Remarquesfur l'eau de lapluie ,
fur l'origine des fontaines
; avec quelques particu
laritez fur la conftruction
des cîternes.
Tout ce qui regarde les
caux , tant pour les neceffitez
de la vie , que pour l'ornement
des Palais & des
Jardins , a toûjours été regardé
comme une des principales
connoiffances qui
fuffent neceffaires aux hommes.
On s'eft appliqué avec
grand foin à rendre de trés-
Mars 1714.
G
74
MERCURE
petites rivieres capables de
porter de grands bateaux ,
& de joindre par ce moyen
des mers fort eloignées l'une
de l'autre. On a conduit
des fontaines trés - abondantes
par de longs détours
& fur des aqueducs trés- élevez,
jufques dans des lieux,
où la nature avoit refufé
d'en donner. On a enfin inventé
un grand nombre de
machines propres à élever
T'eau , & la porter juſqu'au
haut des montagnes
, pour
la diftribuer enfuite fous
mille figures differentes ,
GALANT.
75
avec des mouvemens furnaturels
, & en donner un
fpectacle digne d'admiration.
inistrot as
C'en étoit affez pour le
commun des hommes :
mais la curiofité de ceux
qui recherchent
les fecrets
de la nature, n'étoit pas encore
fatisfaite , il faloit connoître
l'origine de ces fources
d'eau fi abondantes quon
rencontre par toute la
terre , & même fur des rochers
fort élevez ; & c'eſt
ce qui a donné tant d'exercice
aux Philofophes an-
Gij
76 MERCURE
cie ns & modernes.
Nous voyons deux principales
opinions fur l'origine
des fontaines , qui font fondées
chacune fur des experiences
dont il femble qu'on
ne puiffe pas douter ; car il
eft évident que plufieurs
fontaines ont pour principe
l'eau de la pluie & la fonte
des neiges fur les montagnes
: mais comment ces
pluies & ces neiges , qui
font trés-rares fur, des rochers
efcarpez & fort élevez
, & dans des pays fort
chauds , pourront- elles y ›
GALANT.
77
fournir des fontaines trésabondantes
&
permanentes
qu'on y voit en plufieurs
endroits ?
C'eft la plus forte objection
que faffent ceux qui ne
font du
fentiment que
pas
les pluies font les fontaines
, & ils admettent feulement
des cavitez foûterraines
en forme d'alembic ,
où les vapeurs des eaux qui
coulent dans la terre à la
hauteur de la mer , s'élevent
par les fentes des rochers
&fe condenfent par le froid
de la fuperficie de la terre.
Giij
78 MERCURE
M. N ** qui a fuivi l'opinion
des premiers qui
prennent le parti de la pluie,
a fait un examen trés particulier
de l'eau de pluie &
de neige qui tombe fur l'étendue
de la terre, qui fournit
fes eaux à la riviere de
Seine ; & il trouve par fon
calcul qu'il y en a beaucoup
plus qu'il ne feroit necelfaire
pour entretenir la riviere
dans fon état moyen
pendant tout le cours d'une
année.
En examinant le Traité
de l'origine des Fontaines de
1
79
GALANT.
M. Plot Anglois , qui a été
imprimé en 1685. j'y fis plufieurs
remarques , & j'entrepris
de reconnoître par
moy- même ce que les eaux
de pluie & de neige pouvoient
fournir aux fontaines
& aux rivieres . Je commençai
d'abord à rechercher
quelle étoit la quantité
d'eau de pluie qui tomboit
fur la terre pendant toute
une anné , & j'en ai donné
depuis des memoires à l'Academie
à la fin de chaque
année ; ce qui fait connoître
que la hauteur de l'eau
Giiij .
80 MERCURE
qui tombe à l'Obſervatoire
Royal , où j'ai fait mes obſervations
, feroit dans une
année moyenne de dix- neuf
à vingt pouces , à peu prés
comme M. N** l'avoit fuppofé
dans fon examen .
Mais comme je doutois
que ce fût fur cette quantité
d'eau qu'on dût compter
pour l'origine des fontaines,
je fis les experiences
fuivantes pour m'en affurer.
Je choifis un endroit de
la terraffe baffe de l'Obfervatoire
, & fis mettre dans
T
GALANT . 81
terre , à huit pieds de profondeur,
un baffin de plomb
de quatre pieds de fuperficie.
