueux dans l'Hiftoire , mais c'étoit
à l'Auteur à fubftituer le vrai- femblable Théatral
au vrai hiftorique ; on convient que cela éto it
très- embaraffant , mais du moins il n'étoit pas
bien difficile à l'Auteur de rendre fa Dalila vertueufe
jufqu'au bout , & de ne la point faire confentir
à la fatale épreuve ; Armilla auroit pû la
faire à l'infçu de fa Maîtreffe , & même contre fa
défenfe expreffe.
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Résumé : EXTRAIT du nouveau Samson, annoncé dans le dernier Mercure.
Le texte présente la tragédie 'Dalila', initialement jouée en 1717 et révisée par le sieur Riccoboni. La pièce, malgré ses défauts, a connu un grand succès. Elle raconte l'histoire de Dalila, une Philistine amoureuse de Samson, un Hébreu. Dalila doit épouser Achab, le général des Philistins, mais elle est déchirée entre son devoir et son amour pour Samson. Ce dernier, initialement passif, est poussé à l'action par une vision divine et combat les Philistins. Dalila finit par trahir Samson en révélant son secret de force. Samson meurt en héros après une série de combats et de révélations. Une scène spécifique de la pièce 'Samson', jouée en avril 1730, est également décrite. Dans la première scène du cinquième acte, Armilla informe le roi de ce qu'elle a observé dans l'appartement de Dalila. Elle révèle que Samson a avoué à Dalila que sa force résidait dans ses cheveux. Dalila, aidée par Armilla, fait couper les cheveux de Samson pendant qu'il dort, le privant ainsi de sa force. Le roi récompense Armilla pour sa trahison. Dans la scène suivante, Dalila découvre que les soldats du roi sont venus arrêter Samson. Samson, réveillé, reproche à Dalila sa perfidie avant d'être aveuglé. Dalila se suicide. Dans le temple de Dagon, Samson prie pour retrouver sa force afin de délivrer les Hébreux. Sa prière est exaucée, et il détruit le temple en se sacrifiant, tuant ainsi les Philistins. La critique de la pièce souligne des incohérences dans les personnages et l'inclusion de scènes comiques inappropriées. Les spectateurs ont apprécié certains vers mais ont critiqué la disparité des styles et la faiblesse de certains caractères. Dalila est jugée vertueuse, mais son insistance à connaître le secret de Samson est critiquée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 912-917
LETTRE écrite d'Orleans le 12. Avril 1732. sur le nom de Guespin, qu'on donne aux Orleanois.
Début :
De bonne foi, y pensez-vous, Monsieur, de me faire [...]
Mots clefs :
Orléans, Guespin, Latin, Caractère
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite d'Orleans le 12. Avril 1732. sur le nom de Guespin, qu'on donne aux Orleanois.
LETTRE écrite d'Orleans le 11. Avril
1732. sur le nom de Guespin , qu'on
donne aux Orleanois.
D
E bonne foi , y pensez-vous , Monsieur , de me faire de pareilles demandes. Orleanois depuis le Deluge (1 )
ou peu s'en faut , vous voulez que je
vous dise d'où vient le nom de Guespin ,
et ce que l'on doit entendre par ce sobriquet , qu'on nous donne si liberalement ;il faut être bien complaisant pour
(1 ) Le Maire , Hist. d'Orleans , met la fonda
on de cette Ville seulement 350. ans après le Dé
suge.
Vous
MAY. 1732 913
vous répondre, mais l'amitié est imperieuse et je vous obéis.
Ceux qui croient que Guespin a été
formé de Genebensis , qu'on a employé ,
selon eux, pour Aurelianensis , en ont assez
bien établi la filiation ; Genebensis , Genebinus , Guebinus , et par le changement
ordinaire du B. en P. Guepinus , Guépin.
Mais par malheur les bonnes gens raisonnent sur un faux principe ; car Genebensis ne s'est jamais dit en ce sens , et
dans la Vie de S. Liphard , écrite au sixiéme siecle , où ils prétendent , d'après la
Saussaye ( 1 ) que l'Evêque d'Orleans est
appellé Episcopus Genebensis , on trouve
au contraire , Episcopus Aurelianensis ,
ainsi qu'il est aisé de s'en convaincre dans
le Pere Mabillon. ( 2 ) Comme c'est le seul
monument que nos Etimonologistes rapportent pour eux , vous le voyez bien , in
Vanum laboraaverunt ; mais Dieu le leur pardonne , ils ont eu bonne volonté et leur
zele mérite quelque remerciement.
Il faut donc , malgré nous , remonter
à la veritable source , et reconnoître de
bonne foi que Quespin descend en droite
ligne de Guespa , ( 3 ) mor dont on s'est ser-
(1 ) Sausseyus Annal. Eccles. Aurel. L. 1 .
Num. 16.
(2 ) Act. SS. Bened. T. 1. p. 155. n. 8.
(3) V.le Gloss. de Ducange.
D iiij vi
914 MERCURE DE FRANCE,
vi dans la basse latinité pour Vespa , uno
Guespe. Par malheur cet Insecte mis en
symbole , n'est pas de bonne augure ; aussi
les anciens Philosophes , au rapport de
Pierius Valerianus , ( 1 ) en faisoient- ils celui d'un esprit querelleur , et il a plu au
fameux Alciat dans son 51. Emblême
d'en faire celui de la médisance.
Vespas
Esse ferunt lingua certa sigilla mala.
Rien n'est plus ordinaire dans les Au
teurs , que les reproches qu'on nous fait
sur ces deux articles. » Le naturel des
Guespins ( dit un Ouvrage ( 2 ) publié
»du temps de la Ligue , ) j'en prens Or-
»leans pour exemple , est d'être hagard ,
» noiseux , et mutin. Et vous avez lû ,
sans doute, M. de Valois , ( 3 ) sur ce sujet.
» Vespis , dit-il , en parlant des Orleanois,
» Quarum advolantium molestos ictus , im-
»portunos bombos , ac pungendi libidinem;
»vino suo inflati clamoribus , rixis et con-
» viciis imitantur. Je me garderai bien de
(1 ) Hieroglyphica , L. 4.
(2 ) Saint et charitable conseil à Mrs le Pré- vôt des Marchands et Echevins de la Ville de Pais , pour se départir de la ligue. Memoire de la Li- gue, T. 3. P. 344.
(3) Notitia Galliarum.
traduire
MAY. 1732.
915
traduire ce beau Latin , si même en letranscrivant ma main pouvoit agir sans mes
yeux , je ferois comme Socrate , quand
il parloit de l'Amour , je me couvrirois
la tête d'un voile.
C'est en vain que Théodore de Beze ;
qui avoit étudié à Orleans , et dont l'esprit et le cœur ( 1 ) étoient interessez à
aimer cette Ville , a voulu expliquer le
mot de Guespe en bonne part.
Aurelias vocare Vespas suevimus ,
Ut dicere olim mos erat nasum atticum. (2)
Ces Vers sont beaux , mais il vaudroit
mieux pour nous n'avoir point de comparaison à faire de ce côté avec les Athéniens , quoique les Peuples les plus spirituels de la Grece.
Pour continuer à vous dire ce que je
sçai sur le mot de Guespin , je trouve que
Bonaventure Des Periers , (3 ) semble opposer ce terme à civil et poli ; c'est dans -
(1) Théodore de Bese y avoit une Maitresse .
Marie de l'Etoille , dont on voit l'Epitaphe dans le
grand Cimetiere , en Prose Latine et Françoise
mais si effacée , qu'on ne peut plus en lire que quel
ques mots. On croit cette Epitaphe de la composition de Th. de Beze.
(2) Juvenilia , p. 43. verso.
(3) Les nouvelles Recréations et joyeux Devis ,
page 71. Edition de Lyon 1558. ·
D v le
916 MERCURE DE FRANCE
le Conte d'une Dame d'Orleans , qui aimoit
un Ecolier. Une Dame , dit il , gentille et ,
bonnête , encore qu'elle fût Guepine. Enfin
je ne connois qu'un seul Passage d'Auteurs où Gespin soit employé sans mauvaise interprétation; c'est dans la Relation
(1 ) de l'Entrée de l'Empereur Charles V.
dans la Ville d'Orleans en 1539. Après
venoient les Maîtres d'Ecoles , les Medecins , puis les Officiers de l'Université, les
Conseillers et Guespins d'icelle. Dans ce
Passage, Guespin , comme on le voit, ne
signifie qu'Etudiant d'Orleans.
Il est aisé à present de juger si la définition que Richelet et les Auteurs du
Dictionnaire de Trévoux , ont donnée du
mot de Guespin , est bien juste , lorsqu'ils disent que c'est un Sobriquet qu'on
employe quand on veut signifier qu'une personne est fine et rusée et qu'elle est d'Orleans. Les Orleanois ont de l'esprit assurément , c'est une justice qu'on leur doit
rendre , mais pour être fins et ruscz , c'est
un reproche qu'ils ne méritent pas ,
ne sont que trop unis et trop natu els ,
et c'est ce même caractere qui fait en
partie celui du Guespin , que je ne
puis mieux vous peindre que par ' ces
ils
(1)Ceremonial de France deT. Godefroy , Tome
.2.P. 757.
Vers
MAY. 1732 917
Vers ,où M. Despréaux , Satyre premiere,
fait son Portrait sous le nom de Damon.
Je suis rustique et fier et j'ai l'ame grossiere ,
Je ne puis rien nommer, si ce n'est par son nom,
J'appelle un chat un chat et Rolet un fripon.
Je suis , Monsieur , &c. D. P.
1732. sur le nom de Guespin , qu'on
donne aux Orleanois.
D
E bonne foi , y pensez-vous , Monsieur , de me faire de pareilles demandes. Orleanois depuis le Deluge (1 )
ou peu s'en faut , vous voulez que je
vous dise d'où vient le nom de Guespin ,
et ce que l'on doit entendre par ce sobriquet , qu'on nous donne si liberalement ;il faut être bien complaisant pour
(1 ) Le Maire , Hist. d'Orleans , met la fonda
on de cette Ville seulement 350. ans après le Dé
suge.
Vous
MAY. 1732 913
vous répondre, mais l'amitié est imperieuse et je vous obéis.
Ceux qui croient que Guespin a été
formé de Genebensis , qu'on a employé ,
selon eux, pour Aurelianensis , en ont assez
bien établi la filiation ; Genebensis , Genebinus , Guebinus , et par le changement
ordinaire du B. en P. Guepinus , Guépin.
Mais par malheur les bonnes gens raisonnent sur un faux principe ; car Genebensis ne s'est jamais dit en ce sens , et
dans la Vie de S. Liphard , écrite au sixiéme siecle , où ils prétendent , d'après la
Saussaye ( 1 ) que l'Evêque d'Orleans est
appellé Episcopus Genebensis , on trouve
au contraire , Episcopus Aurelianensis ,
ainsi qu'il est aisé de s'en convaincre dans
le Pere Mabillon. ( 2 ) Comme c'est le seul
monument que nos Etimonologistes rapportent pour eux , vous le voyez bien , in
Vanum laboraaverunt ; mais Dieu le leur pardonne , ils ont eu bonne volonté et leur
zele mérite quelque remerciement.
Il faut donc , malgré nous , remonter
à la veritable source , et reconnoître de
bonne foi que Quespin descend en droite
ligne de Guespa , ( 3 ) mor dont on s'est ser-
(1 ) Sausseyus Annal. Eccles. Aurel. L. 1 .
Num. 16.
(2 ) Act. SS. Bened. T. 1. p. 155. n. 8.
(3) V.le Gloss. de Ducange.
D iiij vi
914 MERCURE DE FRANCE,
vi dans la basse latinité pour Vespa , uno
Guespe. Par malheur cet Insecte mis en
symbole , n'est pas de bonne augure ; aussi
les anciens Philosophes , au rapport de
Pierius Valerianus , ( 1 ) en faisoient- ils celui d'un esprit querelleur , et il a plu au
fameux Alciat dans son 51. Emblême
d'en faire celui de la médisance.
Vespas
Esse ferunt lingua certa sigilla mala.
Rien n'est plus ordinaire dans les Au
teurs , que les reproches qu'on nous fait
sur ces deux articles. » Le naturel des
Guespins ( dit un Ouvrage ( 2 ) publié
»du temps de la Ligue , ) j'en prens Or-
»leans pour exemple , est d'être hagard ,
» noiseux , et mutin. Et vous avez lû ,
sans doute, M. de Valois , ( 3 ) sur ce sujet.
» Vespis , dit-il , en parlant des Orleanois,
» Quarum advolantium molestos ictus , im-
»portunos bombos , ac pungendi libidinem;
»vino suo inflati clamoribus , rixis et con-
» viciis imitantur. Je me garderai bien de
(1 ) Hieroglyphica , L. 4.
(2 ) Saint et charitable conseil à Mrs le Pré- vôt des Marchands et Echevins de la Ville de Pais , pour se départir de la ligue. Memoire de la Li- gue, T. 3. P. 344.
(3) Notitia Galliarum.
traduire
MAY. 1732.
915
traduire ce beau Latin , si même en letranscrivant ma main pouvoit agir sans mes
yeux , je ferois comme Socrate , quand
il parloit de l'Amour , je me couvrirois
la tête d'un voile.
C'est en vain que Théodore de Beze ;
qui avoit étudié à Orleans , et dont l'esprit et le cœur ( 1 ) étoient interessez à
aimer cette Ville , a voulu expliquer le
mot de Guespe en bonne part.
Aurelias vocare Vespas suevimus ,
Ut dicere olim mos erat nasum atticum. (2)
Ces Vers sont beaux , mais il vaudroit
mieux pour nous n'avoir point de comparaison à faire de ce côté avec les Athéniens , quoique les Peuples les plus spirituels de la Grece.
Pour continuer à vous dire ce que je
sçai sur le mot de Guespin , je trouve que
Bonaventure Des Periers , (3 ) semble opposer ce terme à civil et poli ; c'est dans -
(1) Théodore de Bese y avoit une Maitresse .
Marie de l'Etoille , dont on voit l'Epitaphe dans le
grand Cimetiere , en Prose Latine et Françoise
mais si effacée , qu'on ne peut plus en lire que quel
ques mots. On croit cette Epitaphe de la composition de Th. de Beze.
(2) Juvenilia , p. 43. verso.
(3) Les nouvelles Recréations et joyeux Devis ,
page 71. Edition de Lyon 1558. ·
D v le
916 MERCURE DE FRANCE
le Conte d'une Dame d'Orleans , qui aimoit
un Ecolier. Une Dame , dit il , gentille et ,
bonnête , encore qu'elle fût Guepine. Enfin
je ne connois qu'un seul Passage d'Auteurs où Gespin soit employé sans mauvaise interprétation; c'est dans la Relation
(1 ) de l'Entrée de l'Empereur Charles V.
dans la Ville d'Orleans en 1539. Après
venoient les Maîtres d'Ecoles , les Medecins , puis les Officiers de l'Université, les
Conseillers et Guespins d'icelle. Dans ce
Passage, Guespin , comme on le voit, ne
signifie qu'Etudiant d'Orleans.
Il est aisé à present de juger si la définition que Richelet et les Auteurs du
Dictionnaire de Trévoux , ont donnée du
mot de Guespin , est bien juste , lorsqu'ils disent que c'est un Sobriquet qu'on
employe quand on veut signifier qu'une personne est fine et rusée et qu'elle est d'Orleans. Les Orleanois ont de l'esprit assurément , c'est une justice qu'on leur doit
rendre , mais pour être fins et ruscz , c'est
un reproche qu'ils ne méritent pas ,
ne sont que trop unis et trop natu els ,
et c'est ce même caractere qui fait en
partie celui du Guespin , que je ne
puis mieux vous peindre que par ' ces
ils
(1)Ceremonial de France deT. Godefroy , Tome
.2.P. 757.
Vers
MAY. 1732 917
Vers ,où M. Despréaux , Satyre premiere,
fait son Portrait sous le nom de Damon.
Je suis rustique et fier et j'ai l'ame grossiere ,
Je ne puis rien nommer, si ce n'est par son nom,
J'appelle un chat un chat et Rolet un fripon.
Je suis , Monsieur , &c. D. P.
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Résumé : LETTRE écrite d'Orleans le 12. Avril 1732. sur le nom de Guespin, qu'on donne aux Orleanois.
La lettre datée du 11 avril 1732 à Orléans traite de l'origine du sobriquet 'Guespin' attribué aux Orleanois. L'auteur répond à une demande d'explication sur ce terme et évoque plusieurs théories. L'une d'elles relie 'Guespin' à 'Genebensis', une forme supposée de 'Aurelianensis'. Cependant, cette théorie est réfutée car 'Genebensis' n'a jamais été utilisé dans ce sens. L'auteur conclut que 'Guespin' dérive de 'Guespa', un terme de basse latinité pour 'guêpe'. Cette association est négative, symbolisant un esprit querelleur et médisant. Des auteurs anciens et contemporains, comme Pierius Valerianus et Alciat, confirment cette interprétation péjorative. Des exemples littéraires, tels que ceux de Théodore de Bèze et Bonaventure Des Périers, montrent que 'Guespin' est souvent utilisé de manière défavorable. Un passage de la Relation de l'Entrée de l'Empereur Charles V à Orléans en 1539 utilise 'Guespin' de manière neutre, signifiant simplement 'étudiant d'Orléans'. L'auteur critique les définitions des dictionnaires comme celui de Richelet et du Dictionnaire de Trévoux, qui décrivent les Guespins comme fins et rusés. Il affirme que les Orleanois sont naturels et unis, mais ne méritent pas le reproche d'être rusés.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 1028-1032
ELOGE de l'Humeur Capricieuse, par M...
Début :
Peut-être trouverez-vous étonnant, Monsieur, que j'entreprenne de [...]
Mots clefs :
Humeur capricieuse, Femme, Plaisirs, Caractère
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ELOGE de l'Humeur Capricieuse, par M...
LOGE de l'Humeur Capricieuse,
par M....
Eut-être trouverez- vous étonnant,
Monsieur , que j'entreprenne de fairol'éloge de l'humeur capricieuse. Ceprojet vous paroîtra nouveau,et ne manquera
pas de Critiques ; mais après plusieurs réAlexions sur les différens effets du caprice
dans toutes les actions de la vie , j'ai.reconnu qué cette humeur pouvoit former un
caractere qui se soutient également lors
qu'on l'a dans sa perfection. C'est aussi
de l'humeur parfaitement capricieuse
que je veux parler, non d'une humeur
foujours bourue , toujours brutale mais
de l'humeur inégale , tantôt gaye , tantôt
triste , quelquefois gracieuse et prévenante , quelquefois fiere et impolie.
,
La Femme me fournira plus aisément
un sujet convenable à mon dessein elle
a seule assez de vivacité assez de ce
feu céleste qui donne de l'élévation à
l'esprit , car il faut nécessairemt un
gérie audessus du commun pour être
capricieux ; il y a dans ce caractere un
merveilleux qui ne se dément jamais ,
et qui surprend toujours ; on peut donc
distinguer dans la femme deux espepeces
MA Y. 1732. 11029
·
6
mary
ces d'humeur capricieuses , l'une dans
le domestique , l'autre dans le monde. La
femme capricieuse dans le domestique est
alternativement en colere pour des bagatelles , tranquille et patiente pour des
choses essentielles ; tantôt elle a pour un
des airs de froideur et de hauteur
tantôt elle est soumise et empressée , et
l'accable de caresses ; elle se moque quelquefois des idées raisonnables qu'il à , et
est ingénieuse à lui déplaire ; quelquefois
elle est gracieuse, attirante;elle le prévient
sur tout un moment après elle le tourne en ridicule , le traite avec mépris , et.
par un changement inesperé elle lui donhe ensuite des marques d'une admiration,
et d'une estime particuliere.. Combien,
l'inconstance naturelle d'un mary n'est-elle point satisfaite avec un tel caractere. II,
a deux femmes dans une. La capricieuse
rend l'autre plus aimable en lui donnant
sans cesse la grace de la nouveauté; le caprice irrite les désirs d'un mary , le tient
entre l'esperance et la crainte , toujours
en suspens , toujours dans cette agitation,
qui empêche de tomber dans la tiedeur et
dans l'indolence; enfin il l'éxcite et le ranimeassez pour lui faireoublier ce qu'il peut
y avoir d'in ipide et d'ennuyeux dans la
longue habitude dumariage. Quel charme
I ÿj pour
1035 MERCURE DE FRANCE
pour un mary de trouver sa femme gaye
quand il craignoit de la trouver en coTere et de mauvaise humeur ! 11 est flaté
d'un bien auquel il ne s'attendoit pas ; il
s'en applaudit , il croit que c'est en sa faveur que s'est fait ce changement , et il
tombenécessairement d'accord en lui-même que les plaisirs ne sont sensibles qu'autant que le caprice en réveille le gout. La
Capricieuse dans le monde esttriste quand
les autres sont gayes , ou elle est gaye
avec tant d'excés qu'elle en déconcerte
les plus enjoüées : elle s'attache à certaines
personnes pendant deux ou trois jours ,
elle les voit d'un air d'amitié la plus sincere , et ne sçauroit les quitter : occupée
ensuite d'un nouvel objet , elle est un
mois sans leur parler , et loin de répondre à leurs honnêtetez et à leurs avances ,
elle les regarde comme si elle ne les avoit
jamais connuës ; elle est douce et flateuse
quelquefois , et quelquefois d'un commerce dur et rebutant : alors vous la verrez
ne pas même regarder ceux qui viennent
chez elle , ne les pas saluer , s'offenser des
politesses qu'on lui fera , prendre du
mauvais côté les choses qui ont deux faees ,se croire insultée quand elle ne l'est
point , et souffrir les choses les plus piquantes, sans s'en plaindre.
t
11
MAY 1732 1031
Il faut donc conclure par les agrémens
d'une femme capricieuse, que rien n'est si
charmant , rien n'est si aimable qu'une
femme parfaitement capricieuse. Pour
moi si le Ciel m'avoit destiné à passer
mes jours avec un aussi rare caractere , je
me croirois des mortels le plus fortunés
rien n'égaleroit la douceur d'une vie dont
les momens seroient si variez , que l'on
n'auroit le tems de s'affliger. pas
Personne n'ignore que ce qui nous tourmente le plus dans le monde , c'est la
Refléxion. On ne fait des reflexions que
quand on tombe dans l'indolence , et que
Poisiveté nous rend à nous- mêmes ; mais
avec une femme capricieuse est- il possible
de rentrer en soi - même? Ne nous occupe t'elle pas tous les instans de notre vie?
tantôt dans la crainte de la voir de mauvaise humeur , tantôt dans l'esperance de
la trouver gaye ; l'amour le plus parfait ,
la tendresse la plus vive pour une femme
"ordinaire , laisse encore du vuide dans le
cœur , et c'est ce vuide qui est trop souvent et si cruellement rempli par mille,
refléxions douloureuses qui naissent tantôt des dégoûts , tantôt des mouvemens.
de jalousie , et toûjours par l'inconstance.
On n'est point exposé à ces chagrins avec
une femme capricieuse ; aussi n'y auraI iij t'il
1032 MERCURE DE FRANCE
t'il jamais que le contraste perpetuel de
son humeur qui puisse remplir le cœur
de l'homme; c'est de cette source que
coule une source inépuisable de plaisirs ,
parce que comme il n'y a point de peines sans refléxions , de- même il n'y a que
des plaisirs où il n'y a point de peines
s'ils est donc vrai que ce soit dans le seul
commerce d'une femme capricieuse que
l'on trouve des plaisirs exempts de refléxions , conséquemment exempts de
peines ; il faut convenir que rien n'égale
le mérite d'une femme capricieuse , puisqu'il n'y a qu'elle qui puisse procurer.
P'homme des plaisirs solides et constans.
par M....
Eut-être trouverez- vous étonnant,
Monsieur , que j'entreprenne de fairol'éloge de l'humeur capricieuse. Ceprojet vous paroîtra nouveau,et ne manquera
pas de Critiques ; mais après plusieurs réAlexions sur les différens effets du caprice
dans toutes les actions de la vie , j'ai.reconnu qué cette humeur pouvoit former un
caractere qui se soutient également lors
qu'on l'a dans sa perfection. C'est aussi
de l'humeur parfaitement capricieuse
que je veux parler, non d'une humeur
foujours bourue , toujours brutale mais
de l'humeur inégale , tantôt gaye , tantôt
triste , quelquefois gracieuse et prévenante , quelquefois fiere et impolie.
,
La Femme me fournira plus aisément
un sujet convenable à mon dessein elle
a seule assez de vivacité assez de ce
feu céleste qui donne de l'élévation à
l'esprit , car il faut nécessairemt un
gérie audessus du commun pour être
capricieux ; il y a dans ce caractere un
merveilleux qui ne se dément jamais ,
et qui surprend toujours ; on peut donc
distinguer dans la femme deux espepeces
MA Y. 1732. 11029
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mary
ces d'humeur capricieuses , l'une dans
le domestique , l'autre dans le monde. La
femme capricieuse dans le domestique est
alternativement en colere pour des bagatelles , tranquille et patiente pour des
choses essentielles ; tantôt elle a pour un
des airs de froideur et de hauteur
tantôt elle est soumise et empressée , et
l'accable de caresses ; elle se moque quelquefois des idées raisonnables qu'il à , et
est ingénieuse à lui déplaire ; quelquefois
elle est gracieuse, attirante;elle le prévient
sur tout un moment après elle le tourne en ridicule , le traite avec mépris , et.
par un changement inesperé elle lui donhe ensuite des marques d'une admiration,
et d'une estime particuliere.. Combien,
l'inconstance naturelle d'un mary n'est-elle point satisfaite avec un tel caractere. II,
a deux femmes dans une. La capricieuse
rend l'autre plus aimable en lui donnant
sans cesse la grace de la nouveauté; le caprice irrite les désirs d'un mary , le tient
entre l'esperance et la crainte , toujours
en suspens , toujours dans cette agitation,
qui empêche de tomber dans la tiedeur et
dans l'indolence; enfin il l'éxcite et le ranimeassez pour lui faireoublier ce qu'il peut
y avoir d'in ipide et d'ennuyeux dans la
longue habitude dumariage. Quel charme
I ÿj pour
1035 MERCURE DE FRANCE
pour un mary de trouver sa femme gaye
quand il craignoit de la trouver en coTere et de mauvaise humeur ! 11 est flaté
d'un bien auquel il ne s'attendoit pas ; il
s'en applaudit , il croit que c'est en sa faveur que s'est fait ce changement , et il
tombenécessairement d'accord en lui-même que les plaisirs ne sont sensibles qu'autant que le caprice en réveille le gout. La
Capricieuse dans le monde esttriste quand
les autres sont gayes , ou elle est gaye
avec tant d'excés qu'elle en déconcerte
les plus enjoüées : elle s'attache à certaines
personnes pendant deux ou trois jours ,
elle les voit d'un air d'amitié la plus sincere , et ne sçauroit les quitter : occupée
ensuite d'un nouvel objet , elle est un
mois sans leur parler , et loin de répondre à leurs honnêtetez et à leurs avances ,
elle les regarde comme si elle ne les avoit
jamais connuës ; elle est douce et flateuse
quelquefois , et quelquefois d'un commerce dur et rebutant : alors vous la verrez
ne pas même regarder ceux qui viennent
chez elle , ne les pas saluer , s'offenser des
politesses qu'on lui fera , prendre du
mauvais côté les choses qui ont deux faees ,se croire insultée quand elle ne l'est
point , et souffrir les choses les plus piquantes, sans s'en plaindre.
t
11
MAY 1732 1031
Il faut donc conclure par les agrémens
d'une femme capricieuse, que rien n'est si
charmant , rien n'est si aimable qu'une
femme parfaitement capricieuse. Pour
moi si le Ciel m'avoit destiné à passer
mes jours avec un aussi rare caractere , je
me croirois des mortels le plus fortunés
rien n'égaleroit la douceur d'une vie dont
les momens seroient si variez , que l'on
n'auroit le tems de s'affliger. pas
Personne n'ignore que ce qui nous tourmente le plus dans le monde , c'est la
Refléxion. On ne fait des reflexions que
quand on tombe dans l'indolence , et que
Poisiveté nous rend à nous- mêmes ; mais
avec une femme capricieuse est- il possible
de rentrer en soi - même? Ne nous occupe t'elle pas tous les instans de notre vie?
tantôt dans la crainte de la voir de mauvaise humeur , tantôt dans l'esperance de
la trouver gaye ; l'amour le plus parfait ,
la tendresse la plus vive pour une femme
"ordinaire , laisse encore du vuide dans le
cœur , et c'est ce vuide qui est trop souvent et si cruellement rempli par mille,
refléxions douloureuses qui naissent tantôt des dégoûts , tantôt des mouvemens.
de jalousie , et toûjours par l'inconstance.
On n'est point exposé à ces chagrins avec
une femme capricieuse ; aussi n'y auraI iij t'il
1032 MERCURE DE FRANCE
t'il jamais que le contraste perpetuel de
son humeur qui puisse remplir le cœur
de l'homme; c'est de cette source que
coule une source inépuisable de plaisirs ,
parce que comme il n'y a point de peines sans refléxions , de- même il n'y a que
des plaisirs où il n'y a point de peines
s'ils est donc vrai que ce soit dans le seul
commerce d'une femme capricieuse que
l'on trouve des plaisirs exempts de refléxions , conséquemment exempts de
peines ; il faut convenir que rien n'égale
le mérite d'une femme capricieuse , puisqu'il n'y a qu'elle qui puisse procurer.
P'homme des plaisirs solides et constans.
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Résumé : ELOGE de l'Humeur Capricieuse, par M...
Le texte 'Loge de l'Humeur Capricieuse' examine l'éloge de l'humeur capricieuse, un sujet susceptible de critiques. L'auteur distingue l'humeur capricieuse parfaite, qui alterne entre gaieté et tristesse, de l'humeur constamment brutale. Il considère la femme comme le modèle idéal de cette humeur, en raison de sa vivacité et de son esprit élevé. L'auteur identifie deux types de femmes capricieuses : celle du domaine domestique et celle du monde. La femme capricieuse à la maison est imprévisible, passant de la colère à la patience, de la froideur à la soumission. Elle satisfait l'inconstance naturelle de son mari en lui offrant une variété constante, évitant ainsi la monotonie du mariage. Dans le monde, elle est soit triste quand les autres sont gais, soit excessivement gaie, attachante un moment puis indifférente le suivant. L'auteur conclut que les agréments d'une femme capricieuse rendent la vie variée et exemptée de réflexions douloureuses. Une femme capricieuse occupe constamment l'esprit de son partenaire, alternant entre crainte et espoir, et évitant ainsi les chagrins liés à l'indolence et à la jalousie. Ainsi, le commerce avec une femme capricieuse procure des plaisirs solides et constants, exempts de peines.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 2342-2359
LETTRE CRITIQUE du R. P. G. Minime, au sujet du Livre intitulé : Spectacle de la Nature, &c.
