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1
p. 121-153
A MADEMOISELLE de P*** Sur la bonté du cœur.
Début :
Depuis l'instant que j'eus l'honneur de vous voir pour [...]
Mots clefs :
Cœur, Pénétration, Innocence, Faiblesses, Vertus, Abus, Excès, Pitoyable, Équité, Complaisance, Sincérité, Gens de bien, Bonté du cœur
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texteReconnaissance textuelle : A MADEMOISELLE de P*** Sur la bonté du cœur.
A MADEMOISELLE
deP***
Sur la bonté du coeur.., DEpuis l'instant que j'eus
l'honneur de vous voir pour
la premiere fois, je vous ai
si souvent entendu parler
de la bonté du
-
coeur, que
je me fuis enfin determiné
à
-
approfondir une matiere
qfourit.semble vous occuper si
Souffrez que je vous
fasse part de mes reflexions;
non que je pretende ajoûter
par là quelque chose à
vos lumieres. Je sçai trop
que rien n'échape à vôtre
penetration: mais si vous
ne trouvez rien ici que vous
n'ayez déja apperçû de
vous-même, du moins ne
ferez-vous pas fâchée de
voir dans tout ce que je dirai
de la bonté du coeur,
une fidelle peinture du Vô-" trc.1 A mesure que les honw
mes se sont éloignez de la
première innocence, H%
ont perdu peuà peu lideQ
des vertusqui pouvoient les
y maintenir. Ils n'en ont
confervé que quelques apparences
dont ils ont fait
des marques à leurs désauts,
& ont enfin donné
à leurs foiblesses ainsi marquées
le nom des vertus
qu'ils ne connoissent plus,
& qui semblent n'oser paroîtrecequelles
sont, de
pmeur d'êétrepen brutteiàsleu.rs
Ils ont porté cet abus à
un tel excés, que je craindrois
devoir par-tout desa
voüer la bonté du coeur,
lorsque je la produirai sous
sa veritable figure, si je
n'appercevois en vous de
quoy justifier ce que je vais
dire à son sujet. Consuiltez
vous, confrontez vôtre in-i
terieur avec le portrait que
je vous donne
; Ôc s'ils se
rapportent, vous conviendrez
que je n'ai pas entier
rement participé à l'extrê-*
me aveuglement de laplû
part des hommes.
La bonté du coeur est ur
tendre sentiment de l'ame,
fondé sur la raison ôç sur la
vertu.
ld
Je dis, fondé sur la raison
& sur la vertu, parce
que, comme je le ferai voir
dans la suite, si l'un & l'autre
ne s'accompagnent pas,
le tendre sentiment n'est
qu'une foiblesse du temperamment,
dont on n'est pas
maître, & qu'on doit éviter
avec foin comme un
mauvais guide, capable de
nousfaire tomber dans de
grands inconveniens.
Pouravoir lecoeur veritablement
bon, il faut être
pitoyable envers tout le
monde:mais il ne suffit pas
de
-
compâtir aux peines
d'autrui ; ces sentimensde
pieté doivent encore nous
porter à chercher les
moyens de les faire cesser,,
sans examiner ce qu'il pour?
roit nous en coûterde démarches,
de soins, de veilles
, & de bien ruqinesi
nous étionsenétatd'en
employer à un si belusage:
&pour que ces sentimens
ayent toute leur pureté,il
est necessairequ'ils soient
desinteresseèz à unpoint ;
que nous nenvifàgiàâsdans
toutce qu'il nous faut faû
te1.que le bien &le repos
».
-
de ceux que nous voulons
obliger, sans avoir égard à
nous-mêmes, tant que no*,
tre innocence ne court aucun
risque.
Cette situation emporte
infailliblement avec elle k
reconnoissance, la generosité,
la discretion,l'équité,
la docilité, la complaisance
, la sincerité
,
& toutes
les autres qualitez qui nous
rendent propres à la societé
des gens de bien:elles sont
tellement enchaînées ensemble,
qu'on n'en peut séparer
aucune, sans altérer
& détruiremême toutes les
autres ; & si l'on, fait bien
attention a toutes ces circonfiances,
on trouvera
que la bonté du coeur qui
elles déterminent n'est au.
trechose que la charité elle-
même,à qui l'on a donné
un nom plusàl'usagedu monde.
Que cette peinture est
différente de l'idée qu'on a
aujourd'hui de la bonté du
coeur! Pour peu qu'on se
sente, une ame tendre &',
facile, on se l'attribuë, ont
s'en fait gloire,&on l'accporde
arux aiutrexs au m.ême Que Cloris, dit-on, a le
coeur bon! les chagrins de
ses amis la touchent comme
les siens propres, &elle
en est si affligée, que bien
loin d'être en état de se consoler
alors,elle a besoin el
le-mêmedeconsolation.
Elle est d'une douceur qui
charme, & sa complaisance
passe l'imagination.
Je l'avouë : mais qu'on
l'examine sans la perdre de
vûe. La raison & lavertu
accompagnentelles la sensibilité
qu'on lui voit pôiïï
ses amis? s'empresse-t-elle
à les soulager après les a
voirplaints ? & la voit-or
dans l'occasionprévenu
leurs demandes par des ser,
vices effectifs, danssedes
fein de leur épargner la
mortification & l'embarra
oùl'on se trouve, lors qu'
on est contraint par neceÍ;
sité d'avoir recours à se
amis? Si c'est là la conduit
de Cloris, qu'elle a le coeur
bon! que son procedé esrare!
Mais si elle s'en tien
aux pleurs & aux gemisse
mens sans passer outre, loin
que cette sensibilitéson guil
dée par la raison & la ver-*
tu, & parte de la bonté du
coeur, ce n'est en effet qu*
punneesseennssiibbiliiltiétéddeerteemrnppee--
ramment, une émotion na*
turelle causéepar la fynu
patie, & de la nature de
celles qu'excite en nous la
tenture de quelque avanT
cure touchante. Tant que
lesobjets sont presensà noa
yeux ou a nôtre Imagina.
tion,ils nous frapent &
nous interessent : mais à
peine font-ilsdisparusyqu€
nôtreémotion cesse&;
que nous en perdonsjusqu'à
la moindre idée. Doit.
ocn apopellerccelaubontrédu 1 Cette grande douceur
3! cette complaisanceaveugle
qu'on écoute dans Cloris,
font
des fuites de sa foifolefle
y- & pourlesdéfini
ju ftcs^ ce sontdes effets involontaires
d'une indolen.
ce naturelle qui la suitdans
toutes lesavionsde savie
ôc qu'on doit bannir dela
societé
, comme n'étant
d'aucun ufàge»
Mes amis me font si
chers, dit Doronte, que je
voudrois les voir parvenus
à la dernicre perfection.Je
souffre une peine extrême,
quand j'apperçois en eux
quelques défauts capables
de leur faire tort dans le
monde, & je voudrois les
en pouvoir corriger à quelque
prix que ce fût. Un tel,
par exemple, que je cheris
plus que moy-même) est à
la vérité recommandable
par mille belles qualitez:
mais certainesfoiblesses
viennent par malheur de*>
truire la belle idée qu'onen
pouvoit concevoir. Je l'eravertis
souvent avec douleur
, & il ne tient pas
moy qu'il ne s'en défasse
Est-il un meilleur CoeUJi
dans le monde,s'ecrient
alors ceux qui l'entendent
est-il un ami plus véritable?
Mais le sage, que ce:
apparences & ces détour
ne peuvent surprendre, de
couvre dans ce discours
un grand fond de malice
pu beaucoup de sotises dind<iscIre.tion.
-
Eneffet,siDoronteche
chepar là à décrier celui,
ont il paroîtavoir les incrêts
si fort à coeur, c'est
ne medisance, & une ma- ignité d'autant pluspernitieuse,
qu'elle cit plus eculiée
,
& qu'elle s'insinuë
pus lesapparences de l'anitié
la plus sincere & si
[ans le fond c'est sans desein
sans intention mauaise
qu'il parle; s'U ne fait
p.te suivre l'habitude qu'il.
contractée de dire tout.
ce qui lui est venu à la connoissance,
c'est une stups.,
jticé, une sotise & une indiscretion,
qu'on ne doit
pas moins bannirde la fo;
cieté que s'il pechoit par
malice, puisque les suites
en font les mêmes, & qu'i.
laisse les mêmesimpressions
dans l'esprit de ceux
qui l'écoutent. >h Quiconque a le coeur
bon regarde les défauts de
ses amis avec une pitié tendre
,il les cache,&pâlis
s'ils sont connus. Il n'en
parle jamais qu'à eux-mêmes
} encore lors qu'ille
en avertit, il le faitavec
discretion & retenue pour
; menaiilenager:
leur amour pr0
pre , qui pourroit les revolterys'ilallait
leur dire
ero face qu'il a remarqué
leurs foiblesses.
