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1
p. 274-277
Ils vont à un Concert où ils avoient esté invitez. [titre d'après la table]
Début :
L'esprit des Ambassadeurs, & les choses obligeantes qu'ils [...]
Mots clefs :
Concert d'instruments, Jacques Gallot, France, Ambassadeur, Profession, Instruments, Luth
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texteReconnaissance textuelle : Ils vont à un Concert où ils avoient esté invitez. [titre d'après la table]
L'eſprit des Ambaſſadeurs,
& les chofes obligeantes qu'-
ils ont dites à toutes les perſonnes
d'un merite diftingué
qui leur ont rendu viſite, ont
eſté cauſe que la plus part
des plus illuſtres leur ont fait
connoître que rien ne
des Amb. de Siam. 275
manque à la France pour les
plaiſirs&pour les beauxArts.
M. Galot , ſi fameux pour le
Lut , ayant joué devant eux,
l'Ambaſſadeur luy dit , que
depuis qu'il estoit en France il
avoit entendu joüerpluſieursfois
de cet Instrument, mais qu'il ne
croyoit pas avoir oùy perſonne
qui en eust si bien joué que luy.
Quelques jours aprés , le même
M Galor l'invita à un
Concert d'Inftruments , qui
devoit eſtre compoſé, des plus
illuſtres de leur profeffion.
L'Ambaſſadeur promit d'aller
à ceConcertque M¹ Galot
276 IV. P. duVoyage
donna dans la ruë de Seine,
àl'Hôtel d'Arras chez M Au
bry , qui voulut bien eſtre du
nombre des Concertants , à
cauſe des Illuftres Auditeurs ,
quoyqu'il ne foit pas de cette
profeffion. L'Aſſemblée y fut
plus choiſie que nombreuſe ,
&dans un lieu fort propre , &
fort éclairé . Le Concert fut
trouvé tres -beau ; auſſi eſtoitil
des plus illuftres de France
dans leur Art . Quand il fut
finy , M Galot joüa ſeul du
Lut , & l'Ambaſſadeur luy dit,
qu'encore qu'il crût que rien ne
pouvoit eſtre ajoûté àla beauté
desAmb, de Siam. 277
du Concert, ily avoit des delicateſſes
dans ce qu'il jouvitfeul,
qui ne devoient pas estre confondües
parmy le grand nombre
d'Instruments , parce qu'on en
perdoit beaucoup.
& les chofes obligeantes qu'-
ils ont dites à toutes les perſonnes
d'un merite diftingué
qui leur ont rendu viſite, ont
eſté cauſe que la plus part
des plus illuſtres leur ont fait
connoître que rien ne
des Amb. de Siam. 275
manque à la France pour les
plaiſirs&pour les beauxArts.
M. Galot , ſi fameux pour le
Lut , ayant joué devant eux,
l'Ambaſſadeur luy dit , que
depuis qu'il estoit en France il
avoit entendu joüerpluſieursfois
de cet Instrument, mais qu'il ne
croyoit pas avoir oùy perſonne
qui en eust si bien joué que luy.
Quelques jours aprés , le même
M Galor l'invita à un
Concert d'Inftruments , qui
devoit eſtre compoſé, des plus
illuſtres de leur profeffion.
L'Ambaſſadeur promit d'aller
à ceConcertque M¹ Galot
276 IV. P. duVoyage
donna dans la ruë de Seine,
àl'Hôtel d'Arras chez M Au
bry , qui voulut bien eſtre du
nombre des Concertants , à
cauſe des Illuftres Auditeurs ,
quoyqu'il ne foit pas de cette
profeffion. L'Aſſemblée y fut
plus choiſie que nombreuſe ,
&dans un lieu fort propre , &
fort éclairé . Le Concert fut
trouvé tres -beau ; auſſi eſtoitil
des plus illuftres de France
dans leur Art . Quand il fut
finy , M Galot joüa ſeul du
Lut , & l'Ambaſſadeur luy dit,
qu'encore qu'il crût que rien ne
pouvoit eſtre ajoûté àla beauté
desAmb, de Siam. 277
du Concert, ily avoit des delicateſſes
dans ce qu'il jouvitfeul,
qui ne devoient pas estre confondües
parmy le grand nombre
d'Instruments , parce qu'on en
perdoit beaucoup.
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Résumé : Ils vont à un Concert où ils avoient esté invitez. [titre d'après la table]
Les ambassadeurs de Siam, lors de leur visite en France, ont exprimé leur admiration pour les plaisirs et les beaux-arts français. Lors d'une rencontre, M. Galot, célèbre luthiste, a joué devant eux, suscitant leur admiration. Quelques jours plus tard, M. Galot a invité l'ambassadeur à un concert réunissant les plus illustres musiciens de France, organisé à l'Hôtel d'Arras chez M. Aubry. L'assemblée était sélectionnée et le lieu bien éclairé. Le concert a été jugé très beau. Après le concert, M. Galot a joué seul du luth, et l'ambassadeur a souligné les délicatesses de sa performance, qui se distinguaient parmi les nombreux instruments.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 103
Profession faite par Mlle de Noailles, fille de Me la Maréchale de ce nom, [titre d'après la table]
Début :
Mlle de Noailles, fille de Me la Maréchale de ce nom, [...]
Mots clefs :
Mlle de Noailles, Profession, Cérémonie
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texteReconnaissance textuelle : Profession faite par Mlle de Noailles, fille de Me la Maréchale de ce nom, [titre d'après la table]
Mlle de Noailles, fille de
Me la Maréchale de ce non1,
& niéce de Mrl'Archevêque
-
de Paris, a
fait Profession aux
Filles de la Visitation de Sainte
Marie de la ruë du Bacq. S. E.
a
fait la Ceremonie, & le Pere
Gaillard Jesuite, a
prêché, & il
a
rcçû les applaudissemens qui
luy sont ordinaires, & tout s'est
passé dans cette Ceremonie avec beaucoup d'édification, &
un grand zele delanouvelle
Religieuse. L'Assembléeaesté
nombreuse
,
& Mc la Maréchale de Noailles a
donné un
grand Repas à toute la Communaut
Me la Maréchale de ce non1,
& niéce de Mrl'Archevêque
-
de Paris, a
fait Profession aux
Filles de la Visitation de Sainte
Marie de la ruë du Bacq. S. E.
a
fait la Ceremonie, & le Pere
Gaillard Jesuite, a
prêché, & il
a
rcçû les applaudissemens qui
luy sont ordinaires, & tout s'est
passé dans cette Ceremonie avec beaucoup d'édification, &
un grand zele delanouvelle
Religieuse. L'Assembléeaesté
nombreuse
,
& Mc la Maréchale de Noailles a
donné un
grand Repas à toute la Communaut
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Résumé : Profession faite par Mlle de Noailles, fille de Me la Maréchale de ce nom, [titre d'après la table]
Mlle de Noailles, fille de la Maréchale de Noailles et nièce de l'Archevêque de Paris, a prononcé ses vœux religieux chez les Filles de la Visitation. La cérémonie, présidée par Son Éminence, a été marquée par un sermon du Père Gaillard. La nouvelle religieuse a montré un grand zèle. La Maréchale de Noailles a offert un repas à la communauté.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 897-905
QUESTION NOTABLE, jugée par Arrêt du Parlement de Provence au mois de Janvier 1730.
Début :
Il s'agissoit de sçavoir s'il y a abus dans la Profession Religieuse, faite par un fils [...]
Mots clefs :
Couvent, Profession, Dieu, Obéissance, Ordonnances, Arrêts
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texteReconnaissance textuelle : QUESTION NOTABLE, jugée par Arrêt du Parlement de Provence au mois de Janvier 1730.
QUESTION NOTABLE , jugée
par Arrêt du Parlement de Provence
au mois de Janvier 1730.
Il s'agiffoit de fçavoir s'il y a abus dans
la Profeffion Religieufe , faite par un fils
de famille,fans le confentement defon pere.
FAIT .
Laude Jouvin , fils d'un Bourgeois
Ca Cde Marfeille , ayant atteint l'âge requis
par les Conciles & par les Ordonnances
pour entrer en Religion , ſe rendit
au Convent des Capucins de la Ville
"d'Aix , fur la fin du mois de Janvier 1726.
il demanda l'habit , & il le reçut le 5. Fevrier
de la même année , après avoir été
examiné. L'année du Noviciat expirée ,
il fit fa Profeffion le 9. Fevrier 1727.
Le repentir fuivit de près fon engagement.
Il s'évada du Convent de Sifteron,
où on l'avoit envoyé pour fe rendre à
Marſeille chez fon pere , qui le fit paffer
à Avignon ; mais le Frere Jouvin , frappé
de la crainte d'être traité en Apoftat ,
reprit des habits féculiers, & vint une feconde
fois chercher un azile dans la maifon
paternelle : il n'y refta pas long-temps ;
car ayant été découvert , il fut conduit
C iij par
898 MERCURE DE FRANCE
par des Archers au Convent des Capucins
de Marſeille .
Jouvin , attendri par Ies regrets de fon
fils , & touché de l'état fâcheux où il fe
trouvoit , réfolut de l'en retirer . Il appella
comme d'abus de la Profeffion faite
par fon fils. Il fit intimer le Gardien du
Convent de la Ville d'Aix , par exploit
du 7. Janvier. La Cour , par un Decret
contradictoire du 28 ordonna la fequeftration
de la perfonne de Frere Jouvin
au Convent des Religieux de l'Obfervance
S. François de Marfeille. La Cauſe en
cet état , portée à l'Audiance , attira par
fa nouveauté un grand nombre d'Auditeurs
, qui furent très- fatisfaits de la maniere
dont elle fut plaidée.
M. Reboul , pour Jouvin pere , dit que
la Profeffion faite par un fils de famille ,
mineur , fans la prefence & fans le confentement
de fon pere , violoit également
Tes Loix divines , les Conftitutions Canoques
, les Capitulaires de nos Rois & les
Ordonnances du Royaume.
La Loi de Dieu rejette l'engagement de
T'enfant s'il n'eft autorifé de celui de qui
il a reçû le jour. C'eft ce que nous lifons
dans le Chapitre 30. des Nombres. Mulier
fi quidpiam voverit & fe conftituerit
juramento , que eft in domo patris fui & in
atate adhuc puellari , fi cognoverit pater
Votum
MAY. 1730.
8995
voti
Votum quod pollicita eft , & juramentum quo
obligavit animam fuam & tacuerit ,
rea erit & quidquid pollicita eft opere complebit.
Sin autem ftatim ut audivit contradixerit
pater , & vota & juramenta ejus
irrita erunt nec obnoxia tenebitur fponfioni
eo quod contradixerit pater. Cette même
Loi nous apprend aufli que l'obéïffance
vaut toûjours mieux que fe facrifice . Melior
eft obedientia quàm victima. Liv. 1. des
Rois , Chap. 15. Verfet 22 .
Les promeffes qu'on fait à Dieu , n'ont
de force qu'en ce qui concerne les chofes
à quoi nous fommes affranchis de la puiffance
d'autrui , c'eſt le fentiment de faint
Thomas. D'où il s'enfuit que ces promeffes
ne peuvent produire aucun engagement
valable , par rapport à un fils de
famille , au préjudice des droits qui font
acquis à fon pere fur fa perfonne.
Les Canons , loin d'approuver de tels
Vaux , prononcent anathême contre les
enfans qui s'engagent dans la Profeflion
Religieufe, fans avoir confulté leurs peres.
Tel eft dans le Decret, le Can . 1. diſt. 30 .
& le Canon Oportet. Cauf. 20. Queft. 2 .
Parmi les Capitulaires de Charlemagne
il y en a un qui n'eft jamais oublié fur
cette matiere. Il y eft dit dans le Ch . ior .
du I. Liv. Ne pueri fine voluntate parentum
tonfurentur vel puella velentur modis omnibus
inhibitum eft. Ciiij L'añ
900 MERCURE DE FRANCE
L'ancienne Difcipline donnoit tout à
l'autorité paternelle , quand il s'agiffoit
de la confécration des enfans au culte divin.
Les peres confacroient leurs enfans
à l'état Religieux , & ceux-cy ne pouvoient
rompre de tels engagemens. Cette
* Diſcipline fut changée fous le regne de
Charlemagne , & elle fut réduite à ce
point qu'il n'y auroit point de validité
dans les Profeffions du fils de famille , fi
ce n'eſt que la volonté du pere concourut
avec celle du fils . C'eft ce que nous apprend
le fameux Pere Thomaffin , dans
la Difcipline de l'Eglife. Part. 2. Liv. 1 .
Chap. 42 .
La Jurifprudence Françoiſe n'a point
dérogé à la difpofition des faints Canons.
Nos Ordonnances n'établiffent pas moins
la neceffité du confentement des parens.
La difpofition de l'Edit d'Henry II. de
l'Ordonnance de Blois , Art. 40. de celle
d'Henry IV. du mois de Decembre 1606.
de celle de Louis XIII . du mois de Janvier
1629. & la Déclaration du 26. Novembre
1639. font des Loix generalement
connuës.
Les Compilateurs des Arrêts nous fourniffent
un grand nombre de Décifions für
ce point. Tels font ceux qui font rapportez
par Choppin , dans fon Monafticon, Liv . 1.
Tit. 2. N. 4. par des Henrys , Tom. 2 .
Liv,
MAY. 1730. 901
Liv. 1. Q.33 . par Boniface , dans fa premiere
Compilation , Liv. 2. Tit. 31. Ch. 5.
par l'Auteur du Journal du Palais , Tom.
2. pag. 612. & Tom. 1. pag. 260.
Telles furent les principles raifons fur
lefquelles fe fondoit l'Avocat de Jouvin
pere , pour faire déclarer nulle la Profeffion
faite par fon fils .
M. Chery fils , qui plaidoit pour le Gardien
des Capucins , répondit à toutes ces
Objections. Il dit que quoiqu'un enfant
foit obligé d'honorer fon pere & fa mere,
& que de cette obligation naiffent tous les
devoirs d'une veritable obéiffance , cependant
ce précepte ne regarde que les
devoirs purement humains , & il eft fubordonné
à celui de l'amour de Dieu , avec
lequel nous confommons le grand ouvra
ge de notre falut.
Dieu ne reçoit agréablement nos Holocauftes
, que lorfque nous avons acquis
la parfaite abnégation de nous- mêmes &
de tout ce qui nous eft cher. Ce n'eſt
qu'en lui failant un facrifice de l'obéïffance
nous devons à nos parens , que
que
nous devenons dignes de lui. Il nous dit
lui- même dans l'Ecriture-Sainte , que celui-
là feul obfervera fes Commandemens,
qui s'attachant à fon fervice , dira à fon
pere & à fa mere , qu'il ne les connoît
plus. Qui dixerunt patri & matri non no-
C.v vimus
902 MERCURE DE FRANCE
vimus vos ifti cuftodierant mandatum meum ..
Lorfque Dieu nous appelle à lui , il ne
s'agit pas d'obeïr à fes parens , ce n'eft
point dans ce cas qu'il faut fuivre leur
choix & leur détermination . S. Jerôme
écrivant à Héliodore , s'exprime en ces .
termes : Licet parvulus ex collo pendeat
nepos licet fparfo crine , & fciffis veftibus
ubera quibus te nutrierat mater oftendat. Licet
in limine pater jaceat , per calcatum perge:
patrem , ficcis oculis ad vexillum crucis evola.
Et dans une autres Lettre écrite à Fabiolà
, il affure que bien loin qu'il foit du
devoir des enfans de manquer à leur vo
cation par obéïffance pour leurs parens
.
ils commettroient un crime s'ils
quoient.
y' man.
Il eft dit dans le 30. Chap..des Nom
bres , que fi le pere n'approuve pas le:
voeu de fa fille , elle n'eft pas obligée de
l'accomplir , mais il faut faire une gran--
de difference de l'ancienne Loi d'avec la
Loi de grace . Parmi les Juifs les filles ne
pouvoient point faire de voeux qui regardaffent
le choix de vies tous leurs
voeux regardoient des actions particulicres
, dont les peres étoient maîtres.
२
Les Conftitutions Canoniques n'ont
point requis ce confentement. Les Conci--
lès ont feulement fixé l'âge qu'il falloit:
avoir pour pouvoir.embraffer l'état Re
ligieux,,
MAY. 1730. 903
ligieux , & ils ont ordonné qu'une Profellion
faite par un fils de famille avant
cet âge requis , feroit nulle & abufive.
C'est ce qu'on voit dans le Concile de
Tibur. Si une fille avant l'âge de douze
ans entre en Religion , alors fes parens
peuvent s'y oppofer , mais fi elle a atteint
l'âge requis , il n'eft plus permis aux parens
de l'en détourner ; telle eft la déci--
fion de ce Concile. Celui de Gange prononce
anathême contre les enfans qui
abandonnent leurs parens pour fe vouër
à Dieu ; mais il parle de ces enfans
dont le fecours feroit neceffaire à un pere
accablé d'infirmitez,& de mifere; en ce cas
il eft incontestable qu'un fils doit refter
près de celui de qui il a reçû le jour.
Les Loix du Royaume ne font point
contraires à ces faintes autoritez , & on
ne doit point fe prévaloir des Capitulai--
res de Charlemagne . Les peres avoient
alors le droit d'offrir leurs enfans aux
Monafteres , jufques-là même qu'ils deftinoient
à l'état Religieux leurs enfans à
naître; c'eft ce qu'on voit dans la difpo-:
fition teftamentaire de Louis VIII. Il or--
donne à fon cinquiéme fils & à tous ceux
qui naîtront après lui , de fe faire Reli--
gieux . Mais ces Capitulaires qui ne por--
toient pas même la nullité de la Profeffion
, & qui condamnoient feulement à
C - vj une
904 MERCURE DE FRANCE
une amende le Superieur qui y admettroit
les fils de famille fans le confentement
de leurs peres , ne font plus en ufage
parmi nous. Si les peres n'ont plus
aujourd'hui le pouvoir d'immoler leurs
enfans à leur avidité, & de les deftiner au
Monachifme , les enfans font libres d'y
entrer , parce que la victime doit fe vouer
elle-même.
L'Ordonnance d'Orleans fixe l'âge auquel
on peut s'engager valablement dans
l'état Religieux , & deffend aux peres
& meres de permettre à leurs enfans
d'embraffer cet état jufqu'à ce qu'ils ayent
atteint cet âge ; mais elle ne dit point
que les Profeffions faites par ces enfans à
Fâge requis , feront nulles , fi les parens
n'y ont donné leur confentement. Celle
de Blois ne parle point du tout de ce
confentement, & n'y en a aucune qui dife
qu'il foit neceffaire.
