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1
p. 1-5
ODE. Pour le commencement de l'Année.
Début :
Comme la fleche empennée [...]
Mots clefs :
Ciel, Commencement de l'année
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ODE. Pour le commencement de l'Année.
ODE.
Pour le commencement de PAnnée.
C
Omme la fleche empennée
Traverse les vastes Cieux ,
Ainsi la derniere année
S'est éclipsée à nos yeux.
Le flambeau qui nous éclaire ,
De retour sur l'Hemisphere
Nous retrace un nouveau cours ;
Et
2 MERCURE DE FRANCE
Et des Parques respectables ,
Les mains encor favorables ,
Nous fileront d'autres jours.
巍Tout change , tout se succede ,
L'Automne chasse l'Eté ,
Et la Balance précede
Le Sagittaire irrité.
Tout se passe , nos seuls vices ,
Nos détours , nos artifices ,
Ignorent le changement.
Dans sa route criminelle ,
L'homme à la vertu rebelle
Marche , helas ! torp constamment.
Quoi donc aveugle , insensible ,
Veut-il toujours prophaner
Les jours que le Ciel paisible ,
Daigne encore lui donner ?
Quel désordre plus funeste
De la clémence Celeste
Ne ressent-il les bienfaits ,.
Que pour mettre avec usure
La detestable mesure ,
A ses indignes fortfaits.
Celui
JANVIER. 1734.
པ
>
Celui chez qui la richesse
Tient lieu du solide honneur
Et qui dans sa donce yvresse ,
Fait consister son bonheur ,
De son seul repos prodigue ,
Sans relâche se fatigue
Dans d'inutiles travaux ,
Cherchant par mille cabales ,
Par cent ruses infernales
A supplanter ses Rivaux .
En vain le sort les moissonne ,
Au sein de la vanité ;
Ces coups n'ont rien dont s'étonne
Sa fausse sécurité ;-
De ces grandeurs passageres ,
Vers les flateuses chimeres ,
On le voit encor courir.
Où l'engage donc son faste ?
Dans ses desseins toujours vaste
Croit-il ne jamais mourir ?
VE
Pense-t'il que ce grand nombre
D'infames adulateurs ,
Que l'attrait d'une vaine ombre
Rendoit ses Adorateurs ;
Que cette splendeur , ce faîte ,
Pourront
MERCURE DE FRANCE
Pourront soustraire sa tête ,
Au ciel qui nous juge tous ?
Non , son séjour sur la Terre ,
Du formidable Tonnerre ,
Ne fait que hâter les coups .
M
L'Air siffle ; le Foudre horrible
Frappe ces ambitieux.
Moment funeste , terrible ,
Qui leur désille les yeux .
Je vois ces sombres tenebres ,
Des Grands , compagnes funebres ,
Fuir devant la Verité ,
Qui montre , non plus ses charmes ,
Mais les redoutables Armes ,
Du Ciel contre eux irrité.
Où sont de leurs coeurs perfides
Les tumultueux projets ?
Consternez , pâles , timides ,
Ils condamnent leurs forfaits.
L'éclat pompeux de leur vie
Leur paroît une folie ;
Mais , ô regrets superflus !
Semblable à l'eau fugitive .
Qui s'éloigne de la Rive ,
Le passé ne revient plus.
Ils
JANVIER 1734
3
Ils vécurent ces grands hommes.
Puissions- nous en profiter :
Ce qu'ils furent , nous le sommes
Et n'allons point nous flatter,
Frappez de leurs destinées ,
Ne comptons de nos années ,
Les jours que par nos bienfaits ,
Et que l'Astre de lumiere ,
Recommençant sa carriere ,
Nous retrouve plus parfaits,
De Genouilly en Berry.
Pour le commencement de PAnnée.
C
Omme la fleche empennée
Traverse les vastes Cieux ,
Ainsi la derniere année
S'est éclipsée à nos yeux.
Le flambeau qui nous éclaire ,
De retour sur l'Hemisphere
Nous retrace un nouveau cours ;
Et
2 MERCURE DE FRANCE
Et des Parques respectables ,
Les mains encor favorables ,
Nous fileront d'autres jours.
巍Tout change , tout se succede ,
L'Automne chasse l'Eté ,
Et la Balance précede
Le Sagittaire irrité.
Tout se passe , nos seuls vices ,
Nos détours , nos artifices ,
Ignorent le changement.
Dans sa route criminelle ,
L'homme à la vertu rebelle
Marche , helas ! torp constamment.
Quoi donc aveugle , insensible ,
Veut-il toujours prophaner
Les jours que le Ciel paisible ,
Daigne encore lui donner ?
Quel désordre plus funeste
De la clémence Celeste
Ne ressent-il les bienfaits ,.
Que pour mettre avec usure
La detestable mesure ,
A ses indignes fortfaits.
Celui
JANVIER. 1734.
པ
>
Celui chez qui la richesse
Tient lieu du solide honneur
Et qui dans sa donce yvresse ,
Fait consister son bonheur ,
De son seul repos prodigue ,
Sans relâche se fatigue
Dans d'inutiles travaux ,
Cherchant par mille cabales ,
Par cent ruses infernales
A supplanter ses Rivaux .
En vain le sort les moissonne ,
Au sein de la vanité ;
Ces coups n'ont rien dont s'étonne
Sa fausse sécurité ;-
De ces grandeurs passageres ,
Vers les flateuses chimeres ,
On le voit encor courir.
Où l'engage donc son faste ?
Dans ses desseins toujours vaste
Croit-il ne jamais mourir ?
VE
Pense-t'il que ce grand nombre
D'infames adulateurs ,
Que l'attrait d'une vaine ombre
Rendoit ses Adorateurs ;
Que cette splendeur , ce faîte ,
Pourront
MERCURE DE FRANCE
Pourront soustraire sa tête ,
Au ciel qui nous juge tous ?
Non , son séjour sur la Terre ,
Du formidable Tonnerre ,
Ne fait que hâter les coups .
M
L'Air siffle ; le Foudre horrible
Frappe ces ambitieux.
Moment funeste , terrible ,
Qui leur désille les yeux .
Je vois ces sombres tenebres ,
Des Grands , compagnes funebres ,
Fuir devant la Verité ,
Qui montre , non plus ses charmes ,
Mais les redoutables Armes ,
Du Ciel contre eux irrité.
Où sont de leurs coeurs perfides
Les tumultueux projets ?
Consternez , pâles , timides ,
Ils condamnent leurs forfaits.
L'éclat pompeux de leur vie
Leur paroît une folie ;
Mais , ô regrets superflus !
Semblable à l'eau fugitive .
Qui s'éloigne de la Rive ,
Le passé ne revient plus.
Ils
JANVIER 1734
3
Ils vécurent ces grands hommes.
Puissions- nous en profiter :
Ce qu'ils furent , nous le sommes
Et n'allons point nous flatter,
Frappez de leurs destinées ,
Ne comptons de nos années ,
Les jours que par nos bienfaits ,
Et que l'Astre de lumiere ,
Recommençant sa carriere ,
Nous retrouve plus parfaits,
De Genouilly en Berry.
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Résumé : ODE. Pour le commencement de l'Année.
Le poème 'ODE' pour le commencement de l'année 1734, publié dans le Mercure de France, compare l'année écoulée à une flèche traversant les cieux et célèbre le retour du flambeau solaire marquant le début d'une nouvelle année. Les Parques, divinités du destin, sont décrites comme filant de nouveaux jours favorables. Le texte souligne le cycle incessant des saisons et des événements naturels, contrastant avec la constance des vices humains. L'auteur déplore l'insensibilité des hommes qui profanent les jours que le ciel leur accorde pour commettre des méfaits. Le poème critique ceux qui cherchent la richesse et le pouvoir par des moyens malhonnêtes, travaillant sans relâche et utilisant des ruses pour supplanter leurs rivaux. Malgré les dangers et les revers, ces individus poursuivent leurs ambitions, croyant que leur splendeur et leurs adulateurs les protégeront. Cependant, le poème avertit que leur fin est inévitable et que le ciel les jugera. Le texte se conclut par une réflexion sur la fugacité du temps et l'importance de tirer des leçons des erreurs des grands hommes du passé. Il exhorte les lecteurs à profiter de ces leçons pour vivre de manière plus vertueuse et à ne compter leurs années que par leurs bienfaits, afin de se retrouver plus parfaits à chaque nouvelle année.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 5-11
MEDAILLES de l'Empereur Gratien, sur lesquelles il est nommé AVGG AVG.
Début :
Tout le monde sçait les differentes explications que les Antiquaires [...]
Mots clefs :
Gratien, Médailles, Fils, Empereur, Prince, Famille, Temps, Médaille, Constantin
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : MEDAILLES de l'Empereur Gratien, sur lesquelles il est nommé AVGG AVG.
MEDAILLES de l'Empereur Gratien
surlesquelles il estnommé AVGG AVG.
Out le monde sçait les differentes
Texplications que les Antiquaires
ont données aux Médailles de Gratien
qui ont pour Legende du côté de la tête
D. N GRATIANVS AVGG AVG. aussi sans
vouloir les repeter ici , je me contenterai
de dire que ceux qui ont expliqué les
Lettres AVGG AVG. qui su vent le nom du
Prince , par AVGVSTORVM AVGVSTVS.
me paroissent avoir donné dans la verible
leçon .
En effet cette explication se presente
d'elle- même la premiere à l'esprit , par
la
MERCURE DE FRANCE
la conformité qu'elle a avec l'usage constant
des Antiquaires , qui ont toujours
rendu l'AVGG des monumens anciens par
le plurier du mot AVGVSTVS . quand les
deux GG sont suivis , ainsi qu'ils le sont
dans les Médailles de Gratien ; car ceux
qui les ont crû separez se sont trompeż,
et ont pris pour des points certaines petites
queües , ou cedilles attachées à ces G
en cette maniere Ç . c'est ainsi du moins
qu'ils sont formez sur la Médaille de
Gratien que j'ai parmi les miennes .
1
Ces & à queue, pour le dire en passant,
ne sont pas rares sur les Monumens anciens
, on les y rencontre dans tous les
temps. J'ai une Médaille d'argent d'Auguste
, avec le Capricorne au revers où
le & du mot AVGVSTVS qui en fait la Légende
est de cette façon ; et l'on en voit
un pareil sur un poids du temps d'Honorius
qui étoit à M. Foucault , * enfin
ils sont ordinaires sur les Monnoyes Gottiques
, si l'on s'en rapporte à l'Alphabet
que Bouteroüe nous a donné dans ses
Recherches curieuses des Monnoyes de France.
Mais en approuvant qu'on lise sur la
Médaille de Gratien , Augustorum Augustus
, je ne sçaurois être du sentiment de
L'Antiquité du P. Montfaucon. Planche XIV.
du Tome III.
ceux
JANVIER 1734. 7
ceux qui expliquent ces termes par Augus
te qui domine sur d'autres Augustes , cela par
rapport à Valentinien le jeune et à
Théodose , dont Gratien avoit genereusement
consenti à recevoir le premier
pour Collegue et s'étoit associé le second.
Ce n'est pas qu'on ne rencontre assez
souvent des dénominations semblables.
prises dans le sens qu'on donne à celle
que j'examine ici ; et sans en chercher des
preuves ailleurs que dans les Médailles ,
quelques Rois des Parthes , d'Armenie
et du Bosphore sont appellez sur leurs
Médailles , Rois des Rois . BAZIA ENE
و
ΒΑΣΙΛΕΩΝ . ΑΡΣΑΚΟΥ . ΤΙΓΡΑΝΟΥΣ ,
APNAKOY . Mais ces titres fastueux , en
longtems avant eux et qui subsistent enusage
core aujourd'hui parmi les Rois de
l'Orient, ne conviennent gueres à un Prince
sage et modeste , tel
l'Histoire
que
nous represente Gratien ; aussi de toutes
les Explications de la Médaille de ce
Prince , celle - ci a été la moins suivie.
Je ne sçai si je me trompe , mais il
me semble que pour donner un sens convenable
à Augustorum Augustus , il ne
faut que sous-entendre le mot de Filius
ce qui voudra dire alors que Gratien Auguste
lui-même est fils de Peres Augustes.Les
noms de Parenté et d'alliance , comme
chacun
MERCURE DE FRANCE
chacun çait , sont assez souvent negli
gez sur les Médailles . Témoins ces exemples
ΚΑΙΣΑΡ . ΣΕΒΑΣΤΟΣ ΣΕΒΑΣΤΟΥ.
·
DOMITIA . AVGVSTA . IMP. DOMIT. CLEOPATRAE,
REGINAE REGVM FILIORVM REGVM.
où les noms de Fils, de Femme et de Mere
sont sous -entendus.
Ceci posé , il s'agit d'examiner ce qui
peut avoir engagé Gratien à prendre un
titre pareil. Ce Prince étoit fils d'un
Empereur , mais d'une famille nouvelle.
Son Grand- pere étoit un Soldat de fortune
qui s'étoit élevé par son mérite jusqu'à
commander les Armées d'Angleterre
, et avoit par ses emplois applani
à Valentinien son fils le chemin de l'Empire
, où il parvint après la mort de
Jovien. Quelque brillante que soit la
pourpre,Gratien en épousant Constantia ,
fille posthume de l'Empereur Constantius,
et la derniere de la maison de Constantin
sembloit encore en rehausser
l'éclat. La famille des Flaves étoit alors
ce qu'avoient été autrefois celles des Cesars
et des Antonins ; aimée , respectée ,
adorée même , le nom en étoit précieux,
aussi le premier soin de Jovien après
avoir été revêtu de la pourpre , fut de se
donner le nom de Flavius , pour persuader
en quelque maniere qu'il étoit de
?
cette
JANVIER 1734.
cette famille , à laquelle cependant il étoit
étranger ; son exemple fut suivi par Valentinien
son successeur ; et Gratien , રે
leur exemple , se trouve avec le même
nom dans quelques Inscriptions qu'on
peut voir dans les Mélanges de Spon . Les
Empereurs suivans encherirent encore
sur cet usage , en ajoutant à leur nom
celui de Constantin . D. N. HERACLIO.
CONST.
Gratien par son mariage justifioit le
nom de Flavius qu'il avoit pris ; il lui
devenoit propre ; et son alliance l'attachant
à tout ce que Rome reconnoissoit
alors de plus grand , il étoit naturel de
publier ces avantages. Pouvoit- il donc le
faire d'une maniere plus noble, plus juste,
er en même temps plus convenable au
Monument que nous examinons , qu'en
s'appellant par une espece d'antonomase
Fils des Augustes. Cette façon indeterminée
de s'exprimer avoit encore cela de
propre , qu'elle sembloit égaler la famille
de Gratien à celle de Constantin , et en
confondre , pour ainsi dire , la Noblesse
AVGG. AVG .
C'est donc à ce Mariage de Gratien
avec Constantia qu'il faut fixer l'époque
de la Médaille , l'an 375. de J. C. immédiatement
après la mort de Valentinien
B avant
MERCURE DE FRANCE.
avant que Gratien eut consenti à parta
ger l'Empire avec son Frere , et long
temps avant qu'il songeât à Théodose .
Dans cette Hypothese , il est aisé de
donner l'explication des revers qu'on
trouve aux Medailles de Gratien où il est
appellé AVGG. AVG. Ce Prince , quoique
déja Auguste , commence un nouveau
Regne à la mort de son Pere ; ce nouveau
Kegne reçoit un éclat considerable par
l'alliance que l'Empereur vient de contracter
, GLORIA. NOVI . SAECVLI . la gloire
en rejaillit sur les peuples , charmez de
voir , pour ainsi dire , renaître la famille
de Constantin, et les commander GLORIA
ROMANORVM. Rien n'assure davantage la
tranquillité des Etats , que les Enfans qui
naissent à ceux qui les gouvernent ; on
en espere de la nouvelle Imperatrice
SECVRITAS REIPVBLICAE. Enfin la Ville
de Rome comme la Capitale de l'Empire,
congratule son Empereur sur cet évenement
, VRBS ROMA.
On me demandera peut -être pourquoi
Gratien ne s'appella pas toujours Augustorum
Augustus , je réponds que ce titre
une fois connu devenoit inutile dans la
suite. Outre que Gratien ayant peu de
temps après consenti à recevoir pour
Collégué son jeune Frere , il ne devoit
plus
JANVIER . 1734. 17
plus y avoir de différence dans les titres
de ces deux Augustes , qui devant être
égaux , ne pouvoient en prendre aucun
de distingué, quelque légitime qu'il fut,
qui ne devint en quelque façon injurieux
à l'autre.
A Orleans , ce 30.
Avril 1733 .
surlesquelles il estnommé AVGG AVG.
Out le monde sçait les differentes
Texplications que les Antiquaires
ont données aux Médailles de Gratien
qui ont pour Legende du côté de la tête
D. N GRATIANVS AVGG AVG. aussi sans
vouloir les repeter ici , je me contenterai
de dire que ceux qui ont expliqué les
Lettres AVGG AVG. qui su vent le nom du
Prince , par AVGVSTORVM AVGVSTVS.
me paroissent avoir donné dans la verible
leçon .
En effet cette explication se presente
d'elle- même la premiere à l'esprit , par
la
MERCURE DE FRANCE
la conformité qu'elle a avec l'usage constant
des Antiquaires , qui ont toujours
rendu l'AVGG des monumens anciens par
le plurier du mot AVGVSTVS . quand les
deux GG sont suivis , ainsi qu'ils le sont
dans les Médailles de Gratien ; car ceux
qui les ont crû separez se sont trompeż,
et ont pris pour des points certaines petites
queües , ou cedilles attachées à ces G
en cette maniere Ç . c'est ainsi du moins
qu'ils sont formez sur la Médaille de
Gratien que j'ai parmi les miennes .
1
Ces & à queue, pour le dire en passant,
ne sont pas rares sur les Monumens anciens
, on les y rencontre dans tous les
temps. J'ai une Médaille d'argent d'Auguste
, avec le Capricorne au revers où
le & du mot AVGVSTVS qui en fait la Légende
est de cette façon ; et l'on en voit
un pareil sur un poids du temps d'Honorius
qui étoit à M. Foucault , * enfin
ils sont ordinaires sur les Monnoyes Gottiques
, si l'on s'en rapporte à l'Alphabet
que Bouteroüe nous a donné dans ses
Recherches curieuses des Monnoyes de France.
Mais en approuvant qu'on lise sur la
Médaille de Gratien , Augustorum Augustus
, je ne sçaurois être du sentiment de
L'Antiquité du P. Montfaucon. Planche XIV.
du Tome III.
ceux
JANVIER 1734. 7
ceux qui expliquent ces termes par Augus
te qui domine sur d'autres Augustes , cela par
rapport à Valentinien le jeune et à
Théodose , dont Gratien avoit genereusement
consenti à recevoir le premier
pour Collegue et s'étoit associé le second.
Ce n'est pas qu'on ne rencontre assez
souvent des dénominations semblables.
prises dans le sens qu'on donne à celle
que j'examine ici ; et sans en chercher des
preuves ailleurs que dans les Médailles ,
quelques Rois des Parthes , d'Armenie
et du Bosphore sont appellez sur leurs
Médailles , Rois des Rois . BAZIA ENE
و
ΒΑΣΙΛΕΩΝ . ΑΡΣΑΚΟΥ . ΤΙΓΡΑΝΟΥΣ ,
APNAKOY . Mais ces titres fastueux , en
longtems avant eux et qui subsistent enusage
core aujourd'hui parmi les Rois de
l'Orient, ne conviennent gueres à un Prince
sage et modeste , tel
l'Histoire
que
nous represente Gratien ; aussi de toutes
les Explications de la Médaille de ce
Prince , celle - ci a été la moins suivie.
Je ne sçai si je me trompe , mais il
me semble que pour donner un sens convenable
à Augustorum Augustus , il ne
faut que sous-entendre le mot de Filius
ce qui voudra dire alors que Gratien Auguste
lui-même est fils de Peres Augustes.Les
noms de Parenté et d'alliance , comme
chacun
MERCURE DE FRANCE
chacun çait , sont assez souvent negli
gez sur les Médailles . Témoins ces exemples
ΚΑΙΣΑΡ . ΣΕΒΑΣΤΟΣ ΣΕΒΑΣΤΟΥ.
·
DOMITIA . AVGVSTA . IMP. DOMIT. CLEOPATRAE,
REGINAE REGVM FILIORVM REGVM.
où les noms de Fils, de Femme et de Mere
sont sous -entendus.
Ceci posé , il s'agit d'examiner ce qui
peut avoir engagé Gratien à prendre un
titre pareil. Ce Prince étoit fils d'un
Empereur , mais d'une famille nouvelle.
Son Grand- pere étoit un Soldat de fortune
qui s'étoit élevé par son mérite jusqu'à
commander les Armées d'Angleterre
, et avoit par ses emplois applani
à Valentinien son fils le chemin de l'Empire
, où il parvint après la mort de
Jovien. Quelque brillante que soit la
pourpre,Gratien en épousant Constantia ,
fille posthume de l'Empereur Constantius,
et la derniere de la maison de Constantin
sembloit encore en rehausser
l'éclat. La famille des Flaves étoit alors
ce qu'avoient été autrefois celles des Cesars
et des Antonins ; aimée , respectée ,
adorée même , le nom en étoit précieux,
aussi le premier soin de Jovien après
avoir été revêtu de la pourpre , fut de se
donner le nom de Flavius , pour persuader
en quelque maniere qu'il étoit de
?
cette
JANVIER 1734.
cette famille , à laquelle cependant il étoit
étranger ; son exemple fut suivi par Valentinien
son successeur ; et Gratien , રે
leur exemple , se trouve avec le même
nom dans quelques Inscriptions qu'on
peut voir dans les Mélanges de Spon . Les
Empereurs suivans encherirent encore
sur cet usage , en ajoutant à leur nom
celui de Constantin . D. N. HERACLIO.
CONST.
Gratien par son mariage justifioit le
nom de Flavius qu'il avoit pris ; il lui
devenoit propre ; et son alliance l'attachant
à tout ce que Rome reconnoissoit
alors de plus grand , il étoit naturel de
publier ces avantages. Pouvoit- il donc le
faire d'une maniere plus noble, plus juste,
er en même temps plus convenable au
Monument que nous examinons , qu'en
s'appellant par une espece d'antonomase
Fils des Augustes. Cette façon indeterminée
de s'exprimer avoit encore cela de
propre , qu'elle sembloit égaler la famille
de Gratien à celle de Constantin , et en
confondre , pour ainsi dire , la Noblesse
AVGG. AVG .
C'est donc à ce Mariage de Gratien
avec Constantia qu'il faut fixer l'époque
de la Médaille , l'an 375. de J. C. immédiatement
après la mort de Valentinien
B avant
MERCURE DE FRANCE.
avant que Gratien eut consenti à parta
ger l'Empire avec son Frere , et long
temps avant qu'il songeât à Théodose .
Dans cette Hypothese , il est aisé de
donner l'explication des revers qu'on
trouve aux Medailles de Gratien où il est
appellé AVGG. AVG. Ce Prince , quoique
déja Auguste , commence un nouveau
Regne à la mort de son Pere ; ce nouveau
Kegne reçoit un éclat considerable par
l'alliance que l'Empereur vient de contracter
, GLORIA. NOVI . SAECVLI . la gloire
en rejaillit sur les peuples , charmez de
voir , pour ainsi dire , renaître la famille
de Constantin, et les commander GLORIA
ROMANORVM. Rien n'assure davantage la
tranquillité des Etats , que les Enfans qui
naissent à ceux qui les gouvernent ; on
en espere de la nouvelle Imperatrice
SECVRITAS REIPVBLICAE. Enfin la Ville
de Rome comme la Capitale de l'Empire,
congratule son Empereur sur cet évenement
, VRBS ROMA.
On me demandera peut -être pourquoi
Gratien ne s'appella pas toujours Augustorum
Augustus , je réponds que ce titre
une fois connu devenoit inutile dans la
suite. Outre que Gratien ayant peu de
temps après consenti à recevoir pour
Collégué son jeune Frere , il ne devoit
plus
JANVIER . 1734. 17
plus y avoir de différence dans les titres
de ces deux Augustes , qui devant être
égaux , ne pouvoient en prendre aucun
de distingué, quelque légitime qu'il fut,
qui ne devint en quelque façon injurieux
à l'autre.
A Orleans , ce 30.
Avril 1733 .
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Résumé : MEDAILLES de l'Empereur Gratien, sur lesquelles il est nommé AVGG AVG.
Le texte examine les médailles de l'empereur Gratien, sur lesquelles il est désigné par la légende AVGG AVG. L'auteur explore diverses interprétations proposées par les antiquaires et conclut que la meilleure explication est 'Augustorum Augustus', signifiant 'Auguste des Augustes'. Cette interprétation est soutenue par l'usage constant des antiquaires de rendre AVGG par le pluriel du mot AVGVSTVS. Certaines interprétations erronées considèrent les lettres GG comme des points ou des cedilles, mais l'auteur fournit des exemples de médailles anciennes où ces caractères sont présents. Il rejette l'idée que Gratien se proclame dominant sur d'autres Augustes, comme Valentinien le Jeune et Théodose, car cela ne correspond pas à son caractère modeste. L'auteur propose que 'Augustorum Augustus' signifie que Gratien est le fils d'Augustes, soulignant que les noms de parenté sont souvent sous-entendus sur les médailles. Il explique que Gratien, issu d'une famille nouvelle, a épousé Constantia, fille de Constantin, ce qui a rehaussé son éclat. La famille des Flaves, à laquelle Gratien appartenait par mariage, était respectée et adorée. L'époque de la médaille est fixée à l'année 375, juste après la mort de Valentinien et avant que Gratien ne partage l'Empire avec son frère. Les revers des médailles de Gratien, où il est appelé AVGG AVG, marquent le début d'un nouveau règne caractérisé par l'alliance avec Constantia, apportant gloire et sécurité à l'Empire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 11-15
ARMIDE, CANTATE.
Début :
Dans les Jardins fleuris des Isles enchantées, [...]
Mots clefs :
Amour, Armes, Armide, Gloire, Combats, Victoire, Coeurs, Amants, Charmes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ARMIDE, CANTATE.
ARMIDE ,
CANTATE.
Ans les Jardins fleuris des Isles enchantées ,
Armide et son Amant couloient des jours heureux
,
De nul espoir cruel leurs ames tourmentées
Se livroient tendrement aux plaisirs amoureux
.
Dans les bras du repos , au sein de la molesse
Ils goutoient les douceurs de cette aimable
yvresse ;
Que ressentent des coeurs par l'amour animez ;
Leurs yeux étoient baignez de ces heureuses
larmes ,
Que toujours font couler les désirs enflammez ;
L'un de l'autre charmez , ils vivoient sans allarmes,
Bij Er
12 MERCURE DE FRANCE
Et sentoient ces transports, ces doux saisissemens,
Qui font tous les plaisirs des plus tendres
Amans .
L'Amour ne va point sans les charmes
Quand il unit deux jeunes coeurs ;
Lorsque nous lui rendons les armes ,
Il nous prodigue ses faveurs.
Que sert contre ce Dieu terrible
D'armer une vaine rigueur ?
Par tout le titre d'invincible ,
Suit ce redoutable vainqueur,
;
L'Amour ne va point sans les charmes ,
Quand il unit deux jeunes coeurs ;
Lorsque nous lui rendons les armes ,
Il nous prodigue ses faveurs.
Dans cet agréable séjour ,
Des plus vives couleurs la terre est émaillée s
La Reine du Printemps , décemment habillée ,
Y tient sa florissante Cour.
Les Zéphirs réunis sur ce charmant rivage ,
D'un fouffle bienfaisant agitent le feuillage ;
Des Ruisseaux argentez arrosent ces beaux
lieux ;
Instruits par la seule nature
Mille
JANVIER. 1734 13
Mille Oyseaux de leur chants font retentir les
Cieux ;
Des Nymphes de riche Parure ,
Foulent d'un pied léger les verdoyans gazons ;
Et les Ris , et les Jeux, les Plaisirs , et les Graces,
Du Prince de Cythere accompagnant les traces ;
Récitent ces douces Chansons.
Heureux Amans , profitez de la vie ,
Goutez en paix sa tranquile douceur ;
Chérissez-vous ; l'Amour vous y convie ;
Rien ne sçauroit troubler votre bonheur.
Comme un Zéphir la jeunesse s'envole ,
Nos plus beaux jours passent rapidement ;
Les ris fayans comme une ombre frivole
Se font , hélas ! regretter vainement.
Heureux Amans , profitez de la vie ,
Goutez en paix sa tranquile douceur ,
Chérissez-vous ; l'Amour vous y convic ,
Rien ne sçauroit troubler votre bonheur.
Si-tôt que le Soleil eut dissipé les ombres ,
Armide descendit dans les Royaumes sombres ;
Pour exercer ses noirs enchantemens ;
Aux regards du Héros plongé dans la molesse ,
La gloire fait briller ses nobles agrémens ,
Il la voit , et cedant à ses puissans appas ,
B
Π
14 MERCURE DE FRANCE
Il s'éloigne soudain de cette Isle fatale ,
Et rapellant sa valeur sans égale ,
Pour signaler ses coups , il cherche les combats.
Déja la victoire
Vole sur ses pas ;
Guidé par la Gloire ,
Tout cede à son Bras.
L'horreur , le Carnage ,
Suivent ce vainqueur ;
Et par tout sa rage,
Répand la terreur .
Parmi les allarmes ,
Pallas le conduit ;
Jettant bas les armes
L'Ennemi s'enfuit.
Armide cependant revient dans son Boccage ;
Mais bien-tôt la pâleur couvre son beau visage,
Quand elle n'y voit plus son perfide Héros ,
Pleurant sa funeste disgrace ,
Elle gémit , elle menace ,
Et croit le rappeller par ses tristes sanglots,
Inutiles fureurs ! Amante inalheureuse !
Tes plaintes , tes soupirs ne pourront ramener
Celui qui , dédaignant ta beauté généreuse ,
Après tant de bienfaits a pu t'abandonner.
Um
JANVIER. 1734.
Un coeur épris de la gloire ,
D'amour méprise les traits ;
Les Combats et la Victoire ,
Ont pour lui bien plus d'attraits.
Venus offre en vain ses charmes
Aux magnanimes Guerriers ,
Quand le puissant Dieu des Armes ,
Les couronne de Lauriers .
Un coeur épris de la gloire ,
D'Amour méprise les traits ;
Les Combats et la Victoire
Ont pour lui bien plus d'attraits.
AUBRY DE TRUNGY.
CANTATE.
Ans les Jardins fleuris des Isles enchantées ,
Armide et son Amant couloient des jours heureux
,
De nul espoir cruel leurs ames tourmentées
Se livroient tendrement aux plaisirs amoureux
.
Dans les bras du repos , au sein de la molesse
Ils goutoient les douceurs de cette aimable
yvresse ;
Que ressentent des coeurs par l'amour animez ;
Leurs yeux étoient baignez de ces heureuses
larmes ,
Que toujours font couler les désirs enflammez ;
L'un de l'autre charmez , ils vivoient sans allarmes,
Bij Er
12 MERCURE DE FRANCE
Et sentoient ces transports, ces doux saisissemens,
Qui font tous les plaisirs des plus tendres
Amans .
L'Amour ne va point sans les charmes
Quand il unit deux jeunes coeurs ;
Lorsque nous lui rendons les armes ,
Il nous prodigue ses faveurs.
Que sert contre ce Dieu terrible
D'armer une vaine rigueur ?
Par tout le titre d'invincible ,
Suit ce redoutable vainqueur,
;
L'Amour ne va point sans les charmes ,
Quand il unit deux jeunes coeurs ;
Lorsque nous lui rendons les armes ,
Il nous prodigue ses faveurs.
Dans cet agréable séjour ,
Des plus vives couleurs la terre est émaillée s
La Reine du Printemps , décemment habillée ,
Y tient sa florissante Cour.
Les Zéphirs réunis sur ce charmant rivage ,
D'un fouffle bienfaisant agitent le feuillage ;
Des Ruisseaux argentez arrosent ces beaux
lieux ;
Instruits par la seule nature
Mille
JANVIER. 1734 13
Mille Oyseaux de leur chants font retentir les
Cieux ;
Des Nymphes de riche Parure ,
Foulent d'un pied léger les verdoyans gazons ;
Et les Ris , et les Jeux, les Plaisirs , et les Graces,
Du Prince de Cythere accompagnant les traces ;
Récitent ces douces Chansons.
Heureux Amans , profitez de la vie ,
Goutez en paix sa tranquile douceur ;
Chérissez-vous ; l'Amour vous y convie ;
Rien ne sçauroit troubler votre bonheur.
Comme un Zéphir la jeunesse s'envole ,
Nos plus beaux jours passent rapidement ;
Les ris fayans comme une ombre frivole
Se font , hélas ! regretter vainement.
Heureux Amans , profitez de la vie ,
Goutez en paix sa tranquile douceur ,
Chérissez-vous ; l'Amour vous y convic ,
Rien ne sçauroit troubler votre bonheur.
Si-tôt que le Soleil eut dissipé les ombres ,
Armide descendit dans les Royaumes sombres ;
Pour exercer ses noirs enchantemens ;
Aux regards du Héros plongé dans la molesse ,
La gloire fait briller ses nobles agrémens ,
Il la voit , et cedant à ses puissans appas ,
B
Π
14 MERCURE DE FRANCE
Il s'éloigne soudain de cette Isle fatale ,
Et rapellant sa valeur sans égale ,
Pour signaler ses coups , il cherche les combats.
Déja la victoire
Vole sur ses pas ;
Guidé par la Gloire ,
Tout cede à son Bras.
L'horreur , le Carnage ,
Suivent ce vainqueur ;
Et par tout sa rage,
Répand la terreur .
Parmi les allarmes ,
Pallas le conduit ;
Jettant bas les armes
L'Ennemi s'enfuit.
Armide cependant revient dans son Boccage ;
Mais bien-tôt la pâleur couvre son beau visage,
Quand elle n'y voit plus son perfide Héros ,
Pleurant sa funeste disgrace ,
Elle gémit , elle menace ,
Et croit le rappeller par ses tristes sanglots,
Inutiles fureurs ! Amante inalheureuse !
Tes plaintes , tes soupirs ne pourront ramener
Celui qui , dédaignant ta beauté généreuse ,
Après tant de bienfaits a pu t'abandonner.
Um
JANVIER. 1734.
Un coeur épris de la gloire ,
D'amour méprise les traits ;
Les Combats et la Victoire ,
Ont pour lui bien plus d'attraits.
Venus offre en vain ses charmes
Aux magnanimes Guerriers ,
Quand le puissant Dieu des Armes ,
Les couronne de Lauriers .
Un coeur épris de la gloire ,
D'Amour méprise les traits ;
Les Combats et la Victoire
Ont pour lui bien plus d'attraits.
AUBRY DE TRUNGY.
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Résumé : ARMIDE, CANTATE.
Le texte raconte l'histoire d'Armide et de son amant, qui vivent des jours heureux dans les jardins enchantés des îles. Leur amour les libère des tourments et ils savourent les plaisirs amoureux, décrits comme un dieu invincible prodiguant ses faveurs. Leur séjour est idyllique, avec une nature florissante et des nymphes foulant les gazons. Cependant, la jeunesse et les plaisirs passent rapidement. Un matin, Armide descend dans les royaumes sombres pour exercer ses enchantements. Son amant, rappelé à la gloire, s'éloigne de l'île et cherche les combats. Guidé par la gloire, il remporte des victoires et répand la terreur parmi ses ennemis. De son côté, Armide revient dans son bocage, mais la pâleur couvre son visage lorsqu'elle ne voit plus son héros. Elle pleure et gémit, mais ses plaintes sont inutiles. Un cœur épris de gloire méprise les traits de l'amour et préfère les combats et la victoire.
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4
p. 15-20
DEFFENSE de la Géométrie de l'Infini, contre les Objections de M. le Gendre de Saint Aubin.
Début :
Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on attaque la Géométrie ; et l'on ne doit [...]
Mots clefs :
Géométrie, Point, Géomètres, Infini, Euclide, Le Gendre, Lignes, Attaque, Science, Vérités, Défense
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : DEFFENSE de la Géométrie de l'Infini, contre les Objections de M. le Gendre de Saint Aubin.
DEFFENSE de la Géométrie de l'Infini ,
contre les Objections de M. le Gendre de
Saint Aubin.
C
E n'est pas d'aujourd'hui qu'on attaque
la Géométrie ; et l'on ne doit
pas croire que ce soit l'Infini qu'elle a
tout-à-fait embrassé dans ces derniers
siécles , qui l'ait rendue l'objet de ces attaques.
Les définitions mêmes d'Euclide
ont trouvé des contradictions dans les
siécles les plus reculez. Les Sceptiques ,
B iiij pour
16 MERCURE DE FRANCE
pour le moins , se sont joüez de l'évidence
, comme ils se jouoient de la clarté
même du jour.
On peut dire cependant que le gros du
public , sçavant , et même ignorant , a
toujours regardé la Géométrie comme
une science respectable sur la certitude ,
et sur la verités et loin qu'en dernier lieu
ce Public se soit défié de l'Infini qu'on
introduisoit dans cette science ; l'admiration
s'est jointe au respect , malgré la prorestation
des Geometres mêmes , peu
que
instruits , ont cru devoir faire contre
cette prétendue innovation.
Il faut l'avouer aussi : La Géométrie de
l'Infini , par là même qu'elle manie l'Infini
, est pleine , comme ledit fort bien
M. le Gendre , de conclusions vastes , de
veritez hardies , et paradoxes , de points
de vûë extrémement difficiles et escarpez
, qui paroissent même sortir du Géométrique
, et embrasser les sciences les
plus éloignées ; mais ce sçavant Auteur
a tort de vouloir retrouver icy les contradictions
qu'il a fort bien relevées dans
la plupart des Opinions Philosophiques
dont il a fait la matiere de l'Ouvrage
, qui porte ce titre De l'Opinion. Et
quand même il trouveroit quelques conclusions
hazardées , et plus Philosophiques
JANVIER : 1734. 17
ques que Mathématiques dans les Ouvrages
des Géometres modernes , comme
on en a trouvé , sans doute , dans les anciens
, il ne seroit jamais assez autorisé
par là à proscrire toute la Géometrie , ni
même toute la Géométrie moderne , comme
il le fait trop universellement dans
sa réponse du Mercure de Novembre.
