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p. 2587-2609
DES HIEROGLYPHES, et de leurs usages dans l'Antiquité. Discours où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de tous les Monstres et de tous les Animaux chimeriques dont les Anciens nous ont parlé. Par M. Beneton de Perrin.
Début :
Les premiers hommes, avec la seule faculté du langage par les organes [...]
Mots clefs :
Hiéroglyphes, Figures, Hiéroglyphe, Marques, Hommes, Animaux, Religion, Écriture, Sciences, Marque, Monstres, Caractères, Homme, Figure, Chevaux, Terre, Explication, Connaissance , Symbole, Poètes
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texteReconnaissance textuelle : DES HIEROGLYPHES, et de leurs usages dans l'Antiquité. Discours où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de tous les Monstres et de tous les Animaux chimeriques dont les Anciens nous ont parlé. Par M. Beneton de Perrin.
DES HIEROGLYPHES , et de
leurs usages dans l'Antiquité. Discours
où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de
tous les Monstres et de tous les Animaux
chimeriques dont les Anciens nous ont
parlé. Par M. Beneton de Perrin .
Es premiers hommes , avec la seule
Lfaculté du langage par les organes
de la voix , auroient manqué de moyens
pour s'entretenir absents les uns des
-autres , et n'auroient pû avoir commerce
entre eux que difficilement, Pour remedier
à ces inconveniens , ils inventerent
des figures et convinrent qu'elles serviroient
à représenter leurs pensées , pour
ne les découvrir qu'à ceux qui en auroient
l'intelligence. Les actions et les
passions étant des accidens qui agitent
également la Nature et les hommes ;
ces figures emblêmatiques servirent d'a
bord à exprimer les unes et les autres
de ces choses , et formerent par-là un
langage muet , qui montroit le coeur
de l'homme aux yeux sans le secours
de la parole.
Les Grecs nommerent ces figures Hie-
1. Vol.
roglyphes
2588 MERCURE DE FRANCE
rogliphes , des mots Ιερος et γλύφος , com .
me qui diroit Sacra Sculptura , parce que
ce furent les Prêtres qui les premiers s'en
servirent pour écrire sur la Religion , et
envelopper par là les Mysteres. Le Pere
Kirker dérive le terme d'Hierogliphe des
mots da T. espos na gaúços , ce qui revient
assez à ce que j'ai dit qu'ils servoient
à une Ecriture sacrée , faite pour
être gravée ou taillée sur le bois ou sur
la pierre , Quasi sacra scalpendo ; les Hierogliphes
se multiplierent à mesure que
Part de parler se perfectionna et que les
Sciences se formerent.
Je les distingue en deux classes ; sçavoir
, les Hierogliphes animez , qui se
représentoient sous des formes de bêtes
soit Quadrupedes , Reptiles , Oiseaux ,
"Poissons et Plantes vegétatives , et les
Hierogliphes inanimez , qu'il faut plutôt
nommer Hierogrammes , parce qu'ils n'étoient
que des figures que les hommes
se firent à leur fantaisie , la plupart desquelles
formerent les Lettres qu'on nomma
Alphabetiques , en s'en servant pour
une autre Ecriture que le Hierogliphique
, comme j'aurai occasion de le faire
voir dans la suite. Les Chaldéens ayant
les premiers observé les Cieux et considere
l'ordre que semblent garder entre
I. Vol. elles
DECEMBRE. 1733. 2589
elles les Etoilles rassemblées , comme par
pelotons , dans ce vaste espace , ils tracerent
des figures dans le même arrangement
, et comme dans les choses mises
en confusion , on croit voir tout ce
qu'on a dessein d'y voir ; ils crurent
avoir remarqué dans ces assemblages d'Etoilles
, des formes distinctes d'hommes ,
d'oiseaux et d'animaux , ce qui leur fit
donner à ces amas ou conjonctions d'Astres
, les noms de Sagittaire , de Vierge ,
de Cigne , d'Ours , de Chien , &c. les
marquant des mêmes figures sur leurs
Tables Astronomiques.
>
Les Grecs nommerent aussi beaucoup
'de Constellations , les appellant du nom
de leurs Héros , et sur tout de ceux qui
se distinguerent dans l'Expedition de la
Colchide , sous le nom d'Argonautes
parce que ces Braves ayant été les
miers hommes qui eussent osé s'exposer
en pleine Mer , et ne se guidant que
par les Etoilles , les Poëtes jugerent qu'u
ne pareille hardie se méritoit que ces
Etoilles portassent leurs noms .
pre-
Les Astres une fois personnifiez , firent
naître l'Idolatrie ; on adora non - seulement
l'Astre en original , que l'on croyoit
influer sur un Pays ; mais encore sa figure
taillée et son Symbole ou Hiero-
I. Vol
C gliphes
2890 MERCURE DE FRANCE
gliphes, devinrent une chose respectable.
On alla même encore plus loin dans la
Deification des Corps de l'Univers ; car
la Terre étant deifiée comme les autres
Corps , on partagea sa divinité pour mul
tiplier les Dieux. Chacune de ces productions
eut séparément cet avantage , et
furent symbolisées par de nouveaux Hicrogliphes
, ce qui augmenta considerablement
et le nombre des cultes et celui
des figures.
Enfin le comble de l'Idolatrie fut qu'on
déïfia les hommes , regardant comme
des Dieux les Héros et les Inventeurs des
Sciences et des Arts. Alors on acheva de
faire porter aux Astres les noms des
personnes illustres , et confondant l'homme
et l'Astre , on honora le tout ensemble
sous la Statue ou le Hierogliphe
qui désignoit également ces deux choses
confonduës.
Par exemple , la Lyre , le Serpent ,
le Centaure , étoient des Signes Celestes ,
ces mêmes Signes ou Hierogliphes , désignoient
un Apollon , Pere prétendu
des Poëtes et des Musiciens ; un Esculape ,
Pere de la Médecine , et un Neptune ,
qui le premier dompta des Chevaux pour
s'en servir à la guerre et à la Chasse.
Mais ce qui embroüilla beaucoup la
I, Vol, signifi
DECEMBRE. 1733. 259%
signification des Hierogliphes , et quit
commença à en rendre l'explication malaisée
, c'est que tous les Personnages qui
réüssissoient dans les Sciences , et qui par
conséquent marchoient sur les traces de
ces hommes déïfiez pour en avoir été
les Inventeurs , se disoient leurs Enfans ;
de bons Poëtes et Musiciens étoient dits
Enfans d'Apollon ; un bon Médecin se
disoit fils d'Esculape , et d'habiles Cavaliers
se mettoient au nombre des descendans
de Neptune , le dompteur de
Chevaux. On qualifioit d'Enfans de Vulcain
tous ceux qui travailloient à forger
les Armes et les Outils pour l'Agriculture.
La Fable ne donne qu'un oeil aux
Cyclopes , pour signifier que les Ouvriers
qui travailloient aux Mines dans les en
trailles de la Terre , séjour continuellement
ténebreux , ne joüissoient que
d'un des deux avantages communs aux
autres hommes qui voyent alternativement
la luraiere du Soleil après l'obscu
rité de la nuit ; d'habiles Pilotes et Mariniers
étoient considerez comme fils
d'Eole et de l'Ocean.
Toutes ces personnes désignoient leur
Art sous un Hierogliphe , lequel souvent
les désignoit aussi eux - mêmes. La marque
étoit relative à la Profession et à
1. Vol. Cij l'Ou2592
MERCURE DE FRANCE
l'Ouvrier , et ces deux qualitez à la Divinité
Protectrice de l'Ouvrage , celafait
qu'un même Hierogliphe pouvoit signifier
trois choses bien differentes , une Sacrée ,
comme marque du Dieu d'un Art ; unc
Méchanique , comme marque de l'Art
même ; enfin une simple marque d'Ouvrier
Ainsi le même Hierogliphe qui
désignoit un Dieu , se mettoit souvent
sur le Tombeau d'un homme , pour montrer
la Profession dont il avoit été . Je
me servirai pour donner de cela un exem
ple sensible , d'un usage observé égale
ment par les Payens et par les premiers
Chrétiens en enterrant leurs Morts , les
uns mettoient souvent une hache sur
leurs Tombeaux , ce qui ne désignoit
pas toujours que celui qui étoit renfermé ||
dedans eût été un Ouvrier , ce pouvoit
être une personne de consideration qui
avoit eu pour Patron quelque Dieu Protecteur
d'un Art ou d'une Science , et
la hache étoit alors le Hierogliphe du
Dieu et non pas celui du Mort . Voilà
selon moi , ce qu'on doit entendre par
les Tombeaux érigez Sub ascia. Pan étoit
le Dieu des Campagnes , on n'enterroit
que là ; il a pû se faire que la hache ou
le hoyau , Instrumens propres à couper
les bois ou à remuer les terres
1. Vel
?
>
ont été
Les
DECEMBRE. 1733 2393
les Symboles des Dieux Champêtres , et
én mettant les Morts sous la protection
de ces Dieux , on mettoit leur Symbole
sur les Tombeaux .
A l'égard des Chrétiens , ils gravoient
une Pale sur les Sépulchres de feurs Martyrs
; ce Hierogliphe avoit une double
signification , l'une de passion , qui étoft
la gloire que s'étoient procuré ces Saints
par la souffrance , et l'autre de Religion , *
qui faisoit connoître celle dont ces illustres
avoient été les soutiens .
La représentation de differentes choses
par le même Hierogliphe , est ce qui
rend aujourd'hui presque impossible l'explication
des Monumens écrits avec ces ·
figures.
Comme je m'étendrai plus sur les Hierogliphes
que sur les Hierogrammes
quoique le mêlange des uns avec les
autres servit à fournir plus de moyens
d'exprimer ce qu'on avoit à faire sentir ;
je ne puis m'empêcher de faire une reflexion
qui tombe également sur tou
tes ces marques , c'est qu'il seroit à
souhaiter que les personnes qui s'appliquent
à les étudier , s'attachassent
bien à distinguer les deux especes dont
je parle , et les differents sujets ausquels
elles convenoient. Chacune de
1. Vol. Cij nos
2594 MERCURE DE FRANCE
nos Sciences a ses termes propres , il
en devoit être de même des Sciences
anciennes qui devoient par la même
Taison avoir aussi leurs marques propres.
Je ne dis pas que l'attention que
j'exige des Etudians en Hierogliphes fût
suffisante pour les conduire à une entiere
connoissance de ces figures énig .
matiques , on sçait assez que les Prêtres
et les Philosophes qui se servirent d'elles
depuis que l'on eut les Caracteres alphabetiques
, ne le faisoient que pour ca
cher une partie des choses dont ils ne
vouloient pas que le commun du peuple
fût instruit , mais du moins pár la
distinction des Hierogliphes on pourroit
en apprendre assez pour distinguer dans
les Monumens qui en sont chargez , ce qui
est de sacré d'avec ce qui est de prophane,
on tiendroit par là en bride les Charlatans
de la Litterature , qui trouvant
dans ces Monumens tout ce que leur
imagination y veut mettre , ne font
qu'embrouiller l'Histoire , loin de l'éclaircir
, et ils se trouveroient par ce
moyen hors d'état d'en imposer et d'ébloüir
les ignorans .
Revenons presentement à l'objet prin
cipal de cet Ouvrage , qui est de montrer
qu'entre toutes ces figures dont les
1. Vol. hommes
DECEMBRE. 1733. 2595
hommes se servirent pour expliquer leurs
connoissances , celles qui représentoient
des Animaux de differente nature , devinrent
dans les siecles où l'intelligence
de ces figures se trouva perduë, des Monstres
que l'ignorance fit croire avoir été
ou être existans. Je pense neanmoins que
dès - lors les Sçavans qui voulurent se mêler
de l'explication de ces Emblêmes , le
firent à l'avanture , et n'ont pas eu sur
cela plus d'avantage que ceux qui ont
voulu marcher sur leurs traces dans des
temps posterieurs , tels qu'Horus Apollo,
Pierrius Valerianus , les sieurs Langlois ,
et Dinet , et les Peres Kirker et Caussini
qui ont donné de ces Explications autant
justes qu'il est possible de le faire
dans une matiere aussi obscure ;il ne faut
pas douter que ce nombre infini de marques
de choses , tant animées qu'inanimées
qui se trouvent rangées dans un si bel ordre
sur les vieux Monumens Egyptiens , ne
contiennent des narrations bien suivies
sur differentes choses dont il falloit être
Instruit , tout s'écrivoit ainsi , et la connoissance
de la Religion , des Sciences ,
et de l'Histoire , ne se conservoit que
par le moyen de cette écriture figurée ,
la preuve de cela s'en peut tirer ( selon
moi ) de ce que dans ces longues nar-
L. Vol Ciiij rations
2596 MERCURE DE FRANCE
rations , certains Caracteres y sont répétez
souvent , et d'autres moins ; il y en
a même qui sont uniques , ou qui ne se.
trouvent répétez que deux ou trois fois
dans une longue Inscription ; ce qui devoit
faire la même chose que ce qu'on
peut remarquer dans notre écriture , où
nous avons des Lettres , comme les cinq
Voyelles qui reviennent souvent, pendant
que les K , les X , les Y , et les Z , y pa
roissent bien moins.
Il y avoit des Hyerogliphes qui contenoient
seuls un sens complet , ou une
pensée entiere; d'autres qui étoient d'abréviation
, et d'autres qui pouvoient ne former
que des demi mots et des mots dont
il étoit nécessaire de joindre plusieurs
ensemble,pour en former une expression
ou un sens déterminés de même que nous
employons en écrivant plusieurs mots ,
composés de différentes syllabes , pour
former une Phrase parfaite. J'ai fait cette
remarque en étudiant avec un peu d'attention
l'Obélisque Pamphile , que nous
a donné le Pere Kirker.
On y voit de fréquentes répétitions de
bras posez en fasce , les uns à mains ouvertes
, et les autres à poing fermé ; beaucoup
de signes en ziguezagues ; des Enfans
assis sur leur cul , le Panier de Séra-
1. Vol.
pis
DECEMBRE . 1733 . 2597
pis sur la tête , de Serpents , d'Anubis, de
Cynocéphales , &c. pendant qu'entre toutes
ces marques , souvent répétées , on ne
trouve qu'un seul sautoir , un seul tourteau
, qui est chargé d'une Croix pattée ,
quelques Etoiles , mais en petit nombre ;
tout cela donne lieu de conjecturer que
cet Obélisque contient des Enseignemens
de plusieurs natures , tant de Religion ,
de Science , que de Politique ; et que
chacune de ces choses avoit ses figures
propres à sonexpression ; ce qui fait que
les unes de ces figures paroissent souvent
dans un endroit , et bien moins dans un
autre , où il s'en trouve d'autres qui n'avoient
point encore paru.
Souvent pour donner à un Hyerogli
phe la force d'exprimer une action complete
, ou une pensée entiere , on étoit
obligé de le faire d'un composé de différens
membres d'animaux , et alors cette
figure devenoit monstrueuse ; tels étoient
les Hyérogliphes d'hommes à tête de
Chien , d'Oyseaux à face humaine , de
Corps à plusieurs têtes , et de têtes à plusieurs
visages ; ce dernier qui servit aux
Romains à symboliser leur Dieu Janus
étoit donc un Hyerogliphe plus ancien
qu'eux , il représentoit chez les Perses
Orimase et Arimane , et chez les Egyp-
1. Vola Cv tiens
2598 MERCURE DE FRANCE
tiens Osiris et Tiphon , c'est -à- dire , les
deux principes que les premiers Philosophes
admettoient pour Auteurs de toutes
choses , bonnes et mauvaises.
A l'égard des Hyerogrammes ou marques
fantasques , les plus simples comme
Le Cercle , le Triangle , le Quarré , le
Chevron, la Croix droite et la Croix panchée
composerent dans la suite les Caracteres
Litteraires , comme l'Omicron
le Delta , le Mi , l'Alpha, le Tau , le Chi
et autres , dont on se servit en quittant
P'Ecriture Hyerogliphique. Celle qui étoit
composée de Lettres , paroissant plus aisée
et plus propre à lier les pensées , et
à les produire dans un Discours suivi .
Je me sers de l'exemple des Caracteres
Grecs , parce que c'est par les Grecs que
nous avons la premiere connoissance de
T'usage que les Egyptiens faisoient de
leurs Hyerogliphes.
Les Hiérogrammes joints aux Hyerogliphes
, ne laissoient pas dans les temps où
l'on n'eut que cette sorte d'Ecriture
d'expliquer assez parfaitement les choses
dont les hommes 'devoient être instruits,
le faisant seulement plus en abrégé que
ne le fait l'Ecriture courante , ainsi il faut
croire que l'Ecriture figurée a toujours
été plus difficile à expliquer , sur tout l'étude
des Hyerogliphes Monstres deman-
1. Vol.
doit
DECEMBRE. 1733 2559
doit une grande attention et une grande
connoissance, puisqu'un seul pouvoit renfermer
un mystere de Religion , ou la
maniere de réussir dans un Ouvrage scientifique
, au lieu qu'il auroit fallu plusieurs
Hyérogrammes pour enseigner ces
choses ; cependant ces marques- cy firent
évanouir les autres ; kes Arabes , Mahométans
, à qui la Religion ne permettoit
pas d'écrire avec des figures d'hommes
et d'animaux , ne conserverent que les
Hyérogrammes, et quoiqu'ils eussent des
Caracteres Litteraires , ils se servirent des
premiers pour l'expression plus abrégée
et plus simple de leurs opérations Philosophiques
et Chimiques , continuant
par- là de faire de ces marques le même
usage qu'en faisoient les Egyptiens , qui
étoit de montrer par elles , la maniere de
décomposer et de recomposer les Corps
élémentaires. Ces mêmes marques ont
passé jusqu'à nos Phisiciens , qui les emploient
aux mêmes usages.
Le monde et toutes les sciences qu'on
peut acquerir se symbolisoient sous un
Hyerogliphe de figure tres bizare. C'étoit
un Globe avec des aîles , et des Serpens
autour de son Disque ; ce qui fait appeller
ce Hyérogliphe par le Pere Kirker :
Ali-Sphero Serpenti formem. On le voit
I. Vola
C vj paz
2600 MERCURE DE FRANCE
ན
paroître au haut de presque tous les
Obélisques , et on le mettoit là , comme
un titre , qui annonçoit que tout le Discours
qui alloit suivre , n'étoit que pour
instruire des choses connues dans l'Univers
, dont ce Globe volant étoit le type,
du mouvement , er des actions qui agitent
eet Univers .
Les Phéniciens , les Egyptiens et les
Chinois sont les premiers peuples qui firent
usage des Hyerogliphes , et qui leur
donnerent l'arrangement méthodique
dont je viens de parler , les divisant par
Classes , pour s'en servir aux différentes
applications qu'ils avoient à en faire s
leur figure fut d'abord fort simple dans
les premiers temps ; le trafic ne se faisoit
que par l'échange des Denrées; pour
le faire ( quand on n'étoit pas present )
on n'avoit d'autres moyens que d'envoyer
la figure gravée sur quelque chose
de ce qu'on vouloit vendre , et de ce
qu'on vouloit en retour. Un homme ,
par exemple , qui vouloit vendre un
Boeuf pour des Moutons , envoyoit à un
autre homme la figure d'autant de Moutons
qu'il prétendoit en avoir pour l'échange
du Boeuf, l'échange des Oyseaux
et des fruits de la terre se faisoit de même;
un Arbre se désignoit par un Arbre,
J.Val
DECEMBR E. 1733 . 260
et une personne qui auroit voulu faire
couper des Bois , en envoyoit l'ordre par
un Arbre renversé . On verra facilement
par ces seuls exemples, comment un hom
me pouvoit faire sçavoir ses volontez à
un autre , par le moyen des Hyérogli
phes, qui furent les premieres Monnoyes,
quoiqu'il n'eussent point de valeur en
eux-mêmes ; les accidens avoient leur
marque , la maladie avoit la sienne , une
personne qui vouloit faire consulter le
mal dont elle étoit affligée , envoyoit au
Médecin le symbole general de la maladie
, auquel étoit joint le symbole particulier
de la partie du corps qui étoit affectée
; si c'étoit le coeur , on mettoit un
coeur , et un oeil , ou un pied , si c'érbit
l'oeil ou le pied qui fut malade. Cela se
fait encore à peu près de même chez les
Chinois , qui ont beaucoup de Caracteres
figurez pour les mêmes choses , qu'ils
ont besoin d'exprimer.
Suivant l'explication qu'un de nos Académiciens
a donnée de la Fable des Gorgones
, il paroît que ce n'est qu'une action
de commerce que P'on avoit mis par
écrit en Hyérogliphes , et qu'après qu'on
eut perdu l'intelligence de ces marques,
en voyant des Yeux , des Dents , des Serpens
, qui n'étoient que la Relation du
LVel
voya
2602 MERCURE DE FRANCE
yoyage et l'énumération
des Marchandises
qu'une Flotte , partant de la Mer Méditerranée
, avoit rapporté des Terres situées
sur la Mer Océane , où le commerce
l'avoit attiré. On a cru que c'étoit
toute autre chose : et sur cela les Poëtes
composerent une Fiction Historique , où
de ces Gorgones , qui n'étoient que des
Vaisseaux revenus , chargez de Diamans ',
de Poudre d'or , et de Dents d'Eléphans ;
ils en firent des Filles horribles , qui
avoient la tête pleine de Serpens .
Parmi les Hyérogliphes il y en avoit
de plus simples les uns que les autres ;
les simples étoient les figures naturelles ,
véritables , et sans exagération ; au lieu
que les autres étoient des figures de pure
imagination; c'est ceux - cy qui ont donné
naissance à certains monstres qui ne
peuvent point avoir existé ; plusieurs
choses ont pû occasionner l'invention de
ces figures si extraordinaires ; par exemple
, un Chef de Nation qui vainquoit
différens ennemis , marquoit son triomphe
par une Bête allégorique , à qui on
donnoit autant de têtes que ce Chef avoit
terrassé de Peuples, ennemis. Voilà d'où
viennent les ( 1 ) Amphisbenes , les Cerbe-
( 1 ) Serpent qui pique par les deux extrémitez de
son corps.
1. Vol. ECS,
DECEMBRE. 1733 280g.
res et les Hydres , représentez avec 2 , 3 ,
et jusqu'à 7 têtes.
Apollon fut surnommé Pythiep , pour
avoir tué , disent les Mythologues , le Ser
pent Python , Monstre affreux qui s'étoie
formé du Limon échauffé , que les eaux
du Déluge avoient laissé sur la terre d'Egypte
; mais il est plus croyable que cette
Fable est une allégorie d'un effet naturel
que le Soleil opére tous les ans par sa
chaleur , qui desseche le Limon du Nil
et que les Rayons de l'astre sont les Flé
ches qui détruisent une pourriture , qui
infecteroit la terre sans ce secours annuel,
auquel on donna un mérite particulier
la premiere fois qu'on remarqua ce salutaire
effet , wu , en grec , signifie putrefaction
.
J'ai déja dit qu'entre les Hyérogliphes il
y en avoit de plus propres les uns que
les autres à caractériser certaines choses,
ainsi en suivant ce principe , la Religion
devoit avoir les siens , et les actions et
passions humaines les leurs ; ce que je
viens de remarquer des Gorgones , et de
ces guerriers symbolisés par des Monstres
suffira pour faire voir quels pouvoient
être les Hyérogliphes d'actions. Passons
présentement à la connoissance de quelques-
uns de ceux de passion , pour venir
I. Vol.
enfin
2604 MERCURE DE FRANCE
enfin à connoître quels étoient ceux de
Religion .
Il faut distinguer les passions humaines
en actives et en passives ; c'est nous
qui agissons dans les unes et nous recevons
l'action dans les autres les premiers
se symbolisoient par des marques fort
simples et les secondes par de plus composées,
un seul exemple suffira pour preu
ve de ce qu'étoient les dernieres , qui fera
l'explication du Hyérogliphe de la fortune
; cette Divinité fantasque , qui malgré
ses caprices , a toujours été l'objet
des désirs de tous les hommes , elle se
symbolisoit diversement selon le gout, le
sexe , l'âge et la condition de ses adorateurs
; on la faisoit tantôt homme , tantôt
femme , tantôt vieille et tantôt jeune,
en l'invoquant sous des noms qui avoient
rapport à ces changemens de figures.
>
Comme fortune aimée , fortuna primis
genia , elle étoit proprement le hazard
que quelques Philosophes soutenoient
avoir seul servi au débrouillement duz
Cahos . Les autres surnoms de la fortune
étoient , fortuna obsequens , l'obéissante
patrone des gens heureux ; privata , la
médiocre , qui est celle qui contente les
Sçavans ; fortuna mulier et virgo ; celle des
femmes et des filles,fortuna virilis;celle des
I, Vol
hom
DECEMBRE . 1733. 2605
hommes qui se représentoit de sexe mas
culin , il y avoit même la fortune des
vieillards , représentée avec une longue
barbe , et celle-cy étoit sans doute de
toutes les fortunes celle qu'on honoroit
le plus tard .
Cette Divinité se représentoit en general
avec tout l'appareil significatif des
effets que ses caprices produisoient dans
le monde , montée sur une roue, avec des
aîles sur le dos , un bandeau sur les yeux,
ses cheveux assemblez sur le devant de
la tête , et chauve par derriere , tout cela
pour montrer son instabilité , son inconstance
, son aveuglement dans la dispensation
de ses dons , et la difficulté de
la ratraper quand elle nous a tourné le
dos ; on lui mettoit aussi un Globe en
une main , et un Gouvernail ou une Corne
d'abondance en l'autre , pour mon
trer qu'elle gouverne le Monde , et y répand
les biens à sa volonté , ce qui étoit
encore signifié par un Soleil et une Lune
qui accompagnoient sa tête ; enfin cette
Deïté , qui est , pour ainsi dire, l'ame du
monde , pouvoit- elle manquer d'être fi
gurée par un Hierogliphe des plus composez
? C'est peut- être celui qui donna
l'idée de faire les figures panthées dont
je parlerai bien-tôt.
1. Vet. Quan
2606 MERCURE DE FRANCE
:
Quant aux Hierogliphes des passions
actives qui sont au - dedans de nous - mê
mes , ils étoient tous simples quand on
n'avoit à lés représenter que chacun séparément
; la Genisse , l'Agneau , la Colombe
, la Tourterelle , & c. marquoient
la pureté , l'innocence , l'amitié et la
constance. La virginité paroissoit sous la
marque d'une fille échevelée , vétuë de
blanc , les Vertus étoient symbolisées par
des Animaux de figures aimables , et les
vices , au contraire , étoient figurez par
des Animaux affreux , dont la seule vûe
causoit de l'horreur ; la Religion Chrétienne
a conservé ces usages , on a dé
signé les pechez capitaux par les plus
hideuses bêtes que nous connoissions , à
l'imitation des Anciens qui inventerent
des Monstres qui n'existoient point, pour
dépeindre les vices avec des couleurs plus
effrayantes.
Ils imaginerent un Basilic qui tuë de
son regard ; un Serpent qui empoisonne
de son écume toutes les herbes où il se
traîne; une infinité d'autres bêtes affreuses
étoient les Symboles des deffauts les plus
nuisibles à la Societé , comme la calomnie
, le mensonge et d'autres ; l'Hiene
étoit la marque de la cruauté ; et comme
les femmes ne sont pas exemptes de ce
I. Vol. vice
DECEMBRE . 1733. 2607
vice , on fit cet Animal hermaphrodite.
Toutes ces Images que je viens de représenter
, étoient simples ; mais quand
il falloit caracteriser en un même Symbole
plusieurs vices ou plusieurs vertus ,
il falloit bien composer un Hierogliphe
dans lequel les Symboles particuliers de
toutes ces choses entrassent , et cela formoit
des Panthées de passions , semblables
aux Panthées sacrez.
L'Antiquité eut des Héros et des braves
, qui ainsi que nos Chevaliers Errans
du temps de Charlemagne , se dévoüoient
à passer leur vie en courant le Monde
pour secourir les foibles et purger la Terre
des brigands , qui en étoient les veritables
Monstres ; tels furent parmi les
Gercs Hercule , Thesée , Jason , Persée ,
et autres. Je métonne que les Auteurs
zelez pour la gloire de notre ancienne
Chevalerie , ayent borné son origine
aux Chevaliers Romains , et qu'ils ne
l'ayent pas remontée jusqu'aux demi-
Dieux de la Grece , nos vieux Romanciers
leur en avoient donné l'ouverture ,
par le merveilleux qu'ils ont répandu sur
les avantures de nos valeureux Paladins ,
Renaud , Roland et Amadis , en leur
fournissant à point nommé des montures
diaboliques pour les conduire plus
par
B.I. Vel
prem
2303 MERCURE DE FRANCE
promptement vers les Géants qu'ils devoient
exterminer , à l'exemple des Poëtes
Grecs qui trouvoient des Pégases pour
en fournir fort à propos aux Deffenseurs
des Dames , télles qu'Andromede et Hésione.
Michel de Cervantes et Rabelais , pour
se mocquer des idées folles des Auteurs
de Romans , ont imaginé les Oriflants ,
les Hippogriphes et les Chevillards , don't
ils ont parlé , l'un dans son Don Quichote
, et l'autre dans son Gargantua .
›
Ce sont ces Chevaux ailez de la Fable
qui ont pû persuader qu'il y avoit des
Licornes ( autres animaux aussi fabuleux )
il est aisé de voir de quelle source partoit
cette fausse persuasion . L'Yvoire venoir
, à ce qu'on disoit d'une Corne de
bête qui se trouvoit en Afrique et
Pline dans son Histoire Naturelle ( L. 8.
C. 21. ) admet des Chevaux volants et
des Chevaux à Cornes , à qui il donne
également le nom de Pégase , et les fait
trouver en Ethiopie , Pays voisin des
Monts Athlas , où Persée eut occasion
de se servir d'un de ces Chevaux . Æthiopia
generat , multaque alia Monstro similia
Pennatos equos et Cornibus armatos
quos Pegasos vocant ; ce Passage ne m'empêchera
pas de conclure que , puisque
I. Vol. los
DECEMBRE . 1733. 2609
tes Pégases sont chimeriques , les Licornes
ne le sont pas moins , et la description
que continue d'en faire le méme
Auteur , achevera de prouver que ces
Animaux ne doivent être regardez que
comme des chimeres , ou plutôt ce sont
des Hierogliphes qui ont eu cette forme
, la Licorne a pû êrre une image
Panthée propre à désigner la fécondité
cu les perfections dans le genre animal ,,
elle avoit le corps d'un Cheval , la tête
d'un Cerf , les pieds d'Elephant , sa
queue d'un Sanglier , avec une corne de
deux coudées de long , placée au milieu
du front.
"
L'Auteur promet la suite.
leurs usages dans l'Antiquité. Discours
où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de
tous les Monstres et de tous les Animaux
chimeriques dont les Anciens nous ont
parlé. Par M. Beneton de Perrin .
Es premiers hommes , avec la seule
Lfaculté du langage par les organes
de la voix , auroient manqué de moyens
pour s'entretenir absents les uns des
-autres , et n'auroient pû avoir commerce
entre eux que difficilement, Pour remedier
à ces inconveniens , ils inventerent
des figures et convinrent qu'elles serviroient
à représenter leurs pensées , pour
ne les découvrir qu'à ceux qui en auroient
l'intelligence. Les actions et les
passions étant des accidens qui agitent
également la Nature et les hommes ;
ces figures emblêmatiques servirent d'a
bord à exprimer les unes et les autres
de ces choses , et formerent par-là un
langage muet , qui montroit le coeur
de l'homme aux yeux sans le secours
de la parole.
Les Grecs nommerent ces figures Hie-
1. Vol.
roglyphes
2588 MERCURE DE FRANCE
rogliphes , des mots Ιερος et γλύφος , com .
me qui diroit Sacra Sculptura , parce que
ce furent les Prêtres qui les premiers s'en
servirent pour écrire sur la Religion , et
envelopper par là les Mysteres. Le Pere
Kirker dérive le terme d'Hierogliphe des
mots da T. espos na gaúços , ce qui revient
assez à ce que j'ai dit qu'ils servoient
à une Ecriture sacrée , faite pour
être gravée ou taillée sur le bois ou sur
la pierre , Quasi sacra scalpendo ; les Hierogliphes
se multiplierent à mesure que
Part de parler se perfectionna et que les
Sciences se formerent.
Je les distingue en deux classes ; sçavoir
, les Hierogliphes animez , qui se
représentoient sous des formes de bêtes
soit Quadrupedes , Reptiles , Oiseaux ,
"Poissons et Plantes vegétatives , et les
Hierogliphes inanimez , qu'il faut plutôt
nommer Hierogrammes , parce qu'ils n'étoient
que des figures que les hommes
se firent à leur fantaisie , la plupart desquelles
formerent les Lettres qu'on nomma
Alphabetiques , en s'en servant pour
une autre Ecriture que le Hierogliphique
, comme j'aurai occasion de le faire
voir dans la suite. Les Chaldéens ayant
les premiers observé les Cieux et considere
l'ordre que semblent garder entre
I. Vol. elles
DECEMBRE. 1733. 2589
elles les Etoilles rassemblées , comme par
pelotons , dans ce vaste espace , ils tracerent
des figures dans le même arrangement
, et comme dans les choses mises
en confusion , on croit voir tout ce
qu'on a dessein d'y voir ; ils crurent
avoir remarqué dans ces assemblages d'Etoilles
, des formes distinctes d'hommes ,
d'oiseaux et d'animaux , ce qui leur fit
donner à ces amas ou conjonctions d'Astres
, les noms de Sagittaire , de Vierge ,
de Cigne , d'Ours , de Chien , &c. les
marquant des mêmes figures sur leurs
Tables Astronomiques.
>
Les Grecs nommerent aussi beaucoup
'de Constellations , les appellant du nom
de leurs Héros , et sur tout de ceux qui
se distinguerent dans l'Expedition de la
Colchide , sous le nom d'Argonautes
parce que ces Braves ayant été les
miers hommes qui eussent osé s'exposer
en pleine Mer , et ne se guidant que
par les Etoilles , les Poëtes jugerent qu'u
ne pareille hardie se méritoit que ces
Etoilles portassent leurs noms .
pre-
Les Astres une fois personnifiez , firent
naître l'Idolatrie ; on adora non - seulement
l'Astre en original , que l'on croyoit
influer sur un Pays ; mais encore sa figure
taillée et son Symbole ou Hiero-
I. Vol
C gliphes
2890 MERCURE DE FRANCE
gliphes, devinrent une chose respectable.
On alla même encore plus loin dans la
Deification des Corps de l'Univers ; car
la Terre étant deifiée comme les autres
Corps , on partagea sa divinité pour mul
tiplier les Dieux. Chacune de ces productions
eut séparément cet avantage , et
furent symbolisées par de nouveaux Hicrogliphes
, ce qui augmenta considerablement
et le nombre des cultes et celui
des figures.
Enfin le comble de l'Idolatrie fut qu'on
déïfia les hommes , regardant comme
des Dieux les Héros et les Inventeurs des
Sciences et des Arts. Alors on acheva de
faire porter aux Astres les noms des
personnes illustres , et confondant l'homme
et l'Astre , on honora le tout ensemble
sous la Statue ou le Hierogliphe
qui désignoit également ces deux choses
confonduës.
Par exemple , la Lyre , le Serpent ,
le Centaure , étoient des Signes Celestes ,
ces mêmes Signes ou Hierogliphes , désignoient
un Apollon , Pere prétendu
des Poëtes et des Musiciens ; un Esculape ,
Pere de la Médecine , et un Neptune ,
qui le premier dompta des Chevaux pour
s'en servir à la guerre et à la Chasse.
Mais ce qui embroüilla beaucoup la
I, Vol, signifi
DECEMBRE. 1733. 259%
signification des Hierogliphes , et quit
commença à en rendre l'explication malaisée
, c'est que tous les Personnages qui
réüssissoient dans les Sciences , et qui par
conséquent marchoient sur les traces de
ces hommes déïfiez pour en avoir été
les Inventeurs , se disoient leurs Enfans ;
de bons Poëtes et Musiciens étoient dits
Enfans d'Apollon ; un bon Médecin se
disoit fils d'Esculape , et d'habiles Cavaliers
se mettoient au nombre des descendans
de Neptune , le dompteur de
Chevaux. On qualifioit d'Enfans de Vulcain
tous ceux qui travailloient à forger
les Armes et les Outils pour l'Agriculture.
La Fable ne donne qu'un oeil aux
Cyclopes , pour signifier que les Ouvriers
qui travailloient aux Mines dans les en
trailles de la Terre , séjour continuellement
ténebreux , ne joüissoient que
d'un des deux avantages communs aux
autres hommes qui voyent alternativement
la luraiere du Soleil après l'obscu
rité de la nuit ; d'habiles Pilotes et Mariniers
étoient considerez comme fils
d'Eole et de l'Ocean.
Toutes ces personnes désignoient leur
Art sous un Hierogliphe , lequel souvent
les désignoit aussi eux - mêmes. La marque
étoit relative à la Profession et à
1. Vol. Cij l'Ou2592
MERCURE DE FRANCE
l'Ouvrier , et ces deux qualitez à la Divinité
Protectrice de l'Ouvrage , celafait
qu'un même Hierogliphe pouvoit signifier
trois choses bien differentes , une Sacrée ,
comme marque du Dieu d'un Art ; unc
Méchanique , comme marque de l'Art
même ; enfin une simple marque d'Ouvrier
Ainsi le même Hierogliphe qui
désignoit un Dieu , se mettoit souvent
sur le Tombeau d'un homme , pour montrer
la Profession dont il avoit été . Je
me servirai pour donner de cela un exem
ple sensible , d'un usage observé égale
ment par les Payens et par les premiers
Chrétiens en enterrant leurs Morts , les
uns mettoient souvent une hache sur
leurs Tombeaux , ce qui ne désignoit
pas toujours que celui qui étoit renfermé ||
dedans eût été un Ouvrier , ce pouvoit
être une personne de consideration qui
avoit eu pour Patron quelque Dieu Protecteur
d'un Art ou d'une Science , et
la hache étoit alors le Hierogliphe du
Dieu et non pas celui du Mort . Voilà
selon moi , ce qu'on doit entendre par
les Tombeaux érigez Sub ascia. Pan étoit
le Dieu des Campagnes , on n'enterroit
que là ; il a pû se faire que la hache ou
le hoyau , Instrumens propres à couper
les bois ou à remuer les terres
1. Vel
?
>
ont été
Les
DECEMBRE. 1733 2393
les Symboles des Dieux Champêtres , et
én mettant les Morts sous la protection
de ces Dieux , on mettoit leur Symbole
sur les Tombeaux .
A l'égard des Chrétiens , ils gravoient
une Pale sur les Sépulchres de feurs Martyrs
; ce Hierogliphe avoit une double
signification , l'une de passion , qui étoft
la gloire que s'étoient procuré ces Saints
par la souffrance , et l'autre de Religion , *
qui faisoit connoître celle dont ces illustres
avoient été les soutiens .
La représentation de differentes choses
par le même Hierogliphe , est ce qui
rend aujourd'hui presque impossible l'explication
des Monumens écrits avec ces ·
figures.
Comme je m'étendrai plus sur les Hierogliphes
que sur les Hierogrammes
quoique le mêlange des uns avec les
autres servit à fournir plus de moyens
d'exprimer ce qu'on avoit à faire sentir ;
je ne puis m'empêcher de faire une reflexion
qui tombe également sur tou
tes ces marques , c'est qu'il seroit à
souhaiter que les personnes qui s'appliquent
à les étudier , s'attachassent
bien à distinguer les deux especes dont
je parle , et les differents sujets ausquels
elles convenoient. Chacune de
1. Vol. Cij nos
2594 MERCURE DE FRANCE
nos Sciences a ses termes propres , il
en devoit être de même des Sciences
anciennes qui devoient par la même
Taison avoir aussi leurs marques propres.
Je ne dis pas que l'attention que
j'exige des Etudians en Hierogliphes fût
suffisante pour les conduire à une entiere
connoissance de ces figures énig .
matiques , on sçait assez que les Prêtres
et les Philosophes qui se servirent d'elles
depuis que l'on eut les Caracteres alphabetiques
, ne le faisoient que pour ca
cher une partie des choses dont ils ne
vouloient pas que le commun du peuple
fût instruit , mais du moins pár la
distinction des Hierogliphes on pourroit
en apprendre assez pour distinguer dans
les Monumens qui en sont chargez , ce qui
est de sacré d'avec ce qui est de prophane,
on tiendroit par là en bride les Charlatans
de la Litterature , qui trouvant
dans ces Monumens tout ce que leur
imagination y veut mettre , ne font
qu'embrouiller l'Histoire , loin de l'éclaircir
, et ils se trouveroient par ce
moyen hors d'état d'en imposer et d'ébloüir
les ignorans .
Revenons presentement à l'objet prin
cipal de cet Ouvrage , qui est de montrer
qu'entre toutes ces figures dont les
1. Vol. hommes
DECEMBRE. 1733. 2595
hommes se servirent pour expliquer leurs
connoissances , celles qui représentoient
des Animaux de differente nature , devinrent
dans les siecles où l'intelligence
de ces figures se trouva perduë, des Monstres
que l'ignorance fit croire avoir été
ou être existans. Je pense neanmoins que
dès - lors les Sçavans qui voulurent se mêler
de l'explication de ces Emblêmes , le
firent à l'avanture , et n'ont pas eu sur
cela plus d'avantage que ceux qui ont
voulu marcher sur leurs traces dans des
temps posterieurs , tels qu'Horus Apollo,
Pierrius Valerianus , les sieurs Langlois ,
et Dinet , et les Peres Kirker et Caussini
qui ont donné de ces Explications autant
justes qu'il est possible de le faire
dans une matiere aussi obscure ;il ne faut
pas douter que ce nombre infini de marques
de choses , tant animées qu'inanimées
qui se trouvent rangées dans un si bel ordre
sur les vieux Monumens Egyptiens , ne
contiennent des narrations bien suivies
sur differentes choses dont il falloit être
Instruit , tout s'écrivoit ainsi , et la connoissance
de la Religion , des Sciences ,
et de l'Histoire , ne se conservoit que
par le moyen de cette écriture figurée ,
la preuve de cela s'en peut tirer ( selon
moi ) de ce que dans ces longues nar-
L. Vol Ciiij rations
2596 MERCURE DE FRANCE
rations , certains Caracteres y sont répétez
souvent , et d'autres moins ; il y en
a même qui sont uniques , ou qui ne se.
trouvent répétez que deux ou trois fois
dans une longue Inscription ; ce qui devoit
faire la même chose que ce qu'on
peut remarquer dans notre écriture , où
nous avons des Lettres , comme les cinq
Voyelles qui reviennent souvent, pendant
que les K , les X , les Y , et les Z , y pa
roissent bien moins.
Il y avoit des Hyerogliphes qui contenoient
seuls un sens complet , ou une
pensée entiere; d'autres qui étoient d'abréviation
, et d'autres qui pouvoient ne former
que des demi mots et des mots dont
il étoit nécessaire de joindre plusieurs
ensemble,pour en former une expression
ou un sens déterminés de même que nous
employons en écrivant plusieurs mots ,
composés de différentes syllabes , pour
former une Phrase parfaite. J'ai fait cette
remarque en étudiant avec un peu d'attention
l'Obélisque Pamphile , que nous
a donné le Pere Kirker.
On y voit de fréquentes répétitions de
bras posez en fasce , les uns à mains ouvertes
, et les autres à poing fermé ; beaucoup
de signes en ziguezagues ; des Enfans
assis sur leur cul , le Panier de Séra-
1. Vol.
pis
DECEMBRE . 1733 . 2597
pis sur la tête , de Serpents , d'Anubis, de
Cynocéphales , &c. pendant qu'entre toutes
ces marques , souvent répétées , on ne
trouve qu'un seul sautoir , un seul tourteau
, qui est chargé d'une Croix pattée ,
quelques Etoiles , mais en petit nombre ;
tout cela donne lieu de conjecturer que
cet Obélisque contient des Enseignemens
de plusieurs natures , tant de Religion ,
de Science , que de Politique ; et que
chacune de ces choses avoit ses figures
propres à sonexpression ; ce qui fait que
les unes de ces figures paroissent souvent
dans un endroit , et bien moins dans un
autre , où il s'en trouve d'autres qui n'avoient
point encore paru.
Souvent pour donner à un Hyerogli
phe la force d'exprimer une action complete
, ou une pensée entiere , on étoit
obligé de le faire d'un composé de différens
membres d'animaux , et alors cette
figure devenoit monstrueuse ; tels étoient
les Hyérogliphes d'hommes à tête de
Chien , d'Oyseaux à face humaine , de
Corps à plusieurs têtes , et de têtes à plusieurs
visages ; ce dernier qui servit aux
Romains à symboliser leur Dieu Janus
étoit donc un Hyerogliphe plus ancien
qu'eux , il représentoit chez les Perses
Orimase et Arimane , et chez les Egyp-
1. Vola Cv tiens
2598 MERCURE DE FRANCE
tiens Osiris et Tiphon , c'est -à- dire , les
deux principes que les premiers Philosophes
admettoient pour Auteurs de toutes
choses , bonnes et mauvaises.
A l'égard des Hyerogrammes ou marques
fantasques , les plus simples comme
Le Cercle , le Triangle , le Quarré , le
Chevron, la Croix droite et la Croix panchée
composerent dans la suite les Caracteres
Litteraires , comme l'Omicron
le Delta , le Mi , l'Alpha, le Tau , le Chi
et autres , dont on se servit en quittant
P'Ecriture Hyerogliphique. Celle qui étoit
composée de Lettres , paroissant plus aisée
et plus propre à lier les pensées , et
à les produire dans un Discours suivi .
Je me sers de l'exemple des Caracteres
Grecs , parce que c'est par les Grecs que
nous avons la premiere connoissance de
T'usage que les Egyptiens faisoient de
leurs Hyerogliphes.
Les Hiérogrammes joints aux Hyerogliphes
, ne laissoient pas dans les temps où
l'on n'eut que cette sorte d'Ecriture
d'expliquer assez parfaitement les choses
dont les hommes 'devoient être instruits,
le faisant seulement plus en abrégé que
ne le fait l'Ecriture courante , ainsi il faut
croire que l'Ecriture figurée a toujours
été plus difficile à expliquer , sur tout l'étude
des Hyerogliphes Monstres deman-
1. Vol.
doit
DECEMBRE. 1733 2559
doit une grande attention et une grande
connoissance, puisqu'un seul pouvoit renfermer
un mystere de Religion , ou la
maniere de réussir dans un Ouvrage scientifique
, au lieu qu'il auroit fallu plusieurs
Hyérogrammes pour enseigner ces
choses ; cependant ces marques- cy firent
évanouir les autres ; kes Arabes , Mahométans
, à qui la Religion ne permettoit
pas d'écrire avec des figures d'hommes
et d'animaux , ne conserverent que les
Hyérogrammes, et quoiqu'ils eussent des
Caracteres Litteraires , ils se servirent des
premiers pour l'expression plus abrégée
et plus simple de leurs opérations Philosophiques
et Chimiques , continuant
par- là de faire de ces marques le même
usage qu'en faisoient les Egyptiens , qui
étoit de montrer par elles , la maniere de
décomposer et de recomposer les Corps
élémentaires. Ces mêmes marques ont
passé jusqu'à nos Phisiciens , qui les emploient
aux mêmes usages.
Le monde et toutes les sciences qu'on
peut acquerir se symbolisoient sous un
Hyerogliphe de figure tres bizare. C'étoit
un Globe avec des aîles , et des Serpens
autour de son Disque ; ce qui fait appeller
ce Hyérogliphe par le Pere Kirker :
Ali-Sphero Serpenti formem. On le voit
I. Vola
C vj paz
2600 MERCURE DE FRANCE
ན
paroître au haut de presque tous les
Obélisques , et on le mettoit là , comme
un titre , qui annonçoit que tout le Discours
qui alloit suivre , n'étoit que pour
instruire des choses connues dans l'Univers
, dont ce Globe volant étoit le type,
du mouvement , er des actions qui agitent
eet Univers .
Les Phéniciens , les Egyptiens et les
Chinois sont les premiers peuples qui firent
usage des Hyerogliphes , et qui leur
donnerent l'arrangement méthodique
dont je viens de parler , les divisant par
Classes , pour s'en servir aux différentes
applications qu'ils avoient à en faire s
leur figure fut d'abord fort simple dans
les premiers temps ; le trafic ne se faisoit
que par l'échange des Denrées; pour
le faire ( quand on n'étoit pas present )
on n'avoit d'autres moyens que d'envoyer
la figure gravée sur quelque chose
de ce qu'on vouloit vendre , et de ce
qu'on vouloit en retour. Un homme ,
par exemple , qui vouloit vendre un
Boeuf pour des Moutons , envoyoit à un
autre homme la figure d'autant de Moutons
qu'il prétendoit en avoir pour l'échange
du Boeuf, l'échange des Oyseaux
et des fruits de la terre se faisoit de même;
un Arbre se désignoit par un Arbre,
J.Val
DECEMBR E. 1733 . 260
et une personne qui auroit voulu faire
couper des Bois , en envoyoit l'ordre par
un Arbre renversé . On verra facilement
par ces seuls exemples, comment un hom
me pouvoit faire sçavoir ses volontez à
un autre , par le moyen des Hyérogli
phes, qui furent les premieres Monnoyes,
quoiqu'il n'eussent point de valeur en
eux-mêmes ; les accidens avoient leur
marque , la maladie avoit la sienne , une
personne qui vouloit faire consulter le
mal dont elle étoit affligée , envoyoit au
Médecin le symbole general de la maladie
, auquel étoit joint le symbole particulier
de la partie du corps qui étoit affectée
; si c'étoit le coeur , on mettoit un
coeur , et un oeil , ou un pied , si c'érbit
l'oeil ou le pied qui fut malade. Cela se
fait encore à peu près de même chez les
Chinois , qui ont beaucoup de Caracteres
figurez pour les mêmes choses , qu'ils
ont besoin d'exprimer.
Suivant l'explication qu'un de nos Académiciens
a donnée de la Fable des Gorgones
, il paroît que ce n'est qu'une action
de commerce que P'on avoit mis par
écrit en Hyérogliphes , et qu'après qu'on
eut perdu l'intelligence de ces marques,
en voyant des Yeux , des Dents , des Serpens
, qui n'étoient que la Relation du
LVel
voya
2602 MERCURE DE FRANCE
yoyage et l'énumération
des Marchandises
qu'une Flotte , partant de la Mer Méditerranée
, avoit rapporté des Terres situées
sur la Mer Océane , où le commerce
l'avoit attiré. On a cru que c'étoit
toute autre chose : et sur cela les Poëtes
composerent une Fiction Historique , où
de ces Gorgones , qui n'étoient que des
Vaisseaux revenus , chargez de Diamans ',
de Poudre d'or , et de Dents d'Eléphans ;
ils en firent des Filles horribles , qui
avoient la tête pleine de Serpens .
Parmi les Hyérogliphes il y en avoit
de plus simples les uns que les autres ;
les simples étoient les figures naturelles ,
véritables , et sans exagération ; au lieu
que les autres étoient des figures de pure
imagination; c'est ceux - cy qui ont donné
naissance à certains monstres qui ne
peuvent point avoir existé ; plusieurs
choses ont pû occasionner l'invention de
ces figures si extraordinaires ; par exemple
, un Chef de Nation qui vainquoit
différens ennemis , marquoit son triomphe
par une Bête allégorique , à qui on
donnoit autant de têtes que ce Chef avoit
terrassé de Peuples, ennemis. Voilà d'où
viennent les ( 1 ) Amphisbenes , les Cerbe-
( 1 ) Serpent qui pique par les deux extrémitez de
son corps.
1. Vol. ECS,
DECEMBRE. 1733 280g.
res et les Hydres , représentez avec 2 , 3 ,
et jusqu'à 7 têtes.
Apollon fut surnommé Pythiep , pour
avoir tué , disent les Mythologues , le Ser
pent Python , Monstre affreux qui s'étoie
formé du Limon échauffé , que les eaux
du Déluge avoient laissé sur la terre d'Egypte
; mais il est plus croyable que cette
Fable est une allégorie d'un effet naturel
que le Soleil opére tous les ans par sa
chaleur , qui desseche le Limon du Nil
et que les Rayons de l'astre sont les Flé
ches qui détruisent une pourriture , qui
infecteroit la terre sans ce secours annuel,
auquel on donna un mérite particulier
la premiere fois qu'on remarqua ce salutaire
effet , wu , en grec , signifie putrefaction
.
J'ai déja dit qu'entre les Hyérogliphes il
y en avoit de plus propres les uns que
les autres à caractériser certaines choses,
ainsi en suivant ce principe , la Religion
devoit avoir les siens , et les actions et
passions humaines les leurs ; ce que je
viens de remarquer des Gorgones , et de
ces guerriers symbolisés par des Monstres
suffira pour faire voir quels pouvoient
être les Hyérogliphes d'actions. Passons
présentement à la connoissance de quelques-
uns de ceux de passion , pour venir
I. Vol.
enfin
2604 MERCURE DE FRANCE
enfin à connoître quels étoient ceux de
Religion .
Il faut distinguer les passions humaines
en actives et en passives ; c'est nous
qui agissons dans les unes et nous recevons
l'action dans les autres les premiers
se symbolisoient par des marques fort
simples et les secondes par de plus composées,
un seul exemple suffira pour preu
ve de ce qu'étoient les dernieres , qui fera
l'explication du Hyérogliphe de la fortune
; cette Divinité fantasque , qui malgré
ses caprices , a toujours été l'objet
des désirs de tous les hommes , elle se
symbolisoit diversement selon le gout, le
sexe , l'âge et la condition de ses adorateurs
; on la faisoit tantôt homme , tantôt
femme , tantôt vieille et tantôt jeune,
en l'invoquant sous des noms qui avoient
rapport à ces changemens de figures.
