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1
p. 270-299
Eloge de feu Mr de Corneille. [titre d'après la table]
Début :
Je vous tiens parole, & je m'acquitte de ce que je vous ay promis [...]
Mots clefs :
Éloge, Corneille, Académie française, Public, Comédies, Tragédies, Opéra, Troupe, Comédien, Éditions
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texteReconnaissance textuelle : Eloge de feu Mr de Corneille. [titre d'après la table]
Je vous tiens parole , &je
m'acquitte de ce que je vous
ay promis en vous envoyant
l'Eloge de feu Mr de Corneille, Ecuyer, mort à l'âge de 84.
ans. Il a porté le nom de
Jeune , dans un âge fort avancé , à caufe qu'il avoit un frere
plus âgé que luy , connu fous
le nom du grand Corneille , &
qui s'eftoit acquis ce furnom
a jufte titre. On avoit encore
donné au cadet le furnom
d'honneste homme , à caufe de la
GALANT 271-
droiture de fon cœur generalement connue. Il eftoit univerfellement aimé , & il n'a
pas paru qu'il ait jamais eu
aucun ennemy ni qu'il fe foit
brouillé avec perfonne. Il étoit
obligeant, d'une humeur douce, & fe faifoit un plaifir d'en
faire à tous ceux qui en fouhaitoient de luy.
Comme l'efprit eftoit hereditaire dans fa famille , il ne
faut pas s'eftonner s'il prit le
party des Lettres. Il eftoit univerfel , & la Poëſie n'a pas fait
fon unique occupation. Il a
donné cinq gros Volumes in
Z iiij
272 MERCURE
F
Folio au Public , dont je vous
parleray dans la fuite , ainfi
que d'autres ouvrages de Profe. Ses premiers ont efté des
preuves du talent qu'il avoit
pour la Poësie , & c'eft ordinairement par où les jeunes
gens commencent à exercet
leur efprit. Iltraduifit les Methamorphofes d'Ovide, &p'ufieurs autres Ouvrages de ce
galant Auteur en Vers François , dont on a fait un grand
nombre d'Editions. Ses Ouvrages de Theatre ont diverty
la Cour pendant tout le temps
de la Regence , & long- temps.
ป
GALANI 273
aptés , &parmy fes Comedies
& fes Tragedies , dont je ne
vous nommeray que quelquesunes , puifque le Recueil de
fes Pieces eft imprimé , il y en
a eu dont les fuccés ont furpaffe ceux des Pieces des plus
fameux Auteurs ; & entre fes
Comedies , Dom Bertrand de
Sigaralle , a cfté fi eftimé & fi
fuivy, que l'on a remarqué que
pendant un certain nombre
d'années , il a efté joué plus de
vingt fois à la Cour , fans les
reprefentations qui en ont efté
données au Public. Mr de
Corneille n'eftoit encore que
274 MERCURE
dans un âge tres-peu avancé,
lors qu'ilfit jouer fur le Theatre du Marais , le Tymocrate.
Nous n'avons point yû d'Ouvrage de nos jours qui ait efté
reprefenté fi long- temps de
fuite , puifque les reprefentations en furent continuées pendant un hyver entier ; & cette
Piece fit tant de bruit , que le
Roy l'alla voir fur le Theatre
du Marais. Le fujet de cette
Piece fut fi heureux , & cette
Tragedie fut fi intereſſante,
qu'on vit paroiftre auffi toſt
plufieurs Pieces, dont les Heros eftoient haïs fous un nom
GALANT 275
& aimez fous un autre. Comme la Troupe des Comediens
du Marais ne paffoit pas pour
eftre la meilleure de Paris , &
que celle de l'Hoſtel de Bourgogne la furpaffoit infiniment,
& qu'elle avoit toutes les voix,
cetteTroupe entreprit de jouer
cette Piece , à caufe de la reputation extraordinaire qu'el
le avoit euë ; mais comme
tout Paris la fçavoit par cœur,
cette Troupe n'eût pas tous
les applaudiffemens qu'elle at.
tendoit , & le grand nombre
de Reprefentations qu'en avoient donné les Comediens
+
276 MERCURE
du Marais , avoient fait qu'ils
poffedoient fi bien cette Piece , qu'il fut impoffible aux
Copies d'atteindre jufqu'à la
perfection des Originaux ; de
maniere que lors qu'il eftoit
queftion de la voir reprefenter on preferoit les Comediens du Marais à ceux del'Hôtel de Bourgogne.
Mr de Corneille fit jouer
quelque temps aprés la mort
de l'Empereur Comode fur le
mefine Theatre des Coinediens du Marais , où le Roy
& toute la Cour , fur le bruit
qui fe répandit des grands ap
GALANT 277
plaudiffemens que cette Piece
recevoit , allerent en voir la
reprefentation & quelque
temps aprés elle fut jouée fur
le Theatre du Louvre , où l'on
en donna encore enſuite plufieurs reprefentations.
Les Comediens de l'Hoftel
de Bourgogne , chagrins des
avantages que recevoient les
Comediens du Marais , mirent
tout en ufage pour s'acquerir
M'de Corneille , & il fe trouva obligé de travailler pour
eux , parce qu'ils avoient fait
entrer dans leur Troupe quelques Comediens du Marais ,
278 MERCURE
fans lefquels fes Pieces auroient
eſté mal jouées. Il fit donc reprefenter le Stilicon fur le
Theatre de l'Hoftel de Bourgogne. Je ne vous dis rien de
cette Piece. Perfonne n'ignore
qu'elle fut le charme de tout
Paris. M' de Corneille donna
enfuite Camma , Reine de Galatie , & la Cour & la Ville ſc
trouverent en fi grand nombre aux Repreſentions de cette Piece , que les Comediens
ne trouvoient pas de place fur
le Theatre pour pouvoir jouer
avec tranquilité , & il arriva
une chofe en ce temps- là qui
GALANT 279
n'avoit point encore eſté faite
par aucune Troupe. Les Comediensjufqu'à cette Piece n'avoient joué la Comedie que
les Dimanches , les Mardis , &
les Vendredis ; mais ils commencerent à caufe de la foule ,
à jouer les Jeudis , ce qui leur
arriva dans la fuite , lors que
les Pieces eftoient fort fuivies ,
ce qu'ils ont toûjours fait depuis, & ce qui leur a vallu beaucoup d'argent.
Parmi fes Tragedies on en
trouve une qui a paffé pour un
Chef-d'œuvre. Jamais Piece.
n'a efté plus touchante & plus
-
280 MERCURE
fuivie. C'eft de l'Ariane dont
je veux parler , & ce qui doit
furprendre tout le monde , eft
que M' de Corneille eftant retiré à la Campagne avoit fait
cette Piece en quarante jours.
Il n'avoit pas moins de facilité
à travailler à fes ouvrages de
Theatre, que de memoire pour
les retenir , & tous ceux qui
l'ont connu particulierement.
ont efté témoins que lors qu'il
eftoit prié delire fes Pieces dans
quelques Compagnies , ce qui
cftoit autrefois fort en ufage ,
il les recitoit mieux qu'aucun
Comedien n'auroit pû faire ,
GALANT 281
fans rien lire ; il eftoit fi fûr de
fa memoire , quefouvent il ne
portoit point fes Pieces avec
luy.
Les Comediens m'ayant
preffé avec de fortes inftances ,
de mettre aprés la mort de M
Voifin tout ce qui s'eftoit paf
fé chez elle pendant fa vie à
l'occafion du mêtier dont elle
s'eitoit mêlée , je fis un grand
nombre de Scenes qui auroient
pû fournir de la matiere pour
trois ou quatre Pieces ; mais
qui ne pouvoient former un
fujet parce qu'il eftoit trop uniforme, & qu'il nes'agiffoit que
Fanvier 1710. Aa
282 MERCURE
de gens qui alloient demander
leur bonne - avanture , & faire
des propofitions qui la regardoient ; mais toutes ces Scenes.
ne pouvant former le neud
d'une Comedie , parce que
toutes ces perfonnes ſe fuyant
& évitant de fe parler , il eftoit
impoffible de faire une liaifon
de Scenes , & que la Piece puſt
avoir unnœud ; je luy donnay
mes Scenes , & il en choifit un
nombre avec lefquelles il compofa un fujet dont le noud
parut des plus agreable , &qui
a efté regardé comme un Chefd'œuvre. Le fuccés de cette
GALANT 283
Piece qui a efté un des plus prodigieux du fiecle , en fait foy.
Le fuccés de la Comedie de
'Inconnu a efté auffi des plus
grands. Il y avoit des raifons
pour donner promptement
cette Piece au Public ; de maniere que pour avancer , je fis
toute la Piece en Profe , &
pendant que je faifois la Profe
du fecond Acte , il mettoit
celle du premier Acte en Vers ;
& comme la Profe eft plus facile que les Vers , j'eus le temps
de faire ceux des Divertiffemens , & fur tout du Dialogue
Aa ij
284 MERCURE
de l'Amour & de l'Amitié qui
n'a pas déplu au Public. Nous
avons fait encore enfemble la
fuperbe Piece de Machines de
Circé , de laquelle je n'ay fait
que les Divertiffemens. Les
Comediens avoient traité du
Theatre des Opera de feu M
le Marquis de Sourdeac ; &
comme tous les mouvemens
des Opera y eftoient reftez ,
je crus qu'en fe fervantedes
mefines mouvemens qui a
voient fervi aux Machines de
ces Opera , on pourroit faire
une Piece qui feroit recitées
GALANT 285
& non chantée , & nous
cherchâmes un fujet favora
ble à mettre ces Machines
dans leur jour. De maniere
que lorsque la Piece parut elle
ne reffembloit en rien aux Opera qui avoient eſté chantez
fur le même Theatre. Le fuccés de cette Piece fut fi prodigieux qu'elle fut jouée fans
interruption depuis le commencement du Carefme jufqu'au mois de Septembre ,
& les Reprefentations en auroient encore duré plus longtemps fi les intereſts d'un Par
ticulier n'en euffent point fait
286 MERCURE
retrancher les voix. Il eft à remarquer que pendant les fix
premieres femaines , la Salle de
la Comedie fe trouva toute
remplie dés midi ; & que com
me l'on n'y pouvoit trouver
de place on donnoit un demi
Louis d'or à la porte , feulement pour y avoir entrée , &
que l'on eftoit content quand
pour la même fomme que l'on
donnoit aux premieres Loges ,
on eftoit placé au troisième
rang. Je n'avance rien dontles
Regitres des Comediens ne
faffent foy.
Comme feu Mr de Cor-
GALANT 287
neille , avoit le bonheur de
réüffir dans tout ce qu'il entreprenoit & que l'Opera cût
efté étably au Palais Royal ,
il fut follicité d'y travailler ,
& il fit l'Opera de Bellerophon,
quifut auffi joué pendant prés
d'une année entiere. Outre
la beauté des Vers & de la
Mufique on remarqua dans
cette Piece ce qui ne s'eftoit
pas encore vu dans aucun Opera ; c'eft à- dire , un fujet auffi
plein & auffi intrigué qui fi la
Piece avoit eu quinze cens
Vers , quoyqu'à caufe de l'étenduëque donne la Mufique,
288 MERCURE
les Opera n'en contiennent
ordinairement que quatre 3
cinq cens. Son genie parut
encore dans l'Opera de Pfiché ;
ce fujet avoit efté mis en Comedie pour le Roy , avec des
Intermedes fi remplis & fi
fuperbes pour tout ce qui en
regardoit les ornemens , que
la France n'a rien vû de plus
beau que ce Spectacle qui avoit
eſté donné dans la fuperbe
Salle des Machines qui fe voit
dans le Palais des Thuileries.
-
Les Comediens voulurent
donner cette Piece au Public ,
en y laiffant les Intermedes , &
fans
GALANT 289
fans que le Corps de la Piece
fuft mife en Opera ; mais la
dificulté parut grande à tous
les Auteurs , car la Piece qui
avoit cité recitée avoit autant
de Vers que les Tragedies ordinaires , & il n'en falloit pas
le quart pour eftre chantée ,
& que cependant tout le fujet
yentraft ; c'eft de quoy Mr de
Corneille vint à bout , & il
fçut la reduire en Opera fans
rien changer du fujer de la'
Piece ; demaniere qu'en n'employant que quatre cens Vers ,
le Public vit les mêmes incidens qu'il avoit trouvez dans
Fanvier 1710.
Bb
290 MERCURE
la Piece de dix huit cens , ce
qui furprit tous les Auditeurs ,
& luy attira beaucoup de
loüanges.
Je nefinirois point cet Elogefi je voulois faire l'Hiftoire
de tous les Ouvrages de Theatre de Mr de Corneille , &
j'aurois quelque chofe de fingulier à vous dire fur chacune
de fes Pieces. La Poëfie cftoit
le moindre de les talens , &
on enjugera par Les Ouvrages
de Profe que je vais vous
raporter. Il fçavoit parfaitement la Langue. Rien ne luy
eftoit caché dans les Arts , &
GALANT 291
toute la terre luy eftoit connuë. Voicy des preuves ' parlantes & inconteftables de ces
trois chofes.
Les remarques que cet
homme univerfel a fait fur
Vaugelas font une preuve
fans replique qu'il connoiffoit
la Langue dans toutela pureté,
&l'on peut en lifant ce Livre
s'éclaircir des doutes que l'on
peut avoir lorfque l'on veut
écrire & parler jufte. Auffi
ce Livre eft il fort recherché
& confulté de ceux qui yeulent acquerirle nom de Puriftes,
.que feu Mr de Corneille , a
Bb ij
292 MERCURE
mieux merité que beaucoup
d'autres , & j'ay fouvent oui
dire à Mr l'Abbé de Dangcau ,
qui comme vous fçavez eft de
l'Academie Françoiſe , & qui
fe plaifoit à luy rendre juſtice ,
qu'il eftoit leur Maître.
Les deux Volumes in fulio
qu'il a donnez au Public fous .
le nom de Dictionnaire des
Arts, doivent faire connoiſtre,
fans qu'il foit befoin d'en dire
davantage, que tout ce qui les
regarde , luy eftoit parfaitementconnu. Il me faudroit faireun Volume, fi je voulois par-,
de tout ce qu'ils contien- jer
GALANT 293
nent ,& de tous les Intrumens
qui regardent les Arts. J'ajouteray feulement que que ces deux .
Volumes ont efté trouvez fi
beaux & fi utiles , que l'impreffion en a efté entierement
enlevée prefque dans le temps
qu'elle a paru , quoy qu'elle
fe foit vendue dans le temps
que l'Academic Françoiſe a
donné fon Dictionnaire au
Public. Il avoit beaucoup travaillé avant la mort, pour en
donner une feconde, Edition ;
& il eftoit ſi laborieux , qu'il
travailloit en mefme temps aux
trois gros Volumes in folio
Bb jij
294 MERCURE
qu'il a donnez au Public un
peu avant fa mort, & qui font
• connoiftre qu'il eftoit univerfel, & qu'il connoiffoit la Terre entiere. 曹 Ces Volumes ont
pour titre , Dictionnaire univerfel , Geographique & Hiftorique , contenant la Defcription
des Royaumes, Empires , Eftats,
Provinces , Pays, Contrées, Dea
ferts , Villes , Bourgs , Abbayes;
Chafteaux , Fortereffes , Mers,
Rivieres , Lacs , Bayes ; Golphes , Détroits , Caps , Ifles,
Prefqu'Ifles, Montagnes , Vallées ; lafituation , l'étendue , les
limites , les diftances de chaque
GALANT 295
Pays ; la Religion , les Mœurs,
les Coûtumes , le Commerce , lesCeremonies particulieres des Peuples , ce que l'Hiftoire fournit
de plus curieux touchant les chofes qui s'y font passées. Le tout
recueilly des meilleures Livres de
Voyages , autres qui agent
paru jusqu'à prefent , par
Corneille de l'Academie Frangoife , & de celle des Infcriptions
des Medailles. موع
Mr
Le Public eftoit tellement
perfuadé de la bonté de fes
Ouvrages , quedés qu'il apprenoit qu'il en avoit quelqu'un
fous la Preffe , il en retenoit &
Bb iiij
296 MERCURE
en payoit d'avance des Exemplaires , chacun témoignant
par cet empreffement le defir
qu'il avoit d'en avoir des premicrs ; de maniere que l'Edition de ce Dictionnaire s'eft
trouvée vendue prefque auffitoft qu'elle a efté achevée , &
Mr de Corneille, dans le temps
qu'il eft mort , avoit déja fait
beaucoup de remarques fur
fonOuvrage, & ramaffe beaucoup de chofes curieuſes pour
en compoſer une feconde Edition .
Je dois avoüer icy que je
tiens de luy tour ce que je
GALANT 297
fçay de la Langue Françoife,
& que pendant un affez grand
nombre d'années, j'ay foûmis
mes Ouvrages à fa correction;
ce qui a fait croire davantage,
& ce qui eftoit ceffé depuis
douze années , ce grand homme eftant affez occupé d'ail .
leurs , & beaucoup détourné
par des incommoditez que
années & un travail immenſe
& continuel luy avoienr attirées.ople
र
fes
Il avoit un grand fond de
probité , de droitute , de fageffe , de bonté , de modeftie,
de charité , & de vertu. Enne-
298 MERCURE
mi de la médifance , il ne pouvoitfouffrir les perfonnes dont
l'unique converfation eft de
faire inventaire des actions
d'autruy. Jamais homme n'a
eu plus de Religion , & n'eft
mort avec plus de refignation
aux volontez de Dieu , & il
voyoit tous les jours approcher la mort avec une fermeté
incroyable , fans ceffer neanmoins fon travail qui luy cftoit
neceffaire , parce que les gens
de Lettres ne font pas ordinairement les plus favorifez de
la fortune , & que l'Ecriture
dit , QUI LABORAT ORAT,
qui travaille prie.
THEQUE
GALANT
20
BIBLIO
ge VILLE
Ce grand homme efton res
commandable par tant d'endroits differens, que je ne doute point que celuy qui aura
le bonheur de remplir la place
qu'il occupoit dans l'Academie Françoife , ne trouve encore de nouveaux fujets d'en
faire un bel Eloge. Perfonne
n'ignore qu'il eftoit auffi de
l'Academie Royale des Medailles & Infcriptions.
Je crois pouvoir placer une
Chanfon aprés l'Eloge d'un
homme qui en a fait de fi belles ; elle eft du Solitaire du
Bois du Val- Dieu.
m'acquitte de ce que je vous
ay promis en vous envoyant
l'Eloge de feu Mr de Corneille, Ecuyer, mort à l'âge de 84.
ans. Il a porté le nom de
Jeune , dans un âge fort avancé , à caufe qu'il avoit un frere
plus âgé que luy , connu fous
le nom du grand Corneille , &
qui s'eftoit acquis ce furnom
a jufte titre. On avoit encore
donné au cadet le furnom
d'honneste homme , à caufe de la
GALANT 271-
droiture de fon cœur generalement connue. Il eftoit univerfellement aimé , & il n'a
pas paru qu'il ait jamais eu
aucun ennemy ni qu'il fe foit
brouillé avec perfonne. Il étoit
obligeant, d'une humeur douce, & fe faifoit un plaifir d'en
faire à tous ceux qui en fouhaitoient de luy.
Comme l'efprit eftoit hereditaire dans fa famille , il ne
faut pas s'eftonner s'il prit le
party des Lettres. Il eftoit univerfel , & la Poëſie n'a pas fait
fon unique occupation. Il a
donné cinq gros Volumes in
Z iiij
272 MERCURE
F
Folio au Public , dont je vous
parleray dans la fuite , ainfi
que d'autres ouvrages de Profe. Ses premiers ont efté des
preuves du talent qu'il avoit
pour la Poësie , & c'eft ordinairement par où les jeunes
gens commencent à exercet
leur efprit. Iltraduifit les Methamorphofes d'Ovide, &p'ufieurs autres Ouvrages de ce
galant Auteur en Vers François , dont on a fait un grand
nombre d'Editions. Ses Ouvrages de Theatre ont diverty
la Cour pendant tout le temps
de la Regence , & long- temps.
ป
GALANI 273
aptés , &parmy fes Comedies
& fes Tragedies , dont je ne
vous nommeray que quelquesunes , puifque le Recueil de
fes Pieces eft imprimé , il y en
a eu dont les fuccés ont furpaffe ceux des Pieces des plus
fameux Auteurs ; & entre fes
Comedies , Dom Bertrand de
Sigaralle , a cfté fi eftimé & fi
fuivy, que l'on a remarqué que
pendant un certain nombre
d'années , il a efté joué plus de
vingt fois à la Cour , fans les
reprefentations qui en ont efté
données au Public. Mr de
Corneille n'eftoit encore que
274 MERCURE
dans un âge tres-peu avancé,
lors qu'ilfit jouer fur le Theatre du Marais , le Tymocrate.
