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1
p. 1774-1787
LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. l'Abbé Foubert, Docteur de Sorbonne, au sujet d'une Prophetie attribuée au Roy David.
Début :
La difficulté que je vous ai proposée, Monsieur, il y a quelque temps, et [...]
Mots clefs :
Texte hébreu, Septante, Anciens, Paroles, Église, Calmet, Version, Auteur, Psautier, David, Vulgate, Génébrard, Justin, Verset, Hymne, Leçon
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. l'Abbé Foubert, Docteur de Sorbonne, au sujet d'une Prophetie attribuée au Roy David.
LETTRE de M. D. L. R. écrite à:
M.l'Abbé Foubert , Docteur de Sorbonne,
au sujet d'une Prophetie attribuée au
Roy David.
1
LA
A difficulté que je vous ai proposée,
y a et
Monsieur , il y a quelque temps ,
que vos occupations ne vous permirent
pas alors de me résoudre , a fait le sujet
de quelques recherches de ma part ; vous.
me demandez ce que j'ai appris là- dessus
; la demande ne sçauroit venir plus
propos ; car d'un côté je suis en état
de vous rendre quelque compte , et de
l'autre nous voila dans le temps où l'Eglise
a commencé de chanter l'Hymne
respectable qui a donné lieu à la diffi
• à
culté .
Il s'agit , comme vous sçavez , d'accorder:
A O UST. 1733. 1775
der l'exacte verité avec les paroles de la
strophe que voici de l'Hymne Vexilla
Regis , &c.
Impleta sunt qua concinit
Davidfideli carmine "
Dicens in Nationibus ,
Regnavit à ligno Deus.
David , selon le pieux Auteur de l'Hym
ne , a donc chanté prophétiquement dans
ses Pseaumes que J. C. regneroit par le
Bois de la Croix , et c'est , Monsieur , ce
que d'abord j'ai été chercher dans ces sacrez
Cantiques dans la Vulgate , ne me
souvenant pas d'y avoir jamais lû rien
de pareil. Il est vrai que dans le Pseaume
XCV. Verset 10. on trouve ces paroles ,
dicite in gentibus quia Dominus regnavit
et rien davantage. Est- ce assez pour attribuer
à David la Prophétie en question?
Cependant c'est Fortunat , Evêque de
Poitiers , selon la plus commune opinion ,
qui a composé cet Hymne au vi . sie
cle , et il y a preuve qu'on l'a chanté en
France , au moins dès le IX.
Comme tout le monde n'a pas chez
soi une Bibliotheque , je n'ai pas été en
état d'abord de voir dans les sources ce
qui peut avoir donné lieu aux paroles de
Fortunat , mais j'ai tiré de Genebrard ,
dont
1776 MERCURE DE FRANCE
dont j'ai le Pseautier dans mon Cabinet ,
autant de lumieres qu'il m'en falloit pour
commencer au moins d'éclaircir ma dif
ficulté.
Vous sçavez que Genebrard , sçavant
Benedictin Docteur de Paris , Professeur
des Langues Saintes au College Royal ,
puis Archevêque d'Aix , a donné une Edition
des Pacaumes , selon la Vulgate, qu'il
a accompagnée de sçavans Commentaires
, Ouvrage dont il étoit plus capable
qu'un autre , et dont il y a eu cinq Editions.
La mienne est d'Anvers 1592. et
toute la derniere ,
Son Commentaire sur ce 10. Verset
du Pseaume 95. est assez long et rempli
d'une pieuse érudition . Voici le précis
de ce qui regarde notre Question . Genebrard
convient que regnavu à ligno n'est
point dans le Texte Hebreu ; mais il prétend
que les Septante l'ont ajoûté par
an esprit prophétique , en traduisant ce
Verset , trois cent ans avant J. C. c'est
ainsi , dit-il , que les Anciens l'ont tou
jours cité , sçavoir , S. Justin Martyr, Lactance
, Tertullien , Arnobe , S. Augustin,
Cassiodore, Théodulphe, (4 ) le Pseautier
Romain , &c. c'étoit , selon lui , la ma
(a) Théodulphe , Evêque d'Orleans , auquel on
attribuë aussi l'Hymne de la Passion.
niere
A O UST. 17335 1777
niere des Anciens , en traduisant l'Ecri
ture , d'insérer quelques mots , en passant
, pour servir à l'intelligence de ce
que la Lettre renferme de mysterieux.
c'est ainsi , continue- t'il , qu'en ont souvent
usé Jonathan et Onkelos , qui pour
cela même ne sont pas tant appellez Traducteurs
que Paraphrastes Chaldéens , en
quoi ils ont été imitcz par les Septante..
Genebrard donne ensuite quelques exemples
de cette maniere de traduire des
Septante , pour éclairer davantage le
Texte , et il paroît si persuadé de ce sentiment
, qu'il traite d'imprudence et de
témerité d'avoir retranché à ligno des
Exemplaires qui ont suivi , ces paroles
ayant , dit- il , été inspirées (a) par le
S. Esprit à ces très saints Prophetes ,
Traducteurs des Livres Sacrez. Il accuse
de ce retranchement les Juifs , comme
S. Justin le leur a effectivement reproché
, ou quelques demi sçavans , pour,
faire montre de leur capacité dans la
Langue Hébraïque , et pour critiquer les
Septante , ce qu'il appelle une vanité et
une méchanceté dont on ne voit , dit- il ,
(a) Male ergo has duas Voculas è nostris Exemplaribus
, qua de industria et per Spiritum Sanctum
a sanctissimis
his Prophetis fuerant interjecta sustlerunt
, sive Judai, &c. Genebr.
que
1778 MERCURE DE FRANCE
que trop d'exemples . Il finit en soute
mant la nécessité de cette Leçon , et en
l'expliquant d'une maniere plausible et
toujours édifiante par rapport à l'appli
cation qu'il en fait.
Je crois , Monsieur qu'en voilà autant
qu'il en faut pour justifier , du moins
pour autoriser l'Auteur de l'Hymne Ve
xilla Regis , d'avoir cité David avec l'addition
à ligno , qui a tant de Deffenseurs
et de si illustres Garants . Mais est- ce
assez , encore une fois , en bonne crititique
pour admettre des paroles qui ne
se trouvent ni dans le Texte Hébreu
qui est l'original , ni dans les Exemplaires
que nous avons aujourd'hui de la
Version des Septante , premiers Auteurs ,
selon Genebrard , de cette Addition ? Ce
qui , à vous dire le vrai , me paroît un
peu embarassant. Vous sçavez qu'on ne
peut jamais prescrire contre la verité
c'est un des plus beaux mots (a) de Tertullien
et une maxime certaine. Vous sçavez
aussi que la Mort du Messie est assez marquée
dans les Prophetes , dans David même
, qui en est lui- même une figure , sans
qu'il soit besoin de la caractériser ici
(a) Veritati nemo prascribere potest , non spatium
temporum , non patrocinia personarum , non privil
Begium regionum . Lib. de Velan. Virginib.
Par
JUILLET. 17337 1779
par des termes qui ne se trouvent pas
dans le Texte original .
it
A
i. Cela supposé , je crois qu'on peut en-
Gore reclamer en faveur de la verité contre
l'addition ou la glose attribuée aux
Septante , que je ne sçaurois encore bien
me persuader venir de la plume de ces
fameux Interpretes ; mais je n'ai pas envie
, Monsieur , pour constater ce fait ,
du moins pour l'éclaircir , d'aller m'enfoncer
dans une Bibliotheque avec une
foule d'Interpretes , de Commentateurs
de Critiques , qui peut- être , après avoir
employé bien du temps , me laisseroient
encore dans le doute où je suis. Je vous
défere cette pénible entreprise , comme
vous convenant mieux qu'à moy , et je
me contente de joindre à ce que j'ai déja
eu l'honneur de vous dire , quelques Remarques
d'un Critique moderne sur le
sujet en question , qui m'ont parâ avoir
de la solidité. Ce Critique est Dom Augustin
Calmet , Auteur d'un Commenraire
Litteral sur tous les Livres de l'Ancien
et du Nouveau Testament , dont
les premiers Volumes ont parû au commencement
de ce siecle. Vous connoissez
Get Ouvrage et vous pouvez en juger
mieux qu'un autre. Pour moi je fais un
sas particulier de son travail sur les Pseaumés,
1780 MERCURE DE FRANCE
mes. Ce Livre publié en 1713. 2. vol. in
4. chez Emery , a mérité l'Approbation
d'un ( 4 ) de vos illustres Confreres , qui
nous assure que les Explications de l'Auteur
, tirées des S S. Peres et des meilleurs
Interpretes , contribuent beaucoup à faire
entendre ce qu'il y a de plus difficile
et de plus obscur dans ce Livre divin .
Dom Calmet , après avoir rapporté le
Verset en question , Commoveatur ....
Dicite in gentibus quia Dominus regnavit
du XCV . Pseaume , et rapporte aussi un
Passage des Paralipomenes , parallele à
ce Verset pour le sens , mais un peu different
pour les expressions , fait voir qu'il
y a là -dessus dans les anciens Peres et
dans quelques anciens Pseautiers , une varieté
encore plus grande et bien plus importante
, qui est de lire regnavit à ligno ,
et il ajoûte aux autoritez citées par Genebrard
, celles de S. Léon Pape , de
l'Auteur de l'Opuscule des Montagnes de
Sina et de Sion. Sous le nom de S. Cyprien
, le Pseautier Gotique, celui de saint.
Germain des Prez , celui de Chartres , tous
Monumens où on lit , Dominus regnavit
àligno. Le P. Calmet auroit pû ajoûter
que cette Leçon se trouve aussi dansa
(a) M. Pastel, Docteur et ancien Professeur
orbonne.
Version
A O UST. 1733. 1781
Version Italique de l'Ecriture , faite sur
le Grec dès le siécle des Apôtres , et dont
toute l'Eglise Latine s'est servie jusqu'à
la Version de S. Jérôme , l'Eglise de Ro
me n'en ayant point eû d'autre dans l'Office
public , jusqu'au Pontificat de Pie V.
qui fit recevoir la Vulgate dans Rome.
C'est D. Calmet * même qui nous donne
cette instruction ; or cette ancienne Version
Italique , publiée de nouveau à
Rome en 1683. par le Cardinal Thomasi,
porte aussi Dominus regnavit à ligno.
Pour ne rien oublier , s'il est possible,
sur ce sujet , notre habile Commentateur
rapporte jusqu'à une conjecture proposée
par Agellius ; sçavoir , que les anciens
Textes Hébreux , au moins dans quelques
Livres , au lieu de Aph , que nous
lisons aujourd'hui après Malac, il a regné,
lisoient He du bois ; ce qui auroit donné
lieu aux Septante de traduire par : Le
Seigneur a regné par le bois . Leçon qui a
subsisté pendant quelques siecles , jusqu'à
ce que les Sçavans en Hébreu s'étant apperçus
que cela ne s'accordoit pas avec
le vrai Original , ils la retrancherent et
conserverent etenim , du . suivant , qui .
répond à Aph de l'Hébreu . Conjecture®
Dissert, sur le Texte et sur les anciennes V´ersions
des Pseaumes. Art. III . p. xxv.
assez
1782 MERCURE DE FRANCE
assez foible et assez mal appuyée , dit
D. Calmet , qui ouvre enfin son sentiment
particulier , et raisonne ainsi sur la
glose en question.
Si cette Leçon étoit autrefois géneralement
dans tous les Exemplaires des Septante
et dans les premieres Traductions.
Latines qui furent faites à l'usage des
Chrétiens , comment ceux - ci ont- ils si
facilement abandonné un Texte qui leur
étoit si favorable ? Si ce sont les Juifs
qui ont fait ce retranchement , pourquoi
les Chrétiens ont- ils eu pour eux la condescendance
d'admettre leur correction
dans leurs Exemplaires. Enfin si quelque
demi sçavant a pû êter de son Livre à
ligno , comment a- t'il pû faire le même
changement dans tous les Exemplaires
du Monde ?
Ces paroles ne sont en effet ni dans
PHébreu, ni dans le Chaldaique , ni dans
le Syriaque , ni dans les anciennes Versions
Grecques , faites sur l'Hébreu , ni
dans la Vulgate , l'Arabe et l'Ethiopienne,
faites sur les Septante ; ni dans la
Version de S. Jerôme , faite sur l'Hebreu.
Personne , que je sçache , continue Dom
Calmet , n'a accusé les Juifs d'avoir ôté
ces termes de leurs Exemplaires Hébreus
on ne les y trouve ni ici , ni dans le
passage
A O UST. 1733. 1783
passage parallele des Paralipomenes. Depuis
S. Justin on ne les a point vûs dans
les Septante.
N'est- il donc pas bien plus probable , com .
me le veut le Févre d'Estaples , et après
lui Justiniani , de Muis et quelques - autres
, que ces paroles à ligno , ayant été
mises par quelqu'un sur la marge de son
Pseautier , à l'endroit de regnavit , furent
ensuite inconsidérément fourrées dans le
Texte ; d'où enfin elles ont été bannies ,
parce qu'on a reconnu qu'elles n'étoient
ni dans les sources hébraïques , ni dans
les anciennes Versions des Grecs .
