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1
p. 117-120
A LA BELLE JOUEUSE d'Hombre. Avec les deux as noirs.
Début :
Au commencement de l'année [...]
Mots clefs :
Hombre, Philis, As noirs, Fortunée, Devoirs, Vaincre, Étrennes, Amant
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texteReconnaissance textuelle : A LA BELLE JOUEUSE d'Hombre. Avec les deux as noirs.
A LA BELLE JOUEUSE
d'Hombre.
*vcc les detjc**nêirS' A quenzencementde
(\"Wiannée
Voici, Philis,les deux
as noirs, Qui pour vous rendre
fortunée
Viennent vous rendre
leurs devoirs.
Que la manille lesseconde,
jiïhombre vous en joue-*
rez, mieux:
lUenis ils vaincront tont F"1*sip :
Commelevadre awfuos
beauxyeuxtrai
Philis
, si de leur soin
fidelle
Vos beauxyeuxsonttoûjJoouursrsttéémmooinisnhs
; S'ilstouchent cette main
fidelle,
Ils serontpayez, de leurs
soins.
Qu'un tierstoûjours infatigable
Quittant brelan f5lans
quenet, Ne quitte jamaisvôtre
table,
Etse pique jusqu'au hi.
net.
Voila ce que pour vos
étrennes
Unamant vous offre en
ce jou;
Iris,faites quepour les
fiennes
Il devienne heureux en
amour.
d'Hombre.
*vcc les detjc**nêirS' A quenzencementde
(\"Wiannée
Voici, Philis,les deux
as noirs, Qui pour vous rendre
fortunée
Viennent vous rendre
leurs devoirs.
Que la manille lesseconde,
jiïhombre vous en joue-*
rez, mieux:
lUenis ils vaincront tont F"1*sip :
Commelevadre awfuos
beauxyeuxtrai
Philis
, si de leur soin
fidelle
Vos beauxyeuxsonttoûjJoouursrsttéémmooinisnhs
; S'ilstouchent cette main
fidelle,
Ils serontpayez, de leurs
soins.
Qu'un tierstoûjours infatigable
Quittant brelan f5lans
quenet, Ne quitte jamaisvôtre
table,
Etse pique jusqu'au hi.
net.
Voila ce que pour vos
étrennes
Unamant vous offre en
ce jou;
Iris,faites quepour les
fiennes
Il devienne heureux en
amour.
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Résumé : A LA BELLE JOUEUSE d'Hombre. Avec les deux as noirs.
Le poème 'A LA BELLE JOUEUSE' est dédié à Philis. Il utilise des termes de jeu de cartes pour exprimer des sentiments amoureux. Le poète souhaite que Philis soit fortunée et que ses yeux, comparés à des atouts gagnants, soient toujours victorieux. Il espère que ses soins constants soient récompensés et que Philis, représentée par Iris, trouve le bonheur en amour.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 8080-3089
Panegyrique de S. Louis, de l'Abbé Lezeau. [titre d'après la table]
Début :
M. l'Abbé LEZEAU, Clerc de la Chapelle et Oratoire du Roy, présenté par [...]
Mots clefs :
Panégyrique, Caractère du chrétien, Éloge, Triomphe, Devoirs
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texteReconnaissance textuelle : Panegyrique de S. Louis, de l'Abbé Lezeau. [titre d'après la table]
M. l'Abbé LEZEAU , Clerc de la Cha
pelle et Oratoire du Roy , présenté pat
LI. Vol. S.E.
DECEMBRE . 1731. 3081
9. E. M. le Cardinal de Fleury,a eu l'honneur
de présenter à S. M. le Panégyrique de
S. Louis , qu'il prononça au mois d'Aoust
dernier , en présence de Messieurs de l'Académie
Françoise.
L'impression de cet Ouvrage en a fait
connoître le mérite : Il a pour Texte ces
paroles d'Isaye , chap . 32. Ecce in justitia
regnabit Rex. Voici que je vous annonce
un Roy qui regnera dans la justice. Ces mêmes
paroles qui annoncerent le regne de
Jesus- Christ , servent heureusement à caractériser
le regne de Saint Louis , qui
chercha toujours à suivre les exemples du
Souverain de tous les Rois . La division du
Discours est tres-naturelle. Ce S. Roy puisa
dans la Souveraine Justice les excellens
principes dont il fit un si noble usage ; elle
lui representa , et ce qu'il devoit à son Dieu,
et ce qu'il devoit à ses Peuples. Comme homme,
il accomplit tous les devoirs du Chrétien ;
› comme Roy , il remplit toutes les fonctions du
Monarque ; montrant par l'assemblage de ce
double ordre de verius , comment un Roy
peut - être Chrétien, comment l'Evangile peut
s'allier avec le Trône, combien même on peut
être plus Héros , en devenant plus saint¸ et
combien la Croix peut relever le Sceptre.
M. Lézéau prouve parfaitement la premiere
Partie de ce Discours , par les plus
H émi- II. Vol.
3082 MERCURE DE FRANCE
éminentes vertus qui sont le caractere du
chrétien : Une pureté exacte et sans tache ,
une humilité sans feinte , une modération la
plus étendue à tous égards , une attention
continuelle à tout ce qui est dû à Dieu , et
un zele ardent pour tout ce qui interresse la
Religion.
Tous ces Points sont traitez d'une maniere
noble et interessante. Il nous suffira
d'en rapporter quelques traits , pour
faire connoître le style de l'Auteur .
Pour faire un juste Eloge du triomphe
de S. Louis , sur les plaisirs et la volupté
; c'est ainsi qu'il commence par en
montrer les périls :
Presque tous les hommes entraînez par
cette passion funeste , qui est le vice dominant
de la nature , regardent l'innocence des
weurs , et la pureté , comme le partage des
Anges; mais contens d'admirer l'excellence
de ces sublimes Esprits , ils ne font aucun
effort pour s'en approcher ; bien plus : Pour
se livrer sans remords à leurs égaremens , ils
cherchent à s'appuyer sur l'exemple de tant
de fameux Héros , qui ne se sont pas affranchis
de pareilles foiblesses. En effet , les plus
belles Vies n'ont que trop souffert de ce mal
heureux penchant : Le monde le pardonne
Pusage l'autorise, les flatteries des Historiens
Fexcusent , les fictions des Poëtes le consa-
II. Vol. erent
DECEMBRE . 1731. 3083
Grent ; et s'ils sont forcez de le regarder comme
un mal, ils le représentent comme un mal
nécessaire. Eh ! comment s'en deffendre dans
un séjour , où se rassemble tout ce qui peut en
rendre la contagion plus inévitable ? Pour
s'en garantir, que n'en a- t-il pas coûté à
tant de Saints ? Apeine se sont-ils crûs en
seureté dans l'horreur des Solitudes. L'Austerité
des jeûnes , l'abdication des richesses ,
La fuite des objets , la ferveur des Prieres
leur sembloit encore de trop foibles secours.
Loin de ces salutaires préservatifs , que prosente
la Cour , n'est-elle pas comme le centre
fatal, où se réjoignent à l'envi les plus redoutables
tentations ? Passer ses jours dans la
molesse et l'oisiveté , rencherir sur les commo
ditez de la vie , et sur la délicatesse des fes-
Tins,rechercher les divers secours des parures ,
raffiner sur tout ce qui peut exciter de coupables
flammes. N'est-ce pas l'occupation ordinaire
, et ne va -t- on pas jusqu'à s'en faire
une étude , et presqu'un mérite ? De toutes
parts on voit accourir ce que chaque Pais a
vu naître de plus charmant ; ce que la politesse
ajoûte de plus séducteur , ce que l'esprit
fournit de plus dangereux . Chacun apporte
sa passion particuliere , et cherche à exciter
celle des autres. Comment échaper à un feu
naturellement si prêt à s'enflammer , et si propre
à se répandre ? C'est , Messieurs , le pre-
II. Vol. Hij mier
3084 MERCURE
DE FRANCE
mier triomphe de Louis . Dans l'âge où avec
plus de qualitez pour plaire , les moindres
appas ne plaisent que plus aisements avec des
traits où la Majesté ne sert qu'à relever les
agrémens , il paroît insensible à ce qui enchanteroit
le reste des mortels . Des beautez
en foule se presentent à ses yeux , en vain
s'apperçoit-il qu'il n'a qu'à desirer, en vain
s'efforce - t-on de prévenirjusqu'aux desirs,en
vain cherche- t-on le chemin de son coeur, il
le consacre à Dieu seul dont il a reçu , et
n'y reserve de part que pour celle à qui ce
même Dieu l'a uni par un sacré lien , et pour
les précieux fruits d'une si sainte union.
La seconde Partie montre quels sont les
devoirs indispensables des Rois de la
Terre. Comme ils sont les images de Dieu,
leur perfection est de suivre les desseins de
Dieu lui-même sur les hommes . Orleur durée
étantpartagée entre le temps et l'éternicé , et
le dessein de Dieu ne pouvant
être que de les
preparer par l'innocence et la tranquillité de
la vie presente au comble du bonheur et de la
sainteté de l'autre vie . C'est à ces deux objets
que se réunissent les obligations d'un
Roy envers ses peuples.
Le premier desir de S. Louis étoit de rendre
ses peuples aussi heureux qu'on le peut
tre en cette vie. Il avoit été de bonne heare
rempli des grands principes de l'équité ,
11. Vol 'pourri
DECEMBRE. 308 ?
1731
nourri dans les tendres sentimens de l'hu
manité , et accoutumé aux veritables Maimes
du Christianisme .C'est ce que M.Lezeau
a pris soin d'orner de faits connus
dans la vie du Saint Roy , dont il a fait
des images vives et touchantes .
En parlant des Loix que S. Louis prit
soin d'établir , pour bannir de ses Etats
le vice , et y faire regner la vertu , M. Lezeau
a fait une peinture du Duel , qui
mérite d'être ici rapportée.
,
و
و
Un quatrieme abus n'éprouva pas moins
son attention : c'est cette manie , ou plutôt
cette fureur aussi particuliere à la Nation
Françoise , que la valeur lui est naturelle
le Duel : coutume plus que barbare , qui ,
sous l'imposteur titre de point d'honneur ,
fait gloire de violer toutes les regles de la raison
et du Christianisme. Eût-onjamais imaginé
que l'honneur ce puissant mobile des
plus belles actions auroit jamais , pour
venger ses droits , porié sa fiere tyrannie ,
jusqu'à commander le crime ? Que cet honneur
, en effet , soit plus cher
la vie
es que pour sauver l'un , on expose l'autre ,
se peut être un noble sentiment : mais que
dans l'incertitude du sort d'un Combat , on
s'y précipite avec la certitude d'y perdre son
ame et celle de l'Ennemi , que devient le
Christianisme et de si folles maximes ne`
II. Vol.
>
que
Hiij com3086
MERCURE DE FRANCE
commencent- elles pas par immoler la Religion
à un Phantom e? Mais en commençant ainsi
par abjurerjusqu'au nom de Chrétien , que
devient l'honneur lui - même ? Car enfin ;
qu'une injure mérite punition , c'est l'équité
mais se rendre soi- même le Ministre de cette
punition , s'approprier la fonction du Bourreau
, quelle infame idée ! Qu'un scelera .
soit condamné , qui voudroit l'exécuter? Eh!
que faites- vous cependant , aveugles Esclaves
d'une inconcevable phrénesie ? La Loi
prononce , il est vray : mais vous commencez¸
par vous établirFuges en votre propre cause.
Vous traitez d'intolerable insulte , ce qui
peut n'être au fond qu'une legere inadver
tance. Ce n'est pas assez ; le châtiment que
mériteroit le coupable , c'est de vos mains que
vous voulez qu'il le reçoive. S'il s'agissoit
d'une offense faile à autruy , souffririez- vous,
qu'on vous chargeât de la punir ? Quoy ,
parce que vous êtes l'offensé , il vous siera
d'étre l'Exécuteur ? Quelle fanatique gloire !·
Encore une fois , eût on pensé que chez des
hommes raisonnables on put jamais voir une
extravagance si outrée eût- on pensé que ce
seroit en France , ce Pays si justement rénommé
par l'esprit , la politesse , la douceur de ses
Habitans ? C'étoit cependant la féroce prévention
du siecle de S. Louis , et Dieu veuille
que ce ne soit plus la honte du nôtre. Le pre-
II. Vel. mier
DECEMBRE. 1731. 3087
mier serment du Sacre de notre Ray, nous en
flatte , l'heureuse esperance du plus long Regne
pourra nous en assurer ; ce peut être un des
triomphes qui lui étoit reservé. Quoiqu'il en
puisse arriver , c'étoit le voeu le plus ardent
du plus saint de ses yeux ; et si le succès
ne remplit pas entierement ses désirs , ce ne
fut pas faute d'y consacrer toute son autorité
et toute sa vigilance.
Les entreprises de S. Louis dans la
Terre Sainte , ses Combats , ses Victoires,
sa défaite et sa mort , tout y est traité
d'une maniere qui frappe et qui attendrit.