Début :
Vous me pressez, Monsieur, de vous dire ce que je pense du Spectacle de [...]
Mots clefs :
Spectacle de la nature, Auteur, Titre, Vraisemblance, Poème dramatique, Dialogues, Descriptions, Caractère, Curiosité, Défauts
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE CRITIQUE du R. P. G. Minime, au sujet du Livre intitulé : Spectacle de la Nature, &c.
LETTRE CRITIQUE du R. P. G. Minime , au sujet du Livre intitulé : Spectacle de la Nature , &c.
V
Ous me pressez , Monsieur , de vous
dire ce que je pense du Spectacle, de
la Nature; et même de vous en donner
une idée. Je ne puis m'en deffendre, puisqueje vous l'ai promis , et que je vous
suis redevable à cet égard. Mais , Monsieur , permettez- moi de vous l'avoüer
j'ai quelque peine à m'y résoudre. Cet
Ouvrage a pour objet des matieres sur
lesquelles j'aurois besoin d'être instruit
moi-même , bien loin d'être en état d'en
porter un jugement. Le nom de l'Auteur,
que vous connoissez sans doute , est si
respectable , son érudition est si profonde , et son mérite si généralement reconnu , qu'il seroit témeraire d'en dire du
mal , et inutile d'en dire du bien. Vous
vous contenterez donc , s'il vous plaît
de quelques légeres réfléxions sur la for-
>
me
NOVEMBRE. 1732. 2343
mede l'Ouvrage. Je conte que vous en
jugerez bien-tôt par vous-même ; la seule
énumération des sujets qui y sont traitez ,
ne manquera pas de piquer votre curiosité,que l'obscurité du titre a peut-être ralentie. Au reste , je vous dirai en passant
quesi vous voulez de la premiere Edition
vous n'avez point de temps à perdre. Le
débit en est si prodigieux que vous seriez
peut-être obligé d'attendre la seconde , à
Jaquelle on se prépare.
Vous allez d'abord me demander pourquoi ce débit si prompt? Je sçai que vous
vous défiez de cet empressement du pu- .
blic, depuis que vous avez vû des ouvra
ges reçûs avec avidité dans leur naissance , et presque aussi- tôt oubliez et même
méprisez. Je ne crois pas , Monsieur, que
le Spectacle de la Nature ait un sort aussi
bizarre. En voici la raison. Ceux qui ont
souffert cette ignominieuse révolution
n'avoient de mérite que la forme , et les
véritables Sçavans n'y ont jamais trouvé
une véritable solidité ; au lieu qu'on peut
dire la solidité est l'ame de celui- ci ;
que et si on osoit y reprendre quelques deffauts , ce seroit dans la forme seule qu'on
croiroit les appercevoir.
L'Auteur assure avoir essayé d'en écarter la
tristesse , et au lieu d'un Discours suivi ou d'un
B vj enchaî-
2344 MERCURE DE FRANCE
enchaînement de Dissertations qui emmenent
souvent le dégoût et l'ennui , il a cru devoir
prendre le Stile de Dialogue , qui est de tous le
plus naturel et le plus propre à attacher toutes
sortes de Lecteurs. Preface.
La Scene est une Maison de Campagne,
où un jeune homme sortant de Seconde
pour entrer en Réthorique , passe une
partie de ses Vacances chez un Gentilhomme, qui ayant étudié à fond la Nature , se plaît à lui en développer les secrets les plus curieux . Le Curé du lieu ,
grand Physicien , se joint à eux. L'Epouse
même du Gentilhomme vient aussi prendre, et quelquefois donner des Leçons.
Du caractere dont je vous connois , cette
Scene , ces Personnages , ne vous plaisent
gueres. Quant à moi , vous devinez aisé
ment ma pensée là - dessus. L'Auteur s'est
proposé d'imiter les Entretiens du PereBouhours ; ne vous attendez pas que je
décide s'il égale ou s'il surpasse son modele ; je réserve ce jugement à des personnes plus capables que moi , de sentir
les beautez de l'un , et d'appercevoir les
deffauts de l'autre. Je vous dirai seulement qu'il me semble que les anciens .
avoient attrapé bien mieux que nous l'art
d'interesser les Lecteurs dans leurs Dialogues ; en introduisant sur la Scene des
Personnages d'un mérite connu et distin
NOVEMBRE. 1732 234
3
tingué , et même qui eussent réussi dans le
genre d'étude dont ils les faisoient parler.
Cette précaution me paroît pleine de prudence , et rien de plus sensé que la rai
son que Ciceron en donne : Genus hoc Ser
monumpositum in hominum veterum authoritate , et eorum illustrium , plus nescio quo
pacto videtur haberegravitatis. De amicitia.
Le choix qu'ils faisoient n'étoit pas moins
sage ; dans un Dialogue sur la vieillesse
Ciceron introduit Caton , l'homme le
plus vieux et le plus sage de son siécle
Dans un autre Dialogue , où il est traitté
de l'Amitié, il fait parler Lælius, qui par
sa prudence avoit mérité le surnom de
Sage , et s'étoit rendu encore plus illus
tre par l'amitié tendre et sincere , qui l'avoit étroitement uni à Scipion . De pareils
Héros sont bien capables d'attacher un
Lecteur sensible ; on oublie entierement
l'Auteur lui-même ; on croit être présent
à l'entretien, on s'imagine voir ces grands
hommes , et les entendre. En effet , quel
est le but d'un Dialogue ? Ne peut on
pas le regarder comme un véritable Poë
me Dramatique , dont le sujet plus paisible et plus tranquille que ceux qui occu
pent nos Théatres , se diversifie , suivant
la difference de l'objet de l'étude de ses
Héros. Tout le monde exige dans ces
>
deux
2346 MERCURE DE FRANCE
deux genres d'écrire , le naturel dans les
personnages , la vraisemblance dans la
Scene , pourquoi n'exigeroit- on pas aussi des mœurs , des passions , une espéce d'intrigue , un nœud , un dénouement , que
la diversité des opinions , les préjugez ,
les différentes raisons , l'évidence enfin et
la verité formeroient ? Je m'arrête au caractere seul des Interlocuteurs , je crois
que c'est une partie essentielle du Dialogue, et pour y réussir , je suis persuadé
qu'il n'est pas possible de se dispenser de
mettre en pratique le précepte d'Horace ,
dont l'application me semble naturelle, et l'usage également nécessaire dans le Dialogue comme dans la Tragédie.
Rectius Iliacum carmen deducis in actus ,
Quam siproferres ignota , indictaque primus.
Art. Poët.
Conserver les différens caracteres sans
que jamais ils se démentent, est un point
Indispensable dans le Poënre Dramatique,
et par conséquent dans le Dialogue qui en
est une espéce. Dans l'un comme dans
l'autre il est plus aisé de peindre un portrait naturel , un caractere connu , que
d'en imaginer un et le soutenir; car, comme le dit fort bien Horace :
Diffi-
NOVEMBRE. 1732. 2347
Difficile est propriè communia dicere.
Il vaut donc bien mieux employer des
Interlocuteurs connus d'ailleurs , et estimez,que des noms supposez et sans réalitez. Ces derniers n'ont rien qui interesse le Lecteur. Je ne suis pas attentif à
leurs fautes , parce que je n'ai pas une gran
de idée de leur sçavoir. Le Dialogue sur
l'éloquence attribué à M. de Fenelon ,
d'ailleurs si plein de refléxions solides, me
paroît bien froid quand je le considere
comme Dialogue. Ce n'est pas que les caracteres ne soient bien conservez. Mais
Ce caractere que je n'attribuë à personne ,.
m'échape à chaque moment , et je ne me
hâte point de prendre parti ni pour l'un
ni pour l'autre. Que m'importe que A
soit d'un sentiment , et B d'un autre ?
Un Crassus , dont l'éloquence , les talens,
la réputation étoient connus. Un Antoine , célébre, sçavant , estimé , me frappent
bien davantage. C'est à ces grands hommes à définir l'Eloquence , puisqu'ils la
possed nt à fond ; c'est à eux à me décou
vrir les routes qui peuvent y conduire ;
ils les ont pratiquées eux mêmes , et leur
gloire nous assûre du succès. C'est à eux
qu'il appartient de décider du mérite des
Auteurs , ils ont réüni tous les suffrages ,
et
2348 MERCURE DE FRANCE
et personne ne balance sur leur mérite..
Je les consulte avec confiance , je les écoute avec avidité , et pour moi , réussir ou
leur plaire , c'est à peu près la même chose.
.
On nous donna il y a environ deux
ans une Physique en Dialogue , et on
vient de la réimprimer ; cet Ouvrage est
estimé , je l'ai lû même avec fruit. Mais
quelque excellent , quelqu'utile qu'il
soit , il n'a pas laissé de m'ennuier. Les
Interlocuteurs qu'on me présente sont
des gens que je ne connois point ; et qui
plus est , que je n'ai aucun interêt de
connoître. C'est , me dit-on , un grand
génie , c'est un homme plein de vertu
de candeur , d'esprit. Je ne sens point à
son nom les mouvemens qu'excitent en
moi les noms respectables des grands hom
mes. Ariste et Eudoxe ne font pas la même impression que feroient Descartes
Rohault , Gassendi. La conversation de
ceux- ci me plairoit , me charmeroit ; l'interêt qu'ils auroient à se défendre , m'interesseroit moi- même. L'àrdeur avec laquelle ils soutiendroient leurs opinionsm'animeroit. Persuadé que la dispute seroit réelle et sérieuse , je la suivrois avec:
plus de soin : l'amour propre seroit mê--
me de la partie , il entreroit dans ce jeu
il
NOVEMBRE. 1732. 2349
I augmenteroit mon plaisir et mes charmes . Je serois ravi d'être comme arbitre
entre de puissans Rivaux , et de décider
moi-même , ou de juger de leurs raisons.
Je le répéte , un Dialogue froid me glace , un Dialogue animé me transporte.
J'aurois lû les Entretiens Physiques avec
bien plus de plaisir , si j'y eusse vû disputer Descartes Gassendi , Rohault
Mrs Arnauld , Regis , le Pere Malebranche , ou quelqu'autres dont la réputation célebre me donnat une idée avantageuse
de leur sçavoir.
2
Les Dialogues même du Spectacle de la
Nature auroient pû trouver place dans les
momens de loisir de ces grands Hommes.
N'est- il pas même plus vraisemblable que
c'est à l'éxamen curieux de ce détail des
objets exterieurs de la Nature , qu'ils em
ployerent les intervalles de leurs pénibles
études , qu'il n'est vraisemblable qu'il ait
fait l'occupation réguliere des vacances
d'un jeune homme. Non, je ne puis croire
qu'un jeune homme dans le feu de l'âge ,
susceptible des plaisirs de la Chasse , avide des Jeux et des divertissemens, ait volontairement sacrifié à la Philosophie des
momens si doux , si désirez , si ennemis
de toute application. Se peut- il faire qu'il
ait écouté de sang freid des Dissertations
Sur
2550 MERCURE DE FRANCE
sur mille choses ausquelles les jeunes gens
ne sont pas si sensibles qu'on le voudroit
faire croire. L'Auteur qui n'est plus dans
le feu de lajeunesse,a sans doute oublié la
vivacité de cet âge. Quelques particularitez ezpliquées en differentes occasions que
présente le hazard , peuvent plaire ; mais
des Conférences réglées , des Assemblées
Académiques , et cela entre des personnes
d'âge et de condition si différentes ; en verité, l'Auteur y a- t-il bien pensé ?
Le premier entretien qui sert d'intro
duction , et qui est une longue exposition
des princip's physiques ne devoit pas avoir
bien des charmes pour un jeune homme.
Les descriptions anatomiques , ennuiantes
et souvent inintelligibles , les Sermons
mêne , et les moralitez assez frequentes
ne sont pas du goût de la Jeunesse. Aussi
notre jeune Chevalier , quoique le Heros
de la Piéce , dort cependant presque toujours , et laisse parler les autres. Il est
vrai qu'on veut mettre à profit jusqu'à
son sommeil , ses réveries paroissent quelquefois si agréables , qu'on veut même
rester en sa place ; au reste , il est toujours de bon accord , c'est-à- dire , qu'il
paroît que c'est moins par inclination.
que par complaisance qu'il se trouve à
toutes ces assemblées. Ons'apperçoit néanmoins
NOVEMBRE. 1732. 2301
moins qu'on a tâché d'égayer son personage , en insérant de tems en tems des
traits qu'on a voulu rendre plaisans. Mais
le plus souvent tout cela paroît forcé et
ne coule point de source. Ce n'est point
le cœur qui parle. Le sujet est traité sérieusement , quoiqu'on se soit proposé de
le traiter gayement. Ce sont toujours les
mêmes personnages , et presque toujours
les mêmes transitions. Le Gentilhomme
et son Epouse qui ont presque toujours
du monde à leur table , n'ont pas le talent de retenir quelqu'un , et de lui faire
faire une débauche académique. Cemoïen
auroit diversifié l'ordre et les matieres
sans déranger la suite et l'enchaînement
des sujets qu'on se proposoit d'approfon
dir. Je ne sçai si l'Auteur a voulu se peindre dans le personnage du Curé , il se
trouve trop sçavant et en même tems
trop amateur de la morale. Ces deux talens sont si rarement réunis ensemble ,
que bien loin de paroître vraisemblables
il semble qu'ils soient incompatibles. Il
connoît àfond toute la nature ; mais un
Curé aussi attaché à ses devoirs aussi.
éxact à les remplir qu'on veut nous le représenter , a-t'il le tems de développer
tous ces mysteres. Il est , dit- on , en miême-tems plein de pieté et de Religion
›
›
>
:
je
2352 MERCURE DE FRANCE
.
je veux bien le croire ; mais ce n'est pas
parce que lorsqu'il s'agit d'une partie de
Pêche , il soutient qu'étant chargé de la
péche des hommes il ne doit point assister à celle des poissons. On le dit charitable , désinteressé et plein de tendresse
pour son troupeau , j'y souscris ; mais ce
n'est pas , parce qu'au sujet de l'amour
des bêtes pour leurs petits , on fait un
froid panegyrique de sa charité , ce n'est
pas parce qu'on compare ses soins pastorals à ceux de ces animaux.
Le caractere du Comte me paroit un
peu obscur. Je ne vois pas bien ce qui le
domine , ni même ce qui le compose. II.
a servi long- tems , et jouit de la paix de
puis bien des années ; ainsi il ne doit pas.
être jeune. Cependant on ne voit point
cette démangeaison naturelle aux personnes de son âge et de sa condition à raconter differens traits arrivez durant sa jeunesse , durant ses voyages , durant son
service. Pour vous dire, en un mot, ce que
je pense de la Dame , on met bien des
choses dans sa bouche , qui, ce me semble,
auroient bien mieux convenues dans celle
du jeune homme.Ses colations spirituelles.
sont des tours déja usez , les exclamations.
qui se font à ce sujet me semblent bien
déplacées. Je n'aime guéres non plus ni sa
filasse
NOVEMBRE. 1732. 2353
filasse , ni sa filandiere. Je ne voudrois pas
la voir tant parler , ou je la voudrois entendre parler plus souvent. Enfin je trouve trop d'ignorance dans sa science , et
trop de science dans son ignorance. Au
reste , Monsieur , tout ce que je viens de
vous dire ne détruit point ce que j'ai
avancé au commencement de ma Lettre ,
que ce Livre est très-utile et très curieux.
Dans cette premiere partie , nous avons
quinze Entretiens , les huit premiers ont
les Insectes pour objet , le neuvième est
-sur les Coquillages , le 10. et 11. sur les
Oyseaux , le 12. sur les Animaux terrestres , le 13. sur les Poissons , le 14. et 15.
sur les Plantes. Ce qui regarde les Insectes est plus étendu , et paroît travaillé
avec plus de soin que les autres morceaux,
qu'on diroit que l'Auteur a voulu simplement ébaucher.
Vous sentez bien , Monsieur , queje
ne puis vous faire le détail des faits curieux
qui y sont rapportez ; quand même j'en
transcrirois quelques-uns, vous ne pouriez
en juger équitablement. C'est à l'obscurité de la matiere et non à la capacité de
1'Auteur qu'il faut s'en prendre , si bien
des circonstances ne sont pas exposées
avec la netteté qu'il seroit à souhaitter ,
si la curiosité n'est pas satisfaite par 'tout.
Mais
2334 MERCURE DE FRANCE
Mais comme je ne puis me dispenser de
vous rapporter quelques échantillons
pour vous mettre en état de mieux connoître l'ouvrage , je choisirai deux morceaux entierement du génie de l'Auteur ,
car il déclare que les Remarques et les
Observations Physiques ne sont point de
lui. Je vous rapporterai donc deux portraits qui me paroissent d'un goût bien
different. Ils sont suivis tous deux d'une
morale où je n'ai pas trouvé le même sel ,
la même force , la même justesse , soit
pour la place qui leur a été choisie , soit
pour ce qui les occasionne , soit pour la
maniere dont ils sont éxecutez. Le premier endroit est tiré du morceau favori
de l'Auteur , je veux dire du Traité des
Insectes. On venoit de parler de la Féve
ou Crysalide dans lesquelles les chenilles
s'ensevelissent elles- mêmes pour revivre
ensemble dans une nouvelle forme et
comme d'une nouvelle vie.
C'est le Curé qui parle , page 56. Qu'on ouvre,
dit-il une de ces Crysalides , dont l'état est le
passage de la forme de Chenille à celle de Papil
len , vous n'y trouverez sur tout au commencement, qu'une bouillie ou une sorte de pourriture apparente où tout est confondu. C'est cependant
dans cette pourriture , qu'est le germe d'une meilleure vic, Ces humeurs transpirent peu à peu
au travers de la pellicule qui les couvre , la
pelii-
NOVEMBRE. 1732. 2355
•
pellicule acquiert insensiblement une couleur plus
vermeille , les traits qui étoient confus commen
cent à se démêler au travers du fourreau qui se
créve , la tête se dégage, les artéres s'allongent
les pattes et les aîles s'étendent , enfin le papillion vole , et ne conserve rien de son premier
état. La chenille qui s'est changée en nimphe, et
le papilon qui en sort , sont deux animaux to: alement differens . Le premier n'avoit rien que de
terrestre , et rampoit avec pesanteur , le second
est l'agilité même , il ne tient plus à la terre , il
dédaigne en quelque sorte de s'y poser ; le pre- mier étoit hérissé , et souvent d'un aspect hydeux ; l'autre est paré des plus vives couleurs.
Le premier se bornoit stupidement à une nourriture grossiere ; celui - ci va de fleur en fleur , il
vit de miel et de rosée , et varie continuellement
ses plaisirs. Il jouit en liberté de toute la Nature , et il l'embellit lui - même. La Comtesse.
M. le Prieur , voilà une image bien agréable de
notte résurrection. Le Prieur. Toute la Nature
est pleine d'images sensibles des choses célestes
et des veritez les plus sublimes. Il y a un profit
certain à l'étudier , et c'est une Théologie qui
est toujours bien reçûë , parce qu'elle est toujours
entendue. Le plus grand de tous les Maîtres , ou
plutôt notre unique Maître , nous a enseigné
cette méthode, en tirant la plupart de ses instructions des objets les plus communs que la Nature
lui présentoit , et il nous a mon ré en particulier
l'image de sa résurrection dans le grain de fro
ment qui demeure seul , tant qu'il n'est pas mort,
mais qui etant pourri et mort en terre produit
beaucoup de fruit.
9
Cette Morale semble convenir a sez
bien dans la bouche d'un Curé , mais
étoit-
2356 MERCURE DE FRANCE
étoit-ce à la Dame de faire l'application
de la résurrection des hommes à celles
des chenilles ? Au reste , on voit ici, surtout dans le commencement une vivacité
dans l'expression , un choix dans les termes , capables de charmer le Lecteur le
plus difficile. C'est encore M. le Curé qui
nous fournira l'autre portrait , je ne préviendrai pas votre jugement. Chacun s'étoit engagé à faire connoître la nature
d'un animal particulier. Voici comme le
Curé s'acquitte de sa dette.
Celui dont je veux vous faire l'éloge , dit-il ,
a des qualitez tout-à-fait singulieres.... Tout.
le monde abandonne l'Asne , je le veux prendre
sous ma protection. Vû d'une certaine façon.
cet animal me plaît , et j'espere montrer que bien loin d'avoir besoin d'indulgence ou d'apologie , il peut être l'objet d'un éloge raisonnable.
L'Asne , je l'avoue , n'a pas les qualitez brillantes , mais il les a solides... Il n'a pas la voix
tout-à- fait belle , ni l'air noble , ni des manieres
fort vives.... point d'air rengorgé , point de suffisance , il va uniment son chemin.... nul
apprêt pour son repas..... tout ce qu'on lui
donne est bien reçû... Si on l'oublie , et qu'on
l'attache un peu loin de l'herbe , il prie son maître le plus pathétiquement qu'il lui est possible de
pourvoir à ses besoins aussi- bien est- il juste qu'il
vive , il y employe toute sa Réthorique... Ses Occupations se ressentent de la bassesse de ceux
qui les mettent en œuvre mais le jugement que
Fon porte de l'âne et du maître sont également
injustes.... Nous ne pouvons en aucune sorte
9
ni
NOVEMBRE. 1732. 2357
·
ni en aucun tems , ni dans aucune condition
nous passer du Païsan et de l'Artisan. Ces gens
sont comme l'ame et le nerf de la République
et le soutien de notre vie. C'est d'eux que nous tirons de quoi remplir à chaque instant quelqu'un de nos besoins. Nos maisons , nos habits , nos
meubles et notre nourriture , tout vient d'eux.
Or , où en seroient réduits les Vignerons , les
Jardiniers , les maisons et la plupart des gens de campagne , c'est- à- dire , les deux tiers des
hommes , s'il . leur falloit d'autres hommes ou
des chevaux pour le transport de leurs mar
chandises et des matieres qu'ils employent. L'Asne est sans cesse à leurs secours , il porte le fruit,
les herbages , les peaux de bêtes , le charbon , le
bois , la tuile , la brique , le plâtre , la chaux , la
paille , et le fumier. Une courte comparaison achevera de vous faire mieux sentir l'utilité de
ses services , et les tirera en quelque sorte de leur obscurité. Le Cheval ressemble assez à ces Nations qui aiment le bruit et le fracas , qui sautent et dansent toujours , qui s'occupent beaucoup des dehors , et qui mettent de l'enjoument
par tout... L'Asne au contraire ressemble à ces
peuples naturellement épais et pacifiques , qui connoissent leur labourage , et rien de plus,vont leur train sans distraction , et achevent d'un air
sérieux et opiniâtre , tout ce qu'ils ont une fois .
entrepris.
Je ne sçai ce que vous en pensez , mais
cet éloge ne ressemble- t- il pas un peu à
ceux qu'on nous débita avec tant d'impudence l'année derniere. Il pourroit plaire
à ces Auteurs singuliers , qui réduisent
toute l'éloquence à l'Exposition , c'est- àC dire,
2358 MERCURE DE FRANCE
dire , à la répétition de la même chose en
différens termes. Mais à qui cette idée
peut-elle plaire ? Quant à l'éloge , n'auroit on pas mieux fait de le donner comme une déclamation du jeune Candidat
de Rhetorique, que comme les refléxions.
d'un homme qu'on veut faire regarder
comme plein de bon sens. Bien des gens
ont crû trouver du mistere dans la comparaison , mais il ne faut pas prêter à
l'Auteur trop de malice.
Je vous crois actuellement au. fait du
style et du genre de l'Ouvrage ; ces deux
échantillons suffisent pour en juger. Il est
bon cependant d'ajoûter qu'il y en a plus
d'une façon que d'une autre. Tout ce que
j'en conclus , c'est que l'Ouvrage n'est
pas également bien soûtenu , défaut commun aux plus excellentes productions de
l'esprit humain qui se ressent toujours de
sa foiblesse.
Interdumque bonus dormitat Homerus.
La forme auroit besoin de l'exactitude
que je suppose que l'Auteur agardée dans
les faits et les découvertes.
Au reste , il n'a point eu en vûë de
nous donner des Dialogues parfaits , mais
de piquer notre curiosité , et de la satisfaire
NOVEMBRE. 1732. 2359
faire innocemment. On peut dire qu'il
le fait , et par les traits curieux qu'il rap-.
porte , et par ceux qu'il nous a dérobés.
C'étoit là son but , et on peut assûrer
qu'il y est arrivé. Je ne voudrois pas cependant le dire à lui- même , ce seroit
me brouiller entierement avec lui. Il est
de ces sortes de gens qui ne peuvent entendre dire que leur Ouvrage est parfait ,
qui ne sont jamais plus contents que lorsqu'on leur montre des défauts réels , et
qui ne peuvent s'empêcher de ressentir
une secrete indignation contre ceux qui
les flattent , ou même qui les ménagent.
Je souhaitte à notre France un Peuple
de pareils Auteurs. Je suis , &c.
Ce 25 Septembre 1732
V
Ous me pressez , Monsieur , de vous
dire ce que je pense du Spectacle, de
la Nature; et même de vous en donner
une idée. Je ne puis m'en deffendre, puisqueje vous l'ai promis , et que je vous
suis redevable à cet égard. Mais , Monsieur , permettez- moi de vous l'avoüer
j'ai quelque peine à m'y résoudre. Cet
Ouvrage a pour objet des matieres sur
lesquelles j'aurois besoin d'être instruit
moi-même , bien loin d'être en état d'en
porter un jugement. Le nom de l'Auteur,
que vous connoissez sans doute , est si
respectable , son érudition est si profonde , et son mérite si généralement reconnu , qu'il seroit témeraire d'en dire du
mal , et inutile d'en dire du bien. Vous
vous contenterez donc , s'il vous plaît
de quelques légeres réfléxions sur la for-
>
me
NOVEMBRE. 1732. 2343
mede l'Ouvrage. Je conte que vous en
jugerez bien-tôt par vous-même ; la seule
énumération des sujets qui y sont traitez ,
ne manquera pas de piquer votre curiosité,que l'obscurité du titre a peut-être ralentie. Au reste , je vous dirai en passant
quesi vous voulez de la premiere Edition
vous n'avez point de temps à perdre. Le
débit en est si prodigieux que vous seriez
peut-être obligé d'attendre la seconde , à
Jaquelle on se prépare.
Vous allez d'abord me demander pourquoi ce débit si prompt? Je sçai que vous
vous défiez de cet empressement du pu- .
blic, depuis que vous avez vû des ouvra
ges reçûs avec avidité dans leur naissance , et presque aussi- tôt oubliez et même
méprisez. Je ne crois pas , Monsieur, que
le Spectacle de la Nature ait un sort aussi
bizarre. En voici la raison. Ceux qui ont
souffert cette ignominieuse révolution
n'avoient de mérite que la forme , et les
véritables Sçavans n'y ont jamais trouvé
une véritable solidité ; au lieu qu'on peut
dire la solidité est l'ame de celui- ci ;
que et si on osoit y reprendre quelques deffauts , ce seroit dans la forme seule qu'on
croiroit les appercevoir.
L'Auteur assure avoir essayé d'en écarter la
tristesse , et au lieu d'un Discours suivi ou d'un
B vj enchaî-
2344 MERCURE DE FRANCE
enchaînement de Dissertations qui emmenent
souvent le dégoût et l'ennui , il a cru devoir
prendre le Stile de Dialogue , qui est de tous le
plus naturel et le plus propre à attacher toutes
sortes de Lecteurs. Preface.
La Scene est une Maison de Campagne,
où un jeune homme sortant de Seconde
pour entrer en Réthorique , passe une
partie de ses Vacances chez un Gentilhomme, qui ayant étudié à fond la Nature , se plaît à lui en développer les secrets les plus curieux . Le Curé du lieu ,
grand Physicien , se joint à eux. L'Epouse
même du Gentilhomme vient aussi prendre, et quelquefois donner des Leçons.
Du caractere dont je vous connois , cette
Scene , ces Personnages , ne vous plaisent
gueres. Quant à moi , vous devinez aisé
ment ma pensée là - dessus. L'Auteur s'est
proposé d'imiter les Entretiens du PereBouhours ; ne vous attendez pas que je
décide s'il égale ou s'il surpasse son modele ; je réserve ce jugement à des personnes plus capables que moi , de sentir
les beautez de l'un , et d'appercevoir les
deffauts de l'autre. Je vous dirai seulement qu'il me semble que les anciens .
avoient attrapé bien mieux que nous l'art
d'interesser les Lecteurs dans leurs Dialogues ; en introduisant sur la Scene des
Personnages d'un mérite connu et distin
NOVEMBRE. 1732 234
3
tingué , et même qui eussent réussi dans le
genre d'étude dont ils les faisoient parler.
Cette précaution me paroît pleine de prudence , et rien de plus sensé que la rai
son que Ciceron en donne : Genus hoc Ser
monumpositum in hominum veterum authoritate , et eorum illustrium , plus nescio quo
pacto videtur haberegravitatis. De amicitia.
Le choix qu'ils faisoient n'étoit pas moins
sage ; dans un Dialogue sur la vieillesse
Ciceron introduit Caton , l'homme le
plus vieux et le plus sage de son siécle
Dans un autre Dialogue , où il est traitté
de l'Amitié, il fait parler Lælius, qui par
sa prudence avoit mérité le surnom de
Sage , et s'étoit rendu encore plus illus
tre par l'amitié tendre et sincere , qui l'avoit étroitement uni à Scipion . De pareils
Héros sont bien capables d'attacher un
Lecteur sensible ; on oublie entierement
l'Auteur lui-même ; on croit être présent
à l'entretien, on s'imagine voir ces grands
hommes , et les entendre. En effet , quel
est le but d'un Dialogue ? Ne peut on
pas le regarder comme un véritable Poë
me Dramatique , dont le sujet plus paisible et plus tranquille que ceux qui occu
pent nos Théatres , se diversifie , suivant
la difference de l'objet de l'étude de ses
Héros. Tout le monde exige dans ces
>
deux
2346 MERCURE DE FRANCE
deux genres d'écrire , le naturel dans les
personnages , la vraisemblance dans la
Scene , pourquoi n'exigeroit- on pas aussi des mœurs , des passions , une espéce d'intrigue , un nœud , un dénouement , que
la diversité des opinions , les préjugez ,
les différentes raisons , l'évidence enfin et
la verité formeroient ? Je m'arrête au caractere seul des Interlocuteurs , je crois
que c'est une partie essentielle du Dialogue, et pour y réussir , je suis persuadé
qu'il n'est pas possible de se dispenser de
mettre en pratique le précepte d'Horace ,
dont l'application me semble naturelle, et l'usage également nécessaire dans le Dialogue comme dans la Tragédie.