Les Arrêts citez ne font point du tout
favorables à Jouvin pere . Ils ont deffendu
à des Superieurs d'admettre à la Profeffion
des fils de famille mineurs , qui
s'étoient retirez dans leurs Convents à
l'infçû de leurs parens , & dont la jeuneffe
donnoit lieu de foupçonner qu'ils avoient
été féduits ; mais il n'y a aucun Arrêt qui
annulle une Profeffion faite fans le confentement
des parens.
I
MAY. 1730. 905
Il y a plus , Jouvin a lui- même confenti
à la Profeffion de fon fils , il n'a
pû l'ignorer , puifqu'il envoya fon Epoufe
pour y aflifter , & pour fournir de fa part
tout ce qui étoit neceffaire à cette dépenfe.
Sur toutes ces raifons il intervint Arrêt
le 26. Janvier 1730. prononcé par M. le
Premier Preſident Lebret , qui déclara
n'y avoir abus dans la Profeffion de Claude
Jouvin , conformément aux Conclufions
de M. l'Avocat General de Gueydan .
par Arrêt du Parlement de Provence
au mois de Janvier 1730.
Il s'agiffoit de fçavoir s'il y a abus dans
la Profeffion Religieufe , faite par un fils
de famille,fans le confentement defon pere.
FAIT .
Laude Jouvin , fils d'un Bourgeois
Ca Cde Marfeille , ayant atteint l'âge requis
par les Conciles & par les Ordonnances
pour entrer en Religion , ſe rendit
au Convent des Capucins de la Ville
"d'Aix , fur la fin du mois de Janvier 1726.
il demanda l'habit , & il le reçut le 5. Fevrier
de la même année , après avoir été
examiné. L'année du Noviciat expirée ,
il fit fa Profeffion le 9. Fevrier 1727.
Le repentir fuivit de près fon engagement.
Il s'évada du Convent de Sifteron,
où on l'avoit envoyé pour fe rendre à
Marſeille chez fon pere , qui le fit paffer
à Avignon ; mais le Frere Jouvin , frappé
de la crainte d'être traité en Apoftat ,
reprit des habits féculiers, & vint une feconde
fois chercher un azile dans la maifon
paternelle : il n'y refta pas long-temps ;
car ayant été découvert , il fut conduit
C iij par
898 MERCURE DE FRANCE
par des Archers au Convent des Capucins
de Marſeille .
Jouvin , attendri par Ies regrets de fon
fils , & touché de l'état fâcheux où il fe
trouvoit , réfolut de l'en retirer . Il appella
comme d'abus de la Profeffion faite
par fon fils. Il fit intimer le Gardien du
Convent de la Ville d'Aix , par exploit
du 7. Janvier. La Cour , par un Decret
contradictoire du 28 ordonna la fequeftration
de la perfonne de Frere Jouvin
au Convent des Religieux de l'Obfervance
S. François de Marfeille. La Cauſe en
cet état , portée à l'Audiance , attira par
fa nouveauté un grand nombre d'Auditeurs
, qui furent très- fatisfaits de la maniere
dont elle fut plaidée.
M. Reboul , pour Jouvin pere , dit que
la Profeffion faite par un fils de famille ,
mineur , fans la prefence & fans le confentement
de fon pere , violoit également
Tes Loix divines , les Conftitutions Canoques
, les Capitulaires de nos Rois & les
Ordonnances du Royaume.
La Loi de Dieu rejette l'engagement de
T'enfant s'il n'eft autorifé de celui de qui
il a reçû le jour. C'eft ce que nous lifons
dans le Chapitre 30. des Nombres. Mulier
fi quidpiam voverit & fe conftituerit
juramento , que eft in domo patris fui & in
atate adhuc puellari , fi cognoverit pater
Votum
MAY. 1730.
8995
voti
Votum quod pollicita eft , & juramentum quo
obligavit animam fuam & tacuerit ,
rea erit & quidquid pollicita eft opere complebit.
Sin autem ftatim ut audivit contradixerit
pater , & vota & juramenta ejus
irrita erunt nec obnoxia tenebitur fponfioni
eo quod contradixerit pater. Cette même
Loi nous apprend aufli que l'obéïffance
vaut toûjours mieux que fe facrifice . Melior
eft obedientia quàm victima. Liv. 1. des
Rois , Chap. 15. Verfet 22 .
Les promeffes qu'on fait à Dieu , n'ont
de force qu'en ce qui concerne les chofes
à quoi nous fommes affranchis de la puiffance
d'autrui , c'eſt le fentiment de faint
Thomas. D'où il s'enfuit que ces promeffes
ne peuvent produire aucun engagement
valable , par rapport à un fils de
famille , au préjudice des droits qui font
acquis à fon pere fur fa perfonne.
Les Canons , loin d'approuver de tels
Vaux , prononcent anathême contre les
enfans qui s'engagent dans la Profeflion
Religieufe, fans avoir confulté leurs peres.
Tel eft dans le Decret, le Can . 1. diſt. 30 .
& le Canon Oportet. Cauf. 20. Queft. 2 .
Parmi les Capitulaires de Charlemagne
il y en a un qui n'eft jamais oublié fur
cette matiere. Il y eft dit dans le Ch . ior .
du I. Liv. Ne pueri fine voluntate parentum
tonfurentur vel puella velentur modis omnibus
inhibitum eft. Ciiij L'añ
900 MERCURE DE FRANCE
L'ancienne Difcipline donnoit tout à
l'autorité paternelle , quand il s'agiffoit
de la confécration des enfans au culte divin.
Les peres confacroient leurs enfans
à l'état Religieux , & ceux-cy ne pouvoient
rompre de tels engagemens. Cette
* Diſcipline fut changée fous le regne de
Charlemagne , & elle fut réduite à ce
point qu'il n'y auroit point de validité
dans les Profeffions du fils de famille , fi
ce n'eſt que la volonté du pere concourut
avec celle du fils . C'eft ce que nous apprend
le fameux Pere Thomaffin , dans
la Difcipline de l'Eglife. Part. 2. Liv. 1 .
Chap. 42 .
La Jurifprudence Françoiſe n'a point
dérogé à la difpofition des faints Canons.
Nos Ordonnances n'établiffent pas moins
la neceffité du confentement des parens.
La difpofition de l'Edit d'Henry II. de
l'Ordonnance de Blois , Art. 40. de celle
d'Henry IV. du mois de Decembre 1606.
de celle de Louis XIII . du mois de Janvier
1629. & la Déclaration du 26. Novembre
1639. font des Loix generalement
connuës.
Les Compilateurs des Arrêts nous fourniffent
un grand nombre de Décifions für
ce point. Tels font ceux qui font rapportez
par Choppin , dans fon Monafticon, Liv . 1.
Tit. 2. N. 4. par des Henrys , Tom. 2 .
Liv,
MAY. 1730. 901
Liv. 1. Q.33 . par Boniface , dans fa premiere
Compilation , Liv. 2. Tit. 31. Ch. 5.
par l'Auteur du Journal du Palais , Tom.
2. pag. 612. & Tom. 1. pag. 260.
Telles furent les principles raifons fur
lefquelles fe fondoit l'Avocat de Jouvin
pere , pour faire déclarer nulle la Profeffion
faite par fon fils .
M. Chery fils , qui plaidoit pour le Gardien
des Capucins , répondit à toutes ces
Objections. Il dit que quoiqu'un enfant
foit obligé d'honorer fon pere & fa mere,
& que de cette obligation naiffent tous les
devoirs d'une veritable obéiffance , cependant
ce précepte ne regarde que les
devoirs purement humains , & il eft fubordonné
à celui de l'amour de Dieu , avec
lequel nous confommons le grand ouvra
ge de notre falut.
Dieu ne reçoit agréablement nos Holocauftes
, que lorfque nous avons acquis
la parfaite abnégation de nous- mêmes &
de tout ce qui nous eft cher. Ce n'eſt
qu'en lui failant un facrifice de l'obéïffance
nous devons à nos parens , que
que
nous devenons dignes de lui. Il nous dit
lui- même dans l'Ecriture-Sainte , que celui-
là feul obfervera fes Commandemens,
qui s'attachant à fon fervice , dira à fon
pere & à fa mere , qu'il ne les connoît
plus. Qui dixerunt patri & matri non no-
C.v vimus
902 MERCURE DE FRANCE
vimus vos ifti cuftodierant mandatum meum ..
Lorfque Dieu nous appelle à lui , il ne
s'agit pas d'obeïr à fes parens , ce n'eft
point dans ce cas qu'il faut fuivre leur
choix & leur détermination . S. Jerôme
écrivant à Héliodore , s'exprime en ces .
termes : Licet parvulus ex collo pendeat
nepos licet fparfo crine , & fciffis veftibus
ubera quibus te nutrierat mater oftendat. Licet
in limine pater jaceat , per calcatum perge:
patrem , ficcis oculis ad vexillum crucis evola.
Et dans une autres Lettre écrite à Fabiolà
, il affure que bien loin qu'il foit du
devoir des enfans de manquer à leur vo
cation par obéïffance pour leurs parens
.
ils commettroient un crime s'ils
quoient.
y' man.
Il eft dit dans le 30. Chap..des Nom
bres , que fi le pere n'approuve pas le:
voeu de fa fille , elle n'eft pas obligée de
l'accomplir , mais il faut faire une gran--
de difference de l'ancienne Loi d'avec la
Loi de grace . Parmi les Juifs les filles ne
pouvoient point faire de voeux qui regardaffent
le choix de vies tous leurs
voeux regardoient des actions particulicres
, dont les peres étoient maîtres.
२
Les Conftitutions Canoniques n'ont
point requis ce confentement. Les Conci--
lès ont feulement fixé l'âge qu'il falloit:
avoir pour pouvoir.embraffer l'état Re
ligieux,,
MAY. 1730. 903
ligieux , & ils ont ordonné qu'une Profellion
faite par un fils de famille avant
cet âge requis , feroit nulle & abufive.
C'est ce qu'on voit dans le Concile de
Tibur. Si une fille avant l'âge de douze
ans entre en Religion , alors fes parens
peuvent s'y oppofer , mais fi elle a atteint
l'âge requis , il n'eft plus permis aux parens
de l'en détourner ; telle eft la déci--
fion de ce Concile. Celui de Gange prononce
anathême contre les enfans qui
abandonnent leurs parens pour fe vouër
à Dieu ; mais il parle de ces enfans
dont le fecours feroit neceffaire à un pere
accablé d'infirmitez,& de mifere; en ce cas
il eft incontestable qu'un fils doit refter
près de celui de qui il a reçû le jour.
Les Loix du Royaume ne font point
contraires à ces faintes autoritez , & on
ne doit point fe prévaloir des Capitulai--
res de Charlemagne . Les peres avoient
alors le droit d'offrir leurs enfans aux
Monafteres , jufques-là même qu'ils deftinoient
à l'état Religieux leurs enfans à
naître; c'eft ce qu'on voit dans la difpo-:
fition teftamentaire de Louis VIII. Il or--
donne à fon cinquiéme fils & à tous ceux
qui naîtront après lui , de fe faire Reli--
gieux . Mais ces Capitulaires qui ne por--
toient pas même la nullité de la Profeffion
, & qui condamnoient feulement à
C - vj une
904 MERCURE DE FRANCE
une amende le Superieur qui y admettroit
les fils de famille fans le confentement
de leurs peres , ne font plus en ufage
parmi nous. Si les peres n'ont plus
aujourd'hui le pouvoir d'immoler leurs
enfans à leur avidité, & de les deftiner au
Monachifme , les enfans font libres d'y
entrer , parce que la victime doit fe vouer
elle-même.
L'Ordonnance d'Orleans fixe l'âge auquel
on peut s'engager valablement dans
l'état Religieux , & deffend aux peres
& meres de permettre à leurs enfans
d'embraffer cet état jufqu'à ce qu'ils ayent
atteint cet âge ; mais elle ne dit point
que les Profeffions faites par ces enfans à
Fâge requis , feront nulles , fi les parens
n'y ont donné leur confentement. Celle
de Blois ne parle point du tout de ce
confentement, & n'y en a aucune qui dife
qu'il foit neceffaire.
Les Arrêts citez ne font point du tout
favorables à Jouvin pere . Ils ont deffendu
à des Superieurs d'admettre à la Profeffion
des fils de famille mineurs , qui
s'étoient retirez dans leurs Convents à
l'infçû de leurs parens , & dont la jeuneffe
donnoit lieu de foupçonner qu'ils avoient
été féduits ; mais il n'y a aucun Arrêt qui
annulle une Profeffion faite fans le confentement
des parens.
I
MAY. 1730. 905
Il y a plus , Jouvin a lui- même confenti
à la Profeffion de fon fils , il n'a
pû l'ignorer , puifqu'il envoya fon Epoufe
pour y aflifter , & pour fournir de fa part
tout ce qui étoit neceffaire à cette dépenfe.
Sur toutes ces raifons il intervint Arrêt
le 26. Janvier 1730. prononcé par M. le
Premier Preſident Lebret , qui déclara
n'y avoir abus dans la Profeffion de Claude
Jouvin , conformément aux Conclufions
de M. l'Avocat General de Gueydan .
Fermer
Résumé : QUESTION NOTABLE, jugée par Arrêt du Parlement de Provence au mois de Janvier 1730.
En janvier 1730, le Parlement de Provence a examiné une affaire concernant la validité de la profession religieuse de Claude Jouvin, fils d'un bourgeois de Marseille, qui avait rejoint les Capucins d'Aix en janvier 1726 et fait sa profession en février 1727. Après un repentir, Jouvin avait quitté le couvent et était retourné chez son père, qui avait tenté de le retirer de la vie religieuse en appelant d'abus. M. Reboul, représentant le père de Jouvin, a soutenu que la profession religieuse d'un mineur sans le consentement paternel violait les lois divines, les constitutions canoniques, les capitulaires des rois et les ordonnances du royaume. Il a cité des textes bibliques et des autorités ecclésiastiques pour affirmer que les promesses faites à Dieu doivent être autorisées par les parents. M. Chery fils, représentant les Capucins, a argumenté que l'obéissance à Dieu primait sur l'obéissance aux parents. Il a invoqué des passages bibliques et des écrits de saints pour affirmer que Dieu appelle parfois les individus à se détacher de leurs familles pour le servir. Le débat a porté sur l'interprétation des lois et des traditions concernant le consentement parental pour les professions religieuses. Les ordonnances royales et les décisions juridiques antérieures ont été examinées pour déterminer si elles exigeaient le consentement des parents. Finalement, le 26 janvier 1730, le Parlement a rendu un arrêt déclarant qu'il n'y avait pas d'abus dans la profession de Claude Jouvin, conformément aux conclusions de l'avocat général de Gueydan.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 21-46
LETTRE de M*** à M. H. Chanoine de l'Eglise Cathedrale de *** sur le choix que les Musiciens ont fait de Ste Cecile pour leur Patronne.
Début :
C'Est une chose très-loüable, Monsieur, que dans chaque [...]
Mots clefs :
Sainte Cécile, Musique, Musiciens, Église, Fête, Instruments de musique, Orgue, Mélodie, Chantres, Patrone des musiciens, Royaume, Choeur, Profession, Chant
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M*** à M. H. Chanoine de l'Eglise Cathedrale de *** sur le choix que les Musiciens ont fait de Ste Cecile pour leur Patronne.
LETTRE de M*** à M. H. Chanoine
de l'Eglise Cathedrale de *** sur le choix
que les Musiciens ont fait de Ste Cecile
pour leur Patronne.
'Est chose très -loüable , MonCsieur , que dans chaque Profession
il y ait un saint Patron dont on se propose d'imiter les vertus en même temps
qu'on se porte à célébrer sa Fête. Mais
yous m'avouerez que souvent il est arrivé
que
22 MERCURE DE FRANCE
que les Particuliers desquels ce choix a
dépendu , n'ont pas été heureux dans
celui qu'ils ont fait. Je m'amusai , il y a
plus de vingt ans , à parcourir un Calendrier qui s'imprimoit à Paris , chez Louis
Josse , sous le nom d'Almanach spirituel :
Je trouvai qu'il y avoit bien des refléxions à faire sur les raisons qui ont pû
fixer certains choix qui paroissent avoir
été faits d'une maniere assès burlesque
et je ne craindrois point d'être désaprouvé par ceux qui composent les Confreries:
dont le saint Patron est mal choisi , si
j'osois entrer dans le détail de quelquesuns.
Il est vrai que toutes les Professions ,
Arts , et Etats n'ont pas le bonheur d'avoir des Saints qui ayent exercé ces Professions ; ou si des gens de bien les ont
exercées , ils n'ont pas ей , pour cela , la
gloire d'être canonizez. Il n'est pas de:
tous les Etats comme de celui des Medecins , qui , outre un S. Luc , ont encore
S. Côme et S. Damien. Il est des Artisans
de bien des especes : et tous n'ont pas l'avantage d'avoir comme les Orfévres
un Personnage qui se soit sanctifié dès le
temps auquel il exerçoit ce métier , comme a fait un S. Eloy. Mais il faut aussi
avouer qu'il y a des Etats et des Profes-
>
sions
1
JANVIER 1732: 2:3
و
sions qui ont fourni des Saints , ausquels .
cependant on ne pense pas davantage que
s'ils n'étoient jamais venus au monde ,.
des Saints dont il y auroit d'excellentes:
choses à dire en Chaire pour l'instruction:
des gens du même état si le choix du
Patron étoit fait avec un peu plus d'attention et de discernement. Qui empêcheroit , par exemple , les Marchands de
prendre pour Patron un S. Homebon
Marchand de la Ville de Cremone , les:
Laboureurs , un S. Isidore , qui a été Laboureur en Espagne , et les Vignerons ,
un S. Antonin de Sorrente en Italie
qui planta de ses propres mains une Vigne dont le Vin étoit si délicieux , qu'on
n'en présentoit point d'autre à tous les
Princes et grands Seigneurs qui passoient:
dans ce Pays-là.
"
و
Tout ce que j'ay dit jusqu'icy , Mon--
sieur , n'est que pour en venir à une Profession qui est très- remarquable dans nos
Eglises c'est, celle des Musiciens. Tant
de Saints ont chanté , comme eux , en Public les louanges du Seigneur , que le
nombre en est inexprimable. Il y a eû
aussi des Saints qui ont écrit sur le Chant
Ecclésiastique , d'autres qui ont sçû jouer
des Instrumens. Les uns ont perfectionné
le Chant ou la Musique dans la Specula- tion:
24 MERCURE DE FRANCE
tion : les autres y ont donné de nouveaux
accroissemens dans la Pratique. Tel Saint
fabriquoit lui-même des Instrumens de
Musique ; tel'autre donnoit des Regles
pour s'en servir. N'est-ce pas là ce que
font les Musiciens de nos jours ?
