Une fort aimable Marquiſe,qui va- loit bien l'attachement entier
GALANT. 3:7
d'un honneſte,Homme, avoit
étably une amitié de confiance &d'eſtime avec un Cavalier qui la meritoit. Il joignoit àbeaucoup d'eſprit le don d'eſtre auffi galant qu'aucum
autre qui ait jamais eu de la complaifance pour le beau Sexe;&unedes conditions de
leur amitié fut qu'ils ne ſe cacheroient rien l'un à l'autre.
Cependant il eut du panchant
pour une jeune Veuve qui
qui avoit autant de naiſſance
que de merite , ce panchant approchoit un peu del'amour,
& il en fit miftere à la Mar- quiſe. La belle Veuvequiai- moit les Gens d'eſprit , n'eut
point de chagrin de ſes vifites ; tout ce qui flate plaît, il
luy ditdes douceurs , & elle
38 LE MERCURE ne crût pas avoir ſujet des'en gendarmer. Le Cavalier qui ſçavoit que les Femmes ſe laif- fent toucher par tout ce qui fe fait de bonne grace,ſe mon- tre empreſſfé à la divertir. Il la veut régaler , tâche à la tirer de chez elle , luy propoſed'a- greables parties , mais tout ce- la inutilement. LaBelle étoit
ſcrupuleuſe , elle haïfſoit l'é- clat ,&ne vouloit pointdon- ner àparler.Une de ſes Amies,
qui l'étoit auffi du Cavalier,
trouvamoyende concilier les
choſes. Elle convint qu'il em- prunteroit quelque Maiſon à
une lieuë de Paris , fans dire
pour qui, qu'il luy apporteroit un Billet portant ordre au Conciergede recevoir quatre Dames à l'exclufion de tous
GALANT. 39
3
autres(car la belle Veuve vou
loit des Témoins qui éloignaf- fent l'idée d'un Rendez-vous
trop particulier ) qu'il pren- droit ſes meſures pour le Ré- gal,& qu'il ne ſe ſcandalife- roit pas ſi onluyentémoignoir de la ſurpriſe, &même un peu de colere , felon que le cas échéeroit La Veuve étoit fie HÈQUE re,& ne fouffroit pas volont VOR
tiers qu on ſe mit en frais pour elle. Tout cela ſe faifoit fous
pretexte de promenade , &
elle ne devoit rien fçavoir de plus. Il n'en falloit pas dire davantage au Cavalier. Il'ari rêté le jour , envoye le Biller,
donne les ordres pour le Ré- gal;&afinde faire les choſes plus galamment , il ſe réſout à
ne s'y trouver que fur la fin
40 LE MERCURE
Cela luy donnoit lieu de def- avoüer qu'il fût l'Autheur de
la Feſte , & on ne l'auroit pas moins crû pour cela. Lejour choiſi arrive ; le Concierge avoit efté averty par ſon Maî- tre,de ne laifſfer entrer que les
quatreDamesqui luy montre- roient un Billet de ſa main.
Pour le Cavalier il avoit tout pouvoir, & dés lejour prece- dent il avoit diſposé ce qui eſtoit neceffaire à fondeſſein,
mais par malheur pour luy la belle Veuve ſe trouva cejour là même dans un engagement indiſpenſable de monter en Caroffe à dix heures du ma
tin,pour ne revenir qu'au foir.
Son Amie écrit promptement.
au Cavalier de remettre la
partie aulendemain , de faire
GALAN T. 41
changer le Billet d'entrée qu'on luy renvoye ( car le jour yeſtoit marqué ) & d'eſtre af- ſeuré qu'il n'y auroit plus de
changement. On donne la Lettre à un Laquais ; le La- quais perd la Lettre en la por- tant; &de peur d'eſtre batu,
il revient dire qu'il l'a donnée
au Portier,parce que le Cava- lier venoit de ſortir. La Veuve
&fon Amiepartent; leCava- lier va chez la Marquiſe. On l'y veut retenir à dîner,il s'excuſe ſur un embaras d'affaires
chagrinantes qu'il ne peut re- mettre, & il attend impatiem- ment que le ſoir arrive pour voir le fuccés de ſon Regal. Il eſt à peine forty,
que la Suivante de la Marqui- ſe vientdire en riant àſa Maîtreſſe , qu'elle avoit bien des
42 LE MERCURE
4
nouvelles à luy conter. Ces nouvelles eſtoient, qu'un Laquais marchoit devant elle dans la Ruë , qu'il avoit laiſſé tomberun Billet,qu'elle l'avoit ramaffé , que ce Billet s'adreffoit au Cavalier,& que le deffus eſtoit d'une écriture de
femme. La Marquiſe l'ouvre,
trouve l'ordre au Concierge de recevoir quatre Fem- mes ce jour là , &reconnoît ſeulement la main de celuy qui l'avoit écrit. C'eſtoit un Conſeiller d'un âge affez a- vancé , &en réputationd'u- ne avarice conſommée. Il
venoit quelquefois chez elle,
ſa Maiſon de Campagne luy eſtoit connue , & il ne reſtoit plus qu'à découvrir pour qui la partie ſe faifoit. Elle
GALANT.
