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1
p. 234-236
Réponse de la main du Roy, à Monsieur le Duc de S Aignan.
Début :
Voyons la réponse du Roy, & remarquons en passant que / Mon Cousin, je connois trop bien le fonds de vôtre [...]
Mots clefs :
Joie, Devoir
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texteReconnaissance textuelle : Réponse de la main du Roy, à Monsieur le Duc de S Aignan.
Voyons la réponſeduRoy, &remarquons en paſſant que c'eſt la ſeconde
dont en moins d'un mois Sa
Majesté à honoré Monfieur le
Ducde S. Aignan.
Hij
174: LE MERCURE
Réponſe delamain du Roy', à Mon. ſieur le Duc de S' Aignan .
M
On Cousin,
bienlefonds
ieconnoistrop
devôtre cœur,
pour douter de voſtre joye dans lesfavorablesfuccés dont ilplaiſt àDieudebenirmes Armes. lene
Suispasmoins persuadé devos in- quietudespourles fatigues &les accidens où l'on est obligéde s'expoler en des expeditions comme celle cy. Mais vous iugez bien qu'on nepeut reüſfir autrement ;
&apres tout vous conviendrez
qu'ilfaut toûjoursfairefon devoir,
Odurestese recommander àDieu.
Le lepriede vous avoir, mon Cou- fin,enſaſainte&digne garde.. A Dunkerquele 27. d'Avril.
1677 .
Signe , LOVIS.
dont en moins d'un mois Sa
Majesté à honoré Monfieur le
Ducde S. Aignan.
Hij
174: LE MERCURE
Réponſe delamain du Roy', à Mon. ſieur le Duc de S' Aignan .
M
On Cousin,
bienlefonds
ieconnoistrop
devôtre cœur,
pour douter de voſtre joye dans lesfavorablesfuccés dont ilplaiſt àDieudebenirmes Armes. lene
Suispasmoins persuadé devos in- quietudespourles fatigues &les accidens où l'on est obligéde s'expoler en des expeditions comme celle cy. Mais vous iugez bien qu'on nepeut reüſfir autrement ;
&apres tout vous conviendrez
qu'ilfaut toûjoursfairefon devoir,
Odurestese recommander àDieu.
Le lepriede vous avoir, mon Cou- fin,enſaſainte&digne garde.. A Dunkerquele 27. d'Avril.
1677 .
Signe , LOVIS.
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Résumé : Réponse de la main du Roy, à Monsieur le Duc de S Aignan.
Le roi Louis écrit au Duc de Saint-Aignan le 27 avril 1677. Il reconnaît la joie du duc face aux succès militaires et ses inquiétudes sur les dangers des expéditions. Le roi insiste sur la nécessité de poursuivre le devoir malgré les risques. La lettre se conclut par une recommandation à la protection divine. C'est la seconde missive en moins d'un mois.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 189-214
Tout ce qui s'est passé au Seminaire des Missions Etrangeres, le jour que les Ambassadeurs y ont esté regalez, avec les cinq Harangues qui leur ont esté faites dans ce Seminaire. [titre d'après la table]
Début :
Les Ambassadeurs ayant témoigné plusieurs fois à Mr l'Abbé [...]
Mots clefs :
Séminaire des Missions étrangères, Ambassadeurs, Harangues, Séminaire, Roi de Siam, Admirer, Vrai dieu, Compliments, Joie, Personnes, Monde, Langue, Artus de Lionne, Abbé, Compliment, Hébreu, Hommes, Maison, Devoir, Mérite
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texteReconnaissance textuelle : Tout ce qui s'est passé au Seminaire des Missions Etrangeres, le jour que les Ambassadeurs y ont esté regalez, avec les cinq Harangues qui leur ont esté faites dans ce Seminaire. [titre d'après la table]
Les Ambaſſadeurs ayant
témoigné pluſieurs fois à M
l'Abbé de Lionne , & à r
de Brifacier, Superieur du Seminaire
des miſſions Eftrangeres
, le deſir qu'ils avoient
depuis longtemps de leur
rendre viſite dans leur mаі
fon, en fixerent enfin le jour
190 IV. P. du Voyage
au 10. Decembre . Comme le
premier Ambaſſadeur eſtoit
allé ce jour là ſeul avec M
Torf à Versailles , pour conferer
avec Mle Marquis de
Seignelay, on alla fur les trois
heures aprés midy, propoſer
aux deux autres de venir voir
la Maiſon des Incurables. Ils
répondirent ſans hefiter qu'ils
ne vouloient point ſe partager ce
jour-là , qu'ils ne fortiroient que
pour aller au Seminaire, o que
s'ils avoient ſuivy leur inclination
, ils ſe ſeroient acquittez
beaucoup pluſtoſt de ce devoir .
Si-tôt qu'on apprit qu'ils ardes
Amb . de Siam. 191
rivoient , on alla les recevoir
à la defcente de leur Carroffes
, & on les conduiſit dans
un lieu où M l'Abbé de
Choiſi leur preſenta du Thé
dans les petits Vaſes d'or &
d'argent , que M Conſtance
luy a donnez à Siam , & fit
brûler du bois d'Aquila qui
parfuma l'air enun moment.
Il eſtoit fix heures lorſque le
Premier Ambaſſadeur revint
de Verſailles ; il les trouva
en converſation avec M'PEvêque
Duc de Laon , qu'ils
avoient veu à la Fére où , ce
Prelat estoit allé exprés pour
192 IV.P.du Voyage
les ſaluer au retour de leur
Voyage deFlandre.M leMarquis
de Coeuvres ſon Frere,
qu'ils ſçavoient eſtre le beaufrere
deM l'Abbé deLionne,
eſtoit auſſi avec eux, ainſi que
-M¹ d'Aligre, Ms lesAbbez le
Pelletier & de Neſmond , les
Peres Couplet & Spinola Jefuîtes
, &quelques autres perſonnes
de merite que l'on
avoit eu ſoin d'inviter.
La converſation ayant eſté
interrompuë, il ſe fit d'abord
un peu de filence , & M² de
Brifacier accompagné des
Eccleſiaſtiques de fa maiſon,
prit
des Amb. de Siam. 193
prit cet intervalle pour faire
un compliment fort court ,
qui prepara l'eſprit des Ambaſſadeurs
à en entendre quatre
autres en diverſesLangues.
Voicy les termes de ce com
pliment.
MESSEIGNEVRS,
Vn meriteauſſi univerſel & auſſi
univerſellement reconnu que levôtre,
devroit estre publié en toutes for
tes de Langues , & nous souhaiterions
pouvoir aſſembler icy les differentes
Nations de l'Europe ,pour honorer
par leur bouche vôtre Grand
Roy dans vos Excellences , de mème
que ce puiſſant Prince a honoré
R
194 IV. P. duVoyage
à Siampar la deputation des divers
Peuples de l'Orient nôtre Incompaparable
Monarque dans la personne
defon Ambassadeur extraordinaire.
Mais fansformerde vains deſirs &
Sans rien emprunter des Royaumes
étrangers , fouffrez, Meffeigneurs ,
que plusieurs Prestres de cette Maifon
, qui vous vont complimenter
aprés moy ,se partagent entre eux
pour lover en plus d'une maniere
les talents& la conduiteque tout le
monde admire en vous , &qu'ils employent
ce que l'Hebreu a desçavant,
ce que leGrec a de poly , ce que le Latin
a de grave , & ce que le Siamois
doit avoir d'agréable à vôtre égard,
pour rendre Séparement & diverſement
à vos Eminentes qualitezles
profonds refpects qui leur font dûs ,
pour repondre à l'honneur de vôdes
Amb. de Siam. 195
tre visite , & aux marques de vos
bontez par les témoignages finceres
d'une estime & d'une reconnoiſſance
éternelle.
Ils furent enſuite compli
mentez en Hebreu au nom
des Penſionnaires du Seminaire
, & à la fin de chaque
compliment , on liſoit la traduction
Siamoiſe qui en a
voit eſté faite , partie par le
ſieur Antoine Pinto , Acolyte
du Seminaire de Siam , & partie
par le ſieur Gervaiſe , l'un
des Ecclefiaftiques François ,
que feu Me l'Eveſque d'Heliopolis
avoit menez avec luy
Rij
196 IV. P. du Voyage
dans fon dernier voyage aux
Indes. Voicy la traduction
de ce compliment Hebreu
en nôtre Langue.
MESSEIGNEVRS ,
Cette maison reçoit aujourd'huy un
honneur qu'elle n'eût jamais ofé efperer.
Elle est établie pour envoyer
des hommes Apostoliques dans les
Royaumes les plus éloignez, & c'est
ce qu'elle a toûjours fait depuis fon
établiſſement. Mais qu'elle dût recevoirjamais
trois Illuftres Ambaffadeurs
venus des extremitez de la
terre , c'est ce qu'elle apeine à croire ,
quand même elle le voit. Dans l'excez
delajoye qui la transporte , elle.
ne peut , Meſſeigneurs , que vous
des Amb. de Siam. 197
:
conjurer d'être tres-perfuadez de ſa
reconnoiſſance respectueuse , & de
Pardeur continuelle qu'elle a à prier
Le Dieu du Ciel & de la Terre , qu'il
ajoûte aux biens dont il a déja comblé
vos Excellences la parfaite connoiſſance
de celuy qui les leur afaits .
L'Hebreu fut ſuivy du
Grec , & on leur fit ce troifiéme
compliment au nom de
ceux qu'on éleve dans cette
Maiſon pour les Miſſions étrangeres
. Voicy comme il a
eſté rendu en nôtre Langue,
MESSEIGNEURS,
Entre toutes les Perſonnes qui de-
Riij
198 IV. P. du Voyage
meurent dans cetteMaison que vous
avezbien voulu honorer aujourd'hui
devotre prefence, nous croyons que
nul n'a reſſenti plus de joye quenous
qui y sommes pour nous rendre dignes
depoffer dans votre Païs,quand
nos Supericurs voudrontbien nous y
envoyer. Ce qui nousy porte , c'est le
defir de procurer au Royaume de
Siam qui a toutes les autres richeßes,
daseule qui luy manque , &fans laquelle
toutes les autres luy seroient
inutiles , c'est la connoiffance & l'aour
du vray Dieu, Createur du Ciel
& de la Terre ; & rien ne pourroit
nous donner plus de joye & d'efpevance
de réüſſir dans ce deffein que
toutes ces excellentes qualitez que
la France admire en vos perſonnes.
Cette douceur & cette affabilité que
Vous aveztémoignée envers tout le
des Amb. de Siam. 199
monde, ne nous laiſſe pas lieu de douter
que les Peuples de Siam ne reçoi
ventfavorablement ceux qui confacreront
leur vie & leurs travaux
pour leur porter les lumieres de l'Evangile
de I. C. & cette merveilleuſe
penetration d'esprit que vous
avez faitparoître en toutes fortes de
rencontres nous fait concevoir la facilité
, avec laquelle ces mêmes Peuplesse
laiſſeront perfuader des veritez
que nous deprons leur enfeigner.
Votre équité , vôtre modération
, vôtreſageſſe , &toutes vos autres
vertus jointes à celles- cy , nous
rempliſſent de veneration pour vos
Excellentces , aussi bien que de joye
en nous mêmes ; & nous portent
avec encore plus d'ardeur à demander
inceffamment au vray Dieu tout
puiſſant,&infinimentbon, de vous
>
Rimj
200 IV P. du Voyage
conferver toûjoursdans uneparfaite
Santé, de vous accorder un heureux
retour dans votre Patrie ,& la joye
de retrouver'le Roy de Siam comblé
d'un nouvel excés de gloire. Mais
fur tout, nous ne ceſſerons jamais de
demander à ce Dieu éternel , & qui
diſpoſe des coeurs des hommes comme
il luy plaiſt , qu'il vousfaffe la grace
dele connoître&de l'aimer ,&d'étre
éternellement comblez de joye
avec luy.
Aprés cela , ils furent com
plimentez en Latin au nom
des Eccleſiaſtiques du Seminaire
qui doivent partir avant
les Ambaſſadeurs. Comme la
Langue Latine eſt entenduë
preſque de tout le monde,j'ay
des Amb. de Siam. 201
crû devoir mettre ce compli
compil
ment tel qu'il a eſté pronon
cé.
Viex hâcdomoquam nuncveftrâ
preſentiâfummoperè illuf
tratis, Viri Excellentiffimi, Siamum
vobiscum profecturi sunt , eandemquè
Claffem , vel fortè etiam eandemNavim
confcenfuri, precipuam
fibi hodiè , tùm erga Excellentias
veftras Reverentiam , tum pre cateris
latitiam exhibendam effe ar
bitrantur. Habent etenim in hodierno
, quo nos afficitis , honore , velut
pignus quoddam future veftra in
ipsos benignitatis : dulciffima converfationis
in via : fortiffime tuitionis
in Patria : ubique benevolentia
fingularis. Latantur autem
202 IV. P. du Voyage
maximè , cum mente pertractant,
jam-jamquepreripiunt, quam egregia,
quàm grandia de vobis vel invitis
, in Regno Siamensi poterunt
nuntiare ; palàm nempè faciendo
meritis extollendo laudibus quicquid
alioquin veftra modeftia reticuiffet
: fummam , quam apud nos
oftendiftis , ingenj magnitudinem,
-aquabilitatem animi, in tuendo Siamenfi
nomine dignitatem : ut fuiftis
in tractandis negotijs folertes ,
in extricandis difficultatibus dexteri,
in folvendis quæftionibus prudentes,
in reſponſis mille, velferid,
vel jocosè dandis , prout res poftulabat,
femperparatiffimi : ut noftis
denique vivere cum Optimatibus
comitèr , cum Plebeijs humaniter,
cum Regijs Ministris ſapienter, cum
Principibus dignè & magnifice, &
desAmb. de Siam. 203
(quod omnium fummum eft | LVDOVICI
MAGNI laudem &gratiam
demereri . Ita ut duobus tantum
Gens Siamensis & Gallica jam
inter se diſtare videantur , Patriâ
fcilicet &Religione ; quarum altera,
perfædus initum inter potentiffimos
Reges, deinceps communis erit,
altera verò ( faxit Deus Optimus
Maximus ) prorsus una.
M l'Abbé de Lionne finit
en Siamois, au nom des Ouvriers
Apoftoliques qui travaillent
à Siam , & dans les
Royaumes voiſins . Voicy ce
qu'il dit en certe Langue.
Vſqu'icy, MESSEIGNEVRS,
j'ay vû avec une extrême joie,
204 IV. P. du Voyage
L'empressement extraordinaire que
toute la France a fait paroître à vous
témoigner l'estime,le refpest l'admiration
qu'elle a pour le très-Puif-
Sant Roy, votre Maître, &pour vous
en particulier , qui foûtenez icy fi
excellemment faDignité. Voicy l'unique
occasion où j'aye pû mêler ma
voix aux applaudſſemens publics,&
vous marquer quelque chose de mes
Sentimensfur cesujet. l'ofe dire qu'ils
Surpaffint ceux de tout le reſte des
hommes; &pour en convenir, vous
n'avez qu'à faire reflexion aux vaifons
fingulieres & personnelles que
j'ay de parler ainsi. Les autres connoiſſent
à la verité le Roy de Siam ,
Sur ce que la Renommée a publiéde
fes grandes qualitez ; mais quoiqu'-
elle ait dit du rang éminent qu'il
tient entre tous les Princes de l'o-
4
desAmb. de Siam. 205
1
ment ,
vient , de la richeſſe de ſes tresors .
de la penetration étonnante deſon efprit,
de la ſageſſe de ſon Gouvernede
l'application infatigable
qu'ildonne aux affaires de son Etat,
deson difcernement &de son amour
pour le veritable merite , de cette
merveilleuse ardeur qu'il a de tout
connoître & de tout sçavoir, de cette
affabilité qui , sans rien diminuer
de sa grandeur , luy apprend à se
proportionner à toutle monde, &qui
attire chez lay ce prodigieux nom.
bre d'Etrangers ; & ce qui nous touche
de plus prés , de cette bontépar
ticuliere qu'il a pour les Ministres
du Vray Dieu ; tout cela, dis-je, quelque
grand qu'il soit , n'est- il pas
encore au deſſous de ce que découvrent
dansſa perſonne Royale, tous ceux qui
ont le bonheur de l'approcher , & ce
206 IV. P. du Voyage
que j'y ay découvert tant de fois
moy- même ? Il en est ainsi à proporsion
des jugemens avantageux que
l'on a portez icy de vos Excellences.
On a admiré , par exemple , & l'on
n'oubliera jamais la juſteſſe&lasubtilité
de vos reponses ; cependant on
na souvent connu que la moindre
partie de leur beautè , elles en perdoient
beaucoup dans le paſſage d'une
langue à l'autre , & moy-méme
j'avois une espece d'indignation de
me voir dans l'impoſſibilité de leur
donner tout leur agrément & toute
Leur force. On a admiré ce fond de
politeſſe , qui vous rend capables
d'entrer (i aiſement dans les manieres
particulieres de chaque Nation,
quelques differentes que toutes les
Nations foient entre elles. On a admiré
cette prodigieuse égalité d'ame
• des Amb de Siam. 207
& cette Paix qui ne se trouble jamais
de rien ; on a admiré enfin cent
autres qualitez excellentes qui éclatent
tous les jours dans vos perſonnes
; cependant ceux qui en ont
esté touchez, ne vous ont vû que
comme en paſſant; qu'auroit- ce esté,
s'ils avoient eu le moyen de vous
confiderer plus à loiſir&deplus près ?
