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1
p. 92-94
Comparaison des Royaumes de France, & de la Chine [titre d'après la table]
Début :
Cela leur donna occasion de parler des beautez de la [...]
Mots clefs :
France, Chine, Comparaison , Ambassadeur
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texteReconnaissance textuelle : Comparaison des Royaumes de France, & de la Chine [titre d'après la table]
Cela leur
donna occafion de parler des
beautez de la France. Le fe
cond Ambaſſadeur dit que le
Roy de Siam avoit laiſfé àfon
choix , de venir en France , ou
de retourner à la Chine , où
il avoit déja esté Ambaſſadeur
; mais qu'encore que le
voyagefût beaucoup plus long&
:
des Amb. de Siam. 93
plus dangereux , il avoit mieux
aimé venir voir cette France
que l'on vantoit tant , & il en
parla d'une maniere qui fit
connoiſtre que la France étoit
beaucoup plus conſiderable
que l'Empire de la Chine. Je
vous ay déja marqué que cét
Ambaſſadeur est un homme
fort fincere , & qui en diſant
ſon ſentiment n'a point d'égard
au Païs où il eſt. Il ajoûta
à ce que je vous ay déja
dit , de la comparaiſon qu'il
a faite de la France & de la
Chine , qu'à l'égard d'appreſter
les viandes , &du nombre des
plats & des ſervices , ces deux
L
94 III P. duVoyage
puiſſans Etats avoient affez de
raport , mais qu'à l'égard des
ceremonies des Audiences publiques
, celles qui avoient effé obfervées
à l'Audience qu'ils avoient
evë duRoy estoient beau
soup plus grandes & plus re
marquables. Il dit enfin , que fi
bes Chinois avoient d'auffi bel-
Les choses qu'ily en a en Franve
, it estoit perfuadé qu'ils les
feroient voir.
donna occafion de parler des
beautez de la France. Le fe
cond Ambaſſadeur dit que le
Roy de Siam avoit laiſfé àfon
choix , de venir en France , ou
de retourner à la Chine , où
il avoit déja esté Ambaſſadeur
; mais qu'encore que le
voyagefût beaucoup plus long&
:
des Amb. de Siam. 93
plus dangereux , il avoit mieux
aimé venir voir cette France
que l'on vantoit tant , & il en
parla d'une maniere qui fit
connoiſtre que la France étoit
beaucoup plus conſiderable
que l'Empire de la Chine. Je
vous ay déja marqué que cét
Ambaſſadeur est un homme
fort fincere , & qui en diſant
ſon ſentiment n'a point d'égard
au Païs où il eſt. Il ajoûta
à ce que je vous ay déja
dit , de la comparaiſon qu'il
a faite de la France & de la
Chine , qu'à l'égard d'appreſter
les viandes , &du nombre des
plats & des ſervices , ces deux
L
94 III P. duVoyage
puiſſans Etats avoient affez de
raport , mais qu'à l'égard des
ceremonies des Audiences publiques
, celles qui avoient effé obfervées
à l'Audience qu'ils avoient
evë duRoy estoient beau
soup plus grandes & plus re
marquables. Il dit enfin , que fi
bes Chinois avoient d'auffi bel-
Les choses qu'ily en a en Franve
, it estoit perfuadé qu'ils les
feroient voir.
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Résumé : Comparaison des Royaumes de France, & de la Chine [titre d'après la table]
Un ambassadeur de Siam discute des beautés de la France avec des interlocuteurs. Il révèle que son roi avait le choix entre venir en France ou retourner en Chine, préférant la France malgré la longueur et les dangers du voyage. L'ambassadeur vante la grandeur et la considération supérieure de la France par rapport à l'Empire de la Chine. Il décrit la France comme ayant des cérémonies d'audiences publiques plus grandes et plus remarquables que celles observées en Chine. Il note également des similitudes entre les deux pays dans la préparation des viandes et le nombre de plats servis. L'ambassadeur, sincère et franc, conclut en exprimant sa conviction que les Chinois apprécieraient les beautés de la France s'ils les voyaient.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 53-105
ARTICLE BURLESQUE. SUITE DU PARALLELE d'Homere & de Rabelais.
Début :
J'ay cru que rien ne rendroit ce Parallele plus [...]
Mots clefs :
Homère, Rabelais, Comique, Sublime, Sujet, Éloquence, Auteur, Génie, Neptune, Beau, Idée, Paris, Vers, Paradoxe, Comparaison , Parallèle, Grandeur, Dieux, Sérieux, Combat, Tempête, Panurge, Pantagruel
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texteReconnaissance textuelle : ARTICLE BURLESQUE. SUITE DU PARALLELE d'Homere & de Rabelais.
ARTICLE BURLESQUE.
SUITE DV PARALLELE
d'Homere&de Rabelais.
*
J'Ay cru que rien ne
rendroit ce Parallele
plus amusantque d'y
mêler de petits contes,
dontle fond estdeRabelais;
mais que j'ai accommodez
de maniere
à pouvoir être lûs des
Dames,& à moins ennuyer
ceux qui ne sont
point afeZj erudits &
"affedwnnez^ Pentagruelistes,
poursavourer,
mâcher&remâcherjusqu'aux
moindres roga-*
tons, & avaler à longs
traits sa -desfuavitezRabelaisiennes
en faveur de
quelques grains de gros
sel,semez par ci par là,
ez., salmigondis & pots
pouris de Maître François.
Pour assortir, ou plûtôrpour
opposer à ces
contes, en trouverai
bien encor quelqu'un
dans Homere, mais je
respecte trop son grand
nom, pour oser rien
mettre du mien dans
ses ouvrages; à peine
ai-je osé retrancher une
bonne moitié du conte
du Cyclope, afin de
rendre l'autre moins
ennuyeuse.
: Pour oposer au grand
& au sublime du Poëte
grec, on trouvera
peut-être dans Maître
François quelques endroits
assez solides pour
faire avouer que Rabelais
cût mieux réussi
dans le sérieux, qu'Homere
n'a réussi dans le
comique, & de là je
prendrai occasion d'avancer
quelques propositions
qui seroient
hardies, téméraires,ridicules
même si on les
avançoit sérieusement,
& dont je n'ose prouver
laveritéqu'en plaisantant;
je les proposeray
donc d'abord
comme des Paradoxes
badins ; tcbadinageaT
cela de bon qu'il peut
éclaircir certaines veritez
qu'une dispute serieuse
ne seroit qu'obscurcirjlcbadinageaencore
cet avanta ge sur la
dispute, qu'au lieud'attirerla*
colere des difputcurs
graves, il n'en
attire qu'un fîlencedédaigneux
, & c'es en
être quitte à bon marché
j car la force des raisonnemens
ne fait que
les irriter au lieu de les
convaincre.
La prévention s'irrite
par la resistance, cest un
animal feroce qu'Homere
eut comparé àun
Taureau furieux
J
qui
parcourant les njaftes
campa?nes de la Lybie,
d'autre but dans sa
fureur que de heurtertête
baiJJie) & de renverser
IÙS plus fortsanimaux
qui oseront l'attaquer
de front.
C'est ainsi que dans
les vastes ambiguitez
dela dispure,les plus
fortes raisons ne tiennent
point contre la
prévention.
Comparons à present
le badinage à l'Abeille
legere, qui voltige en
folâtrant autour de ce
Taureau furieux; elle
badine en fureté entre
ses cornes, lepique legerement,
il ne fait que
secoücr l'oreille,autre
coup d'aiguillon qu'il
méprise, il ne voit point
d'ennemy, cependant
la mouche le pique, ses
piquûres sontlegeres:
maisc11es sontréïterées,
la mouc he se porte avec
agilité par tous les endroits
sensibles, les piqueures
redoublent,il
commence à s'irriter,
se ne voyant à qui s'en
prendre, il tourne sa
colerecontrelui- même,
il s'agite,ilse mord,il
se tourmente, &enfin
il s'épuise,s'affoiblit&
tombe. Procumbithumi
Bos.
Nôtre comparaison
nous a fortéloignez de
nostresujet:tant mieux,
elle n'en est que plus
Homerienne,s'il y a
quelque chose de faux
dans l'application, tant
mieux encore. Homere
est un modele qu'il faut
imiter : ses comparaisons
sont longues, fausses
& semblables les
unes aux autres, il n'importe;
c'est toûjours le
second &C le parfait
Homere.
Les comparaisons de
Rabelais sont plus variées,
plus justes,mais
elles ne sont pas
moins allongées, & la
plûpart sont si basses,
qu'àcet égard ilfaut
bien pour l'honneur du
goût donner la préferenceau
Prince des
Poëtes.
Avantcettedigression
j'ay promis,à propos
d'Homere & de Rabelais
, d'avancer pour rire
quelques proportions
étonnantes, le
premier de ces Paradoxes
c'est :
Qu'il faut pins d'étendue
d'esprit & peutcireplus
d'élévationpour
exceller dans le beau comique
, qu'il n'en faut
pour réussir dansle serieux.
Cette proposition va
révolter d'abord ceux
qui prévenus par refpcâ
pour tout ce qui
a l'air sérieux:
admirent en baillant
un ennuyeux tragique,
Et riant d'une Jjlgne's,
méprisentlecomique.
Le
Le second Paradoxe,
e'est. Que les plus excellentes
piecesserieuses
font mêlées d'excellent
comique
, & par consesquent
qu'un Authtur ne
peut excellerdans lesérieuxy
s'iln'a du talent
pour le comique.r
On trouveroitdans
tous; les siecles, 8cmême
dans lenôtrçxque
les plus grands genies
ont mêlé du winique,
dans leurs ouvrages SC
dans leurs discours,&
les genies mediocres
dérogent même quelquefois
aux prérogatives
de leur gravité,
pour hazarder d'être
plaisans; j'en ai vû s'arrêter
tout court, par
vanité, s'appercevant
qu'ils plaisantoient de
mauvaise grace, & se
déchaîner le moment
d'après contre le meilleur
genre de plaisanterie.
-
Toi qui debite gravement
Tafademédisance,
Caustique par tempec.
ramment,
Serieuxparprudence,
Tumtprifes d'un hon
r, plaisant
La comique élegance,
Comme un gouteux foi- ble&pesant
Mépriseroit la danse.
Les Vers ci-dejjus peuvent Je
chanter sur l'AirdeJÓconde.
Avantque d'avancer
mon troisiéme Paradoxe
,
il faudroit avoir
bien défini le mot de
comique, & celui de subhme
y &C aprés celà
même il seroitpeut-être
encor ridicule de
dire:Quenon-seulement
lè Jubltmerieft pas incompatibleavec<
li\comiqu^
ymais,qmlpssd-J
avoir dans certain comiquedestraitssuperieurs
ausublimeserieux. Voila
unepropositionétonnante,
par rapport à l'idée
qu'on a du sublimc,
que je définirois
volontiers, laperfection
dans le grand : mais on
peut en donner encor
d'autres définitions,&
c'est ce qui nous meneroit
trop loin, il faudroit
trop1 de temps
pourdonneràces trois
Paradoxes toutes les ex*
plications& modifications
qui pourroient
les rendre sérieusement
vrayes > c'est ce que
j'entreprendrai peutêtre
quelque jour,sij'ai
le loisir de mettre en
oeuvre les reflexions
que j'ai faites sur les
fesses idées qu'on a du
sublime, du sérieux &
du comique; contentons-
nous ici de badiner
sur nôtre dernier Paradoxe,
qui nous donnera
occasion de comparer
quelques mor-*
ceaux des deux Autheurs,
dont jecontinuë
le Parallele.
Pour parler selon les
idées communes, disons
: que le comique
nest point sublimepar
lui-mesme
,
mais qu'il
peut renfermer des sens
& des veritez sublimes,
& c'est pour sçavoir
renfermer ces grandes
veritez dans le comique,
qu'il faut un genie
tres étendu.
Ilenfaut moins,par
exemple, pour soûtenirune
morale sublime
par des expressions
fortes & nobles, qui lui
font propres, que pour
la traitter comiquement,
sansl'affoiblir,
&:. sans la dégrader.
Il est'vray que le genre
serieux est plus grand
par luy-même que le
sgaennsre comique, iltient
doute le premier
rang, mais il n'y a point.
au
au Parnasse de ceremonial
qui donne le pas a un Autheur sérieux
surun comique. Ilest
plus grand parexemple,
de traitter la guerre
de Troye ,causée
par lenlevement d'une
Princesse, que la guerre
causéepar l'enlevement
d'un Seau, La
sequi à rapita,mais cette
grandeur est dans le
sujet, & non dans TAutheur
qui le traitte.,8c
celui qui daps le Poème
del'enlevement d'un
Seau, feroit entrer les
idées les plushéroïques
, feroit sansdoute
un plus grand genie"
que celui à qui la grandeur
du sujet fournit
naturellement de grandes
idées.
On ne peut pas soûtenirqu'ily
ait quantité
de hautes idées renfermées
dans le comique
de Rabelais, mais
on prouveroit peut- être
qu'Homere doit une
bonne partie deson sublime
à la grandeurde
son sujet.; ?;!> JU ;
.,' La bassesse des sujets
que Rabelais à traitez
auroit sait tomber son
ouvrage,s'iln'avoit pas étésoustenu par: des
partiesexcellentes;
L'élévation Se lrrraportance
du sujet de
rmiadercûcsoustenuë
qu^îidniémeil yauroit
eu moins de beautez
quon,ny en trouve.
Nous voyons clairementpar
la connolt:
sance dusiecle où Rabelais
avescu, que la
plûpart de ses expressiós
fortes&naïves lui font
propres a lui seul.
Mais les sçavans sans
prévention avouent
-qu:on- neconnoist pas
assez le siecle d'Homere
pour sçavoirenquoi
il dl original:ceuxqui
connoissent le genie
oriental croiront plustost
que ses expressions
nobles& figurées, que
ses comparaisons magnifiques,&
mesme la
pluspart de sesideés
Poëtiques pouvoient
estreaussi communes
aux Grecsde son temps
que les proverbes sensez
le sont à Paris parmi
le peu ple.
Al'égard du sublime
de Rabelais, il faut convenir
qu'il est bien malâisé
de l'appercevoirà
travers le bascomique,
dont il est offusqué, il
dit en parlant de la
Loy comrnentée & embrouillée
par nos Juris-
Confulres
, que c'est
une belle robe à fondd'or
brodée de crote
: j'en dirois
autant de son sublime
,
qu'on me passe
ce mot en attendant
la définition : Mais appellez
comme il vous
plaira l'idée qu'il donne.
de la vraye & naturelle
Eloquence, par la décision
de Pcntagruel
sur le verbiage du li-,
centié, il paroit qu'elle
fit excellente: en voici
l'idée en abbregé.
LAVRAYE ELOQUENCE.
1 uN jour Penragruel
rencontra certainLice-nti.é,,
non autrement sçavant es;
sciences de son métier de
Docteur:mais en recompense
sçachant tres-foncicierement
danser & joüer
à la paume,lequel donc
rencontrépar Pentagruel,
fut interrogé d'où il venoit
5
& luy répondit,je
liens de l'urbe&citécelebrisjimt
quevulgairement onvocite
Lutece.Qu'est-ce à dire,
dit Pentagruel
,
à son truchementordinaire?
je suis
tout ebahi de tel jargon.
C'efc, répond letruchemenrjqu'il
vient de Paris:
Hé,reprit Pentagruel,.
