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51
p. 2106-2123
VOYAGE dans les Etats de Bacchus. Lettre écrite aux Auteurs du Mercure.
Début :
J'ay fait depuis peu, Messieurs, un voyage assez subit et singulier. J'ay visité [...]
Mots clefs :
Voyage, Ordonnance, Registres, Recueil des déclarations du dieu Bacchus, Empire, Vin, Rivage de l'Yonne, Auxerre, Joigny, Vignes
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texteReconnaissance textuelle : VOYAGE dans les Etats de Bacchus. Lettre écrite aux Auteurs du Mercure.
VOYAGE dans les Etats de Bacchus..
Lettre écrite aux Auteurs du Mercure.
J4y fait depuis peu , Messieurs
, un
voyage assezsubit et singulier.Fay visité
sans le secours d'aucun guide ni d'aucune
voiture, les Châteaux et les Palais des Dieuxdu
Paganisme. A ce langage , vous vous·
imaginez que mon voyage a dû être de longue
durée , et vous ne vous tromperiez pas,
SZ
SEPTEMBRE. 1731. 2107
si je l'eusse fait physiquement ; mais la verité
est que je n'ay voyagé qu'en esprit. Fe
n'ai point marqué sur mes Tablettes le jour
de mon départ ; je sçai seulement que je
commençai à parcourir tous ces Palais et
ces Châteaux un certain soir du mois de
Fevrier dernier, auquel les fumées du repas
ne m'incommodoient pas beaucoup , et j'ai
idée que le Soleil étoit déja pour lors dans
le Signe des Poissons . Quel qu'ait été mon
voyage , et qu'elle qu'en ait été la cause , me
voila heureusement de retour ; j'ai rapporté
avec moi certaines Ordonnancės assez curieuses
, que les Bibliothequaires de ces Palais,
plus complaisans et moins formalistes
que certains d'Italie , m'ont permis de transcrire
de dessus les Registres dont ils ont la
garde.
En parcourant le Recueil des Déclarations
du Dieu Bacchus , qui est écrit en belles
lettres d'or sur un Velin couleur de Pourpre,
grand in folio , j'en ai apperçû une qui m'a
frappé plus que toutes les autres. Je pense que
c'est l'avant derniere du volume. Sur le champ
j'en ai tiré une copie , avec la résolution de
m'en servir dans l'occasion. Cette occasion
s'est presentée , Messieurs , plutôt que je ne
Faurois crû ; car à peine étois-je un pew
remis de mon vryage spirituel vers le milieu
du mois de Mars , quun de mes amis m'en..
Cvj tendant
1108 MERCURE DE FRANCE
tendant plaindre à table d'un certain vin
clairet et leger que l'on m'avoit servi , tira
de sa poche le Mercure de Fevrier 1731-
et my fit voir à la page 271. un Ecrit que
j'ai reconnu à l'instant être celui que le Dieu
Bacchus a eù en vue de faire supprimer par
son Ordonnanoe. Je vous laisse à juger du
rapport que ces deux Pieces ont l'une avec
l'autre. J'en retranche une partie du préambule
qui est dans le style ordinaire des Sonverains
, et qui ne vous apprendroit autre
chose que les Provinces et les Seigneuries qui
composent le vaste Empire de cette Divinité.
ORDONNANCE du Dieu Bacchus,
donnée dans le Printemps dernier.
fils de Jupiter dit ......
Biber , Lycus , Lenæus , Osyris ,
Dionysus , &c. Jadis la Déesse de la Paix
accorda les differends qui s'étoient élevez
entre la Bourgogne et la Champagne , sur
la primauté du Fruit qui nous est consacré
dans l'étendue de ces deux Provinces
des Gaules ; il y avoit eû force procedures
écrites , mainte Poësie signifiée de part
et d'autre , Pourchot et Grenan , plaidans
pour la Bourgogne , et Coffin pour la
Champagne. (4) Cette bonne Déesse en-
(a) Voyez le Procès Poëtique , imprimé à Paris
an 1712. chez la veuve de Claude Thiboust .
fin
SEPTEMBRE 1731. 2109
in trouva le secret de les mettre tous
d'accord ; elle fit verser dans une grande
Couppe une quantité égale de vin de
Bourgogne et de Champagne , et soudain
ayant fait gouter de ce mêlange aux deux
Partis , ils mirent les armes bas , la Champagne
cedant l'honneur à la Bourgogne ,
dont le vin avoit dominé dans la Couppe
, en gout , en couleur et en force.
Aujourd'hui un Ecrivain récemment
formé sur le Rivage de l'Yonne , réveille
en quelque sorte ce Procès , qui avoit
été jugé définitivement. Il semble avoir
pour but dans son raisonnement de donner
gain de cause à la Champagne , essayant
de faire comprendre que des vins
tendres , peu colorez , de peu de durée ,
et qui de plus ont un goût de terroir ,
doivent aller de pair avec des vins qui
ent du corps , une couleur bien rosée ,
qui sont francs , bien - faisans , amis de
l'estomach , et dont la séve est fine en
même-temps qu'elle est mâle et vigoureuse.
Et ce qu'il y a encore de plus sur
prenant dans son procedé, c'est qu'il prétend
être bon Bourguignon , en écrivant,
comme il fait , en faveur de ces vins tendres
et délicats .
Ce trop zelé Partisan fait paroître sur
les rangs Joigny , petite Ville , qu'il lui
plaît
110 MERCURE DE FRANCE
plaît de placer dans notre Province de
Bourgogne , quoiqu'elle n'y soit point
comprise , suivant l'exacte Géographie de
notre Empire ; et après avoir égalé ses
vins à ceux de notre bonne et ancienne
Ville d'Auxerre , de tout temps renfermée
dans notre Cercle de Bourgogne ,
il pousse la prévention et l'audace jusqu'à
leur donner le dessus. Oubliant lui - même
d'où il est natif , et faisant semblant
de ne pas appercevoir que c'est l'amour
aveugle de sa Patrie qui le rend Auteur,
il va jusqu'à reprocher à notre zelé Analiste
d'Auxerre , duquel Mercure nous
a fait voir les Ecrits , de s'être trop étendu
par l'effet du même amour , à rapporter
les avantages de son Pays. Nous DECLARONS
que nous aimons tous nos fideles
Sujets ; mais nous devons aussi rendre.
justice à qui elle appartient , et réfuter
ce qui mérite de l'être. Sans nous arrê
ter à remarquer que l'Avocat des vins
de joigny pourroit avoir besoin de passer
quelques mois , tant sur le Parnasse
que
dans l'une de nos Universitez , pour
y apprendre à discerner les vins par la fréquentation
des personnages versez en cette
Scienće , et à ne pas prodiguer , comme
il fait , les Citations des Poëtes Latins
dont il abuse quelquefois. Nous disons.
>
qu'il
SEPTEMBRE. 1731. 21FT
qu'il paroît par son langage qu'il n'a jamais
vû de ses yeux ces Vignobles qui
sont si renommez dans nos Etats , qu'à
l'entendre raisonner il semble que jamais:
il n'est sorti des limites de son petit Ter--
ritoire , si ce n'est peut-être pour venir à
Auxerre considerer superficiellement la
situation des Côteaux .
Si ce jeune Ecrivain avoit voulu se détromper
serieusement et de bonne foi ,
ainsi que font tous ceux qui sont étroitement
attachez à notre service , il auroit
pû recourir à nos Papiers - Terriers de
Coulanges - les - Vineuses , à ceux de nos:
Vignobles d'autour de Beaune et des environs,
de Nuys , Volnay , Pomar , Chase
sagne , à ceux des climats du clos de Vougeot
, ( a ) Champbertin , Savigny , la
Romance les Serrieres proche Dijon
et les côtes de Chenove auprès de la
même Ville. Il y auroit appris par les
Declarations circonstanciées de nos féaux
et amez sujets qui peuplent ces cantons ,
que les Vignes qu'ils appellent des meilleurs
endroits et du produit le plus ex-
,
3-
( a ) Vougeot est un Village entre Dijon &
Nuys , où M. l'Abbé de Citeaux a un. Clos de
Vignes très- vaste et presque tout plat , lequel
cependant produit un Vin très- excellent , contre
la Maxime de l'Avocat des Vins de Joigny.
cellent
2111 MERCURE DE FRANCE
cellent , ne sont pas situées dans un territoire
dont l'extension soit comme perpendiculaire
du Ciel vers la Terre , ainsi
qu'il se figure par une idée bizarre , que
doivent être plantées les Vignes d'une
qualité superieure. Pour peu qu'il eût
jetté la vue sur les Cartes Topographiques
qui décorent les murs de nos sallons ,
il y eût appris que dans les côteaux de
Vignes , il y a la Region suprême , la
moyenne et l'inferieure ; que comme ce
n'est pas dans la region la plus basse , la
plus applanie ou la plus inondée que croît
le meilleur vin , ce n'est pas non plus
dans la Region la plus échauffée ou la
plus chauve , et pour parler humainement
, que ce n'est pas dans le plus roide
de la côte qu'on recueille ce Vin supe ♣
rieur et transcendant , mais que c'est dans
la naissance du plis des côteaux , parce
que c'est comme le lieu de concentration ,
tant des sucs choisis de la Terre , que de
la refléxion des rayons solaires . De- là
vient que dans la Capitale de Bourgogne ,
on appelle cet endroit Le Rognon de la Côte.
L'un de nos Geographes qui connoît jusqu'aux
moindres cantons de nos Etats ,
se donna autrefois la peine d'enluminer
de couleur rouge les endroits de ces Cartes
Topographiques , dont les Vignes
sont
SEPTEMBRE. 1731. 2113
•
sont dans la situation la plus heureuse
et dont le grain de terre est en même
temps le plus favorable.
Après l'exhibition qui nous a été faite
de ces Cartes , nous déclarons n'avoir apperçû
que quelques legers coups de pinceau
sur les côtes de Joigny , au lieu que
les climats des environs d'Auxerre sont
presque tous chargez de riches et nombreux
traits de ce pinceau décisif , qui
marquent que ce qui constituë radicalement
le bon vin , y est commun et ordinaire
, c'est-à - dire › que generalement
parlant , les Vignes d'autour notre bienaimée
Ville d'Auxerre sont dans une
و
bonne exposition et qu'elles naissent
dans un grain de terre qui n'est vitié ni
par des veines nitreuses ni par une superficie
sulfureuse. Ces coups de pinceau se
trouvent abondamment
marquez entre
autres Climats , sur ceux de la Chainette,
Migraine , Boivin , Clerion , qui sont au
Septentrion
et à l'Occident de la Ville ,
et sur plus de vingt autres qui sont au
levant et au midi de la même Ville , à
une demi - lieue , ou un peu plus de distance
, dont les productions
par une
licence que jusqu'ici nous avons tolerée ,
quoique contraire à la sincerité de notre
caractere , ne sont point distribuées dans
,
>
la
2114 MERCURE DE FRANCE
la Capitale des Gaules et plus loin , sous
d'autre nom que sous celui de Vin de
Coulanges .
En vain le zelateur des Vins de Joigny,
mal instruit du prix des Vins de notre
illustre Ville d'Auxerre , voudroit - il les
abaisser jusqu'à les mettre de Niveau avec
ceux de sa Patrie. Les Historiens de nos
Etats marquent dans leurs Annales Latines
, qu'en tout temps les Vins d'Autricum
Senonum se sont vendus le double ou
environ des Vins de Joviniacum : Et même
notre Controlleur General nous ayant
representé le Registre de l'Année courante
, nous y avons vû que le Vin de la
derniere récolte , que le Partisan vante
tant , a été débité à Auxerre , à un prix
une fois plus haut que celui du cru de
Joigny. ( a ) Nous ne croyons point qu'il
y ait mortel assez téméraire pour oser
s'inscrire en faux contre un témoignage
si authentique. On sçait que nous sommes
disposez à punir de peines très- séveres
les faussaires ou les faux témoins s'il
( a ) Les Vins du plus haut prix à Joigny
n'ont pas êté à 80. livres le Muid , au lieu qu'à
Auxerre ils ont été vendus 130. et 140. livres
quoique les Tonneaux ne soient pas plus grands ,
et qu'il y ait un plus grand éloignement de la
Ville de Paris.
s'en
SEPTEMBRE. 1731. 2215
s'en trouvoit sur nos Terres , et que nous
les condamnerions à user le reste de leurs
jours d'une boisson , qui n'est ni rare ni
délicieuse.
Si après le temps de l'Hyver il reste
peu de Vins dans notre Vignoble de Joigny
, il n'est pas besoin que nous en rapportions
ici la cause ; elle est connuë du
Bourgeois comme du Vigneron ; ils
avouent franchement l'un et l'autre que
leur liqueur est de peu de garde. Qui
pourroit après cela les blâmer de ce qu'ils
s'en défont promptement ? Deplus , leur
territoire n'est point de l'étenduë dont
est celui de notre bonne Ville d'Auxerre
ni fertile au même point. Il est notoire
par la simple confrontation des Inventaires
dressez par nos Inquisiteurs modernes
, ( a ) que les reservoirs soûterrains de
Joigny n'ont jamais eû l'honneur de contenir
dans leur capacité une quantité égale
à celle de nos reservoirs d'Auxerre.
Cette Ville qui est la clef de notre incomparable
Province de Bourgogne ,
jouit d'un Territoire si avantagé des bénignes
influences des autres Divinitez qui
nous sont amies , qu'avec la qualité du
( a ) On entend sous ce nom les Tabeliers qui
wont depuis peu dans les Caves , pour prendre
le nombre des Tonneaux pleins.
Raisin J
2118 MERCURE DE FRANCE
Raisin , il y en a toujours une quantité
qui excede celle du produit de Joigny.
Phoebus et Cybele semblent s'être accordez
à le combler de leurs bienfaits . Auxerre
a mille et mille côteaux renfermez
dans des sinuositez tortueuses qui regnent
en differens vallons ; et le Vignoble de
Joigny n'est, pour ainsi dire, qu'un simple
revers d'une ou de deux Montagnes , sur
lequel est arboré celui des Domaines du
Dieu Sylvain , que l'antiquité appelle
La Forêt d'Othe. Outre cela , par une justice
qui étoit dûë au Territoire d'Auxerre,
ancienne Cité Romaine , nous l'avons
aggrandi de diverses Colonies celebres
qui lui sont soumises à trois et quatre
lieuës vers la Region Australe , et qui le
regardent comme le chef- lieu .
د
Telles sont ces Colonies , dites Vineufes
par excellence ; tel est Irancy , Jussy
Ecouleves , la Palote &c. Joigny au contraire
, au rapport des Enquêteurs nos
Commissaires en cette Partie , n'est qu'un
simple Château qui sert de Rempart au
Territoire du Dieu Sylvain ci - dessus
nommé , autour duquel Château , l'on a
fait disparoître depuis fort peu de siécles ,
l'Arbre Favori des Druides Gaulois , pour
y planter de notre Bois tortu . Mais pour
çe faire , il a bien fallu de nécessité prendre
SEPTEMBRE . 1731 . 2117
dre le terrain tel qu'il s'est presenté , terrain
caustique , rempli de craye , de cailloux
enflâmez et petillans , terrain que
nous regardons comme une écume recuite
de la Bourbe qu'engendra sur plusieurs
Côtes de l'Univers le mêlange des Fleuves
et des Mers au siécle de Deucalion. C'est
ce qui fait que dans les années les plus favorisées
par Phoebus notre frere pour les
bons Vins , ceux de Joigny ont un goût
que les Mortels appellent fort à propos
goût de Terroir ; ne sont point francs ,
sentent le Tufou le Crayon ; et plus les
rayons de Phoebus ont été violemment
lancés , plus il est besoin de faire sur les
Cuves une salutaire injection d'une lymphe
benigne et temperative.
et
Le Vin de Joigny au rapport des mêmes
Enquêteurs , est non - seulement de
peu de durée
de durée , mais encore de difficile
transport dans les Pays éloignez ; ainsi
qu'il nous a paru par certaines Querimonies
inserées dans des Placets que les Députez
de ces Pays lointains nous ont presentez.
Ce Vin est tel , presque universellement
parlant , qu'il a de la peine à se
bien comporter jusqu'au signe de la Vierge
et de la Balance dans les années qu'il
est bon. Il a si peu de corps , au dire des
mêmes Commissaires , que la moindre
cau
2118 MERCURE DE FRANCE
eau suffit pour l'éteindre et l'amortir ; et
c'est mal à propos qu'on lui donneroit
l'épitette de Generofum. Quiconque veut
le garder chaste et sans alteration doit
>
و
mettre en pratique une espece de Paradoxe
, c'est-à- dire , qu'il faut nécessairement
qu'il le marie avec d'autre Vin ,
sinon sa propre vertu fait voir combien
d'elle-même elle est fragile et caduque.
Il est Capiteux , ajoutent- ils , à raison du
terrain brûlant qui le produit. C'est ce
qui fait que les Seps en sont si courts et
si petits qu'un simple fétu les soutient.
Deplus la Déesse Cybele et le Dieu Sylvain
ont certifié à nos Secretaires par plusieurs
de leurs Vassaux , qu'il est faux que
les habitans de la Colline Jovinienne ne
mettent rien dans leurs Vignes . Ils tirent
adroitement du Domaine voisin
appartenant au dieu Sylvain , une certaine
terre jaune qu'ils appellent du Lateux
dont ils sçavent imprégner leur
terrain blanchâtre pour en corriger le défaut,
si faire se pouvoit ; au lieu qu'Auxerre
n'a besoin ni de Lateux ni de Fumier :
Aussi n'avons nous permis d'y mettre du
Fumier dans certaines Vignes basses , qu'à
ceux de nos Vassaux , qui ont déclaré à
notre Chancelier,que ces héritages étoient
destinés à abreuver abondamment le Pay-
›
san
SEPTEMBRE 1731. 2119
-san apporteur de provisions , et à humecter
journellement le gosier du Laboureur
Artisan et de l'infatigable Vigneron : em
ploi qui est conforme à nos anciennes
Ordonnances , Registre premier.
Quant à la proposition par laquelle le
Panegyriste attribue à la vente du jus dont
nous daignons favoriser la côte de Joigny,
le nombre de mâles qu'il dit y surpasser
considerablement celui des femeles ; supposant
pour un moment la verité de son
calcul , nous disons que sa conclusion est
fausse , comme se trouvant absolument
détruite par l'experience dont les disciples
d'Hippocrate nous sont garants. Et
en nous servant de leur langage clair et
précis , nous ajoûtons qu'il prend pour
cause ce qui ne l'est pas. Ces habiles Scrutateurs
de l'origine du genre humain
admis dans notre Conseil , nous assurent
que communément, c'est en tous pays que
le nombre des mâles excede d'un peu celui
des femmes ; en quoi ils font remarquer la
sagesse du Conseil des Dieux , qui a prohibé
la Polygamie. Mais ce qu'ils observent
de plus , c'est que ce n'est pas
dans
quelques Villes de pays de Vignobles seulement
qu'on trouve le nombre de mâles
excéder notablement celui de l'autre sexe ;
ils ajoûtent que cela se rencontre aussi
dans
2120 MERCURE DE FRANCE
›
dans des Villes où le mauvais usage est
resté de ne dissoudre les Alimens et de
n'éteindre la soif qu'avec dujus de pomme,
ou avec une certaine eau bouillie , et même
dans des Pays , où par un effet de notre
colere , les Animaux raisonnables et
les irraisonnables usent d'une seule et même
boisson. Les Habitans des Ifles Britanniques
, bons connoisseurs, de notre Vin
de Bourgogne se sont donné la peine
de faire là - dessus des supputations qui
sont restées sans replique. ( a )
و
Toutes ces raisons pesées et murement
examinées , dans notre Conseil , les Hippocrates
et les Galiens de toutes les Nations,
duement appellez , et entendus, ensemble
les Echansons de tous les Dieux
nos Freres ; NOUS DECLARONS les Vins
de notre bonne Ville d'Auxerre à perpetuité
superieurs en qualité à ceux de
Joigny , ainsi qu'ils l'étoient par le passé
et qu'ils le sont actuellement . Voulons
en outre que l'on mette dans le même
rang de superiorité tous Vignobles dont
les Vins supportent la limphe , ct qui au
lieu de se laisser vaincre par ce foible
Element , le parfument du goût de la
celeste ambrosie , que les Mortels appel-
( a ) Lifez les Transactions Philosophiques ,
Du Journaux de l'Académie des Sciences de`
Londres.
lent
SEPTEMBRE . 1731. 272T
lent du nom de Pinot , (i) et donnent
réellement à ceux qui en usent , des forces
perseverantes et fermement inhérentes
. Accordons de grace speciale aux Vins
de Joigny d'être d'usage aux déj ûnez de
nos Courtisans, qui les ont reconnus suffisamment
apéritifs et proportionnez à
l'exercice qu'ils prennent. Permettons pareillement
à notre Grand Bouteillier de
nous en servir au même repas , avec deffenses
, sous peine de leze- Majesté , de
nous en présenter en d'autres temps , et
sur tout à l'heure du coucher de Phébus,
et lorsque Morphée vient nous inviter
au repos. Deffendons d'usurper le titre
de superiorité , à tous Vignobles dont les
Vins ne donnent que de ces forces passageres
, qu'on ne voit briller que durant
quelques jours , lesquels n'étant point éta-
Blis sur celui de notre Jus qui a le plus
de solidité , disparoissent aisément , s'évanoüissent
à la longueur du travail , et
font succomber les Champions qui en
usoient habituellement , par un aveu forcé
de leur foiblesse et de leur insuffisance.