Il y a beaucoup d'apparence , ajoûtet'il
, que les Hexaples d'Origene servic
rent à arrêter le cours de cette maniere
de lire , en montrant qu'elle n'étoit fondée
ni dans le Texte Hébreu , ni dans
aucune Version ; et en effet , dit D. Calmet
en finissant , je ne sçache que saint
Justin le Martyr parmi les Grecs , qui
l'ait suivie ; tous les autres Peres , qui
ont vécu depuis Origene , et qui sont
en très - grand nombre , ne faisant pas
même mention de cette Leçon . Si elle
subsista plus long- temps parmi les Latins,
c'est que les Hexaples y furent moins
connues et qu'on étoit moins en état de reconnoître
l'erreur de cette Glose ajoutée, et ,
Ε inserée
1984 MERCURE DE FRANCE
inserée dans le Texte , par l'inspection
des Originaux .
Je crois , Monsieur, que ce raisonnement
et la conséquence vous paroîtront
justes. Il peut cependant rester un scrupule
là- dessus , c'est que si d'un côté les
Peres Grecs , à l'exception de S. Justin ,
n'ont point admis , n'ont pas même connû
la glose à ligno ; d'un autre côté l'E
glise Romaine l'a non - seulement admise,
mais elle l'a en quelque façon consacrée ,
en la chantant universellement par tout
dans son Office public , comme elle fait
depuis plus de 700. ans.
On pourroit opposer d'abord à cette
difficulté la grande maxime de Tertullien
, déja rapportée ; mais j'estime qu'il
est plus naturel de la concilier par l'autorité
de S. Jérôme , que vous trouverez ,
je crois , formelle et venir expressément
au sujet que nous traitons . Elle se trou-
·
* Outre S. Justin , on pourroit croire que Les
Heretiques dont il est parlé dans Origane , L. VI,
P. 298. contre Celse , faisoient allusion à ce Passage,
repetant sans cesse dans leurs Ecrits ces paroles
: Ubique autem illic lignum vitæ et Resurrec
tio carnis à ligno. Et en remontant encore plus
haut , l'Auteur de l'Epitre attribuée à S. Barnabé
pouvoit avoir en vûë ce même Passage, lorsqu'il dit.
Regnum Jesu in ligno extitit βασιλεία τοῦ Ἰησοῦ
καὶ τῷ ξύλω,
ve
A OUST. 1733 1785
ve dans l'Epitre à Sunia et à Fréteila
qui est toute remplie de varietez de Leçons
et de Remarques critiques sur le
Texte des Septante et sur la Vulgate. C'est
dans cette Lettre que le S. Docteur propose
une belle Regle dont l'application
se fait ici naturellement. Ilfaut , dit- il ,
réciter et chanter les Pseaumes ainsi que
Eglise les chante , mais aussi il faut sçavoir
, autant que l'on peut , ce que porte
le Texte Hébreu , et qu'autre chose est ce
qu'il faut chanter dans l'Eglise , par respect
pour l'Antiquité ; et autre chose , ce
qu'il faut sçavoir pour la parfaite intelligence
des Ecritures.
Le même S. Docteur qui a proposé cett
Regle , se plaint cependant qu'après avoi
corrigé le Pseautier de l'ancienne Vulgate
qui étoit fort altérée , par l'ordre du
Pape Damase , l'ancienne erreur eût plus
de force qu'à sa nouvelle réformation
plus antiquum errorem , quàm novam emendationem
valere , tant il est difficile d'abolir
certaines choses quand elles ont été
* Sic omninò psallendum ut fit in Ecclesia : es
tamen sciendum quid Hebraica veritas habeat :
atque aliud esse propter vetustatem in Ecclesia
decantandum , aliud sciendum propter eruditionem
scripturarum. S. Hyeron. Epist, ad Sun. es
Fretell.
Eij en
1736 MERCURE DE FRANCE .
en quelque façon consacrées par leur antiquité.
Je finis , .Monsieur , en soumettant à
vos lumieres tout ce que je viens de vous
exposer , et en vous exhortant d'étudier
vous-même cette matiere pour l'éclaircir
encore davantage. Vous trouverez un trèsbeau
Pseautier dans votre Bibliotheque de
Sorbonne, c'est un des plus anciens Manuscrits
de ce genre et des plus curieux. Si ,
quand j'étois au milieu de l'Eglise Marónite
du Mont Liban , la difficulté s'étoit
présentée , j'aurois pû m'assurer de
l'état où sont les anciens Pseautiers des
Maronites par rapport à la glose à
ligno si unis , comme ils se picquent de
l'être de tout temps , à l'Eglise Romaine
, ils l'ont admise , ou si , au contraire,
ils ont suivi la façon de lire le Verset
en question, comme le lit l'Eglise Orientale
, sans addition et conformément au
Texte Hébreu , cela peut avoir sa curiosité.
Je pourrai m'en éclaircir avec le
sçavant M. Assemanni , Maronite, dont
je vous ai parlé plus d'une fois , et à qui
>
Joseph Assemanni , Maronite du Mont Liban ;
Garde de la Bibliotheque du Vatican et Auteur
d'un nouveau Recueil d'anciens Monumens Ecclesiastiques
, sous le titre de Bibiotheque Orientale ,
&c, imprimé à Rome,
AOUST. 1733. 1787
je dois écrire au premier jour sur d'autres
sujets. J'ai l'honneur d'être , &c .
A Paris le 27. Mars 1733 .
M.l'Abbé Foubert , Docteur de Sorbonne,
au sujet d'une Prophetie attribuée au
Roy David.
1
LA
A difficulté que je vous ai proposée,
y a et
Monsieur , il y a quelque temps ,
que vos occupations ne vous permirent
pas alors de me résoudre , a fait le sujet
de quelques recherches de ma part ; vous.
me demandez ce que j'ai appris là- dessus
; la demande ne sçauroit venir plus
propos ; car d'un côté je suis en état
de vous rendre quelque compte , et de
l'autre nous voila dans le temps où l'Eglise
a commencé de chanter l'Hymne
respectable qui a donné lieu à la diffi
• à
culté .
Il s'agit , comme vous sçavez , d'accorder:
A O UST. 1733. 1775
der l'exacte verité avec les paroles de la
strophe que voici de l'Hymne Vexilla
Regis , &c.
Impleta sunt qua concinit
Davidfideli carmine "
Dicens in Nationibus ,
Regnavit à ligno Deus.
David , selon le pieux Auteur de l'Hym
ne , a donc chanté prophétiquement dans
ses Pseaumes que J. C. regneroit par le
Bois de la Croix , et c'est , Monsieur , ce
que d'abord j'ai été chercher dans ces sacrez
Cantiques dans la Vulgate , ne me
souvenant pas d'y avoir jamais lû rien
de pareil. Il est vrai que dans le Pseaume
XCV. Verset 10. on trouve ces paroles ,
dicite in gentibus quia Dominus regnavit
et rien davantage. Est- ce assez pour attribuer
à David la Prophétie en question?
Cependant c'est Fortunat , Evêque de
Poitiers , selon la plus commune opinion ,
qui a composé cet Hymne au vi . sie
cle , et il y a preuve qu'on l'a chanté en
France , au moins dès le IX.
Comme tout le monde n'a pas chez
soi une Bibliotheque , je n'ai pas été en
état d'abord de voir dans les sources ce
qui peut avoir donné lieu aux paroles de
Fortunat , mais j'ai tiré de Genebrard ,
dont
1776 MERCURE DE FRANCE
dont j'ai le Pseautier dans mon Cabinet ,
autant de lumieres qu'il m'en falloit pour
commencer au moins d'éclaircir ma dif
ficulté.
Vous sçavez que Genebrard , sçavant
Benedictin Docteur de Paris , Professeur
des Langues Saintes au College Royal ,
puis Archevêque d'Aix , a donné une Edition
des Pacaumes , selon la Vulgate, qu'il
a accompagnée de sçavans Commentaires
, Ouvrage dont il étoit plus capable
qu'un autre , et dont il y a eu cinq Editions.
La mienne est d'Anvers 1592. et
toute la derniere ,
Son Commentaire sur ce 10. Verset
du Pseaume 95. est assez long et rempli
d'une pieuse érudition . Voici le précis
de ce qui regarde notre Question . Genebrard
convient que regnavu à ligno n'est
point dans le Texte Hebreu ; mais il prétend
que les Septante l'ont ajoûté par
an esprit prophétique , en traduisant ce
Verset , trois cent ans avant J. C. c'est
ainsi , dit-il , que les Anciens l'ont tou
jours cité , sçavoir , S. Justin Martyr, Lactance
, Tertullien , Arnobe , S. Augustin,
Cassiodore, Théodulphe, (4 ) le Pseautier
Romain , &c. c'étoit , selon lui , la ma
(a) Théodulphe , Evêque d'Orleans , auquel on
attribuë aussi l'Hymne de la Passion.
niere
A O UST. 17335 1777
niere des Anciens , en traduisant l'Ecri
ture , d'insérer quelques mots , en passant
, pour servir à l'intelligence de ce
que la Lettre renferme de mysterieux.
c'est ainsi , continue- t'il , qu'en ont souvent
usé Jonathan et Onkelos , qui pour
cela même ne sont pas tant appellez Traducteurs
que Paraphrastes Chaldéens , en
quoi ils ont été imitcz par les Septante..
Genebrard donne ensuite quelques exemples
de cette maniere de traduire des
Septante , pour éclairer davantage le
Texte , et il paroît si persuadé de ce sentiment
, qu'il traite d'imprudence et de
témerité d'avoir retranché à ligno des
Exemplaires qui ont suivi , ces paroles
ayant , dit- il , été inspirées (a) par le
S. Esprit à ces très saints Prophetes ,
Traducteurs des Livres Sacrez. Il accuse
de ce retranchement les Juifs , comme
S. Justin le leur a effectivement reproché
, ou quelques demi sçavans , pour,
faire montre de leur capacité dans la
Langue Hébraïque , et pour critiquer les
Septante , ce qu'il appelle une vanité et
une méchanceté dont on ne voit , dit- il ,
(a) Male ergo has duas Voculas è nostris Exemplaribus
, qua de industria et per Spiritum Sanctum
a sanctissimis
his Prophetis fuerant interjecta sustlerunt
, sive Judai, &c. Genebr.
que
1778 MERCURE DE FRANCE
que trop d'exemples . Il finit en soute
mant la nécessité de cette Leçon , et en
l'expliquant d'une maniere plausible et
toujours édifiante par rapport à l'appli
cation qu'il en fait.
Je crois , Monsieur qu'en voilà autant
qu'il en faut pour justifier , du moins
pour autoriser l'Auteur de l'Hymne Ve
xilla Regis , d'avoir cité David avec l'addition
à ligno , qui a tant de Deffenseurs
et de si illustres Garants . Mais est- ce
assez , encore une fois , en bonne crititique
pour admettre des paroles qui ne
se trouvent ni dans le Texte Hébreu
qui est l'original , ni dans les Exemplaires
que nous avons aujourd'hui de la
Version des Septante , premiers Auteurs ,
selon Genebrard , de cette Addition ? Ce
qui , à vous dire le vrai , me paroît un
peu embarassant. Vous sçavez qu'on ne
peut jamais prescrire contre la verité
c'est un des plus beaux mots (a) de Tertullien
et une maxime certaine. Vous sçavez
aussi que la Mort du Messie est assez marquée
dans les Prophetes , dans David même
, qui en est lui- même une figure , sans
qu'il soit besoin de la caractériser ici
(a) Veritati nemo prascribere potest , non spatium
temporum , non patrocinia personarum , non privil
Begium regionum . Lib. de Velan. Virginib.
Par
JUILLET. 17337 1779
par des termes qui ne se trouvent pas
dans le Texte original .
it
A
i. Cela supposé , je crois qu'on peut en-
Gore reclamer en faveur de la verité contre
l'addition ou la glose attribuée aux
Septante , que je ne sçaurois encore bien
me persuader venir de la plume de ces
fameux Interpretes ; mais je n'ai pas envie
, Monsieur , pour constater ce fait ,
du moins pour l'éclaircir , d'aller m'enfoncer
dans une Bibliotheque avec une
foule d'Interpretes , de Commentateurs
de Critiques , qui peut- être , après avoir
employé bien du temps , me laisseroient
encore dans le doute où je suis. Je vous
défere cette pénible entreprise , comme
vous convenant mieux qu'à moy , et je
me contente de joindre à ce que j'ai déja
eu l'honneur de vous dire , quelques Remarques
d'un Critique moderne sur le
sujet en question , qui m'ont parâ avoir
de la solidité. Ce Critique est Dom Augustin
Calmet , Auteur d'un Commenraire
Litteral sur tous les Livres de l'Ancien
et du Nouveau Testament , dont
les premiers Volumes ont parû au commencement
de ce siecle. Vous connoissez
Get Ouvrage et vous pouvez en juger
mieux qu'un autre. Pour moi je fais un
sas particulier de son travail sur les Pseaumés,
1780 MERCURE DE FRANCE
mes. Ce Livre publié en 1713. 2. vol. in
4. chez Emery , a mérité l'Approbation
d'un ( 4 ) de vos illustres Confreres , qui
nous assure que les Explications de l'Auteur
, tirées des S S. Peres et des meilleurs
Interpretes , contribuent beaucoup à faire
entendre ce qu'il y a de plus difficile
et de plus obscur dans ce Livre divin .