La chose étant ainsi , ils devoient donc
choisir pour leur Patron un Saint de quelqu'unes des especes que je viens d'indiquer. Mais au lieu de prendre ce party ,
et de se fonder sur une Histoire bien averée , ils se sont arrêtés à une Legende telle
qu'elle , et ils ont été déterminez à l'occasion d'un mot unique , dont ils n'ont
pas pris la peine de se donner l'intelligence. S'il est vrai que ce choix est proportionné aux lumieres qu'on avoit il y a
cent ou six-vingt ans , il ne s'ensuit pas
de là qu'il doive toujours subsister.
7
ya:
On ne peutgueres douter que les Musi--
ciens et les Chantres inferieurs des Eglises
Canoniales n'ayent été portez à se choisir
un jour de Fête , lorsqu'ils ont vû que
les autres Professions en avoient. Il y eut
untemps , comme tout le monde le sçait,
que les Prêtres (a) avoient pour Fête Patronale le jour de S. Jean l'Evangeliste
les Diacres le jour de S. Etienne , les Soû-
(a) Quelques Personnes assurent que dans les plus bas siécles les Prêtres ont choisi la Transfiguration
pour leur Fête Patronale.
diacres
JANVIER 173.2. 2*
diacres un autre jour voisin de la Fête de
Noël. Le reste du chœur se joignit appa
remment à ces derniers. Mais depuis qu'on
eût déclaré dans le XV. siécle une Guerre
ouverte à cette Fête du bas-Chœur , il y
eut du partage dans le choix du jour qui
passeroit pour la solemnité patronale. En
certains Pays on s'arrêta à S. Gregoire ,
Pape , en l'honneur duquel on trouvoit un Office propre tout noté dans les anciens Antiphoniers. En d'autres où l'on
ne pût goûter le choix de la S. Gregoire ,
parce qu'elle tombe en Carême , on choisit les 7. Freres Martyrs , Enfans de Ste
Felicité , par une raison assez frivole. (a)-
Quoiqu'il en soit , il n'y a gueres plus
de cent ans que les Musiciens , ou Chantres gagèz étoient partagez selon les Pays,
sur le choix de leur Fête Patronale , et
qu'ils reconnoissoient differensSaints pour
leurs Patrons. Dans la Flandre , où la Mu
sique a fleuri plus qu'en certaines autres
Provinces du Royaume , l'on ne connoissoit point encore Sainte Cecile pour Protectrice des Musiciens , il y a cent- cinquante ans. Si elle avoit été représentée
comme telle , et avec un Jeu d'Orgues ,
vers l'an 1580 , Molanus , célebre Doc
teur de Louvain , qui marqua dans le Li-
(4) Auxerre.
VIQ
26 MERCURE DE FRANCE
vre qu'il fit imprimer alors sur les Images , toutes les figures symboliques qu'on
ajoutoit aux Statuës des Saints , n'auroit
pas oublié Sainte Cecile ; cependant il ne dit pas un seul mot de cette Sainte : ce
qui est une marque qu'il ne l'avoit encore vûe représentée en aucun endroit.
Je mecrois donc assès fondé pour avan
cer que ce n'est que depuis un Siecle , ou ,
un peu plus , que les Musiciens se sont
réunis à choisir cette Sainse pour leur Patrone. L'Office propre qu'on chantoit
presque par tout en son honneur depuis
plusieurs siecles , aura gagné alors leurs
suffrages , et les aura déterminé à ce choix.
Ceux d'aujourd'huy croyent qu'il a été
fait avec tant de maturité et de déliberation par leurs Prédecesseurs , qu'il est
difficile de les en faire revenir. L'habi
tude dans laquelle ils sont , de voir Sain
te Cecile représentée avec un Jeu d'Or
gues , fait qu'iis continuent de croire
qu'elle étoit de la Profession , ou au moins
qu'elle aimoit les Instrumens musicaux
cependant , à considerer les choses dans
leur origine , on reconnoîtra que ce Jeu
d'Orgues n'a été ajoûté aux figures de
cette Sainte , que depuis que les Musiciens se sont mis sous sa protection. C'est
ainsi qu'ils prennent l'effet pour la cause
et la cause l'effet.. pour Je
JANVIER 1732. 27
Je ne vous diray pas en quelles Provinces ce choix a d'abord été fait. Il y a
apparence que c'est en Italie. Les honneurs qu'on prétend rendre à Sainte Cecile par la Musique , y sont même poussez jusqu'à un point qui pourra vous réjouir. Dans une Ville de cette vaste partie de l'Europe , l'une des Eglises Paroissiales porte le nom de Sainte Cecile. Le
Clergé n'en est pas fort nombreux , par
ce qu'il y a dans la même Ville cinquante-cinq autres Paroisses, Une Personne
grave qui m'a honoré de son amitié dans
sa vieillesse , m'a dit qu'elle entra dans
cette Eglise l'an 1669. à son retour de
Rome : c'étoit un Dimanche au soir !
Elle y trouva le Curé qui disoit Vêpres.
tout seul : mais le son de sa voix étoit
admirablement secondé par un grand
nombre de petits Oiseaux qui faisoient
dans la Tribune des Orgues un gazoüillement très agréable. S'étant informé de
Forigine de cette Musique , on lui dit
que ces Oiseaux étoient nourris là comme
dans une Voliere , où ils faisoient un con--
cert jour et nuit pour honorer Sainte Cecile , et que la Paroisse n'ayant pas assès.
de revenu pour y faire chanter l'Office
excepté le jour de la Fête Patronale , on
se contentoit durant le reste de l'année
·
des
28 MERCURE DE FRANCE
des services de ces petits Musiciens. Vous
pouvez croire qu'en dédommagement , il
n'y a rien d'épargné le 22 Novembre
et que tous les Enfans de Sainte Cecile.
tiennent à honneur de se réunir ce jour- là.
dans ce lieu.
On est persuadé en Italie plus qu'ailleurs , de la verité de tout ce que les
Legendes du Beviaire renferment ; et Tes
Musiciens qui ne se picquent pas d'être
grands Critiques en fait d'Histoire , s'en
rapportent volontiers à la croïance de ceux
qui les ont éleveż . Soit que ce soit en Italie, ou dans les ProvincesMeridionnales de
la France que le choix ait été fait d'abord
de Sainte Cecile pour Patrone des Musiciens , il est constant qu'il est très - mak
fait. Je ne songeois à rien moins qu'à vous
prier de rendre publique cette Lettre lorsque l'on m'a fait voir une Lettre circulaire , imprimée en forme d'Affiche de la.
part du Maître de Musique de l'Eglise
Cathédrale du Mans , par laquelle tous
les Musiciens du Royaume sont invitez.
àmettre en Musique les paroles jointes à
cette Lettre, destinées à servir de Motet
à la Messe solemnelle de la Fête de Sainte
Cecile. Et comme si le sujet étoit le plus
heureux du monde , on y ajoûte les mêmes clauses et conditions qui sont ordi- nairement
JANVIER 1732. 29
,
nairement proposées pour les Pieces d'Eloquence ou de Poësie qui subissent l'éxamen de differentes Académies , établies
dans le Royaume et qui sont honorées
d'un prix de conséquence. La Piece Mu- sicale sera examinée : ( on ne dit pas par
qui:) et celle qui sera trouvée la meilleure dans le genre de Musique qu'on demande , sera chantée préferablement aux
autres dans l'Eglise du Mans , et l'Auteur
sera récompensé d'une Croix d'or. J'ay
appris aussi que dans l'Eglise d'Evreux ,
et dans les autres de Normandie on a fait
dans le siécle dernier quelque chose de
semblable ; au moins on en produit des
Programmes ou Avis imprimez en 1667.
et 1668. Et encore de nos jours a Evreux,
lorsqu'il arrive qu'un Maître de Musique
qui a du renom , s'y rend au 22 Novembre , pour faire chanter une Musique de
sa façon à la Fête de Sainte Cecile , on lui
fait present d'une Médaille d'argent , qui
représente d'un côté l'image de cette Ste.
et de l'autre les Armes du Chapitre.
que
Sainte Cecile étant ainsi devenue le sujet des Chef- d'œuvres de Musique , on ne peut pas attendre l'effet du maumais choix se manifeste plus évidemment,
et il paroît que le temps est venu de combattre le fondement de ce choix.
Comme
30 MERCURE DE FRANCE
,
Comme toutes choses sont sujettes à
vicissitude sur la terre et que tous les
jours on avance dans la connoissance de
l'Histoire on a découvert que le choix
de Sainte Cecile pour Patrone des Musiciens n'est appuyé que sur un fondement
ruineux , c'est-à- dire,sur des Auteurs qui
attribuent à cette Sainte des faits qu'il
leur a plû d'imaginer pieusement , ou sur
un texte historique mal entendu , et pris
àcontre-sens , en cas qu'il soit veritable ;
et c'est ce qu'il est besoin de développer.
Que disent sur la Legende de cette Sainge
les Historiens réconnus pour les plus éclairez de nos jours ? M. de Tillemont (1) déque les contradictions qui se trou- cla
dans
ses
Actes
, en
donnant
une
idée
vent
assès désavantageuse , qu'ils ne sont composez que de Miracles extraordinaires ,
et d'autres choses qui ont peu d'apparence
de verité que , quoiqu'ils soient assès
anciens pour avoir été vûs par le vénérable Bede , il ne croit pas , cependant ,
qu'il y ait moyen de les soutenir. Le Pere
Garnier , Jesuite , dont on a quelques ouvrages sur l'antiquité Ecclésiastique , qui
sont fort estimez , combat ces Actes pat
l'endroit du Prefet Almaque , dont ils
font mention , outre plusieurs autres fau
(1)Tom. III. Hist. Eccl. p. 689.
tes
JANVIER 1732. 31
4
›
tes dont il reconnoit qu'ils sont pleins
M. Baillet (1 ) assure qu'ils n'ont presque
aucune autorité , qu'ils sont difficiles à
soûtenir dans presque toutes leurs cirConstances soit pour les temps et les
dieux , soit pour les grands Discours et les
grands Miracles qu'ils contiennent. Il est
Vrai que dans un autre endroit ( 2 ) il dit
que ces Actes n'ont rien de choquant ou
de scandaleux dans ce qu'ils ont d'incroyable mais il ajoûte aussi- tôt qu'ils
n'ont rien d'authentique dans ce qu'ils
paroissent avoir de plus noble. Le Public
peut croire par avance , que le jugement
des sçavans Bollandistes ne se trouvera pas
beaucoup different lorsque le temps sera
venu qu'ils seront obligez de s'expliquer on peut même , sans trop hazarder , conclurre de ce que leurs Prédéces
seurs ont dit au 14 Avril , sur S. Valerien
et S. Tiburce , et au 25 Mai , sur S. Urbain , que ceux de leurs Confreres à qui
il appartiendra , de traiter les Saints du
22 Novembre , ne s'éloigneront pas extrêmement de ce qu'a dit le Pere Garnier ,
et même il peut se faire qu'avec le temps
il leur vienne de nouvelles lumieres pour
impugner encore plus fortement les Actes
(1)Table critique du 22 Nov.
>
(3) Au 22 Novembre
9
de
2 MERCURE DE FRANCE
de Sainte Cecile , et les faire abandonner generalement.
و
C'est donc le peu de fond qu'il y a à
faire sur cette piece , qui a porté les Evêques , qui ontfait réformer leurs Breviaires à en rétrancher cette Legende. Il y en
a qui n'ont assigné à Ste Cecile aucune
Leçon propre , et qui ont tout renvoyé
au commun ou l'ont réduit en simple
commemoration, comme on vient de faire
à Langres. D'autres ont permis qu'on inserât à Matines un Fragment du Sacramentaire de S. Gregoire , où il est dit simplement que Cecile a été fortifiée par la
grace de Dieu , de maniere que rien n'a
pû ébranler sa foy et sa vertu , ni le penchant de l'âge , ni les caresses du siecle ,
ni la foiblesse du sexe , ni la cruauté des
tourmens , cet Eloge n'ayant pû fournir
qu'une seule Leçon fort courte , c'est ce
qui a été cause que l'Office du 22 Novembre a été réduit à trois Leçons , dont deux
sont de la Sainte Ecriture. Par là toutes
les Antiennes et Répons propres qui
étoient dans les Antiphoniers precedens ,
ont été rejettez , et par conséquent l'AntienneCantantibusOrganis ôtée de l'Office.
Or comme il n'y avoit que cet endroit de
la prétendue Histoire de la Sainte , qui ,
après bien des siecles , avoit déterminé.
les
JANVIER 1732. 33
les Musiciens et Joueurs d'Instrumens à
la choisir pourPatrone ; il est bon de faire
quelques refléxions dessus , afin d'en montrer la foiblesse , et de faire voir que ,
quand même il seroit bien averé , il prou
veroit seulement qu'il y avoit autrefois
des Instrumens de Musique dans les nôces
chez les Romains , ce que personne ne
revoque en doute , et qui n'a nulle liaison
avec l'usage qu'on a fait de ce Texte.
:
Ce Texte dit donc simplement que Cecile fut promise à un jeune homme appellé Valerien que le jour des nôces étant
venu , elle parut vêtuë d'habits éclatans -
en or , par dessous lesquels elle portoit le
cilice que les Instrumens de Musique
faisoient retentir dans la Salle où étoit le
lit nuptial toutes sortes d'airs convenables
à une telle conjoncture ; mais que Cecile ,
sans y faire attention , ne s'appliquoit interieurement qu'à Dieu seul , à qui elle disoit du fond de son ame : » Seigneur, que
» mon cœur et mon corps soient conser-
» vez sans tâche , afin que je ne sois pas
» confondue. Cujus Dei ) vocem audiens
Cecilia Virgo clarissima absconditum semper
Evangelium Christi gerebat in pectore ..
Dominumfletibus exorans , ut virginitas ejus
ipso conservante inviolata permaneret. Hac
Valerianum quemdamjuvenem habebat spon
C SU
34 MERCURE DE FRANCE
sum : qui juvenis in amore virginis perur
gens animum diem constituit nuptiarum.
Cecilia verò subtus ad carnem cilicio induta , desuper auratis vestibus regebatur. Parentum verò tanta vis et sponsi circa illam
erat exæstuans , ut non posset amorem cordis
sui ostendere , et quod solum Christum diligeret indiciis evidentibus aperire. Quid multa ? Venit dies in quo thalamus collocatus est.
Et cantantibus organis , illa in corde suo soli
Domino decantabatidicens : Fiat cor meum et
corpus meum immaculatum , ut non confundar ; et biduanis ac triduanis jejuniis orans
commendabat Domino quod timebat. Invita
bat Angelos precibus , lachrymis interpellabat Apostolos , et sancta omnia Christo famulantia exorabat , ut suis eam déprecationibus adjuvarent suam Domino pudicitians
commendantem. (a)
Après avoir ainsi exposé l'endroit des
'Actes de Ste. Cecile , qui a déterminé le
choix des Joueurs d'Instrumens et des
Musiciens , je puis conclure hardiment
que cette Sainte n'a été choisie par eux
pour Patrone que parce qu'on lit que
forsqu'il fut question de la marier , il y
avoit des Instrumens àla Fête. De sorte
que , sans faire attention que l'Histoire
de cette Sainte , telle qu'elle est , la repré
(a) Je tire ce Texte d'un Manuscrit de 600 ans.
sente
JANVIER 1732. 5
2
sente comme mariée malgré elle , et comme ayant une répugnance marquée à entendre toute cette mélodie , et songeant
plutôt aux choses spirituelles , on la prend
pour la Protectrice des Symphonies et des
Concerts qui se font au moins avec autant
d'appareil que celui qui , selon les mêmes
Actes paroissoit lui être à charge. En
effet , le langage de l'Historien laisse
penser qu'il en étoit de la Musique à son
égard , comme des beaux habits dont elle
étoit parées et c'est avec raison qu'il prétend faire son Panegyrique , lorsqu'il dit
qu'elle n'avoit pas plus d'attache à l'un'
qu'à l'autre. Une legere attention sur ce contraste suffit , ce me semble › pour dé
tromper bien des gens , touchant la justesse prétendue du choix fait par les Mu
siciens. Ce n'étoit pas un Privilege particulier à Ste. Cecile , d'avoir des Joueurs
d'Instrumens à ses nôces : c'étoit la coûtume de son temps , comme ce l'est encore aujourd'huy. Il n'y a gueres de Saints
parmi ceux qui ont été mariez , qui ne
se soient peut-être trouvez dans de sem
blablescirconstances. Pourquoi donc choisir plutôt Sainte Cecile qu'une autre ?
Est-ce à cause que la Musique des Instrumens a paru lui déplaire , ou au moins nè
faire aucune impression sur ses sens ?
Cij
36 MERCURE DE FRANCE
:
Je prévois bien , Monsieur , que mes
reflexions ne feront pas plaisir à un grand
nombre de Musiciens. Etant accoutumez
à juger de la verité et de l'antiquité des
choses , parce qu'ils en voyent de leurs
jours , ils diront que le choix de Ste. Ce-.
cile pour Patrone de leur Profession , ne
peut être que bon et ancien , puisqu'il est
si étendu, J'avoue qu'il n'est que trop
étendu mais aussi il faut convenir qu'il
a été fait dans un temps où l'on tenoit
pour véritables les Actes qui portent son
nom , et où l'on croyoit qu'un seul mot dans l'Office , pourvu qu'il eût rapport
à la Musiquede loin ou de près , directement ou indirectement , suffisoit pour se
fixer et s'arrêter. Dispensez - moy d'entrer
en explication de certaines autres Professions qui n'ont pas été plus heureuses , cr
de vous citer l'origine du choix d'un
grand nombre deConfreries. Après tout ,
quoique les Actes de Sainte Cecile soient
faux , la Sainte n'en est pas moins réelle
et veritable. Quoiqu'on ne sçache point
même en quel Pays elle a été martyrisée ,
et qu'il soit incertain si c'est à Rome ou
dans la Sicile , il n'en est pas moins constant que cette Sainte est une veritable
Martyre. Et puisque son nom est dans le
Canon de la Messe il en faut conclure
qu'elle
JANVIER 1732. 3
qu'elle est une des plus anciennes Martyres de l'Eglise Romaine. C'est tout ce
qui peut faire son Eloge , sans que pour
cela la Musique doive s'y interesser plus
qu'à une autre Sainte , par les raisons peremptoires que j'ai apportées.