Je dis toute la Géometrie en général s
car il est vrai que M.le Gendre sappe tout
en sappant cette premiere notion d'Euclide
, que le point est ce qui n'a point de
parties ; la ligne , ce qui n'a point de largeur
, &c. Notion qui ne semble rien ,
mais qui est pourtant
le fondement
unique
sur lequel toute la précision
, nonseulement
de la Géométrie
transcendante
,
mais de toute sorte de Géométrie
, est absolument
établie.
-
Car rien n'est plus lié , plus systématique
que la Géométrie , et la Transcendante
s'enchaine tres immédiatement
avec la plus simple, et en particulier avec
ces premieres Notions ; ce qui est si vrai
qu'on a remarqué que les plus hautes
spéculations de la nouvelle Géométrie
étoient communément établies sur les
propositions les plus simples des Elemens
d'Euclide ; témoin , par exemple , cette
admirable méthode de la transformation
Bv des
18 MERCURE DE FRANCE
des courbes qui dérive immédiatement
de l'égalité des Rectangles , qui ont leurs
côtez réciproquement proportionnels , et
bien d'autres pareilles dont on voit les
exemples chez les Géometres Anglois , et
en particulier , chez le célébre Neuton.
Une preuve encore de ce que je dis,
c'est qu'il est tres- singulier que tous ceux
qui , de même que M. le Gendre , ont attaqué
la Géométrie de l'Infini , ont tous
attaqué les Notions d'Euclide , sur le
point, la ligne, la surface ; comme si l'on
ne pouvoit secoüer le Faîte de l'Edifice
sans en ébranler les fondemens ; telle est
la correspondance et la liaison systématique
de cette admirable science.
Deux sortes de Sçavans parlent de Surfaces
, de Lignes , de Points ; les Philosophes
et les Géométres. Les Premiers
disputent s'il y a des Points et des Lignes.
proprement dites dans la nature ; et leur
dispute ayant mille et mille fois recommencé
, n'a pas encore fini une fois ;
les Géometres n'en disent qu'un mot , en
commençant ; et ce mot est celui d'Euclide
; le Point n'a aucune partie ; la Ligne
n'a point de largeur; la Surface,point
de profondeur ; cela une fois dit, ils vont
en avant , parce qu'ils sont tous d'accord
.
Et
JANVIER. 1734. 19
Et où vont - ils ? A un systême de véritez
merveilleuses qui se réalisent dans
la pratique de tous les Arts ; à mesurer la
Terre et les Cieux ; à prédire , à point
nommé , les Eclipses , à débrouiller, la
Chronologie et l'Histoire, à regler le Calandrier
, à naviger aux extrémitez des
Mers , à arpenter , à toiser , à fortifier
des Villes , à faire des Horloges , des Lunettes
, des Microscopes , des Machines
de toutes les sortes.
Et ce n'est pas là encore llee plus haut
point où ils arrivent : La Géométrie de
Î'Infini , au jugement de l'esprit , est encore
plus sublime et plus merveilleuse
que tout cela; mais pendant que les Géometres
s'élevent ainsi , les Philosophes
sont encore à disputer s'il y a des Points,
des Lignes et des Surfaces , et à chicaner
Euclide , la Géométrie et les Géomêtres.
Je demande de quel côté on oroit que se
trouve la verité , la réalité , ou la simple
abstraction de l'entendement , pour ne pas
dire l'illusion de l'esprit et la pure chimere.
Et voilà tout ce que j'avois à répondre
au Sçavant Aggresseur de la Géométrie
et des Géometres , auquel on peut
assurer que la Géométrie transcendante
seule offre autant de véritez incontestables
à recueillir pour l'honneur du genre humain
B vj
20 MERCURE DE FRANCE
main qu'il a pû recueillir d'opinions erronées
, pour constater les égaremens de
la Philosophie : ce seroit un second Ouvrage
digne de M. Saint-Aubin.
contre les Objections de M. le Gendre de
Saint Aubin.
C
E n'est pas d'aujourd'hui qu'on attaque
la Géométrie ; et l'on ne doit
pas croire que ce soit l'Infini qu'elle a
tout-à-fait embrassé dans ces derniers
siécles , qui l'ait rendue l'objet de ces attaques.
Les définitions mêmes d'Euclide
ont trouvé des contradictions dans les
siécles les plus reculez. Les Sceptiques ,
B iiij pour
16 MERCURE DE FRANCE
pour le moins , se sont joüez de l'évidence
, comme ils se jouoient de la clarté
même du jour.
On peut dire cependant que le gros du
public , sçavant , et même ignorant , a
toujours regardé la Géométrie comme
une science respectable sur la certitude ,
et sur la verités et loin qu'en dernier lieu
ce Public se soit défié de l'Infini qu'on
introduisoit dans cette science ; l'admiration
s'est jointe au respect , malgré la prorestation
des Geometres mêmes , peu
que
instruits , ont cru devoir faire contre
cette prétendue innovation.
Il faut l'avouer aussi : La Géométrie de
l'Infini , par là même qu'elle manie l'Infini
, est pleine , comme ledit fort bien
M. le Gendre , de conclusions vastes , de
veritez hardies , et paradoxes , de points
de vûë extrémement difficiles et escarpez
, qui paroissent même sortir du Géométrique
, et embrasser les sciences les
plus éloignées ; mais ce sçavant Auteur
a tort de vouloir retrouver icy les contradictions
qu'il a fort bien relevées dans
la plupart des Opinions Philosophiques
dont il a fait la matiere de l'Ouvrage
, qui porte ce titre De l'Opinion. Et
quand même il trouveroit quelques conclusions
hazardées , et plus Philosophiques
JANVIER : 1734. 17
ques que Mathématiques dans les Ouvrages
des Géometres modernes , comme
on en a trouvé , sans doute , dans les anciens
, il ne seroit jamais assez autorisé
par là à proscrire toute la Géometrie , ni
même toute la Géométrie moderne , comme
il le fait trop universellement dans
sa réponse du Mercure de Novembre.
Je dis toute la Géometrie en général s
car il est vrai que M.le Gendre sappe tout
en sappant cette premiere notion d'Euclide
, que le point est ce qui n'a point de
parties ; la ligne , ce qui n'a point de largeur
, &c. Notion qui ne semble rien ,
mais qui est pourtant
le fondement
unique
sur lequel toute la précision
, nonseulement
de la Géométrie
transcendante
,
mais de toute sorte de Géométrie
, est absolument
établie.
-
Car rien n'est plus lié , plus systématique
que la Géométrie , et la Transcendante
s'enchaine tres immédiatement
avec la plus simple, et en particulier avec
ces premieres Notions ; ce qui est si vrai
qu'on a remarqué que les plus hautes
spéculations de la nouvelle Géométrie
étoient communément établies sur les
propositions les plus simples des Elemens
d'Euclide ; témoin , par exemple , cette
admirable méthode de la transformation
Bv des
18 MERCURE DE FRANCE
des courbes qui dérive immédiatement
de l'égalité des Rectangles , qui ont leurs
côtez réciproquement proportionnels , et
bien d'autres pareilles dont on voit les
exemples chez les Géometres Anglois , et
en particulier , chez le célébre Neuton.
Une preuve encore de ce que je dis,
c'est qu'il est tres- singulier que tous ceux
qui , de même que M. le Gendre , ont attaqué
la Géométrie de l'Infini , ont tous
attaqué les Notions d'Euclide , sur le
point, la ligne, la surface ; comme si l'on
ne pouvoit secoüer le Faîte de l'Edifice
sans en ébranler les fondemens ; telle est
la correspondance et la liaison systématique
de cette admirable science.
Deux sortes de Sçavans parlent de Surfaces
, de Lignes , de Points ; les Philosophes
et les Géométres. Les Premiers
disputent s'il y a des Points et des Lignes.
proprement dites dans la nature ; et leur
dispute ayant mille et mille fois recommencé
, n'a pas encore fini une fois ;
les Géometres n'en disent qu'un mot , en
commençant ; et ce mot est celui d'Euclide
; le Point n'a aucune partie ; la Ligne
n'a point de largeur; la Surface,point
de profondeur ; cela une fois dit, ils vont
en avant , parce qu'ils sont tous d'accord
.
Et
JANVIER. 1734. 19
Et où vont - ils ? A un systême de véritez
merveilleuses qui se réalisent dans
la pratique de tous les Arts ; à mesurer la
Terre et les Cieux ; à prédire , à point
nommé , les Eclipses , à débrouiller, la
Chronologie et l'Histoire, à regler le Calandrier
, à naviger aux extrémitez des
Mers , à arpenter , à toiser , à fortifier
des Villes , à faire des Horloges , des Lunettes
, des Microscopes , des Machines
de toutes les sortes.
Et ce n'est pas là encore llee plus haut
point où ils arrivent : La Géométrie de
Î'Infini , au jugement de l'esprit , est encore
plus sublime et plus merveilleuse
que tout cela; mais pendant que les Géometres
s'élevent ainsi , les Philosophes
sont encore à disputer s'il y a des Points,
des Lignes et des Surfaces , et à chicaner
Euclide , la Géométrie et les Géomêtres.
Je demande de quel côté on oroit que se
trouve la verité , la réalité , ou la simple
abstraction de l'entendement , pour ne pas
dire l'illusion de l'esprit et la pure chimere.
Et voilà tout ce que j'avois à répondre
au Sçavant Aggresseur de la Géométrie
et des Géometres , auquel on peut
assurer que la Géométrie transcendante
seule offre autant de véritez incontestables
à recueillir pour l'honneur du genre humain
B vj
20 MERCURE DE FRANCE
main qu'il a pû recueillir d'opinions erronées
, pour constater les égaremens de
la Philosophie : ce seroit un second Ouvrage
digne de M. Saint-Aubin.
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Résumé : DEFFENSE de la Géométrie de l'Infini, contre les Objections de M. le Gendre de Saint Aubin.
Le texte 'Défense de la Géométrie de l'Infini' répond aux critiques de M. le Gendre de Saint-Aubin concernant la géométrie, notamment celle de l'infini. L'auteur souligne que les attaques contre la géométrie ne sont pas nouvelles et que même les définitions d'Euclide ont été contestées par le passé. Malgré ces contestations, la géométrie a toujours été respectée pour sa certitude et sa vérité. L'auteur reconnaît que la géométrie de l'infini comporte des conclusions vastes et des paradoxes, mais critique Saint-Aubin pour vouloir y trouver des contradictions similaires à celles des opinions philosophiques. Il défend les notions fondamentales d'Euclide, telles que le point sans parties et la ligne sans largeur, qui sont essentielles à toute géométrie, y compris la géométrie transcendante. L'auteur illustre cette liaison systématique en mentionnant des méthodes géométriques avancées basées sur des propositions simples d'Euclide. Le texte oppose les géomètres, qui utilisent ces notions pour des applications pratiques et scientifiques, aux philosophes, qui disputent encore de l'existence des points, lignes et surfaces. L'auteur conclut en affirmant que la géométrie transcendante offre des vérités incontestables et honore le genre humain, contrairement aux erreurs philosophiques.
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5
p. 20-24
LE MANTEAU BLEU De M. Ferré de Fougéres, Brigadier dans les Fermes Générales, au Croisic. ETRENNES. Par Mlle de Malcrais de la Vigne, aux Auteurs qui l'ont célébrée dans leurs Ouvrages. EPITRE.
Début :
Auteurs, dont le témoignage [...]
Mots clefs :
Fils, Manteau bleu, Noé, M. Ferré
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LE MANTEAU BLEU De M. Ferré de Fougéres, Brigadier dans les Fermes Générales, au Croisic. ETRENNES. Par Mlle de Malcrais de la Vigne, aux Auteurs qui l'ont célébrée dans leurs Ouvrages. EPITRE.
LE MANTEAU BLEU
De M. Ferré de Fougères , Brigadier dans
les Fermes Générales , au Croisic.
ETRENNES.
Par Mlle de Malcrais de la Vigne , aux
Auteurs qui l'ont célébrée dans
leurs Ouvrages.
A
EP ITR E.
Utturs , dont le témoignage
Qui vole en cent lieux divers
Honore mes foibles Vers
De plus d'un brillant suffrage ,
Parlâtes vous franchement 3
Où fut-ce la politesse ,
Qui déduisit seulement
La fleurette enchanteresse' ,
Sur le ton du compliment e
Je ne suis point assez dupe ,
Pour tout croire bonnement ;
C'estde tout temps qu'à la jupe¿
Le
JANVIER . 1734. 23
Le Chapeau souple et matois ,
A fait un accueil courtois.
Un homme fut- il plus sage ,
Que Socrate , docte Grec ,
Que cet autre personnage , ( « )
Qui préferoit au potage ,
1
D'un Roy , dont au seul aspect , ( b )
L'Univers fut sans langage , ( c )
De l'eau claire et du pain sec .
Que David , son fils avec ,
Au beau sexe il est d'usage ,
Qu'il fasse Salamalec ,
Fut-il plus fort de corsage ,
Que Samson qui par respect ,
Pour un aimable visage
Laissa couper son plumage ,
Dont il reçut rudè échec ,
Puis son robuste courage , ( d )
Croissant sous son caudebec ,
Fit s'écrouler dans la cave ,
Sur gens assemblés illec ,
Le Lambris et l'Architrave ,
Tandis que dans leur Conclave ,
( a ) Diogéne.
(b ) Alexandre.
(c)Siluit terra in conspectu ejus . Machab.1.3 .
(d ) Jamque capilli ejus renasci caperent Judic.
eap. 16.
Bil
22 MERCURE DE FRANCE
Buvant au Fils de Lamech , ( » )
Ces gros nez de Béterave
Faisoient couler par leur bec ,
Vin meilleur que vin de Grave.
Oui , fut- il encor plus grave ,
Que deffunt Melchisedech ,
Plus orgueilleux et plus brave ,
Que n'étoit Abimelech ,
Dont en l'Antique Légende
Vous avez lû le Méchef;
Autrement qu'il appréhende ,
Que tout ainsi qu'à ce chef,
L'éclat d'une Meule grande , (b )
Ne lui tombe sur le chef.
Quant à moi , bien -fort je doute
De votre sincérité ,
Vos Vers sont comme un pâté
Que dore une belle Croute.
N'importe, je vous sçais gré
D'un badinage madré..
J'en rends graces à vos veines,
Et
vous donne pour Etrennes ,
Le Manteau bleu de Ferré ,
Que ma Muse folichonne
( a ) Noé fils de Lamech.
·
( b ) Et ecce una mulier fragmen mola desuper
jaciens illisit capiti Abimelech et confregit cerebrum
jus. Judic. ch. 9. V. Sza
Qui
JANVIER 1734. 23
Qui sur plus d'un ton fredonne ,
.
A plaisamment célébré .
Recevez- vous avec joïe ,
Le don que je vous envoïc ?
Nous voilà , me direz- vous ,
Payez en belle monnoye ;
J'en conviens , mais entre- nous
Vous sçavez que vos loüanges ,
Leurs sons fussent -ils plus doux ,
Que les doux concerts des Anges ,
Ne sont point argent comptant ;
Tant en ce siécle pesant ,
Les sentimens sont étranges.
Au surplus , de ce Manteau ,
Dont la forme est singuliere
Le fameux propriétaire ,
Le trouve cent fois plus beau ,
Que s'il étoit d'écarlate ;
D'or et d'argent tout chargé ;
Et croit qu'en Astre changé ,
Un jour , sans citer la date ,
Il reluira dans les Cieux ;
"
>
Non loin du moins il s'en flate );
(
Du Bavolet gracieux ,
De la Servante à Pilate ;
Astre un beau soir apperçu ,
Par un Sçavant d'Angleterre , *
*Voyez les Dissertations sur ce sujet , avec la
Don
24 MERCURE DE FRANCE:
Dont les
yeux ,
aidez du verre >
Ont tout le ciel parcouru ;
Mais que de l'Observatoire
,
Qui rend hommage à sa gloire ,
Aucun des Argus n'a vû.
De M. Ferré de Fougères , Brigadier dans
les Fermes Générales , au Croisic.
ETRENNES.
Par Mlle de Malcrais de la Vigne , aux
Auteurs qui l'ont célébrée dans
leurs Ouvrages.
A
EP ITR E.
Utturs , dont le témoignage
Qui vole en cent lieux divers
Honore mes foibles Vers
De plus d'un brillant suffrage ,
Parlâtes vous franchement 3
Où fut-ce la politesse ,
Qui déduisit seulement
La fleurette enchanteresse' ,
Sur le ton du compliment e
Je ne suis point assez dupe ,
Pour tout croire bonnement ;
C'estde tout temps qu'à la jupe¿
Le
JANVIER . 1734. 23
Le Chapeau souple et matois ,
A fait un accueil courtois.
Un homme fut- il plus sage ,
Que Socrate , docte Grec ,
Que cet autre personnage , ( « )
Qui préferoit au potage ,
1
D'un Roy , dont au seul aspect , ( b )
L'Univers fut sans langage , ( c )
De l'eau claire et du pain sec .
Que David , son fils avec ,
Au beau sexe il est d'usage ,
Qu'il fasse Salamalec ,
Fut-il plus fort de corsage ,
Que Samson qui par respect ,
Pour un aimable visage
Laissa couper son plumage ,
Dont il reçut rudè échec ,
Puis son robuste courage , ( d )
Croissant sous son caudebec ,
Fit s'écrouler dans la cave ,
Sur gens assemblés illec ,
Le Lambris et l'Architrave ,
Tandis que dans leur Conclave ,
( a ) Diogéne.
(b ) Alexandre.
(c)Siluit terra in conspectu ejus . Machab.1.3 .
(d ) Jamque capilli ejus renasci caperent Judic.
eap. 16.
Bil
22 MERCURE DE FRANCE
Buvant au Fils de Lamech , ( » )
Ces gros nez de Béterave
Faisoient couler par leur bec ,
Vin meilleur que vin de Grave.
Oui , fut- il encor plus grave ,
Que deffunt Melchisedech ,
Plus orgueilleux et plus brave ,
Que n'étoit Abimelech ,
Dont en l'Antique Légende
Vous avez lû le Méchef;
Autrement qu'il appréhende ,
Que tout ainsi qu'à ce chef,
L'éclat d'une Meule grande , (b )
Ne lui tombe sur le chef.
Quant à moi , bien -fort je doute
De votre sincérité ,
Vos Vers sont comme un pâté
Que dore une belle Croute.
N'importe, je vous sçais gré
D'un badinage madré..
J'en rends graces à vos veines,
Et
vous donne pour Etrennes ,
Le Manteau bleu de Ferré ,
Que ma Muse folichonne
( a ) Noé fils de Lamech.
·
( b ) Et ecce una mulier fragmen mola desuper
jaciens illisit capiti Abimelech et confregit cerebrum
jus. Judic. ch. 9. V. Sza
Qui
JANVIER 1734. 23
Qui sur plus d'un ton fredonne ,
.
A plaisamment célébré .
Recevez- vous avec joïe ,
Le don que je vous envoïc ?
Nous voilà , me direz- vous ,
Payez en belle monnoye ;
J'en conviens , mais entre- nous
Vous sçavez que vos loüanges ,
Leurs sons fussent -ils plus doux ,
Que les doux concerts des Anges ,
Ne sont point argent comptant ;
Tant en ce siécle pesant ,
Les sentimens sont étranges.
Au surplus , de ce Manteau ,
Dont la forme est singuliere
Le fameux propriétaire ,
Le trouve cent fois plus beau ,
Que s'il étoit d'écarlate ;
D'or et d'argent tout chargé ;
Et croit qu'en Astre changé ,
Un jour , sans citer la date ,
Il reluira dans les Cieux ;
"
>
Non loin du moins il s'en flate );
(
Du Bavolet gracieux ,
De la Servante à Pilate ;
Astre un beau soir apperçu ,
Par un Sçavant d'Angleterre , *
*Voyez les Dissertations sur ce sujet , avec la
Don
24 MERCURE DE FRANCE:
Dont les
yeux ,
aidez du verre >
Ont tout le ciel parcouru ;
Mais que de l'Observatoire
,
Qui rend hommage à sa gloire ,
Aucun des Argus n'a vû.
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Résumé : LE MANTEAU BLEU De M. Ferré de Fougéres, Brigadier dans les Fermes Générales, au Croisic. ETRENNES. Par Mlle de Malcrais de la Vigne, aux Auteurs qui l'ont célébrée dans leurs Ouvrages. EPITRE.
Le poème 'Le Manteau Bleu', publié dans le Mercure de France en janvier 1734, est un échange littéraire entre M. Ferré de Fougères et Mlle de Malcrais de la Vigne. Cette dernière remercie les auteurs qui l'ont célébrée dans leurs œuvres. Le poème commence par une réflexion sur la sincérité des compliments littéraires, comparant les louanges à un pâté doré. Mlle de Malcrais exprime son doute sur la sincérité des éloges mais apprécie le badinage. Elle offre en retour un manteau bleu, propriété de M. Ferré de Fougères, qu'elle décrit comme singulier et d'une beauté exceptionnelle. Le propriétaire du manteau le considère plus beau que s'il était d'écarlate, chargé d'or et d'argent, et croit qu'il pourrait un jour briller dans les cieux. Le texte fait également référence à des figures historiques et bibliques comme Socrate, Alexandre, Samson, Diogène, et Noé, ainsi qu'à des événements mythologiques et bibliques.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 24-29
EPITRE. A M. Ferré, Brigadier, sur son Manteau ; par Mlle de Malcrais de la Vigne.
Début :
Brigadier non d'armée, ains d'un corps de Maltote, [...]
Mots clefs :
Manteau, Manteau bleu, Corps, Esprit
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texteReconnaissance textuelle : EPITRE. A M. Ferré, Brigadier, sur son Manteau ; par Mlle de Malcrais de la Vigne.
EPITRE .
A M. Ferré , Brigadier , sur son Mantean
; par Mile de Malcrais de la Vigne.
B Rigadier non d'armée , ains d'un corps
Maitote ,
Malheureux Commandant , fragile Brigadier ,
Qu'un Directeur qu'il faut à genoux supplier
Et qui sur un bibus chipote ,
Eléve , abaisse , remet ,
ôte ,
Change et fait voler à son gré ,
Comme une légére balote ,
Que j'en veux au Destin , contre toi conjuré ,
Qui t'a par malice acoutré ,
D'une maniere si falote !
Tu méritois au moins d'être Auditeur de Rote.
de
Mais qu'y faire il faut vivre , et l'ame est bien
capote ,
Quand le corps n'est point restauré,
Traduction Françoise , qui a été imprimée à Ox
fort , 1733 chez Vvanecipsen , Libraire de l'Uni
versité , et la Planche gravée , fol. 132.
EI
JANVIER .
25 1734.
Et qu'il ne trouve à la Gargote ,
Ni pain, ni boeuf , ni gélinote ,
Ni Vin , ni Cidre , ni Poiré ,
Ni Choux , ni Rave , ni Carotte ,
Ni même la moindre Echalotte ;
C'est alors qu'un teint empourpre ,
Devient sec , pâle , ou sulphuré ,
Qu'en hyver sans cesse on grélote ,
Quand un habit tout délabré ,
Vaguement sur l'échine flote.
Loyal Garçon , pauvre Ferré ,
Si de la probité qui par tout t'accompagne ,
Les humains respectoient les droits ,
Tu choisirois sur les emplois ,
Dont nos riches Traitans disposent en Bretagne,
Certes , s'il dépendoit de moi ,
Je t'en donnerois un au païs de Cocagne.
Je considére et prise en toi ;
Cet esprit qui ne doit qu'à la seule nature
Les graces dont il est doté ,
Sans que l'étude ait ajoûté
Le moindre fard à sa parure.
Ton discours n'est point affecté ,
Il coule avec facilité ,
Amusant , badin , pathétique ,
Le véritable sel attique
S'y mêle avec aménité.
Tu sçais faire un conte à merveille ,
Ов
26 MERCURE DE FRANCE .
On croit voir tout ce que tu dis.
Il faut assurément que les jeux et les ris ,
Te parlent sans cesse à l'oreille ,
Aussi pour ton gentil esprit ,
Et non pour ton emploi petit ,
Tu vois la bonne compagnie ,
D'où par tes mots joyeux,la tristesse est bannie.
Que tu badines finement !
Que tu peins agréablement !
Mais voyons si ma Poësie
Sçaura peindre à son tour cet antique Manteau ,
Dont tu t'es par un tour nouveau ,
Attiré la galanterie ,
Un Railleur , s'il a bon cerveau
Doit entendre la raillerie ,
›
Approche , tire le Rideau ,
Regarde , voici le Tableau.
Ton Manteau jadis bleu , ne craint plus la vergette
.
Ses vieux ans qui l'ont annobli ,
Comme une Glace l'on poli.
Les subtils vermisseaux y trouvant leur cachette,
Broderent à points de chainette
Le drap et d'une et d'autre part.
L'adroite mitte encore y dessine avec art
Mainte délicate vignette.
FloJANVIER
. 1734. 、27
Flottant , garni de fleurs , sombrement azuré ,
L'ail s'y trompe , et le prend pour un satin
gaufré.
Ce Manteau dont ici tout le monde caquette
Suivant ce qu'un grand Clerc de ces cantons en
dit ,
Docteur mur et profond , Antiquaire en crédit ,
Fut le Manteau Royal de la Reine Gillette .
D'autres prétendent qu'il couvrit
Saint Antoine l'Anachotette ;
D'autres qu'il servit au Prophete
Qui sur un Char brulant fut en corps, en esprit ,
Porté du séjour de la Terre
Jusqu'aux lieux d'où part le Tonnerre.
De ce Manteau dont gens de poids
Ont à l'envi cherché l'origine secrette ,
Chacun jase , raisonne à sa guise . Or je crois ,
Que cette houpelande est faite .
De la grande moitié du Manteau qu'autrefois ,
Doué de charité parfaite ,
Monseigneur Saint Martin jetta sur le Sournois,
Le Truant déguisé qu'il trouva sans jacquette ,
Grelotant , soufflant dans ses doigts ,
Et qui cachoit un fin matois
Sous la mine la plus doucette .
Mais ce qui rend encore à tes yeux ce Manteau
Incomparablement plus beau ,
C'est que sans débourser , tu sçus en faire em-
· plette :
Enfin
28 MERCURE DE FRANCE
Enfin c'est un présent d'ami ,
Qui n'est point , comme on voit , libéral à demi.
Ce Manteau te sert de lorgnette ,
Par les trous dont il est rempli
De couverture à la couchette
A la Fenêtre de chassis ,
Housse sur ton Cheval , sur la table tapis ,
A la Cuisine il fait l'office
De passe purée ou coulis ,
Au plus fort de l'Eté le Zéphir qui s'y glisse
Folâtre en tapinois , et souleve ses plis ,
Dont quelques uns sont désunis.
On en fait , quand on veut , un Epervier pous
prendre
Les Poissons dans le sein des Eaux ,
Quelquefois au besoin, un Filet pour surprendre
La folle troupe des Oiseaux ;
Crible pour la récolte,il sert pendant l'Automner
A couvrir le panier , où coule du Pressoir
L'onde vineuse qui bouillonne ,
Ou bien le fond de l'Antonnoir ,
Pour empêcher les grains de passer dans la
tonne.
Manteau dont la posterité
Portera jusqu'aux Cieux le souvenir durable ,
O Manteau des Manteaux ! vêtement admirable
!
Qui , Ferré, ton Manteau , ce Manteau si vanté ,
Get Etendart de friperie ,
Dont
JANVIER 29 1734
Dont la possession a flatté ton envie ,
Peut-être , si tu veux , bon à tout , excepté
Pour garantir du froid , du vent et de la pluye,
A M. Ferré , Brigadier , sur son Mantean
; par Mile de Malcrais de la Vigne.
B Rigadier non d'armée , ains d'un corps
Maitote ,
Malheureux Commandant , fragile Brigadier ,
Qu'un Directeur qu'il faut à genoux supplier
Et qui sur un bibus chipote ,
Eléve , abaisse , remet ,
ôte ,
Change et fait voler à son gré ,
Comme une légére balote ,
Que j'en veux au Destin , contre toi conjuré ,
Qui t'a par malice acoutré ,
D'une maniere si falote !
Tu méritois au moins d'être Auditeur de Rote.
de
Mais qu'y faire il faut vivre , et l'ame est bien
capote ,
Quand le corps n'est point restauré,
Traduction Françoise , qui a été imprimée à Ox
fort , 1733 chez Vvanecipsen , Libraire de l'Uni
versité , et la Planche gravée , fol. 132.
EI
JANVIER .
25 1734.
Et qu'il ne trouve à la Gargote ,
Ni pain, ni boeuf , ni gélinote ,
Ni Vin , ni Cidre , ni Poiré ,
Ni Choux , ni Rave , ni Carotte ,
Ni même la moindre Echalotte ;
C'est alors qu'un teint empourpre ,
Devient sec , pâle , ou sulphuré ,
Qu'en hyver sans cesse on grélote ,
Quand un habit tout délabré ,
Vaguement sur l'échine flote.
Loyal Garçon , pauvre Ferré ,
Si de la probité qui par tout t'accompagne ,
Les humains respectoient les droits ,
Tu choisirois sur les emplois ,
Dont nos riches Traitans disposent en Bretagne,
Certes , s'il dépendoit de moi ,
Je t'en donnerois un au païs de Cocagne.
Je considére et prise en toi ;
Cet esprit qui ne doit qu'à la seule nature
Les graces dont il est doté ,
Sans que l'étude ait ajoûté
Le moindre fard à sa parure.
Ton discours n'est point affecté ,
Il coule avec facilité ,
Amusant , badin , pathétique ,
Le véritable sel attique
S'y mêle avec aménité.
Tu sçais faire un conte à merveille ,
Ов
26 MERCURE DE FRANCE .
On croit voir tout ce que tu dis.
Il faut assurément que les jeux et les ris ,
Te parlent sans cesse à l'oreille ,
Aussi pour ton gentil esprit ,
Et non pour ton emploi petit ,
Tu vois la bonne compagnie ,
D'où par tes mots joyeux,la tristesse est bannie.
Que tu badines finement !
Que tu peins agréablement !
Mais voyons si ma Poësie
Sçaura peindre à son tour cet antique Manteau ,
Dont tu t'es par un tour nouveau ,
Attiré la galanterie ,
Un Railleur , s'il a bon cerveau
Doit entendre la raillerie ,
›
Approche , tire le Rideau ,
Regarde , voici le Tableau.
Ton Manteau jadis bleu , ne craint plus la vergette
.
Ses vieux ans qui l'ont annobli ,
Comme une Glace l'on poli.
Les subtils vermisseaux y trouvant leur cachette,
Broderent à points de chainette
Le drap et d'une et d'autre part.
L'adroite mitte encore y dessine avec art
Mainte délicate vignette.
FloJANVIER
. 1734. 、27
Flottant , garni de fleurs , sombrement azuré ,
L'ail s'y trompe , et le prend pour un satin
gaufré.
Ce Manteau dont ici tout le monde caquette
Suivant ce qu'un grand Clerc de ces cantons en
dit ,
Docteur mur et profond , Antiquaire en crédit ,
Fut le Manteau Royal de la Reine Gillette .
D'autres prétendent qu'il couvrit
Saint Antoine l'Anachotette ;
D'autres qu'il servit au Prophete
Qui sur un Char brulant fut en corps, en esprit ,
Porté du séjour de la Terre
Jusqu'aux lieux d'où part le Tonnerre.
De ce Manteau dont gens de poids
Ont à l'envi cherché l'origine secrette ,
Chacun jase , raisonne à sa guise . Or je crois ,
Que cette houpelande est faite .
De la grande moitié du Manteau qu'autrefois ,
Doué de charité parfaite ,
Monseigneur Saint Martin jetta sur le Sournois,
Le Truant déguisé qu'il trouva sans jacquette ,
Grelotant , soufflant dans ses doigts ,
Et qui cachoit un fin matois
Sous la mine la plus doucette .
Mais ce qui rend encore à tes yeux ce Manteau
Incomparablement plus beau ,
C'est que sans débourser , tu sçus en faire em-
· plette :
Enfin
28 MERCURE DE FRANCE
Enfin c'est un présent d'ami ,
Qui n'est point , comme on voit , libéral à demi.
Ce Manteau te sert de lorgnette ,
Par les trous dont il est rempli
De couverture à la couchette
A la Fenêtre de chassis ,
Housse sur ton Cheval , sur la table tapis ,
A la Cuisine il fait l'office
De passe purée ou coulis ,
Au plus fort de l'Eté le Zéphir qui s'y glisse
Folâtre en tapinois , et souleve ses plis ,
Dont quelques uns sont désunis.
On en fait , quand on veut , un Epervier pous
prendre
Les Poissons dans le sein des Eaux ,
Quelquefois au besoin, un Filet pour surprendre
La folle troupe des Oiseaux ;
Crible pour la récolte,il sert pendant l'Automner
A couvrir le panier , où coule du Pressoir
L'onde vineuse qui bouillonne ,
Ou bien le fond de l'Antonnoir ,
Pour empêcher les grains de passer dans la
tonne.
Manteau dont la posterité
Portera jusqu'aux Cieux le souvenir durable ,
O Manteau des Manteaux ! vêtement admirable
!
Qui , Ferré, ton Manteau , ce Manteau si vanté ,
Get Etendart de friperie ,
Dont
JANVIER 29 1734
Dont la possession a flatté ton envie ,
Peut-être , si tu veux , bon à tout , excepté
Pour garantir du froid , du vent et de la pluye,
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Résumé : EPITRE. A M. Ferré, Brigadier, sur son Manteau ; par Mlle de Malcrais de la Vigne.
L'épître est adressée à M. Ferré, brigadier, et met en lumière la condition précaire de son manteau. L'auteur exprime sa compassion pour Ferré, qui doit solliciter des faveurs auprès de son directeur et vit dans des conditions difficiles, sans accès à des aliments de base. Malgré ces épreuves, Ferré est reconnu pour sa probité et son esprit naturel, qui lui permettent de charmer la bonne compagnie par ses contes et son humour. Le texte décrit ensuite en détail le manteau de Ferré, soulignant son état délabré mais aussi sa polyvalence. Le manteau, autrefois bleu, est brodé par les vermisseaux et orné de vignettes. Il est comparé à des vêtements historiques, comme celui de la Reine Gillette ou de Saint Martin. Ferré utilise ce manteau pour diverses fonctions pratiques, allant de la couverture à la lorgnette, en passant par des usages domestiques et agricoles. L'épître se termine en exaltant le manteau de Ferré, le qualifiant de 'vêtement admirable' et d''étendard de friperie', bien que celui-ci ne protège pas du froid ou de la pluie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 29-30
EXTRAIT d'une Lettre écrite aux Auteurs du Mercure, suivie d'un Memoire qui répond à la question proposée dans celui du mois de Juin dernier, au sujet du Plainchant &c.
Début :
Je vous prie d'agréer le Memoire que je vous addresse, fidelement transcrit [...]
Mots clefs :
Mémoire, Plain-chant, Question, Goût, Musique, Composition
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre écrite aux Auteurs du Mercure, suivie d'un Memoire qui répond à la question proposée dans celui du mois de Juin dernier, au sujet du Plainchant &c.
EXTRAIT d'une Lettre écrite aux Auteurs
du Mercure , suivie d'un Memoire
qui répond à la question proposée dans
celui du mois de Juin dernier , au sujet
du Plainchant & c.
E vous prie d'agréer le Memoire que
je vous addresse vous , fidelement transcrit
sur l'original , qui me fut communiqué
l'année passée à Auxerre , où Mrs du
Clergé de Langres m'avoient envoyé
pour y déposer les Préjugez de la Musique
, et mettre en leur place le gout du
Plainchant , et la belle varieté qui doit
regner là - dessus dans une Eglise Cathedrale.
Il m'a parû que ce Memoire répond
décisivement au fond de la question
qui a été proposée , laquelle tend à prescrire
de justes limites aux Musiciens , et
à détromper le Public de la
trop bonne
opinion qu'il a d'eux. Je ne vous cellerai
point qu'avant mon voyage à Auxerre
, ( quoique Musicien et élevé dans
une célébre Maîtrise pendant plus de 12
ans , ) j'étois dans le Préjugé commun ,
mais
ཐབ MERCURE DE FRANCE
mais j'en suis entierement revenu , et je
reconnois aujourd'hui que le gout de la
Musique , et le gout du Plainchant sont
deux gouts bien differens ; que pour être
habile dans la composition de l'une on ne
l'est pas pour cela dans la composition
de l'autre , qu'il y a certains enchaînemens,
certaines manieres de traitter, certaine
tournure , en un mot une Mechanique
particuliere dans l'Art du Plainchant
, qui n'est reconnoissable que par
ceux qui ont étudié les Ecrits des anciens
Compilateurs comme de Guy
Aretin , ou par ceux qui ont conversé
quelque temps avec ceux qui les ont bien
lus ; laquelle mécanique n'est pas même
fort aisée à attraper après qu'on a reconnu
qu'elle existe.
Il est vrai que le Memoire cy joint ne
répond pas à tous les membres de la
question proposée dans le second volume
du Mercure de Juin 1733. parce qu'il y
a déja quatre ans qu'il est composé; mais
je ne doute pas que l'Auteur à qui on
renvoye l'affaire ne donne bientôt un
supplement , et ne rende aussi à chacun
ce qui lui appartient. Je suis &c.
du Mercure , suivie d'un Memoire
qui répond à la question proposée dans
celui du mois de Juin dernier , au sujet
du Plainchant & c.
E vous prie d'agréer le Memoire que
je vous addresse vous , fidelement transcrit
sur l'original , qui me fut communiqué
l'année passée à Auxerre , où Mrs du
Clergé de Langres m'avoient envoyé
pour y déposer les Préjugez de la Musique
, et mettre en leur place le gout du
Plainchant , et la belle varieté qui doit
regner là - dessus dans une Eglise Cathedrale.