,,
Voila la route qu'on de-
~vroit tenir, au lieu d'aller.
comme Doronte dire tout,
~haut en publicyqu'on est
au desespoir de s'être apperçu
detels & tels défauts
en tels & tels amis, parce
qu'ils pourroient nuire à
teur réputation,s'ils ve*-
~loient à être connus dans
monde..
Cependant Doronte a
dit-on, leccciirïucles léj
vres; il est sincere ildit
tout ce qu'il pense, même
jusqu'a ses défauts&l'on
conclut de là qu'il alecoeur
bon:mais cette ouverture
cette sincerité apparente
cet aveu de sesdéfauts,
qu'on accribue à labonté
defon coeur,se trouveront
sion les examine- deAmples
effetsde sa maliceou
de sa forife; & quel quece
soit de ces deux principes
qui fasse parlerDoronte, il~
est toujours ou à crainte om
àIl mé,p"ris.
Si Doronte avoüoit les
défauts par bonté de coeue,
il en rougiroit;ce feroit un
retour qu'il feroit sur luimême
par repentir & par
"Vertui & cette même vertu
'le porteroit à s'en corriger,
pour n'avoir plus à en rout
gir : mais il a toujours la
iiriême confidence à faire
Ar ses foiblesses; au lieu,
d'amendement on n'ap-
~perçoit en lui que plus de
~fermeté, &plus d'art dans
d'aveu de ses foiblesses. Il
~faut donc qu'il le fasse par
d'autres motifs, & tout autre
motif que le repentir
& lavertu dans cette occa
fion ne peut partir quede
sa malice oude sa forife.
S'il agit par malice, c'est
un piegequ'il tend pour
acquerir la confiance par
cette fausse sincerité, afin
de s'établir sur le pied d'un
homme amateur dela verité,
à qui l'on doit ajouter
foy lors qu'il fait le portrait
d'autrui. En effet, si l'on
fait atention , on remarquera
qu'ilpassetoujours
de ses défauts à ceux des
aUJrcs) & qu'il fait si bien *
en forte, que lorsque l'on
en vient insensiblement au
parallele,on le regardé
comme un Saint à canoniser,
en comparaison de
ceux dont il a parlé.
Si ce n'est pas dans cette
vue qu'il declare fifouvenr
ses foiblesses, on doit peiu
ser que c'est un vicieuxen-L.
durci qui veut par là que le
monde se familiarise avec
elles) & s'accoûtume à le*
lui faire connoître, parce
qfu'ail nie rveeut p.as s'en dé-
Enfin si c'estpar [oti[e"
on doit en accuserune facilité&
une foiblesse natifc
relle qui le rend infaillible.
ment aussi indiscret pour
les autres que pour lui-même
; ôc toute indiscretion
tft contraire au commerce
des honnêtes gens. Voilà
cependant le plus grandindice
par lequel on doit connoître
la bonté du coeur
Onse laisse éblouir par ses
confessions étudiées, Ôcc
n'est dans le fond rien
moins que ce qu'on s'imagine.
Damis rend service
K\itlefihoridequand il
se peut ; il topeà tout; il
faittout ce qu'on veut, &:
l'on n'en doit jamaiscraint
dreun refus,';quelqtiepropositionqu'on
lui fasse,
Voila ce qui s'appelle un
toncoeurà, touteép, reuve.
juges indiscrets,entrezplus
toàric danslesdémarches
de Damis, pour décider des
sentimens de son coeur.Il
rend service
,
il est vrai:
mais il va par tout faire
fruitde sa generosité il
appelle à témoins, ceuxqui
lui ont obligation,&fait
voir par là qu'ilcherche
plus à passer pour obligeant
& genereux, qu'à l'être en effet. D'ailleurs, quandl'occafion
s'enpresente, il sacrifie
les amis & leurs intérêtsà
ses pallions & à ses plaisirs
& ne fait pas difficulté d'exiger
deux le pardon de
son procedé,. pour reconnoissance
de quelques services
peu considerables qu'-^
il leur a rendus lors qu'il
n'avoit rien de meilleur à
faire. , : Il tope à tout,OÎIneDOIÇ
1 jamais.
Jamais craindre de refus,
quelque propofirion qu'on
lui fasse , j'en conviens:
mais les libertins ont sur
luile même privilege. Il
consent à donner dans le
viceaussi-bien que dans la
vertu; la raison ni la vertu
ne font point ses guides, 6c
ce que vous appeliez bonté
du coeur est une molesse,
une facilité, une foiblesse
de temperamment, qui est
sausequ'il se laisse indifféremment
entraîner par tous
les objets qui le sollicitent,
quels qu'ils puissent être.
co'.
Si je voulois poursuivre
sur ce ton, & montrer dans
leur vrai jour les actions de
la plupart des hommes ,
qu'on attribueàla bonté du
coeur,au lieu de quelques
reflexions en passant, il me
faudroit entreprendreune
histoire universelle, qui,
loin de vous amuser, vou|
deviendroit ennuyeuse. Il
me suffirad'avoir fait que
ques portraits au naturel
& d'avoir par là tracé un
chemin pourdécouvrir la
vérité des intentions quofl
a trouvé le secret de déguiser
sous de fidelles ap- parences. -c '1'';"n;)
Il me reste encoreà vous
dire que la fausse idéeque
bous avons de la bontédu
coeur cause presque tous les
desordres qui arrivent dans
la societé civile. Comme
peu de choses nous persuadent
que nous avons cette
bonté du coeur-, peu de
choses aussi nous la déterminent
dans les autres,&
voici ce qui en arrive.
On entend diretous les
jours dans le monde : J'ai
fait une nouvelleconnois
sance,la perfonnc en question
me paroît avoir un bon
coeur , je veux en faire un
bon usage. Fondé sur ce
principe, on lie commerce
des deux cotez, on se confie
, on s'abandonne; &:
comme les simples apparences
de la bonté du coeur
font les feules liaisons de
cet assemblage, unnoeud
si foible ne subsiste pas
long-temps sans se rompre;
onne trouve par-tou
(
que des demonstration.
r
d'amitié, Se point d'amis.
Tous les hommes son
ssir le même pied; ils le
trompent également dans
les dispositions qu'ils apportent
à leur societé
; &ç
après s'être unis sans diverscemrent,
ilsse confient sans i& font réciproquement
la dupe les uns
des autres. Ils s'en apperçoivent
bientôt à la vérité:
mais aucund'eux ne veut
s'en attribuer la faute -, elle
est pourtant commune, &
telle prévention injuste les
desunit,les aigrit,& les rend
incapables de reconnoîgtre
leurs erreurs, & c'est ce
qui s'oppose a une union
plus solide.
Si quelqu'un veut ne pas
se tromper dans le choix de
ceux avec lesquels il pretend
s'associer il doit commencer
par rectifier ses
sentimens & pour avoir
une veritable idée de lai
bontédu coeur, s'empresser à l'acquerir selon le modele
quej'en ai donné. IL
examinera enfuite à leur
insçû la conduite de ceux,,
sur lesquels il aura jetté la
vûe. Il confrontera leurs
démarches avec le modele
qu'il aura gravé dans son
ame; & s'illes crquvçiçpn,
formes dans le temps qu'ils
n'auronr pris aucun soinde
se contraindre & de se déguifer,
voila ce qu'il cherche,
il peut s'y abandon
ner avec confiance.
Je croisenavoir dit aI:
fez, pour vous faire convenir
qu'on prostituë sans
ceIfe le titre de bonté du
eaur, en l'appropriant à des
Situations qui lui sont toutà-
fait opposées.Vous-verrez
aussi
par mes reflexions
l'aveuglement: où L'on, est
aujourd'hui, & le desordre
quiregne dans le eoejir de
la plûpart des hommes.
Comme le vôtre en este
xempt, & qu'il est venta,,
blement bon, vous en con
-cevez unepitié charitable.
