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p. 204-222
ARCHITECTURE. Suite des mémoires d'une Société de gens de Lettres publiés en l'année 2355.
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POUR suivre l'ordre des matieres plutôt que celui du livre, nous passerons [...]
Mots clefs :
Théâtre, Palais royal, Architecture, Opéra, Édifices, Architecture, Loges, Musique, Spectacle, Musiciens
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texteReconnaissance textuelle : ARCHITECTURE. Suite des mémoires d'une Société de gens de Lettres publiés en l'année 2355.
ARCHITECTURE.
Suite des mémoires d'une Société de
gens
Lettres publiés en l'année 2355.
Po
de
OUR fuivre l'ordre des matieres plu-
τότ que celui du livre , nous pafferons
au cinquième mémoire qui traite d'architecture.
M. Gainfay y donne ſes réflexions fur
l'ancien bâtiment qu'on nomme le Palais
Royal. C'étoit autrefois la principale demeure
des Ducs d'Orléans , avant qu'ils
euffent bâti ce fuperbe édifice qu'ils habitent
maintenant au centre de la ville , &
qui eft un des plus beaux morceaux d'architecture
qu'il y ait en Europe. L'ancien
Palais royal n'eft plus qu'une de leurs maifons
de plaifance ; comme il a toujours
été entretenu avec foin , il fe trouve vraifemblablement
à peu- près dans l'état dans
lequel il a été conftruit. L'architecture en
eft affez belle , & fon caractere prouve fon
ancienneté. Il eft plus lourd & moins recherché
que le Louvre , & les autres bâtitimens
confidérables qui nous reftent de
ces tems ; cependant , comme ce goût eft
folide & bon en foi , on ne peut pas douSEPTEMBRE
. 1755. 205
ter qu'il ne faille remonter , pour en fixer
la date avant le dix-huitiéme fiécle , dans
lequel on voit par le peu qui nous en refte ,
qu'à la réferve de quelques édifices , le
goût étoit dégénéré , meſquin , irrégulier ,
& fouvent même extravagant.
M. Gainfay fait ici une digreffion pour
prouver qu'on doit attribuer la deftruction
de la plupart des édifices du dix- huitiéme
fiécle , à ce que dans les fiécles fuivans où
le bon goût s'eft rétabli , ils furent trouvés
peu dignes de refter fur pied , & comme
tels abattus, afin de ne laiffer aucune trace
de ce tems de délire , honteux à une nation
qui a toujours été en poffeffion de
donner les exemples du goût à fes voifins ;
quoiqu'il en foit de ce fentiment , il eft
certain que M. Gainfay ne le prouve pas
fans réplique , puiſqu'on peut auffi- bien
donner pour raifon de cette deftruction le
tems qui s'eft écoulé jufqu'à nous , & que
d'ailleurs il n'eft pas vraisemblable que les
propriétaires des palais ou maifons qui
nous auroient pû fervir à connoître le
goût d'architecture de ce fiécle , fe foient
prêtés à faire de tels facrifices à la gloire
de leur nation , fans quelque intérêt particulier.
De plus fi cela s'étoit fait par une
confpiration générale , il n'en feroit rien
refté du tout , au lieu qu'avec un peu de
-4
206 MERCURE DE FRANCE.
recherches on en retrouve affez pour donner
lieu à des conjectures plus étendues.
M. Gainfay remarque très- judicieuſement
qu'on ne peut point attribuer à ce
fiécle corrompu une conftruction auffi réguliere
que les deux grandes cours du Palais
royal , que l'architecture cependant
n'en étant pas fi épurée que celle du Louvre
, il y a lieu de croire qu'elle a précédé ,
& qu'elle eft du quinziéme fiécle , avant
qu'on eût entierement trouvé le point de
perfection , mais lorsqu'on en étoit fort
proche. On voit dans la feconde cour une
chofe finguliere. Les étages d'en haut nẻ
font pas femblables dans les deux aîles.
Un côté eft décoré de croifées quarrées ,
de vafes , & un peu en arriere d'un petit
mur percé de petites croifées , & traité de
maniere qu'il forme un attique agréable
& fort élégant : l'autre côté préfente une
balustrade ornée de vafes , mais il fe trouve
enfuite un étage de bois , dont le mur
eft incliné en arriere , fans qu'on puiffe
deviner ce qui a empêché de le mettre à
plomb. A- t - on crû qu'il en pût réſulter
quelque agrément à l'oeil ? Il ne paroît pas
poffible de le penfer. L'apparence de folidité
exige que tous les murs portent per
pendiculairement les uns fur les autres .
Eft- ce quelque raifon de commodité intéSEPTEMBRE.
1755. 207
"
rieure ? On ne ſçauroit la concevoir ; il
paroît au contraire que l'intérieur en eft
gâté , & qu'il eft plus difficile de s'approcher
de ces croifées fans fe heurter par
l'inclinaifon qu'elles ont en haut ; d'ailleurs
cela donne aux appartemens un air ignoble
en les faifant paroître des greniers lambriffés.
Voilà de ces obfcurités que l'ancienneté
ne nous permet pas de pénétrer
& fur lefquelles on ne peut fonder aucunes
conjectures raifonnables. On voit par
d'anciennes eftampes qui repréfentent cet
édifice , que le toît defcendoit juſqu'au
pied de cet étage , & qu'il n'y avoit que
des croifées éloignées les unes des autres ,
qui fervoient à éclairer les greniers. Ces
croifées avançant en faillie fur un pignon
très-élevé & fort pointu , étoient défectueufes
, & laiffoient voir trop de toît ,
ainfi il a été néceffaire d'en former un
étage ; mais le côté décoré en attique a
l'avantage d'avoir confervé les anciennes
fenêtres qui font d'un goût conforme
celui de tout l'édifice , au lieu que l'autre
eft dans un goût entierement différent.
M. Gainfay entre enfuite dans un examen
fort détaillé fur l'architecture d'une
cour qui eft fur le côté de ce Palais : nous
fupprimerons cette partie de fon difcours
à caufe de fa longueur , & nous renvoye208
MERCURE DE FRANCE.
rons fur ce fujet à l'original . On y trouve
ra une critique fort judicieufe mêlée d'éloges
, également bien fondés , de ce morceau
d'architecture .