Mr. Lezeau termine son Discours , en
s'adressant à Messieurs de l'Académie
Françoise , et nous croyons que le Lecteur
nous sçaura gré de rapporter en entier
cette Peroraison..
Au souvenir d'une si héroïque et si sainte
, mort, le moyen , Messieurs de ne se pas
rappeller celle de votre dernier Protecteur ??
Vous sçavez quelles furent alors ses Leçons
à nôtre jeune Monarque : Eb ! me pardon--
neriez- vous de les oublier , pendant que nous
en recueillons de si heureux fruits ? Refuserois-
je un tribut que vous attendez de ceux
qu'en pareil jour vous admettez à votre sa-
Temnité ? Quoi de plus favorable , que de
retrouver de nos jours les exemples dont vous
mave chargé de retracer le souvenir ? La:
H. Vol . Hiiij don
3088 MERCURE DE FRANCE
>
douceur , la sagesse , la Religion , l'amour
des Sujets , tant et tant d'autres vertus , dont
chaque année ne peut qu'augmenter la perfection
et la gloire , puisque chaque jour les
voit croître avec un Ministre aussi religieux
que prudent , plus affectionné à son Maître
que le plus tendre Pere ne le seroit à son plus
ber fils , et dans le même temps plus qu'insensible
à ses interêts personnels ; livré aux
immenses fatigues du Gouvernement , sans
en vouloir ni l'éclat , ni les richesses ; aussi
simple en tout ce qui l'environne , que supé-
·rieur en ce qu'il projette ; tel , en un mot, que
les siécles passez n'ont encore montré rien de
pareil.
,
,
,
Mais en étendant ces Eloges , ne devroisje
pas craindre d'ennuyeuses redites , après
que vous avez , sans doute , en tant de traits
de notre Saint reconnu ceux du
regne present
? Et d'ailleurs me sieroit- il de tenter
ce qui n'appartient qu'à vous seuls Messieurs
? N'ai-je pas déja trop présumé de
moi , en me hazardant devant vous ? Que
ne vois-je pas se rassembler icy? les dignitez,
la naissance , les exploits , l'importanoe des
services , l'excellence des Ouvrages , les prodiges
de l'esprit. Ce que la Religion , la
Guerre la Magistrature , les Sciences one
de plus rare
se réunit sous les liens communs
du genie et des talens. Ces titres
و
II. Vol.
,
rap
prochant
DECEMBRE 1731. 3089
prochant tout , du brillant de chacun en son
genre , se forme un amas de lumieres , qui
éclairera jusqu'à la posterité la plus réculée .
dont vous recevrez , Messieurs , de plus jus
tes louanges que l'Antiquité n'en a reçu de
ses idolâtres Partisans. Puissent des noms
si sûrs de l'immortalité devant les hommes
n'en mériter pas moins devant Dieu. C'est
tout ce qui me reste à vous souhaitter &c.
>
Ce Panegyrique a été imprimé à Paris ,
chez la Veuve Knapen , rue de la Hu
chette.
pelle et Oratoire du Roy , présenté pat
LI. Vol. S.E.
DECEMBRE . 1731. 3081
9. E. M. le Cardinal de Fleury,a eu l'honneur
de présenter à S. M. le Panégyrique de
S. Louis , qu'il prononça au mois d'Aoust
dernier , en présence de Messieurs de l'Académie
Françoise.
L'impression de cet Ouvrage en a fait
connoître le mérite : Il a pour Texte ces
paroles d'Isaye , chap . 32. Ecce in justitia
regnabit Rex. Voici que je vous annonce
un Roy qui regnera dans la justice. Ces mêmes
paroles qui annoncerent le regne de
Jesus- Christ , servent heureusement à caractériser
le regne de Saint Louis , qui
chercha toujours à suivre les exemples du
Souverain de tous les Rois . La division du
Discours est tres-naturelle. Ce S. Roy puisa
dans la Souveraine Justice les excellens
principes dont il fit un si noble usage ; elle
lui representa , et ce qu'il devoit à son Dieu,
et ce qu'il devoit à ses Peuples. Comme homme,
il accomplit tous les devoirs du Chrétien ;
› comme Roy , il remplit toutes les fonctions du
Monarque ; montrant par l'assemblage de ce
double ordre de verius , comment un Roy
peut - être Chrétien, comment l'Evangile peut
s'allier avec le Trône, combien même on peut
être plus Héros , en devenant plus saint¸ et
combien la Croix peut relever le Sceptre.
M. Lézéau prouve parfaitement la premiere
Partie de ce Discours , par les plus
H émi- II. Vol.
3082 MERCURE DE FRANCE
éminentes vertus qui sont le caractere du
chrétien : Une pureté exacte et sans tache ,
une humilité sans feinte , une modération la
plus étendue à tous égards , une attention
continuelle à tout ce qui est dû à Dieu , et
un zele ardent pour tout ce qui interresse la
Religion.
Tous ces Points sont traitez d'une maniere
noble et interessante. Il nous suffira
d'en rapporter quelques traits , pour
faire connoître le style de l'Auteur .
Pour faire un juste Eloge du triomphe
de S. Louis , sur les plaisirs et la volupté
; c'est ainsi qu'il commence par en
montrer les périls :
Presque tous les hommes entraînez par
cette passion funeste , qui est le vice dominant
de la nature , regardent l'innocence des
weurs , et la pureté , comme le partage des
Anges; mais contens d'admirer l'excellence
de ces sublimes Esprits , ils ne font aucun
effort pour s'en approcher ; bien plus : Pour
se livrer sans remords à leurs égaremens , ils
cherchent à s'appuyer sur l'exemple de tant
de fameux Héros , qui ne se sont pas affranchis
de pareilles foiblesses. En effet , les plus
belles Vies n'ont que trop souffert de ce mal
heureux penchant : Le monde le pardonne
Pusage l'autorise, les flatteries des Historiens
Fexcusent , les fictions des Poëtes le consa-
II. Vol. erent
DECEMBRE . 1731. 3083
Grent ; et s'ils sont forcez de le regarder comme
un mal, ils le représentent comme un mal
nécessaire. Eh ! comment s'en deffendre dans
un séjour , où se rassemble tout ce qui peut en
rendre la contagion plus inévitable ? Pour
s'en garantir, que n'en a- t-il pas coûté à
tant de Saints ? Apeine se sont-ils crûs en
seureté dans l'horreur des Solitudes. L'Austerité
des jeûnes , l'abdication des richesses ,
La fuite des objets , la ferveur des Prieres
leur sembloit encore de trop foibles secours.
Loin de ces salutaires préservatifs , que prosente
la Cour , n'est-elle pas comme le centre
fatal, où se réjoignent à l'envi les plus redoutables
tentations ? Passer ses jours dans la
molesse et l'oisiveté , rencherir sur les commo
ditez de la vie , et sur la délicatesse des fes-
Tins,rechercher les divers secours des parures ,
raffiner sur tout ce qui peut exciter de coupables
flammes. N'est-ce pas l'occupation ordinaire
, et ne va -t- on pas jusqu'à s'en faire
une étude , et presqu'un mérite ? De toutes
parts on voit accourir ce que chaque Pais a
vu naître de plus charmant ; ce que la politesse
ajoûte de plus séducteur , ce que l'esprit
fournit de plus dangereux . Chacun apporte
sa passion particuliere , et cherche à exciter
celle des autres. Comment échaper à un feu
naturellement si prêt à s'enflammer , et si propre
à se répandre ? C'est , Messieurs , le pre-
II. Vol. Hij mier
3084 MERCURE
DE FRANCE
mier triomphe de Louis . Dans l'âge où avec
plus de qualitez pour plaire , les moindres
appas ne plaisent que plus aisements avec des
traits où la Majesté ne sert qu'à relever les
agrémens , il paroît insensible à ce qui enchanteroit
le reste des mortels . Des beautez
en foule se presentent à ses yeux , en vain
s'apperçoit-il qu'il n'a qu'à desirer, en vain
s'efforce - t-on de prévenirjusqu'aux desirs,en
vain cherche- t-on le chemin de son coeur, il
le consacre à Dieu seul dont il a reçu , et
n'y reserve de part que pour celle à qui ce
même Dieu l'a uni par un sacré lien , et pour
les précieux fruits d'une si sainte union.
La seconde Partie montre quels sont les
devoirs indispensables des Rois de la
Terre. Comme ils sont les images de Dieu,
leur perfection est de suivre les desseins de
Dieu lui-même sur les hommes . Orleur durée
étantpartagée entre le temps et l'éternicé , et
le dessein de Dieu ne pouvant
être que de les
preparer par l'innocence et la tranquillité de
la vie presente au comble du bonheur et de la
sainteté de l'autre vie . C'est à ces deux objets
que se réunissent les obligations d'un
Roy envers ses peuples.
Le premier desir de S. Louis étoit de rendre
ses peuples aussi heureux qu'on le peut
tre en cette vie. Il avoit été de bonne heare
rempli des grands principes de l'équité ,
11. Vol 'pourri
DECEMBRE. 308 ?
1731
nourri dans les tendres sentimens de l'hu
manité , et accoutumé aux veritables Maimes
du Christianisme .C'est ce que M.Lezeau
a pris soin d'orner de faits connus
dans la vie du Saint Roy , dont il a fait
des images vives et touchantes .
En parlant des Loix que S. Louis prit
soin d'établir , pour bannir de ses Etats
le vice , et y faire regner la vertu , M. Lezeau
a fait une peinture du Duel , qui
mérite d'être ici rapportée.
,
و
و
Un quatrieme abus n'éprouva pas moins
son attention : c'est cette manie , ou plutôt
cette fureur aussi particuliere à la Nation
Françoise , que la valeur lui est naturelle
le Duel : coutume plus que barbare , qui ,
sous l'imposteur titre de point d'honneur ,
fait gloire de violer toutes les regles de la raison
et du Christianisme. Eût-onjamais imaginé
que l'honneur ce puissant mobile des
plus belles actions auroit jamais , pour
venger ses droits , porié sa fiere tyrannie ,
jusqu'à commander le crime ? Que cet honneur
, en effet , soit plus cher
la vie
es que pour sauver l'un , on expose l'autre ,
se peut être un noble sentiment : mais que
dans l'incertitude du sort d'un Combat , on
s'y précipite avec la certitude d'y perdre son
ame et celle de l'Ennemi , que devient le
Christianisme et de si folles maximes ne`
II. Vol.
>
que
Hiij com3086
MERCURE DE FRANCE
commencent- elles pas par immoler la Religion
à un Phantom e? Mais en commençant ainsi
par abjurerjusqu'au nom de Chrétien , que
devient l'honneur lui - même ? Car enfin ;
qu'une injure mérite punition , c'est l'équité
mais se rendre soi- même le Ministre de cette
punition , s'approprier la fonction du Bourreau
, quelle infame idée ! Qu'un scelera .
soit condamné , qui voudroit l'exécuter? Eh!
que faites- vous cependant , aveugles Esclaves
d'une inconcevable phrénesie ? La Loi
prononce , il est vray : mais vous commencez¸
par vous établirFuges en votre propre cause.
Vous traitez d'intolerable insulte , ce qui
peut n'être au fond qu'une legere inadver
tance. Ce n'est pas assez ; le châtiment que
mériteroit le coupable , c'est de vos mains que
vous voulez qu'il le reçoive. S'il s'agissoit
d'une offense faile à autruy , souffririez- vous,
qu'on vous chargeât de la punir ? Quoy ,
parce que vous êtes l'offensé , il vous siera
d'étre l'Exécuteur ? Quelle fanatique gloire !·
Encore une fois , eût on pensé que chez des
hommes raisonnables on put jamais voir une
extravagance si outrée eût- on pensé que ce
seroit en France , ce Pays si justement rénommé
par l'esprit , la politesse , la douceur de ses
Habitans ? C'étoit cependant la féroce prévention
du siecle de S. Louis , et Dieu veuille
que ce ne soit plus la honte du nôtre. Le pre-
II. Vel. mier
DECEMBRE. 1731. 3087
mier serment du Sacre de notre Ray, nous en
flatte , l'heureuse esperance du plus long Regne
pourra nous en assurer ; ce peut être un des
triomphes qui lui étoit reservé. Quoiqu'il en
puisse arriver , c'étoit le voeu le plus ardent
du plus saint de ses yeux ; et si le succès
ne remplit pas entierement ses désirs , ce ne
fut pas faute d'y consacrer toute son autorité
et toute sa vigilance.
Les entreprises de S. Louis dans la
Terre Sainte , ses Combats , ses Victoires,
sa défaite et sa mort , tout y est traité
d'une maniere qui frappe et qui attendrit.
Mr. Lezeau termine son Discours , en
s'adressant à Messieurs de l'Académie
Françoise , et nous croyons que le Lecteur
nous sçaura gré de rapporter en entier
cette Peroraison..
Au souvenir d'une si héroïque et si sainte
, mort, le moyen , Messieurs de ne se pas
rappeller celle de votre dernier Protecteur ??