Ce tendre sentiment fera
fondésur laraison & lavertu
comme ildoitl'être,
ainsi que je l'aifait voit
dans ma définition ,afin
qu'on puisse avec justice
l'attribuer à la bonté du
coeur; ôclifant dans le mien
..fan', être abusée, vous con- noîtrez que mes protesia
tions sont sinceres
,
lorsque
je vous jureque je fuis
avec zele & respect, &:.c.
deP***
Sur la bonté du coeur.., DEpuis l'instant que j'eus
l'honneur de vous voir pour
la premiere fois, je vous ai
si souvent entendu parler
de la bonté du
-
coeur, que
je me fuis enfin determiné
à
-
approfondir une matiere
qfourit.semble vous occuper si
Souffrez que je vous
fasse part de mes reflexions;
non que je pretende ajoûter
par là quelque chose à
vos lumieres. Je sçai trop
que rien n'échape à vôtre
penetration: mais si vous
ne trouvez rien ici que vous
n'ayez déja apperçû de
vous-même, du moins ne
ferez-vous pas fâchée de
voir dans tout ce que je dirai
de la bonté du coeur,
une fidelle peinture du Vô-" trc.1 A mesure que les honw
mes se sont éloignez de la
première innocence, H%
ont perdu peuà peu lideQ
des vertusqui pouvoient les
y maintenir. Ils n'en ont
confervé que quelques apparences
dont ils ont fait
des marques à leurs désauts,
& ont enfin donné
à leurs foiblesses ainsi marquées
le nom des vertus
qu'ils ne connoissent plus,
& qui semblent n'oser paroîtrecequelles
sont, de
pmeur d'êétrepen brutteiàsleu.rs
Ils ont porté cet abus à
un tel excés, que je craindrois
devoir par-tout desa
voüer la bonté du coeur,
lorsque je la produirai sous
sa veritable figure, si je
n'appercevois en vous de
quoy justifier ce que je vais
dire à son sujet. Consuiltez
vous, confrontez vôtre in-i
terieur avec le portrait que
je vous donne
; Ôc s'ils se
rapportent, vous conviendrez
que je n'ai pas entier
rement participé à l'extrê-*
me aveuglement de laplû
part des hommes.
La bonté du coeur est ur
tendre sentiment de l'ame,
fondé sur la raison ôç sur la
vertu.
ld
Je dis, fondé sur la raison
& sur la vertu, parce
que, comme je le ferai voir
dans la suite, si l'un & l'autre
ne s'accompagnent pas,
le tendre sentiment n'est
qu'une foiblesse du temperamment,
dont on n'est pas
maître, & qu'on doit éviter
avec foin comme un
mauvais guide, capable de
nousfaire tomber dans de
grands inconveniens.
Pouravoir lecoeur veritablement
bon, il faut être
pitoyable envers tout le
monde:mais il ne suffit pas
de
-
compâtir aux peines
d'autrui ; ces sentimensde
pieté doivent encore nous
porter à chercher les
moyens de les faire cesser,,
sans examiner ce qu'il pour?
roit nous en coûterde démarches,
de soins, de veilles
, & de bien ruqinesi
nous étionsenétatd'en
employer à un si belusage:
&pour que ces sentimens
ayent toute leur pureté,il
est necessairequ'ils soient
desinteresseèz à unpoint ;
que nous nenvifàgiàâsdans
toutce qu'il nous faut faû
te1.que le bien &le repos
».
-
de ceux que nous voulons
obliger, sans avoir égard à
nous-mêmes, tant que no*,
tre innocence ne court aucun
risque.
Cette situation emporte
infailliblement avec elle k
reconnoissance, la generosité,
la discretion,l'équité,
la docilité, la complaisance
, la sincerité
,
& toutes
les autres qualitez qui nous
rendent propres à la societé
des gens de bien:elles sont
tellement enchaînées ensemble,
qu'on n'en peut séparer
aucune, sans altérer
& détruiremême toutes les
autres ; & si l'on, fait bien
attention a toutes ces circonfiances,
on trouvera
que la bonté du coeur qui
elles déterminent n'est au.
trechose que la charité elle-
même,à qui l'on a donné
un nom plusàl'usagedu monde.
Que cette peinture est
différente de l'idée qu'on a
aujourd'hui de la bonté du
coeur! Pour peu qu'on se
sente, une ame tendre &',
facile, on se l'attribuë, ont
s'en fait gloire,&on l'accporde
arux aiutrexs au m.ême Que Cloris, dit-on, a le
coeur bon! les chagrins de
ses amis la touchent comme
les siens propres, &elle
en est si affligée, que bien
loin d'être en état de se consoler
alors,elle a besoin el
le-mêmedeconsolation.
Elle est d'une douceur qui
charme, & sa complaisance
passe l'imagination.
Je l'avouë : mais qu'on
l'examine sans la perdre de
vûe. La raison & lavertu
accompagnentelles la sensibilité
qu'on lui voit pôiïï
ses amis? s'empresse-t-elle
à les soulager après les a
voirplaints ? & la voit-or
dans l'occasionprévenu
leurs demandes par des ser,
vices effectifs, danssedes
fein de leur épargner la
mortification & l'embarra
oùl'on se trouve, lors qu'
on est contraint par neceÍ;
sité d'avoir recours à se
amis? Si c'est là la conduit
de Cloris, qu'elle a le coeur
bon! que son procedé esrare!
Mais si elle s'en tien
aux pleurs & aux gemisse
mens sans passer outre, loin
que cette sensibilitéson guil
dée par la raison & la ver-*
tu, & parte de la bonté du
coeur, ce n'est en effet qu*
punneesseennssiibbiliiltiétéddeerteemrnppee--
ramment, une émotion na*
turelle causéepar la fynu
patie, & de la nature de
celles qu'excite en nous la
tenture de quelque avanT
cure touchante. Tant que
lesobjets sont presensà noa
yeux ou a nôtre Imagina.
tion,ils nous frapent &
nous interessent : mais à
peine font-ilsdisparusyqu€
nôtreémotion cesse&;
que nous en perdonsjusqu'à
la moindre idée. Doit.
ocn apopellerccelaubontrédu 1 Cette grande douceur
3! cette complaisanceaveugle
qu'on écoute dans Cloris,
font
des fuites de sa foifolefle
y- & pourlesdéfini
ju ftcs^ ce sontdes effets involontaires
d'une indolen.
ce naturelle qui la suitdans
toutes lesavionsde savie
ôc qu'on doit bannir dela
societé
, comme n'étant
d'aucun ufàge»
Mes amis me font si
chers, dit Doronte, que je
voudrois les voir parvenus
à la dernicre perfection.Je
souffre une peine extrême,
quand j'apperçois en eux
quelques défauts capables
de leur faire tort dans le
monde, & je voudrois les
en pouvoir corriger à quelque
prix que ce fût. Un tel,
par exemple, que je cheris
plus que moy-même) est à
la vérité recommandable
par mille belles qualitez:
mais certainesfoiblesses
viennent par malheur de*>
truire la belle idée qu'onen
pouvoit concevoir. Je l'eravertis
souvent avec douleur
, & il ne tient pas
moy qu'il ne s'en défasse
Est-il un meilleur CoeUJi
dans le monde,s'ecrient
alors ceux qui l'entendent
est-il un ami plus véritable?
Mais le sage, que ce:
apparences & ces détour
ne peuvent surprendre, de
couvre dans ce discours
un grand fond de malice
pu beaucoup de sotises dind<iscIre.tion.
-
Eneffet,siDoronteche
chepar là à décrier celui,
ont il paroîtavoir les incrêts
si fort à coeur, c'est
ne medisance, & une ma- ignité d'autant pluspernitieuse,
qu'elle cit plus eculiée
,
& qu'elle s'insinuë
pus lesapparences de l'anitié
la plus sincere & si
[ans le fond c'est sans desein
sans intention mauaise
qu'il parle; s'U ne fait
p.te suivre l'habitude qu'il.
contractée de dire tout.
ce qui lui est venu à la connoissance,
c'est une stups.,
jticé, une sotise & une indiscretion,
qu'on ne doit
pas moins bannirde la fo;
cieté que s'il pechoit par
malice, puisque les suites
en font les mêmes, & qu'i.
laisse les mêmesimpressions
dans l'esprit de ceux
qui l'écoutent. >h Quiconque a le coeur
bon regarde les défauts de
ses amis avec une pitié tendre
,il les cache,&pâlis
s'ils sont connus. Il n'en
parle jamais qu'à eux-mêmes
} encore lors qu'ille
en avertit, il le faitavec
discretion & retenue pour
; menaiilenager:
leur amour pr0
pre , qui pourroit les revolterys'ilallait
leur dire
ero face qu'il a remarqué
leurs foiblesses.