à quoy passez-vous le
temps à Paris vous autres
licentiez^Nflw^repondit le
Licentié
, en nos occupations
dit: Quel diable de langa
ge est-cecy ? Ce nest que latinécorché, dit le Truchement,
& luy semble
qu'il est éloquent Orateur,
pource qu'ildédaigne
l'usance commune de
parler: or le Licentié
croyant que l'étonnement
Se ébahissement dePentagruel
venoit pour admirer
la haute beauté de cette
élocution, se reguinda encore
plus haut &: plus obleur,
si que par longueur
de periodes,poussa patience
à bout. Parbleu, dità
part-foi Pentagruel,je tapprendrai
quelle est vraie Se
naturelle éloquence ;puis
demadaauLicêciédequel
païs il étoit, à quoy répond
ainsi le Licencié.L'illustre
&honoriferantepropagation
demesaves&ataves, tire
son origine primordiale des
Régions Limosiniennes.J'entens
bien, dit Pentagruel,
tu n'es qu'un Limosin de
Limoge, & tu veux faire
5 le Demosthenes de Grece;
Or viens-cà que je te donne
un tour de peigne, lors
le prit à la gorge,disant :
tu écorches le Latin, moy
j'écorcheray le latiniseur,
si fort lui serroit la gorge
que le pauvre Limosin
commence à crier en Limosin,
vée Dicou Gentil.
latre : Hosaint Marsau !
secourami,bau,bau, laisias k
qu'ou AU nom de Dtous
y
dm
ne me tou cas grou.Ah5 dit
Pentagruel en le laissant ;
voila comment je te voulois
remettre en droit chemin
de vraye éloquence;
car à cette, heure viens-tu
de p, rler comme nature,
&, grand biente fasse icelle.
corrp&ion,-v.
Quoique je trouve
dans; cette;idéeune e fpece
de sublime, je ne
le. compareraipas sans
doute,à ce sublime
d'Homere, dans son
Vingtième Livre,oùil
Ïaicporter ainsiJupiter fàcNrëeibptluéendee4s'aDniseTuxA/tsembléedesDieux,
- '.i! r
Je vaisdonc m'asseoir
sur le sommet de l'Olimpe,
ôcregarder le combat :
mais pour vous autres vous
pouvez descendre,& prendre
ouvertement le party
deceux quevous favorilez,
car si Achille attaque
seullesTroyens,ils ne le
soûtiendront pas un moment
:comment le soû-
,tiendroient-ils aujourd'hui
qu'il est armé ,ôc que là
valeur est encoreaiguisée
par la douleur qu'il a de
la
mort de son amy J
qu'-
hier le voyant mêmesans
armes, ils furent remplis
/deterreur^,ôc..,
- E.î:n(.fuiteHomr ere fait
descendre les Dieux de
YOUmpC) qui animant
les troupes des deuxpartisye.
ng,agIentldfbataille, &se mêlenteux-mêmes
days le combat.
En cet endroit -je
quitte lebadinage par
respect, non pour la reputationseule
d'Homere,
mais pour la grandeur,
la majesté&l'élévation
de sa PoëGe;
quel genie! Se avec
quel art inceresse-t-il
icileCiel, la terre &
toute la nature au grad
fpe&acle qu'ilvanous
donner?il nous forceà
nousy interesser nousmêmes;&
voilal'effet
dusublime.
Pédantcecombat,continué
Homere, le Souverainmaître
des Dieux
tonne du haut duCiel,
'& Neptune élevant ses
flots ébranle laterre,
lescimes du Mont Ida
tremblent jusques dans
leurs
leursfondemens,Troye,
le champ de bataille&
les vaisseaux sontagitez.
par des secousses
violentes,le Roy; des
Enfers, épouvanté au
fond de son Palais, s'élance
de son Trône, &
s'écrie de toute sa force
dans la frayeur où il
est, que Neptune, d'un
coup de son Trident,
n'entrouvre laTerre
qui couvre les ombres,
&, qiie cet affreux séjour,
demeure éternelle
des tenebres & de la
mort, abhorré des Hommes8£
craint même des
Dieux,nereçoive pour
la premiere fois la lumiere,&
ne paroisse à
découvert, si grand eil
le bruit que font ces
Dieux, qui marchent
trleess/unsilco'rn*tre les au- ab-quor
Apollon armé detous
ses traits, attaque Neptune
; Minerves'oppose
à Mars, Diane
marche contre Junon,
mais Achille n'en
veut qu'à Hector, il le
cherche dans la mêlée,
impatient de verser le
fang deceHeros,sous
les yeux même du Dieu
Mars qui le protege.
Voila du beau, du
grand, il se fait sentir
par luy-même, il n'a
pasbesoin de Cõmentaire,
comme mille autres
endroits des anciens
Autheurs, qui ne
sont beaux qu'à proportion
de la creduliré
de ceux qui veulent
bien se prester aux. décisionsdes
Commentateurs.
Comparonsàpresent
., deux tableaux de nos
deux Autheurs sur le
même sujet, ils veulent
runU. l'autre representer
unetempeste..
,
Tout ~~p~
en peinture, en mufiqne,
En prose comme en vers.
sérieux ou comique,
Tempeste de Rubens;.
tempefle de Rablais,
jMrwe du grand Poëte
tragique*.
L'on pourroit comparer
la tempeste heroïque,.
Ala tempeste de Ma, -rais.
Ces vers sepeuvent chanter fit- PairdeJoconde.
TEMPESTE
DE
RABELAIS.
EN. nôtre nauf étions
avec Pentagruel le bon,
joyeusementtranquiles,&
étoit la mer tranquillement
triste; car Neptune
en son naturel est melancolique
& fonge-creux
pource qu'il est plus flegmatique
que sanguin.
Bonasse traîtreuse nous
invitoit à molle oisiveté
>1
ôc oisiveté nous invitoit à
boire,or à boisson vineuse
mêlions saucisses,boutargue
& jambons outrement
salez,pour plus vcu
luptueufement faire sentir,
& contraster suavité
nectarine ,douce non
comme,mais plus que lait.
O que feriez mieux, nous
cria le pilote au lieu d'icelles
salinesmangerviandes
douces,pource qu'incontinent
ne boirez peutêtreque
trop salé ; ce que
disoitlepilote par pronom
c::1:
stication; car pilotes ainsi
que chats en goutieres,
fleurent par instincpluyes
& orages.
Et de fait le beau
clair jour qui luisoit perdant
peu à peu sa transparence,
lumineuse
,
devint
d'abord comme entre
chien & loup,puis brun,
obscur, puis presquenoir,
puis si noir,si noir que
fumes saisis de mal peur;
* car autrelumiere n'éclaira
plus nos faces blêmes
&effrayées, que lueurs
d'éclairsfulminantspar
'Tecrevements
de flambantes
nuées, avec millions
de tonnerres tonigrondants
sur tous les tons
&intonations des orgues
de Jupin, les pedales ,
pou, dou ,dou
,
dou3
icy cromornes,Ton, ron,
ron ) ron &C cla
,
cla y
cla
,
clacla
,
misericorde
, crioit Panurge; détournez
l'orage, Tonnez
les cloches, mais cloches
ne sonnerent ,car en
avoit pour lors: voilà
tout en feu, voilà tout en
eau, bourasques de vents,
fiflemens horrifiques, ce1
la fait trois élements
dont de chacun , trop a-
Ivioiis n'y avoit que terre
qui nous manquoit,si
non pourtant que fondrieres
marines furent si
profondes,qu'en fin fond
d'abîmes ouverts eût-on
pu voir,harangs sur sable
-&C moruës engravées, or
'-du fio,nd d'iceuxabysmes r
vagues montoient aux
nuës
,
& d'icelles nûës.
fc precipitoient comme
torrents , montagnes
d'eau, foy disant vagues,
desquelles aucunes
tombant sur la nauf, Panurge
, qui de frayeur
extravaguoit, disoit ho
ho ho, quelle pluye estce
cy 5 vit-on jamais
pleuvoir vagues toutes
brandies: helas,helas
be be be be, , je nage, bou
bou bou bou, ha maudit
cordonnier, mes souliers
prennent l'eau par
le colet de mon pourpoint.
Ha que cette boit:
son est amere ! hala,
hola
,
je n'ay plus soif.
Te tairas - tu ?
crioit
Frere Jean, & viens
plustost nous aider à
manouvrer ,
où sont
nos boulingues
,
noftrc
trinquet est avau l'eau,
amis à ces rambades
Enfans, n'abandonnons,
le tirados, à moy, à moy.
Par icy, par la haut ,
par là bas.
Viens donc, Pcanurge,
viens, ventre de solles,
viens donc. Hé! ne jurons
point, disoit piteusement
Panurge, ne ju.
rons aujourd'huy, mais
demain tant que tu voudras
,
il est maintenant
heure de faire voeux,Se
promettre pelerinages :
ha ha
,
ha ha, ho ho
ho , ho, je nage, bou bi,
bou bous, sommes-nous
au fond? Ah je me
meurs! mais viens donc
icy nous aider, crioit
Frere Jean, au lieu de
moribonder,met la main
à l'estaransol
, gare la
pane, hau amure, amure
bas , peste soit du
pleurard qui nous est
nuisible au lieu de nous
aider. Ha! oüy oüy oüy,
reprenoit Panurge,vous
fuis nuisible
, mettezmoy
donc à terre afin
que puissiez à l'aise manouvrer
tout vostre soul-
Or icelle tempeste
ou tourmente, ou tourmentante
,comme voudrez
, commença à prendre
fin à force de durer,
comme toutes choses
mondaines: terre, terre,
cria le Pilote,& jugez
bien quelle jubilation
senfUlVlt
, a quoy prit
la plus forte part le
craintif Panurge, qui
defeendant le premier
sur l'arene,disoit,ôtrois
& quatre fois heureux.
Jardinier qui plante
choux, car au moins a-til
un pied sur terre, &
l'autre n'en est esloigné
que d'un fer de besche.
Or remettons tempeste
d'Homere à la pro- „ chaine mercuriale ainsi
que plusieurs autres bribes
des deux Autheurs
que nous paralelliferons
par maniere de passetemps
Rabelaisien, & -
non dogmatiquement ,
chose que- trop repeter
ne puis ; car pires sourds
n'y a que ceux qui ne
veulent point entendre.
SUITE DV PARALLELE
d'Homere&de Rabelais.
*
J'Ay cru que rien ne
rendroit ce Parallele
plus amusantque d'y
mêler de petits contes,
dontle fond estdeRabelais;
mais que j'ai accommodez
de maniere
à pouvoir être lûs des
Dames,& à moins ennuyer
ceux qui ne sont
point afeZj erudits &
"affedwnnez^ Pentagruelistes,
poursavourer,
mâcher&remâcherjusqu'aux
moindres roga-*
tons, & avaler à longs
traits sa -desfuavitezRabelaisiennes
en faveur de
quelques grains de gros
sel,semez par ci par là,
ez., salmigondis & pots
pouris de Maître François.
Pour assortir, ou plûtôrpour
opposer à ces
contes, en trouverai
bien encor quelqu'un
dans Homere, mais je
respecte trop son grand
nom, pour oser rien
mettre du mien dans
ses ouvrages; à peine
ai-je osé retrancher une
bonne moitié du conte
du Cyclope, afin de
rendre l'autre moins
ennuyeuse.
: Pour oposer au grand
& au sublime du Poëte
grec, on trouvera
peut-être dans Maître
François quelques endroits
assez solides pour
faire avouer que Rabelais
cût mieux réussi
dans le sérieux, qu'Homere
n'a réussi dans le
comique, & de là je
prendrai occasion d'avancer
quelques propositions
qui seroient
hardies, téméraires,ridicules
même si on les
avançoit sérieusement,
& dont je n'ose prouver
laveritéqu'en plaisantant;
je les proposeray
donc d'abord
comme des Paradoxes
badins ; tcbadinageaT
cela de bon qu'il peut
éclaircir certaines veritez
qu'une dispute serieuse
ne seroit qu'obscurcirjlcbadinageaencore
cet avanta ge sur la
dispute, qu'au lieud'attirerla*
colere des difputcurs
graves, il n'en
attire qu'un fîlencedédaigneux
, & c'es en
être quitte à bon marché
j car la force des raisonnemens
ne fait que
les irriter au lieu de les
convaincre.
La prévention s'irrite
par la resistance, cest un
animal feroce qu'Homere
eut comparé àun
Taureau furieux
J
qui
parcourant les njaftes
campa?nes de la Lybie,
d'autre but dans sa
fureur que de heurtertête
baiJJie) & de renverser
IÙS plus fortsanimaux
qui oseront l'attaquer
de front.
C'est ainsi que dans
les vastes ambiguitez
dela dispure,les plus
fortes raisons ne tiennent
point contre la
prévention.
Comparons à present
le badinage à l'Abeille
legere, qui voltige en
folâtrant autour de ce
Taureau furieux; elle
badine en fureté entre
ses cornes, lepique legerement,
il ne fait que
secoücr l'oreille,autre
coup d'aiguillon qu'il
méprise, il ne voit point
d'ennemy, cependant
la mouche le pique, ses
piquûres sontlegeres:
maisc11es sontréïterées,
la mouc he se porte avec
agilité par tous les endroits
sensibles, les piqueures
redoublent,il
commence à s'irriter,
se ne voyant à qui s'en
prendre, il tourne sa
colerecontrelui- même,
il s'agite,ilse mord,il
se tourmente, &enfin
il s'épuise,s'affoiblit&
tombe. Procumbithumi
Bos.
Nôtre comparaison
nous a fortéloignez de
nostresujet:tant mieux,
elle n'en est que plus
Homerienne,s'il y a
quelque chose de faux
dans l'application, tant
mieux encore. Homere
est un modele qu'il faut
imiter : ses comparaisons
sont longues, fausses
& semblables les
unes aux autres, il n'importe;
c'est toûjours le
second &C le parfait
Homere.
Les comparaisons de
Rabelais sont plus variées,
plus justes,mais
elles ne sont pas
moins allongées, & la
plûpart sont si basses,
qu'àcet égard ilfaut
bien pour l'honneur du
goût donner la préferenceau
Prince des
Poëtes.
Avantcettedigression
j'ay promis,à propos
d'Homere & de Rabelais
, d'avancer pour rire
quelques proportions
étonnantes, le
premier de ces Paradoxes
c'est :
Qu'il faut pins d'étendue
d'esprit & peutcireplus
d'élévationpour
exceller dans le beau comique
, qu'il n'en faut
pour réussir dansle serieux.
Cette proposition va
révolter d'abord ceux
qui prévenus par refpcâ
pour tout ce qui
a l'air sérieux:
admirent en baillant
un ennuyeux tragique,
Et riant d'une Jjlgne's,
méprisentlecomique.
Le
Le second Paradoxe,
e'est. Que les plus excellentes
piecesserieuses
font mêlées d'excellent
comique
, & par consesquent
qu'un Authtur ne
peut excellerdans lesérieuxy
s'iln'a du talent
pour le comique.r
On trouveroitdans
tous; les siecles, 8cmême
dans lenôtrçxque
les plus grands genies
ont mêlé du winique,
dans leurs ouvrages SC
dans leurs discours,&
les genies mediocres
dérogent même quelquefois
aux prérogatives
de leur gravité,
pour hazarder d'être
plaisans; j'en ai vû s'arrêter
tout court, par
vanité, s'appercevant
qu'ils plaisantoient de
mauvaise grace, & se
déchaîner le moment
d'après contre le meilleur
genre de plaisanterie.
