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1
p. 184-186
Extrait de la Lettre d'un Solitaire. [titre d'après la table]
Début :
Je sçay qu'il en est qui condamnent toutes les [...]
Mots clefs :
Mercure galant, Solitude, Lire
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texteReconnaissance textuelle : Extrait de la Lettre d'un Solitaire. [titre d'après la table]
Je
E GALANT. 119
T
je
F
ſçay qu'il en eſt qui condam- nent toutes les loüangesqui ne les regardent pas ; mais ce n'eſt pas unſentiment qui ſoit gené- ralement ſuivy ; &pour en eſtre perfuadée , voyez je vous prie,
ce commencement d'une Lettre
quim'a eſté écrite de SaintMai- xent par un Inconnu. Elle eſt de celuy qui a fait le Sonnet contre l'Hypocrite , queje vous ay dit qui m'avoit eſté envoyé de Poitou.
Ie fais ma demeure dans une
Province où l'on Sçait rarement
des nouvelles du grand monde , &
ily alongtemps queje vis dans une espece defolitude , mais je n'aypû m'empeſcher de sçavoir qu'il y
avoitun Mercure Galant.I'ay bien
voulule lire , &je ne me repens point de l'avoirlú.l'ay toûjours ai
120 LE MERCVRE
mé la maniere aisée & naturelle
dont il est écrit , &jesuis bien aise,
Monfieur , de vous voir dire du
bien des Gens dont vous parlez ,
contre l'ordinaire de ceux quifont
imprimer. Cette honneſteté marque un bon cœur , & toſt ou tard .
&c.
E GALANT. 119
T
je
F
ſçay qu'il en eſt qui condam- nent toutes les loüangesqui ne les regardent pas ; mais ce n'eſt pas unſentiment qui ſoit gené- ralement ſuivy ; &pour en eſtre perfuadée , voyez je vous prie,
ce commencement d'une Lettre
quim'a eſté écrite de SaintMai- xent par un Inconnu. Elle eſt de celuy qui a fait le Sonnet contre l'Hypocrite , queje vous ay dit qui m'avoit eſté envoyé de Poitou.
Ie fais ma demeure dans une
Province où l'on Sçait rarement
des nouvelles du grand monde , &
ily alongtemps queje vis dans une espece defolitude , mais je n'aypû m'empeſcher de sçavoir qu'il y
avoitun Mercure Galant.I'ay bien
voulule lire , &je ne me repens point de l'avoirlú.l'ay toûjours ai
120 LE MERCVRE
mé la maniere aisée & naturelle
dont il est écrit , &jesuis bien aise,
Monfieur , de vous voir dire du
bien des Gens dont vous parlez ,
contre l'ordinaire de ceux quifont
imprimer. Cette honneſteté marque un bon cœur , & toſt ou tard .
&c.
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Résumé : Extrait de la Lettre d'un Solitaire. [titre d'après la table]
Un inconnu de Saint-Maixent admire le *Mercure Galant*, un périodique qu'il a récemment lu. Vivant dans une province éloignée, il apprécie son style naturel et accessible. Il loue l'honnêteté du rédacteur, qui parle bien des personnes, témoignant d'un bon cœur.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 163-165
AIR NOUVEAU.
Début :
Apres le bruit des armes que la Relation qui vient /Ah, que je sens d'inquietude ! [...]
Mots clefs :
Inquiétude, Solitude, Amour
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texteReconnaissance textuelle : AIR NOUVEAU.
as.
:
a
Apres le bruitdes armesque la Relation qui vient de vous occuper , vous doit avoir fait entendre, il eſt bon d'en faire fuivreunplus doux , la Mufique me le fournira , & vous pourrez vous délafſer agerablement de la Guerre , en chantant ce que je vous envoye. C'est un grand Airde la compoſition de m' de laTour. Vous ſçavez dansquel le eſtime il eſt parmy tous les.
Connoiffeurs ; mais avant que devous attacher àla Note , eха
minez les Paroles ſur lesquelles
GALAN T. 107 il a travaillé. Elles ſont d'une
Perſonne qui eſt au deſſus de
toute forte de loüanges. Le nom de Madame des Houlieres vous
enfera demeurer d'accord
AIR NOUVEAULYON
jeſens d'inquietude!
Aque Que j'ayje *1893*
de mouvemensqui m'e- ſtoient inconnus !
Més tranquilles plaisirs ,qu'eſtes- vous devenus?
Ie cherche en vain lafolitude.
•D'où viennent ces chagrins , ces mortel.
les langueurs ?
Qu'est-ce qui fait couler mespleurs Avec tant d'amertume &tant de vio
lence ?
De tout ce que je fais mon cœur n'est
pointcontent..
tant
Helas! cruel Amour que je méprifois
Ces mauxne font-ils,point l'effet de tà
vengeance ?!
E
:
a
Apres le bruitdes armesque la Relation qui vient de vous occuper , vous doit avoir fait entendre, il eſt bon d'en faire fuivreunplus doux , la Mufique me le fournira , & vous pourrez vous délafſer agerablement de la Guerre , en chantant ce que je vous envoye. C'est un grand Airde la compoſition de m' de laTour. Vous ſçavez dansquel le eſtime il eſt parmy tous les.
Connoiffeurs ; mais avant que devous attacher àla Note , eха
minez les Paroles ſur lesquelles
GALAN T. 107 il a travaillé. Elles ſont d'une
Perſonne qui eſt au deſſus de
toute forte de loüanges. Le nom de Madame des Houlieres vous
enfera demeurer d'accord
AIR NOUVEAULYON
jeſens d'inquietude!
Aque Que j'ayje *1893*
de mouvemensqui m'e- ſtoient inconnus !
Més tranquilles plaisirs ,qu'eſtes- vous devenus?
Ie cherche en vain lafolitude.
•D'où viennent ces chagrins , ces mortel.
les langueurs ?
Qu'est-ce qui fait couler mespleurs Avec tant d'amertume &tant de vio
lence ?
De tout ce que je fais mon cœur n'est
pointcontent..
tant
Helas! cruel Amour que je méprifois
Ces mauxne font-ils,point l'effet de tà
vengeance ?!
E
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Résumé : AIR NOUVEAU.
Le texte décrit une transition de la guerre vers une œuvre musicale plus apaisante. L'auteur mentionne un air composé par Monsieur de la Tour, apprécié par tous les connaisseurs. Avant de se concentrer sur la musique, il invite à examiner les paroles, écrites par Madame des Houlières, dont le talent est largement reconnu. L'air intitulé 'AIR NOUVEAU LYON' exprime des sentiments d'inquiétude et de confusion. Le narrateur ressent des émotions intérieures nouvelles et cherche en vain la tranquillité. Il s'interroge sur l'origine de ses chagrins et de ses larmes amères. Malgré ses efforts, son cœur ne trouve pas de contentement. Il se demande si ces maux ne sont pas la vengeance de l'amour qu'il méprisait.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 146-147
Sermon de Monsieur l'Abbé Fléchier, [titre d'après la table]
Début :
Le Mercredy 17. de ce mois, jour de la Feste de S. Antoine, [...]
Mots clefs :
Saint-Antoine, Fête, Église, Chanoines, Auditoire, Abbé Fléchier, Solitude, Sermon
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texteReconnaissance textuelle : Sermon de Monsieur l'Abbé Fléchier, [titre d'après la table]
Le Mercredy 17. de ce mois,
jour de la Fete de S. Antoine,
Monfieur l'Abbé Fléchier , Aumônier
ordinaire de Madame la
Dauphine , prononça l'Eloge de
GALANT.
147
ce Saint , dans l'Eglife des Reli--
gieux de S. Antoine , Chanoines
Réguliers de Saint Auguftin . Il
s'aquitta de cette action avec un
fi grand fuccés , que fon Auditoire
composé d'un Monde choisi
de tout Paris , en fortit charmé,
& tomba d'accord que la folitude
ne pouvoit eftre louée avec
plus de pieté , de force & d'éloquence.
Il yy eeuutt Mufique &
Symphonie dont on fut fort
fatisfait.
jour de la Fete de S. Antoine,
Monfieur l'Abbé Fléchier , Aumônier
ordinaire de Madame la
Dauphine , prononça l'Eloge de
GALANT.
147
ce Saint , dans l'Eglife des Reli--
gieux de S. Antoine , Chanoines
Réguliers de Saint Auguftin . Il
s'aquitta de cette action avec un
fi grand fuccés , que fon Auditoire
composé d'un Monde choisi
de tout Paris , en fortit charmé,
& tomba d'accord que la folitude
ne pouvoit eftre louée avec
plus de pieté , de force & d'éloquence.
Il yy eeuutt Mufique &
Symphonie dont on fut fort
fatisfait.
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Résumé : Sermon de Monsieur l'Abbé Fléchier, [titre d'après la table]
Le 17 du mois, jour de la fête de Saint Antoine, l'abbé Fléchier a prononcé l'éloge de Saint Antoine à l'église des Religieux de Saint Antoine. Son discours a été acclamé pour sa piété, sa force et son éloquence. La cérémonie a également inclus de la musique appréciée par l'auditoire parisien.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. [1]-52
SUITE ET FIN de l'Histoire Espagnole.
Début :
Le Prince de Murcie reprit enfin ses esprits, & pour [...]
Mots clefs :
Prince, Duc de Grenade, Grenade, Princesse, Solitaire, Amour, Seigneur, Malheurs, Temps, Bonheur, Joie, Malheur, Fortune, Coeur, Ciel, Époux, Lieu, Cabane, Traître, Infidélité, Surprise, Soupçon, Rival, Amants, Forêt, Solitude, Doute
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texteReconnaissance textuelle : SUITE ET FIN de l'Histoire Espagnole.
~* SUITE ETFIN
de ïHtjloirc Espagnole. LE Prince de Murciereprit
enfinles
esprits, & pour lors le lolitaire
lui dit :Seigneur,
si j'avois pu prévoir la su.
neste impression qu'a fait
sur vous la nouvelle que
je vous ai apprise, croyez
qduoeulelouirn, d'irriter vostre
je n'aurois pen.
fé qu'à la soulager; l'experience
que j'ai faite des
revers de la fortune m'apprend
à plaindre ceux quV
ellerend malheureux. Ah
pourquoi ne sçavois-je pas
là'intérêt que vous prenez Leonore? je ne me reprocherais
pas du moins
les tourmens que vous louffre. Je ne vous les
reproche point, Seigneur,
repondit le Prince, non
plus qu'à Leonore; si elle
a épousé Dom Juan elle a
dû l'épouser, ôc si elle m'a
rendu le plus malheureux
des hommes, il faut que
je l'aye mérité:Non le
plus affreux desespoir ne
me forcera jamais à la
traitter d'infidelle mais
je n en mourraipas moins
malheureux.
Ah!Seigneur, repritle
solitaire,si Leonoren'est
point infidelle, il est des
amans plus malheureux
que vous j'ai perdu comme
vous l'esperance de
posseder jamais celle que
jaime,je ne puisdouter de
son inconstance,&j'en
reçoisJes plus forcéspreuves
au moment mêmequi
devoit assurer mon bonheur;
queldesespoirest
égal au mien ? amant dui^e
Princefk-,,,nôçre mariage
étoitconclu duconfentement
de son frère,&l'infîdelie
se
.,
fait enleverce
our-là même par rflôa
rival
,
sans ce trait de la
plus noireinfîdçlitç je seroisencore
a Grepaçlçj
&: vous ue m'auriez point
trouve dans cettesolitude
où nos communs malheurs
nous ont conduit. Le Prince comprit aisément
que cette Princesse,
que le solitaire avoir aiméen'étoit
autre qu'Eli
vire, il en avoit souvent
oui parler à Dom Pedre
son frere, & comme il
sçavoit la violence que
Dom Garcie avoit faire à
Elvire, il crut devoir réparer
le tort que le solitaire
lui faisoit par ses soupçons;
ilme semble
,
Seigneur,
lui dit-il, que vous
condamnez trop aisement
la Princesse que vous aimez
; pourquoi rapporter
àson inconstance un éloignement
dont elle gémit
peut-être autant que vous?-
si vôtre rival l'a enlevée,
le tort que vous lui faites
est irreparable, mais quoiqu'il
en soit, ce n'est point
ainsi qu'il faut juger de ce
qu'on aime. Ah ! je ne
ferois pas si malheureux
si je pouvoissoupçonner
Leonore d'inconfiance. Si
je condamne la Princesse
Elvire, reprit lesolicaire,
c'estque je ne puis douter
qu'elle ne me soit infidelle
y
après cet enlevement
je la cherchai dans
tout le Duché de Grenade
; & dans quelqueslieux
que mon rival lait conduite
,
je l'aurois sans dou-
.re découverte,si ellen'eût
été d'accord avec lui pour
rendre mes recherches
inutiles. Ah ! je l'ay trop
aimée pour ne pas me
plaindre de son changement,
& je vois bien que
nos malheurs font differens
3
quoiqu'ils partent
du même principe. C'est
ainsi que le solitaire die.
putoit au Prince la triste
floired'être le plus maleureux
de tous les horn;.
mes; si c'cft. un dédommagement
pour ceux qui
souffrent
,
ils pouvoient
tous deux y prérendre)
l'un étoit réduit à accuser
sa maîtresse, qui lui étoit
pourtant fidelle, & l'autre
a s'acculer lui-même, lui
qui n'avait jamais eu d'autre
regle de ses adtions
quesa gloire & son amour.
Cependant Elvirepassoit
sa vie dans de mortelles
inquiétudes auuibien
que Leonore,la convention
que ces deux
Princesses avoient eûë
leur étoit également funeste
,
& si Leonore avoit
lieu de soupçonner un
Prince, qu'Elvire avoit
nommé son amant, Elvire
soupçonnoit avec raison
un amant dont le nom
avoir produit un si violent,
effet sur Leonore;ellesavoient
un égal intérêt de se
retrouver. pour éclaircir
un doute si cruel,mais il
ne fut pas permis à Leonore
d'aller feule dans le
jardin,& Elviren'y voyant
plus que la curieuse tante,.
fut contrainte de choisir,
pour le lieu de sa promenade
,
la Forest de Gades;
c'est là que ces deux Princesses
le retrouverent dans
le temps qu'elles ne l'esperoient
plus. Le Duc d'Andalousie,
content de l'obeissance
de sa fille, l'avoit
enfin délivrée des
importunitez de sa vieille
secur
y
elle alloit souvent
se promener dans cette
Forest là elle pouvoit
joüir de la solitude-, & se
livrer à toute sa douleur
Le hazard la conduisit un
jour dans l'endroit où Etvire
avoit coutume d'aller
se plaindre de ses malheurs,
aussitôt elle court
vers elle avec empressement,,
& lui dit: il y a
long-temps que je vous
cherche, Madame, pour
vous apprendre une nouvelle
qui doit vous interesser
: Le Prince de Murcie
est Duc. de Grenade
par les soins de Dom Pedre
vôtre frere & son ami.
Madame,répondit Leonore,
vous sçavez la part
que j'y dois prendre, mais
je devine aussi celle que
vous y prenez, ce n'est
point moi qui dois ressentir
la joye de cette nouvelle.
Ah! qui doit donc
la ressentir ? reprit Leonore,
le Prince de Murcie
vous aime, Ôc. n'a fait
une si, grande démarche
que pour vous meriter.
Ah! Madame,répondit
Elvire, pourquoi insultez.
vousàmon malheur? Je
sçai que je ne suis point
aimée,c'est en vain que
je voudrois vous disputer
le coeur du Prince: de
Murcie.Ces deux Princelles
entraientinsensiblement
au pointd'unéclaircissement
qui leur étoitsi
necessaire,lorsqueDom
Juan &DomGarcievinrent
troubler leur entrer
tien: sitôtqu'Elvire eut
EÇÊonnu>fon persecuteur,
qgif n'étoitpasfort loin
d'elle,elle prit la fuite, &
Leonore> que la presence
de Dom Juan auroit embarrassée
dans une pareille
circonstance., prit une
autre allée dans le dessein
del'evicer; Dom Garcie
avoit cru reconnoîtreElvire
& l'avoit suivie des
yeux;l'occasion lui parut
trop bellepour la négliger
: Seigneur, dit-il à D.
Juan, vous voulez sans
doute aborder Leonore?
je vous laisse seul de peur
de troubler un entretien
si doux pour l'un & pour
l'autre, je ferai toujours à
portée de vous rejoindre;
en même temps il fuit la
routequ'il avoit vu prendre
à Elvire, & aprés
l'avoir assez long-temps
cherchée,il la découvrit
dans le lieule plus écarté
de la forest.Quelle fut la
surprise&la crainte de
cette Princessè? elle con,
noissoit le perfide Dom
Garcie.,irrité de ses refus
& de ses mépris,il étoit
capable de se porter aux
plus violentes extremitez;
Elvire dans un si grand
péril n'eut d'autrereilburce
quecelle de faire em*
tendre des cris horribles,
quipussent lui attirer du
secours, & ses cris en effet
la sauverent. Le solitaire,
quile promenoit assez près
de la, les entendit; aussitôt
il court vers le lieu où
les cris d'Elvire le con- duisent , & tout d'un , toup: il voit celle qu'il
croyoit infidelle à Grenade
, qui
-
se jettedansses
bras,en lui disant: Seigneur
,sauvez-moi des fureurs
d'un scelerat, & dans
le moment Dom Garcie
parut. Je n'entreprendrai
point
point d'exprimer les divers.
mouvemens de surprise
d'amour & de colere
donc le solitaire futsaisi ;
Dom Garcie voulut prosiser
du moment pour se
défaire de son rival avant
qu'il fût en défense, mais
lescelerat meritoitla
mort,le solitairel'étendii
à ses pieds; après le peu de resistance qu'on doit
attendre d'un lâche & d'un
traître,ensuite s'abandonnant
à d'autres transports,
il s'approcha d'Elvire:
quel bonheur luidit-il
y
Madame?la fortunevous?;
rend à mon amour, & livre
mon rival à ma vengeance
; que le perfide
nous a causé de maux r
que n'ai-je point souffert
pendant vôtre absence!
Jen'oublierai jamais,,
Prince, répondit Elvire,
le service que vôtre pitié
vient de me rendre, mais
je ferois plus heureuse si
je le devois à vôtre amour.
Ah!Ciel,s'écrialesolitaire,
comment expliquer
ces cruels reproches? jesuis
donc un amantinfidele.
Prince, je voudrois
pouvoir en douter,
rien ne troubleroit la joye
- que j'ai de vous revoir;
Ah! je serois trop heureuse.
Grand Dieu,s'ecriatil
encore une fois,il est
donc vrai que vous m'accufèz
d'inconstance> Ahj
Madame,quel démon envieux
de nôtre bonheur,
vous donne ces injustes
soupçons ;quoi je vous
revois! le plaisir que je
sens me persuade que tous
mes maux sont finis, & je
retrouve au même instant
des malheurs plus grands
encore que ceux que j'ai
fouffers
; ma chere Elvire
voyez cette trille retraite,
cetteaffreuse solitude!
font-ce la des preuves de
mon inconstance ? Oui,
Prince, cest le choix de
cette solitude qui confirme
mes tristessoupçons.
Ah! Seigneur, est-ce dans
la forestde Gades que
vôtre. confiance devoit
éclater? Le solitaire, qui
ne pouvoit rien compren- dre au discours d'Elvire,
ne sçavoit comment calnler.,
les soupçons ;nia
Princesse, lui disoit-il, daignez
medire le sujet de
vos reproches,je fuis Ulr
de me justifier, jenesuis
pas surpris que vous me
foupçonniez., le moindre
accidentpeut allarmer
une amante {enfible3 j'ai
moi-même eprouve combien
il elt aisé de craindre
le changement dece qu'
onaime
)
jevous ai crû
moi-même moins fidelle
que je ne vous retrouve,
mais si l'heureuse avanture
quinous réunit ne m'avoit
détrompé, loin de vous en
faire un mystere,je me
ferois plaint à vous, je
vous aurois découvert le
sujet de mesdouleurs, ôc
je n'aurois rien tant fouhaitté
que de vous voir
bien justifiée
; pourquoy
n'en usez-vous pas ainsi,
ma Princesse ? l'amour
peut-il prendre un autre
parti? Que me servira-t-il,
reprit El vire, de vous convaincred'inconstance
? je
ne vous en aimerai pas
moins, & vous n'en aimerez
pas moins Leonore.