,,
Voila la route qu'on de-
~vroit tenir, au lieu d'aller.
comme Doronte dire tout,
~haut en publicyqu'on est
au desespoir de s'être apperçu
detels & tels défauts
en tels & tels amis, parce
qu'ils pourroient nuire à
teur réputation,s'ils ve*-
~loient à être connus dans
monde..
Cependant Doronte a
dit-on, leccciirïucles léj
vres; il est sincere ildit
tout ce qu'il pense, même
jusqu'a ses défauts&l'on
conclut de là qu'il alecoeur
bon:mais cette ouverture
cette sincerité apparente
cet aveu de sesdéfauts,
qu'on accribue à labonté
defon coeur,se trouveront
sion les examine- deAmples
effetsde sa maliceou
de sa forife; & quel quece
soit de ces deux principes
qui fasse parlerDoronte, il~
est toujours ou à crainte om
àIl mé,p"ris.
Si Doronte avoüoit les
défauts par bonté de coeue,
il en rougiroit;ce feroit un
retour qu'il feroit sur luimême
par repentir & par
"Vertui & cette même vertu
'le porteroit à s'en corriger,
pour n'avoir plus à en rout
gir : mais il a toujours la
iiriême confidence à faire
Ar ses foiblesses; au lieu,
d'amendement on n'ap-
~perçoit en lui que plus de
~fermeté, &plus d'art dans
d'aveu de ses foiblesses. Il
~faut donc qu'il le fasse par
d'autres motifs, & tout autre
motif que le repentir
& lavertu dans cette occa
fion ne peut partir quede
sa malice oude sa forife.
S'il agit par malice, c'est
un piegequ'il tend pour
acquerir la confiance par
cette fausse sincerité, afin
de s'établir sur le pied d'un
homme amateur dela verité,
à qui l'on doit ajouter
foy lors qu'il fait le portrait
d'autrui. En effet, si l'on
fait atention , on remarquera
qu'ilpassetoujours
de ses défauts à ceux des
aUJrcs) & qu'il fait si bien *
en forte, que lorsque l'on
en vient insensiblement au
parallele,on le regardé
comme un Saint à canoniser,
en comparaison de
ceux dont il a parlé.
Si ce n'est pas dans cette
vue qu'il declare fifouvenr
ses foiblesses, on doit peiu
ser que c'est un vicieuxen-L.
durci qui veut par là que le
monde se familiarise avec
elles) & s'accoûtume à le*
lui faire connoître, parce
qfu'ail nie rveeut p.as s'en dé-
Enfin si c'estpar [oti[e"
on doit en accuserune facilité&
une foiblesse natifc
relle qui le rend infaillible.
ment aussi indiscret pour
les autres que pour lui-même
; ôc toute indiscretion
tft contraire au commerce
des honnêtes gens. Voilà
cependant le plus grandindice
par lequel on doit connoître
la bonté du coeur
Onse laisse éblouir par ses
confessions étudiées, Ôcc
n'est dans le fond rien
moins que ce qu'on s'imagine.
Damis rend service
K\itlefihoridequand il
se peut ; il topeà tout; il
faittout ce qu'on veut, &:
l'on n'en doit jamaiscraint
dreun refus,';quelqtiepropositionqu'on
lui fasse,
Voila ce qui s'appelle un
toncoeurà, touteép, reuve.
juges indiscrets,entrezplus
toàric danslesdémarches
de Damis, pour décider des
sentimens de son coeur.Il
rend service
,
il est vrai:
mais il va par tout faire
fruitde sa generosité il
appelle à témoins, ceuxqui
lui ont obligation,&fait
voir par là qu'ilcherche
plus à passer pour obligeant
& genereux, qu'à l'être en effet. D'ailleurs, quandl'occafion
s'enpresente, il sacrifie
les amis & leurs intérêtsà
ses pallions & à ses plaisirs
& ne fait pas difficulté d'exiger
deux le pardon de
son procedé,. pour reconnoissance
de quelques services
peu considerables qu'-^
il leur a rendus lors qu'il
n'avoit rien de meilleur à
faire. , : Il tope à tout,OÎIneDOIÇ
1 jamais.
Jamais craindre de refus,
quelque propofirion qu'on
lui fasse , j'en conviens:
mais les libertins ont sur
luile même privilege. Il
consent à donner dans le
viceaussi-bien que dans la
vertu; la raison ni la vertu
ne font point ses guides, 6c
ce que vous appeliez bonté
du coeur est une molesse,
une facilité, une foiblesse
de temperamment, qui est
sausequ'il se laisse indifféremment
entraîner par tous
les objets qui le sollicitent,
quels qu'ils puissent être.
co'.
Si je voulois poursuivre
sur ce ton, & montrer dans
leur vrai jour les actions de
la plupart des hommes ,
qu'on attribueàla bonté du
coeur,au lieu de quelques
reflexions en passant, il me
faudroit entreprendreune
histoire universelle, qui,
loin de vous amuser, vou|
deviendroit ennuyeuse. Il
me suffirad'avoir fait que
ques portraits au naturel
& d'avoir par là tracé un
chemin pourdécouvrir la
vérité des intentions quofl
a trouvé le secret de déguiser
sous de fidelles ap- parences. -c '1'';"n;)
Il me reste encoreà vous
dire que la fausse idéeque
bous avons de la bontédu
coeur cause presque tous les
desordres qui arrivent dans
la societé civile. Comme
peu de choses nous persuadent
que nous avons cette
bonté du coeur-, peu de
choses aussi nous la déterminent
dans les autres,&
voici ce qui en arrive.
On entend diretous les
jours dans le monde : J'ai
fait une nouvelleconnois
sance,la perfonnc en question
me paroît avoir un bon
coeur , je veux en faire un
bon usage. Fondé sur ce
principe, on lie commerce
des deux cotez, on se confie
, on s'abandonne; &:
comme les simples apparences
de la bonté du coeur
font les feules liaisons de
cet assemblage, unnoeud
si foible ne subsiste pas
long-temps sans se rompre;
onne trouve par-tou
(
que des demonstration.
r
d'amitié, Se point d'amis.
Tous les hommes son
ssir le même pied; ils le
trompent également dans
les dispositions qu'ils apportent
à leur societé
; &ç
après s'être unis sans diverscemrent,
ilsse confient sans i& font réciproquement
la dupe les uns
des autres. Ils s'en apperçoivent
bientôt à la vérité:
mais aucund'eux ne veut
s'en attribuer la faute -, elle
est pourtant commune, &
telle prévention injuste les
desunit,les aigrit,& les rend
incapables de reconnoîgtre
leurs erreurs, & c'est ce
qui s'oppose a une union
plus solide.
Si quelqu'un veut ne pas
se tromper dans le choix de
ceux avec lesquels il pretend
s'associer il doit commencer
par rectifier ses
sentimens & pour avoir
une veritable idée de lai
bontédu coeur, s'empresser à l'acquerir selon le modele
quej'en ai donné. IL
examinera enfuite à leur
insçû la conduite de ceux,,
sur lesquels il aura jetté la
vûe. Il confrontera leurs
démarches avec le modele
qu'il aura gravé dans son
ame; & s'illes crquvçiçpn,
formes dans le temps qu'ils
n'auronr pris aucun soinde
se contraindre & de se déguifer,
voila ce qu'il cherche,
il peut s'y abandon
ner avec confiance.
Je croisenavoir dit aI:
fez, pour vous faire convenir
qu'on prostituë sans
ceIfe le titre de bonté du
eaur, en l'appropriant à des
Situations qui lui sont toutà-
fait opposées.Vous-verrez
aussi
par mes reflexions
l'aveuglement: où L'on, est
aujourd'hui, & le desordre
quiregne dans le eoejir de
la plûpart des hommes.
Comme le vôtre en este
xempt, & qu'il est venta,,
blement bon, vous en con
-cevez unepitié charitable.
Ce tendre sentiment fera
fondésur laraison & lavertu
comme ildoitl'être,
ainsi que je l'aifait voit
dans ma définition ,afin
qu'on puisse avec justice
l'attribuer à la bonté du
coeur; ôclifant dans le mien
..fan', être abusée, vous con- noîtrez que mes protesia
tions sont sinceres
,
lorsque
je vous jureque je fuis
avec zele & respect, &:.c.
Fermer
Résumé : A MADEMOISELLE de P*** Sur la bonté du cœur.