Dom Calmet , après avoir rapporté le
Verset en question , Commoveatur ....
Dicite in gentibus quia Dominus regnavit
du XCV . Pseaume , et rapporte aussi un
Passage des Paralipomenes , parallele à
ce Verset pour le sens , mais un peu different
pour les expressions , fait voir qu'il
y a là -dessus dans les anciens Peres et
dans quelques anciens Pseautiers , une varieté
encore plus grande et bien plus importante
, qui est de lire regnavit à ligno ,
et il ajoûte aux autoritez citées par Genebrard
, celles de S. Léon Pape , de
l'Auteur de l'Opuscule des Montagnes de
Sina et de Sion. Sous le nom de S. Cyprien
, le Pseautier Gotique, celui de saint.
Germain des Prez , celui de Chartres , tous
Monumens où on lit , Dominus regnavit
àligno. Le P. Calmet auroit pû ajoûter
que cette Leçon se trouve aussi dansa
(a) M. Pastel, Docteur et ancien Professeur
orbonne.
Version
A O UST. 1733. 1781
Version Italique de l'Ecriture , faite sur
le Grec dès le siécle des Apôtres , et dont
toute l'Eglise Latine s'est servie jusqu'à
la Version de S. Jérôme , l'Eglise de Ro
me n'en ayant point eû d'autre dans l'Office
public , jusqu'au Pontificat de Pie V.
qui fit recevoir la Vulgate dans Rome.
C'est D. Calmet * même qui nous donne
cette instruction ; or cette ancienne Version
Italique , publiée de nouveau à
Rome en 1683. par le Cardinal Thomasi,
porte aussi Dominus regnavit à ligno.
Pour ne rien oublier , s'il est possible,
sur ce sujet , notre habile Commentateur
rapporte jusqu'à une conjecture proposée
par Agellius ; sçavoir , que les anciens
Textes Hébreux , au moins dans quelques
Livres , au lieu de Aph , que nous
lisons aujourd'hui après Malac, il a regné,
lisoient He du bois ; ce qui auroit donné
lieu aux Septante de traduire par : Le
Seigneur a regné par le bois . Leçon qui a
subsisté pendant quelques siecles , jusqu'à
ce que les Sçavans en Hébreu s'étant apperçus
que cela ne s'accordoit pas avec
le vrai Original , ils la retrancherent et
conserverent etenim , du . suivant , qui .
répond à Aph de l'Hébreu . Conjecture®
Dissert, sur le Texte et sur les anciennes V´ersions
des Pseaumes. Art. III . p. xxv.
assez
1782 MERCURE DE FRANCE
assez foible et assez mal appuyée , dit
D. Calmet , qui ouvre enfin son sentiment
particulier , et raisonne ainsi sur la
glose en question.
Si cette Leçon étoit autrefois géneralement
dans tous les Exemplaires des Septante
et dans les premieres Traductions.
Latines qui furent faites à l'usage des
Chrétiens , comment ceux - ci ont- ils si
facilement abandonné un Texte qui leur
étoit si favorable ? Si ce sont les Juifs
qui ont fait ce retranchement , pourquoi
les Chrétiens ont- ils eu pour eux la condescendance
d'admettre leur correction
dans leurs Exemplaires. Enfin si quelque
demi sçavant a pû êter de son Livre à
ligno , comment a- t'il pû faire le même
changement dans tous les Exemplaires
du Monde ?
Ces paroles ne sont en effet ni dans
PHébreu, ni dans le Chaldaique , ni dans
le Syriaque , ni dans les anciennes Versions
Grecques , faites sur l'Hébreu , ni
dans la Vulgate , l'Arabe et l'Ethiopienne,
faites sur les Septante ; ni dans la
Version de S. Jerôme , faite sur l'Hebreu.
Personne , que je sçache , continue Dom
Calmet , n'a accusé les Juifs d'avoir ôté
ces termes de leurs Exemplaires Hébreus
on ne les y trouve ni ici , ni dans le
passage
A O UST. 1733. 1783
passage parallele des Paralipomenes. Depuis
S. Justin on ne les a point vûs dans
les Septante.
N'est- il donc pas bien plus probable , com .
me le veut le Févre d'Estaples , et après
lui Justiniani , de Muis et quelques - autres
, que ces paroles à ligno , ayant été
mises par quelqu'un sur la marge de son
Pseautier , à l'endroit de regnavit , furent
ensuite inconsidérément fourrées dans le
Texte ; d'où enfin elles ont été bannies ,
parce qu'on a reconnu qu'elles n'étoient
ni dans les sources hébraïques , ni dans
les anciennes Versions des Grecs .
Il y a beaucoup d'apparence , ajoûtet'il
, que les Hexaples d'Origene servic
rent à arrêter le cours de cette maniere
de lire , en montrant qu'elle n'étoit fondée
ni dans le Texte Hébreu , ni dans
aucune Version ; et en effet , dit D. Calmet
en finissant , je ne sçache que saint
Justin le Martyr parmi les Grecs , qui
l'ait suivie ; tous les autres Peres , qui
ont vécu depuis Origene , et qui sont
en très - grand nombre , ne faisant pas
même mention de cette Leçon . Si elle
subsista plus long- temps parmi les Latins,
c'est que les Hexaples y furent moins
connues et qu'on étoit moins en état de reconnoître
l'erreur de cette Glose ajoutée, et ,
Ε inserée
1984 MERCURE DE FRANCE
inserée dans le Texte , par l'inspection
des Originaux .
Je crois , Monsieur, que ce raisonnement
et la conséquence vous paroîtront
justes. Il peut cependant rester un scrupule
là- dessus , c'est que si d'un côté les
Peres Grecs , à l'exception de S. Justin ,
n'ont point admis , n'ont pas même connû
la glose à ligno ; d'un autre côté l'E
glise Romaine l'a non - seulement admise,
mais elle l'a en quelque façon consacrée ,
en la chantant universellement par tout
dans son Office public , comme elle fait
depuis plus de 700. ans.
On pourroit opposer d'abord à cette
difficulté la grande maxime de Tertullien
, déja rapportée ; mais j'estime qu'il
est plus naturel de la concilier par l'autorité
de S. Jérôme , que vous trouverez ,
je crois , formelle et venir expressément
au sujet que nous traitons . Elle se trou-
·
* Outre S. Justin , on pourroit croire que Les
Heretiques dont il est parlé dans Origane , L. VI,
P. 298. contre Celse , faisoient allusion à ce Passage,
repetant sans cesse dans leurs Ecrits ces paroles
: Ubique autem illic lignum vitæ et Resurrec
tio carnis à ligno. Et en remontant encore plus
haut , l'Auteur de l'Epitre attribuée à S. Barnabé
pouvoit avoir en vûë ce même Passage, lorsqu'il dit.
Regnum Jesu in ligno extitit βασιλεία τοῦ Ἰησοῦ
καὶ τῷ ξύλω,
ve
A OUST. 1733 1785
ve dans l'Epitre à Sunia et à Fréteila
qui est toute remplie de varietez de Leçons
et de Remarques critiques sur le
Texte des Septante et sur la Vulgate. C'est
dans cette Lettre que le S. Docteur propose
une belle Regle dont l'application
se fait ici naturellement. Ilfaut , dit- il ,
réciter et chanter les Pseaumes ainsi que
Eglise les chante , mais aussi il faut sçavoir
, autant que l'on peut , ce que porte
le Texte Hébreu , et qu'autre chose est ce
qu'il faut chanter dans l'Eglise , par respect
pour l'Antiquité ; et autre chose , ce
qu'il faut sçavoir pour la parfaite intelligence
des Ecritures.
Le même S. Docteur qui a proposé cett
Regle , se plaint cependant qu'après avoi
corrigé le Pseautier de l'ancienne Vulgate
qui étoit fort altérée , par l'ordre du
Pape Damase , l'ancienne erreur eût plus
de force qu'à sa nouvelle réformation
plus antiquum errorem , quàm novam emendationem
valere , tant il est difficile d'abolir
certaines choses quand elles ont été
* Sic omninò psallendum ut fit in Ecclesia : es
tamen sciendum quid Hebraica veritas habeat :
atque aliud esse propter vetustatem in Ecclesia
decantandum , aliud sciendum propter eruditionem
scripturarum. S. Hyeron. Epist, ad Sun. es
Fretell.
Eij en
1736 MERCURE DE FRANCE .
en quelque façon consacrées par leur antiquité.
Je finis , .Monsieur , en soumettant à
vos lumieres tout ce que je viens de vous
exposer , et en vous exhortant d'étudier
vous-même cette matiere pour l'éclaircir
encore davantage. Vous trouverez un trèsbeau
Pseautier dans votre Bibliotheque de
Sorbonne, c'est un des plus anciens Manuscrits
de ce genre et des plus curieux. Si ,
quand j'étois au milieu de l'Eglise Marónite
du Mont Liban , la difficulté s'étoit
présentée , j'aurois pû m'assurer de
l'état où sont les anciens Pseautiers des
Maronites par rapport à la glose à
ligno si unis , comme ils se picquent de
l'être de tout temps , à l'Eglise Romaine
, ils l'ont admise , ou si , au contraire,
ils ont suivi la façon de lire le Verset
en question, comme le lit l'Eglise Orientale
, sans addition et conformément au
Texte Hébreu , cela peut avoir sa curiosité.
Je pourrai m'en éclaircir avec le
sçavant M. Assemanni , Maronite, dont
je vous ai parlé plus d'une fois , et à qui
>
Joseph Assemanni , Maronite du Mont Liban ;
Garde de la Bibliotheque du Vatican et Auteur
d'un nouveau Recueil d'anciens Monumens Ecclesiastiques
, sous le titre de Bibiotheque Orientale ,
&c, imprimé à Rome,
AOUST. 1733. 1787
je dois écrire au premier jour sur d'autres
sujets. J'ai l'honneur d'être , &c .
A Paris le 27. Mars 1733 .
Fermer
Résumé : LETTRE de M. D. L. R. écrite à M. l'Abbé Foubert, Docteur de Sorbonne, au sujet d'une Prophetie attribuée au Roy David.
La lettre de M. D. L. R. à l'Abbé Foubert traite d'une prophétie attribuée au roi David, mentionnée dans l'hymne 'Vexilla Regis'. L'auteur cherche à vérifier l'exactitude des paroles 'Regnavit à ligno Deus' (Dieu a régné par le bois de la croix) dans les Psaumes. Ces mots ne figurent pas dans le texte hébreu original mais sont présents dans la version des Septante, traduite trois cents ans avant J.-C. Genebrard, un érudit bénédictin, soutient que les Septante ont ajouté ces mots par esprit prophétique, une pratique confirmée par plusieurs Pères de l'Église. Dom Augustin Calmet rapporte diverses lectures anciennes et suggère que les mots 'à ligno' pourraient avoir été ajoutés en marge et ensuite intégrés dans le texte. Calmet estime que cette glose n'est pas originaire des Septante et a été retirée lorsque les savants ont reconnu son inexactitude. L'auteur conclut en soulignant la difficulté de concilier ces divergences et en se référant à l'autorité de saint Jérôme pour résoudre cette question. Par ailleurs, un saint docteur propose une règle pour la récitation et le chant des Psaumes, recommandant de suivre la tradition de l'Église tout en connaissant le texte hébreu pour une meilleure compréhension des Écritures. Il déplore que, malgré la correction du Psaume par le Pape Damase, l'ancienne erreur ait persisté, soulignant la difficulté de réformer des pratiques anciennes. L'auteur mentionne également un Psaume ancien et curieux dans la bibliothèque de la Sorbonne et évoque une difficulté rencontrée au sein de l'Église Maronite du Mont Liban concernant la glose et la lecture des versets. Il se demande si les Maronites suivent la tradition romaine ou orientale et envisage de consulter Joseph Assemanni, un Maronite savant et gardien de la bibliothèque du Vatican, auteur d'un recueil de monuments ecclésiastiques. La lettre se conclut par une soumission des propos à la lumière du destinataire, l'encourageant à étudier davantage la matière.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 1919-1924
RÉPONSE du R. P. Tournemine, à l'Auteur de la Lettre, insérée dans le Mercure de Juillet, au sujet d'une Prophétie attribuée au Roy David.
Début :
MONSIEUR, J'ai lû votre sçavante Dissertation sur le 10e verset [...]