Ce baffin avoit des
bords de fix pouces de hauteur
, & étoit un peu incliné
vers l'un de fes angles , où
j'avois fait fouder un tuyau
de plomb de douze pieds.
de longueur, qui ayant auffi
une pente affez conſiderable
, entroit dans un caveau
par
fon extremité . Ce baf
fin étoit éloigné du mur de
la cave , afin qu'il fût environné
d'une plus grande
quantité de terre femblable
82 MERCURE
à celle qui étoit au deffus ,
& qu'elle ne pût pas fe lecher
par la proximité du
mur. Je mis dans le baffin
ou cuvette de plomb , à l'endroit
de l'ouverture qui répondoit
au tuyau , plufieurs
cailloux de differentes groffeurs
, afin que cette ouverture
ne pût pas fe boucher
quand la terre auroit été
remiſe pardeffus à la hauteur
du terrein , c'eſt à dire
de huit pieds de hauteur.
Ce terrein eft d'une nature
moyenne entre le fable &
la terre franche , en forte
GALANT.
83
que l'eau le peut penetrer
affez facilement , & la fuperficie
exterieure eſt de niveau.
Je penfois que fi les eaux
de pluie & de neige fonduë
penetrent la terre juſqu'à
ce qu'elles rencontrent un
cufou une terre argilleuſe ,
qui ne la laiffe point paffer ,
comme difent ceux qui fuivent
la premiere opinion
de l'origine des fontaines ,
il devoit arriver la même
chofe à la cuvette de plomb
que j'avois enterrée , & qu'
enfin je devois avoir une
84 MERCURE
eſpece de fource d'eau , qui
devoit couler par le tuyau
qui répondoit dans le caveau.
Mais comme je n'étois
pas perſuadé que cela pût
arriver , je mis encore dans
le même temps une autre
machine en experience à
huit pouces feulement de
profondeur en terre. C'étoit
une cuvette qui avoit
foixante quatre pouces en
fuperficie , & des rebords
de huit pouces de hauteur.
J'avois choifi un lieu où le
foleil ni le vent ne donGALANT.
85
noient point , & j'avois eu
grand foin d'ôter toutes les
herbes qui croiffoient fur
la terre au deffus de cette
cuvette, afin que toute l'eau
qui tomberoit fur la terre
pût paffer fans empêchement
jufqu'au fond de la
cuvette , où il y avoit un
petit trou & un tuyau qui
portoit dans un vaiffeau
toute l'eau qui pouvoit penetrer
la terre. Cette cuvette
n'étoit pas expoſée à
l'air : mais elle étoit enterrée
dans une trés - grande
quaiffe remplie par les cô86
MERCURE
tez & par deffous de la même
terre qui étoit au dedans
, afin que la terre de
la cuvette ne pût pas fe défecher
par l'air.
Je remarquai premierement
dans certe petite cuvette
, que depuis le 12. Juin
juſqu'au 19. Février fuivant
l'eau n'avoit point coulé par
le tuyau au deffous de la
-cuvette , & qu'elle y coula
feulement alors , à cauſe
d'une grande quantité de
neige qui étoit fur la terre
& qui fe fondoit. Depuis ce
temps - là la terre de certe
GALANT. 87
cuvette étoit toûjours fort.
humide : mais l'eau ne couloit
point que quelques
-heures aprés qu'il avoit plû,
& elle ceffoit de couler
quand ce qui étoit tombé
étoit épuilé ; car il en reftoit
toûjours dans la terre
une certaine quantité , qui
ne palloit point à moins
qu'il n'y en cût de nouvelle
au deffus de la terre.
<
Un an aprés je refis la
même experience dans la
petite cuvette : mais je la
mis à feize pouces avant
dans terre , qui étoit une
88 MERCURE
锣
fois plus qu'elle n'étoit d'abord.
Il n'y avoit point
d'herbes fur la terre , & elle
étoit encore à l'abri du foleil
& du vent. Il arriva à
peu prés la même chose que
dans la precedente , excepté
feulement que lors
qu'il fe paffoit un temps
confiderable fans pleuvoir ,
la terre fe défechoit unpeu,
& une mediocre pluie qui
furvenoit enfuite , n'étoit
pas capable de l'humecter
fuffifamment avec ce qui
y reftoit pour la faire couler.