Les ordres du tres-Grand Roy de
Siam m'ont procure cét avantage ,
lorſqu'il a joint à tous les témoignages
de bonté qu'il m'avoit déja donnez
, celuy de ſouhaiter que je vous
accompagnaſſe en France . Vous y avez
ajouſté mille marques touchanres
de vôtre amitié , & la Nature
Seule qui inſpire à tous les hommes
la reconnoiſſance , suffiroit pour me
donner les fentimens les plus reſpectueux
pour votre Grand Prince,les
208 IV . P.du Voyage
plus tendres pour vos personnes , &
les plus Zelez pour votre Nation :
mais Dieu , dont la Providence conduit
tout avec une fageffe & une
bonte admirable, a pris foin luy-meme
de fortifier infiniment ces fentimens
dans mon coeur , en me confirmant
dans le defſſein de paſſer ma
vie avec vous, &de la consacrer à
vôtre ſervice, pour tâcher de contri
buer à vôtre bonheur eternel.
La lecture de tous ces
Complimens eftant finie , te
premier Ambaſſadeur dit ,
qu'ils estoient trés - obligez au
Seminaire des honneſtetez qu'il
leurfaifoit ; qu'ils luy donnoient
avec plaifir par leur viſite une
nouvelle marque de leur eftimes
des Amb. de Siam. 209
que le Roy leur Maistre , leur
avoit ordonné de prendre confiance
en ceux qui gouvernoient
cette Maison ; qu'ils rendroient
un compte exact à Sa Majesté,
des ſervices importans qu'ils recevoient
d'eux tous les jours depuis
leur arrivée à Paris ; qu'ils
n'avoient eſté en aucun lieuplus
volontiers que chez eux ; &que
s'ilspouvoient quelque jour dans
Ieur Pays donner à leurs Miffionnaires
des témoignages effectifs
de leur affection & de leur
reconnoiffance, ils le feroient avec
la plus grande joye du monde.
Apeine eut-il ceffé de par-
S
210 IV. P. du Voyage
/
ler, qu'on vint avertir que la
Table eſtoit ſervie . C'eſtoit
uneTable ovale à vingt couverts,
placez dans un Refectoire
qui estoit fort éclairé
de bougies. Le Repas fut un
Ambigu , où il y eut , pour
marque de distinction
double Service devant les
,
un
Ambaſſadeurs , & où l'abondance,
la delicateffe &la propreté
parurent également par
tout. La dépenſe en fut faite
par une Perſonne de pieté,
qui ayant appris l'honneur
que les Ambaſſadeurs vouloient
faire au Seminaire de
des Amb. de Siam . 211
le vifiter , & l'embarras où ſe
trouvoit le Superieur fur la
maniere de les recevoir ( parcequ'il
ne croyoit pas que
ſelon leurs idées il convinſt à
l'humilité de ſa profeffion,
ny à la pauvreté de ſa Maifon
, de faire un Repas qui
répondiſt à la grandeur de
leur caractere , & au merite
de leurs perſonnes ) le pri
de ne ſe mettre en peine de
rien , & fe chargea genereufement
de pourvoir à tout.
Chaque Ambaſſadeur & chaque
Mandarin avoit derriere
luy un Homme appliqué u-
Sij
212 IV. P. du Voyage
niquement à le ſervir , & on
donna de ſi bons ordres pour
tout le reſte, que tout ſe paffa
fans confufion & fans bruit.
Ainſi la tranquilité qui regna
toûjours , fit affez voir qu'on
eſtoit dans une Communauté
reglée. M¹ deBrifacier qui
n'ignoroit pas combien les
Ambaſſadeurs font choquez
des dépenses que font des
Preftres , jugea qu'il eſtoit à
propos de leur declarer de
bonne foy la chofe comme
elle eſtoit , & de leur dire,
pour les prévenir, en les conduiſant
au Refectoire,que s'ils
des Amb. de Siam. 213
trouvoient dans la Collation
qu'on leur alloit faire , quelque
forte de magnificence , ils n'en
devoient pas estre ſcandalisez
comme d'un excezcondamnable
dans une Maison Eccleſiaſtique,
mais qu ils devoient pluſtoſt l'agréer
comme un effet loüable du
Zele d'une Perſonne dont il n'avoit
pas crû devoir borner la generofité
dans une occafion, où il
ne penſoit pas qu'on pûst trop
faire pour eux. Pendant que
les Maiſtres estoient àTable,
on en ſervit une autre à fix
couverts , dans un lieu tout
proche , pour les Interpretes
274 IV. P. du Voyage
& les Secretaires . Les Gens
mangerent enfuite , & avant
dix heures les Ambaſſadeurs
ſe retirerent dans leur Hoſtel
avec de grandes marques de
fatisfaction .
témoigné pluſieurs fois à M
l'Abbé de Lionne , & à r
de Brifacier, Superieur du Seminaire
des miſſions Eftrangeres
, le deſir qu'ils avoient
depuis longtemps de leur
rendre viſite dans leur mаі
fon, en fixerent enfin le jour
190 IV. P. du Voyage
au 10. Decembre . Comme le
premier Ambaſſadeur eſtoit
allé ce jour là ſeul avec M
Torf à Versailles , pour conferer
avec Mle Marquis de
Seignelay, on alla fur les trois
heures aprés midy, propoſer
aux deux autres de venir voir
la Maiſon des Incurables. Ils
répondirent ſans hefiter qu'ils
ne vouloient point ſe partager ce
jour-là , qu'ils ne fortiroient que
pour aller au Seminaire, o que
s'ils avoient ſuivy leur inclination
, ils ſe ſeroient acquittez
beaucoup pluſtoſt de ce devoir .
Si-tôt qu'on apprit qu'ils ardes
Amb . de Siam. 191
rivoient , on alla les recevoir
à la defcente de leur Carroffes
, & on les conduiſit dans
un lieu où M l'Abbé de
Choiſi leur preſenta du Thé
dans les petits Vaſes d'or &
d'argent , que M Conſtance
luy a donnez à Siam , & fit
brûler du bois d'Aquila qui
parfuma l'air enun moment.
Il eſtoit fix heures lorſque le
Premier Ambaſſadeur revint
de Verſailles ; il les trouva
en converſation avec M'PEvêque
Duc de Laon , qu'ils
avoient veu à la Fére où , ce
Prelat estoit allé exprés pour
192 IV.P.du Voyage
les ſaluer au retour de leur
Voyage deFlandre.M leMarquis
de Coeuvres ſon Frere,
qu'ils ſçavoient eſtre le beaufrere
deM l'Abbé deLionne,
eſtoit auſſi avec eux, ainſi que
-M¹ d'Aligre, Ms lesAbbez le
Pelletier & de Neſmond , les
Peres Couplet & Spinola Jefuîtes
, &quelques autres perſonnes
de merite que l'on
avoit eu ſoin d'inviter.
La converſation ayant eſté
interrompuë, il ſe fit d'abord
un peu de filence , & M² de
Brifacier accompagné des
Eccleſiaſtiques de fa maiſon,
prit
des Amb. de Siam. 193
prit cet intervalle pour faire
un compliment fort court ,
qui prepara l'eſprit des Ambaſſadeurs
à en entendre quatre
autres en diverſesLangues.
Voicy les termes de ce com
pliment.
MESSEIGNEVRS,
Vn meriteauſſi univerſel & auſſi
univerſellement reconnu que levôtre,
devroit estre publié en toutes for
tes de Langues , & nous souhaiterions
pouvoir aſſembler icy les differentes
Nations de l'Europe ,pour honorer
par leur bouche vôtre Grand
Roy dans vos Excellences , de mème
que ce puiſſant Prince a honoré
R
194 IV. P. duVoyage
à Siampar la deputation des divers
Peuples de l'Orient nôtre Incompaparable
Monarque dans la personne
defon Ambassadeur extraordinaire.
Mais fansformerde vains deſirs &
Sans rien emprunter des Royaumes
étrangers , fouffrez, Meffeigneurs ,
que plusieurs Prestres de cette Maifon
, qui vous vont complimenter
aprés moy ,se partagent entre eux
pour lover en plus d'une maniere
les talents& la conduiteque tout le
monde admire en vous , &qu'ils employent
ce que l'Hebreu a desçavant,
ce que leGrec a de poly , ce que le Latin
a de grave , & ce que le Siamois
doit avoir d'agréable à vôtre égard,
pour rendre Séparement & diverſement
à vos Eminentes qualitezles
profonds refpects qui leur font dûs ,
pour repondre à l'honneur de vôdes
Amb. de Siam. 195
tre visite , & aux marques de vos
bontez par les témoignages finceres
d'une estime & d'une reconnoiſſance
éternelle.
Ils furent enſuite compli
mentez en Hebreu au nom
des Penſionnaires du Seminaire
, & à la fin de chaque
compliment , on liſoit la traduction
Siamoiſe qui en a
voit eſté faite , partie par le
ſieur Antoine Pinto , Acolyte
du Seminaire de Siam , & partie
par le ſieur Gervaiſe , l'un
des Ecclefiaftiques François ,
que feu Me l'Eveſque d'Heliopolis
avoit menez avec luy
Rij
196 IV. P. du Voyage
dans fon dernier voyage aux
Indes. Voicy la traduction
de ce compliment Hebreu
en nôtre Langue.
MESSEIGNEVRS ,
Cette maison reçoit aujourd'huy un
honneur qu'elle n'eût jamais ofé efperer.
Elle est établie pour envoyer
des hommes Apostoliques dans les
Royaumes les plus éloignez, & c'est
ce qu'elle a toûjours fait depuis fon
établiſſement. Mais qu'elle dût recevoirjamais
trois Illuftres Ambaffadeurs
venus des extremitez de la
terre , c'est ce qu'elle apeine à croire ,
quand même elle le voit. Dans l'excez
delajoye qui la transporte , elle.
ne peut , Meſſeigneurs , que vous
des Amb. de Siam. 197
:
conjurer d'être tres-perfuadez de ſa
reconnoiſſance respectueuse , & de
Pardeur continuelle qu'elle a à prier
Le Dieu du Ciel & de la Terre , qu'il
ajoûte aux biens dont il a déja comblé
vos Excellences la parfaite connoiſſance
de celuy qui les leur afaits .
L'Hebreu fut ſuivy du
Grec , & on leur fit ce troifiéme
compliment au nom de
ceux qu'on éleve dans cette
Maiſon pour les Miſſions étrangeres
. Voicy comme il a
eſté rendu en nôtre Langue,
MESSEIGNEURS,
Entre toutes les Perſonnes qui de-
Riij
198 IV. P. du Voyage
meurent dans cetteMaison que vous
avezbien voulu honorer aujourd'hui
devotre prefence, nous croyons que
nul n'a reſſenti plus de joye quenous
qui y sommes pour nous rendre dignes
depoffer dans votre Païs,quand
nos Supericurs voudrontbien nous y
envoyer. Ce qui nousy porte , c'est le
defir de procurer au Royaume de
Siam qui a toutes les autres richeßes,
daseule qui luy manque , &fans laquelle
toutes les autres luy seroient
inutiles , c'est la connoiffance & l'aour
du vray Dieu, Createur du Ciel
& de la Terre ; & rien ne pourroit
nous donner plus de joye & d'efpevance
de réüſſir dans ce deffein que
toutes ces excellentes qualitez que
la France admire en vos perſonnes.
Cette douceur & cette affabilité que
Vous aveztémoignée envers tout le
des Amb. de Siam. 199
monde, ne nous laiſſe pas lieu de douter
que les Peuples de Siam ne reçoi
ventfavorablement ceux qui confacreront
leur vie & leurs travaux
pour leur porter les lumieres de l'Evangile
de I. C. & cette merveilleuſe
penetration d'esprit que vous
avez faitparoître en toutes fortes de
rencontres nous fait concevoir la facilité
, avec laquelle ces mêmes Peuplesse
laiſſeront perfuader des veritez
que nous deprons leur enfeigner.
Votre équité , vôtre modération
, vôtreſageſſe , &toutes vos autres
vertus jointes à celles- cy , nous
rempliſſent de veneration pour vos
Excellentces , aussi bien que de joye
en nous mêmes ; & nous portent
avec encore plus d'ardeur à demander
inceffamment au vray Dieu tout
puiſſant,&infinimentbon, de vous
>
Rimj
200 IV P. du Voyage
conferver toûjoursdans uneparfaite
Santé, de vous accorder un heureux
retour dans votre Patrie ,& la joye
de retrouver'le Roy de Siam comblé
d'un nouvel excés de gloire. Mais
fur tout, nous ne ceſſerons jamais de
demander à ce Dieu éternel , & qui
diſpoſe des coeurs des hommes comme
il luy plaiſt , qu'il vousfaffe la grace
dele connoître&de l'aimer ,&d'étre
éternellement comblez de joye
avec luy.
Aprés cela , ils furent com
plimentez en Latin au nom
des Eccleſiaſtiques du Seminaire
qui doivent partir avant
les Ambaſſadeurs. Comme la
Langue Latine eſt entenduë
preſque de tout le monde,j'ay
des Amb. de Siam. 201
crû devoir mettre ce compli
compil
ment tel qu'il a eſté pronon
cé.
Viex hâcdomoquam nuncveftrâ
preſentiâfummoperè illuf
tratis, Viri Excellentiffimi, Siamum
vobiscum profecturi sunt , eandemquè
Claffem , vel fortè etiam eandemNavim
confcenfuri, precipuam
fibi hodiè , tùm erga Excellentias
veftras Reverentiam , tum pre cateris
latitiam exhibendam effe ar
bitrantur. Habent etenim in hodierno
, quo nos afficitis , honore , velut
pignus quoddam future veftra in
ipsos benignitatis : dulciffima converfationis
in via : fortiffime tuitionis
in Patria : ubique benevolentia
fingularis. Latantur autem
202 IV. P. du Voyage
maximè , cum mente pertractant,
jam-jamquepreripiunt, quam egregia,
quàm grandia de vobis vel invitis
, in Regno Siamensi poterunt
nuntiare ; palàm nempè faciendo
meritis extollendo laudibus quicquid
alioquin veftra modeftia reticuiffet
: fummam , quam apud nos
oftendiftis , ingenj magnitudinem,
-aquabilitatem animi, in tuendo Siamenfi
nomine dignitatem : ut fuiftis
in tractandis negotijs folertes ,
in extricandis difficultatibus dexteri,
in folvendis quæftionibus prudentes,
in reſponſis mille, velferid,
vel jocosè dandis , prout res poftulabat,
femperparatiffimi : ut noftis
denique vivere cum Optimatibus
comitèr , cum Plebeijs humaniter,
cum Regijs Ministris ſapienter, cum
Principibus dignè & magnifice, &
desAmb. de Siam. 203
(quod omnium fummum eft | LVDOVICI
MAGNI laudem &gratiam
demereri . Ita ut duobus tantum
Gens Siamensis & Gallica jam
inter se diſtare videantur , Patriâ
fcilicet &Religione ; quarum altera,
perfædus initum inter potentiffimos
Reges, deinceps communis erit,
altera verò ( faxit Deus Optimus
Maximus ) prorsus una.
M l'Abbé de Lionne finit
en Siamois, au nom des Ouvriers
Apoftoliques qui travaillent
à Siam , & dans les
Royaumes voiſins . Voicy ce
qu'il dit en certe Langue.
Vſqu'icy, MESSEIGNEVRS,
j'ay vû avec une extrême joie,
204 IV. P. du Voyage
L'empressement extraordinaire que
toute la France a fait paroître à vous
témoigner l'estime,le refpest l'admiration
qu'elle a pour le très-Puif-
Sant Roy, votre Maître, &pour vous
en particulier , qui foûtenez icy fi
excellemment faDignité. Voicy l'unique
occasion où j'aye pû mêler ma
voix aux applaudſſemens publics,&
vous marquer quelque chose de mes
Sentimensfur cesujet. l'ofe dire qu'ils
Surpaffint ceux de tout le reſte des
hommes; &pour en convenir, vous
n'avez qu'à faire reflexion aux vaifons
fingulieres & personnelles que
j'ay de parler ainsi. Les autres connoiſſent
à la verité le Roy de Siam ,
Sur ce que la Renommée a publiéde
fes grandes qualitez ; mais quoiqu'-
elle ait dit du rang éminent qu'il
tient entre tous les Princes de l'o-
4
desAmb. de Siam. 205
1
ment ,
vient , de la richeſſe de ſes tresors .
de la penetration étonnante deſon efprit,
de la ſageſſe de ſon Gouvernede
l'application infatigable
qu'ildonne aux affaires de son Etat,
deson difcernement &de son amour
pour le veritable merite , de cette
merveilleuse ardeur qu'il a de tout
connoître & de tout sçavoir, de cette
affabilité qui , sans rien diminuer
de sa grandeur , luy apprend à se
proportionner à toutle monde, &qui
attire chez lay ce prodigieux nom.
bre d'Etrangers ; & ce qui nous touche
de plus prés , de cette bontépar
ticuliere qu'il a pour les Ministres
du Vray Dieu ; tout cela, dis-je, quelque
grand qu'il soit , n'est- il pas
encore au deſſous de ce que découvrent
dansſa perſonne Royale, tous ceux qui
ont le bonheur de l'approcher , & ce
206 IV. P. du Voyage
que j'y ay découvert tant de fois
moy- même ? Il en est ainsi à proporsion
des jugemens avantageux que
l'on a portez icy de vos Excellences.
