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Liste
Résultats : 10 texte(s)
1
p. 1952-1960
DERNIERE SUITE des Mémoires de M. Capperon, &c. Sur l'Histoire naturelle, l'Histoire Civile & Ecclesiastique du Comté d'Eu.
Début :
Pour ne rien omettre, Monsieur, sur ce qui a raport à la piété dans notre [...]
Mots clefs :
Comté d'Eu, Tombeaux, Artillerie, Église, Armée, Habitants, Roi
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texteReconnaissance textuelle : DERNIERE SUITE des Mémoires de M. Capperon, &c. Sur l'Histoire naturelle, l'Histoire Civile & Ecclesiastique du Comté d'Eu.
DERNIERE SUITE des Mémoires
de M. Capperon , & c. Sur l'Hiftoire naturelle
, l'Hiftoire Civile & Ecclefiaftique
du Comté d'Eu .
P
*
Our ne rien omettre , Monfieur , fur
ce qui a raport à la piété dans notre
Hiftoire , je ne dois pas , ce me femble ,
oublier une faveur finguliere de la Providence
faite à la ville d'Eu , en la rendant
dépofitaire du Corps de l'Illuftre S. Laurent
, Archevêque de Dublin en Irlande ,
l'an 1181. Ce faint Archevêque paffant
par cette Ville , pour aller joindre le Roy
d'Angleterre , qui étoit en Normandie
Dieu permit qu'il y tomba malade, & qu'il
y mourut le 14 du mois de Novembre.
Six ans après la mort , le Comte d'Eu ;
Henry II. fils du Comte Jean , Religieux
à Foucarmont , dont je viens de parler ,
imitateur de fa piété , en faifant conf-
Voyez les Mercures de Juillet & Aoust ,
$730 truire
SEPTEMBRE . 1730. 1958
truire l'Eglife de Notre -Dame , qui fubfifte
encore aujourd'hui , le tombeau où
repofoit le Corps de ce S.Archevêque fut
ouvert ; il s'y fit , dit- on , tant de miracles
, & les guérifons miraculeufes attirerent
tant de malades à la ville d'Eu
qu'il eft remarqué dans l'original de la
Vie de ce Saint , écrite so ans après fa
mort ,par un Chanoine de l'Abbaye d'Eu ,
chapitre 31. Que quoiqu'on eut abandonné
le Château pour les loger , il ne
fuffifoit pas encore , tant le nombre en
étoit grand.
S Les habitans de la Villè d'Eu , témoins
de toutes ces merveilles , obtinrent après
cinq voïages faits à Rome , que cet illuftre
Saint fût folemnellement canonifé , ce
qui arriva l'onzième jour de Decembre
1226. par une Bulle du Pape Honoré III .
laquelle a cela de fingulier , qu'elle eft la
premiere Bulle de Canonifation où les
Papes aient accordé des Indulgences. Et
ces mêmes Indulgences y font énoncées ,
de la mème maniere qu'on en ufoit dans
les premiers tems , puifque le Pape déclare
qu'il remet vingt jours de la penitence
enjointe à tous ceux qui vifiteront
l'Eglife où le Corps de ce Saint repoſe
foit le jour de fa fête , ou un des jours de
l'octave.
Ceux qui ont tant foit peu de lecture
Ciij fça-
>
1954 MERCURE DE FRANCE
fçavent que les fentimens font fort partagez
fur le tems précis auquel la Poudre
à Čanon a été inventée. Les Hiftoriens
ont auffi fort varié , pour fixer le tems
auquel on a commencé à fe fervir de l'Artillerie.
Grand nombre l'ont placé bien
au deffous de fa veritable époque . Nauclerus
, par exemple , n'en fixe l'uſage
qu'en 1354. Baronius en 1360. d'autres
en 1380. Moreri dit pofitivement qu'avant
l'an 1425. l'Artillerie étoit incon
nuë en France. Mais felon Furetiere dans
fon Dictionaire , M. du Cange eft le premier
qui a découvert dans la Chambre
des Comptes de Paris , qu'on fe fervoit
en France de l'Artillerie dès l'an 1338.
Comme en effet , on y voit un compte
de cette même année , où il eft parlé de
la dépenſe faite pour la Poudre neceſſaire
aux Canons , qui furent employez devant
Puy- Guillaume , Château en Auvergne.
J'efpere qu'on trouvera bon , qu'à ce
titre , lequel jufqu'à preſent , comme je
crois , a paru unique , pour fixer ce point
d'hiftoire , j'en ajoute un autre , tiré des
Archives de notre Hôtel de Ville , qui en
confirme la verité. Il fe trouve dans un
ancien Livre en velin , où font infcrits par
années les noms des Maires & Echevins
depuis l'an 1272. On le nomme le Livre
rouge
SEPTEMBRE. 1730. 1955
rouge , lequel eft en deux volumes . Com
me on a eu foin d'écrire auffi dans ce Livre
ce qui s'eft paffé de plus confiderable
pendant l'adminiftration de chaque Maire
, on lit , volume premier , page 97. le
détail d'une defcente que les Anglois firent
à Tréport , au mois de Mai 1340.de
quelle maniere ils furent heureuſement
repouffez. On y fait obſerver que l'Artil
lerie dont on fe fervit dans cette occafion
y contribua beaucoup ; qu'on en faifoit
alors un fi grand cas , à caufe de la nouveauté
, que celui qui a décrit cette defcente
, remarque comme un grand bonheur
, qu'elle ne fut aucunement endommagée.
Cette ancienne Artillerie fe voit encore
aujourd'hui à Eu , & confifte en deux
groffes Boëtes de fer , qu'on chargeoit
alors de Cailloux ronds , au lieu de Boulets
de fer , comme on en ufoit encore en
1354. même pour les Moufquets , au rapport
de Mezerai , qui dit que ce fut dans
ce temps-là qu'on commença à s'en fervir
dans la guerre d'Italie ; lefquels Moufquets
étoient , dit- il , fi gros , qu'il falloit
deux hommes pour les porter , & on
ne les tiroit que pofez fur deux pieux en
fourchettes. Paffons à un autre fujet.
Le Tombeau fimbolique du Comte
d'Eu , Philippe d'Artois , Connétable de
C iiij France
1956 MERCURE DE FRANCE
France , qui eft dans l'Eglife de Notre-
Dame d'Eu , me paroît meriter qu'on
y faffe attention à caufe de fa fingularité.
Ce qui le diftingue des autres Tombeaux
'de la même Maifon d'Artois qui reſtent
'dans cette Eglife , confifte en ce qu'il eſt
le feul qui foit , non pas fimplement entouré
d'une grille de fer , pour empêcher
qu'on n'en approche , ainfi qu'on en voit
plufieurs autres ; mais en ce qu'il eft enfermé
comme dans une efpece de cage ,
la grille en étant fi proche , qu'on peut
le toucher comme on veut ; ce qui paroît
' d'autant plus myfterieux, que ce tombeau
n'a rien qui exige d'être plus précieufement
confervé que les autres. D'ailleurs ,
Paffectation qu'ont eu ceux qui ont travaillé
ces tombeaux , de pofer des figures
de petits chiens aux pieds de tous ceux
& celles qui y font reprefentez , donne
tout lieu de croire qu'il y avoit en tout
cela quelque chofe de caché.
En effet , c'eft une choſe certaine , que
dans le tems où ces Tombeaux ont été
faits , l'ufage étoit de donner à ceux dont
on voyoit les Repréſentations , certains
ornemens qui défignoient comment ils
étoient morts. Olivier de la Marche , dit
pofitivement dans l'Hiftoire qu'il a compofée
, au rapport de Gui Coquille , dans
fon Hiftoire du Nivernois , que ces petits
chiens
SEPTEMBRE. 1730. 1957
chiens qu'on mettoit alors aux pieds des
perfonnes reprefentées fur les Tombeaux,
fignifioient qu'elles étoient mortes dans
leur lit.Que fi c'étoient des Seigneurs qui
fuffent morts dans un combat , on les reprefentoit
armez de toutes pieces ; au
lieu que s'ils étoient morts , non dans un
Combat , mais ou de bleſſures , ou de maladies
, ou d'autres accidens de Guerre ,
on les reprefentoit également armez de
Cuiraffe , mais n'ayant ni le Cafque en
tête , ni les Gantelets aux mains .
Telle eft juftement , Monfieur , la maniere
dont Philippe d'Artois eft reprefen
té en Marbre fur fon Tombeau , car ce
Seigneur ayant eu le malheur d'être fait
prifonnier par les Turcs , l'an 1396. à la
fameufe bataille de Nicopolis, & de mourir
peu de temps après dans fa prifon ; cela
qui donna lieu pour marquer le genre
de fa mort , de le reprefenter armé , mais
fans Cafque à la tête , & fans Gantelets
aux mains , ayant deux petits chiens à
fes pieds , & d'ajouter une grille qui le
couvre dans fon Tombeau , à celle qui
environne ce même Tombeau, pour mieux
marquer qu'il étoit mort en prifon. Il ne
fera inutile de remarquer que par le
compte que j'ai vu de Roger de Malderée
, alors Receveur du Comté d'Eu , ce
Tombeau où eft la figure de Philippe
Су d'Artois
pas
1958 MERCURE DE FRANCE
d'Artois , de Marbre blanc , de grandeur
naturelle , pofée fur une Table de Marbre
noir , élevée fur le Tombeau , & la double
grille de fer qui l'enferme , n'ont couté
que cent livres , tant l'argent étoit rare
en ce temps - là.
Voicy un autre fait , lequel pour fa fingularité
mérite de trouver icy fa place.
C'eft Monftrelet qui le raporte ' en fon
Hiftoire , volume 1. chap. 125. Cet Hiſtorien
dit que le Roy d'Angleterre Henry
V. s'étant brouillé avec la France , il entra
dans ce Royaume par l'embouchure
de la Seine , le 13. Aouft 1415. avec une
Armée compofée de fix mille hommes
d'Armes , & de 24 mille Archers , d'où
il fe mit en marche , bien réfolu de ravager
tout le Païs qui étoit le long de la côte
jufqu'à Calais. Comme la Ville d'Eu étoit
fur la route , il comptoit bien de l'emporter
d'emblée , & d'en abandonner le pillage
à fes Troupes . Mais il n'en fut pas
ainfi ; car le Comte d'Eu , Charles d'Artois
, s'étant jetté dans cette Place pour la
défendre comme fon propre bien , il ne
tarda pas à lui faire connoître que la chofe
ne lui feroit pas auffi facile qu'il fe l'étoit
promis .
En effet , à peine le Comte d'Eu eut il
reçu avis , que les Coureurs de l'Armée
s'avançoient , qu'il fit faire fur eux une
vigouSEPTEMBRE.
1730. 1959
vigoureuſe fortie.L'attaque fut tres - rude
& ce fut là que fe paffa l'action fingulie
re dont je veux parler. Sçavoir , que dans
le tems que les habitans de la Ville d'Eu
chargeoient rudement les Anglois , un de
fes habitans , nommé Lamelot- Pierre, eut
le malheur de recevoir de la main d'un
Anglois un coup de Lance , qui lui perça
le ventre de part en part; mais ce qui doit
furprendre , c'eft que ce particulier , loin
de perdre toute prefence d'efprit & tout
courage par un coup fi terrible , prenant
la Lance d'une main & fe l'enfonçant
dans le ventre , s'avança toujours jufqu'à
ce qu'il fut à portée de tuer de fon Epée
qu'il tenoit de l'autre main , celui qui lui
avoit donné le coup mortel , & le fit ainfi
expirer en même - temps que lui .
Ce premier effai de valeur que donnerent
ceux qui étoient réfolus à bien défendre
la Ville , n'empêcha pas l'armée
Angloife d'en faire le Siége ; mais les Anglois
y trouvant plus de réfiftance qu'ils
n'avoient efperé , ſçachant d'ailleurs que
l'armée que le Roy de France avoit formée
en peu de temps , s'avançoit pour
les combattre , ils leverent le Siége le troifiéme
jour d'Octobre , & pafferent en Picardie
, où ayant été joints par l'armée
Françoife , le combat fe donna proche
d'Azincourt , dans le Comté de S. Paul.
C vj Je
1960 MERCURE DE FRANCE
Je n'en rapporterai qu'une feule circon-
"ftance fort finguliere , que j'ai tirée de la
Bibliotheque ancienne & nouvelle de le
Clerc , tom . 1. fçavoir , que la plufpart des
Soldats Anglois fe trouvant alors attaquez
d'une violente Diffenterie , ils n'héfiterent
pas , avant le Combat , de fe mettre
à nud de la ceinture en bas , pour évi
ter que de preffans befoins ne vinffent à
les troubler pendant la mêlée , ce qui n'empêcha
pas qu'ils ne remportaffent une entiere
victoire.
Je pourrois raporter un plus grand nombre
de faits ,non moins finguliers que ceux
dont je viens de vous entretenir ; mais
pour éviter une longueur qui pourroit
devenir ennuyeuſe , vous me permettrez
de faire icy Alte, & de reprendre un peu
halene. Je fuis toujours , Monfieur , votre
, &c.
A Eu , ce 1 May 1730.
de M. Capperon , & c. Sur l'Hiftoire naturelle
, l'Hiftoire Civile & Ecclefiaftique
du Comté d'Eu .
P
*
Our ne rien omettre , Monfieur , fur
ce qui a raport à la piété dans notre
Hiftoire , je ne dois pas , ce me femble ,
oublier une faveur finguliere de la Providence
faite à la ville d'Eu , en la rendant
dépofitaire du Corps de l'Illuftre S. Laurent
, Archevêque de Dublin en Irlande ,
l'an 1181. Ce faint Archevêque paffant
par cette Ville , pour aller joindre le Roy
d'Angleterre , qui étoit en Normandie
Dieu permit qu'il y tomba malade, & qu'il
y mourut le 14 du mois de Novembre.
Six ans après la mort , le Comte d'Eu ;
Henry II. fils du Comte Jean , Religieux
à Foucarmont , dont je viens de parler ,
imitateur de fa piété , en faifant conf-
Voyez les Mercures de Juillet & Aoust ,
$730 truire
SEPTEMBRE . 1730. 1958
truire l'Eglife de Notre -Dame , qui fubfifte
encore aujourd'hui , le tombeau où
repofoit le Corps de ce S.Archevêque fut
ouvert ; il s'y fit , dit- on , tant de miracles
, & les guérifons miraculeufes attirerent
tant de malades à la ville d'Eu
qu'il eft remarqué dans l'original de la
Vie de ce Saint , écrite so ans après fa
mort ,par un Chanoine de l'Abbaye d'Eu ,
chapitre 31. Que quoiqu'on eut abandonné
le Château pour les loger , il ne
fuffifoit pas encore , tant le nombre en
étoit grand.
S Les habitans de la Villè d'Eu , témoins
de toutes ces merveilles , obtinrent après
cinq voïages faits à Rome , que cet illuftre
Saint fût folemnellement canonifé , ce
qui arriva l'onzième jour de Decembre
1226. par une Bulle du Pape Honoré III .
laquelle a cela de fingulier , qu'elle eft la
premiere Bulle de Canonifation où les
Papes aient accordé des Indulgences. Et
ces mêmes Indulgences y font énoncées ,
de la mème maniere qu'on en ufoit dans
les premiers tems , puifque le Pape déclare
qu'il remet vingt jours de la penitence
enjointe à tous ceux qui vifiteront
l'Eglife où le Corps de ce Saint repoſe
foit le jour de fa fête , ou un des jours de
l'octave.
Ceux qui ont tant foit peu de lecture
Ciij fça-
>
1954 MERCURE DE FRANCE
fçavent que les fentimens font fort partagez
fur le tems précis auquel la Poudre
à Čanon a été inventée. Les Hiftoriens
ont auffi fort varié , pour fixer le tems
auquel on a commencé à fe fervir de l'Artillerie.
Grand nombre l'ont placé bien
au deffous de fa veritable époque . Nauclerus
, par exemple , n'en fixe l'uſage
qu'en 1354. Baronius en 1360. d'autres
en 1380. Moreri dit pofitivement qu'avant
l'an 1425. l'Artillerie étoit incon
nuë en France. Mais felon Furetiere dans
fon Dictionaire , M. du Cange eft le premier
qui a découvert dans la Chambre
des Comptes de Paris , qu'on fe fervoit
en France de l'Artillerie dès l'an 1338.
Comme en effet , on y voit un compte
de cette même année , où il eft parlé de
la dépenſe faite pour la Poudre neceſſaire
aux Canons , qui furent employez devant
Puy- Guillaume , Château en Auvergne.
J'efpere qu'on trouvera bon , qu'à ce
titre , lequel jufqu'à preſent , comme je
crois , a paru unique , pour fixer ce point
d'hiftoire , j'en ajoute un autre , tiré des
Archives de notre Hôtel de Ville , qui en
confirme la verité. Il fe trouve dans un
ancien Livre en velin , où font infcrits par
années les noms des Maires & Echevins
depuis l'an 1272. On le nomme le Livre
rouge
SEPTEMBRE. 1730. 1955
rouge , lequel eft en deux volumes . Com
me on a eu foin d'écrire auffi dans ce Livre
ce qui s'eft paffé de plus confiderable
pendant l'adminiftration de chaque Maire
, on lit , volume premier , page 97. le
détail d'une defcente que les Anglois firent
à Tréport , au mois de Mai 1340.de
quelle maniere ils furent heureuſement
repouffez. On y fait obſerver que l'Artil
lerie dont on fe fervit dans cette occafion
y contribua beaucoup ; qu'on en faifoit
alors un fi grand cas , à caufe de la nouveauté
, que celui qui a décrit cette defcente
, remarque comme un grand bonheur
, qu'elle ne fut aucunement endommagée.
Cette ancienne Artillerie fe voit encore
aujourd'hui à Eu , & confifte en deux
groffes Boëtes de fer , qu'on chargeoit
alors de Cailloux ronds , au lieu de Boulets
de fer , comme on en ufoit encore en
1354. même pour les Moufquets , au rapport
de Mezerai , qui dit que ce fut dans
ce temps-là qu'on commença à s'en fervir
dans la guerre d'Italie ; lefquels Moufquets
étoient , dit- il , fi gros , qu'il falloit
deux hommes pour les porter , & on
ne les tiroit que pofez fur deux pieux en
fourchettes. Paffons à un autre fujet.
Le Tombeau fimbolique du Comte
d'Eu , Philippe d'Artois , Connétable de
C iiij France
1956 MERCURE DE FRANCE
France , qui eft dans l'Eglife de Notre-
Dame d'Eu , me paroît meriter qu'on
y faffe attention à caufe de fa fingularité.
Ce qui le diftingue des autres Tombeaux
'de la même Maifon d'Artois qui reſtent
'dans cette Eglife , confifte en ce qu'il eſt
le feul qui foit , non pas fimplement entouré
d'une grille de fer , pour empêcher
qu'on n'en approche , ainfi qu'on en voit
plufieurs autres ; mais en ce qu'il eft enfermé
comme dans une efpece de cage ,
la grille en étant fi proche , qu'on peut
le toucher comme on veut ; ce qui paroît
' d'autant plus myfterieux, que ce tombeau
n'a rien qui exige d'être plus précieufement
confervé que les autres. D'ailleurs ,
Paffectation qu'ont eu ceux qui ont travaillé
ces tombeaux , de pofer des figures
de petits chiens aux pieds de tous ceux
& celles qui y font reprefentez , donne
tout lieu de croire qu'il y avoit en tout
cela quelque chofe de caché.
En effet , c'eft une choſe certaine , que
dans le tems où ces Tombeaux ont été
faits , l'ufage étoit de donner à ceux dont
on voyoit les Repréſentations , certains
ornemens qui défignoient comment ils
étoient morts. Olivier de la Marche , dit
pofitivement dans l'Hiftoire qu'il a compofée
, au rapport de Gui Coquille , dans
fon Hiftoire du Nivernois , que ces petits
chiens
SEPTEMBRE. 1730. 1957
chiens qu'on mettoit alors aux pieds des
perfonnes reprefentées fur les Tombeaux,
fignifioient qu'elles étoient mortes dans
leur lit.Que fi c'étoient des Seigneurs qui
fuffent morts dans un combat , on les reprefentoit
armez de toutes pieces ; au
lieu que s'ils étoient morts , non dans un
Combat , mais ou de bleſſures , ou de maladies
, ou d'autres accidens de Guerre ,
on les reprefentoit également armez de
Cuiraffe , mais n'ayant ni le Cafque en
tête , ni les Gantelets aux mains .
Telle eft juftement , Monfieur , la maniere
dont Philippe d'Artois eft reprefen
té en Marbre fur fon Tombeau , car ce
Seigneur ayant eu le malheur d'être fait
prifonnier par les Turcs , l'an 1396. à la
fameufe bataille de Nicopolis, & de mourir
peu de temps après dans fa prifon ; cela
qui donna lieu pour marquer le genre
de fa mort , de le reprefenter armé , mais
fans Cafque à la tête , & fans Gantelets
aux mains , ayant deux petits chiens à
fes pieds , & d'ajouter une grille qui le
couvre dans fon Tombeau , à celle qui
environne ce même Tombeau, pour mieux
marquer qu'il étoit mort en prifon. Il ne
fera inutile de remarquer que par le
compte que j'ai vu de Roger de Malderée
, alors Receveur du Comté d'Eu , ce
Tombeau où eft la figure de Philippe
Су d'Artois
pas
1958 MERCURE DE FRANCE
d'Artois , de Marbre blanc , de grandeur
naturelle , pofée fur une Table de Marbre
noir , élevée fur le Tombeau , & la double
grille de fer qui l'enferme , n'ont couté
que cent livres , tant l'argent étoit rare
en ce temps - là.
Voicy un autre fait , lequel pour fa fingularité
mérite de trouver icy fa place.
