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1
p. 147-148
SUR LES PHILOSOPHES.
Début :
Dans Platon ni dans Epicure [...]
Mots clefs :
Philosophes, Nature
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texteReconnaissance textuelle : SUR LES PHILOSOPHES.
SUR
LES PHILOSOPHES.
Dans Platon ni dans
Epicure
Je ne "voispas quilfat
bien ltably
S'il est du uide en la
nature
OuJiïefpace est d'atômes
rempjl,
Dans un buveur la nature
decide
Quelle abhorre le vuide,
C'ar il est certain
Que)abhorreunverre en
main
Quandil r/eft pas plein.
LES PHILOSOPHES.
Dans Platon ni dans
Epicure
Je ne "voispas quilfat
bien ltably
S'il est du uide en la
nature
OuJiïefpace est d'atômes
rempjl,
Dans un buveur la nature
decide
Quelle abhorre le vuide,
C'ar il est certain
Que)abhorreunverre en
main
Quandil r/eft pas plein.
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2
p. 149-150
II. COUPLET DES PHILOSOPHES.
Début :
Grands Philosophes je vous blâme [...]
Mots clefs :
Philosophes
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texteReconnaissance textuelle : II. COUPLET DES PHILOSOPHES.
II. COUPLET
DESPHILOSOPHES.
Grands Pbilofophes je
vous blâme
Etje veuxfaire un systême
nouveau
Vous avez, fait présider
J'ame
Lun dans le coeur, l'autre
dans le cerveau,
Sça'VeZ::vous bien ou la
miennes'avance
Pour teniraudiance
cest dans monpalais
Quelle juge £un vin
frais
Qui coule à longs traits.
DESPHILOSOPHES.
Grands Pbilofophes je
vous blâme
Etje veuxfaire un systême
nouveau
Vous avez, fait présider
J'ame
Lun dans le coeur, l'autre
dans le cerveau,
Sça'VeZ::vous bien ou la
miennes'avance
Pour teniraudiance
cest dans monpalais
Quelle juge £un vin
frais
Qui coule à longs traits.
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3
p. 58-73
Conte Arabe.
Début :
Le Calife Arbroun fut comparé par les Poëtes de son [...]
Mots clefs :
Calife, Arbre, Bague, Colère, Rire, Esprit, Mélancolie, Corneilles, Philosophes
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texteReconnaissance textuelle : Conte Arabe.
Conte Arab- e.
LECalise Arbroun fut
comparé par les Poëtes
seTon temps àun arbre
prodigieusement grand
qui estoit près de son
chasteau ; ses profondes
& vastes racines,c'estoit,
disoient-ils, la puissance
du Calife solidement cftablie;
la tigeeslevée de-,
cet arbre portoitjusquaux
nuës une teste superbe
,le Calife avoit
l'esprit sublime; la teste
de cet arbre étoit ornée
de fleurs & de fruits, ce
Calife estoit gracieux &
bienfaisant, en un mot il
n'avoitdedeffaut qu'une
noire melancolie
,
qui
obscurcissoit le brillant
de son esprit, mais pour
dissiper ces nuages melancoliques
il avoit fait
son amy dun Filosofe,
qui sçayoit égayer la Filosofie
par des morales
réjouissantes, &par de,.
foliescensées.
Le Calife Arbroun difoitque
l'esprit de Thomme
estant encore plus
maladif que son corps,
un bon Filosofe estoit
aussi necessaire auprès
d'un Princequ'un bon
Madecin.Unjour estant
ieui avec le Medecin de
-& melancolie câpres une
réverie profonde, & regardant
l'arbrequ'onluy
comparoit, il s'écria tout a-coup : Arbroun, Arbroun
, tu attristetes
amis parta melancolie,
comme cet arbre toufu
attriste cm. les ombrageant
les arbresqui l'environnent,
puis se tournant
vers le Filosofe:
Ecoute, amy,luy dit-il,
je te promets une bague
chaquefois que tu pourras
me faire rire. Bon,
reprit le Filosofe en secoüant
la teste, je ne gagneroispas
avec vousen
dix ans dequoy orner un
de mes doigts, j'auray
beau plaisanter vous ne
rirez jamais; ce fera quelquefois
ma faute,& quelquefois
la vostre
,
mais
vous jugerez de mes bons
mots selon vostre mauvaise
humeur, & je n'auray
poli-Lt de bague.
Hé bien,reprit le Calife,
toutes les fois que
tu pourras me prouver
quec'est ma faute de n'avoir
pas ry - de tes plaisanteries
,
je te les paieray
-cimme bonnes, maisil
faudra me prouver par
raison que j'aurois deu
rire.Vous me reduisez
à l impossible, dit le Filosose,
je puis bien prouver
par raisonqu'un bon
motestraisonnable,mais
quand on pourroit prouver
qu'il estrisible
, on ne
prouvera pointàunhomme
qu'il a tort de n'en
pas rire. Voyons pourtant,
continualeFilosose,
sivous rirez de ceque
ma conté ce matin la fille
de chambrede cette
veuve, dont le mary
mourut hier, c'est la veuvede
vostre maistre
d'Hostel. Vous sçavez
qu'elle se picquoit d'estre
la plus tendre épouse du
pays,
pays, & par consequent
elle va te picquer d'estre
la plus affligée veuve qui
fut jamais. Hier après
avoir, en presence de sa
fille de chambre, épuisé
Ces larmes & sa douleur,
elle s'enferma seule pour
pouvoir en liberté laisser
reposer [on affliction &
estudierlerole d'affligée
qu'elle a resolu de soustenir.
Elle cherchedans
fan miroir tous les airs
& Les changements de
visage qui peuvent con^
venir aux larmes qu'elle
répandra; car elle compte
que les larmes ne luy
manqueront pas. De toutes
ces grimacesd'affliction
qu elle estudioit au
miroir, une entreautres
luy parut si plaisante à
elie-mesme,qu'ellene
put s'empescherd'enrire:
après avoir un peu
ri elle recommença son
estude,autregrimace qui
luy parut encore plus
plaifainte,illuyprit alors
des éclats de rire si violents
6c si continus que
je croy qu'elle rira tant
qu'elle fera veuve.
Ce recit accompagné
desgrimaces de la veuve
que contrefit le Filo-
(ose
,- ne fit pas seulement
sourciller le Calife.
- Le Filosofe bilieux
v&ifc.oillerreedeosut bpleicdqeubéoanus rmots ,onn'en rit point
il plaisante , de rage, Se
par de vives secoussesil
veut ébranler leCalife,
comme un voyageur alteré
qui voudroit atraper
une poire,s'efforce
d'ébranler à secousses reiterées
le poirier dont il
desire ardemment le
fruit; mais le Calife est
inebranlable, le Filosose
elt outré, & cette colere
outrée dans un Filosose
qui veut faire riredevoit
avoir son effet
, mais le
Califeenburità peine..,
Se faire sourire ne suffisoit
pas pour gagner la
bague.Dans le moment
une voléeouplustostune
épaissenuée de corneilles
vint se reposer sur ce
grand arbre à qui nous
avons comparé le Calife.
Je vishier ces mesmes,
corneilles,dit impromt tu
le Filosose
,
elles pense,
rent desesperer un brutal
distrait, qui voyant cette
nuéedetristes oiseaux
noircir les fruits & les
fleurs d'un si bel arbre,
s'irrita d'abord, & oubliant
que cette tige est
groilè comme une tour,
voulut dans son premier
mouvement secouer ce
gros arbre comme un
jeune poirier.
Imaginez-vous cet extravagantoccupé
du desir
defaire envoler ces
corneilles, transporté de
colere contre elles , il
redoubloit ses secousses
en se meurtrissant le dos
contrc le tronc de l'arbre,
comme nous voyons les
petitsenfans en colere,
frapper du poing la muraille
qui leur a fait une
bosse au front; le recit
que je vous fais n'est pas
riGble, mais je ne pûsjamais
m'empescher de rire
en voyant la chose en
original. Je croy que j'en
eusse ri comme toy, dit
le Calife, si je l'eusse veu.
Vous deviez donc rire
en me voyant en colere
vouloir pardes secousses
de plaisanteries reiterées
chasser de vostre teste les
noires corneilles,c'est-àdire,
les soucis &C les chagrinsqui
vous offuC.
quent. Je t'entens, dit le
Calife, en tirant de son.
doigt une bague, tu me
prouve que je devois rire
en voyant ta colere
,
ainsi
tu as gagné la bague..
C'est de ce conte qu'est
venu le ProverbeArabe
qui dit à propos des
grands,
grands Seigneurs, que
leur grandeur & leurs
soucis accablentde mélancolie,
Ils ontune volée
de corneillesdans la
iefle*
On
LECalise Arbroun fut
comparé par les Poëtes
seTon temps àun arbre
prodigieusement grand
qui estoit près de son
chasteau ; ses profondes
& vastes racines,c'estoit,
disoient-ils, la puissance
du Calife solidement cftablie;
la tigeeslevée de-,
cet arbre portoitjusquaux
nuës une teste superbe
,le Calife avoit
l'esprit sublime; la teste
de cet arbre étoit ornée
de fleurs & de fruits, ce
Calife estoit gracieux &
bienfaisant, en un mot il
n'avoitdedeffaut qu'une
noire melancolie
,
qui
obscurcissoit le brillant
de son esprit, mais pour
dissiper ces nuages melancoliques
il avoit fait
son amy dun Filosofe,
qui sçayoit égayer la Filosofie
par des morales
réjouissantes, &par de,.
foliescensées.
Le Calife Arbroun difoitque
l'esprit de Thomme
estant encore plus
maladif que son corps,
un bon Filosofe estoit
aussi necessaire auprès
d'un Princequ'un bon
Madecin.Unjour estant
ieui avec le Medecin de
-& melancolie câpres une
réverie profonde, & regardant
l'arbrequ'onluy
comparoit, il s'écria tout a-coup : Arbroun, Arbroun
, tu attristetes
amis parta melancolie,
comme cet arbre toufu
attriste cm. les ombrageant
les arbresqui l'environnent,
puis se tournant
vers le Filosofe:
Ecoute, amy,luy dit-il,
je te promets une bague
chaquefois que tu pourras
me faire rire. Bon,
reprit le Filosofe en secoüant
la teste, je ne gagneroispas
avec vousen
dix ans dequoy orner un
de mes doigts, j'auray
beau plaisanter vous ne
rirez jamais; ce fera quelquefois
ma faute,& quelquefois
la vostre
,
mais
vous jugerez de mes bons
mots selon vostre mauvaise
humeur, & je n'auray
poli-Lt de bague.
Hé bien,reprit le Calife,
toutes les fois que
tu pourras me prouver
quec'est ma faute de n'avoir
pas ry - de tes plaisanteries
,
je te les paieray
-cimme bonnes, maisil
faudra me prouver par
raison que j'aurois deu
rire.Vous me reduisez
à l impossible, dit le Filosose,
je puis bien prouver
par raisonqu'un bon
motestraisonnable,mais
quand on pourroit prouver
qu'il estrisible
, on ne
prouvera pointàunhomme
qu'il a tort de n'en
pas rire. Voyons pourtant,
continualeFilosose,
sivous rirez de ceque
ma conté ce matin la fille
de chambrede cette
veuve, dont le mary
mourut hier, c'est la veuvede
vostre maistre
d'Hostel. Vous sçavez
qu'elle se picquoit d'estre
la plus tendre épouse du
pays,
pays, & par consequent
elle va te picquer d'estre
la plus affligée veuve qui
fut jamais. Hier après
avoir, en presence de sa
fille de chambre, épuisé
Ces larmes & sa douleur,
elle s'enferma seule pour
pouvoir en liberté laisser
reposer [on affliction &
estudierlerole d'affligée
qu'elle a resolu de soustenir.
Elle cherchedans
fan miroir tous les airs
& Les changements de
visage qui peuvent con^
venir aux larmes qu'elle
répandra; car elle compte
que les larmes ne luy
manqueront pas. De toutes
ces grimacesd'affliction
qu elle estudioit au
miroir, une entreautres
luy parut si plaisante à
elie-mesme,qu'ellene
put s'empescherd'enrire:
après avoir un peu
ri elle recommença son
estude,autregrimace qui
luy parut encore plus
plaifainte,illuyprit alors
des éclats de rire si violents
6c si continus que
je croy qu'elle rira tant
qu'elle fera veuve.
Ce recit accompagné
desgrimaces de la veuve
que contrefit le Filo-
(ose
,- ne fit pas seulement
sourciller le Calife.
- Le Filosofe bilieux
v&ifc.oillerreedeosut bpleicdqeubéoanus rmots ,onn'en rit point
il plaisante , de rage, Se
par de vives secoussesil
veut ébranler leCalife,
comme un voyageur alteré
qui voudroit atraper
une poire,s'efforce
d'ébranler à secousses reiterées
le poirier dont il
desire ardemment le
fruit; mais le Calife est
inebranlable, le Filosose
elt outré, & cette colere
outrée dans un Filosose
qui veut faire riredevoit
avoir son effet
, mais le
Califeenburità peine..,
Se faire sourire ne suffisoit
pas pour gagner la
bague.Dans le moment
une voléeouplustostune
épaissenuée de corneilles
vint se reposer sur ce
grand arbre à qui nous
avons comparé le Calife.
Je vishier ces mesmes,
corneilles,dit impromt tu
le Filosose
,
elles pense,
rent desesperer un brutal
distrait, qui voyant cette
nuéedetristes oiseaux
noircir les fruits & les
fleurs d'un si bel arbre,
s'irrita d'abord, & oubliant
que cette tige est
groilè comme une tour,
voulut dans son premier
mouvement secouer ce
gros arbre comme un
jeune poirier.
Imaginez-vous cet extravagantoccupé
du desir
defaire envoler ces
corneilles, transporté de
colere contre elles , il
redoubloit ses secousses
en se meurtrissant le dos
contrc le tronc de l'arbre,
comme nous voyons les
petitsenfans en colere,
frapper du poing la muraille
qui leur a fait une
bosse au front; le recit
que je vous fais n'est pas
riGble, mais je ne pûsjamais
m'empescher de rire
en voyant la chose en
original. Je croy que j'en
eusse ri comme toy, dit
le Calife, si je l'eusse veu.
Vous deviez donc rire
en me voyant en colere
vouloir pardes secousses
de plaisanteries reiterées
chasser de vostre teste les
noires corneilles,c'est-àdire,
les soucis &C les chagrinsqui
vous offuC.
quent. Je t'entens, dit le
Calife, en tirant de son.
doigt une bague, tu me
prouve que je devois rire
en voyant ta colere
,
ainsi
tu as gagné la bague..
C'est de ce conte qu'est
venu le ProverbeArabe
qui dit à propos des
grands,
grands Seigneurs, que
leur grandeur & leurs
soucis accablentde mélancolie,
Ils ontune volée
de corneillesdans la
iefle*
On
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Résumé : Conte Arabe.