En abandonnant le choix qui a été fait
si mal- à-propos dans ces derniers temps ,
il est nécessaire de le remplacer par quelque autre Saint qui puisse être proposé
avec fondemens au Corps des Musiciens ,
et à leurs aggrégez. On se fatigueroit en
vain à chercher pour cela un Saint de la
premiere antiquité ; puisque la Musique
dans le sens qu'ils veulent qu'on l'entende,
est assez nouvelle dans l'Eglise. Il seroit
question de découvrir l'introduction des
Instrumens dans l'usage des Offices Divins , et de trouver quelque saint personnage qui se soit plû à en jouer, Le siécle
de Charlemagne fournit un S. Arnold
du Duché de Juliers : mais la Profession
de simple Joueur de Violon qu'il exerça ,
n'est pas proportionnée à tout ce que la
Musique renferme. En descendant quelques siécles plus bas , on trouve un Saint
Dunstan , Archevêque de Cantorbery
en Angleterre. Les Auteurs de sa vie le
représentent comme un Personnage qui
se plaisoit dans sa jeunesse à jouer de toute
Ciij sorte
38 MERCURE DE FRANCE
sortes d'Instrumens , du Psalterion , de la
Guitare , des Orgues , et toujours pour
les louanges de Dieu. Quamvis omnibus :
artibus Philosophorum magnificè polleret ,
ejus tamen multitudinis qua. Musicam instruit , eam videlicet que Instrumentis agitatur speciali quadam affectione scientiam vindicabat , sicut David Psalterium sumens ,
Citharam percutiens , modificans Organa 2,
Cymbala tangens. (a ) Et plus bas ils rapportent , que lorsque Athelme , Archevêque de Cantorbery , l'eût produit auprès du Roy Ethelstan , ce fut sa parfaite´
habileté à jouer de tous les Instrumens
qui lui concilia l'amitié du Roy et de
toute la Cour. Cum videret Dominum Regem secularibus curis fatigatum , psallebat in.
Tympano , sive in Cithara , sive alio quolibet musici generis Instrumento : quo facto
tam Regis quam omnium corda Principum
exhilarabat. Et afin que par le mot Psallebat, on ne puisse entendre des Airs profanes , il est dit un peu plus haut du même
Saint : Sicut David ergo noster symphonista Vasa cantici habuit , quia usum illorum nonnisi in divinis laudibus expendit.
Mais si l'on ne veut point recourir à
P'Angleterre pour y choisir un Saint Protecteur de la Musique , et si l'on est
(a) Osbernus seculo V. Benedictino.
bien
JANVIER. 1732. 39
bien aise de ne pas déplacer la Fête des Chantres de la saison où elle se trouve
aujourd'hui , on peut prendre un Saint
de notre France qui est assez celebre
dont la Fête arrive le 18. Novembre , qui
est le jour auquel il déceda à Tours l'an
942. C'est S. Odon. Il avoit eu à Paris
pour Maître de Musique le fameux Remi
d'Auxerre cet homme generalement
versé en toute sorte de sciences. Il avoit
appris sous lui à connoître les differentes
combinaisons des harmonies , consonantes , affinales , &c. par le moyen du monocorde qui servoit alors à instruire les
Commençans ; et il devint par la suite si
habile dans la Musique Ecclesiastique
qu'il fut jagé digne d'être Grand- Chantre de l'Église de Tours ,où il composa
plusieurs Pieces de Chant. Il est vrai qu'il
ne resta point dans cet état ; s'étant fait
Religieux il devint Abbé de Clugny ;
mais il aima toûjours les mélodies Ecclesiastiques , et il en composa jusqu'à la fin
de sa vie. Ce Saint appartient plus parriculierement à l'Eglise de France , puisqu'il a été Membre d'une des plus illustres Eglises du Royaume, ( a) où l'on s'est
toûjours appliqué à faire l'Office avec
majesté.
(a)Tours.
Ciiij Quelque
40 MERCURE DE FRANCE
Quelque Musicien versé dans l'Histoire , pourra dire , que puisqu'il est à
propos de se départir du mauvais choix
fait de Sainte Cecile , il vaut autant que
dans chaque Pays les Musiciens ou Chantres de profession se choisissent un saint
Patron particulier , et que peut être se
trouvera t'il peu de Provinces où il n'y
ait des Saints qui ont été amateurs du
Chant , ou qui ont eû quelque rapport
avec l'exercice de cette Science. Je ne
parle point de l'Eglise de Lyon , où l'on
connoît un S. Nicier , Evêque , qui s'est
distingué dans le Chant Ecclesiastique et
qui même l'a enseigné à de jeunes enfans ; cette Eglie peut bien celebrer une
Fête de Chantres de Plain- Chant , mais
non pas de Musiciens , parce qu'elle n'en
a jamais admis dans le sens qu'on entend
aujourd'hui le nom de Musiciens. L'Eglise de Clermont a eu un S. Gal et un
S.Priet, Evêques, qui ont cultivé particu
lierementla science du Chant, excités par
l'avantage qu'ils avoient d'être doüez d'une belle voix. L'Eglise de Paris a eû aussi
pourPrélat unSaint qui pourroit très - bien
être choisi pour Patron de la Musique de
cette Capitale du Royaume ; c'est S. Germain. Le Poëte Fortunat , qui a écrit son
Eloge en Vers, fait une description si pompeuse
JANVIER 1732. 4.I
peuse de de la maniere dont on celebroit
Office dans son Eglise Cathedrale, qu'on
diroit que ce Saint y auroit établi le contrepoint et le Faubourdon , quoique cela ne
soit pas. Il est seulement vrai de dire qu'il
anima le Chant , et qu'il le regla. Mais
puisque ce sont les mouvemens que se
donnent des Particuliers de l'Eglise du
Mans qui m'excitent à vous écrire , ne
peut- on pas leur dire qu'ils cherchent
bien loin ce qu'ils ont chez eux- mêmes.
Ils ont, en effet, S. Aldric, qui de Préchantre
de l'Eglise de Metz , fut fait leur Evêque
au neuviéme siecle. Il n'étoit point de
ees Préchantres simplement porteurs de
Bâton et de Chappe ; l'Histoire de sa Vie
publiée au troisiéme Tome des Mélande M. Baluze , dit de lui ges dès sa que
jeunesse : Cantum Romanum atqu: Grammaticam sive divine scripture seriem bumiliter discere meruit , quibus pleniter atque
doctissimè instructus est ; il semble qu'un
Evêque du Mans qui est Saint , et qui a
sçû parfaitement le Plain- Chant , ayant sqü été Moderateur du Chœur d'une celebre
Eglise , mériteroit mieux que Sainte Cecile d'être le Patron des Chantres et des
Enfans- de-Chœur de l'Eglise du Mans ,
puisque c'est un Personnage à qui l'on
peutappliquer à la lettre ce Passage de l'E CY criture
42 MERCURE DE FRANCE
criture, où il est dit de David : Stare fecitCantores contra altare et in sono eorum dulces
fecit modos. (a) Ce Texte est clair et sans .
obscurité. Il n'en est pas de même du
Passage des Actes de sainte Cecile. Quand
même ces Actes seroient veritables , les
Musiciens auroient tort de croire sur le -
simple fondement de ce qui y est contenu , qu'il y auroit eû des Orgues dans
le sens que nous l'entendons à la Fête
de son Mariage ; parcequ'il est indubitable qu'Organa dans l'antiquité signifie un
assemblage de plusieurs sortes d'Instrumens. Mais n'est-ce pas agir d'une maniere insupportable , et abuser visible--
ment des Orgues d'aujourd'hui , que de mettre cet Instrument entre les mains
de sainte Cecile ? C'est vouloir tromper
les Peuples de gayeté de cœur , et abuser
dela crédulité des simples , que de la répresenter en faction devant un Clavier
Il me paroît que c'est prétendre leur
persuader cette Sainte est bienchoisie
queen supposant comme
pour Patrone
vrai , ce qui cependant est faux ; sçavoir ,,
qu'elle faisoit métier de toucher de cet
Instrument , tandis que c'est tout le contraire, et que le Jeu d'Orgues n'a été
joint à la figure que pour marquer que
(*) Ecclesiastici , Cap. 47. ¥. 11.
les
JANVIER. 1737. 43
1
lés Musiciens l'ont choisie pour leur Protectrice. Ce n'est pas le choix qui supose
les Orgues; ce sont les Orgues qui présupposent le choix, et qui en sont le signe
et la marque. Dans les Chroniques Latines , imprimées in folio , à Nuremberg,
l'an 1493. avec des figures ; sainte Cecile
est representée avec un peigne de fer à
la main. Il peut se faire que cette Sainte
ayant été représentée de la même maniere
sur quelques murailles ou sur quelque vitrage , l'on ait pris par la suite cet Instrument de martyre pour un Jeu d'Orgue.
On se méprend quelquefois plus grossierement à des Peintures , losrqu'elles sont
à demi effacées. Tout-au- plus ce qui éoit
permis depuis le choix fait par les Mu--
siciens , étoit de représenter un Jeu d'Orgue aux pieds de sainte Cecile , de la
maniere qu'on mer quelquefois des Ar--
moiries ou des Hieroglyphes sous certai
nes statuës. Mais ce qui auroit été convenable , pour couper court , eût été
de laisser sainte Cecile au Monastere de
Filles avec les Agnès , les Luces et les
Agathes , et que les Musiciens eussent
porté leur dévotion particuliere vers un
Saint , sans craindre que la Sainte leur
fût moins propice. Il ne tiendra qu'à eux
de le faire après tout ce que j'ai dit sur
Cvj 121
44 MERCURE DE FRANCE
la fausseté des Actes qui portent son
nom, et sur l'incongruité du choix , quand
même ces Actes seroient veritables. Il
né dépendra que d'eux de s'attacher à
un Saint qu'ils puissent veritablement regarder comme le prototype ou le modele
de leur Profession. Je me suis contenté
d'en indiquer quelques-uns , sans prétendre avoir épuisé tous ceux que l'Histoire
Ecclesiastique pourroit fournir. Je passe
sous silence le peu de solidité qu'il y auroit de choisir S. Vincent Martyr , précisement à cause que dans le Verset d'un
des Répons de son Office on lit : Dantur
ergo laudes Deo Altissimo , et resonante Organo vocis Angelica modulata suavitas
procul diffunditur , ou de s'arrêter à sainte
Ysoïe ou Eusebie , Abbesse d'Haimage en
Flandres , dont il est écrit qu'elle regne
dans le Ciel : Ubi organizans canticum
immaculatum sponsum Agnum sequendo tripudiat. Le peu de fondement de ce choix
sauteroit aux yeux , et je ne crois pas que
jamais on y pense.
Au reste , je ne me déclare point ennemi de la Musique ni des Instrumens.
Tant s'en faut ; je puis dire comme le
Cardinal Bona : Et Musicam amo , et pu
det me plerosque Ecclesiasticos viros totius
vita cursu in cantu versari ; ipsum verò
cantum
JANVIER 1731. 45
cantum ( quod turpe est ) ignorare. (a) J'ai
me la Musique , j'aime le Plain-Chant
j'aime ceux qui s'y connoissent veritablement ; mais je demanderois volontiers à
toute l'Ecole de sainte Cecile un secret
pour empêcher de jamais parler de ces
matieres-là et de s'ériger en Maîtres de
Psalmodie , ceux qui ne peuvent et ne
pourront jamais distinguer un semi-ton
d'avec un ton , ainsi qu'ils le font voir
en plein Choeur par une triste experience
de tous les jours ; et je m'en rapporte à
vous , Monsieur , pour décider s'ils na
sont pas dans le même cas que ces Doc.
teurs en Lecture , qui ne sçauroient distinguer une lettre voyelle d'avec une
lettre consonne. Ce ne sont pas là , Monsieur , les Chantres de l'Eglise Chrétienne, dont je serois prêt de faire l'Apologie ; mes Argumens en faveur de la
Musique , sont toûjours pour appuyer
des sujets qui lui font plus d'honneut.
Si on entreprenoit de bannir ceux cy de
nos Eglises et d'en exclure toute sortę
de Musique , je serois le premier à m'y
opposer, en représentant que dans toutes les choses établies au vû et au sçû des
Superieurs, il nefaut retrancher que ce qui cst devenu abusif. Mes raisonnemens donc
(a)De div. Psalmedia , Cap. 17. §. 3. Num. 1.
contre
45 MERCURE DE FRANCE
contre la Confrairie de sainte Cecile , ne
doivent pas être suspects : ce n'est que
pour le mieux , que j'exhorte ceux qui
s'y sont enrôlez , à considerer le deffaut
qui est dans leur choix ; afin que si dans
quelque Ville du Royaume ils sont heureusement d'assez bon goût pour y
choisir
un autre Patron , en même temps qu'on y
réforme le Breviaire , la justesse de leur
nouveau choix puisse ensuite s'étendre ailleurs de la même maniere que l'incongruité de l'ancien s'étoit fait place à la
faveur de la fable et de la fiction. Je
suis , & c.
Ce Samedy 20. Octobre, Fête de Saint
Aderald , Chanoine de votre Eglise.
de l'Eglise Cathedrale de *** sur le choix
que les Musiciens ont fait de Ste Cecile
pour leur Patronne.
'Est chose très -loüable , MonCsieur , que dans chaque Profession
il y ait un saint Patron dont on se propose d'imiter les vertus en même temps
qu'on se porte à célébrer sa Fête. Mais
yous m'avouerez que souvent il est arrivé
que
22 MERCURE DE FRANCE
que les Particuliers desquels ce choix a
dépendu , n'ont pas été heureux dans
celui qu'ils ont fait. Je m'amusai , il y a
plus de vingt ans , à parcourir un Calendrier qui s'imprimoit à Paris , chez Louis
Josse , sous le nom d'Almanach spirituel :
Je trouvai qu'il y avoit bien des refléxions à faire sur les raisons qui ont pû
fixer certains choix qui paroissent avoir
été faits d'une maniere assès burlesque
et je ne craindrois point d'être désaprouvé par ceux qui composent les Confreries:
dont le saint Patron est mal choisi , si
j'osois entrer dans le détail de quelquesuns.
Il est vrai que toutes les Professions ,
Arts , et Etats n'ont pas le bonheur d'avoir des Saints qui ayent exercé ces Professions ; ou si des gens de bien les ont
exercées , ils n'ont pas ей , pour cela , la
gloire d'être canonizez. Il n'est pas de:
tous les Etats comme de celui des Medecins , qui , outre un S. Luc , ont encore
S. Côme et S. Damien. Il est des Artisans
de bien des especes : et tous n'ont pas l'avantage d'avoir comme les Orfévres
un Personnage qui se soit sanctifié dès le
temps auquel il exerçoit ce métier , comme a fait un S. Eloy. Mais il faut aussi
avouer qu'il y a des Etats et des Profes-
>
sions
1
JANVIER 1732: 2:3
و
sions qui ont fourni des Saints , ausquels .
cependant on ne pense pas davantage que
s'ils n'étoient jamais venus au monde ,.
des Saints dont il y auroit d'excellentes:
choses à dire en Chaire pour l'instruction:
des gens du même état si le choix du
Patron étoit fait avec un peu plus d'attention et de discernement. Qui empêcheroit , par exemple , les Marchands de
prendre pour Patron un S. Homebon
Marchand de la Ville de Cremone , les:
Laboureurs , un S. Isidore , qui a été Laboureur en Espagne , et les Vignerons ,
un S. Antonin de Sorrente en Italie
qui planta de ses propres mains une Vigne dont le Vin étoit si délicieux , qu'on
n'en présentoit point d'autre à tous les
Princes et grands Seigneurs qui passoient:
dans ce Pays-là.
"
و
Tout ce que j'ay dit jusqu'icy , Mon--
sieur , n'est que pour en venir à une Profession qui est très- remarquable dans nos
Eglises c'est, celle des Musiciens. Tant
de Saints ont chanté , comme eux , en Public les louanges du Seigneur , que le
nombre en est inexprimable. Il y a eû
aussi des Saints qui ont écrit sur le Chant
Ecclésiastique , d'autres qui ont sçû jouer
des Instrumens. Les uns ont perfectionné
le Chant ou la Musique dans la Specula- tion:
24 MERCURE DE FRANCE
tion : les autres y ont donné de nouveaux
accroissemens dans la Pratique. Tel Saint
fabriquoit lui-même des Instrumens de
Musique ; tel'autre donnoit des Regles
pour s'en servir. N'est-ce pas là ce que
font les Musiciens de nos jours ?
La chose étant ainsi , ils devoient donc
choisir pour leur Patron un Saint de quelqu'unes des especes que je viens d'indiquer. Mais au lieu de prendre ce party ,
et de se fonder sur une Histoire bien averée , ils se sont arrêtés à une Legende telle
qu'elle , et ils ont été déterminez à l'occasion d'un mot unique , dont ils n'ont
pas pris la peine de se donner l'intelligence. S'il est vrai que ce choix est proportionné aux lumieres qu'on avoit il y a
cent ou six-vingt ans , il ne s'ensuit pas
de là qu'il doive toujours subsister.
7
ya:
On ne peutgueres douter que les Musi--
ciens et les Chantres inferieurs des Eglises
Canoniales n'ayent été portez à se choisir
un jour de Fête , lorsqu'ils ont vû que
les autres Professions en avoient. Il y eut
untemps , comme tout le monde le sçait,
que les Prêtres (a) avoient pour Fête Patronale le jour de S. Jean l'Evangeliste
les Diacres le jour de S. Etienne , les Soû-
(a) Quelques Personnes assurent que dans les plus bas siécles les Prêtres ont choisi la Transfiguration
pour leur Fête Patronale.
diacres
JANVIER 173.2. 2*
diacres un autre jour voisin de la Fête de
Noël. Le reste du chœur se joignit appa
remment à ces derniers. Mais depuis qu'on
eût déclaré dans le XV. siécle une Guerre
ouverte à cette Fête du bas-Chœur , il y
eut du partage dans le choix du jour qui
passeroit pour la solemnité patronale. En
certains Pays on s'arrêta à S. Gregoire ,
Pape , en l'honneur duquel on trouvoit un Office propre tout noté dans les anciens Antiphoniers. En d'autres où l'on
ne pût goûter le choix de la S. Gregoire ,
parce qu'elle tombe en Carême , on choisit les 7. Freres Martyrs , Enfans de Ste
Felicité , par une raison assez frivole. (a)-
Quoiqu'il en soit , il n'y a gueres plus
de cent ans que les Musiciens , ou Chantres gagèz étoient partagez selon les Pays,
sur le choix de leur Fête Patronale , et
qu'ils reconnoissoient differensSaints pour
leurs Patrons. Dans la Flandre , où la Mu
sique a fleuri plus qu'en certaines autres
Provinces du Royaume , l'on ne connoissoit point encore Sainte Cecile pour Protectrice des Musiciens , il y a cent- cinquante ans. Si elle avoit été représentée
comme telle , et avec un Jeu d'Orgues ,
vers l'an 1580 , Molanus , célebre Doc
teur de Louvain , qui marqua dans le Li-
(4) Auxerre.