C'eft Monftrelet qui le raporte ' en fon
Hiftoire , volume 1. chap. 125. Cet Hiſtorien
dit que le Roy d'Angleterre Henry
V. s'étant brouillé avec la France , il entra
dans ce Royaume par l'embouchure
de la Seine , le 13. Aouft 1415. avec une
Armée compofée de fix mille hommes
d'Armes , & de 24 mille Archers , d'où
il fe mit en marche , bien réfolu de ravager
tout le Païs qui étoit le long de la côte
jufqu'à Calais. Comme la Ville d'Eu étoit
fur la route , il comptoit bien de l'emporter
d'emblée , & d'en abandonner le pillage
à fes Troupes . Mais il n'en fut pas
ainfi ; car le Comte d'Eu , Charles d'Artois
, s'étant jetté dans cette Place pour la
défendre comme fon propre bien , il ne
tarda pas à lui faire connoître que la chofe
ne lui feroit pas auffi facile qu'il fe l'étoit
promis .
En effet , à peine le Comte d'Eu eut il
reçu avis , que les Coureurs de l'Armée
s'avançoient , qu'il fit faire fur eux une
vigouSEPTEMBRE.
1730. 1959
vigoureuſe fortie.L'attaque fut tres - rude
& ce fut là que fe paffa l'action fingulie
re dont je veux parler. Sçavoir , que dans
le tems que les habitans de la Ville d'Eu
chargeoient rudement les Anglois , un de
fes habitans , nommé Lamelot- Pierre, eut
le malheur de recevoir de la main d'un
Anglois un coup de Lance , qui lui perça
le ventre de part en part; mais ce qui doit
furprendre , c'eft que ce particulier , loin
de perdre toute prefence d'efprit & tout
courage par un coup fi terrible , prenant
la Lance d'une main & fe l'enfonçant
dans le ventre , s'avança toujours jufqu'à
ce qu'il fut à portée de tuer de fon Epée
qu'il tenoit de l'autre main , celui qui lui
avoit donné le coup mortel , & le fit ainfi
expirer en même - temps que lui .
Ce premier effai de valeur que donnerent
ceux qui étoient réfolus à bien défendre
la Ville , n'empêcha pas l'armée
Angloife d'en faire le Siége ; mais les Anglois
y trouvant plus de réfiftance qu'ils
n'avoient efperé , ſçachant d'ailleurs que
l'armée que le Roy de France avoit formée
en peu de temps , s'avançoit pour
les combattre , ils leverent le Siége le troifiéme
jour d'Octobre , & pafferent en Picardie
, où ayant été joints par l'armée
Françoife , le combat fe donna proche
d'Azincourt , dans le Comté de S. Paul.
C vj Je
1960 MERCURE DE FRANCE
Je n'en rapporterai qu'une feule circon-
"ftance fort finguliere , que j'ai tirée de la
Bibliotheque ancienne & nouvelle de le
Clerc , tom . 1. fçavoir , que la plufpart des
Soldats Anglois fe trouvant alors attaquez
d'une violente Diffenterie , ils n'héfiterent
pas , avant le Combat , de fe mettre
à nud de la ceinture en bas , pour évi
ter que de preffans befoins ne vinffent à
les troubler pendant la mêlée , ce qui n'empêcha
pas qu'ils ne remportaffent une entiere
victoire.
Je pourrois raporter un plus grand nombre
de faits ,non moins finguliers que ceux
dont je viens de vous entretenir ; mais
pour éviter une longueur qui pourroit
devenir ennuyeuſe , vous me permettrez
de faire icy Alte, & de reprendre un peu
halene. Je fuis toujours , Monfieur , votre
, &c.
A Eu , ce 1 May 1730.
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Résumé : DERNIERE SUITE des Mémoires de M. Capperon, &c. Sur l'Histoire naturelle, l'Histoire Civile & Ecclesiastique du Comté d'Eu.
Le texte extrait des mémoires de M. Capperon relate divers événements historiques du comté d'Eu. En 1181, la ville d'Eu bénéficia d'une faveur divine avec la mort de l'archevêque Laurent de Dublin, qui tomba malade et décéda sur place. Six ans plus tard, le comte d'Eu fit construire une église pour abriter le tombeau de l'archevêque, où des miracles se produisirent, attirant de nombreux malades. En 1226, après cinq voyages à Rome, l'archevêque fut canonisé par le pape Honoré III, marquant la première bulle de canonisation accordant des indulgences. Le texte aborde également l'histoire de l'artillerie. Plusieurs historiens ont proposé des dates variées pour l'invention de la poudre à canon, mais des archives de la Chambre des Comptes de Paris et de l'Hôtel de Ville d'Eu confirment son usage dès 1338. En 1340, l'artillerie fut utilisée pour repousser une descente anglaise à Tréport. Le tombeau du comte Philippe d'Artois, connétable de France, est décrit comme singulier en raison de sa double grille de fer. Les petits chiens représentés sur les tombeaux indiquaient que la personne était morte dans son lit. Philippe d'Artois, capturé et mort en prison après la bataille de Nicopolis en 1396, est représenté sans casque ni gantelets, symbolisant sa mort en captivité. Enfin, le texte mentionne l'attaque de la ville d'Eu par le roi Henri V d'Angleterre en 1415. Un habitant, Lamelot-Pierre, blessé par une lance, tua son agresseur avant de succomber. Malgré cette résistance, les Anglais levèrent le siège et affrontèrent l'armée française près d'Azincourt.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 1841-1854
EXPLICATION Physique des bruits entendus en l'air dans la Paroisse d'Ansacq, Diocèse de Beauvais, dont il est parlé dans le second Volume du Mercure de France du mois de Décembre 1730. par M. Capperon, Ancien Doyen de Saint Maxent.
Début :
Le Sçavant qui a écrit la Lettre dont l'Extrait est inseré dans le Mercure [...]
Mots clefs :
Explication physique, Diocèse de Beauvais, Paroisse d'Ansacq, Sons, Bruits, Tonnerre, Vibrations, Ondulations, Fermentation, Parties salines
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXPLICATION Physique des bruits entendus en l'air dans la Paroisse d'Ansacq, Diocèse de Beauvais, dont il est parlé dans le second Volume du Mercure de France du mois de Décembre 1730. par M. Capperon, Ancien Doyen de Saint Maxent.
EXPLICATION Physique des bruits
entendus en l'air dans la Paroisse d'Ansacq,
Diocèse de Beauvais , dont il est
parlé dans le second Volume du Mercure
de France du mois de Décembre 1730.
par M. Capperon , Ancien Doyen de
Saint Maxent.
LF savit quiseterdans le Mercure
E Sçavant qui a écrit la Lettre dont
du mois de , Février dernier m'invite
d'une maniere trop gracieuse à donner
une explication Physique des bruits entendus
à Ansacq , pour queje ne fasse pas
quelque effort pour le satisfaire . Je le fais
d'autant plus volontiers ,que je suis persua
dé que ce qu'il y a d'obligeant dans sa
A iij
Let1842
MERCURE DE FRANCE
›
Lettre vient de la seule bienveillance
qu'il a pour moi , et non de ce que j'ai
pû faire qui ait mérité son attention .
Il s'agit donc de donner une explication
physique de ces bruits qui ont été entendus
en l'air, dans la Paroisse d'Ansacq , proche
de Clermont en Beauvoisis , dont la Relation
a été écrite par le Curé du Lieu avec
beaucoup d'exactitude et d'esprit .
Pour entrer tout d'un coup ´en matiere
, je dis, que, quoique ces bruits qu'on
entend dans l'air ne soient pas bien frequens
, ils ne laissent pas d'arriver quelque
fois. L'Auteur de la Lettre écrite de Bourgogne
cite deux Particuliers qui lui ont
assuré avoir entendus des bruits à peu
près semblables ; sçavoir , l'un en Suisse
et l'autre dans la Bourgogne.
Voici même qu'on nous apprend par
une Lettre insérée dans le Mercure du
mois de May , que de pareils bruits se
sont fait entendre pendant le mois d'Octobre
de l'année derniere , dans un Lieu
que l'on ne nomme pas .
Si nous voulons aller plus loin , l'Auteur
de la Lettre écrite de Bourgogne dit ,
qu'il croit avoir lû dans laChronique d'Helinand
, Moine de Froidmont , qui vivoit
sur la fin du XII . siécle, un fait semblable.
La même chose arriva du tems de saint
Mamert
OKAATO US T. 1731 1843 .
"
Mamert , Evêque de Vienne , c'est-à- dire ,
vers l'an 469. car au rapport de saint
Avit de Vienne et de saint Cesaire d'Arles,
citez par M. Baillet ( a ) on 'entendit plusieurs
fois dans l'air de ces sortes de bruits
pendant la nuit , dont non - seulement
les hommes furent extrémement effrayez ,
mais les animaux mêmes , puisqu'il est
dit , que les Loups et les Cerfs , sortoient
des Forêts , et fuyoient jusques dans les
Villes , ce qui avoit été précédé de frequens
Tremblemens de Terre dans le
Dauphiné où cela se passoit ; et c'est à la
frayeur que causerent ces évenemens rares
et toujours formidables , que les Prieres
des Rogations doivent leur origine.g
Long- tems avant tout cela, (b) Pline avoit
rapporté que lorsque les Romains firent
la Guerre aux Danois , on entendit plusieurs
fois dans l'air unbruit tel que celui
qui se fait dans le tems d'un combat par
le cliquetis des armes , et un autre qui
ressembloit au son des trompettes :
ce qui revient assez au bruit entendu à
Ansacq , puisqu'outre le bruit tumul-
(a) Histoire des Rogations.
(b) Armorum crepitus , et tuba sonitus auditos
è cælo cimbricis bellis accepimus et postea. &c.
Plin. Natur. Hist. lib. 2. cap . 57.
A iiij tueux,
1844 MERCURE DE FRANCE
tueux , on y entendoit aussi comme un
son de Trompette.
Quoiqu'il ne soit donc pas nouveau
d'ertendre dans l'air ces sortes de bruits
et de sons , on peut dire cependant
qu'ils sont toûjours assez rares et ce
n'est que parce qu'ils arrivent si peu souvent
, qu'on en est plus surpris lorsqu'on
les entend , et qu'on ne sçait à quoi en
attribuer la véritable cause ; ce fait n'étant
pas jusqu'à present venu à la connoissance
de Gens délivrez des préjugez
populaires , et qui fussent disposez
à en chercher la cause dans une bonne
Physique. Voyons maintenant si nous
pourrons découvrir comment ces sortes
de sons et de bruits peuvent naturellement
se former dans l'air.
J'avoue qu'il est difficile de comprendre
que cela puisse arriver dans un air
très-pur : car cet air peut bien , à la vérité,
par son mouvement et son agitation , rencontrant
des corps solides diversement figurez
, former diverses sortes de sons ;
mais que des bruits tels des bruits tels que ceux d'Ansacq
, puissent être causés par un agitation
intérieure qui se formeroit dans un
air aussi pur qu'on le suppose , c'est ce
qu'on ne peut raisonnablement penser. <
Il n'en est pas de même de l'air grossier
rempil
AOUST. 1731. 1845
rempli d'exhalaisons et de vapeurs , dans
lequel il est constant qu'il se peut former
des sons et des bruits . Nous en
avons une preuve sensible dans le bruit
formidable du Tonnerre , qui se fait si
souvent entendre dans l'air , lequel est
causé par une sorte de fermentation chaude
, produite dans un nuage , par le mélange
des parties sulphureuses , salines et
terrestres , qui y sont contenuës . Comme
dans cette fermentation le soufre
par consequent le feu , sont de la partie
, il ne faut pas être surpris si la détonation
étant violente , les vibrations
et les ondulations de l'air en sont plus
fortes et plus grandes , d'où il en résulte
des sons plus éclatans et plus terribles.
,
Une fermentation chaude et enflammée
qui se fait dans l'air , étant donc capable
de former des sons et des bruits trèsviolens
, il y a tout lieu de présumer, que
s'il s'y fait des fermentations froides plus
moderées , par un simple mélange des
parties salines avec des parties terrestres
Il s'y formera aussi des sons et des bruits ,
moins grands,à la vérité,que ceux du tonnerre
, mais toujours très -sensibles et frapans.
D'ailleurs ces fermentations doivent
être rares ; parce que la chaleur faisant
élever facilement dans l'air , les parties
AY
sulphu
>
1846 MERCURE DE FRANCE
que
sulphureuses de la terre , il s'ensuit
rarement les parties salines et terrestres
doivent s'y trouver absolument destituées
de quelque mélange de soufre : et
c'est justement parce que ces fermentations
froides se font rarement dans l'air ,
qu'on entend peu souvent les bruits et les
sons qu'elles y forment ; et que quand ,
cela est arrivé , ça été dans des temps et
des lieux , où personne ne s'est avisé d'en
rechercher la cause naturelle : c'est ce
qui a fait que jusqu'à present cette matiere
n'a pas été approfondie.
>
par-
Il me paroît néanmoins , qu'il n'est pas
si difficile de le faire : puisqu'il n'y a qu'à
transporter à l'air grossier, rempli de
ties salines et terrestres ce qu'on voit
tous les jours arriver dans d'autres liquides
, où se font ces sortes de fermentations
froides , tels , par exemple , que le
Vin, le Cidre, et la Bierre , qui fermentent
dans un muid , ou ce qui se fait souvent
dans la mer , lorsqu'elle fait un bruit assez
grand, pour qu'il soit quelquefois entendu
à cinq ou six lieuës loin de son rivage.
Je crois qu'on ne peut pas douter que
ce ne soit une fermentation froide qui se
fait dans le Vin ou dans le Cidre nouveaux
qui soit la cause du bruit er du
murmure assez sensible qui s'entend dan
>
e lc
AOUST. 1731. 1847
.
les muids , où ces liquides et ces sucs sont
contenus ; ce qui n'arrive , que parce que
la matiere subtile , répandue dans tout
'Univers , et qui fait seule la liquidité des
fluides,'agitant continuellement leurs parties
grossieres , poreuses et tartareuses et
d'autres plus fines et plus déliées , par
ses tourbillonnemens , elle les pousse si
vivement les unes contre les autres , que
Les petites s'introduisent par ce moyen
dans les pores des plus grossieres ; et
voilà ce qui fait la fermentation , qui
cause le gouflement , le bouillonnement
de ces liquides , et le bruit qui en résulte .
Car ces parties fines et déliées , entrant
dans les pores parties grossieres , elles
en chassent nécessairement l'air qui y étoit
renfermé ; ce qui lui donne lieu de s'élancer
assez violemment hors de ces liquides
, en les faisant , non seulement gonfler
et bouillonner , mais causant encore
le bruit et le murmure qu'on entend pendant
tout le tems que la fermentation
dure 3 parce que cet air ne peut pas s'échaper
avec quelque impetuosité hors de
la superficie de ces liquides par differens
endroits , qu'il ne frappe avec force l'air
extérieur , et qu'il n'y cause des secousses
et des vibrations assez fortes , pour
ébran ler le sens de l'oüie ; et former par
A vi con
des
1848 MERCURE DE FRANCE
consequent , en même- tems , ce bruit et
ce murmure qu'on entend.
Ce terrible mugissement, pour ainsi dire,
que fait quelquefois la mer , vient d'une
fermentation à peu près pareille ; car
comme nous en sommes ici fort proches,
j'ai été curieux de voir de quelle maniere
la chose se passoit , dans le tems que ce
bruit se faisoit fortement entendre ; et je
vis étant sur le rivage , que c'étoit dans
l'interieur des eaux , que se faisoit tout le
mouvement qui causoit ce bruit , la mer
' en étant pas pour cela plus agitée audehors
d'où j'ai conclu , qu'il est à croire,
que les Rivieres et les pluyes font continuellement
entrer dans la mer une infinité
de parties terrestres , dans lesquelles
beaucoup de particules d'air se trouvent
aussi renfermées et emprisonnées.
Mais parce que l'eau de la mer à cause
de sa grossiereté , ne peut pas seule faire
une dissolution assez parfaite de ces molécules
terrestres , pour chasser l'air qui
y est envelope ; s'il arrive que dans certain
espace de mer , il s'éleve de son fond
une vapeur remplie d'un Sel acide , fin
et délicat , c'est alors , que la matiere subtile
qui cause la fluidité de ses eaux , s'emparant
des éguilles fines et pointues de ce
Sel , elle les pousse violemment contre
ces
AOUST. 1731. 1849
ces molécules ; et les faisant entrer violemment
comme autant de petits coins
dans leurs pores , elle en brise et en
écarte les parties avec plus de facilité.
Les particules de Pair ont au même
instant la liberté de s'échaper de leur pri
son ; et leurs petits ressorts se débondant
, elles font alors dans l'eau de mer,
les mêmes effets qu'elles operent lorsqu'el
les échapent dans le Vin ou dans le Ĉidre
qui fermentent, c'est-à - dire , qui si elles ne
le font pas gonfler , à cause de la trop
grande étendue de ses eaux , ni trop
visiblement bouillonner , à cause du moument
extérieur de ses vagues , au moins
en s'échapant par une infinité d'endroits
de sa superficie , elles frappent l'air extérieur
avec d'autant plus de force , qu'el
les se trouvent réunies en plus grand nombre
, d'où il en résulte un bruit d'autang
plus éclatant.
Il ne reste maintenant qu'à appliquer
tout ce que je viens de dire,aux Akousmates
en général , et en particulier aux bruits.
entendus à Ansacq. Car si des fermentations
froides , qui se font dans les liquides
tels que le Vin , le Cidre , l'eau de mer ,
forment et causent naturellement des
sons; de pareilles fermentations pouvant
se faire également dans l'air , il est clair
qu'elles
1850 MERCURE DE FRANCE
qu'elles y peuvent aussi former des bruits
et des sons. Or il est hors de doute , que
dans les vapeurs qui s'élevent en l'air , il
y en a qui emportent avec elles quan
tité de parties simplement terrestres
qui contiennent aussi de l'air , et quantité
d'aurres parties purement salines. Mes
Observations sur les Sels , contenus dans
l'air , me l'ont fait assez connoître.
Personne ne peut donc disconvenir ,
que ces parties terrestres et salines , se
trouvant ramassées ensemble dans un
nuage , elles ne puissent y fermenter
comme elles font dans la Mer , et par
conséquent y former des sons plus ou
moins grands , selon que le nuage au
ra plus ou moins d'étendue et d'épais
seur , et qui paroîtront plus ou moins éloignés
, suivant que le nuage se trouvera
plus ou moins loin.
D'ailleurs cela peut arriver dans certains
Cantons , plutôt que dans d'autres,
soit parce qu'il s'y trouve beaucoup plus
de cette espece de Sel , ou qu'il s'y en
fait dans de certains temps une éva
poration plus grande ; ou enfin parce
qu'il y arrive quelque remüement ou
Tremblement de Terre , qui contribue
à cette évaporation , propre à former
dans l'air la fermentation convenable
pour
A O UST . 1731. 1851
,
pour y causer ces sortes de bruits .
Pendant cette fermentation , si l'air
renfermé dans le Nuage en échape tout
à la fois , comme dans la mer , par quantité
d'endroits , il se formera alors un
bruit confus de sons differens , soit tel
que le cliquetis des armes ,
armes , ainsi que le
rapporte Pline , soit tel qu'un bruit confus
de differentes sortes de voix , comme
on l'a entendu à Ansacq , si l'air s'en
échappe assez violemment par une longue
traînée alors il formera des sons
semblables à ceux des trompettes , ou
tels que ceux de divers Instrumens
lon le plus ou le moins de force
de continuité , avec laquelle il s'échaperą.
>
>
seon
Car si l'air s'échape du nuage avec une
impétuosité considerable , qui approche
de plus près de ce qui se fait pendant
le Tonnerre , les bruits seront plus éclatans
et causeront beaucoup plus de
frayeur , non seulement aux hommes ,
mais même aux animaux , par la singularité
de ces sortes de bruits , auxquels
les Bêtes ne sont pas accoutumées , ce qui
a pû donner lieu aux Loups et aux Cerfs
de fuir hors des Bois et des Forêts , ainsi
qu'il est arrivé au temps de saint Mamert
; et aux Moutons , ou autres Animaux
,
1852 MERCURE DE FRANCE
maux , de forcer leurs parcs , et fuir de
tous côtez comme cela est arrivé en
Suisse et à Ansacq .
>
Enfin si cet échapement de l'air hors
du nuage se fait plus lentement , mais
néanmoins avec quelque durée ; alors on
entendra comme des gémissemens : et c'est
ce qu'on observe tous les jours , lorsqu'on
met sur le feu une Marmite remplie
d'eau ; car chacun sçait , qu'au mo
ment que l'eau vient a s'échauffer , on
est souvent surpris d'entendre tout à coup
comme une voix plaintive , qui sort de
la Marmite ; ce qui ne vient pareillement
, que par une traînée d'air , poussée
hors de l'eau par le feu , qui s'en
échape et en sort avec quelque lenteur
par un seul endroit.
Je dirai en passant , que des Particuliers
de cette Ville , ayant mis dans une
marmite pleine d'eau un coeur de Mouton
et d'autres visceres , pour connoître
par des observations superstisieuses , l'Auteur
d'un prétendu maléfice , jetté à ce
qu'ils croyoient sur leurs chevaux un
bruit plaintif qui sortit de l'eau , leur
fit imaginer que c'étoit le Diable qui étoit
descendu par la cheminée , et qui hurloit
dans la marmite , ils s'enfuirent tous à
l'instant , et abandonnercnt leur opération
superstitieuse.