Mots clefs :
Version italique, Addition, Septante, Manuscrits, Origène, Texte hébreu, Version grecque, Prophétie, Christianisme, David
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : RÉPONSE du R. P. Tournemine, à l'Auteur de la Lettre, insérée dans le Mercure de Juillet, au sujet d'une Prophétie attribuée au Roy David.
REPONSE du R. P. Tournemine , à
Ausur de la Lettre , insérée dans le
Mercure de fuillet , au sujet d'une Prophétie
attribuée au Roy David.
MONSIEUR ,
J'ai lû votre sçavante Dissertation sur
lero verset du Pseaume 95 , avec le plaisir
que donnent tous vos Ecrits ; où l'on
reconnoît une Critique juste et un soin
exact d'approfondir les matieres.
1
.
La difficulté consiste à décider si ces
pa oles ; Depuis qu'il a été attaché au Bois,
A ligno , qui suivent ces autres paroles :
1. Seigneur a regné , annoncez- le aux
Nations ; Dicite in Gentibus quia Dominus
gnavit , sont la traduction fidelle de la
ve ion des Septante , ou d'une Glose inée
dans cette version . Séparons ce qui
certain , des conjectures , ingénieusi
on le veut , mais après tout , conares.
Il est certain que le texte des
ante , sur lequel l'ancienne version
rat.que a été faite ; version qui est sûrement
du premier siécle de l'Eglise ,
os ,
concontenoit
ce que l'Auteur de la version
a traduit , à ligno .
On convient que tous les Manuscrit
de la version Italique étoient semblables
en cet endroit. Tous les Peres Latins , à
Rome , dans les Gaules , en Espagne , er
Afrique , ont lû dans leur Bible cette
prétendue addition pendant neuf siécles
Vous avez cité un grand nombre de ces
Peres Latins ; on pourroit en grossir le
Catalogue. Ils ont approuvé cette addition
depuis qu'ils ont connu qu'elle n'é
toit point dans les Exaples d'Origene, et
que S. Jerôme ne l'admettoit pas ; on a
chantoit dans le Pseautier Romain
dans le Pseautier Gallican .
,
Deux faits me frappent ; Saint Justin ,
dont l'érudition étoit vaste , né dans l'Orient
, et qui a vécu long temps à Rome
parle avec assurance de l'authenticité
de cette prétenduë Addition ; s'il avour
qu'elle ne se trouve pas dans quelques
manuscrits des Septante , il accuse les
Juifs de l'en avoir fait disparoître , et le
Juif Tryphon , son Adversaire , a de la
peine à les justifier.
On ne peut donc douter que l'Addition
prétendue n'ait été avant même !
Christianisme
dans quelques Exemplaires
des Septante. Tryphon qui paroît
Sca
MIKE. 1733 . 1921
eçavant , auroit confondu Jus'n , en ejettant
sur les Chrétiens la falsification
que le S. Docteur imputoit aux Juifs.
Les Manuscrits où se trouve votre Prophétie
, auroit dit le Docte Rabin , n'ont
paru que depuis la naissance du Christianisme
, et entre les mains des Chrétiens
; il n'ose avancer ce fait : Il connoissoit
donc que l'addition prétenduë ,
étoit plus ancienne que le Christianisme.
Origéne examina depuis en critique la
Question dont il s'agit , et il préféra les
Manuscrits où l'Addition n'étoit point ;
aux Manuscrits où elle étoit ; son autorité
entraîna tout l'Orient ; mais Rome
et l'Occident s'attacherent à la version
Italique , dont ils respectoient l'antiquité.
S. Jerôme suivit Origéne , sans pouvoir
amener à son sentiment qu'un fort
petit nombre de Latins.
...
Au sixième siècle , Cassiodore , si sçavant
et si curieux en Manuscrits de la
Bible , soutint la prétenduë Addition
par l'autorité des Septante ; il avoit donc
en main des Manuscrits de cette version
Grecque , où l'Addition se lisoit.
Lors même que l'Eglise Romaine reçût
la version Latine des Pseaumes , corrigée
par S. Jérôme , qui en avoit retranché à
ligne. Elle retint ces deux mots dans les
OffiOffices
divins , marquant par là fort clairement
qu'elle ne vouloit point décider
la question , qui par conséquent est encore
indécise.
›
Ce seroit parler trop affirmativemett,
de dire que cette Addition étoit inconnue
à tout l'Orient. S. Ephrem , Syrien
l'a citée dans son premier Sermon , de la
Résurrection ; il la lisoit donc dans les Manuscrits
de la version Syriaque de sonEglise
version traduite sur les Septante, et aussi
ancienne que l'Eglise ; les versions pos
terieures n'ont pas la même autorité.
C'est donc une verité constante que la
prétenduë Addition étoit dans plusieurs
anciens Manuscrits des Septante , dans
celui sur lequel la premiere version Syriaque
fut faite , dans ceux qu'avoit consulté
l'Auteur de la version Italique ;
dans ceux que S. Justin avoit vûs . Cette
prétendue Addition a- t - elle été insérée
dans la version des Septante ?En a- t- elle été
ôtée ? Voilà une matiere propre à
cer la sagacité des Critiques.
exer-
Je ne dirai pas que les Auteurs de l'ancienne
version Grecque ont ajouté quelques
mots au Texte Hebreu , comme Prophetes
; leur don de Prophétie ne mè
paroît pas établi .
Je ne dirai point qu'une Glose écrite
SEPTEMBRE: 1733. 1923
à la marge , a passé dans le Texte ; le respect
infini des Juifs et des Chrétiens
pour l'Ecriture Sainte , ne me permet pas
de le conjecturer.
Sur le même principe , je n'accuserai
pas
les Juifs d'avoir altéré la version des
Septante , ou le Texte Hebreu ; je me
contenterai de proposer modestement ce
qui me paroît plus vrai- semblable ..
Les Manuscrits sur lesquels travaillerent
les Auteurs de la premiere Version
Grecque , connus sous le nom des Septante
, étoient différens en quelques Endroits
du Texte Hebreu , tel qu'on l'a
aujourd'hui , sans soupçon de fraude ; le
temps seul , et les méprises des Copistes
ont pû causer cette différence .
Ici revient l'ingénieuse conjecture de
Salmeron et d'Agellius ; des Manuscrits
les uns en plus grand nombre , étoient
semblables au Texte Hebreu d'aujourd'hui
, dans les autres , on lisoit Hetz ,
au lieu Daph. Les Septante préférerent
ces derniers . Origêne crut qu'il falloit
corriger les Manuscrits des Septante sur
le Texte , tel qu'il étoit de son temps et
sur les autres Versions Grecques ; il marqua
d'un Obele. ce qu'il croyoit une
Addition. S. Jérôme embrassa le sentiment
d'Origene , et il eût de la peine à
B le
1924 MERCURE DE FRANCE
le faire recevoir dans l'Occident. Ainsi
l'Auteur de l'Hymne Vexilla Regis , soit
Fortunat , soit Théodulphe, a pû regarder
ces paroles , à ligno , comme originales
dans la Saince Ecriture. Je suis
Monsieur , & c.
Ausur de la Lettre , insérée dans le
Mercure de fuillet , au sujet d'une Prophétie
attribuée au Roy David.
MONSIEUR ,
J'ai lû votre sçavante Dissertation sur
lero verset du Pseaume 95 , avec le plaisir
que donnent tous vos Ecrits ; où l'on
reconnoît une Critique juste et un soin
exact d'approfondir les matieres.
1
.
La difficulté consiste à décider si ces
pa oles ; Depuis qu'il a été attaché au Bois,
A ligno , qui suivent ces autres paroles :
1. Seigneur a regné , annoncez- le aux
Nations ; Dicite in Gentibus quia Dominus
gnavit , sont la traduction fidelle de la
ve ion des Septante , ou d'une Glose inée
dans cette version . Séparons ce qui
certain , des conjectures , ingénieusi
on le veut , mais après tout , conares.
Il est certain que le texte des
ante , sur lequel l'ancienne version
rat.que a été faite ; version qui est sûrement
du premier siécle de l'Eglise ,
os ,
concontenoit
ce que l'Auteur de la version
a traduit , à ligno .
On convient que tous les Manuscrit
de la version Italique étoient semblables
en cet endroit. Tous les Peres Latins , à
Rome , dans les Gaules , en Espagne , er
Afrique , ont lû dans leur Bible cette
prétendue addition pendant neuf siécles
Vous avez cité un grand nombre de ces
Peres Latins ; on pourroit en grossir le
Catalogue. Ils ont approuvé cette addition
depuis qu'ils ont connu qu'elle n'é
toit point dans les Exaples d'Origene, et
que S. Jerôme ne l'admettoit pas ; on a
chantoit dans le Pseautier Romain
dans le Pseautier Gallican .
,
Deux faits me frappent ; Saint Justin ,
dont l'érudition étoit vaste , né dans l'Orient
, et qui a vécu long temps à Rome
parle avec assurance de l'authenticité
de cette prétenduë Addition ; s'il avour
qu'elle ne se trouve pas dans quelques
manuscrits des Septante , il accuse les
Juifs de l'en avoir fait disparoître , et le
Juif Tryphon , son Adversaire , a de la
peine à les justifier.
On ne peut donc douter que l'Addition
prétendue n'ait été avant même !
Christianisme
dans quelques Exemplaires
des Septante. Tryphon qui paroît
Sca
MIKE. 1733 . 1921
eçavant , auroit confondu Jus'n , en ejettant
sur les Chrétiens la falsification
que le S. Docteur imputoit aux Juifs.
Les Manuscrits où se trouve votre Prophétie
, auroit dit le Docte Rabin , n'ont
paru que depuis la naissance du Christianisme
, et entre les mains des Chrétiens
; il n'ose avancer ce fait : Il connoissoit
donc que l'addition prétenduë ,
étoit plus ancienne que le Christianisme.
Origéne examina depuis en critique la
Question dont il s'agit , et il préféra les
Manuscrits où l'Addition n'étoit point ;
aux Manuscrits où elle étoit ; son autorité
entraîna tout l'Orient ; mais Rome
et l'Occident s'attacherent à la version
Italique , dont ils respectoient l'antiquité.
S. Jerôme suivit Origéne , sans pouvoir
amener à son sentiment qu'un fort
petit nombre de Latins.
...
Au sixième siècle , Cassiodore , si sçavant
et si curieux en Manuscrits de la
Bible , soutint la prétenduë Addition
par l'autorité des Septante ; il avoit donc
en main des Manuscrits de cette version
Grecque , où l'Addition se lisoit.
Lors même que l'Eglise Romaine reçût
la version Latine des Pseaumes , corrigée
par S. Jérôme , qui en avoit retranché à
ligne. Elle retint ces deux mots dans les
OffiOffices
divins , marquant par là fort clairement
qu'elle ne vouloit point décider
la question , qui par conséquent est encore
indécise.
›
Ce seroit parler trop affirmativemett,
de dire que cette Addition étoit inconnue
à tout l'Orient. S. Ephrem , Syrien
l'a citée dans son premier Sermon , de la
Résurrection ; il la lisoit donc dans les Manuscrits
de la version Syriaque de sonEglise
version traduite sur les Septante, et aussi
ancienne que l'Eglise ; les versions pos
terieures n'ont pas la même autorité.
C'est donc une verité constante que la
prétenduë Addition étoit dans plusieurs
anciens Manuscrits des Septante , dans
celui sur lequel la premiere version Syriaque
fut faite , dans ceux qu'avoit consulté
l'Auteur de la version Italique ;
dans ceux que S. Justin avoit vûs . Cette
prétendue Addition a- t - elle été insérée
dans la version des Septante ?En a- t- elle été
ôtée ? Voilà une matiere propre à
cer la sagacité des Critiques.
exer-
Je ne dirai pas que les Auteurs de l'ancienne
version Grecque ont ajouté quelques
mots au Texte Hebreu , comme Prophetes
; leur don de Prophétie ne mè
paroît pas établi .
Je ne dirai point qu'une Glose écrite
SEPTEMBRE: 1733. 1923
à la marge , a passé dans le Texte ; le respect
infini des Juifs et des Chrétiens
pour l'Ecriture Sainte , ne me permet pas
de le conjecturer.
Sur le même principe , je n'accuserai
pas
les Juifs d'avoir altéré la version des
Septante , ou le Texte Hebreu ; je me
contenterai de proposer modestement ce
qui me paroît plus vrai- semblable ..
Les Manuscrits sur lesquels travaillerent
les Auteurs de la premiere Version
Grecque , connus sous le nom des Septante
, étoient différens en quelques Endroits
du Texte Hebreu , tel qu'on l'a
aujourd'hui , sans soupçon de fraude ; le
temps seul , et les méprises des Copistes
ont pû causer cette différence .