Vous sçavez quelles furent alors ses Leçons
à nôtre jeune Monarque : Eb ! me pardon--
neriez- vous de les oublier , pendant que nous
en recueillons de si heureux fruits ? Refuserois-
je un tribut que vous attendez de ceux
qu'en pareil jour vous admettez à votre sa-
Temnité ? Quoi de plus favorable , que de
retrouver de nos jours les exemples dont vous
mave chargé de retracer le souvenir ? La:
H. Vol . Hiiij don
3088 MERCURE DE FRANCE
>
douceur , la sagesse , la Religion , l'amour
des Sujets , tant et tant d'autres vertus , dont
chaque année ne peut qu'augmenter la perfection
et la gloire , puisque chaque jour les
voit croître avec un Ministre aussi religieux
que prudent , plus affectionné à son Maître
que le plus tendre Pere ne le seroit à son plus
ber fils , et dans le même temps plus qu'insensible
à ses interêts personnels ; livré aux
immenses fatigues du Gouvernement , sans
en vouloir ni l'éclat , ni les richesses ; aussi
simple en tout ce qui l'environne , que supé-
·rieur en ce qu'il projette ; tel , en un mot, que
les siécles passez n'ont encore montré rien de
pareil.
,
,
,
Mais en étendant ces Eloges , ne devroisje
pas craindre d'ennuyeuses redites , après
que vous avez , sans doute , en tant de traits
de notre Saint reconnu ceux du
regne present
? Et d'ailleurs me sieroit- il de tenter
ce qui n'appartient qu'à vous seuls Messieurs
? N'ai-je pas déja trop présumé de
moi , en me hazardant devant vous ? Que
ne vois-je pas se rassembler icy? les dignitez,
la naissance , les exploits , l'importanoe des
services , l'excellence des Ouvrages , les prodiges
de l'esprit. Ce que la Religion , la
Guerre la Magistrature , les Sciences one
de plus rare
se réunit sous les liens communs
du genie et des talens. Ces titres
و
II. Vol.
,
rap
prochant
DECEMBRE 1731. 3089
prochant tout , du brillant de chacun en son
genre , se forme un amas de lumieres , qui
éclairera jusqu'à la posterité la plus réculée .
dont vous recevrez , Messieurs , de plus jus
tes louanges que l'Antiquité n'en a reçu de
ses idolâtres Partisans. Puissent des noms
si sûrs de l'immortalité devant les hommes
n'en mériter pas moins devant Dieu. C'est
tout ce qui me reste à vous souhaitter &c.
>
Ce Panegyrique a été imprimé à Paris ,
chez la Veuve Knapen , rue de la Hu
chette.
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Résumé : Panegyrique de S. Louis, de l'Abbé Lezeau. [titre d'après la table]
En décembre 1731, l'abbé Lézéau, clerc de la Chapelle et Oratoire du Roi, a présenté un panégyrique de Saint Louis à l'Académie Française. Ce discours avait été prononcé en août précédent par le Cardinal de Fleury et s'appuyait sur le texte d'Isaïe 'Ecce in justitia regnabit Rex' pour souligner la justice du règne de Saint Louis, comparé à celui de Jésus-Christ. Le discours se divise en deux parties. La première partie met en avant les vertus chrétiennes de Saint Louis, telles que la pureté, l'humilité, la modération et le zèle religieux. La seconde partie traite des devoirs royaux, en insistant sur la manière dont Saint Louis a cherché à rendre ses sujets heureux et vertueux, en établissant des lois pour bannir le vice et promouvoir la vertu. L'abbé Lézéau critique sévèrement le duel, le qualifiant de coutume barbare contraire à la raison et au christianisme. Il conclut son discours en rappelant aux membres de l'Académie les leçons de leur dernier protecteur et en louant les vertus du règne actuel, comparées à celles de Saint Louis. Le panégyrique a été imprimé à Paris chez la Veuve Knapen.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 54-68
CONSIDERATIONS Sur la reconnoissance & sur l'ingratitude.
Début :
On n'entend parler que d'ingrats, & l'on rencontre peu de bienfaicteurs ; il [...]
Mots clefs :
Ingratitude, Service, Bienfaiteur, Orgueil, Devoirs, Sentiment, Devoir
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texteReconnaissance textuelle : CONSIDERATIONS Sur la reconnoissance & sur l'ingratitude.
CONSIDERATIONS
Sur la reconnoiffance & fur l'ingratitude.
N n'entend parler que d'ingrats , &
ONl'on rencontre peu de bienfaicteurs ; il
femble que les uns devroient être auffi com- ,
muns que les autres. Il faut donc de néceffité
, ou que le petit nombre de bienfaicteurs
qui fe trouvent , multiplient prodigieufement
leurs bienfaits , ou que la plupart des
accufations d'ingratitude foient mal fondées...
Pour éclaircir cette queftion , il fuffira de
fixer les idées qu'on doit attacher aux termes
de bienfaicteur & d'ingrat.
Bienfaicteur eft un de ces mots compo-"
fés qui portent avec eux leur définition .
Le bienfaicteur eft celui qui fait du bien ,
& les actes qu'il produit peuvent fe confidérer
fous trois afpects ; les bienfaits ,
les graces , & les fervices.
Le bienfait eſt un acte libre de la part
FEVRIER . 1755. 55
de fon auteur , quoique celui qui en eft
l'objet puiffe en être digne.
Une grace eſt un bien auquel celui qui
le reçoit , n'avoit aucun droit , ou la rémiffion
qu'on lui fait d'une peine méritée,
Un fervice eft un fecours par lequel on´
contribue à faire obtenir quelque bien.
Les principes qui font agir le bienfaicteur
font , où la bonté , ou l'orgueil , ou
même l'intérêt.
Le vrai bienfaicteur céde à fon penchant
naturel qui le porte à obliger , & il trouve
dans le bien qu'il fait une fatisfaction, qui
eft à la fois , & le premier mérite & la premiere
récompenfe de fon action ; mais tous
les bienfaits ne partent pas de la bienfaifance.
Le bienfaiteur eft quelquefois auffi
éloigné de la bienfaifance que le prodigue
l'eft de la générofité ; la prodigalité n'eft
que trop fouvent unie avec l'avarice , &
un bienfait peut n'avoir d'autre principe.
que l'orgueil. Le bienfaicteur faftueux cherche
à prouver aux autres & à lui- même
fa fupériorité fur celui qu'il oblige . Infenfible
à l'état des malheureux , incapable
de vertu , on ne doit attribuer les apparences
qu'il en montre qu'aux témoins.
qu'il en peut avoir . Il y a une troiſieme
efpece de bienfait , qui fans avoir la vertu
ni l'orgueil pour principes , ne partent que
C iiij
$6 MERCURE DE FRANCE,
"
d'un efpoir intéreffé. On cherche à cap
tiver d'avance ceux dont on prévoit qu'on
aura befoin . Rien n'eft plus commun que
ces échanges intéreffés , rien de plus rare
que les fervices.
Sans affecter ici de divifions paralleles
& fymmétriques , on peut envifager les
ingrats , comme les bienfaicteurs, fous trois,
afpects différens.
L'ingratitude confifte à oublier , à méconnoître
, ou à reconnoître mal les bienfaits
, & elle a fa fource dans l'infenfibilité
, dans l'orgueil ou dans l'intérêt.
La premiere efpece d'ingratitude eft celle
de ces ames foibles , légeres , fans confiftance.
Affligées par le befoin préfent , fans.
vûe fur l'avenir , elles ne gardent aucune
idée du paffé ; elles demandent fans peine
, reçoivent fans pudeur , & oublient
fans remords. Dignes de mépris , ou tout
au plus de compaffion , on peut les obliger
par pitié , & l'on ne doit . pas les eftimer
affez pour les hair.
Mais rien ne peut fauver de l'indignation
celui qui ne pouvant fe diffimuler les
bienfaits qu'il a reçus , cherche cependant
à méconnoître fon bienfaicteur . Souvent
après avoir réclamé les fecours avec baffeffe
, fon orgueil fe révolte contre tous
les actes de reconnoiffance qui peuvent lui
FEVRIER. 1755
57
rappeller une fituation humiliante ; il rougit
du malheur & jamais du vice. Par une
fuite du même caractere , s'il parvient à la
profpérité , il eft capable d'offrir par oftentation
ce qu'il refuſe à la juſtice ; il tâche
d'ufurper la gloire de la vertu , & manque
aux devoirs les plus facrés.
A l'égard de ces hommes moins haïffables
que ceux que l'orgueil rend injuftes
& plus méprifables encore que les ames
légeres & fans principes , dont j'ai parlé
d'abord , ils font de la reconnoiffance un
commerce intéreffé ; ils croyent pouvoir
Loumettre à un calcul arithmétique les fervices
qu'ils ont reçus. Ils ignorent , parce
que pour le fçavoir il faudroit fentir , ils
ignorent , dis- je , qu'il n'y a point d'équation
pour les fentimens ; que l'avantage du
bienfaicteur,fur celui qu'il a prévenu par
Les fervices eft inappréciable ; qu'il faudroit
pour rétablir l'égalité , fans détruire l'obligation
, que le public fût frappé par des
actes de reconnoiffance fi éclatans , qu'il
regardât comme un bonheur pour le bienfaicteur
les fervices qu'il auroit rendus ;
fans cela fes droits feront toujours inprefcriptibles
, il ne peut les perdre que par
l'abus qu'il en feroit lui -même .
En confidérant les différens caracteres
de l'ingratitude , on voit en quoi confifte
CY
3S MERCURE DE FRANCE.
celui de la reconnoiffance. C'eft un fentiment
qui attache au bienfaicteur avec le defir
de lui prouver ce fentiment par des -
effets , ou du moins par un aveu du bienfait
qu'on publie avec plaifir dans les occafions
qu'on fait naître avec candeur , &
qu'on faifit avec foin. Je ne confonds point
avec ce fentiment noble une oftentation
vive & fans chaleur , une adulation fervile,
qui paroît & qui eft en effet une nouvelle
demande plutôt qu'un remerciment.
J'ai vu de ces adulateurs vils , toujours
avides & jamais honteux de recevoir , exagérant
les fervices , prodiguant les éloges
pour exciter , encourager les bienfaicteurs,
& non pour les récompenfer. lls feignent
de fe paffionner , & ne fentent rien ; mais
is louent. Il n'y a point d'homme en place
qui ne puiffe voir autour de lui quelquesuns
de ces froids enthouſiaſtes , dont il eft
importané & flaté.
Je fçais qu'on doit cacher les fervices &
non pás la reconnoiffance ; elle admet , elle
exige quelquefois une forte d'éclat noble ,
libre & flateur ; mais les tranfports outrés ,
les élans déplacés font toujours fufpects
de faufferé ou de fottife , à moins qu'ils ne
partent du premier mouvement d'un coeur
chaud , d'une imagination vive , ou qu'ils
ne s'adreffent à un bienfaiteur donton n'a
plus rien à prétendre.
FEVRI E R. 1755. 59
Je dirai plus , & je le dirai librement : je
veuxque la reconnoiffance coûte à un coeur,
c'est-à- dire qu'il fe l'impofe avec peine ,
quoiqu'il la reffente avec plaifir quand
il s'en eft une fois chargé . Il n'y a point
d'hommes plus reconnoiffans que ceux qui
ne fe laiffent pas obliger par tout le monde
; ils fçavent les engagemens qu'ils prennent
, & ne veulent s'y foumettre qu'à l'égard
de ceux qu'ils eftiment. On n'eft jamais
plus empreffé à payer une dette que
lorfqu'on l'a contractée avec répugnance ,
& celui qui n'emprunte que par néceffité
gémiroit d'être infolvable.
J'ajoûterai qu'il n'eft pas néceffaire d'éprouver
un fentiment vif de reconnoiffance
, pour en avoir les procédés les plus
exacts & les plus éclatans. On peut par un
certain caractere de hauteur , fort différent
de l'orgueil , chercher à force de fervices
à faire perdre à fon bienfaicteur , ou da
moins à diminuer la fupériorité qu'il s'eft
acquife.
En vain objecteroit- on que les actions
fans les fentimens , ne fuffifent pas pour la
vertu. Je répondrai que les hommes doivent
fonger d'abord à rendre leurs actions
honnêtes , leurs fentimens y feront bientôt
conformes ; il leur eft plus ordinaire de
penferd'après leurs actions , que d'agir d'a-
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
près leurs principes . D'ailleurs cet amour
propre , bien entendu , eft la fource des
vertus morales & le premier lien de la
fociété.
Mais puifque les principes des bienfaits.
font fi différens , la reconnoiffance doitelle
toujours être de la même nature ? Quels
fentimens dois - je à celui qui par un
mouvement d'une pitié paffagere aura accordé
une parcelle de fon fuperflu à un
befoin preffant ; à celui qui par oftentation
ou foibleffe exerce fa prodigalité , fans
acception de perfonne , fans diftinction de
mérite ou de befoin ; à celui qui par inquiétude
, par un befoin machinal d'agir ,
d'intriguer , de s'entremettre , offre à tout
le monde indifféremment fes démarches ,
fes foins , fes follicitations ?