Enfin
GALANT. 89
il
:
Enfin je planta quel
ques herbes fur la terre au
deffus de la cuvette mais
quand les plantes furent un
peu fortes , non feulement
ne couloit point d'eau àprés
la pluie ; mais toute
celle qui tomboit n'étoit
pas fuffifante toute feule
pour les nourrir , & elles fe
fanoient & fechoient , à
moins qu'on ne les arrosât
de temps en temps.
Il me vint alors en penfée
de meſurer la diffipation
ou évaporation de l'eau au
travers des feuilles des plan-
Mars 1714.
H
90 MERCURE
tes , quand elles font expo- .
fées au foleil & au vent. Le
30. Juin , à cinq heures du
matin , je mis dans une
phiole de verre , dont l'ouverture
étoit petite , une livre
d'eau pefée fort exactement
avec la phiole , & je
cueillis deux feuilles de figuier
de mediocre grandeur
, lefquelles pefoient
enfemble 5. gros 48. grains,
& j'en fis tremper le bout
des queues dans l'eau de la
phiole. Ces feuilles étoient
trés fraîches & fermes
quand je les cueillis . EnGALANT.
St
fuite j'expofai la phiole &
les feuilles au ſoleil , qui
étoit clair & chaud , & en
un lieu où il faifoit un peu
de vent , & je bouchai exactement
avec du papier le
refte du col de la phiole ,
qui n'étoit pas occupé par
les queues des feuilles , afin
que l'eau de la phiole ne
pût pas s'évaporer par cette
ouverture .
A onze heures du matin
je pefai le tout enſemble ,
& je trouvai qu'il y avoit
une diminution de poids de
deux gros , que l'air & le
Hij
92 MERCURE
foleil avoient tiré d'eau de
cette feuille , laquelle ne
peut être reparée quand la
feuille eft attachée à l'arbre
, que par l'humidité de
la terre qui paffe par les racines.
Je fis auffi pluſieurs autres
experiences fur des
plantes , & je trouvai toûjours
une trés - grande difſipation
d'humidité ; & aprés
avoir mefuré la fuperficie
des feuilles , & avoir confideré
ce qui en couvre ordinairement
la terre , j'ai jugé
que l'eau de la pluie
GALANT .
93
fur. tout en été , quoy qu'
elle foit alors trés- abondante
, n'eft pas capable de
les entretenir fans un fecours
tiré d'ailleurs . Il eſt
vrai que l'air de la nuit fournit
aux grands arbres , &
même aux plantes , une
grande quantité d'humidité
qu'on voit preſque toûjours
fur les feuilles vers le
lever du foleil , laquelle paffant
juſques dans les racines
, peut entretenir ces
plantes une partie du jour :
mais cette humidité toute
ſeule ne pourroit pas ſuf.
94
MERCURE
fire pour leur nourriture ,
fi elles n'en tiroient de la
terre même & des pluies
qui y entrent , comme je
l'ai remarqué dans mes experiences
que je viens de
rapporter.
Toutes ces experiences
m'ont fait connoître que
l'eau des pluies qui tombent
fur la terre , où il où il y a toûjours
quelques herbes &
des arbres , ne peut pas la
penetrer jufqu'à deux pieds,
à moins qu'elle n'ait été ramaffée
dans des lieux fablonneux
& pierreux , qui
*
.
GALANT .
95
A
la laiffent paffer facilement:
mais ce ne peut être que
des cas particuliers , dont
on ne peut tirer de confequence
generale. On en
peut voir un exemple au
rocher de la fainte Baume
en Provence , où la pluie qui
tombe fur ce rocher , qui
eft tout fendu & crevaffé ,
& où il n'y a point d'herbes
, penetre dans la grotte
en trés- peu d'heures à foi
xante- fept toiles au deffous
de la fuperficie du rocher ,
& y forme une trés - belle
cîterne, qui feroit enfin une
a
96 MERCURE
fontaine quand la cîterne
feroit remplie ; & lors qu'il
fe rencontre fur de femblables
rochers & dans
ces fonds confiderables de
grandes quantitez de neiges
qui fe fondent en été
à la feule chaleur du foleil ,
on remarque de grands
écoulemens de l'eau de
fontaine pendant quelques
heures d'un même jour , &
même à pluſieurs repriſes ,
fi le foleil ne donne fur ces
neiges qu'à quelques heures
differentes de la jour
née , le refte du temps ces
neiges
GALANT. 97
neiges étant à l'ombre des
pointes des rochers , & ne
pouvant
pas fe fondre facilement.