Quoi!j'aime Leonore, reprit
vivement le solitaire?
Ah! je vois maintenant le
sujet de vos qsoupconsy.
vous avez crû que, charmé
de cette Princesse,je
n'habite cette solitude
-
que pour lui prouver mon
amour , mais non,ma
chere Elvire,rendez-moimon
innocence, rendezmoi
tout vôtre amour:je
n'ai jamais vû Leonore,,,
je suis dans un lieu tout
plein de sa beauté & de
les vertus & je n'ai jamais
penséqu'à vous, c'est pour
vous feule que je fuis réduit
dans l'état où vous -
me voyez. Ah! Prince., dit
Elvire,que ne vous puisje
croiremaisnon vous
me trompez;voyez vousmême
si je dois être convaincue
; je racontois a
Leonore nos communs
malheurs, elle me demanda
vôtre nom, je lui nommai
le Prince de Murcie,
&: soudain elle tombaévanouie
dans mes bras;
jouiuez. Prince, de vôtre
gloire, après ce coup rien
ne peut môterma douleur.
leur. Elvire voulut s'éloi.
gnerdu solitaice pour lui
cacher ses larmes.; arrêtez
ma Princene, s'écria-t-il
,
non je
-,
n'ai jamais vu Leonore,
ilest un autre Prince
de Murcie,vous le devez
sçavoir: Ah! pouvezvousme
soupçonner? mais
rnachere Elvire,venez me
voir tout-à-faitjustisié, j'ai
laissé dans ma cabane un
inconnu qui aime Leonore,
l'état où la nouvelle
de son mariage avec Dom
Juan la réduit, m'a découvert
son secret: il est
sans doute ce Prince de
Murcie amant de Leonore,
venezJe lui demanderai
son nom, il ne pourra
me resuser cet ecfairciuement,
qui importe tant a
vôtre bonheur& au mien.
Ils n'eurent pasgrand chemin
à faire pour arriver à
la petite cabane;le cours
de leur conversation les y
avoit insensiblement conduits,
ils y entrent, mais
quel spectacle s'offrit tout
d'un coup à leurs yeuxils
virent deux hommes étendus
dans la cabane, qui
perissoient dansleursang.
Ah Ciel! s'écria Elvire,
saisie d'horreur .& de sur-
,
prise.Qui sont ces malheureux
?Que je plains là
fort de l'un d'eux, repondit
le solitaire; c'est cet
étranger qui étoit venu
chercher ici un azile, nous
déplorions ensemblenos
communs malheurs, il alloit
fininles miens. Elvire
revenue de sa premiere
terreur s'approcha 8c reconnut
Dom Juan, Le
Prince après s'être separé
de D. Garcie avoit longtemps
erré dans la forêt,
occupe destrilles idées qui
les avoient conduits:malygré
ce que la fortune faisoitpour
luiy il nelaissoit
pas d'avoir ses chagrins;
il avoit apperçu lacabane
du soliraire, .& y étoit entré
attiré par sa simpie curiosite
:
les' soupirs de cet
inconnul'avoit redoublée
enexcitant sa compas.
sion. Mais quelle surprise!,
à peineces deux hommes
se furent envilagezdqu'un
premier mouvement de
rage & devengeance leur
étant tout loisir de s'expliquer
: Ah te voila,traître.,
s'écria l'un; perside, tu
mourras, secria l'autre :
& à l'instant ils se lancent
furieux l'un sur l'autre, &
se battent avec tant de
haine & tant d'acharnement,
que sans recevoir
aucun coupmorcel ils se
ercerent enplusieurs endroits,
ils tomberent l'un
& l'autre affoiblis par la
perte de leur sang,&par
la longueur du combar.Ce
fut dans cet état que les
trouvèrent Elvire & fou
amant, ils leur donnrent
tous les secours possibles,&
se retirèrent a l'écart dans
l'esperance de tirer quelque
éclaircisement de ce
que se diroient ces deux
rivaux. Ils reprirent peu
de temps après leurs sorces
& leurs ressentimens,.
& le Prince de Murcie
tournant vers Dom Juan
des yeux pleins d'indignation:
Quoy tu vis encore
le Ciel ne peur donc consentir
à la mort du digne
époux de Leonore, ni la
forc,ni l'amournilahaine
îije peuventrien sur de si
beauxjours?Le Ciel,répondit,
Dom Juan, veut que
j'admire encor cet illuitre
conquerant, qui vient de
joindre ,à tant de hauts titres
celuy de Duc de Grenade
: Quel regret pour
moy de mourir sans voir
regner un Prince si genereux
?Peux-tu le voir sans
rougir,persideyreprit le
Prince Non dit Dom
Juan.le rougis de t'avoir
il rpal connu. Les traîtres,
répliqua le Prince, ne rougissent
du crime qu'après
qu'ils l'ont commis. - Il est
vray, répondit D. Juan
y s'ils n'en rougissoient pas
si tard,je ferois Duc de
Grenade, & vous ne seriez
encore que le Prince de
Murcie. Poursuis,indigne
amy ,
reprit le Prince,
cherche un pretexte à ton
horrible persidie; tu n'es
donc l'époux de Leonore
que parce que je luis un
Tyran?Non', traître, repondit
Dom Juan, puiss
qu'il faut enfin éclatter, je
ne t'ai point trahi,je mefuis
yengé de l'ennemi commun
de toute l'Espagne;
d'un usurpateur qui elt en
abomination dans toute
l'Europe: Renonce àLeonore,
qui tesereste autant
quelle t'a autrefois aimé.
Grand Dieu,s'ecria-t-il,où
fùis-je?non,, Leonorenaura
pas pu le croire; tes
derniers mots te convainquentd'imposture,
tu peux
m'avoir pris pour unusurpateur,
mais non pas cette
genereule Princesse. Il est
vray, répondit D. Juan,.
tu l'avois seduite par ta
fausse vertu: maisqu'avoir
elle a repondre a D. Garcie,.
dont la fidelité rend
ta perfidie certaine ? Le
Prince vit dés ce moment
la trahison de D. Garcie
y,
& parla ainsi à sonrival:
Dom Juan,je fuis forcé de
vous rendre vôtre innocence,
Dom Garcie vous
a trahis tous deux: loin
d'usupervosEtats,je les
aysoustraits à la tyrannie,
dans le seul dessein de vous
les rendre
:,- En abordant
Tille de Gadcs je trouvay
Dom Pedre qui vous cherchoit
par tout, jem'offris
à prendre vôtre place, &
je fis pour vous ce que je
n'aurois pas fait pour moymême,
je me privay du
plaisir de revoir Leonore
pour vous remettre dans
vos Estats ; j'en ai chassé
Dom Garcie qui les usurpoit:
pour prix de mon secours
Ôc de mon amitié
vous épousez ce que j'ainle,
sans que j'en puisse
accuser que la fortune-,
vous n eres point coupable
: mais cependant Leonore
eIl: à vous & je la
perds pourjamais.
Le Prince de Murcie
parloit d'un air si couchant
que Dom Juan lui-même
commençoitàs'attendrir.
On peut juger de laJitua.
tion des deu x spectateurs;
Elvire étoit sûre du coeur
de son amant,& cetamant
voyoit dans les yeux d'El..
vire, & la justice qu'elle
rendoit à son amour, &la
joye avec laquelle elle la
lui rendoit,il ne manquoit
plus au Prince qu'une
occasion de confirmer
ces diccours qui faisoient
déja tant d'impression;
hazard la sit naître prefqu'au
même instant.Un
des domestiques de Dom
Juan,qui avoitsuivi Dom
Garcie, entra dans laca~
bane, attiré par le bruit
qu'il avoit entendu. Approchez,
lui dit D. Juan,
pourquoy m'avez
- vous
trahi? pourquoiêtes-vous
entré dans lecomplot du
traître Dom Garcie? Fernandez
( c'étoit le nom
du domestique ) interdit
d'une questionà laquelle
il ne s'attendoit pas, &
déjà surpris de la réunion
à
des deux Princes, prit le
parti de se jetter aux
pieds de son Maître, 8c
de lui découvrir tout le
mystere d'une sinoire trahison.
Ah! quel secret venez-
vous de me reveler.,
s'écria Dom Juan, saisi
d'une juste horreur,confus
desa credulité
)
deses
peré d'avoir fîiivi les mouvemens
de sa haine contre
celui à qui il devoit tout?
Ah! Seigneur,s'écria-t-il,
se tournant vers le Prince
de Murcie, que puisje
vous dire? je ne suis point
l'époux de Leonore. Vous
n'êtes point son époux,
répondit le Prince? Ah!
Dom Juan pourquoi voulez-
vousme flatter? croyez-
vous par là conserver
ma vie? Non, je meurs
mal-heureux amant de
Leonore& fidele ami de
D. Juan.C'est moi qui dois
mourir,reprit Dom Juan,
je ne fuis plus digne de
la vie; vivez, Prince,
pour posseder Leonore,
j'aiassez d'autres crunes
à me reprocher sans me
charger- encore de celui
d'être son époux; non.,
je ne le fuis point, & l'unique
consolation qui me
reste, après tous les maux
queje vous ai causez, c'est
d'être encor plus malheureuxquejene
fuis coupable.
En mêmetemps il lui
apprit comment ce mariageavoit
été retardé par
une violente maladie de
Leonore
, que ses chagrins
avoient apparemment
causée. Dom Juan
ne borna pas là les foins
.qu'il devoir au Prince
lui promit de fléchir le
Duc
Duc d'Andalousiey & fit
renaître
,
dans son coeur
l'esperance que tant. de
malheurs en avoient ôtée.
Quelchangement de situation
pour le Prince de
Murcie, à peine croyoit- iltout ce qu'il entendait
partageentre la joye de
ravoir Leonore fidelle,
& l'impatience, de la revoir
telle que l'amour la
lui conservoit
,
à peine
pouvoit-il suffire à ressentir
tout son bonheur. Elvire
& le solitaire de leur
côté jouissoient du bonheur
de se trouver fîdeles,
exempts des soins &de l'inquietude
qui troubloient
depuis si long-temps leur
amour; le spectacle dont
ils étoient témoinsaugi
mentoit encore leur tendresse.
Après qu'ilsse furent
dit tout ce qu'un bonheur
mutuel peut inspirer,
ils s'aprocherent des deux
Princes. Dés que le Prince
deMurcie eut apperçû le
solitaire, il luy dit: Vous
- me trouvez,Seigneur,dans
unesituation- bien- différente
de celle ou vous,
m'aviez laissé, vous voyez
qu'il ne faut qu'un moment
pour terminer les
plus grands malheurs, j'espere
que celuy qui doit
finir les vôtres- n'est pas
bien éloigné, &pour lors
ma joye sera parfaite. Seigneur,.
répondit le solitaire,
le Ciel nous a réunis
pour nous rendre tous heureux,
vous allez- revoir
Leonore,,, jeretrouve El
vire fidellé
; cette avanture
finittous lesmalheuts
qui sembloient attachez
aunom que nous portons
l'un & l'autre. Il lui apprit
en même temps qu'il étoit
un cadet de la maison,
dont la branche separée
depuis long-temps estoit
presque inconnuë enEspagne,
il luy raconta les
soupçons d'Elvire à l'occasson
de la conformité
de leur nom; les momens
surent employez à des détails
capables d'interesser
du moins des amans:mais
lorsqu'Elvire luy rendit
compte àsontour de Son
entrevue a\*ecLectfi0rcv&
de tout cequi l'avoirluivie
:Ah, s'écria,le Prince,,
quela fortune, est cruelle
quand ellenouspourluit:
c'érait l'unique moyen de
rendrema fidélité suspecte
à Leonore:mais non, cette
Princesse connoîtbien
mon coeur,elle n'aura
point
-
fait cette injustice à
mon- amour. Cependant
Fernandezqui avoit ete
témoin; de redaircinement
entre le Prince de
Murcie & son malfire".
plein de tout cequ'ilavoit
entenducourut le publier
dans le Palais du Duc, il
trouva Leonore quiquittoit
la forêt pour retourner
à son appartement, &
elle en sur instruite la premiere.
Son récit étoit aisez
interessant pour que Leonore
voulût le justifier,
elle ': sè fit incontinentconduire
à la cabane;dés
qu'elle parut sa présence
produisit un profond silence
,
le Prince étoit celuy
qui avoit le plus de
choses à dire, il fut aussi
celuy qui eut moins la
force de parler: mais sa
joye n'en éclattoit que
mieux dans ses regards, ôc
Leonore qui l'y. voyoit
toute entiere,ne marquoit,
pas moins vivement le.
plaisir qu'elle ressentoit..
Elvire enfin prit la parole,.
&montrant le solitaire,elle
luy apprit son nom, & lui
donna un éclaircissement
qui manquoit encore à son.
repos.
Dom Juan marquoit le
plus vif repentir,ilcedoit
tous ses droits au Prince
de Murcie: ces amans
se voyoient, délivrez d'un
dangereux persecuteur;que
ne se dirent-ils point dans
de pareils transports ? Ah
,
Madame,s'écria le Prince,
vous m'aimez encore? les
noms d'usurpateur &d'infidele
qu'on m'a tant donnez
n'ont point changé
vôtre coeur? à ce trait je
reconnois Leonore. Ouy,
Seigneur,réponditla Princesse,
je vous ay toûjours
aimé
, & je luis toûjours,
cette Leonore, dont vous
connoissez si bien les sentimens;
les raisons qui sembloient
persuader vostre
inconstance,n'ont pu prévaloir
valoir sur le souvenir de
vos verrus: Prince,j'ay
souffert de vôtre absence
) & de la cruauré avec laquelle
on a voulu flétrir
vôtre nom:mais je ne vous
ay jamais condamné, de
ne pouvant être à vous,
j'allois me donner la mort,
si la fortune ne nous eût
enfin réunis. Je n'entreprendrai
point de rapporter
ici le cours de leur entretien;
pour peu qu'on
connoisse l'amour, on en
imaginera plus que je n'en
pourroisdire: mais enfin
il n'est pointde réünion
plus touchante que celle
de deux amans qui ont eu
tant d'obstacles à surmonter
,qu'ils se protestent
qu'ils ne se sont jamais crus
infidelles
,
parmi tant de
raisons qui sembloient
marquer leur infidélité ;
la haute idée qu'ils avoient
l'un de l'autre avoit toûjours
éloignélajalousieinseparablede
l'amour moins
heroïque, & s'ils n'avoient
pas eu les chagrins de cette
espece,ceux de l'absence
en étoient plusviolens
pour eux.
Les sentimens que tant
de disgraces n'avoient pû
chasser de leur coeur firent
leur gloire & leur felicité;
leur confiance attendrit
enfin le Duc d'Andalousie
, que tant de
nouvelles raisons forçoient
d'estimer le Prince
de Murcie: Ces illustres
Amans furent bientost
unis pour toujours
; cet
heureux mariage fut suivy
de celuy du solitaire
avec Elvire, & comme
la fortune les avoit tous
associez dans les malheurs
qu'elle leur avoit suscitez,
ils jurerent de ne se separerjamais,
FIN.
de ïHtjloirc Espagnole. LE Prince de Murciereprit
enfinles
esprits, & pour lors le lolitaire
lui dit :Seigneur,
si j'avois pu prévoir la su.
neste impression qu'a fait
sur vous la nouvelle que
je vous ai apprise, croyez
qduoeulelouirn, d'irriter vostre
je n'aurois pen.
fé qu'à la soulager; l'experience
que j'ai faite des
revers de la fortune m'apprend
à plaindre ceux quV
ellerend malheureux. Ah
pourquoi ne sçavois-je pas
là'intérêt que vous prenez Leonore? je ne me reprocherais
pas du moins
les tourmens que vous louffre. Je ne vous les
reproche point, Seigneur,
repondit le Prince, non
plus qu'à Leonore; si elle
a épousé Dom Juan elle a
dû l'épouser, ôc si elle m'a
rendu le plus malheureux
des hommes, il faut que
je l'aye mérité:Non le
plus affreux desespoir ne
me forcera jamais à la
traitter d'infidelle mais
je n en mourraipas moins
malheureux.
Ah!Seigneur, repritle
solitaire,si Leonoren'est
point infidelle, il est des
amans plus malheureux
que vous j'ai perdu comme
vous l'esperance de
posseder jamais celle que
jaime,je ne puisdouter de
son inconstance,&j'en
reçoisJes plus forcéspreuves
au moment mêmequi
devoit assurer mon bonheur;
queldesespoirest
égal au mien ? amant dui^e
Princefk-,,,nôçre mariage
étoitconclu duconfentement
de son frère,&l'infîdelie
se
.,
fait enleverce
our-là même par rflôa
rival
,
sans ce trait de la
plus noireinfîdçlitç je seroisencore
a Grepaçlçj
&: vous ue m'auriez point
trouve dans cettesolitude
où nos communs malheurs
nous ont conduit. Le Prince comprit aisément
que cette Princesse,
que le solitaire avoir aiméen'étoit
autre qu'Eli
vire, il en avoit souvent
oui parler à Dom Pedre
son frere, & comme il
sçavoit la violence que
Dom Garcie avoit faire à
Elvire, il crut devoir réparer
le tort que le solitaire
lui faisoit par ses soupçons;
ilme semble
,
Seigneur,
lui dit-il, que vous
condamnez trop aisement
la Princesse que vous aimez
; pourquoi rapporter
àson inconstance un éloignement
dont elle gémit
peut-être autant que vous?-
si vôtre rival l'a enlevée,
le tort que vous lui faites
est irreparable, mais quoiqu'il
en soit, ce n'est point
ainsi qu'il faut juger de ce
qu'on aime. Ah ! je ne
ferois pas si malheureux
si je pouvoissoupçonner
Leonore d'inconfiance. Si
je condamne la Princesse
Elvire, reprit lesolicaire,
c'estque je ne puis douter
qu'elle ne me soit infidelle
y
après cet enlevement
je la cherchai dans
tout le Duché de Grenade
; & dans quelqueslieux
que mon rival lait conduite
,
je l'aurois sans dou-
.re découverte,si ellen'eût
été d'accord avec lui pour
rendre mes recherches
inutiles. Ah ! je l'ay trop
aimée pour ne pas me
plaindre de son changement,
& je vois bien que
nos malheurs font differens
3
quoiqu'ils partent
du même principe. C'est
ainsi que le solitaire die.
putoit au Prince la triste
floired'être le plus maleureux
de tous les horn;.
mes; si c'cft. un dédommagement
pour ceux qui
souffrent
,
ils pouvoient
tous deux y prérendre)
l'un étoit réduit à accuser
sa maîtresse, qui lui étoit
pourtant fidelle, & l'autre
a s'acculer lui-même, lui
qui n'avait jamais eu d'autre
regle de ses adtions
quesa gloire & son amour.
Cependant Elvirepassoit
sa vie dans de mortelles
inquiétudes auuibien
que Leonore,la convention
que ces deux
Princesses avoient eûë
leur étoit également funeste
,
& si Leonore avoit
lieu de soupçonner un
Prince, qu'Elvire avoit
nommé son amant, Elvire
soupçonnoit avec raison
un amant dont le nom
avoir produit un si violent,
effet sur Leonore;ellesavoient
un égal intérêt de se
retrouver. pour éclaircir
un doute si cruel,mais il
ne fut pas permis à Leonore
d'aller feule dans le
jardin,& Elviren'y voyant
plus que la curieuse tante,.
fut contrainte de choisir,
pour le lieu de sa promenade
,
la Forest de Gades;
c'est là que ces deux Princesses
le retrouverent dans
le temps qu'elles ne l'esperoient
plus. Le Duc d'Andalousie,
content de l'obeissance
de sa fille, l'avoit
enfin délivrée des
importunitez de sa vieille
secur
y
elle alloit souvent
se promener dans cette
Forest là elle pouvoit
joüir de la solitude-, & se
livrer à toute sa douleur
Le hazard la conduisit un
jour dans l'endroit où Etvire
avoit coutume d'aller
se plaindre de ses malheurs,
aussitôt elle court
vers elle avec empressement,,
& lui dit: il y a
long-temps que je vous
cherche, Madame, pour
vous apprendre une nouvelle
qui doit vous interesser
: Le Prince de Murcie
est Duc. de Grenade
par les soins de Dom Pedre
vôtre frere & son ami.