La lettre examine la véritable nature de la bonté du cœur, soulignant que les hommes, en s'éloignant de leur innocence originelle, ont perdu le sens des vertus, les remplaçant par des apparences trompeuses. La bonté du cœur est définie comme un sentiment tendre de l'âme, fondé sur la raison et la vertu, et doit être désintéressé et actif, visant à soulager les peines d'autrui sans attendre de reconnaissance. L'auteur critique les fausses manifestations de la bonté du cœur, telles que les pleurs et les lamentations sans actions concrètes. Il analyse les comportements de personnages comme Cloris, Doronte et Damis pour révéler leur manque de véritable bonté. Cloris est émotive mais ne passe pas à l'action, Doronte utilise ses aveux de défauts pour manipuler les autres, et Damis rend service pour être perçu comme généreux mais sacrifie ses amis pour ses plaisirs. La fausse idée de la bonté du cœur cause des désordres dans la société civile, menant à des relations superficielles et à la méfiance. Pour éviter ces erreurs, l'auteur recommande de rectifier ses sentiments et d'examiner la conduite des autres à la lumière du véritable modèle de bonté du cœur. Il exprime également une pitié charitable envers le destinataire, dont le cœur est exempt de défauts et est véritablement bon. Le texte vise à clarifier les sentiments et les intentions de l'auteur, en se basant sur des réflexions personnelles et des définitions de la bonté et de la vertu.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 1331-1341
SUITE des réfléxions sur la bizarerie des Usages. Par M. Capperon, ancien Doyen de Saint Maxent.
Début :
L'Homme s'aimant à l'excès, il s'ensuit qu'il aime et qu'il estime tout [...]
Mots clefs :
Usage, Force, Excès, Bizarre, Santé, Corps, Usages, Médecine, Jeux
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texteReconnaissance textuelle : SUITE des réfléxions sur la bizarerie des Usages. Par M. Capperon, ancien Doyen de Saint Maxent.
SUITE des réfléxions sur la bizarerie
des Usages. Par M. Capperon , ancien
Doyen de Saint Maxent.
L
'Homme s'aimant à l'excès , il s'ensuit
qu'il aime et qu'il estime tout
ce qui le touche de plus près. Il sent même
un plaisir secret à se persuader , soit
par les épreuves qu'il peut faire , soit par
l'approbation des autres , que ce qu'il
estime en lui , est véritablement grand et
absolument estimable. C'est de cette disposition
si naturelle à l'homme, que sont
sorties , non seulement les bizarèries qui
ont rapport à l'usage des sens et aux productions
de l'esprit , dont j'ai cy- devant
parlé , mais plusieurs autres encore qui
ont paru,qui paroissent et qui paroîtront
dans. le temps à venir .
Me faisant donc un plaisir de relever .
ces excès ; et chacun pouvant en trouver
comme moi à les connoître , à les blâmer
et peut -être même à en rire , principa
lement lorsqu'ils sont passez ; car il n'en
est pas ainsi lorsqu'ils subsistent et qu'ils
sont en vogue : je crois qu'il ne déplaira
pas que je continuë mes Refléxions sur
ce sujet; et qu'après avoir parlé des
II. Vol. Dij usa1332
MERCURE DE FRANCE
usages bizares , provenus du désir de satisfaire
les sens et de faire remarquer la
beauté et l'excellence de l'esprit , je passe
aujourd'hui à ceux qui se sont formez
par le désir excessif de ménager et de
conserver la santé du corps , et de faire
valoir sa force et son adresse.
Il n'est pas necessaire que je dise , que
la santé est le bien le plus précieux de la
vie; qu'il est juste , pour une infinité de
raisons , de la menager et de la conserver
; tout le monde en est assez persuadé:
mais comme tout excès est blâmable , il
ne convient pas , sans doute , de le faire
si scrupuleusement , qu'on cesse d'en profiter
de peur de la perdre , qu'on ne s'en
serve que pour l'étudier et y veiller , que
dans le dessein de la rétablir on use des
moyens propres à la déranger,ou à la détruire
; ce sont neanmoins ces excès qui
ont introduit divers usages tres - singuliers
et tres bizares .
On sçait jusqu'à quel excès les anciens
ont poussé l'usage des Bains , qu'ils
croioient, à la vérité, nécessaires pour la
propreté du corps , mais qu'ils ne croioient
pas moins convenables pour conserver la
santé , ainsi qu'on le pense et qu'on l'observe
encore aujourd'hui , mais avec plus
de moderation et pour le seul besoin ; ce
I.Vol.
que
JUI N. 1733. 1333
•
que les anciens ne faisoient pas , ayant
porté cet usage bien au- delà de ce qui
convenoit : Car n'étoit- ce pas un excès
tout-à-fait bizare chez les Romains , non
seulement d'aller chaque jour au Bain
avant que de souper , mais d'y aller plusieurs
fois par jour . Les Empereurs Commode
et Gordien le jeune y alloient jusqu'à
sept ou huit fois a . N'étoit - ce pas
une vraie bizarerie de s'y faire frotter le
corps avec une espece d'Etrille b . Mais
ce qui étoit un excès beaucoup plus
criant , c'est que ces Bains étoient communs
pour les hommes et pour les femmes
; ce qui a même duré dans le Christianisme
pendant près de trois siecles
malgré les Loix de l'Eglise et des plus sages
Empereurs. Enfin l'attrait pour ces
Bains étoit si violent , qu'un Auteur a
très- bien remarqué, qu'il n'y a point d'ouvrages
des anciens , où les Empereurs
Romains ayent fait paroître plus de somptuosité
et de folie, que pour les Thermes ,
qui étoient les lieux où se prenoient ces
Bains c.
a Rosinus. Antiq. Roman . lib. 1. cap. 14.
b Strigile autem usos fuisse antiquos ad fricandum
, purgandumque corpus. Rosin. ibid. de Balneis.
c In nullis antiquorum operibus plus luxus et
Il. Vol. Diiij Si
1334 MERCURE DE FRANCE
Si nous passons aux remedes qu'on a
employez pour rétablir la santé alterée
par quelque infirmité , quelle bizarerie
ne trouverons - nous pas ? Il n'y a pour en
juger qu'à lire ce que dit le Clerc dans
son Histoire de la Médecine : Part. 1. liv.
3. chap. 26. où il rapporte de quelle maniere
on traitoit certaines maladies du
temps même du fameux Hypocrate , ce
qui paroît tout-à- fait bizare. " ¦
Il dit que lorsqu'on vouloit nettoyer le
bas ventre , on introduisoit dans l'Anus
un Soufflet de Forgeron ; qu'après avoir
fait enfler le ventre par ce moyen, le
Soufflet étant tiré , on donnoit le lavevement.
Pour guérir les Phtisyques , on
leur brûloit le dos et la poitrine , et on
tenoit les Ulceres ouverts pendant certain
temps. Pour les maux de tête on appliquoit
huit cauteres autour de la tête ;
que si cela ne suffisoit pas , on faisoit
pareillement
autour de la tête une incision
en forme de couronne , qui passoit d'un
bout à l'autre du front. On en faisoit autant
pour guérir les maux des yeux . Pour
les Convulsions , après avoir saigné , on
usoit de Sternutatoire , et on faisoit du
feu des deux côtez du lit du malade .
insania cernitur quam in Thermis Imperatorum.
Georg. Fabric, in suâ Româ.
II. Vol. L'us
JUIN. 1733. 1335
L'usage de cauteriser et de brûler le
corps en differens endroits , pour guérir
différens maux, a duré long- temps ; cette
Medecine grossiere et cruelle , continue
encore dans l'Affrique , la Chine , le Japon
et autres païs Orientaux , comme
aussi chez les Sauvages de l'Amérique
qui se servent à cet effet de bois pourri
à cause que la chaleur
en est moins
active.
C'étoit
des païs Orientaux
qu'étoit
venu en France
et ailleurs
l'usage
du
Moxa , qui consistoit
à faire bruler cette
espece
de filasse , sur la partie
attaque
de la goutte
, pour en guérir
, mais ce re
mede
caustique
a fait peu de progrès
;
car comme
disoit un Seigneur
Anglois
à qui les Médecins
l'avoient
ordonné
quel crime ai-je donc commis , pour que
je sois condamné
à être brûlé vif.