,
Сон
A O UST. 1731. 1853
Concluons donc de tout ce que je
viens de dire , que les Akousmates , et
les bruits entendus à Ansacq et ailleurs
, se sont naturellement formés dans
un nuage , qui étoit posé sur les lieux où
on les entendoit,ou au moins qui en étoit
peu éloigné ; ajoutons que cela est plus
vrai - semblable , que de croire , comme
le dit l'Auteur du Mémoire , inseré dans
le Mercure du mois de Mars dernier , que
la chose s'est faite par l'addresse de quelque
Particulier , qui a sçû causer ces sortes
de bruits , pour avoir le plaisir de
donner l'épouvante à ceux qui les ont
entendus : parce qu'on ne peut pas raisonnablement
présumer qu'un particulier
qui auroit voulu se donner ce
plaisir , eût pû tenir la chose si secrete,
que personne n'en eût eû la moindre connoissance
, et qu'on lui en eût gardé un
parfait secret, qu'il en cût été de même dans
tous les temps et tous les lieux , ou de
semblables bruits se sont fait entendre.
Peut-on croire que tous ceux qui au- “
roient eu une telle addresse , auroient toujours
voulu la tenir cachée? c'est ce que leur
amour propre ne leur auroit jamais permis.
Les nommez Philibert et Loillet,
dont parle l'Auteur du Mémoire n'ont
eû garde de tenir leur talent caché et se-
>
cret.
1854 MERCURE DE FRANCE
cret. On vient même de faire connoître
par la Lettre insérée dans le Mercure du
mois de May dernier , et dont j'ai parlé
cy-dessus , que la chose n'a jamais pû se
faire par un semblable moyen.
A la Ville d'Eu , le 20. de Juin 1731 .
entendus en l'air dans la Paroisse d'Ansacq,
Diocèse de Beauvais , dont il est
parlé dans le second Volume du Mercure
de France du mois de Décembre 1730.
par M. Capperon , Ancien Doyen de
Saint Maxent.
LF savit quiseterdans le Mercure
E Sçavant qui a écrit la Lettre dont
du mois de , Février dernier m'invite
d'une maniere trop gracieuse à donner
une explication Physique des bruits entendus
à Ansacq , pour queje ne fasse pas
quelque effort pour le satisfaire . Je le fais
d'autant plus volontiers ,que je suis persua
dé que ce qu'il y a d'obligeant dans sa
A iij
Let1842
MERCURE DE FRANCE
›
Lettre vient de la seule bienveillance
qu'il a pour moi , et non de ce que j'ai
pû faire qui ait mérité son attention .
Il s'agit donc de donner une explication
physique de ces bruits qui ont été entendus
en l'air, dans la Paroisse d'Ansacq , proche
de Clermont en Beauvoisis , dont la Relation
a été écrite par le Curé du Lieu avec
beaucoup d'exactitude et d'esprit .
Pour entrer tout d'un coup ´en matiere
, je dis, que, quoique ces bruits qu'on
entend dans l'air ne soient pas bien frequens
, ils ne laissent pas d'arriver quelque
fois. L'Auteur de la Lettre écrite de Bourgogne
cite deux Particuliers qui lui ont
assuré avoir entendus des bruits à peu
près semblables ; sçavoir , l'un en Suisse
et l'autre dans la Bourgogne.
Voici même qu'on nous apprend par
une Lettre insérée dans le Mercure du
mois de May , que de pareils bruits se
sont fait entendre pendant le mois d'Octobre
de l'année derniere , dans un Lieu
que l'on ne nomme pas .
Si nous voulons aller plus loin , l'Auteur
de la Lettre écrite de Bourgogne dit ,
qu'il croit avoir lû dans laChronique d'Helinand
, Moine de Froidmont , qui vivoit
sur la fin du XII . siécle, un fait semblable.
La même chose arriva du tems de saint
Mamert
OKAATO US T. 1731 1843 .
"
Mamert , Evêque de Vienne , c'est-à- dire ,
vers l'an 469. car au rapport de saint
Avit de Vienne et de saint Cesaire d'Arles,
citez par M. Baillet ( a ) on 'entendit plusieurs
fois dans l'air de ces sortes de bruits
pendant la nuit , dont non - seulement
les hommes furent extrémement effrayez ,
mais les animaux mêmes , puisqu'il est
dit , que les Loups et les Cerfs , sortoient
des Forêts , et fuyoient jusques dans les
Villes , ce qui avoit été précédé de frequens
Tremblemens de Terre dans le
Dauphiné où cela se passoit ; et c'est à la
frayeur que causerent ces évenemens rares
et toujours formidables , que les Prieres
des Rogations doivent leur origine.g
Long- tems avant tout cela, (b) Pline avoit
rapporté que lorsque les Romains firent
la Guerre aux Danois , on entendit plusieurs
fois dans l'air unbruit tel que celui
qui se fait dans le tems d'un combat par
le cliquetis des armes , et un autre qui
ressembloit au son des trompettes :
ce qui revient assez au bruit entendu à
Ansacq , puisqu'outre le bruit tumul-
(a) Histoire des Rogations.
(b) Armorum crepitus , et tuba sonitus auditos
è cælo cimbricis bellis accepimus et postea. &c.
Plin. Natur. Hist. lib. 2. cap . 57.
A iiij tueux,
1844 MERCURE DE FRANCE
tueux , on y entendoit aussi comme un
son de Trompette.
Quoiqu'il ne soit donc pas nouveau
d'ertendre dans l'air ces sortes de bruits
et de sons , on peut dire cependant
qu'ils sont toûjours assez rares et ce
n'est que parce qu'ils arrivent si peu souvent
, qu'on en est plus surpris lorsqu'on
les entend , et qu'on ne sçait à quoi en
attribuer la véritable cause ; ce fait n'étant
pas jusqu'à present venu à la connoissance
de Gens délivrez des préjugez
populaires , et qui fussent disposez
à en chercher la cause dans une bonne
Physique. Voyons maintenant si nous
pourrons découvrir comment ces sortes
de sons et de bruits peuvent naturellement
se former dans l'air.
J'avoue qu'il est difficile de comprendre
que cela puisse arriver dans un air
très-pur : car cet air peut bien , à la vérité,
par son mouvement et son agitation , rencontrant
des corps solides diversement figurez
, former diverses sortes de sons ;
mais que des bruits tels des bruits tels que ceux d'Ansacq
, puissent être causés par un agitation
intérieure qui se formeroit dans un
air aussi pur qu'on le suppose , c'est ce
qu'on ne peut raisonnablement penser. <
Il n'en est pas de même de l'air grossier
rempil
AOUST. 1731. 1845
rempli d'exhalaisons et de vapeurs , dans
lequel il est constant qu'il se peut former
des sons et des bruits . Nous en
avons une preuve sensible dans le bruit
formidable du Tonnerre , qui se fait si
souvent entendre dans l'air , lequel est
causé par une sorte de fermentation chaude
, produite dans un nuage , par le mélange
des parties sulphureuses , salines et
terrestres , qui y sont contenuës . Comme
dans cette fermentation le soufre
par consequent le feu , sont de la partie
, il ne faut pas être surpris si la détonation
étant violente , les vibrations
et les ondulations de l'air en sont plus
fortes et plus grandes , d'où il en résulte
des sons plus éclatans et plus terribles.
,
Une fermentation chaude et enflammée
qui se fait dans l'air , étant donc capable
de former des sons et des bruits trèsviolens
, il y a tout lieu de présumer, que
s'il s'y fait des fermentations froides plus
moderées , par un simple mélange des
parties salines avec des parties terrestres
Il s'y formera aussi des sons et des bruits ,
moins grands,à la vérité,que ceux du tonnerre
, mais toujours très -sensibles et frapans.
D'ailleurs ces fermentations doivent
être rares ; parce que la chaleur faisant
élever facilement dans l'air , les parties
AY
sulphu
>
1846 MERCURE DE FRANCE
que
sulphureuses de la terre , il s'ensuit
rarement les parties salines et terrestres
doivent s'y trouver absolument destituées
de quelque mélange de soufre : et
c'est justement parce que ces fermentations
froides se font rarement dans l'air ,
qu'on entend peu souvent les bruits et les
sons qu'elles y forment ; et que quand ,
cela est arrivé , ça été dans des temps et
des lieux , où personne ne s'est avisé d'en
rechercher la cause naturelle : c'est ce
qui a fait que jusqu'à present cette matiere
n'a pas été approfondie.
>
par-
Il me paroît néanmoins , qu'il n'est pas
si difficile de le faire : puisqu'il n'y a qu'à
transporter à l'air grossier, rempli de
ties salines et terrestres ce qu'on voit
tous les jours arriver dans d'autres liquides
, où se font ces sortes de fermentations
froides , tels , par exemple , que le
Vin, le Cidre, et la Bierre , qui fermentent
dans un muid , ou ce qui se fait souvent
dans la mer , lorsqu'elle fait un bruit assez
grand, pour qu'il soit quelquefois entendu
à cinq ou six lieuës loin de son rivage.
Je crois qu'on ne peut pas douter que
ce ne soit une fermentation froide qui se
fait dans le Vin ou dans le Cidre nouveaux
qui soit la cause du bruit er du
murmure assez sensible qui s'entend dan
>
e lc
AOUST. 1731. 1847
.
les muids , où ces liquides et ces sucs sont
contenus ; ce qui n'arrive , que parce que
la matiere subtile , répandue dans tout
'Univers , et qui fait seule la liquidité des
fluides,'agitant continuellement leurs parties
grossieres , poreuses et tartareuses et
d'autres plus fines et plus déliées , par
ses tourbillonnemens , elle les pousse si
vivement les unes contre les autres , que
Les petites s'introduisent par ce moyen
dans les pores des plus grossieres ; et
voilà ce qui fait la fermentation , qui
cause le gouflement , le bouillonnement
de ces liquides , et le bruit qui en résulte .
Car ces parties fines et déliées , entrant
dans les pores parties grossieres , elles
en chassent nécessairement l'air qui y étoit
renfermé ; ce qui lui donne lieu de s'élancer
assez violemment hors de ces liquides
, en les faisant , non seulement gonfler
et bouillonner , mais causant encore
le bruit et le murmure qu'on entend pendant
tout le tems que la fermentation
dure 3 parce que cet air ne peut pas s'échaper
avec quelque impetuosité hors de
la superficie de ces liquides par differens
endroits , qu'il ne frappe avec force l'air
extérieur , et qu'il n'y cause des secousses
et des vibrations assez fortes , pour
ébran ler le sens de l'oüie ; et former par
A vi con
des
1848 MERCURE DE FRANCE
consequent , en même- tems , ce bruit et
ce murmure qu'on entend.
Ce terrible mugissement, pour ainsi dire,
que fait quelquefois la mer , vient d'une
fermentation à peu près pareille ; car
comme nous en sommes ici fort proches,
j'ai été curieux de voir de quelle maniere
la chose se passoit , dans le tems que ce
bruit se faisoit fortement entendre ; et je
vis étant sur le rivage , que c'étoit dans
l'interieur des eaux , que se faisoit tout le
mouvement qui causoit ce bruit , la mer
' en étant pas pour cela plus agitée audehors
d'où j'ai conclu , qu'il est à croire,
que les Rivieres et les pluyes font continuellement
entrer dans la mer une infinité
de parties terrestres , dans lesquelles
beaucoup de particules d'air se trouvent
aussi renfermées et emprisonnées.
Mais parce que l'eau de la mer à cause
de sa grossiereté , ne peut pas seule faire
une dissolution assez parfaite de ces molécules
terrestres , pour chasser l'air qui
y est envelope ; s'il arrive que dans certain
espace de mer , il s'éleve de son fond
une vapeur remplie d'un Sel acide , fin
et délicat , c'est alors , que la matiere subtile
qui cause la fluidité de ses eaux , s'emparant
des éguilles fines et pointues de ce
Sel , elle les pousse violemment contre
ces
AOUST. 1731. 1849
ces molécules ; et les faisant entrer violemment
comme autant de petits coins
dans leurs pores , elle en brise et en
écarte les parties avec plus de facilité.
Les particules de Pair ont au même
instant la liberté de s'échaper de leur pri
son ; et leurs petits ressorts se débondant
, elles font alors dans l'eau de mer,
les mêmes effets qu'elles operent lorsqu'el
les échapent dans le Vin ou dans le Ĉidre
qui fermentent, c'est-à - dire , qui si elles ne
le font pas gonfler , à cause de la trop
grande étendue de ses eaux , ni trop
visiblement bouillonner , à cause du moument
extérieur de ses vagues , au moins
en s'échapant par une infinité d'endroits
de sa superficie , elles frappent l'air extérieur
avec d'autant plus de force , qu'el
les se trouvent réunies en plus grand nombre
, d'où il en résulte un bruit d'autang
plus éclatant.
Il ne reste maintenant qu'à appliquer
tout ce que je viens de dire,aux Akousmates
en général , et en particulier aux bruits.
entendus à Ansacq. Car si des fermentations
froides , qui se font dans les liquides
tels que le Vin , le Cidre , l'eau de mer ,
forment et causent naturellement des
sons; de pareilles fermentations pouvant
se faire également dans l'air , il est clair
qu'elles
1850 MERCURE DE FRANCE
qu'elles y peuvent aussi former des bruits
et des sons. Or il est hors de doute , que
dans les vapeurs qui s'élevent en l'air , il
y en a qui emportent avec elles quan
tité de parties simplement terrestres
qui contiennent aussi de l'air , et quantité
d'aurres parties purement salines. Mes
Observations sur les Sels , contenus dans
l'air , me l'ont fait assez connoître.
Personne ne peut donc disconvenir ,
que ces parties terrestres et salines , se
trouvant ramassées ensemble dans un
nuage , elles ne puissent y fermenter
comme elles font dans la Mer , et par
conséquent y former des sons plus ou
moins grands , selon que le nuage au
ra plus ou moins d'étendue et d'épais
seur , et qui paroîtront plus ou moins éloignés
, suivant que le nuage se trouvera
plus ou moins loin.
D'ailleurs cela peut arriver dans certains
Cantons , plutôt que dans d'autres,
soit parce qu'il s'y trouve beaucoup plus
de cette espece de Sel , ou qu'il s'y en
fait dans de certains temps une éva
poration plus grande ; ou enfin parce
qu'il y arrive quelque remüement ou
Tremblement de Terre , qui contribue
à cette évaporation , propre à former
dans l'air la fermentation convenable
pour
A O UST . 1731. 1851
,
pour y causer ces sortes de bruits .
Pendant cette fermentation , si l'air
renfermé dans le Nuage en échape tout
à la fois , comme dans la mer , par quantité
d'endroits , il se formera alors un
bruit confus de sons differens , soit tel
que le cliquetis des armes ,
armes , ainsi que le
rapporte Pline , soit tel qu'un bruit confus
de differentes sortes de voix , comme
on l'a entendu à Ansacq , si l'air s'en
échappe assez violemment par une longue
traînée alors il formera des sons
semblables à ceux des trompettes , ou
tels que ceux de divers Instrumens
lon le plus ou le moins de force
de continuité , avec laquelle il s'échaperą.
>
>
seon
Car si l'air s'échape du nuage avec une
impétuosité considerable , qui approche
de plus près de ce qui se fait pendant
le Tonnerre , les bruits seront plus éclatans
et causeront beaucoup plus de
frayeur , non seulement aux hommes ,
mais même aux animaux , par la singularité
de ces sortes de bruits , auxquels
les Bêtes ne sont pas accoutumées , ce qui
a pû donner lieu aux Loups et aux Cerfs
de fuir hors des Bois et des Forêts , ainsi
qu'il est arrivé au temps de saint Mamert
; et aux Moutons , ou autres Animaux
,
1852 MERCURE DE FRANCE
maux , de forcer leurs parcs , et fuir de
tous côtez comme cela est arrivé en
Suisse et à Ansacq .
>
Enfin si cet échapement de l'air hors
du nuage se fait plus lentement , mais
néanmoins avec quelque durée ; alors on
entendra comme des gémissemens : et c'est
ce qu'on observe tous les jours , lorsqu'on
met sur le feu une Marmite remplie
d'eau ; car chacun sçait , qu'au mo
ment que l'eau vient a s'échauffer , on
est souvent surpris d'entendre tout à coup
comme une voix plaintive , qui sort de
la Marmite ; ce qui ne vient pareillement
, que par une traînée d'air , poussée
hors de l'eau par le feu , qui s'en
échape et en sort avec quelque lenteur
par un seul endroit.
Je dirai en passant , que des Particuliers
de cette Ville , ayant mis dans une
marmite pleine d'eau un coeur de Mouton
et d'autres visceres , pour connoître
par des observations superstisieuses , l'Auteur
d'un prétendu maléfice , jetté à ce
qu'ils croyoient sur leurs chevaux un
bruit plaintif qui sortit de l'eau , leur
fit imaginer que c'étoit le Diable qui étoit
descendu par la cheminée , et qui hurloit
dans la marmite , ils s'enfuirent tous à
l'instant , et abandonnercnt leur opération
superstitieuse.
,
Сон
A O UST. 1731. 1853
Concluons donc de tout ce que je
viens de dire , que les Akousmates , et
les bruits entendus à Ansacq et ailleurs
, se sont naturellement formés dans
un nuage , qui étoit posé sur les lieux où
on les entendoit,ou au moins qui en étoit
peu éloigné ; ajoutons que cela est plus
vrai - semblable , que de croire , comme
le dit l'Auteur du Mémoire , inseré dans
le Mercure du mois de Mars dernier , que
la chose s'est faite par l'addresse de quelque
Particulier , qui a sçû causer ces sortes
de bruits , pour avoir le plaisir de
donner l'épouvante à ceux qui les ont
entendus : parce qu'on ne peut pas raisonnablement
présumer qu'un particulier
qui auroit voulu se donner ce
plaisir , eût pû tenir la chose si secrete,
que personne n'en eût eû la moindre connoissance
, et qu'on lui en eût gardé un
parfait secret, qu'il en cût été de même dans
tous les temps et tous les lieux , ou de
semblables bruits se sont fait entendre.
Peut-on croire que tous ceux qui au- “
roient eu une telle addresse , auroient toujours
voulu la tenir cachée? c'est ce que leur
amour propre ne leur auroit jamais permis.
Les nommez Philibert et Loillet,
dont parle l'Auteur du Mémoire n'ont
eû garde de tenir leur talent caché et se-
>
cret.
1854 MERCURE DE FRANCE
cret. On vient même de faire connoître
par la Lettre insérée dans le Mercure du
mois de May dernier , et dont j'ai parlé
cy-dessus , que la chose n'a jamais pû se
faire par un semblable moyen.
A la Ville d'Eu , le 20. de Juin 1731 .
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Résumé : EXPLICATION Physique des bruits entendus en l'air dans la Paroisse d'Ansacq, Diocèse de Beauvais, dont il est parlé dans le second Volume du Mercure de France du mois de Décembre 1730. par M. Capperon, Ancien Doyen de Saint Maxent.
En décembre 1730, le Mercure de France rapporte des bruits mystérieux entendus dans l'air à Ansacq, une paroisse du diocèse de Beauvais. M. Capperon, ancien doyen de Saint Maxent, propose une explication physique à ces phénomènes. Ces bruits, décrits comme tumultueux et similaires à des sons de trompette, ont été observés dans diverses régions et époques, y compris en Suisse, en Bourgogne, et durant l'Antiquité. Capperon cite des exemples historiques similaires, comme ceux rapportés par Pline et lors des prières des Rogations initiées par saint Mamert. Il explique que ces bruits ne peuvent se produire dans un air pur mais sont possibles dans un air grossier rempli d'exhalaisons et de vapeurs. Il compare ces phénomènes à des fermentations observées dans des liquides comme le vin, le cidre, et la bière, ainsi qu'à des bruits marins. L'auteur suggère que des fermentations froides dans l'air, causées par le mélange de parties salines et terrestres, peuvent produire des sons et des bruits. Ces fermentations sont rares, ce qui explique la surprise et l'incertitude quant à leur origine. Il conclut que les bruits entendus à Ansacq peuvent être expliqués par des fermentations dans les nuages, similaires à celles observées dans d'autres liquides. Le texte du Mercure de France de 1852 et 1853 discute également des phénomènes acoustiques observés à Ansacq et dans d'autres régions. Il explique que les bruits entendus, tels que des gémissements ou des voix plaintives, sont causés par l'échappement de l'air hors des nuages ou de l'eau chauffée. Un exemple est donné avec une marmite d'eau chauffée, où l'air s'échappe lentement, produisant des sons similaires à des plaintes. Le texte mentionne une anecdote où des habitants de la ville, ayant placé des viscères de mouton dans une marmite d'eau, ont interprété un bruit plaintif comme étant le Diable, ce qui les a effrayés et les a fait fuir. L'auteur conclut que les bruits entendus à Ansacq et ailleurs sont dus à des phénomènes naturels se produisant dans les nuages. Il rejette l'idée que ces bruits soient causés par des individus cherchant à effrayer les autres, arguant que cela serait difficile à garder secret. Une lettre insérée dans le Mercure de mai 1731 confirme que les bruits ne peuvent pas être produits par des moyens artificiels.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 2362-2364
REFLEXIONS de M. Capperon, sur une Lettre de M. le Beuf, sur les anciens Tombeaux, inserée dans le Mercure de May 1731. page 1045.
Début :
Notre sçavant Chanoine d'Auxerre, M. le Beuf, a pris, comme vous [...]
Mots clefs :
Urne, Médailles, Crâne humain, Chanoine
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS de M. Capperon, sur une Lettre de M. le Beuf, sur les anciens Tombeaux, inserée dans le Mercure de May 1731. page 1045.
REFLEXIONS de M. Capperon ,
sur une Lettre de M. le Beuf, sur les
anciens Tombeaux , inserée dans le Mercure
de May 1731. page 1045.
N
Otre sçavant Chanoine d'Auxerre ;
M. le Beuf , a pris , comme vous
sçavez , Monfieur , occasion de l'Urne et
des Médailles trouvées proche d'Auxerre
sa Patrie , pour relever ce que j'ai avancé
en 1722. au sujet de quelques Tom .
beaux qui furent découverts ici ; sçavoir,
que selon le témoignage d'Alexandre ab
Alex. et de Gronovius , l'usage de bruler
les corps n'avoit pas passé le temps des
Antonins , et qu'on enterroit generale
ment tous les corps , du temps de Commode.