VIQ
26 MERCURE DE FRANCE
vre qu'il fit imprimer alors sur les Images , toutes les figures symboliques qu'on
ajoutoit aux Statuës des Saints , n'auroit
pas oublié Sainte Cecile ; cependant il ne dit pas un seul mot de cette Sainte : ce
qui est une marque qu'il ne l'avoit encore vûe représentée en aucun endroit.
Je mecrois donc assès fondé pour avan
cer que ce n'est que depuis un Siecle , ou ,
un peu plus , que les Musiciens se sont
réunis à choisir cette Sainse pour leur Patrone. L'Office propre qu'on chantoit
presque par tout en son honneur depuis
plusieurs siecles , aura gagné alors leurs
suffrages , et les aura déterminé à ce choix.
Ceux d'aujourd'huy croyent qu'il a été
fait avec tant de maturité et de déliberation par leurs Prédecesseurs , qu'il est
difficile de les en faire revenir. L'habi
tude dans laquelle ils sont , de voir Sain
te Cecile représentée avec un Jeu d'Or
gues , fait qu'iis continuent de croire
qu'elle étoit de la Profession , ou au moins
qu'elle aimoit les Instrumens musicaux
cependant , à considerer les choses dans
leur origine , on reconnoîtra que ce Jeu
d'Orgues n'a été ajoûté aux figures de
cette Sainte , que depuis que les Musiciens se sont mis sous sa protection. C'est
ainsi qu'ils prennent l'effet pour la cause
et la cause l'effet.. pour Je
JANVIER 1732. 27
Je ne vous diray pas en quelles Provinces ce choix a d'abord été fait. Il y a
apparence que c'est en Italie. Les honneurs qu'on prétend rendre à Sainte Cecile par la Musique , y sont même poussez jusqu'à un point qui pourra vous réjouir. Dans une Ville de cette vaste partie de l'Europe , l'une des Eglises Paroissiales porte le nom de Sainte Cecile. Le
Clergé n'en est pas fort nombreux , par
ce qu'il y a dans la même Ville cinquante-cinq autres Paroisses, Une Personne
grave qui m'a honoré de son amitié dans
sa vieillesse , m'a dit qu'elle entra dans
cette Eglise l'an 1669. à son retour de
Rome : c'étoit un Dimanche au soir !
Elle y trouva le Curé qui disoit Vêpres.
tout seul : mais le son de sa voix étoit
admirablement secondé par un grand
nombre de petits Oiseaux qui faisoient
dans la Tribune des Orgues un gazoüillement très agréable. S'étant informé de
Forigine de cette Musique , on lui dit
que ces Oiseaux étoient nourris là comme
dans une Voliere , où ils faisoient un con--
cert jour et nuit pour honorer Sainte Cecile , et que la Paroisse n'ayant pas assès.
de revenu pour y faire chanter l'Office
excepté le jour de la Fête Patronale , on
se contentoit durant le reste de l'année
·
des
28 MERCURE DE FRANCE
des services de ces petits Musiciens. Vous
pouvez croire qu'en dédommagement , il
n'y a rien d'épargné le 22 Novembre
et que tous les Enfans de Sainte Cecile.
tiennent à honneur de se réunir ce jour- là.
dans ce lieu.
On est persuadé en Italie plus qu'ailleurs , de la verité de tout ce que les
Legendes du Beviaire renferment ; et Tes
Musiciens qui ne se picquent pas d'être
grands Critiques en fait d'Histoire , s'en
rapportent volontiers à la croïance de ceux
qui les ont éleveż . Soit que ce soit en Italie, ou dans les ProvincesMeridionnales de
la France que le choix ait été fait d'abord
de Sainte Cecile pour Patrone des Musiciens , il est constant qu'il est très - mak
fait. Je ne songeois à rien moins qu'à vous
prier de rendre publique cette Lettre lorsque l'on m'a fait voir une Lettre circulaire , imprimée en forme d'Affiche de la.
part du Maître de Musique de l'Eglise
Cathédrale du Mans , par laquelle tous
les Musiciens du Royaume sont invitez.
àmettre en Musique les paroles jointes à
cette Lettre, destinées à servir de Motet
à la Messe solemnelle de la Fête de Sainte
Cecile. Et comme si le sujet étoit le plus
heureux du monde , on y ajoûte les mêmes clauses et conditions qui sont ordi- nairement
JANVIER 1732. 29
,
nairement proposées pour les Pieces d'Eloquence ou de Poësie qui subissent l'éxamen de differentes Académies , établies
dans le Royaume et qui sont honorées
d'un prix de conséquence. La Piece Mu- sicale sera examinée : ( on ne dit pas par
qui:) et celle qui sera trouvée la meilleure dans le genre de Musique qu'on demande , sera chantée préferablement aux
autres dans l'Eglise du Mans , et l'Auteur
sera récompensé d'une Croix d'or. J'ay
appris aussi que dans l'Eglise d'Evreux ,
et dans les autres de Normandie on a fait
dans le siécle dernier quelque chose de
semblable ; au moins on en produit des
Programmes ou Avis imprimez en 1667.
et 1668. Et encore de nos jours a Evreux,
lorsqu'il arrive qu'un Maître de Musique
qui a du renom , s'y rend au 22 Novembre , pour faire chanter une Musique de
sa façon à la Fête de Sainte Cecile , on lui
fait present d'une Médaille d'argent , qui
représente d'un côté l'image de cette Ste.
et de l'autre les Armes du Chapitre.
que
Sainte Cecile étant ainsi devenue le sujet des Chef- d'œuvres de Musique , on ne peut pas attendre l'effet du maumais choix se manifeste plus évidemment,
et il paroît que le temps est venu de combattre le fondement de ce choix.
Comme
30 MERCURE DE FRANCE
,
Comme toutes choses sont sujettes à
vicissitude sur la terre et que tous les
jours on avance dans la connoissance de
l'Histoire on a découvert que le choix
de Sainte Cecile pour Patrone des Musiciens n'est appuyé que sur un fondement
ruineux , c'est-à- dire,sur des Auteurs qui
attribuent à cette Sainte des faits qu'il
leur a plû d'imaginer pieusement , ou sur
un texte historique mal entendu , et pris
àcontre-sens , en cas qu'il soit veritable ;
et c'est ce qu'il est besoin de développer.
Que disent sur la Legende de cette Sainge
les Historiens réconnus pour les plus éclairez de nos jours ? M. de Tillemont (1) déque les contradictions qui se trou- cla
dans
ses
Actes
, en
donnant
une
idée
vent
assès désavantageuse , qu'ils ne sont composez que de Miracles extraordinaires ,
et d'autres choses qui ont peu d'apparence
de verité que , quoiqu'ils soient assès
anciens pour avoir été vûs par le vénérable Bede , il ne croit pas , cependant ,
qu'il y ait moyen de les soutenir. Le Pere
Garnier , Jesuite , dont on a quelques ouvrages sur l'antiquité Ecclésiastique , qui
sont fort estimez , combat ces Actes pat
l'endroit du Prefet Almaque , dont ils
font mention , outre plusieurs autres fau
(1)Tom. III. Hist. Eccl. p. 689.
tes
JANVIER 1732. 31
4
›
tes dont il reconnoit qu'ils sont pleins
M. Baillet (1 ) assure qu'ils n'ont presque
aucune autorité , qu'ils sont difficiles à
soûtenir dans presque toutes leurs cirConstances soit pour les temps et les
dieux , soit pour les grands Discours et les
grands Miracles qu'ils contiennent. Il est
Vrai que dans un autre endroit ( 2 ) il dit
que ces Actes n'ont rien de choquant ou
de scandaleux dans ce qu'ils ont d'incroyable mais il ajoûte aussi- tôt qu'ils
n'ont rien d'authentique dans ce qu'ils
paroissent avoir de plus noble. Le Public
peut croire par avance , que le jugement
des sçavans Bollandistes ne se trouvera pas
beaucoup different lorsque le temps sera
venu qu'ils seront obligez de s'expliquer on peut même , sans trop hazarder , conclurre de ce que leurs Prédéces
seurs ont dit au 14 Avril , sur S. Valerien
et S. Tiburce , et au 25 Mai , sur S. Urbain , que ceux de leurs Confreres à qui
il appartiendra , de traiter les Saints du
22 Novembre , ne s'éloigneront pas extrêmement de ce qu'a dit le Pere Garnier ,
et même il peut se faire qu'avec le temps
il leur vienne de nouvelles lumieres pour
impugner encore plus fortement les Actes
(1)Table critique du 22 Nov.
>
(3) Au 22 Novembre
9
de
2 MERCURE DE FRANCE
de Sainte Cecile , et les faire abandonner generalement.
و
C'est donc le peu de fond qu'il y a à
faire sur cette piece , qui a porté les Evêques , qui ontfait réformer leurs Breviaires à en rétrancher cette Legende. Il y en
a qui n'ont assigné à Ste Cecile aucune
Leçon propre , et qui ont tout renvoyé
au commun ou l'ont réduit en simple
commemoration, comme on vient de faire
à Langres. D'autres ont permis qu'on inserât à Matines un Fragment du Sacramentaire de S. Gregoire , où il est dit simplement que Cecile a été fortifiée par la
grace de Dieu , de maniere que rien n'a
pû ébranler sa foy et sa vertu , ni le penchant de l'âge , ni les caresses du siecle ,
ni la foiblesse du sexe , ni la cruauté des
tourmens , cet Eloge n'ayant pû fournir
qu'une seule Leçon fort courte , c'est ce
qui a été cause que l'Office du 22 Novembre a été réduit à trois Leçons , dont deux
sont de la Sainte Ecriture. Par là toutes
les Antiennes et Répons propres qui
étoient dans les Antiphoniers precedens ,
ont été rejettez , et par conséquent l'AntienneCantantibusOrganis ôtée de l'Office.
Or comme il n'y avoit que cet endroit de
la prétendue Histoire de la Sainte , qui ,
après bien des siecles , avoit déterminé.
les
JANVIER 1732. 33
les Musiciens et Joueurs d'Instrumens à
la choisir pourPatrone ; il est bon de faire
quelques refléxions dessus , afin d'en montrer la foiblesse , et de faire voir que ,
quand même il seroit bien averé , il prou
veroit seulement qu'il y avoit autrefois
des Instrumens de Musique dans les nôces
chez les Romains , ce que personne ne
revoque en doute , et qui n'a nulle liaison
avec l'usage qu'on a fait de ce Texte.
:
Ce Texte dit donc simplement que Cecile fut promise à un jeune homme appellé Valerien que le jour des nôces étant
venu , elle parut vêtuë d'habits éclatans -
en or , par dessous lesquels elle portoit le
cilice que les Instrumens de Musique
faisoient retentir dans la Salle où étoit le
lit nuptial toutes sortes d'airs convenables
à une telle conjoncture ; mais que Cecile ,
sans y faire attention , ne s'appliquoit interieurement qu'à Dieu seul , à qui elle disoit du fond de son ame : » Seigneur, que
» mon cœur et mon corps soient conser-
» vez sans tâche , afin que je ne sois pas
» confondue. Cujus Dei ) vocem audiens
Cecilia Virgo clarissima absconditum semper
Evangelium Christi gerebat in pectore ..
Dominumfletibus exorans , ut virginitas ejus
ipso conservante inviolata permaneret. Hac
Valerianum quemdamjuvenem habebat spon
C SU
34 MERCURE DE FRANCE
sum : qui juvenis in amore virginis perur
gens animum diem constituit nuptiarum.
Cecilia verò subtus ad carnem cilicio induta , desuper auratis vestibus regebatur. Parentum verò tanta vis et sponsi circa illam
erat exæstuans , ut non posset amorem cordis
sui ostendere , et quod solum Christum diligeret indiciis evidentibus aperire. Quid multa ? Venit dies in quo thalamus collocatus est.
Et cantantibus organis , illa in corde suo soli
Domino decantabatidicens : Fiat cor meum et
corpus meum immaculatum , ut non confundar ; et biduanis ac triduanis jejuniis orans
commendabat Domino quod timebat. Invita
bat Angelos precibus , lachrymis interpellabat Apostolos , et sancta omnia Christo famulantia exorabat , ut suis eam déprecationibus adjuvarent suam Domino pudicitians
commendantem. (a)
Après avoir ainsi exposé l'endroit des
'Actes de Ste. Cecile , qui a déterminé le
choix des Joueurs d'Instrumens et des
Musiciens , je puis conclure hardiment
que cette Sainte n'a été choisie par eux
pour Patrone que parce qu'on lit que
forsqu'il fut question de la marier , il y
avoit des Instrumens àla Fête. De sorte
que , sans faire attention que l'Histoire
de cette Sainte , telle qu'elle est , la repré
(a) Je tire ce Texte d'un Manuscrit de 600 ans.
sente
JANVIER 1732. 5
2
sente comme mariée malgré elle , et comme ayant une répugnance marquée à entendre toute cette mélodie , et songeant
plutôt aux choses spirituelles , on la prend
pour la Protectrice des Symphonies et des
Concerts qui se font au moins avec autant
d'appareil que celui qui , selon les mêmes
Actes paroissoit lui être à charge. En
effet , le langage de l'Historien laisse
penser qu'il en étoit de la Musique à son
égard , comme des beaux habits dont elle
étoit parées et c'est avec raison qu'il prétend faire son Panegyrique , lorsqu'il dit
qu'elle n'avoit pas plus d'attache à l'un'
qu'à l'autre. Une legere attention sur ce contraste suffit , ce me semble › pour dé
tromper bien des gens , touchant la justesse prétendue du choix fait par les Mu
siciens. Ce n'étoit pas un Privilege particulier à Ste. Cecile , d'avoir des Joueurs
d'Instrumens à ses nôces : c'étoit la coûtume de son temps , comme ce l'est encore aujourd'huy. Il n'y a gueres de Saints
parmi ceux qui ont été mariez , qui ne
se soient peut-être trouvez dans de sem
blablescirconstances. Pourquoi donc choisir plutôt Sainte Cecile qu'une autre ?
Est-ce à cause que la Musique des Instrumens a paru lui déplaire , ou au moins nè
faire aucune impression sur ses sens ?
Cij
36 MERCURE DE FRANCE
:
Je prévois bien , Monsieur , que mes
reflexions ne feront pas plaisir à un grand
nombre de Musiciens. Etant accoutumez
à juger de la verité et de l'antiquité des
choses , parce qu'ils en voyent de leurs
jours , ils diront que le choix de Ste. Ce-.
cile pour Patrone de leur Profession , ne
peut être que bon et ancien , puisqu'il est
si étendu, J'avoue qu'il n'est que trop
étendu mais aussi il faut convenir qu'il
a été fait dans un temps où l'on tenoit
pour véritables les Actes qui portent son
nom , et où l'on croyoit qu'un seul mot dans l'Office , pourvu qu'il eût rapport
à la Musiquede loin ou de près , directement ou indirectement , suffisoit pour se
fixer et s'arrêter. Dispensez - moy d'entrer
en explication de certaines autres Professions qui n'ont pas été plus heureuses , cr
de vous citer l'origine du choix d'un
grand nombre deConfreries. Après tout ,
quoique les Actes de Sainte Cecile soient
faux , la Sainte n'en est pas moins réelle
et veritable. Quoiqu'on ne sçache point
même en quel Pays elle a été martyrisée ,
et qu'il soit incertain si c'est à Rome ou
dans la Sicile , il n'en est pas moins constant que cette Sainte est une veritable
Martyre. Et puisque son nom est dans le
Canon de la Messe il en faut conclure
qu'elle
JANVIER 1732. 3
qu'elle est une des plus anciennes Martyres de l'Eglise Romaine. C'est tout ce
qui peut faire son Eloge , sans que pour
cela la Musique doive s'y interesser plus
qu'à une autre Sainte , par les raisons peremptoires que j'ai apportées.
En abandonnant le choix qui a été fait
si mal- à-propos dans ces derniers temps ,
il est nécessaire de le remplacer par quelque autre Saint qui puisse être proposé
avec fondemens au Corps des Musiciens ,
et à leurs aggrégez. On se fatigueroit en
vain à chercher pour cela un Saint de la
premiere antiquité ; puisque la Musique
dans le sens qu'ils veulent qu'on l'entende,
est assez nouvelle dans l'Eglise. Il seroit
question de découvrir l'introduction des
Instrumens dans l'usage des Offices Divins , et de trouver quelque saint personnage qui se soit plû à en jouer, Le siécle
de Charlemagne fournit un S. Arnold
du Duché de Juliers : mais la Profession
de simple Joueur de Violon qu'il exerça ,
n'est pas proportionnée à tout ce que la
Musique renferme. En descendant quelques siécles plus bas , on trouve un Saint
Dunstan , Archevêque de Cantorbery
en Angleterre. Les Auteurs de sa vie le
représentent comme un Personnage qui
se plaisoit dans sa jeunesse à jouer de toute
Ciij sorte
38 MERCURE DE FRANCE
sortes d'Instrumens , du Psalterion , de la
Guitare , des Orgues , et toujours pour
les louanges de Dieu. Quamvis omnibus :
artibus Philosophorum magnificè polleret ,
ejus tamen multitudinis qua. Musicam instruit , eam videlicet que Instrumentis agitatur speciali quadam affectione scientiam vindicabat , sicut David Psalterium sumens ,
Citharam percutiens , modificans Organa 2,
Cymbala tangens. (a ) Et plus bas ils rapportent , que lorsque Athelme , Archevêque de Cantorbery , l'eût produit auprès du Roy Ethelstan , ce fut sa parfaite´
habileté à jouer de tous les Instrumens
qui lui concilia l'amitié du Roy et de
toute la Cour. Cum videret Dominum Regem secularibus curis fatigatum , psallebat in.
Tympano , sive in Cithara , sive alio quolibet musici generis Instrumento : quo facto
tam Regis quam omnium corda Principum
exhilarabat. Et afin que par le mot Psallebat, on ne puisse entendre des Airs profanes , il est dit un peu plus haut du même
Saint : Sicut David ergo noster symphonista Vasa cantici habuit , quia usum illorum nonnisi in divinis laudibus expendit.