Il m'a parû que ce Memoire répond
décisivement au fond de la question
qui a été proposée , laquelle tend à prescrire
de justes limites aux Musiciens , et
à détromper le Public de la
trop bonne
opinion qu'il a d'eux. Je ne vous cellerai
point qu'avant mon voyage à Auxerre
, ( quoique Musicien et élevé dans
une célébre Maîtrise pendant plus de 12
ans , ) j'étois dans le Préjugé commun ,
mais
ཐབ MERCURE DE FRANCE
mais j'en suis entierement revenu , et je
reconnois aujourd'hui que le gout de la
Musique , et le gout du Plainchant sont
deux gouts bien differens ; que pour être
habile dans la composition de l'une on ne
l'est pas pour cela dans la composition
de l'autre , qu'il y a certains enchaînemens,
certaines manieres de traitter, certaine
tournure , en un mot une Mechanique
particuliere dans l'Art du Plainchant
, qui n'est reconnoissable que par
ceux qui ont étudié les Ecrits des anciens
Compilateurs comme de Guy
Aretin , ou par ceux qui ont conversé
quelque temps avec ceux qui les ont bien
lus ; laquelle mécanique n'est pas même
fort aisée à attraper après qu'on a reconnu
qu'elle existe.
Il est vrai que le Memoire cy joint ne
répond pas à tous les membres de la
question proposée dans le second volume
du Mercure de Juin 1733. parce qu'il y
a déja quatre ans qu'il est composé; mais
je ne doute pas que l'Auteur à qui on
renvoye l'affaire ne donne bientôt un
supplement , et ne rende aussi à chacun
ce qui lui appartient. Je suis &c.
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Résumé : EXTRAIT d'une Lettre écrite aux Auteurs du Mercure, suivie d'un Memoire qui répond à la question proposée dans celui du mois de Juin dernier, au sujet du Plainchant &c.
L'auteur transmet un mémoire aux rédacteurs du Mercure, reçu à Auxerre, rédigé par le clergé de Langres. Ce mémoire vise à remplacer les préjugés sur la musique par une appréciation du plain-chant et de sa variété dans une église cathédrale. Il répond à une question posée dans le Mercure de juin précédent, qui cherchait à définir les limites des musiciens et à corriger l'opinion publique à leur sujet. Avant son voyage à Auxerre, l'auteur, musicien formé pendant plus de douze ans dans une maîtrise célèbre, partageait les préjugés communs. Cependant, il a depuis changé d'avis, reconnaissant que le goût pour la musique et celui pour le plain-chant sont distincts. Il souligne que la composition du plain-chant nécessite une mécanique particulière, accessible seulement à ceux ayant étudié les anciens compilateurs comme Guy Aretin. Le mémoire ne répond pas entièrement à la question posée dans le Mercure de juin 1733, car il a été écrit quatre ans auparavant. L'auteur espère que l'auteur du mémoire fournira bientôt un supplément.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 31-46
MEMOIRE sur l'autorité des Musiciens en matiere de Plainchant.
Début :
L'erreur n'est que trop commune aujourd'hui de croire que les Musiciens, [...]
Mots clefs :
Chant, Plain-chant, Musique, Musiciens, Composer, Modes, Règles, Attention, Musicien, Maîtres de musique, Chanter, Chant ecclésiastique, Maître de musique, Connaisseurs, Accords, Science, Églises
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : MEMOIRE sur l'autorité des Musiciens en matiere de Plainchant.
MEMOIRE sur l'autorité des Musiciens
en matiere de Plainchant.
'Erreur n'est que trop commune au-
L'jourd'hui de croire que les Musiciens,
et sur tout les Maîtres de Musique , sont
les hommes les plus propres à juger sai
nement du Chant Ecclesiastique. Ceux
qui sont dans cette opinion entendent
par le nom de Musiciens des Chantres
gagez dans des Eglises Cathedrales , pour
y chanter de la Musique , des Chantres
qui ont été élevez dans cette Science dès
la jeunesse , ou qui sçavent jouer de quelque
instrument : et par Maîtres de Musique,
ils entendent ceux qui composent les
Parties de Musique pour être chantées
par differentes voix , et qui enseignent à
chanter musicalement.
Parmi les Personnes qui sont de ce
sentiment , et qui ont cette confiance si
generale dans les lumieres des Musiciens,
pris en ce sens , il y en a quelquefois qui
sont chargez de veiller sur ce qui regarde
la célébration de l'Office Divin : et si
ceux-là se trompent ils peuvent entraîner
avec eux plusieurs autres personnes
dans l'illusion . Outre ceux là , il y en a
d'autres dont un seul par son simple
suffrage peut faire pancher la pluralitě
d'une
32
MERCURE DE FRANCE
d'une compagnie à déclarer que les Musiciens
et principalement les Maîtres de
Musique sont les arbitres souverains
du Chant de l'Eglise , que ce qu'ils improuvent
doit être improuvé, et qu'il ne
faut admettre que ce qu'ils trouvent
bon. La question est de sçavoir si cette
déclaration seroit juste et raisonnable
et si au contraire elle ne seroit pas abusive.
Les suites en seroient d'autant plus
à craindre , que les inconveniens qui en
peuvent arriver seront plus fréquens
parce que les Musiciens eux - mêmes sont
la plupart persuadez de la même chose ,
et qu'il y en a peu de ceux qui se croyent
habiles en Musique , qui ne prétendent
pouvoir décider sur le Plainchant.
Ils croyent ordinairement que ce n'est
qu'à eux seuls qu'on peut s'en rapporter.
Souvent ils ne jugent de l'habitude d'un
Ecclesiastique dans le Chant , qu'à proportion
qu'il raisonne sur les accords
en quoi consiste leur science favorite
et qu'il entre dans ce qu'ils appellent
Musique.
D'autres Personnes qui approfondissent
davantage les choses, prétendent que
les Musiciens ne sont pas les seuls ni les
uniques connoisseurs dans la science du
Chant Ecclesiastique , que cela n'est pas
attaché
JANVIER 1734. 33
attaché à la nature de leur état , et qu'il
est plus commun de trouver de bons
connoisseurs là - dessus parmi les Ecclesiastiques
, qui ne sont pas Musiciens
dans le sens que j'ai donné à ce terme
que parmi ces sortes de Musiciens . D'où
ils concluent que si dans une contestation
l'on choisissoit des Arbitres , il en
faudroit prendre un plus grand nombre
de ceux qu'on n'appelle pas aujourd'hui
Musiciens , quoiqu'ils le soient dans le
fond , que de ceux qui ont ce nom dans
l'usage ordinaire .
C'est aux gens de Lettre à décider
de quel côté est le parti le plus sage
et le plus prudent. On ne peut pas
mieux conduire les juges de ce differend
à une décision précise et nette ,
qu'en leur exposant d'abord les raisons
qui donnent du crédit aux Musiciens
et qui les font prendre pour des juges
compétens et suffisans ; et ensuite les
raisons qui prouvent leur insuffisance et
leur incapacité pour décider sur le Plainchant.
Les personnes qui sont persuadées de
la pleine suffisance des Musiciens , ont
dans l'esprit, qu'il n'est pas probable que
gens qui ont appris la Gamme dès
l'enfance, et qui pendant sept ou huit ans
G
des
et
34 MERCURE DE FRANCE
)
et même quelquefois davantage , en ont
fait leur exercice et leur occupation journaliere
dans un lieu qu'on appelle la
Psallette ou la Maîsrise , ne puissent connoître
parfaitement ce que c'est que le
Plainchant ; qu'en ayant tant oüi chanter
et en ayant chanté eux-mêmes , ils
doivent sçavoir en quoi il consiste, et con
noître ce qui fait la difference des piéces
les unes d'avec les autres. Ces mêmes
personnes se persuadent que le son des
Instrumens par lequel on les forme à la
Musique , a dû leur inculquer la connoissance
des differentes situations des
sons qui constituent les modes du
Chant Ecclesiastique . On peut ajouter à
cela l'application qu'elles font du Prover :
be. Qui facit plus et minus , d'où elles
concluent que les Musiciens sçachang
des accords de consonance
( ce qui n'est pas une chose aisée , ) ils
doivent , à plus forte raison , sçavoir ce
qui est plus simple et plus facile , qui est
le Plainchant. Voilà tout ce qu'on a pû
lire dans leur pensée ; car pour du langage
ou de l'écrit, il a été impossible d'en
tirer d'aucune des personnes qui sont
penetrées d'une si haute estime envers
les Musiciens.
و
composer
Ceux au contraire qui connoissent de
plus
JANVIER 1734 35
plus près l'étendue des lumieres des Musiciens
, se contentent d'avoüer seulement
qu'ils les croyent très en état d'exécuter
le Chant Ecclesiastique , c'est- à- dire
de le chanter dans la pratique , et de
conduire ceux qui ne le sçavent pas.
Mais ils soutiennent qu'il est rare qu'ils
puissent en raisonner sçavamment , et
que c'est une chose encore plus rare qu'ils
puissent composer du Plainchant qui soit
bon et loyal. En effet , dès qu'un Musicien
ne peut pas raisonner pertinemment
sur le Plainchant , et qu'il se méprend
dans les discours qu'il tient sur cette
science , à plus forte raison il n'est pas
en état d'en composer ; et si l'expérience
fait voir que le Plainchant, que des Musiciens
ont composé dans ces derniers
temps n'est pas un Plainchant
bien fondé à conclure delà que les Mu
siciens n'ont donc pas par leur nature de
Musicien , les qualitez necessaires pour
raisonner scientifiquement sur le Plainchant
, et que ces qualitez ne sont pas
attachées à leur profession.
on est
Un Musicien en état de juger à fond sur
le Plainchant, doit être tel que Boëce le demande.
Il doit avoir la facilité à porter
son jugement selon les regles des anciens ,
sur lesdifferens modes du Chant , sur les
Cij
differentes
56 MERCURE DE FRANCE
differentes manieres dont les syllabes des
mors sont disposées relativement auChant,
sur le rapport des modes les uns avec
les autres , et sur les especes differentes
des vers des Poëtes . Is musicus est cui ad
est Facultas secundùm speculationem... Musica
convenientem , de modis ac rythmis
deque generibus cantilenarum ac de permixtionibus
... ac de Poëtarum carminibus
judicandi. Boët. de Musica. L. 1. c . 34.
Cela revient à la regle d'Aristide , qui dit:
Oportet et melodiam contemplari , et rythmum
et dictionem , ut perfectus cantus efficiatur.
Cela signifie que pour composer unChant
dans lequel il n'y ait rien à redire , il faut
d'abord que ce Chant ait la mélodie qui
lui convient , par rapport au mode dont
on veut qu'il soit ; mélodie qui peut être
considerće ou relativement à son intention
ou relativement à l'espace de Chant
qu'on a intention de faire , parce qu'un
Répons doit, par exemple, être traité autrement
qu'une Antienne . Il faut en second
lieu que la distribution des repos ,
des cadences , des chutes , et poses de respiration
soit compassée relativement à l'arangement
des mots et à leur construction
Jaquelle est tantôt naturelle et tantôt entremêlée
; c'est ce qu'Aristide et les Anciens appellent
rythmus.Et enfin il faut être attentif
JANVIER 1734 37
à exprimer ce qui est signifié par les
mots , soit joye, soit tristesse , timidité ou
hardiesse, orgueil ou humilité , et principalement
à la force et à l'énergie de certains
Verbes et Adverbes ; c'est ce qu'Aristide
entend par la diction , à laquelle il veut
qu'on ait égard pour composer un Chant
parfait et accompli.
Or il arrive le plus souvent qu'un Mu
sicien , tel qu'on l'entend dans le sens
vulgaire et ordinaire , n'a connoissance
du Chant Ecclesiastique , que pour en
avoir oui chanter et en avoir chanté dans
une ou deux Eglises . Ce n'est point un
homme à faire aucune recherche d'érudition
dans les Livres de Chant , soit
manuscrits , soit imprimez des Pays
qu'il parcourt. Un Maître de Musique
jugera de même d'une Piéce de Chant
sur sa simple conformité avec une autre
Piéce , qu'il aura oüi chanter dans le lieu
où il étoit autrefois Enfant de Choeur.
Ensorte que si , par exemple , ce Maître de
Musique n'a pas été dans une Eglise où
le cinquième et sixiéme modes du Plainchant
soient traitez de deux manieres
differentes, qui en forment les deux espe
ces , dont l'une répond à l'ancien Chant
des Lydiens , et l'autre à celui des Ioniens,
et qu'il n'ait entendu moduler ces deux/
Cij modes
38 MERCURE DE FRANCE
•
modes et surtout le sixième que d'une -
seule et unique façon ; ce Maître alors ,
dis je , n'admettra qu'une seule maniere
de composer des pièces de ces modes .
Au moins les Musiciens devroient - ils connoître
ceux de tous les modes usitez dans
l'antiquité que differentes Eglises ont employés
dans leurs Livres , et ne pas croire
qu'une chose est heteroclite , inconnuë
à tout le temps passé , et éloignée des
premiers principes , parce qu'ils ne l'ont.
pas vû pratiquer dans l'Eglise où ils ont
été élevez ni dans quelques- unes où ils
ont passé. Ils ne devroient pas se déclarer
ennemis des varietez , comme ils font
quelquefois, puisque c'est la varieté et la
diversité qui contribuent à renouveller
l'attention et la ferveur dans le Chant de
l'Office Divin. Ils devroient ne pas prétendre
, comme font quelques- uns d'entre-
eux , que tout doit plaire à tout le
monde , et qu'une chose qui peut ne pas
paroître belle à quelqu'un , n'est pas recevable
et n'a pas dû être admise. Et pour
se persuader eux- mêmes qu'ils donnent
dans un excès condamnable en raisonnant
ainsi , il suffiroit qu'ils fissent attention
qu'il est du Chant comme des assaisonnemens
des viandes , dont plusieurs ,
quoique faits selon les regles, ne sont pas
du
JANVIER 17345 39
du goût de bien des gens . Quoique ces
assaisonnemens ne flattent point le goût
de certaines personnes , cela ne les fait pas
rejetter tout-à-fait de l'usage commun ,
parce que ce qui ne plaît pas à l'un peut
plaire à un autre , dès- là qu'il a été pratiqué
par les Anciens qui avoient les or
ganes disposez comme nous , et qu'il n'est
pas contre les premiers principes del'Art ni
contre l'assortissement naturel des choses.
Il faut encore qu'un connoisseur irréprochable
se souvienne des regles les plus
communes de la Logique et s'il n'a pas
étudié en Logique , qu'il fasse au moins
attention à ce que dicte la Logique naturelle.
La Logique apprend ,par exemple,à
reflechir sur la difference qu'il y a entte
la ressemblance et l'identité , et à connoître
pour quoi ce qui n'est que ressemblant
n'est pas identique. Or c'est préci
sement ce que la foule des Musiciens modernes
confond , en prenant pour identi
que ce qui n'est que ressemblant. Ils apperçoivent
une espece desimilitude entre
certaines modulations ; ils en concluent
tout aussi - tôt que l'une est l'autre , sans
faire attention qu'ils disent trop , et qu'ils
devoient se contenter de dire que l'une
ressemble en quelque chose à l'autre. C'est
cette confusion des idées qui est aujour
Ciiij
d'hui
40 MERCURE DE FRANCE
d'hui si fatale dans le commerce de la vie ,
et qui fait que lorsqu'un Musicien a prononcé
qu'une telle modulation est la
même qu'une autre , sans autre examen ,
plusieurs le disent après lui , ce qui excite
des troubles et des divisions , à cause
qu'un trop grand nombre de personnes
prend les Musiciens pour les legitimes
connoisseurs en fait de Chant Ecclesiasti
que
Pour être habile Musicien et sçavant
Maître de Musique , ce n'est pas une
conséquence nécessaire qu'on soit toujours
pour cela habile Humaniste , ou en état
d'être perpetuellement attentif dans ce
que l'on compose , aux regles de la Grammaire
, autant que la pratique du Chant
le demande. Cependant c'est une necessité
indispensable que les regles de la
Grammaire soient alliées avec le Chant.
C'est ce rythmus qu'Aristide veut qu'on
considere en composant du Chant : Opor
ret contemplari.... rythmum , ut perfectus
cantus efficiatur , c'est- à - dire ( en appliquant
au Chant d'Eglise ou Plainchant
ce qu'Aristide a dit du Chant de son
temps ) qu'il faut qu'il y ait dans ce Chant
des partages , comine il y en auroit dans
la construction du discours , en declamant
lentement, ou en lisant posément ;
que
JANVIER 1734. 41
que dans les parties qui composent les
phrases ou periodes , il faut observer les
liaisons et les séparations qui leur conviennent
, et qu'elles exigent suivant les
principes de la Grammaire.
Il n'est que trop commun de voir pea
observées par les Maîtres de Musique ces
regles , qui indiquent l'union ou la séparation
qui est nécessaire dans les parties.
du discours , suivant les occurrences. Ils
ne sont même pas libres d'avoir cette attention
, et ce qui les en détourne , est
celle qu'ils donnent à former des accords
et à combiner la mesure des sons , de telle
maniere qu'elle remplisse des temps fixez
et déterminez. Au lieu que dans le Plainchant
ont n'est point si à l'étroit ; cette
maniere y est inconnue. La simplicité et
le denûment d'accords , la liberté qu'on
y a pour le mouvement , lequel n'est
point mesuré si précisement que dans la
Musique , tout cela, dis - je , rend le compositeur
moins distrait, et par conséquent
plus disposé à avoir l'attention nécessaire
pour la liaison ou la séparation des parties
du discours.
Voilà l'origine de la grande difference
qui se trouve entre la composition du
Plainchant et celle de la Musique. Un
compositeur habituel de Plainchant qui
Су n'a
MERCURE DE FRANCE
n'a jamais usé des licences qu'on ose prendre
dans la Musique , et qui y sont tole
rées , a toujours l'esprit présent à la nature
du texte qu'il traite , et qu'il anime
de sons ; il ne s'écarte point des regles de
la construction . Un Maître de Musique
qui a pris une habitude moins gênée , ne
peut plus s'en défaire ; accoutumé à des
repétitions qui lui fournissent un vaste
champ , il ne peut plus simplifier ; et parlà
il devient incapable de composer un
Plainchant qui soit régulier , ou il n'en
vient à bout qu'avec beaucoup de peine.
On lui passe dans la Musique ces fautes
contre les partitions du discours , surtout
lorsqu'il a voulu imiter une autre Piéce
parce que l'harmonie des accords qui
concourent, occupe l'auditeur et lui flatte
l'oreille. Mais le Plainchant n'a rien de
semblable , il n'a rien d'accessoire qui
puisse en cacher les défauts , s'il arrive
qu'il y en ait. Les connoisseurs les remarquent
aussi- tôt , ils se montrent à eux
tout à nud à cause de la simplicité de ce
Chant , et , pour ainsi dire , à cause de sa
planitude , d'où est venu le nom de Planus
cantus et non pas Plenus cantus. Il seroit
facile de produire ici une longue liste
des fautes grossieres dans lesquelles des
Maîtres de Musique habiles et très habiles
JANVIER. 1734. 43
les sont tombez , lorsqu'ils ont entrepris
de composer du Plainchant. Que j'en aye
trouvé la cause ou non , il n'importe ,
cela n'en est pas moins vrai , ( et des Musiciens
même en conviennent ) que c'étoit
un pauvre Plainchant.
Il est certaines modulations usitées en
quelques Eglises , desquelles les Musiciens
ne peuvent pas juger communément
, sans se tromper ; parce que pour
en parler sainement, il faut être plus instruit
qu'ils ne le sont ordinairement dans
les variétez et les progrès du Chant, Ecclésiastique
depuis son origine , et outre
cela il faut aussi être versé dans la Liturgie
, et avoir la connoissance de l'origine
de plusieurs des Rits Ecclesiastiques. Un
Musicien dans sa qualité de Musicien ,
n'est pas obligé de sçavoir que le Systême
du Chant , appellé Grégorien , ne
renferme pas toutes les variétez imaginables
de Psalmodie , ni toutes celles qui ont
été en usage en différent temps , et qui le
sont encore en différens lieux . Ce Maître
de Musique,quelque habile qu'il soit dans
la composition de la Musique , n'est pas
tenu de sçavoir que lorsque le Systême
de Chant de l'Antiphonier Grégorien
fut reçu en France avec les Livres Romains
, au huitiéme et neuviéme siécles ,
C vj
44 MERCURE DE FRANCE
@
on ne quitta pas pour cela en France toutes
les modulations antérieures;mais qu'on
en conserva quelques unes qui étoient
hors de l'étendue du Systême de l'Antiphonier
Grégorien , pour les chanter en
certains jours. De là vient l'étonnement
des Musiciens , et même des Maîtres de
Musique , lorsqu'ils entendent quelque
chose qui paroît contredire ou ne pas s'ac
corder avec ce Systême. Ils sont portez à
le désapprouver, parce qu'il est plus rare
et moins commun , et que ce n'est point
une chose à laquelle on leur ait fait faire
attention pendant leur jeunesse . Aussi
dans ce qui dépend de la connoissance
des Rits Ecclésiastiques , sont- ils sujets à
prendre le change. Its croyent , par exemple
, que la semaine de Pâques doit être
gaye , sur le pied de la gayeté d'un temps
de grande réjouissance extérieure , ne sçachant
pas que c'est la semaine dans laquelle
les premiers Ordinateurs des Offices
Divins ont le plus retenu de l'ancienne
simplicité . Ils sont surpris d'y
trouver du grave et du sérieux , et que ce
qu'il y a de gay dans le cours de l'année
en soit exclus , comme les Répons brefs
Alleluiatiques , les Neumes de jubilation
à la fin des Antienness et cela parce qu'ils
ne sçavent pas que de tout temps l'on n'a
fait
JANVIER. 1734. 49
fait commencer la gayeté Pascale qu'après
une semaine passée dans le grave et
le sérieux que c'est proprement au Dimanche
, huitième jour après Pâques ,que
commence le Rit du Temps Pascal , qui
dure jusqu'à la Pentecôte.
;
On ne s'est point érendu à marquer icy
que le Plainchant est plus ancien que la
Musique dans l'usage Ecclesiastique , que
c'est lui qui y a donné occasion , qui lui
a frayé le chemin , et qui l'a fait naître
dans les Eglises , et que lui seul portoit
autrefois , parmi les Chrétiens , le nom
de Musica. On pourroit conclure au
moins de ce fait , qui est très certain , que
les Musiciens dans le sens qu'on l'entend
aujourd'hui sont les plus nouveaux venuss
et que c'est à eux à suivre les regles qu'ils
trouvent dans les Livres Ecclésiastiques
des anciens Maîtres , et non à les détruire
ni à les soumettre à leurs idées. On espere
que ce détail sera trouvé suffisanc
pour faire décider, que c'est plutôt à d'habiles
connoisseurs en simple Plainchant
qu'il faut s'en rapporter, pour s'assurer
la bonté du Chant,d'un nouveau Bréviaire
, que non pas à des Musiciens , quelques
habiles qu'ils soient dans leur science.
Il n'est pas douteux
que la Musique
Ec
clésiastique
, connue
sous
le nom
de Plain-
-shant
46 MERCURE DE FRAN CE
chant , ne doive son origine à l'ancienne
Musique des Grecs , de qui les Romains ont
emprunté la leur. Ainsi pour connoître à fond
cette Musique d'Eglise, et pour enjuger sainement
, il faut non seulement remonter jusqu'à
sa source , mais de plus faire ensorte de
découvrir les divers changemens qui y sont
arrivez de siécle en siécles c'est- à- dire , qu'il
faut être également instruit , et de la Théorie
de l'ancienne Musique , tant Grecque que
Romaine , et de l'Histoire du Plainchant
depuis ses commencemens jusques à nosjours .
Or ce sont deux points presque totalement
ignorez de nos Musiciens modernes , occupez
uniquement du soin de perfectionner l'espece
de Musique dont ils ont embrassé la profession.
Il s'ensuit delà , qu'un homme tel que
l'Auteur de cette Dissertation , lequel paroit
avoir fait une étude sérieuse de ces deux
points , seroit beaucoup plus à portée de décider
les difficultez qui concernent le Plainchant
, que ceux à qui ce genre de Musique
semble être presqu'entierement étranger , par
le
pen de
connoissance
qu'ils
en
ont
acquise
.
On
exhorte
l'Auteur
à communiquer
au
Public
ce que
ses
laborieuses
recherches
lui
ont
appris
sur
ce sujet.Ce
seroit
le plus
sur
moyen
de
mettre
le Public
en garde
contre
l'illusion
,
que
lui
pourroient
faire
les
décisions
de Juges
incompetens
. A Paris
, ce
12
Février
1729
.
Signez BURETTE et FALCONNET , fils.
en matiere de Plainchant.
'Erreur n'est que trop commune au-
L'jourd'hui de croire que les Musiciens,
et sur tout les Maîtres de Musique , sont
les hommes les plus propres à juger sai
nement du Chant Ecclesiastique. Ceux
qui sont dans cette opinion entendent
par le nom de Musiciens des Chantres
gagez dans des Eglises Cathedrales , pour
y chanter de la Musique , des Chantres
qui ont été élevez dans cette Science dès
la jeunesse , ou qui sçavent jouer de quelque
instrument : et par Maîtres de Musique,
ils entendent ceux qui composent les
Parties de Musique pour être chantées
par differentes voix , et qui enseignent à
chanter musicalement.
Parmi les Personnes qui sont de ce
sentiment , et qui ont cette confiance si
generale dans les lumieres des Musiciens,
pris en ce sens , il y en a quelquefois qui
sont chargez de veiller sur ce qui regarde
la célébration de l'Office Divin : et si
ceux-là se trompent ils peuvent entraîner
avec eux plusieurs autres personnes
dans l'illusion . Outre ceux là , il y en a
d'autres dont un seul par son simple
suffrage peut faire pancher la pluralitě
d'une
32
MERCURE DE FRANCE
d'une compagnie à déclarer que les Musiciens
et principalement les Maîtres de
Musique sont les arbitres souverains
du Chant de l'Eglise , que ce qu'ils improuvent
doit être improuvé, et qu'il ne
faut admettre que ce qu'ils trouvent
bon. La question est de sçavoir si cette
déclaration seroit juste et raisonnable
et si au contraire elle ne seroit pas abusive.
Les suites en seroient d'autant plus
à craindre , que les inconveniens qui en
peuvent arriver seront plus fréquens
parce que les Musiciens eux - mêmes sont
la plupart persuadez de la même chose ,
et qu'il y en a peu de ceux qui se croyent
habiles en Musique , qui ne prétendent
pouvoir décider sur le Plainchant.
Ils croyent ordinairement que ce n'est
qu'à eux seuls qu'on peut s'en rapporter.
Souvent ils ne jugent de l'habitude d'un
Ecclesiastique dans le Chant , qu'à proportion
qu'il raisonne sur les accords
en quoi consiste leur science favorite
et qu'il entre dans ce qu'ils appellent
Musique.
D'autres Personnes qui approfondissent
davantage les choses, prétendent que
les Musiciens ne sont pas les seuls ni les
uniques connoisseurs dans la science du
Chant Ecclesiastique , que cela n'est pas
attaché
JANVIER 1734. 33
attaché à la nature de leur état , et qu'il
est plus commun de trouver de bons
connoisseurs là - dessus parmi les Ecclesiastiques
, qui ne sont pas Musiciens
dans le sens que j'ai donné à ce terme
que parmi ces sortes de Musiciens . D'où
ils concluent que si dans une contestation
l'on choisissoit des Arbitres , il en
faudroit prendre un plus grand nombre
de ceux qu'on n'appelle pas aujourd'hui
Musiciens , quoiqu'ils le soient dans le
fond , que de ceux qui ont ce nom dans
l'usage ordinaire .
C'est aux gens de Lettre à décider
de quel côté est le parti le plus sage
et le plus prudent. On ne peut pas
mieux conduire les juges de ce differend
à une décision précise et nette ,
qu'en leur exposant d'abord les raisons
qui donnent du crédit aux Musiciens
et qui les font prendre pour des juges
compétens et suffisans ; et ensuite les
raisons qui prouvent leur insuffisance et
leur incapacité pour décider sur le Plainchant.
Les personnes qui sont persuadées de
la pleine suffisance des Musiciens , ont
dans l'esprit, qu'il n'est pas probable que
gens qui ont appris la Gamme dès
l'enfance, et qui pendant sept ou huit ans
G
des
et
34 MERCURE DE FRANCE
)
et même quelquefois davantage , en ont
fait leur exercice et leur occupation journaliere
dans un lieu qu'on appelle la
Psallette ou la Maîsrise , ne puissent connoître
parfaitement ce que c'est que le
Plainchant ; qu'en ayant tant oüi chanter
et en ayant chanté eux-mêmes , ils
doivent sçavoir en quoi il consiste, et con
noître ce qui fait la difference des piéces
les unes d'avec les autres. Ces mêmes
personnes se persuadent que le son des
Instrumens par lequel on les forme à la
Musique , a dû leur inculquer la connoissance
des differentes situations des
sons qui constituent les modes du
Chant Ecclesiastique . On peut ajouter à
cela l'application qu'elles font du Prover :
be. Qui facit plus et minus , d'où elles
concluent que les Musiciens sçachang
des accords de consonance
( ce qui n'est pas une chose aisée , ) ils
doivent , à plus forte raison , sçavoir ce
qui est plus simple et plus facile , qui est
le Plainchant. Voilà tout ce qu'on a pû
lire dans leur pensée ; car pour du langage
ou de l'écrit, il a été impossible d'en
tirer d'aucune des personnes qui sont
penetrées d'une si haute estime envers
les Musiciens.
و
composer
Ceux au contraire qui connoissent de
plus
JANVIER 1734 35
plus près l'étendue des lumieres des Musiciens
, se contentent d'avoüer seulement
qu'ils les croyent très en état d'exécuter
le Chant Ecclesiastique , c'est- à- dire
de le chanter dans la pratique , et de
conduire ceux qui ne le sçavent pas.
Mais ils soutiennent qu'il est rare qu'ils
puissent en raisonner sçavamment , et
que c'est une chose encore plus rare qu'ils
puissent composer du Plainchant qui soit
bon et loyal. En effet , dès qu'un Musicien
ne peut pas raisonner pertinemment
sur le Plainchant , et qu'il se méprend
dans les discours qu'il tient sur cette
science , à plus forte raison il n'est pas
en état d'en composer ; et si l'expérience
fait voir que le Plainchant, que des Musiciens
ont composé dans ces derniers
temps n'est pas un Plainchant
bien fondé à conclure delà que les Mu
siciens n'ont donc pas par leur nature de
Musicien , les qualitez necessaires pour
raisonner scientifiquement sur le Plainchant
, et que ces qualitez ne sont pas
attachées à leur profession.
on est
Un Musicien en état de juger à fond sur
le Plainchant, doit être tel que Boëce le demande.
Il doit avoir la facilité à porter
son jugement selon les regles des anciens ,
sur lesdifferens modes du Chant , sur les
Cij
differentes
56 MERCURE DE FRANCE
differentes manieres dont les syllabes des
mors sont disposées relativement auChant,
sur le rapport des modes les uns avec
les autres , et sur les especes differentes
des vers des Poëtes . Is musicus est cui ad
est Facultas secundùm speculationem... Musica
convenientem , de modis ac rythmis
deque generibus cantilenarum ac de permixtionibus
... ac de Poëtarum carminibus
judicandi. Boët. de Musica. L. 1. c . 34.
Cela revient à la regle d'Aristide , qui dit:
Oportet et melodiam contemplari , et rythmum
et dictionem , ut perfectus cantus efficiatur.
Cela signifie que pour composer unChant
dans lequel il n'y ait rien à redire , il faut
d'abord que ce Chant ait la mélodie qui
lui convient , par rapport au mode dont
on veut qu'il soit ; mélodie qui peut être
considerće ou relativement à son intention
ou relativement à l'espace de Chant
qu'on a intention de faire , parce qu'un
Répons doit, par exemple, être traité autrement
qu'une Antienne . Il faut en second
lieu que la distribution des repos ,
des cadences , des chutes , et poses de respiration
soit compassée relativement à l'arangement
des mots et à leur construction
Jaquelle est tantôt naturelle et tantôt entremêlée
; c'est ce qu'Aristide et les Anciens appellent
rythmus.Et enfin il faut être attentif
JANVIER 1734 37
à exprimer ce qui est signifié par les
mots , soit joye, soit tristesse , timidité ou
hardiesse, orgueil ou humilité , et principalement
à la force et à l'énergie de certains
Verbes et Adverbes ; c'est ce qu'Aristide
entend par la diction , à laquelle il veut
qu'on ait égard pour composer un Chant
parfait et accompli.
Or il arrive le plus souvent qu'un Mu
sicien , tel qu'on l'entend dans le sens
vulgaire et ordinaire , n'a connoissance
du Chant Ecclesiastique , que pour en
avoir oui chanter et en avoir chanté dans
une ou deux Eglises . Ce n'est point un
homme à faire aucune recherche d'érudition
dans les Livres de Chant , soit
manuscrits , soit imprimez des Pays
qu'il parcourt. Un Maître de Musique
jugera de même d'une Piéce de Chant
sur sa simple conformité avec une autre
Piéce , qu'il aura oüi chanter dans le lieu
où il étoit autrefois Enfant de Choeur.
Ensorte que si , par exemple , ce Maître de
Musique n'a pas été dans une Eglise où
le cinquième et sixiéme modes du Plainchant
soient traitez de deux manieres
differentes, qui en forment les deux espe
ces , dont l'une répond à l'ancien Chant
des Lydiens , et l'autre à celui des Ioniens,
et qu'il n'ait entendu moduler ces deux/
Cij modes
38 MERCURE DE FRANCE
•
modes et surtout le sixième que d'une -
seule et unique façon ; ce Maître alors ,
dis je , n'admettra qu'une seule maniere
de composer des pièces de ces modes .
Au moins les Musiciens devroient - ils connoître
ceux de tous les modes usitez dans
l'antiquité que differentes Eglises ont employés
dans leurs Livres , et ne pas croire
qu'une chose est heteroclite , inconnuë
à tout le temps passé , et éloignée des
premiers principes , parce qu'ils ne l'ont.
pas vû pratiquer dans l'Eglise où ils ont
été élevez ni dans quelques- unes où ils
ont passé. Ils ne devroient pas se déclarer
ennemis des varietez , comme ils font
quelquefois, puisque c'est la varieté et la
diversité qui contribuent à renouveller
l'attention et la ferveur dans le Chant de
l'Office Divin. Ils devroient ne pas prétendre
, comme font quelques- uns d'entre-
eux , que tout doit plaire à tout le
monde , et qu'une chose qui peut ne pas
paroître belle à quelqu'un , n'est pas recevable
et n'a pas dû être admise. Et pour
se persuader eux- mêmes qu'ils donnent
dans un excès condamnable en raisonnant
ainsi , il suffiroit qu'ils fissent attention
qu'il est du Chant comme des assaisonnemens
des viandes , dont plusieurs ,
quoique faits selon les regles, ne sont pas
du
JANVIER 17345 39
du goût de bien des gens . Quoique ces
assaisonnemens ne flattent point le goût
de certaines personnes , cela ne les fait pas
rejetter tout-à-fait de l'usage commun ,
parce que ce qui ne plaît pas à l'un peut
plaire à un autre , dès- là qu'il a été pratiqué
par les Anciens qui avoient les or
ganes disposez comme nous , et qu'il n'est
pas contre les premiers principes del'Art ni
contre l'assortissement naturel des choses.
Il faut encore qu'un connoisseur irréprochable
se souvienne des regles les plus
communes de la Logique et s'il n'a pas
étudié en Logique , qu'il fasse au moins
attention à ce que dicte la Logique naturelle.
La Logique apprend ,par exemple,à
reflechir sur la difference qu'il y a entte
la ressemblance et l'identité , et à connoître
pour quoi ce qui n'est que ressemblant
n'est pas identique. Or c'est préci
sement ce que la foule des Musiciens modernes
confond , en prenant pour identi
que ce qui n'est que ressemblant. Ils apperçoivent
une espece desimilitude entre
certaines modulations ; ils en concluent
tout aussi - tôt que l'une est l'autre , sans
faire attention qu'ils disent trop , et qu'ils
devoient se contenter de dire que l'une
ressemble en quelque chose à l'autre. C'est
cette confusion des idées qui est aujour
Ciiij
d'hui
40 MERCURE DE FRANCE
d'hui si fatale dans le commerce de la vie ,
et qui fait que lorsqu'un Musicien a prononcé
qu'une telle modulation est la
même qu'une autre , sans autre examen ,
plusieurs le disent après lui , ce qui excite
des troubles et des divisions , à cause
qu'un trop grand nombre de personnes
prend les Musiciens pour les legitimes
connoisseurs en fait de Chant Ecclesiasti
que
Pour être habile Musicien et sçavant
Maître de Musique , ce n'est pas une
conséquence nécessaire qu'on soit toujours
pour cela habile Humaniste , ou en état
d'être perpetuellement attentif dans ce
que l'on compose , aux regles de la Grammaire
, autant que la pratique du Chant
le demande. Cependant c'est une necessité
indispensable que les regles de la
Grammaire soient alliées avec le Chant.
C'est ce rythmus qu'Aristide veut qu'on
considere en composant du Chant : Opor
ret contemplari.... rythmum , ut perfectus
cantus efficiatur , c'est- à - dire ( en appliquant
au Chant d'Eglise ou Plainchant
ce qu'Aristide a dit du Chant de son
temps ) qu'il faut qu'il y ait dans ce Chant
des partages , comine il y en auroit dans
la construction du discours , en declamant
lentement, ou en lisant posément ;
que
JANVIER 1734. 41
que dans les parties qui composent les
phrases ou periodes , il faut observer les
liaisons et les séparations qui leur conviennent
, et qu'elles exigent suivant les
principes de la Grammaire.