(a) Le Pinot est une espece de Raisin noir,
qui fait le meilleur Vin. Les Comptes de la
Ville d'Auxerre pariant des Présens de Vin ,
faits aux Princes , specifient ordinairement
qu'ils sont de Vin de Pinet,
D Faisons
2122 MERCURE DE FRANCE
Faisons les mêmes deffenses et prohibitions
à tous Vignobles quelconques , dont
les Vins contiennent trop de ce Nitre fatal
aux intestins des Buveurs , comme
étant sujets à y causer une relaxation qui
devient sensible et deshonnorante , lorsqu'elle
concourt avec certains exercices du
corps au milieu des chaleurs de la Canicule.
(a)
Er sera notre presente Déclaration affichée
ès Carrefours de la Ville de Joigny
, à ce que nul n'en ignore , et publiée
chaque année esdits lieux aux jours
suivans , par Nous spécialement choisis ,
pour raisons à Nous connues ; sçavoir
en. Août le jour de la Consecration, des,
Autels de la Déesse Ops et de Cérès . (b)
Item. En Septembre , le jour de la Dé-
(a) Il est clair que Bacchus veut parler ici
de l'antiperistase qui éclatta à Auxerre les premiersjours
d'Août de l'an 1723. lorsque le Vin
de cette Ville commença à combattre la bile
formée delongue main dans le corps des Joueurs
de Paulme de Joigny..
(b) Bacchus parle ici suivant le Calendrier
des anciens Romains ; Les quatre jours qu'il
indique répondent au 10. Août , 14. Septembre
1. Octobre et 1. janvier , jours des quatre For-
RES deJoigny et par consequent de grand concours.
C'est celle du 10. Août qui est la cause
du choix qu'a fait Bacchus.
dicace
SEPTEMBRE. 1731. 2823
dicace du Temple de Jupiter Capitolin.
De plus , aux Calendes d'Octobre et de
Janvier. SI MANDONS à nos Baillifs.
et Sénechaux , &c.
Il n'est
pas
nécessaire , Messieurs , de
vous prier de rendre publique une Ordonnance
si juste et si équitable , et à laquelle
#outes les Langues les plus fines de Paris et
des Pays- Bas ne manqueront pas d'applandir.
J'aurois souhaité d'en trouver un plus
grand nombre de pareille nature dans ce
précieux in Folio , qui me fût communiqué
fort poliment par l' Archiviste du Dieu Bac
chus. Mais je me souviens que cette Ordonnance
étoit la seule dans son genre , et qu'après
elle le Volume n'en contenoit qu'une à
baquelle le Sceau venoit d'être mis tout recem
ment après la tenue des Etats Generaux. C'est
celle qui défend de planter de la Vigne dans
des endroits qui ne conviennent point à ce
Bois. Cette derniere Ordonnance vient d'être
heureusement notifiée dans le Royaume de
France par les Publications et Placards ordinaires
; et il faut esperer que l'on tiendra la
main à son observation.
Je suis & c. ce 12. Juillet 1731.
Lettre écrite aux Auteurs du Mercure.
J4y fait depuis peu , Messieurs
, un
voyage assezsubit et singulier.Fay visité
sans le secours d'aucun guide ni d'aucune
voiture, les Châteaux et les Palais des Dieuxdu
Paganisme. A ce langage , vous vous·
imaginez que mon voyage a dû être de longue
durée , et vous ne vous tromperiez pas,
SZ
SEPTEMBRE. 1731. 2107
si je l'eusse fait physiquement ; mais la verité
est que je n'ay voyagé qu'en esprit. Fe
n'ai point marqué sur mes Tablettes le jour
de mon départ ; je sçai seulement que je
commençai à parcourir tous ces Palais et
ces Châteaux un certain soir du mois de
Fevrier dernier, auquel les fumées du repas
ne m'incommodoient pas beaucoup , et j'ai
idée que le Soleil étoit déja pour lors dans
le Signe des Poissons . Quel qu'ait été mon
voyage , et qu'elle qu'en ait été la cause , me
voila heureusement de retour ; j'ai rapporté
avec moi certaines Ordonnancės assez curieuses
, que les Bibliothequaires de ces Palais,
plus complaisans et moins formalistes
que certains d'Italie , m'ont permis de transcrire
de dessus les Registres dont ils ont la
garde.
En parcourant le Recueil des Déclarations
du Dieu Bacchus , qui est écrit en belles
lettres d'or sur un Velin couleur de Pourpre,
grand in folio , j'en ai apperçû une qui m'a
frappé plus que toutes les autres. Je pense que
c'est l'avant derniere du volume. Sur le champ
j'en ai tiré une copie , avec la résolution de
m'en servir dans l'occasion. Cette occasion
s'est presentée , Messieurs , plutôt que je ne
Faurois crû ; car à peine étois-je un pew
remis de mon vryage spirituel vers le milieu
du mois de Mars , quun de mes amis m'en..
Cvj tendant
1108 MERCURE DE FRANCE
tendant plaindre à table d'un certain vin
clairet et leger que l'on m'avoit servi , tira
de sa poche le Mercure de Fevrier 1731-
et my fit voir à la page 271. un Ecrit que
j'ai reconnu à l'instant être celui que le Dieu
Bacchus a eù en vue de faire supprimer par
son Ordonnanoe. Je vous laisse à juger du
rapport que ces deux Pieces ont l'une avec
l'autre. J'en retranche une partie du préambule
qui est dans le style ordinaire des Sonverains
, et qui ne vous apprendroit autre
chose que les Provinces et les Seigneuries qui
composent le vaste Empire de cette Divinité.
ORDONNANCE du Dieu Bacchus,
donnée dans le Printemps dernier.
fils de Jupiter dit ......
Biber , Lycus , Lenæus , Osyris ,
Dionysus , &c. Jadis la Déesse de la Paix
accorda les differends qui s'étoient élevez
entre la Bourgogne et la Champagne , sur
la primauté du Fruit qui nous est consacré
dans l'étendue de ces deux Provinces
des Gaules ; il y avoit eû force procedures
écrites , mainte Poësie signifiée de part
et d'autre , Pourchot et Grenan , plaidans
pour la Bourgogne , et Coffin pour la
Champagne. (4) Cette bonne Déesse en-
(a) Voyez le Procès Poëtique , imprimé à Paris
an 1712. chez la veuve de Claude Thiboust .
fin
SEPTEMBRE 1731. 2109
in trouva le secret de les mettre tous
d'accord ; elle fit verser dans une grande
Couppe une quantité égale de vin de
Bourgogne et de Champagne , et soudain
ayant fait gouter de ce mêlange aux deux
Partis , ils mirent les armes bas , la Champagne
cedant l'honneur à la Bourgogne ,
dont le vin avoit dominé dans la Couppe
, en gout , en couleur et en force.
Aujourd'hui un Ecrivain récemment
formé sur le Rivage de l'Yonne , réveille
en quelque sorte ce Procès , qui avoit
été jugé définitivement. Il semble avoir
pour but dans son raisonnement de donner
gain de cause à la Champagne , essayant
de faire comprendre que des vins
tendres , peu colorez , de peu de durée ,
et qui de plus ont un goût de terroir ,
doivent aller de pair avec des vins qui
ent du corps , une couleur bien rosée ,
qui sont francs , bien - faisans , amis de
l'estomach , et dont la séve est fine en
même-temps qu'elle est mâle et vigoureuse.
Et ce qu'il y a encore de plus sur
prenant dans son procedé, c'est qu'il prétend
être bon Bourguignon , en écrivant,
comme il fait , en faveur de ces vins tendres
et délicats .
Ce trop zelé Partisan fait paroître sur
les rangs Joigny , petite Ville , qu'il lui
plaît
110 MERCURE DE FRANCE
plaît de placer dans notre Province de
Bourgogne , quoiqu'elle n'y soit point
comprise , suivant l'exacte Géographie de
notre Empire ; et après avoir égalé ses
vins à ceux de notre bonne et ancienne
Ville d'Auxerre , de tout temps renfermée
dans notre Cercle de Bourgogne ,
il pousse la prévention et l'audace jusqu'à
leur donner le dessus. Oubliant lui - même
d'où il est natif , et faisant semblant
de ne pas appercevoir que c'est l'amour
aveugle de sa Patrie qui le rend Auteur,
il va jusqu'à reprocher à notre zelé Analiste
d'Auxerre , duquel Mercure nous
a fait voir les Ecrits , de s'être trop étendu
par l'effet du même amour , à rapporter
les avantages de son Pays. Nous DECLARONS
que nous aimons tous nos fideles
Sujets ; mais nous devons aussi rendre.
justice à qui elle appartient , et réfuter
ce qui mérite de l'être. Sans nous arrê
ter à remarquer que l'Avocat des vins
de joigny pourroit avoir besoin de passer
quelques mois , tant sur le Parnasse
que
dans l'une de nos Universitez , pour
y apprendre à discerner les vins par la fréquentation
des personnages versez en cette
Scienće , et à ne pas prodiguer , comme
il fait , les Citations des Poëtes Latins
dont il abuse quelquefois. Nous disons.
>
qu'il
SEPTEMBRE. 1731. 21FT
qu'il paroît par son langage qu'il n'a jamais
vû de ses yeux ces Vignobles qui
sont si renommez dans nos Etats , qu'à
l'entendre raisonner il semble que jamais:
il n'est sorti des limites de son petit Ter--
ritoire , si ce n'est peut-être pour venir à
Auxerre considerer superficiellement la
situation des Côteaux .
Si ce jeune Ecrivain avoit voulu se détromper
serieusement et de bonne foi ,
ainsi que font tous ceux qui sont étroitement
attachez à notre service , il auroit
pû recourir à nos Papiers - Terriers de
Coulanges - les - Vineuses , à ceux de nos:
Vignobles d'autour de Beaune et des environs,
de Nuys , Volnay , Pomar , Chase
sagne , à ceux des climats du clos de Vougeot
, ( a ) Champbertin , Savigny , la
Romance les Serrieres proche Dijon
et les côtes de Chenove auprès de la
même Ville. Il y auroit appris par les
Declarations circonstanciées de nos féaux
et amez sujets qui peuplent ces cantons ,
que les Vignes qu'ils appellent des meilleurs
endroits et du produit le plus ex-
,
3-
( a ) Vougeot est un Village entre Dijon &
Nuys , où M. l'Abbé de Citeaux a un. Clos de
Vignes très- vaste et presque tout plat , lequel
cependant produit un Vin très- excellent , contre
la Maxime de l'Avocat des Vins de Joigny.
cellent
2111 MERCURE DE FRANCE
cellent , ne sont pas situées dans un territoire
dont l'extension soit comme perpendiculaire
du Ciel vers la Terre , ainsi
qu'il se figure par une idée bizarre , que
doivent être plantées les Vignes d'une
qualité superieure. Pour peu qu'il eût
jetté la vue sur les Cartes Topographiques
qui décorent les murs de nos sallons ,
il y eût appris que dans les côteaux de
Vignes , il y a la Region suprême , la
moyenne et l'inferieure ; que comme ce
n'est pas dans la region la plus basse , la
plus applanie ou la plus inondée que croît
le meilleur vin , ce n'est pas non plus
dans la Region la plus échauffée ou la
plus chauve , et pour parler humainement
, que ce n'est pas dans le plus roide
de la côte qu'on recueille ce Vin supe ♣
rieur et transcendant , mais que c'est dans
la naissance du plis des côteaux , parce
que c'est comme le lieu de concentration ,
tant des sucs choisis de la Terre , que de
la refléxion des rayons solaires . De- là
vient que dans la Capitale de Bourgogne ,
on appelle cet endroit Le Rognon de la Côte.
L'un de nos Geographes qui connoît jusqu'aux
moindres cantons de nos Etats ,
se donna autrefois la peine d'enluminer
de couleur rouge les endroits de ces Cartes
Topographiques , dont les Vignes
sont
SEPTEMBRE. 1731. 2113
•
sont dans la situation la plus heureuse
et dont le grain de terre est en même
temps le plus favorable.
Après l'exhibition qui nous a été faite
de ces Cartes , nous déclarons n'avoir apperçû
que quelques legers coups de pinceau
sur les côtes de Joigny , au lieu que
les climats des environs d'Auxerre sont
presque tous chargez de riches et nombreux
traits de ce pinceau décisif , qui
marquent que ce qui constituë radicalement
le bon vin , y est commun et ordinaire
, c'est-à - dire › que generalement
parlant , les Vignes d'autour notre bienaimée
Ville d'Auxerre sont dans une
و
bonne exposition et qu'elles naissent
dans un grain de terre qui n'est vitié ni
par des veines nitreuses ni par une superficie
sulfureuse. Ces coups de pinceau se
trouvent abondamment
marquez entre
autres Climats , sur ceux de la Chainette,
Migraine , Boivin , Clerion , qui sont au
Septentrion
et à l'Occident de la Ville ,
et sur plus de vingt autres qui sont au
levant et au midi de la même Ville , à
une demi - lieue , ou un peu plus de distance
, dont les productions
par une
licence que jusqu'ici nous avons tolerée ,
quoique contraire à la sincerité de notre
caractere , ne sont point distribuées dans
,
>
la
2114 MERCURE DE FRANCE
la Capitale des Gaules et plus loin , sous
d'autre nom que sous celui de Vin de
Coulanges .
En vain le zelateur des Vins de Joigny,
mal instruit du prix des Vins de notre
illustre Ville d'Auxerre , voudroit - il les
abaisser jusqu'à les mettre de Niveau avec
ceux de sa Patrie. Les Historiens de nos
Etats marquent dans leurs Annales Latines
, qu'en tout temps les Vins d'Autricum
Senonum se sont vendus le double ou
environ des Vins de Joviniacum : Et même
notre Controlleur General nous ayant
representé le Registre de l'Année courante
, nous y avons vû que le Vin de la
derniere récolte , que le Partisan vante
tant , a été débité à Auxerre , à un prix
une fois plus haut que celui du cru de
Joigny. ( a ) Nous ne croyons point qu'il
y ait mortel assez téméraire pour oser
s'inscrire en faux contre un témoignage
si authentique. On sçait que nous sommes
disposez à punir de peines très- séveres
les faussaires ou les faux témoins s'il
( a ) Les Vins du plus haut prix à Joigny
n'ont pas êté à 80. livres le Muid , au lieu qu'à
Auxerre ils ont été vendus 130. et 140. livres
quoique les Tonneaux ne soient pas plus grands ,
et qu'il y ait un plus grand éloignement de la
Ville de Paris.
s'en
SEPTEMBRE. 1731. 2215
s'en trouvoit sur nos Terres , et que nous
les condamnerions à user le reste de leurs
jours d'une boisson , qui n'est ni rare ni
délicieuse.
Si après le temps de l'Hyver il reste
peu de Vins dans notre Vignoble de Joigny
, il n'est pas besoin que nous en rapportions
ici la cause ; elle est connuë du
Bourgeois comme du Vigneron ; ils
avouent franchement l'un et l'autre que
leur liqueur est de peu de garde. Qui
pourroit après cela les blâmer de ce qu'ils
s'en défont promptement ? Deplus , leur
territoire n'est point de l'étenduë dont
est celui de notre bonne Ville d'Auxerre
ni fertile au même point. Il est notoire
par la simple confrontation des Inventaires
dressez par nos Inquisiteurs modernes
, ( a ) que les reservoirs soûterrains de
Joigny n'ont jamais eû l'honneur de contenir
dans leur capacité une quantité égale
à celle de nos reservoirs d'Auxerre.
Cette Ville qui est la clef de notre incomparable
Province de Bourgogne ,
jouit d'un Territoire si avantagé des bénignes
influences des autres Divinitez qui
nous sont amies , qu'avec la qualité du
( a ) On entend sous ce nom les Tabeliers qui
wont depuis peu dans les Caves , pour prendre
le nombre des Tonneaux pleins.
Raisin J
2118 MERCURE DE FRANCE
Raisin , il y en a toujours une quantité
qui excede celle du produit de Joigny.
Phoebus et Cybele semblent s'être accordez
à le combler de leurs bienfaits . Auxerre
a mille et mille côteaux renfermez
dans des sinuositez tortueuses qui regnent
en differens vallons ; et le Vignoble de
Joigny n'est, pour ainsi dire, qu'un simple
revers d'une ou de deux Montagnes , sur
lequel est arboré celui des Domaines du
Dieu Sylvain , que l'antiquité appelle
La Forêt d'Othe. Outre cela , par une justice
qui étoit dûë au Territoire d'Auxerre,
ancienne Cité Romaine , nous l'avons
aggrandi de diverses Colonies celebres
qui lui sont soumises à trois et quatre
lieuës vers la Region Australe , et qui le
regardent comme le chef- lieu .
د
Telles sont ces Colonies , dites Vineufes
par excellence ; tel est Irancy , Jussy
Ecouleves , la Palote &c. Joigny au contraire
, au rapport des Enquêteurs nos
Commissaires en cette Partie , n'est qu'un
simple Château qui sert de Rempart au
Territoire du Dieu Sylvain ci - dessus
nommé , autour duquel Château , l'on a
fait disparoître depuis fort peu de siécles ,
l'Arbre Favori des Druides Gaulois , pour
y planter de notre Bois tortu . Mais pour
çe faire , il a bien fallu de nécessité prendre
SEPTEMBRE . 1731 . 2117
dre le terrain tel qu'il s'est presenté , terrain
caustique , rempli de craye , de cailloux
enflâmez et petillans , terrain que
nous regardons comme une écume recuite
de la Bourbe qu'engendra sur plusieurs
Côtes de l'Univers le mêlange des Fleuves
et des Mers au siécle de Deucalion. C'est
ce qui fait que dans les années les plus favorisées
par Phoebus notre frere pour les
bons Vins , ceux de Joigny ont un goût
que les Mortels appellent fort à propos
goût de Terroir ; ne sont point francs ,
sentent le Tufou le Crayon ; et plus les
rayons de Phoebus ont été violemment
lancés , plus il est besoin de faire sur les
Cuves une salutaire injection d'une lymphe
benigne et temperative.
et
Le Vin de Joigny au rapport des mêmes
Enquêteurs , est non - seulement de
peu de durée
de durée , mais encore de difficile
transport dans les Pays éloignez ; ainsi
qu'il nous a paru par certaines Querimonies
inserées dans des Placets que les Députez
de ces Pays lointains nous ont presentez.
Ce Vin est tel , presque universellement
parlant , qu'il a de la peine à se
bien comporter jusqu'au signe de la Vierge
et de la Balance dans les années qu'il
est bon. Il a si peu de corps , au dire des
mêmes Commissaires , que la moindre
cau
2118 MERCURE DE FRANCE
eau suffit pour l'éteindre et l'amortir ; et
c'est mal à propos qu'on lui donneroit
l'épitette de Generofum. Quiconque veut
le garder chaste et sans alteration doit
>
و
mettre en pratique une espece de Paradoxe
, c'est-à- dire , qu'il faut nécessairement
qu'il le marie avec d'autre Vin ,
sinon sa propre vertu fait voir combien
d'elle-même elle est fragile et caduque.