Nous pafferons à une des falles de ce
Palais , que M. Gainfay nomme la falle
des concerts. Quelques Aureurs ont prétendu
qu'autrefois cette falle a été la falle
de l'Opéra de Paris . M. Gainfay prouve
que ce fentiment eft infoutenable . Premierement
, elle est beaucoup trop petite
pour avoir pû contenir les citoyens d'une
ville telle que Paris , même dans ces temslà
. On ne peut pas y fuppofer , quelque
peu confidérable qu'elle fut alors , moins
d'un million d'habitans , quoique ce foit
bien peu en comparaifon de ce qu'elle en
renferme aujourd'hui ; toujours eft- il certain
que dans cette fuppofition , quelque
bornée qu'elle foit , il a dû y avoir cent
mille perfonnes allant habituellement à
l'Opéra. A moins qu'on ne veuille croire ,
comme font ceux qui foutiennent ce fentiment
, que la mufique de ce tems étant
fort fimple, & n'étant proprement que nos
chants d'églife , avec quelques accompa
gnemens auffi uniformes , elle n'infpiroit
pas alors ces fenfations délicieufes qu'elle
nous fait éprouver maintenant qu'elle eſt
portée à fa perfection. Ils en concluent
SEPTEMBRE. 1755. 209
qu'on n'avoit pas alors pour elle ce goût
vif qui nous détermine fi fortement , que
malgré la grandeur de nos théatres & la
quantité que nous en avons dans prefque
tous les quartiers de la ville , ils font néanmoins
toujours remplis ; conféquemment
que très - peu de perfonnes alloient au
fpectacle ; qu'à la réferve d'un très - petit
nombre qui s'étant habitués d'enfance à
goûter cette mufique , y trouvoient quelque
beauté , prefque perfonne ne s'en foucioit.
Que les étrangers même ne la pouvant
fouffrir n'y alloient point. Quoiqu'on
ne puiffe pas entierement rejetter ces faits ,
puifque la mufique de ces tems-là qui eſt
parvenue jufqu'à nous , femble en faire
la preuve néanmoins , à quelque point
qu'on diminue la quantité de gens qui aimoient
ces fpectacles , il eft certain qu'on
ne peut la réduire , jufqu'à croire que
cette falle ait pû les contenir.
M. Gainfay tire fa feconde preuve de la
forme de cette falle . Elle eft fort étroite &
fort longue , ce qui eft contradictoire à la
forme effentielle d'un théatre qui doit être
de forme circulaire ou approchante du
cercle dans toute l'étendue de la falle où
font les fpectateurs . En effet , comment
concevoir qu'un architecte ait pu bâtir un
théatre dont la principale loge eft la plus
210 MERCURE DE FRANCE.
éloignée . Peut -on fuppofer qu'il ait ignoté
qu'une falle de théatre doit ( quelque for
me qu'on y donne ) s'ouvrir en largeur ,
plutôt que s'enfoncer en profondeur. Il eſt
vrai que dans celui - ci les côtés s'élargiffent
un peu en s'étendant vers la partie qu'on
prétend être le théatre , mais c'eſt de fi
peu de chofe que cela eft inutile , & ne
fert qu'à y donner une forme défagréable ,
La loge principale a toujours du être celle du
fond , puifque c'eft vis-à- vis d'elle & pour
elle , que fe fait toujours le jeu du théatre ;
dans cette fuppofition , celle- ci feroit trop
loin , & l'on n'y pourroit pas bien entendre
, d'autant plus que le fon feroit intercepté
en chemin par l'obftacle qu'y apporteroit
le petit murmure qui s'enfuit néceffairement
de l'interpofition de plufieurs
perfonnes qu'on ne peut empêcher de fe
parler quelquefois à l'oreille : car on
prétend qu'il y avoit des fpectateurs af
fis dans cette partie qui eft au-devant
& qu'on nomme l'amphithéatre . On ne
fçait pas fi en effet l'ufage étoit alors
de mettre à tous les théatres cette partie
qu'on veut nommer ici amphithéatre.
Nos théatres ne contiennent plus rien
de femblable. De plus il n'y a que cinq
loges dans cette petite partie circulaire ,
qui ayent été placées , finon pour bien
SEPTEMBRE. 1755. 211
entendre du moins pour bien voir. Les loges
qui s'étendent fur les aîles font encore
plus malheureufes ; fi elles font plus à portée
d'entendre , elles le font bien moins
de voir. Le rang de devant ne voit qu'en
s'avançant avec effort , & celui de derriere
ne peut rien voir , ou fört difficilement ,
& en fe levant ou fe penchant au hazard
de tomber fur le rang de devant . On ne
peut s'imaginer qu'on louât des places
pour être affis , & que cependant on fe
tînt de bout. Si l'on confidere la partie
qu'ils nomment le théatre , on verra par
fon peu d'ouverture , qu'il n'eft pas poffible
qu'on y ait pû donner un fpectacle
fur- tout avec des choeurs , & l'on fçait
que les François en ont toujours joint à
leurs Opéra ; il faudroit que les perfonnages
de ces choeurs fuffent rangés de maniere
que le premier cachât en partie le
fecond , & ainfi fucceffivement des autres
; ce qui ne produiroit point de fpectacle
, donneroit un air d'arrangement
apprêté , & détruiróit l'illufion qu'ils nous
doivent faire en fe plaçant par petits groupes
inégaux & naturels . De l'ordre proceffionnal
qu'il faut néceffairement leur fuppofer
ici , il s'enfuit que les derniers qui
font au fond ne pourroient ni voir ni entendre
le claveffin. Comment pourroient-
›
1
212 MERCURE DE FRANCE.
ils donc fuivre une mefure exacte ? Quelques-
uns ont avancé ſur ce fujet une abfurdité
ridicule , ils ont prétendu qu'il y
avoit derriere les derniers de ces choeurs
des Muficiens qui les régloient en battant
la meſure avec des bâtons . Comment peuton
s'imaginer qu'on pût fouffrir un bruit
auffi indécent , tandis que les oreilles délicates
ont peine à fupporter celui que
fait le Muficien lorfqu'il touche fortement
le claveffin pour remettre quelqu'un
dans la´meſure ; ce qui eft extrêmement
rare , puifqu'on ne fouffre perfonne fur
nos théatres qui ne fçache très-bien la mufique
, du moins quant à la meſure . L'ouverture
de ce qu'ils appellent ici théatre ,
eft tellement étroite , qu'on ne peut pas
fuppofer qu'elle ait encore été divifée
en plufieurs parties , ainfi qu'il eft néceffaire
pour les à parte , dont les anciennes
piéces font remplies : Pouvons - nous
penfer qu'on ait négligé de l'illufion , &
choqué la vraiſemblance , au point de faire
dire ou chanter dans le même lieu des
paroles qu'un acteur préfent eft fuppofé
ne pas entendre , il a fallu du moins qu'il
y eut entre ces acteurs un obftacle , ou réel
ou en peinture , qui donnât lieu de croire
qu'ils pouvoient parler fans être entendus
que du fpectateur : mais où eft ici l'efpace
SEPTEM BRE. 1755. 213
néceffaire pour introduire ces obſtacles ?
Quelles fortes de décorations peut - on fuppofer
avoir été faites dans un lieu fi borné
on n'y peut imaginer qu'une fuite de
chaffis fort étroits fur lefquels on ne pourroit
rien peindre que les bords des objets
encore faudroit- il bien les mettre de fuite,
& que l'un ne débordât l'autre qu'autant
que la perfpective le permet , ce qui produiroit
néceffairement une ennuyeufe uniformité.