2
On peut mettre au nombre des usages:
bizares, en fait de Médecine , la fantaisie:
qu'on a euë de pendre au col , ou de por
ter sur soi , diverses choses qu'on a crûës :
spécifiques pour se guérir ou se préserver
de certains maux;c'est de ces usages , qu'est :
venue aux femmes , la mode de porter au
trefois des Coliers d'Ambre et de Corail
comme à plusieurs autres de mettre aux
doigts des Bagues garnies de prétendus:
Talismans. Ce n'étoit pas un usage moms:
H..Vol. D v bi
1336 MERCURE DE FRANCE
bizare de consulter les Astres , et sur tout
la Lune , pour sçavoit s'il convenoit de
prendre le moindre remede , afin de s'asseurer
de son efficacité ; c'est pourquoi
les Prédictions qui se donnoient chaque
année au public, marquoient précisément
les jours auxquels il convenoit de se faire
saigner , de prendre medecine , ou d'u
ser de ventouses. L'Etoile ou constellation
, nommée la Canicule, étoit marquée
comme la plus nuisible , pendant tout le
temps qu'elle dominoir , de quoi plusieurs
encore aujourd'hui ne sont pas désabuscz.
On peut voir un échantillon de la bizarerie
qui regnoit au neuviéme siecle ,
touchant la medecine , par le conseil que
Pardule, Evêque de Laon donnoit à Hincmar,
Archevêque de Reims , qui relevoit
d'une maladie a ; sçavoir , que pour rétablir
sa santé , il devoit bien se garder
de manger des petits Poissons , particu
lierement le jour qu'on les auroit tirés
de l'eau , non plus que de toute autre
viande nouvelle , soit Volailles ou autres
animaux , tuez du même jour ; qu'avant
que de les manger , il falloit bien les saler
, afin d'en dessecher toute l'humidité,
Hincmar , tom . p . 838.
II. Vole
qu'il
JUIN. 1733.1337
qu'il devoit principalement manger, du
Lard , et n'user que de la chair des animaux
à quatre pieds,ayant soin sur tout ,
de s'abstenir de Persil , l'assurant que
sans ce regime , il étoit tres difficille à
toute personne convalescente , de rétablir
la foiblesse de son estomac . Je crois qu'aujourd'hui
peu de gens s'accommoderoient
en pareil cas , d'une semblable ordonnance.
Autre bizarerie de Medecine qui regnoit
en France du temps du Roy Sainr
Louis , et qui consistoit à saigner à l'excès
, dans l'esperance de conserver par
ce moyen sa santé : on le voit par les
Regles que ce Prince donna aux Religieuses
de l'Hôtel - Dieu de Pontoise , par
lesquelles il ne leur étoit permis de se
faire saigner que six fois par an , les
temps même où elles le devoient faire
étant précisément marquez ; sçavoir , à
Noël , au commencement du Carême , à
Pâque , à la S.Pierre, dans le mois d'Août
et à la Toussaint a
De la santé je passe à la force du corps,.
où je fais voir si l'attachement
, que
qu'on a pour l'une a donné lieu à la bizarerie
de quelques usages , l'autre en a
a Patru , Plaid, pour Madame dé Guénégaud.-
II. Vol. Dvj, pro
1338 MERCURE DE FRANCE
produit, dont l'excès est encore allé beaucoup
plus loin. On ne peut pas dourǝt
qu'on ne sente un plaisir secret à éprouver
så force et à là faire remarquer aux
autres ; ce que font tous les jours les énfans
en est la preuve ; ce n'est que dans
le dessein de se procurer ce plaisir, qu'ils
s'empressent à sonner les Cloches d'une
Eglise ; que dans leurs jeux , un de leurs
plus grands plaisirs , est d'essayer à qui
sautera le plus haut , ou le plus loin , à
qui courra le plus fort , ou qui par sa
force , terrassera le mieux son camarade.
Ce que ce sentiment naturel opera
dans les enfans , il le fait également dans
les personnes plus âgées , mais avec cette
différence , que și plusieurs , par l'usage
qu'ils font de leur raison , s'y prêtent
moins que les enfans ; il ne s'en est trouvé
que trop , qui , pour s'y étre abandonnez
sans mestre , ont donné dans des
excès , qu'on peut regarder, à juste titre ,
comme des bizareries les plus outrées .
L'usage dont parle S.Jérôme , qui sub
sistoit de son temps , et qui consistoit à
donner au public des preuves de sa force,
n'étoit pas, à la verité , ni si bizare , ni
si outré ; il ne pouvoit même passer pour
bizare , qu'autant que les hommes , qui
devoient pardessus tout faire valoir la
Il.Vol dé
JUIN.. 17337 1339
3
délicatesse de leur esprit , se picquqient
trop alors de faire admirer la force de
leur corps , privilege dont les animaux
les plus grossiers sont beaucoup plus
avantagez qu'eux . Il consistoit donc cet
usage , en ce que , selon ce Pere a , il n'y
avoit dans la Judée où il demeuroit , ni
Ville , ni Bourg , ni Village , ni si petit .
Château , où il n'y eut de
Pierres
grosses
rondes , uniquement destinées pour exercer
les jeunes gens , et pour leur donnes
lieu de faire admirer au public jusqu'où
alloit leur force ; de sorte que pendant
qu'il y en avoit qui ne pouvoient élever
ces grosses Pierres que jusqu'à leurs ged
noux ou jusqu'à la moitié du corps , on
en voyoit d'autres qui les portoient jusques
sur leurs épaules , même sur leur tê
te , et c'étoient ceux là qui avoient tout
l'honneur ..
Il y a apparence que cet usage ne s'observoit
pas dans la scule Judée , puisque
ce Pere dit au même endroit , qu'il avoit
vû dans la Forteresse d'Athénes une
grosse Boule d'Airain , qui servoit aussi à
éprouver la force des Atheletes. Je croirois
même que cet usage avoit passé jusques
dans les Gaules ; que dis - je , jusques
a Hier. in Zachar. cap. 12
L. Vol.
dans
1340 MERCURE DE FRANCE
dans notre Ville d'Eu , qui subsistoit
bien avant ce temps-là , puisqu'on y a
vû jusqu'à nos jours , dans l'Hôtel de
Ville , de grosses Pierres de grès , parfaitement
rondes , au moins de quatre pieds
de circonférence , lesquelles y ont toujours
été , sans qu'on puisse sçavoir à
quel autre usage elles ont pû être destinées
.
Ce fut de cette inclination naturelle qui
naît,comme j'ai dit ,avec l'homme, d'estimer
sa force , et de se faire un plaisir dela
faire estimer aux autres , que l'exercice
des Atheletes , et les Jeux Olimpiques
si fameux dans toute la Grece , prirent
leur origine ; car en quoi consistoient ces-
Jeux , qui se renouveloient tous les quatre
ans , où les peuples couroient en foule
pour en être les spectateurs , où les victoires
et les couronnes qu'on y remportoit
combloient d'honneur ceux qui
étoient assez heureux pour avoir cet
avantage ? Ils consistoient ces Jeux , à
voir et à admirer , ceux qui dans la Lute
terrassoient le mieux , après differens efforts
, ceux contre lesquels ils lutoient, et
même ceux qui l'emportoient à la course
ou à donner des coups de poings , ou
à jetter le Palet avec plus de force et d'adresse
.
II. Vol.
Après
JUIN. 1733 . 1341'
pas
bizare
, que Après tout , ne paroît - il
ces Jeux que nous croïons aujourd'hui ne
convenir qu'à des enfans , ayent fait au--
trefois l'admiration et le spectacle le plus
recherche des peuples les plus polis ; que
pour s'y former , il falloit dès sa jeunesse
y être instruit et exercé par des Maîtres
; que pour acquerir la force et l'adresse
necessaire , il falloit observer un
régime de vie , qui retranchoit l'usage:
du vin , de plusieurs autres choses , et de
certains plaisirs permis. S. Paul même en
a fait une note a.Dailleurs ce qui doit pa➡
roître de plus outré et de plus honteusement
bizare dans ces Jeux , c'est que non
seulement les hommes abandonnant toute
pudeur , y paroissoient et y combattoient
entierement nuds ; mais que les
femmes ayent voulu aussi y prendre part
et y paroître de la même façon , comme
le rapporte Plutarque ; en quoi , après
tout , elles ne faisoient que suivre ce que
le prétendu divin Platon leur avoit ordonné
b , voulant qu'elles ne parussent
Couvertes que de leur seule vertu .
Le reste pour le prochain Mercure.
a Ep.
. 1. aux Corinth, ch.
b De Legib. liv. 6.
des Usages. Par M. Capperon , ancien
Doyen de Saint Maxent.
