Oeuvre commentée (6)
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1
p. 2925-2935
Tragedie de Brutus, Extrait, [titre d'après la table]
Début :
La Tragédie nouvelle de Brutus, de M. de Voltaire, fut représentée à la [...]
Mots clefs :
Voltaire, Théâtre, Brutus , Titus, Vol, Homme, Père, Fille, Fils, Passion
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texteReconnaissance textuelle : Tragedie de Brutus, Extrait, [titre d'après la table]
A Tragédie nouvelle de Brutus , de
M. de Voltaire , fut repréſentée à la
Cour le Samedi 30. de ce mois , avec un
très-grand fuccès ; on la donna le lendemain
fur le Théatre François pour la neu
viéme fois , & toujours avec beaucoup
d'applaudiffemens.
La Scene de cette Piéce dont nous
avons promis de parler , fe paffe dans le
Capitole. Les principaux perfonnages font
Brutus , Conful , Titus , fon fils , & Tullie,
fille de Tarquin. Les S Sarrazin , Du
Freſne , & la Dile Du Frefne rempliffent
ces trois Rôles . Ceux de Valerius Publicola
, deuxième Conful , de Proculus , de
Meffala , Romain , conjuré dans le parti
de Tarquin , d'Aruns , Ambaffadeur du
Roi d'Etrurie , d'Albin , fon Confident,
& d'Argine , Confidente de Tullie , font
remplis par les Srs Grandval , Dubreuil ,
Montmenil , Le Grand , Berci , & la De
Jouvenot , fans parler des fix Senateurs .
, ,
La Piéce commence par une Affemblée
du Senat , où l'on introduit un Ambaffadeur
de Porfenna & de Tarquin . Ce Miniftre
remontre tout ce qu'un Royalite
II. Vol.
zelé
2926 MERCURE DE FRANCE
zelé peut dire en faveur des droits des
Souverains. Le Conful Brutus répond
tout ce qu'un Republicain rigide doit
dire pour le Peuple Romain. Il s'exprime
ainfi :
Nous avons fait , Aruns , en lui rendant hommage
,
Serment d'obéiffance , & non pas d'efclavage ,
Et puifqu'il vous fouvient d'avoir vu dans ces
lieux ,
Le Senat à fes pieds faifant pour lui des voeux ,
Songez qu'en ces lieux même , à cet Autel augufte
,
Devant ces mêmes Dieux il jura d'être juſte ;
De fon peuple & de lui tel étoit le lien.
Il nous rend nos fermens quand il trahit le fien
Et dès qu'aux loix de Rome il ofe être infidele
Rome n'eſt plus fujette , & lui ſeul eft rebelle.
Aruns.
Ah ! quand il feroit vrai que l'abfolu pouvoir
Eut entraîné Tarquin par delà fon devoir ,
Qu'il en eut trop ſuivi l'amorce enchantereffe ,
Quel homme eft fans erreur , & quel Roi fans
foibleffe ?
Eft- ce à vous de prétendre au droit de le punir ?
Vous nés tous fes Sujets , vous faits pour obéir?
Un fils ne s'arme point contre un coupable pere
Il détourne les yeux , le plaint & le revere.
II. Vol.
Les
DECEMBRE. 1730. 2927
Les droits des Souverains font - ils moins précieux
?
Nous fommes leurs enfans , leurs Jages font les
Dieux ;
Si le Ciel quelquefois les donne en fa coleré ,
N'allez pas mériter un préfent plus fevere ,
Trahir toutes les loix en voulant les vanger ,
Et renverser l'Etat au lieu de le changer .
Inftruit par le malheur
l'homme ,
› ce grand Maitre de
Tarquin fera plus jufte & plus digne de Rome ;
Vous pouvez
raffermir par un accord heureux
Des Peuples & des Rois les legitimes noeuds ,
Et faire encor fleurir la liberté publique
Sous l'ombrage facré du pouvoir Monarchique.
Brutus plein de fes fentimens refuſe la
paix au nom du Sénat , quoiqu'affiegé
par deux Rois . Le Sénat jure fur l'Autel
de Mars de ne jamais admettre les Tarquins
dans Rome ; l'Ambaffadeut jure
fur le même Autel une guerre éternelle
aux Romains. Cependant ce Miniftre demande
fierement qu'on lui remette Tullie,
fille de Tarquin , jeune Princeffe qui n'avoit
pû fe fauver de Rome dans le commencement
de la Guerre civile , & que
le Sénat faifoit élever chez la femme de
Brutus le Sénat ordonne qu'on rende à
Tarquin fa fille & tous fes biens ; & Bru-
II. Vol.
tus
2928 MERCURE DE FRANCE
tus , l'organe du Sénat , dit à ce Miniftre:
Qu'à Tarquin déformais rien ne refte en ces
lieux
Que la haine de Rome & le couroux des Dieux ;
Pour emporter au Camp l'or qu'il faut y conduire
Rome vous donne un jour , ce tems doit vous
fuffire .
Ma Maiſon cependant eſt votre fûreté &c.
Ce Miniftre ayant donc la liberté de
refter un jour dans Rome veut employer
ce tems à ruiner la liberté des Romains ;
il avoit depuis long- tems une fecrete cor
refpondance avec un Citoyen nommé
Meffala , homme adroit & intrépide ,
qui defefperant de faire fa fortune fous
le gouvernement fevere d'une Républi
que , vouloit s'élever en rappelant les Tirans.
C'eft un vrai confpirateur.
Maître de fon fecret , & maître de lui-même ,
Impenetrable & calme en fa fureur extrême ;
Il a déja gagné quelques amis ; mais ,
dit- il , à l'Ambaffadeur :
Ne prétendez pas
Qu'en aveugles Sujets ils fervent des ingrats ;
Ils ne fe piquent point du devoir fanatique
De fervir de victime au pouvoir defpotique ,
II. Vol.
Ni
DECEMBRE. 1730. 2929.
Ni du zele inſenſé de courir au trépas
Pour venger un Tiran qui ne les connoît pas.
Tarquin promet beaucoup ; mais devenu leur
maître ,
Il les oublira tous , ou les craindra peut -être :
Je connois trop les Grands dans le malheur
amis ,
;
Ingrats dans la fortune , & bientôt ennemis..
Nous fommes de leur gloire un inftrument fervile
Rejetté par dédain dès qu'il eft inutile ,
Et brifé fans pitié s'il devient dangereux.
Meffala avoit befoin d'un Chef digne
de pareils conjurés , affez illuftre par fa
naiffance pour le faire obéir , affez.courageux
pour faire réuffir l'entreprife ,
affez hardi même pour forcer le Roi ,
Même après le fuccés à leur tenir la foi.
Titus , fils du Conful Brutus , jeune
homme impétueux dans fes défirs , qui
venoit de triompher des deux Rois , mais
qui n'avoit pû obtenir le Confulat , pa-'
roit à ces deux conjurés un homme propre
à mettre à la tête de leur parti . Titus,
à la verité , aime tendrement Rome &
fon
pere ; il eft le plus grand ennemi des
Rois , il adore la liberté , mais il eft piqué
contre le Sénat ; & Meffala a découvert
qu'il a depuis long- tems une paſſion fu-
II. Vol.
rieufe
29 30 MERCURE DE FRANCE
rieule
pour la fille de Tarquin : Titus a
été jufqu'à préfent le maître de fa paffion ;
mais il y peut fuccomber. Meffala ajoute :
Dans le champ de la gloire il ne fait que d'en
trer ,
Il y marche en aveugle , on l'y peut égarer ;
La bouillante Jeuneffe eft facile à féduire .
Cependant Tullie , cette fille de Tarquin
, nourriffoit depuis long- tems une
inclination fecrette pour le jeune Titus ;
elle vouloit haïr l'ennemi de fon pere &
le fils de Brutus ; mais elle l'aimoit d'autant
plus , qu'il ne fouffroit plus qu'il pa-.
rut en fa préfence depuis que la Guerre
étoit déclarée . Ainfi Titus & Tullie s'adorant
l'un l'autre , & n'ofant fe voir
combattoient en fecret leur paffion . Enfin
le moment arrive qui doit les féparer
pour jamais ; alors Titus entraîné malgré
lui vers Tullie , vient pour lui dire un
éternel adieu , & l'aveu de fon amour lui
échape .
Ce feu que jufqu'alors il avoit fçû contraindre
S'irrite en s'échapant , & ne peut plus s'éteindre
L'adroit Ambaffadeur qui fçait bientôt
à quelles agitations Titus eft livré , faifit
ces momens pour tenter fa fidelité ; il
oppofe tous les artifices à la hauteur im
II. Vol. pétueufe
DECEMBRE. 1730. 2931
pétueufe de Titus ; il lui repréfente la
trifte feverité d'une République & tous
les charmes d'une Cour , il effaye de
l'attendrir pour Tarquin ; enfin il lui dit
que Tarquin avoit autrefois le deffein de
lui donner fa fille Tullie en mariage.
L'Ambaffadeur en lui parlant ainfi , obferve
attentivement l'émotion involontaire
du jeune Romain. Meffala , ce Chef
de conjurés , vient encore envenimer la
bleffure de Titus. L'Ambaffadeur fait plus,
il a découvert la paffion de Tullie , & il
veut s'en fervir pour fes deffeins. Oui ,
dit il ,
N'attendons des humains rien que par leur foibleffe.
Il ne perd point de tems , il envoye
un homme fûr au Camp de Tarquin ; ce
Courrier rapporte une Lettre du Roi ;
l'Ambaffadeur donne la Lettre à la Princeffe
: elle lit , elle voit avec furpriſe que
fon pere lui permet
de refufer le Roi de
Ligurie qu'elle devoit époufer , & que
c'eft à Titus qu'il la deftine ; qu'en un
mot il ne tient qu'à Titus de rappeler
Tarquin , de regner avec lui & d'époufer
Tullie. Cette Princeffe à la lecture de
cette Lettre eft partagée entre le trouble
& la joye , entre la défiance & l'efpoir ;
l'Ambafladeur la raffure & l'encourage ;
ĮI. Ful
1
2932 MERCURE DE FRANCE
il lui dit que Titus eft déja ébranlé , qu'il
eft prêt à relever le Trône de Tarquin
qu'un mot de la bouche va tout achever.
La jeune Princeffe pleine de l'efperance
de rétablir fon pere & d'être unie avec
fon Amant , envoye chercher Titus , lui
fait lire cette Lettre ; mais quelle furprife
& quelle douleur pour elle ! Titus
eft penetré d'horreur à l'afpect de ce billet
de Tarquin , par lequel on lui propoſe de
trahir Brutus & Rome. Son Amante s'écrie
:
Infpirez -lui , grands Dieux , le parti qu'il doit
prendre.
Mon choix eft fait.
Titus.
Tullie.
Eh bien ! crains -tu de me l'apprendre ♣
Parle , ofe mériter ta grace ou mon courroux ;
Quel fera ton deftin ?
Titus.
D'être digne de vous ,
Digne encor de moi-même , à Rome encor fidele
,
Brulant
d'amour
pour
vous , de
combattre
pour
elle ,
D'adorer vos vertus , mais de les imiter ,
De vous perdre , Madame , & de yous mériter &c.
II. Vol
Ац
DECEMBRE. 1730. 2933-
Au milieu de cette conteftation douloureuſe
, Brutus arrive , & dit à Tullie
qu'il faut partir ; déja même il l'emmene.
Titus defefperé arrête un moment l'Ambaffadeur
qui feint de vouloir partir , &
qui jouir tranquilement du trouble affreux
de cet Amant ; Titus lui demande
un moment d'entretien , & le prie de
retarder le départ d'une heure. C'eſt pendant
ce court efpace de tems que Meffala
fe découvre enfin à Titus , c'eft alors qu'il
lui apprend que Tiberinus , fon propre
frere
,
eft de la conjuration . Titus fe
trouve réduit à être le délateur ou le
complice de fon frere. Dans ce moment
même l'Ambaffadeur lui fait dire que
Tullie l'attend ; il parle à Tullie pour la
derniere fois , & c'est là que cedant à fa
paffion , penetré d'amour , d'horreur &
de remords , & fe trouvant dans le cas
de dire : Video meliora proboque , deteriora
fequor , il dit à Tullie :
› Eh hien , cruelle , il faut vous fatisfaire ;
Le crime en eft affreux ; mais j'y cours pour vous
plaire ;
D
t plus malheureux que dans ma paffion ;
Mon coeur n'a pour excufe aucune illufion ,
Que je ne goute point dans ce défordre extrême
Le trifte & vain plaifir de me tromper moimême
,
11. Vol, Que
2934 MERCURE DE FRANCE
Que l'amour aux forfaits me force de voler ,
Que vous m'avez vaincu fans pouvoir m'aveugler
,
Et qu'encor indigné de l'ardeur qui m'anime ,
Je chéris la vertu , mais j'embraffe le crime .
Haiffez-moi , fuyez , quittez un malheureux
Qui meurt d'amour pour vous , & detefte ſes
feux & c .
A peine Titus emporté par tant de paſfions
a -t'il promis de trahir Rome , que
Brutus inftruit qu'on doit donner un affaut
la nuit même,vient remettre le commandement
de la Ville de la part du
Sénat entre les mains de Titus même ; le
defeſpoir de Titus augmente à cette marque
de confiance ; une cruelle irréfolution
l'agite ; fon pere en eft étonné ; mais
dans le moment même le fecond Conful
annonce à Brutus que l'on confpire . On
n'a encore que des foupçons , & ces foupçons
ne tombent point fur les fils de Brutus.
On affemble le Sénat ; l'Ambaffadeur
y vient rendre compte de fa conduite
; Brutus le renvoye avec mépris &
avec horreur. On renouvelle les fermens
de punir fans remiffion quiconque auroit
confpiré en faveur des Rois ; Brutus qui
fait ce ferment eft bien éloigné de croire
fes Enfans coupables ; il apprend au milieu
du Sénat même que Tiberinus eft un
II. Vol.
des
DECEMBRE . 1730. 2935
des conjurés ; l'inftant d'après il apprend
que fon cher fils Titus , le Deffenfeur de
Rome , eft le Chef de la Confpiration .
Tiberinus eft tué en fe deffendant , avec
quelques complices . Titus qui avoit horreur
d'un crime qu'il n'avoit pas même
confommé , & dont il n'avoit été coupable
qu'un inftant , vient s'accuſer devant
fon Pere ; Brutus qui l'aime tendrement
le condamne à la mort en pleurant , &
Titus reçoit fon Arrêt en grand Homme.
Tullie defefperée ſe tuë . Ainfi finit cette
Piéce que l'on regarde dans Paris comme
l'Ouvrage Dramatique que M. de Voltaire
ait le mieux écrit , mais qui exige
une grande execution , extrêmement difficile
& neceffaire , pour avoir un long
fuccès au Théatre.
M. de Voltaire , fut repréſentée à la
Cour le Samedi 30. de ce mois , avec un
très-grand fuccès ; on la donna le lendemain
fur le Théatre François pour la neu
viéme fois , & toujours avec beaucoup
d'applaudiffemens.
La Scene de cette Piéce dont nous
avons promis de parler , fe paffe dans le
Capitole. Les principaux perfonnages font
Brutus , Conful , Titus , fon fils , & Tullie,
fille de Tarquin. Les S Sarrazin , Du
Freſne , & la Dile Du Frefne rempliffent
ces trois Rôles . Ceux de Valerius Publicola
, deuxième Conful , de Proculus , de
Meffala , Romain , conjuré dans le parti
de Tarquin , d'Aruns , Ambaffadeur du
Roi d'Etrurie , d'Albin , fon Confident,
& d'Argine , Confidente de Tullie , font
remplis par les Srs Grandval , Dubreuil ,
Montmenil , Le Grand , Berci , & la De
Jouvenot , fans parler des fix Senateurs .
, ,
La Piéce commence par une Affemblée
du Senat , où l'on introduit un Ambaffadeur
de Porfenna & de Tarquin . Ce Miniftre
remontre tout ce qu'un Royalite
II. Vol.
zelé
2926 MERCURE DE FRANCE
zelé peut dire en faveur des droits des
Souverains. Le Conful Brutus répond
tout ce qu'un Republicain rigide doit
dire pour le Peuple Romain. Il s'exprime
ainfi :
Nous avons fait , Aruns , en lui rendant hommage
,
Serment d'obéiffance , & non pas d'efclavage ,
Et puifqu'il vous fouvient d'avoir vu dans ces
lieux ,
Le Senat à fes pieds faifant pour lui des voeux ,
Songez qu'en ces lieux même , à cet Autel augufte
,
Devant ces mêmes Dieux il jura d'être juſte ;
De fon peuple & de lui tel étoit le lien.
Il nous rend nos fermens quand il trahit le fien
Et dès qu'aux loix de Rome il ofe être infidele
Rome n'eſt plus fujette , & lui ſeul eft rebelle.
Aruns.
Ah ! quand il feroit vrai que l'abfolu pouvoir
Eut entraîné Tarquin par delà fon devoir ,
Qu'il en eut trop ſuivi l'amorce enchantereffe ,
Quel homme eft fans erreur , & quel Roi fans
foibleffe ?
Eft- ce à vous de prétendre au droit de le punir ?
Vous nés tous fes Sujets , vous faits pour obéir?
Un fils ne s'arme point contre un coupable pere
Il détourne les yeux , le plaint & le revere.
II. Vol.
Les
DECEMBRE. 1730. 2927
Les droits des Souverains font - ils moins précieux
?
Nous fommes leurs enfans , leurs Jages font les
Dieux ;
Si le Ciel quelquefois les donne en fa coleré ,
N'allez pas mériter un préfent plus fevere ,
Trahir toutes les loix en voulant les vanger ,
Et renverser l'Etat au lieu de le changer .
Inftruit par le malheur
l'homme ,
› ce grand Maitre de
Tarquin fera plus jufte & plus digne de Rome ;
Vous pouvez
raffermir par un accord heureux
Des Peuples & des Rois les legitimes noeuds ,
Et faire encor fleurir la liberté publique
Sous l'ombrage facré du pouvoir Monarchique.
Brutus plein de fes fentimens refuſe la
paix au nom du Sénat , quoiqu'affiegé
par deux Rois . Le Sénat jure fur l'Autel
de Mars de ne jamais admettre les Tarquins
dans Rome ; l'Ambaffadeut jure
fur le même Autel une guerre éternelle
aux Romains. Cependant ce Miniftre demande
fierement qu'on lui remette Tullie,
fille de Tarquin , jeune Princeffe qui n'avoit
pû fe fauver de Rome dans le commencement
de la Guerre civile , & que
le Sénat faifoit élever chez la femme de
Brutus le Sénat ordonne qu'on rende à
Tarquin fa fille & tous fes biens ; & Bru-
II. Vol.
tus
2928 MERCURE DE FRANCE
tus , l'organe du Sénat , dit à ce Miniftre:
Qu'à Tarquin déformais rien ne refte en ces
lieux
Que la haine de Rome & le couroux des Dieux ;
Pour emporter au Camp l'or qu'il faut y conduire
Rome vous donne un jour , ce tems doit vous
fuffire .
Ma Maiſon cependant eſt votre fûreté &c.
Ce Miniftre ayant donc la liberté de
refter un jour dans Rome veut employer
ce tems à ruiner la liberté des Romains ;
il avoit depuis long- tems une fecrete cor
refpondance avec un Citoyen nommé
Meffala , homme adroit & intrépide ,
qui defefperant de faire fa fortune fous
le gouvernement fevere d'une Républi
que , vouloit s'élever en rappelant les Tirans.
C'eft un vrai confpirateur.
Maître de fon fecret , & maître de lui-même ,
Impenetrable & calme en fa fureur extrême ;
Il a déja gagné quelques amis ; mais ,
dit- il , à l'Ambaffadeur :
Ne prétendez pas
Qu'en aveugles Sujets ils fervent des ingrats ;
Ils ne fe piquent point du devoir fanatique
De fervir de victime au pouvoir defpotique ,
II. Vol.
Ni
DECEMBRE. 1730. 2929.
Ni du zele inſenſé de courir au trépas
Pour venger un Tiran qui ne les connoît pas.
Tarquin promet beaucoup ; mais devenu leur
maître ,
Il les oublira tous , ou les craindra peut -être :
Je connois trop les Grands dans le malheur
amis ,
;
Ingrats dans la fortune , & bientôt ennemis..
Nous fommes de leur gloire un inftrument fervile
Rejetté par dédain dès qu'il eft inutile ,
Et brifé fans pitié s'il devient dangereux.
Meffala avoit befoin d'un Chef digne
de pareils conjurés , affez illuftre par fa
naiffance pour le faire obéir , affez.courageux
pour faire réuffir l'entreprife ,
affez hardi même pour forcer le Roi ,
Même après le fuccés à leur tenir la foi.
Titus , fils du Conful Brutus , jeune
homme impétueux dans fes défirs , qui
venoit de triompher des deux Rois , mais
qui n'avoit pû obtenir le Confulat , pa-'
roit à ces deux conjurés un homme propre
à mettre à la tête de leur parti . Titus,
à la verité , aime tendrement Rome &
fon
pere ; il eft le plus grand ennemi des
Rois , il adore la liberté , mais il eft piqué
contre le Sénat ; & Meffala a découvert
qu'il a depuis long- tems une paſſion fu-
II. Vol.
rieufe
29 30 MERCURE DE FRANCE
rieule
pour la fille de Tarquin : Titus a
été jufqu'à préfent le maître de fa paffion ;
mais il y peut fuccomber. Meffala ajoute :
Dans le champ de la gloire il ne fait que d'en
trer ,
Il y marche en aveugle , on l'y peut égarer ;
La bouillante Jeuneffe eft facile à féduire .