On a admiré , par exemple , & l'on
n'oubliera jamais la juſteſſe&lasubtilité
de vos reponses ; cependant on
na souvent connu que la moindre
partie de leur beautè , elles en perdoient
beaucoup dans le paſſage d'une
langue à l'autre , & moy-méme
j'avois une espece d'indignation de
me voir dans l'impoſſibilité de leur
donner tout leur agrément & toute
Leur force. On a admiré ce fond de
politeſſe , qui vous rend capables
d'entrer (i aiſement dans les manieres
particulieres de chaque Nation,
quelques differentes que toutes les
Nations foient entre elles. On a admiré
cette prodigieuse égalité d'ame
• des Amb de Siam. 207
& cette Paix qui ne se trouble jamais
de rien ; on a admiré enfin cent
autres qualitez excellentes qui éclatent
tous les jours dans vos perſonnes
; cependant ceux qui en ont
esté touchez, ne vous ont vû que
comme en paſſant; qu'auroit- ce esté,
s'ils avoient eu le moyen de vous
confiderer plus à loiſir&deplus près ?
Les ordres du tres-Grand Roy de
Siam m'ont procure cét avantage ,
lorſqu'il a joint à tous les témoignages
de bonté qu'il m'avoit déja donnez
, celuy de ſouhaiter que je vous
accompagnaſſe en France . Vous y avez
ajouſté mille marques touchanres
de vôtre amitié , & la Nature
Seule qui inſpire à tous les hommes
la reconnoiſſance , suffiroit pour me
donner les fentimens les plus reſpectueux
pour votre Grand Prince,les
208 IV . P.du Voyage
plus tendres pour vos personnes , &
les plus Zelez pour votre Nation :
mais Dieu , dont la Providence conduit
tout avec une fageffe & une
bonte admirable, a pris foin luy-meme
de fortifier infiniment ces fentimens
dans mon coeur , en me confirmant
dans le defſſein de paſſer ma
vie avec vous, &de la consacrer à
vôtre ſervice, pour tâcher de contri
buer à vôtre bonheur eternel.
La lecture de tous ces
Complimens eftant finie , te
premier Ambaſſadeur dit ,
qu'ils estoient trés - obligez au
Seminaire des honneſtetez qu'il
leurfaifoit ; qu'ils luy donnoient
avec plaifir par leur viſite une
nouvelle marque de leur eftimes
des Amb. de Siam. 209
que le Roy leur Maistre , leur
avoit ordonné de prendre confiance
en ceux qui gouvernoient
cette Maison ; qu'ils rendroient
un compte exact à Sa Majesté,
des ſervices importans qu'ils recevoient
d'eux tous les jours depuis
leur arrivée à Paris ; qu'ils
n'avoient eſté en aucun lieuplus
volontiers que chez eux ; &que
s'ilspouvoient quelque jour dans
Ieur Pays donner à leurs Miffionnaires
des témoignages effectifs
de leur affection & de leur
reconnoiffance, ils le feroient avec
la plus grande joye du monde.
Apeine eut-il ceffé de par-
S
210 IV. P. du Voyage
/
ler, qu'on vint avertir que la
Table eſtoit ſervie . C'eſtoit
uneTable ovale à vingt couverts,
placez dans un Refectoire
qui estoit fort éclairé
de bougies. Le Repas fut un
Ambigu , où il y eut , pour
marque de distinction
double Service devant les
,
un
Ambaſſadeurs , & où l'abondance,
la delicateffe &la propreté
parurent également par
tout. La dépenſe en fut faite
par une Perſonne de pieté,
qui ayant appris l'honneur
que les Ambaſſadeurs vouloient
faire au Seminaire de
des Amb. de Siam . 211
le vifiter , & l'embarras où ſe
trouvoit le Superieur fur la
maniere de les recevoir ( parcequ'il
ne croyoit pas que
ſelon leurs idées il convinſt à
l'humilité de ſa profeffion,
ny à la pauvreté de ſa Maifon
, de faire un Repas qui
répondiſt à la grandeur de
leur caractere , & au merite
de leurs perſonnes ) le pri
de ne ſe mettre en peine de
rien , & fe chargea genereufement
de pourvoir à tout.
Chaque Ambaſſadeur & chaque
Mandarin avoit derriere
luy un Homme appliqué u-
Sij
212 IV. P. du Voyage
niquement à le ſervir , & on
donna de ſi bons ordres pour
tout le reſte, que tout ſe paffa
fans confufion & fans bruit.
Ainſi la tranquilité qui regna
toûjours , fit affez voir qu'on
eſtoit dans une Communauté
reglée. M¹ deBrifacier qui
n'ignoroit pas combien les
Ambaſſadeurs font choquez
des dépenses que font des
Preftres , jugea qu'il eſtoit à
propos de leur declarer de
bonne foy la chofe comme
elle eſtoit , & de leur dire,
pour les prévenir, en les conduiſant
au Refectoire,que s'ils
des Amb. de Siam. 213
trouvoient dans la Collation
qu'on leur alloit faire , quelque
forte de magnificence , ils n'en
devoient pas estre ſcandalisez
comme d'un excezcondamnable
dans une Maison Eccleſiaſtique,
mais qu ils devoient pluſtoſt l'agréer
comme un effet loüable du
Zele d'une Perſonne dont il n'avoit
pas crû devoir borner la generofité
dans une occafion, où il
ne penſoit pas qu'on pûst trop
faire pour eux. Pendant que
les Maiſtres estoient àTable,
on en ſervit une autre à fix
couverts , dans un lieu tout
proche , pour les Interpretes
274 IV. P. du Voyage
& les Secretaires . Les Gens
mangerent enfuite , & avant
dix heures les Ambaſſadeurs
ſe retirerent dans leur Hoſtel
avec de grandes marques de
fatisfaction .
Fermer
Résumé : Tout ce qui s'est passé au Seminaire des Missions Etrangeres, le jour que les Ambassadeurs y ont esté regalez, avec les cinq Harangues qui leur ont esté faites dans ce Seminaire. [titre d'après la table]
Le 10 décembre, les ambassadeurs de Siam visitèrent le Séminaire des Missions Étrangères. Initialement, ils souhaitaient rencontrer l'abbé de Lionne et M. de Brifacier, mais ces derniers étaient occupés à Versailles. À leur retour, les ambassadeurs furent accueillis par l'abbé de Choisi, qui leur offrit du thé et brûla du bois d'Aquila pour parfumer l'air. Ils rencontrèrent également plusieurs personnalités, dont le duc de Laon et le marquis de Coeuvres. M. de Brifacier, accompagné d'ecclésiastiques, prononça un compliment préparatoire, suivi de compliments en hébreu, grec, latin et siamois. Chaque compliment soulignait l'honneur de recevoir les ambassadeurs et exprimait des vœux de santé et de succès pour leur mission. Le compliment en latin fut prononcé en entier, tandis que les autres furent traduits en siamois par Antoine Pinto et Gervaise. L'abbé de Lionne conclut en siamois, exprimant la joie de la France et son admiration pour le roi de Siam et les ambassadeurs. Il souligna les qualités exceptionnelles des ambassadeurs et leur capacité à représenter dignement leur roi. Les ambassadeurs exprimèrent leur gratitude pour l'accueil et les honneurs reçus, promettant de rendre compte au roi de Siam des services rendus par le Séminaire. Lors du repas, les missionnaires témoignèrent de leur affection et de leur reconnaissance. La table, ovale et pouvant accueillir vingt convives, était placée dans un réfectoire bien éclairé. Le repas, qualifié d'ambigu, se distinguait par un double service pour les ambassadeurs et se caractérisait par son abondance, sa délicatesse et sa propreté. La dépense fut prise en charge par une personne pieuse, qui avait appris la visite des ambassadeurs et l'embarras du supérieur du séminaire concernant la manière de les recevoir. Chaque ambassadeur et mandarin avait un serviteur dédié, et tout se déroula sans confusion ni bruit, démontrant l'ordre de la communauté. Monsieur de Brifacier expliqua aux ambassadeurs que la magnificence du repas était due à la générosité d'une personne et non à un excès condamnable. Pendant que les maîtres étaient à table, un autre repas fut servi aux interprètes et secrétaires. Les ambassadeurs se retirèrent satisfaits avant dix heures.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 3-48
AVANTURE nouvelle.
Début :
Un Gentilhomme d'un veritable merite, & d'une naissance [...]
Mots clefs :
Marquis, Chevalier, Belle, Coeur, Amour, Plaisir, Sentiments, Esprit, Mariage, Passion, Peine, Chagrin, Amoureux, Jeune, Violence, Beauté, Devoir, Engagement, Entretenir
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : AVANTURE nouvelle.
tA-VANTV RE
nouvelle.
N Gentilhomme
d'un ver itable mérite
, 5c d'une naissance
aflfczdiftinguée pour a:-,,
Voir[pris'lenomde Marquis
sans qu'on pût dire
qu'il l1eueusurpé, étant
un jour allé entendre un
concert, où il fut mené
par un ami, trouva dans
la maison où il se faisoit
une Demoiselle dont la
beauté lui parut piquante.
Elle étoitblonde,
avoit les traits assez reguliers,
le teint d'un
éclat qui surprenoitC 8C
une douceur toute charmante
répandue sur son
vifagc. Il fit fibien qui
se plaça auprès d'elle; &C
tandis que tout le monde
prêtoit l'oreille avec
foin aux belles voixdont
le concert etoit composé
,
il eut lesyeuxtoûjours
attachez sur cette
aimable personne. Les
paroles qu'on chanta lui
donnèrent lieu de l'entretenir.
Il en tira de
quoy la flater sur son merité;&
s'il la mit dans
quelque embarras à forr
ce de lui donner des
loüanges, il ne laissa pas
de s'appercevoir qu'elle
avoit l'esprit aisé, &C
que le silence qu'ellegardoit
quelquefois étoit un
effet de sa mode stie. Il
ne sortit point de l'assemblée
sans avoir appris qui
elle étoit. Il fçut que sa
qualitérépondoit à fou
merite, & qu'ayant perdu
(on pere & sa mere
dans son plus bas âge,
elle demeuroit chez une
tante quis'étoit chargée
ic Ca conduite. jCorrune
4, l'avoittrouvce toute
aimable, l'envie de la
voir avec quelque liberté
Lui fie ch erc her accès
auprès de la tante;Se
vous jugez bien qu'ayant
de l'esprit 8c du fçavoirfaiiç
,il n'eut pas de peine
à y relilTiF, Dans les
premiers foins qu'il s'attacha
à lui rendre, son
unique vûë fut le plaisir
-d'un amufernent honne.
te qui l'occupât pendant
quelques heures. Il dit
force douceurs à la bellesepreparant
au triomphe
d'attendrir un jeune
coeur. Ce ne lui fut
pas une chose aisée. Elle
s3'accoûA tuma a 1l,'entendre
,
sans qu'aucun sentiment
particul ier lui
fîr découvrir qu'elle fut
touchée; &cetteespece
d'indiffcrence blessant le
Marquis, qui étoit fier
naturellement, il ne put
souffiir sans beaucoup
de peine qu'elle lui ôtât
la gloire de lui laisser remarquer
en elle un commencement
de passion.
Ce n'est pas qu'elle n'eût
pour lui des honnêtetez,
dont il eût eu lieud'être
content, s'iln'eût souhaité
que del'estime :
ma is ce n'étoientpoint
des honnêtetez de diftinérion,
& il regardoit
comme une honte, qu'-
elle attendît son entier
hommage pour se declarer,
après que partout
ailleurs on l'avoit
presque toûjours prévenu
par des avances. Cependant
les manières de
la belle, de quelque froideur
qu'elles lui parussent
, ne laisserent pas
d.e1:enflâmer, Si meme
on peut dire que ce fut
ce qui porta son amour
à toute la violence qu'il
commença de sentir. Il
iy abandonna malgré
lui, & à quelque plix
que ce pût étre, il rèlOlut
de.se donner le plaisir
de se fairedirequ'il
étoit aimé. Ses empreffçmeus,
qu'il redoubla.,
le firent voir le plus amoureux
de tous les
hommes. Il dit à la belle
leschofès les plus flateuses,
& ne douta point
qu'en lui déclarant qu'il
la vouloit époufer,il ne
lui çausât toute la joye
que lui devoit inspirer
une alliance si avantageufe.
La belle reçut
cette dec laration avec
beaucou p de reconnoiiTance
> &C après lui
avoir marqué en ternies
fort serieux qu'clle
luiétoit sen siblement
obligée de l'honncur
qu'illui faisoit,elleajouta
que dépendant d'une
tante, dont lesvolontez
regloient les siennes,cetoit
à elle qu'il se devoit
adresser. Une réponse si
peu attenduë déplut au
Marquis. Ilditàlabelle,
avec un peu de chagrin,
qu'ilnesongeoit à se
marier que pour vivre
heureux > qu'il ne pouvoit
l'être s'iln'avoit son
coeur, & que ne voulant
le devoir qu'à dtcmême,
il seroit fort inutile
de lui faire demander,
le consentement de
ses parens, tant qu'illa
verroic dans cette reserve.
Il fie ce qu'il put pour
l'en tirer, & ses plus fortes
prieres n'obtinrent
rien de plus favorable
pour sa paisson
,
qu'une
assurance qu'elle suivrois
son devoir sans aucune
peine, & qu'aussitôt
que sa tante auroit
parlé0 il auroit sujet d'être
content. Le Marquis
tira de làuneconfequence
qui fit fbuHrirfa delicateffc.
Il s'en expliqua
avec la belle
,
& lui dit'
d'un ton de plainte,qu'il
lui devoit estre bien fâi
cheux de, voir que si la
tanre soppofoit à (on
bonheur, clic feroit prelte
à le dégager pour la
fatisfiuie. Labelle luircpliqua
qu'il se faisoit
tore de craindre qu'on
n'eust pas pour lui les
égards qui étoient deus
6càsonmérité & à sa
naissance;S£ n'ayant pu
l'obliger de se declarer
plus precifémerit, illui
fit connoître qu'il alloit
remettre au temps le
succés de sesdesseins,
afin que Imipression que
ses services feroient sur
son coeur lui fît tenir
d'elle feule ce que son
amour ne pouvoit devoir
à d'autres. Il continua
ses soins, qui furent toujours
reçus d'une man
iéré assez engageante.
L'étatoù il se trouvoit avoir
quelque chose d'extraordinaire.
Il aimoit
avec excés ; & quoique
labelle lui fît voir beaucoup
coup d'estime, 6C qu'il
ne remarquât rien qui
lui fît apprehender que
sa recherche ne lui sust
pas agreable, il ne pouvoit
se resoudre à presser
de rien conclure,
| parce qu'il ne voyoit pas
i qu'elle eust pour luy les
< empressemens dont il
croyoit que sa passion le
; rendroit digne. Les cho-
} ses ayant encore demeuré
un peu detempsdans
ces melmes termes,elles
changèrent de face par
un incident qui eut des
fuites qu'on n'attendoit
pas. Le Marquis avoit
un frere qu'on nommoit
Je Chevalier. Il estoit à
Rome depuis trois ou
quatre années, & il en
revint en ce temps-là.
Le Marquis qui avoit
toujours vescu avec luy
dans la plus étroiteliaison
que l'amitié ait jamais
établie entre deux
freres
, ne manqua pas
un peu après son retour,
de l'entretenir de samaistresse.
Ilne luy parla
ni de son esprit ni de sa
beauté, &C voulant qu'il
en jugeast par luy-mesme,
ille mena chez cette
jeune personne. Le Chevalier
qui avoit acquis
dans ses Voyages certaines
maniérés pleines
d'agrément qui perfectionnent
les heureux ta-
Jens que l'on a receus de
la natute,brilla fort avec
la belle dans une assez
longue conversationqui
fut aussivive qu'enjoüée.
Il fut touché de ce qu'il
connut d'aimable en elle,
& son frere luy ayant
demandé son sentiment,
il luy en dit millebiens,
& ne pouvoit fc lasser
de luy applaudir sur le
choix qu'il avoit fait.
Le Marquis ravi d'estre
approuvé, &. ne trouvant
point de plus grand
plaisir que d'entendre
parler d'elle,engagea le
Chevalier à la voir souvent.
C'estoient toujours
de nouveaux applaudiffemens
qu'il recevoir sur
f sa passion; & comme il
i estoitaisé de voir que le
Chevalier luy parloirde
bonne soy, & que rien
n'enflâme tant que les
:; louanges qu'on entend
donner ace qu'on aime,
J le Marquis sans y penser
i prenoit desredoublemés
; d'amour dont il ne pouvoit
démefler toute la
force. Il trouvoit que sa
maistresse avoit plus d'esprit
de jour en jour, &C
il ne comprenoit pas
qu'il lui étoit inspiré par
l'envie de plaire. La belle
ne sçavoit pas ellemesme
d'où lui venoient
de certains je ne sçay
quoy qui la rendoient
pluscharmante, & qui
lui donnoient en tout
une vivacité extraordinaire.
Elle suivoit un
panchant quelle neconnoissoit
pas, & le Chevalier
ne faisantrien qui
ne parlast à sonavantage,
elle abandonnoic son
coeur avec plaisir à des
sentimens qu'ellen'avoit
jamais eus. Elle ne s'a pperceut
mesme qu'ils
étoient nouveaux pour
elle, que lorsque le Chevalier
passa trois ou quatre
jours sans la venir
voir avec son frere. Elle
en montra quelque trouble,&
l'empressement
qu'elle avoit à demander
ce qui l'occupoit ailleurs,
étoit une marque
qu'elle y prenoit intesest.
Elle étoit moins
gaye lereste du jour, &
quand le Chevalier revenoit
, outre la joye
qu'elle laissoit éclater sur
son virage, elle lui faisoit
de si obligeans reproches
de sa négligence
, qu'elle ne pouvoit
lui dire plus ouvertement
ment que rien ne lui
plaisit tant que ses visites.