C'eft fans doute la
raiion de ce qu'on a rapporté
, qu'il y avoit des fontaines
au milieu des terres
qui avoient un flux & reflux
comme la mer.
Ces experiences m'ont
perfuadé que je ne devois
point attendre que les eaux
de la pluie & des neiges
paffaffent au travers des
huit pieds de terre qui étoient
au deffus de la cuvette
de plomb que j'avois
Mars
1714.
I
98 MERCURE
enterrée fur une terraffe ;
auffi il n'eft pas coulé une
feule goutte d'eau par le
tuyau depuis quinze années.
On voit donc par là qu'il
ne peut y avoir que tréspeu
de fontaines qui tirent
leur origine des pluies &
des neiges , & il faut neceffairement
avoir recours
d'autres cauſes pour expli.
quer comment il fe peut
rencontrer des fources trésabondantes
dans des lieux
élevez , & à très- peu de pro.
fondeur dans terre , com
HEQUE
ME
LA
THÈQUE
DE
OPON
;
GALANT.
me eft celle de Rungis res
de Paris , qu'on ne peut
tribuer à ces grottes ou
alembics foûterrains , qui
fervent à faire diftiler l'eau
des vapeurs condenfées
car il n'y a point de rochers
dans les
environs
, comme
je l'ai reconnu par plufieurs
puits que j'y ai fait faire ,
& le terrain eft ſeulement
un peu élevé , où l'on a fait
quelques puits , dont l'eau
eft fort proche de la furface
de la terre , & plus éle
vée que l'endroit où l'on a
ramaffé les eaux. Cette four.
I ij.
100 MERCURE
ce fournit cinquante pouces
d'eau environ , qui coule
toûjours & qui fouffre peu
de changement , & tout
l'efpace de terre d'où elle
peut venir n'elt pas
affez
grand pour fournir l'eau
de cette fource en ramaffant
celle de la pluye, quand
il ne s'en diffiperoit point ;
& de plus il eft toûjours cultivé
& couvert d'herbes &
de blé . Il y a quelques vallons
affez proche de ce lieu,
où il faut creuſer fort bas
pour trouver l'eau.
On a crû pouvoir expli
GALANT. ΙΘΙ
quer ces fortes de fources
par des tuyaux & des canaux
naturels , qui conduifent
l'eau de quelque
petite
riviere élevée , & qui
paffant par des lieux hauts
& bas , & même au deſſous
de quelques rivieres qui les
traverſent , font fi bien foudez
& bouchez
, qu'ils ne
laiffent point échaper cette
cau en chemin , pour la
conduire jufqu'au lieu où
elle doit fortir hors de terre.
Mais quand il pourroit
fe rencontrer de ces lieux
foûterrains
, je fuis perfuadé
1 iij
102 MERCURE
qu'ils auroient ſeulement
une pente neceffaire pour
laiffer couler l'eau entre les
terres fur un fond de tufou
d'argille : mais pour s'imaginer
des tuyaux naturels
hauts & bas , c'est tout ce
que peut faire l'art dans l'étenduë
d'un petit jardin ;
encore y a t-il fouvent à refaire
à ces conduites .
Il me femble qu'on peut
faire encore une objection
confiderable à cette hypothefe.
Car fi ces grandes
fources élevées tirent leur
origine de quelques rivicGALANT.
103
rés , ces mêmes rivieres doivent
auffi tirer leurs eaux
d'autres fources encore plus
élevées; car celles des pluies
& des neiges fondues dans
les lieux dont le fond feroit
ferme , ne peuvent former
que quelques torrens qui
ne durent que peu de tems,
& qui ne peuvent pas fournir
à l'écoulement
continuel
de ces rivieres. Les
grands ramas d'eau , comme
des étangs qui font à la
tête des petites rivieres , ne
prouvent rien pour l'origi .
ne des rivieres ; car nous
I iiij
104 MERCURE
avons fait plufieurs experiences
, qui nous font connoître
qu'il fe diffipe beaucoup
plus d'eau de celle
qui cft exposée à l'air dans
un vaiffeau fort large , qu'il
n'y en peut tomber du ciel.