Le texte relate l'histoire du Calife Arbroun, comparé à un arbre majestueux dont les racines incarnent sa puissance, la tige élevée symbolise son esprit sublime, et les fleurs et fruits représentent sa grâce et sa bienfaisance. Cependant, Arbroun est tourmenté par une mélancolie profonde qui obscurcit son esprit. Pour y remédier, il s'entoure d'un philosophe chargé de le divertir et de dissiper ses sombres pensées. Un jour, en contemplant l'arbre qui le symbolise, Arbroun exprime sa tristesse et compare son ombre à celle de l'arbre. Il promet une bague au philosophe chaque fois qu'il parviendra à le faire rire. Le philosophe, sceptique, affirme que cela est impossible, car la mélancolie du Calife est profonde. Il raconte alors l'histoire d'une veuve hypocrite qui, malgré ses efforts pour paraître affligée, finit par rire en se regardant dans un miroir. Cependant, cette histoire ne parvient pas à faire rire Arbroun. Le philosophe, frustré, utilise une métaphore des corneilles qui noircissent les fruits de l'arbre, symbolisant les soucis du Calife. Il décrit un homme en colère tentant vainement de secouer un arbre pour chasser les corneilles, se blessant lui-même dans l'effort. Cette image finit par faire sourire Arbroun, qui reconnaît alors la justesse de la comparaison et offre une bague au philosophe. Cette anecdote a donné naissance au proverbe arabe selon lequel la grandeur et les soucis des grands seigneurs les accablent de mélancolie, symbolisés par une volée de corneilles dans la tête.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 145-206
PARAPHRASE ou Explication du Tableau de la Vie humaine de Cebés Tébain de Grece disciple de Socrate, & Philosophe moral. Où l'on a suivi le sens de l'Autheur le plus exactement qu'il a esté possible, sans s'éloigner de l'esprit general de tous les peuples.
Début :
Cebés nous represente d'abord la vie humaine sous la [...]
Mots clefs :
Paraphrase, Cébès, Tableau de la vie humaine, Philosophes, Hommes, Vertus, Maux, Sciences, Chemin, Femmes, Monde, Savoir, Génie, Fortune, Courtisanes, Vices, Malheur, Moeurs et coutumes, Félicité, Leçons, Santé, Esprit, Conception, Volonté
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texteReconnaissance textuelle : PARAPHRASE ou Explication du Tableau de la Vie humaine de Cebés Tébain de Grece disciple de Socrate, & Philosophe moral. Où l'on a suivi le sens de l'Autheur le plus exactement qu'il a esté possible, sans s'éloigner de l'esprit general de tous les peuples.
PARAPHRASE
on Explication du Tableau
de la Vie humaine de Cebés
Tébain de Grece , difciple
de Socrate ,
moral.
Philofophe
Où l'on a fuivi lefens de l'Autheur le plus exactement
qu'il a efté poffible , fans
s'éloigner de l'efprit general
de tous les peuples.
CEbés nous reprefente
d'abord la vie humainefous
la figure d'un grand parc
qui renferme plufieurs reduits , avec des perfonnes
1712. Octobre. N
146 MERCURE
de toutes efpeces , tant à
l'entrée qu'au dedans de
chacun. Mais avant que de
propofer fon embléme , de
l'intelligence duquel il prétend que dépend noftre
bonheur ou noftre malheur ;il prend foin de nous
avertir , que noftre ignorance eft une espece de
Sphinx à noftre égard , par
la connoiffance obfcure &
ambiguë qu'elle nous propoſe du bien & du mal, ou
de ce qui peut eftre regardé comme de foy - mefme
indifferent. Car cette con-
GALANT. 147
noiffance devient pour
nous une énigme , laquelle
faute de pouvoir eftre penetrée, nous rend malheureux le reste de nos jours.
Au lieu que fi nous nous
appliquons à en découvrir
le fecret , nous pouvons efperer une vie exempte de
tous maux & veritable
ment heureuſe.
Noftre Philofophe nous
fait voir enſuite une grande multitude d'hommes &
de femmes à la porte de de
parc , qui fe preſentent
pour y entrer , & qui nous
Nij
148 MERCURE
marquent les enfans avant
qu'ils fortent du ventre de
leur mere pour venir au
monde. Au milieu de cet- :
te multitude on voit le Genie ou l'Intelligence , à qui
l'Autheur de la nature a
commis ( felon Cebés ) le
foin de noftre naiſſance ,
fous la figure d'un fagevieillard , qui enfeigne aux
uns & aux autres la maniere dont ils doivent fe
comporter lorfqu'ils feront
entrez dans la vie , & le
chemin qu'ils doivent teir pour y eftre heureux,
3
GALANT. 149
Mais à peine ces nouveaux
nez ont-ils paffé la porte
du parc , qu'ils oublient en
peu de temps les bonnes
leçons qu'ils ont receuës de
leur Genie ; car la convoitife qu'ils rencontrent
l'entrée de ce lieu , dont
elle eft comme la Reine , &
où elle préfide comme
dans fon throfne , les feduit bien - toft en leur faifant avaler dans une coupe qu'elle leur prefente ,
l'erreur & Pignorance. Les
nouveaux nez munis de ces
deux paffeports , s'avancent
N iij
150 MERCURE
**
dans le parc comme des
hommes enchantez les uns
plus les autres moins , à
proportion qu'ils en ont
beu. Mais ils ne vont pas
fort loin , que voicy une
troupe de femmes agreables de toutes fortes de figures qui les environnent ,
& les embraffent avec empreffement ; & ce font les
opinions , les defirs , & les
delices , par lesquelles ils
fe laiffent tous entraifner.
Les unes les emmennent
dans le chemin de la felicité , les autres dans celuy
GALANT. II
du malheur & de la perdition après les avoir feduites. Car les unes & les autres leur promettent à la
verité une vie heureuſe &
tranquille ; mais parce qu'
ils ont avalé le poiſon de
l'ignorance & de l'erreur ,
ceux qui ont efté feduits
paffent leur vie à errer ça
& là comme des perfonnes yvres , fans pouvoir jamais trouver le chemin qui
devroit les conduire au vrai
bonheur.
Cebés nous fait voir enfuite au milieu du Parcune
N iiij
152 MERCURE
eſpece de Divinité ſous la
figure d'une femme , que
l'aveuglement des hommes
a dépeinte fans yeux , &
comme fourde , & mefme
capricieuſe , parce qu'elle
enrichit les uns des biens
de ce monde , & qu'elle
ofte aux autres ceux mefme qu'elle leur avoit donnez & cela felon fa volonté, & fuivant des decrets
impenetrables. Ils l'ont
nommée la Fortune , & ont
figuré l'inconftance de fes
faveurs par une boule fur
laquelle ils la font mar-
GALANT. 153
cher à caufe des difgraces
qu'éprouvent tous les jours
ceux qui mettent leur efperance dans les biens de la
vie. Il nous reprefente donc
cette fortune comme environnée d'une grande multitude de ces hommes enyvrez du poiſon de la convoitife, qu'il nomme les ambitieux. Tous luy preſentent leurs requeſtes , mais
elle écoute les uns & rejette les autres , ce qui rend
leurs vifages tous differens ;
les uns paroiffants tres -joyeux , & les autres fort
154 MERCURE
triftes . Les premiers ſont
ceux dont les demandes
ont efté receuës favorablement , & ceux-cy la nomment bonne fortune. Les
derniers au contraire levent leurs mains vers elle
tout éplorez , parce qu'elle leur a mefme ofté ce
qu'elle leur avoit autrefois
accordé , pour le donner à
d'autres , & à caufe de cela
ils l'appellent mauvaiſe fortune. Ornoftre Philoſophe
nous fait remarquer que
ces biens qui attriſtent fi
fort les uns & réjoüiſſent
1
GALANT. ISS
4
tant les autres , font les richeffes , les honneurs , la
qualité , les defcendants ,
les commandements , les
Couronnes , & generalement tous les biens temporels ou du corps , qu'il
prétend n'eftre pas de veritables biens ; parce qu'ils
ne nous rendent en rien
plus parfaits , comme il effaye de le démontrer fur
la fin de fon emblême.
༣.
De là il nous conduit à
un premier reduit , & nous
fait voir plufieurs femmes
à la porte , parées comme
156 MERCURE,
des courtisannes , l'une fe
nomme l'intemperance ,
l'autre la luxure , une autre
l'avarice , une autre l'ambition , &c. Elles font toutes
là comme en ſentinelle ,
pour remarquer ceux à qui
la Fortune a efté favorable ,
& qu'elle a enrichis de fes
dons. Dès qu'elles en apperçoivent quelqu'un , elles
courent à luy , elles le careffent & l'embraffent , &
font tant par leurs flatteries , qu'elles l'engagent à
entrer dans leur azile, en lui
promettant une vie tran-
GALANT. 157
quille , exempte de tout ennuy , & remplie de delices.
Ceux qui font affez inconfiderez pour fe laiffer aller
No
aux promeffes de ces Sirenes , gouftent à la verité
les plaifirs de la vie pendant
un temps , ou du moins
croyent les goufter ; mais
quand par la fuite du temps
ils réfléchiffent ferieufe-'
ment fur cette maniere de
vivre , ils s'apperçoivent
qu'ils ont efté feduits ; que
ce qu'ils ont creu de folides plaiſirs , n'en avoient
tout au plus que l'apparen-
158 MERCURE
ce ; & qu'en un mot ils en
font la dupe , par la honte
qu'ils leur ont attirée , & les
malheurs où ils les ont précipitez. Car aprés avoir
confommé avec ces Courtiſannes tous les biens qu'ils
avoient receuës de la Fortune , ils fe trouvent malheureuſement reduits à devenir leurs efclaves , & à
commettre toutes les baf
feffes, & tous les crimes auf
quels ces cruelles maiftreffes les engagent. Ainfi ils
deviennent des affronteurs,
des facrileges, des parjures,
GALANT. 159
des traiftres , des larrons
& tout ce qu'on peut imaginer de plus mauvais,
A
#
>
Enfin cette vie mifera
ble n'a qu'un temps , mefme fouvent fort court
après lequel ( dit Cébés ) la
vengeance du Ciel éclate
fur eux ; alors il les livre à
la punition , que ce Philofophe nous reprefente fous
la figure d'une femme couverte de haillons , & fort
défigurée , tenant un foüet
en la main. Elle paroift
dans ce premier reduit à la
porte d'une efpece de ca-
>
160 MERCURE
chot , ou lieu ténebreux ,
dont l'afpect fait horreur ,
ayant pour compagnes la,
trifteffe , & l'angoiffe. I '
nous dépeint la premiere
la tefte panchée jufques fur
fes genoux , & la derniere
s'arrachant les cheveux.
Elle a encore pour, voiſins
les pleurs & le defefpoir
qui font des perfonnages
difformes , extenuez , tous
nuds , & horribles à voir.
C'eft entre les mains de
ces derniers qu'ils font li
vrez en dernier reffort ,
après avoir effuyé toute la
fureur
GALANT. 161
fureur des premieres . Alors
ils fe voyent accablez de
tourments & de maux , &
reduits à paffer le refte de
leurs jours dans ce cachot
affreux de la maniere la
plus miferable ; c'eſt pour
cela qu'il nomme cette pri
fon le fejour du malheur
Dans ce funefte eftat no
ftre Philofophe ne leur laiffe qu'une feule reſſource
fçavoir qu'enfin le Ciel ait
pitié d'eux , & leur envoye
le repentir pour les retirer
du gouffre de malheur où
ils fontplongez. Or le preOctobre. 1712. O
162 MERCURE
mier effet que cet heureux
repentir produit en eux , eft
de chaffer ces mauvaiſes
préventions dont ils s'eftoient laiffez préoccuper
dans leur jeuneffe , & de
leur fuggerer de plus juftes
opinions , & des defirs plus
raifonnables. Alors ils fe
trouvent avoir de l'eftime
& de l'inclination pour les
ſciences ; heureux s'ils font
affez aviſez pour choiſir la
veritable , je veux dire celle
qui enfeigne aux hommes
à regler leurs mœurs , &
qu'on appelle pour cette
GALANT. 163
raifon la Morale ! car cette
morale les purifie infailliblement de toutes leurs ha
bitudes vicieuſes , & les met
en eftat de paffer le reſte
de leur vie dans le repos &
dans la felicité , à l'abry de
tous leurs maux paffez.
Mais s'ils font au contraire affez imprudens pour
fe laiffer efbloüir par l'éclat
de la vaine ſcience , & de
la fauffe reputation , noſtre
Philofophe nous fait voir
un fecond reduit , à l'entrée.
duquel paroift une femme
fort parée , & tres- enga
O ij
164 MERCURE
geante, que les petits efprits
& le commun des hommes
nomment la ſcience , quoyque ce ne foit que la vaine
fcience. Car la plupart de
ceux qui dès l'entrée de la
vie ont fuivi la bonne route , ou ceux que le repentir
a retirez de la maifon du
malheur , defirant s'occuper le refte de leur vie aux
ſciences , donnent ordinai.
rement dans cette fauffe
ſcience. Auffi cet afile eftil rempli de Poëtes , d'Orateurs , de Dialecticiens ,
de Muficiens , d'Arithme
GALANT. 165
ticiens,de Géometres, d'Af
trologues, d'Epicuriens , de
Peripateticiens , de Critiques , & de quantité de
gens de cette nature , par-.
mi lefquels on voit encore
de ces Courtifannes du premier reduit , comme l'incontinence , l'intemperance , & leurs autres compagnes. Car ces fortes de
Sçavants en font auffi fouvént les esclaves , quoyque
plus rarement, parce qu'ils
ont plus de foin de s'occuper que les autres . Les préventions ou fauffes opi-
166 MERCURE
nions s'y meſlent auſſi , à
caufe dupoifon que la convoitife leur a fait avaler en
entrant dans la vie , qui les
empefche de connoiſtre
leur ignorance, pour ne pas
dire leur erreur. Et il n'y a
point pour eux , ſelon noftre Philofophe , d'autre
moyen de s'arracher des
pieges de ces mauvaiſes
amies , que de renoncer
pour jamais à la vaine ſcience ; car avec fon feul fe-.
cours ils ne doivent pas efperer de s'affranchir jamais
de leur joug , ny d'éviter les
GALANT. 167
malheurs de la vie.
Mais s'ils font affez heureux de rentrer dans le chemin de la verité , elle leur
fera ( dit - il ) goufter d'un
breuvage qui les purgera de
tous leurs vices , & de toutes leurs erreurs , & qui enfin les mettra dans un eſtat
de fecurité. C'eftpour cela
que noftre Philofophe nous
fait enviſager dans fon tableau un troifiéme reduit
plus élevé que les précedents , mais defert , & habité d'un tres-petit nombre
d'hommes ; la porte en eft
168 MERCURE
*
eftroite , & le chemin pour
y arriver fort ferré , & peu
frequenté ; il paroiſt de
plus difficile & efcarpé.
C'eft le chemin de la veritable ſcience , duquel l'af
pect a quelque chofe de
rude & d'effrayant. Il nous
reprefente à l'entrée de ce
lieu deux femmes d'une
fantéparfaite, pleines d'embonpoint & de vigueur
affifes fur une roche élevée ,
& escarpée de tous coſtez ,
qui tendent la main aux
paffants d'un air affable , &
avec un viſage plein de ſerenité :
f
GALANT. 169
renité ; l'une d'elle fe nomme la conftance , & l'autre
la continence. Ce font deux
fœurs toutes aimables , qui
invitent les paſſants à s'approcher d'elles , à s'armer
de courage , & à ne ſe laiffer
pas vaincre par une laſche
timidité , leur promettant
de les faire entrer dans un
chemin de delices , aprés
qu'ils auront furmonté
quelques legeres difficultez , qui feront bien toft
diffipées . Et pour leur en
faciliter le moyen , elles
veulent bien defcendre
Octobre.
1712. Р
170 MERCURE
quelques marches de ce
précipice où elles font , afin
de leur donner la main , &
de les attirer au deffus.