Il n'est que trop commun de voir pea
observées par les Maîtres de Musique ces
regles , qui indiquent l'union ou la séparation
qui est nécessaire dans les parties.
du discours , suivant les occurrences. Ils
ne sont même pas libres d'avoir cette attention
, et ce qui les en détourne , est
celle qu'ils donnent à former des accords
et à combiner la mesure des sons , de telle
maniere qu'elle remplisse des temps fixez
et déterminez. Au lieu que dans le Plainchant
ont n'est point si à l'étroit ; cette
maniere y est inconnue. La simplicité et
le denûment d'accords , la liberté qu'on
y a pour le mouvement , lequel n'est
point mesuré si précisement que dans la
Musique , tout cela, dis - je , rend le compositeur
moins distrait, et par conséquent
plus disposé à avoir l'attention nécessaire
pour la liaison ou la séparation des parties
du discours.
Voilà l'origine de la grande difference
qui se trouve entre la composition du
Plainchant et celle de la Musique. Un
compositeur habituel de Plainchant qui
Су n'a
MERCURE DE FRANCE
n'a jamais usé des licences qu'on ose prendre
dans la Musique , et qui y sont tole
rées , a toujours l'esprit présent à la nature
du texte qu'il traite , et qu'il anime
de sons ; il ne s'écarte point des regles de
la construction . Un Maître de Musique
qui a pris une habitude moins gênée , ne
peut plus s'en défaire ; accoutumé à des
repétitions qui lui fournissent un vaste
champ , il ne peut plus simplifier ; et parlà
il devient incapable de composer un
Plainchant qui soit régulier , ou il n'en
vient à bout qu'avec beaucoup de peine.
On lui passe dans la Musique ces fautes
contre les partitions du discours , surtout
lorsqu'il a voulu imiter une autre Piéce
parce que l'harmonie des accords qui
concourent, occupe l'auditeur et lui flatte
l'oreille. Mais le Plainchant n'a rien de
semblable , il n'a rien d'accessoire qui
puisse en cacher les défauts , s'il arrive
qu'il y en ait. Les connoisseurs les remarquent
aussi- tôt , ils se montrent à eux
tout à nud à cause de la simplicité de ce
Chant , et , pour ainsi dire , à cause de sa
planitude , d'où est venu le nom de Planus
cantus et non pas Plenus cantus. Il seroit
facile de produire ici une longue liste
des fautes grossieres dans lesquelles des
Maîtres de Musique habiles et très habiles
JANVIER. 1734. 43
les sont tombez , lorsqu'ils ont entrepris
de composer du Plainchant. Que j'en aye
trouvé la cause ou non , il n'importe ,
cela n'en est pas moins vrai , ( et des Musiciens
même en conviennent ) que c'étoit
un pauvre Plainchant.
Il est certaines modulations usitées en
quelques Eglises , desquelles les Musiciens
ne peuvent pas juger communément
, sans se tromper ; parce que pour
en parler sainement, il faut être plus instruit
qu'ils ne le sont ordinairement dans
les variétez et les progrès du Chant, Ecclésiastique
depuis son origine , et outre
cela il faut aussi être versé dans la Liturgie
, et avoir la connoissance de l'origine
de plusieurs des Rits Ecclesiastiques. Un
Musicien dans sa qualité de Musicien ,
n'est pas obligé de sçavoir que le Systême
du Chant , appellé Grégorien , ne
renferme pas toutes les variétez imaginables
de Psalmodie , ni toutes celles qui ont
été en usage en différent temps , et qui le
sont encore en différens lieux . Ce Maître
de Musique,quelque habile qu'il soit dans
la composition de la Musique , n'est pas
tenu de sçavoir que lorsque le Systême
de Chant de l'Antiphonier Grégorien
fut reçu en France avec les Livres Romains
, au huitiéme et neuviéme siécles ,
C vj
44 MERCURE DE FRANCE
@
on ne quitta pas pour cela en France toutes
les modulations antérieures;mais qu'on
en conserva quelques unes qui étoient
hors de l'étendue du Systême de l'Antiphonier
Grégorien , pour les chanter en
certains jours. De là vient l'étonnement
des Musiciens , et même des Maîtres de
Musique , lorsqu'ils entendent quelque
chose qui paroît contredire ou ne pas s'ac
corder avec ce Systême. Ils sont portez à
le désapprouver, parce qu'il est plus rare
et moins commun , et que ce n'est point
une chose à laquelle on leur ait fait faire
attention pendant leur jeunesse . Aussi
dans ce qui dépend de la connoissance
des Rits Ecclésiastiques , sont- ils sujets à
prendre le change. Its croyent , par exemple
, que la semaine de Pâques doit être
gaye , sur le pied de la gayeté d'un temps
de grande réjouissance extérieure , ne sçachant
pas que c'est la semaine dans laquelle
les premiers Ordinateurs des Offices
Divins ont le plus retenu de l'ancienne
simplicité . Ils sont surpris d'y
trouver du grave et du sérieux , et que ce
qu'il y a de gay dans le cours de l'année
en soit exclus , comme les Répons brefs
Alleluiatiques , les Neumes de jubilation
à la fin des Antienness et cela parce qu'ils
ne sçavent pas que de tout temps l'on n'a
fait
JANVIER. 1734. 49
fait commencer la gayeté Pascale qu'après
une semaine passée dans le grave et
le sérieux que c'est proprement au Dimanche
, huitième jour après Pâques ,que
commence le Rit du Temps Pascal , qui
dure jusqu'à la Pentecôte.
;
On ne s'est point érendu à marquer icy
que le Plainchant est plus ancien que la
Musique dans l'usage Ecclesiastique , que
c'est lui qui y a donné occasion , qui lui
a frayé le chemin , et qui l'a fait naître
dans les Eglises , et que lui seul portoit
autrefois , parmi les Chrétiens , le nom
de Musica. On pourroit conclure au
moins de ce fait , qui est très certain , que
les Musiciens dans le sens qu'on l'entend
aujourd'hui sont les plus nouveaux venuss
et que c'est à eux à suivre les regles qu'ils
trouvent dans les Livres Ecclésiastiques
des anciens Maîtres , et non à les détruire
ni à les soumettre à leurs idées. On espere
que ce détail sera trouvé suffisanc
pour faire décider, que c'est plutôt à d'habiles
connoisseurs en simple Plainchant
qu'il faut s'en rapporter, pour s'assurer
la bonté du Chant,d'un nouveau Bréviaire
, que non pas à des Musiciens , quelques
habiles qu'ils soient dans leur science.
Il n'est pas douteux
que la Musique
Ec
clésiastique
, connue
sous
le nom
de Plain-
-shant
46 MERCURE DE FRAN CE
chant , ne doive son origine à l'ancienne
Musique des Grecs , de qui les Romains ont
emprunté la leur. Ainsi pour connoître à fond
cette Musique d'Eglise, et pour enjuger sainement
, il faut non seulement remonter jusqu'à
sa source , mais de plus faire ensorte de
découvrir les divers changemens qui y sont
arrivez de siécle en siécles c'est- à- dire , qu'il
faut être également instruit , et de la Théorie
de l'ancienne Musique , tant Grecque que
Romaine , et de l'Histoire du Plainchant
depuis ses commencemens jusques à nosjours .
Or ce sont deux points presque totalement
ignorez de nos Musiciens modernes , occupez
uniquement du soin de perfectionner l'espece
de Musique dont ils ont embrassé la profession.
Il s'ensuit delà , qu'un homme tel que
l'Auteur de cette Dissertation , lequel paroit
avoir fait une étude sérieuse de ces deux
points , seroit beaucoup plus à portée de décider
les difficultez qui concernent le Plainchant
, que ceux à qui ce genre de Musique
semble être presqu'entierement étranger , par
le
pen de
connoissance
qu'ils
en
ont
acquise
.
On
exhorte
l'Auteur
à communiquer
au
Public
ce que
ses
laborieuses
recherches
lui
ont
appris
sur
ce sujet.Ce
seroit
le plus
sur
moyen
de
mettre
le Public
en garde
contre
l'illusion
,
que
lui
pourroient
faire
les
décisions
de Juges
incompetens
. A Paris
, ce
12
Février
1729
.
Signez BURETTE et FALCONNET , fils.
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Résumé : MEMOIRE sur l'autorité des Musiciens en matiere de Plainchant.
Le texte 'Mémoire sur l'autorité des Musiciens en matière de Plainchant' examine la croyance erronée selon laquelle les musiciens, notamment les maîtres de musique, sont les mieux placés pour juger du chant ecclésiastique. Cette opinion repose sur l'idée que les musiciens, formés dès leur jeunesse et capables de jouer d'instruments, possèdent une expertise unique en la matière. Cependant, le texte met en garde contre les dangers de cette confiance excessive, soulignant que certains responsables de la célébration de l'office divin peuvent entraîner d'autres dans l'erreur en suivant cette croyance. Les partisans de cette idée argumentent que les musiciens, ayant appris la gamme dès l'enfance et pratiqué quotidiennement, doivent nécessairement connaître parfaitement le plain-chant. Ils croient également que l'utilisation d'instruments a inculqué aux musiciens la connaissance des modes du chant ecclésiastique. En revanche, d'autres personnes estiment que les ecclésiastiques, qui ne sont pas nécessairement musiciens au sens strict, sont souvent de meilleurs connaisseurs du chant ecclésiastique. Ils suggèrent que, en cas de contestation, il faudrait choisir un plus grand nombre d'arbitres parmi ces ecclésiastiques. Le texte souligne la nécessité de peser les arguments des deux côtés pour déterminer la meilleure approche. Il expose les raisons pour lesquelles les musiciens sont considérés comme compétents, tout en mettant en lumière leur insuffisance et leur incapacité à juger du plain-chant de manière scientifique. Les musiciens, bien qu'excellents dans l'exécution et l'enseignement du chant, manquent souvent de la capacité à en raisonner ou à en composer de manière savante. Le texte insiste sur l'importance de suivre les règles des anciens et de considérer les aspects mélodiques, rythmiques et dictionnels pour composer un chant parfait. Le texte traite également de la différence entre la composition du plain-chant et celle de la musique. La simplicité et la liberté de mouvement du plain-chant permettent au compositeur de rester concentré sur la nature du texte et de respecter les règles de construction. En revanche, un compositeur de musique, habitué à des licences et répétitions, trouve difficile de composer un plain-chant régulier. Les fautes dans le plain-chant sont plus facilement remarquées en raison de sa simplicité et de l'absence d'éléments accessoires pour les masquer. Le plain-chant est présenté comme plus ancien que la musique dans l'usage ecclésiastique et comme ayant donné naissance à la musique dans les églises. Le texte conclut que pour juger sainement du plain-chant, il est nécessaire de connaître l'ancienne musique grecque et romaine ainsi que l'histoire du plain-chant. Les auteurs exhortent un expert en plain-chant à partager ses connaissances pour éviter les décisions de juges incompétents.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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9
p. 47-51
IMITATION de l'Ode d'Horace, qui commence par ces mots : Thyrrhena Regum, &c.
Début :
Rejetton de Roy qu'on honore, [...]
Mots clefs :
Horace, Temps, Voeux
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : IMITATION de l'Ode d'Horace, qui commence par ces mots : Thyrrhena Regum, &c.
IMITATION de l'Ode d'Horace ,
qui commence par ces mots : Thyrrhena
Regum , &c.
R Ejetton de Roy qu'on honore ,
Chez moi je vous réserve un muid tout plein
encore
D'un vin dont la douceur peut répondre à vos
voeux ,
Et je me suis pourvû , Mécêne , entre autre chose,
De Parfums exquis et de Roses
Que je destine à vos cheveux.
Hâtez-vous d'être mon Convive .
Que votre coeur au moins pour quelque temps
se prive
Des transports ravissans dont il se sent pressé ,
A l'aspect de Tibur , des Campagnes d'Esule ,
Et du Mont où fonda Tuscule ,
Le fils d'Ulisse et de Circé .
Quittez , pour remplir mon attente ,
Des repas superflus la pompe dégoutante ;
Quittez ce haut Palais superbement construit ,
Er de l'heureuse Rome , objet de vos tendresses
Cessez d'admirer les richesses ,
L'éclat, la fumée et le bruit
Le
48 MERCURE DE FRANCE
Le changement d'air et de table ,
A l'homme le plus riche est souvent agreable ;
Souvent le toît du pauvre a des charmes pour
Souvent la propreté d'une humble nourriture
Sans pourpre , tapis , ni doruré ,
De son front a chassé l'ennui.
luia
Déja le temps , à qui tout cede ,
Fait sur notre horison du Père d'Andromede
Reparoître les feux depuis long- temps cachez
Déja de Procyon on ressent l'inclémence ,
Et l'âpre Lion recominence.
A brûler nos Champs dessechez .
Les Bergers , les Troupeaux débiles ,
Contre l'ardeur du jour vont chercher pour azile
Les buissons de Sylvain , l'Ombrage et les Ruisseaux.
Tout languit accablé d'une chaleur extrême ,
Le vent ne rafraichit pas même
Les lieux les plus voisins des Eaux.
Cependant votre ame inquiete
S'abandonne aux soucis , dans l'embarras so
jette ,
Toujours craignant pour Rome et veillant à son
bien ;
Vous redoutez toujours , guidé par votre zele ,
Ce
JANVIER. 49 1734
Ce que pourroient tramer contre elle ,
Bactres , * le Scythe et l'Indien .
Le prudent Arbitre du Monde
Nous cache l'avenir dans une nuit profonde ,
Et rit de nos frayeurs qui vont jusqu'à l'excès:
Il suffit de regler les affaires présentes ;
Grace à vos démarches prudentes ,
Tout leur assure un bon succès.
Tout le reste a la ressemblance ,
D'un Fleuve , qui tantôt s'écoule avec silence ,
Et tantôt furieux dans son débordement ,
Entraîne Arbres , Maisons , Rochers, Troupeaux,
Racines ;
Des Monts et des Forêts voisines
Excite le mugissement .
L'inquiétude et les allarmes.
De la vie aux Mortels -enlevent tous les charmes;
Heureux cent fois celui qu'elles n'ont point
vaincu ! .
Et qui toujours exempt d'une crainte effrenée ,
A la fin de chaque journée ,
Peut dire aujourd'hui j'ai vécu. :
Que du nuage le plus sombre ,
* Ville Capitale d'un Pays voisin de la Scyshie,
autrefois subjuguée par Cyrus .
Demain
so MERCURE DE FRANCE
Demain le Roi des Dieux sur nous répande
l'ombre ,
Qu'il fasse du Soleil triompher la clarté ;
Des accidens passez Jupiter n'est plus Maître ,
Et ce qu'une fois il fit être ,
Ne peut plus n'avoir pas été.
La Fortune aveugle et cruelle
Prend un plaisir malin à nous être infidelle ,
Aime à faire passer ses dons de main en main ;
Et tantôt ennemie et tantôt bienfaictrice ,
Selon les loix de son caprice ,
Change du soir au lendemain.
Tant qu'elle est ferme , je la loue ;
Mais dès qu'en s'envolant la perfide me joüe ,
Je lui rends volontiers ce qu'elle m'a prêté.
Des traits du désespoir ma vertu me délivre ,
Et je me tiens content de vivre
Dans une honnête pauvreté.
Sur le sein de l'Onde en colere ,
On ne me verra point , Suppliant , Mercenaire
Traiter avec le Ciel par mille voeux formez ,
Pour empêcher que l'or dont ma Barque ese
chargée ,
N'aille de l'inconstante Egée
Enrichir les Flots affamez.
Libre
JANVIER. 1734. st
Libre d'une telle manie ,
A l'aide d'un Esquif j'aurai soin de ma vie ;
Ma plus grande richesse et mon plus cher trésor
Et bornant tous mes voeux gagner le rivage ,
J'obtienderai ce doux avantage
Et de Pollux et de Castor.
F. M. F.
qui commence par ces mots : Thyrrhena
Regum , &c.
R Ejetton de Roy qu'on honore ,
Chez moi je vous réserve un muid tout plein
encore
D'un vin dont la douceur peut répondre à vos
voeux ,
Et je me suis pourvû , Mécêne , entre autre chose,
De Parfums exquis et de Roses
Que je destine à vos cheveux.
Hâtez-vous d'être mon Convive .
Que votre coeur au moins pour quelque temps
se prive
Des transports ravissans dont il se sent pressé ,
A l'aspect de Tibur , des Campagnes d'Esule ,
Et du Mont où fonda Tuscule ,
Le fils d'Ulisse et de Circé .
Quittez , pour remplir mon attente ,
Des repas superflus la pompe dégoutante ;
Quittez ce haut Palais superbement construit ,
Er de l'heureuse Rome , objet de vos tendresses
Cessez d'admirer les richesses ,
L'éclat, la fumée et le bruit
Le
48 MERCURE DE FRANCE
Le changement d'air et de table ,
A l'homme le plus riche est souvent agreable ;
Souvent le toît du pauvre a des charmes pour
Souvent la propreté d'une humble nourriture
Sans pourpre , tapis , ni doruré ,
De son front a chassé l'ennui.
luia
Déja le temps , à qui tout cede ,
Fait sur notre horison du Père d'Andromede
Reparoître les feux depuis long- temps cachez
Déja de Procyon on ressent l'inclémence ,
Et l'âpre Lion recominence.
A brûler nos Champs dessechez .
Les Bergers , les Troupeaux débiles ,
Contre l'ardeur du jour vont chercher pour azile
Les buissons de Sylvain , l'Ombrage et les Ruisseaux.
Tout languit accablé d'une chaleur extrême ,
Le vent ne rafraichit pas même
Les lieux les plus voisins des Eaux.
Cependant votre ame inquiete
S'abandonne aux soucis , dans l'embarras so
jette ,
Toujours craignant pour Rome et veillant à son
bien ;
Vous redoutez toujours , guidé par votre zele ,
Ce
JANVIER. 49 1734
Ce que pourroient tramer contre elle ,
Bactres , * le Scythe et l'Indien .
Le prudent Arbitre du Monde
Nous cache l'avenir dans une nuit profonde ,
Et rit de nos frayeurs qui vont jusqu'à l'excès:
Il suffit de regler les affaires présentes ;
Grace à vos démarches prudentes ,
Tout leur assure un bon succès.
Tout le reste a la ressemblance ,
D'un Fleuve , qui tantôt s'écoule avec silence ,
Et tantôt furieux dans son débordement ,
Entraîne Arbres , Maisons , Rochers, Troupeaux,
Racines ;
Des Monts et des Forêts voisines
Excite le mugissement .
L'inquiétude et les allarmes.
De la vie aux Mortels -enlevent tous les charmes;
Heureux cent fois celui qu'elles n'ont point
vaincu ! .
Et qui toujours exempt d'une crainte effrenée ,
A la fin de chaque journée ,
Peut dire aujourd'hui j'ai vécu. :
Que du nuage le plus sombre ,
* Ville Capitale d'un Pays voisin de la Scyshie,
autrefois subjuguée par Cyrus .
Demain
so MERCURE DE FRANCE
Demain le Roi des Dieux sur nous répande
l'ombre ,
Qu'il fasse du Soleil triompher la clarté ;
Des accidens passez Jupiter n'est plus Maître ,
Et ce qu'une fois il fit être ,
Ne peut plus n'avoir pas été.
La Fortune aveugle et cruelle
Prend un plaisir malin à nous être infidelle ,
Aime à faire passer ses dons de main en main ;
Et tantôt ennemie et tantôt bienfaictrice ,
Selon les loix de son caprice ,
Change du soir au lendemain.
Tant qu'elle est ferme , je la loue ;
Mais dès qu'en s'envolant la perfide me joüe ,
Je lui rends volontiers ce qu'elle m'a prêté.
Des traits du désespoir ma vertu me délivre ,
Et je me tiens content de vivre
Dans une honnête pauvreté.
Sur le sein de l'Onde en colere ,
On ne me verra point , Suppliant , Mercenaire
Traiter avec le Ciel par mille voeux formez ,
Pour empêcher que l'or dont ma Barque ese
chargée ,
N'aille de l'inconstante Egée
Enrichir les Flots affamez.
Libre
JANVIER. 1734. st
Libre d'une telle manie ,
A l'aide d'un Esquif j'aurai soin de ma vie ;
Ma plus grande richesse et mon plus cher trésor
Et bornant tous mes voeux gagner le rivage ,
J'obtienderai ce doux avantage
Et de Pollux et de Castor.
F. M. F.
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Résumé : IMITATION de l'Ode d'Horace, qui commence par ces mots : Thyrrhena Regum, &c.
Le texte est une imitation de l'Ode d'Horace adressée à Mécène. Le poète invite Mécène à fuir les plaisirs et les soucis de Rome pour un moment de détente et de simplicité. Il propose un repas modeste mais agréable, loin des richesses et des bruits de la ville. Le poète souligne que même les plus riches peuvent bénéficier d'un changement d'air et de table. Il décrit la chaleur accablante de l'été, affectant les bergers et les troupeaux, et contraste cela avec l'inquiétude constante de Mécène pour Rome. Le poète rappelle que l'avenir est incertain et que les soucis excessifs enlèvent les charmes de la vie. Il exprime son désir de vivre sans crainte, acceptant les caprices de la fortune. Il se déclare content de vivre dans une honnête pauvreté, libre des désirs excessifs. Enfin, il aspire à atteindre le rivage en toute sécurité, comme les dieux jumeaux Castor et Pollux.
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10
p. 51-58
RÉPONSE aux démonstrations du plus qu'infini, et de ce principe : Que toute grandeur qui peut être augmentée à l'infini, peut être supposée augmentée à l'infini.
Début :
Mr de S. Aubin avoüe que s'il y avoit différens ordres d'infinis, le plus [...]
Mots clefs :
Infini, Grandeur, Calcul, Pied, Géométrie, Raisonnement, Étendue, Plus qu'infini, Divisible, Absurde
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : RÉPONSE aux démonstrations du plus qu'infini, et de ce principe : Que toute grandeur qui peut être augmentée à l'infini, peut être supposée augmentée à l'infini.
REPO NS E aux démonstrations du plus
qu'infini , et de ce principe : Que toute
grandeur qui peut être augmentée à l'infini,
peut être supposée augmentée à l'infini,
R de S. Aubin avoue que s'il y avoit
M différens ordres d'infinis , le plus
qu'infini exifteroit , mais il a prouvé que
les différens ordres d'infinis ne sont pas
moins contradictoires que le plus qu'infini
A l'égard de la seconde démonstration ,
voilà comment le Géométre anonyme
tourne l'objection de M. de S. Aubin :
C'est comme si l'on disoit qu'une grandeur qui
peut être augmentée à l'infini , ne peut être
augmentée à l'infini , par cette raison même
qu'elle peut être augmentée à l'infini . Mais il
ne s'agit que d'expliquer les termes , pour
rendre à l'objection toute sa force.
Une grandeur supposée toujours augmentable
ou divisible de plus en plus , ne
peut être supposée augmentés ou divisée
à l'infini , en sorte qu'elle ne soit plus
augmentable ou divisible.
* On
52
MERCURE
DE FRANCE
On ne peut pas supposer une grandeur
dans ces deux états différens , puisqu'on
suppose qu'il est impossible , qu'elle sorte
de son premier état , en la supposant toujours
divisible de plus en plus : ainsi il est
contradictoire de regarder l'espace asymprotique
, comme extensible à l'infini et terminé
, ou une progression géométrique
comme inépuisable et épuisée.
Le Géometre anonyme donne pour une
démonstration directe du principe , ce
raisonnement : qu'une grandeur qui peut
augmenter d'un pié d'étendue ne le peut , que
purce qu'il y a dans la nature des choses ,
un pie d'étenduë qui éxiste , que si elle
peut augmenter de deux piés , il y a donc
dans la nature une étendue de deux piés ;
&c. et qu'ainsi une grandeur pouvant
augmenter à l'infini , suppose nécessairement
unegrandeur à l'infini , c'est- à - dire , infinie,
actuellement subsistante.
M. de S. Aubin répond que rien ne fait
mieux sentir la contradiction du pricipe ,
qui régne dans la Géométrie transcendante
, que cette prétendüe démonstration .
Il est vrai qu'une grandeur n'est susceptible
de l'augmentation d'un pié , que parce
que l'étendue d'un pié subsiste dans la
natures mais prétendre que parce qu'une
grandeur est toujours augmentable ou divisible
de plus en plus , cette grandeur
est susceptible d'une augmentation actuellement
JANVIER 1734. 53
lement infinie , même de différens ordres
d'infinis , ou du plus qu'infini , et d'en
inférer que tout cela est nécessairement
subsistant dans la nature , d'une maniere
réelle et actuelle , comme l'étendue d'un
pié , de deux piés & c. c'est donner pour
démonstrations des suppositions contradictoires;
la contradiction la plus formelle
résultant de ce qu'une chose soit augmen
table ou divisible, et ne soit pas augmentable
ou divisible.
D'ailleurs on conçoit aisément , com
ment une grandeur augmentable d'un
pié ,, passe de cet état à celui d'être augmentée
d'un pié , mais le passage du fini à
l'infini , et le retour sont inconcevables ;
et une grandeur ne peut jamais être augmentée
d'un pié , si l'on y met la condition
d'un progression géométrique , suivant
laquelle l'augmentation soit de la
moitié d'un pié , d'un quart , d'un huitiéme
, & c. Les deux démonstrations du plus.
qu'infini et du principe , ne servent done
qu'à faire connoître que ces propositions
sont insoutenables.
Dans la seconde partie de la réponse au
Problême sur l'Essence de la Matiere
Mercur. de Décembr . dernier 2. vol . pag.
2850. lign . 4. Au lieu de ces mots , nombres
entiers & fractions du dessus et au dessous
de l'unité , lisez , nombres positifs et
négatifs au dessus et au dessous de zéro .
III.
$4 MERCURE DE FRANCE
III. Partie de la Réponse au Problême.
Lplus
A Réponse aux Démonstrations du
plus qu'infini , et du principe , s'est
présentée ici fort à propos , pour rappeller
les idées , dont l'évidence a été développée
dans les deux premieres Parties
de cette Dissertation .
Celle cy est la plus importante , non
que le Calcul puisse commander au raisonnement
: tous deux marchent de pair,
et doivent toujours concourir dans une
parfaite intelligence ; mais le Calcul est
plus d'usage que le raisonnement , dans
les trois especes de Géométrie , simple ,
composée et transcendante.
Les Observations suivantes , qui rou
lent sur le Calcul , ne sont proprement
convenables qu'à ceux qui sont versez
dans l'Algebre ; car je ne puis suppléer
ici aux principes du Calcul Algébrique
qui demandent des explications étenduës
et même quelque usage,pour être entendu .
Cependant ceux qui n'ont aucune teinture
d'Algebre, pourront entendre , sinon
le Calcul même , au moins les raisons sur
lesquelles je me fonde , et quel est l'usage
et l'esprit en géneral de la Géometrie de
l'infini, y
Soit le mouvement désigné par m ,
et le repos désigné par r . L'Auteur du
Problême prétend démontrer par le Cal-.
cul
JANVIER. 1734 55
eul suivant , qu'un mouvement infini est
égal à un parfait repos.
m plus t diminüe , plus m augmente
, sans que e varie ; de sorte que t
étant , alors moet em 。=r
- Ce Calcul se détruit premierement par
les conséquences qui en résultent,ainsi que
je l'ai démontré . Or la verité est une, et ce
qui est faux par le raisonnement , ne peut
être vrai le Calcul. Mais il y a plus 3
par
ce Calcul ne se détruit pas moins par
les principes du Calcul même.
Ce qui a causé l'erreur qui s'y trouve,
c'est que l'Auteur du Problême n'a pas
remonté aux principes , suivant l'exemple
de la plupart des Géométres plus attentifs
à calculer qu'à chercher les raisons
pour lesquelles il faut calculer ainsi , plus
occupez des regles du calcul que de la
source de ces regles . C'est neanmoins la
principale utilité de la Géometrie, de considerer
autant pourquoi chaque opération
se fait , que de quelle maniere elle doit sa
faire. C'est encore plus dans les causes des
préceptes , que dans les préceptes mêmes
de la Géométrie et de l'Algébre , que l'èsprit
peut trouver le plus grand avantage
qui en résulte, et acquerir cette précision
et cette étendue , qui sont les fruits les
plus précieux de ces deux Sciences . Je
passe à l'examen du Calcul en question .
Il est clair que par e l'Auteur entend
se
uno
56 MERCURE DE FRANCE
une quantité de mouvement constante et
finie ; par tune grandeur numérique variable
et décroissante à l'infini , et par r
le repos ou le mouvement nul : d'où il
suit que mest une quantité de
mouvement , finie lorsque t est un nombre
fini , et infinie , lorsque to , et
alors on a mte , ou moe , mettant
au lieu de t sa valeur o . Mais on n'a
pas mor , puisque r est le repos.ou
le mouvement nul , et que moe
quantité de mouvement constante et finie.
Il est vrai que c'est un principe reçû en
Géométrie , que toute grandeur multipliée
par o , donne un produit nul , et
qu'ainsi on doit avoir mxoo, ou
; mais cela prouve simplement que si
l'on a moe quantité constante , la
supposition est absurde et par conséquent
mabsurde, et parce que , suivant les prin-,
cipes des Géometres Infinitaires , m infinie
( , t étant o ) est une grandeur
qui multipliée par to , donne e grandeur
constante , il s'ensuit que m
est une grandeur absurde ; mais il ne s'ensuit
pas que mor mouvement nul; en
effet il seroit facile de démontrer géometriquement
que par la loi même qui donne
m , c'est- à- dire , une quantité finie
e , divisée par une grandeur t décroissante
à l'infini , il est absurde que t soit
L'infini
JANVIER 1734. 57
L'infini en grandeur est absurde , mais
par la raison qu'on peut concevoir qu'u
ne chose est absurde , on peut aussi l'exprimer
, et c'est ce qui faitou ∞ . De
plus on peut aussi se servir de l'expression
de l'absurdité dans la recherche du vrai ;
suivant la méthode des plus grands géometres
. Mais il y faut apporter beaucoup de
précaution, et il y a souvent lieu de craindre
que l'absurdité supposée dans le Calcul
ne passe dans le raisonnement, et ne
fasse prendre de fausses idées , ce qui peut
arriver sur tout , quand on donne trop
l'essort à son imagination .
C'estune magnifique invention d'avoir
par leCalcul differentiel les cxpressionsdes
grandeurs nulles, telles que, quoique nulles
, elles conservent leurs rapports primitifs,
en sorte que par là les Géometres Infinitaires
ont assujetti ces nullitez aux Calculs
, et qu'il operent aussi aisément sur les
grandeurs nulles , que sur les grandeurs
finies ; ce qui leur donne des voies beaucoup
plus abregées , et sert à découvrir
tous les Problêmes , où deux ou plusieurs
points se réunissent ; à trouver les tangentes,
les grandeurs négatives, les points d'in
flexion et de rebroussement, les caustiques
tant réflexion
par que par réfraction , et les
autres proprietez des courbes et de toutes
sortes de figures. Mais tous ceux qui ont la
véritable clef de la Géométrie , ne pren.
D nent
58 MERCURE DE FRANCE
nent ces nullitez que pour ce qu'elles sont ,
et il s'en faut bien qu'ils ne les regardent
comme réelles.
Il étoit important de justifier la Géométrie
des désordres dans le raisonnement
,
qui lui étoient Imputés.
De tout cecy il résulte qu'un corps ne
peut être à la fois à Paris et à Constantinople
, et que cette conséquence ne répugne
pas moins à la Géométrie qu'au raisonnement
. Je finirai par cette observation
, que le calcul , au lieu d'être l'instrument
, est quelquefois rendu le voile des
Sciences .
qu'infini , et de ce principe : Que toute
grandeur qui peut être augmentée à l'infini,
peut être supposée augmentée à l'infini,
R de S. Aubin avoue que s'il y avoit
M différens ordres d'infinis , le plus
qu'infini exifteroit , mais il a prouvé que
les différens ordres d'infinis ne sont pas
moins contradictoires que le plus qu'infini
A l'égard de la seconde démonstration ,
voilà comment le Géométre anonyme
tourne l'objection de M. de S. Aubin :
C'est comme si l'on disoit qu'une grandeur qui
peut être augmentée à l'infini , ne peut être
augmentée à l'infini , par cette raison même
qu'elle peut être augmentée à l'infini . Mais il
ne s'agit que d'expliquer les termes , pour
rendre à l'objection toute sa force.
Une grandeur supposée toujours augmentable
ou divisible de plus en plus , ne
peut être supposée augmentés ou divisée
à l'infini , en sorte qu'elle ne soit plus
augmentable ou divisible.
* On
52
MERCURE
DE FRANCE
On ne peut pas supposer une grandeur
dans ces deux états différens , puisqu'on
suppose qu'il est impossible , qu'elle sorte
de son premier état , en la supposant toujours
divisible de plus en plus : ainsi il est
contradictoire de regarder l'espace asymprotique
, comme extensible à l'infini et terminé
, ou une progression géométrique
comme inépuisable et épuisée.
Le Géometre anonyme donne pour une
démonstration directe du principe , ce
raisonnement : qu'une grandeur qui peut
augmenter d'un pié d'étendue ne le peut , que
purce qu'il y a dans la nature des choses ,
un pie d'étenduë qui éxiste , que si elle
peut augmenter de deux piés , il y a donc
dans la nature une étendue de deux piés ;
&c. et qu'ainsi une grandeur pouvant
augmenter à l'infini , suppose nécessairement
unegrandeur à l'infini , c'est- à - dire , infinie,
actuellement subsistante.
M. de S. Aubin répond que rien ne fait
mieux sentir la contradiction du pricipe ,
qui régne dans la Géométrie transcendante
, que cette prétendüe démonstration .
Il est vrai qu'une grandeur n'est susceptible
de l'augmentation d'un pié , que parce
que l'étendue d'un pié subsiste dans la
natures mais prétendre que parce qu'une
grandeur est toujours augmentable ou divisible
de plus en plus , cette grandeur
est susceptible d'une augmentation actuellement
JANVIER 1734. 53
lement infinie , même de différens ordres
d'infinis , ou du plus qu'infini , et d'en
inférer que tout cela est nécessairement
subsistant dans la nature , d'une maniere
réelle et actuelle , comme l'étendue d'un
pié , de deux piés & c. c'est donner pour
démonstrations des suppositions contradictoires;
la contradiction la plus formelle
résultant de ce qu'une chose soit augmen
table ou divisible, et ne soit pas augmentable
ou divisible.
D'ailleurs on conçoit aisément , com
ment une grandeur augmentable d'un
pié ,, passe de cet état à celui d'être augmentée
d'un pié , mais le passage du fini à
l'infini , et le retour sont inconcevables ;
et une grandeur ne peut jamais être augmentée
d'un pié , si l'on y met la condition
d'un progression géométrique , suivant
laquelle l'augmentation soit de la
moitié d'un pié , d'un quart , d'un huitiéme
, & c. Les deux démonstrations du plus.
qu'infini et du principe , ne servent done
qu'à faire connoître que ces propositions
sont insoutenables.
Dans la seconde partie de la réponse au
Problême sur l'Essence de la Matiere
Mercur. de Décembr . dernier 2. vol . pag.
2850. lign . 4. Au lieu de ces mots , nombres
entiers & fractions du dessus et au dessous
de l'unité , lisez , nombres positifs et
négatifs au dessus et au dessous de zéro .
III.
$4 MERCURE DE FRANCE
III. Partie de la Réponse au Problême.
Lplus
A Réponse aux Démonstrations du
plus qu'infini , et du principe , s'est
présentée ici fort à propos , pour rappeller
les idées , dont l'évidence a été développée
dans les deux premieres Parties
de cette Dissertation .
Celle cy est la plus importante , non
que le Calcul puisse commander au raisonnement
: tous deux marchent de pair,
et doivent toujours concourir dans une
parfaite intelligence ; mais le Calcul est
plus d'usage que le raisonnement , dans
les trois especes de Géométrie , simple ,
composée et transcendante.
Les Observations suivantes , qui rou
lent sur le Calcul , ne sont proprement
convenables qu'à ceux qui sont versez
dans l'Algebre ; car je ne puis suppléer
ici aux principes du Calcul Algébrique
qui demandent des explications étenduës
et même quelque usage,pour être entendu .
Cependant ceux qui n'ont aucune teinture
d'Algebre, pourront entendre , sinon
le Calcul même , au moins les raisons sur
lesquelles je me fonde , et quel est l'usage
et l'esprit en géneral de la Géometrie de
l'infini, y
Soit le mouvement désigné par m ,
et le repos désigné par r . L'Auteur du
Problême prétend démontrer par le Cal-.
cul
JANVIER. 1734 55
eul suivant , qu'un mouvement infini est
égal à un parfait repos.
m plus t diminüe , plus m augmente
, sans que e varie ; de sorte que t
étant , alors moet em 。=r
- Ce Calcul se détruit premierement par
les conséquences qui en résultent,ainsi que
je l'ai démontré . Or la verité est une, et ce
qui est faux par le raisonnement , ne peut
être vrai le Calcul. Mais il y a plus 3
par
ce Calcul ne se détruit pas moins par
les principes du Calcul même.
Ce qui a causé l'erreur qui s'y trouve,
c'est que l'Auteur du Problême n'a pas
remonté aux principes , suivant l'exemple
de la plupart des Géométres plus attentifs
à calculer qu'à chercher les raisons
pour lesquelles il faut calculer ainsi , plus
occupez des regles du calcul que de la
source de ces regles . C'est neanmoins la
principale utilité de la Géometrie, de considerer
autant pourquoi chaque opération
se fait , que de quelle maniere elle doit sa
faire. C'est encore plus dans les causes des
préceptes , que dans les préceptes mêmes
de la Géométrie et de l'Algébre , que l'èsprit
peut trouver le plus grand avantage
qui en résulte, et acquerir cette précision
et cette étendue , qui sont les fruits les
plus précieux de ces deux Sciences . Je
passe à l'examen du Calcul en question .