Cependant Tullie , cette fille de Tarquin
, nourriffoit depuis long- tems une
inclination fecrette pour le jeune Titus ;
elle vouloit haïr l'ennemi de fon pere &
le fils de Brutus ; mais elle l'aimoit d'autant
plus , qu'il ne fouffroit plus qu'il pa-.
rut en fa préfence depuis que la Guerre
étoit déclarée . Ainfi Titus & Tullie s'adorant
l'un l'autre , & n'ofant fe voir
combattoient en fecret leur paffion . Enfin
le moment arrive qui doit les féparer
pour jamais ; alors Titus entraîné malgré
lui vers Tullie , vient pour lui dire un
éternel adieu , & l'aveu de fon amour lui
échape .
Ce feu que jufqu'alors il avoit fçû contraindre
S'irrite en s'échapant , & ne peut plus s'éteindre
L'adroit Ambaffadeur qui fçait bientôt
à quelles agitations Titus eft livré , faifit
ces momens pour tenter fa fidelité ; il
oppofe tous les artifices à la hauteur im
II. Vol. pétueufe
DECEMBRE. 1730. 2931
pétueufe de Titus ; il lui repréfente la
trifte feverité d'une République & tous
les charmes d'une Cour , il effaye de
l'attendrir pour Tarquin ; enfin il lui dit
que Tarquin avoit autrefois le deffein de
lui donner fa fille Tullie en mariage.
L'Ambaffadeur en lui parlant ainfi , obferve
attentivement l'émotion involontaire
du jeune Romain. Meffala , ce Chef
de conjurés , vient encore envenimer la
bleffure de Titus. L'Ambaffadeur fait plus,
il a découvert la paffion de Tullie , & il
veut s'en fervir pour fes deffeins. Oui ,
dit il ,
N'attendons des humains rien que par leur foibleffe.
Il ne perd point de tems , il envoye
un homme fûr au Camp de Tarquin ; ce
Courrier rapporte une Lettre du Roi ;
l'Ambaffadeur donne la Lettre à la Princeffe
: elle lit , elle voit avec furpriſe que
fon pere lui permet
de refufer le Roi de
Ligurie qu'elle devoit époufer , & que
c'eft à Titus qu'il la deftine ; qu'en un
mot il ne tient qu'à Titus de rappeler
Tarquin , de regner avec lui & d'époufer
Tullie. Cette Princeffe à la lecture de
cette Lettre eft partagée entre le trouble
& la joye , entre la défiance & l'efpoir ;
l'Ambafladeur la raffure & l'encourage ;
ĮI. Ful
1
2932 MERCURE DE FRANCE
il lui dit que Titus eft déja ébranlé , qu'il
eft prêt à relever le Trône de Tarquin
qu'un mot de la bouche va tout achever.
La jeune Princeffe pleine de l'efperance
de rétablir fon pere & d'être unie avec
fon Amant , envoye chercher Titus , lui
fait lire cette Lettre ; mais quelle furprife
& quelle douleur pour elle ! Titus
eft penetré d'horreur à l'afpect de ce billet
de Tarquin , par lequel on lui propoſe de
trahir Brutus & Rome. Son Amante s'écrie
:
Infpirez -lui , grands Dieux , le parti qu'il doit
prendre.
Mon choix eft fait.
Titus.
Tullie.
Eh bien ! crains -tu de me l'apprendre ♣
Parle , ofe mériter ta grace ou mon courroux ;
Quel fera ton deftin ?
Titus.
D'être digne de vous ,
Digne encor de moi-même , à Rome encor fidele
,
Brulant
d'amour
pour
vous , de
combattre
pour
elle ,
D'adorer vos vertus , mais de les imiter ,
De vous perdre , Madame , & de yous mériter &c.
II. Vol
Ац
DECEMBRE. 1730. 2933-
Au milieu de cette conteftation douloureuſe
, Brutus arrive , & dit à Tullie
qu'il faut partir ; déja même il l'emmene.
Titus defefperé arrête un moment l'Ambaffadeur
qui feint de vouloir partir , &
qui jouir tranquilement du trouble affreux
de cet Amant ; Titus lui demande
un moment d'entretien , & le prie de
retarder le départ d'une heure. C'eſt pendant
ce court efpace de tems que Meffala
fe découvre enfin à Titus , c'eft alors qu'il
lui apprend que Tiberinus , fon propre
frere
,
eft de la conjuration . Titus fe
trouve réduit à être le délateur ou le
complice de fon frere. Dans ce moment
même l'Ambaffadeur lui fait dire que
Tullie l'attend ; il parle à Tullie pour la
derniere fois , & c'est là que cedant à fa
paffion , penetré d'amour , d'horreur &
de remords , & fe trouvant dans le cas
de dire : Video meliora proboque , deteriora
fequor , il dit à Tullie :
› Eh hien , cruelle , il faut vous fatisfaire ;
Le crime en eft affreux ; mais j'y cours pour vous
plaire ;
D
t plus malheureux que dans ma paffion ;
Mon coeur n'a pour excufe aucune illufion ,
Que je ne goute point dans ce défordre extrême
Le trifte & vain plaifir de me tromper moimême
,
11. Vol, Que
2934 MERCURE DE FRANCE
Que l'amour aux forfaits me force de voler ,
Que vous m'avez vaincu fans pouvoir m'aveugler
,
Et qu'encor indigné de l'ardeur qui m'anime ,
Je chéris la vertu , mais j'embraffe le crime .
Haiffez-moi , fuyez , quittez un malheureux
Qui meurt d'amour pour vous , & detefte ſes
feux & c .
A peine Titus emporté par tant de paſfions
a -t'il promis de trahir Rome , que
Brutus inftruit qu'on doit donner un affaut
la nuit même,vient remettre le commandement
de la Ville de la part du
Sénat entre les mains de Titus même ; le
defeſpoir de Titus augmente à cette marque
de confiance ; une cruelle irréfolution
l'agite ; fon pere en eft étonné ; mais
dans le moment même le fecond Conful
annonce à Brutus que l'on confpire . On
n'a encore que des foupçons , & ces foupçons
ne tombent point fur les fils de Brutus.
On affemble le Sénat ; l'Ambaffadeur
y vient rendre compte de fa conduite
; Brutus le renvoye avec mépris &
avec horreur. On renouvelle les fermens
de punir fans remiffion quiconque auroit
confpiré en faveur des Rois ; Brutus qui
fait ce ferment eft bien éloigné de croire
fes Enfans coupables ; il apprend au milieu
du Sénat même que Tiberinus eft un
II. Vol.
des
DECEMBRE . 1730. 2935
des conjurés ; l'inftant d'après il apprend
que fon cher fils Titus , le Deffenfeur de
Rome , eft le Chef de la Confpiration .
Tiberinus eft tué en fe deffendant , avec
quelques complices . Titus qui avoit horreur
d'un crime qu'il n'avoit pas même
confommé , & dont il n'avoit été coupable
qu'un inftant , vient s'accuſer devant
fon Pere ; Brutus qui l'aime tendrement
le condamne à la mort en pleurant , &
Titus reçoit fon Arrêt en grand Homme.
Tullie defefperée ſe tuë . Ainfi finit cette
Piéce que l'on regarde dans Paris comme
l'Ouvrage Dramatique que M. de Voltaire
ait le mieux écrit , mais qui exige
une grande execution , extrêmement difficile
& neceffaire , pour avoir un long
fuccès au Théatre.
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Résumé : Tragedie de Brutus, Extrait, [titre d'après la table]
La pièce 'Brutus' de Voltaire a été représentée à la Cour le 30 décembre avec un grand succès, puis au Théâtre Français le lendemain pour la neuvième fois, toujours avec beaucoup d'applaudissements. L'action se déroule au Capitole de Rome et met en scène Brutus, consul, Titus, son fils, et Tullie, fille de Tarquin. Les rôles principaux sont interprétés par les acteurs Sarrazin, Du Fresne, et la Dile Du Fresne. La pièce commence par une assemblée du Sénat où un ambassadeur de Porfenna et de Tarquin défend les droits des souverains. Brutus répond en faveur du peuple romain, affirmant que le serment d'obéissance ne signifie pas esclavage. L'ambassadeur argue que les droits des souverains sont précieux et que les Romains doivent obéir. Brutus refuse la paix au nom du Sénat et jure de ne jamais admettre les Tarquins à Rome. L'ambassadeur demande la remise de Tullie, et le Sénat accepte de la rendre ainsi que ses biens. Meffala, un citoyen romain, correspond secrètement avec l'ambassadeur pour ruiner la liberté des Romains. Il cherche un chef pour sa conjuration et choisit Titus, fils de Brutus, qui est impétueux et jaloux du Sénat. Titus aime Tullie, et est tenté par l'ambassadeur et Meffala de trahir Rome. Tullie, de son côté, aime Titus malgré elle. L'ambassadeur tente de séduire Titus en lui offrant le trône de Tarquin et la main de Tullie. Après une lutte intérieure, Titus décide de rester fidèle à Rome. Brutus, informé d'une conjuration, découvre que Titus et son frère Tiberinus en font partie. Tiberinus est tué en se défendant, et Titus, après avoir avoué son crime, est condamné à mort par son père. Tullie, désespérée, se suicide. La pièce est considérée comme l'œuvre dramatique la plus réussie de Voltaire, mais elle nécessite une grande maîtrise pour être bien interprétée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 306-311
Le Brutus, Tragédie, [titre d'après la table]
Début :
LE BRUTUS de M. de Voltaire, avec un Discours sur la Tragedie. A Paris, [...]
Mots clefs :
Brutus , Voltaire, Tragédie, Versification, Rime, Théâtre, Milord Bolingbroke, Comédie, Décorations, Acteurs
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texteReconnaissance textuelle : Le Brutus, Tragédie, [titre d'après la table]
LE BRUTUS de M. de Voltaire , avec
un Discours sur la Tragedie. A Paris ;
ruë S. Jacques , chez J. F. Fosse , 1731 .
in 8. de 110. pages , sans le Discours qui
en contient 29 .
Comme nous avons déja assez parlé de
cette Piece et de ses Représentations ,
nous n'en dirons rien davantage. Mais
nos Lecteurs y perdroient trop si nous
ne disions rien du Discours qu'on lit avec
autant d'avidité que de plaisir. Nous en
allons rapporter quelques traits , et à cette
occasion nous rapporterons aussi quelques
fragmens d'une ancienne Tragédie
qui a assez de rapport à celle de Brutus .
Ce Discours est adressé à Milord Bolinbrook.
M. de Voltaire , après s'être
plaint de la difficulté de notre Versifi
cation , de sa séverité , de l'esclavage de
la rime et de la liberté qu'on a sur les
Théatres d'Italie et d'Angleterre , et de
la tentative qu'on a faite ici de donner
des Tragédies en Prose, il s'exprime ainsi :
» Il y a grande apparence qu'il faudra
» toujours des Vers sur tous les Théatres
» Tragiques , et de plus toujours des Rimes
FEVRIER. 1731. 307
»mes sur le nôtre . C'est même à cette
» contrainte de la Rime et à cette severité
>> extrême de notre versification que nous
>> devons ces excellens Ouvrages que nous
>> avons dans notre Langue.
>> Nous voulons que la Rime ne coûte
jamais rien aux pensées,qu'elle ne soit ni
» triviale , ni trop recherchée , nous exi-
» geons rigoureusement dans un Vers la
» même pureté , la même exactitude que
» dans la Prose. Nous ne permettons pas la
» moindre licence , nous demandons qu'un
»Auteur porte sans discontinuer toutes ces
» chaînes et cependant qu'il paroisse
»toujours libre , et nous ne reconnois-
» sons pour Poëtes que ceux qui ont rem
» pli toutes ces conditions .
>
>>Voilà pourquoi il est plus aisé de faire-
"cent Vers en toute autre Langue , que
quatre Vers en François , &c .
,
» Je sçai combien de disputes j'ai es
suyées sur notre Versification en Angleterre
et quels reproches me fair
» souvent le sçavant Evêque de Rochester,
» sur cette contrainte puerile qu'il pré-
» tend que nous nous imposons de gayeté
de coeur. Mais soyez persuadé , Milord ,
que plus un Etranger connoîtra notre
» Langue , et plus il se réconciliera avec:
» cette Rime qui l'effraye d'abord. Nonseulement
elle est nécessaire à notre
E vj » Tran
ן כ
308 MERCURE DE FRANCE
ง
» Tragédie , mais elle embellit nos Co
» médies même. Un bon mot en Vers en
» est retenu plus aisément , les Portraits de
>> la vie humaine seront toujours plus frap-
20 pants en Vers qu'en Prose , et qui dit
» Vers François , dit necessairement des
» Vers rimez ; en un mot , nous avons
» des Comédies en Prose du celebre Moliere
, que l'on a été obligé de mettre
en Vers après sa mort , et qui ne sont
plus jouées que de cette nouvelle mas
>> niere .
»
» Ne pouvant , Milord , hazarder sug
» le Théatre François des Vers non-rimez,
>> tels qu'ils sont en usage en Italie et en
Angleterre , j'aurois du moins voulu
>> transporter sur notre Scene certaines
» beautez de la vôtre. Il est vrai , et je
» l'avoue , que le Théatre Anglois est bien
» défectueux; j'ai entendu de votre bou-
>> che , que vous n'aviez pas une bonne-
20
Tragédie ; mais en récompense dans ces
» Pieces si monstrueuses , vous avez des
» Scenes admirables. Il a manqué jusqu'à
» present et à presque tous les Auteurs
» Tragiques de votre Nation , cette pu-
» reté , cette conduite réguliere , ces bienséances
de l'action et du stile , cettę
élegance et toutes ce , finesses de l'Art,
qui ont établi la réputation du Théatre
François depuis le grand Corneille. Mais
VOS
FEVRIER. 1731. ༢༠༡
vos Pieces les plus irregulieres ont un
» grand mérite ; c'est celui de l'action .
» Nous avons en France des Tragédies
estimées qui sont plutôt des conversa-
" tions qu'elles ne sont la représentation
» d'un évenement . Un Auteur Italien m'é-
» crivoit dans une Lettre sur les Théatres
" Un Critico del nostro Pastor filo , disse
» che quel componimento era un riassunto di
» bellissimi Madrigali , credo se vivesse
» che direbbe delle Tragedie Francesi , che
» sono un riassunto di belle Elegie et sontuosi
Epitalami & c..
A la dixiéme page , M. de Voltaire se
plaint avec raison du défaut du Théatre ·
François. » L'endroit où l'on joue la Comédie
, dit- il , et les abus qui s'y sont
» glissés sont encore une cause de cette
».secheresse qu'on peut reprocher à quel-
>> ques- unes de nos Piéces. Les bancs qui
» sont sur le Théatre destinés aux spec-
» tateurs retrécissent la scene et rendent
» toute action presque impraticable. Ce
» défaut est cause que les décorations tant
>> recommandées par les Anciens sont ra-
>> rement convenables à laPiéce. Il empêche
» sur tout que les Acteurs ne passent d'un
» appartement dans un autre aux yeux
des spectateurs , comme les Grecs et les
» Romains le pratiquoient sagement pour
conserver à la fois l'unité de lieu et la
vraisemblance & c.. Mais
fro MERCURE DE FRANCE
Mais si les Grecs et vous , vous passez
» les bornes de la bienséance , et si sur-
» tout les Anglois ont donné des specta-
» cles effroyables , voulant en donner de
>>> terribles , nous autres françois aussi
>> scrupuleux que vous avés été témeraires ,
>> nous nous arrêtons trop de peur de nous
» emporter , et quelquefois nous n'arri-
» vons pas au tragique , dans la crainte
» d'en passer les bornes & c.
L'amour dans une Tragédie n'est pas
» plus un défaut essentiel que dans l'E-
» néïde ; il n'est à reprendre que quand
» il est amené mal à propos ou traité sans
art.
39. Les Grecs ont rarement hazardé cette –
» passion sur le Théatre d'Athénes , pre-
>> mierement , parceque leurs Tragédies
» n'ayant roulé d'abord que sur des su-
» jets terribles , l'esprit des spectateurs
» étoit plié à ce genre de spectacles ; se-
» condement , parceque les femmes me
>> noient une vie infiniment plus retirée
» que les nôtres , et qu'ainsi le langage
» de l'amour n'étant pas comme aujour-
» d'hui le sujet de toutes les conversations ,
» les Poëtes en étoient moins invités à
» traiter cette passion , qui de toutes est
» la plus difficile à représenter , par les
» ménagemens infinis qu'elle demande.
Une troisiéme raison qui me paroît
assez
FEVRIER. 1731. 3rr
» assez forte , c'est que l'on n'avoit point
» de Comédienne ; les Rôles de femme
» étoient joués par des hommes masqués .
» Il semble que l'amour eut été ridicule
» dans leur bouche.
D C'est tout le contraire à Londres et
» à Paris , et il faut avouer que les Auteurs
» n'auroient gueres entendu leurs interêts ,
» ni connu leur auditoire , s'ils n'avoient
» jamais fait parler les Oldfield , ou les
» Duclos et les Lecouvreur, que d'ambition
> et de politique.
A
Mais pour terminer cet Extrait quenous
abrégeons à regret , finissons le par
ce trait. Pour que l'amour soit digne
» du Théatre Tragique , dit l'Auteur , il
» faut qu'il soit le noeud necessaire de las
» Piéce , et non qu'il soit amené par force
» pour remplir le vuide de vos Tragédies.
» et des nôtres qui sont toutes trop lon
gues , il faut que ce soit une passion ve-
>> ritablement Tragique , regardée comme
» une foiblesse , et combatuë des repar
mords ; il faut ou que l'amour conduise
» aux malheurs et aux crimes , pour faire
» voir combien il est dangereux , ou que
» la vertu en triomphe , pour montrer
ל כ
qu'elle n'est pas invincible , sans cela
» ce n'est plus qu'un amour d'Eglogue
» ou de Comédie.
un Discours sur la Tragedie. A Paris ;
ruë S. Jacques , chez J. F. Fosse , 1731 .
in 8. de 110. pages , sans le Discours qui
en contient 29 .
Comme nous avons déja assez parlé de
cette Piece et de ses Représentations ,
nous n'en dirons rien davantage. Mais
nos Lecteurs y perdroient trop si nous
ne disions rien du Discours qu'on lit avec
autant d'avidité que de plaisir. Nous en
allons rapporter quelques traits , et à cette
occasion nous rapporterons aussi quelques
fragmens d'une ancienne Tragédie
qui a assez de rapport à celle de Brutus .
Ce Discours est adressé à Milord Bolinbrook.
M. de Voltaire , après s'être
plaint de la difficulté de notre Versifi
cation , de sa séverité , de l'esclavage de
la rime et de la liberté qu'on a sur les
Théatres d'Italie et d'Angleterre , et de
la tentative qu'on a faite ici de donner
des Tragédies en Prose, il s'exprime ainsi :
» Il y a grande apparence qu'il faudra
» toujours des Vers sur tous les Théatres
» Tragiques , et de plus toujours des Rimes
FEVRIER. 1731. 307
»mes sur le nôtre . C'est même à cette
» contrainte de la Rime et à cette severité
>> extrême de notre versification que nous
>> devons ces excellens Ouvrages que nous
>> avons dans notre Langue.
>> Nous voulons que la Rime ne coûte
jamais rien aux pensées,qu'elle ne soit ni
» triviale , ni trop recherchée , nous exi-
» geons rigoureusement dans un Vers la
» même pureté , la même exactitude que
» dans la Prose. Nous ne permettons pas la
» moindre licence , nous demandons qu'un
»Auteur porte sans discontinuer toutes ces
» chaînes et cependant qu'il paroisse
»toujours libre , et nous ne reconnois-
» sons pour Poëtes que ceux qui ont rem
» pli toutes ces conditions .
>
>>Voilà pourquoi il est plus aisé de faire-
"cent Vers en toute autre Langue , que
quatre Vers en François , &c .
,
» Je sçai combien de disputes j'ai es
suyées sur notre Versification en Angleterre
et quels reproches me fair
» souvent le sçavant Evêque de Rochester,
» sur cette contrainte puerile qu'il pré-
» tend que nous nous imposons de gayeté
de coeur. Mais soyez persuadé , Milord ,
que plus un Etranger connoîtra notre
» Langue , et plus il se réconciliera avec:
» cette Rime qui l'effraye d'abord. Nonseulement
elle est nécessaire à notre
E vj » Tran
ן כ
308 MERCURE DE FRANCE
ง
» Tragédie , mais elle embellit nos Co
» médies même. Un bon mot en Vers en
» est retenu plus aisément , les Portraits de
>> la vie humaine seront toujours plus frap-
20 pants en Vers qu'en Prose , et qui dit
» Vers François , dit necessairement des
» Vers rimez ; en un mot , nous avons
» des Comédies en Prose du celebre Moliere
, que l'on a été obligé de mettre
en Vers après sa mort , et qui ne sont
plus jouées que de cette nouvelle mas
>> niere .
»
» Ne pouvant , Milord , hazarder sug
» le Théatre François des Vers non-rimez,
>> tels qu'ils sont en usage en Italie et en
Angleterre , j'aurois du moins voulu
>> transporter sur notre Scene certaines
» beautez de la vôtre. Il est vrai , et je
» l'avoue , que le Théatre Anglois est bien
» défectueux; j'ai entendu de votre bou-
>> che , que vous n'aviez pas une bonne-
20
Tragédie ; mais en récompense dans ces
» Pieces si monstrueuses , vous avez des
» Scenes admirables. Il a manqué jusqu'à
» present et à presque tous les Auteurs
» Tragiques de votre Nation , cette pu-
» reté , cette conduite réguliere , ces bienséances
de l'action et du stile , cettę
élegance et toutes ce , finesses de l'Art,
qui ont établi la réputation du Théatre
François depuis le grand Corneille. Mais
VOS
FEVRIER. 1731. ༢༠༡
vos Pieces les plus irregulieres ont un
» grand mérite ; c'est celui de l'action .
