TraitctHiftoir: Arabe.
MOutalaya, natif de
Hayatamar., petite Ville
proche de Medine, s'établit
à Bagdad, où il se fit
vendeur de Craches, &
ensuite s'acquit beaucoup
de réputation par sa Poësie,
& sur tout par sa Filosofie.
On disoit de luy
qu'il cadençoit toutes les
avions comme les Vers,
& à cause de sa grande
moderation on l'appella
d'un mot Arabe qui signifioit
le Peseur de Desirs
Malgré cela il se rendit celebre
par son amour pour
Hattebé, maistresse du
Calife Almondi, ayant
obtenu du Calife permission
de faire un presènt
à Hattebé le jour d'une
Feste. Il prefenca à
Hattebéen presence
du Prince une haute
Piramide de carton, au
bas de laquelle estoit representé
le Calife avec sa
Maistresse, &du bas de la
Piramide en haut tournoie
en spirale une bande de
roseaux portez par de petits
Amours serpentant dé
bas en haut, où estoient
écrits des Vers, qui marquoienr
qne le Vendeur
de Cruches portoit ses de-
-
sirs -jut'qu-aux plaisirs de -
son Maistre
, & les Amours
tenoient des balances
rompuës fous leurs
pieds, marque que luy,
qu'on appelloit le Pesèur
de desirs , n'avait point
pesé ccluy qui le portoità
un si haut point. D'abord
le present fut pris pour
une idée poëtique, mais
Moutalaya tomba en langueur
& pensa mourir de
son amour : en forte que
le Calife en ayant pitié,
luy promit de luy faire
present de Hattebé. Sa parole
donnée, Hattebé se
jetta en pleurs aux pieds
du Calife pour nestre
point livrée à un homme
si laid,car Moutalaya l'é.
toit beaucoup. Le Calife
ne voulant pas retirer sa
parole, envoya chercher
le Poëteamoureux, & luy
dit: 0 toy qui pese tes
desirs, regarde Hattebé
d'un côté de la balance,
& de l'autre ce grand vase
d'argent, &,- choisis. Oh,
luy répondit le Poëte
,
ton vase pese moins pour
moy qu'une plume de l'asle
de l'Amour qui m'a
blessé. En même temps le
Calife ordonna qu'on jettât
à poignée de l'or dans
le vase, & dit au Poëte.
Avertis- moy quand le
poids sera égal à celuy de
ton amour. Moutalaya
qui comprit par la profusion
du Calife qu'il avoit
peine àluy donner Hattebé3
luy cria:Arreste
,
le
poids est trébuchant.
Alors le Calife qui avoit
beaucoup desprit luy
dit: Ajoûte- donc ducôté
d'Hattebé, qu'elle ne peut
se résoudre à t'aimer, ou
plutôt qu'elle te haïra si
tu l'exige de moy )
& par
cette circonstance
3 prens
le vase sans balancer.
Moutalaya rêva un lno.
ment, & dit au Calise:
Donne-moy trois mois de
temps pour peser ces deux
presens; & pour faire encore
division
y
donne-moy
encore un autre objet à
desirer
,
qui est celuy de
la Couronne Poëtique &
le Triomphe qui s'accorde
au premier Poète de dix
ans en dix ans.
Le Calife luy donna encore
ce choix & les trois
mois qu'illuy demandoit
pour le déterminer. Ces
trois mois écoulez, il dit
au Calife, qu'il avoit demandé
ce temps pour voir
si son amour ou la haine
de Hattebédiminuëroient.
Hattebé qui estoit
presente luy cria devant
le Calife, avec une faillie
sans reflelhir: Eh! croistu
que trois moisd'âge &
de langueur t'ayent embelli.
Non certes, répondit
le Poëte, mais ce que tu
me dis a diminué ta beauté
à mes yeux; ainsi je
n'ay plus à déliberer que
sur l'argent&la gloire; &
pour me déterminer
,
je
demande six mois.
Les six mois de délay
luy furent accordez, aprés
quoy il dit au Calife
qu'il avoit demandé un
délay double de l'autre,
parce qu'il falloit bien
plus de temps au Sage
pour se guerir de l'avarice
que de l'amour;mais
qu'efin il le quittoit de ses
richesses& les refusa.
Acceptez donc le triomphe
&la couronne Poëtique
, luy repliqua le CSlife.
Pour sçavoir si je l'accepteray
ou non , jetedemande
un an de delay.
En effet,lePoëteFilososefut
une année sans vouloir
accepter le Triomphe
& l'an écoulé, il vint &
dit au Calife que le Sage
se guerissoit en peu de
temps de l'amour comme
il avoit fait en trois mois,
qu'illuy avoit fallu le double
pour se guerir de l'avarice
, mais que la vanité,
& sur tout des Auteurs
, augmentant avec
l'âge plutôt que de diminuër,
c'estoit merveilles
qu'il n'eut demandé qu'un
an pour s'en guerir, mais
qu'il en estoit tellement
gueri qu'il refusoit la Couronne
& le Triomphe de
Poëte, parce qu'il en connoissoit
un au-dessus de
luy. Mais,continua-t-il,
quand on a renoncé aux
premiers honneurs de la
Poësie & qu'on se croit
inferieur à quelqu'un, il
ne faut plus faire de Vers ;
ainÍÏ je me retranche àma
Filosofie.
Le Calife luy répondit:
Vous aurez donc la Couronne
& le Triomphe
comme Filosofe, & je
vous tiens à present pour
leplus grand de tous ceux
qquueeJj'aayy)ajatmllaaislSccoonnnnuuss,,
& le Calife lecontraignit
à recevoir des honneurs
qu'il refusoit obstinement.