Il est Capiteux , ajoutent- ils , à raison du
terrain brûlant qui le produit. C'est ce
qui fait que les Seps en sont si courts et
si petits qu'un simple fétu les soutient.
Deplus la Déesse Cybele et le Dieu Sylvain
ont certifié à nos Secretaires par plusieurs
de leurs Vassaux , qu'il est faux que
les habitans de la Colline Jovinienne ne
mettent rien dans leurs Vignes . Ils tirent
adroitement du Domaine voisin
appartenant au dieu Sylvain , une certaine
terre jaune qu'ils appellent du Lateux
dont ils sçavent imprégner leur
terrain blanchâtre pour en corriger le défaut,
si faire se pouvoit ; au lieu qu'Auxerre
n'a besoin ni de Lateux ni de Fumier :
Aussi n'avons nous permis d'y mettre du
Fumier dans certaines Vignes basses , qu'à
ceux de nos Vassaux , qui ont déclaré à
notre Chancelier,que ces héritages étoient
destinés à abreuver abondamment le Pay-
›
san
SEPTEMBRE 1731. 2119
-san apporteur de provisions , et à humecter
journellement le gosier du Laboureur
Artisan et de l'infatigable Vigneron : em
ploi qui est conforme à nos anciennes
Ordonnances , Registre premier.
Quant à la proposition par laquelle le
Panegyriste attribue à la vente du jus dont
nous daignons favoriser la côte de Joigny,
le nombre de mâles qu'il dit y surpasser
considerablement celui des femeles ; supposant
pour un moment la verité de son
calcul , nous disons que sa conclusion est
fausse , comme se trouvant absolument
détruite par l'experience dont les disciples
d'Hippocrate nous sont garants. Et
en nous servant de leur langage clair et
précis , nous ajoûtons qu'il prend pour
cause ce qui ne l'est pas. Ces habiles Scrutateurs
de l'origine du genre humain
admis dans notre Conseil , nous assurent
que communément, c'est en tous pays que
le nombre des mâles excede d'un peu celui
des femmes ; en quoi ils font remarquer la
sagesse du Conseil des Dieux , qui a prohibé
la Polygamie. Mais ce qu'ils observent
de plus , c'est que ce n'est pas
dans
quelques Villes de pays de Vignobles seulement
qu'on trouve le nombre de mâles
excéder notablement celui de l'autre sexe ;
ils ajoûtent que cela se rencontre aussi
dans
2120 MERCURE DE FRANCE
›
dans des Villes où le mauvais usage est
resté de ne dissoudre les Alimens et de
n'éteindre la soif qu'avec dujus de pomme,
ou avec une certaine eau bouillie , et même
dans des Pays , où par un effet de notre
colere , les Animaux raisonnables et
les irraisonnables usent d'une seule et même
boisson. Les Habitans des Ifles Britanniques
, bons connoisseurs, de notre Vin
de Bourgogne se sont donné la peine
de faire là - dessus des supputations qui
sont restées sans replique. ( a )
و
Toutes ces raisons pesées et murement
examinées , dans notre Conseil , les Hippocrates
et les Galiens de toutes les Nations,
duement appellez , et entendus, ensemble
les Echansons de tous les Dieux
nos Freres ; NOUS DECLARONS les Vins
de notre bonne Ville d'Auxerre à perpetuité
superieurs en qualité à ceux de
Joigny , ainsi qu'ils l'étoient par le passé
et qu'ils le sont actuellement . Voulons
en outre que l'on mette dans le même
rang de superiorité tous Vignobles dont
les Vins supportent la limphe , ct qui au
lieu de se laisser vaincre par ce foible
Element , le parfument du goût de la
celeste ambrosie , que les Mortels appel-
( a ) Lifez les Transactions Philosophiques ,
Du Journaux de l'Académie des Sciences de`
Londres.
lent
SEPTEMBRE . 1731. 272T
lent du nom de Pinot , (i) et donnent
réellement à ceux qui en usent , des forces
perseverantes et fermement inhérentes
. Accordons de grace speciale aux Vins
de Joigny d'être d'usage aux déj ûnez de
nos Courtisans, qui les ont reconnus suffisamment
apéritifs et proportionnez à
l'exercice qu'ils prennent. Permettons pareillement
à notre Grand Bouteillier de
nous en servir au même repas , avec deffenses
, sous peine de leze- Majesté , de
nous en présenter en d'autres temps , et
sur tout à l'heure du coucher de Phébus,
et lorsque Morphée vient nous inviter
au repos. Deffendons d'usurper le titre
de superiorité , à tous Vignobles dont les
Vins ne donnent que de ces forces passageres
, qu'on ne voit briller que durant
quelques jours , lesquels n'étant point éta-
Blis sur celui de notre Jus qui a le plus
de solidité , disparoissent aisément , s'évanoüissent
à la longueur du travail , et
font succomber les Champions qui en
usoient habituellement , par un aveu forcé
de leur foiblesse et de leur insuffisance.
(a) Le Pinot est une espece de Raisin noir,
qui fait le meilleur Vin. Les Comptes de la
Ville d'Auxerre pariant des Présens de Vin ,
faits aux Princes , specifient ordinairement
qu'ils sont de Vin de Pinet,
D Faisons
2122 MERCURE DE FRANCE
Faisons les mêmes deffenses et prohibitions
à tous Vignobles quelconques , dont
les Vins contiennent trop de ce Nitre fatal
aux intestins des Buveurs , comme
étant sujets à y causer une relaxation qui
devient sensible et deshonnorante , lorsqu'elle
concourt avec certains exercices du
corps au milieu des chaleurs de la Canicule.
(a)
Er sera notre presente Déclaration affichée
ès Carrefours de la Ville de Joigny
, à ce que nul n'en ignore , et publiée
chaque année esdits lieux aux jours
suivans , par Nous spécialement choisis ,
pour raisons à Nous connues ; sçavoir
en. Août le jour de la Consecration, des,
Autels de la Déesse Ops et de Cérès . (b)
Item. En Septembre , le jour de la Dé-
(a) Il est clair que Bacchus veut parler ici
de l'antiperistase qui éclatta à Auxerre les premiersjours
d'Août de l'an 1723. lorsque le Vin
de cette Ville commença à combattre la bile
formée delongue main dans le corps des Joueurs
de Paulme de Joigny..
(b) Bacchus parle ici suivant le Calendrier
des anciens Romains ; Les quatre jours qu'il
indique répondent au 10. Août , 14. Septembre
1. Octobre et 1. janvier , jours des quatre For-
RES deJoigny et par consequent de grand concours.
C'est celle du 10. Août qui est la cause
du choix qu'a fait Bacchus.
dicace
SEPTEMBRE. 1731. 2823
dicace du Temple de Jupiter Capitolin.
De plus , aux Calendes d'Octobre et de
Janvier. SI MANDONS à nos Baillifs.
et Sénechaux , &c.
Il n'est
pas
nécessaire , Messieurs , de
vous prier de rendre publique une Ordonnance
si juste et si équitable , et à laquelle
#outes les Langues les plus fines de Paris et
des Pays- Bas ne manqueront pas d'applandir.
J'aurois souhaité d'en trouver un plus
grand nombre de pareille nature dans ce
précieux in Folio , qui me fût communiqué
fort poliment par l' Archiviste du Dieu Bac
chus. Mais je me souviens que cette Ordonnance
étoit la seule dans son genre , et qu'après
elle le Volume n'en contenoit qu'une à
baquelle le Sceau venoit d'être mis tout recem
ment après la tenue des Etats Generaux. C'est
celle qui défend de planter de la Vigne dans
des endroits qui ne conviennent point à ce
Bois. Cette derniere Ordonnance vient d'être
heureusement notifiée dans le Royaume de
France par les Publications et Placards ordinaires
; et il faut esperer que l'on tiendra la
main à son observation.
Je suis & c. ce 12. Juillet 1731.
Fermer
Résumé : VOYAGE dans les Etats de Bacchus. Lettre écrite aux Auteurs du Mercure.
La lettre adressée aux auteurs du Mercure relate un voyage spirituel effectué par l'auteur dans les États de Bacchus en février 1731. Ce périple a permis à l'auteur de visiter les châteaux et palais des dieux du paganisme et de transcrire des ordonnances trouvées dans leurs bibliothèques. L'une de ces ordonnances, datée du printemps précédent, traite d'un ancien différend entre la Bourgogne et la Champagne concernant la primauté du vin. La déesse de la Paix avait tranché en faveur de la Bourgogne, dont le vin avait dominé dans un mélange testé par les deux parties. Un écrivain récent de l'Yonne a relancé ce débat en faveur des vins de Champagne, qualifiés de tendres et délicats, contrairement aux vins bourguignons, décrits comme ayant du corps et une couleur bien rosée. L'ordonnance de Bacchus réfute ces arguments, soulignant que les vins de Bourgogne proviennent de terroirs exceptionnels et sont reconnus pour leur qualité supérieure. Elle critique l'écrivain pour son manque de connaissance des vignobles bourguignons et son utilisation abusive des citations poétiques. L'ordonnance met en avant la supériorité des vins d'Auxerre et des environs, soutenue par des documents historiques et des inventaires modernes. Les vins de Joigny sont décrits comme de faible garde et produits dans des terroirs moins favorables. Ils ont un goût de terroir, sentent le tuf et le crayon, et sont de courte durée, s'altérant facilement même avant la fin de l'été. Leur faible corps les rend sensibles à l'eau, nécessitant souvent d'être mélangés avec d'autres vins pour éviter l'altération. Les vignerons de Joigny utilisent du 'lateux', une terre jaune tirée du domaine voisin, pour améliorer leur terroir. En revanche, les vins d'Auxerre n'ont pas besoin de tels amendements et sont jugés supérieurs en qualité. Ils sont reconnus pour leur solidité et leur capacité à résister à l'eau. Les vins de Joigny sont autorisés pour les déjeuners des courtisans mais interdits à d'autres moments. Le texte se conclut par des instructions pour afficher et publier ces déclarations à Joigny à des dates spécifiques.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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52
p. *554-554
CHANSON.
Début :
Bacchus et Cupidn, cessez d'être ennemis, [...]
Mots clefs :
Amour, Boire, Vin
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : CHANSON.
CHANSON.
Acchus et Cupidon , cessez d'être ennemis,
Er ne vous séparez jamais pour votre gloire.
J'étois indifferent , Aminthe m'a fait boire ;
Le vin à l'Amour m'a soumis ,
Le jus divin fit entrer dans mon ame;
Les feux qui partoient de ses yeux.3
L'Amour , au vin qui fit naître ma flâme,
Me fit trouver le goût de la boisson des Dieux;
J'étois indifferent , Aminthe m'a fait boire ;
Le vin à l'Amour m'a soumis ;
Bacchus et Cupidon , cessez d'être ennemis ;
Et ne vous séparez jamais pour votre gloire.
L. C. D. N. D. M.
Acchus et Cupidon , cessez d'être ennemis,
Er ne vous séparez jamais pour votre gloire.
J'étois indifferent , Aminthe m'a fait boire ;
Le vin à l'Amour m'a soumis ,
Le jus divin fit entrer dans mon ame;
Les feux qui partoient de ses yeux.3
L'Amour , au vin qui fit naître ma flâme,
Me fit trouver le goût de la boisson des Dieux;
J'étois indifferent , Aminthe m'a fait boire ;
Le vin à l'Amour m'a soumis ;
Bacchus et Cupidon , cessez d'être ennemis ;
Et ne vous séparez jamais pour votre gloire.
L. C. D. N. D. M.
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Résumé : CHANSON.
Le narrateur, initialement indifférent, est transformé par Aminthe qui lui fait boire du vin. Cette boisson, associée à l'amour, allume une flamme en lui et révèle les feux des yeux d'Aminthe. Il découvre ainsi le plaisir de la boisson des dieux grâce à l'amour. La chanson appelle à l'union de Bacchus et de Cupidon.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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53
p. 2647
AIR BACHIQUE.
Début :
Le Champenois, le Bourguinon, [...]
Mots clefs :
Vin, Bacchus
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AIR BACHIQUE.
AIR BACHIQUE.
LE Champenois , le Bourguignon ,
>
Font part de leur bon vin à maint autre Canton :
Si Bacchus en plantoit de parcil en Bretagne
On y connoîtroit mieux la valeur de ce don ;
Et loin d'en envoyer en Bourgogne , en Champagne ,
Tout couleroit par le gozier Breton ,
Même la lie et le bondon.
Les paroles sont de Me Malcrais de
la Vigne.
LE Champenois , le Bourguignon ,
>
Font part de leur bon vin à maint autre Canton :
Si Bacchus en plantoit de parcil en Bretagne
On y connoîtroit mieux la valeur de ce don ;
Et loin d'en envoyer en Bourgogne , en Champagne ,
Tout couleroit par le gozier Breton ,
Même la lie et le bondon.
Les paroles sont de Me Malcrais de
la Vigne.
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54
p. 34-35
IMITATION de l'Ode d'Horace, qui commence par ces mots : Eheu ! fugaces, &c.
Début :
Le temps s'enfuit, hélas ! Posthume, ami Posthume, [...]
Mots clefs :
Horace, Vin, Postumus
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : IMITATION de l'Ode d'Horace, qui commence par ces mots : Eheu ! fugaces, &c.
IM ITATION de POde dT-Iorace , qui
commence par ces mots: Eloen.’ fuga
ce: , Üc.
L E temps s’enfuit ,hé1as 1 Posthumc, ami Pas-I
rhum: _,
En vain à ses rigueurs ta piété présume , g
D’apportc_r du retardement ;
Ics priercs , ces voeux seront inéficaces l
la Viellcsse et 1a Mort vers toi, quoique tu fa»
5C8 5
Savanccne insensibleiment;
5%
Non .. quand pour empêcher que ton corpsnc
pénsse , _ _
Tu te signaler-ois par Pample Sacrifice ,
De trois cent Taureaux , chaque jour;
In ne fléchirois point le Roy de ces lieux 50m1
bres , — - -
Où 1’Ondc Stygiale a tant de milliers d’Ombtea
. Ravie tout espoir de retour. "
" "Yaineg"
1 r.‘
,_' ‘JANVIER. 175;. 3;
_ Nainement craindrons-nous les fièvres de PAIN
tomne , .
ÿainement de Théris , vainement de Bellone ,'
Eviterons-nous les dangers . ‘
‘Nous la passerons tous , cette Onde redoutée :
Nous la passerons tous , c’est une Loy dictée
-Pour les Rois e: pour les Bergers. _
M - 1
Il faudra Voir un jour le noir et lent Cocyte;
Du Cruel Danaüs la Famille maudite , '
Sisyphe et ses travaux affreux s
Il te faudra quitter cette riche Campagne,
Ce logis magnifique, et Qäccorda FHPyaimmeanblàe cteosmpvaoegunxe.,‘ i
M
De ces Arbres si beaux , que tes soins ont fait
croître ,
Excepté le Cyprês , nul ne suivra son Maître.
Ce vin , sous cent clefs conservé ,
Ce Vin qui des Dieux même égale le breuvage 5
Dam plus digne heritier devenu le partage ,
Teindra son superbe pave’.
F. M. F;
commence par ces mots: Eloen.’ fuga
ce: , Üc.
L E temps s’enfuit ,hé1as 1 Posthumc, ami Pas-I
rhum: _,
En vain à ses rigueurs ta piété présume , g
D’apportc_r du retardement ;
Ics priercs , ces voeux seront inéficaces l
la Viellcsse et 1a Mort vers toi, quoique tu fa»
5C8 5
Savanccne insensibleiment;
5%
Non .. quand pour empêcher que ton corpsnc
pénsse , _ _
Tu te signaler-ois par Pample Sacrifice ,
De trois cent Taureaux , chaque jour;
In ne fléchirois point le Roy de ces lieux 50m1
bres , — - -
Où 1’Ondc Stygiale a tant de milliers d’Ombtea
. Ravie tout espoir de retour. "
" "Yaineg"
1 r.‘
,_' ‘JANVIER. 175;. 3;
_ Nainement craindrons-nous les fièvres de PAIN
tomne , .
ÿainement de Théris , vainement de Bellone ,'
Eviterons-nous les dangers . ‘
‘Nous la passerons tous , cette Onde redoutée :
Nous la passerons tous , c’est une Loy dictée
-Pour les Rois e: pour les Bergers. _
M - 1
Il faudra Voir un jour le noir et lent Cocyte;
Du Cruel Danaüs la Famille maudite , '
Sisyphe et ses travaux affreux s
Il te faudra quitter cette riche Campagne,
Ce logis magnifique, et Qäccorda FHPyaimmeanblàe cteosmpvaoegunxe.,‘ i
M
De ces Arbres si beaux , que tes soins ont fait
croître ,
Excepté le Cyprês , nul ne suivra son Maître.
Ce vin , sous cent clefs conservé ,
Ce Vin qui des Dieux même égale le breuvage 5
Dam plus digne heritier devenu le partage ,
Teindra son superbe pave’.
F. M. F;
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Résumé : IMITATION de l'Ode d'Horace, qui commence par ces mots : Eheu ! fugaces, &c.
Le texte imite l'ode d'Horace 'Eloen. fuga ce' en réfléchissant sur la fuite inévitable du temps et l'inutilité des prières pour retarder la vieillesse et la mort. Même des sacrifices extrêmes, comme offrir trois cents taureaux chaque jour, ne peuvent empêcher la mort. Il souligne les dangers inévitables de la vie, qu'ils soient liés aux fièvres, aux maladies ou aux guerres, affirmant que tous, qu'ils soient rois ou bergers, doivent affronter la mort. Le texte évoque les âmes damnées dans les enfers, comme la famille de Danaos et Sisyphe. Il mentionne la nécessité de quitter les biens terrestres, y compris les logis magnifiques et les arbres cultivés, à l'exception du cyprès, symbole de deuil. Enfin, il parle d'un vin précieux, digne des dieux, qui finira par se gâter.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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55
p. 2039
CHANSON.
Début :
Je ne veux point faire de choix, [...]
Mots clefs :
Choix, Dieu, Amour, Vin
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texteReconnaissance textuelle : CHANSON.
CHANSON.
E ne veux point faire de choix ,
Entre le bon vin et ma Maîtresse ;
Je ne veux point faire de choix ;
Oui , je bois et j'aime à la fois ,
Le verre en main ,
Le Dieu du vin ,
Avec son jus me verse l'allegresse ,
12 Ah quelle yvresse .
Auprès de quelqu'objet charmant ,
Le Dieu d'Amour m'occupe tendrement ,
Ah ! qu'il me blesse agréablement !
Venez tous deux ,
Me rendre heureux ;
Amour , Bacchus , partagez ma tendresse ,
Par votre adresse ,
Je suis au comble de mes voeux .
E ne veux point faire de choix ,
Entre le bon vin et ma Maîtresse ;
Je ne veux point faire de choix ;
Oui , je bois et j'aime à la fois ,
Le verre en main ,
Le Dieu du vin ,
Avec son jus me verse l'allegresse ,
12 Ah quelle yvresse .
Auprès de quelqu'objet charmant ,
Le Dieu d'Amour m'occupe tendrement ,
Ah ! qu'il me blesse agréablement !
Venez tous deux ,
Me rendre heureux ;
Amour , Bacchus , partagez ma tendresse ,
Par votre adresse ,
Je suis au comble de mes voeux .
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56
p. 2464-2466
LES ROIS. Ronde de Table de M. Duvigneau.
Début :
En nous donnant un Roi nouveau [...]
Mots clefs :
Roi, Emploi, Vin
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texteReconnaissance textuelle : LES ROIS. Ronde de Table de M. Duvigneau.
LES ROIS.
Ronde de Table de M. Duvigneau.-
EN nous N nous donnant un Roi nouveau.
Le fort nous fut propice
Amis , au deftin le plus beau ,,
Préférons fon fervice .
Moi je ne veux point d'autre emploi ,
Que d'être l'Echanfon du Roi.
Qu'un Médecin sombre et bourru
Grand Prêcheur de Tisanne ,
Par un Argument biscornu
Sur le vin nous chicanne ,
Moi je ne veux point d'autre emploi ,
Que d'en verser toujours au Roi ,
Qu'un Chiffreur au fond d'un Bureau
Cloué fur l'Escabelle ..
A multiplier le Zero .
Se creuse la cervelle ;
Moi j'exerce un plus doux emploi
Moi
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND TILDEN
FOUNDATIONS
.