Il ne refte donc qu'un
feul moyen pour expliquer
comment ces fources abondantes
peuvent fe former
dans terre , encore s'y rencontre
- t- il quelques difficultez.
Il faut s'imaginer
qu'au travers de la terre il
paffe une grande quantité
de vapeurs , qui s'élevent
GALANT.
105
des eaux qui y font ordinairement
a la hauteur des
rivieres les plus proches ,
ou de la mer ; que ces vapeurs
paffent d'autant plus
facilement , qu'elles rencontrent
un terrein plus facile
à être penetré , comme
on le remarque en hyver à
l'ouverture de quelques caves
fort profondes . Les particules
de ces vapeurs peuvent
fe joindre enfemble ,
le froid de la fuperou
par
ficie
de la terre
, quand
elles
commencent
à s'en
approcher
, ou
quand
elles
106 MERCURE
rencontrent un terrein qui
eſt déja rempli d'eau à laquelle
elles fe joignent , ou
enfin fi elles trouvent quelque
matiere qui foit propre
à les fixer , comme nous
voyons que les fels étant expolez
à l'air retiennent les
particules d'eau qui y voltigent
C'eft alors que cette
eau qui s'augmente toû
jours , en rencontrant un
fond affez folide pour la
foûtenir , coule entre les
terres fur ce fond , jufqu'à
ce qu'elle s'échape ſur la
fuperficie de la terre où ce
GALANT. 107
fond fe termine, ou retombe
dans quelque lieu plus bas
en terre , s'il y a quelques
ouvertures à la ggllaaiiſſee ou au
tuf qui la foûtient. C'eſt
tout ce que je trouve de
plus vraisemblable dans ce
cas , encore faut il que
vapeurs ayent des conduits
particuliers pour paffer , par
ces
leſquels l'eau qu'elles forment
ne puiffe pas s'échaper.
J'ai voulu voir par experience
ce qu'on pouvoit
efperer de la maniere
de
condenfer les vapeurs de
108 MERCURE
l'eau lors qu'elles s'attacheroient
dans la terre contre
des pierres qui feroient
remplies de quelques iels ;
car c'étoit une pentée nouvelle
que j'avois eue pour
expliquer de quelle maniere
les eaux des vapeurs
qui font en terre pourroient
le ramaffer.
Je mis dans un des caveaux
du fond de la carriere
de l'Obfervatoire un
vaſe de verre , & j'attachai
fur le bord du vaſe un morceau
de linge que j'avois
trempé dans un peu d'eau ,
GALANT . 109
où j'avois fait diffoudre du
fel de tartre. Je choifis ce
fel , parce que je crus qu'il
étoit plus propre à fixer les
vapeurs que tout autre. Le
lieu paroît fort humide ,.
fur - tout en été. Quelque
temps aprés je trouvai au
fond du vafe une quantité
affez confiderable de liqueur
, qui n'étoit que l'eau
de la vapeur de l'air , laquelle
s'étoit attachée contre
le linge , & en ayant
été rempli , le furplus , qui
augmentoit toûjours , avoit
coulé au long des côtez du
110 MERCURE
vafe. J'aurois pouffé cette
experience plus loin , pour
voir fi fa liqueur auroit
continué de couler , & fi le
fel qui étoit dans le linge
auroit été entierement em.
porté par l'eau qui en couloit
, quoy qu'il puiffe arri
ver que des pierres qui auroient
des fels propres 3
fixer les vapeurs , auroient
pû conſerver toûjours leur
fel , & même s'en charger
de nouveau : mais on entra
dans le caveau en mon
abſence , on rompit le vaſe,
& mon experience fut interrompuë.
GALANT.