Là elles les font reſpirer
en leur donnant pour compagnes la force & l'efperance , & leur promettant
de les faire bien- toft arri-:
ver à la veritable ſcience.
Et pour les encourager davantage , elles leur font enviſager combien le chemin
en eft agréable , aisé , &
exempt de tous dangers.
Ce chemin conduit à un
quatriéme & dernier re-
GALANT. 171
*
duit renfermé dans le précedent; c'eft un fejour char-
'mantfemblable à une grande prairie , & fort éclairée
des rayons du Soleil ; on le
nomme le fejour des hom
mes heureux , parce que
toutes les vertus y habitent ,
& que c'est la demeure de
la felicité. Il paroiſt à l'entrée une Dame fort gra
cieuſe avec un viſage égal ,
& dans un âge peu avancé;
fon habit eft fimple &fans
ornemens eftrangers ; elle
eft affife fur une pierre ferme & d'une large affiette ;
Pij
172 MERCURE
c'efl la veritableſcience qui
eft accompagnée de ces
deux filles , dont une s'ap-:
pelle la verité , & l'autre la
perfuafion. Son fiege tefmoigne affez qu'il eft feur
de le fier à elle , & que fes
biens font conftants. Mais
qui font ces biens ( dit Cebés ) ce font la confiance ,
la privation d'ennuis , la
conviction que rien ne peut
deformais leur nuire. Or
cette honnefte mere eft à
l'entrée de cet afile pour
guerir les hoftes qui luy arrivent , enleur faifant pren-
GALANT. 173
-dreune potion cordiale qui
les purifie de toutes les imperfections qu'ils avoient
contractées en paſſant par
les premiers reduits , telles
que l'ignorance , l'erreur ,
la prévention , l'arrogance,
l'incontinence , la colere ,
l'avarice , & les autres vices : après quoy elle les
fait entrer dans le fejour
des vertus.
Or noftre Philofophe
nous reprefente ces vertus
fous la forme de Damesfages & belles , fans aucun
fard ny ajuftemens , en un
P iij
174 MERCURE
motfort differentes des premieres ; on les nomme la
pieté , la juftice , l'integrité , la temperance , la modeftie , la liberalité , la clemence , &c. Après donc
que les vertus ont admis
ces nouveaux hoftes dans
leur focieté , elles n'en demeurent pas là ; mais Cebés nous fait enviſager une
eſpece de donjon en forme
de citadelle au milieu de
ce dernier reduit , & fur
l'endroit le plus eflevé ; c'eſt
le palais de la felicité , la
mere de toutes les vertus ;
GALANT. 175
c'eft dans ce fejour heureux qu'elles les introduifent pour les prefenter à
leur mere. Au refte il dépeint cette mere comme
une Reine affife fur un
throfne à l'entrée de fon
palais , qui eftant parfaitement belle , & dans un âge
de confiſtance , eſt ornée
d'une manière honnefte ;
& fans fafte , ayant la tefte
ceinte d'une couronne de
fleurs , avecun air plein de
majefté. Cette Dame &
fes filles les vertus couronnent ceux qui s'élevent juf
P
iiij
176 MERCURE
ques à elles , comme des
Héros qui ont remporté de
grandes victoires fur diffe .
rens monftres qui leur faifoient la guerre ; & elles
leur adjouftent de nouvelles forces pour domptér
des ennemis , qui auparavant les reduifoient en fervitude , & les dévoroient
aprés leur avoir fait fouffrir
plufieurs divers tourments.
Ces monftres font l'ignorance & l'erreur , la douleur , & la trifteffe , l'avarice , l'intemperance , & en
general tous les vices. Ce
GALANT. 177
font là les ennemis aufquels
ils commandent dorefnavant; bien loin de leur obeir
&de leur eftre foumis comme autrefois. Mais ce n'eft
pas tout cette couronne
que nos Héros ont receuë ,
outre la force qu'elle leur
donne , les rend encore
bienheureux, & les affran
chit de tous les maux de la
vie , en leur apprenant à ne
plus mettre leur felicité
dans les biens paffagers ,
mais uniquement dans la
poffeffion de la vertu , &
dans la joye de la bonne
confcience.
178 MERCURE
Apres que ces hommes
vertueux ont efté ainfi couronnez , Cebés les fait revenir accompagnez de toutes les vertus dans les lieux
par où ils ont paffé autrefois. Là ces fages guides
leur font voir tous ceux qui
menent une vie miſerable,
errants çà là , tousjours
prefts à faire nauffrage , &
tousjours esclaves de leurs
ennemis , les uns de l'incontinence , d'autres de la
fuperbe , les autres de l'avarice , ou du defir de la
vaine gloire , d'autres enfin
GALANT. 179
"
par d'autres vices fans
pouvoir jamais d'eux- meſmes s'affranchir de leur fervitude , ny parvenir au ſejour des vertus , & au palais de la felicité.. La caufe de ce malheur , ( dit noſtre Philofophe ) vient de
ce qu'ils ont oublié le chemin que leur Génie tuter
laire leur avoit enfeigné, &
les préceptes qu'il leur avoit
donnez avant qu'ils entraf
fent dans le monde. C'eſt
alors que ces nouveaux éleves prennent une veritable connoiffance du bien
180 MERCURE
& du mal ; au lieu de l'ignorance & de l'erreur où
ils avoient vefcu pendant
leur aveuglement , qui leur
faifoit eftimer un bien ce
qui veritablement eftoit un
mal , & prendre pour un
mal ce qui eftoit un bien ,
& les engageoit par là dans
une vie déreglée & perverfe , & cette connoiffance
regle leurs mœurs , & les
fait profiter des folies des
autres. Aprés quoy , dit
Cebés , ils peuvent aller
fans crainte où ils veulent ,
parce qu'ils font par tout
GALANT. 181
,
à l'abri de leurs ennemis ,
& qu'en quelque lieu qu'ils
aillent ils font affeurez d'y
vivre dans la droiture de
cœur & dans l'amour de
la vertu , exempts de tout
peril & de toutes fortes de
maux. De plus chacun fe
fait un plaifir, de les recevoir, comme un malade en
reffent lorfque fon medecin
le vient voir. Outre qu'ils
n'ont plus à craindre ces
beftes fauvages qui leur faifoient auparavantuneguerre fi cruelle ; puifque ny
la douleur , ny les chagrins,
182 MERCURE
ny l'incontinence , ny l'avarice, ny la pauvreté n'ont
plus aucun pouvoir fur leur
efprit pour luy faire perdre
l'amour de la verité.
Cebés nous fait remarquer enfuite une autre ef
pece d'hommes qui defcendent auffi de l'afile des vertus fans aucunes couronnes , mais au contraire avec
des vifages de defefperez ,
des cheveux arrachez , &
quifont enchaifnez par des
femmes. Ce font ou ceux
qui eftant arrivez à la veritable ſcience , en ont efté
GALANT. 18 ;
mal receus , comme en eftant indignes ; ou ceux qui
ont manqué de courage
lorfqu'ils ontvoulu s'eflever
fur la roche , où la conf
tance les invitoit de monter , & qui ayant lafché le
pied honteufement , demeurent vagabonds , fans
fçavoir où ils doivent aller.
Les uns & les autres de-.
viennent la proye des chagrins , des angoiffes , dul
deſeſpoir, de la honte & de
l'ignorance ; & pour furcroift de malheur ils retournent au parc de la lu-
184 MERCURE
xure & de l'intemperance ,
oùces infenfez maudiffent
le refte de leurs jours la
veritable ſcience , & les ve
ritables fçavants, regardant
ces derniers comme des
malheureux, qui ne fçavent
pas goufter les plaifirs , &
joüir de la vie comme eux ,
bien loin de fentir euxmefmes l'eftat déplorable
où ils fe font plongez, Car
la brutalité dont ils font
aveuglez , fait qu'ils mettent leur fouverain bien
dans la gourmandiſe , dans
le luxe & dans l'incontiEnfin nence.
GALANT. 185
Enfin noftre Philofophe
entre dans un plus grand
détail fur ce qu'il prétend
que le Génie de chaque
homme luy infinuë avant
fa naiffance. Premieremenp
il leur donne avis ( dit-il
de s'armer de courage , &
de conftance, comme ayant
plufieurs combats à fouftenir dans le monde lorfqu'ils
y
feront entrez : feconde-l
ment il les exhorte à né
point mettre leur efperance dans les biens temporels & paffagers , que la
fortune donne & ofte à fon
Octobre. 1712,
C
i
186 MERCURE
gré , & parconfequent de
ne s'abandonner point à la
joye , quand elle nous les
envoye , ou à la trifteffe
quand elle les retire , parce
qu'elle en ufe comme d'un
bien qui eft à elle , & non
pasà nous. C'eſt pourquoy
il nous avertit de ne reffembler pas ces mauvais Banquiers qui ayant receu.
Fargent d'autruy , le regardent comme leur appartenant, & en ont la meſme
joye que s'il eftoid à eux en
propre , & qui quand on
le repete s'en trouvent auſſi
GALANT. 187
offenfez, & en conçoivent
autant de chagrin que fi
on le leur raviffoit mais
de recevoir au contraire
avec reconnoiffance les
biens temporels qu'il luy
plaiſt de nous départir , &
de nous en fervir pour ar
river en hafte à la fource
feconde & certaine de tous
les biens, qui eft la veritable
fcience , c'est-à - dire , la
fcience qui peut nous rendre heureux. Ainfi nous
devons ( dit il ) éviter d'abord foigneusement les
courtiſannes done on apar-
-
Q ij
188 MERCURE
lé , fçavoir l'intemperance,
la luxure , & les autres vi-
& prendre garde de ces
nous laiffer enchanter de
leurs attraits. ។
A l'égard de la vaine
ſcience nous pouvons luy
donner , felon luy , quelques années de notre vie ,
& prendre quelques -unes
de fes leçons pour nous aider à paffer outre , car nous
devons nous hafter d'arriver à la veritable ſcience ,
& à la pratique des vertus
le pluftoft que nous pourrons , & regarder tout le
GALANT. 189
temps que nous employons
à autre chofe , comme autant de rabbatu fur la durée de noftre felicité.
Tous les emblefmes eftant finis , Cebés examine
quelles font les leçons qu'-
on peut tirer de la vaine
fcience, & conclud que ce
font les Lettres & les autres
difciplines , que Platon dit
eftre le frein des fougues
de la jeuneffe. Il prétend
au refte que ces leçons ne
font point abfolument neceffaires pour acquerir la
morale , & qu'on doit les
190 MERCURE
regarderſeulement comme
des moyens pour y arriver
plus communément, mais
qui ne nousfervent de rien
pour augmenteren nous la
vertu: &la raiſon qu'il en ap
porte, c'eſt qu'on peut eftre
vertueux fans elles , comme
l'experience journaliere le
confi me. On ne doit pas
cependant, felon luy,les re
garder commeinutiles . Car
(dit il ) quoy qu'on puiſſe
abſolument entendre une
langue estrangere avec le
fecours feul d'un Interpre
te , on ne laiſſe pas de trou-
GALANT. 191
ver quelque foulagement
& quelque ſatisfaction lors
qu'on peut encore y joindre fa propre connoiffan
ce. Il en eft de mefme de
la vaine fcience qu'on ne
doit regarder que comme
un fecours pour arriver plus
aisément à la veritable.
De là noſtre Philoſophe
tire cette fafcheufe confequence contre les faux fçavants , qui prétendent s'attribuer quelque préference
fur les autres hommes , fçavoir qu'ils n'ont là aucun avantage pour devenir
par
192 MERCURE
plus parfaits qu'eux ; puifqu'il eft conftant qu'ils ne
jugent pas plus fainement
du bien & du mal que le
refte des hommes , & qu'ils
font fujets aux meſmes vices; car qui empefche ( ditil ) d'eftre lettré , de poffe
der toutes les fciences vaines , & d'eftre cependant
toujours un yvrogne , un
intemperant , un avaricieux , un calomniateur, un
traiftre , & en un mot un
infensé, puifque ces fortes
de fciences ne s'occupent
point à la connoiffance des
vertus ,
GALANT. 193
7
vertus & des vices La cau
fe de ce malheur , dit noftre Philofophe , vient de
ce que ces fortes de fça
vants ont la vanité de croi
re fçavoir ce qu'effectivement ils ignorent : c'eft ce
qui les rend indociles &
pareffeux à fe faire inftruire de la veritable ſcience,
D'un autre cofté ils font
fujets comme le reſte des
hommes à fe laiffer emporter par leurs fauffes préventions qui les rendent
opiniaftres & intraitables.
De forte qu'ils ne ſçauOctobre 1712.
R
194 MERCURE
roient fe flatter d'avoir aucun avantage ſur eux ,
moins que le Ciel ne leur
à
envoye quelque rayon de
lumiere qui leur faffe connoiftre la vanité de leur
fcience , & les porte à rechercher la verité.
Enfin Cebés prouve la
propofition qu'il a avancée au commencement de
fon difcours , fçavoir que
les dons de lafortune, com+
me la vie , la fanté , les richeffes , la nobleſſe , les
honneurs , les victoires , &
les autres biens temporels
GALANT. 195
ne font pas de veritables
biens ; ny par confequent
les maux qui leur font oppofez, commeles maladies,
la mort mefme , &c. ne
font pas deveritables maux;
maisil prétend aucontraire
que toutes ces chofes d'elles-mefmesfont indifferentes pour noftre perfection.
La vie , dit - il , eft un bien
à celuy qui vit bien , & c'eſt
fans doute unmal à l'égard
de celuy qui fe comporte
mal, par les maux aufquels
elle l'expofe toft ou tard.
D'un autre cofté la vie eft
R ij
196 MERCURE
commune aux meſchants
comme aux bons , aux malheureux commeà ceux qui
font heureux , d'où il conclud que la vie en elle meſme eft une chofe indifferente. De mefme que de
couper un bras à un hom-
-me qui fe porte bien , eft
pour luy un mal ; & c'eſt
rau contraire un bien à celuy
qui a la gangrenne , d'où il
fuit que l'amputation d'un
bras eft une chofe qui n'eft
abfolument parlant , ou en
foy, nybonne n'y mauvaiſe.
Il rafonne de melme des
GALANT. 197
richeffes , de la fanté, & des
autres biens du corps : car
ilferoit, dit il , tres- louvent
à defirer pour celuy qui a
fait un mauvais coup , qu'il
euft efté malade pendant le
temps qu'il l'a fait ; c'eft
pourquoy la fanté eft en
ce cas un vray mal pour
luy , quoyque ce foit d'ailleurs un bien pour les honneftes gens. A l'égard des
richeffes on voit fouvent.
que ceux qui les poffedent
ne font pas les plus heureux ny les plus honneftes.
gens ; d'où il faut conclure
Riij.
198 MERCURE
&
qu'elles ne fervent de rien
pour noftre felicité
qu'ainfi par elles mefmes
elles ne font pas un bien
pluftoft qu'un mal , puifqu'il feroit à fouhaitter pour
ceux qui n'en fçavent pas
ufer , qu'ils en fuffent privez à caufe des miferes qu'-
elles leur attirent.
Noftre Philofophe conclud en difant qu'on peut
appeller les biens temporels, des biens pourceux qui
fçavent s'en bien fervir , &
des maux à l'égard de ceux
qui en font un mauvais ufa-
GALANT. 199
ge , & finit en remarquant
que ce qui nous trouble &
nous agite en cette vie c'eft
le faux jugement que nous
portons fur les biens & fur
les maux temporels , fur lequelfauxjugement nous reglons enfuite toute la conduite de noftre vie pour le
bien ou pour le mal; & cela
parce que nous ne travaillons pas affez à connoiſtre
l'un & l'aure.