Elle ne cachoit rien
detoutecela au Marquis,
parce qu'agissant naturellement,
& n'ayant jamais
connu ce que c'étoit
quel'amour elle
étoit bien éloignée de
penser qu'il y eust rien
dans ses sentimens dont
il lui salut faire mystere.
Cependant comme
un amant véritablement
touché a les yeux bien
éclairez sur les moindres
choses, le Marquis
connut bientôt que sa
maîtreflfe sentoit pour le
Chevalier ce qu'il n'avoit
jamais pu lui faire
sentir pour lui. Il en eut
un depit secret qui fut
soutenu par sa fierté;
& au lieu d'y donner
ordre en l'empeschant
de le voir, il s'en fie accompagner
toutes les
fois qu'il alla chez elle.
Il étoit toujours de bonnehumeur;
Se sans laisfer
échaper aucun mouvement
ni de jalousie,
ni de chagrin, il montroit
un esprit libre qui
auroit trom pé les plus
clairvoyans. Le Chevalier
y fut abusé, & ne
crut point que par cette
fausse liberté d'esprit il
se ménageât celled'observer
ce qui se passoit
dans le coeur de samaitresse
: mais comme la
belle avoit pour lui une
honnesteté qui lui découvroit
des sentimens
plus forts que l'estime,
& qu'il se feroit senti de
grandes dispositions à y
répondre sans l'engagement
où il la voyoit, il
resolut, & pour Ton repos
, & pour s'acquicrer
de ce qu'il devoit à l'amitié
du Marquis, de renoncer
à une voue agreable,
mais qui pouvoie
le mettre en peril d'aller
plus loin qu'il ne lui
étoit permis. Ilavoitdéja
celle de parler si fortement
à son frere du
mérite de la belle, de
peur que le plaisir d'en
dire du bien ne découvrist
trop ce qu'il eust
voulu pouvoir se déguiser
à lui-mesme 5 & le
Marquis
,
homme attentif
à tout remarquer,
avoit jugé comme il le
devoit de cette reserve.
Ainsi quand le Chevalier
lui dit qu'il avoit
dessein de faire un voyage,
il entra d'abord dans
le motifqui en étoit eause
;& ce que la belle lui
avoit fait paroîtreavec
ingénuité de ses nouveaux
sentimens, ne lui
permettant point de
douter que leurs coeurs
ne s'entendirent sans
s'être expliquez, il fit
un effort sur lui pour
ne montrer aucune foiblesse.
A pres avoir pris
un visage gai, ildità
son frere qu'il voyoit
son embarras; que non
seulement il aimoit la
belle: mais qu'il avoit
dû s'appercevoir qu'il
avoit touché son coeur;
& que pour n'écouter
pas une passion qui lui
pouvoit attirer le blâme
de s'être fait son rival,
il se resol voit à s'éloigner.
Là dessus il l'embrassa,
comme lui étant
fort obligé des égards
honncces qu'il avoit
pour lui,&luidit enfuite
queleplus grand
plaisir qu'il lui pouvoic
faire étoit de ne point
partir, &, de continuer
à voir sa maitresse. Il
ajoûta qu'il l'aimoit
beaucoup
par les belles
qualitez qui la rendoient
estimable:mais que son
amour n'ayant jamais
été assezfort pour lui
faire vaincre l'aversion
qu'il avoit toûjours sentie
pour le mariage, il
s'étoit tenu dans les seuls
termes d'amant, sans avoir
osé pousser les cho
ses plus loin : qu'a prés
l'ouverture qu'il lui faisoit,
c'étoit à lui à se con- sulter, & que s'il étoit
assez amoureux pour
vou loir bien épouser la
belle, il lui cederoit ses
pretentions avec d'autant
plus de joye, qu'il
empêcheroiten l'épousant
qu'on ne se plaignistdelui.
Ce discours
surprit tellement le Chevalier,
qu'il en demeura
embarassé.Ilrépondit
que n'ayant rien à se reprocher
dans sa conduite,
il ne se défendroit
point des sentimens qu'-
on lui vouloit imputer;
qu'il ne desavoüoit pas
que l'esprit & la beauté
de la personne dont il
s'agissoit ne l'eussent rendu
sensible
: mais que
tout ce qu'il sentoit demeurant
soûmis à sarai;,,'
son, il n'avoit point à I s'expliquer là-dessus ;
qu'il consentoit à ne
point partir, si l'on jugeoit
à propos qu'il sus-
, pendistson voyage: mais
qu'il seroit inutile de
lui demander qu'il 6ft
encore des visites ; qu'-
absolument il n'en rendroit
aucune à la belle
que sa fortune ne fust
! arre stée; que le Marquis
|1 ayant tant de sujet de l'aimer, pouvoiç fatisr
faire son amour, puis
qu'il ne tenoit qu'à lui
de se ren d re heureux;
& que s'il étoit vrai qu'il
fust assez ennemidu mariage
pour estre bien aise
de rompre l'engagement
qu'il avoit pris avec elle,
il pouvoit donner
telle parole qu'il lui plairoit
en son nom, avec assurance
qu'il ne seroit
pointdesavoüé. Le Marquis
n'en voulut point
sçavoir davanta ge. liaila
trouver la belle, & lui
dit qu'il étoit temps
qu'il connusts'il étoit
aimé veritablement. La
belle,qui crut qu'il pretendoit
encore la faire
expliquer, & qui se
sentoit moinsdisposée
que jamais à se réjoüir
des marques qu'il lui
pouvoit donner de sa
passion
,
lui répondit avec
beaucoup de froideur,
que sa tante [eure
pouvoit disposer de ses
volontez
, comme elle
l'en avoitdéjà assuré,
&qu'il n'étoit pas befoin
qu'il la confulrât
sur cequil avoit à faire.
Le dépit qui animoit le
Marquis depuis quelque
temps, le fit passer
par- dessus l'aigreur de
cette réponse. Il repliqua
qu'elle n'étoit pas
entrée dans ce qu'il avoit
voulu lui dire;que
s'étant examiné dans les
sentimens qu'il avoit
pour elle, il s'etoit connu
si mal disposé au mariage,
que dans la crainte
de ne la pas rendre
aussiheureuse qu'elle
meritoit de rcfirej il la
prioit, si elle avoit un
peu de bonté pour lui,
de vouloir bien recevoir
son frere en sa place, &C
de trouver bon qu'il allât
traiter cette affaire
avec sa tante. L'émotion
que fit voir la belle trahit
tout le secret de son
coeur. Elle ne sçut que
répondre, tant la joye
l'avoit saisie; & ce ne
fut qu'aprés que le Marquis,
en continuant a
lui parler,lui eut donné
le temps de vaincre son
trouble,qu'elle lui dit,
quoy qu'un peu deconcertée
,
qu'elle se feroit
toûjoursun fujctde joye
de l'obliger: mais qu'-
elle n'avoit pas lieu de
presumer assez d'elle-même,
pour se flater que
le
le mariagequ'il lui proposoit
fût agreable à son
frere. Le Marquis en répondit,
&cetteassurance
mit la belle dans un
état de plaisir, qui lui fit
connoître tout ce que
l'amour avoit produit
pour le Chevalier. L'en-
, tiere certitude qu'il en
eut par là le fit resoudre
à ne plus songer à elle,
& s'applaudissant de ce
dessein, comme s'il eût
dû la punir & le vanger,
parce qu'en effet le
parti du Chevalier lui
étoit moins avantageux,
il alla trouver latante.
Elle fut surprise de ce
changement : mais il
lui parla d'un air si libre,
& lui peignit avec
,
tant de force le dégoût
presque invincible qu'il
avoit du mariage, ( ce
qui l'avoit obligé d'amener
son frere chez sa
niece, dont il avoit bien
prévû qu'il deviendroit
amoureux ) qu'elle demeura
persuadée qu'il
nedisoitrien qui ne fût
vrai.Elle ne voulut pourtant
lui donner aucune
parole, qu'elle n'eût fçû
les sentimens de sa niece.
Elle les avoit déja pêne-*
trez, & lui reprocha qu'-
elle perdoit le rang de
Marquise pour ne s'être
pas assez possedée : mais
c'étoit un jeune coeur
surpris par l'amour, sans
qu'il se fust fait connoître.
La bellene put s'empêcher
de parler du Chevalier
d'une maniere fort
avantageuse;&satante
la vit tellement satisfaite
de ce choix, qu'elle
y donna son consentement.
Le Chevalier resista
long-temps à ce
que son frere avoit fait
pour lui. Il le pria de
se mieux examiner, Se
de craindre qu'un peu
de chagrin n'eust part à
laresolution qu'il avoit
prise: mais plus il fit
voir pour lui d'honnê-
1 teté là-dessus
,
plus le
; Marquis l'assura querien
'; ne lui pouvoit faire tant
, de plaisir que son mariage,
& il lui reïtera ces
assurances avec des manieres
si ouvertes Se d'un
cfprit si content, qu'il
ne laissa plus de scrupule
au Chevalier. Il continua
de se fcrvir du mê- tme pretexte; Se pour
mieux faire paroître que
son coeur étoitentierement
libre,ilfit dresser
te contrat lui-même,&
voulut faire les frais de
la noce. Rien ne lui fit
peine en tout cela, & il
leprocesta à tous ses amis.
Cependant on ne
futpasplutôt revenu de
l'Egliseoù le mariage
venoitd'estrefait,qu'on
fut surpris de le voir tomber
dans un chagrin extraordinaire.
Ilditqu'il
se trouvoit mal, & en
effet deux heures après
la fievre le prit avec une
extreme violence. Cet
accident troubla fort la
joye des mariez; & leur
déplaisir augméta beaucoup
le lendemain,
quand le transport au
cerveau ne le laissant
plusmaîtrede sa raison,
fit connoître la vraiecause
de son mal. Il dit cent
choses touchantes sur ce
qu'il n'avoit pu se faire
aimer de la bélier sur
la necessité où il setoit
veu de la ceder à son
frcre. On connut par là
qu'il s'étoitfait violence,
& que la contrainte qu'il
avoir tâché de s'imposer
lavoir réduit au tnalheureuxétatoù
il Ce trouvoit.
Ilvécutencoretrois
jours, pendant lesquels
ses agitations redoublerent
,
sans qu'il cessât
de parler du defcfpoir
où lavoit jette son trop
de delicatcfsc.
nouvelle.
N Gentilhomme
d'un ver itable mérite
, 5c d'une naissance
aflfczdiftinguée pour a:-,,
Voir[pris'lenomde Marquis
sans qu'on pût dire
qu'il l1eueusurpé, étant
un jour allé entendre un
concert, où il fut mené
par un ami, trouva dans
la maison où il se faisoit
une Demoiselle dont la
beauté lui parut piquante.
Elle étoitblonde,
avoit les traits assez reguliers,
le teint d'un
éclat qui surprenoitC 8C
une douceur toute charmante
répandue sur son
vifagc. Il fit fibien qui
se plaça auprès d'elle; &C
tandis que tout le monde
prêtoit l'oreille avec
foin aux belles voixdont
le concert etoit composé
,
il eut lesyeuxtoûjours
attachez sur cette
aimable personne. Les
paroles qu'on chanta lui
donnèrent lieu de l'entretenir.
Il en tira de
quoy la flater sur son merité;&
s'il la mit dans
quelque embarras à forr
ce de lui donner des
loüanges, il ne laissa pas
de s'appercevoir qu'elle
avoit l'esprit aisé, &C
que le silence qu'ellegardoit
quelquefois étoit un
effet de sa mode stie. Il
ne sortit point de l'assemblée
sans avoir appris qui
elle étoit. Il fçut que sa
qualitérépondoit à fou
merite, & qu'ayant perdu
(on pere & sa mere
dans son plus bas âge,
elle demeuroit chez une
tante quis'étoit chargée
ic Ca conduite. jCorrune
4, l'avoittrouvce toute
aimable, l'envie de la
voir avec quelque liberté
Lui fie ch erc her accès
auprès de la tante;Se
vous jugez bien qu'ayant
de l'esprit 8c du fçavoirfaiiç
,il n'eut pas de peine
à y relilTiF, Dans les
premiers foins qu'il s'attacha
à lui rendre, son
unique vûë fut le plaisir
-d'un amufernent honne.
te qui l'occupât pendant
quelques heures. Il dit
force douceurs à la bellesepreparant
au triomphe
d'attendrir un jeune
coeur. Ce ne lui fut
pas une chose aisée. Elle
s3'accoûA tuma a 1l,'entendre
,
sans qu'aucun sentiment
particul ier lui
fîr découvrir qu'elle fut
touchée; &cetteespece
d'indiffcrence blessant le
Marquis, qui étoit fier
naturellement, il ne put
souffiir sans beaucoup
de peine qu'elle lui ôtât
la gloire de lui laisser remarquer
en elle un commencement
de passion.
Ce n'est pas qu'elle n'eût
pour lui des honnêtetez,
dont il eût eu lieud'être
content, s'iln'eût souhaité
que del'estime :
ma is ce n'étoientpoint
des honnêtetez de diftinérion,
& il regardoit
comme une honte, qu'-
elle attendît son entier
hommage pour se declarer,
après que partout
ailleurs on l'avoit
presque toûjours prévenu
par des avances. Cependant
les manières de
la belle, de quelque froideur
qu'elles lui parussent
, ne laisserent pas
d.e1:enflâmer, Si meme
on peut dire que ce fut
ce qui porta son amour
à toute la violence qu'il
commença de sentir. Il
iy abandonna malgré
lui, & à quelque plix
que ce pût étre, il rèlOlut
de.se donner le plaisir
de se fairedirequ'il
étoit aimé. Ses empreffçmeus,
qu'il redoubla.,
le firent voir le plus amoureux
de tous les
hommes. Il dit à la belle
leschofès les plus flateuses,
& ne douta point
qu'en lui déclarant qu'il
la vouloit époufer,il ne
lui çausât toute la joye
que lui devoit inspirer
une alliance si avantageufe.
La belle reçut
cette dec laration avec
beaucou p de reconnoiiTance
> &C après lui
avoir marqué en ternies
fort serieux qu'clle
luiétoit sen siblement
obligée de l'honncur
qu'illui faisoit,elleajouta
que dépendant d'une
tante, dont lesvolontez
regloient les siennes,cetoit
à elle qu'il se devoit
adresser. Une réponse si
peu attenduë déplut au
Marquis. Ilditàlabelle,
avec un peu de chagrin,
qu'ilnesongeoit à se
marier que pour vivre
heureux > qu'il ne pouvoit
l'être s'iln'avoit son
coeur, & que ne voulant
le devoir qu'à dtcmême,
il seroit fort inutile
de lui faire demander,
le consentement de
ses parens, tant qu'illa
verroic dans cette reserve.
Il fie ce qu'il put pour
l'en tirer, & ses plus fortes
prieres n'obtinrent
rien de plus favorable
pour sa paisson
,
qu'une
assurance qu'elle suivrois
son devoir sans aucune
peine, & qu'aussitôt
que sa tante auroit
parlé0 il auroit sujet d'être
content. Le Marquis
tira de làuneconfequence
qui fit fbuHrirfa delicateffc.
Il s'en expliqua
avec la belle
,
& lui dit'
d'un ton de plainte,qu'il
lui devoit estre bien fâi
cheux de, voir que si la
tanre soppofoit à (on
bonheur, clic feroit prelte
à le dégager pour la
fatisfiuie. Labelle luircpliqua
qu'il se faisoit
tore de craindre qu'on
n'eust pas pour lui les
égards qui étoient deus
6càsonmérité & à sa
naissance;S£ n'ayant pu
l'obliger de se declarer
plus precifémerit, illui
fit connoître qu'il alloit
remettre au temps le
succés de sesdesseins,
afin que Imipression que
ses services feroient sur
son coeur lui fît tenir
d'elle feule ce que son
amour ne pouvoit devoir
à d'autres. Il continua
ses soins, qui furent toujours
reçus d'une man
iéré assez engageante.
L'étatoù il se trouvoit avoir
quelque chose d'extraordinaire.
Il aimoit
avec excés ; & quoique
labelle lui fît voir beaucoup
coup d'estime, 6C qu'il
ne remarquât rien qui
lui fît apprehender que
sa recherche ne lui sust
pas agreable, il ne pouvoit
se resoudre à presser
de rien conclure,
| parce qu'il ne voyoit pas
i qu'elle eust pour luy les
< empressemens dont il
croyoit que sa passion le
; rendroit digne. Les cho-
} ses ayant encore demeuré
un peu detempsdans
ces melmes termes,elles
changèrent de face par
un incident qui eut des
fuites qu'on n'attendoit
pas. Le Marquis avoit
un frere qu'on nommoit
Je Chevalier. Il estoit à
Rome depuis trois ou
quatre années, & il en
revint en ce temps-là.
Le Marquis qui avoit
toujours vescu avec luy
dans la plus étroiteliaison
que l'amitié ait jamais
établie entre deux
freres
, ne manqua pas
un peu après son retour,
de l'entretenir de samaistresse.
Ilne luy parla
ni de son esprit ni de sa
beauté, &C voulant qu'il
en jugeast par luy-mesme,
ille mena chez cette
jeune personne. Le Chevalier
qui avoit acquis
dans ses Voyages certaines
maniérés pleines
d'agrément qui perfectionnent
les heureux ta-
Jens que l'on a receus de
la natute,brilla fort avec
la belle dans une assez
longue conversationqui
fut aussivive qu'enjoüée.
Il fut touché de ce qu'il
connut d'aimable en elle,
& son frere luy ayant
demandé son sentiment,
il luy en dit millebiens,
& ne pouvoit fc lasser
de luy applaudir sur le
choix qu'il avoit fait.