>
Comme fortune aimée , fortuna primis
genia , elle étoit proprement le hazard
que quelques Philosophes soutenoient
avoir seul servi au débrouillement duz
Cahos . Les autres surnoms de la fortune
étoient , fortuna obsequens , l'obéissante
patrone des gens heureux ; privata , la
médiocre , qui est celle qui contente les
Sçavans ; fortuna mulier et virgo ; celle des
femmes et des filles,fortuna virilis;celle des
I, Vol
hom
DECEMBRE . 1733. 2605
hommes qui se représentoit de sexe mas
culin , il y avoit même la fortune des
vieillards , représentée avec une longue
barbe , et celle-cy étoit sans doute de
toutes les fortunes celle qu'on honoroit
le plus tard .
Cette Divinité se représentoit en general
avec tout l'appareil significatif des
effets que ses caprices produisoient dans
le monde , montée sur une roue, avec des
aîles sur le dos , un bandeau sur les yeux,
ses cheveux assemblez sur le devant de
la tête , et chauve par derriere , tout cela
pour montrer son instabilité , son inconstance
, son aveuglement dans la dispensation
de ses dons , et la difficulté de
la ratraper quand elle nous a tourné le
dos ; on lui mettoit aussi un Globe en
une main , et un Gouvernail ou une Corne
d'abondance en l'autre , pour mon
trer qu'elle gouverne le Monde , et y répand
les biens à sa volonté , ce qui étoit
encore signifié par un Soleil et une Lune
qui accompagnoient sa tête ; enfin cette
Deïté , qui est , pour ainsi dire, l'ame du
monde , pouvoit- elle manquer d'être fi
gurée par un Hierogliphe des plus composez
? C'est peut- être celui qui donna
l'idée de faire les figures panthées dont
je parlerai bien-tôt.
1. Vet. Quan
2606 MERCURE DE FRANCE
:
Quant aux Hierogliphes des passions
actives qui sont au - dedans de nous - mê
mes , ils étoient tous simples quand on
n'avoit à lés représenter que chacun séparément
; la Genisse , l'Agneau , la Colombe
, la Tourterelle , & c. marquoient
la pureté , l'innocence , l'amitié et la
constance. La virginité paroissoit sous la
marque d'une fille échevelée , vétuë de
blanc , les Vertus étoient symbolisées par
des Animaux de figures aimables , et les
vices , au contraire , étoient figurez par
des Animaux affreux , dont la seule vûe
causoit de l'horreur ; la Religion Chrétienne
a conservé ces usages , on a dé
signé les pechez capitaux par les plus
hideuses bêtes que nous connoissions , à
l'imitation des Anciens qui inventerent
des Monstres qui n'existoient point, pour
dépeindre les vices avec des couleurs plus
effrayantes.
Ils imaginerent un Basilic qui tuë de
son regard ; un Serpent qui empoisonne
de son écume toutes les herbes où il se
traîne; une infinité d'autres bêtes affreuses
étoient les Symboles des deffauts les plus
nuisibles à la Societé , comme la calomnie
, le mensonge et d'autres ; l'Hiene
étoit la marque de la cruauté ; et comme
les femmes ne sont pas exemptes de ce
I. Vol. vice
DECEMBRE . 1733. 2607
vice , on fit cet Animal hermaphrodite.
Toutes ces Images que je viens de représenter
, étoient simples ; mais quand
il falloit caracteriser en un même Symbole
plusieurs vices ou plusieurs vertus ,
il falloit bien composer un Hierogliphe
dans lequel les Symboles particuliers de
toutes ces choses entrassent , et cela formoit
des Panthées de passions , semblables
aux Panthées sacrez.
L'Antiquité eut des Héros et des braves
, qui ainsi que nos Chevaliers Errans
du temps de Charlemagne , se dévoüoient
à passer leur vie en courant le Monde
pour secourir les foibles et purger la Terre
des brigands , qui en étoient les veritables
Monstres ; tels furent parmi les
Gercs Hercule , Thesée , Jason , Persée ,
et autres. Je métonne que les Auteurs
zelez pour la gloire de notre ancienne
Chevalerie , ayent borné son origine
aux Chevaliers Romains , et qu'ils ne
l'ayent pas remontée jusqu'aux demi-
Dieux de la Grece , nos vieux Romanciers
leur en avoient donné l'ouverture ,
par le merveilleux qu'ils ont répandu sur
les avantures de nos valeureux Paladins ,
Renaud , Roland et Amadis , en leur
fournissant à point nommé des montures
diaboliques pour les conduire plus
par
B.I. Vel
prem
2303 MERCURE DE FRANCE
promptement vers les Géants qu'ils devoient
exterminer , à l'exemple des Poëtes
Grecs qui trouvoient des Pégases pour
en fournir fort à propos aux Deffenseurs
des Dames , télles qu'Andromede et Hésione.
Michel de Cervantes et Rabelais , pour
se mocquer des idées folles des Auteurs
de Romans , ont imaginé les Oriflants ,
les Hippogriphes et les Chevillards , don't
ils ont parlé , l'un dans son Don Quichote
, et l'autre dans son Gargantua .
›
Ce sont ces Chevaux ailez de la Fable
qui ont pû persuader qu'il y avoit des
Licornes ( autres animaux aussi fabuleux )
il est aisé de voir de quelle source partoit
cette fausse persuasion . L'Yvoire venoir
, à ce qu'on disoit d'une Corne de
bête qui se trouvoit en Afrique et
Pline dans son Histoire Naturelle ( L. 8.
C. 21. ) admet des Chevaux volants et
des Chevaux à Cornes , à qui il donne
également le nom de Pégase , et les fait
trouver en Ethiopie , Pays voisin des
Monts Athlas , où Persée eut occasion
de se servir d'un de ces Chevaux . Æthiopia
generat , multaque alia Monstro similia
Pennatos equos et Cornibus armatos
quos Pegasos vocant ; ce Passage ne m'empêchera
pas de conclure que , puisque
I. Vol. los
DECEMBRE . 1733. 2609
tes Pégases sont chimeriques , les Licornes
ne le sont pas moins , et la description
que continue d'en faire le méme
Auteur , achevera de prouver que ces
Animaux ne doivent être regardez que
comme des chimeres , ou plutôt ce sont
des Hierogliphes qui ont eu cette forme
, la Licorne a pû êrre une image
Panthée propre à désigner la fécondité
cu les perfections dans le genre animal ,,
elle avoit le corps d'un Cheval , la tête
d'un Cerf , les pieds d'Elephant , sa
queue d'un Sanglier , avec une corne de
deux coudées de long , placée au milieu
du front.
"
L'Auteur promet la suite.
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Résumé : DES HIEROGLYPHES, et de leurs usages dans l'Antiquité. Discours où l'on fait voir qu'ils sont l'origine de tous les Monstres et de tous les Animaux chimeriques dont les Anciens nous ont parlé. Par M. Beneton de Perrin.
Le texte 'Des hiéroglyphes, et de leurs usages dans l'Antiquité' de M. Beneton de Perrin explore l'origine et l'évolution des hiéroglyphes. Les premiers hommes, limités par la communication orale, inventèrent des figures pour représenter leurs pensées, appelées hiéroglyphes. Ces figures servaient à exprimer les actions et les passions, formant un langage muet. Les Grecs nommèrent ces figures hiéroglyphes, dérivant du terme 'sacra sculptura' car les prêtres les utilisaient pour écrire sur la religion et envelopper les mystères. Les hiéroglyphes se multiplièrent avec le perfectionnement du langage et des sciences. Ils sont distingués en deux classes : les hiéroglyphes animés, représentant des formes de bêtes ou de plantes, et les hiéroglyphes inanimés, ou hiérogrammes, qui étaient des figures fantaisistes formant souvent les lettres alphabétiques. Les Chaldéens, observant les cieux, traçaient des figures correspondant aux constellations, nommant des amas d'étoiles comme le Sagittaire ou la Vierge. Les Grecs nommèrent également des constellations d'après leurs héros, notamment les Argonautes. Cette personnification des astres conduisit à l'idolatrie, où les figures taillées et les symboles hiéroglyphiques devinrent respectables. L'idolatrie s'intensifia avec la déification des hommes illustres, comme Apollon ou Esculape, et des arts qu'ils inventèrent. Les hiéroglyphes devinrent complexes, signifiant parfois trois choses différentes : sacrée, mécanique, et personnelle. Par exemple, une hache sur un tombeau pouvait désigner un ouvrier ou une personne protégée par un dieu. Les hiéroglyphes étaient utilisés pour conserver la connaissance de la religion, des sciences et de l'histoire. Leur interprétation est rendue difficile par le mélange des hiéroglyphes et des hiérogrammes. Le texte souligne l'importance de distinguer ces figures pour éviter les erreurs historiques et les interprétations trompeuses. Les hiéroglyphes représentaient des concepts complexes et des principes philosophiques, comme Orimase et Arimane chez les Perses, et Osiris et Tiphon chez les Égyptiens, symbolisant les forces du bien et du mal. Les hiérogrammes, des marques plus simples comme le cercle, le triangle, et la croix, ont évolué pour former des caractères littéraires utilisés dans l'écriture courante. Les hiéroglyphes étaient utilisés pour représenter des idées abstraites et des concepts religieux, souvent difficiles à interpréter et nécessitant une grande connaissance pour être compris. Les Arabes, en raison de leurs restrictions religieuses, ont conservé les hiérogrammes pour des usages philosophiques et chimiques, une pratique adoptée par les physiciens modernes. Le texte mentionne également un hiéroglyphe particulier, un globe ailé avec des serpents, souvent trouvé sur les obélisques, symbolisant l'univers et ses mouvements. Les Phéniciens, les Égyptiens et les Chinois sont cités comme les premiers peuples à avoir utilisé les hiéroglyphes de manière méthodique. Les hiéroglyphes étaient utilisés pour diverses applications, comme le commerce et la médecine. Par exemple, une figure d'un animal ou d'une partie du corps pouvait indiquer une maladie ou une demande de traitement. Les hiéroglyphes étaient également utilisés pour représenter des passions humaines, des vertus et des vices, souvent symbolisés par des animaux. Le texte explore également les hiéroglyphes liés à la fortune, représentée par une divinité capricieuse et instable, souvent figurée avec une roue, des ailes et un bandeau sur les yeux. Les passions actives et passives étaient symbolisées par des marques simples ou composées, respectivement. Enfin, le texte compare les héros grecs, comme Hercule et Thésée, aux chevaliers errants de la chevalerie médiévale, notant les similitudes dans leurs quêtes pour secourir les faibles et combattre les monstres.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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51
52
p. 1442-1445
Benediction de Drapeaux, et Discours, &c. [titre d'après la table]
Début :
On nous écrit de Valence en Dauphiné, qu'on y benit dans la Cathédrale [...]
Mots clefs :
Valence, Dieu, Drapeaux, Combattre, Religion, Cérémonie
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texteReconnaissance textuelle : Benediction de Drapeaux, et Discours, &c. [titre d'après la table]
On nous a écrit de Valence en Dauphiné
, qu'on y benit dans la Cathédrale
le 15 Juin les Drapeaux du Régiment de
M. d'Antin de Saint- Pée : M. Millon
Evêque de Valence , qui fit la ceremonie
, la termina par le Discours suivant.
C'est une cérémonie aussi ancienne que
la Religion , que les plus braves Guer
riers se sont fait dans tous les tens un
devoit de remplir , d'apporter aux pieds
des Autels les Drapeaux et les Etendarts,
pour reconnoître que c'est là le Tribunal
d'où Dieu préside souverainement à la
Justice redoutable que les Nations et les
Rois de la terre se font à eux -mêmes; que
si ce sont les hommes qui livrent les batailles
, c'est de lui que nous recevons la
victoire ; et qu'à moins qu'il ne purifie
par sa grace les mains de ceux qui combattent
; tous les lauriers qui croissent
sous leurs pas , ne sont que des feuilles
steriles qui ne produisent point de fruits
d'immortalité.
II. Vol. Pénetrez
JUIN. 1734 .
1443
Pénetrez de ces sentimens , avec quelle
joie ne vous voyons -nous pas assemblez
dans ce saint Temple , pour y adorer en
esprit et en verité le Dieu qui se qualific
par excellence le Dieu des Armées le
prendre à témoin , et renouveller en sa
présence de la maniere la plus solemnelle ;
les engagemens que vous avez contractez
de combattre et de mourir , s'il le faut ,
pour la gloire du Roi et l'honneur de la
Patrie ?
Vous êtes tous sortis , MESSIEURS ;
d'une Nation guerriere , dont le propre
est de se présenter avec confiance , et de
combattre encore avec plus de valeur.Nés
du goût et des talens pour la guerre , les
premiers bruits qui s'en sont répandus
vous ont arrachez du repos de vos familles
, dans le sein desquelles la plus longue
paix n'a pu amollir votre courage ; vous
avez accepté des Emplois que vous honorez
, mais qui vous honoreront à leur
tour , par la maniere dont vous les remplirez.
Tout ce que nous voyons en vous ,
cette contenance noble et assurée , cet
air de guerre , cette impatience de pouvoir
faire partie de ces Armées brillantes
et formidables , qui répandent déja la
terreur dans le coeur de ceux qui ont
II. Vol. troublé
F444 MERCURE DE FRANCE
troublé la tranquilité de l'Europe ; cette
exactitude et cette severité de discipline ,
qui fut toujours le caractere des Troupes
victorieuses ; tout nous découvre pour
vous une carriere remplie de succez et de
triomphes.
Pour vous les attirer , faites vous aujourd'hui
une loi de remplir avec exactitude
dans le tumulte des armes , les devoirs
paisibles de la Religion ; supportez
en esprit de pénitence les fatigues et les
travaux militaires ; n'envisagez qu'avec
douleur les maux qu'entraînent toujours
sur les Peuples les Guerres même les plus
justes ? regardez vos soldats comme vos
freres , bien loin d'affoiblir par- là la
subordination , vous l'affermirez davantage
ne prêtez que des mains chrétiennes
au Dieu des Batailles. Dans l'ardeur
qui vous anime pour combattre , n'offenle
Dieu des combats , et ne vous
rendez pas indignes par vos infidelitez de
vaincre les ennemis que vous aurez le
courage d'attaquer : ne vous présentez
jamais à aucune action , sans avoir imploré
le secours d'en haut. L'Ecriture
nous apprend que Judas Machabie n'étoir
jamais plus terrible dans le combat ,
qu'en sortant de la priere ; et malgré les
préjugez de votre Etat , vous éprouvesez
pas
-
II. Vol. rez
JUIN. 1734
1445
rez que le Soldat le plus fidele à Dieu , est
aussi dans l'occasion le plus courageux.
Dans ces dispositions , recevez avec
confiance ces premiers Drapeaux de la
main de l'Eglise ; sous les ordres du
Héros qui vous commande , ils vous
conduiront sûrement à la gloire.
Pour nous , MESSIEURS , nous ne
vous oublierons point dans nos Sacrifi-
⚫ces:en attendant que vous ayez part à nos
Cantiques de joie et à nos actions de graces
, vous en aurez à nos pricres . Vous
combattrez dans la plaine ; les yeux attachez
sur vous,nous leverons les yeux vers
la montagne ; et tandis que nos Armes
victorieuses mettront à contribution les-
Terres des Philistins , et qu'elles renverseront
leurs remparts , nous ne cesserons
de demander à Dieu qu'il répande sur le
Royaume et sur ceux qui le défendent ,
ses plus abondantes benedictions .
, qu'on y benit dans la Cathédrale
le 15 Juin les Drapeaux du Régiment de
M. d'Antin de Saint- Pée : M. Millon
Evêque de Valence , qui fit la ceremonie
, la termina par le Discours suivant.
C'est une cérémonie aussi ancienne que
la Religion , que les plus braves Guer
riers se sont fait dans tous les tens un
devoit de remplir , d'apporter aux pieds
des Autels les Drapeaux et les Etendarts,
pour reconnoître que c'est là le Tribunal
d'où Dieu préside souverainement à la
Justice redoutable que les Nations et les
Rois de la terre se font à eux -mêmes; que
si ce sont les hommes qui livrent les batailles
, c'est de lui que nous recevons la
victoire ; et qu'à moins qu'il ne purifie
par sa grace les mains de ceux qui combattent
; tous les lauriers qui croissent
sous leurs pas , ne sont que des feuilles
steriles qui ne produisent point de fruits
d'immortalité.
II. Vol. Pénetrez
JUIN. 1734 .
1443
Pénetrez de ces sentimens , avec quelle
joie ne vous voyons -nous pas assemblez
dans ce saint Temple , pour y adorer en
esprit et en verité le Dieu qui se qualific
par excellence le Dieu des Armées le
prendre à témoin , et renouveller en sa
présence de la maniere la plus solemnelle ;
les engagemens que vous avez contractez
de combattre et de mourir , s'il le faut ,
pour la gloire du Roi et l'honneur de la
Patrie ?
Vous êtes tous sortis , MESSIEURS ;
d'une Nation guerriere , dont le propre
est de se présenter avec confiance , et de
combattre encore avec plus de valeur.Nés
du goût et des talens pour la guerre , les
premiers bruits qui s'en sont répandus
vous ont arrachez du repos de vos familles
, dans le sein desquelles la plus longue
paix n'a pu amollir votre courage ; vous
avez accepté des Emplois que vous honorez
, mais qui vous honoreront à leur
tour , par la maniere dont vous les remplirez.
Tout ce que nous voyons en vous ,
cette contenance noble et assurée , cet
air de guerre , cette impatience de pouvoir
faire partie de ces Armées brillantes
et formidables , qui répandent déja la
terreur dans le coeur de ceux qui ont
II. Vol. troublé
F444 MERCURE DE FRANCE
troublé la tranquilité de l'Europe ; cette
exactitude et cette severité de discipline ,
qui fut toujours le caractere des Troupes
victorieuses ; tout nous découvre pour
vous une carriere remplie de succez et de
triomphes.
Pour vous les attirer , faites vous aujourd'hui
une loi de remplir avec exactitude
dans le tumulte des armes , les devoirs
paisibles de la Religion ; supportez
en esprit de pénitence les fatigues et les
travaux militaires ; n'envisagez qu'avec
douleur les maux qu'entraînent toujours
sur les Peuples les Guerres même les plus
justes ? regardez vos soldats comme vos
freres , bien loin d'affoiblir par- là la
subordination , vous l'affermirez davantage
ne prêtez que des mains chrétiennes
au Dieu des Batailles. Dans l'ardeur
qui vous anime pour combattre , n'offenle
Dieu des combats , et ne vous
rendez pas indignes par vos infidelitez de
vaincre les ennemis que vous aurez le
courage d'attaquer : ne vous présentez
jamais à aucune action , sans avoir imploré
le secours d'en haut. L'Ecriture
nous apprend que Judas Machabie n'étoir
jamais plus terrible dans le combat ,
qu'en sortant de la priere ; et malgré les
préjugez de votre Etat , vous éprouvesez
pas
-
II. Vol. rez
JUIN. 1734
1445
rez que le Soldat le plus fidele à Dieu , est
aussi dans l'occasion le plus courageux.
Dans ces dispositions , recevez avec
confiance ces premiers Drapeaux de la
main de l'Eglise ; sous les ordres du
Héros qui vous commande , ils vous
conduiront sûrement à la gloire.
Pour nous , MESSIEURS , nous ne
vous oublierons point dans nos Sacrifi-
⚫ces:en attendant que vous ayez part à nos
Cantiques de joie et à nos actions de graces
, vous en aurez à nos pricres . Vous
combattrez dans la plaine ; les yeux attachez
sur vous,nous leverons les yeux vers
la montagne ; et tandis que nos Armes
victorieuses mettront à contribution les-
Terres des Philistins , et qu'elles renverseront
leurs remparts , nous ne cesserons
de demander à Dieu qu'il répande sur le
Royaume et sur ceux qui le défendent ,
ses plus abondantes benedictions .
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Résumé : Benediction de Drapeaux, et Discours, &c. [titre d'après la table]
Le 15 juin 1734, à Valence en Dauphiné, les drapeaux du régiment de M. d'Antin de Saint-Pée ont été bénis dans la cathédrale par M. Millon, l'évêque de Valence. Lors de la cérémonie, l'évêque a souligné l'importance historique et religieuse de bénir les drapeaux, une tradition aussi ancienne que la religion. Cette bénédiction permet aux guerriers de reconnaître la souveraineté de Dieu sur la justice et la victoire. L'évêque a rappelé que, bien que les hommes livrent les batailles, la victoire vient de Dieu, et que sans Sa grâce, leurs succès seront stériles. L'évêque a exhorté les soldats à être pénétrés de ces sentiments et à adorer Dieu avec joie et sincérité. Il a loué leur courage et leur dévouement, notant qu'ils étaient prêts à combattre pour la gloire du roi et l'honneur de la patrie. Il a également souligné leur discipline et leur ardeur au combat, prédisant une carrière remplie de succès et de triomphes. Pour attirer ces succès, l'évêque a conseillé aux soldats de respecter les devoirs religieux même au milieu des combats, de supporter les fatigues militaires avec pénitence, et de considérer leurs camarades comme des frères. Il les a encouragés à prier avant chaque action et à rester fidèles à Dieu, rappelant l'exemple de Judas Maccabée, qui était plus terrible au combat après la prière. Enfin, l'évêque a remis les drapeaux bénis aux soldats, leur assurant que sous les ordres de leur héros, ils seraient conduits à la gloire. Il a promis de les inclure dans ses prières et ses sacrifices, demandant à Dieu de bénir le royaume et ceux qui le défendent.
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53
p. 46-53
ESSAI PHILOSOPHIQUE.
Début :
L'Histoire de l'esprit humain est l'étude la plus flateuse & en même tems la [...]
Mots clefs :
Philosophie, Religion, Esprit, Philosophes, Athéisme, Christianisme
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texteReconnaissance textuelle : ESSAI PHILOSOPHIQUE.
ESSAI PHILOSOPHIQUE.
'Hiftoire de l'efprit humain eft l'étude
la plus flateufe & en même tems la
plus humiliante pour un fage. Après bien
des réflexions , l'homme n'eft plus à fes yeux
qu'une efpece bizarre en qui la mifere &
la grandeur fe tiennent par la main , &
dont l'être entier eft un paradoxe. Si on
le confidere du côté des lumieres de l'efprit
, il n'eft jamais fi petit que lorfqu'il
paroît monté à fon plus haut point d'élévation.
Les connoiffances les plus refé7
DECEMBRE 1754 . 47
chies n'ont fervi aux efprits bienfaits qu'à
leur faire voir de plus près leur ignorance
, & n'ont fait qu'égarer les autres . La
Philofophie dont le but doit être de nous
apprendre nos devoirs , n'a gueres fervi
qu'à fournir des prétextes pour fe difpenfer
de les remplir . La religion fur tour
cet objet fi intéreſſant pour nous , puif
qu'il décidé de notre fort dans cette vie
& de celui qui nous attend dans l'immenfité
de la nature ; la religion , dis- je , a
prefque toujours été la victime des fauffes
lumieres de la raifonte Suivons la marche
de l'incrédulité , nous la verrons , à la honte
de l'efprit humain , s'élever avec l'aurore
de la Philofophie , s'accroître avec elle
par dégrès , & la fuivre dans tous fes développemens.
L'existence d'une divinité , cette vérité fi
fimple que le fentiment démontre à tous les
hommes , ne devint un paradoxe que lorfque
la raifon voulut la foumettre à l'analy
fe. Prefque tous les Philofophes anciens la
nierent ; Philofophe & Athée chez les Grecs
& les Romains étoient à peu- près fynonymes
, & on mettoit , dit Cicéron , au nombre
des propofitions probables celles - ci :
Les meres aiment leurs enfans : les Philofophes
ne croyent point de dieux . Thalés , Démocrite
, Epicure , &c. enfeignerent l'Athéif48
MERCURE DE FRANCE.
me : on ne fçaitpas fi Ariftote a été Athée ,
parce qu'il ne s'eft pas expliqué affez clairement
, mais au moins nia- t-il , la providence.
Pour Straton fon difciple , il fit un
fyftême de matérialiſme des plus décidés.
Tous les autres embrafferent le Scepticifme
, qui ne vaut pas mieux que l'Athéifme..
L'impiété ne prit chez les Romains que
fort tard , parce qu'ils ne connurent la
Philofophie que fort tard. Quelques Sçavans
qui voyagerengen Gréce , y puiferent
avec les principes de la Philofophie , ceux
de l'irréligion . Lucrece afficha le Matérialifme
; & les écrits de Cicéron , de Pline
& Senéque , refpirent le Scepticiſme.
Si nous paffons au Judaïfme , nous verrons
la religion de Moïfe confervée avec
vénération chez les Hébreux , malgré la
captivité , la difperfion & les révolutions
qu'ils eurent à effuyer , jufqu'à ce que la
Philofophie s'étant mêlée parmi eux , on
vit naître le Saducéïfme qui rejetta la fpiritualité
& l'immortalité de l'ame . Cette
fecte impie fut non feulement tolérée &
admife à la communion judaïque ; mais
on vit même un de fes plus zélés partifans ,
le célebre Hircan , affis fur le thrône pontifical.
Dans les premiers fiécles du Chriftianifine
,
DECEMBRE. 1754 49
nifme , où la religion devoit être d'autant
plus pure qu'elle étoit plus près de fa
fource , l'introduction de la Philofophie
payenne ouvrit la porte à l'erreur. Le Platoniſme
étoit pour lors en regne , la conformité
de ce lyftême avec quelques dogmes
de la religion le firent adopter : de
là cette foule d'héréfies , qui ne font qu'un
mêlange monstrueux des principes du
Chriftianifme avec quelques idées des
Philofophes payens , & qui ne furent enfantées
ni par l'erreur ni par le fanatif
me. Leurs Auteurs étoient des ambitieux
fans religion , qui fe jouant de la crédulité
des peuples , en firent l'inftrument de
leur ambition .
La Philofophie ayant été tranſplantée
chez les Arabes dans le VIII fiécle , ne
manqua pas de répandre fes influences fur
la religion de ces peuples. Le célebre Almanzor
, ce Calife Aftronome & Philofophe
, & après lui Abdallah & Almamon
voulant faire fleurir les Arts & les Sciences
chez cette nation , jufques- là barbare ,
y attirerent plufieurs fçavans , & firent traduire
en Arabe les meilleurs Auteurs anciens
& fur-tout leurs ouvrages philofophiques.
Le goût de la Philofophie s'étant
répandu , les efprits devinrent plus éclairés,
& l'Alcoran perdit en même tems beau-
1. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
coup de la vénération qu'on lui portoit.
On vit naître une fecte de Philofophes ,
Médecins & Chymiftes , la plûpart Athées.
On ne connoît que trop le fameux Aver
roës , dont le fyftême de matérialiſme trouva
des profelites jufqu'en Europe . La dégradation
du Mahometifme ne manqua pas
d'exciter les murmures des zélés Mufulmans.
Bayle rapporte que Takiddin , un
de leurs Auteurs , s'éleva fort contre Almanzor
qu'il menaça de la colere célefte
pour avoir altéré la dévotion des vrais
croyans par l'introduction de la Philofophie.
Enfin par tout où vous trouverez les
traces de la Philofophie , vous trouverez
celles de l'irréligion qui la fuit toujours.
›
Lotfque Mahomet II eut pris Conftantinople
, où l'empire des Lettres avoit été
tranfplanté avec l'Empire Romain , les plus
fçavans hommes de la Grece fe retirerent
en Italie , où ils porterent les femences de
l'athéifme , qui s'y développa avec une rapidité
prodigieufe. Il est étonnant combien
on vit paroître d'athées en Italie dans les 15
& 16 fiécles ; on n'en a point connu en
France avant la reftauration des lettres par
François I. Mais depuis cette époque , la
philofophie y ayant monté au point de perfection
où elle eft aujourd'hui , l'incrédu
lité a gagné du terrein , & a ſuivi les mêDECEMBRE
. 1754
Sx
mes proportions dans fes progrès.
Les abus que les efprits forts ont fait
de tous les fyftêmes philophiques prouvent
que les principes de la philofophie ne font
pas faits
pour être adaptés à ceux de la
religion. Le pere de la philofophie mo-
1 derne , Descartes a malheureuſement
moins réuffi à démontrer l'exiſtence d'un
Dieu qu'à prouver que l'univers a pû fe
former & fe conferver tel qu'il eft par les
loix générales du mouvement. Quelque
éloigné que Defcartes ait voulu paroître
d'appuyer l'athéifme par ſon ſyſtême , il
n'en eft pas moins vrai que Spinofa n'a
fondé fon hypothèſe que fur les principes
du Cartefianifme. Bayle s'eft fervi de
ces mêmes principes pour établir fon fyftême
de pyrronifme , & pour combattre
tous les raifonnemens que l'on pouvoit
faire en faveur de la religion.
L'optimisme du célébre Leibnitz conduit
naturellement au fatalifme , & eft
d'autant plus féduifant qu'il juftifie la providence
de l'imputation du mal moral &
du mal phyfique ; l'harmonie préétablie du
même philofophe exclut toute liberté dans
l'homme.
Locke , ce fage & dangereux métaphyficien
, doit être regardé comme le pere du
matérialiſme moderne. Démontrer, comme
Cij
52. MERCURE DE FRANCE.
il prétendoit l'avoir fait , que la matiere
peut penfer , c'étoit en bonne logique démontrer
qu'elle penfe effectivement ; car
fi la matière eft fufceptible d'intelligence ,
la création d'une autre fubftance feroit
un hors d'oeuvre , & nous ferions d'autant
plus autorisés à la rejetter qu'il n'y a
que la néceffité de fon exiftence pour expliquer
la penfée , qui puiffe faire recourir
à un être qu'il nous eft impoffible de
concevoir.
Le grand Newton , malgré fon reſpect
pour la Divinité , n'a pû empêcher que
fon fyftême ne foit un des plus favorables
à l'irréligion ; & les pfeudo-Newtoniens ,
je veux dire ceux qui regardent , certe le
fentiment de Newton , l'attraction comme
une qualité effentielle à la matiere , font
de ce principe la baſe de l'athéifme le plus
décidé.
Mallebranche , qui a été le philofphe le
plus pénétré des fentimens de la religion ,
eft un de ceux dont les opinions ont été les
plus dangereufes ; fes principes l'avoient
conduit à nier l'existence des corps , & il
ne la croyoit que parce que l'Ecriture Sainte
le lui enfeignoit. En fuivant fes idées ,
d'autres ont conclu de la non - exiſtence de
la matiere , que les livres de l'écriture n'étoient
, ainfi que les corps , qu'une illufion
DECEMBRE . 1754 $ 3
des fens. Je regarde Mallebranche comme
l'auteur de la fecte des idéaliſtes , plus étendue
qu'on ne penfe , & dont l'opinion eft
un pur fcepticiſme , abfurde au premier
coup d'oeil , mais qui n'en devient que plus
dangereux dès qu'on l'approfondit.
Ce font là cependant les oracles de la
philofophie : fi les lumieres de leur efprit
& la droiture de leur coeur n'ont pû les
mettre à l'abri de l'erreur , croyons que
notre raiſon eft un flambeau trop foible
pour nous éclairer , & cherchons une
lumiere plus fûre , que nous ne pouvons
trouver que dans la religion : notre ame
ne fe connoît pas elle-même , ni le corps
qu'elle gouverne , ni les objets avec lefquels
elle a des rapports immédiats ; comment
connoîtroit- elle les rapports de l'homme
avec l'être fuprême ? elle ne peut parcourir
la chaîne immenfe qui les fépare :
qu'elle refte donc dans fa fphere. Reconnoiffons
la foibleffe & l'impuiffance de
notre raison , qui n'eft pas même capable
de me prouver l'existence de mon propre
corps , le fentiment feul me le perfuade ,
& je ne puis en douter : ainfi je ne fuis
pas convaincu , mais je fens l'exiſtence
d'un être fuprême , & la néceffité d'un
culte ; cela me me fuffit , je me tais , &
j'adore .
'Hiftoire de l'efprit humain eft l'étude
la plus flateufe & en même tems la
plus humiliante pour un fage. Après bien
des réflexions , l'homme n'eft plus à fes yeux
qu'une efpece bizarre en qui la mifere &
la grandeur fe tiennent par la main , &
dont l'être entier eft un paradoxe. Si on
le confidere du côté des lumieres de l'efprit
, il n'eft jamais fi petit que lorfqu'il
paroît monté à fon plus haut point d'élévation.
Les connoiffances les plus refé7
DECEMBRE 1754 . 47
chies n'ont fervi aux efprits bienfaits qu'à
leur faire voir de plus près leur ignorance
, & n'ont fait qu'égarer les autres . La
Philofophie dont le but doit être de nous
apprendre nos devoirs , n'a gueres fervi
qu'à fournir des prétextes pour fe difpenfer
de les remplir . La religion fur tour
cet objet fi intéreſſant pour nous , puif
qu'il décidé de notre fort dans cette vie
& de celui qui nous attend dans l'immenfité
de la nature ; la religion , dis- je , a
prefque toujours été la victime des fauffes
lumieres de la raifonte Suivons la marche
de l'incrédulité , nous la verrons , à la honte
de l'efprit humain , s'élever avec l'aurore
de la Philofophie , s'accroître avec elle
par dégrès , & la fuivre dans tous fes développemens.
L'existence d'une divinité , cette vérité fi
fimple que le fentiment démontre à tous les
hommes , ne devint un paradoxe que lorfque
la raifon voulut la foumettre à l'analy
fe. Prefque tous les Philofophes anciens la
nierent ; Philofophe & Athée chez les Grecs
& les Romains étoient à peu- près fynonymes
, & on mettoit , dit Cicéron , au nombre
des propofitions probables celles - ci :
Les meres aiment leurs enfans : les Philofophes
ne croyent point de dieux . Thalés , Démocrite
, Epicure , &c. enfeignerent l'Athéif48
MERCURE DE FRANCE.
me : on ne fçaitpas fi Ariftote a été Athée ,
parce qu'il ne s'eft pas expliqué affez clairement
, mais au moins nia- t-il , la providence.
Pour Straton fon difciple , il fit un
fyftême de matérialiſme des plus décidés.
Tous les autres embrafferent le Scepticifme
, qui ne vaut pas mieux que l'Athéifme..
L'impiété ne prit chez les Romains que
fort tard , parce qu'ils ne connurent la
Philofophie que fort tard. Quelques Sçavans
qui voyagerengen Gréce , y puiferent
avec les principes de la Philofophie , ceux
de l'irréligion . Lucrece afficha le Matérialifme
; & les écrits de Cicéron , de Pline
& Senéque , refpirent le Scepticiſme.
Si nous paffons au Judaïfme , nous verrons
la religion de Moïfe confervée avec
vénération chez les Hébreux , malgré la
captivité , la difperfion & les révolutions
qu'ils eurent à effuyer , jufqu'à ce que la
Philofophie s'étant mêlée parmi eux , on
vit naître le Saducéïfme qui rejetta la fpiritualité
& l'immortalité de l'ame . Cette
fecte impie fut non feulement tolérée &
admife à la communion judaïque ; mais
on vit même un de fes plus zélés partifans ,
le célebre Hircan , affis fur le thrône pontifical.
Dans les premiers fiécles du Chriftianifine
,
DECEMBRE. 1754 49
nifme , où la religion devoit être d'autant
plus pure qu'elle étoit plus près de fa
fource , l'introduction de la Philofophie
payenne ouvrit la porte à l'erreur. Le Platoniſme
étoit pour lors en regne , la conformité
de ce lyftême avec quelques dogmes
de la religion le firent adopter : de
là cette foule d'héréfies , qui ne font qu'un
mêlange monstrueux des principes du
Chriftianifme avec quelques idées des
Philofophes payens , & qui ne furent enfantées
ni par l'erreur ni par le fanatif
me. Leurs Auteurs étoient des ambitieux
fans religion , qui fe jouant de la crédulité
des peuples , en firent l'inftrument de
leur ambition .
La Philofophie ayant été tranſplantée
chez les Arabes dans le VIII fiécle , ne
manqua pas de répandre fes influences fur
la religion de ces peuples. Le célebre Almanzor
, ce Calife Aftronome & Philofophe
, & après lui Abdallah & Almamon
voulant faire fleurir les Arts & les Sciences
chez cette nation , jufques- là barbare ,
y attirerent plufieurs fçavans , & firent traduire
en Arabe les meilleurs Auteurs anciens
& fur-tout leurs ouvrages philofophiques.
Le goût de la Philofophie s'étant
répandu , les efprits devinrent plus éclairés,
& l'Alcoran perdit en même tems beau-
1. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
coup de la vénération qu'on lui portoit.
On vit naître une fecte de Philofophes ,
Médecins & Chymiftes , la plûpart Athées.
On ne connoît que trop le fameux Aver
roës , dont le fyftême de matérialiſme trouva
des profelites jufqu'en Europe . La dégradation
du Mahometifme ne manqua pas
d'exciter les murmures des zélés Mufulmans.
Bayle rapporte que Takiddin , un
de leurs Auteurs , s'éleva fort contre Almanzor
qu'il menaça de la colere célefte
pour avoir altéré la dévotion des vrais
croyans par l'introduction de la Philofophie.
Enfin par tout où vous trouverez les
traces de la Philofophie , vous trouverez
celles de l'irréligion qui la fuit toujours.
›
Lotfque Mahomet II eut pris Conftantinople
, où l'empire des Lettres avoit été
tranfplanté avec l'Empire Romain , les plus
fçavans hommes de la Grece fe retirerent
en Italie , où ils porterent les femences de
l'athéifme , qui s'y développa avec une rapidité
prodigieufe. Il est étonnant combien
on vit paroître d'athées en Italie dans les 15
& 16 fiécles ; on n'en a point connu en
France avant la reftauration des lettres par
François I. Mais depuis cette époque , la
philofophie y ayant monté au point de perfection
où elle eft aujourd'hui , l'incrédu
lité a gagné du terrein , & a ſuivi les mêDECEMBRE
. 1754
Sx
mes proportions dans fes progrès.
Les abus que les efprits forts ont fait
de tous les fyftêmes philophiques prouvent
que les principes de la philofophie ne font
pas faits
pour être adaptés à ceux de la
religion. Le pere de la philofophie mo-
1 derne , Descartes a malheureuſement
moins réuffi à démontrer l'exiſtence d'un
Dieu qu'à prouver que l'univers a pû fe
former & fe conferver tel qu'il eft par les
loix générales du mouvement. Quelque
éloigné que Defcartes ait voulu paroître
d'appuyer l'athéifme par ſon ſyſtême , il
n'en eft pas moins vrai que Spinofa n'a
fondé fon hypothèſe que fur les principes
du Cartefianifme. Bayle s'eft fervi de
ces mêmes principes pour établir fon fyftême
de pyrronifme , & pour combattre
tous les raifonnemens que l'on pouvoit
faire en faveur de la religion.
L'optimisme du célébre Leibnitz conduit
naturellement au fatalifme , & eft
d'autant plus féduifant qu'il juftifie la providence
de l'imputation du mal moral &
du mal phyfique ; l'harmonie préétablie du
même philofophe exclut toute liberté dans
l'homme.
Locke , ce fage & dangereux métaphyficien
, doit être regardé comme le pere du
matérialiſme moderne. Démontrer, comme
Cij
52. MERCURE DE FRANCE.
il prétendoit l'avoir fait , que la matiere
peut penfer , c'étoit en bonne logique démontrer
qu'elle penfe effectivement ; car
fi la matière eft fufceptible d'intelligence ,
la création d'une autre fubftance feroit
un hors d'oeuvre , & nous ferions d'autant
plus autorisés à la rejetter qu'il n'y a
que la néceffité de fon exiftence pour expliquer
la penfée , qui puiffe faire recourir
à un être qu'il nous eft impoffible de
concevoir.
Le grand Newton , malgré fon reſpect
pour la Divinité , n'a pû empêcher que
fon fyftême ne foit un des plus favorables
à l'irréligion ; & les pfeudo-Newtoniens ,
je veux dire ceux qui regardent , certe le
fentiment de Newton , l'attraction comme
une qualité effentielle à la matiere , font
de ce principe la baſe de l'athéifme le plus
décidé.
Mallebranche , qui a été le philofphe le
plus pénétré des fentimens de la religion ,
eft un de ceux dont les opinions ont été les
plus dangereufes ; fes principes l'avoient
conduit à nier l'existence des corps , & il
ne la croyoit que parce que l'Ecriture Sainte
le lui enfeignoit. En fuivant fes idées ,
d'autres ont conclu de la non - exiſtence de
la matiere , que les livres de l'écriture n'étoient
, ainfi que les corps , qu'une illufion
DECEMBRE . 1754 $ 3
des fens. Je regarde Mallebranche comme
l'auteur de la fecte des idéaliſtes , plus étendue
qu'on ne penfe , & dont l'opinion eft
un pur fcepticiſme , abfurde au premier
coup d'oeil , mais qui n'en devient que plus
dangereux dès qu'on l'approfondit.
Ce font là cependant les oracles de la
philofophie : fi les lumieres de leur efprit
& la droiture de leur coeur n'ont pû les
mettre à l'abri de l'erreur , croyons que
notre raiſon eft un flambeau trop foible
pour nous éclairer , & cherchons une
lumiere plus fûre , que nous ne pouvons
trouver que dans la religion : notre ame
ne fe connoît pas elle-même , ni le corps
qu'elle gouverne , ni les objets avec lefquels
elle a des rapports immédiats ; comment
connoîtroit- elle les rapports de l'homme
avec l'être fuprême ? elle ne peut parcourir
la chaîne immenfe qui les fépare :
qu'elle refte donc dans fa fphere. Reconnoiffons
la foibleffe & l'impuiffance de
notre raison , qui n'eft pas même capable
de me prouver l'existence de mon propre
corps , le fentiment feul me le perfuade ,
& je ne puis en douter : ainfi je ne fuis
pas convaincu , mais je fens l'exiſtence
d'un être fuprême , & la néceffité d'un
culte ; cela me me fuffit , je me tais , &
j'adore .
Fermer
Résumé : ESSAI PHILOSOPHIQUE.
L'essai philosophique 'Histoire de l'esprit humain' examine la dualité de l'homme, oscillant entre misère et grandeur. Les connaissances humaines, plutôt que d'éclairer, révèlent souvent l'ignorance et égarent les esprits. La philosophie, destinée à enseigner les devoirs, a souvent été utilisée comme prétexte pour s'en dispenser. La religion, essentielle pour la destinée humaine, a été altérée par les fausses lumières de la raison. L'incrédulité a progressé avec la philosophie, notamment chez les philosophes grecs et romains, où athéisme et philosophie étaient presque synonymes. Des penseurs comme Thalès, Démocrite et Épicure enseignaient l'athéisme, tandis que d'autres adoptaient le scepticisme. À Rome, l'incrédulité est apparue plus tard, introduite par des savants ayant voyagé en Grèce. Dans le judaïsme, la religion de Moïse était vénérée jusqu'à l'introduction de la philosophie, qui a donné naissance au sadducéisme, rejetant la spiritualité et l'immortalité de l'âme. Dans le christianisme primitif, la philosophie païenne a engendré des hérésies mêlant christianisme et idées philosophiques. Chez les Arabes, la philosophie a affaibli la vénération de l'Alcoran, menant à l'athéisme et au matérialisme, comme celui d'Averroès. En Europe, après la chute de Constantinople, l'athéisme s'est développé en Italie et en France, suivant les progrès de la philosophie. Les systèmes philosophiques modernes, de Descartes à Newton, ont souvent conduit à l'irréligion. Descartes a démontré un univers sans Dieu, Spinoza a fondé son système sur le cartésianisme, et Bayle a utilisé ces principes pour le pyrrhonisme. Leibniz a justifié le fatalisme, Locke a promu le matérialisme, et Newton a indirectement favorisé l'athéisme. Mallebranche, malgré sa piété, a conduit au scepticisme idéaliste. L'auteur conclut que la raison humaine est insuffisante pour comprendre les rapports avec l'être suprême et recommande de se fier au sentiment religieux.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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54
p. 127-144
SEANCES PARTICULIERES De la Société Littéraire de Châlons.
Début :
Si quelques critiques chagrins se sont érigés de nos jours en censeurs des [...]
Mots clefs :
Nature, Dieux, Vessie, Remède, Religion, Pierres humaines, Pierre, Maladie, Chaux, Société littéraire de Châlons
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SEANCES PARTICULIERES De la Société Littéraire de Châlons.
SEANCES PARTICULIERES
De la Société Linéraire de Châlons.
St
1. quelques critiques chagrins fe font
érigés de nos jours en cenfeurs des
Académies , il s'eft auffi trouvé des défenfeurs
de ces fortes d'établiffemens : leur
utilité a été démontrée dans des écrits. publics
: il a été prouvé d'une maniere victorieufe
que leur multiplicité étoit néceffaire
au progrès des fciences , & que loin
de nuire au corps politique de l'Etat, elle
ne pouvoit lui être qu'avantageufe.
C'eft fous ce point de vue que M. Du-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
pré d'Aulnay , ancien Commiffaire des
Guerres , l'a confidéré. Retiré depuis plufieurs
années dans la ville de Châlons-fur-
Marne , fon amour pour l'étude l'y a fuivi
, & les liaifons qu'il a formées avec des
concitoyens animés du même amour , lui
ont fait concevoir le deffein de les unir
par les noeuds d'une fociété littéraire .
Il en a demandé. l'agrément à M. le
Comte de Saint - Florentin . Ce Miniftre
qui chérit les Lettres , autant qu'il eft cher
aux Sçavans , l'a honoré d'une réponſe
favorable , & a promis une autorifation
plus précife , lorfque les affociés auroient
donné des preuves de leurs talens .
Son A. S. M. le Comte de Clermont ,
Gouverneur des provinces de Champagne
& de Brie , a bien voulu concourit de fon
côté à cet établiffement : illuftre par fon
fang & par la faveur finguliere qu'il a fait
aux Mufes d'entrer dans leur fanctuaire ,
il a donné de nouvelles marques de fon
attachement pour elles , en fe déclarant le
protecteur de cette fociété naiffante.
Les membres d'une fociété qui commence
fous de fi heureux aufpices , ont dé
ja produits quelques fruits de leurs veilles
dans les affemblées particulieres qu'ils ont
tenues pendant le cours de cette année.
M. Culoteau de Velye , Avocat du Roi
MARS. 1755. 129
•
au Préfidial de Châlons en Champagne ,
& l'un des membres de cette fociété , a lû
une differtation fur la confécration des
Empereurs romains , & particulierement
fur celle de Pertinax , juftifiée par une médaille.
Il obferve que la confécration en uſage
chez les Romains étoit différente de l'apothéofe
admife chez les autres peuples ;
que cette derniere cérémonie étoit connue
dès le tems de Belus , premier Roi des
Affyriens , & qu'elle a été continuée depuis
en faveur des Princes , des Rois recommendables
par leur fageffe , & même
de fimples particuliers qui s'étoient fignalés
par leurs vertus & des actions éclatantes
. Il fixe au regne des Céfars l'origine de
la confécration qui , lorfque Romulus fut
admis au rang des Dieux , n'étoit point
encore établie de la maniere dont elle l'a
été dans la fuite.
›. Il fait voir que dans tel tems de la République
, le Sénat n'accorda cet honneur
qu'à la feule Acea Laurentia , comme un
tribut de fa reconnoiffance pour les biens
qu'il en avoit reça que s'il décerna par la
fuite les mêmes honneurs à un grand nom
-bre d'Empereurs , il les refufa néanmoins à
ceux qui s'étoient rendus odieux par leurs
vices.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE .
Il rapporte pour exemple la joie générale
qu'excita la mort de Tibere , le decret
qui déclara Neron ennemi de la patrie,
les outrages exercés fur les corps de Vitellius
& d'Héliogabale qui , après avoir
été traînés avec ignominie par les rues de
Rome , furent jertés dans le Tibre ; le long
refus du Sénat d'élever Adrien au rang des
Dieux , la fermeté avec laquelle il йétric
la mémoire de Domitien déifié par les armées
, en faifant brifer fes ftatues , fes portraits
& les infcriptions faites en fon honneur.
Il prouve que la cérémonie de la confé
cration des Empereurs a fubfifté jufqu'an
tems du parfait établiſſement de notre religion
; Jovien ayant encore été mis au
rang des Dieux par les foins de fon fuc
ceffeur Valentinien , vers l'an 364 de l'ere
chrétienne .
A l'égard de l'Empereur Pertinax , dont
-M. de la Baftie prétend dans fon ouvrage
fur le P. Joubert , que l'on n'a point encore
trouvé de médailles , M. de Velye en
produit une , qui femble ne laiffer aucun
doute que l'on a déféré à cet Empereur
-les honneurs de la confécration ." col
< Cette médaille , qui eft de moyen broneze
, préfente d'un côté la tête de Pertinax ,
avec la légende Divus Helvius Pertinax , &
MAR S.: 1755. 131
a pour tipe en fon revers un aigle avec les
aîles déployées , fur lefquelles eft la figure
de l'Empereur à demi- couché , avec la légende
Confecratio. Cette médaille paroît
caracterifer d'une façon particuliere la confécration
de Pertinax , & l'on a lieu de
croire qu'elle eft une de celles qui ont été
re nouvellées par Gallien .
M. de Velye penfe que l'on peut porter
le même jugement d'une médaille de Fauftine
, qui du côté de la tête a pour légende
Diva Fauftina ; & au revers une figure
humaine que l'on peut prendre pour un
Prêtre , faifant une libation fur un autel ,
fur lequel il y a du feu , avec la légende
Confecratio : cependant il ne propofe fon
fentiment à cet égard que comme conjecture
, s'en rapportant aux connoiffances des
fçavans en ce genre.
M. de Velye a fait encore lecture d'une
autre differtation, dont l'objet eft de déterminer
quels étoient les principes de la religion
des anciens Romains , & s'ils étoient
différens de ceux qui conftituoient le culte
religieux des Grecs .
Voici fommairement les preuves qu'il
apporte pour établir cette différence .
Les premiers Romains , preſque tous occupés
à nourrir des troupeaux , en tiroient
les fecours néceffaires pour -fubfifter. Pan
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
étoit leur principale Divinité ; ils cétébroient
en fon honneur des fêtes par des
facrifices , & par des jeux appellés Lupeztaux
; ils honoroient auffi comme des
Dieux , Janus , Saturne , Picus , Hercule ,
&c. Mais indépendamment de ces Dieux
de la patrie ils reconnoifloient encore ceux
des grandes nations ; ils admettoient auffi
les augures , les pénates , les génies , &c.
Romulus effaya de détruire les préjugés
de ceux qui compofoient fa colonie , d'établir
une religion fondée fur des principes
raisonnables , & de fixer un culte conforme
à l'idée qu'il avoit conçue de la Divinité
, qu'il reconnoiſſoit comme un être
parfait & immortel .
Numa qui lui fuccéda , approchoit aſſez
des fentimens de fon prédéceffeur au ſujet
de la religion ; il penfoit qu'on ne pouvoit
donner aucune forme fenfible à la caufe
premiere de tous les êtres créés ; en conféquence
l'on ne vit à Rome pendant près
de deux fiécles aucun monument élevé pour
repréfenter la Divinité .
La religion établie par Romulus fubfiſta
long-tems , comme le fondement inébranlable
de la confervation de la chofe publique
; tout fon fyftême confiftoit à propo
fer pour objet du culte religieux un être
pur , efprit fouverainement parfait , imMARS.
1755. 133
mortel , auteur de tout , & de l'honorer
par un culte digne de fon unité & de fa
grandeur.
Les Grecs , au contraire , s'imaginant
qu'il étoit poffible d'appercevoir , par l'organe
des fens , la divinité telle quelle eft
en elle-même , la fixerent d'abord, dans le
foleil ; ils déïferent les élémens , l'univers
entier , & les différentes parties qui le com →
pofent. Orphée , Mufée , Eumolpe , que
S. Auguftin appelle les théologiens des
Grecs , bien loin d'amener leurs compatriotes
à la connoiffance de la vérité , les
en éloignerent , & les plongerent dans des
erreurs injurieufes à l'être fuprême ; ils
propoferent des Dieux fous des fymboles
& des hieroglyphes , dont ils avoient apris
à faire ufage en Egypte. La trop grande
élévation d'efprit de ces philofophes fit
tomber dans l'égarementceux qu'ils fe pro
pofoient d'éclairer , & qui n'étoient point
capables de comprendre le fens des fables
abfurdes qu'ils employoient pour établir les
vérités les plus importantes.
Ce fut des prétendus fages de l'Egypte
qu'ils avoient appris à diftinguer l'âge , le
fexe , la forme & le nombre des Dieux ;
ils apprirent auffi d'eux à les honorer par
des fêtes & par des jeux folemnels ; mais
il n'arrivoit que trop fouvent que l'on
.
134 MERCURE DE FRANCE.
portoit l'impiété en triomphe dans ces cérémonies
, & qu'elles devenoient un affemblage
monftrueux de defordres & de crimes.
La connoiffance de la nature & l'étude
de la phyfique devint la fource de l'erreur ;
on donnoit à chacune des caufes un des
attributs de la divinité , & les attributs diftingués
, fembloient introduire & préfenter
une multiplicité de Dieux. Plufieurs
fages , comme Diagoras & Socrate , furent
les victimes de leur attachement à la vérité
, telle que l'homme peut la découvrir par
l'étude & la force du raifonnement .