Nous n'avons point yû d'Ouvrage de nos jours qui ait efté
reprefenté fi long- temps de
fuite , puifque les reprefentations en furent continuées pendant un hyver entier ; & cette
Piece fit tant de bruit , que le
Roy l'alla voir fur le Theatre
du Marais. Le fujet de cette
Piece fut fi heureux , & cette
Tragedie fut fi intereſſante,
qu'on vit paroiftre auffi toſt
plufieurs Pieces, dont les Heros eftoient haïs fous un nom
GALANT 275
& aimez fous un autre. Comme la Troupe des Comediens
du Marais ne paffoit pas pour
eftre la meilleure de Paris , &
que celle de l'Hoſtel de Bourgogne la furpaffoit infiniment,
& qu'elle avoit toutes les voix,
cetteTroupe entreprit de jouer
cette Piece , à caufe de la reputation extraordinaire qu'el
le avoit euë ; mais comme
tout Paris la fçavoit par cœur,
cette Troupe n'eût pas tous
les applaudiffemens qu'elle at.
tendoit , & le grand nombre
de Reprefentations qu'en avoient donné les Comediens
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du Marais , avoient fait qu'ils
poffedoient fi bien cette Piece , qu'il fut impoffible aux
Copies d'atteindre jufqu'à la
perfection des Originaux ; de
maniere que lors qu'il eftoit
queftion de la voir reprefenter on preferoit les Comediens du Marais à ceux del'Hôtel de Bourgogne.
Mr de Corneille fit jouer
quelque temps aprés la mort
de l'Empereur Comode fur le
mefine Theatre des Coinediens du Marais , où le Roy
& toute la Cour , fur le bruit
qui fe répandit des grands ap
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plaudiffemens que cette Piece
recevoit , allerent en voir la
reprefentation & quelque
temps aprés elle fut jouée fur
le Theatre du Louvre , où l'on
en donna encore enſuite plufieurs reprefentations.
Les Comediens de l'Hoftel
de Bourgogne , chagrins des
avantages que recevoient les
Comediens du Marais , mirent
tout en ufage pour s'acquerir
M'de Corneille , & il fe trouva obligé de travailler pour
eux , parce qu'ils avoient fait
entrer dans leur Troupe quelques Comediens du Marais ,
278 MERCURE
fans lefquels fes Pieces auroient
eſté mal jouées. Il fit donc reprefenter le Stilicon fur le
Theatre de l'Hoftel de Bourgogne. Je ne vous dis rien de
cette Piece. Perfonne n'ignore
qu'elle fut le charme de tout
Paris. M' de Corneille donna
enfuite Camma , Reine de Galatie , & la Cour & la Ville ſc
trouverent en fi grand nombre aux Repreſentions de cette Piece , que les Comediens
ne trouvoient pas de place fur
le Theatre pour pouvoir jouer
avec tranquilité , & il arriva
une chofe en ce temps- là qui
GALANT 279
n'avoit point encore eſté faite
par aucune Troupe. Les Comediensjufqu'à cette Piece n'avoient joué la Comedie que
les Dimanches , les Mardis , &
les Vendredis ; mais ils commencerent à caufe de la foule ,
à jouer les Jeudis , ce qui leur
arriva dans la fuite , lors que
les Pieces eftoient fort fuivies ,
ce qu'ils ont toûjours fait depuis, & ce qui leur a vallu beaucoup d'argent.
Parmi fes Tragedies on en
trouve une qui a paffé pour un
Chef-d'œuvre. Jamais Piece.
n'a efté plus touchante & plus
-
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fuivie. C'eft de l'Ariane dont
je veux parler , & ce qui doit
furprendre tout le monde , eft
que M' de Corneille eftant retiré à la Campagne avoit fait
cette Piece en quarante jours.
Il n'avoit pas moins de facilité
à travailler à fes ouvrages de
Theatre, que de memoire pour
les retenir , & tous ceux qui
l'ont connu particulierement.
ont efté témoins que lors qu'il
eftoit prié delire fes Pieces dans
quelques Compagnies , ce qui
cftoit autrefois fort en ufage ,
il les recitoit mieux qu'aucun
Comedien n'auroit pû faire ,
GALANT 281
fans rien lire ; il eftoit fi fûr de
fa memoire , quefouvent il ne
portoit point fes Pieces avec
luy.
Les Comediens m'ayant
preffé avec de fortes inftances ,
de mettre aprés la mort de M
Voifin tout ce qui s'eftoit paf
fé chez elle pendant fa vie à
l'occafion du mêtier dont elle
s'eitoit mêlée , je fis un grand
nombre de Scenes qui auroient
pû fournir de la matiere pour
trois ou quatre Pieces ; mais
qui ne pouvoient former un
fujet parce qu'il eftoit trop uniforme, & qu'il nes'agiffoit que
Fanvier 1710. Aa
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de gens qui alloient demander
leur bonne - avanture , & faire
des propofitions qui la regardoient ; mais toutes ces Scenes.
ne pouvant former le neud
d'une Comedie , parce que
toutes ces perfonnes ſe fuyant
& évitant de fe parler , il eftoit
impoffible de faire une liaifon
de Scenes , & que la Piece puſt
avoir unnœud ; je luy donnay
mes Scenes , & il en choifit un
nombre avec lefquelles il compofa un fujet dont le noud
parut des plus agreable , &qui
a efté regardé comme un Chefd'œuvre. Le fuccés de cette
GALANT 283
Piece qui a efté un des plus prodigieux du fiecle , en fait foy.
Le fuccés de la Comedie de
'Inconnu a efté auffi des plus
grands. Il y avoit des raifons
pour donner promptement
cette Piece au Public ; de maniere que pour avancer , je fis
toute la Piece en Profe , &
pendant que je faifois la Profe
du fecond Acte , il mettoit
celle du premier Acte en Vers ;
& comme la Profe eft plus facile que les Vers , j'eus le temps
de faire ceux des Divertiffemens , & fur tout du Dialogue
Aa ij
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de l'Amour & de l'Amitié qui
n'a pas déplu au Public. Nous
avons fait encore enfemble la
fuperbe Piece de Machines de
Circé , de laquelle je n'ay fait
que les Divertiffemens. Les
Comediens avoient traité du
Theatre des Opera de feu M
le Marquis de Sourdeac ; &
comme tous les mouvemens
des Opera y eftoient reftez ,
je crus qu'en fe fervantedes
mefines mouvemens qui a
voient fervi aux Machines de
ces Opera , on pourroit faire
une Piece qui feroit recitées
GALANT 285
& non chantée , & nous
cherchâmes un fujet favora
ble à mettre ces Machines
dans leur jour. De maniere
que lorsque la Piece parut elle
ne reffembloit en rien aux Opera qui avoient eſté chantez
fur le même Theatre. Le fuccés de cette Piece fut fi prodigieux qu'elle fut jouée fans
interruption depuis le commencement du Carefme jufqu'au mois de Septembre ,
& les Reprefentations en auroient encore duré plus longtemps fi les intereſts d'un Par
ticulier n'en euffent point fait
286 MERCURE
retrancher les voix. Il eft à remarquer que pendant les fix
premieres femaines , la Salle de
la Comedie fe trouva toute
remplie dés midi ; & que com
me l'on n'y pouvoit trouver
de place on donnoit un demi
Louis d'or à la porte , feulement pour y avoir entrée , &
que l'on eftoit content quand
pour la même fomme que l'on
donnoit aux premieres Loges ,
on eftoit placé au troisième
rang. Je n'avance rien dontles
Regitres des Comediens ne
faffent foy.
Comme feu Mr de Cor-
GALANT 287
neille , avoit le bonheur de
réüffir dans tout ce qu'il entreprenoit & que l'Opera cût
efté étably au Palais Royal ,
il fut follicité d'y travailler ,
& il fit l'Opera de Bellerophon,
quifut auffi joué pendant prés
d'une année entiere. Outre
la beauté des Vers & de la
Mufique on remarqua dans
cette Piece ce qui ne s'eftoit
pas encore vu dans aucun Opera ; c'eft à- dire , un fujet auffi
plein & auffi intrigué qui fi la
Piece avoit eu quinze cens
Vers , quoyqu'à caufe de l'étenduëque donne la Mufique,
288 MERCURE
les Opera n'en contiennent
ordinairement que quatre 3
cinq cens. Son genie parut
encore dans l'Opera de Pfiché ;
ce fujet avoit efté mis en Comedie pour le Roy , avec des
Intermedes fi remplis & fi
fuperbes pour tout ce qui en
regardoit les ornemens , que
la France n'a rien vû de plus
beau que ce Spectacle qui avoit
eſté donné dans la fuperbe
Salle des Machines qui fe voit
dans le Palais des Thuileries.
-
Les Comediens voulurent
donner cette Piece au Public ,
en y laiffant les Intermedes , &
fans
GALANT 289
fans que le Corps de la Piece
fuft mife en Opera ; mais la
dificulté parut grande à tous
les Auteurs , car la Piece qui
avoit cité recitée avoit autant
de Vers que les Tragedies ordinaires , & il n'en falloit pas
le quart pour eftre chantée ,
& que cependant tout le fujet
yentraft ; c'eft de quoy Mr de
Corneille vint à bout , & il
fçut la reduire en Opera fans
rien changer du fujer de la'
Piece ; demaniere qu'en n'employant que quatre cens Vers ,
le Public vit les mêmes incidens qu'il avoit trouvez dans
Fanvier 1710.
Bb
290 MERCURE
la Piece de dix huit cens , ce
qui furprit tous les Auditeurs ,
& luy attira beaucoup de
loüanges.
Je nefinirois point cet Elogefi je voulois faire l'Hiftoire
de tous les Ouvrages de Theatre de Mr de Corneille , &
j'aurois quelque chofe de fingulier à vous dire fur chacune
de fes Pieces. La Poëfie cftoit
le moindre de les talens , &
on enjugera par Les Ouvrages
de Profe que je vais vous
raporter. Il fçavoit parfaitement la Langue. Rien ne luy
eftoit caché dans les Arts , &
GALANT 291
toute la terre luy eftoit connuë. Voicy des preuves ' parlantes & inconteftables de ces
trois chofes.
Les remarques que cet
homme univerfel a fait fur
Vaugelas font une preuve
fans replique qu'il connoiffoit
la Langue dans toutela pureté,
&l'on peut en lifant ce Livre
s'éclaircir des doutes que l'on
peut avoir lorfque l'on veut
écrire & parler jufte. Auffi
ce Livre eft il fort recherché
& confulté de ceux qui yeulent acquerirle nom de Puriftes,
.que feu Mr de Corneille , a
Bb ij
292 MERCURE
mieux merité que beaucoup
d'autres , & j'ay fouvent oui
dire à Mr l'Abbé de Dangcau ,
qui comme vous fçavez eft de
l'Academie Françoiſe , & qui
fe plaifoit à luy rendre juſtice ,
qu'il eftoit leur Maître.
Les deux Volumes in fulio
qu'il a donnez au Public fous .
le nom de Dictionnaire des
Arts, doivent faire connoiſtre,
fans qu'il foit befoin d'en dire
davantage, que tout ce qui les
regarde , luy eftoit parfaitementconnu. Il me faudroit faireun Volume, fi je voulois par-,
de tout ce qu'ils contien- jer
GALANT 293
nent ,& de tous les Intrumens
qui regardent les Arts. J'ajouteray feulement que que ces deux .
Volumes ont efté trouvez fi
beaux & fi utiles , que l'impreffion en a efté entierement
enlevée prefque dans le temps
qu'elle a paru , quoy qu'elle
fe foit vendue dans le temps
que l'Academic Françoiſe a
donné fon Dictionnaire au
Public. Il avoit beaucoup travaillé avant la mort, pour en
donner une feconde, Edition ;
& il eftoit ſi laborieux , qu'il
travailloit en mefme temps aux
trois gros Volumes in folio
Bb jij
294 MERCURE
qu'il a donnez au Public un
peu avant fa mort, & qui font
• connoiftre qu'il eftoit univerfel, & qu'il connoiffoit la Terre entiere. 曹 Ces Volumes ont
pour titre , Dictionnaire univerfel , Geographique & Hiftorique , contenant la Defcription
des Royaumes, Empires , Eftats,
Provinces , Pays, Contrées, Dea
ferts , Villes , Bourgs , Abbayes;
Chafteaux , Fortereffes , Mers,
Rivieres , Lacs , Bayes ; Golphes , Détroits , Caps , Ifles,
Prefqu'Ifles, Montagnes , Vallées ; lafituation , l'étendue , les
limites , les diftances de chaque
GALANT 295
Pays ; la Religion , les Mœurs,
les Coûtumes , le Commerce , lesCeremonies particulieres des Peuples , ce que l'Hiftoire fournit
de plus curieux touchant les chofes qui s'y font passées. Le tout
recueilly des meilleures Livres de
Voyages , autres qui agent
paru jusqu'à prefent , par
Corneille de l'Academie Frangoife , & de celle des Infcriptions
des Medailles. موع
Mr
Le Public eftoit tellement
perfuadé de la bonté de fes
Ouvrages , quedés qu'il apprenoit qu'il en avoit quelqu'un
fous la Preffe , il en retenoit &
Bb iiij
296 MERCURE
en payoit d'avance des Exemplaires , chacun témoignant
par cet empreffement le defir
qu'il avoit d'en avoir des premicrs ; de maniere que l'Edition de ce Dictionnaire s'eft
trouvée vendue prefque auffitoft qu'elle a efté achevée , &
Mr de Corneille, dans le temps
qu'il eft mort , avoit déja fait
beaucoup de remarques fur
fonOuvrage, & ramaffe beaucoup de chofes curieuſes pour
en compoſer une feconde Edition .
Je dois avoüer icy que je
tiens de luy tour ce que je
GALANT 297
fçay de la Langue Françoife,
& que pendant un affez grand
nombre d'années, j'ay foûmis
mes Ouvrages à fa correction;
ce qui a fait croire davantage,
& ce qui eftoit ceffé depuis
douze années , ce grand homme eftant affez occupé d'ail .
leurs , & beaucoup détourné
par des incommoditez que
années & un travail immenſe
& continuel luy avoienr attirées.ople
र
fes
Il avoit un grand fond de
probité , de droitute , de fageffe , de bonté , de modeftie,
de charité , & de vertu. Enne-
298 MERCURE
mi de la médifance , il ne pouvoitfouffrir les perfonnes dont
l'unique converfation eft de
faire inventaire des actions
d'autruy. Jamais homme n'a
eu plus de Religion , & n'eft
mort avec plus de refignation
aux volontez de Dieu , & il
voyoit tous les jours approcher la mort avec une fermeté
incroyable , fans ceffer neanmoins fon travail qui luy cftoit
neceffaire , parce que les gens
de Lettres ne font pas ordinairement les plus favorifez de
la fortune , & que l'Ecriture
dit , QUI LABORAT ORAT,
qui travaille prie.
THEQUE
GALANT
20
BIBLIO
ge VILLE
Ce grand homme efton res
commandable par tant d'endroits differens, que je ne doute point que celuy qui aura
le bonheur de remplir la place
qu'il occupoit dans l'Academie Françoife , ne trouve encore de nouveaux fujets d'en
faire un bel Eloge. Perfonne
n'ignore qu'il eftoit auffi de
l'Academie Royale des Medailles & Infcriptions.
Je crois pouvoir placer une
Chanfon aprés l'Eloge d'un
homme qui en a fait de fi belles ; elle eft du Solitaire du
Bois du Val- Dieu.
Fermer
Résumé : Eloge de feu Mr de Corneille. [titre d'après la table]
Le texte rend hommage à Thomas Corneille, frère cadet de Pierre Corneille, décédé à l'âge de 84 ans. Connu sous le surnom de 'Jeune' en raison de son frère aîné, Thomas Corneille était également surnommé 'honnête homme' pour sa droiture. Universellement aimé, il était obligeant et doux, toujours prêt à aider autrui. Héritier de l'esprit familial, il s'est distingué dans les lettres en publiant cinq volumes in-folio et plusieurs ouvrages de prose. Ses premières œuvres étaient des traductions, notamment les 'Métamorphoses' d'Ovide, qui ont connu de nombreuses éditions. Thomas Corneille a également écrit des pièces de théâtre qui ont diverti la cour pendant la Régence et longtemps après. Sa comédie 'Dom Bertrand de Sigaralle' a été particulièrement estimée et jouée plus de vingt fois à la cour. Ses tragédies, comme 'Le Tyrannicide', 'La Mort de l'Empereur Commode' et 'Stilicien', ont également connu un grand succès. Il a collaboré avec les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne et du Marais, et ses œuvres ont souvent surpassé celles des auteurs les plus célèbres. En plus de ses œuvres théâtrales, Thomas Corneille a écrit des remarques sur Vaugelas, prouvant sa maîtrise de la langue. Il a également publié un 'Dictionnaire des Arts' et un 'Dictionnaire universel, géographique et historique', démontrant ses connaissances étendues et sa laboriosité. Ces ouvrages ont été très appréciés et rapidement épuisés. Le texte mentionne également que Corneille était membre de l'Académie Française et de l'Académie des Inscriptions et Médailles. Son dictionnaire, compilé à partir des meilleures sources de voyages, a été très attendu par le public. Corneille était décrit comme un homme de grande probité, droiture, sagesse, bonté, modestie, charité et vertu. Il était intolérant à la médisance et ne supportait pas les personnes qui critiquaient les actions des autres. Sa foi religieuse était profonde, et il a accepté la mort avec résignation, continuant son travail malgré sa santé déclinante. L'auteur exprime l'espoir que celui qui prendra sa place à l'Académie Française trouvera encore des sujets pour louer ses mérites.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 2033-2053
LA FOIRE DES POETES. / L'ISLE DU DIVORCE. / LA SYLPHIDE. / VAUDEVILLE.
Début :
Un Acteur François & Trivelin de la Comédie Italienne, se rencontrent par [...]
Mots clefs :
Arlequin, Divorce, Sergent, Théâtre, Procureur, Maître, Épouse, Époux, Comédies, Coeur, Vaudeville
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LA FOIRE DES POETES. / L'ISLE DU DIVORCE. / LA SYLPHIDE. / VAUDEVILLE.
Le 11. les mêmes Comédiens donnerent
une Piece nouvelle en trois Actes
avec des Divertiffemens , de la compofi
tion des fieurs Dominique & Romagnefy,
qui a pour titre , la Foire des Poëtes , l'Ifle
du Divorce & la Sylphide , laquelle a été
reçûë très-favorablement du Public. Voici
l'Extrait de chacune.
LA FOIRE DES POETES.
Un Acteur François & Trivelin de la
Comédie Italienne , fe rencontrent par
hazard , & ſe demandent réciproquement
comment ils ont pû pénetrer dans cet
azile ; Trivelin lui dit qu'il n'a rien de
caché pour lui , & qu'il veut bien fatisfaire
fa curiofité : Vous fçavez , ajoûte-t-il , que
nous en avons très-mal agi avec M les
Auteurs , qui picquez de nos Airs , ont
quitté Paris , dans la refolution de ne nous
plus donner de nouveautez ; que depuis leur
retraite nos Théatres ! anguiffent , &c. &
qu'il vient de la part de fa Troupe , ménager
un raccommodement ; Apollon ,
continue- t-il , a recueilli les Nouriffons
des Mufes , & leur a fait bâtir un Hôtel
magnifique , dans lequel il les entretient
& les nourrit , & tout ce qu'ils vendent
"
eft
2034 MERCURE
DE FRANCE
eft pour leurs menus plaifirs ; après une
defcription comique,l'Acteur François dit
qu'il a befoin d'une Tragédie , & prie
Trivelin de lui préter de l'argent pour
faire cette amplette ; Trivelin s'excufe fur
le befoin qu'il a de deux Comédies &
d'un Prologue , & qu'il fera bienheureux
s'il a de quoi payer une bonne Scene ,
n'ayant fur lui que quinze livres. Après
cette Scene , Trivelin dit à l'Acteur de
le fuivre , & qu'il va le conduire à l'Hôtel
des Poëtes , où ils tiennent une espece
de Foire.
Le Théatre change & repréfente un
Caffe rempli de Poëtes ; on chante en
choeur les paroles fuivantes :
Verfez de ce Caffé charmant ,
H eft notre unique aliment.
Un Poëte.
C'eft vous , aimable breuvage ,
Qui ranimez tous les efprits ;
Si-tôt que nous vous avons pris ,
Des Dieux nous parlons le langage ;
Nous rimons tous à qui mieux mieux,
Et faifis d'une docte extafe ,
Nous nous élevons juſqu'aux Cieux :
L'Onde que fit jaillir Pegaze ,
N'a rien de fi délicieux.
Verfez de ce Caffé charmant , &c.
訂
SEPTEMBRE. 1730. 2035
Il s'éleve auffi - tôt une difpute entre les
Poëtes. Les uns foutiennent que le Caffe
cauſe des infomnies ; les autres , qu'il fait
dormir. Après une courte Differtation ,
Trivelin & l'Acteur François s'avancent ,
les Poëtes offrent leur Marchandife ; l'Acteur
François demande une Tragédie , &
Trivelin deux Comédies & un Prologue ;
un Poëte en propofe une à l'Acteur , qu'il
foutient excellente ; un autre offre à Trivelin
deux Comédies ; ils fe retirent pour
en faire la lecture .
Une jeune fille vient demander à un
Poëte des Couplets de Chanſon pour fe
mocquer de fon Amant , qui eft trop timide
; le Poëte lui donne les Couplets
fuivans , qu'elle chante fur l'Air : Daphnis
m'aimoit fi tendrement.