Le Marquis ravi d'estre
approuvé, &. ne trouvant
point de plus grand
plaisir que d'entendre
parler d'elle,engagea le
Chevalier à la voir souvent.
C'estoient toujours
de nouveaux applaudiffemens
qu'il recevoir sur
f sa passion; & comme il
i estoitaisé de voir que le
Chevalier luy parloirde
bonne soy, & que rien
n'enflâme tant que les
:; louanges qu'on entend
donner ace qu'on aime,
J le Marquis sans y penser
i prenoit desredoublemés
; d'amour dont il ne pouvoit
démefler toute la
force. Il trouvoit que sa
maistresse avoit plus d'esprit
de jour en jour, &C
il ne comprenoit pas
qu'il lui étoit inspiré par
l'envie de plaire. La belle
ne sçavoit pas ellemesme
d'où lui venoient
de certains je ne sçay
quoy qui la rendoient
pluscharmante, & qui
lui donnoient en tout
une vivacité extraordinaire.
Elle suivoit un
panchant quelle neconnoissoit
pas, & le Chevalier
ne faisantrien qui
ne parlast à sonavantage,
elle abandonnoic son
coeur avec plaisir à des
sentimens qu'ellen'avoit
jamais eus. Elle ne s'a pperceut
mesme qu'ils
étoient nouveaux pour
elle, que lorsque le Chevalier
passa trois ou quatre
jours sans la venir
voir avec son frere. Elle
en montra quelque trouble,&
l'empressement
qu'elle avoit à demander
ce qui l'occupoit ailleurs,
étoit une marque
qu'elle y prenoit intesest.
Elle étoit moins
gaye lereste du jour, &
quand le Chevalier revenoit
, outre la joye
qu'elle laissoit éclater sur
son virage, elle lui faisoit
de si obligeans reproches
de sa négligence
, qu'elle ne pouvoit
lui dire plus ouvertement
ment que rien ne lui
plaisit tant que ses visites.
Elle ne cachoit rien
detoutecela au Marquis,
parce qu'agissant naturellement,
& n'ayant jamais
connu ce que c'étoit
quel'amour elle
étoit bien éloignée de
penser qu'il y eust rien
dans ses sentimens dont
il lui salut faire mystere.
Cependant comme
un amant véritablement
touché a les yeux bien
éclairez sur les moindres
choses, le Marquis
connut bientôt que sa
maîtreflfe sentoit pour le
Chevalier ce qu'il n'avoit
jamais pu lui faire
sentir pour lui. Il en eut
un depit secret qui fut
soutenu par sa fierté;
& au lieu d'y donner
ordre en l'empeschant
de le voir, il s'en fie accompagner
toutes les
fois qu'il alla chez elle.
Il étoit toujours de bonnehumeur;
Se sans laisfer
échaper aucun mouvement
ni de jalousie,
ni de chagrin, il montroit
un esprit libre qui
auroit trom pé les plus
clairvoyans. Le Chevalier
y fut abusé, & ne
crut point que par cette
fausse liberté d'esprit il
se ménageât celled'observer
ce qui se passoit
dans le coeur de samaitresse
: mais comme la
belle avoit pour lui une
honnesteté qui lui découvroit
des sentimens
plus forts que l'estime,
& qu'il se feroit senti de
grandes dispositions à y
répondre sans l'engagement
où il la voyoit, il
resolut, & pour Ton repos
, & pour s'acquicrer
de ce qu'il devoit à l'amitié
du Marquis, de renoncer
à une voue agreable,
mais qui pouvoie
le mettre en peril d'aller
plus loin qu'il ne lui
étoit permis. Ilavoitdéja
celle de parler si fortement
à son frere du
mérite de la belle, de
peur que le plaisir d'en
dire du bien ne découvrist
trop ce qu'il eust
voulu pouvoir se déguiser
à lui-mesme 5 & le
Marquis
,
homme attentif
à tout remarquer,
avoit jugé comme il le
devoit de cette reserve.
Ainsi quand le Chevalier
lui dit qu'il avoit
dessein de faire un voyage,
il entra d'abord dans
le motifqui en étoit eause
;& ce que la belle lui
avoit fait paroîtreavec
ingénuité de ses nouveaux
sentimens, ne lui
permettant point de
douter que leurs coeurs
ne s'entendirent sans
s'être expliquez, il fit
un effort sur lui pour
ne montrer aucune foiblesse.
A pres avoir pris
un visage gai, ildità
son frere qu'il voyoit
son embarras; que non
seulement il aimoit la
belle: mais qu'il avoit
dû s'appercevoir qu'il
avoit touché son coeur;
& que pour n'écouter
pas une passion qui lui
pouvoit attirer le blâme
de s'être fait son rival,
il se resol voit à s'éloigner.
Là dessus il l'embrassa,
comme lui étant
fort obligé des égards
honncces qu'il avoit
pour lui,&luidit enfuite
queleplus grand
plaisir qu'il lui pouvoic
faire étoit de ne point
partir, &, de continuer
à voir sa maitresse. Il
ajoûta qu'il l'aimoit
beaucoup
par les belles
qualitez qui la rendoient
estimable:mais que son
amour n'ayant jamais
été assezfort pour lui
faire vaincre l'aversion
qu'il avoit toûjours sentie
pour le mariage, il
s'étoit tenu dans les seuls
termes d'amant, sans avoir
osé pousser les cho
ses plus loin : qu'a prés
l'ouverture qu'il lui faisoit,
c'étoit à lui à se con- sulter, & que s'il étoit
assez amoureux pour
vou loir bien épouser la
belle, il lui cederoit ses
pretentions avec d'autant
plus de joye, qu'il
empêcheroiten l'épousant
qu'on ne se plaignistdelui.
Ce discours
surprit tellement le Chevalier,
qu'il en demeura
embarassé.Ilrépondit
que n'ayant rien à se reprocher
dans sa conduite,
il ne se défendroit
point des sentimens qu'-
on lui vouloit imputer;
qu'il ne desavoüoit pas
que l'esprit & la beauté
de la personne dont il
s'agissoit ne l'eussent rendu
sensible
: mais que
tout ce qu'il sentoit demeurant
soûmis à sarai;,,'
son, il n'avoit point à I s'expliquer là-dessus ;
qu'il consentoit à ne
point partir, si l'on jugeoit
à propos qu'il sus-
, pendistson voyage: mais
qu'il seroit inutile de
lui demander qu'il 6ft
encore des visites ; qu'-
absolument il n'en rendroit
aucune à la belle
que sa fortune ne fust
! arre stée; que le Marquis
|1 ayant tant de sujet de l'aimer, pouvoiç fatisr
faire son amour, puis
qu'il ne tenoit qu'à lui
de se ren d re heureux;
& que s'il étoit vrai qu'il
fust assez ennemidu mariage
pour estre bien aise
de rompre l'engagement
qu'il avoit pris avec elle,
il pouvoit donner
telle parole qu'il lui plairoit
en son nom, avec assurance
qu'il ne seroit
pointdesavoüé. Le Marquis
n'en voulut point
sçavoir davanta ge. liaila
trouver la belle, & lui
dit qu'il étoit temps
qu'il connusts'il étoit
aimé veritablement. La
belle,qui crut qu'il pretendoit
encore la faire
expliquer, & qui se
sentoit moinsdisposée
que jamais à se réjoüir
des marques qu'il lui
pouvoit donner de sa
passion
,
lui répondit avec
beaucoup de froideur,
que sa tante [eure
pouvoit disposer de ses
volontez
, comme elle
l'en avoitdéjà assuré,
&qu'il n'étoit pas befoin
qu'il la confulrât
sur cequil avoit à faire.
Le dépit qui animoit le
Marquis depuis quelque
temps, le fit passer
par- dessus l'aigreur de
cette réponse. Il repliqua
qu'elle n'étoit pas
entrée dans ce qu'il avoit
voulu lui dire;que
s'étant examiné dans les
sentimens qu'il avoit
pour elle, il s'etoit connu
si mal disposé au mariage,
que dans la crainte
de ne la pas rendre
aussiheureuse qu'elle
meritoit de rcfirej il la
prioit, si elle avoit un
peu de bonté pour lui,
de vouloir bien recevoir
son frere en sa place, &C
de trouver bon qu'il allât
traiter cette affaire
avec sa tante. L'émotion
que fit voir la belle trahit
tout le secret de son
coeur. Elle ne sçut que
répondre, tant la joye
l'avoit saisie; & ce ne
fut qu'aprés que le Marquis,
en continuant a
lui parler,lui eut donné
le temps de vaincre son
trouble,qu'elle lui dit,
quoy qu'un peu deconcertée
,
qu'elle se feroit
toûjoursun fujctde joye
de l'obliger: mais qu'-
elle n'avoit pas lieu de
presumer assez d'elle-même,
pour se flater que
le
le mariagequ'il lui proposoit
fût agreable à son
frere. Le Marquis en répondit,
&cetteassurance
mit la belle dans un
état de plaisir, qui lui fit
connoître tout ce que
l'amour avoit produit
pour le Chevalier. L'en-
, tiere certitude qu'il en
eut par là le fit resoudre
à ne plus songer à elle,
& s'applaudissant de ce
dessein, comme s'il eût
dû la punir & le vanger,
parce qu'en effet le
parti du Chevalier lui
étoit moins avantageux,
il alla trouver latante.
Elle fut surprise de ce
changement : mais il
lui parla d'un air si libre,
& lui peignit avec
,
tant de force le dégoût
presque invincible qu'il
avoit du mariage, ( ce
qui l'avoit obligé d'amener
son frere chez sa
niece, dont il avoit bien
prévû qu'il deviendroit
amoureux ) qu'elle demeura
persuadée qu'il
nedisoitrien qui ne fût
vrai.Elle ne voulut pourtant
lui donner aucune
parole, qu'elle n'eût fçû
les sentimens de sa niece.
Elle les avoit déja pêne-*
trez, & lui reprocha qu'-
elle perdoit le rang de
Marquise pour ne s'être
pas assez possedée : mais
c'étoit un jeune coeur
surpris par l'amour, sans
qu'il se fust fait connoître.
La bellene put s'empêcher
de parler du Chevalier
d'une maniere fort
avantageuse;&satante
la vit tellement satisfaite
de ce choix, qu'elle
y donna son consentement.
Le Chevalier resista
long-temps à ce
que son frere avoit fait
pour lui. Il le pria de
se mieux examiner, Se
de craindre qu'un peu
de chagrin n'eust part à
laresolution qu'il avoit
prise: mais plus il fit
voir pour lui d'honnê-
1 teté là-dessus
,
plus le
; Marquis l'assura querien
'; ne lui pouvoit faire tant
, de plaisir que son mariage,
& il lui reïtera ces
assurances avec des manieres
si ouvertes Se d'un
cfprit si content, qu'il
ne laissa plus de scrupule
au Chevalier. Il continua
de se fcrvir du mê- tme pretexte; Se pour
mieux faire paroître que
son coeur étoitentierement
libre,ilfit dresser
te contrat lui-même,&
voulut faire les frais de
la noce. Rien ne lui fit
peine en tout cela, & il
leprocesta à tous ses amis.
Cependant on ne
futpasplutôt revenu de
l'Egliseoù le mariage
venoitd'estrefait,qu'on
fut surpris de le voir tomber
dans un chagrin extraordinaire.
Ilditqu'il
se trouvoit mal, & en
effet deux heures après
la fievre le prit avec une
extreme violence. Cet
accident troubla fort la
joye des mariez; & leur
déplaisir augméta beaucoup
le lendemain,
quand le transport au
cerveau ne le laissant
plusmaîtrede sa raison,
fit connoître la vraiecause
de son mal. Il dit cent
choses touchantes sur ce
qu'il n'avoit pu se faire
aimer de la bélier sur
la necessité où il setoit
veu de la ceder à son
frcre. On connut par là
qu'il s'étoitfait violence,
& que la contrainte qu'il
avoir tâché de s'imposer
lavoir réduit au tnalheureuxétatoù
il Ce trouvoit.
Ilvécutencoretrois
jours, pendant lesquels
ses agitations redoublerent
,
sans qu'il cessât
de parler du defcfpoir
où lavoit jette son trop
de delicatcfsc.
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Résumé : AVANTURE nouvelle.
Le texte narre l'histoire d'un Marquis, homme de mérite et de haute naissance, qui rencontre une jeune demoiselle lors d'un concert. Séduit par sa beauté et son esprit, il cherche à la fréquenter et découvre qu'elle vit sous la tutelle de sa tante, qui dirige sa vie. Le Marquis, sincèrement amoureux, est blessé par l'indifférence apparente de la jeune femme. Il redouble ses efforts pour gagner son cœur, mais elle reste réservée, invoquant toujours la volonté de sa tante. Un jour, le frère du Marquis, le Chevalier, revient de Rome et est présenté à la jeune femme. Le Chevalier, charmant et spirituel, plaît beaucoup à la demoiselle. Le Marquis, encouragé par les louanges de son frère, continue de fréquenter la jeune femme, mais il finit par remarquer qu'elle développe des sentiments pour le Chevalier. Ce dernier, conscient de la situation, décide de partir pour éviter de trahir l'amitié de son frère. Le Marquis, devinant les sentiments de la jeune femme, confronte son frère. Le Chevalier avoue son attirance mais décide de renoncer à elle par respect pour son frère. Le Marquis, malgré son amour, ne parvient pas à obtenir une déclaration claire de la part de la jeune femme, qui reste fidèle à sa réserve. La situation reste tendue, marquée par des sentiments non exprimés et des malentendus. Par la suite, le Marquis, initialement réticent au mariage, propose à sa nièce d'épouser son frère. La nièce, émue et joyeuse, accepte de recevoir le Chevalier. Le Marquis, constatant l'amour de sa nièce pour le Chevalier, décide de ne plus songer à elle et va voir sa tante pour discuter de cette union. La tante, après avoir discuté avec sa nièce, donne son consentement. Le Chevalier, d'abord hésitant, finit par accepter après les assurances de son frère. Le Marquis organise le mariage et semble content, mais tombe gravement malade peu après la cérémonie. Il est pris de fièvre et perd la raison, révélant son chagrin et son impossibilité d'être aimé par la nièce. Il meurt trois jours plus tard, après avoir exprimé son désespoir et sa délicatesse excessive.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 54-68
CONSIDERATIONS Sur la reconnoissance & sur l'ingratitude.
Début :
On n'entend parler que d'ingrats, & l'on rencontre peu de bienfaicteurs ; il [...]
Mots clefs :
Ingratitude, Service, Bienfaiteur, Orgueil, Devoirs, Sentiment, Devoir
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texteReconnaissance textuelle : CONSIDERATIONS Sur la reconnoissance & sur l'ingratitude.
CONSIDERATIONS
Sur la reconnoiffance & fur l'ingratitude.
N n'entend parler que d'ingrats , &
ONl'on rencontre peu de bienfaicteurs ; il
femble que les uns devroient être auffi com- ,
muns que les autres. Il faut donc de néceffité
, ou que le petit nombre de bienfaicteurs
qui fe trouvent , multiplient prodigieufement
leurs bienfaits , ou que la plupart des
accufations d'ingratitude foient mal fondées...
Pour éclaircir cette queftion , il fuffira de
fixer les idées qu'on doit attacher aux termes
de bienfaicteur & d'ingrat.
Bienfaicteur eft un de ces mots compo-"
fés qui portent avec eux leur définition .
Le bienfaicteur eft celui qui fait du bien ,
& les actes qu'il produit peuvent fe confidérer
fous trois afpects ; les bienfaits ,
les graces , & les fervices.
Le bienfait eſt un acte libre de la part
FEVRIER . 1755. 55
de fon auteur , quoique celui qui en eft
l'objet puiffe en être digne.
Une grace eſt un bien auquel celui qui
le reçoit , n'avoit aucun droit , ou la rémiffion
qu'on lui fait d'une peine méritée,
Un fervice eft un fecours par lequel on´
contribue à faire obtenir quelque bien.
Les principes qui font agir le bienfaicteur
font , où la bonté , ou l'orgueil , ou
même l'intérêt.
Le vrai bienfaicteur céde à fon penchant
naturel qui le porte à obliger , & il trouve
dans le bien qu'il fait une fatisfaction, qui
eft à la fois , & le premier mérite & la premiere
récompenfe de fon action ; mais tous
les bienfaits ne partent pas de la bienfaifance.
Le bienfaiteur eft quelquefois auffi
éloigné de la bienfaifance que le prodigue
l'eft de la générofité ; la prodigalité n'eft
que trop fouvent unie avec l'avarice , &
un bienfait peut n'avoir d'autre principe.
que l'orgueil. Le bienfaicteur faftueux cherche
à prouver aux autres & à lui- même
fa fupériorité fur celui qu'il oblige . Infenfible
à l'état des malheureux , incapable
de vertu , on ne doit attribuer les apparences
qu'il en montre qu'aux témoins.
qu'il en peut avoir . Il y a une troiſieme
efpece de bienfait , qui fans avoir la vertu
ni l'orgueil pour principes , ne partent que
C iiij
$6 MERCURE DE FRANCE,
"
d'un efpoir intéreffé. On cherche à cap
tiver d'avance ceux dont on prévoit qu'on
aura befoin . Rien n'eft plus commun que
ces échanges intéreffés , rien de plus rare
que les fervices.
Sans affecter ici de divifions paralleles
& fymmétriques , on peut envifager les
ingrats , comme les bienfaicteurs, fous trois,
afpects différens.
L'ingratitude confifte à oublier , à méconnoître
, ou à reconnoître mal les bienfaits
, & elle a fa fource dans l'infenfibilité
, dans l'orgueil ou dans l'intérêt.