C'est ce que j'ai dit alors en effet ,
appuyé comme j'étois de l'autorité de ces
deux Sçavans.
Il est vrai que M. l'Abbé des Thuille
ries, contraria mon sentiment , sappuyant
de sa part sur l'autorité de Kircmanus,
Comme nous avions tous deux nos garants
, la question demeura indécise
n'ayant l'un et l'autre que les sentimens
des Auteurs à produire.
Enfin
OCTOBRE. 1731. 2363
Enfin , je l'avoue , la voilà decidée cette
question , par la découverte rapportée par
M. le Beuf; puisqu'ayant trouvé divers
fragmens d'une Urne , et des morceaux
de Crâne humain , dont l'un paroît avoir
souffert la violence du feu , le tout accompagné
de quelques Médailles de Posthume
, c'est une preuve qu'on bruloit
encore les Morts au temps de cet Empereur
bien posterieur à Commode , sous
lequel j'ai dit que l'usage de bruler les
corps avoit cessé : on ne peut qu'on ne
se rende à une preuve de fait , telle qu'est
celle - là .
Il n'en est pas de même de ce que le
sçavant Chanoine veut insinuer ; sçavoir ,
que M. Huet et M. l'Abbé des Thuilleries
ont eu raison de croire que le nom
de la Ville d'Eu vient des mots Allemans
ou , auu , auue , ou aug , lesquels en
Langue Teutonique signifient un Pré
et cela parce que proche d'Auxerre il y
a un Village qui se nomme Augy , lequel
est situé sur le bord de la Riviere , sur
quoi il cite encore M. Ducange , qui parlant
dans son Glossaire , d'un lieu nommé
Augia , proche le Danube , conclud
que par le mot d'Augia , il faut entendre
une Prairie située sur le bord d'une Riviere
, ou entourée d'un Fleuve ; d'où
notre
2364 MERCURE DE FRANCE
notre Chanoine prétend , comme avoit
fait M. des Thuilleries , que le nom de
la Ville d'Eu , qu'on dit en latín Augum
lui vient de même du mot de Prairie.
Je suis surpris que M. le Beuf donne
encore dans ce sentiment , après avoir vû
sans doute , la Réponse que je fis aux objections
de M. l'Abbé des Thuilleries
où je faisois voir qu'il faudroit que ceux
qui auroient donné le nom de Pré & de
Prairie , soit à la Ville d'Eu ou au Comté
d'Eu , eussent été absolument dépourvus
du bon sens , puisque la Ville , loin d'être
dans une Prairie , est située sur un
Côteau , et que le Comté est un Païs de
Forêt et de belles et vastes Campagnes.
Il me paroît que cela seul suffit pour dé
truire sans réplique , toutes les conjectures
de ces Sçavans. Je suis , &c.
A Eu , ce 9. Juillet 1731 .
sur une Lettre de M. le Beuf, sur les
anciens Tombeaux , inserée dans le Mercure
de May 1731. page 1045.
N
Otre sçavant Chanoine d'Auxerre ;
M. le Beuf , a pris , comme vous
sçavez , Monfieur , occasion de l'Urne et
des Médailles trouvées proche d'Auxerre
sa Patrie , pour relever ce que j'ai avancé
en 1722. au sujet de quelques Tom .
beaux qui furent découverts ici ; sçavoir,
que selon le témoignage d'Alexandre ab
Alex. et de Gronovius , l'usage de bruler
les corps n'avoit pas passé le temps des
Antonins , et qu'on enterroit generale
ment tous les corps , du temps de Commode.
C'est ce que j'ai dit alors en effet ,
appuyé comme j'étois de l'autorité de ces
deux Sçavans.
Il est vrai que M. l'Abbé des Thuille
ries, contraria mon sentiment , sappuyant
de sa part sur l'autorité de Kircmanus,
Comme nous avions tous deux nos garants
, la question demeura indécise
n'ayant l'un et l'autre que les sentimens
des Auteurs à produire.
Enfin
OCTOBRE. 1731. 2363
Enfin , je l'avoue , la voilà decidée cette
question , par la découverte rapportée par
M. le Beuf; puisqu'ayant trouvé divers
fragmens d'une Urne , et des morceaux
de Crâne humain , dont l'un paroît avoir
souffert la violence du feu , le tout accompagné
de quelques Médailles de Posthume
, c'est une preuve qu'on bruloit
encore les Morts au temps de cet Empereur
bien posterieur à Commode , sous
lequel j'ai dit que l'usage de bruler les
corps avoit cessé : on ne peut qu'on ne
se rende à une preuve de fait , telle qu'est
celle - là .
Il n'en est pas de même de ce que le
sçavant Chanoine veut insinuer ; sçavoir ,
que M. Huet et M. l'Abbé des Thuilleries
ont eu raison de croire que le nom
de la Ville d'Eu vient des mots Allemans
ou , auu , auue , ou aug , lesquels en
Langue Teutonique signifient un Pré
et cela parce que proche d'Auxerre il y
a un Village qui se nomme Augy , lequel
est situé sur le bord de la Riviere , sur
quoi il cite encore M. Ducange , qui parlant
dans son Glossaire , d'un lieu nommé
Augia , proche le Danube , conclud
que par le mot d'Augia , il faut entendre
une Prairie située sur le bord d'une Riviere
, ou entourée d'un Fleuve ; d'où
notre
2364 MERCURE DE FRANCE
notre Chanoine prétend , comme avoit
fait M. des Thuilleries , que le nom de
la Ville d'Eu , qu'on dit en latín Augum
lui vient de même du mot de Prairie.
Je suis surpris que M. le Beuf donne
encore dans ce sentiment , après avoir vû
sans doute , la Réponse que je fis aux objections
de M. l'Abbé des Thuilleries
où je faisois voir qu'il faudroit que ceux
qui auroient donné le nom de Pré & de
Prairie , soit à la Ville d'Eu ou au Comté
d'Eu , eussent été absolument dépourvus
du bon sens , puisque la Ville , loin d'être
dans une Prairie , est située sur un
Côteau , et que le Comté est un Païs de
Forêt et de belles et vastes Campagnes.
Il me paroît que cela seul suffit pour dé
truire sans réplique , toutes les conjectures
de ces Sçavans. Je suis , &c.
A Eu , ce 9. Juillet 1731 .
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Résumé : REFLEXIONS de M. Capperon, sur une Lettre de M. le Beuf, sur les anciens Tombeaux, inserée dans le Mercure de May 1731. page 1045.
M. Capperon réagit à une lettre de M. le Beuf publiée dans le Mercure de mai 1731. Cette lettre conteste l'affirmation de M. Capperon selon laquelle l'usage de brûler les corps avait cessé au temps de Commode. La découverte d'une urne et de médailles près d'Auxerre, ainsi que des fragments d'urne et de crânes humains montrant des traces de feu, prouve que la crémation était encore pratiquée sous un empereur postérieur à Commode. Cette découverte résout la controverse entre Capperon, qui s'appuyait sur Alexandre ab Alexandre et Gronovius, et l'abbé des Thuilleries, qui citait Kirckmanus. Par ailleurs, M. le Beuf et l'abbé des Thuilleries suggèrent que le nom de la ville d'Eu pourrait provenir des mots teutoniques signifiant 'pré', en se référant à des lieux similaires. Capperon réfute cette hypothèse, soulignant que la ville d'Eu est située sur un coteau et que le comté est boisé et agricole, ce qui contredit l'idée d'une origine liée à un pré. Capperon conclut que cette observation suffit à invalider les conjectures des savants.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 203-211
SUITE des Reflexions de M. Caperon, sur la Bizarerie de differens usages, &c.
Début :
Chacun sçait que l'usage du Tabac étant devenu commun [...]
Mots clefs :
Usages, Tabac, Poudre, Toucher, Bonnets, Bizarrerie, Corps
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texteReconnaissance textuelle : SUITE des Reflexions de M. Caperon, sur la Bizarerie de differens usages, &c.
UITE des Reflexions de M. Capperon , sur la Bizarerie de differens usa
ges, &c.
Hacun sçait que l'usage du Tabac étant devenu commun en peu dé
temps , on ne se contenta pas d'en macher et d'en fumer , on le réduisit encore en poudre, pour en user par le nez. On
mit d'abord cette poudre dans de petites
Boëtes , faites en forme de Poires, qu'on
duvroit par un petit trou , d'où on faisoit
sortir la poudre , pour en mettre deux
petits monceaux sur le dos de la main,afin
qu'on put delà les pórter l'un'après l'autre à chaque narine. Le premier usage de
ce Tabac en poudre , parut dans ces commencemens si bizare , qu'on crut qu'il
ne convenoit qu'à des Soldats et aux personnes de la lie du peuple. En effet , il
n'y eut que ces sortes de gens qui en userent les premiers.
Cependant , comme il arrive , à l'égard
des usages les plus bizares , l'imagination
se fit peu à peu à celui-là ; d'honnêtes
gens commencerent à s'y accoutumer.On
fit en leur faveur des Boëtes beaucoup plus
propres et plus riches , qui se fermoient,
A- iiij avec
t
204 MERCURE DE FRANCE
avec une sorte de petit fourniment , qui
ne prenoit dans la Boëte , qu'autant de
poudre qu'il en faloit pour chaque narine , et qu'on mettoit toujours sur le dos
de la main.
La répugnance qu'on avoit euë d'abord,
étant levée , chacun se piqua d'avoir du
Tabac en poudre et d'en user ; mais les
personnes distinguées et délicates eurent
de la peine à s'accommoder de l'odeur de
cette Plante ; on y mit differentes odeurs;
et ce fut encore icy , ou la bizarrerie parut tout de nouveau. Certaines odeurs
furent en vogue, et prirent le dessus , selon le caprice des personnes qui les mettoient en crédit ; jusques- là , qu'un Mare
chand d'une Ville de Flandres s'enrichit,
pouravoir donné à son Tabac en poudre,
l'odeur des vieux Livres moisis, qu'il sçut
accréditer parmi les Officiers François ,
qui étoient en garnison dans cette Pro
vince:
Enfin on a cessé de donner de l'odeur
au Tabac , et l'usage en est devenu abso
lument general. Loin de se faire une
honte de prendre du Tabac , comme dans
les commencemens , chacun s'en fait une
espece de bienseance , dans les plus belles
compagnies.
En avoir le nez barbouillé , la Cravatte
Ou
FEVRIER: * 1732% 205
ou le Justaucorps marquez et couverts ,
n'a rien de choquant aujourd'hui , comme d'avoir des Rapes presque aussi longues que des Basses de Viole. En un mot,
on n'y a plus gardé de mesures ; plusieurs
Pont pris à pleine main , non seulement
dans les Tabatieres , mais jusques dans
leurs poches. Il suffit de dire que cet
usage a passé jusques dans les Cloîtres les
plus réguliers, même dans les Eglises.Que
dis-je ? jusques sur les Autels. Il est vrai
que les Espagnols nous ont précedez dans
Pusage outré du Tabac ; puisque Urbain
VIII. qui est mort en 1644. donna une
Bulle, qu'on peut voir dans le grand Bullaire des Séraphins, par laquelle il excommunie tous ceux qui prennent du Tabac
dans l'Eglise. Cette Bulle fut donnée à la
sollicitation du Doyen et des Chanoines
de la Cathédrale de Séville , où les Prêtres
disant la Messe , prenoient du Tabac jusques sur l'Autel.
Venons maintenant au gout. Sens qui
n'a pas moins fourni d'usages bizares que
les autres ,carcombien de sortes de Mets,
de Liqueurs et d'Apprêts ont ils été en
vogue dans certains temps , qu'on a né,
gligés ensuite ? Je ne finirois pas , si je
voulois en faire l'énumération. Pour m'attacher donc à quelques- uns de ces usages
Av
les
206 MERCURE DE FRANCE
les plus marquez , je dirai qu'à la fin du
seizième siecle, les Dragées vinrent tellement à la mode , que chacun avoit son
Dragier ; on s'en présentoit les uns aux
autres comme on fait aujourd'hui du Tabac. Le Duc de Guise avoit son Dragier à:
la main , lorsqu'il fut tué à Blois . On en
servoit sur toutes les bonnes Tables. Les :
Ecorces de Citrons et d'Oranges eurent:
ensuite leur tour.
Sous Louis XIII.parce que ce Prince aimois le Pain d'Epice,tout le monde en por--
toit dans sa poche;on s'en donnoit aussi les
uns aux autres, et on en vendoit dans tous -
les Lieux où il y avoit des assemblées, soit
de plaisir soit de dévotion; ce qui dure en--
core à Paris. Personne n'ignore que le
grand usage d'aujourd'hui est de prendre
du Thé , du Caffé et du Chocolat. LeFal
tran, autrement les Vulneraires de Suisse,.
prises comme le Thé , ont eu leur temps,
qui n'est pas encore bien passé.
Que n'aurois-je pas à dire , si je voulois m'étendre sur le détestable usage de
prendre du vin à l'excès , qui n'a continué que trop long- temps en France , et
qui regne encore dans quelques autres
Païs. Jusqu'à quels excès n'a - t- on pas ·
porté les differens usages inventez pour?
s'exciter à boire dans les repas de débau- ·
che.
FEVRIER 1732 207
che: N'a-t-on pas vu un temps où c'étoit
remporter une victoire que de sçavoir
mieux que les autres, non seulement vuider tout d'une haleine les plus grands
verres, mais les Pots entiers et les Eguieres?
Que dis-je , la fólie a été jusqu'à se piquer de vuider des Bottes pleines de vin.
Si l'on en croit Misson , dans son voyage
d'Allemagne , les choses y sont encore
sur ce pied-là , puisqu'autour de la plûpart des chambres , il regne une Cotniche , sur laquelle les verres sont rangez
comme des tuyaux d'Orgues , toujours
en augmentant de volume , les derniers
étant comme des Cloches à Melons, qu'il
faut necessairement vuider tout d'un trait,
lorsqu'il s'agit de boire quelque santé
d'importance ; aussi dit - on en proverbe
Germanorum vivere bibere est.
*
Au reste , il ne faut pas croire que ce
ne soit que de nos jours que l'usage abusif
de boire avec excès a regné , il étoit encore plus extravagant au vii siecle , puisque S. Cesaire , Evêque d'Arles , dit ( a )
que de son temps , on poussoit si loin la
débauche , que lorsqu'on ne pouvoit pres
que plus boire , pour s'y exciter encore ,
on adressoit les santez aux Anges et à tels
Saints' qu'on jugcoit à propos..
(a ) Homel 6.
Avj Lo
208 MERCURE DE FRANCE
Le sens du toucher étant plus étendu
que les autres , puisqu'il est répandu par
tout le corps , il n'a pas aussi été moins
assujetti à diverses bizareries , quand il a
été question de munir le corps contre les
injures de l'air ou de lui donner ses aises.
Pour deffendre la tête contre la rigueur
du froid , on contre les incommoditez de
la pluye , ou de l'ardeur du soleil , on
a eu soin de la couvrir differemment ; et
c'est sur quoi il y auroit une infinité de
choses à dire , si je voulois rapporter
toutes les modes bizares qui ont été en
usage à cet égard- là. Ce seroit toute autre chose si je voulois détailler les bizareries sans nombre des Coeffures des fem
mes.
Laissons ce détail à ceux qui voudront
Pentreprendre , et commençons par un
usage assez bizare , auquel je crois qu'on
ne pense gueres , et qui frappa néanmoins
bien des gens, quand il commença de s'é
tablir ; c'est l'usage où sont les Ecclesiastiques de porter des Bonnets quarrez pour
couvrir leur tête , qui est ronde: ( a). C'est
ce qui donna lieu de dire dans ce tempslà , qu'enfin on avoit trouvé ce qu'on
( a )Pasquier remarque que cet usage n'avoit
commencé que peu avant lui , c'est-à-dire , vers
15000
cher-
FEVRIER. 17326 205
cherche depuis longtems , sçavoir la qua
drature du Cercle. C'étoit encore une plus
grande bizarerie aux Empereurs Jules Cesar, Adrien et Severe , de tenir toujours
leur tête découverte , ( a ) soit qu'il fit du
soleil , ou qu'il tombât de la pluye , ou
de la nege, même pendant les froids les
plus rudes, et d'établir chez lesRomains un
pareil usage. Je pardonnerois plus volon
tiers à la rusticité de nos anciens Gaulois,
d'avoir été dans l'usage , non-seulement
de marcher toujours nuds jusqu'à la ceinture; mais de combattre ainsi à la guerre.
( b ) Les Sauvages n'en font pas moins
aujourd'hui sans parler des Forçats de
Galere qui tirent la rame en cet état.
›
la
Si de la tête nous descendons au col ;:
nous trouverons que pour le couvrir ,
bizarerie s'en est également mêlée ; car
sans parler du col des Dames , à l'égard
de celui des Hommes , quoi de plus biza--
reque ces longuesCravates que nousavons
уй porter de nos jours , dont l'extrêmelongueur , frapa enfin de sorte , que ler
Harlequin de la Comedie Italienne ,
pour en faire observer tout le ridicule pa
tut sur le Theâtre, avec une de ces Crava
tes , qui pendant du col , lui passoit en-
(a) Alex. ab Alex. Genial. dier. lib. 2. cap. 19. `-
(b) Tit-Liv. Lib. 22. Cap. 46.
tie
216 MER CURE DE FRANCE
tre les jambes & revenoit pardessus l'épaule ; aujourd'hui on a passé à l'extre
mité opposée en ne portant qu'un simple
tour de col. Les mains ont souvent besoin
d'être couvertés , soit pour être préservées de la rigueur du froid , ou pour n'ê
tre pas trop hallées par l'ardeur du soleil::
mais je crois qu'on prendra bientot l'usage de les avoir toujours à nud , et de
proscrire entierement les Gants dont on
commence à se passer.
Le corps doit sans doute être couverts
le besoin et la bienséance l'exigent : mais
parmi une infinité d'usages qui ont paru
dans la maniere de se vêtir , je n'en vois
pas de plus bizare et de plus extravagant ,
que celui qui regnoit à la fin du seizième
siecle ; qui consitoit en ce que les hommes
s'aviserent alors , de se vêtir en Pantalons , c'est-à- dire , que leur habit leur sertoit tout le corps depuis les pieds jusqu'au
col , marquoit même ce que la natüre enseigne de cacher à la plupart des¨
Peuples Sauvages. On voit encore aujour- d'hui dans les Peintures de ce tems- là,dif
férens Personnages représentez de cette façon.Il y en a aux vitres de mon ancienne
Paroisse. Et j'ai un livre de Geometrie im---
primé à Paris en 1586. où les hommes,
sont tous vêtus de même; enfin sans aller
plus
$
FEVRIER. , 1732. 211
plus loin , il y a encore à la maison qui
joint la mienne du côté de la ruë, deax Figures sculptées sur deux poteaux, formées
de cette maniere.
Ce fut dans le même tems que les femmes porterent leurs juppes immodestement et excessivement larges par le bas. -
C'est ainsi qu'on les voit representées sur
des Tapisseries et dans des Tableaux ; on
en voit ici chez des Particuliers & au château. A la verité , cela doit un peu moins
surprendre , il regnoit encore alors en
France beaucoup d'ignorance et de grossiereté ; mais comment excuser aujourd'hui dans un siecle si éclairé , et où le
gout s'est perfectionné sur tant de choses, comment , dis- je, excuser l'invention
et l'usage des Jupes à Paniers ? on auroit
grand besoin d'opposer à cette licence la
pratique du Canon seizième du Concile:
de Montpellier, tenu l'an 1193. conçû en ces termes : Mulieres vestibus. sumptuosis .... amodo non utantur , sed habitu :
honesto et moderato incedunt , qui non lasciviam notet , nec jactantiam vanitatis os➡
tendat.
A Eu, le 20. de Decembre 1731.
ges, &c.
Hacun sçait que l'usage du Tabac étant devenu commun en peu dé
temps , on ne se contenta pas d'en macher et d'en fumer , on le réduisit encore en poudre, pour en user par le nez. On
mit d'abord cette poudre dans de petites
Boëtes , faites en forme de Poires, qu'on
duvroit par un petit trou , d'où on faisoit
sortir la poudre , pour en mettre deux
petits monceaux sur le dos de la main,afin
qu'on put delà les pórter l'un'après l'autre à chaque narine. Le premier usage de
ce Tabac en poudre , parut dans ces commencemens si bizare , qu'on crut qu'il
ne convenoit qu'à des Soldats et aux personnes de la lie du peuple. En effet , il
n'y eut que ces sortes de gens qui en userent les premiers.
Cependant , comme il arrive , à l'égard
des usages les plus bizares , l'imagination
se fit peu à peu à celui-là ; d'honnêtes
gens commencerent à s'y accoutumer.On
fit en leur faveur des Boëtes beaucoup plus
propres et plus riches , qui se fermoient,
A- iiij avec
t
204 MERCURE DE FRANCE
avec une sorte de petit fourniment , qui
ne prenoit dans la Boëte , qu'autant de
poudre qu'il en faloit pour chaque narine , et qu'on mettoit toujours sur le dos
de la main.
La répugnance qu'on avoit euë d'abord,
étant levée , chacun se piqua d'avoir du
Tabac en poudre et d'en user ; mais les
personnes distinguées et délicates eurent
de la peine à s'accommoder de l'odeur de
cette Plante ; on y mit differentes odeurs;
et ce fut encore icy , ou la bizarrerie parut tout de nouveau. Certaines odeurs
furent en vogue, et prirent le dessus , selon le caprice des personnes qui les mettoient en crédit ; jusques- là , qu'un Mare
chand d'une Ville de Flandres s'enrichit,
pouravoir donné à son Tabac en poudre,
l'odeur des vieux Livres moisis, qu'il sçut
accréditer parmi les Officiers François ,
qui étoient en garnison dans cette Pro
vince:
Enfin on a cessé de donner de l'odeur
au Tabac , et l'usage en est devenu abso
lument general. Loin de se faire une
honte de prendre du Tabac , comme dans
les commencemens , chacun s'en fait une
espece de bienseance , dans les plus belles
compagnies.