On connoift affez au
refte par cet exposé que les
mefmes inclinations & les
mefmes vices qui dominent
R iiij
200 MERCURE
aujourd'huy , regnoient dès
ces premiers temps , & que
la Providence a toujours eu
foin de faire naiftre des
hommes , qui au milieu de
la corruption de leur fiecle
rendiſſent teſmoignage à
la vertu & aux veritez morales , afin qu'elles n'en
fuffent pas entierement étouffées , & afin que les
hommes dépravez n'euffent pas à fe plaindre d'avoir manqué d'inftructions,
& mefme d'exemples pour
les mettre en pratique , &
d'avertiffements pour con-
GALANT. 201
noiftre les fuites fafcheufes
des paffions & des vices ,
& pour en concevoir de
l'horreur. Mais ce que nous
devions , ce mefemble , admirer icy le plus , ce font
ces repentirs & ces rayons
de lumiere que Cebés reconnoift eftre envoyez du
Ciel pour retirer les hommes de l'esclavage de leurs
paffions , & les faire rentrer dans le fein des vertus. Certes fila chofe eftoit
telle dans ces temps du pai
ganisme , plus de trois cens
ans avant la venue du Mef-
202 MERCURE
fie , comme il femble qu'on
n'en puiffe douter , par le
recit de cet autheur , je ne
crois pas qu'on puiſſe douter auffi que le Ciel n'exerçaft fes mifericordes fur
ces peuples corrompus , de
mefme que fur le peuple
Juif: car effectivement que
peut il y avoir qu'une lumiere divine qui faffe connoiftre à l'efprit de l'homme la vanité des voluptez ,
& qui luy faffe diftinguer
la vaine ſcience de la veri
table , & les vicès des vertus ? L
GALANT. 203
A l'égard du Génie que
Cebés a creu préfider à noftre conception , & nous
inftruire dès le ventre de
noftre mere de nos devoirs
pour la vie à laquelle nous
fommes deftinez , on ne
fçauroit , ce me femble ,
penfer que ce foit autre
que la lumiere de la
raifon où l'ame raiſonnable que Dieu met dans le
corps dés qu'elle peut y
exercer fes fonctions , la
quelle lumiere feroit fuffifante pour nous faire éviter
tous les écueils des paffions
chofe
204 MERCURE
& des vices , fans les fauffes
préventions aufquelles nous
nous abandonnons pendant la jeuneffe , au lieu de
confulter la lumiere de noftre raison. Quand à la fortune qui, felon luy , difpenfe les biens temporels & les
maux à fon gré , on voit
affez qu'on ne peut entendre par là , que la Provi
dence qui a créé toutes chofes , à qui par confequent
toutes chofes appartiennent en propre , & qui ef
tant la maiftrelle du fort
des hommes , en peut difC
GALANT. 203
poſer felon fa volonté. De
plus lorsqu'il nous dit que
la douleur , les chagrins , la
pauvreté , &c. n'ont plus
d'empire fur l'homme devenu vertueux , il nous fait
connoiftre combien eftoit
grande la fecurité , la confiance , la conſtance , & là
tranquillité de l'efprit de
l'honnefte homme , & que
les hommes vertueux de ce
temps là participoient dès
ce monde aux recompenfes des veritablesChrêtiens,
parce qu'ils pratiquoientles
-mefmes bonnes œuvres.
206 MERCURE
Car quoyqu'ils ne conneuffent pas Dieu auffi clairement , & qu'ils ne le creuffent peut-eftre pas auffi prefent à toutes leurs démarches que nous , ils ne laiffoient pas d'envisager la
vertucomme la loy de l'Autheur de la nature , gravée
dans le cœur des hommes,
& d'eftre perfuadez que
ceux- là offenfoient Dieu
qui trahiſſoient la vertu
ainfi ils pratiquoient la ver.
tu dans la veuë de plaire à
Dieu , d'où naiflóit dès ce
monde la joye & la ferenité de leur conſcience.
on Explication du Tableau
de la Vie humaine de Cebés
Tébain de Grece , difciple
de Socrate ,
moral.
Philofophe
Où l'on a fuivi lefens de l'Autheur le plus exactement
qu'il a efté poffible , fans
s'éloigner de l'efprit general
de tous les peuples.
CEbés nous reprefente
d'abord la vie humainefous
la figure d'un grand parc
qui renferme plufieurs reduits , avec des perfonnes
1712. Octobre. N
146 MERCURE
de toutes efpeces , tant à
l'entrée qu'au dedans de
chacun. Mais avant que de
propofer fon embléme , de
l'intelligence duquel il prétend que dépend noftre
bonheur ou noftre malheur ;il prend foin de nous
avertir , que noftre ignorance eft une espece de
Sphinx à noftre égard , par
la connoiffance obfcure &
ambiguë qu'elle nous propoſe du bien & du mal, ou
de ce qui peut eftre regardé comme de foy - mefme
indifferent. Car cette con-
GALANT. 147
noiffance devient pour
nous une énigme , laquelle
faute de pouvoir eftre penetrée, nous rend malheureux le reste de nos jours.
Au lieu que fi nous nous
appliquons à en découvrir
le fecret , nous pouvons efperer une vie exempte de
tous maux & veritable
ment heureuſe.
Noftre Philofophe nous
fait voir enſuite une grande multitude d'hommes &
de femmes à la porte de de
parc , qui fe preſentent
pour y entrer , & qui nous
Nij
148 MERCURE
marquent les enfans avant
qu'ils fortent du ventre de
leur mere pour venir au
monde. Au milieu de cet- :
te multitude on voit le Genie ou l'Intelligence , à qui
l'Autheur de la nature a
commis ( felon Cebés ) le
foin de noftre naiſſance ,
fous la figure d'un fagevieillard , qui enfeigne aux
uns & aux autres la maniere dont ils doivent fe
comporter lorfqu'ils feront
entrez dans la vie , & le
chemin qu'ils doivent teir pour y eftre heureux,
3
GALANT. 149
Mais à peine ces nouveaux
nez ont-ils paffé la porte
du parc , qu'ils oublient en
peu de temps les bonnes
leçons qu'ils ont receuës de
leur Genie ; car la convoitife qu'ils rencontrent
l'entrée de ce lieu , dont
elle eft comme la Reine , &
où elle préfide comme
dans fon throfne , les feduit bien - toft en leur faifant avaler dans une coupe qu'elle leur prefente ,
l'erreur & Pignorance. Les
nouveaux nez munis de ces
deux paffeports , s'avancent
N iij
150 MERCURE
**
dans le parc comme des
hommes enchantez les uns
plus les autres moins , à
proportion qu'ils en ont
beu. Mais ils ne vont pas
fort loin , que voicy une
troupe de femmes agreables de toutes fortes de figures qui les environnent ,
& les embraffent avec empreffement ; & ce font les
opinions , les defirs , & les
delices , par lesquelles ils
fe laiffent tous entraifner.
Les unes les emmennent
dans le chemin de la felicité , les autres dans celuy
GALANT. II
du malheur & de la perdition après les avoir feduites. Car les unes & les autres leur promettent à la
verité une vie heureuſe &
tranquille ; mais parce qu'
ils ont avalé le poiſon de
l'ignorance & de l'erreur ,
ceux qui ont efté feduits
paffent leur vie à errer ça
& là comme des perfonnes yvres , fans pouvoir jamais trouver le chemin qui
devroit les conduire au vrai
bonheur.
Cebés nous fait voir enfuite au milieu du Parcune
N iiij
152 MERCURE
eſpece de Divinité ſous la
figure d'une femme , que
l'aveuglement des hommes
a dépeinte fans yeux , &
comme fourde , & mefme
capricieuſe , parce qu'elle
enrichit les uns des biens
de ce monde , & qu'elle
ofte aux autres ceux mefme qu'elle leur avoit donnez & cela felon fa volonté, & fuivant des decrets
impenetrables. Ils l'ont
nommée la Fortune , & ont
figuré l'inconftance de fes
faveurs par une boule fur
laquelle ils la font mar-
GALANT. 153
cher à caufe des difgraces
qu'éprouvent tous les jours
ceux qui mettent leur efperance dans les biens de la
vie. Il nous reprefente donc
cette fortune comme environnée d'une grande multitude de ces hommes enyvrez du poiſon de la convoitife, qu'il nomme les ambitieux. Tous luy preſentent leurs requeſtes , mais
elle écoute les uns & rejette les autres , ce qui rend
leurs vifages tous differens ;
les uns paroiffants tres -joyeux , & les autres fort
154 MERCURE
triftes . Les premiers ſont
ceux dont les demandes
ont efté receuës favorablement , & ceux-cy la nomment bonne fortune. Les
derniers au contraire levent leurs mains vers elle
tout éplorez , parce qu'elle leur a mefme ofté ce
qu'elle leur avoit autrefois
accordé , pour le donner à
d'autres , & à caufe de cela
ils l'appellent mauvaiſe fortune. Ornoftre Philoſophe
nous fait remarquer que
ces biens qui attriſtent fi
fort les uns & réjoüiſſent
1
GALANT. ISS
4
tant les autres , font les richeffes , les honneurs , la
qualité , les defcendants ,
les commandements , les
Couronnes , & generalement tous les biens temporels ou du corps , qu'il
prétend n'eftre pas de veritables biens ; parce qu'ils
ne nous rendent en rien
plus parfaits , comme il effaye de le démontrer fur
la fin de fon emblême.
༣.
De là il nous conduit à
un premier reduit , & nous
fait voir plufieurs femmes
à la porte , parées comme
156 MERCURE,
des courtisannes , l'une fe
nomme l'intemperance ,
l'autre la luxure , une autre
l'avarice , une autre l'ambition , &c. Elles font toutes
là comme en ſentinelle ,
pour remarquer ceux à qui
la Fortune a efté favorable ,
& qu'elle a enrichis de fes
dons. Dès qu'elles en apperçoivent quelqu'un , elles
courent à luy , elles le careffent & l'embraffent , &
font tant par leurs flatteries , qu'elles l'engagent à
entrer dans leur azile, en lui
promettant une vie tran-
GALANT. 157
quille , exempte de tout ennuy , & remplie de delices.
Ceux qui font affez inconfiderez pour fe laiffer aller
No
aux promeffes de ces Sirenes , gouftent à la verité
les plaifirs de la vie pendant
un temps , ou du moins
croyent les goufter ; mais
quand par la fuite du temps
ils réfléchiffent ferieufe-'
ment fur cette maniere de
vivre , ils s'apperçoivent
qu'ils ont efté feduits ; que
ce qu'ils ont creu de folides plaiſirs , n'en avoient
tout au plus que l'apparen-
158 MERCURE
ce ; & qu'en un mot ils en
font la dupe , par la honte
qu'ils leur ont attirée , & les
malheurs où ils les ont précipitez. Car aprés avoir
confommé avec ces Courtiſannes tous les biens qu'ils
avoient receuës de la Fortune , ils fe trouvent malheureuſement reduits à devenir leurs efclaves , & à
commettre toutes les baf
feffes, & tous les crimes auf
quels ces cruelles maiftreffes les engagent. Ainfi ils
deviennent des affronteurs,
des facrileges, des parjures,
GALANT. 159
des traiftres , des larrons
& tout ce qu'on peut imaginer de plus mauvais,
A
#
>
Enfin cette vie mifera
ble n'a qu'un temps , mefme fouvent fort court
après lequel ( dit Cébés ) la
vengeance du Ciel éclate
fur eux ; alors il les livre à
la punition , que ce Philofophe nous reprefente fous
la figure d'une femme couverte de haillons , & fort
défigurée , tenant un foüet
en la main. Elle paroift
dans ce premier reduit à la
porte d'une efpece de ca-
>
160 MERCURE
chot , ou lieu ténebreux ,
dont l'afpect fait horreur ,
ayant pour compagnes la,
trifteffe , & l'angoiffe. I '
nous dépeint la premiere
la tefte panchée jufques fur
fes genoux , & la derniere
s'arrachant les cheveux.
Elle a encore pour, voiſins
les pleurs & le defefpoir
qui font des perfonnages
difformes , extenuez , tous
nuds , & horribles à voir.
C'eft entre les mains de
ces derniers qu'ils font li
vrez en dernier reffort ,
après avoir effuyé toute la
fureur
GALANT. 161
fureur des premieres . Alors
ils fe voyent accablez de
tourments & de maux , &
reduits à paffer le refte de
leurs jours dans ce cachot
affreux de la maniere la
plus miferable ; c'eſt pour
cela qu'il nomme cette pri
fon le fejour du malheur
Dans ce funefte eftat no
ftre Philofophe ne leur laiffe qu'une feule reſſource
fçavoir qu'enfin le Ciel ait
pitié d'eux , & leur envoye
le repentir pour les retirer
du gouffre de malheur où
ils fontplongez. Or le preOctobre. 1712. O
162 MERCURE
mier effet que cet heureux
repentir produit en eux , eft
de chaffer ces mauvaiſes
préventions dont ils s'eftoient laiffez préoccuper
dans leur jeuneffe , & de
leur fuggerer de plus juftes
opinions , & des defirs plus
raifonnables. Alors ils fe
trouvent avoir de l'eftime
& de l'inclination pour les
ſciences ; heureux s'ils font
affez aviſez pour choiſir la
veritable , je veux dire celle
qui enfeigne aux hommes
à regler leurs mœurs , &
qu'on appelle pour cette
GALANT. 163
raifon la Morale ! car cette
morale les purifie infailliblement de toutes leurs ha
bitudes vicieuſes , & les met
en eftat de paffer le reſte
de leur vie dans le repos &
dans la felicité , à l'abry de
tous leurs maux paffez.
Mais s'ils font au contraire affez imprudens pour
fe laiffer efbloüir par l'éclat
de la vaine ſcience , & de
la fauffe reputation , noſtre
Philofophe nous fait voir
un fecond reduit , à l'entrée.
duquel paroift une femme
fort parée , & tres- enga
O ij
164 MERCURE
geante, que les petits efprits
& le commun des hommes
nomment la ſcience , quoyque ce ne foit que la vaine
fcience. Car la plupart de
ceux qui dès l'entrée de la
vie ont fuivi la bonne route , ou ceux que le repentir
a retirez de la maifon du
malheur , defirant s'occuper le refte de leur vie aux
ſciences , donnent ordinai.
rement dans cette fauffe
ſcience. Auffi cet afile eftil rempli de Poëtes , d'Orateurs , de Dialecticiens ,
de Muficiens , d'Arithme
GALANT. 165
ticiens,de Géometres, d'Af
trologues, d'Epicuriens , de
Peripateticiens , de Critiques , & de quantité de
gens de cette nature , par-.
mi lefquels on voit encore
de ces Courtifannes du premier reduit , comme l'incontinence , l'intemperance , & leurs autres compagnes. Car ces fortes de
Sçavants en font auffi fouvént les esclaves , quoyque
plus rarement, parce qu'ils
ont plus de foin de s'occuper que les autres . Les préventions ou fauffes opi-
166 MERCURE
nions s'y meſlent auſſi , à
caufe dupoifon que la convoitife leur a fait avaler en
entrant dans la vie , qui les
empefche de connoiſtre
leur ignorance, pour ne pas
dire leur erreur. Et il n'y a
point pour eux , ſelon noftre Philofophe , d'autre
moyen de s'arracher des
pieges de ces mauvaiſes
amies , que de renoncer
pour jamais à la vaine ſcience ; car avec fon feul fe-.
cours ils ne doivent pas efperer de s'affranchir jamais
de leur joug , ny d'éviter les
GALANT. 167
malheurs de la vie.