-
Toi qui debite gravement
Tafademédisance,
Caustique par tempec.
ramment,
Serieuxparprudence,
Tumtprifes d'un hon
r, plaisant
La comique élegance,
Comme un gouteux foi- ble&pesant
Mépriseroit la danse.
Les Vers ci-dejjus peuvent Je
chanter sur l'AirdeJÓconde.
Avantque d'avancer
mon troisiéme Paradoxe
,
il faudroit avoir
bien défini le mot de
comique, & celui de subhme
y &C aprés celà
même il seroitpeut-être
encor ridicule de
dire:Quenon-seulement
lè Jubltmerieft pas incompatibleavec<
li\comiqu^
ymais,qmlpssd-J
avoir dans certain comiquedestraitssuperieurs
ausublimeserieux. Voila
unepropositionétonnante,
par rapport à l'idée
qu'on a du sublimc,
que je définirois
volontiers, laperfection
dans le grand : mais on
peut en donner encor
d'autres définitions,&
c'est ce qui nous meneroit
trop loin, il faudroit
trop1 de temps
pourdonneràces trois
Paradoxes toutes les ex*
plications& modifications
qui pourroient
les rendre sérieusement
vrayes > c'est ce que
j'entreprendrai peutêtre
quelque jour,sij'ai
le loisir de mettre en
oeuvre les reflexions
que j'ai faites sur les
fesses idées qu'on a du
sublime, du sérieux &
du comique; contentons-
nous ici de badiner
sur nôtre dernier Paradoxe,
qui nous donnera
occasion de comparer
quelques mor-*
ceaux des deux Autheurs,
dont jecontinuë
le Parallele.
Pour parler selon les
idées communes, disons
: que le comique
nest point sublimepar
lui-mesme
,
mais qu'il
peut renfermer des sens
& des veritez sublimes,
& c'est pour sçavoir
renfermer ces grandes
veritez dans le comique,
qu'il faut un genie
tres étendu.
Ilenfaut moins,par
exemple, pour soûtenirune
morale sublime
par des expressions
fortes & nobles, qui lui
font propres, que pour
la traitter comiquement,
sansl'affoiblir,
&:. sans la dégrader.
Il est'vray que le genre
serieux est plus grand
par luy-même que le
sgaennsre comique, iltient
doute le premier
rang, mais il n'y a point.
au
au Parnasse de ceremonial
qui donne le pas a un Autheur sérieux
surun comique. Ilest
plus grand parexemple,
de traitter la guerre
de Troye ,causée
par lenlevement d'une
Princesse, que la guerre
causéepar l'enlevement
d'un Seau, La
sequi à rapita,mais cette
grandeur est dans le
sujet, & non dans TAutheur
qui le traitte.,8c
celui qui daps le Poème
del'enlevement d'un
Seau, feroit entrer les
idées les plushéroïques
, feroit sansdoute
un plus grand genie"
que celui à qui la grandeur
du sujet fournit
naturellement de grandes
idées.
On ne peut pas soûtenirqu'ily
ait quantité
de hautes idées renfermées
dans le comique
de Rabelais, mais
on prouveroit peut- être
qu'Homere doit une
bonne partie deson sublime
à la grandeurde
son sujet.; ?;!> JU ;
.,' La bassesse des sujets
que Rabelais à traitez
auroit sait tomber son
ouvrage,s'iln'avoit pas étésoustenu par: des
partiesexcellentes;
L'élévation Se lrrraportance
du sujet de
rmiadercûcsoustenuë
qu^îidniémeil yauroit
eu moins de beautez
quon,ny en trouve.
Nous voyons clairementpar
la connolt:
sance dusiecle où Rabelais
avescu, que la
plûpart de ses expressiós
fortes&naïves lui font
propres a lui seul.
Mais les sçavans sans
prévention avouent
-qu:on- neconnoist pas
assez le siecle d'Homere
pour sçavoirenquoi
il dl original:ceuxqui
connoissent le genie
oriental croiront plustost
que ses expressions
nobles& figurées, que
ses comparaisons magnifiques,&
mesme la
pluspart de sesideés
Poëtiques pouvoient
estreaussi communes
aux Grecsde son temps
que les proverbes sensez
le sont à Paris parmi
le peu ple.
Al'égard du sublime
de Rabelais, il faut convenir
qu'il est bien malâisé
de l'appercevoirà
travers le bascomique,
dont il est offusqué, il
dit en parlant de la
Loy comrnentée & embrouillée
par nos Juris-
Confulres
, que c'est
une belle robe à fondd'or
brodée de crote
: j'en dirois
autant de son sublime
,
qu'on me passe
ce mot en attendant
la définition : Mais appellez
comme il vous
plaira l'idée qu'il donne.
de la vraye & naturelle
Eloquence, par la décision
de Pcntagruel
sur le verbiage du li-,
centié, il paroit qu'elle
fit excellente: en voici
l'idée en abbregé.
LAVRAYE ELOQUENCE.
1 uN jour Penragruel
rencontra certainLice-nti.é,,
non autrement sçavant es;
sciences de son métier de
Docteur:mais en recompense
sçachant tres-foncicierement
danser & joüer
à la paume,lequel donc
rencontrépar Pentagruel,
fut interrogé d'où il venoit
5
& luy répondit,je
liens de l'urbe&citécelebrisjimt
quevulgairement onvocite
Lutece.Qu'est-ce à dire,
dit Pentagruel
,
à son truchementordinaire?
je suis
tout ebahi de tel jargon.
C'efc, répond letruchemenrjqu'il
vient de Paris:
Hé,reprit Pentagruel,.
à quoy passez-vous le
temps à Paris vous autres
licentiez^Nflw^repondit le
Licentié
, en nos occupations
dit: Quel diable de langa
ge est-cecy ? Ce nest que latinécorché, dit le Truchement,
& luy semble
qu'il est éloquent Orateur,
pource qu'ildédaigne
l'usance commune de
parler: or le Licentié
croyant que l'étonnement
Se ébahissement dePentagruel
venoit pour admirer
la haute beauté de cette
élocution, se reguinda encore
plus haut &: plus obleur,
si que par longueur
de periodes,poussa patience
à bout. Parbleu, dità
part-foi Pentagruel,je tapprendrai
quelle est vraie Se
naturelle éloquence ;puis
demadaauLicêciédequel
païs il étoit, à quoy répond
ainsi le Licencié.L'illustre
&honoriferantepropagation
demesaves&ataves, tire
son origine primordiale des
Régions Limosiniennes.J'entens
bien, dit Pentagruel,
tu n'es qu'un Limosin de
Limoge, & tu veux faire
5 le Demosthenes de Grece;
Or viens-cà que je te donne
un tour de peigne, lors
le prit à la gorge,disant :
tu écorches le Latin, moy
j'écorcheray le latiniseur,
si fort lui serroit la gorge
que le pauvre Limosin
commence à crier en Limosin,
vée Dicou Gentil.
latre : Hosaint Marsau !
secourami,bau,bau, laisias k
qu'ou AU nom de Dtous
y
dm
ne me tou cas grou.Ah5 dit
Pentagruel en le laissant ;
voila comment je te voulois
remettre en droit chemin
de vraye éloquence;
car à cette, heure viens-tu
de p, rler comme nature,
&, grand biente fasse icelle.
corrp&ion,-v.
Quoique je trouve
dans; cette;idéeune e fpece
de sublime, je ne
le. compareraipas sans
doute,à ce sublime
d'Homere, dans son
Vingtième Livre,oùil
Ïaicporter ainsiJupiter fàcNrëeibptluéendee4s'aDniseTuxA/tsembléedesDieux,
- '.i! r
Je vaisdonc m'asseoir
sur le sommet de l'Olimpe,
ôcregarder le combat :
mais pour vous autres vous
pouvez descendre,& prendre
ouvertement le party
deceux quevous favorilez,
car si Achille attaque
seullesTroyens,ils ne le
soûtiendront pas un moment
:comment le soû-
,tiendroient-ils aujourd'hui
qu'il est armé ,ôc que là
valeur est encoreaiguisée
par la douleur qu'il a de
la
mort de son amy J
qu'-
hier le voyant mêmesans
armes, ils furent remplis
/deterreur^,ôc..,
- E.î:n(.fuiteHomr ere fait
descendre les Dieux de
YOUmpC) qui animant
les troupes des deuxpartisye.
ng,agIentldfbataille, &se mêlenteux-mêmes
days le combat.
En cet endroit -je
quitte lebadinage par
respect, non pour la reputationseule
d'Homere,
mais pour la grandeur,
la majesté&l'élévation
de sa PoëGe;
quel genie! Se avec
quel art inceresse-t-il
icileCiel, la terre &
toute la nature au grad
fpe&acle qu'ilvanous
donner?il nous forceà
nousy interesser nousmêmes;&
voilal'effet
dusublime.
Pédantcecombat,continué
Homere, le Souverainmaître
des Dieux
tonne du haut duCiel,
'& Neptune élevant ses
flots ébranle laterre,
lescimes du Mont Ida
tremblent jusques dans
leurs
leursfondemens,Troye,
le champ de bataille&
les vaisseaux sontagitez.
par des secousses
violentes,le Roy; des
Enfers, épouvanté au
fond de son Palais, s'élance
de son Trône, &
s'écrie de toute sa force
dans la frayeur où il
est, que Neptune, d'un
coup de son Trident,
n'entrouvre laTerre
qui couvre les ombres,
&, qiie cet affreux séjour,
demeure éternelle
des tenebres & de la
mort, abhorré des Hommes8£
craint même des
Dieux,nereçoive pour
la premiere fois la lumiere,&
ne paroisse à
découvert, si grand eil
le bruit que font ces
Dieux, qui marchent
trleess/unsilco'rn*tre les au- ab-quor
Apollon armé detous
ses traits, attaque Neptune
; Minerves'oppose
à Mars, Diane
marche contre Junon,
mais Achille n'en
veut qu'à Hector, il le
cherche dans la mêlée,
impatient de verser le
fang deceHeros,sous
les yeux même du Dieu
Mars qui le protege.
Voila du beau, du
grand, il se fait sentir
par luy-même, il n'a
pasbesoin de Cõmentaire,
comme mille autres
endroits des anciens
Autheurs, qui ne
sont beaux qu'à proportion
de la creduliré
de ceux qui veulent
bien se prester aux. décisionsdes
Commentateurs.
Comparonsàpresent
., deux tableaux de nos
deux Autheurs sur le
même sujet, ils veulent
runU. l'autre representer
unetempeste..
,
Tout ~~p~
en peinture, en mufiqne,
En prose comme en vers.
sérieux ou comique,
Tempeste de Rubens;.
tempefle de Rablais,
jMrwe du grand Poëte
tragique*.
L'on pourroit comparer
la tempeste heroïque,.
Ala tempeste de Ma, -rais.
Ces vers sepeuvent chanter fit- PairdeJoconde.
TEMPESTE
DE
RABELAIS.
EN. nôtre nauf étions
avec Pentagruel le bon,
joyeusementtranquiles,&
étoit la mer tranquillement
triste; car Neptune
en son naturel est melancolique
& fonge-creux
pource qu'il est plus flegmatique
que sanguin.
Bonasse traîtreuse nous
invitoit à molle oisiveté
>1
ôc oisiveté nous invitoit à
boire,or à boisson vineuse
mêlions saucisses,boutargue
& jambons outrement
salez,pour plus vcu
luptueufement faire sentir,
& contraster suavité
nectarine ,douce non
comme,mais plus que lait.
O que feriez mieux, nous
cria le pilote au lieu d'icelles
salinesmangerviandes
douces,pource qu'incontinent
ne boirez peutêtreque
trop salé ; ce que
disoitlepilote par pronom
c::1:
stication; car pilotes ainsi
que chats en goutieres,
fleurent par instincpluyes
& orages.
Et de fait le beau
clair jour qui luisoit perdant
peu à peu sa transparence,
lumineuse
,
devint
d'abord comme entre
chien & loup,puis brun,
obscur, puis presquenoir,
puis si noir,si noir que
fumes saisis de mal peur;
* car autrelumiere n'éclaira
plus nos faces blêmes
&effrayées, que lueurs
d'éclairsfulminantspar
'Tecrevements
de flambantes
nuées, avec millions
de tonnerres tonigrondants
sur tous les tons
&intonations des orgues
de Jupin, les pedales ,
pou, dou ,dou
,
dou3
icy cromornes,Ton, ron,
ron ) ron &C cla
,
cla y
cla
,
clacla
,
misericorde
, crioit Panurge; détournez
l'orage, Tonnez
les cloches, mais cloches
ne sonnerent ,car en
avoit pour lors: voilà
tout en feu, voilà tout en
eau, bourasques de vents,
fiflemens horrifiques, ce1
la fait trois élements
dont de chacun , trop a-
Ivioiis n'y avoit que terre
qui nous manquoit,si
non pourtant que fondrieres
marines furent si
profondes,qu'en fin fond
d'abîmes ouverts eût-on
pu voir,harangs sur sable
-&C moruës engravées, or
'-du fio,nd d'iceuxabysmes r
vagues montoient aux
nuës
,
& d'icelles nûës.
fc precipitoient comme
torrents , montagnes
d'eau, foy disant vagues,
desquelles aucunes
tombant sur la nauf, Panurge
, qui de frayeur
extravaguoit, disoit ho
ho ho, quelle pluye estce
cy 5 vit-on jamais
pleuvoir vagues toutes
brandies: helas,helas
be be be be, , je nage, bou
bou bou bou, ha maudit
cordonnier, mes souliers
prennent l'eau par
le colet de mon pourpoint.
Ha que cette boit:
son est amere ! hala,
hola
,
je n'ay plus soif.
Te tairas - tu ?
crioit
Frere Jean, & viens
plustost nous aider à
manouvrer ,
où sont
nos boulingues
,
noftrc
trinquet est avau l'eau,
amis à ces rambades
Enfans, n'abandonnons,
le tirados, à moy, à moy.
Par icy, par la haut ,
par là bas.
Viens donc, Pcanurge,
viens, ventre de solles,
viens donc. Hé! ne jurons
point, disoit piteusement
Panurge, ne ju.
rons aujourd'huy, mais
demain tant que tu voudras
,
il est maintenant
heure de faire voeux,Se
promettre pelerinages :
ha ha
,
ha ha, ho ho
ho , ho, je nage, bou bi,
bou bous, sommes-nous
au fond? Ah je me
meurs! mais viens donc
icy nous aider, crioit
Frere Jean, au lieu de
moribonder,met la main
à l'estaransol
, gare la
pane, hau amure, amure
bas , peste soit du
pleurard qui nous est
nuisible au lieu de nous
aider. Ha! oüy oüy oüy,
reprenoit Panurge,vous
fuis nuisible
, mettezmoy
donc à terre afin
que puissiez à l'aise manouvrer
tout vostre soul-
Or icelle tempeste
ou tourmente, ou tourmentante
,comme voudrez
, commença à prendre
fin à force de durer,
comme toutes choses
mondaines: terre, terre,
cria le Pilote,& jugez
bien quelle jubilation
senfUlVlt
, a quoy prit
la plus forte part le
craintif Panurge, qui
defeendant le premier
sur l'arene,disoit,ôtrois
& quatre fois heureux.
Jardinier qui plante
choux, car au moins a-til
un pied sur terre, &
l'autre n'en est esloigné
que d'un fer de besche.