En avoir le nez barbouillé , la Cravatte
Ou
FEVRIER: * 1732% 205
ou le Justaucorps marquez et couverts ,
n'a rien de choquant aujourd'hui , comme d'avoir des Rapes presque aussi longues que des Basses de Viole. En un mot,
on n'y a plus gardé de mesures ; plusieurs
Pont pris à pleine main , non seulement
dans les Tabatieres , mais jusques dans
leurs poches. Il suffit de dire que cet
usage a passé jusques dans les Cloîtres les
plus réguliers, même dans les Eglises.Que
dis-je ? jusques sur les Autels. Il est vrai
que les Espagnols nous ont précedez dans
Pusage outré du Tabac ; puisque Urbain
VIII. qui est mort en 1644. donna une
Bulle, qu'on peut voir dans le grand Bullaire des Séraphins, par laquelle il excommunie tous ceux qui prennent du Tabac
dans l'Eglise. Cette Bulle fut donnée à la
sollicitation du Doyen et des Chanoines
de la Cathédrale de Séville , où les Prêtres
disant la Messe , prenoient du Tabac jusques sur l'Autel.
Venons maintenant au gout. Sens qui
n'a pas moins fourni d'usages bizares que
les autres ,carcombien de sortes de Mets,
de Liqueurs et d'Apprêts ont ils été en
vogue dans certains temps , qu'on a né,
gligés ensuite ? Je ne finirois pas , si je
voulois en faire l'énumération. Pour m'attacher donc à quelques- uns de ces usages
Av
les
206 MERCURE DE FRANCE
les plus marquez , je dirai qu'à la fin du
seizième siecle, les Dragées vinrent tellement à la mode , que chacun avoit son
Dragier ; on s'en présentoit les uns aux
autres comme on fait aujourd'hui du Tabac. Le Duc de Guise avoit son Dragier à:
la main , lorsqu'il fut tué à Blois . On en
servoit sur toutes les bonnes Tables. Les :
Ecorces de Citrons et d'Oranges eurent:
ensuite leur tour.
Sous Louis XIII.parce que ce Prince aimois le Pain d'Epice,tout le monde en por--
toit dans sa poche;on s'en donnoit aussi les
uns aux autres, et on en vendoit dans tous -
les Lieux où il y avoit des assemblées, soit
de plaisir soit de dévotion; ce qui dure en--
core à Paris. Personne n'ignore que le
grand usage d'aujourd'hui est de prendre
du Thé , du Caffé et du Chocolat. LeFal
tran, autrement les Vulneraires de Suisse,.
prises comme le Thé , ont eu leur temps,
qui n'est pas encore bien passé.
Que n'aurois-je pas à dire , si je voulois m'étendre sur le détestable usage de
prendre du vin à l'excès , qui n'a continué que trop long- temps en France , et
qui regne encore dans quelques autres
Païs. Jusqu'à quels excès n'a - t- on pas ·
porté les differens usages inventez pour?
s'exciter à boire dans les repas de débau- ·
che.
FEVRIER 1732 207
che: N'a-t-on pas vu un temps où c'étoit
remporter une victoire que de sçavoir
mieux que les autres, non seulement vuider tout d'une haleine les plus grands
verres, mais les Pots entiers et les Eguieres?
Que dis-je , la fólie a été jusqu'à se piquer de vuider des Bottes pleines de vin.
Si l'on en croit Misson , dans son voyage
d'Allemagne , les choses y sont encore
sur ce pied-là , puisqu'autour de la plûpart des chambres , il regne une Cotniche , sur laquelle les verres sont rangez
comme des tuyaux d'Orgues , toujours
en augmentant de volume , les derniers
étant comme des Cloches à Melons, qu'il
faut necessairement vuider tout d'un trait,
lorsqu'il s'agit de boire quelque santé
d'importance ; aussi dit - on en proverbe
Germanorum vivere bibere est.
*
Au reste , il ne faut pas croire que ce
ne soit que de nos jours que l'usage abusif
de boire avec excès a regné , il étoit encore plus extravagant au vii siecle , puisque S. Cesaire , Evêque d'Arles , dit ( a )
que de son temps , on poussoit si loin la
débauche , que lorsqu'on ne pouvoit pres
que plus boire , pour s'y exciter encore ,
on adressoit les santez aux Anges et à tels
Saints' qu'on jugcoit à propos..
(a ) Homel 6.
Avj Lo
208 MERCURE DE FRANCE
Le sens du toucher étant plus étendu
que les autres , puisqu'il est répandu par
tout le corps , il n'a pas aussi été moins
assujetti à diverses bizareries , quand il a
été question de munir le corps contre les
injures de l'air ou de lui donner ses aises.
Pour deffendre la tête contre la rigueur
du froid , on contre les incommoditez de
la pluye , ou de l'ardeur du soleil , on
a eu soin de la couvrir differemment ; et
c'est sur quoi il y auroit une infinité de
choses à dire , si je voulois rapporter
toutes les modes bizares qui ont été en
usage à cet égard- là. Ce seroit toute autre chose si je voulois détailler les bizareries sans nombre des Coeffures des fem
mes.
Laissons ce détail à ceux qui voudront
Pentreprendre , et commençons par un
usage assez bizare , auquel je crois qu'on
ne pense gueres , et qui frappa néanmoins
bien des gens, quand il commença de s'é
tablir ; c'est l'usage où sont les Ecclesiastiques de porter des Bonnets quarrez pour
couvrir leur tête , qui est ronde: ( a). C'est
ce qui donna lieu de dire dans ce tempslà , qu'enfin on avoit trouvé ce qu'on
( a )Pasquier remarque que cet usage n'avoit
commencé que peu avant lui , c'est-à-dire , vers
15000
cher-
FEVRIER. 17326 205
cherche depuis longtems , sçavoir la qua
drature du Cercle. C'étoit encore une plus
grande bizarerie aux Empereurs Jules Cesar, Adrien et Severe , de tenir toujours
leur tête découverte , ( a ) soit qu'il fit du
soleil , ou qu'il tombât de la pluye , ou
de la nege, même pendant les froids les
plus rudes, et d'établir chez lesRomains un
pareil usage. Je pardonnerois plus volon
tiers à la rusticité de nos anciens Gaulois,
d'avoir été dans l'usage , non-seulement
de marcher toujours nuds jusqu'à la ceinture; mais de combattre ainsi à la guerre.
( b ) Les Sauvages n'en font pas moins
aujourd'hui sans parler des Forçats de
Galere qui tirent la rame en cet état.
›
la
Si de la tête nous descendons au col ;:
nous trouverons que pour le couvrir ,
bizarerie s'en est également mêlée ; car
sans parler du col des Dames , à l'égard
de celui des Hommes , quoi de plus biza--
reque ces longuesCravates que nousavons
уй porter de nos jours , dont l'extrêmelongueur , frapa enfin de sorte , que ler
Harlequin de la Comedie Italienne ,
pour en faire observer tout le ridicule pa
tut sur le Theâtre, avec une de ces Crava
tes , qui pendant du col , lui passoit en-
(a) Alex. ab Alex. Genial. dier. lib. 2. cap. 19. `-
(b) Tit-Liv. Lib. 22. Cap. 46.
tie
216 MER CURE DE FRANCE
tre les jambes & revenoit pardessus l'épaule ; aujourd'hui on a passé à l'extre
mité opposée en ne portant qu'un simple
tour de col. Les mains ont souvent besoin
d'être couvertés , soit pour être préservées de la rigueur du froid , ou pour n'ê
tre pas trop hallées par l'ardeur du soleil::
mais je crois qu'on prendra bientot l'usage de les avoir toujours à nud , et de
proscrire entierement les Gants dont on
commence à se passer.
Le corps doit sans doute être couverts
le besoin et la bienséance l'exigent : mais
parmi une infinité d'usages qui ont paru
dans la maniere de se vêtir , je n'en vois
pas de plus bizare et de plus extravagant ,
que celui qui regnoit à la fin du seizième
siecle ; qui consitoit en ce que les hommes
s'aviserent alors , de se vêtir en Pantalons , c'est-à- dire , que leur habit leur sertoit tout le corps depuis les pieds jusqu'au
col , marquoit même ce que la natüre enseigne de cacher à la plupart des¨
Peuples Sauvages. On voit encore aujour- d'hui dans les Peintures de ce tems- là,dif
férens Personnages représentez de cette façon.Il y en a aux vitres de mon ancienne
Paroisse. Et j'ai un livre de Geometrie im---
primé à Paris en 1586. où les hommes,
sont tous vêtus de même; enfin sans aller
plus
$
FEVRIER. , 1732. 211
plus loin , il y a encore à la maison qui
joint la mienne du côté de la ruë, deax Figures sculptées sur deux poteaux, formées
de cette maniere.
Ce fut dans le même tems que les femmes porterent leurs juppes immodestement et excessivement larges par le bas. -
C'est ainsi qu'on les voit representées sur
des Tapisseries et dans des Tableaux ; on
en voit ici chez des Particuliers & au château. A la verité , cela doit un peu moins
surprendre , il regnoit encore alors en
France beaucoup d'ignorance et de grossiereté ; mais comment excuser aujourd'hui dans un siecle si éclairé , et où le
gout s'est perfectionné sur tant de choses, comment , dis- je, excuser l'invention
et l'usage des Jupes à Paniers ? on auroit
grand besoin d'opposer à cette licence la
pratique du Canon seizième du Concile:
de Montpellier, tenu l'an 1193. conçû en ces termes : Mulieres vestibus. sumptuosis .... amodo non utantur , sed habitu :
honesto et moderato incedunt , qui non lasciviam notet , nec jactantiam vanitatis os➡
tendat.
A Eu, le 20. de Decembre 1731.
Fermer
Résumé : SUITE des Reflexions de M. Caperon, sur la Bizarerie de differens usages, &c.
Le texte explore l'évolution des usages sociaux et vestimentaires à travers l'histoire, en mettant l'accent sur des pratiques telles que la consommation de tabac et d'autres habitudes alimentaires et vestimentaires. L'usage du tabac, initialement associé aux soldats et aux personnes de basse condition, s'est progressivement répandu parmi les classes sociales plus élevées. Les boîtes à tabac, d'abord simples et fonctionnelles, sont devenues plus élégantes et sophistiquées. Les parfums ajoutés au tabac ont également suivi des modes capricieuses, incluant des senteurs variées comme celle des vieux livres moisis. Aujourd'hui, la consommation de tabac est généralisée et acceptée, même dans des lieux sacrés comme les églises et les autels. Le texte mentionne également divers usages alimentaires. À la fin du XVIe siècle, les dragées étaient très populaires, suivies par les écorces de citrons et d'oranges. Sous Louis XIII, le pain d'épice était à la mode. Actuellement, le thé, le café et le chocolat sont couramment consommés. Le texte critique également l'usage excessif de l'alcool, soulignant des pratiques extrêmes de consommation dans différentes époques et régions. En matière vestimentaire, le texte évoque des pratiques bizarres comme les bonnets carrés des ecclésiastiques, les longues cravates, et les pantalons couvrant tout le corps. Les femmes portaient des jupons excessivement larges, et plus récemment, des jupes à paniers. Le texte se termine par une critique de ces excès vestimentaires, rappelant une pratique canonique du Concile de Montpellier de 1193.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 1114-1125
SUITE des Réflexions sur la Bizarerie de quelques usages, &c. Par M. CAPPERON, ancien Doyen de S. Maxent.
Début :
J'ai dit dans mes premieres Réfléxions sur la Bizarerie [...]
Mots clefs :
Bizarrerie, Usages, Noms, Religieux, Temps, Réflexions, Discours publics, Ouvrages, Titres, Prédicateurs
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE des Réflexions sur la Bizarerie de quelques usages, &c. Par M. CAPPERON, ancien Doyen de S. Maxent.
UITE des Réflexions sur la Bizarerie
de quelques usages , &c.
J
Par M. CAPPERON, ancien Doyen de S. Maxent.
A
'Ai dit dans mes premieres Réfléxions
sur la Bizarerie de divers usages , qui
ont été insérées dans les Mercures de France, des mois de Janvier et de Février derniers , que cette Bizarerie tiroit son origine de deux sortes de désirs, naturels à tous
les hommes ; sçavoir , du désir qu'ils ont
de satisfaire leurs sens , et de celui qui les
porte à suivre les inclinations secretes que
les passions leur inspirent. J'ai donné
dans ces premieres Réfléxions un échantillon des usages bizares qui sont sortis
de ce desir , qu'ont les hommes de satisfaire leurs sens ; et je vais parler icy de
ceuxque leurs passions differentes ont fait
regner dans certains temps..
Comme la plus belle qualité de l'homme, est d'avoir un esprit capable de pen- ser, de connoître et de raisonner ; il est
I. Vol. na-
JUIN. 1732 IES
naturel que , chacun se sentant pourvu
d'un don si précieux , on saisisse volon-.
tiers tous les moyens propres à faire remarquer aux autres toute la beauté et
toute l'excellence qu'il peut avoir. C'est
aussi ce qui ne manquera pas d'arriver.
Mais ce qu'il y a de singulier , c'est que
souvent le desir qu'on a de faire paroître
son esprit , monte jusqu'à un tel excès ,
que cessant alors de penser et de raisonner juste , lorsqu'on croit le faire briller
avec éclat, on le fair par des endroits, qui
font remarquertout le contraire ; son peu
d'étendue et de justesse par des bizareries
tres- sensibles; ce que je justifierai aisément
par celles que je vais rapporter.
On ne peut pas douter que ce ne soit
particulierement dans les Ecrits et dans les
Discours publics, qu'on s'attache le plus à
fairebriller son esprit.Premierement, parce qu'on a plus de facilité à le faire, ayant
plus de loisir pour choisir ses pensées ,
pour en voir la justesse , et pour leur
donner le tour et l'arrangement qui peuvent les rendre plus frapantes.
D'ailleurs ceux qui composent quelque Ouvrage , qu'ils sçavent devoir être
la ou entendu du public ; sçachant qu'il
doit être exposé à la critique , c'est pour
eux un éguillon tres -vif, qui les excite
1.Vol. puis
16 MERCURE DE FRANCE
puissamment à travailler à plaire aux
Lecteurs ou aux Auditeurs.
Cela posé, il est bon que je dise , que
voulant parler des usages bizares qui ont
quelquefois paru en fait de productions
d'esprit , je ne prétends pas relever toutes les manieres singulieres par lesquelles
certaines personnes ont affecté de se distinguer dans les Ouvrages de leur com
position ; tel qu'est ( par exemple) le stile
serré , sententieux et trop affecté de Seneque , que Quintilien a justement blâmé ;
d'autres qui ont crû orner leurs écrits par
des jeux de mots; et d'autres enfin, qui ont
prétendu se singulariser par un mélange
bizare du Sacré et du Prophane , par des
digressions trop fréquentes, des antithèses
trop multipliées , par un stile enfin trop
éloigné du naturel.
Mais pour m'attacher à quelque chose
de plus marqué , n'avouera- t- on pas que
c'étoit un usage tout- à-fait bizare quecelui qui dominoit sous le Regne de Charles IX. et qui consistoit , non seulement
à remplir les Livres et les Ecrits , que dis
je , jusqu'aux simples Lettres , d'une infinité de passages ? En sorte , dit Varillas ,
que Montluc , Evêque de Valence , écrivant à ce Prince , pour lui rendre compte
d'une Négociation où il étoit employé ,
<
1.Vol. n'ayant
JUIN. 1732. 1117
n'ayant pu faire entrer dans sa premiere
Lettre tous les Passages qu'il avoit préparés , il lui en écrivit une seconde , par
Je Courrier suivant , pour rapporter huis
autres Passages qui lui étoient restez.
Ne peut-on pas mettre dans la même
Classe des usages bizares , en fait d'Ouvrages d'esprit , les Vers burlesques qui
ont eu quelque vogue vers le milieu du
dernier siécle ? par lesquels on s'attachoit
à traduire avec travail et quelque sorte
d'esprit , d'excellens Ouvrages , et ces
Vers n'étoient ordinairement remplis que
de choses triviales , et souvent tres grossieres.
On doit mettre au même rang, ces
titres bizares qu'on a souvent donné àcerrains Livres , pour marquer d'une manicre mystérieuse , qu'on croyoit alors tresspirituelle , le sujet qui y étoit traité. Par
exemple, celui qui fut composé par un
Prêtre de Mante, sur les Antiennes qui
se disent quelques jours avant Noël , et
qui commencent par O ; qu'il in, itula :
La douce moëlle , et la saucefriande des Os
savoureux de l'Avent. Tel étoit un petit
Livre de Controverse , qui avoit pour titre: Lepetit Pistolet de poche , qui tire contre les Hérétiques. Un autre que j'ai lû sur
la pénitence , intitulé : Le Fuzil de laPéI.Vol. mitence
TI MERCURE DE FRANCE
nitence avec Allumette de l'Amour de
Dieu.
>
Après tout , la bizarerie de ces Titres ,
n'eut aucune suite. Il n'en fut pas de même
du Livre du P. Gille Gabriéli , qu'il intitula: Specimina Moralis Christiane et Diabolica. Ce qui l'obligea d'aller à Rome ,
pour se justifier sur la bizarerie de ce titre, qu'il fallut changer dans une nouvel- le édition faite en 1680.
Il ne s'est pas moins formé d'usages bizares , par rapport aux discours publics
de Religion , ou aux Sermons ; car quoique la premiere et la plus ancienne Méthode d'instruire les Peuples fut simple et
familiere, dans la vûë de se rendre également intelligible au commun des fidelles , et aux plus spirituels ; simplicité qui
a duré dans l'Orient , jusqu'au temps de
S. Grégoire de Nazianze ; et dans l'Occident, jusques vers le temps du Pape saint
Léon. Les Saints Evêques qui fleurirent
alors , crurent que les matiéres de la Religion , ne méritoient pas moins d'être
traitées avec toutes les beautez de l'éloquence, que les matiéres prophanes, dans
le dessein aussi , comme ils le disent euxmêmes , de donner à leurs discours, par la
délicatesse du stile , et par le brillant des
pensées , le même gout et le même attrait
1.Vol.
que
'JUIN.
17320 1119
que les miracles donnoient dans les premiers temps aux Discours des Apôtres èt
de leurs Disciples .
L'usage s'établit donc de prêcher avec
art et avec éloquence , ce qui a continué
depuis ; mais il faut avouer que , quoique
parmi les anciens et les modernes , il se
soit trouvé grand nombre d'Orateurs parfaits , qui par leurs Discours méthodiques , et véritablement éloquens , prononcez d'une maniere parfaitement convenable à la dignité et à la sainteté des
sujets , il n'a pas laissé que de s'introduire
de temps en temps quelques usages trop
bizares , pour une fonction aussi sainte et
aussi nécessaire au salut des Peuples.
N'étoit- ce pas , en effet, une bizarerie ,
que l'usage où on étoit il y a peu de siécles , de ne prêcher presqu'en Latin ? C'étoit encore l'usage dans le commencement
du dernier siécle , de remplir les Sermons
de Grec et de Latin. Cette méthode étoitelle fort utile à l'instruction des fidelles ?
Devoit elle faire paroître la justesse de
l'esprit du Prédicateur ? L'usage où l'on
a été à peu près dans le même temps ,
d'employer dans ces Discours, les Apophtegmes de Plutarque ( a ) des Lambeaux
·
( a ) Conceptions Théologiques au Sermon de Pierre de Besse.
1. Vol.
D de
1125 MERCURE DE FRANCE
de l'Histoire Prophane , ou des faits singuliers , souvent même supposezi cet usage , dis - je , étoit - il un usage bien convenable ? Celui encore d'apporter pour
preuve de ce qu'on avançoit , les pensées
quintessenciées de la Théologie Scholastique , émanées de la Philosophie d'Aristote. Il convenoit, sans doute , beaucoup
moins , dans ces Discours instituez pour
rendre la Religion respectable , et pour
faire observer la sévérite de ses maximes ,:
d'user de pensées ou d'expressions souvent fort triviales , propres à divertir et
à faire rire les Auditeurs ; en quoi , comme chacun sçait , le fameux Pere André
Bolanger , Religieux Augustin-Déchaussé , nommé vulgairement Le petit Pere
André , excelloit pardessus tous les autres , vers le milieu du dernier siécle. (b)
Enfin la bizarerie , en fait de Sermons,
est allée jusqu'à former un usage , où on
croiroit qu'il étoit du devoir du Prédicateur, pour donner plus de grace à son Discours , de tousser régulierement dans certains endroits de son Discours , qui paroissoit même alors si nécessaire , qu'on
voit encore aujourd'hui des Sermons imprimez de ce temps- là , où on a observé
de mettre à la marge , Hem, Hem, aux
( a) Mort le 2 Septembre 1657. âgé de 79 ans,
1. Vol. endroits
JUIN. 1732. II2I endroits où le Prédicateur devoit nécessairement tousser.
N'est- ce pas encore aujourd'hui unusage bien bizare, que celui de Prêcher.comme on fait en Italie , où selon ce qu'en
rapportent les Voyageurs, presque tous les Prédicateurs sont de vrais grimaciers, leurs
gêtes étant des gesticulations outrées , suivant les variations de la voix , passant plus
de vingt fois en un quart d'heure , du
fausset à la basse`, criant et s'agitant sans
cesse , se promenant avec chaleur et avec
bruit dans les Chaires , faites la plûpart en
forme de Balcons ou de Tribunes.