Point de ces fuyans fur les côtés ,
qui font des effets fi agréables fur nos
théatres. Point de ces chaffis avancés audedans
de la fcéne , & découpés de maniere
à laiffer voir par leurs ouvertures les
côtés qui continuent de fuir , & les toiles
qui fervent de .fond . Ici tout doit être
terminé par une feule toile. Une pareille
décoration ne feroit propre qu'à
repréſenter une rue étroite & fort longue ;
cependant on fçait qu'alors la peinture
brilloit en France , le plaifir qu'elle y caufoit
par fon excellence , a dû néceffairement
engager à faire de grands théatres
pour donner aux Peintres un lieu propre
à montrer l'étendue de leur génie , & pour
profiter du plaifir que caufe l'illufion
produite par les effets de ce bel art . On
fçait encore que les anciens François introduifoient
la danfe dans leurs Opéra.
214 MERCURE DE FRANCE.
Dans les piéces qui nous reftent d'eux , on
voit même qu'ils la lioient à l'action ,
quelquefois bien , le plus fouvent mal-àpropos
, quoique peut- être eût- il mieux
valu la renvoyer aux entr'actes , que de
forcer la vraisemblance , & la raiſon pour
la coudre à la piéce. Quoiqu'il en foit , il
paroît qu'ils avoient des ballets , & même
des ballets figurés, & repréſentans un fujer :
or , comment veut- on qu'on ait pû exécuter
de tels ballets dans un fi petit eſpace : Il y
auroit eû une confufion infupportable ,
ceux de devant auroient caché ceux de
derriere , tellement qu'on n'en auroit pas
pû voir nettement le deffein : D'ailleurs ,
il n'y pourroit pas tenir affez de danfeurs ,
même en fe touchant à rout inftant les
uns les autres pour former un ballet compofé
avec quelque génie. Il faudroit fuppofer
que la danfe alors ne fût que de
deux , trois , ou quatre perfonnes qui auroient
danfé enfemble , & par conféquent
très-breve : car un fi petit nombre de danfeurs
qui figureroient enſemble , ne pourroient
, s'ils danfoient long- tems , s'empêcher
de retomber dans les mêmes pas ,
& de répéter les mêmes, figures , ce qui
deviendroit ennuyeux , quelques excellens
qu'ils fuffent.
Cependant , en mefurant le tems que
SEPTEMBRE. 1755. 215
duroient leurs Opéra , qu'on fçait avoir
été , ainfi que de notre tems , d'environ
trois heures , on ne trouve pas que la mufique
en ait pû employer plus de la moitié
, encore en fuppofant qu'elle ait été
chantée d'une lenteur exceffive , le refte
doit avoir été occupé par la danſe .
Le parterre de cette falle eft d'une profondeur
dont on ne peut concevoir l'uſage
, fi la fuppofition que ce fût une falle
de théatre avoit lieu , les perfonnes affifes
aux trois où quatre premiers rangs n'auroient
rien vû que ce qui fe feroit paffé
au bord de la fcene , & auroient affez mal
entendu , quoique proche , parce que le
fon auroit paffé par- deffus leurs têtes . Suppoferoit-
on qu'ils euffent été de bout , &
peut-on croire que quelqu'un eût pû refter
dans une pofture fi fatigante durant
trois heures , expofé à la foule & au mouvement
tumultueux que caufe toujours un
nombre de perfonnes dans un lieu refferré,
pour entendre une mufique peu divertif
fante. On ne pourroit dans ce cas penfer
autre chofe , finon que ce lieu auroit été
abandonné à la livrée . M. Gainfay obſerve
encore que la décoration de cette falle
qui n'eft ornée d'aucune architecture , paroît
peu digne d'avoir été le lieu de fpectacle
d'une grande ville, Pas une colonne ,
216 MERCURE DE FRANCE.
pas même un feul pilaftre ! Trois petits
rangs de loges écrafées & foutenues par
des poteaux étroits , y font voir une économie
de terrein peu convénable dans un
édifice de cette importance . L'égalité de
ces deux rangs de loges n'annonce pas
plus de dignité dans ceux qui doivent occuper
le rang d'enbas que dans ceux qui
font au-deffus , & d'ailleurs c'eft un défaut
de goût dans un lieu qu'on auroit prétendu
décorer pour le public : car un des premiers
principes du goût eft d'éviter l'égalité
dans les principales maffes d'un édifice
, & d'y trouver toujours quelques parties
dominantes.
-
Il eft d'autant moins à croire que les
anciens François ayent conſtruit un théatre
femblable, qu'on fçait que dès ce temslà
tous les artiſtes , tant les Peintres que les
Muficiens voyageoient dans leur jeuneffe
en Italie pour fe former le goût : Or , il
eft impoffible qu'ils n'ayent pas vû le théatre
antique de Palladio qui eft vraiment
le modele d'un théatre parfait , foit pour
la commodité , foit pour la magnificence
de la décoration . C'eft de ce refpectable
monument que nous avons tité la perfection
que nous avons donnée à nos théatres
modernes ; à la vérité il n'eft pas poffible
de conftruire un théatre de telle
maniere
SEPTEMBRE . 1755. 217
maniere que tout le monde y foit également
bien placé. Néceffairement il y a
quelques loges ou autres places où l'on eft
forcé de regarder de côté , mais il n'eft
aucun plan qui remédie auffi- bien aux
inconvéniens , & qui place autant de perfonnes
avec avantage que celui de cet admirable
édifice antique ; il eft vrai que la
façade du théatre qui coupe cet ovale dans
fon plus grand diamétre , gâte la forme
totale de cet édifice , & le fait paroître à
demi - fait ; mais il eft aifé de fuppléer à ce
défaut comme nous avons fait dans nos
théatres modernes, C'eft de cet antique
que nous avons appris à décorer nos théatres
de cette belle colonnade qui y fait un
effet fi noble. M. Gainfay ne fçauroit fe
réfoudre à croire que les théatres des anciens
François ayent pû fe paffer d'un
ornement auffi magnifique qu'une colonnade
circulaire , & qui lui paroît y être
fi effentiellement néceffaire. Il faut le lire
pour concevoir avec quelle éloquence il
fait fentir la noble richeffe de cette décoration
; & en effet , il eft difficile d'imaginer
qu'on ait prétendu rendre un lieu
digne d'y recevoir le public & les étrangers
, fans l'enrichir de colonnes , ornement
le plus magnifique que l'architecture
ait jamais inventé.
K
21S MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay ajoute une réflexion qui paroît
évidente . Quand il feroit poffible ,
dit-il , que les François euffent rejetté cet
exemple de Palladio par le défaut de fçavoir
comment remédier au defagrément
de fon avant-fcene : du moins ils auroient
fuivis les théatres ordinaires de l'Italie ,
qui , quoique très- défectueux à bien des
égards , avoient , & plus de grandeur , &
une forme plus rélative à leur deftination ,
que celui qu'on nous propofe ici comme
ayant été le principal theatre d'une ville
telle que Paris. Les reftes de celui d'Argentina
à Rome , & de quelques autres en
Italie nous en offrent la preuve. La forme
en eft defagréable , parce que leur plan
reffemble à une raquette , ou à un oeuf
tronqué , & qu'elle produit plufieurs loges
, où il n'y a abfolument que le premier
rang qui puiffe voir & entendre. La décoration
eft de mauvais goût en ce que
toutes les loges , dont il y a fix rangs les uns
fur les autres , font égales , & femblent des
enfoncemens pratiqués dans des murs de
catacombes. La principale loge qu'on a prétendu
décorer , eſt toujours écrasée rélati-
-vement à fa largeur . L'économie d'eſpace
qui n'a permis de prendre que deux loges
pour fa hauteur , a empêché de lui donner
l'exhauffement qui lui convenoit.