Rectius Iliacum carmen deducis in actus ,
Quam siproferres ignota , indictaque primus.
Art. Poët.
Conserver les différens caracteres sans
que jamais ils se démentent, est un point
Indispensable dans le Poënre Dramatique,
et par conséquent dans le Dialogue qui en
est une espéce. Dans l'un comme dans
l'autre il est plus aisé de peindre un portrait naturel , un caractere connu , que
d'en imaginer un et le soutenir; car, comme le dit fort bien Horace :
Diffi-
NOVEMBRE. 1732. 2347
Difficile est propriè communia dicere.
Il vaut donc bien mieux employer des
Interlocuteurs connus d'ailleurs , et estimez,que des noms supposez et sans réalitez. Ces derniers n'ont rien qui interesse le Lecteur. Je ne suis pas attentif à
leurs fautes , parce que je n'ai pas une gran
de idée de leur sçavoir. Le Dialogue sur
l'éloquence attribué à M. de Fenelon ,
d'ailleurs si plein de refléxions solides, me
paroît bien froid quand je le considere
comme Dialogue. Ce n'est pas que les caracteres ne soient bien conservez. Mais
Ce caractere que je n'attribuë à personne ,.
m'échape à chaque moment , et je ne me
hâte point de prendre parti ni pour l'un
ni pour l'autre. Que m'importe que A
soit d'un sentiment , et B d'un autre ?
Un Crassus , dont l'éloquence , les talens,
la réputation étoient connus. Un Antoine , célébre, sçavant , estimé , me frappent
bien davantage. C'est à ces grands hommes à définir l'Eloquence , puisqu'ils la
possed nt à fond ; c'est à eux à me décou
vrir les routes qui peuvent y conduire ;
ils les ont pratiquées eux mêmes , et leur
gloire nous assûre du succès. C'est à eux
qu'il appartient de décider du mérite des
Auteurs , ils ont réüni tous les suffrages ,
et
2348 MERCURE DE FRANCE
et personne ne balance sur leur mérite..
Je les consulte avec confiance , je les écoute avec avidité , et pour moi , réussir ou
leur plaire , c'est à peu près la même chose.
.
On nous donna il y a environ deux
ans une Physique en Dialogue , et on
vient de la réimprimer ; cet Ouvrage est
estimé , je l'ai lû même avec fruit. Mais
quelque excellent , quelqu'utile qu'il
soit , il n'a pas laissé de m'ennuier. Les
Interlocuteurs qu'on me présente sont
des gens que je ne connois point ; et qui
plus est , que je n'ai aucun interêt de
connoître. C'est , me dit-on , un grand
génie , c'est un homme plein de vertu
de candeur , d'esprit. Je ne sens point à
son nom les mouvemens qu'excitent en
moi les noms respectables des grands hom
mes. Ariste et Eudoxe ne font pas la même impression que feroient Descartes
Rohault , Gassendi. La conversation de
ceux- ci me plairoit , me charmeroit ; l'interêt qu'ils auroient à se défendre , m'interesseroit moi- même. L'àrdeur avec laquelle ils soutiendroient leurs opinionsm'animeroit. Persuadé que la dispute seroit réelle et sérieuse , je la suivrois avec:
plus de soin : l'amour propre seroit mê--
me de la partie , il entreroit dans ce jeu
il
NOVEMBRE. 1732. 2349
I augmenteroit mon plaisir et mes charmes . Je serois ravi d'être comme arbitre
entre de puissans Rivaux , et de décider
moi-même , ou de juger de leurs raisons.
Je le répéte , un Dialogue froid me glace , un Dialogue animé me transporte.
J'aurois lû les Entretiens Physiques avec
bien plus de plaisir , si j'y eusse vû disputer Descartes Gassendi , Rohault
Mrs Arnauld , Regis , le Pere Malebranche , ou quelqu'autres dont la réputation célebre me donnat une idée avantageuse
de leur sçavoir.
2
Les Dialogues même du Spectacle de la
Nature auroient pû trouver place dans les
momens de loisir de ces grands Hommes.
N'est- il pas même plus vraisemblable que
c'est à l'éxamen curieux de ce détail des
objets exterieurs de la Nature , qu'ils em
ployerent les intervalles de leurs pénibles
études , qu'il n'est vraisemblable qu'il ait
fait l'occupation réguliere des vacances
d'un jeune homme. Non, je ne puis croire
qu'un jeune homme dans le feu de l'âge ,
susceptible des plaisirs de la Chasse , avide des Jeux et des divertissemens, ait volontairement sacrifié à la Philosophie des
momens si doux , si désirez , si ennemis
de toute application. Se peut- il faire qu'il
ait écouté de sang freid des Dissertations
Sur
2550 MERCURE DE FRANCE
sur mille choses ausquelles les jeunes gens
ne sont pas si sensibles qu'on le voudroit
faire croire. L'Auteur qui n'est plus dans
le feu de lajeunesse,a sans doute oublié la
vivacité de cet âge. Quelques particularitez ezpliquées en differentes occasions que
présente le hazard , peuvent plaire ; mais
des Conférences réglées , des Assemblées
Académiques , et cela entre des personnes
d'âge et de condition si différentes ; en verité, l'Auteur y a- t-il bien pensé ?
Le premier entretien qui sert d'intro
duction , et qui est une longue exposition
des princip's physiques ne devoit pas avoir
bien des charmes pour un jeune homme.
Les descriptions anatomiques , ennuiantes
et souvent inintelligibles , les Sermons
mêne , et les moralitez assez frequentes
ne sont pas du goût de la Jeunesse. Aussi
notre jeune Chevalier , quoique le Heros
de la Piéce , dort cependant presque toujours , et laisse parler les autres. Il est
vrai qu'on veut mettre à profit jusqu'à
son sommeil , ses réveries paroissent quelquefois si agréables , qu'on veut même
rester en sa place ; au reste , il est toujours de bon accord , c'est-à- dire , qu'il
paroît que c'est moins par inclination.
que par complaisance qu'il se trouve à
toutes ces assemblées. Ons'apperçoit néanmoins
NOVEMBRE. 1732. 2301
moins qu'on a tâché d'égayer son personage , en insérant de tems en tems des
traits qu'on a voulu rendre plaisans. Mais
le plus souvent tout cela paroît forcé et
ne coule point de source. Ce n'est point
le cœur qui parle. Le sujet est traité sérieusement , quoiqu'on se soit proposé de
le traiter gayement. Ce sont toujours les
mêmes personnages , et presque toujours
les mêmes transitions. Le Gentilhomme
et son Epouse qui ont presque toujours
du monde à leur table , n'ont pas le talent de retenir quelqu'un , et de lui faire
faire une débauche académique. Cemoïen
auroit diversifié l'ordre et les matieres
sans déranger la suite et l'enchaînement
des sujets qu'on se proposoit d'approfon
dir. Je ne sçai si l'Auteur a voulu se peindre dans le personnage du Curé , il se
trouve trop sçavant et en même tems
trop amateur de la morale. Ces deux talens sont si rarement réunis ensemble ,
que bien loin de paroître vraisemblables
il semble qu'ils soient incompatibles. Il
connoît àfond toute la nature ; mais un
Curé aussi attaché à ses devoirs aussi.
éxact à les remplir qu'on veut nous le représenter , a-t'il le tems de développer
tous ces mysteres. Il est , dit- on , en miême-tems plein de pieté et de Religion
›
›
>
:
je
2352 MERCURE DE FRANCE
.
je veux bien le croire ; mais ce n'est pas
parce que lorsqu'il s'agit d'une partie de
Pêche , il soutient qu'étant chargé de la
péche des hommes il ne doit point assister à celle des poissons. On le dit charitable , désinteressé et plein de tendresse
pour son troupeau , j'y souscris ; mais ce
n'est pas , parce qu'au sujet de l'amour
des bêtes pour leurs petits , on fait un
froid panegyrique de sa charité , ce n'est
pas parce qu'on compare ses soins pastorals à ceux de ces animaux.
Le caractere du Comte me paroit un
peu obscur. Je ne vois pas bien ce qui le
domine , ni même ce qui le compose. II.
a servi long- tems , et jouit de la paix de
puis bien des années ; ainsi il ne doit pas.
être jeune. Cependant on ne voit point
cette démangeaison naturelle aux personnes de son âge et de sa condition à raconter differens traits arrivez durant sa jeunesse , durant ses voyages , durant son
service. Pour vous dire, en un mot, ce que
je pense de la Dame , on met bien des
choses dans sa bouche , qui, ce me semble,
auroient bien mieux convenues dans celle
du jeune homme.Ses colations spirituelles.
sont des tours déja usez , les exclamations.
qui se font à ce sujet me semblent bien
déplacées. Je n'aime guéres non plus ni sa
filasse
NOVEMBRE. 1732. 2353
filasse , ni sa filandiere. Je ne voudrois pas
la voir tant parler , ou je la voudrois entendre parler plus souvent. Enfin je trouve trop d'ignorance dans sa science , et
trop de science dans son ignorance. Au
reste , Monsieur , tout ce que je viens de
vous dire ne détruit point ce que j'ai
avancé au commencement de ma Lettre ,
que ce Livre est très-utile et très curieux.
Dans cette premiere partie , nous avons
quinze Entretiens , les huit premiers ont
les Insectes pour objet , le neuvième est
-sur les Coquillages , le 10. et 11. sur les
Oyseaux , le 12. sur les Animaux terrestres , le 13. sur les Poissons , le 14. et 15.
sur les Plantes. Ce qui regarde les Insectes est plus étendu , et paroît travaillé
avec plus de soin que les autres morceaux,
qu'on diroit que l'Auteur a voulu simplement ébaucher.
Vous sentez bien , Monsieur , queje
ne puis vous faire le détail des faits curieux
qui y sont rapportez ; quand même j'en
transcrirois quelques-uns, vous ne pouriez
en juger équitablement. C'est à l'obscurité de la matiere et non à la capacité de
1'Auteur qu'il faut s'en prendre , si bien
des circonstances ne sont pas exposées
avec la netteté qu'il seroit à souhaitter ,
si la curiosité n'est pas satisfaite par 'tout.
Mais
2334 MERCURE DE FRANCE
Mais comme je ne puis me dispenser de
vous rapporter quelques échantillons
pour vous mettre en état de mieux connoître l'ouvrage , je choisirai deux morceaux entierement du génie de l'Auteur ,
car il déclare que les Remarques et les
Observations Physiques ne sont point de
lui. Je vous rapporterai donc deux portraits qui me paroissent d'un goût bien
different. Ils sont suivis tous deux d'une
morale où je n'ai pas trouvé le même sel ,
la même force , la même justesse , soit
pour la place qui leur a été choisie , soit
pour ce qui les occasionne , soit pour la
maniere dont ils sont éxecutez. Le premier endroit est tiré du morceau favori
de l'Auteur , je veux dire du Traité des
Insectes. On venoit de parler de la Féve
ou Crysalide dans lesquelles les chenilles
s'ensevelissent elles- mêmes pour revivre
ensemble dans une nouvelle forme et
comme d'une nouvelle vie.
C'est le Curé qui parle , page 56. Qu'on ouvre,
dit-il une de ces Crysalides , dont l'état est le
passage de la forme de Chenille à celle de Papil
len , vous n'y trouverez sur tout au commencement, qu'une bouillie ou une sorte de pourriture apparente où tout est confondu. C'est cependant
dans cette pourriture , qu'est le germe d'une meilleure vic, Ces humeurs transpirent peu à peu
au travers de la pellicule qui les couvre , la
pelii-
NOVEMBRE. 1732. 2355
•
pellicule acquiert insensiblement une couleur plus
vermeille , les traits qui étoient confus commen
cent à se démêler au travers du fourreau qui se
créve , la tête se dégage, les artéres s'allongent
les pattes et les aîles s'étendent , enfin le papillion vole , et ne conserve rien de son premier
état. La chenille qui s'est changée en nimphe, et
le papilon qui en sort , sont deux animaux to: alement differens . Le premier n'avoit rien que de
terrestre , et rampoit avec pesanteur , le second
est l'agilité même , il ne tient plus à la terre , il
dédaigne en quelque sorte de s'y poser ; le pre- mier étoit hérissé , et souvent d'un aspect hydeux ; l'autre est paré des plus vives couleurs.
Le premier se bornoit stupidement à une nourriture grossiere ; celui - ci va de fleur en fleur , il
vit de miel et de rosée , et varie continuellement
ses plaisirs. Il jouit en liberté de toute la Nature , et il l'embellit lui - même. La Comtesse.
M. le Prieur , voilà une image bien agréable de
notte résurrection. Le Prieur. Toute la Nature
est pleine d'images sensibles des choses célestes
et des veritez les plus sublimes. Il y a un profit
certain à l'étudier , et c'est une Théologie qui
est toujours bien reçûë , parce qu'elle est toujours
entendue. Le plus grand de tous les Maîtres , ou
plutôt notre unique Maître , nous a enseigné
cette méthode, en tirant la plupart de ses instructions des objets les plus communs que la Nature
lui présentoit , et il nous a mon ré en particulier
l'image de sa résurrection dans le grain de fro
ment qui demeure seul , tant qu'il n'est pas mort,
mais qui etant pourri et mort en terre produit
beaucoup de fruit.
9
Cette Morale semble convenir a sez
bien dans la bouche d'un Curé , mais
étoit-
2356 MERCURE DE FRANCE
étoit-ce à la Dame de faire l'application
de la résurrection des hommes à celles
des chenilles ? Au reste , on voit ici, surtout dans le commencement une vivacité
dans l'expression , un choix dans les termes , capables de charmer le Lecteur le
plus difficile. C'est encore M. le Curé qui
nous fournira l'autre portrait , je ne préviendrai pas votre jugement. Chacun s'étoit engagé à faire connoître la nature
d'un animal particulier. Voici comme le
Curé s'acquitte de sa dette.
Celui dont je veux vous faire l'éloge , dit-il ,
a des qualitez tout-à-fait singulieres.... Tout.
le monde abandonne l'Asne , je le veux prendre
sous ma protection. Vû d'une certaine façon.
cet animal me plaît , et j'espere montrer que bien loin d'avoir besoin d'indulgence ou d'apologie , il peut être l'objet d'un éloge raisonnable.
L'Asne , je l'avoue , n'a pas les qualitez brillantes , mais il les a solides... Il n'a pas la voix
tout-à- fait belle , ni l'air noble , ni des manieres
fort vives.... point d'air rengorgé , point de suffisance , il va uniment son chemin.... nul
apprêt pour son repas..... tout ce qu'on lui
donne est bien reçû... Si on l'oublie , et qu'on
l'attache un peu loin de l'herbe , il prie son maître le plus pathétiquement qu'il lui est possible de
pourvoir à ses besoins aussi- bien est- il juste qu'il
vive , il y employe toute sa Réthorique... Ses Occupations se ressentent de la bassesse de ceux
qui les mettent en œuvre mais le jugement que
Fon porte de l'âne et du maître sont également
injustes.... Nous ne pouvons en aucune sorte
9
ni
NOVEMBRE. 1732. 2357
·
ni en aucun tems , ni dans aucune condition
nous passer du Païsan et de l'Artisan. Ces gens
sont comme l'ame et le nerf de la République
et le soutien de notre vie. C'est d'eux que nous tirons de quoi remplir à chaque instant quelqu'un de nos besoins. Nos maisons , nos habits , nos
meubles et notre nourriture , tout vient d'eux.
Or , où en seroient réduits les Vignerons , les
Jardiniers , les maisons et la plupart des gens de campagne , c'est- à- dire , les deux tiers des
hommes , s'il . leur falloit d'autres hommes ou
des chevaux pour le transport de leurs mar
chandises et des matieres qu'ils employent. L'Asne est sans cesse à leurs secours , il porte le fruit,
les herbages , les peaux de bêtes , le charbon , le
bois , la tuile , la brique , le plâtre , la chaux , la
paille , et le fumier. Une courte comparaison achevera de vous faire mieux sentir l'utilité de
ses services , et les tirera en quelque sorte de leur obscurité. Le Cheval ressemble assez à ces Nations qui aiment le bruit et le fracas , qui sautent et dansent toujours , qui s'occupent beaucoup des dehors , et qui mettent de l'enjoument
par tout... L'Asne au contraire ressemble à ces
peuples naturellement épais et pacifiques , qui connoissent leur labourage , et rien de plus,vont leur train sans distraction , et achevent d'un air
sérieux et opiniâtre , tout ce qu'ils ont une fois .
entrepris.
Je ne sçai ce que vous en pensez , mais
cet éloge ne ressemble- t- il pas un peu à
ceux qu'on nous débita avec tant d'impudence l'année derniere. Il pourroit plaire
à ces Auteurs singuliers , qui réduisent
toute l'éloquence à l'Exposition , c'est- àC dire,
2358 MERCURE DE FRANCE
dire , à la répétition de la même chose en
différens termes. Mais à qui cette idée
peut-elle plaire ? Quant à l'éloge , n'auroit on pas mieux fait de le donner comme une déclamation du jeune Candidat
de Rhetorique, que comme les refléxions.
d'un homme qu'on veut faire regarder
comme plein de bon sens. Bien des gens
ont crû trouver du mistere dans la comparaison , mais il ne faut pas prêter à
l'Auteur trop de malice.
Je vous crois actuellement au. fait du
style et du genre de l'Ouvrage ; ces deux
échantillons suffisent pour en juger. Il est
bon cependant d'ajoûter qu'il y en a plus
d'une façon que d'une autre. Tout ce que
j'en conclus , c'est que l'Ouvrage n'est
pas également bien soûtenu , défaut commun aux plus excellentes productions de
l'esprit humain qui se ressent toujours de
sa foiblesse.
Interdumque bonus dormitat Homerus.
La forme auroit besoin de l'exactitude
que je suppose que l'Auteur agardée dans
les faits et les découvertes.
Au reste , il n'a point eu en vûë de
nous donner des Dialogues parfaits , mais
de piquer notre curiosité , et de la satisfaire
NOVEMBRE. 1732. 2359
faire innocemment. On peut dire qu'il
le fait , et par les traits curieux qu'il rap-.
porte , et par ceux qu'il nous a dérobés.
C'étoit là son but , et on peut assûrer
qu'il y est arrivé. Je ne voudrois pas cependant le dire à lui- même , ce seroit
me brouiller entierement avec lui. Il est
de ces sortes de gens qui ne peuvent entendre dire que leur Ouvrage est parfait ,
qui ne sont jamais plus contents que lorsqu'on leur montre des défauts réels , et
qui ne peuvent s'empêcher de ressentir
une secrete indignation contre ceux qui
les flattent , ou même qui les ménagent.
Je souhaitte à notre France un Peuple
de pareils Auteurs. Je suis , &c.
Ce 25 Septembre 1732
Fermer
Résumé : LETTRE CRITIQUE du R. P. G. Minime, au sujet du Livre intitulé : Spectacle de la Nature, &c.
Le texte est une lettre critique du R. P. G. Minime concernant le livre 'Spectacle de la Nature'. L'auteur de la lettre exprime sa difficulté à juger l'ouvrage en raison de la profondeur et du respectabilité de son auteur. Il souligne que le livre traite de matières complexes et que l'érudition de l'auteur est largement reconnue. La lettre mentionne également la popularité rapide du livre, dont la première édition se vend très vite, et que l'auteur a choisi le style de dialogue pour rendre le sujet plus accessible et attachant. Le 'Spectacle de la Nature' se déroule dans une maison de campagne où un jeune homme, un gentilhomme érudit, le curé du lieu et l'épouse du gentilhomme discutent des secrets de la nature. L'auteur de la lettre critique le choix des personnages, trouvant qu'ils manquent de distinction et de mérite connu, contrairement aux dialogues antiques qui introduisaient des personnages illustres. Il estime que les dialogues modernes devraient également respecter des règles de vraisemblance et de naturel. La lettre critique également la crédibilité des personnages et leur interaction. Le jeune homme, héros de l'histoire, semble souvent désintéressé et endormi, tandis que les autres personnages, bien que savants, manquent de charme et de diversité. Le curé, par exemple, est décrit comme trop savant et trop moralisateur pour être crédible. Le comte, un autre personnage, est jugé obscur et peu défini. L'auteur de la lettre regrette que les dialogues ne soient pas plus animés et intéressants, et qu'ils manquent de la vivacité et de l'intérêt que l'on pourrait attendre d'un jeune homme. La critique mentionne deux portraits tirés du livre : l'un sur la métamorphose des chenilles en papillons, utilisé comme métaphore de la résurrection, et l'autre sur l'âne, présenté comme un animal utile et souvent méprisé. L'auteur de la critique trouve ces portraits intéressants mais note des défauts dans la forme et le style de l'ouvrage. Il conclut que le livre, bien que non parfait, réussit à piquer la curiosité du lecteur et à la satisfaire de manière innocente. L'auteur de la critique exprime également son admiration pour les auteurs qui préfèrent recevoir des critiques constructives plutôt que des flatteries.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 426-431
RÉPONSE à Madame MEHEULT, Auteur de l'Histoire d'Emilie, ou des Amours de Mlle de...
Début :
Je voudrois, MADAME, pouvoir me dispenser de répondre aux raisons [...]
Mots clefs :
Emilie, Lecteur, Règles, Amour, Sentiments, Héroïne, Caractère, Histoire d'Émilie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : RÉPONSE à Madame MEHEULT, Auteur de l'Histoire d'Emilie, ou des Amours de Mlle de...
REPONSE à Madame MEHEULT
Auteur de l'Histoire d'Emilie , on
des Amours de Mule de...
J
E voudrois , MADAME , pouvoir
me dispenser de répondre aux raisons
que vous venez d'alléguer pour la deffence
d'Emilie. Outre que j'ai quelque confusjon
de combattre les sentimens d'une
Dame dont j'honore et respecte infiniment
le mérite , je sens bien que c'est
mal reconnoître la confiance que vous
avez euë pour moi ; j'aurois sans doute
sacrifié à ces considérations la vanité que
l'on peut gouter , en soûtenant ses sentimens
contre un adversaire tel que
vous , si de pressantes sollicitations ne
m'avoient pas , pour ainsi dire , forcé à
répli
MARS. 1733 . 427
répliquer ; quoiqu'il en soit , si je rentre
dans la carriere , si j'ose faire quelques
nouvelles observations , ce sera toujours
avec ces égards que l'émulation et que
les Regles de la politesse nous prescrivent.
Dès que l'on est infortuné que l'amour
d'Emilie, n'est qu'une feinte , l'esprit n'a
plus rien qui l'occupe . Voilà l'objection ;
mais vous avez négligé d'y répondre ;
on convient avec les Maitres de l'Art, que
vos Entretiens sont beaux ; s'ils sont ennu
yeux,c'est parce qu'il n'y a plus d'interêt,
et qu'ils ne concourent à rien. Vous conviendrez
que les plus grandes beautez ne
font plus d'effet , dès le moment qu'elles
sont déplacées . Les Allarmes , dites- vous,
sont le partage des Amans , il est vrai. La
crainte de l'infidélité , le moindre éloignement
de l'objet que l'on aime; les dangers
ausquels on est exposé dans le cours
de la Vie , sont pour eux des sources intarissables
de craintes et d'allarmes . Celles
que l'on reproche à Emilie ne sont pas de
cette nature ; elle craint, sans cesse , que
sa mere ne veuille pas l'unir à son cher
Comte. Mais cette appréhension est- elle
fondée ? Au contraire, il semble que tout
conspire à son bonheur ; l'union intime
des deux familles ; la naissance de l'une ,
les
$28 MERCURE DE FRANCE
}
les grands biens de l'autre , sont des rai
sons qui doivent lever tous ses doutes.
On vous reproche aussi d'avoir fait
mourir trop de personnes sans utilité
pour votre sujet. Ce raisonnement , ditesvous
, est si frivole qu'il ne merite pas la peine
d'être rélévé. Je m'en tiendrai, si vous le
souhaittez , à cette décision . Mais est- elle
sans replique ? Pour rendre les évenemens
vrai-semblables , ajoutez -vous , il faut puiser
dans les sentimens et chercher des incidens
ordinaires. Rien ne l'est plus que la morts
la douleur que nous cause un si triste moment
nous touche , nous émeut , et nous fait répandre
des larmes.Cela est incontestable .Aussi
dans une Tragédie rien n'est plus tou
chant , rien n'est si pathetique qu'une
belle reconnoissance , qu'une déclaration
d'amour , et que le récit d'une mort héroïque
et courageuse ; cependant si ces
mêmes beautez se trouvoient sept ou huit
fois dans la même Piéce , au lieu de toucher
et de plaire , elles ennuyeroient et
rebuteroient le Lecteur ; l'esprit , ainsi
que nos sens , rejette une trop grande
uniformité ; il faut émouvoir , mais diver
sement ; vous me direz peut être , que
cela est bon dans un Poëme Dragmatioù
l'action est de peu de durée ; ne
Vous y trompez pas , Madame , les Regles
que ,
MAR S. 17337 429
gles sont à peu près les mêmes dans le
Roman , et dans une pièce de Théatre; du
moins leur but est égal , et le Lecteur ne
met guere de différence entre une Tragedie
et une Histoiriette qui n'occupe qu'un
volume .
Si l'on vous condamne d'avoir rapporté
les exemples de Julie , de Messaline et
de Marguerite de Valois . Il faut , ditesvous
, proscrire les Livres qui sont entre les
mains de tout le monde ; sans vouloir icy
trancher du critique , je crois qu'on peut
hardiment avancer qu'il y a beaucoup de
Livres non-seulement inutiles , mais mê
me très- dangereux ; enfin pour exprimer
cette pensée en deux mots , je dirai seulement
qu'il est toujours d'une dangereuse
conséquence de donner l'idée du vice
à la jeunesse ; qu'il est à craindre qu'elle
n'envisage pas tant l'infamie qui suit le
crime , que l'appas du vain plaisir qui l'y
entraîne ; en un mot , point d'ignorance
avec le vice .
Vous auriez mal soutenu le caractere de
votre Héroïne , en lui faisant refuser M. de
S. Hilaire , pour Punique motif qu'elle ne
se croioit plus digne de lui.
Enfin pour la premiere fois vous vous
exprimez dans les termes de l'Art ; vous
deviez bien , suivant ces mêmes princi-.
pes
430 MERCURE DE FRANCE
pes , répondre aux objections qui vous
ont été faites , d'avoir laissé le lecteur si
long-temps en suspens ', lorsqu'Emilie a
déclaré que son amour étoit simulé ;
pourquoi les Amours du Comte et d'Emilie
viennent trop subitement; et quelle
nécessité il y avoit à faire périr tant de
personnes ; mais vous l'avez négligé, vous
avez éludé , par des raisonnemens vagues
, des accusations réclles , de sorte
que la plupart de vos repliques ne tom
bent pas même sur l'imputation . Revenons
à notre examen,
Vous avez voulu soutenir le caractere
de votre Héroïne en lui faisant conserver
toute sa fierté ; ou, je me trompe , ou
l'intervale est bien court depuis son refus
jusqu'au temps de sa retraite ; cependant
on ne voit pas que cette résolution d'entrer
dans un Convent , soit la démarche
d'une Coquette des plus étourdies, done
elle est devenue bien- tôt raisonnable ;
d'ailleurs , il faut sçavoir quelquefois sor-.
tir des Regles , sur tout lorsque cela sert
à rendre une circonstance moins désagréable.
Voilà , Madame , ce que j'ai cru neces-.
saire d'expliquer pour soûtenir ce que
j'avois avancé, et pour satisfaire le Public; ›
au reste , on ne sçauroit nier que votre
Lettre
M A R⚫S, 1733. 43 %
Lettre ne soit bien écrite , et qu'elle ne
confirme bien dans les esprits , la haute
opinion qu'on a de vos heureux talens ;
pour moi , si je me sçai quelque gré d'avoir
écrit ma Lettre , ce n'est pas tant le
succès qu'elle a eu , qui me flatte , que le
bonheur d'avoir occasionné une réponse
qui m'est si honorable , et dont je ne perdrai
jamais le souvenir , non plus que
l'occasion de vous prouver le dévoliment
respectueux avec lequel je suis , Madame,
votre , &c.
C ***
Auteur de l'Histoire d'Emilie , on
des Amours de Mule de...
J
E voudrois , MADAME , pouvoir
me dispenser de répondre aux raisons
que vous venez d'alléguer pour la deffence
d'Emilie. Outre que j'ai quelque confusjon
de combattre les sentimens d'une
Dame dont j'honore et respecte infiniment
le mérite , je sens bien que c'est
mal reconnoître la confiance que vous
avez euë pour moi ; j'aurois sans doute
sacrifié à ces considérations la vanité que
l'on peut gouter , en soûtenant ses sentimens
contre un adversaire tel que
vous , si de pressantes sollicitations ne
m'avoient pas , pour ainsi dire , forcé à
répli
MARS. 1733 . 427
répliquer ; quoiqu'il en soit , si je rentre
dans la carriere , si j'ose faire quelques
nouvelles observations , ce sera toujours
avec ces égards que l'émulation et que
les Regles de la politesse nous prescrivent.
Dès que l'on est infortuné que l'amour
d'Emilie, n'est qu'une feinte , l'esprit n'a
plus rien qui l'occupe . Voilà l'objection ;
mais vous avez négligé d'y répondre ;
on convient avec les Maitres de l'Art, que
vos Entretiens sont beaux ; s'ils sont ennu
yeux,c'est parce qu'il n'y a plus d'interêt,
et qu'ils ne concourent à rien. Vous conviendrez
que les plus grandes beautez ne
font plus d'effet , dès le moment qu'elles
sont déplacées . Les Allarmes , dites- vous,
sont le partage des Amans , il est vrai. La
crainte de l'infidélité , le moindre éloignement
de l'objet que l'on aime; les dangers
ausquels on est exposé dans le cours
de la Vie , sont pour eux des sources intarissables
de craintes et d'allarmes . Celles
que l'on reproche à Emilie ne sont pas de
cette nature ; elle craint, sans cesse , que
sa mere ne veuille pas l'unir à son cher
Comte. Mais cette appréhension est- elle
fondée ? Au contraire, il semble que tout
conspire à son bonheur ; l'union intime
des deux familles ; la naissance de l'une ,
les
$28 MERCURE DE FRANCE
}
les grands biens de l'autre , sont des rai
sons qui doivent lever tous ses doutes.