THE
NEW
YORKĮ
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
NOVEMBRE. 1733. 2465
Et sans compter je verse au Roi,
Qu'au Palais un Braillard garni
De sacs jusqu'à l'échine ,
A s'égosiller pour autrui ,
Se séche la poitrine.
Moi je ne veux point d'autre emploi
Que d'humecter celle du Roi
Que des Receveurs peu loyaux ,
En fraudant la Gabelle ,
Aux dépens des Deniers Royaux ,
Enflent leur escarcelle ;
Moi je fais mon plus riche emploi ,
De remplir ( la Bedaine . ) Le Coffre du Roi
Qu'un Banquier dans le Change Expert
Chaque matin s'épuise ,
Pour voir ce que notre Ecu perd
En Hollande , à Venise ;
Sans changer de vin , ni d'emploi ,
J'offre toujours du même au Roi,
'Aille qui voudra fur la Mer ,
En prodiguant fa vie ,
Einir dans un breuvage amer
Finis
466 MERCURE DE FRANCE
Sa course et sa folie ;
Moi je fais mon plus sage emploi
De noyer la raison du Roi.
Ler paroles sont de plusieurs bons Freres.
Ronde de Table de M. Duvigneau.-
EN nous N nous donnant un Roi nouveau.
Le fort nous fut propice
Amis , au deftin le plus beau ,,
Préférons fon fervice .
Moi je ne veux point d'autre emploi ,
Que d'être l'Echanfon du Roi.
Qu'un Médecin sombre et bourru
Grand Prêcheur de Tisanne ,
Par un Argument biscornu
Sur le vin nous chicanne ,
Moi je ne veux point d'autre emploi ,
Que d'en verser toujours au Roi ,
Qu'un Chiffreur au fond d'un Bureau
Cloué fur l'Escabelle ..
A multiplier le Zero .
Se creuse la cervelle ;
Moi j'exerce un plus doux emploi
Moi
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ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
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NOVEMBRE. 1733. 2465
Et sans compter je verse au Roi,
Qu'au Palais un Braillard garni
De sacs jusqu'à l'échine ,
A s'égosiller pour autrui ,
Se séche la poitrine.
Moi je ne veux point d'autre emploi
Que d'humecter celle du Roi
Que des Receveurs peu loyaux ,
En fraudant la Gabelle ,
Aux dépens des Deniers Royaux ,
Enflent leur escarcelle ;
Moi je fais mon plus riche emploi ,
De remplir ( la Bedaine . ) Le Coffre du Roi
Qu'un Banquier dans le Change Expert
Chaque matin s'épuise ,
Pour voir ce que notre Ecu perd
En Hollande , à Venise ;
Sans changer de vin , ni d'emploi ,
J'offre toujours du même au Roi,
'Aille qui voudra fur la Mer ,
En prodiguant fa vie ,
Einir dans un breuvage amer
Finis
466 MERCURE DE FRANCE
Sa course et sa folie ;
Moi je fais mon plus sage emploi
De noyer la raison du Roi.
Ler paroles sont de plusieurs bons Freres.
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Résumé : LES ROIS. Ronde de Table de M. Duvigneau.
Le poème 'Les Rois' de la Ronde de Table de M. Duvigneau, daté de novembre 1733, exprime le désir du narrateur de servir le roi en tant qu'échanson, c'est-à-dire en versant du vin au roi. Il compare favorablement son rôle à ceux de divers autres métiers. Le narrateur critique le médecin qui dissuade de boire du vin, le chiffreur qui multiplie des zéros, le collecteur d'impôts qui fraude, et le banquier qui s'inquiète de la valeur de la monnaie. Il met en avant la simplicité et la satisfaction de son emploi, contrastant avec les difficultés et les tracas des autres professions mentionnées. Le poème se conclut par une référence à des frères qui ont prononcé ces paroles.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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57
p. 25-45
Voyage de Dijon à Paris, fait en 1746.
Début :
Amis, vous attendez sans doute [...]
Mots clefs :
Voyage, Paris, Dijon, Amour, Coeur, Feuillage, Plaisir, Flots, Prairie, Ruisseau, Larmes, Vin, Dieu, Fleurs
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texteReconnaissance textuelle : Voyage de Dijon à Paris, fait en 1746.
Voyage de Dijon à Paris , fait en 1746.
A Mis , vous attendez fans doute
Que je vous faffe le récit
Bien détaillé , de ce qu'en route
J'ai vu , j'ai fçu , j'ai fait , j'ai dit :
Oui , je m'en vais fur mon hiftoire
De mon mieux vous entretenir ;
Sans peine vous pouvez me croire ,
Vous le fçavez , il eſt notoire
Qu'un Bourguignon ne peut mentir.
D'être par- tout bien véritable ,
Je ne le
promets pourtant pas :
Car bien fouvent il eft des cas ,
Où pour rendre plus agréable
La fatigante vérité ,
Il faut du manteau de la Fable
Couvrir fa trifte nudité.
Vous l'avouerez ; mais que ma Muſe
Et vous inftruiſe & vous amuſe ,
Hélas ! je n'ofe m'en flater ;
N'importe , plein de confiance ,
Pour répondre à votre eſpérance ,
J'oſe tout faire & tout tenter.
Attention , faites filence ;
Je prends la plume , je commence :
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
Or , vous plaît-il de m'écouter.
Je vous quittai avec tous les fentimens
d'une parfaite reconnoiffance & d'une
amitié fincere. MM ...... me reconduifirent
jufqu'au bas de Talent ; là je reçus
leurs adieux , & je les embraffai le regret
dans le coeur :
Mais nous voilà dans l'équipage ,
Des fouets l'air a retenti :
Santé conftante & bon voyage ;
Allons , cocher ; on eft parti.
Nous nous trouvâmes fept dans la voiture
; mais plaignez-moi avec ce nombre .
Pas un minois qu'on pût baiſer ;
Pas une femme un peu jolie ,
Vers qui tout bas l'on pût jafer ,
Dont je puffe pour m'amufer
Faire en chemin ma bonne amie.
C'étoit d'un côté un homme fort ennuyeux
, qui fe nommoit M. Chufer , avec
le Sr Taillard , dont tout Paris fans doute
connoîtra bientôt les talens fupérieurs qu'il
a pour la flûte. Une femme âgée occupoit
le fond .
A côté de cette vieille ama
JUIN.
27 1755 .
Etoit affis un Provençal ;
Du Provençal & de la Dame
Je ne dirai ni bien ni mal.
Mais fi j'ai mérité l'Enfer ,
Seigneur , modere ta juftice ,
Et ne mets pas pour mon fupplice ,
A mes côtés M. Chufer.
Sur ce qui refte il faut fe taire ;
Car nous ne sommes plus que trois ,
Qui font B ....moi , mon frere ,
Que bien vous connoiffez , je crois .
Arrivés au Val- de- Suzon , on nous fervit
à déjeûner.
Des écreviffes & des truites :
En ce pays , quoique petites ,
Cela fait un mets excellent ,
Quand dans du vin rouge ou du blanc
Au petit lard elles font cuites :
Nous allâmes dîner à Saint- Seine .
C'eſt-là que coule cette fource
Qui , répandant au loin fes flots,
Porte fes ondes aux Badauts ,
Et dans la mer finit la courfe.
Le foir nous arrivâmes à Chanceaux, ou
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
nous foupâmes de bon appétit : nous fumes
un peu furpris de voir notre hôte malade
d'une fievre maligne , chercher à la guérir
avec du vin qu'il buvoit avec une confiance
dont il devoit tout appréhender . Comme
nous lui en marquions notre étonnement ,
il nous répondit avec naïveté que ce qui
* faifor du bé ne pòvor fare du man ; & en
effet
Un Bourguignon peut-il penfer
Qu'un demi- Dieu , comme Efculape ;
En pouvoir puiffe ſurpaſſer
Le Dieu qui fait naître la grappe ?
Non , non ,
dans vos heureux climats
Le vin , cette liqueur divine
Préferve un homme du trépas ,
Lorfqu'en ceux-ci la Médecine
Les jette tous entre les bras
De la cruelle Libitine.
Je cheminois paifiblement , laiffant errer
avec volupté mes yeux fur les objets qui ,
à mesure que nous avancions , fe découvroient
à ma vûe : vous fçavez comme j'aime
la campagne , & combien je fuis touché
de fes agrémens . Qu'avec bien du
plaifir je promenai mes regards fur cette
* Patois Bourguignon , que ce qui faiſoit dų
bien ne pouvoit faire du mal,
JUIN. 1755 29
belle vallée qui s'offre fur la gauche en arrivant
à Montbard ! la variété des objets
en fait un très -beau lieu : on voit une chaî
ne de montagnes qui bornent l'horizon
mais qui s'étendant au loin & fe perdant
dans l'éloignement , font douter à l'azur
qui colore leur cîme n'eft point celui dont
s'embellit le firmament , tant les plus lointaines
extrêmités femblent fe confondre
avec le ciel. En revenant de fi loin , la vûe
fe ramene fur les collines , que les regards
avoient d'abord faifies . Sur leur penchant
on voit plufieurs maifons de Laboureurs
qui dominent une prairie riche de tout ce
qui rend une campagne belle & fertile.
Tout cela mériteroit fans doute les honneurs
de la Poëfie ; mais je n'ofe me croire
capable de peindre ces beautés d'une maniere
neuve & originale.
La Peinture , la Poëfie
Dans leurs payſages rians ,
Les miracles de la fêrie
N'ont pas des lieux auffi charmans,
O beaux vallons , où le Penée
Paifiblement roule fes eaux !
M'offririez -vous tous les tableaux
De cette rive fortunée ?
Quelle aimable diverfité !
Fontaines , bois , côteaux , montagnes ,
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Tout ce qu'ont d'attraits les campagnes
S'offroit à mon cel enchanté.
Une fi douce rêverie
Vint furprendre tous mes efprits :
Je fus fi tendrement épris
Des charmes de la bergerie ,
Qu'en vérité dans ma folie
J'eufle donné tout ce Paris
Pour un hameau dans la prairie
Qu'en Peintre vrai je vous décris .
Au milieu de ces idées j'eus la fantaiſie ,
malgré l'extrême chaleur , de voir de plus
près cette belle vallée : je deſcendis du car-
∙roffe , & après avoir adoré les Divinités du
pays , je m'avançai fous leurs aufpices vers
un petit bois , d'où pouvant confiderer tout
le champêtre des environs , je goûtai encore
la fraîcheur d'unefontaine qui y couloit
: ah ! dis- je , en me couchant fur l'herbe
qui tapiffoit fes bords ,
Ici Phoebus ne porte point ſes traits ;
Que je chéris cette humide fontaine ,
Où le tilleul fous un feuillage épais ,
Contre les feux m'offre une ombre certaine !
Ces bois , ces eaux ont pour moi mille attraits ;
Mais des vallons il s'éleve un vent frais
Qui fur les fleurs le joue & fe promene ;
Venez , Zéphir , je vous ouvre mon fein ,
JUIN. 1755. 31
.
Pénétrez-moi de vos fraiches haleines ,
Calmez l'ardeur qu'allume dans mes veines
De Syrius l'aftre aride & mal fain.
*
Si je chéris les bois & les prairies ,
Léger Zéphir , je n'y cherche que vous ;
Vous réparez mes forces affoiblies ,
1
Et je vous dois un repos qui m'eſt doux ;
En ce moment vous feul me rendez chere
Cette retraite obfcure & folitaire :
Loin des cités , dans le calme & la paix ,
Parmi les fleurs , la mouffe & la fougere ,
Pour refpirer votre vapeur légere ,
Toujours puiffai -je errer dans ces bofquets .
J'eus à peine achevé cette priere qu'un
air plus vif s'éleva autour de moi en frémiffant
légerement ; mais je fus bien furpris
, quand après quelques momens de repos
voulant m'éloigner & reprendre ma
route , je me fentis enveloppé par un tourbillon
& emporté dans les airs ,
d'où je
defcendis doucement près de la voiture ,
qui déja s'étoit fort éloignée ; je ne doupas
que Zéphyr par une faveur particuliere
, ne m'eût enlevé fur fes aîles , afin
de m'éviter un trajet que rendoit pénible
l'extrême chaleur.
tai
Je repris ma place dans la voiture en
* Etoile qui eft à la tête de la canicule.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
regrettant un fi beau lieu , & j'arrivai à
Montbard. Si vous prenez garde aux deux
mots qui compofent le nom de cette ville ,
vous préfumerez comme moi qu'elle étoit
jadis une retraite des anciens Bardes . Les
Bardes étoient tous Poëtes , & ils étoient
appellés Sages parmi les Gaulois : il y a
aujourd'hui bien du déchet ; mais avançons.
>
Pendant qu'on nous apprêtoit à dîner
nous allâmes voir la maifon de M. de B...
Gouverneur de Montbard . Tout y paroît
appartenir à un Philoſophe aimable ; des
appartemens nous montâmes à la terraffe ,
où nous vîmes à l'extrêmité d'un petit jardin
un joli fallon tout en coquilles de diverfes
couleurs ; il eft tout fimple d'imaginer
que c'eft la grotte de quelques Nymphes
du voisinage.
Oui , par ce tiffu de coquilles
Qui forme ce fallon charmant ,
On croit que c'est l'appartement
De quelques Nayades gentilles ,
Qui laffes de refter dans l'eau
Et de courir dans la prairie ,
Viennent par fois dans ce château
Egayer leur mélancolie .
Le lendemain nous arrivâmes à Auxerre
JUIN. 7755
33
où nous couchâmes , & qui me parut une
ville peu agréable ; Villeneuve- le - Roi où l'on
ne compte qu'une belle rue , me plairoit
mieux nous y foupâmes le lendemain ;
il faifoit extrêmement chaud . Dès que je
fus arrivé , je me fentis une envie preffante
de m'aller baigner ; je me rendis fur
les bords de l'Yonne , je vis le Dieu du
Aleuve qui fe promenoit avec une pompe
& un appareil qui m'en impoferent : je
craignis de trouver du danger où je
voyois tant de majeſté ; je me retirai &
je fus m'affeoir vers un petit ruiffeau ombragé
de faules qui venoit s'y rendre . Je
m'affis ; bientôt j'éprouvai ce calme & ce
filence intérieur où nous livre la folitude ;
mais comme l'idée de la galanterie vient
naturellement s'unir aux impreffions que
laiffe un lieu agréable , je me mis à rêver
à une volage , & de la fouhaiter à mes côtés
: je difois ,
Je viens m'affeoir fur le rivage
De ce ruiffeau lympide & frais ;
Recevez-moi , faules épais ,
Sous votre agréable feuillage :
Dans ce beau lieu je veux en paix
Goûter le charme de l'ombrage
Que ce lit de mouffe à d'attraits
Pour mon coeur né fenfible & tendre !
~
BV
34 MERCURE DE FRANCE.
Pour le plaifir qu'il eft bien fait !
D'un doux tranfport , à cet objet ,
Mes fens ne peuvent fe défendre.
Je rêve ! .... &pouffe des foupirs ! ....
Et pourquoi cette inquiétude ? .
Délicieufe folitude ,
Manque-t - il rien à vos plaifirs ? ....
Foulant tous deux cette herbe épaiffe ,
Je voudrois lire mon bonheur ,
Dans les beaux yeux de ma maîtreffe.
Amour !... fixe pour moi fon coeur.
Mais enfin , continuai - je , pourquoi
nourrir plus long- tems une paffion inutile
qui me caufe du trouble ? profitons plutôt
& fans diftraction des plaifirs fimples &
tranquilles que la nature me préfente.
Je m'entretenois ainfi ,
Quand j'apperçus à mes côtés
Une Nymphe , dont le corfage
Offroit aux yeux plus de beautés
Que n'en avoit fon beau vifage :
Avec de grands cheveux nattés ,
Des fleurs diverfes qu'on moiffonne
Sur ces rivages enchantés ,
Elle portoit une couronne.
Je regrettois une friponne ;
Une Nymphe offroit à mes fens
Ces appas qu'amour abandonne
JUIN.
35 1755.
Aux feux libertins des amans :
Pouvois- je donc pleurer long- tems ?
Cédant aux erreurs de mon âge ,
J'oubliai tout en les voyant ,
Et je goûtai cet avantage
D'aimer enfin moins triftement.
Pardonnez ce libertinage :
Mais au récit où je m'engage
De conter tout ingénument ,
Vous m'avouerez qu'il eft plus fage ,
Plus doux auffi , plus confolant ,
Quand une ingrate nous outrage
D'échapper à l'amour conſtant
Pour courir à l'amour volage .
Je vous connois ; oui , je le gage ,
Vous en auriez fait tout autant .
Mais néanmoins à cette vûe ,
Saifi de trouble & l'ame émue ,
Je me cachai dans les rofeaux :
Ne craignez rien , s'écria -t -elle ,
Berger , je fuis une immortelle ,
Fille du fouverain des flots ;
C'est moi qui dans cette prairie
Fais couler ce petit ruiſſeau ;
Venez , la fraîcheur de fon eau
A vous y baigner vous convie.
Rien ne peut-il calmer vos feux ,
Ajoûta-t-elle avec tendreffe ?
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
Ah ! queje hais cette maîtreffe
Qui fe refuſe à tous vos voeux.
Ne formez que d'aimables noeuds ;
Comme l'amour ayez des aîles ;
Jeune & difcret , loin des cruelles
Vous méritez d'être un heureux .
Vous le ferez , féchez vos larmes ,
Regnez fur mon coeur , fur ces lieux ;
Je n'ai peut-être pas fes charmes ,
Mais je fçaurai vous aimer mieux.
Qu'une Déeffe eft féduiſante !
Ah ! m'écriai -je , tout m'enchante ,
Tout me captive en ce féjour ;
Tout eft ici , Nymphe charmante ,
Digne de vous & de l'amour .
Vous voyez qu'à fon compliment
Où j'entrevis de la tendreffe ,
Je répondis à la Déeſſe
Par un propos affez galant .
Après ces mots , plein d'affurance
Avec yvreffe je m'élance ,
Et me laiffe aller dans les bras
De mon aimable Néreïde ,
Qui vers la demeure liquide
Elle-même guida mes pas.
Les peupliers fur mon paffage
Sembloient doucement agiter
Et leurs rameaux & leur feuillage ,
JUIN. 37. 1755
Ils paroiffoient nous inviter
Arepofer fous leur ombrage.
D'un mouvement vif & léger
Les cignes avançoient fur l'onde ,
Et fans mourir ils frappoient l'air
Du chant le plus tendre du monde .
Parmi leurs fons mélodieux ,
Mais cependant moins gracieux
Que les accens de Jéliotte ,
Nous arrivâmes à la grotte
Où j'allois voir combler mes voeux.
Je pourrois en dire davantage ; mais ne
feroit ce pas manquer aux Dieux que de
revéler leurs myfteres à des profanes : j'a
joûte pourtant
Que cette jeune Déïté ,
Par fon doux & tendre langage ,
Tint long-tems mon coeur enchanté
Et fçut , quoique je fois né fage ,
Me faire aimer la volupté.
Le moment vint de nous féparer : que
ne fit- elle pas pour me retenir ! Calipfo ne !
mit pas enen ufage plus de charmes pour ar
rêter le fils du vieux Laërte : mais comme
ce héros , je fçus y réfifter ; je lui fis enfin
mes derniers adieux . Ses bras s'ouvrirent
pour m'embraffer : ah , dit - elle en verfant
les plus tendres larmes , je méritois
38 MERCURE DE FRANCE.
que vous euffiez voulu couler avec moi le
refte de vos jours ; fi vous m'avez chérie ,
continua - t- elle , ne me refufez pas ce baifer
; laiffez - moi ravir au fort qui vous
éloigne de moi , cette joie qui pour moi
fera la derniere. Adieu.
Chere Nymphe , m'écriai - je , je la regardois
dans ce moment :
Mais quelles furent mes alarmes
D'appercevoir ce corps fi beau ,
De mes mains s'écouler en larmes ,
Et ne plus être qu'un ruiffeau ;
Dont l'onde tranſparente & pure
Se ramaffant contre mon fein ,
Avec le plus trifte murmure
Autour de moi forme un baffin.
1
Je m'y plongeai avec tranſport , & après
m'y être baigné une heure j'en fortis avec
trifteffe . Que n'étions-nous au fiécle des
métamorphofes !