Madame,répondit Leonore,
vous sçavez la part
que j'y dois prendre, mais
je devine aussi celle que
vous y prenez, ce n'est
point moi qui dois ressentir
la joye de cette nouvelle.
Ah! qui doit donc
la ressentir ? reprit Leonore,
le Prince de Murcie
vous aime, Ôc. n'a fait
une si, grande démarche
que pour vous meriter.
Ah! Madame,répondit
Elvire, pourquoi insultez.
vousàmon malheur? Je
sçai que je ne suis point
aimée,c'est en vain que
je voudrois vous disputer
le coeur du Prince: de
Murcie.Ces deux Princelles
entraientinsensiblement
au pointd'unéclaircissement
qui leur étoitsi
necessaire,lorsqueDom
Juan &DomGarcievinrent
troubler leur entrer
tien: sitôtqu'Elvire eut
EÇÊonnu>fon persecuteur,
qgif n'étoitpasfort loin
d'elle,elle prit la fuite, &
Leonore> que la presence
de Dom Juan auroit embarrassée
dans une pareille
circonstance., prit une
autre allée dans le dessein
del'evicer; Dom Garcie
avoit cru reconnoîtreElvire
& l'avoit suivie des
yeux;l'occasion lui parut
trop bellepour la négliger
: Seigneur, dit-il à D.
Juan, vous voulez sans
doute aborder Leonore?
je vous laisse seul de peur
de troubler un entretien
si doux pour l'un & pour
l'autre, je ferai toujours à
portée de vous rejoindre;
en même temps il fuit la
routequ'il avoit vu prendre
à Elvire, & aprés
l'avoir assez long-temps
cherchée,il la découvrit
dans le lieule plus écarté
de la forest.Quelle fut la
surprise&la crainte de
cette Princessè? elle con,
noissoit le perfide Dom
Garcie.,irrité de ses refus
& de ses mépris,il étoit
capable de se porter aux
plus violentes extremitez;
Elvire dans un si grand
péril n'eut d'autrereilburce
quecelle de faire em*
tendre des cris horribles,
quipussent lui attirer du
secours, & ses cris en effet
la sauverent. Le solitaire,
quile promenoit assez près
de la, les entendit; aussitôt
il court vers le lieu où
les cris d'Elvire le con- duisent , & tout d'un , toup: il voit celle qu'il
croyoit infidelle à Grenade
, qui
-
se jettedansses
bras,en lui disant: Seigneur
,sauvez-moi des fureurs
d'un scelerat, & dans
le moment Dom Garcie
parut. Je n'entreprendrai
point
point d'exprimer les divers.
mouvemens de surprise
d'amour & de colere
donc le solitaire futsaisi ;
Dom Garcie voulut prosiser
du moment pour se
défaire de son rival avant
qu'il fût en défense, mais
lescelerat meritoitla
mort,le solitairel'étendii
à ses pieds; après le peu de resistance qu'on doit
attendre d'un lâche & d'un
traître,ensuite s'abandonnant
à d'autres transports,
il s'approcha d'Elvire:
quel bonheur luidit-il
y
Madame?la fortunevous?;
rend à mon amour, & livre
mon rival à ma vengeance
; que le perfide
nous a causé de maux r
que n'ai-je point souffert
pendant vôtre absence!
Jen'oublierai jamais,,
Prince, répondit Elvire,
le service que vôtre pitié
vient de me rendre, mais
je ferois plus heureuse si
je le devois à vôtre amour.
Ah!Ciel,s'écrialesolitaire,
comment expliquer
ces cruels reproches? jesuis
donc un amantinfidele.
Prince, je voudrois
pouvoir en douter,
rien ne troubleroit la joye
- que j'ai de vous revoir;
Ah! je serois trop heureuse.
Grand Dieu,s'ecriatil
encore une fois,il est
donc vrai que vous m'accufèz
d'inconstance> Ahj
Madame,quel démon envieux
de nôtre bonheur,
vous donne ces injustes
soupçons ;quoi je vous
revois! le plaisir que je
sens me persuade que tous
mes maux sont finis, & je
retrouve au même instant
des malheurs plus grands
encore que ceux que j'ai
fouffers
; ma chere Elvire
voyez cette trille retraite,
cetteaffreuse solitude!
font-ce la des preuves de
mon inconstance ? Oui,
Prince, cest le choix de
cette solitude qui confirme
mes tristessoupçons.
Ah! Seigneur, est-ce dans
la forestde Gades que
vôtre. confiance devoit
éclater? Le solitaire, qui
ne pouvoit rien compren- dre au discours d'Elvire,
ne sçavoit comment calnler.,
les soupçons ;nia
Princesse, lui disoit-il, daignez
medire le sujet de
vos reproches,je fuis Ulr
de me justifier, jenesuis
pas surpris que vous me
foupçonniez., le moindre
accidentpeut allarmer
une amante {enfible3 j'ai
moi-même eprouve combien
il elt aisé de craindre
le changement dece qu'
onaime
)
jevous ai crû
moi-même moins fidelle
que je ne vous retrouve,
mais si l'heureuse avanture
quinous réunit ne m'avoit
détrompé, loin de vous en
faire un mystere,je me
ferois plaint à vous, je
vous aurois découvert le
sujet de mesdouleurs, ôc
je n'aurois rien tant fouhaitté
que de vous voir
bien justifiée
; pourquoy
n'en usez-vous pas ainsi,
ma Princesse ? l'amour
peut-il prendre un autre
parti? Que me servira-t-il,
reprit El vire, de vous convaincred'inconstance
? je
ne vous en aimerai pas
moins, & vous n'en aimerez
pas moins Leonore.
Quoi!j'aime Leonore, reprit
vivement le solitaire?
Ah! je vois maintenant le
sujet de vos qsoupconsy.
vous avez crû que, charmé
de cette Princesse,je
n'habite cette solitude
-
que pour lui prouver mon
amour , mais non,ma
chere Elvire,rendez-moimon
innocence, rendezmoi
tout vôtre amour:je
n'ai jamais vû Leonore,,,
je suis dans un lieu tout
plein de sa beauté & de
les vertus & je n'ai jamais
penséqu'à vous, c'est pour
vous feule que je fuis réduit
dans l'état où vous -
me voyez. Ah! Prince., dit
Elvire,que ne vous puisje
croiremaisnon vous
me trompez;voyez vousmême
si je dois être convaincue
; je racontois a
Leonore nos communs
malheurs, elle me demanda
vôtre nom, je lui nommai
le Prince de Murcie,
&: soudain elle tombaévanouie
dans mes bras;
jouiuez. Prince, de vôtre
gloire, après ce coup rien
ne peut môterma douleur.
leur. Elvire voulut s'éloi.
gnerdu solitaice pour lui
cacher ses larmes.; arrêtez
ma Princene, s'écria-t-il
,
non je
-,
n'ai jamais vu Leonore,
ilest un autre Prince
de Murcie,vous le devez
sçavoir: Ah! pouvezvousme
soupçonner? mais
rnachere Elvire,venez me
voir tout-à-faitjustisié, j'ai
laissé dans ma cabane un
inconnu qui aime Leonore,
l'état où la nouvelle
de son mariage avec Dom
Juan la réduit, m'a découvert
son secret: il est
sans doute ce Prince de
Murcie amant de Leonore,
venezJe lui demanderai
son nom, il ne pourra
me resuser cet ecfairciuement,
qui importe tant a
vôtre bonheur& au mien.
Ils n'eurent pasgrand chemin
à faire pour arriver à
la petite cabane;le cours
de leur conversation les y
avoit insensiblement conduits,
ils y entrent, mais
quel spectacle s'offrit tout
d'un coup à leurs yeuxils
virent deux hommes étendus
dans la cabane, qui
perissoient dansleursang.
Ah Ciel! s'écria Elvire,
saisie d'horreur .& de sur-
,
prise.Qui sont ces malheureux
?Que je plains là
fort de l'un d'eux, repondit
le solitaire; c'est cet
étranger qui étoit venu
chercher ici un azile, nous
déplorions ensemblenos
communs malheurs, il alloit
fininles miens. Elvire
revenue de sa premiere
terreur s'approcha 8c reconnut
Dom Juan, Le
Prince après s'être separé
de D. Garcie avoit longtemps
erré dans la forêt,
occupe destrilles idées qui
les avoient conduits:malygré
ce que la fortune faisoitpour
luiy il nelaissoit
pas d'avoir ses chagrins;
il avoit apperçu lacabane
du soliraire, .& y étoit entré
attiré par sa simpie curiosite
:
les' soupirs de cet
inconnul'avoit redoublée
enexcitant sa compas.
sion. Mais quelle surprise!,
à peineces deux hommes
se furent envilagezdqu'un
premier mouvement de
rage & devengeance leur
étant tout loisir de s'expliquer
: Ah te voila,traître.,
s'écria l'un; perside, tu
mourras, secria l'autre :
& à l'instant ils se lancent
furieux l'un sur l'autre, &
se battent avec tant de
haine & tant d'acharnement,
que sans recevoir
aucun coupmorcel ils se
ercerent enplusieurs endroits,
ils tomberent l'un
& l'autre affoiblis par la
perte de leur sang,&par
la longueur du combar.Ce
fut dans cet état que les
trouvèrent Elvire & fou
amant, ils leur donnrent
tous les secours possibles,&
se retirèrent a l'écart dans
l'esperance de tirer quelque
éclaircisement de ce
que se diroient ces deux
rivaux. Ils reprirent peu
de temps après leurs sorces
& leurs ressentimens,.
& le Prince de Murcie
tournant vers Dom Juan
des yeux pleins d'indignation:
Quoy tu vis encore
le Ciel ne peur donc consentir
à la mort du digne
époux de Leonore, ni la
forc,ni l'amournilahaine
îije peuventrien sur de si
beauxjours?Le Ciel,répondit,
Dom Juan, veut que
j'admire encor cet illuitre
conquerant, qui vient de
joindre ,à tant de hauts titres
celuy de Duc de Grenade
: Quel regret pour
moy de mourir sans voir
regner un Prince si genereux
?Peux-tu le voir sans
rougir,persideyreprit le
Prince Non dit Dom
Juan.le rougis de t'avoir
il rpal connu. Les traîtres,
répliqua le Prince, ne rougissent
du crime qu'après
qu'ils l'ont commis. - Il est
vray, répondit D. Juan
y s'ils n'en rougissoient pas
si tard,je ferois Duc de
Grenade, & vous ne seriez
encore que le Prince de
Murcie. Poursuis,indigne
amy ,
reprit le Prince,
cherche un pretexte à ton
horrible persidie; tu n'es
donc l'époux de Leonore
que parce que je luis un
Tyran?Non', traître, repondit
Dom Juan, puiss
qu'il faut enfin éclatter, je
ne t'ai point trahi,je mefuis
yengé de l'ennemi commun
de toute l'Espagne;
d'un usurpateur qui elt en
abomination dans toute
l'Europe: Renonce àLeonore,
qui tesereste autant
quelle t'a autrefois aimé.
Grand Dieu,s'ecria-t-il,où
fùis-je?non,, Leonorenaura
pas pu le croire; tes
derniers mots te convainquentd'imposture,
tu peux
m'avoir pris pour unusurpateur,
mais non pas cette
genereule Princesse. Il est
vray, répondit D. Juan,.
tu l'avois seduite par ta
fausse vertu: maisqu'avoir
elle a repondre a D. Garcie,.
dont la fidelité rend
ta perfidie certaine ? Le
Prince vit dés ce moment
la trahison de D. Garcie
y,
& parla ainsi à sonrival:
Dom Juan,je fuis forcé de
vous rendre vôtre innocence,
Dom Garcie vous
a trahis tous deux: loin
d'usupervosEtats,je les
aysoustraits à la tyrannie,
dans le seul dessein de vous
les rendre
:,- En abordant
Tille de Gadcs je trouvay
Dom Pedre qui vous cherchoit
par tout, jem'offris
à prendre vôtre place, &
je fis pour vous ce que je
n'aurois pas fait pour moymême,
je me privay du
plaisir de revoir Leonore
pour vous remettre dans
vos Estats ; j'en ai chassé
Dom Garcie qui les usurpoit:
pour prix de mon secours
Ôc de mon amitié
vous épousez ce que j'ainle,
sans que j'en puisse
accuser que la fortune-,
vous n eres point coupable
: mais cependant Leonore
eIl: à vous & je la
perds pourjamais.
Le Prince de Murcie
parloit d'un air si couchant
que Dom Juan lui-même
commençoitàs'attendrir.
On peut juger de laJitua.
tion des deu x spectateurs;
Elvire étoit sûre du coeur
de son amant,& cetamant
voyoit dans les yeux d'El..
vire, & la justice qu'elle
rendoit à son amour, &la
joye avec laquelle elle la
lui rendoit,il ne manquoit
plus au Prince qu'une
occasion de confirmer
ces diccours qui faisoient
déja tant d'impression;
hazard la sit naître prefqu'au
même instant.Un
des domestiques de Dom
Juan,qui avoitsuivi Dom
Garcie, entra dans laca~
bane, attiré par le bruit
qu'il avoit entendu. Approchez,
lui dit D. Juan,
pourquoy m'avez
- vous
trahi? pourquoiêtes-vous
entré dans lecomplot du
traître Dom Garcie? Fernandez
( c'étoit le nom
du domestique ) interdit
d'une questionà laquelle
il ne s'attendoit pas, &
déjà surpris de la réunion
à
des deux Princes, prit le
parti de se jetter aux
pieds de son Maître, 8c
de lui découvrir tout le
mystere d'une sinoire trahison.
Ah! quel secret venez-
vous de me reveler.,
s'écria Dom Juan, saisi
d'une juste horreur,confus
desa credulité
)
deses
peré d'avoir fîiivi les mouvemens
de sa haine contre
celui à qui il devoit tout?
Ah! Seigneur,s'écria-t-il,
se tournant vers le Prince
de Murcie, que puisje
vous dire? je ne suis point
l'époux de Leonore. Vous
n'êtes point son époux,
répondit le Prince? Ah!
Dom Juan pourquoi voulez-
vousme flatter? croyez-
vous par là conserver
ma vie? Non, je meurs
mal-heureux amant de
Leonore& fidele ami de
D. Juan.C'est moi qui dois
mourir,reprit Dom Juan,
je ne fuis plus digne de
la vie; vivez, Prince,
pour posseder Leonore,
j'aiassez d'autres crunes
à me reprocher sans me
charger- encore de celui
d'être son époux; non.,
je ne le fuis point, & l'unique
consolation qui me
reste, après tous les maux
queje vous ai causez, c'est
d'être encor plus malheureuxquejene
fuis coupable.
En mêmetemps il lui
apprit comment ce mariageavoit
été retardé par
une violente maladie de
Leonore
, que ses chagrins
avoient apparemment
causée. Dom Juan
ne borna pas là les foins
.qu'il devoir au Prince
lui promit de fléchir le
Duc
Duc d'Andalousiey & fit
renaître
,
dans son coeur
l'esperance que tant. de
malheurs en avoient ôtée.
Quelchangement de situation
pour le Prince de
Murcie, à peine croyoit- iltout ce qu'il entendait
partageentre la joye de
ravoir Leonore fidelle,
& l'impatience, de la revoir
telle que l'amour la
lui conservoit
,
à peine
pouvoit-il suffire à ressentir
tout son bonheur. Elvire
& le solitaire de leur
côté jouissoient du bonheur
de se trouver fîdeles,
exempts des soins &de l'inquietude
qui troubloient
depuis si long-temps leur
amour; le spectacle dont
ils étoient témoinsaugi
mentoit encore leur tendresse.
Après qu'ilsse furent
dit tout ce qu'un bonheur
mutuel peut inspirer,
ils s'aprocherent des deux
Princes. Dés que le Prince
deMurcie eut apperçû le
solitaire, il luy dit: Vous
- me trouvez,Seigneur,dans
unesituation- bien- différente
de celle ou vous,
m'aviez laissé, vous voyez
qu'il ne faut qu'un moment
pour terminer les
plus grands malheurs, j'espere
que celuy qui doit
finir les vôtres- n'est pas
bien éloigné, &pour lors
ma joye sera parfaite. Seigneur,.
répondit le solitaire,
le Ciel nous a réunis
pour nous rendre tous heureux,
vous allez- revoir
Leonore,,, jeretrouve El
vire fidellé
; cette avanture
finittous lesmalheuts
qui sembloient attachez
aunom que nous portons
l'un & l'autre. Il lui apprit
en même temps qu'il étoit
un cadet de la maison,
dont la branche separée
depuis long-temps estoit
presque inconnuë enEspagne,
il luy raconta les
soupçons d'Elvire à l'occasson
de la conformité
de leur nom; les momens
surent employez à des détails
capables d'interesser
du moins des amans:mais
lorsqu'Elvire luy rendit
compte àsontour de Son
entrevue a\*ecLectfi0rcv&
de tout cequi l'avoirluivie
:Ah, s'écria,le Prince,,
quela fortune, est cruelle
quand ellenouspourluit:
c'érait l'unique moyen de
rendrema fidélité suspecte
à Leonore:mais non, cette
Princesse connoîtbien
mon coeur,elle n'aura
point
-
fait cette injustice à
mon- amour. Cependant
Fernandezqui avoit ete
témoin; de redaircinement
entre le Prince de
Murcie & son malfire".
plein de tout cequ'ilavoit
entenducourut le publier
dans le Palais du Duc, il
trouva Leonore quiquittoit
la forêt pour retourner
à son appartement, &
elle en sur instruite la premiere.
Son récit étoit aisez
interessant pour que Leonore
voulût le justifier,
elle ': sè fit incontinentconduire
à la cabane;dés
qu'elle parut sa présence
produisit un profond silence
,
le Prince étoit celuy
qui avoit le plus de
choses à dire, il fut aussi
celuy qui eut moins la
force de parler: mais sa
joye n'en éclattoit que
mieux dans ses regards, ôc
Leonore qui l'y. voyoit
toute entiere,ne marquoit,
pas moins vivement le.
plaisir qu'elle ressentoit..
Elvire enfin prit la parole,.
&montrant le solitaire,elle
luy apprit son nom, & lui
donna un éclaircissement
qui manquoit encore à son.
repos.
Dom Juan marquoit le
plus vif repentir,ilcedoit
tous ses droits au Prince
de Murcie: ces amans
se voyoient, délivrez d'un
dangereux persecuteur;que
ne se dirent-ils point dans
de pareils transports ? Ah
,
Madame,s'écria le Prince,
vous m'aimez encore? les
noms d'usurpateur &d'infidele
qu'on m'a tant donnez
n'ont point changé
vôtre coeur? à ce trait je
reconnois Leonore. Ouy,
Seigneur,réponditla Princesse,
je vous ay toûjours
aimé
, & je luis toûjours,
cette Leonore, dont vous
connoissez si bien les sentimens;
les raisons qui sembloient
persuader vostre
inconstance,n'ont pu prévaloir
valoir sur le souvenir de
vos verrus: Prince,j'ay
souffert de vôtre absence
) & de la cruauré avec laquelle
on a voulu flétrir
vôtre nom:mais je ne vous
ay jamais condamné, de
ne pouvant être à vous,
j'allois me donner la mort,
si la fortune ne nous eût
enfin réunis. Je n'entreprendrai
point de rapporter
ici le cours de leur entretien;
pour peu qu'on
connoisse l'amour, on en
imaginera plus que je n'en
pourroisdire: mais enfin
il n'est pointde réünion
plus touchante que celle
de deux amans qui ont eu
tant d'obstacles à surmonter
,qu'ils se protestent
qu'ils ne se sont jamais crus
infidelles
,
parmi tant de
raisons qui sembloient
marquer leur infidélité ;
la haute idée qu'ils avoient
l'un de l'autre avoit toûjours
éloignélajalousieinseparablede
l'amour moins
heroïque, & s'ils n'avoient
pas eu les chagrins de cette
espece,ceux de l'absence
en étoient plusviolens
pour eux.