43 refléchit fur le refus que le Cavalier luy avoit fait dedîner avec elle , fur les preſſantes affaires qui luy en avoient fer- vy d'excuſe, & rapportant ce- la auBillet perdu , elle ne dou- te point qu'on ne luy faſſe fi- neſſe de quelque Intrigue.L'é- clairciſſement ne luy en ſcau- roit rien coûter. Elle dîne
promptement,va prendretrois de ſes Amies , monte enCarroffe , fort de Paris , & les me- ne à la Maiſon du Conſeiller.
Onla refuſe ſur l'ordre reçeu de ne laiſſer entrer perſonne.
Elle ſoûrit , dit que l'ordre ne
doit pas eſtre pour elle , mon- tre le Billet ; grandes excuſes,
tout luy eſt ouvert, & le Con- cierge l'affure qu'il n'eſt là quepourluy obeïr. Ce début
44 LE MERCURE
contente aſſez la Marquiſe ,
elle entre dans le Jardin avec
ſes Amies, leur fait fairequel- ques tours d'Allée , & les ayant conviées às'aſſeoir dans un Cabinet de verdure ( car puis qu'on la laiſſoit maîtrefſe de la Maiſon , c'eſtoit à elle
àen faire les honneurs ) elles n'ont pas plûtôt pris pla- qu'elles entendent des Voix toutes charmantes foûtenuës de Theorbes & de
Claveſſins. La Marquiſe re- garde les Dames , elles ne ſçavent toutes que penſer , la reception eſt merveilleufe, &
ces préparatifs n'ont pas êté faits en vain. Apres que cet- te agreable Muſique a cef- sé , elles ſe levent & pren- nent une autre Allée qui ſe
ce,
GALAN Τ. 45
terminoit dansun petit Bois ;
elles yentrent. Autre divertiſſement. C'eſt un Concert
merveilleux de Muſetes , de
Flûtes douces , & de Hautbois. Cela va le mieux du
monde;mais il faut voir à quoy tout aboutira. Le plus grand étonnementdes Dames eſt de
ne voir perſone qui s'intéreſſe
à cette Feſte. Elles ſortent
du Jardin ; le Concierge qui les attend à la porte , les prie de vouloir entrer dans la Salle , & elles y trouvent une
Collation ſervie avec une
magnificence qui ne ſe peut exprimer. La Marquiſe qui avoit êté bien-aiſe de jouir des Hautbois&de la Muſique,uſe de quelque referve fur l'article dela Collatió.Elle dit qu'aſſu
46 LE MERCURE rément on ſe méprenoit , que tant d'apprêts n'avoient point eſté faits pout elle ; & on luy proteſte tant de fois qu'autre qu'elle n'entreroit das laMai- fon de tout lejour , qu'elle est obligée de ſe rendre. Quoy qu'elle ne doute point que cette mépriſe ne ſoit l'effet du Billet perdu , & qu'elle voye clairement que le Régal vient du Cavalier , qui com- me j'ay dit étoit fort galant ,
elle prie qu'au moins on luy apprenne à qui elle est obli gée d'une honneſteté ſi ſur+
prennante. Acela point d'au tre réponſe que de la prier de s'aſſeoir. Voila doncles Dames à table ; elles mangent toûjours à bon compte , au hazard de ce qui peut arriver;
GALANT. 47
e
4
& les Violons qui les viennent divertir pendant la Collation , font l'achevement de
la Feſte. Enfin le Cavalier arrive , on luy dit qu'il y a qua- tre Dames àtable. Il entend
les Violons,&n'ayant point à
douter que ce neſoit ſa belle Veuve,il ſe prépare à luy fai- re la guerre de la manierela plus enjoüée,de ce qu'elle luy a fait fineſſe du Régal qu'on luy donnoit. Il entre dans la Salle en criant , voila qui eft
bien honnefte , & n'a pas ache véce peu demots, que reconnoiffant la Marquiſe , il croit eſtre tombé des nuës , & ne
rien voir detout cequ'il voit.
LaMarquiſe l'obſerve.ſe cons firme dans ce qu'elle croit par le trouble où il eſt, &feignant
48 LE MERCURE de n'y rien penetrer ; que je fuis ravie de voir, luy dit-elle !
parquel privilege eſtes-vous icy ? car on n'y laiſſe entrer aujourd'huy perſonne. Venez , mettez- vous aupres de moy; Monfieur le Conſeiller qui me reçoit avec lamagni- ficence que vous voyez, vou- dra bien que je vous faſſe prendre part à la Feſte. Ces paroles jettent le Cavalier dans un embarras nouveau. Il
ne ſçait ſi le Coſeiller le jouë,
ou ſi c'eſt la Veuve qui luy fait piece; & ne pouvant de- viner par quelle avanture il trouve la Marquiſe dans un lieu où il ne l'attendoit pas, il tâche à luy cacher ſa ſurpriſe,
pour ne luy pas apprendre ce qu'elle peut ignorer ; maisila
beau
GALANT. 49
-
e
S
T
1
لا
1
1
F
a
1
beau ſe vouloir mettre de
bonne humeur , ſa gayeré pa- roît forcée , & la malicieuſe Marquiſe ſe fait un plaiſir merveilleux de ſon deſordre.