Je ne parle point de
quelques fontaines particulieres
& extraordinaires ,
qui fe trouvent , à ce qu'on
dit , fur le bord de la mer
& fur des rochers élevez ,
lefquelles ont un flux & un
reflux femblable à celui de
la mer , & qui ne laiſſent
pas d'être des eaux fort
douces. J'ai expliqué mecaniquement
de quelle maniere
cela fe pourroit faire ,
en ſuppoſant des reſervoirs
foûterrains un peu élevez
au deffus du niveau de la
mer , & que la cavité où
112 MERCURE
ces refervoirs font placez
ait communication par le
moyen de quelques canaux
avec la mer. Car il doit arriver
que lofque la mer
monte , elle comprime l'air
qui eſt dans cette cavité ,
lequel preffè l'eau du reſervoir
, & l'oblige de s'écha
per , & même de s'élever
par quelques fentes ou conduits
de ces rochers jufques
fur la fuperficie de la terre ,
où elle forme une fontaine
qui doit diminuer peu à peu
la mer fe re- à meſure que
tire , & que l'air comprimé
qui
GALANT. 113
qui la forçoit de monter fe
rétablit dans fon premier
état. Mais pour peu qu'on
fçache de mecanique , &
qu'on entende bien les
effets des corps liquides ,
on ne manquera pas de
moyens pour expliquer non
feulement les merveilles
qu'on voit dans la nature
fur cette mariere , mais
encore tout ce qu'on pourroit
imaginer.
1
C'eft affez parler de l'origine
des fontaines ; il me
faut maintenant expliquer
quelques remarques parti-
Mars
1714.
K
114 MERCURE
culieres que j'ai faites à
cette occafion fur l'utilité
qu'on peut retirer de l'eau
des pluies. L'avantage le
plus confiderable de l'eau
de la pluie , c'eft de la ra
maſſer dans des refervoirs
foûterrains qu'on appelle
citernes , où quand elle a été
purifiée en paffant au travers
du fable de riviere , elle
fe conferve plufieurs années
fans le corrompre. Cette
eau eft ordinairement la
meilleure de toutes celles
dont on peut ufer , foit ppour
l'employer dans plufieurs
"GALANT.
ufages , comme pour le
blanchiffage & pour les
teintures, en ce qu'elle n'eft
point mêlée d'aucun fel de
la terre , comme font preſque
toutes les eaux de fontaines,
& même celles qu'on
cftime les meilleures. Ces
cîternes font d'une trésgrande
utilité dans les lieux
où l'on n'a point d'eau de
fource , ou bien lorfque
toutes les eaux de puits font
mauvaiſes. Ce n'eſt pas ici
le lieu de parler de la conftruction
des cîternes , ni
du choix des materiaux
Kij
116 MERCURE
qu'on y doit employer ;
puis qu'il ne s'agit que d'avoir
un lieu qui tienne bien
l'eau , & que les pierres &
le mortier dont elles font
jointes , ne puiffent donner
aucune mauvaiſe qualité à
l'eau , qui y fejourne pendant
un temps confiderable.
Ceux qui ont des cîternes
, & qui font curieux
d'avoir de bonne eau , obfervent
foigneufement de
ne laiffer point entrer l'eau
des neiges fonduës dans la
cîterne , ni celles des pluies
GALANT.
117
d'orage. Pour ce qui eft de
celle des neiges fonduës ,
je crois qu'on a quelque
raifon de les exclure des
cîternes , non pas à cauſe
des fels qu'on s'imagine qui
font enfermez , & mêlez
avec les particules de la
neige: mais feulement parce
que ces neiges demeurent
ordinairement
C
plufieurs
jours , & quelquefois des
mois entiers fur les toits
des maiſons , où elles fe
corrompent par la fiente
des oifeaux & des animaux ,
& bien plus par le long
118 MERCURE
féjour qu'elles font fur les
tuiles qui font toûjours fort
fales . C'est pour cette raiſon
que lors qu'il commence à
pleuvoir , je voudrois que
la premiere eau qui vient
du toit , & qui doit entrer
dans la cîterne , fût rejettée
comme mauvaiſe , n'ayant
fervi qu'à laver les toits ,
qui font couverts de la pouffiere
qui s'éleve de bouës
défechées dans les ruës &
dans les grands chemins ,
& qu'on ne reçût ſeulement
dans la cîterne que celle
qui vient enfuite.
GALANT . 19
Il y a une autre remarque
fort confiderable pour les
eaux qu'on doit rejetter des
cîternes , & que le ſeul hazard
m'a fait connoître. Il
y a quelque temps que je
fus curieux de ramaffer de
F'eau de pluie qui tomboit
à
l'Obfervatoire , par le
moyen de la cuvette dont
je me fers pour meſurer la
quantité d'eau qui tombe
pendant l'année . Cette cu
vette eft de fer blanc bien
étamé , elle a quatre pieds
de fuperficie, & des rebords
de fix pouces de hauteur.