C Ainfi que
bien des malheureux
Qu'en fes écrits célebre Ovide ,
J'aurois pû demander aux Dieux
De devenir un corps fluide ,
Et j'euffe été fans doute heureux
En mêlant mes flots amoureux
Aux ondes que la Neréide
Epanchoit de fon fein humide ;
JUIN. 39 1755 .
Comme un fleuve majestueux ,
Qui voit croître en fon cours fa gloire & fa fortune
De mes deftins trop glorieux ,
On ne m'eût jamais vû dans le fein de Neptune ,
Porter des flots ambitieux ;
Mais , ruiffeau toujours grácieux ,
D'un cours égal , jamais rapide ,
Avec elle d'une eau lympide
J'euffe arrofé toujours ces lieux.
Mais , comme vous voyez , l'immortalité
me devenoit impoffible.
De maniere qu'en un moment
Je m'éloignai de la fontaine ,
Comme j'étois auparavant ,
Revêtu de ma forme humaine ;
Et P ..... tout uniment.
-
Je retournai à mon auberge , où je mangeai
de très - bonne grace : le fouper étoit
bon ; nous eûmes la précaution de mettre
une couple de poulets entre deux croûtes
pour en déjeûner le lendemain . Effectivement
, après avoir marché quelque tems ,
nous nous écartâmes de la voiture.
Puis fur la molle & tendre herbette ,
Sans nappe mife , fans affiette ,
A l'ombre d'un vieux chêne affis ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Des deux croûtes d'un pain raffis
N'ayant que mes doigts pour fourchette ;
Je tirai nos poulets rôtis .
En même tems de ma pochette
Je fis fortir un doux flacon
D'où j'aillit un vin bourguignon ,
Qui nous rafraîchit la luette .
Après avoir bû amplement à votre fanté
, nous regagnâmes le coche. Nous arrivâmes
le foir à Joigny pour en repartir le
lendemain avant le jour : on nous éveilla
à deux heures ; le ciel étoit pur & clair , &
promettoit une belle matinée. Je me propofai
d'examiner fi les defcriptions qu'en
font les Poëtes étoient exactes , d'en étudier
tous les momens & d'en fuivre les accidens
& les circonftances : une heure après
notre départ je me fis ouvrir la portiere ,
& laiffant mes compagnons de voyage
dormir profondément, je continuai la route
à pied.
Un crépuscule encor peu für
Ne laiffoit voir loin du village ,
Que le chaume & le faîte obfcur
Des cabanes du voifinage ,
Que quelques pins , dont le feuillage
S'étoit découpé fur l'azur
D'un ciel ſerein & fans nuage,
JUIN. 41 17558
Je difois , heureux laboureurs ,
Maintenant un fommeil paisible
Sur vous prodigue fes faveurs ;
Et fi l'amour eft dans vos coeurs ,
A l'amour feul il eft poffible
D'en interrompre les douceurs .
En s'éloignant des coeurs profanes
Cet enfant ne dédaigne pas
D'habiter vos humbles cabanes ;
Il aime à voler fur les pas ,
A folâtrer entre les bras
De ces gentilles payſannes ,
Dont lui-même orne les appas.
C'eft aux champs qu'amour prit naiffance ,
Il y lança fes premiers traits ;
Sur les habitans des forêts
Venus exerça fon enfance.
Eh ! qu'il acquit d'expérience !
Bientôt les hommes & les Dieux
Contre lui furent fans défenſe ;
Des bois il vola dans les cieux ;
Mais il chérit toujours les lieux ,
Premiers témoins de fa puiffance.
De l'Hefperus l'aftre brillant
Ne regne plus fur les étoiles ,
L'ombre s'éloigne , & dans fes voiles
Se précipite à l'occident .
Mais un rayon vif de lumiere
42 MERCURE DE FRANCE.
S'eft élancé de l'horizon ;
Voici l'époufe de Titon , •
Qui du jour ouvre la barriere.
Sur un char peint de cent couleurs
Viens , Aurore , avec tous tes charmes ,
Viens & répands de tendres larmes
Sur les gazons & fur les fleurs.
Que ces momens font enchanteurs !
Un verd plus frais , de ce feuillage
A ranimé le doux éclat ;
En reprenant ſon incarnat ,
La jeune fleur , au badinage
Du papillon vif & volage
Ouvre fon vafe délicat ;
Il fuit , & je vois cet ingrat
Porter à toutes fon hommage.
Que l'air eft pur ; quelle fraîcheur !
Du fein humide dés fougeres
S'exhale une fuave odeur ,
Qu'en frémiffant avec douceur ,
Au loin fur fes aîles légeres
Porte & difperfe un vent flateur.
Une langueur délicieuſe
Coule en mes fens .... ah ! quel plaifir !
Je ne fçais quoi vient me faifir
Qui rend mon ame plus heureuſe .
Mais la fauvette à fon reveil
Des bois a rompu le filence :
J'entends fa voix , & du ſoleil
JUIN.
43
1755-
Ses chants m'annoncent la préfence.
Déja brille fur les guerêts
Le fer aigu de la charrue ;
L'adroit chaffeur dans les forêts
Attend qu'épris des doux attraits
De l'herbette fraîche & menue
Le levreau vienne dans ſes rêts
Chercher une mort imprévûe.
Bientôt au fon des chalumeaux
Que les Bergeres font entendre
Les bercails s'ouvrent , les
agneaux
Sous la houlette vont ſe rendre ;
Je les vois fortir des hameaux ,
Et fous les yeux d'un chien fidele .
Couvrir les rives des ruiffeaux ,
Se répandre fur les côteaux
Où croit le thyn qui les appelle ,
Jufqu'au moment où la chaleur
En deffechant les pâturages ,
Les fera fuir dans les bocages
Pour goûter l'ombre & la fraîcheur ,
Cette belle matinée me caufa le plaifir le
plus pur que j'aie reffenti de ma vie . Ce
charme eft inexprimable : qu'avec admiration
mes yeux fe tournerent vers l'orient !
Flambeau du jour , aftre éclatant ,
D'un Dieu caché , viſible image ,
Vous m'avez vû dans ce moment
44 MERCURE DE FRANCE.
>
Par mes tranfports vous rendre hommage.
A ce fpectacle encor nouveau
O foleil ! je te fis entendre
Cet hymne digne de Rameau ,
Où fur leurs temples mis en cendre ,
Les Incas chantent leurs regrets ,
Et rendent grace à tes bienfaits
Toujours fur eux prêts à defcendre.
Bientôt je remontai dans le coche mieux
inftruit par la nature elle- même que par
tout ce que j'avois vû , & chez les anciens
& chez les modernes , & dans les Poëtes
& chez les Peintres.
Jufqu'à Melun il ne nous arriva rien
de particulier , finon qu'à Villeneuve - la-
Guyard nous vîmes arriver une chaife de
pofte , d'où fortirent un jeune homme de
fort bonne mine , & un autre qui paroiffoit
plus jeune ; mais le tein délicat de celui-
ci & le ton de fa voix nous firent deviner
que l'un étoit une jeune fille déguifée
, & l'autre fon amant.
C'étoit fans doute un féducteur ,
Qui loin du toît trifte & grondeur
D'une maman toujours mauvaiſe ,
De fa maîtreffe amant vainqueur ,
Avec elle fuyoit en chaife ,
Afin qu'il pût tout à fon aiſe
JUIN.
45 1755.
En poffeder le petit coeur.
Le lendemain nous dînâmes à Moret
d'où nous partîmes pour aller coucher ,
Melun. Nous traverfâmes la forêt de Fontainebleau
: qu'elle est belle ! Nous arrivâmes
de bonne heure à Melun , où ne fçachant
que faire nous allâmes voir les marionettes.
Polichinelle & Gigogne fa mie
Avoient l'heur de nous divertir :
Je l'avouerai , je pris quelque plaifir
A voir dans fa bouffonnerie
Un automate amufer mon loifir
Mieux qu'un trifte mortel dont le bon fens m'en
nuie.
Le lendemain nous arrivâmes fains &
gais à Paris.
Et c'eft de ce même Paris
Qu'imitant le gentil Chapelle ,
En profe , en vers je vous écris.
Adieu , je gagne ma ruelle ;
Bon foir , adieu , mes chers amis.
Je me fens flaté de ce titre ;
Et fuis , ma foi , par fentiment ,
Meffieurs , ce qu'au bout d'une épitre
On dit être par compliment.
P .....
A Mis , vous attendez fans doute
Que je vous faffe le récit
Bien détaillé , de ce qu'en route
J'ai vu , j'ai fçu , j'ai fait , j'ai dit :
Oui , je m'en vais fur mon hiftoire
De mon mieux vous entretenir ;
Sans peine vous pouvez me croire ,
Vous le fçavez , il eſt notoire
Qu'un Bourguignon ne peut mentir.
D'être par- tout bien véritable ,
Je ne le
promets pourtant pas :
Car bien fouvent il eft des cas ,
Où pour rendre plus agréable
La fatigante vérité ,
Il faut du manteau de la Fable
Couvrir fa trifte nudité.
Vous l'avouerez ; mais que ma Muſe
Et vous inftruiſe & vous amuſe ,
Hélas ! je n'ofe m'en flater ;
N'importe , plein de confiance ,
Pour répondre à votre eſpérance ,
J'oſe tout faire & tout tenter.
Attention , faites filence ;
Je prends la plume , je commence :
II. Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE .
Or , vous plaît-il de m'écouter.
Je vous quittai avec tous les fentimens
d'une parfaite reconnoiffance & d'une
amitié fincere. MM ...... me reconduifirent
jufqu'au bas de Talent ; là je reçus
leurs adieux , & je les embraffai le regret
dans le coeur :
Mais nous voilà dans l'équipage ,
Des fouets l'air a retenti :
Santé conftante & bon voyage ;
Allons , cocher ; on eft parti.
Nous nous trouvâmes fept dans la voiture
; mais plaignez-moi avec ce nombre .
Pas un minois qu'on pût baiſer ;
Pas une femme un peu jolie ,
Vers qui tout bas l'on pût jafer ,
Dont je puffe pour m'amufer
Faire en chemin ma bonne amie.
C'étoit d'un côté un homme fort ennuyeux
, qui fe nommoit M. Chufer , avec
le Sr Taillard , dont tout Paris fans doute
connoîtra bientôt les talens fupérieurs qu'il
a pour la flûte. Une femme âgée occupoit
le fond .
A côté de cette vieille ama
JUIN.
27 1755 .
Etoit affis un Provençal ;
Du Provençal & de la Dame
Je ne dirai ni bien ni mal.
Mais fi j'ai mérité l'Enfer ,
Seigneur , modere ta juftice ,
Et ne mets pas pour mon fupplice ,
A mes côtés M. Chufer.
Sur ce qui refte il faut fe taire ;
Car nous ne sommes plus que trois ,
Qui font B ....moi , mon frere ,
Que bien vous connoiffez , je crois .
Arrivés au Val- de- Suzon , on nous fervit
à déjeûner.
Des écreviffes & des truites :
En ce pays , quoique petites ,
Cela fait un mets excellent ,
Quand dans du vin rouge ou du blanc
Au petit lard elles font cuites :
Nous allâmes dîner à Saint- Seine .
C'eſt-là que coule cette fource
Qui , répandant au loin fes flots,
Porte fes ondes aux Badauts ,
Et dans la mer finit la courfe.
Le foir nous arrivâmes à Chanceaux, ou
Bij
28 MERCURE DE FRANCE .
nous foupâmes de bon appétit : nous fumes
un peu furpris de voir notre hôte malade
d'une fievre maligne , chercher à la guérir
avec du vin qu'il buvoit avec une confiance
dont il devoit tout appréhender . Comme
nous lui en marquions notre étonnement ,
il nous répondit avec naïveté que ce qui
* faifor du bé ne pòvor fare du man ; & en
effet
Un Bourguignon peut-il penfer
Qu'un demi- Dieu , comme Efculape ;
En pouvoir puiffe ſurpaſſer
Le Dieu qui fait naître la grappe ?
Non , non ,
dans vos heureux climats
Le vin , cette liqueur divine
Préferve un homme du trépas ,
Lorfqu'en ceux-ci la Médecine
Les jette tous entre les bras
De la cruelle Libitine.
Je cheminois paifiblement , laiffant errer
avec volupté mes yeux fur les objets qui ,
à mesure que nous avancions , fe découvroient
à ma vûe : vous fçavez comme j'aime
la campagne , & combien je fuis touché
de fes agrémens . Qu'avec bien du
plaifir je promenai mes regards fur cette
* Patois Bourguignon , que ce qui faiſoit dų
bien ne pouvoit faire du mal,
JUIN. 1755 29
belle vallée qui s'offre fur la gauche en arrivant
à Montbard ! la variété des objets
en fait un très -beau lieu : on voit une chaî
ne de montagnes qui bornent l'horizon
mais qui s'étendant au loin & fe perdant
dans l'éloignement , font douter à l'azur
qui colore leur cîme n'eft point celui dont
s'embellit le firmament , tant les plus lointaines
extrêmités femblent fe confondre
avec le ciel. En revenant de fi loin , la vûe
fe ramene fur les collines , que les regards
avoient d'abord faifies . Sur leur penchant
on voit plufieurs maifons de Laboureurs
qui dominent une prairie riche de tout ce
qui rend une campagne belle & fertile.
Tout cela mériteroit fans doute les honneurs
de la Poëfie ; mais je n'ofe me croire
capable de peindre ces beautés d'une maniere
neuve & originale.
La Peinture , la Poëfie
Dans leurs payſages rians ,
Les miracles de la fêrie
N'ont pas des lieux auffi charmans,
O beaux vallons , où le Penée
Paifiblement roule fes eaux !
M'offririez -vous tous les tableaux
De cette rive fortunée ?
Quelle aimable diverfité !
Fontaines , bois , côteaux , montagnes ,
Biij
30 MERCURE DE FRANCE.
Tout ce qu'ont d'attraits les campagnes
S'offroit à mon cel enchanté.
Une fi douce rêverie
Vint furprendre tous mes efprits :
Je fus fi tendrement épris
Des charmes de la bergerie ,
Qu'en vérité dans ma folie
J'eufle donné tout ce Paris
Pour un hameau dans la prairie
Qu'en Peintre vrai je vous décris .
Au milieu de ces idées j'eus la fantaiſie ,
malgré l'extrême chaleur , de voir de plus
près cette belle vallée : je deſcendis du car-
∙roffe , & après avoir adoré les Divinités du
pays , je m'avançai fous leurs aufpices vers
un petit bois , d'où pouvant confiderer tout
le champêtre des environs , je goûtai encore
la fraîcheur d'unefontaine qui y couloit
: ah ! dis- je , en me couchant fur l'herbe
qui tapiffoit fes bords ,
Ici Phoebus ne porte point ſes traits ;
Que je chéris cette humide fontaine ,
Où le tilleul fous un feuillage épais ,
Contre les feux m'offre une ombre certaine !
Ces bois , ces eaux ont pour moi mille attraits ;
Mais des vallons il s'éleve un vent frais
Qui fur les fleurs le joue & fe promene ;
Venez , Zéphir , je vous ouvre mon fein ,
JUIN. 1755. 31
.
Pénétrez-moi de vos fraiches haleines ,
Calmez l'ardeur qu'allume dans mes veines
De Syrius l'aftre aride & mal fain.
*
Si je chéris les bois & les prairies ,
Léger Zéphir , je n'y cherche que vous ;
Vous réparez mes forces affoiblies ,
1
Et je vous dois un repos qui m'eſt doux ;
En ce moment vous feul me rendez chere
Cette retraite obfcure & folitaire :
Loin des cités , dans le calme & la paix ,
Parmi les fleurs , la mouffe & la fougere ,
Pour refpirer votre vapeur légere ,
Toujours puiffai -je errer dans ces bofquets .
J'eus à peine achevé cette priere qu'un
air plus vif s'éleva autour de moi en frémiffant
légerement ; mais je fus bien furpris
, quand après quelques momens de repos
voulant m'éloigner & reprendre ma
route , je me fentis enveloppé par un tourbillon
& emporté dans les airs ,
d'où je
defcendis doucement près de la voiture ,
qui déja s'étoit fort éloignée ; je ne doupas
que Zéphyr par une faveur particuliere
, ne m'eût enlevé fur fes aîles , afin
de m'éviter un trajet que rendoit pénible
l'extrême chaleur.
tai
Je repris ma place dans la voiture en
* Etoile qui eft à la tête de la canicule.
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
regrettant un fi beau lieu , & j'arrivai à
Montbard. Si vous prenez garde aux deux
mots qui compofent le nom de cette ville ,
vous préfumerez comme moi qu'elle étoit
jadis une retraite des anciens Bardes . Les
Bardes étoient tous Poëtes , & ils étoient
appellés Sages parmi les Gaulois : il y a
aujourd'hui bien du déchet ; mais avançons.
>
Pendant qu'on nous apprêtoit à dîner
nous allâmes voir la maifon de M. de B...
Gouverneur de Montbard . Tout y paroît
appartenir à un Philoſophe aimable ; des
appartemens nous montâmes à la terraffe ,
où nous vîmes à l'extrêmité d'un petit jardin
un joli fallon tout en coquilles de diverfes
couleurs ; il eft tout fimple d'imaginer
que c'eft la grotte de quelques Nymphes
du voisinage.
Oui , par ce tiffu de coquilles
Qui forme ce fallon charmant ,
On croit que c'est l'appartement
De quelques Nayades gentilles ,
Qui laffes de refter dans l'eau
Et de courir dans la prairie ,
Viennent par fois dans ce château
Egayer leur mélancolie .
Le lendemain nous arrivâmes à Auxerre
JUIN. 7755
33
où nous couchâmes , & qui me parut une
ville peu agréable ; Villeneuve- le - Roi où l'on
ne compte qu'une belle rue , me plairoit
mieux nous y foupâmes le lendemain ;
il faifoit extrêmement chaud . Dès que je
fus arrivé , je me fentis une envie preffante
de m'aller baigner ; je me rendis fur
les bords de l'Yonne , je vis le Dieu du
Aleuve qui fe promenoit avec une pompe
& un appareil qui m'en impoferent : je
craignis de trouver du danger où je
voyois tant de majeſté ; je me retirai &
je fus m'affeoir vers un petit ruiffeau ombragé
de faules qui venoit s'y rendre . Je
m'affis ; bientôt j'éprouvai ce calme & ce
filence intérieur où nous livre la folitude ;
mais comme l'idée de la galanterie vient
naturellement s'unir aux impreffions que
laiffe un lieu agréable , je me mis à rêver
à une volage , & de la fouhaiter à mes côtés
: je difois ,
Je viens m'affeoir fur le rivage
De ce ruiffeau lympide & frais ;
Recevez-moi , faules épais ,
Sous votre agréable feuillage :
Dans ce beau lieu je veux en paix
Goûter le charme de l'ombrage
Que ce lit de mouffe à d'attraits
Pour mon coeur né fenfible & tendre !
~
BV
34 MERCURE DE FRANCE.
Pour le plaifir qu'il eft bien fait !
D'un doux tranfport , à cet objet ,
Mes fens ne peuvent fe défendre.
Je rêve ! .... &pouffe des foupirs ! ....
Et pourquoi cette inquiétude ? .
Délicieufe folitude ,
Manque-t - il rien à vos plaifirs ? ....
Foulant tous deux cette herbe épaiffe ,
Je voudrois lire mon bonheur ,
Dans les beaux yeux de ma maîtreffe.
Amour !... fixe pour moi fon coeur.
Mais enfin , continuai - je , pourquoi
nourrir plus long- tems une paffion inutile
qui me caufe du trouble ? profitons plutôt
& fans diftraction des plaifirs fimples &
tranquilles que la nature me préfente.
Je m'entretenois ainfi ,
Quand j'apperçus à mes côtés
Une Nymphe , dont le corfage
Offroit aux yeux plus de beautés
Que n'en avoit fon beau vifage :
Avec de grands cheveux nattés ,
Des fleurs diverfes qu'on moiffonne
Sur ces rivages enchantés ,
Elle portoit une couronne.
Je regrettois une friponne ;
Une Nymphe offroit à mes fens
Ces appas qu'amour abandonne
JUIN.
35 1755.
Aux feux libertins des amans :
Pouvois- je donc pleurer long- tems ?