Ici revient l'ingénieuse conjecture de
Salmeron et d'Agellius ; des Manuscrits
les uns en plus grand nombre , étoient
semblables au Texte Hebreu d'aujourd'hui
, dans les autres , on lisoit Hetz ,
au lieu Daph. Les Septante préférerent
ces derniers . Origêne crut qu'il falloit
corriger les Manuscrits des Septante sur
le Texte , tel qu'il étoit de son temps et
sur les autres Versions Grecques ; il marqua
d'un Obele. ce qu'il croyoit une
Addition. S. Jérôme embrassa le sentiment
d'Origene , et il eût de la peine à
B le
1924 MERCURE DE FRANCE
le faire recevoir dans l'Occident. Ainsi
l'Auteur de l'Hymne Vexilla Regis , soit
Fortunat , soit Théodulphe, a pû regarder
ces paroles , à ligno , comme originales
dans la Saince Ecriture. Je suis
Monsieur , & c.
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Résumé : RÉPONSE du R. P. Tournemine, à l'Auteur de la Lettre, insérée dans le Mercure de Juillet, au sujet d'une Prophétie attribuée au Roy David.
Le Père Tournemine répond à une lettre publiée dans le Mercure de France, abordant une prophétie attribuée au roi David et mentionnée dans le Psaume 95. La principale difficulté concerne l'authenticité de l'expression 'Depuis qu'il a été attaché au Bois' (A ligno) dans la version des Septante. Tournemine distingue les faits certains des conjectures et confirme que le texte des Septante, utilisé pour la version latine ancienne, contenait bien cette expression. Les manuscrits de la version italique et les écrits des Pères Latins, de Rome aux Gaules, en Espagne et en Afrique, ont tous inclus cette addition pendant neuf siècles. Saint Justin, bien qu'il connaisse l'absence de cette addition dans certains manuscrits, accusait les Juifs de l'avoir supprimée. Tryphon, un Juif, défendait les Juifs contre cette accusation. Origène préférait les manuscrits sans l'addition, influençant ainsi l'Orient, tandis que Rome et l'Occident restaient fidèles à la version italique. Saint Jérôme, bien qu'il suivît Origène, n'a pu convaincre qu'un petit nombre de Latins. Cassiodore, au sixième siècle, soutenait l'addition en se basant sur les manuscrits des Septante. L'Église romaine, même après avoir adopté la version corrigée par Saint Jérôme, a conservé les mots 'A ligno' dans les offices divins, indiquant que la question restait indécise. Saint Éphrem, un Syrien, avait également cité cette addition, prouvant ainsi sa présence dans les anciens manuscrits des Septante et dans la version syriaque. Tournemine conclut que les différences entre les manuscrits des Septante et le texte hébreu actuel sont dues au temps et aux erreurs des copistes, et non à une fraude. Il rejette les accusations de falsification contre les Juifs ou les chrétiens et propose que les Septante aient préféré certains manuscrits contenant 'A ligno'.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 2563-2580
SECONDE LETTRE CRITIQUE, sur la Chronologie de la nouvelle Histoire Universelle traduite de l'Anglois.
Début :
Vous êtes donc content de ma premiere Lettre, Monsieur ; la maniere [...]
Mots clefs :
Déluge, Histoire, Chronologie, Texte hébreu, Ordre, Écriture, Égyptiens, Égypte, Rois, Moïse, Auteurs, Roi, Raison, Dispersion, Autorité, Histoire universelle
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SECONDE LETTRE CRITIQUE, sur la Chronologie de la nouvelle Histoire Universelle traduite de l'Anglois.
SECONDE LETTRE CRITIQUE ;
sur la Chronologie de la nouvelle Histoire
Universelle traduite de l'Anglais-
V
Ous êtes donc content de ma premiere
Lettre , Monsieur ; la maniere
obligeante dont vous m'en parlez
est pour moi un nouvel engagement de
tenir ma parole . C'est de la Chronologie
en général , et de celle de l'Histoire des
Egyptiens que je vous rendrai compte
aujourd'hui . Et quand même ces Messieurs
auroient connoissance de mes Réfléxions
, ils n'en seroient ni surpris ni
fâchez , puisqu'ils avoüent d'avance qu'il
1. Vol.
2564 MERCURE DE FRANCE
y aura sans doute des fautes dans leur
ouvrage , car il n'en paroîtra , selon cux,
de parfait que l'année où l'on trouvera
le mouvement perpetuel et la Pierre
Philosophale. Mais ils se flattent aussi
de n'avoir commis que des fautes excusables,
Avis au Lecteur. Vous en serez
le Juge..
Tous ceux qui ont entrepris d'écrire
sur l'Histoire ancienne , se sont toujours
tourmentez pour trouver une regle sure
de Chronologie , les Septante ne sont
plus gueres de mise , et la préference
roule aujourd'hui entre l'Hebreu et le
Samaritain . Ces Messieurs prennent une
nouvelle route , ils suivent tantôt l'un >
tantôt l'autre de ces derniers textes , ne
les reconnoissant pour autentiques que
quand et comme ils le Jugent à propos.
C'est encore un autre principe autorisé
par la foi et par la raison que nous n'avons
aucune autre connoissance de l'Histoire
anterieure au Déluge que le peu qui s'en
trouve dans les Livres de Moyse. Ils le
reconnoissent comme nous . Aucune nation
, disent- ils , n'a porté son Histoire
au- delà du Déluge , au moins avec quelque
fondement avis au Lecteur p. 8.
et ailleurs , les Ecrits de Moyse sont les
seuls Monuments autentiques que nous
1. Vol. ayons
DECEMBRE. 1733 2565,
1
ayons
prouver que
›
,
de ces tems éloignez page. 142 .
Après tous ces aveus , qui s'attendroit
que le Compilateur va entreprendre de
le Sanchoniathon Auteur
Phénicien , qui vivoit même avant la
Guerre de Troye , nous a donné une Généalogie
complette de tous les descendans
de Caïn jusqu'au tems d'Abraham
Cela est néanmoins vrai , et il le fait sur
l'autorité de Cumberland. Le Protogone et
P'Eon sont le même couple qu'Adam et
Eve , leurs Enfans Genus et Genua sont
Caïn et sa femme comme on dit dans
la Loy civile , Caïus et Caïa, p. 143. et
pour en convaincre ,il faut voir comment
il déchire et décompose ces mots. De
ces descendans de Carn , combien tiret'il
d'origines curieuses ? p. 144. ct
suiv. La coûtume d'offrir du sang aux
déitez inférieures , et une partie de la
chair des bêtes tuées à la Chasse ; le culte
rendu aux hommes après leur mort ;
la premiere statuë qui leur est élevée , le
premier Temple bâti en leur honneur
Elion ou le Très-Haut est Lamech pere
de Noë celui- ci est Vrane , et son premier
fils Cronus ou Saturne est Cham comme
on aura soin de le prouver dans la suite
Voila ce qui s'appelle du neuf. Mais si
1. Vol. VOUS B
2566 MERCURE DE FRANCE
vous demandez pourquoi Sanchoniaton
n'a point parlé du Déluge dans le cours
de son récit, lui qui rapporte tant d'autres
événemens de peu de conséquence, on vous
répondra que ce fléau étant en partie le
fléau de l'idolatrie , les Payens ont tâché
d'abolir la mémoire d'un monument si
extraordinaire de la vangeance divine et
de leur propre honte.
Cela est bientôt dit. Mais comment
Sanchoniaton et les autres Payens poste
rieurs de plusieurs siècles au Déluge , en
avoient- ils connoissance ? Quelle Histoi
re anterieure subsistoit après ce ravage
universel ? Dans quelle urne , dans quelle
capse , dans quel coffre de fer l'avoit - on
mise pout la sauver du naufrage ? Qui en
avoit eu la pensée et la précaution ? Je
comprens comment Moyse inspiré par
le S. Esprit , et conduit par une tradition
miraculeusement conservée , nous a
tracé succintement l'Histoire de ces tems
obscurs. Mais je n'imagine point par quel
canal , Sanchoniathon , mille ans après
a pénetré dans ce mystere. Néanmoins
suivant ces Messieurs il le savoit et
mieux que Moyse , puisque ce S. Patriarche
Legislateur a ômis deux Genérations
qu'il faut remplir et réformer par la Iu ,
miere de l'Auteur Phenicien p. 148,
I, Vol
Dites
DECEMBRE.
1733 2567
Dites moi en votre conscience , l'auriezvous
jamais crû ?
Vous seriez encore bien plus étonné si
je vous disois ce qu'on raconte d'après
Berose : Qu'un Poisson à deux têtes fut
le premier maître qui instruisit les Caldéens
; que cet animal aquatique et de fi .
gure monstrueuse étoit Adam, et que dix
autres animaux de même sorte sont les
dix Patriarches qui suivirent jusqu'au
Déluge , p. 149. et suiv. Le tout conforme
à la Chronologie Samaritaine , suivant
la réformation de l'ancien Calen
drier Babilonien.
Autre découverte. Voici encore 113 ]
Générations pendant l'espace de 36525
ans de compte fait , qui ont occupé le
Trône de l'Egypte depuis le commencement
du Monde . Toute cette succession
est divisée en trois Races , les Aurites ,
les Mestréens , et les Egyptiens jusqu'à
Alexandre , p . 15;. L'on ajoûte , p • 154 .
et cette Hypothese, comme nous le
verons bien- tôt , s'accorde passablement
bien avec la Chronologie. Cependant ,
comme ce nombre paroît un peu exorbitant
, on aime mieux s'en rapporter à
Manethon , comme à celui de qui l'on
doit principalement puiser l'Histoire
d'Egypte . Et ce Prêtre d'Heliopolis qui
prou-
1. Vol. Bij l'écrivi
2568 MERCURE DE FRANCE
磕
l'écrivit par l'ordre de Philadelphe , est
beaucoup plus modeste , ne donnant que
9000 ans à Vulcain le premier Roy , qui
en font 750. des nôtres .
י
Tout cela vous paroît des réveries , et
vous avez d'autant plus raison , qu'elles
ne sont fondées que sur l'imagination et
sur les Fables du Paganisme.Ces Messieurs
trouvent cependant qu'elles s'accordent
passablement bien avec la Chronologie
et ils veulent s'en servir pour rectifier les
Généalogies de Moyse . Ils ont oublié, par
malheur pour nous , de dire comment
cela se peut faire ; et j'en suis aussi embarrassé
que de pouvoir concilier les differens
articles du jugement qu'ils en.
portent. » Nous venons , disenr- ils, de
» rassembler les differentes parties les
plus essentielles de l'Histoire du Mon-
» de avant le Déluge , que nous ayons
» pù trouver dans les Auteurs profanes,
Quelques- unes de ces parties ne sont pas
» destituées d'un certain air de verité.Ĉependant
à les prendre en général, elles
» nous paroissent peu dignes de croyance.
Nous osons néanmoins nous flatter que
» comme tout ce qui est marqué au coin
» d'une antiquité fort reculée mérite no-
» tre curiosité on ne regardera pas la
peine que nous avons prise comme en-
I. Vol. « ticrement
»
>
D'ECEMBR E. 1733. 2589°
tierement inutile. » Pesez bien cette
Sentence , elle vaudroit elle seule une
Lettre toute entiere.
,
Il n'y a , comme vous voyez , rien de
sûr dans tout cela,et leLecteur après avoir
medité deux cent pages d'un grand in 4°.
sçait moins à quoi s'en tenir que s'il n'avoit
lû que les six premiers chap. de la
Genése. Et comment celui qui a redigé
Ouvrage auroit- il pûr nous donner quelque
chose de net et un sistême suivi ,
lui qui n'en avoit pas pour soi-même ?
Inclinant à vouloir faire passer le Sanchoniathon
Berose , et la Chronique
Egyptienne pour des monumens qui ne
manquent pas d'un certain air de verité , il
adopte le calcul Hebreu , comme le plus .
long , pour les siècles qui ont précédé le
Déluge. Mais ce Texte a perdu , selon lui ,
toute son autenticité dans ce naufrage . Il
a été corrompu par les Juifs , qui vou .
loient décliner la force des Oracles , et il
est trop resserré pour contenir les fairs
qui se sont passez depuis le Déluge jusqu'à
la naissance de Phaleg. C'est le Smaritain
que l'on veut ici parce qu'il
contient 300 ans. de plus dans cet espace.
,
Quelqu'un qui voudroit voir clair dans
ses lectures,et se fonder en raison , deman ,
I. Vol.
deroit
Biij
2570 MERCURE DE FRANCE
deroit naturellement la preuve de ees
interpolations de l'un et de l'autre Texte
dans ces différens âges . Mais ce seroit un
curieux importun auquel on ne daigne
pas répondre. Toute la raison qu'on a
de changer de régle , c'est que l'un convient
mieux que l'autre dans les différentes
circonstances . Ainsi c'est l'Ecriture
qu'on ajuste sur l'Histoire profane ; au
lieu qu'il faudroit regler l'Histoire profane
sur l'autorité de l'Ecriture.
Le grand motif qui fait ici abandonner
le Texte Hebreu est l'impossibilité
de faire commencer la dispersion des
peuples 100 ans après le Déluge , époque
de la naissance de Phaleg ; et de trouver
53 Conducteurs , accompagnez chacun
d'une multitude capable de former le
même nombre des Colonies . Voilà ce
que le Traducteur appelle ingenieusement
la Croix de ceux qui suivent le Texte
Hebreu p. 285. Mais cette Croix n'est
gueres difficile à porter ; et qui pourroit
croire que personne n'a mieux réussi
que ces Messieurs à en diminuer le
poids ?