Mais si l'on ne veut point recourir à
P'Angleterre pour y choisir un Saint Protecteur de la Musique , et si l'on est
(a) Osbernus seculo V. Benedictino.
bien
JANVIER. 1732. 39
bien aise de ne pas déplacer la Fête des Chantres de la saison où elle se trouve
aujourd'hui , on peut prendre un Saint
de notre France qui est assez celebre
dont la Fête arrive le 18. Novembre , qui
est le jour auquel il déceda à Tours l'an
942. C'est S. Odon. Il avoit eu à Paris
pour Maître de Musique le fameux Remi
d'Auxerre cet homme generalement
versé en toute sorte de sciences. Il avoit
appris sous lui à connoître les differentes
combinaisons des harmonies , consonantes , affinales , &c. par le moyen du monocorde qui servoit alors à instruire les
Commençans ; et il devint par la suite si
habile dans la Musique Ecclesiastique
qu'il fut jagé digne d'être Grand- Chantre de l'Église de Tours ,où il composa
plusieurs Pieces de Chant. Il est vrai qu'il
ne resta point dans cet état ; s'étant fait
Religieux il devint Abbé de Clugny ;
mais il aima toûjours les mélodies Ecclesiastiques , et il en composa jusqu'à la fin
de sa vie. Ce Saint appartient plus parriculierement à l'Eglise de France , puisqu'il a été Membre d'une des plus illustres Eglises du Royaume, ( a) où l'on s'est
toûjours appliqué à faire l'Office avec
majesté.
(a)Tours.
Ciiij Quelque
40 MERCURE DE FRANCE
Quelque Musicien versé dans l'Histoire , pourra dire , que puisqu'il est à
propos de se départir du mauvais choix
fait de Sainte Cecile , il vaut autant que
dans chaque Pays les Musiciens ou Chantres de profession se choisissent un saint
Patron particulier , et que peut être se
trouvera t'il peu de Provinces où il n'y
ait des Saints qui ont été amateurs du
Chant , ou qui ont eû quelque rapport
avec l'exercice de cette Science. Je ne
parle point de l'Eglise de Lyon , où l'on
connoît un S. Nicier , Evêque , qui s'est
distingué dans le Chant Ecclesiastique et
qui même l'a enseigné à de jeunes enfans ; cette Eglie peut bien celebrer une
Fête de Chantres de Plain- Chant , mais
non pas de Musiciens , parce qu'elle n'en
a jamais admis dans le sens qu'on entend
aujourd'hui le nom de Musiciens. L'Eglise de Clermont a eu un S. Gal et un
S.Priet, Evêques, qui ont cultivé particu
lierementla science du Chant, excités par
l'avantage qu'ils avoient d'être doüez d'une belle voix. L'Eglise de Paris a eû aussi
pourPrélat unSaint qui pourroit très - bien
être choisi pour Patron de la Musique de
cette Capitale du Royaume ; c'est S. Germain. Le Poëte Fortunat , qui a écrit son
Eloge en Vers, fait une description si pompeuse
JANVIER 1732. 4.I
peuse de de la maniere dont on celebroit
Office dans son Eglise Cathedrale, qu'on
diroit que ce Saint y auroit établi le contrepoint et le Faubourdon , quoique cela ne
soit pas. Il est seulement vrai de dire qu'il
anima le Chant , et qu'il le regla. Mais
puisque ce sont les mouvemens que se
donnent des Particuliers de l'Eglise du
Mans qui m'excitent à vous écrire , ne
peut- on pas leur dire qu'ils cherchent
bien loin ce qu'ils ont chez eux- mêmes.
Ils ont, en effet, S. Aldric, qui de Préchantre
de l'Eglise de Metz , fut fait leur Evêque
au neuviéme siecle. Il n'étoit point de
ees Préchantres simplement porteurs de
Bâton et de Chappe ; l'Histoire de sa Vie
publiée au troisiéme Tome des Mélande M. Baluze , dit de lui ges dès sa que
jeunesse : Cantum Romanum atqu: Grammaticam sive divine scripture seriem bumiliter discere meruit , quibus pleniter atque
doctissimè instructus est ; il semble qu'un
Evêque du Mans qui est Saint , et qui a
sçû parfaitement le Plain- Chant , ayant sqü été Moderateur du Chœur d'une celebre
Eglise , mériteroit mieux que Sainte Cecile d'être le Patron des Chantres et des
Enfans- de-Chœur de l'Eglise du Mans ,
puisque c'est un Personnage à qui l'on
peutappliquer à la lettre ce Passage de l'E CY criture
42 MERCURE DE FRANCE
criture, où il est dit de David : Stare fecitCantores contra altare et in sono eorum dulces
fecit modos. (a) Ce Texte est clair et sans .
obscurité. Il n'en est pas de même du
Passage des Actes de sainte Cecile. Quand
même ces Actes seroient veritables , les
Musiciens auroient tort de croire sur le -
simple fondement de ce qui y est contenu , qu'il y auroit eû des Orgues dans
le sens que nous l'entendons à la Fête
de son Mariage ; parcequ'il est indubitable qu'Organa dans l'antiquité signifie un
assemblage de plusieurs sortes d'Instrumens. Mais n'est-ce pas agir d'une maniere insupportable , et abuser visible--
ment des Orgues d'aujourd'hui , que de mettre cet Instrument entre les mains
de sainte Cecile ? C'est vouloir tromper
les Peuples de gayeté de cœur , et abuser
dela crédulité des simples , que de la répresenter en faction devant un Clavier
Il me paroît que c'est prétendre leur
persuader cette Sainte est bienchoisie
queen supposant comme
pour Patrone
vrai , ce qui cependant est faux ; sçavoir ,,
qu'elle faisoit métier de toucher de cet
Instrument , tandis que c'est tout le contraire, et que le Jeu d'Orgues n'a été
joint à la figure que pour marquer que
(*) Ecclesiastici , Cap. 47. ¥. 11.
les
JANVIER. 1737. 43
1
lés Musiciens l'ont choisie pour leur Protectrice. Ce n'est pas le choix qui supose
les Orgues; ce sont les Orgues qui présupposent le choix, et qui en sont le signe
et la marque. Dans les Chroniques Latines , imprimées in folio , à Nuremberg,
l'an 1493. avec des figures ; sainte Cecile
est representée avec un peigne de fer à
la main. Il peut se faire que cette Sainte
ayant été représentée de la même maniere
sur quelques murailles ou sur quelque vitrage , l'on ait pris par la suite cet Instrument de martyre pour un Jeu d'Orgue.
On se méprend quelquefois plus grossierement à des Peintures , losrqu'elles sont
à demi effacées. Tout-au- plus ce qui éoit
permis depuis le choix fait par les Mu--
siciens , étoit de représenter un Jeu d'Orgue aux pieds de sainte Cecile , de la
maniere qu'on mer quelquefois des Ar--
moiries ou des Hieroglyphes sous certai
nes statuës. Mais ce qui auroit été convenable , pour couper court , eût été
de laisser sainte Cecile au Monastere de
Filles avec les Agnès , les Luces et les
Agathes , et que les Musiciens eussent
porté leur dévotion particuliere vers un
Saint , sans craindre que la Sainte leur
fût moins propice. Il ne tiendra qu'à eux
de le faire après tout ce que j'ai dit sur
Cvj 121
44 MERCURE DE FRANCE
la fausseté des Actes qui portent son
nom, et sur l'incongruité du choix , quand
même ces Actes seroient veritables. Il
né dépendra que d'eux de s'attacher à
un Saint qu'ils puissent veritablement regarder comme le prototype ou le modele
de leur Profession. Je me suis contenté
d'en indiquer quelques-uns , sans prétendre avoir épuisé tous ceux que l'Histoire
Ecclesiastique pourroit fournir. Je passe
sous silence le peu de solidité qu'il y auroit de choisir S. Vincent Martyr , précisement à cause que dans le Verset d'un
des Répons de son Office on lit : Dantur
ergo laudes Deo Altissimo , et resonante Organo vocis Angelica modulata suavitas
procul diffunditur , ou de s'arrêter à sainte
Ysoïe ou Eusebie , Abbesse d'Haimage en
Flandres , dont il est écrit qu'elle regne
dans le Ciel : Ubi organizans canticum
immaculatum sponsum Agnum sequendo tripudiat. Le peu de fondement de ce choix
sauteroit aux yeux , et je ne crois pas que
jamais on y pense.
Au reste , je ne me déclare point ennemi de la Musique ni des Instrumens.
Tant s'en faut ; je puis dire comme le
Cardinal Bona : Et Musicam amo , et pu
det me plerosque Ecclesiasticos viros totius
vita cursu in cantu versari ; ipsum verò
cantum
JANVIER 1731. 45
cantum ( quod turpe est ) ignorare. (a) J'ai
me la Musique , j'aime le Plain-Chant
j'aime ceux qui s'y connoissent veritablement ; mais je demanderois volontiers à
toute l'Ecole de sainte Cecile un secret
pour empêcher de jamais parler de ces
matieres-là et de s'ériger en Maîtres de
Psalmodie , ceux qui ne peuvent et ne
pourront jamais distinguer un semi-ton
d'avec un ton , ainsi qu'ils le font voir
en plein Choeur par une triste experience
de tous les jours ; et je m'en rapporte à
vous , Monsieur , pour décider s'ils na
sont pas dans le même cas que ces Doc.
teurs en Lecture , qui ne sçauroient distinguer une lettre voyelle d'avec une
lettre consonne. Ce ne sont pas là , Monsieur , les Chantres de l'Eglise Chrétienne, dont je serois prêt de faire l'Apologie ; mes Argumens en faveur de la
Musique , sont toûjours pour appuyer
des sujets qui lui font plus d'honneut.
Si on entreprenoit de bannir ceux cy de
nos Eglises et d'en exclure toute sortę
de Musique , je serois le premier à m'y
opposer, en représentant que dans toutes les choses établies au vû et au sçû des
Superieurs, il nefaut retrancher que ce qui cst devenu abusif. Mes raisonnemens donc
(a)De div. Psalmedia , Cap. 17. §. 3. Num. 1.
contre
45 MERCURE DE FRANCE
contre la Confrairie de sainte Cecile , ne
doivent pas être suspects : ce n'est que
pour le mieux , que j'exhorte ceux qui
s'y sont enrôlez , à considerer le deffaut
qui est dans leur choix ; afin que si dans
quelque Ville du Royaume ils sont heureusement d'assez bon goût pour y
choisir
un autre Patron , en même temps qu'on y
réforme le Breviaire , la justesse de leur
nouveau choix puisse ensuite s'étendre ailleurs de la même maniere que l'incongruité de l'ancien s'étoit fait place à la
faveur de la fable et de la fiction. Je
suis , & c.
Ce Samedy 20. Octobre, Fête de Saint
Aderald , Chanoine de votre Eglise.
Fermer
Résumé : LETTRE de M*** à M. H. Chanoine de l'Eglise Cathedrale de *** sur le choix que les Musiciens ont fait de Ste Cecile pour leur Patronne.
La lettre de M*** à M. H. Chanoine de l'Église Cathédrale de *** examine le choix de Sainte Cécile comme patronne des musiciens. L'auteur souligne que chaque profession devrait choisir un saint patron dont les vertus sont exemplaires et dont la fête est célébrée avec respect. Cependant, il critique certains choix de saints patrons faits de manière burlesque ou sans discernement. L'auteur mentionne que certaines professions, comme les médecins, ont des saints patrons bien définis, tandis que d'autres, comme les marchands, les laboureurs et les vignerons, pourraient bénéficier de saints patrons plus appropriés. Il note que les musiciens ont choisi Sainte Cécile en se basant sur une légende plutôt que sur des faits historiques avérés. Cette adoption remonte à environ un siècle et a été influencée par un office propre en son honneur et par des représentations iconographiques. La lettre critique ce choix, affirmant que les légendes sur Sainte Cécile sont remplies de miracles extraordinaires et de faits peu crédibles. L'auteur cite des historiens comme M. de Tillemont, le Père Garnier et M. Baillet, qui remettent en question l'authenticité des actes de Sainte Cécile. Il suggère que le choix de Sainte Cécile comme patronne des musiciens devrait être réévalué à la lumière des nouvelles connaissances historiques. Le texte discute également des réformes des bréviaires, où la légende de Sainte Cécile a été retirée, certains lui attribuant une simple commémoration ou une leçon courte. L'Office du 22 novembre a été réduit à trois leçons, dont deux tirées de la Sainte Écriture, entraînant la suppression des antiennes et répons propres, y compris l'antienne 'Cantantibus Organis'. L'auteur critique la représentation de Sainte Cécile avec un orgue, instrument qu'elle n'a jamais joué, et suggère de remplacer Sainte Cécile par d'autres saints plus appropriés, comme Saint Dunstan en Angleterre ou Saint Odon en France, qui avaient une réelle connexion avec la musique. Il mentionne également d'autres saints potentiels, comme Saint Nicier à Lyon, Saint Gal et Saint Priet à Clermont, et Saint Germain à Paris. L'auteur conclut en suggérant que les musiciens du Mans pourraient choisir Saint Aldric, un évêque connu pour son expertise en plain-chant, comme patron.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 86-101
Réflexions de M. le Marquis de Lassé, mort en 1738.
Début :
On entend dire sans cesse qu'on devroit permettre à la Noblesse de trafiquer [...]
Mots clefs :
Noblesse, Gouvernement, Dignités, Homme, Guerre, Évêque, Armes, Église, Profession
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Réflexions de M. le Marquis de Lassé, mort en 1738.
Réflexions de M.le Marquis de Laffe ,
mort en 1738.
Nentend dire fans ceffe qu'on devroit
permettre à la Nobleffe de trafiquer
comme en Angleterre.
Qu'on eft moins heureux fous le Gouvernement
préfent & dans le fiécle où nous
vivons , que l'on n'étoit autrefois.
Que le bien eft préférable aux dignités.
Qu'il faudroit retrancher le luxe.
Et que la condition des gens d'Eglife eft
plus heureufe que celle des hommes qui
fuivent la profeffion des armes.
Pour moi je penſe fort différemment fur
tous ces articles.
I.
que
La Nobleffe fournit un nombre infini
d'Officiers , en quoi confifte la plus grande
force de nos armées ; car les foldats des
autres nations font du moins auffi bons
les nôtres , & plus endurcis au travail ; &
c'eft cette Nobleffe qui nous a tant de fois
donné la fupériorité fur nos ennemis , &
qui a fauve la France dans les tems les plus
malheureux . Il n'y a qu'à lire notre hiftoire
pour en être inftruit.
DECEMBRE. 1754. 87
Les Gentilshommes animés par l'exemple
de leurs peres , & élevés dès leur enfance
à n'efperer ni bien ni confidération
qué par la guerre & les périls , y portent
toutes leurs penfées ; on ne leur parle d'autre
chofe , & ils fe forment prefqu'en naiffant
à cette valeur dont ils doivent tout
attendre .
Si on leur ouvre une autre porte , & fi
le commerce leur eft permis , ils fuivront
aifément une route bien plus facile &
moins périlleufe , qui les tirera de la pauvreté
où ils font , & leur donnera des richeffes
aifées à acquerir , qui leur fourniront
toutes les commodités & tous les plaifirs
que les hommes recherchent avec tant
de foin. Que n'avoit pas déja fait fur eux
le tems du fyftême du papier , quelque
court qu'il ait été ? C'eft un exemple qu'on
ne doit jamais oublier .
Les peres qui auront commencé ce genre
de vie , y éleveront leurs enfans , & en
peu de tems on verra difparoître cet efprit
guerrier qui a toujours diftingué la Nobleffe
Françoife , & on n'aura plus que des
négocians à la place de ces braves foldats ,
tant vantés dans tous les tems .
Si ce malheur arrivoit , les conféquences
font aisées, à tirer ; & il n'eft pas diffi ile
dejuger ce qu'il en coûteroit à la France ,
88 MERCURE DE FRANCE.
qui eft un Royaume établi par les armes ,
& qui eft fitué de façon qu'il ne ſe peut
foutenir que par ces mêmes armes qui
l'ont fondé.
II.
On fe plaint fans ceffe & du Gouverne
ment & du fiécle dans lequel nous vivons :
il n'y a qu'à lire notre hiftoire & les autres
pour connoître qu'il n'y en a jamais eu
où l'on ait été fi heureux , où le Gouver
nement ait été plus doux , où les hommes
ayent été moins méchans , & où il fe foit
commis moins de crimes.
Songeons aux tems où les particuliers
fe faifoient la guerre les uns aux autres ,
où l'on n'étoit en fûreté ni dans les grands
chemins ni même dans fa maifon , où il
falloit marcher armé & s'enfermer dans
des grilles & dans des foffés. Rappellonsnous
les guerres des Anglois , le malheureux
regne de Charles VI , les troubles des
Huguenots , la Saint Barthelemi , deux Rois
affaffinés , & tous les chefs de l'un & de
l'autre parti égorgés , le poifon , les meurtres
, les duels , les affaffinats fi communs ;
les Seigneurs érigés en tyrans dans les provinces
, & nos dernieres guerres civiles ;
& comparons ces tems-là avec celui - ci
toutes ces horreurs avec la tranquillité
DECEMBRE . 1754 89
dont nous jouiffons & dont nous avons
joui depuis le regne de Louis XIV , qui a
rétabli l'ordre & la fûreté par- tout ; & jugeons
après fi nous avons lieu de nous
plaindre ; fi les maux qui nous font crier
peuvent être mis en comparaifon avec des
malheurs fi effroyables .
Les moeurs s'adouciffent même par- tout ;
les Turcs ne font plus fi cruels , ni les
Mofcovites fi barbares . Les Grands Seigneurs
ne font plus mourir leurs freres ,
& les arts & la politeffe s'établiffent parmi
les Mofcovites.
Le feu Roi d'Angleterre , le Prince
d'Orange & Tekeli font morts dans leur
lit ; & cependant quel intérêt n'avoit - on
pas à s'en défaire ?
III.
On entend dire tous les jours que le
bien eft préférable à tout , & qu'il n'eft
queftion que d'en avoir . Je fuis perſuadé
que cela n'eft pas vrai ; je ne dis pas qu'on
ne tire de grands avantages des richeffes ,
mais on en tire de bien plus grands d'une
illuftre naiffance & des dignités.
Dès qu'on a affez de bien pour avoir
Toutes les commodités de la vie , le furplus
* Jacques II.
90 MERCURE DE FRANCE.
n'eft néceffaire que pour nous donner de la
confidération , & on ne fçauroit nier que
celle qu'on a pour un homme diftingué
par fa nobleffe & par fes dignités , ne foit
bien plus grande que celle qu'on a pour
un homme riche. De plus , il n'y a rien
où le premier ne puiffe prétendre s'il a du
mérite , tous les chemins lui font ouverts ;
au lieu qu'ils font fermés à celui qui n'a
des richeffes fans naiffance : il eft arque
rêté par tout , quoiqu'il ait du mérite , il
effuye des dégoûts en cent occafions , & il
femble même à un homme de qualité qu'il
lui fait trop d'honneur d'aller chez lui , &
de manger fon bien ; il lui paroît qu'il y a
un droit , & qu'il n'en doit avoir que
pour lui prêter ; s'il ne le fait pas , il s'en
plaint hautement , & parle de lui avec
mépris .