» Nous avons en France des Tragédies
estimées qui sont plutôt des conversa-
" tions qu'elles ne sont la représentation
» d'un évenement . Un Auteur Italien m'é-
» crivoit dans une Lettre sur les Théatres
" Un Critico del nostro Pastor filo , disse
» che quel componimento era un riassunto di
» bellissimi Madrigali , credo se vivesse
» che direbbe delle Tragedie Francesi , che
» sono un riassunto di belle Elegie et sontuosi
Epitalami & c..
A la dixiéme page , M. de Voltaire se
plaint avec raison du défaut du Théatre ·
François. » L'endroit où l'on joue la Comédie
, dit- il , et les abus qui s'y sont
» glissés sont encore une cause de cette
».secheresse qu'on peut reprocher à quel-
>> ques- unes de nos Piéces. Les bancs qui
» sont sur le Théatre destinés aux spec-
» tateurs retrécissent la scene et rendent
» toute action presque impraticable. Ce
» défaut est cause que les décorations tant
>> recommandées par les Anciens sont ra-
>> rement convenables à laPiéce. Il empêche
» sur tout que les Acteurs ne passent d'un
» appartement dans un autre aux yeux
des spectateurs , comme les Grecs et les
» Romains le pratiquoient sagement pour
conserver à la fois l'unité de lieu et la
vraisemblance & c.. Mais
fro MERCURE DE FRANCE
Mais si les Grecs et vous , vous passez
» les bornes de la bienséance , et si sur-
» tout les Anglois ont donné des specta-
» cles effroyables , voulant en donner de
>>> terribles , nous autres françois aussi
>> scrupuleux que vous avés été témeraires ,
>> nous nous arrêtons trop de peur de nous
» emporter , et quelquefois nous n'arri-
» vons pas au tragique , dans la crainte
» d'en passer les bornes & c.
L'amour dans une Tragédie n'est pas
» plus un défaut essentiel que dans l'E-
» néïde ; il n'est à reprendre que quand
» il est amené mal à propos ou traité sans
art.
39. Les Grecs ont rarement hazardé cette –
» passion sur le Théatre d'Athénes , pre-
>> mierement , parceque leurs Tragédies
» n'ayant roulé d'abord que sur des su-
» jets terribles , l'esprit des spectateurs
» étoit plié à ce genre de spectacles ; se-
» condement , parceque les femmes me
>> noient une vie infiniment plus retirée
» que les nôtres , et qu'ainsi le langage
» de l'amour n'étant pas comme aujour-
» d'hui le sujet de toutes les conversations ,
» les Poëtes en étoient moins invités à
» traiter cette passion , qui de toutes est
» la plus difficile à représenter , par les
» ménagemens infinis qu'elle demande.
Une troisiéme raison qui me paroît
assez
FEVRIER. 1731. 3rr
» assez forte , c'est que l'on n'avoit point
» de Comédienne ; les Rôles de femme
» étoient joués par des hommes masqués .
» Il semble que l'amour eut été ridicule
» dans leur bouche.
D C'est tout le contraire à Londres et
» à Paris , et il faut avouer que les Auteurs
» n'auroient gueres entendu leurs interêts ,
» ni connu leur auditoire , s'ils n'avoient
» jamais fait parler les Oldfield , ou les
» Duclos et les Lecouvreur, que d'ambition
> et de politique.
A
Mais pour terminer cet Extrait quenous
abrégeons à regret , finissons le par
ce trait. Pour que l'amour soit digne
» du Théatre Tragique , dit l'Auteur , il
» faut qu'il soit le noeud necessaire de las
» Piéce , et non qu'il soit amené par force
» pour remplir le vuide de vos Tragédies.
» et des nôtres qui sont toutes trop lon
gues , il faut que ce soit une passion ve-
>> ritablement Tragique , regardée comme
» une foiblesse , et combatuë des repar
mords ; il faut ou que l'amour conduise
» aux malheurs et aux crimes , pour faire
» voir combien il est dangereux , ou que
» la vertu en triomphe , pour montrer
ל כ
qu'elle n'est pas invincible , sans cela
» ce n'est plus qu'un amour d'Eglogue
» ou de Comédie.
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Résumé : Le Brutus, Tragédie, [titre d'après la table]
Le texte présente une édition de la tragédie 'Brutus' de Voltaire, publiée à Paris en 1731, accompagnée d'un discours sur la tragédie. Ce discours est adressé à Milord Bolinbrook et traite des contraintes et des mérites de la versification française. Voltaire souligne la difficulté et la rigueur de la rime en français, mais aussi la qualité des œuvres littéraires qu'elle permet de produire. Il compare les théâtres français, anglais et italiens, notant que les pièces françaises sont souvent plus régulières et élégantes, mais manquent parfois d'action vive. Il critique également les conditions matérielles des théâtres français, qui restreignent les décors et les mouvements des acteurs. Voltaire aborde aussi la question de l'amour dans la tragédie, soulignant que cette passion doit être traitée avec art et pertinence pour être digne du théâtre tragique.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 428-442
LETTRE de Madame la Comtesse de ... à M. le Chevalier de ... sur la nouvelle Tragédie de Brutus.
Début :
Vous m'avez fait un vrai plaisir, Monsieur, de m'envoyer le Brutus [...]
Mots clefs :
Brutus , Tragédie, Voltaire, Théâtre, Critique, Comparaison
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE de Madame la Comtesse de ... à M. le Chevalier de ... sur la nouvelle Tragédie de Brutus.
LETTRE de Madame la Comtesse
de ... à M. le Chevalier de ... sur la
nouvelle Tragédie de Brutus.
V
Ous m'avez fait un vrai plaisir ,
Monsieur , de m'envoyer le Brutus
de M. de Voltaire ; je l'attendois avec une
impatience que je ne sçaurois vous exprimer.
L'interêt que je prends dans la gloire,
de l'Auteur m'avoit rendue incrédule
sur toutes les relations qu'on m'avoit
envoyées au sujet de sa Piéce , je commençois
MARS. 1731. 429
mençois même à perdre un peu de Cette
confiance que j'ai toujours euë en votre
goût , parceque vous étiez du nombre de
ceux qui vouloient dégrader cet Ouvrage
dans mon esprit. Il est enfin arrivé jusqu'à
moi , et la premiere lecture que j'en
ai faite vous a rendu toute mon estime.
Le jugement que j'en porte ici malgré
moi est d'autant plus au désavantage de
M. de V. que j'étois la personne de France
la plus prévenue en sa faveur ; je vous
avouë même que je m'étois flattée que
cette Tragédie n'auroit déplû aux Spectateurs
que parce qu'elle n'auroit pas
été représentée par des Acteurs tels que
Baron et la Lecouvreur , et qu'elle regagneroit
sous les yeux ce qu'elle avoit perdu
sur le Théatre ; rien de tout cela n'est
arrivé , ou plutôt j'ai éprouvé tout le contraire.
Les grands Vers de la premiere
Scene m'ont presque fait croire que je
lisois un nouveau Chant de la Henriade :
Est- ce là , me suis- je dit , le ton que pren
nent Corneille et Racine , et qu'ils doivent
donner à tous ceux qui entrent dans
une carriere qu'ils ont si dignement
remplie ? Je conviens que M. de V. quitte
quelquefois le ton Epique , mais d'un excès
il tombe dans un autre qui lui fait
encore plus de tort , et l'on a de la peine
à se figurer , qu'aprés s'être élevé si haut
430 MERCURE DE FRANCE
و
;
9
on puisse descendre si bas , d'où je conclus
que sa vocation n'est pas pour le
Théatre. Il ne me seroit pas difficile
Monsieur , de prouver ce que j'avance si
j'écrivois à quelqu'un de ses partisans
outrés ; mais comme nous sommes à peu
près d'un même sentiment , je n'ai pas
bésoin de vous donner des raisons dont
Vous n'avez pas besoin vous même ; ainsi
pour ne pas charger le papier de choses
inutiles permettez que je passe à des
remarques plus essentielles , et que je van
ge M. de V. d'une calomnie contre la
quelle je me suis toujours revoltée . J'avois
reçû à ma Campagne une Piéce Burlesque
, ou espece d'Arrêt de Momus ,
par lequel ce Dieu , qui n'épargne pas les
Dieux mêmes condamnoit M. de V. à la
restitution de sept ou huit cent Vers pillés
dans l'ancien Brutus de Mile Bernard.
J'ai été ravie pour la gloire de mon Héros
versifiant de réduire ce nombre exorbitant
à cinq ou six hemistiches que sa mémoire
lui a dictés à l'insçû de son esprit.
Cette justice que je lui rends ne m'empêche
pourtant pas de convenir avec le
même esprit d'équité , qu'il n'a pas été si
reservé pour le fond que pour le détail
et que le plan
plan du dernier Brutus me paroît
avoir été dressé sur celui du premier.
C'est ce que j'entreprends de vous prouver
MARS. 1731. 435
ver dans l'ignorance où je suis que votre
sentiment soit conforme au mien ; je vais
donc , Monsieur , vous tracer en peu de
mots l'argument du Brutus de Mile B.
pour venir après à la conformité que ce
fond de Tragédie peut avoir avec celui
du nouveau Brutus.
Brutus et Valerius , Consuls des Romains
, ouvrent la Scene au premier Acte ,
dans le Palais même d'où Tarquin a été
chassé ; ils se disposent à entendre Octavius
, Ambassadeur de ce Roi détrôné .
Octavius plaide la cause de son Maître ,
mais inutilement ; il part , chargé d'un
refus pour toute réponse.
Brutus propose à Valerius l'hymen de
Titus , son fils aîné , avec la soeur de Valerius
son Collegue au Consulat ; la
proposition est acceptée . Titus et Tiberinus
mandés par Brutus arrivent ; Valerius
se retire. Brutus déclare à Titus ce qu'il
vient de résoudre avec Valerius ; Titus
s'en défend ; Brutus lui ordonne d'obeïr;
il dit à Tiberinus qu'il prétend l'unir à
la fille d'Acquilius , qui , quoique parent
de Tarquin n'a pas laissé d'étre fidele à
la Patrie ; Tiberinus obéit avec d'autant
-plus de plaisir, qu'il aime cette même Acquilie
que Brutus , son pere , lui destine
pour Epouse.
Titus se plaint à Marcellus , son Confident
,
432 MERCURE DE FRANCE.
sident, de la dure loi que Brutus lui impose
malgré l'amour qu'il a pour cette
même Acquilie qu'il destine à son frere ;
il se retire , voyant approcher Valerie.
Valerie se plaint de l'indifference de
Titus qui la fuit au moment qu'on vient
de lui proposer son hymen ; elle soupçonne
Acquilie d'être sa Rivale , et Rivale
aimée ; elle veut la faire épier par
Vindicius ; autrefois Esclave d'Acquilius
maintenant le sien , et de plus comblé
de ses bienfaits.
Octavius ,
Ambassadeur de Tarquin et
Acquilius , parent de ce Roi banni , commencent
le second Acte. Acquilius apprend
à Octavius qu'il est le chef de cinq
cent Conjurés qui doivent ouvrir la
porte
Quirinale à Tarquin ; il lui dit que Tiberinus
même est de ce nombre , et se
flatte d'engager Titus lui- même dans la
conjuration par le moyen de sa fille Acquilie
dont il est éperdument amoureux.
Octavius exige de lui le nom et le seing
de tous les Conjurés , afin que Tarquin ,
avant que de rien entreprendre , sçache
sur qui il doit compter.
Acquilie vient se jetter aux pieds de son
peres elle le prie de ne la point contraindre
à devenir la femme de Tiberinus
qu'elle hait ; Acquilius lui demande si elle
aime Titus ; il l'engage adroitement à lui
Ouvrir
MARS . 1731. 433
ouvrir son coeur ; elle lui fait l'aveu de
son amour. Acquilius lui dit qu'il voudroit
bien que Titus fut heureux s'il
osoit le mériter ; Acquilie lui répond qu'il
est trop ennemi de Tarquin et trop fidele
à la République ; son pere la presse d'éprouver
ce qu'elle a de pouvoir sur son
coeur , sans pourtant lui rien découvrir
de la conjuration .
Aprés une Scene intermediaire , et qui
ne sert que de liaison , Titus vient ; Acquilie
n'ose lui dire à quel prix il pour
roit l'obtenir de son pere. Titus desesperant
de lui arracher son secret, vá trouver
Acquilius même , pour en être instruit.
Tiberinus qu'on a d'abord peint seument
comme ambitieux , parle à Acqui
lie en Amant desesperé qui veut l'obtenir
malgré elle ; Acquilie a beau lui déclarer
qu'elle aime Titus , et qu'elle l'aimera
toujours , il n'en persiste pas moins
à l'épouser , et va presser l'hymen qui
doit le venger. Les menaces de Tiberinus
déterminent Acquilie à faire un dernier
effort sur Titus.
Au troisiéme Acte , Acquilie exige un
serment de Titus avant que de lui déclarer
le secret que son pere vient de lui
permettre de réveler ; Titus atteste tous
les Dieux que son secret sera enseveli
dans un silence éternel. Rassurée par ce
serment
434 MERCURE DE FRANCE
serment , elle lui déclare qu'il ne peut
l'obtenir d'Acquilius qu'en conspirant
avec lui en faveur de Tarquin ; Titus fré
mit à cette proposition . Cette Scene est
des plus pathetiques ; Acquilie se retire
sans avoir pû ébranler la vertu de son
Amant , quoiqu'elle lui ait fait entendre
que Tiberinus , son frere , est entré dans
la conjuration , et qu'elle doit être à lui
à son refus. Titus flotte entre son amour
et son devoir ; mais ce dernier emporte
la balance .
Tiberinus vient ébranler la vertu de Titus
par une joye insultante et par l'assurance
de son hymen prochain avec Acquilie.
Titus dans un court monologue
fait entendre que sa constance est à bout,
et que la perte d'Acquilie est pour lui le
plus grand des maux.
3
Acquilius vient achever ce que la jalousie
a commencé dans le coeur de Titus;
mais ce qui lui porte le dernier coup ,
c'est le danger d'Acquilie dont il ne peut
plus douter après cette protestation de
son pere , au sujet de la conjuration dont
il s'est déclaré le chef à ses yeux.
sup
Un homme tel que moi n'attend pas lės
plices ;
Vous aimez Acquilie , elle est de mes complices ;
Ce
MARS.
173.1 . 435
e fer en même-tems terminant notre sort ,
Sçaura nous épargner une honteuse mort.
Titus éperdu suit Acquilius , et fait
entendre aux spectateurs le parti indispensable
qu'il va prendre.
Au quatriéme Acte , Valerie paroît
au comble de la joye d'avoir appris de
Vindicius , son esclave , que le Pere de sa
Rivale est chef d'une conjuration tramée
contre Rome , ce qui doit vrai semblablement
mettre un obstacle éternel à l'hymen
de Titus et d'Acquilie,
Brutus vient ; il n'est encore instruit
que confusément de la conspiration ; Valerie
lui apprend que c'est Acquilius que
en est le chef.
Valerius porte le premier coup à Brutus
, en lui apprenant que son fils Tiberinus
est du nombre des Conjurés , et
qu'on a reconnu son nom et son seing
dans la liste que l'Ambassadeur de Tar
quin a exigée.
Tiberinus entouré de Gardes vient lâchement
demander la vie à Brutus , qui
n'est pas moins honteux de sa lâcheté
qu'irrité de sa trahison ; il ordonne qu'on
l'ôte de ses yeux.
-
Titus vient déclarer à son pere qu'il·
est du nombre des coupables , et lui
demande la mort , afin que son châtiment
étonne
436 MERCURE DE FRANCE
étonne tous ceux qui oseroient l'imiter,
Brutus également frappé de son crime
et de son repentir , ne peut s'empêcher
de laisser échaper des mouvemens de tendresse
; il le quitte pour aller sçavoir les
intentions du Sénat , et lui témoigne qu'il
voudroit bien le sauver s'il n'écoutoit
que les mouvemens d'amour et d'estime
qui lui parlent pour lui,
Valerie apprend à Titus que c'est elle
seule qui l'a perdu , puisqu'elle a fait
découvrir la conjuration par Vindicius
et lui proteste qu'elle s'en punira.
Acquilie vient après que Valerie est
sortie ; Titus la prie de se sauver ; Acquilie
lui répond que puisque c'est pour
l'avoir trop aimée qu'il est entré dans la
conjuration d'Acquilius , son pere , elle
vient le justifief , le sauver ou périr avec
lui. Titus la voyant partir pour se livrer
entre les mains des Consuls , la suit pour
la détourner d'un dessein si fineste.
Valerie fait entendre au cinquiéme Acte
que le Sénat est assemblé pour juger les
coupables ; elle tremble pour Titus . Mar
cellus vient rendre l'esperance à Valerie ,
en lui apprenant que le Sénat laisse Brutus
en liberté de condamner ou d'absoudre
ses deux fils .
Brutus vient ; Valerie lui témoigne sa
joye sur ce que le Sénat vient de faire en
Sa
MARS. 1731. 437
sa faveur ; ce Consul lui répond qu'iltâchera
de reconnoître l'honneur que le
Sénat lui fait. Brutus après avoir tout mis
en balance, se détermine à condamner ses
enfans , et préfere les noms de Citoyen et
de Consul à celui de perc.
Titus amené devant Brutus lui témoi
gne toujours la même fermeté ; sa vertu
augmente les regrets de son Juge. La seule
grace que Titus lui demande , c'est de
pardonner à Acquilie et de la sauver ;
Brutus le quitte , en lui disant :
Tu peux esperer tout , hors de me consoler ;
Adieu , mon fils , adieu , je ne puis te parler.
Titus ne tarde point à aller se livrer au
supplice. Son Rôle finit par ces beaux Vers :
Rome , pardonne-moi mon funeste caprice ;
Mon juste repentir , ma mort t'en font justice ;
Si l'amour m'a séduit en un fatal moment ,
Le Komain a bientôt desavoué l'Amant.
La Tragédie finit par la mort de Titus
et de Tiberinus ; Valerie veut suivre son
Amant jusqu'au lieu du supplice , mais
des Gardes la retiennent ; Acquilie meurt
aux yeux de Titus , soit par un poison
qu'elle a pris , soit par l'excès de sa
douleur ; Valerius ayant appris l'execution
, dit ces deux derniers Vers :
B
438 MERCURE DE FRANCE
O tirannique amour ! & funeste journée ;
A quel prix , liberté , nous êtes vous donnée !
Ne vous attendez pas , Monsieur , à
voir l'extrait du nouveau Brutus à la suite
de celui-ci ; ma Lettre n'est déja que trop
longue , et d'ailleurs vous avez encore
présente à la mémoire la Tragédie que
yous m'avez envoyée , au lieu que vous
n'avez peut - être jamais lû celle de M.
Bernard. Quand même vous auriez déja
oublié le dernier Brutus , je ne doute point
l'extrait que vous venez de lire ne
vous l'ait rappellé par la conformité qui
se trouve entre tous les deux , si non dans
le détail , du moins dans le fond.
que
que
En effet , dequoi s'agit- il dans l'une et
l'autre Piéce , si ce n'est du rétablissement
de Tarquin , dont l'esperance est fondée
sur l'amour ? Ces deux Tragédies commencent
à peu près de même . Dans celle
de Mlle B. C'est un Ambassadeur de Tarquin
, avec cette seule difference dans
celle de M. de V. l'Ambassadeur est plus
respectable , parcequ'il vient au nom de
Porsenna. Mile Bernard a établi la Scene
dans le Palais des Tarquins , et M. de Voltaire
la met dans la Maison des Consuls ,
difference très sensible. D'un côté , peu
Titus et Tiberinus , rivaux en amour et
en ambition , agissent également dans la
Piéce ,
MARS. 1731. 439
Piéce , et de l'autre Tiberinus n'est qu'en
récit , et n'agit que derriere le Théatre
autre difference aussi peu sensible que la
précedente. Tiberinus prêt d'épouser la
Maîtresse de Titus détermine ce dernier
à livrer la Porte Quirinale dans l'une et
dans l'autreTragédie. N'avouez-vous pas,
Monsieur , que voilà bien des ressemblances
avec très peu de differences ? vous
me direz peut- être que dans un pareil
sujet on ne peut gueres éviter de se ressembler
; mais ne peut- on pas arriver à
la même fin sans prendre une marche si
égale. Je vous dirai bien plus ; c'est que
si la Piéce de Mlle B. étoit venue après
celle de M. de V. quoique ces deux Piéces
se ressemblassent également , l'Auteur
de la derniere seroit moins accusé de plagianisme.
Voici comme je prétends soûtenir
cet espece de paradoxe.