Quand mon Amant me fait la cour ,
Il languit , il pleure , il ſoupire ,
Et paffe avec moi tout le jour ,
A me raconter fon martyre.
Ah! s'il le paffoit autrement
Il me plairoit infiniment.
L'autre jour dans un Bois charmant ;
Ecoutant chanter la Fauvette ,
Il me demanda tendrement ,
M'aimes-tu , ma chere Liſette :
2036 MERCURE DE FRANCE
Je lui dis , oui , je t'aime bien :
Il ne me demanda plus rien.
Puifque j'ai fait naître tes feux
Rien ne flate plus mon envie ,
Je fuis , reprit -il , trop heureux ;
O jour le plus beau de ma vie
Et répetoit à chaque inſtant ,
C'en eft affez , je fuis content.
De cet Amant plein de froideur
Il faut que je me dédommage ,
J'en veux un , qui de mon ardeur ,
Sçache faire un meilleur ufage ,
Qu'il foit heureux à chaque inftant
Et qu'il ne foit jamais content .
La jeune fille , fatisfaite des Couplets
après les avoir payez au Poëte , s'en retourne
en les chantant ; Trivelin revient.
avec l'Auteur qui lui a propofé les deux.
Comedies , il lui dit qu'il les trouve affez
jolies ; mais qu'il a befoin d'un Prologue ,
fur quoi l'Auteur lui répond : Comme
vous faites ufage de tout, voyez prendre leçon
à nos Apprentifs Poëtes , peut-être vous.
fervirez vous de cette idée pour un Prologue
Trivelin y confent ; auffi- tôt le Profeffeur
de Poëfie s'avance & chante ces paroles
Son
SEPTEMBRE. 1730. 2037
Son Profeffor di Poëfia ,
Della divina freneſia ,
Mon Art inſpire les tranſports ;
I miei canti ,
Sono incanti ;
I dotti , glignoranti ,.
Tout cft charmé de mes accords,
Venité miei cari ,
Scolari ,
A prender lezione ,
Dal dottor Lanternone.
Les Apprentifs Poëtes forment une Danfe
; le Profeffeur interroge un de fes Ecoliers
; ils dialoguent en chantant.
Le Profeffeur.
Pour être Poëte à prefent ,
Quel eft le talent neceffaire ?
L'Ecolier.
Il faut être plaisant ,
Quelquefois médifant ;
Et toujours plagiaire.
Le Profeffeur
Non e quefto ;
Dite preſto ,
Cio che bifogna far ,
Per ben verfificar.
L'E
2038 MERCURE DE FRANCE
-L'Ecolier.
Rimar , rimar , rimar .
Le Profeſſeur.
Bravo ; bene , bene , bene.
De qui faites- vous plus d'eftime ,
De la faifon ou de la rime
་
L'Ecolier.
La rime , fans comparaiſon ,
Doit l'emporter fur la raiſon.
Le Profeffeur.
Pourquoi cette diſtinction ?
L'Ecolier.
C'est qu'on entend toûjours la rime
Et qu'on n'entend point la raiſon,
Le Profeffeurs
Bravo ; bene , bene , bene.
Pour faire une Piece Lyrique ,
Autrement dit, un Opera nouveau,
Que faut-il pour le rendre beau ?
L'Ecolier.
De mauvais Vers & de bonne Mufique ,
Le Profeffeur.
Bravo ; bene , &c. \\
L'E
SEPTEMBRE. 1730 : 2039
Dans une Tragedie , Ouvrage d'importance ,
Que faut- il pour toucher les coeurs ?
L'Ecolier.
Un fonge , une reconnoiffance ,
Un récit & de bons Acteurs.
Le Profeffeur.
Bravo , bene , &c.
Auffi- tôt on entend une Symphonie
brillante. Le Profeffeur dit que c'eft Minerve
qui defcend ; la Folie paroît dans
le moment , & chante en s'adreffant aux
Poëtes,
Ingrats , me méconnoiffez -vous ?
N'eft- ce pas moi qui vous infpire ?
Qui dans vos tranſports les plus fous
Ay foin de monter votre Lyre ?
Allons , allons , fubiffez tous ;
Le joug de mon aimable empire
Et que chacun à mes genoux ,
S'applaudiffe de fon délire.
Viva , viva la Pazzia ,
La madre dell' allegria ,
Souveraine de tous les coeurs
Et la Minerve des Auteurs,
La Folie conduit les Poëtes à Paris
qui
2040 MERCURE DE FRANCE
qui eft , dit- elle , leur vrai féjour , tous
la fuivent en danfant avec elle & en
chantant :
Viva , viva la Pazzia , &c.
L'ISLE DU DIVORCE.
Valere & Arlequin fon Valet , arrivent
fur le Théatre d'un air triſte , & après
s'être regardez l'un & l'autre , Valere lui
demande s'il s'ennuye autant que lui , à
quoi Arlequin répond que c'eſt à peu près
la même chofe ; Valere ſoupire & témoi
gne les regrets que lluuii ccaauuffee llaa perte de
Silvia , fon Epoufe , qu'il a quittée, malgré
la vertu & fa fidelité , pour fe conformer
aux Coûtumes de l'Ifle , qui autorife
le divorce. Arlequin , à l'imitation
de Valere , marque le chagrin qu'il ref
fent d'avoir abandonné Colombine ; ne
fuis-je pas un grand coquin , ajoûte-t-il , d'avoir
épousé une feconde femme , fans avoir
du moins enterré la premiere. Après avoir
oppofé le caractere d'Orphife à celui
de Silvia , la douceur de Colombine
à l'humeur acariatre de Lifette ; Orphife
& Lifette arrivent ; & comme Orphiſe
de fon côté n'a plus de gout pour Valere ,
elle s'adreffe à Arlequin , & Lifette parle
à Valere. Après une courte converfation ,
Orphife fait des reproches à Valere , &
Lifette
SEPTEMBRE . 1730. 2041
pas
Lifette à Arlequin ; ils fe querellent &
Le trouvent tous les deux très - haïffables,
Orphile dit à Valere qu'il n'en faut
refter là , & que s'il fe prefente une occafion
favorable de fe défunir , il en faudra
profiter ; Nous ne ferons pas affez
heureux , reprend Valere ; pourquoi , Mr ,
répond Orphife ? S'il arrive quelque Vaif
feau étranger.... Hé bien , Mad , s'il en
arrive , dit Valere ; ah ! je vois bien , contínuë
Orphiſe , que vous ignorez une par
tie des coûtumes du Pays , donnez - moi
feulement votre parole ah ! de tout mon
coeur, répond Valere. Orphife fur cette,
affurance fe retire , Lifette en fait de mê
me ; Arlequin & Valere voyant arriver
Silvia & Colombine , s'écartent pour en
tendre leurs difcours.
Silvia , qui croit être feule avec fa Suivante
, fait éclater les fentimens de l'époufe
la plus vertueufe , en fe plaignant
de la perfidie de Valere , qui l'a inhumainement
abandonnée en profitant de l'u
fage établi dans l'Ifle ; Colombine ſe repent
de l'avoir imitée , & de ne s'être pas
vengée du traitre Arlequin ; Valere charmé
de la conftance de fon Epoufe , l'aborde
en la priant de pardonner fon indif
cretion : Je fçai trop , dit-il , que ma pre--
fence ne peut qu'irriter votre jufte colere contre
un ingrat qui ne méritoit pas le bonheur dont il
2042 MERCURE DE FRANCE
ajoui , il n'étoit pas ,fans doute , d'un grand
prix , répond Silvia , puifque vous y avez
fifacilement renoncé? Arlequin dit des douceurs
à Colombine , qui affecte un air de
fierté dont il n'eft pas content . Dans cette
Scene Valere témoigne fon repentir , &
prie inftamment Silvia , s'il fe preſente
quelque favorable occafion de refferrer
leurs noeuds , de ne point s'oppofer à fa
félicité ; Silvia ſe rend enfin à les inftances
, & lui dit que ce n'eft pas d'aujour
d'hui qu'il connoît fon coeur. Valere veut
rentrer avec elle ; mais Silvia le lui deffend
; Non , Valere , dit - elle , reftez ; la
bienfeance condamne jufqu'à l'entretien que
nous avons ensemble , & je ne veux pas
perdre l'estime d'un homme qui a été mon
Epoux ; fi par quelque heureux évenement
vous pouviez brifer la chaîne qui vous attache
à ma Rivale , j'accepterai votre main
je n'aurai d'autre reproche à mefaire que
celui d'avoir trop aimé un ingrat.
Valere fe retire , content de l'affurance
que lui a donnée Silvia ; Colombine veut
fuivre fa Maîtreffe , mais Arlequin l'arrête
en la priant d'avoir pitié d'un amour
renaiffant , qui peut-être n'a pas encore
long-temps à vivre. Après une Scene affez
plaifante Valere.revient avec le Chef de
Ifle , qui lui dit que fon efperance eft
vaine , & que pour donner lieu à un fe
cond
SEPTEMBRE. 1730. 2043
cond divorce il faudroit que des Etrangers
débarquaffent dans l'Ifle , & qu'ils con+
fentiflent à former d'autres engagemens ;
que pour lors , non -feulement lui , mais
tous les Epoux du Pays pourroient , à leur
exemple , le démarier ; Arlequin lui dit
que moyennant un fi beau Privilege, l'Iffe
doit être extrémement peuplée , à quoi
le Chef répond qu'elle n'eft pas encore
connue , que le hazard feul y fait abor
der , & que quand ils y font débarquez
il y avoit so. ans qu'il n'y avoit paru de
Vaiffeaux étrangers.
Orphiſe arrive & annonce à Valere qu'il
vient d'arriver un Vaiffeau étranger ; Arle
quin fe réjouit de cette agréable nouvelle
en fe mocquant du Chef de l'Ifle. Un Infulaire
donne avis à ce Chef qu'il n'y a que
deux femmes dans le Vaiffeau, que l'une eft
l'épouſe d'un Marchand Drapier de Paris,
& que l'autre eft une veuve qui a été ma
riée quatre fois , & qui dit qu'elle n'en
veut pas davantage , M & M Droguer
arrivent en plaignant leur fort & en difant
que les fupplices les plus affreux ne
les forceront point à s'abandonner. Ils
fe témoignent l'amour le plus violent
ce qui fait perdre aux autres l'efperance
de fe démarier ; mais Valere fair tant par
fes difcours féducteurs , qu'il perfuade la
vieille à quitter fon mari ; Orphife de
fon
2044 MERCURE DE FRANCE
fon côté engage M Droguet à brifer
fa chaîne ; Me Droguet , dans l'efperance
d'époufer Valere , quitte fon époux , &
M.Droguet comptant s'unir avec Orphiſe,
fait divorce avec fa femme.
Après ce divorce , Silvia paroît ; Valere
la reprend , Orphiſe quitte M. Droguet en
difant qu'elle va offrir à Dorante une main
qu'il attend avec impatience ; Arlequin
époufe Colombine , & Lifette s'en va pour
en faire autant avec Trivelin ; M. & Me
Droguet reftent très-furpris de cette avanture
; Qu'allons nous devenir , dit Mc Droguet
, vous pouvez vous reprendre , ajoûte
le Chef de l'Ifle , mais cela vous fera compté
pour un divorce : Oh , non , reprennent- ils ,
il vaut mieux attendre ; nous ne sommes pas
venus ici pour abolir les loix. Les maris &
les femmes de l'Ile arrivent pour faire
divorce ; ils forment le Divertiffement
composé de Danfes & d'un Vaudeville.
LA STLPHIDE,
Le Théatre repréfente l'Appartement
d'Erafte. Une Sylphide & une Gnomide y
entrent dans le même moment ; la Sylphide
pofe une Corbeille fur la table , de
même que la Gnomide ; elles font furprifes
de fe rencontrer & fe demandent réciproquement
ce qu'elles viennent faire
dans
SEPTEMBRE. 1730. 2045
dans la chambre d'Erafte . La Gnomide
dit que fon Amant l'attire en ce lieu à
la Sylphide ajoûte que le feul defir.de
yoir le fien l'a conduite dans cet Appartement
; elles fe croient Rivales ; mais
après une petite difpute leurs foupçons
font diffipez ; la Sylphide découvre à la
Gnomide les tendres fentimens pour Erafte
, & la Gnomide avoue fa paffion pour
Arlequin fon Valet. La Sylphide raconte
qu'elle avoit fait partie avec deux Sylphides
de fes amies , de fe rendre vifibles ;
qu'elles allerent fe promener aux Thuilleries,
& que ce fut dans ce Jardin qu'elle
vit Erafte pour la premiere fois , qu'elle
le trouva fi charmant , qu'elle ne put
s'empêcher de l'aimer. Elle fait une agréa
ble defcription des differens Cavaliers
qu'elle vit à cette Promenade ; elle dit
enfuite qu'elle craint que les charmes d'une
de fes Compagnes n'ayent eu plus de
pouvoir que les fiens fur le coeur d'Erafte ,
& que cette incertitude l'accable. Vous
faites injure à vos attraits , répond la Gnomide
; pour moi , je ne me fuis point encore
offerte aux regards de mon Amant , l'éclat
de mes appas ne l'a point ébloui ; c'est dans
une cave profonde où je le vis pour la premiere
fois & où il s'enyvroit avec tant de
grace qu'il auroit charmé la pus infenfible :
mais Erafte vient ici avec fon Valet , écar-
1ons-nous pour les entendre. G Erafte
2046 MERCURE DE FRANCE
1
Erafte en entrant apperçoit la corbeille;
il demande à Arlequin qui l'a lui a envoyée
; Arlequin répond qu'il n'en fçait
rien ; Erafte la découvre , & voit qu'elle
eft remplie de fleurs : Il vaudroit mieux ,
dit Arlequin , qu'elle fut pleine d'argent ,
cela ferviroit à merveille à raccommoder vos
affaires qui font furieufement dérangées . Arlequin
apperçoit auffi l'autre corbeille qui
eft remplie de trufes , avec le nom d'Arlequin
au- deffus ; il eft fort en peine de
fçavoir d'où vient ce préfent ; & après
avoir rêvé un inftant : Ces fleurs , ajoûtet'il
, ont été fans doute envoyées par. Clarice
, votre Epouse future : Ne me parle
point de Clarice , répond Erafte : Comment
continue Arlequin , avez- vous oublié
votre fortune dépend de ce mariage , qu'il
peut feul nous mettre à couvert des poursui
tes de vos Créanciers & des miens , car vous
n'êtes riche qu'en efperance . Votre Oncle eft,
à la verité , entre les mains d'une demie dou
zaine de Medecins ; mais comme ces Meffieurs
ne font jamais de la même opinion
ils ne font point d'accord fur les remedes , le
malade n'en prend point , & par confequent
il peut encore aller loin . Erafte lui dit qu'u
ne paffion violente s'eft emparée de fon
ae , & que rien ne peut l'en arracher
qu'il a vu aux Thuilleries la plus adorable
perfonne du monde ; Arlequin comque
bat
SEPTEMBRE . 1730. 2047
coups
bat toutes les raifons , la Sylphide qui eft
préfente & inviſible , le menace de
de bâton ; Arlequin croit que c'eſt fon
Maître qui lui parle , ce qui fait un jeu
de Théatre des plus comiques. La Gnomide
auffi invifible , donne de petits fouflets
à Arlequin , qu'il croir recevoir de
fon Maître enfin après plufieurs lazzi
très plaifans , deux Créanciers arrivent ,
& demandent à Erafte ce qui leur eſt dû ,
celui ci leur fait un accueil peu gracieux,
ce qui oblige les Créanciers de menacer
Erafte de le pourfuivre en Juftice ; . &
dans le tems qu'ils veulent partir , la
Sylphide & la Gnomide , toûjours invifibles
, donnent chacune aux deux Créanciers
une bourſe qui contient le payement
de chacun ; un des deux Créanciers
après avoir compté fon argent rend à
Erafte quatre louis qu'il a trouvé de plus;
ils fe retirent , en le priant très civilement
d'excufer leur vivacité ; Arlequin croit
fon Maître leur a donné cet argent;
que
Erafte dit qu'il ne fçait ce que tout cela
fignifie &c.
Un Sergent & un Procureur arrivent ;
le Procureur dit qu'il vient de la part
d'Oronte , pere de Clarice , pour fçavoir
quand il veut époufer fa fille. Le Sergent
porte une affignation à Arlequin de
part d'un Cabaretier des Porcherons , la
Gij
Arle
2048 MERCURE DE FRANCE
Arlequin refufe de la prendre. Erafte
donne de mauvaifes raifons au Procureur,
ce qui lui fait dire qu'il le pourfuivra
pour lui faire payer le dédit de vingt mille
ecus qu'il a fait au pere de Clarice . Le
Sergent préfente l'affignation à Arlequin ,
qui ne veut point abfolument la recevoir;
la Gnomide invifible donne un fouflet au
Sergent , & déchire l'Exploit ; le Sergent
fe met en colere contre Arlequin , après
quoi la Gnomide fait difparoître le Ser
gent , qui s'abîme fous le Théatre , & la
Sylphide fait voler le Procureur dans les
airs. Ce fpectacle effraye Erafte ; Arlequin
lui dit qu'il ne voit rien là que de très
naturel , un Sergent qui va au Diable &
un Procureur qui vole. La Gnomide fait
encore quelques niches à Arlequin qui
fort tout épouvanté ; Erafte refte très
étonné de tout ce qu'il vient de voir ;
la Sylphide invifible foupire , & a une
converfation avec Erafte qui la prend pour
un efprit ; la Sylphide l'affure qu'elle
Paime : Vous m'aimez , répond Erafte , eftce
que les efprits peuvent aimer ? ils n'ont
point corps : cette question me fait bien
voir que vous en avez un , répond la Sylphide
: Oui, Monfieur , ils aiment , & avec
d'autant plus de délicateffe que leur amour eft
détaché des fens , que leur flamme eft pure
& fubfifte d'elle-même , fans que les défirs
de
ou
SEPTEMBRE. 1730. 2049
ou les dégoûts l'augmentent ou la diminuent :
Mais je m'étonne , ajoûte Erafte , que Sça
chant ce qui fe paffe dans mon coeur , vous
me faffiez l'aven de votre tendreffe ; car enfin
vous n'ignorez pas qu'il eft rempli de la
plus violente paffion qu'un Amant ait jamais
pu reffentir : Je fuis , dit la Sylphide , une
de ces trois Dames que vous avez vûës aux
Thuilleries ; vous en aimez une : Quoi ! ces
Dames fi charmantes , repart Erafte , font
des Sylphides ! Eb peut- il y en avoir ? La
Sylphide le prie de ne point faire comme
le commun des hommes , qui doutent
des chofes , parce qu'ils ne les comprennent
pas . Erafte la conjure de fe montrer
: Je me rends , ajoûte la Sylphide , &
vais m'expofer à être la victime de votre obftination
allez aux Thuilleries , vous m'y
verrez avec une de mes Compagnes , ne m'y
parlez point , & venez m'inftruire ici de
votre fort & du mien.
Erafte obéit , & part . La Sylphide refte,
& dit qu'Erafte ne trouvera aux Thuilleries
que les deux Sylphides fes amies ,
& que fans fe commettre , elle fera inftruite
de ſes ſentimens . Arlequin revient
dans l'Appartement de fon Maître ;
ne l'y trouvant point , il dit qu'il fera
allé tenir compagnie au Sergent. La Gnomide
furvient , & appelle Arlequin qui
tremble de peur ne voyant perfonne avec
Giij lui
2050 MERCURE DE FRANCE
lui ; la Gnomide le raffure , & lui fait
l'aveu de fa tendreffe , en lui difant qu'elle
eft une habitante de la terre , une Gnomide
qui éprife de fes charmes a quitté
fa patrie pour le rendre le plus heureux
de tous les mortels ; elle lui dit qu'elle a
de grands tréfors à la difpofition , & qu'elle
veut lui en faire part , après quoi la Gnomide
le quitte & l'affure qu'elle va pren
dre un corps , & qu'elle s'offrira bientôt
à fes yeux : Prenez le bien joli , s'écrie
Arlequin , fur tout n'oubliez pas les tréfors
, car fans cela je n'ai que faire de vous
& c.
Erafte revient des Thuilleries ; Arle
quin lui raconte fa converſation avec la
Ġnomide. Erafte eft au defefpoir de ce
qu'il n'a point vû aux Thuilleries l'objet
qu'il adore la Sylphide convaincuë de
Famour d'Erafte fe rend vifible , & paroît
à fes yeux. Erafte tranfporté de joye la
reconnoit , & l'affure de toute fa tendreffe.