La premiere efpece d'ingratitude eft celle
de ces ames foibles , légeres , fans confiftance.
Affligées par le befoin préfent , fans.
vûe fur l'avenir , elles ne gardent aucune
idée du paffé ; elles demandent fans peine
, reçoivent fans pudeur , & oublient
fans remords. Dignes de mépris , ou tout
au plus de compaffion , on peut les obliger
par pitié , & l'on ne doit . pas les eftimer
affez pour les hair.
Mais rien ne peut fauver de l'indignation
celui qui ne pouvant fe diffimuler les
bienfaits qu'il a reçus , cherche cependant
à méconnoître fon bienfaicteur . Souvent
après avoir réclamé les fecours avec baffeffe
, fon orgueil fe révolte contre tous
les actes de reconnoiffance qui peuvent lui
FEVRIER. 1755
57
rappeller une fituation humiliante ; il rougit
du malheur & jamais du vice. Par une
fuite du même caractere , s'il parvient à la
profpérité , il eft capable d'offrir par oftentation
ce qu'il refuſe à la juſtice ; il tâche
d'ufurper la gloire de la vertu , & manque
aux devoirs les plus facrés.
A l'égard de ces hommes moins haïffables
que ceux que l'orgueil rend injuftes
& plus méprifables encore que les ames
légeres & fans principes , dont j'ai parlé
d'abord , ils font de la reconnoiffance un
commerce intéreffé ; ils croyent pouvoir
Loumettre à un calcul arithmétique les fervices
qu'ils ont reçus. Ils ignorent , parce
que pour le fçavoir il faudroit fentir , ils
ignorent , dis- je , qu'il n'y a point d'équation
pour les fentimens ; que l'avantage du
bienfaicteur,fur celui qu'il a prévenu par
Les fervices eft inappréciable ; qu'il faudroit
pour rétablir l'égalité , fans détruire l'obligation
, que le public fût frappé par des
actes de reconnoiffance fi éclatans , qu'il
regardât comme un bonheur pour le bienfaicteur
les fervices qu'il auroit rendus ;
fans cela fes droits feront toujours inprefcriptibles
, il ne peut les perdre que par
l'abus qu'il en feroit lui -même .
En confidérant les différens caracteres
de l'ingratitude , on voit en quoi confifte
CY
3S MERCURE DE FRANCE.
celui de la reconnoiffance. C'eft un fentiment
qui attache au bienfaicteur avec le defir
de lui prouver ce fentiment par des -
effets , ou du moins par un aveu du bienfait
qu'on publie avec plaifir dans les occafions
qu'on fait naître avec candeur , &
qu'on faifit avec foin. Je ne confonds point
avec ce fentiment noble une oftentation
vive & fans chaleur , une adulation fervile,
qui paroît & qui eft en effet une nouvelle
demande plutôt qu'un remerciment.
J'ai vu de ces adulateurs vils , toujours
avides & jamais honteux de recevoir , exagérant
les fervices , prodiguant les éloges
pour exciter , encourager les bienfaicteurs,
& non pour les récompenfer. lls feignent
de fe paffionner , & ne fentent rien ; mais
is louent. Il n'y a point d'homme en place
qui ne puiffe voir autour de lui quelquesuns
de ces froids enthouſiaſtes , dont il eft
importané & flaté.
Je fçais qu'on doit cacher les fervices &
non pás la reconnoiffance ; elle admet , elle
exige quelquefois une forte d'éclat noble ,
libre & flateur ; mais les tranfports outrés ,
les élans déplacés font toujours fufpects
de faufferé ou de fottife , à moins qu'ils ne
partent du premier mouvement d'un coeur
chaud , d'une imagination vive , ou qu'ils
ne s'adreffent à un bienfaiteur donton n'a
plus rien à prétendre.
FEVRI E R. 1755. 59
Je dirai plus , & je le dirai librement : je
veuxque la reconnoiffance coûte à un coeur,
c'est-à- dire qu'il fe l'impofe avec peine ,
quoiqu'il la reffente avec plaifir quand
il s'en eft une fois chargé . Il n'y a point
d'hommes plus reconnoiffans que ceux qui
ne fe laiffent pas obliger par tout le monde
; ils fçavent les engagemens qu'ils prennent
, & ne veulent s'y foumettre qu'à l'égard
de ceux qu'ils eftiment. On n'eft jamais
plus empreffé à payer une dette que
lorfqu'on l'a contractée avec répugnance ,
& celui qui n'emprunte que par néceffité
gémiroit d'être infolvable.
J'ajoûterai qu'il n'eft pas néceffaire d'éprouver
un fentiment vif de reconnoiffance
, pour en avoir les procédés les plus
exacts & les plus éclatans. On peut par un
certain caractere de hauteur , fort différent
de l'orgueil , chercher à force de fervices
à faire perdre à fon bienfaicteur , ou da
moins à diminuer la fupériorité qu'il s'eft
acquife.
En vain objecteroit- on que les actions
fans les fentimens , ne fuffifent pas pour la
vertu. Je répondrai que les hommes doivent
fonger d'abord à rendre leurs actions
honnêtes , leurs fentimens y feront bientôt
conformes ; il leur eft plus ordinaire de
penferd'après leurs actions , que d'agir d'a-
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
près leurs principes . D'ailleurs cet amour
propre , bien entendu , eft la fource des
vertus morales & le premier lien de la
fociété.
Mais puifque les principes des bienfaits.
font fi différens , la reconnoiffance doitelle
toujours être de la même nature ? Quels
fentimens dois - je à celui qui par un
mouvement d'une pitié paffagere aura accordé
une parcelle de fon fuperflu à un
befoin preffant ; à celui qui par oftentation
ou foibleffe exerce fa prodigalité , fans
acception de perfonne , fans diftinction de
mérite ou de befoin ; à celui qui par inquiétude
, par un befoin machinal d'agir ,
d'intriguer , de s'entremettre , offre à tout
le monde indifféremment fes démarches ,
fes foins , fes follicitations ?
Je confens à faire des diſtinctions entre
ceux que je viens de repréfenter ; mais
enfin leur devrai - je les mêmes fentimens
qu'à un bienfaicteur éclairé , compatiffant ,
réglant même fa compaffion fur l'eftime
le befoin & les effets qu'il prévoit que fes
fervices pourront avoir ; qui prend fur
lui-même , qui reftreint de plus en plus
fon néceffaire pour fournir à une néceffité
plus urgente , quoiqu'étrangere pour lui a
On doit plus eftimer les vertus par leurs
principes que par leurs effets. Les fervices
FEVRIER . 1755. 61
doivent donc fe juger moins par l'avantage
qu'en retire celui qui eft obligé , que
par le facrifice que fait celui qui oblige .
On fe tromperoit fort de penfer qu'on
favorife les ingrats en laiflant la liberté
d'examiner les vrais motifs des bienfaits.
Un tel examen ne peut jamais être favorable
à l'ingratitude , & ajoûte quelquefois
du mérite à la reconnoiffance . En effet
quelque jugement qu'on foit en droit de
porter d'un fervice , à quelque prix qu'on
puifle le mettre du côté des motifs , on
n'en eft pas moins obligé aux mêmes devoirs
pratiques du côté de la reconnoiffance
, & il en coûte moins pour les remfentiment
que par l'honneur feul .
plir par
Il n'eft pas difficile de connoître quels
font ces devoirs , les occafions les indiquent
, on ne s'y trompe gueres , & l'on
n'eft jamais mieux jugé que par foi- même ;
mais il y a des circonftances délicates où l'on
doit être d'autant plus attentif , qu'on,
pourroit manquer à l'honneur en croyant
fatisfaire à la juftice. C'eft lorfqu'un bien- ,
faicteur abufant des fervices qu'il a rendus,
s'érige en tyran , & par l'orgueil & l'injuftice
de fes procédés , va jufqu'à perdre
Les droits . Quels font alors les devoirs de
l'obligé les mêmes.
J'avoue que ce jugement eft dur , mais
62 MERCURE DE FRANCE.
je n'en fuis pas moins perfuadé que le
bienfaiteur peut perdre fes droits , fans,
que l'obligé foit affranchi de fes devoirs ,
quoiqu'il foit libre de fes fentimens . Je
comprens qu'il n'aura plus d'attachement
de coeur , qu'il paffera peut-être juſqu'à la
haine , mais il n'en fera pas moins afſujetti
aux obligations qu'il a contractées . Un
homme humilié par fon bienfaicteur eft
bien plus à plaindre qu'un bienfaicteur
qui ne trouve que des ingrats.
L'ingratitude afflige plus les coeurs généreux
qu'elle ne les ulcere ; ils reffentent
plus de compaffion que de haine , le
fentiment de leur fupériorité les confole .
Mais il n'en eft pas ainfi dans l'état d'humiliation
où l'on eft réduit par un bienfaicteur
orgueilleux ; comme il faut alors
fouffrir fans fe plaindre , méprifer & honorer
fon tyran , une ame haute eft inté
rieurement déchirée , & devient d'autant
plus fufceptible de haine , qu'elle ne trouve
point de confolation dans l'amour propre
; elle fera donc plus capable de hair
que ne le feroit un coeur bas & fait pour
l'aviliffement. Je ne parle ici qué du caractere
général de l'homme , & non fuivant
les principes d'une morale purifiée
par la religion.
On refte donc toujours à l'égard d'un
FEVRIER. 1755 . 63
bienfaiteur , dans une dépendance dont
on ne peut être affranchi que par le public.
Il y a ,
dira-t-on ,
, peu
d'hommes
qui
foient
une objet
d'intérêt
ou même
d'at◄
tention
pour
le public
. Mais
il n'y a perfonne
qui n'ait fon public
, c'eſt-à- dire une
portion
de la fociété
commune
, dont
on
fait foi- même
partie
. Voilà
le public
dont
on doit
attendre
le jugement
fans le prévenir
, ni même
le folliciter
.
Les réclamations ont été imaginées par
les ames foibles ; les ames fortes y renoncent,
& la prudence doit faire craindre
de les entreprendre. L'apologie en fait de
procédés qui n'eft pas forcée , n'eft dans
l'efprit du public que la précaution d'un
coupable ; elle fert quelquefois de conviction
, il en réfulte tout au plus une excuſe
, rarement une juftification.
Tel homme qui par une prudence hon
nête fe tait fur fes fujets de plaintes , fe
trouveroit heureux d'être forcé de fe juftifier
; fouvent d'accufé il deviendroit accufateur
, & confondroit fon tyran . Le fi
lence ne feroit plus alors qu'un infenfi .
bilité méprifable. Une défenfe ferme &
décente contre un reproche injufte d'ingratitude
, eft un devoir auffi facré que la
reconnoiffance pour un bienfait.
64 MERCURE DE FRANCE.
Il faut cependant avouer qu'il eft toujours
malheureux de fe trouver dans de
telles circonftances ; la plus cruelle fituation
eft d'avoir à fe plaindre de ceux à qui
l'on doit.
Mais on n'eft pas obligé à la même referve
à l'égard des faux bienfaicteurs : j'entens
de ces prétendus protecteurs qui pour
en ufurper le titre , fe prévalent de leur rang.
Sans bienfaifance , peut-être fans crédit ,
fans avoir rendu de fervices , ils cherchent à
force d'oftentation , à fe faire des cliens qui
leur font quelquefois utiles , & ne leur font
jamais à charge. Un orgueil naïf leur fait
croire qu'une liaiſon avec eux eft un bienfait
de leur part. Si l'on eft obligé par honneur
& par raifon de renoncer à leur commerce
, ils crient à l'ingratitude , pour en
éviter le reproche . Il eft vrai qu'il y a des
fervices de plus d'une efpéce ; une fimple
parole , un mot dit à propos avec intelligence
ou avec courage , eft quelquefois
un fervice fignalé , qui exige plus de reconnoiffance
que beaucoup de bienfaits
matériels , comme un aveu public de l'obligation
eft quelquefois auffi l'acte de la
reconnoiffance la plus noble.
On diftingue aifément le bienfaiteur
réel du protecteur imaginaire : une forte
de décence peut empêcher de contredire
FEVRIER. 1755.
65
ouvertement l'oftentation de ce dernier ;
il y a même des occafions où l'on doit une
reconnoiffance de politeffe aux démonftrations
d'un zele qui n'eft qu'extérieur . Mais
fi l'on ne peut remplir ces devoirs d'ufage
qu'en ne rendant pas pleinement la juftice ,
c'est-à dire l'aveu qu'on doit au vrai bienfaicteur
, cette reconnoiffance fauffement
appliquée ou partagée , eft une véritable ingratitude
, qui n'eft pas rare , & qui a fa
fource dans la lâcheté , l'intérêt ou la fottife.
C'est une lâcheté que de ne pas défendre
les droits de fon vrai bienfaiteur. Ce
ne peut être que par un vil intérêt qu'on
foufcrit à une obligation ufurpée ; on fe
fatte par là d'engager un homme vain à
la réalifer un jour : enfin c'eft une étrange.
fottife que de fe mettre gratuitement dans.
la dépe dance.
En effet ces prétendus protecteurs , après
avoir fait illufion au public , fe la font enfuite
à eux- mêmes, & en prennent avantage.
pour exercer leur empire fur de timides.
complaifans ; la fupériorité du rang favorife
l'erreur à cet égard , & l'exercice
de la tyrannie la confirme . On ne doit pas
s'attendre que leur amitié foit le retour
d'un dévouement fervile. Il n'eft pas rare.
qu'un fupérieur fe laiffe fubjuguer & avilir
par fon inférieur ; mais il l'eft beau66
MERCURE DE FRANCE.
coup plus qu'il le prête à l'égalité , même
privée ; je dis l'égalité privée , car je fuis
très-éloigné de chercher à profcrire par
une humeur cynique les égards que la fubordination
exige. C'eft une loi néceffaire
de la fociété, qui ne révolte que l'orgueil ,
& qui ne gêne point les ames faites pour
Fordre . Je voudrois feulement que la différence
des rangs ne fût pas la regle de
l'eftime comme elle doit l'être des refpects
, & que la reconnoiffance fût un lien
précieux , qui unît , & non pas une chaîne
humiliante qui ne fit fentir que fon poids.
Tous les hommes ont leurs devoirs refpectifs
; mais tous n'ont pas la même difpofition
à les remplir : il y en a de plusreconnoiffans
les uns que les autres , &
j'ai plufieurs fois entendu avancer à ce fujet
une opinion qui ne me paroît ni jufte
ni décente. Le caractere vindicatif part ,
dit-on , du même principe que le caractere
reconnoiffant , parce qu'il eft également
naturel de fe reffouvenir des bons & des
mauvais fervices.
Si le fimple fouvenir du bien & du mal
qu'on a éprouvé étoit la régle du reffentiment
qu'on en garde , on auroit raifon
mais il n'y a rien de fi différent , & même
de fi peu dépendant l'un de l'autre . L'efprit
vindicatif part de l'orgueil fouventFEVRIER
. 1755 : 67.
úni au fentiment de fa propre foibleffe ;
on s'eftime trop , & l'on craint beaucoup..
La reconnoiffance marque d'abord un ef
prit de juftice , mais elle fuppofe encore:
une ame difpofée à aimer , pour qui la
haine feroit un tourment , & qui s'en af-.
franchit plus encore par fentiment que par
réflexion. Il y a certainement des caracteres
plus aimans que d'autres , & ceux- là
font reconnoiffans par le principe même
qui les empêche d'être vindicatifs . Les
coeurs nobles pardonnent à leurs inférieurs
par pitié , à leurs égaux par générofité .
C'eft contre leurs fupérieurs , c'est-à- dire
contre les hommes plus puiffans qu'eux ,
qu'ils peuvent quelquefois garder leur reffentiment
, & chercher à le fatisfaire ; le
péril qu'il y a dans la vengeance leur fait
illufion , ils croyent y voir de la gloire.
Mais ce qui prouve qu'il n'y a point de
haine dans leur coeur , c'eft que la moindre
fatisfaction les defarme , les touche &
les attendrit.
Pour réfumer en peu de mots les principes
que j'ai voulu établir. Les bienfaicteurs
doivent des égards à ceux qu'ils ont
obligés ; & ceux- ci contractent des devoirs
indifpenfables . On ne devroit donc
placer les bienfaits qu'avec difcernement ;
mais du moins on court peu de rifque à
3
68 MERCURE DE FRANCE.
les répandre fans choix : au lieu que ceux
qui les reçoivent prennent des engagemens
fi facrés , qu'ils ne fçauroient être trop attentifs
à ne les contracter qu'à l'égard de
ceux qu'ils pourront eftimer toujours . Si
cela étoit , les obligations feroient plus rares
qu'elles ne le font ; mais toutes feroient
remplies.
M. Duclos eft l'auteur de ces Confidérations.
Sur la reconnoiffance & fur l'ingratitude.
N n'entend parler que d'ingrats , &
ONl'on rencontre peu de bienfaicteurs ; il
femble que les uns devroient être auffi com- ,
muns que les autres. Il faut donc de néceffité
, ou que le petit nombre de bienfaicteurs
qui fe trouvent , multiplient prodigieufement
leurs bienfaits , ou que la plupart des
accufations d'ingratitude foient mal fondées...
Pour éclaircir cette queftion , il fuffira de
fixer les idées qu'on doit attacher aux termes
de bienfaicteur & d'ingrat.
Bienfaicteur eft un de ces mots compo-"
fés qui portent avec eux leur définition .
Le bienfaicteur eft celui qui fait du bien ,
& les actes qu'il produit peuvent fe confidérer
fous trois afpects ; les bienfaits ,
les graces , & les fervices.