On vous reproche aussi d'avoir fait
mourir trop de personnes sans utilité
pour votre sujet. Ce raisonnement , ditesvous
, est si frivole qu'il ne merite pas la peine
d'être rélévé. Je m'en tiendrai, si vous le
souhaittez , à cette décision . Mais est- elle
sans replique ? Pour rendre les évenemens
vrai-semblables , ajoutez -vous , il faut puiser
dans les sentimens et chercher des incidens
ordinaires. Rien ne l'est plus que la morts
la douleur que nous cause un si triste moment
nous touche , nous émeut , et nous fait répandre
des larmes.Cela est incontestable .Aussi
dans une Tragédie rien n'est plus tou
chant , rien n'est si pathetique qu'une
belle reconnoissance , qu'une déclaration
d'amour , et que le récit d'une mort héroïque
et courageuse ; cependant si ces
mêmes beautez se trouvoient sept ou huit
fois dans la même Piéce , au lieu de toucher
et de plaire , elles ennuyeroient et
rebuteroient le Lecteur ; l'esprit , ainsi
que nos sens , rejette une trop grande
uniformité ; il faut émouvoir , mais diver
sement ; vous me direz peut être , que
cela est bon dans un Poëme Dragmatioù
l'action est de peu de durée ; ne
Vous y trompez pas , Madame , les Regles
que ,
MAR S. 17337 429
gles sont à peu près les mêmes dans le
Roman , et dans une pièce de Théatre; du
moins leur but est égal , et le Lecteur ne
met guere de différence entre une Tragedie
et une Histoiriette qui n'occupe qu'un
volume .
Si l'on vous condamne d'avoir rapporté
les exemples de Julie , de Messaline et
de Marguerite de Valois . Il faut , ditesvous
, proscrire les Livres qui sont entre les
mains de tout le monde ; sans vouloir icy
trancher du critique , je crois qu'on peut
hardiment avancer qu'il y a beaucoup de
Livres non-seulement inutiles , mais mê
me très- dangereux ; enfin pour exprimer
cette pensée en deux mots , je dirai seulement
qu'il est toujours d'une dangereuse
conséquence de donner l'idée du vice
à la jeunesse ; qu'il est à craindre qu'elle
n'envisage pas tant l'infamie qui suit le
crime , que l'appas du vain plaisir qui l'y
entraîne ; en un mot , point d'ignorance
avec le vice .
Vous auriez mal soutenu le caractere de
votre Héroïne , en lui faisant refuser M. de
S. Hilaire , pour Punique motif qu'elle ne
se croioit plus digne de lui.
Enfin pour la premiere fois vous vous
exprimez dans les termes de l'Art ; vous
deviez bien , suivant ces mêmes princi-.
pes
430 MERCURE DE FRANCE
pes , répondre aux objections qui vous
ont été faites , d'avoir laissé le lecteur si
long-temps en suspens ', lorsqu'Emilie a
déclaré que son amour étoit simulé ;
pourquoi les Amours du Comte et d'Emilie
viennent trop subitement; et quelle
nécessité il y avoit à faire périr tant de
personnes ; mais vous l'avez négligé, vous
avez éludé , par des raisonnemens vagues
, des accusations réclles , de sorte
que la plupart de vos repliques ne tom
bent pas même sur l'imputation . Revenons
à notre examen,
Vous avez voulu soutenir le caractere
de votre Héroïne en lui faisant conserver
toute sa fierté ; ou, je me trompe , ou
l'intervale est bien court depuis son refus
jusqu'au temps de sa retraite ; cependant
on ne voit pas que cette résolution d'entrer
dans un Convent , soit la démarche
d'une Coquette des plus étourdies, done
elle est devenue bien- tôt raisonnable ;
d'ailleurs , il faut sçavoir quelquefois sor-.
tir des Regles , sur tout lorsque cela sert
à rendre une circonstance moins désagréable.
Voilà , Madame , ce que j'ai cru neces-.
saire d'expliquer pour soûtenir ce que
j'avois avancé, et pour satisfaire le Public; ›
au reste , on ne sçauroit nier que votre
Lettre
M A R⚫S, 1733. 43 %
Lettre ne soit bien écrite , et qu'elle ne
confirme bien dans les esprits , la haute
opinion qu'on a de vos heureux talens ;
pour moi , si je me sçai quelque gré d'avoir
écrit ma Lettre , ce n'est pas tant le
succès qu'elle a eu , qui me flatte , que le
bonheur d'avoir occasionné une réponse
qui m'est si honorable , et dont je ne perdrai
jamais le souvenir , non plus que
l'occasion de vous prouver le dévoliment
respectueux avec lequel je suis , Madame,
votre , &c.
C ***
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Résumé : RÉPONSE à Madame MEHEULT, Auteur de l'Histoire d'Emilie, ou des Amours de Mlle de...
Le texte est une réponse à Madame Meheult, autrice de l'Histoire d'Émilie. L'auteur commence par exprimer sa réticence à répondre aux arguments de Madame Meheult, par respect pour son mérite et sa confiance. Cependant, il se sent obligé de répliquer en raison de pressantes sollicitations. Il souligne que les objections à l'histoire d'Émilie sont fondées sur l'absence d'intérêt et la déplacation des beautés littéraires. L'auteur critique également la mort de plusieurs personnages sans utilité pour le sujet et l'excès de scènes similaires, qui peuvent ennuyer le lecteur. Il mentionne aussi la dangerosité de donner des exemples de vice à la jeunesse. L'auteur reproche à Madame Meheult de ne pas avoir répondu aux objections sur la simulation de l'amour d'Émilie et la nécessité de la mort de certains personnages. Enfin, il reconnaît la qualité de la lettre de Madame Meheult et exprime son respect et sa gratitude pour sa réponse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 777-779
Discours au Public, [titre d'après la table]
Début :
Voici le Discours que le sieur du Fresne prononça le 21. du mois [...]
Mots clefs :
Scène, Auteur, Caractère, Zaïre, Gustave, Complaisant
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texteReconnaissance textuelle : Discours au Public, [titre d'après la table]
V
SPECTACLES.
Oici le Discours que le sieur du
Fresne prononça le 21. du mois
dernier.
MESSIEURS ,
Si en fermant le Théatre , l'usage de vous
remercier de vos bontés , n'étoit pas un usage
reçû depuis long- tems , il faudroit qu'il s'établit
de lui- même cette année , puisque nous
n'en sçaurions rappeller une où vous ayés
marqué plus de goût pour notre Spectacle
et plus d'indulgence pour les Acteurs.
,
L
Il est vrai , MESSIEURS , que votre
curiosité a dû être piquée par les productions
de deux Auteurs , qui également jaloux de
Phonneur de vous plaire , se sont présentez.
successivement sur la Scene tragique , concours
qui ne s'y étoit point rencontré depuis
nombre d'années , surtout avec le même fuccès.
Vous avez rendu , MESSIEURS , une
justice égale à deux mérites différens.
Dans la Tragédie de Zaïre , vous avez
applandi à cette simplicité de fonds d'om
l'Auteur
778 MERCURE DE FRANCE
l'Auteur a sçûtirer ces mouvemens attendrissans
, et donner aux paffions ce choc , et
cette étenduë de jeux si nécessaires dans le
Dramatique. Dans Gustave Vous avez
loné la préparation des incidens , la clarté
de leur développement , le respect des régles ,
la convenance des interêts , et la précision
des détails.
Le genre comique n'a pas été moins heureux.
Combien Auteur du Complaisant
a-t-il dû être flaté des applaudissemens
que
vous avez donnez à l'ingénieux arrangement
des Scenes de fa Piéce où il a sçû d'un Caractere
mitoyen faire un Caractere isolé , et
où le ton du monde , et la pureté du langage
se font remarquer d'un bout à l'autre , tant
dans la noblesse du Dialogue , que dans la
justesse des expressions.
Ce baut comique que vous avez jugé ;
MESSIEURS , le plus digne de vos suffrages
, et de vos louanges , mérite que vous
le mainteniés inviolablement sar la Scene.
Oserions - nous sur ce fondement vous annoncer
pour l'ouverture du Théatre. La Comédie
du Paresseux , que l'Auteur semble
avoir travaillée dans cet esprit , que nous
avons reçuë de même , mais dont nous ne
vous parlons que pour vous rendre compte
son intention et de la nôtre ; toutes deux éga
lement subordonnées à vos lumieres et à vos
de
Juge
AVRIL. 1733. 779
MES
jugemens : Puissions- nous toujours ,
SIEURS , les réunir l'un et l'autre en notre
faveur , rouvrir la Scene aussi glorieusement
que nous la fermons , et la fermer l'année
prochaine, en vous rendant graces comme
aujourd'hui.
SPECTACLES.
Oici le Discours que le sieur du
Fresne prononça le 21. du mois
dernier.
MESSIEURS ,
Si en fermant le Théatre , l'usage de vous
remercier de vos bontés , n'étoit pas un usage
reçû depuis long- tems , il faudroit qu'il s'établit
de lui- même cette année , puisque nous
n'en sçaurions rappeller une où vous ayés
marqué plus de goût pour notre Spectacle
et plus d'indulgence pour les Acteurs.
,
L
Il est vrai , MESSIEURS , que votre
curiosité a dû être piquée par les productions
de deux Auteurs , qui également jaloux de
Phonneur de vous plaire , se sont présentez.
successivement sur la Scene tragique , concours
qui ne s'y étoit point rencontré depuis
nombre d'années , surtout avec le même fuccès.
Vous avez rendu , MESSIEURS , une
justice égale à deux mérites différens.
Dans la Tragédie de Zaïre , vous avez
applandi à cette simplicité de fonds d'om
l'Auteur
778 MERCURE DE FRANCE
l'Auteur a sçûtirer ces mouvemens attendrissans
, et donner aux paffions ce choc , et
cette étenduë de jeux si nécessaires dans le
Dramatique. Dans Gustave Vous avez
loné la préparation des incidens , la clarté
de leur développement , le respect des régles ,
la convenance des interêts , et la précision
des détails.
Le genre comique n'a pas été moins heureux.
Combien Auteur du Complaisant
a-t-il dû être flaté des applaudissemens
que
vous avez donnez à l'ingénieux arrangement
des Scenes de fa Piéce où il a sçû d'un Caractere
mitoyen faire un Caractere isolé , et
où le ton du monde , et la pureté du langage
se font remarquer d'un bout à l'autre , tant
dans la noblesse du Dialogue , que dans la
justesse des expressions.
Ce baut comique que vous avez jugé ;
MESSIEURS , le plus digne de vos suffrages
, et de vos louanges , mérite que vous
le mainteniés inviolablement sar la Scene.
Oserions - nous sur ce fondement vous annoncer
pour l'ouverture du Théatre. La Comédie
du Paresseux , que l'Auteur semble
avoir travaillée dans cet esprit , que nous
avons reçuë de même , mais dont nous ne
vous parlons que pour vous rendre compte
son intention et de la nôtre ; toutes deux éga
lement subordonnées à vos lumieres et à vos
de
Juge
AVRIL. 1733. 779
MES
jugemens : Puissions- nous toujours ,
SIEURS , les réunir l'un et l'autre en notre
faveur , rouvrir la Scene aussi glorieusement
que nous la fermons , et la fermer l'année
prochaine, en vous rendant graces comme
aujourd'hui.
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Résumé : Discours au Public, [titre d'après la table]
Le sieur du Fresne a prononcé un discours le 21 du mois précédent pour remercier le public de son soutien et de son indulgence envers les spectacles. Il a souligné une année marquée par un goût particulier et une indulgence accrue envers les acteurs. Deux auteurs tragiques ont connu un succès égal. Pour la tragédie 'Zaïre', le public a apprécié la simplicité du fond et les mouvements attendrissants des passions. Pour 'Gustave', il a loué la préparation des incidents, la clarté de leur développement, le respect des règles, la convenance des intérêts et la précision des détails. Dans le genre comique, l'auteur du 'Complaisant' a été flatté par les applaudissements pour l'arrangement ingénieux des scènes, le caractère isolé, le ton du monde et la pureté du langage. Le discours annonce également la future représentation de la comédie 'Le Paresseux', dont l'auteur a travaillé dans le même esprit. Le sieur du Fresne espère que le public continuera à soutenir les spectacles avec la même faveur et à juger les œuvres avec ses lumières et ses jugements.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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9
p. 780-789
LE COMPLAISANT, Comédie en cinq Actes, représentée sur le Théatre François en Janvier 1732.
Début :
ACTEURS. M. Orgon, mari de Me Orgon, le sieur Duchemin. [...]
Mots clefs :
Orgon, Damis, Angélique, Caractère, Complaisance, Pièce, Théâtre, Cléante
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texteReconnaissance textuelle : LE COMPLAISANT, Comédie en cinq Actes, représentée sur le Théatre François en Janvier 1732.
LE COMPLAISANT , Comédie en
cing Actes , représentée sur le Théatre
François en Fanvier 1732 .
ACTEURS.
M. Orgon , mari de Me Orgon , le sieur
Duchemin.
Me Orgon , femme de M. Orgon , la
Dlle Quinault.
Angélique , fille de M. et de Me Orgon ,
la Dlle Gaussin,
Cléante, frere de M. Orgon , M. du Brežil.
Argant , cousin de M. Orgon , le sieur
1 Damis
Eraste ..
Peisson.
Amans d'Angélique , les sieurs
Montmesnil et Grandval.
Le Marquis , ami de Damis , le sieur
Dufresne.
Lisette , Suivante d'Angélique , la Dile
Dangeville.
La Scene eft dans la maison de M. Orgon ,
L'élégance qui régne dans toute cette
Piéce , fait un honneur infini à la plume
de l'Auteur anonyme , qui , à ce
qu'on
л VRT L. 1733. 781
qu'on a dit d'abord , en a voulu faire présent
au Théatre François. On assûre que
c'est son premier Ouvrage , auquel cas
il est à souhaitter que ce ne soit pas son
dernier. Comme l'ingénieux inconnu à
qui nous devons cet admirable coup d'essai
, ne s'est attaché qu'à bien traiter tous
ses Caracteres , et surtout celui qui donne
le titre à sa Piéce ; il a négligé ce
qu'on appelle intrigue ; on pourra juger
par ce court argument de ce qui constitue
l'action théatrale.
M. Orgon a un procès à faire juger , et
une fille à marier ; Mad. Orgon , sa femme
, se met très peu en peine du procès
de son mari , et ne s'occupe que du choix
d'un Gendre dont l'humeur convienne à
la sienne ; Damis lui paroît tel , parce
qu'il est le plus complaisant de tous les
hommes ; M. Orgon s'accorde pour la
premiere fois avec elle , et panche du
côté de Damis , grace à cette même complaisance
qui a gagné le coeur de sa femme.
Eraste , dont le Caractere est noble
et sincere , s'est acquis l'estime d'Angélique
c'est le nom de la Fille que M. et
Me Orgon conviennent qu'il faut donher
à Damis, ) mais cette estime n'empê
che pas qu'elle ne préfére l'agrément exterieur
de l'un de ses deux Amans au mérite
782 MERCURE DE FRANCE
rite solide de l'autre. Cette préférence
n'est pourtant pas si déclarée , qu'elle
ôte aux Spectateurs l'espérance de voir
revenir Angélique de l'agrément au solide
, et c'est là tout ce qui constituë le
noeud de la Piéce ; en voici le dénoiiment :
le vice est puni , et la vertu est récompensée
; la complaisance outrée de Damis
fait qu'il manque de parole à Orgon , à
que ce manque de parole lui fait perdre
le procès ; elle irrite Mad. Argante , parce
que Damis , pour complaire à son
mari , a congedié des Musiciens qu'elle
avoit mandés pour un Divertissement de
sa façon ; elle le détruit enfin dans le
coeur d'Angélique , par une espéce d'infidelité
qu'elle lui a fait commettre envers
elle. Pour achever le dénouement ,
Eraste qui s'étoit déja emparé de l'estime
d'Angélique par la noblesse de ses procédés
, lui inspire une tendre reconnoissance
par la generosité avec laquelle il
paye secretement cinquante mille écus
somme à laquelle M. Orgon vient d'être
condamné par corps en perdant son
procès.
On voit par ce petit argument que la
Piéce , quoiqu'elle soit en cinq Actes ,
n'est pas beaucoup chargée d'action , mais
en récompense le Caractere dominant y
est
AVRIL. 1733 78;
est soutenu du commencement à la fin.
On auroit souhaité que ce Caractere fût
un peu plus mis en oeuvre , et qu'il se
développât plutôt par des actions que
par des conversations ; ce défaut n'est.
que trop commun dans les Piéces modernes
; on y parle beaucoup plus qu'on n'y
agit , comme si l'on ignoroit que l'action
est l'ame de la Comédie et de la Tragédie.
On auroit voulu surtout qu'immédiatement
après que Damis a promis
à M. Orgon de faire différer le jugement
de son procès , ce même Damis eut été
prié par Mad. Orgon de le faire avancer,
et qu'il eut manqué à sa parole par complaisance
, ou, pour mieux dire , il auroit
encore mieux valu que l'Auteur lui eut
sauvé une perfidie , qui fait un crime de
ce qui ne devoit être qu'un ridicule .
A ce Caractere dominant , on en joint
d'autres purement accessoires , où l'Auteur
a fait voir qu'il est excellent Peintre,
tant qu'il ne faut employer d'autre pinceau
que sa plume ; on lui reproche même
comme un défaut, une éloquence dont
bien d'autres tireroient vanité ; il a tant
d'esprit qu'il ne peut s'empêcher d'en
donner à tous ses personnages . Voilà ce
qu'on a presque generalement observé
dans la Comédie du Complaisant ; il ne
nous
484 MERCURE DE FRANCE.
nous reste plus , pour la satisfaction de
nos Lecteurs , qu'à donner quelques traits
de la maniere d'écrire de l'Auteur , qui
pourroit servir de modele aux Orateurs
les plus élégans , et qui n'a que le malheur
de n'être pas bien en sa place.
Nous ne citerons que ce qui concerne
le caractere dominant. Voici comment
Cléante , frere de M. Orgon , le'définit dans
le premier Acte. Damis rassemble les qualitez
les plus contraires , il en a du moins
les apparences. Sans caractere , sans humeur
, il se livre aux impressions étrangeres ;
il prend chez les autres sa tristesse et sa
joye ; elles s'emparent de son visage sans
passer dans son coeur; toutes les opinions ,
sous les sistêmes lui plaisent également ; il
les adopte , il les abandonne , il les réfute
il les soutient ; la vrai-semblance qui le
séduit , Paide encore à tromper les autres.
tout paroît probable à ses yeux , tout devient
probable dans sa bouche . Il ne pense point ;
il ne sent point , tout son talent est d'exprimer
avec facilité des sentimens et des
pensées. Son esprit , chargé des idées d'antrui
, ne sçauroit en produire aucune ; si
quelquefois il a le courage de juger par luimême
, la plus foible contradiction le rebute
et l'effraye bien- tôt il assujettit ce
qu'il pense au désir de plaire ; bien- tôt même
AVRI L. 1733. 781
ne il oublie ce qu'il a pensé. Sa conduite
n'est pas moins inégale ; son gout , son inclination
, ses moeurs , sont soumis aux caprices
de ceux qui l'environnent. Esclave de
La Societé, le même excès de complaisance qui
dicte ses paroles , dirige aussi ses démarches.
Voici comme Damis se définit lui- même
, parlant à Cléante , qui veut lui faire
sentir les inconvéniens qui peuvent naître
d'un excès de complaisance.
Mon Sistême , puisqu'enfin vous m'ordonnez
d'en avoir un , n'est pas de m'assujettir
à ces regles arbitraires qu'on n'ose
jamais perdre de vie , à ces loix importunes
et rigoureuses qu'on impose souvent
sans necessité , et que vous appellez des
principes. Leur effet ordinaire est de contrarier
les idées d'autrui , sans rectifier les nôtres.
Pour vivre avec tout le monde , il faut
se persuader, si l'on peut, que tout le monde
a raison ; à force de le souhaiter on s'accous
tume à le croire.
de mau-
Et comme Cléante le soupçonne de
mauvaise foi , il ajoûte : Ne cherchez point
à m'allarmer par un odieux soupçon
vaise foi; on n'est point faux , quand on
ne veut point l'être. Peu jaloux de ce que
je pense peu attaché à ce que je veux
ma facilité naturelle me fait entrer avecplai
sir dans les mouvemens qu'on veut m'inspirer
786 MERCURE DE FRANCE
pirer; une prévention toujours favorable
et toujours sincere , me peint les objets sous
les couleurs les plus heureuses. Je voi les
hommes tels qu'ils veulent me paroître ; je
ne m'attacke point à sonder les replis de leurs
coeurs ; indulgent pour leurs travers , admirateur
de leurs bonnes qualitez , je cherche
moins à démêler leurs vices , qu'à profiter
de leurs vertus .
Cléante lui faisant un dernier reproche
sur son caractere , qui du moins ,
dit-il , le fait tomber dans la flatterie ,
deffaut dont tout le monde doit rougir,
il lui répond : deffaut dont personne ne doit
m'accuser. Un flatteur est sans cesse occupé
de vues interessées , et la honte d'une adulation
servile le touche beaucoup moins que
les avantages personnels qu'il en tire. Pour
moi , sans former de projets , sans exiger de
reconnoissance , j'apporte dans la Societé des
dispositions d'autant plus commodes , que
chacun y peut trouver son compte , sans qu'il
m'en coûte rien . En un mot , voici toute ma
Philosophie , et je me sçais bon gré d'en être
redevable à la Nature plutôt qu'à la refle
xion; j'écoute volentiers , j'approuve aisé
ment , je ne contredis jamais , et pour peu
que la conversation durât , je pourrois bien
prendre votre avis contre moi-même ; peutétre
l'aurois -je déjafait , si vous m'aviez atraqué
moins vivement. Le
A VRL I. 1733. 787
Le Lecteur doit convenir qu'il faut avoir
bien de l'éloquence pour soutenir si bien
une si mauvaise cause. Au reste l'Auteur
n'est pas moins élegant qu'éloquent ; on
peut même dire qu'il est un peu trop exact
dans le choix des termes , et qu'il n'est
pas dans la nature que des conversations
ordinaires ressemblent à des discours étudiez
avec un art aussi continu que cellescy
le paroissent ; aussi tout le monde est-il
convenu que l'Auteur de cette Comédie
est encore plus Orateur qu'Auteur ; il
faut pourtant lui rendre justice sur cette
derniere qualité. Sa Piece , quoiqu'un peu
vuide d'action, ne laisse pas d'être ornée de
ce qu'on appelle jeu de Théatre ; il y en
a- un entre autres dans le quatrième Acte
, qui soutenu de la vivacité du sieur
et de la Dile Quinault , a fait un plaisir
infini , on peut même dire que c'est quelque
chose de plus qu'un jeu de Théatre :
puisqu'il produit un coup de Théatre ;
Voici de quoi il s'agit . M. Orgon ayant
annoncé à Damis la perte de son Procès
, ce dernier en est si penetré , qu'on
croiroit que c'est lui - même qui vient d'ê
tre condamné par corps à payer les cinquante
mille écus dont il s'agit. M. Or
gon va chercher son frere pour le convaincre
de la sensibilité de son gendre
H futur
788 MERCURE DE FRANCE
futur, Mad. Orgon arrive bien- tôt après,
et fait part à Damis d'un Divertissement
qu'elle a fait. Damis s'y prête si bien.
par complaisance , qu'il chante et danse
avec elle , aussi gayement , qu'il vient
de s'affliger tristement avec M. Orgon,
Ce dernier survient avec son frere , et
trouve son Héraclite métamorphosé en
Démocrite . Damis se tire d'affaire comme
il peut , et lui dit que de peur de
succomber à sa douleur , il cherche à
s'égayer.
Il s'en faut bien que le cinquiéme Acte
ait répondu au quatrième. De tous les
motifs qui font punir le Complaisant ,
il n'y en a qu'un de vrai , et qui va jusqu'à
la trahison ; c'est d'avoir , par complaisance
pour Mad. Orgon , acceleré le
jugement d'un procès qu'il avoit promis
à M. Orgon de faire differer. L'infidelité
prétendue dont Angelique l'assure , ne
mérite aucune punition , non-plus que le
soin qu'il a pris de renvoyer les Musiciens
de Mad. Orgon : or tout ce qui
autorise le dénoûment , c'est la generosité
d'Eraste qui a payé les cinquante mille
mille écus ausquels M. Orgon étoit condamné
par corps ; ainsi c'est plutôt la
vertu recompensée , que le vice puni ,
qui termine cette Piece.
Le
AVRIL
1733. 789
Elle paroît très - bien imprimée chez le
Breton, Quay des Augustins , et a un fort
grand debit.
cing Actes , représentée sur le Théatre
François en Fanvier 1732 .
ACTEURS.
M. Orgon , mari de Me Orgon , le sieur
Duchemin.
Me Orgon , femme de M. Orgon , la
Dlle Quinault.
Angélique , fille de M. et de Me Orgon ,
la Dlle Gaussin,
Cléante, frere de M. Orgon , M. du Brežil.
Argant , cousin de M. Orgon , le sieur
1 Damis
Eraste ..
Peisson.
Amans d'Angélique , les sieurs
Montmesnil et Grandval.
Le Marquis , ami de Damis , le sieur
Dufresne.
Lisette , Suivante d'Angélique , la Dile
Dangeville.
La Scene eft dans la maison de M. Orgon ,
L'élégance qui régne dans toute cette
Piéce , fait un honneur infini à la plume
de l'Auteur anonyme , qui , à ce
qu'on
л VRT L. 1733. 781
qu'on a dit d'abord , en a voulu faire présent
au Théatre François. On assûre que
c'est son premier Ouvrage , auquel cas
il est à souhaitter que ce ne soit pas son
dernier. Comme l'ingénieux inconnu à
qui nous devons cet admirable coup d'essai
, ne s'est attaché qu'à bien traiter tous
ses Caracteres , et surtout celui qui donne
le titre à sa Piéce ; il a négligé ce
qu'on appelle intrigue ; on pourra juger
par ce court argument de ce qui constitue
l'action théatrale.
M. Orgon a un procès à faire juger , et
une fille à marier ; Mad. Orgon , sa femme
, se met très peu en peine du procès
de son mari , et ne s'occupe que du choix
d'un Gendre dont l'humeur convienne à
la sienne ; Damis lui paroît tel , parce
qu'il est le plus complaisant de tous les
hommes ; M. Orgon s'accorde pour la
premiere fois avec elle , et panche du
côté de Damis , grace à cette même complaisance
qui a gagné le coeur de sa femme.
Eraste , dont le Caractere est noble
et sincere , s'est acquis l'estime d'Angélique
c'est le nom de la Fille que M. et
Me Orgon conviennent qu'il faut donher
à Damis, ) mais cette estime n'empê
che pas qu'elle ne préfére l'agrément exterieur
de l'un de ses deux Amans au mérite
782 MERCURE DE FRANCE
rite solide de l'autre. Cette préférence
n'est pourtant pas si déclarée , qu'elle
ôte aux Spectateurs l'espérance de voir
revenir Angélique de l'agrément au solide
, et c'est là tout ce qui constituë le
noeud de la Piéce ; en voici le dénoiiment :
le vice est puni , et la vertu est récompensée
; la complaisance outrée de Damis
fait qu'il manque de parole à Orgon , à
que ce manque de parole lui fait perdre
le procès ; elle irrite Mad. Argante , parce
que Damis , pour complaire à son
mari , a congedié des Musiciens qu'elle
avoit mandés pour un Divertissement de
sa façon ; elle le détruit enfin dans le
coeur d'Angélique , par une espéce d'infidelité
qu'elle lui a fait commettre envers
elle. Pour achever le dénouement ,
Eraste qui s'étoit déja emparé de l'estime
d'Angélique par la noblesse de ses procédés
, lui inspire une tendre reconnoissance
par la generosité avec laquelle il
paye secretement cinquante mille écus
somme à laquelle M. Orgon vient d'être
condamné par corps en perdant son
procès.
On voit par ce petit argument que la
Piéce , quoiqu'elle soit en cinq Actes ,
n'est pas beaucoup chargée d'action , mais
en récompense le Caractere dominant y
est
AVRIL. 1733 78;
est soutenu du commencement à la fin.
On auroit souhaité que ce Caractere fût
un peu plus mis en oeuvre , et qu'il se
développât plutôt par des actions que
par des conversations ; ce défaut n'est.
que trop commun dans les Piéces modernes
; on y parle beaucoup plus qu'on n'y
agit , comme si l'on ignoroit que l'action
est l'ame de la Comédie et de la Tragédie.
On auroit voulu surtout qu'immédiatement
après que Damis a promis
à M. Orgon de faire différer le jugement
de son procès , ce même Damis eut été
prié par Mad. Orgon de le faire avancer,
et qu'il eut manqué à sa parole par complaisance
, ou, pour mieux dire , il auroit
encore mieux valu que l'Auteur lui eut
sauvé une perfidie , qui fait un crime de
ce qui ne devoit être qu'un ridicule .
A ce Caractere dominant , on en joint
d'autres purement accessoires , où l'Auteur
a fait voir qu'il est excellent Peintre,
tant qu'il ne faut employer d'autre pinceau
que sa plume ; on lui reproche même
comme un défaut, une éloquence dont
bien d'autres tireroient vanité ; il a tant
d'esprit qu'il ne peut s'empêcher d'en
donner à tous ses personnages . Voilà ce
qu'on a presque generalement observé
dans la Comédie du Complaisant ; il ne
nous
484 MERCURE DE FRANCE.
nous reste plus , pour la satisfaction de
nos Lecteurs , qu'à donner quelques traits
de la maniere d'écrire de l'Auteur , qui
pourroit servir de modele aux Orateurs
les plus élégans , et qui n'a que le malheur
de n'être pas bien en sa place.
Nous ne citerons que ce qui concerne
le caractere dominant. Voici comment
Cléante , frere de M. Orgon , le'définit dans
le premier Acte. Damis rassemble les qualitez
les plus contraires , il en a du moins
les apparences. Sans caractere , sans humeur
, il se livre aux impressions étrangeres ;
il prend chez les autres sa tristesse et sa
joye ; elles s'emparent de son visage sans
passer dans son coeur; toutes les opinions ,
sous les sistêmes lui plaisent également ; il
les adopte , il les abandonne , il les réfute
il les soutient ; la vrai-semblance qui le
séduit , Paide encore à tromper les autres.
tout paroît probable à ses yeux , tout devient
probable dans sa bouche . Il ne pense point ;
il ne sent point , tout son talent est d'exprimer
avec facilité des sentimens et des
pensées. Son esprit , chargé des idées d'antrui
, ne sçauroit en produire aucune ; si
quelquefois il a le courage de juger par luimême
, la plus foible contradiction le rebute
et l'effraye bien- tôt il assujettit ce
qu'il pense au désir de plaire ; bien- tôt même
AVRI L. 1733. 781
ne il oublie ce qu'il a pensé. Sa conduite
n'est pas moins inégale ; son gout , son inclination
, ses moeurs , sont soumis aux caprices
de ceux qui l'environnent. Esclave de
La Societé, le même excès de complaisance qui
dicte ses paroles , dirige aussi ses démarches.