Arlequin trouve les Sylphides fort jolies,
mais il croit fa Gnomide bien plus belle ,
& la prie de paroitre avec fon teint de
lys & de rofes : la Gnomide fe rend vifibles
Arlequin en la voyant s'écrie : Ah!
d'eft une taupe , il ne veut point d'elle : la
Gnomide pleure , & fe defefpere : Que je
fuis malheureufe , dit- elle , dd''êêttrree obligée
d'étrangler un fi joli petit homme c'eft notre
coutume
SEPTEMBRE. 1730. 2051
,
coûtume , ajoûte- t'elle , quand nous aimons
un ingrat , nous l'étranglons d'abord . Cette
menace oblige Arlequin de fe rendre : il
lui demande les tréfors qu'elle lui a promis
dans le moment on voit fortir de la
terre un vaſe rempli de richeffes immenfes
: Arlequin ne refifte plus , & dit qu'il
ne fera pas la premiere beauté que les richeffes
auront féduite. Je ne vous Promets
point de tréfors ; dit la Sylphide à Erafte ',
mais les douceurs que je vous promets vaudront
bien les préfens de la Gnomide : venez,
Erafte , je vais dans un inftant vous tranf
porter dans le Palais dont vous devez être
le Maître. La Gnomide s'abîme avec Arlequin
. Le Théatre change , & repréſente
le Palais de la Sylphide , il paroît placé
dans les airs. Cette décoration qui eft du
S' Le Maire , connu par d'autres Ouvrages
de cette efpece , eft une des plus bril
lantes qui ait encore parû , & fait un effet
merveilleux. Ce Palais eft rempli de Sylphes
& de Sylphides qui forment un Divertiffement
tres gracieux. La Dle Silvia
& le S Romagnefy danfent une Entrée
qui a été trés goûtée , de même que la
Die Thomaffin dans celle qu'elle danfe.
La Mufique , qui a été trés applaudie , eft
de M. Mouret , & la compofition du Bálet
qu'on a trouvé brillant , eft de M. Mar
cel.
VAUDEVILLE.
Dans une heureufe
intelligence ,
Nous goutons le fort le plus doux
L'envie & la médifance
Ne réfident point chez nous :
Mortels , quelle difference è
Vivez-vous ainfi parmi nous ?
Exemts de toute défiance ;
Rien n'inquiete nos Epoux ;
Certains de notre conftance
Ils ne font jamais jaloux :
Mortels , quelle difference & c.
Les faveurs que l'Amour difpenfe
Ne fe revelent point chez nous ;
Plus on garde le filence ,
Et plus les plaifirs font doux :
François , quelle difference &c.
Nous joüiffons de l'innocence
Tant que nous fommes fans Epoux ,
Sans marquer d'impatience
De former un noeud fi doux :
Filles , quelle difference &c ,
Bien
SEPTEMBRE. 1730. 2053
-Bien loin d'encenfer l'opulence ,
Ici nous nous eftimons tous ;
L'égalité nous difpenfe
D'un foin indigne de nous :
Flateurs , quelle difference &c.
Un pauvre Auteur dont l'efperance
Eft de vous attirer chez nous ,
Eft plus trifte qu'on ne penſe
Quand fa Piéce a du deffous :
Pour lui quelle difference ,
Lorſque vous applaudiffez tous !
une Piece nouvelle en trois Actes
avec des Divertiffemens , de la compofi
tion des fieurs Dominique & Romagnefy,
qui a pour titre , la Foire des Poëtes , l'Ifle
du Divorce & la Sylphide , laquelle a été
reçûë très-favorablement du Public. Voici
l'Extrait de chacune.
LA FOIRE DES POETES.
Un Acteur François & Trivelin de la
Comédie Italienne , fe rencontrent par
hazard , & ſe demandent réciproquement
comment ils ont pû pénetrer dans cet
azile ; Trivelin lui dit qu'il n'a rien de
caché pour lui , & qu'il veut bien fatisfaire
fa curiofité : Vous fçavez , ajoûte-t-il , que
nous en avons très-mal agi avec M les
Auteurs , qui picquez de nos Airs , ont
quitté Paris , dans la refolution de ne nous
plus donner de nouveautez ; que depuis leur
retraite nos Théatres ! anguiffent , &c. &
qu'il vient de la part de fa Troupe , ménager
un raccommodement ; Apollon ,
continue- t-il , a recueilli les Nouriffons
des Mufes , & leur a fait bâtir un Hôtel
magnifique , dans lequel il les entretient
& les nourrit , & tout ce qu'ils vendent
"
eft
2034 MERCURE
DE FRANCE
eft pour leurs menus plaifirs ; après une
defcription comique,l'Acteur François dit
qu'il a befoin d'une Tragédie , & prie
Trivelin de lui préter de l'argent pour
faire cette amplette ; Trivelin s'excufe fur
le befoin qu'il a de deux Comédies &
d'un Prologue , & qu'il fera bienheureux
s'il a de quoi payer une bonne Scene ,
n'ayant fur lui que quinze livres. Après
cette Scene , Trivelin dit à l'Acteur de
le fuivre , & qu'il va le conduire à l'Hôtel
des Poëtes , où ils tiennent une espece
de Foire.
Le Théatre change & repréfente un
Caffe rempli de Poëtes ; on chante en
choeur les paroles fuivantes :
Verfez de ce Caffé charmant ,
H eft notre unique aliment.
Un Poëte.
C'eft vous , aimable breuvage ,
Qui ranimez tous les efprits ;
Si-tôt que nous vous avons pris ,
Des Dieux nous parlons le langage ;
Nous rimons tous à qui mieux mieux,
Et faifis d'une docte extafe ,
Nous nous élevons juſqu'aux Cieux :
L'Onde que fit jaillir Pegaze ,
N'a rien de fi délicieux.
Verfez de ce Caffé charmant , &c.
訂
SEPTEMBRE. 1730. 2035
Il s'éleve auffi - tôt une difpute entre les
Poëtes. Les uns foutiennent que le Caffe
cauſe des infomnies ; les autres , qu'il fait
dormir. Après une courte Differtation ,
Trivelin & l'Acteur François s'avancent ,
les Poëtes offrent leur Marchandife ; l'Acteur
François demande une Tragédie , &
Trivelin deux Comédies & un Prologue ;
un Poëte en propofe une à l'Acteur , qu'il
foutient excellente ; un autre offre à Trivelin
deux Comédies ; ils fe retirent pour
en faire la lecture .
Une jeune fille vient demander à un
Poëte des Couplets de Chanſon pour fe
mocquer de fon Amant , qui eft trop timide
; le Poëte lui donne les Couplets
fuivans , qu'elle chante fur l'Air : Daphnis
m'aimoit fi tendrement.
Quand mon Amant me fait la cour ,
Il languit , il pleure , il ſoupire ,
Et paffe avec moi tout le jour ,
A me raconter fon martyre.
Ah! s'il le paffoit autrement
Il me plairoit infiniment.
L'autre jour dans un Bois charmant ;
Ecoutant chanter la Fauvette ,
Il me demanda tendrement ,
M'aimes-tu , ma chere Liſette :
2036 MERCURE DE FRANCE
Je lui dis , oui , je t'aime bien :
Il ne me demanda plus rien.
Puifque j'ai fait naître tes feux
Rien ne flate plus mon envie ,
Je fuis , reprit -il , trop heureux ;
O jour le plus beau de ma vie
Et répetoit à chaque inſtant ,
C'en eft affez , je fuis content.
De cet Amant plein de froideur
Il faut que je me dédommage ,
J'en veux un , qui de mon ardeur ,
Sçache faire un meilleur ufage ,
Qu'il foit heureux à chaque inftant
Et qu'il ne foit jamais content .
La jeune fille , fatisfaite des Couplets
après les avoir payez au Poëte , s'en retourne
en les chantant ; Trivelin revient.
avec l'Auteur qui lui a propofé les deux.
Comedies , il lui dit qu'il les trouve affez
jolies ; mais qu'il a befoin d'un Prologue ,
fur quoi l'Auteur lui répond : Comme
vous faites ufage de tout, voyez prendre leçon
à nos Apprentifs Poëtes , peut-être vous.
fervirez vous de cette idée pour un Prologue
Trivelin y confent ; auffi- tôt le Profeffeur
de Poëfie s'avance & chante ces paroles
Son
SEPTEMBRE. 1730. 2037
Son Profeffor di Poëfia ,
Della divina freneſia ,
Mon Art inſpire les tranſports ;
I miei canti ,
Sono incanti ;
I dotti , glignoranti ,.
Tout cft charmé de mes accords,
Venité miei cari ,
Scolari ,
A prender lezione ,
Dal dottor Lanternone.
Les Apprentifs Poëtes forment une Danfe
; le Profeffeur interroge un de fes Ecoliers
; ils dialoguent en chantant.
Le Profeffeur.
Pour être Poëte à prefent ,
Quel eft le talent neceffaire ?
L'Ecolier.
Il faut être plaisant ,
Quelquefois médifant ;
Et toujours plagiaire.
Le Profeffeur
Non e quefto ;
Dite preſto ,
Cio che bifogna far ,
Per ben verfificar.
L'E
2038 MERCURE DE FRANCE
-L'Ecolier.
Rimar , rimar , rimar .
Le Profeſſeur.
Bravo ; bene , bene , bene.
De qui faites- vous plus d'eftime ,
De la faifon ou de la rime
་
L'Ecolier.
La rime , fans comparaiſon ,
Doit l'emporter fur la raiſon.
Le Profeffeur.
Pourquoi cette diſtinction ?
L'Ecolier.
C'est qu'on entend toûjours la rime
Et qu'on n'entend point la raiſon,
Le Profeffeurs
Bravo ; bene , bene , bene.
Pour faire une Piece Lyrique ,
Autrement dit, un Opera nouveau,
Que faut-il pour le rendre beau ?
L'Ecolier.
De mauvais Vers & de bonne Mufique ,
Le Profeffeur.
Bravo ; bene , &c. \\
L'E
SEPTEMBRE. 1730 : 2039
Dans une Tragedie , Ouvrage d'importance ,
Que faut- il pour toucher les coeurs ?
L'Ecolier.
Un fonge , une reconnoiffance ,
Un récit & de bons Acteurs.
Le Profeffeur.
Bravo , bene , &c.
Auffi- tôt on entend une Symphonie
brillante. Le Profeffeur dit que c'eft Minerve
qui defcend ; la Folie paroît dans
le moment , & chante en s'adreffant aux
Poëtes,
Ingrats , me méconnoiffez -vous ?
N'eft- ce pas moi qui vous infpire ?
Qui dans vos tranſports les plus fous
Ay foin de monter votre Lyre ?
Allons , allons , fubiffez tous ;
Le joug de mon aimable empire
Et que chacun à mes genoux ,
S'applaudiffe de fon délire.
Viva , viva la Pazzia ,
La madre dell' allegria ,
Souveraine de tous les coeurs
Et la Minerve des Auteurs,
La Folie conduit les Poëtes à Paris
qui
2040 MERCURE DE FRANCE
qui eft , dit- elle , leur vrai féjour , tous
la fuivent en danfant avec elle & en
chantant :
Viva , viva la Pazzia , &c.
L'ISLE DU DIVORCE.
Valere & Arlequin fon Valet , arrivent
fur le Théatre d'un air triſte , & après
s'être regardez l'un & l'autre , Valere lui
demande s'il s'ennuye autant que lui , à
quoi Arlequin répond que c'eſt à peu près
la même chofe ; Valere ſoupire & témoi
gne les regrets que lluuii ccaauuffee llaa perte de
Silvia , fon Epoufe , qu'il a quittée, malgré
la vertu & fa fidelité , pour fe conformer
aux Coûtumes de l'Ifle , qui autorife
le divorce. Arlequin , à l'imitation
de Valere , marque le chagrin qu'il ref
fent d'avoir abandonné Colombine ; ne
fuis-je pas un grand coquin , ajoûte-t-il , d'avoir
épousé une feconde femme , fans avoir
du moins enterré la premiere. Après avoir
oppofé le caractere d'Orphife à celui
de Silvia , la douceur de Colombine
à l'humeur acariatre de Lifette ; Orphife
& Lifette arrivent ; & comme Orphiſe
de fon côté n'a plus de gout pour Valere ,
elle s'adreffe à Arlequin , & Lifette parle
à Valere. Après une courte converfation ,
Orphife fait des reproches à Valere , &
Lifette
SEPTEMBRE . 1730. 2041
pas
Lifette à Arlequin ; ils fe querellent &
Le trouvent tous les deux très - haïffables,
Orphile dit à Valere qu'il n'en faut
refter là , & que s'il fe prefente une occafion
favorable de fe défunir , il en faudra
profiter ; Nous ne ferons pas affez
heureux , reprend Valere ; pourquoi , Mr ,
répond Orphife ? S'il arrive quelque Vaif
feau étranger.... Hé bien , Mad , s'il en
arrive , dit Valere ; ah ! je vois bien , contínuë
Orphiſe , que vous ignorez une par
tie des coûtumes du Pays , donnez - moi
feulement votre parole ah ! de tout mon
coeur, répond Valere. Orphife fur cette,
affurance fe retire , Lifette en fait de mê
me ; Arlequin & Valere voyant arriver
Silvia & Colombine , s'écartent pour en
tendre leurs difcours.
Silvia , qui croit être feule avec fa Suivante
, fait éclater les fentimens de l'époufe
la plus vertueufe , en fe plaignant
de la perfidie de Valere , qui l'a inhumainement
abandonnée en profitant de l'u
fage établi dans l'Ifle ; Colombine ſe repent
de l'avoir imitée , & de ne s'être pas
vengée du traitre Arlequin ; Valere charmé
de la conftance de fon Epoufe , l'aborde
en la priant de pardonner fon indif
cretion : Je fçai trop , dit-il , que ma pre--
fence ne peut qu'irriter votre jufte colere contre
un ingrat qui ne méritoit pas le bonheur dont il
2042 MERCURE DE FRANCE
ajoui , il n'étoit pas ,fans doute , d'un grand
prix , répond Silvia , puifque vous y avez
fifacilement renoncé? Arlequin dit des douceurs
à Colombine , qui affecte un air de
fierté dont il n'eft pas content . Dans cette
Scene Valere témoigne fon repentir , &
prie inftamment Silvia , s'il fe preſente
quelque favorable occafion de refferrer
leurs noeuds , de ne point s'oppofer à fa
félicité ; Silvia ſe rend enfin à les inftances
, & lui dit que ce n'eft pas d'aujour
d'hui qu'il connoît fon coeur. Valere veut
rentrer avec elle ; mais Silvia le lui deffend
; Non , Valere , dit - elle , reftez ; la
bienfeance condamne jufqu'à l'entretien que
nous avons ensemble , & je ne veux pas
perdre l'estime d'un homme qui a été mon
Epoux ; fi par quelque heureux évenement
vous pouviez brifer la chaîne qui vous attache
à ma Rivale , j'accepterai votre main
je n'aurai d'autre reproche à mefaire que
celui d'avoir trop aimé un ingrat.
Valere fe retire , content de l'affurance
que lui a donnée Silvia ; Colombine veut
fuivre fa Maîtreffe , mais Arlequin l'arrête
en la priant d'avoir pitié d'un amour
renaiffant , qui peut-être n'a pas encore
long-temps à vivre. Après une Scene affez
plaifante Valere.revient avec le Chef de
Ifle , qui lui dit que fon efperance eft
vaine , & que pour donner lieu à un fe
cond
SEPTEMBRE. 1730. 2043
cond divorce il faudroit que des Etrangers
débarquaffent dans l'Ifle , & qu'ils con+
fentiflent à former d'autres engagemens ;
que pour lors , non -feulement lui , mais
tous les Epoux du Pays pourroient , à leur
exemple , le démarier ; Arlequin lui dit
que moyennant un fi beau Privilege, l'Iffe
doit être extrémement peuplée , à quoi
le Chef répond qu'elle n'eft pas encore
connue , que le hazard feul y fait abor
der , & que quand ils y font débarquez
il y avoit so. ans qu'il n'y avoit paru de
Vaiffeaux étrangers.
Orphiſe arrive & annonce à Valere qu'il
vient d'arriver un Vaiffeau étranger ; Arle
quin fe réjouit de cette agréable nouvelle
en fe mocquant du Chef de l'Ifle. Un Infulaire
donne avis à ce Chef qu'il n'y a que
deux femmes dans le Vaiffeau, que l'une eft
l'épouſe d'un Marchand Drapier de Paris,
& que l'autre eft une veuve qui a été ma
riée quatre fois , & qui dit qu'elle n'en
veut pas davantage , M & M Droguer
arrivent en plaignant leur fort & en difant
que les fupplices les plus affreux ne
les forceront point à s'abandonner. Ils
fe témoignent l'amour le plus violent
ce qui fait perdre aux autres l'efperance
de fe démarier ; mais Valere fair tant par
fes difcours féducteurs , qu'il perfuade la
vieille à quitter fon mari ; Orphife de
fon
2044 MERCURE DE FRANCE
fon côté engage M Droguet à brifer
fa chaîne ; Me Droguet , dans l'efperance
d'époufer Valere , quitte fon époux , &
M.Droguet comptant s'unir avec Orphiſe,
fait divorce avec fa femme.
Après ce divorce , Silvia paroît ; Valere
la reprend , Orphiſe quitte M. Droguet en
difant qu'elle va offrir à Dorante une main
qu'il attend avec impatience ; Arlequin
époufe Colombine , & Lifette s'en va pour
en faire autant avec Trivelin ; M. & Me
Droguet reftent très-furpris de cette avanture
; Qu'allons nous devenir , dit Mc Droguet
, vous pouvez vous reprendre , ajoûte
le Chef de l'Ifle , mais cela vous fera compté
pour un divorce : Oh , non , reprennent- ils ,
il vaut mieux attendre ; nous ne sommes pas
venus ici pour abolir les loix. Les maris &
les femmes de l'Ile arrivent pour faire
divorce ; ils forment le Divertiffement
composé de Danfes & d'un Vaudeville.
LA STLPHIDE,
Le Théatre repréfente l'Appartement
d'Erafte. Une Sylphide & une Gnomide y
entrent dans le même moment ; la Sylphide
pofe une Corbeille fur la table , de
même que la Gnomide ; elles font furprifes
de fe rencontrer & fe demandent réciproquement
ce qu'elles viennent faire
dans
SEPTEMBRE. 1730. 2045
dans la chambre d'Erafte . La Gnomide
dit que fon Amant l'attire en ce lieu à
la Sylphide ajoûte que le feul defir.de
yoir le fien l'a conduite dans cet Appartement
; elles fe croient Rivales ; mais
après une petite difpute leurs foupçons
font diffipez ; la Sylphide découvre à la
Gnomide les tendres fentimens pour Erafte
, & la Gnomide avoue fa paffion pour
Arlequin fon Valet. La Sylphide raconte
qu'elle avoit fait partie avec deux Sylphides
de fes amies , de fe rendre vifibles ;
qu'elles allerent fe promener aux Thuilleries,
& que ce fut dans ce Jardin qu'elle
vit Erafte pour la premiere fois , qu'elle
le trouva fi charmant , qu'elle ne put
s'empêcher de l'aimer. Elle fait une agréa
ble defcription des differens Cavaliers
qu'elle vit à cette Promenade ; elle dit
enfuite qu'elle craint que les charmes d'une
de fes Compagnes n'ayent eu plus de
pouvoir que les fiens fur le coeur d'Erafte ,
& que cette incertitude l'accable. Vous
faites injure à vos attraits , répond la Gnomide
; pour moi , je ne me fuis point encore
offerte aux regards de mon Amant , l'éclat
de mes appas ne l'a point ébloui ; c'est dans
une cave profonde où je le vis pour la premiere
fois & où il s'enyvroit avec tant de
grace qu'il auroit charmé la pus infenfible :
mais Erafte vient ici avec fon Valet , écar-
1ons-nous pour les entendre. G Erafte
2046 MERCURE DE FRANCE
1
Erafte en entrant apperçoit la corbeille;
il demande à Arlequin qui l'a lui a envoyée
; Arlequin répond qu'il n'en fçait
rien ; Erafte la découvre , & voit qu'elle
eft remplie de fleurs : Il vaudroit mieux ,
dit Arlequin , qu'elle fut pleine d'argent ,
cela ferviroit à merveille à raccommoder vos
affaires qui font furieufement dérangées . Arlequin
apperçoit auffi l'autre corbeille qui
eft remplie de trufes , avec le nom d'Arlequin
au- deffus ; il eft fort en peine de
fçavoir d'où vient ce préfent ; & après
avoir rêvé un inftant : Ces fleurs , ajoûtet'il
, ont été fans doute envoyées par. Clarice
, votre Epouse future : Ne me parle
point de Clarice , répond Erafte : Comment
continue Arlequin , avez- vous oublié
votre fortune dépend de ce mariage , qu'il
peut feul nous mettre à couvert des poursui
tes de vos Créanciers & des miens , car vous
n'êtes riche qu'en efperance . Votre Oncle eft,
à la verité , entre les mains d'une demie dou
zaine de Medecins ; mais comme ces Meffieurs
ne font jamais de la même opinion
ils ne font point d'accord fur les remedes , le
malade n'en prend point , & par confequent
il peut encore aller loin . Erafte lui dit qu'u
ne paffion violente s'eft emparée de fon
ae , & que rien ne peut l'en arracher
qu'il a vu aux Thuilleries la plus adorable
perfonne du monde ; Arlequin comque
bat
SEPTEMBRE . 1730. 2047
coups
bat toutes les raifons , la Sylphide qui eft
préfente & inviſible , le menace de
de bâton ; Arlequin croit que c'eſt fon
Maître qui lui parle , ce qui fait un jeu
de Théatre des plus comiques. La Gnomide
auffi invifible , donne de petits fouflets
à Arlequin , qu'il croir recevoir de
fon Maître enfin après plufieurs lazzi
très plaifans , deux Créanciers arrivent ,
& demandent à Erafte ce qui leur eſt dû ,
celui ci leur fait un accueil peu gracieux,
ce qui oblige les Créanciers de menacer
Erafte de le pourfuivre en Juftice ; . &
dans le tems qu'ils veulent partir , la
Sylphide & la Gnomide , toûjours invifibles
, donnent chacune aux deux Créanciers
une bourſe qui contient le payement
de chacun ; un des deux Créanciers
après avoir compté fon argent rend à
Erafte quatre louis qu'il a trouvé de plus;
ils fe retirent , en le priant très civilement
d'excufer leur vivacité ; Arlequin croit
fon Maître leur a donné cet argent;
que
Erafte dit qu'il ne fçait ce que tout cela
fignifie &c.