Les Romains , dans leur origine , étoient
des hommes durs , groffiers , fauvages ;
mais ils furent amenés à la connoiffance
de l'être fuprême , autant qu'on peut en
approcher par les lumieres de la raifon ;
ils fe diftinguerent par leur inviolable attachement
à une religion plus fainte que
celle des autres nations..
Les Grecs , au contraire , inconftans &
legers , fe livrerent au torrent d'une aveugle
fuperftition ; leur culte avoit fouvent
l'homme pour objet ; leurs fêtes , & les
jeux qu'ils célébroient , n'étoient inſtitués
que pour exciter ceux qui y étoient admis
à fe furpaffer mutuellement par la force ,
l'adreffe & la légereté : on n'y comptoit
MARS 1755 ”ན
135
prefque pour rien le coeur , les moeurs &
la vertu .
la
De cet expofé , on peut conclure que
religion des anciens Romains étoit plus
parfaite que celle des Grecs , & qu'elle
étoit établie fur des principes différens.
- M. Dupré d'Aulnai a lû auffi une differtation
qui a pour objet l'écoulement magne
tique , Pélectricité , l'afcenfion de la feve
dans les végétaux , & le flux de la mer. Il
croit que la même caufe produit ces différens
effets , que le foleil en eft le premier
& le feul mobile , & que cet aftre eft dans
l'univers ce qu'eft le coeur dans l'animal ,
auquel il donne le mouvement , la chaleur
& la vie.
af-
M. Navier , Docteur en Médecine ,
focié correfpondant de l'Académie royale
des Sciences de Paris , & l'un des mem
bres de la Société , a lu dans différentes
féances des differtations fur plufieurs maladies
populaires qui ont regné dans la
vince de Champagne & ailleurs.
་
pro-
La Faculté de Médecine de Paris , & M.
de Vernage , ayant jugé cet ouvrage fondé
-fur une bonne théorie , conforme à la faine
·pratique , & appuyé de l'autorité des grands
maîtres , l'auteur a cru ne devoir point fe
refufer au bien du public , & s'eft en conféquence
déterminé à le faire imprimer. Il
136 MERCURE DE FRANCE.
fe trouve à Paris , chez Cavelier
Saint Jacques , au Lys d'or.
·
rue
Après de pareils témoignages , il eft
inutile d'infilter fur la nature de ce travail
; le lecteur jugera par lui-même que
l'auteur a fait nombre de recherches utiles
& intéreffantes pour le traitement de différentes
maladies.
M. Navier a auffi lû des obfervations
théoriques & pratiques fur l'amolliffement
des os en général , & en particulier fur
celui qui a caractériſé la maladie extraor
dinaire de la Dame Supior , dont tout le
royaume a été informé.
Il penfe que cette maladie tenoit du rachitis
& du fcorbut. Pour démontrer le caractere
& la véritable caufe de cette maladie
, l'auteur fuit fon objet par la voie
des expériences & des démonftrations , &
conclut que les levains qui occafionnent
l'amolliffement des os , eft de nature acide.
Pour bien conftater cette vérité , il a fait
des recherches infinies , qui toutes ont concouru
à le convaincre que cette maladie ne
pouvoit reconnoître d'autre caufe . La nature
& le caractere de cette fâcheufe maladie
étant bien connue , l'auteur fait voir
qu'il faut néceffairement la combattre par
les moyens qu'il propofe. Cet ouvrage a
été examiné & approuvé par l'Académie
f
MARS. 1755. 137
royale des Sciences de Paris : il va être mis
fous preffe.
Le même a fait encore lecture d'un
autre ouvrage qui a pour titre : Obfervations
médico-phyfiques fur les dangers auxquels
on s'expofe en mangeant des fruits qui
n'ont point encore atteint leur dégré de maturité
, & fur les avantages au contraire qui
résultent de leur ufage lorfqu'ils ont acquis
toute leur perfection.
L'abus trop commun de manger les
fruits avant qu'ils foient murs , & le zéle
de l'auteur pour le bien public , l'ont engagé
à traiter cette matiere .
Après un court expofé des loix générales
de la végétation , il examine la nature des
fruits qui naiffent dans les pays chauds &
dans les pays froids & tempérés ; il fait
voir que la providence a fait naître dans
chaque contrée de la terre des fruits doués
de toutes les propriétés néceffaires pour
garantir les habitans des maladies auxquel
les les expoferoient l'intempérie de l'air
des régions qu'ils habitent. Il reconnoît
d'une part que les fruits aigrelets & acidules
qui naiffent abondamment dans les pays
chauds , contiennent des fucs merveilleux
pour réprimer les effervefcences fougueufes
, & une infinité d'autres accidens que
la chaleur exceffive occafionne dans le fang
13 8 MERCURE DE FRANCE .
de leurs habitans. D'un autre côté , il re
garde les fruits que produifent les pays
froids & tempérés , comme des matieres
favoneufes & délayantes, extrêmement propres
à diffoudre les concrétions & les
épaiffiffemens des liqueurs de ceux qui ha
bitent ces climats. Il entre à cet égard
dans un certain détail fur la nature des
matieres favoneufes , factices & naturelles :
il reconnoît que les favons naturels font
beaucoup plus parfaits que les factices ,
qu'ils font formés d'une union intime de
parties onctueufes extrêmement fines , pénétrées
par un acide végétal , au lieu que les
favons factices ordinaires font les produits
de parties graffes , fort groffieres , unies affez
imparfaitement avec un fel lixiviel , & c.
On voit que l'auteur reconnoît par- tout
un ordre & une fageffe fuprême dans la
formation & la confervation de tous les
êtres. C'eft effectivement en ne perdant
point de vue cet important objet , que les
fçavans fe rapprocheront toujours de la vérité
; au lieu qu'en fe livrant à des fyſtêmes
erronés & dictés par l'efprit d'illufion
, ils ne feront jamais d'accord ni avec
la nature , ni avec eux-mêmes.
M. Navier a auffi fait part d'un travail
qu'il a commencé en 1738 , pour trouver
un lithontriptique , ou diffolvant des pier,
MARS. 1755. 139
1
res humaines ; ouvrage dont il avoit informé
en différens tems MM. de l'Acadé-.
mie royale des Sciences de Paris ; il paroît
avoir conduit fes recherches déja fort loin
il a même fait voir plufieurs de ces pierres
extraordinairement dures, réduites en bouil
lie en fort peu de tems , par le moyen
d'une liqueur fi douce , qu'elle peut être
bûe fans faire aucune impreffion fâcheufe
fur l'eftomac. Il a déja par devers lui des
expériences du bon effet de ce remede ;
mais ,comme il n'a jamais prétendu réuffic
que par la voie des injections , il n'a pû
encore parvenir à autre chofe , finon qu'à
fe rendre certain que ce remede peut être
porté dans la veffie par les injections , fans
y caufer ni douleur ni altération . Si par
un bonheur ineftimable pour l'humanité
on pouvoit parvenir par cette voie à fondre
la pierre dans la veffie , il réfteroit en
core beaucoup à travailler , tant pour fe
perfectionner dans la maniere d'y introduire
la fonde , que dans la matiere & la
forme de cet inftrument ; car il feroit de
la derniere importance de pouvoir l'intro
duire promptement , fûrement & fans dou
leur. M.Navier defireroit que l'on s'exerçât
à fonder avec des alkalis qui n'euffent
prefque point de courbure ; il penfe que
Cette forme feroit plus commode pour ins
140 MERCURE DE FRANCE.
jecter , pour pouvoir tourner la fonde en
rous fens dans la veffie , & pour y pou
voir féjourner long- tems fans bleffer ce
vifcere , & c.
C'est particulierement du génie de nos
grands Chirurgiens que l'on doit efpérer
la perfection dans la forme de cet inftrument
, & dans la maniere de l'infinuer
dans la veffie , ou même de trouver le
moyen de dilater fon fphincter , & d'y
porter un liquide fans avoir recours au
catheter.
On a annoncé cette année deux ouvra
ges imprimés à Edimbourg , dans lesquels
on prétend que l'eau de chaux eft un excellent
diffolvant des pierres humaines pris
intérieurement , ou porté dans la veffic
par les injections .
M. Navier a fait depuis dix-fept à dixhuit
ans un fi grand nombre d'expériences
& de recherches fur les différens lithontriptiques
, qu'il auroit été furprenant que
celui de la chaux lui eût échappé : il a donc
travaillé fur ce diffolvant , comme fur une
infinité d'autres , & il craint qu'il ne réuffiffe
pas autant qu'on le fait efperer ; car
il a reconnu que ce remede avoit peu ou
point d'action fur un très - grand nombre
de pierres humaines . Si M. Whitt a éprouvé
le contraire , cela ne peut venir , ſelon
MA- R S.
1755 141
M. Navier , que de la différence des pierres
qui fe forment chez les Anglois , dont la
boiffon ordinaire eft la bierre , & de celles
qui prennent naiffance chez les François
qui font ufage du vin.
M. Navier n'a eu occafion de travailler
que fur ces dernieres ; peut-être eft- ce cette
différence de boiffon qui a fait que le diffolvant
de Mlle Stephens a été employé
avec fuccès en Angleterre , & qu'il a fi peu
réuffi en France.
M. Navier croit encore être bien fondé
à fe défier de l'eau de chaux : 1 °. parce que
contenant une grande quantité de parties
de feu , ce reméde pris . intérieurement &
à grandes dofes , comme il feroit néceffaire
pour fondre les calculs humains pourroit
intéreffer la fanté des perfonnes délicates.
2 °. Cette eau étant chargée de beaucoup
de parties pierreufes qu'elle tient en
diffolution , ne pourroit - il pas arriver
qu'elles fe dépoferoient dans différens endroits
du corps , peut-être même dans les
reins & dans la veffie ? M. Navier eſt d'aųtant
mieux fondé dans cette opinion , qu'il
a reconnu par l'expérience , qu'un peu d'urine
chaude verfée far de l'eau de chaux ,
la rend laiteufe , & en fait précipiter de
fa fubftance pierreufe. Si donc la même
chofe arrivoit dans les reins ou dans la
142 MERCURE DE FRANCE.
veffie de ceux qui prendroient beaucoup
de ce lithontriptique , comme il y a tout
lieu de le croire , fur- tout chez les pierreux
, qui ont une urine dont l'alkali volatil
eft fort développé , & par conféquent
plus propre à précipiter la partie pierreufe
de l'eau de chaux , ne doit- on pas préfumer
que ce remede pourroit dépofer dans
ces vifceres autant & peut être plus de
fubftance pierreufe qu'ils n'en éleveroient
de calculs qui s'y rencontreroient ? M. Navier
a connoiffance d'un fait qui paroît
bien confirmer cette théorie .
Une perfonne qui avoit une pierre bien
conftatée dans la veffie , s'étoit déterminée
à prendre du lithontriptique de Mlle Stephens
, qui contient , comme l'on fçait
beaucoup de matieres calcaires réduites en
chaux. Après un certain tems de l'uſage
de ce remede , on apperçut dans les urines
du malade beaucoup de parties terreufesblanches
, que l'on croyoit être infailliblement
des débris de la pierre ; mais la
perfonne étant morte , on reconnut avec
furprife , par l'ouverture de la veffie , que
la pierre n'avoit été en aucune façon endommagée.
Donc les portions blanchâtres
& terreufes que l'urine avoit charriées,
venoient des parties de chaux qui entroient
dans le remede anglois. Cela prou오
Y
MARS. 1755. 143
ve qu'on ne peut avoir trop de circonfpection
, même de défiance , dans la vérification
des faits , car ils font fouvent voilés
par des
apparences trompeufes & féduifantes.
M. Whitt a avancé que tout fel lixiviel
eft abfolument incapable de diffoudre la pierre
humaine . M. Navier a remarqué tout le
contraire , ayant conftamment obfervé
dans le nombre des lithontriptiques qu'il a
découvert , que ces fels avoient tous cette
propriété.
Cette différence entre les obfervations
de nos deux auteurs pourroit bien venir
de celle des pierres fur lefquelles ils ont
travaillé , par la raifon rapportée ci -deffus
. En effet M. Navier , d'après qui nous
parlons toujours , a reconnu que ces fels
agiffoient fort différemment , felon la nature
de la pierre ; & il eft perfuadé que
c'eſt cette différence dans les calculs humains
qui mettra toujours le plus d'obftacles
à la découverte d'un lithontriptique
univerfel , c'est-à - dire qui agiffe également
& d'une maniere douce fur toutes les pierres
humaines.
Nous venons de rapporter une partie
des obfervations de M. Navier , que fon
defintéreffement & fon amour pour le
bien public a déterminé à nous communiquer.
#44 MERCURE DE FRANCE.
Quelle louable émulation ! qu'il eft digne
de notre reconnoiffance de voir dans
deux Royaumes auffi floriffans que la France
& l'Angleterre , la Médecine toujours
occupée d'un objet qui tend à délivrer l'hu
manité du plus cruel de tous les maux !
Les affociés fe font féparés le 28 du
mois d'Août , moins pour fe délaffer de
leurs fatigues que pour préparer les mémoires
dont ils rendront compte l'année
prochaine dans leurs féances ; ils font tous
également difpofés à fe rendre dignes de
la protection qu'un grand Prince leur accorde
, à fe mettre en état d'obtenir la
confirmation de leur établiſſement , & à
mériter l'eftime du public.
De la Société Linéraire de Châlons.
St
1. quelques critiques chagrins fe font
érigés de nos jours en cenfeurs des
Académies , il s'eft auffi trouvé des défenfeurs
de ces fortes d'établiffemens : leur
utilité a été démontrée dans des écrits. publics
: il a été prouvé d'une maniere victorieufe
que leur multiplicité étoit néceffaire
au progrès des fciences , & que loin
de nuire au corps politique de l'Etat, elle
ne pouvoit lui être qu'avantageufe.
C'eft fous ce point de vue que M. Du-
Fiv
128 MERCURE DE FRANCE.
pré d'Aulnay , ancien Commiffaire des
Guerres , l'a confidéré. Retiré depuis plufieurs
années dans la ville de Châlons-fur-
Marne , fon amour pour l'étude l'y a fuivi
, & les liaifons qu'il a formées avec des
concitoyens animés du même amour , lui
ont fait concevoir le deffein de les unir
par les noeuds d'une fociété littéraire .
Il en a demandé. l'agrément à M. le
Comte de Saint - Florentin . Ce Miniftre
qui chérit les Lettres , autant qu'il eft cher
aux Sçavans , l'a honoré d'une réponſe
favorable , & a promis une autorifation
plus précife , lorfque les affociés auroient
donné des preuves de leurs talens .
Son A. S. M. le Comte de Clermont ,
Gouverneur des provinces de Champagne
& de Brie , a bien voulu concourit de fon
côté à cet établiffement : illuftre par fon
fang & par la faveur finguliere qu'il a fait
aux Mufes d'entrer dans leur fanctuaire ,
il a donné de nouvelles marques de fon
attachement pour elles , en fe déclarant le
protecteur de cette fociété naiffante.
Les membres d'une fociété qui commence
fous de fi heureux aufpices , ont dé
ja produits quelques fruits de leurs veilles
dans les affemblées particulieres qu'ils ont
tenues pendant le cours de cette année.
M. Culoteau de Velye , Avocat du Roi
MARS. 1755. 129
•
au Préfidial de Châlons en Champagne ,
& l'un des membres de cette fociété , a lû
une differtation fur la confécration des
Empereurs romains , & particulierement
fur celle de Pertinax , juftifiée par une médaille.
Il obferve que la confécration en uſage
chez les Romains étoit différente de l'apothéofe
admife chez les autres peuples ;
que cette derniere cérémonie étoit connue
dès le tems de Belus , premier Roi des
Affyriens , & qu'elle a été continuée depuis
en faveur des Princes , des Rois recommendables
par leur fageffe , & même
de fimples particuliers qui s'étoient fignalés
par leurs vertus & des actions éclatantes
. Il fixe au regne des Céfars l'origine de
la confécration qui , lorfque Romulus fut
admis au rang des Dieux , n'étoit point
encore établie de la maniere dont elle l'a
été dans la fuite.
›. Il fait voir que dans tel tems de la République
, le Sénat n'accorda cet honneur
qu'à la feule Acea Laurentia , comme un
tribut de fa reconnoiffance pour les biens
qu'il en avoit reça que s'il décerna par la
fuite les mêmes honneurs à un grand nom
-bre d'Empereurs , il les refufa néanmoins à
ceux qui s'étoient rendus odieux par leurs
vices.
Fy
130 MERCURE DE FRANCE .
Il rapporte pour exemple la joie générale
qu'excita la mort de Tibere , le decret
qui déclara Neron ennemi de la patrie,
les outrages exercés fur les corps de Vitellius
& d'Héliogabale qui , après avoir
été traînés avec ignominie par les rues de
Rome , furent jertés dans le Tibre ; le long
refus du Sénat d'élever Adrien au rang des
Dieux , la fermeté avec laquelle il йétric
la mémoire de Domitien déifié par les armées
, en faifant brifer fes ftatues , fes portraits
& les infcriptions faites en fon honneur.
Il prouve que la cérémonie de la confé
cration des Empereurs a fubfifté jufqu'an
tems du parfait établiſſement de notre religion
; Jovien ayant encore été mis au
rang des Dieux par les foins de fon fuc
ceffeur Valentinien , vers l'an 364 de l'ere
chrétienne .
A l'égard de l'Empereur Pertinax , dont
-M. de la Baftie prétend dans fon ouvrage
fur le P. Joubert , que l'on n'a point encore
trouvé de médailles , M. de Velye en
produit une , qui femble ne laiffer aucun
doute que l'on a déféré à cet Empereur
-les honneurs de la confécration ." col
< Cette médaille , qui eft de moyen broneze
, préfente d'un côté la tête de Pertinax ,
avec la légende Divus Helvius Pertinax , &
MAR S.: 1755. 131
a pour tipe en fon revers un aigle avec les
aîles déployées , fur lefquelles eft la figure
de l'Empereur à demi- couché , avec la légende
Confecratio. Cette médaille paroît
caracterifer d'une façon particuliere la confécration
de Pertinax , & l'on a lieu de
croire qu'elle eft une de celles qui ont été
re nouvellées par Gallien .
M. de Velye penfe que l'on peut porter
le même jugement d'une médaille de Fauftine
, qui du côté de la tête a pour légende
Diva Fauftina ; & au revers une figure
humaine que l'on peut prendre pour un
Prêtre , faifant une libation fur un autel ,
fur lequel il y a du feu , avec la légende
Confecratio : cependant il ne propofe fon
fentiment à cet égard que comme conjecture
, s'en rapportant aux connoiffances des
fçavans en ce genre.
M. de Velye a fait encore lecture d'une
autre differtation, dont l'objet eft de déterminer
quels étoient les principes de la religion
des anciens Romains , & s'ils étoient
différens de ceux qui conftituoient le culte
religieux des Grecs .
Voici fommairement les preuves qu'il
apporte pour établir cette différence .
Les premiers Romains , preſque tous occupés
à nourrir des troupeaux , en tiroient
les fecours néceffaires pour -fubfifter. Pan
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
étoit leur principale Divinité ; ils cétébroient
en fon honneur des fêtes par des
facrifices , & par des jeux appellés Lupeztaux
; ils honoroient auffi comme des
Dieux , Janus , Saturne , Picus , Hercule ,
&c. Mais indépendamment de ces Dieux
de la patrie ils reconnoifloient encore ceux
des grandes nations ; ils admettoient auffi
les augures , les pénates , les génies , &c.
Romulus effaya de détruire les préjugés
de ceux qui compofoient fa colonie , d'établir
une religion fondée fur des principes
raisonnables , & de fixer un culte conforme
à l'idée qu'il avoit conçue de la Divinité
, qu'il reconnoiſſoit comme un être
parfait & immortel .
Numa qui lui fuccéda , approchoit aſſez
des fentimens de fon prédéceffeur au ſujet
de la religion ; il penfoit qu'on ne pouvoit
donner aucune forme fenfible à la caufe
premiere de tous les êtres créés ; en conféquence
l'on ne vit à Rome pendant près
de deux fiécles aucun monument élevé pour
repréfenter la Divinité .
La religion établie par Romulus fubfiſta
long-tems , comme le fondement inébranlable
de la confervation de la chofe publique
; tout fon fyftême confiftoit à propo
fer pour objet du culte religieux un être
pur , efprit fouverainement parfait , imMARS.
1755. 133
mortel , auteur de tout , & de l'honorer
par un culte digne de fon unité & de fa
grandeur.
Les Grecs , au contraire , s'imaginant
qu'il étoit poffible d'appercevoir , par l'organe
des fens , la divinité telle quelle eft
en elle-même , la fixerent d'abord, dans le
foleil ; ils déïferent les élémens , l'univers
entier , & les différentes parties qui le com →
pofent. Orphée , Mufée , Eumolpe , que
S. Auguftin appelle les théologiens des
Grecs , bien loin d'amener leurs compatriotes
à la connoiffance de la vérité , les
en éloignerent , & les plongerent dans des
erreurs injurieufes à l'être fuprême ; ils
propoferent des Dieux fous des fymboles
& des hieroglyphes , dont ils avoient apris
à faire ufage en Egypte. La trop grande
élévation d'efprit de ces philofophes fit
tomber dans l'égarementceux qu'ils fe pro
pofoient d'éclairer , & qui n'étoient point
capables de comprendre le fens des fables
abfurdes qu'ils employoient pour établir les
vérités les plus importantes.
Ce fut des prétendus fages de l'Egypte
qu'ils avoient appris à diftinguer l'âge , le
fexe , la forme & le nombre des Dieux ;
ils apprirent auffi d'eux à les honorer par
des fêtes & par des jeux folemnels ; mais
il n'arrivoit que trop fouvent que l'on
.
134 MERCURE DE FRANCE.
portoit l'impiété en triomphe dans ces cérémonies
, & qu'elles devenoient un affemblage
monftrueux de defordres & de crimes.
La connoiffance de la nature & l'étude
de la phyfique devint la fource de l'erreur ;
on donnoit à chacune des caufes un des
attributs de la divinité , & les attributs diftingués
, fembloient introduire & préfenter
une multiplicité de Dieux. Plufieurs
fages , comme Diagoras & Socrate , furent
les victimes de leur attachement à la vérité
, telle que l'homme peut la découvrir par
l'étude & la force du raifonnement .
Les Romains , dans leur origine , étoient
des hommes durs , groffiers , fauvages ;
mais ils furent amenés à la connoiffance
de l'être fuprême , autant qu'on peut en
approcher par les lumieres de la raifon ;
ils fe diftinguerent par leur inviolable attachement
à une religion plus fainte que
celle des autres nations..
Les Grecs , au contraire , inconftans &
legers , fe livrerent au torrent d'une aveugle
fuperftition ; leur culte avoit fouvent
l'homme pour objet ; leurs fêtes , & les
jeux qu'ils célébroient , n'étoient inſtitués
que pour exciter ceux qui y étoient admis
à fe furpaffer mutuellement par la force ,
l'adreffe & la légereté : on n'y comptoit
MARS 1755 ”ན
135
prefque pour rien le coeur , les moeurs &
la vertu .
la
De cet expofé , on peut conclure que
religion des anciens Romains étoit plus
parfaite que celle des Grecs , & qu'elle
étoit établie fur des principes différens.
- M. Dupré d'Aulnai a lû auffi une differtation
qui a pour objet l'écoulement magne
tique , Pélectricité , l'afcenfion de la feve
dans les végétaux , & le flux de la mer. Il
croit que la même caufe produit ces différens
effets , que le foleil en eft le premier
& le feul mobile , & que cet aftre eft dans
l'univers ce qu'eft le coeur dans l'animal ,
auquel il donne le mouvement , la chaleur
& la vie.
af-
M. Navier , Docteur en Médecine ,
focié correfpondant de l'Académie royale
des Sciences de Paris , & l'un des mem
bres de la Société , a lu dans différentes
féances des differtations fur plufieurs maladies
populaires qui ont regné dans la
vince de Champagne & ailleurs.
་
pro-
La Faculté de Médecine de Paris , & M.
de Vernage , ayant jugé cet ouvrage fondé
-fur une bonne théorie , conforme à la faine
·pratique , & appuyé de l'autorité des grands
maîtres , l'auteur a cru ne devoir point fe
refufer au bien du public , & s'eft en conféquence
déterminé à le faire imprimer. Il
136 MERCURE DE FRANCE.
fe trouve à Paris , chez Cavelier
Saint Jacques , au Lys d'or.
·
rue
Après de pareils témoignages , il eft
inutile d'infilter fur la nature de ce travail
; le lecteur jugera par lui-même que
l'auteur a fait nombre de recherches utiles
& intéreffantes pour le traitement de différentes
maladies.
M. Navier a auffi lû des obfervations
théoriques & pratiques fur l'amolliffement
des os en général , & en particulier fur
celui qui a caractériſé la maladie extraor
dinaire de la Dame Supior , dont tout le
royaume a été informé.
Il penfe que cette maladie tenoit du rachitis
& du fcorbut. Pour démontrer le caractere
& la véritable caufe de cette maladie
, l'auteur fuit fon objet par la voie
des expériences & des démonftrations , &
conclut que les levains qui occafionnent
l'amolliffement des os , eft de nature acide.
Pour bien conftater cette vérité , il a fait
des recherches infinies , qui toutes ont concouru
à le convaincre que cette maladie ne
pouvoit reconnoître d'autre caufe . La nature
& le caractere de cette fâcheufe maladie
étant bien connue , l'auteur fait voir
qu'il faut néceffairement la combattre par
les moyens qu'il propofe. Cet ouvrage a
été examiné & approuvé par l'Académie
f
MARS. 1755. 137
royale des Sciences de Paris : il va être mis
fous preffe.
Le même a fait encore lecture d'un
autre ouvrage qui a pour titre : Obfervations
médico-phyfiques fur les dangers auxquels
on s'expofe en mangeant des fruits qui
n'ont point encore atteint leur dégré de maturité
, & fur les avantages au contraire qui
résultent de leur ufage lorfqu'ils ont acquis
toute leur perfection.
L'abus trop commun de manger les
fruits avant qu'ils foient murs , & le zéle
de l'auteur pour le bien public , l'ont engagé
à traiter cette matiere .
Après un court expofé des loix générales
de la végétation , il examine la nature des
fruits qui naiffent dans les pays chauds &
dans les pays froids & tempérés ; il fait
voir que la providence a fait naître dans
chaque contrée de la terre des fruits doués
de toutes les propriétés néceffaires pour
garantir les habitans des maladies auxquel
les les expoferoient l'intempérie de l'air
des régions qu'ils habitent. Il reconnoît
d'une part que les fruits aigrelets & acidules
qui naiffent abondamment dans les pays
chauds , contiennent des fucs merveilleux
pour réprimer les effervefcences fougueufes
, & une infinité d'autres accidens que
la chaleur exceffive occafionne dans le fang
13 8 MERCURE DE FRANCE .
de leurs habitans. D'un autre côté , il re
garde les fruits que produifent les pays
froids & tempérés , comme des matieres
favoneufes & délayantes, extrêmement propres
à diffoudre les concrétions & les
épaiffiffemens des liqueurs de ceux qui ha
bitent ces climats. Il entre à cet égard
dans un certain détail fur la nature des
matieres favoneufes , factices & naturelles :
il reconnoît que les favons naturels font
beaucoup plus parfaits que les factices ,
qu'ils font formés d'une union intime de
parties onctueufes extrêmement fines , pénétrées
par un acide végétal , au lieu que les
favons factices ordinaires font les produits
de parties graffes , fort groffieres , unies affez
imparfaitement avec un fel lixiviel , & c.
On voit que l'auteur reconnoît par- tout
un ordre & une fageffe fuprême dans la
formation & la confervation de tous les
êtres. C'eft effectivement en ne perdant
point de vue cet important objet , que les
fçavans fe rapprocheront toujours de la vérité
; au lieu qu'en fe livrant à des fyſtêmes
erronés & dictés par l'efprit d'illufion
, ils ne feront jamais d'accord ni avec
la nature , ni avec eux-mêmes.
M. Navier a auffi fait part d'un travail
qu'il a commencé en 1738 , pour trouver
un lithontriptique , ou diffolvant des pier,
MARS. 1755. 139
1
res humaines ; ouvrage dont il avoit informé
en différens tems MM. de l'Acadé-.
mie royale des Sciences de Paris ; il paroît
avoir conduit fes recherches déja fort loin
il a même fait voir plufieurs de ces pierres
extraordinairement dures, réduites en bouil
lie en fort peu de tems , par le moyen
d'une liqueur fi douce , qu'elle peut être
bûe fans faire aucune impreffion fâcheufe
fur l'eftomac. Il a déja par devers lui des
expériences du bon effet de ce remede ;
mais ,comme il n'a jamais prétendu réuffic
que par la voie des injections , il n'a pû
encore parvenir à autre chofe , finon qu'à
fe rendre certain que ce remede peut être
porté dans la veffie par les injections , fans
y caufer ni douleur ni altération . Si par
un bonheur ineftimable pour l'humanité
on pouvoit parvenir par cette voie à fondre
la pierre dans la veffie , il réfteroit en
core beaucoup à travailler , tant pour fe
perfectionner dans la maniere d'y introduire
la fonde , que dans la matiere & la
forme de cet inftrument ; car il feroit de
la derniere importance de pouvoir l'intro
duire promptement , fûrement & fans dou
leur. M.Navier defireroit que l'on s'exerçât
à fonder avec des alkalis qui n'euffent
prefque point de courbure ; il penfe que
Cette forme feroit plus commode pour ins
140 MERCURE DE FRANCE.
jecter , pour pouvoir tourner la fonde en
rous fens dans la veffie , & pour y pou
voir féjourner long- tems fans bleffer ce
vifcere , & c.
C'est particulierement du génie de nos
grands Chirurgiens que l'on doit efpérer
la perfection dans la forme de cet inftrument
, & dans la maniere de l'infinuer
dans la veffie , ou même de trouver le
moyen de dilater fon fphincter , & d'y
porter un liquide fans avoir recours au
catheter.
On a annoncé cette année deux ouvra
ges imprimés à Edimbourg , dans lesquels
on prétend que l'eau de chaux eft un excellent
diffolvant des pierres humaines pris
intérieurement , ou porté dans la veffic
par les injections .
M. Navier a fait depuis dix-fept à dixhuit
ans un fi grand nombre d'expériences
& de recherches fur les différens lithontriptiques
, qu'il auroit été furprenant que
celui de la chaux lui eût échappé : il a donc
travaillé fur ce diffolvant , comme fur une
infinité d'autres , & il craint qu'il ne réuffiffe
pas autant qu'on le fait efperer ; car
il a reconnu que ce remede avoit peu ou
point d'action fur un très - grand nombre
de pierres humaines . Si M. Whitt a éprouvé
le contraire , cela ne peut venir , ſelon
MA- R S.
1755 141
M. Navier , que de la différence des pierres
qui fe forment chez les Anglois , dont la
boiffon ordinaire eft la bierre , & de celles
qui prennent naiffance chez les François
qui font ufage du vin.
M. Navier n'a eu occafion de travailler
que fur ces dernieres ; peut-être eft- ce cette
différence de boiffon qui a fait que le diffolvant
de Mlle Stephens a été employé
avec fuccès en Angleterre , & qu'il a fi peu
réuffi en France.
M. Navier croit encore être bien fondé
à fe défier de l'eau de chaux : 1 °. parce que
contenant une grande quantité de parties
de feu , ce reméde pris . intérieurement &
à grandes dofes , comme il feroit néceffaire
pour fondre les calculs humains pourroit
intéreffer la fanté des perfonnes délicates.
2 °. Cette eau étant chargée de beaucoup
de parties pierreufes qu'elle tient en
diffolution , ne pourroit - il pas arriver
qu'elles fe dépoferoient dans différens endroits
du corps , peut-être même dans les
reins & dans la veffie ? M. Navier eſt d'aųtant
mieux fondé dans cette opinion , qu'il
a reconnu par l'expérience , qu'un peu d'urine
chaude verfée far de l'eau de chaux ,
la rend laiteufe , & en fait précipiter de
fa fubftance pierreufe. Si donc la même
chofe arrivoit dans les reins ou dans la
142 MERCURE DE FRANCE.
veffie de ceux qui prendroient beaucoup
de ce lithontriptique , comme il y a tout
lieu de le croire , fur- tout chez les pierreux
, qui ont une urine dont l'alkali volatil
eft fort développé , & par conféquent
plus propre à précipiter la partie pierreufe
de l'eau de chaux , ne doit- on pas préfumer
que ce remede pourroit dépofer dans
ces vifceres autant & peut être plus de
fubftance pierreufe qu'ils n'en éleveroient
de calculs qui s'y rencontreroient ? M. Navier
a connoiffance d'un fait qui paroît
bien confirmer cette théorie .
Une perfonne qui avoit une pierre bien
conftatée dans la veffie , s'étoit déterminée
à prendre du lithontriptique de Mlle Stephens
, qui contient , comme l'on fçait
beaucoup de matieres calcaires réduites en
chaux. Après un certain tems de l'uſage
de ce remede , on apperçut dans les urines
du malade beaucoup de parties terreufesblanches
, que l'on croyoit être infailliblement
des débris de la pierre ; mais la
perfonne étant morte , on reconnut avec
furprife , par l'ouverture de la veffie , que
la pierre n'avoit été en aucune façon endommagée.
Donc les portions blanchâtres
& terreufes que l'urine avoit charriées,
venoient des parties de chaux qui entroient
dans le remede anglois. Cela prou오
Y
MARS. 1755. 143
ve qu'on ne peut avoir trop de circonfpection
, même de défiance , dans la vérification
des faits , car ils font fouvent voilés
par des
apparences trompeufes & féduifantes.
M. Whitt a avancé que tout fel lixiviel
eft abfolument incapable de diffoudre la pierre
humaine . M. Navier a remarqué tout le
contraire , ayant conftamment obfervé
dans le nombre des lithontriptiques qu'il a
découvert , que ces fels avoient tous cette
propriété.
Cette différence entre les obfervations
de nos deux auteurs pourroit bien venir
de celle des pierres fur lefquelles ils ont
travaillé , par la raifon rapportée ci -deffus
. En effet M. Navier , d'après qui nous
parlons toujours , a reconnu que ces fels
agiffoient fort différemment , felon la nature
de la pierre ; & il eft perfuadé que
c'eſt cette différence dans les calculs humains
qui mettra toujours le plus d'obftacles
à la découverte d'un lithontriptique
univerfel , c'est-à - dire qui agiffe également
& d'une maniere douce fur toutes les pierres
humaines.
Nous venons de rapporter une partie
des obfervations de M. Navier , que fon
defintéreffement & fon amour pour le
bien public a déterminé à nous communiquer.
#44 MERCURE DE FRANCE.
Quelle louable émulation ! qu'il eft digne
de notre reconnoiffance de voir dans
deux Royaumes auffi floriffans que la France
& l'Angleterre , la Médecine toujours
occupée d'un objet qui tend à délivrer l'hu
manité du plus cruel de tous les maux !
Les affociés fe font féparés le 28 du
mois d'Août , moins pour fe délaffer de
leurs fatigues que pour préparer les mémoires
dont ils rendront compte l'année
prochaine dans leurs féances ; ils font tous
également difpofés à fe rendre dignes de
la protection qu'un grand Prince leur accorde
, à fe mettre en état d'obtenir la
confirmation de leur établiſſement , & à
mériter l'eftime du public.
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Résumé : SEANCES PARTICULIERES De la Société Littéraire de Châlons.
Le texte présente les activités de la Société Linéraire de Châlons, une association littéraire fondée par M. Dupré d'Aulnay, ancien commissaire des Guerres, avec le soutien de M. le Comte de Saint-Florentin et de M. le Comte de Clermont. Cette société vise à promouvoir les sciences et les lettres. Lors de réunions privées, plusieurs membres ont présenté des dissertations. M. Culoteau de Velye a lu une dissertation sur la consécration des empereurs romains, en se concentrant sur Pertinax, et a présenté une médaille attestant de cette consécration. Il a également comparé la religion des anciens Romains à celle des Grecs, soulignant que la religion romaine était plus rationnelle et fondée sur des principes raisonnables. M. Dupré d'Aulnay a présenté une dissertation sur divers phénomènes naturels, comme l'écoulement magnétique et l'électricité, attribuant ces effets à l'influence du soleil. M. Navier, docteur en médecine, a lu des dissertations sur des maladies populaires en Champagne, sur l'amollissement des os, et sur les dangers de consommer des fruits non mûrs. Ses travaux ont été approuvés par l'Académie royale des Sciences de Paris. Le texte détaille également les recherches de M. Navier sur les lithontriptiques, des substances capables de dissoudre les calculs rénaux. Navier reconnaît la supériorité des savons naturels sur les savons artificiels en raison de leur composition plus fine et plus efficace. Il souligne l'importance de l'ordre et de la sagesse divine dans la formation des êtres vivants. Navier a commencé ses travaux en 1738 pour trouver un lithontriptique efficace. Il a présenté plusieurs pierres dures réduites en bouillie grâce à une liqueur douce, pouvant être bue sans effet nocif sur l'estomac. Cependant, il n'a pas encore pu administrer ce remède par voie interne sans causer de douleur ou d'altération. Le texte mentionne des ouvrages imprimés à Edimbourg qui prétendent que l'eau de chaux est un excellent dissolvant des calculs rénaux. Navier, après de nombreuses expériences, doute de l'efficacité de ce remède, estimant qu'il pourrait causer des dépôts de substances pierreuses dans le corps. Navier critique l'eau de chaux pour ses risques potentiels de déposer des particules pierreuses dans les reins et la vessie, et pour son inefficacité constatée sur de nombreux calculs rénaux. Il relate un cas où une personne ayant pris un lithontriptique à base de chaux a vu des particules blanches dans ses urines, mais la pierre rénale n'a pas été dissoute. Enfin, le texte souligne la différence d'observations entre Navier et M. Whitt concernant l'efficacité des lessives sur les calculs rénaux, attribuant ces divergences à la variabilité des types de calculs. Navier conclut que la découverte d'un lithontriptique universel est complexe en raison de cette variabilité.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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55
p. 77-124
Eloge de M. le Président de Montesquieu.
Début :
L'intérêt que les bons citoyens prennent à l'Encyclopédie, & le grand nombre de [...]
Mots clefs :
Montesquieu, Encyclopédie, Gloire, Moeurs, Ouvrage, Auteur, Esprit, Hommes, Académie, Parlement de Bordeaux, Académie française, Éloge, De l'esprit des lois, Lettres persanes, Amour, Nations, Malheur, Commerce, Intérêt, Honneur, Étude, Citoyen, Philosophie, Religion, Gouvernement, Roi, Sciences, Parlement
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Eloge de M. le Président de Montesquieu.
Ous ne pouvons mieux ouvrir cet arpar
volume de l'Encyclopédie. Qui ſe diſtribue
depuis quelques jours chez Briaffon , David
l'aîné , le Breton , & Durand. Il doit être
d'autant plus intéreffant que M. de Voltaire
y a travaillé les mots , efprit , éloquence
, élégance. Qui pouvoit mieux en
parler ? Le morceau qui paroît à la tête du
même volume , acheve de le rendre précieux
. C'eſt l'éloge de M. de Montesquieu
par M. d'Alembert . On peut dire fans
fadeur que le Panégyrifte eft digne du
héros . Cet éloge nous a paru d'une fi grande
beauté , que nous croyons obliger le
Lecteur de l'inférer ici dans fon entier.
Quant à la note qui fe trouve à la page
huit , comme elle contient elle - feule une
excellente analyſe de l'Efprit des Loix ,
nous avons craint de prodiguer à la fois
tant de richeffes , & par une jufte économie,
nous l'avons réfervée pour en décorer
le premier Mercure de Décembre . Ceux
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
qui n'auront pas le Dictionnaire , feront
charmés de trouver cette piece complette
dans mon Journal , où ils pourront même
la lire plus commodément , puifqu'il eſt
portatif.
Eloge de M. le Préſident de Montefquien.
L'intérêt que les bons citoyens prennent
à l'Encyclopédie, & le grand nombre de
gens de Lettres qui lui confacrent leurs
travaux , femblent nous permettre de la
regarder comme un des monumens les
plus propres à être dépofitaires des fentimens
de la patrie , & des hommages
qu'elle doit aux hommes célebres qui l'ont
honorée . Perfuadés néanmoins que M.
de Montesquieu étoit en droit d'attendre
d'autres Panégyriftes que nous , & que la
douleur publique eût mérité des interpretes
plus éloquens , nous euflions renfermé
au- dedans de nous-mêmes nos juftes
regrets & notre refpect pour fa mémoire ;
mais l'aveu de ce que nous lui devons ,
nous eft trop précieux pour en laiffer le
foin à d'autres. Bienfaicteur de l'humanité
par fes écrits , il a daigné l'être auffi de
cet ouvrage , & notre reconnoiffance ne
veut que tracer quelques lignes au pied de
fa ftatue .
Charles de Secondat , Baron de la Brede
NOVEMBRE. 1755. 79
& de Montesquieu , ancien Préfident à
Mortier au Parlement de Bordeaux , de
l'Académie Françoife, de l'Académie royale
des Sciences & des Belles - Lettres de
Pruffe , & de la Société de Londres , naquit
au Château de la Brede , près de Bordeaux
, le 18 Janvier 1689 , d'une famille
noble de Guyenne. Son trifayeul , Jean de
Secondat , Maître d'Hôtel de Henri II ,
Roi de Navarre , & enfuite de Jeanne ,
fille de ce Roi , qui époufa Antoine de
Bourbon , acquit la terre de Montesquieu
d'une fomme de 10000 livres que cette
Princeffe lui donna par un acte authentique
, en récompenfe de fa probité & de
fes fervices. Henri III , Roi de Navarre ,
depuis Henri IV , Roi de France , érigea
en Baronie la terre de Montefquieu , en
faveur de Jacob de Secondat , fils de Jean ,
d'abord Gentilhomme ordinaire de la
Chambre de ce Prince , & enfuite Meftre
de camp du Régiment de Châtillon.
Jean Gafton de Secondat , fon fecond fils ,
ayant époufé la fille du Premier Préfident
du Parlement de Bordeaux , acquit dans
cette Compagnie une charge de Préfident
à Mortier. Il eut plufieurs enfans , dont
un entra dans le fervice , s'y diftingua ,
& le quitta de fort bonne heure. Ce fut
pere de Charles de Secondat , auteur Le
Div
So MERCURE DE FRANCE.
de l'Efprit des Loix . Ces détails paroîtront
peut- être déplacés à la tête de l'éloge
d'un philofophe dont le nom a fi peu
befoin d'ancêtres ; mais n'envions point
à leur mémoire l'éclat que ce nom répand
fur elle.
Les fuccès de l'enfance préfage quelquefois
fi trompeur , ne le furent point
dans Charles de Secondat : il annonça de
bonne heure ce qu'il devoit être ; & fon
pere donna tous fes foins à cultiver ce génie
naiffant , objet de fon efpérance &
de fa tendreſſe . Dès l'âge de vingt ans , le
jeune Montefquieu préparoit déja les matériaux
de l'Esprit des Loix , par un extrait
raifonné des immenfes volumes qui compofent
le corps du Droit civil ; ainfi autrefois
Newton avoit jetté dès fa premiere
jeuneffe les fondemens des ouvrages qui
l'ont rendu immortel . Cependant l'étude
de la Jurifprudence , quoique moins aride
pour M. de Montefquieu que pour la
plupart de ceux qui s'y livrent , parce qu'il
la cultivoit en philofophe , ne fuffifoit pas
à l'étendue & à l'activité de fon génie ; il
approfondiffoit dans le même temps des
matieres encore plus importantes & plus
délicates , & les difcutoit dans le filence
avec la fageffe , la décence , & l'équité
qu'il a depuis montrées dans fes ouvrages .
NOVEMBRE. 1755 . 81
Un oncle paternel , Préfident à Mortier
au Parlement de Bordeaux , Juge éclairé
& citoyen vertueux , l'oracle de fa compagnie
& de fa province , ayant perdu un
fils unique , & voulant conferver dans fon
Corps l'efprit d'élevation qu'il avoit tâché
d'y répandre , laiffa fes biens & fa charge
à M. de Montefquieu ; il étoit Confeiller
au Parlement de Bordeaux , depuis le 24
Février 1714 , & fut reçu Préſident à
Mortier le 13 Juillet 1716. Quelques années
après , en 1722 , pendant la minorité
du Roi , fa Compagnie le chargea de préfenter
des remontrances à l'occafion d'un
nouvel impôt. Placé entre le thrône & le
peuple , il remplit en fujet refpectueux &
en Magiftrat plein de courage , l'emploi fi
noble & fi peu envié , de faire parvenir
au Souverain le cri des malheureux ; & la
mifere publique repréfentée avec autant
d'habileté que de force , obtint la justice.
qu'elle demandoit . Ce fuccès , il eft vrai ,
par malheur l'Etat bien plus que pour
pour
lui , fut auffi paffager que s'il eût été injufte
; à peine la voix des peuples eût- elle
ceffé de le faire entendre , que l'impôt
fupprimé fut remplacé par un autre ; mais
le citoyen avoit fait fon devoir.
Il fut reçu le 3 Avril 1716 dans l'Académie
de Bordeaux , qui ne faifoit que de
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
naître . Le gout pour la Mufique & pour
les ouvrages de pur agrément , avoit d'abord
raflemblé les membres qui la for
moient. M. de Montefquieu crut avec raifon
que l'ardeur naiffante & les talens de
fes confieres pourroient s'exercer avec encore
plus d'avantage fur les objets de la
Phyfique. Il étoit perfuadé que la nature ,
digne d'être obfervée par -tout , trouvoit
aufli par tout des yeux dignes de la voir ;
qu'au contraire les ouvrages de goût ne
fouffrant point de médiocrité , & la Capitale
étant en ce genre le centre des lumieres
& des fecours , il étoit trop difficile de
rafferobler loin d'elle un affez grand nombre
d'écrivains diftingués ; il regardoit les
Sociétés de bel efprit , fi étrangement multipliées
dans nos provinces , comme une
efpece , ou plutôt comme une ombre de
luxe littéraire qui nuit à l'opulence réelle
fans même en offrir l'apparence . Heureufement
M. le Duc de la Force , par un prix
qu'il venoit de fonder à Bordeaux , avoit
fecondé des vues fi éclairées & fi juftes.
On jugea qu'une expérience bien faite
feront préférable à un difcours foible , ou
à un mauvais poëme ; & Bordeaux eut
une Académie des Sciences .
M. de Montefquieu nullement empreffé
de fe montrer au public , fembloit attenNOVEMBRE.
1755. 83
dre , felon l'expreffion d'un grand génie ,
un âge mur pour écrire ; ce ne fut qu'en
1721 , c'eft -à- dire âgé de trente - deux ans,
qu'il mit au jour les Lettres Perfannes. Le
Siamois des amufemens ferieux & comiques
pouvoit lui en avoir fourni l'idée ; mais
il furpaffa fon modele . La peinture des
moeurs orientales réelles ou fuppofées , de
l'orgueil & du flegme de l'amour aliatique
, n'eft que le moindre objet de ces
Lettres ; elle n'y fert , pour ainfi dire , que
de prétexte à une fatyre fine de nos moeurs,
& à des matieres importantes que l'Auteur
approfondit en paroiffant gliffer fur
elles. Dans cette efpèce de tableau mouvant
, Ufbek expofe fur-tout avec autant
de légereté que d'énergie ce qui a le plus
frappé parmi nous fes yeux pénétrans ;
notre habitude de traiter férieufement les
chofes les plus futiles , & de tourner les
plus importantes en plaifanterie ; nos converfations
fi bruyantes & fi frivoles ; notre
ennui dans le fein du plaifir même ;
nos préjugés & nos actions en contradiction
continuelle avec nos lumieres ; tant
d'amour pour la gloire joint à tant de
refpect pour l'idole de la faveur ; nos
Courtifans fi rampans & fi vains ; notre
politeffe extérieure & notre mépris réel
pour les étrangers , ou notre prédilection
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
affectée pour eux ; la bifarrerie de nos
gouts , qui n'a rien au- deffous d'elle que
l'empreffement de toute l'Europe à les
adopter ; notre dédain barbare pour deux
des plus refpectables occupations d'un citoyen
, le commerce & la magiftrature ;
nos difputes littéraires fi vives & fi inuti
les ; notre fureur d'écrire avant que de
penfer , & de juger avant que de connoître.
A cette peinture vive , mais fans
fiel , il oppofe dans l'apologue des Troglodites
, le tableau d'un peuple vertueux ,
devenu fage par le malheur , morceau
digne du Portique : ailleurs il montre la
philofophie long-tems étouffée , reparoiffant
tout-à- coup , regagnant par les progrès
le tems qu'elle a perdu , pénétrant
jufques chez les Ruffes à la voix d'un génie
qui l'appelle , tandis que chez d'autres
peuples de l'Europe , la fuperftition , femblable
à une atmoſphere épaiffe , empêche
la lumiere qui les environne de toutes
parts d'arriver jufqu'à eux. Enfin , par les
principes qu'il établit fur la nature des
gouvernemens anciens & modernes , il
préfente le germe de ces idées lumineufes
développées depuis par l'Auteur dans fon
grand ouvrage.
Ces différens fujets , privés aujourd'hui
des graces de la nouveauté qu'ils avoient
8
NOVEMBRE. 1755. 85
dans la naiffance des Lettres Perfannes , y
conferveront toujours le mérite du caractere
original qu'on a fçu leur donner ;
mérite d'autant plus réel , qu'il vient ici
du génie feul de l'écrivain , & non du
voile étranger dont il s'eft couvert ; car
Ufbek a pris durant fon féjour en France ,
non feulement une connoiffance fi parfaite
de nos moeurs , mais une fi forte teinture
de nos manieres mêmes , que fon
ftyle fait fouvent oublier fon pays . Ce
léger défaut de vraisemblance peut n'être
fans deffein & fans adreffe : en relevant
nos ridicules & nos vices , il a voulu
fans doute auffi rendre juftice à nos
avantages ; il a fenti toute la fadeur d'un
éloge direct & il s'en eft plus finement
acquitté , en prenant fi fouvent notre ton
pour médire plus agréablement de nous.
pas
Malgré le fuccès de cet ouvrage , M.
de Montefquieu ne s'en étoit point déclaré
ouvertement l'auteur. Peut - être
croyoit- il échapper plus aifément par ce
moyen à la fatyre littéraire , qui épargne
plus volontiers les écrits anonymes , parce
que c'est toujours la perfonne & non l'ouvrage
qui eft le but de fes traits ; peut- être
craignoit- il d'être attaqué fur le prétendu
contrafte des Lettres Perfannes avec l'auférité
de fa place ; efpece de reproche ,
86 MERCURE DE FRANCE.
difoit il , que les critiques ne manquent
jamais, parce qu'il ne demande aucun effort
d'efprit. Mais fon fecret étoit découvert ,
& déja le public le montroit à l'Académie
Françoife. L'événement fit voir combien
le filence de M. de Montefquieu avoit été
fage . Ufbek s'exprime quelquefois affez
librement , non fur le fonds du Chriftianiſme
, mais fur des matieres que trop de
perfonnes affectent de confondre avec le
Chriftianifme même , fur l'efprit de
perfécution
dont tant de Chrétiens ont été
animés ; fur les ufurpations temporelles
de la puiffance eccléfiaftique ; fur la multiplication
exceffive des monafteres , qui
enleve des fujets à l'Etat , fans donner à
Dieu des adorateurs ; fur quelques opinions
qu'on a vainement tenté d'ériger
en dogmes ; fur nos difputes de religion ,
toujours violentes , & fouvent funeftes.
S'il paroît toucher ailleurs à des questions
plus délicates , & qui intéreffent de plus
près la religion chrétienne , fes réflexions
appréciées avec juftice , font en effet trèsfavorables
à la révélation , puifqu'il fe
borne à montrer combien la raifon humaine
, abandonnée à elle-même , eft peu
éclairée fur ces objets. Enfin , parmi les
véritables lettres de M. de Montefquieu ,
l'Imprimeur étranger en avoit inféré quel
NOVEMBRE. 1755. 87
ques -unes d'une autre main , & il eût
fallu du moins , avant que de condamner
l'auteur , démêler ce qui lui appartenoit
en propre. Sans égard à ces confidérations
, d'un côté la haine fous le rom
de zéle , de l'autre le zéle fans difcernement
ou fans lumieres , fe fouleverent &
fe réunirent contre les Lettres Perfannes.