Or remettons tempeste
d'Homere à la pro- „ chaine mercuriale ainsi
que plusieurs autres bribes
des deux Autheurs
que nous paralelliferons
par maniere de passetemps
Rabelaisien, & -
non dogmatiquement ,
chose que- trop repeter
ne puis ; car pires sourds
n'y a que ceux qui ne
veulent point entendre.
Fermer
Résumé : ARTICLE BURLESQUE. SUITE DU PARALLELE d'Homere & de Rabelais.
L'article compare les œuvres d'Homère et de Rabelais, en soulignant les différences de style et de réception. L'auteur décide de rendre les contes de Rabelais plus accessibles et moins ennuyeux, notamment en retranchant une partie du conte du Cyclope d'Homère pour le rendre moins ennuyeux. Il propose plusieurs paradoxes, comme l'idée que le comique nécessite plus d'étendue d'esprit que le sérieux, et que les œuvres sérieuses excellentes contiennent du comique. L'auteur utilise une métaphore pour comparer la prévention à un taureau furieux et le badinage à une abeille légère qui le pique sans le blesser gravement. Il discute de la difficulté de percevoir le sublime dans les œuvres de Rabelais en raison de leur comique bas. Il cite un exemple de la vraie éloquence dans 'Pantagruel' et le compare à un passage sublime de l'Iliade. Le texte compare également deux descriptions de tempêtes, mettant en avant la tempête de Rubens, celle de Rabelais et la tempête héroïque d'Homère. Il décrit en détail la tempête narrée par Rabelais dans 'Pantagruel'. Cette tempête commence par une mer tranquille et mélancolique, puis se transforme en un chaos de vents, d'éclairs et de vagues monumentales. Les personnages, notamment Panurge et Frère Jean, réagissent avec peur et désespoir, mais aussi avec des tentatives de manœuvre pour sauver le navire. La tempête finit par s'apaiser, apportant un soulagement général, surtout à Panurge, qui exprime sa joie d'avoir enfin un pied sur terre. L'auteur admire la grandeur et la majesté de la poésie d'Homère, qui parvient à impliquer le ciel, la terre et toute la nature dans ses descriptions. Il conclut en quittant le badinage par respect pour Homère. Le texte mentionne la comparaison des tempêtes des deux auteurs comme un passe-temps, sans intention dogmatique.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 62-65
Parodie de la seconde Enigme.
Début :
J'habite une solide & vivante maison ; [...]
Mots clefs :
Perle, Oisifs, Fer, Larmes, Jeu de mots, Comparaison , Désir, Veine, Romans, Rameaux
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texteReconnaissance textuelle : Parodie de la seconde Enigme.
Parodie de la seconde
Enigme.
fhabite une solide & vivantemaifort;
C'ejlî t'ecaille de ïhuitre,
ou la perle en prison.
Gens qtf.on appelle oisifs
la mettent à la chaîne.
Enfiler perle est le dicton,
Que tous les gens oisifs
devineront sans peine.
Le fer qui de la perle a
tranfperclle flanc
Nt lui jfaurait tirer de
fàng.
Quoique lefangfoin moy
coule en plus d'une
veine-
De cent petits rameaux
gorge de femme est
pleine.
L'oeilbrtltant de la perle
a7fin teint d'argent
ivif
Attirent les desirs d!4 Cor-,
faire (t) du Juif,
Qui pour l'avoir montent
l'esquis.
Lorsque de deux beaux
jeux tu vois couler
des larmes,
Perles sortentdes yeux,
c'est lacomparaison
Aux romans jadis de faison
,
Amant,souviens-toy de
mes charmes :
Mais sensouvienne qui
voudrA,
Quelque maUVAÜ Poète
IIIli:tJ)tn fouvtendra.
Cette derniere Enigme
me n'est pas des meilleures
;celle-ci vaut mieux,
& fera plus difficile à
deviner.
Enigme.
fhabite une solide & vivantemaifort;
C'ejlî t'ecaille de ïhuitre,
ou la perle en prison.
Gens qtf.on appelle oisifs
la mettent à la chaîne.
Enfiler perle est le dicton,
Que tous les gens oisifs
devineront sans peine.
Le fer qui de la perle a
tranfperclle flanc
Nt lui jfaurait tirer de
fàng.
Quoique lefangfoin moy
coule en plus d'une
veine-
De cent petits rameaux
gorge de femme est
pleine.
L'oeilbrtltant de la perle
a7fin teint d'argent
ivif
Attirent les desirs d!4 Cor-,
faire (t) du Juif,
Qui pour l'avoir montent
l'esquis.
Lorsque de deux beaux
jeux tu vois couler
des larmes,
Perles sortentdes yeux,
c'est lacomparaison
Aux romans jadis de faison
,
Amant,souviens-toy de
mes charmes :
Mais sensouvienne qui
voudrA,
Quelque maUVAÜ Poète
IIIli:tJ)tn fouvtendra.
Cette derniere Enigme
me n'est pas des meilleures
;celle-ci vaut mieux,
& fera plus difficile à
deviner.
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Résumé : Parodie de la seconde Enigme.
Le texte présente une parodie de la seconde énigme sous forme de poème. L'énigme décrit une perle dans une coquille d'huître, comparée à une chaîne portée par des gens oisifs. La perle est associée à un fer tranchant et à un liquide coulant dans plusieurs veines. Elle possède un éclat argenté attirant les désirs. L'énigme évoque des larmes comparées à des perles et des romans de mode où un amant se souvient des charmes d'une personne. L'auteur propose une autre énigme plus difficile.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 125-132
EXTRAIT du Mémoire lû par M. de Réaumur, à l'Assemblée publique de l'Académie Royale des Sciences, du 15 Novembre 1730. sur des Thermomètres d'une nouvelle Construction, dont les dégrez donnent des idées d'un chaud et d'un froid, qui peuvent être rapportez à des mesures connuës.
Début :
Les Thermomètres ne sont pas seulement des instruments à l'usage [...]
Mots clefs :
Thermomètre, M. de Réaumur, Mesure de température, Construction, Comparaison
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT du Mémoire lû par M. de Réaumur, à l'Assemblée publique de l'Académie Royale des Sciences, du 15 Novembre 1730. sur des Thermomètres d'une nouvelle Construction, dont les dégrez donnent des idées d'un chaud et d'un froid, qui peuvent être rapportez à des mesures connuës.
EXTRAIT du Mémoire la par M. de
Réaumur, à l'Assemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , du 15 Novembre
1730.sur des Thermomètres d'une
nouvelle Construction , dont les dégrez
donnent des idées d'un chaud et d'un
froid , qui peuvent être rapportez à des
mesures connuës .
Es Thermomètres ne sont pas seule
Live
ment des instrumens à l'usage des
Phisiciens ; generalement on aime à les
consulter , sur tout lorsque le froid de
l'Hyver est rude , ou que la chaleur de
l'Eté est accablante. On aime à comparer
le froid ou le chaud qu'on ressent actuel
lement avec celui des années précédentes.
On aimeroit à sçavoir combien ils sont
éloignez du plus grand froid , ou du plus
grand chaud des autres climats. Mais la
construction des Thermomètres qu'on a
faits jusques icy , ne les rend pas propres
à nous donner sur tout cela des connoissances
bien satisfaisantes.
Il faudroit pouvoir comparer les dégrez
de froid et de chaud , marquez par
differens Thermomètres , en differentes
saisons , en differentes années , et en differens
païs . Or comment faire cette comparaison,
si les Thermomètres , tels que nous
les
126 MERCURE DE FRANCE.
à
les avons aujourd'hui , étant exposez à
un même air , expriment les changemens
de temperature d'air par des nombres de
dégrez differens , er de dégrez dont les
rapports réels nous sont inconnus ! De
deux Thermomètres placez à côté l'un de
Pautre , l'un montera de 7 à 8 dégrez ,
pendant que l'autre ne montera que de
3 à 4 , plus ou moins. Ils parlent tous des
langues differentes ; on n'entend que celle
du Thermomètre qu'on a suivi pendant
plusieurs années; encore ne l'entend-t- on
que très - confusément. On sçait bien le
nombre de dégrez qui se trouve entre le
plus grand froid qu'il a marqué dans une
année , et le plus grand froid qu'il a marqué
dans une autre , mais ces dégrez ne
nous donnent aucune idée distincte d'une
mesure de froid , ou de chaud ; car qu'est
ce qu'un dégré d'un Thermomètre ? On
connoît assez la principale des causes
d'où naist l'irrégularité des marches des
Thermomètres qui sont le plus en usage ,
et qu'on appelle Thermomètres de Florence.
Ils consistent dans une Boule ,
adaptée à un Tube , une certaine quartité
d'esprit de vin coloré y est renfermée
selon que le diamètre de la Boule
est plus ou moins grand , par rapport
celui du Tuyau , la liqueur s'éleve plus
ou moins dans le Tuyau. Pendant te
à
même
JANVIER. 1731. 1 27
même changement de temperature d'air ,
elle marque plus ou moins de dégrez
sur des Thermomètres de même hauteur,
parce que les dégrez sont des parties éga→
dans lesquels la longueur du Tuyau
a été divisée arbitrairement. Comme on
ignore le rapport du Diamètre de la
Boule à celui du Tube , on ignore aussi
les rapports des dégrez des differens
Thermomètres.
Une autre source encore de variétez
considérables , à laquelle on n'a pas pris
assez garde jusques à aujourd'hui , ou du
moins à laquelle on n'a pas cherché à re
medier ; c'est la qualité de l'esprit de vin
qu'on y renferme. M. de Reaumur fait
remarquer que plus les esprits de vins
sont forts , et plus ils sont dilatables , qu'il
y a des Thermomètres remplis d'esprit
de vin très- rectifié , d'autres remplis de
simple Eau- de-vie , et d'autres remplis
d'esprit de vin de biens des qualitez
moyennes entre les deux précédentes . De
sorte que quand on seroit parvenu , ce
qui n'est pas possible, à déterminer exactement
les rapports des diamètres des
Boules à ceux des Tubes , dans differents
Thermomètes , leurs dégrez ne sçauroient
être comparez ensemble , dès qu'ils scroient
remplis d'esprit de vin de differen
tes qualitez , et qu'on ignoreroit , comme
on
128 MERCURE DE FRANCE
on l'a ignoré jusques icy , les differences
qui sont entre les qualitez de ces esprits
de vin. Les Physiciens qui avoient interêt
à perfectionner les Thermomètres en ont
imaginé de bien des formes ; mais celle
des anciens a prévalu ; c'est le Thermomètre
de Florence , qu'on trouve presque
par tout.
M. de Réaumur conserve aussi la même
forme à celui qu'il propose dans ce Mémoire.
L'extérieur en paroît en quelque
sorte le même , quoique sa construction
soit totalement differente. Voici les principes
sur lesquels elle est fondées. Premierement
il détermine le caractere de
l'esprit de vin qu'il fait entrer dans le
Thermomètre , et le détermine de façon
qu'on pourra en tout Païs avoir de pareil
esprit de vin , en reconnoître la qualité.
Secondement , il mesure exactement la
quantité de l'esprit de vin qu'il fait entrer
dans le Thermomètre. Cette quantité
est composée d'un nombre déterminé
de petites mesures connues , de mille
mesures , par exemple .
Troisiémement , les dégrez ne sont
plus des portions arbitraires de la longueur
du Tube , et toutes égales entr'elles
en longueur ; ce sont des portions
du Tube égales entr'elles en capacité , et
égaJANVIER.
1731. 129
égales chacune à une de ces parties ou mesures
, dont le volume total est composé;
chacune est , par exemple , une milliéme
partie de ce volume .
Quatrièmement , il fixe , il détermine
ce volume de mille parties par la congel
lation artificielle de l'eau , c'est à dire ,
par de l'eau qu'il fait geler , autour de
l'esprit de vin . C'est lorsque cet esprit
de vin est condensé par la congellation
artificielle de l'eau que son volume est de
mille parties ou mesures. Or l'esprit de
vin qu'il choisit est tel que son volume
étant mille , lorsqu'il est condensé par la
glace artificielle , il est 1080 lorsqu'il est
dilaté par la plus grande chaleur que l'eau
bouillante puisse lui donner , sans le faire
bouillir.
Ainsi tout est connu , tout est mesuré
dans ces nouveaux Thermomètres. Tous
aussi expriment leurs dégrez de la même
maniere , et toujours d'une maniere intelligible.
On les y compte à commencer
depuis le terme de la congellation de l'eau.
Les dégrez qui sont au dessous sont les
dégrez descendans , ou les dégrez de condensation
; et les dégrez qui sont au dessus
sont les dégrez ascendans ou les dégrez
de dilatation. Tous ces dégrez nous
donnent des idées de mesures de chaleur
telles que nous pouvons les demander.Ils
nous
130 MERCURE DE FRANCE
nous apprennent continuellement combien
s'est dilaté , ou combien s'est condensé
un volume connu d'une liqueur
connuë. Quand la liqueur s'est élevée au
20° dégré au dessus de la congellation de
l'eau ; nous savons qu'un volume de liqueur
qui est mille dans le temps de la
congellation de l'eau , est devenu 1020 ,
c'est-à- dire , que le premier volume s'est
dilaté d'une cinquantième partie , de
même quand la liqueur est descenduë de
20 dégrez au dessous du terme de la
congellation ; nous sçavons que le volume
qui étoit mille , est devenu 980 , ou
qu'il s'est condensé d'une so partie , plus
qu'il ne l'est par la congellation artificielle
de l'eau.
On ne sçauroit entrer icy dans le détail
des pratiques qu'on doit suivre pour
construire exactement ces Thermomètres,
quoiquelles soient simples et faciles ,
on ne pourroit faire entendre tout ce qui
sert à les faciliter , à les abreger , à leur
donner de la précision , sans copier dans
toute leur étendue les explications qui en
ont été rapportées dans le Mémoire même.
Tout se fait , la mesure à la main.
Nous nous contenterons de faire remarquer
que les Tubes et les Boules de ces
Thermomètres ont beaucoup plus de capacité
que les Boules et les Tubes des
TherJANVIER.
1731. 13r
Thermomètres ordinaires . Il seroit im
possible de mesurer exactement les portions
des capacitez égales , qui doivent
marquer les dégrez , dans des Tubes presque
capillaires , tels que sont ceux des
Thermomètres ordinaires. M. de Réaumur
prend pour les siens des Tubes aussi
gros que le sont ceux des bons Baromè
tres simples car les Baromètres simples ,
faits de Tubes capillaires ne valent rien,
et il prend des Boules de trois pouces et
demi , ou quatre pouces de diamètre,
Si on cut commencé faire des monpar
tres,on n'auroit point eu de mesures exactes
du temps , jusques à ce que quelqu'un
cut proposé de faire de plus grandes
Horloges , comme sont les Pendules. C'est
ce qui est arrivé aux Thermomètres . On
a commencé par les construire d'une trespetite
capacité, et on n'a pas pensé assez- tôt
qu'il étoit essentiel de leur donner une
capacité plus grande , si on vouloit en
faire des instrumens exacts pour mesurer
le froid et le chaud.
La solidité des principes sur lesquels
ces nouveaux Thermomètres sont construits
est incontestable, mais on pourroit
douter si la pratique répond icy assez
exactement à la théorie. Les Thermomè
tres qui ont été construits , font voir
qu'elle y répond , même plus exactement
qu'on
132 MERCURE DE FRANCE
qu'on n'eut osé l'attendre. Lorsqu'on en
place 7 à 8 , ou un plus grand nombre ,
les uns à côté des autres ; on a le plaisir
de voir qu'ils marquent tous le même
dégré de froid ou de chaud.A peine trouve-
t-on entre ceux qui s'écartent le plus,
une difference d'un quart de dégré , ou
d'un de dégré.