Un Sergent & un Procureur arrivent ;
le Procureur dit qu'il vient de la part
d'Oronte , pere de Clarice , pour fçavoir
quand il veut époufer fa fille. Le Sergent
porte une affignation à Arlequin de
part d'un Cabaretier des Porcherons , la
Gij
Arle
2048 MERCURE DE FRANCE
Arlequin refufe de la prendre. Erafte
donne de mauvaifes raifons au Procureur,
ce qui lui fait dire qu'il le pourfuivra
pour lui faire payer le dédit de vingt mille
ecus qu'il a fait au pere de Clarice . Le
Sergent préfente l'affignation à Arlequin ,
qui ne veut point abfolument la recevoir;
la Gnomide invifible donne un fouflet au
Sergent , & déchire l'Exploit ; le Sergent
fe met en colere contre Arlequin , après
quoi la Gnomide fait difparoître le Ser
gent , qui s'abîme fous le Théatre , & la
Sylphide fait voler le Procureur dans les
airs. Ce fpectacle effraye Erafte ; Arlequin
lui dit qu'il ne voit rien là que de très
naturel , un Sergent qui va au Diable &
un Procureur qui vole. La Gnomide fait
encore quelques niches à Arlequin qui
fort tout épouvanté ; Erafte refte très
étonné de tout ce qu'il vient de voir ;
la Sylphide invifible foupire , & a une
converfation avec Erafte qui la prend pour
un efprit ; la Sylphide l'affure qu'elle
Paime : Vous m'aimez , répond Erafte , eftce
que les efprits peuvent aimer ? ils n'ont
point corps : cette question me fait bien
voir que vous en avez un , répond la Sylphide
: Oui, Monfieur , ils aiment , & avec
d'autant plus de délicateffe que leur amour eft
détaché des fens , que leur flamme eft pure
& fubfifte d'elle-même , fans que les défirs
de
ou
SEPTEMBRE. 1730. 2049
ou les dégoûts l'augmentent ou la diminuent :
Mais je m'étonne , ajoûte Erafte , que Sça
chant ce qui fe paffe dans mon coeur , vous
me faffiez l'aven de votre tendreffe ; car enfin
vous n'ignorez pas qu'il eft rempli de la
plus violente paffion qu'un Amant ait jamais
pu reffentir : Je fuis , dit la Sylphide , une
de ces trois Dames que vous avez vûës aux
Thuilleries ; vous en aimez une : Quoi ! ces
Dames fi charmantes , repart Erafte , font
des Sylphides ! Eb peut- il y en avoir ? La
Sylphide le prie de ne point faire comme
le commun des hommes , qui doutent
des chofes , parce qu'ils ne les comprennent
pas . Erafte la conjure de fe montrer
: Je me rends , ajoûte la Sylphide , &
vais m'expofer à être la victime de votre obftination
allez aux Thuilleries , vous m'y
verrez avec une de mes Compagnes , ne m'y
parlez point , & venez m'inftruire ici de
votre fort & du mien.
Erafte obéit , & part . La Sylphide refte,
& dit qu'Erafte ne trouvera aux Thuilleries
que les deux Sylphides fes amies ,
& que fans fe commettre , elle fera inftruite
de ſes ſentimens . Arlequin revient
dans l'Appartement de fon Maître ;
ne l'y trouvant point , il dit qu'il fera
allé tenir compagnie au Sergent. La Gnomide
furvient , & appelle Arlequin qui
tremble de peur ne voyant perfonne avec
Giij lui
2050 MERCURE DE FRANCE
lui ; la Gnomide le raffure , & lui fait
l'aveu de fa tendreffe , en lui difant qu'elle
eft une habitante de la terre , une Gnomide
qui éprife de fes charmes a quitté
fa patrie pour le rendre le plus heureux
de tous les mortels ; elle lui dit qu'elle a
de grands tréfors à la difpofition , & qu'elle
veut lui en faire part , après quoi la Gnomide
le quitte & l'affure qu'elle va pren
dre un corps , & qu'elle s'offrira bientôt
à fes yeux : Prenez le bien joli , s'écrie
Arlequin , fur tout n'oubliez pas les tréfors
, car fans cela je n'ai que faire de vous
& c.
Erafte revient des Thuilleries ; Arle
quin lui raconte fa converſation avec la
Ġnomide. Erafte eft au defefpoir de ce
qu'il n'a point vû aux Thuilleries l'objet
qu'il adore la Sylphide convaincuë de
Famour d'Erafte fe rend vifible , & paroît
à fes yeux. Erafte tranfporté de joye la
reconnoit , & l'affure de toute fa tendreffe.
Arlequin trouve les Sylphides fort jolies,
mais il croit fa Gnomide bien plus belle ,
& la prie de paroitre avec fon teint de
lys & de rofes : la Gnomide fe rend vifibles
Arlequin en la voyant s'écrie : Ah!
d'eft une taupe , il ne veut point d'elle : la
Gnomide pleure , & fe defefpere : Que je
fuis malheureufe , dit- elle , dd''êêttrree obligée
d'étrangler un fi joli petit homme c'eft notre
coutume
SEPTEMBRE. 1730. 2051
,
coûtume , ajoûte- t'elle , quand nous aimons
un ingrat , nous l'étranglons d'abord . Cette
menace oblige Arlequin de fe rendre : il
lui demande les tréfors qu'elle lui a promis
dans le moment on voit fortir de la
terre un vaſe rempli de richeffes immenfes
: Arlequin ne refifte plus , & dit qu'il
ne fera pas la premiere beauté que les richeffes
auront féduite. Je ne vous Promets
point de tréfors ; dit la Sylphide à Erafte ',
mais les douceurs que je vous promets vaudront
bien les préfens de la Gnomide : venez,
Erafte , je vais dans un inftant vous tranf
porter dans le Palais dont vous devez être
le Maître. La Gnomide s'abîme avec Arlequin
. Le Théatre change , & repréſente
le Palais de la Sylphide , il paroît placé
dans les airs. Cette décoration qui eft du
S' Le Maire , connu par d'autres Ouvrages
de cette efpece , eft une des plus bril
lantes qui ait encore parû , & fait un effet
merveilleux. Ce Palais eft rempli de Sylphes
& de Sylphides qui forment un Divertiffement
tres gracieux. La Dle Silvia
& le S Romagnefy danfent une Entrée
qui a été trés goûtée , de même que la
Die Thomaffin dans celle qu'elle danfe.
La Mufique , qui a été trés applaudie , eft
de M. Mouret , & la compofition du Bálet
qu'on a trouvé brillant , eft de M. Mar
cel.
VAUDEVILLE.
Dans une heureufe
intelligence ,
Nous goutons le fort le plus doux
L'envie & la médifance
Ne réfident point chez nous :
Mortels , quelle difference è
Vivez-vous ainfi parmi nous ?
Exemts de toute défiance ;
Rien n'inquiete nos Epoux ;
Certains de notre conftance
Ils ne font jamais jaloux :
Mortels , quelle difference & c.
Les faveurs que l'Amour difpenfe
Ne fe revelent point chez nous ;
Plus on garde le filence ,
Et plus les plaifirs font doux :
François , quelle difference &c.
Nous joüiffons de l'innocence
Tant que nous fommes fans Epoux ,
Sans marquer d'impatience
De former un noeud fi doux :
Filles , quelle difference &c ,
Bien
SEPTEMBRE. 1730. 2053
-Bien loin d'encenfer l'opulence ,
Ici nous nous eftimons tous ;
L'égalité nous difpenfe
D'un foin indigne de nous :
Flateurs , quelle difference &c.
Un pauvre Auteur dont l'efperance
Eft de vous attirer chez nous ,
Eft plus trifte qu'on ne penſe
Quand fa Piéce a du deffous :
Pour lui quelle difference ,
Lorſque vous applaudiffez tous !
Fermer
Résumé : LA FOIRE DES POETES. / L'ISLE DU DIVORCE. / LA SYLPHIDE. / VAUDEVILLE.
Le 11 septembre 1730, les comédiens Dominique et Romagnésy ont présenté une pièce en trois actes intitulée 'La Foire des Poètes, l'Île du Divorce & la Sylphide'. Cette œuvre a été bien accueillie par le public. Dans le premier acte, 'La Foire des Poètes', un acteur français et Trivelin de la Comédie Italienne se rencontrent et discutent de la situation des auteurs ayant quitté Paris, laissant les théâtres sans nouveautés. Trivelin explique qu'Apollon a recueilli les enfants des Muses et leur a construit un hôtel magnifique. Ils se rendent à cet hôtel où une foire est organisée. Les poètes chantent les louanges du café, qui inspire leurs vers. Une dispute éclate sur les effets du café, et les poètes offrent leurs œuvres à l'acteur et à Trivelin. Une jeune fille demande des couplets pour se moquer de son amant timide. Trivelin trouve les comédies proposées jolies mais a besoin d'un prologue. Un professeur de poésie donne une leçon sur l'art poétique, et la Folie conduit les poètes à Paris. Dans le deuxième acte, 'L'Île du Divorce', Valère et Arlequin regrettent d'avoir quitté leurs épouses respectives, Silvia et Colombine, pour se conformer aux coutumes de l'île autorisant le divorce. Silvia et Colombine expriment leur chagrin. Le chef de l'île explique que pour divorcer, il faut que des étrangers consentent à former de nouveaux engagements. Un vaisseau étranger arrive avec deux femmes, dont une veuve mariée quatre fois. Valère persuade la veuve de quitter son mari, et Orphise engage M. Droguet à faire de même. Silvia reprend Valère, et Arlequin épouse Colombine. Les habitants de l'île demandent le divorce, formant un divertissement composé de danses et d'un vaudeville. Dans le troisième acte, 'La Sylphide', le théâtre représente l'appartement d'Éraste. Une sylphide et une gnomide y entrent, chacune apportant une corbeille. Elles découvrent qu'elles aiment respectivement Éraste et Arlequin. La sylphide raconte qu'elles ont décidé de se rendre visibles et se sont promenées aux Tuileries. Éraste, après avoir vu une femme aux Tuileries, en tombe amoureux. Des créanciers et un procureur arrivent, exigeant des paiements. La sylphide et la gnomide interviennent en donnant de l'argent aux créanciers et en faisant disparaître le procureur. La sylphide se révèle à Éraste et lui avoue son amour. La gnomide avoue son amour à Arlequin et lui promet des trésors. La sylphide emmène Éraste dans son palais aérien, où un ballet et une musique sont présentés, soulignant les différences entre les mortels et les êtres surnaturels en termes de confiance et de bonheur.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 750-751
« On nous écrit de Florence, qu'on va bien-tôt donner au Public le second Tome [...] »
Début :
On nous écrit de Florence, qu'on va bien-tôt donner au Public le second Tome [...]
Mots clefs :
Florence, Cardinal, Traduction italienne, Comédies, Prélat
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « On nous écrit de Florence, qu'on va bien-tôt donner au Public le second Tome [...] »
On nous écrit de Florence , qu'on va
bien- tôt donner au Public le second Tome
, in folio , del nuovo Vocabolario della
Crousca. L'Imprimerie établie à Urbain ,
par les soins du Cardinal Annibal Albani ,
continue à donner au Public des Ouvrages
considerables ; on imprime actuellement
une Traduction Italienne , in Verso
sciolto , des Comédies de Terence , par
M. Fortiguerra , dont on loue beaucoup
Fexactitude et l'élegance. Le même Prélat
avoit été chargé par Clement XI . d'exè
traire de la grande collection des Actes.
d'Angleterre par Rimer , tout ce qui pouvoit
être favorable , ou seulement avoir
quelque rapport au S.Siege , et d'y ajoûter
qé ,
AVRIL. 17312 731
quelques Notes. Cet Ouvrage est achevé
, et on assure qu'il ne tardera pas
voir le jour.
bien- tôt donner au Public le second Tome
, in folio , del nuovo Vocabolario della
Crousca. L'Imprimerie établie à Urbain ,
par les soins du Cardinal Annibal Albani ,
continue à donner au Public des Ouvrages
considerables ; on imprime actuellement
une Traduction Italienne , in Verso
sciolto , des Comédies de Terence , par
M. Fortiguerra , dont on loue beaucoup
Fexactitude et l'élegance. Le même Prélat
avoit été chargé par Clement XI . d'exè
traire de la grande collection des Actes.
d'Angleterre par Rimer , tout ce qui pouvoit
être favorable , ou seulement avoir
quelque rapport au S.Siege , et d'y ajoûter
qé ,
AVRIL. 17312 731
quelques Notes. Cet Ouvrage est achevé
, et on assure qu'il ne tardera pas
voir le jour.
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Résumé : « On nous écrit de Florence, qu'on va bien-tôt donner au Public le second Tome [...] »
En avril 1731, la publication du second tome du Vocabolario della Crusca est annoncée. L'imprimerie d'Urbain, dirigée par le Cardinal Annibal Albani, imprime une traduction italienne des comédies de Térence par M. Fortiguerra. Albani a également achevé un ouvrage sur les Actes d'Angleterre, commandé par Clément XI, qui sera bientôt publié.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 1350-1363
LETTRE écrite de Londres, sur quelques Poëtes Dramatiques Anglois, &c.
Début :
Je continue, Monsieur, de vous donner ce que je vous ai promis sur le [...]
Mots clefs :
Corneille d'Angleterre, Comédies, Tragédies, Réformer , Critique du théâtre anglais, Trois unités, Poètes modernes, Shakespeare
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite de Londres, sur quelques Poëtes Dramatiques Anglois, &c.
LETTRE écrite de Londres , sur quel
Poëtes Dramatiques Anglois , &c. ques
J
E continue , Monsieur , de vous don
ner ce que je vous ai promis sur le
Theatre Anglois et sur les Auteurs qui y
ont le plus brillé.
Benjamin Johnson, concurrent
de Shakes
pear , fleurissoit
sous les Régnes de Jac
I. et de Charles I. .
Cet Auteur fameux , qu'on appelloit
ici le Corneille d'Angleterre , entreptit
de
I, Vol.
JUIN. 1731. ·
135 %
•
de réformer le Theatre Anglois , & le fic
avec beaucoup de succès. Ses Comédies
sont admirables , et surpassent de beau
coup ses Tragédies. On a eû de lui.
Catilina , Traged.
Sejan , id.
Bartholomew-Fair , Comedie , où l'on voit
representé comiquement ce qui se passe de
ridicule dans les Lieux publics.
Le Fox , c'est- à-dire le Renard , Comedie .
L'Alchimiste , Comed .
La Femme excellente. Comed.
Tout par Amour , où le Monde bien perdu
Comedie . &c.*
Ce Catalogue deviendroit trop long.
On pourra voir le Recueil de ses Pieces
de Théatre , imprimé l'an 1718. à Lɔn
dres , en 6. Vol. in 8 ° .
Cet Auteur passe avec raison pour un
de nos meilleurs Poëtes , dit M. Collier
dans sa Critique du Théatre Anglois ; il
est beaucoup plus retenu dans ses Pieces
que ne le sont nos Poëtes modernes . Il se
déclare hautement pour la modestie . Un
Auteur sage , dit- il , doit éviter avec soin
d'écrire d'une maniere sale. Lorsque les
moeurs sont corrompues , le langage l'est com
munément aussi ; et comme le plus grand ex
sès des Fêtes et des Spectacles , sont les mar
ques d'un Etat qui tombe en décadence , aussi
I. Vol.
Gij un
1352 MERCURE DE FRANCE
un langage trop libre et impur , marque un
esprit qui commence à se gâter.
Les trois unitez de tems , de lieu et
d'action , ne sont pas fort observées par
les Poëtes Anglois en général , car l'ac
tion est souvent double ; mais les plus
habiles Critiques ne trouvent pas que ce
soit un défaut dans Ben- Johnson. Il fait
entrer deux Sujets , fi naturellement l'un
dans l'autre , que l'attention des Spec
tateurs est soûtenue par cette agréable
variété.
pas Selon M. Collier , cet Auteur n'est
tout-à-fait exempt du Galimathias conti
nuel qui regne dans les Comédies An
gloises , quoiqu'au sentiment de Saint
Evremont , il soit comparable à notre
Moliere.
"
Au contraire de Shakespear , Johnson
a fait paroître beaucoup de sçavoir.
On trouve dans ses Piéces de Théatre
Aristophane , Plaute et Terence , sans
compter beaucoup de beautez , tirées des
autres Auteurs classiques . Tous ses ca
racteres sont fort justes et bien maintenus.
On regarde le Fox ou le Renard , PAI
chimiste & la Femme Silente , comme
ses trois meilleurs Pieces.
Il avoit un génie admirable , et un ta
lent particulier pour peindre les passions
J. Kel. de
JUIN. 1731. 1353
et les foiblesses des hommes . On le met
de Niveau avec Moliere , à qui les Anciens
avoient inspiré le bon esprit de la Co
médie. Ils ont sçû l'un et l'autre repré
senter parfaitement les diverses humeurs
et les differentes manieres des Hommes ,
en conservant dans leurs Peintures , unt
juste rapport avec le genie de leur Na
tion . M. de Saint- Evremont croit qu'ils
ont été plus loin que les Anciens à cet
égard ; mais on ne sçauroit nier qu'ils
n'ayent eû plus d'égard aux Caracteres ,
qu'au gros des Sujets , dont la suite pour
roit être aussi mieux liée , et le dénoue
ment plus naturel.
La Tragédie de Samson Agoniste , est du
célebre Milton , Auteur du fameux Poëme
Le Paradis perdu.
Le Poëte Jean Dryden , Ecuyer , mort
en 1700. est un des plus estimez de sa
Nation. Il n'est pas plus modeste que la
plupart de ses Confreres , ni moins pla
giaire ; il ose traiter de crême fouettée les
Ouvrages de Corneille même ; et cepen
dant on n'a qu'à confronter son Oedipe
avec celui de ce Poëte François, pour voir
que tout ce qu'il y a de plus beau en est
pillé , et même que des Scénes entieres y
sont copiées , par une Traduction presque
Litterale
I.Vot Giiij M..
1354 MERCURE DE FRANCE
M. Dryden a tâché de se purger de
Paccusation qu'on lui a faite de recom
penser le vice dans ses Comédies . La ré
gle contraire , disoit- il , ne regarde que
la Tragedie. Dans le Comique qu'est- ce
que le vice ? foiblesse humaine , saillie de
jeunesse , bagatelle . Quelle morale ! quoy !
l'Atheisme , l'Impieté , l'Adultere : les
Souhaits du parricide , ne sont que
des
minuties ; est- il donc permis d'affoiblir
par des plaisanteries , l'horreur que la
nature nous en donne ? Mais , dit M.
Dryden , le principal but du Poëme Comi
que est de divertir. Je doute si l'instruction
doit y entrer. Si elle y entre , elle n'en est
que la seconde fin. Quand on conviendroit
du Principe , s'ensuit-il qu'on ne puisse
réjouir le Spectateur , qu'en rendant le
vice heureux ? La friponnerie et la mé
chanceté tournées en ridicule , donne
roient- elles de la fadeur à des Pieces Co.
miques , si d'ailleurs elles étoient inge
nieuses pour être divertissant ne doit
on plaire qu'à la cupidité ? ne peut- on
pas réjouir la raison et le bon sens aux
dépens des vicieux ? Mais où a - t'on pris
que l'Instruction n'est pas la principale
fin de la Comedie , comme de la Trage
die ? ce sont deux soeurs qui n'ont que le
même terme ; mais qui l'atteignent par
1. Val.
des
JUIN. 1731. 7359
des routes differentes. Leur but est de
persuader la vertu et de rendre le vice
odieux .
On doit cependant cette justice à M.
Dryden , de faire remarquer aux Lec
teurs , que par une conversion sincere à
la Religion Catholique , et par une vie
exemplaire et penitente , il a réparé au
tant qu'il a pû des desordres qu'on luy a
si justement réprochez.
Ses Tragédies valent mieux que ses
Comédies , comme je l'ai déja rémarqué.
Les Anglois éclairés disent , que cet Au
teur a beaucoup écrit , fort bien et fort
mal. C'est un des Poëtes de Theatre de cet
te nation qui a le plus travaillé . On joüe
presque toutes ses Pieces , quoique parmi
le grand nombre il y en ait quelques- unes
qui sont beaucoup plus estimées , et
qu'on joue plus souvent que les autres
Ses Pieces de Theatre , contenant ces
Comédies , Tragédies et Opera & c. sont
imprimées en 2. Vol . in fol. à Londres.