Mais s'ils font affez heureux de rentrer dans le chemin de la verité , elle leur
fera ( dit - il ) goufter d'un
breuvage qui les purgera de
tous leurs vices , & de toutes leurs erreurs , & qui enfin les mettra dans un eſtat
de fecurité. C'eftpour cela
que noftre Philofophe nous
fait enviſager dans fon tableau un troifiéme reduit
plus élevé que les précedents , mais defert , & habité d'un tres-petit nombre
d'hommes ; la porte en eft
168 MERCURE
*
eftroite , & le chemin pour
y arriver fort ferré , & peu
frequenté ; il paroiſt de
plus difficile & efcarpé.
C'eft le chemin de la veritable ſcience , duquel l'af
pect a quelque chofe de
rude & d'effrayant. Il nous
reprefente à l'entrée de ce
lieu deux femmes d'une
fantéparfaite, pleines d'embonpoint & de vigueur
affifes fur une roche élevée ,
& escarpée de tous coſtez ,
qui tendent la main aux
paffants d'un air affable , &
avec un viſage plein de ſerenité :
f
GALANT. 169
renité ; l'une d'elle fe nomme la conftance , & l'autre
la continence. Ce font deux
fœurs toutes aimables , qui
invitent les paſſants à s'approcher d'elles , à s'armer
de courage , & à ne ſe laiffer
pas vaincre par une laſche
timidité , leur promettant
de les faire entrer dans un
chemin de delices , aprés
qu'ils auront furmonté
quelques legeres difficultez , qui feront bien toft
diffipées . Et pour leur en
faciliter le moyen , elles
veulent bien defcendre
Octobre.
1712. Р
170 MERCURE
quelques marches de ce
précipice où elles font , afin
de leur donner la main , &
de les attirer au deffus.
Là elles les font reſpirer
en leur donnant pour compagnes la force & l'efperance , & leur promettant
de les faire bien- toft arri-:
ver à la veritable ſcience.
Et pour les encourager davantage , elles leur font enviſager combien le chemin
en eft agréable , aisé , &
exempt de tous dangers.
Ce chemin conduit à un
quatriéme & dernier re-
GALANT. 171
*
duit renfermé dans le précedent; c'eft un fejour char-
'mantfemblable à une grande prairie , & fort éclairée
des rayons du Soleil ; on le
nomme le fejour des hom
mes heureux , parce que
toutes les vertus y habitent ,
& que c'est la demeure de
la felicité. Il paroiſt à l'entrée une Dame fort gra
cieuſe avec un viſage égal ,
& dans un âge peu avancé;
fon habit eft fimple &fans
ornemens eftrangers ; elle
eft affife fur une pierre ferme & d'une large affiette ;
Pij
172 MERCURE
c'efl la veritableſcience qui
eft accompagnée de ces
deux filles , dont une s'ap-:
pelle la verité , & l'autre la
perfuafion. Son fiege tefmoigne affez qu'il eft feur
de le fier à elle , & que fes
biens font conftants. Mais
qui font ces biens ( dit Cebés ) ce font la confiance ,
la privation d'ennuis , la
conviction que rien ne peut
deformais leur nuire. Or
cette honnefte mere eft à
l'entrée de cet afile pour
guerir les hoftes qui luy arrivent , enleur faifant pren-
GALANT. 173
-dreune potion cordiale qui
les purifie de toutes les imperfections qu'ils avoient
contractées en paſſant par
les premiers reduits , telles
que l'ignorance , l'erreur ,
la prévention , l'arrogance,
l'incontinence , la colere ,
l'avarice , & les autres vices : après quoy elle les
fait entrer dans le fejour
des vertus.
Or noftre Philofophe
nous reprefente ces vertus
fous la forme de Damesfages & belles , fans aucun
fard ny ajuftemens , en un
P iij
174 MERCURE
motfort differentes des premieres ; on les nomme la
pieté , la juftice , l'integrité , la temperance , la modeftie , la liberalité , la clemence , &c. Après donc
que les vertus ont admis
ces nouveaux hoftes dans
leur focieté , elles n'en demeurent pas là ; mais Cebés nous fait enviſager une
eſpece de donjon en forme
de citadelle au milieu de
ce dernier reduit , & fur
l'endroit le plus eflevé ; c'eſt
le palais de la felicité , la
mere de toutes les vertus ;
GALANT. 175
c'eft dans ce fejour heureux qu'elles les introduifent pour les prefenter à
leur mere. Au refte il dépeint cette mere comme
une Reine affife fur un
throfne à l'entrée de fon
palais , qui eftant parfaitement belle , & dans un âge
de confiſtance , eſt ornée
d'une manière honnefte ;
& fans fafte , ayant la tefte
ceinte d'une couronne de
fleurs , avecun air plein de
majefté. Cette Dame &
fes filles les vertus couronnent ceux qui s'élevent juf
P
iiij
176 MERCURE
ques à elles , comme des
Héros qui ont remporté de
grandes victoires fur diffe .
rens monftres qui leur faifoient la guerre ; & elles
leur adjouftent de nouvelles forces pour domptér
des ennemis , qui auparavant les reduifoient en fervitude , & les dévoroient
aprés leur avoir fait fouffrir
plufieurs divers tourments.
Ces monftres font l'ignorance & l'erreur , la douleur , & la trifteffe , l'avarice , l'intemperance , & en
general tous les vices. Ce
GALANT. 177
font là les ennemis aufquels
ils commandent dorefnavant; bien loin de leur obeir
&de leur eftre foumis comme autrefois. Mais ce n'eft
pas tout cette couronne
que nos Héros ont receuë ,
outre la force qu'elle leur
donne , les rend encore
bienheureux, & les affran
chit de tous les maux de la
vie , en leur apprenant à ne
plus mettre leur felicité
dans les biens paffagers ,
mais uniquement dans la
poffeffion de la vertu , &
dans la joye de la bonne
confcience.
178 MERCURE
Apres que ces hommes
vertueux ont efté ainfi couronnez , Cebés les fait revenir accompagnez de toutes les vertus dans les lieux
par où ils ont paffé autrefois. Là ces fages guides
leur font voir tous ceux qui
menent une vie miſerable,
errants çà là , tousjours
prefts à faire nauffrage , &
tousjours esclaves de leurs
ennemis , les uns de l'incontinence , d'autres de la
fuperbe , les autres de l'avarice , ou du defir de la
vaine gloire , d'autres enfin
GALANT. 179
"
par d'autres vices fans
pouvoir jamais d'eux- meſmes s'affranchir de leur fervitude , ny parvenir au ſejour des vertus , & au palais de la felicité.. La caufe de ce malheur , ( dit noſtre Philofophe ) vient de
ce qu'ils ont oublié le chemin que leur Génie tuter
laire leur avoit enfeigné, &
les préceptes qu'il leur avoit
donnez avant qu'ils entraf
fent dans le monde. C'eſt
alors que ces nouveaux éleves prennent une veritable connoiffance du bien
180 MERCURE
& du mal ; au lieu de l'ignorance & de l'erreur où
ils avoient vefcu pendant
leur aveuglement , qui leur
faifoit eftimer un bien ce
qui veritablement eftoit un
mal , & prendre pour un
mal ce qui eftoit un bien ,
& les engageoit par là dans
une vie déreglée & perverfe , & cette connoiffance
regle leurs mœurs , & les
fait profiter des folies des
autres. Aprés quoy , dit
Cebés , ils peuvent aller
fans crainte où ils veulent ,
parce qu'ils font par tout
GALANT. 181
,
à l'abri de leurs ennemis ,
& qu'en quelque lieu qu'ils
aillent ils font affeurez d'y
vivre dans la droiture de
cœur & dans l'amour de
la vertu , exempts de tout
peril & de toutes fortes de
maux. De plus chacun fe
fait un plaifir, de les recevoir, comme un malade en
reffent lorfque fon medecin
le vient voir. Outre qu'ils
n'ont plus à craindre ces
beftes fauvages qui leur faifoient auparavantuneguerre fi cruelle ; puifque ny
la douleur , ny les chagrins,
182 MERCURE
ny l'incontinence , ny l'avarice, ny la pauvreté n'ont
plus aucun pouvoir fur leur
efprit pour luy faire perdre
l'amour de la verité.
Cebés nous fait remarquer enfuite une autre ef
pece d'hommes qui defcendent auffi de l'afile des vertus fans aucunes couronnes , mais au contraire avec
des vifages de defefperez ,
des cheveux arrachez , &
quifont enchaifnez par des
femmes. Ce font ou ceux
qui eftant arrivez à la veritable ſcience , en ont efté
GALANT. 18 ;
mal receus , comme en eftant indignes ; ou ceux qui
ont manqué de courage
lorfqu'ils ontvoulu s'eflever
fur la roche , où la conf
tance les invitoit de monter , & qui ayant lafché le
pied honteufement , demeurent vagabonds , fans
fçavoir où ils doivent aller.
Les uns & les autres de-.
viennent la proye des chagrins , des angoiffes , dul
deſeſpoir, de la honte & de
l'ignorance ; & pour furcroift de malheur ils retournent au parc de la lu-
184 MERCURE
xure & de l'intemperance ,
oùces infenfez maudiffent
le refte de leurs jours la
veritable ſcience , & les ve
ritables fçavants, regardant
ces derniers comme des
malheureux, qui ne fçavent
pas goufter les plaifirs , &
joüir de la vie comme eux ,
bien loin de fentir euxmefmes l'eftat déplorable
où ils fe font plongez, Car
la brutalité dont ils font
aveuglez , fait qu'ils mettent leur fouverain bien
dans la gourmandiſe , dans
le luxe & dans l'incontiEnfin nence.
GALANT. 185
Enfin noftre Philofophe
entre dans un plus grand
détail fur ce qu'il prétend
que le Génie de chaque
homme luy infinuë avant
fa naiffance. Premieremenp
il leur donne avis ( dit-il
de s'armer de courage , &
de conftance, comme ayant
plufieurs combats à fouftenir dans le monde lorfqu'ils
y
feront entrez : feconde-l
ment il les exhorte à né
point mettre leur efperance dans les biens temporels & paffagers , que la
fortune donne & ofte à fon
Octobre. 1712,
C
i
186 MERCURE
gré , & parconfequent de
ne s'abandonner point à la
joye , quand elle nous les
envoye , ou à la trifteffe
quand elle les retire , parce
qu'elle en ufe comme d'un
bien qui eft à elle , & non
pasà nous. C'eſt pourquoy
il nous avertit de ne reffembler pas ces mauvais Banquiers qui ayant receu.
Fargent d'autruy , le regardent comme leur appartenant, & en ont la meſme
joye que s'il eftoid à eux en
propre , & qui quand on
le repete s'en trouvent auſſi
GALANT. 187
offenfez, & en conçoivent
autant de chagrin que fi
on le leur raviffoit mais
de recevoir au contraire
avec reconnoiffance les
biens temporels qu'il luy
plaiſt de nous départir , &
de nous en fervir pour ar
river en hafte à la fource
feconde & certaine de tous
les biens, qui eft la veritable
fcience , c'est-à - dire , la
fcience qui peut nous rendre heureux. Ainfi nous
devons ( dit il ) éviter d'abord foigneusement les
courtiſannes done on apar-
-
Q ij
188 MERCURE
lé , fçavoir l'intemperance,
la luxure , & les autres vi-
& prendre garde de ces
nous laiffer enchanter de
leurs attraits. ។
A l'égard de la vaine
ſcience nous pouvons luy
donner , felon luy , quelques années de notre vie ,
& prendre quelques -unes
de fes leçons pour nous aider à paffer outre , car nous
devons nous hafter d'arriver à la veritable ſcience ,
& à la pratique des vertus
le pluftoft que nous pourrons , & regarder tout le
GALANT. 189
temps que nous employons
à autre chofe , comme autant de rabbatu fur la durée de noftre felicité.
Tous les emblefmes eftant finis , Cebés examine
quelles font les leçons qu'-
on peut tirer de la vaine
fcience, & conclud que ce
font les Lettres & les autres
difciplines , que Platon dit
eftre le frein des fougues
de la jeuneffe. Il prétend
au refte que ces leçons ne
font point abfolument neceffaires pour acquerir la
morale , & qu'on doit les
190 MERCURE
regarderſeulement comme
des moyens pour y arriver
plus communément, mais
qui ne nousfervent de rien
pour augmenteren nous la
vertu: &la raiſon qu'il en ap
porte, c'eſt qu'on peut eftre
vertueux fans elles , comme
l'experience journaliere le
confi me. On ne doit pas
cependant, felon luy,les re
garder commeinutiles . Car
(dit il ) quoy qu'on puiſſe
abſolument entendre une
langue estrangere avec le
fecours feul d'un Interpre
te , on ne laiſſe pas de trou-
GALANT. 191
ver quelque foulagement
& quelque ſatisfaction lors
qu'on peut encore y joindre fa propre connoiffan
ce. Il en eft de mefme de
la vaine fcience qu'on ne
doit regarder que comme
un fecours pour arriver plus
aisément à la veritable.
De là noſtre Philoſophe
tire cette fafcheufe confequence contre les faux fçavants , qui prétendent s'attribuer quelque préference
fur les autres hommes , fçavoir qu'ils n'ont là aucun avantage pour devenir
par
192 MERCURE
plus parfaits qu'eux ; puifqu'il eft conftant qu'ils ne
jugent pas plus fainement
du bien & du mal que le
refte des hommes , & qu'ils
font fujets aux meſmes vices; car qui empefche ( ditil ) d'eftre lettré , de poffe
der toutes les fciences vaines , & d'eftre cependant
toujours un yvrogne , un
intemperant , un avaricieux , un calomniateur, un
traiftre , & en un mot un
infensé, puifque ces fortes
de fciences ne s'occupent
point à la connoiffance des
vertus ,
GALANT. 193
7
vertus & des vices La cau
fe de ce malheur , dit noftre Philofophe , vient de
ce que ces fortes de fça
vants ont la vanité de croi
re fçavoir ce qu'effectivement ils ignorent : c'eft ce
qui les rend indociles &
pareffeux à fe faire inftruire de la veritable ſcience,
D'un autre cofté ils font
fujets comme le reſte des
hommes à fe laiffer emporter par leurs fauffes préventions qui les rendent
opiniaftres & intraitables.
De forte qu'ils ne ſçauOctobre 1712.
R
194 MERCURE
roient fe flatter d'avoir aucun avantage ſur eux ,
moins que le Ciel ne leur
à
envoye quelque rayon de
lumiere qui leur faffe connoiftre la vanité de leur
fcience , & les porte à rechercher la verité.
Enfin Cebés prouve la
propofition qu'il a avancée au commencement de
fon difcours , fçavoir que
les dons de lafortune, com+
me la vie , la fanté , les richeffes , la nobleſſe , les
honneurs , les victoires , &
les autres biens temporels
GALANT. 195
ne font pas de veritables
biens ; ny par confequent
les maux qui leur font oppofez, commeles maladies,
la mort mefme , &c. ne
font pas deveritables maux;
maisil prétend aucontraire
que toutes ces chofes d'elles-mefmesfont indifferentes pour noftre perfection.