SEPTEMBRE 1755, 219
Néamoins , ces théatres ont un air de
grandeur, même dans les plus petites villes ,
d'où M. Gainfay conclut , qu'on ne peut
pas fuppofer que les François ayent fuivi
un auffi mauvais plan que celui qu'on expofe
ici comme le théatre principal de Paris
, & qu'ayant fous les yeux ces modeles
, certainement ils ont donné à ces monumens
publics la dignité qui leur convient
; par conféquent on ne doit pas croire
que cette falle ait été un théatre. Il paroît
qu'on ne peut réfifter à l'évidence de fes
preuves. La derniere objection qu'il fait ,
eft abfolument décifive . On ne voit autour
de cette falle aucun portique , ce qui eft.
fi néceffaire à un théatre , qu'il feroit impoffible
qu'on en fortit , quelque petit
qu'il fût , fans courir à tout inftant rifque
de la vie. L'embarras que caufe la quantité
des équipages à la fortie des fpectacles
, a toujours rendu ces portiques d'une
néceffité indifpenfable , pour donner lieu
aux gens à pied de s'échapper par différens
chemins. Il remarque encore qu'il n'y
a qu'une feule porte d'une grandeur un
peu raifonnable , & qu'il feroit infenfé de
croire qu'on eût donné dans un pareil lieu
des fpectacles , où l'on emploie fouvent le
feu , & qui font fréquemment exposés au
hazard d'un incendie .
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay paffe à l'explication de ce
qu'on doit penfer de cette falle . C'étoit ,
dit-il , la falle des concerts particuliers des
Princes de la Maiſon d'Orléans. La partie
qu'on a prétendu être un Amphitheatre ,
étoit le lieu où fe plaçoient les Muficiens.
Au commencement il n'y avoit point toutes
ces loges qui l'entourent maintenant ;
mais cette grande maifon s'étant augmentée
dans le dix-neuviéme fiécle , on fut
obligé de les conftruire pour y placer tous
les Officiers de cette maifon qui obrenoient
la faveur de pouvoir entendre des
concerts , où tout ce qu'il y avoit de plus
excellens chanteurs , tant Italiens que François
, exécutoient la plus belle mufique
connue dans ces tems- là. Dans la partie
qu'on prétend avoir été le théatre , étoit
placée une magnifique tribune , qui a été
détruite depuis ; ce lieu étant devenu inutile
lorfque ces Princes ont ceffé d'y demeurer.
On ne peut pas douter que cette
tribune n'ait été décorée de colonnes de
la plus belle architecture , les pilaftres de
fer travaillés , qu'on voit encore aux deux
côtés , en font une continuation fimple ,
& comme pour fervir de tranfition d'un
lieu magnifique aux loges deftinées pour
les Officiers de la maifon. La partie qui
eft au pied de cette tribune en enfonceSEPTEMBRE.
1755. 221
le
ment , & qu'on dit être l'orchestre des.
Muficiens de l'Opéra , eft proprement
lieu où fe plaçoient les Officiers dont les
Princes pouvoient avoir befoin le plus
fréquemment , afin d'être à portée de recevoir
immédiatement leurs ordres ; &
ce qu'on a nommé le parterre étoit le lieu
où le mettoit le plus bas domeftique , où
on avoit conftruit une rampe douce , afin
que ceux qui étoient les plus proches de
la tribune principale , ne puffent point incommoder.
Il pourroît paroître que ceux
qui étoient les derniers , étoient mal placés
pour voir , parce que ceux qui étoient
devant eux , étoient plus élevés ; mais il
faut confidérer qu'il n'eft queſtion ici que
d'entendre un concert , où les principaux
chanteurs fe mettent toujours fur le devant
de l'appui qui les fépare des auditeurs
, & que cet appui eft fort élevé audeffus
de l'auditoire ; mais ce qui confirme
& donne la derniere évidence à ce
qu'avance M. Gainfay dans ce mémoire ,
c'eft qu'il en déduit une raiſon fimple &
claire de l'evafement de cette falle en venant
vers la tribune, qui dans toute autre fuppofition
paroît fans fondement ; il confidere
l'amphithéatre , & qui eft véritablement
l'Orcheftre , comme un centre d'où partent
des rayons de fon ; fi les murs étoient pa-
1
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
ralleles , ces rayons les heurteroient fous
des angles qui pourroient les réfléchir , en
intercepter une partie rélativement à la
tribune principale , pour laquelle toute
cette falle eft conftruite , & par leur réflection
produire une cacophonie qui eft
l'effet naturel de toute voix réfléchie. Cette
douce inclinaiſon n'oppoſe pas un obftacle
affez direct pour brifer ces rayons ,
elle les oblige feulement à gliffer par un
angle très-obtus , & à fe réunir vers la tribune
pour y produire un plus grand effet
d'harmonie . Si elle étoit plus évafée , elle
fuivroit la direction droite du fon , & n'en
augmenteroit pas la force ; il ne faut pas
s'embarraffer des loges qui y font un
obftacle ; parce qu'elles n'y ont été miles
qu'après coup, & qu'elles ne doivent point
être reprochées à l'Architecte ingénieux ,
qui a imaginé cette forme très- propre
fon but. Il eft fâcheux que cette tribune
ait été détruite ; par elle nous aurions
juger s'il avoit autant de goût que de bon
fens .
C'eſt ainfi que M. Gainfay explique ce
qui nous refte de la falle des concerts du
Palais royal. Il eft difficile , après l'avoir
lû dans l'original , de réfiſter à la force de
fes preuves.
La fuite an Mercure fuivant.
Suite des mémoires d'une Société de
gens
Lettres publiés en l'année 2355.
Po
de
OUR fuivre l'ordre des matieres plu-
τότ que celui du livre , nous pafferons
au cinquième mémoire qui traite d'architecture.
M. Gainfay y donne ſes réflexions fur
l'ancien bâtiment qu'on nomme le Palais
Royal. C'étoit autrefois la principale demeure
des Ducs d'Orléans , avant qu'ils
euffent bâti ce fuperbe édifice qu'ils habitent
maintenant au centre de la ville , &
qui eft un des plus beaux morceaux d'architecture
qu'il y ait en Europe. L'ancien
Palais royal n'eft plus qu'une de leurs maifons
de plaifance ; comme il a toujours
été entretenu avec foin , il fe trouve vraifemblablement
à peu- près dans l'état dans
lequel il a été conftruit. L'architecture en
eft affez belle , & fon caractere prouve fon
ancienneté. Il eft plus lourd & moins recherché
que le Louvre , & les autres bâtitimens
confidérables qui nous reftent de
ces tems ; cependant , comme ce goût eft
folide & bon en foi , on ne peut pas douSEPTEMBRE
. 1755. 205
ter qu'il ne faille remonter , pour en fixer
la date avant le dix-huitiéme fiécle , dans
lequel on voit par le peu qui nous en refte ,
qu'à la réferve de quelques édifices , le
goût étoit dégénéré , meſquin , irrégulier ,
& fouvent même extravagant.