120 MERCURE
Il y a un trou & un petit
tuyau qui y eft foudé vers
l'un des angles par où l'eau
qui tombe dans la cuvette ,
qui eft un peu inclinée vers
cet angle , eft portée dans
un vaiffeau qui la reçoit ,
pour la meſurer enfuite , &
connoître par ce moyen la
quantité qui en eft tombée.
Je nettoyai & lavai la cuvette
& le vaiſſeau qui reçoit
l'eau , le plus proprement
qu'il me fut poffible ,
áu commencement d'une
pluie qui paroiffoit abondante,
& je ramaſſai enfuite
l'eau
GALANT. 121
l'eau dans des bouteilles de
verre bien nettes pour la
conferver. Mais comme je
voulus goûter de cette eau,
je fus furpris de ce qu'elle
avoit un fort mauvais goût,
& qu'elle fentoit la fumée :
ce qui me parut fort extraordinaire
; car j'en avois
fouvent goûté de celle qui
étoit ramaffée de la même
maniere , laquelle n'avoit
pas ce même goût. Je ne
voyois rien qui eût pû communiquer
cette odeur de
fumée à l'eau de pluie ; car
le lieu où je la ramaffe ef
Mars
1714
L
122 MERCURE
fort à découvert & élevé,
fort
& il n'y a point de fumée
qui n'en foit fort éloignée.
Mais enfin je confiderai
que cette eau de pluie étoit
tombée avec un vent du
nord ; ce qui n'eſt pas
ordinaire ; car il pleut rarement
de ce vent ; & comme
toute la ville eft au nord
de l'Obfervatoire, la fumée
des cheminées s'étoit mêlée
avec l'eau qui tomboit , &
qui paffoit enfuite pardeffus
le lieu où je la ramaffois ,
& qu'enfin c'étoit la vraye
caufe de la mauvaiſe odeur
GALANT.
123
de l'eau ; car on ſçait par
plufieurs
experiences que
l'eau prend trés facilement
l'odeur de la fumée En effet
je m'en affurai quelque
temps aprés car ayant
encore ramaffé de l'eau de
pluie qui tomboit avec un
vent de midi ou de fudoüeft
, je n'y remarquai rien
de femblable pour le goût ;
car il n'y a que de grandes
campagnes qui s'étendent
vers le midi de l'Obferva
toire.
30 Je conclus de là qu'on
doit aufli rejetter des cîter-
Lij
124
MERCURE
nes toutes les eaux de pluie
qui font apportées par des
vents fur des lieux infectez
de quelque mauvaiſe
odeur , comme des égoûts ,
des voiries , & même des
grandes villes à cauſe de la
fumée , comme je viens de
remarquer ; car les exhalaifons
& les mauvaiſes vapeurs
qui fe mêlent avec
l'eau qui entre dans la cîterne
, doivent corrompre
celle qui y eft entrée dans
un autre temps.
$ Enfin puifquel'on ne peut
pas douter par toutes les ex
GALANT .
-125
periences & par toutes les
épreuves qu'on a faites, que
l'eau de la pluie qui a été purifiée
dans du fable de riviere
, pour lui ôter le limon &
une odeur de terre qu'elle a
en tombant du ciel , ne foit
la meilleure & la plus faine
de toutes celles dont on
puiffe ſe ſervir , j'ai penſé de
quelle maniere on pourroit
pratiquer dans toutes les
maifons des cîternes qui
fourniroient affez d'eau
pour l'ufage de ceux qui y
demeurent.
Premierement il eft cer-
Liij
126 MERCURE
tain qu'une maiſon ordinaire
, qui auroit en fuperficie
quarantes toiſes , lef
quelles feroient couvertes
de toits , peut ramaſſfer chaque
année 2160. pieds cubiques
d'eau , en prenant
feulement dix huit pouces
pour la hauteur de ce qu'il
en tombe , qui eft la moindre
hauteur que j'aye obfervé
. Mais ces 2160. pieds
cubiques valent 75600. pintes
d'eau , à raifon de 35.
pintes par pied , qui eſt la
jufte mefure pour la pinte
de Paris, Si l'on diviſe donc
GALANT. 127
ce nombre de pintes par
les 365. jours de l'année
on trouvera 200. pintes par
jour. On voit par là que
quand il y auroit dans une
maiſon , comme celle que
je fuppofe , vingt - cinq perfonnes
, elles auroient huit
pintes d'eau chacune à dépenſer
, qui eſt plus d'un
feau de ceux d'ordinaire ,
& ce qui eft plus que fuffifant
pour tous les uſages de
la vie.