Qu'un tel usage est opposé à celui des
premiers siècles de l'Eglise , où nous
voyons , qu'une des raisons qu'apporte
rent les Peres, assemblez au Concile d'Antioche, tenu vers l'an 270, contre Paul de
Samosate , ( a ) pour faire connoître qu'ils
l'avoient justement condamnez ; c'étoit ,
disoient-ils , dans la Lettre synodale qu'ils
écrivirent , qu'outre ses erreurs , et sa vie
licencieuse , non-content d'avoir fait élever dans son Eglise un Tribunal plus haut
que de coûtume , où étoit posé son siége,
orné de tapis , il parloit en élevant ses
mains excessivement , frappant ses cuisses et remuant violemment les pieds
( a ) Eusebe , Hist. Eccles. lib. 7.
"
1. Vol. Dij battant
1122 MERCURE DE FRANCE
battant le Marche- pied de son Siége , affectant de parler d'une voix sourde, comme si elle fut sortie d'une cave ; en un
mot , se comportant, non pas comme un
modeste Prédicateur , mais comme un
Orateur qui harangue au Théatre.
Si le désir de faire paroître son esprit a produit differens usages assez bizares , ainsi qu'on vient de le voir , la complaisance qu'on a à se laisser donner des
distinctions peu convenables , n'en a pas
fourni un moindre nombre. Je n'en toucherai qu'un seul , pour ne pas pousser
ces réflexions trop loin , sçavoir l'usage
qui s'établit autrefois en Angleterre, lorsque la Religion Catholique y regnoit, de
donner aux Religieux et aux Religieuses
qui y étoient en grand nombre, les noms
de Domini et Domina, ce qui ne s'étoit pas
fait jusqu'alors,
Car suivant ce que S. Benoît avoit ordonné par sa Regle , ch. 63. il n'y avoit
précisément que le seul Abbé qu'on devoit nommer Domnus Abbas , comme un
diminutif du mot Dominus , qui signifie
Seigneur ou Monsieur, suivant notre maniere de parler, pour montrer que son autorité , quoiqu'émanée de Dieu , lui étoit
neanmoins très - subordonnée.. Selon la
même Regle , les anciens devoient nomI.Vol. mer
JUIN. 1732. 1123
mer les jeunes Religieux leurs freres , et
les jeunes devoient donner aux anciens le
nom de Nonni , qui équivaloit à celui de
Sancti. S. Jérôme l'employe en ce sens
dans sa Lettre 48. En effet , rien ne convenoit mieux , pour faire souvenir les
Anciens, qu'ils devoient être des modeles
de sainteté pour les jeunes Religieux.
Cet usage dura long - temps et s'observoit même parmi les séculiers , ce qui leur
donnoit lieu , de ne pas nommer autrement les Religieuses , les appellant des
Nonnes , des Nonnettes ou des Nonnains ;
et c'est par rapport à la signification de ce
nom de Nonna, qui signifie Saintes, qu'on
les nomme encore aujourd'hui Sancta
Moniales , en Latin. Les choses demeurerent en cet état , jusqu'à ce que les seculiers commencérent à y apporter du
changement. Dans la vûë de faire honneur aux simples Religieux des Abbayes,
ils qualifierent chaque particulier du nom
de Domnus , quoique ce nom , ne convint
, proprement qu'au seul Abbé ; à peu près
comme aujourd'hui les seculiers , pour
faire honneur au moindre Ecclésiastique, lui donnent le nom d'Abbé. Voilà
quelle est l'origine du nom de Dom , que
plusieurs Religieux ont conservé jusqu'à
nos jours , pendant que plusieurs autres
1.Vol. D iij ayant
7124 MERCURE DE FRANCE
ayant également abandonné les noms de
Nonni, et les Religieuses ceux de Nonna
ceux-là ont pris les noms de Peres et de
Freres ; et celles- ci , ceux de Meres et de
Sœurs.
Enfin les séculiers toujours attentifs à
donner des marques de leur estime et de
leur respect pour les Religieux et les Religieuses , crurent qu'il convenoit encore
d'introduire un usage nouveau , par rapport à leurs noms , et qu'il étoit de la politesse , de leur donner les noms dont on
usoit dans le monde envers les personnes
qui y avoient quelque distinction ; ce qui
s'établit d'autant plutôt en Angleterre ,
que les Religieux , et les Religieuses commençoient d'y vivre d'une maniere assez
séculiere. Ce fut donc alors , qu'on y
commença à donner dans la Langue du
païs aux Religieux et aux Religieuses, les
noms qui équivaloient à ceux de Messieurs et de Dames , c'est- à- dire, Domini ,
et de Domine , en Latin .
Il est vrai que ceux et celles qui étoient
les plus attachez à la perfection de leur
état souffrirent ce changement avec peine; les Supérieurs Ecclésiastiques en furent également choquez; jusques-là qu'un
Archevêque de Cantorbery , se crut obligé d'en faire publiquement ses plaintes
I. Vola dans
JUIN. 1731. 1125 dans une de ses Lettres Pastorales où en
s'addressant aux Religieux et aux Reli- gieuses , il leur disoit , ainsi le que rapporte le P. Thomassin dans sa Discipline Ecclesiastique , part. 4. liv. 1 , Sciatis
vos Monachos , vel Moniales esse, nonDominas, sicut nec Monachi possunt sine ri
diculo Domini appellari.
Cette distinction recherchée dans les
noms n'a pas été particuliere aux Religieux et aux Religieuses , elle l'a été et
l'est encore à beaucoup d'autres ; les Romains (a) de distinction se donnoient jusqu'à quatre noms ; sçavoir , l'avant nom,
le sur-nom, le proche- nom, et le nom; et
encore aujourd'hui c'est une distinction
qu'on affecte en Italie et en Allemagne ,
de donner aux personnes du premier
rang , sur tout aux Princes et aux Princesses , jusqu'à six ou sept noms de Saints
ou de Saintes à leur Batême; ce qu'on imite quelquefois en France et en Espagne..
( a) Alex. ab Alex. genial. dier. lib. 1. cap. 9.
A Eu, le 5 May 1732.
de quelques usages , &c.
J
Par M. CAPPERON, ancien Doyen de S. Maxent.
A
'Ai dit dans mes premieres Réfléxions
sur la Bizarerie de divers usages , qui
ont été insérées dans les Mercures de France, des mois de Janvier et de Février derniers , que cette Bizarerie tiroit son origine de deux sortes de désirs, naturels à tous
les hommes ; sçavoir , du désir qu'ils ont
de satisfaire leurs sens , et de celui qui les
porte à suivre les inclinations secretes que
les passions leur inspirent. J'ai donné
dans ces premieres Réfléxions un échantillon des usages bizares qui sont sortis
de ce desir , qu'ont les hommes de satisfaire leurs sens ; et je vais parler icy de
ceuxque leurs passions differentes ont fait
regner dans certains temps..
Comme la plus belle qualité de l'homme, est d'avoir un esprit capable de pen- ser, de connoître et de raisonner ; il est
I. Vol. na-
JUIN. 1732 IES
naturel que , chacun se sentant pourvu
d'un don si précieux , on saisisse volon-.
tiers tous les moyens propres à faire remarquer aux autres toute la beauté et
toute l'excellence qu'il peut avoir. C'est
aussi ce qui ne manquera pas d'arriver.
Mais ce qu'il y a de singulier , c'est que
souvent le desir qu'on a de faire paroître
son esprit , monte jusqu'à un tel excès ,
que cessant alors de penser et de raisonner juste , lorsqu'on croit le faire briller
avec éclat, on le fair par des endroits, qui
font remarquertout le contraire ; son peu
d'étendue et de justesse par des bizareries
tres- sensibles; ce que je justifierai aisément
par celles que je vais rapporter.
On ne peut pas douter que ce ne soit
particulierement dans les Ecrits et dans les
Discours publics, qu'on s'attache le plus à
fairebriller son esprit.Premierement, parce qu'on a plus de facilité à le faire, ayant
plus de loisir pour choisir ses pensées ,
pour en voir la justesse , et pour leur
donner le tour et l'arrangement qui peuvent les rendre plus frapantes.
D'ailleurs ceux qui composent quelque Ouvrage , qu'ils sçavent devoir être
la ou entendu du public ; sçachant qu'il
doit être exposé à la critique , c'est pour
eux un éguillon tres -vif, qui les excite
1.Vol. puis
16 MERCURE DE FRANCE
puissamment à travailler à plaire aux
Lecteurs ou aux Auditeurs.
Cela posé, il est bon que je dise , que
voulant parler des usages bizares qui ont
quelquefois paru en fait de productions
d'esprit , je ne prétends pas relever toutes les manieres singulieres par lesquelles
certaines personnes ont affecté de se distinguer dans les Ouvrages de leur com
position ; tel qu'est ( par exemple) le stile
serré , sententieux et trop affecté de Seneque , que Quintilien a justement blâmé ;
d'autres qui ont crû orner leurs écrits par
des jeux de mots; et d'autres enfin, qui ont
prétendu se singulariser par un mélange
bizare du Sacré et du Prophane , par des
digressions trop fréquentes, des antithèses
trop multipliées , par un stile enfin trop
éloigné du naturel.
Mais pour m'attacher à quelque chose
de plus marqué , n'avouera- t- on pas que
c'étoit un usage tout- à-fait bizare quecelui qui dominoit sous le Regne de Charles IX. et qui consistoit , non seulement
à remplir les Livres et les Ecrits , que dis
je , jusqu'aux simples Lettres , d'une infinité de passages ? En sorte , dit Varillas ,
que Montluc , Evêque de Valence , écrivant à ce Prince , pour lui rendre compte
d'une Négociation où il étoit employé ,
<
1.Vol. n'ayant
JUIN. 1732. 1117
n'ayant pu faire entrer dans sa premiere
Lettre tous les Passages qu'il avoit préparés , il lui en écrivit une seconde , par
Je Courrier suivant , pour rapporter huis
autres Passages qui lui étoient restez.
Ne peut-on pas mettre dans la même
Classe des usages bizares , en fait d'Ouvrages d'esprit , les Vers burlesques qui
ont eu quelque vogue vers le milieu du
dernier siécle ? par lesquels on s'attachoit
à traduire avec travail et quelque sorte
d'esprit , d'excellens Ouvrages , et ces
Vers n'étoient ordinairement remplis que
de choses triviales , et souvent tres grossieres.
On doit mettre au même rang, ces
titres bizares qu'on a souvent donné àcerrains Livres , pour marquer d'une manicre mystérieuse , qu'on croyoit alors tresspirituelle , le sujet qui y étoit traité. Par
exemple, celui qui fut composé par un
Prêtre de Mante, sur les Antiennes qui
se disent quelques jours avant Noël , et
qui commencent par O ; qu'il in, itula :
La douce moëlle , et la saucefriande des Os
savoureux de l'Avent. Tel étoit un petit
Livre de Controverse , qui avoit pour titre: Lepetit Pistolet de poche , qui tire contre les Hérétiques. Un autre que j'ai lû sur
la pénitence , intitulé : Le Fuzil de laPéI.Vol. mitence
TI MERCURE DE FRANCE
nitence avec Allumette de l'Amour de
Dieu.
>
Après tout , la bizarerie de ces Titres ,
n'eut aucune suite. Il n'en fut pas de même
du Livre du P. Gille Gabriéli , qu'il intitula: Specimina Moralis Christiane et Diabolica. Ce qui l'obligea d'aller à Rome ,
pour se justifier sur la bizarerie de ce titre, qu'il fallut changer dans une nouvel- le édition faite en 1680.
Il ne s'est pas moins formé d'usages bizares , par rapport aux discours publics
de Religion , ou aux Sermons ; car quoique la premiere et la plus ancienne Méthode d'instruire les Peuples fut simple et
familiere, dans la vûë de se rendre également intelligible au commun des fidelles , et aux plus spirituels ; simplicité qui
a duré dans l'Orient , jusqu'au temps de
S. Grégoire de Nazianze ; et dans l'Occident, jusques vers le temps du Pape saint
Léon. Les Saints Evêques qui fleurirent
alors , crurent que les matiéres de la Religion , ne méritoient pas moins d'être
traitées avec toutes les beautez de l'éloquence, que les matiéres prophanes, dans
le dessein aussi , comme ils le disent euxmêmes , de donner à leurs discours, par la
délicatesse du stile , et par le brillant des
pensées , le même gout et le même attrait
1.Vol.
que
'JUIN.
17320 1119
que les miracles donnoient dans les premiers temps aux Discours des Apôtres èt
de leurs Disciples .
L'usage s'établit donc de prêcher avec
art et avec éloquence , ce qui a continué
depuis ; mais il faut avouer que , quoique
parmi les anciens et les modernes , il se
soit trouvé grand nombre d'Orateurs parfaits , qui par leurs Discours méthodiques , et véritablement éloquens , prononcez d'une maniere parfaitement convenable à la dignité et à la sainteté des
sujets , il n'a pas laissé que de s'introduire
de temps en temps quelques usages trop
bizares , pour une fonction aussi sainte et
aussi nécessaire au salut des Peuples.
N'étoit- ce pas , en effet, une bizarerie ,
que l'usage où on étoit il y a peu de siécles , de ne prêcher presqu'en Latin ? C'étoit encore l'usage dans le commencement
du dernier siécle , de remplir les Sermons
de Grec et de Latin. Cette méthode étoitelle fort utile à l'instruction des fidelles ?
Devoit elle faire paroître la justesse de
l'esprit du Prédicateur ? L'usage où l'on
a été à peu près dans le même temps ,
d'employer dans ces Discours, les Apophtegmes de Plutarque ( a ) des Lambeaux
·
( a ) Conceptions Théologiques au Sermon de Pierre de Besse.
1. Vol.
D de
1125 MERCURE DE FRANCE
de l'Histoire Prophane , ou des faits singuliers , souvent même supposezi cet usage , dis - je , étoit - il un usage bien convenable ? Celui encore d'apporter pour
preuve de ce qu'on avançoit , les pensées
quintessenciées de la Théologie Scholastique , émanées de la Philosophie d'Aristote. Il convenoit, sans doute , beaucoup
moins , dans ces Discours instituez pour
rendre la Religion respectable , et pour
faire observer la sévérite de ses maximes ,:
d'user de pensées ou d'expressions souvent fort triviales , propres à divertir et
à faire rire les Auditeurs ; en quoi , comme chacun sçait , le fameux Pere André
Bolanger , Religieux Augustin-Déchaussé , nommé vulgairement Le petit Pere
André , excelloit pardessus tous les autres , vers le milieu du dernier siécle. (b)
Enfin la bizarerie , en fait de Sermons,
est allée jusqu'à former un usage , où on
croiroit qu'il étoit du devoir du Prédicateur, pour donner plus de grace à son Discours , de tousser régulierement dans certains endroits de son Discours , qui paroissoit même alors si nécessaire , qu'on
voit encore aujourd'hui des Sermons imprimez de ce temps- là , où on a observé
de mettre à la marge , Hem, Hem, aux
( a) Mort le 2 Septembre 1657. âgé de 79 ans,
1. Vol. endroits
JUIN. 1732. II2I endroits où le Prédicateur devoit nécessairement tousser.
N'est- ce pas encore aujourd'hui unusage bien bizare, que celui de Prêcher.comme on fait en Italie , où selon ce qu'en
rapportent les Voyageurs, presque tous les Prédicateurs sont de vrais grimaciers, leurs
gêtes étant des gesticulations outrées , suivant les variations de la voix , passant plus
de vingt fois en un quart d'heure , du
fausset à la basse`, criant et s'agitant sans
cesse , se promenant avec chaleur et avec
bruit dans les Chaires , faites la plûpart en
forme de Balcons ou de Tribunes.
Qu'un tel usage est opposé à celui des
premiers siècles de l'Eglise , où nous
voyons , qu'une des raisons qu'apporte
rent les Peres, assemblez au Concile d'Antioche, tenu vers l'an 270, contre Paul de
Samosate , ( a ) pour faire connoître qu'ils
l'avoient justement condamnez ; c'étoit ,
disoient-ils , dans la Lettre synodale qu'ils
écrivirent , qu'outre ses erreurs , et sa vie
licencieuse , non-content d'avoir fait élever dans son Eglise un Tribunal plus haut
que de coûtume , où étoit posé son siége,
orné de tapis , il parloit en élevant ses
mains excessivement , frappant ses cuisses et remuant violemment les pieds
( a ) Eusebe , Hist. Eccles. lib. 7.
"
1. Vol. Dij battant
1122 MERCURE DE FRANCE
battant le Marche- pied de son Siége , affectant de parler d'une voix sourde, comme si elle fut sortie d'une cave ; en un
mot , se comportant, non pas comme un
modeste Prédicateur , mais comme un
Orateur qui harangue au Théatre.
Si le désir de faire paroître son esprit a produit differens usages assez bizares , ainsi qu'on vient de le voir , la complaisance qu'on a à se laisser donner des
distinctions peu convenables , n'en a pas
fourni un moindre nombre. Je n'en toucherai qu'un seul , pour ne pas pousser
ces réflexions trop loin , sçavoir l'usage
qui s'établit autrefois en Angleterre, lorsque la Religion Catholique y regnoit, de
donner aux Religieux et aux Religieuses
qui y étoient en grand nombre, les noms
de Domini et Domina, ce qui ne s'étoit pas
fait jusqu'alors,
Car suivant ce que S. Benoît avoit ordonné par sa Regle , ch. 63. il n'y avoit
précisément que le seul Abbé qu'on devoit nommer Domnus Abbas , comme un
diminutif du mot Dominus , qui signifie
Seigneur ou Monsieur, suivant notre maniere de parler, pour montrer que son autorité , quoiqu'émanée de Dieu , lui étoit
neanmoins très - subordonnée.. Selon la
même Regle , les anciens devoient nomI.Vol. mer
JUIN. 1732. 1123
mer les jeunes Religieux leurs freres , et
les jeunes devoient donner aux anciens le
nom de Nonni , qui équivaloit à celui de
Sancti. S. Jérôme l'employe en ce sens
dans sa Lettre 48. En effet , rien ne convenoit mieux , pour faire souvenir les
Anciens, qu'ils devoient être des modeles
de sainteté pour les jeunes Religieux.
Cet usage dura long - temps et s'observoit même parmi les séculiers , ce qui leur
donnoit lieu , de ne pas nommer autrement les Religieuses , les appellant des
Nonnes , des Nonnettes ou des Nonnains ;
et c'est par rapport à la signification de ce
nom de Nonna, qui signifie Saintes, qu'on
les nomme encore aujourd'hui Sancta
Moniales , en Latin. Les choses demeurerent en cet état , jusqu'à ce que les seculiers commencérent à y apporter du
changement. Dans la vûë de faire honneur aux simples Religieux des Abbayes,
ils qualifierent chaque particulier du nom
de Domnus , quoique ce nom , ne convint
, proprement qu'au seul Abbé ; à peu près
comme aujourd'hui les seculiers , pour
faire honneur au moindre Ecclésiastique, lui donnent le nom d'Abbé. Voilà
quelle est l'origine du nom de Dom , que
plusieurs Religieux ont conservé jusqu'à
nos jours , pendant que plusieurs autres
1.Vol. D iij ayant
7124 MERCURE DE FRANCE
ayant également abandonné les noms de
Nonni, et les Religieuses ceux de Nonna
ceux-là ont pris les noms de Peres et de
Freres ; et celles- ci , ceux de Meres et de
Sœurs.
Enfin les séculiers toujours attentifs à
donner des marques de leur estime et de
leur respect pour les Religieux et les Religieuses , crurent qu'il convenoit encore
d'introduire un usage nouveau , par rapport à leurs noms , et qu'il étoit de la politesse , de leur donner les noms dont on
usoit dans le monde envers les personnes
qui y avoient quelque distinction ; ce qui
s'établit d'autant plutôt en Angleterre ,
que les Religieux , et les Religieuses commençoient d'y vivre d'une maniere assez
séculiere. Ce fut donc alors , qu'on y
commença à donner dans la Langue du
païs aux Religieux et aux Religieuses, les
noms qui équivaloient à ceux de Messieurs et de Dames , c'est- à- dire, Domini ,
et de Domine , en Latin .
Il est vrai que ceux et celles qui étoient
les plus attachez à la perfection de leur
état souffrirent ce changement avec peine; les Supérieurs Ecclésiastiques en furent également choquez; jusques-là qu'un
Archevêque de Cantorbery , se crut obligé d'en faire publiquement ses plaintes
I. Vola dans
JUIN. 1731. 1125 dans une de ses Lettres Pastorales où en
s'addressant aux Religieux et aux Reli- gieuses , il leur disoit , ainsi le que rapporte le P. Thomassin dans sa Discipline Ecclesiastique , part. 4. liv. 1 , Sciatis
vos Monachos , vel Moniales esse, nonDominas, sicut nec Monachi possunt sine ri
diculo Domini appellari.
Cette distinction recherchée dans les
noms n'a pas été particuliere aux Religieux et aux Religieuses , elle l'a été et
l'est encore à beaucoup d'autres ; les Romains (a) de distinction se donnoient jusqu'à quatre noms ; sçavoir , l'avant nom,
le sur-nom, le proche- nom, et le nom; et
encore aujourd'hui c'est une distinction
qu'on affecte en Italie et en Allemagne ,
de donner aux personnes du premier
rang , sur tout aux Princes et aux Princesses , jusqu'à six ou sept noms de Saints
ou de Saintes à leur Batême; ce qu'on imite quelquefois en France et en Espagne..
( a) Alex. ab Alex. genial. dier. lib. 1. cap. 9.
A Eu, le 5 May 1732.
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Résumé : SUITE des Réflexions sur la Bizarerie de quelques usages, &c. Par M. CAPPERON, ancien Doyen de S. Maxent.