Les sentimens que tant
de disgraces n'avoient pû
chasser de leur coeur firent
leur gloire & leur felicité;
leur confiance attendrit
enfin le Duc d'Andalousie
, que tant de
nouvelles raisons forçoient
d'estimer le Prince
de Murcie: Ces illustres
Amans furent bientost
unis pour toujours
; cet
heureux mariage fut suivy
de celuy du solitaire
avec Elvire, & comme
la fortune les avoit tous
associez dans les malheurs
qu'elle leur avoit suscitez,
ils jurerent de ne se separerjamais,
FIN.
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Résumé : SUITE ET FIN de l'Histoire Espagnole.
Le texte relate une série d'événements impliquant plusieurs personnages en proie à des dilemmes amoureux et politiques. Le Prince de Murcie et un solitaire, tous deux malheureux en amour, se rencontrent dans une forêt. Le Prince de Murcie apprend que Leonore, qu'il aime, a épousé Dom Juan. Le solitaire, quant à lui, est désespéré car il croit qu'Elvire, la femme qu'il aime, lui est infidèle. Ils découvrent ensuite Elvire, poursuivie par Dom Garcie, qui est sauvée par le solitaire. Elvire accuse le solitaire d'inconstance, croyant qu'il aime Leonore, mais il nie et explique qu'il n'a jamais vu Leonore. Dans une cabane, ils trouvent Dom Juan et un autre homme blessés, chacun accusant l'autre de trahison. Le Prince de Murcie et Elvire tentent de les secourir. Une confrontation éclate entre Dom Juan et le Prince de Murcie concernant la princesse Leonore. Le Prince de Murcie accuse Dom Juan de trahison et d'usurpation, mais Dom Juan révèle que Dom Garcie est le véritable traître. Dom Juan explique qu'il a agi pour protéger l'Espagne et nie toute trahison envers le Prince. Le Prince de Murcie reconnaît l'innocence de Dom Juan et la trahison de Dom Garcie. Dom Juan avoue qu'il n'est pas l'époux de Leonore et exprime son repentir, promettant d'aider le Prince de Murcie à récupérer ses États et à reconquérir Leonore. Le solitaire, ami d'Elvire, se révèle être un cadet de la maison du Prince de Murcie. Elvire et le solitaire se retrouvent fidèles l'un à l'autre. Leonore, informée des événements, se réconcilie avec le Prince de Murcie, exprimant leur amour inébranlable. Le Duc d'Andalousie, ému par les preuves de leur amour et de leur loyauté, estime le Prince de Murcie. Les amants se marient, ainsi qu'Elvire et le solitaire, jurant de ne jamais se séparer.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 73-97
LE CHESNE & l'Espine.
Début :
J'ay dessein de me faire hermite, [...]
Mots clefs :
Chêne, Épine, Ermite, Religieux, Loger dans un chêne, Solitude, Damon, Manger, Glands, Ermitage
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texteReconnaissance textuelle : LE CHESNE & l'Espine.
LE CHESNE
&
PEspine.
J'Ay deffein de mefaire
hermite ,
Le monde eft trop contagieux :
Tant qu'on fe trouve
fous les yeux ,
Onl'aime , on s'y plaiſt ,
on l'imite ;
C'eſt peu d'eſtre Religieux ,
J'ay deffein de me faire
hermite.
Septembre 1712. G
74 MERCURE
Non de cette fecte profcrite ,
Qui trouvoit jadis cent
raifons
Pour rendre ou recevoir
viſite ,
De ces gens à face hipocrite ,
Qu'on voyoit en quelques maiſons ,
Couverts d'un froc hiteroclite ,
Et bridez comme des oi9" efonst,
Aller faire la chatemite
GALANT. 75
Et fe coulant par les
maiſons ,
Quefter, dit - on, pourla
marmite ;
C'eft bien fait , il faut
vivre enfin :
Mais gare dans cette conduite ,
Que l'Eftafier de ſaint
Martin ,
De tout temps cauteleux & fin ,
Quelquefois ne marche
àa la fuite. 97
Pour ne point tomber
G ij
76 MERCURE
dans le cas ,
Je veux comme un autre
Stilite
Me guinder dans une
guerite.
Là content , & loin du
tracas
Mépriſant , comme il le
merite ,
Le monde & fes tromCapeurs appas ,
Je le verray du haut en
adar bas.
Si ce deffein vous paqodiroift fage ,
GALANT. 77
Damon , je viens à deux
genoux ,
M'addreffer tout d'abord
àa vous
Pour me fonder un hermitage ,
Peu me fuffit , ne craignez rien ,
Sans demembrer voſtre
hermitage ,
Je vous demande pour
tout bien
Deux arbres , & rien davantage.
Ce chefne creux & tousG iij
F
78 MERCURE
jours verd ,
Qu'on voit en ſuperbe
cftalage
Dominer fur voftre village ,
Semble m'offrirfon flanc
ouvert ,
Grimpant à fon plus
haut eftage
C'eft où je prétends me
loger ,
Y joignant pour tout
bajardinage ,
L'efpine de voſtre verger.
Tantoft comme un oi-
GALANT. 79
feau fauvage ,
Sur leurs belles branches
perché ,
Tantoft aufond du creux
niché
Comme un moineau
dans une cage
J'y feray la nique au
peché.
Pour les befoins de la
nature
J'y trouveray mon entretien
Le gland fera ma nour-.
riture ,
G iiij
80 MERCURE
L'enfant prodigue en vefcut bien.
Le Ciel propice & falutaire
Pour la foif du pauvre
reclus ,
Luy fournira de belle eau
!
claire :
Helas que luy faut . il
de plus.
Ce chefne dont la refiftance
Triomphe depuis fi longtemps
Et des orages & des
vents
GALANT. 81
M'apprendra dans ma
penitence ,
Qu'il faut refifter juſqu'au bout ,
Et que la force & la
conftance
A la fin triomphent de
tout.
En voyant la feüille mobille !
Obeïr aux moindres zephirs ;
Helas ! diray-je avec ſoupirs ,
C'est ainsi que le cœur
fragile
82 MERCURE
Se laiffe aller à fes defirs.
S'il eſt battu de quelque
orage ,
Si des vents il fent la rigueur ,
J'y croiray trouver une
image
De ce trifte & cruel ravage ,
Que les paffions en fureur ,
Caufent quelquefois dans
un cœur.
Charmante épine , mais
trompeuſe ,
GALANT. 83
Vous eftes un peu dangercufe
Par les pointes que vous
cachez :
Vous m'apprendrez que
vos piqueures
Font de moins funeftes
bleffeures ,
Que les plaifirs que j'ay
cherchez.
A la douleur ,
quoyque
fenfible ,
J'en connoiftray l'utilité
Quand vous m'aurez facilité
84 MERCURE
La route fafcheufe &
penible
Qui mene à la felicité.
Vous n'aurez pour moy
rien de rude ,
Aimable & chere folitude ,
Alte là , me dira quelqu'un ,
Moderez un peu voſtre
zele ,
Voftre folitude eft fort
belle ,
Et ce projet n'eſt pas
commun ;
GALANT. 85
Mais cependant pour
vous j'en tremble ,
Je fçay qui s'en repentiroit ,
Et d'abord , à ce qu'il
me femble ,
Vous vous giftez bien à
l'eftroit.
D'ailleurs du gland pour
nourriture ,
C'eſt certes un maigre
repas :
L'enfant prodigue vous
raffeure
Mais le drolle en fut bientoft las.
86 MERCURE
Enfin c'eſt bien pauvre
befogne
Que de belle eau claire
entre nous ;
Atout hazard garniſſezvous
De quelque bon vin de
Bourgogne ,
Cela feroit fort de mon
gouft.
On a beau dire , on a
beau faire ,
La plus belle eau claire
après tout
Ne fouftient point le Solitaire >
GALANT. 87
Et pouffe la ferveur à
bout ,
Le vin meuble mieux la
cellule.
Taifez- vous , demon tentateur ,
N'efperez pas troubler
mon cœur ,
Mon zele jamais ne recule.
Eft -ce à l'eftroit eſtre
giſté ,
Que d'eftre logé dans un
chefne ?
Où ( fi jadis j'ay bien
88 MERCURE
compté )
Quarante enfans tiennent
fans peine.
Pour l'épine je me fouviens ,
Qu'on y tient douze à table ronde ;
Or , s'il y tient bien tant
de monde ,
C'eſt grand hazard ſi je
n'y tiens.
Pour le gland , & la belle
eau claire ,
Je ne m'en fais pas une
affaire ;
Je
GALANT. 89
Je puis m'en contenter.
Enfin ;
Chez Damon ,
quoyque
l'on m'oppoſe ,
Il me fuffit pour toute
chofe ,
Que je vous auray pour
voiſin.
Non ; avec ce doux voifinage ,
Je ne craindray ny foif
ny faim ' ,
Et vivray dans mon hermitage
Sans foucy pour le lenSeptembre 1712. H
90 MERCURE
demain.
Voftre cuiſine en eft fi
proche ,
Que j'entendray tourner
la broche ,
Qui ne tourne jamais en
vain;
Ce bruit me tiendra lieu
de cloche ,
Et je croiray qu'on veut
fonner
Pour marquer l'heure du
difner.
Apeine ferez-vous à table
,
GALANT. 91
1
Que d'unairdoux & charitable ,
Vous direz àvoſtre valet,
Tiens , prend un plat &
ce poulet ,
porte Et le
Qui n'a
à ce pauvre
Hermite ,
ny broche
ny
marmite.
Je l'entendray venir ſoudain ,
Et m'avançant en diligence ,
Je beniray la Providence,
Et n'aurez qu'à tendre la
Hij
92 MERCURE
main ,
Si par hazard on accompagne
Le plat de roz d'un bon
flacon ,
Ou de Bourgogne ou de
Champagne ,
Faudra - t- il le refufer ?
non.
Unpauvre Hermitepeut
bien prendre
Tout ce qui luy vient de
bon lieu.
Tout prendre? oüy, pour
l'amour de Dieu ,
GALANT. 93
Du vin feul, cela doit s'entendre.
Dieu preferve un pauvre
reclus
Degarder meubles fuperAlus.
Tout cecy pourtant doit
fe taire ;
Car autrement je crain-'
drayfort
Qu'on ne fuft jaloux de
mon fort
Si l'on entroit dans ce
myftere.
Tel à qui ce texte a fait
peur ,
94 MERCURE
S'apprivoifant au Commentaire ,
Voudroit fans doute de
bon cœur
Embraffer cette vic auf
tere,
Et demandant avec ardeur
Unpetit coin auSolitaire,
Feroit malgré le Fonda-
: teur
De l'Hermitage un Monaftere.
Mais que chacun refte
chez foy,
GALANT. 95
Le lieu n'eſt pas trop
grand pour moy;
Je m'y borne & je me
confine
Dans monchefne& dans
mon efpine.
J'y fouffriray s'il faut
fouffrir ;
J'y veux vivre , j'y veux
mourir;
Que l'on en parle, qu'on
engronde ;
Que l'on en jafe dans le
monde;
Je le dis , & je le diray,
96 MERCURE
Auffi long-temps que je
vivray.
Vous n'aurez pour moy
rien de rude
Aimable & chere folitude
Belle efpine , cheſne fameux ,
Pourveu que je faſſe me
vœux
Comme Damon me les
fait faire ,
Bon voisinage & bonne
chere
Rendra l'hermite bienheureux.
Qu'un
GALANT. 97
Qu'un jour le Deſtin
nous affemble ,
J'y penfe , j'y refve fou
vent ;
Mais il faudroit auparavant
Que Damon nous uniſt
enſemble.
&
PEspine.
J'Ay deffein de mefaire
hermite ,
Le monde eft trop contagieux :
Tant qu'on fe trouve
fous les yeux ,
Onl'aime , on s'y plaiſt ,
on l'imite ;
C'eſt peu d'eſtre Religieux ,
J'ay deffein de me faire
hermite.
Septembre 1712. G
74 MERCURE
Non de cette fecte profcrite ,
Qui trouvoit jadis cent
raifons
Pour rendre ou recevoir
viſite ,
De ces gens à face hipocrite ,
Qu'on voyoit en quelques maiſons ,
Couverts d'un froc hiteroclite ,
Et bridez comme des oi9" efonst,
Aller faire la chatemite
GALANT. 75
Et fe coulant par les
maiſons ,
Quefter, dit - on, pourla
marmite ;
C'eft bien fait , il faut
vivre enfin :
Mais gare dans cette conduite ,
Que l'Eftafier de ſaint
Martin ,
De tout temps cauteleux & fin ,
Quelquefois ne marche
àa la fuite. 97
Pour ne point tomber
G ij
76 MERCURE
dans le cas ,
Je veux comme un autre
Stilite
Me guinder dans une
guerite.
Là content , & loin du
tracas
Mépriſant , comme il le
merite ,
Le monde & fes tromCapeurs appas ,
Je le verray du haut en
adar bas.
Si ce deffein vous paqodiroift fage ,
GALANT. 77
Damon , je viens à deux
genoux ,
M'addreffer tout d'abord
àa vous
Pour me fonder un hermitage ,
Peu me fuffit , ne craignez rien ,
Sans demembrer voſtre
hermitage ,
Je vous demande pour
tout bien
Deux arbres , & rien davantage.
Ce chefne creux & tousG iij
F
78 MERCURE
jours verd ,
Qu'on voit en ſuperbe
cftalage
Dominer fur voftre village ,
Semble m'offrirfon flanc
ouvert ,
Grimpant à fon plus
haut eftage
C'eft où je prétends me
loger ,
Y joignant pour tout
bajardinage ,
L'efpine de voſtre verger.
Tantoft comme un oi-
GALANT. 79
feau fauvage ,
Sur leurs belles branches
perché ,
Tantoft aufond du creux
niché
Comme un moineau
dans une cage
J'y feray la nique au
peché.
Pour les befoins de la
nature
J'y trouveray mon entretien
Le gland fera ma nour-.
riture ,
G iiij
80 MERCURE
L'enfant prodigue en vefcut bien.
Le Ciel propice & falutaire
Pour la foif du pauvre
reclus ,
Luy fournira de belle eau
!
claire :
Helas que luy faut . il
de plus.
Ce chefne dont la refiftance
Triomphe depuis fi longtemps
Et des orages & des
vents
GALANT. 81
M'apprendra dans ma
penitence ,
Qu'il faut refifter juſqu'au bout ,
Et que la force & la
conftance
A la fin triomphent de
tout.
En voyant la feüille mobille !
Obeïr aux moindres zephirs ;
Helas ! diray-je avec ſoupirs ,
C'est ainsi que le cœur
fragile
82 MERCURE
Se laiffe aller à fes defirs.
S'il eſt battu de quelque
orage ,
Si des vents il fent la rigueur ,
J'y croiray trouver une
image
De ce trifte & cruel ravage ,
Que les paffions en fureur ,
Caufent quelquefois dans
un cœur.
Charmante épine , mais
trompeuſe ,
GALANT. 83
Vous eftes un peu dangercufe
Par les pointes que vous
cachez :
Vous m'apprendrez que
vos piqueures
Font de moins funeftes
bleffeures ,
Que les plaifirs que j'ay
cherchez.
A la douleur ,
quoyque
fenfible ,
J'en connoiftray l'utilité
Quand vous m'aurez facilité
84 MERCURE
La route fafcheufe &
penible
Qui mene à la felicité.
Vous n'aurez pour moy
rien de rude ,
Aimable & chere folitude ,
Alte là , me dira quelqu'un ,
Moderez un peu voſtre
zele ,
Voftre folitude eft fort
belle ,
Et ce projet n'eſt pas
commun ;
GALANT. 85
Mais cependant pour
vous j'en tremble ,
Je fçay qui s'en repentiroit ,
Et d'abord , à ce qu'il
me femble ,
Vous vous giftez bien à
l'eftroit.
D'ailleurs du gland pour
nourriture ,
C'eſt certes un maigre
repas :
L'enfant prodigue vous
raffeure
Mais le drolle en fut bientoft las.
86 MERCURE
Enfin c'eſt bien pauvre
befogne
Que de belle eau claire
entre nous ;
Atout hazard garniſſezvous
De quelque bon vin de
Bourgogne ,
Cela feroit fort de mon
gouft.
On a beau dire , on a
beau faire ,
La plus belle eau claire
après tout
Ne fouftient point le Solitaire >
GALANT. 87
Et pouffe la ferveur à
bout ,
Le vin meuble mieux la
cellule.
Taifez- vous , demon tentateur ,
N'efperez pas troubler
mon cœur ,
Mon zele jamais ne recule.
Eft -ce à l'eftroit eſtre
giſté ,
Que d'eftre logé dans un
chefne ?
Où ( fi jadis j'ay bien
88 MERCURE
compté )
Quarante enfans tiennent
fans peine.
Pour l'épine je me fouviens ,
Qu'on y tient douze à table ronde ;
Or , s'il y tient bien tant
de monde ,
C'eſt grand hazard ſi je
n'y tiens.
Pour le gland , & la belle
eau claire ,
Je ne m'en fais pas une
affaire ;
Je
GALANT. 89
Je puis m'en contenter.
Enfin ;
Chez Damon ,
quoyque
l'on m'oppoſe ,
Il me fuffit pour toute
chofe ,
Que je vous auray pour
voiſin.
Non ; avec ce doux voifinage ,
Je ne craindray ny foif
ny faim ' ,
Et vivray dans mon hermitage
Sans foucy pour le lenSeptembre 1712. H
90 MERCURE
demain.
Voftre cuiſine en eft fi
proche ,
Que j'entendray tourner
la broche ,
Qui ne tourne jamais en
vain;
Ce bruit me tiendra lieu
de cloche ,
Et je croiray qu'on veut
fonner
Pour marquer l'heure du
difner.
Apeine ferez-vous à table
,
GALANT. 91
1
Que d'unairdoux & charitable ,
Vous direz àvoſtre valet,
Tiens , prend un plat &
ce poulet ,
porte Et le
Qui n'a
à ce pauvre
Hermite ,
ny broche
ny
marmite.
Je l'entendray venir ſoudain ,
Et m'avançant en diligence ,
Je beniray la Providence,
Et n'aurez qu'à tendre la
Hij
92 MERCURE
main ,
Si par hazard on accompagne
Le plat de roz d'un bon
flacon ,
Ou de Bourgogne ou de
Champagne ,
Faudra - t- il le refufer ?
non.
Unpauvre Hermitepeut
bien prendre
Tout ce qui luy vient de
bon lieu.
Tout prendre? oüy, pour
l'amour de Dieu ,
GALANT. 93
Du vin feul, cela doit s'entendre.
Dieu preferve un pauvre
reclus
Degarder meubles fuperAlus.
Tout cecy pourtant doit
fe taire ;
Car autrement je crain-'
drayfort
Qu'on ne fuft jaloux de
mon fort
Si l'on entroit dans ce
myftere.
Tel à qui ce texte a fait
peur ,
94 MERCURE
S'apprivoifant au Commentaire ,
Voudroit fans doute de
bon cœur
Embraffer cette vic auf
tere,
Et demandant avec ardeur
Unpetit coin auSolitaire,
Feroit malgré le Fonda-
: teur
De l'Hermitage un Monaftere.
Mais que chacun refte
chez foy,
GALANT. 95
Le lieu n'eſt pas trop
grand pour moy;
Je m'y borne & je me
confine
Dans monchefne& dans
mon efpine.
J'y fouffriray s'il faut
fouffrir ;
J'y veux vivre , j'y veux
mourir;
Que l'on en parle, qu'on
engronde ;
Que l'on en jafe dans le
monde;
Je le dis , & je le diray,
96 MERCURE
Auffi long-temps que je
vivray.
Vous n'aurez pour moy
rien de rude
Aimable & chere folitude
Belle efpine , cheſne fameux ,
Pourveu que je faſſe me
vœux
Comme Damon me les
fait faire ,
Bon voisinage & bonne
chere
Rendra l'hermite bienheureux.