M. de V. de peur de trop ressembler à
Mile B. a pris le parti de simplifier sa Tragédie
, et c'est par là qu'il a évité de trop
ressembler : quoi de plus facile ? Mais si
Mile B. avoit travaillé après lui , et même
d'après lui , elle pourroit se vanter à juste
titre , d'avoir encheri sur son original ,
par l'addition d'un nombre infini de traits
qui lui sont propres , et qui lui appartiendroient
incontestablement comme en
étant créatrice. Telle est la double riva
›
Bij lité
440 MERCURE DE FRANCE
dité qui donne lieu à plus d'action ; je
conviens avec vous que ces mêmes traits
qui auroient mis un interêt plus vif dans
de nouveau Brutus , ont été comme autant
d'écueils que M. de V. a évités , pour ne
pas tomber dans une trop grande imitation
; ajouterai même qu'une si sage
précaution l'a réduit à une simplicité trop
Seche. Ses partisans ne laissent pas de lui
en faire honneur. Le Tiberinus , disentils
, et la Valerie de Mlle Bernard sont des
personnages à retrancher d'une Piéce
parcequ'ils sont indignes du beau Tragique.
Je conviens de cela par rapport
Tiberinus , tel que Mile B. nous l'a donné;
-mais ne conviendrez - vous pas que si elle
en avoit fait un Pharnace,il auroit parfaitement
bien tenu son coin dans Brutus
comme fait dans Mithridate le digne Rival
de Xipharés ? nous ne l'aurions pas
vû prosterné aux pieds de Brutus , lui
demander la vie , il auroit dit , au contraire
, avec Pharnace :
Seigneur , dût - on offrir mille morts à ma vûe ,
Je n'irai pas chercher une fille inconnuë.
à
>
Quant à Valerie , je ne conviens pas
qu'il y ait de la bassesse dans son caractere
, elle fait obsetver ce qui se passe
chez le pere de sa Rivale , pour profiter
de
MARS. 1731. 44
de tout ce qui pourra servir son amour ; .
Vindicius , son esclave et son espion
découvre une conspiration dont elle ne
se seroit jamais avisée ; elle se sert de cette
découverte pour empêcher Titus d'épouser
la fille d'un ennemi de la Républi
que. L'orage qu'elle excite retombe sur
Titus même elle en demande pardon à
son Amant , et proteste qu'elle s'en punira
elle-même , si Brutus ne le sauve.
de la rigueur des loix. Quoi de plus naturel
? quoi de plus convenable au Théa--
tre ?
Quelle difference entre Tullie et Acquilie
? Tullie ne balance pas un seul moment
à proposer une trahison à Titus , au
lieu qu'Acquilie tremble à lui déclarer
Pintention de son perc , et ne le fait
par son ordre exprès.
que
Combien s'en faut-il que la fatale liste
des Conjurés soit aussi convaincante dans
M. de V. que dans Mlle B. la premiere.
n'est pas signée , au lieu que la derniere
est revêtue de toute la forme qui peut fa
rendre autentique ; d'où il s'ensuit que
dans l'une des deux Tragédies , Brutus est
un Juge équitable , et qu'il est tout à fait
injuste dans l'autre . Je conviens que M.
de V. fait quelquefois de très- beaux Vers ;
mais j'ose avancer qu'en fait de Poëme
Dramatique , Mlle B. en fait de meilleurs ,
B iij parce442
MERCURE DE FRANCE.
de
parcequ'ils sont plus du ton du genre
Poëme qu'elle traite . Je n'en dis pas davantage
, Monsieur , de peur de paroître
trop partiale pour un Auteur de mon
sexe ; je vais me réconcilier avec M. de
V. par une nouvelle lecture de sa Henriade.
Je ne revoi jamais ce charmant Ouvrage
sans en admirer l'Auteur , et il est
le premier des Poëtes François qui ait
trouvé le secret de faire lire et relire un
Poëme Epique , non seulement sans ennui
, mais avec un plaisir infini . Je suis
Monsieur & c..
de ... à M. le Chevalier de ... sur la
nouvelle Tragédie de Brutus.
V
Ous m'avez fait un vrai plaisir ,
Monsieur , de m'envoyer le Brutus
de M. de Voltaire ; je l'attendois avec une
impatience que je ne sçaurois vous exprimer.
L'interêt que je prends dans la gloire,
de l'Auteur m'avoit rendue incrédule
sur toutes les relations qu'on m'avoit
envoyées au sujet de sa Piéce , je commençois
MARS. 1731. 429
mençois même à perdre un peu de Cette
confiance que j'ai toujours euë en votre
goût , parceque vous étiez du nombre de
ceux qui vouloient dégrader cet Ouvrage
dans mon esprit. Il est enfin arrivé jusqu'à
moi , et la premiere lecture que j'en
ai faite vous a rendu toute mon estime.
Le jugement que j'en porte ici malgré
moi est d'autant plus au désavantage de
M. de V. que j'étois la personne de France
la plus prévenue en sa faveur ; je vous
avouë même que je m'étois flattée que
cette Tragédie n'auroit déplû aux Spectateurs
que parce qu'elle n'auroit pas
été représentée par des Acteurs tels que
Baron et la Lecouvreur , et qu'elle regagneroit
sous les yeux ce qu'elle avoit perdu
sur le Théatre ; rien de tout cela n'est
arrivé , ou plutôt j'ai éprouvé tout le contraire.
Les grands Vers de la premiere
Scene m'ont presque fait croire que je
lisois un nouveau Chant de la Henriade :
Est- ce là , me suis- je dit , le ton que pren
nent Corneille et Racine , et qu'ils doivent
donner à tous ceux qui entrent dans
une carriere qu'ils ont si dignement
remplie ? Je conviens que M. de V. quitte
quelquefois le ton Epique , mais d'un excès
il tombe dans un autre qui lui fait
encore plus de tort , et l'on a de la peine
à se figurer , qu'aprés s'être élevé si haut
430 MERCURE DE FRANCE
و
;
9
on puisse descendre si bas , d'où je conclus
que sa vocation n'est pas pour le
Théatre. Il ne me seroit pas difficile
Monsieur , de prouver ce que j'avance si
j'écrivois à quelqu'un de ses partisans
outrés ; mais comme nous sommes à peu
près d'un même sentiment , je n'ai pas
bésoin de vous donner des raisons dont
Vous n'avez pas besoin vous même ; ainsi
pour ne pas charger le papier de choses
inutiles permettez que je passe à des
remarques plus essentielles , et que je van
ge M. de V. d'une calomnie contre la
quelle je me suis toujours revoltée . J'avois
reçû à ma Campagne une Piéce Burlesque
, ou espece d'Arrêt de Momus ,
par lequel ce Dieu , qui n'épargne pas les
Dieux mêmes condamnoit M. de V. à la
restitution de sept ou huit cent Vers pillés
dans l'ancien Brutus de Mile Bernard.
J'ai été ravie pour la gloire de mon Héros
versifiant de réduire ce nombre exorbitant
à cinq ou six hemistiches que sa mémoire
lui a dictés à l'insçû de son esprit.
Cette justice que je lui rends ne m'empêche
pourtant pas de convenir avec le
même esprit d'équité , qu'il n'a pas été si
reservé pour le fond que pour le détail
et que le plan
plan du dernier Brutus me paroît
avoir été dressé sur celui du premier.
C'est ce que j'entreprends de vous prouver
MARS. 1731. 435
ver dans l'ignorance où je suis que votre
sentiment soit conforme au mien ; je vais
donc , Monsieur , vous tracer en peu de
mots l'argument du Brutus de Mile B.
pour venir après à la conformité que ce
fond de Tragédie peut avoir avec celui
du nouveau Brutus.
Brutus et Valerius , Consuls des Romains
, ouvrent la Scene au premier Acte ,
dans le Palais même d'où Tarquin a été
chassé ; ils se disposent à entendre Octavius
, Ambassadeur de ce Roi détrôné .
Octavius plaide la cause de son Maître ,
mais inutilement ; il part , chargé d'un
refus pour toute réponse.
Brutus propose à Valerius l'hymen de
Titus , son fils aîné , avec la soeur de Valerius
son Collegue au Consulat ; la
proposition est acceptée . Titus et Tiberinus
mandés par Brutus arrivent ; Valerius
se retire. Brutus déclare à Titus ce qu'il
vient de résoudre avec Valerius ; Titus
s'en défend ; Brutus lui ordonne d'obeïr;
il dit à Tiberinus qu'il prétend l'unir à
la fille d'Acquilius , qui , quoique parent
de Tarquin n'a pas laissé d'étre fidele à
la Patrie ; Tiberinus obéit avec d'autant
-plus de plaisir, qu'il aime cette même Acquilie
que Brutus , son pere , lui destine
pour Epouse.
Titus se plaint à Marcellus , son Confident
,
432 MERCURE DE FRANCE.
sident, de la dure loi que Brutus lui impose
malgré l'amour qu'il a pour cette
même Acquilie qu'il destine à son frere ;
il se retire , voyant approcher Valerie.
Valerie se plaint de l'indifference de
Titus qui la fuit au moment qu'on vient
de lui proposer son hymen ; elle soupçonne
Acquilie d'être sa Rivale , et Rivale
aimée ; elle veut la faire épier par
Vindicius ; autrefois Esclave d'Acquilius
maintenant le sien , et de plus comblé
de ses bienfaits.
Octavius ,
Ambassadeur de Tarquin et
Acquilius , parent de ce Roi banni , commencent
le second Acte. Acquilius apprend
à Octavius qu'il est le chef de cinq
cent Conjurés qui doivent ouvrir la
porte
Quirinale à Tarquin ; il lui dit que Tiberinus
même est de ce nombre , et se
flatte d'engager Titus lui- même dans la
conjuration par le moyen de sa fille Acquilie
dont il est éperdument amoureux.
Octavius exige de lui le nom et le seing
de tous les Conjurés , afin que Tarquin ,
avant que de rien entreprendre , sçache
sur qui il doit compter.
Acquilie vient se jetter aux pieds de son
peres elle le prie de ne la point contraindre
à devenir la femme de Tiberinus
qu'elle hait ; Acquilius lui demande si elle
aime Titus ; il l'engage adroitement à lui
Ouvrir
MARS . 1731. 433
ouvrir son coeur ; elle lui fait l'aveu de
son amour. Acquilius lui dit qu'il voudroit
bien que Titus fut heureux s'il
osoit le mériter ; Acquilie lui répond qu'il
est trop ennemi de Tarquin et trop fidele
à la République ; son pere la presse d'éprouver
ce qu'elle a de pouvoir sur son
coeur , sans pourtant lui rien découvrir
de la conjuration .
Aprés une Scene intermediaire , et qui
ne sert que de liaison , Titus vient ; Acquilie
n'ose lui dire à quel prix il pour
roit l'obtenir de son pere. Titus desesperant
de lui arracher son secret, vá trouver
Acquilius même , pour en être instruit.
Tiberinus qu'on a d'abord peint seument
comme ambitieux , parle à Acqui
lie en Amant desesperé qui veut l'obtenir
malgré elle ; Acquilie a beau lui déclarer
qu'elle aime Titus , et qu'elle l'aimera
toujours , il n'en persiste pas moins
à l'épouser , et va presser l'hymen qui
doit le venger. Les menaces de Tiberinus
déterminent Acquilie à faire un dernier
effort sur Titus.
Au troisiéme Acte , Acquilie exige un
serment de Titus avant que de lui déclarer
le secret que son pere vient de lui
permettre de réveler ; Titus atteste tous
les Dieux que son secret sera enseveli
dans un silence éternel. Rassurée par ce
serment
434 MERCURE DE FRANCE
serment , elle lui déclare qu'il ne peut
l'obtenir d'Acquilius qu'en conspirant
avec lui en faveur de Tarquin ; Titus fré
mit à cette proposition . Cette Scene est
des plus pathetiques ; Acquilie se retire
sans avoir pû ébranler la vertu de son
Amant , quoiqu'elle lui ait fait entendre
que Tiberinus , son frere , est entré dans
la conjuration , et qu'elle doit être à lui
à son refus. Titus flotte entre son amour
et son devoir ; mais ce dernier emporte
la balance .
Tiberinus vient ébranler la vertu de Titus
par une joye insultante et par l'assurance
de son hymen prochain avec Acquilie.
Titus dans un court monologue
fait entendre que sa constance est à bout,
et que la perte d'Acquilie est pour lui le
plus grand des maux.
3
Acquilius vient achever ce que la jalousie
a commencé dans le coeur de Titus;
mais ce qui lui porte le dernier coup ,
c'est le danger d'Acquilie dont il ne peut
plus douter après cette protestation de
son pere , au sujet de la conjuration dont
il s'est déclaré le chef à ses yeux.
sup
Un homme tel que moi n'attend pas lės
plices ;
Vous aimez Acquilie , elle est de mes complices ;
Ce
MARS.
173.1 . 435
e fer en même-tems terminant notre sort ,
Sçaura nous épargner une honteuse mort.
Titus éperdu suit Acquilius , et fait
entendre aux spectateurs le parti indispensable
qu'il va prendre.
Au quatriéme Acte , Valerie paroît
au comble de la joye d'avoir appris de
Vindicius , son esclave , que le Pere de sa
Rivale est chef d'une conjuration tramée
contre Rome , ce qui doit vrai semblablement
mettre un obstacle éternel à l'hymen
de Titus et d'Acquilie,
Brutus vient ; il n'est encore instruit
que confusément de la conspiration ; Valerie
lui apprend que c'est Acquilius que
en est le chef.
Valerius porte le premier coup à Brutus
, en lui apprenant que son fils Tiberinus
est du nombre des Conjurés , et
qu'on a reconnu son nom et son seing
dans la liste que l'Ambassadeur de Tar
quin a exigée.
Tiberinus entouré de Gardes vient lâchement
demander la vie à Brutus , qui
n'est pas moins honteux de sa lâcheté
qu'irrité de sa trahison ; il ordonne qu'on
l'ôte de ses yeux.
-
Titus vient déclarer à son pere qu'il·
est du nombre des coupables , et lui
demande la mort , afin que son châtiment
étonne
436 MERCURE DE FRANCE
étonne tous ceux qui oseroient l'imiter,
Brutus également frappé de son crime
et de son repentir , ne peut s'empêcher
de laisser échaper des mouvemens de tendresse
; il le quitte pour aller sçavoir les
intentions du Sénat , et lui témoigne qu'il
voudroit bien le sauver s'il n'écoutoit
que les mouvemens d'amour et d'estime
qui lui parlent pour lui,
Valerie apprend à Titus que c'est elle
seule qui l'a perdu , puisqu'elle a fait
découvrir la conjuration par Vindicius
et lui proteste qu'elle s'en punira.
Acquilie vient après que Valerie est
sortie ; Titus la prie de se sauver ; Acquilie
lui répond que puisque c'est pour
l'avoir trop aimée qu'il est entré dans la
conjuration d'Acquilius , son pere , elle
vient le justifief , le sauver ou périr avec
lui. Titus la voyant partir pour se livrer
entre les mains des Consuls , la suit pour
la détourner d'un dessein si fineste.
Valerie fait entendre au cinquiéme Acte
que le Sénat est assemblé pour juger les
coupables ; elle tremble pour Titus . Mar
cellus vient rendre l'esperance à Valerie ,
en lui apprenant que le Sénat laisse Brutus
en liberté de condamner ou d'absoudre
ses deux fils .
Brutus vient ; Valerie lui témoigne sa
joye sur ce que le Sénat vient de faire en
Sa
MARS. 1731. 437
sa faveur ; ce Consul lui répond qu'iltâchera
de reconnoître l'honneur que le
Sénat lui fait. Brutus après avoir tout mis
en balance, se détermine à condamner ses
enfans , et préfere les noms de Citoyen et
de Consul à celui de perc.
Titus amené devant Brutus lui témoi
gne toujours la même fermeté ; sa vertu
augmente les regrets de son Juge. La seule
grace que Titus lui demande , c'est de
pardonner à Acquilie et de la sauver ;
Brutus le quitte , en lui disant :
Tu peux esperer tout , hors de me consoler ;
Adieu , mon fils , adieu , je ne puis te parler.
Titus ne tarde point à aller se livrer au
supplice. Son Rôle finit par ces beaux Vers :
Rome , pardonne-moi mon funeste caprice ;
Mon juste repentir , ma mort t'en font justice ;
Si l'amour m'a séduit en un fatal moment ,
Le Komain a bientôt desavoué l'Amant.
La Tragédie finit par la mort de Titus
et de Tiberinus ; Valerie veut suivre son
Amant jusqu'au lieu du supplice , mais
des Gardes la retiennent ; Acquilie meurt
aux yeux de Titus , soit par un poison
qu'elle a pris , soit par l'excès de sa
douleur ; Valerius ayant appris l'execution
, dit ces deux derniers Vers :
B
438 MERCURE DE FRANCE
O tirannique amour ! & funeste journée ;
A quel prix , liberté , nous êtes vous donnée !
Ne vous attendez pas , Monsieur , à
voir l'extrait du nouveau Brutus à la suite
de celui-ci ; ma Lettre n'est déja que trop
longue , et d'ailleurs vous avez encore
présente à la mémoire la Tragédie que
yous m'avez envoyée , au lieu que vous
n'avez peut - être jamais lû celle de M.
Bernard. Quand même vous auriez déja
oublié le dernier Brutus , je ne doute point
l'extrait que vous venez de lire ne
vous l'ait rappellé par la conformité qui
se trouve entre tous les deux , si non dans
le détail , du moins dans le fond.
que
que
En effet , dequoi s'agit- il dans l'une et
l'autre Piéce , si ce n'est du rétablissement
de Tarquin , dont l'esperance est fondée
sur l'amour ? Ces deux Tragédies commencent
à peu près de même . Dans celle
de Mlle B. C'est un Ambassadeur de Tarquin
, avec cette seule difference dans
celle de M. de V. l'Ambassadeur est plus
respectable , parcequ'il vient au nom de
Porsenna. Mile Bernard a établi la Scene
dans le Palais des Tarquins , et M. de Voltaire
la met dans la Maison des Consuls ,
difference très sensible. D'un côté , peu
Titus et Tiberinus , rivaux en amour et
en ambition , agissent également dans la
Piéce ,
MARS. 1731. 439
Piéce , et de l'autre Tiberinus n'est qu'en
récit , et n'agit que derriere le Théatre
autre difference aussi peu sensible que la
précedente. Tiberinus prêt d'épouser la
Maîtresse de Titus détermine ce dernier
à livrer la Porte Quirinale dans l'une et
dans l'autreTragédie. N'avouez-vous pas,
Monsieur , que voilà bien des ressemblances
avec très peu de differences ? vous
me direz peut- être que dans un pareil
sujet on ne peut gueres éviter de se ressembler
; mais ne peut- on pas arriver à
la même fin sans prendre une marche si
égale. Je vous dirai bien plus ; c'est que
si la Piéce de Mlle B. étoit venue après
celle de M. de V. quoique ces deux Piéces
se ressemblassent également , l'Auteur
de la derniere seroit moins accusé de plagianisme.
Voici comme je prétends soûtenir
cet espece de paradoxe.
M. de V. de peur de trop ressembler à
Mile B. a pris le parti de simplifier sa Tragédie
, et c'est par là qu'il a évité de trop
ressembler : quoi de plus facile ? Mais si
Mile B. avoit travaillé après lui , et même
d'après lui , elle pourroit se vanter à juste
titre , d'avoir encheri sur son original ,
par l'addition d'un nombre infini de traits
qui lui sont propres , et qui lui appartiendroient
incontestablement comme en
étant créatrice. Telle est la double riva
›
Bij lité
440 MERCURE DE FRANCE
dité qui donne lieu à plus d'action ; je
conviens avec vous que ces mêmes traits
qui auroient mis un interêt plus vif dans
de nouveau Brutus , ont été comme autant
d'écueils que M. de V. a évités , pour ne
pas tomber dans une trop grande imitation
; ajouterai même qu'une si sage
précaution l'a réduit à une simplicité trop
Seche. Ses partisans ne laissent pas de lui
en faire honneur. Le Tiberinus , disentils
, et la Valerie de Mlle Bernard sont des
personnages à retrancher d'une Piéce
parcequ'ils sont indignes du beau Tragique.
Je conviens de cela par rapport
Tiberinus , tel que Mile B. nous l'a donné;
-mais ne conviendrez - vous pas que si elle
en avoit fait un Pharnace,il auroit parfaitement
bien tenu son coin dans Brutus
comme fait dans Mithridate le digne Rival
de Xipharés ? nous ne l'aurions pas
vû prosterné aux pieds de Brutus , lui
demander la vie , il auroit dit , au contraire
, avec Pharnace :
Seigneur , dût - on offrir mille morts à ma vûe ,
Je n'irai pas chercher une fille inconnuë.
à
>
Quant à Valerie , je ne conviens pas
qu'il y ait de la bassesse dans son caractere
, elle fait obsetver ce qui se passe
chez le pere de sa Rivale , pour profiter
de
MARS. 1731. 44
de tout ce qui pourra servir son amour ; .
Vindicius , son esclave et son espion
découvre une conspiration dont elle ne
se seroit jamais avisée ; elle se sert de cette
découverte pour empêcher Titus d'épouser
la fille d'un ennemi de la Républi
que. L'orage qu'elle excite retombe sur
Titus même elle en demande pardon à
son Amant , et proteste qu'elle s'en punira
elle-même , si Brutus ne le sauve.
de la rigueur des loix. Quoi de plus naturel
? quoi de plus convenable au Théa--
tre ?