Dans ses 'Réflexions sur la Bizarerie de quelques usages', M. Capperon, ancien Doyen de S. Maxent, examine les origines des usages bizarres, qu'il attribue à deux désirs naturels chez les hommes : satisfaire leurs sens et suivre leurs passions. Il distingue les usages bizarres issus du désir de faire briller son esprit, souvent au détriment de la justesse et de la raison. Capperon observe que les écrits et discours publics sont particulièrement propices à ces excès, car ils offrent plus de loisir pour choisir et arranger les pensées et sont soumis à la critique. Il cite divers exemples historiques, comme l'usage sous Charles IX de remplir les écrits de passages, ou les vers burlesques du milieu du XVIIe siècle qui traduisaient des œuvres excellentes en textes triviaux. Il mentionne également des titres bizarres donnés à certains livres, comme ceux du Père Gille Gabriéli, qui dut changer le titre de son ouvrage 'Specimina Moralis Christiane et Diabolica' pour éviter des controverses. Capperon aborde aussi les sermons, où des pratiques comme prêcher en latin ou remplir les discours de grec, de latin, ou d'apophtegmes de Plutarque étaient courantes. Il critique les prédicateurs qui utilisaient des expressions triviales pour divertir ou faire rire, et mentionne l'usage italien de gesticuler excessivement pendant les sermons. Il évoque également la complaisance des religieux à accepter des distinctions peu convenables, comme l'usage en Angleterre de donner aux religieux et religieuses les titres de Domini et Domina, ou plus tard, ceux de Messieurs et Dames. Cet usage a évolué au fil du temps, certains religieux adoptant les titres de Père et Frère, et les religieuses ceux de Mère et Sœur. Le texte traite également des réactions face à un changement dans l'usage des titres religieux. Les personnes attachées à la perfection de leur état et les supérieurs ecclésiastiques ont éprouvé des difficultés à accepter ce changement. Un archevêque de Cantorbéry a exprimé publiquement ses plaintes dans une lettre pastorale en juin 1731, adressée aux religieux et religieuses. Il les rappelait que les moines et moniales devaient être appelés 'Monachos' ou 'Moniales' et non 'Domine' ou 'Dominas'. Cette distinction des noms n'était pas unique aux religieux; les Romains de distinction portaient jusqu'à quatre noms, et cette pratique se retrouve encore en Italie et en Allemagne, où les personnes de haut rang, notamment les princes et princesses, reçoivent plusieurs noms de saints à leur baptême. Cette coutume est parfois imitée en France et en Espagne. Le texte est daté d'Eu, le 5 mai 1732.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 838-845
SUITE des Curiositez naturelles, &c. du Cabinet de M. Capperon.
Début :
Il y a dans mon Cabinet plusieurs Oyseaux naturels, posez sur leurs pieds [...]
Mots clefs :
Figure, Soleil, Tableau, Cabinet, Figure, Lune, Mort, Tableaux, Oiseaux, Couleurs naturelles, Curiosités
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE des Curiositez naturelles, &c. du Cabinet de M. Capperon.
SUITE des Curiositez naturelles, & c.
du Cabinet de M. Capperon.
I'
OYSEAU X.
Ly a dans mon Cabinet plusieurs Oyseaux
naturels , posez sur leurs pieds
comme s'ils étoient vivans , et qui y sont
depuis dix ou douze ans , sans aucune altération
, par la maniere que j'ai de les
conserver les grands sont empaillez , et
les petits en chair et en os . Il y a un Paon
entier , dont la queue bien étendue couvre
toute la Cheminée de mon Cabinet.
Un mâle de Phaisan , posé sur un piédestail
, une Cigogne , deux Pelicans , un
gros oyseau de Mer , nommé dans Jonston
, Onocrotalus , un Canard d'Afrique ,
un autre Oyseau singulier , venant de Canada
, un tres beau Perroquet ; plusieurs
autres Oyseaux de Mer ; un Lorio jaune
et noir , un Picus Varius , une Huppe
des Chardonnets , Linotes & c. L'Anser ,
Magellanicus, de Jonston, beaucoup plus.
gros
MAY. 1733 $39
que
gros qu'une Oye , dont les aîles n'ont
4 pouces de longueur . On vient de met
l'envoyer de Dieppe.
Ouvrages de l'Art.
Un morceau de Buis , de la grosseur
et de la forme d'une noix , autour duquel
sont sculptez quarante petits Tableaux
de la Vie de Notre - Seigneur. II
s'ouvre en deux para ; dans une moitié
se voïent sur le haut , Adam et Eve
proche l'Arbre du fruit deffendu , où est
le Serpent qui les tente ; auprès d'eux est
un Lion ; dans le dessous est Caïn qui tuë
son frere Abel; au côté sont deux Chevaux
d'une délicatesse surprenante , qui
labourent avec une Charue, au côté gauche
est l'Arche de Noé , et auprès un
homme étendu mort , comme noyé par
le Déluge ; par une coulisse qui s'ouvre
derriere , paroît un Mouton qui paît.
Dans l'autre moitié de cette espece de
noix , on voit sur le haut dans le milieu
le Fils de Dieu , attaché à la Croix, et les
deux Larrons ; au bas de la Croix , la
sainte Vierge, et S. Jean ; puis Longis qui
perce le côté sacré , et un Soldat qui est
un peu plus loin ; au côté droit , qui est
séparé par une colonne , délicatement
travaillée , paroît Jesus- Christ flagellé par
A v
840 MERCURE DE FRANCE
un Soldat ; et au côté gauche, séparé par
une autre colonne , il y a deux Soldats
qui gardent le Tombeau , lequel se voit
en tirant une Coulisse par derriere, et 2
autres Soldats qui le gardent de ce côté- là .
Cer Ouvrage et toutes les figures sont
d'une délicatesse surprenante. Une Urne
Sépulciale antique.Les Portraits des douze
Césars en émail.
,
Autre Ouvrage, oreillement de buis , à
peu près dans le même dessein que le précédent
mais beaucoup plus parfait ,
tant pour le grand nombre des figures ,
que pour leur beauté et leur perfection .
Cet Ouvrage est aussi rond , s'ouvrant en
deux moitiés , jointes par une Charniere
; il est à peu près de la grosseur d'une
Bale de Jeu de Paume. Dans la premiere
moitié sont plusieurs figures du même
Mystere de la Passion du Sauveur, et dans
l'autre , deux Points d'Histoire de l'ancien
Testament , le Sacrifice d'Abraham,
et le Serpent d'Airain ; le tout comprenant
un grand nombre de figures , et faisant
un ouvrage des plus achevez et des
plus finis.
Une Piramide d'Yvoire , haute de 18 pouces
& demi , faite au Tour , dont la tige
n'a guere qu'une bonne ligne de diametre
dans le bas ; elle n'eft vers le haut gros
que
MAY . 1733. 841
gros que de la grosseur d'une épingle ordinaire.
A la hauteur de six pouces est posée
sur la tige une espece de Lanterne à
jour , formée par 4 colonnes ; au milieu
de cette Lanterne sont trois figures de
personnes assises à une Table , sur laquelle
paroissent les Mets et les Bouteilles .
Cet Ouvrage est encore des plus délicats .
Deux figures de bois bronzées , d'un pied
neuf pouces de haut , posées sur deux
Guéridons , dont l'une représente Apollon
jouant de la Lyre ; et au bas , un petit
Cupidon , qui lui présente un Arc ;
l'autre , est le Dieu Pan,tenant un Sifflet,
au bas duquel est un petit Satire . Ces deux
piéces sont excellentes et d'un habile
Sculpteur , qui a travaillé à Paris , à Rome
, à Naples , & c . lequel m'en a fait
présent , par reconnoissance de ce qu'étant
un orphelin de mon ancienne Paroisse
, et lui trouvant de la disposition pour
la Sculpture , je le formai moi-même dans
cet Art.
Ouvrages de mafaçon et de mon invention.
Un Tableau de S. Ambroise , peint à
huile , d'un pied en quarré , dont la bordure
est de carton , faite avec des coins ,
à la Romaine , ornez de fleurs , le tout
doré d'or bruni . Plusieurs autres Ta-
A vj bleaux
842 MERCURE DE, FRANCE
bleaux de mon invention , lesquels ont
autant de force pour les draperies et pour
tout le reste , que s'ils étoient peints à
buile , et qui ne sont néanmoins faits.
ni en détrempe, ni en pastel . D'autres encore
plus singuliers , sçavoir , des Paysages
et des Ports de Mer en relief ; entre
autres il y en a un de deux pieds de
longueur sur un pied et quelques pouces
de hauteur , qui représente la Ville d'Eu
en Perspective , où les Eglises , Maisons ,
&c. paroissent en relief telles qu'elles paroissent
d'un point de vûe que j'ai choisi
hors de la Ville. Cet Ouvrage m'a occupé
plus d'une année. Ces sortes de Tableaux
sont faits avec de petits cartons
coupez et colez à propos , et le tout peint
ensuite à huile. Un petit Squelete où
toute l'Ostologie est parfaitement observée.
La Figure est droite sur ses pieds ,
appuyée sur une bêche et a seulement
un pied de haut ; elle est très - ressemblante
au naturel. Une Figure de bois de
deux pieds de haut, représentant un homme
mort , dont le ventre et la poitrine
sont ouverts , où se voyent le coeur , les
poulmons , le foye , l'estomac et tous les
visceres , intestins , vaisseaux , & c, dans .
leurs figures , situations et couleurs naturelles.
Un Oiseau en forme de Per-
Loquet
MAY. 1733. 84
?
roquet , tout fait avec de petites aîles de
hannetons et autres Scarabées de differentes
couleurs . Un Dragon aîlé d'un pied
et demi de long , enfermé dans une espece
de Châsse de verre aux deux extrémitez
de laquelle , en bas , sont deux
bouquets de fleurs; et au haut, dans toute:
sa longueur , pend une Guirlande aussi
de fleurs ; le tout , tant le Dragon que
les fleurs , est fait de Coquilles dans leurs
seules couleurs naturelles . Un petit Emouleur
, posé sur un piedestal , lequel par
des ressorts de mon invention , cachez.
dans le piedestal , fait tourner sa meule
avec le pied , et tourne sa tête de temps.
en temps. Une Sphere tracée en dedans
sur un Globe de verre mobile , où sont
représentez en or tous les Cercles , et les
principales Etoiles fixes avec leurs noms..
Et sur la Sphere un petit Soleil et une
Lune mobile , qu'on peut mettre chaque
jour en place sur le Zodiaque. Autre Õu--
vrage de neuf pouces de longueur , sur
six pouces de largeur, et seulement deux
pouces de hauteur , au milieu duquel est
une espece de Boussole double et mobile,,
où est la Lune , laquelle se couvre ou se
découvre , suivant l'augmentation ou la
diminution de ses phases , et par deux poin
res placées au bord. exterieur de cette
Boussole
Boussole , elle marque sur la bordure
qui est autour , les jours de la Lune et
les heures des Marées ; ayant cela de singulier
, qu'en tel sens qu'on tourne la
Machine par un mouvement secret , les
deux pointes reviennent toujours au jour
et à l'heure convenable.
Un Globe Terrestre , représenté sur
une Carte mobile , ayant pour centre le
Pole Septentrional , et se terminant au
Tropique du Capricorne avec les Longitudes
et les Latitudes ; le tout environné
d'un cercle fixe , où sont marquées
les 24. heures et où est attaché par les
deux bouts un fil d'archal qui tient lieu
d'horison ; de sorte que par un Index où
est un petit Soleil mobile , on peut voir
l'heure du lever et du coucher du Soleil
, quelle heure il est dans chaque Pays,
sur quel Pays le Soleil est vertical à chaque
moment du jour , ainsi que les Eclipses
de Soleil et de Lune .
Ouvrage d'Optique de ma façon.
Deux Tableaux magiques , l'un desquels
représente une Demoiselle environnée
de branches et de feüillages , laquelle
regardée par un petit trou placé aufait
voir une Tête de Mort. L'autre
Tableau qui est au derriere du predessus
,
mier,
MAY. 1733 845
mier , représente sept differens Bustes de
Papes , Abbez , &c. sur lesquels posant
la ` même Machine où est le petit trou ,
il ne paroît que mon seul Portrait . Un Tableau
où sont écrits six Vers d'une Enigme
; au haut de ce Tableau est posé à
Angle droit , une Glace de Miroir , laquelle
étant découverte , représente le
même Tableau , où au lieu des Vers on
voit un Moulin à vent , qui est le mot
de l'Enigme. Une Figure difforme , peinte
sur un Cône de carton , large par par le bas
d'un pied sur un pied et demi de hauteur
, lequel vû d'un certain point , représente
une Religieuse tenant une Croix
dans ses mains . Plusieurs figures difformes
, qui paroissent très- agréables , étant
regardées dans un Miroir Cylindrique.
Figure particuliere et difforme , tracée
sur un Plan allongé , laquelle vûe de loin
représente une Vierge.
Voilà les Curiositez qui forment mon
Cabinet , telles que j'ai pû les assembler
dans un petit Lieu comme la Ville d'Eu ,
et que j'ai augmentées de petits Ouvrages
de mon invention , executez en differens
temps , pour me délasser de mes
autres occupations plus sérieuses et plus
nécessaires. Signé , CAPPERON
Doyen de S. Maxent.
ancien
A la Ville d'Eu , le 16. Mars 17339
du Cabinet de M. Capperon.
I'
OYSEAU X.
Ly a dans mon Cabinet plusieurs Oyseaux
naturels , posez sur leurs pieds
comme s'ils étoient vivans , et qui y sont
depuis dix ou douze ans , sans aucune altération
, par la maniere que j'ai de les
conserver les grands sont empaillez , et
les petits en chair et en os . Il y a un Paon
entier , dont la queue bien étendue couvre
toute la Cheminée de mon Cabinet.
Un mâle de Phaisan , posé sur un piédestail
, une Cigogne , deux Pelicans , un
gros oyseau de Mer , nommé dans Jonston
, Onocrotalus , un Canard d'Afrique ,
un autre Oyseau singulier , venant de Canada
, un tres beau Perroquet ; plusieurs
autres Oyseaux de Mer ; un Lorio jaune
et noir , un Picus Varius , une Huppe
des Chardonnets , Linotes & c. L'Anser ,
Magellanicus, de Jonston, beaucoup plus.
gros
MAY. 1733 $39
que
gros qu'une Oye , dont les aîles n'ont
4 pouces de longueur . On vient de met
l'envoyer de Dieppe.
Ouvrages de l'Art.
Un morceau de Buis , de la grosseur
et de la forme d'une noix , autour duquel
sont sculptez quarante petits Tableaux
de la Vie de Notre - Seigneur. II
s'ouvre en deux para ; dans une moitié
se voïent sur le haut , Adam et Eve
proche l'Arbre du fruit deffendu , où est
le Serpent qui les tente ; auprès d'eux est
un Lion ; dans le dessous est Caïn qui tuë
son frere Abel; au côté sont deux Chevaux
d'une délicatesse surprenante , qui
labourent avec une Charue, au côté gauche
est l'Arche de Noé , et auprès un
homme étendu mort , comme noyé par
le Déluge ; par une coulisse qui s'ouvre
derriere , paroît un Mouton qui paît.
Dans l'autre moitié de cette espece de
noix , on voit sur le haut dans le milieu
le Fils de Dieu , attaché à la Croix, et les
deux Larrons ; au bas de la Croix , la
sainte Vierge, et S. Jean ; puis Longis qui
perce le côté sacré , et un Soldat qui est
un peu plus loin ; au côté droit , qui est
séparé par une colonne , délicatement
travaillée , paroît Jesus- Christ flagellé par
A v
840 MERCURE DE FRANCE
un Soldat ; et au côté gauche, séparé par
une autre colonne , il y a deux Soldats
qui gardent le Tombeau , lequel se voit
en tirant une Coulisse par derriere, et 2
autres Soldats qui le gardent de ce côté- là .
Cer Ouvrage et toutes les figures sont
d'une délicatesse surprenante. Une Urne
Sépulciale antique.Les Portraits des douze
Césars en émail.
,
Autre Ouvrage, oreillement de buis , à
peu près dans le même dessein que le précédent
mais beaucoup plus parfait ,
tant pour le grand nombre des figures ,
que pour leur beauté et leur perfection .
Cet Ouvrage est aussi rond , s'ouvrant en
deux moitiés , jointes par une Charniere
; il est à peu près de la grosseur d'une
Bale de Jeu de Paume. Dans la premiere
moitié sont plusieurs figures du même
Mystere de la Passion du Sauveur, et dans
l'autre , deux Points d'Histoire de l'ancien
Testament , le Sacrifice d'Abraham,
et le Serpent d'Airain ; le tout comprenant
un grand nombre de figures , et faisant
un ouvrage des plus achevez et des
plus finis.
Une Piramide d'Yvoire , haute de 18 pouces
& demi , faite au Tour , dont la tige
n'a guere qu'une bonne ligne de diametre
dans le bas ; elle n'eft vers le haut gros
que
MAY . 1733. 841
gros que de la grosseur d'une épingle ordinaire.
A la hauteur de six pouces est posée
sur la tige une espece de Lanterne à
jour , formée par 4 colonnes ; au milieu
de cette Lanterne sont trois figures de
personnes assises à une Table , sur laquelle
paroissent les Mets et les Bouteilles .
Cet Ouvrage est encore des plus délicats .
Deux figures de bois bronzées , d'un pied
neuf pouces de haut , posées sur deux
Guéridons , dont l'une représente Apollon
jouant de la Lyre ; et au bas , un petit
Cupidon , qui lui présente un Arc ;
l'autre , est le Dieu Pan,tenant un Sifflet,
au bas duquel est un petit Satire . Ces deux
piéces sont excellentes et d'un habile
Sculpteur , qui a travaillé à Paris , à Rome
, à Naples , & c . lequel m'en a fait
présent , par reconnoissance de ce qu'étant
un orphelin de mon ancienne Paroisse
, et lui trouvant de la disposition pour
la Sculpture , je le formai moi-même dans
cet Art.
Ouvrages de mafaçon et de mon invention.
Un Tableau de S. Ambroise , peint à
huile , d'un pied en quarré , dont la bordure
est de carton , faite avec des coins ,
à la Romaine , ornez de fleurs , le tout
doré d'or bruni . Plusieurs autres Ta-
A vj bleaux
842 MERCURE DE, FRANCE
bleaux de mon invention , lesquels ont
autant de force pour les draperies et pour
tout le reste , que s'ils étoient peints à
buile , et qui ne sont néanmoins faits.
ni en détrempe, ni en pastel . D'autres encore
plus singuliers , sçavoir , des Paysages
et des Ports de Mer en relief ; entre
autres il y en a un de deux pieds de
longueur sur un pied et quelques pouces
de hauteur , qui représente la Ville d'Eu
en Perspective , où les Eglises , Maisons ,
&c. paroissent en relief telles qu'elles paroissent
d'un point de vûe que j'ai choisi
hors de la Ville. Cet Ouvrage m'a occupé
plus d'une année. Ces sortes de Tableaux
sont faits avec de petits cartons
coupez et colez à propos , et le tout peint
ensuite à huile. Un petit Squelete où
toute l'Ostologie est parfaitement observée.
La Figure est droite sur ses pieds ,
appuyée sur une bêche et a seulement
un pied de haut ; elle est très - ressemblante
au naturel. Une Figure de bois de
deux pieds de haut, représentant un homme
mort , dont le ventre et la poitrine
sont ouverts , où se voyent le coeur , les
poulmons , le foye , l'estomac et tous les
visceres , intestins , vaisseaux , & c, dans .
leurs figures , situations et couleurs naturelles.
Un Oiseau en forme de Per-
Loquet
MAY. 1733. 84
?
roquet , tout fait avec de petites aîles de
hannetons et autres Scarabées de differentes
couleurs . Un Dragon aîlé d'un pied
et demi de long , enfermé dans une espece
de Châsse de verre aux deux extrémitez
de laquelle , en bas , sont deux
bouquets de fleurs; et au haut, dans toute:
sa longueur , pend une Guirlande aussi
de fleurs ; le tout , tant le Dragon que
les fleurs , est fait de Coquilles dans leurs
seules couleurs naturelles . Un petit Emouleur
, posé sur un piedestal , lequel par
des ressorts de mon invention , cachez.
dans le piedestal , fait tourner sa meule
avec le pied , et tourne sa tête de temps.
en temps. Une Sphere tracée en dedans
sur un Globe de verre mobile , où sont
représentez en or tous les Cercles , et les
principales Etoiles fixes avec leurs noms..
Et sur la Sphere un petit Soleil et une
Lune mobile , qu'on peut mettre chaque
jour en place sur le Zodiaque. Autre Õu--
vrage de neuf pouces de longueur , sur
six pouces de largeur, et seulement deux
pouces de hauteur , au milieu duquel est
une espece de Boussole double et mobile,,
où est la Lune , laquelle se couvre ou se
découvre , suivant l'augmentation ou la
diminution de ses phases , et par deux poin
res placées au bord. exterieur de cette
Boussole
Boussole , elle marque sur la bordure
qui est autour , les jours de la Lune et
les heures des Marées ; ayant cela de singulier
, qu'en tel sens qu'on tourne la
Machine par un mouvement secret , les
deux pointes reviennent toujours au jour
et à l'heure convenable.
Un Globe Terrestre , représenté sur
une Carte mobile , ayant pour centre le
Pole Septentrional , et se terminant au
Tropique du Capricorne avec les Longitudes
et les Latitudes ; le tout environné
d'un cercle fixe , où sont marquées
les 24. heures et où est attaché par les
deux bouts un fil d'archal qui tient lieu
d'horison ; de sorte que par un Index où
est un petit Soleil mobile , on peut voir
l'heure du lever et du coucher du Soleil
, quelle heure il est dans chaque Pays,
sur quel Pays le Soleil est vertical à chaque
moment du jour , ainsi que les Eclipses
de Soleil et de Lune .
Ouvrage d'Optique de ma façon.