Bien loin qu'on ne fafle
affez de cas
pas
de la naiffance en France , comme on le
dit à tous momens , il est certain qu'on
en fait plus qu'on ne devroit , & qu'elle
donne de trop grands avantages fur le mérite
perfonnel.
Autre difcours fort ordinaire & trèsfaux.
On dit que lorfqu'on fe trouve à
portée d'obtenir des graces , il ne faut
fonger qu'à avoir du bien ; c'eft un abus :
il faut fans balancer préferer les dignités
DECEMBRE. 1754
eft
au bien , car il eft certain que les dignités
l'attireront dans la fuite. La Cour
quafi engagée , & ne peut plus vous donner
qué des chofes confidérables , au lieu
que le bien fans dignité vous éléve fort
peu , & fe diffipe promptement.
IV.
Perfonne ne difconvient qu'il n'y a rien
de plus néceffaire à un Etat que la circulation
de l'argent , qui fans cette circulation
demeureroit dans le fond des coffres ,
auffi inutile que s'il étoit encore dans le
centre de la terre ; & le luxe eft le moyen
le plus fimple & le plus aifé pour faire repaffer
l'argent des riches aux pauvres ,
puifque ce moyen eft volontaire , & même
agréable.
Les maisons magnifiques que les Seigneurs
& encore plus les gens d'affaires
font bâtir , ornent le Royaume , &
font retourner l'argent à toutes fortes d'ou
vriers qui y font employés. Les meubles ,
les carroffes , les étoffes , les dentelles , &
mille autres ajuftemens inventés par les
Marchands , font vivre une infinité de
gens ; & les Dames qui donnent avec plaifir
cent piftoles pour une garniture de
dentelles qui font faites par de pauvres
2 MERCURE DE FRANCE.
femmes & par de pauvres filles , ne leur
donneroient certainement pas cet argent
par charité. Il est même plus utile que ce
foit le prix de leur travail que fi on les laiffoit
dans l'oifiveté.
Il y a encore une raiſon particuliere pour
la France : comme fes peuples font les plus
induftrieux de l'Europe , toutes les nations
y viennent chercher leurs modes , & quantité
de chofes qui y font mieux travaillées
qu'ailleurs , & par là y apportent une trèsgrande
quantité d'argent.
Et fi on m'objecte que le luxe ruine les
Seigneurs & les gens riches ; eh tant mieux :
fans qu'on leur faffe violence , il fait retourner
leur argent aux pauvres qui en
ont plus de befoin qu'eux.
V.
On ne fçauroit vivre heureux fans confidération
, & on ne fçauroit avoir de véritable
confidération qu'en rempliffant les
devoirs de fon état . Ces principes établis ,
que je ne crois pas qu'on puiffe contef
ter , voici les conféquences que j'en tire.
Il faut qu'an homme d'Eglife s'affujettifle
à toutes les bienféances & à tous les
devoirs de fa profeffion , qui font fort contraignans
& très- ennuyeux , fans quoi il
DECEMBRE. 1754. 93
me fçauroit avoir de confidération.
Il n'y a perfonne qui ne fente qu'un
Abbé qu'on voit aux fpectacles , dans les
jeux & aux affemblées , n'eft pas à fa place
; & les hommes les plus débauchés ont
une forte de mépris pour un Eccléfiaftique
qui les imite.
Ce que je dis des Abbés feroit encore
beaucoup plus fcandaleux dans un Evêque
j'avoue que les enfans deftinés à l'Eglife
par les familles , & qui embraſſent
cette profeffion , font des fortunes bien
plus promptes & plus aifées que leurs freres
; ils recueillent le fruit des fervices de
leurs parens. Il y a tant de biens d'Eglife
en France , qu'ils ont ordinairement des
Abbayes prefqu'en naiffant , & fans avoir
rien fait pour les mériter. Il eft même rare
qu'un homme de qualité ne devienne pas
Evêque mais à quoi fervent les dignités ,
fi ce n'eft à rendre la vie heureufe ?
:
Suivons celle d'un Abbé de condition , à
commencer dès fon enfance . On le met au
Collége , où l'on tâche de le faire étudier
avec plus de foin que fes freres , ce qui
ne plaît guere à un enfant ; & au fortir du
Collége , il les voit aller à l'Académie avec
des épées & de beaux habits ; pour lui on
lui donne un habit noir & un petit collet ,
& on l'envoye d'ordinaire loger avec un
94 MERCURE DE FRANCE.
Docteur , proche la Sorbonne , où il faut
qu'il aille tous les jours pendant trois ans
entendre des leçons : enfuite il eft Bachelier,
il parvient à être fur les bancs où il difpute
de Théologie . Il entre en licence , il
foutient des Thefes , enfin il eft Docteur
à vingt-cinq ans. Qu'on falle réflexion à la
trifteffe du chemin par lequel il a marché
jufqu'à cet âge ; & c'eft pourtant une partie
confidérable de la vie.
Il n'en n'eſt pas quitte pour cela ; il faut
encore qu'il foit dans un Séminaire pendant
je ne fçais combien de tems : enfuite
il entre dans le monde , où il doit fe priver
de la plupart des plaifirs pour lefquels
on a beaucoup de goût quand on est jeune:
il doit prendre garde aux compagnies
qu'il voit , & fur-tout faire enforte qu'on
ne parle pas de lui , la réputation d'une
femme n'étant pas plus délicate que la
fienne .
Malgré cette contrainte , la vie qu'il
mene alors peut être fupportable , mais
elle n'a qu'un tems. Un vieux Abbé qui
traîne dans les rues n'a pas bonne grace ,
il reffemble à une vieille fille , & on eft i
honteux de n'être pas Evêque à un certain
âge.
Je fuppofe qu'il y parvient , ce qui véritablement
ne lui peut gueres manquer?
DECEMBRE. ورب . 1754
,
ayant eu une bonne conduite ; en eft- il
plus heureux ? Il a une grande dignité , il
eft riche ; mais quel ufage peut- il faire de
fes richeffes ? Il faut qu'il réfide dans fon
Evêché , qui eft fouvent un féjour fort
trifte , & une ville où il y a bien mauvaiſe
compagnie : & quand il attrapperoit une
grande ville où la compagnie feroit meilleure
il n'en fçauroit faire un certain
ufage. Le commerce familier des femmes ,
les foupers agréables , les propos libres ,
tout ce qui peut avoir l'air de galanterie
ou de débauche , font chofes qui lui
font interdites ; la chaffe même ne lui eft
pas permife , & il faut qu'il foit prefque
toujours avec des Moines , des Prêtres ,
des Curés , des Grands Vicaires , à regler
fon Dioceſe. Et fi par hazard il avoit quelque
commerce avec une femme , elle deviendroit
fon tyran , & il auroit tout à
craindre de fon indifcrétion & de fa mé
chanceté. Il feroit dans le même cas à l'égard
de fes domeftiques. Enfin il n'y a
qu'une véritable piété qui puiffe le rendre
heureux. Il est vrai qu'il peut venir de
tems en tems à Paris , par de certaines raifons
, ou fous quelques prétextes ; mais ces
voyages ne doivent être ni longs ni fréquens
, & il doit compter que fa demeure
eft fon Diocèfe , où il paffera fa vie ; &
96 MERCURE DE FRANCE.
encore de quelle façon eft- il à Paris quand
il y vient hors qu'il ait une famille qui
le puiffe loger , il demeure dans un hôtel
garni : les fpectacles , les promenades , les
jeux , les affemblées , enfin tout ce qu'on
appelle les plaifirs , lui font interdits ; &
s'il veut avoir l'eftime du public , il n'y
doit voir que de certaines compagnies , &
il faut que fa conduite foit bien fage &
bien mefurée . Je conclus de tout cela ,
qu'un Eccléfiaftique qui d'un petit état
devient Evêque , fait une fortune brillante
& agréable , mais que c'eft un exil ennuyeux
pour les Abbés qui ont un nom ,
& c'eft eux que j'ai eu en vûe dans tout ce
que je viens de dire.
Voilà quelle eft la condition des Abbés :
il faut préfentement examiner celle des
gens de qualité deftinés à la profeffion des
armes .
Ils commencent prefqu'au fortir de l'enfance
à mener une vie agréable. On les
inet à l'Académie , où on leur apprend toutes
fortes d'exercices qui font fort du goût
de la jeuneffe . Ils jouent à la paume , ils
vont aux fpectacles , aux promenades publiques
, & ils jouiffent d'un commencement
de liberté. Au fortir de l'Académie ,
ils l'ont entiere : on les mene à la Cour ,
on les préfente au Roi & à tout ce qu'il y a
de
DECEMBRE . 1754 97
de plus grand ; on leur donne un équipage
, de beaux habits ; aucuns plaifirs ne
leur font défendus , le jeu , la chaffe , la
bonne chere : on leur recommande feulement
de les prendre avec les jeunes gens
de leur âge , que leur naiffance & l'air
dont ils font dans le monde diftingue des
autres , & fur tout d'éviter la mauvaiſe
compagnie. L'amour , paffion bien naturelle
dans cet âge , leur fied à merveille ;
on leur paffe tout , hors ce qui attaque
Phonnête homme . Il eft bon même qu'on
parle d'eux , & l'obfcurité eft ce qu'ils ont
le plus à craindre : ils font des fêtes , des
plaifirs , des voyages du Roi , & c'est par
un chemin fi agréable à la jeuneffe qu'ils
acquierent fa familiarité , & qu'ils commencent
leur fortune.
Pendant ce tems , leur famille travaille
à leur faire avoir un emploi convenable à
leur condition & à la profeffion qu'ils ont
embraffée , & c'eft encore un nouveau plaifir
pour un jeune homine bien né , de commander
à des gens de guerre , ce détail
d'armes & de chevaux eft une occupation
qui lui plaît beaucoup . Cependant les années
viennent , & lui apportent plus de
raiſon : la carriere qu'il doit courre eft ouverte
; il déploye les talens que Dieu lui a
donnés ; il fonge plus férieufement à ac
II.Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
querir de la réputation & à faire fa fortune
, & il cherche les occafions de fe
diftinguer. S'il entre dans le monde dans
un tems de paix , il eft ravi qu'il ſe préfente
quelque occafion d'aller chercher la
guerre dans les pays étrangers ; & fi la
guerre eft dans fon pays , il fonge à y acquerir
par fon courage la gloire la plus
flateufe de toutes , & des connoiffances
qui le rendent capable des premiers emplois
, qui peuvent le conduire aux plus
grands honneurs : il les voit en perfpective
; il n'y arrivera peut-être pas , mais il
a le plaifir de les efpérer en marchant pat
le chemin qui y mene , & ce chemin eft
plus rempli de rofes que d'épines. Il y a
des fatigues & des périls , mais ils ne font
ni fi grands ni fi fréquens qu'ils le difent ;
prefque tout le monde veut en impofer , &
cherche à fe faire valoir. Une fatigue qu'il
faut que toute une armée faffe , ne peut
jamais être extrême , fur- tout pour un hom
me de condition , qui a d'ordinaire beau
coup d'équipages & beaucoup de commodités
; & il eft bien rare & comme impoffible
qu'il manque des chofes néceſſaires
à la vie , même dans les jours les plus
fâcheux , & ces jours de peine n'arrivent
pas fouvent pendant le cours d'une campagne.
DECEMBRE. 1754. 99
Le reste du tems on joue , on fait bonne
chere , & on mene une vie libre & parefleuſe
, & débarraffée de toutes fortes de
foins & de toute contrainte ; & puis on
attrape le tems où l'on retourne à Paris
jouir de tous les plaifirs .
par
A l'égard du péril , il eft certain qu'il
y a des occafions où l'on en court beaucoup
, & il eft difficile qu'un homme
vienne aux premieres dignités de la guer
re , & mérite les honneurs qui les doivent
fuivre , fans y avoir été exposé plufieurs
fois : cependant ce n'eft pas auffi fouvent
comme on fe l'imagine , & il fe trouve
quelquefois employé pendant toute une
campagne dans des lieux où il n'y a nul
danger. De plus , pendant le cours de la
vie d'un homme , la guerre n'eft
jours dans fon pays , & il s'en manque
fouvent la plus grande partie.
pas tou-
Il faut cependant convenir que la vie
de ceux qui fuivent la profeffion des armes
eft plus expofée que celle des autres hommes;
les périls de la guerre , les voyages ,
les climats différens où ils fe trouvent , le
mauvais air où ils font quelquefois expofés
, les fatigues , & encore plus les débauches
, les querelles particulieres & les
duels ( coutume barbare , inconnue aux
Grecs & aux Romains , contraire à la rai-
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
fon , au bien de l'Etat , & au repos des
particuliers ) , font autant de chemins qui
les conduisent à la mort. Cependant l'expérience
fait voir qu'il y en a beaucoup qui
attrapent l'extrême vieillelle.
De plus , il y a un grand nombre de
gens de condition qui ne pouffent pas la
chofe fi loin , & qui quittent la guerre
à caufe de leur fanté , ou pour quelqu'autre
raifon , après l'avoir faite autant qu'il
convient à leur honneur ; & ils jouiffent
tous également de cette vie libre , dans
laquelle rien ne leur eft défendu que les
chofes qu'un honnête homme fe défend à
lui-même , & que les plus mal nés ne font
point fans fe les reppocher , & fans tâcher
à les cacher.
Avant que de finir , il faut que je faſle
encore une réflexion . Si on propoſoit à un
homme de qualité de lui donner le gouvernement
d'une ville , même confidéra
ble , d'un revenu égal à celui de l'Evêché
de cette ville , à charge d'y faire une réfidence
auffi longue que celle que l'Evêque
y doit faire pour être eftimé , ce qui eft
proprement à charge d'y paffer fa vie , en
faifant de tems en tems quelques voyages
à Paris & à la Cour ; je crois qu'il s'en
trouveroit fort peu qui le vouluffent accepter
à cette condition. Cependant ce
DECEMBRE. 1754. ΙΟΙ
Gouverneur peut aller à la chafle , s'il l'aime
; faire bonne chere avec les compagnies
les plus agréables , voir les Dames
les affembler tous les foirs chez lui , avoir
des maîtreffes , & enfin contenter tous fes
goûts , fans que cela faffe le moindre tort
à la réputation & à fa fortune ; & l'Evêque
devant fe priver de tous ces plaifirs ,
on ne peut pas difconvenir que la vie du
Gouverneur ne foit bien différente de celle
de l'Evêque : cependant , je le repete encore
, je crois qu'il y a fort peu de gens de
qualité d'un commerce aimable qui vouluffent
accepter le Gouvernement .
mort en 1738.
Nentend dire fans ceffe qu'on devroit
permettre à la Nobleffe de trafiquer
comme en Angleterre.
Qu'on eft moins heureux fous le Gouvernement
préfent & dans le fiécle où nous
vivons , que l'on n'étoit autrefois.
Que le bien eft préférable aux dignités.
Qu'il faudroit retrancher le luxe.
Et que la condition des gens d'Eglife eft
plus heureufe que celle des hommes qui
fuivent la profeffion des armes.
Pour moi je penſe fort différemment fur
tous ces articles.
I.
que
La Nobleffe fournit un nombre infini
d'Officiers , en quoi confifte la plus grande
force de nos armées ; car les foldats des
autres nations font du moins auffi bons
les nôtres , & plus endurcis au travail ; &
c'eft cette Nobleffe qui nous a tant de fois
donné la fupériorité fur nos ennemis , &
qui a fauve la France dans les tems les plus
malheureux . Il n'y a qu'à lire notre hiftoire
pour en être inftruit.
DECEMBRE. 1754. 87
Les Gentilshommes animés par l'exemple
de leurs peres , & élevés dès leur enfance
à n'efperer ni bien ni confidération
qué par la guerre & les périls , y portent
toutes leurs penfées ; on ne leur parle d'autre
chofe , & ils fe forment prefqu'en naiffant
à cette valeur dont ils doivent tout
attendre .
Si on leur ouvre une autre porte , & fi
le commerce leur eft permis , ils fuivront
aifément une route bien plus facile &
moins périlleufe , qui les tirera de la pauvreté
où ils font , & leur donnera des richeffes
aifées à acquerir , qui leur fourniront
toutes les commodités & tous les plaifirs
que les hommes recherchent avec tant
de foin. Que n'avoit pas déja fait fur eux
le tems du fyftême du papier , quelque
court qu'il ait été ? C'eft un exemple qu'on
ne doit jamais oublier .
Les peres qui auront commencé ce genre
de vie , y éleveront leurs enfans , & en
peu de tems on verra difparoître cet efprit
guerrier qui a toujours diftingué la Nobleffe
Françoife , & on n'aura plus que des
négocians à la place de ces braves foldats ,
tant vantés dans tous les tems .
Si ce malheur arrivoit , les conféquences
font aisées, à tirer ; & il n'eft pas diffi ile
dejuger ce qu'il en coûteroit à la France ,
88 MERCURE DE FRANCE.
qui eft un Royaume établi par les armes ,
& qui eft fitué de façon qu'il ne ſe peut
foutenir que par ces mêmes armes qui
l'ont fondé.
II.
On fe plaint fans ceffe & du Gouverne
ment & du fiécle dans lequel nous vivons :
il n'y a qu'à lire notre hiftoire & les autres
pour connoître qu'il n'y en a jamais eu
où l'on ait été fi heureux , où le Gouver
nement ait été plus doux , où les hommes
ayent été moins méchans , & où il fe foit
commis moins de crimes.
Songeons aux tems où les particuliers
fe faifoient la guerre les uns aux autres ,
où l'on n'étoit en fûreté ni dans les grands
chemins ni même dans fa maifon , où il
falloit marcher armé & s'enfermer dans
des grilles & dans des foffés. Rappellonsnous
les guerres des Anglois , le malheureux
regne de Charles VI , les troubles des
Huguenots , la Saint Barthelemi , deux Rois
affaffinés , & tous les chefs de l'un & de
l'autre parti égorgés , le poifon , les meurtres
, les duels , les affaffinats fi communs ;
les Seigneurs érigés en tyrans dans les provinces
, & nos dernieres guerres civiles ;
& comparons ces tems-là avec celui - ci
toutes ces horreurs avec la tranquillité
DECEMBRE . 1754 89
dont nous jouiffons & dont nous avons
joui depuis le regne de Louis XIV , qui a
rétabli l'ordre & la fûreté par- tout ; & jugeons
après fi nous avons lieu de nous
plaindre ; fi les maux qui nous font crier
peuvent être mis en comparaifon avec des
malheurs fi effroyables .