La vie , dit - il , eft un bien
à celuy qui vit bien , & c'eſt
fans doute unmal à l'égard
de celuy qui fe comporte
mal, par les maux aufquels
elle l'expofe toft ou tard.
D'un autre cofté la vie eft
R ij
196 MERCURE
commune aux meſchants
comme aux bons , aux malheureux commeà ceux qui
font heureux , d'où il conclud que la vie en elle meſme eft une chofe indifferente. De mefme que de
couper un bras à un hom-
-me qui fe porte bien , eft
pour luy un mal ; & c'eſt
rau contraire un bien à celuy
qui a la gangrenne , d'où il
fuit que l'amputation d'un
bras eft une chofe qui n'eft
abfolument parlant , ou en
foy, nybonne n'y mauvaiſe.
Il rafonne de melme des
GALANT. 197
richeffes , de la fanté, & des
autres biens du corps : car
ilferoit, dit il , tres- louvent
à defirer pour celuy qui a
fait un mauvais coup , qu'il
euft efté malade pendant le
temps qu'il l'a fait ; c'eft
pourquoy la fanté eft en
ce cas un vray mal pour
luy , quoyque ce foit d'ailleurs un bien pour les honneftes gens. A l'égard des
richeffes on voit fouvent.
que ceux qui les poffedent
ne font pas les plus heureux ny les plus honneftes.
gens ; d'où il faut conclure
Riij.
198 MERCURE
&
qu'elles ne fervent de rien
pour noftre felicité
qu'ainfi par elles mefmes
elles ne font pas un bien
pluftoft qu'un mal , puifqu'il feroit à fouhaitter pour
ceux qui n'en fçavent pas
ufer , qu'ils en fuffent privez à caufe des miferes qu'-
elles leur attirent.
Noftre Philofophe conclud en difant qu'on peut
appeller les biens temporels, des biens pourceux qui
fçavent s'en bien fervir , &
des maux à l'égard de ceux
qui en font un mauvais ufa-
GALANT. 199
ge , & finit en remarquant
que ce qui nous trouble &
nous agite en cette vie c'eft
le faux jugement que nous
portons fur les biens & fur
les maux temporels , fur lequelfauxjugement nous reglons enfuite toute la conduite de noftre vie pour le
bien ou pour le mal; & cela
parce que nous ne travaillons pas affez à connoiſtre
l'un & l'aure.
On connoift affez au
refte par cet exposé que les
mefmes inclinations & les
mefmes vices qui dominent
R iiij
200 MERCURE
aujourd'huy , regnoient dès
ces premiers temps , & que
la Providence a toujours eu
foin de faire naiftre des
hommes , qui au milieu de
la corruption de leur fiecle
rendiſſent teſmoignage à
la vertu & aux veritez morales , afin qu'elles n'en
fuffent pas entierement étouffées , & afin que les
hommes dépravez n'euffent pas à fe plaindre d'avoir manqué d'inftructions,
& mefme d'exemples pour
les mettre en pratique , &
d'avertiffements pour con-
GALANT. 201
noiftre les fuites fafcheufes
des paffions & des vices ,
& pour en concevoir de
l'horreur. Mais ce que nous
devions , ce mefemble , admirer icy le plus , ce font
ces repentirs & ces rayons
de lumiere que Cebés reconnoift eftre envoyez du
Ciel pour retirer les hommes de l'esclavage de leurs
paffions , & les faire rentrer dans le fein des vertus. Certes fila chofe eftoit
telle dans ces temps du pai
ganisme , plus de trois cens
ans avant la venue du Mef-
202 MERCURE
fie , comme il femble qu'on
n'en puiffe douter , par le
recit de cet autheur , je ne
crois pas qu'on puiſſe douter auffi que le Ciel n'exerçaft fes mifericordes fur
ces peuples corrompus , de
mefme que fur le peuple
Juif: car effectivement que
peut il y avoir qu'une lumiere divine qui faffe connoiftre à l'efprit de l'homme la vanité des voluptez ,
& qui luy faffe diftinguer
la vaine ſcience de la veri
table , & les vicès des vertus ? L
GALANT. 203
A l'égard du Génie que
Cebés a creu préfider à noftre conception , & nous
inftruire dès le ventre de
noftre mere de nos devoirs
pour la vie à laquelle nous
fommes deftinez , on ne
fçauroit , ce me femble ,
penfer que ce foit autre
que la lumiere de la
raifon où l'ame raiſonnable que Dieu met dans le
corps dés qu'elle peut y
exercer fes fonctions , la
quelle lumiere feroit fuffifante pour nous faire éviter
tous les écueils des paffions
chofe
204 MERCURE
& des vices , fans les fauffes
préventions aufquelles nous
nous abandonnons pendant la jeuneffe , au lieu de
confulter la lumiere de noftre raison. Quand à la fortune qui, felon luy , difpenfe les biens temporels & les
maux à fon gré , on voit
affez qu'on ne peut entendre par là , que la Provi
dence qui a créé toutes chofes , à qui par confequent
toutes chofes appartiennent en propre , & qui ef
tant la maiftrelle du fort
des hommes , en peut difC
GALANT. 203
poſer felon fa volonté. De
plus lorsqu'il nous dit que
la douleur , les chagrins , la
pauvreté , &c. n'ont plus
d'empire fur l'homme devenu vertueux , il nous fait
connoiftre combien eftoit
grande la fecurité , la confiance , la conſtance , & là
tranquillité de l'efprit de
l'honnefte homme , & que
les hommes vertueux de ce
temps là participoient dès
ce monde aux recompenfes des veritablesChrêtiens,
parce qu'ils pratiquoientles
-mefmes bonnes œuvres.
206 MERCURE
Car quoyqu'ils ne conneuffent pas Dieu auffi clairement , & qu'ils ne le creuffent peut-eftre pas auffi prefent à toutes leurs démarches que nous , ils ne laiffoient pas d'envisager la
vertucomme la loy de l'Autheur de la nature , gravée
dans le cœur des hommes,
& d'eftre perfuadez que
ceux- là offenfoient Dieu
qui trahiſſoient la vertu
ainfi ils pratiquoient la ver.
tu dans la veuë de plaire à
Dieu , d'où naiflóit dès ce
monde la joye & la ferenité de leur conſcience.
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Résumé : PARAPHRASE ou Explication du Tableau de la Vie humaine de Cebés Tébain de Grece disciple de Socrate, & Philosophe moral. Où l'on a suivi le sens de l'Autheur le plus exactement qu'il a esté possible, sans s'éloigner de l'esprit general de tous les peuples.
Le texte présente une allégorie philosophique de la vie humaine, comparée à un grand parc avec divers réduits symbolisant les étapes et expériences de la vie. Cebés, disciple de Socrate, utilise cette métaphore pour illustrer les défis et les choix que les individus doivent affronter. Au début de la vie, les individus sont guidés par une intelligence qui leur enseigne comment être heureux, mais ils oublient rapidement ces leçons à cause de la convoitise et de l'ignorance, personnifiées par une reine séductrice. Dans ce parc, la Fortune, une divinité aveugle et capricieuse, distribue des biens temporels. Les ambitieux la supplient, mais elle favorise certains et rejette d'autres, créant ainsi des joies et des tristesses. Ces biens temporels ne sont pas considérés comme de vrais biens, car ils ne rendent pas les hommes plus parfaits. Le parc comporte plusieurs réduits. Le premier est gardé par des femmes représentant des vices comme l'intempérance et l'avarice, qui séduisent ceux que la Fortune a favorisés. Ces individus goûtent des plaisirs éphémères avant de tomber dans le malheur et la misère. Leur seule ressource est le repentir, qui les conduit vers des opinions plus justes et un intérêt pour les sciences, notamment la morale. Un second réduit est habité par ceux qui se laissent séduire par la fausse science, représentée par des poètes, orateurs, et autres savants. Ces individus sont souvent esclaves de leurs vices et de leurs erreurs. Un troisième réduit, plus élevé et difficile d'accès, mène à la véritable science. À son entrée, deux femmes, la Constance et la Continence, aident les passants à surmonter les difficultés. Ce chemin conduit à un quatrième réduit, le séjour des hommes heureux, où habitent toutes les vertus et la véritable science, accompagnée de la Vérité et de la Persuasion. Le texte décrit également une allégorie où les âmes, appelées 'Cébés', traversent divers états pour atteindre la vertu et la félicité. À l'entrée de ce chemin, une 'honnête mère' purifie les âmes des imperfections comme l'ignorance, l'erreur, et l'arrogance, les préparant ainsi à entrer dans le séjour des vertus. Ces vertus sont représentées par des dames sages et belles, telles que la piété, la justice, l'intégrité, et la tempérance. Après avoir été admises dans cette société, les âmes sont conduites vers un donjon en forme de citadelle, le palais de la félicité, où règne une Reine assise sur un trône. Cette Reine et ses filles, les vertus, couronnent les âmes vertueuses, leur donnant force et bonheur, et les libérant des maux de la vie. Ces âmes, désormais héroïques, dominent les monstres symbolisant les vices et vivent dans la droiture et l'amour de la vertu. Le texte distingue également ceux qui, ayant atteint la véritable science, sont mal reçus ou manquent de courage, devenant ainsi des esclaves des chagrins et des vices. Ces derniers maudissent la véritable science et les savants, préférant les plaisirs matériels. Le philosophe Cebés enseigne que les biens temporels, comme la vie, la santé, et les richesses, ne sont ni véritables biens ni véritables maux en eux-mêmes. Ils dépendent de l'usage que l'on en fait. Il exhorte à ne pas se réjouir ou se lamenter excessivement face à ces biens, mais à les utiliser pour atteindre la véritable science et la vertu.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 2168-2181
LETTRE de M... sur un Songe.
Début :
Il m'est arrivé bien des choses extraordinaires depuis que je ne vous ai [...]
Mots clefs :
Passions, Hommes, Songe, Amour, Ennui, Temple, Dieu, Nature, Génie, Philosophes, Désirs, Coeur, Vision
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de M... sur un Songe.
LETTRE de M... fur un Songe.
I
L m'eft arrivé bien des chofes extraordinaires
depuis que je ne vous ai
vûë ; j'ai cu un fonge , Mile ; mais un
fonge comme on n'en à jamais fait , &
qui eft du moins auffi vrai qu'aucun autre.
N'allez pas croire foit conque
ce par
tagion que je vous raconte mon rêve ; je
ne prens point les défauts de ceux que
j'ai l'honneur de connoître ; & pour avoir
le
OCTOBRE. 1730. 2169
le droit de la nouveauté , je le nommerai
vifion , fi vous voulez. Vifion foit. La
mienne a quelque chofe de particulier
par une fuite d'Evenemens arrangés qui
s'y trouvent.
A peine étois-je arrivé dans * * qu'il
m'a femblé être à la porte du Temple de
l'Ennui ; je ne ſçai fi je dormois ou fi j'étois
bien éveillé ; mais il ne me fouvient
point de m'être endormi ; car ma vifion
ou mon rêve , comme il vous plaira de
l'apeller, a commencé dès l'inftant que j'ai
mis pied à terre.
Ici regne un fombre filence ;
Arbres , rochers , deferts affreux ;
Eole & fa terrible engeance
N'abandonnent jamais ces lieux.
Des Ris , des Jeux la Troupe aimable
Eft inconnue en ces triftes féjours ;
Je m'y trouvai , victime déplorable ,
Abandonné de tout fécours.
Quoique je connuffe toute l'horreur de
mon fort , un charme invincible qui eft
répandu dans l'air qu'on y refpire , m'engageoit
malgré moi d'aller jufqu'au Temple.
Je fus reçû à la porte par des femmes
déja fur l'âge qui vouloient encore
plaire , malgré la nature même qui avoit
C v
pourvû
2170 MERCURE DE FRANCE
pourvû de refte à leurs défagrémens ;
elles avoient envain employé tout ce
que Part peut fournir pour recrépir un
vifage dont les rides ne laiffoient pas de
paroître au travers de la pomade dont il
étoit rempli ; & malgré les grimaces que
le dérangement d'un nouveau ratelier
de dents les obligeoit de faire , elles vouloient
compofer une belle bouche. La
porte du Temple me fut ouverte par cette
efpece de femmes , & fe referma fi - tôt
que je fus entré avec un bruit effroïable.
J'en trouvai dans l'interieur un autre effain
qui m'acofta ; c'étoient des Précieufes
qui avec un faux efprit & un fçavoir
fuperficiel vous affomment par un langage
affecté & impertinent. Je me fauvai
le plus vite que je pus de leurs mains ;
mais je tombai , comme on dit , de Caribde
en Scilla ; car à peine avois - je mis
le pied dans le Sanctuaire où elles m'avoient
conduit , que je me trouvai parmi
un nombre infini d'originaux , tous
Miniftres de l'ennui. Je m'y vis auffi - tôt
environné par un tas d'Auteurs. Ah ! la
maudite efpece.
L'un tire un long Poëme Epique ;
L'autre une Piece Dramatique :
Celui - ci dans le doux Lyrique ;
Celui-là pour le bon Comique ,
Prétend
OCTOBRE. 1730. 2170)
Prétend qu'il eft Auteur unique ,
Et d'original il fe pique.
Parmi ces objets fantaſtiques
J'y vis encor des Politiques ,
Qui prétendoient fuivant leurs loix
Diriger le Confeil des Rois.
3
Si je les en avois crûs , ils m'auroient
perfuadé qu'ils avoient des corefpondances
fecrettes avec le Divan , les négocia
tions les plus délicates leur étoient connuës
; ils avoient la clef du Cabinet de
tous les Potentats de l'Univers , & ils
étoient initiés dans tous les Confeils de
l'Europe ; tantôt ils faifoient la guerre ,
tantôt ils faifoient la paix. Ce n'étoit que
tréves , ccoonnggrrééss , interêt des Princes
Places prifes ou renduës , batailles gagnées,
faute d'un General , Campement , Marches
; ils faifoient changer de face à toute
l'Europe , chaffoient des Rois , en remettoient
d'autres en leurs places ; enfin
en un quart d'heure de tems ils firent faire
plus de mouvemens fur la furface de la
terre que fix mille ans n'en pourroient produire.
Je m'éloignai de ces M M. & je fus
repris par un Auteur dont la phifionomie
noire annonçoit l'amertume & le fiel qu'il
avoit dans le coeur ; il me lut mauffadement
, & cependant avec fureur quelques
C vj
Pié2172
MERCURE DE FRANCE
Piéces fatiriques qui attaquoient ouvertement
, & jufqu'au vif , l'honneur de ſes
confreres. Après m'en avoir lû deux ou
trois qui étoient fes morceaux favoris
& vomi mille invectives contre la
Cour & la Ville , il voulut encore en tirer
d'autres ; mais la cruelle fituation où
je me trouvois d'être obligé de les entendre
, me fit tomber dans un fommeil léthargique
dour je ne revins qu'au bout
de quelque tems . J'ignore ce que mon furieux
devint ; je me trouvai feul à mon
reveil dans un coin du Temple ; là , je fis
des reflexions bien triftes Helas ! difoisje
en moi- même , encore fi j'étois amoureux
, je pourrois m'occuper agréablement
; je fongeai dans ce moment à une
perfonne que je connois , & je fouhaitai
violemment de l'aimer , & d'en être aimé.