On vend actuellement de ces Thermomètres
chez les Sieurs Cholets , Marchands Fayanciers
, à la Levrette , rue S. Honoré , vis-àvis
la rue de l'Echelle , et au coin de la ruë
des Fondeurs , qui monte à la Butte saint
Roch.
Comme leur perfection dépend de l'attention
avec laquelle ils ont été construits , et
qu'on auroit pu craindre que les Ouvriers
pour aller plus vite , leur eussent laissé des
deffants. M. Pitot , de l'Academie Royale
des Sciences , s'est chargé de verifier tous
ceux qui se vendent chez les Marchands
ci-dessus , et de les parapher.
Réaumur, à l'Assemblée publique de l'Académie
Royale des Sciences , du 15 Novembre
1730.sur des Thermomètres d'une
nouvelle Construction , dont les dégrez
donnent des idées d'un chaud et d'un
froid , qui peuvent être rapportez à des
mesures connuës .
Es Thermomètres ne sont pas seule
Live
ment des instrumens à l'usage des
Phisiciens ; generalement on aime à les
consulter , sur tout lorsque le froid de
l'Hyver est rude , ou que la chaleur de
l'Eté est accablante. On aime à comparer
le froid ou le chaud qu'on ressent actuel
lement avec celui des années précédentes.
On aimeroit à sçavoir combien ils sont
éloignez du plus grand froid , ou du plus
grand chaud des autres climats. Mais la
construction des Thermomètres qu'on a
faits jusques icy , ne les rend pas propres
à nous donner sur tout cela des connoissances
bien satisfaisantes.
Il faudroit pouvoir comparer les dégrez
de froid et de chaud , marquez par
differens Thermomètres , en differentes
saisons , en differentes années , et en differens
païs . Or comment faire cette comparaison,
si les Thermomètres , tels que nous
les
126 MERCURE DE FRANCE.
à
les avons aujourd'hui , étant exposez à
un même air , expriment les changemens
de temperature d'air par des nombres de
dégrez differens , er de dégrez dont les
rapports réels nous sont inconnus ! De
deux Thermomètres placez à côté l'un de
Pautre , l'un montera de 7 à 8 dégrez ,
pendant que l'autre ne montera que de
3 à 4 , plus ou moins. Ils parlent tous des
langues differentes ; on n'entend que celle
du Thermomètre qu'on a suivi pendant
plusieurs années; encore ne l'entend-t- on
que très - confusément. On sçait bien le
nombre de dégrez qui se trouve entre le
plus grand froid qu'il a marqué dans une
année , et le plus grand froid qu'il a marqué
dans une autre , mais ces dégrez ne
nous donnent aucune idée distincte d'une
mesure de froid , ou de chaud ; car qu'est
ce qu'un dégré d'un Thermomètre ? On
connoît assez la principale des causes
d'où naist l'irrégularité des marches des
Thermomètres qui sont le plus en usage ,
et qu'on appelle Thermomètres de Florence.
Ils consistent dans une Boule ,
adaptée à un Tube , une certaine quartité
d'esprit de vin coloré y est renfermée
selon que le diamètre de la Boule
est plus ou moins grand , par rapport
celui du Tuyau , la liqueur s'éleve plus
ou moins dans le Tuyau. Pendant te
à
même
JANVIER. 1731. 1 27
même changement de temperature d'air ,
elle marque plus ou moins de dégrez
sur des Thermomètres de même hauteur,
parce que les dégrez sont des parties éga→
dans lesquels la longueur du Tuyau
a été divisée arbitrairement. Comme on
ignore le rapport du Diamètre de la
Boule à celui du Tube , on ignore aussi
les rapports des dégrez des differens
Thermomètres.
Une autre source encore de variétez
considérables , à laquelle on n'a pas pris
assez garde jusques à aujourd'hui , ou du
moins à laquelle on n'a pas cherché à re
medier ; c'est la qualité de l'esprit de vin
qu'on y renferme. M. de Reaumur fait
remarquer que plus les esprits de vins
sont forts , et plus ils sont dilatables , qu'il
y a des Thermomètres remplis d'esprit
de vin très- rectifié , d'autres remplis de
simple Eau- de-vie , et d'autres remplis
d'esprit de vin de biens des qualitez
moyennes entre les deux précédentes . De
sorte que quand on seroit parvenu , ce
qui n'est pas possible, à déterminer exactement
les rapports des diamètres des
Boules à ceux des Tubes , dans differents
Thermomètes , leurs dégrez ne sçauroient
être comparez ensemble , dès qu'ils scroient
remplis d'esprit de vin de differen
tes qualitez , et qu'on ignoreroit , comme
on
128 MERCURE DE FRANCE
on l'a ignoré jusques icy , les differences
qui sont entre les qualitez de ces esprits
de vin. Les Physiciens qui avoient interêt
à perfectionner les Thermomètres en ont
imaginé de bien des formes ; mais celle
des anciens a prévalu ; c'est le Thermomètre
de Florence , qu'on trouve presque
par tout.
M. de Réaumur conserve aussi la même
forme à celui qu'il propose dans ce Mémoire.
L'extérieur en paroît en quelque
sorte le même , quoique sa construction
soit totalement differente. Voici les principes
sur lesquels elle est fondées. Premierement
il détermine le caractere de
l'esprit de vin qu'il fait entrer dans le
Thermomètre , et le détermine de façon
qu'on pourra en tout Païs avoir de pareil
esprit de vin , en reconnoître la qualité.
Secondement , il mesure exactement la
quantité de l'esprit de vin qu'il fait entrer
dans le Thermomètre. Cette quantité
est composée d'un nombre déterminé
de petites mesures connues , de mille
mesures , par exemple .
Troisiémement , les dégrez ne sont
plus des portions arbitraires de la longueur
du Tube , et toutes égales entr'elles
en longueur ; ce sont des portions
du Tube égales entr'elles en capacité , et
égaJANVIER.
1731. 129
égales chacune à une de ces parties ou mesures
, dont le volume total est composé;
chacune est , par exemple , une milliéme
partie de ce volume .
Quatrièmement , il fixe , il détermine
ce volume de mille parties par la congel
lation artificielle de l'eau , c'est à dire ,
par de l'eau qu'il fait geler , autour de
l'esprit de vin . C'est lorsque cet esprit
de vin est condensé par la congellation
artificielle de l'eau que son volume est de
mille parties ou mesures. Or l'esprit de
vin qu'il choisit est tel que son volume
étant mille , lorsqu'il est condensé par la
glace artificielle , il est 1080 lorsqu'il est
dilaté par la plus grande chaleur que l'eau
bouillante puisse lui donner , sans le faire
bouillir.
Ainsi tout est connu , tout est mesuré
dans ces nouveaux Thermomètres. Tous
aussi expriment leurs dégrez de la même
maniere , et toujours d'une maniere intelligible.
On les y compte à commencer
depuis le terme de la congellation de l'eau.
Les dégrez qui sont au dessous sont les
dégrez descendans , ou les dégrez de condensation
; et les dégrez qui sont au dessus
sont les dégrez ascendans ou les dégrez
de dilatation. Tous ces dégrez nous
donnent des idées de mesures de chaleur
telles que nous pouvons les demander.Ils
nous
130 MERCURE DE FRANCE
nous apprennent continuellement combien
s'est dilaté , ou combien s'est condensé
un volume connu d'une liqueur
connuë. Quand la liqueur s'est élevée au
20° dégré au dessus de la congellation de
l'eau ; nous savons qu'un volume de liqueur
qui est mille dans le temps de la
congellation de l'eau , est devenu 1020 ,
c'est-à- dire , que le premier volume s'est
dilaté d'une cinquantième partie , de
même quand la liqueur est descenduë de
20 dégrez au dessous du terme de la
congellation ; nous sçavons que le volume
qui étoit mille , est devenu 980 , ou
qu'il s'est condensé d'une so partie , plus
qu'il ne l'est par la congellation artificielle
de l'eau.
On ne sçauroit entrer icy dans le détail
des pratiques qu'on doit suivre pour
construire exactement ces Thermomètres,
quoiquelles soient simples et faciles ,
on ne pourroit faire entendre tout ce qui
sert à les faciliter , à les abreger , à leur
donner de la précision , sans copier dans
toute leur étendue les explications qui en
ont été rapportées dans le Mémoire même.
Tout se fait , la mesure à la main.
Nous nous contenterons de faire remarquer
que les Tubes et les Boules de ces
Thermomètres ont beaucoup plus de capacité
que les Boules et les Tubes des
TherJANVIER.
1731. 13r
Thermomètres ordinaires . Il seroit im
possible de mesurer exactement les portions
des capacitez égales , qui doivent
marquer les dégrez , dans des Tubes presque
capillaires , tels que sont ceux des
Thermomètres ordinaires. M. de Réaumur
prend pour les siens des Tubes aussi
gros que le sont ceux des bons Baromè
tres simples car les Baromètres simples ,
faits de Tubes capillaires ne valent rien,
et il prend des Boules de trois pouces et
demi , ou quatre pouces de diamètre,
Si on cut commencé faire des monpar
tres,on n'auroit point eu de mesures exactes
du temps , jusques à ce que quelqu'un
cut proposé de faire de plus grandes
Horloges , comme sont les Pendules. C'est
ce qui est arrivé aux Thermomètres . On
a commencé par les construire d'une trespetite
capacité, et on n'a pas pensé assez- tôt
qu'il étoit essentiel de leur donner une
capacité plus grande , si on vouloit en
faire des instrumens exacts pour mesurer
le froid et le chaud.
La solidité des principes sur lesquels
ces nouveaux Thermomètres sont construits
est incontestable, mais on pourroit
douter si la pratique répond icy assez
exactement à la théorie. Les Thermomè
tres qui ont été construits , font voir
qu'elle y répond , même plus exactement
qu'on
132 MERCURE DE FRANCE
qu'on n'eut osé l'attendre. Lorsqu'on en
place 7 à 8 , ou un plus grand nombre ,
les uns à côté des autres ; on a le plaisir
de voir qu'ils marquent tous le même
dégré de froid ou de chaud.A peine trouve-
t-on entre ceux qui s'écartent le plus,
une difference d'un quart de dégré , ou
d'un de dégré.
On vend actuellement de ces Thermomètres
chez les Sieurs Cholets , Marchands Fayanciers
, à la Levrette , rue S. Honoré , vis-àvis
la rue de l'Echelle , et au coin de la ruë
des Fondeurs , qui monte à la Butte saint
Roch.
Comme leur perfection dépend de l'attention
avec laquelle ils ont été construits , et
qu'on auroit pu craindre que les Ouvriers
pour aller plus vite , leur eussent laissé des
deffants. M. Pitot , de l'Academie Royale
des Sciences , s'est chargé de verifier tous
ceux qui se vendent chez les Marchands
ci-dessus , et de les parapher.
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Résumé : EXTRAIT du Mémoire lû par M. de Réaumur, à l'Assemblée publique de l'Académie Royale des Sciences, du 15 Novembre 1730. sur des Thermomètres d'une nouvelle Construction, dont les dégrez donnent des idées d'un chaud et d'un froid, qui peuvent être rapportez à des mesures connuës.
Le 15 novembre 1730, René-Antoine Ferchault de Réaumur présente à l'Assemblée publique de l'Académie Royale des Sciences un mémoire sur de nouveaux thermomètres. Ces instruments sont utilisés non seulement par les physiciens, mais aussi par le public pour comparer les températures actuelles avec celles des années précédentes ou d'autres climats. Cependant, les thermomètres existants, notamment ceux de Florence, ne fournissent pas des mesures satisfaisantes en raison de leurs constructions variées et des différences dans les liquides utilisés, comme l'esprit de vin de qualités diverses. Réaumur propose une nouvelle construction de thermomètres pour résoudre ces problèmes. Il standardise la qualité et la quantité de l'esprit de vin utilisé, mesure les degrés en portions égales de capacité plutôt que de longueur, et fixe les degrés par rapport à la congélation et à l'ébullition de l'eau. Ainsi, tous les thermomètres expriment les degrés de la même manière, permettant des comparaisons précises et intelligibles. Les nouveaux thermomètres sont construits avec des tubes et des boules de plus grande capacité, similaires à ceux des baromètres simples, pour assurer une mesure exacte. Les tests montrent que ces thermomètres sont très précis, avec des écarts minimes entre eux. Ils sont disponibles à la vente chez les Sieurs Cholets, et leur construction est vérifiée par M. Pitot pour garantir leur exactitude.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 428-442
LETTRE de Madame la Comtesse de ... à M. le Chevalier de ... sur la nouvelle Tragédie de Brutus.
Début :
Vous m'avez fait un vrai plaisir, Monsieur, de m'envoyer le Brutus [...]
Mots clefs :
Brutus , Tragédie, Voltaire, Théâtre, Critique, Comparaison
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE de Madame la Comtesse de ... à M. le Chevalier de ... sur la nouvelle Tragédie de Brutus.
LETTRE de Madame la Comtesse
de ... à M. le Chevalier de ... sur la
nouvelle Tragédie de Brutus.
V
Ous m'avez fait un vrai plaisir ,
Monsieur , de m'envoyer le Brutus
de M. de Voltaire ; je l'attendois avec une
impatience que je ne sçaurois vous exprimer.
L'interêt que je prends dans la gloire,
de l'Auteur m'avoit rendue incrédule
sur toutes les relations qu'on m'avoit
envoyées au sujet de sa Piéce , je commençois
MARS. 1731. 429
mençois même à perdre un peu de Cette
confiance que j'ai toujours euë en votre
goût , parceque vous étiez du nombre de
ceux qui vouloient dégrader cet Ouvrage
dans mon esprit. Il est enfin arrivé jusqu'à
moi , et la premiere lecture que j'en
ai faite vous a rendu toute mon estime.
Le jugement que j'en porte ici malgré
moi est d'autant plus au désavantage de
M. de V. que j'étois la personne de France
la plus prévenue en sa faveur ; je vous
avouë même que je m'étois flattée que
cette Tragédie n'auroit déplû aux Spectateurs
que parce qu'elle n'auroit pas
été représentée par des Acteurs tels que
Baron et la Lecouvreur , et qu'elle regagneroit
sous les yeux ce qu'elle avoit perdu
sur le Théatre ; rien de tout cela n'est
arrivé , ou plutôt j'ai éprouvé tout le contraire.
Les grands Vers de la premiere
Scene m'ont presque fait croire que je
lisois un nouveau Chant de la Henriade :
Est- ce là , me suis- je dit , le ton que pren
nent Corneille et Racine , et qu'ils doivent
donner à tous ceux qui entrent dans
une carriere qu'ils ont si dignement
remplie ? Je conviens que M. de V. quitte
quelquefois le ton Epique , mais d'un excès
il tombe dans un autre qui lui fait
encore plus de tort , et l'on a de la peine
à se figurer , qu'aprés s'être élevé si haut
430 MERCURE DE FRANCE
و
;
9
on puisse descendre si bas , d'où je conclus
que sa vocation n'est pas pour le
Théatre. Il ne me seroit pas difficile
Monsieur , de prouver ce que j'avance si
j'écrivois à quelqu'un de ses partisans
outrés ; mais comme nous sommes à peu
près d'un même sentiment , je n'ai pas
bésoin de vous donner des raisons dont
Vous n'avez pas besoin vous même ; ainsi
pour ne pas charger le papier de choses
inutiles permettez que je passe à des
remarques plus essentielles , et que je van
ge M. de V. d'une calomnie contre la
quelle je me suis toujours revoltée . J'avois
reçû à ma Campagne une Piéce Burlesque
, ou espece d'Arrêt de Momus ,
par lequel ce Dieu , qui n'épargne pas les
Dieux mêmes condamnoit M. de V. à la
restitution de sept ou huit cent Vers pillés
dans l'ancien Brutus de Mile Bernard.