Je confens à faire des diſtinctions entre
ceux que je viens de repréfenter ; mais
enfin leur devrai - je les mêmes fentimens
qu'à un bienfaicteur éclairé , compatiffant ,
réglant même fa compaffion fur l'eftime
le befoin & les effets qu'il prévoit que fes
fervices pourront avoir ; qui prend fur
lui-même , qui reftreint de plus en plus
fon néceffaire pour fournir à une néceffité
plus urgente , quoiqu'étrangere pour lui a
On doit plus eftimer les vertus par leurs
principes que par leurs effets. Les fervices
FEVRIER . 1755. 61
doivent donc fe juger moins par l'avantage
qu'en retire celui qui eft obligé , que
par le facrifice que fait celui qui oblige .
On fe tromperoit fort de penfer qu'on
favorife les ingrats en laiflant la liberté
d'examiner les vrais motifs des bienfaits.
Un tel examen ne peut jamais être favorable
à l'ingratitude , & ajoûte quelquefois
du mérite à la reconnoiffance . En effet
quelque jugement qu'on foit en droit de
porter d'un fervice , à quelque prix qu'on
puifle le mettre du côté des motifs , on
n'en eft pas moins obligé aux mêmes devoirs
pratiques du côté de la reconnoiffance
, & il en coûte moins pour les remfentiment
que par l'honneur feul .
plir par
Il n'eft pas difficile de connoître quels
font ces devoirs , les occafions les indiquent
, on ne s'y trompe gueres , & l'on
n'eft jamais mieux jugé que par foi- même ;
mais il y a des circonftances délicates où l'on
doit être d'autant plus attentif , qu'on,
pourroit manquer à l'honneur en croyant
fatisfaire à la juftice. C'eft lorfqu'un bien- ,
faicteur abufant des fervices qu'il a rendus,
s'érige en tyran , & par l'orgueil & l'injuftice
de fes procédés , va jufqu'à perdre
Les droits . Quels font alors les devoirs de
l'obligé les mêmes.
J'avoue que ce jugement eft dur , mais
62 MERCURE DE FRANCE.
je n'en fuis pas moins perfuadé que le
bienfaiteur peut perdre fes droits , fans,
que l'obligé foit affranchi de fes devoirs ,
quoiqu'il foit libre de fes fentimens . Je
comprens qu'il n'aura plus d'attachement
de coeur , qu'il paffera peut-être juſqu'à la
haine , mais il n'en fera pas moins afſujetti
aux obligations qu'il a contractées . Un
homme humilié par fon bienfaicteur eft
bien plus à plaindre qu'un bienfaicteur
qui ne trouve que des ingrats.
L'ingratitude afflige plus les coeurs généreux
qu'elle ne les ulcere ; ils reffentent
plus de compaffion que de haine , le
fentiment de leur fupériorité les confole .
Mais il n'en eft pas ainfi dans l'état d'humiliation
où l'on eft réduit par un bienfaicteur
orgueilleux ; comme il faut alors
fouffrir fans fe plaindre , méprifer & honorer
fon tyran , une ame haute eft inté
rieurement déchirée , & devient d'autant
plus fufceptible de haine , qu'elle ne trouve
point de confolation dans l'amour propre
; elle fera donc plus capable de hair
que ne le feroit un coeur bas & fait pour
l'aviliffement. Je ne parle ici qué du caractere
général de l'homme , & non fuivant
les principes d'une morale purifiée
par la religion.
On refte donc toujours à l'égard d'un
FEVRIER. 1755 . 63
bienfaiteur , dans une dépendance dont
on ne peut être affranchi que par le public.
Il y a ,
dira-t-on ,
, peu
d'hommes
qui
foient
une objet
d'intérêt
ou même
d'at◄
tention
pour
le public
. Mais
il n'y a perfonne
qui n'ait fon public
, c'eſt-à- dire une
portion
de la fociété
commune
, dont
on
fait foi- même
partie
. Voilà
le public
dont
on doit
attendre
le jugement
fans le prévenir
, ni même
le folliciter
.
Les réclamations ont été imaginées par
les ames foibles ; les ames fortes y renoncent,
& la prudence doit faire craindre
de les entreprendre. L'apologie en fait de
procédés qui n'eft pas forcée , n'eft dans
l'efprit du public que la précaution d'un
coupable ; elle fert quelquefois de conviction
, il en réfulte tout au plus une excuſe
, rarement une juftification.
Tel homme qui par une prudence hon
nête fe tait fur fes fujets de plaintes , fe
trouveroit heureux d'être forcé de fe juftifier
; fouvent d'accufé il deviendroit accufateur
, & confondroit fon tyran . Le fi
lence ne feroit plus alors qu'un infenfi .
bilité méprifable. Une défenfe ferme &
décente contre un reproche injufte d'ingratitude
, eft un devoir auffi facré que la
reconnoiffance pour un bienfait.
64 MERCURE DE FRANCE.
Il faut cependant avouer qu'il eft toujours
malheureux de fe trouver dans de
telles circonftances ; la plus cruelle fituation
eft d'avoir à fe plaindre de ceux à qui
l'on doit.
Mais on n'eft pas obligé à la même referve
à l'égard des faux bienfaicteurs : j'entens
de ces prétendus protecteurs qui pour
en ufurper le titre , fe prévalent de leur rang.
Sans bienfaifance , peut-être fans crédit ,
fans avoir rendu de fervices , ils cherchent à
force d'oftentation , à fe faire des cliens qui
leur font quelquefois utiles , & ne leur font
jamais à charge. Un orgueil naïf leur fait
croire qu'une liaiſon avec eux eft un bienfait
de leur part. Si l'on eft obligé par honneur
& par raifon de renoncer à leur commerce
, ils crient à l'ingratitude , pour en
éviter le reproche . Il eft vrai qu'il y a des
fervices de plus d'une efpéce ; une fimple
parole , un mot dit à propos avec intelligence
ou avec courage , eft quelquefois
un fervice fignalé , qui exige plus de reconnoiffance
que beaucoup de bienfaits
matériels , comme un aveu public de l'obligation
eft quelquefois auffi l'acte de la
reconnoiffance la plus noble.
On diftingue aifément le bienfaiteur
réel du protecteur imaginaire : une forte
de décence peut empêcher de contredire
FEVRIER. 1755.
65
ouvertement l'oftentation de ce dernier ;
il y a même des occafions où l'on doit une
reconnoiffance de politeffe aux démonftrations
d'un zele qui n'eft qu'extérieur . Mais
fi l'on ne peut remplir ces devoirs d'ufage
qu'en ne rendant pas pleinement la juftice ,
c'est-à dire l'aveu qu'on doit au vrai bienfaicteur
, cette reconnoiffance fauffement
appliquée ou partagée , eft une véritable ingratitude
, qui n'eft pas rare , & qui a fa
fource dans la lâcheté , l'intérêt ou la fottife.
C'est une lâcheté que de ne pas défendre
les droits de fon vrai bienfaiteur. Ce
ne peut être que par un vil intérêt qu'on
foufcrit à une obligation ufurpée ; on fe
fatte par là d'engager un homme vain à
la réalifer un jour : enfin c'eft une étrange.
fottife que de fe mettre gratuitement dans.
la dépe dance.
En effet ces prétendus protecteurs , après
avoir fait illufion au public , fe la font enfuite
à eux- mêmes, & en prennent avantage.
pour exercer leur empire fur de timides.
complaifans ; la fupériorité du rang favorife
l'erreur à cet égard , & l'exercice
de la tyrannie la confirme . On ne doit pas
s'attendre que leur amitié foit le retour
d'un dévouement fervile. Il n'eft pas rare.
qu'un fupérieur fe laiffe fubjuguer & avilir
par fon inférieur ; mais il l'eft beau66
MERCURE DE FRANCE.
coup plus qu'il le prête à l'égalité , même
privée ; je dis l'égalité privée , car je fuis
très-éloigné de chercher à profcrire par
une humeur cynique les égards que la fubordination
exige. C'eft une loi néceffaire
de la fociété, qui ne révolte que l'orgueil ,
& qui ne gêne point les ames faites pour
Fordre . Je voudrois feulement que la différence
des rangs ne fût pas la regle de
l'eftime comme elle doit l'être des refpects
, & que la reconnoiffance fût un lien
précieux , qui unît , & non pas une chaîne
humiliante qui ne fit fentir que fon poids.
Tous les hommes ont leurs devoirs refpectifs
; mais tous n'ont pas la même difpofition
à les remplir : il y en a de plusreconnoiffans
les uns que les autres , &
j'ai plufieurs fois entendu avancer à ce fujet
une opinion qui ne me paroît ni jufte
ni décente. Le caractere vindicatif part ,
dit-on , du même principe que le caractere
reconnoiffant , parce qu'il eft également
naturel de fe reffouvenir des bons & des
mauvais fervices.
Si le fimple fouvenir du bien & du mal
qu'on a éprouvé étoit la régle du reffentiment
qu'on en garde , on auroit raifon
mais il n'y a rien de fi différent , & même
de fi peu dépendant l'un de l'autre . L'efprit
vindicatif part de l'orgueil fouventFEVRIER
. 1755 : 67.
úni au fentiment de fa propre foibleffe ;
on s'eftime trop , & l'on craint beaucoup..
La reconnoiffance marque d'abord un ef
prit de juftice , mais elle fuppofe encore:
une ame difpofée à aimer , pour qui la
haine feroit un tourment , & qui s'en af-.
franchit plus encore par fentiment que par
réflexion. Il y a certainement des caracteres
plus aimans que d'autres , & ceux- là
font reconnoiffans par le principe même
qui les empêche d'être vindicatifs . Les
coeurs nobles pardonnent à leurs inférieurs
par pitié , à leurs égaux par générofité .
C'eft contre leurs fupérieurs , c'est-à- dire
contre les hommes plus puiffans qu'eux ,
qu'ils peuvent quelquefois garder leur reffentiment
, & chercher à le fatisfaire ; le
péril qu'il y a dans la vengeance leur fait
illufion , ils croyent y voir de la gloire.
Mais ce qui prouve qu'il n'y a point de
haine dans leur coeur , c'eft que la moindre
fatisfaction les defarme , les touche &
les attendrit.
Pour réfumer en peu de mots les principes
que j'ai voulu établir. Les bienfaicteurs
doivent des égards à ceux qu'ils ont
obligés ; & ceux- ci contractent des devoirs
indifpenfables . On ne devroit donc
placer les bienfaits qu'avec difcernement ;
mais du moins on court peu de rifque à
3
68 MERCURE DE FRANCE.
les répandre fans choix : au lieu que ceux
qui les reçoivent prennent des engagemens
fi facrés , qu'ils ne fçauroient être trop attentifs
à ne les contracter qu'à l'égard de
ceux qu'ils pourront eftimer toujours . Si
cela étoit , les obligations feroient plus rares
qu'elles ne le font ; mais toutes feroient
remplies.
M. Duclos eft l'auteur de ces Confidérations.
Sur la reconnoiffance & fur l'ingratitude.
N n'entend parler que d'ingrats , &
ONl'on rencontre peu de bienfaicteurs ; il
femble que les uns devroient être auffi com- ,
muns que les autres. Il faut donc de néceffité
, ou que le petit nombre de bienfaicteurs
qui fe trouvent , multiplient prodigieufement
leurs bienfaits , ou que la plupart des
accufations d'ingratitude foient mal fondées...
Pour éclaircir cette queftion , il fuffira de
fixer les idées qu'on doit attacher aux termes
de bienfaicteur & d'ingrat.
Bienfaicteur eft un de ces mots compo-"
fés qui portent avec eux leur définition .
Le bienfaicteur eft celui qui fait du bien ,
& les actes qu'il produit peuvent fe confidérer
fous trois afpects ; les bienfaits ,
les graces , & les fervices.
Le bienfait eſt un acte libre de la part
FEVRIER . 1755. 55
de fon auteur , quoique celui qui en eft
l'objet puiffe en être digne.
Une grace eſt un bien auquel celui qui
le reçoit , n'avoit aucun droit , ou la rémiffion
qu'on lui fait d'une peine méritée,
Un fervice eft un fecours par lequel on´
contribue à faire obtenir quelque bien.
Les principes qui font agir le bienfaicteur
font , où la bonté , ou l'orgueil , ou
même l'intérêt.
Le vrai bienfaicteur céde à fon penchant
naturel qui le porte à obliger , & il trouve
dans le bien qu'il fait une fatisfaction, qui
eft à la fois , & le premier mérite & la premiere
récompenfe de fon action ; mais tous
les bienfaits ne partent pas de la bienfaifance.
Le bienfaiteur eft quelquefois auffi
éloigné de la bienfaifance que le prodigue
l'eft de la générofité ; la prodigalité n'eft
que trop fouvent unie avec l'avarice , &
un bienfait peut n'avoir d'autre principe.
que l'orgueil. Le bienfaicteur faftueux cherche
à prouver aux autres & à lui- même
fa fupériorité fur celui qu'il oblige . Infenfible
à l'état des malheureux , incapable
de vertu , on ne doit attribuer les apparences
qu'il en montre qu'aux témoins.
qu'il en peut avoir . Il y a une troiſieme
efpece de bienfait , qui fans avoir la vertu
ni l'orgueil pour principes , ne partent que
C iiij
$6 MERCURE DE FRANCE,
"
d'un efpoir intéreffé. On cherche à cap
tiver d'avance ceux dont on prévoit qu'on
aura befoin . Rien n'eft plus commun que
ces échanges intéreffés , rien de plus rare
que les fervices.