Des délateurs , efpece d'hommes dangereufe
& lâche , que même dans un gouvernement
fage on a quelquefois le malheur
d'écouter , allarmerent par un extrait
infidele la piété du miniftere. M. de Montefquieu
, par le confeil de fes amis , foutenu
de la voix publique , s'étant préſenté
pour la place de l'Académie Françoiſe vacante
par la mort de M. de Sacy , le Miniftre
écrivit à cette Compagnie qué S. M.
ne donneroit jamais fon agrément à l'auteur
des Lettres Perfannes ; qu'il n'avoit
point lu ce livre , mais que des perfonnes
en qui il avoit confiance , lui en avoient
fait connoître le poifon & le danger . M.
de Montefquieu fentit le coup qu'une pareille
accufation pouvoit porter à fa perfonne
, à la famille , à la tranquillité de
fa vie. Il n'attachoit pas affez de prix aux
honneurs littéraires , ni pour les rechercher
avec avidité , ni pour affecter de les
dédaigner quand ils fe préfentoient à lui ,
88 MERCURE DE FRANCE.
:
ni enfin pour en regarder la fimple privation
comme un malheur ; mais l'exclufion
perpétuelle , & fur - tout les motifs de
l'exclufion lui paroiffoient une injure. Il vit
le Miniftre , lui déclara que par des raifons
particulieres il n'avouoit point les
Lettres Perfannes , mais qu'il étoit encore
plus éloigné de defavouer un ouvrage
dont il croyoit n'avoir point à rougir , &
qu'il devoit être jugé d'après une lecture ,
& non fur une délation le Miniftre prit
enfin le parti par où il auroit dû commencer
; il lut le livre , aima l'Auteur , & apprit
à mieux placer fa confiance ; l'Académie
Françoife ne fut point privée d'un de
fes plus beaux ornemens , & la France eut
le bonheur de conferver un fujet que la fuperftition
ou la calomnie étoient prêtes à
lui faire perdre : car M. de Montefquieu
avoit déclaré au Gouvernement qu'après
l'efpece d'outrage qu'on alloit lui faire ,
il iroit chercher chez les étrangers qui lui
tendoient les bras , la fureté , le repos , &
peut-être les recompenfes qu'il auroit dû
efperer dans fon pays. La nation eût déploré
cette perte , & la honte en fut pourtant
retombée fur elle.
Feu M. le Maréchal d'Eftrées , alors Directeur
de l'Académie Françoife , fe conduifit
dans cette circonftance en courtiſan
NOVEMBRE . 1755 . 89
vertueux , & d'une ame vraiment élevée ;
il ne craignit ni d'abufer de fon crédit ni
de le compromettre ; il foutint fon ami &
juftifia Socrate. Ce trait de courage fi précieux
aux Lettres , fi digne d'avoir aujourd'hui
des imitateurs , & fi honorable à
la mémoire de M. le Maréchal d'Eftrées ,
n'auroit pas dû être oublié dans fon éloge.
M. de Montefquieu fut reçu le 24 Janvier
1728. Son difcours eft un des meilleurs
qu'on ait prononcés dans une pareille
occafion ; le mérite en eft d'autant
plus grand , que les Récipiendaires gênés
jufqu'alors par ces formules & ces éloges
d'ufage auxquels une efpece de prefcription
les affujettit , n'avoient encore ofé
franchir ce cercle pour traiter d'autres fujets
, ou n'avoient point penfé du moins à
les y renfermer ; dans cet état même de
contrainte il eut l'avantage de réuffir . Entre
plufieurs traits dont brille fon difcours ,
on reconnoîtroit l'écrivain qui penſe , au
feul portrait du Cardinal de Richelieu
qui apprit à la France le fecret de fes forces ,
& à l'Espagne celui de fa foibleffe , qui ôta
à l'Allemagne fes chaînes , & lui en donna
de nouvelles. Il faut admirer M. de Montefquieu
d'avoir fçu vaincre la difficulté
de fon fujet, & pardonner à ceux qui n'ont
pas eu le même fuccès .
›
90 MERCURE DE FRANCE.
Le nouvel Académicien étoit d'autant
plus digne de ce titre , qu'il avoit peu de
tems auparavant renoncé à tout autre travail
, pour fe livrer entierement à fon
génie & à fon goût . Quelque importante
que fût la place qu'il occupoit , avec quelques
lumieres & quelque intégrité qu'il
en eût rempli les devoirs , il fentoit qu'il
y avoit des objets plus dignes d'occuper
fes talens ; qu'un citoyen eft redevable à
fa nation & à l'humanité de tout le bien
qu'il peut leur faire ; & qu'il feroit plus
utile à l'une & à l'autre , en les éclairant
par fes écrits , qu'il ne pouvoit l'être en
difcutant quelques conteftations particulieres
dans l'obfcurité . Toutes ces réflexions
le déterminerent à vendre fa charge
; il ceffa d'être Magiftrat , & ne fut plus
qu'homme de Lettres .
Mais pour fe rendre utile par fes ouvra
ges aux différentes nations , il étoit néceffaire
qu'il les connût ; ce fut dans cette
vue qu'il entreprit de voyager. Son but
étoit d'examiner partout le phyfique & le
moral , d'étudier les loix & la conftitution
de chaque pays , de vifiter les fçavans , les
écrivains , les artiftes célebres , de chercher
fur- tout ces hommes rares & finguliers
dont le commerce fupplée quelquefois à
plufieurs années d'obfervations & de féNOVEMBRE.
1755. 91
jour. M. de Montefquieu eût pu dire comme
Démocrite. Je n'ai rien oublié pour
» m'inftruire ; j'ai quitté mon pays , & parcouru
l'univers pour mieux connoître
» la vérité : j'ai vu tous les perfonnages
» illuftres de mon tems ; mais il y eût
cette différence entre le Démocrite François
& celui d'Abdere , que le premier
voyageoit pour inftruire les hommes , &
le fecond pour s'en moquer,
Il alla d'abord à Vienne , où il vit fouvent
le célebre Prince Eugene ; ce Héros
fi funefte à la France ( à laquelle il auroit
pû être fi utile ) , après avoir balancé la
fortune de Louis XIV. & humilié la fierté
Ottomane , vivoit fans fafte durant la paix,
aimant & cultivant les Lettres dans une
Cour où elles font peu en honneur , &
donnant à ſes maîtres l'exemple de les protéger.
M. de Montefquieu crut entrevoir
dans fes difcours quelques reftes d'intérêt
pour fon ancienne patrie ; le Prince Eugene
en laiffoit voir furtout , autant que le
peut faire un ennemi , für les fuites funeftes
de cette divifion inteftine qui trouble
depuis fi longtems l'Eglife de France :
l'Homme d'Etat en prévoyoit la durée &
les effets , & les prédit au Philofophe.
M. de Montefquieu partit de Vienne
pour voir la Hongrie , contrée opulente &
92 MERCURE DE FRANCE.
fertile, habitée par une nation fiere & généreufe
, le fléau de fes Tyrans & l'appui de
fes Souverains. Comme peu de perfonnes
connoiffent bien ce pays , il a écrit avec
foin cette partie de fes voyages.
D'Allemagne , il paffa en Italie ; il vit à
Venife le fameux Law , à qui il ne reftoit
de fa grandeur paffée que des projets heureufement
deftinés à mourir dans fa tête ,
& un diamant qu'il engageoit pour jouer
aux jeux de hafard . Un jour la converfation
rouloit fur le fameux fyftème que Law
avoit inventé ; époque de tant de malheurs
& de fortunes , & furtout d'une dépravation
remarquable dans nos moeurs . Comme
le Parlement de Paris , dépofitaire immédiat
des Loix dans les tems de minorité ,
avoit fait éprouver au Miniftre Ecoffois
quelque réfiftance dans cette occafion
M. de Montefquieu lui demanda pourquoi
on n'avoit pas effayé de vaincre cette réfiftance
par un moyen prefque toujours infaillible
en Angleterre , par le grand mobile
des actions des hommes , en un mot
par l'argent : Ce ne font pas , répondit Law,
desgénies auffi ardens & auf dangereux que
mes compatriotes , mais ils font beaucoup plus
incorruptibles. Nous ajouterons fans aucun
préjugé de vanité nationale , qu'un Corps
libre pour quelques inftans , doit mieux
NOVEMBRE. 1755. 93
résister à la corruption que celui qui l'eft
toujours ; le premier , en vendant fa liberté,
la perd ; le fecond ne fait , pour ainfi
dire , que la prêter , & l'exerce même en
l'engageant ; ainfi les circonftances & la
nature du Gouvernement font les vices &
les vertus des Nations.
Un autre perfonnage non moins fameux
que M. de Montefquieu vit encore plus .
fouvent à Venife , fut le Comte de Bonneval
. Cet homme fi connu par fes aventures
, qui n'étoient pas encore à leur terme,
& flatté de converfer avec un juge digne
de l'entendre , lui faifoit avec plaifir le détail
fingulier de fa vie , le récit des actions.
militaires où il s'étoit trouvé , le portrait
des Généraux & des Miniftres qu'il avoit
connus . M. de Montefquieu fe rappelloit,
fouvent ces converfations & en racontoit
différens traits à fes amis.
Il alla de Venife à Rome : dans cette ancienne
Capitale du monde , qui l'eft encore
à certains égards , il s'appliqua furtour
à examiner ce qui la diftingue aujourd'hui
le plus , les ouvrages des Raphaëls ,
des Titiens , & des Michel- Anges : il n'avoit
point fait une étude particuliere des
beaux arts ; mais l'expreffion dont brillent
les chef-d'oeuvres en ce genre , faifit infailliblement
tout homme de génie . Accoutu94
MERCURE DE FRANCE.
mé à étudier la nature , il la reconnoît
quand elle eft imitée , comme un portrait
reffemblant frappe tous ceux à qui l'original
eft familier : malheur aux productions
de l'art dont toute la beauté n'eſt que
pour les Artiſtes.
Après avoir parcouru l'Italie , M. de
Montefquieu vint en Suiffe ; il examina
foigneufement les vaſtes pays arrofés par
le Rhin ; & il ne lui refta plus rien à voir
en Allemagne ; car Frédéric ne regnoit pas
encore. Il s'arrêta enfuite quelque tems
dans les Provinces-Unies , monument admirable
de ce que peut l'induftrie humaine
animée par l'amour de la liberté. Enfin il
fe rendit en Angleterre où il demeura deux
ans : digne de voir & d'entretenir les plus
grands hommes , il n'eut à regretter que
de n'avoir pas fait plutôt ce voyage : Locke
& Newton étoient morts. Mais il eut fouvent
l'honneur de faire fa cour à leur protectrice
, la célebre Reine d'Angleterre ,
qui cultivoit la Philofophie fur le thrône ,
& qui goûta , comme elle devoit , M. de
Montefquieu. Il ne fut pas moins accueilli
par la Nation , qui n'avoit pas befoin fur
cela de prendre le ton de fes maîtres . Il
forma à Londres des liaifons intimes avec
des hommes exercés à méditer , & à ſe préparer
aux grandes chofes par des études
NOVEMBRE. 1755. 95
profondes ; il s'inftruifit avec eux de la nature
du Gouvernement , & parvint à le
bien connoître. Nous parlons ici d'après
les témoignages publics que lui en ont rendu
les Anglois eux-mêmes , fi jaloux de
nos avantages , & fi peu difpofés à reconnoître
en nous aucune fupériorité.
Comme il n'avoit rien examiné ni avec
la prévention d'un enthouſiaſte , ni avec
l'austérité d'un Cynique , il n'avoit rapporté
de les voyages ni un dédain outrageant
pour les étrangers , ni un mépris
encore plus déplacé pour fon propre pays.
Il réfultoit de fes obfervations que l'Allemagne
étoit faite pour y voyager , l'Italie
pour y féjourner , l'Angleterre pour y penfer
, & la France pour y vivre.
De retour enfin dans fa Patrie , M de
Montefquieu fe retira pendant deux ans à
fa terre de la Brede : il y jouit en paix de
cette folitude que le fpectacle & le tumulte
du monde fert à rendre plus agréable ;
il vécut avec lui-même , après en être forti
fi long-tems ; & ce qui nous intéreſſe le
plus , il mit la derniere main à fon ouvrage
fur la caufe de la grandeur & de la déca
dence des Romains , qui parut en 1734.
Les Empires , ainfi que les hommes
doivent croître , dépérir & s'éteindre ; mais
cette révolution néceffaire a fouvent des
96 MERCURE DE FRANCE.
caufes cachées que la nuit des tems nous
dérobe , & que le myftere où leur petiteffe
apparente a même quelquefois voilées aux
yeux des contemporains ; rien ne reſſemble
plus fur ce point à l'Hiftoire moderne
que l'Hiftoire ancienne. Celle des Romains
mérite néanmoins à cet égard quelque exception
; elle préfente une politique raifonnée
, un fyftème fuivi d'aggrandiffement
, qui ne permet pas d'attribuer la
fortune de ce peuple à des refforts obfcurs
& fubalternes. Les caufes de la grandeur
Romaine fe trouvent donc dans l'Hiftoire ,
& c'eft au Philofophe à les y découvrir.
D'ailleurs il n'en eft pas des fyftêmes dans
cette étude comme dans celle de la Phyfique
; ceux-ci font prefque toujours précipités
, parce qu'une obfervation nouvelle
& imprévue peut les renverfer en un inftant
; au contraire , quand on recueille
avec foin les faits que nous tranfmet l'Hif
toire ancienne d'un pays , fi on ne raffemble
pas toujours tous les matériaux qu'on
peut défirer , on ne fçauroit du moins ef
pérer d'en avoir un jour davantage . L'étude
réfléchie de l'Hiftoire , étude fi importante
& fi difficile , confifte à combiner
de la maniere la plus parfaite , ces matériaux
défectueux : tel feroit le métire d'un
Architecte , qui , fur des ruines fçavantes ,
traceroit ,
NOVEMBRE. 1755 . 97
traceroit , de la maniere la plus vraiſemblable
, le plan d'un édifice antique , en
fuppléant , par le génie & par d'heureuſes
conjectures , à des reftes informes & tronqués.
C'eſt fous ce point de vue qu'il faut envifager
l'ouvrage de M. de Montefquieu :
il trouve les caufes de la grandeur des Romains
dans l'amour de la liberté , du travail
& de la patrie , qu'on leur infpiroit
dès l'enfance ; dans la févérité de la difcipline
militaire ; dans ces diffenfions intef
tines qui donnoient du reffort aux efprits ,
& qui ceffoient tout -à coup à la vue de
l'ennemi ; dans cette conftance après le
malheur qui ne défefpéroit jamais de la
république dans le principe où ils furent
toujours de ne faire jamais la paix qu'après
des victoires ; dans l'honneur du triomphe,
fujet d'émulation pour les Généraux ; dans
la protection qu'ils accordoient aux peuples
révoltés contre leurs Rois ; dans l'excellente
politique de laiffer aux vaincus leurs
Dieux & leurs coutumes ; dans celle de
n'avoir jamais deux puiffans ennemis fur
les bras , & de tout fouffrir de l'un juſqu'à
ce qu'ils euffent anéanti l'autre . Il trouve les
caufes de leur décadence dans l'agrandiffement
même de l'Etat , qui changea en
guerres civiles les tumultes populaires ;
E
98 MERCURE DE FRANCE.
dans les guerres éloignées qui forçant les
citoyens à une trop longue abfence , leur
faifoient perdre infenfiblement l'efprit républicain
; dans le droit de Bourgeoifie
accordé à tant de Nations , & qui ne fit
plus du peuple Romain qu'une espece de
monftre à plufieurs têtes ; dans la corrup
tion introduite par le luxe de l'Afie ; dans
les profcriptions de Sylla qui avilirent l'efprit
de la Nation , & la préparerent à l'eſclavage
; dans la néceflité où les Romains
fe trouverent de fouffrir des maîtres , lorfque
leur liberté leur fut devenue à charge ;
dans l'obligation où ils furent de changer
de maximes , en changeant de gouvernement
; dans cette fuite de monftres qui
régnerent , prefque fans interruption , depuis
Tibere jufqu'à Nerva , & depuis Commode
jufqu'à Conftantin ; enfin , dans la
tranflation & le partage de l'Empire , qui
périt d'abord en Occident par la puiffance
des Barbares , & qui après avoir langui plufieurs
ficcles en Orient fous des Empereurs
imbéciles ou féroces , s'anéantit infenfiblement
comme ces fleuves qui difparoiffent
dans des fables.
Un affez petit volume a fuffi à M. de
Montefquieu pour développer un tableau
fi intérellant & fi vafte. Comme l'Auteur
ne s'appefantit point fur les détails , & ne
NOVEMBRE. 1755. 92
faifit que les branches fécondes de fon
ſujet , il a ſçu renfermer en très - peu d'efpace
un grand nombre d'objets diftinctement
apperçus & rapidement préfentés fans
fatigue pour le Lecteur ; en laiffant beaucoup
voir , il laifle encore plus à penſer ,
& il auroit pu intituler fon Livre , Hiftoire
Romaine à l'ufage des Hommes d'Etat & des
Philofophes.
Quelque réputation que M. de Montefquieu
fe fût acquife par ce dernier ouvrage
& par ceux qui l'avoient précédé , il
n'avoit fait que fe frayer le chemin à une
plus grande entreprife , à celle qui doit
immortalifer fon nom & le rendre refpectable
aux fiecles futurs. Il en avoit dès
longtems formé le deffein , il en médita
pendant vingt ans l'exécution ; ou , pour
parler plus exactement , toute fa vie en
avoit été la méditation continuelle . D'abord
il s'étoit fait en quelque façon étranger
dans fon propre pays , afin de le mieux
connoître ; il avoit enfuite parcouru toute
l'Europe , & profondément étudié les différens
peuples qui l'habitent . L'Ifle fameufe
qui fe glorifie tant de fes loix , &
qui en profite fi mal , avoit été pour lui
dans ce long voyage , ce que l'ifle de Crete
fut autrefois pour Lycurgue , une école
où il avoit fçu s'inftruire fans tout approu-
E ij
100
MERCURE DE
FRANCE.
ver ; enfin , il avoit , fi on peut parler ainfi ,
interrogé & jugé les nations & les hommes
célebres qui
n'exiftent plus aujour
d'hui que dans les annales du monde. Ce
fut ainfi qu'il s'éleva par dégrés au plus
beau titre qu'un fage puiffe mériter , celui
de Légiflateur des Nations .
S'il étoit animé par
l'importance de la
matiere , il étoit effrayé en même tems par
fon
étendue il
l'abandonna , & y revint
:
à plufieurs repriſes ; il fentit plus d'une fois,
comme il l'avoue lui- même , tomber les
mains
paternelles .
Encouragé enfin
amis , il ramaffa toutes fes forces , & donfes
par
na l'Esprit des Loix.
Dans cet important ouvrage , M. de
Montefquieu , fans
s'appefantir , à l'exemple
de ceux qui l'ont précédé , fur des difcuffions
métaphyfiques relatives à l'hom
me fuppofé dans un état
d'abſtraction ,
fans fe borner , comme d'autres , à confidérer
certains peuples dans quelques relations
ou
circonftances
particulieres , envifage
les habitans de l'univers dans l'état réel
où ils font , & dans tous les rapports qu'ils
peuvent avoir entr'eux. La plupart des
autres Ecrivains en ce genre font prefque
toujours ou de fimples Moraliftes , ou de
fimples
Jurifconfultes , ou même quelquefois
de fimples
Théologiens;pour lui, l'hom
NOVEMBRE. 1755 . ΙΟΥ
perme
de tous les Pays & de toutes les Nations,
il s'occupe moins de ce que le devoir exige
de nous , que des moyens par lefquels on
peut nous obliger de le remplir , de la
fection métaphyfique des loix , que de celle
dont la nature humaine les rend fufceptibles
, des loix qu'on a faites que de celles
qu'on a dû faire , des loix d'un peuple particulier
que de celles de tous les peuples,
Ainfi en fe comparant lui -mêine à ceux
qui ont couru avant lui cette grande &
noble carriere , il a pu dire comme le Correge
, quand il eut vu les ouvrages de fes
rivaux , & moi auffi je fuis Peintre.
Rempli & pénétré de fon objet , l'Auteur
de l'Efprit des Loix y embraſſe un fi
grand nombre de matieres , & les traite
avec tant de brieveté & de profondeur ,
qu'une lecture affidue & méditée peut feule
faire fentir le mérite ce livre . Elle fervira
fur- tout , nous ofons le dire , à faire difparoître
le prétendu défaut de méthode
dont quelques lecteurs ont accufé M. de
Montefquieu ; avantage qu'ils n'auroient
pas dû le taxer légerement d'avoir négligé
dans une matiere philofophique & dans
un ouvrage de vingt années . Il faut diftinguer
le défordre réel de celui qui n'eft
qu'apparent. Le défordre eft réel , quand
l'analogie & la fuite des idées n'eft point
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
obfervée ; quand les conclufions font érigées
en principes , ou les précedent ; quand
le lecteur , après des détours fans nombre ,
fe retrouve au point d'où il eft parti . Le
defordre n'eft qu'apparent , quand l'Auteur
mettant à leur véritable place les idées dont
il fait ufage , laiffe à fuppléer aux lecteurs
les idées intermédiaires : & c'eſt ainfi que
M. de Montefquieu a cru pouvoir & devoir
en ufer dans un livre deſtiné à des
hommes qui penfent , dont le génie doit
fuppléer à des omiffions volontaires & raifonnées
.
L'ordre qui fe fait appercevoir dans les
grandes parties de l'Efprit des Loix , ne
regne pas moins dans les détails : nous
croyons que plus on approfondira l'ouvrage
, plus on en fera convaincu . Fidele à
fes divifions générales , l'Auteur rapporte
à chacune les objets qui lui appartiennent
exclufivement ; & à l'égard de ceux qui
par différentes branches appartiennent à
plufieurs divifions à la fois , il a placé fous
chaque divifion la branche qui lui appartient
en propre ; par- là on apperçoit ailément
& fans confufion , l'influence que
les différentes parties du fujet ont les unes
fur les autres , comme dans un arbre qu
fyftême bien entendu des connoiffances
humaines , on peut voir le rapport mutuel
NOVEMBRE. 1755. 103
des Sciences & des Arts. Cette comparaifon
d'ailleurs eft d'autant plus jufte , qu'il
en eft du plan qu'on peut fe faire dans
l'examen philofophique des Loix , comme
de l'ordre qu'on peut obferver dans un
arbre Encyclopédique des Sciences : il y
reftera toujours de l'arbitraire ; & tout ce
qu'on peut exiger de l'Auteur , c'eſt qu'il
fuive fans détour & fans écart le fyfteme
qu'il s'eft une fois formé.
Nous dirons de l'obfcurité qu'on peut
fe permetrre dans un tel ouvrage , la même
chofe que du défaut d'ordre ; ce qui feroit
obfcur pour les lecteurs vulgaires , ne l'eft
pas pour ceux que l'Auteur a eu en vue.
D'ailleurs l'obfcurité volontaire n'en eft
point une M. de Montefquieu ayant à
préfenter quelquefois des vérités impor
tantes , dont l'énoncé abfolu & direct auroit
pu
bleffer fans fruit , a eu la prudence
louable de les envelopper , & par cet innocent
artifice , les a voilées à ceux à qui
elles feroient nuifibles , fans qu'elles fuffent
perdues pour les fages.
Parmi les ouvrages qui lui ont fourni
des fecours , & quelquefois des vues pour
le fien , on voit qu'il a furtout profité des
deux hiftoriens qui ont penfé le plus ,
Tacite & Plutarque ; mais quoiqu'un Philofophe
qui a fait ces deux lectures , foit
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
difpenfé de beaucoup d'autres , il n'avoit
pas cru devoir en ce genre rien négliger ni
dédaigner de ce qui pouvoit être utile à
fon objet . La lecture que fuppofe l'Espric
des Loix , eft immenſe ; & l'ufage raiſonné
que l'Auteur a fait de cette multitude pro
digieufe de matériaux , paroîtra encore
plus furprenant , quand on fçaura qu'il
étoit prefqu'entierement privé de la vue ,
& obligé d'avoir recours à des yeux étrangers.
Cette vafte lecture contribue nonfeulement
à l'utilité , mais à l'agrément de
l'ouvrage fans déroger à la majefté de fon
fujet. M. de Montefquieu fçait en tempérer
l'austérité , & procurer aux lecteurs
des momens de repos , foit par des faits
finguliers & peu connus , foit par des allufions
délicates , foit par ces coups de pinceau
énergiques & brillans , qui peignent
d'un feul trait les peuples & les hommes .
Enfin , car nous ne voulons pas jouer ici
le rôle des Commentateurs d'Homere , il
y a fans doute des fautes dans l'efprit des
Loix , comme il y en a dans tout ouvrage
de génie , dont l'Auteur a le premier ofé
fe frayer des routes nouvelles. M. de Montefquieu
a été parmi nous , pour l'étude
des loix , ce que Defcartes a été pour la
Philofophie ; il éclaire fouvent , & fe trompe
quelquefois , & en fe trompant même ,
NOVEMBRE. 1755. 105
il inftruit ceux qui fçavent lire. La pouvelle
édition qu'on prépare , montrera par
les additions & corrections qu'il y a faites,
que s'il eft tombé de tems en tems , il a
fçu le reconnoître & fe relever ; par- là , il
acquerra du moins le droit à un nouvel
examen , dans les endroits où il n'aura pas
été de l'avis de fes cenfeurs ; peut- être
même ce qu'il aura jugé le plus digne de
correction , leur a - t-il abfolument échappé
, tant l'envie de nuire eft ordinairement
aveugle.
Mais ce qui eft à la portée de tout le
monde dans l'Eſprit des Loix , ce qui doit
rendre l'Auteur cher à toutes les Nations ,
ce qui ferviroit même à couvrir des fautes
plus grandes que les fiennes , c'eft l'efprit
de citoyen qui l'a dicté. L'amour du bien
public , le defir de voir les hommes heureux
s'y montrent de toutes parts ; & n'eûtil
que ce mérite fi rare & fi précieux , il
feroit digne par cet endroit feul , d'être
la lecture des peuples & des Rois . Nous
voyons déja , par une heureuſe expérience,
que les fruits de cet ouvrage ne fe bornent
pas dans fes lecteurs à des fentimens ſtériles.
Quoique M. de Montefquieu ait peu
furvécu à la publication de l'Efprit des
Loix , il a eu la fatisfaction d'entrevoir
les effets qu'il commence à produire parmi
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
nous ; l'amour naturel des François pour
leur patrie , tourné vers fon véritable objet
; ce goût pour le Commerce , pour l'Agriculture
, & pour les Arts utiles , qui
fe répand infenfiblement dans notre Nation
; cette lumiere générale fur les principes
du gouvernement , qui rend les peuples
plus attachés à ce qu'ils doivent aimer .
Ceux qui ont fi indécemment attaqué cet
ouvrage , lui doivent peut-être plus qu'ils
ne s'imaginent l'ingratitude , au refte ,
eft le moindre reproche qu'on ait à leur
faire. Ce n'eft pas fans regret , & fans
honte pour notre fiecle , que nous allons
les dévoiler ; mais cette hiftoire importe
trop à la gloire de M. de Montefquieu , &
à l'avantage de la Philofophie , pour être
paffée fous filence. Puiffe l'opprobre qui
couvre enfin fes ennemis , leur devenir
falutaire !
A peine l'Efprit des Loix parut- il , qu'il
fut recherché avec empreffement , fur la
réputation de l'Auteur ; mais quoique
M. de Montesquieu eût écrit pour le bien
du peuple , il ne devoit pas avoir le peuple
pour juge ; la profondeur de l'objet
étoit une fuite de fon importance même.
Cependant les traits qui étoient répandus
dans l'ouvrage , & qui auroient été déplacés
s'ils n'étoient pas nés du fond du fuNOVEMBRE.
1755. 107
jet , perfuaderent à trop de perfonnes qu'il
étoit écrit pour elles : on cherchoit un
Livre agréable , & on ne trouvoit qu'un
Livre utile , dont on ne pouvoit d'ailleurs
fans quelque attention faifir l'enſemble &
les détails. On traita légerement l'Esprit
des Loix ; le titre même fut un fujet de
plaifanterie enfin l'un des plus beaux
monumens littéraires qui foient fortis de
notre Nation, fut regardé d'abord par elle
avec affez d'indifférence. Il fallut que les
véritables juges euffent eu le tems de lire :
bientôt ils ramenerent la multitude toujours
prompte à changer d'avis ; la partie
du Public qui enfeigne , dicta à la partie
qui écoute ce qu'elle devoit penfer & dire ;
& le fuffrage des hommes éclairés , joint
aux échos qui le répéterent , ne forma plus
qu'une voix dans toute l'Europe.
Ce fut alors que les ennemis publics &
fecrets des Lettres & de la Philofophie ( car
elles en ont de ces deux efpeces ) réunirent
leurs traits contre l'ouvrage. De-là cette
foule de brochures qui lui furent lancées
de toutes parts , & que nous ne tirerons
pas de l'oubli où elles font déja plongées.
Sisleurs auteurs n'avoient pas pris de bonnes
mefures pour être inconnus à la poftérité
, elle croiroit que l'Efprit des Loix a
été écrit au milieu d'un peuple de barbares.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
M. de Montefquieu méprifa fans peine
les Critiques ténébreufes de ces auteurs
fans talent , qui foit par une jaloufie qu'ils
n'ont pas droit d'avoir , foit pour fatisfaire
la malignité du Public qui aime la fatyre
& la méprife , outragent ce qu'ils ne peuvent
atteindre ; & plus odieux par le mal
qu'ils veulent faire , que
redoutables par
celui qu'ils font , ne réuffiffent pas même
dans un genre d'écrire que fa facilité &
fon objet rendent également vil. Il mettoit
les ouvrages de cette efpece fur la
même ligne que ces Nouvelles hebdomadaires
de l'Europe , dont les éloges font
fans autorité & les traits fans effet , que
des Lecteurs oififs parcourent fans y ajouter
foi , & dans lefquelles les Souverains.
font infultés fans le fçavoir , ou fans daigner
fe venger. IIll nnee ffuutt pas auffi indifférent
fur les principes d'irréligion qu'on
l'accufa d'avoir femé dans l'Eſprit des Loix .
En méprifant de pareils reproches , il auroit
cru les mériter , & l'importance de
l'objet lui ferma les yeux fur la valeur de
fes adverfaires. Ces hommes également
dépourvus de zele & également empreffés
d'en faire paroître , également effrayés de
la lumiere que les Lettres répandent , non
au préjudice de la Religion , mais à leur
défavantage , avoient pris différentes forNOVEMBRE.
1755. 109
mes pour lui porter atteinte. Les uns , par
unftratagême auffi puérile que pufillanime,
s'étoient écrit à eux- mêmes ; les autres ,
après l'avoir déchiré fous le mafque de
P'Anonyme , s'étoient enfuite déchirés entr'eux
à fon occafion . M. de Montesquieu,
quoique jaloux de les confondre , ne jugea
pas à propos de perdre un tems précieux à
les combattre les uns après les autres : il fe
contenta de faire un exemple fut celui qui
s'étoit le plus fignalé par fes excès.
par
C'étoit l'auteur d'une feuille anonyme
& périodique , qui croit avoir fuccédé à
Pafcal , parce qu'il a fuccédé à fes opinions;
panégyrifte d'ouvrages que perfonne ne
lit , & apologiſte de miracles que l'autorité
féculiere a fait ceffer dès qu'elle l'a
voulu ; qui appelle impiété & fcandale le
peu
d'intérêt que les gens de Lettres prennent
à fes querelles , & s'eft aliéné ,
une adreffe digne de lui , la partie de la
Nation qu'il avoit le plus d'intérêt de ménager.
Les coups de ce redoutable athlete
furent dignes des vues qui l'infpirerent ; il
accufa M. de Montefquieu & de Spinoffme
& de Déifine ( deux imputations incompatibles
) ; d'avoir fuivi le ſyſtème de
Pope ( dont il n'y avoit pas un mot dans
l'ouvrage ) ; d'avoir cité Plutarque qui n'eft
pas un Auteur Chrétiens de n'avoir point
110 MERCURE DE FRANCE.
parlé du péché originel & de la Grace , Il
prétendit enfin que l'Efprit des Loix étoit
une production de la Conftitution Unigenitus;
idée qu'on nous foupçonnera peut-être
de prêter par dérifion au critique. Ceux
qui ont connu M. de Montefquieu , l'ouvrage
de Clément XI & le fien , peuvent
juger par cette accufation de toutes les
autres.
Le malheur de cet écrivain dut bien le
décourager : il vouloit perdre un fage par
l'endroit le plus fenfible à tout citoyen , il
ne fit que lui procurer une nouvelle gloire
comme homme de Lettres ; la Défense de
l'Esprit des Loix parut. Cet ouvrage , par
la modération , la vérité , la fineffe de
plaifanterie qui y regnent , doit être regardé
comme un modele en ce genre. M.
de Montefquieu , chargé par fon adverfaire
d'imputations atroces , pouvoit le
rendrejodieux fans peine ; il fit mieux , il
le rendit ridicule . S'il faut tenir compte à
l'agreffeur d'un bien qu'il a fait fans le
vouloir , nous lui devons une éternelle
reconnoiffance de nous avoir procuré ce
chef-d'oeuvre : Mais ce qui ajoute encore
au mérite de ce morceau précieux , c'eſt
que l'auteur s'y eft peint lui- même fans y
penfer ; ceux qui l'ont connu , croyent
Î'entendre , & la poſtérité s'affurera , en
NOVEMBRE. 1755 111
lifant fa Défenfe , que fa converfation n'étoit
pas inférieure à fes écrits ; éloge que
bien peu de grands hommes ont mérité.
Une autre circonftance lui affure pleinement
l'avantage dans cette difpute : le
critique qui , pour preuve de fon attachement
à la religion , en déchire les Miniftres
, accufoit hautement le Clergé de
France , & fur-tout la Faculté de Théolo
gie , d'indifférence pour la caufe de Dieu ,
en ce qu'ils ne profcrivoient pas authentiquement
un fi pernicieux ouvrage . La Faculté
étoit en droit de méprifer le repro
che d'un écrivain fans aveu ; mais il s'agif
foit de la religion ; une délicateffe louable
lui a fait prendre le parti d'examiner l'Ef
prit des Loix. Quoiqu'elle s'en occupe depuis
plufieurs années , elle n'a rien prononcé
jufqu'ici ; & fût- il échappé à M. de
Montefquieu quelques inadvertences lé--
geres , prefque inevitables dans une carriere
fi vafte , l'attention longue & fcrupuleufe
qu'elles auroient demandée de la
part du Corps le plus éclairé de l'Eglife ,
prouveroit au moins combien elles feroient
excufables. Mais ce Corps , plein de prudence
, ne précipitera rien dans une fi
importante matiere : il connoit les bornes
de la raifon & de la foi ; il fçait que l'ouvrage
d'un homme de lettres ne doit point
112 MERCURE DE FRANCE.
être examiné comme celui d'un Théologien
que les mauvaifes conféquences
auxquelles une propofition peut donner
lieu par des interprétations odieufes , ne
rendent point blamable la propofition en
elle -même ; que d'ailleurs nous vivons
dans un fiécle malheureux , où les intérêts
de la religion ont befoin d'être ménagés ,
& qu'on peut lui nuire auprès des fimples,
en répandant mal - à - propos fur des genies
du premier ordre le foupçon d'incrédulité;
qu'enfin , malgré cette accufation injuſte ,
M. de Montefquien fut toujours eſtimé ,
recherché & accueilli par tout ce que l'Eglife
a de plus refpectable & de plus grand ;
eût-il confervé auprès des gens de bien la
confidération dont il jouiffoit , s'ils l'euffent
regardé comme un écrivain dangéreux
?
Pendant que des infectes le tourmentoient
dans fon propre pays , l'Angleterre
élevoit un monument à fa gloire. En 1752 ,
M. Daffier , célebre par les médailles qu'il
a frappées à l'honneur de plufieurs hommes
illuftres , vint de Londres à Paris pour
frapper la fienne. M. de la Tour , cet attifte
fi fupérieur par fon talent , & fi eftimable
par fon defintéreffement & l'élévation
de fon ame , avoit ardemment defiré
de donner un nouveau luftre à fon pinNOVEMBRE.
1755. 113
ceau , en tranfmettant à la poftérité le
portrait de l'auteur de l'Efprit des Loix ;
il ne vouloit que la fatisfaction de le peindre
, & il méritoit , comme Apelle , que
cet honneur lui fût réfervé ; mais M. de
Montefquieu , d'autant plus avare du tems
de M. de la Tour que celui - ci en étoit plus
prodigue , fe refufa conftamment & poliment
à fes preffantes follicitations. M. Daf
fier effuya d'abord des difficultés femblables
: Croyez-vous , dit-il enfin à M. de
Montefquieu , » qu'il n'y ait pas autant
d'orgueil à refufer ma propofition qu'à
» l'accepter » ? Defarmé par cette plaifanterie
, il laiffa faire à M. Daflier tout ce
qu'il voulut.
»
L'auteur de l'Esprit des Loix jouiffoit
enfin paisiblement de fa gloire , lorfqu'il
tomba malade au commencement de Février.
Sa fanté , naturellement délicate ,
commençoit à s'altérer depuis long- tems
par l'effet lent & prefque infaillible des
études profondes , par les chagrins qu'on
avoit cherché à lui fufciter fur fon ouvra- ge ; enfin
par le genre
de vie qu'on
le forçoit
de mener
à Paris
, & qu'il
fentoit
lui
être
funefte
. Mais
l'empreffement
avec
le-`
quel
on recherchoit
fa focieté
, étoit
trop
vif pour
n'être
pas
quelquefois
indifcret
on vouloit
, fans
s'en
appercevoir
, jouir
114 MERCURE DE FRANCE.
de lui aux dépens de lui -même. A peine la
nouvelle du danger où il étoit fe fût- elle
répandue , qu'elle devint l'objet des converfations
& de l'inquiétude publique ; fa
maifon ne défempliffoit point de perfonnes
de tout rang qui venoient s'informer
de fon état , les unes par un intérêt véritable
, les autres pour s'en donner l'apparence
, ou pour fuivre la foule. Sa Majefté ,
pénétrée de la ppeerrttee qquuee fon royaume alloit
faire , en demanda plufieurs fois des
nouvelles ; témoignage de bonté & de juftice
qui n'honore pas moins le Monarque
que le fujet. La fin de M. de Montefquieu
ne fut point indigne de fa vie. Accablé de
douleurs cruelles , éloigné d'une famille
à qui il étoit cher , & qui n'a pas eu la
confolation de lui fermer les yeux , entouré
de quelque amis & d'un plus grand
nombre de fpectateurs , il conferva jufqu'au
dernier moment la paix & l'égalité
de fon ame. Enfin , après avoir fatisfait
avec décence à tous fes devoirs , plein de
confiance en l'Etre éternel auquel il alloit.
fe rejoindre , il mourut avec la tranquillité
d'un homme de bien , qui n'avoit jamais
confacré fes talens qu'à l'avantage.
de la vertu & de l'humanité. La France &
l'Europe le perdirent le 10 Février 1755 ,
à l'âge de foixante- fix ans révolus.
NOVEMBRE 1755. 115
Toutes les nouvelles publiques ont annoncé
cet événement comme une calamité.
On pourroit appliquer à M. de Montefquieu
ce qui a été dit autrefois d'un
illuftre Romain ; que perfonne en apprenant
fa mort n'en témoigna de joie , que
perfonne même ne l'oublia dès qu'il ne fut
plus. Les étrangers s'emprefferent de faire
éclater leurs regrets ; & Milord Chefterfield
, qu'il fuffit de nommer , fit imprimer
dans un des papiers publics de Londres
un article à fon honneur , article digne
de l'un & de l'autre ; c'eft le portrait
d'Anaxagore tracé par Périclès . L'Académie
royale des Sciences & des Belles -Lettres
de Pruffe , quoiqu'on n'y foit point
dans l'ufage de prononcer l'éloge des affociés
étrangers , a cru devoir lui faire cet
honneur , qu'elle n'a fait encore qu'à l'illuftre
Jean Bernouilli ; M. de Maupertuis,
tout malade qu'il étoit , a rendu lui-même
à fon ami ce dernier devoir , & n'a voulu
fe repofer fur perfonne d'un foin fi cher &
fi trifte. A tant de fuffrages éclatans en faveur
de M. de Montefquieu , nous croyons
pouvoir joindre fans indifcrétion les éloges
que lui a donné , en préfence de l'un
de nous , le Monarque même auquel cette.
Académie célebre doit fon luftre , Prince
fait pour fentir les pertes de la Philofa116
MERCURE DE FRANCE.
phie , & pour l'en confoler.
Le 17 Février , l'Académie Françoiſe
lui fit , felon l'ufage , un fervice folemnel
, auquel , malgré la rigueur de la faifon
, prefque tous les gens de Lettres de
ce Corps , qui n'étoient point abfens de
Paris , fe firent un devoir d'affifter. On
auroit dû dans cette trifte cérémonie placer
l'Esprit des Loix fur fon cercueil , comme
on expofa autrefois vis - à-vis le cercueil
de Raphaël fon dernier tableau de la
Transfiguration . Cet appareil fimple &
touchant eût été une belle oraifon funébre.
Jufqu'ici nous n'avons confidéré M. de
Montefquieu que comme écrivain & philofophe
; ce feroit lui dérober la moitié
de fa gloire que de paffer fous filence fes
agrémens & fes qualités perfonnelles.
Il étoit dans le commerce d'une douceur
& d'une gaieté toujours égale . Sa
converfation étoit légere , agréable , &
instructive par le grand nombre d'hommes
& de peuples qu'il avoit connus. Elle étoit
coupée comme fon ftyle , pleine de fel &
de faillies , fans amertunie & fans fatyre
; perfonne ne racontoit plus vivement ,
plus promptement , avec plus de grace &
moins d'apprêt. Il fçavoit que la fin d'une
hiftoire plaifante en eft toujours le but ;-
NOVEMBRE. 1755. 117
il fe hâtoit donc d'y arriver , & produifoit
l'effet fans l'avoir promis.
Ses fréquentes diftractions ne le rendoient
que plus aimable ; il en fortoit
toujours par quelque trait inattendu qui
réveilloit la converfation languiffante ;
d'ailleurs elles n'étoient jamais , ni jouées,
ni choquantes , ni importunes : le feu de
fon efprit , le grand nombre d'idées dont
il étoit plein , les faifoient naître , mais il
n'y tomboit jamais au milieu d'un entretien
intéreffant ou férieux ; le defir de
plaire à ceux avec qui il fe trouvoit , le
rendoit alors à eux fans affectation & fans
effort.
Les agrémens de fon commerce tenoient
non feulement à fon caractere & à
fon efprit , mais à l'efpece de régime qu'il
obfervoit dans l'étude. Quoique capable
d'une méditation profonde & long- tems
foutenue , il n'épuifoit jamais fes forces , il
quitroit toujours le travail avant que d'en
reffentir la moindre impreffion de fatigue.
Il étoit fenfible à la gloire , mais il ne
vouloit y parvenir qu'en la méritant ; jamais
il n'a cherché à augmenter la fienne
par ces manoeuvres fourdes , par ces voyes
obfcures & honteufes, qui deshonorent la
perfonne fans ajouter au nom de l'auteur .
Digne de toutes les diftinctions & de
IIS MERCURE DE FRANCE.
toutes les récompenfes , il ne demandoit
rien , & ne s'étonnoit point d'être oublié ;
mais il a ofé , même dans des circonftances
délicates, protéger à la Cour des hommes
de Lettres perfécutés , célebres &
malheureux , & leur a obtenu des graces.
Quoiqu'il vecût avec les grands , foit
par néceffité , foit par convenance , foit
par gout , leur fociété n'étoit pas néceffaire
à fon bonheur. Il fuyoit dès qu'il le
pouvoit à fa terre ; il y retrouvoit avec
joie fa philofophie , fes livres & le repos.
Entouré de gens de la campagne dans fes
heures de loifir , après avoir étudié l'homme
dans le commerce du monde & dans
l'hiftoire des nations , il l'étudioit encore
dans ces ames fimples que la nature feule
a inftruites , & il y trouvoit à apprendre ;
il converfoit gayement avec eux ; il leur
cherchoit de l'efprit comme Socrate ; il
paroiffoit fe plaire autant dans leur entretien
que dans les fociétés les plus brillantes
, furtout quand il terminoit leurs différends
, & foulageoit leurs peines par fes
bienfaits.
Rien n'honore plus fa mémoire que
l'économie avec laquelle il vivoit , &
qu'on a ofé trouver exceffive dans un
monde avare & faftueux , peu fait pour
en pénétrer les motifs , & encore moins
NOVEMBRE. 1755. 119
pour les fentir. Bienfaifant , & par conféqnent
jufte, M. de Montesquieu ne vouloit
rien prendre fur fa famille , ni des
fecours qu'il donnoit aux malheureux ,
ni des dépenfes confidérables auxquels fes
longs voyages , la foibleffe de fa vue &
l'impreffion de fes ouvrages l'avoient
obligé . Il a tranfmis à fes enfans , fans
diminution ni augmentation , l'héritage
qu'il avoit reçu de fes peres ; il n'y a rien
ajouté que la gloire de fon nom & l'exemple
de fa vie.
Il avoit époufé en 1715 Demoifelle
Jeanne de Lartigue, fille de Pierre de Lartigue
, Lieutenant Colonel au Régiment
de Maulévrier ; il en a eu deux filles &
un fils , qui par fon caractere , fes moeurs
& fes ouvrages s'eft montré digne d'un
tel pere.
Ĉeux qui aiment la vérité & la patrie,
ne feront pas fâchés de trouver ici quelques
unes de fes maximes : il penfoit ,
Que chaque portion de l'Etat doit être
également foumife aux loix , mais que
les privileges de chaque portion de l'Etat
doivent être respectés , lorfque leurs effets
n'ont rien de contraire au droit naturel
, qui oblige tous les citoyens à concourir
également au bien public ; que la
poffellion ancienne étoit en ce genre le
120 MERCURE DE FRANCE.
premier des titres & le plus inviolable des
droits , qu'il étoit toujours injufte & quel
quefois dangereux de vouloir ébranler ;
Que les Magiftrats , dans quelque circonftance
& pour quelque grand intérêt
de corps que ce puiffe être , ne doivent
jamais être que Magiftrats , fans parti &
fans paffion , comme les Loix , qui abſolvent
& puniffent fans aimer ni hair.
Il difoit enfin à l'occafion des difputes
eccléfiaftiques qui ont tant occupé les Empereurs
& les Chrétiens Grecs , que les
querelles théologiques, lorfqu'elles ceffent
d'être renfermées dans les écoles , deshonorent
infailliblement une nation aux
yeux des autres en effet , le mépris même
des fages pour ces querelles ne la juftifie
pas , parce que les fages faifant partout
le moins de bruit & le plus petit
nombre , ce n'est jamais fur eux qu'une
nation eft jugée .
L'importance des ouvrages dont nous
avons eu à parler dans cet éloge , nous
en a fait paffer fous filence de moins confidérables
, qui fervoient à l'auteur comme
de délaffement , & qui auroient fuffi
l'éloge d'un autre ; le plus remarquable
eft le Temple de Gnide , qui fuivit d'affez
près les Lettres Perfannes. M. de Montefquieu
, après avoir été dans celle- ci Hopour
race ,
NOVEMBRE . 1755. 121
race , Théophrafte & Lucien , fut Ovide
& Anacréon dans ce nouvel effai : ce n'eſt
plus l'amour defpotique de l'Orient qu'il
fe propofe de peindre , c'eft la délicateffe
& la naïveté de l'amour paftoral , tel qu'il
eſt dans une ame neuve, que le commerce
des hommes n'a point encore corrompue.
L'Auteur craignant peut - être qu'un tableau
fi étrangerà nos moeurs ne parût
trop languiffant & trop uniforme , a cherché
à l'animer par les peintures les plus
riantes ; il tranfporte le lecteur dans des
lieux enchantés , dont à la vérité le fpectacle
intéreffe peu l'amant heureux , mais
dont la defcription flatte encore l'imagination
quand les defirs font fatisfaits . Emporté
par fon fujet , il a répandu dans ſa
profe ce ftyle animé , figuré & poétique ,
dont le roman de Thélemaque a fourni
parmi nous le premier modele. Nous ignorons
pourquoi quelques cenfeurs du temple
de Gnide ont dit à cette occaſion , qu'il
auroit eu befoin d'être en vers. Le ſtyle
poétique , fi on entend , comme on le
doit , par ce mot , un ftyle plein de chaleur
& d'images , n'a pas befoin , pour être
agréable , de la marche uniforme & cadencée
de la verfification ; mais fi on ne
fait confifter ce ftyle que dans une diction
chargée d'épithetes oifives , dans les pein
F
122 MERCURE DE FRANCE.
tures froides & triviales des aîles & du
carquois de l'amour , & de femblables
objets , la verfication n'ajoutera prefqu'aucun
mérite à ces ornemens ufés ; on
y cherchera toujours en vain l'ame & la
vie. Quoiqu'il en foit , le Temple de Gnide
étant une espece de poëme en profe
c'est à nos écrivains les plus célebres en ce
genre à fixer le rang qu'il doit occuper :
il merite de pareils juges ; nous croyons
du moins que les peintures de cet ouvrage
foutiendroient avec fuccès une des
principales épreuves des defcriptions poétiques
, celle de les repréfenter fur la toile.
Mais ce qu'on doit fur- tout remarquer
dans le Temple de Gnide , c'eft qu'Anacréon
même y est toujours obfervateur &
philofophe. Dans le quatrieme chant , il
paroît décrire les moeurs des Sibarites , &
on s'apperçoit aifément que ces moeurs
font les nôtres. La préface porte fur - tout
l'empreinte de l'auteur des Lettres Perfannes.
En préfentant le Temple de Gnide
comme la traduction d'un manufcrit grec ,
plaifanterie défigurée depuis par tant de
mauvais copiſtes , il en prend occafion de
peindre d'un trait de plume l'ineptie des
critiques & le pédantifme des traducteurs,
& finit par ces paroles dignes d'être rapportées
» Si les gens graves defiroient
NOVEMBRE. 1755. 123
33
de moi quelque ouvrage moins frivole ,
je fuis en état de les fatisfaire : il y a
» trente ans que je travaille à un livre de
» douze pages , qui doit contenir tout ce
que nous fçavons fur la Métaphyfique ,
» la Politique & la Morale , & tout ce
que de très grands auteurs ont oublié
» dans les volumes qu'ils ont publiés fur
» ces matieres » .
Nous regardons comme une des plus
honorables récompenfes de notre travail
l'intérêt particulier que M. de Monteſquieu
prenoit à ce dictionnaire , dont toutes
les reffources ont été jufqu'à préfent
dans le courage & l'émulation de fes auteurs
. Tous les gens de Lettres , felon lui,
devoient s'empreffer de concourir à l'exécution
de cette entrepriſe utile ; il en a
donné l'exemple avec M. de Voltaire , &
plufieurs autres écrivains célebres. Peutêtre
les traverfes que cet ouvrage a ef
fuyées , & qui lui rappelloient les fiennes
propres , l'intéreffoient-elles en notre faveur,
Peut-être étoit- il fenfible , fans s'en
appercevoir , à la juftice que nous avions
ofé lui rendre dans le premier volume de
l'Encyclopédie , lorfque perfonne n'ofoit
encore élever fa voix pour le défendre.
Il nous deftinoit un article fur le Goût, qui
a été trouvé imparfait dans fes papiers ;
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
nous le donnerons en cet état au public ,
& nous le traiterons avec le même refpect
que l'antiquité témoigna autrefois pour
les dernieres paroles de Séneque . La mort
l'a empêché d'étendre plus loin fes bienfaits
à notre égard ; & en joignant nos
propres regrets à ceux de l'Europe entiere ,
nous pourrions écrire fur fon tombeau :
Finis vita cjus nobis luctuofus , Patriæ
triftis , extraneis etiam ignotifque non fine
curâ fuit.
Tacit. in Agricol. c. 43 .
volume de l'Encyclopédie. Qui ſe diſtribue
depuis quelques jours chez Briaffon , David
l'aîné , le Breton , & Durand. Il doit être
d'autant plus intéreffant que M. de Voltaire
y a travaillé les mots , efprit , éloquence
, élégance. Qui pouvoit mieux en
parler ? Le morceau qui paroît à la tête du
même volume , acheve de le rendre précieux
. C'eſt l'éloge de M. de Montesquieu
par M. d'Alembert . On peut dire fans
fadeur que le Panégyrifte eft digne du
héros . Cet éloge nous a paru d'une fi grande
beauté , que nous croyons obliger le
Lecteur de l'inférer ici dans fon entier.
Quant à la note qui fe trouve à la page
huit , comme elle contient elle - feule une
excellente analyſe de l'Efprit des Loix ,
nous avons craint de prodiguer à la fois
tant de richeffes , & par une jufte économie,
nous l'avons réfervée pour en décorer
le premier Mercure de Décembre . Ceux
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
qui n'auront pas le Dictionnaire , feront
charmés de trouver cette piece complette
dans mon Journal , où ils pourront même
la lire plus commodément , puifqu'il eſt
portatif.
Eloge de M. le Préſident de Montefquien.
L'intérêt que les bons citoyens prennent
à l'Encyclopédie, & le grand nombre de
gens de Lettres qui lui confacrent leurs
travaux , femblent nous permettre de la
regarder comme un des monumens les
plus propres à être dépofitaires des fentimens
de la patrie , & des hommages
qu'elle doit aux hommes célebres qui l'ont
honorée . Perfuadés néanmoins que M.
de Montesquieu étoit en droit d'attendre
d'autres Panégyriftes que nous , & que la
douleur publique eût mérité des interpretes
plus éloquens , nous euflions renfermé
au- dedans de nous-mêmes nos juftes
regrets & notre refpect pour fa mémoire ;
mais l'aveu de ce que nous lui devons ,
nous eft trop précieux pour en laiffer le
foin à d'autres. Bienfaicteur de l'humanité
par fes écrits , il a daigné l'être auffi de
cet ouvrage , & notre reconnoiffance ne
veut que tracer quelques lignes au pied de
fa ftatue .