J'ai été ravie pour la gloire de mon Héros
versifiant de réduire ce nombre exorbitant
à cinq ou six hemistiches que sa mémoire
lui a dictés à l'insçû de son esprit.
Cette justice que je lui rends ne m'empêche
pourtant pas de convenir avec le
même esprit d'équité , qu'il n'a pas été si
reservé pour le fond que pour le détail
et que le plan
plan du dernier Brutus me paroît
avoir été dressé sur celui du premier.
C'est ce que j'entreprends de vous prouver
MARS. 1731. 435
ver dans l'ignorance où je suis que votre
sentiment soit conforme au mien ; je vais
donc , Monsieur , vous tracer en peu de
mots l'argument du Brutus de Mile B.
pour venir après à la conformité que ce
fond de Tragédie peut avoir avec celui
du nouveau Brutus.
Brutus et Valerius , Consuls des Romains
, ouvrent la Scene au premier Acte ,
dans le Palais même d'où Tarquin a été
chassé ; ils se disposent à entendre Octavius
, Ambassadeur de ce Roi détrôné .
Octavius plaide la cause de son Maître ,
mais inutilement ; il part , chargé d'un
refus pour toute réponse.
Brutus propose à Valerius l'hymen de
Titus , son fils aîné , avec la soeur de Valerius
son Collegue au Consulat ; la
proposition est acceptée . Titus et Tiberinus
mandés par Brutus arrivent ; Valerius
se retire. Brutus déclare à Titus ce qu'il
vient de résoudre avec Valerius ; Titus
s'en défend ; Brutus lui ordonne d'obeïr;
il dit à Tiberinus qu'il prétend l'unir à
la fille d'Acquilius , qui , quoique parent
de Tarquin n'a pas laissé d'étre fidele à
la Patrie ; Tiberinus obéit avec d'autant
-plus de plaisir, qu'il aime cette même Acquilie
que Brutus , son pere , lui destine
pour Epouse.
Titus se plaint à Marcellus , son Confident
,
432 MERCURE DE FRANCE.
sident, de la dure loi que Brutus lui impose
malgré l'amour qu'il a pour cette
même Acquilie qu'il destine à son frere ;
il se retire , voyant approcher Valerie.
Valerie se plaint de l'indifference de
Titus qui la fuit au moment qu'on vient
de lui proposer son hymen ; elle soupçonne
Acquilie d'être sa Rivale , et Rivale
aimée ; elle veut la faire épier par
Vindicius ; autrefois Esclave d'Acquilius
maintenant le sien , et de plus comblé
de ses bienfaits.
Octavius ,
Ambassadeur de Tarquin et
Acquilius , parent de ce Roi banni , commencent
le second Acte. Acquilius apprend
à Octavius qu'il est le chef de cinq
cent Conjurés qui doivent ouvrir la
porte
Quirinale à Tarquin ; il lui dit que Tiberinus
même est de ce nombre , et se
flatte d'engager Titus lui- même dans la
conjuration par le moyen de sa fille Acquilie
dont il est éperdument amoureux.
Octavius exige de lui le nom et le seing
de tous les Conjurés , afin que Tarquin ,
avant que de rien entreprendre , sçache
sur qui il doit compter.
Acquilie vient se jetter aux pieds de son
peres elle le prie de ne la point contraindre
à devenir la femme de Tiberinus
qu'elle hait ; Acquilius lui demande si elle
aime Titus ; il l'engage adroitement à lui
Ouvrir
MARS . 1731. 433
ouvrir son coeur ; elle lui fait l'aveu de
son amour. Acquilius lui dit qu'il voudroit
bien que Titus fut heureux s'il
osoit le mériter ; Acquilie lui répond qu'il
est trop ennemi de Tarquin et trop fidele
à la République ; son pere la presse d'éprouver
ce qu'elle a de pouvoir sur son
coeur , sans pourtant lui rien découvrir
de la conjuration .
Aprés une Scene intermediaire , et qui
ne sert que de liaison , Titus vient ; Acquilie
n'ose lui dire à quel prix il pour
roit l'obtenir de son pere. Titus desesperant
de lui arracher son secret, vá trouver
Acquilius même , pour en être instruit.
Tiberinus qu'on a d'abord peint seument
comme ambitieux , parle à Acqui
lie en Amant desesperé qui veut l'obtenir
malgré elle ; Acquilie a beau lui déclarer
qu'elle aime Titus , et qu'elle l'aimera
toujours , il n'en persiste pas moins
à l'épouser , et va presser l'hymen qui
doit le venger. Les menaces de Tiberinus
déterminent Acquilie à faire un dernier
effort sur Titus.
Au troisiéme Acte , Acquilie exige un
serment de Titus avant que de lui déclarer
le secret que son pere vient de lui
permettre de réveler ; Titus atteste tous
les Dieux que son secret sera enseveli
dans un silence éternel. Rassurée par ce
serment
434 MERCURE DE FRANCE
serment , elle lui déclare qu'il ne peut
l'obtenir d'Acquilius qu'en conspirant
avec lui en faveur de Tarquin ; Titus fré
mit à cette proposition . Cette Scene est
des plus pathetiques ; Acquilie se retire
sans avoir pû ébranler la vertu de son
Amant , quoiqu'elle lui ait fait entendre
que Tiberinus , son frere , est entré dans
la conjuration , et qu'elle doit être à lui
à son refus. Titus flotte entre son amour
et son devoir ; mais ce dernier emporte
la balance .
Tiberinus vient ébranler la vertu de Titus
par une joye insultante et par l'assurance
de son hymen prochain avec Acquilie.
Titus dans un court monologue
fait entendre que sa constance est à bout,
et que la perte d'Acquilie est pour lui le
plus grand des maux.
3
Acquilius vient achever ce que la jalousie
a commencé dans le coeur de Titus;
mais ce qui lui porte le dernier coup ,
c'est le danger d'Acquilie dont il ne peut
plus douter après cette protestation de
son pere , au sujet de la conjuration dont
il s'est déclaré le chef à ses yeux.
sup
Un homme tel que moi n'attend pas lės
plices ;
Vous aimez Acquilie , elle est de mes complices ;
Ce
MARS.
173.1 . 435
e fer en même-tems terminant notre sort ,
Sçaura nous épargner une honteuse mort.
Titus éperdu suit Acquilius , et fait
entendre aux spectateurs le parti indispensable
qu'il va prendre.
Au quatriéme Acte , Valerie paroît
au comble de la joye d'avoir appris de
Vindicius , son esclave , que le Pere de sa
Rivale est chef d'une conjuration tramée
contre Rome , ce qui doit vrai semblablement
mettre un obstacle éternel à l'hymen
de Titus et d'Acquilie,
Brutus vient ; il n'est encore instruit
que confusément de la conspiration ; Valerie
lui apprend que c'est Acquilius que
en est le chef.
Valerius porte le premier coup à Brutus
, en lui apprenant que son fils Tiberinus
est du nombre des Conjurés , et
qu'on a reconnu son nom et son seing
dans la liste que l'Ambassadeur de Tar
quin a exigée.
Tiberinus entouré de Gardes vient lâchement
demander la vie à Brutus , qui
n'est pas moins honteux de sa lâcheté
qu'irrité de sa trahison ; il ordonne qu'on
l'ôte de ses yeux.
-
Titus vient déclarer à son pere qu'il·
est du nombre des coupables , et lui
demande la mort , afin que son châtiment
étonne
436 MERCURE DE FRANCE
étonne tous ceux qui oseroient l'imiter,
Brutus également frappé de son crime
et de son repentir , ne peut s'empêcher
de laisser échaper des mouvemens de tendresse
; il le quitte pour aller sçavoir les
intentions du Sénat , et lui témoigne qu'il
voudroit bien le sauver s'il n'écoutoit
que les mouvemens d'amour et d'estime
qui lui parlent pour lui,
Valerie apprend à Titus que c'est elle
seule qui l'a perdu , puisqu'elle a fait
découvrir la conjuration par Vindicius
et lui proteste qu'elle s'en punira.
Acquilie vient après que Valerie est
sortie ; Titus la prie de se sauver ; Acquilie
lui répond que puisque c'est pour
l'avoir trop aimée qu'il est entré dans la
conjuration d'Acquilius , son pere , elle
vient le justifief , le sauver ou périr avec
lui. Titus la voyant partir pour se livrer
entre les mains des Consuls , la suit pour
la détourner d'un dessein si fineste.
Valerie fait entendre au cinquiéme Acte
que le Sénat est assemblé pour juger les
coupables ; elle tremble pour Titus . Mar
cellus vient rendre l'esperance à Valerie ,
en lui apprenant que le Sénat laisse Brutus
en liberté de condamner ou d'absoudre
ses deux fils .
Brutus vient ; Valerie lui témoigne sa
joye sur ce que le Sénat vient de faire en
Sa
MARS. 1731. 437
sa faveur ; ce Consul lui répond qu'iltâchera
de reconnoître l'honneur que le
Sénat lui fait. Brutus après avoir tout mis
en balance, se détermine à condamner ses
enfans , et préfere les noms de Citoyen et
de Consul à celui de perc.
Titus amené devant Brutus lui témoi
gne toujours la même fermeté ; sa vertu
augmente les regrets de son Juge. La seule
grace que Titus lui demande , c'est de
pardonner à Acquilie et de la sauver ;
Brutus le quitte , en lui disant :
Tu peux esperer tout , hors de me consoler ;
Adieu , mon fils , adieu , je ne puis te parler.
Titus ne tarde point à aller se livrer au
supplice. Son Rôle finit par ces beaux Vers :
Rome , pardonne-moi mon funeste caprice ;
Mon juste repentir , ma mort t'en font justice ;
Si l'amour m'a séduit en un fatal moment ,
Le Komain a bientôt desavoué l'Amant.
La Tragédie finit par la mort de Titus
et de Tiberinus ; Valerie veut suivre son
Amant jusqu'au lieu du supplice , mais
des Gardes la retiennent ; Acquilie meurt
aux yeux de Titus , soit par un poison
qu'elle a pris , soit par l'excès de sa
douleur ; Valerius ayant appris l'execution
, dit ces deux derniers Vers :
B
438 MERCURE DE FRANCE
O tirannique amour ! & funeste journée ;
A quel prix , liberté , nous êtes vous donnée !
Ne vous attendez pas , Monsieur , à
voir l'extrait du nouveau Brutus à la suite
de celui-ci ; ma Lettre n'est déja que trop
longue , et d'ailleurs vous avez encore
présente à la mémoire la Tragédie que
yous m'avez envoyée , au lieu que vous
n'avez peut - être jamais lû celle de M.
Bernard. Quand même vous auriez déja
oublié le dernier Brutus , je ne doute point
l'extrait que vous venez de lire ne
vous l'ait rappellé par la conformité qui
se trouve entre tous les deux , si non dans
le détail , du moins dans le fond.
que
que
En effet , dequoi s'agit- il dans l'une et
l'autre Piéce , si ce n'est du rétablissement
de Tarquin , dont l'esperance est fondée
sur l'amour ? Ces deux Tragédies commencent
à peu près de même . Dans celle
de Mlle B. C'est un Ambassadeur de Tarquin
, avec cette seule difference dans
celle de M. de V. l'Ambassadeur est plus
respectable , parcequ'il vient au nom de
Porsenna. Mile Bernard a établi la Scene
dans le Palais des Tarquins , et M. de Voltaire
la met dans la Maison des Consuls ,
difference très sensible. D'un côté , peu
Titus et Tiberinus , rivaux en amour et
en ambition , agissent également dans la
Piéce ,
MARS. 1731. 439
Piéce , et de l'autre Tiberinus n'est qu'en
récit , et n'agit que derriere le Théatre
autre difference aussi peu sensible que la
précedente. Tiberinus prêt d'épouser la
Maîtresse de Titus détermine ce dernier
à livrer la Porte Quirinale dans l'une et
dans l'autreTragédie. N'avouez-vous pas,
Monsieur , que voilà bien des ressemblances
avec très peu de differences ? vous
me direz peut- être que dans un pareil
sujet on ne peut gueres éviter de se ressembler
; mais ne peut- on pas arriver à
la même fin sans prendre une marche si
égale. Je vous dirai bien plus ; c'est que
si la Piéce de Mlle B. étoit venue après
celle de M. de V. quoique ces deux Piéces
se ressemblassent également , l'Auteur
de la derniere seroit moins accusé de plagianisme.
Voici comme je prétends soûtenir
cet espece de paradoxe.
M. de V. de peur de trop ressembler à
Mile B. a pris le parti de simplifier sa Tragédie
, et c'est par là qu'il a évité de trop
ressembler : quoi de plus facile ? Mais si
Mile B. avoit travaillé après lui , et même
d'après lui , elle pourroit se vanter à juste
titre , d'avoir encheri sur son original ,
par l'addition d'un nombre infini de traits
qui lui sont propres , et qui lui appartiendroient
incontestablement comme en
étant créatrice. Telle est la double riva
›
Bij lité
440 MERCURE DE FRANCE
dité qui donne lieu à plus d'action ; je
conviens avec vous que ces mêmes traits
qui auroient mis un interêt plus vif dans
de nouveau Brutus , ont été comme autant
d'écueils que M. de V. a évités , pour ne
pas tomber dans une trop grande imitation
; ajouterai même qu'une si sage
précaution l'a réduit à une simplicité trop
Seche. Ses partisans ne laissent pas de lui
en faire honneur. Le Tiberinus , disentils
, et la Valerie de Mlle Bernard sont des
personnages à retrancher d'une Piéce
parcequ'ils sont indignes du beau Tragique.
Je conviens de cela par rapport
Tiberinus , tel que Mile B. nous l'a donné;
-mais ne conviendrez - vous pas que si elle
en avoit fait un Pharnace,il auroit parfaitement
bien tenu son coin dans Brutus
comme fait dans Mithridate le digne Rival
de Xipharés ? nous ne l'aurions pas
vû prosterné aux pieds de Brutus , lui
demander la vie , il auroit dit , au contraire
, avec Pharnace :
Seigneur , dût - on offrir mille morts à ma vûe ,
Je n'irai pas chercher une fille inconnuë.
à
>
Quant à Valerie , je ne conviens pas
qu'il y ait de la bassesse dans son caractere
, elle fait obsetver ce qui se passe
chez le pere de sa Rivale , pour profiter
de
MARS. 1731. 44
de tout ce qui pourra servir son amour ; .
Vindicius , son esclave et son espion
découvre une conspiration dont elle ne
se seroit jamais avisée ; elle se sert de cette
découverte pour empêcher Titus d'épouser
la fille d'un ennemi de la Républi
que. L'orage qu'elle excite retombe sur
Titus même elle en demande pardon à
son Amant , et proteste qu'elle s'en punira
elle-même , si Brutus ne le sauve.
de la rigueur des loix. Quoi de plus naturel
? quoi de plus convenable au Théa--
tre ?