Cédant aux erreurs de mon âge ,
J'oubliai tout en les voyant ,
Et je goûtai cet avantage
D'aimer enfin moins triftement.
Pardonnez ce libertinage :
Mais au récit où je m'engage
De conter tout ingénument ,
Vous m'avouerez qu'il eft plus fage ,
Plus doux auffi , plus confolant ,
Quand une ingrate nous outrage
D'échapper à l'amour conſtant
Pour courir à l'amour volage .
Je vous connois ; oui , je le gage ,
Vous en auriez fait tout autant .
Mais néanmoins à cette vûe ,
Saifi de trouble & l'ame émue ,
Je me cachai dans les rofeaux :
Ne craignez rien , s'écria -t -elle ,
Berger , je fuis une immortelle ,
Fille du fouverain des flots ;
C'est moi qui dans cette prairie
Fais couler ce petit ruiſſeau ;
Venez , la fraîcheur de fon eau
A vous y baigner vous convie.
Rien ne peut-il calmer vos feux ,
Ajoûta-t-elle avec tendreffe ?
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
Ah ! queje hais cette maîtreffe
Qui fe refuſe à tous vos voeux.
Ne formez que d'aimables noeuds ;
Comme l'amour ayez des aîles ;
Jeune & difcret , loin des cruelles
Vous méritez d'être un heureux .
Vous le ferez , féchez vos larmes ,
Regnez fur mon coeur , fur ces lieux ;
Je n'ai peut-être pas fes charmes ,
Mais je fçaurai vous aimer mieux.
Qu'une Déeffe eft féduiſante !
Ah ! m'écriai -je , tout m'enchante ,
Tout me captive en ce féjour ;
Tout eft ici , Nymphe charmante ,
Digne de vous & de l'amour .
Vous voyez qu'à fon compliment
Où j'entrevis de la tendreffe ,
Je répondis à la Déeſſe
Par un propos affez galant .
Après ces mots , plein d'affurance
Avec yvreffe je m'élance ,
Et me laiffe aller dans les bras
De mon aimable Néreïde ,
Qui vers la demeure liquide
Elle-même guida mes pas.
Les peupliers fur mon paffage
Sembloient doucement agiter
Et leurs rameaux & leur feuillage ,
JUIN. 37. 1755
Ils paroiffoient nous inviter
Arepofer fous leur ombrage.
D'un mouvement vif & léger
Les cignes avançoient fur l'onde ,
Et fans mourir ils frappoient l'air
Du chant le plus tendre du monde .
Parmi leurs fons mélodieux ,
Mais cependant moins gracieux
Que les accens de Jéliotte ,
Nous arrivâmes à la grotte
Où j'allois voir combler mes voeux.
Je pourrois en dire davantage ; mais ne
feroit ce pas manquer aux Dieux que de
revéler leurs myfteres à des profanes : j'a
joûte pourtant
Que cette jeune Déïté ,
Par fon doux & tendre langage ,
Tint long-tems mon coeur enchanté
Et fçut , quoique je fois né fage ,
Me faire aimer la volupté.
Le moment vint de nous féparer : que
ne fit- elle pas pour me retenir ! Calipfo ne !
mit pas enen ufage plus de charmes pour ar
rêter le fils du vieux Laërte : mais comme
ce héros , je fçus y réfifter ; je lui fis enfin
mes derniers adieux . Ses bras s'ouvrirent
pour m'embraffer : ah , dit - elle en verfant
les plus tendres larmes , je méritois
38 MERCURE DE FRANCE.
que vous euffiez voulu couler avec moi le
refte de vos jours ; fi vous m'avez chérie ,
continua - t- elle , ne me refufez pas ce baifer
; laiffez - moi ravir au fort qui vous
éloigne de moi , cette joie qui pour moi
fera la derniere. Adieu.
Chere Nymphe , m'écriai - je , je la regardois
dans ce moment :
Mais quelles furent mes alarmes
D'appercevoir ce corps fi beau ,
De mes mains s'écouler en larmes ,
Et ne plus être qu'un ruiffeau ;
Dont l'onde tranſparente & pure
Se ramaffant contre mon fein ,
Avec le plus trifte murmure
Autour de moi forme un baffin.
1
Je m'y plongeai avec tranſport , & après
m'y être baigné une heure j'en fortis avec
trifteffe . Que n'étions-nous au fiécle des
métamorphofes !
C Ainfi que
bien des malheureux
Qu'en fes écrits célebre Ovide ,
J'aurois pû demander aux Dieux
De devenir un corps fluide ,
Et j'euffe été fans doute heureux
En mêlant mes flots amoureux
Aux ondes que la Neréide
Epanchoit de fon fein humide ;
JUIN. 39 1755 .
Comme un fleuve majestueux ,
Qui voit croître en fon cours fa gloire & fa fortune
De mes deftins trop glorieux ,
On ne m'eût jamais vû dans le fein de Neptune ,
Porter des flots ambitieux ;
Mais , ruiffeau toujours grácieux ,
D'un cours égal , jamais rapide ,
Avec elle d'une eau lympide
J'euffe arrofé toujours ces lieux.
Mais , comme vous voyez , l'immortalité
me devenoit impoffible.
De maniere qu'en un moment
Je m'éloignai de la fontaine ,
Comme j'étois auparavant ,
Revêtu de ma forme humaine ;
Et P ..... tout uniment.
-
Je retournai à mon auberge , où je mangeai
de très - bonne grace : le fouper étoit
bon ; nous eûmes la précaution de mettre
une couple de poulets entre deux croûtes
pour en déjeûner le lendemain . Effectivement
, après avoir marché quelque tems ,
nous nous écartâmes de la voiture.
Puis fur la molle & tendre herbette ,
Sans nappe mife , fans affiette ,
A l'ombre d'un vieux chêne affis ,
40 MERCURE DE FRANCE.
Des deux croûtes d'un pain raffis
N'ayant que mes doigts pour fourchette ;
Je tirai nos poulets rôtis .
En même tems de ma pochette
Je fis fortir un doux flacon
D'où j'aillit un vin bourguignon ,
Qui nous rafraîchit la luette .
Après avoir bû amplement à votre fanté
, nous regagnâmes le coche. Nous arrivâmes
le foir à Joigny pour en repartir le
lendemain avant le jour : on nous éveilla
à deux heures ; le ciel étoit pur & clair , &
promettoit une belle matinée. Je me propofai
d'examiner fi les defcriptions qu'en
font les Poëtes étoient exactes , d'en étudier
tous les momens & d'en fuivre les accidens
& les circonftances : une heure après
notre départ je me fis ouvrir la portiere ,
& laiffant mes compagnons de voyage
dormir profondément, je continuai la route
à pied.
Un crépuscule encor peu für
Ne laiffoit voir loin du village ,
Que le chaume & le faîte obfcur
Des cabanes du voifinage ,
Que quelques pins , dont le feuillage
S'étoit découpé fur l'azur
D'un ciel ſerein & fans nuage,
JUIN. 41 17558
Je difois , heureux laboureurs ,
Maintenant un fommeil paisible
Sur vous prodigue fes faveurs ;
Et fi l'amour eft dans vos coeurs ,
A l'amour feul il eft poffible
D'en interrompre les douceurs .
En s'éloignant des coeurs profanes
Cet enfant ne dédaigne pas
D'habiter vos humbles cabanes ;
Il aime à voler fur les pas ,
A folâtrer entre les bras
De ces gentilles payſannes ,
Dont lui-même orne les appas.
C'eft aux champs qu'amour prit naiffance ,
Il y lança fes premiers traits ;
Sur les habitans des forêts
Venus exerça fon enfance.
Eh ! qu'il acquit d'expérience !
Bientôt les hommes & les Dieux
Contre lui furent fans défenſe ;
Des bois il vola dans les cieux ;
Mais il chérit toujours les lieux ,
Premiers témoins de fa puiffance.
De l'Hefperus l'aftre brillant
Ne regne plus fur les étoiles ,
L'ombre s'éloigne , & dans fes voiles
Se précipite à l'occident .
Mais un rayon vif de lumiere
42 MERCURE DE FRANCE.
S'eft élancé de l'horizon ;
Voici l'époufe de Titon , •
Qui du jour ouvre la barriere.
Sur un char peint de cent couleurs
Viens , Aurore , avec tous tes charmes ,
Viens & répands de tendres larmes
Sur les gazons & fur les fleurs.
Que ces momens font enchanteurs !
Un verd plus frais , de ce feuillage
A ranimé le doux éclat ;
En reprenant ſon incarnat ,
La jeune fleur , au badinage
Du papillon vif & volage
Ouvre fon vafe délicat ;
Il fuit , & je vois cet ingrat
Porter à toutes fon hommage.
Que l'air eft pur ; quelle fraîcheur !
Du fein humide dés fougeres
S'exhale une fuave odeur ,
Qu'en frémiffant avec douceur ,
Au loin fur fes aîles légeres
Porte & difperfe un vent flateur.
Une langueur délicieuſe
Coule en mes fens .... ah ! quel plaifir !
Je ne fçais quoi vient me faifir
Qui rend mon ame plus heureuſe .
Mais la fauvette à fon reveil
Des bois a rompu le filence :
J'entends fa voix , & du ſoleil
JUIN.
43
1755-
Ses chants m'annoncent la préfence.
Déja brille fur les guerêts
Le fer aigu de la charrue ;
L'adroit chaffeur dans les forêts
Attend qu'épris des doux attraits
De l'herbette fraîche & menue
Le levreau vienne dans ſes rêts
Chercher une mort imprévûe.
Bientôt au fon des chalumeaux
Que les Bergeres font entendre
Les bercails s'ouvrent , les
agneaux
Sous la houlette vont ſe rendre ;
Je les vois fortir des hameaux ,
Et fous les yeux d'un chien fidele .
Couvrir les rives des ruiffeaux ,
Se répandre fur les côteaux
Où croit le thyn qui les appelle ,
Jufqu'au moment où la chaleur
En deffechant les pâturages ,
Les fera fuir dans les bocages
Pour goûter l'ombre & la fraîcheur ,
Cette belle matinée me caufa le plaifir le
plus pur que j'aie reffenti de ma vie . Ce
charme eft inexprimable : qu'avec admiration
mes yeux fe tournerent vers l'orient !
Flambeau du jour , aftre éclatant ,
D'un Dieu caché , viſible image ,
Vous m'avez vû dans ce moment
44 MERCURE DE FRANCE.
>
Par mes tranfports vous rendre hommage.
A ce fpectacle encor nouveau
O foleil ! je te fis entendre
Cet hymne digne de Rameau ,
Où fur leurs temples mis en cendre ,
Les Incas chantent leurs regrets ,
Et rendent grace à tes bienfaits
Toujours fur eux prêts à defcendre.
Bientôt je remontai dans le coche mieux
inftruit par la nature elle- même que par
tout ce que j'avois vû , & chez les anciens
& chez les modernes , & dans les Poëtes
& chez les Peintres.
Jufqu'à Melun il ne nous arriva rien
de particulier , finon qu'à Villeneuve - la-
Guyard nous vîmes arriver une chaife de
pofte , d'où fortirent un jeune homme de
fort bonne mine , & un autre qui paroiffoit
plus jeune ; mais le tein délicat de celui-
ci & le ton de fa voix nous firent deviner
que l'un étoit une jeune fille déguifée
, & l'autre fon amant.
C'étoit fans doute un féducteur ,
Qui loin du toît trifte & grondeur
D'une maman toujours mauvaiſe ,
De fa maîtreffe amant vainqueur ,
Avec elle fuyoit en chaife ,
Afin qu'il pût tout à fon aiſe
JUIN.
45 1755.
En poffeder le petit coeur.
Le lendemain nous dînâmes à Moret
d'où nous partîmes pour aller coucher ,
Melun. Nous traverfâmes la forêt de Fontainebleau
: qu'elle est belle ! Nous arrivâmes
de bonne heure à Melun , où ne fçachant
que faire nous allâmes voir les marionettes.
Polichinelle & Gigogne fa mie
Avoient l'heur de nous divertir :
Je l'avouerai , je pris quelque plaifir
A voir dans fa bouffonnerie
Un automate amufer mon loifir
Mieux qu'un trifte mortel dont le bon fens m'en
nuie.
Le lendemain nous arrivâmes fains &
gais à Paris.
Et c'eft de ce même Paris
Qu'imitant le gentil Chapelle ,
En profe , en vers je vous écris.
Adieu , je gagne ma ruelle ;
Bon foir , adieu , mes chers amis.
Je me fens flaté de ce titre ;
Et fuis , ma foi , par fentiment ,
Meffieurs , ce qu'au bout d'une épitre
On dit être par compliment.
P .....
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Résumé : Voyage de Dijon à Paris, fait en 1746.
En 1746, un Bourguignon entreprend un voyage de Dijon à Paris. L'auteur s'engage à narrer ses aventures avec sincérité, tout en reconnaissant que la vérité peut être embellie par la fable. Il quitte Dijon avec gratitude et amitié, accompagné de sept personnes, dont un homme ennuyeux nommé M. Chufer et un musicien talentueux, le Sr Taillard. Le groupe fait plusieurs arrêts, notamment au Val-de-Suzon où ils déjeunent d'écrevisses et de truites, et à Saint-Seine où ils dînent près d'une source célèbre. L'auteur admire la beauté des paysages, notamment la vallée de Montbard, et exprime son amour pour la campagne. Il décrit une expérience mystique où il est emporté par le vent et retrouve la voiture plus loin. À Montbard, il visite la maison du gouverneur et admire une grotte artificielle. Le voyage se poursuit à Auxerre, une ville qu'il trouve peu agréable, et à Villeneuve-le-Roi. À Villeneuve-le-Roi, l'auteur se baigne dans l'Yonne et rencontre une nymphe qui l'invite à se baigner dans son ruisseau. La nymphe se révèle être une déesse des flots, qui l'emmène dans sa grotte aquatique. L'auteur passe un moment enchanteur avec elle avant de devoir se séparer. La déesse tente de le retenir, mais il résiste et lui fait ses adieux. Le texte relate également une profonde tristesse face à une séparation imminente, imaginant une métamorphose en fluide pour rester près de la personne aimée. L'auteur décrit un repas champêtre et une promenade matinale, admirant la beauté de la nature et les activités des paysans. Il observe les préparatifs agricoles et les premiers rayons du soleil, ressentant une langueur délicieuse. Il compose un hymne au soleil, inspiré par les Incas. Plus tard, il remarque un jeune couple fuyant ensemble dans une chaise de poste. Le voyage se poursuit jusqu'à Paris, où l'auteur assiste à un spectacle de marionnettes avant de regagner la ville. Le texte se conclut par des adieux amicaux et des compliments.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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58
p. 63-65
CHANSON DE TABLE, Sur l'air du Vaudeville d'Epicure.
Début :
O Vous que l'amitié rassemble, [...]
Mots clefs :
Amour, Amant, Bacchus, Buveurs, Vin, Bouteille
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texteReconnaissance textuelle : CHANSON DE TABLE, Sur l'air du Vaudeville d'Epicure.
CHANSON DE TABLE
O
Sur l'air du Vandeville d'Epicure.
Vous que l'amitié raffemble ,
Tendres amans heureux bûveurs ;
Des Dieux que nous fervons enfemble
Chantons tour à tour les faveurs.
Du nom du Dieu que l'Inde adore ,
Bûveurs rempliffez ce féjour ;
Et
vous , beautés jeunes encore ,
Sans le nommer , chantez l'amour.
2
Le loifir plaît à la tendreffe ;
Mais Bacchus fuit. un vil repos
Le bûveur peut jouir fans ceffe
L'amant ne jouit qu'à propos.
Le bûveur dans fa folle ivreffe
Se croit un Roi toujours vainqueurs,
L'amant foumis à fa maîtreffe ,
Ne veut regner que fur fon coeur.
Dans cette brillante fougere ,
Quand Tircis verfchum vin charmants mono'
I
64 MERCURE . DE FRANCE.
Amour , fur fa mouffe légere
Me peint les traits de mon amant.
Je réunis tout ce que j'aime ,
Ma bouche afpire la liqueur ,
Et fait paffer à l'inſtant même ,
Bacchus & l'amour dans mon coeur.
Ainfi que l'enfant de Cythere',
Le Dieu du vin eft délicat :
Tous les deux aiment le myftere ;
Tous les deux redoutent l'éclat.
Dès qu'une bouteille eft ouverte
Le vin s'évapore ou s'aigrit :
Dès qu'une intrigue eft découverte ,
L'amour s'éteint ou s'affoiblit.
Au Dieu qui fait múrir lá treille ;
Amour , tu dois fouvent ton prix ;
Sylvandre armé d'une bouteille ,
Sçut enfin attendrir Iris .
Le verre à la main , elle oublie
Et fon devoir & le danger :
L'amant triomphe , & Bacchus crie
>> Mon heure eft celle du Berger.
stillid $ 1.5
D'an amour délicat & tendre , but han
JUIN. 1755.
65
Chérs amis célébrons le prix.
Bûveurs imitez tous Sylvandre ,
Nous pourrons imiter Iris.
A Bacchus donnons la journée ;
Refervons les nuits à l'amour :
L'un peut renaître avec l'année ;
Quand l'autre fuit , c'eft fans retour.
Par A. H. Poinfinet , le jeune.
O
Sur l'air du Vandeville d'Epicure.
Vous que l'amitié raffemble ,
Tendres amans heureux bûveurs ;
Des Dieux que nous fervons enfemble
Chantons tour à tour les faveurs.
Du nom du Dieu que l'Inde adore ,
Bûveurs rempliffez ce féjour ;
Et
vous , beautés jeunes encore ,
Sans le nommer , chantez l'amour.
2
Le loifir plaît à la tendreffe ;
Mais Bacchus fuit. un vil repos
Le bûveur peut jouir fans ceffe
L'amant ne jouit qu'à propos.
Le bûveur dans fa folle ivreffe
Se croit un Roi toujours vainqueurs,
L'amant foumis à fa maîtreffe ,
Ne veut regner que fur fon coeur.
Dans cette brillante fougere ,
Quand Tircis verfchum vin charmants mono'
I
64 MERCURE . DE FRANCE.
Amour , fur fa mouffe légere
Me peint les traits de mon amant.
Je réunis tout ce que j'aime ,
Ma bouche afpire la liqueur ,
Et fait paffer à l'inſtant même ,
Bacchus & l'amour dans mon coeur.
Ainfi que l'enfant de Cythere',
Le Dieu du vin eft délicat :
Tous les deux aiment le myftere ;
Tous les deux redoutent l'éclat.
Dès qu'une bouteille eft ouverte
Le vin s'évapore ou s'aigrit :
Dès qu'une intrigue eft découverte ,
L'amour s'éteint ou s'affoiblit.
Au Dieu qui fait múrir lá treille ;
Amour , tu dois fouvent ton prix ;
Sylvandre armé d'une bouteille ,
Sçut enfin attendrir Iris .
Le verre à la main , elle oublie
Et fon devoir & le danger :
L'amant triomphe , & Bacchus crie
>> Mon heure eft celle du Berger.
stillid $ 1.5
D'an amour délicat & tendre , but han
JUIN. 1755.
65
Chérs amis célébrons le prix.
Bûveurs imitez tous Sylvandre ,
Nous pourrons imiter Iris.
A Bacchus donnons la journée ;
Refervons les nuits à l'amour :
L'un peut renaître avec l'année ;
Quand l'autre fuit , c'eft fans retour.
Par A. H. Poinfinet , le jeune.
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Résumé : CHANSON DE TABLE, Sur l'air du Vaudeville d'Epicure.
La 'Chanson de table' est un poème dédié à l'amitié, à l'amour et à la célébration des plaisirs de la vie. Les vers invitent les amis à chanter les faveurs des dieux tout en buvant et en célébrant l'amour. Le texte oppose le plaisir immédiat de la boisson à la jouissance plus contrôlée de l'amour. Le buveur, dans son ivresse, se croit invincible, tandis que l'amant est soumis à sa maîtresse. La poésie décrit également la délicatesse de l'amour et du vin, tous deux préférant le mystère à la lumière. Une bouteille ouverte ou une intrigue découverte peuvent ruiner ces plaisirs. Le poème se conclut par une célébration de Bacchus pendant la journée et de l'amour pendant la nuit, soulignant que l'amour peut renaître chaque année, contrairement à la boisson.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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59
p. 115-127
Lettre de M. Dequen, Docteur en Médecine, de la Faculté de Montpellier, à un Médecin de ses amis, sur un accîdent arrivé dans le cuvage de M. le Comte de la Queuille, Brigadier des armées du Roi, Colonel du Régiment de Nice, au château de Chateaugay, près de Riom en Auvergne.