Qu'un
GALANT. 97
Qu'un jour le Deſtin
nous affemble ,
J'y penfe , j'y refve fou
vent ;
Mais il faudroit auparavant
Que Damon nous uniſt
enſemble.
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Résumé : LE CHESNE & l'Espine.
En septembre 1712, un individu décide de se retirer du monde pour devenir ermite. Il souhaite fuir la contagion du monde et se retirer dans une solitude complète, loin des hypocrisies et des visites fréquentes. Il projette de s'installer dans un chêne creux et verdoyant, dominant un village, et d'y ajouter une épine de verger pour son jardin. Il prévoit de subsister grâce aux glands et à l'eau claire fournie par le ciel. Le chêne lui enseignera la résistance et la force, tandis que l'épine, bien que dangereuse, lui apprendra l'utilité de la douleur. Malgré les objections sur la rudesse de sa future vie, il reste déterminé. Il prévoit de vivre près de Damon, dont la cuisine est proche, et espère recevoir des restes de ses repas. Il insiste sur le fait que son ermitage est suffisant pour lui seul et qu'il n'acceptera pas de visiteurs. Il conclut en exprimant son désir de vivre et de mourir dans son ermitage, malgré les critiques du monde.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 1024-1027
LE FAUNE, ÉGLOGUE. À M. le Come de Saint Florentin, pendant son séjour à Châteauneuf.
Début :
Muses, qui vous plaisez dans les gras pâturages, [...]
Mots clefs :
Faune, Muses, Solitude, Bergers, Caprice
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texteReconnaissance textuelle : LE FAUNE, ÉGLOGUE. À M. le Come de Saint Florentin, pendant son séjour à Châteauneuf.
LE FA UNE
{
EGLOGUE.
A M. le Come de Saint Florentin , pendant
son séjour à Châteauneuf.
M
Uses , qui vous plaisez dans les gras pêturages
,
Et vous entretenir de Bois et de Rivages ,
Donnez à vos chansons un peu de dignité ;
On n'aime pas toujours tant de simplicité ,
Le lierre rampant et la verte fougere ,
>
Aux grands , ainsi qu'à nous , n'ont pas le droit
de plaire ,
Offrez d'autres objets , et sçachez - en choisir
Qui puissent d'un Ministre amuser le loisir.
2
pro-
Dans le creux d'un Vallon , solitude
fonde ,
Lieux ignorant encor le tumulte du monde ,
Le jeune Celadon , et Daphnis , son ami ,
Virent sous un Tilleüil un vieux Faune endormi.
'Aussi - tôt se coulant à travers le Bocage ,
Tous deux de ce sommeil saisissent l'avantage ,
Et d'une chaîne faite , et de sauge et de Thym ;
Pour arrêter le Dieu , l'embarrassent soudain.
Car
MA Y. 1731 .
1025
Car il avoit souvent par force , ou par adresse ,
En fuyant de leurs mains éludé sa promesse ,
Et differé toujours de leur chanter les Vers
Qu'il avoit composés sur le vaste Univers.
Cette fois les Bergers craignent peu son caprice
,
Il s'éveille , et comme eux riant de leur malice
:
C'est assez , leur dit- il , enfans , rompez ces
noeuds ,
Il est juste à la fin de contenter vos voeux.
Les Bergers à ces mots s'asseyent pour entendre
,
Et le Faune commencé ainsi sans se deffendre.
Avant que le Soleil eut l'Empire des airs ,
Et qu'on peut distinguer et la Terre et les
Mers ,
Tout ce qu'offre à vos yeux avec tant d'artifice
,
De l'Univers entier le superbe édifice ,
Dans un commun principe ensemble confondu ,
`N'étoit qu'un noir brouillard vainement étendu
Une eau presqu'insensible , et sombre d'ellemême
,
Que d'un stérile noeud lioit un froid extrême.
Mais si- tôt que l'esprit qui voloit sur les
flots ,
Eût dans son vaste sein embrassé ce cahos ,
Sa féconde chaleur digerant la matiere , .
De l'Extrait qu'elle en fit composa la lumiere.
B vj
De
1026 MERCURE DE FRANCE
De ce jour toutefois , l'immortelle clarté ,
Ne fut point en tous lieux d'égale pureté :
La haute région plus vive et plus legere ,
En un feu tout divin vît transformer sa Sphere ,
La plus basse languit , et sa fausse vigueur ,
Ne pût précipiter un reste de vapeur .
Entre ces deux excès , la suprême sagesse ,
Bien tôt d'un ciel moyen fit briller la richesse
le Firmament conduisit les secours ,
Que sur nous l'Empirée épanche tous les jours.
Cependant par le feu , vers le centre chassées ,
Les tenebres s'étoient tout- à- fait condensées ,
Et d'un Globe solide inondé par dehors ,
Avoient pris sous les eaux la figure et le corps :
Mais lorsque resserrée en de justes limites ,
La Mer à son courroux eut des bornes pres
crites ,
Et par
La Terre s'éleva brillante des couleurs ,
Dont l'ornoient en naissant la verdure et les
fleurs.
Nul animal d'abord ne peupla les Montagnes ,.
Et les seules Forêts couvrirent les Campagnes :
Du jour trop répandu la molle impression ,
Bornoit au vegetable une foible action ,
Et n'eût produit jamais que d'inutiles Plantes ,
Si pour en ranimer les forces languissantes ,
De ses feux dispersés l'esprit avec succès ,
Dans le corps du Soleil n'eût réüni les traits,
AussiMAY.
1731. 1027
Aussi-tôt la Nature achevant ses Ouvrages ,
Les Oyseaux de leurs Chants remplirent les Boccages
,
Le Taureau rumina sur le bord des Ruisseaux ,
La Chevre et la Brebis chercherent les Côteaux ,
Le Loup du Bois voisin sortit pour les surprendre,,
Et le Chien accourut ardent à les deffendre.
Enfin pour couronner ces Miracles divers ,
Vous vintes , vous Mortels , habiter l'Univers .
Chef-d'oeuvre merveilleux de la Toute- Puissance,
Qui voulut sur vos fronts tracer sa ressemblance,
Tout reconnut vos Loix , tout servit vos desirs ,
Et tout brigua l'honneur d'entrer dans vos plaisirs.
Heureux si de vos champs , par un triste caprice,
Jamais l'ambition n'eût banni la justice ;
L'innocence et la paix , ineffables présens :
Que l'Olimpe ne rend qu'à ses plus chers enfans,
Devoient combler vos jours d'une joye éternelle ?
Ainsi l'avoit reglé sa bonté paternelle .
Rappellez des biensfaits à regret enlevez
>
Et les connoissez mieux , vous qui les recevez ; .
Mais déja ces Vallons me paroissent plus sombres
,
Bergers , et le Soleil laisse grandir les ombres ,.
Avant que tout-à- fait il passe sous ces eaux
Allez et retournez tous deux à vos Troupeaux.
M. de Richebourg-
{
EGLOGUE.
A M. le Come de Saint Florentin , pendant
son séjour à Châteauneuf.
M
Uses , qui vous plaisez dans les gras pêturages
,
Et vous entretenir de Bois et de Rivages ,
Donnez à vos chansons un peu de dignité ;
On n'aime pas toujours tant de simplicité ,
Le lierre rampant et la verte fougere ,
>
Aux grands , ainsi qu'à nous , n'ont pas le droit
de plaire ,
Offrez d'autres objets , et sçachez - en choisir
Qui puissent d'un Ministre amuser le loisir.
2
pro-
Dans le creux d'un Vallon , solitude
fonde ,
Lieux ignorant encor le tumulte du monde ,
Le jeune Celadon , et Daphnis , son ami ,
Virent sous un Tilleüil un vieux Faune endormi.
'Aussi - tôt se coulant à travers le Bocage ,
Tous deux de ce sommeil saisissent l'avantage ,
Et d'une chaîne faite , et de sauge et de Thym ;
Pour arrêter le Dieu , l'embarrassent soudain.
Car
MA Y. 1731 .
1025
Car il avoit souvent par force , ou par adresse ,
En fuyant de leurs mains éludé sa promesse ,
Et differé toujours de leur chanter les Vers
Qu'il avoit composés sur le vaste Univers.
Cette fois les Bergers craignent peu son caprice
,
Il s'éveille , et comme eux riant de leur malice
:
C'est assez , leur dit- il , enfans , rompez ces
noeuds ,
Il est juste à la fin de contenter vos voeux.
Les Bergers à ces mots s'asseyent pour entendre
,
Et le Faune commencé ainsi sans se deffendre.
Avant que le Soleil eut l'Empire des airs ,
Et qu'on peut distinguer et la Terre et les
Mers ,
Tout ce qu'offre à vos yeux avec tant d'artifice
,
De l'Univers entier le superbe édifice ,
Dans un commun principe ensemble confondu ,
`N'étoit qu'un noir brouillard vainement étendu
Une eau presqu'insensible , et sombre d'ellemême
,
Que d'un stérile noeud lioit un froid extrême.
Mais si- tôt que l'esprit qui voloit sur les
flots ,
Eût dans son vaste sein embrassé ce cahos ,
Sa féconde chaleur digerant la matiere , .
De l'Extrait qu'elle en fit composa la lumiere.
B vj
De
1026 MERCURE DE FRANCE
De ce jour toutefois , l'immortelle clarté ,
Ne fut point en tous lieux d'égale pureté :
La haute région plus vive et plus legere ,
En un feu tout divin vît transformer sa Sphere ,
La plus basse languit , et sa fausse vigueur ,
Ne pût précipiter un reste de vapeur .
Entre ces deux excès , la suprême sagesse ,
Bien tôt d'un ciel moyen fit briller la richesse
le Firmament conduisit les secours ,
Que sur nous l'Empirée épanche tous les jours.
Cependant par le feu , vers le centre chassées ,
Les tenebres s'étoient tout- à- fait condensées ,
Et d'un Globe solide inondé par dehors ,
Avoient pris sous les eaux la figure et le corps :
Mais lorsque resserrée en de justes limites ,
La Mer à son courroux eut des bornes pres
crites ,
Et par
La Terre s'éleva brillante des couleurs ,
Dont l'ornoient en naissant la verdure et les
fleurs.
Nul animal d'abord ne peupla les Montagnes ,.
Et les seules Forêts couvrirent les Campagnes :
Du jour trop répandu la molle impression ,
Bornoit au vegetable une foible action ,
Et n'eût produit jamais que d'inutiles Plantes ,
Si pour en ranimer les forces languissantes ,
De ses feux dispersés l'esprit avec succès ,
Dans le corps du Soleil n'eût réüni les traits,
AussiMAY.
1731. 1027
Aussi-tôt la Nature achevant ses Ouvrages ,
Les Oyseaux de leurs Chants remplirent les Boccages
,
Le Taureau rumina sur le bord des Ruisseaux ,
La Chevre et la Brebis chercherent les Côteaux ,
Le Loup du Bois voisin sortit pour les surprendre,,
Et le Chien accourut ardent à les deffendre.
Enfin pour couronner ces Miracles divers ,
Vous vintes , vous Mortels , habiter l'Univers .
Chef-d'oeuvre merveilleux de la Toute- Puissance,
Qui voulut sur vos fronts tracer sa ressemblance,
Tout reconnut vos Loix , tout servit vos desirs ,
Et tout brigua l'honneur d'entrer dans vos plaisirs.
Heureux si de vos champs , par un triste caprice,
Jamais l'ambition n'eût banni la justice ;
L'innocence et la paix , ineffables présens :
Que l'Olimpe ne rend qu'à ses plus chers enfans,
Devoient combler vos jours d'une joye éternelle ?
Ainsi l'avoit reglé sa bonté paternelle .
Rappellez des biensfaits à regret enlevez
>
Et les connoissez mieux , vous qui les recevez ; .
Mais déja ces Vallons me paroissent plus sombres
,
Bergers , et le Soleil laisse grandir les ombres ,.
Avant que tout-à- fait il passe sous ces eaux
Allez et retournez tous deux à vos Troupeaux.
M. de Richebourg-
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Résumé : LE FAUNE, ÉGLOGUE. À M. le Come de Saint Florentin, pendant son séjour à Châteauneuf.
Le texte est une églogue dédiée à M. le Comte de Saint Florentin, écrite pendant son séjour à Châteauneuf. Les bergers Céladon et Daphnis capturent un vieux Faune endormi pour l'obliger à chanter des vers qu'il avait promis. Amusé par leur ruse, le Faune accepte et commence son récit sur la création de l'univers. Avant la formation du monde, tout n'était qu'un brouillard sombre et une eau stérile. L'esprit divin, en embrassant ce chaos, créa la lumière. La haute région devint un feu divin, tandis que la basse région resta obscure. La sagesse divine créa ensuite un ciel moyen, le firmament, qui reçut les bienfaits de l'Empyrée. Les ténèbres se condensèrent en un globe solide, formant la Terre et les mers. La nature se développa ensuite, avec les plantes, les animaux et finalement les humains, chefs-d'œuvre de la Toute-Puissance. Le Faune termine en rappelant aux bergers les bienfaits de la justice et de la paix, avant de les renvoyer à leurs troupeaux.
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7
p. 2597-2599
A MADAME DE *** Qui m'avoit demandé des Vers pour la desennuyer à la Campagne.
Début :
C'est un foible tours que cekui d'Apollon, [...]
Mots clefs :
Charmer les ennuis, Solitude, Distraire, Ouvrage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : A MADAME DE *** Qui m'avoit demandé des Vers pour la desennuyer à la Campagne.
A MADAME DE ***
Qui m'avoit demandé des Vers pour
desennuyer à la Campagne.
C'Est ' Est un foible secours que celui d'Apollon ,.
Pour charmer les ennuis d'un lieu trop solitaire,
Ils naissent comme ailleurs dans le sacré Vallon.
Telle est notre condition ,
Qu'il n'est rien ici bas où nous puissions nou
plaire.
Vous avez cependant tout ce qu'il faut avoir ,
Pour trouver du plaisir dans une solitude ;
Un esprit sans inquietude ,
Qui re connoît de loix que celles du devoir ,
I. Vol. Diiij Un
2598 MERCURE DE FRANCE
Un cœur religieux que rien ne peut distraire ,
Du soin de s'occuper de son unique affaire.
C'estainsi que sans peine et sans autre desir ,
Que de la voir renaître encore ,
On voit naître et mourir l'Aurore ,
C'est ainsi que l'on voit soupirer le Zéphir ,
Auprès de la Déesse Flore ,
Sans qu'il nous en coûte un 'soupir.
Seul au milieu de la Nature ,
Dans les moindres objets on voit le Créateur.
De vos Jardins l'émail , de vos Prez la verdure
A leur couleur et leur structure ,
D'une main qui peut tout , font connoître le trait ,
La Nature a cet avantage ;
Que nous considerions son plus petit Ouvrage
Plus on regarde et plus on le trouve parfait.
Il n'en est pas ainsi des hommes ,
Leur mérite de loin a tout un autre prix,
Mais qui les voit de près , loin d'en être surs
pris ,
Trouve qu'ils sont ce que nous sommes ,
Il n'est qu'un tendre cœur né simple et ver
tueux ,
Qui gagne à se faire connoître ,
Et sa vertu qui brille en venant à paroître ,
Prend sa lumiere dans nos yeux.
Je m'arrête , aussi- bien j'oublie ,
Que ce discours est un Portrait.
1Vol.
Mais
DECEMBRE. 1732. 2592
Mais n'en déplaise à votre modestie ,
Je suis charmé de l'avoir fait.
Carelet.
Qui m'avoit demandé des Vers pour
desennuyer à la Campagne.
C'Est ' Est un foible secours que celui d'Apollon ,.
Pour charmer les ennuis d'un lieu trop solitaire,
Ils naissent comme ailleurs dans le sacré Vallon.
Telle est notre condition ,
Qu'il n'est rien ici bas où nous puissions nou
plaire.
Vous avez cependant tout ce qu'il faut avoir ,
Pour trouver du plaisir dans une solitude ;
Un esprit sans inquietude ,
Qui re connoît de loix que celles du devoir ,
I. Vol. Diiij Un
2598 MERCURE DE FRANCE
Un cœur religieux que rien ne peut distraire ,
Du soin de s'occuper de son unique affaire.
C'estainsi que sans peine et sans autre desir ,
Que de la voir renaître encore ,
On voit naître et mourir l'Aurore ,
C'est ainsi que l'on voit soupirer le Zéphir ,
Auprès de la Déesse Flore ,
Sans qu'il nous en coûte un 'soupir.
Seul au milieu de la Nature ,
Dans les moindres objets on voit le Créateur.
De vos Jardins l'émail , de vos Prez la verdure
A leur couleur et leur structure ,
D'une main qui peut tout , font connoître le trait ,
La Nature a cet avantage ;
Que nous considerions son plus petit Ouvrage
Plus on regarde et plus on le trouve parfait.
Il n'en est pas ainsi des hommes ,
Leur mérite de loin a tout un autre prix,
Mais qui les voit de près , loin d'en être surs
pris ,
Trouve qu'ils sont ce que nous sommes ,
Il n'est qu'un tendre cœur né simple et ver
tueux ,
Qui gagne à se faire connoître ,
Et sa vertu qui brille en venant à paroître ,
Prend sa lumiere dans nos yeux.
Je m'arrête , aussi- bien j'oublie ,
Que ce discours est un Portrait.
1Vol.
Mais
DECEMBRE. 1732. 2592
Mais n'en déplaise à votre modestie ,
Je suis charmé de l'avoir fait.
Carelet.
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Résumé : A MADAME DE *** Qui m'avoit demandé des Vers pour la desennuyer à la Campagne.
Dans une lettre datée de décembre 1732, l'auteur répond à Madame de *** qui a sollicité des vers pour se divertir à la campagne. Il reconnaît que la poésie offre peu de secours contre l'ennui dans un lieu solitaire, car l'ennui est omniprésent. Cependant, il souligne que Madame de *** possède les qualités nécessaires pour apprécier la solitude : un esprit sans inquiétude, un cœur religieux et un sens du devoir. Il décrit la beauté de la nature et la perfection de ses moindres détails, contrastant avec les imperfections humaines. L'auteur affirme que seule une personne au cœur tendre et vertueux gagne à se faire connaître, et que sa vertu brille aux yeux des autres. Il s'arrête, réalisant que son discours est un portrait de Madame de ***, et exprime son plaisir d'avoir écrit ce texte. La lettre est signée Carelet.
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8
p. 1140
SONNET Sur le bonheur de la Solitude.
Début :
N'applique, ambitieux, tes soins et ton étude, [...]
Mots clefs :
Solitude, Mort, Bonheur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SONNET Sur le bonheur de la Solitude.
SONNE T.
Sur le bonheur de la Solitude.
N'Appliq *Applique, ambitieux, tes soins et ton étude,
Qu'à briguer quelque Charge , où tu sois respecté
;
Pour moi foulant aux pieds , et rang et dignité,
J'aime à vivre inconnu dans une Solitude ,
Là , content de mon sort , rien ne m'y` paroît
rude ;
J'y pense
à mon salut en toute liberté ,
Convaincu qu'ici bas tout n'est que
vanité ;
J'attens la mort sans peine et sans inquietude,
Cer objet , quoiqu'affreux , ne cause de terreur
Qu'à celui qui charmé de ce monde trompeur
Fait son souverain bien d'une vaine chimere.
Celui qui , retiré , sert Dieu fidelement ,
Lui donne tout son coeur , ne cherche qu'à lui
plaire ,
Loin de craindre la mort, la desire ardemment.
Sur le bonheur de la Solitude.
N'Appliq *Applique, ambitieux, tes soins et ton étude,
Qu'à briguer quelque Charge , où tu sois respecté
;
Pour moi foulant aux pieds , et rang et dignité,
J'aime à vivre inconnu dans une Solitude ,
Là , content de mon sort , rien ne m'y` paroît
rude ;
J'y pense
à mon salut en toute liberté ,
Convaincu qu'ici bas tout n'est que
vanité ;
J'attens la mort sans peine et sans inquietude,
Cer objet , quoiqu'affreux , ne cause de terreur
Qu'à celui qui charmé de ce monde trompeur
Fait son souverain bien d'une vaine chimere.