Quelle difference entre Tullie et Acquilie
? Tullie ne balance pas un seul moment
à proposer une trahison à Titus , au
lieu qu'Acquilie tremble à lui déclarer
Pintention de son perc , et ne le fait
par son ordre exprès.
que
Combien s'en faut-il que la fatale liste
des Conjurés soit aussi convaincante dans
M. de V. que dans Mlle B. la premiere.
n'est pas signée , au lieu que la derniere
est revêtue de toute la forme qui peut fa
rendre autentique ; d'où il s'ensuit que
dans l'une des deux Tragédies , Brutus est
un Juge équitable , et qu'il est tout à fait
injuste dans l'autre . Je conviens que M.
de V. fait quelquefois de très- beaux Vers ;
mais j'ose avancer qu'en fait de Poëme
Dramatique , Mlle B. en fait de meilleurs ,
B iij parce442
MERCURE DE FRANCE.
de
parcequ'ils sont plus du ton du genre
Poëme qu'elle traite . Je n'en dis pas davantage
, Monsieur , de peur de paroître
trop partiale pour un Auteur de mon
sexe ; je vais me réconcilier avec M. de
V. par une nouvelle lecture de sa Henriade.
Je ne revoi jamais ce charmant Ouvrage
sans en admirer l'Auteur , et il est
le premier des Poëtes François qui ait
trouvé le secret de faire lire et relire un
Poëme Epique , non seulement sans ennui
, mais avec un plaisir infini . Je suis
Monsieur & c..
de ... à M. le Chevalier de ... sur la
nouvelle Tragédie de Brutus.
V
Ous m'avez fait un vrai plaisir ,
Monsieur , de m'envoyer le Brutus
de M. de Voltaire ; je l'attendois avec une
impatience que je ne sçaurois vous exprimer.
L'interêt que je prends dans la gloire,
de l'Auteur m'avoit rendue incrédule
sur toutes les relations qu'on m'avoit
envoyées au sujet de sa Piéce , je commençois
MARS. 1731. 429
mençois même à perdre un peu de Cette
confiance que j'ai toujours euë en votre
goût , parceque vous étiez du nombre de
ceux qui vouloient dégrader cet Ouvrage
dans mon esprit. Il est enfin arrivé jusqu'à
moi , et la premiere lecture que j'en
ai faite vous a rendu toute mon estime.
Le jugement que j'en porte ici malgré
moi est d'autant plus au désavantage de
M. de V. que j'étois la personne de France
la plus prévenue en sa faveur ; je vous
avouë même que je m'étois flattée que
cette Tragédie n'auroit déplû aux Spectateurs
que parce qu'elle n'auroit pas
été représentée par des Acteurs tels que
Baron et la Lecouvreur , et qu'elle regagneroit
sous les yeux ce qu'elle avoit perdu
sur le Théatre ; rien de tout cela n'est
arrivé , ou plutôt j'ai éprouvé tout le contraire.
Les grands Vers de la premiere
Scene m'ont presque fait croire que je
lisois un nouveau Chant de la Henriade :
Est- ce là , me suis- je dit , le ton que pren
nent Corneille et Racine , et qu'ils doivent
donner à tous ceux qui entrent dans
une carriere qu'ils ont si dignement
remplie ? Je conviens que M. de V. quitte
quelquefois le ton Epique , mais d'un excès
il tombe dans un autre qui lui fait
encore plus de tort , et l'on a de la peine
à se figurer , qu'aprés s'être élevé si haut
430 MERCURE DE FRANCE
و
;
9
on puisse descendre si bas , d'où je conclus
que sa vocation n'est pas pour le
Théatre. Il ne me seroit pas difficile
Monsieur , de prouver ce que j'avance si
j'écrivois à quelqu'un de ses partisans
outrés ; mais comme nous sommes à peu
près d'un même sentiment , je n'ai pas
bésoin de vous donner des raisons dont
Vous n'avez pas besoin vous même ; ainsi
pour ne pas charger le papier de choses
inutiles permettez que je passe à des
remarques plus essentielles , et que je van
ge M. de V. d'une calomnie contre la
quelle je me suis toujours revoltée . J'avois
reçû à ma Campagne une Piéce Burlesque
, ou espece d'Arrêt de Momus ,
par lequel ce Dieu , qui n'épargne pas les
Dieux mêmes condamnoit M. de V. à la
restitution de sept ou huit cent Vers pillés
dans l'ancien Brutus de Mile Bernard.
J'ai été ravie pour la gloire de mon Héros
versifiant de réduire ce nombre exorbitant
à cinq ou six hemistiches que sa mémoire
lui a dictés à l'insçû de son esprit.
Cette justice que je lui rends ne m'empêche
pourtant pas de convenir avec le
même esprit d'équité , qu'il n'a pas été si
reservé pour le fond que pour le détail
et que le plan
plan du dernier Brutus me paroît
avoir été dressé sur celui du premier.
C'est ce que j'entreprends de vous prouver
MARS. 1731. 435
ver dans l'ignorance où je suis que votre
sentiment soit conforme au mien ; je vais
donc , Monsieur , vous tracer en peu de
mots l'argument du Brutus de Mile B.
pour venir après à la conformité que ce
fond de Tragédie peut avoir avec celui
du nouveau Brutus.
Brutus et Valerius , Consuls des Romains
, ouvrent la Scene au premier Acte ,
dans le Palais même d'où Tarquin a été
chassé ; ils se disposent à entendre Octavius
, Ambassadeur de ce Roi détrôné .
Octavius plaide la cause de son Maître ,
mais inutilement ; il part , chargé d'un
refus pour toute réponse.
Brutus propose à Valerius l'hymen de
Titus , son fils aîné , avec la soeur de Valerius
son Collegue au Consulat ; la
proposition est acceptée . Titus et Tiberinus
mandés par Brutus arrivent ; Valerius
se retire. Brutus déclare à Titus ce qu'il
vient de résoudre avec Valerius ; Titus
s'en défend ; Brutus lui ordonne d'obeïr;
il dit à Tiberinus qu'il prétend l'unir à
la fille d'Acquilius , qui , quoique parent
de Tarquin n'a pas laissé d'étre fidele à
la Patrie ; Tiberinus obéit avec d'autant
-plus de plaisir, qu'il aime cette même Acquilie
que Brutus , son pere , lui destine
pour Epouse.
Titus se plaint à Marcellus , son Confident
,
432 MERCURE DE FRANCE.
sident, de la dure loi que Brutus lui impose
malgré l'amour qu'il a pour cette
même Acquilie qu'il destine à son frere ;
il se retire , voyant approcher Valerie.
Valerie se plaint de l'indifference de
Titus qui la fuit au moment qu'on vient
de lui proposer son hymen ; elle soupçonne
Acquilie d'être sa Rivale , et Rivale
aimée ; elle veut la faire épier par
Vindicius ; autrefois Esclave d'Acquilius
maintenant le sien , et de plus comblé
de ses bienfaits.
Octavius ,
Ambassadeur de Tarquin et
Acquilius , parent de ce Roi banni , commencent
le second Acte. Acquilius apprend
à Octavius qu'il est le chef de cinq
cent Conjurés qui doivent ouvrir la
porte
Quirinale à Tarquin ; il lui dit que Tiberinus
même est de ce nombre , et se
flatte d'engager Titus lui- même dans la
conjuration par le moyen de sa fille Acquilie
dont il est éperdument amoureux.
Octavius exige de lui le nom et le seing
de tous les Conjurés , afin que Tarquin ,
avant que de rien entreprendre , sçache
sur qui il doit compter.
Acquilie vient se jetter aux pieds de son
peres elle le prie de ne la point contraindre
à devenir la femme de Tiberinus
qu'elle hait ; Acquilius lui demande si elle
aime Titus ; il l'engage adroitement à lui
Ouvrir
MARS . 1731. 433
ouvrir son coeur ; elle lui fait l'aveu de
son amour. Acquilius lui dit qu'il voudroit
bien que Titus fut heureux s'il
osoit le mériter ; Acquilie lui répond qu'il
est trop ennemi de Tarquin et trop fidele
à la République ; son pere la presse d'éprouver
ce qu'elle a de pouvoir sur son
coeur , sans pourtant lui rien découvrir
de la conjuration .
Aprés une Scene intermediaire , et qui
ne sert que de liaison , Titus vient ; Acquilie
n'ose lui dire à quel prix il pour
roit l'obtenir de son pere. Titus desesperant
de lui arracher son secret, vá trouver
Acquilius même , pour en être instruit.
Tiberinus qu'on a d'abord peint seument
comme ambitieux , parle à Acqui
lie en Amant desesperé qui veut l'obtenir
malgré elle ; Acquilie a beau lui déclarer
qu'elle aime Titus , et qu'elle l'aimera
toujours , il n'en persiste pas moins
à l'épouser , et va presser l'hymen qui
doit le venger. Les menaces de Tiberinus
déterminent Acquilie à faire un dernier
effort sur Titus.
Au troisiéme Acte , Acquilie exige un
serment de Titus avant que de lui déclarer
le secret que son pere vient de lui
permettre de réveler ; Titus atteste tous
les Dieux que son secret sera enseveli
dans un silence éternel. Rassurée par ce
serment
434 MERCURE DE FRANCE
serment , elle lui déclare qu'il ne peut
l'obtenir d'Acquilius qu'en conspirant
avec lui en faveur de Tarquin ; Titus fré
mit à cette proposition . Cette Scene est
des plus pathetiques ; Acquilie se retire
sans avoir pû ébranler la vertu de son
Amant , quoiqu'elle lui ait fait entendre
que Tiberinus , son frere , est entré dans
la conjuration , et qu'elle doit être à lui
à son refus. Titus flotte entre son amour
et son devoir ; mais ce dernier emporte
la balance .
Tiberinus vient ébranler la vertu de Titus
par une joye insultante et par l'assurance
de son hymen prochain avec Acquilie.
Titus dans un court monologue
fait entendre que sa constance est à bout,
et que la perte d'Acquilie est pour lui le
plus grand des maux.
3
Acquilius vient achever ce que la jalousie
a commencé dans le coeur de Titus;
mais ce qui lui porte le dernier coup ,
c'est le danger d'Acquilie dont il ne peut
plus douter après cette protestation de
son pere , au sujet de la conjuration dont
il s'est déclaré le chef à ses yeux.
sup
Un homme tel que moi n'attend pas lės
plices ;
Vous aimez Acquilie , elle est de mes complices ;
Ce
MARS.
173.1 . 435
e fer en même-tems terminant notre sort ,
Sçaura nous épargner une honteuse mort.
Titus éperdu suit Acquilius , et fait
entendre aux spectateurs le parti indispensable
qu'il va prendre.
Au quatriéme Acte , Valerie paroît
au comble de la joye d'avoir appris de
Vindicius , son esclave , que le Pere de sa
Rivale est chef d'une conjuration tramée
contre Rome , ce qui doit vrai semblablement
mettre un obstacle éternel à l'hymen
de Titus et d'Acquilie,
Brutus vient ; il n'est encore instruit
que confusément de la conspiration ; Valerie
lui apprend que c'est Acquilius que
en est le chef.
Valerius porte le premier coup à Brutus
, en lui apprenant que son fils Tiberinus
est du nombre des Conjurés , et
qu'on a reconnu son nom et son seing
dans la liste que l'Ambassadeur de Tar
quin a exigée.
Tiberinus entouré de Gardes vient lâchement
demander la vie à Brutus , qui
n'est pas moins honteux de sa lâcheté
qu'irrité de sa trahison ; il ordonne qu'on
l'ôte de ses yeux.
-
Titus vient déclarer à son pere qu'il·
est du nombre des coupables , et lui
demande la mort , afin que son châtiment
étonne
436 MERCURE DE FRANCE
étonne tous ceux qui oseroient l'imiter,
Brutus également frappé de son crime
et de son repentir , ne peut s'empêcher
de laisser échaper des mouvemens de tendresse
; il le quitte pour aller sçavoir les
intentions du Sénat , et lui témoigne qu'il
voudroit bien le sauver s'il n'écoutoit
que les mouvemens d'amour et d'estime
qui lui parlent pour lui,
Valerie apprend à Titus que c'est elle
seule qui l'a perdu , puisqu'elle a fait
découvrir la conjuration par Vindicius
et lui proteste qu'elle s'en punira.
Acquilie vient après que Valerie est
sortie ; Titus la prie de se sauver ; Acquilie
lui répond que puisque c'est pour
l'avoir trop aimée qu'il est entré dans la
conjuration d'Acquilius , son pere , elle
vient le justifief , le sauver ou périr avec
lui. Titus la voyant partir pour se livrer
entre les mains des Consuls , la suit pour
la détourner d'un dessein si fineste.
Valerie fait entendre au cinquiéme Acte
que le Sénat est assemblé pour juger les
coupables ; elle tremble pour Titus . Mar
cellus vient rendre l'esperance à Valerie ,
en lui apprenant que le Sénat laisse Brutus
en liberté de condamner ou d'absoudre
ses deux fils .
Brutus vient ; Valerie lui témoigne sa
joye sur ce que le Sénat vient de faire en
Sa
MARS. 1731. 437
sa faveur ; ce Consul lui répond qu'iltâchera
de reconnoître l'honneur que le
Sénat lui fait. Brutus après avoir tout mis
en balance, se détermine à condamner ses
enfans , et préfere les noms de Citoyen et
de Consul à celui de perc.
Titus amené devant Brutus lui témoi
gne toujours la même fermeté ; sa vertu
augmente les regrets de son Juge. La seule
grace que Titus lui demande , c'est de
pardonner à Acquilie et de la sauver ;
Brutus le quitte , en lui disant :
Tu peux esperer tout , hors de me consoler ;
Adieu , mon fils , adieu , je ne puis te parler.
Titus ne tarde point à aller se livrer au
supplice. Son Rôle finit par ces beaux Vers :
Rome , pardonne-moi mon funeste caprice ;
Mon juste repentir , ma mort t'en font justice ;
Si l'amour m'a séduit en un fatal moment ,
Le Komain a bientôt desavoué l'Amant.
La Tragédie finit par la mort de Titus
et de Tiberinus ; Valerie veut suivre son
Amant jusqu'au lieu du supplice , mais
des Gardes la retiennent ; Acquilie meurt
aux yeux de Titus , soit par un poison
qu'elle a pris , soit par l'excès de sa
douleur ; Valerius ayant appris l'execution
, dit ces deux derniers Vers :
B
438 MERCURE DE FRANCE
O tirannique amour ! & funeste journée ;
A quel prix , liberté , nous êtes vous donnée !
Ne vous attendez pas , Monsieur , à
voir l'extrait du nouveau Brutus à la suite
de celui-ci ; ma Lettre n'est déja que trop
longue , et d'ailleurs vous avez encore
présente à la mémoire la Tragédie que
yous m'avez envoyée , au lieu que vous
n'avez peut - être jamais lû celle de M.