Début :
Avez-vous entendu parler, Monsieur, d'un accident arrivé chez M. [...]
Mots clefs :
Médecine, Accident, Cuvage, Cuve, Vin, Esprits, Vapeur, Fermentation, Médecin, Docteur en médecine
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texteReconnaissance textuelle : Lettre de M. Dequen, Docteur en Médecine, de la Faculté de Montpellier, à un Médecin de ses amis, sur un accîdent arrivé dans le cuvage de M. le Comte de la Queuille, Brigadier des armées du Roi, Colonel du Régiment de Nice, au château de Chateaugay, près de Riom en Auvergne.
Lettre de M. Dequen , Docteur en Médecine
, de la Faculté de Montpellier , à un
Médecin defes amis , fur un accident arrivé
dans le cuvage de M. le Comte de la
Queuille , Brigadier des armées du Roi ,
Colonel du Régiment de Nice , au château
de Chateangay , près de Riom en Auvergne.
A
Vez -vous entendu parler , Monfieur
, d'un accident arrivé chez M.
le Comte de la Queuille , à Chateaugay ,
le 24 du mois d'Avril dernier ? il n'eft pas ,
on peut le dire , abſolument nouveau ;
mais il me paroît accompagné de circonf
tances affez frappantes pour mériter peuts
être un peu de votre attention .
On avoit achevé de vuider te matin une
116 MERCURE DE FRANCE.
cuve où l'on avoit confervé pendant l'hiver
fix à fept cens pots de vin de notre
mefure , qui , comme vous le fçavez , à
quinze pintes le pot , font un objet de
neuf à dix mille pintes de Paris.
3
Environ trois quarts d'heure après
l'avoir découverte , le fommelier de la
maiſon , nommé Joli , eut l'imprudence
de commander à un jeune domeftique de
feize à dix-fept ans d'y entrer avec un balai
pour la nettoyer & en faire fortir la
lie. Cet enfant lui repréfenta le danger
auquel il vouloit l'expofer , & qu'il devoit
d'autant plus connoître que peu de
jours avant il étoit forti lui-même à la
hâte & à demi-mort d'une cuve pareille ,
quoique découverte depuis fept à huit
jours. Joli s'obftina , on ne fçait pas trop
pourquoi , & le petit domeftique effrayé
de fes menaces eut le malheur de lui obéir ;
mais à peine fut-il defcendu dans la cuve
qu'il tomba roide , fans connoiffance &
fans mouvement . Joli ne l'entendant
travailler ni repondre aux commandemens
réiterés qu'il lui en faifoit , vit bien alors ,
mais trop tard , les fuites de fon imprudence
; il faute dans la cuve pour le fecourir
, en criant à un marmiton qui fe trouvoit
auffi dans le cuvage , de lui faire venir
du fecours. Il fe baiffe pour relever
pas
JUILLET. 1755 117
#
l'enfant qui fe mouroit , & tombe dans lẹ
même état que lui.
Le marmiton court au château , il trouve
dans la cuifine un payfan , un des Gardes-
chaffe , le Cuifinier & un laquais ; il
feur apprend l'embarras de Joli. On vole
à fon fecours. L'allarme fe répand dans le
château : Maîtres , Domeftiques , tout le
monde s'empreffe de gagner le cuvage. Le
payfan qui étoit un jeune homme de vingtdeux
ans , fort & vigoureux , arrive , &
defcend le premier dans cette cuve funeſte ,
il veut encore fe baiffer pour relever ces
deux perfonnes qu'il voyoit fans mouvement
; & dans l'inftant , comme s'il eût
été frappé de la foudre , il tombe lui - mê-'
me inmobile , & pour ainfi dire mort . Le
Garde- chaffe qui venoit après lui fuit ſon
exemple , & fubit le même fort.
Le Cuifinier qui defcendoit le troifieme,
voyant ce trifte fpectacle , & fe fentant
tout-à- coup étouffer par les vapeurs
qui s'élevoient , remonte au plus vite au
haut de la cuve , il arrête le laquais qui
avoit déja une partie du corps dedans , &
tous deux hors d'état de fecourir les mourans
, bornerent leurs foins à empêcher de
defcendre ceux qui les fuivoient ; mais le
zéle de tous ces domeftiques pour fauver
la vie à leurs camarades étoit fi grand ,
18 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils voyoient à peine un danger audi
effrayant. Un paltrenier fe jette dans la
cuve , & le trouve pris auffi tôt , mais
comme le haut en étoit déja bordé de
beaucoup de monde , il fat affez heureux
pout qu'on le faifit aux cheveux dans le
moment qu'il alloit tomber , & qu'on le
retira évanoui. Il en fut de même d'un
poftillon , à qui on paffa une corde fous
Fes bras dans le tems qu'il defcendoit , &
qu'on arracha à la mort par ce moyen ; ils
revinrent l'un & l'autre dès qu'ils furent
expofés à l'air extérieur .
Dansle trouble où l'on étoit , ne voyant
aucune reſſource pour retirer ces quatre
hommes de la cuve , on prit le parti de la
tompre ; mais comme les cercles en étoient
très-forts , garnis de bandes de fer , & que
les douves en étoient unies par des chevilles
, l'opération fut longue , & ces malheureux
étoient morts , lorfqu'on fut à
portée de leur donner du fecours.
Cependant on avoit envoyé chercher
un Chirurgien au bourg le plus près . Dès
qu'il fut arrivé , on effaya de les faigner ;
il ne fortit de fang qu'une ou deux gouttes
de l'ouverture qui fut faite au plus
jeune , qui le premier étoit entré dans la
cuve. Les autres n'en donnerent pas. Оп
deur jetta de l'eau au vifage ; on leur mit
JUILLET . 1755. 119
des eaux fpiritueufes dans la bouche &
dans le nez . Tous ces foins furent inutiles.
Il ne parut aucun figne de vie.
Il eft conftant , Monfieur , qu'on ne peut
attribuer la caufe de ces morts , qu'aux
vapeurs ou efprits ardens du vin qui s'étoient
ramaffés dans cette cuve , & qui
continuoient de s'exhaler de la lie qui y
reftoit. On ne peut pas en reconnoître
d'autre . Le vin étoit très- naturel & fort
bon. Il avoit été vendu en détail à des
marchands de nos montagnes , qui en
avoient débité déja la plus grande partie
dans leurs cabarets , fans que perfonne fe
fût plaint d'en avoir reçu la moindre incommodité.
J'aurois bien fouhaité avoir
été averti à tems pour voir par l'ouverture
de ces cadavres les effets que ces efprits
pénétrans avoient produits fur les différentes
parties qui en avoient fouffert l'impreffion
. M. le Comte de la Queuille qui
me fit appeller deux jours après pour voir
Madame la Comteffe fon époufe , que la
frayeur & la douleur de cet événement
avoient fort incommodée , me dit avoir
été fâché de ne me l'avoir pas mandé plu
iôt ; mais qu'il n'y avoit penfé qu'après
l'enterrement.
Je fus donc forcé de me borner à interroger
ceux qui avoient manqué à être
120 MERCURE DE FRANCE.
>
enveloppés dans ce malheur. Le palfrenier
& le poftillon ne me donnerent pas de
grands éclairciffemens . La maniere promp
te dont ils avoient été pénétrés de la vapeur
, la connoiffance qu'ils avoient perdu
à l'inftant ne leur avoient laiffé le
pas
tems de s'appercevoir de ce qui avoit produit
leur évanouiffement. Le Cuifinier qui
n'avoit reçu cette vapeur qu'à demi , & qui
s'étoit toujours reconnu , fut plus en état
de me rendre compte de ce qu'il en avoit
reffenti. Il me dit qu'elle lui étoit montée
au nez avec tant de force , qu'il en avoit
été fubitement étourdi , & qu'il avoit en
même-tems & par la même caufe , ſenti
que la refpiration lui manquoit.
Je m'informai auffi de l'état de ces malheureux
après qu'on les eût retirés de la
cuve ; ils étoient femblables en tout à
ceux qui font morts fuffoqués. Une Demoiſelle
qui avoit travaillé à leur donner
du fecours , m'en dit une feule particularité
qui l'avoit frappée : c'eft qu'en leur
ouvrant la bouche pour y introduire des
eaux fpiritueufes , elle avoit trouvé leurs
gencives , leurs dents , leur palais & leur
Langue , blancs , deffechés & comme à demi-
cuits. J'en conclus que ces vapeurs
volatiles & pénétrantes ont produit deux
principaux effets , que je regarde comme
la
JUILLE T. 1755. 121
la caufe de la mort prefque fubite de ces
quatre hommes , 1 °. qu'entraînées par l'air
avec abondance & rapidité dans la cavité
du nez & des finus qui y aboutiſſent , elles
ont fecoué & picotté vivement les petites
pointes nerveufes de la membrane pituitaire
faciles à ébranler. Cette irritation
communiquée au cerveau a produit dans
tous les nerfs une contraction fpafmodique
, une conftriction qui a intercepté
dans l'inftant l'écoulement des efprits animaux
vers les organes des fens & vers les
mufcles ; ce qui a donné lieu à la privation
fubite des fenfations & des mouvemens.
2º . Qu'entraînées pareillement au tems
de l'inſpiration dans la trachée artere &
dans les poulmons , elles les ont crepés ,
defféchés & comme cuits , ainsi qu'on l'a
obfervé aux gencives , au palais & à la
langue ; ce qui a rendu les véhicules d'autant
plus incapables d'être dilatées , & de
céder à l'impulfion de l'air , que ce fluide
toujours extrêmement chargé de ces vapeurs
, & conféquemment peu élastique ,
au lieu de vaincre cette réfiſtance ne faifoit
que l'augmenter de plus en plus par
l'irritation continuelle des efprits qu'il y
portoit fans ceffe ; de forte que la refpiration
bientôt fuffoquée a produit néceffairement
une ceffation totale de la circula-
F
122 MERCURE DE FRANCE.
tion du fang , qui dans quelques minutes
a fait périr ces malheureux.
par Ce que j'avance fe trouve confirmé
le prompt rétabliſſement du palfernier &
du poftillon , qui ont eu le bonheur d'étre
retirés de la cuve avant que les poulmons
euffent été confidérablement affectés . Affez
élaſtique pour en vaincre la réſiſtance, l'air
extérieur a rétabli la refpiration , & rendu
à la circulation fa liberté naturelle. Le
poſtillon a feulement confervé pendant
quelques jours un affoibliffement , effet
fenfible des violentes fecouffes que les
nerfs avoient fouffertes.
, Il n'eft pas nouveau comme je l'ai annoncé
, Monfieur , de voir périr des gens
dans de grandes cuves en foulant une
vendange qui fermente, Enivrés & étourdis
par les efprits que la fermentation évapore
, ils tombent dans le vin , & périffent
bientôt noyés s'ils ne font pas fecourus à
tems ; mais dans ce cas-ci il paroît fingu-
Hier de les voir périr prefque fubitement
dans une cuve vuide , où il y avoit à peine
deux ou trois lignes de lie répandue fur le
fond , dans une cuve découverte depuis
plus de trois quarts-d'heure ; de voir enfin
arriver cet accident au mois d'avril , dans
un tems où la fermentation n'eft plus fenfible.
On peut cependant rendre raiſon
de ces effets furprenans.
JUILLET. 1755. 123
1º. On fera moins étonné de la promptitude
de la mort de ces quatre hommes ,
fi l'on fait attention qu'ils fe font tous
baiffés ; le petit domeftique pour balayer
& faire fortir la lie , & les trois autres fucceffivement
pour relever ceux qui étoient
tombés avant eux ; qu'en inclinant ainfi
la face vers le fond de la cuve & en s'enfonçant
dans le plus épais de la vapeur
ils l'ont humée directement avec la plus
grande abondance , & fe font exposés à fa
plus vive impreffion ; au lieu que le Cuifinier
qui n'y eft pas entierement defcendu
& qui eft demeuré debout , n'en a reçu
qu'une petite portion , qui n'ayant agi que
foiblement lui a laiffé le tems de gagner
le haut de la cuve , & de retourner à l'air
pur.
2. On trouve dans la configuration &
dans la fituation de cette cuve la raifon du
fécond effet ; c'est-à-dire comment les vapeurs
avoient pu s'y ramaffer en une auffi
grande quantité dès qu'il n'y avoit pas de
vin , & y demeurer renfermées malgré la
communication qui depuis trois quartsd'heure
étoit ouverte avec l'air extérieur.
C'étoit une grande cuve , d'environ neuf
pieds de profondeur , dont la circonférence
ne répondoit pas à la hauteur , faite en
forme de cône coupé , qui avoit fon fond
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
à la bafe & l'ouverture au fommet , dont
l'ouverture enfin étoit peu éloignée du toît
du cuvage : A quoi on peut ajouter que le
vin n'en ayant pas été tiré tout d'un trait
mais à repriſes , les efprits qui s'exhaloient
fans ceffe de celui qui y reftoit , au lieu
de s'attacher à la couverture de la cuve ,
comme il feroit arrivé fi elle avoit continué
d'être pleine , ſe répandoient & demeuroient
fufpendus dans l'air qui prenoit
à chaque fois la place du vin tiré ; deforte
la Cuve s'eft trouvée remplie par
dégrés d'un air extrêmement chargé de
ces vapeurs , dont les plus baffes n'ont pas
pu fe diffiper , foit a caufe de la profondeur
de la cuve , foit à cauſe de fa figure
conique & de la moindre étendue de fon
ouverture , foit enfin à cauſe de la proxique
mité du toît.
3 °. Les raifons que je viens de rapporter
, font affez voir comment l'évaporation
ordinaire qui fe fait du vin , a pu , fans le
fecours de la fermentation , fournir beau-
Coup de vapeurs dans cette cuve . Il faut
obferver de plus que la chaleur printaniere
qui ranime & fait monter la féve dans les
plantes , excite dans le vin une feconde
fermentation , qui , quoique moins fenfible
que la premiere , ne laiffe pas d'être
confidérable. Les vins blancs fpiritueux ,
JUILLET . 1755. 125
tels que ceux de Champagne , mis en
bouteilles au mois de Mars & d'Avril les
caffent , font partir les bouchons , & s'élancent
en mouffe par l'ouverture. Ils font
tranquilles au contraire , & ne produifent
aucun de ces effets violens fi on les y met
dans d'autres faifons : Or c'eft précisément
fur la fin de Mars & dans le courant d'Avril
que cette cuve avoit été vuidée , c'eftà-
dire au tems de cette feconde fermentation
, & elle a dû être très- grande dans
une auffi grande quantité de vin , parce
que les chaleurs ont été très - vives pendant
tout ce tems dans cette province , &
que cette cuve étoit placée à côté d'une
porte expofée au plein midi ; il n'eft donc
pas furprenant qu'il s'y foit fait une grande
évaporation d'efprits.
Il me femble qu'on peut comparer cette
cave à une espece de méphitis . La feule
différence que j'y vois , c'eft que là ce font
des vapeurs minérales , fulphureufes ou
falines , & qu'ici ce font des foufres végétaux
, exaltés & volatifés par la fermentation.
Je trouve une certaine affinité entre
fes effets & ceux de la fameuse Mofète de
la Grotte du Chien , près du lac Agnano
dans le royaume de Naples. Les hommes
plongés dans la vapeur de la cuve , comme
les animaux plongés dans celle de la
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
grotte font tombés fubitement évanouis ,
& font morts bientôt dès qu'il n'a pas été
poffible de les en retirer affez vîte . Ceux
qui ont eu le bonheur d'être remis promp
tement à l'air extérieur , font revenus de
même fans aucune fuite fâcheufe ; & fi les
hommes font tombés fans mouvement dès
l'inftant qu'ils fe font baiffés dans la cuve ,
au lieu que les animaux dans la vapeur de
la grotte s'agitent quelque tems par des
mouvemens convulfifs , cela vient fans
doute de ce que cette vapeur plus groffiere
& moins pénétrante que les efprits ardens
du vin , ne porte pas au nez , & n'affecte
pas le genre nerveux , de maniere à y cau,
fer cette constriction fubite , qui a intercepté
le cours de ces efprits.
Dans l'impoffibilité où l'on étoit de retirer
affez vîte ces malheureux de la vapeur
, y auroit- il eu quelque moyen de
les empêcher de périr ? Je crois qu'en arrofant
le dedans de la cuve de beaucoup
d'eau , on y auroit peut- être réuffi. D'un
côté les gouttes de ce fluide en fe précipitant
, auroient précipité avec elles les efprits
répandus dans l'air , & lui auroient
rendu fa pureté & fon reffort ; & de l'autre
celles qui feroient tombées fur le corps
de ces mourans , auroient pu en rappellant
la force fiftaltique des vaiffeaux , ranimer
JUILLET. 1755 . 127
la circulation qui s'éteignoit. L'expérience
apprend que les animaux à demi- fuffoqués
dans la grotte du Chien reprennent
beaucoup plus vite leurs efprits , fi on les
plonge dans l'eau du lac Agnano ; mais
il auroit fallu employer ce moyen à tems :
ce qui auroit été difficile dans ce cas , à
caufe de l'éloignement qui fe trouve du
cuvage à la fontaine .
Enfin , Monfieur , fi cet accident eft
pour ceux qui font dans le cas de faire
vuider de pareilles cuves , un avertiffement
de ne point y expofer perfonne fans
avoir donné à la vapeur le tems de fe diffiper
, ou du moins fans l'avoir précipitée
avec de l'eau , il n'en préfente pas un moins
important pour ceux qui font un ufage immodéré
du vin & des liqueurs ardentes ;
car fi ces efprits appliqués au-dehors ont
produit des effets auffi prompts & auffi
funeftes , combien ne doivent - ils pas en
produire de fâcheux , lorfque pris intérieu
rement avec excès , & circulant dans la
maffe des humeurs ils fe portent au cerveau
, & agiffent immédiatement fur les
fibres médullaires & nerveufes ?
J'ai l'honeur d'être , &c .
A Riom en Auvergne , le 15 Mai 1755 .
, de la Faculté de Montpellier , à un
Médecin defes amis , fur un accident arrivé
dans le cuvage de M. le Comte de la
Queuille , Brigadier des armées du Roi ,
Colonel du Régiment de Nice , au château
de Chateangay , près de Riom en Auvergne.
A
Vez -vous entendu parler , Monfieur
, d'un accident arrivé chez M.
le Comte de la Queuille , à Chateaugay ,
le 24 du mois d'Avril dernier ? il n'eft pas ,
on peut le dire , abſolument nouveau ;
mais il me paroît accompagné de circonf
tances affez frappantes pour mériter peuts
être un peu de votre attention .
On avoit achevé de vuider te matin une
116 MERCURE DE FRANCE.
cuve où l'on avoit confervé pendant l'hiver
fix à fept cens pots de vin de notre
mefure , qui , comme vous le fçavez , à
quinze pintes le pot , font un objet de
neuf à dix mille pintes de Paris.
3
Environ trois quarts d'heure après
l'avoir découverte , le fommelier de la
maiſon , nommé Joli , eut l'imprudence
de commander à un jeune domeftique de
feize à dix-fept ans d'y entrer avec un balai
pour la nettoyer & en faire fortir la
lie. Cet enfant lui repréfenta le danger
auquel il vouloit l'expofer , & qu'il devoit
d'autant plus connoître que peu de
jours avant il étoit forti lui-même à la
hâte & à demi-mort d'une cuve pareille ,
quoique découverte depuis fept à huit
jours. Joli s'obftina , on ne fçait pas trop
pourquoi , & le petit domeftique effrayé
de fes menaces eut le malheur de lui obéir ;
mais à peine fut-il defcendu dans la cuve
qu'il tomba roide , fans connoiffance &
fans mouvement . Joli ne l'entendant
travailler ni repondre aux commandemens
réiterés qu'il lui en faifoit , vit bien alors ,
mais trop tard , les fuites de fon imprudence
; il faute dans la cuve pour le fecourir
, en criant à un marmiton qui fe trouvoit
auffi dans le cuvage , de lui faire venir
du fecours. Il fe baiffe pour relever
pas
JUILLET. 1755 117
#
l'enfant qui fe mouroit , & tombe dans lẹ
même état que lui.