Charles de Secondat , Baron de la Brede
NOVEMBRE. 1755. 79
& de Montesquieu , ancien Préfident à
Mortier au Parlement de Bordeaux , de
l'Académie Françoife, de l'Académie royale
des Sciences & des Belles - Lettres de
Pruffe , & de la Société de Londres , naquit
au Château de la Brede , près de Bordeaux
, le 18 Janvier 1689 , d'une famille
noble de Guyenne. Son trifayeul , Jean de
Secondat , Maître d'Hôtel de Henri II ,
Roi de Navarre , & enfuite de Jeanne ,
fille de ce Roi , qui époufa Antoine de
Bourbon , acquit la terre de Montesquieu
d'une fomme de 10000 livres que cette
Princeffe lui donna par un acte authentique
, en récompenfe de fa probité & de
fes fervices. Henri III , Roi de Navarre ,
depuis Henri IV , Roi de France , érigea
en Baronie la terre de Montefquieu , en
faveur de Jacob de Secondat , fils de Jean ,
d'abord Gentilhomme ordinaire de la
Chambre de ce Prince , & enfuite Meftre
de camp du Régiment de Châtillon.
Jean Gafton de Secondat , fon fecond fils ,
ayant époufé la fille du Premier Préfident
du Parlement de Bordeaux , acquit dans
cette Compagnie une charge de Préfident
à Mortier. Il eut plufieurs enfans , dont
un entra dans le fervice , s'y diftingua ,
& le quitta de fort bonne heure. Ce fut
pere de Charles de Secondat , auteur Le
Div
So MERCURE DE FRANCE.
de l'Efprit des Loix . Ces détails paroîtront
peut- être déplacés à la tête de l'éloge
d'un philofophe dont le nom a fi peu
befoin d'ancêtres ; mais n'envions point
à leur mémoire l'éclat que ce nom répand
fur elle.
Les fuccès de l'enfance préfage quelquefois
fi trompeur , ne le furent point
dans Charles de Secondat : il annonça de
bonne heure ce qu'il devoit être ; & fon
pere donna tous fes foins à cultiver ce génie
naiffant , objet de fon efpérance &
de fa tendreſſe . Dès l'âge de vingt ans , le
jeune Montefquieu préparoit déja les matériaux
de l'Esprit des Loix , par un extrait
raifonné des immenfes volumes qui compofent
le corps du Droit civil ; ainfi autrefois
Newton avoit jetté dès fa premiere
jeuneffe les fondemens des ouvrages qui
l'ont rendu immortel . Cependant l'étude
de la Jurifprudence , quoique moins aride
pour M. de Montefquieu que pour la
plupart de ceux qui s'y livrent , parce qu'il
la cultivoit en philofophe , ne fuffifoit pas
à l'étendue & à l'activité de fon génie ; il
approfondiffoit dans le même temps des
matieres encore plus importantes & plus
délicates , & les difcutoit dans le filence
avec la fageffe , la décence , & l'équité
qu'il a depuis montrées dans fes ouvrages .
NOVEMBRE. 1755 . 81
Un oncle paternel , Préfident à Mortier
au Parlement de Bordeaux , Juge éclairé
& citoyen vertueux , l'oracle de fa compagnie
& de fa province , ayant perdu un
fils unique , & voulant conferver dans fon
Corps l'efprit d'élevation qu'il avoit tâché
d'y répandre , laiffa fes biens & fa charge
à M. de Montefquieu ; il étoit Confeiller
au Parlement de Bordeaux , depuis le 24
Février 1714 , & fut reçu Préſident à
Mortier le 13 Juillet 1716. Quelques années
après , en 1722 , pendant la minorité
du Roi , fa Compagnie le chargea de préfenter
des remontrances à l'occafion d'un
nouvel impôt. Placé entre le thrône & le
peuple , il remplit en fujet refpectueux &
en Magiftrat plein de courage , l'emploi fi
noble & fi peu envié , de faire parvenir
au Souverain le cri des malheureux ; & la
mifere publique repréfentée avec autant
d'habileté que de force , obtint la justice.
qu'elle demandoit . Ce fuccès , il eft vrai ,
par malheur l'Etat bien plus que pour
pour
lui , fut auffi paffager que s'il eût été injufte
; à peine la voix des peuples eût- elle
ceffé de le faire entendre , que l'impôt
fupprimé fut remplacé par un autre ; mais
le citoyen avoit fait fon devoir.
Il fut reçu le 3 Avril 1716 dans l'Académie
de Bordeaux , qui ne faifoit que de
Dy
82 MERCURE DE FRANCE.
naître . Le gout pour la Mufique & pour
les ouvrages de pur agrément , avoit d'abord
raflemblé les membres qui la for
moient. M. de Montefquieu crut avec raifon
que l'ardeur naiffante & les talens de
fes confieres pourroient s'exercer avec encore
plus d'avantage fur les objets de la
Phyfique. Il étoit perfuadé que la nature ,
digne d'être obfervée par -tout , trouvoit
aufli par tout des yeux dignes de la voir ;
qu'au contraire les ouvrages de goût ne
fouffrant point de médiocrité , & la Capitale
étant en ce genre le centre des lumieres
& des fecours , il étoit trop difficile de
rafferobler loin d'elle un affez grand nombre
d'écrivains diftingués ; il regardoit les
Sociétés de bel efprit , fi étrangement multipliées
dans nos provinces , comme une
efpece , ou plutôt comme une ombre de
luxe littéraire qui nuit à l'opulence réelle
fans même en offrir l'apparence . Heureufement
M. le Duc de la Force , par un prix
qu'il venoit de fonder à Bordeaux , avoit
fecondé des vues fi éclairées & fi juftes.
On jugea qu'une expérience bien faite
feront préférable à un difcours foible , ou
à un mauvais poëme ; & Bordeaux eut
une Académie des Sciences .
M. de Montefquieu nullement empreffé
de fe montrer au public , fembloit attenNOVEMBRE.
1755. 83
dre , felon l'expreffion d'un grand génie ,
un âge mur pour écrire ; ce ne fut qu'en
1721 , c'eft -à- dire âgé de trente - deux ans,
qu'il mit au jour les Lettres Perfannes. Le
Siamois des amufemens ferieux & comiques
pouvoit lui en avoir fourni l'idée ; mais
il furpaffa fon modele . La peinture des
moeurs orientales réelles ou fuppofées , de
l'orgueil & du flegme de l'amour aliatique
, n'eft que le moindre objet de ces
Lettres ; elle n'y fert , pour ainfi dire , que
de prétexte à une fatyre fine de nos moeurs,
& à des matieres importantes que l'Auteur
approfondit en paroiffant gliffer fur
elles. Dans cette efpèce de tableau mouvant
, Ufbek expofe fur-tout avec autant
de légereté que d'énergie ce qui a le plus
frappé parmi nous fes yeux pénétrans ;
notre habitude de traiter férieufement les
chofes les plus futiles , & de tourner les
plus importantes en plaifanterie ; nos converfations
fi bruyantes & fi frivoles ; notre
ennui dans le fein du plaifir même ;
nos préjugés & nos actions en contradiction
continuelle avec nos lumieres ; tant
d'amour pour la gloire joint à tant de
refpect pour l'idole de la faveur ; nos
Courtifans fi rampans & fi vains ; notre
politeffe extérieure & notre mépris réel
pour les étrangers , ou notre prédilection
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
affectée pour eux ; la bifarrerie de nos
gouts , qui n'a rien au- deffous d'elle que
l'empreffement de toute l'Europe à les
adopter ; notre dédain barbare pour deux
des plus refpectables occupations d'un citoyen
, le commerce & la magiftrature ;
nos difputes littéraires fi vives & fi inuti
les ; notre fureur d'écrire avant que de
penfer , & de juger avant que de connoître.
A cette peinture vive , mais fans
fiel , il oppofe dans l'apologue des Troglodites
, le tableau d'un peuple vertueux ,
devenu fage par le malheur , morceau
digne du Portique : ailleurs il montre la
philofophie long-tems étouffée , reparoiffant
tout-à- coup , regagnant par les progrès
le tems qu'elle a perdu , pénétrant
jufques chez les Ruffes à la voix d'un génie
qui l'appelle , tandis que chez d'autres
peuples de l'Europe , la fuperftition , femblable
à une atmoſphere épaiffe , empêche
la lumiere qui les environne de toutes
parts d'arriver jufqu'à eux. Enfin , par les
principes qu'il établit fur la nature des
gouvernemens anciens & modernes , il
préfente le germe de ces idées lumineufes
développées depuis par l'Auteur dans fon
grand ouvrage.
Ces différens fujets , privés aujourd'hui
des graces de la nouveauté qu'ils avoient
8
NOVEMBRE. 1755. 85
dans la naiffance des Lettres Perfannes , y
conferveront toujours le mérite du caractere
original qu'on a fçu leur donner ;
mérite d'autant plus réel , qu'il vient ici
du génie feul de l'écrivain , & non du
voile étranger dont il s'eft couvert ; car
Ufbek a pris durant fon féjour en France ,
non feulement une connoiffance fi parfaite
de nos moeurs , mais une fi forte teinture
de nos manieres mêmes , que fon
ftyle fait fouvent oublier fon pays . Ce
léger défaut de vraisemblance peut n'être
fans deffein & fans adreffe : en relevant
nos ridicules & nos vices , il a voulu
fans doute auffi rendre juftice à nos
avantages ; il a fenti toute la fadeur d'un
éloge direct & il s'en eft plus finement
acquitté , en prenant fi fouvent notre ton
pour médire plus agréablement de nous.
pas
Malgré le fuccès de cet ouvrage , M.
de Montefquieu ne s'en étoit point déclaré
ouvertement l'auteur. Peut - être
croyoit- il échapper plus aifément par ce
moyen à la fatyre littéraire , qui épargne
plus volontiers les écrits anonymes , parce
que c'est toujours la perfonne & non l'ouvrage
qui eft le but de fes traits ; peut- être
craignoit- il d'être attaqué fur le prétendu
contrafte des Lettres Perfannes avec l'auférité
de fa place ; efpece de reproche ,
86 MERCURE DE FRANCE.
difoit il , que les critiques ne manquent
jamais, parce qu'il ne demande aucun effort
d'efprit. Mais fon fecret étoit découvert ,
& déja le public le montroit à l'Académie
Françoife. L'événement fit voir combien
le filence de M. de Montefquieu avoit été
fage . Ufbek s'exprime quelquefois affez
librement , non fur le fonds du Chriftianiſme
, mais fur des matieres que trop de
perfonnes affectent de confondre avec le
Chriftianifme même , fur l'efprit de
perfécution
dont tant de Chrétiens ont été
animés ; fur les ufurpations temporelles
de la puiffance eccléfiaftique ; fur la multiplication
exceffive des monafteres , qui
enleve des fujets à l'Etat , fans donner à
Dieu des adorateurs ; fur quelques opinions
qu'on a vainement tenté d'ériger
en dogmes ; fur nos difputes de religion ,
toujours violentes , & fouvent funeftes.
S'il paroît toucher ailleurs à des questions
plus délicates , & qui intéreffent de plus
près la religion chrétienne , fes réflexions
appréciées avec juftice , font en effet trèsfavorables
à la révélation , puifqu'il fe
borne à montrer combien la raifon humaine
, abandonnée à elle-même , eft peu
éclairée fur ces objets. Enfin , parmi les
véritables lettres de M. de Montefquieu ,
l'Imprimeur étranger en avoit inféré quel
NOVEMBRE. 1755. 87
ques -unes d'une autre main , & il eût
fallu du moins , avant que de condamner
l'auteur , démêler ce qui lui appartenoit
en propre. Sans égard à ces confidérations
, d'un côté la haine fous le rom
de zéle , de l'autre le zéle fans difcernement
ou fans lumieres , fe fouleverent &
fe réunirent contre les Lettres Perfannes.
Des délateurs , efpece d'hommes dangereufe
& lâche , que même dans un gouvernement
fage on a quelquefois le malheur
d'écouter , allarmerent par un extrait
infidele la piété du miniftere. M. de Montefquieu
, par le confeil de fes amis , foutenu
de la voix publique , s'étant préſenté
pour la place de l'Académie Françoiſe vacante
par la mort de M. de Sacy , le Miniftre
écrivit à cette Compagnie qué S. M.
ne donneroit jamais fon agrément à l'auteur
des Lettres Perfannes ; qu'il n'avoit
point lu ce livre , mais que des perfonnes
en qui il avoit confiance , lui en avoient
fait connoître le poifon & le danger . M.
de Montefquieu fentit le coup qu'une pareille
accufation pouvoit porter à fa perfonne
, à la famille , à la tranquillité de
fa vie. Il n'attachoit pas affez de prix aux
honneurs littéraires , ni pour les rechercher
avec avidité , ni pour affecter de les
dédaigner quand ils fe préfentoient à lui ,
88 MERCURE DE FRANCE.
:
ni enfin pour en regarder la fimple privation
comme un malheur ; mais l'exclufion
perpétuelle , & fur - tout les motifs de
l'exclufion lui paroiffoient une injure. Il vit
le Miniftre , lui déclara que par des raifons
particulieres il n'avouoit point les
Lettres Perfannes , mais qu'il étoit encore
plus éloigné de defavouer un ouvrage
dont il croyoit n'avoir point à rougir , &
qu'il devoit être jugé d'après une lecture ,
& non fur une délation le Miniftre prit
enfin le parti par où il auroit dû commencer
; il lut le livre , aima l'Auteur , & apprit
à mieux placer fa confiance ; l'Académie
Françoife ne fut point privée d'un de
fes plus beaux ornemens , & la France eut
le bonheur de conferver un fujet que la fuperftition
ou la calomnie étoient prêtes à
lui faire perdre : car M. de Montefquieu
avoit déclaré au Gouvernement qu'après
l'efpece d'outrage qu'on alloit lui faire ,
il iroit chercher chez les étrangers qui lui
tendoient les bras , la fureté , le repos , &
peut-être les recompenfes qu'il auroit dû
efperer dans fon pays. La nation eût déploré
cette perte , & la honte en fut pourtant
retombée fur elle.
Feu M. le Maréchal d'Eftrées , alors Directeur
de l'Académie Françoife , fe conduifit
dans cette circonftance en courtiſan
NOVEMBRE . 1755 . 89
vertueux , & d'une ame vraiment élevée ;
il ne craignit ni d'abufer de fon crédit ni
de le compromettre ; il foutint fon ami &
juftifia Socrate. Ce trait de courage fi précieux
aux Lettres , fi digne d'avoir aujourd'hui
des imitateurs , & fi honorable à
la mémoire de M. le Maréchal d'Eftrées ,
n'auroit pas dû être oublié dans fon éloge.
M. de Montefquieu fut reçu le 24 Janvier
1728. Son difcours eft un des meilleurs
qu'on ait prononcés dans une pareille
occafion ; le mérite en eft d'autant
plus grand , que les Récipiendaires gênés
jufqu'alors par ces formules & ces éloges
d'ufage auxquels une efpece de prefcription
les affujettit , n'avoient encore ofé
franchir ce cercle pour traiter d'autres fujets
, ou n'avoient point penfé du moins à
les y renfermer ; dans cet état même de
contrainte il eut l'avantage de réuffir . Entre
plufieurs traits dont brille fon difcours ,
on reconnoîtroit l'écrivain qui penſe , au
feul portrait du Cardinal de Richelieu
qui apprit à la France le fecret de fes forces ,
& à l'Espagne celui de fa foibleffe , qui ôta
à l'Allemagne fes chaînes , & lui en donna
de nouvelles. Il faut admirer M. de Montefquieu
d'avoir fçu vaincre la difficulté
de fon fujet, & pardonner à ceux qui n'ont
pas eu le même fuccès .
›
90 MERCURE DE FRANCE.
Le nouvel Académicien étoit d'autant
plus digne de ce titre , qu'il avoit peu de
tems auparavant renoncé à tout autre travail
, pour fe livrer entierement à fon
génie & à fon goût . Quelque importante
que fût la place qu'il occupoit , avec quelques
lumieres & quelque intégrité qu'il
en eût rempli les devoirs , il fentoit qu'il
y avoit des objets plus dignes d'occuper
fes talens ; qu'un citoyen eft redevable à
fa nation & à l'humanité de tout le bien
qu'il peut leur faire ; & qu'il feroit plus
utile à l'une & à l'autre , en les éclairant
par fes écrits , qu'il ne pouvoit l'être en
difcutant quelques conteftations particulieres
dans l'obfcurité . Toutes ces réflexions
le déterminerent à vendre fa charge
; il ceffa d'être Magiftrat , & ne fut plus
qu'homme de Lettres .
Mais pour fe rendre utile par fes ouvra
ges aux différentes nations , il étoit néceffaire
qu'il les connût ; ce fut dans cette
vue qu'il entreprit de voyager. Son but
étoit d'examiner partout le phyfique & le
moral , d'étudier les loix & la conftitution
de chaque pays , de vifiter les fçavans , les
écrivains , les artiftes célebres , de chercher
fur- tout ces hommes rares & finguliers
dont le commerce fupplée quelquefois à
plufieurs années d'obfervations & de féNOVEMBRE.
1755. 91
jour. M. de Montefquieu eût pu dire comme
Démocrite. Je n'ai rien oublié pour
» m'inftruire ; j'ai quitté mon pays , & parcouru
l'univers pour mieux connoître
» la vérité : j'ai vu tous les perfonnages
» illuftres de mon tems ; mais il y eût
cette différence entre le Démocrite François
& celui d'Abdere , que le premier
voyageoit pour inftruire les hommes , &
le fecond pour s'en moquer,
Il alla d'abord à Vienne , où il vit fouvent
le célebre Prince Eugene ; ce Héros
fi funefte à la France ( à laquelle il auroit
pû être fi utile ) , après avoir balancé la
fortune de Louis XIV. & humilié la fierté
Ottomane , vivoit fans fafte durant la paix,
aimant & cultivant les Lettres dans une
Cour où elles font peu en honneur , &
donnant à ſes maîtres l'exemple de les protéger.
M. de Montefquieu crut entrevoir
dans fes difcours quelques reftes d'intérêt
pour fon ancienne patrie ; le Prince Eugene
en laiffoit voir furtout , autant que le
peut faire un ennemi , für les fuites funeftes
de cette divifion inteftine qui trouble
depuis fi longtems l'Eglife de France :
l'Homme d'Etat en prévoyoit la durée &
les effets , & les prédit au Philofophe.
M. de Montefquieu partit de Vienne
pour voir la Hongrie , contrée opulente &
92 MERCURE DE FRANCE.
fertile, habitée par une nation fiere & généreufe
, le fléau de fes Tyrans & l'appui de
fes Souverains. Comme peu de perfonnes
connoiffent bien ce pays , il a écrit avec
foin cette partie de fes voyages.
D'Allemagne , il paffa en Italie ; il vit à
Venife le fameux Law , à qui il ne reftoit
de fa grandeur paffée que des projets heureufement
deftinés à mourir dans fa tête ,
& un diamant qu'il engageoit pour jouer
aux jeux de hafard . Un jour la converfation
rouloit fur le fameux fyftème que Law
avoit inventé ; époque de tant de malheurs
& de fortunes , & furtout d'une dépravation
remarquable dans nos moeurs . Comme
le Parlement de Paris , dépofitaire immédiat
des Loix dans les tems de minorité ,
avoit fait éprouver au Miniftre Ecoffois
quelque réfiftance dans cette occafion
M. de Montefquieu lui demanda pourquoi
on n'avoit pas effayé de vaincre cette réfiftance
par un moyen prefque toujours infaillible
en Angleterre , par le grand mobile
des actions des hommes , en un mot
par l'argent : Ce ne font pas , répondit Law,
desgénies auffi ardens & auf dangereux que
mes compatriotes , mais ils font beaucoup plus
incorruptibles. Nous ajouterons fans aucun
préjugé de vanité nationale , qu'un Corps
libre pour quelques inftans , doit mieux
NOVEMBRE. 1755. 93
résister à la corruption que celui qui l'eft
toujours ; le premier , en vendant fa liberté,
la perd ; le fecond ne fait , pour ainfi
dire , que la prêter , & l'exerce même en
l'engageant ; ainfi les circonftances & la
nature du Gouvernement font les vices &
les vertus des Nations.
Un autre perfonnage non moins fameux
que M. de Montefquieu vit encore plus .
fouvent à Venife , fut le Comte de Bonneval
. Cet homme fi connu par fes aventures
, qui n'étoient pas encore à leur terme,
& flatté de converfer avec un juge digne
de l'entendre , lui faifoit avec plaifir le détail
fingulier de fa vie , le récit des actions.
militaires où il s'étoit trouvé , le portrait
des Généraux & des Miniftres qu'il avoit
connus . M. de Montefquieu fe rappelloit,
fouvent ces converfations & en racontoit
différens traits à fes amis.
Il alla de Venife à Rome : dans cette ancienne
Capitale du monde , qui l'eft encore
à certains égards , il s'appliqua furtour
à examiner ce qui la diftingue aujourd'hui
le plus , les ouvrages des Raphaëls ,
des Titiens , & des Michel- Anges : il n'avoit
point fait une étude particuliere des
beaux arts ; mais l'expreffion dont brillent
les chef-d'oeuvres en ce genre , faifit infailliblement
tout homme de génie . Accoutu94
MERCURE DE FRANCE.
mé à étudier la nature , il la reconnoît
quand elle eft imitée , comme un portrait
reffemblant frappe tous ceux à qui l'original
eft familier : malheur aux productions
de l'art dont toute la beauté n'eſt que
pour les Artiſtes.
Après avoir parcouru l'Italie , M. de
Montefquieu vint en Suiffe ; il examina
foigneufement les vaſtes pays arrofés par
le Rhin ; & il ne lui refta plus rien à voir
en Allemagne ; car Frédéric ne regnoit pas
encore. Il s'arrêta enfuite quelque tems
dans les Provinces-Unies , monument admirable
de ce que peut l'induftrie humaine
animée par l'amour de la liberté. Enfin il
fe rendit en Angleterre où il demeura deux
ans : digne de voir & d'entretenir les plus
grands hommes , il n'eut à regretter que
de n'avoir pas fait plutôt ce voyage : Locke
& Newton étoient morts. Mais il eut fouvent
l'honneur de faire fa cour à leur protectrice
, la célebre Reine d'Angleterre ,
qui cultivoit la Philofophie fur le thrône ,
& qui goûta , comme elle devoit , M. de
Montefquieu. Il ne fut pas moins accueilli
par la Nation , qui n'avoit pas befoin fur
cela de prendre le ton de fes maîtres . Il
forma à Londres des liaifons intimes avec
des hommes exercés à méditer , & à ſe préparer
aux grandes chofes par des études
NOVEMBRE. 1755. 95
profondes ; il s'inftruifit avec eux de la nature
du Gouvernement , & parvint à le
bien connoître. Nous parlons ici d'après
les témoignages publics que lui en ont rendu
les Anglois eux-mêmes , fi jaloux de
nos avantages , & fi peu difpofés à reconnoître
en nous aucune fupériorité.
Comme il n'avoit rien examiné ni avec
la prévention d'un enthouſiaſte , ni avec
l'austérité d'un Cynique , il n'avoit rapporté
de les voyages ni un dédain outrageant
pour les étrangers , ni un mépris
encore plus déplacé pour fon propre pays.
Il réfultoit de fes obfervations que l'Allemagne
étoit faite pour y voyager , l'Italie
pour y féjourner , l'Angleterre pour y penfer
, & la France pour y vivre.
De retour enfin dans fa Patrie , M de
Montefquieu fe retira pendant deux ans à
fa terre de la Brede : il y jouit en paix de
cette folitude que le fpectacle & le tumulte
du monde fert à rendre plus agréable ;
il vécut avec lui-même , après en être forti
fi long-tems ; & ce qui nous intéreſſe le
plus , il mit la derniere main à fon ouvrage
fur la caufe de la grandeur & de la déca
dence des Romains , qui parut en 1734.
Les Empires , ainfi que les hommes
doivent croître , dépérir & s'éteindre ; mais
cette révolution néceffaire a fouvent des
96 MERCURE DE FRANCE.
caufes cachées que la nuit des tems nous
dérobe , & que le myftere où leur petiteffe
apparente a même quelquefois voilées aux
yeux des contemporains ; rien ne reſſemble
plus fur ce point à l'Hiftoire moderne
que l'Hiftoire ancienne. Celle des Romains
mérite néanmoins à cet égard quelque exception
; elle préfente une politique raifonnée
, un fyftème fuivi d'aggrandiffement
, qui ne permet pas d'attribuer la
fortune de ce peuple à des refforts obfcurs
& fubalternes. Les caufes de la grandeur
Romaine fe trouvent donc dans l'Hiftoire ,
& c'eft au Philofophe à les y découvrir.
D'ailleurs il n'en eft pas des fyftêmes dans
cette étude comme dans celle de la Phyfique
; ceux-ci font prefque toujours précipités
, parce qu'une obfervation nouvelle
& imprévue peut les renverfer en un inftant
; au contraire , quand on recueille
avec foin les faits que nous tranfmet l'Hif
toire ancienne d'un pays , fi on ne raffemble
pas toujours tous les matériaux qu'on
peut défirer , on ne fçauroit du moins ef
pérer d'en avoir un jour davantage . L'étude
réfléchie de l'Hiftoire , étude fi importante
& fi difficile , confifte à combiner
de la maniere la plus parfaite , ces matériaux
défectueux : tel feroit le métire d'un
Architecte , qui , fur des ruines fçavantes ,
traceroit ,
NOVEMBRE. 1755 . 97
traceroit , de la maniere la plus vraiſemblable
, le plan d'un édifice antique , en
fuppléant , par le génie & par d'heureuſes
conjectures , à des reftes informes & tronqués.
C'eſt fous ce point de vue qu'il faut envifager
l'ouvrage de M. de Montefquieu :
il trouve les caufes de la grandeur des Romains
dans l'amour de la liberté , du travail
& de la patrie , qu'on leur infpiroit
dès l'enfance ; dans la févérité de la difcipline
militaire ; dans ces diffenfions intef
tines qui donnoient du reffort aux efprits ,
& qui ceffoient tout -à coup à la vue de
l'ennemi ; dans cette conftance après le
malheur qui ne défefpéroit jamais de la
république dans le principe où ils furent
toujours de ne faire jamais la paix qu'après
des victoires ; dans l'honneur du triomphe,
fujet d'émulation pour les Généraux ; dans
la protection qu'ils accordoient aux peuples
révoltés contre leurs Rois ; dans l'excellente
politique de laiffer aux vaincus leurs
Dieux & leurs coutumes ; dans celle de
n'avoir jamais deux puiffans ennemis fur
les bras , & de tout fouffrir de l'un juſqu'à
ce qu'ils euffent anéanti l'autre . Il trouve les
caufes de leur décadence dans l'agrandiffement
même de l'Etat , qui changea en
guerres civiles les tumultes populaires ;
E
98 MERCURE DE FRANCE.
dans les guerres éloignées qui forçant les
citoyens à une trop longue abfence , leur
faifoient perdre infenfiblement l'efprit républicain
; dans le droit de Bourgeoifie
accordé à tant de Nations , & qui ne fit
plus du peuple Romain qu'une espece de
monftre à plufieurs têtes ; dans la corrup
tion introduite par le luxe de l'Afie ; dans
les profcriptions de Sylla qui avilirent l'efprit
de la Nation , & la préparerent à l'eſclavage
; dans la néceflité où les Romains
fe trouverent de fouffrir des maîtres , lorfque
leur liberté leur fut devenue à charge ;
dans l'obligation où ils furent de changer
de maximes , en changeant de gouvernement
; dans cette fuite de monftres qui
régnerent , prefque fans interruption , depuis
Tibere jufqu'à Nerva , & depuis Commode
jufqu'à Conftantin ; enfin , dans la
tranflation & le partage de l'Empire , qui
périt d'abord en Occident par la puiffance
des Barbares , & qui après avoir langui plufieurs
ficcles en Orient fous des Empereurs
imbéciles ou féroces , s'anéantit infenfiblement
comme ces fleuves qui difparoiffent
dans des fables.
Un affez petit volume a fuffi à M. de
Montefquieu pour développer un tableau
fi intérellant & fi vafte. Comme l'Auteur
ne s'appefantit point fur les détails , & ne
NOVEMBRE. 1755. 92
faifit que les branches fécondes de fon
ſujet , il a ſçu renfermer en très - peu d'efpace
un grand nombre d'objets diftinctement
apperçus & rapidement préfentés fans
fatigue pour le Lecteur ; en laiffant beaucoup
voir , il laifle encore plus à penſer ,
& il auroit pu intituler fon Livre , Hiftoire
Romaine à l'ufage des Hommes d'Etat & des
Philofophes.
Quelque réputation que M. de Montefquieu
fe fût acquife par ce dernier ouvrage
& par ceux qui l'avoient précédé , il
n'avoit fait que fe frayer le chemin à une
plus grande entreprife , à celle qui doit
immortalifer fon nom & le rendre refpectable
aux fiecles futurs. Il en avoit dès
longtems formé le deffein , il en médita
pendant vingt ans l'exécution ; ou , pour
parler plus exactement , toute fa vie en
avoit été la méditation continuelle . D'abord
il s'étoit fait en quelque façon étranger
dans fon propre pays , afin de le mieux
connoître ; il avoit enfuite parcouru toute
l'Europe , & profondément étudié les différens
peuples qui l'habitent . L'Ifle fameufe
qui fe glorifie tant de fes loix , &
qui en profite fi mal , avoit été pour lui
dans ce long voyage , ce que l'ifle de Crete
fut autrefois pour Lycurgue , une école
où il avoit fçu s'inftruire fans tout approu-
E ij
100
MERCURE DE
FRANCE.
ver ; enfin , il avoit , fi on peut parler ainfi ,
interrogé & jugé les nations & les hommes
célebres qui
n'exiftent plus aujour
d'hui que dans les annales du monde. Ce
fut ainfi qu'il s'éleva par dégrés au plus
beau titre qu'un fage puiffe mériter , celui
de Légiflateur des Nations .
S'il étoit animé par
l'importance de la
matiere , il étoit effrayé en même tems par
fon
étendue il
l'abandonna , & y revint
:
à plufieurs repriſes ; il fentit plus d'une fois,
comme il l'avoue lui- même , tomber les
mains
paternelles .
Encouragé enfin
amis , il ramaffa toutes fes forces , & donfes
par
na l'Esprit des Loix.
Dans cet important ouvrage , M. de
Montefquieu , fans
s'appefantir , à l'exemple
de ceux qui l'ont précédé , fur des difcuffions
métaphyfiques relatives à l'hom
me fuppofé dans un état
d'abſtraction ,
fans fe borner , comme d'autres , à confidérer
certains peuples dans quelques relations
ou
circonftances
particulieres , envifage
les habitans de l'univers dans l'état réel
où ils font , & dans tous les rapports qu'ils
peuvent avoir entr'eux. La plupart des
autres Ecrivains en ce genre font prefque
toujours ou de fimples Moraliftes , ou de
fimples
Jurifconfultes , ou même quelquefois
de fimples
Théologiens;pour lui, l'hom
NOVEMBRE. 1755 . ΙΟΥ
perme
de tous les Pays & de toutes les Nations,
il s'occupe moins de ce que le devoir exige
de nous , que des moyens par lefquels on
peut nous obliger de le remplir , de la
fection métaphyfique des loix , que de celle
dont la nature humaine les rend fufceptibles
, des loix qu'on a faites que de celles
qu'on a dû faire , des loix d'un peuple particulier
que de celles de tous les peuples,
Ainfi en fe comparant lui -mêine à ceux
qui ont couru avant lui cette grande &
noble carriere , il a pu dire comme le Correge
, quand il eut vu les ouvrages de fes
rivaux , & moi auffi je fuis Peintre.
Rempli & pénétré de fon objet , l'Auteur
de l'Efprit des Loix y embraſſe un fi
grand nombre de matieres , & les traite
avec tant de brieveté & de profondeur ,
qu'une lecture affidue & méditée peut feule
faire fentir le mérite ce livre . Elle fervira
fur- tout , nous ofons le dire , à faire difparoître
le prétendu défaut de méthode
dont quelques lecteurs ont accufé M. de
Montefquieu ; avantage qu'ils n'auroient
pas dû le taxer légerement d'avoir négligé
dans une matiere philofophique & dans
un ouvrage de vingt années . Il faut diftinguer
le défordre réel de celui qui n'eft
qu'apparent. Le défordre eft réel , quand
l'analogie & la fuite des idées n'eft point
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
obfervée ; quand les conclufions font érigées
en principes , ou les précedent ; quand
le lecteur , après des détours fans nombre ,
fe retrouve au point d'où il eft parti . Le
defordre n'eft qu'apparent , quand l'Auteur
mettant à leur véritable place les idées dont
il fait ufage , laiffe à fuppléer aux lecteurs
les idées intermédiaires : & c'eſt ainfi que
M. de Montefquieu a cru pouvoir & devoir
en ufer dans un livre deſtiné à des
hommes qui penfent , dont le génie doit
fuppléer à des omiffions volontaires & raifonnées
.
L'ordre qui fe fait appercevoir dans les
grandes parties de l'Efprit des Loix , ne
regne pas moins dans les détails : nous
croyons que plus on approfondira l'ouvrage
, plus on en fera convaincu . Fidele à
fes divifions générales , l'Auteur rapporte
à chacune les objets qui lui appartiennent
exclufivement ; & à l'égard de ceux qui
par différentes branches appartiennent à
plufieurs divifions à la fois , il a placé fous
chaque divifion la branche qui lui appartient
en propre ; par- là on apperçoit ailément
& fans confufion , l'influence que
les différentes parties du fujet ont les unes
fur les autres , comme dans un arbre qu
fyftême bien entendu des connoiffances
humaines , on peut voir le rapport mutuel
NOVEMBRE. 1755. 103
des Sciences & des Arts. Cette comparaifon
d'ailleurs eft d'autant plus jufte , qu'il
en eft du plan qu'on peut fe faire dans
l'examen philofophique des Loix , comme
de l'ordre qu'on peut obferver dans un
arbre Encyclopédique des Sciences : il y
reftera toujours de l'arbitraire ; & tout ce
qu'on peut exiger de l'Auteur , c'eſt qu'il
fuive fans détour & fans écart le fyfteme
qu'il s'eft une fois formé.
Nous dirons de l'obfcurité qu'on peut
fe permetrre dans un tel ouvrage , la même
chofe que du défaut d'ordre ; ce qui feroit
obfcur pour les lecteurs vulgaires , ne l'eft
pas pour ceux que l'Auteur a eu en vue.
D'ailleurs l'obfcurité volontaire n'en eft
point une M. de Montefquieu ayant à
préfenter quelquefois des vérités impor
tantes , dont l'énoncé abfolu & direct auroit
pu
bleffer fans fruit , a eu la prudence
louable de les envelopper , & par cet innocent
artifice , les a voilées à ceux à qui
elles feroient nuifibles , fans qu'elles fuffent
perdues pour les fages.
Parmi les ouvrages qui lui ont fourni
des fecours , & quelquefois des vues pour
le fien , on voit qu'il a furtout profité des
deux hiftoriens qui ont penfé le plus ,
Tacite & Plutarque ; mais quoiqu'un Philofophe
qui a fait ces deux lectures , foit
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
difpenfé de beaucoup d'autres , il n'avoit
pas cru devoir en ce genre rien négliger ni
dédaigner de ce qui pouvoit être utile à
fon objet . La lecture que fuppofe l'Espric
des Loix , eft immenſe ; & l'ufage raiſonné
que l'Auteur a fait de cette multitude pro
digieufe de matériaux , paroîtra encore
plus furprenant , quand on fçaura qu'il
étoit prefqu'entierement privé de la vue ,
& obligé d'avoir recours à des yeux étrangers.
Cette vafte lecture contribue nonfeulement
à l'utilité , mais à l'agrément de
l'ouvrage fans déroger à la majefté de fon
fujet. M. de Montefquieu fçait en tempérer
l'austérité , & procurer aux lecteurs
des momens de repos , foit par des faits
finguliers & peu connus , foit par des allufions
délicates , foit par ces coups de pinceau
énergiques & brillans , qui peignent
d'un feul trait les peuples & les hommes .
Enfin , car nous ne voulons pas jouer ici
le rôle des Commentateurs d'Homere , il
y a fans doute des fautes dans l'efprit des
Loix , comme il y en a dans tout ouvrage
de génie , dont l'Auteur a le premier ofé
fe frayer des routes nouvelles. M. de Montefquieu
a été parmi nous , pour l'étude
des loix , ce que Defcartes a été pour la
Philofophie ; il éclaire fouvent , & fe trompe
quelquefois , & en fe trompant même ,
NOVEMBRE. 1755. 105
il inftruit ceux qui fçavent lire. La pouvelle
édition qu'on prépare , montrera par
les additions & corrections qu'il y a faites,
que s'il eft tombé de tems en tems , il a
fçu le reconnoître & fe relever ; par- là , il
acquerra du moins le droit à un nouvel
examen , dans les endroits où il n'aura pas
été de l'avis de fes cenfeurs ; peut- être
même ce qu'il aura jugé le plus digne de
correction , leur a - t-il abfolument échappé
, tant l'envie de nuire eft ordinairement
aveugle.
Mais ce qui eft à la portée de tout le
monde dans l'Eſprit des Loix , ce qui doit
rendre l'Auteur cher à toutes les Nations ,
ce qui ferviroit même à couvrir des fautes
plus grandes que les fiennes , c'eft l'efprit
de citoyen qui l'a dicté. L'amour du bien
public , le defir de voir les hommes heureux
s'y montrent de toutes parts ; & n'eûtil
que ce mérite fi rare & fi précieux , il
feroit digne par cet endroit feul , d'être
la lecture des peuples & des Rois . Nous
voyons déja , par une heureuſe expérience,
que les fruits de cet ouvrage ne fe bornent
pas dans fes lecteurs à des fentimens ſtériles.
Quoique M. de Montefquieu ait peu
furvécu à la publication de l'Efprit des
Loix , il a eu la fatisfaction d'entrevoir
les effets qu'il commence à produire parmi
Ev
106 MERCURE DE FRANCE.
nous ; l'amour naturel des François pour
leur patrie , tourné vers fon véritable objet
; ce goût pour le Commerce , pour l'Agriculture
, & pour les Arts utiles , qui
fe répand infenfiblement dans notre Nation
; cette lumiere générale fur les principes
du gouvernement , qui rend les peuples
plus attachés à ce qu'ils doivent aimer .
Ceux qui ont fi indécemment attaqué cet
ouvrage , lui doivent peut-être plus qu'ils
ne s'imaginent l'ingratitude , au refte ,
eft le moindre reproche qu'on ait à leur
faire. Ce n'eft pas fans regret , & fans
honte pour notre fiecle , que nous allons
les dévoiler ; mais cette hiftoire importe
trop à la gloire de M. de Montefquieu , &
à l'avantage de la Philofophie , pour être
paffée fous filence. Puiffe l'opprobre qui
couvre enfin fes ennemis , leur devenir
falutaire !
A peine l'Efprit des Loix parut- il , qu'il
fut recherché avec empreffement , fur la
réputation de l'Auteur ; mais quoique
M. de Montesquieu eût écrit pour le bien
du peuple , il ne devoit pas avoir le peuple
pour juge ; la profondeur de l'objet
étoit une fuite de fon importance même.
Cependant les traits qui étoient répandus
dans l'ouvrage , & qui auroient été déplacés
s'ils n'étoient pas nés du fond du fuNOVEMBRE.
1755. 107
jet , perfuaderent à trop de perfonnes qu'il
étoit écrit pour elles : on cherchoit un
Livre agréable , & on ne trouvoit qu'un
Livre utile , dont on ne pouvoit d'ailleurs
fans quelque attention faifir l'enſemble &
les détails. On traita légerement l'Esprit
des Loix ; le titre même fut un fujet de
plaifanterie enfin l'un des plus beaux
monumens littéraires qui foient fortis de
notre Nation, fut regardé d'abord par elle
avec affez d'indifférence. Il fallut que les
véritables juges euffent eu le tems de lire :
bientôt ils ramenerent la multitude toujours
prompte à changer d'avis ; la partie
du Public qui enfeigne , dicta à la partie
qui écoute ce qu'elle devoit penfer & dire ;
& le fuffrage des hommes éclairés , joint
aux échos qui le répéterent , ne forma plus
qu'une voix dans toute l'Europe.
Ce fut alors que les ennemis publics &
fecrets des Lettres & de la Philofophie ( car
elles en ont de ces deux efpeces ) réunirent
leurs traits contre l'ouvrage. De-là cette
foule de brochures qui lui furent lancées
de toutes parts , & que nous ne tirerons
pas de l'oubli où elles font déja plongées.
Sisleurs auteurs n'avoient pas pris de bonnes
mefures pour être inconnus à la poftérité
, elle croiroit que l'Efprit des Loix a
été écrit au milieu d'un peuple de barbares.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
M. de Montefquieu méprifa fans peine
les Critiques ténébreufes de ces auteurs
fans talent , qui foit par une jaloufie qu'ils
n'ont pas droit d'avoir , foit pour fatisfaire
la malignité du Public qui aime la fatyre
& la méprife , outragent ce qu'ils ne peuvent
atteindre ; & plus odieux par le mal
qu'ils veulent faire , que
redoutables par
celui qu'ils font , ne réuffiffent pas même
dans un genre d'écrire que fa facilité &
fon objet rendent également vil. Il mettoit
les ouvrages de cette efpece fur la
même ligne que ces Nouvelles hebdomadaires
de l'Europe , dont les éloges font
fans autorité & les traits fans effet , que
des Lecteurs oififs parcourent fans y ajouter
foi , & dans lefquelles les Souverains.
font infultés fans le fçavoir , ou fans daigner
fe venger. IIll nnee ffuutt pas auffi indifférent
fur les principes d'irréligion qu'on
l'accufa d'avoir femé dans l'Eſprit des Loix .
En méprifant de pareils reproches , il auroit
cru les mériter , & l'importance de
l'objet lui ferma les yeux fur la valeur de
fes adverfaires. Ces hommes également
dépourvus de zele & également empreffés
d'en faire paroître , également effrayés de
la lumiere que les Lettres répandent , non
au préjudice de la Religion , mais à leur
défavantage , avoient pris différentes forNOVEMBRE.
1755. 109
mes pour lui porter atteinte. Les uns , par
unftratagême auffi puérile que pufillanime,
s'étoient écrit à eux- mêmes ; les autres ,
après l'avoir déchiré fous le mafque de
P'Anonyme , s'étoient enfuite déchirés entr'eux
à fon occafion . M. de Montesquieu,
quoique jaloux de les confondre , ne jugea
pas à propos de perdre un tems précieux à
les combattre les uns après les autres : il fe
contenta de faire un exemple fut celui qui
s'étoit le plus fignalé par fes excès.
par
C'étoit l'auteur d'une feuille anonyme
& périodique , qui croit avoir fuccédé à
Pafcal , parce qu'il a fuccédé à fes opinions;
panégyrifte d'ouvrages que perfonne ne
lit , & apologiſte de miracles que l'autorité
féculiere a fait ceffer dès qu'elle l'a
voulu ; qui appelle impiété & fcandale le
peu
d'intérêt que les gens de Lettres prennent
à fes querelles , & s'eft aliéné ,
une adreffe digne de lui , la partie de la
Nation qu'il avoit le plus d'intérêt de ménager.
Les coups de ce redoutable athlete
furent dignes des vues qui l'infpirerent ; il
accufa M. de Montefquieu & de Spinoffme
& de Déifine ( deux imputations incompatibles
) ; d'avoir fuivi le ſyſtème de
Pope ( dont il n'y avoit pas un mot dans
l'ouvrage ) ; d'avoir cité Plutarque qui n'eft
pas un Auteur Chrétiens de n'avoir point
110 MERCURE DE FRANCE.
parlé du péché originel & de la Grace , Il
prétendit enfin que l'Efprit des Loix étoit
une production de la Conftitution Unigenitus;
idée qu'on nous foupçonnera peut-être
de prêter par dérifion au critique. Ceux
qui ont connu M. de Montefquieu , l'ouvrage
de Clément XI & le fien , peuvent
juger par cette accufation de toutes les
autres.
Le malheur de cet écrivain dut bien le
décourager : il vouloit perdre un fage par
l'endroit le plus fenfible à tout citoyen , il
ne fit que lui procurer une nouvelle gloire
comme homme de Lettres ; la Défense de
l'Esprit des Loix parut. Cet ouvrage , par
la modération , la vérité , la fineffe de
plaifanterie qui y regnent , doit être regardé
comme un modele en ce genre. M.
de Montefquieu , chargé par fon adverfaire
d'imputations atroces , pouvoit le
rendrejodieux fans peine ; il fit mieux , il
le rendit ridicule . S'il faut tenir compte à
l'agreffeur d'un bien qu'il a fait fans le
vouloir , nous lui devons une éternelle
reconnoiffance de nous avoir procuré ce
chef-d'oeuvre : Mais ce qui ajoute encore
au mérite de ce morceau précieux , c'eſt
que l'auteur s'y eft peint lui- même fans y
penfer ; ceux qui l'ont connu , croyent
Î'entendre , & la poſtérité s'affurera , en
NOVEMBRE. 1755 111
lifant fa Défenfe , que fa converfation n'étoit
pas inférieure à fes écrits ; éloge que
bien peu de grands hommes ont mérité.
Une autre circonftance lui affure pleinement
l'avantage dans cette difpute : le
critique qui , pour preuve de fon attachement
à la religion , en déchire les Miniftres
, accufoit hautement le Clergé de
France , & fur-tout la Faculté de Théolo
gie , d'indifférence pour la caufe de Dieu ,
en ce qu'ils ne profcrivoient pas authentiquement
un fi pernicieux ouvrage . La Faculté
étoit en droit de méprifer le repro
che d'un écrivain fans aveu ; mais il s'agif
foit de la religion ; une délicateffe louable
lui a fait prendre le parti d'examiner l'Ef
prit des Loix. Quoiqu'elle s'en occupe depuis
plufieurs années , elle n'a rien prononcé
jufqu'ici ; & fût- il échappé à M. de
Montefquieu quelques inadvertences lé--
geres , prefque inevitables dans une carriere
fi vafte , l'attention longue & fcrupuleufe
qu'elles auroient demandée de la
part du Corps le plus éclairé de l'Eglife ,
prouveroit au moins combien elles feroient
excufables. Mais ce Corps , plein de prudence
, ne précipitera rien dans une fi
importante matiere : il connoit les bornes
de la raifon & de la foi ; il fçait que l'ouvrage
d'un homme de lettres ne doit point
112 MERCURE DE FRANCE.
être examiné comme celui d'un Théologien
que les mauvaifes conféquences
auxquelles une propofition peut donner
lieu par des interprétations odieufes , ne
rendent point blamable la propofition en
elle -même ; que d'ailleurs nous vivons
dans un fiécle malheureux , où les intérêts
de la religion ont befoin d'être ménagés ,
& qu'on peut lui nuire auprès des fimples,
en répandant mal - à - propos fur des genies
du premier ordre le foupçon d'incrédulité;
qu'enfin , malgré cette accufation injuſte ,
M. de Montefquien fut toujours eſtimé ,
recherché & accueilli par tout ce que l'Eglife
a de plus refpectable & de plus grand ;
eût-il confervé auprès des gens de bien la
confidération dont il jouiffoit , s'ils l'euffent
regardé comme un écrivain dangéreux
?
Pendant que des infectes le tourmentoient
dans fon propre pays , l'Angleterre
élevoit un monument à fa gloire. En 1752 ,
M. Daffier , célebre par les médailles qu'il
a frappées à l'honneur de plufieurs hommes
illuftres , vint de Londres à Paris pour
frapper la fienne. M. de la Tour , cet attifte
fi fupérieur par fon talent , & fi eftimable
par fon defintéreffement & l'élévation
de fon ame , avoit ardemment defiré
de donner un nouveau luftre à fon pinNOVEMBRE.
1755. 113
ceau , en tranfmettant à la poftérité le
portrait de l'auteur de l'Efprit des Loix ;
il ne vouloit que la fatisfaction de le peindre
, & il méritoit , comme Apelle , que
cet honneur lui fût réfervé ; mais M. de
Montefquieu , d'autant plus avare du tems
de M. de la Tour que celui - ci en étoit plus
prodigue , fe refufa conftamment & poliment
à fes preffantes follicitations. M. Daf
fier effuya d'abord des difficultés femblables
: Croyez-vous , dit-il enfin à M. de
Montefquieu , » qu'il n'y ait pas autant
d'orgueil à refufer ma propofition qu'à
» l'accepter » ? Defarmé par cette plaifanterie
, il laiffa faire à M. Daflier tout ce
qu'il voulut.
»
L'auteur de l'Esprit des Loix jouiffoit
enfin paisiblement de fa gloire , lorfqu'il
tomba malade au commencement de Février.
Sa fanté , naturellement délicate ,
commençoit à s'altérer depuis long- tems
par l'effet lent & prefque infaillible des
études profondes , par les chagrins qu'on
avoit cherché à lui fufciter fur fon ouvra- ge ; enfin
par le genre
de vie qu'on
le forçoit
de mener
à Paris
, & qu'il
fentoit
lui
être
funefte
. Mais
l'empreffement
avec
le-`
quel
on recherchoit
fa focieté
, étoit
trop
vif pour
n'être
pas
quelquefois
indifcret
on vouloit
, fans
s'en
appercevoir
, jouir
114 MERCURE DE FRANCE.
de lui aux dépens de lui -même. A peine la
nouvelle du danger où il étoit fe fût- elle
répandue , qu'elle devint l'objet des converfations
& de l'inquiétude publique ; fa
maifon ne défempliffoit point de perfonnes
de tout rang qui venoient s'informer
de fon état , les unes par un intérêt véritable
, les autres pour s'en donner l'apparence
, ou pour fuivre la foule. Sa Majefté ,
pénétrée de la ppeerrttee qquuee fon royaume alloit
faire , en demanda plufieurs fois des
nouvelles ; témoignage de bonté & de juftice
qui n'honore pas moins le Monarque
que le fujet. La fin de M. de Montefquieu
ne fut point indigne de fa vie. Accablé de
douleurs cruelles , éloigné d'une famille
à qui il étoit cher , & qui n'a pas eu la
confolation de lui fermer les yeux , entouré
de quelque amis & d'un plus grand
nombre de fpectateurs , il conferva jufqu'au
dernier moment la paix & l'égalité
de fon ame. Enfin , après avoir fatisfait
avec décence à tous fes devoirs , plein de
confiance en l'Etre éternel auquel il alloit.
fe rejoindre , il mourut avec la tranquillité
d'un homme de bien , qui n'avoit jamais
confacré fes talens qu'à l'avantage.
de la vertu & de l'humanité. La France &
l'Europe le perdirent le 10 Février 1755 ,
à l'âge de foixante- fix ans révolus.
NOVEMBRE 1755. 115
Toutes les nouvelles publiques ont annoncé
cet événement comme une calamité.
On pourroit appliquer à M. de Montefquieu
ce qui a été dit autrefois d'un
illuftre Romain ; que perfonne en apprenant
fa mort n'en témoigna de joie , que
perfonne même ne l'oublia dès qu'il ne fut
plus. Les étrangers s'emprefferent de faire
éclater leurs regrets ; & Milord Chefterfield
, qu'il fuffit de nommer , fit imprimer
dans un des papiers publics de Londres
un article à fon honneur , article digne
de l'un & de l'autre ; c'eft le portrait
d'Anaxagore tracé par Périclès . L'Académie
royale des Sciences & des Belles -Lettres
de Pruffe , quoiqu'on n'y foit point
dans l'ufage de prononcer l'éloge des affociés
étrangers , a cru devoir lui faire cet
honneur , qu'elle n'a fait encore qu'à l'illuftre
Jean Bernouilli ; M. de Maupertuis,
tout malade qu'il étoit , a rendu lui-même
à fon ami ce dernier devoir , & n'a voulu
fe repofer fur perfonne d'un foin fi cher &
fi trifte. A tant de fuffrages éclatans en faveur
de M. de Montefquieu , nous croyons
pouvoir joindre fans indifcrétion les éloges
que lui a donné , en préfence de l'un
de nous , le Monarque même auquel cette.
Académie célebre doit fon luftre , Prince
fait pour fentir les pertes de la Philofa116
MERCURE DE FRANCE.
phie , & pour l'en confoler.
Le 17 Février , l'Académie Françoiſe
lui fit , felon l'ufage , un fervice folemnel
, auquel , malgré la rigueur de la faifon
, prefque tous les gens de Lettres de
ce Corps , qui n'étoient point abfens de
Paris , fe firent un devoir d'affifter. On
auroit dû dans cette trifte cérémonie placer
l'Esprit des Loix fur fon cercueil , comme
on expofa autrefois vis - à-vis le cercueil
de Raphaël fon dernier tableau de la
Transfiguration . Cet appareil fimple &
touchant eût été une belle oraifon funébre.
Jufqu'ici nous n'avons confidéré M. de
Montefquieu que comme écrivain & philofophe
; ce feroit lui dérober la moitié
de fa gloire que de paffer fous filence fes
agrémens & fes qualités perfonnelles.
Il étoit dans le commerce d'une douceur
& d'une gaieté toujours égale . Sa
converfation étoit légere , agréable , &
instructive par le grand nombre d'hommes
& de peuples qu'il avoit connus. Elle étoit
coupée comme fon ftyle , pleine de fel &
de faillies , fans amertunie & fans fatyre
; perfonne ne racontoit plus vivement ,
plus promptement , avec plus de grace &
moins d'apprêt. Il fçavoit que la fin d'une
hiftoire plaifante en eft toujours le but ;-
NOVEMBRE. 1755. 117
il fe hâtoit donc d'y arriver , & produifoit
l'effet fans l'avoir promis.