Il est clair que par e l'Auteur entend
se
uno
56 MERCURE DE FRANCE
une quantité de mouvement constante et
finie ; par tune grandeur numérique variable
et décroissante à l'infini , et par r
le repos ou le mouvement nul : d'où il
suit que mest une quantité de
mouvement , finie lorsque t est un nombre
fini , et infinie , lorsque to , et
alors on a mte , ou moe , mettant
au lieu de t sa valeur o . Mais on n'a
pas mor , puisque r est le repos.ou
le mouvement nul , et que moe
quantité de mouvement constante et finie.
Il est vrai que c'est un principe reçû en
Géométrie , que toute grandeur multipliée
par o , donne un produit nul , et
qu'ainsi on doit avoir mxoo, ou
; mais cela prouve simplement que si
l'on a moe quantité constante , la
supposition est absurde et par conséquent
mabsurde, et parce que , suivant les prin-,
cipes des Géometres Infinitaires , m infinie
( , t étant o ) est une grandeur
qui multipliée par to , donne e grandeur
constante , il s'ensuit que m
est une grandeur absurde ; mais il ne s'ensuit
pas que mor mouvement nul; en
effet il seroit facile de démontrer géometriquement
que par la loi même qui donne
m , c'est- à- dire , une quantité finie
e , divisée par une grandeur t décroissante
à l'infini , il est absurde que t soit
L'infini
JANVIER 1734. 57
L'infini en grandeur est absurde , mais
par la raison qu'on peut concevoir qu'u
ne chose est absurde , on peut aussi l'exprimer
, et c'est ce qui faitou ∞ . De
plus on peut aussi se servir de l'expression
de l'absurdité dans la recherche du vrai ;
suivant la méthode des plus grands géometres
. Mais il y faut apporter beaucoup de
précaution, et il y a souvent lieu de craindre
que l'absurdité supposée dans le Calcul
ne passe dans le raisonnement, et ne
fasse prendre de fausses idées , ce qui peut
arriver sur tout , quand on donne trop
l'essort à son imagination .
C'estune magnifique invention d'avoir
par leCalcul differentiel les cxpressionsdes
grandeurs nulles, telles que, quoique nulles
, elles conservent leurs rapports primitifs,
en sorte que par là les Géometres Infinitaires
ont assujetti ces nullitez aux Calculs
, et qu'il operent aussi aisément sur les
grandeurs nulles , que sur les grandeurs
finies ; ce qui leur donne des voies beaucoup
plus abregées , et sert à découvrir
tous les Problêmes , où deux ou plusieurs
points se réunissent ; à trouver les tangentes,
les grandeurs négatives, les points d'in
flexion et de rebroussement, les caustiques
tant réflexion
par que par réfraction , et les
autres proprietez des courbes et de toutes
sortes de figures. Mais tous ceux qui ont la
véritable clef de la Géométrie , ne pren.
D nent
58 MERCURE DE FRANCE
nent ces nullitez que pour ce qu'elles sont ,
et il s'en faut bien qu'ils ne les regardent
comme réelles.
Il étoit important de justifier la Géométrie
des désordres dans le raisonnement
,
qui lui étoient Imputés.
De tout cecy il résulte qu'un corps ne
peut être à la fois à Paris et à Constantinople
, et que cette conséquence ne répugne
pas moins à la Géométrie qu'au raisonnement
. Je finirai par cette observation
, que le calcul , au lieu d'être l'instrument
, est quelquefois rendu le voile des
Sciences .
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Résumé : RÉPONSE aux démonstrations du plus qu'infini, et de ce principe : Que toute grandeur qui peut être augmentée à l'infini, peut être supposée augmentée à l'infini.
Le texte explore les controverses mathématiques et philosophiques autour des concepts d'infini et de grandeur infinie. Un géomètre anonyme et M. de S. Aubin débattent de l'existence du 'plus qu'infini' et des différents ordres d'infinis. Le géomètre anonyme argue que supposer une grandeur augmentable à l'infini mène à des contradictions, car cette grandeur ne peut être à la fois augmentable et déjà augmentée à l'infini. M. de S. Aubin critique cette démonstration, la jugeant fondée sur des suppositions contradictoires. Le texte examine également une démonstration directe selon laquelle une grandeur augmentable à l'infini suppose l'existence d'une grandeur infinie. M. de S. Aubin réfute cette idée, affirmant que le passage du fini à l'infini est inconcevable et que les démonstrations du 'plus qu'infini' et du principe sont insoutenables. Par ailleurs, le texte met en avant l'importance de la Géométrie et de l'Algèbre, soulignant la nécessité de comprendre les raisons derrière les opérations calculatoires. Il critique un calcul présenté par l'auteur d'un problème sur l'essence de la matière, démontrant que ce calcul est erroné tant par ses conséquences que par ses principes. Le texte conclut en insistant sur la nécessité pour la Géométrie de se justifier des désordres dans le raisonnement qui lui sont imputés et en soulignant que le calcul peut parfois masquer les véritables fondements des sciences.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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11
p. 58-59
SONNET.
Début :
Si l'homme sur la terre avoit été sans femme, [...]
Mots clefs :
Homme
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SONNET.
SONNE T.
I l'homme sur la terre avoit été sans femme
Qu'eut- il fait icy bas , privé de ce secours
Que les Graces , les Ris accompagnent toujours
Si doux , si nécessaire , et que pourtant il blâme
Une triste indolence eut régné dans son ame
Et l'ennui d'être seul troublant ses plus beaux,
jours ,
D'une vie immortelle , il eut haï le cours ;
Contre un sexe charmant , d'où vient donc qu'il
déclame !
Trop crédule , ébloui par un fuit deffendu ,
Il a dicté l'Arrêt contre l'homme rendu ;
Et par lui le Démon a fait mainte conquête.
Mais
JANVIER. 1734.
59
Mais du Serpent antique à la fin triomphant ,
N'a-t-il pas écrasé son orgueilleuse tête ,
Et séparé le mal dont nous nous plaignons tante
I l'homme sur la terre avoit été sans femme
Qu'eut- il fait icy bas , privé de ce secours
Que les Graces , les Ris accompagnent toujours
Si doux , si nécessaire , et que pourtant il blâme
Une triste indolence eut régné dans son ame
Et l'ennui d'être seul troublant ses plus beaux,
jours ,
D'une vie immortelle , il eut haï le cours ;
Contre un sexe charmant , d'où vient donc qu'il
déclame !
Trop crédule , ébloui par un fuit deffendu ,
Il a dicté l'Arrêt contre l'homme rendu ;
Et par lui le Démon a fait mainte conquête.
Mais
JANVIER. 1734.
59
Mais du Serpent antique à la fin triomphant ,
N'a-t-il pas écrasé son orgueilleuse tête ,
Et séparé le mal dont nous nous plaignons tante
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Résumé : SONNET.
Avant la présence des femmes, l'homme aurait souffert de solitude et d'ennui. Il aurait critiqué le sexe féminin, mais les femmes apportent soutien et joie. En janvier 1734, l'homme a triomphé du Serpent antique, séparant le mal. Cependant, sa crédulité a permis au Démon de conquêtes.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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12
p. 59-72
LETTRE à M*** au sujet d'un Livre qui a pour titre : Réfléxions sur la Poësie en général, sur l'Eglogue, sur la Fable, sur l'Elegie, sur la Satyre, sur l'Ode, et sur les autres petits Poëmes.
Début :
Vous me demandés, Monsieur, ce que c'est qu'un Livre nouveau, intitulé [...]
Mots clefs :
Auteur, Fontenelle, Imagination, Poésie, Ouvrage, Raison, Esprit, Idées, La Motte, Goût, Sentiment, Sublime, Images, Plaisir, Ode
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE à M*** au sujet d'un Livre qui a pour titre : Réfléxions sur la Poësie en général, sur l'Eglogue, sur la Fable, sur l'Elegie, sur la Satyre, sur l'Ode, et sur les autres petits Poëmes.
LETTRE à M *** au sujet d'un Livre
qui a pour titre : Réfléxions sur la Poësie
en général , sur l'Eglogue , sur la Fa
ble, sur l'Elegie, sur la Satyre, sur l'Ode,
et sur les autres petits Poëmes.
Vous
'Ous me demandés , Monsieur , ce
que c'est qu'un Livre nouveau , intitulé
: Réfléxions , &c ?C'est un Ouvrage
singulier, qui ne ressemble à rien de tout
ce que vous connoissez . L'Auteur tresdésinteressé
sur sa propre réputation
n'évite peut-être point assez le stile qu'il
condamne , il se tenoit en garde , mais
imperceptiblement et à son insçû, la contagion
l'aura gagné.
Le dessein de l'Auteur est de traitter
de la Poësie en général et des différens
genres de Poësie ; vous vous imaginez
peut- être qu'il se borne à en donner les
préceptes et les régles ; il va plus loin , il
remontejusqu'aux sources de notre plaisir. Se
flatte-t- il de les avoir découvertes ? Il s'égaye
en présentant toujours force images
Dij
et
to MERCURE DE FRANCE
et de temps à autre quelques idées qui lui
sont particulieres,
Le seul mot de Poësie le met d'abord .
en enthousiasme. Au nom de la Poësie
ne voyez vous pas s'animer tout ce qui
existe dans la nature ? L'Auteur qui croit
en devoir parler poëtiquement envoye
audevant de son Lecteur les Faunes et les
Dryades. Le murmure des Ruisseaux
vient se joindre à une autre sorte de concert
formé par les habitans des Airs . D'un
autre côté par respect et pour ne pas déplaire
, se retirent les Bêtes meurtrieres ,
qui ne veulent pas troubler nos plaisirs.
Tels sont les Privileges de la Poësie .
Ce n'étoit pas - là notre premier langage
; nous prîmes d'abord la forme de
nous exprimer la plus simple , mais il
nous falloit un langage de fête. La Poësie
nous en a servi . Elle devient pour nous
un plaisir de convention , que l'on ne goute
qu'à mesure que l'on se fait à la lecture
des Vers. Naissent en foule les images,
toujours agréables par deux endroits.
Elles servent à fixer nos idées , elles réveillent
nos passions ; la premiere de ces
raisons de notre plaisir , nous la sçavions;
la seconde , qui n'est pas connue de tout
le monde,est peut- être un peu trop aprofondie
par comparaison , avec le reste de
J'OuJANVIER.
1734
Zi
Ouvrage. Ne vous en étonnez pas ;
1'Auteur qui raporte tout au sentiment,
n'a voulu que sentir , et s'est moins sou
cié de raisonner.
Mais à l'égard de cet avantage de réveiller
les passions que l'on attribuë à la
Poësie et à ses images ; l'éloquence le partage
avec elle ; elle a ses peintures et ses
mouvemens. Quel est donc le grand plaisir
que produit la Poësie ? Celui de voir
la difficulté vaincuë. Un Poëte se gêne et
se contraint pour rendre ses idées , et malgré
la contrainte il parvient à les rendre ;
nous partageons avec lui cette petite victoire.
Que dis - je ? Petite victoire , c'est
une conquête importante , et c'étoit sagesse
de la part du Poëte de risquer à ce
prix le sacrifice de tout ce que l'imagi
nation et le génie pouvoient lui fournir.
Les Grands Poëtes ne perdront rien à la
gêne , l'Auteur s'en rend la caution. Mal
propos M. de la Motte se plaint- il de
ce que pour lui donner des Vers , on lui
enlève le plus souvent la justesse , la précision
, l'agrément , les convenances. L'Auteur
des Réfléxions veut des Vers à quelque
prix que ce soit , et sur sa parole vous
pouvez croire que c'est le propre du
grand Poëte de ne se ressentir en rien de
la gêne des Vers.
Diij Mais
62 MERCURE DE FRANCE!
Mais il y a Vers et Vers ; sa folie c'ese
l'Eglogue, et son malheur, c'est de n'en paint
trouver d'assez bonnes ; il aime les Prez ,
les Bois , les Fontaines ; il confesse sa foiblesse
, si vous en aviez envie , vous le séduiriez
avec le murmure d'une Fontaine.
Accourez Bergers et Bergeres , mais pre
nez bien garde au ton que vous allez
donner à vos Chalumeaux ; on ne veut
point de vos Airs rustiques, encore moins
de ces Airs rafinez que l'on chante dans
les Villes. Eloignez - vous également de
l'un et de l'autre ton , et vous aurez trouvé
le véritable . Rien que du sentiment ,
voilà tout ce qu'il nous faut. Si vous pouviez
ne faire que respirer , ce seroit encore
mieux; le fond de vos conversations ',
il est aisé de le regler . M. de Fontenelle
vous a fait parler de vos amours et de
votre tranquillité : ce ne sont point les
détails de la vie champêtre que nous aimons
; entretenez nous de votre bonheur
et de la paix profonde où vous vivez .
Quoique l'Auteur copie M. de Fontenelle
, ne croyez pas qu'il en soit trop épris,
il a fait l'anatomie de ses Eglogues ; ellos
lui avoient d'abord paru tendres , mais
il s'étoit trompé , ce n'est que le ton qui en
est tendre. Tout le monde en est la dupe,
l'Auteur en convient ; mais il nous avertit
JANVIER. 1734. 3
tit que nous nous méprenons, que nous
ne sentons point , que nous croyons sentir.
M. de Fontenelle va changer de
nom , ce n'est plus un grand Poëte , ce
n'est plus un esprit facile , tendre , naïf ,
délicat , sublime ; c'est un grand sorcier ,
qui a pris tous ces différens tons - là; l'Auteur
lui accorde seulement d'avoir dit des
choses fines et lui reproche de les avoir
dites trop fines pour l'Eglogue. Une chose
m'embarasse , c'est que la plupart des
femmes apprennent par coeur ces Eglogues
; elles qui se connoissent en sentiment
, pour le moins aussi bien que
nous, y sont trompées toutes les premiéres
; et loin de vouloir être désabusées ,
elles prient Messieurs les Auteurs de les
tromper toujours de la même façon.
De l'Eglogue , l'Auteur passe à la Fable,
c'est un genre de Poëme, où doit sur-tout
regner le naïf. Il faut choisir une verité
agréable, qui fasse un fond gay; que le récit
ne soit ni trop court, ni trop long. Semez-
le , si vous voulez , de réfléxions , mais
de réfléxions vives , et qui naissent du fond
du sujet.Sur tout, ayezgrand soin du choix
de vos personnages, car l'Auteur ne pardonne
point à M. de la Motte d'avoir fait parler
Dom Jugement , Dame Mémoire et
Demoiselle Imagination ; on ne sçait de
Diiij quelle
64 MERCURE DE FRANCE
quelle couleur les habiller. M. de la Motre
a eu grand tort de ne pas habiller Demoiselle
Imagination en couleur de Rose,
il auroit un procès de moins à essuyer
aussi l'Auteur aime t'il la Lime pour personnage
dans une Fable , parce qu'il connoît
la couleur d'une Lime . Pour ce qui est
de placer la Moralité , l'Auteur vous en
laisse le maître ; le commencement , la
fin de la Fable , toute place lui est également
bonne ; si vous placez la moralité
à la fin , chaque circonstance du fait sert
à l'annoncer ; si vous la placez au commencement
, au lieu de la deviner , on en
fait l'application à mesure que l'on avance
dans le fait , ce qui est une autre sorte
de plaisir . Par occasion , l'Auteur parle
des Contes , où il voudroit de la finesse,
mais ils en auroient plus de poison . A titre
de Philosophe , il nous conseille de
nous en passer.
C'est bien à regret que l'Auteur nous
parle de ces vilains petits Poëmes que l'on
appelle Elegies ; une bonne raison pour
laquelle il ne les goute point , c'est qu'il
veut vivre et qu'il ne veut point que les autres
meurent. La belle chanson que celle d'un
homme qui dit continuellement en vers qu'il
va mourir. Encore l'Elegie est- elle si courte
que l'on n'a pas le tems de faire connoisJANVIER
1734 65
noissance avec lui , et de devenir sensible
à ses maux ; du moins dans une Tragédie
où s'interresse davantage au sort de celui
qui gémit, parce qu'on le connoît et que
l'on a tout le cours de la piéce pour s'attendrir.
L'Auteur trouve un grand défaut
dans les Elegies , même les plus estimées
, c'est que l'on y répand des images
trop fortes et trop énergiques , il voudroit
plus de molesse dans le stile parce
qu'il présume que la douleur affoiblit le
plaignant.
,
L'Auteur glisse sur la Satyre , il y veut
du feu , du sel même des agrémens
étrangers,car peut s'en faut , dit l'Auteur,
qu'à l'égard de ce genre d'ouvrage , notre
inconstance ne l'emporte sur notre malignité
et que nous ne demandions des Satyres qui
ne soient plus satyres.
› Chemin faisant , il faut s'arrêter au sublime
avec l'Auteur , il en parle à propos
de l'Ode, et il n'en connoît que de deux
sortes , celui des Images et celui des Tours.
Ici il copie Boileau pendant plus de trois
pages pour le dédommager de ce qu'il
avoit dit de lui sur la Satyre , qu'il manquoit
de délicatesse. Le sublime des Images
c'est les differentes peintures qu'elles
présentent ; celui - ci ne lui paroît rien
par comparaison avec le sublime des Tours,
Dy 1212
66 MERCURE DE FRANCE
un qu'il mourût de Corneille lui paroît
un tour sublime,voyez ,je vous prie, comme
nous nous trompions . Vous croyez que'
lorsque l'on rapporte à Horace le pere la
fuite de son fils , que vous le voyez dans
l'indignation et qu'interrogé sur le parti'
qu'eut dû prendre le fils , le pere répond
qu'il mourut , vous croyez que c'est le
sentiment que vous admirez , point du
tout : c'est le tour. Que reste - t- il à dire
de l'Ode à présent , le sublime en fait
partie , on ne fait plus qu'attaquer les
Odes méthodiques , on y veut des écarts,
et ces écarts, au gré de l'Auteur, valent bien
tout ce que la raison peut produire avec tout
son orgueil ; à vous dire mon avis , j'avois
toujours crû l'imagination aussi orgüeilleuse
que la raison, mais que voulez vous ?
l'Auteur feint de se brouiller avec la raison.
Des écarts surtout, des écarts , voilà ce
qu'il demande à un Poëte lyrique. L'ordre
de l'Ode c'est le désordre, si M. de la Motte
revenoit , il auroit beau s'écrier , je voudrois
dans une Ode de la raison et du
feu. L'Auteur répondroit , je préfere mon
feu à toute votre raison. L'Auteur admet
par complaisance des Odes anacréontiques
, mais il y veut encore du désordre ,
il n'y a , selon lui , qu'une façon d'écrire
lans chaque genre , point d'Eglogue , si
elle
JANVIER 1734. 67
>
elle n'est simple , point de fable si elle
n'est naïve point d'Ode si vous n'y
mettez des écarts et si la foule des di
gressions n'y surpasse le fond de la chose .
D'un vol leger l'Auteur a couru sur
tous les genres ; voyez le se rabattre sur
les petits Poëmes , à commencer par le
Sonnet, et celui - ci c'est son favori , il a ,
si vous l'en croyez ,un raport parfait avec
Mlle Camargo ; comme elle , il est asservi
à la contrainte,et son mérite est d'être
libre comme elle. Vous craignez pour
l'Auteur et pour la Danseuse et l'un et
l'autre vous surprennent par les graces ;
par la même raison le Rondeau , la Ballade
et les Triolets lui plaisent infiniment , les
Stances ont le même avantage . Il est dif
ficile de réussir dans ces sortes d'ouvrages,
mais l'Auteur aimeroit mieux avoir fait
Pun des moindres d'entre ces petits Poëmes
que deux Ouvrages entiers de raisonnement ,
que quatre Tragédies. Il n'oublie le
Madrigal et l'Epigramme , et dans ces nouveaux
Poëmes- ci , l'Auteur veut encore
du naïf ; il nous surprend ce naïf , et il
n'est jamais l'effet de la colere ; par là il
porte des coups plus certains les Cantates
ne sont point du gout de l'Auteur
il passeroit les piéces marotiques , si elles
n'étoient pas en stile marotique.
D vj . Vous
pas
>
6.8 MERCURE DE FRANCE
६
Vous ne vous plaindrez pas , Monsieur,
d'être accablé par le grand nombre de
principes ; l'Auteur nous a instruit , le
voilà en droit de nous dire son avis sur
les causes de la corruption du gout.
Il en parle historiquement dans une
premiere lettre.Chez les Romains , comme
parmi nous la Paix a été l'époque de la
naissance et des progrez du gout ; et parmi
nous , comme chez les Romains , la
guerre a été le tombeau du gout . Mais
comme dit l'Auteur , après la décadence
du gout , l'ignorance est le grand remede
apparemment elle emporte les mauvaises
impressions de l'esprit , comme le grand
remede emporte le mauvais sang. Ne nous
chicannez pas, je vous prie , sur la comparaison
, car c'est ce que j'ai vû de plus
énergique dans l'ouvrage.
Dans une seconde lettre l'Auteur se
propose de parler philosophiquement ,
écoutez le Philosophe. Un homme a gâté
le gout chez les Romains , c'est Seneque,
et c'est parce qu'il avoit beaucoup d'esprit
qu'il a gâté le gout en fait d'éloquence ,
comme Ovide l'avoit gâté avant lui en
fait de Poësie ; les Seneques et les Ovides
de nôtre tems, c'est, dit- on , M. de Fontenelle
et M. de la Motte . M. de Fontenelle,
à ce que dit l'Auteur, a beaucoup de
délicatesse
JANVIER 17345 69
délicatesse dans l'imagination ; il ne dit pas
dans l'esprit. Vous me dites quelquefois
que M. de Fontenelle est sans contredit
un des plus grands Génies et un des plus
beaux Esprits que les siècles ayent produit
; l'Auteur ne lui en accorde pas tant,
il dit seulement que M. de Fontenelle est
capable de s'élever aux premiers principes ,
de mener à la verité par le chemin le plus
court et de semer ce chemin de fleurs . M. de
Fontenelle a de l'imagination et s'en rend le
maître , ce qui est un défaut selon l'Auteur
, car ce qui constitue le grand Génie ,
c'est de se laisser emporter par son imagination,
dès- là, point de chaleur chez M. de
Fontenelle et en supposant avec l'Auteur
que le sentiment dans un ouvrage doive
passer avant les vûës , on pourroit conclure
que tout ouvrage qui ne s'étayera
pas du sentiment, petilla t '-il de lumieres
philosophiques , ne doit pas tenir un
grand rang parmi les Ouvrages d'esprit.
Mais ce qui manque à M. de Fontenelle
du côté du désordre des idées , il le gagne du
côté de la précision , il surprend continuellement
et par ses idées et par le tour heureux
qu'il donne à ses idées : il en a de neuves et
de communes qu'il fait passer pour neuves ,
qu'il habille en paradoxes . L'Auteur a
jugé des paradoxes de M. de Fontenelle.
par
70
MERCURE
DE FRANCE
par comparaison
avec les siens . Ceux
qu'il a donnez au Public ont été trouvez
plus ingenieux que solides , et en lisant
ceux de M. de Fontenelle , on croit ne
faire qu'ouvrir les yeux sur un pays connu
; et vous entendez quel défaut c'est en
fait d'ouvrage d'esprit , de s'accorder avec
le Lecteur. Ce n'est pas là tout le merite
de M. de Fontenelle ; chez lui l'Art est
si caché, que quand vous attendez de lui
des ornemens , il vous donne des choses
simples qui vous surprennent
plus que
les ornemens n'eussent fait , et qu'en revanche
vous retrouvez avec la parure des
matieres qui sembloient ne la pas comporter.
En effet, quelle est l'idée de M. de
Fontenelle de badiner avec la Mort ? de
montrer de l'imagination
et même de la
plus enjouée dans une Oraison funebre ?
il a beau produire par son enjoument
l'effet qu'il lui demande , on seroit bien
plus content de voir M. de Fontenelle
gémir sur le sort d'un ami , cela feroit
preuve du bon coeur. Encore en matiere
de Géometrie les fleurs révoltent : M. de
Fontenelle réduit les Scavans au niveau
des autres hommes , qui, attirez par les
idées sensibles , se trouvent avoir recueilli
les principes comme les Géometres mêmes.
Tout le corps des Géometres devroit
s'élever
JANVIER 1734 71
s'élever contre un pareil attentat . M. de
Fontenelle a encore grand tort de tailler
une idée comme on taille un diamant ; on
l'aimeroit mieux brutte et moins brillante,
on le quitte de ses agrémens , c'est un
plaisir qu'il procure , à la verité , mais
c'est une illusion qu'il cause .
L'Auteur n'est pas plus favorable à M.
de la Motte , il ne manque pas d'esprit ,
mais l'Auteur trouve qu'il manque de
gout. Et il est à propos de faire une bonne
fois le procès à ce Public , qui a mis les
Odes de M. de la Motte à côté de celles
de Rousseau , qui a comparé ses Fables
à celles de la Fontaine , ses Tragédies à
celles des Corneilles et des Racines, et ses
Operas à ceux de Quinault , et qui a encore
assigné à ses discours l'éloquence et
à toute sa Frose une classe à part pour ne
le comparer en ce point qu'à lui - même .
Ce Public a le gout gâté, corrompu. Prenez
vous en à M. de Fontenelle que l'Auteur
compare à un Cuisinier. Et surquoi
fondée la comparaison? sur ce que M. de
Fontenelle a introduit dans le pays des
Lettres le gout de la précision , sur ce
qu'il a semé les Analises en tout genre.
d'ouvrages, et sur ce qu'il a réduit l'imagination
à n'aller jamais que de pair avec
la raison. M. de la Motte a aussi tourné
du
72
MERCURE DE FRANCE
›
du côté de cette Logique incommode , il
a été habile à tirer les conséquences , et c'étoit
sur le choix des principes qu'il falloit
l'être : éclairé par l'Auteur , il eut mieux
fait et n'eut cependant pas si bien réussi,
parce que le Public avoit le gout gâtẻ.
La conclusion de cet Ouvrage c'est
que nous devons consulter le sentiment ,
et ne pas nous en raporter à notre raison,
qui n'est par elle - même que sécheresse .
C'est dans notre coeur qu'est la source du
gout , et mal- à - propos à- t'on regardé
jusqu'ici le discernement comme une
qualité de l'esprit.
L'Auteur dans une troisiéme et derniere
Lettre observe heureusement qu'une des
causes de la corruption du gout , c'est
l'esprit de manege aujourd'hui , trop à la
mode parmi les gens de Lettres . Ce malheureux
talent énerve les qualitez de
Fame. Cette souplesse qui fait de bons
courtisans ne nous éleve point assez l'imagination
et nous rend au contraire incapables
de ces grandes et sublimes idées
qui n'appartiennent qu'à une imagination
indépendante. Je suis & c.
Je me propose de vous entretenir par
une seconde Lettre , des détails de l'Ouvrage
, et de rendre justice aux beautez
qui y sont répanduës, sans en dissimuler les
défauts
qui a pour titre : Réfléxions sur la Poësie
en général , sur l'Eglogue , sur la Fa
ble, sur l'Elegie, sur la Satyre, sur l'Ode,
et sur les autres petits Poëmes.
Vous
'Ous me demandés , Monsieur , ce
que c'est qu'un Livre nouveau , intitulé
: Réfléxions , &c ?C'est un Ouvrage
singulier, qui ne ressemble à rien de tout
ce que vous connoissez . L'Auteur tresdésinteressé
sur sa propre réputation
n'évite peut-être point assez le stile qu'il
condamne , il se tenoit en garde , mais
imperceptiblement et à son insçû, la contagion
l'aura gagné.
Le dessein de l'Auteur est de traitter
de la Poësie en général et des différens
genres de Poësie ; vous vous imaginez
peut- être qu'il se borne à en donner les
préceptes et les régles ; il va plus loin , il
remontejusqu'aux sources de notre plaisir. Se
flatte-t- il de les avoir découvertes ? Il s'égaye
en présentant toujours force images
Dij
et
to MERCURE DE FRANCE
et de temps à autre quelques idées qui lui
sont particulieres,
Le seul mot de Poësie le met d'abord .
en enthousiasme. Au nom de la Poësie
ne voyez vous pas s'animer tout ce qui
existe dans la nature ? L'Auteur qui croit
en devoir parler poëtiquement envoye
audevant de son Lecteur les Faunes et les
Dryades. Le murmure des Ruisseaux
vient se joindre à une autre sorte de concert
formé par les habitans des Airs . D'un
autre côté par respect et pour ne pas déplaire
, se retirent les Bêtes meurtrieres ,
qui ne veulent pas troubler nos plaisirs.
Tels sont les Privileges de la Poësie .
Ce n'étoit pas - là notre premier langage
; nous prîmes d'abord la forme de
nous exprimer la plus simple , mais il
nous falloit un langage de fête. La Poësie
nous en a servi . Elle devient pour nous
un plaisir de convention , que l'on ne goute
qu'à mesure que l'on se fait à la lecture
des Vers. Naissent en foule les images,
toujours agréables par deux endroits.
Elles servent à fixer nos idées , elles réveillent
nos passions ; la premiere de ces
raisons de notre plaisir , nous la sçavions;
la seconde , qui n'est pas connue de tout
le monde,est peut- être un peu trop aprofondie
par comparaison , avec le reste de
J'OuJANVIER.
1734
Zi
Ouvrage. Ne vous en étonnez pas ;
1'Auteur qui raporte tout au sentiment,
n'a voulu que sentir , et s'est moins sou
cié de raisonner.
Mais à l'égard de cet avantage de réveiller
les passions que l'on attribuë à la
Poësie et à ses images ; l'éloquence le partage
avec elle ; elle a ses peintures et ses
mouvemens. Quel est donc le grand plaisir
que produit la Poësie ? Celui de voir
la difficulté vaincuë. Un Poëte se gêne et
se contraint pour rendre ses idées , et malgré
la contrainte il parvient à les rendre ;
nous partageons avec lui cette petite victoire.
Que dis - je ? Petite victoire , c'est
une conquête importante , et c'étoit sagesse
de la part du Poëte de risquer à ce
prix le sacrifice de tout ce que l'imagi
nation et le génie pouvoient lui fournir.
Les Grands Poëtes ne perdront rien à la
gêne , l'Auteur s'en rend la caution. Mal
propos M. de la Motte se plaint- il de
ce que pour lui donner des Vers , on lui
enlève le plus souvent la justesse , la précision
, l'agrément , les convenances. L'Auteur
des Réfléxions veut des Vers à quelque
prix que ce soit , et sur sa parole vous
pouvez croire que c'est le propre du
grand Poëte de ne se ressentir en rien de
la gêne des Vers.
Diij Mais
62 MERCURE DE FRANCE!
Mais il y a Vers et Vers ; sa folie c'ese
l'Eglogue, et son malheur, c'est de n'en paint
trouver d'assez bonnes ; il aime les Prez ,
les Bois , les Fontaines ; il confesse sa foiblesse
, si vous en aviez envie , vous le séduiriez
avec le murmure d'une Fontaine.
Accourez Bergers et Bergeres , mais pre
nez bien garde au ton que vous allez
donner à vos Chalumeaux ; on ne veut
point de vos Airs rustiques, encore moins
de ces Airs rafinez que l'on chante dans
les Villes. Eloignez - vous également de
l'un et de l'autre ton , et vous aurez trouvé
le véritable . Rien que du sentiment ,
voilà tout ce qu'il nous faut. Si vous pouviez
ne faire que respirer , ce seroit encore
mieux; le fond de vos conversations ',
il est aisé de le regler . M. de Fontenelle
vous a fait parler de vos amours et de
votre tranquillité : ce ne sont point les
détails de la vie champêtre que nous aimons
; entretenez nous de votre bonheur
et de la paix profonde où vous vivez .
Quoique l'Auteur copie M. de Fontenelle
, ne croyez pas qu'il en soit trop épris,
il a fait l'anatomie de ses Eglogues ; ellos
lui avoient d'abord paru tendres , mais
il s'étoit trompé , ce n'est que le ton qui en
est tendre. Tout le monde en est la dupe,
l'Auteur en convient ; mais il nous avertit
JANVIER. 1734. 3
tit que nous nous méprenons, que nous
ne sentons point , que nous croyons sentir.
M. de Fontenelle va changer de
nom , ce n'est plus un grand Poëte , ce
n'est plus un esprit facile , tendre , naïf ,
délicat , sublime ; c'est un grand sorcier ,
qui a pris tous ces différens tons - là; l'Auteur
lui accorde seulement d'avoir dit des
choses fines et lui reproche de les avoir
dites trop fines pour l'Eglogue. Une chose
m'embarasse , c'est que la plupart des
femmes apprennent par coeur ces Eglogues
; elles qui se connoissent en sentiment
, pour le moins aussi bien que
nous, y sont trompées toutes les premiéres
; et loin de vouloir être désabusées ,
elles prient Messieurs les Auteurs de les
tromper toujours de la même façon.
De l'Eglogue , l'Auteur passe à la Fable,
c'est un genre de Poëme, où doit sur-tout
regner le naïf. Il faut choisir une verité
agréable, qui fasse un fond gay; que le récit
ne soit ni trop court, ni trop long. Semez-
le , si vous voulez , de réfléxions , mais
de réfléxions vives , et qui naissent du fond
du sujet.Sur tout, ayezgrand soin du choix
de vos personnages, car l'Auteur ne pardonne
point à M. de la Motte d'avoir fait parler
Dom Jugement , Dame Mémoire et
Demoiselle Imagination ; on ne sçait de
Diiij quelle
64 MERCURE DE FRANCE
quelle couleur les habiller. M. de la Motre
a eu grand tort de ne pas habiller Demoiselle
Imagination en couleur de Rose,
il auroit un procès de moins à essuyer
aussi l'Auteur aime t'il la Lime pour personnage
dans une Fable , parce qu'il connoît
la couleur d'une Lime . Pour ce qui est
de placer la Moralité , l'Auteur vous en
laisse le maître ; le commencement , la
fin de la Fable , toute place lui est également
bonne ; si vous placez la moralité
à la fin , chaque circonstance du fait sert
à l'annoncer ; si vous la placez au commencement
, au lieu de la deviner , on en
fait l'application à mesure que l'on avance
dans le fait , ce qui est une autre sorte
de plaisir . Par occasion , l'Auteur parle
des Contes , où il voudroit de la finesse,
mais ils en auroient plus de poison . A titre
de Philosophe , il nous conseille de
nous en passer.
C'est bien à regret que l'Auteur nous
parle de ces vilains petits Poëmes que l'on
appelle Elegies ; une bonne raison pour
laquelle il ne les goute point , c'est qu'il
veut vivre et qu'il ne veut point que les autres
meurent. La belle chanson que celle d'un
homme qui dit continuellement en vers qu'il
va mourir. Encore l'Elegie est- elle si courte
que l'on n'a pas le tems de faire connoisJANVIER
1734 65
noissance avec lui , et de devenir sensible
à ses maux ; du moins dans une Tragédie
où s'interresse davantage au sort de celui
qui gémit, parce qu'on le connoît et que
l'on a tout le cours de la piéce pour s'attendrir.
L'Auteur trouve un grand défaut
dans les Elegies , même les plus estimées
, c'est que l'on y répand des images
trop fortes et trop énergiques , il voudroit
plus de molesse dans le stile parce
qu'il présume que la douleur affoiblit le
plaignant.
,
L'Auteur glisse sur la Satyre , il y veut
du feu , du sel même des agrémens
étrangers,car peut s'en faut , dit l'Auteur,
qu'à l'égard de ce genre d'ouvrage , notre
inconstance ne l'emporte sur notre malignité
et que nous ne demandions des Satyres qui
ne soient plus satyres.
› Chemin faisant , il faut s'arrêter au sublime
avec l'Auteur , il en parle à propos
de l'Ode, et il n'en connoît que de deux
sortes , celui des Images et celui des Tours.
Ici il copie Boileau pendant plus de trois
pages pour le dédommager de ce qu'il
avoit dit de lui sur la Satyre , qu'il manquoit
de délicatesse. Le sublime des Images
c'est les differentes peintures qu'elles
présentent ; celui - ci ne lui paroît rien
par comparaison avec le sublime des Tours,
Dy 1212
66 MERCURE DE FRANCE
un qu'il mourût de Corneille lui paroît
un tour sublime,voyez ,je vous prie, comme
nous nous trompions . Vous croyez que'
lorsque l'on rapporte à Horace le pere la
fuite de son fils , que vous le voyez dans
l'indignation et qu'interrogé sur le parti'
qu'eut dû prendre le fils , le pere répond
qu'il mourut , vous croyez que c'est le
sentiment que vous admirez , point du
tout : c'est le tour. Que reste - t- il à dire
de l'Ode à présent , le sublime en fait
partie , on ne fait plus qu'attaquer les
Odes méthodiques , on y veut des écarts,
et ces écarts, au gré de l'Auteur, valent bien
tout ce que la raison peut produire avec tout
son orgueil ; à vous dire mon avis , j'avois
toujours crû l'imagination aussi orgüeilleuse
que la raison, mais que voulez vous ?
l'Auteur feint de se brouiller avec la raison.
Des écarts surtout, des écarts , voilà ce
qu'il demande à un Poëte lyrique. L'ordre
de l'Ode c'est le désordre, si M. de la Motte
revenoit , il auroit beau s'écrier , je voudrois
dans une Ode de la raison et du
feu. L'Auteur répondroit , je préfere mon
feu à toute votre raison. L'Auteur admet
par complaisance des Odes anacréontiques
, mais il y veut encore du désordre ,
il n'y a , selon lui , qu'une façon d'écrire
lans chaque genre , point d'Eglogue , si
elle
JANVIER 1734. 67
>
elle n'est simple , point de fable si elle
n'est naïve point d'Ode si vous n'y
mettez des écarts et si la foule des di
gressions n'y surpasse le fond de la chose .