M. Gainfay fait ici une digreffion pour
prouver qu'on doit attribuer la deftruction
de la plupart des édifices du dix- huitiéme
fiécle , à ce que dans les fiécles fuivans où
le bon goût s'eft rétabli , ils furent trouvés
peu dignes de refter fur pied , & comme
tels abattus, afin de ne laiffer aucune trace
de ce tems de délire , honteux à une nation
qui a toujours été en poffeffion de
donner les exemples du goût à fes voifins ;
quoiqu'il en foit de ce fentiment , il eft
certain que M. Gainfay ne le prouve pas
fans réplique , puiſqu'on peut auffi- bien
donner pour raifon de cette deftruction le
tems qui s'eft écoulé jufqu'à nous , & que
d'ailleurs il n'eft pas vraisemblable que les
propriétaires des palais ou maifons qui
nous auroient pû fervir à connoître le
goût d'architecture de ce fiécle , fe foient
prêtés à faire de tels facrifices à la gloire
de leur nation , fans quelque intérêt particulier.
De plus fi cela s'étoit fait par une
confpiration générale , il n'en feroit rien
refté du tout , au lieu qu'avec un peu de
-4
206 MERCURE DE FRANCE.
recherches on en retrouve affez pour donner
lieu à des conjectures plus étendues.
M. Gainfay remarque très- judicieuſement
qu'on ne peut point attribuer à ce
fiécle corrompu une conftruction auffi réguliere
que les deux grandes cours du Palais
royal , que l'architecture cependant
n'en étant pas fi épurée que celle du Louvre
, il y a lieu de croire qu'elle a précédé ,
& qu'elle eft du quinziéme fiécle , avant
qu'on eût entierement trouvé le point de
perfection , mais lorsqu'on en étoit fort
proche. On voit dans la feconde cour une
chofe finguliere. Les étages d'en haut nẻ
font pas femblables dans les deux aîles.
Un côté eft décoré de croifées quarrées ,
de vafes , & un peu en arriere d'un petit
mur percé de petites croifées , & traité de
maniere qu'il forme un attique agréable
& fort élégant : l'autre côté préfente une
balustrade ornée de vafes , mais il fe trouve
enfuite un étage de bois , dont le mur
eft incliné en arriere , fans qu'on puiffe
deviner ce qui a empêché de le mettre à
plomb. A- t - on crû qu'il en pût réſulter
quelque agrément à l'oeil ? Il ne paroît pas
poffible de le penfer. L'apparence de folidité
exige que tous les murs portent per
pendiculairement les uns fur les autres .
Eft- ce quelque raifon de commodité intéSEPTEMBRE.
1755. 207
"
rieure ? On ne ſçauroit la concevoir ; il
paroît au contraire que l'intérieur en eft
gâté , & qu'il eft plus difficile de s'approcher
de ces croifées fans fe heurter par
l'inclinaifon qu'elles ont en haut ; d'ailleurs
cela donne aux appartemens un air ignoble
en les faifant paroître des greniers lambriffés.
Voilà de ces obfcurités que l'ancienneté
ne nous permet pas de pénétrer
& fur lefquelles on ne peut fonder aucunes
conjectures raifonnables. On voit par
d'anciennes eftampes qui repréfentent cet
édifice , que le toît defcendoit juſqu'au
pied de cet étage , & qu'il n'y avoit que
des croifées éloignées les unes des autres ,
qui fervoient à éclairer les greniers. Ces
croifées avançant en faillie fur un pignon
très-élevé & fort pointu , étoient défectueufes
, & laiffoient voir trop de toît ,
ainfi il a été néceffaire d'en former un
étage ; mais le côté décoré en attique a
l'avantage d'avoir confervé les anciennes
fenêtres qui font d'un goût conforme
celui de tout l'édifice , au lieu que l'autre
eft dans un goût entierement différent.
M. Gainfay entre enfuite dans un examen
fort détaillé fur l'architecture d'une
cour qui eft fur le côté de ce Palais : nous
fupprimerons cette partie de fon difcours
à caufe de fa longueur , & nous renvoye208
MERCURE DE FRANCE.
rons fur ce fujet à l'original . On y trouve
ra une critique fort judicieufe mêlée d'éloges
, également bien fondés , de ce morceau
d'architecture .
Nous pafferons à une des falles de ce
Palais , que M. Gainfay nomme la falle
des concerts. Quelques Aureurs ont prétendu
qu'autrefois cette falle a été la falle
de l'Opéra de Paris . M. Gainfay prouve
que ce fentiment eft infoutenable . Premierement
, elle est beaucoup trop petite
pour avoir pû contenir les citoyens d'une
ville telle que Paris , même dans ces temslà
. On ne peut pas y fuppofer , quelque
peu confidérable qu'elle fut alors , moins
d'un million d'habitans , quoique ce foit
bien peu en comparaifon de ce qu'elle en
renferme aujourd'hui ; toujours eft- il certain
que dans cette fuppofition , quelque
bornée qu'elle foit , il a dû y avoir cent
mille perfonnes allant habituellement à
l'Opéra. A moins qu'on ne veuille croire ,
comme font ceux qui foutiennent ce fentiment
, que la mufique de ce tems étant
fort fimple, & n'étant proprement que nos
chants d'églife , avec quelques accompa
gnemens auffi uniformes , elle n'infpiroit
pas alors ces fenfations délicieufes qu'elle
nous fait éprouver maintenant qu'elle eſt
portée à fa perfection. Ils en concluent
SEPTEMBRE. 1755. 209
qu'on n'avoit pas alors pour elle ce goût
vif qui nous détermine fi fortement , que
malgré la grandeur de nos théatres & la
quantité que nous en avons dans prefque
tous les quartiers de la ville , ils font néanmoins
toujours remplis ; conféquemment
que très - peu de perfonnes alloient au
fpectacle ; qu'à la réferve d'un très - petit
nombre qui s'étant habitués d'enfance à
goûter cette mufique , y trouvoient quelque
beauté , prefque perfonne ne s'en foucioit.
Que les étrangers même ne la pouvant
fouffrir n'y alloient point. Quoiqu'on
ne puiffe pas entierement rejetter ces faits ,
puifque la mufique de ces tems-là qui eſt
parvenue jufqu'à nous , femble en faire
la preuve néanmoins , à quelque point
qu'on diminue la quantité de gens qui aimoient
ces fpectacles , il eft certain qu'on
ne peut la réduire , jufqu'à croire que
cette falle ait pû les contenir.