Sans affecter ici de divifions paralleles
& fymmétriques , on peut envifager les
ingrats , comme les bienfaicteurs, fous trois,
afpects différens.
L'ingratitude confifte à oublier , à méconnoître
, ou à reconnoître mal les bienfaits
, & elle a fa fource dans l'infenfibilité
, dans l'orgueil ou dans l'intérêt.
La premiere efpece d'ingratitude eft celle
de ces ames foibles , légeres , fans confiftance.
Affligées par le befoin préfent , fans.
vûe fur l'avenir , elles ne gardent aucune
idée du paffé ; elles demandent fans peine
, reçoivent fans pudeur , & oublient
fans remords. Dignes de mépris , ou tout
au plus de compaffion , on peut les obliger
par pitié , & l'on ne doit . pas les eftimer
affez pour les hair.
Mais rien ne peut fauver de l'indignation
celui qui ne pouvant fe diffimuler les
bienfaits qu'il a reçus , cherche cependant
à méconnoître fon bienfaicteur . Souvent
après avoir réclamé les fecours avec baffeffe
, fon orgueil fe révolte contre tous
les actes de reconnoiffance qui peuvent lui
FEVRIER. 1755
57
rappeller une fituation humiliante ; il rougit
du malheur & jamais du vice. Par une
fuite du même caractere , s'il parvient à la
profpérité , il eft capable d'offrir par oftentation
ce qu'il refuſe à la juſtice ; il tâche
d'ufurper la gloire de la vertu , & manque
aux devoirs les plus facrés.
A l'égard de ces hommes moins haïffables
que ceux que l'orgueil rend injuftes
& plus méprifables encore que les ames
légeres & fans principes , dont j'ai parlé
d'abord , ils font de la reconnoiffance un
commerce intéreffé ; ils croyent pouvoir
Loumettre à un calcul arithmétique les fervices
qu'ils ont reçus. Ils ignorent , parce
que pour le fçavoir il faudroit fentir , ils
ignorent , dis- je , qu'il n'y a point d'équation
pour les fentimens ; que l'avantage du
bienfaicteur,fur celui qu'il a prévenu par
Les fervices eft inappréciable ; qu'il faudroit
pour rétablir l'égalité , fans détruire l'obligation
, que le public fût frappé par des
actes de reconnoiffance fi éclatans , qu'il
regardât comme un bonheur pour le bienfaicteur
les fervices qu'il auroit rendus ;
fans cela fes droits feront toujours inprefcriptibles
, il ne peut les perdre que par
l'abus qu'il en feroit lui -même .
En confidérant les différens caracteres
de l'ingratitude , on voit en quoi confifte
CY
3S MERCURE DE FRANCE.
celui de la reconnoiffance. C'eft un fentiment
qui attache au bienfaicteur avec le defir
de lui prouver ce fentiment par des -
effets , ou du moins par un aveu du bienfait
qu'on publie avec plaifir dans les occafions
qu'on fait naître avec candeur , &
qu'on faifit avec foin. Je ne confonds point
avec ce fentiment noble une oftentation
vive & fans chaleur , une adulation fervile,
qui paroît & qui eft en effet une nouvelle
demande plutôt qu'un remerciment.
J'ai vu de ces adulateurs vils , toujours
avides & jamais honteux de recevoir , exagérant
les fervices , prodiguant les éloges
pour exciter , encourager les bienfaicteurs,
& non pour les récompenfer. lls feignent
de fe paffionner , & ne fentent rien ; mais
is louent. Il n'y a point d'homme en place
qui ne puiffe voir autour de lui quelquesuns
de ces froids enthouſiaſtes , dont il eft
importané & flaté.
Je fçais qu'on doit cacher les fervices &
non pás la reconnoiffance ; elle admet , elle
exige quelquefois une forte d'éclat noble ,
libre & flateur ; mais les tranfports outrés ,
les élans déplacés font toujours fufpects
de faufferé ou de fottife , à moins qu'ils ne
partent du premier mouvement d'un coeur
chaud , d'une imagination vive , ou qu'ils
ne s'adreffent à un bienfaiteur donton n'a
plus rien à prétendre.
FEVRI E R. 1755. 59
Je dirai plus , & je le dirai librement : je
veuxque la reconnoiffance coûte à un coeur,
c'est-à- dire qu'il fe l'impofe avec peine ,
quoiqu'il la reffente avec plaifir quand
il s'en eft une fois chargé . Il n'y a point
d'hommes plus reconnoiffans que ceux qui
ne fe laiffent pas obliger par tout le monde
; ils fçavent les engagemens qu'ils prennent
, & ne veulent s'y foumettre qu'à l'égard
de ceux qu'ils eftiment. On n'eft jamais
plus empreffé à payer une dette que
lorfqu'on l'a contractée avec répugnance ,
& celui qui n'emprunte que par néceffité
gémiroit d'être infolvable.
J'ajoûterai qu'il n'eft pas néceffaire d'éprouver
un fentiment vif de reconnoiffance
, pour en avoir les procédés les plus
exacts & les plus éclatans. On peut par un
certain caractere de hauteur , fort différent
de l'orgueil , chercher à force de fervices
à faire perdre à fon bienfaicteur , ou da
moins à diminuer la fupériorité qu'il s'eft
acquife.
En vain objecteroit- on que les actions
fans les fentimens , ne fuffifent pas pour la
vertu. Je répondrai que les hommes doivent
fonger d'abord à rendre leurs actions
honnêtes , leurs fentimens y feront bientôt
conformes ; il leur eft plus ordinaire de
penferd'après leurs actions , que d'agir d'a-
Cvj
60 MERCURE DE FRANCE.
près leurs principes . D'ailleurs cet amour
propre , bien entendu , eft la fource des
vertus morales & le premier lien de la
fociété.
Mais puifque les principes des bienfaits.
font fi différens , la reconnoiffance doitelle
toujours être de la même nature ? Quels
fentimens dois - je à celui qui par un
mouvement d'une pitié paffagere aura accordé
une parcelle de fon fuperflu à un
befoin preffant ; à celui qui par oftentation
ou foibleffe exerce fa prodigalité , fans
acception de perfonne , fans diftinction de
mérite ou de befoin ; à celui qui par inquiétude
, par un befoin machinal d'agir ,
d'intriguer , de s'entremettre , offre à tout
le monde indifféremment fes démarches ,
fes foins , fes follicitations ?
Je confens à faire des diſtinctions entre
ceux que je viens de repréfenter ; mais
enfin leur devrai - je les mêmes fentimens
qu'à un bienfaicteur éclairé , compatiffant ,
réglant même fa compaffion fur l'eftime
le befoin & les effets qu'il prévoit que fes
fervices pourront avoir ; qui prend fur
lui-même , qui reftreint de plus en plus
fon néceffaire pour fournir à une néceffité
plus urgente , quoiqu'étrangere pour lui a
On doit plus eftimer les vertus par leurs
principes que par leurs effets. Les fervices
FEVRIER . 1755. 61
doivent donc fe juger moins par l'avantage
qu'en retire celui qui eft obligé , que
par le facrifice que fait celui qui oblige .
On fe tromperoit fort de penfer qu'on
favorife les ingrats en laiflant la liberté
d'examiner les vrais motifs des bienfaits.
Un tel examen ne peut jamais être favorable
à l'ingratitude , & ajoûte quelquefois
du mérite à la reconnoiffance . En effet
quelque jugement qu'on foit en droit de
porter d'un fervice , à quelque prix qu'on
puifle le mettre du côté des motifs , on
n'en eft pas moins obligé aux mêmes devoirs
pratiques du côté de la reconnoiffance
, & il en coûte moins pour les remfentiment
que par l'honneur feul .
plir par
Il n'eft pas difficile de connoître quels
font ces devoirs , les occafions les indiquent
, on ne s'y trompe gueres , & l'on
n'eft jamais mieux jugé que par foi- même ;
mais il y a des circonftances délicates où l'on
doit être d'autant plus attentif , qu'on,
pourroit manquer à l'honneur en croyant
fatisfaire à la juftice. C'eft lorfqu'un bien- ,
faicteur abufant des fervices qu'il a rendus,
s'érige en tyran , & par l'orgueil & l'injuftice
de fes procédés , va jufqu'à perdre
Les droits . Quels font alors les devoirs de
l'obligé les mêmes.
J'avoue que ce jugement eft dur , mais
62 MERCURE DE FRANCE.
je n'en fuis pas moins perfuadé que le
bienfaiteur peut perdre fes droits , fans,
que l'obligé foit affranchi de fes devoirs ,
quoiqu'il foit libre de fes fentimens . Je
comprens qu'il n'aura plus d'attachement
de coeur , qu'il paffera peut-être juſqu'à la
haine , mais il n'en fera pas moins afſujetti
aux obligations qu'il a contractées . Un
homme humilié par fon bienfaicteur eft
bien plus à plaindre qu'un bienfaicteur
qui ne trouve que des ingrats.
L'ingratitude afflige plus les coeurs généreux
qu'elle ne les ulcere ; ils reffentent
plus de compaffion que de haine , le
fentiment de leur fupériorité les confole .
Mais il n'en eft pas ainfi dans l'état d'humiliation
où l'on eft réduit par un bienfaicteur
orgueilleux ; comme il faut alors
fouffrir fans fe plaindre , méprifer & honorer
fon tyran , une ame haute eft inté
rieurement déchirée , & devient d'autant
plus fufceptible de haine , qu'elle ne trouve
point de confolation dans l'amour propre
; elle fera donc plus capable de hair
que ne le feroit un coeur bas & fait pour
l'aviliffement. Je ne parle ici qué du caractere
général de l'homme , & non fuivant
les principes d'une morale purifiée
par la religion.
On refte donc toujours à l'égard d'un
FEVRIER. 1755 . 63
bienfaiteur , dans une dépendance dont
on ne peut être affranchi que par le public.
Il y a ,
dira-t-on ,
, peu
d'hommes
qui
foient
une objet
d'intérêt
ou même
d'at◄
tention
pour
le public
. Mais
il n'y a perfonne
qui n'ait fon public
, c'eſt-à- dire une
portion
de la fociété
commune
, dont
on
fait foi- même
partie
. Voilà
le public
dont
on doit
attendre
le jugement
fans le prévenir
, ni même
le folliciter
.
Les réclamations ont été imaginées par
les ames foibles ; les ames fortes y renoncent,
& la prudence doit faire craindre
de les entreprendre. L'apologie en fait de
procédés qui n'eft pas forcée , n'eft dans
l'efprit du public que la précaution d'un
coupable ; elle fert quelquefois de conviction
, il en réfulte tout au plus une excuſe
, rarement une juftification.
Tel homme qui par une prudence hon
nête fe tait fur fes fujets de plaintes , fe
trouveroit heureux d'être forcé de fe juftifier
; fouvent d'accufé il deviendroit accufateur
, & confondroit fon tyran . Le fi
lence ne feroit plus alors qu'un infenfi .
bilité méprifable. Une défenfe ferme &
décente contre un reproche injufte d'ingratitude
, eft un devoir auffi facré que la
reconnoiffance pour un bienfait.
64 MERCURE DE FRANCE.
Il faut cependant avouer qu'il eft toujours
malheureux de fe trouver dans de
telles circonftances ; la plus cruelle fituation
eft d'avoir à fe plaindre de ceux à qui
l'on doit.
Mais on n'eft pas obligé à la même referve
à l'égard des faux bienfaicteurs : j'entens
de ces prétendus protecteurs qui pour
en ufurper le titre , fe prévalent de leur rang.
Sans bienfaifance , peut-être fans crédit ,
fans avoir rendu de fervices , ils cherchent à
force d'oftentation , à fe faire des cliens qui
leur font quelquefois utiles , & ne leur font
jamais à charge. Un orgueil naïf leur fait
croire qu'une liaiſon avec eux eft un bienfait
de leur part. Si l'on eft obligé par honneur
& par raifon de renoncer à leur commerce
, ils crient à l'ingratitude , pour en
éviter le reproche . Il eft vrai qu'il y a des
fervices de plus d'une efpéce ; une fimple
parole , un mot dit à propos avec intelligence
ou avec courage , eft quelquefois
un fervice fignalé , qui exige plus de reconnoiffance
que beaucoup de bienfaits
matériels , comme un aveu public de l'obligation
eft quelquefois auffi l'acte de la
reconnoiffance la plus noble.
On diftingue aifément le bienfaiteur
réel du protecteur imaginaire : une forte
de décence peut empêcher de contredire
FEVRIER. 1755.
65
ouvertement l'oftentation de ce dernier ;
il y a même des occafions où l'on doit une
reconnoiffance de politeffe aux démonftrations
d'un zele qui n'eft qu'extérieur . Mais
fi l'on ne peut remplir ces devoirs d'ufage
qu'en ne rendant pas pleinement la juftice ,
c'est-à dire l'aveu qu'on doit au vrai bienfaicteur
, cette reconnoiffance fauffement
appliquée ou partagée , eft une véritable ingratitude
, qui n'eft pas rare , & qui a fa
fource dans la lâcheté , l'intérêt ou la fottife.