Voici comme Damis se définit lui- même
, parlant à Cléante , qui veut lui faire
sentir les inconvéniens qui peuvent naître
d'un excès de complaisance.
Mon Sistême , puisqu'enfin vous m'ordonnez
d'en avoir un , n'est pas de m'assujettir
à ces regles arbitraires qu'on n'ose
jamais perdre de vie , à ces loix importunes
et rigoureuses qu'on impose souvent
sans necessité , et que vous appellez des
principes. Leur effet ordinaire est de contrarier
les idées d'autrui , sans rectifier les nôtres.
Pour vivre avec tout le monde , il faut
se persuader, si l'on peut, que tout le monde
a raison ; à force de le souhaiter on s'accous
tume à le croire.
de mau-
Et comme Cléante le soupçonne de
mauvaise foi , il ajoûte : Ne cherchez point
à m'allarmer par un odieux soupçon
vaise foi; on n'est point faux , quand on
ne veut point l'être. Peu jaloux de ce que
je pense peu attaché à ce que je veux
ma facilité naturelle me fait entrer avecplai
sir dans les mouvemens qu'on veut m'inspirer
786 MERCURE DE FRANCE
pirer; une prévention toujours favorable
et toujours sincere , me peint les objets sous
les couleurs les plus heureuses. Je voi les
hommes tels qu'ils veulent me paroître ; je
ne m'attacke point à sonder les replis de leurs
coeurs ; indulgent pour leurs travers , admirateur
de leurs bonnes qualitez , je cherche
moins à démêler leurs vices , qu'à profiter
de leurs vertus .
Cléante lui faisant un dernier reproche
sur son caractere , qui du moins ,
dit-il , le fait tomber dans la flatterie ,
deffaut dont tout le monde doit rougir,
il lui répond : deffaut dont personne ne doit
m'accuser. Un flatteur est sans cesse occupé
de vues interessées , et la honte d'une adulation
servile le touche beaucoup moins que
les avantages personnels qu'il en tire. Pour
moi , sans former de projets , sans exiger de
reconnoissance , j'apporte dans la Societé des
dispositions d'autant plus commodes , que
chacun y peut trouver son compte , sans qu'il
m'en coûte rien . En un mot , voici toute ma
Philosophie , et je me sçais bon gré d'en être
redevable à la Nature plutôt qu'à la refle
xion; j'écoute volentiers , j'approuve aisé
ment , je ne contredis jamais , et pour peu
que la conversation durât , je pourrois bien
prendre votre avis contre moi-même ; peutétre
l'aurois -je déjafait , si vous m'aviez atraqué
moins vivement. Le
A VRL I. 1733. 787
Le Lecteur doit convenir qu'il faut avoir
bien de l'éloquence pour soutenir si bien
une si mauvaise cause. Au reste l'Auteur
n'est pas moins élegant qu'éloquent ; on
peut même dire qu'il est un peu trop exact
dans le choix des termes , et qu'il n'est
pas dans la nature que des conversations
ordinaires ressemblent à des discours étudiez
avec un art aussi continu que cellescy
le paroissent ; aussi tout le monde est-il
convenu que l'Auteur de cette Comédie
est encore plus Orateur qu'Auteur ; il
faut pourtant lui rendre justice sur cette
derniere qualité. Sa Piece , quoiqu'un peu
vuide d'action, ne laisse pas d'être ornée de
ce qu'on appelle jeu de Théatre ; il y en
a- un entre autres dans le quatrième Acte
, qui soutenu de la vivacité du sieur
et de la Dile Quinault , a fait un plaisir
infini , on peut même dire que c'est quelque
chose de plus qu'un jeu de Théatre :
puisqu'il produit un coup de Théatre ;
Voici de quoi il s'agit . M. Orgon ayant
annoncé à Damis la perte de son Procès
, ce dernier en est si penetré , qu'on
croiroit que c'est lui - même qui vient d'ê
tre condamné par corps à payer les cinquante
mille écus dont il s'agit. M. Or
gon va chercher son frere pour le convaincre
de la sensibilité de son gendre
H futur
788 MERCURE DE FRANCE
futur, Mad. Orgon arrive bien- tôt après,
et fait part à Damis d'un Divertissement
qu'elle a fait. Damis s'y prête si bien.
par complaisance , qu'il chante et danse
avec elle , aussi gayement , qu'il vient
de s'affliger tristement avec M. Orgon,
Ce dernier survient avec son frere , et
trouve son Héraclite métamorphosé en
Démocrite . Damis se tire d'affaire comme
il peut , et lui dit que de peur de
succomber à sa douleur , il cherche à
s'égayer.
Il s'en faut bien que le cinquiéme Acte
ait répondu au quatrième. De tous les
motifs qui font punir le Complaisant ,
il n'y en a qu'un de vrai , et qui va jusqu'à
la trahison ; c'est d'avoir , par complaisance
pour Mad. Orgon , acceleré le
jugement d'un procès qu'il avoit promis
à M. Orgon de faire differer. L'infidelité
prétendue dont Angelique l'assure , ne
mérite aucune punition , non-plus que le
soin qu'il a pris de renvoyer les Musiciens
de Mad. Orgon : or tout ce qui
autorise le dénoûment , c'est la generosité
d'Eraste qui a payé les cinquante mille
mille écus ausquels M. Orgon étoit condamné
par corps ; ainsi c'est plutôt la
vertu recompensée , que le vice puni ,
qui termine cette Piece.
Le
AVRIL
1733. 789
Elle paroît très - bien imprimée chez le
Breton, Quay des Augustins , et a un fort
grand debit.
Fermer
Résumé : LE COMPLAISANT, Comédie en cinq Actes, représentée sur le Théatre François en Janvier 1732.
La pièce 'Le Complaisant' est une comédie en cinq actes représentée au Théâtre François en janvier 1732. L'intrigue se déroule dans la maison de M. Orgon, qui doit juger un procès et marier sa fille, Angélique. Mme Orgon, l'épouse de M. Orgon, favorise Damis, le cousin de M. Orgon, comme gendre en raison de sa complaisance. Eraste, amoureux d'Angélique, est apprécié par elle mais ne parvient pas à la convaincre de choisir son mérite plutôt que l'apparence d'un autre prétendant. Le nœud de la pièce repose sur l'espoir des spectateurs de voir Angélique préférer le mérite à l'apparence. Le dénouement voit la punition du vice et la récompense de la vertu. La complaisance excessive de Damis le conduit à manquer à sa parole envers Orgon, ce qui lui fait perdre son procès. De plus, Damis irrite Mme Argante en renvoyant des musiciens qu'elle avait convoqués et commet une infidélité envers Angélique. Eraste, par sa générosité, paie secrètement la somme à laquelle M. Orgon est condamné, gagnant ainsi l'estime et la reconnaissance d'Angélique. La pièce est notée pour son élégance et la qualité de ses dialogues, bien que l'action soit limitée. Le caractère de Damis est bien développé, mais aurait pu être mieux mis en œuvre par des actions plutôt que par des conversations. L'auteur est loué pour son éloquence et son esprit, mais critiqué pour la faiblesse de l'intrigue et l'absence de véritable action théâtrale.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
10
p. 1822-1831
Imitation de J. C[.] traduite, &c. [titre d'après la table]
Début :
IMITATION DE JESUS-CHRIST, traduite et revûe par M. L. Dufresnoy D. de S. [...]
Mots clefs :
Monde, Anciennes éditions, Imitations ordinaires, Titre, Consolation, Jésus-Christ, Original, Chapitre, Richesses, Caractère, Temps passé
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Imitation de J. C[.] traduite, &c. [titre d'après la table]
IMITATION DE JESUS - CHRIST , traduite
et revûe par M. L. Dufresnoy D. de S.
sur l'ancien Original François , d'où l'on
a tiré un Chapitre qui manque dans les
autres Editions , in 12. A Anvers , et se
vend , à Paris , chez Michel- Etienne David,
Quay des Augustins , à la Providenee,
et chez Antoine- Claude Briasson , ruë
S. Facques , à la Science.
Cette Edition qui est belle et bien faite
seroit très- capable de renouveller la celebre
dispute qu'il y eut vers le milieu dư
XVII . siecle , sur l'Auteur de l'Imitation de
J.C.Ilest surprenant que tous ceux qui ont
pris parti pour le celebre Gerson , n'ayent
pas
A O UST. 1732. 1823
pas connu l'Original François de cet Ouvrage
, qui auroit été d'un grand secours
pour appuyer leur sentiment. On trouve
dans ces antiques Editions un air original
, qui ne sent point la contrainte
et la gêne d'un Traducteur . Ce qui peut
faire croire que l'on n'aura pas pensé à
ce Livre au temps de cette dispute , est
le changement de titre et le renversement
des Livres. Le Titre general de ces anciennes
Editions est conçû en ces termes :
Le Livre intitulé Internelle consolation ,
nouvellement corrigée : Consolationes tua latificaverunt
animam meam.
L'ordre des Livres n'est pas le mêine
dans ces anciennes Editions et dans les
Editions ordinaires de l'Imitation de J.C.
Ce qui fait le premier Livre dans nos
Editions , fait le troisiéme dans ces anciennes.
Sous ce Titre : cy commence la
tierce partie de l'interiore et parfaite Imitation
de Notre Seigneur Jesus - Christ ; Qui
-sequitur me non ambulat in tenebris.
Le second Livre des l'Imitations ordinaires
fait le premier dans ces anciennes
Editions , et porte pour titre : cy commence
le Livre intitulé , Internelle consolation
, lequel est moult utile pour la
consolation de toute humaine Creature : et
premierement parle de l'interiore conversation,
1824 MERCURE DE FRANCE
doit
tion , c'est à - dire , comment la personne
selon l'ame. Regnum Dei intra vos est, dicin
Dominus.
Le troisiéme Livre de nos Imitations
ordinaires , fait le second dans ces anciennes
Editions , sous ce titre : Cy com- <
mence le Traité de l'interiore collocution do
Notre Sauveur Jesus - Christ à l'Ame_dévote
, et est la seconde Partie de ce présent
Livre : Audiam quid loquetur in me Dominus
Deus.
Enfin le quatriéme Livre conserve dans
toutes les Editions , le même rang , et
a pour titre dans les anciennes Editions :
Cy commence la quarte Partie du présent
Livre , qui est de ensuivir Jesu- Christ et
contemner le Monde ; et traite principalement
du Sacrement de l'Autel.
Voila , sans doute , ce qui a fait qu'on
n'a point pensé à comparer ce Livre avec
nos Imitations ordinaires ; mais il est toujours
temps de le faire.
En revoyant cet Ouvrage sur les Textes
François que l'on croit Originaux ,
on a eu soin dans cette nouvelle Edition
de rétablir l'ordre observé dans les Imitations
ordinaires et de faire un juste
parallele, des unes et des autres , afin de
ne rien omettre.
Mais pour faire mieux connoître le
caractere
A O UST. 1733. 1815
caractere de cette Edition , on rapportera
ce que le nouveau Traducteur dit
dans sa Préface . » Je dirai donc ( ce sont
» ses paroles ) ce que j'ai examiné par
» moi-même. Le hazard m'a fait rencon-
>> trer quatre Editions Françoises de cet ex-
» cellent Ouvrage , imprimées toutes en
» caractere Gothique , sous le titre de l'In-
» ternelle consolation , c'est - à -dire , de la
»Consolation interieure . Toutes ces Edi-
» tions ont été faites à Paris , l'une en 1531.
» la seconde en 1554. la troisième et la
» quatrième sans date , mais beaucoup
plus anciennes. Il ne paroît ni par le
» Titre ni par aucune autre marque , que-
» ce soit une Traduction ; circonstance
» neanmoins que nos Ancêtres étoient
fort jaloux de faire connoître , quand
>> effectivement ils avoient traduit un Ouvrage.
Celui cy même a l'air Original
» dans ces anciennes Editions ; et tout
» ce qui , dans les Imitations ordinaires ,
» est restraint aux Religieux , se trouve
>> dans ces Editions appliqué aux Chrétiens
en general. C'est peut- être ce qui
pourroit faire penser que le celebreGER-
>> SON auroit d'abord fait ce Livre en
» François , et que depuis il aura été tra-
» duit en Latin par THOMAS A Kempis ,
» mais avec quelques changemens , sur
» tout
1726 MERCURE DE FRANCE
" tout aux endroits où il fait des appli
» cations particulieres aux Religieux , où
>>
aux personnes vivant en Communauté .
» C'est de ces anciennes Editions que nous
» avons tiré le Chapitre XXVI. du pre-
" mier Livre qui manque dans les Imi-
» tations ordinainès de l'Imitation de Je
sus- Christ ; elles nous ont même servi
» à déterminer le sens du Latin , quand
» il nous a parû y avoir quelque ambiguité.
La seule Edition de 1554. con-
» tenoit le 4. Livre qui manque dans les
trois autres .
Comme ce XXVI . Chapitre est impor
tant et ne se trouve en aucune Edition
Latine , on l'inserera ici en son ancien
langage , et on en trouvera la Traduction
dans la nouvelle Edition dont il est
ici question .
Contre la vanité du Monde ,ChapitreXXVI.
>> Certainement griefve et trop péril
» leuse est la conversation de ce Monde's
» car en délices est périe chasteté , humilité
» en richesses , pitié en - Marchandises ,
» verité en trop parler , charité en ce
» maling siecle . Et comme il est diffi-
» cile que ung arbre planté auprès d'un
" chemin commun , puisse garder son
" fruit jusques à ce que il soit meur;
ainsi
A O UST. 1733. 1827
ainsi est- il difficile que ung homme qui
» converse selon la vie du Monde , puis-
» se en soi garder parfaite netteté et justice
, c'est à sçavoir qu'il n'offense Dicu
» en plusieurs manieres. O comme sont
» aveuglez ceux qui quierent et demandent
la gloire et loüenge du Monde !
» Quelle chose est la joye et liesse du
» Monde , fors mauvaistié et mauvaise
» vie non punie et non corrigée ! C'est
» à sçavoir vacquer à luxure et yvto-
כ
ور
que
gnise , à gourmandise et à toutes va-
>> nitez mondaines , et de toutes ces cho-
» ses ne souffrir point de repréhension ,
» ne de punition ou correction en ce
Monde ; car les mauvais vivans en leurs.
délices , cuident être assurez quand ils
» ne sont point corrigez ou reprins pour
»leurs iniquitez ; et ne considerent pas
» qu'il n'est rien plus malheureux en ce
monde la félicité des pécheurs ,
» par laquelle ils tumbent en maladie
incurable , et leur maulvaise volunté
» est confermée en mal. Car si tu quiers
» et desire prelation , et proposes en ton
>> cueur vivre et converser justement et
» sainctement ; je loüe et approuve le bon
» propos; mas j'en trouve peu de tel effect,
» c'est-à - dire qu'il en est bien peu qui
yayent ainsi justement et sainctement
>>
» vescu
1828 MERCURE DE FRANCE
39
» vescu . C'est sauvaige chose de hault de-
» gré et petit cueur ; c'est-à - dire , d'une
» personne qui est en grand état en sainc-
» te Eglise , et son cueur n'est pas eslevé
» en hault à Notre Seigneur , ne aux cho-
>> ses divines. C'est sauvaige chose d'avoir
le premier siege et la vie derniere , c'est
à - dire plus basses que les autres. Grande
infélicité est instabilité de cueur. Les
» Prélats sont dignes de tant de morts
» comme ils baillent de maulvais exem-
» ples à leurs povres Subjets , et ceulx
» qui leurs sont commis. Si tu demandes
» et veulx acquerir sagesse mondaine , à
» grand péril tu t'abandonnes ; car la sa
» gesse du monde est terrienne , brutale ,
diabolique , ennemie du saulvement ,
» meurtriere de vie et mere de cupidité.
" Et si d'aventure tu desires et veulx avoir
>> les pompes et orgueils du siecle , et ay-
» mes les délices de la chair , advise - toy
» et considere bien comment toutes ces
» choses sont vaines et de peu de profit ,
» et que toutes ces vanitez sont comme
un songe. Que a profité à tous ceulx
» qui aymoient ce monde leur orgueil et
>> ventance et confiance de richesses ? tou-
» tes ces choses sont passées comme une
umbre , et comme une nef qui passe
par une eau courant et flotant , de la-
»
» quelle
# A O UST. 1733. 1829
ܬܵܐ
quelle nef on ne peut tantût montrer
» le signe du chemin par où elle est pas-
" sée. Certainement ils sont consommez
et faillis en leur mauvaistié ; et la plus
» grant pertie d'eulx ont délaissé le sentier
et enseignement de vérité . Où sont
maintenant les Princes et grands Sei-
» gneurs qui ont été au temps passé , qui
avoient grande domination et Seigneurie
sur la Terre , qui ont assemblez
» grans trésors d'or et d'argent , qui ont
» construit et édifié Citez , Villes et Chas-
» teaulx , qui par force d'armes ont comn
battu , vaincu et surmonté Roys et
» Royaulmes ? Où sont les sages et grans.
» Clercs du temps passé , qui ont mesuré
net descript le Monde ? Où est le bel
Absalon ? Où est Sanson le fort ? Où
est Alexandre le Vaillant ? Où sont les
» puissans Empereurs ? Où sont les nobles
Roys et Princes ? Que leur a profité
» leur sagesse et litterature mondaine?
Que leur a profité leur beauté ,
» leur force , leur proesse , leur vail-
» lance , leur puissance , la noblesse de
» leur lignage , leur grant Train , leurs
»grans Etats , et la superfluité de toutes
» les déceptives richesses ? Où sont les vo-
» luptez et plaisances charnelles et délec-
❤tations de leurs concupissences ? Où
לכ
≫ song
1830 MERCURE DE FRANCE
» sont les esbatemens , passe temps et plai-
>> sirs qu'ils ont prins en ce monde ? Où
» est leur arrogance et oultrecuidance? Où
» est la vaine gloire et vanité dont ils ont
» été pleins Hélas ! tout est failli et passé,
» adnichilé et esvanouy , on n'en peut
» plus rien trouver , ne les Reliques d'i-
» ceuls parmi les autres congnoistre ou
» discerner ; pour ce que leurs
corps sont
en terre pourris et des vers devorez , et
» leurs ames reçoivent la joye ou la poine
qu'elles ont desservy. Laissons donc-
» ques les plaisirs exteriores et mondains ;
» et suivons les interiores et qui sont
» de l'esperit ; en nous convertissant et
» retournant à Dieu de tout notre cueur ;
» et en faisant la volunté d'icelui . Auquel
» seul Roy immortel, invisible, seul Dieu,
» soit toute gloire , tout honneur et ac-
» tion de graces ; qui seul est commen-
" cement , moyen et fin de notre inter-
» nelle consolation . Amen .
Il est étonnant que le Traducteur Latin
aitomis tout te Chapite , qui renferme
des maximes si sages et si Chrétiennes
et qui peuvent ramener l'ame à de
vrais sentimens d'humilité. Ainsi avec
tous ces avantages , cette Version doit
passer pour la plus complette que nous
ayons cue jusqu'ici , et on ne doit pas
s'étonner
•
AOUST. 1733. 1831
s'étonner si on la recherche , comme l'on
fait depuis qu'on en a connu le mérite .
et revûe par M. L. Dufresnoy D. de S.
sur l'ancien Original François , d'où l'on
a tiré un Chapitre qui manque dans les
autres Editions , in 12. A Anvers , et se
vend , à Paris , chez Michel- Etienne David,
Quay des Augustins , à la Providenee,
et chez Antoine- Claude Briasson , ruë
S. Facques , à la Science.
Cette Edition qui est belle et bien faite
seroit très- capable de renouveller la celebre
dispute qu'il y eut vers le milieu dư
XVII . siecle , sur l'Auteur de l'Imitation de
J.C.Ilest surprenant que tous ceux qui ont
pris parti pour le celebre Gerson , n'ayent
pas
A O UST. 1732. 1823
pas connu l'Original François de cet Ouvrage
, qui auroit été d'un grand secours
pour appuyer leur sentiment. On trouve
dans ces antiques Editions un air original
, qui ne sent point la contrainte
et la gêne d'un Traducteur . Ce qui peut
faire croire que l'on n'aura pas pensé à
ce Livre au temps de cette dispute , est
le changement de titre et le renversement
des Livres. Le Titre general de ces anciennes
Editions est conçû en ces termes :
Le Livre intitulé Internelle consolation ,
nouvellement corrigée : Consolationes tua latificaverunt
animam meam.
L'ordre des Livres n'est pas le mêine
dans ces anciennes Editions et dans les
Editions ordinaires de l'Imitation de J.C.
Ce qui fait le premier Livre dans nos
Editions , fait le troisiéme dans ces anciennes.
Sous ce Titre : cy commence la
tierce partie de l'interiore et parfaite Imitation
de Notre Seigneur Jesus - Christ ; Qui
-sequitur me non ambulat in tenebris.
Le second Livre des l'Imitations ordinaires
fait le premier dans ces anciennes
Editions , et porte pour titre : cy commence
le Livre intitulé , Internelle consolation
, lequel est moult utile pour la
consolation de toute humaine Creature : et
premierement parle de l'interiore conversation,
1824 MERCURE DE FRANCE
doit
tion , c'est à - dire , comment la personne
selon l'ame. Regnum Dei intra vos est, dicin
Dominus.
Le troisiéme Livre de nos Imitations
ordinaires , fait le second dans ces anciennes
Editions , sous ce titre : Cy com- <
mence le Traité de l'interiore collocution do
Notre Sauveur Jesus - Christ à l'Ame_dévote
, et est la seconde Partie de ce présent
Livre : Audiam quid loquetur in me Dominus
Deus.
Enfin le quatriéme Livre conserve dans
toutes les Editions , le même rang , et
a pour titre dans les anciennes Editions :
Cy commence la quarte Partie du présent
Livre , qui est de ensuivir Jesu- Christ et
contemner le Monde ; et traite principalement
du Sacrement de l'Autel.
Voila , sans doute , ce qui a fait qu'on
n'a point pensé à comparer ce Livre avec
nos Imitations ordinaires ; mais il est toujours
temps de le faire.
En revoyant cet Ouvrage sur les Textes
François que l'on croit Originaux ,
on a eu soin dans cette nouvelle Edition
de rétablir l'ordre observé dans les Imitations
ordinaires et de faire un juste
parallele, des unes et des autres , afin de
ne rien omettre.
Mais pour faire mieux connoître le
caractere
A O UST. 1733. 1815
caractere de cette Edition , on rapportera
ce que le nouveau Traducteur dit
dans sa Préface . » Je dirai donc ( ce sont
» ses paroles ) ce que j'ai examiné par
» moi-même. Le hazard m'a fait rencon-
>> trer quatre Editions Françoises de cet ex-
» cellent Ouvrage , imprimées toutes en
» caractere Gothique , sous le titre de l'In-
» ternelle consolation , c'est - à -dire , de la
»Consolation interieure . Toutes ces Edi-
» tions ont été faites à Paris , l'une en 1531.
» la seconde en 1554. la troisième et la
» quatrième sans date , mais beaucoup
plus anciennes. Il ne paroît ni par le
» Titre ni par aucune autre marque , que-
» ce soit une Traduction ; circonstance
» neanmoins que nos Ancêtres étoient
fort jaloux de faire connoître , quand
>> effectivement ils avoient traduit un Ouvrage.
Celui cy même a l'air Original
» dans ces anciennes Editions ; et tout
» ce qui , dans les Imitations ordinaires ,
» est restraint aux Religieux , se trouve
>> dans ces Editions appliqué aux Chrétiens
en general. C'est peut- être ce qui
pourroit faire penser que le celebreGER-
>> SON auroit d'abord fait ce Livre en
» François , et que depuis il aura été tra-
» duit en Latin par THOMAS A Kempis ,
» mais avec quelques changemens , sur
» tout
1726 MERCURE DE FRANCE
" tout aux endroits où il fait des appli
» cations particulieres aux Religieux , où
>>
aux personnes vivant en Communauté .
» C'est de ces anciennes Editions que nous
» avons tiré le Chapitre XXVI. du pre-
" mier Livre qui manque dans les Imi-
» tations ordinainès de l'Imitation de Je
sus- Christ ; elles nous ont même servi
» à déterminer le sens du Latin , quand
» il nous a parû y avoir quelque ambiguité.
La seule Edition de 1554. con-
» tenoit le 4. Livre qui manque dans les
trois autres .
Comme ce XXVI . Chapitre est impor
tant et ne se trouve en aucune Edition
Latine , on l'inserera ici en son ancien
langage , et on en trouvera la Traduction
dans la nouvelle Edition dont il est
ici question .
Contre la vanité du Monde ,ChapitreXXVI.
>> Certainement griefve et trop péril
» leuse est la conversation de ce Monde's
» car en délices est périe chasteté , humilité
» en richesses , pitié en - Marchandises ,
» verité en trop parler , charité en ce
» maling siecle . Et comme il est diffi-
» cile que ung arbre planté auprès d'un
" chemin commun , puisse garder son
" fruit jusques à ce que il soit meur;
ainsi
A O UST. 1733. 1827
ainsi est- il difficile que ung homme qui
» converse selon la vie du Monde , puis-
» se en soi garder parfaite netteté et justice
, c'est à sçavoir qu'il n'offense Dicu
» en plusieurs manieres. O comme sont
» aveuglez ceux qui quierent et demandent
la gloire et loüenge du Monde !
» Quelle chose est la joye et liesse du
» Monde , fors mauvaistié et mauvaise
» vie non punie et non corrigée ! C'est
» à sçavoir vacquer à luxure et yvto-
כ
ور
que
gnise , à gourmandise et à toutes va-
>> nitez mondaines , et de toutes ces cho-
» ses ne souffrir point de repréhension ,
» ne de punition ou correction en ce
Monde ; car les mauvais vivans en leurs.
délices , cuident être assurez quand ils
» ne sont point corrigez ou reprins pour
»leurs iniquitez ; et ne considerent pas
» qu'il n'est rien plus malheureux en ce
monde la félicité des pécheurs ,
» par laquelle ils tumbent en maladie
incurable , et leur maulvaise volunté
» est confermée en mal. Car si tu quiers
» et desire prelation , et proposes en ton
>> cueur vivre et converser justement et
» sainctement ; je loüe et approuve le bon
» propos; mas j'en trouve peu de tel effect,
» c'est-à - dire qu'il en est bien peu qui
yayent ainsi justement et sainctement
>>
» vescu
1828 MERCURE DE FRANCE
39
» vescu . C'est sauvaige chose de hault de-
» gré et petit cueur ; c'est-à - dire , d'une
» personne qui est en grand état en sainc-
» te Eglise , et son cueur n'est pas eslevé
» en hault à Notre Seigneur , ne aux cho-
>> ses divines. C'est sauvaige chose d'avoir
le premier siege et la vie derniere , c'est
à - dire plus basses que les autres. Grande
infélicité est instabilité de cueur. Les
» Prélats sont dignes de tant de morts
» comme ils baillent de maulvais exem-
» ples à leurs povres Subjets , et ceulx
» qui leurs sont commis. Si tu demandes
» et veulx acquerir sagesse mondaine , à
» grand péril tu t'abandonnes ; car la sa
» gesse du monde est terrienne , brutale ,
diabolique , ennemie du saulvement ,
» meurtriere de vie et mere de cupidité.
" Et si d'aventure tu desires et veulx avoir
>> les pompes et orgueils du siecle , et ay-
» mes les délices de la chair , advise - toy
» et considere bien comment toutes ces
» choses sont vaines et de peu de profit ,
» et que toutes ces vanitez sont comme
un songe. Que a profité à tous ceulx
» qui aymoient ce monde leur orgueil et
>> ventance et confiance de richesses ? tou-
» tes ces choses sont passées comme une
umbre , et comme une nef qui passe
par une eau courant et flotant , de la-
»
» quelle
# A O UST. 1733. 1829
ܬܵܐ
quelle nef on ne peut tantût montrer
» le signe du chemin par où elle est pas-
" sée. Certainement ils sont consommez
et faillis en leur mauvaistié ; et la plus
» grant pertie d'eulx ont délaissé le sentier
et enseignement de vérité . Où sont
maintenant les Princes et grands Sei-
» gneurs qui ont été au temps passé , qui
avoient grande domination et Seigneurie
sur la Terre , qui ont assemblez
» grans trésors d'or et d'argent , qui ont
» construit et édifié Citez , Villes et Chas-
» teaulx , qui par force d'armes ont comn
battu , vaincu et surmonté Roys et
» Royaulmes ? Où sont les sages et grans.
» Clercs du temps passé , qui ont mesuré
net descript le Monde ? Où est le bel
Absalon ? Où est Sanson le fort ? Où
est Alexandre le Vaillant ? Où sont les
» puissans Empereurs ? Où sont les nobles
Roys et Princes ? Que leur a profité
» leur sagesse et litterature mondaine?
Que leur a profité leur beauté ,
» leur force , leur proesse , leur vail-
» lance , leur puissance , la noblesse de
» leur lignage , leur grant Train , leurs
»grans Etats , et la superfluité de toutes
» les déceptives richesses ? Où sont les vo-
» luptez et plaisances charnelles et délec-
❤tations de leurs concupissences ? Où
לכ
≫ song
1830 MERCURE DE FRANCE
» sont les esbatemens , passe temps et plai-
>> sirs qu'ils ont prins en ce monde ? Où
» est leur arrogance et oultrecuidance? Où
» est la vaine gloire et vanité dont ils ont
» été pleins Hélas ! tout est failli et passé,
» adnichilé et esvanouy , on n'en peut
» plus rien trouver , ne les Reliques d'i-
» ceuls parmi les autres congnoistre ou
» discerner ; pour ce que leurs
corps sont
en terre pourris et des vers devorez , et
» leurs ames reçoivent la joye ou la poine
qu'elles ont desservy. Laissons donc-
» ques les plaisirs exteriores et mondains ;
» et suivons les interiores et qui sont
» de l'esperit ; en nous convertissant et
» retournant à Dieu de tout notre cueur ;
» et en faisant la volunté d'icelui . Auquel
» seul Roy immortel, invisible, seul Dieu,
» soit toute gloire , tout honneur et ac-
» tion de graces ; qui seul est commen-
" cement , moyen et fin de notre inter-
» nelle consolation . Amen .