Tout ce qu'ils disent pour faire voir
que le Genre humain n'étoit pas assez
multiplié un siécle après le Déluge pour
former des Colonies , démontre évidem-
1. Vol. ment
DECEMBRE. 1733. 57%
ment que la chose étoit possible , naturelle
, et peut-être même nécessaire. Je
vous prens volontiers pour nôtre Juge.
Personne n'avoit encore traité si au long
ce point qui est vraiment curieux . Ces
Messieurs , recueillent avec soin les différens
calculs qu'ont fait d'habiles Auteurs
pour montrer jusqu'où alloit la
propagation des hommes chaque siécle
après ' e Déluge.
Suivant le P. Petau la terre contenoit
32768 Enfans mâles cent ans après la
réparation du Genre humain ; et 185 ans
après , il
avoit 155
y fois plus d'habitans
qu'on ne lui en suppose aujourd'hui .
Cumberland n'en trouve que trente mille,
101 ans après le Déluge. 40 ans après il en
augmente le nombre au delà de 300000.et
encore 40 ans après il le fait monter à
3000000, Quelques - uns sont plus moderez
, et ne comptent qu'environ 23000
hommes , d'autres 14000 à la naissance de
Phaleg.
Tout le monde qui double et au delà ,
si l'on y comprend les femmes , ne paroît
pas suffisant à ces Messieurs pour occasionner
la dispersion . Ils veulent attendre
encore 300 ans , c'est- à - dire jusqu'à
ce qu'il y ait , suivant le P. Petau , 247 ,
224,717 , 456 , hommes , ou un peu
I. Vol. Biiij moins
2572 MERCURE DE FRANCE
moins selon d'autres. Alors il auroit été
certainement bien forcé de se séparer ; et
je défie qu'on eût pâ attendre si longtems.
En supposant avec le Texte Hebreu que
la confusion des Langues est arrivée 100
ans après le Déluge , n'obligeoit t'ellepas
les hommes à se diviser suivant la
différence des familles et de leurs idiomes ?
Ils n'avoient pas besoin pour cet effet
d'être en plus grande quantité , ils s'augmentoient
assez de jour en jour , et l'Ecriture
ne dit pas que leur séparation se
fit dans la même semaine ou la même année
, il est très probable qu'il y eut des
intervales plus ou moins grands. Cette
réponse est d'autant plus solide qu'elle
est fondée sur la nature du sujet , qu'elle
tombe sous les sens , et qu'elle démontre
la suffisance du Texte Hebreu .
Mais ce qui va vous surprendre , c'est
qu'elle n'est pas de moi ; et que je la trouve
toute entiere dans ces Mrs, sujets à édifier
et à détruire de la même main. Voici
leurs paroles , p . 292. a Il faut considerer
que chacune de ces Colonies crois-
» soit à proportion qu'elles s'éloignoient
» davantage du centre de leur dispersion
avant que d'arriver au Pays où elles
» fixèrent ensuite leur séjour ; car la terre
1. Vol
DECEMBRE . 1733. 2573
8
» ne fut pas peuplée en une seule fois
» mais par dégrez , par où il paroît qu'il
» n'est nullement besoin de faire des ef-
» forts pour augmenter le Genre humain.
» au tems de la dispersion . » Et moi j'ajoûte
par la même raison qu'il n'étoit pas
nécessaire d'abandonner le Texte par le--
quel on avoit commencé sa Chronologie,
puisqu'il suffisoit pour donner le tems.
aux hommes de se multiplier , et que la
présomption est principalement en
faveur , comme l'ont remarqué les Peres.
On ne peut faire autrement , dit- on
p. 205. puisqu'au tems d'Abraham , qui
seroit suivant le calcul 427 ans , depuis
le Déluge,il y avoit sur la Terre plusieurs
Villes bâties , des Royaumes fondez , er
des Monarques dont l'Empire s'étendoit
depuis la Perse jusqu'au Pays de Canaan .
Tout cela est vrai ; mais si ces Mrs. le
donnent pour une objection solide ; qu'ils
nous dispensent d'en juger de même..
1. En suivant la supputation des Auteurs
qui ont compté les hommes qu'il !
y auroit dû avoir en ce tems là , on verra
que le nombre en est plus que suisant
pour faire des Royaumes très peu-.
plez quand même on s'attacheroit à
ceux qui l'ont plus, diminué. 2 °. Quels
étoient ces Rois ? Il en faut juger pas
1. Vol .
By
2574 MERCURE DE FRANCE
quatre
ce qui arriva à Abraham , qui en fit fuir
devant lui avec 318 hommes.
3 °. On appelloit alors Roy le Maître d'une
petite Contrée , peuplée ou non , le
chef d'une famille ou d'un village , quia
regebat. 4 ° . Mille ou neuf cent ans après
le Déluge , on voyoit encore dans le
Peloponese un Roy de Cerinthe , un
d'Argos , un de Sicyone , un de Mycènes
, un ou plusieurs dans l'Elide , un à
Orchomène , un à Messéne et un autre
à Lacédémone ; cependant toute cette
presqu'Isle n'a pas plus d'étendue que la
Lorraine. Que dirions- nous de neuf ou
dix Rois qui n'auroient que ce Duché
pour appanages Ce ne sont donc point
là des difficultez assez graves pour déroger
à l'autorité du Texte hebreu .
Tels sont les Préliminaires de ces Mrs.
de qui l'on peut diré avec une égale verité
, que personne ne sait plus de choses
sur l'introduction à l'Histoire , et que
personne n'en a des idées moins nettes.
Ils entrent ensuite dans le détail des Peuples
et des Monarchies , et c'est par les
Egyptiens qu'ils commencent. Je me suis
engagé à vous en dire quelque chose ; il
est juste de tenir ma parole.
Ce point y est traité dans le même
goût ; c'est -à - dire , avec une abondance
I. Vol. de
DECEMBRE. 1733. 2575
de recherches et d'érudition qu'on avoit
droit d'attendre d'une habile Societé de
Gens de Lettres. Mais ils se sont contentez
de mettre sous les yeux du Lecteur un
amas de faits qui ne laissent rien à désirer
sur la matiere, que l'ordre et le discernement.
Ils vont même plus loin. Ils raportent
avec diffusion les disputes et les
sentimens de tous les Auteurs sur chaque
point en particulier , et n'omettent rien
de part et d'autre . Mais en Ecrivains
humbles et timides , on ne les voit presque
jamais prendre de parti. Comme les regles
de la Critique ne leur ont point appris à
décider dans la diversité des opinions, ils
doutent et hésitent sur tout , et laissent
les autres dans la même incertitude. L'Analyse
que je vais faire de cette Partie
vous en convaincra,
W
» L'on remarque , disent -ils , de si
grands vuides et des erreurs si manifestes
» dans les successions des Rois d'Egypte ,
que ce seroit une peine très inutile que
de vouloir les ranger dans un ordre
> Chronologique
, qui les accordât entr'elles
, aussi bien qu'avec l'Ecriture
p. 426. « La Chronique
de Marsham
est pleine d'une érudition
admirable
» mais par malheur il s'est attaché trop
scrupuleusement
à la Chronologie
du
2
"
1. Vole B vj » Texte
2576 MERCURE DE FRANCE
Texte hebreu. Attachement qui l'obli-
» ge à supposer que Mènes a été Cham et
point Mizraim , et de faire commancer
son regne, en dépit du bon sens , im-
» médiatement , ( c'est- à- dire plus d'un
ן כ
siécle ) après le Déluge , p. 430. Tous
» les plus grands Hommes ne sçavent ce
» qu'ils disent là - dessus ; et l'on avouë
>> ingenûment que l'on ne comprend pas
.commentle projet d'accorder la Chro-
» nologie Egyptienne des premiers siecles
»avec la nôtre, à la légere différence de
quelques années près, a pû entrer dans
»l'esprit des gens sensez et ce qui a aug-
» menté l'étonnement est le ton décisif
» que quelques uns d'eux ont pris dans
» une matiere aussi incertaine , p . 434.
» Enfin la chose la moins vraisemblable
» est que Menès ait pû commencer son
» regne deux siècles après le Déluge , p.
» 435...
Il n'y a que l'incomparable , Newton qui
7. entende quelque chose . Cet illustre
Auteur ( oui en fait de Mathématique )
croit que Sesostris étoit Osiris . C'est pourquoi
il place après lui , Menès ( que to s
les Anciens ont regardé comme le premier
Roy d'Egypte. ) Et par une conséquence
nécessaire aussi bien - que pour
d'autres raisons , il change la succession
Le Vol. des
DECEMBRE. 1733
2577
des Rois d'Egypte de sa propre autorité
et voici l'ordre qu'il y met: Sasostris , Phee
ron, Proteus, Menès , Rhampsinitus Maris,
Cheops , Cephren , Mycerinus , Nitocris
&c. C'est comme si l'on arrangeoit ainsi
les Rois de France , Charles- Magne, Henri
IV. S.Louis,Mérovée, Pharamond , Il suppose
que Ménès a été le même qu'Aménophis
( le quel ? ) et Memnon , et que
par corruption on l'a appellé : Menès, Minès
, Mineus, Minies , Minevis, Enephes,
Venephes, Phamenophis , Osymanthias , Osimandes
, Ismandes , Imandes , Memnon
Arminon. Papa? Qui est ce qui le croira ?
Suivant cette hypothése , Menès ( reconnu
presqu'universellement pour fils de
Cham ) est plus ancien d'environ trois
cent ans que Psammétique , qui vivoit du
temps de Manassès. Ces découvertes ne
sont -elles pas incomparables , ou plutôt
ne sont- elles pas avancées en dépit du bon
sens, pour me servir de l'élégante expres
sion du Traducteur ?
$
-
Cependant il est vrai que ces Messieurs
se contentent d'admirer ces productions ,
sans les adopter,mais M.Newton ne pour
roit pas s'en fâcher , puisqu'ils rejettent
tout systême , et ne veulent commencer
leur Chronologie qu'à Psammétique.Mais
quoi ! falloit- il donc tant d'esprit pour
I. Vol. voie
2578 MERCURE DE FRANCE
voir
que
Sésac est nommé dans l'Ecriture
à côté de Salomon ? Hérodote ne dit- il
pas que Protée regnoit pendant le Siége
de Troye? Voilà donc la Chronologie remontée
déjà de seo ans. Quel pouvoit
être le Roy qui entréprit ces grands travaux
, qui accablerent les Israëlites ? Hérodote
et Diodore le peignent assez par
l'histoire de Sesostris. Il ne falloit donc
pas avoir une grande sagacité pour donner
de l'ordre à l'histoire des Egyptiens
avant la décadence de leur Empire , eton
peut l'assurer sans prendre le ton décisif.
Il est des yeux qu'un trop grand jour
éblouit. Frappez par les preuves et les objections
de tous les Systêmes Chronologiques
, ces Messieurs y ont vu par tout
du fort et du foible ; ils ont crû qu'on ne
pouvoit rien proposer de mieux que ce
qu'ils trouvoient dans des Ecrivains du
premier Ordre , quoiqu'ils n'ayent pas
consulté ce qu'on nous a donné en France
depuis quelques - temps , qui répand sur
ce sujet plus de lumiere qu'il n'y en avoit
jamais eu ; ils ont mieux aimé raconter
les sentimens d'autrui que d'en hazarder
un d'eux - mêmes , et c'est la méthode
qu'ils observent dans tout le reste de cette
Histoire particuliere ; ensorte qu'on
pourroit l'appeller une Histoire , in utram-
1. Vol.
que
DECEMBRE. 1733. 2579
que
que partem; pour et contre. Je ne choisis
trois exemples entre mille, parce qu'il est
temps de finir. On rapporte tout de suite
98 Systêmes de Chronologie , sans dire seulement
si dans tout ce nombre il y en a
un de bon. Pour sçavoir qui étoit Menès ,
il y a une belle et grande Note de 2 pages
in 4° , en petit texte , fort serré , où l'on
transcrit les raisons de Périzonius , de
Marsham , de Pezron et de M. Newton .