Il ne me reste plus qu'à
donner un avis fur le lieu
& fur la maniere de con-
Liiij
128 MERCURE
,
a
ftruire ces fortes de cîternes
dans les maiſons particulieres.
On voit dans plufieurs
villes de Flandres ,
vers les bords de la mer
où toutes les eaux des puits
font falées & ameres
cauſe que le terrain n'eft.
qu'un fable leger au travers
duquel l'eau de la mer ne
f purifie pas , que l'on fait
des cîternes dans chaque
maiſon pour ſon uſage particulier.
Mais ces cîternes
font enterrées , & ne font
que des caveaux où l'on
croit que l'eau le conferve
GALANT. 129
mieux qu'à l'air. Il eſt vrai
que l'eau , & fur- tout celle
de pluie , ne fe conferve pas
à l'air à caule du limon dont
elle eft remplie , & qu'elle
ne depofe pas entierement
en paffant par le fable , &
qu'elle fe corrompt , & qu'il
s'y engendre une espece de
mouffe verte qui la couvre
entierement. C'est pourquoy
je voudrois qu'on pratiquât
dans chaque mailon
un petit lieu dont le plancher
feroit élevé au deffus
du rez de chauffée de fix
pieds environ ; que ce lieu
130 MERCURE
n'eût tout au plus que la
quarantieme ou cinquantieme
partie de la fuperficie
de la maiſon , & qui feroit
dans nôtre exemple d'une
toife à peu prés. Ce lieu
pourroit être élevé de huit
à dix pieds , & bien vouté
avec des murs fort épais.
Ce feroit dans ce lieu où je
placerois un refervoir de
plomb , qui recevroit toute
l'eau de pluie aprés
qu'elle auroit paffé au travers
du fable. Il ne faudroit
à ce lieu qu'une tréspetite
porte bien épaiffe &
GALANT. 131
bien garnie de natte de
paille , pour empêcher que
la gelée ne pût penetrer
jufqu'à l'eau. Par ce moyen
on pourroit diſtribuer facilement
de trés bonne eau
dans les cuifines & les lavoirs.
Cette eau étant bien
enfermée ne fe corromproit
pas plus que fi elle étoit fous
terre, & ne geleroit jamais.
Son peu d'élevation au def
fus du rez de chauffée ferviroit
affez à la commodité
de fa diftribution dans tous
les lieux bas du logis.Ce reſervoir
pourroit être placé
132
MERCURE
dans un endroit où il n'incommoderoit
par fon humidité
, qu'autant que ceux
d'eau de fontaine qui font
dans plufieurs maiſons.
J'ai examiné depuis peu
les differentes eaux de pluie
que j'avois ramaffées autrefois
, & que j'avois confervées
dans des bouteilles de
verre. J'ai trouvé qu'il y en
avoit quelques - unes qui
étoient d'un mauvais goût,
& je ne fçaurois affurer fi
ce font celles qui avoient
d'abord une odeur de fumée
quand je les ai miſes
GALANT. 133
dans la bouteille ; les autres
étoient affez bonnes & agreables
, elles n'avoient
plus le goût de terre , qu'ont
toutes les eaux de pluie , &
c'étoit peut être parce qu'-
elles avoient dépolé un
certain limon , qu'on voit
ordinairement au fond des
vaſes où l'on a laiſſé pendant
quelque temps des
caux de pluie.
Jajoûterais encore une
remarque que j'ai faite fur
les eaux de fontaine qui font
fur le côteau de la butte de
Montmartre vers le fepten134
MERCURE
trion. Ces eaux font fort
claires & affez bonnes pour
boire. Cependant fi l'on
fait cuire de la viande &
des herbes à potage avec
cette eau , le bouillon eſt
d'une grande amertume ;
ce qu'on ne peut pas attribuer
à la nature des herbes
du lieu , puifque fi l'on
fe fert d'eau de pluie pour
faire le bouillon , il eſt trésbon
& n'a aucune amertume.