D'un vol leger l'Auteur a couru sur
tous les genres ; voyez le se rabattre sur
les petits Poëmes , à commencer par le
Sonnet, et celui - ci c'est son favori , il a ,
si vous l'en croyez ,un raport parfait avec
Mlle Camargo ; comme elle , il est asservi
à la contrainte,et son mérite est d'être
libre comme elle. Vous craignez pour
l'Auteur et pour la Danseuse et l'un et
l'autre vous surprennent par les graces ;
par la même raison le Rondeau , la Ballade
et les Triolets lui plaisent infiniment , les
Stances ont le même avantage . Il est dif
ficile de réussir dans ces sortes d'ouvrages,
mais l'Auteur aimeroit mieux avoir fait
Pun des moindres d'entre ces petits Poëmes
que deux Ouvrages entiers de raisonnement ,
que quatre Tragédies. Il n'oublie le
Madrigal et l'Epigramme , et dans ces nouveaux
Poëmes- ci , l'Auteur veut encore
du naïf ; il nous surprend ce naïf , et il
n'est jamais l'effet de la colere ; par là il
porte des coups plus certains les Cantates
ne sont point du gout de l'Auteur
il passeroit les piéces marotiques , si elles
n'étoient pas en stile marotique.
D vj . Vous
pas
>
6.8 MERCURE DE FRANCE
६
Vous ne vous plaindrez pas , Monsieur,
d'être accablé par le grand nombre de
principes ; l'Auteur nous a instruit , le
voilà en droit de nous dire son avis sur
les causes de la corruption du gout.
Il en parle historiquement dans une
premiere lettre.Chez les Romains , comme
parmi nous la Paix a été l'époque de la
naissance et des progrez du gout ; et parmi
nous , comme chez les Romains , la
guerre a été le tombeau du gout . Mais
comme dit l'Auteur , après la décadence
du gout , l'ignorance est le grand remede
apparemment elle emporte les mauvaises
impressions de l'esprit , comme le grand
remede emporte le mauvais sang. Ne nous
chicannez pas, je vous prie , sur la comparaison
, car c'est ce que j'ai vû de plus
énergique dans l'ouvrage.
Dans une seconde lettre l'Auteur se
propose de parler philosophiquement ,
écoutez le Philosophe. Un homme a gâté
le gout chez les Romains , c'est Seneque,
et c'est parce qu'il avoit beaucoup d'esprit
qu'il a gâté le gout en fait d'éloquence ,
comme Ovide l'avoit gâté avant lui en
fait de Poësie ; les Seneques et les Ovides
de nôtre tems, c'est, dit- on , M. de Fontenelle
et M. de la Motte . M. de Fontenelle,
à ce que dit l'Auteur, a beaucoup de
délicatesse
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délicatesse dans l'imagination ; il ne dit pas
dans l'esprit. Vous me dites quelquefois
que M. de Fontenelle est sans contredit
un des plus grands Génies et un des plus
beaux Esprits que les siècles ayent produit
; l'Auteur ne lui en accorde pas tant,
il dit seulement que M. de Fontenelle est
capable de s'élever aux premiers principes ,
de mener à la verité par le chemin le plus
court et de semer ce chemin de fleurs . M. de
Fontenelle a de l'imagination et s'en rend le
maître , ce qui est un défaut selon l'Auteur
, car ce qui constitue le grand Génie ,
c'est de se laisser emporter par son imagination,
dès- là, point de chaleur chez M. de
Fontenelle et en supposant avec l'Auteur
que le sentiment dans un ouvrage doive
passer avant les vûës , on pourroit conclure
que tout ouvrage qui ne s'étayera
pas du sentiment, petilla t '-il de lumieres
philosophiques , ne doit pas tenir un
grand rang parmi les Ouvrages d'esprit.
Mais ce qui manque à M. de Fontenelle
du côté du désordre des idées , il le gagne du
côté de la précision , il surprend continuellement
et par ses idées et par le tour heureux
qu'il donne à ses idées : il en a de neuves et
de communes qu'il fait passer pour neuves ,
qu'il habille en paradoxes . L'Auteur a
jugé des paradoxes de M. de Fontenelle.
par
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DE FRANCE
par comparaison
avec les siens . Ceux
qu'il a donnez au Public ont été trouvez
plus ingenieux que solides , et en lisant
ceux de M. de Fontenelle , on croit ne
faire qu'ouvrir les yeux sur un pays connu
; et vous entendez quel défaut c'est en
fait d'ouvrage d'esprit , de s'accorder avec
le Lecteur. Ce n'est pas là tout le merite
de M. de Fontenelle ; chez lui l'Art est
si caché, que quand vous attendez de lui
des ornemens , il vous donne des choses
simples qui vous surprennent
plus que
les ornemens n'eussent fait , et qu'en revanche
vous retrouvez avec la parure des
matieres qui sembloient ne la pas comporter.
En effet, quelle est l'idée de M. de
Fontenelle de badiner avec la Mort ? de
montrer de l'imagination
et même de la
plus enjouée dans une Oraison funebre ?
il a beau produire par son enjoument
l'effet qu'il lui demande , on seroit bien
plus content de voir M. de Fontenelle
gémir sur le sort d'un ami , cela feroit
preuve du bon coeur. Encore en matiere
de Géometrie les fleurs révoltent : M. de
Fontenelle réduit les Scavans au niveau
des autres hommes , qui, attirez par les
idées sensibles , se trouvent avoir recueilli
les principes comme les Géometres mêmes.
Tout le corps des Géometres devroit
s'élever
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s'élever contre un pareil attentat . M. de
Fontenelle a encore grand tort de tailler
une idée comme on taille un diamant ; on
l'aimeroit mieux brutte et moins brillante,
on le quitte de ses agrémens , c'est un
plaisir qu'il procure , à la verité , mais
c'est une illusion qu'il cause .
L'Auteur n'est pas plus favorable à M.
de la Motte , il ne manque pas d'esprit ,
mais l'Auteur trouve qu'il manque de
gout. Et il est à propos de faire une bonne
fois le procès à ce Public , qui a mis les
Odes de M. de la Motte à côté de celles
de Rousseau , qui a comparé ses Fables
à celles de la Fontaine , ses Tragédies à
celles des Corneilles et des Racines, et ses
Operas à ceux de Quinault , et qui a encore
assigné à ses discours l'éloquence et
à toute sa Frose une classe à part pour ne
le comparer en ce point qu'à lui - même .
Ce Public a le gout gâté, corrompu. Prenez
vous en à M. de Fontenelle que l'Auteur
compare à un Cuisinier. Et surquoi
fondée la comparaison? sur ce que M. de
Fontenelle a introduit dans le pays des
Lettres le gout de la précision , sur ce
qu'il a semé les Analises en tout genre.
d'ouvrages, et sur ce qu'il a réduit l'imagination
à n'aller jamais que de pair avec
la raison. M. de la Motte a aussi tourné
du
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du côté de cette Logique incommode , il
a été habile à tirer les conséquences , et c'étoit
sur le choix des principes qu'il falloit
l'être : éclairé par l'Auteur , il eut mieux
fait et n'eut cependant pas si bien réussi,
parce que le Public avoit le gout gâtẻ.
La conclusion de cet Ouvrage c'est
que nous devons consulter le sentiment ,
et ne pas nous en raporter à notre raison,
qui n'est par elle - même que sécheresse .
C'est dans notre coeur qu'est la source du
gout , et mal- à - propos à- t'on regardé
jusqu'ici le discernement comme une
qualité de l'esprit.
L'Auteur dans une troisiéme et derniere
Lettre observe heureusement qu'une des
causes de la corruption du gout , c'est
l'esprit de manege aujourd'hui , trop à la
mode parmi les gens de Lettres . Ce malheureux
talent énerve les qualitez de
Fame. Cette souplesse qui fait de bons
courtisans ne nous éleve point assez l'imagination
et nous rend au contraire incapables
de ces grandes et sublimes idées
qui n'appartiennent qu'à une imagination
indépendante. Je suis & c.
Je me propose de vous entretenir par
une seconde Lettre , des détails de l'Ouvrage
, et de rendre justice aux beautez
qui y sont répanduës, sans en dissimuler les
défauts
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Résumé : LETTRE à M*** au sujet d'un Livre qui a pour titre : Réfléxions sur la Poësie en général, sur l'Eglogue, sur la Fable, sur l'Elegie, sur la Satyre, sur l'Ode, et sur les autres petits Poëmes.
La lettre traite d'un ouvrage intitulé 'Réflexions sur la Poésie en général, sur l'Églogue, sur la Fable, sur l'Élégie, sur la Satyre, sur l'Ode, et sur les autres petits Poëmes'. L'auteur de la lettre répond à une demande concernant ce livre, qu'il décrit comme singulier et différent de tout ce que le destinataire connaît. L'auteur de l'ouvrage, bien que désintéressé par sa propre réputation, ne parvient pas toujours à éviter le style qu'il critique. L'ouvrage examine la poésie en général et ses différents genres. Contrairement à une simple présentation de préceptes et de règles, l'auteur explore les sources du plaisir poétique. Il utilise des images et des idées personnelles pour illustrer ses points, souvent avec enthousiasme. La poésie est présentée comme un langage de fête, un plaisir de convention qui fixe les idées et réveille les passions. L'auteur discute des privilèges de la poésie, qui anime la nature et contraint le poète à exprimer ses idées malgré les difficultés. Il critique certains poètes, comme M. de la Motte, pour leur manque de justesse et de précision dans les vers. Il apprécie les églogues, les fables, les odes et les petits poèmes, chacun ayant ses propres règles et contraintes. Par exemple, il préfère les églogues simples et les fables naïves, et il critique les élégies pour leur style trop énergique. L'auteur aborde également la corruption du goût, attribuant cette décadence à des figures comme Sénèque et Ovide chez les Romains, et à des contemporains comme M. de Fontenelle et M. de la Motte. Il conclut en discutant des causes historiques et philosophiques de cette corruption, soulignant l'impact de la paix et de la guerre sur le goût littéraire. Le texte critique les œuvres de M. de Fontenelle et M. de la Motte, tout en discutant du goût littéraire du public. M. de Fontenelle est loué pour sa précision et son habileté à surprendre par ses idées, mais ses paradoxes sont jugés plus ingénieux que solides. Son art est si caché qu'il surprend par des choses simples plutôt que par des ornements. Cependant, son enjouement dans une oraison funèbre et ses fleurs en géométrie sont critiqués. L'auteur compare M. de Fontenelle à un cuisinier, introduisant la précision et l'analyse dans les lettres. M. de la Motte est jugé manquant de goût, malgré son esprit. Le public est accusé d'avoir un goût corrompu, comparant les œuvres de M. de la Motte à celles de grands auteurs. La conclusion est que le goût réside dans le cœur et non dans la raison. L'auteur critique également l'esprit de manège parmi les gens de lettres, qui énerve les qualités de l'imagination.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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13
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EPIGRAMME imitée du Latin de Muret. Contre les Poëtes lascifs.
Début :
Se peut-il, obscénes Rimeurs, [...]
Mots clefs :
Poètes lascifs, Muret
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texteReconnaissance textuelle : EPIGRAMME imitée du Latin de Muret. Contre les Poëtes lascifs.
EPIGRAM ME imitée du Latin
de Muret.
Contre les Poëtes lascifs .
SE peut-il , obscénes Rimeurs ,
Que vous soyez au fond doüez de bonnes moeurs,
Tandis que vous chantez le vice sans scrupule ?
Si vous êtes des Saints , par où le connoît- on
Quiconque écrit comme Catulle ,
Vit rarement comme Caton.
de Muret.
Contre les Poëtes lascifs .
SE peut-il , obscénes Rimeurs ,
Que vous soyez au fond doüez de bonnes moeurs,
Tandis que vous chantez le vice sans scrupule ?
Si vous êtes des Saints , par où le connoît- on
Quiconque écrit comme Catulle ,
Vit rarement comme Caton.
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14
p. 73-96
LETTRE de M. D. L. C. à M. D. L. R. sur quelques particulartiez de la vie de Topal Osman Pacha, cy-devant Grand Visir de l'Empire Ottoman, et aujourd'hui Séraskier de l'Armée Turque en Perse. A Paris, ce 18 Janvier 1734.
Début :
Vous avez jugé, Monsieur, que dans les circonstances présentes où [...]
Mots clefs :
Topal Osman Pacha, Grand vizir, Arniaud, Pacha , Constantinople, Turcs, Malte, Capitaine, Empire, Fortune, Armée, Patron, Présents, Ordre, Esclavage, Sequins, Rançon, Esclave, Maître
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. D. L. C. à M. D. L. R. sur quelques particulartiez de la vie de Topal Osman Pacha, cy-devant Grand Visir de l'Empire Ottoman, et aujourd'hui Séraskier de l'Armée Turque en Perse. A Paris, ce 18 Janvier 1734.
LETTRE de M. D.L.C. à M. D.L.R.
sur quelques particularitez de la vie de
Topal Osman Pacha , cy-devant Grand
Visir de l'Empire Ottoman , et aujour
d'hui Séraskier de l'Armée Turque en
Perse . A Paris , ce 18 Janvier 1734.
V
Ous avez jugé , Monsieur , que
dans les circonstances présentes où
les affaires d'Asie ont plus de liaison que
jamais avec celles d'Europe , ce seroit
un objet interessant pour le Public , que
la
74 MERCURE DE FRANCE
la vie et les avantures de Topal Osman
qui jouë aujourd'hui un si grand rôle .
Je crois que l'Auteur de la Rela .
tion de la Révolution arrivée en 1730. à
Constantinople n'a pas abandonné le
dessein où je l'ai vu, d'écrire cette vie, véritablement
digne de la curiosité du Public
. Personne n'est plus capable que lui
de bien exécuter ce projet; et s'il est aussi
bien servi par ceux qui sont à portée de
lui procurer des Mémoires , que je le
connois exact et ami de la verité ; nous
verrons dans un même Ouvrage la singularité
du Roman , unie à la plus scru
puleuse fidelité dans les faits historiques.
En attendant , je me fais un vrai plaisir
, Monsieur , de vous faire part de
quelques traits de la vie du Général
Turc dont je suis exactement informé . Le
Sr Arniaud , celui-la même qui racheta
Topal Osman d'esclavage à Malte , il y
a environ trente- cinq ans , vint en 1732 .
à Constantinople avec son fils ,saluer son
ancien Esclave , devenu Grand Visir.J'ai
entendu plus d'une fois raconter au pete
et au Fils ce qu'ils sçavoient de son histoire.
Le Fils a même bien voulu , à ma
priere , mettre par écrit ce qu'il a pû s'en
rappeller, et m'en laisser le Mémoire que
je
JANVIER. 1734. 75
je conserve , écrit de sa main. Ce qui suit
est tiré de ce Mémoire. J'y ai joint
quelques circonstances que je lui ai entendu
conter , ou à son Pere, et j'ai ajouté
les faits dont j'ai eu connoissance
pendant mon séjour à Constantinople ,
concernant l'arrivée du Sr Arniaud , son
Audiance du Visir , la déposition de ce
Ministre , &c. tous faits qui se sont passez
presque sous mes yeux ; mais dont
je ne garantis cependant pas la verité
quelque attention que j'aye eu à consulter
les témoins oculaires autant que je
l'ai pû , et à ne rapporter icy que ce que
je trouve sur un Journal , écrit dans le
temps.
Osman avoit reçu dans le Sérail du
Grand Seigneur l'éducation qui n'étoit
autrefois destinée qu'aux Enfans de Tribut
, ( a ) Chrétiens de naissance . Les
Turcs ont depuis brigué ces Places pour
leurs propres Enfans , ensorte qu'aujour
d'hui presque tous les Eleves du Sérail
sont de race Turque .
En 1698 ou 99. à l'âge de 25 ans ou
environ, Osman Aga sortit du Sérail, où il
exerçoit l'emploi de (b) Martolos Bachi.
( a ) Voyez Ricaut, Etat présent de l'Empire Ot
toman.
(b ) Intendant des Voitures.
7
N
6 MERCURE DE FRANCE
Il étoit porteur d'un Ordre du Grand Sergneur
, et chargé d'une commission pour
aller remettre quelques Beys du Čaire
dans la possession de leurs biens , dont
ils avoient été destituez pendant ces troubles
qui sont si fréquents en Egypte. I
prit sa route par terre jusqu'à Seyde , où
pour éviter la rencontre des Arabes qui
infestoient le Païs , il fut obligé de s'embarquer
sur une ( a ) Saïque , qui passoit
à Damiette . Dans ce, court trajet la Saïque
fut malheureusement rencontrée par
une Barque Espagnole , armée en course
à Maïorque. Quoique la partie ne fut pas
égale , le désir de conserver leurs biens
et leur liberté , fit faire les derniers ef
fort aux Passagers et à l'équipage ; ils se
deffendirent en désesperez ; l'abordage
fut sanglant. Osman s'y signala par cette
intrépidité dont il a depuis donné des
preuves en tant de rencontres ; si la valeur
de tous eut été égale à la sienne
peut-être eussent ils évité l'esclavage . Enfin
il fallut céder au nombre . Osman
Aga , percé de coups , blessé dangereusement
au bras et à la cuisse , fut pris les
armes à la main . Le Corsaire , dont le Bâtiment
avoit souffert dans le combat
( a ) Sorte de Bâtiment de Levant , propre an
ransport des Marchandises,
soit
JANVIER . 1734.
77
soit qu'il eut besoin de se raccommoder ,
ou pour quelque autre raison , relâcha à
Malte .
-
Les marques de valeur qu'Osman avoit
données dans l'action, ou plutôt la déposition
que firent sans doute les autres Passagers
,qu'il étoit chargé d'une commission
secrete du Grand Seigneur , et l'espérance
d'en tirer une grosse rançon , le firent distinguer
parmi ses compagnons d'infortune;
cependant il n'étoit pas hors de danger
de ses blessures quand il arriva à Malte ;
celle de la Cuisse étoit la plus considérable
; il en est resté estropié ; et c'est delà
que lui est demeuré le nom ou le Sobriquet
de ( a ) Topal , suivant l'usage commun
des Turcs .
*
>
Aussi- tôt que le Corsaire fut entré dans
le Port , le Sr Vincent Arniaud dit
' Hardy , natif de Marseille , qui étoit
alors Capitaine de Port à Malte , se transporta
à bord du Bâtiment , suivant le devoir
de sa Charge. Il y vit le malheureux
Aga enchaîné , qui lui fit une proposision
bien singuliere,
Fais une belle action , lui dit Topal ,
rachette - moi , tu n'y perdras rien. Arniaud
surpris de la proposition , deman .
da au Capitaine Corsaire ce qu'il pré-
( a ) Boiteux,
ten8
MERCURE DE FRANCE
tendoit pour la rançon de cet Esclave. Il:
me faut mille Sequins ( a ) , répondit le
Corsaire . Arniaud se retournant vers
Osman , lui dit : Je te vois pour la premiere
fois de ma vie , je ne te connois
point , et tu me proposes de donner sur ,
ta parole mille Sequins pour ta rançon .
Nous faisons l'un et l'autre ce qu'il nous
convient de faire, reprit Osman . Quant à
moi je suis dans les fers , il est naturel
que je mette tout en usage pour obtenir
ma liberté ; pour toi , tu es en droit de te
défier de ma bonne foy ; je n'ai aucune
sureté à te donner que ma parole , et tu.
n'as aucune raison d'y conter ; cependant
si tu veux en courir les risques , je te le
répete encore , tu ne t'en repentiras pas.
Soit que l'air d'assurance , ou que la
Phisionomie du jeune Turc prévint Arniaud
en sa faveur, soit que la singularité
de l'avanture éloignât les soupçons qu'il.
auroit pû concevoir , le Capitaine de
Port sortit avec des dispositions favora
bles pour Topal Osman , et , ce qui est
peut être encore plus extraordinaire , la
réfléxion ne les détruisit pas.
Arniaud alla rendre compte au grand
( a ) Ily a plusieurs sortes de Sequins en Levant,
qui valent depuis six jusqu'à onze francs de notre
Monnoye.
MaîJANVIER.
1734. 79
Maître Perellos de ce qui concernoit son
ministere , revint à bord et convint de
600(a )Sequins Vénitiens avec le Corsaire,
pour le prix de la rançon de son Esclave ;
son nouveau Maître le fit aussi - tôt transporter
sur une Barque Françoise, à lui ар-
partenante,où il lui envoya un Médecin ,
un Chirurgien et tous les secours neces
saires.Osman se vit bien tôt hors de danger.
Il proposa alors à son bienfaicteur
d'écrire en Levant pour se faire rembourser
de ce qu'il lui devoit. Mais comblé
des bienfaits de son nouveau Patron , il
ne crut pas abuser de sa générosité en lui
demandant une nouvelle grace . C'étoit de
le renvoyer sur sa parole et de s'en remettre
pour le tout entierement à sa
bonne foy.
Arniaud ne fut pas genereux à demi
et rencherit encore sur la demande de son
Esclave ; après lui avoir fait toutes sortes
de bons traitemens , il lui donna cette
même Barque , sur laquelle il l'avoit fait
transporter, pour en disposer à sa volonté,
et se faire conduire où bon lui sembleroit.
Osman arrivé à Malte Esclave , et racheté
le jour même , en partit huit jours
après sur un Bâtiment à ses ordres . Le
(a ) Le Sequin Vénitien vaut aujourd'hui environ
11 liv. quelques sols, Monnoye de France.
Pa80
MERCURE DE FRANCE
Pavillon François le mettoit à l'abri
des Corsaires . Il arriva heureusement
à Damiette d'où il remonta le Nil jusqu'au
Caire . Le lendemain de son arrivée
il fit compter mille Sequins au Capitaine
au
de la Barque pour être remis à son libérateur,
il y joignit deux Pelisses ( a) dè la valeur
de soo piastres , ( b ) dont il fit présent
au Capitaine . Il exécuta la commission
du Grand Seigneur , repartit pour
en aller rendre compte, arriva à Constantinople
et fut lui - même le porteur de la
nouvelle de son Esclavage.
pas
à
La reconnoissance d'Osman ne se borna
ses premiers mouvements : pendant
plusieurs années de séjour qu'il fit du
côré de Larta en Albanie où ses emplois
l'appellerent, il continua d'en donner des
preuves à son bienfaicteur , et entretint
avec lui un commerce non interrompu
de lettres et de présents.
On peut même dire que sa reconnoissance
s'étendit sur toute la Nation Françoise
; puisque depuis son avanture il n'a
laissé échaper aucune rencontre où il n'ait
donné à tous les François , qui ont eu affaire
à lui, des marques d'une bienveillance
particuliere .
( a ) Robes Fourrées .
( b ) La Piastre courante du Levant , vaut aujourd'hui
3 livres quelques sols Monnoye de France.
Les
JANVIER 1734 81
Les occasions avoient manqué jusqu'a
lors à Osman de se faire connoître et de
pousser sa fortune . La Guerre s'étant depuis
declarée entre les Venitiens et les
Turcs , le Grand Visir Aly Pacha , qui
méditoit l'invasion de la Morée , assembla
son Armée dans le voisinage de
l'Isthme de Corinthe , qui joint la Morée
au continent et le seul passage qui
puisse donner entrée par terre dans cette
presqu'Isle.
>
Tous les differents corps de Troupes
qui devoient composer l'Armée Ottomane
, se rendirent de toutes les Provinces
de l'Empire au lieu et au jour marqués
le seul Cara Mustapha Pacha ,. qui commandoit
un Corps de trois mille hommes
, arriva trois jours trop tard au rendez-
vous de l'Armée : il lui en couta la
vie , le Visir lui ayant fait trancher la
tête.
Sur ces entrefaites , Topal-Osman brulant
du désir de se signaler , vint se présenter
au Visir à la tête de mille hommes
qu'il avoit levez et pris à sa solde sans
avoir reçu aucun ordre; et le jour destiné
à l'attaque du défilé du Pas de Corinthe ,
il s'offrit de marcher le premier, et se
chargea de forcer le passage avec sa troupe
; son offre fut acceptée. Peut être la
E terreur
82 MERCURE DE FRANCE
terreur et la consternation generale qui
s'étoient répandues à l'approche d'une
Armée formidable , ne laisserent- t'elle pas à
Topal-Osman tout le merite d'une victoi
re achetée cherement ; quoiqu'il en soit,il
força le défilé , et emporta d'emblée la
Ville de Corinthe. Il reçut du Grand
Visir pour récompense les deux queues
de Pacha , et tous les Equipages de l'infortuné
Cara Mustapha.
Osman ne resta pas en si beau chemin,
et les occasions ne manquant plus à son
courage , il se distingua par
de nouveaux
exploits dont le détail nous meneroit
trop loin. L'année suivante , au Siége de
Corfou il servit en second, et fit les fonctions
de Licutenant General.
Ce fut alors qu'il fit voir que sa prudence
égaloit sa valeur ; le Siége ayant
été abandonné , Osman demeura trois
jours devant la Place depuis le départ du
General , pour favoriser la retraite des
Troupes Ottomanes ; il donna les ordres
necessaires avec toute la présence d'esprit
possible , et ne se retira qu'après avoir mis
l'Armée en sûreté.
Il étoit tems qu'un homme de cette
trempe commandât à son tour ; adoré
des troupes , la voix publique l'appelloit
au Generalat ; mais plus il se distinguoit
entre
JANVIER 89 173 4.
entre ses pareils , plus il faisoit de jaloux ,
qui bientôt étoient autant d'ennemis.
Tel est , à la honte de l'humanité et en
tout Pays , l'effet ordinaire d'un merite
superieur , mais dont les conséquences ne
sont nulle part si dangereuses qu'en Turquic.
C'est à ce tems vrai-semblablement que
doit se raporter un évenement de la vie
d'Osman qui pensa le perdre , et dont
je ne retrouve qu'une note ; je l'ai entendu
raconter au Sr Arniaud fils , avec plusieurs
circonstances qui me sont échapées
; mais il est obmis dans le Mémoire
qu'il m'a laissé qui fut fait avec précipitation
et presque au moment de son départ.
,
se
Topal - Osman par des raisons qui ne
pouvoient que lui faire honneur
broüilla avec un Pacha plus puissant que
lui , peut-être avec ce même General
qu'il avoit si utilement remplacé au Siége
de Corfou . Sa tête fut proscrite et ses
biens confisquez : il fallut céder à l'orage,
il se déroba par la fuite à la fureur de son
ennemi ; déguisé et inconnu , abandonné
des siens , il se rendit à Salonique , où il
demeura caché quelque tems . Delà sous
l'habit et l'apparence d'un simple ( a ).
( a ) Soldat de Marine Turc.
E ij
Léventi
84 MERCURE DE FRANCE
Léventi , Il s'embarqua sur une Galere et
passa à Constantinople. Pendant qu'il
agissoit sous main , sans oser paroître , es
qu'il employoit ses amis pour obtenir sa
grace , son ennemi fut déposé. C'étoit le
plus grand obstacle à la justification
d'Osman : elle fut éclatante et solemnelle.
Il fut renvoyé dans la possession de tous
ses biens , et ce fut à peu près dans ce
tems qu'il fut nommé Seraskier ου
Generalissime en Morée.
›
Tous les Consuls étant venus le saluer
en cette qualité , il donna à la Nation
Françoise les témoignages les plus marquez
de bienvaillance et de protection .
chargea les Consuls François d'écrire à
Malte au Capitaine Arniaud , pour lui
faire part de sa nouvelle dignité , et le
prier de lui envoyer un de ses fils , dont
il se voyoit en état de faire la fortune.
Un des fils d'Arniaud , celui - la même
qui a fourni ces Mémoires , se rendit
effectivement en Morée ; et pendant deux
ou trois ans qu'il demeura auprès du
Seraskier, celui - ci, tant par les dons qu'il
lui fit , que par les facilitez et les avanta
ges qu'il lui procura pour son commerce,
le mit effectivement à portée de faire des
gains considérables dont les occasions furent
négligées par le jeune homme , alors
plus
JANVIER.
1734 83
plus occupé de ses plaisirs que du soin de
sa fortune.
Topal-Osman croissant en dignitez à
mesure que son mérite devenoit plus
connu , fut fait Pacha à trois queües , et
nommé Beglier-Bey de Romelie , un des
deux plus grands Gouvernements de
l'Empire , lequel par sa proximité de la
Frontiere de Hongrie est un poste encore
plus important.
་
En 1727. le Capitaine Arniaud , âgé
de soixante et sept ans , passa avec son
fils à Salonique , et alla voir le Beglier
Bey à Nysse où il faisoit sa résidence . Ils
en reçurent l'accueil le plus favorable et
le plus tendre ; il déposa en leur présen ,
ce le faste de sa dignité , les embrassa
leur fit servir le Sorbet et le Parfum , et
les fit asseoir sur le Sopha , faveur singuliere
de la part d'un Pacha du premier
ordre , sur tout quand elle est accordée à
un Chrétien. Il les combla d'honneurs et
de présents , et leur voyage leur valut
plus de 15000 livres. En prenant congé
du Pacha , son ancien Patron lui dit qu'il
esperoit bien avant que de mourir l'aller
saluer à Constantinople en qualité de
Grand Visir ; c'étoit plutôt alors un
souhait qu'une espérance , l'évenement
en a fait une prédiction.
E iij
Le
36 MERCURE DE FRANCE
Le Grand Visir Ibrahim Pacha après
avoir joüi douze ou treize ans tranquillement
d'une dignité jusques - là si orageuse,
périt cruellement comme tout le monde
sçait dans la Révolution de 1730. ( a )
En moins d'un an il eut trois successeurs.
Au mois de Septembre 1731 , Topal-
Osman fut appellé pour remplir à son
tour un poste dangereux par lui- même ,
et devenu plus délicat dans les circonstances
présentes . Il ignoroit encore quelle
place lui étoit destinée ; lorsqu'étant
en chemin pour se rendre à Constantinople
, il fit écrire à Malte par le Consul
Francois de Salonique et mander au Capitaine
Arniaud qu'il pouvoit lui et ses
enfans venir trouver Topal-Osman en
quelque lieu du monde que la fortune
l'appellât. Après son arrivée à Constantinople
il fit prier l'Ambassadeur de
France d'écrire de nouveau et d'inviter
son ancien Patron à le venir voir ; lui
recommandant de ne point perdre de
tems, parce qu'un Grand Visir pour l'ordinaire
ne demeuroit pas long- tems en
place.
Arniaud profita de l'avis ; il vint à
Constantinople avec son fils au mois de
( a ) Voyez le Supplement du Mercure d'Avri
1731
JanJANVIER.
1734 87
Janvier 1732. Aussi - tôt que le Visir fut
informé de leur arrivée , il leur envoya
un Officier de confiance , leur dire qu'il
leur donneroit Audiance le lendemain.
après midi. On pensoit qu'il les recevroit
en particulier , pour ne point commettre
sa dignité en faisant à des Chrétiens
un accueil qui pourroit indisposer les
Grands de la Porte , sur tout dans un
tems où la fermentation des esprits se
ressentoit encore des troubles de la derniere
Révolution. Les deux François se
rendirent le lendemain au Palais du Grand
Visir, à l'heure marquée, avec les présents
qu'ils lui avoient aportés de Malte, consistant
en plusieurs Caisses d'Oranges ,
Citrons , Bergamotes , &c. diverses sor
tes de Confitures , des Orangers chargez
de feuilles et de fleurs , des Serins dé
Canarie dont les Turcs sont fort curieux ,
et ce qui l'emportoit sur tout le reste ,
en douze Turcs rachetez de l'esclavage à
Malte.
Tous ces présents , par ordre du Visir ,
furent rangez et exposez à la vûë. Le
vieux Arniaud âgé de soixante et douze
ans , accompagné de son fils , fut introduit
devant le Grand Visir. Il les reçût
en présence des plus grands Officiers de
l'Empire , avec les témoignages de la plus
E iiij
tendre
38 MERCURE DE FRANCE
tendre affection . Vous voyez , dit - il , en
adressant la parole aux Turcs qui l'environnoient
, et leur montrant les Esclaves
rachetez, vous voyez vos freres qui jouissent
de la liberté après avoir langui dans
l'esclavage : ce François est leur libérareur
. J'ai été esclave comme eux
ajouta-t'il , j'étois chargé de chaînes
percé de coups , couvert de blessures ,
voilà celui qui m'a racheté , qui m'a sauvé
; voilà mon Patron : liberté , vie
fortune , je lui dois tout. Il a payé sans
e connoître mille Sequins pour ma rançon.
Il m'a renvoyé sur ma parole ; il m'a
donné un Vaisseau pour me conduire ou
je voudrois :où est,même le Musulman ,capable
d'une pareille action de génerosité?
Tous les assistants avoient les yeux tournez
sur le vieillard qui tenoit les mains
du Grand Visir embrassées .Tous les Officiers
de ce Ministre , tous les gens de sa
maison se disoient les uns aux autres
voilà l'Aga ( a ) le Patron du Visir; voilà
celui qui a racheté notre Maître.
Cinq ans auparavant Osman étant Pacha
de Nysse , n'avoit pas voulu permettre
que son ancien Patron lui baisât
la main. Devenu Grand- Visir , il souf-
( a ) Les Esclavos Tures appellens leur Maître
tum Aga.
frit
JANVIER 1734 89
frit cette marque de respect et de soumission
, et crut devoir en agir ainsi
sur tout en présence des Grands de l'Empire
, pour qui c'eût été une faveur ,
eux qui se trouvent honorez de baiser
le bas de la veste d'un Grand Visir , et
dont plusieurs même murmuroient en
secret de l'honneur que celui- cy faisoit
à de vils Ghiaours . (a)
,
Le Visir fit ensuite au Pere et au Fils
diverses questions sur l'état présent de leur
fortune et sur les pertes qu'ils avoien
essuyées dans leur commerce. Après avoir
écouté leurs réponses avec bonté , il répliqua
par une Sentence Arabe Allah-
Kerim , qui signifie à la lettre , Dleu est
liberal , et dans un sens plus étendu , la
Providence de Dieu est grande ; elle m'a
mis en état , ajoûta - t'il , d'adoucir votre
situation. Il fit ensuite devant eux la
destination de leurs présents , dont il
envoya sur le champ la plus grande partie
au Grand- Seigneur , à la Validé ¯ ( b)
et au Kislar- Agă, ( c)
Les deux François , comblez des cares-
(a) Ghiaours est un terme de mépris dont les
Tures se servent pour désigner ceux qui ne sont pas
Musulmans.
(b) Sultane Mere.
(c) Chef des Eunuques noirs.
E v se
90 MERCURE DE FRANCE
•
ses du Grand-Visir , prirent congé de lui.
Il avoit donné ordre de leur préparer
un Appartement dans son Palais ; il leur
fit quelques reproches en apprenant qu'ils
retournoient au Palais de France ; il chargea
l'Interprete de les recommander de
sa part à M. l'Ambassadeur , en le faisant
assurer qu'il lui auroit obligation
de tout ce qu'il feroit pour eux.
Il y a assurément de la grandeur d'ame
dans la peinture que Topal- Osman fit
de son Esclavage et dans l'aveu public
de son humiliation et des obligations
qu'il avoit à son Libérateur ; mais il faudroit
connoître le profond mépris et le
fond d'éloignement que les préjugez de
la Religion et de l'éducation inspirent
aux Turcs pour tout ce qui n'est point
Musulman , et en particulier pour les
Chrétiens , pour sentir toute la beauté
et la noblesse de cette action , qui se passa
aux yeux de toute sa Cour.
Le Fils du Visir reçut ensuite le Pere et le
Fils en particulier dans son Appartement,
où il ne garda aucunes mesures. Il les
embrassa l'un et l'autre, les traita avec la
même familiarité qu'avoit fait son Pere
étant Pacha de Nysse , et leur fit promettre
de le venir voir souvent.
Ils eurent peu de temps avant leur départ
JANVIER. 1734- 91
part une autre Audiance particuliere du
Visir , où ce Ministre n'ayant plus de
bienséance à observer , oublia son rang
pour ne plus se souvenir que de ce qu'il
devoit à son Bienfaicteur. Il lui avoit
déja fait rembourser liberalement la rançon
des douze Esclaves , et procuré le
payement d'une ancienne dette regardée
comme perdue. Il y ajoûta de nouveaux
présents en argent , et un Commandement
ou permission expresse pour faire
gratis à Salonique , un chargement de
bled , sur lequel il y avoit un profit à
faire d'autant plus considerable que ce
commerce étoit interdit aux Etrangers
depuis plusieurs années. Cette gratifica
tion montoit à plus de dix mille écus .
Le Visir , qui eût voulu mesurer sa libé
ralité sur sa reconnoissance , qui étoit'sans
bornes, leur fit entendre qu'il ne pouvoit
pas faire tout ce qu'il vouloit, et peut - être
n'en faisoit- il déja que trop aux yeux de
ceux qui ne jugent des actions d'un Ministre
que par leur interêt particulier.
Il fit ressouvenir Arniaud le fils de son
voyage en Morée , et du temps où il n'avoit
tenu qu'à lui de faire une grande
fortune par les occasions qu'il lui avoit
procurées. Il finit par leur dire qu'un
Pacha étoit le Maître dans son Gouverne
E vi
ment
92 MERCURE DE FRANCE
ment , mais qu'un Visir à Constantinople
avoit un plus grand Maître que lui .
Topal- Osman , par sa vigilance et sæ
fermeté, avoit remis l'abondance , le bon
ordre et la Police dans Constantinople ,
où depuis la Révolution jusqu'à son Ministere
, la licence et le desordre n'avoient
pû être réprimez , et où la disette
et la cherté des vivres étoient excessives.
Quoiqu'on lui ait reproché une trop
grande séverité, il est de fait qu'il n'a condamné
à mort même les plus vils et les plus
séditieux des mutins , que sur le Fetfa (a)
du Mufti. Peut-être dans les conjonctures
présentes un homme de ce caractére étoitil
nécessaire pour prévenir une nouvelle
révolte et rétablir la tranquillité publique;
ce qu'il y a de certain , et qui est bien à
son honneur , c'est qu'il fut regretté de
tous les gens de bien et des bons Citoyens,
lorsqu'il fut ôté de place au mois de
Mars 1732.
On ne sçut pas bien , du moins alors ,
les véritables motifs de sa déposition .