Il est étonnant que le Traducteur Latin
aitomis tout te Chapite , qui renferme
des maximes si sages et si Chrétiennes
et qui peuvent ramener l'ame à de
vrais sentimens d'humilité. Ainsi avec
tous ces avantages , cette Version doit
passer pour la plus complette que nous
ayons cue jusqu'ici , et on ne doit pas
s'étonner
•
AOUST. 1733. 1831
s'étonner si on la recherche , comme l'on
fait depuis qu'on en a connu le mérite .
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Résumé : Imitation de J. C[.] traduite, &c. [titre d'après la table]
Le texte présente une édition de l''Imitation de Jésus-Christ' traduite et révisée par M. L. Dufresnoy. Cette édition, publiée à Anvers et vendue à Paris, se distingue par son ancien original français, qui inclut un chapitre absent dans d'autres éditions. Elle pourrait raviver la dispute du XVIIe siècle concernant l'auteur de l'œuvre, notamment Jean Gerson. Les anciennes éditions françaises, imprimées en caractères gothiques et titrées 'Livre intitulé Internelle consolation', présentent un ordre des livres différent des éditions ordinaires. Le premier livre des éditions modernes correspond au troisième dans les anciennes, et ainsi de suite. Cette édition rétablit l'ordre des livres et offre un parallèle avec les éditions ordinaires. Le traducteur a découvert plusieurs éditions françaises anciennes, toutes sans indication de traduction, ce qui suggère qu'elles pourraient être des originaux. Un chapitre important, le XXVI du premier livre, manquant dans les éditions latines, est inclus dans cette édition. Ce chapitre traite de la vanité du monde et de la nécessité de suivre les valeurs chrétiennes. L'édition est considérée comme la plus complète disponible.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 2060-2063
POLOGNE.
Début :
Le Primat a répondu à la Lettre de l'Electeur de Saxe, qu'il seroit fondé à demander [...]
Mots clefs :
Stanislaw Poniatowski, Diète, République, Varsovie, Caractère, Pologne, Ministre, Électeur, Maréchal de la Diète
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texteReconnaissance textuelle : POLOGNE.
POLOGNE.
E Primat a répondu à la Lettre de l'Electeur
de Saxe, qu'il seroit fondé à demander
une satisfaction à la République , si l'on avoit
violé le Droit des Gens en la personne de son
Ministre, que le Sénat est instruit de ce qui
est dû au caractere des Ministres des Princes ;
qu'il sçait qu'ils ne sont responsables de leurs
actions qu'à leurs Maîtres , lorsqu'ils n'abusent
point de leur caractere pour enfraindre les Loix
des Etats où ils résident , et pour en troubler la
tranquillité ; mais qu'il sçait aussi , et que plusieurs
exemples le lui ont appris , comment on
en doit user avec ces Ministres , quand ils ne se
tiennent point dans les bornes que la raison et
l'équité leur prescrivent ; que les Polonois prétendent
avoir des raisons suffisantes. pour croire
que le Comte de Wackerbart Salmour a fait régandre
dans le Public l'Eerit intitulé : Lettre
dun Nonce à son Ami , et qu'ainsi ils auroient
pû ne pas respecter le Droit des Gens dans la
personne d'un- Ministre qu'ils jugent ne l'avoir
pas respecté lui-même , que cependant la République
, sans se faire justice , comme l'Electeur
l'ent
SEPTEMBRE. 1733. 2061
Pen accuse , s'est contentée de lui porter ses
plaintes, que dans le Decret qui condamne au feu
l'Ecrit dont le Sénat se plaint , le Comte de Vackerbar
n'est pas nommé , si ce n'est dans la Déclaration
du Prêtre qui a été arreté pour l'avoir
distribué , qu'ainsi ce Ministre avance sans fondement
qu'on a blessé le respect dû à son caractere
, qu'il pourroit tout au plus , si la déclaration
du Prêtre étoit fausse , exiger qu'on le punît
comme un imposteur . Qu'au reste ce n'est pas
seulement sur la déposition de ce Témoin , mais
sur plusieurs autres indices que la République
appuye son accusation contre le Comte de Vackerbar
, et qu'elle persiste à demander justice de
Pabus qu'elle prétend qu'il a fait de son caractere
.
Il paroît à Warsovie une Réponse au Manifeste
, que la Czarine a fait répandre dans le
Royaume, et par lequel S. M. Czarienne assure les
Polonois,que si elle se détermine à faire entrer des
Troupes en Pologne , ce ne sera que pour leur
fournir les moyens d'élire librement un Roy ,
et que les Moscovites y observeront une si exacte
discipline , qu'aucun Sujet de la République
ne pourra se plaindre . L'Auteur de cette Répon
se remarque qu'on n'a jamais forcé une Nation
d'accepter un secours qu'elle ne demande pas ,
et que c'est mal prouver qu'on désire que les
Polonois soient libres , que de vouloir les proteger
malgré eux . Il ajoute que les instances que
les habitans de la Curlande ont fait à la Czarin e
pour qu'elle retirât ses Troupes de ce Duché ,
ne donnent pas lieu d'esperer qu'elles seront fort
disciplinées en Pologne. Le Comte de Lewolde ,
Ambassadeur Extraordinaire de la Czarine auprès
de la République , a fait entendre qu'il par
tiroit
2062 MERCURE DE FRANCE
tiroit de Warsovie pour se retirer à Konisberg
Le 13. Août , jour auquel on avoit fixé le
transport des Corps du Roy Jean III . et de celui
du feu Roy , du Château de Warsovie , au Palais
du Fauxbourg de Cracovie , on celebra dans la
Chapelle du Château , où ils étoient en dépôt
depuis trois jours , une Messe solemnelle de Requiem
, après laquelle M. Zaluski , Evêque de
Plocko , prononça l'Oraison Funebre du feu
Roy , et le Convoi se mit ensuite en marche
dans l'ordre suivant.
Les Décurions portant leurs Drapeaux cou
verts de crêpe , le Clergé Régulier , les Communautez
des Marchands , les Peres Missionnaires ,
les Evêques , un Maître et un Ayde des Cérémonies
, un Détachement des Gardes du Corps ; un
Carosse , dans lequel étoit le Corps du Roy
Jean III . les marques de sa dignité , portées
par
le Comte Szembeck , Palatin de Siradie, par
le Comte Plembocki , Palatin de Rava , et par
M.Lasceuscki, Castelan de Sochaczew ; les Gentilshommes-
Gardes , le Corps du feu Roy dans
un autre Carosse ; les marques de sa dignité ,
portées par le Comte Potoscki , Palatin de Kiovie
et par M. Rudzinski , Castelan de Czersk , le
Comte Pomatowsck , Régimentaire de la Cou-
'ronne , suivi des principaux Officiers Militaires ;
les Grands - Mousquetaires , ayant à leur tête
M. Potoscki, leur Colonel , fermoient la`marche.
Les Carosses étoient couverts de velours cramoisi
avec des galons et des crêpines d'or ; les
habits des Cochers , des Postillons et des Valets
de Pied , qui étoient aux Portieres , étoient de
velours de la même couleur , galonné d'or. Pendant
la marche du Convoi , il y eut plusieurs
décharges de l'Artillerie du Château et des Remparts
SEPTEMBRE . 1733. 2063
parts , et lorsqu'il fut arrivé au Palais du Fauxbourgs
de Cracovie , M. Kobielski , Suffragant
de l'Evêque de Cujavie , prononça une seconde
Oraison Funebre.
L'ouverture de la Diette d'Election se fit le 25.
Août , dans le Camp près de Warsovie. Le Pri- .
mat , M. Maschalski , Maréchal de la Diette générale
de Convocation , le Comte de Poniatowski
, Régimentaire de la Couronne , et plusieurs
Sénateurs , prononcerent des Discours
fort éloquens , pour déterminer la Noblesse à
ne point se laisser intimider par les menaces des
Puissances qui paroissent vouloir contraindre sa
liberté , et pour l'exhorter à ne connoître qu'el
le- même pour Interprete des Loix et des Conetitutions
du Royaume.
Dans la seconde Séance qui se tint le lendemain
, on commença à proceder à l'Election
du Maréchal de la Diette , et les Sujets proposez
furent Mrs Radziewski et Malachuski . La troi
siéme et la quatriéme Séance , qu ise sont tenuës
avant le 23. er le 24. ont été employées à
recueillir les suffrages ; M. Radziewski a cu
1422. voix , et M. Malachouski n'en ayant cu
que 67. s'est désisté de ses prétentions en fayeur
de son Concurrent , qui dans la huitiéme
Séance du 2. Septembre fut élû unanimement
Maréchal de la Dierre.
C
Quelques personnes ont affecté de publier que
les Troupes Moscovites , commandées par le
Général Lucci , s'étoient avancées en Lithuanie,
mais il ne paroît point que ce bruit donne beau
coup d'inquietude au Primat ni à la Noblesse."
E Primat a répondu à la Lettre de l'Electeur
de Saxe, qu'il seroit fondé à demander
une satisfaction à la République , si l'on avoit
violé le Droit des Gens en la personne de son
Ministre, que le Sénat est instruit de ce qui
est dû au caractere des Ministres des Princes ;
qu'il sçait qu'ils ne sont responsables de leurs
actions qu'à leurs Maîtres , lorsqu'ils n'abusent
point de leur caractere pour enfraindre les Loix
des Etats où ils résident , et pour en troubler la
tranquillité ; mais qu'il sçait aussi , et que plusieurs
exemples le lui ont appris , comment on
en doit user avec ces Ministres , quand ils ne se
tiennent point dans les bornes que la raison et
l'équité leur prescrivent ; que les Polonois prétendent
avoir des raisons suffisantes. pour croire
que le Comte de Wackerbart Salmour a fait régandre
dans le Public l'Eerit intitulé : Lettre
dun Nonce à son Ami , et qu'ainsi ils auroient
pû ne pas respecter le Droit des Gens dans la
personne d'un- Ministre qu'ils jugent ne l'avoir
pas respecté lui-même , que cependant la République
, sans se faire justice , comme l'Electeur
l'ent
SEPTEMBRE. 1733. 2061
Pen accuse , s'est contentée de lui porter ses
plaintes, que dans le Decret qui condamne au feu
l'Ecrit dont le Sénat se plaint , le Comte de Vackerbar
n'est pas nommé , si ce n'est dans la Déclaration
du Prêtre qui a été arreté pour l'avoir
distribué , qu'ainsi ce Ministre avance sans fondement
qu'on a blessé le respect dû à son caractere
, qu'il pourroit tout au plus , si la déclaration
du Prêtre étoit fausse , exiger qu'on le punît
comme un imposteur . Qu'au reste ce n'est pas
seulement sur la déposition de ce Témoin , mais
sur plusieurs autres indices que la République
appuye son accusation contre le Comte de Vackerbar
, et qu'elle persiste à demander justice de
Pabus qu'elle prétend qu'il a fait de son caractere
.
Il paroît à Warsovie une Réponse au Manifeste
, que la Czarine a fait répandre dans le
Royaume, et par lequel S. M. Czarienne assure les
Polonois,que si elle se détermine à faire entrer des
Troupes en Pologne , ce ne sera que pour leur
fournir les moyens d'élire librement un Roy ,
et que les Moscovites y observeront une si exacte
discipline , qu'aucun Sujet de la République
ne pourra se plaindre . L'Auteur de cette Répon
se remarque qu'on n'a jamais forcé une Nation
d'accepter un secours qu'elle ne demande pas ,
et que c'est mal prouver qu'on désire que les
Polonois soient libres , que de vouloir les proteger
malgré eux . Il ajoute que les instances que
les habitans de la Curlande ont fait à la Czarin e
pour qu'elle retirât ses Troupes de ce Duché ,
ne donnent pas lieu d'esperer qu'elles seront fort
disciplinées en Pologne. Le Comte de Lewolde ,
Ambassadeur Extraordinaire de la Czarine auprès
de la République , a fait entendre qu'il par
tiroit
2062 MERCURE DE FRANCE
tiroit de Warsovie pour se retirer à Konisberg
Le 13. Août , jour auquel on avoit fixé le
transport des Corps du Roy Jean III . et de celui
du feu Roy , du Château de Warsovie , au Palais
du Fauxbourg de Cracovie , on celebra dans la
Chapelle du Château , où ils étoient en dépôt
depuis trois jours , une Messe solemnelle de Requiem
, après laquelle M. Zaluski , Evêque de
Plocko , prononça l'Oraison Funebre du feu
Roy , et le Convoi se mit ensuite en marche
dans l'ordre suivant.
Les Décurions portant leurs Drapeaux cou
verts de crêpe , le Clergé Régulier , les Communautez
des Marchands , les Peres Missionnaires ,
les Evêques , un Maître et un Ayde des Cérémonies
, un Détachement des Gardes du Corps ; un
Carosse , dans lequel étoit le Corps du Roy
Jean III . les marques de sa dignité , portées
par
le Comte Szembeck , Palatin de Siradie, par
le Comte Plembocki , Palatin de Rava , et par
M.Lasceuscki, Castelan de Sochaczew ; les Gentilshommes-
Gardes , le Corps du feu Roy dans
un autre Carosse ; les marques de sa dignité ,
portées par le Comte Potoscki , Palatin de Kiovie
et par M. Rudzinski , Castelan de Czersk , le
Comte Pomatowsck , Régimentaire de la Cou-
'ronne , suivi des principaux Officiers Militaires ;
les Grands - Mousquetaires , ayant à leur tête
M. Potoscki, leur Colonel , fermoient la`marche.
Les Carosses étoient couverts de velours cramoisi
avec des galons et des crêpines d'or ; les
habits des Cochers , des Postillons et des Valets
de Pied , qui étoient aux Portieres , étoient de
velours de la même couleur , galonné d'or. Pendant
la marche du Convoi , il y eut plusieurs
décharges de l'Artillerie du Château et des Remparts
SEPTEMBRE . 1733. 2063
parts , et lorsqu'il fut arrivé au Palais du Fauxbourgs
de Cracovie , M. Kobielski , Suffragant
de l'Evêque de Cujavie , prononça une seconde
Oraison Funebre.
L'ouverture de la Diette d'Election se fit le 25.
Août , dans le Camp près de Warsovie. Le Pri- .
mat , M. Maschalski , Maréchal de la Diette générale
de Convocation , le Comte de Poniatowski
, Régimentaire de la Couronne , et plusieurs
Sénateurs , prononcerent des Discours
fort éloquens , pour déterminer la Noblesse à
ne point se laisser intimider par les menaces des
Puissances qui paroissent vouloir contraindre sa
liberté , et pour l'exhorter à ne connoître qu'el
le- même pour Interprete des Loix et des Conetitutions
du Royaume.
Dans la seconde Séance qui se tint le lendemain
, on commença à proceder à l'Election
du Maréchal de la Diette , et les Sujets proposez
furent Mrs Radziewski et Malachuski . La troi
siéme et la quatriéme Séance , qu ise sont tenuës
avant le 23. er le 24. ont été employées à
recueillir les suffrages ; M. Radziewski a cu
1422. voix , et M. Malachouski n'en ayant cu
que 67. s'est désisté de ses prétentions en fayeur
de son Concurrent , qui dans la huitiéme
Séance du 2. Septembre fut élû unanimement
Maréchal de la Dierre.
C
Quelques personnes ont affecté de publier que
les Troupes Moscovites , commandées par le
Général Lucci , s'étoient avancées en Lithuanie,
mais il ne paroît point que ce bruit donne beau
coup d'inquietude au Primat ni à la Noblesse."
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Résumé : POLOGNE.
En septembre 1733, le Primat de Pologne a répondu à une lettre de l'Électeur de Saxe concernant une affaire diplomatique. Il a souligné que la République polonaise respecte le droit des gens et le rôle des ministres des princes, mais peut prendre des mesures en cas d'abus de leur part. La République accuse le Comte de Wackerbarth Salmour d'avoir diffusé un écrit intitulé 'Lettre d'un Nonce à son Ami', justifiant ainsi une violation du droit des gens. Bien que le Comte n'ait pas été nommé dans le décret condamnant l'écrit, la République insiste sur la demande de justice pour les abus présumés. À Varsovie, une réponse au manifeste de la Czarine a été publiée, critiquant l'intervention militaire russe en Pologne. Le Comte de Lewolde, ambassadeur de la Czarine, a annoncé son départ pour Königsberg. Le 13 août, les corps du roi Jean III et du feu roi ont été transférés du Château de Varsovie au Palais du Faubourg de Cracovie, accompagnés d'une messe solennelle et d'oraisons funèbres. L'ouverture de la Diète d'Élection a eu lieu le 25 août près de Varsovie. Le Primat et plusieurs sénateurs ont prononcé des discours exhortant la noblesse à défendre sa liberté face aux menaces des puissances étrangères. Lors des séances suivantes, M. Radziewski a été élu Maréchal de la Diète. Quelques rumeurs ont circulé sur l'avancée des troupes moscovites en Lituanie, mais elles n'ont pas suscité d'inquiétude majeure.
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12
p. 948-958
LA GRONDEUSE, Comédie nouvelle, représentée par les Comédiens François, le Jeudy 11. Fév. 1734. Extrait.
Début :
ACTEURS. Aminte, veuve, la Dlle Quinault. Cléante, Amant d'Aminte, [...]
Mots clefs :
Cléante, Aminte, Oronte, Dorine, Frère, Caractère, Temps, Grondeuse, Maîtresse, Maître
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LA GRONDEUSE, Comédie nouvelle, représentée par les Comédiens François, le Jeudy 11. Fév. 1734. Extrait.
LA GRONDEUSE , Comédie
nouvelle , représentée par les Comédiens
François, le Jendy 11.Fév.1734.Extrait .
ACTEURS.
Aminte , veuve ,
Cléante
la Dlle Quinault.
Amant d'Aminte , le sieur
Grandval.
Dorine , Suivante d'Aminte , la Dlle
Dangeville.
M.
MAY. 1734. 949
M. Oronte , beau- frere d'Aminte , le sieur
Duchemin.
Dartimont , Voyageur , autre beau-frere,
le sieur Armand.
Le Candidat , jeune Medecin , fils d'O- ›
le sieur Dangeville: ronte ,
Crispin, Valet de Cleante , le Sr Poisson .
M. Double- Croche , Musicien , le sieur
le Grand.
La Scêne est dans la Maison d'Aminte.
Cette Piece , qui est de l'Auteur du
Rendez - vous , n'a pas eû le sort qu'elle
méritoit ; mais malgré son peu de réus
site , es Connoisseurs lui ont rendu justice
. L'Auteur y a soutenu , autant qu'il
est possible , le caractere principal ; il
est vrai que ce même caractere a parû
avec tant d'avantage dans le premier
Acte du Grondeur de M. Palapra , qu'il
étoit difficile d'y ajoûter de nouveaux
traits.. On a fait à sa Comédie le même
reproche qu'on fait encore tous les jours
aux deux derniers Actes du Grondeur ,
dont nous venons de parler ; c'est de
n'avoir pas toujours fourni à son principal
Acteur des occasions de gronder
injustement ; on verra le méme inconvenient
dans l'Extrait que nous allons
donner de la Grondeuse. Au reste pour
ne
950 MERCURE DE FRANCE
ne point enfraindre la loi que nous nous
les
sommes prescrite , nous ne serons que
échos des jugemens que le Public a portez
sur cet ingenieux Ouvrage.
pour
Oronte , beau- frere d'Aminte , ouvre la
Scêne avec Cleante , Amant de cette Veuve
. Elle est encore aimable et jeune , mais
par malheur Cléante elle a un défaut;
c'est d'être grondeuse. Oronte a beau
lui dire qu'il lui a dit cent fois lui - même
que les défauts qui ne sont que des
vices d'humeur , doivent se pardonner ;
il soutient toûjours qu'il y a quelque
chose de plus dans le coeur d'Aminte et
que sa mauvaise humeur part d'un fond
d'indifference et de mépris qu'elle a conçus
pour lui. L'Auteur a pris soin d'établir
dans cette premiere Scêne à quel
coin doit être marqué le veritable caractere
de Grondeur ou de Grondeuse ; on
le voit par ce fragment . C'est Oronte
qui parle.
Ce qu'il y a de certain , c'est que vous
•prenez pour mépris et indifference , une humeur
altiere et mutine qu'elle a eûë toute
sa vie. Cléante.
J'y suis trop interessé pour pouvoir m'y
tromper.
Oronte.
Enfin vous l'avez vûë et aimée avant
qu'elle
MAY. 1734.
951
2
qu'elle fut mariée à feu mon frere ; ne grondoit-
elle pas alors ?
Cleante .
Assurément on forçoit son inclination .
Oronte.
Mariée , tout le monde sçait ....
Cléante.
Peut-on vivre en paix avec un homme
qu'on épouse ?
Oronte.
Mais depuis qu'elle est veuve !
Cléante.
Ah ! le veuvage est un état si triste.
Oronte.
Il a réponse à tout.
Cléante.
Vous ne la verrez tranquille et contente
que quand l'ingrate sera unie à quelqu'un
qui lui plaise. Je m'étois flatté d'être ce
quelqu'un , mais les traitemens que j'ai reçûs
m'ont assez prouvé le contraire,
L'Auteur fait bien voir par ce morceau
de Dialogue , que sí le caractere dominant
de sa Piece n'est pas à la rigueur tel
qu'il devroit être , ce n'est pas faute de
l'avoir bien connu ; passons à l'action .
Oronte fait entendre à Cléante qu'il
veut absolument le réconcilier avec
Aminte ; il lui dit qu'en qualité de parent
du deffunt , il doit la presser
de se
remarier
952 MERCURE DE FRANCE
le
remarier avantageusement ; qu'il doit la
voir pour lui en faire la proposition ,
accompagné de son frere , vieux Voyaguur
, et de son fils le Candidat ; une
petite difficulté l'arrête ; c'est que par
Testament de son frere , Mary d'Aminte
, il est obligé de faire dix mille francs
de rente à Aminte , tant qu'elle ne se
remariera pas , et qu'en lui insinuant de
se marier , il lui deviendra suspect d'interêt.
Cléante lui répond qu'il n'a qu'à
lui offrir de lui continuer cette rente ,
même en se mariant , et que par un Acte
secret il s'engagera , lui Cléante , à lui
en tenir compte. Cette premiere difficulté
étant levée , Oronte s'en va pour
mettre en execution ce qu'il vient de
promettre à Cléante.
Crispin , Valet de Cléante , vient lui
dire qu'Aminte , chez qui il l'avoit envoyé
pour sçavoir si elle étoit visible ,
ne veut pas le voir. Dorine , vient lui confirmer
ce prétendu refus , en lui disant
pourtant qu'il peut entrer s'il veut ; mais
qu'il feroit mieux de revenir dans une
demie heure, parce que sa Maîtresse lui a
parû surprise qu'on vint chez elle si matin.
Cléante picqué , se retire.
Crispin s'amuse quelque temps avec
Dorine , qu'il plaint d'être au service.
d'une
MAY. 1734. 953.
d'une Maîtresse dont l'humeur est si difficile
Dorinc lui répond qu'il y a des
dédommagemens , et que si sa Maîtresse
gronde , elle paye bien et récompense
encore mieux ; elle le prie de se retirer ,
attendu qu'Aminte est intraitable sur
tout ce qui a l'air de galanterie et de rendez-
vous .
Aminte vient et demande à Dorine
d'un ton grondeur , pourquoi Cléante
ne paroît point; Dorine lui répond qu'elle
lui a dit de sa part de revenir dans un
autre temps ; de ma part ! lui dit sa Maîtresse
; la pauvre Suivante n'ose la contredire
absolument , et la laisse s'exhaler
en reproches par cette tirade : Ce sont
tous les jours nouvelles sottises. Sans juges
ment, sans adresse , sans sçavoir ; dans tout
ce qu'elle fait et dans tout ce qu'elle dit , il
semble qu'elle prenne plaisir à me desesperer.
J'excuse sans cesse ; sans cesse je pardonne
, et l'on me regarde encore comme une
femme difficile à contenter. Renvoyer Cléante!
me soutenir que c'est par mon ordre ! a
t'on jamais fait une plus lourde faute ? Et
après l'avoirfaite , l'a- t'on jamais appuyée
d'une plus grande effronterie ? Oh ! je vous
avoue qu'ilfaut bien prendre sur soi pour
souffrir sans rien dire de pareilles bévues.
Si toutes les Scénes de cette Piece,
F avoient
954 MERCURE DE FRANCE
avoient la valeur intrinseque de celle
cy , on ne pourroit pas disconvenir que
le caractere de Grondeuse ne fût parfaitement
rempli ; c'est là gronder veritablement
, quand on n'en a pas lieu ; puisque
Dorine n'a fait qu'executer ses ordres
en renvoyant son Amant , on pourroit
dire qu'elle nie d'avoir donné un
pareil ordre , et que sur ce fondement
elle a raison de gronder ; mais ne seroitce
pas llaa rreennddrree' trop déraisonnable que
de lui faire avouer qu'elle ne gronde
que pour le plaisir de gronder ; il est dif
ficile de tenir un juste milieu entre deux
extrémitez également vicieuses. Crispin
sort pour aller faire revenir son Maître ;
en l'attendant Aminte continuë à quereller
Dorine d'une maniere assez analogue
au caractere que l'Auteur lui a
donné .
Cléante revient ; il essuye de temps en
temps quelques traits de la mauvaise humeur
où Dorine a mis sa Maîtresse ; pour
achever de chagriner Aminte, M. Double-
Croche , son Maître à chanter , arrive ;
elle trouve très- mauvais qu'il ait si mal
pris son temps ; Cléante , pour appuyer
le reproche qu'elle fait au Musicien , lui
dit de se retirer ; Aminte est très choquée
de l'air d'autorité que Cléante ose
prendre
MAY. 1734. 955
prendre chez elle . Cléante voyant qu'il
commence à lui déplaire , prend congé
d'elles où allez- vous donc ? lui dit- elle ,
vous prenez un travers ; Cleante lui dit en
se retirant qu'il vient de se souvenir d'avoir
donné une parole qui l'oblige à la
quitter.
La Scéne suivante qui se passe entre
Aminte et son Maître à chanter est des
plus plaisantes ; il veut chanter malgré
elle , fondé sur le droit que sa Profession
lui donne ; elle ne veut ni chanter ni
l'entendre chanter ; il ne lais e pas d'aller
son train ; chaque mot qu'il chante est
accompagné d'une injure qui lui sert ,
pour ainsi dire , de basse - continuë ;
Double - Croche , se retire aussi mécontent
de son Ecoliere , qu'elle l'est de son
Maître.
·
Enfin , pour achever de pousser à bout
la patience d'Aminte , Oronte vient , suivi
de son frere et de son fils ; cette Scéne .
a parû d'autant moins à sa place , que
la Grondeuse y est la femme du monde
la plus patiente ; on pousse le désagrément
de cette Scéne délibérative , jusqu'à
citer des passages Latins pour appuyer
ce qu'on veut prouver , comme
Aminte s'est long- temps contrainte , elle
lâche la bonde à sa colere avec plus
Fij d'im
956 MERCURE DE FRANCE
d'impétuosité et dit à ces fastidieux harangueurs
: Ah ! je ne puis plus tenir à tant
d'impertinences ; non , non , c'est trop me
contraindre , je suis bien bonne d'écouter les
rêveries d'un radoteur , d'un imbécile et
d'un Invalide. Elle se retire après avoir
lâché ces obligeantes épithetes .
que
Cléante vient , Oronte lui dit qu'il
avoit bien raison, quand il lui soutenoit
que sa belle- soeur n'avoit pour lui qu'in
difference et que mépris ; les trois Orateurs
disgraciez s'en vont ; Cléante ne
doute plus des dispositions d'Aminte à
son égard. Pour le confirmer dans cette
croyance , Dorine vient lui dire qu'elle
n'a jamais vû sa Maîtresse dans une si
grande colere , l'indignation , ajoûte - t'elle,
peinte sur son visage , elle a mis la main
à la plume , et au milieu des plaintes et des
invectives , elle a tracé ce Billet qu'elle m'a
chargée de vous remettre, Cléante ne veut
pas recevoir le Billet , il le croit trop outrageant
pour son amour ; Crispin le reçoit
pour lui , en disant : je pourrois m'en
servir auprès de mon Maître , son amour a
quelque chose de périodique. Son Maître
étoit déja sorti quand il dir cela à Dorine ;
ils sont bien surpris tous deux de le voir
revenir avec Aminte , qui ne sçait pourquoi
il l'évite ; Cléante lui fait des re
proches
MAY . 1734.
957
proches auxquels elle ne comprend rien ,
après le Billet obligeant qu'elle vient de
lui faire remettre par Dorine ; elle lui
demande s'il a lû ce qu'elle lui a écrits
il lui dit qu'il n'a eû garde de lire des
injures ; Crispin dit à part : auroit- elle fait
le Billet tendre exprès pour se ménager une
occasion de gronder. Il donne ce Billet à
Cléante , qui y lit ce qui suit :
La proposition que l'on m'a faite de me
continuer ma pension me donne un soupçon
bien extraordinaire. Si ce que j'imagine est
vrai , vous ne méritez guere l'estime et l'in
clination qu'on a pour vous . Ceux qui m'ont
parlé sur ee ton ont trop peu de generosité ,
pour que je ne voye pas les arrangemens que
vous avez pris avec eux. Comment osezvous
me croire interessée , moi qui vous sacrifierois
tous les biens ? D'où partent des
sentimens si bizares après les assurances
que vous avez de mon coeur , et après m'avoir
déterminée à un second hymen, qui me
seroit odieux avec tout autre qu'avec vous ?
Cléante se jette à ses pieds pour lui
demander pardon ; mais l'Auteur lui fait
reprendre ici son caractere ; elle veut continuer
d'être fâchée ; elle lui dit en le
quittant qu'elle avoit pris soin de mander
le Notaire chez elle ; mais qu'elle
veut lui laisser le temps de refléchir sur
Fiij
ce
958 MERCURE DE FRANCE
ce qu'il doit faire ; Cléante la suit et ne
balance plus à l'épouser; J'aime, dit- il , et
je suis aimé , il faut ceder à ma destinée ,
quand il m'en cotteroit un peu de
repos...
Au reste , tous les Connoisseurs conviennent
que cette petite Comédie est
remplie de traits ingénieux , et l'on peut
juger de l'élegance du stile par les petits
morceaux que nous avons citez .
nouvelle , représentée par les Comédiens
François, le Jendy 11.Fév.1734.Extrait .