Quelle difference entre Tullie et Acquilie
? Tullie ne balance pas un seul moment
à proposer une trahison à Titus , au
lieu qu'Acquilie tremble à lui déclarer
Pintention de son perc , et ne le fait
par son ordre exprès.
que
Combien s'en faut-il que la fatale liste
des Conjurés soit aussi convaincante dans
M. de V. que dans Mlle B. la premiere.
n'est pas signée , au lieu que la derniere
est revêtue de toute la forme qui peut fa
rendre autentique ; d'où il s'ensuit que
dans l'une des deux Tragédies , Brutus est
un Juge équitable , et qu'il est tout à fait
injuste dans l'autre . Je conviens que M.
de V. fait quelquefois de très- beaux Vers ;
mais j'ose avancer qu'en fait de Poëme
Dramatique , Mlle B. en fait de meilleurs ,
B iij parce442
MERCURE DE FRANCE.
de
parcequ'ils sont plus du ton du genre
Poëme qu'elle traite . Je n'en dis pas davantage
, Monsieur , de peur de paroître
trop partiale pour un Auteur de mon
sexe ; je vais me réconcilier avec M. de
V. par une nouvelle lecture de sa Henriade.
Je ne revoi jamais ce charmant Ouvrage
sans en admirer l'Auteur , et il est
le premier des Poëtes François qui ait
trouvé le secret de faire lire et relire un
Poëme Epique , non seulement sans ennui
, mais avec un plaisir infini . Je suis
Monsieur & c..
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Résumé : LETTRE de Madame la Comtesse de ... à M. le Chevalier de ... sur la nouvelle Tragédie de Brutus.
La Comtesse adresse une lettre à M. le Chevalier de... pour partager son avis sur la tragédie 'Brutus' de Voltaire. Initialement sceptique face aux critiques négatives, elle finit par partager l'opinion défavorable après avoir lu la pièce. Elle critique les vers de la première scène, les trouvant trop épiques, et juge que Voltaire n'a pas le ton approprié pour le théâtre. Elle mentionne également une pièce burlesque accusant Voltaire de plagiat, réduisant le nombre de vers empruntés à cinq ou six hémistiches. La Comtesse compare ensuite 'Brutus' de Voltaire à celui de Mlle Bernard. Elle souligne des similitudes dans le plan et le fond des deux tragédies. Dans la pièce de Mlle Bernard, Brutus et Valerius, consuls de Rome, refusent les demandes de l'ambassadeur de Tarquin et organisent des mariages pour leurs enfants. L'intrigue se complique par des intrigues amoureuses et une conjuration contre Rome. La Comtesse conclut que les deux tragédies présentent des ressemblances notables, notamment dans l'utilisation de l'amour comme moteur de l'intrigue et le rétablissement de Tarquin comme objectif principal. Par ailleurs, l'auteur du texte compare les deux œuvres en soulignant que, bien que similaires, l'accusation de plagiat serait moins forte si la pièce de Mlle Bernard avait été écrite après celle de Voltaire. Il explique que Voltaire a simplifié sa tragédie pour éviter de trop ressembler à celle de Mlle Bernard, mais que cette simplification a conduit à une œuvre trop sèche. Il mentionne que des personnages comme Tiberinus et Valerie, présents dans la pièce de Mlle Bernard, auraient pu enrichir celle de Voltaire. L'auteur compare également les personnages et les scènes des deux pièces, notant que certaines actions et dialogues dans la pièce de Mlle Bernard sont plus naturels et convenables au théâtre. Il reconnaît la qualité des vers de Voltaire, mais affirme que ceux de Mlle Bernard sont mieux adaptés au genre dramatique. Enfin, l'auteur exprime son admiration pour l'œuvre épique de Voltaire, la Henriade, et son plaisir à la relire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 632-655
RÉFLEXIONS à l'occasion du Brutus de M. de Voltaire, et de son Discours sur la Tragédie.
Début :
Il ne faut pas être surpris que M. de Voltaire aye saisi l'occasion que sa nouvelle [...]
Mots clefs :
Tragédie, Versification, Prose, Poésie, Racine, Voltaire, Théâtre, Déclamation , Succès, Théâtre en vers
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texteReconnaissance textuelle : RÉFLEXIONS à l'occasion du Brutus de M. de Voltaire, et de son Discours sur la Tragédie.
REFLEXIONS à l'occasion du Brutus
de M. de Voltaire , et de son Dis
cours sur la Tragédie..
I
'L ne faut pas être surpris que M. de
Voltaire aye saisi l'occasion que sa nouvelle
Tragédie lui a présentée naturèllement
, de donner dans un Discours préliminaire
ses idées sur cette espece d'ouvrage.
On doit être obligé aux Auteurs
qui se distinguent dans un Art de ce qu'ils
veulent bien ouvrir leur secret , et mettre
leurs Lecteurs dans les voyes qu'ils
se sont frayées ; ils aident ainsi eux-mêmes
au jugement qu'ils attendent , et ils
éclairent cette même critique qui doit
montrer
A V RIL. 1731. 633
montrer leurs beautés et leurs deffauts ;
car il y a par tout à louer et à reprendre :
les Auteurs du premier ordre sont seulement
ceux qui donnent moins de prise
à la censure.
On devoit encore s'attendre que M. de
Voltaire ne manqueróit pas de réclamer
les droits que la Versification et la rime
' ont pris depuis long - tems sur nos Piéces
de Théatre , et qu'un Ecrivain judicieux
et séduisant vient d'attaquer,comme contraires
aux succés des Auteurs , et par
conséquent au plaisir de ceux qui les lìsent
il sied bien à un bel esprit qui ,
comme M. de Voltaire , nous a fait sentir
si souvent le charme des beaux Vers¸
d'en proteger le mérite ; et quand même
ce mérite ne seroit pas aussi réél qu'il le
croit , ou aussi necessaire qu'il le supose
dans nos Tragédies , il faudroit lui pardonner
sa sensibilité pour un genre d'écrire
qui lui a acquis tant de gloire. Let
Public y a contribué de ses applaudissemens
, et nous avons par notre plaisir
notre part à sa reconnoissance pour un
tálent qu'il cultive avec succès , et qu'on
seroit fâché de lui voir negliger.
Il a si bien senti lui - même combien la
continuité du travail est utile à la perfec
tion , qu'il avouë à Mylord Bolingbrooke,
que lors qu'après son retours à Paris , il
Asy
3
4 MERCURE DE FRANCE
a voulu rentrer dans la carriere françoise
dont il étoit sorti durant deux années ; les
expressions et les Phrases de sa langue
naturelle se refusoient à ses recherches ;
l'habitude qu'il avoit contractée de penser
en Anglois rendoit sa nouvelle composition
difficile ; ensorte qu'en bien des
endroits on croit découvrir la contrainte
de la Traduction .
de
Le principal obstacle qu'il a trouvé ,
son aveu , à la facilité de l'execution , a
été la severité de notre Poësie , et l'esclavage
de la rime. Lors qu'il avoit écrit
en Anglois , il avoit joui de cette heureuse
liberté qui donne à l'esprit toute son
étendue , et qui le laissant arbitre de la
mesure des Phrases et de la longueur des
mots , le remplit seulement de l'importance
des choses .
>
Cependant M. de Voltaire , tout persuadé
qu'il est de la dureté de l'assujetissement
à la rime , quoiqu'il sente le poids
de ses chaînes et ce qu'elles peuvent
coûter à la justesse de l'expression , à la
vivacité du sentiment et à la liberté de la
pensée , ne veut pas permettre qu'on s'en
affranchisse. Je ne veux pas prouver directement
combien il seroit utile et raisonnable
de laisser les Auteurs à leur aise
sur cet article ; ce dessein a été executé
avec beaucoup de force , de précision et
d'éleAVRIL.
1731.
635
d'élegance par son ingénieux Auteur. ,
J'examinerai seulement les raisons sur lesquelles
M. de Voltaire se fonde dans son
nouveau discours , pour détourner un
usage ou une nouveauté qu'il n'approuve
point , et dont ses talens l'ont appris à se
passer.
Il ne faut point , dit-il , s'écarter de la
route que les grands Maîtres nous ont
tracée ; s'en faire une nouvelle , seroit
moins une marque de génie que de foiblesse.
Mais il me semble , au contraire , que
plus les Tragédies de Corneille et de Racine
, toutes écrites en Vers rimés , ont
eu de succès , plus elles l'ont mérité ; plus
on trouve de beautés dans ces Piéces , et
plus il y auroit du mérite de se procurer
un succès égal sans le secours de la rime.
Car si la rime prête des beautés réelles aux
Piéces de Théatre , ceux qui auront abandonné
cette voye auront dû prendre ailleurs
, pour nous plaire également , des
compensations heureuses qui nous empêchent
de regreter la Poësie rimée.
M. de Voltaire ne peut pas supposer
comme une chose certaine , qu'on ne peut
faire une bonne Tragédie sans Vers rimés ,
car c'est là précisément la question ; il
prétend que l'habitude que nous avons
aux Vers de Corneille et de Racine nous
A vj rend
636 MERCURE DE FRANCE
rend ce nombre et cette harmonie si nécessaires
dans toutes les Tragédies , qu'une
Piéce dans laquelle on trouveroit une
disposition sage , un interêt vif continu ,
et bien conduit , de grandes idées , des
sentimens élevés , une diction noble et
majestueuse , n'auroit que peu ou point
de succès , si elle étoit privée de l'agré--
ment de la rime.
Il suppose que c'est un agrément sur la
foi de l'usage dont il paroît ailleurs ne
faire pas grand cas . Mais bien des gens
prétendent que ce retour perpetuel de
deux grands Vers féminins et masculins
les fatigue & les ennuye , et que s'ils n'étoient
aidés d'ailleurs par l'interêt , par
les sentimens et par l'action de l'Acteur ,
ils ne soutiendroient point un aussi long
Ouvrage sans peine.
D'où peut venir que M. de Voltaire lui
même trouve nos Tragédies trop longues
, comme les Tragédies Angloises ?
Est- ce que nous n'en avons point de bonnes
? Mais il fait profession d'admirer
Corneille
et Racine ; il les propose l'un
et l'autre comme les grands modeles .
Ne seroit-ce pas par la même raison
qui a empêché que le Poëme Epique ne
réussit en France , et qui a toujours fait
trouver longs & insipides ceux qu'on a
asé composer. Ce n'eft. pas que l'on manque
AVRIL; 1731. 637
que de sujets à traiter , ni peut-être de
génies capables de le faire , M. de Voltaire
a montré ses ressources dans ce genre
; mais il faut convenir qu'il l'a un peú
alteré , et que sa Henriade , pleine de tres
beaux morceaux et des plus beaux Vers ,
n'est pas un veritable Poëme Epique.
C'est cette alternative necessaire et insuportable
à la longue de deux rimes masculines
et de deux rimes féminines qui
nous prive d'un bon Poëme , et qui affoiblit
surement le plaisir naturel d'une
action qui se passe sur le Théatre entre
des grands ou entre des gens ordinaires.
Ce qui fait que le même défaut n'ôte
pas aux Comédies et aux Tragédies tout
feur succès , tandis qu'il se fait perdre aux
Poëmes , c'est que dans les Piéces de Théatre
on est reveillé , comme nous l'avons
dit , par une action vive et animée ; les
Acteurs nous échauffent , et nous lès confondons
, à proportion de leurs talens
avec les personnages qu'ils représentent,
Qui s'est jamais avisé de dire que l'Enéïde
est un trop long Poëme , que cette
lecture est fatigante et difficile à soûtenir
? assurément l'interêt est bien foible ,
puisqu'on le trouvoit tel du tems même .
de Virgile , et que l'on sçait que Didon
et Enée furent séparés par plusieurs siecles.
Ses Vers y sont de la même mesure que
Tes
638 MERCURE DE FRANCE
les nôtres , tous Alexandrins , mais sans
rimes , et voilà qui les sauve de l'ennui ;
cette uniformité de sons que l'on appelle
harmonie , lorsqu'on en a besoin , ne se
trouve pas dans l'Enéïde , et dès là cette
lecture est toujours agréable.
Je conviendrai pourtant d'une chose ,
et c'est peut- être ce que veut dire M. de
Voltaire , lorsqu'il nous oppose les exemples
de Corneille , de Despreaux et de
Racine ; je conviens avec lui que les Ouvrages
que ces Auteurs celebres ont donnés
en Vers rimés ne seroient pas supportables
en Vers sans rimes ou en pure
Prose. C'est là que la raison de la coutume
se trouve dans toute sa force : quelque
belle que fut la traduction en Prose que
l'on feroit de ces Vers , on y reviendroit
toujours ; ils se présenteroient sans cesse
à l'esprit , et l'oreille accoutumée à l'impression
flateuse des beaux Vers de ces
trois hommes , souffriroit du déguisement
, parceque la mémoire rappelleroit
à mesure les Vers originaux .
Mais il faut aussi que l'on demeure
d'accord avec moi que cet évenement
seroit réciproque , si l'on traduisoit en Vers
un Ouvrage bien écrit en Prose , et qui
eut déja emporté, les suffrages. Il ne faut
pas douter que ce ne fut une entreprise
téméraire que de réduire en Vers l'Histoire
AVRIL. 1731. 639
toire de Zaïde , la Princesse de Cléves ,
les Exilés de Madame de Ville - Dieu , et
quelques autres Ouvrages de ce caractere
qui seroient susceptibles par eux- mêmes
d'une Versification noble , mais que l'on
voudroit toujours lire tels qu'ils nous ont
été donnés.
et
Ainsi on ne doit pas prétendre de faire
accepter une traduction en Prose des Ouvrages
écrits en beaux Vers , moins encore
des Vers de M. Racine que de tout
autre. Ce n'est pas que M. Racine par
un effet prodigieux de son habileté n'ait
donné aux Phrases dans presque tous ses
Vers la construction la plus naturelle ,
c'est parceque cesVers sont un effet surpre
nant de l'art, c'est parceque les Ve.s de M.
Racine sont les plus beaux Vers François
qui ayent jamais été faits , qu'il n'en faut
rien ôter ; il n'y faut pas toucher. Il faut
les voir tels qu'ils sont sortis de la main de
l'Auteur , ces Ouvrages immortels , où
malgré la gêne de la Versification et l'assujetissement
scrupuleux à rimer richement
, M. Racine a tout dit , selon M. de
Voltaire lui-même , de la meilleure maniere
, et bien mieux que tous ceux qui
ont écrit dans son genre avant et après
lui.
C'est aussi ce qui me fit dire à M. de la
Mothe , il y a environ deux années
lors
2
640 MERCURE DE FRANCE
lorsqu'il me fit la grace de me faire part´
de son Essai de Prose sur la premiere
Scene de Mithridate , que c'étoit bien le
moyen de faire entendre sa pensée , mais
non pas de faire recevoir son dessein :
que les Vers de M. Racine étoient construits
de façon qu'on ne pouvoit pas esperer
de les faire oublier , et qu'en les
décomposant , pour essayer l'effet de la:
Prose , on les feroit seulement admirer
davantage.
Il est bien certain que M. de la Mothe
n'a jamais eu en vue de diminuer le prixdes
Vers de M. Racine ; en les réduisant
en Prose , il a prétendu faire voir que les
choses que M. Racine nous a laissées en
Vers pourroient se passer de cette parure
sans rien perdre de leur mérite , ni de
l'impression qu'elles font sur nous. Je
crois entrer dans son sens et entendre sa
pensée ; mais j'avoue que je ne sçaurois
l'adopter. Il ne faut point essayer la Prose
sur des beaux Vers -connus de tout le monde
: on y reviendra par goût , et sur- tout
par habitude. C'est des nouvelles Piéces
en Prose que l'on doit attendre un grand.
succès , pourvû qu'elles soient écrites
comme il convient.
Je dis pourvû qu'elles soient écrites >
comme il convient ; car en démontant
les Vers de M. Racine de la maniere que
M
AVRIL: 1737. 641
›
M.de la Mothe l'a fait, il n'en résulte point
une belle Prose . M. de Racine auroit écrít
autrement , auroit mieux écrit , et M. de
la Mothe aussi . C'est donc à tort qu'après
nous avoir donné cette épreuve il interpelle
les gens sensez et déprévenus , et
qu'il les sollicite d'avouer qu'ils n'ont
rien perdu à ce renversement , et que
l'impression à leur égard est toûjours la
même. Ils répondent que non , ils redemandent
les Vers de M. Racine , comme
ils redemanderoient sa Prose , s'il avoit
écrit Mithridate en Prose , et que quelqu'un
le donnât en Vers .
Qu'une Tragedie , belle d'ailleurs , et
digne d'être applaudie , ne soit connuë
qu'en Prose ; on l'écoutera on la lira
après un certain tems tout comme si elle
étoit en Vers. Qui est-ce qui ne lit pas
le Telemaque , et qui ne l'admire pas en
le lisant ? Je ne doute pourtant pas que
s'il eût été donné en beaux Vers par un
homme tel que M. Racine , avant qu'il
parût en Prose , tel que nous l'avons aujourd'hui
; je ne doute pas , dis je , que le
Telemaque de Racine n'eût obscurci le
Telemaque de Fenelon . Maintenant il ne
seroit plus tems ; le gout pour le Telemaque
est universel , l'habitude est inalterable
, et les plus beaux Vers , les Vers
les plus heureux et les plus accomplis
ne
642 MERCURE DE FRANCE
ne seroient regardez que comme une Traduction
imparfaite ; je croi même qu'elle
ne sçauroit être bonne .
Par exemple encore , M. de la Mothe
lui- même , vient de hazarder une Ode en
Prose ; on voit dans cette Ode tout le
feu , toute l'élevation et toute la magnificence
de la Poësie. Pourquoi la lit- on
telle qu'elle est ? Parce qu'on ne l'a pas
autrement. Mais que M. de la Mothe nous
donne cette même Ode en beaux Vers
Lyriques , tels que ceux de l'Astrée et de
presque toutes ses Odes , il verra que ses
Vers feront oublier sa Prose , quelque
noble et quelque harmonieuse qu'elle
nous paroisse. Pourquoi cela ? Parce que
nous ne sommes pas encore accoûtumez
à lire des Odes en Prose , et jusqu'à nouvel
ordre il faudra pardonner à ceux
qui exigeront qu'elles soient en Poësie
rimée.
M. de Voltaire , qui sent ses avantages,
ne veut point se désaisir de la Versification
, et la rime ne l'effraye point. M. de
la Mothe , qui est sans interêt dans cette
querelle , puisqu'il nous a fait voir qu'il
sçavoit tout écrire en Vers et en Prose ;
M. de la Mothe , dis-je , et bien des gens
avec lui , demandent au Public la liberté
de faire parler des Rois , des Reines , des
Ministres d'Etat , des Generaux d'Armée,
en
AVRIL. 1731. 643
en belle Prose , telle qu'ils sont censez
la parler et telle qu'il la sçauroit , faire
lui - même. Car il faut demeurer d'accord
qu'il écrit avec beaucoup de pureté , beaucoup
de clarté , de noblesse et d'élegance .
Ce seroit un vrai modele , s'il étoit permis
d'en imiter quelqu'un.
Qu'est- ce donc que l'on prétend lorsqu'on
veut faire recevoir des Tragédies
en Prose , et quel est le dessein de ceux
qui appuyent cette idée ? Le voici. Les
Tragedies qui ont parû depuis M. Racine
, sont toutes inferieures aux siennes
dans tous les sens ; c'est une verité dure,
mais incontestable. Un grand nombre
d'Auteurs de nom et de mérite ont courru
cette carriere avec un médiocre succès.
Je ne sçai si dans ce genre un succès
médiocre ne peut pas être compté pour
mauvais ; on a cherché les causes de ce
décroissement ; on a trouvé que parmi
ces Auteurs, quelques -uns avoient tout le
génie qui est nécessaire pour faire une
bonne Tragedie ; on a vû qu'ils sçavoient
disposer les évenemens , soutenir les caracteres
, jetter de l'interêt , qu'ils avoient
de la chaleur et du sentiment ; qu'ils sçavoient
faire à propos des portraits affreux
du vice , des peintures agreables de la
vertu qu'ils étoient fideles à la faire
triompher du crime et de la trahison .
噩
On
644 MERCURE DE FRANCE
On a vû qu'indépendamment des beautez
génerales qui constituent essentiellement
une bonne Tragedie , ils avoient
mis des beautez de détail , qui , quoiqu'elles
ne fassent pas le principal du
Poëme Dramatique , servent pourtant
beaucoup à le soutenir.
Malgré tous ces avantages , ces Poëmes
ne plaisent point , ne plaisent pas longtems
, ou ne plaisent pas toujours . On ne
les lit point , on y cherche quelques morceaux
détachez , on laisse le reste ; et le
gout seul
que l'on a pour la nouveauté
ou le grand Art d'un Acteur, soutenu par
quelques grands traits , par quelques tirades
brillantes , ou par l'interêt de l'action
, ont fait la réussite de toutes ces differentes
Pieces durant quelques Réprésentations.
Il ne restoit plus pour les excuser , que
d'attribuer le foible succès d'un Ouvrage,
bon d'ailleurs , à une diction défectueuse
›
età une expression
languissante
ou forcée.
Cependant
ces Auteurs connoissent
leur
langue ; ils parlent bien ils écrivent
bien en Prose ; ils donnent
des regles et
des exemples
dans l'Art de bien dire.
Il faut donc que ce soit la contrainte
de la rime et de la mesure des Vers qui entraîne
ces vices de l'expression
, et qui
coute aux Auteurs un plein succès , à
nous
AVRIL. 1731. 645
nous des Ouvrages plus accomplis.
Essayons , a-t'on dit , d'écrire ces mêmes
Ouvrages en Prose. Affranchissonsnous
du méchanisme de la Poësie , qui ,
aussi -bien nous fait perdre un tems précieux
que nous employerons à trouver des
choses ; et si après cette épreuve , on ne
réüissit pas mieux , nous serons forcez
d'attribuer ces affoiblissemens à la déca-
Edance des esprits.