C'est une lâcheté que de ne pas défendre
les droits de fon vrai bienfaiteur. Ce
ne peut être que par un vil intérêt qu'on
foufcrit à une obligation ufurpée ; on fe
fatte par là d'engager un homme vain à
la réalifer un jour : enfin c'eft une étrange.
fottife que de fe mettre gratuitement dans.
la dépe dance.
En effet ces prétendus protecteurs , après
avoir fait illufion au public , fe la font enfuite
à eux- mêmes, & en prennent avantage.
pour exercer leur empire fur de timides.
complaifans ; la fupériorité du rang favorife
l'erreur à cet égard , & l'exercice
de la tyrannie la confirme . On ne doit pas
s'attendre que leur amitié foit le retour
d'un dévouement fervile. Il n'eft pas rare.
qu'un fupérieur fe laiffe fubjuguer & avilir
par fon inférieur ; mais il l'eft beau66
MERCURE DE FRANCE.
coup plus qu'il le prête à l'égalité , même
privée ; je dis l'égalité privée , car je fuis
très-éloigné de chercher à profcrire par
une humeur cynique les égards que la fubordination
exige. C'eft une loi néceffaire
de la fociété, qui ne révolte que l'orgueil ,
& qui ne gêne point les ames faites pour
Fordre . Je voudrois feulement que la différence
des rangs ne fût pas la regle de
l'eftime comme elle doit l'être des refpects
, & que la reconnoiffance fût un lien
précieux , qui unît , & non pas une chaîne
humiliante qui ne fit fentir que fon poids.
Tous les hommes ont leurs devoirs refpectifs
; mais tous n'ont pas la même difpofition
à les remplir : il y en a de plusreconnoiffans
les uns que les autres , &
j'ai plufieurs fois entendu avancer à ce fujet
une opinion qui ne me paroît ni jufte
ni décente. Le caractere vindicatif part ,
dit-on , du même principe que le caractere
reconnoiffant , parce qu'il eft également
naturel de fe reffouvenir des bons & des
mauvais fervices.
Si le fimple fouvenir du bien & du mal
qu'on a éprouvé étoit la régle du reffentiment
qu'on en garde , on auroit raifon
mais il n'y a rien de fi différent , & même
de fi peu dépendant l'un de l'autre . L'efprit
vindicatif part de l'orgueil fouventFEVRIER
. 1755 : 67.
úni au fentiment de fa propre foibleffe ;
on s'eftime trop , & l'on craint beaucoup..
La reconnoiffance marque d'abord un ef
prit de juftice , mais elle fuppofe encore:
une ame difpofée à aimer , pour qui la
haine feroit un tourment , & qui s'en af-.
franchit plus encore par fentiment que par
réflexion. Il y a certainement des caracteres
plus aimans que d'autres , & ceux- là
font reconnoiffans par le principe même
qui les empêche d'être vindicatifs . Les
coeurs nobles pardonnent à leurs inférieurs
par pitié , à leurs égaux par générofité .
C'eft contre leurs fupérieurs , c'est-à- dire
contre les hommes plus puiffans qu'eux ,
qu'ils peuvent quelquefois garder leur reffentiment
, & chercher à le fatisfaire ; le
péril qu'il y a dans la vengeance leur fait
illufion , ils croyent y voir de la gloire.
Mais ce qui prouve qu'il n'y a point de
haine dans leur coeur , c'eft que la moindre
fatisfaction les defarme , les touche &
les attendrit.
Pour réfumer en peu de mots les principes
que j'ai voulu établir. Les bienfaicteurs
doivent des égards à ceux qu'ils ont
obligés ; & ceux- ci contractent des devoirs
indifpenfables . On ne devroit donc
placer les bienfaits qu'avec difcernement ;
mais du moins on court peu de rifque à
3
68 MERCURE DE FRANCE.
les répandre fans choix : au lieu que ceux
qui les reçoivent prennent des engagemens
fi facrés , qu'ils ne fçauroient être trop attentifs
à ne les contracter qu'à l'égard de
ceux qu'ils pourront eftimer toujours . Si
cela étoit , les obligations feroient plus rares
qu'elles ne le font ; mais toutes feroient
remplies.
M. Duclos eft l'auteur de ces Confidérations.
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Résumé : CONSIDERATIONS Sur la reconnoissance & sur l'ingratitude.
Le texte 'Sur la reconnaissance et l'ingratitude' examine les notions de bienfaiteurs et d'ingrats. Il observe que les ingrats sont fréquemment mentionnés, tandis que les bienfaiteurs sont rares. Le texte définit un bienfaiteur comme quelqu'un qui fait du bien, motivé par la bonté, l'orgueil ou l'intérêt. Les ingrats, en revanche, oublient, méconnaissent ou reconnaissent mal les bienfaits reçus, souvent par insensibilité, orgueil ou intérêt. Trois types d'ingratitude sont distingués : celle des âmes faibles et légères, celle des orgueilleux qui méconnaissent leurs bienfaiteurs, et celle des intéressés qui voient les services comme un commerce. La véritable reconnaissance est un sentiment noble qui lie au bienfaiteur avec le désir de prouver ce sentiment par des effets ou des aveux sincères. Le texte explore également les motivations des bienfaiteurs et les devoirs de reconnaissance. Il souligne que même si un bienfaiteur abuse de ses services, l'obligé reste soumis à ses devoirs, bien que libre de ses sentiments. La reconnaissance doit être sincère et peut nécessiter des actes éclatants, mais elle ne doit pas être ostentatoire ou intéressée. Le texte aborde aussi la distinction entre les vrais bienfaiteurs et les protecteurs imaginaires. Un mot intelligent ou courageux peut parfois être plus apprécié que des bienfaits matériels. La reconnaissance authentique est essentielle et ne pas la rendre pleinement est une ingratitude souvent motivée par la lâcheté, l'intérêt ou la sottise. Les faux protecteurs exploitent les timides et utilisent leur rang pour tyranniser. La reconnaissance doit être un lien précieux et non une chaîne humiliante. Les devoirs respectifs des hommes varient, et la reconnaissance implique un esprit de justice et une disposition à aimer. Les cœurs nobles pardonnent par pitié ou générosité mais peuvent garder du ressentiment envers les supérieurs. Le texte conclut en soulignant que les bienfaiteurs doivent faire preuve de discernement dans leurs bienfaits, tandis que ceux qui les reçoivent doivent être attentifs à ne contracter des obligations qu'envers ceux qu'ils estiment.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 67-72
COPIE de la Lettre écrite le 12 Août 1755. par M. Voisin, Avocat au Parlement à M. le Prince de ..... Chevalier de la Toison d'or.
Début :
MONSIEUR, La simple idée par écrit, que vous me demandez du Livre (I), dont, avant votre [...]
Mots clefs :
Princes, Gloire, Seigneurs, Magnificence, Prince, Devoirs, Richesses, Esprit
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COPIE de la Lettre écrite le 12 Août 1755. par M. Voisin, Avocat au Parlement à M. le Prince de ..... Chevalier de la Toison d'or.
COPIE de la Leure écrite le 12 Août
1755. par M. Voifin , Avocat au Parlement
à M. le Prince de Chevalier de
la Toifon d'or,
MONSIEUR ,
14
La fimple idée par écrit , que vous me
demandez du Livre ( 1 ) , dont , avant votre
départ de Paris , j'ai eu l'honneur de.
vous entretenir , & auquel je travaille depuis
plufieurs années , exige elle-même un
affez grand détail par la multitude des objers.
Je crois , Monfieur , ne pouvoir
mieux fatisfaire à ce que vous défitez de
moi à cet égard , qu'en vous communiquant
par forme de lettres , le difcours
que je projette de mettre à la tête de l'ouvrage
pour y fervir d'introduction.
( 1 ) Ce Livre a pour titre , Le Confeilfamilier
& économique des Princes des grands Seigneurs ;
ou Moyens de conferver , d'augmenter & de perpétuer
les richeffes , la magnificence & la véritable
gloire de leurs Maiſons.
68 MERCURE DE FRANCE.
PREMIERE LETTRE.
Que les Princes & les grands Seigneurs
foient dans l'opulence , c'eft un attribut
naturel de leur condition : mais ils ne doivent
pas fe flatter de conferver , d'augmenter
, ni de perpétuer leurs richeffes , fans
une heureufe intelligence , foutenue de
cette économie libérale , qui ne prodigue
rien , pour donner fans ceffe avec difcernement.
Que les Princes & les grands Seigneurs
ayent en général le défir de la magnificence
, faut-il s'en étonner ? Ils naiffent
dans fon fein ; on en recrée leur enfance :
hommes formés , ils en ajoutent l'habitude
au goût naturel ; ils y meurent . Mais étoitce
une véritable magnificence que l'éclat
qui leur fit illufion pendant leur vie ? ou
n'étoit ce au contraire , qu'un faux brillant
qui , en deshonorant la mémoire de
ceux qu'il féduit , ne laiffe fouvent dans
leurs fucceffions que l'indigence & l'infolvabilité.
La véritable magnificence trouve dans
la fageffe qui la dirige , les moyens de ſe
conferver , de s'augmenter & de fe perpétuer.
Un efprit d'arrangement fans contrainte
, blâme ou avoue les motifs & les
occafions de la magnificence. Si la riche
DECEMBRE . 1755. 69
économie qui prend foin , quand il le faut,
que rien ne manque au fpectacle , lui prefcrit
cependant quelquefois des bornes ,
c'eſt pour faire , en évitant le défaut d'une
confufion inutile & choquante , fubfifter
cette magnificence même avec plus de folidité
, & pour affurer par-là à celui qui en´
fupporte la dépenfe , le fuffrage des perfonnes
dont le goût & la raifon font les
guides éclairés.
Que les Princes & les grands Seigneurs
confiderent la gloire de leurs Maifons
comme leur principal objet , & le plus
digne de les occuper , l'antiquité & la nobleffe
de leur origine femblent , à leur
naiffance , en graver le fentiment dans
leurs coeurs il feroit à fouhaiter qu'au
foin qu'on fe donne de leur en préfenter
fans ceffe la perfpective dans le cours de
leur éducation , on joignît l'attention de
leur développer les caracteres effentiels
de la véritable gloire , & de leur en infpirer
cet amour raiſonné qui , ennemi d'un
aveugle orgueil , reçoit de l'efprit même
du Chriftianifme , la permiffion d'aiguillonner
les gens d'honneur.
Penfer , comme on croit fincerement le
devoir ; s'inftruire , pour penfer mieux
encore ; faire ce qu'on peut & ce qu'on
doit par inclination pour le bon ordre
70 MERCURE DE FRANCE.
voilà en général la bafe inebranlable de
la véritable gloire des Princes & des
grands Seigneurs. C'eft , en un mot , le
fondement de la gloire folide dans tous
les états.
Ce principe annonce donc que , pour
conferver , augmenter & perpétuer la véritable
gloire des Grands , il faut ,
Premierement , qu'ils foyent convaincus
de l'indifpenfable néceffité de remplir les
devoirs de leur état .
Secondement , qu'ils travaillent folidement
à les connoître dans la vérité , parcequ'il
eft impoffible de bien faire ce dont
on ignore les principes .
Enfin il est néceffaire que les Grands
furmontent avec courage les dégoûts & les
contradictions que des paffions tumul- .
tueufes élevent quelquefois contre le regne
tranquille de l'ordre & de la raifon.
Que la réunion de ces ennemis intérieurs
n'effraye pas le combattant ; je ferai
voir dans fon lieu que l'idée du combat
eft plus terrible que le combat même. Le
Combattant doit craindre d'autant moins
d'effayer fes forces , que fon courage le
rend fûr d'une victoire , dont les fuites
font la paix du coeur & la gayeté de
l'efprit .
Les Princes & les Grands ont donc des
DECEMBRE . 1755. 71
devoirs d'état à remplir , & ce n'eft que
par leur exactitude à s'en acquitter , qu'ils
peuvent conferver , augmenter & perpétuer
la véritable gloire de leurs Maifons.
Mais pour fçavoir quelle eft l'étendue
des devoirs d'état des Princes & des
Grands , il faut déterminer quel eft leur
état même.
Parce qu'ils font grands , ne font- ils
qu'hommes de Cour , & ne fe croyent- ils
affujettis à des devoirs qu'envers la Cour ?
Je les confidere dans trois pofitions différentes
, dont chacune exige des connoiffances
qui lui font immédiatement néceffaires.
Le Prince ou le grand Seigneur, comme
particulier dans l'intérieur de fa maiſon &
de fes terres : Premiere Partie.
Le Prince ou le grand Seigneur perè
de famille : Seconde Partie.
Le Prince ou le grand Seigneur membre
de la Société , & homme d'Etat : Troifieme
Partie.