L
'Homme s'aimant à l'excès , il s'ensuit
qu'il aime et qu'il estime tout
ce qui le touche de plus près. Il sent même
un plaisir secret à se persuader , soit
par les épreuves qu'il peut faire , soit par
l'approbation des autres , que ce qu'il
estime en lui , est véritablement grand et
absolument estimable. C'est de cette disposition
si naturelle à l'homme, que sont
sorties , non seulement les bizarèries qui
ont rapport à l'usage des sens et aux productions
de l'esprit , dont j'ai cy- devant
parlé , mais plusieurs autres encore qui
ont paru,qui paroissent et qui paroîtront
dans. le temps à venir .
Me faisant donc un plaisir de relever .
ces excès ; et chacun pouvant en trouver
comme moi à les connoître , à les blâmer
et peut -être même à en rire , principa
lement lorsqu'ils sont passez ; car il n'en
est pas ainsi lorsqu'ils subsistent et qu'ils
sont en vogue : je crois qu'il ne déplaira
pas que je continuë mes Refléxions sur
ce sujet; et qu'après avoir parlé des
II. Vol. Dij usa1332
MERCURE DE FRANCE
usages bizares , provenus du désir de satisfaire
les sens et de faire remarquer la
beauté et l'excellence de l'esprit , je passe
aujourd'hui à ceux qui se sont formez
par le désir excessif de ménager et de
conserver la santé du corps , et de faire
valoir sa force et son adresse.
Il n'est pas necessaire que je dise , que
la santé est le bien le plus précieux de la
vie; qu'il est juste , pour une infinité de
raisons , de la menager et de la conserver
; tout le monde en est assez persuadé:
mais comme tout excès est blâmable , il
ne convient pas , sans doute , de le faire
si scrupuleusement , qu'on cesse d'en profiter
de peur de la perdre , qu'on ne s'en
serve que pour l'étudier et y veiller , que
dans le dessein de la rétablir on use des
moyens propres à la déranger,ou à la détruire
; ce sont neanmoins ces excès qui
ont introduit divers usages tres - singuliers
et tres bizares .
On sçait jusqu'à quel excès les anciens
ont poussé l'usage des Bains , qu'ils
croioient, à la vérité, nécessaires pour la
propreté du corps , mais qu'ils ne croioient
pas moins convenables pour conserver la
santé , ainsi qu'on le pense et qu'on l'observe
encore aujourd'hui , mais avec plus
de moderation et pour le seul besoin ; ce
I.Vol.
que
JUI N. 1733. 1333
•
que les anciens ne faisoient pas , ayant
porté cet usage bien au- delà de ce qui
convenoit : Car n'étoit- ce pas un excès
tout-à-fait bizare chez les Romains , non
seulement d'aller chaque jour au Bain
avant que de souper , mais d'y aller plusieurs
fois par jour . Les Empereurs Commode
et Gordien le jeune y alloient jusqu'à
sept ou huit fois a . N'étoit - ce pas
une vraie bizarerie de s'y faire frotter le
corps avec une espece d'Etrille b . Mais
ce qui étoit un excès beaucoup plus
criant , c'est que ces Bains étoient communs
pour les hommes et pour les femmes
; ce qui a même duré dans le Christianisme
pendant près de trois siecles
malgré les Loix de l'Eglise et des plus sages
Empereurs. Enfin l'attrait pour ces
Bains étoit si violent , qu'un Auteur a
très- bien remarqué, qu'il n'y a point d'ouvrages
des anciens , où les Empereurs
Romains ayent fait paroître plus de somptuosité
et de folie, que pour les Thermes ,
qui étoient les lieux où se prenoient ces
Bains c.
a Rosinus. Antiq. Roman . lib. 1. cap. 14.
b Strigile autem usos fuisse antiquos ad fricandum
, purgandumque corpus. Rosin. ibid. de Balneis.
c In nullis antiquorum operibus plus luxus et
Il. Vol. Diiij Si
1334 MERCURE DE FRANCE
Si nous passons aux remedes qu'on a
employez pour rétablir la santé alterée
par quelque infirmité , quelle bizarerie
ne trouverons - nous pas ? Il n'y a pour en
juger qu'à lire ce que dit le Clerc dans
son Histoire de la Médecine : Part. 1. liv.
3. chap. 26. où il rapporte de quelle maniere
on traitoit certaines maladies du
temps même du fameux Hypocrate , ce
qui paroît tout-à- fait bizare. " ¦
Il dit que lorsqu'on vouloit nettoyer le
bas ventre , on introduisoit dans l'Anus
un Soufflet de Forgeron ; qu'après avoir
fait enfler le ventre par ce moyen, le
Soufflet étant tiré , on donnoit le lavevement.
Pour guérir les Phtisyques , on
leur brûloit le dos et la poitrine , et on
tenoit les Ulceres ouverts pendant certain
temps. Pour les maux de tête on appliquoit
huit cauteres autour de la tête ;
que si cela ne suffisoit pas , on faisoit
pareillement
autour de la tête une incision
en forme de couronne , qui passoit d'un
bout à l'autre du front. On en faisoit autant
pour guérir les maux des yeux . Pour
les Convulsions , après avoir saigné , on
usoit de Sternutatoire , et on faisoit du
feu des deux côtez du lit du malade .
insania cernitur quam in Thermis Imperatorum.
Georg. Fabric, in suâ Româ.
II. Vol. L'us
JUIN. 1733. 1335
L'usage de cauteriser et de brûler le
corps en differens endroits , pour guérir
différens maux, a duré long- temps ; cette
Medecine grossiere et cruelle , continue
encore dans l'Affrique , la Chine , le Japon
et autres païs Orientaux , comme
aussi chez les Sauvages de l'Amérique
qui se servent à cet effet de bois pourri
à cause que la chaleur
en est moins
active.
C'étoit
des païs Orientaux
qu'étoit
venu en France
et ailleurs
l'usage
du
Moxa , qui consistoit
à faire bruler cette
espece
de filasse , sur la partie
attaque
de la goutte
, pour en guérir
, mais ce re
mede
caustique
a fait peu de progrès
;
car comme
disoit un Seigneur
Anglois
à qui les Médecins
l'avoient
ordonné
quel crime ai-je donc commis , pour que
je sois condamné
à être brûlé vif.
2
On peut mettre au nombre des usages:
bizares, en fait de Médecine , la fantaisie:
qu'on a euë de pendre au col , ou de por
ter sur soi , diverses choses qu'on a crûës :
spécifiques pour se guérir ou se préserver
de certains maux;c'est de ces usages , qu'est :
venue aux femmes , la mode de porter au
trefois des Coliers d'Ambre et de Corail
comme à plusieurs autres de mettre aux
doigts des Bagues garnies de prétendus:
Talismans. Ce n'étoit pas un usage moms:
H..Vol. D v bi
1336 MERCURE DE FRANCE
bizare de consulter les Astres , et sur tout
la Lune , pour sçavoit s'il convenoit de
prendre le moindre remede , afin de s'asseurer
de son efficacité ; c'est pourquoi
les Prédictions qui se donnoient chaque
année au public, marquoient précisément
les jours auxquels il convenoit de se faire
saigner , de prendre medecine , ou d'u
ser de ventouses. L'Etoile ou constellation
, nommée la Canicule, étoit marquée
comme la plus nuisible , pendant tout le
temps qu'elle dominoir , de quoi plusieurs
encore aujourd'hui ne sont pas désabuscz.
On peut voir un échantillon de la bizarerie
qui regnoit au neuviéme siecle ,
touchant la medecine , par le conseil que
Pardule, Evêque de Laon donnoit à Hincmar,
Archevêque de Reims , qui relevoit
d'une maladie a ; sçavoir , que pour rétablir
sa santé , il devoit bien se garder
de manger des petits Poissons , particu
lierement le jour qu'on les auroit tirés
de l'eau , non plus que de toute autre
viande nouvelle , soit Volailles ou autres
animaux , tuez du même jour ; qu'avant
que de les manger , il falloit bien les saler
, afin d'en dessecher toute l'humidité,
Hincmar , tom . p . 838.
II. Vole
qu'il
JUIN. 1733.1337
qu'il devoit principalement manger, du
Lard , et n'user que de la chair des animaux
à quatre pieds,ayant soin sur tout ,
de s'abstenir de Persil , l'assurant que
sans ce regime , il étoit tres difficille à
toute personne convalescente , de rétablir
la foiblesse de son estomac . Je crois qu'aujourd'hui
peu de gens s'accommoderoient
en pareil cas , d'une semblable ordonnance.