Il n'y a rien que de raisonnable dans
ce Plan ; car enfin on n'a pas besoin de
Vers ; on peut se passer de Poësie ; mais
on ne peut pas se passer de Pieces de
Théatre . On sçait combien d'utilité et de
plaisir ce Spectacle apporte dans la societé
et dans les grandes Villes , il seroit
dangereux de le supprimer. Il faut
donc laisser aux Auteurs qui se sentiront
du génie pour le Théatre , mais qui seront
sans talens pour la Poësie rimée , il
faut leur laisser laliberté de nous amuser et
de nous instruire par le langage ordinaire,
pourvû qu'il soit noble et élegant. On ne
prétend pas pour cela ôter aux Poëtes , nez
Poëtes, la gloire qui les attend . On ne demande
pas mieux que de voir entre les Dramatiques
Poëtes et les Dramatiques Prosateurs,
cette émulation qui les excitera mutuellement
; ils en auront plus de gloire ,
et le Public plus de plaisir.
Qu'on
646 MERCURE DE FRANCE
Qu'on ne dise point que c'est proposer
une diminution de plaisir ; c'est supposer
ce qui est en question . Il est question
de sçavoir si le plaisir que les Vers nous
donnent dans la Tragedie , est un plaisir
d'habitude. Il n'y a qu'à essayer de faire
des Tragedies en Prose ; et si après l'essay,
toutes choses d'ailleurs égales , la Poësie rimée
l'emporte,il faudra encore en attendre
que l'habitude à la Prose ait été formée ,
pour que l'on puisse juger sans prévention .
Dailleurs il s'en faut bien que ce soit
proposer au Public de diminuer son plaisir
. En premier lieu , il est supposé que
ceux qui donneront des Tragedies en
Prose , ne les auroient point données en
Vers , parce qu'ils n'en sçavent pas faire.
'Ainsi le Public ne perd rien de ce côté ,
et il y gagne de l'autre des nouvelles Pieces
que sa condescendance lui procurera ,
et qu'il aura le plaisir singulier de comparer
avec les Poëmes Dramatiques rimez
qui sont déja en possession de son estime,
et les nouveaux qui la meriteront.
Je ne dis rien pour deffendre les Vers
François sans rimes ; on n'en a que faire.
Tout ce que M. de Voltaire a dit sur cela
est vrai , mais ne fait rien contre nous ;
nous voulons plus que cela ; c'est à- dire
de la Prose , mais belle , élegante , nombreuse.
Il
AVRIL. 1731 . 647
Il ne faut pas que l'on craigne de voir
paroître un trop grand nombre de Tragedies
en Prose. Nous avons vû jusqu'à
present que le nombre de ceux qui ont
bien écrit en prose à un certain point ,
n'est pas plus grand que le nombre des
bons Poëtes . La belle Prose est aussi rare
que la belle Poësie , et a bien autant de
merite. Elle est , du moins , plus propre.
à persuader , à convaincre , à émouvoir ,
à penetrer ; s'il en étoit autrement , la Poësie
rimée devroit être aussi le langage du
Barreau , et sur tout de la Chaire. Si la
Poësie réussissoit mieux à inspirer la terreur
et à remuer les ressorts du coeur , la
Prose devroit être interdite aux Prédicateurs
, et à proportion de la necessité
de l'importance et de l'immensité l'interêt
, la regle devroit être à leur égard ,
plus sacrée et plus inviolable.
Pour revenir à nos Tragedies , pourquoi
assujettirions- nous les Auteurs qui .
sont capables d'en faire de bonnes , quoiqu'ils
ne sçachent pas faire des Vers à cet
arrangement bizarre et pénible , puisque
les autres Nations qui ont aussi des Tragédies
, n'imposent pas la même contrainte
?
Qu'on ne réponde pas que la Langue
Françoise est plus bizarre elle-même , et
plus difficile à manier ; cela prouve pour la
Prose
648 MERCURE DE FRANCE
Prose contre la Versification . Est- il sage
d'ajouter de nouvelles difficultez à ce qui
n'en a déja que trop ? Selon M. de Voltaire
, l'Anglois , par exemple , a plus de
liberté dans sa Langue , il peut faire des
mots nouveaux , il peut , à son gré , étendre
ou resserrer les termes connus. Quelle
plus grande liberté un Poëte peut-il desirer,
à qui conviendroit- il mieux de s'assujettir
àla mesure et à la rime ?LesAnglois
s'accoutumeroient aux Vers rimés ; les
François s'accoutumeroient aux Tragedies
en Prose : pourquoi ne s'y accoutumeroient-
ils pas ? M. de Voltaire le dit avec
nous ; la Nature n'est- elle pas la même
dans tous les hommes ? Il faut qu'il convienne
aussi que c'est l'habitude que nous
avons aux Tragedies en Vers , qui nous
fait regarder cette forme comme necessaire
.
rez ; ils
La belle Prose est noble , douce , facile
, naturelle ; elle persuade , elle touche
; c'est le langage de la raison et l'or
gane de la verité .... Ne faisons point
d'énumeration des prodiges qu'elle a opepassent
ceux que la Fable a prêtez
à la Poësie. La Poësie peint avec force
mais elle outre les caracteres. Elle lou
avec emphase , ses Panegyriques sont des
apothéoses ; elle blâme avec rigueur ; tous
ses traits sont enflammez ; elle exager
égale
AVRIL.
1731.
649
également les vertus et les vices. Elle est
magnifique dans ses images et dans ses
descriptions ; mais pour vouloir embellir
la Nature , elle la cache ou la rend méconnoissable.
La rime est capricieuse , et
la mesure est un veritable esclavage . La
Prose plaît à tout le monde ; la Versification
déplaît à ceux qui n'y sont pas
accoutumez , c'est un fait d'experience.
Disons donc avec M. de Voltaire , quoiqu'il
ne le dise pas toujours, c'est à la coûtume
, qui est la Reine du monde , à changer
le gout des Nations , et à tourner en plaisirs
les objets de notre aversion.
Mais , dit M. de Voltaire , cette coûtume
est devenue un plaisir , et les François
aiment les Vers , même dans les Comedies.
Qui le conteste ? Je dis plus ,
qui conteste qu'ils ne doivent les aimer ?
Car je le repete , on ne veut point exclure
la rime du Théatre , et le Public sollicite
M. de Voltaire en particulier , de
cultiver l'heureux talent qu'il a reçû pour
ce genre d'écrire. On veut introduire la
Prose seulement en faveur de ceux qui
ont du génie pour le Théatre, et qui n'ont
point le talent des Vers. On ne sçauroit
douter que ces deux especes de mérite
ne puissent être divisées ; autrement il
en faudroit conclure , que tous ceux qui
sçavent faire des Vers , sçavent aussi faire
B dès
650 MERCURE DE FRANCE.
des Tragedies , ce qui est contre l'experience.
Ainsi il ya à gagner pour les Poëtes
Dramatiques et pour le Public. Le Public
aura un plus grand nombre de Tragedies
, à force de repetitions les anciennés
sont un peu usées . Les Poëtes Dramatiques
auront la gloire d'effacer les Dramatiques
Prosateurs , si en effet ceux - cy
n'ont pas d'aussi grands succès.
Des Comedies en Prose plaisent tous
les jours. On auroit souhaité que M. de
Voltaire eût bien voulu marquer quelles
sont les Comedies de Moliere écrites
en Prose , que l'on a été , dit - il , obligé
de mettre en Vers. Il y a de nouvelles
Comedies en Prose , où l'on va avec grand
plaisir. Cette disposition du Public ne
fait-elle pas augurer pour le succès de la
Tragedie en Prose ? Alors on aura moins
à craindre que jamais , ce dont M. de
Voltaire se plaint , que des Pieces mal
écrites ont cû un succès plus grand que
Cinna et Britannicus .
>
Qu'il me soit permis de dire en passant
que je crois être fondé à supposer
bien des beautez dans une Piece , qui
quoique mal écrite , a un succès plus
grand que les meilleures des plus grands
Maîtres . Car enfin c'est le Public qui
P'on écrit : doit juger ; c'est
pour lui que
et
AVRI L. 1731 .
651
et s'il a fait grace quelquefois à l'expression
en faveur de l'interêt et du sentiment
, que ne devroit - on pas attendre de
sa justice , si l'on y joignoit encore la pureté
de la diction et l'éloquence des
roles ?
pa-
Il ne faut pas qu'on tire avantage de
ce que les plus belles Pieces de Théatre
sont en Vers , et l'on ne peut pas dire
que les plus beaux Ouvrages sont en Poësie
rimée. En premier lieu , l'usage de la
Prose n'est point établi pour de certains
genres ; il faut la voir faire pour la comparer.
De plus , je ne crois pas qu'il soit
bien décidé que ce soit à la contrainte
des Vers rimez que l'on doit ces excellens
morceaux.
En second lieu , tant s'en faut que l'on
puisse avancer que les plus beaux Ouvrages
sont en Vers rimez , que la plûpart
de ceux qui sont écrits ainsi , sont
des Ouvrages frivoles.
Enfin , M. de Voltaire frappe le grand
coup pour détourner des Auteurs de faire
des Tragedies en Prose , et le Public de
les recevoir et de les entendre . » Si au
» milieu des Tableaux de Rubens , dit-
» il , ou de Paul Veroneze , quelqu'un ve-
»noit placer ses Desseins au crayon , n'au-
» roit- il pas tort de s'égaler à ces Peintres ?
>> On est accoûtumé dans les Fêtes à des
Bij >> Danses
652 MERCURE DE FRANCE.
» Danses et à des Chants ; seroit- ce assez
» de marcher et de parler , sous prétexte
» qu'on marcheroit et qu'on parleroit bien
»et que cela seroit plus aïsé et plus na-
>> turel.
J'étendrois trop ces Refléxions , si je
marquois toutes les raisons de difference
que l'on trouve dans les paralleles . J'admettrai
le premier lorsque M. de Voltaire.
m'aura fait comprendre qu'un Dessein
au crayon est un Tableau ; car il n'a pas
besoin qu'on lui montre qu'une Tragedie
en Prose est une Tragedie .
On est accoûtumé dans les Fêtes à chanter
et à danser , ainsi il ne suffiroit pas de
marcheret de parler, cela est incontestable;
parce que la danse et le chant entrent necessairement
dans l'idée d'une Fête . Ensorte
que la Danse ôtée , les pas que formeroient
un grand nombre de personnes
assemblées , ne seroient qu'une promenade
triste , froide et insupportable ; le
Chant ôté , ce ne seroit plus qu'une conversation
fade et ennuyeuse. Mais a- t'on
jamais dit que la rime et la mesure des
Vers constituent essentiellement une Tragedie.
En France même , qui est le seul
Pays où l'on voit des Tragedies en Vers
rimez , a-t'on jamais défini la Tragedie
en Poëme à Vers Alexandrins à rimes
plates ? M. de Voltaire sçait parfaitement
ce
+
AVRIL. 1731. 653
e qui constitue le Poëme Dramatique ;
j'en prendrai volontiers la définition de
sa main , et je suis déja sûr qu'il n'y fera
seulement mention ni des Vers ni de
la rime.
pas
A quelle sorte d'ouvrage la rime et les
Vers semblent-ils appartenir plus specialement
qu'au Poëme Epique ? La Poësie
qui y est absolument necessaire et dont
on doit presque toujours se garder dans
la Tragedie , exige , ce semble , ce nombre
qui sert à l'embellir ; cependant nous
avons un Poëme en Prose que personne
ne trouve trop long , et que personne
n'entreprendra apparamment de mettre
en Vers.
Ainsi le Chant et la Danse sont nécessaires
aux Fêtes , parce qu'où il n'y
a ni Chant ni Danse , il n'y a plus de
Fête , du moins de cette espece de Fête
que M. de Voltaire suppose. Mais il ne
s'ensuit pas que que les Vers soient essentiels
à la Poësie Dramatique qui subsisteroit
bien sans leur secours ; ainsi la rime peut
bien être necessaire aux Vers François ,
soit à cause que l'habitude est formée
soit à cause du génie même de notre Langue
; mais elle n'est point necessaire au
Poëme Dramatique .
Voilà mes idées sur la dispute qui s'est
élevée dequis quelque tems au sujet des
Biij Tra654
MERCURE DE FRANCE .
que
Tragedies en Prose. Les endroits où M. de
Voltaire a touché cette question dans son
Discours sur la Tragedie , m'ont donné
occasion de les développer. Idées ébauchées
qui serviront peut- être de Canevas
à quelque personne plus éclairée moi
et plus exercée à écrire. Il y a sur tout
de la sincerité dans mes Refléxions et
dans le temperamment que j'ai pris entre
la Prose et la Versification . Ceux qui
me connoissent ne me soupçonneront pas
de prévention ; car quoique je ne sçache
pas faire des Vers , ( du moins je ne le
crois pas ) j'ai une passion si forte pour
la déclamation , et je suis d'ailleurs si
persuadé qu'elle sera difficile ou changée
sensiblement dans les Tragedies en Prose
, que je ne puis m'empêcher de la regretter.
Cependant il me paroît qu'elle ne sed
roit pas impraticable , sur tout aux Ccmédiens
de Paris. On en a perdu deux
qui, chacun, auroient guidé leur sexe; mais
il en reste , qui avec de la docilité et de la
patience pourroient y réussir , les autres
s'y accoutumeroient avec le tems , quand
ce ne seroit que par imitation. Le Public
auroit d'abord de l'indulgence , il s'accoutumeroit
lui- même , et il parviendroit enfin
à voir représenter indifferemment des
Tragedies en Vers et des Tragedies en
Prose
A
AVRIL.´ 1731 . 1731 655
Prose , comme il voit tous les jours des
Comedies dans ces deux genres.
J'ai essayé moi - même de déclamer de
la belle Prose , et il m'a parû qu'il ne
falloit pas desesperer. Ceux qui font une
profession publique d'exercer ce talent ,
doivent avoir plus de ressources . Plus on
s'est appliqué en déclamant , à rompre
la mesure des Vers , moins on y trouve
de la difficulté . Cette maniere avoit bien
réussi , on la devoit à l'art admirable du
grand Maître de la Déclamation , que
l'on regrettera long- temps ; on peut la
faire revivre et accoutumer ainsi insensiblement
à la Prose.
Or n'entendons- nous point quelquefois
de certains Orateurs déclamer leurs Pieces
d'Eloquence ? Et qu'étoit donc cette
action si vive , si pathetique du celebre
Orateur de la Grece , qui causa tant d'admiration
à son Rival même ; qu'étoit - ce
si - non une Déclamation animée qui aidoit
à la persuasion , et qui alloit au coeur ?
On donnera le mois prochain les Reflexions
sur la Tragedie de Brutus.
de M. de Voltaire , et de son Dis
cours sur la Tragédie..
I
'L ne faut pas être surpris que M. de
Voltaire aye saisi l'occasion que sa nouvelle
Tragédie lui a présentée naturèllement
, de donner dans un Discours préliminaire
ses idées sur cette espece d'ouvrage.
On doit être obligé aux Auteurs
qui se distinguent dans un Art de ce qu'ils
veulent bien ouvrir leur secret , et mettre
leurs Lecteurs dans les voyes qu'ils
se sont frayées ; ils aident ainsi eux-mêmes
au jugement qu'ils attendent , et ils
éclairent cette même critique qui doit
montrer
A V RIL. 1731. 633
montrer leurs beautés et leurs deffauts ;
car il y a par tout à louer et à reprendre :
les Auteurs du premier ordre sont seulement
ceux qui donnent moins de prise
à la censure.
On devoit encore s'attendre que M. de
Voltaire ne manqueróit pas de réclamer
les droits que la Versification et la rime
' ont pris depuis long - tems sur nos Piéces
de Théatre , et qu'un Ecrivain judicieux
et séduisant vient d'attaquer,comme contraires
aux succés des Auteurs , et par
conséquent au plaisir de ceux qui les lìsent
il sied bien à un bel esprit qui ,
comme M. de Voltaire , nous a fait sentir
si souvent le charme des beaux Vers¸
d'en proteger le mérite ; et quand même
ce mérite ne seroit pas aussi réél qu'il le
croit , ou aussi necessaire qu'il le supose
dans nos Tragédies , il faudroit lui pardonner
sa sensibilité pour un genre d'écrire
qui lui a acquis tant de gloire. Let
Public y a contribué de ses applaudissemens
, et nous avons par notre plaisir
notre part à sa reconnoissance pour un
tálent qu'il cultive avec succès , et qu'on
seroit fâché de lui voir negliger.
Il a si bien senti lui - même combien la
continuité du travail est utile à la perfec
tion , qu'il avouë à Mylord Bolingbrooke,
que lors qu'après son retours à Paris , il
Asy
3
4 MERCURE DE FRANCE
a voulu rentrer dans la carriere françoise
dont il étoit sorti durant deux années ; les
expressions et les Phrases de sa langue
naturelle se refusoient à ses recherches ;
l'habitude qu'il avoit contractée de penser
en Anglois rendoit sa nouvelle composition
difficile ; ensorte qu'en bien des
endroits on croit découvrir la contrainte
de la Traduction .
de
Le principal obstacle qu'il a trouvé ,
son aveu , à la facilité de l'execution , a
été la severité de notre Poësie , et l'esclavage
de la rime. Lors qu'il avoit écrit
en Anglois , il avoit joui de cette heureuse
liberté qui donne à l'esprit toute son
étendue , et qui le laissant arbitre de la
mesure des Phrases et de la longueur des
mots , le remplit seulement de l'importance
des choses .
>
Cependant M. de Voltaire , tout persuadé
qu'il est de la dureté de l'assujetissement
à la rime , quoiqu'il sente le poids
de ses chaînes et ce qu'elles peuvent
coûter à la justesse de l'expression , à la
vivacité du sentiment et à la liberté de la
pensée , ne veut pas permettre qu'on s'en
affranchisse. Je ne veux pas prouver directement
combien il seroit utile et raisonnable
de laisser les Auteurs à leur aise
sur cet article ; ce dessein a été executé
avec beaucoup de force , de précision et
d'éleAVRIL.
1731.
635
d'élegance par son ingénieux Auteur. ,
J'examinerai seulement les raisons sur lesquelles
M. de Voltaire se fonde dans son
nouveau discours , pour détourner un
usage ou une nouveauté qu'il n'approuve
point , et dont ses talens l'ont appris à se
passer.
Il ne faut point , dit-il , s'écarter de la
route que les grands Maîtres nous ont
tracée ; s'en faire une nouvelle , seroit
moins une marque de génie que de foiblesse.
Mais il me semble , au contraire , que
plus les Tragédies de Corneille et de Racine
, toutes écrites en Vers rimés , ont
eu de succès , plus elles l'ont mérité ; plus
on trouve de beautés dans ces Piéces , et
plus il y auroit du mérite de se procurer
un succès égal sans le secours de la rime.
Car si la rime prête des beautés réelles aux
Piéces de Théatre , ceux qui auront abandonné
cette voye auront dû prendre ailleurs
, pour nous plaire également , des
compensations heureuses qui nous empêchent
de regreter la Poësie rimée.
M. de Voltaire ne peut pas supposer
comme une chose certaine , qu'on ne peut
faire une bonne Tragédie sans Vers rimés ,
car c'est là précisément la question ; il
prétend que l'habitude que nous avons
aux Vers de Corneille et de Racine nous
A vj rend
636 MERCURE DE FRANCE
rend ce nombre et cette harmonie si nécessaires
dans toutes les Tragédies , qu'une
Piéce dans laquelle on trouveroit une
disposition sage , un interêt vif continu ,
et bien conduit , de grandes idées , des
sentimens élevés , une diction noble et
majestueuse , n'auroit que peu ou point
de succès , si elle étoit privée de l'agré--
ment de la rime.
Il suppose que c'est un agrément sur la
foi de l'usage dont il paroît ailleurs ne
faire pas grand cas . Mais bien des gens
prétendent que ce retour perpetuel de
deux grands Vers féminins et masculins
les fatigue & les ennuye , et que s'ils n'étoient
aidés d'ailleurs par l'interêt , par
les sentimens et par l'action de l'Acteur ,
ils ne soutiendroient point un aussi long
Ouvrage sans peine.
D'où peut venir que M. de Voltaire lui
même trouve nos Tragédies trop longues
, comme les Tragédies Angloises ?
Est- ce que nous n'en avons point de bonnes
? Mais il fait profession d'admirer
Corneille
et Racine ; il les propose l'un
et l'autre comme les grands modeles .
Ne seroit-ce pas par la même raison
qui a empêché que le Poëme Epique ne
réussit en France , et qui a toujours fait
trouver longs & insipides ceux qu'on a
asé composer. Ce n'eft. pas que l'on manque
AVRIL; 1731. 637
que de sujets à traiter , ni peut-être de
génies capables de le faire , M. de Voltaire
a montré ses ressources dans ce genre
; mais il faut convenir qu'il l'a un peú
alteré , et que sa Henriade , pleine de tres
beaux morceaux et des plus beaux Vers ,
n'est pas un veritable Poëme Epique.
C'est cette alternative necessaire et insuportable
à la longue de deux rimes masculines
et de deux rimes féminines qui
nous prive d'un bon Poëme , et qui affoiblit
surement le plaisir naturel d'une
action qui se passe sur le Théatre entre
des grands ou entre des gens ordinaires.
Ce qui fait que le même défaut n'ôte
pas aux Comédies et aux Tragédies tout
feur succès , tandis qu'il se fait perdre aux
Poëmes , c'est que dans les Piéces de Théatre
on est reveillé , comme nous l'avons
dit , par une action vive et animée ; les
Acteurs nous échauffent , et nous lès confondons
, à proportion de leurs talens
avec les personnages qu'ils représentent,
Qui s'est jamais avisé de dire que l'Enéïde
est un trop long Poëme , que cette
lecture est fatigante et difficile à soûtenir
? assurément l'interêt est bien foible ,
puisqu'on le trouvoit tel du tems même .
de Virgile , et que l'on sçait que Didon
et Enée furent séparés par plusieurs siecles.