1721. Cet ouvrage posthume de Dry
den , écrit en Anglois , est divisé par les
Editeurs en deux Parties. La premiere
comprend les Poëmes Dramatiques sui
vans l'Amant farouche , les Femmes
jalouses , l'Empereur Indien , ou la Con
quête du Mexique , l'Amour secret DA
I. Vol.
G V Martine
1356 MERCURE DE FRANCE
Martin Marr-all , ou la feinte Innocence ;
la Tempête , l'Amour Tyran , Almanzor
et Almahide , le Mariage à la mode
l'Amour dans le Cloître , Amboyne ..
.
La seconde Partie contient , Aureng
zebe , ou le Grand Mogol , Tout pour
l'Amour , Limberhain , ou le Garde
Commode , Oedipe , Tvoile et Cresside ,
ou la Verité tard découverte , le Double
Dénoument , le Duc de Guise , Albion
et Albanius, Sebastien, Roy de Portugal
Amphytrion , Cleomene , ou le Heros
de Sparte , le Roy Arthus , l'Amour
Triomphant.
A la tête de tout l'Ouvrage est une
Dissertation de Dryden sur la Poësie Dra
matiques cette Dissertation est une dis
pute en forme de Dialogue , dont les
Interlocuteurs sont Crites , Eugene , Lip
side et Neandre. L'Auteur Dryden paroît
caché sous ce derniet nom.. La dis
pute roule sur le merite des Anciens et
des Modernes Poëtes Dramatiques , et
en particulier Anglois. On y parle aussi .
en passant du Poëme Epique , et du Ly
rique. Les Principaux Poëtes Anglois y
passent en révuë ; Crites donne la pré
férence aux Anciens ; Eugene la donne
aux Modernes & c . Cette Dissertation est
si longue , et descend dans un si grand
>.
3.
و د
1. Vol.
détail
JUIN. 173T. 1357
détail , qu'il faut la voir dans l'Original
ou du moins traduire à loisir tout ce qui
en est rapporté fort au long dans le Jour
nal de Leipsic. Janvier 1702. pag. 34.
Chaque Piece de Dryden est accom
pagnée d'une Dedicace , et d'une Preface
sçavante et curieuse .
Dryden aécrit d'autres Ouvrages , et sur
tout des Fables anciennes et modernes , & c.
Voici quelques autres Pieces du même
Auteur qui sont venues à ma connois
Sance.
Phedre et Hypolite , Trag.
L'Etat de l'Innocence , ou la chûte de
l'Homme , Trag .
L'Amour du Soir , ou le faux Astrolo
gue.Comed, 1691. Ce n'est presque qu'une
Traduction du feint Astrologue de Th..
Corneille cependant dans la Preface de
- cette Piece , l'Auteur y parle en ces ter
mes , remarquables par leur impudence..
Il faut avouer , dit- il , que la plupart
» des Comédies que l'on écrit depuis peu ,
» tiennent trop de la Farce ; mais ceci
» doit arriver necessairement jusqu'à ce
» qu'on s'abstienne de traduire les Picces
>> des François ; car leurs Poëtes , n'ayant
» pas assés de jugement pour peindre:
d'aprés nature , sont obligés de supléer
» à ce défaut- par des postures extravagan
>>
I..Vol.. G vj
>> tes
1358 MERCURE DE FRANCE
{
» tes et par des grimaces ridicules. A- t'on
jamais vû de Plagiaire si insolent et si
bas ?
Le Moine Espagnol , ou la double De
couverte. Tragi - Comedie.
Le Theatre Espagnol ne représente
guére de Farces , qu'on n'y voye un Rô
le de Prêtre , de Chapelain ou de Reli
gieux. Icy Dryden à été le Maître de
former le caractére de son principal Per
sonnage tel qu'il a voulu ; il en a fait un
Scelerat , et par le secours des fictions ,
il a peint un Moine trés déréglé , et ré
pandu sur le corps des Religieux tout
le ridicule et les excés , que le préjugé et
l'esprit de parti peuvent inspirer à un
Auteur fougueux .
Le Chevalier Gâte - tout , ou la fausse
Innocence , Comedie de Dryden .
Quand par des vols pitoyables , les
Anglois reussissent à faire d'une ou de
deux bonnes Pieces Françoises , une Co
medie à leur maniere , qui ne vaut rien ,
ils ont encore trop d'orgueil pour recon
noître leur larcin. Jamais ces Pieces ne
sont traduites ; elles sont toujours faites
par tel ou tel. A la verité on insinue quel
quefois dans la Preface que le Sujet vient
de France , mais on ne daigne pas nom
mer l'Auteur à qui on en est rédevable.
*
I. Vela
Ils
JUIN. 1731 .
1-3 59'
·
Ils voudroient faire croire qu'ils en agis
sent à peu prés avec ces petits Poëtes Fran
çois , comme un Maitre qui s'exerce sur
un Sujet qu'un Ecolier a traité , et qui
n'a d'autre dessein que de lui faire voir
comme il falloit s'y prendre pour réus
sir.
Quelques-uns de ces M. se contentent
de piller l'intrigue d'un ouvrage Fran
çois , et d'y en ajoûter une seconde de
leur invention , pour paroître du moins
feconds à multiplier les Sujets de leurs
Pieces. C'est comme en a agi l'Auteur
de la Comêdie dont je parle. Ce sont
deux Comédies en une , dont la moitié
est à fort peu de chose prés , l'Etourdy
de Moliere.
Philips , autre Poëte , passe pour avoir
un trés beau genie , une grande connois
sance des régles du Theatre , et une idée
fort juste du merite que peuvent avoir
les Pieces Dramatiques des differentes
Nations.
.
La Tragédie d'Andromaque , qui est
une imitation de celle de Racine , est le
plus bel ouvrage de cet Auteur et le
plus propre à faire goûter aux Angleis
la régularité Françoise . Cette Copie est
digne de son excellent Original , sur
lequel , ce qui paroit très difficile ,
*
I. Vel. elle
T360 MERCURE DE FRANCE
elle encherit quelquefois. Il est vrai que
des personnes judicieuses , ne jugent pas
ainsi de quelques Scénes ajoutées à la fin
de la Piece ; on y voit revenir Andro
maque sur le Theatre aprés la mort de
Pyrrhus et les fureurs d'Oreste.CettePrin
cesse , venuë de nouveau , ne sçauroit
exciter dans cet endroit des passions
qui repondent à la force de celles qui
viennent d'émouvoir le Spectateur ; la
bienséance , et le sentiment des services .
que lui a rendus Pyrrhus , doivent natu
rellement l'empêcher de témoigner sa
joye sur l'heureux changement de son
état , et sur la conservation de son fils..
Il faut laisser le Spectateur dans tout le
trouble qu'excitent en lui les malheurs
des gens vertueux ; à moins qu'on ne
fasse succeder à cette pitié une satisfac
tion parfaite , de voir triompher entiere
ment de toutes les attaques du sort , less
personnes pour qui on s'interesse : dimi
nuer seulement la passion qui est le but
de toute une Tragédie , sans la changer
dans une passion également forte ; c'est
faire languir le Spectateur dans l'endroit ,
où il se plaît à être le plus émû.
Ron ou Row . Ce Poëte a fait piusieurs
Pieces , qui , bien qu'elles pêchent con
tre les Règles d'Aristore , s'accordent gé
L.. Vols. neralement
*
JUIN. 1731. 1361
neralement aux régles du bon sens. Elles.
ont d'ailleurs un feu qui ne paroît infe
rieur , selon quelques- uns , à celui de ses
Prédeceffeurs , que parce qu'il est mieux
réglé. Ses idées sont grandes et son stile :
sublime..
Il a traduit Lucain , qu'il a , dit- on ,
surpassé en plusieurs endroits . Ses . Pieces
de Theatre sont imprimées en 3. vol .
Il mourut en Angleterre depuis environ
dix ans.
Les Pieces qu'on connoît le plus de cet
Auteur , sont Tamerlan , Tragedie fort es
timée , Ulisse , Trag. la Belle Pénitente ,.
Jeanne Shore , Jeanne Grey ; cette inno
cente victime de sa Religion er de l'ambi
tion des autres , fournit le sujet de cette
Tragédie.
Quoi qu'elle peche contre plusieurs des
regles , et que la mort du jeune Edouard:
paroisse y jetter un double sujet ; ce Poë
me est pourtant essentiellement beau , le
bon sens y regne dans tout le détail qui
est si pathétique , que le Spectateur le plus
insensible , ne peut s'empêcher de payer:
tribut à l'humanité. "
Joseph Addison , Poëte Anglois , fils.de
Lancelot Addison , né en 1671. mort en
1729.
Il n'a écrit qu'en Latin et en Anglois .
I.. Vol.. Ses
1362 MERCURE DE FRANCE
Ses Ouvrages sont le Recueil connu
sous le titre de Muse Anglicane.
Son Poëme à l'honneur de Guillaume III.
en 1695 .
La Paix de Riswick.
La Resurrection , Description d'un Ta
bleau.
Ode à M. Burnet , sur la Théorie Sacrés
de la Terre.
Odes à M. Hannes.
La Description du Baromettre.
Les Marionnettes.
Le Combat des Grues et des Pigmées.
Dissertation sur les illustres Poëtes La
tins .
Poëme sur la Campagne de 1704.
Caractére des Poëtes Anglois.
Poëme à M. Dryden sur ses Traductions .
Ode pour la Fête de Sainte Cecile.
Traductions de quelques Livres de l'E
neide et des Métamorphoses.
Poëme sur Myladi Manchester.
Lettres en Vers à la Princesse de Galles , en
lui envoyant sa Tragédie de Caton , re
presentée en 1712 .
Lettre en Vers , sur le Portrair du Roy
George I.
L'Opera de Rosemonde.
Le Livre connu sous le nom du Sujet libre
ou de celui qui prend un Franc-Fief,
I.Vol. et
JUIN. 1731 . 1363
et quantité de feuilles volentes du Ba
billard , du Spectateur , du Tuteur ou
Curateur , &c.
Congreve , Poëte Comique , celebre en
Angleterre , Gentilhomme Anglois. Il
est devenu aveugle , et vivoit en 1721.
Ses Pieces de Théatre et autres Ouvra
ges , sont imprimés en 3. Vol. in 8 ° . à
Londres en 1710. On les joue très-sou
vent , et toujours avec grand concours de
Spectateurs , sur tout des Dames . Ces
Pieces petillent d'esprit que l'Auteur
,
diftribue indifferemment à tous ses Per
sonnages ; de sorte qu'il ne fait autre
chose que se peindre lui- même sous dif
ferens noms. La plupart de ses Comédies
sont en Prose .
Les meilleurs Ouvrages de cet Auteur
sont :
Le vieux Garçon ,
L'Homme de mauvaise foi.
Amourpour Amour.
La maniere de bien agir du monde..
Le Deuil de la nouvelle Mariée , Tragé
die .
Je suis Monsieur , &c.
Poëtes Dramatiques Anglois , &c. ques
J
E continue , Monsieur , de vous don
ner ce que je vous ai promis sur le
Theatre Anglois et sur les Auteurs qui y
ont le plus brillé.
Benjamin Johnson, concurrent
de Shakes
pear , fleurissoit
sous les Régnes de Jac
I. et de Charles I. .
Cet Auteur fameux , qu'on appelloit
ici le Corneille d'Angleterre , entreptit
de
I, Vol.
JUIN. 1731. ·
135 %
•
de réformer le Theatre Anglois , & le fic
avec beaucoup de succès. Ses Comédies
sont admirables , et surpassent de beau
coup ses Tragédies. On a eû de lui.
Catilina , Traged.
Sejan , id.
Bartholomew-Fair , Comedie , où l'on voit
representé comiquement ce qui se passe de
ridicule dans les Lieux publics.
Le Fox , c'est- à-dire le Renard , Comedie .
L'Alchimiste , Comed .
La Femme excellente. Comed.
Tout par Amour , où le Monde bien perdu
Comedie . &c.*
Ce Catalogue deviendroit trop long.
On pourra voir le Recueil de ses Pieces
de Théatre , imprimé l'an 1718. à Lɔn
dres , en 6. Vol. in 8 ° .
Cet Auteur passe avec raison pour un
de nos meilleurs Poëtes , dit M. Collier
dans sa Critique du Théatre Anglois ; il
est beaucoup plus retenu dans ses Pieces
que ne le sont nos Poëtes modernes . Il se
déclare hautement pour la modestie . Un
Auteur sage , dit- il , doit éviter avec soin
d'écrire d'une maniere sale. Lorsque les
moeurs sont corrompues , le langage l'est com
munément aussi ; et comme le plus grand ex
sès des Fêtes et des Spectacles , sont les mar
ques d'un Etat qui tombe en décadence , aussi
I. Vol.
Gij un
1352 MERCURE DE FRANCE
un langage trop libre et impur , marque un
esprit qui commence à se gâter.
Les trois unitez de tems , de lieu et
d'action , ne sont pas fort observées par
les Poëtes Anglois en général , car l'ac
tion est souvent double ; mais les plus
habiles Critiques ne trouvent pas que ce
soit un défaut dans Ben- Johnson. Il fait
entrer deux Sujets , fi naturellement l'un
dans l'autre , que l'attention des Spec
tateurs est soûtenue par cette agréable
variété.
pas Selon M. Collier , cet Auteur n'est
tout-à-fait exempt du Galimathias conti
nuel qui regne dans les Comédies An
gloises , quoiqu'au sentiment de Saint
Evremont , il soit comparable à notre
Moliere.
"
Au contraire de Shakespear , Johnson
a fait paroître beaucoup de sçavoir.
On trouve dans ses Piéces de Théatre
Aristophane , Plaute et Terence , sans
compter beaucoup de beautez , tirées des
autres Auteurs classiques . Tous ses ca
racteres sont fort justes et bien maintenus.
On regarde le Fox ou le Renard , PAI
chimiste & la Femme Silente , comme
ses trois meilleurs Pieces.
Il avoit un génie admirable , et un ta
lent particulier pour peindre les passions
J. Kel. de
JUIN. 1731. 1353
et les foiblesses des hommes . On le met
de Niveau avec Moliere , à qui les Anciens
avoient inspiré le bon esprit de la Co
médie. Ils ont sçû l'un et l'autre repré
senter parfaitement les diverses humeurs
et les differentes manieres des Hommes ,
en conservant dans leurs Peintures , unt
juste rapport avec le genie de leur Na
tion . M. de Saint- Evremont croit qu'ils
ont été plus loin que les Anciens à cet
égard ; mais on ne sçauroit nier qu'ils
n'ayent eû plus d'égard aux Caracteres ,
qu'au gros des Sujets , dont la suite pour
roit être aussi mieux liée , et le dénoue
ment plus naturel.
La Tragédie de Samson Agoniste , est du
célebre Milton , Auteur du fameux Poëme
Le Paradis perdu.
Le Poëte Jean Dryden , Ecuyer , mort
en 1700. est un des plus estimez de sa
Nation. Il n'est pas plus modeste que la
plupart de ses Confreres , ni moins pla
giaire ; il ose traiter de crême fouettée les
Ouvrages de Corneille même ; et cepen
dant on n'a qu'à confronter son Oedipe
avec celui de ce Poëte François, pour voir
que tout ce qu'il y a de plus beau en est
pillé , et même que des Scénes entieres y
sont copiées , par une Traduction presque
Litterale
I.Vot Giiij M..
1354 MERCURE DE FRANCE
M. Dryden a tâché de se purger de
Paccusation qu'on lui a faite de recom
penser le vice dans ses Comédies . La ré
gle contraire , disoit- il , ne regarde que
la Tragedie. Dans le Comique qu'est- ce
que le vice ? foiblesse humaine , saillie de
jeunesse , bagatelle . Quelle morale ! quoy !
l'Atheisme , l'Impieté , l'Adultere : les
Souhaits du parricide , ne sont que
des
minuties ; est- il donc permis d'affoiblir
par des plaisanteries , l'horreur que la
nature nous en donne ? Mais , dit M.
Dryden , le principal but du Poëme Comi
que est de divertir. Je doute si l'instruction
doit y entrer. Si elle y entre , elle n'en est
que la seconde fin. Quand on conviendroit
du Principe , s'ensuit-il qu'on ne puisse
réjouir le Spectateur , qu'en rendant le
vice heureux ? La friponnerie et la mé
chanceté tournées en ridicule , donne
roient- elles de la fadeur à des Pieces Co.
miques , si d'ailleurs elles étoient inge
nieuses pour être divertissant ne doit
on plaire qu'à la cupidité ? ne peut- on
pas réjouir la raison et le bon sens aux
dépens des vicieux ? Mais où a - t'on pris
que l'Instruction n'est pas la principale
fin de la Comedie , comme de la Trage
die ? ce sont deux soeurs qui n'ont que le
même terme ; mais qui l'atteignent par
1. Val.
des
JUIN. 1731. 7359
des routes differentes. Leur but est de
persuader la vertu et de rendre le vice
odieux .
On doit cependant cette justice à M.
Dryden , de faire remarquer aux Lec
teurs , que par une conversion sincere à
la Religion Catholique , et par une vie
exemplaire et penitente , il a réparé au
tant qu'il a pû des desordres qu'on luy a
si justement réprochez.
Ses Tragédies valent mieux que ses
Comédies , comme je l'ai déja rémarqué.
Les Anglois éclairés disent , que cet Au
teur a beaucoup écrit , fort bien et fort
mal. C'est un des Poëtes de Theatre de cet
te nation qui a le plus travaillé . On joüe
presque toutes ses Pieces , quoique parmi
le grand nombre il y en ait quelques- unes
qui sont beaucoup plus estimées , et
qu'on joue plus souvent que les autres
Ses Pieces de Theatre , contenant ces
Comédies , Tragédies et Opera & c. sont
imprimées en 2. Vol . in fol. à Londres.
1721. Cet ouvrage posthume de Dry
den , écrit en Anglois , est divisé par les
Editeurs en deux Parties. La premiere
comprend les Poëmes Dramatiques sui
vans l'Amant farouche , les Femmes
jalouses , l'Empereur Indien , ou la Con
quête du Mexique , l'Amour secret DA
I. Vol.
G V Martine
1356 MERCURE DE FRANCE
Martin Marr-all , ou la feinte Innocence ;
la Tempête , l'Amour Tyran , Almanzor
et Almahide , le Mariage à la mode
l'Amour dans le Cloître , Amboyne ..
.
La seconde Partie contient , Aureng
zebe , ou le Grand Mogol , Tout pour
l'Amour , Limberhain , ou le Garde
Commode , Oedipe , Tvoile et Cresside ,
ou la Verité tard découverte , le Double
Dénoument , le Duc de Guise , Albion
et Albanius, Sebastien, Roy de Portugal
Amphytrion , Cleomene , ou le Heros
de Sparte , le Roy Arthus , l'Amour
Triomphant.
A la tête de tout l'Ouvrage est une
Dissertation de Dryden sur la Poësie Dra
matiques cette Dissertation est une dis
pute en forme de Dialogue , dont les
Interlocuteurs sont Crites , Eugene , Lip
side et Neandre. L'Auteur Dryden paroît
caché sous ce derniet nom.. La dis
pute roule sur le merite des Anciens et
des Modernes Poëtes Dramatiques , et
en particulier Anglois. On y parle aussi .
en passant du Poëme Epique , et du Ly
rique. Les Principaux Poëtes Anglois y
passent en révuë ; Crites donne la pré
férence aux Anciens ; Eugene la donne
aux Modernes & c . Cette Dissertation est
si longue , et descend dans un si grand
>.
3.
و د
1. Vol.
détail
JUIN. 173T. 1357
détail , qu'il faut la voir dans l'Original
ou du moins traduire à loisir tout ce qui
en est rapporté fort au long dans le Jour
nal de Leipsic. Janvier 1702. pag. 34.
Chaque Piece de Dryden est accom
pagnée d'une Dedicace , et d'une Preface
sçavante et curieuse .
Dryden aécrit d'autres Ouvrages , et sur
tout des Fables anciennes et modernes , & c.
Voici quelques autres Pieces du même
Auteur qui sont venues à ma connois
Sance.
Phedre et Hypolite , Trag.
L'Etat de l'Innocence , ou la chûte de
l'Homme , Trag .
L'Amour du Soir , ou le faux Astrolo
gue.Comed, 1691. Ce n'est presque qu'une
Traduction du feint Astrologue de Th..
Corneille cependant dans la Preface de
- cette Piece , l'Auteur y parle en ces ter
mes , remarquables par leur impudence..
Il faut avouer , dit- il , que la plupart
» des Comédies que l'on écrit depuis peu ,
» tiennent trop de la Farce ; mais ceci
» doit arriver necessairement jusqu'à ce
» qu'on s'abstienne de traduire les Picces
>> des François ; car leurs Poëtes , n'ayant
» pas assés de jugement pour peindre:
d'aprés nature , sont obligés de supléer
» à ce défaut- par des postures extravagan
>>
I..Vol.. G vj
>> tes
1358 MERCURE DE FRANCE
{
» tes et par des grimaces ridicules. A- t'on
jamais vû de Plagiaire si insolent et si
bas ?
Le Moine Espagnol , ou la double De
couverte. Tragi - Comedie.