J'adreffai ma priere à l'Amour , & je l'invoquai
en ces termes :
O toi ! charmant Amour , des doux plaifirs le
pere ,
Quitte l'heureux féjour de Paphos , de Cithere ; }
Hâte-toi , viens me fecour :
Voudrois -tu me laiffer périr
Dieu puiffant aujourd'hui brûle-mol de tes feux...
Comme j'étois encore dans l'entouſiaſme
de mon invocation , je vis paroître
l'Amour
OCTOBRE. 1730. 2173
l'Amour qui me demanda d'un ton railleur
ce que j'exigeois de lui ; je lui dis
qu'ayant toujours été un de fes plus fideles
fectateurs , que l'ayant toujours bien
fervi , j'ofois efperer qu'il ne me refuſeroit
pas une grace ; que je me trouvois
malheureufement enfermé dans le Temple
de l'Ennui , que je le priois inftamment
de me frapper de fes traits pour
Belle que je lui nommois , & de la rendrefenfible
à ma tendreffe . L'Amour m'interrompit
en levant les épaules , & d'une
voix méprilante il me dit ces mots :
Eh ! que penfes- tu faire avec tant de foiblefle ?
Il n'eft qu'un tems pour gouter les plaiſirs :
Quoi ! voudrois-tu , fi loin de la jeuneſſe ,
Conferver dans ton coeur d'inutiles defirs ?
Non , non , à d'autres foins ...
2
la
Ah ! Dieu cruel , m'écriai -je , l'inter
rompant, outré de defefpoir, peux- tu me
reprocher ma foibleffe & n'eft-ce point
à ton fervice que j'ai perdu ma vigueur ?
Je t'en ai recompenfe , repartit-il à l'inf
tant , de quoi te plains-tu ? tant que tu
as jɔui de ton Printems , ne t'ai-je point
fans ceffe offert de nouvelles conquêtes ?
nomme-moi les cruelles que tu n'as pû
fléchir fi tu m'as bien fervi , je t'ai bien
protegé , & entre nous , continua -t'il ,
par
2174 MERCURE DE FRANCE
par quelle qualité éminente meritois- tu
fi fort ma protection ? difpenfe- moi du
détail de tes mérites , il ne tourneroit
qu'à notre confufion . Il s'envole à ces
mots qui me rendirent encore plus trifte ;
j'y entrevoyois une verité peu fatisfaifante
pour moi .
Je pris mon parti d'un autre coté ; je
voulus faire des Vers , croyant que ce
pourroit être un Talifman qui feroit ouvrir
les portes du Temple .
Mis, quoi ? fans l'aveu d'Appollon
Prétend- on s'établir dans le facré Vallon ?
J'eus beau implorer les Mufes , le Dieu -
du Parnaffe , tout fut fourd à ma voix .
Je ne fçavois que devenir , lorfque mon
génie m'apparut : votre génie , me direzvous
? oui , mon génie ; nous en avons
tous un qui veille fur nous , & qui détermine
nos actions. Notre génie eſt toujours
à la portée de nos organes ; c'eft
felon qu'ils font difpofés qu'il agit bien
ou mal ; ainfi il ne faut pas s'étonner
lorfque l'on voit les génies faire commetre
des fautes fi confiderables aux uns ,
pendant qu'ils conduifent fi fagement les
autres : c'eft , comme je l'ai dit , felon les
difpofitions qu'ils trouvent dans les fujets
.
Cette
OCTOBRE . 1730. 2175
Cette difference d'agir dans les génies
fit faire fon fiftême d'efprits au Comte de
Gabelis. Il s'imagina que les diverfes
actions des hommes étoient dirigées par
autant de fortes de génies ; il établit donc ,
comme vous le fçavez , les Gnomes dans
la terre , les Nymphes dans les eaux , les
Sylphes dans l'air & les Salamandres dans
le feu : chaque efpece avoit fes fonctions
differentes. Moyennant cette idée il crut
avoir donné une folution jufte de tout ce
qui arrive dans le monde ; mais il s'eft
trompé bien lourdement .
Je reviens au mien qui m'apparut fous
ma forme , c'étoit le moyen d'être bien
reçû. Je connois bien des femmes à qui
je ferois fûr de plaire , fi je me préſentois
fous leur figure. Notre premiere paffion
, c'eft . l'amour propre. Je vis mon
génie ; il étoit trifte comme moi , & me
dit qu'il ne pouvoit par lui- même me
tirer de l'affreux féjour où j'étois ; mais
qu'il voyoit dans la poche d'un des Miniftres
de l'Ennui un livre qui pouvoir
contenir des fecrets pour fortir du Temple
; il me montra celui qui en étoit porteur
, & difparut.
Je m'approchai de ce Miniftre ; je lui
fis des politeffes qu'il reçût fort bien ; il
m'aprit qu'il étoit Bibliotequaire du Dieu
de l'Ennui : il ajoûta qu'il vouloit me donner
2176 MERCURE DE FRANCE
ner le plaifir d'examiner fes Livres ; j'euffe
bien voulu m'en difpenfer , mais l'envie
que j'avois de poffeder celui qu'il avoit
dans fa poche, me donna la complaifance
de le fuivre. J'entrai dans la Biblioteque
qui étoit d'un bois rembruni , orné par
intervales de faux clinquant qui fatiguoit
plus la vûë qu'il ne la réjouiffoit. Il me
lut le Catalogue de fes Livres : c'étoit ,
il m'en fouvient encore la Dialectique
d'Ariftote , une partie de fa Phyfique ,
le Siftême harmonique de l'Univers par
Pythagore , plufieurs Traités de Morale,
tant des Anciens que des Modernes , tous
les Poëmes Epiques François , Recüeil
des Oraifons Funebres , Piéces fugitives
à la louange des Grands , Opera , Tragédies
& Comédies nouvelles , plufieurs
Romans les Journées Amulantes y
avoient place , & une quantité innombrable
d'autres livres fur differentes matieres
. Mon Conducteur fe récria fur tout
fur un Volume qu'il difoit être un des
plus grands foutiens de leur Temple : c'étoit
les Piéces de Poëfie de * * Comme il
me faifoit la lecture d'une , je vis fes
s'appefantir & fe fermer , comme s'il alloit
tomber dans un profond fommeil .
De peur qu'il ne m'en arrivât autant , je
me faifis au plus vite du livre qui faifoit
tout mon efpoir : jugez quelle fut ma joye
>
yeux,
quand
OCTOBRE. 1730. 2177
quand je vis par le titre que c'étoit les
Oeuvres de Clement Marot. J'ignore par
quelle avanture ce Miniftre fe trouvoit
muni d'un pareil livre . Quoiqu'il en foit,
je l'ouvris avec précipitation ; mais à
peine en avois - je lû la moitié d'une page,
ô prodige incroyable ! le Temple s'abîma
& je me trouvai dans une autre Biblioteque
charmante ; tout s'y fentoit des mains
de la nature , & l'art n'avoit , ou fembloit
n'avoir aucune part à l'ouvrage . Enchantê
d'un fr beau fpectacle , j'examinai les livres
; ils avoient tous pour infcription en
lettres d'or : Remede contre l'ennui ; je les
ouvris l'un après l'autre , j'y trouvai les
Oeuvres d'Anacréon , les Poëfies du tendre
Tibulle & de Catulle les Elegies
d'Ovide , les Satires d'Horace , les Epigrammes
de Martial , les Poëmes d'Homere
, de Virgile , de l'Ariofte & du Taffe,
les Romans de Petrone , de Michel Cervantes
& de Rabelais , les Fables de la
Fontaine étoient proprement reliées avec
celles de Phédre ; fes Contes feuls étoient
placés à l'écart. J'y vis auffi les Comédies
d'Ariftophane , de Plaute , de Terence &
de Moliere ; les Tragédies de Sophocle
d'Euripide , de Corneille & de Racine
étoient fur la même planche ; les Opera
de Quinaut , les Oeuvres de Pavillon &
de Bourfault y tenoient une place hono-
T'hélitois
›
218 MERCURE DE FRANCE
J'héfitois dans le choix que j'en devois
faire , lorsqu'une grande femme s'avance
vers moi avec un maintien noble , fon
front étoit ferein , dans fes yeux brilloit
la douceur , un air de bonté & de tranquilité
étoit répandu dans toute fa perfonne
: elle vit fans doute ma furpriſe ;
& ouvrant la bouche avec des graces admirables
, elle me tint ce difcours : Je
fuis Uranie , Muſe qui préfide à la Philofophie
; tu t'étonnes , fans doute , de
me voir au milieu de gens qui n'ont jamais
eu le titre de Philofophes dans le
monde ; j'excufe ta furprife. Apprens que
tous ces grands hommes dont tu vois ici
les Ouvrages ont été les feuls & les vrais
Philofophes , & que ceux qui paffent pour
tels dans le monde n'en ont jamais eu que
le nom. La vraie Philofophie , me ditque
elle , confifte à fuir les violens excès ou
conduit une paffion trop emportée , à
regler fes defirs fur une volupté permife;
car c'eſt une erreur qui tient de la folie
de vouloir éteindre les paffions ; il faudroit
éteindre la nature ; ils en font une
fuite indifpenfable . Que les hommes ,
s'écria Uranie , connoiffent peu ce qui
leur eft utile ! les paffions leur ont été
données pour les dédommager des miferes
de l'humanité , & ils les méprifent :
cela eſt incroyable : oüi , continua-t'elle,
les
OCTOBRE. 1730. 2179
les paffions ont été accordées aux fages
comme le plus beau preſent que
les Dieux
ayent pû leur faire ; mais c'eft auffi le
fleau le plus terrible dont ils ſe ſervent
dans leur colere , pour qui n'en fçait pas
faire ufage.
Je ne pûs m'empêcher de paroitre furpris
d'un pareil raifonnement ; je ne pouvois
concevoir comment les paffions faifoient
en même tems tant de bien & tant
de mal . La Mufe s'apperçut de mon
étonnement : Je veux bien , me dit - elle ,
vous défiller les yeux : les hommes font
tous nés avec une même meſure de paſfion
dans le coeur ; la feule difference de
bien employer cette dofe de paffion diftingue
le vrai Philofophe d'avec celui qui
ne l'eft pas. Il en eft des paffions comme
d'un fleuve , qui refferré dans un lit trop
étroit , devient un torrent furieux , brife
& ravage tout ce qu'on pourroit employer
pour refifter à fes efforts ; mais
fi vous lui ouvrez plufieurs routes dans
lefquelles il puiffe s'étendre , alors ce torrent
dont un feul lit ne pouvoit contenir
l'eau , forme , étant divifé , plufieurs ruiffeaux
, dont le cours doux & tranquille
vous offre un fpectacle agréable. L'infenſé ,
femblable à ce fleuve , place fans reflexion
tout ce qu'il a reçû de paffions dans
un unique objet : c'eft en vain alors qu'il
you2180
MERCURE DE FRANCE
voudroit y mettre les digues que la raiſon
lui offre , ce font de trop foibles barrieres
que l'impetuofité de les defirs a bientôt
renversées. Tous les mouvemens de
fon ame . fe portant en foule fur un feul
point , le tourmentent , le defefperenr
le portent à des extrémités horribles , &
ne lui laiffent pas un moment de repos.
C'eft delà que nous voyons des joueurs
furieux , des avares méprifables , des
Amans defefperés , des ambitieux extravagans
; le fage , au contraire , qui reconnoît
la neceffité des paffions , mais
qui connoît auffi le mal qu'elles peuvent
produire , en diminue la violence en les
divifant ; il leur donne differens emplois
pour s'en rendre le maitre , & forme au
lieu d'un torrent qui détruit tout , ces
doux ruiffeaux dont le cours aimable ne
peut porter aucun dommage.
C'eft ainfi que vivent les Philofophes ;
ils jouiffent de tous les agrémens de la vie ,
ils reconnoiffent que le fouverain bien
confifte dans la privation du mal , ils en
évitent jufqu'à l'idée. Les plaifirs , continua
Uranie , font faits pour les hommes;
les chagrins devroient leur être étrangers :
ils dégradent leurs ames , & ne font qu'uné
fuite de la foibleffe de leur nature. Je
te quitte , ajoûta - t'elle , fuis mes confeils ,
entretiens familiarité avec ces grands
hommes
OCTOBRE. 1730. 2181
hommes , tu vivras heureux. A ces mots
elle difparut. La yifion finit.
akakakakaka
D. L. C.
I
L m'eft arrivé bien des chofes extraordinaires
depuis que je ne vous ai
vûë ; j'ai cu un fonge , Mile ; mais un
fonge comme on n'en à jamais fait , &
qui eft du moins auffi vrai qu'aucun autre.
N'allez pas croire foit conque
ce par
tagion que je vous raconte mon rêve ; je
ne prens point les défauts de ceux que
j'ai l'honneur de connoître ; & pour avoir
le
OCTOBRE. 1730. 2169
le droit de la nouveauté , je le nommerai
vifion , fi vous voulez. Vifion foit. La
mienne a quelque chofe de particulier
par une fuite d'Evenemens arrangés qui
s'y trouvent.
A peine étois-je arrivé dans * * qu'il
m'a femblé être à la porte du Temple de
l'Ennui ; je ne ſçai fi je dormois ou fi j'étois
bien éveillé ; mais il ne me fouvient
point de m'être endormi ; car ma vifion
ou mon rêve , comme il vous plaira de
l'apeller, a commencé dès l'inftant que j'ai
mis pied à terre.
Ici regne un fombre filence ;
Arbres , rochers , deferts affreux ;
Eole & fa terrible engeance
N'abandonnent jamais ces lieux.
Des Ris , des Jeux la Troupe aimable
Eft inconnue en ces triftes féjours ;
Je m'y trouvai , victime déplorable ,
Abandonné de tout fécours.
Quoique je connuffe toute l'horreur de
mon fort , un charme invincible qui eft
répandu dans l'air qu'on y refpire , m'engageoit
malgré moi d'aller jufqu'au Temple.
Je fus reçû à la porte par des femmes
déja fur l'âge qui vouloient encore
plaire , malgré la nature même qui avoit
C v
pourvû
2170 MERCURE DE FRANCE
pourvû de refte à leurs défagrémens ;
elles avoient envain employé tout ce
que Part peut fournir pour recrépir un
vifage dont les rides ne laiffoient pas de
paroître au travers de la pomade dont il
étoit rempli ; & malgré les grimaces que
le dérangement d'un nouveau ratelier
de dents les obligeoit de faire , elles vouloient
compofer une belle bouche. La
porte du Temple me fut ouverte par cette
efpece de femmes , & fe referma fi - tôt
que je fus entré avec un bruit effroïable.
J'en trouvai dans l'interieur un autre effain
qui m'acofta ; c'étoient des Précieufes
qui avec un faux efprit & un fçavoir
fuperficiel vous affomment par un langage
affecté & impertinent. Je me fauvai
le plus vite que je pus de leurs mains ;
mais je tombai , comme on dit , de Caribde
en Scilla ; car à peine avois - je mis
le pied dans le Sanctuaire où elles m'avoient
conduit , que je me trouvai parmi
un nombre infini d'originaux , tous
Miniftres de l'ennui. Je m'y vis auffi - tôt
environné par un tas d'Auteurs. Ah ! la
maudite efpece.
L'un tire un long Poëme Epique ;
L'autre une Piece Dramatique :
Celui - ci dans le doux Lyrique ;
Celui-là pour le bon Comique ,
Prétend
OCTOBRE. 1730. 2170)
Prétend qu'il eft Auteur unique ,
Et d'original il fe pique.