C'est bien pis sur Sésostris; il y a près de
neuf pages entieres de même caractere ,
fort serré , qui en feroient au moins 20
d'un in 12 ordinaire , pour rapporter la
dispute des mêmes Ecrivains, auxquels or
ajoute M.Wisthon quien occupe la meilleure
partie ,pour discuter si ce Prince est
le même que Sézac . Cela n'est- il pas bien
amusant ? On promet neanmoins de rapporter
ces sentimens en moins de paroles
qu'il sera possible . Que seroit- ce donc si
l'on avoit osé se livrer à soi- même ? Il met
vient en pensée un meilleur Titre , que
ces Messieurs auroient pû donner à leur
Ouvrage ; ils auroient dû mettre , ce me
semble , Histoire de ce qu'ont pensé tous les
Auteurs sur l'ancien Empire des Egyptiens,
jusqu'à Alexandre. En voilà assez pour une
Lettre. Si vous exigiez absolument que je
vous donnasse d'autres Extraits sur le rés-
1. Vol.
te
2580 MERCURE DE FRANCE
te de ce volume , j'aurois de la peine à
vous refuser ; mais je vais prévenir toute
difficulté en vous priant de ne me plus
rien demander. Je suis , & c..
sur la Chronologie de la nouvelle Histoire
Universelle traduite de l'Anglais-
V
Ous êtes donc content de ma premiere
Lettre , Monsieur ; la maniere
obligeante dont vous m'en parlez
est pour moi un nouvel engagement de
tenir ma parole . C'est de la Chronologie
en général , et de celle de l'Histoire des
Egyptiens que je vous rendrai compte
aujourd'hui . Et quand même ces Messieurs
auroient connoissance de mes Réfléxions
, ils n'en seroient ni surpris ni
fâchez , puisqu'ils avoüent d'avance qu'il
1. Vol.
2564 MERCURE DE FRANCE
y aura sans doute des fautes dans leur
ouvrage , car il n'en paroîtra , selon cux,
de parfait que l'année où l'on trouvera
le mouvement perpetuel et la Pierre
Philosophale. Mais ils se flattent aussi
de n'avoir commis que des fautes excusables,
Avis au Lecteur. Vous en serez
le Juge..
Tous ceux qui ont entrepris d'écrire
sur l'Histoire ancienne , se sont toujours
tourmentez pour trouver une regle sure
de Chronologie , les Septante ne sont
plus gueres de mise , et la préference
roule aujourd'hui entre l'Hebreu et le
Samaritain . Ces Messieurs prennent une
nouvelle route , ils suivent tantôt l'un >
tantôt l'autre de ces derniers textes , ne
les reconnoissant pour autentiques que
quand et comme ils le Jugent à propos.
C'est encore un autre principe autorisé
par la foi et par la raison que nous n'avons
aucune autre connoissance de l'Histoire
anterieure au Déluge que le peu qui s'en
trouve dans les Livres de Moyse. Ils le
reconnoissent comme nous . Aucune nation
, disent- ils , n'a porté son Histoire
au- delà du Déluge , au moins avec quelque
fondement avis au Lecteur p. 8.
et ailleurs , les Ecrits de Moyse sont les
seuls Monuments autentiques que nous
1. Vol. ayons
DECEMBRE. 1733 2565,
1
ayons
prouver que
›
,
de ces tems éloignez page. 142 .
Après tous ces aveus , qui s'attendroit
que le Compilateur va entreprendre de
le Sanchoniathon Auteur
Phénicien , qui vivoit même avant la
Guerre de Troye , nous a donné une Généalogie
complette de tous les descendans
de Caïn jusqu'au tems d'Abraham
Cela est néanmoins vrai , et il le fait sur
l'autorité de Cumberland. Le Protogone et
P'Eon sont le même couple qu'Adam et
Eve , leurs Enfans Genus et Genua sont
Caïn et sa femme comme on dit dans
la Loy civile , Caïus et Caïa, p. 143. et
pour en convaincre ,il faut voir comment
il déchire et décompose ces mots. De
ces descendans de Carn , combien tiret'il
d'origines curieuses ? p. 144. ct
suiv. La coûtume d'offrir du sang aux
déitez inférieures , et une partie de la
chair des bêtes tuées à la Chasse ; le culte
rendu aux hommes après leur mort ;
la premiere statuë qui leur est élevée , le
premier Temple bâti en leur honneur
Elion ou le Très-Haut est Lamech pere
de Noë celui- ci est Vrane , et son premier
fils Cronus ou Saturne est Cham comme
on aura soin de le prouver dans la suite
Voila ce qui s'appelle du neuf. Mais si
1. Vol. VOUS B
2566 MERCURE DE FRANCE
vous demandez pourquoi Sanchoniaton
n'a point parlé du Déluge dans le cours
de son récit, lui qui rapporte tant d'autres
événemens de peu de conséquence, on vous
répondra que ce fléau étant en partie le
fléau de l'idolatrie , les Payens ont tâché
d'abolir la mémoire d'un monument si
extraordinaire de la vangeance divine et
de leur propre honte.
Cela est bientôt dit. Mais comment
Sanchoniaton et les autres Payens poste
rieurs de plusieurs siècles au Déluge , en
avoient- ils connoissance ? Quelle Histoi
re anterieure subsistoit après ce ravage
universel ? Dans quelle urne , dans quelle
capse , dans quel coffre de fer l'avoit - on
mise pout la sauver du naufrage ? Qui en
avoit eu la pensée et la précaution ? Je
comprens comment Moyse inspiré par
le S. Esprit , et conduit par une tradition
miraculeusement conservée , nous a
tracé succintement l'Histoire de ces tems
obscurs. Mais je n'imagine point par quel
canal , Sanchoniathon , mille ans après
a pénetré dans ce mystere. Néanmoins
suivant ces Messieurs il le savoit et
mieux que Moyse , puisque ce S. Patriarche
Legislateur a ômis deux Genérations
qu'il faut remplir et réformer par la Iu ,
miere de l'Auteur Phenicien p. 148,
I, Vol
Dites
DECEMBRE.
1733 2567
Dites moi en votre conscience , l'auriezvous
jamais crû ?
Vous seriez encore bien plus étonné si
je vous disois ce qu'on raconte d'après
Berose : Qu'un Poisson à deux têtes fut
le premier maître qui instruisit les Caldéens
; que cet animal aquatique et de fi .
gure monstrueuse étoit Adam, et que dix
autres animaux de même sorte sont les
dix Patriarches qui suivirent jusqu'au
Déluge , p. 149. et suiv. Le tout conforme
à la Chronologie Samaritaine , suivant
la réformation de l'ancien Calen
drier Babilonien.
Autre découverte. Voici encore 113 ]
Générations pendant l'espace de 36525
ans de compte fait , qui ont occupé le
Trône de l'Egypte depuis le commencement
du Monde . Toute cette succession
est divisée en trois Races , les Aurites ,
les Mestréens , et les Egyptiens jusqu'à
Alexandre , p . 15;. L'on ajoûte , p • 154 .
et cette Hypothese, comme nous le
verons bien- tôt , s'accorde passablement
bien avec la Chronologie. Cependant ,
comme ce nombre paroît un peu exorbitant
, on aime mieux s'en rapporter à
Manethon , comme à celui de qui l'on
doit principalement puiser l'Histoire
d'Egypte . Et ce Prêtre d'Heliopolis qui
prou-
1. Vol. Bij l'écrivi
2568 MERCURE DE FRANCE
磕
l'écrivit par l'ordre de Philadelphe , est
beaucoup plus modeste , ne donnant que
9000 ans à Vulcain le premier Roy , qui
en font 750. des nôtres .
י
Tout cela vous paroît des réveries , et
vous avez d'autant plus raison , qu'elles
ne sont fondées que sur l'imagination et
sur les Fables du Paganisme.Ces Messieurs
trouvent cependant qu'elles s'accordent
passablement bien avec la Chronologie
et ils veulent s'en servir pour rectifier les
Généalogies de Moyse . Ils ont oublié, par
malheur pour nous , de dire comment
cela se peut faire ; et j'en suis aussi embarrassé
que de pouvoir concilier les differens
articles du jugement qu'ils en.
portent. » Nous venons , disenr- ils, de
» rassembler les differentes parties les
plus essentielles de l'Histoire du Mon-
» de avant le Déluge , que nous ayons
» pù trouver dans les Auteurs profanes,
Quelques- unes de ces parties ne sont pas
» destituées d'un certain air de verité.Ĉependant
à les prendre en général, elles
» nous paroissent peu dignes de croyance.
Nous osons néanmoins nous flatter que
» comme tout ce qui est marqué au coin
» d'une antiquité fort reculée mérite no-
» tre curiosité on ne regardera pas la
peine que nous avons prise comme en-
I. Vol. « ticrement
»
>
D'ECEMBR E. 1733. 2589°
tierement inutile. » Pesez bien cette
Sentence , elle vaudroit elle seule une
Lettre toute entiere.
,
Il n'y a , comme vous voyez , rien de
sûr dans tout cela,et leLecteur après avoir
medité deux cent pages d'un grand in 4°.
sçait moins à quoi s'en tenir que s'il n'avoit
lû que les six premiers chap. de la
Genése. Et comment celui qui a redigé
Ouvrage auroit- il pûr nous donner quelque
chose de net et un sistême suivi ,
lui qui n'en avoit pas pour soi-même ?
Inclinant à vouloir faire passer le Sanchoniathon
Berose , et la Chronique
Egyptienne pour des monumens qui ne
manquent pas d'un certain air de verité , il
adopte le calcul Hebreu , comme le plus .
long , pour les siècles qui ont précédé le
Déluge. Mais ce Texte a perdu , selon lui ,
toute son autenticité dans ce naufrage . Il
a été corrompu par les Juifs , qui vou .
loient décliner la force des Oracles , et il
est trop resserré pour contenir les fairs
qui se sont passez depuis le Déluge jusqu'à
la naissance de Phaleg. C'est le Smaritain
que l'on veut ici parce qu'il
contient 300 ans. de plus dans cet espace.
,
Quelqu'un qui voudroit voir clair dans
ses lectures,et se fonder en raison , deman ,
I. Vol.
deroit
Biij
2570 MERCURE DE FRANCE
deroit naturellement la preuve de ees
interpolations de l'un et de l'autre Texte
dans ces différens âges . Mais ce seroit un
curieux importun auquel on ne daigne
pas répondre. Toute la raison qu'on a
de changer de régle , c'est que l'un convient
mieux que l'autre dans les différentes
circonstances . Ainsi c'est l'Ecriture
qu'on ajuste sur l'Histoire profane ; au
lieu qu'il faudroit regler l'Histoire profane
sur l'autorité de l'Ecriture.
Le grand motif qui fait ici abandonner
le Texte Hebreu est l'impossibilité
de faire commencer la dispersion des
peuples 100 ans après le Déluge , époque
de la naissance de Phaleg ; et de trouver
53 Conducteurs , accompagnez chacun
d'une multitude capable de former le
même nombre des Colonies . Voilà ce
que le Traducteur appelle ingenieusement
la Croix de ceux qui suivent le Texte
Hebreu p. 285. Mais cette Croix n'est
gueres difficile à porter ; et qui pourroit
croire que personne n'a mieux réussi
que ces Messieurs à en diminuer le
poids ?
Tout ce qu'ils disent pour faire voir
que le Genre humain n'étoit pas assez
multiplié un siécle après le Déluge pour
former des Colonies , démontre évidem-
1. Vol. ment
DECEMBRE. 1733. 57%
ment que la chose étoit possible , naturelle
, et peut-être même nécessaire. Je
vous prens volontiers pour nôtre Juge.
Personne n'avoit encore traité si au long
ce point qui est vraiment curieux . Ces
Messieurs , recueillent avec soin les différens
calculs qu'ont fait d'habiles Auteurs
pour montrer jusqu'où alloit la
propagation des hommes chaque siécle
après ' e Déluge.
Suivant le P. Petau la terre contenoit
32768 Enfans mâles cent ans après la
réparation du Genre humain ; et 185 ans
après , il
avoit 155
y fois plus d'habitans
qu'on ne lui en suppose aujourd'hui .
Cumberland n'en trouve que trente mille,
101 ans après le Déluge. 40 ans après il en
augmente le nombre au delà de 300000.et
encore 40 ans après il le fait monter à
3000000, Quelques - uns sont plus moderez
, et ne comptent qu'environ 23000
hommes , d'autres 14000 à la naissance de
Phaleg.
Tout le monde qui double et au delà ,
si l'on y comprend les femmes , ne paroît
pas suffisant à ces Messieurs pour occasionner
la dispersion . Ils veulent attendre
encore 300 ans , c'est- à - dire jusqu'à
ce qu'il y ait , suivant le P. Petau , 247 ,
224,717 , 456 , hommes , ou un peu
I. Vol. Biiij moins
2572 MERCURE DE FRANCE
moins selon d'autres. Alors il auroit été
certainement bien forcé de se séparer ; et
je défie qu'on eût pâ attendre si longtems.
En supposant avec le Texte Hebreu que
la confusion des Langues est arrivée 100
ans après le Déluge , n'obligeoit t'ellepas
les hommes à se diviser suivant la
différence des familles et de leurs idiomes ?
Ils n'avoient pas besoin pour cet effet
d'être en plus grande quantité , ils s'augmentoient
assez de jour en jour , et l'Ecriture
ne dit pas que leur séparation se
fit dans la même semaine ou la même année
, il est très probable qu'il y eut des
intervales plus ou moins grands. Cette
réponse est d'autant plus solide qu'elle
est fondée sur la nature du sujet , qu'elle
tombe sous les sens , et qu'elle démontre
la suffisance du Texte Hebreu .