Deux Tableaux magiques , l'un desquels
représente une Demoiselle environnée
de branches et de feüillages , laquelle
regardée par un petit trou placé aufait
voir une Tête de Mort. L'autre
Tableau qui est au derriere du predessus
,
mier,
MAY. 1733 845
mier , représente sept differens Bustes de
Papes , Abbez , &c. sur lesquels posant
la ` même Machine où est le petit trou ,
il ne paroît que mon seul Portrait . Un Tableau
où sont écrits six Vers d'une Enigme
; au haut de ce Tableau est posé à
Angle droit , une Glace de Miroir , laquelle
étant découverte , représente le
même Tableau , où au lieu des Vers on
voit un Moulin à vent , qui est le mot
de l'Enigme. Une Figure difforme , peinte
sur un Cône de carton , large par par le bas
d'un pied sur un pied et demi de hauteur
, lequel vû d'un certain point , représente
une Religieuse tenant une Croix
dans ses mains . Plusieurs figures difformes
, qui paroissent très- agréables , étant
regardées dans un Miroir Cylindrique.
Figure particuliere et difforme , tracée
sur un Plan allongé , laquelle vûe de loin
représente une Vierge.
Voilà les Curiositez qui forment mon
Cabinet , telles que j'ai pû les assembler
dans un petit Lieu comme la Ville d'Eu ,
et que j'ai augmentées de petits Ouvrages
de mon invention , executez en differens
temps , pour me délasser de mes
autres occupations plus sérieuses et plus
nécessaires. Signé , CAPPERON
Doyen de S. Maxent.
ancien
A la Ville d'Eu , le 16. Mars 17339
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Résumé : SUITE des Curiositez naturelles, &c. du Cabinet de M. Capperon.
Le cabinet de curiosités de M. Capperon, situé à Eu, abrite une collection diversifiée d'oiseaux naturels conservés depuis dix à douze ans. Parmi ces oiseaux, on trouve un paon, un phasian, une cigogne, des pélicans, un onocrotale, un canard d'Afrique, un oiseau du Canada, un perroquet, et plusieurs autres espèces. Les grands oiseaux sont empailés, tandis que les petits sont conservés en chair et en os. En plus des oiseaux, le cabinet contient plusieurs œuvres d'art et objets rares. Notamment, un morceau de buis sculpté représentant des scènes de la vie du Christ et de l'Ancien Testament, une urne sépulcrale antique, des portraits des douze Césars en émail, et une pyramide d'ivoire. Des sculptures en bois, comme Apollon et Pan, sont également présentes. Capperon mentionne également des œuvres de sa propre invention, telles que des tableaux en relief représentant des paysages et des ports de mer, un squelette et une figure anatomique en bois. Des objets mécaniques, comme un émouleur fonctionnant par ressorts et une sphère astronomique, sont également exposés. Des œuvres d'optique, comme des tableaux magiques et des figures difformes vues à travers des miroirs, complètent la collection. Capperon souligne que ces curiosités ont été assemblées à Eu et augmentées de ses propres inventions pour le divertissement et la détente. Le texte est signé par Capperon, doyen de Saint-Maxent, et daté du 16 mai 1733.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 882-888
LETTRE de M. Capperon, ancien Doyen de S. Maxent, à M. D. L. R. sur des Champignons formez dans l'estomach d'une Femme.
Début :
Je vous écris aujourd'hui, Monsieur, sur un effet assez singulier de la Nature, [...]
Mots clefs :
Estomac, Femme, Champignons, Eau, Grains, Pédicules, Graines, Liqueur, Vomissement, Ragoûts
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. Capperon, ancien Doyen de S. Maxent, à M. D. L. R. sur des Champignons formez dans l'estomach d'une Femme.
LETTRE de M. Capperon , ancien
Doyen de S. Maxent , à M. D. L. R.
sur des Champignons formez dans l'esi
tomach d'une Femme,
J
E vous écris aujourd'hui , Monsieur ;
sur un effet assez singulier de la Nature
, et qui mérite bien , à mon avis ,
d'être rendu public , tant à cause de la
rareté du fait , que par les consequences
qu'on en peut tirer, Une Femme d'honneur
et incapable de me tromper , âgét
d'environ soixante et dix ans , d'un temperament
flegmatique , me vint trouver
ces jours passez fort allarmée de ce qui
4ui étoit arrivé , pour m'en faire le récit,
et pour sçavoir ce que je pouvois penser
sur une chose aussi extraordinaire. Elle
me dit que depuis quelque temps elle
s'étoit trouvée fort incommodée de ventositez
, qui lui sortolent fréquemment
parhaut et par bas; qu'enfin lassée du mal
que
JIA
celá lui causoit , elle qrut que prenant
un peu d'eau - de- vie , cette liqueur
pourroit la soulager ; comme en effet, elle
ne l'eut pas plutôt avalée , qu'il lui prit
un grand vomissement , par le moyen
duquel
MAY. 1734
883
duquel elle rendit quantité de matieres
glaireuses , où il paroissoit plusieurs petits
corps bruns , diversement figurez ,
confondus et mêlez parmi ces glaires .
Revenue de la peine que ce vomissement
lui avoit causée , elle fut curieuse
de voir ce que c'étoit que ces petits corps
ainsi dispersez dans ce qu'elle avoit vomi
, et les ayant tirez les uns après les
autres , elle fut bien surprise de voir que
c'étoient quinze ou seize petits Champignons
, aussi exactement formez que
ceux qui croissent sur la terre ; les
les ayant
rangez sur un petit plat , elle me les fit
apporter un moment après qu'elle fut
venue chez moi. Quelques jours après
elle en jetta encore d'autres , qui me furent
pareillement apportez par la même
personne qui les lui avoit vû vomir.
Les ayant examinez à loisir et avec toute
l'attention possible , j'y en ai trouvé
particulierement un , dont la tête parfaitement
épanouie , a au moins un bon
pouce de largeur , et dont le pédicule
est long de dix lignes ; quelques autres
également épanouis , dont les têtes sont.
larges de dix à onze lignes , posées sur
des pédicules longs de cinq à six lignes ;
d'autres tant soit peu plus petits , dont
les uns sont ouverts et d'autres encore
Cij fer884
MERCURE DE FRANCE
fermez , ayant tous leurs têtes et leurs
pédicules. Il y en a un qui n'a même
que cinq lignes de hauteur , et dont
la tête ronde est fermée n'est large
que d'environ trois lignes , de couleur
plus noire que les autres ; car il est à
observer , que loin d'avoir la moindre
blancheur , ils sont tous très - bruns et
d'une contexture très - tendre. Je les ai
tous mis dans l'eau de vie , où je les conserve
pour les faire voir à ceux qui en
sont curieux .
Après cet exposé , Monsieur , il s'agit
de sçavoir d'où sont provenus ces Champignons
dans l'estomach de cette femme ;
comment ils ont pû y germer , y vege
ter et y croître . Pour bien connoître
cela , je lui demandai d'abord si dans la
la maison où elle demeure on n'y mangeoit
pas souvent des Champignons , et
si elle n'en avoit pas mangé comme les
autres , soit dans les ragoûts ou autrement
? Si elle n'avoit pas coûtume de
boire quelquefois de l'eau pendant le
jour ? Elle me répondit qu'il étoit vrai
qu'elle avoit mangé des Champignons
comme les autres ; que pendant le jour
elle buvoit quelquefois de l'eau avec
un peu de vin , et quelquefois même de
l'eau pure.
DeMAY.
1734 885
De- là j'ai conclu , que suivant toute
apparence , s'étant trouvé quelques graines
de Champignons dans l'eau qu'on
lui avoit donnée à boire , pour être res
tées imperceptibles dans quelque perit
endroit des vaisseaux où on les avoit
lavez , et que s'étant répandues ensuite
dans l'eau plus claire qu'on avoit mise
dans ces vaisseaux , c'étoit sans doute de
cette eau qu'on lui avoit donnée pour
boire , et où ces graines s'étoient trouvées
, et avec laquelle elles étoient tombées
dans son estomach. Je dis qu'il y
a plus lieu de croire que ça été par le
moyen de cette eau , plutôt qu'en mangeant
les Champignons mêmes cuits , apprêtez
et mêlangez dans des ragoûts et
des sausses ; la cuisson et le mêlange du
beure ou de graisse , ayant dû leur
ôter la disposition convenable qui leur
est nécessaire pour germer et vegeter.
On ne peut pas dire que cette Dame
a pû les manger et les avaler tels qu'ils
se sont trouvez dans son vomissement ;
car outre qu'on n'apprête pas les Champignons
pour les manger et pour les met
tre dans les ragouts avec leurs têtes toutes
épanouies , les pédicules y restant
attachez dans tout leur entier , c'est que
cette Dame n'auroit pas avalé ces Cham-
C iij pignons
886 MERCURE DE FRANCE
pignons ainsi entiers , sans leur avoir auparavant
donné le moindre coup de dent;
il faudroit pour cela qu'elle fût extrê
mement vorace , ce qui n'est pas.
Disons donc d'abord que dans l'estomach
, il se trouve une liqueur mucilagineuse
, qui s'y filtre par des ouvertures
qui représentent des especes de mamelons
, laquelle sert pour empêcher que
les choses trop âcres , trop picquantes et
trop corrosives qu'on peut avaler , n'irritent
fortement ce viscere ; et c'est cette.
liqueur mucilagineuse qui enduit le fond
de l'estomach , plus ou moins , selon que
le sang se trouve plus ou moins grossier
et visqueux dans certaines personnes.
Cela étant , il n'est pas surprenant que
des graines de Champignons, ayant été
avalées , elles se soient attachées à cette
matiere visqueuse , d'autant plus abon
dante dans l'estomach de cette Dame ;
qu'elle est d'un temperamment flegmatique
, dont le sang doit avoir moins de
volatilité à cause de son grand âge ; et
ces graines ainsi attachées et incorporées
dans cette matiere glaireuse , aidées par
la douce chaleur de l'estomach , s'y sont
suffisamment dilatées pour y pousser de
légeres racines et y vegeter de la manie
re dont on les voit.
C'est
MAY. 1734
887
-
C'est même ce qui n'est pas nouveau ,
puisqu'on voit dans les Observations de
Physique , imprimées en 1717. qu'un
Soldat à Coppenhague , ayant mangé
quelques grains d'avoine , ces grains lui
demeurerent pendant plusieurs mois dans
l'estomach , où ils lui causerent differentes
douleurs , jusqu'à ce qu'ayant pris
un remede vomitif , cela lui fit jetter
ces grains , lesquels avoient pris racine
et avoient germé comme en pleine terre,
ayant même poussé des feuilles , quoique
sans grains. C'est par le même moyen
qu'on a vû souvent des personnes vomir de
petites Grenouilles et d'autres Insectes ;
ce qu'on attribuoit souvent à sortilege ;
mais cela ne venoit que pour avoir bû
de quelque eau dormante , où s'étoient
trouvez des germes de ces animaux , lesquels
attachez aux matieres glaireuses
de l'estomach , et y ayant reçû l'impres
sion de la douce chaleur qui s'y trouve
accompagnée des parties salines et ter
restres de ces viscositez , avoient été di
latez , nourris et formez comme s'ils
avoient été dans l'eau ou dans la terre.
Enfin la conséquence naturelle qu'on
"S
* Ce Fait est rapporté par M. Bayle , dans ses
Nouvelles de la République des Lettres , mois de
Septembre 1685. page 1005.
C iiij peut
888 MERCURE DE FRANCE
peut tirer de l'état où ces Champignons
se sont trouvez à la sortie de l'estomach
où ils s'étoient formez , c'est de conclure
qu'ayant été trouvez entiers avec leurs
têtes et leurs pédicules qui y étoient attachez
, aussi tendres et aussi délicats
qu'ils sont , c'est une preuve certaine que
la digestion des aliments ne se fait pas
par la trituration causée par le simple
mouvement de l'estomach ; puisqu'il auroit
été impossible que ces petites plantes
eussent pû se former , s'étendre et
croître jusqu'au point où elles sont , sans
se trouver à la fin rompuës par pieces et
brisées , à cause de leur contexture si tendre
et si délicate . Je suis , Monsieur , & c..
A la Ville d'Eu le 14.
Avril
1734
Doyen de S. Maxent , à M. D. L. R.
sur des Champignons formez dans l'esi
tomach d'une Femme,
J
E vous écris aujourd'hui , Monsieur ;
sur un effet assez singulier de la Nature
, et qui mérite bien , à mon avis ,
d'être rendu public , tant à cause de la
rareté du fait , que par les consequences
qu'on en peut tirer, Une Femme d'honneur
et incapable de me tromper , âgét
d'environ soixante et dix ans , d'un temperament
flegmatique , me vint trouver
ces jours passez fort allarmée de ce qui
4ui étoit arrivé , pour m'en faire le récit,
et pour sçavoir ce que je pouvois penser
sur une chose aussi extraordinaire. Elle
me dit que depuis quelque temps elle
s'étoit trouvée fort incommodée de ventositez
, qui lui sortolent fréquemment
parhaut et par bas; qu'enfin lassée du mal
que
JIA
celá lui causoit , elle qrut que prenant
un peu d'eau - de- vie , cette liqueur
pourroit la soulager ; comme en effet, elle
ne l'eut pas plutôt avalée , qu'il lui prit
un grand vomissement , par le moyen
duquel
MAY. 1734
883
duquel elle rendit quantité de matieres
glaireuses , où il paroissoit plusieurs petits
corps bruns , diversement figurez ,
confondus et mêlez parmi ces glaires .
Revenue de la peine que ce vomissement
lui avoit causée , elle fut curieuse
de voir ce que c'étoit que ces petits corps
ainsi dispersez dans ce qu'elle avoit vomi
, et les ayant tirez les uns après les
autres , elle fut bien surprise de voir que
c'étoient quinze ou seize petits Champignons
, aussi exactement formez que
ceux qui croissent sur la terre ; les
les ayant
rangez sur un petit plat , elle me les fit
apporter un moment après qu'elle fut
venue chez moi. Quelques jours après
elle en jetta encore d'autres , qui me furent
pareillement apportez par la même
personne qui les lui avoit vû vomir.
Les ayant examinez à loisir et avec toute
l'attention possible , j'y en ai trouvé
particulierement un , dont la tête parfaitement
épanouie , a au moins un bon
pouce de largeur , et dont le pédicule
est long de dix lignes ; quelques autres
également épanouis , dont les têtes sont.
larges de dix à onze lignes , posées sur
des pédicules longs de cinq à six lignes ;
d'autres tant soit peu plus petits , dont
les uns sont ouverts et d'autres encore
Cij fer884
MERCURE DE FRANCE
fermez , ayant tous leurs têtes et leurs
pédicules. Il y en a un qui n'a même
que cinq lignes de hauteur , et dont
la tête ronde est fermée n'est large
que d'environ trois lignes , de couleur
plus noire que les autres ; car il est à
observer , que loin d'avoir la moindre
blancheur , ils sont tous très - bruns et
d'une contexture très - tendre. Je les ai
tous mis dans l'eau de vie , où je les conserve
pour les faire voir à ceux qui en
sont curieux .
Après cet exposé , Monsieur , il s'agit
de sçavoir d'où sont provenus ces Champignons
dans l'estomach de cette femme ;
comment ils ont pû y germer , y vege
ter et y croître . Pour bien connoître
cela , je lui demandai d'abord si dans la
la maison où elle demeure on n'y mangeoit
pas souvent des Champignons , et
si elle n'en avoit pas mangé comme les
autres , soit dans les ragoûts ou autrement
? Si elle n'avoit pas coûtume de
boire quelquefois de l'eau pendant le
jour ? Elle me répondit qu'il étoit vrai
qu'elle avoit mangé des Champignons
comme les autres ; que pendant le jour
elle buvoit quelquefois de l'eau avec
un peu de vin , et quelquefois même de
l'eau pure.
DeMAY.
1734 885
De- là j'ai conclu , que suivant toute
apparence , s'étant trouvé quelques graines
de Champignons dans l'eau qu'on
lui avoit donnée à boire , pour être res
tées imperceptibles dans quelque perit
endroit des vaisseaux où on les avoit
lavez , et que s'étant répandues ensuite
dans l'eau plus claire qu'on avoit mise
dans ces vaisseaux , c'étoit sans doute de
cette eau qu'on lui avoit donnée pour
boire , et où ces graines s'étoient trouvées
, et avec laquelle elles étoient tombées
dans son estomach. Je dis qu'il y
a plus lieu de croire que ça été par le
moyen de cette eau , plutôt qu'en mangeant
les Champignons mêmes cuits , apprêtez
et mêlangez dans des ragoûts et
des sausses ; la cuisson et le mêlange du
beure ou de graisse , ayant dû leur
ôter la disposition convenable qui leur
est nécessaire pour germer et vegeter.
On ne peut pas dire que cette Dame
a pû les manger et les avaler tels qu'ils
se sont trouvez dans son vomissement ;
car outre qu'on n'apprête pas les Champignons
pour les manger et pour les met
tre dans les ragouts avec leurs têtes toutes
épanouies , les pédicules y restant
attachez dans tout leur entier , c'est que
cette Dame n'auroit pas avalé ces Cham-
C iij pignons
886 MERCURE DE FRANCE
pignons ainsi entiers , sans leur avoir auparavant
donné le moindre coup de dent;
il faudroit pour cela qu'elle fût extrê
mement vorace , ce qui n'est pas.
Disons donc d'abord que dans l'estomach
, il se trouve une liqueur mucilagineuse
, qui s'y filtre par des ouvertures
qui représentent des especes de mamelons
, laquelle sert pour empêcher que
les choses trop âcres , trop picquantes et
trop corrosives qu'on peut avaler , n'irritent
fortement ce viscere ; et c'est cette.
liqueur mucilagineuse qui enduit le fond
de l'estomach , plus ou moins , selon que
le sang se trouve plus ou moins grossier
et visqueux dans certaines personnes.
Cela étant , il n'est pas surprenant que
des graines de Champignons, ayant été
avalées , elles se soient attachées à cette
matiere visqueuse , d'autant plus abon
dante dans l'estomach de cette Dame ;
qu'elle est d'un temperamment flegmatique
, dont le sang doit avoir moins de
volatilité à cause de son grand âge ; et
ces graines ainsi attachées et incorporées
dans cette matiere glaireuse , aidées par
la douce chaleur de l'estomach , s'y sont
suffisamment dilatées pour y pousser de
légeres racines et y vegeter de la manie
re dont on les voit.
C'est
MAY. 1734
887
-
C'est même ce qui n'est pas nouveau ,
puisqu'on voit dans les Observations de
Physique , imprimées en 1717. qu'un
Soldat à Coppenhague , ayant mangé
quelques grains d'avoine , ces grains lui
demeurerent pendant plusieurs mois dans
l'estomach , où ils lui causerent differentes
douleurs , jusqu'à ce qu'ayant pris
un remede vomitif , cela lui fit jetter
ces grains , lesquels avoient pris racine
et avoient germé comme en pleine terre,
ayant même poussé des feuilles , quoique
sans grains. C'est par le même moyen
qu'on a vû souvent des personnes vomir de
petites Grenouilles et d'autres Insectes ;
ce qu'on attribuoit souvent à sortilege ;
mais cela ne venoit que pour avoir bû
de quelque eau dormante , où s'étoient
trouvez des germes de ces animaux , lesquels
attachez aux matieres glaireuses
de l'estomach , et y ayant reçû l'impres
sion de la douce chaleur qui s'y trouve
accompagnée des parties salines et ter
restres de ces viscositez , avoient été di
latez , nourris et formez comme s'ils
avoient été dans l'eau ou dans la terre.
Enfin la conséquence naturelle qu'on
"S
* Ce Fait est rapporté par M. Bayle , dans ses
Nouvelles de la République des Lettres , mois de
Septembre 1685. page 1005.
C iiij peut
888 MERCURE DE FRANCE
peut tirer de l'état où ces Champignons
se sont trouvez à la sortie de l'estomach
où ils s'étoient formez , c'est de conclure
qu'ayant été trouvez entiers avec leurs
têtes et leurs pédicules qui y étoient attachez
, aussi tendres et aussi délicats
qu'ils sont , c'est une preuve certaine que
la digestion des aliments ne se fait pas
par la trituration causée par le simple
mouvement de l'estomach ; puisqu'il auroit
été impossible que ces petites plantes
eussent pû se former , s'étendre et
croître jusqu'au point où elles sont , sans
se trouver à la fin rompuës par pieces et
brisées , à cause de leur contexture si tendre
et si délicate . Je suis , Monsieur , & c..
A la Ville d'Eu le 14.
Avril
1734
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Résumé : LETTRE de M. Capperon, ancien Doyen de S. Maxent, à M. D. L. R. sur des Champignons formez dans l'estomach d'une Femme.
M. Capperon, ancien doyen de Saint-Maxent, a relaté un cas exceptionnel impliquant une femme de soixante-dix ans au tempérament flegmatique. Cette femme a vomi plusieurs petits champignons après avoir consommé de l'eau-de-vie pour soulager des flatulences. Les matières vomies contenaient des champignons parfaitement formés, au nombre de quinze ou seize, variant en taille et en état de développement. M. Capperon a examiné ces champignons et les a conservés dans de l'eau-de-vie pour les montrer à des personnes intéressées. Il a émis l'hypothèse que les graines de champignons, présentes dans l'eau qu'elle buvait, avaient germé dans son estomac grâce à la liqueur mucilagineuse qui tapisse cet organe. Cette liqueur, plus abondante chez les personnes au sang visqueux, aurait permis aux graines de s'attacher et de se développer grâce à la chaleur de l'estomac. Ce phénomène n'est pas isolé, car des cas similaires ont été observés, comme celui d'un soldat ayant vomi des grains d'avoine germés dans son estomac. M. Capperon en a déduit que la digestion ne se fait pas uniquement par la trituration des aliments, car les champignons sont sortis intacts et entiers.
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