C'est en propofant mes réflexions fur
chacune de ces trois conditions , que je
mets fous les yeux des Princes & des
grands Seigneurs , les moyens de conferver
, d'augmenter & de perpétuer les richeffes
, la magnificence & la véritable
gloire de leurs Maiſons.
72 MERCURE DE FRANCE.
Ces trois points de vue fous lefquels les
Princes & les grands Seigneurs peuvent
être envifagés , font auffi la divifion naturelle
de ce difcours , dont les trois parties
réunies renferment le plan général de
l'Ouvrage.
1755. par M. Voifin , Avocat au Parlement
à M. le Prince de Chevalier de
la Toifon d'or,
MONSIEUR ,
14
La fimple idée par écrit , que vous me
demandez du Livre ( 1 ) , dont , avant votre
départ de Paris , j'ai eu l'honneur de.
vous entretenir , & auquel je travaille depuis
plufieurs années , exige elle-même un
affez grand détail par la multitude des objers.
Je crois , Monfieur , ne pouvoir
mieux fatisfaire à ce que vous défitez de
moi à cet égard , qu'en vous communiquant
par forme de lettres , le difcours
que je projette de mettre à la tête de l'ouvrage
pour y fervir d'introduction.
( 1 ) Ce Livre a pour titre , Le Confeilfamilier
& économique des Princes des grands Seigneurs ;
ou Moyens de conferver , d'augmenter & de perpétuer
les richeffes , la magnificence & la véritable
gloire de leurs Maiſons.
68 MERCURE DE FRANCE.
PREMIERE LETTRE.
Que les Princes & les grands Seigneurs
foient dans l'opulence , c'eft un attribut
naturel de leur condition : mais ils ne doivent
pas fe flatter de conferver , d'augmenter
, ni de perpétuer leurs richeffes , fans
une heureufe intelligence , foutenue de
cette économie libérale , qui ne prodigue
rien , pour donner fans ceffe avec difcernement.
Que les Princes & les grands Seigneurs
ayent en général le défir de la magnificence
, faut-il s'en étonner ? Ils naiffent
dans fon fein ; on en recrée leur enfance :
hommes formés , ils en ajoutent l'habitude
au goût naturel ; ils y meurent . Mais étoitce
une véritable magnificence que l'éclat
qui leur fit illufion pendant leur vie ? ou
n'étoit ce au contraire , qu'un faux brillant
qui , en deshonorant la mémoire de
ceux qu'il féduit , ne laiffe fouvent dans
leurs fucceffions que l'indigence & l'infolvabilité.
La véritable magnificence trouve dans
la fageffe qui la dirige , les moyens de ſe
conferver , de s'augmenter & de fe perpétuer.
Un efprit d'arrangement fans contrainte
, blâme ou avoue les motifs & les
occafions de la magnificence. Si la riche
DECEMBRE . 1755. 69
économie qui prend foin , quand il le faut,
que rien ne manque au fpectacle , lui prefcrit
cependant quelquefois des bornes ,
c'eſt pour faire , en évitant le défaut d'une
confufion inutile & choquante , fubfifter
cette magnificence même avec plus de folidité
, & pour affurer par-là à celui qui en´
fupporte la dépenfe , le fuffrage des perfonnes
dont le goût & la raifon font les
guides éclairés.
Que les Princes & les grands Seigneurs
confiderent la gloire de leurs Maifons
comme leur principal objet , & le plus
digne de les occuper , l'antiquité & la nobleffe
de leur origine femblent , à leur
naiffance , en graver le fentiment dans
leurs coeurs il feroit à fouhaiter qu'au
foin qu'on fe donne de leur en préfenter
fans ceffe la perfpective dans le cours de
leur éducation , on joignît l'attention de
leur développer les caracteres effentiels
de la véritable gloire , & de leur en infpirer
cet amour raiſonné qui , ennemi d'un
aveugle orgueil , reçoit de l'efprit même
du Chriftianifme , la permiffion d'aiguillonner
les gens d'honneur.
Penfer , comme on croit fincerement le
devoir ; s'inftruire , pour penfer mieux
encore ; faire ce qu'on peut & ce qu'on
doit par inclination pour le bon ordre
70 MERCURE DE FRANCE.
voilà en général la bafe inebranlable de
la véritable gloire des Princes & des
grands Seigneurs. C'eft , en un mot , le
fondement de la gloire folide dans tous
les états.
Ce principe annonce donc que , pour
conferver , augmenter & perpétuer la véritable
gloire des Grands , il faut ,
Premierement , qu'ils foyent convaincus
de l'indifpenfable néceffité de remplir les
devoirs de leur état .
Secondement , qu'ils travaillent folidement
à les connoître dans la vérité , parcequ'il
eft impoffible de bien faire ce dont
on ignore les principes .
Enfin il est néceffaire que les Grands
furmontent avec courage les dégoûts & les
contradictions que des paffions tumul- .
tueufes élevent quelquefois contre le regne
tranquille de l'ordre & de la raifon.
Que la réunion de ces ennemis intérieurs
n'effraye pas le combattant ; je ferai
voir dans fon lieu que l'idée du combat
eft plus terrible que le combat même. Le
Combattant doit craindre d'autant moins
d'effayer fes forces , que fon courage le
rend fûr d'une victoire , dont les fuites
font la paix du coeur & la gayeté de
l'efprit .
Les Princes & les Grands ont donc des
DECEMBRE . 1755. 71
devoirs d'état à remplir , & ce n'eft que
par leur exactitude à s'en acquitter , qu'ils
peuvent conferver , augmenter & perpétuer
la véritable gloire de leurs Maifons.
Mais pour fçavoir quelle eft l'étendue
des devoirs d'état des Princes & des
Grands , il faut déterminer quel eft leur
état même.
Parce qu'ils font grands , ne font- ils
qu'hommes de Cour , & ne fe croyent- ils
affujettis à des devoirs qu'envers la Cour ?
Je les confidere dans trois pofitions différentes
, dont chacune exige des connoiffances
qui lui font immédiatement néceffaires.
Le Prince ou le grand Seigneur, comme
particulier dans l'intérieur de fa maiſon &
de fes terres : Premiere Partie.
Le Prince ou le grand Seigneur perè
de famille : Seconde Partie.
Le Prince ou le grand Seigneur membre
de la Société , & homme d'Etat : Troifieme
Partie.
C'est en propofant mes réflexions fur
chacune de ces trois conditions , que je
mets fous les yeux des Princes & des
grands Seigneurs , les moyens de conferver
, d'augmenter & de perpétuer les richeffes
, la magnificence & la véritable
gloire de leurs Maiſons.
72 MERCURE DE FRANCE.
Ces trois points de vue fous lefquels les
Princes & les grands Seigneurs peuvent
être envifagés , font auffi la divifion naturelle
de ce difcours , dont les trois parties
réunies renferment le plan général de
l'Ouvrage.
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Résumé : COPIE de la Lettre écrite le 12 Août 1755. par M. Voisin, Avocat au Parlement à M. le Prince de ..... Chevalier de la Toison d'or.
Le document est une lettre datée du 12 août 1755, rédigée par M. Voifin, avocat au Parlement, adressée à M. le Prince de Chevalier de la Toison d'or. Voifin y présente un livre intitulé 'Le Conseil familier & économique des Princes des grands Seigneurs; ou Moyens de conserver, d'augmenter & de perpétuer les richesses, la magnificence & la véritable gloire de leurs Maisons'. L'auteur souligne l'importance pour les princes et grands seigneurs de posséder une intelligence économique afin de conserver et d'accroître leurs richesses. Il distingue la véritable magnificence, guidée par la sagesse, qui se maintient et s'accroît, de l'éclat trompeur qui peut mener à l'indigence. La gloire des maisons princières repose sur la connaissance et l'accomplissement des devoirs d'état, ainsi que sur le courage face aux passions tumultueuses. L'ouvrage de Voifin est structuré en trois parties. La première traite du prince en tant que particulier dans sa maison, la deuxième le considère en tant que père de famille, et la troisième en tant que membre de la société et homme d'État. Chaque section vise à fournir des moyens pour conserver, augmenter et perpétuer les richesses, la magnificence et la gloire des maisons princières.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 208-210
ADDITION A LA PARTIE FUGITIVE. Vers du R. de P. à M. de V.
Début :
Croyez que si j'étois Voltaire, [...]
Mots clefs :
Voltaire, Ennui, Devoirs, Mémoire, Mort, Hommage
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texteReconnaissance textuelle : ADDITION A LA PARTIE FUGITIVE. Vers du R. de P. à M. de V.
ADDITION
A LA PARTIE FUGITIVE
Vers du R. de P. à M. de V.
CROYEZ que fi j'étois Voltaire ,
Et particulier comme lui ,
Me contentant du néceffaire ,
Je verrois voltiger la fortune légére ,
Et m'en mocquerois aujourd'hui,
Je connois l'ennui des grandeurs ,
Le fardeau des devoirs , le jargon des flatteurs ,
Ces miféres de toute efpece
Et ces détails de petiteffe ,
Dont on eft accablé dans le fein des honneurs s
Je méprife la vaine gloire;
MAR S. 1758: 209
Quoique Poëte & fouverain ,
Quand du cifeau fatal terminant mon deftin ,
Atropos m'aura vu plongé dans la nuit noire ,
Qu'importe l'honneur incertain
De vivre après ma mort au temple de mémoire !
Un inftant de bonheur vaut mille ans dans l'hif- .
toire .
Nos deftins font- ils donc fi beaux ?
Les doux plaifirs de la molleffe ,
La vive & naïve allegreffe
Ont toujours fui des Grands la pompe & les faifceaux
:
Nés pour la liberté leur troupe enchantereffe ,
Préfere l'aimable pareffe
Aux aufteres devoirs guides de nos travaux.
Ainfi la fortune volage
N'a jamais caufé mes ennuis ;
Soit qu'elle me flatte ou m'outrage ,
Je dormirai toutes les nuits
En lui refufant mon hommage .
Mais notre état nous fait la loi ,
Il nous oblige , il nous engage
A meſurer notre courage
Sur ce qu'exige notre emploi.
Voltaire dans fon hermitage
Dans un pays dont l'héritage ,
Eft fon antique bonne foi ,
Peut fe livrer en paix à la vertu fauvage ,
Dont Platon nous marqua la foi :
210 MERCURE DE FRANCE:
Pour moi , menacé du naufrage ,
Je dois , en affrontant l'orage ,
Penfer , vivre & mourir en Roi,
A LA PARTIE FUGITIVE
Vers du R. de P. à M. de V.
CROYEZ que fi j'étois Voltaire ,
Et particulier comme lui ,
Me contentant du néceffaire ,
Je verrois voltiger la fortune légére ,
Et m'en mocquerois aujourd'hui,
Je connois l'ennui des grandeurs ,
Le fardeau des devoirs , le jargon des flatteurs ,
Ces miféres de toute efpece
Et ces détails de petiteffe ,
Dont on eft accablé dans le fein des honneurs s
Je méprife la vaine gloire;
MAR S. 1758: 209
Quoique Poëte & fouverain ,
Quand du cifeau fatal terminant mon deftin ,
Atropos m'aura vu plongé dans la nuit noire ,
Qu'importe l'honneur incertain
De vivre après ma mort au temple de mémoire !
Un inftant de bonheur vaut mille ans dans l'hif- .
toire .
Nos deftins font- ils donc fi beaux ?
Les doux plaifirs de la molleffe ,
La vive & naïve allegreffe
Ont toujours fui des Grands la pompe & les faifceaux
:
Nés pour la liberté leur troupe enchantereffe ,
Préfere l'aimable pareffe
Aux aufteres devoirs guides de nos travaux.
Ainfi la fortune volage
N'a jamais caufé mes ennuis ;
Soit qu'elle me flatte ou m'outrage ,
Je dormirai toutes les nuits
En lui refufant mon hommage .
Mais notre état nous fait la loi ,
Il nous oblige , il nous engage
A meſurer notre courage
Sur ce qu'exige notre emploi.
Voltaire dans fon hermitage
Dans un pays dont l'héritage ,
Eft fon antique bonne foi ,
Peut fe livrer en paix à la vertu fauvage ,
Dont Platon nous marqua la foi :
210 MERCURE DE FRANCE:
Pour moi , menacé du naufrage ,
Je dois , en affrontant l'orage ,
Penfer , vivre & mourir en Roi,
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Résumé : ADDITION A LA PARTIE FUGITIVE. Vers du R. de P. à M. de V.
Le poème de R. de P. à M. de V., daté de mars 1758, exprime le mépris de l'auteur pour les grandeurs et les honneurs, qu'il considère comme des sources d'ennui et de fardeaux. Il privilégie la simplicité et les plaisirs modestes à la 'vaine gloire'. L'auteur, bien qu'il soit poète et souverain, rejette l'honneur posthume, préférant un instant de bonheur à une longue mémoire historique. Il observe que les grands, nés pour la liberté, préfèrent la paix aux devoirs austères. La fortune, qu'elle soit favorable ou défavorable, ne le trouble pas, et il refuse de lui rendre hommage. Cependant, il reconnaît que sa position l'oblige à mesurer son courage selon les exigences de sa fonction. Contrairement à Voltaire, qui peut se consacrer à la vertu sauvage dans son ermitage, l'auteur doit affronter les tempêtes et persévérer, vivre et mourir en roi.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 206-209
RÉPONSE à la LETTRE INTÉRESSANTE pour les bons Citoyens, insérée au Mercure d'Août 1763.