Ses fréquentes diftractions ne le rendoient
que plus aimable ; il en fortoit
toujours par quelque trait inattendu qui
réveilloit la converfation languiffante ;
d'ailleurs elles n'étoient jamais , ni jouées,
ni choquantes , ni importunes : le feu de
fon efprit , le grand nombre d'idées dont
il étoit plein , les faifoient naître , mais il
n'y tomboit jamais au milieu d'un entretien
intéreffant ou férieux ; le defir de
plaire à ceux avec qui il fe trouvoit , le
rendoit alors à eux fans affectation & fans
effort.
Les agrémens de fon commerce tenoient
non feulement à fon caractere & à
fon efprit , mais à l'efpece de régime qu'il
obfervoit dans l'étude. Quoique capable
d'une méditation profonde & long- tems
foutenue , il n'épuifoit jamais fes forces , il
quitroit toujours le travail avant que d'en
reffentir la moindre impreffion de fatigue.
Il étoit fenfible à la gloire , mais il ne
vouloit y parvenir qu'en la méritant ; jamais
il n'a cherché à augmenter la fienne
par ces manoeuvres fourdes , par ces voyes
obfcures & honteufes, qui deshonorent la
perfonne fans ajouter au nom de l'auteur .
Digne de toutes les diftinctions & de
IIS MERCURE DE FRANCE.
toutes les récompenfes , il ne demandoit
rien , & ne s'étonnoit point d'être oublié ;
mais il a ofé , même dans des circonftances
délicates, protéger à la Cour des hommes
de Lettres perfécutés , célebres &
malheureux , & leur a obtenu des graces.
Quoiqu'il vecût avec les grands , foit
par néceffité , foit par convenance , foit
par gout , leur fociété n'étoit pas néceffaire
à fon bonheur. Il fuyoit dès qu'il le
pouvoit à fa terre ; il y retrouvoit avec
joie fa philofophie , fes livres & le repos.
Entouré de gens de la campagne dans fes
heures de loifir , après avoir étudié l'homme
dans le commerce du monde & dans
l'hiftoire des nations , il l'étudioit encore
dans ces ames fimples que la nature feule
a inftruites , & il y trouvoit à apprendre ;
il converfoit gayement avec eux ; il leur
cherchoit de l'efprit comme Socrate ; il
paroiffoit fe plaire autant dans leur entretien
que dans les fociétés les plus brillantes
, furtout quand il terminoit leurs différends
, & foulageoit leurs peines par fes
bienfaits.
Rien n'honore plus fa mémoire que
l'économie avec laquelle il vivoit , &
qu'on a ofé trouver exceffive dans un
monde avare & faftueux , peu fait pour
en pénétrer les motifs , & encore moins
NOVEMBRE. 1755. 119
pour les fentir. Bienfaifant , & par conféqnent
jufte, M. de Montesquieu ne vouloit
rien prendre fur fa famille , ni des
fecours qu'il donnoit aux malheureux ,
ni des dépenfes confidérables auxquels fes
longs voyages , la foibleffe de fa vue &
l'impreffion de fes ouvrages l'avoient
obligé . Il a tranfmis à fes enfans , fans
diminution ni augmentation , l'héritage
qu'il avoit reçu de fes peres ; il n'y a rien
ajouté que la gloire de fon nom & l'exemple
de fa vie.
Il avoit époufé en 1715 Demoifelle
Jeanne de Lartigue, fille de Pierre de Lartigue
, Lieutenant Colonel au Régiment
de Maulévrier ; il en a eu deux filles &
un fils , qui par fon caractere , fes moeurs
& fes ouvrages s'eft montré digne d'un
tel pere.
Ĉeux qui aiment la vérité & la patrie,
ne feront pas fâchés de trouver ici quelques
unes de fes maximes : il penfoit ,
Que chaque portion de l'Etat doit être
également foumife aux loix , mais que
les privileges de chaque portion de l'Etat
doivent être respectés , lorfque leurs effets
n'ont rien de contraire au droit naturel
, qui oblige tous les citoyens à concourir
également au bien public ; que la
poffellion ancienne étoit en ce genre le
120 MERCURE DE FRANCE.
premier des titres & le plus inviolable des
droits , qu'il étoit toujours injufte & quel
quefois dangereux de vouloir ébranler ;
Que les Magiftrats , dans quelque circonftance
& pour quelque grand intérêt
de corps que ce puiffe être , ne doivent
jamais être que Magiftrats , fans parti &
fans paffion , comme les Loix , qui abſolvent
& puniffent fans aimer ni hair.
Il difoit enfin à l'occafion des difputes
eccléfiaftiques qui ont tant occupé les Empereurs
& les Chrétiens Grecs , que les
querelles théologiques, lorfqu'elles ceffent
d'être renfermées dans les écoles , deshonorent
infailliblement une nation aux
yeux des autres en effet , le mépris même
des fages pour ces querelles ne la juftifie
pas , parce que les fages faifant partout
le moins de bruit & le plus petit
nombre , ce n'est jamais fur eux qu'une
nation eft jugée .
L'importance des ouvrages dont nous
avons eu à parler dans cet éloge , nous
en a fait paffer fous filence de moins confidérables
, qui fervoient à l'auteur comme
de délaffement , & qui auroient fuffi
l'éloge d'un autre ; le plus remarquable
eft le Temple de Gnide , qui fuivit d'affez
près les Lettres Perfannes. M. de Montefquieu
, après avoir été dans celle- ci Hopour
race ,
NOVEMBRE . 1755. 121
race , Théophrafte & Lucien , fut Ovide
& Anacréon dans ce nouvel effai : ce n'eſt
plus l'amour defpotique de l'Orient qu'il
fe propofe de peindre , c'eft la délicateffe
& la naïveté de l'amour paftoral , tel qu'il
eſt dans une ame neuve, que le commerce
des hommes n'a point encore corrompue.
L'Auteur craignant peut - être qu'un tableau
fi étrangerà nos moeurs ne parût
trop languiffant & trop uniforme , a cherché
à l'animer par les peintures les plus
riantes ; il tranfporte le lecteur dans des
lieux enchantés , dont à la vérité le fpectacle
intéreffe peu l'amant heureux , mais
dont la defcription flatte encore l'imagination
quand les defirs font fatisfaits . Emporté
par fon fujet , il a répandu dans ſa
profe ce ftyle animé , figuré & poétique ,
dont le roman de Thélemaque a fourni
parmi nous le premier modele. Nous ignorons
pourquoi quelques cenfeurs du temple
de Gnide ont dit à cette occaſion , qu'il
auroit eu befoin d'être en vers. Le ſtyle
poétique , fi on entend , comme on le
doit , par ce mot , un ftyle plein de chaleur
& d'images , n'a pas befoin , pour être
agréable , de la marche uniforme & cadencée
de la verfification ; mais fi on ne
fait confifter ce ftyle que dans une diction
chargée d'épithetes oifives , dans les pein
F
122 MERCURE DE FRANCE.
tures froides & triviales des aîles & du
carquois de l'amour , & de femblables
objets , la verfication n'ajoutera prefqu'aucun
mérite à ces ornemens ufés ; on
y cherchera toujours en vain l'ame & la
vie. Quoiqu'il en foit , le Temple de Gnide
étant une espece de poëme en profe
c'est à nos écrivains les plus célebres en ce
genre à fixer le rang qu'il doit occuper :
il merite de pareils juges ; nous croyons
du moins que les peintures de cet ouvrage
foutiendroient avec fuccès une des
principales épreuves des defcriptions poétiques
, celle de les repréfenter fur la toile.
Mais ce qu'on doit fur- tout remarquer
dans le Temple de Gnide , c'eft qu'Anacréon
même y est toujours obfervateur &
philofophe. Dans le quatrieme chant , il
paroît décrire les moeurs des Sibarites , &
on s'apperçoit aifément que ces moeurs
font les nôtres. La préface porte fur - tout
l'empreinte de l'auteur des Lettres Perfannes.
En préfentant le Temple de Gnide
comme la traduction d'un manufcrit grec ,
plaifanterie défigurée depuis par tant de
mauvais copiſtes , il en prend occafion de
peindre d'un trait de plume l'ineptie des
critiques & le pédantifme des traducteurs,
& finit par ces paroles dignes d'être rapportées
» Si les gens graves defiroient
NOVEMBRE. 1755. 123
33
de moi quelque ouvrage moins frivole ,
je fuis en état de les fatisfaire : il y a
» trente ans que je travaille à un livre de
» douze pages , qui doit contenir tout ce
que nous fçavons fur la Métaphyfique ,
» la Politique & la Morale , & tout ce
que de très grands auteurs ont oublié
» dans les volumes qu'ils ont publiés fur
» ces matieres » .
Nous regardons comme une des plus
honorables récompenfes de notre travail
l'intérêt particulier que M. de Monteſquieu
prenoit à ce dictionnaire , dont toutes
les reffources ont été jufqu'à préfent
dans le courage & l'émulation de fes auteurs
. Tous les gens de Lettres , felon lui,
devoient s'empreffer de concourir à l'exécution
de cette entrepriſe utile ; il en a
donné l'exemple avec M. de Voltaire , &
plufieurs autres écrivains célebres. Peutêtre
les traverfes que cet ouvrage a ef
fuyées , & qui lui rappelloient les fiennes
propres , l'intéreffoient-elles en notre faveur,
Peut-être étoit- il fenfible , fans s'en
appercevoir , à la juftice que nous avions
ofé lui rendre dans le premier volume de
l'Encyclopédie , lorfque perfonne n'ofoit
encore élever fa voix pour le défendre.
Il nous deftinoit un article fur le Goût, qui
a été trouvé imparfait dans fes papiers ;
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
nous le donnerons en cet état au public ,
& nous le traiterons avec le même refpect
que l'antiquité témoigna autrefois pour
les dernieres paroles de Séneque . La mort
l'a empêché d'étendre plus loin fes bienfaits
à notre égard ; & en joignant nos
propres regrets à ceux de l'Europe entiere ,
nous pourrions écrire fur fon tombeau :
Finis vita cjus nobis luctuofus , Patriæ
triftis , extraneis etiam ignotifque non fine
curâ fuit.
Tacit. in Agricol. c. 43 .
Fermer
Résumé : Eloge de M. le Président de Montesquieu.
Le texte présente un volume de l'Encyclopédie, dans lequel Voltaire a travaillé sur les articles concernant les mots 'esprit', 'éloquence' et 'élégance'. Ce volume inclut également un éloge de Montesquieu écrit par d'Alembert, jugé d'une grande beauté. Une note analysant 'L'Esprit des Lois' est réservée pour le premier Mercure de décembre. Montesquieu, bienfaiteur de l'humanité par ses écrits, a contribué à cet ouvrage, motivant ainsi la reconnaissance des auteurs. Charles de Secondat, Baron de la Brede et de Montesquieu, naquit au Château de la Brede près de Bordeaux le 18 janvier 1689. Sa famille, noble de Guyenne, acquit la terre de Montesquieu grâce à des services rendus à la couronne. Dès son jeune âge, Montesquieu montra des aptitudes remarquables, cultivées par son père. Il préparait déjà les matériaux de 'L'Esprit des Lois' à vingt ans. En parallèle de ses études juridiques, il approfondissait des matières philosophiques. En 1716, il devint Président à Mortier au Parlement de Bordeaux et se distingua par ses remontrances courageuses contre un nouvel impôt. Il fut également membre de l'Académie de Bordeaux et contribua à la création de l'Académie des Sciences. En 1721, il publia les 'Lettres persanes', un ouvrage satirique des mœurs françaises sous le prétexte de la peinture des mœurs orientales. Malgré le succès de cet ouvrage, Montesquieu resta discret sur son authorship pour éviter les critiques littéraires. Les 'Lettres persanes' furent attaquées pour leurs réflexions sur des sujets religieux et ecclésiastiques, provoquant des réactions hostiles. Montesquieu fut accusé et réhabilité concernant ses 'Lettres persanes'. Il rencontra le ministre, déclarant qu'il n'avouait pas les 'Lettres persanes' mais ne les désavouait pas non plus, et demanda que l'ouvrage soit jugé sur sa lecture plutôt que sur des délations. Le ministre lut le livre, apprécia l'auteur et permit à Montesquieu d'être reçu à l'Académie française. Le maréchal d'Estrées soutint Montesquieu avec courage et intégrité. Montesquieu fut reçu à l'Académie le 24 janvier 1728 avec un discours remarquable, où il évita les formules conventionnelles pour traiter de sujets plus larges. Il entreprit des voyages pour étudier les lois et constitutions de divers pays, rencontrer des savants et des artistes célèbres. Ses voyages l'amenèrent en Autriche, en Hongrie, en Italie, en Suisse, aux Provinces-Unies et en Angleterre. De retour en France, Montesquieu se retira à la Brede pour achever son ouvrage sur 'La grandeur et la décadence des Romains', publié en 1734. Il analysa les causes de la grandeur et de la décadence de Rome, mettant en avant des facteurs comme l'amour de la liberté, la discipline militaire et la politique d'expansion. Le texte loue ensuite l'œuvre de Montesquieu, notamment 'L'Esprit des Lois', qui offre une analyse approfondie et vaste de la politique et des lois. Montesquieu a préparé cet ouvrage pendant vingt ans, étudiant divers peuples et lois à travers l'Europe. 'L'Esprit des Lois' est présenté comme un livre destiné aux hommes d'État et aux philosophes, embrassant un grand nombre de matières avec brièveté et profondeur. Le texte défend la structure et la clarté de l'ouvrage, affirmant que l'apparente absence de méthode est en réalité une invitation à la réflexion. Il souligne également l'importance des sources utilisées par Montesquieu, notamment Tacite et Plutarque, et la manière dont il a su rendre l'ouvrage à la fois utile et agréable. Enfin, le texte mentionne les critiques et les attaques subies par 'L'Esprit des Lois' lors de sa publication, mais note que l'œuvre a finalement été reconnue pour sa valeur et son impact sur la pensée politique et philosophique. Montesquieu est accusé d'irréligion et de semer des principes d'irréligion dans son œuvre. Il est comparé à des auteurs de nouvelles hebdomadaires sans autorité ni effet. Ses adversaires, dépourvus de zèle mais cherchant à en montrer, ont utilisé diverses stratégies pour le discréditer. Montesquieu décide de répondre à l'un de ses critiques les plus virulents, auteur d'une feuille anonyme périodique, en le rendant ridicule plutôt que furieux.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
56
p. 77-104
Analyse de l'Esprit des Loix, contenue dans la note qui accompagne l'Eloge de M. de Montesquieu par M. d'Alembert. Nous l'avions annoncée pour le premier Mercure de ce mois, & nous acquittons notre parole.
Début :
La plûpart des gens de Lettres qui ont parlé de l'Esprit des Loix, s'étant plus [...]
Mots clefs :
Montesquieu, De l'esprit des lois, Gouvernement, Peuple, Nature, Hommes, Lois, États, Esprit, Pays, Peuple, Peuples, Liberté, Religion, Gouvernement, Monarchie, Égalité, République, Servitude, Crimes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Analyse de l'Esprit des Loix, contenue dans la note qui accompagne l'Eloge de M. de Montesquieu par M. d'Alembert. Nous l'avions annoncée pour le premier Mercure de ce mois, & nous acquittons notre parole.
Analyfe de l'Esprit des Loix , contenue dans
la note qui accompagne l'Eloge de M. de
Montefquieu par M. d'Alembert. Nous
l'avions annoncée pour le premier Mercure
de ce mois , & nous acquittons notre
parole.
Lparle de l'efprit des Loix , s étant plus
A plupart des gens de Lettres qui ont
attachés à le critiquer qu'à en donner une
idée juſte , nous allons tâcher de fuppléer
à ce qu'ils auroient dû faire , & d'en développer
le plan , le caractere & l'objet.
Ceux qui en trouveront l'analy fe trop longue
, jugeront peut être, après l'avoir lue ,
qu'il n'y avoit que ce feul moyen de bien
faire faifir la méthode de l'Auteur . On
doit fe fouvenir d'ailleurs que l'hiftoire
des écrivains célebres n'eft que celle de
leurs penfées & de leurs travaux , & que
cette partie de leur éloge en eft la plus
effentielle & la plus utile , fur-tout à la
tête d'un ouvrage rel que l'Encyclopédie.
Les homme dans l'état de nature , abf-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
traction faite de toute religion , ne connoiffant
dans les différends qu'ils peuvent
avoir , d'autre loi que celle des animaux ,
le droit du plus fort, on doit regarder l'établiffement
des fociétés comme une espece
de traité contre ce droit injufte ; traité
deftiné à établir entre les différentes parties
du genre humain une forte de balance.
Mais il en eft de l'équilibre moral
comme du phyſique : il eft rare qu'il foit
parfait & durable ; & les traités du genre
humain font , comme les traités entre nos
Princes , une femence continuelle de divifion.
L'intérêt , le befoin & le plaifir ,
ont rapproché les hommes ; mais ces mêmes
motifs les pouffent fans ceffe à vouloir
jouir des avantages de la focieté fans en
porter les charges ; & c'eft en ce fens qu'on
peut dire avec l'Auteur , que les hommes ,
dès qu'ils font en focieté , font en état de
guerre. Car la guerre fuppofe dans ceux
qui fe la font , finon l'égalité de force ,
au moins l'opinion de cette égalité , d'où
naît le defir & l'efpoir mutuel de fe vaincre
. Or dans l'état de focieté , fi la balance
n'eft jamais parfaite entre les hommes ,
elle n'eft pas non plus trop inégale : au contraire
, où ils n'auroient rien à fe difputer
dans l'état de nature , ou fi la néceffité les
y obligeoit , on ne verroit que la foibleffe
DECEMBRE. 1755 . 79
fuyant devant la force , des oppreffeurs
fans combat , & des opprimés fans réfiftance .
Voilà donc les hommes réunis & armés
tout-à- la-fois , s'embraffant d'un côté , fi
on peut parler ainfi , & cherchant de l'autre
à fe bleffer mutuellement : les loix font
le lien plus ou moins efficace , deſtiné à
fufpendre ou à retenir leurs coups. Mais
l'étendue prodigieufe du globe que nous
habitons , la nature différente des régions
de la terre & des peuples qui la couvrent ,
ne permettant pas que tous les hommes
vivent fous un feul & même gouvernement
, le humain a dû fe partager
genre
en un certain nombre d'Etats , diftingués
par la différence des loix auxquelles ils
obéiffent. Un feul gouvernement n'auroit
fait du genre humain qu'un corps exténué
& languiffant , étendu fans vigueur fur la
furface de la terre . Les différens Etats font
autant de corps agiles & robuftes , qui en
fe donnant la main les uns aux autres ,
n'en forment qu'un , & dont l'action réciproque
entretient partout le mouvement
& la vie .
On peut diftinguer trois fortes de gouvernemens
; le Républicain , le Monarchique
, le Defpotique . Dans le Républicain ,
le peuple en corps a la fouveraine puiffance
; dans le Monarchique , un feul
Div
So MERCURE DE FRANCE.
gouverne par des loix fondamentales ;
dans le Defpotique , on ne connoît d'autre
loi que la volonté du maître , ou plutôt
du tyran. Ce n'eft pas à dire qu'il n'y
ait dans l'univers que ces trois efpeces
d'Etats , ce n'eft pas à dire même qu'il y
ait des Etats qui appartiennent uniquement
& rigoureufement à quelqu'une de
ces formes : la plupart font , pour ainfi
dire , mi partis ou nuancés les uns des autres.
Ici la Monarchie incline au Defpotifme
; là le gouvernement monarchique eft
combiné avec le Républicain ; ailleurs ce
n'eft pas le peuple entier , c'eft feulement
une partie du peuple qui fait les loix .
Mais la divifion précédente n'en eft pas
moins exacte & moins jufte : les trois efpeces
de gouvernement qu'elle renferme
font tellement diftingués , qu'elles n'ont
proprement rien de commun ; & d'ailleurs
tous les Etats que nous connoiffons , participent
de l'une ou de l'autre. Il étoit
donc néceffaire de former de ces trois
efpeces des claffes particulieres , & de
s'appliquer à déterminer les loix qui leur
font propres ; il fera facile enfuite de modifier
ces loix dans l'application à quelque
gouvernement que ce foit , felon
qu'il appartiendra plus ou moins à ces différentes
formes.
DECEMBRE . 1755 .
Dans les divers Etats , les loix doivent
être relatives à leur nature , c'est- à- dire à
ce qui les conftitue , & à leur principe ,
c'eft-à- dire à ce qui les foutient & les fait
agir ; diftinction importante , la clef d'une
infinité de loix , & dont l'Auteur tire bien
des conféquences.
Les principales loix relatives à la nature
de la Démocratie font , que le peuple
y foit à certains égards le Monarque ,
à d'autres le Sujet ; qu'il élife & juge fes
Magiftrats , & que les Magiftrats en certaines
occafions décident. La nature de la
Monarchie demande qu'il y ait entre le
Monarque & le peuple beaucoup de pouvoirs
& de rangs intermédiaires , & un
corps , dépofitaire des loix médiateur
entre les fujets & le Prince . La nature du
Defpotifme exige que le tyran exerce fon
autorité , ou par lui feul , ou par un feul
qui le repréfente.
>
Quant au principe des trois gouvernemens
, celui de la Démocratie eft l'amour
de la République , c'eft à dire de l'égalité
dans les Monarchies où un feul eft le
difpenfareur des diftinctions & des ré- ,
compenfes , & où l'on s'accoutume à conconfondre
l'Etat avec ce feul homme , le
principe eft l'honneur , c'eft- à- dire l'ambition
& l'amour de l'eftime : fous le Def-
Dv
82
MERCURE DE FRANCE.
potifme enfin , c'eft la crainte. Plus ces
principes font en vigueur , plus le gouvernement
eft ftable ; plus ils s'alterent &
fe corrompent , plus il incline à fa deftruction
. Quand l'Auteur parle de l'égalité
dans les Démocraties , il n'entend pas
une égalité extrême , abfolue , & par conféquent
chimérique ; il entend cet heureux
équilibre qui rend tous les citoyens
également foumis aux loix , & également
intéreffés à les obferver.
Dans chaque gouvernement les loix de
l'éducation doivent être relatives au principe
; on entend ici par éducation celle
qu'on reçoit en entrant dans le monde , &
non celle des parens & des maîtres , qui
fouvent y eft contraire , fur- tout dans cerrains
Etats . Dans les Monarchies , l'éducation
doit avoir pour objet l'urbanité &
les égards réciproques : dans les Etats defpotiques
, la terreur & l'aviliffement des
efprits : dans les Républiques on a befoin
de toute la puiffance de l'éducation : elle
doit infpirer un fentiment noble , mais
pénible , le renoncement à foi-même , d'où
naît l'amour de la patrie.
Les loix que le Législateur donne , doivent
être conformes au principe de chaque
gouvernement ; dans la République ,
entretenir l'égalité & la frugalité ; dans
DECEMBRE. 1755. 83
la Monarchie , foutenir la nobleffe fans
écrafer le peuple ; fous le gouvernement
defpotique , tenir également tous les Etats
dans le filence. On ne doit point accufer
M. de Montefquieu d'avoir ici tracé aux
Souverains les principes du pouvoir arbitraire
, dont le nom feul eft fi odieux aux
Princes juftes , & à plus forte raifon au citoyen
fage & vertueux . C'eft travailler à
l'anéantir que de montrer ce qu'il faut faire
pour le conferver : la perfection de ce
gouvernement en eft la ruine ; & le code
exact de la tyrannie , tel que l'Auteur le
donne , eft en même tems la fatyre & le
fléau le plus redoutable des tyrans. A l'égard
des autres gouvernemens, ils ont chacun
leurs avantages ; le républicain eft plus
propte aux petits Etats ; le monarchique ,
aux grands ; le républicain plus fujer aux
excès , le monarchique, aux abus ; le républicain
apporte plus de maturité dans l'exécution
des loix , le monarchique plus de
promptitude.
La différence des principes des trois
gouvernemens doit en produire dans le
nombre & l'objet des loix , dans la forme
des jugemens & la nature des peines. La
conftitution des Monarchies étant invariable
& fondamentale , exige plus de loix
civiles & de tribunaux , afin que la juftice
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
foit rendue d'une maniere plus uniforme
& moins arbitraire ; dans les Etats modérés
, foit Monarchies , foit Républiques ,
on ne fçauroit apporter trop de formalités
aux loix criminelles. Les peines doivent
non feulement être en proportion avec le
crime , mais encore les plus douces qu'il
eft poffible , fur- tout dans la Démocratie ;
l'opinion attachée aux peines fera fouvent
plus d'effet que leur grandeur même. Dans
les Républiques , il faut juger felon la loi ,
parce qu'aucun particulier n'eft le maître
de l'altérer. Dans les Monarchies , la clémence
du Souverain peut quelquefois l'adoucir
; mais les crimes ne doivent jamais
y être jugés que par les Magiftrats expreffément
chargés d'en connoître. Enfin c'eft
principalement dans les Démocraties que
les loix doivent être féveres contre le luxe,
le relâchement des moeurs & la féduction
des femmes. Leur douceur & leur foibleffe
même les rend affez propres à gouverner
dans les Monarchies , & l'Hiftoire prouve
que fouvent elles ont porté la couronne
avec gloire.
M. de Montefquieu ayant ainfi parcouru
chaque gouvernement en particulier ,
les examine enfuite dans le rapport qu'ils
peuvent avoir les uns aux autres , mais
feulement fous le point de vue le plus
DECEM BRE. 1755. 85
"
général , c'est-à-dire fous celui qui eft uniquement
relatif à leur nature & à leur
principe. Envifagés de cette maniere , les
Etats ne peuvent avoir d'autres rapports
que celui de fe défendre , ou d'attaquer.
Les Républiques devant , par leur nature ,
renfermer un petit Etat , elles ne peuvent
fe défendre fans alliance ; mais c'eft avec
des Républiques qu'elles doivent s'allier .
La force defenfive de la Monarchie confifte
principalement à avoir des frontieres
hors d'infulte. Les Etats ont , comme les
hommes , le droit d'attaquer pour leur propre
confervation. Du droit de la guerre
dérive celui de conquête ; droit nécellaire ,
légitime & malheureux , qui laiſſe toujours
à payer une dette immenfe pour s'acquitter
envers la nature humaine , & dont la loi
générale eft de faire aux vaincus le moins
de mal qu'il eft poffible . Les Républiques
peuvent moins conquérir que les Monarchies
; des conquêtes immenfes fuppofent
le defpotifme ou l'affurent . Un des grands
principes de l'efprit de conquête doit être
de rendre meilleure , autant qu'il eft poffible
, la condition du peuple conquis :
c'eft fatisfaire tout- à - la-fois la loi naturelle
& la maxime , d'Etat . Rien n'eft plus
beau que le traité de paix de Gelon avec
les Carthaginois , par lequel il leur défen86
MERCURE DE FRANCE.
dit d'immoler à l'avenir leurs propres enfans.
Les Efpagnols , en conquérant le Pérou
, auroient dû obliger de même les habitans
à ne plus immoler des hommes à
leurs Dieux ; mais ils crurent plus avantageux
d'immoler ces peuples mêmes . Ils
n'eurent plus pour conquête qu'un vafte
défert : ils furent forcés à dépeupler leur
pays , & s'affoiblirent pour toujours par
leur propre victoire . On peut être obligé
quelquefois de changer les loix du peuple
vaincu ; rien ne peut jamais obliger de lui
ôter fes moeurs ou même fes coutumes ,
qui font fouvent toutes les moeurs . Mais
le moyen le plus für de conferver une conquête
, c'eft de mettre , s'il eft poffible , le
peuple vaincu au niveau du peuple conquerant
; de lui accorder les mêmes droits
& les mêmes privileges : c'eft ainfi qu'en
ont fouvent ufé les Romains ; c'eft ainfi
fur-tout qu'en ufa Céfar à l'égard des
Gaulois.
Jufqu'ici , en confiderant chaque gouvernement
, tant en lui-même , que dans
fon rapport aux autres , nous n'avons eu
égard ni à ce qui doit leur être commun ,
ni aux circonftances particulieres tirées
ou de la nature du pays , ou du génie des
peuples : c'eft ce qu'il faut maintenant développer.
DECEMBRE . 1755. 87
La loi commune de tous les gouvernemens
, du moins des gouvernemens modérés
, & par conféquent juftes , eft la liberté
politique dont chaque citoyen doit
jouir. Cette liberté n'eft point la licence
abfurde de faire tout ce qu'on veut , mais
le pouvoir de faire tout ce que les loix
permettent. Elle peut être envisagée , ou
dans fon rapport à la conftitution
dans fon rapport au citoyen.
ou
Il y a dans la conftitution de chaque
Etat deux fortes de pouvoirs , la puiflance
législative & l'exécutrice ; & cette derniere
a deux objets , l'intérieur de l'Etat
& le dehors . C'eft de la diftribution légitime
& de la répartition convenable de
ces différentes efpeces de pouvoirs que dépend
la plus grande perfection de la liberté
politique par rapport à la conftitution.
M. de Montefquieu en apporte pour
preuve la conftitution de la République
Romaine & celle de l'Angleterre . Il trouve
le principe de celle- ci dans cette loi
fondamentale du gouvernement des anciens
Germains , que les affaires peu importantes
y étoient décidées par les chefs ,
& que les grandes étoient portées au tribunal
de la nation , après avoir auparavant
été agitées par les chefs. M. de Monrefquieu
n'examine point fi les Anglois
8S MERCURE DE FRANCE.
jouiffent ou non de cette extrême liberté
politique que leur conftitution leur donne
, il lui fuffit qu'elle foit établie par
leurs loix : il eft encore plus éloigné de
vouloir faire la fatyre des autres Etats. Il
croit au contraire que l'excès , même dans
le bien , n'eft pas toujours défirable ; que
la liberté extrême a fes inconveniens ›
comme l'extrême fervitude ; & qu'en général
la nature humaine s'accommode
mieux d'un état moyen.
La liberté politique confidérée par rapport
au citoyen , confifte dans la fureté
où il eft à l'abri des loix , ou du moins
dans l'opinion de cette fureté, qui fait qu'un
citoyen n'en craint point un autre . C'eſt
principalement par la nature & la proportion
des peines , que cette liberté s'établit
ou fe détruit. Les crimes contre la Religion
doivent être punis par la privation
des biens que la Religion procure ; les
crimes contre les moeurs , par la honte
les crimes contre la tranquillité publique ,
par la prifon ou l'exil ; les crimes contre
la fureté , par les fupplices . Les écrits doivent
être moins punis que les actions , jamais
les fimples penfées ne doivent l'être :
accufations non juridiques , efpions , lettres
anonymes , toutes ces reffources de la
tyrannie , également honteufes à ceux qui
;
DECEMBRE . 1755. Se
en font l'inftrument, & à ceux qui s'en fervent
, doivent être profcrites dans un bon
gouvernement monarchique . Il n'eft permis
d'accufer qu'en face de la loi , qui punit
toujours ou l'accufé , ou le calomniateur.
Dans tout autre cas , ceux qui
gouvernent doivent dire avec l'Empereur
Conftance : Nous ne sçaurions foupçonner
celui à qui il a manqué un accuſateur , lorf
qu'il ne lui manquoit pas un ennemi . C'eſt
une très -bonne inftitution que celle d'une
partie publique qui fe charge , au nom de
l'Etat , de pourfuivre les crimes , & qui ait
toute l'utilité des délateurs , fans en avoir
les vils intérêts , les inconvéniens , & l'infamie.
La grandeur des impôts doit être en
proportion directe avec la liberté . Ainfi
dans les Démocraties ils peuvent être plus
grands qu'ailleurs, fans être onéreux , parce
que chaque citoyen les regarde comme
un tribut qu'il fe paye à lui-même , & qui
affure la tranquillité & le fort de chaque
membre. De plus , dans un Etat démocratique
, l'emploi infidele des deniers pu-,
blics eft plus difficile , parce qu'il eft plus
aifé de le connoître & de le punir , le dépofitaire
en devant compte , pour ainsi
dire , au premier citoyen qui l'exige .
Dans quelque gouvernement que ce foit,
90 MERCURE DE FRANCE.
l'efpece de tributs la moins onéreuſe , eft
celle qui eft établie fur les marchandiſes ;
parce que le citoyen paye
fans s'en appercevoir.
La quantité exceffive de troupes
en tems de paix , n'eft qu'un prétexte pour
charger le peuple d'impôts , un moyen
d'énerver l'Etat , & un inftrument de fervitude.
La régie des tributs qui en fait
rentrer le produit en entier dans le fifc
public , eft fans comparaifon moins à charge
au peuple, & par conféquent plus avantageufe
, lorfqu'elle peut avoir lieu , que
la ferme de ces mêmes tributs , qui laiſſe
toujours entre les mains de quelques particuliers
une partie des revenus de l'Etat.
Tout eft perdu furtout ( ce font ici les
termes de l'Auteur ) lorfque la profeffion
de traitant devient honorable ; & elle le
devient dès que le luxe eft en vigueur.
Laiffer quelques hommes fe nourrir de la
fubftance publique , pour les dépouiller à
leur tour , comme on l'a autrefois pratiqué
dans certains Etats , c'eft réparer une
injuftice par une autre , & faire deux maux
au lieu d'un .
Venons maintenant , avec M. de Montefquieu
, aux circonftances particulieres
indépendantes de la nature du gouvernement
, & qui doivent en modifier les loix.
Les circonftances qui viennent de la naDECEMBRE
1755. 91
ture du pays font de deux fortes ; les unes
ont rapport au climat , les autres au terrein.
Perfonne ne doute que le climat
n'influe fur la difpofition habituelle des
corps , & par conféquent fur les caracteres.
C'eft pourquoi les loix doivent fe conformer
au phyfique du climat dans les
chofes indifférentes , & au contraire le
combattre dans les effets vicieux : ainfi
dans les pays où l'ufage du vin eft nuifible
, c'eft une très -bonne loi que celle qui
l'interdit. Dans les pays où la chaleur du
climat porte à la pareffe , c'eft une trèsbonne
loi que celle qui encourage au travail.
Le gouvernement peut donc corriger
les effets du climat , & cela fuffit pour
mettre l'Esprit des Loix à couvert du reproche
très- injufte qu'on lui a fait d'attribuer
tout au froid & à la chaleur : car
outre que la chaleur & le froid ne font
pas la feule chofe par laquelle les climats
foient diftingués , il feroit auffi abfurde
de nier certains effets du climat que de
vouloir lui attribuer tout.
L'ufage des Efclaves établi dans les Pays
chauds de l'Afie & de l'Amérique , & réprouvé
dans les climats tempérés de l'Europe
, donne fujet à l'Auteur de traiter de
l'Esclavage civil. Les hommes n'ayant pas
plus de droit fur la liberté que fur la vie
92 MERCURE DE FRANCE.
les uns des autres , il s'enfuit que l'efclavage
, généralement parlant , eft contre la
loi naturelle. En effet , le droit d'esclavage
ne peut venir ni de la guerre , puifqu'il ne
pourroit être alors fondé que fur le rachat.
de la vie , & qu'il n'y a plus de droit fur la
vie de ceux qui n'attaquent plus ; ni de la
vente qu'un homme fait de lui- même à un
autre , puifque tout citoyen étant redevable
de fa vie à l'Etat , lui eft à plus forte
raifon redevable de fa liberté , & par conféquent
n'eft pas le maître de la vendre .
D'ailleurs quel feroit le prix de cette vente
? Ce ne peut être l'argent donné au vendeur
, puifqu'au moment qu'on fe rend
efclave , toutes les poffeffions appartiennent
au maître : or une vente fans prix eft
auffi chimérique qu'un contrat fans condition.
Il n'y a peut- être jamais eu qu'une
loi jufte en faveur de l'efclavage , c'étoit
la loi Romaine qui rendoit le débiteur efclave
du créancier ; encore cette loi ,
pour
être équitable , devoit borner la fervitude
quant au dégré & quant au tems. L'efclavage
peut tout au plus être toléré dans les
Etats defpotiques , où les hommes libres ,
trop foibles contre le gouvernement, cherchent
à devenir , pour leur propre utilité ,
les efclaves de ceux qui tyrannifent l'Etat ;
ou bien dans les climats dont la chaleur
2
DECEMBRE . 1755. 93
énerve fi fort le corps , & affoiblit tellement
le courage , que les hommes n'y font
portés à un devoir pénible , que par la
crainte du châtiment.
A côté de l'esclavage civil on peut placer
la fervitude domeftique , c'eft- à-dire ,
celle où les femmes font dans certains climats
: elle peut avoir lieu dans ces contrées
de l'Afie où elles font en état d'habiter
avec les hommes avant que de pouvoir
faire ufage de leur raifon ; nubiles par la
loi du climat , enfans par celle de la nature.
Cette fujétion devient encore plus néceffaire
dans les Pays où la polygamie eft
établie ; ufage que M. de Montefquieu ne
prétend pas juftifier dans ce qu'il a de contraire
à la Religion , mais qui dans les
lieux où il eft reçu ( & à ne parler que politiquement
) peut être fondé jufqu'à`un
certain point , ou fur la nature du Pays
ou fur le rapport du nombre des femmes
au nombre des hommes. M. de Montefquieu
parle à cette occafion de la Répudiation
& du Divorce ; & il établit fur de
bonnes raifons , que la répudiation une
fois admife , devroit être permife aux femmes
comme aux hommes.
Si le climat a tant d'influence fur la fervitude
domestique & civile , il n'en a pas
moins fur la fervitude politique , c'est- à94
MERCURE DE FRANCE.
dire fur celle qui foumet un peuple à un
autre. Les peuples du Nord font plus forts
& plus courageux que ceux du Midi ; ceux
ci doivent donc en géneral être fubjugués ,
ceux - là conquérans ; ceux - ci efclaves ,
ceux -là libres : c'eft auffi ce que l'Hiftoire
confirme . L'Afie a été conquiſe onze fois
par lès peuples du Nord ; l'Europe a fouffert
beaucoup moins de révolutions .
A l'égard des loix relatives à la nature
du terrein , il eft clair que la Démocratie
convient mieux que la Monarchie aux
Pays ftériles , où la terre a befoin de toute
l'induftrie des hommes. La liberté d'ailleurs
eft en ce cas une efpece de dédommagement
de la dureté du travail . Il faut
plus de loix pour un peuple agriculteur que
pour un peuple qui nourrit des troupeaux,
pour celui - ci que pour un peuple chaffeur,
pour un peuple qui fait ufage de la monnoie
, que pour celui qui l'ignore.
Enfin on doit avoir égard au génie particulier
de la Nation . La vanité qui groffit
les objets , eft un bon reffort pour le gouvernement
; l'orgueil qui les dépriſe eft un
reffort dangereux . Le Légiflateur doit ref
pecter jufqu'à un certain point les préjugés
, les paffions , les abus. Il doit imiter
Solon , qui avoit donné aux Athéniens ,
non les meilleures loix en elles-mêmes ,
DECEMBRE
1755. 95
mais les meilleures qu'ils puffent avoir . Le
caractere gai de ces peuples demandoit des
loix plus faciles ; le caractere dur des Lacédémoniens
, des loix plus féveres. Les
loix font un mauvais moyen pour changer
les manieres & les ufages ; c'eft par les récompenfes
& l'exemple qu'il faut tâcher
d'y parvenir. Il eft pourtant vrai en mêmetems
, que les loix d'un peuple , quand on
n'affecte pas d'y choquer groffierement &
directement fes moeurs , doivent influer
infenfiblement fur elles , foit pour les affermir,
foit pour les changer.
Après avoir approfondi de cette maniere
la nature & l'efprit des Loix par rapport
aux différentes efpeces de Pays & de
peuples , l'Auteur revient de nouveau à
confidérer les Etats les uns par rapport aux
autres. D'abord en les comparant entre
eux d'une maniere générale , il n'avoit
pu les envifager que par rapport au mal
qu'ils peuvent fe faire. Ici il les envifage
par rapport aux fecours mutuels
qu'ils peuvent le donner : or ces fecours
font principalement fondés fur le Commerce.
Si l'efprit de Commerce produit
naturellement un efprit d'intérêt oppofé
à la fublimité des vertus morales , il
rend auffi un peuple naturellement jufte ,
& en éloigne l'oifiveté & le brigandage.
96 MERCURE DE FRANCE.
Les Nations libres qui vivent fous des
gouvernemens modérés , doivent s'y livrer
plus que les Nations efclaves. Jamais une
Nation ne doit exclure de fon commerce
une autre Nation , fans de grandes raifons.
Au refte la liberté en ce genre n'eft pas une
faculté abfolue accordée aux Négocians de
faire ce qu'ils veulent ; faculté qui leur
feroit fouvent préjudiciable : elle confifte
à ne gêner les Négocians qu'en faveur du
Commerce. Dans la Monarchie la Nobleffe
ne doit point s'y adonner , encore
moins le Prince . Enfin il eft des Nations
auxquelles le Commerce eft défavantageux
; ce ne font pas celles qui n'ont befoin
de rien , mais celles qui ont besoin de
tout : paradoxe que l'Auteur rend fenfible
par l'exemple de la Pologne , qui manque
de tout , excepté de bled , & qui , par
le commerce qu'elle en fait , prive les
payfans de leur nourriture , pour fatisfaire
au luxe des Seigneurs. M. de Montefquieu ,
à l'occafion des loix que le Commerce
exige , fait l'hiftoire de fes différentes révolutions
; & cette partie de fon livre
n'eft ni la moins intéreffante , ni la moins
curieufe. Il compare l'appauvriffement de
l'Espagne ,, par la découverte de l'Amérique
, au fort de ce Prince imbécille de la
Fable , prêt à mourir de faim , pour avoir
demandé
1
DECEMBRE. 1755 : 97
demandé aux Dieux que tout ce qu'il toucheroit
fe convertit en or. L'ufage de la
monnoie étant une partie confidérable de
l'objet du Commerce , & fon principal
inftrument , il a cru devoir , en conféquence
, traiter des opérations fur la monnoie
, du change , du payement des dettes
publiques , du prêt à intérêt dont il fixe
les loix & les limites , & qu'il ne confond
nullement avec les excès fi juftement condamnés
de l'ufure.
La population & le nombre des habitans
ont avec le Commerce un rapport
immédiat ; & les mariages ayant pour objet
la population , M. de Montefquieu approfondit
ici cette importante matiere. Če
qui favorife le plus la propagation eft la
continence publique ; l'expérience prouve
que les conjonctions illicites y contribuent
peu , & même y nuifent. On a établi avec
juftice , pour les mariages , le confentement
des peres ; cependant on y doit mettre
des reftrictions : car la loi doit en général
favorifer les mariages. La loi qui
défend le mariage des meres avec les fils ,
oft ( indépendamment des préceptes de la
Religion ) une très-bonne loi civilę ; car
fans parler de plufieurs autres raifons , les
contractans étant d'âge très- différent , ces
fortes de mariages peuvent rarement avoir
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
>
la propagation pour objet. La loi qui défend
le mariage du pere avec la fille , eſt
fondée fur les mêmes motifs : cependant
( à ne parler que civilement ) elle n'eft pas
fi indifpenfablement néceffaire que l'autre
à l'objet de la population , puifque la vertu
d'engendrer finit beaucoup plus tard
dans les hommes ; auffi l'ufage contraire
a t'il eu lieu chez certains peuples que la
lumiere du Chriftianifme n'a point éclairés.
Comme la nature porte d'elle -même
au mariage , c'eft un mauvais gouvernement
que celui où on aura befoin d'y encourager.
La liberté , la fûreté , la modération
des impôts , la profcription du luxe,
font les vrais principes & les vrais foutiens
de la population : cependant on peut
avec fuccès faire des loix pour encourager
les mariages , quand , malgré la corruption
, il reste encore des refforts dans
le peuple qui l'attachent à fa patrie. Rien
n'eft plus beau que les loix d'Augufte pour
favorifer la propagation de l'efpece : par
malheur il fit ces loix dans la décadence ,
ou plutôt dans la chute de la République ;
& les citoyens découragés devoient prévoir
qu'ils ne mettroient plus au monde
que
des efclaves : auffi l'exécution de ces
loix fut elle bien foible durant tout le
tems des Empereurs payens. Conftantin
DECEM BRE . 1755. 99
enfin les abolit en fe faifant Chrétien ,
comme fi le Chriftianifme avoit pour but
de dépeupler la fociété , en confeillant à
un petit nombre la perfection du célibat.
L'établiſſement des hôpitaux , felon l'efprit
dans lequel il eft fait , peut nuire à la;
population , ou la favorifer. Il peut & il
doit même y avoir des hôpitaux dans un
Etat dont la plupart des citoyens n'ont que
leur , induftrie pour reffource , parce que
cette induftrie peut quelquefois être malheureuſe
; mais les fecours que ces hôpitaux
donnent , ne doivent être que paffagers
, pour ne point encourager la mendicité
& la fainéantife. Il faut commencer
par rendre le peuple riche , & bâtir enfuite
des hôpitaux pour les befoins imprévus
& preffans . Malheureux les Pays où
la multitude des hôpitaux & des monafteres
, qui ne font que des hôpitaux perpétuels
, fait que tout le monde eft à fon
aife , excepté ceux qui travaillent.
M. de Montefquieu n'a encore parlé
que des loix humaines. Il paffe maintenant
à celles de la Religion , qui dans prefque
tous les Etats font un objet fi effentiel
du gouvernement. Par- tout il fait l'éloge
du Chriftaifine ; il en montre les avantages
& la grandeur ; il cherche à le faire
aimer. Il foutient qu'il n'eft pas impoffi
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
ble , comme Bayle l'a prétendu , qu'une
fociété de parfaits Chrétiens forme un
Etat fubfiftant & durable . Mais il s'eft cru
permis auffi d'examiner ce que les différentes
Religions ( humainement parlant )
peuvent avoir de conforme ou de contraire
au génie & à la fituation des peuples
qui les profeffent. C'est dans ce point de
vue qu'il faut lire tout ce qu'il a écrit fur
cette matiere , & qui a été l'objet de tant
de déclamations injuftes. Il eft furprenant
furtout que dans un fiecle qui en appelle
tant d'autres barbares , on lui ait fait un
crime de ce qu'il dit de la tolérance ; comme
fi c'étoit approuver une religion que
de la tolérer comme fi enfin l'Evangile
même ne profcrivoit pas tout autre moyende
le répandre , que la douceur & la perfuafion.
Ceux en qui la fuperftition n'a
pas éteint tout fentiment de compaflion
& de juftice , ne pourront lire , fans être
attendris , la remontrance aux Inquifiteurs,
ce tribunal odieux , qui outrage la Religion
en paroiffant la venger.
Enfin après avoir traité en particulier
des différentes efpeces de loix que les
hommes peuvent avoir , il ne reste plus
qu'à les comparer toutes enfemble , & à
les examiner dans leur rapport avec les
chofes fur lefquelles elles ftatuent. Les
DECEMBRE. 1755. 101
hommes font gouvernés par différentes efpeces
de loix ; par le droit naturel , commun
à chaque individu ; par le droit divin
, qui eft celui de la Religion ; par le
droit eccléfiaftique , qui eft celui de la
police de la Religion ; par le droit civil ,
qui eft celui des membres d'une même
fociété
; par
le droit politique , qui eft celui
du gouvernement de cette fociété ; par
le droit des gens , qui eft celui des fociétés
les unes par rapport aux autres. Ces droits
ont chacun leurs objets diftingués , qu'il
faut bien fe garder de confondre. On
ne doit jamais régler par l'un ce qui appar
tient à l'autre , pour ne point mettre de dé
fordre ni d'injuftice dans les principes qui
gouvernent les hommes . Il faut enfin que
les principes qui prefcrivent le genre des
loix , & qui en circonfcrivent l'objet , regnent
auffi dans la maniere de les compofer.
L'efprit de modération doit , autant qu'il eft
poffible , en dicter toutes les difpofitions.
Des loix bien faites feront conformes à
l'efprit du Législateur , même en paroiffant
s'y oppofer. Telle étoit la fameuſe
loi de Solon , par laquelle tous ceux qui
ne prenoient point de part dans les féditions
, étoient déclarés infâmes . Elle prévenoit
les féditions , ou les rendoit utiles.
en forçant tous les membres de la Répu
1
1
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
blique à s'occuper de fes vrais intérêts .
L'Oftracifime même étoit une très - bonne
loi ; car d'un côté elle étoit honorable au
citoyen qui en étoit l'objet , & prévenoit
de l'autre les effets de l'ambition ; il falloit
d'ailleurs un très - grand nombre de fuffrages,
& on ne pouvoit bannir que tous les
cinq ans. Souvent les loix qui paroiffent les
mêmes, n'ont ni le même motif, ni le même
effet , ni la même équité : la forme du gouvernement
, les conjonctures & le génie du
peuple changent tout . Enfin le ftyle des
loix doit être fimple & grave : elles peuvent
fe difpenfer de motiver , parce que
le motif eft fuppofé exifter dans l'efprit
du Législateur ; mais quand elles motivent
, ce doit être fur des principes évidens
elles ne doivent pas reffembler à
cette loi qui , défendant aux aveugles de
plaider , apporte pour raifon qu'ils ne peuvent
pas voir les ornemens de la Magiftrature
.
M. de Montefquieu , pour montrer par
des exemples l'application de fes principes
, a choifi deux différens peuples , le
plus célébre de la terre , & celui dont
'Hiftoire nous intéreffe le plus , les Romains
& les François. Il ne s'attache qu'a
une partie de la Jurifprudence du premier;
celle qui regarde les fucceffions . A l'égard
DECEMBRE. 1755. 103
turs ,
des François , il entre dans le plus grand
détail fur l'origine & les révolutions de
leurs loix civiles , & fur les différens
ufages abolis ou fubfiftans , qui en ont été
la fuite il s'étend principalement fur les
loix féodales , cette efpece de gouvernement
inconnu à toute l'antiquité , qui le
fera peut- être pour toujours aux fiecles fur-
& qui a fait tant de biens & tant
de maux. Il difcute fur-tout ces loix dans
le rapport qu'elles ont à l'établiffement &
aux révolutions de la Monarchie Françoife
; il prouve , contre M. l'Abbé du
Bos , que les Francs font réellement entrés
en conquérans dans les Gaules , &
qu'il n'eft pas vrai , comme cet Auteur le
prétend , qu'ils ayent été appellés par les
peuples pour fuccéder aux droits des Empereurs
Romains qui les opprimoient :
détail profond , exact & curieux , mais
dans lequel il nous eft impoffible de le
fuivre , & dont les points principaux fe
trouveront d'ailleurs répandus dans différens
endroits de ce Dictionnaire , aux articles
qui s'y rapportent.
Telle eft l'analyfe générale , mais trèsinforme
& très-imparfaite , de l'ouvrage
de M. de Montefquieu : nous l'avons féparée
du refte de fon éloge , pour ne pas
trop interrompre la fuite de notre récit.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
M. Dalembert nous permettra de combattre
ici fa modeftie . Nous ofons dire , d'après
la voix publique , que cette analyſe
eft un modele, qu'elle met l'Efprit des Loix
dans tout fon jour , & qu'il n'eft pas poffible
d'en faire une meilleure . Heureux
le texte , quelque mérite qu'il ait en foi ,
qui eft ainfi commenté !
la note qui accompagne l'Eloge de M. de
Montefquieu par M. d'Alembert. Nous
l'avions annoncée pour le premier Mercure
de ce mois , & nous acquittons notre
parole.
Lparle de l'efprit des Loix , s étant plus
A plupart des gens de Lettres qui ont
attachés à le critiquer qu'à en donner une
idée juſte , nous allons tâcher de fuppléer
à ce qu'ils auroient dû faire , & d'en développer
le plan , le caractere & l'objet.
Ceux qui en trouveront l'analy fe trop longue
, jugeront peut être, après l'avoir lue ,
qu'il n'y avoit que ce feul moyen de bien
faire faifir la méthode de l'Auteur . On
doit fe fouvenir d'ailleurs que l'hiftoire
des écrivains célebres n'eft que celle de
leurs penfées & de leurs travaux , & que
cette partie de leur éloge en eft la plus
effentielle & la plus utile , fur-tout à la
tête d'un ouvrage rel que l'Encyclopédie.
Les homme dans l'état de nature , abf-
D iij
78 MERCURE DE FRANCE.
traction faite de toute religion , ne connoiffant
dans les différends qu'ils peuvent
avoir , d'autre loi que celle des animaux ,
le droit du plus fort, on doit regarder l'établiffement
des fociétés comme une espece
de traité contre ce droit injufte ; traité
deftiné à établir entre les différentes parties
du genre humain une forte de balance.
Mais il en eft de l'équilibre moral
comme du phyſique : il eft rare qu'il foit
parfait & durable ; & les traités du genre
humain font , comme les traités entre nos
Princes , une femence continuelle de divifion.
L'intérêt , le befoin & le plaifir ,
ont rapproché les hommes ; mais ces mêmes
motifs les pouffent fans ceffe à vouloir
jouir des avantages de la focieté fans en
porter les charges ; & c'eft en ce fens qu'on
peut dire avec l'Auteur , que les hommes ,
dès qu'ils font en focieté , font en état de
guerre. Car la guerre fuppofe dans ceux
qui fe la font , finon l'égalité de force ,
au moins l'opinion de cette égalité , d'où
naît le defir & l'efpoir mutuel de fe vaincre
. Or dans l'état de focieté , fi la balance
n'eft jamais parfaite entre les hommes ,
elle n'eft pas non plus trop inégale : au contraire
, où ils n'auroient rien à fe difputer
dans l'état de nature , ou fi la néceffité les
y obligeoit , on ne verroit que la foibleffe
DECEMBRE. 1755 . 79
fuyant devant la force , des oppreffeurs
fans combat , & des opprimés fans réfiftance .