Autre bizarerie de Medecine qui regnoit
en France du temps du Roy Sainr
Louis , et qui consistoit à saigner à l'excès
, dans l'esperance de conserver par
ce moyen sa santé : on le voit par les
Regles que ce Prince donna aux Religieuses
de l'Hôtel - Dieu de Pontoise , par
lesquelles il ne leur étoit permis de se
faire saigner que six fois par an , les
temps même où elles le devoient faire
étant précisément marquez ; sçavoir , à
Noël , au commencement du Carême , à
Pâque , à la S.Pierre, dans le mois d'Août
et à la Toussaint a
De la santé je passe à la force du corps,.
où je fais voir si l'attachement
, que
qu'on a pour l'une a donné lieu à la bizarerie
de quelques usages , l'autre en a
a Patru , Plaid, pour Madame dé Guénégaud.-
II. Vol. Dvj, pro
1338 MERCURE DE FRANCE
produit, dont l'excès est encore allé beaucoup
plus loin. On ne peut pas dourǝt
qu'on ne sente un plaisir secret à éprouver
så force et à là faire remarquer aux
autres ; ce que font tous les jours les énfans
en est la preuve ; ce n'est que dans
le dessein de se procurer ce plaisir, qu'ils
s'empressent à sonner les Cloches d'une
Eglise ; que dans leurs jeux , un de leurs
plus grands plaisirs , est d'essayer à qui
sautera le plus haut , ou le plus loin , à
qui courra le plus fort , ou qui par sa
force , terrassera le mieux son camarade.
Ce que ce sentiment naturel opera
dans les enfans , il le fait également dans
les personnes plus âgées , mais avec cette
différence , que și plusieurs , par l'usage
qu'ils font de leur raison , s'y prêtent
moins que les enfans ; il ne s'en est trouvé
que trop , qui , pour s'y étre abandonnez
sans mestre , ont donné dans des
excès , qu'on peut regarder, à juste titre ,
comme des bizareries les plus outrées .
L'usage dont parle S.Jérôme , qui sub
sistoit de son temps , et qui consistoit à
donner au public des preuves de sa force,
n'étoit pas, à la verité , ni si bizare , ni
si outré ; il ne pouvoit même passer pour
bizare , qu'autant que les hommes , qui
devoient pardessus tout faire valoir la
Il.Vol dé
JUIN.. 17337 1339
3
délicatesse de leur esprit , se picquqient
trop alors de faire admirer la force de
leur corps , privilege dont les animaux
les plus grossiers sont beaucoup plus
avantagez qu'eux . Il consistoit donc cet
usage , en ce que , selon ce Pere a , il n'y
avoit dans la Judée où il demeuroit , ni
Ville , ni Bourg , ni Village , ni si petit .
Château , où il n'y eut de
Pierres
grosses
rondes , uniquement destinées pour exercer
les jeunes gens , et pour leur donnes
lieu de faire admirer au public jusqu'où
alloit leur force ; de sorte que pendant
qu'il y en avoit qui ne pouvoient élever
ces grosses Pierres que jusqu'à leurs ged
noux ou jusqu'à la moitié du corps , on
en voyoit d'autres qui les portoient jusques
sur leurs épaules , même sur leur tê
te , et c'étoient ceux là qui avoient tout
l'honneur ..
Il y a apparence que cet usage ne s'observoit
pas dans la scule Judée , puisque
ce Pere dit au même endroit , qu'il avoit
vû dans la Forteresse d'Athénes une
grosse Boule d'Airain , qui servoit aussi à
éprouver la force des Atheletes. Je croirois
même que cet usage avoit passé jusques
dans les Gaules ; que dis - je , jusques
a Hier. in Zachar. cap. 12
L. Vol.
dans
1340 MERCURE DE FRANCE
dans notre Ville d'Eu , qui subsistoit
bien avant ce temps-là , puisqu'on y a
vû jusqu'à nos jours , dans l'Hôtel de
Ville , de grosses Pierres de grès , parfaitement
rondes , au moins de quatre pieds
de circonférence , lesquelles y ont toujours
été , sans qu'on puisse sçavoir à
quel autre usage elles ont pû être destinées
.
Ce fut de cette inclination naturelle qui
naît,comme j'ai dit ,avec l'homme, d'estimer
sa force , et de se faire un plaisir dela
faire estimer aux autres , que l'exercice
des Atheletes , et les Jeux Olimpiques
si fameux dans toute la Grece , prirent
leur origine ; car en quoi consistoient ces-
Jeux , qui se renouveloient tous les quatre
ans , où les peuples couroient en foule
pour en être les spectateurs , où les victoires
et les couronnes qu'on y remportoit
combloient d'honneur ceux qui
étoient assez heureux pour avoir cet
avantage ? Ils consistoient ces Jeux , à
voir et à admirer , ceux qui dans la Lute
terrassoient le mieux , après differens efforts
, ceux contre lesquels ils lutoient, et
même ceux qui l'emportoient à la course
ou à donner des coups de poings , ou
à jetter le Palet avec plus de force et d'adresse
.
II. Vol.
Après
JUIN. 1733 . 1341'
pas
bizare
, que Après tout , ne paroît - il
ces Jeux que nous croïons aujourd'hui ne
convenir qu'à des enfans , ayent fait au--
trefois l'admiration et le spectacle le plus
recherche des peuples les plus polis ; que
pour s'y former , il falloit dès sa jeunesse
y être instruit et exercé par des Maîtres
; que pour acquerir la force et l'adresse
necessaire , il falloit observer un
régime de vie , qui retranchoit l'usage:
du vin , de plusieurs autres choses , et de
certains plaisirs permis. S. Paul même en
a fait une note a.Dailleurs ce qui doit pa➡
roître de plus outré et de plus honteusement
bizare dans ces Jeux , c'est que non
seulement les hommes abandonnant toute
pudeur , y paroissoient et y combattoient
entierement nuds ; mais que les
femmes ayent voulu aussi y prendre part
et y paroître de la même façon , comme
le rapporte Plutarque ; en quoi , après
tout , elles ne faisoient que suivre ce que
le prétendu divin Platon leur avoit ordonné
b , voulant qu'elles ne parussent
Couvertes que de leur seule vertu .
Le reste pour le prochain Mercure.
a Ep.
. 1. aux Corinth, ch.
b De Legib. liv. 6.
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Résumé : SUITE des réfléxions sur la bizarerie des Usages. Par M. Capperon, ancien Doyen de Saint Maxent.
Dans 'Suite des réflexions sur la bizarerie des Usages', M. Capperon analyse les excès et les bizarreries des usages humains, en particulier ceux relatifs à la santé et à la force physique. L'auteur note que les hommes ont tendance à surestimer leurs propres qualités et à rechercher l'approbation des autres, ce qui conduit à diverses bizarreries dans les usages des sens, des productions de l'esprit, ainsi que dans ceux liés à la santé et à la force. Capperon examine les excès dans la conservation de la santé, soulignant que bien que la santé soit précieuse, les excès dans sa préservation peuvent être blâmables. Il cite l'exemple des anciens Romains, qui poussaient l'usage des bains à des extrêmes, allant jusqu'à sept ou huit fois par jour, et partageaient les bains entre hommes et femmes, malgré les lois de l'Église. Le texte mentionne également des pratiques médicales bizarres, telles que l'utilisation de soufflets pour nettoyer le bas-ventre, la cautérisation pour guérir diverses maladies, et l'usage de talismans. Ces pratiques, bien que cruelles et grossières, ont perduré dans certaines régions du monde. L'auteur aborde aussi les usages bizarres liés à la force physique, comme les jeux olympiques en Grèce, où les athlètes s'affrontaient dans des compétitions de lutte, de course, et de lancer de palet. Ces jeux, bien que considérés comme enfantins aujourd'hui, étaient autrefois très prisés et nécessitaient un entraînement rigoureux et un régime de vie strict. En conclusion, le texte met en lumière les excès et les bizarreries des usages humains, tant dans la préservation de la santé que dans la démonstration de la force physique, soulignant la tendance naturelle des hommes à surestimer leurs propres qualités. Le texte mentionne également une directive attribuée à Platon, selon laquelle les femmes devaient se présenter couvertes uniquement de leur vertu, tirée de la lettre 1 aux Corinthiens et du livre 6 des Lois. Les détails supplémentaires sont reportés à une publication ultérieure intitulée 'Mercure'.
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