Le marmiton court au château , il trouve
dans la cuifine un payfan , un des Gardes-
chaffe , le Cuifinier & un laquais ; il
feur apprend l'embarras de Joli. On vole
à fon fecours. L'allarme fe répand dans le
château : Maîtres , Domeftiques , tout le
monde s'empreffe de gagner le cuvage. Le
payfan qui étoit un jeune homme de vingtdeux
ans , fort & vigoureux , arrive , &
defcend le premier dans cette cuve funeſte ,
il veut encore fe baiffer pour relever ces
deux perfonnes qu'il voyoit fans mouvement
; & dans l'inftant , comme s'il eût
été frappé de la foudre , il tombe lui - mê-'
me inmobile , & pour ainfi dire mort . Le
Garde- chaffe qui venoit après lui fuit ſon
exemple , & fubit le même fort.
Le Cuifinier qui defcendoit le troifieme,
voyant ce trifte fpectacle , & fe fentant
tout-à- coup étouffer par les vapeurs
qui s'élevoient , remonte au plus vite au
haut de la cuve , il arrête le laquais qui
avoit déja une partie du corps dedans , &
tous deux hors d'état de fecourir les mourans
, bornerent leurs foins à empêcher de
defcendre ceux qui les fuivoient ; mais le
zéle de tous ces domeftiques pour fauver
la vie à leurs camarades étoit fi grand ,
18 MERCURE DE FRANCE.
qu'ils voyoient à peine un danger audi
effrayant. Un paltrenier fe jette dans la
cuve , & le trouve pris auffi tôt , mais
comme le haut en étoit déja bordé de
beaucoup de monde , il fat affez heureux
pout qu'on le faifit aux cheveux dans le
moment qu'il alloit tomber , & qu'on le
retira évanoui. Il en fut de même d'un
poftillon , à qui on paffa une corde fous
Fes bras dans le tems qu'il defcendoit , &
qu'on arracha à la mort par ce moyen ; ils
revinrent l'un & l'autre dès qu'ils furent
expofés à l'air extérieur .
Dansle trouble où l'on étoit , ne voyant
aucune reſſource pour retirer ces quatre
hommes de la cuve , on prit le parti de la
tompre ; mais comme les cercles en étoient
très-forts , garnis de bandes de fer , & que
les douves en étoient unies par des chevilles
, l'opération fut longue , & ces malheureux
étoient morts , lorfqu'on fut à
portée de leur donner du fecours.
Cependant on avoit envoyé chercher
un Chirurgien au bourg le plus près . Dès
qu'il fut arrivé , on effaya de les faigner ;
il ne fortit de fang qu'une ou deux gouttes
de l'ouverture qui fut faite au plus
jeune , qui le premier étoit entré dans la
cuve. Les autres n'en donnerent pas. Оп
deur jetta de l'eau au vifage ; on leur mit
JUILLET . 1755. 119
des eaux fpiritueufes dans la bouche &
dans le nez . Tous ces foins furent inutiles.
Il ne parut aucun figne de vie.
Il eft conftant , Monfieur , qu'on ne peut
attribuer la caufe de ces morts , qu'aux
vapeurs ou efprits ardens du vin qui s'étoient
ramaffés dans cette cuve , & qui
continuoient de s'exhaler de la lie qui y
reftoit. On ne peut pas en reconnoître
d'autre . Le vin étoit très- naturel & fort
bon. Il avoit été vendu en détail à des
marchands de nos montagnes , qui en
avoient débité déja la plus grande partie
dans leurs cabarets , fans que perfonne fe
fût plaint d'en avoir reçu la moindre incommodité.
J'aurois bien fouhaité avoir
été averti à tems pour voir par l'ouverture
de ces cadavres les effets que ces efprits
pénétrans avoient produits fur les différentes
parties qui en avoient fouffert l'impreffion
. M. le Comte de la Queuille qui
me fit appeller deux jours après pour voir
Madame la Comteffe fon époufe , que la
frayeur & la douleur de cet événement
avoient fort incommodée , me dit avoir
été fâché de ne me l'avoir pas mandé plu
iôt ; mais qu'il n'y avoit penfé qu'après
l'enterrement.
Je fus donc forcé de me borner à interroger
ceux qui avoient manqué à être
120 MERCURE DE FRANCE.
>
enveloppés dans ce malheur. Le palfrenier
& le poftillon ne me donnerent pas de
grands éclairciffemens . La maniere promp
te dont ils avoient été pénétrés de la vapeur
, la connoiffance qu'ils avoient perdu
à l'inftant ne leur avoient laiffé le
pas
tems de s'appercevoir de ce qui avoit produit
leur évanouiffement. Le Cuifinier qui
n'avoit reçu cette vapeur qu'à demi , & qui
s'étoit toujours reconnu , fut plus en état
de me rendre compte de ce qu'il en avoit
reffenti. Il me dit qu'elle lui étoit montée
au nez avec tant de force , qu'il en avoit
été fubitement étourdi , & qu'il avoit en
même-tems & par la même caufe , ſenti
que la refpiration lui manquoit.
Je m'informai auffi de l'état de ces malheureux
après qu'on les eût retirés de la
cuve ; ils étoient femblables en tout à
ceux qui font morts fuffoqués. Une Demoiſelle
qui avoit travaillé à leur donner
du fecours , m'en dit une feule particularité
qui l'avoit frappée : c'eft qu'en leur
ouvrant la bouche pour y introduire des
eaux fpiritueufes , elle avoit trouvé leurs
gencives , leurs dents , leur palais & leur
Langue , blancs , deffechés & comme à demi-
cuits. J'en conclus que ces vapeurs
volatiles & pénétrantes ont produit deux
principaux effets , que je regarde comme
la
JUILLE T. 1755. 121
la caufe de la mort prefque fubite de ces
quatre hommes , 1 °. qu'entraînées par l'air
avec abondance & rapidité dans la cavité
du nez & des finus qui y aboutiſſent , elles
ont fecoué & picotté vivement les petites
pointes nerveufes de la membrane pituitaire
faciles à ébranler. Cette irritation
communiquée au cerveau a produit dans
tous les nerfs une contraction fpafmodique
, une conftriction qui a intercepté
dans l'inftant l'écoulement des efprits animaux
vers les organes des fens & vers les
mufcles ; ce qui a donné lieu à la privation
fubite des fenfations & des mouvemens.
2º . Qu'entraînées pareillement au tems
de l'inſpiration dans la trachée artere &
dans les poulmons , elles les ont crepés ,
defféchés & comme cuits , ainsi qu'on l'a
obfervé aux gencives , au palais & à la
langue ; ce qui a rendu les véhicules d'autant
plus incapables d'être dilatées , & de
céder à l'impulfion de l'air , que ce fluide
toujours extrêmement chargé de ces vapeurs
, & conféquemment peu élastique ,
au lieu de vaincre cette réfiſtance ne faifoit
que l'augmenter de plus en plus par
l'irritation continuelle des efprits qu'il y
portoit fans ceffe ; de forte que la refpiration
bientôt fuffoquée a produit néceffairement
une ceffation totale de la circula-
F
122 MERCURE DE FRANCE.
tion du fang , qui dans quelques minutes
a fait périr ces malheureux.
par Ce que j'avance fe trouve confirmé
le prompt rétabliſſement du palfernier &
du poftillon , qui ont eu le bonheur d'étre
retirés de la cuve avant que les poulmons
euffent été confidérablement affectés . Affez
élaſtique pour en vaincre la réſiſtance, l'air
extérieur a rétabli la refpiration , & rendu
à la circulation fa liberté naturelle. Le
poſtillon a feulement confervé pendant
quelques jours un affoibliffement , effet
fenfible des violentes fecouffes que les
nerfs avoient fouffertes.
, Il n'eft pas nouveau comme je l'ai annoncé
, Monfieur , de voir périr des gens
dans de grandes cuves en foulant une
vendange qui fermente, Enivrés & étourdis
par les efprits que la fermentation évapore
, ils tombent dans le vin , & périffent
bientôt noyés s'ils ne font pas fecourus à
tems ; mais dans ce cas-ci il paroît fingu-
Hier de les voir périr prefque fubitement
dans une cuve vuide , où il y avoit à peine
deux ou trois lignes de lie répandue fur le
fond , dans une cuve découverte depuis
plus de trois quarts-d'heure ; de voir enfin
arriver cet accident au mois d'avril , dans
un tems où la fermentation n'eft plus fenfible.
On peut cependant rendre raiſon
de ces effets furprenans.
JUILLET. 1755. 123
1º. On fera moins étonné de la promptitude
de la mort de ces quatre hommes ,
fi l'on fait attention qu'ils fe font tous
baiffés ; le petit domeftique pour balayer
& faire fortir la lie , & les trois autres fucceffivement
pour relever ceux qui étoient
tombés avant eux ; qu'en inclinant ainfi
la face vers le fond de la cuve & en s'enfonçant
dans le plus épais de la vapeur
ils l'ont humée directement avec la plus
grande abondance , & fe font exposés à fa
plus vive impreffion ; au lieu que le Cuifinier
qui n'y eft pas entierement defcendu
& qui eft demeuré debout , n'en a reçu
qu'une petite portion , qui n'ayant agi que
foiblement lui a laiffé le tems de gagner
le haut de la cuve , & de retourner à l'air
pur.
2. On trouve dans la configuration &
dans la fituation de cette cuve la raifon du
fécond effet ; c'est-à-dire comment les vapeurs
avoient pu s'y ramaffer en une auffi
grande quantité dès qu'il n'y avoit pas de
vin , & y demeurer renfermées malgré la
communication qui depuis trois quartsd'heure
étoit ouverte avec l'air extérieur.
C'étoit une grande cuve , d'environ neuf
pieds de profondeur , dont la circonférence
ne répondoit pas à la hauteur , faite en
forme de cône coupé , qui avoit fon fond
Fij
124 MERCURE DE FRANCE .
à la bafe & l'ouverture au fommet , dont
l'ouverture enfin étoit peu éloignée du toît
du cuvage : A quoi on peut ajouter que le
vin n'en ayant pas été tiré tout d'un trait
mais à repriſes , les efprits qui s'exhaloient
fans ceffe de celui qui y reftoit , au lieu
de s'attacher à la couverture de la cuve ,
comme il feroit arrivé fi elle avoit continué
d'être pleine , ſe répandoient & demeuroient
fufpendus dans l'air qui prenoit
à chaque fois la place du vin tiré ; deforte
la Cuve s'eft trouvée remplie par
dégrés d'un air extrêmement chargé de
ces vapeurs , dont les plus baffes n'ont pas
pu fe diffiper , foit a caufe de la profondeur
de la cuve , foit à cauſe de fa figure
conique & de la moindre étendue de fon
ouverture , foit enfin à cauſe de la proxique
mité du toît.
3 °. Les raifons que je viens de rapporter
, font affez voir comment l'évaporation
ordinaire qui fe fait du vin , a pu , fans le
fecours de la fermentation , fournir beau-
Coup de vapeurs dans cette cuve . Il faut
obferver de plus que la chaleur printaniere
qui ranime & fait monter la féve dans les
plantes , excite dans le vin une feconde
fermentation , qui , quoique moins fenfible
que la premiere , ne laiffe pas d'être
confidérable. Les vins blancs fpiritueux ,
JUILLET . 1755. 125
tels que ceux de Champagne , mis en
bouteilles au mois de Mars & d'Avril les
caffent , font partir les bouchons , & s'élancent
en mouffe par l'ouverture. Ils font
tranquilles au contraire , & ne produifent
aucun de ces effets violens fi on les y met
dans d'autres faifons : Or c'eft précisément
fur la fin de Mars & dans le courant d'Avril
que cette cuve avoit été vuidée , c'eftà-
dire au tems de cette feconde fermentation
, & elle a dû être très- grande dans
une auffi grande quantité de vin , parce
que les chaleurs ont été très - vives pendant
tout ce tems dans cette province , &
que cette cuve étoit placée à côté d'une
porte expofée au plein midi ; il n'eft donc
pas furprenant qu'il s'y foit fait une grande
évaporation d'efprits.
Il me femble qu'on peut comparer cette
cave à une espece de méphitis . La feule
différence que j'y vois , c'eft que là ce font
des vapeurs minérales , fulphureufes ou
falines , & qu'ici ce font des foufres végétaux
, exaltés & volatifés par la fermentation.
Je trouve une certaine affinité entre
fes effets & ceux de la fameuse Mofète de
la Grotte du Chien , près du lac Agnano
dans le royaume de Naples. Les hommes
plongés dans la vapeur de la cuve , comme
les animaux plongés dans celle de la
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
grotte font tombés fubitement évanouis ,
& font morts bientôt dès qu'il n'a pas été
poffible de les en retirer affez vîte . Ceux
qui ont eu le bonheur d'être remis promp
tement à l'air extérieur , font revenus de
même fans aucune fuite fâcheufe ; & fi les
hommes font tombés fans mouvement dès
l'inftant qu'ils fe font baiffés dans la cuve ,
au lieu que les animaux dans la vapeur de
la grotte s'agitent quelque tems par des
mouvemens convulfifs , cela vient fans
doute de ce que cette vapeur plus groffiere
& moins pénétrante que les efprits ardens
du vin , ne porte pas au nez , & n'affecte
pas le genre nerveux , de maniere à y cau,
fer cette constriction fubite , qui a intercepté
le cours de ces efprits.
Dans l'impoffibilité où l'on étoit de retirer
affez vîte ces malheureux de la vapeur
, y auroit- il eu quelque moyen de
les empêcher de périr ? Je crois qu'en arrofant
le dedans de la cuve de beaucoup
d'eau , on y auroit peut- être réuffi. D'un
côté les gouttes de ce fluide en fe précipitant
, auroient précipité avec elles les efprits
répandus dans l'air , & lui auroient
rendu fa pureté & fon reffort ; & de l'autre
celles qui feroient tombées fur le corps
de ces mourans , auroient pu en rappellant
la force fiftaltique des vaiffeaux , ranimer
JUILLET. 1755 . 127
la circulation qui s'éteignoit. L'expérience
apprend que les animaux à demi- fuffoqués
dans la grotte du Chien reprennent
beaucoup plus vite leurs efprits , fi on les
plonge dans l'eau du lac Agnano ; mais
il auroit fallu employer ce moyen à tems :
ce qui auroit été difficile dans ce cas , à
caufe de l'éloignement qui fe trouve du
cuvage à la fontaine .
Enfin , Monfieur , fi cet accident eft
pour ceux qui font dans le cas de faire
vuider de pareilles cuves , un avertiffement
de ne point y expofer perfonne fans
avoir donné à la vapeur le tems de fe diffiper
, ou du moins fans l'avoir précipitée
avec de l'eau , il n'en préfente pas un moins
important pour ceux qui font un ufage immodéré
du vin & des liqueurs ardentes ;
car fi ces efprits appliqués au-dehors ont
produit des effets auffi prompts & auffi
funeftes , combien ne doivent - ils pas en
produire de fâcheux , lorfque pris intérieu
rement avec excès , & circulant dans la
maffe des humeurs ils fe portent au cerveau
, & agiffent immédiatement fur les
fibres médullaires & nerveufes ?
J'ai l'honeur d'être , &c .
A Riom en Auvergne , le 15 Mai 1755 .
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Résumé : Lettre de M. Dequen, Docteur en Médecine, de la Faculté de Montpellier, à un Médecin de ses amis, sur un accîdent arrivé dans le cuvage de M. le Comte de la Queuille, Brigadier des armées du Roi, Colonel du Régiment de Nice, au château de Chateaugay, près de Riom en Auvergne.
Le 24 avril, un accident mortel s'est produit au château de Chateaugay, près de Riom en Auvergne. Un jeune domestique, chargé de nettoyer une cuve à vin, tomba inconscient après avoir inhalé des vapeurs toxiques. Le sommelier, tentant de le secourir, connut le même sort, ainsi que plusieurs autres domestiques alertés par la situation. Au total, quatre hommes périrent asphyxiés par les vapeurs du vin, identifiées comme des 'esprits ardents'. Ces vapeurs, malgré la cuve étant vide depuis trois quarts d'heure, étaient suffisamment concentrées pour être mortelles. La configuration de la cuve, en forme de cône coupé et proche du toit du cuvage, ainsi que la chaleur printanière favorisant une seconde fermentation du vin, avaient permis cette concentration. Les symptômes observés chez les victimes, tels que des gencives et une langue blanches et desséchées, confirmèrent l'impact des vapeurs sur les voies respiratoires et le système nerveux. Deux domestiques, retirés à temps, se rétablirent rapidement. Le texte compare cet incident à la fameuse Mofète de la Grotte du Chien près du lac Agnano, dans le royaume de Naples. Les vapeurs de cette grotte provoquent également des évanouissements et la mort rapide des personnes et des animaux exposés. Cependant, les animaux s'agitent avant de succomber, contrairement aux hommes qui perdent connaissance instantanément. Cette différence est attribuée à la nature plus grossière et moins pénétrante de la vapeur de la grotte, qui n'affecte pas les nerfs de la même manière que les esprits ardents du vin. L'auteur suggère que l'arrosage de la cuve avec de l'eau pourrait sauver les personnes exposées, en précipitant les esprits volatils et en rappelant la force systolique des vaisseaux. Cette méthode est efficace pour les animaux dans la grotte du Chien, mais son application rapide est difficile en raison de la distance entre la cuve et la fontaine. Le texte met en garde contre l'exposition aux vapeurs sans précaution et contre l'abus du vin et des liqueurs ardentes, qui peuvent avoir des effets néfastes sur le cerveau et les fibres nerveuses.
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Vers à Mlle Ch... en lui envoyant par la poste une corbeille de fleurs & un petit panier de vin vieux.
Début :
Bacchus & Flore tête à tête [...]
Mots clefs :
Bacchus, Flore, Vin
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texteReconnaissance textuelle : Vers à Mlle Ch... en lui envoyant par la poste une corbeille de fleurs & un petit panier de vin vieux.
Vers à Mlle Ch... en lui envoyant par la pofte
une corbeille defleurs & un petit panier de
vin vieux,
Bacchus & Flore tête à tête ,
Par la voiture des Zéphirs ,
Sont en route pour votre fête ,
Suivis d'un effein de déſirs :
Tous deux , preffés du même zele ,
Vous portent ce qu'ils ont de mieux ;
L'une , la fleur la plus nouvelle ,
Et l'autre , le vin le plus vieux.:
Chacun à vous fervir s'engage
Flore doit parer votre ſein :
Bacchus difpute l'avantage
De faire briller votre main ;
Ce Dieu veut fous vos doigts d'albâtre ,
Philis , voir couler fa liqueur :
Flore rendra tout idolâtre ,
Et Bacchus fera tout buveur .
une corbeille defleurs & un petit panier de
vin vieux,
Bacchus & Flore tête à tête ,
Par la voiture des Zéphirs ,
Sont en route pour votre fête ,
Suivis d'un effein de déſirs :
Tous deux , preffés du même zele ,
Vous portent ce qu'ils ont de mieux ;
L'une , la fleur la plus nouvelle ,
Et l'autre , le vin le plus vieux.:
Chacun à vous fervir s'engage
Flore doit parer votre ſein :
Bacchus difpute l'avantage
De faire briller votre main ;
Ce Dieu veut fous vos doigts d'albâtre ,
Philis , voir couler fa liqueur :
Flore rendra tout idolâtre ,
Et Bacchus fera tout buveur .
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Résumé : Vers à Mlle Ch... en lui envoyant par la poste une corbeille de fleurs & un petit panier de vin vieux.
Le poème envoie à Mlle Ch... une corbeille de fleurs et un panier de vin vieux. Flore et Bacchus, portés par les Zéphyrs, offrent respectivement la fleur la plus nouvelle et le vin le plus vieux. Ils promettent de servir la destinataire, Flore ornant son sein de fleurs et Bacchus souhaitant voir le vin couler entre ses doigts. Flore rendra idolâtre de ses fleurs, et Bacchus fera en sorte que tout le monde devienne buveur.
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65
p. 99
IV. ENIGME en Bouts-rimés.
Début :
Sans secours merveilleux de Sylphe ni de Fée, [...]
Mots clefs :
Vin