Bernard. Quand même vous auriez déja
oublié le dernier Brutus , je ne doute point
l'extrait que vous venez de lire ne
vous l'ait rappellé par la conformité qui
se trouve entre tous les deux , si non dans
le détail , du moins dans le fond.
que
que
En effet , dequoi s'agit- il dans l'une et
l'autre Piéce , si ce n'est du rétablissement
de Tarquin , dont l'esperance est fondée
sur l'amour ? Ces deux Tragédies commencent
à peu près de même . Dans celle
de Mlle B. C'est un Ambassadeur de Tarquin
, avec cette seule difference dans
celle de M. de V. l'Ambassadeur est plus
respectable , parcequ'il vient au nom de
Porsenna. Mile Bernard a établi la Scene
dans le Palais des Tarquins , et M. de Voltaire
la met dans la Maison des Consuls ,
difference très sensible. D'un côté , peu
Titus et Tiberinus , rivaux en amour et
en ambition , agissent également dans la
Piéce ,
MARS. 1731. 439
Piéce , et de l'autre Tiberinus n'est qu'en
récit , et n'agit que derriere le Théatre
autre difference aussi peu sensible que la
précedente. Tiberinus prêt d'épouser la
Maîtresse de Titus détermine ce dernier
à livrer la Porte Quirinale dans l'une et
dans l'autreTragédie. N'avouez-vous pas,
Monsieur , que voilà bien des ressemblances
avec très peu de differences ? vous
me direz peut- être que dans un pareil
sujet on ne peut gueres éviter de se ressembler
; mais ne peut- on pas arriver à
la même fin sans prendre une marche si
égale. Je vous dirai bien plus ; c'est que
si la Piéce de Mlle B. étoit venue après
celle de M. de V. quoique ces deux Piéces
se ressemblassent également , l'Auteur
de la derniere seroit moins accusé de plagianisme.
Voici comme je prétends soûtenir
cet espece de paradoxe.
M. de V. de peur de trop ressembler à
Mile B. a pris le parti de simplifier sa Tragédie
, et c'est par là qu'il a évité de trop
ressembler : quoi de plus facile ? Mais si
Mile B. avoit travaillé après lui , et même
d'après lui , elle pourroit se vanter à juste
titre , d'avoir encheri sur son original ,
par l'addition d'un nombre infini de traits
qui lui sont propres , et qui lui appartiendroient
incontestablement comme en
étant créatrice. Telle est la double riva
›
Bij lité
440 MERCURE DE FRANCE
dité qui donne lieu à plus d'action ; je
conviens avec vous que ces mêmes traits
qui auroient mis un interêt plus vif dans
de nouveau Brutus , ont été comme autant
d'écueils que M. de V. a évités , pour ne
pas tomber dans une trop grande imitation
; ajouterai même qu'une si sage
précaution l'a réduit à une simplicité trop
Seche. Ses partisans ne laissent pas de lui
en faire honneur. Le Tiberinus , disentils
, et la Valerie de Mlle Bernard sont des
personnages à retrancher d'une Piéce
parcequ'ils sont indignes du beau Tragique.
Je conviens de cela par rapport
Tiberinus , tel que Mile B. nous l'a donné;
-mais ne conviendrez - vous pas que si elle
en avoit fait un Pharnace,il auroit parfaitement
bien tenu son coin dans Brutus
comme fait dans Mithridate le digne Rival
de Xipharés ? nous ne l'aurions pas
vû prosterné aux pieds de Brutus , lui
demander la vie , il auroit dit , au contraire
, avec Pharnace :
Seigneur , dût - on offrir mille morts à ma vûe ,
Je n'irai pas chercher une fille inconnuë.
à
>
Quant à Valerie , je ne conviens pas
qu'il y ait de la bassesse dans son caractere
, elle fait obsetver ce qui se passe
chez le pere de sa Rivale , pour profiter
de
MARS. 1731. 44
de tout ce qui pourra servir son amour ; .
Vindicius , son esclave et son espion
découvre une conspiration dont elle ne
se seroit jamais avisée ; elle se sert de cette
découverte pour empêcher Titus d'épouser
la fille d'un ennemi de la Républi
que. L'orage qu'elle excite retombe sur
Titus même elle en demande pardon à
son Amant , et proteste qu'elle s'en punira
elle-même , si Brutus ne le sauve.
de la rigueur des loix. Quoi de plus naturel
? quoi de plus convenable au Théa--
tre ?
Quelle difference entre Tullie et Acquilie
? Tullie ne balance pas un seul moment
à proposer une trahison à Titus , au
lieu qu'Acquilie tremble à lui déclarer
Pintention de son perc , et ne le fait
par son ordre exprès.
que
Combien s'en faut-il que la fatale liste
des Conjurés soit aussi convaincante dans
M. de V. que dans Mlle B. la premiere.
n'est pas signée , au lieu que la derniere
est revêtue de toute la forme qui peut fa
rendre autentique ; d'où il s'ensuit que
dans l'une des deux Tragédies , Brutus est
un Juge équitable , et qu'il est tout à fait
injuste dans l'autre . Je conviens que M.
de V. fait quelquefois de très- beaux Vers ;
mais j'ose avancer qu'en fait de Poëme
Dramatique , Mlle B. en fait de meilleurs ,
B iij parce442
MERCURE DE FRANCE.
de
parcequ'ils sont plus du ton du genre
Poëme qu'elle traite . Je n'en dis pas davantage
, Monsieur , de peur de paroître
trop partiale pour un Auteur de mon
sexe ; je vais me réconcilier avec M. de
V. par une nouvelle lecture de sa Henriade.
Je ne revoi jamais ce charmant Ouvrage
sans en admirer l'Auteur , et il est
le premier des Poëtes François qui ait
trouvé le secret de faire lire et relire un
Poëme Epique , non seulement sans ennui
, mais avec un plaisir infini . Je suis
Monsieur & c..
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Résumé : LETTRE de Madame la Comtesse de ... à M. le Chevalier de ... sur la nouvelle Tragédie de Brutus.
La Comtesse adresse une lettre à M. le Chevalier de... pour partager son avis sur la tragédie 'Brutus' de Voltaire. Initialement sceptique face aux critiques négatives, elle finit par partager l'opinion défavorable après avoir lu la pièce. Elle critique les vers de la première scène, les trouvant trop épiques, et juge que Voltaire n'a pas le ton approprié pour le théâtre. Elle mentionne également une pièce burlesque accusant Voltaire de plagiat, réduisant le nombre de vers empruntés à cinq ou six hémistiches. La Comtesse compare ensuite 'Brutus' de Voltaire à celui de Mlle Bernard. Elle souligne des similitudes dans le plan et le fond des deux tragédies. Dans la pièce de Mlle Bernard, Brutus et Valerius, consuls de Rome, refusent les demandes de l'ambassadeur de Tarquin et organisent des mariages pour leurs enfants. L'intrigue se complique par des intrigues amoureuses et une conjuration contre Rome. La Comtesse conclut que les deux tragédies présentent des ressemblances notables, notamment dans l'utilisation de l'amour comme moteur de l'intrigue et le rétablissement de Tarquin comme objectif principal. Par ailleurs, l'auteur du texte compare les deux œuvres en soulignant que, bien que similaires, l'accusation de plagiat serait moins forte si la pièce de Mlle Bernard avait été écrite après celle de Voltaire. Il explique que Voltaire a simplifié sa tragédie pour éviter de trop ressembler à celle de Mlle Bernard, mais que cette simplification a conduit à une œuvre trop sèche. Il mentionne que des personnages comme Tiberinus et Valerie, présents dans la pièce de Mlle Bernard, auraient pu enrichir celle de Voltaire. L'auteur compare également les personnages et les scènes des deux pièces, notant que certaines actions et dialogues dans la pièce de Mlle Bernard sont plus naturels et convenables au théâtre. Il reconnaît la qualité des vers de Voltaire, mais affirme que ceux de Mlle Bernard sont mieux adaptés au genre dramatique. Enfin, l'auteur exprime son admiration pour l'œuvre épique de Voltaire, la Henriade, et son plaisir à la relire.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 52-55
Comparaison d'Homere & de Virgile, par M. l'Abbé Trublet.
Début :
Homere est plus poëte, Virgile est un poëte plus parfait. [...]
Mots clefs :
Homère, Virgile, Comparaison , Défauts, Poète, Poésie
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texteReconnaissance textuelle : Comparaison d'Homere & de Virgile, par M. l'Abbé Trublet.
Comparaison d'Homere & de Virgile , par
M. l'Abbé Trublet.
Omere eft plus poëte , Virgile eft un
H poëte plus parfait.
Le premier poffede dans un dégré plus
éminent quelques - unes des qualités que
demande la poëfie ; le fecond réunit un
plus grand nombre de ces qualités , & elles
fe trouvent toutes chez lui dans la proportion
la plus exacte .
L'un caufe un plaifir plus vif , l'autre un
plaifir plus doux.
Il est encore plus vrai de la beauté de
l'efprit que de celle du vifage , qu'une forte
d'irrégularité la rend plus piquante.
L'homme de génie eft plus frappé d'Homere
, l'homme de goût eft plus touché de
Virgile.
SEPTEMBRE. 1755. 53
On admire plus le premier , on eftime
plus le fecond.
Il y a plus d'or dans Homere ; ce qu'il y
en a dans Virgile , eft plus pur & plus poli .
Celui - ci a voulu être poëte , & il l'a
pu celui- là ne pouvoit ne le point être.
Si Virgile ne s'étoit point adonné à la
poëfie , on n'auroit peut- être point foupçonné
qu'il étoit très - capable d'y réuffir.
Si , par impoffible, Homere, méconnoiffant
fon talent pour la poëfie , eût d'abord travaillé
dans un autre genre , la voix publique
l'auroit bientôt averti de fa méprife
ou peut - être feulement de fa modeftie :
on lui eût dit qu'il étoit capable de quelque
chofe de plus.
Homere eft un des plus grands génies
qui ayent jamais été ; Virgile eft un des
plus accomplis.
L'Eneïde vaut mieux que l'Iliade , mais "
Homere valoit mieux que Virgile.
Une grande partie des défauts de l'Iliade
font ceux du fiécle d'Homere ; les défauts
de l'Eneïde font ceux de Virgile.
il y a plus de fautes dans l'Iliade & plus
de défauts dans l'Eneïde.
Ecrivant aujourd'hui , Homere ne feroit
pas les fautes qu'il a faites ; Virgile auroit
encore fes défauts .
On doit Virgile à Homere : On ignore fi
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
celui - ci a eu des modeles , mais on fent
qu'il pouvoit s'en paffer.
Il y a plus de talent & d'abondance
dans Homere , plus d'art & de choix dans
Virgile.
L'un & l'autre font peintres ; ils peignent
toute la nature , & le coloris eft
admirable dans tous les deux ; mais il eft
plus gracieux dans Virgile , & plus vif
dans Homere.
Homere s'eft plus attaché que Virgile à
peindre les hommes , les caracteres , les
moeurs ; il eft plus moral ; & c'eſt- là à
mon gré , le principal avantage du poëte
grec fur le poëte latin. La morale de Vir
gile eft peut- être meilleure ; & c'eft le mérite
de fon fiécle , l'effet des lumieres acquifes
d'âge en âge : Mais Hamere a plus
de morale , & c'eft en lui un mérite propre
& perfonnel , l'effet de fon tour d'efprit
particulier.
Virgile a farpaffé Homere dans le deffein
& dans l'ordonnance.
Il viendra plutôt un Virgile qu'un Homere.
Nous ne devons point craindre les
que
fautes d'Homere fe renouvellent , un écolier
les éviteroit. Mais qui nous rendra fes
beautés ?
Il me femble que plufieurs des traits de
SEPTEMBRE. 1755. 55
ce parallele pourroient entrer dans celui
de Corneille & de Racine.
M. l'Abbé Trublet.
Omere eft plus poëte , Virgile eft un
H poëte plus parfait.
Le premier poffede dans un dégré plus
éminent quelques - unes des qualités que
demande la poëfie ; le fecond réunit un
plus grand nombre de ces qualités , & elles
fe trouvent toutes chez lui dans la proportion
la plus exacte .
L'un caufe un plaifir plus vif , l'autre un
plaifir plus doux.
Il est encore plus vrai de la beauté de
l'efprit que de celle du vifage , qu'une forte
d'irrégularité la rend plus piquante.
L'homme de génie eft plus frappé d'Homere
, l'homme de goût eft plus touché de
Virgile.
SEPTEMBRE. 1755. 53
On admire plus le premier , on eftime
plus le fecond.
Il y a plus d'or dans Homere ; ce qu'il y
en a dans Virgile , eft plus pur & plus poli .
Celui - ci a voulu être poëte , & il l'a
pu celui- là ne pouvoit ne le point être.
Si Virgile ne s'étoit point adonné à la
poëfie , on n'auroit peut- être point foupçonné
qu'il étoit très - capable d'y réuffir.
Si , par impoffible, Homere, méconnoiffant
fon talent pour la poëfie , eût d'abord travaillé
dans un autre genre , la voix publique
l'auroit bientôt averti de fa méprife
ou peut - être feulement de fa modeftie :
on lui eût dit qu'il étoit capable de quelque
chofe de plus.
Homere eft un des plus grands génies
qui ayent jamais été ; Virgile eft un des
plus accomplis.
L'Eneïde vaut mieux que l'Iliade , mais "
Homere valoit mieux que Virgile.
Une grande partie des défauts de l'Iliade
font ceux du fiécle d'Homere ; les défauts
de l'Eneïde font ceux de Virgile.
il y a plus de fautes dans l'Iliade & plus
de défauts dans l'Eneïde.
Ecrivant aujourd'hui , Homere ne feroit
pas les fautes qu'il a faites ; Virgile auroit
encore fes défauts .
On doit Virgile à Homere : On ignore fi
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
celui - ci a eu des modeles , mais on fent
qu'il pouvoit s'en paffer.
Il y a plus de talent & d'abondance
dans Homere , plus d'art & de choix dans
Virgile.
L'un & l'autre font peintres ; ils peignent
toute la nature , & le coloris eft
admirable dans tous les deux ; mais il eft
plus gracieux dans Virgile , & plus vif
dans Homere.
Homere s'eft plus attaché que Virgile à
peindre les hommes , les caracteres , les
moeurs ; il eft plus moral ; & c'eſt- là à
mon gré , le principal avantage du poëte
grec fur le poëte latin. La morale de Vir
gile eft peut- être meilleure ; & c'eft le mérite
de fon fiécle , l'effet des lumieres acquifes
d'âge en âge : Mais Hamere a plus
de morale , & c'eft en lui un mérite propre
& perfonnel , l'effet de fon tour d'efprit
particulier.
Virgile a farpaffé Homere dans le deffein
& dans l'ordonnance.
Il viendra plutôt un Virgile qu'un Homere.
Nous ne devons point craindre les
que
fautes d'Homere fe renouvellent , un écolier
les éviteroit. Mais qui nous rendra fes
beautés ?
Il me femble que plufieurs des traits de
SEPTEMBRE. 1755. 55
ce parallele pourroient entrer dans celui
de Corneille & de Racine.
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Résumé : Comparaison d'Homere & de Virgile, par M. l'Abbé Trublet.
Le texte compare les poètes Homère et Virgile. Homère est décrit comme un poète vif et irrégulier, capable de provoquer un plaisir intense et d'impressionner les hommes de génie. Ses qualités poétiques sont éminentes mais inégales. L'Iliade contient des passages brillants mais aussi des fautes, reflétant les défauts de son époque. Homère est considéré comme un génie supérieur, plus moral, et attaché à dépeindre les hommes et leurs mœurs. Virgile, en revanche, est perçu comme un poète plus parfait et doux, touchant davantage les hommes de goût. Il excelle dans l'art et le choix, et a surpassé Homère dans la définition et l'ordonnance de ses œuvres. L'Énéide est mieux structurée mais porte les défauts de son auteur. Le texte conclut que, bien que les fautes d'Homère soient évitables, ses beautés sont inimitables.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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