Voilà donc les hommes réunis & armés
tout-à- la-fois , s'embraffant d'un côté , fi
on peut parler ainfi , & cherchant de l'autre
à fe bleffer mutuellement : les loix font
le lien plus ou moins efficace , deſtiné à
fufpendre ou à retenir leurs coups. Mais
l'étendue prodigieufe du globe que nous
habitons , la nature différente des régions
de la terre & des peuples qui la couvrent ,
ne permettant pas que tous les hommes
vivent fous un feul & même gouvernement
, le humain a dû fe partager
genre
en un certain nombre d'Etats , diftingués
par la différence des loix auxquelles ils
obéiffent. Un feul gouvernement n'auroit
fait du genre humain qu'un corps exténué
& languiffant , étendu fans vigueur fur la
furface de la terre . Les différens Etats font
autant de corps agiles & robuftes , qui en
fe donnant la main les uns aux autres ,
n'en forment qu'un , & dont l'action réciproque
entretient partout le mouvement
& la vie .
On peut diftinguer trois fortes de gouvernemens
; le Républicain , le Monarchique
, le Defpotique . Dans le Républicain ,
le peuple en corps a la fouveraine puiffance
; dans le Monarchique , un feul
Div
So MERCURE DE FRANCE.
gouverne par des loix fondamentales ;
dans le Defpotique , on ne connoît d'autre
loi que la volonté du maître , ou plutôt
du tyran. Ce n'eft pas à dire qu'il n'y
ait dans l'univers que ces trois efpeces
d'Etats , ce n'eft pas à dire même qu'il y
ait des Etats qui appartiennent uniquement
& rigoureufement à quelqu'une de
ces formes : la plupart font , pour ainfi
dire , mi partis ou nuancés les uns des autres.
Ici la Monarchie incline au Defpotifme
; là le gouvernement monarchique eft
combiné avec le Républicain ; ailleurs ce
n'eft pas le peuple entier , c'eft feulement
une partie du peuple qui fait les loix .
Mais la divifion précédente n'en eft pas
moins exacte & moins jufte : les trois efpeces
de gouvernement qu'elle renferme
font tellement diftingués , qu'elles n'ont
proprement rien de commun ; & d'ailleurs
tous les Etats que nous connoiffons , participent
de l'une ou de l'autre. Il étoit
donc néceffaire de former de ces trois
efpeces des claffes particulieres , & de
s'appliquer à déterminer les loix qui leur
font propres ; il fera facile enfuite de modifier
ces loix dans l'application à quelque
gouvernement que ce foit , felon
qu'il appartiendra plus ou moins à ces différentes
formes.
DECEMBRE . 1755 .
Dans les divers Etats , les loix doivent
être relatives à leur nature , c'est- à- dire à
ce qui les conftitue , & à leur principe ,
c'eft-à- dire à ce qui les foutient & les fait
agir ; diftinction importante , la clef d'une
infinité de loix , & dont l'Auteur tire bien
des conféquences.
Les principales loix relatives à la nature
de la Démocratie font , que le peuple
y foit à certains égards le Monarque ,
à d'autres le Sujet ; qu'il élife & juge fes
Magiftrats , & que les Magiftrats en certaines
occafions décident. La nature de la
Monarchie demande qu'il y ait entre le
Monarque & le peuple beaucoup de pouvoirs
& de rangs intermédiaires , & un
corps , dépofitaire des loix médiateur
entre les fujets & le Prince . La nature du
Defpotifme exige que le tyran exerce fon
autorité , ou par lui feul , ou par un feul
qui le repréfente.
>
Quant au principe des trois gouvernemens
, celui de la Démocratie eft l'amour
de la République , c'eft à dire de l'égalité
dans les Monarchies où un feul eft le
difpenfareur des diftinctions & des ré- ,
compenfes , & où l'on s'accoutume à conconfondre
l'Etat avec ce feul homme , le
principe eft l'honneur , c'eft- à- dire l'ambition
& l'amour de l'eftime : fous le Def-
Dv
82
MERCURE DE FRANCE.
potifme enfin , c'eft la crainte. Plus ces
principes font en vigueur , plus le gouvernement
eft ftable ; plus ils s'alterent &
fe corrompent , plus il incline à fa deftruction
. Quand l'Auteur parle de l'égalité
dans les Démocraties , il n'entend pas
une égalité extrême , abfolue , & par conféquent
chimérique ; il entend cet heureux
équilibre qui rend tous les citoyens
également foumis aux loix , & également
intéreffés à les obferver.
Dans chaque gouvernement les loix de
l'éducation doivent être relatives au principe
; on entend ici par éducation celle
qu'on reçoit en entrant dans le monde , &
non celle des parens & des maîtres , qui
fouvent y eft contraire , fur- tout dans cerrains
Etats . Dans les Monarchies , l'éducation
doit avoir pour objet l'urbanité &
les égards réciproques : dans les Etats defpotiques
, la terreur & l'aviliffement des
efprits : dans les Républiques on a befoin
de toute la puiffance de l'éducation : elle
doit infpirer un fentiment noble , mais
pénible , le renoncement à foi-même , d'où
naît l'amour de la patrie.
Les loix que le Législateur donne , doivent
être conformes au principe de chaque
gouvernement ; dans la République ,
entretenir l'égalité & la frugalité ; dans
DECEMBRE. 1755. 83
la Monarchie , foutenir la nobleffe fans
écrafer le peuple ; fous le gouvernement
defpotique , tenir également tous les Etats
dans le filence. On ne doit point accufer
M. de Montefquieu d'avoir ici tracé aux
Souverains les principes du pouvoir arbitraire
, dont le nom feul eft fi odieux aux
Princes juftes , & à plus forte raifon au citoyen
fage & vertueux . C'eft travailler à
l'anéantir que de montrer ce qu'il faut faire
pour le conferver : la perfection de ce
gouvernement en eft la ruine ; & le code
exact de la tyrannie , tel que l'Auteur le
donne , eft en même tems la fatyre & le
fléau le plus redoutable des tyrans. A l'égard
des autres gouvernemens, ils ont chacun
leurs avantages ; le républicain eft plus
propte aux petits Etats ; le monarchique ,
aux grands ; le républicain plus fujer aux
excès , le monarchique, aux abus ; le républicain
apporte plus de maturité dans l'exécution
des loix , le monarchique plus de
promptitude.
La différence des principes des trois
gouvernemens doit en produire dans le
nombre & l'objet des loix , dans la forme
des jugemens & la nature des peines. La
conftitution des Monarchies étant invariable
& fondamentale , exige plus de loix
civiles & de tribunaux , afin que la juftice
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
foit rendue d'une maniere plus uniforme
& moins arbitraire ; dans les Etats modérés
, foit Monarchies , foit Républiques ,
on ne fçauroit apporter trop de formalités
aux loix criminelles. Les peines doivent
non feulement être en proportion avec le
crime , mais encore les plus douces qu'il
eft poffible , fur- tout dans la Démocratie ;
l'opinion attachée aux peines fera fouvent
plus d'effet que leur grandeur même. Dans
les Républiques , il faut juger felon la loi ,
parce qu'aucun particulier n'eft le maître
de l'altérer. Dans les Monarchies , la clémence
du Souverain peut quelquefois l'adoucir
; mais les crimes ne doivent jamais
y être jugés que par les Magiftrats expreffément
chargés d'en connoître. Enfin c'eft
principalement dans les Démocraties que
les loix doivent être féveres contre le luxe,
le relâchement des moeurs & la féduction
des femmes. Leur douceur & leur foibleffe
même les rend affez propres à gouverner
dans les Monarchies , & l'Hiftoire prouve
que fouvent elles ont porté la couronne
avec gloire.
M. de Montefquieu ayant ainfi parcouru
chaque gouvernement en particulier ,
les examine enfuite dans le rapport qu'ils
peuvent avoir les uns aux autres , mais
feulement fous le point de vue le plus
DECEM BRE. 1755. 85
"
général , c'est-à-dire fous celui qui eft uniquement
relatif à leur nature & à leur
principe. Envifagés de cette maniere , les
Etats ne peuvent avoir d'autres rapports
que celui de fe défendre , ou d'attaquer.
Les Républiques devant , par leur nature ,
renfermer un petit Etat , elles ne peuvent
fe défendre fans alliance ; mais c'eft avec
des Républiques qu'elles doivent s'allier .
La force defenfive de la Monarchie confifte
principalement à avoir des frontieres
hors d'infulte. Les Etats ont , comme les
hommes , le droit d'attaquer pour leur propre
confervation. Du droit de la guerre
dérive celui de conquête ; droit nécellaire ,
légitime & malheureux , qui laiſſe toujours
à payer une dette immenfe pour s'acquitter
envers la nature humaine , & dont la loi
générale eft de faire aux vaincus le moins
de mal qu'il eft poffible . Les Républiques
peuvent moins conquérir que les Monarchies
; des conquêtes immenfes fuppofent
le defpotifme ou l'affurent . Un des grands
principes de l'efprit de conquête doit être
de rendre meilleure , autant qu'il eft poffible
, la condition du peuple conquis :
c'eft fatisfaire tout- à - la-fois la loi naturelle
& la maxime , d'Etat . Rien n'eft plus
beau que le traité de paix de Gelon avec
les Carthaginois , par lequel il leur défen86
MERCURE DE FRANCE.
dit d'immoler à l'avenir leurs propres enfans.
Les Efpagnols , en conquérant le Pérou
, auroient dû obliger de même les habitans
à ne plus immoler des hommes à
leurs Dieux ; mais ils crurent plus avantageux
d'immoler ces peuples mêmes . Ils
n'eurent plus pour conquête qu'un vafte
défert : ils furent forcés à dépeupler leur
pays , & s'affoiblirent pour toujours par
leur propre victoire . On peut être obligé
quelquefois de changer les loix du peuple
vaincu ; rien ne peut jamais obliger de lui
ôter fes moeurs ou même fes coutumes ,
qui font fouvent toutes les moeurs . Mais
le moyen le plus für de conferver une conquête
, c'eft de mettre , s'il eft poffible , le
peuple vaincu au niveau du peuple conquerant
; de lui accorder les mêmes droits
& les mêmes privileges : c'eft ainfi qu'en
ont fouvent ufé les Romains ; c'eft ainfi
fur-tout qu'en ufa Céfar à l'égard des
Gaulois.
Jufqu'ici , en confiderant chaque gouvernement
, tant en lui-même , que dans
fon rapport aux autres , nous n'avons eu
égard ni à ce qui doit leur être commun ,
ni aux circonftances particulieres tirées
ou de la nature du pays , ou du génie des
peuples : c'eft ce qu'il faut maintenant développer.
DECEMBRE . 1755. 87
La loi commune de tous les gouvernemens
, du moins des gouvernemens modérés
, & par conféquent juftes , eft la liberté
politique dont chaque citoyen doit
jouir. Cette liberté n'eft point la licence
abfurde de faire tout ce qu'on veut , mais
le pouvoir de faire tout ce que les loix
permettent. Elle peut être envisagée , ou
dans fon rapport à la conftitution
dans fon rapport au citoyen.
ou
Il y a dans la conftitution de chaque
Etat deux fortes de pouvoirs , la puiflance
législative & l'exécutrice ; & cette derniere
a deux objets , l'intérieur de l'Etat
& le dehors . C'eft de la diftribution légitime
& de la répartition convenable de
ces différentes efpeces de pouvoirs que dépend
la plus grande perfection de la liberté
politique par rapport à la conftitution.
M. de Montefquieu en apporte pour
preuve la conftitution de la République
Romaine & celle de l'Angleterre . Il trouve
le principe de celle- ci dans cette loi
fondamentale du gouvernement des anciens
Germains , que les affaires peu importantes
y étoient décidées par les chefs ,
& que les grandes étoient portées au tribunal
de la nation , après avoir auparavant
été agitées par les chefs. M. de Monrefquieu
n'examine point fi les Anglois
8S MERCURE DE FRANCE.
jouiffent ou non de cette extrême liberté
politique que leur conftitution leur donne
, il lui fuffit qu'elle foit établie par
leurs loix : il eft encore plus éloigné de
vouloir faire la fatyre des autres Etats. Il
croit au contraire que l'excès , même dans
le bien , n'eft pas toujours défirable ; que
la liberté extrême a fes inconveniens ›
comme l'extrême fervitude ; & qu'en général
la nature humaine s'accommode
mieux d'un état moyen.
La liberté politique confidérée par rapport
au citoyen , confifte dans la fureté
où il eft à l'abri des loix , ou du moins
dans l'opinion de cette fureté, qui fait qu'un
citoyen n'en craint point un autre . C'eſt
principalement par la nature & la proportion
des peines , que cette liberté s'établit
ou fe détruit. Les crimes contre la Religion
doivent être punis par la privation
des biens que la Religion procure ; les
crimes contre les moeurs , par la honte
les crimes contre la tranquillité publique ,
par la prifon ou l'exil ; les crimes contre
la fureté , par les fupplices . Les écrits doivent
être moins punis que les actions , jamais
les fimples penfées ne doivent l'être :
accufations non juridiques , efpions , lettres
anonymes , toutes ces reffources de la
tyrannie , également honteufes à ceux qui
;
DECEMBRE . 1755. Se
en font l'inftrument, & à ceux qui s'en fervent
, doivent être profcrites dans un bon
gouvernement monarchique . Il n'eft permis
d'accufer qu'en face de la loi , qui punit
toujours ou l'accufé , ou le calomniateur.
Dans tout autre cas , ceux qui
gouvernent doivent dire avec l'Empereur
Conftance : Nous ne sçaurions foupçonner
celui à qui il a manqué un accuſateur , lorf
qu'il ne lui manquoit pas un ennemi . C'eſt
une très -bonne inftitution que celle d'une
partie publique qui fe charge , au nom de
l'Etat , de pourfuivre les crimes , & qui ait
toute l'utilité des délateurs , fans en avoir
les vils intérêts , les inconvéniens , & l'infamie.
La grandeur des impôts doit être en
proportion directe avec la liberté . Ainfi
dans les Démocraties ils peuvent être plus
grands qu'ailleurs, fans être onéreux , parce
que chaque citoyen les regarde comme
un tribut qu'il fe paye à lui-même , & qui
affure la tranquillité & le fort de chaque
membre. De plus , dans un Etat démocratique
, l'emploi infidele des deniers pu-,
blics eft plus difficile , parce qu'il eft plus
aifé de le connoître & de le punir , le dépofitaire
en devant compte , pour ainsi
dire , au premier citoyen qui l'exige .
Dans quelque gouvernement que ce foit,
90 MERCURE DE FRANCE.
l'efpece de tributs la moins onéreuſe , eft
celle qui eft établie fur les marchandiſes ;
parce que le citoyen paye
fans s'en appercevoir.
La quantité exceffive de troupes
en tems de paix , n'eft qu'un prétexte pour
charger le peuple d'impôts , un moyen
d'énerver l'Etat , & un inftrument de fervitude.
La régie des tributs qui en fait
rentrer le produit en entier dans le fifc
public , eft fans comparaifon moins à charge
au peuple, & par conféquent plus avantageufe
, lorfqu'elle peut avoir lieu , que
la ferme de ces mêmes tributs , qui laiſſe
toujours entre les mains de quelques particuliers
une partie des revenus de l'Etat.
Tout eft perdu furtout ( ce font ici les
termes de l'Auteur ) lorfque la profeffion
de traitant devient honorable ; & elle le
devient dès que le luxe eft en vigueur.
Laiffer quelques hommes fe nourrir de la
fubftance publique , pour les dépouiller à
leur tour , comme on l'a autrefois pratiqué
dans certains Etats , c'eft réparer une
injuftice par une autre , & faire deux maux
au lieu d'un .
Venons maintenant , avec M. de Montefquieu
, aux circonftances particulieres
indépendantes de la nature du gouvernement
, & qui doivent en modifier les loix.
Les circonftances qui viennent de la naDECEMBRE
1755. 91
ture du pays font de deux fortes ; les unes
ont rapport au climat , les autres au terrein.
Perfonne ne doute que le climat
n'influe fur la difpofition habituelle des
corps , & par conféquent fur les caracteres.
C'eft pourquoi les loix doivent fe conformer
au phyfique du climat dans les
chofes indifférentes , & au contraire le
combattre dans les effets vicieux : ainfi
dans les pays où l'ufage du vin eft nuifible
, c'eft une très -bonne loi que celle qui
l'interdit. Dans les pays où la chaleur du
climat porte à la pareffe , c'eft une trèsbonne
loi que celle qui encourage au travail.
Le gouvernement peut donc corriger
les effets du climat , & cela fuffit pour
mettre l'Esprit des Loix à couvert du reproche
très- injufte qu'on lui a fait d'attribuer
tout au froid & à la chaleur : car
outre que la chaleur & le froid ne font
pas la feule chofe par laquelle les climats
foient diftingués , il feroit auffi abfurde
de nier certains effets du climat que de
vouloir lui attribuer tout.
L'ufage des Efclaves établi dans les Pays
chauds de l'Afie & de l'Amérique , & réprouvé
dans les climats tempérés de l'Europe
, donne fujet à l'Auteur de traiter de
l'Esclavage civil. Les hommes n'ayant pas
plus de droit fur la liberté que fur la vie
92 MERCURE DE FRANCE.
les uns des autres , il s'enfuit que l'efclavage
, généralement parlant , eft contre la
loi naturelle. En effet , le droit d'esclavage
ne peut venir ni de la guerre , puifqu'il ne
pourroit être alors fondé que fur le rachat.
de la vie , & qu'il n'y a plus de droit fur la
vie de ceux qui n'attaquent plus ; ni de la
vente qu'un homme fait de lui- même à un
autre , puifque tout citoyen étant redevable
de fa vie à l'Etat , lui eft à plus forte
raifon redevable de fa liberté , & par conféquent
n'eft pas le maître de la vendre .
D'ailleurs quel feroit le prix de cette vente
? Ce ne peut être l'argent donné au vendeur
, puifqu'au moment qu'on fe rend
efclave , toutes les poffeffions appartiennent
au maître : or une vente fans prix eft
auffi chimérique qu'un contrat fans condition.
Il n'y a peut- être jamais eu qu'une
loi jufte en faveur de l'efclavage , c'étoit
la loi Romaine qui rendoit le débiteur efclave
du créancier ; encore cette loi ,
pour
être équitable , devoit borner la fervitude
quant au dégré & quant au tems. L'efclavage
peut tout au plus être toléré dans les
Etats defpotiques , où les hommes libres ,
trop foibles contre le gouvernement, cherchent
à devenir , pour leur propre utilité ,
les efclaves de ceux qui tyrannifent l'Etat ;
ou bien dans les climats dont la chaleur
2
DECEMBRE . 1755. 93
énerve fi fort le corps , & affoiblit tellement
le courage , que les hommes n'y font
portés à un devoir pénible , que par la
crainte du châtiment.
A côté de l'esclavage civil on peut placer
la fervitude domeftique , c'eft- à-dire ,
celle où les femmes font dans certains climats
: elle peut avoir lieu dans ces contrées
de l'Afie où elles font en état d'habiter
avec les hommes avant que de pouvoir
faire ufage de leur raifon ; nubiles par la
loi du climat , enfans par celle de la nature.
Cette fujétion devient encore plus néceffaire
dans les Pays où la polygamie eft
établie ; ufage que M. de Montefquieu ne
prétend pas juftifier dans ce qu'il a de contraire
à la Religion , mais qui dans les
lieux où il eft reçu ( & à ne parler que politiquement
) peut être fondé jufqu'à`un
certain point , ou fur la nature du Pays
ou fur le rapport du nombre des femmes
au nombre des hommes. M. de Montefquieu
parle à cette occafion de la Répudiation
& du Divorce ; & il établit fur de
bonnes raifons , que la répudiation une
fois admife , devroit être permife aux femmes
comme aux hommes.
Si le climat a tant d'influence fur la fervitude
domestique & civile , il n'en a pas
moins fur la fervitude politique , c'est- à94
MERCURE DE FRANCE.
dire fur celle qui foumet un peuple à un
autre. Les peuples du Nord font plus forts
& plus courageux que ceux du Midi ; ceux
ci doivent donc en géneral être fubjugués ,
ceux - là conquérans ; ceux - ci efclaves ,
ceux -là libres : c'eft auffi ce que l'Hiftoire
confirme . L'Afie a été conquiſe onze fois
par lès peuples du Nord ; l'Europe a fouffert
beaucoup moins de révolutions .
A l'égard des loix relatives à la nature
du terrein , il eft clair que la Démocratie
convient mieux que la Monarchie aux
Pays ftériles , où la terre a befoin de toute
l'induftrie des hommes. La liberté d'ailleurs
eft en ce cas une efpece de dédommagement
de la dureté du travail . Il faut
plus de loix pour un peuple agriculteur que
pour un peuple qui nourrit des troupeaux,
pour celui - ci que pour un peuple chaffeur,
pour un peuple qui fait ufage de la monnoie
, que pour celui qui l'ignore.
Enfin on doit avoir égard au génie particulier
de la Nation . La vanité qui groffit
les objets , eft un bon reffort pour le gouvernement
; l'orgueil qui les dépriſe eft un
reffort dangereux . Le Légiflateur doit ref
pecter jufqu'à un certain point les préjugés
, les paffions , les abus. Il doit imiter
Solon , qui avoit donné aux Athéniens ,
non les meilleures loix en elles-mêmes ,
DECEMBRE
1755. 95
mais les meilleures qu'ils puffent avoir . Le
caractere gai de ces peuples demandoit des
loix plus faciles ; le caractere dur des Lacédémoniens
, des loix plus féveres. Les
loix font un mauvais moyen pour changer
les manieres & les ufages ; c'eft par les récompenfes
& l'exemple qu'il faut tâcher
d'y parvenir. Il eft pourtant vrai en mêmetems
, que les loix d'un peuple , quand on
n'affecte pas d'y choquer groffierement &
directement fes moeurs , doivent influer
infenfiblement fur elles , foit pour les affermir,
foit pour les changer.
Après avoir approfondi de cette maniere
la nature & l'efprit des Loix par rapport
aux différentes efpeces de Pays & de
peuples , l'Auteur revient de nouveau à
confidérer les Etats les uns par rapport aux
autres. D'abord en les comparant entre
eux d'une maniere générale , il n'avoit
pu les envifager que par rapport au mal
qu'ils peuvent fe faire. Ici il les envifage
par rapport aux fecours mutuels
qu'ils peuvent le donner : or ces fecours
font principalement fondés fur le Commerce.
Si l'efprit de Commerce produit
naturellement un efprit d'intérêt oppofé
à la fublimité des vertus morales , il
rend auffi un peuple naturellement jufte ,
& en éloigne l'oifiveté & le brigandage.
96 MERCURE DE FRANCE.
Les Nations libres qui vivent fous des
gouvernemens modérés , doivent s'y livrer
plus que les Nations efclaves. Jamais une
Nation ne doit exclure de fon commerce
une autre Nation , fans de grandes raifons.
Au refte la liberté en ce genre n'eft pas une
faculté abfolue accordée aux Négocians de
faire ce qu'ils veulent ; faculté qui leur
feroit fouvent préjudiciable : elle confifte
à ne gêner les Négocians qu'en faveur du
Commerce. Dans la Monarchie la Nobleffe
ne doit point s'y adonner , encore
moins le Prince . Enfin il eft des Nations
auxquelles le Commerce eft défavantageux
; ce ne font pas celles qui n'ont befoin
de rien , mais celles qui ont besoin de
tout : paradoxe que l'Auteur rend fenfible
par l'exemple de la Pologne , qui manque
de tout , excepté de bled , & qui , par
le commerce qu'elle en fait , prive les
payfans de leur nourriture , pour fatisfaire
au luxe des Seigneurs. M. de Montefquieu ,
à l'occafion des loix que le Commerce
exige , fait l'hiftoire de fes différentes révolutions
; & cette partie de fon livre
n'eft ni la moins intéreffante , ni la moins
curieufe. Il compare l'appauvriffement de
l'Espagne ,, par la découverte de l'Amérique
, au fort de ce Prince imbécille de la
Fable , prêt à mourir de faim , pour avoir
demandé
1
DECEMBRE. 1755 : 97
demandé aux Dieux que tout ce qu'il toucheroit
fe convertit en or. L'ufage de la
monnoie étant une partie confidérable de
l'objet du Commerce , & fon principal
inftrument , il a cru devoir , en conféquence
, traiter des opérations fur la monnoie
, du change , du payement des dettes
publiques , du prêt à intérêt dont il fixe
les loix & les limites , & qu'il ne confond
nullement avec les excès fi juftement condamnés
de l'ufure.
La population & le nombre des habitans
ont avec le Commerce un rapport
immédiat ; & les mariages ayant pour objet
la population , M. de Montefquieu approfondit
ici cette importante matiere. Če
qui favorife le plus la propagation eft la
continence publique ; l'expérience prouve
que les conjonctions illicites y contribuent
peu , & même y nuifent. On a établi avec
juftice , pour les mariages , le confentement
des peres ; cependant on y doit mettre
des reftrictions : car la loi doit en général
favorifer les mariages. La loi qui
défend le mariage des meres avec les fils ,
oft ( indépendamment des préceptes de la
Religion ) une très-bonne loi civilę ; car
fans parler de plufieurs autres raifons , les
contractans étant d'âge très- différent , ces
fortes de mariages peuvent rarement avoir
I. Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
>
la propagation pour objet. La loi qui défend
le mariage du pere avec la fille , eſt
fondée fur les mêmes motifs : cependant
( à ne parler que civilement ) elle n'eft pas
fi indifpenfablement néceffaire que l'autre
à l'objet de la population , puifque la vertu
d'engendrer finit beaucoup plus tard
dans les hommes ; auffi l'ufage contraire
a t'il eu lieu chez certains peuples que la
lumiere du Chriftianifme n'a point éclairés.
Comme la nature porte d'elle -même
au mariage , c'eft un mauvais gouvernement
que celui où on aura befoin d'y encourager.
La liberté , la fûreté , la modération
des impôts , la profcription du luxe,
font les vrais principes & les vrais foutiens
de la population : cependant on peut
avec fuccès faire des loix pour encourager
les mariages , quand , malgré la corruption
, il reste encore des refforts dans
le peuple qui l'attachent à fa patrie. Rien
n'eft plus beau que les loix d'Augufte pour
favorifer la propagation de l'efpece : par
malheur il fit ces loix dans la décadence ,
ou plutôt dans la chute de la République ;
& les citoyens découragés devoient prévoir
qu'ils ne mettroient plus au monde
que
des efclaves : auffi l'exécution de ces
loix fut elle bien foible durant tout le
tems des Empereurs payens. Conftantin
DECEM BRE . 1755. 99
enfin les abolit en fe faifant Chrétien ,
comme fi le Chriftianifme avoit pour but
de dépeupler la fociété , en confeillant à
un petit nombre la perfection du célibat.
L'établiſſement des hôpitaux , felon l'efprit
dans lequel il eft fait , peut nuire à la;
population , ou la favorifer. Il peut & il
doit même y avoir des hôpitaux dans un
Etat dont la plupart des citoyens n'ont que
leur , induftrie pour reffource , parce que
cette induftrie peut quelquefois être malheureuſe
; mais les fecours que ces hôpitaux
donnent , ne doivent être que paffagers
, pour ne point encourager la mendicité
& la fainéantife. Il faut commencer
par rendre le peuple riche , & bâtir enfuite
des hôpitaux pour les befoins imprévus
& preffans . Malheureux les Pays où
la multitude des hôpitaux & des monafteres
, qui ne font que des hôpitaux perpétuels
, fait que tout le monde eft à fon
aife , excepté ceux qui travaillent.
M. de Montefquieu n'a encore parlé
que des loix humaines. Il paffe maintenant
à celles de la Religion , qui dans prefque
tous les Etats font un objet fi effentiel
du gouvernement. Par- tout il fait l'éloge
du Chriftaifine ; il en montre les avantages
& la grandeur ; il cherche à le faire
aimer. Il foutient qu'il n'eft pas impoffi
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
ble , comme Bayle l'a prétendu , qu'une
fociété de parfaits Chrétiens forme un
Etat fubfiftant & durable . Mais il s'eft cru
permis auffi d'examiner ce que les différentes
Religions ( humainement parlant )
peuvent avoir de conforme ou de contraire
au génie & à la fituation des peuples
qui les profeffent. C'est dans ce point de
vue qu'il faut lire tout ce qu'il a écrit fur
cette matiere , & qui a été l'objet de tant
de déclamations injuftes. Il eft furprenant
furtout que dans un fiecle qui en appelle
tant d'autres barbares , on lui ait fait un
crime de ce qu'il dit de la tolérance ; comme
fi c'étoit approuver une religion que
de la tolérer comme fi enfin l'Evangile
même ne profcrivoit pas tout autre moyende
le répandre , que la douceur & la perfuafion.
Ceux en qui la fuperftition n'a
pas éteint tout fentiment de compaflion
& de juftice , ne pourront lire , fans être
attendris , la remontrance aux Inquifiteurs,
ce tribunal odieux , qui outrage la Religion
en paroiffant la venger.
Enfin après avoir traité en particulier
des différentes efpeces de loix que les
hommes peuvent avoir , il ne reste plus
qu'à les comparer toutes enfemble , & à
les examiner dans leur rapport avec les
chofes fur lefquelles elles ftatuent. Les
DECEMBRE. 1755. 101
hommes font gouvernés par différentes efpeces
de loix ; par le droit naturel , commun
à chaque individu ; par le droit divin
, qui eft celui de la Religion ; par le
droit eccléfiaftique , qui eft celui de la
police de la Religion ; par le droit civil ,
qui eft celui des membres d'une même
fociété
; par
le droit politique , qui eft celui
du gouvernement de cette fociété ; par
le droit des gens , qui eft celui des fociétés
les unes par rapport aux autres. Ces droits
ont chacun leurs objets diftingués , qu'il
faut bien fe garder de confondre. On
ne doit jamais régler par l'un ce qui appar
tient à l'autre , pour ne point mettre de dé
fordre ni d'injuftice dans les principes qui
gouvernent les hommes . Il faut enfin que
les principes qui prefcrivent le genre des
loix , & qui en circonfcrivent l'objet , regnent
auffi dans la maniere de les compofer.
L'efprit de modération doit , autant qu'il eft
poffible , en dicter toutes les difpofitions.
Des loix bien faites feront conformes à
l'efprit du Législateur , même en paroiffant
s'y oppofer. Telle étoit la fameuſe
loi de Solon , par laquelle tous ceux qui
ne prenoient point de part dans les féditions
, étoient déclarés infâmes . Elle prévenoit
les féditions , ou les rendoit utiles.
en forçant tous les membres de la Répu
1
1
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
blique à s'occuper de fes vrais intérêts .
L'Oftracifime même étoit une très - bonne
loi ; car d'un côté elle étoit honorable au
citoyen qui en étoit l'objet , & prévenoit
de l'autre les effets de l'ambition ; il falloit
d'ailleurs un très - grand nombre de fuffrages,
& on ne pouvoit bannir que tous les
cinq ans. Souvent les loix qui paroiffent les
mêmes, n'ont ni le même motif, ni le même
effet , ni la même équité : la forme du gouvernement
, les conjonctures & le génie du
peuple changent tout . Enfin le ftyle des
loix doit être fimple & grave : elles peuvent
fe difpenfer de motiver , parce que
le motif eft fuppofé exifter dans l'efprit
du Législateur ; mais quand elles motivent
, ce doit être fur des principes évidens
elles ne doivent pas reffembler à
cette loi qui , défendant aux aveugles de
plaider , apporte pour raifon qu'ils ne peuvent
pas voir les ornemens de la Magiftrature
.
M. de Montefquieu , pour montrer par
des exemples l'application de fes principes
, a choifi deux différens peuples , le
plus célébre de la terre , & celui dont
'Hiftoire nous intéreffe le plus , les Romains
& les François. Il ne s'attache qu'a
une partie de la Jurifprudence du premier;
celle qui regarde les fucceffions . A l'égard
DECEMBRE. 1755. 103
turs ,
des François , il entre dans le plus grand
détail fur l'origine & les révolutions de
leurs loix civiles , & fur les différens
ufages abolis ou fubfiftans , qui en ont été
la fuite il s'étend principalement fur les
loix féodales , cette efpece de gouvernement
inconnu à toute l'antiquité , qui le
fera peut- être pour toujours aux fiecles fur-
& qui a fait tant de biens & tant
de maux. Il difcute fur-tout ces loix dans
le rapport qu'elles ont à l'établiffement &
aux révolutions de la Monarchie Françoife
; il prouve , contre M. l'Abbé du
Bos , que les Francs font réellement entrés
en conquérans dans les Gaules , &
qu'il n'eft pas vrai , comme cet Auteur le
prétend , qu'ils ayent été appellés par les
peuples pour fuccéder aux droits des Empereurs
Romains qui les opprimoient :
détail profond , exact & curieux , mais
dans lequel il nous eft impoffible de le
fuivre , & dont les points principaux fe
trouveront d'ailleurs répandus dans différens
endroits de ce Dictionnaire , aux articles
qui s'y rapportent.
Telle eft l'analyfe générale , mais trèsinforme
& très-imparfaite , de l'ouvrage
de M. de Montefquieu : nous l'avons féparée
du refte de fon éloge , pour ne pas
trop interrompre la fuite de notre récit.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
M. Dalembert nous permettra de combattre
ici fa modeftie . Nous ofons dire , d'après
la voix publique , que cette analyſe
eft un modele, qu'elle met l'Efprit des Loix
dans tout fon jour , & qu'il n'eft pas poffible
d'en faire une meilleure . Heureux
le texte , quelque mérite qu'il ait en foi ,
qui eft ainfi commenté !
Fermer
Résumé : Analyse de l'Esprit des Loix, contenue dans la note qui accompagne l'Eloge de M. de Montesquieu par M. d'Alembert. Nous l'avions annoncée pour le premier Mercure de ce mois, & nous acquittons notre parole.
Le texte présente une analyse de l'œuvre 'De l'esprit des lois' de Montesquieu, souvent mal comprise par les critiques. L'auteur de l'analyse se propose d'explorer le plan, le caractère et l'objet de l'ouvrage, en se concentrant sur les pensées et travaux de Montesquieu, ce qui est pertinent dans le contexte de l'Encyclopédie. L'analyse examine les concepts d'état de nature et de société, où les hommes, initialement régis par le droit du plus fort, établissent des sociétés pour créer un équilibre moral. Cet équilibre est rare et durable, et les hommes cherchent souvent à jouir des avantages de la société sans en porter les charges, ce qui les met en état de guerre. Le texte distingue trois types de gouvernements : républicain, monarchique et despotique. Dans le gouvernement républicain, le peuple détient la souveraineté ; dans le monarchique, un seul gouvernant règne selon des lois fondamentales ; dans le despotique, la loi est la volonté du maître. Ces formes de gouvernement peuvent se combiner ou se nuancer. Les lois doivent être adaptées à la nature et au principe de chaque gouvernement. Par exemple, dans une démocratie, le peuple est à la fois monarque et sujet, élisant et jugeant ses magistrats. Dans une monarchie, il existe des pouvoirs intermédiaires entre le monarque et le peuple. Dans un despotisme, le tyran exerce son autorité seul ou par un représentant. Les principes des gouvernements sont l'amour de la République pour la démocratie, l'honneur pour la monarchie, et la crainte pour le despotisme. L'éducation doit également être adaptée à ces principes. Les lois doivent être conformes au principe de chaque gouvernement, et les peines doivent être proportionnées aux crimes, avec une préférence pour les peines douces dans les démocraties. Le texte examine ensuite les rapports entre les gouvernements, soulignant que les républiques doivent s'allier entre elles pour se défendre, tandis que les monarchies doivent avoir des frontières sûres. Le droit de conquête est légitime mais doit être utilisé pour améliorer la condition des peuples conquis. Enfin, l'analyse aborde la liberté politique, définie comme le pouvoir de faire ce que les lois permettent. Cette liberté dépend de la distribution légitime et de la répartition convenable des pouvoirs législatif et exécutif dans chaque État. Montesquieu examine les constitutions de la République romaine et de l'Angleterre, soulignant que l'excès de liberté ou de servitude a des inconvénients et que la nature humaine s'accommode mieux d'un état moyen. Les crimes doivent être punis de manière proportionnée à leur gravité. Les impôts doivent être proportionnés à la liberté, et dans les démocraties, ils peuvent être plus élevés sans être onéreux. Une quantité excessive de troupes en temps de paix est un moyen d'énerver l'État et d'instaurer la servitude. Le texte aborde également les circonstances particulières qui modifient les lois, telles que le climat et le terrain. L'esclavage civil est jugé contraire à la loi naturelle et peut être toléré uniquement dans les États despotiques ou dans les climats chauds. Montesquieu traite des lois relatives à la nature du terrain et au génie particulier de la nation, soulignant que la démocratie convient mieux aux pays stériles où la terre nécessite toute l'industrie des hommes. Le texte discute également des lois concernant le mariage et la population, ainsi que des principes de gouvernement et des lois religieuses. Les lois contre les mariages incestueux sont fondées sur des motifs naturels, bien que leur nécessité puisse varier selon les cultures. La propagation de l'espèce est favorisée par la liberté, la sécurité, la modération des impôts et la prohibition du luxe. Montesquieu examine les lois humaines et religieuses, soulignant les avantages du christianisme tout en discutant de la tolérance religieuse. Il compare différentes espèces de lois, insistant sur l'importance de ne pas les confondre. Les lois doivent être simples, graves et motivées par des principes évidents.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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57
p. *192-192
De Londres, le 10 Octobre.
Début :
On apporta, le 5 de ce mois, au Roi la nouvelle que la Ville [...]
Mots clefs :
Montréal, Capitulation, Ministère, Gazette extraordinaire, Français, Religion
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : De Londres, le 10 Octobre.
De Londres , le 10 Octobre.
On apporta , le S de ce mois , au Roi la nouvelle
que la Ville de Montréal avoit capitulé le 8
du mois dernier. Le Miniftere a fait imprimer
une
Cazette extraordinaire
, pour faire part au Public
de cet événement. Par la Capitulation , les troupes
Françoifes
qui défendoient
le Canada doivent
être traníportées en France aux frais de Sa Majeté
, & ne ferviront point pendant cette guerre,
Les habitans du Pays font maintenus
dans leurs
priviléges & dans le libre exercice de leur Religion.
On apporta , le S de ce mois , au Roi la nouvelle
que la Ville de Montréal avoit capitulé le 8
du mois dernier. Le Miniftere a fait imprimer
une
Cazette extraordinaire
, pour faire part au Public
de cet événement. Par la Capitulation , les troupes
Françoifes
qui défendoient
le Canada doivent
être traníportées en France aux frais de Sa Majeté
, & ne ferviront point pendant cette guerre,
Les habitans du Pays font maintenus
dans leurs
priviléges & dans le libre exercice de leur Religion.
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Résumé : De Londres, le 10 Octobre.
Le 10 octobre, Londres annonce la capitulation de Montréal le 8 septembre. Les troupes françaises seront rapatriées en France aux frais du roi. Les habitants conservent leurs privilèges et la liberté religieuse. Une gazette extraordinaire informe le public.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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58
p. 52-61
CONSEILS d'un Homme de 80 ans, à une Demoiselle de neuf ans qu'il appelloit sa femme.
Début :
QUOIQU'IL y ait déja quelques années que vous soyez ma femme, & [...]
Mots clefs :
Apprendre, Leçon, Religion, Jeunesse, Richesse, Mari, Modération
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : CONSEILS d'un Homme de 80 ans, à une Demoiselle de neuf ans qu'il appelloit sa femme.
CONSEILS d'un Homme de 80 ans *
à une Demoiselle de neuf ans qu'il
appelloit fa femme.
QuUOIQU'IL y ait déja quelques
années que vous foyez ma femme , &
que vous paroiffiez fatisfaite de votre
fituation ; cet état heureux ne peut durer
encore tout au plus que cinq ou fix
ans, & un autre mari me fuccédera, avec
fequel vous aurez plus longtemps à vivre
qu'avec moi . L'amitié que j'ai pour
vous m'oblige de vous faire part de quelques
réfléxions qui pourront vous être
utiles par la fuite , & qui fuppléront à
celles que la jeuneffe vous empêche de
faire aujourd'hui . Vous devez avoir une
fortune & des biens confidérables ; vous
ferez recherchée d'une infinité de Soupirans
, qui , avant de fe déclarer s'informeront
avec la plus grande éxactitude
de la quantité & de la qualité de
vos richeffes , mais ne s'embarrafferont
nullement ni de votre figure , ni des
qualités de votre efprit : ce n'eft donc
point vous , pour ainfi dire , que votre
mari époufera , ce fera vos biens &
JANVIER. 1763 . 53 1
votre fortune . Penfez bien à cet article
ma chère petire femme ! & comprenez
que fi vous n'aviez que quatre mille liv.
de rente , tous ceux qui fe montreront
fi empreffés de vous pofféder , s'éloigneroient
bien vîte de vous. Vous ignorez
ce que c'eft que la richeffe & quel fond
vous devez faire fur les biens que vous
apporterez en mariage je m'en vais
vous l'expliquer. Votre Contrat ne fera
pas plutôt figné que toutes ces richeſſes
& ces biens ne feront plus en votre difpofition
; ce fera votre mari qui en fera
le maître & l'éconôme. Il eft vrai qu'il
ne pourroit pas manger le fond de votre
bien ; mais qu'est-ce que c'eft qu'un
fond de bien , dont vous ne pourrez faire
aucun ufage fans la permiffion de ce
mari , qui peut prodiguer vos revenus
pour tout autre que pour vous , & qui
vous privera de toutes les douceurs de
la vie pour ne s'attacher qu'à des dépenfes
frivoles & inutiles ? Il faut donc ,
ma chère petite femme , que vous vous
précautionniez de bonne heure contre
un pareil malheur qui n'arrive que trop
fouvent , & que cependant vous pouvez
éviter , fi vous fuivez mes confeils . La
beauté & les talens aimables ne fuffifent
pas pour fixer l'inconftance des maris ;
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
il est des moyens plus fùrs. Le premier
moyen , eft d'avoir un grand fond de religion
; & à mefure que vous avancerez
en âge , de faire férieufement tous
les jours réfléxion que la beauté n'eft
qu'une chofe paffagère ; que la vie eft
fort courte ; & qu'il n'y a rien de folide
, que de travailler dans ce bas - monde
à vous procurer une félicité éternelle .
Ne regardez donc pas , ma chère petite
femme , les pieufes inftru &tions que
l'on vous fait aujourd'hui comme des
leçons d'Hiftoire & de Géographie ; il
n'y a qu'une chofe abfolument néceffaire
, qui eft de fçavoir bien vivre pour
apprendre à bien mourir. Mais fouvenez-
vous bien , que la véritable piété
ne confifte pas dans les fimagrées de la
dévotion , ni dans tout un appareil extérieur
; il faut que votre dévotion foit
douce , éclairée & charitable ; il faut
que vous foyez complaifante pour votre
mari , compâtiffante pour vos femmes
& pour vos domeftiques ; que fi
quelque chofe vous déplaît dans votre
mari , le moyen de le corriger , c'eſt de
fouffrir avec patience ce qui peut vous
déplaire. Vous avez le bonheur d'être
actuellement fous les yeux d'une grandmaman
dont l'efprit , le coeur & l'expéJANVIER.
1763. 55
rience font un tréfor pour vous préférable
à toutes vos richeffes . Ne lui cachez
rien de vos plus fecrettes pensées ,
jafez & caufez avec elle comme les jeunes
perfones font naturellement avec
leurs jeunes compagnes , ne ceffez jamais
de lui débiter vos goûts & vos
imaginations ; & bavardez continuéllement
avec elle , afin d'apprendre à vous
taire. Les premieres années que vous
entrerez dans le monde , quand vous
aurez un âge plus avancé , & que vous
aurez appris à difcerner ce qui eft bon
d'avec ce qui eft mauvais , ce qui eft
décent d'avec ce qui n'eft pas convenable
, profitez de votre difcernement
pour ne point imiter les mauvais exemples
, mais gardez-vous bien de critiquer
perfonne ; évitez les compagnies des
jeunes perfonnes de toutes efpéces autant
que faire fe pourra ; mais attachez
vous à des perfonnes d'un certain âge :
il y a tout gagner avec elles & tout
à perdre avec les autres . Les perfonnes
âgées font quelquefois ennuyeufes &
donneufes de leçons , elles veulent inf
truire la jeuneffe ; mais elles ne font
point leurs rivales , & ne font point affectées
de la jaloufie qui régne ordinairement
parmi les jeunes Dames, N'af
4
C iv
36 MERCURE DE FRANCE.
fectez point dans vos habillemens &
dans votre maniere de vous coeffer ,
certains airs qui ne font aujourd'hui que
trop à la mode ; imitez les jeunes perfonnes
de votre âge qui fe mettent d'une
façon élégante , mais modefte . Ne
foyez jamais affez hardie pour inventer
une nouvelle mode de coëffure ou d'habillement
; abandonnez aux jeunes folles
de votre âge la gloire de l'invention en
pareille chofe. Cependant quand une
nouvelle mode eft établie & fuivie par
les perfonnes de votre caractère & de
votre rang , il faut fuivre cette mode
car il feroit auffi ridicule' de vous voir
coëffée & habillée à l'antique , que d'avoir
la folie de vouloir être la premiere
à inventer & à dominer fur les ufages
& le goût établi parmi les perfonnes de
votre condition . Ce n'eft point la quantité
d'ornemens qui rendent une perfonne
aimable , c'eft la propreté , c'eft
un certain arrangement qui convienne
à votre figure & à votre vifage . Il
faut apprendre à vous coëffer vous-même
; & quand vos femmes feront empreffées
à entourer votre toilette de
n'avoir jamais d'impatience ni d'humeur
: furtout de ne les point apoftropher
des noms de maladroites & d'im-
,
JANVIER. 1763. 57
pertinentes. Apprenez , ma chère petite
femme , que votre réputation publique
dépend en grande partie des difcours
de vos domeftiques . Si vous les
aimez , & que vous les traitiez bien , ils
cacheront vos défauts ; & fi vous en agiffez
autrement , ils groffiront vos imperfections
, & même vous donneront
celles que vous n'aurez pas. Il n'appar
tient qu'aux bons Maîtres d'avoir d'anciens
Domeſtiques. Quand vous ferez
à table , ayez attention de fervir tout
le monde mangez vous -même avec
propreté , & proportionnez la dépenfe
de votre table au nombre & à la qualité
de la compagnie. Soyez de la plus grande
modeftie , même devant vos femmes
lorfque vous vous leverez & que vous
vous coucherez . Témoignez beaucoup
d'amitié & de tendreffe à votre mari
dans le particulier : évitez les minauderies
& les afféteries avec lui dans le Public.
Ces fortes de façons font des façons
bourgeoifes , & ne marquent bien fouvent
que de la fauffeté & de l'indécence.
Ne dites jamais rien que ce que vous
penfez véritablement ; mais gardez -vous
bien de dire indifcrétement tout ce que
Vous pensez .
Ornez votre efprit de bonnes led-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE .
ne
res ; foyez attentive aux différentes leçons
que l'on vous donne , tant pour
orner votre efprit que votre corps :
mais ne reffemblez pas à un perroquet
qui ne fait que répéter ce qu'il ne comprend
pas. Quand votre efprit & votre
mémoire feront ornés des plus belles
connoiffances , gardez-vous bien de débiter
mal-à-propos dans le Public ce
que vous aurez appris dans votre jeuneffe
; & lorfque vous trouverez des
perfonnes ignorantes qui débiteront des
chofes contraires à la vérité de l'Hiftoire
, de la Géographie & autres
vous érigez point en Docteur pour réprimer
leurs erreurs ; & fi vous gliffez
quelques paroles , vous pouvez faire
voir adroitement & fans aigreur que
vous êtes mieux inftruite que les autres.
Apprenez que le moyen de vous faire
hair c'eft de vouloir dominer & de vous
attribuer toute efpéce de préférence :
vous deviendrez infupportable dans la
fociété ; & quand réellement vous furpafferiez
les perfonnes que vous fréquentez
dans toutes les efpéces & de toutes
fortes de manieres , les Dames ne vous
pardonneroient jamais cette fupériorité.
Ayez donc attention , ma chere petite
femme , de faire aimer vos talens &
JANVIER. 1763. 59
vos vertus , & de ne vous point faire
haïr à force de mérite. Tâchez de pofféder
réellement tous ces talens fupérieurs ;
mais n'en montrez , avec beaucoup de
difcrétion , que ce qui eft néceffaire pour
vous faire aimer & pour donner bon
exemple aux autres fans affectation .
Mais fur-tout , à l'égard de votre mari
gardez-vous bien de lui faire voir indifcrétement
que vous avez plus d'efprit
que lui ! Ne difputez jamais avec lui dans
les momens où vous lui verrez de l'entêtement
. Prenez bien votre temps , &
attendez le moment pour calmer fa colere
, ou pour lui faire goûter la vérité.
Avec de la patience & de la douceur
vous en viendrez à bout , & avec de
l'arrogance & de l'imprudence , vous
l'irriterez & ne le perfuaderez pas. Soyez
complaifante envers votre mari dans
tout ce qui ne fera pas contraire à la
Religion ; & fi par malheur votre mari
n'en avoit point , gardez-vous bien de
le prêcher mal - à - propos : prêchez- le
d'exemple , & quelquefois bien mieux
par votre filence que par vos exhortations
. Ne regardez le jeu que comme
un amuſement ,, & ne montrez jamais
dans cette occafion ni avidité , ni thuni
difpute . Accoutumez -vous à
meur ,
C vj
60 MERCURE DE FRANCE .
搏
vous renfermer quelquefois dans votre
cabinet donnez envie à votre mari
d'aller troubler votre petite folitude ; &
quand le cas arrivera , recevez - le avec
amitié , & quittez vos Livres & votre
écriture avec un air de gaîté . Dans les
difputes de Religion , gardez-vous bien
de vous ériger en Docteur : vous n'entendrez
que trop dans la fuite de ces
Femmes-Docteurs qui parlent avec beaucoup
de vivacité fur des matieres qu'elles
n'entendent pas. Quand vous vous trouverez
dans ces occafions , gardez-vous
bien de vous mêler de la converfation ;
& fi l'on vous preffe pour vous faire
parler , dites fimplement que vous vous
en tenez à votre Catéchifme. N'ayez
pas peur que l'on vous prenne pour ignorante
: cette modération vous fera beaucoup
plus d'honneur que fi vous vouliez
régenter la fociété. Ne critiquez jamais
le gouvernement des pays que
vous habiterez. Ayez un petit tribunal
dans vous-même pour prifer ce qui eft
bon & le diftinguer de ce qui eft mauvais
; mais ne communiquez jamais au
Public les Arrêts de votre petite jurifdiction
intérieure ; & apprenez de votre
vieux mari qu'une femme qui décide
toujours , quoique fort bien , qui a touJANVIER.
1763. 61
jours raifon dans le Public , eſt une
femme infupportable ; & que celle qui
décide mal eft impertinente , méprifable
& ridicule .
à une Demoiselle de neuf ans qu'il
appelloit fa femme.
QuUOIQU'IL y ait déja quelques
années que vous foyez ma femme , &
que vous paroiffiez fatisfaite de votre
fituation ; cet état heureux ne peut durer
encore tout au plus que cinq ou fix
ans, & un autre mari me fuccédera, avec
fequel vous aurez plus longtemps à vivre
qu'avec moi . L'amitié que j'ai pour
vous m'oblige de vous faire part de quelques
réfléxions qui pourront vous être
utiles par la fuite , & qui fuppléront à
celles que la jeuneffe vous empêche de
faire aujourd'hui . Vous devez avoir une
fortune & des biens confidérables ; vous
ferez recherchée d'une infinité de Soupirans
, qui , avant de fe déclarer s'informeront
avec la plus grande éxactitude
de la quantité & de la qualité de
vos richeffes , mais ne s'embarrafferont
nullement ni de votre figure , ni des
qualités de votre efprit : ce n'eft donc
point vous , pour ainfi dire , que votre
mari époufera , ce fera vos biens &
JANVIER. 1763 . 53 1
votre fortune . Penfez bien à cet article
ma chère petire femme ! & comprenez
que fi vous n'aviez que quatre mille liv.
de rente , tous ceux qui fe montreront
fi empreffés de vous pofféder , s'éloigneroient
bien vîte de vous. Vous ignorez
ce que c'eft que la richeffe & quel fond
vous devez faire fur les biens que vous
apporterez en mariage je m'en vais
vous l'expliquer. Votre Contrat ne fera
pas plutôt figné que toutes ces richeſſes
& ces biens ne feront plus en votre difpofition
; ce fera votre mari qui en fera
le maître & l'éconôme. Il eft vrai qu'il
ne pourroit pas manger le fond de votre
bien ; mais qu'est-ce que c'eft qu'un
fond de bien , dont vous ne pourrez faire
aucun ufage fans la permiffion de ce
mari , qui peut prodiguer vos revenus
pour tout autre que pour vous , & qui
vous privera de toutes les douceurs de
la vie pour ne s'attacher qu'à des dépenfes
frivoles & inutiles ? Il faut donc ,
ma chère petite femme , que vous vous
précautionniez de bonne heure contre
un pareil malheur qui n'arrive que trop
fouvent , & que cependant vous pouvez
éviter , fi vous fuivez mes confeils . La
beauté & les talens aimables ne fuffifent
pas pour fixer l'inconftance des maris ;
C iij
54 MERCURE DE FRANCE.
il est des moyens plus fùrs. Le premier
moyen , eft d'avoir un grand fond de religion
; & à mefure que vous avancerez
en âge , de faire férieufement tous
les jours réfléxion que la beauté n'eft
qu'une chofe paffagère ; que la vie eft
fort courte ; & qu'il n'y a rien de folide
, que de travailler dans ce bas - monde
à vous procurer une félicité éternelle .