Celui qui , retiré , sert Dieu fidelement ,
Lui donne tout son coeur , ne cherche qu'à lui
plaire ,
Loin de craindre la mort, la desire ardemment.
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Résumé : SONNET Sur le bonheur de la Solitude.
Le texte 'Sur le bonheur de la Solitude' de SONNE T. oppose deux visions de la vie. Il critique ceux qui recherchent des charges respectées et des dignités, et exalte la solitude où l'on peut vivre inconnu et content. Dans cette solitude, l'individu réfléchit à son salut, convaincu que tout sur terre est vanité. La mort, perçue comme affreuse, n'effraie pas celui qui est détaché des illusions du monde.
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10
p. 68
« LE mot de la premiere Enigme du mois de Décembre est la Lune. Celui [...] »
Début :
LE mot de la premiere Enigme du mois de Décembre est la Lune. Celui [...]
Mots clefs :
Lune, Montre, Esprit, Solitude, Cal
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « LE mot de la premiere Enigme du mois de Décembre est la Lune. Celui [...] »
LEE mot de la premiere Enigme du
mois de Décembre eft la Lune. Celui
de la feconde eft la Montre. Celui du
premier Logogryphe eft efprit , dans
lequel on trouve Sire , re , fi , pie, pite,
lire , pifte , ris , prife, pife , terpfi. Celui
du Second eft Solitude , dans lequel on
trouve duel , folive , ifle , fol , ut &fol,
lit , vide , olive , os , fot , fol , ovide ,
dot , Dieu , dole & dol, Toul,& LOUIS.
Celui du troifiéme eft cal , qui retourné,
fait lac.
mois de Décembre eft la Lune. Celui
de la feconde eft la Montre. Celui du
premier Logogryphe eft efprit , dans
lequel on trouve Sire , re , fi , pie, pite,
lire , pifte , ris , prife, pife , terpfi. Celui
du Second eft Solitude , dans lequel on
trouve duel , folive , ifle , fol , ut &fol,
lit , vide , olive , os , fot , fol , ovide ,
dot , Dieu , dole & dol, Toul,& LOUIS.
Celui du troifiéme eft cal , qui retourné,
fait lac.
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11
p. 14-35
LES MARIAGES HEUREUX ET MALHEUREUX, CONTE MORAL.
Début :
RIEN n'est si rare que les mariages heureux, depuis qu'on n'exige plus que [...]
Mots clefs :
Cœur, Âme, Malheureux, Fortune, Épouse, Vertu, Solitude, Bonheur, Chagrin, Esprit
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LES MARIAGES HEUREUX ET MALHEUREUX, CONTE MORAL.
LES MARIAGES HEUREUX ET
MALHEUREUX ,
CONTE MORAL.
RIEN n'eft fi rare que les mariages
heureux , depuis qu'on n'exige plus que
des convenances bizarres établies par
l'opinion & le préjugé. La conformité
des goûts , l'union des cours paroiffent
aux parens des conditions inutiles . La
naiffance ou le bien font les feules qui
méritent leur attention ; ils ne font déterminés
que par l'un ou par l'autre. Ces
AVRIL. 1763. 15
injuftes Loix du monde , ces funeftes
préjugés portent la corruption dans
fe fein des familles en détruifant l'union
qui doit y régner ; ou fi l'union
y paroît encore , c'eſt une eſpèce de
tréve convenue que la dépravation mutuelle
a rendue néceffaire.
Azelim , fu d'une famille illuftre par
l'ancienneté de fa nobleffe & les charges
honorables qu'elle avoit toujours
occupées , s'étoit retiré de la Cour pour
finir fa carrière dans une maifon de
campagne aux environs de Paris . Il y
raffembloit la Société la plus brillante.
Le chemin étoit couvert de voitures
qui alloient ou qui revenoient de la
folitude d'Azelim . C'étoit là que les Pétits
-Maîtres & les Coquettes inventoient
les modes , traitoient d'originaux les
hommes vertueux , & de prudes les femmes
raisonnables , décidoient du mérite
d'un jeune Auteur , critiquoient la piéce
nouvelle , l'élevoient jufqu'aux nues,
ou la condamnoient à l'oubli. Une jeune
perfonne dont Azelim avoit acheté
les complaifances , & dont il avoit cru
pouvoir acheter le coeur , augmentoit
encore par fes talens les charmes de
cette retraite. On ne parloit à Paris que
du féjour délicieux d'Azelim ; la variété
16 MERCURE DE FRANCE.
des plaifirs qu'il procuroit à fes convives
faifoit l'entretien de toutes les Sociétés
. On le regardoit comme l'homme
du monde le plus heureux mais
ceux qui ne jugent point fur de trompeux
dehors appercevoient l'indigence
& le chagrin qui la fuit , à travers le
fafte & l'opulence de cette maifon ; au
milieu de la joie , le Maître paroiffoit
quelquefois accablé de trifteffe .
Azelim avoit deux enfans qui paffoient
dans le monde pour les Cavaliers
les mieux faits & les plus aimables .Tous
deux avoient une heureufe phyfionomie
, une démarche noble & affurée
un maintien décent & modefte ; mais
leur caractére étoit bien différent. L'un
étoit férieux , tranquille & mélancolique
; infenfible aux frivoles amuſemens
du monde , il n'avoit d'amour que pour
les Sciences. L'autre , vif & léger , couroit
avidement après les plaifirs. L'aîné ,
qui s'appelloit Linias , gémiffoit en fer
cret fur les dépenfes exceffives de fon
père ; il ne participoit point à cette
joie tumultueufe qui menaçoit fa famille
d'une ruine prochaine. Il voyoit
avec indignation Azelim entouré d'une
multitude de flateurs qui le méprifoient
intérieurement , & qui n'atten-
1
AVRIL. 1763 . 17
doient que fa perte pour infulter à fa
mifére. Dorville au contraire fe livroit
avec tranfport aux charmes féduifans
du plaifir ; fon coeur amolli par la volupté
ne pouvoit plus s'enyvrer que de
fa dangereufe vapeur ; fon âme n'étoit
fatisfaite qu'au milieu du défordre d'une
vie diffipée.
Il y avoit à quelque diftance de la
maifon d'Azelim un Gentilhomme appellé
Daubincourt, qui, fans ambition &
fans defirs , jouiffoit en paix du bien
qu'il avoit reçu de fes ayeux. Ennemi
du fafte & de la fomptuofité , fa maifon
n'étoit point remplie d'une troupe
d'efclaves inutiles qui ne fervent qu'à
la vanité du Maître . Les meubles étoient
antiques , mais propres ; fa table n'étoit
couverte que de viandes communes &
de légumes de fon jardin : à peine étoitil
connu des grands dont il étoit environné.
Mais cette heureufe fimplicité
lui procuroit des jours plus fereins
un fommeil plus tranquille que n'au
roient pu faire l'opulence & les plaifirs.
Rapproché par fes moeurs & fa façon
de vivre des habitans du Village
où il demeuroit , il en étoit adoré ; ces
bonnes gens faifoient tous les jours des
voeux pour fon bonheur. Si la médiocri18
MERCURE DE FRANCE.
té de fa fortune ne lui permettoit pas de
leur faire de grandes largeffes , il les
aidoit de fes confeils , il exhortoit les
malheureux à la patience , il leur apprenoit
à fouffrir. Son époufe auffi compatiffante
que lui , fe rendoit chez les
malades , elle leur donnoit fes foins &
fon temps ; le defir d'être utile à fes
femblables la mettoit au-deffus de ces
foibleffes , que la grandeur qui veut tirer
avantage des fervices mêmes , appelle
fenfibilité. Ces heureux époux avoient
une fille appellée Julie , qui joignoit
à la beauté la plus touchante , un efprit
droit & pénétrant qui faififoit toujours
le vrai , un coeur fenfible & bon
qui le lui faifoit aimer ; élevée fous les
yeux de ces parens adorables , elle avoit
pris dans leurs leçons les notions les
plus éxactes de la vertu .
Linias fe promenant un jour , en
rêvant fur les malheurs que le luxe préparoit
à fa famille , avançoit toujours
fans penfer à l'éloignement où il étoit
de la maifon de fon père : la vue d'un
homme qui lifoit à l'ombre d'une touffe
de faules fur le bord d'un ruiffeau , le
tira tout-à-coup de fes rêveries. Etonné
de fe trouver dans un lieu qu'il ne connoît
pas , il aborde l'Etranger , lui deAVRIL.
1763 . 19
mande où il eft ? Daubincourt, furpris
à fon tour , de voir à deux pas de fa
maiſon le fils aîné d'Azelim , fatisfait à
fes demandes , & le prie enfuite de venir
fe repofer , & prendre chez lui quelques
rafraîchiffemens.
Linias qui n'avoit jamais vu Daubincourt
, mais qui fouvent avoit entendu
faire l'éloge de fes vertus , fut
charmé de connoître un homme dont
les moeurs étoient en vénération dans
tout le voisinage ; il fentit même dans
ce moment l'empire de la vertu fur fon
âme : fon coeur qui n'avoit encore trouvé
perfonne dans le fein de qui il pût
s'épancher , cherchoit à s'échapper vers
celui du fage Daubincourt ; un penchant
invincible & fecret l'entraînoit
vers cet homme extraordinaire . Il entre
dans une maifon dont la fimplicité répondoit
à celle du Maître ; tout reſpiroit
cette heureufe médiocrité qui
fait les délices des âmes vertueufes.
Cette maifon dont la propreté faifoit
tout l'ornement , avoit quelque chofe
de plus riant que ces Palais magnifiques,
où les richeffes de l'art ne préfentent aux
yeux du fpectateur que l'idée affligeante
d'une injufte inégalité. Daubincourt
fit fervir à Linias les rafraîchifle20
MERCURE DE FRANCE .
mens dont il avoit befoin . N'imaginez
pas un buffet couvert de porcelaines
qu'un efclave attentif étale aux yeux
des étrangers pour fatisfaire l'orgueil
du Maître : on ne lui préfenta que les
fruits de la faifon & du vin tel que le
pays le produifoit ; mais la fimplicité de
ce repas avoit plus de charmes que les
profufions d'un grand , à travers lefquelles
on apperçoit l'avarice. Linias , lui´
dit Daubincourt , vous ne verrez pas mon
époufe & ma fille ; elles font allées au
hameau voifin porter du fecours à un
malheureux que l'indigence & la maladie
réduisent à la plus affreufe extrémité:
il ne faudra pas moins qu'une action
auffi louable pour les confoler de leur
abfence; car votre mérite leur eft connu .
Linias , ramené par Daubincourt au
Village le plus voifin de la maifon d'Azelim
, lui demanda la permiffion de
venir quelquefois le voir dans fa folitude
& jouir de fa converfation. Mais à
cette demande fes yeux fe mouillerent
de larmes , fon coeur oppreffé par le
fardeau de fes peines , cherchoit à s'en
décharger dans celui de cet homme de
bien. Daubincourt , lui dit-il , il y a
vingt ans paffés que j'ai vu le jour ; depuis
ce temps je n'ai trouvé perfonne
AVRIL. 1763. 21
dont j'aie pu faire un véritable ami. Le
monde n'a été pour moi qu'une vafte
folitude où j'ai toujours érré fans rencontrer
un homme dont l'âme attirât la
mienne ; je n'ai vu dans la Société qu'orgueil
, corruption , & méchanceté. Si
vous aimez la vertu vous devez être.
fenfible & compatiffant ; vous ferez
touché de mes maux ; je vous regarde
comme un ami tendre & fincère que
la fortune m'envoie pour nie confoler.
Vertueux jeune homme , lui dit Dau-
-bincourt , je connois l'état où vous êtes :
´un coeur contraint de foupirer en fecret
eft un pénible fardeau . Je l'ai fenti
quelquefois ; mais ce que vous n'avez
point encore heureufement éprouvé
c'eft la perfidie d'un traître qui fe joue
de la confiance d'un ami. Dans ces
cruelles circonstances , l'éfpèce humaine
fe peint à l'efprit fous les couleurs les
plus odieufes ; le monde n'eft qu'un
cahos où le vice honoré triomphe de
la vertu qui languit dans l'oppreffion &
le mépris.Le coeur abbatu par la trifteffe,
fe concentre en lui-même & fait des
efforts pour ſe détacher de tout ; une
funefte mifantropie s'en empare ; & de
l'homme le plus doux & le plus fenfible
, elle en fait l'ennemi le plus cruel
22 MERCURE DE FRANCE.
du genre humain. Linias , j'ai paffé par
ces terribles états ; l'enthouſiaſme de la
vertu me fit abandonner les hommes
que je jugeois indignes de ma tendreſſe ;
je vins dans cette retraite avec la réfolution
de ne plus retourner dans la fociété
qui me paroiffoit le féjour du crime :
la haine de mes femblables que je nourriffois
dans mon coeur , mefoutint quelques
années contre le defir de revenir
parmi eux. Chaque fois qu'il s'élevoit
dans mon âme , je me repréfentois pour
le détruire le repos de ma folitude , l'indépendance
où j'étois du caprice & de
la méchanceté des hommes . Mais je me
faifois illufion à moi-même : mon coeur
vuide , étoit en proie à des agitations intérieures
qui renverfoient cette tranquillité
dont je croyois jouir ; la mauvaiſe
humeur & le chagrin me faifoient fentir
à chaque inftant que je n'étois pas à ma
place. Des affaires vinrent heureuſement
à mon fecours . Rentré dans le monde ,
j'y trouvai des gens de bien ; le hazard
amena vers moi de vrais amis dont le
commerce enchanteur effaça peu- à-peu
les idées triftes qui me rendoient fombre
& chagrin. J'enviſageai le monde
fous un afpect plus favorable ; le défordre
que j'avois apperçu fe diffipa ; la
AVRIL. 1763. 23
>
,
la
vertu me parut avoir des adorateurs Je
vis alors que le vice à qui j'avois attribué
le droit injufte de faire des heureux
faifoit au contraire le fupplice
de fes partifans. Remis à la place que
Nature m'avoit deſtinée mon coeur
fentit une joie qu'il n'avoit point encore
éprouvée ; je crus jouir d'une nouvelle
éxiftence . Des noeuds formés par
la vertu , mirent le comble à mon bonheur.
Je m'unis aux pieds des autels avec
une jeune perfonne,dont la fortune étoit
médiocre à la vérité ; mais qui poffédoit
des richeffes plus réelles & d'un plus
grand prix les qualités de fon âme la
rendoient plus eftimable à mes yeux que
des biens qui ne fervent fouvent qu'à
nous avilir. Elevée dans la retraite , elle
préféra le féjour de la campagne à la
vie diffipée des Villes. Je me rendis avec
elle dans cette folitude ; mais j'y apportai
un coeur fatisfait & tranquille;& je connus
alors qu'il faut être bien avec foi-même,
pour goûter les plaifirs de la retraite.
C'eft à cette femme adorable que je dois
les plus beaux jours de ma vie ; C'eſt
à notre union que je dois cette volupté
pure dont mon âme eft remplie. Linias,
votre coeur brifé par la douleur vous empêche
de voir les chofes telles qu'elles
24 MERCURE DE FRANCE .
font ; le chagrin qui vous dévore leur
donne néceffairement une teinte qui les
défigure : les objets fe peignent confufément
dans une rivière agitée par la
tempête ; ce n'eft que dans le cryſtal
d'une eau pure & tranquille qu'on voit
l'azur d'un ciel fans nuages. Lorfque
le calme vous aura rendu la tranquillité,
vous ferez moins injufte envers les hommes
; ils vous paroîtront alors plus dignes
de compaffion que de haine . Linias
, venez quelquefois dans ma folitude
; fi l'amitié peut adoucir vos maux,
vous devez tout attendre de la mienne :
je connois depuis longtemps votre
amour pour la vertu ; c'eft à lui que
vous devez mon eftime & ma confiance.
Linias , qui pendant ce difcours étoit
refté immobile & penfif , pouffa un
profond foupir ; prenant enfuite une
des mains du généreux Daubincourt
il l'arrofoit de fes pleurs. Ah ! Daubincourt
lui dit -il vous me rendez la
vie. Je ceffe d'être malheureux , puifque
je trouve un ami fenfible & compatiffant.
Il acheva le chemin qui leur reftoit
à faire enfemble, en lui parlant de fa
famille ; il verfoit dans le fein de cet ami
fincère & vertueux les fentimens dont
fon âme cherchoit depuis longtemps à fe
> λ
délivrer .
1
AVRIL. 1763. 25
délivrer. Quoique Daubincourt ne pût
apporter aucun reméde aux malheurs
dont il étoit menacé , les paroles confolantes
de cet homme vrai calmoient fes
craintes & faifoient renaître l'efpérance
au fond de fon coeur. Arrivés au village
dont ils étoient convenus , Daubincourt
fe fépara de Linias , en arrêtant avec
lui un rendés-vous au même endroit .
, Linias de retour chez fon pére ,
trouva la cour remplie de voitures qui
venoient d'amener une compagnie nouvelle
. Azelim , entouré d'un cercle nombreux
, avaloit à longs traits le funefte
poifon de la flatterie. Il recevoit avec une
orgueilleufe fatisfaction les hommages
de ces vils efclaves dont le coeur démentoit
en fecret les louanges qu'ils
lui donnoient à haute voix ; une foule
de domeftiques augmentoit encore le
tumulte & le defordre de cette maiſon ;
on l'auroit crue livrée au pillage d'une
troupe ennemie . Linias , retiré dans fa
chambre, comparoit tout ce fracas avec
la paix & la tranquillité qui régnoient
chez Daubincourt. Malheureux Azelim !'
difoit- il , il n'y a donc que l'infortune qui
puiffe arracher le bandeau qui t'aveugle
Enyvré de ta chimérique grandeur & de
ta fauffe opulence , tu ne refpires que
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
le plaifir & la joie. Tu t'en rapportes
plutôt aux âmes baffes qui t'environnent
& te vantent ta félicité , qu'à ton propre
coeur que le trouble agite ! Porte tes
regards fur le funefte avenir que tu
prepares à ta malheureufe famille : tu
verras cette multitude de Créanciers
qui t'obféde inutilement chaque jour,
s'emparer de ce Palais magnifique , de
ces meubles précieux , de ces tableaux
rares qui te méritent le titre de connoiffeur
, partager entre eux tes dépouilles
& te plonger dans la mifère la plus
affreufe.Tu verras ces infâmes adulateurs,
qui font aujourd'hi l'éloge de ta magnificence
, blâmer hautement ta folie
& déchirer ton coeur par les outrages
les plus humilians . Ah , Daubincourt !
c'eft chez toi que le bonheur habite :
la frugalité te procure l'abondance ;
l'obfcurité t'affure le repos .
Cependant Linias fe livroit moins
à la trifteffe ; fon coeur étoit devenu
plus tranquille. Préparé par les difcours
de fon ami aux coups de la néceffité ,
il attendoit avec impatience la triſte
révolution de fa fortune. Mais lorsqu'il
penfoit que les biens d'Azelim feroient
beaucoup au - deffous des dettes immenfes
qu'il avoit contractées , fon couAVRIL.
1763. 27
rage s'évanouiffoit ; il croyoit voir les
victimes infortunées du luxe d'Azelim
apporter à fes pieds leurs juftes plaintes ;
il entendoit leurs gémiffemens & leurs
reproches.
Le jour marqué par Daubincourt
étant arrivé , Linias fe rendit dès le
matin au rendés-vous . La préfence de
cet ami pouvoit feule diminuer le poids
accablant de fes peines & rendre à fon
coeur allarmé la confiance & la paix . Linias
, lui dit Daubincourt , vous devez
juger à mon exactitude , de l'intérêt que
je prends à votre malheureux fort. Il
n'eft rien que je ne faffe pour l'adoucir:
fi je ne puis vous remettre dans
l'opulence où vous avez toujours vêcu,je
puis du moins vous apprendre à fupporter
l'indigence & peut-être les moyens d'en
fortir. Mais venez , Linias , ma famille
vous attend ; vous trouverez dans ces
coeurs fenfibles un plus fûr appui , que
dans les vaines promeffes d'un Grand
qui ne s'occupe que de lui- même . L'amitié-
vous dédommagera des biens de
la fortune , qui ne peuvent remplir une
âme épriſe de la vertu ; les larmes que
vous verrez couler de nos yeux , vous
feront goûter un plaifir que n'éprouvent
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
་ས་ ་
jamais les hommes puiffans qui ne font
entourés que d'envieux & d'ennemis ,
Linias , en entrant chez Daubincourt ,
trouva fon époufe & fa fille à l'ouvrage.