Les moeurs s'adouciffent même par- tout ;
les Turcs ne font plus fi cruels , ni les
Mofcovites fi barbares . Les Grands Seigneurs
ne font plus mourir leurs freres ,
& les arts & la politeffe s'établiffent parmi
les Mofcovites.
Le feu Roi d'Angleterre , le Prince
d'Orange & Tekeli font morts dans leur
lit ; & cependant quel intérêt n'avoit - on
pas à s'en défaire ?
III.
On entend dire tous les jours que le
bien eft préférable à tout , & qu'il n'eft
queftion que d'en avoir . Je fuis perſuadé
que cela n'eft pas vrai ; je ne dis pas qu'on
ne tire de grands avantages des richeffes ,
mais on en tire de bien plus grands d'une
illuftre naiffance & des dignités.
Dès qu'on a affez de bien pour avoir
Toutes les commodités de la vie , le furplus
* Jacques II.
90 MERCURE DE FRANCE.
n'eft néceffaire que pour nous donner de la
confidération , & on ne fçauroit nier que
celle qu'on a pour un homme diftingué
par fa nobleffe & par fes dignités , ne foit
bien plus grande que celle qu'on a pour
un homme riche. De plus , il n'y a rien
où le premier ne puiffe prétendre s'il a du
mérite , tous les chemins lui font ouverts ;
au lieu qu'ils font fermés à celui qui n'a
des richeffes fans naiffance : il eft arque
rêté par tout , quoiqu'il ait du mérite , il
effuye des dégoûts en cent occafions , & il
femble même à un homme de qualité qu'il
lui fait trop d'honneur d'aller chez lui , &
de manger fon bien ; il lui paroît qu'il y a
un droit , & qu'il n'en doit avoir que
pour lui prêter ; s'il ne le fait pas , il s'en
plaint hautement , & parle de lui avec
mépris .
Bien loin qu'on ne fafle
affez de cas
pas
de la naiffance en France , comme on le
dit à tous momens , il est certain qu'on
en fait plus qu'on ne devroit , & qu'elle
donne de trop grands avantages fur le mérite
perfonnel.
Autre difcours fort ordinaire & trèsfaux.
On dit que lorfqu'on fe trouve à
portée d'obtenir des graces , il ne faut
fonger qu'à avoir du bien ; c'eft un abus :
il faut fans balancer préferer les dignités
DECEMBRE. 1754
eft
au bien , car il eft certain que les dignités
l'attireront dans la fuite. La Cour
quafi engagée , & ne peut plus vous donner
qué des chofes confidérables , au lieu
que le bien fans dignité vous éléve fort
peu , & fe diffipe promptement.
IV.
Perfonne ne difconvient qu'il n'y a rien
de plus néceffaire à un Etat que la circulation
de l'argent , qui fans cette circulation
demeureroit dans le fond des coffres ,
auffi inutile que s'il étoit encore dans le
centre de la terre ; & le luxe eft le moyen
le plus fimple & le plus aifé pour faire repaffer
l'argent des riches aux pauvres ,
puifque ce moyen eft volontaire , & même
agréable.
Les maisons magnifiques que les Seigneurs
& encore plus les gens d'affaires
font bâtir , ornent le Royaume , &
font retourner l'argent à toutes fortes d'ou
vriers qui y font employés. Les meubles ,
les carroffes , les étoffes , les dentelles , &
mille autres ajuftemens inventés par les
Marchands , font vivre une infinité de
gens ; & les Dames qui donnent avec plaifir
cent piftoles pour une garniture de
dentelles qui font faites par de pauvres
2 MERCURE DE FRANCE.
femmes & par de pauvres filles , ne leur
donneroient certainement pas cet argent
par charité. Il est même plus utile que ce
foit le prix de leur travail que fi on les laiffoit
dans l'oifiveté.
Il y a encore une raiſon particuliere pour
la France : comme fes peuples font les plus
induftrieux de l'Europe , toutes les nations
y viennent chercher leurs modes , & quantité
de chofes qui y font mieux travaillées
qu'ailleurs , & par là y apportent une trèsgrande
quantité d'argent.
Et fi on m'objecte que le luxe ruine les
Seigneurs & les gens riches ; eh tant mieux :
fans qu'on leur faffe violence , il fait retourner
leur argent aux pauvres qui en
ont plus de befoin qu'eux.
V.
On ne fçauroit vivre heureux fans confidération
, & on ne fçauroit avoir de véritable
confidération qu'en rempliffant les
devoirs de fon état . Ces principes établis ,
que je ne crois pas qu'on puiffe contef
ter , voici les conféquences que j'en tire.
Il faut qu'an homme d'Eglife s'affujettifle
à toutes les bienféances & à tous les
devoirs de fa profeffion , qui font fort contraignans
& très- ennuyeux , fans quoi il
DECEMBRE. 1754. 93
me fçauroit avoir de confidération.
Il n'y a perfonne qui ne fente qu'un
Abbé qu'on voit aux fpectacles , dans les
jeux & aux affemblées , n'eft pas à fa place
; & les hommes les plus débauchés ont
une forte de mépris pour un Eccléfiaftique
qui les imite.
Ce que je dis des Abbés feroit encore
beaucoup plus fcandaleux dans un Evêque
j'avoue que les enfans deftinés à l'Eglife
par les familles , & qui embraſſent
cette profeffion , font des fortunes bien
plus promptes & plus aifées que leurs freres
; ils recueillent le fruit des fervices de
leurs parens. Il y a tant de biens d'Eglife
en France , qu'ils ont ordinairement des
Abbayes prefqu'en naiffant , & fans avoir
rien fait pour les mériter. Il eft même rare
qu'un homme de qualité ne devienne pas
Evêque mais à quoi fervent les dignités ,
fi ce n'eft à rendre la vie heureufe ?
:
Suivons celle d'un Abbé de condition , à
commencer dès fon enfance . On le met au
Collége , où l'on tâche de le faire étudier
avec plus de foin que fes freres , ce qui
ne plaît guere à un enfant ; & au fortir du
Collége , il les voit aller à l'Académie avec
des épées & de beaux habits ; pour lui on
lui donne un habit noir & un petit collet ,
& on l'envoye d'ordinaire loger avec un
94 MERCURE DE FRANCE.
Docteur , proche la Sorbonne , où il faut
qu'il aille tous les jours pendant trois ans
entendre des leçons : enfuite il eft Bachelier,
il parvient à être fur les bancs où il difpute
de Théologie . Il entre en licence , il
foutient des Thefes , enfin il eft Docteur
à vingt-cinq ans. Qu'on falle réflexion à la
trifteffe du chemin par lequel il a marché
jufqu'à cet âge ; & c'eft pourtant une partie
confidérable de la vie.
Il n'en n'eſt pas quitte pour cela ; il faut
encore qu'il foit dans un Séminaire pendant
je ne fçais combien de tems : enfuite
il entre dans le monde , où il doit fe priver
de la plupart des plaifirs pour lefquels
on a beaucoup de goût quand on est jeune:
il doit prendre garde aux compagnies
qu'il voit , & fur-tout faire enforte qu'on
ne parle pas de lui , la réputation d'une
femme n'étant pas plus délicate que la
fienne .
Malgré cette contrainte , la vie qu'il
mene alors peut être fupportable , mais
elle n'a qu'un tems. Un vieux Abbé qui
traîne dans les rues n'a pas bonne grace ,
il reffemble à une vieille fille , & on eft i
honteux de n'être pas Evêque à un certain
âge.
Je fuppofe qu'il y parvient , ce qui véritablement
ne lui peut gueres manquer?
DECEMBRE. ورب . 1754
,
ayant eu une bonne conduite ; en eft- il
plus heureux ? Il a une grande dignité , il
eft riche ; mais quel ufage peut- il faire de
fes richeffes ? Il faut qu'il réfide dans fon
Evêché , qui eft fouvent un féjour fort
trifte , & une ville où il y a bien mauvaiſe
compagnie : & quand il attrapperoit une
grande ville où la compagnie feroit meilleure
il n'en fçauroit faire un certain
ufage. Le commerce familier des femmes ,
les foupers agréables , les propos libres ,
tout ce qui peut avoir l'air de galanterie
ou de débauche , font chofes qui lui
font interdites ; la chaffe même ne lui eft
pas permife , & il faut qu'il foit prefque
toujours avec des Moines , des Prêtres ,
des Curés , des Grands Vicaires , à regler
fon Dioceſe. Et fi par hazard il avoit quelque
commerce avec une femme , elle deviendroit
fon tyran , & il auroit tout à
craindre de fon indifcrétion & de fa mé
chanceté. Il feroit dans le même cas à l'égard
de fes domeftiques. Enfin il n'y a
qu'une véritable piété qui puiffe le rendre
heureux. Il est vrai qu'il peut venir de
tems en tems à Paris , par de certaines raifons
, ou fous quelques prétextes ; mais ces
voyages ne doivent être ni longs ni fréquens
, & il doit compter que fa demeure
eft fon Diocèfe , où il paffera fa vie ; &
96 MERCURE DE FRANCE.
encore de quelle façon eft- il à Paris quand
il y vient hors qu'il ait une famille qui
le puiffe loger , il demeure dans un hôtel
garni : les fpectacles , les promenades , les
jeux , les affemblées , enfin tout ce qu'on
appelle les plaifirs , lui font interdits ; &
s'il veut avoir l'eftime du public , il n'y
doit voir que de certaines compagnies , &
il faut que fa conduite foit bien fage &
bien mefurée . Je conclus de tout cela ,
qu'un Eccléfiaftique qui d'un petit état
devient Evêque , fait une fortune brillante
& agréable , mais que c'eft un exil ennuyeux
pour les Abbés qui ont un nom ,
& c'eft eux que j'ai eu en vûe dans tout ce
que je viens de dire.
Voilà quelle eft la condition des Abbés :
il faut préfentement examiner celle des
gens de qualité deftinés à la profeffion des
armes .
Ils commencent prefqu'au fortir de l'enfance
à mener une vie agréable. On les
inet à l'Académie , où on leur apprend toutes
fortes d'exercices qui font fort du goût
de la jeuneffe . Ils jouent à la paume , ils
vont aux fpectacles , aux promenades publiques
, & ils jouiffent d'un commencement
de liberté. Au fortir de l'Académie ,
ils l'ont entiere : on les mene à la Cour ,
on les préfente au Roi & à tout ce qu'il y a
de
DECEMBRE . 1754 97
de plus grand ; on leur donne un équipage
, de beaux habits ; aucuns plaifirs ne
leur font défendus , le jeu , la chaffe , la
bonne chere : on leur recommande feulement
de les prendre avec les jeunes gens
de leur âge , que leur naiffance & l'air
dont ils font dans le monde diftingue des
autres , & fur tout d'éviter la mauvaiſe
compagnie. L'amour , paffion bien naturelle
dans cet âge , leur fied à merveille ;
on leur paffe tout , hors ce qui attaque
Phonnête homme . Il eft bon même qu'on
parle d'eux , & l'obfcurité eft ce qu'ils ont
le plus à craindre : ils font des fêtes , des
plaifirs , des voyages du Roi , & c'est par
un chemin fi agréable à la jeuneffe qu'ils
acquierent fa familiarité , & qu'ils commencent
leur fortune.
Pendant ce tems , leur famille travaille
à leur faire avoir un emploi convenable à
leur condition & à la profeffion qu'ils ont
embraffée , & c'eft encore un nouveau plaifir
pour un jeune homine bien né , de commander
à des gens de guerre , ce détail
d'armes & de chevaux eft une occupation
qui lui plaît beaucoup . Cependant les années
viennent , & lui apportent plus de
raiſon : la carriere qu'il doit courre eft ouverte
; il déploye les talens que Dieu lui a
donnés ; il fonge plus férieufement à ac
II.Vol. E
98 MERCURE DE FRANCE.
querir de la réputation & à faire fa fortune
, & il cherche les occafions de fe
diftinguer. S'il entre dans le monde dans
un tems de paix , il eft ravi qu'il ſe préfente
quelque occafion d'aller chercher la
guerre dans les pays étrangers ; & fi la
guerre eft dans fon pays , il fonge à y acquerir
par fon courage la gloire la plus
flateufe de toutes , & des connoiffances
qui le rendent capable des premiers emplois
, qui peuvent le conduire aux plus
grands honneurs : il les voit en perfpective
; il n'y arrivera peut-être pas , mais il
a le plaifir de les efpérer en marchant pat
le chemin qui y mene , & ce chemin eft
plus rempli de rofes que d'épines. Il y a
des fatigues & des périls , mais ils ne font
ni fi grands ni fi fréquens qu'ils le difent ;
prefque tout le monde veut en impofer , &
cherche à fe faire valoir. Une fatigue qu'il
faut que toute une armée faffe , ne peut
jamais être extrême , fur- tout pour un hom
me de condition , qui a d'ordinaire beau
coup d'équipages & beaucoup de commodités
; & il eft bien rare & comme impoffible
qu'il manque des chofes néceſſaires
à la vie , même dans les jours les plus
fâcheux , & ces jours de peine n'arrivent
pas fouvent pendant le cours d'une campagne.
DECEMBRE. 1754. 99
Le reste du tems on joue , on fait bonne
chere , & on mene une vie libre & parefleuſe
, & débarraffée de toutes fortes de
foins & de toute contrainte ; & puis on
attrape le tems où l'on retourne à Paris
jouir de tous les plaifirs .
par
A l'égard du péril , il eft certain qu'il
y a des occafions où l'on en court beaucoup
, & il eft difficile qu'un homme
vienne aux premieres dignités de la guer
re , & mérite les honneurs qui les doivent
fuivre , fans y avoir été exposé plufieurs
fois : cependant ce n'eft pas auffi fouvent
comme on fe l'imagine , & il fe trouve
quelquefois employé pendant toute une
campagne dans des lieux où il n'y a nul
danger. De plus , pendant le cours de la
vie d'un homme , la guerre n'eft
jours dans fon pays , & il s'en manque
fouvent la plus grande partie.
pas tou-
Il faut cependant convenir que la vie
de ceux qui fuivent la profeffion des armes
eft plus expofée que celle des autres hommes;
les périls de la guerre , les voyages ,
les climats différens où ils fe trouvent , le
mauvais air où ils font quelquefois expofés
, les fatigues , & encore plus les débauches
, les querelles particulieres & les
duels ( coutume barbare , inconnue aux
Grecs & aux Romains , contraire à la rai-
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
fon , au bien de l'Etat , & au repos des
particuliers ) , font autant de chemins qui
les conduisent à la mort. Cependant l'expérience
fait voir qu'il y en a beaucoup qui
attrapent l'extrême vieillelle.
De plus , il y a un grand nombre de
gens de condition qui ne pouffent pas la
chofe fi loin , & qui quittent la guerre
à caufe de leur fanté , ou pour quelqu'autre
raifon , après l'avoir faite autant qu'il
convient à leur honneur ; & ils jouiffent
tous également de cette vie libre , dans
laquelle rien ne leur eft défendu que les
chofes qu'un honnête homme fe défend à
lui-même , & que les plus mal nés ne font
point fans fe les reppocher , & fans tâcher
à les cacher.
Avant que de finir , il faut que je faſle
encore une réflexion . Si on propoſoit à un
homme de qualité de lui donner le gouvernement
d'une ville , même confidéra
ble , d'un revenu égal à celui de l'Evêché
de cette ville , à charge d'y faire une réfidence
auffi longue que celle que l'Evêque
y doit faire pour être eftimé , ce qui eft
proprement à charge d'y paffer fa vie , en
faifant de tems en tems quelques voyages
à Paris & à la Cour ; je crois qu'il s'en
trouveroit fort peu qui le vouluffent accepter
à cette condition. Cependant ce
DECEMBRE. 1754. ΙΟΙ
Gouverneur peut aller à la chafle , s'il l'aime
; faire bonne chere avec les compagnies
les plus agréables , voir les Dames
les affembler tous les foirs chez lui , avoir
des maîtreffes , & enfin contenter tous fes
goûts , fans que cela faffe le moindre tort
à la réputation & à fa fortune ; & l'Evêque
devant fe priver de tous ces plaifirs ,
on ne peut pas difconvenir que la vie du
Gouverneur ne foit bien différente de celle
de l'Evêque : cependant , je le repete encore
, je crois qu'il y a fort peu de gens de
qualité d'un commerce aimable qui vouluffent
accepter le Gouvernement .
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Résumé : Réflexions de M. le Marquis de Lassé, mort en 1738.
Le Marquis de Laffe, décédé en 1738, a exprimé diverses réflexions sur la noblesse, le gouvernement, et les professions. Il soutient que la noblesse est cruciale pour fournir des officiers aux armées, assurant ainsi la supériorité militaire de la France. Il craint que l'autorisation pour la noblesse de se livrer au commerce ne détourne les gentilshommes de leur vocation guerrière. Le Marquis rejette les plaintes sur le gouvernement et le siècle actuel, affirmant que l'histoire montre des périodes plus tumultueuses et violentes. Il souligne que les mœurs se sont adoucies et que la tranquillité règne depuis le règne de Louis XIV. Concernant la préférence entre le bien et les dignités, il estime que les dignités offrent une considération sociale plus grande et ouvrent plus de portes que la simple richesse. Sur le luxe, le Marquis le considère comme un moyen nécessaire pour faire circuler l'argent dans l'économie, bénéficiant ainsi aux classes pauvres. Il note que le luxe stimule diverses industries et attire des capitaux étrangers. Il compare également la condition des ecclésiastiques à celle des militaires, décrivant la vie des abbés comme contraignante et ennuyeuse, marquée par des devoirs rigoureux et des privations. En revanche, il présente la vie des gentilshommes destinés à la profession des armes comme agréable et pleine de libertés dès le jeune âge. La vie des jeunes hommes de qualité est marquée par l'importance de l'âge et de la compagnie. Ils participent à des fêtes, des plaisirs et des voyages du Roi, ce qui leur permet d'acquérir de la familiarité et de commencer leur fortune. Leur famille travaille à leur obtenir un emploi convenable, souvent dans la carrière militaire, qui leur plaît beaucoup. Avec l'âge, ils acquièrent plus de raison et cherchent à se distinguer. En temps de paix, ils cherchent des occasions de guerre à l'étranger; en temps de guerre, ils visent la gloire et les connaissances nécessaires pour obtenir des emplois élevés. La vie militaire est remplie de fatigues et de périls, mais ces derniers ne sont ni fréquents ni extrêmes, surtout pour ceux de condition élevée. Le reste du temps est consacré aux plaisirs et à une vie libre. La vie militaire est plus exposée que celle des autres hommes, mais beaucoup atteignent un âge avancé. Certains quittent la guerre pour des raisons de santé ou autres, mais tous jouissent d'une vie libre.
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