Un mois auparavant les bruits publics
l'avoient annoncée pour le temps précis
où elle arriva : elle avoit été précedée de
quelques jours par celle du Mufti , qui
(a) Sorte de consultation du Mufti , qui décide
suivant la Loy , de la peine duë au coupable.
avoit
JANVIER. 1734. 93
avoit opiné pour la Paix , ainsi que le
Visir dans le Conseil extraordinaire, tenu
depuis peu au sujet des affaires de Perse ;
l'un et l'autre avoient insisté fortement sur
la nécessité de ratifier le Traité conclu par
Achmet-Pacha , Gouverneur de Bagdad,
en vertu de son plein pouvoir. La déposition
de ces deux Ministres fut regardée
, avec raison , comme un mistere de
politique ; car il faut avouer que tout
ce qu'on en dit dans le temps ne passoit
pas la conjecture.
Topal - Osman , qui avoit dès longtemps
prévû ce revers , le soutint avec
la plus parfaite tranquillité. En sortant
du Serrail , après avoir remis le Sceau de
l'Empire , il trouva toutes ses Créatures
et tous les Gens de sa Maison abatus et
consternez : de quoi vous affligez - vous ,
leur dit - il , ne vous ai-je pas dit qu'un
Visir ne restoit pas long- temps en place ?
Toute mon inquiétude étoit de sçavoir
comment j'en sortirois ; grace à Dieu on
n'a rien à me reprocher ; le Sultan est satisfait
de mes services ; je pars tranquille.
et content.
Il donna ensuite ses ordres pour un
Sacrifice (a) d'actions de graces , distri-
(a) Cette coûtume est pratiquée parmi les Turcs
en certaines occasions , comme pour obtenir un heureux
succès , &c.
94 MERCURE DE FRANCE
bua de l'argent à ses Domestiques et leur
ordonna de se réjouir . Il se ressouvint
aussi dans ce moment de son Bienfaicteur
, en prévoyant le chagrin que cet
évenement lui causeroit. Qu'on lui dise
qu'il se console , ajoûta- t'il , je ne désespere
pas de le revoir encore , dites lui
qu'il me retrouvera toujours; qu'on écrive
à Salonique, que l'on soit exact à lui donner
la quantité de bled que j'ai ordonné ;
si j'apprends qu'il en manque une mesure
, je ferai voir que je ne suis pas mort. Il
donna quelques autres ordres concernant
ses affaires domestiques et partit pour Trébisonde
, dont il avoit été nommé Pacha.
Si la reconnoissance , toute naturelle
qu'elle est aux coeurs genereux, passe pour
une vertu rare sur tout chez les Grands , il
faut convenir qu'elle reçoit ici un nouvel
éclat par la circonstance et le moment
où Topal - Osman rappella le souvenir de
son Bienfaicteur.
Jamais déposition de Visir n'eut moins
Fair d'une disgrace ; il n'y a point d'exemple
qu'un Ministre disgracié ait été
traité avec autant d'égards et de distinction.
Le Grand- Seigneur lui fit dire de
laisser son fils à Constantinople et qu'il
en prendroit soin ; et quatre jours après
ce même fils eut l'honneur de présenter
JANVIER 1734 99
à Sa Hautesse le présent qui lui avoit été
destiné par son Pere , pour le jour de Bayram.
(a) Il consistoit en un Harnois de
Cheval, enrichi de Pierreries , estimé 50000
Piastres ; c'est ce que Topal Osman avoit
en partant expressément recommandé à
son fils ; quoique , n'étant plus en place ,
il eût pû se dispenser de faire le présent
qu'il avoit fait préparer en qualité
de Grand- Visir.
•
Peu de jours après il reçut sur sa route
de nouveaux ordres pour aller commander
en Perse , à la Place d'Ali Pacha´, qui
venoit d'être nommé Grand- Visir à la
sienne. Osman alla tranquillement relever
son Successeur au Visiriat , dans
le poste de Séraskier , où il a rendu depuis
deux ans à sa Patrie des services
peut- être plus importants qu'il n'auroit
pû faire , s'il fût demeuré Grand - Visir ,
puisque non-seulement il a trouvé le secret
de soutenir une guerre difficile dans
un Pays désert et ruiné , à quatre cent
lieues de la Capitale , le plus souvent dénué
des secours d'argent , d'hommes , de
vivres et de munitions ; mais encore qu'il
a remporté une victoire complette (b)
(a ) Fête solemnelle des Turcs , pendant laquelle
ils se font des présens .
(b) Le 19. Juillet 1733 •
en
96 MERCURE DE FRANCE
en bataille rangée sur un Ennemi ( a) digne
de lui , battu les Persans en trois rencontres
, (b) et humilié l'orgueil de leur
fier General .
sur quelques particularitez de la vie de
Topal Osman Pacha , cy-devant Grand
Visir de l'Empire Ottoman , et aujour
d'hui Séraskier de l'Armée Turque en
Perse . A Paris , ce 18 Janvier 1734.
V
Ous avez jugé , Monsieur , que
dans les circonstances présentes où
les affaires d'Asie ont plus de liaison que
jamais avec celles d'Europe , ce seroit
un objet interessant pour le Public , que
la
74 MERCURE DE FRANCE
la vie et les avantures de Topal Osman
qui jouë aujourd'hui un si grand rôle .
Je crois que l'Auteur de la Rela .
tion de la Révolution arrivée en 1730. à
Constantinople n'a pas abandonné le
dessein où je l'ai vu, d'écrire cette vie, véritablement
digne de la curiosité du Public
. Personne n'est plus capable que lui
de bien exécuter ce projet; et s'il est aussi
bien servi par ceux qui sont à portée de
lui procurer des Mémoires , que je le
connois exact et ami de la verité ; nous
verrons dans un même Ouvrage la singularité
du Roman , unie à la plus scru
puleuse fidelité dans les faits historiques.
En attendant , je me fais un vrai plaisir
, Monsieur , de vous faire part de
quelques traits de la vie du Général
Turc dont je suis exactement informé . Le
Sr Arniaud , celui-la même qui racheta
Topal Osman d'esclavage à Malte , il y
a environ trente- cinq ans , vint en 1732 .
à Constantinople avec son fils ,saluer son
ancien Esclave , devenu Grand Visir.J'ai
entendu plus d'une fois raconter au pete
et au Fils ce qu'ils sçavoient de son histoire.
Le Fils a même bien voulu , à ma
priere , mettre par écrit ce qu'il a pû s'en
rappeller, et m'en laisser le Mémoire que
je
JANVIER. 1734. 75
je conserve , écrit de sa main. Ce qui suit
est tiré de ce Mémoire. J'y ai joint
quelques circonstances que je lui ai entendu
conter , ou à son Pere, et j'ai ajouté
les faits dont j'ai eu connoissance
pendant mon séjour à Constantinople ,
concernant l'arrivée du Sr Arniaud , son
Audiance du Visir , la déposition de ce
Ministre , &c. tous faits qui se sont passez
presque sous mes yeux ; mais dont
je ne garantis cependant pas la verité
quelque attention que j'aye eu à consulter
les témoins oculaires autant que je
l'ai pû , et à ne rapporter icy que ce que
je trouve sur un Journal , écrit dans le
temps.
Osman avoit reçu dans le Sérail du
Grand Seigneur l'éducation qui n'étoit
autrefois destinée qu'aux Enfans de Tribut
, ( a ) Chrétiens de naissance . Les
Turcs ont depuis brigué ces Places pour
leurs propres Enfans , ensorte qu'aujour
d'hui presque tous les Eleves du Sérail
sont de race Turque .
En 1698 ou 99. à l'âge de 25 ans ou
environ, Osman Aga sortit du Sérail, où il
exerçoit l'emploi de (b) Martolos Bachi.
( a ) Voyez Ricaut, Etat présent de l'Empire Ot
toman.
(b ) Intendant des Voitures.
7
N
6 MERCURE DE FRANCE
Il étoit porteur d'un Ordre du Grand Sergneur
, et chargé d'une commission pour
aller remettre quelques Beys du Čaire
dans la possession de leurs biens , dont
ils avoient été destituez pendant ces troubles
qui sont si fréquents en Egypte. I
prit sa route par terre jusqu'à Seyde , où
pour éviter la rencontre des Arabes qui
infestoient le Païs , il fut obligé de s'embarquer
sur une ( a ) Saïque , qui passoit
à Damiette . Dans ce, court trajet la Saïque
fut malheureusement rencontrée par
une Barque Espagnole , armée en course
à Maïorque. Quoique la partie ne fut pas
égale , le désir de conserver leurs biens
et leur liberté , fit faire les derniers ef
fort aux Passagers et à l'équipage ; ils se
deffendirent en désesperez ; l'abordage
fut sanglant. Osman s'y signala par cette
intrépidité dont il a depuis donné des
preuves en tant de rencontres ; si la valeur
de tous eut été égale à la sienne
peut-être eussent ils évité l'esclavage . Enfin
il fallut céder au nombre . Osman
Aga , percé de coups , blessé dangereusement
au bras et à la cuisse , fut pris les
armes à la main . Le Corsaire , dont le Bâtiment
avoit souffert dans le combat
( a ) Sorte de Bâtiment de Levant , propre an
ransport des Marchandises,
soit
JANVIER . 1734.
77
soit qu'il eut besoin de se raccommoder ,
ou pour quelque autre raison , relâcha à
Malte .
-
Les marques de valeur qu'Osman avoit
données dans l'action, ou plutôt la déposition
que firent sans doute les autres Passagers
,qu'il étoit chargé d'une commission
secrete du Grand Seigneur , et l'espérance
d'en tirer une grosse rançon , le firent distinguer
parmi ses compagnons d'infortune;
cependant il n'étoit pas hors de danger
de ses blessures quand il arriva à Malte ;
celle de la Cuisse étoit la plus considérable
; il en est resté estropié ; et c'est delà
que lui est demeuré le nom ou le Sobriquet
de ( a ) Topal , suivant l'usage commun
des Turcs .
*
>
Aussi- tôt que le Corsaire fut entré dans
le Port , le Sr Vincent Arniaud dit
' Hardy , natif de Marseille , qui étoit
alors Capitaine de Port à Malte , se transporta
à bord du Bâtiment , suivant le devoir
de sa Charge. Il y vit le malheureux
Aga enchaîné , qui lui fit une proposision
bien singuliere,
Fais une belle action , lui dit Topal ,
rachette - moi , tu n'y perdras rien. Arniaud
surpris de la proposition , deman .
da au Capitaine Corsaire ce qu'il pré-
( a ) Boiteux,
ten8
MERCURE DE FRANCE
tendoit pour la rançon de cet Esclave. Il:
me faut mille Sequins ( a ) , répondit le
Corsaire . Arniaud se retournant vers
Osman , lui dit : Je te vois pour la premiere
fois de ma vie , je ne te connois
point , et tu me proposes de donner sur ,
ta parole mille Sequins pour ta rançon .
Nous faisons l'un et l'autre ce qu'il nous
convient de faire, reprit Osman . Quant à
moi je suis dans les fers , il est naturel
que je mette tout en usage pour obtenir
ma liberté ; pour toi , tu es en droit de te
défier de ma bonne foy ; je n'ai aucune
sureté à te donner que ma parole , et tu.
n'as aucune raison d'y conter ; cependant
si tu veux en courir les risques , je te le
répete encore , tu ne t'en repentiras pas.
Soit que l'air d'assurance , ou que la
Phisionomie du jeune Turc prévint Arniaud
en sa faveur, soit que la singularité
de l'avanture éloignât les soupçons qu'il.
auroit pû concevoir , le Capitaine de
Port sortit avec des dispositions favora
bles pour Topal Osman , et , ce qui est
peut être encore plus extraordinaire , la
réfléxion ne les détruisit pas.
Arniaud alla rendre compte au grand
( a ) Ily a plusieurs sortes de Sequins en Levant,
qui valent depuis six jusqu'à onze francs de notre
Monnoye.
MaîJANVIER.
1734. 79
Maître Perellos de ce qui concernoit son
ministere , revint à bord et convint de
600(a )Sequins Vénitiens avec le Corsaire,
pour le prix de la rançon de son Esclave ;
son nouveau Maître le fit aussi - tôt transporter
sur une Barque Françoise, à lui ар-
partenante,où il lui envoya un Médecin ,
un Chirurgien et tous les secours neces
saires.Osman se vit bien tôt hors de danger.
Il proposa alors à son bienfaicteur
d'écrire en Levant pour se faire rembourser
de ce qu'il lui devoit. Mais comblé
des bienfaits de son nouveau Patron , il
ne crut pas abuser de sa générosité en lui
demandant une nouvelle grace . C'étoit de
le renvoyer sur sa parole et de s'en remettre
pour le tout entierement à sa
bonne foy.
Arniaud ne fut pas genereux à demi
et rencherit encore sur la demande de son
Esclave ; après lui avoir fait toutes sortes
de bons traitemens , il lui donna cette
même Barque , sur laquelle il l'avoit fait
transporter, pour en disposer à sa volonté,
et se faire conduire où bon lui sembleroit.
Osman arrivé à Malte Esclave , et racheté
le jour même , en partit huit jours
après sur un Bâtiment à ses ordres . Le
(a ) Le Sequin Vénitien vaut aujourd'hui environ
11 liv. quelques sols, Monnoye de France.
Pa80
MERCURE DE FRANCE
Pavillon François le mettoit à l'abri
des Corsaires . Il arriva heureusement
à Damiette d'où il remonta le Nil jusqu'au
Caire . Le lendemain de son arrivée
il fit compter mille Sequins au Capitaine
au
de la Barque pour être remis à son libérateur,
il y joignit deux Pelisses ( a) dè la valeur
de soo piastres , ( b ) dont il fit présent
au Capitaine . Il exécuta la commission
du Grand Seigneur , repartit pour
en aller rendre compte, arriva à Constantinople
et fut lui - même le porteur de la
nouvelle de son Esclavage.
pas
à
La reconnoissance d'Osman ne se borna
ses premiers mouvements : pendant
plusieurs années de séjour qu'il fit du
côré de Larta en Albanie où ses emplois
l'appellerent, il continua d'en donner des
preuves à son bienfaicteur , et entretint
avec lui un commerce non interrompu
de lettres et de présents.
On peut même dire que sa reconnoissance
s'étendit sur toute la Nation Françoise
; puisque depuis son avanture il n'a
laissé échaper aucune rencontre où il n'ait
donné à tous les François , qui ont eu affaire
à lui, des marques d'une bienveillance
particuliere .
( a ) Robes Fourrées .
( b ) La Piastre courante du Levant , vaut aujourd'hui
3 livres quelques sols Monnoye de France.
Les
JANVIER 1734 81
Les occasions avoient manqué jusqu'a
lors à Osman de se faire connoître et de
pousser sa fortune . La Guerre s'étant depuis
declarée entre les Venitiens et les
Turcs , le Grand Visir Aly Pacha , qui
méditoit l'invasion de la Morée , assembla
son Armée dans le voisinage de
l'Isthme de Corinthe , qui joint la Morée
au continent et le seul passage qui
puisse donner entrée par terre dans cette
presqu'Isle.
>
Tous les differents corps de Troupes
qui devoient composer l'Armée Ottomane
, se rendirent de toutes les Provinces
de l'Empire au lieu et au jour marqués
le seul Cara Mustapha Pacha ,. qui commandoit
un Corps de trois mille hommes
, arriva trois jours trop tard au rendez-
vous de l'Armée : il lui en couta la
vie , le Visir lui ayant fait trancher la
tête.
Sur ces entrefaites , Topal-Osman brulant
du désir de se signaler , vint se présenter
au Visir à la tête de mille hommes
qu'il avoit levez et pris à sa solde sans
avoir reçu aucun ordre; et le jour destiné
à l'attaque du défilé du Pas de Corinthe ,
il s'offrit de marcher le premier, et se
chargea de forcer le passage avec sa troupe
; son offre fut acceptée. Peut être la
E terreur
82 MERCURE DE FRANCE
terreur et la consternation generale qui
s'étoient répandues à l'approche d'une
Armée formidable , ne laisserent- t'elle pas à
Topal-Osman tout le merite d'une victoi
re achetée cherement ; quoiqu'il en soit,il
força le défilé , et emporta d'emblée la
Ville de Corinthe. Il reçut du Grand
Visir pour récompense les deux queues
de Pacha , et tous les Equipages de l'infortuné
Cara Mustapha.
Osman ne resta pas en si beau chemin,
et les occasions ne manquant plus à son
courage , il se distingua par
de nouveaux
exploits dont le détail nous meneroit
trop loin. L'année suivante , au Siége de
Corfou il servit en second, et fit les fonctions
de Licutenant General.
Ce fut alors qu'il fit voir que sa prudence
égaloit sa valeur ; le Siége ayant
été abandonné , Osman demeura trois
jours devant la Place depuis le départ du
General , pour favoriser la retraite des
Troupes Ottomanes ; il donna les ordres
necessaires avec toute la présence d'esprit
possible , et ne se retira qu'après avoir mis
l'Armée en sûreté.
Il étoit tems qu'un homme de cette
trempe commandât à son tour ; adoré
des troupes , la voix publique l'appelloit
au Generalat ; mais plus il se distinguoit
entre
JANVIER 89 173 4.
entre ses pareils , plus il faisoit de jaloux ,
qui bientôt étoient autant d'ennemis.
Tel est , à la honte de l'humanité et en
tout Pays , l'effet ordinaire d'un merite
superieur , mais dont les conséquences ne
sont nulle part si dangereuses qu'en Turquic.
C'est à ce tems vrai-semblablement que
doit se raporter un évenement de la vie
d'Osman qui pensa le perdre , et dont
je ne retrouve qu'une note ; je l'ai entendu
raconter au Sr Arniaud fils , avec plusieurs
circonstances qui me sont échapées
; mais il est obmis dans le Mémoire
qu'il m'a laissé qui fut fait avec précipitation
et presque au moment de son départ.
,
se
Topal - Osman par des raisons qui ne
pouvoient que lui faire honneur
broüilla avec un Pacha plus puissant que
lui , peut-être avec ce même General
qu'il avoit si utilement remplacé au Siége
de Corfou . Sa tête fut proscrite et ses
biens confisquez : il fallut céder à l'orage,
il se déroba par la fuite à la fureur de son
ennemi ; déguisé et inconnu , abandonné
des siens , il se rendit à Salonique , où il
demeura caché quelque tems . Delà sous
l'habit et l'apparence d'un simple ( a ).
( a ) Soldat de Marine Turc.
E ij
Léventi
84 MERCURE DE FRANCE
Léventi , Il s'embarqua sur une Galere et
passa à Constantinople. Pendant qu'il
agissoit sous main , sans oser paroître , es
qu'il employoit ses amis pour obtenir sa
grace , son ennemi fut déposé. C'étoit le
plus grand obstacle à la justification
d'Osman : elle fut éclatante et solemnelle.
Il fut renvoyé dans la possession de tous
ses biens , et ce fut à peu près dans ce
tems qu'il fut nommé Seraskier ου
Generalissime en Morée.
›
Tous les Consuls étant venus le saluer
en cette qualité , il donna à la Nation
Françoise les témoignages les plus marquez
de bienvaillance et de protection .
chargea les Consuls François d'écrire à
Malte au Capitaine Arniaud , pour lui
faire part de sa nouvelle dignité , et le
prier de lui envoyer un de ses fils , dont
il se voyoit en état de faire la fortune.
Un des fils d'Arniaud , celui - la même
qui a fourni ces Mémoires , se rendit
effectivement en Morée ; et pendant deux
ou trois ans qu'il demeura auprès du
Seraskier, celui - ci, tant par les dons qu'il
lui fit , que par les facilitez et les avanta
ges qu'il lui procura pour son commerce,
le mit effectivement à portée de faire des
gains considérables dont les occasions furent
négligées par le jeune homme , alors
plus
JANVIER.
1734 83
plus occupé de ses plaisirs que du soin de
sa fortune.
Topal-Osman croissant en dignitez à
mesure que son mérite devenoit plus
connu , fut fait Pacha à trois queües , et
nommé Beglier-Bey de Romelie , un des
deux plus grands Gouvernements de
l'Empire , lequel par sa proximité de la
Frontiere de Hongrie est un poste encore
plus important.
་
En 1727. le Capitaine Arniaud , âgé
de soixante et sept ans , passa avec son
fils à Salonique , et alla voir le Beglier
Bey à Nysse où il faisoit sa résidence . Ils
en reçurent l'accueil le plus favorable et
le plus tendre ; il déposa en leur présen ,
ce le faste de sa dignité , les embrassa
leur fit servir le Sorbet et le Parfum , et
les fit asseoir sur le Sopha , faveur singuliere
de la part d'un Pacha du premier
ordre , sur tout quand elle est accordée à
un Chrétien. Il les combla d'honneurs et
de présents , et leur voyage leur valut
plus de 15000 livres. En prenant congé
du Pacha , son ancien Patron lui dit qu'il
esperoit bien avant que de mourir l'aller
saluer à Constantinople en qualité de
Grand Visir ; c'étoit plutôt alors un
souhait qu'une espérance , l'évenement
en a fait une prédiction.
E iij
Le
36 MERCURE DE FRANCE
Le Grand Visir Ibrahim Pacha après
avoir joüi douze ou treize ans tranquillement
d'une dignité jusques - là si orageuse,
périt cruellement comme tout le monde
sçait dans la Révolution de 1730. ( a )
En moins d'un an il eut trois successeurs.
Au mois de Septembre 1731 , Topal-
Osman fut appellé pour remplir à son
tour un poste dangereux par lui- même ,
et devenu plus délicat dans les circonstances
présentes . Il ignoroit encore quelle
place lui étoit destinée ; lorsqu'étant
en chemin pour se rendre à Constantinople
, il fit écrire à Malte par le Consul
Francois de Salonique et mander au Capitaine
Arniaud qu'il pouvoit lui et ses
enfans venir trouver Topal-Osman en
quelque lieu du monde que la fortune
l'appellât. Après son arrivée à Constantinople
il fit prier l'Ambassadeur de
France d'écrire de nouveau et d'inviter
son ancien Patron à le venir voir ; lui
recommandant de ne point perdre de
tems, parce qu'un Grand Visir pour l'ordinaire
ne demeuroit pas long- tems en
place.
Arniaud profita de l'avis ; il vint à
Constantinople avec son fils au mois de
( a ) Voyez le Supplement du Mercure d'Avri
1731
JanJANVIER.
1734 87
Janvier 1732. Aussi - tôt que le Visir fut
informé de leur arrivée , il leur envoya
un Officier de confiance , leur dire qu'il
leur donneroit Audiance le lendemain.
après midi. On pensoit qu'il les recevroit
en particulier , pour ne point commettre
sa dignité en faisant à des Chrétiens
un accueil qui pourroit indisposer les
Grands de la Porte , sur tout dans un
tems où la fermentation des esprits se
ressentoit encore des troubles de la derniere
Révolution. Les deux François se
rendirent le lendemain au Palais du Grand
Visir, à l'heure marquée, avec les présents
qu'ils lui avoient aportés de Malte, consistant
en plusieurs Caisses d'Oranges ,
Citrons , Bergamotes , &c. diverses sor
tes de Confitures , des Orangers chargez
de feuilles et de fleurs , des Serins dé
Canarie dont les Turcs sont fort curieux ,
et ce qui l'emportoit sur tout le reste ,
en douze Turcs rachetez de l'esclavage à
Malte.
Tous ces présents , par ordre du Visir ,
furent rangez et exposez à la vûë. Le
vieux Arniaud âgé de soixante et douze
ans , accompagné de son fils , fut introduit
devant le Grand Visir. Il les reçût
en présence des plus grands Officiers de
l'Empire , avec les témoignages de la plus
E iiij
tendre
38 MERCURE DE FRANCE
tendre affection . Vous voyez , dit - il , en
adressant la parole aux Turcs qui l'environnoient
, et leur montrant les Esclaves
rachetez, vous voyez vos freres qui jouissent
de la liberté après avoir langui dans
l'esclavage : ce François est leur libérareur
. J'ai été esclave comme eux
ajouta-t'il , j'étois chargé de chaînes
percé de coups , couvert de blessures ,
voilà celui qui m'a racheté , qui m'a sauvé
; voilà mon Patron : liberté , vie
fortune , je lui dois tout. Il a payé sans
e connoître mille Sequins pour ma rançon.
Il m'a renvoyé sur ma parole ; il m'a
donné un Vaisseau pour me conduire ou
je voudrois :où est,même le Musulman ,capable
d'une pareille action de génerosité?
Tous les assistants avoient les yeux tournez
sur le vieillard qui tenoit les mains
du Grand Visir embrassées .Tous les Officiers
de ce Ministre , tous les gens de sa
maison se disoient les uns aux autres
voilà l'Aga ( a ) le Patron du Visir; voilà
celui qui a racheté notre Maître.
Cinq ans auparavant Osman étant Pacha
de Nysse , n'avoit pas voulu permettre
que son ancien Patron lui baisât
la main. Devenu Grand- Visir , il souf-
( a ) Les Esclavos Tures appellens leur Maître
tum Aga.
frit
JANVIER 1734 89
frit cette marque de respect et de soumission
, et crut devoir en agir ainsi
sur tout en présence des Grands de l'Empire
, pour qui c'eût été une faveur ,
eux qui se trouvent honorez de baiser
le bas de la veste d'un Grand Visir , et
dont plusieurs même murmuroient en
secret de l'honneur que celui- cy faisoit
à de vils Ghiaours . (a)
,
Le Visir fit ensuite au Pere et au Fils
diverses questions sur l'état présent de leur
fortune et sur les pertes qu'ils avoien
essuyées dans leur commerce. Après avoir
écouté leurs réponses avec bonté , il répliqua
par une Sentence Arabe Allah-
Kerim , qui signifie à la lettre , Dleu est
liberal , et dans un sens plus étendu , la
Providence de Dieu est grande ; elle m'a
mis en état , ajoûta - t'il , d'adoucir votre
situation. Il fit ensuite devant eux la
destination de leurs présents , dont il
envoya sur le champ la plus grande partie
au Grand- Seigneur , à la Validé ¯ ( b)
et au Kislar- Agă, ( c)
Les deux François , comblez des cares-
(a) Ghiaours est un terme de mépris dont les
Tures se servent pour désigner ceux qui ne sont pas
Musulmans.
(b) Sultane Mere.
(c) Chef des Eunuques noirs.
E v se
90 MERCURE DE FRANCE
•
ses du Grand-Visir , prirent congé de lui.
Il avoit donné ordre de leur préparer
un Appartement dans son Palais ; il leur
fit quelques reproches en apprenant qu'ils
retournoient au Palais de France ; il chargea
l'Interprete de les recommander de
sa part à M. l'Ambassadeur , en le faisant
assurer qu'il lui auroit obligation
de tout ce qu'il feroit pour eux.
Il y a assurément de la grandeur d'ame
dans la peinture que Topal- Osman fit
de son Esclavage et dans l'aveu public
de son humiliation et des obligations
qu'il avoit à son Libérateur ; mais il faudroit
connoître le profond mépris et le
fond d'éloignement que les préjugez de
la Religion et de l'éducation inspirent
aux Turcs pour tout ce qui n'est point
Musulman , et en particulier pour les
Chrétiens , pour sentir toute la beauté
et la noblesse de cette action , qui se passa
aux yeux de toute sa Cour.
Le Fils du Visir reçut ensuite le Pere et le
Fils en particulier dans son Appartement,
où il ne garda aucunes mesures. Il les
embrassa l'un et l'autre, les traita avec la
même familiarité qu'avoit fait son Pere
étant Pacha de Nysse , et leur fit promettre
de le venir voir souvent.
Ils eurent peu de temps avant leur départ
JANVIER. 1734- 91
part une autre Audiance particuliere du
Visir , où ce Ministre n'ayant plus de
bienséance à observer , oublia son rang
pour ne plus se souvenir que de ce qu'il
devoit à son Bienfaicteur. Il lui avoit
déja fait rembourser liberalement la rançon
des douze Esclaves , et procuré le
payement d'une ancienne dette regardée
comme perdue. Il y ajoûta de nouveaux
présents en argent , et un Commandement
ou permission expresse pour faire
gratis à Salonique , un chargement de
bled , sur lequel il y avoit un profit à
faire d'autant plus considerable que ce
commerce étoit interdit aux Etrangers
depuis plusieurs années. Cette gratifica
tion montoit à plus de dix mille écus .
Le Visir , qui eût voulu mesurer sa libé
ralité sur sa reconnoissance , qui étoit'sans
bornes, leur fit entendre qu'il ne pouvoit
pas faire tout ce qu'il vouloit, et peut - être
n'en faisoit- il déja que trop aux yeux de
ceux qui ne jugent des actions d'un Ministre
que par leur interêt particulier.
Il fit ressouvenir Arniaud le fils de son
voyage en Morée , et du temps où il n'avoit
tenu qu'à lui de faire une grande
fortune par les occasions qu'il lui avoit
procurées. Il finit par leur dire qu'un
Pacha étoit le Maître dans son Gouverne
E vi
ment
92 MERCURE DE FRANCE
ment , mais qu'un Visir à Constantinople
avoit un plus grand Maître que lui .
Topal- Osman , par sa vigilance et sæ
fermeté, avoit remis l'abondance , le bon
ordre et la Police dans Constantinople ,
où depuis la Révolution jusqu'à son Ministere
, la licence et le desordre n'avoient
pû être réprimez , et où la disette
et la cherté des vivres étoient excessives.
Quoiqu'on lui ait reproché une trop
grande séverité, il est de fait qu'il n'a condamné
à mort même les plus vils et les plus
séditieux des mutins , que sur le Fetfa (a)
du Mufti. Peut-être dans les conjonctures
présentes un homme de ce caractére étoitil
nécessaire pour prévenir une nouvelle
révolte et rétablir la tranquillité publique;
ce qu'il y a de certain , et qui est bien à
son honneur , c'est qu'il fut regretté de
tous les gens de bien et des bons Citoyens,
lorsqu'il fut ôté de place au mois de
Mars 1732.
On ne sçut pas bien , du moins alors ,
les véritables motifs de sa déposition .
Un mois auparavant les bruits publics
l'avoient annoncée pour le temps précis
où elle arriva : elle avoit été précedée de
quelques jours par celle du Mufti , qui
(a) Sorte de consultation du Mufti , qui décide
suivant la Loy , de la peine duë au coupable.
avoit
JANVIER. 1734. 93
avoit opiné pour la Paix , ainsi que le
Visir dans le Conseil extraordinaire, tenu
depuis peu au sujet des affaires de Perse ;
l'un et l'autre avoient insisté fortement sur
la nécessité de ratifier le Traité conclu par
Achmet-Pacha , Gouverneur de Bagdad,
en vertu de son plein pouvoir. La déposition
de ces deux Ministres fut regardée
, avec raison , comme un mistere de
politique ; car il faut avouer que tout
ce qu'on en dit dans le temps ne passoit
pas la conjecture.
Topal - Osman , qui avoit dès longtemps
prévû ce revers , le soutint avec
la plus parfaite tranquillité. En sortant
du Serrail , après avoir remis le Sceau de
l'Empire , il trouva toutes ses Créatures
et tous les Gens de sa Maison abatus et
consternez : de quoi vous affligez - vous ,
leur dit - il , ne vous ai-je pas dit qu'un
Visir ne restoit pas long- temps en place ?
Toute mon inquiétude étoit de sçavoir
comment j'en sortirois ; grace à Dieu on
n'a rien à me reprocher ; le Sultan est satisfait
de mes services ; je pars tranquille.
et content.
Il donna ensuite ses ordres pour un
Sacrifice (a) d'actions de graces , distri-
(a) Cette coûtume est pratiquée parmi les Turcs
en certaines occasions , comme pour obtenir un heureux
succès , &c.
94 MERCURE DE FRANCE
bua de l'argent à ses Domestiques et leur
ordonna de se réjouir . Il se ressouvint
aussi dans ce moment de son Bienfaicteur
, en prévoyant le chagrin que cet
évenement lui causeroit. Qu'on lui dise
qu'il se console , ajoûta- t'il , je ne désespere
pas de le revoir encore , dites lui
qu'il me retrouvera toujours; qu'on écrive
à Salonique, que l'on soit exact à lui donner
la quantité de bled que j'ai ordonné ;
si j'apprends qu'il en manque une mesure
, je ferai voir que je ne suis pas mort. Il
donna quelques autres ordres concernant
ses affaires domestiques et partit pour Trébisonde
, dont il avoit été nommé Pacha.
Si la reconnoissance , toute naturelle
qu'elle est aux coeurs genereux, passe pour
une vertu rare sur tout chez les Grands , il
faut convenir qu'elle reçoit ici un nouvel
éclat par la circonstance et le moment
où Topal - Osman rappella le souvenir de
son Bienfaicteur.
Jamais déposition de Visir n'eut moins
Fair d'une disgrace ; il n'y a point d'exemple
qu'un Ministre disgracié ait été
traité avec autant d'égards et de distinction.
Le Grand- Seigneur lui fit dire de
laisser son fils à Constantinople et qu'il
en prendroit soin ; et quatre jours après
ce même fils eut l'honneur de présenter
JANVIER 1734 99
à Sa Hautesse le présent qui lui avoit été
destiné par son Pere , pour le jour de Bayram.
(a) Il consistoit en un Harnois de
Cheval, enrichi de Pierreries , estimé 50000
Piastres ; c'est ce que Topal Osman avoit
en partant expressément recommandé à
son fils ; quoique , n'étant plus en place ,
il eût pû se dispenser de faire le présent
qu'il avoit fait préparer en qualité
de Grand- Visir.
•
Peu de jours après il reçut sur sa route
de nouveaux ordres pour aller commander
en Perse , à la Place d'Ali Pacha´, qui
venoit d'être nommé Grand- Visir à la
sienne. Osman alla tranquillement relever
son Successeur au Visiriat , dans
le poste de Séraskier , où il a rendu depuis
deux ans à sa Patrie des services
peut- être plus importants qu'il n'auroit
pû faire , s'il fût demeuré Grand - Visir ,
puisque non-seulement il a trouvé le secret
de soutenir une guerre difficile dans
un Pays désert et ruiné , à quatre cent
lieues de la Capitale , le plus souvent dénué
des secours d'argent , d'hommes , de
vivres et de munitions ; mais encore qu'il
a remporté une victoire complette (b)
(a ) Fête solemnelle des Turcs , pendant laquelle
ils se font des présens .
(b) Le 19. Juillet 1733 •
en
96 MERCURE DE FRANCE
en bataille rangée sur un Ennemi ( a) digne
de lui , battu les Persans en trois rencontres
, (b) et humilié l'orgueil de leur
fier General .
Fermer
Résumé : LETTRE de M. D. L. C. à M. D. L. R. sur quelques particulartiez de la vie de Topal Osman Pacha, cy-devant Grand Visir de l'Empire Ottoman, et aujourd'hui Séraskier de l'Armée Turque en Perse. A Paris, ce 18 Janvier 1734.
La lettre de M. D.L.C. à M. D.L.R., datée du 18 janvier 1734, décrit la vie de Topal Osman Pacha, ancien Grand Visir de l'Empire Ottoman et alors Séraskier de l'Armée Turque en Perse. L'auteur souligne l'importance de partager les aventures de Topal Osman en raison des liens croissants entre les affaires d'Asie et d'Europe. Il mentionne un projet de biographie qui allierait la singularité du roman à la fidélité historique. Topal Osman avait été racheté de l'esclavage à Malte par M. Arniaud environ trente-cinq ans auparavant. En 1732, Arniaud et son fils rencontrèrent Topal Osman à Constantinople. Le fils d'Arniaud avait rédigé un mémoire sur l'histoire de Topal Osman, que l'auteur conserve. Topal Osman avait reçu une éducation au Sérail du Grand Seigneur, destinée aux enfants chrétiens. En 1698 ou 1699, à l'âge de 25 ans, il exerçait la fonction de Martolos Bachi et fut chargé d'une mission en Égypte. Lors de son retour, il fut capturé par des corsaires espagnols et blessé. Racheté par Arniaud, il fut soigné et renvoyé en Égypte, où il remboursa sa rançon et offrit des présents à son bienfaiteur. Topal Osman se distingua lors de la guerre contre les Vénitiens, notamment en forçant le passage du défilé de Corinthe et en participant au siège de Corfou. Ses succès lui valurent des récompenses et le respect des troupes, mais aussi des jaloux et des ennemis, menant à une proscription temporaire. Il dut se cacher et fut finalement réhabilité, devenant Séraskier en Morée. En 1727, Arniaud et son fils se rendirent à Salonique et furent reçus favorablement par Topal Osman, alors Pacha de Nysse. En 1731, Topal Osman devint Grand Visir et invita Arniaud et son fils à Constantinople. Ils furent accueillis avec honneur et générosité, Topal Osman exprimant publiquement sa gratitude envers Arniaud. Malgré sa déposition en mars 1732, Topal Osman continua de montrer sa reconnaissance envers Arniaud. Avant de quitter son poste de Grand Visir, Topal Osman avait préparé un cheval orné de pierreries, estimé à 50 000 piastres, qu'il recommanda à son fils. Il reçut ensuite de nouveaux ordres pour commander en Perse, succédant à Ali Pacha. Durant ses deux années à ce poste, il rendit des services significatifs à sa patrie, notamment en soutenant une guerre difficile dans une région désertique et ruinée. Il remporta une victoire complète le 19 juillet 1733, battant les Persans en trois rencontres et humiliant leur général.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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15
p. 96
ENTRETIEN DE DEUX PROCUREURS. EPIGRAMME.
Début :
Accommoder les Plaideurs n'est mon vice, [...]
Mots clefs :
Procureurs, Entretien, Pillard
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ENTRETIEN DE DEUX PROCUREURS. EPIGRAMME.
ENTRETIEN
DE DEUX PROCUREURS.
EPIGRAMM E.
AccCocommmmoodder les Plaideurs n'est mon vice ,
Disoit Pillard ; quand les gens ont du bien
Confrere , il faut laisser faire Justice :
C'est mon avis , mais chacun a le sien,
Maître Pillard , ce peut être le mien ,
Sans que pour ce je change de Méthode ,
Répond Griffon ; quand les gens n'ont plus rien,
La Charité veut qu'on les raccommode.