Le Theatre Espagnol ne représente
guére de Farces , qu'on n'y voye un Rô
le de Prêtre , de Chapelain ou de Reli
gieux. Icy Dryden à été le Maître de
former le caractére de son principal Per
sonnage tel qu'il a voulu ; il en a fait un
Scelerat , et par le secours des fictions ,
il a peint un Moine trés déréglé , et ré
pandu sur le corps des Religieux tout
le ridicule et les excés , que le préjugé et
l'esprit de parti peuvent inspirer à un
Auteur fougueux .
Le Chevalier Gâte - tout , ou la fausse
Innocence , Comedie de Dryden .
Quand par des vols pitoyables , les
Anglois reussissent à faire d'une ou de
deux bonnes Pieces Françoises , une Co
medie à leur maniere , qui ne vaut rien ,
ils ont encore trop d'orgueil pour recon
noître leur larcin. Jamais ces Pieces ne
sont traduites ; elles sont toujours faites
par tel ou tel. A la verité on insinue quel
quefois dans la Preface que le Sujet vient
de France , mais on ne daigne pas nom
mer l'Auteur à qui on en est rédevable.
*
I. Vela
Ils
JUIN. 1731 .
1-3 59'
·
Ils voudroient faire croire qu'ils en agis
sent à peu prés avec ces petits Poëtes Fran
çois , comme un Maitre qui s'exerce sur
un Sujet qu'un Ecolier a traité , et qui
n'a d'autre dessein que de lui faire voir
comme il falloit s'y prendre pour réus
sir.
Quelques-uns de ces M. se contentent
de piller l'intrigue d'un ouvrage Fran
çois , et d'y en ajoûter une seconde de
leur invention , pour paroître du moins
feconds à multiplier les Sujets de leurs
Pieces. C'est comme en a agi l'Auteur
de la Comêdie dont je parle. Ce sont
deux Comédies en une , dont la moitié
est à fort peu de chose prés , l'Etourdy
de Moliere.
Philips , autre Poëte , passe pour avoir
un trés beau genie , une grande connois
sance des régles du Theatre , et une idée
fort juste du merite que peuvent avoir
les Pieces Dramatiques des differentes
Nations.
.
La Tragédie d'Andromaque , qui est
une imitation de celle de Racine , est le
plus bel ouvrage de cet Auteur et le
plus propre à faire goûter aux Angleis
la régularité Françoise . Cette Copie est
digne de son excellent Original , sur
lequel , ce qui paroit très difficile ,
*
I. Vel. elle
T360 MERCURE DE FRANCE
elle encherit quelquefois. Il est vrai que
des personnes judicieuses , ne jugent pas
ainsi de quelques Scénes ajoutées à la fin
de la Piece ; on y voit revenir Andro
maque sur le Theatre aprés la mort de
Pyrrhus et les fureurs d'Oreste.CettePrin
cesse , venuë de nouveau , ne sçauroit
exciter dans cet endroit des passions
qui repondent à la force de celles qui
viennent d'émouvoir le Spectateur ; la
bienséance , et le sentiment des services .
que lui a rendus Pyrrhus , doivent natu
rellement l'empêcher de témoigner sa
joye sur l'heureux changement de son
état , et sur la conservation de son fils..
Il faut laisser le Spectateur dans tout le
trouble qu'excitent en lui les malheurs
des gens vertueux ; à moins qu'on ne
fasse succeder à cette pitié une satisfac
tion parfaite , de voir triompher entiere
ment de toutes les attaques du sort , less
personnes pour qui on s'interesse : dimi
nuer seulement la passion qui est le but
de toute une Tragédie , sans la changer
dans une passion également forte ; c'est
faire languir le Spectateur dans l'endroit ,
où il se plaît à être le plus émû.
Ron ou Row . Ce Poëte a fait piusieurs
Pieces , qui , bien qu'elles pêchent con
tre les Règles d'Aristore , s'accordent gé
L.. Vols. neralement
*
JUIN. 1731. 1361
neralement aux régles du bon sens. Elles.
ont d'ailleurs un feu qui ne paroît infe
rieur , selon quelques- uns , à celui de ses
Prédeceffeurs , que parce qu'il est mieux
réglé. Ses idées sont grandes et son stile :
sublime..
Il a traduit Lucain , qu'il a , dit- on ,
surpassé en plusieurs endroits . Ses . Pieces
de Theatre sont imprimées en 3. vol .
Il mourut en Angleterre depuis environ
dix ans.
Les Pieces qu'on connoît le plus de cet
Auteur , sont Tamerlan , Tragedie fort es
timée , Ulisse , Trag. la Belle Pénitente ,.
Jeanne Shore , Jeanne Grey ; cette inno
cente victime de sa Religion er de l'ambi
tion des autres , fournit le sujet de cette
Tragédie.
Quoi qu'elle peche contre plusieurs des
regles , et que la mort du jeune Edouard:
paroisse y jetter un double sujet ; ce Poë
me est pourtant essentiellement beau , le
bon sens y regne dans tout le détail qui
est si pathétique , que le Spectateur le plus
insensible , ne peut s'empêcher de payer:
tribut à l'humanité. "
Joseph Addison , Poëte Anglois , fils.de
Lancelot Addison , né en 1671. mort en
1729.
Il n'a écrit qu'en Latin et en Anglois .
I.. Vol.. Ses
1362 MERCURE DE FRANCE
Ses Ouvrages sont le Recueil connu
sous le titre de Muse Anglicane.
Son Poëme à l'honneur de Guillaume III.
en 1695 .
La Paix de Riswick.
La Resurrection , Description d'un Ta
bleau.
Ode à M. Burnet , sur la Théorie Sacrés
de la Terre.
Odes à M. Hannes.
La Description du Baromettre.
Les Marionnettes.
Le Combat des Grues et des Pigmées.
Dissertation sur les illustres Poëtes La
tins .
Poëme sur la Campagne de 1704.
Caractére des Poëtes Anglois.
Poëme à M. Dryden sur ses Traductions .
Ode pour la Fête de Sainte Cecile.
Traductions de quelques Livres de l'E
neide et des Métamorphoses.
Poëme sur Myladi Manchester.
Lettres en Vers à la Princesse de Galles , en
lui envoyant sa Tragédie de Caton , re
presentée en 1712 .
Lettre en Vers , sur le Portrair du Roy
George I.
L'Opera de Rosemonde.
Le Livre connu sous le nom du Sujet libre
ou de celui qui prend un Franc-Fief,
I.Vol. et
JUIN. 1731 . 1363
et quantité de feuilles volentes du Ba
billard , du Spectateur , du Tuteur ou
Curateur , &c.
Congreve , Poëte Comique , celebre en
Angleterre , Gentilhomme Anglois. Il
est devenu aveugle , et vivoit en 1721.
Ses Pieces de Théatre et autres Ouvra
ges , sont imprimés en 3. Vol. in 8 ° . à
Londres en 1710. On les joue très-sou
vent , et toujours avec grand concours de
Spectateurs , sur tout des Dames . Ces
Pieces petillent d'esprit que l'Auteur
,
diftribue indifferemment à tous ses Per
sonnages ; de sorte qu'il ne fait autre
chose que se peindre lui- même sous dif
ferens noms. La plupart de ses Comédies
sont en Prose .
Les meilleurs Ouvrages de cet Auteur
sont :
Le vieux Garçon ,
L'Homme de mauvaise foi.
Amourpour Amour.
La maniere de bien agir du monde..
Le Deuil de la nouvelle Mariée , Tragé
die .
Je suis Monsieur , &c.
Fermer
Résumé : LETTRE écrite de Londres, sur quelques Poëtes Dramatiques Anglois, &c.
La lettre, écrite à Londres en juin 1731, discute des poètes dramatiques anglais. L'auteur mentionne Benjamin Johnson, contemporain de Shakespeare, qui a brillé sous les règnes de Jacques I et de Charles I. Surnommé le 'Corneille d'Angleterre', Johnson a tenté de réformer le théâtre anglais avec succès. Ses comédies, telles que 'Bartholomew-Fair' et 'Le Renard', sont particulièrement admirées. Johnson est reconnu pour sa modestie et son évitement des sujets impurs. Ses pièces respectent les unités de temps, de lieu et d'action, bien que les critiques anglais ne considèrent pas cela comme un défaut. Johnson est comparé à Molière pour sa capacité à peindre les passions humaines. Le texte évoque également John Milton, auteur de 'Samson Agoniste' et du 'Paradis perdu'. Jean Dryden, poète dramatique anglais mort en 1700, est mentionné pour ses œuvres, bien que certaines soient accusées de plagiat. Dryden a écrit des tragédies et des comédies, et a tenté de justifier la représentation du vice dans ses œuvres. Il a également écrit une dissertation sur la poésie dramatique, discutant des mérites des anciens et des modernes. D'autres poètes comme Philips et Row sont mentionnés pour leurs contributions au théâtre anglais. Philips est connu pour sa tragédie 'Andromaque', une imitation de celle de Racine. Row, quant à lui, a écrit plusieurs pièces respectant les règles du bon sens, bien qu'elles pèche contre les règles d'Aristote. Joseph Addison, poète anglais né en 1671 et mort en 1729, est le fils de Lancelot Addison. Il a écrit en latin et en anglais. Ses œuvres principales incluent le recueil 'Muse Anglicane', des poèmes comme 'La Paix de Riswick', 'La Résurrection', et des traductions de l'Énéide et des Métamorphoses. Addison a également écrit des lettres en vers, des odes, et des dissertations sur des sujets variés. Ses écrits sont marqués par un bon sens et une sensibilité qui touchent même les spectateurs les plus insensibles. Addison a également contribué à des publications comme le 'Spectateur' et le 'Tuteur'. William Congreve, poète comique anglais, est célèbre pour ses pièces de théâtre. Aveugle et vivant en 1721, ses œuvres sont souvent jouées avec un grand succès, notamment auprès des dames. Ses pièces, imprimées en trois volumes en 1710, sont connues pour leur esprit et leur capacité à peindre différents personnages. Parmi ses meilleures œuvres, on trouve 'Le vieux Garçon', 'L'Homme de mauvaise foi', 'Amour pour Amour', et 'Le Deuil de la nouvelle Mariée'.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
5
p. 7-17
LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE. Sur les Mémoires de Madame de STAAL ; à Paris, 16 Octobre 1755.
Début :
Rappellez-vous, Monsieur, notre conversation sur les Mémoires de Madame [...]
Mots clefs :
Madame de Staal, Mémoires, Plaisir, Style, Comédies, Théâtre, Ministre, Homme, Hommes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE. Sur les Mémoires de Madame de STAAL ; à Paris, 16 Octobre 1755.
LETTRE
A L'AUTEUR DU MERCURE .
Sur les Mémoires de Madame DE STAAL ;
à Paris , 16 Octobre 1755.
Relationfur les Mémoires de Mada-
Appellez-vous , Monfieur , notre conme
de Staal. Il y avoit un tiers. Chacun y
dit fon fentiment . Je fis enfuite mes réflexions.
Je les ai écrites. Permettez - moi de .
vous les adreffer.
pas
Il y a peu de livres que j'aime autant
que les Mémoires ; je dis les Mémoires hiftoriques
, lorfque j'ai lieu de les croire
vrais , ou du moins finceres ; & je ne parle
feulement des Mémoires des hommes
d'Etat , Miniftres , Négociateurs , Généraux
d'armée , & c. en un mot , de ces
hommes qui , employées à de grandes cho-:
fes ; & , pour ainfi dire , Acteurs dans des
Tragédies , dans des Drames héroïques
ou du moins fpectateurs , & à portée de
bien voir , ont écrit ce qu'ils ont fait ou vu :
je parle des Mémoires de fimples particuliers
, hommes d'efprit , du moins de bon:
fens , hommes de réflexion , qui , fans emploi
conſidérable , Acteurs ou Spectateurs
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
de Comédies , de Drames Bourgeois , n'ont
joué ni vu jouer de rôle important & impofant
fur le Théâtre du monde. Mais il y
a fort
peu de ces Mémoires ; & j'en fuis
bien fâché.
Au refte , je ne fuis pas le feul ; &
M. l'Abbé Trublet formoit fans doute les
mêmes regrets , lorfqu'il a dit ( 1 ) à
l'occafion du reproche tant répété contre
Montaigne , d'avoir trop parlé de luimême
dans fes Effais , « Qu'il feroit à fouhaiter
qu'à l'exemple de Montaigne ,
» tant de grands Aureurs qui ont compofé
de fi beaux ouvrages , nous euffent laif-
» fé dans des Mémoires bien finceres , une
peinture fidelle de leur coeur & de leur
efprit. Il y a des Lecteurs Philofophes ,
» ajoute M. l'Abbé Trublet , qui feroient
» plus de cas de ces Mémoires que
de tous
"»leurs autres écrits ».
Philofophe ou non , je fuis de ces Lecteurs
là . Auffi ai - je lu avec le plus grand
plaifir les Mémoires de Madame de Staal.
Mais je fouhaite plus que M. l'Abbé Trublet.
Il n'invite que les grands Auteurs à écrire
des Mémoires ; j'en voudrois de tout homme
vrai & fenfé qui s'est bien connu luimême
, ne fût- il capable de les écrire que
( 1 ) Effais de Littérature & de Morale , tom. Ni
P. 77. de la derniere Edition.
DECEMBRE. 1755 9
du ftyle le plus médiocre ; & , par exemple
, je vous avoue que j'ai lu avec plaifir
jufqu'à ceux de l'Abbé de Marolles , cet
Ecrivain fi fameux par la multitude de fes
mauvaiſes traductions . On vient de réimprimer
fes Mémoires , & j'en fçais bon gré
à l'Editeur. Devenus rares , ils ne m'étoient
point tombés entre les mains ; & je
ne les connoiffois que pour en avoir entendu
parler , ou les avoir vu cités avec
éloge dans quelques livres .
Quelle idée prendrez- vous là - deſſus de
mon goût , Monfieur ? mais ne vous hâtez
pas d'en prendre une mauvaiſe ; car je vous
avertis qu'ayant avoué à plufieurs gens
d'efprit le plaifir que j'avois pris à lire ces
Mémoires de l'Abbé de Marolles , ils m'ont
fait de leur côté le même aveu ( 1 ) .
Mais puifque ces Mémoires ont plu il y
a environ cent ans , & plaiſent encore aujourd'hui
, quoique fi foiblement écrits
quels mémoires ne plairont pas , pourvu
qu'on y trouve du bon fens & de la fincérité
, fur-tout une fincérité naïve ? Mais
d'un autre côté , quels mémoires ne roulant
que fur les petits faits d'une vie pri-
( 1 ) On peut voir ce qu'en difent les Journaliftes
de Trévoux dans les Nouvelles Littéraires du
fecond tome du Journal d'Octobre 1755. page
2647.
Ay
10 MERCURE DE FRANCE.
vée , plairont après ceux de Madame de
Staal , fi bien écrits , fi beaux & fi agréables
à la fois par l'union la plus parfaite de
l'élégance & de la fimplicité , du foigné &
du naturel , de l'efprit & du goût ? Si les
Mémoires de l'Abbé de Marolles peuvent
être un encouragement pour de fimples
particuliers qui voudroient écrire auffi
leur vie tout fimplement , ceux de Madame
de Staal doivent leur infpirer beaucoup
de crainte , d'autant plus qu'on a dit
affez généralement qu'ils ne plaifoient que
par le ftyle , & que fans cet agrément , on
ne pourroit en foutenir la lecture , tant ils
font vuides de chofes . Mais je crois qu'on
s'eft trompé en parlant ainfi . Je crois que
cas petites chofes , ces menus faits , ces
riens perfonnels ou domeftiques , en un
mot , toutes ces prétendues minuties fe
font lire avec autant & plus de plaifir que
de grands faits . Je crois que les Mémoires
de fimples particuliers , homme ou
femme , attacheroient autant & plus , à
mérite égal , du moins les Lecteurs fimples
particuliers auffi ( & c'eft le grand nombre
) que les Mémoires d'un Général d'armée
, d'un Miniftre d'Etat , & c . Tout homme
eft homme , mais tout homme n'eft pas
Général d'armée , Miniftre d'Etat ; ou plutôt
la plupart des hommes ne font rien
DECEMBRE. 1755. 1 I
>
d'aprochant . Donc , tout ce qui montrera
bien l'homme , attachera plus que ce qui
ne montrera que le Général , le Miniftre ,
le Négociateur , ou même le Sçavant &
l'Homme de lettres ; & la preuve en eſt ,
que dans les Mémoires même du Général;
du Miniftre , du Négociateur , du Sçavant ,
ou dans leur hiftoire , par exemple dans
les Vies de Plutarque , dans les Eloges de
M. de Fontenelle , ce qui plaît davantage ,
c'eft , non leurs exploits , leurs négociations
, leurs travaux fçavans , mais les détails
de leur vie privée , leurs qualités fociales
, bonnes & mauvaiſes . En un mot
on fe plaît à y voir l'Homme bien plus encore
que le Général , le Négociateur , le
Sçavant , & c . Et voilà pourquoi encore on
aime tant leurs lettres , leurs lettres les plus
familieres , les lettres de l'homme , indépendamment
des anecdotes militaires
politiques & littéraires qu'on y trouve .
Je crois donc que les Mémoires de Madame
de Staal plaifent par le fonds des chofes
, auffi bien que par le ftyle ; qu'ainfi ils
ne tomberont point , & d'autant moins ,
qu'ils feront foutenus par l'un & par
l'autre
à la fois ; car je conviens que l'agrément
du ftyle y ajoute beaucoup à celui des
chofes ; mais je foutiens qu'il n'y étoit pas
auffi néceffaire qu'on le dit , & même qu'on
>
A vj
MERCURE DE FRANCE.
le croit ; & qu'on en conviendra , fi on fe
confulte , fi on s'interroge foi - même de
bonne foi , fur les caufes du plaifir avec
lequel on a lu ces Mémoires.
Mais levons une équivoque. Il n'y a
point de chofes , dit on , dans les Mémoires
de Madame de Staal , ou du moins it
y en a peu.
Cela eft vrai , fi par chofes on entend de
grands faits , des faits relatifs aux évenemens
politiques & militaires ;
Res gefta Regumque Ducumque , & triflia
bella.
Mais des faits qui peignent , outre l'Auteur
, des perfonnes de tout état , condition
, & fexe , & qui les peignent d'autant
mieux que ces faits font plus petits ,
que ce ne font que des riens ; de pareils
faits , dis- je , font des chofes , & des chofes
très agréables , très utiles même , parce
que la plus utile & la plus agréable de toutes
les connoiffances , c'eft celle de l'homme
, & des hommes relativement à la fociété
que nous avons journellement avec
eux .
Tout livre qui fait dire au Lecteur : Voilà
les hommes ; voilà ce qu'ils font , ce qu'ils
difent , & pourquoi ils le difent & le font ;
voilà le jeu de leurs petites & miférables pafDECEMBRE
. 1755. 12
fions ; les voilà au vrai & au naturel ; je
crois les voir & les entendre ; bien plus , je
vois le fond de leur ame , le dedans de la
machine , les RESSORTS DU JEU ; Tout
livre pareil intéreffe , attache , de quelque
maniere qu'il foit écrit. C'eft fur tout
de cette forte d'hiftoire qu'eft vrai le mot
de Ciceron ; Hiftoria quoquo modo fcripta delectat
. En la lifant , on croit voir ce qu'on
voit tous les jours dans le monde ; on croit
y être. Mais retourné dans ce monde après
fa lecture , on y voit bien mieux tout ce
qu'on y avoit vu auparavant. Alors on fe
rappelle le livre , & par réflexion on le
trouve encore meilleur & plus vrai .
Mais revenons à Madame de Staal. Si
ſes avantures ne font pas grandes , elles
font affez fingulieres . Son caractere perfonnel
ne l'eft pas moins . C'eft un caractere
mêlé & compofé de qualités affez
oppofées ; il en eft plus pittorefque . De
cette double fingularité , celle du caractere
& celle des circonftances dans lefquelles
Madame de Staal s'eft trouvée dès
fon enfance , il a du réfulter une vie peu
ordinaire , & qui dès lors méritoit d'être
écrite.
Je ne lui pardonne pourtant point fes
amours , ni même de les avoir écrits , du
moins dans un fi grand détail. Tout Pla
14 MERCURE DE FRANCE.
toniques que je veuille les croire , ils n'en
font pas plus innocens aux yeux des vrais
fages , des vertueux , & n'en font peutêtre
que plus ridicules aux yeux d'un certain
monde. Ils aviliffent l'Amoureuſe , &
l'ouvrage en doit fouffrir . Tout ce qui
infpire du mépris pour un Ecrivain de
Mémoires diminue le plaifir qu'on prend
à les lire , ne fût- ce qu'en diminuant l'intérêt
qu'on prend à fa perfonne. Cependant
, car il faut tout dire , les Amours de
Madame de Staal , font un trait de plus à
fon caractere. Si je l'eftime moins , par - là
je la connois mieux ; je la connois toute
entiere. D'ailleurs , ce mêlange de raifon
& de foibleffe , de grandeur , à certains
égards , & de petiteffe à d'autres , eft piquant
par le contrafte , utile même à confidérer
, & peut faire faire de bonnes réflexions
. On dira : Qu'est ce donc
que l'ef
prit contre le coeur , fur - tout chez les femmes !