L'une tenoit une toile groffière deſtinée
aux malheureux du Village ; l'autre travailloit
au linge de la maifon . Quel
Spectacle pour Linias , qui n'avoit jamais
vu que des femmes occupées de
leur parure ou du jeu ! elles fe leverent
& le reçurent avec une politeffe obligeante
. Linias étoit amené par Daubincourt
; il étoit malheureux à ces deux
titres , il fut auffitôt de la famille. Mais
lorfqu'il eut jetté les yeux fur la fille de
fon ami , fon coeur qui jufqu'alors avoit
été confumé par le chagrin , devint en
un moment la victime d'une paffion
nouvelle qui lui fit oublier tous fes
maux . Les regards attachés fur Julie ,
il contemploit avec une efpèce de raviffement
ce vifage qui portoit l'empreinte
de l'innocence & de la candeur. Les graces
touchantes de cette jeune fille le tenoient
dans une douce yvreffe qui le
tranfportoit chacune de fes paroles étoit
un trait de feu dont fon âme étoit embrafée.
Il regardoit par intervalle Daubincourt
& fon époufe qui lui parloient ;
AVRIL. 1763. 29
mais fes yeux revenoient malgré lui fur
l'adorable Julie ; rien ne pouvoit l'en
détacher. Si les affaires de la maiſon appelloient
cette aimable fille dans une autre
chambre , il prêtoit l'oreille pour
entendre le fon flatteur de cette voix
qui portoit dans fon coeur un trouble
délicieux. Cependant, revenu de cet enchantement,
il auroit voulu cacher à fon
ami le défordre de fon âme ; mais il
n'étoit plus temps : Daubincourt & fon
époufe l'avoient pénétré. Tous deux attentifs
au mouvement du vifage de Linias
, ils ne doutoient plus de l'impref
fion qu'avoit fait fur fon coeur la préfence
de Julie. Linias , obligé de fe
rendre ' chez fon père , fe fépara les farmes
aux yeux dé cette aimable famille ;
il ne pouvoit s'arracher de cette maifon
où fon coeur étoit enchaîné par l'amour
le plus violent. Daubincourt ne lui propofa
point comme la première fois de
l'accompagner une partie de chemin ;
il fçavoit qu'il ne pouvoit encore être
le confident des tranfports de fon ami ,
& qu'un entretien étranger à cet objet
feroit déplacé. Suis -je affez malheureux ?
difoit Linias , occupé de fa nouvelle
paffion. N'avois - je pas affez de mes
maux fans y ajoûter un amour qu'il
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
faudra facrifier aux Loix injuftes de la
focieté ? Mon père exigera que je m'u
niffe à quelque femme ambitieufe &
riche qui voudra couvrir d'un beau nom
la baffeffe de fon origine ; fes biens feront
peut-être tout fon mérite ; ou s'il
approuve mes defirs , puis je eſpérer
que Daubincourt , qui ne jouit que
d'une
fortune médiocre , veuille m'accorder
fa fille à qui je ne pourrai donner
que mon coeur & ma main ? Oferai-je
la lui demander ? ... De quelque côté
que je me tourne , je ne vois que des
obftacles ; il femble que tout s'oppose à
mon bonheur. Ah ! Julie ! fi je ne puis
vous obtenir , s'il faut renoncer à la
feule femme que mon coeur ait jamais
aimée , pour en époufer une autre que
mon coeur n'aimerà jamais ; je foupirerai
chaque jour après le terme de ma
- carrière : je n'aurai d'autre confolation
que de m'en approcher par mes defirs .
Azelim , ayant appris le retour de
Linias , le fit appeller. Mon fils , lui ditil
, des lettres que j'ai reçues de Paris
m'annoncent pour vous l'établiſſement
le plus avantageux. Une Famille , à la
vérité peu connue , mais dont la fortu
ne eft confidérable , vous demande pour
gendre. J'aurois voulu pouvoir vous
AVRIL. 1763. 31
donner une époufe de votre naiffance
& de votre rang ; mais ce rang même
qui m'obligeoit à de grandes dépenfes ,
a dérangé ma fortune & m'impofe la
trifte néceffité d'accepter une fille opulente
dont les richeffes foutiennent l'éclat
de notre maifon , & vous fourniffent
les moyens d'acheter à la Cour un
emploi convenable au nom que vous
portez. Il eft des temps malheureux où
s'oubliant foi-même on ne doit confulter
que les conjonctures ; il faut defcendre
en quelque forte de fon état
pour s'élever enfuite beaucoup plus
haut. Mais je ne veux point uſer de mon
autorité ; je ne ferai jamais le tyran de
mes enfans. Si vous aviez pour ce mariage
une répugnance invincible , Dorville
prendra votre place avec joie : cette
fortune lui fera peut-être même plus
utile qu'à vous. Il a des connoiffances
chez le Prince , des amis puiffans , des
talens agréables ; votre amour pour la
folitude vous a de tout temps éloigné
du monde ; vous préférez une vie tranquille
aux intrigues de la Cour. Cependant
, Linias , c'eſt l'aîné qu'on demande
je ne ferai ma réponſe , je ne verrai
Dorville que lorfque vous ferez décidé.
Ah ! mon père , dit Linias , que
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
Dorville jouiffe de la fortune qui m'eſt
offerte ; je n'afpire point au bonheur
d'être riche , encore moins à celui d'époufer
une fille inconnue qui tireroit
peut-être de fon opulence le droit de me
rendre malheureux. Vous connoiffez
mes goûts ; ils exigent une vie privée :
la folitude a pour moi plus de charmes
que les plaifirs bruyans du monde.
Azelim , qui panchoit en fecret pour
Dorville , dont l'efprit étoit agréable &
petillant , conclut à la hâte un hymen
qui devoit rendre à fa famille un éclat
que la mifére étoit fur le point d'obfcurcir.
Dorville , enchanté , fit de nouveaux
emprunts pour fatisfaire le luxe
& la vanité de fon époufe , qui recevoit
fes préfens d'un air vain & dédaigneux,
Née dans l'abondance , elle ne mit
point de bornes à fes defirs ; les chofes
n'avoient de mérite à fes yeux qu'autant
qu'elles étoient rares : devenues
communes , il falloit s'en défaite à vil
prix. Son mari , dont le goût pour la
dépenfe ne s'accordoit malheureuſement
que trop avec le fien , applaudiffoit à fes
profufions. Mais fa complaifance ne fit,
que la rendre plus fière & plus hautaine
rien ne fe faifoit chez elle que par
fes ordres ; ceux du Maître n'étoient
*
AVRIL. 1763 . 33
jamais exécutés . Non contente du mépris
& des reproches humilians dont elle
l'accabloit chaque jour , elle imagina
qu'une femme de fon rang devoit avoir
un ami qui la dédommageât en fecret
de l'ennui qu'elle éprouvoit avec fon
mari. Cet heureux confident l'accompagnoit
aux Spectacles & aux promenades
, fans que l'infortuné Dorville
pût s'y oppofer. S'il s'en plaignoit , on
lui repréfentoit avec aigreur que la
jaloufie le couvriroit de ridicule ; que
les femmes les plus vertueufes tenoient
la même conduite ; & il n'y avoit qu'un
efprit bizarre & jaloux qui pût taxer
de licence une pareille liberté .
...
Dorville indigné de voir fon fort uni
pour toujours à celui d'une femme
qui le méprifoit , chercha bientôt à s'en
confoler , en fe livrant à la débauche.
Mais revenons à Linias.
>
Heureufement échappé au danger de
former des noeuds mal affortis , il étoit
encore agité par de nouvelles craintes .
Daubincourt & fon Epoufe voudroientils
lui accorder leur fille ? Cet hymen
qui feroit fon bonheur , feroit - il celui
de l'aimable Julie ? Lui a-t-il infpiré
cé penchant qui l'entraîne vers elle ?
Son choix n'eft-il peut -être pas déja
By
34 MERCURE DE FRANCE .
fait au fond de fon coeur ? .... Ces:
idées l'affligent & le tourmentent. Son
efprit incertain érre de tout côté fans
pouvoir fe fixer. Il retourne chez Daubincourt
; cette retraite étoit pour lui
le féjour le plus délicieux. Eloigné de
Julie , fon âme inquiette n'étoit fenfi-.
ble à rien . Il ne put cacher à fon
ami le trouble de fon coeur ; fa trifteffe
le trahiffoit. Linias , lui dit Daubincourt
, ce n'eft plus fur le luxe
d'Azelim que vous pleurez aujourd'hui :
vous portez dans votre âme un chagrin
fecret que vous cachez à votre
ami ! En eft-il que je puiffe ignorer
& que je ne partage ? Si vous avez
de nouveaux chagrins, répandez- les dans
le fein d'un homme dont la fenfibilité
vous eft connue : vos réferves font injurieufes
à ma tendreffe. Ah ! Daubincourt
vous m'arrachez mon fecret.
Père de l'aimable Julie , fachez qu'il
n'y a plus de bonheur pour moi , fi
je n'obtiens pour époufe cette fille adorable
dont l'image toujours préfente à
mon efprit , n'en fera jamais effacée ! .... :
Vivez heureux , Linias : vos vertus ont
fait fur l'âme de Julie la même impreffion
que fur la mienne ; vos coeurs que
la Nature forma l'un pour l'autre , ne
feront point féparés & malheureux ;
,
AVRIL. 1763 . 35
c'est une injuftice dont nous n'aurons
point à rougir. Linias paffant de la
douleur aux tranfports de la joie la plus
vive , fe jetta au col de fon ami , &
ne lui répondit que par ces larmes
précieufes que la reconnoiffance fait répandre
; & cet hymen auquel Azelim
donna fon confentement , fit le bonheur
de ces époux qui toujours charmés
l'un de l'autre , goûterent cette
félicité pure dont ils étoient dignes ,
& qui ne peut naître que de l'union
des coeurs. Des bords de la Conie.
MALHEUREUX ,
CONTE MORAL.
RIEN n'eft fi rare que les mariages
heureux , depuis qu'on n'exige plus que
des convenances bizarres établies par
l'opinion & le préjugé. La conformité
des goûts , l'union des cours paroiffent
aux parens des conditions inutiles . La
naiffance ou le bien font les feules qui
méritent leur attention ; ils ne font déterminés
que par l'un ou par l'autre. Ces
AVRIL. 1763. 15
injuftes Loix du monde , ces funeftes
préjugés portent la corruption dans
fe fein des familles en détruifant l'union
qui doit y régner ; ou fi l'union
y paroît encore , c'eſt une eſpèce de
tréve convenue que la dépravation mutuelle
a rendue néceffaire.
Azelim , fu d'une famille illuftre par
l'ancienneté de fa nobleffe & les charges
honorables qu'elle avoit toujours
occupées , s'étoit retiré de la Cour pour
finir fa carrière dans une maifon de
campagne aux environs de Paris . Il y
raffembloit la Société la plus brillante.
Le chemin étoit couvert de voitures
qui alloient ou qui revenoient de la
folitude d'Azelim . C'étoit là que les Pétits
-Maîtres & les Coquettes inventoient
les modes , traitoient d'originaux les
hommes vertueux , & de prudes les femmes
raisonnables , décidoient du mérite
d'un jeune Auteur , critiquoient la piéce
nouvelle , l'élevoient jufqu'aux nues,
ou la condamnoient à l'oubli. Une jeune
perfonne dont Azelim avoit acheté
les complaifances , & dont il avoit cru
pouvoir acheter le coeur , augmentoit
encore par fes talens les charmes de
cette retraite. On ne parloit à Paris que
du féjour délicieux d'Azelim ; la variété
16 MERCURE DE FRANCE.
des plaifirs qu'il procuroit à fes convives
faifoit l'entretien de toutes les Sociétés
. On le regardoit comme l'homme
du monde le plus heureux mais
ceux qui ne jugent point fur de trompeux
dehors appercevoient l'indigence
& le chagrin qui la fuit , à travers le
fafte & l'opulence de cette maifon ; au
milieu de la joie , le Maître paroiffoit
quelquefois accablé de trifteffe .
Azelim avoit deux enfans qui paffoient
dans le monde pour les Cavaliers
les mieux faits & les plus aimables .Tous
deux avoient une heureufe phyfionomie
, une démarche noble & affurée
un maintien décent & modefte ; mais
leur caractére étoit bien différent. L'un
étoit férieux , tranquille & mélancolique
; infenfible aux frivoles amuſemens
du monde , il n'avoit d'amour que pour
les Sciences. L'autre , vif & léger , couroit
avidement après les plaifirs. L'aîné ,
qui s'appelloit Linias , gémiffoit en fer
cret fur les dépenfes exceffives de fon
père ; il ne participoit point à cette
joie tumultueufe qui menaçoit fa famille
d'une ruine prochaine. Il voyoit
avec indignation Azelim entouré d'une
multitude de flateurs qui le méprifoient
intérieurement , & qui n'atten-
1
AVRIL. 1763 . 17
doient que fa perte pour infulter à fa
mifére. Dorville au contraire fe livroit
avec tranfport aux charmes féduifans
du plaifir ; fon coeur amolli par la volupté
ne pouvoit plus s'enyvrer que de
fa dangereufe vapeur ; fon âme n'étoit
fatisfaite qu'au milieu du défordre d'une
vie diffipée.
Il y avoit à quelque diftance de la
maifon d'Azelim un Gentilhomme appellé
Daubincourt, qui, fans ambition &
fans defirs , jouiffoit en paix du bien
qu'il avoit reçu de fes ayeux. Ennemi
du fafte & de la fomptuofité , fa maifon
n'étoit point remplie d'une troupe
d'efclaves inutiles qui ne fervent qu'à
la vanité du Maître . Les meubles étoient
antiques , mais propres ; fa table n'étoit
couverte que de viandes communes &
de légumes de fon jardin : à peine étoitil
connu des grands dont il étoit environné.
Mais cette heureufe fimplicité
lui procuroit des jours plus fereins
un fommeil plus tranquille que n'au
roient pu faire l'opulence & les plaifirs.
Rapproché par fes moeurs & fa façon
de vivre des habitans du Village
où il demeuroit , il en étoit adoré ; ces
bonnes gens faifoient tous les jours des
voeux pour fon bonheur. Si la médiocri18
MERCURE DE FRANCE.
té de fa fortune ne lui permettoit pas de
leur faire de grandes largeffes , il les
aidoit de fes confeils , il exhortoit les
malheureux à la patience , il leur apprenoit
à fouffrir. Son époufe auffi compatiffante
que lui , fe rendoit chez les
malades , elle leur donnoit fes foins &
fon temps ; le defir d'être utile à fes
femblables la mettoit au-deffus de ces
foibleffes , que la grandeur qui veut tirer
avantage des fervices mêmes , appelle
fenfibilité. Ces heureux époux avoient
une fille appellée Julie , qui joignoit
à la beauté la plus touchante , un efprit
droit & pénétrant qui faififoit toujours
le vrai , un coeur fenfible & bon
qui le lui faifoit aimer ; élevée fous les
yeux de ces parens adorables , elle avoit
pris dans leurs leçons les notions les
plus éxactes de la vertu .
Linias fe promenant un jour , en
rêvant fur les malheurs que le luxe préparoit
à fa famille , avançoit toujours
fans penfer à l'éloignement où il étoit
de la maifon de fon père : la vue d'un
homme qui lifoit à l'ombre d'une touffe
de faules fur le bord d'un ruiffeau , le
tira tout-à-coup de fes rêveries. Etonné
de fe trouver dans un lieu qu'il ne connoît
pas , il aborde l'Etranger , lui deAVRIL.
1763 . 19
mande où il eft ? Daubincourt, furpris
à fon tour , de voir à deux pas de fa
maiſon le fils aîné d'Azelim , fatisfait à
fes demandes , & le prie enfuite de venir
fe repofer , & prendre chez lui quelques
rafraîchiffemens.
Linias qui n'avoit jamais vu Daubincourt
, mais qui fouvent avoit entendu
faire l'éloge de fes vertus , fut
charmé de connoître un homme dont
les moeurs étoient en vénération dans
tout le voisinage ; il fentit même dans
ce moment l'empire de la vertu fur fon
âme : fon coeur qui n'avoit encore trouvé
perfonne dans le fein de qui il pût
s'épancher , cherchoit à s'échapper vers
celui du fage Daubincourt ; un penchant
invincible & fecret l'entraînoit
vers cet homme extraordinaire . Il entre
dans une maifon dont la fimplicité répondoit
à celle du Maître ; tout reſpiroit
cette heureufe médiocrité qui
fait les délices des âmes vertueufes.
Cette maifon dont la propreté faifoit
tout l'ornement , avoit quelque chofe
de plus riant que ces Palais magnifiques,
où les richeffes de l'art ne préfentent aux
yeux du fpectateur que l'idée affligeante
d'une injufte inégalité. Daubincourt
fit fervir à Linias les rafraîchifle20
MERCURE DE FRANCE .
mens dont il avoit befoin . N'imaginez
pas un buffet couvert de porcelaines
qu'un efclave attentif étale aux yeux
des étrangers pour fatisfaire l'orgueil
du Maître : on ne lui préfenta que les
fruits de la faifon & du vin tel que le
pays le produifoit ; mais la fimplicité de
ce repas avoit plus de charmes que les
profufions d'un grand , à travers lefquelles
on apperçoit l'avarice. Linias , lui´
dit Daubincourt , vous ne verrez pas mon
époufe & ma fille ; elles font allées au
hameau voifin porter du fecours à un
malheureux que l'indigence & la maladie
réduisent à la plus affreufe extrémité:
il ne faudra pas moins qu'une action
auffi louable pour les confoler de leur
abfence; car votre mérite leur eft connu .
Linias , ramené par Daubincourt au
Village le plus voifin de la maifon d'Azelim
, lui demanda la permiffion de
venir quelquefois le voir dans fa folitude
& jouir de fa converfation. Mais à
cette demande fes yeux fe mouillerent
de larmes , fon coeur oppreffé par le
fardeau de fes peines , cherchoit à s'en
décharger dans celui de cet homme de
bien. Daubincourt , lui dit-il , il y a
vingt ans paffés que j'ai vu le jour ; depuis
ce temps je n'ai trouvé perfonne
AVRIL. 1763. 21
dont j'aie pu faire un véritable ami. Le
monde n'a été pour moi qu'une vafte
folitude où j'ai toujours érré fans rencontrer
un homme dont l'âme attirât la
mienne ; je n'ai vu dans la Société qu'orgueil
, corruption , & méchanceté. Si
vous aimez la vertu vous devez être.
fenfible & compatiffant ; vous ferez
touché de mes maux ; je vous regarde
comme un ami tendre & fincère que
la fortune m'envoie pour nie confoler.