DE DEUX PROCUREURS.
EPIGRAMM E.
AccCocommmmoodder les Plaideurs n'est mon vice ,
Disoit Pillard ; quand les gens ont du bien
Confrere , il faut laisser faire Justice :
C'est mon avis , mais chacun a le sien,
Maître Pillard , ce peut être le mien ,
Sans que pour ce je change de Méthode ,
Répond Griffon ; quand les gens n'ont plus rien,
La Charité veut qu'on les raccommode.
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16
p. 97-106
LETTRE de M. Du Breüil, à M. le Marquis D*** contenant l'Analyse de la Dissertation sur la circulation de la Séve dans les Plantes, qui a remporté en 1733. le Prix, au jugement de l'Académie Royale des Belles-Lettres, Sciences et Arts de Bordeaux. Par M. de la Baisse.
Début :
Je vous envoye, Monsieur, une Analyse précise et exacte de la Dissertation [...]
Mots clefs :
Écorce, Plantes, Suc nourricier, Circulation de la sève dans les plantes, Sève, Nourriture, Expériences, Moelle, Arbres, Bois
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. Du Breüil, à M. le Marquis D*** contenant l'Analyse de la Dissertation sur la circulation de la Séve dans les Plantes, qui a remporté en 1733. le Prix, au jugement de l'Académie Royale des Belles-Lettres, Sciences et Arts de Bordeaux. Par M. de la Baisse.
LETTRE de M. Du Breuil , à M. le
Marquis D *** contenant * l'Analyse
de la Dissertation sur la circulation de
la Séve dans les Plantes , qui a remporté
en 1733. le Prix , au jugement
de
Académie Royale des Belles Lettres ,
Sciences et Arts de Bordeaux . Par M. de
la Baisse.
E vous envoye , Monsieur , une Analyse
précise et exacte de la Dissertation
sur la circulation de la Séve , qui a
remporté cette année le Prix proposé
par l'Académie de Bordeaux. Je ne suis
entré dans aucun détail sur le mérite et
la bonté de l'Ouvrage ; l'Extrait même
suffita pour l'aprétier à sa juste valeurs
si cependant dans le cours de ma Lettre il
m'échappe quelques Refléxions ( ce que
j'éviterai autant qu'il me sera possible )
ce sera uniquement pour vous mettre en
état de juger si (a) les Physiciens trouveront,
ainsi que l'Académie de Bordeaux, que dans
* Je me servirai le plus souvent que je pourrai
des paroles de l'Auteur , pour ne point alterer la
• force de ses expressions.
(a) Tout ce qui est sousligné se trouve mot powr
mot dans l'Avertitsement de l'Académie de Bordeaux
, qui est à la tête de la Dissertation.
ľ hypon
98 MERCURE DE FRANCE
l'hypothese de la circulation de la Séve , qui
est , suivant ces Académiciens , une des
grandes entreprises de la nouvelle Philosophie
; M. de la Baisse paroît avoir pénetré
plus avant que ceux qui l'ont précedé,
et s'ils conviendront que ses Recherches laborieuses
, qu'il appelle par modestie des
tentatives et des conjectures , sont expliquées
avec netteté et solidité ; et qu'enfin cei Auteur
a mis dans un grand jour le Systême qui admet
dans les Plantes une méchanique approchante
de celle des Animaux.
ART. 1. pag. 3. M. d: 1 Baïsse commence
sa Dissertation par examiner quelles
sont les voyes par lesquelles s'insinue
le suc nourricier dans les Plant s. Il lui
paroît vrai en general que c'est par les racines
que les herbes , comme les arbres,
tirent leur nourriture , mais cette connoissance
étoit trop vague , il falloit quelque
chose de plus philosophique ; la racine
est composée de trois principales substances
, de la moëlle , du bois et de l'écorce
; l'écorce , comme tout le monde
sçait , recouvre les deux autres substances
et la moëlle est environnée du bois
et parconséquent de l'écorce ; il s'agissoit
de déterminer par laquelle de ces
trois substances entre le suc nourricier ;
le bois et la moëlle occupent la partic
interieure
JANVIER 1734. 99
interieure , c'est pourquoi elles ne paroissent
pas au premier coup d'oeil trop
à l'introduction de la séve , il ne
propres
reste plus que l'écorce à qui on puisse
naturellement accorder cet usage , son
tissu spongieux paroissoit à notre Auteur
propre à sucer les humiditez terrestres
ainsi voila bien des raisons qui peuvent
déterminer en faveur de l'écorce.
Mais M. de la Baïsse , en bon Physicien
, voulut s'en assurer et examiner par
quels endroits de l'écorce se fait particu
lierement cette suction ; il fit plusieurs
Experiences qui consistent à faire tremper
dans de l'eau ou dans quelque liqueur
colorée , differentes Plantes , tantôt il les
dépoüilla de l'éco , tantôt il leur laissa
leur écorce. Ces Experiences lui ont
paru prouver que l'écorce contribuoit
beaucoup à l'introduction du suc nourricier
, que la partie ligneuse pouvoit
elle seule recevoir la séve , mais en pe
tite quantité ; enfin , que les menües écor
ces du chevelu de la racine , tirent beaucoup
de nourriture , quoique les plus
épaisses ne laissent pas d'en recevoir.
Les Plantes ausquelles il avoit coupé
tous les menus filamens des racines , et
celles aux racines desquelles il avoit fait
des incisions , profiterent dans l'eau à
mer-
386187
100 MERCURE DE FRANCE
merveille . M. de la Baïsse compare ces
coupures à des bouches artificielles
par lesquelles la nourriture s'insinuë plus
aisément dans la substance de l'écorce ,
et il se sert de cette Experience pour
montrer l'utilité qu'on retire en coupant
tous les menus filamens des racines quand
on transplante. Toutes ces preuves rassemblées
font conclure à notre Auteur
que l'écorce est la voïe principale et naturelle
par laquelle les racines tirent les
sucs extérieurs dont les Plantes se nourrissent.
ART. 2. Il passe ensuite à l'examen des
routes que tient le suc nourricier , lorsqu'il
est introduit dans la Plante , parce
que le suc terrestre a dû , selon lui , recevoir
dans l'écorce une préparation qui
le dispose à s'élever jusqu'aux dernieres
extrémitez des feuilles et des branches.
C'est encore par la voïe sûre des expériences
que M. de la Baïsse cherche à reconnoître
le chemin de la séve ; il a mis
pour cela tremper
à différens
temps
, dans l'eau
teinte
par le suc de Phytolacca
, un
nombre
considérable
de Plantes
différen- tes , les unes avec leurs
racines
, les au- tres coupées
vers le pied
de la tige ; ses
observations
l'ont
porté
à croire
que le
suc nourricier
avant
que d'avoir
reçu les
derJANVIER.
1734. Iot .
dernieres préparations , s'éleve en partie
jusqu'au plus haut sommet des Plantes , et
qu'une autre partie de ce suc non encore
digéré , monte pour se répandre ensuite .
dans les branches et les feuilles .
Notre Auteur flaté de cette découverte
, voulut voir si les tuyaux des Plantes
par où monte le suc , ont quelque disposition
particuliere propre à en faciliter
l'afcension , ou s'ils sont indifférens à le
laisser monter ou descendre ; il observa
des Plantes qui trempoient dans une situation
renversée ; et il examina en même-
temps d'autres Plantes qui trempoient
dans leur situation naturelle; de ces
observations il conclut que les vaisseauz
pouvoient rirer de la nourriture par
leurs parties supérieures , quoique cependant
ces canaux soient plus disposez à
Jaisser monter le suc du pied vers le sommet
; on pourroit tres-aisément trouver
dans la Physique des Plantes , bien
des faits et des expériences , sans doute
, inconnuës à M. de la Baïsse , qui renverseroient
la seconde Partie de sa conclusion
et détruiroient les Observations
qui la soutiennent ; il suppose ensuite
qu'il se fait dans ces premières voies ' , lors
même que le suc y entre à contre- sens,
une digestion par laquelle la nourriture
102 MERCURE DE FRANCE.
ture se façonne en passant de ces canaux
dans d'autres , qui la distribuent
dans toute la substance de la Plante ;
cependant cette digestion qui se fait dans
la situation renversée n'a pas paru à notre
Auteur , ni aussi abondante, ni aussi parfaite
que celle qui se fait dans un état naturel;
c'est pourquoi il remarque que la maniere
dont les Plantes se nourrissent lorsqu'on
les fait tremper la tête en bas , paroît très
analogue à celle dont on prétend que des
hommes ont été nourris durant quelque tems
sans prendre que des clysteres delait ou de
liqueur succulente ; pour rendre l'analogic
complette M. de la Baïsse fait observer
que les orifices superieurs des canaux par
lesquels il a découvert que les Plantes
pouvoient tirer quelque nourriture , ne
seroient pour lors dans leur état naturel
que des ouvertures destinées aux ejections
excrementelles , il n'oublie point non plus
que ces canaux auront dèslors beaucoup
de ressemblance aux boyaux des animaux,
il semble que tout favorise les vuës de
notre Physicien , car sur des feuilles de
Tubereuse arrachées de la tige et plongées
par la pointe dans la teinture de Phytolacca
, il a observé des veines branchuës
et ondoyantes , et il a jugé que ces veines
pourroient bien avoir quelque rapport
aux
JANVIER . 1724. 103
aux veines lactées des animaux et être
des vaisseaux où se filtre la liqueur dont
les tuyaux sont remplis.
ART. 3. pag. 16. Après avoir décou
vert que le suc nourricier monte du pied
de la Plante vers le sommet , il falloit
rechercher par quelle partie de la tige se
fait plus particulierement cette ascension ;
parmi les Physiciens les uns ont crû que
la séve monte par l'écorce , d'autres ont
soutenu qu'elle s'éleve entre le bois et
l'écorce , quelques autres enfin ont voulu
que ce fût par la moëlle . Les expériences
rapportées par ces Auteurs pour deffendre
deux sentimens , n'ont nullement paru
décisives à M. de la Baïsse , c'est ce
qui l'a engagé à examiner par lui même
et à faire plusieurs expériences pour tâcher
de découvrir la verité. Il a mis tremper
dans la teinture dePhytolacca différen
tes tiges ou branches d'arbres et de plantes
. Au bout de quelque tems il a examiné
l'écorce et la portion ligneuse , plusieurs
amas de filets dans la substance du bois
lui ont paru rouges sans qu'il trouvât
rien de remarquable dans l'écorce , et sans
que
la moëlle en ait tiré aucune teinture
dans l'antirrhinum , l'écorce étoit devenuë
d'un verd foncé , le calice des fleurs,
lequel bien examiné , n'est , suivant la remar104
MERCURE DE FRANCE
marque de notre Auteur , qu'une production
de l'écorce avoit considérablement
rougi d'un rouge plus foncé vers
les bords. De toutes ces observations , il
conclut que les canaux destinez à porter
la séve dans le corps de la Plante, ne sont
ni dans la moëlle, ni dans l'écorce, ni entré
l'écorce et le bois ; mais dansla substance
ligneuse c.à.d. que ces canaux sont de vé
ritables fibres ligneuses renfermées entre
la moëlle et l'écorce M. de la Baïsse
s'appercevant sans doute de la foiblesse
de ces preuves et de la contradiction manifeste
de ses expériences, a voulu renforcir
sa conclusion par les observations
suivantes.
>
Il dit 1. qu'il est de notorieté publi
que que des arbres cariez dont le tronc
est entierement dépourvû de moëlle
ne laissent pas de vegeter on pourroit
ajouter, le Public n'est pas moins exactement
informé que les mêmes arbres vegetent
très bien sans portion ligneuse avec
la seule écorce , il avance . 2 ° . Que ce ne
peut pas être non plus par l'écorce que
la nourriture monte des racines aux branches
, puisqu'on a vû des arbres croître
et vegeter, quoique le tronc en fut entierement
dépouillé , témoin l'Ormeau des
Thuilleries et ceux du Luxembourg dont
•
il
JAN VIER. 734. 105
il est parlé dans l'Histoire de l'Académic
Royale des Sciences 1709. en 1711. témoins
les Oliviers de Languedoc dont il
a fait mention au même endroit ausquels
on cerne l'écorce , ( a ) au - dessus de l'endroit
où on vient de les enter, ce qui fait
porter plus de fruit aux vieilles branches
qu'on doit couper après la récolte.Je suis,
en verité, surpris que M. de la Baïsse qui
paroît instruit des preuves queM . Parent
proposa à l'Académie Royale des Sciences
, pour soutenir le sistême que notre
Auteur annonce aujourd'hui comme une
grande découverte etune découverte assurée
, ait ignoré combien les faits exposez
par M.Parent péchoient contre la verité,
et de quelle maniere ils furent relevez
par M. Reneaume qui se transporta au
Luxembourg et aux Thuilleries pour
examiner les arbres en question ; il auroit
dû sçavoir aussi ce que l'on répondit à
l'observation des Oliviers de Languedoc ,
communiquée à l'Académie des Sciences
par M. Magnol.
Mais notre Auteur,sans vouloir entrer
dans tout ce détail , soutient que ce qui
a été dit pour expliquer tous ces faits,en
supposant que c'est par l'écorce que mon-
( a ) L'Auteur auroit dû mestre deux doigts
d'écorce pour ne point faire prendre le change.
F te
16 MERCURE DE FRANCE
te la nourriture , est plus subtil que solides
et regardant son sentiment comme victotieux,
il se contente pour refuter l'opinion
des partisants de l'écorce , d'ajouter deux
nouveaux faits assez remarquables , selon
lui , mais qui ne paroîtront peut-être pas
plus frappans que les précedens , et qui
sont sujets aux - mêmes inconveniens . En
finissant cet article M. de la Baisse voyant
sa découverte hors de toute atteinte, veut
bien , en galant homme, avoir la complai
sance de relâcher de ses droits en faveur
de l'écorce ; il accorde que dans les arbres
faits dont le bois est fort compact , comme
chênes et ormeaux , la séve monte par
PAubier ou par la partie du bois la plus
voisine de l'écorce , il dit même qu'il s'est
assuré de cette observation par plusieurs
expériences qu'il passe sous silence.
La suite dans un autre Mercure.
Marquis D *** contenant * l'Analyse
de la Dissertation sur la circulation de
la Séve dans les Plantes , qui a remporté
en 1733. le Prix , au jugement
de
Académie Royale des Belles Lettres ,
Sciences et Arts de Bordeaux . Par M. de
la Baisse.
E vous envoye , Monsieur , une Analyse
précise et exacte de la Dissertation
sur la circulation de la Séve , qui a
remporté cette année le Prix proposé
par l'Académie de Bordeaux. Je ne suis
entré dans aucun détail sur le mérite et
la bonté de l'Ouvrage ; l'Extrait même
suffita pour l'aprétier à sa juste valeurs
si cependant dans le cours de ma Lettre il
m'échappe quelques Refléxions ( ce que
j'éviterai autant qu'il me sera possible )
ce sera uniquement pour vous mettre en
état de juger si (a) les Physiciens trouveront,
ainsi que l'Académie de Bordeaux, que dans
* Je me servirai le plus souvent que je pourrai
des paroles de l'Auteur , pour ne point alterer la
• force de ses expressions.
(a) Tout ce qui est sousligné se trouve mot powr
mot dans l'Avertitsement de l'Académie de Bordeaux
, qui est à la tête de la Dissertation.
ľ hypon
98 MERCURE DE FRANCE
l'hypothese de la circulation de la Séve , qui
est , suivant ces Académiciens , une des
grandes entreprises de la nouvelle Philosophie
; M. de la Baisse paroît avoir pénetré
plus avant que ceux qui l'ont précedé,
et s'ils conviendront que ses Recherches laborieuses
, qu'il appelle par modestie des
tentatives et des conjectures , sont expliquées
avec netteté et solidité ; et qu'enfin cei Auteur
a mis dans un grand jour le Systême qui admet
dans les Plantes une méchanique approchante
de celle des Animaux.
ART. 1. pag. 3. M. d: 1 Baïsse commence
sa Dissertation par examiner quelles
sont les voyes par lesquelles s'insinue
le suc nourricier dans les Plant s. Il lui
paroît vrai en general que c'est par les racines
que les herbes , comme les arbres,
tirent leur nourriture , mais cette connoissance
étoit trop vague , il falloit quelque
chose de plus philosophique ; la racine
est composée de trois principales substances
, de la moëlle , du bois et de l'écorce
; l'écorce , comme tout le monde
sçait , recouvre les deux autres substances
et la moëlle est environnée du bois
et parconséquent de l'écorce ; il s'agissoit
de déterminer par laquelle de ces
trois substances entre le suc nourricier ;
le bois et la moëlle occupent la partic
interieure
JANVIER 1734. 99
interieure , c'est pourquoi elles ne paroissent
pas au premier coup d'oeil trop
à l'introduction de la séve , il ne
propres
reste plus que l'écorce à qui on puisse
naturellement accorder cet usage , son
tissu spongieux paroissoit à notre Auteur
propre à sucer les humiditez terrestres
ainsi voila bien des raisons qui peuvent
déterminer en faveur de l'écorce.
Mais M. de la Baïsse , en bon Physicien
, voulut s'en assurer et examiner par
quels endroits de l'écorce se fait particu
lierement cette suction ; il fit plusieurs
Experiences qui consistent à faire tremper
dans de l'eau ou dans quelque liqueur
colorée , differentes Plantes , tantôt il les
dépoüilla de l'éco , tantôt il leur laissa
leur écorce. Ces Experiences lui ont
paru prouver que l'écorce contribuoit
beaucoup à l'introduction du suc nourricier
, que la partie ligneuse pouvoit
elle seule recevoir la séve , mais en pe
tite quantité ; enfin , que les menües écor
ces du chevelu de la racine , tirent beaucoup
de nourriture , quoique les plus
épaisses ne laissent pas d'en recevoir.
Les Plantes ausquelles il avoit coupé
tous les menus filamens des racines , et
celles aux racines desquelles il avoit fait
des incisions , profiterent dans l'eau à
mer-
386187
100 MERCURE DE FRANCE
merveille . M. de la Baïsse compare ces
coupures à des bouches artificielles
par lesquelles la nourriture s'insinuë plus
aisément dans la substance de l'écorce ,
et il se sert de cette Experience pour
montrer l'utilité qu'on retire en coupant
tous les menus filamens des racines quand
on transplante. Toutes ces preuves rassemblées
font conclure à notre Auteur
que l'écorce est la voïe principale et naturelle
par laquelle les racines tirent les
sucs extérieurs dont les Plantes se nourrissent.
ART. 2. Il passe ensuite à l'examen des
routes que tient le suc nourricier , lorsqu'il
est introduit dans la Plante , parce
que le suc terrestre a dû , selon lui , recevoir
dans l'écorce une préparation qui
le dispose à s'élever jusqu'aux dernieres
extrémitez des feuilles et des branches.
C'est encore par la voïe sûre des expériences
que M. de la Baïsse cherche à reconnoître
le chemin de la séve ; il a mis
pour cela tremper
à différens
temps
, dans l'eau
teinte
par le suc de Phytolacca
, un
nombre
considérable
de Plantes
différen- tes , les unes avec leurs
racines
, les au- tres coupées
vers le pied
de la tige ; ses
observations
l'ont
porté
à croire
que le
suc nourricier
avant
que d'avoir
reçu les
derJANVIER.
1734. Iot .
dernieres préparations , s'éleve en partie
jusqu'au plus haut sommet des Plantes , et
qu'une autre partie de ce suc non encore
digéré , monte pour se répandre ensuite .
dans les branches et les feuilles .
Notre Auteur flaté de cette découverte
, voulut voir si les tuyaux des Plantes
par où monte le suc , ont quelque disposition
particuliere propre à en faciliter
l'afcension , ou s'ils sont indifférens à le
laisser monter ou descendre ; il observa
des Plantes qui trempoient dans une situation
renversée ; et il examina en même-
temps d'autres Plantes qui trempoient
dans leur situation naturelle; de ces
observations il conclut que les vaisseauz
pouvoient rirer de la nourriture par
leurs parties supérieures , quoique cependant
ces canaux soient plus disposez à
Jaisser monter le suc du pied vers le sommet
; on pourroit tres-aisément trouver
dans la Physique des Plantes , bien
des faits et des expériences , sans doute
, inconnuës à M. de la Baïsse , qui renverseroient
la seconde Partie de sa conclusion
et détruiroient les Observations
qui la soutiennent ; il suppose ensuite
qu'il se fait dans ces premières voies ' , lors
même que le suc y entre à contre- sens,
une digestion par laquelle la nourriture
102 MERCURE DE FRANCE.
ture se façonne en passant de ces canaux
dans d'autres , qui la distribuent
dans toute la substance de la Plante ;
cependant cette digestion qui se fait dans
la situation renversée n'a pas paru à notre
Auteur , ni aussi abondante, ni aussi parfaite
que celle qui se fait dans un état naturel;
c'est pourquoi il remarque que la maniere
dont les Plantes se nourrissent lorsqu'on
les fait tremper la tête en bas , paroît très
analogue à celle dont on prétend que des
hommes ont été nourris durant quelque tems
sans prendre que des clysteres delait ou de
liqueur succulente ; pour rendre l'analogic
complette M. de la Baïsse fait observer
que les orifices superieurs des canaux par
lesquels il a découvert que les Plantes
pouvoient tirer quelque nourriture , ne
seroient pour lors dans leur état naturel
que des ouvertures destinées aux ejections
excrementelles , il n'oublie point non plus
que ces canaux auront dèslors beaucoup
de ressemblance aux boyaux des animaux,
il semble que tout favorise les vuës de
notre Physicien , car sur des feuilles de
Tubereuse arrachées de la tige et plongées
par la pointe dans la teinture de Phytolacca
, il a observé des veines branchuës
et ondoyantes , et il a jugé que ces veines
pourroient bien avoir quelque rapport
aux
JANVIER . 1724. 103
aux veines lactées des animaux et être
des vaisseaux où se filtre la liqueur dont
les tuyaux sont remplis.
ART. 3. pag. 16. Après avoir décou
vert que le suc nourricier monte du pied
de la Plante vers le sommet , il falloit
rechercher par quelle partie de la tige se
fait plus particulierement cette ascension ;
parmi les Physiciens les uns ont crû que
la séve monte par l'écorce , d'autres ont
soutenu qu'elle s'éleve entre le bois et
l'écorce , quelques autres enfin ont voulu
que ce fût par la moëlle . Les expériences
rapportées par ces Auteurs pour deffendre
deux sentimens , n'ont nullement paru
décisives à M. de la Baïsse , c'est ce
qui l'a engagé à examiner par lui même
et à faire plusieurs expériences pour tâcher
de découvrir la verité. Il a mis tremper
dans la teinture dePhytolacca différen
tes tiges ou branches d'arbres et de plantes
. Au bout de quelque tems il a examiné
l'écorce et la portion ligneuse , plusieurs
amas de filets dans la substance du bois
lui ont paru rouges sans qu'il trouvât
rien de remarquable dans l'écorce , et sans
que
la moëlle en ait tiré aucune teinture
dans l'antirrhinum , l'écorce étoit devenuë
d'un verd foncé , le calice des fleurs,
lequel bien examiné , n'est , suivant la remar104
MERCURE DE FRANCE
marque de notre Auteur , qu'une production
de l'écorce avoit considérablement
rougi d'un rouge plus foncé vers
les bords. De toutes ces observations , il
conclut que les canaux destinez à porter
la séve dans le corps de la Plante, ne sont
ni dans la moëlle, ni dans l'écorce, ni entré
l'écorce et le bois ; mais dansla substance
ligneuse c.à.d. que ces canaux sont de vé
ritables fibres ligneuses renfermées entre
la moëlle et l'écorce M. de la Baïsse
s'appercevant sans doute de la foiblesse
de ces preuves et de la contradiction manifeste
de ses expériences, a voulu renforcir
sa conclusion par les observations
suivantes.
>
Il dit 1. qu'il est de notorieté publi
que que des arbres cariez dont le tronc
est entierement dépourvû de moëlle
ne laissent pas de vegeter on pourroit
ajouter, le Public n'est pas moins exactement
informé que les mêmes arbres vegetent
très bien sans portion ligneuse avec
la seule écorce , il avance . 2 ° . Que ce ne
peut pas être non plus par l'écorce que
la nourriture monte des racines aux branches
, puisqu'on a vû des arbres croître
et vegeter, quoique le tronc en fut entierement
dépouillé , témoin l'Ormeau des
Thuilleries et ceux du Luxembourg dont
•
il
JAN VIER. 734. 105
il est parlé dans l'Histoire de l'Académic
Royale des Sciences 1709. en 1711. témoins
les Oliviers de Languedoc dont il
a fait mention au même endroit ausquels
on cerne l'écorce , ( a ) au - dessus de l'endroit
où on vient de les enter, ce qui fait
porter plus de fruit aux vieilles branches
qu'on doit couper après la récolte.Je suis,
en verité, surpris que M. de la Baïsse qui
paroît instruit des preuves queM . Parent
proposa à l'Académie Royale des Sciences
, pour soutenir le sistême que notre
Auteur annonce aujourd'hui comme une
grande découverte etune découverte assurée
, ait ignoré combien les faits exposez
par M.Parent péchoient contre la verité,
et de quelle maniere ils furent relevez
par M. Reneaume qui se transporta au
Luxembourg et aux Thuilleries pour
examiner les arbres en question ; il auroit
dû sçavoir aussi ce que l'on répondit à
l'observation des Oliviers de Languedoc ,
communiquée à l'Académie des Sciences
par M. Magnol.
Mais notre Auteur,sans vouloir entrer
dans tout ce détail , soutient que ce qui
a été dit pour expliquer tous ces faits,en
supposant que c'est par l'écorce que mon-
( a ) L'Auteur auroit dû mestre deux doigts
d'écorce pour ne point faire prendre le change.
F te
16 MERCURE DE FRANCE
te la nourriture , est plus subtil que solides
et regardant son sentiment comme victotieux,
il se contente pour refuter l'opinion
des partisants de l'écorce , d'ajouter deux
nouveaux faits assez remarquables , selon
lui , mais qui ne paroîtront peut-être pas
plus frappans que les précedens , et qui
sont sujets aux - mêmes inconveniens . En
finissant cet article M. de la Baisse voyant
sa découverte hors de toute atteinte, veut
bien , en galant homme, avoir la complai
sance de relâcher de ses droits en faveur
de l'écorce ; il accorde que dans les arbres
faits dont le bois est fort compact , comme
chênes et ormeaux , la séve monte par
PAubier ou par la partie du bois la plus
voisine de l'écorce , il dit même qu'il s'est
assuré de cette observation par plusieurs
expériences qu'il passe sous silence.
La suite dans un autre Mercure.
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Résumé : LETTRE de M. Du Breüil, à M. le Marquis D*** contenant l'Analyse de la Dissertation sur la circulation de la Séve dans les Plantes, qui a remporté en 1733. le Prix, au jugement de l'Académie Royale des Belles-Lettres, Sciences et Arts de Bordeaux. Par M. de la Baisse.
La lettre de M. Du Breuil au Marquis D*** résume la dissertation de M. de la Baïsse sur la circulation de la sève dans les plantes, lauréate du prix de l'Académie Royale des Belles Lettres, Sciences et Arts de Bordeaux en 1733. M. de la Baïsse explore les voies d'absorption de la sève nourricière par les plantes. Il conclut que les racines, constituées de moëlle, de bois et d'écorce, permettent principalement l'absorption de la sève par l'écorce. Des expériences montrent que l'écorce joue un rôle significatif dans cette absorption, tandis que le bois et la moëlle en jouent un moindre. M. de la Baïsse examine ensuite les chemins empruntés par la sève une fois introduite dans la plante. Il observe que la sève monte jusqu'aux extrémités des feuilles et des branches après avoir été préparée dans l'écorce. Des expériences avec des liquides colorés révèlent que la sève monte plus facilement vers le sommet, bien que les vaisseaux puissent aussi tirer de la nourriture par leurs parties supérieures. Pour déterminer par quelle partie de la tige la sève monte, M. de la Baïsse conclut que les canaux destinés à porter la sève se trouvent dans la substance ligneuse, entre la moëlle et l'écorce. Cette conclusion est renforcée par des observations sur des arbres carieux et des expériences sur des tiges trempées dans des teintures. Enfin, M. de la Baïsse reconnaît que, dans certains arbres, la sève peut monter par l'aubier ou la partie du bois proche de l'écorce. Il mentionne des faits observés sur des arbres spécifiques, comme les ormes et les oliviers, pour appuyer ses conclusions.
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17
p. 106-107
« L'Enigme et les Logogryphes du premier Volume de Décembre, doivent s'expliquer [...] »
Début :
L'Enigme et les Logogryphes du premier Volume de Décembre, doivent s'expliquer [...]
Mots clefs :
Temps, Crainte, Murmure, Lapin, Bougie, Vertu, Abeille
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texteReconnaissance textuelle : « L'Enigme et les Logogryphes du premier Volume de Décembre, doivent s'expliquer [...] »
l'Enigme et les Logogryphes du premier
Volume de Décembre, doivent s'expliquer
par le Tems , Crainte , Murmure
Lapin, dans lequel on trouve, Pain , Pin ,
La , Lin , Nil, Lia, et Gloire. On trouve
dans celui- ci , Loire , Orge , Eloi , Lire ,
Ogre, Loir, Gril, Loi , Roi , Ire , Oie , Or
On a dû expliquer les mots de l'Enigme
et des Logogryphes du deuxième Volu
me
JANVIER. 1734. 107
me du mois de Décembre , par la Bougie,
Vertu , Abeille . On trouve dans ce dernier
Bal , Ail , Lia , Lie , Bail , Elie ,
Bile , Abel , Albi ,
Volume de Décembre, doivent s'expliquer
par le Tems , Crainte , Murmure
Lapin, dans lequel on trouve, Pain , Pin ,
La , Lin , Nil, Lia, et Gloire. On trouve
dans celui- ci , Loire , Orge , Eloi , Lire ,
Ogre, Loir, Gril, Loi , Roi , Ire , Oie , Or
On a dû expliquer les mots de l'Enigme
et des Logogryphes du deuxième Volu
me
JANVIER. 1734. 107
me du mois de Décembre , par la Bougie,
Vertu , Abeille . On trouve dans ce dernier
Bal , Ail , Lia , Lie , Bail , Elie ,
Bile , Abel , Albi ,
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Résumé : « L'Enigme et les Logogryphes du premier Volume de Décembre, doivent s'expliquer [...] »
Le texte décrit deux volumes mensuels de décembre et janvier 1734 contenant des énigmes et des logogryphes. Le volume de décembre inclut des mots comme 'Tems', 'Crainte', 'Lapin', 'Pain'. Le volume de janvier 1734 comprend 'Bougie', 'Vertu', 'Abeille', 'Bal'. Chaque volume doit être expliqué par les mots listés.
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18
p. 107
ENIGME.
Début :
N'avez-vous jamais vû deux petites Armées, [...]
Mots clefs :
Échiquier
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texteReconnaissance textuelle : ENIGME.
ENIGM E.
N'Avez -vous jamais vû deux petites Armées ,
Qui l'une contre l'autre avec ordre animées
Se livrent de rudes combats
Rien n'y manque pour battre ou pour se bien
défendre.
Cavaliers , Généraux , Mousquetaires , Soldats
Enfin , ce qui va vous surprendre ,
La Reine suit son Roy ; sans craindre le danger,
Elle court à grands pas sur le Prince Etranger ;
Tous jusqu'aux Piétons, signalent leur courage;
Bientôt maint et maint personnage
Se livre à l'ennemi pour deffendre son Roy.
Tout se trouble , la Reine tombe
Le Roy fuit , mais envain , sous les coups il suc
combe ;;
Adieu , Lecteur , devinez- moi.
•
A. Th. . . J. J.
N'Avez -vous jamais vû deux petites Armées ,
Qui l'une contre l'autre avec ordre animées
Se livrent de rudes combats
Rien n'y manque pour battre ou pour se bien
défendre.
Cavaliers , Généraux , Mousquetaires , Soldats
Enfin , ce qui va vous surprendre ,
La Reine suit son Roy ; sans craindre le danger,
Elle court à grands pas sur le Prince Etranger ;
Tous jusqu'aux Piétons, signalent leur courage;
Bientôt maint et maint personnage
Se livre à l'ennemi pour deffendre son Roy.
Tout se trouble , la Reine tombe
Le Roy fuit , mais envain , sous les coups il suc
combe ;;
Adieu , Lecteur , devinez- moi.
•
A. Th. . . J. J.
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19
p. 108
LOGOGRYPHE.
Début :
Cinq Lettres composent mon nom. [...]
Mots clefs :
Corde
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texteReconnaissance textuelle : LOGOGRYPHE.
LOGOGRYPHE
C Ing Lettres composent mon nomi
D'usage par toute la terre
J'attache , je retiens , je serre
Et fais souffrir quelquefois un Larron,
Ce n'est pas tout , prenez ma tête
Lecteur , sans être homme ni bête
Dans les vastes réduits d'un Bois ,
Je fais entendre une terrible voix ;
›
Otez mon coeur , pour sauver l'innocence,
Des Filets que lui tend , l'injuste violence
Dans un infolio , je renferme les loix ,
A ThJJ
C Ing Lettres composent mon nomi
D'usage par toute la terre
J'attache , je retiens , je serre
Et fais souffrir quelquefois un Larron,
Ce n'est pas tout , prenez ma tête
Lecteur , sans être homme ni bête
Dans les vastes réduits d'un Bois ,
Je fais entendre une terrible voix ;
›
Otez mon coeur , pour sauver l'innocence,
Des Filets que lui tend , l'injuste violence
Dans un infolio , je renferme les loix ,
A ThJJ
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20
p. 108-110
AUTRE.
Début :
Six Lettres font mon nom ; devinez, je vous prie, [...]
Mots clefs :
Orange
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AUTRE.
AUTRE.
Six Lettres font mon nom , devinez , je vou pric ,
A ma couleur , en quel canton ,
Je nais , et d'où je suis sortie ,
Pour paroître en bonne maison ,
Combinez -moi de toute sorte ,
Par haut , ou par bas , il n'importe ,
Voici ce que je fournirai.
D'abord je vous rappellerai ,
JANVIER. 1734 109
Un Prince fameux dans l'Histoire ,
Qui de plus d'un François a fait l'heur et l
gloire ,
Et battu dans divers combats ,
Sçut conquerir de grands Etats.
Un grand esprit rempli de gloire ,'
L'art d'un mortel , lequel sans boire ;
Traverse un Fleuve sans Batteau ,
Un Métail , sans lequel ni le bon , ni le beau ,
Ne se voit nulle part, pas même chez un Prince?
Un timide animal , lequel en sa Province ,
Engendre un animal guerrier ;
Un grain qui plaît à cette bête ;
Un bruit qui fait mal à la tête
Et tres-capable d'effrayer ,
Soit dans la paix , soit dans la guerre ,
Fâcheux sur Mer , plus que sur terre ;
Le mal d'un Chien , qu'on nomme fou ,
Et qu'on craint plus qu'un Loup garou ;
Le nom d'une Ville d'Affrique :
Morceau d'instrument de Musique ;
Un cours parfait du blond Phoebus ,
Qui courant du Verseau jusques au Capricor
ne ,
Consomme un certain temps , pour atteindre à
la borne
Cherchez , comme on cherche un Rebus.
En moi l'on trouve un mot , en tout Pays conforme
>
Fiij Qui
110 MERCURE DE FRANCE
Qui conclud en latin un argument en forme.
P. M. L. M. D. S. Y.
Six Lettres font mon nom , devinez , je vou pric ,
A ma couleur , en quel canton ,
Je nais , et d'où je suis sortie ,
Pour paroître en bonne maison ,
Combinez -moi de toute sorte ,
Par haut , ou par bas , il n'importe ,
Voici ce que je fournirai.
D'abord je vous rappellerai ,
JANVIER. 1734 109
Un Prince fameux dans l'Histoire ,
Qui de plus d'un François a fait l'heur et l
gloire ,
Et battu dans divers combats ,
Sçut conquerir de grands Etats.
Un grand esprit rempli de gloire ,'
L'art d'un mortel , lequel sans boire ;
Traverse un Fleuve sans Batteau ,
Un Métail , sans lequel ni le bon , ni le beau ,
Ne se voit nulle part, pas même chez un Prince?
Un timide animal , lequel en sa Province ,
Engendre un animal guerrier ;
Un grain qui plaît à cette bête ;
Un bruit qui fait mal à la tête
Et tres-capable d'effrayer ,
Soit dans la paix , soit dans la guerre ,
Fâcheux sur Mer , plus que sur terre ;
Le mal d'un Chien , qu'on nomme fou ,
Et qu'on craint plus qu'un Loup garou ;
Le nom d'une Ville d'Affrique :
Morceau d'instrument de Musique ;
Un cours parfait du blond Phoebus ,
Qui courant du Verseau jusques au Capricor
ne ,
Consomme un certain temps , pour atteindre à
la borne
Cherchez , comme on cherche un Rebus.
En moi l'on trouve un mot , en tout Pays conforme
>
Fiij Qui
110 MERCURE DE FRANCE
Qui conclud en latin un argument en forme.
P. M. L. M. D. S. Y.
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21
p. *110-110
AUTRE.
Début :
A mon aspect, plus d'un mortel [...]
Mots clefs :
Port
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AUTRE.
AUTRE.
A Mon aspect , plus d'un mortel
De ses malheurs croit voir le terme ;
Il rend graces aux Dieux , leur dresse maintAutel
Mon nom est assez court , cependant il renferme
>
Un Mets exquis , un Fleave , un Métal adoré
Et ce qui fait plaisir au Buveur altéré .
A Mon aspect , plus d'un mortel
De ses malheurs croit voir le terme ;
Il rend graces aux Dieux , leur dresse maintAutel
Mon nom est assez court , cependant il renferme
>
Un Mets exquis , un Fleave , un Métal adoré
Et ce qui fait plaisir au Buveur altéré .
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