Paffez-moi , Monfieur , l'application de
cette morale . Votre Mercure n'est plus le
Mercure Galant.
Les Amours de Madame Staal eurent gran
de part aux chagrins de fa vie. Tantôt elle
aima fans êtreaimée ; tantôt elle fut aimée
fans aimer. En général , on apprend dans
l'hiftoire, fur-tout dans les Mémoires , & en
particulier dans ceux de Madame de Staal,
DECEMBRE . 1755 .
combien il y a de malheureux , même parmi
les prétendus heureux ; & cela confole.
On le voit tant d'égaux en infortune
même de fupérieurs ; & on dit :
J'en connois de plus miferables.
Mais on voit encore que la principale
fource du malheur eft dans les paffions ,
dans des fautes , dans des torts , & c. Le
malheureux fe reconnoît dans ce qu'il lit ,
& fe condamne. Il n'a que ce qu'il a mérité
, & il pouvoit ne le point mériter. Il
peut même ne le mériter plus ; il peut fe
corriger & être heureux.
gran-
Si l'Hiftoire & für-tout les Mémoires
des Grands Hommes , des Hommes à
des qualités , à grands talens , font pleins
de leurs malheurs , & de malheurs bien
mérités , c'eft que les grands Hommes ont
prefque toujours de fortes paffions , fouvent
de grands vices , rarement beaucoup
de fageffe & de conduite , hors de leur
métier.
Tel Général qui n'a jamais donné aucune
prife fur lui au Général de l'armée
ennemie , en a donné mille aux ennemis
qu'il avoit dans fon armée & à la Cour de
fon Maître .
Tel beau génie a forcé fes amis d'avouer
de fa perfonne plus de mal que
fes enne16
MERCURE DE FRANCE.
mis n'en difoient de fes ouvrages , & d'abandonner
l'homme en défendant l'Auteur.
Il s'en faut bien que tous les Héros &
tous les beaux efprits foient des Sages , des
Turenne , & des Fontenelle.
La poftérité qui ne connoît ces illuftres
malheureux que par ce qu'ils avoient d'admirable
, les plaint , & en les plaignant ,
les en admire encore davantage. Leur
fiecle qui les connoiffoit mieux , ne les
plaignoit point.
Mais finiffons une lettre qui feroit bientôt
un livre , autant par le ftyle que par fa
longueur , & difons encore un mot fur
Madame de Staal.
Elle étoit Auteur , & tout le monde le
fçavoit. On fçavoit en particulier qu'elle
avoit fait des Comédies. Beaucoup de
gens les connoiffoient , & en avoient parlé
avec éloge à ceux qui ne les connoiffoient
pas. On fçavoit moins généralement
qu'elle eût écrit des Mémoires. Le Public
défiroit donc beaucoup l'impreffion de ces
Comédies. C'eft par- là qu'il falloit commencer
, & annoncer en même- tems les
Mémoires. Elles les euffent fait encore
plus défirer qu'on ne les défiroit ellesmêmes.
J'ajoute que lues les premieres ,
elles l'auroient été avec plus de plaifir.
Elles ont été moins critiquées , on en a
DECEMBRE. 1755. 17
moins parlé , elles ont moins affecté , elles
ont moins plu que les Mémoires. Eft- ce
qu'elles font moins bonnes en leur genre ?
Je le crois je n'en fçais pourtant rien ; &
je me recufe là- deffus. Mais je fçais que
les Mémoires font un genre plus agréable ,
c'est-à- dire , plus piquant , plus attachant
que les Comédies , du moins fi on ne fait
que lire celles - ci . Dans les uns , c'eſt du
vrai réel , du vrai hiftorique , dans les autres
, ce n'eft que du vrai imité , du vrai
poétique , feulement un peu réalisé par
l'illufion du Théâtre. D'ailleurs j'ai trouvé
trop de charge dans les deux pieces de Madame
de Staal. Enfin , fi elle dialogue bien,
à mon avis elle raconte encore mieux .
Quant à ce qu'on appelle action , &
unité d'action , intrigue bien liée & bien
fuivie , dépendance néceffaire des évenemens
, &c. j'ai entendu dire que tout cela
manque aux deux pieces , & qu'ainfi elles
ne réuffiroient point au Théâtre , du
moins au Théâtre public. Mais encore une
fois , je me récufe ; je m'en rapporte aux
connoiffeurs , fur- tour à vous , Monfieur ,
qu'ils ont fi fouvent applaudi ; & je fuis
très-parfaitement , &c.
A L'AUTEUR DU MERCURE .
Sur les Mémoires de Madame DE STAAL ;
à Paris , 16 Octobre 1755.
Relationfur les Mémoires de Mada-
Appellez-vous , Monfieur , notre conme
de Staal. Il y avoit un tiers. Chacun y
dit fon fentiment . Je fis enfuite mes réflexions.
Je les ai écrites. Permettez - moi de .
vous les adreffer.
pas
Il y a peu de livres que j'aime autant
que les Mémoires ; je dis les Mémoires hiftoriques
, lorfque j'ai lieu de les croire
vrais , ou du moins finceres ; & je ne parle
feulement des Mémoires des hommes
d'Etat , Miniftres , Négociateurs , Généraux
d'armée , & c. en un mot , de ces
hommes qui , employées à de grandes cho-:
fes ; & , pour ainfi dire , Acteurs dans des
Tragédies , dans des Drames héroïques
ou du moins fpectateurs , & à portée de
bien voir , ont écrit ce qu'ils ont fait ou vu :
je parle des Mémoires de fimples particuliers
, hommes d'efprit , du moins de bon:
fens , hommes de réflexion , qui , fans emploi
conſidérable , Acteurs ou Spectateurs
A iv
8 MERCURE DE FRANCE.
de Comédies , de Drames Bourgeois , n'ont
joué ni vu jouer de rôle important & impofant
fur le Théâtre du monde. Mais il y
a fort
peu de ces Mémoires ; & j'en fuis
bien fâché.
Au refte , je ne fuis pas le feul ; &
M. l'Abbé Trublet formoit fans doute les
mêmes regrets , lorfqu'il a dit ( 1 ) à
l'occafion du reproche tant répété contre
Montaigne , d'avoir trop parlé de luimême
dans fes Effais , « Qu'il feroit à fouhaiter
qu'à l'exemple de Montaigne ,
» tant de grands Aureurs qui ont compofé
de fi beaux ouvrages , nous euffent laif-
» fé dans des Mémoires bien finceres , une
peinture fidelle de leur coeur & de leur
efprit. Il y a des Lecteurs Philofophes ,
» ajoute M. l'Abbé Trublet , qui feroient
» plus de cas de ces Mémoires que
de tous
"»leurs autres écrits ».
Philofophe ou non , je fuis de ces Lecteurs
là . Auffi ai - je lu avec le plus grand
plaifir les Mémoires de Madame de Staal.
Mais je fouhaite plus que M. l'Abbé Trublet.
Il n'invite que les grands Auteurs à écrire
des Mémoires ; j'en voudrois de tout homme
vrai & fenfé qui s'est bien connu luimême
, ne fût- il capable de les écrire que
( 1 ) Effais de Littérature & de Morale , tom. Ni
P. 77. de la derniere Edition.
DECEMBRE. 1755 9
du ftyle le plus médiocre ; & , par exemple
, je vous avoue que j'ai lu avec plaifir
jufqu'à ceux de l'Abbé de Marolles , cet
Ecrivain fi fameux par la multitude de fes
mauvaiſes traductions . On vient de réimprimer
fes Mémoires , & j'en fçais bon gré
à l'Editeur. Devenus rares , ils ne m'étoient
point tombés entre les mains ; & je
ne les connoiffois que pour en avoir entendu
parler , ou les avoir vu cités avec
éloge dans quelques livres .
Quelle idée prendrez- vous là - deſſus de
mon goût , Monfieur ? mais ne vous hâtez
pas d'en prendre une mauvaiſe ; car je vous
avertis qu'ayant avoué à plufieurs gens
d'efprit le plaifir que j'avois pris à lire ces
Mémoires de l'Abbé de Marolles , ils m'ont
fait de leur côté le même aveu ( 1 ) .
Mais puifque ces Mémoires ont plu il y
a environ cent ans , & plaiſent encore aujourd'hui
, quoique fi foiblement écrits
quels mémoires ne plairont pas , pourvu
qu'on y trouve du bon fens & de la fincérité
, fur-tout une fincérité naïve ? Mais
d'un autre côté , quels mémoires ne roulant
que fur les petits faits d'une vie pri-
( 1 ) On peut voir ce qu'en difent les Journaliftes
de Trévoux dans les Nouvelles Littéraires du
fecond tome du Journal d'Octobre 1755. page
2647.
Ay
10 MERCURE DE FRANCE.
vée , plairont après ceux de Madame de
Staal , fi bien écrits , fi beaux & fi agréables
à la fois par l'union la plus parfaite de
l'élégance & de la fimplicité , du foigné &
du naturel , de l'efprit & du goût ? Si les
Mémoires de l'Abbé de Marolles peuvent
être un encouragement pour de fimples
particuliers qui voudroient écrire auffi
leur vie tout fimplement , ceux de Madame
de Staal doivent leur infpirer beaucoup
de crainte , d'autant plus qu'on a dit
affez généralement qu'ils ne plaifoient que
par le ftyle , & que fans cet agrément , on
ne pourroit en foutenir la lecture , tant ils
font vuides de chofes . Mais je crois qu'on
s'eft trompé en parlant ainfi . Je crois que
cas petites chofes , ces menus faits , ces
riens perfonnels ou domeftiques , en un
mot , toutes ces prétendues minuties fe
font lire avec autant & plus de plaifir que
de grands faits . Je crois que les Mémoires
de fimples particuliers , homme ou
femme , attacheroient autant & plus , à
mérite égal , du moins les Lecteurs fimples
particuliers auffi ( & c'eft le grand nombre
) que les Mémoires d'un Général d'armée
, d'un Miniftre d'Etat , & c . Tout homme
eft homme , mais tout homme n'eft pas
Général d'armée , Miniftre d'Etat ; ou plutôt
la plupart des hommes ne font rien
DECEMBRE. 1755. 1 I
>
d'aprochant . Donc , tout ce qui montrera
bien l'homme , attachera plus que ce qui
ne montrera que le Général , le Miniftre ,
le Négociateur , ou même le Sçavant &
l'Homme de lettres ; & la preuve en eſt ,
que dans les Mémoires même du Général;
du Miniftre , du Négociateur , du Sçavant ,
ou dans leur hiftoire , par exemple dans
les Vies de Plutarque , dans les Eloges de
M. de Fontenelle , ce qui plaît davantage ,
c'eft , non leurs exploits , leurs négociations
, leurs travaux fçavans , mais les détails
de leur vie privée , leurs qualités fociales
, bonnes & mauvaiſes . En un mot
on fe plaît à y voir l'Homme bien plus encore
que le Général , le Négociateur , le
Sçavant , & c . Et voilà pourquoi encore on
aime tant leurs lettres , leurs lettres les plus
familieres , les lettres de l'homme , indépendamment
des anecdotes militaires
politiques & littéraires qu'on y trouve .
Je crois donc que les Mémoires de Madame
de Staal plaifent par le fonds des chofes
, auffi bien que par le ftyle ; qu'ainfi ils
ne tomberont point , & d'autant moins ,
qu'ils feront foutenus par l'un & par
l'autre
à la fois ; car je conviens que l'agrément
du ftyle y ajoute beaucoup à celui des
chofes ; mais je foutiens qu'il n'y étoit pas
auffi néceffaire qu'on le dit , & même qu'on
>
A vj
MERCURE DE FRANCE.
le croit ; & qu'on en conviendra , fi on fe
confulte , fi on s'interroge foi - même de
bonne foi , fur les caufes du plaifir avec
lequel on a lu ces Mémoires.
Mais levons une équivoque. Il n'y a
point de chofes , dit on , dans les Mémoires
de Madame de Staal , ou du moins it
y en a peu.
Cela eft vrai , fi par chofes on entend de
grands faits , des faits relatifs aux évenemens
politiques & militaires ;
Res gefta Regumque Ducumque , & triflia
bella.
Mais des faits qui peignent , outre l'Auteur
, des perfonnes de tout état , condition
, & fexe , & qui les peignent d'autant
mieux que ces faits font plus petits ,
que ce ne font que des riens ; de pareils
faits , dis- je , font des chofes , & des chofes
très agréables , très utiles même , parce
que la plus utile & la plus agréable de toutes
les connoiffances , c'eft celle de l'homme
, & des hommes relativement à la fociété
que nous avons journellement avec
eux .
Tout livre qui fait dire au Lecteur : Voilà
les hommes ; voilà ce qu'ils font , ce qu'ils
difent , & pourquoi ils le difent & le font ;
voilà le jeu de leurs petites & miférables pafDECEMBRE
. 1755. 12
fions ; les voilà au vrai & au naturel ; je
crois les voir & les entendre ; bien plus , je
vois le fond de leur ame , le dedans de la
machine , les RESSORTS DU JEU ; Tout
livre pareil intéreffe , attache , de quelque
maniere qu'il foit écrit. C'eft fur tout
de cette forte d'hiftoire qu'eft vrai le mot
de Ciceron ; Hiftoria quoquo modo fcripta delectat
. En la lifant , on croit voir ce qu'on
voit tous les jours dans le monde ; on croit
y être. Mais retourné dans ce monde après
fa lecture , on y voit bien mieux tout ce
qu'on y avoit vu auparavant. Alors on fe
rappelle le livre , & par réflexion on le
trouve encore meilleur & plus vrai .
Mais revenons à Madame de Staal. Si
ſes avantures ne font pas grandes , elles
font affez fingulieres . Son caractere perfonnel
ne l'eft pas moins . C'eft un caractere
mêlé & compofé de qualités affez
oppofées ; il en eft plus pittorefque . De
cette double fingularité , celle du caractere
& celle des circonftances dans lefquelles
Madame de Staal s'eft trouvée dès
fon enfance , il a du réfulter une vie peu
ordinaire , & qui dès lors méritoit d'être
écrite.
Je ne lui pardonne pourtant point fes
amours , ni même de les avoir écrits , du
moins dans un fi grand détail. Tout Pla
14 MERCURE DE FRANCE.
toniques que je veuille les croire , ils n'en
font pas plus innocens aux yeux des vrais
fages , des vertueux , & n'en font peutêtre
que plus ridicules aux yeux d'un certain
monde. Ils aviliffent l'Amoureuſe , &
l'ouvrage en doit fouffrir . Tout ce qui
infpire du mépris pour un Ecrivain de
Mémoires diminue le plaifir qu'on prend
à les lire , ne fût- ce qu'en diminuant l'intérêt
qu'on prend à fa perfonne. Cependant
, car il faut tout dire , les Amours de
Madame de Staal , font un trait de plus à
fon caractere. Si je l'eftime moins , par - là
je la connois mieux ; je la connois toute
entiere. D'ailleurs , ce mêlange de raifon
& de foibleffe , de grandeur , à certains
égards , & de petiteffe à d'autres , eft piquant
par le contrafte , utile même à confidérer
, & peut faire faire de bonnes réflexions
. On dira : Qu'est ce donc
que l'ef
prit contre le coeur , fur - tout chez les femmes !
Paffez-moi , Monfieur , l'application de
cette morale . Votre Mercure n'est plus le
Mercure Galant.
Les Amours de Madame Staal eurent gran
de part aux chagrins de fa vie. Tantôt elle
aima fans êtreaimée ; tantôt elle fut aimée
fans aimer. En général , on apprend dans
l'hiftoire, fur-tout dans les Mémoires , & en
particulier dans ceux de Madame de Staal,
DECEMBRE . 1755 .
combien il y a de malheureux , même parmi
les prétendus heureux ; & cela confole.
On le voit tant d'égaux en infortune
même de fupérieurs ; & on dit :
J'en connois de plus miferables.
Mais on voit encore que la principale
fource du malheur eft dans les paffions ,
dans des fautes , dans des torts , & c. Le
malheureux fe reconnoît dans ce qu'il lit ,
& fe condamne. Il n'a que ce qu'il a mérité
, & il pouvoit ne le point mériter. Il
peut même ne le mériter plus ; il peut fe
corriger & être heureux.
gran-
Si l'Hiftoire & für-tout les Mémoires
des Grands Hommes , des Hommes à
des qualités , à grands talens , font pleins
de leurs malheurs , & de malheurs bien
mérités , c'eft que les grands Hommes ont
prefque toujours de fortes paffions , fouvent
de grands vices , rarement beaucoup
de fageffe & de conduite , hors de leur
métier.
Tel Général qui n'a jamais donné aucune
prife fur lui au Général de l'armée
ennemie , en a donné mille aux ennemis
qu'il avoit dans fon armée & à la Cour de
fon Maître .
Tel beau génie a forcé fes amis d'avouer
de fa perfonne plus de mal que
fes enne16
MERCURE DE FRANCE.
mis n'en difoient de fes ouvrages , & d'abandonner
l'homme en défendant l'Auteur.
Il s'en faut bien que tous les Héros &
tous les beaux efprits foient des Sages , des
Turenne , & des Fontenelle.
La poftérité qui ne connoît ces illuftres
malheureux que par ce qu'ils avoient d'admirable
, les plaint , & en les plaignant ,
les en admire encore davantage. Leur
fiecle qui les connoiffoit mieux , ne les
plaignoit point.
Mais finiffons une lettre qui feroit bientôt
un livre , autant par le ftyle que par fa
longueur , & difons encore un mot fur
Madame de Staal.
Elle étoit Auteur , & tout le monde le
fçavoit. On fçavoit en particulier qu'elle
avoit fait des Comédies. Beaucoup de
gens les connoiffoient , & en avoient parlé
avec éloge à ceux qui ne les connoiffoient
pas. On fçavoit moins généralement
qu'elle eût écrit des Mémoires. Le Public
défiroit donc beaucoup l'impreffion de ces
Comédies. C'eft par- là qu'il falloit commencer
, & annoncer en même- tems les
Mémoires. Elles les euffent fait encore
plus défirer qu'on ne les défiroit ellesmêmes.
J'ajoute que lues les premieres ,
elles l'auroient été avec plus de plaifir.
Elles ont été moins critiquées , on en a
DECEMBRE. 1755. 17
moins parlé , elles ont moins affecté , elles
ont moins plu que les Mémoires. Eft- ce
qu'elles font moins bonnes en leur genre ?
Je le crois je n'en fçais pourtant rien ; &
je me recufe là- deffus. Mais je fçais que
les Mémoires font un genre plus agréable ,
c'est-à- dire , plus piquant , plus attachant
que les Comédies , du moins fi on ne fait
que lire celles - ci . Dans les uns , c'eſt du
vrai réel , du vrai hiftorique , dans les autres
, ce n'eft que du vrai imité , du vrai
poétique , feulement un peu réalisé par
l'illufion du Théâtre. D'ailleurs j'ai trouvé
trop de charge dans les deux pieces de Madame
de Staal. Enfin , fi elle dialogue bien,
à mon avis elle raconte encore mieux .
Quant à ce qu'on appelle action , &
unité d'action , intrigue bien liée & bien
fuivie , dépendance néceffaire des évenemens
, &c. j'ai entendu dire que tout cela
manque aux deux pieces , & qu'ainfi elles
ne réuffiroient point au Théâtre , du
moins au Théâtre public. Mais encore une
fois , je me récufe ; je m'en rapporte aux
connoiffeurs , fur- tour à vous , Monfieur ,
qu'ils ont fi fouvent applaudi ; & je fuis
très-parfaitement , &c.
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Résumé : LETTRE A L'AUTEUR DU MERCURE. Sur les Mémoires de Madame de STAAL ; à Paris, 16 Octobre 1755.
La lettre datée du 16 octobre 1755 traite des Mémoires de Madame de Staal. L'auteur exprime son admiration pour les mémoires historiques sincères, en particulier ceux des hommes d'État, négociateurs et généraux. Il regrette le manque de mémoires de simples particuliers, bien que ceux-ci soient rares. L'abbé Trublet partage ce regret, souhaitant que des auteurs célèbres écrivent des mémoires sincères. L'auteur apprécie les Mémoires de Madame de Staal et souhaite que tout homme sincère et réfléchissant écrive ses mémoires, indépendamment de son style. Il cite les Mémoires de l'abbé de Marolles comme exemple de mémoires appréciés malgré un style médiocre. Il affirme que les mémoires de simples particuliers peuvent être aussi intéressants que ceux des grands hommes, car ils montrent l'homme dans sa vie quotidienne. L'auteur conteste l'idée que les Mémoires de Madame de Staal plaisent seulement par leur style. Il soutient que les petits faits de la vie privée sont tout aussi intéressants que les grands événements. Il admire le caractère unique de Madame de Staal et les circonstances de sa vie, bien qu'il critique ses amours détaillées dans les mémoires. La lettre se termine par une réflexion sur les malheurs des grands hommes et l'importance des mémoires pour comprendre la nature humaine. L'auteur suggère que les comédies de Madame de Staal auraient dû être publiées avant ses mémoires pour susciter plus d'intérêt. Il conclut en préférant le style narratif des mémoires à celui des comédies.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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