ACTEURS.
Aminte , veuve ,
Cléante
la Dlle Quinault.
Amant d'Aminte , le sieur
Grandval.
Dorine , Suivante d'Aminte , la Dlle
Dangeville.
M.
MAY. 1734. 949
M. Oronte , beau- frere d'Aminte , le sieur
Duchemin.
Dartimont , Voyageur , autre beau-frere,
le sieur Armand.
Le Candidat , jeune Medecin , fils d'O- ›
le sieur Dangeville: ronte ,
Crispin, Valet de Cleante , le Sr Poisson .
M. Double- Croche , Musicien , le sieur
le Grand.
La Scêne est dans la Maison d'Aminte.
Cette Piece , qui est de l'Auteur du
Rendez - vous , n'a pas eû le sort qu'elle
méritoit ; mais malgré son peu de réus
site , es Connoisseurs lui ont rendu justice
. L'Auteur y a soutenu , autant qu'il
est possible , le caractere principal ; il
est vrai que ce même caractere a parû
avec tant d'avantage dans le premier
Acte du Grondeur de M. Palapra , qu'il
étoit difficile d'y ajoûter de nouveaux
traits.. On a fait à sa Comédie le même
reproche qu'on fait encore tous les jours
aux deux derniers Actes du Grondeur ,
dont nous venons de parler ; c'est de
n'avoir pas toujours fourni à son principal
Acteur des occasions de gronder
injustement ; on verra le méme inconvenient
dans l'Extrait que nous allons
donner de la Grondeuse. Au reste pour
ne
950 MERCURE DE FRANCE
ne point enfraindre la loi que nous nous
les
sommes prescrite , nous ne serons que
échos des jugemens que le Public a portez
sur cet ingenieux Ouvrage.
pour
Oronte , beau- frere d'Aminte , ouvre la
Scêne avec Cleante , Amant de cette Veuve
. Elle est encore aimable et jeune , mais
par malheur Cléante elle a un défaut;
c'est d'être grondeuse. Oronte a beau
lui dire qu'il lui a dit cent fois lui - même
que les défauts qui ne sont que des
vices d'humeur , doivent se pardonner ;
il soutient toûjours qu'il y a quelque
chose de plus dans le coeur d'Aminte et
que sa mauvaise humeur part d'un fond
d'indifference et de mépris qu'elle a conçus
pour lui. L'Auteur a pris soin d'établir
dans cette premiere Scêne à quel
coin doit être marqué le veritable caractere
de Grondeur ou de Grondeuse ; on
le voit par ce fragment . C'est Oronte
qui parle.
Ce qu'il y a de certain , c'est que vous
•prenez pour mépris et indifference , une humeur
altiere et mutine qu'elle a eûë toute
sa vie. Cléante.
J'y suis trop interessé pour pouvoir m'y
tromper.
Oronte.
Enfin vous l'avez vûë et aimée avant
qu'elle
MAY. 1734.
951
2
qu'elle fut mariée à feu mon frere ; ne grondoit-
elle pas alors ?
Cleante .
Assurément on forçoit son inclination .
Oronte.
Mariée , tout le monde sçait ....
Cléante.
Peut-on vivre en paix avec un homme
qu'on épouse ?
Oronte.
Mais depuis qu'elle est veuve !
Cléante.
Ah ! le veuvage est un état si triste.
Oronte.
Il a réponse à tout.
Cléante.
Vous ne la verrez tranquille et contente
que quand l'ingrate sera unie à quelqu'un
qui lui plaise. Je m'étois flatté d'être ce
quelqu'un , mais les traitemens que j'ai reçûs
m'ont assez prouvé le contraire,
L'Auteur fait bien voir par ce morceau
de Dialogue , que sí le caractere dominant
de sa Piece n'est pas à la rigueur tel
qu'il devroit être , ce n'est pas faute de
l'avoir bien connu ; passons à l'action .
Oronte fait entendre à Cléante qu'il
veut absolument le réconcilier avec
Aminte ; il lui dit qu'en qualité de parent
du deffunt , il doit la presser
de se
remarier
952 MERCURE DE FRANCE
le
remarier avantageusement ; qu'il doit la
voir pour lui en faire la proposition ,
accompagné de son frere , vieux Voyaguur
, et de son fils le Candidat ; une
petite difficulté l'arrête ; c'est que par
Testament de son frere , Mary d'Aminte
, il est obligé de faire dix mille francs
de rente à Aminte , tant qu'elle ne se
remariera pas , et qu'en lui insinuant de
se marier , il lui deviendra suspect d'interêt.
Cléante lui répond qu'il n'a qu'à
lui offrir de lui continuer cette rente ,
même en se mariant , et que par un Acte
secret il s'engagera , lui Cléante , à lui
en tenir compte. Cette premiere difficulté
étant levée , Oronte s'en va pour
mettre en execution ce qu'il vient de
promettre à Cléante.
Crispin , Valet de Cléante , vient lui
dire qu'Aminte , chez qui il l'avoit envoyé
pour sçavoir si elle étoit visible ,
ne veut pas le voir. Dorine , vient lui confirmer
ce prétendu refus , en lui disant
pourtant qu'il peut entrer s'il veut ; mais
qu'il feroit mieux de revenir dans une
demie heure, parce que sa Maîtresse lui a
parû surprise qu'on vint chez elle si matin.
Cléante picqué , se retire.
Crispin s'amuse quelque temps avec
Dorine , qu'il plaint d'être au service.
d'une
MAY. 1734. 953.
d'une Maîtresse dont l'humeur est si difficile
Dorinc lui répond qu'il y a des
dédommagemens , et que si sa Maîtresse
gronde , elle paye bien et récompense
encore mieux ; elle le prie de se retirer ,
attendu qu'Aminte est intraitable sur
tout ce qui a l'air de galanterie et de rendez-
vous .
Aminte vient et demande à Dorine
d'un ton grondeur , pourquoi Cléante
ne paroît point; Dorine lui répond qu'elle
lui a dit de sa part de revenir dans un
autre temps ; de ma part ! lui dit sa Maîtresse
; la pauvre Suivante n'ose la contredire
absolument , et la laisse s'exhaler
en reproches par cette tirade : Ce sont
tous les jours nouvelles sottises. Sans juges
ment, sans adresse , sans sçavoir ; dans tout
ce qu'elle fait et dans tout ce qu'elle dit , il
semble qu'elle prenne plaisir à me desesperer.
J'excuse sans cesse ; sans cesse je pardonne
, et l'on me regarde encore comme une
femme difficile à contenter. Renvoyer Cléante!
me soutenir que c'est par mon ordre ! a
t'on jamais fait une plus lourde faute ? Et
après l'avoirfaite , l'a- t'on jamais appuyée
d'une plus grande effronterie ? Oh ! je vous
avoue qu'ilfaut bien prendre sur soi pour
souffrir sans rien dire de pareilles bévues.
Si toutes les Scénes de cette Piece,
F avoient
954 MERCURE DE FRANCE
avoient la valeur intrinseque de celle
cy , on ne pourroit pas disconvenir que
le caractere de Grondeuse ne fût parfaitement
rempli ; c'est là gronder veritablement
, quand on n'en a pas lieu ; puisque
Dorine n'a fait qu'executer ses ordres
en renvoyant son Amant , on pourroit
dire qu'elle nie d'avoir donné un
pareil ordre , et que sur ce fondement
elle a raison de gronder ; mais ne seroitce
pas llaa rreennddrree' trop déraisonnable que
de lui faire avouer qu'elle ne gronde
que pour le plaisir de gronder ; il est dif
ficile de tenir un juste milieu entre deux
extrémitez également vicieuses. Crispin
sort pour aller faire revenir son Maître ;
en l'attendant Aminte continuë à quereller
Dorine d'une maniere assez analogue
au caractere que l'Auteur lui a
donné .
Cléante revient ; il essuye de temps en
temps quelques traits de la mauvaise humeur
où Dorine a mis sa Maîtresse ; pour
achever de chagriner Aminte, M. Double-
Croche , son Maître à chanter , arrive ;
elle trouve très- mauvais qu'il ait si mal
pris son temps ; Cléante , pour appuyer
le reproche qu'elle fait au Musicien , lui
dit de se retirer ; Aminte est très choquée
de l'air d'autorité que Cléante ose
prendre
MAY. 1734. 955
prendre chez elle . Cléante voyant qu'il
commence à lui déplaire , prend congé
d'elles où allez- vous donc ? lui dit- elle ,
vous prenez un travers ; Cleante lui dit en
se retirant qu'il vient de se souvenir d'avoir
donné une parole qui l'oblige à la
quitter.
La Scéne suivante qui se passe entre
Aminte et son Maître à chanter est des
plus plaisantes ; il veut chanter malgré
elle , fondé sur le droit que sa Profession
lui donne ; elle ne veut ni chanter ni
l'entendre chanter ; il ne lais e pas d'aller
son train ; chaque mot qu'il chante est
accompagné d'une injure qui lui sert ,
pour ainsi dire , de basse - continuë ;
Double - Croche , se retire aussi mécontent
de son Ecoliere , qu'elle l'est de son
Maître.
·
Enfin , pour achever de pousser à bout
la patience d'Aminte , Oronte vient , suivi
de son frere et de son fils ; cette Scéne .
a parû d'autant moins à sa place , que
la Grondeuse y est la femme du monde
la plus patiente ; on pousse le désagrément
de cette Scéne délibérative , jusqu'à
citer des passages Latins pour appuyer
ce qu'on veut prouver , comme
Aminte s'est long- temps contrainte , elle
lâche la bonde à sa colere avec plus
Fij d'im
956 MERCURE DE FRANCE
d'impétuosité et dit à ces fastidieux harangueurs
: Ah ! je ne puis plus tenir à tant
d'impertinences ; non , non , c'est trop me
contraindre , je suis bien bonne d'écouter les
rêveries d'un radoteur , d'un imbécile et
d'un Invalide. Elle se retire après avoir
lâché ces obligeantes épithetes .
que
Cléante vient , Oronte lui dit qu'il
avoit bien raison, quand il lui soutenoit
que sa belle- soeur n'avoit pour lui qu'in
difference et que mépris ; les trois Orateurs
disgraciez s'en vont ; Cléante ne
doute plus des dispositions d'Aminte à
son égard. Pour le confirmer dans cette
croyance , Dorine vient lui dire qu'elle
n'a jamais vû sa Maîtresse dans une si
grande colere , l'indignation , ajoûte - t'elle,
peinte sur son visage , elle a mis la main
à la plume , et au milieu des plaintes et des
invectives , elle a tracé ce Billet qu'elle m'a
chargée de vous remettre, Cléante ne veut
pas recevoir le Billet , il le croit trop outrageant
pour son amour ; Crispin le reçoit
pour lui , en disant : je pourrois m'en
servir auprès de mon Maître , son amour a
quelque chose de périodique. Son Maître
étoit déja sorti quand il dir cela à Dorine ;
ils sont bien surpris tous deux de le voir
revenir avec Aminte , qui ne sçait pourquoi
il l'évite ; Cléante lui fait des re
proches
MAY . 1734.
957
proches auxquels elle ne comprend rien ,
après le Billet obligeant qu'elle vient de
lui faire remettre par Dorine ; elle lui
demande s'il a lû ce qu'elle lui a écrits
il lui dit qu'il n'a eû garde de lire des
injures ; Crispin dit à part : auroit- elle fait
le Billet tendre exprès pour se ménager une
occasion de gronder. Il donne ce Billet à
Cléante , qui y lit ce qui suit :
La proposition que l'on m'a faite de me
continuer ma pension me donne un soupçon
bien extraordinaire. Si ce que j'imagine est
vrai , vous ne méritez guere l'estime et l'in
clination qu'on a pour vous . Ceux qui m'ont
parlé sur ee ton ont trop peu de generosité ,
pour que je ne voye pas les arrangemens que
vous avez pris avec eux. Comment osezvous
me croire interessée , moi qui vous sacrifierois
tous les biens ? D'où partent des
sentimens si bizares après les assurances
que vous avez de mon coeur , et après m'avoir
déterminée à un second hymen, qui me
seroit odieux avec tout autre qu'avec vous ?
Cléante se jette à ses pieds pour lui
demander pardon ; mais l'Auteur lui fait
reprendre ici son caractere ; elle veut continuer
d'être fâchée ; elle lui dit en le
quittant qu'elle avoit pris soin de mander
le Notaire chez elle ; mais qu'elle
veut lui laisser le temps de refléchir sur
Fiij
ce
958 MERCURE DE FRANCE
ce qu'il doit faire ; Cléante la suit et ne
balance plus à l'épouser; J'aime, dit- il , et
je suis aimé , il faut ceder à ma destinée ,
quand il m'en cotteroit un peu de
repos...
Au reste , tous les Connoisseurs conviennent
que cette petite Comédie est
remplie de traits ingénieux , et l'on peut
juger de l'élegance du stile par les petits
morceaux que nous avons citez .
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Résumé : LA GRONDEUSE, Comédie nouvelle, représentée par les Comédiens François, le Jeudy 11. Fév. 1734. Extrait.
La pièce 'La Grondeuse' est une comédie jouée par les Comédiens Français le 11 février 1734. Elle met en scène Aminte, une jeune veuve aimable mais au caractère difficile, et Cléante, son amant. La pièce commence avec Oronte, le beau-frère d'Aminte, qui discute avec Cléante des défauts d'Aminte, qu'il attribue à une indifférence et un mépris envers Cléante. Aminte, malgré son amour pour Cléante, manifeste une humeur altière et mutine. Oronte souhaite réconcilier Cléante et Aminte et propose de lui trouver un nouveau mari. Cependant, un testament oblige à verser une rente à Aminte tant qu'elle ne se remarie pas. Cléante suggère de continuer cette rente par un acte secret. Oronte part alors mettre en œuvre cette proposition. Pendant ce temps, Crispin, valet de Cléante, et Dorine, suivante d'Aminte, échangent sur le caractère difficile de leur maîtresse. Aminte, mécontente, reproche à Dorine d'avoir renvoyé Cléante. Cléante revient et essuie les reproches d'Aminte, qui se montre de plus en plus irritable. La situation se complique avec l'arrivée de M. Double-Croche, le maître à chanter d'Aminte, et des beaux-frères d'Aminte, qui tentent de la convaincre de se remarier. Aminte finit par exploser de colère contre ses visiteurs et se retire. Cléante, après avoir reçu un billet d'Aminte, se jette à ses pieds pour lui demander pardon. Aminte, reprenant son caractère grondeur, lui laisse le temps de réfléchir avant de l'épouser. La pièce se termine sur la décision de Cléante d'accepter son destin et d'épouser Aminte. Les connaisseurs reconnaissent l'ingéniosité des traits de la pièce et l'élégance de son style.
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13
p. 1350-1352
EPITRE A ....
Début :
Quoy ? vous croyez, Cloris, que la haute sagesse, [...]
Mots clefs :
Amour, Coeur, Aimable, Désirs, Caractère
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texteReconnaissance textuelle : EPITRE A ....
EPITRE A ....
Uoy ? vous croyez , Cloris , que la haute
sagesse ,
Consiste à rebuter les voeux de vos amants !
Vous payez de mépris l'aveu de leur tendresse !
Vous traitez d'insensez tous leurs empresse→
mens !
L'amour ne peut - il pas , quand la raison
l'éclaire ,
Lorsque sa flamme est pure ,
parfait ,
enfin qu'il est
Conserver ,des vertus l'aimable caractére ,
Et n'avoir que l'honneur pour son unique objet?
Non ! ce n'est pas toujours un Dieu traître et
parjure ,
Et quoique d'ordinaire un Amant soit trompeur
,
Son coeur sent quelquefois ce que sa bouche
jure ;
Et peut entretenir une sincere ardeur.
Distinguons dans l'amour differentes especes ;
L'une dont le feu pur montre les vrais amans ;
L'autre qui ne contient que de fausses tendress
s
Que d'infames désirs , de honteux sentimens ;
Le véritable amour est une douce chaîne ,
II Vol.
Oni
JUIN. 1724.
1351
Qui sçait unir les coeurs , et que rien ne détruit
;
Un aimable panchant qui pour sa souveraine ,
Reconnoît la raison qui toujours le conduit ;
Son bonheur , quoique simple , est cependant
extrême
Quel plaisir est plus grand , plus parfait , er
plus beau ,
Que de dire cent fois aimez moi , je vous
aime ;
9
Ma tendresse pour vous ira jusqu'au tombeau
Toujours nouveaux désirs de se voir , de se
plaire ;
> > Voeux serments
, billets doux
douceurs
tendres
discours ,
Regards passionnez , aimable caractére ;
Voilà l'échantillon des sinceres amours.
La fatale discorde , avec la jalousie ,
Ne traverse jamais leur tranquille union ;
Jamais de trahison , jamais de perfidie ;
Rien ne peut altérer leur tendre passion.
L'autre amour au contraire est rempli de cas
prices ;
Honteux , brutal , jaloux , il ne tend qu'aux
plaisirs ;
Plein de faux sentimens et plus encor de
vices ,
2
Même dans son triomphe il éteint les désirs ,
Je vous aime , Cloris , mais de cet amour sage ,
Qui suit de la vertu les augustes leçons ,
I I. Vol. Qui
2352 MERCURE DE FRANCE
Qui considere moins les attrairs d'un visage ,
Que les beautez d'un coeur ornez de mille dons,
Qu'en ma faveur aussi votre coeur se déclare ,
De ce charmant aveu dépend tout mon bonheur
:
Un coeur si vertueux ne peut être barbare :
Non , pour l'être jamais, il a trop de douceur,
Uoy ? vous croyez , Cloris , que la haute
sagesse ,
Consiste à rebuter les voeux de vos amants !
Vous payez de mépris l'aveu de leur tendresse !
Vous traitez d'insensez tous leurs empresse→
mens !
L'amour ne peut - il pas , quand la raison
l'éclaire ,
Lorsque sa flamme est pure ,
parfait ,
enfin qu'il est
Conserver ,des vertus l'aimable caractére ,
Et n'avoir que l'honneur pour son unique objet?
Non ! ce n'est pas toujours un Dieu traître et
parjure ,
Et quoique d'ordinaire un Amant soit trompeur
,
Son coeur sent quelquefois ce que sa bouche
jure ;
Et peut entretenir une sincere ardeur.
Distinguons dans l'amour differentes especes ;
L'une dont le feu pur montre les vrais amans ;
L'autre qui ne contient que de fausses tendress
s
Que d'infames désirs , de honteux sentimens ;
Le véritable amour est une douce chaîne ,
II Vol.
Oni
JUIN. 1724.
1351
Qui sçait unir les coeurs , et que rien ne détruit
;
Un aimable panchant qui pour sa souveraine ,
Reconnoît la raison qui toujours le conduit ;
Son bonheur , quoique simple , est cependant
extrême
Quel plaisir est plus grand , plus parfait , er
plus beau ,
Que de dire cent fois aimez moi , je vous
aime ;
9
Ma tendresse pour vous ira jusqu'au tombeau
Toujours nouveaux désirs de se voir , de se
plaire ;
> > Voeux serments
, billets doux
douceurs
tendres
discours ,
Regards passionnez , aimable caractére ;
Voilà l'échantillon des sinceres amours.
La fatale discorde , avec la jalousie ,
Ne traverse jamais leur tranquille union ;
Jamais de trahison , jamais de perfidie ;
Rien ne peut altérer leur tendre passion.
L'autre amour au contraire est rempli de cas
prices ;
Honteux , brutal , jaloux , il ne tend qu'aux
plaisirs ;
Plein de faux sentimens et plus encor de
vices ,
2
Même dans son triomphe il éteint les désirs ,
Je vous aime , Cloris , mais de cet amour sage ,
Qui suit de la vertu les augustes leçons ,
I I. Vol. Qui
2352 MERCURE DE FRANCE
Qui considere moins les attrairs d'un visage ,
Que les beautez d'un coeur ornez de mille dons,
Qu'en ma faveur aussi votre coeur se déclare ,
De ce charmant aveu dépend tout mon bonheur
:
Un coeur si vertueux ne peut être barbare :
Non , pour l'être jamais, il a trop de douceur,
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Résumé : EPITRE A ....
L'épître s'adresse à Cloris et traite de la nature de l'amour. L'auteur reproche à Cloris de mépriser les déclarations d'amour de ses amants, affirmant que l'amour peut être sincère et honorable. Il distingue deux types d'amour : l'un authentique et pur, qui unit les cœurs et respecte la raison, et l'autre, faux et égoïste, motivé par des désirs honteux. L'amour véritable est décrit comme une chaîne douce qui unit les cœurs sans jamais se briser, tandis que l'autre amour est marqué par la discorde, la jalousie et la perfidie. L'auteur exprime son amour pour Cloris, un amour sage et vertueux qui valorise les qualités du cœur plus que les attraits physiques. Il espère que Cloris reconnaîtra cet amour et y répondra favorablement, soulignant que son cœur vertueux ne peut être barbare.
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14
p. 80
LOGOGRYPHE.
Début :
Ineffaçable sceau des mortels & des dieux, [...]
Mots clefs :
Caractère
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LOGOGRYPHE.
LOGOGRYPHE
Neffaçable fceau des mortels & des dieux ,
J'exifte fur la terre , aux enfers , dans les cieux .
Vifiblement ou non je fuis chez toi , je gage
Etant de tout état , de tout fexe & tout âge .
L'oeil ne me vit jamais fans quelqu'impreffion ,
Difféque mes neuf pieds avec attention ,
Tourne-les de tout biais , médite , modifie :
Je t'offre le produit de la Géographie ,
Ce qu'un chacun voudroit ne quitter qu'à pas lents ;
Ce qui fait des mortels admirer les talens ,
Ce qu'aime un curieux , un adverbe commode ,
Un petit animal qui fut toujours de mode ,
Ce qui de bien des gens met la fortune à bout .
Ne te rebute pas , Lecteur , ce n'eſt pas tout ;
Car pour peu que tu fois combinateur habile ,
Je te préfente un mot honni dans l'Evangile ,
Certaine chofe en toi toujours en mouvement ,'
Qui n'aura de repos qu'à ton dernier moment.
Par le Médecin de Beaufort , en Anjou .
Neffaçable fceau des mortels & des dieux ,
J'exifte fur la terre , aux enfers , dans les cieux .
Vifiblement ou non je fuis chez toi , je gage
Etant de tout état , de tout fexe & tout âge .
L'oeil ne me vit jamais fans quelqu'impreffion ,
Difféque mes neuf pieds avec attention ,
Tourne-les de tout biais , médite , modifie :
Je t'offre le produit de la Géographie ,
Ce qu'un chacun voudroit ne quitter qu'à pas lents ;
Ce qui fait des mortels admirer les talens ,
Ce qu'aime un curieux , un adverbe commode ,
Un petit animal qui fut toujours de mode ,
Ce qui de bien des gens met la fortune à bout .
Ne te rebute pas , Lecteur , ce n'eſt pas tout ;
Car pour peu que tu fois combinateur habile ,
Je te préfente un mot honni dans l'Evangile ,
Certaine chofe en toi toujours en mouvement ,'
Qui n'aura de repos qu'à ton dernier moment.
Par le Médecin de Beaufort , en Anjou .
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15
p. 88
« Le mot de la premiere Enigme du Mercure de Novembre est Chemin Celui de la [...] »
Début :
Le mot de la premiere Enigme du Mercure de Novembre est Chemin Celui de la [...]
Mots clefs :
Chemin, Cartes à jouer, Caractère
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Le mot de la premiere Enigme du Mercure de Novembre est Chemin Celui de la [...] »
Le mot de la premiere Enigme du Mercure
de Novembre eft Chemin Celui de la
feconde eft Cartes à jouer. Le mot du Logogryphe
eft Caractere , dans lequel on
trouve carte géographique , terre , art , rare
, car , rat , carte à jouer , Raca , artere.
de Novembre eft Chemin Celui de la
feconde eft Cartes à jouer. Le mot du Logogryphe
eft Caractere , dans lequel on
trouve carte géographique , terre , art , rare
, car , rat , carte à jouer , Raca , artere.
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16
p. 106-111
LETTRE sur la Paix à M. le Comte de *** avec cette Epigraphe : Spes discite vestras. Virg. Eneïde 3. A Lyon 1763 ; brochure in-12. de 45. pages.
Début :
IL est peu question de la Paix dans cette Lettre, dont la Paix a cependant [...]
Mots clefs :
Point, Auteur, Nation, Lettre, Paix, Gloire, Caractère
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE sur la Paix à M. le Comte de *** avec cette Epigraphe : Spes discite vestras. Virg. Eneïde 3. A Lyon 1763 ; brochure in-12. de 45. pages.
LETTRE fur la Paix à M. le Comte
de **
cette Epigraphe ; Spes
·
difcite veftras. Virg . Eneide 3. A
Lyon 1763 ; brochure in- 12. de 45.
pages.
IL eft peu queftion de la Paix dans
cette Lettre , dont la Paix a cependant
été l'occafion , & où l'Auteur fe propofe
de faire voir que fi la gloire de la
MA I. 1763. 107
France a diminué , c'eſt l'effet du changement
arrivé dans les moeurs publiques.
Il ne s'agit pas ici des moeurs
dans le rapport qu'elles ont avec l'ordre
focial , mais avec le caractère dominant
de la nation ce qui deviendra plus
clair par cette image.
"
"
» Voyez fortir
» de fa cabane cet homme à la fleur
» de fon âge , qui ne pouvant fuppor-
» ter le repos , brûle d'effayer fes forces.
» La douceur eft dans fes yeux ; mais
» l'audace eft fur fon front , & fa dé-
» marche fière annonce l'intrépidité de
» fon âme. Il part , il va parcourir la
» terre ; il dit, elle eft à moi ; & la nature
» en me donnant le courage , m'a indiqué
ma deftination . Ma maffue n'é-
» crafera point le foible. J'irai, au fe-
» cours de quiconque ne pourra ſe dé-
» fendre lui-même; mais malheur à celui
» qui voudra borner mes droits ou en-
» chaîner mon bras : je viendrai mettre
29 fes dépouilles aux pieds de mon père ,
» & je me juftifierai de mes victoires ,
devant celle qui m'a donné le jour .
» Ainfi à l'honnêteté du fentiment qui le
» pénétre, & qui lui indique fes premiers
devoirs , fe joint une forte idée de fa
» fupériorité fur tout ce qui l'environne,
» Aucune entreprife ne l'épouvante, au-
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
>
cun projet ne l'étonne ; & loin de
» prévoir la mort , il n'imagine pas même
» la défaite . Eft - il terraffé par un rival
» plus robuſte ? La honte qu'il ne con-
» noiffoit point encore s'empare de fon
» âme. Il fe roule par terre ; il pouffe des
" cris de rage & de douleur , & jure en
» fe relevant, de ne point revoir le lieu de
» fa naiffance , qu'il n'ait vengé fon in-
» jure. Tel doit être , dit l'Auteur
le caractère d'une Nation qui afpire
à la gloire de mériter les regards de
l'Univers . Tel étoit le caractère de la
Nation Françoife ; & en lui montrant
ce qu'elle a ééttéé , l'Auteur aime à lui
faire appercevoir ce qu'elle peut être
encore . Autrefois , & fans remonter
plus haut que le dernier Siécle , ,, la
» joie ou la confternation qui naifſoit
" des fuccès ou des revers , étoit un
» fentiment profond qui affectoit l'âme
» & qui ne la rendoit que plus active.
» Lorfque Louis- le-Grand puniffoit Génes
ou Alger, il n'y avoit point de
» François qui ne crût que fa propre injure
étoit vengée. Si les Généraux
» ne méritoient pas toujours les ap-
» plaudiffemens des Peuples , au moins
, ils étoient fürs de leurs voeux. La
>» mort de Turenne fut amérement pleu
MA I. 1763. 109
rée par les rivaux de fa gloire. La
» baffe jaloufie qui quelquefois n'épar-
" gnoit pas la réputation des Grands
» Hommes , refpectoit au moins la
» fortune & l'état ; & elle eût entre-
» pris en vain de fupplanter un Héros
» lorfque fes victoires l'avoient rendu.
célébre , & fes talens néceffaires . Les
intrigues de laCour ne pénétroient pas
» encore dans les Camps ; & récipro-
» quement les méfintelligences des Ar-
» mées ne venoient point former des
» partis juſqu'aux pieds du Trône.
ود
A ce portrait l'Auteur en oppofe un
autre , où il peint les François tels
qu'il les fuppofe actuellement. » Depuis
bien des années , dit- il , j'ai enten-
» du beaucoup de belles paroles , &
» je n'ai prèfque point vû de grandes
» actions. J'ai vu nos Guerriers s'im-
» puter mutuellement des erreurs & des
» torts ; & ces malheureufes difputes ,
» tantôt le principe , & tantôt la fuite
» de nos revers , affliger la Patrie fans
» l'éclairer & ajouter à la fenfation
» du mal , l'incertitude de fa caufe qui
en éloignoit le reméde. J'ai vu cet
honneur national , qui repofe peutête
dans les antiques demeures de
cette pauvre & brave nobleffe , ca
MO MERCURE DE FRANCE.
chée dans nos campagnes , abandon
» ner infenfiblement cette partie de la
» Nation Françoife , qui fe montre ,
» qui s'agite , qui communique le mou-
" vement au corps politique , & qui
» malheureuſement éblouit les Peuples
» par fon éclat , & les entraîne par
» fon exemple. J'ai vu le François pu-
" blier lui- même fes difgrâces & n'en
plus rougir ; & ce qui eft peut - être le
» dernier période du mal , forcer fa
» raifon à juftifier par des fophifmes
» l'indifférence qu'il a témoignée pour
→ fon Pays.
Nous ne déciderons point de la vérité
de cet éloquent & ingénieux parallèle
; nous dirons feulement qu'il y
a eu peu de Siécles , où la Nation Fran
çoife ait donné plus de marques d'at
tachement pour fon Souverain , & de
zéle pour fa Patrie , que dans le nôtre.
La confternation générale de la France
pendant la maladie du Roi à Metz ; l'e mpreffement
univerfel à contribuer au rétabliffement
de la Marine , font des
faits que l'on pourroit oppofer aux plus
beaux parallèles . Quoiqu'il en foit , en
fuppofant le mal auffi grand qu'on nous
le repréfente , l'Auteur nous offre les
remédes qu'on peut y apporter ; &
M& A I. 1763.