Le bienfait eſt un acte libre de la part
FEVRIER . 1755. 55
de fon auteur , quoique celui qui en eft
l'objet puiffe en être digne.
Une grace eſt un bien auquel celui qui
le reçoit , n'avoit aucun droit , ou la rémiffion
qu'on lui fait d'une peine méritée,
Un fervice eft un fecours par lequel on´
contribue à faire obtenir quelque bien.
Les principes qui font agir le bienfaicteur
font , où la bonté , ou l'orgueil , ou
même l'intérêt.
Le vrai bienfaicteur céde à fon penchant
naturel qui le porte à obliger , & il trouve
dans le bien qu'il fait une fatisfaction, qui
eft à la fois , & le premier mérite & la premiere
récompenfe de fon action ; mais tous
les bienfaits ne partent pas de la bienfaifance.
Le bienfaiteur eft quelquefois auffi
éloigné de la bienfaifance que le prodigue
l'eft de la générofité ; la prodigalité n'eft
que trop fouvent unie avec l'avarice , &
un bienfait peut n'avoir d'autre principe.
que l'orgueil. Le bienfaicteur faftueux cherche
à prouver aux autres & à lui- même
fa fupériorité fur celui qu'il oblige . Infenfible
à l'état des malheureux , incapable
de vertu , on ne doit attribuer les apparences
qu'il en montre qu'aux témoins.
qu'il en peut avoir . Il y a une troiſieme
efpece de bienfait , qui fans avoir la vertu
ni l'orgueil pour principes , ne partent que
C iiij
$6 MERCURE DE FRANCE,
"
d'un efpoir intéreffé. On cherche à cap
tiver d'avance ceux dont on prévoit qu'on
aura befoin . Rien n'eft plus commun que
ces échanges intéreffés , rien de plus rare
que les fervices.
Sans affecter ici de divifions paralleles
& fymmétriques , on peut envifager les
ingrats , comme les bienfaicteurs, fous trois,
afpects différens.
L'ingratitude confifte à oublier , à méconnoître
, ou à reconnoître mal les bienfaits
, & elle a fa fource dans l'infenfibilité
, dans l'orgueil ou dans l'intérêt.
La premiere efpece d'ingratitude eft celle
de ces ames foibles , légeres , fans confiftance.
Affligées par le befoin préfent , fans.
vûe fur l'avenir , elles ne gardent aucune
idée du paffé ; elles demandent fans peine
, reçoivent fans pudeur , & oublient
fans remords. Dignes de mépris , ou tout
au plus de compaffion , on peut les obliger
par pitié , & l'on ne doit . pas les eftimer
affez pour les hair.
Mais rien ne peut fauver de l'indignation
celui qui ne pouvant fe diffimuler les
bienfaits qu'il a reçus , cherche cependant
à méconnoître fon bienfaicteur . Souvent
après avoir réclamé les fecours avec baffeffe
, fon orgueil fe révolte contre tous
les actes de reconnoiffance qui peuvent lui
FEVRIER. 1755
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rappeller une fituation humiliante ; il rougit
du malheur & jamais du vice. Par une
fuite du même caractere , s'il parvient à la
profpérité , il eft capable d'offrir par oftentation
ce qu'il refuſe à la juſtice ; il tâche
d'ufurper la gloire de la vertu , & manque
aux devoirs les plus facrés.
A l'égard de ces hommes moins haïffables
que ceux que l'orgueil rend injuftes
& plus méprifables encore que les ames
légeres & fans principes , dont j'ai parlé
d'abord , ils font de la reconnoiffance un
commerce intéreffé ; ils croyent pouvoir
Loumettre à un calcul arithmétique les fervices
qu'ils ont reçus. Ils ignorent , parce
que pour le fçavoir il faudroit fentir , ils
ignorent , dis- je , qu'il n'y a point d'équation
pour les fentimens ; que l'avantage du
bienfaicteur,fur celui qu'il a prévenu par
Les fervices eft inappréciable ; qu'il faudroit
pour rétablir l'égalité , fans détruire l'obligation
, que le public fût frappé par des
actes de reconnoiffance fi éclatans , qu'il
regardât comme un bonheur pour le bienfaicteur
les fervices qu'il auroit rendus ;
fans cela fes droits feront toujours inprefcriptibles
, il ne peut les perdre que par
l'abus qu'il en feroit lui -même .
En confidérant les différens caracteres
de l'ingratitude , on voit en quoi confifte
CY
3S MERCURE DE FRANCE.
celui de la reconnoiffance. C'eft un fentiment
qui attache au bienfaicteur avec le defir
de lui prouver ce fentiment par des -
effets , ou du moins par un aveu du bienfait
qu'on publie avec plaifir dans les occafions
qu'on fait naître avec candeur , &
qu'on faifit avec foin. Je ne confonds point
avec ce fentiment noble une oftentation
vive & fans chaleur , une adulation fervile,
qui paroît & qui eft en effet une nouvelle
demande plutôt qu'un remerciment.
J'ai vu de ces adulateurs vils , toujours
avides & jamais honteux de recevoir , exagérant
les fervices , prodiguant les éloges
pour exciter , encourager les bienfaicteurs,
& non pour les récompenfer. lls feignent
de fe paffionner , & ne fentent rien ; mais
is louent. Il n'y a point d'homme en place
qui ne puiffe voir autour de lui quelquesuns
de ces froids enthouſiaſtes , dont il eft
importané & flaté.
Je fçais qu'on doit cacher les fervices &
non pás la reconnoiffance ; elle admet , elle
exige quelquefois une forte d'éclat noble ,
libre & flateur ; mais les tranfports outrés ,
les élans déplacés font toujours fufpects
de faufferé ou de fottife , à moins qu'ils ne
partent du premier mouvement d'un coeur
chaud , d'une imagination vive , ou qu'ils
ne s'adreffent à un bienfaiteur donton n'a
plus rien à prétendre.
FEVRI E R. 1755. 59
Je dirai plus , & je le dirai librement : je
veuxque la reconnoiffance coûte à un coeur,
c'est-à- dire qu'il fe l'impofe avec peine ,
quoiqu'il la reffente avec plaifir quand
il s'en eft une fois chargé . Il n'y a point
d'hommes plus reconnoiffans que ceux qui
ne fe laiffent pas obliger par tout le monde
; ils fçavent les engagemens qu'ils prennent
, & ne veulent s'y foumettre qu'à l'égard
de ceux qu'ils eftiment. On n'eft jamais
plus empreffé à payer une dette que
lorfqu'on l'a contractée avec répugnance ,
& celui qui n'emprunte que par néceffité
gémiroit d'être infolvable.
J'ajoûterai qu'il n'eft pas néceffaire d'éprouver
un fentiment vif de reconnoiffance
, pour en avoir les procédés les plus
exacts & les plus éclatans. On peut par un
certain caractere de hauteur , fort différent
de l'orgueil , chercher à force de fervices
à faire perdre à fon bienfaicteur , ou da
moins à diminuer la fupériorité qu'il s'eft
acquife.
En vain objecteroit- on que les actions
fans les fentimens , ne fuffifent pas pour la
vertu. Je répondrai que les hommes doivent
fonger d'abord à rendre leurs actions
honnêtes , leurs fentimens y feront bientôt
conformes ; il leur eft plus ordinaire de
penferd'après leurs actions , que d'agir d'a-
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
près leurs principes . D'ailleurs cet amour
propre , bien entendu , eft la fource des
vertus morales & le premier lien de la
fociété.
Mais puifque les principes des bienfaits.
font fi différens , la reconnoiffance doitelle
toujours être de la même nature ? Quels
fentimens dois - je à celui qui par un
mouvement d'une pitié paffagere aura accordé
une parcelle de fon fuperflu à un
befoin preffant ; à celui qui par oftentation
ou foibleffe exerce fa prodigalité , fans
acception de perfonne , fans diftinction de
mérite ou de befoin ; à celui qui par inquiétude
, par un befoin machinal d'agir ,
d'intriguer , de s'entremettre , offre à tout
le monde indifféremment fes démarches ,
fes foins , fes follicitations ?
Je confens à faire des diſtinctions entre
ceux que je viens de repréfenter ; mais
enfin leur devrai - je les mêmes fentimens
qu'à un bienfaicteur éclairé , compatiffant ,
réglant même fa compaffion fur l'eftime
le befoin & les effets qu'il prévoit que fes
fervices pourront avoir ; qui prend fur
lui-même , qui reftreint de plus en plus
fon néceffaire pour fournir à une néceffité
plus urgente , quoiqu'étrangere pour lui a
On doit plus eftimer les vertus par leurs
principes que par leurs effets. Les fervices
FEVRIER . 1755. 61
doivent donc fe juger moins par l'avantage
qu'en retire celui qui eft obligé , que
par le facrifice que fait celui qui oblige .
On fe tromperoit fort de penfer qu'on
favorife les ingrats en laiflant la liberté
d'examiner les vrais motifs des bienfaits.
Un tel examen ne peut jamais être favorable
à l'ingratitude , & ajoûte quelquefois
du mérite à la reconnoiffance . En effet
quelque jugement qu'on foit en droit de
porter d'un fervice , à quelque prix qu'on
puifle le mettre du côté des motifs , on
n'en eft pas moins obligé aux mêmes devoirs
pratiques du côté de la reconnoiffance
, & il en coûte moins pour les remfentiment
que par l'honneur feul .
plir par
Il n'eft pas difficile de connoître quels
font ces devoirs , les occafions les indiquent
, on ne s'y trompe gueres , & l'on
n'eft jamais mieux jugé que par foi- même ;
mais il y a des circonftances délicates où l'on
doit être d'autant plus attentif , qu'on,
pourroit manquer à l'honneur en croyant
fatisfaire à la juftice. C'eft lorfqu'un bien- ,
faicteur abufant des fervices qu'il a rendus,
s'érige en tyran , & par l'orgueil & l'injuftice
de fes procédés , va jufqu'à perdre
Les droits . Quels font alors les devoirs de
l'obligé les mêmes.
J'avoue que ce jugement eft dur , mais
62 MERCURE DE FRANCE.
je n'en fuis pas moins perfuadé que le
bienfaiteur peut perdre fes droits , fans,
que l'obligé foit affranchi de fes devoirs ,
quoiqu'il foit libre de fes fentimens . Je
comprens qu'il n'aura plus d'attachement
de coeur , qu'il paffera peut-être juſqu'à la
haine , mais il n'en fera pas moins afſujetti
aux obligations qu'il a contractées . Un
homme humilié par fon bienfaicteur eft
bien plus à plaindre qu'un bienfaicteur
qui ne trouve que des ingrats.
L'ingratitude afflige plus les coeurs généreux
qu'elle ne les ulcere ; ils reffentent
plus de compaffion que de haine , le
fentiment de leur fupériorité les confole .
Mais il n'en eft pas ainfi dans l'état d'humiliation
où l'on eft réduit par un bienfaicteur
orgueilleux ; comme il faut alors
fouffrir fans fe plaindre , méprifer & honorer
fon tyran , une ame haute eft inté
rieurement déchirée , & devient d'autant
plus fufceptible de haine , qu'elle ne trouve
point de confolation dans l'amour propre
; elle fera donc plus capable de hair
que ne le feroit un coeur bas & fait pour
l'aviliffement. Je ne parle ici qué du caractere
général de l'homme , & non fuivant
les principes d'une morale purifiée
par la religion.
On refte donc toujours à l'égard d'un
FEVRIER. 1755 . 63
bienfaiteur , dans une dépendance dont
on ne peut être affranchi que par le public.
Il y a ,
dira-t-on ,
, peu
d'hommes
qui
foient
une objet
d'intérêt
ou même
d'at◄
tention
pour
le public
. Mais
il n'y a perfonne
qui n'ait fon public
, c'eſt-à- dire une
portion
de la fociété
commune
, dont
on
fait foi- même
partie
. Voilà
le public
dont
on doit
attendre
le jugement
fans le prévenir
, ni même
le folliciter
.
Les réclamations ont été imaginées par
les ames foibles ; les ames fortes y renoncent,
& la prudence doit faire craindre
de les entreprendre. L'apologie en fait de
procédés qui n'eft pas forcée , n'eft dans
l'efprit du public que la précaution d'un
coupable ; elle fert quelquefois de conviction
, il en réfulte tout au plus une excuſe
, rarement une juftification.
Tel homme qui par une prudence hon
nête fe tait fur fes fujets de plaintes , fe
trouveroit heureux d'être forcé de fe juftifier
; fouvent d'accufé il deviendroit accufateur
, & confondroit fon tyran . Le fi
lence ne feroit plus alors qu'un infenfi .
bilité méprifable. Une défenfe ferme &
décente contre un reproche injufte d'ingratitude
, eft un devoir auffi facré que la
reconnoiffance pour un bienfait.
64 MERCURE DE FRANCE.
Il faut cependant avouer qu'il eft toujours
malheureux de fe trouver dans de
telles circonftances ; la plus cruelle fituation
eft d'avoir à fe plaindre de ceux à qui
l'on doit.
Mais on n'eft pas obligé à la même referve
à l'égard des faux bienfaicteurs : j'entens
de ces prétendus protecteurs qui pour
en ufurper le titre , fe prévalent de leur rang.
Sans bienfaifance , peut-être fans crédit ,
fans avoir rendu de fervices , ils cherchent à
force d'oftentation , à fe faire des cliens qui
leur font quelquefois utiles , & ne leur font
jamais à charge. Un orgueil naïf leur fait
croire qu'une liaiſon avec eux eft un bienfait
de leur part. Si l'on eft obligé par honneur
& par raifon de renoncer à leur commerce
, ils crient à l'ingratitude , pour en
éviter le reproche . Il eft vrai qu'il y a des
fervices de plus d'une efpéce ; une fimple
parole , un mot dit à propos avec intelligence
ou avec courage , eft quelquefois
un fervice fignalé , qui exige plus de reconnoiffance
que beaucoup de bienfaits
matériels , comme un aveu public de l'obligation
eft quelquefois auffi l'acte de la
reconnoiffance la plus noble.
On diftingue aifément le bienfaiteur
réel du protecteur imaginaire : une forte
de décence peut empêcher de contredire
FEVRIER. 1755.
65
ouvertement l'oftentation de ce dernier ;
il y a même des occafions où l'on doit une
reconnoiffance de politeffe aux démonftrations
d'un zele qui n'eft qu'extérieur . Mais
fi l'on ne peut remplir ces devoirs d'ufage
qu'en ne rendant pas pleinement la juftice ,
c'est-à dire l'aveu qu'on doit au vrai bienfaicteur
, cette reconnoiffance fauffement
appliquée ou partagée , eft une véritable ingratitude
, qui n'eft pas rare , & qui a fa
fource dans la lâcheté , l'intérêt ou la fottife.
C'est une lâcheté que de ne pas défendre
les droits de fon vrai bienfaiteur. Ce
ne peut être que par un vil intérêt qu'on
foufcrit à une obligation ufurpée ; on fe
fatte par là d'engager un homme vain à
la réalifer un jour : enfin c'eft une étrange.
fottife que de fe mettre gratuitement dans.
la dépe dance.
En effet ces prétendus protecteurs , après
avoir fait illufion au public , fe la font enfuite
à eux- mêmes, & en prennent avantage.
pour exercer leur empire fur de timides.
complaifans ; la fupériorité du rang favorife
l'erreur à cet égard , & l'exercice
de la tyrannie la confirme . On ne doit pas
s'attendre que leur amitié foit le retour
d'un dévouement fervile. Il n'eft pas rare.
qu'un fupérieur fe laiffe fubjuguer & avilir
par fon inférieur ; mais il l'eft beau66
MERCURE DE FRANCE.
coup plus qu'il le prête à l'égalité , même
privée ; je dis l'égalité privée , car je fuis
très-éloigné de chercher à profcrire par
une humeur cynique les égards que la fubordination
exige. C'eft une loi néceffaire
de la fociété, qui ne révolte que l'orgueil ,
& qui ne gêne point les ames faites pour
Fordre . Je voudrois feulement que la différence
des rangs ne fût pas la regle de
l'eftime comme elle doit l'être des refpects
, & que la reconnoiffance fût un lien
précieux , qui unît , & non pas une chaîne
humiliante qui ne fit fentir que fon poids.
Tous les hommes ont leurs devoirs refpectifs
; mais tous n'ont pas la même difpofition
à les remplir : il y en a de plusreconnoiffans
les uns que les autres , &
j'ai plufieurs fois entendu avancer à ce fujet
une opinion qui ne me paroît ni jufte
ni décente. Le caractere vindicatif part ,
dit-on , du même principe que le caractere
reconnoiffant , parce qu'il eft également
naturel de fe reffouvenir des bons & des
mauvais fervices.
Si le fimple fouvenir du bien & du mal
qu'on a éprouvé étoit la régle du reffentiment
qu'on en garde , on auroit raifon
mais il n'y a rien de fi différent , & même
de fi peu dépendant l'un de l'autre . L'efprit
vindicatif part de l'orgueil fouventFEVRIER
. 1755 : 67.
úni au fentiment de fa propre foibleffe ;
on s'eftime trop , & l'on craint beaucoup..
La reconnoiffance marque d'abord un ef
prit de juftice , mais elle fuppofe encore:
une ame difpofée à aimer , pour qui la
haine feroit un tourment , & qui s'en af-.
franchit plus encore par fentiment que par
réflexion. Il y a certainement des caracteres
plus aimans que d'autres , & ceux- là
font reconnoiffans par le principe même
qui les empêche d'être vindicatifs . Les
coeurs nobles pardonnent à leurs inférieurs
par pitié , à leurs égaux par générofité .