M. Gainfay tire fa feconde preuve de la
forme de cette falle . Elle eft fort étroite &
fort longue , ce qui eft contradictoire à la
forme effentielle d'un théatre qui doit être
de forme circulaire ou approchante du
cercle dans toute l'étendue de la falle où
font les fpectateurs . En effet , comment
concevoir qu'un architecte ait pu bâtir un
théatre dont la principale loge eft la plus
210 MERCURE DE FRANCE.
éloignée . Peut -on fuppofer qu'il ait ignoté
qu'une falle de théatre doit ( quelque for
me qu'on y donne ) s'ouvrir en largeur ,
plutôt que s'enfoncer en profondeur. Il eſt
vrai que dans celui - ci les côtés s'élargiffent
un peu en s'étendant vers la partie qu'on
prétend être le théatre , mais c'eſt de fi
peu de chofe que cela eft inutile , & ne
fert qu'à y donner une forme défagréable ,
La loge principale a toujours du être celle du
fond , puifque c'eft vis-à- vis d'elle & pour
elle , que fe fait toujours le jeu du théatre ;
dans cette fuppofition , celle- ci feroit trop
loin , & l'on n'y pourroit pas bien entendre
, d'autant plus que le fon feroit intercepté
en chemin par l'obftacle qu'y apporteroit
le petit murmure qui s'enfuit néceffairement
de l'interpofition de plufieurs
perfonnes qu'on ne peut empêcher de fe
parler quelquefois à l'oreille : car on
prétend qu'il y avoit des fpectateurs af
fis dans cette partie qui eft au-devant
& qu'on nomme l'amphithéatre . On ne
fçait pas fi en effet l'ufage étoit alors
de mettre à tous les théatres cette partie
qu'on veut nommer ici amphithéatre.
Nos théatres ne contiennent plus rien
de femblable. De plus il n'y a que cinq
loges dans cette petite partie circulaire ,
qui ayent été placées , finon pour bien
SEPTEMBRE. 1755. 211
entendre du moins pour bien voir. Les loges
qui s'étendent fur les aîles font encore
plus malheureufes ; fi elles font plus à portée
d'entendre , elles le font bien moins
de voir. Le rang de devant ne voit qu'en
s'avançant avec effort , & celui de derriere
ne peut rien voir , ou fört difficilement ,
& en fe levant ou fe penchant au hazard
de tomber fur le rang de devant . On ne
peut s'imaginer qu'on louât des places
pour être affis , & que cependant on fe
tînt de bout. Si l'on confidere la partie
qu'ils nomment le théatre , on verra par
fon peu d'ouverture , qu'il n'eft pas poffible
qu'on y ait pû donner un fpectacle
fur- tout avec des choeurs , & l'on fçait
que les François en ont toujours joint à
leurs Opéra ; il faudroit que les perfonnages
de ces choeurs fuffent rangés de maniere
que le premier cachât en partie le
fecond , & ainfi fucceffivement des autres
; ce qui ne produiroit point de fpectacle
, donneroit un air d'arrangement
apprêté , & détruiróit l'illufion qu'ils nous
doivent faire en fe plaçant par petits groupes
inégaux & naturels . De l'ordre proceffionnal
qu'il faut néceffairement leur fuppofer
ici , il s'enfuit que les derniers qui
font au fond ne pourroient ni voir ni entendre
le claveffin. Comment pourroient-
›
1
212 MERCURE DE FRANCE.
ils donc fuivre une mefure exacte ? Quelques-
uns ont avancé ſur ce fujet une abfurdité
ridicule , ils ont prétendu qu'il y
avoit derriere les derniers de ces choeurs
des Muficiens qui les régloient en battant
la meſure avec des bâtons . Comment peuton
s'imaginer qu'on pût fouffrir un bruit
auffi indécent , tandis que les oreilles délicates
ont peine à fupporter celui que
fait le Muficien lorfqu'il touche fortement
le claveffin pour remettre quelqu'un
dans la´meſure ; ce qui eft extrêmement
rare , puifqu'on ne fouffre perfonne fur
nos théatres qui ne fçache très-bien la mufique
, du moins quant à la meſure . L'ouverture
de ce qu'ils appellent ici théatre ,
eft tellement étroite , qu'on ne peut pas
fuppofer qu'elle ait encore été divifée
en plufieurs parties , ainfi qu'il eft néceffaire
pour les à parte , dont les anciennes
piéces font remplies : Pouvons - nous
penfer qu'on ait négligé de l'illufion , &
choqué la vraiſemblance , au point de faire
dire ou chanter dans le même lieu des
paroles qu'un acteur préfent eft fuppofé
ne pas entendre , il a fallu du moins qu'il
y eut entre ces acteurs un obftacle , ou réel
ou en peinture , qui donnât lieu de croire
qu'ils pouvoient parler fans être entendus
que du fpectateur : mais où eft ici l'efpace
SEPTEM BRE. 1755. 213
néceffaire pour introduire ces obſtacles ?
Quelles fortes de décorations peut - on fuppofer
avoir été faites dans un lieu fi borné
on n'y peut imaginer qu'une fuite de
chaffis fort étroits fur lefquels on ne pourroit
rien peindre que les bords des objets
encore faudroit- il bien les mettre de fuite,
& que l'un ne débordât l'autre qu'autant
que la perfpective le permet , ce qui produiroit
néceffairement une ennuyeufe uniformité.
Point de ces fuyans fur les côtés ,
qui font des effets fi agréables fur nos
théatres. Point de ces chaffis avancés audedans
de la fcéne , & découpés de maniere
à laiffer voir par leurs ouvertures les
côtés qui continuent de fuir , & les toiles
qui fervent de .fond . Ici tout doit être
terminé par une feule toile. Une pareille
décoration ne feroit propre qu'à
repréſenter une rue étroite & fort longue ;
cependant on fçait qu'alors la peinture
brilloit en France , le plaifir qu'elle y caufoit
par fon excellence , a dû néceffairement
engager à faire de grands théatres
pour donner aux Peintres un lieu propre
à montrer l'étendue de leur génie , & pour
profiter du plaifir que caufe l'illufion
produite par les effets de ce bel art . On
fçait encore que les anciens François introduifoient
la danfe dans leurs Opéra.
214 MERCURE DE FRANCE.
Dans les piéces qui nous reftent d'eux , on
voit même qu'ils la lioient à l'action ,
quelquefois bien , le plus fouvent mal-àpropos
, quoique peut- être eût- il mieux
valu la renvoyer aux entr'actes , que de
forcer la vraisemblance , & la raiſon pour
la coudre à la piéce. Quoiqu'il en foit , il
paroît qu'ils avoient des ballets , & même
des ballets figurés, & repréſentans un fujer :
or , comment veut- on qu'on ait pû exécuter
de tels ballets dans un fi petit eſpace : Il y
auroit eû une confufion infupportable ,
ceux de devant auroient caché ceux de
derriere , tellement qu'on n'en auroit pas
pû voir nettement le deffein : D'ailleurs ,
il n'y pourroit pas tenir affez de danfeurs ,
même en fe touchant à rout inftant les
uns les autres pour former un ballet compofé
avec quelque génie. Il faudroit fuppofer
que la danfe alors ne fût que de
deux , trois , ou quatre perfonnes qui auroient
danfé enfemble , & par conféquent
très-breve : car un fi petit nombre de danfeurs
qui figureroient enſemble , ne pourroient
, s'ils danfoient long- tems , s'empêcher
de retomber dans les mêmes pas ,
& de répéter les mêmes, figures , ce qui
deviendroit ennuyeux , quelques excellens
qu'ils fuffent.