Mais ce qui va vous surprendre , c'est
qu'elle n'est pas de moi ; et que je la trouve
toute entiere dans ces Mrs, sujets à édifier
et à détruire de la même main. Voici
leurs paroles , p . 292. a Il faut considerer
que chacune de ces Colonies crois-
» soit à proportion qu'elles s'éloignoient
» davantage du centre de leur dispersion
avant que d'arriver au Pays où elles
» fixèrent ensuite leur séjour ; car la terre
1. Vol
DECEMBRE . 1733. 2573
8
» ne fut pas peuplée en une seule fois
» mais par dégrez , par où il paroît qu'il
» n'est nullement besoin de faire des ef-
» forts pour augmenter le Genre humain.
» au tems de la dispersion . » Et moi j'ajoûte
par la même raison qu'il n'étoit pas
nécessaire d'abandonner le Texte par le--
quel on avoit commencé sa Chronologie,
puisqu'il suffisoit pour donner le tems.
aux hommes de se multiplier , et que la
présomption est principalement en
faveur , comme l'ont remarqué les Peres.
On ne peut faire autrement , dit- on
p. 205. puisqu'au tems d'Abraham , qui
seroit suivant le calcul 427 ans , depuis
le Déluge,il y avoit sur la Terre plusieurs
Villes bâties , des Royaumes fondez , er
des Monarques dont l'Empire s'étendoit
depuis la Perse jusqu'au Pays de Canaan .
Tout cela est vrai ; mais si ces Mrs. le
donnent pour une objection solide ; qu'ils
nous dispensent d'en juger de même..
1. En suivant la supputation des Auteurs
qui ont compté les hommes qu'il !
y auroit dû avoir en ce tems là , on verra
que le nombre en est plus que suisant
pour faire des Royaumes très peu-.
plez quand même on s'attacheroit à
ceux qui l'ont plus, diminué. 2 °. Quels
étoient ces Rois ? Il en faut juger pas
1. Vol .
By
2574 MERCURE DE FRANCE
quatre
ce qui arriva à Abraham , qui en fit fuir
devant lui avec 318 hommes.
3 °. On appelloit alors Roy le Maître d'une
petite Contrée , peuplée ou non , le
chef d'une famille ou d'un village , quia
regebat. 4 ° . Mille ou neuf cent ans après
le Déluge , on voyoit encore dans le
Peloponese un Roy de Cerinthe , un
d'Argos , un de Sicyone , un de Mycènes
, un ou plusieurs dans l'Elide , un à
Orchomène , un à Messéne et un autre
à Lacédémone ; cependant toute cette
presqu'Isle n'a pas plus d'étendue que la
Lorraine. Que dirions- nous de neuf ou
dix Rois qui n'auroient que ce Duché
pour appanages Ce ne sont donc point
là des difficultez assez graves pour déroger
à l'autorité du Texte hebreu .
Tels sont les Préliminaires de ces Mrs.
de qui l'on peut diré avec une égale verité
, que personne ne sait plus de choses
sur l'introduction à l'Histoire , et que
personne n'en a des idées moins nettes.
Ils entrent ensuite dans le détail des Peuples
et des Monarchies , et c'est par les
Egyptiens qu'ils commencent. Je me suis
engagé à vous en dire quelque chose ; il
est juste de tenir ma parole.
Ce point y est traité dans le même
goût ; c'est -à - dire , avec une abondance
I. Vol. de
DECEMBRE. 1733. 2575
de recherches et d'érudition qu'on avoit
droit d'attendre d'une habile Societé de
Gens de Lettres. Mais ils se sont contentez
de mettre sous les yeux du Lecteur un
amas de faits qui ne laissent rien à désirer
sur la matiere, que l'ordre et le discernement.
Ils vont même plus loin. Ils raportent
avec diffusion les disputes et les
sentimens de tous les Auteurs sur chaque
point en particulier , et n'omettent rien
de part et d'autre . Mais en Ecrivains
humbles et timides , on ne les voit presque
jamais prendre de parti. Comme les regles
de la Critique ne leur ont point appris à
décider dans la diversité des opinions, ils
doutent et hésitent sur tout , et laissent
les autres dans la même incertitude. L'Analyse
que je vais faire de cette Partie
vous en convaincra,
W
» L'on remarque , disent -ils , de si
grands vuides et des erreurs si manifestes
» dans les successions des Rois d'Egypte ,
que ce seroit une peine très inutile que
de vouloir les ranger dans un ordre
> Chronologique
, qui les accordât entr'elles
, aussi bien qu'avec l'Ecriture
p. 426. « La Chronique
de Marsham
est pleine d'une érudition
admirable
» mais par malheur il s'est attaché trop
scrupuleusement
à la Chronologie
du
2
"
1. Vole B vj » Texte
2576 MERCURE DE FRANCE
Texte hebreu. Attachement qui l'obli-
» ge à supposer que Mènes a été Cham et
point Mizraim , et de faire commancer
son regne, en dépit du bon sens , im-
» médiatement , ( c'est- à- dire plus d'un
ן כ
siécle ) après le Déluge , p. 430. Tous
» les plus grands Hommes ne sçavent ce
» qu'ils disent là - dessus ; et l'on avouë
>> ingenûment que l'on ne comprend pas
.commentle projet d'accorder la Chro-
» nologie Egyptienne des premiers siecles
»avec la nôtre, à la légere différence de
quelques années près, a pû entrer dans
»l'esprit des gens sensez et ce qui a aug-
» menté l'étonnement est le ton décisif
» que quelques uns d'eux ont pris dans
» une matiere aussi incertaine , p . 434.
» Enfin la chose la moins vraisemblable
» est que Menès ait pû commencer son
» regne deux siècles après le Déluge , p.
» 435...
Il n'y a que l'incomparable , Newton qui
7. entende quelque chose . Cet illustre
Auteur ( oui en fait de Mathématique )
croit que Sesostris étoit Osiris . C'est pourquoi
il place après lui , Menès ( que to s
les Anciens ont regardé comme le premier
Roy d'Egypte. ) Et par une conséquence
nécessaire aussi bien - que pour
d'autres raisons , il change la succession
Le Vol. des
DECEMBRE. 1733
2577
des Rois d'Egypte de sa propre autorité
et voici l'ordre qu'il y met: Sasostris , Phee
ron, Proteus, Menès , Rhampsinitus Maris,
Cheops , Cephren , Mycerinus , Nitocris
&c. C'est comme si l'on arrangeoit ainsi
les Rois de France , Charles- Magne, Henri
IV. S.Louis,Mérovée, Pharamond , Il suppose
que Ménès a été le même qu'Aménophis
( le quel ? ) et Memnon , et que
par corruption on l'a appellé : Menès, Minès
, Mineus, Minies , Minevis, Enephes,
Venephes, Phamenophis , Osymanthias , Osimandes
, Ismandes , Imandes , Memnon
Arminon. Papa? Qui est ce qui le croira ?
Suivant cette hypothése , Menès ( reconnu
presqu'universellement pour fils de
Cham ) est plus ancien d'environ trois
cent ans que Psammétique , qui vivoit du
temps de Manassès. Ces découvertes ne
sont -elles pas incomparables , ou plutôt
ne sont- elles pas avancées en dépit du bon
sens, pour me servir de l'élégante expres
sion du Traducteur ?
$
-
Cependant il est vrai que ces Messieurs
se contentent d'admirer ces productions ,
sans les adopter,mais M.Newton ne pour
roit pas s'en fâcher , puisqu'ils rejettent
tout systême , et ne veulent commencer
leur Chronologie qu'à Psammétique.Mais
quoi ! falloit- il donc tant d'esprit pour
I. Vol. voie
2578 MERCURE DE FRANCE
voir
que
Sésac est nommé dans l'Ecriture
à côté de Salomon ? Hérodote ne dit- il
pas que Protée regnoit pendant le Siége
de Troye? Voilà donc la Chronologie remontée
déjà de seo ans. Quel pouvoit
être le Roy qui entréprit ces grands travaux
, qui accablerent les Israëlites ? Hérodote
et Diodore le peignent assez par
l'histoire de Sesostris. Il ne falloit donc
pas avoir une grande sagacité pour donner
de l'ordre à l'histoire des Egyptiens
avant la décadence de leur Empire , eton
peut l'assurer sans prendre le ton décisif.
Il est des yeux qu'un trop grand jour
éblouit. Frappez par les preuves et les objections
de tous les Systêmes Chronologiques
, ces Messieurs y ont vu par tout
du fort et du foible ; ils ont crû qu'on ne
pouvoit rien proposer de mieux que ce
qu'ils trouvoient dans des Ecrivains du
premier Ordre , quoiqu'ils n'ayent pas
consulté ce qu'on nous a donné en France
depuis quelques - temps , qui répand sur
ce sujet plus de lumiere qu'il n'y en avoit
jamais eu ; ils ont mieux aimé raconter
les sentimens d'autrui que d'en hazarder
un d'eux - mêmes , et c'est la méthode
qu'ils observent dans tout le reste de cette
Histoire particuliere ; ensorte qu'on
pourroit l'appeller une Histoire , in utram-
1. Vol.
que
DECEMBRE. 1733. 2579
que
que partem; pour et contre. Je ne choisis
trois exemples entre mille, parce qu'il est
temps de finir. On rapporte tout de suite
98 Systêmes de Chronologie , sans dire seulement
si dans tout ce nombre il y en a
un de bon. Pour sçavoir qui étoit Menès ,
il y a une belle et grande Note de 2 pages
in 4° , en petit texte , fort serré , où l'on
transcrit les raisons de Périzonius , de
Marsham , de Pezron et de M. Newton .
C'est bien pis sur Sésostris; il y a près de
neuf pages entieres de même caractere ,
fort serré , qui en feroient au moins 20
d'un in 12 ordinaire , pour rapporter la
dispute des mêmes Ecrivains, auxquels or
ajoute M.Wisthon quien occupe la meilleure
partie ,pour discuter si ce Prince est
le même que Sézac . Cela n'est- il pas bien
amusant ? On promet neanmoins de rapporter
ces sentimens en moins de paroles
qu'il sera possible . Que seroit- ce donc si
l'on avoit osé se livrer à soi- même ? Il met
vient en pensée un meilleur Titre , que
ces Messieurs auroient pû donner à leur
Ouvrage ; ils auroient dû mettre , ce me
semble , Histoire de ce qu'ont pensé tous les
Auteurs sur l'ancien Empire des Egyptiens,
jusqu'à Alexandre. En voilà assez pour une
Lettre. Si vous exigiez absolument que je
vous donnasse d'autres Extraits sur le rés-
1. Vol.
te
2580 MERCURE DE FRANCE
te de ce volume , j'aurois de la peine à
vous refuser ; mais je vais prévenir toute
difficulté en vous priant de ne me plus
rien demander. Je suis , & c..
Fermer
Résumé : SECONDE LETTRE CRITIQUE, sur la Chronologie de la nouvelle Histoire Universelle traduite de l'Anglois.
La lettre critique examine la chronologie de la nouvelle Histoire Universelle traduite de l'anglais, en se concentrant particulièrement sur l'Histoire des Égyptiens. L'auteur souligne les difficultés rencontrées par les historiens pour établir une chronologie précise de l'histoire ancienne, notamment les débats entre les textes hébreux et samaritains. Les auteurs de l'ouvrage adoptent une approche flexible, alternant entre ces textes selon leur convenance, et reconnaissent les écrits de Moïse comme les seuls monuments authentiques pour l'histoire antérieure au Déluge. Cependant, ils introduisent des éléments controversés, comme la généalogie de Sanchoniathon, un auteur phénicien, qui fournit une généalogie complète des descendants de Caïn jusqu'à Abraham. La lettre critique met en doute la fiabilité des sources païennes et des découvertes surprenantes, telles que celle de Berose, qui parle d'un poisson à deux têtes comme premier maître des Chaldéens. Les auteurs de l'ouvrage tentent de concilier ces fables païennes avec la chronologie biblique, mais l'auteur de la lettre trouve ces efforts peu convaincants et fondés sur l'imagination. En conclusion, la lettre critique remet en question la fiabilité de l'ouvrage, notant que le lecteur reste incertain après avoir lu des centaines de pages. L'auteur critique également la méthode des compilateurs, qui ajustent l'Écriture sur l'histoire profane plutôt que l'inverse. Le texte discute également de la complexité de la chronologie des rois de la Grèce antique, notamment en Peloponnèse, et compare cette situation à une hypothétique répartition de rois en Lorraine. Il critique les préliminaires d'un ouvrage sur l'histoire, soulignant que leurs auteurs, bien que très érudits, manquent de clarté et de discernement. Les auteurs de l'ouvrage compilent abondamment des faits et des disputes entre différents auteurs, mais évitent de prendre parti, laissant ainsi le lecteur dans l'incertitude. Ils commencent leur chronologie à Psammétique, rejetant tout système chronologique antérieur. Le texte conclut en qualifiant l'ouvrage d'« Histoire in utramque partem », c'est-à-dire une histoire qui présente les arguments pour et contre sans prendre parti.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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