Ne regardez donc pas , ma chère petite
femme , les pieufes inftru &tions que
l'on vous fait aujourd'hui comme des
leçons d'Hiftoire & de Géographie ; il
n'y a qu'une chofe abfolument néceffaire
, qui eft de fçavoir bien vivre pour
apprendre à bien mourir. Mais fouvenez-
vous bien , que la véritable piété
ne confifte pas dans les fimagrées de la
dévotion , ni dans tout un appareil extérieur
; il faut que votre dévotion foit
douce , éclairée & charitable ; il faut
que vous foyez complaifante pour votre
mari , compâtiffante pour vos femmes
& pour vos domeftiques ; que fi
quelque chofe vous déplaît dans votre
mari , le moyen de le corriger , c'eſt de
fouffrir avec patience ce qui peut vous
déplaire. Vous avez le bonheur d'être
actuellement fous les yeux d'une grandmaman
dont l'efprit , le coeur & l'expéJANVIER.
1763. 55
rience font un tréfor pour vous préférable
à toutes vos richeffes . Ne lui cachez
rien de vos plus fecrettes pensées ,
jafez & caufez avec elle comme les jeunes
perfones font naturellement avec
leurs jeunes compagnes , ne ceffez jamais
de lui débiter vos goûts & vos
imaginations ; & bavardez continuéllement
avec elle , afin d'apprendre à vous
taire. Les premieres années que vous
entrerez dans le monde , quand vous
aurez un âge plus avancé , & que vous
aurez appris à difcerner ce qui eft bon
d'avec ce qui eft mauvais , ce qui eft
décent d'avec ce qui n'eft pas convenable
, profitez de votre difcernement
pour ne point imiter les mauvais exemples
, mais gardez-vous bien de critiquer
perfonne ; évitez les compagnies des
jeunes perfonnes de toutes efpéces autant
que faire fe pourra ; mais attachez
vous à des perfonnes d'un certain âge :
il y a tout gagner avec elles & tout
à perdre avec les autres . Les perfonnes
âgées font quelquefois ennuyeufes &
donneufes de leçons , elles veulent inf
truire la jeuneffe ; mais elles ne font
point leurs rivales , & ne font point affectées
de la jaloufie qui régne ordinairement
parmi les jeunes Dames, N'af
4
C iv
36 MERCURE DE FRANCE.
fectez point dans vos habillemens &
dans votre maniere de vous coeffer ,
certains airs qui ne font aujourd'hui que
trop à la mode ; imitez les jeunes perfonnes
de votre âge qui fe mettent d'une
façon élégante , mais modefte . Ne
foyez jamais affez hardie pour inventer
une nouvelle mode de coëffure ou d'habillement
; abandonnez aux jeunes folles
de votre âge la gloire de l'invention en
pareille chofe. Cependant quand une
nouvelle mode eft établie & fuivie par
les perfonnes de votre caractère & de
votre rang , il faut fuivre cette mode
car il feroit auffi ridicule' de vous voir
coëffée & habillée à l'antique , que d'avoir
la folie de vouloir être la premiere
à inventer & à dominer fur les ufages
& le goût établi parmi les perfonnes de
votre condition . Ce n'eft point la quantité
d'ornemens qui rendent une perfonne
aimable , c'eft la propreté , c'eft
un certain arrangement qui convienne
à votre figure & à votre vifage . Il
faut apprendre à vous coëffer vous-même
; & quand vos femmes feront empreffées
à entourer votre toilette de
n'avoir jamais d'impatience ni d'humeur
: furtout de ne les point apoftropher
des noms de maladroites & d'im-
,
JANVIER. 1763. 57
pertinentes. Apprenez , ma chère petite
femme , que votre réputation publique
dépend en grande partie des difcours
de vos domeftiques . Si vous les
aimez , & que vous les traitiez bien , ils
cacheront vos défauts ; & fi vous en agiffez
autrement , ils groffiront vos imperfections
, & même vous donneront
celles que vous n'aurez pas. Il n'appar
tient qu'aux bons Maîtres d'avoir d'anciens
Domeſtiques. Quand vous ferez
à table , ayez attention de fervir tout
le monde mangez vous -même avec
propreté , & proportionnez la dépenfe
de votre table au nombre & à la qualité
de la compagnie. Soyez de la plus grande
modeftie , même devant vos femmes
lorfque vous vous leverez & que vous
vous coucherez . Témoignez beaucoup
d'amitié & de tendreffe à votre mari
dans le particulier : évitez les minauderies
& les afféteries avec lui dans le Public.
Ces fortes de façons font des façons
bourgeoifes , & ne marquent bien fouvent
que de la fauffeté & de l'indécence.
Ne dites jamais rien que ce que vous
penfez véritablement ; mais gardez -vous
bien de dire indifcrétement tout ce que
Vous pensez .
Ornez votre efprit de bonnes led-
Cy
58 MERCURE DE FRANCE .
ne
res ; foyez attentive aux différentes leçons
que l'on vous donne , tant pour
orner votre efprit que votre corps :
mais ne reffemblez pas à un perroquet
qui ne fait que répéter ce qu'il ne comprend
pas. Quand votre efprit & votre
mémoire feront ornés des plus belles
connoiffances , gardez-vous bien de débiter
mal-à-propos dans le Public ce
que vous aurez appris dans votre jeuneffe
; & lorfque vous trouverez des
perfonnes ignorantes qui débiteront des
chofes contraires à la vérité de l'Hiftoire
, de la Géographie & autres
vous érigez point en Docteur pour réprimer
leurs erreurs ; & fi vous gliffez
quelques paroles , vous pouvez faire
voir adroitement & fans aigreur que
vous êtes mieux inftruite que les autres.
Apprenez que le moyen de vous faire
hair c'eft de vouloir dominer & de vous
attribuer toute efpéce de préférence :
vous deviendrez infupportable dans la
fociété ; & quand réellement vous furpafferiez
les perfonnes que vous fréquentez
dans toutes les efpéces & de toutes
fortes de manieres , les Dames ne vous
pardonneroient jamais cette fupériorité.
Ayez donc attention , ma chere petite
femme , de faire aimer vos talens &
JANVIER. 1763. 59
vos vertus , & de ne vous point faire
haïr à force de mérite. Tâchez de pofféder
réellement tous ces talens fupérieurs ;
mais n'en montrez , avec beaucoup de
difcrétion , que ce qui eft néceffaire pour
vous faire aimer & pour donner bon
exemple aux autres fans affectation .
Mais fur-tout , à l'égard de votre mari
gardez-vous bien de lui faire voir indifcrétement
que vous avez plus d'efprit
que lui ! Ne difputez jamais avec lui dans
les momens où vous lui verrez de l'entêtement
. Prenez bien votre temps , &
attendez le moment pour calmer fa colere
, ou pour lui faire goûter la vérité.
Avec de la patience & de la douceur
vous en viendrez à bout , & avec de
l'arrogance & de l'imprudence , vous
l'irriterez & ne le perfuaderez pas. Soyez
complaifante envers votre mari dans
tout ce qui ne fera pas contraire à la
Religion ; & fi par malheur votre mari
n'en avoit point , gardez-vous bien de
le prêcher mal - à - propos : prêchez- le
d'exemple , & quelquefois bien mieux
par votre filence que par vos exhortations
. Ne regardez le jeu que comme
un amuſement ,, & ne montrez jamais
dans cette occafion ni avidité , ni thuni
difpute . Accoutumez -vous à
meur ,
C vj
60 MERCURE DE FRANCE .
搏
vous renfermer quelquefois dans votre
cabinet donnez envie à votre mari
d'aller troubler votre petite folitude ; &
quand le cas arrivera , recevez - le avec
amitié , & quittez vos Livres & votre
écriture avec un air de gaîté . Dans les
difputes de Religion , gardez-vous bien
de vous ériger en Docteur : vous n'entendrez
que trop dans la fuite de ces
Femmes-Docteurs qui parlent avec beaucoup
de vivacité fur des matieres qu'elles
n'entendent pas. Quand vous vous trouverez
dans ces occafions , gardez-vous
bien de vous mêler de la converfation ;
& fi l'on vous preffe pour vous faire
parler , dites fimplement que vous vous
en tenez à votre Catéchifme. N'ayez
pas peur que l'on vous prenne pour ignorante
: cette modération vous fera beaucoup
plus d'honneur que fi vous vouliez
régenter la fociété. Ne critiquez jamais
le gouvernement des pays que
vous habiterez. Ayez un petit tribunal
dans vous-même pour prifer ce qui eft
bon & le diftinguer de ce qui eft mauvais
; mais ne communiquez jamais au
Public les Arrêts de votre petite jurifdiction
intérieure ; & apprenez de votre
vieux mari qu'une femme qui décide
toujours , quoique fort bien , qui a touJANVIER.
1763. 61
jours raifon dans le Public , eſt une
femme infupportable ; & que celle qui
décide mal eft impertinente , méprifable
& ridicule .
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Résumé : CONSEILS d'un Homme de 80 ans, à une Demoiselle de neuf ans qu'il appelloit sa femme.
Un homme de 80 ans adresse un conseil à une jeune fille de neuf ans qu'il appelle sa femme. Il lui rappelle que leur situation actuelle ne durera pas plus de cinq ou six ans et qu'elle aura un autre mari. Il l'avertit que les futurs prétendants s'intéresseront principalement à sa fortune plutôt qu'à sa personne. Après le mariage, les biens de la jeune fille seront sous la gestion de son mari, qui pourra en disposer à sa guise. Pour éviter les désagréments, il lui conseille de développer une forte foi religieuse et de se comporter avec douceur et patience. Il lui recommande également de se confier à sa grand-mère et de suivre ses conseils. La jeune fille doit éviter les critiques et les mauvaises compagnies, et adopter une conduite modeste et respectueuse. Elle doit apprendre à se coiffer et à s'habiller avec élégance mais sans ostentation, et traiter ses domestiques avec bienveillance. À table, elle doit servir tout le monde avec propreté et modération. Elle doit éviter les minauderies et les afféteries en public et ne jamais dire ce qu'elle ne pense pas véritablement. Elle doit orner son esprit de bonnes lectures et éviter de montrer son savoir de manière imprudente. Avec son mari, elle doit faire preuve de patience et de douceur, et ne jamais lui montrer qu'elle a plus d'esprit que lui. Elle doit éviter les disputes et les critiques sur le gouvernement des pays qu'elle habite. Enfin, elle doit se comporter avec modération et discrétion pour éviter d'être perçue comme insupportable ou impertinente.
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59
p. 109-111
LA RELIGION VENGÉE, pour l'année 1763, ou Réfutation des Auteurs impies, Ouvrage périodique dédié à Monseigneur LE DAUPHIN.
Début :
Dès que cet Ouvrage parut en 1756 ou 1757, il reçut du Public un accueil [...]
Mots clefs :
Brièveté, Impiété , Religion
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LA RELIGION VENGÉE, pour l'année 1763, ou Réfutation des Auteurs impies, Ouvrage périodique dédié à Monseigneur LE DAUPHIN.
LA RELIGION VENGÉE, pour l'année
1763 , ou Réfutation des Auteurs
impies , Ouvrage périodique dédié à
Monfeigneur LE DAUPHIN.
Dès que cet Ouvrage parut en 1756
ou 1757 , il reçut du Public un accueil
favorable. Parmi les Lecteurs bien inITO
MERCURE DE FRANCE.
>
tentionnés quelques -uns voudroient
qu'il fût moins férieux , & que les matieres
y fuffent traitées plus briévement :
mais comment concilier la plaifanterie
avec la gravité des fujets qu'on y traite ?
A l'égard de la brieveté , peut- être feroitil
à craindre qu'elle ne rendit l'ouvrage
fuperficiel , & qu'en n'infiftant pas affez
fur l'examen de chaque Livre , on ne
fit un Livre inutile. Il paroît donc que
les Auteurs de cette religieufe entrepriſe
ont eu envie de donner un corps complet
de réfutation des Ecrivains impies ,
& de le rendre folide & inftru&tif , plutôt
qu'amufant . Si cet Ouvrage n'eft pas
une digue affez puiffante pour arrêter le
débordement de l'impiété, c'eft du moins
une réclamation de la vérité contre le
menfonge , & un acte public qui interrompra
la préfcription de l'érreur.
Dans les dix-huit volumes déja imprimés
, les Auteurs de la Religion vengée
ont réfuté la plupart des écrits irréguliers
qui ont paru depuis Bayle jufqu'aux
Tuvres philofophiques du fameux Lamettrie
. Il refte encore affez de mauvais
Livres pour fournir pendant quelques
années au travail des Auteurs. Il faut
efpérer pourtant que la matiere de leur
critique deviendra plus itérile , & qu'ils
JANVIER. 1763 .
III
cefferont enfin de défendre la Religion ,
parce qu'on fe laffera de l'attaquer. C'eft
chez Chaubert , quai des Auguftins , &.
chez Hériffant , rue Neuve de Notre-
Dame , que fe trouvent ces dix - huit volumes.
On foufcrira déformais pour les
cahiers fuivans chez la veuve Brunet
rue baffe des Urfins , ou grand'Salle du
Palais , & chez le même Chaubert. Il y
aura , comme à l'ordinaire , quinze cahiers
par an , & le prix de la foufcription
eft de o livres pour Paris , & 12 liv . port
franc , pour la Province.
1763 , ou Réfutation des Auteurs
impies , Ouvrage périodique dédié à
Monfeigneur LE DAUPHIN.
Dès que cet Ouvrage parut en 1756
ou 1757 , il reçut du Public un accueil
favorable. Parmi les Lecteurs bien inITO
MERCURE DE FRANCE.
>
tentionnés quelques -uns voudroient
qu'il fût moins férieux , & que les matieres
y fuffent traitées plus briévement :
mais comment concilier la plaifanterie
avec la gravité des fujets qu'on y traite ?
A l'égard de la brieveté , peut- être feroitil
à craindre qu'elle ne rendit l'ouvrage
fuperficiel , & qu'en n'infiftant pas affez
fur l'examen de chaque Livre , on ne
fit un Livre inutile. Il paroît donc que
les Auteurs de cette religieufe entrepriſe
ont eu envie de donner un corps complet
de réfutation des Ecrivains impies ,
& de le rendre folide & inftru&tif , plutôt
qu'amufant . Si cet Ouvrage n'eft pas
une digue affez puiffante pour arrêter le
débordement de l'impiété, c'eft du moins
une réclamation de la vérité contre le
menfonge , & un acte public qui interrompra
la préfcription de l'érreur.
Dans les dix-huit volumes déja imprimés
, les Auteurs de la Religion vengée
ont réfuté la plupart des écrits irréguliers
qui ont paru depuis Bayle jufqu'aux
Tuvres philofophiques du fameux Lamettrie
. Il refte encore affez de mauvais
Livres pour fournir pendant quelques
années au travail des Auteurs. Il faut
efpérer pourtant que la matiere de leur
critique deviendra plus itérile , & qu'ils
JANVIER. 1763 .
III
cefferont enfin de défendre la Religion ,
parce qu'on fe laffera de l'attaquer. C'eft
chez Chaubert , quai des Auguftins , &.
chez Hériffant , rue Neuve de Notre-
Dame , que fe trouvent ces dix - huit volumes.
On foufcrira déformais pour les
cahiers fuivans chez la veuve Brunet
rue baffe des Urfins , ou grand'Salle du
Palais , & chez le même Chaubert. Il y
aura , comme à l'ordinaire , quinze cahiers
par an , & le prix de la foufcription
eft de o livres pour Paris , & 12 liv . port
franc , pour la Province.
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Résumé : LA RELIGION VENGÉE, pour l'année 1763, ou Réfutation des Auteurs impies, Ouvrage périodique dédié à Monseigneur LE DAUPHIN.
L'ouvrage 'LA RELIGION VENGÉE, pour l'année 1763, ou Réfutation des Auteurs impies' est une publication périodique dédiée à Monseigneur le Dauphin, parue en 1756 ou 1757. Elle a reçu un accueil favorable du public, bien que certains lecteurs aient souhaité un ton moins sérieux et des matières traitées plus brièvement. Les auteurs ont choisi de maintenir la gravité nécessaire pour traiter les sujets religieux et ont préféré un ouvrage complet et instructif plutôt qu'amusant, visant à réfuter les écrits impies. Les dix-huit volumes déjà imprimés couvrent les écrits irréguliers de Bayle jusqu'aux œuvres philosophiques de Lamettrie. Les auteurs espèrent que la matière de leur critique deviendra plus rare et que la défense de la religion ne sera plus nécessaire. Les volumes sont disponibles chez Chaubert, quai des Augustins, et chez Hérissant, rue Neuve de Notre-Dame. Les cahiers suivants seront disponibles chez la veuve Brunet, rue basse des Ursins, ou grand'Salle du Palais, et chez Chaubert. Il y aura quinze cahiers par an, au prix de 6 livres pour Paris et 12 livres port franc pour la province.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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60
p. 64-73
SÉANCE DU CHASTELET DE PARIS, du Lundi 25 Octobre 1762, & Discours prononcés par M. DE SARTINE, Lieutenant Général de Police ; par M. MOREAU, Procureur du Roi au Châtelet, faisant les fonctions d'Avocat du Roi ; & par M. CHARDON, Lieutenant Particulier, Président au Parc Civil : imprimés par les soins de Me Jean- Baptiste Courlesvaux, l'aîné, Me Jacques Roger le Comte, Me Jean - Baptiste Marye Procureurs au Châtelet & Procureurs de Communauté en éxercice, & de Me Louis Varnier, aussi Procureur au Châtelet, Syndic, à Paris, de l'Imprimerie de le Breton, premier Imprimeur ordinaire du Roi, & ordinaire de sa Communauté, rue de la Harpe, 1762, Brochure in- 4° . à la tête de laquelle se trouve le Portrait de M. d'ARGOUGES, gravé d'après l'Argiliere.
Début :
CE Recueil peut être regardé comme un monument de respect & de reconnoissance [...]
Mots clefs :
Lieutenant civil, Magistrats, Chambre du conseil, Citoyens, Procureur du roi, Religion, Éducation publique
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SÉANCE DU CHASTELET DE PARIS, du Lundi 25 Octobre 1762, & Discours prononcés par M. DE SARTINE, Lieutenant Général de Police ; par M. MOREAU, Procureur du Roi au Châtelet, faisant les fonctions d'Avocat du Roi ; & par M. CHARDON, Lieutenant Particulier, Président au Parc Civil : imprimés par les soins de Me Jean- Baptiste Courlesvaux, l'aîné, Me Jacques Roger le Comte, Me Jean - Baptiste Marye Procureurs au Châtelet & Procureurs de Communauté en éxercice, & de Me Louis Varnier, aussi Procureur au Châtelet, Syndic, à Paris, de l'Imprimerie de le Breton, premier Imprimeur ordinaire du Roi, & ordinaire de sa Communauté, rue de la Harpe, 1762, Brochure in- 4° . à la tête de laquelle se trouve le Portrait de M. d'ARGOUGES, gravé d'après l'Argiliere.
SÉANCE DU CHASTELET DE
PARIS , du Lundi 25 Octobre 1762,
& Difcours prononcés par M. DE
SARTINE , Lieutenant Général de
Police ; par M. MOREAU , Procureur
du Roi au Châtelet , faifant les fonctions
d'Avocat du
Roi
; & par
M. CHARDON , Lieutenant Partici
lier , Préfident au Parc Civil : imprimés
parles foins de M Jean- Baptifte
Courlefvaux , l'aîné , M Jacques
Roger le Comte , M Jean - Baptiffe
Marye Procureurs au Châtelet &
Procureurs de Communauté en éxercice
, & de Me Louis Varnier , auffi
Procureur au Châtelet , Syndic , à Paris
, de l'Imprimerie de le Breton , premier
Imprimeur ordinaire du Roi , &
ordinaire de fa Communauté , rue de
enbroe
JANVIER. 1763. 65
la Harpe , 1762 , Brochure in - 4° . à
la tête de laquelle fe trouve le Portrait
de M. d'ARGOUGES , gravé d'après
l'Argiliere.
CE Recueil peut être regardé comme
un monument de refpect & de reconnoiffance
, érigé par MM. les Procu
reurs du Châtelet , à la gloire de M.
d'Argouges père , qui pendant plus de
52 ans a rempli la Charge de Lieutenant
Civil , & dont la retraite les rendroit
inconfolables , fi d'un côté elle
n'étoit pas réparée par un fils digne d'un
père auquel il fuccéde , & de l'autre ,:
par la fatisfaction de voir un Magiftrat
refpectable jouir du repos qu'il a fi bien
mérité.
Trois Magiftrats refpectables par leur
place , leur probité & leurs lumières
ont été dans cette occafion les interprêtes
des fentimens du Public , en rendant à
M. d'Argouges le tribut d'éloges dû à un
Citoyen chargé d'années & de gloire ,
& qui va paffer une vieilleffe honorable
au fein d'une tranquillité qu'il a toujours
facrifiée au bien des Particuliers.
Ce fut M. De Sartine qui prononça le
premier Difcours. S'étant rendu dans
66 MERCURE DE FRANCE.
la Chambre du Confeil , il fit part à la
Compagnie qu'il préfidoit , de la Lettre
par laquelle M. d'Argouges , père , Lieutenant
Civil , lui annonçoit fa retraite ,
& il dit en parlant de ce grand Magiftrat :
»les Citoyens dont il a affuré le bon-
» heur & la fortune , les Familles qui
» lui doivent & leur union & la paix dont
» elles jouiffent , les Juges qui ont ad-
» miré fa prudence & fon équité , con-
» ferveront pour lui ce tendre fouvenir ,
» cette eſtime précieuſe qu'on a pour les
» grands hommes.
"
"
"
La Compagnie fe rendit enfuite à la
Chapelle où la Meffe fut célébrée folemnellement.
La Meffe finie , on remonta
dans la Chambre du Confeil ; & après
y avoir délibéré fur différentes affaires
on defcendit au Parc Civil. M. Chardon
qui y préfidoit , fit l'ouverture des Audiences
par la lecture des Ordonnances.
M. Moreau , Procureur du Roi , prenant
enfuite la parole , prononça un long
difcours fur les devoirs des Magiftrats ,
qu'il envifage fous trois points de vue :
ce qu'un Magiftrat doit faire pour le
Public en général , ce qu'il doit à chaque
Particulier , & ce qu'il fe doit à luimême
. Cette divifion forme les trois
parties de fon diſcours , dont la premiere
JANVIER. 1763. 67
fe fubdivife en trois autres points : les
devoirs publics d'un Magiftrat par rap
port à la Religion , aux fentimens dûs aut
Prince , & à l'union qui doit régner
entre les Concitoyens. On fent dans
quels détails l'Orateur a dû entrer , & les
bornes que nous préfcrivent les Loix de
l'Analyſe . Nous nous contenterons de
citer quelques morceaux choifis qui
pourront donner une idée de l'efprit ,
du talent & du ftyle de l'Auteur. It
fait ainfi le portrait du fanatifme. » Le
20 fanatifme audacieux marche la tête
2 haute , le front découvert ; le nom de
» Dieu eft dans fa bouche ; toute la cha-
» leur de l'amour-propre eft dans fon
» coeur. Il cherche à dompter les efprits
» en les échauffant , il prend en main le
» flambeau de la Religion , il détruit les
» temples du Dieu que le peuple adore ;
» il renverfe fes autels , & c'eft für leurs
», débris , que fumant de fang & de car
» nage , il veut en élever d'autres à fon
nidôlei ,
Le Magiftrat doit veiller à l'éducation
publique , & conféquemment doir s'op
pofer à tout fyftême d'éducation qui
pourroit allarmer les moenrs & la Religion.
» Si l'on peut craindre , dit M.
Moreau , qu'une mère aveugle , ou
68 MERCURE DE FRANCE.
N
» plutôt aveuglée par le défir de paroître
» inftruite , ne tire de fon fein l'objet de
» fa tendreffe , pour l'élever comme les
» bêtes , & le confier aux foins , de ce-
» lui qui en s'annonçant pour l'Apôtre
» de la nature, n'a travaillé, on peut le dire ,
» qu'à dénaturer & avilir ce qui en eſt le
» plus bel ornement ; c'eft au Magiftrat à
" employer toute fon autorité & l'organe
» de la juftice , afin de faire profcrire
» avec éclat l'auteur, l'ouvrage & fes fec-
» tateurs , comme autant de peftes pu
» bliques , capables par le poifon qu'ils
» répandent , d'infecter l'air le plus pur.
On aimera le morceau fuivant fur les
devoirs du Magiftrat dans les calamités
publiques: » Qu'un fléau afflige une Pro
» vince , qu'une affreufe difette la déſole
» & la dévafte que l'Ange de la mort
» étende fes aîles fur une contrée ; qu'un
» incendie fubit , en développant des
» tourbillons de flammes , répandent au
loin la confternation & l'effroi»; les
» édifices les plus fomptueux , les mo-
» numens élevés pour la postérités, les
» temples , les palais comme la maiſon
» du Citoyen & la cabane de l'Artiſan ;
» les richeffes de l'Etat comme le patrimoine
du Particulier , deviennent la
» proie d'un élément qui réduit tout en
JANVIER. 1763. 69
» cendres. Le zéle du Magiftrat le fait
» fuffire à tout ; il fe porte avec ardeur
» dans les endroits même périlleux , où
» il croit que fa préfence peut être utile.
» Quelque affecté qu'il foit du malheur
» public , le défaftre de chaque particu-
» lier ne paroît pas moins l'intéreffer ;
» chacun lui fait part de fes peines , il
les écoute avec fenfibilité ; il les par-
» tage ; & chacun eft für de trouver en
lui le confolateur le plus tendre , le plus
» zélé prote&eur , & la reffource la
» plus éfficace,
มุ
En peignant les devoirs d'un grand
Magiftrat , par une tranfition toute naturelle
, M.. Moreau paffe à l'éloge de
M. d'Argouges qui les a fi bien obfervés.
Il dit , en parlant de la retraite de
M. le Lieutenant Civil : » Dans le centre
» d'une famille jaloufe à juste titre de
" recueillir déformais tous fes momens,
» il va jouir du calme & de la paix
» connus dans les lieux où l'honneur
» & la vérité régnent , & réfervés aux
» âmes fur lefquelles les paffions n'eurent
jamais d'empire : ofons même
» nous flatter que fon affection ne fera
qu'augmenter à l'égard d'un Tribu-
» nal à la tête duquel fes exemples fem-
» blent avoir fixé pour toujours le plus
70 MERCURE DE FRANCE.
"
» ferme appui de la Juftice. Le Public
» peut y compter , foit qu'il y voye
» préfider, comme il arrive aujourd'hui,
» ceux que les droits de leur Charge y
» appellent en l'abfence du Chef, foit
» que nous foyons au moment où l'hé-
» ritier du nom de celui qui cauſe nos
» regrets , déja recommandable par lui-
» même par fes fervices au Parlement
» & dans les Confeils du Roi , va venir
» revivre parmi nous , marcher fur fes
» traces , & déja prendre part à ſa gloire.
Le Difcours de M. le Procureur du
Roi fini , M. Chardon , Lieutenant Particulier
, affis & couvert , a adreffé la
parole à MM. les Avocats , & leur a
parlé fur la décence néceffaire dans leur
profeffion. Il a fait enfuite le portrait
d'un Magiftrat , & de là , il a paffé à
l'éloge un peu étendu de M. d'Argouges
dont nous ne rapporterons ici que
les traits principaux . Revêtu de cette
place diftinguée , M. le Lieutenant
» Civil fit paroître dans un âge où la
» voix des paffions eft prèfque la feule
qui fe faffe entendre , une maturité
» qui dans la plupart des hommes n'eft
» que le fruit d'une longue expérience
» ou d'un travail de beaucoup d'années.
» Ses premieres décifions porterent le
">
"
JANVIER. 1763. 71
caractère de la prudence la plus con-
" fommée ; & fi l'on reconnoiffoit fa
» jeuneffe , ce n'étoit que par le feu
» de fon efprit , & plus encore par le
» jufte étonnement où chacun étoit de
» voir la fageffe de Neftor dans la bou-
» che d'un jeune Magiftrat qui avoità
» peine acquis fon fixiéme luftre………….
» Combien de fois affis fur le Trêne de
» la Juſtice , fes fages décifions ont- elles
» confondu l'erreur & l'impofture , &
» fait triompher la vérité ? Les voutes
» retentiffent encore des oracles qu'il a
» rendus , & des applaudiffemens qu'il
» a mérités . Mais il eft un hommage plus
" pur , peut-être moins brillant , mais
» plus flatteur pour les coeurs bienfai-
» fans , c'est celui que lui doivent les
» malheureux opprimés , à qui plus d'u-
» ne fois par fes confeils fes confeils , & même
.
par fes fecours généreux , il a fauvé
» les frais d'une inftance auffi longue
» que difpendieufe ; plus content mille
» fois d'avoir , fans autre témoin que fa
» vertu , épargné un procès à fes conci-
" toyens , que d'avoir , au milieu d'une
» Audience nombreufe , prononcé fur
» leur fort ; & plus fatisfait de goûter
» cette joie pure que reffentent fi bien
» les âmes généreufes , que d'avoir en-
M
72 MERCURE DE FRANCE.
» tendu les applaudiffemens de la mul- .
» titude .... Son fouvenir fera gravé dans
" nos âmes par les traits de la plus gran-
» de vénération. Il vivra parmi nous
» par les regrets qu'il nous laiffe ; & fi
"
"
nous ne pouvons plus jouir de fes
» exemples , nous tâcherons au moins
» de les imiter. Mais que dis-je , Mef-
» ficurs , nous ne la perdons pas ; il vit
» dans fon illuftre fils . Succeffeur de fa
» place , il l'eft auffi des vertus qui dans
» cette famille fe perpétuent ainfi que
» la Nobleffe . L'une coulera dans fon
fang , l'autre animera fon coeur . Né
» lui- même dans le fein de la Juſtice ,
» élevé fous les yeux du plus refpecta-
» ble de fes Miniftres , tout nous dit qu'il
» remplira avec éclat la carrière qui s'ou-
» vre fous fes pas .. pas.... Notre premier
" defir fera de le voir occuper longtemps
» cette place ; notre plus douce fatis-
» faction , d'applaudir à fes fuccès ; &
» s'il nous refte des regrets , ce fera de
» ne pouvoir jouir à la fois & des éxem-
» ples du pere & des talens du fils .
On peut voir par l'extrait que nous
venons de faire de ces trois difcours ,
que la vénération , le refpect & la reconnoiffance
font les fentimens de tous
-les Magiftrats , & de tous les membres
du
JANVIER. 1763 . 7%
du Châtelet , à l'égard de M. d'Argouges,
& que ces fentimens ont été exprimés
avec autant de force & de vérité , que
d'élégance , par les trois Orateurs , interprêtes
des fuffrages publics. La Communauté
des Procureurs , pour donner
au Magiftrat illuftre qu'elle a le malheur
de perdre , une marque certaine & autentique
de ces mêmes fentimens , a fait
imprimer les trois Difcours , après en
avoir obtenu le confentement des Magiftrats
qui les ont prononcés. M. le
Breton,Imprimeur, n'a rien épargné pour
donner à ce Recueil , dans l'exécution
typographique , toute la perfection que
demande un Ouvrage qui doit être pour
la Poftérité un monument de refpect &
de reconnoiffance érigé au zéle & à la
vertu .
PARIS , du Lundi 25 Octobre 1762,
& Difcours prononcés par M. DE
SARTINE , Lieutenant Général de
Police ; par M. MOREAU , Procureur
du Roi au Châtelet , faifant les fonctions
d'Avocat du
Roi
; & par
M. CHARDON , Lieutenant Partici
lier , Préfident au Parc Civil : imprimés
parles foins de M Jean- Baptifte
Courlefvaux , l'aîné , M Jacques
Roger le Comte , M Jean - Baptiffe
Marye Procureurs au Châtelet &
Procureurs de Communauté en éxercice
, & de Me Louis Varnier , auffi
Procureur au Châtelet , Syndic , à Paris
, de l'Imprimerie de le Breton , premier
Imprimeur ordinaire du Roi , &
ordinaire de fa Communauté , rue de
enbroe
JANVIER. 1763. 65
la Harpe , 1762 , Brochure in - 4° . à
la tête de laquelle fe trouve le Portrait
de M. d'ARGOUGES , gravé d'après
l'Argiliere.
CE Recueil peut être regardé comme
un monument de refpect & de reconnoiffance
, érigé par MM. les Procu
reurs du Châtelet , à la gloire de M.
d'Argouges père , qui pendant plus de
52 ans a rempli la Charge de Lieutenant
Civil , & dont la retraite les rendroit
inconfolables , fi d'un côté elle
n'étoit pas réparée par un fils digne d'un
père auquel il fuccéde , & de l'autre ,:
par la fatisfaction de voir un Magiftrat
refpectable jouir du repos qu'il a fi bien
mérité.
Trois Magiftrats refpectables par leur
place , leur probité & leurs lumières
ont été dans cette occafion les interprêtes
des fentimens du Public , en rendant à
M. d'Argouges le tribut d'éloges dû à un
Citoyen chargé d'années & de gloire ,
& qui va paffer une vieilleffe honorable
au fein d'une tranquillité qu'il a toujours
facrifiée au bien des Particuliers.
Ce fut M. De Sartine qui prononça le
premier Difcours. S'étant rendu dans
66 MERCURE DE FRANCE.
la Chambre du Confeil , il fit part à la
Compagnie qu'il préfidoit , de la Lettre
par laquelle M. d'Argouges , père , Lieutenant
Civil , lui annonçoit fa retraite ,
& il dit en parlant de ce grand Magiftrat :
»les Citoyens dont il a affuré le bon-
» heur & la fortune , les Familles qui
» lui doivent & leur union & la paix dont
» elles jouiffent , les Juges qui ont ad-
» miré fa prudence & fon équité , con-
» ferveront pour lui ce tendre fouvenir ,
» cette eſtime précieuſe qu'on a pour les
» grands hommes.
"
"
"
La Compagnie fe rendit enfuite à la
Chapelle où la Meffe fut célébrée folemnellement.
La Meffe finie , on remonta
dans la Chambre du Confeil ; & après
y avoir délibéré fur différentes affaires
on defcendit au Parc Civil. M. Chardon
qui y préfidoit , fit l'ouverture des Audiences
par la lecture des Ordonnances.
M. Moreau , Procureur du Roi , prenant
enfuite la parole , prononça un long
difcours fur les devoirs des Magiftrats ,
qu'il envifage fous trois points de vue :
ce qu'un Magiftrat doit faire pour le
Public en général , ce qu'il doit à chaque
Particulier , & ce qu'il fe doit à luimême
. Cette divifion forme les trois
parties de fon diſcours , dont la premiere
JANVIER. 1763. 67
fe fubdivife en trois autres points : les
devoirs publics d'un Magiftrat par rap
port à la Religion , aux fentimens dûs aut
Prince , & à l'union qui doit régner
entre les Concitoyens. On fent dans
quels détails l'Orateur a dû entrer , & les
bornes que nous préfcrivent les Loix de
l'Analyſe . Nous nous contenterons de
citer quelques morceaux choifis qui
pourront donner une idée de l'efprit ,
du talent & du ftyle de l'Auteur. It
fait ainfi le portrait du fanatifme. » Le
20 fanatifme audacieux marche la tête
2 haute , le front découvert ; le nom de
» Dieu eft dans fa bouche ; toute la cha-
» leur de l'amour-propre eft dans fon
» coeur. Il cherche à dompter les efprits
» en les échauffant , il prend en main le
» flambeau de la Religion , il détruit les
» temples du Dieu que le peuple adore ;
» il renverfe fes autels , & c'eft für leurs
», débris , que fumant de fang & de car
» nage , il veut en élever d'autres à fon
nidôlei ,
Le Magiftrat doit veiller à l'éducation
publique , & conféquemment doir s'op
pofer à tout fyftême d'éducation qui
pourroit allarmer les moenrs & la Religion.
» Si l'on peut craindre , dit M.
Moreau , qu'une mère aveugle , ou
68 MERCURE DE FRANCE.
N
» plutôt aveuglée par le défir de paroître
» inftruite , ne tire de fon fein l'objet de
» fa tendreffe , pour l'élever comme les
» bêtes , & le confier aux foins , de ce-
» lui qui en s'annonçant pour l'Apôtre
» de la nature, n'a travaillé, on peut le dire ,
» qu'à dénaturer & avilir ce qui en eſt le
» plus bel ornement ; c'eft au Magiftrat à
" employer toute fon autorité & l'organe
» de la juftice , afin de faire profcrire
» avec éclat l'auteur, l'ouvrage & fes fec-
» tateurs , comme autant de peftes pu
» bliques , capables par le poifon qu'ils
» répandent , d'infecter l'air le plus pur.
On aimera le morceau fuivant fur les
devoirs du Magiftrat dans les calamités
publiques: » Qu'un fléau afflige une Pro
» vince , qu'une affreufe difette la déſole
» & la dévafte que l'Ange de la mort
» étende fes aîles fur une contrée ; qu'un
» incendie fubit , en développant des
» tourbillons de flammes , répandent au
loin la confternation & l'effroi»; les
» édifices les plus fomptueux , les mo-
» numens élevés pour la postérités, les
» temples , les palais comme la maiſon
» du Citoyen & la cabane de l'Artiſan ;
» les richeffes de l'Etat comme le patrimoine
du Particulier , deviennent la
» proie d'un élément qui réduit tout en
JANVIER. 1763. 69
» cendres. Le zéle du Magiftrat le fait
» fuffire à tout ; il fe porte avec ardeur
» dans les endroits même périlleux , où
» il croit que fa préfence peut être utile.
» Quelque affecté qu'il foit du malheur
» public , le défaftre de chaque particu-
» lier ne paroît pas moins l'intéreffer ;
» chacun lui fait part de fes peines , il
les écoute avec fenfibilité ; il les par-
» tage ; & chacun eft für de trouver en
lui le confolateur le plus tendre , le plus
» zélé prote&eur , & la reffource la
» plus éfficace,
มุ
En peignant les devoirs d'un grand
Magiftrat , par une tranfition toute naturelle
, M.. Moreau paffe à l'éloge de
M. d'Argouges qui les a fi bien obfervés.
Il dit , en parlant de la retraite de
M. le Lieutenant Civil : » Dans le centre
» d'une famille jaloufe à juste titre de
" recueillir déformais tous fes momens,
» il va jouir du calme & de la paix
» connus dans les lieux où l'honneur
» & la vérité régnent , & réfervés aux
» âmes fur lefquelles les paffions n'eurent
jamais d'empire : ofons même
» nous flatter que fon affection ne fera
qu'augmenter à l'égard d'un Tribu-
» nal à la tête duquel fes exemples fem-
» blent avoir fixé pour toujours le plus
70 MERCURE DE FRANCE.
"
» ferme appui de la Juftice. Le Public
» peut y compter , foit qu'il y voye
» préfider, comme il arrive aujourd'hui,
» ceux que les droits de leur Charge y
» appellent en l'abfence du Chef, foit
» que nous foyons au moment où l'hé-
» ritier du nom de celui qui cauſe nos
» regrets , déja recommandable par lui-
» même par fes fervices au Parlement
» & dans les Confeils du Roi , va venir
» revivre parmi nous , marcher fur fes
» traces , & déja prendre part à ſa gloire.
Le Difcours de M. le Procureur du
Roi fini , M. Chardon , Lieutenant Particulier
, affis & couvert , a adreffé la
parole à MM. les Avocats , & leur a
parlé fur la décence néceffaire dans leur
profeffion. Il a fait enfuite le portrait
d'un Magiftrat , & de là , il a paffé à
l'éloge un peu étendu de M. d'Argouges
dont nous ne rapporterons ici que
les traits principaux . Revêtu de cette
place diftinguée , M. le Lieutenant
» Civil fit paroître dans un âge où la
» voix des paffions eft prèfque la feule
qui fe faffe entendre , une maturité
» qui dans la plupart des hommes n'eft
» que le fruit d'une longue expérience
» ou d'un travail de beaucoup d'années.
» Ses premieres décifions porterent le
">
"
JANVIER. 1763. 71
caractère de la prudence la plus con-
" fommée ; & fi l'on reconnoiffoit fa
» jeuneffe , ce n'étoit que par le feu
» de fon efprit , & plus encore par le
» jufte étonnement où chacun étoit de
» voir la fageffe de Neftor dans la bou-
» che d'un jeune Magiftrat qui avoità
» peine acquis fon fixiéme luftre………….
» Combien de fois affis fur le Trêne de
» la Juſtice , fes fages décifions ont- elles
» confondu l'erreur & l'impofture , &
» fait triompher la vérité ? Les voutes
» retentiffent encore des oracles qu'il a
» rendus , & des applaudiffemens qu'il
» a mérités . Mais il eft un hommage plus
" pur , peut-être moins brillant , mais
» plus flatteur pour les coeurs bienfai-
» fans , c'est celui que lui doivent les
» malheureux opprimés , à qui plus d'u-
» ne fois par fes confeils fes confeils , & même
.
par fes fecours généreux , il a fauvé
» les frais d'une inftance auffi longue
» que difpendieufe ; plus content mille
» fois d'avoir , fans autre témoin que fa
» vertu , épargné un procès à fes conci-
" toyens , que d'avoir , au milieu d'une
» Audience nombreufe , prononcé fur
» leur fort ; & plus fatisfait de goûter
» cette joie pure que reffentent fi bien
» les âmes généreufes , que d'avoir en-
M
72 MERCURE DE FRANCE.
» tendu les applaudiffemens de la mul- .
» titude .... Son fouvenir fera gravé dans
" nos âmes par les traits de la plus gran-
» de vénération. Il vivra parmi nous
» par les regrets qu'il nous laiffe ; & fi
"
"
nous ne pouvons plus jouir de fes
» exemples , nous tâcherons au moins
» de les imiter. Mais que dis-je , Mef-
» ficurs , nous ne la perdons pas ; il vit
» dans fon illuftre fils . Succeffeur de fa
» place , il l'eft auffi des vertus qui dans
» cette famille fe perpétuent ainfi que
» la Nobleffe . L'une coulera dans fon
fang , l'autre animera fon coeur . Né
» lui- même dans le fein de la Juſtice ,
» élevé fous les yeux du plus refpecta-
» ble de fes Miniftres , tout nous dit qu'il
» remplira avec éclat la carrière qui s'ou-
» vre fous fes pas .. pas.... Notre premier
" defir fera de le voir occuper longtemps
» cette place ; notre plus douce fatis-
» faction , d'applaudir à fes fuccès ; &
» s'il nous refte des regrets , ce fera de
» ne pouvoir jouir à la fois & des éxem-
» ples du pere & des talens du fils .
On peut voir par l'extrait que nous
venons de faire de ces trois difcours ,
que la vénération , le refpect & la reconnoiffance
font les fentimens de tous
-les Magiftrats , & de tous les membres
du
JANVIER. 1763 . 7%
du Châtelet , à l'égard de M. d'Argouges,
& que ces fentimens ont été exprimés
avec autant de force & de vérité , que
d'élégance , par les trois Orateurs , interprêtes
des fuffrages publics. La Communauté
des Procureurs , pour donner
au Magiftrat illuftre qu'elle a le malheur
de perdre , une marque certaine & autentique
de ces mêmes fentimens , a fait
imprimer les trois Difcours , après en
avoir obtenu le confentement des Magiftrats
qui les ont prononcés. M. le
Breton,Imprimeur, n'a rien épargné pour
donner à ce Recueil , dans l'exécution
typographique , toute la perfection que
demande un Ouvrage qui doit être pour
la Poftérité un monument de refpect &
de reconnoiffance érigé au zéle & à la
vertu .
Fermer
Résumé : SÉANCE DU CHASTELET DE PARIS, du Lundi 25 Octobre 1762, & Discours prononcés par M. DE SARTINE, Lieutenant Général de Police ; par M. MOREAU, Procureur du Roi au Châtelet, faisant les fonctions d'Avocat du Roi ; & par M. CHARDON, Lieutenant Particulier, Président au Parc Civil : imprimés par les soins de Me Jean- Baptiste Courlesvaux, l'aîné, Me Jacques Roger le Comte, Me Jean - Baptiste Marye Procureurs au Châtelet & Procureurs de Communauté en éxercice, & de Me Louis Varnier, aussi Procureur au Châtelet, Syndic, à Paris, de l'Imprimerie de le Breton, premier Imprimeur ordinaire du Roi, & ordinaire de sa Communauté, rue de la Harpe, 1762, Brochure in- 4° . à la tête de laquelle se trouve le Portrait de M. d'ARGOUGES, gravé d'après l'Argiliere.
Le 25 octobre 1762, une séance solennelle a été organisée au Châtelet de Paris pour célébrer la retraite de M. d'Argouges, Lieutenant Civil, après plus de 52 ans de service. Trois magistrats, M. de Sartine, M. Moreau et M. Chardon, ont prononcé des discours en son honneur. M. de Sartine a annoncé la retraite de M. d'Argouges et a souligné l'admiration et le respect que lui portaient les citoyens et les juges. La séance a inclus une messe solennelle et des délibérations sur diverses affaires. M. Moreau a ensuite prononcé un discours sur les devoirs des magistrats, divisé en trois parties : les devoirs envers le public, les devoirs envers chaque particulier, et les devoirs personnels. Il a insisté sur l'importance de la vigilance contre le fanatisme et la nécessité de protéger l'éducation publique et la religion. Il a également évoqué le rôle des magistrats dans les calamités publiques, soulignant leur devoir de secours et de consolation. M. Chardon a adressé la parole aux avocats sur la décence nécessaire dans leur profession et a rendu hommage à M. d'Argouges, louant sa sagesse et sa générosité. Il a souligné que M. d'Argouges avait souvent aidé les malheureux opprimés, préférant épargner des procès plutôt que de chercher des applaudissements. Les discours ont été imprimés par les procureurs du Châtelet en signe de respect et de reconnaissance envers M. d'Argouges, et pour honorer son fils, qui lui succédait.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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60
SÉANCE DU CHASTELET DE PARIS, du Lundi 25 Octobre 1762, & Discours prononcés par M. DE SARTINE, Lieutenant Général de Police ; par M. MOREAU, Procureur du Roi au Châtelet, faisant les fonctions d'Avocat du Roi ; & par M. CHARDON, Lieutenant Particulier, Président au Parc Civil : imprimés par les soins de Me Jean- Baptiste Courlesvaux, l'aîné, Me Jacques Roger le Comte, Me Jean - Baptiste Marye Procureurs au Châtelet & Procureurs de Communauté en éxercice, & de Me Louis Varnier, aussi Procureur au Châtelet, Syndic, à Paris, de l'Imprimerie de le Breton, premier Imprimeur ordinaire du Roi, & ordinaire de sa Communauté, rue de la Harpe, 1762, Brochure in- 4° . à la tête de laquelle se trouve le Portrait de M. d'ARGOUGES, gravé d'après l'Argiliere.
61
p. 88
LETTRE à M. DE LA PLACE sur un Jetton, frappé en 1606.
Début :
IL eft aisé, Monsieur, de vous donner l'explication du jetton dont vous faites [...]
Mots clefs :
Jeton, Cuivre, Religion
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE à M. DE LA PLACE sur un Jetton, frappé en 1606.
LETTRE à M. DE LA PLACE
un Jetton , frappé en 1606.
, Sur
IL eft aifé , Monfieur , de vous donner
l'explication du jetton dont vous faites
.mention dans votre fecond Mercure du
mois de Janvier 1763 , page 78. J'ai
trouvé ce jetton en original en cuivre
parmi ceux des Rois de France que
j'ai raffemblés qui ont été frappés au
commencement de la Monarchie jufqu'à
préfent . Voici le tipe de ce jet
ton. On voit d'un côté le Roi Henri
IV debout devant un autel fur lequel
il met fa main droite devant un Crucifix
lors de fon abjuration faite dans
l'Eglife de S. Denis , le Dimanche 25
Juillet 1593 , & l'autre main élevée
vers le Ciel , avec cette Légende : Tuta
mihi numinis ara. Exg. 1606.
Revers , la Religion fous la figure
d'une femme , conduifant par la main.
le Roi Louis XIII enfant , à une Eglife
au-deffus d'une montagne , & tenant
de la main droite un coeur enflammé
avec ces mots , Hæc tibi certa domus.
Exg. 1606. D. N. Abonné au Mercure
A Paris , le 24 Janvier 1763 .
un Jetton , frappé en 1606.
, Sur
IL eft aifé , Monfieur , de vous donner
l'explication du jetton dont vous faites
.mention dans votre fecond Mercure du
mois de Janvier 1763 , page 78. J'ai
trouvé ce jetton en original en cuivre
parmi ceux des Rois de France que
j'ai raffemblés qui ont été frappés au
commencement de la Monarchie jufqu'à
préfent . Voici le tipe de ce jet
ton. On voit d'un côté le Roi Henri
IV debout devant un autel fur lequel
il met fa main droite devant un Crucifix
lors de fon abjuration faite dans
l'Eglife de S. Denis , le Dimanche 25
Juillet 1593 , & l'autre main élevée
vers le Ciel , avec cette Légende : Tuta
mihi numinis ara. Exg. 1606.
Revers , la Religion fous la figure
d'une femme , conduifant par la main.
le Roi Louis XIII enfant , à une Eglife
au-deffus d'une montagne , & tenant
de la main droite un coeur enflammé
avec ces mots , Hæc tibi certa domus.
Exg. 1606. D. N. Abonné au Mercure
A Paris , le 24 Janvier 1763 .
Fermer
Résumé : LETTRE à M. DE LA PLACE sur un Jetton, frappé en 1606.
La lettre de 1763 décrit un jetton de 1606. Une face montre Henri IV devant un autel à Saint-Denis en 1593. L'autre face représente la Religion guidant Louis XIII vers une église, avec des inscriptions latines et la date 'Exg. 1606'.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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p. 53
A M. le Prince DE SOLRE, fils unique de M. le Prince DE CROY, Lieutenant-Général des Armées du ROI, sur sa guérison de la petite vérole, qu'il a eue à Londres.
Début :
LA Vertu dans ce siécle, hélas ! si négligée, [...]
Mots clefs :
Religion, Amitié, Douleurs
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texteReconnaissance textuelle : A M. le Prince DE SOLRE, fils unique de M. le Prince DE CROY, Lieutenant-Général des Armées du ROI, sur sa guérison de la petite vérole, qu'il a eue à Londres.
A M. le Prince DE SOLRE , fils unique
de M. le Prince DE CROY , Lieutenant-
Général des Armées du Ror ,
fur fa guérison de la petite vérole ,
qu'il a eue à Londres.
LALa Vertu dans ce fiécle , hélas ! fi négligée ,
E la Religion chaque jour outragée ,
A peine réfiftant au torrent de nos moeurs ,
En fecret gémiffoient fur leurs communs malheurs.
L'Amitié dont les feux meurent bientôt fans
elles ,
Par ces mots vint tarir la fource de leurs pleurs :
» Raffurez-vous , Soeurs immortelles ,
>> Vous n'avez point perdu tous vos adorateurs ,
» Le plus zélé vous reſte ; honneur de votre Em-
» pire ,
» Dans l'âge dangereux des frivoles erreurs ,
» Unique efpoir d'un fang , où pour vous tour
reſpire ,
כ כ
Ses exemples partout vont vous gagner des
> coeurs.
Que la joie en ce jour fuccédé à vos douleurs ;
» Raffurez-vous : CROY refpire.
Par M, DES..... C. A. R. de C. C.
de M. le Prince DE CROY , Lieutenant-
Général des Armées du Ror ,
fur fa guérison de la petite vérole ,
qu'il a eue à Londres.
LALa Vertu dans ce fiécle , hélas ! fi négligée ,
E la Religion chaque jour outragée ,
A peine réfiftant au torrent de nos moeurs ,
En fecret gémiffoient fur leurs communs malheurs.
L'Amitié dont les feux meurent bientôt fans
elles ,
Par ces mots vint tarir la fource de leurs pleurs :
» Raffurez-vous , Soeurs immortelles ,
>> Vous n'avez point perdu tous vos adorateurs ,
» Le plus zélé vous reſte ; honneur de votre Em-
» pire ,
» Dans l'âge dangereux des frivoles erreurs ,
» Unique efpoir d'un fang , où pour vous tour
reſpire ,
כ כ
Ses exemples partout vont vous gagner des
> coeurs.
Que la joie en ce jour fuccédé à vos douleurs ;
» Raffurez-vous : CROY refpire.
Par M, DES..... C. A. R. de C. C.
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Résumé : A M. le Prince DE SOLRE, fils unique de M. le Prince DE CROY, Lieutenant-Général des Armées du ROI, sur sa guérison de la petite vérole, qu'il a eue à Londres.
Le texte célèbre la guérison du Prince de Solre à Londres. Il déplore la négligence de la vertu et des valeurs religieuses, tout en soulignant leur résistance. L'Amitié console en affirmant que la vertu et la religion conservent des défenseurs. Le Prince de Croÿ, père du Prince de Solre, incarne ces valeurs. La guérison du Prince de Croÿ est annoncée, invitant à la joie.
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