Ses Vers y sont de la même mesure que
Tes
638 MERCURE DE FRANCE
les nôtres , tous Alexandrins , mais sans
rimes , et voilà qui les sauve de l'ennui ;
cette uniformité de sons que l'on appelle
harmonie , lorsqu'on en a besoin , ne se
trouve pas dans l'Enéïde , et dès là cette
lecture est toujours agréable.
Je conviendrai pourtant d'une chose ,
et c'est peut- être ce que veut dire M. de
Voltaire , lorsqu'il nous oppose les exemples
de Corneille , de Despreaux et de
Racine ; je conviens avec lui que les Ouvrages
que ces Auteurs celebres ont donnés
en Vers rimés ne seroient pas supportables
en Vers sans rimes ou en pure
Prose. C'est là que la raison de la coutume
se trouve dans toute sa force : quelque
belle que fut la traduction en Prose que
l'on feroit de ces Vers , on y reviendroit
toujours ; ils se présenteroient sans cesse
à l'esprit , et l'oreille accoutumée à l'impression
flateuse des beaux Vers de ces
trois hommes , souffriroit du déguisement
, parceque la mémoire rappelleroit
à mesure les Vers originaux .
Mais il faut aussi que l'on demeure
d'accord avec moi que cet évenement
seroit réciproque , si l'on traduisoit en Vers
un Ouvrage bien écrit en Prose , et qui
eut déja emporté, les suffrages. Il ne faut
pas douter que ce ne fut une entreprise
téméraire que de réduire en Vers l'Histoire
AVRIL. 1731. 639
toire de Zaïde , la Princesse de Cléves ,
les Exilés de Madame de Ville - Dieu , et
quelques autres Ouvrages de ce caractere
qui seroient susceptibles par eux- mêmes
d'une Versification noble , mais que l'on
voudroit toujours lire tels qu'ils nous ont
été donnés.
et
Ainsi on ne doit pas prétendre de faire
accepter une traduction en Prose des Ouvrages
écrits en beaux Vers , moins encore
des Vers de M. Racine que de tout
autre. Ce n'est pas que M. Racine par
un effet prodigieux de son habileté n'ait
donné aux Phrases dans presque tous ses
Vers la construction la plus naturelle ,
c'est parceque cesVers sont un effet surpre
nant de l'art, c'est parceque les Ve.s de M.
Racine sont les plus beaux Vers François
qui ayent jamais été faits , qu'il n'en faut
rien ôter ; il n'y faut pas toucher. Il faut
les voir tels qu'ils sont sortis de la main de
l'Auteur , ces Ouvrages immortels , où
malgré la gêne de la Versification et l'assujetissement
scrupuleux à rimer richement
, M. Racine a tout dit , selon M. de
Voltaire lui-même , de la meilleure maniere
, et bien mieux que tous ceux qui
ont écrit dans son genre avant et après
lui.
C'est aussi ce qui me fit dire à M. de la
Mothe , il y a environ deux années
lors
2
640 MERCURE DE FRANCE
lorsqu'il me fit la grace de me faire part´
de son Essai de Prose sur la premiere
Scene de Mithridate , que c'étoit bien le
moyen de faire entendre sa pensée , mais
non pas de faire recevoir son dessein :
que les Vers de M. Racine étoient construits
de façon qu'on ne pouvoit pas esperer
de les faire oublier , et qu'en les
décomposant , pour essayer l'effet de la:
Prose , on les feroit seulement admirer
davantage.
Il est bien certain que M. de la Mothe
n'a jamais eu en vue de diminuer le prixdes
Vers de M. Racine ; en les réduisant
en Prose , il a prétendu faire voir que les
choses que M. Racine nous a laissées en
Vers pourroient se passer de cette parure
sans rien perdre de leur mérite , ni de
l'impression qu'elles font sur nous. Je
crois entrer dans son sens et entendre sa
pensée ; mais j'avoue que je ne sçaurois
l'adopter. Il ne faut point essayer la Prose
sur des beaux Vers -connus de tout le monde
: on y reviendra par goût , et sur- tout
par habitude. C'est des nouvelles Piéces
en Prose que l'on doit attendre un grand.
succès , pourvû qu'elles soient écrites
comme il convient.
Je dis pourvû qu'elles soient écrites >
comme il convient ; car en démontant
les Vers de M. Racine de la maniere que
M
AVRIL: 1737. 641
›
M.de la Mothe l'a fait, il n'en résulte point
une belle Prose . M. de Racine auroit écrít
autrement , auroit mieux écrit , et M. de
la Mothe aussi . C'est donc à tort qu'après
nous avoir donné cette épreuve il interpelle
les gens sensez et déprévenus , et
qu'il les sollicite d'avouer qu'ils n'ont
rien perdu à ce renversement , et que
l'impression à leur égard est toûjours la
même. Ils répondent que non , ils redemandent
les Vers de M. Racine , comme
ils redemanderoient sa Prose , s'il avoit
écrit Mithridate en Prose , et que quelqu'un
le donnât en Vers .
Qu'une Tragedie , belle d'ailleurs , et
digne d'être applaudie , ne soit connuë
qu'en Prose ; on l'écoutera on la lira
après un certain tems tout comme si elle
étoit en Vers. Qui est-ce qui ne lit pas
le Telemaque , et qui ne l'admire pas en
le lisant ? Je ne doute pourtant pas que
s'il eût été donné en beaux Vers par un
homme tel que M. Racine , avant qu'il
parût en Prose , tel que nous l'avons aujourd'hui
; je ne doute pas , dis je , que le
Telemaque de Racine n'eût obscurci le
Telemaque de Fenelon . Maintenant il ne
seroit plus tems ; le gout pour le Telemaque
est universel , l'habitude est inalterable
, et les plus beaux Vers , les Vers
les plus heureux et les plus accomplis
ne
642 MERCURE DE FRANCE
ne seroient regardez que comme une Traduction
imparfaite ; je croi même qu'elle
ne sçauroit être bonne .
Par exemple encore , M. de la Mothe
lui- même , vient de hazarder une Ode en
Prose ; on voit dans cette Ode tout le
feu , toute l'élevation et toute la magnificence
de la Poësie. Pourquoi la lit- on
telle qu'elle est ? Parce qu'on ne l'a pas
autrement. Mais que M. de la Mothe nous
donne cette même Ode en beaux Vers
Lyriques , tels que ceux de l'Astrée et de
presque toutes ses Odes , il verra que ses
Vers feront oublier sa Prose , quelque
noble et quelque harmonieuse qu'elle
nous paroisse. Pourquoi cela ? Parce que
nous ne sommes pas encore accoûtumez
à lire des Odes en Prose , et jusqu'à nouvel
ordre il faudra pardonner à ceux
qui exigeront qu'elles soient en Poësie
rimée.
M. de Voltaire , qui sent ses avantages,
ne veut point se désaisir de la Versification
, et la rime ne l'effraye point. M. de
la Mothe , qui est sans interêt dans cette
querelle , puisqu'il nous a fait voir qu'il
sçavoit tout écrire en Vers et en Prose ;
M. de la Mothe , dis-je , et bien des gens
avec lui , demandent au Public la liberté
de faire parler des Rois , des Reines , des
Ministres d'Etat , des Generaux d'Armée,
en
AVRIL. 1731. 643
en belle Prose , telle qu'ils sont censez
la parler et telle qu'il la sçauroit , faire
lui - même. Car il faut demeurer d'accord
qu'il écrit avec beaucoup de pureté , beaucoup
de clarté , de noblesse et d'élegance .
Ce seroit un vrai modele , s'il étoit permis
d'en imiter quelqu'un.
Qu'est- ce donc que l'on prétend lorsqu'on
veut faire recevoir des Tragédies
en Prose , et quel est le dessein de ceux
qui appuyent cette idée ? Le voici. Les
Tragedies qui ont parû depuis M. Racine
, sont toutes inferieures aux siennes
dans tous les sens ; c'est une verité dure,
mais incontestable. Un grand nombre
d'Auteurs de nom et de mérite ont courru
cette carriere avec un médiocre succès.
Je ne sçai si dans ce genre un succès
médiocre ne peut pas être compté pour
mauvais ; on a cherché les causes de ce
décroissement ; on a trouvé que parmi
ces Auteurs, quelques -uns avoient tout le
génie qui est nécessaire pour faire une
bonne Tragedie ; on a vû qu'ils sçavoient
disposer les évenemens , soutenir les caracteres
, jetter de l'interêt , qu'ils avoient
de la chaleur et du sentiment ; qu'ils sçavoient
faire à propos des portraits affreux
du vice , des peintures agreables de la
vertu qu'ils étoient fideles à la faire
triompher du crime et de la trahison .
噩
On
644 MERCURE DE FRANCE
On a vû qu'indépendamment des beautez
génerales qui constituent essentiellement
une bonne Tragedie , ils avoient
mis des beautez de détail , qui , quoiqu'elles
ne fassent pas le principal du
Poëme Dramatique , servent pourtant
beaucoup à le soutenir.
Malgré tous ces avantages , ces Poëmes
ne plaisent point , ne plaisent pas longtems
, ou ne plaisent pas toujours . On ne
les lit point , on y cherche quelques morceaux
détachez , on laisse le reste ; et le
gout seul
que l'on a pour la nouveauté
ou le grand Art d'un Acteur, soutenu par
quelques grands traits , par quelques tirades
brillantes , ou par l'interêt de l'action
, ont fait la réussite de toutes ces differentes
Pieces durant quelques Réprésentations.
Il ne restoit plus pour les excuser , que
d'attribuer le foible succès d'un Ouvrage,
bon d'ailleurs , à une diction défectueuse
›
età une expression
languissante
ou forcée.
Cependant
ces Auteurs connoissent
leur
langue ; ils parlent bien ils écrivent
bien en Prose ; ils donnent
des regles et
des exemples
dans l'Art de bien dire.
Il faut donc que ce soit la contrainte
de la rime et de la mesure des Vers qui entraîne
ces vices de l'expression
, et qui
coute aux Auteurs un plein succès , à
nous
AVRIL. 1731. 645
nous des Ouvrages plus accomplis.
Essayons , a-t'on dit , d'écrire ces mêmes
Ouvrages en Prose. Affranchissonsnous
du méchanisme de la Poësie , qui ,
aussi -bien nous fait perdre un tems précieux
que nous employerons à trouver des
choses ; et si après cette épreuve , on ne
réüissit pas mieux , nous serons forcez
d'attribuer ces affoiblissemens à la déca-
Edance des esprits.
Il n'y a rien que de raisonnable dans
ce Plan ; car enfin on n'a pas besoin de
Vers ; on peut se passer de Poësie ; mais
on ne peut pas se passer de Pieces de
Théatre . On sçait combien d'utilité et de
plaisir ce Spectacle apporte dans la societé
et dans les grandes Villes , il seroit
dangereux de le supprimer. Il faut
donc laisser aux Auteurs qui se sentiront
du génie pour le Théatre , mais qui seront
sans talens pour la Poësie rimée , il
faut leur laisser laliberté de nous amuser et
de nous instruire par le langage ordinaire,
pourvû qu'il soit noble et élegant. On ne
prétend pas pour cela ôter aux Poëtes , nez
Poëtes, la gloire qui les attend . On ne demande
pas mieux que de voir entre les Dramatiques
Poëtes et les Dramatiques Prosateurs,
cette émulation qui les excitera mutuellement
; ils en auront plus de gloire ,
et le Public plus de plaisir.
Qu'on
646 MERCURE DE FRANCE
Qu'on ne dise point que c'est proposer
une diminution de plaisir ; c'est supposer
ce qui est en question . Il est question
de sçavoir si le plaisir que les Vers nous
donnent dans la Tragedie , est un plaisir
d'habitude. Il n'y a qu'à essayer de faire
des Tragedies en Prose ; et si après l'essay,
toutes choses d'ailleurs égales , la Poësie rimée
l'emporte,il faudra encore en attendre
que l'habitude à la Prose ait été formée ,
pour que l'on puisse juger sans prévention .
Dailleurs il s'en faut bien que ce soit
proposer au Public de diminuer son plaisir
. En premier lieu , il est supposé que
ceux qui donneront des Tragedies en
Prose , ne les auroient point données en
Vers , parce qu'ils n'en sçavent pas faire.
'Ainsi le Public ne perd rien de ce côté ,
et il y gagne de l'autre des nouvelles Pieces
que sa condescendance lui procurera ,
et qu'il aura le plaisir singulier de comparer
avec les Poëmes Dramatiques rimez
qui sont déja en possession de son estime,
et les nouveaux qui la meriteront.
Je ne dis rien pour deffendre les Vers
François sans rimes ; on n'en a que faire.
Tout ce que M. de Voltaire a dit sur cela
est vrai , mais ne fait rien contre nous ;
nous voulons plus que cela ; c'est à- dire
de la Prose , mais belle , élegante , nombreuse.
Il
AVRIL. 1731 . 647
Il ne faut pas que l'on craigne de voir
paroître un trop grand nombre de Tragedies
en Prose. Nous avons vû jusqu'à
present que le nombre de ceux qui ont
bien écrit en prose à un certain point ,
n'est pas plus grand que le nombre des
bons Poëtes . La belle Prose est aussi rare
que la belle Poësie , et a bien autant de
merite. Elle est , du moins , plus propre.
à persuader , à convaincre , à émouvoir ,
à penetrer ; s'il en étoit autrement , la Poësie
rimée devroit être aussi le langage du
Barreau , et sur tout de la Chaire. Si la
Poësie réussissoit mieux à inspirer la terreur
et à remuer les ressorts du coeur , la
Prose devroit être interdite aux Prédicateurs
, et à proportion de la necessité
de l'importance et de l'immensité l'interêt
, la regle devroit être à leur égard ,
plus sacrée et plus inviolable.
Pour revenir à nos Tragedies , pourquoi
assujettirions- nous les Auteurs qui .
sont capables d'en faire de bonnes , quoiqu'ils
ne sçachent pas faire des Vers à cet
arrangement bizarre et pénible , puisque
les autres Nations qui ont aussi des Tragédies
, n'imposent pas la même contrainte
?
Qu'on ne réponde pas que la Langue
Françoise est plus bizarre elle-même , et
plus difficile à manier ; cela prouve pour la
Prose
648 MERCURE DE FRANCE
Prose contre la Versification . Est- il sage
d'ajouter de nouvelles difficultez à ce qui
n'en a déja que trop ? Selon M. de Voltaire
, l'Anglois , par exemple , a plus de
liberté dans sa Langue , il peut faire des
mots nouveaux , il peut , à son gré , étendre
ou resserrer les termes connus. Quelle
plus grande liberté un Poëte peut-il desirer,
à qui conviendroit- il mieux de s'assujettir
àla mesure et à la rime ?LesAnglois
s'accoutumeroient aux Vers rimés ; les
François s'accoutumeroient aux Tragedies
en Prose : pourquoi ne s'y accoutumeroient-
ils pas ? M. de Voltaire le dit avec
nous ; la Nature n'est- elle pas la même
dans tous les hommes ? Il faut qu'il convienne
aussi que c'est l'habitude que nous
avons aux Tragedies en Vers , qui nous
fait regarder cette forme comme necessaire
.
rez ; ils
La belle Prose est noble , douce , facile
, naturelle ; elle persuade , elle touche
; c'est le langage de la raison et l'or
gane de la verité .... Ne faisons point
d'énumeration des prodiges qu'elle a opepassent
ceux que la Fable a prêtez
à la Poësie. La Poësie peint avec force
mais elle outre les caracteres. Elle lou
avec emphase , ses Panegyriques sont des
apothéoses ; elle blâme avec rigueur ; tous
ses traits sont enflammez ; elle exager
égale
AVRIL.
1731.
649
également les vertus et les vices. Elle est
magnifique dans ses images et dans ses
descriptions ; mais pour vouloir embellir
la Nature , elle la cache ou la rend méconnoissable.
La rime est capricieuse , et
la mesure est un veritable esclavage . La
Prose plaît à tout le monde ; la Versification
déplaît à ceux qui n'y sont pas
accoutumez , c'est un fait d'experience.
Disons donc avec M. de Voltaire , quoiqu'il
ne le dise pas toujours, c'est à la coûtume
, qui est la Reine du monde , à changer
le gout des Nations , et à tourner en plaisirs
les objets de notre aversion.
Mais , dit M. de Voltaire , cette coûtume
est devenue un plaisir , et les François
aiment les Vers , même dans les Comedies.
Qui le conteste ? Je dis plus ,
qui conteste qu'ils ne doivent les aimer ?
Car je le repete , on ne veut point exclure
la rime du Théatre , et le Public sollicite
M. de Voltaire en particulier , de
cultiver l'heureux talent qu'il a reçû pour
ce genre d'écrire. On veut introduire la
Prose seulement en faveur de ceux qui
ont du génie pour le Théatre, et qui n'ont
point le talent des Vers. On ne sçauroit
douter que ces deux especes de mérite
ne puissent être divisées ; autrement il
en faudroit conclure , que tous ceux qui
sçavent faire des Vers , sçavent aussi faire
B dès
650 MERCURE DE FRANCE.
des Tragedies , ce qui est contre l'experience.
Ainsi il ya à gagner pour les Poëtes
Dramatiques et pour le Public. Le Public
aura un plus grand nombre de Tragedies
, à force de repetitions les anciennés
sont un peu usées . Les Poëtes Dramatiques
auront la gloire d'effacer les Dramatiques
Prosateurs , si en effet ceux - cy
n'ont pas d'aussi grands succès.
Des Comedies en Prose plaisent tous
les jours. On auroit souhaité que M. de
Voltaire eût bien voulu marquer quelles
sont les Comedies de Moliere écrites
en Prose , que l'on a été , dit - il , obligé
de mettre en Vers. Il y a de nouvelles
Comedies en Prose , où l'on va avec grand
plaisir. Cette disposition du Public ne
fait-elle pas augurer pour le succès de la
Tragedie en Prose ? Alors on aura moins
à craindre que jamais , ce dont M. de
Voltaire se plaint , que des Pieces mal
écrites ont cû un succès plus grand que
Cinna et Britannicus .
>
Qu'il me soit permis de dire en passant
que je crois être fondé à supposer
bien des beautez dans une Piece , qui
quoique mal écrite , a un succès plus
grand que les meilleures des plus grands
Maîtres . Car enfin c'est le Public qui
P'on écrit : doit juger ; c'est
pour lui que
et
AVRI L. 1731 .
651
et s'il a fait grace quelquefois à l'expression
en faveur de l'interêt et du sentiment
, que ne devroit - on pas attendre de
sa justice , si l'on y joignoit encore la pureté
de la diction et l'éloquence des
roles ?
pa-
Il ne faut pas qu'on tire avantage de
ce que les plus belles Pieces de Théatre
sont en Vers , et l'on ne peut pas dire
que les plus beaux Ouvrages sont en Poësie
rimée. En premier lieu , l'usage de la
Prose n'est point établi pour de certains
genres ; il faut la voir faire pour la comparer.
De plus , je ne crois pas qu'il soit
bien décidé que ce soit à la contrainte
des Vers rimez que l'on doit ces excellens
morceaux.
En second lieu , tant s'en faut que l'on
puisse avancer que les plus beaux Ouvrages
sont en Vers rimez , que la plûpart
de ceux qui sont écrits ainsi , sont
des Ouvrages frivoles.
Enfin , M. de Voltaire frappe le grand
coup pour détourner des Auteurs de faire
des Tragedies en Prose , et le Public de
les recevoir et de les entendre . » Si au
» milieu des Tableaux de Rubens , dit-
» il , ou de Paul Veroneze , quelqu'un ve-
»noit placer ses Desseins au crayon , n'au-
» roit- il pas tort de s'égaler à ces Peintres ?
>> On est accoûtumé dans les Fêtes à des
Bij >> Danses
652 MERCURE DE FRANCE.
» Danses et à des Chants ; seroit- ce assez
» de marcher et de parler , sous prétexte
» qu'on marcheroit et qu'on parleroit bien
»et que cela seroit plus aïsé et plus na-
>> turel.
J'étendrois trop ces Refléxions , si je
marquois toutes les raisons de difference
que l'on trouve dans les paralleles . J'admettrai
le premier lorsque M. de Voltaire.
m'aura fait comprendre qu'un Dessein
au crayon est un Tableau ; car il n'a pas
besoin qu'on lui montre qu'une Tragedie
en Prose est une Tragedie .
On est accoûtumé dans les Fêtes à chanter
et à danser , ainsi il ne suffiroit pas de
marcheret de parler, cela est incontestable;
parce que la danse et le chant entrent necessairement
dans l'idée d'une Fête . Ensorte
que la Danse ôtée , les pas que formeroient
un grand nombre de personnes
assemblées , ne seroient qu'une promenade
triste , froide et insupportable ; le
Chant ôté , ce ne seroit plus qu'une conversation
fade et ennuyeuse. Mais a- t'on
jamais dit que la rime et la mesure des
Vers constituent essentiellement une Tragedie.