Cependant , en mefurant le tems que
SEPTEMBRE. 1755. 215
duroient leurs Opéra , qu'on fçait avoir
été , ainfi que de notre tems , d'environ
trois heures , on ne trouve pas que la mufique
en ait pû employer plus de la moitié
, encore en fuppofant qu'elle ait été
chantée d'une lenteur exceffive , le refte
doit avoir été occupé par la danſe .
Le parterre de cette falle eft d'une profondeur
dont on ne peut concevoir l'uſage
, fi la fuppofition que ce fût une falle
de théatre avoit lieu , les perfonnes affifes
aux trois où quatre premiers rangs n'auroient
rien vû que ce qui fe feroit paffé
au bord de la fcene , & auroient affez mal
entendu , quoique proche , parce que le
fon auroit paffé par- deffus leurs têtes . Suppoferoit-
on qu'ils euffent été de bout , &
peut-on croire que quelqu'un eût pû refter
dans une pofture fi fatigante durant
trois heures , expofé à la foule & au mouvement
tumultueux que caufe toujours un
nombre de perfonnes dans un lieu refferré,
pour entendre une mufique peu divertif
fante. On ne pourroit dans ce cas penfer
autre chofe , finon que ce lieu auroit été
abandonné à la livrée . M. Gainfay obſerve
encore que la décoration de cette falle
qui n'eft ornée d'aucune architecture , paroît
peu digne d'avoir été le lieu de fpectacle
d'une grande ville, Pas une colonne ,
216 MERCURE DE FRANCE.
pas même un feul pilaftre ! Trois petits
rangs de loges écrafées & foutenues par
des poteaux étroits , y font voir une économie
de terrein peu convénable dans un
édifice de cette importance . L'égalité de
ces deux rangs de loges n'annonce pas
plus de dignité dans ceux qui doivent occuper
le rang d'enbas que dans ceux qui
font au-deffus , & d'ailleurs c'eft un défaut
de goût dans un lieu qu'on auroit prétendu
décorer pour le public : car un des premiers
principes du goût eft d'éviter l'égalité
dans les principales maffes d'un édifice
, & d'y trouver toujours quelques parties
dominantes.
-
Il eft d'autant moins à croire que les
anciens François ayent conſtruit un théatre
femblable, qu'on fçait que dès ce temslà
tous les artiſtes , tant les Peintres que les
Muficiens voyageoient dans leur jeuneffe
en Italie pour fe former le goût : Or , il
eft impoffible qu'ils n'ayent pas vû le théatre
antique de Palladio qui eft vraiment
le modele d'un théatre parfait , foit pour
la commodité , foit pour la magnificence
de la décoration . C'eft de ce refpectable
monument que nous avons tité la perfection
que nous avons donnée à nos théatres
modernes ; à la vérité il n'eft pas poffible
de conftruire un théatre de telle
maniere
SEPTEMBRE . 1755. 217
maniere que tout le monde y foit également
bien placé. Néceffairement il y a
quelques loges ou autres places où l'on eft
forcé de regarder de côté , mais il n'eft
aucun plan qui remédie auffi- bien aux
inconvéniens , & qui place autant de perfonnes
avec avantage que celui de cet admirable
édifice antique ; il eft vrai que la
façade du théatre qui coupe cet ovale dans
fon plus grand diamétre , gâte la forme
totale de cet édifice , & le fait paroître à
demi - fait ; mais il eft aifé de fuppléer à ce
défaut comme nous avons fait dans nos
théatres modernes, C'eft de cet antique
que nous avons appris à décorer nos théatres
de cette belle colonnade qui y fait un
effet fi noble. M. Gainfay ne fçauroit fe
réfoudre à croire que les théatres des anciens
François ayent pû fe paffer d'un
ornement auffi magnifique qu'une colonnade
circulaire , & qui lui paroît y être
fi effentiellement néceffaire. Il faut le lire
pour concevoir avec quelle éloquence il
fait fentir la noble richeffe de cette décoration
; & en effet , il eft difficile d'imaginer
qu'on ait prétendu rendre un lieu
digne d'y recevoir le public & les étrangers
, fans l'enrichir de colonnes , ornement
le plus magnifique que l'architecture
ait jamais inventé.
K
21S MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay ajoute une réflexion qui paroît
évidente . Quand il feroit poffible ,
dit-il , que les François euffent rejetté cet
exemple de Palladio par le défaut de fçavoir
comment remédier au defagrément
de fon avant-fcene : du moins ils auroient
fuivis les théatres ordinaires de l'Italie ,
qui , quoique très- défectueux à bien des
égards , avoient , & plus de grandeur , &
une forme plus rélative à leur deftination ,
que celui qu'on nous propofe ici comme
ayant été le principal theatre d'une ville
telle que Paris. Les reftes de celui d'Argentina
à Rome , & de quelques autres en
Italie nous en offrent la preuve. La forme
en eft defagréable , parce que leur plan
reffemble à une raquette , ou à un oeuf
tronqué , & qu'elle produit plufieurs loges
, où il n'y a abfolument que le premier
rang qui puiffe voir & entendre. La décoration
eft de mauvais goût en ce que
toutes les loges , dont il y a fix rangs les uns
fur les autres , font égales , & femblent des
enfoncemens pratiqués dans des murs de
catacombes. La principale loge qu'on a prétendu
décorer , eſt toujours écrasée rélati-
-vement à fa largeur . L'économie d'eſpace
qui n'a permis de prendre que deux loges
pour fa hauteur , a empêché de lui donner
l'exhauffement qui lui convenoit.
SEPTEMBRE 1755, 219
Néamoins , ces théatres ont un air de
grandeur, même dans les plus petites villes ,
d'où M. Gainfay conclut , qu'on ne peut
pas fuppofer que les François ayent fuivi
un auffi mauvais plan que celui qu'on expofe
ici comme le théatre principal de Paris
, & qu'ayant fous les yeux ces modeles
, certainement ils ont donné à ces monumens
publics la dignité qui leur convient
; par conféquent on ne doit pas croire
que cette falle ait été un théatre. Il paroît
qu'on ne peut réfifter à l'évidence de fes
preuves. La derniere objection qu'il fait ,
eft abfolument décifive . On ne voit autour
de cette falle aucun portique , ce qui eft.
fi néceffaire à un théatre , qu'il feroit impoffible
qu'on en fortit , quelque petit
qu'il fût , fans courir à tout inftant rifque
de la vie. L'embarras que caufe la quantité
des équipages à la fortie des fpectacles
, a toujours rendu ces portiques d'une
néceffité indifpenfable , pour donner lieu
aux gens à pied de s'échapper par différens
chemins. Il remarque encore qu'il n'y
a qu'une feule porte d'une grandeur un
peu raifonnable , & qu'il feroit infenfé de
croire qu'on eût donné dans un pareil lieu
des fpectacles , où l'on emploie fouvent le
feu , & qui font fréquemment exposés au
hazard d'un incendie .