S'il reſve un moment,elle veut
qu'il ſoit jaloux de ce qu'un autre que luy la régale d'une maniere ſi galante , &luy dit plaiſamment qu'il faut quintel
ait de bons Eſpions , pour avoir aſté averty de tout fi à
point nommé. Il répond qu'à pres s'être tiré de ſon affaire chagrine qui n'alloit pas com- me il ſouhaitoit, il avoit appris qu'on luy avoit veu prendre la route de cette Maiſon où ils
s'eſtoient ſouvent promenez enſemble , qu'il l'y eſtoit ve- nu chercher , & qu'il avoit eu biende la peine à ſe faire Tom. 3 . C
50 LE MERCURE
ouvrir. La Marquiſe feint de
croire ce qu'il lui dit,&lui par- lãt àdemi bas, mais affez haut pour être entenduë des Dames , n'admirez- vous pas , lui dit-elle , ce que fait faire l'amour ? car il faut de neceſſité
que Monfieur le Conſeiller m'aime ſans me l'avoirosédire. Voyez de quelle maniere
il me fait recevoir chez luy.
Il eſt leplus avare de tous les
Hommes, &cependant il n'y a point de profufion pareille àla ſienne. Nous avons eſté
déja régaléesdans leJardinde Voix,de Hautbois,&de Concerts ; c'eſt une galanterie achevée,&je croy que je l'ai- meray s'il continuë. Le Cava- lier perdoit patience, & il fut tenté vingtfois des'expliquer,
GALAN T. 51
i
e
1.
es
e
é
e
-
e
dans la penſée que ſonſecret eſtoit découvert; mais il pouvoit ne l'eſtre pas , & c'eſtoit affez pour le retenir. Le jour s'abaiſſoit, on remonte en Carroffe. Le Cavalier prend pla- cedans celui de la Marquiſe,
qui le mene ſouper chez elle,
&ne le laiſſe ſortir qu'à mi- nuit. Ce n'eſtoit point aſſez,
la Piece pouvoit eſtre pouffée plus loin , & c'eſt à quoy la Marquiſe nemanque pas. Elle ſçait par le Billet perdu , que lesDames inconnues s'attendoient à eſtre régalées le len- demain. Elle fonge à mettre le Cavalier hors d'eſtat de s'éclaircir,&par conféquent de
t
fatisfaire les Belles. Elle luy envoye pour cela de fort bon matin deux de ſes Amis
Cij
52 LE MERCURE qui l'arreſtent, juſqu'à ce qu'- elle paſſe chez luy elle mé- me, &fait ſi bien, que malgré qu'il en ait, elle l'engage pour tout le reſte du jour. Ce n'eſt pas ſans plaiſanter plus d'une
:
fois ſur la prétenduë galante- rie du Conſeiller. Mais tandis que la Marquiſe ſe diver- tit agreablement; on s'ennuye chez la belle Veuve de n'avoir point de nouvelles du Cavalier. L'heure de la prome- nade ſe paſſant , on s'imagine qu'il s'eſt piqué de ce qu'on avoit remis la Partie , on le
traite de bizarre , & on prote- ſte fort qu'on ne luy donnera jamais lieu d'exercer ſa mé- chante humeur. Il rend viſite le lendemain , débute par quelque plainte ; & labelle
GALANT. 53
DE
LA
le
Veuve qui ne luy explique rien , ſe contente de luy ré- pondre fort froidement. Son
Amie plus impatiente querelle de les avoir fait at- tendre tout le jour ; la cho- ſe s'éclaircit , on fait venir
le Laquais. Le Laquais ſou- tient qu'il a donné le Billet à ſon Portier ; & alors le Cavalier ne doute plus qu'il n'ait été remis entre les mains de la Marquiſe , quoy qu'il ne ſcache comment. Il conjure la belle Veuve de choifir tel autrejour qu'il luy plai- ra , & il n'en peut rien obtenir. Il retourne chez la Marquiſe , qui luy demande s'il a fait ſa paix avec les Belles qu'il a manqué à régaler le jour precedent. Il ſe plaint de
Ciij
1
$4
54 LE MERCURE ſa maniere d'agir avec luy; el- lereproche le ſecret qu'il lui a
fait de ſes Intrigues contre les loix de leur amitié. Ils ſe ſeparent en grondant , & je croy qu'ils grondent encor preſentement. J'ay ſçeutou- tes les circonstances de l'Hiſtoire , d'un des plus parti- culiers Amis du Cavalier. La
Marquiſe veut qu'il lui nom- me la Dame pour qui ſe fai- foit la Feſte , & le Cavalier
veut eſtre difcret. Voila l'obſtacle du racommodement