Début :
Faire du bien à ses semblables, Monsieur, est, j'en conviens comme vous, [...]
Mots clefs :
Bien commun, Bons citoyens, Qualités, Raison, Sentiments, Campagnes, Devoirs, Lettre
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texteReconnaissance textuelle : RÉPONSE à la LETTRE INTÉRESSANTE pour les bons Citoyens, insérée au Mercure d'Août 1763.
RÉPONSE à la LETTRE INTÉRESSANTE
pour les bons Citoyens , inférée
au Mercure d'Août 1763.
FAAIRE du bien à fes femblables , Monfieur ,
eft, j'en conviens comme vous , la plus chère occupation
d'une âme fenfible ; le répandre dans
JANVIER. 1764. 207
lès campagnes , c'eft être éclairé fur les befoins
& c'eft ce dont nous convenons encore. Dans la
lettre que que j'ai fous les
yeux , vous exhortez
les bons Citoyens à faire diftribuer chaque an
née des Prix dans les Villages ; ce font des Livres
qu'on donnera aux enfans qui feront jugés
avoir de bonnes qualités ; & vous vous appuyez
de l'exemple de plufieurs perfonnes pieufes &
refpectables qui l'ont tenté avec fuccès. C'eft le
moyen , ajoutez-vous , de faire fortir de la campagne
plus de Sujets penfants & utiles. C'est ici:
Monfieur , où nous ceffons d'être d'accord.
Je n'examinerai point s'il eft auffi avantageux
que vous le penfez , que les Payfans fçachene
lire , écrire , chiffrer. Je fçai ce que vous pourriez
alléguer en faveur de votre fentiment : mais
fur des raifons non moins puiffantes j'infifterois
pour la négative. Ce ne font pas là pour eux des
chofes de néceffité première , & leur état préſent
ne permet guères d'aller au- delà.
Ne nous prévenons point , Monfieur , l'un
contre l'autre , la diverfité d'avis entre deux
Citoyens n'a jamais l'air d'une difcuffion. Il eft
toujours louable quand on nous montre ce qui
eft bien, de dire ce qu'on croit être mieux.
Depuis longtemps on s'apperçoit que les
campagnes fe dépeuplent , & les Académies d'agriculture
ne ceffent de crier : donnez- nous des bras;
bien loin qu'on fonge aux défrichemens , à peine
les anciennes cultures font fervies. On fent fi bien
cette dépopulation que pour femer & vanner le
bled , on invente des machines qui fuppléent aux
hommes. On attend une charrue qui laboure feule
& ce ne fera pas un petit préfent.
En attendant , permettez , Monfieur , que
nous retenjons ce qui nous refte de cultivateus
208 MERCURE DE FRANCE.
#
& pour cela gardons - nous d'en faire des gens
d'efprit , nous y perdrions. L'éducation qui convient
à un enfant de village eft celle que fon pere
peut lui donner. Dès l'enfance il y a des travaux
qui lui font propres ; à fix ans il eſt déja un ouvrier.
Il faut que de bonne heure fon corps fe courbe
au labourage ; l'expérience apprend qu'il s'y refufe
quand on veut l'y plier trop tard. Qu'on
obferve qu'il foit refpectueux pour les peres &
meres , qu'il ait l'âme honnête , qu'il foit éxact
à fes devoirs rien n'eft mieux ; mais ces devoirs
quels font-ils ? de devancer fon pere aux
champs , de partager avec lui le hâle du jour ;
de le nourrir au déclin de l'âge du pain qu'il a
femé lui-même & que fa femme a pétri ; & de
mériter de fes enfans ce que fon pere mérita de
lui. Ne nous y trompons pas , les devoirs de notre
état font nos premieres vertus & vous n'imagi .
nez pas peut- être que ce que vous propoſez y
faffe diftraction .
·
Suppofons un Village où tous les ans on dif
tribue quatre livres à ceux des enfans qui auront
montré plus de douceur dans le caractère ,
ou qui auront eu l'art de le faire plus aimer , &
que Télémaque , comme vous le dites , foit le
premier Prix. S'il y a de l'émulation parmi eux ,
comme vous le demandez , il faut qu'ils ayent
des prétentions. Ils n'en auront qu'en raison du
temps donné à l'étude ; & cette étude fait diverfion
au travail journalier , & je l'oſe dire , à
des occupations d'un genre plus précieux. Je
m'imagine voir un petit Payfan qui fçait
lire & écrire capter le fuffrage de fes voifins.
Combien dans ce rôle ne s'éloigne- t- il pas de
cente fimplicité par laquelle les égaux font
heureux même par le peu qui leur en reſte ? Le
JANVIER. 1764. 209
petit Courtisan réuffit & eft couronné : croyezvous
que ce nouveau Docteur ne veuille être
qu'un Métayer ? Il fortira des Champs . Ou irat-
il pour être mieux ? Nous ne fçaurions fupputer
trop haut ces émigrations , & la claffe des
Cultivateurs ; cette pépinière de tous les états , ne
fe recrute jamais. Ah ! Monfieur , que le pain
fera cher dès qu'une fois on lira Télémaque dans
les Campagnes !
Je fuis bien loin d'être dur envers le Labou
reur ; perfonne ne le plaint & ne l'aime , j'ai
prèfque dit ne le refpecte plus que moi. Mais
adouciffons fes peines par des plaifirs qui foient
fous la main . Pour le rendre plus heureux , il ne
faut pas l'approcher plus de nous . Que ces âmes
patriotiques & humaines dont vous parlez , répandent
leurs bienfaits à d'autres titres . Il vaut
mieux former une génération vigoureafe . Que
l'enfant le plus robufte de ceux de fon âge , que
celui qui méne un fillon plus droit & plus profond
, foient récompenfés d'un habit fimple ou
plutôt de quelque outil de leur Art. Entretenons
chez eux la force & l'adreffe ; n'y fubftituons pas
T'efprit & le talent. Affez d'autres penferont , &
ci n'en feront pas moins des hommes ceux -
utiles .
J'ai l'honneur d'être , &c.
A la Rochelle , le 1763.
De B....
pour les bons Citoyens , inférée
au Mercure d'Août 1763.
FAAIRE du bien à fes femblables , Monfieur ,
eft, j'en conviens comme vous , la plus chère occupation
d'une âme fenfible ; le répandre dans
JANVIER. 1764. 207
lès campagnes , c'eft être éclairé fur les befoins
& c'eft ce dont nous convenons encore. Dans la
lettre que que j'ai fous les
yeux , vous exhortez
les bons Citoyens à faire diftribuer chaque an
née des Prix dans les Villages ; ce font des Livres
qu'on donnera aux enfans qui feront jugés
avoir de bonnes qualités ; & vous vous appuyez
de l'exemple de plufieurs perfonnes pieufes &
refpectables qui l'ont tenté avec fuccès. C'eft le
moyen , ajoutez-vous , de faire fortir de la campagne
plus de Sujets penfants & utiles. C'est ici:
Monfieur , où nous ceffons d'être d'accord.
Je n'examinerai point s'il eft auffi avantageux
que vous le penfez , que les Payfans fçachene
lire , écrire , chiffrer. Je fçai ce que vous pourriez
alléguer en faveur de votre fentiment : mais
fur des raifons non moins puiffantes j'infifterois
pour la négative. Ce ne font pas là pour eux des
chofes de néceffité première , & leur état préſent
ne permet guères d'aller au- delà.
Ne nous prévenons point , Monfieur , l'un
contre l'autre , la diverfité d'avis entre deux
Citoyens n'a jamais l'air d'une difcuffion. Il eft
toujours louable quand on nous montre ce qui
eft bien, de dire ce qu'on croit être mieux.
Depuis longtemps on s'apperçoit que les
campagnes fe dépeuplent , & les Académies d'agriculture
ne ceffent de crier : donnez- nous des bras;
bien loin qu'on fonge aux défrichemens , à peine
les anciennes cultures font fervies. On fent fi bien
cette dépopulation que pour femer & vanner le
bled , on invente des machines qui fuppléent aux
hommes. On attend une charrue qui laboure feule
& ce ne fera pas un petit préfent.
En attendant , permettez , Monfieur , que
nous retenjons ce qui nous refte de cultivateus
208 MERCURE DE FRANCE.
#
& pour cela gardons - nous d'en faire des gens
d'efprit , nous y perdrions. L'éducation qui convient
à un enfant de village eft celle que fon pere
peut lui donner. Dès l'enfance il y a des travaux
qui lui font propres ; à fix ans il eſt déja un ouvrier.
Il faut que de bonne heure fon corps fe courbe
au labourage ; l'expérience apprend qu'il s'y refufe
quand on veut l'y plier trop tard. Qu'on
obferve qu'il foit refpectueux pour les peres &
meres , qu'il ait l'âme honnête , qu'il foit éxact
à fes devoirs rien n'eft mieux ; mais ces devoirs
quels font-ils ? de devancer fon pere aux
champs , de partager avec lui le hâle du jour ;
de le nourrir au déclin de l'âge du pain qu'il a
femé lui-même & que fa femme a pétri ; & de
mériter de fes enfans ce que fon pere mérita de
lui. Ne nous y trompons pas , les devoirs de notre
état font nos premieres vertus & vous n'imagi .
nez pas peut- être que ce que vous propoſez y
faffe diftraction .
·
Suppofons un Village où tous les ans on dif
tribue quatre livres à ceux des enfans qui auront
montré plus de douceur dans le caractère ,
ou qui auront eu l'art de le faire plus aimer , &
que Télémaque , comme vous le dites , foit le
premier Prix. S'il y a de l'émulation parmi eux ,
comme vous le demandez , il faut qu'ils ayent
des prétentions. Ils n'en auront qu'en raison du
temps donné à l'étude ; & cette étude fait diverfion
au travail journalier , & je l'oſe dire , à
des occupations d'un genre plus précieux. Je
m'imagine voir un petit Payfan qui fçait
lire & écrire capter le fuffrage de fes voifins.
Combien dans ce rôle ne s'éloigne- t- il pas de
cente fimplicité par laquelle les égaux font
heureux même par le peu qui leur en reſte ? Le
JANVIER. 1764. 209
petit Courtisan réuffit & eft couronné : croyezvous
que ce nouveau Docteur ne veuille être
qu'un Métayer ? Il fortira des Champs . Ou irat-
il pour être mieux ? Nous ne fçaurions fupputer
trop haut ces émigrations , & la claffe des
Cultivateurs ; cette pépinière de tous les états , ne
fe recrute jamais. Ah ! Monfieur , que le pain
fera cher dès qu'une fois on lira Télémaque dans
les Campagnes !
Je fuis bien loin d'être dur envers le Labou
reur ; perfonne ne le plaint & ne l'aime , j'ai
prèfque dit ne le refpecte plus que moi. Mais
adouciffons fes peines par des plaifirs qui foient
fous la main . Pour le rendre plus heureux , il ne
faut pas l'approcher plus de nous . Que ces âmes
patriotiques & humaines dont vous parlez , répandent
leurs bienfaits à d'autres titres . Il vaut
mieux former une génération vigoureafe . Que
l'enfant le plus robufte de ceux de fon âge , que
celui qui méne un fillon plus droit & plus profond
, foient récompenfés d'un habit fimple ou
plutôt de quelque outil de leur Art. Entretenons
chez eux la force & l'adreffe ; n'y fubftituons pas
T'efprit & le talent. Affez d'autres penferont , &
ci n'en feront pas moins des hommes ceux -
utiles .
J'ai l'honneur d'être , &c.
A la Rochelle , le 1763.
De B....
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Résumé : RÉPONSE à la LETTRE INTÉRESSANTE pour les bons Citoyens, insérée au Mercure d'Août 1763.
Le texte est une réponse à une lettre publiée dans le Mercure d'août 1763, abordant l'éducation des enfants dans les campagnes. L'auteur reconnaît la noblesse de l'objectif de faire du bien à ses semblables et approuve l'idée de distribuer des prix sous forme de livres aux enfants méritants pour encourager l'éducation. Cependant, il exprime des réserves sur l'utilité de cette initiative. Il estime que les paysans ont des besoins plus urgents et que leur situation actuelle ne leur permet pas de se concentrer sur l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul. L'auteur souligne la dépopulation des campagnes et l'importance de maintenir une main-d'œuvre agricole. Il propose que l'éducation des enfants de village soit axée sur les travaux agricoles dès le plus jeune âge, afin de les préparer à leur rôle de cultivateurs. Il craint que l'introduction de prix littéraires ne détourne les jeunes des champs et ne les pousse à chercher des occupations plus intellectuelles, aggravant ainsi la pénurie de bras dans les campagnes. L'auteur suggère plutôt de récompenser les enfants pour leur force et leur adresse dans les travaux agricoles, afin de maintenir une génération vigoureuse et utile à l'agriculture.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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