Vertueux jeune homme , lui dit Dau-
-bincourt , je connois l'état où vous êtes :
´un coeur contraint de foupirer en fecret
eft un pénible fardeau . Je l'ai fenti
quelquefois ; mais ce que vous n'avez
point encore heureufement éprouvé
c'eft la perfidie d'un traître qui fe joue
de la confiance d'un ami. Dans ces
cruelles circonstances , l'éfpèce humaine
fe peint à l'efprit fous les couleurs les
plus odieufes ; le monde n'eft qu'un
cahos où le vice honoré triomphe de
la vertu qui languit dans l'oppreffion &
le mépris.Le coeur abbatu par la trifteffe,
fe concentre en lui-même & fait des
efforts pour ſe détacher de tout ; une
funefte mifantropie s'en empare ; & de
l'homme le plus doux & le plus fenfible
, elle en fait l'ennemi le plus cruel
22 MERCURE DE FRANCE.
du genre humain. Linias , j'ai paffé par
ces terribles états ; l'enthouſiaſme de la
vertu me fit abandonner les hommes
que je jugeois indignes de ma tendreſſe ;
je vins dans cette retraite avec la réfolution
de ne plus retourner dans la fociété
qui me paroiffoit le féjour du crime :
la haine de mes femblables que je nourriffois
dans mon coeur , mefoutint quelques
années contre le defir de revenir
parmi eux. Chaque fois qu'il s'élevoit
dans mon âme , je me repréfentois pour
le détruire le repos de ma folitude , l'indépendance
où j'étois du caprice & de
la méchanceté des hommes . Mais je me
faifois illufion à moi-même : mon coeur
vuide , étoit en proie à des agitations intérieures
qui renverfoient cette tranquillité
dont je croyois jouir ; la mauvaiſe
humeur & le chagrin me faifoient fentir
à chaque inftant que je n'étois pas à ma
place. Des affaires vinrent heureuſement
à mon fecours . Rentré dans le monde ,
j'y trouvai des gens de bien ; le hazard
amena vers moi de vrais amis dont le
commerce enchanteur effaça peu- à-peu
les idées triftes qui me rendoient fombre
& chagrin. J'enviſageai le monde
fous un afpect plus favorable ; le défordre
que j'avois apperçu fe diffipa ; la
AVRIL. 1763. 23
>
,
la
vertu me parut avoir des adorateurs Je
vis alors que le vice à qui j'avois attribué
le droit injufte de faire des heureux
faifoit au contraire le fupplice
de fes partifans. Remis à la place que
Nature m'avoit deſtinée mon coeur
fentit une joie qu'il n'avoit point encore
éprouvée ; je crus jouir d'une nouvelle
éxiftence . Des noeuds formés par
la vertu , mirent le comble à mon bonheur.
Je m'unis aux pieds des autels avec
une jeune perfonne,dont la fortune étoit
médiocre à la vérité ; mais qui poffédoit
des richeffes plus réelles & d'un plus
grand prix les qualités de fon âme la
rendoient plus eftimable à mes yeux que
des biens qui ne fervent fouvent qu'à
nous avilir. Elevée dans la retraite , elle
préféra le féjour de la campagne à la
vie diffipée des Villes. Je me rendis avec
elle dans cette folitude ; mais j'y apportai
un coeur fatisfait & tranquille;& je connus
alors qu'il faut être bien avec foi-même,
pour goûter les plaifirs de la retraite.
C'eft à cette femme adorable que je dois
les plus beaux jours de ma vie ; C'eſt
à notre union que je dois cette volupté
pure dont mon âme eft remplie. Linias,
votre coeur brifé par la douleur vous empêche
de voir les chofes telles qu'elles
24 MERCURE DE FRANCE .
font ; le chagrin qui vous dévore leur
donne néceffairement une teinte qui les
défigure : les objets fe peignent confufément
dans une rivière agitée par la
tempête ; ce n'eft que dans le cryſtal
d'une eau pure & tranquille qu'on voit
l'azur d'un ciel fans nuages. Lorfque
le calme vous aura rendu la tranquillité,
vous ferez moins injufte envers les hommes
; ils vous paroîtront alors plus dignes
de compaffion que de haine . Linias
, venez quelquefois dans ma folitude
; fi l'amitié peut adoucir vos maux,
vous devez tout attendre de la mienne :
je connois depuis longtemps votre
amour pour la vertu ; c'eft à lui que
vous devez mon eftime & ma confiance.
Linias , qui pendant ce difcours étoit
refté immobile & penfif , pouffa un
profond foupir ; prenant enfuite une
des mains du généreux Daubincourt
il l'arrofoit de fes pleurs. Ah ! Daubincourt
lui dit -il vous me rendez la
vie. Je ceffe d'être malheureux , puifque
je trouve un ami fenfible & compatiffant.
Il acheva le chemin qui leur reftoit
à faire enfemble, en lui parlant de fa
famille ; il verfoit dans le fein de cet ami
fincère & vertueux les fentimens dont
fon âme cherchoit depuis longtemps à fe
> λ
délivrer .
1
AVRIL. 1763. 25
délivrer. Quoique Daubincourt ne pût
apporter aucun reméde aux malheurs
dont il étoit menacé , les paroles confolantes
de cet homme vrai calmoient fes
craintes & faifoient renaître l'efpérance
au fond de fon coeur. Arrivés au village
dont ils étoient convenus , Daubincourt
fe fépara de Linias , en arrêtant avec
lui un rendés-vous au même endroit .
, Linias de retour chez fon pére ,
trouva la cour remplie de voitures qui
venoient d'amener une compagnie nouvelle
. Azelim , entouré d'un cercle nombreux
, avaloit à longs traits le funefte
poifon de la flatterie. Il recevoit avec une
orgueilleufe fatisfaction les hommages
de ces vils efclaves dont le coeur démentoit
en fecret les louanges qu'ils
lui donnoient à haute voix ; une foule
de domeftiques augmentoit encore le
tumulte & le defordre de cette maiſon ;
on l'auroit crue livrée au pillage d'une
troupe ennemie . Linias , retiré dans fa
chambre, comparoit tout ce fracas avec
la paix & la tranquillité qui régnoient
chez Daubincourt. Malheureux Azelim !'
difoit- il , il n'y a donc que l'infortune qui
puiffe arracher le bandeau qui t'aveugle
Enyvré de ta chimérique grandeur & de
ta fauffe opulence , tu ne refpires que
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
le plaifir & la joie. Tu t'en rapportes
plutôt aux âmes baffes qui t'environnent
& te vantent ta félicité , qu'à ton propre
coeur que le trouble agite ! Porte tes
regards fur le funefte avenir que tu
prepares à ta malheureufe famille : tu
verras cette multitude de Créanciers
qui t'obféde inutilement chaque jour,
s'emparer de ce Palais magnifique , de
ces meubles précieux , de ces tableaux
rares qui te méritent le titre de connoiffeur
, partager entre eux tes dépouilles
& te plonger dans la mifère la plus
affreufe.Tu verras ces infâmes adulateurs,
qui font aujourd'hi l'éloge de ta magnificence
, blâmer hautement ta folie
& déchirer ton coeur par les outrages
les plus humilians . Ah , Daubincourt !
c'eft chez toi que le bonheur habite :
la frugalité te procure l'abondance ;
l'obfcurité t'affure le repos .
Cependant Linias fe livroit moins
à la trifteffe ; fon coeur étoit devenu
plus tranquille. Préparé par les difcours
de fon ami aux coups de la néceffité ,
il attendoit avec impatience la triſte
révolution de fa fortune. Mais lorsqu'il
penfoit que les biens d'Azelim feroient
beaucoup au - deffous des dettes immenfes
qu'il avoit contractées , fon couAVRIL.
1763. 27
rage s'évanouiffoit ; il croyoit voir les
victimes infortunées du luxe d'Azelim
apporter à fes pieds leurs juftes plaintes ;
il entendoit leurs gémiffemens & leurs
reproches.
Le jour marqué par Daubincourt
étant arrivé , Linias fe rendit dès le
matin au rendés-vous . La préfence de
cet ami pouvoit feule diminuer le poids
accablant de fes peines & rendre à fon
coeur allarmé la confiance & la paix . Linias
, lui dit Daubincourt , vous devez
juger à mon exactitude , de l'intérêt que
je prends à votre malheureux fort. Il
n'eft rien que je ne faffe pour l'adoucir:
fi je ne puis vous remettre dans
l'opulence où vous avez toujours vêcu,je
puis du moins vous apprendre à fupporter
l'indigence & peut-être les moyens d'en
fortir. Mais venez , Linias , ma famille
vous attend ; vous trouverez dans ces
coeurs fenfibles un plus fûr appui , que
dans les vaines promeffes d'un Grand
qui ne s'occupe que de lui- même . L'amitié-
vous dédommagera des biens de
la fortune , qui ne peuvent remplir une
âme épriſe de la vertu ; les larmes que
vous verrez couler de nos yeux , vous
feront goûter un plaifir que n'éprouvent
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
་ས་ ་
jamais les hommes puiffans qui ne font
entourés que d'envieux & d'ennemis ,
Linias , en entrant chez Daubincourt ,
trouva fon époufe & fa fille à l'ouvrage.
L'une tenoit une toile groffière deſtinée
aux malheureux du Village ; l'autre travailloit
au linge de la maifon . Quel
Spectacle pour Linias , qui n'avoit jamais
vu que des femmes occupées de
leur parure ou du jeu ! elles fe leverent
& le reçurent avec une politeffe obligeante
. Linias étoit amené par Daubincourt
; il étoit malheureux à ces deux
titres , il fut auffitôt de la famille. Mais
lorfqu'il eut jetté les yeux fur la fille de
fon ami , fon coeur qui jufqu'alors avoit
été confumé par le chagrin , devint en
un moment la victime d'une paffion
nouvelle qui lui fit oublier tous fes
maux . Les regards attachés fur Julie ,
il contemploit avec une efpèce de raviffement
ce vifage qui portoit l'empreinte
de l'innocence & de la candeur. Les graces
touchantes de cette jeune fille le tenoient
dans une douce yvreffe qui le
tranfportoit chacune de fes paroles étoit
un trait de feu dont fon âme étoit embrafée.
Il regardoit par intervalle Daubincourt
& fon époufe qui lui parloient ;
AVRIL. 1763. 29
mais fes yeux revenoient malgré lui fur
l'adorable Julie ; rien ne pouvoit l'en
détacher. Si les affaires de la maiſon appelloient
cette aimable fille dans une autre
chambre , il prêtoit l'oreille pour
entendre le fon flatteur de cette voix
qui portoit dans fon coeur un trouble
délicieux. Cependant, revenu de cet enchantement,
il auroit voulu cacher à fon
ami le défordre de fon âme ; mais il
n'étoit plus temps : Daubincourt & fon
époufe l'avoient pénétré. Tous deux attentifs
au mouvement du vifage de Linias
, ils ne doutoient plus de l'impref
fion qu'avoit fait fur fon coeur la préfence
de Julie. Linias , obligé de fe
rendre ' chez fon père , fe fépara les farmes
aux yeux dé cette aimable famille ;
il ne pouvoit s'arracher de cette maifon
où fon coeur étoit enchaîné par l'amour
le plus violent. Daubincourt ne lui propofa
point comme la première fois de
l'accompagner une partie de chemin ;
il fçavoit qu'il ne pouvoit encore être
le confident des tranfports de fon ami ,
& qu'un entretien étranger à cet objet
feroit déplacé. Suis -je affez malheureux ?
difoit Linias , occupé de fa nouvelle
paffion. N'avois - je pas affez de mes
maux fans y ajoûter un amour qu'il
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
faudra facrifier aux Loix injuftes de la
focieté ? Mon père exigera que je m'u
niffe à quelque femme ambitieufe &
riche qui voudra couvrir d'un beau nom
la baffeffe de fon origine ; fes biens feront
peut-être tout fon mérite ; ou s'il
approuve mes defirs , puis je eſpérer
que Daubincourt , qui ne jouit que
d'une
fortune médiocre , veuille m'accorder
fa fille à qui je ne pourrai donner
que mon coeur & ma main ? Oferai-je
la lui demander ? ... De quelque côté
que je me tourne , je ne vois que des
obftacles ; il femble que tout s'oppose à
mon bonheur. Ah ! Julie ! fi je ne puis
vous obtenir , s'il faut renoncer à la
feule femme que mon coeur ait jamais
aimée , pour en époufer une autre que
mon coeur n'aimerà jamais ; je foupirerai
chaque jour après le terme de ma
- carrière : je n'aurai d'autre confolation
que de m'en approcher par mes defirs .
Azelim , ayant appris le retour de
Linias , le fit appeller. Mon fils , lui ditil
, des lettres que j'ai reçues de Paris
m'annoncent pour vous l'établiſſement
le plus avantageux. Une Famille , à la
vérité peu connue , mais dont la fortu
ne eft confidérable , vous demande pour
gendre. J'aurois voulu pouvoir vous
AVRIL. 1763. 31
donner une époufe de votre naiffance
& de votre rang ; mais ce rang même
qui m'obligeoit à de grandes dépenfes ,
a dérangé ma fortune & m'impofe la
trifte néceffité d'accepter une fille opulente
dont les richeffes foutiennent l'éclat
de notre maifon , & vous fourniffent
les moyens d'acheter à la Cour un
emploi convenable au nom que vous
portez. Il eft des temps malheureux où
s'oubliant foi-même on ne doit confulter
que les conjonctures ; il faut defcendre
en quelque forte de fon état
pour s'élever enfuite beaucoup plus
haut. Mais je ne veux point uſer de mon
autorité ; je ne ferai jamais le tyran de
mes enfans. Si vous aviez pour ce mariage
une répugnance invincible , Dorville
prendra votre place avec joie : cette
fortune lui fera peut-être même plus
utile qu'à vous. Il a des connoiffances
chez le Prince , des amis puiffans , des
talens agréables ; votre amour pour la
folitude vous a de tout temps éloigné
du monde ; vous préférez une vie tranquille
aux intrigues de la Cour. Cependant
, Linias , c'eſt l'aîné qu'on demande
je ne ferai ma réponſe , je ne verrai
Dorville que lorfque vous ferez décidé.
Ah ! mon père , dit Linias , que
Biv
32 MERCURE DE FRANCE .
Dorville jouiffe de la fortune qui m'eſt
offerte ; je n'afpire point au bonheur
d'être riche , encore moins à celui d'époufer
une fille inconnue qui tireroit
peut-être de fon opulence le droit de me
rendre malheureux. Vous connoiffez
mes goûts ; ils exigent une vie privée :
la folitude a pour moi plus de charmes
que les plaifirs bruyans du monde.
Azelim , qui panchoit en fecret pour
Dorville , dont l'efprit étoit agréable &
petillant , conclut à la hâte un hymen
qui devoit rendre à fa famille un éclat
que la mifére étoit fur le point d'obfcurcir.
Dorville , enchanté , fit de nouveaux
emprunts pour fatisfaire le luxe
& la vanité de fon époufe , qui recevoit
fes préfens d'un air vain & dédaigneux,
Née dans l'abondance , elle ne mit
point de bornes à fes defirs ; les chofes
n'avoient de mérite à fes yeux qu'autant
qu'elles étoient rares : devenues
communes , il falloit s'en défaite à vil
prix. Son mari , dont le goût pour la
dépenfe ne s'accordoit malheureuſement
que trop avec le fien , applaudiffoit à fes
profufions. Mais fa complaifance ne fit,
que la rendre plus fière & plus hautaine
rien ne fe faifoit chez elle que par
fes ordres ; ceux du Maître n'étoient
*
AVRIL. 1763 . 33
jamais exécutés . Non contente du mépris
& des reproches humilians dont elle
l'accabloit chaque jour , elle imagina
qu'une femme de fon rang devoit avoir
un ami qui la dédommageât en fecret
de l'ennui qu'elle éprouvoit avec fon
mari. Cet heureux confident l'accompagnoit
aux Spectacles & aux promenades
, fans que l'infortuné Dorville
pût s'y oppofer. S'il s'en plaignoit , on
lui repréfentoit avec aigreur que la
jaloufie le couvriroit de ridicule ; que
les femmes les plus vertueufes tenoient
la même conduite ; & il n'y avoit qu'un
efprit bizarre & jaloux qui pût taxer
de licence une pareille liberté .
...
Dorville indigné de voir fon fort uni
pour toujours à celui d'une femme
qui le méprifoit , chercha bientôt à s'en
confoler , en fe livrant à la débauche.
Mais revenons à Linias.
>
Heureufement échappé au danger de
former des noeuds mal affortis , il étoit
encore agité par de nouvelles craintes .
Daubincourt & fon Epoufe voudroientils
lui accorder leur fille ? Cet hymen
qui feroit fon bonheur , feroit - il celui
de l'aimable Julie ? Lui a-t-il infpiré
cé penchant qui l'entraîne vers elle ?
Son choix n'eft-il peut -être pas déja
By
34 MERCURE DE FRANCE .
fait au fond de fon coeur ? .... Ces:
idées l'affligent & le tourmentent. Son
efprit incertain érre de tout côté fans
pouvoir fe fixer. Il retourne chez Daubincourt
; cette retraite étoit pour lui
le féjour le plus délicieux. Eloigné de
Julie , fon âme inquiette n'étoit fenfi-.
ble à rien . Il ne put cacher à fon
ami le trouble de fon coeur ; fa trifteffe
le trahiffoit. Linias , lui dit Daubincourt
, ce n'eft plus fur le luxe
d'Azelim que vous pleurez aujourd'hui :
vous portez dans votre âme un chagrin
fecret que vous cachez à votre
ami ! En eft-il que je puiffe ignorer
& que je ne partage ? Si vous avez
de nouveaux chagrins, répandez- les dans
le fein d'un homme dont la fenfibilité
vous eft connue : vos réferves font injurieufes
à ma tendreffe. Ah ! Daubincourt
vous m'arrachez mon fecret.
Père de l'aimable Julie , fachez qu'il
n'y a plus de bonheur pour moi , fi
je n'obtiens pour époufe cette fille adorable
dont l'image toujours préfente à
mon efprit , n'en fera jamais effacée ! .... :
Vivez heureux , Linias : vos vertus ont
fait fur l'âme de Julie la même impreffion
que fur la mienne ; vos coeurs que
la Nature forma l'un pour l'autre , ne
feront point féparés & malheureux ;
,
AVRIL. 1763 . 35
c'est une injuftice dont nous n'aurons
point à rougir. Linias paffant de la
douleur aux tranfports de la joie la plus
vive , fe jetta au col de fon ami , &
ne lui répondit que par ces larmes
précieufes que la reconnoiffance fait répandre
; & cet hymen auquel Azelim
donna fon confentement , fit le bonheur
de ces époux qui toujours charmés
l'un de l'autre , goûterent cette
félicité pure dont ils étoient dignes ,
& qui ne peut naître que de l'union
des coeurs. Des bords de la Conie.
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Résumé : LES MARIAGES HEUREUX ET MALHEUREUX, CONTE MORAL.
Le texte 'Les Mariages heureux et malheureux' examine les contrastes entre les apparences et la réalité dans la société, critiquant les mariages fondés sur les convenances sociales plutôt que sur l'amour. Les préjugés et les lois injustes corrompent les familles en détruisant l'union nécessaire. Azelim, issu d'une famille noble, vit retiré dans une maison de campagne près de Paris, où il reçoit une société brillante. Malgré les apparences de bonheur, Azelim cache une indigence et un chagrin profonds. Il a deux fils, Linias et Dorville, aux caractères opposés. Linias, sérieux et mélancolique, s'intéresse aux sciences et s'inquiète des dépenses excessives de son père. Dorville, au contraire, est vif et léger, recherchant les plaisirs. À proximité vit Daubincourt, un gentilhomme vivant simplement et en paix, respecté pour sa bonté et sa vertu. Il a une fille, Julie, belle et vertueuse. Linias rencontre Daubincourt et est charmé par sa simplicité et sa vertu. Daubincourt partage avec Linias ses expériences passées de misanthropie et de retour à la société grâce à de vrais amis. Il conseille à Linias de voir le monde sous un jour plus favorable et de trouver la tranquillité intérieure. Linias trouve en Daubincourt un ami sincère et compatissant. Linias compare le tumulte et le désordre de la maison d'Azelim à la paix régnant chez Daubincourt. Il critique Azelim pour sa fausse opulence, prédisant que ses créanciers s'empareront de ses biens. Linias attend avec impatience la révolution de sa fortune, mais craint que les biens d'Azelim ne suffisent pas à couvrir ses dettes. Linias se rend chez Daubincourt et tombe amoureux de Julie. Daubincourt et son épouse remarquent l'attachement de Linias pour Julie. Linias se demande comment obtenir la main de Julie, sachant que son père exigera un mariage avantageux. Azelim propose un mariage avec une famille riche mais peu connue. Linias refuse, préférant une vie tranquille. Azelim conclut alors le mariage avec Dorville, qui contracte de nouveaux emprunts pour satisfaire les désirs de son épouse, hautaine et infidèle. Dorville se console dans la débauche. Linias, échappé au danger de ce mariage, avoue son amour pour Julie à Daubincourt, qui révèle que Julie partage ses sentiments. Ils décident de se marier, avec le consentement d'Azelim, et vivent heureux ensemble.
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