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay paffe à l'explication de ce
qu'on doit penfer de cette falle . C'étoit ,
dit-il , la falle des concerts particuliers des
Princes de la Maiſon d'Orléans. La partie
qu'on a prétendu être un Amphitheatre ,
étoit le lieu où fe plaçoient les Muficiens.
Au commencement il n'y avoit point toutes
ces loges qui l'entourent maintenant ;
mais cette grande maifon s'étant augmentée
dans le dix-neuviéme fiécle , on fut
obligé de les conftruire pour y placer tous
les Officiers de cette maifon qui obrenoient
la faveur de pouvoir entendre des
concerts , où tout ce qu'il y avoit de plus
excellens chanteurs , tant Italiens que François
, exécutoient la plus belle mufique
connue dans ces tems- là. Dans la partie
qu'on prétend avoir été le théatre , étoit
placée une magnifique tribune , qui a été
détruite depuis ; ce lieu étant devenu inutile
lorfque ces Princes ont ceffé d'y demeurer.
On ne peut pas douter que cette
tribune n'ait été décorée de colonnes de
la plus belle architecture , les pilaftres de
fer travaillés , qu'on voit encore aux deux
côtés , en font une continuation fimple ,
& comme pour fervir de tranfition d'un
lieu magnifique aux loges deftinées pour
les Officiers de la maifon. La partie qui
eft au pied de cette tribune en enfonceSEPTEMBRE.
1755. 221
le
ment , & qu'on dit être l'orchestre des.
Muficiens de l'Opéra , eft proprement
lieu où fe plaçoient les Officiers dont les
Princes pouvoient avoir befoin le plus
fréquemment , afin d'être à portée de recevoir
immédiatement leurs ordres ; &
ce qu'on a nommé le parterre étoit le lieu
où le mettoit le plus bas domeftique , où
on avoit conftruit une rampe douce , afin
que ceux qui étoient les plus proches de
la tribune principale , ne puffent point incommoder.
Il pourroît paroître que ceux
qui étoient les derniers , étoient mal placés
pour voir , parce que ceux qui étoient
devant eux , étoient plus élevés ; mais il
faut confidérer qu'il n'eft queſtion ici que
d'entendre un concert , où les principaux
chanteurs fe mettent toujours fur le devant
de l'appui qui les fépare des auditeurs
, & que cet appui eft fort élevé audeffus
de l'auditoire ; mais ce qui confirme
& donne la derniere évidence à ce
qu'avance M. Gainfay dans ce mémoire ,
c'eft qu'il en déduit une raiſon fimple &
claire de l'evafement de cette falle en venant
vers la tribune, qui dans toute autre fuppofition
paroît fans fondement ; il confidere
l'amphithéatre , & qui eft véritablement
l'Orcheftre , comme un centre d'où partent
des rayons de fon ; fi les murs étoient pa-
1
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
ralleles , ces rayons les heurteroient fous
des angles qui pourroient les réfléchir , en
intercepter une partie rélativement à la
tribune principale , pour laquelle toute
cette falle eft conftruite , & par leur réflection
produire une cacophonie qui eft
l'effet naturel de toute voix réfléchie. Cette
douce inclinaiſon n'oppoſe pas un obftacle
affez direct pour brifer ces rayons ,
elle les oblige feulement à gliffer par un
angle très-obtus , & à fe réunir vers la tribune
pour y produire un plus grand effet
d'harmonie . Si elle étoit plus évafée , elle
fuivroit la direction droite du fon , & n'en
augmenteroit pas la force ; il ne faut pas
s'embarraffer des loges qui y font un
obftacle ; parce qu'elles n'y ont été miles
qu'après coup, & qu'elles ne doivent point
être reprochées à l'Architecte ingénieux ,
qui a imaginé cette forme très- propre
fon but. Il eft fâcheux que cette tribune
ait été détruite ; par elle nous aurions
juger s'il avoit autant de goût que de bon
fens .
C'eſt ainfi que M. Gainfay explique ce
qui nous refte de la falle des concerts du
Palais royal. Il eft difficile , après l'avoir
lû dans l'original , de réfiſter à la force de
fes preuves.
La fuite an Mercure fuivant.
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Résumé : ARCHITECTURE. Suite des mémoires d'une Société de gens de Lettres publiés en l'année 2355.
Le texte est un extrait des mémoires d'une Société de gens de lettres, publié en 2355, qui traite de l'architecture, en particulier du Palais Royal. M. Gainfay analyse l'ancien bâtiment du Palais Royal, autrefois la principale demeure des Ducs d'Orléans, avant qu'ils ne construisent un nouvel édifice au centre de la ville. Cet ancien palais, bien entretenu, conserve son état d'origine et présente une architecture belle et solide, typique du quinzième siècle. L'auteur note que le goût architectural de cette époque est plus lourd et moins recherché que celui du Louvre, mais reste solide et bon. M. Gainfay discute également de la destruction des édifices du dix-huitième siècle, attribuée au mauvais goût de cette période. Il remarque que les deux grandes cours du Palais Royal montrent une construction régulière, précédant le point de perfection atteint au quinzième siècle. Il observe des différences architecturales entre les deux ailes de la seconde cour, sans pouvoir en expliquer les raisons. Le texte mentionne une salle du Palais Royal, appelée la salle des concerts, que certains auteurs ont prétendu être l'ancien Opéra de Paris. M. Gainfay réfute cette idée en soulignant que la salle est trop petite pour avoir accueilli un grand public et que sa forme étroite et longue est incompatible avec les exigences d'un théâtre. Il critique également l'agencement des loges et la disposition des choeurs, rendant improbable l'utilisation de cette salle pour des spectacles d'opéra. M. Gainfay observe que les anciens Français, connaissant les théâtres antiques italiens et le modèle de Palladio, n'auraient pas construit un théâtre aussi défectueux. Il compare ce théâtre à ceux d'Italie, qui, malgré leurs défauts, avaient plus de grandeur et une forme plus adaptée à leur fonction. La salle en question ne possède pas de portique, élément nécessaire pour la sécurité lors des sorties des spectacles. M. Gainfay conclut que cette salle était en réalité la salle des concerts particuliers des Princes de la Maison d'Orléans. La partie prétendue être un amphithéâtre était le lieu des musiciens. Les loges actuelles ont été ajoutées plus tard pour les officiers de la maison. La tribune, aujourd'hui détruite, était décorée de colonnes et de pilastres. La salle était conçue pour optimiser l'acoustique et la visibilité des concerts.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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