HE
cette partie de fa lettre demande à être
lue dans l'Ouvrage même. Je n'en citerai
qu'un feul trait qui regarde les gens
de Finance . L'Auteur veut qu'on leur
dife : » ayez un fallon de moins , & éle-
» vez au milieu de cette Capitale une
» Statue au Grand Maurice. La ma-
" gnificence de ce Palais , les eaux de ce
» Parc vous.coûteront un million ; vous
pouvez épargner la moitié de cette
»dépenfe , & en relevant les ruines de cet
» établiffement qui s'écroule , vous ſe-
» rez le bienfaîteur d'une Province. Un
» jeune Gentilhomme plein de coura-
» ge & d'honneur s'eft fignalé dans nos
armées ; il eft inconnu à la Cour , &
» fa fortune ne lui laiffe que fon bras :
» allez lui offrir votre fille ; s'il l'accepte ,
vous aurez fait & pour l'Etat & pour
» vous , la plus importante des acquifi-.
» tions.
Cette lettre , quoique peut- être dictée
par un peu d'enthoufiafme, mérite néanmoins
d'être accueillie & confervée
comme l'ouvrage d'un homme d'efprit ,
d'un Ecrivain éloquent , & d'un excellent
Citoyen.
de **
cette Epigraphe ; Spes
·
difcite veftras. Virg . Eneide 3. A
Lyon 1763 ; brochure in- 12. de 45.
pages.
IL eft peu queftion de la Paix dans
cette Lettre , dont la Paix a cependant
été l'occafion , & où l'Auteur fe propofe
de faire voir que fi la gloire de la
MA I. 1763. 107
France a diminué , c'eſt l'effet du changement
arrivé dans les moeurs publiques.
Il ne s'agit pas ici des moeurs
dans le rapport qu'elles ont avec l'ordre
focial , mais avec le caractère dominant
de la nation ce qui deviendra plus
clair par cette image.
"
"
» Voyez fortir
» de fa cabane cet homme à la fleur
» de fon âge , qui ne pouvant fuppor-
» ter le repos , brûle d'effayer fes forces.
» La douceur eft dans fes yeux ; mais
» l'audace eft fur fon front , & fa dé-
» marche fière annonce l'intrépidité de
» fon âme. Il part , il va parcourir la
» terre ; il dit, elle eft à moi ; & la nature
» en me donnant le courage , m'a indiqué
ma deftination . Ma maffue n'é-
» crafera point le foible. J'irai, au fe-
» cours de quiconque ne pourra ſe dé-
» fendre lui-même; mais malheur à celui
» qui voudra borner mes droits ou en-
» chaîner mon bras : je viendrai mettre
29 fes dépouilles aux pieds de mon père ,
» & je me juftifierai de mes victoires ,
devant celle qui m'a donné le jour .
» Ainfi à l'honnêteté du fentiment qui le
» pénétre, & qui lui indique fes premiers
devoirs , fe joint une forte idée de fa
» fupériorité fur tout ce qui l'environne,
» Aucune entreprife ne l'épouvante, au-
Evj
108 MERCURE DE FRANCE.
>
cun projet ne l'étonne ; & loin de
» prévoir la mort , il n'imagine pas même
» la défaite . Eft - il terraffé par un rival
» plus robuſte ? La honte qu'il ne con-
» noiffoit point encore s'empare de fon
» âme. Il fe roule par terre ; il pouffe des
" cris de rage & de douleur , & jure en
» fe relevant, de ne point revoir le lieu de
» fa naiffance , qu'il n'ait vengé fon in-
» jure. Tel doit être , dit l'Auteur
le caractère d'une Nation qui afpire
à la gloire de mériter les regards de
l'Univers . Tel étoit le caractère de la
Nation Françoife ; & en lui montrant
ce qu'elle a ééttéé , l'Auteur aime à lui
faire appercevoir ce qu'elle peut être
encore . Autrefois , & fans remonter
plus haut que le dernier Siécle , ,, la
» joie ou la confternation qui naifſoit
" des fuccès ou des revers , étoit un
» fentiment profond qui affectoit l'âme
» & qui ne la rendoit que plus active.
» Lorfque Louis- le-Grand puniffoit Génes
ou Alger, il n'y avoit point de
» François qui ne crût que fa propre injure
étoit vengée. Si les Généraux
» ne méritoient pas toujours les ap-
» plaudiffemens des Peuples , au moins
, ils étoient fürs de leurs voeux. La
>» mort de Turenne fut amérement pleu
MA I. 1763. 109
rée par les rivaux de fa gloire. La
» baffe jaloufie qui quelquefois n'épar-
" gnoit pas la réputation des Grands
» Hommes , refpectoit au moins la
» fortune & l'état ; & elle eût entre-
» pris en vain de fupplanter un Héros
» lorfque fes victoires l'avoient rendu.
célébre , & fes talens néceffaires . Les
intrigues de laCour ne pénétroient pas
» encore dans les Camps ; & récipro-
» quement les méfintelligences des Ar-
» mées ne venoient point former des
» partis juſqu'aux pieds du Trône.
ود
A ce portrait l'Auteur en oppofe un
autre , où il peint les François tels
qu'il les fuppofe actuellement. » Depuis
bien des années , dit- il , j'ai enten-
» du beaucoup de belles paroles , &
» je n'ai prèfque point vû de grandes
» actions. J'ai vu nos Guerriers s'im-
» puter mutuellement des erreurs & des
» torts ; & ces malheureufes difputes ,
» tantôt le principe , & tantôt la fuite
» de nos revers , affliger la Patrie fans
» l'éclairer & ajouter à la fenfation
» du mal , l'incertitude de fa caufe qui
en éloignoit le reméde. J'ai vu cet
honneur national , qui repofe peutête
dans les antiques demeures de
cette pauvre & brave nobleffe , ca
MO MERCURE DE FRANCE.
chée dans nos campagnes , abandon
» ner infenfiblement cette partie de la
» Nation Françoife , qui fe montre ,
» qui s'agite , qui communique le mou-
" vement au corps politique , & qui
» malheureuſement éblouit les Peuples
» par fon éclat , & les entraîne par
» fon exemple. J'ai vu le François pu-
" blier lui- même fes difgrâces & n'en
plus rougir ; & ce qui eft peut - être le
» dernier période du mal , forcer fa
» raifon à juftifier par des fophifmes
» l'indifférence qu'il a témoignée pour
→ fon Pays.
Nous ne déciderons point de la vérité
de cet éloquent & ingénieux parallèle
; nous dirons feulement qu'il y
a eu peu de Siécles , où la Nation Fran
çoife ait donné plus de marques d'at
tachement pour fon Souverain , & de
zéle pour fa Patrie , que dans le nôtre.
La confternation générale de la France
pendant la maladie du Roi à Metz ; l'e mpreffement
univerfel à contribuer au rétabliffement
de la Marine , font des
faits que l'on pourroit oppofer aux plus
beaux parallèles . Quoiqu'il en foit , en
fuppofant le mal auffi grand qu'on nous
le repréfente , l'Auteur nous offre les
remédes qu'on peut y apporter ; &
M& A I. 1763.
HE
cette partie de fa lettre demande à être
lue dans l'Ouvrage même. Je n'en citerai
qu'un feul trait qui regarde les gens
de Finance . L'Auteur veut qu'on leur
dife : » ayez un fallon de moins , & éle-
» vez au milieu de cette Capitale une
» Statue au Grand Maurice. La ma-
" gnificence de ce Palais , les eaux de ce
» Parc vous.coûteront un million ; vous
pouvez épargner la moitié de cette
»dépenfe , & en relevant les ruines de cet
» établiffement qui s'écroule , vous ſe-
» rez le bienfaîteur d'une Province. Un
» jeune Gentilhomme plein de coura-
» ge & d'honneur s'eft fignalé dans nos
armées ; il eft inconnu à la Cour , &
» fa fortune ne lui laiffe que fon bras :
» allez lui offrir votre fille ; s'il l'accepte ,
vous aurez fait & pour l'Etat & pour
» vous , la plus importante des acquifi-.
» tions.
Cette lettre , quoique peut- être dictée
par un peu d'enthoufiafme, mérite néanmoins
d'être accueillie & confervée
comme l'ouvrage d'un homme d'efprit ,
d'un Ecrivain éloquent , & d'un excellent
Citoyen.
Fermer
Résumé : LETTRE sur la Paix à M. le Comte de *** avec cette Epigraphe : Spes discite vestras. Virg. Eneïde 3. A Lyon 1763 ; brochure in-12. de 45. pages.
La 'Lettre fur la Paix à M. le Comte' est une brochure publiée à Lyon en 1763, contenant 45 pages. L'auteur y traite de la paix en France et de la diminution de la gloire nationale, qu'il attribue à un changement dans les mœurs publiques. Il utilise la métaphore d'un homme jeune et audacieux pour symboliser l'esprit de conquête et de supériorité du caractère national français. L'auteur compare ce caractère passé à la situation actuelle, où il observe une absence de grandes actions malgré de belles paroles. Il déplore les disputes entre guerriers, l'abandon de l'honneur national et l'indifférence des Français envers leur pays. Cependant, il oppose ce tableau à des exemples récents de l'attachement des Français à leur souverain et à leur patrie, comme la consternation générale lors de la maladie du roi à Metz et l'effort collectif pour rétablir la marine. L'auteur propose des remèdes, notamment pour les gens de finance, en suggérant des économies et des actions en faveur de la province. Il conclut en louant l'auteur pour son esprit, son éloquence et son patriotisme.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
17
p. 80-82
ENIGME. A Mlle Hu.. l'aînée, à Saumur.
Début :
Vous qui joignez aux dons de la figure, [...]
Mots clefs :
Caractère
18
p. 162-167
De PÉTERSBOURG, le 28 Août 1764.
Début :
Les circonstances de l'événement qui s'est passé dans la Forteresse [...]
Mots clefs :
Forteresse, Décès, Prince, Impératrice, Manifeste, Catherine II, Sujets, Couronne, Décrets, Héritière, Légitime, Actions justes, Compassion, Caractère, Officiers, Trouble, Récompense, Scélérat, Serment de fidélité, Patrie, Attaque, Providence, Ennemis, Révolte, Commandant, Crime, Lieutenant, Synode
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : De PÉTERSBOURG, le 28 Août 1764.
De PETERSBOURG , le 28 Août 1764.
Les circonstances de l'événement qui s'eft paffé
dans la Fortereffe de Schluffelbourg & qui a fait
perdre la vie au Prince Iwan , ayant été rapportées
de différente manière , l'Impératrice a publié
à cette occafion le Manifefte fuivant.
» Catherine II , par la grace de Dieu , Impéra-
» trice & Souveraine de toutes les Ruffies , &c. &c.
ל כ
Lorfque , par la volonté de Dieu & au gré
NOVEMBRE . 1764. 163
53
50
des voeux unanimes de tous nos fidéles Sujets ,
nous montâmes fur le Trône de Ruffie , nous
» étions inftruite que le Prince Jean , né du mariage
du Prince Antoine de Brunswick-Wolfenbuttel
avec la Princeffe Anne de Mecklenbourg
étoit encore exiftant. Ce Prince , comme
on le fçait , avoit à peine reçu le jour , qu'il fut
illégitimement défigné pour porter la Couronne
Impériale de Ruflie , mais par les Décrets de la
Providence il en fut peu de temps après exclus
» pour toujours , & le Sceptre revint à la légitime
Héritière fille de PIERRE - LE - GRAND , notre trèschère
Tante l'Impératrice ELISABETH de glo-
» rieufe mémoire .
>>
"
A notre avénement au Trône , nos premiers
» foins , après avoir rendu nos juftes actions de
graces au Ciel , furent , par un effet de l'huma-
» nité qui nous eft naturelle , d'adoucir , autant
qu'il feroit poffible , le fort de ce Prince détrô-
» né par la volonté Divine & malheureux dès fon
enfance. Nous nous proposâmes d'abord de le
voir pour juger par nous- mêmes des facultés
de fon âme & lui affurer , convenablement à fon
» caractère & à l'éducation qu'il avoit reçue jufques
- là , une vie ailée & tranquille . Mais quelle
fut notre furpriſe de voir qu'outre un bégaye-
» ment incommode pour lui-même & qui rendoit
» fes difcours prèfque incompréhenfibles aux
သ
*
autres , il étoit abfolument dépourvu d'efprit &
» de raiſon ! Tous ceux qui fe trouvoient alors
» avec nous virent combien notre coeur fouffroit
» à la vue d'un objet propre à exciter notre com-
» paflion ; ils furent en même temps convaincus
» qu'il ne nous reftoit d'autre feoours à donner à
ce Prince , né fi malheureufement , que de le
» laiffer où il étoit , & de lui procurer toutes les
164 MERCURE DE FRANCÈ.
> aifances convenables à fa fituation. Nous don
» nâmes nos ordres en conféquence ; mais fon
'état ne lui permit pas d'y être fenfible , ne connoiffant
point les gens & ne fçachant pas diftin-
» guer le bien d'avec le mal , ni faire ufage de la
» lecture pour fe préferver de l'ennui , mettant
» au contraire toute fa félicité dans des chofes
qui marquoient le défordre de fon efptit.
သ
Ainfi , pour empêcher que , par des vues
particulières , quelque mal intentionné ne cherchât
à l'inquiéter en aucune manière , ou në
>> voulût fe fervir de fa perfonne pour troubler le
repos public , nous lui fimes donner une garde
>> fûre , & mîmes auprès de lui deux Officiers de
» la Garniſon , connus par leur probité & leur
» fidélité , l'un le Capitaine Wlaffieff & l'autre le
» Lieutenant Tichekin , qui , par leurs longs fervices
militaires , avoient mérité une récom-
» penfe & un emploi tranquille pour le refe de
» leurs jours. Il étoit recommandé à ces deux
> Officiers de prendre les plus grands foins de la
» Perfonne de ce Prince.
לכ
Cependant , malgré toutes ces précautions , il
a été impoffible d'empêcher qu'un Scélérat , par
» une méchanceté des plus noires & au mépris
» même de la vie , ne commit a Schluffelbourg
➡un attentat dont la feule penſée fait frémir . Un
» Sous-Lieutenant du Régiment de Smolensko ,
» Infanterie , nommé Bafile Miranowitz , né en
» Ukraine , petit - fils du premier Rebelle qui fuivit
» Mazeppa , & en qui il paroît que le parjure
s'étoit tranfmis par le fang , ayant palle fa vie
» dans la débauche , la diffipation & le défordre ,
s'étoit privé par là des moyens légitimes de
>> faire un jour une fortune honorable : ayant enfin
perdu de vue ce qu'il devoit à la loi de Dieu
NOVEMBRE . 1764. 165
» & au ferment de fidélité qu'il nous avoit prêté ,
» ne connoiflant le Prince Jean que de nom , &
>> bien moins encore les qualités de fon corps-
» & celles de fon âme , il fe mit en tête de faire
» par fon moyen une fortune éclatante , à quelque
prix que ce fût, & quelque fanglante que la
Icène pût devenir pour le Public.
»›Pour l'exécution de ce projet auffi déteſtable
que dangereux pour la Patrie & pour l'Auteur
» même , ce Sous - Lieutenant demanda pendant
→ notre voyage en Livonie qu'on l'envoyât , quoique
ce ne fût pas fon tour , faire la garde qui
» fe reléve tous les huit jours dans la Fortereffe
de Schluffelbourg : la nuit du au du mois
» dernier à deux heures après -minuit , il éveilla
☐ tout d'un coup fa grand'garde , la rangea de
front , & lui ordonna de charger à balles . Berednikoff
, Gommandant de la Fortereffe ,
» ayant entendu du bruit , fortit de fon quartier
» & en demanda la cauſe à Miranowitz lui - même
; mais , pour toute réponſe , ce Rebelle lui
donna fur la tête un coup de la croffe de fon
» fufil , & le fit arrêter. Il alla enfuite à la tête de
» fa troupe attaquer avec furie le petit nombre
» des Soldats qui gardoient le Prince Jean
>> mais ceux ci , qui fe trouvoient fous les ordres
>> des deux Officiers nommés ci -deſſus , le reçurent
» de manière qu'il fut obligé de fe retirer. Par
» une difpofition particulière de la Providence ,
» qui veille à la confervation de la vie des hommes
, il faifoit cette nuit là un brouillard fort
» épais qui , joint à la fituation intérieure de la
» Forterelle , empêcha qu'il n'y eût perſonne de
a bleffé ni de tué.
» Le peu de fuccès de cette première tentative
» ne pouvant faire défifter de fon projet de rébel166
MERCURE DE FRANCE.
>>lion cet ennemi du repos public , le défeſpoir
» lui fuggéra de faire amener d'un baſtion une
» piéce de canon avec les munitions néceſſaires ,
» ce qui fut d'abord exécuté. Le Capitaine Wlaf
» Geff & fon Lieutenant Tilchekin , voyant une
» force à laquelle ils ne pouvoient réûſter , crai-
>> gnirent un malheur beaucoup plus grand fi le
» Prince qui leur étoit confié venoir à être déli-
» vré ; & voulant épargner le fang innocent qu'il
>> en coûteroit à la Patrie dans de pareils trou-
» bles , ils prirent entre eux l'unique parti qu'ils
croyoient leur refter , celui d'affurer la tranquillité
publique en abrégeant les jours de l'infortuné
Prince . Confidérant d'ailleurs que s'ils
>> lâchoient un prifonnier qu'on s'efforçoit de leur
>> arracher avec tant d'acharnement , ils rifquoient
» d'être punis fuivant toute la rigueur des Loix ,
ils ôterent la vie au Prince , fans être retenus
par la crainte de recevoir la mort
main d'un Scélérat réduit au défeſpoir. Ce
» monftre , voyant devant lui le corps du
» Prince fans vie , fut fi frappé de ce coup inat-
» tendu , qu'il reconnut à l'inftant même fa témé-
» rité & fon crime , & en marqua fon repentir en
de la
préfence de fa troupe qu'une heure auparavant
» il avoit féduite & rendue complice de fon for-
» fait.
» Ce fut alors que les Officiers qui avoient
étouffé cette révolte dès fa naillance , s'aflurerent
, conjointement avec le Commandant , da
Rebelle , ramenerent les Soldats à leur devoir ,
» & envoyerent notre Confeiller- Privé - Actuel
» & Sénateur Panin , fous les ordres duquel ils fe
trouvoient , le rapport de cet événement qui ,
quoique malheureux , avoit cependant , par la
protection du Ciel , détourné un plus grand
>> malheur encore,
NOVEMBRE . 1764. 167
20
Ce Sénateur fit partir fur le champ le Lieute-
» nant- Colonel Cafchkin chargé d'inſtructions
fuffifantes pour affurer la tranquillité & le bon
ordre dans la Fortereffe , & nous envoya en
» même temps un Courier avec le détail de cette
» affaire . En conféquence nous ordonnâmes à
> notre Lieutenant - Général Weymarn , de ladivifion
de Pétersbourg , de fe tranſporter fur le
>> lieu pour y faire les informations néceffaires :
après les avoir finies , il vient de nous remettre
les interrogatoires , les dépofitions des témoins ,
» les preuves , & enfin le propre aveu du Scé-
ככ
>> lérat.
,
"
rap-
Ayant reconnu la grandeur de ce crime &
> combien il intéreffoit le repos de la Patrie
>> nous avons renvoyé cette affaire à notre Sénat
» & lui ordonnons , ainfi qu'au Synode , d'inviter
» les trois premières Claffes & tous les Préfidens
» de tous les Colléges pour en entendre le
sport de la bouche du Lieutenant Général Weymarn
qui en a pourfuivi les informations ; de
>> prononcer enfuite la Sentence felon les loix de
l'Empire , & de nous la préfenter lorſqu'elle
» aura été fignée , afin que nous la confirmions ,
(L. S. ) ( Signé ) CATHERINE,
» Imprimé au Sénat Dirigent à Pétersbourg , le
» 17 Août 1764. ३०
Les circonstances de l'événement qui s'eft paffé
dans la Fortereffe de Schluffelbourg & qui a fait
perdre la vie au Prince Iwan , ayant été rapportées
de différente manière , l'Impératrice a publié
à cette occafion le Manifefte fuivant.
» Catherine II , par la grace de Dieu , Impéra-
» trice & Souveraine de toutes les Ruffies , &c. &c.
ל כ
Lorfque , par la volonté de Dieu & au gré
NOVEMBRE . 1764. 163
53
50
des voeux unanimes de tous nos fidéles Sujets ,
nous montâmes fur le Trône de Ruffie , nous
» étions inftruite que le Prince Jean , né du mariage
du Prince Antoine de Brunswick-Wolfenbuttel
avec la Princeffe Anne de Mecklenbourg
étoit encore exiftant. Ce Prince , comme
on le fçait , avoit à peine reçu le jour , qu'il fut
illégitimement défigné pour porter la Couronne
Impériale de Ruflie , mais par les Décrets de la
Providence il en fut peu de temps après exclus
» pour toujours , & le Sceptre revint à la légitime
Héritière fille de PIERRE - LE - GRAND , notre trèschère
Tante l'Impératrice ELISABETH de glo-
» rieufe mémoire .
>>
"
A notre avénement au Trône , nos premiers
» foins , après avoir rendu nos juftes actions de
graces au Ciel , furent , par un effet de l'huma-
» nité qui nous eft naturelle , d'adoucir , autant
qu'il feroit poffible , le fort de ce Prince détrô-
» né par la volonté Divine & malheureux dès fon
enfance. Nous nous proposâmes d'abord de le
voir pour juger par nous- mêmes des facultés
de fon âme & lui affurer , convenablement à fon
» caractère & à l'éducation qu'il avoit reçue jufques
- là , une vie ailée & tranquille . Mais quelle
fut notre furpriſe de voir qu'outre un bégaye-
» ment incommode pour lui-même & qui rendoit
» fes difcours prèfque incompréhenfibles aux
သ
*
autres , il étoit abfolument dépourvu d'efprit &
» de raiſon ! Tous ceux qui fe trouvoient alors
» avec nous virent combien notre coeur fouffroit
» à la vue d'un objet propre à exciter notre com-
» paflion ; ils furent en même temps convaincus
» qu'il ne nous reftoit d'autre feoours à donner à
ce Prince , né fi malheureufement , que de le
» laiffer où il étoit , & de lui procurer toutes les
164 MERCURE DE FRANCÈ.
> aifances convenables à fa fituation. Nous don
» nâmes nos ordres en conféquence ; mais fon
'état ne lui permit pas d'y être fenfible , ne connoiffant
point les gens & ne fçachant pas diftin-
» guer le bien d'avec le mal , ni faire ufage de la
» lecture pour fe préferver de l'ennui , mettant
» au contraire toute fa félicité dans des chofes
qui marquoient le défordre de fon efptit.
သ
Ainfi , pour empêcher que , par des vues
particulières , quelque mal intentionné ne cherchât
à l'inquiéter en aucune manière , ou në
>> voulût fe fervir de fa perfonne pour troubler le
repos public , nous lui fimes donner une garde
>> fûre , & mîmes auprès de lui deux Officiers de
» la Garniſon , connus par leur probité & leur
» fidélité , l'un le Capitaine Wlaffieff & l'autre le
» Lieutenant Tichekin , qui , par leurs longs fervices
militaires , avoient mérité une récom-
» penfe & un emploi tranquille pour le refe de
» leurs jours. Il étoit recommandé à ces deux
> Officiers de prendre les plus grands foins de la
» Perfonne de ce Prince.
לכ
Cependant , malgré toutes ces précautions , il
a été impoffible d'empêcher qu'un Scélérat , par
» une méchanceté des plus noires & au mépris
» même de la vie , ne commit a Schluffelbourg
➡un attentat dont la feule penſée fait frémir . Un
» Sous-Lieutenant du Régiment de Smolensko ,
» Infanterie , nommé Bafile Miranowitz , né en
» Ukraine , petit - fils du premier Rebelle qui fuivit
» Mazeppa , & en qui il paroît que le parjure
s'étoit tranfmis par le fang , ayant palle fa vie
» dans la débauche , la diffipation & le défordre ,
s'étoit privé par là des moyens légitimes de
>> faire un jour une fortune honorable : ayant enfin
perdu de vue ce qu'il devoit à la loi de Dieu
NOVEMBRE . 1764. 165
» & au ferment de fidélité qu'il nous avoit prêté ,
» ne connoiflant le Prince Jean que de nom , &
>> bien moins encore les qualités de fon corps-
» & celles de fon âme , il fe mit en tête de faire
» par fon moyen une fortune éclatante , à quelque
prix que ce fût, & quelque fanglante que la
Icène pût devenir pour le Public.
»›Pour l'exécution de ce projet auffi déteſtable
que dangereux pour la Patrie & pour l'Auteur
» même , ce Sous - Lieutenant demanda pendant
→ notre voyage en Livonie qu'on l'envoyât , quoique
ce ne fût pas fon tour , faire la garde qui
» fe reléve tous les huit jours dans la Fortereffe
de Schluffelbourg : la nuit du au du mois
» dernier à deux heures après -minuit , il éveilla
☐ tout d'un coup fa grand'garde , la rangea de
front , & lui ordonna de charger à balles . Berednikoff
, Gommandant de la Fortereffe ,
» ayant entendu du bruit , fortit de fon quartier
» & en demanda la cauſe à Miranowitz lui - même
; mais , pour toute réponſe , ce Rebelle lui
donna fur la tête un coup de la croffe de fon
» fufil , & le fit arrêter. Il alla enfuite à la tête de
» fa troupe attaquer avec furie le petit nombre
» des Soldats qui gardoient le Prince Jean
>> mais ceux ci , qui fe trouvoient fous les ordres
>> des deux Officiers nommés ci -deſſus , le reçurent
» de manière qu'il fut obligé de fe retirer. Par
» une difpofition particulière de la Providence ,
» qui veille à la confervation de la vie des hommes
, il faifoit cette nuit là un brouillard fort
» épais qui , joint à la fituation intérieure de la
» Forterelle , empêcha qu'il n'y eût perſonne de
a bleffé ni de tué.
» Le peu de fuccès de cette première tentative
» ne pouvant faire défifter de fon projet de rébel166
MERCURE DE FRANCE.
>>lion cet ennemi du repos public , le défeſpoir
» lui fuggéra de faire amener d'un baſtion une
» piéce de canon avec les munitions néceſſaires ,
» ce qui fut d'abord exécuté. Le Capitaine Wlaf
» Geff & fon Lieutenant Tilchekin , voyant une
» force à laquelle ils ne pouvoient réûſter , crai-
>> gnirent un malheur beaucoup plus grand fi le
» Prince qui leur étoit confié venoir à être déli-
» vré ; & voulant épargner le fang innocent qu'il
>> en coûteroit à la Patrie dans de pareils trou-
» bles , ils prirent entre eux l'unique parti qu'ils
croyoient leur refter , celui d'affurer la tranquillité
publique en abrégeant les jours de l'infortuné
Prince . Confidérant d'ailleurs que s'ils
>> lâchoient un prifonnier qu'on s'efforçoit de leur
>> arracher avec tant d'acharnement , ils rifquoient
» d'être punis fuivant toute la rigueur des Loix ,
ils ôterent la vie au Prince , fans être retenus
par la crainte de recevoir la mort
main d'un Scélérat réduit au défeſpoir. Ce
» monftre , voyant devant lui le corps du
» Prince fans vie , fut fi frappé de ce coup inat-
» tendu , qu'il reconnut à l'inftant même fa témé-
» rité & fon crime , & en marqua fon repentir en
de la
préfence de fa troupe qu'une heure auparavant
» il avoit féduite & rendue complice de fon for-
» fait.
» Ce fut alors que les Officiers qui avoient
étouffé cette révolte dès fa naillance , s'aflurerent
, conjointement avec le Commandant , da
Rebelle , ramenerent les Soldats à leur devoir ,
» & envoyerent notre Confeiller- Privé - Actuel
» & Sénateur Panin , fous les ordres duquel ils fe
trouvoient , le rapport de cet événement qui ,
quoique malheureux , avoit cependant , par la
protection du Ciel , détourné un plus grand
>> malheur encore,
NOVEMBRE . 1764. 167
20
Ce Sénateur fit partir fur le champ le Lieute-
» nant- Colonel Cafchkin chargé d'inſtructions
fuffifantes pour affurer la tranquillité & le bon
ordre dans la Fortereffe , & nous envoya en
» même temps un Courier avec le détail de cette
» affaire . En conféquence nous ordonnâmes à
> notre Lieutenant - Général Weymarn , de ladivifion
de Pétersbourg , de fe tranſporter fur le
>> lieu pour y faire les informations néceffaires :
après les avoir finies , il vient de nous remettre
les interrogatoires , les dépofitions des témoins ,
» les preuves , & enfin le propre aveu du Scé-
ככ
>> lérat.
,
"
rap-
Ayant reconnu la grandeur de ce crime &
> combien il intéreffoit le repos de la Patrie
>> nous avons renvoyé cette affaire à notre Sénat
» & lui ordonnons , ainfi qu'au Synode , d'inviter
» les trois premières Claffes & tous les Préfidens
» de tous les Colléges pour en entendre le
sport de la bouche du Lieutenant Général Weymarn
qui en a pourfuivi les informations ; de
>> prononcer enfuite la Sentence felon les loix de
l'Empire , & de nous la préfenter lorſqu'elle
» aura été fignée , afin que nous la confirmions ,
(L. S. ) ( Signé ) CATHERINE,
» Imprimé au Sénat Dirigent à Pétersbourg , le
» 17 Août 1764. ३०
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Résumé : De PÉTERSBOURG, le 28 Août 1764.
Le 28 août 1764, Catherine II publie un manifeste concernant la mort du Prince Iwan, également connu sous le nom de Prince Jean. À son avènement, Catherine apprend que le Prince Jean, fils du Prince Antoine de Brunswick-Wolfenbuttel et de la Princesse Anne de Mecklenbourg, avait été illégitimement désigné pour porter la Couronne Impériale de Russie, mais avait été exclu par la Providence. Le sceptre revint alors à Élisabeth, fille de Pierre le Grand. Catherine décide d'adoucir le sort du Prince Jean, qu'elle trouve dépourvu d'esprit et de raison. Elle lui assure une vie tranquille et lui attribue une garde sûre composée du Capitaine Wlassieff et du Lieutenant Tischekin. Malgré ces précautions, un sous-lieutenant du régiment de Smolensko, Basile Miranowitz, tente de s'emparer du Prince pour faire fortune. Lors de cette tentative, les officiers préfèrent tuer le Prince pour éviter un bain de sang. Miranowitz, face au corps sans vie du Prince, reconnaît son erreur et se repent. Les officiers rétablissent l'ordre et informent le Sénateur Panin. Catherine ordonne une enquête dirigée par le Lieutenant-Général Weymarn, qui remet les preuves et les aveux du scélérat. L'affaire est ensuite confiée au Sénat et au Synode pour jugement selon les lois de l'Empire.
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