C'eft contre leurs fupérieurs , c'est-à- dire
contre les hommes plus puiffans qu'eux ,
qu'ils peuvent quelquefois garder leur reffentiment
, & chercher à le fatisfaire ; le
péril qu'il y a dans la vengeance leur fait
illufion , ils croyent y voir de la gloire.
Mais ce qui prouve qu'il n'y a point de
haine dans leur coeur , c'eft que la moindre
fatisfaction les defarme , les touche &
les attendrit.
Pour réfumer en peu de mots les principes
que j'ai voulu établir. Les bienfaicteurs
doivent des égards à ceux qu'ils ont
obligés ; & ceux- ci contractent des devoirs
indifpenfables . On ne devroit donc
placer les bienfaits qu'avec difcernement ;
mais du moins on court peu de rifque à
3
68 MERCURE DE FRANCE.
les répandre fans choix : au lieu que ceux
qui les reçoivent prennent des engagemens
fi facrés , qu'ils ne fçauroient être trop attentifs
à ne les contracter qu'à l'égard de
ceux qu'ils pourront eftimer toujours . Si
cela étoit , les obligations feroient plus rares
qu'elles ne le font ; mais toutes feroient
remplies.
M. Duclos eft l'auteur de ces Confidérations.
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Résumé : CONSIDERATIONS Sur la reconnoissance & sur l'ingratitude.
Le texte 'Sur la reconnaissance et l'ingratitude' examine les notions de bienfaiteurs et d'ingrats. Il observe que les ingrats sont fréquemment mentionnés, tandis que les bienfaiteurs sont rares. Le texte définit un bienfaiteur comme quelqu'un qui fait du bien, motivé par la bonté, l'orgueil ou l'intérêt. Les ingrats, en revanche, oublient, méconnaissent ou reconnaissent mal les bienfaits reçus, souvent par insensibilité, orgueil ou intérêt. Trois types d'ingratitude sont distingués : celle des âmes faibles et légères, celle des orgueilleux qui méconnaissent leurs bienfaiteurs, et celle des intéressés qui voient les services comme un commerce. La véritable reconnaissance est un sentiment noble qui lie au bienfaiteur avec le désir de prouver ce sentiment par des effets ou des aveux sincères. Le texte explore également les motivations des bienfaiteurs et les devoirs de reconnaissance. Il souligne que même si un bienfaiteur abuse de ses services, l'obligé reste soumis à ses devoirs, bien que libre de ses sentiments. La reconnaissance doit être sincère et peut nécessiter des actes éclatants, mais elle ne doit pas être ostentatoire ou intéressée. Le texte aborde aussi la distinction entre les vrais bienfaiteurs et les protecteurs imaginaires. Un mot intelligent ou courageux peut parfois être plus apprécié que des bienfaits matériels. La reconnaissance authentique est essentielle et ne pas la rendre pleinement est une ingratitude souvent motivée par la lâcheté, l'intérêt ou la sottise. Les faux protecteurs exploitent les timides et utilisent leur rang pour tyranniser. La reconnaissance doit être un lien précieux et non une chaîne humiliante. Les devoirs respectifs des hommes varient, et la reconnaissance implique un esprit de justice et une disposition à aimer. Les cœurs nobles pardonnent par pitié ou générosité mais peuvent garder du ressentiment envers les supérieurs. Le texte conclut en soulignant que les bienfaiteurs doivent faire preuve de discernement dans leurs bienfaits, tandis que ceux qui les reçoivent doivent être attentifs à ne contracter des obligations qu'envers ceux qu'ils estiment.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 210-213
MORTS.
Début :
Le Lundi 26 Mars, M. François-Antoine Olivier de Senozan, Avocat-Général au [...]
Mots clefs :
Avocat général au Grand Conseil, Mort, M. de Senozan, Éducation, Fonctions, Devoir, Vertus, Magistrature, Mademoiselle , Prince, Cardinal, Marquis
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : MORTS.
MORT S.
E Lundi 26 Mars , M. François-Antoine
Olivier de Senozan , Avocat- Général au Grand-
Confeil , mourut âgé de vingt- deux ans & quelques
mois.
AVRIL. 1759. 111
Que la foule des hommes vulgaires paffe comme
une ombre : c'eft un spectacle auquel l'habitude
nous a rendus preſque infenfibles; mais que l'un de
ces hommes choifis , que le Ciel éléve aux grandes
Places , avec les talens & les vertus les plus dignes
de les remplir ; que l'un de ces hommes précieux
à l'humanité , foit moillonné comme dans
fa fleur , qu'avec lui périllent les efpérances d'une
vie laborieufe & confacrée au bien public : il
n'eft pas un bon Citoyen qui ne gémille de fa
perte , & qui ne pleure fur fon tombeau.
M. de Senozan naquit à Paris le 13 Novembre
1736 , de M. Jean-Antoine de Senozan , & de
Dame Anne-Nicole de Lamoignon , fille de M.
le Chancelier. D'une jeunelle aufli utilement remplie
tous les progrès font intéreffans. A douze
ans il fortit du Collège de Louis- le-Grand , où il
avoit fait les humanités. Des Maîtres particuliers
lui donnèrent des leçons de Philofophie dans la
mailon paternelle , la meilleure de toutes les
Ecoles , quand les Parens le veulent bien . Il fit fon
droit avec difpenfe d'âge , prêta ferment d'Avocat
, au mois de Septembre 1754 , & plaida peu
de tems après avec un applaudiffement unanime.
Il fut reçu Subftitut de M. le Procureur Général ,
au mois de Février de l'année fuivante ; & le 25
Juin de la même année , il fuccéda à M. Seguier
dans la Charge d'Avocat Général au Grand Confeil
. D'abord il eut pour Collégue M. de Tourni
qui l'aida de fes lumières ; mais bientôt après M.de
Tourni pafla au Confeil , & M. de Senozan fe
vit obligé de foutenir feul tout le poids de cette
Place importante . Si l'on confidére que depuis
plufieurs années le Gouvernement y retenoit M.
de Tourni pour y avoir un homme dignede toute
fa confiance , & que le moment où l'on permet
qu'il en abandonne les fonctions , eft celui où il
212 MERCURE DE FRANCE.
n'y laiffe qu'un Collégue de vingt ans , on jugera
de la haute opinion que ce eune Magiftrat avoit
donnée de fa fageffe . Quelques mois après M. de
Senozan eut pour Collégue M. Dauriac fon coufin
qui depuis a partagé avec lui la confi lération publique,
mais qui n'avoit alors que dix fept ans.
M. de Senozan livré à lui- même , fuffit aux
fonctions d'une Charge qui demande un Magif
trat conſommé ; & il l'a remplie juſqu'à la mort
de manière à fervir de modèle , dans un âge
où les hommes les plus heureuſement nés ont
encore befoin de leçons.
L'amour de fon devoir & une application infatigable
au travail , le déroboient à toutes les
diffipations de la jeuneffe. Il n'a jamais été enfant
; & pour lui les premières années fembloient
être l'âge de maturité. Il avoit cette fimplicité
de moeurs qui formoit le caractère vénérable
de l'ancienne Magiftrature ; la gravité qui eft la
décence de fon état n'avoit en lui rien d'affecté ;
il étoit pieux & modefte , auffi éloigné du Fanatifme
que de l'irréligion ; févère pour lui feul , &
indulgent pour les femblables. Sans vanité , fans
oftentation , il cherchoit la folide gloire dont fon
état eft fufceptible ; mais il ne l'apprécioit qu'à
fa jufte valeur : il l'a fouvent facrifiée à l'amitié
& au defir d'obliger , encore avoit- il la délicateſſe
de cacher ces facrifices , qui ne font connus que
depuis la mort.
C'eft une perte réelle pour la Magiftrature,mais
c'en eft une irréparable pour fa famille & pour
fes amis. Un homme vertueux qui lui a été tendrement
attaché, m'a dit ,en parlant de la modeftie
& de l'humanité qui formoient fon caractère :
» Perfonne n'a jamais été plus appliqué à fes de-
> voirs; ilfembloit qu'il ignorât fes fuccès; & je l'ai
vû plus d'une fois verfer des larmes fur le fort.
AVRIL. 1759. 21
>> des malheureux Plaideurs contre qui la févérité
des Loix le forçoient de conclure.
Louie de Mailly dice Mademoiſelle de Buire ,
mourut le 26 Mars à Lille en Flandres , elle
étoit la derniere de la branche de Mailly Duquelnoy
, fortie de celle de Mailly Haucourt en
4559.
Le Prince de Crouy lui fuccéde dans tous fes
biens à titre de defcendance par ſa mere .
Nicolas de Saulx de Tavannes , Cardinal de la
fainte Eglife Romaine , Archevêque de Rouen ,
Primat de Normandie , Grand Aumônier de
France , Commandeur de l'Ordre du S. Elprit ,
& Proviſeur de Sorbonne , mourut à Paris le 10 ,
dans la foixante neuvième année de fon âge. La
douceur de fes moeurs & la fageffe de fon gouvernement
dans fon Diocéſe , l'avoient rendu digne
d'être honoré de la confiance du Roi & de
celle de la Reine dont il avoit été Grand Aumônier
.
Le fieur de Vigier , Supérieur de la Commu
nauté des Prêtres de S. Sulpice , Abbé de l'Abbaye
Royale de Bonlieu , Ordre de Cîteaux , Diocele
de Limoges , eft mort en cette Ville le 3 ,
âgé de cinquante- quatre ans.
Meffire Paul de la Roche- Aymon , Marquis
de Saint Maixant , Lieutenant - Général des Armées
du Roi , Lieutenant Général & Directeur
en Chef de l'Artillerie , au Département de la
Haute & Balle Normandie , eft mort à Paris le
22 , dans la foixante feizième année de fon âge.
E Lundi 26 Mars , M. François-Antoine
Olivier de Senozan , Avocat- Général au Grand-
Confeil , mourut âgé de vingt- deux ans & quelques
mois.
AVRIL. 1759. 111
Que la foule des hommes vulgaires paffe comme
une ombre : c'eft un spectacle auquel l'habitude
nous a rendus preſque infenfibles; mais que l'un de
ces hommes choifis , que le Ciel éléve aux grandes
Places , avec les talens & les vertus les plus dignes
de les remplir ; que l'un de ces hommes précieux
à l'humanité , foit moillonné comme dans
fa fleur , qu'avec lui périllent les efpérances d'une
vie laborieufe & confacrée au bien public : il
n'eft pas un bon Citoyen qui ne gémille de fa
perte , & qui ne pleure fur fon tombeau.
M. de Senozan naquit à Paris le 13 Novembre
1736 , de M. Jean-Antoine de Senozan , & de
Dame Anne-Nicole de Lamoignon , fille de M.
le Chancelier. D'une jeunelle aufli utilement remplie
tous les progrès font intéreffans. A douze
ans il fortit du Collège de Louis- le-Grand , où il
avoit fait les humanités. Des Maîtres particuliers
lui donnèrent des leçons de Philofophie dans la
mailon paternelle , la meilleure de toutes les
Ecoles , quand les Parens le veulent bien . Il fit fon
droit avec difpenfe d'âge , prêta ferment d'Avocat
, au mois de Septembre 1754 , & plaida peu
de tems après avec un applaudiffement unanime.
Il fut reçu Subftitut de M. le Procureur Général ,
au mois de Février de l'année fuivante ; & le 25
Juin de la même année , il fuccéda à M. Seguier
dans la Charge d'Avocat Général au Grand Confeil
. D'abord il eut pour Collégue M. de Tourni
qui l'aida de fes lumières ; mais bientôt après M.de
Tourni pafla au Confeil , & M. de Senozan fe
vit obligé de foutenir feul tout le poids de cette
Place importante . Si l'on confidére que depuis
plufieurs années le Gouvernement y retenoit M.
de Tourni pour y avoir un homme dignede toute
fa confiance , & que le moment où l'on permet
qu'il en abandonne les fonctions , eft celui où il
212 MERCURE DE FRANCE.
n'y laiffe qu'un Collégue de vingt ans , on jugera
de la haute opinion que ce eune Magiftrat avoit
donnée de fa fageffe . Quelques mois après M. de
Senozan eut pour Collégue M. Dauriac fon coufin
qui depuis a partagé avec lui la confi lération publique,
mais qui n'avoit alors que dix fept ans.
M. de Senozan livré à lui- même , fuffit aux
fonctions d'une Charge qui demande un Magif
trat conſommé ; & il l'a remplie juſqu'à la mort
de manière à fervir de modèle , dans un âge
où les hommes les plus heureuſement nés ont
encore befoin de leçons.
L'amour de fon devoir & une application infatigable
au travail , le déroboient à toutes les
diffipations de la jeuneffe. Il n'a jamais été enfant
; & pour lui les premières années fembloient
être l'âge de maturité. Il avoit cette fimplicité
de moeurs qui formoit le caractère vénérable
de l'ancienne Magiftrature ; la gravité qui eft la
décence de fon état n'avoit en lui rien d'affecté ;
il étoit pieux & modefte , auffi éloigné du Fanatifme
que de l'irréligion ; févère pour lui feul , &
indulgent pour les femblables. Sans vanité , fans
oftentation , il cherchoit la folide gloire dont fon
état eft fufceptible ; mais il ne l'apprécioit qu'à
fa jufte valeur : il l'a fouvent facrifiée à l'amitié
& au defir d'obliger , encore avoit- il la délicateſſe
de cacher ces facrifices , qui ne font connus que
depuis la mort.
C'eft une perte réelle pour la Magiftrature,mais
c'en eft une irréparable pour fa famille & pour
fes amis. Un homme vertueux qui lui a été tendrement
attaché, m'a dit ,en parlant de la modeftie
& de l'humanité qui formoient fon caractère :
» Perfonne n'a jamais été plus appliqué à fes de-
> voirs; ilfembloit qu'il ignorât fes fuccès; & je l'ai
vû plus d'une fois verfer des larmes fur le fort.
AVRIL. 1759. 21
>> des malheureux Plaideurs contre qui la févérité
des Loix le forçoient de conclure.
Louie de Mailly dice Mademoiſelle de Buire ,
mourut le 26 Mars à Lille en Flandres , elle
étoit la derniere de la branche de Mailly Duquelnoy
, fortie de celle de Mailly Haucourt en
4559.
Le Prince de Crouy lui fuccéde dans tous fes
biens à titre de defcendance par ſa mere .
Nicolas de Saulx de Tavannes , Cardinal de la
fainte Eglife Romaine , Archevêque de Rouen ,
Primat de Normandie , Grand Aumônier de
France , Commandeur de l'Ordre du S. Elprit ,
& Proviſeur de Sorbonne , mourut à Paris le 10 ,
dans la foixante neuvième année de fon âge. La
douceur de fes moeurs & la fageffe de fon gouvernement
dans fon Diocéſe , l'avoient rendu digne
d'être honoré de la confiance du Roi & de
celle de la Reine dont il avoit été Grand Aumônier
.
Le fieur de Vigier , Supérieur de la Commu
nauté des Prêtres de S. Sulpice , Abbé de l'Abbaye
Royale de Bonlieu , Ordre de Cîteaux , Diocele
de Limoges , eft mort en cette Ville le 3 ,
âgé de cinquante- quatre ans.
Meffire Paul de la Roche- Aymon , Marquis
de Saint Maixant , Lieutenant - Général des Armées
du Roi , Lieutenant Général & Directeur
en Chef de l'Artillerie , au Département de la
Haute & Balle Normandie , eft mort à Paris le
22 , dans la foixante feizième année de fon âge.
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Résumé : MORTS.
Le texte relate la vie et la mort de François-Antoine Olivier de Senozan, Avocat-Général au Grand-Conseil, décédé le 26 mars 1759 à l'âge de vingt-deux ans. Né à Paris le 13 novembre 1736, il était le fils de Jean-Antoine de Senozan et d'Anne-Nicole de Lamoignon, fille du Chancelier. Senozan a démontré très tôt des aptitudes exceptionnelles, sortant du Collège de Louis-le-Grand à douze ans et poursuivant ses études avec des maîtres particuliers. Il a obtenu sa licence en droit et a été reçu avocat en septembre 1754. En février 1755, il est devenu substitut du Procureur Général et, le 25 juin de la même année, a succédé à M. Seguier comme Avocat Général au Grand-Conseil. Malgré son jeune âge, il a été rapidement reconnu pour sa sagesse et son dévouement, remplissant ses fonctions avec une maturité remarquable. Sa vie a été marquée par une application infatigable et une simplicité de mœurs. Sa mort a été perçue comme une perte irréparable pour la magistrature, sa famille et ses amis. Le texte mentionne également le décès de Louise de Mailly, du Cardinal de Saulx de Tavannes, du Sieur de Vigier et de Paul de la Roche-Aymon, Marquis de Saint Maixant.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 63
RÉPONSE de Madame BL. à une déclaration d'amour.
Début :
EN vain tu me peins ta tendresse : [...]
Mots clefs :
Tendresse, Cœur, Devoir
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texteReconnaissance textuelle : RÉPONSE de Madame BL. à une déclaration d'amour.
RÉPONSE de Madame BL. à une
déclaration d'amour.
En vain tu me peins ta tendreffe :
Non , cette image enchantereffe
Sur moi ne prend aucun pouvoir.
Mon coeur content , mon coeur paiſible ,
Eft heureux au fein du devoir.
Imite-moi , s'il eft poffible.
B. a P ....
déclaration d'amour.
En vain tu me peins ta tendreffe :
Non , cette image enchantereffe
Sur moi ne prend aucun pouvoir.
Mon coeur content , mon coeur paiſible ,
Eft heureux au fein du devoir.
Imite-moi , s'il eft poffible.
B. a P ....
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