En France même , qui est le seul
Pays où l'on voit des Tragedies en Vers
rimez , a-t'on jamais défini la Tragedie
en Poëme à Vers Alexandrins à rimes
plates ? M. de Voltaire sçait parfaitement
ce
+
AVRIL. 1731. 653
e qui constitue le Poëme Dramatique ;
j'en prendrai volontiers la définition de
sa main , et je suis déja sûr qu'il n'y fera
seulement mention ni des Vers ni de
la rime.
pas
A quelle sorte d'ouvrage la rime et les
Vers semblent-ils appartenir plus specialement
qu'au Poëme Epique ? La Poësie
qui y est absolument necessaire et dont
on doit presque toujours se garder dans
la Tragedie , exige , ce semble , ce nombre
qui sert à l'embellir ; cependant nous
avons un Poëme en Prose que personne
ne trouve trop long , et que personne
n'entreprendra apparamment de mettre
en Vers.
Ainsi le Chant et la Danse sont nécessaires
aux Fêtes , parce qu'où il n'y
a ni Chant ni Danse , il n'y a plus de
Fête , du moins de cette espece de Fête
que M. de Voltaire suppose. Mais il ne
s'ensuit pas que que les Vers soient essentiels
à la Poësie Dramatique qui subsisteroit
bien sans leur secours ; ainsi la rime peut
bien être necessaire aux Vers François ,
soit à cause que l'habitude est formée
soit à cause du génie même de notre Langue
; mais elle n'est point necessaire au
Poëme Dramatique .
Voilà mes idées sur la dispute qui s'est
élevée dequis quelque tems au sujet des
Biij Tra654
MERCURE DE FRANCE .
que
Tragedies en Prose. Les endroits où M. de
Voltaire a touché cette question dans son
Discours sur la Tragedie , m'ont donné
occasion de les développer. Idées ébauchées
qui serviront peut- être de Canevas
à quelque personne plus éclairée moi
et plus exercée à écrire. Il y a sur tout
de la sincerité dans mes Refléxions et
dans le temperamment que j'ai pris entre
la Prose et la Versification . Ceux qui
me connoissent ne me soupçonneront pas
de prévention ; car quoique je ne sçache
pas faire des Vers , ( du moins je ne le
crois pas ) j'ai une passion si forte pour
la déclamation , et je suis d'ailleurs si
persuadé qu'elle sera difficile ou changée
sensiblement dans les Tragedies en Prose
, que je ne puis m'empêcher de la regretter.
Cependant il me paroît qu'elle ne sed
roit pas impraticable , sur tout aux Ccmédiens
de Paris. On en a perdu deux
qui, chacun, auroient guidé leur sexe; mais
il en reste , qui avec de la docilité et de la
patience pourroient y réussir , les autres
s'y accoutumeroient avec le tems , quand
ce ne seroit que par imitation. Le Public
auroit d'abord de l'indulgence , il s'accoutumeroit
lui- même , et il parviendroit enfin
à voir représenter indifferemment des
Tragedies en Vers et des Tragedies en
Prose
A
AVRIL.´ 1731 . 1731 655
Prose , comme il voit tous les jours des
Comedies dans ces deux genres.
J'ai essayé moi - même de déclamer de
la belle Prose , et il m'a parû qu'il ne
falloit pas desesperer. Ceux qui font une
profession publique d'exercer ce talent ,
doivent avoir plus de ressources . Plus on
s'est appliqué en déclamant , à rompre
la mesure des Vers , moins on y trouve
de la difficulté . Cette maniere avoit bien
réussi , on la devoit à l'art admirable du
grand Maître de la Déclamation , que
l'on regrettera long- temps ; on peut la
faire revivre et accoutumer ainsi insensiblement
à la Prose.
Or n'entendons- nous point quelquefois
de certains Orateurs déclamer leurs Pieces
d'Eloquence ? Et qu'étoit donc cette
action si vive , si pathetique du celebre
Orateur de la Grece , qui causa tant d'admiration
à son Rival même ; qu'étoit - ce
si - non une Déclamation animée qui aidoit
à la persuasion , et qui alloit au coeur ?
On donnera le mois prochain les Reflexions
sur la Tragedie de Brutus.
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Résumé : RÉFLEXIONS à l'occasion du Brutus de M. de Voltaire, et de son Discours sur la Tragédie.
Le texte traite de la tragédie et de la versification, en se référant notamment à la pièce 'Brutus' de Voltaire. L'auteur met en avant l'importance des discours préliminaires des écrivains pour éclairer la critique et révéler les beautés et les défauts de leurs œuvres. Voltaire défend l'usage de la versification et de la rime dans les pièces de théâtre, malgré les critiques récentes qui les jugent contraires au succès des auteurs et au plaisir des lecteurs. Voltaire, ayant écrit en anglais, apprécie la liberté de cette langue mais ne souhaite pas s'affranchir de la rime en français. Il argue que les tragédies de Corneille et Racine, écrites en vers rimés, ont connu un grand succès et que toute nouvelle voie serait perçue comme une faiblesse plutôt qu'un génie. Cependant, certains contestent cette vision et estiment que des compensations heureuses pourraient remplacer la rime. Voltaire pense que l'habitude des vers rimés est nécessaire au succès des tragédies, mais certains trouvent cette répétition fatigante. Le texte compare également les tragédies françaises aux poèmes épiques et aux œuvres en prose, soulignant que l'action vive et les acteurs réchauffent le public. Enfin, il est mentionné que les œuvres de Racine, bien que contraignantes en vers, sont immortelles et ne doivent pas être altérées. En avril 1731, le texte discute de la proposition de permettre aux auteurs de rédiger des tragédies en prose plutôt qu'en vers. De la Mothe et d'autres soutiennent que cette liberté permettrait de mieux exprimer les dialogues des personnages royaux et militaires. Ils estiment que les tragédies écrites après Racine sont inférieures et que la contrainte de la rime nuit à l'expression. Les auteurs de tragédies en prose possèdent les qualités nécessaires pour écrire de bonnes tragédies, mais leurs œuvres ne plaisent pas autant que celles de Racine. La proposition vise à libérer les auteurs du 'méchanisme' de la poésie pour voir si la prose pourrait mieux réussir. Le texte souligne également que la prose est plus adaptée pour persuader et émouvoir, et que la rime et la mesure des vers sont des contraintes inutiles. Les auteurs en prose pourraient ainsi offrir de nouvelles pièces au public, augmentant le choix et la qualité des œuvres théâtrales. L'auteur aborde une dispute récente sur les tragédies en prose, inspirée par les écrits de Voltaire. Il exprime son équilibre entre la prose et la versification, tout en regrettant la difficulté potentielle de la déclamation dans les tragédies en prose. Cependant, il estime que les comédiens parisiens pourraient s'adapter à ce changement avec du temps et de la pratique. Il compare cela à la déclamation des orateurs et à l'action vivante des orateurs grecs, soulignant que la déclamation animée peut aider à la persuasion.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 992
AVIS de l'Auteur des Reflexions à l'occasion du Brutus, &c. inserées dans le dernier Mercure.
Début :
Les Reflexions que l'on a promises dans le Mercure d'Avril, sur la Tragedie de [...]
Mots clefs :
Avis, Réflexions, Brutus , Voltaire, Pièce, Corrections, Perfection
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AVIS de l'Auteur des Reflexions à l'occasion du Brutus, &c. inserées dans le dernier Mercure.
AVIS de PAuteur des Reflexions
à Poccasion du Brutus , & c. inserées
dans le dernier Mercure.
>
Es Reflexions que l'on a promises dans
le Mercure d'Avril, sur la Tragedie de
Brutus , sont toutes prêtes. L'Auteur alloit
les donner , lorsqu'il a appris que M. de
Voltaire retouchoit à sa Piece. Comme
M.de Voltaire a toûjours bien réüssi aux
corrections quil a faites à ses differens
Ouvrages , et que l'Auteur des Reflexions
ne critique pas pour le plaisir de critiquer,
il attendra la nouvelle Edition du Brutus,
Si , comme il y a apparence , M. de
Voltaire a reparé les principales fautes
de sa Tragedie , on renfermera sans peine
des
Reflexions qui n'avoient pour princiep
que le desir de voir un bon Ouvrage
devenir meilleur. Si les corrections
ne répondent pas aux Reflexions , quant
aux Vers , et sur tout quant à la conduite
de la Piece , on les donnera toûjours dans
le même motif de
contribuer à la perfec
sion de cet
Ouvrage.
à Poccasion du Brutus , & c. inserées
dans le dernier Mercure.
>
Es Reflexions que l'on a promises dans
le Mercure d'Avril, sur la Tragedie de
Brutus , sont toutes prêtes. L'Auteur alloit
les donner , lorsqu'il a appris que M. de
Voltaire retouchoit à sa Piece. Comme
M.de Voltaire a toûjours bien réüssi aux
corrections quil a faites à ses differens
Ouvrages , et que l'Auteur des Reflexions
ne critique pas pour le plaisir de critiquer,
il attendra la nouvelle Edition du Brutus,
Si , comme il y a apparence , M. de
Voltaire a reparé les principales fautes
de sa Tragedie , on renfermera sans peine
des
Reflexions qui n'avoient pour princiep
que le desir de voir un bon Ouvrage
devenir meilleur. Si les corrections
ne répondent pas aux Reflexions , quant
aux Vers , et sur tout quant à la conduite
de la Piece , on les donnera toûjours dans
le même motif de
contribuer à la perfec
sion de cet
Ouvrage.
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Résumé : AVIS de l'Auteur des Reflexions à l'occasion du Brutus, &c. inserées dans le dernier Mercure.
L'auteur des Réflexions sur la tragédie de Brutus attend la nouvelle édition de la pièce de Voltaire. Si les corrections sont satisfaisantes, les Réflexions ne seront pas publiées. Sinon, elles le seront pour améliorer l'ouvrage, notamment les vers et la conduite de la pièce.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 1998-2002
Brutus, Tragedie, représentée à Caen, et Balet caracterisé, Prologue, &c. [titre d'après la table]
Début :
BRUTUS, Tragedie de M. de Voltaire, représentée au College du Bois de la très - celebre [...]
Mots clefs :
Comédiens italiens du roi, Prix, Tragédie, Parodie, Prologue
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Brutus, Tragedie, représentée à Caen, et Balet caracterisé, Prologue, &c. [titre d'après la table]
BRUTUS , Tragedie de M. de Voltaire ,
présentée au College du Bois de la très - celebre
Université de Caën , pour la distribution solemnelle
des Prix , donnez par Noble Homme Jacques
Maheult de Sainte - Croix , Proviseur du
même College , le Jeudi 31. Juillet.
C'est le titre d'un Programme que nous avons
reçû de Caën , lequel contient le Sujet et le Plan
de cette belle Tragedie , tel à peu près qu'il se
trouve exposé dans l'Extrait que nous en avons
donné lorsqu'elle fut mise pour la premiere fois
sur la Scêne Françoise. Nous avons cependant
remarqué une licence que Mrs de Caën se sont
donnée en faisant paroître au second Acte , Julie
chargée de chaines , déclarant à Argine , sa Confidente
, son amour pour Titus. Ces chaînes ont
apparemment parû plus touchantes , et devoir produire
un plus grand effet sur le Théatre Normand ,
qui s'impathise peut - être un peu avec le Théatre
Anglois. Quoiqu'il en soit , nous avons appris
que cette Piece a été três - bien executée et fort
applaudie par une Assemblée des plus nombreuses..
Selon
A O UST. 1731. 1999
Selon le même Programme , la Tragedie de
Brutus fut suivie de la Parodie qui en a été faite
par les Comédiens Italiens du Roi , intitulée Balus
, et après ce Divertissement onjoua l'Etourdi
eu les Contretemps , Comédie de Moliere , avec
des Intermedes.
Le Spectacle triomphant du Vice , ou le Théa
ore digne de l'Honnête Homme , est le sujet d'un
grandna Balet qui fut dansé sur le même Théatre
, à l'occasion de la Tragédie ; on en trouve
le dessein et la division dans le même Programme.
La Tragedie , l'Opera , ie Balet , et la Comédie
, fournirent le sujet des quatre principales,
Entrées qui parurent avec les caracteres et les suites
qui leur sont propres . Ce Balet et la plûpart
des Airs , sont de la composition de M. Hardouin,
qui s'attira de nouvelles louanges.
Le Programme dont nous rendons compte ,
contient sur tout cela un détail curieux , dans lequel
il nous est impossible d'entrer , qui prouve
que l'esprit et le bon goût continuent de regner
dans la Ville de Caën. Nous nous contenterons
d'ajoûter ici le peu de Vers qui ont précedé la
Tragedie et le Balet . Ils sont de M. Heurtauld
de qui nous avons déja inseré plusieurs bonnes
Pieces dans notre Journal .
Li
Prologue de la Tragédie.
L est une Vertu severe ,
Qui n'a dans ses Arrêts aucun respect humain.
Tel se montra jadis ce courageux Romain ,
Dont nous traçons le caractere.
Brutus en vrai Consul deffend Rome et les Dieux,
It son fils a tramé des desseins factieux.
Dan's
2000 MERCURE DE FRANCE
Dans cette extremité , Ciel , à quoi se résoudre !
Le Consul doit punir : le Pere doit absoudre.
· Raison , pitié , devoir , amour
Quels combats à son coeur vous livrez tour à
tour,!
S'il condamne son fils , il trahit la tendresse :
S'il épargne un coupable , il trahit l'équité :
C'en est fait ; il condamne : un zele ardent le
presse ,
Et la justice enfin , surmonte la bonté !
Cet exemple est pour vous , Peres pleins d'indulgence
,
Qui souffrez d'un enfant la coupable licence ,
Et dont le bras trop lâche est si - tôt désarmé ,
Quand le coup doit tomber sur un objet aimé.
Mais vous que séduit l'âge tendre ,
Enfans , si vous donnez dans quelque égarement ,
Titus mourant doit vous apprendre ,
A vous soumettre aux Loix d'un juste châtiment .
Fidele à sa Patrie , il la vengeoit en brave.
Il triomphoit dans les combâts ;
Mais vaincu par l'amour , il devient traître , es
clave ,
Et la victime du trépas
Jeunes coeurs , de l'amour telle est l'affreuse sufte ;
Craignez son poison dangereux.
Il soüille notre gloire , et corrompt le mérite
Des naturels les plus heureux.
C'est l'utile leçon que vous donne l'ouvrage ,
D'us
A UUS 1. 1731. 2002
D'un Auteur autrefois , habitant de ces lieux.
Quel plaisir , s'il voyoit la troupe illustre et sage¿
Qui s'apprête à gouter ses sons harmonieux !
Și, comme eux , nous étions sûrs de votre suffrage,
Qu'aujourd'hui notre sort deviendroit glorieux.
JE
Prologue du Balet.
Eunes Mortels , accourez pleins de zele.
Ce doux spectacle a des charmes puissans.
Que craignez-vous ? la vertu vous appelle
Livrez vos coeurs à ces jeux innocens ,
M
Loin de ces lieux le vice et l'ignorance,
On n'y reçoit que de pures leçons.
C'est la vertu qui regle notre Danse ,
Nos pas , nos voix et nos doctes Chansons.
M
Par le Tragique on abhorre le crime :
Par le Comique on réforme les moeurs :
L'Opera chante un Héros magúanime :
La Danse peint les sentimens des coeurs,
粥
De ces talens un heureux assemblage ,
Ici concourt à flater vos desirs.
Quel passe -tems convient mieux à votre âge ?
Est-il ailleurs de plus charmans plaisirs ? &c.
présentée au College du Bois de la très - celebre
Université de Caën , pour la distribution solemnelle
des Prix , donnez par Noble Homme Jacques
Maheult de Sainte - Croix , Proviseur du
même College , le Jeudi 31. Juillet.
C'est le titre d'un Programme que nous avons
reçû de Caën , lequel contient le Sujet et le Plan
de cette belle Tragedie , tel à peu près qu'il se
trouve exposé dans l'Extrait que nous en avons
donné lorsqu'elle fut mise pour la premiere fois
sur la Scêne Françoise. Nous avons cependant
remarqué une licence que Mrs de Caën se sont
donnée en faisant paroître au second Acte , Julie
chargée de chaines , déclarant à Argine , sa Confidente
, son amour pour Titus. Ces chaînes ont
apparemment parû plus touchantes , et devoir produire
un plus grand effet sur le Théatre Normand ,
qui s'impathise peut - être un peu avec le Théatre
Anglois. Quoiqu'il en soit , nous avons appris
que cette Piece a été três - bien executée et fort
applaudie par une Assemblée des plus nombreuses..
Selon
A O UST. 1731. 1999
Selon le même Programme , la Tragedie de
Brutus fut suivie de la Parodie qui en a été faite
par les Comédiens Italiens du Roi , intitulée Balus
, et après ce Divertissement onjoua l'Etourdi
eu les Contretemps , Comédie de Moliere , avec
des Intermedes.
Le Spectacle triomphant du Vice , ou le Théa
ore digne de l'Honnête Homme , est le sujet d'un
grandna Balet qui fut dansé sur le même Théatre
, à l'occasion de la Tragédie ; on en trouve
le dessein et la division dans le même Programme.
La Tragedie , l'Opera , ie Balet , et la Comédie
, fournirent le sujet des quatre principales,
Entrées qui parurent avec les caracteres et les suites
qui leur sont propres . Ce Balet et la plûpart
des Airs , sont de la composition de M. Hardouin,
qui s'attira de nouvelles louanges.
Le Programme dont nous rendons compte ,
contient sur tout cela un détail curieux , dans lequel
il nous est impossible d'entrer , qui prouve
que l'esprit et le bon goût continuent de regner
dans la Ville de Caën. Nous nous contenterons
d'ajoûter ici le peu de Vers qui ont précedé la
Tragedie et le Balet . Ils sont de M. Heurtauld
de qui nous avons déja inseré plusieurs bonnes
Pieces dans notre Journal .
Li
Prologue de la Tragédie.
L est une Vertu severe ,
Qui n'a dans ses Arrêts aucun respect humain.
Tel se montra jadis ce courageux Romain ,
Dont nous traçons le caractere.
Brutus en vrai Consul deffend Rome et les Dieux,
It son fils a tramé des desseins factieux.
Dan's
2000 MERCURE DE FRANCE
Dans cette extremité , Ciel , à quoi se résoudre !
Le Consul doit punir : le Pere doit absoudre.
· Raison , pitié , devoir , amour
Quels combats à son coeur vous livrez tour à
tour,!
S'il condamne son fils , il trahit la tendresse :
S'il épargne un coupable , il trahit l'équité :
C'en est fait ; il condamne : un zele ardent le
presse ,
Et la justice enfin , surmonte la bonté !
Cet exemple est pour vous , Peres pleins d'indulgence
,
Qui souffrez d'un enfant la coupable licence ,
Et dont le bras trop lâche est si - tôt désarmé ,
Quand le coup doit tomber sur un objet aimé.
Mais vous que séduit l'âge tendre ,
Enfans , si vous donnez dans quelque égarement ,
Titus mourant doit vous apprendre ,
A vous soumettre aux Loix d'un juste châtiment .
Fidele à sa Patrie , il la vengeoit en brave.
Il triomphoit dans les combâts ;
Mais vaincu par l'amour , il devient traître , es
clave ,
Et la victime du trépas
Jeunes coeurs , de l'amour telle est l'affreuse sufte ;
Craignez son poison dangereux.
Il soüille notre gloire , et corrompt le mérite
Des naturels les plus heureux.
C'est l'utile leçon que vous donne l'ouvrage ,
D'us
A UUS 1. 1731. 2002
D'un Auteur autrefois , habitant de ces lieux.
Quel plaisir , s'il voyoit la troupe illustre et sage¿
Qui s'apprête à gouter ses sons harmonieux !
Și, comme eux , nous étions sûrs de votre suffrage,
Qu'aujourd'hui notre sort deviendroit glorieux.
JE
Prologue du Balet.
Eunes Mortels , accourez pleins de zele.
Ce doux spectacle a des charmes puissans.
Que craignez-vous ? la vertu vous appelle
Livrez vos coeurs à ces jeux innocens ,
M
Loin de ces lieux le vice et l'ignorance,
On n'y reçoit que de pures leçons.
C'est la vertu qui regle notre Danse ,
Nos pas , nos voix et nos doctes Chansons.
M
Par le Tragique on abhorre le crime :
Par le Comique on réforme les moeurs :
L'Opera chante un Héros magúanime :
La Danse peint les sentimens des coeurs,
粥
De ces talens un heureux assemblage ,
Ici concourt à flater vos desirs.
Quel passe -tems convient mieux à votre âge ?
Est-il ailleurs de plus charmans plaisirs ? &c.
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Résumé : Brutus, Tragedie, représentée à Caen, et Balet caracterisé, Prologue, &c. [titre d'après la table]
Le 31 juillet, une représentation de la tragédie 'Brutus' de Voltaire a eu lieu au Collège du Bois de l'Université de Caen. La pièce a été bien exécutée et acclamée par une assemblée nombreuse. La journée a également inclus une parodie de la tragédie intitulée 'Balus', suivie de la comédie 'L'Étourdi' de Molière, avec des intermèdes. Un ballet intitulé 'Le Spectacle triomphant du Vice, ou le Théâtre digne de l'Honnête Homme' a également été présenté. Les principales entrées de la journée étaient donc la tragédie, l'opéra, le ballet et la comédie. Le ballet et la plupart des airs étaient de la composition de M. Hardouin, qui a été félicité pour son travail. Le programme de la journée a démontré l'esprit et le bon goût régnant à Caen. Le prologue de la tragédie 'Brutus' met en avant la vertu sévère de Brutus, qui doit condamner son fils pour trahison, illustrant les conflits entre raison, pitié, devoir et amour. Le prologue du ballet appelle à la vertu et aux jeux innocents, soulignant les bienfaits de la tragédie, de la comédie et de l'opéra pour l'éducation et la réforme des mœurs.
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