Parmi ces objets fantaſtiques
J'y vis encor des Politiques ,
Qui prétendoient fuivant leurs loix
Diriger le Confeil des Rois.
3
Si je les en avois crûs , ils m'auroient
perfuadé qu'ils avoient des corefpondances
fecrettes avec le Divan , les négocia
tions les plus délicates leur étoient connuës
; ils avoient la clef du Cabinet de
tous les Potentats de l'Univers , & ils
étoient initiés dans tous les Confeils de
l'Europe ; tantôt ils faifoient la guerre ,
tantôt ils faifoient la paix. Ce n'étoit que
tréves , ccoonnggrrééss , interêt des Princes
Places prifes ou renduës , batailles gagnées,
faute d'un General , Campement , Marches
; ils faifoient changer de face à toute
l'Europe , chaffoient des Rois , en remettoient
d'autres en leurs places ; enfin
en un quart d'heure de tems ils firent faire
plus de mouvemens fur la furface de la
terre que fix mille ans n'en pourroient produire.
Je m'éloignai de ces M M. & je fus
repris par un Auteur dont la phifionomie
noire annonçoit l'amertume & le fiel qu'il
avoit dans le coeur ; il me lut mauffadement
, & cependant avec fureur quelques
C vj
Pié2172
MERCURE DE FRANCE
Piéces fatiriques qui attaquoient ouvertement
, & jufqu'au vif , l'honneur de ſes
confreres. Après m'en avoir lû deux ou
trois qui étoient fes morceaux favoris
& vomi mille invectives contre la
Cour & la Ville , il voulut encore en tirer
d'autres ; mais la cruelle fituation où
je me trouvois d'être obligé de les entendre
, me fit tomber dans un fommeil léthargique
dour je ne revins qu'au bout
de quelque tems . J'ignore ce que mon furieux
devint ; je me trouvai feul à mon
reveil dans un coin du Temple ; là , je fis
des reflexions bien triftes Helas ! difoisje
en moi- même , encore fi j'étois amoureux
, je pourrois m'occuper agréablement
; je fongeai dans ce moment à une
perfonne que je connois , & je fouhaitai
violemment de l'aimer , & d'en être aimé.
J'adreffai ma priere à l'Amour , & je l'invoquai
en ces termes :
O toi ! charmant Amour , des doux plaifirs le
pere ,
Quitte l'heureux féjour de Paphos , de Cithere ; }
Hâte-toi , viens me fecour :
Voudrois -tu me laiffer périr
Dieu puiffant aujourd'hui brûle-mol de tes feux...
Comme j'étois encore dans l'entouſiaſme
de mon invocation , je vis paroître
l'Amour
OCTOBRE. 1730. 2173
l'Amour qui me demanda d'un ton railleur
ce que j'exigeois de lui ; je lui dis
qu'ayant toujours été un de fes plus fideles
fectateurs , que l'ayant toujours bien
fervi , j'ofois efperer qu'il ne me refuſeroit
pas une grace ; que je me trouvois
malheureufement enfermé dans le Temple
de l'Ennui , que je le priois inftamment
de me frapper de fes traits pour
Belle que je lui nommois , & de la rendrefenfible
à ma tendreffe . L'Amour m'interrompit
en levant les épaules , & d'une
voix méprilante il me dit ces mots :
Eh ! que penfes- tu faire avec tant de foiblefle ?
Il n'eft qu'un tems pour gouter les plaiſirs :
Quoi ! voudrois-tu , fi loin de la jeuneſſe ,
Conferver dans ton coeur d'inutiles defirs ?
Non , non , à d'autres foins ...
2
la
Ah ! Dieu cruel , m'écriai -je , l'inter
rompant, outré de defefpoir, peux- tu me
reprocher ma foibleffe & n'eft-ce point
à ton fervice que j'ai perdu ma vigueur ?
Je t'en ai recompenfe , repartit-il à l'inf
tant , de quoi te plains-tu ? tant que tu
as jɔui de ton Printems , ne t'ai-je point
fans ceffe offert de nouvelles conquêtes ?
nomme-moi les cruelles que tu n'as pû
fléchir fi tu m'as bien fervi , je t'ai bien
protegé , & entre nous , continua -t'il ,
par
2174 MERCURE DE FRANCE
par quelle qualité éminente meritois- tu
fi fort ma protection ? difpenfe- moi du
détail de tes mérites , il ne tourneroit
qu'à notre confufion . Il s'envole à ces
mots qui me rendirent encore plus trifte ;
j'y entrevoyois une verité peu fatisfaifante
pour moi .
Je pris mon parti d'un autre coté ; je
voulus faire des Vers , croyant que ce
pourroit être un Talifman qui feroit ouvrir
les portes du Temple .
Mis, quoi ? fans l'aveu d'Appollon
Prétend- on s'établir dans le facré Vallon ?
J'eus beau implorer les Mufes , le Dieu -
du Parnaffe , tout fut fourd à ma voix .
Je ne fçavois que devenir , lorfque mon
génie m'apparut : votre génie , me direzvous
? oui , mon génie ; nous en avons
tous un qui veille fur nous , & qui détermine
nos actions. Notre génie eſt toujours
à la portée de nos organes ; c'eft
felon qu'ils font difpofés qu'il agit bien
ou mal ; ainfi il ne faut pas s'étonner
lorfque l'on voit les génies faire commetre
des fautes fi confiderables aux uns ,
pendant qu'ils conduifent fi fagement les
autres : c'eft , comme je l'ai dit , felon les
difpofitions qu'ils trouvent dans les fujets
.
Cette
OCTOBRE . 1730. 2175
Cette difference d'agir dans les génies
fit faire fon fiftême d'efprits au Comte de
Gabelis. Il s'imagina que les diverfes
actions des hommes étoient dirigées par
autant de fortes de génies ; il établit donc ,
comme vous le fçavez , les Gnomes dans
la terre , les Nymphes dans les eaux , les
Sylphes dans l'air & les Salamandres dans
le feu : chaque efpece avoit fes fonctions
differentes. Moyennant cette idée il crut
avoir donné une folution jufte de tout ce
qui arrive dans le monde ; mais il s'eft
trompé bien lourdement .
Je reviens au mien qui m'apparut fous
ma forme , c'étoit le moyen d'être bien
reçû. Je connois bien des femmes à qui
je ferois fûr de plaire , fi je me préſentois
fous leur figure. Notre premiere paffion
, c'eft . l'amour propre. Je vis mon
génie ; il étoit trifte comme moi , & me
dit qu'il ne pouvoit par lui- même me
tirer de l'affreux féjour où j'étois ; mais
qu'il voyoit dans la poche d'un des Miniftres
de l'Ennui un livre qui pouvoir
contenir des fecrets pour fortir du Temple
; il me montra celui qui en étoit porteur
, & difparut.
Je m'approchai de ce Miniftre ; je lui
fis des politeffes qu'il reçût fort bien ; il
m'aprit qu'il étoit Bibliotequaire du Dieu
de l'Ennui : il ajoûta qu'il vouloit me donner
2176 MERCURE DE FRANCE
ner le plaifir d'examiner fes Livres ; j'euffe
bien voulu m'en difpenfer , mais l'envie
que j'avois de poffeder celui qu'il avoit
dans fa poche, me donna la complaifance
de le fuivre. J'entrai dans la Biblioteque
qui étoit d'un bois rembruni , orné par
intervales de faux clinquant qui fatiguoit
plus la vûë qu'il ne la réjouiffoit. Il me
lut le Catalogue de fes Livres : c'étoit ,
il m'en fouvient encore la Dialectique
d'Ariftote , une partie de fa Phyfique ,
le Siftême harmonique de l'Univers par
Pythagore , plufieurs Traités de Morale,
tant des Anciens que des Modernes , tous
les Poëmes Epiques François , Recüeil
des Oraifons Funebres , Piéces fugitives
à la louange des Grands , Opera , Tragédies
& Comédies nouvelles , plufieurs
Romans les Journées Amulantes y
avoient place , & une quantité innombrable
d'autres livres fur differentes matieres
. Mon Conducteur fe récria fur tout
fur un Volume qu'il difoit être un des
plus grands foutiens de leur Temple : c'étoit
les Piéces de Poëfie de * * Comme il
me faifoit la lecture d'une , je vis fes
s'appefantir & fe fermer , comme s'il alloit
tomber dans un profond fommeil .
De peur qu'il ne m'en arrivât autant , je
me faifis au plus vite du livre qui faifoit
tout mon efpoir : jugez quelle fut ma joye
>
yeux,
quand
OCTOBRE. 1730. 2177
quand je vis par le titre que c'étoit les
Oeuvres de Clement Marot. J'ignore par
quelle avanture ce Miniftre fe trouvoit
muni d'un pareil livre . Quoiqu'il en foit,
je l'ouvris avec précipitation ; mais à
peine en avois - je lû la moitié d'une page,
ô prodige incroyable ! le Temple s'abîma
& je me trouvai dans une autre Biblioteque
charmante ; tout s'y fentoit des mains
de la nature , & l'art n'avoit , ou fembloit
n'avoir aucune part à l'ouvrage . Enchantê
d'un fr beau fpectacle , j'examinai les livres
; ils avoient tous pour infcription en
lettres d'or : Remede contre l'ennui ; je les
ouvris l'un après l'autre , j'y trouvai les
Oeuvres d'Anacréon , les Poëfies du tendre
Tibulle & de Catulle les Elegies
d'Ovide , les Satires d'Horace , les Epigrammes
de Martial , les Poëmes d'Homere
, de Virgile , de l'Ariofte & du Taffe,
les Romans de Petrone , de Michel Cervantes
& de Rabelais , les Fables de la
Fontaine étoient proprement reliées avec
celles de Phédre ; fes Contes feuls étoient
placés à l'écart. J'y vis auffi les Comédies
d'Ariftophane , de Plaute , de Terence &
de Moliere ; les Tragédies de Sophocle
d'Euripide , de Corneille & de Racine
étoient fur la même planche ; les Opera
de Quinaut , les Oeuvres de Pavillon &
de Bourfault y tenoient une place hono-
T'hélitois
›
218 MERCURE DE FRANCE
J'héfitois dans le choix que j'en devois
faire , lorsqu'une grande femme s'avance
vers moi avec un maintien noble , fon
front étoit ferein , dans fes yeux brilloit
la douceur , un air de bonté & de tranquilité
étoit répandu dans toute fa perfonne
: elle vit fans doute ma furpriſe ;
& ouvrant la bouche avec des graces admirables
, elle me tint ce difcours : Je
fuis Uranie , Muſe qui préfide à la Philofophie
; tu t'étonnes , fans doute , de
me voir au milieu de gens qui n'ont jamais
eu le titre de Philofophes dans le
monde ; j'excufe ta furprife. Apprens que
tous ces grands hommes dont tu vois ici
les Ouvrages ont été les feuls & les vrais
Philofophes , & que ceux qui paffent pour
tels dans le monde n'en ont jamais eu que
le nom. La vraie Philofophie , me ditque
elle , confifte à fuir les violens excès ou
conduit une paffion trop emportée , à
regler fes defirs fur une volupté permife;
car c'eſt une erreur qui tient de la folie
de vouloir éteindre les paffions ; il faudroit
éteindre la nature ; ils en font une
fuite indifpenfable . Que les hommes ,
s'écria Uranie , connoiffent peu ce qui
leur eft utile ! les paffions leur ont été
données pour les dédommager des miferes
de l'humanité , & ils les méprifent :
cela eſt incroyable : oüi , continua-t'elle,
les
OCTOBRE. 1730. 2179
les paffions ont été accordées aux fages
comme le plus beau preſent que
les Dieux
ayent pû leur faire ; mais c'eft auffi le
fleau le plus terrible dont ils ſe ſervent
dans leur colere , pour qui n'en fçait pas
faire ufage.
Je ne pûs m'empêcher de paroitre furpris
d'un pareil raifonnement ; je ne pouvois
concevoir comment les paffions faifoient
en même tems tant de bien & tant
de mal . La Mufe s'apperçut de mon
étonnement : Je veux bien , me dit - elle ,
vous défiller les yeux : les hommes font
tous nés avec une même meſure de paſfion
dans le coeur ; la feule difference de
bien employer cette dofe de paffion diftingue
le vrai Philofophe d'avec celui qui
ne l'eft pas. Il en eft des paffions comme
d'un fleuve , qui refferré dans un lit trop
étroit , devient un torrent furieux , brife
& ravage tout ce qu'on pourroit employer
pour refifter à fes efforts ; mais
fi vous lui ouvrez plufieurs routes dans
lefquelles il puiffe s'étendre , alors ce torrent
dont un feul lit ne pouvoit contenir
l'eau , forme , étant divifé , plufieurs ruiffeaux
, dont le cours doux & tranquille
vous offre un fpectacle agréable. L'infenſé ,
femblable à ce fleuve , place fans reflexion
tout ce qu'il a reçû de paffions dans
un unique objet : c'eft en vain alors qu'il
you2180
MERCURE DE FRANCE
voudroit y mettre les digues que la raiſon
lui offre , ce font de trop foibles barrieres
que l'impetuofité de les defirs a bientôt
renversées. Tous les mouvemens de
fon ame . fe portant en foule fur un feul
point , le tourmentent , le defefperenr
le portent à des extrémités horribles , &
ne lui laiffent pas un moment de repos.
C'eft delà que nous voyons des joueurs
furieux , des avares méprifables , des
Amans defefperés , des ambitieux extravagans
; le fage , au contraire , qui reconnoît
la neceffité des paffions , mais
qui connoît auffi le mal qu'elles peuvent
produire , en diminue la violence en les
divifant ; il leur donne differens emplois
pour s'en rendre le maitre , & forme au
lieu d'un torrent qui détruit tout , ces
doux ruiffeaux dont le cours aimable ne
peut porter aucun dommage.
C'eft ainfi que vivent les Philofophes ;
ils jouiffent de tous les agrémens de la vie ,
ils reconnoiffent que le fouverain bien
confifte dans la privation du mal , ils en
évitent jufqu'à l'idée. Les plaifirs , continua
Uranie , font faits pour les hommes;
les chagrins devroient leur être étrangers :
ils dégradent leurs ames , & ne font qu'uné
fuite de la foibleffe de leur nature. Je
te quitte , ajoûta - t'elle , fuis mes confeils ,
entretiens familiarité avec ces grands
hommes
OCTOBRE. 1730. 2181
hommes , tu vivras heureux. A ces mots
elle difparut. La yifion finit.
akakakakaka
D. L. C.
Fermer
Résumé : LETTRE de M... sur un Songe.
Dans une lettre, l'auteur décrit une vision onirique où il se retrouve à la porte du Temple de l'Ennui, un lieu silencieux et désolé. Il est accueilli par des femmes âgées cherchant à paraître jeunes et par des précieuses affectées et impertinentes. À l'intérieur du temple, il rencontre divers personnages, dont des auteurs, des politiques et des satiristes. Les politiques se vantent de diriger les conseils des rois et de connaître les négociations secrètes, tandis qu'un satiriste lit des pièces fustigeant ses confrères et la cour. Désespéré, l'auteur invoque l'Amour pour échapper à l'ennui, mais l'Amour le raille et lui reproche sa faiblesse. L'auteur tente ensuite d'écrire des vers pour sortir du temple, mais les muses et Apollon restent sourds à ses prières. Son génie lui apparaît et lui indique un livre dans la poche d'un ministre de l'ennui. Ce livre, les œuvres de Clément Marot, permet à l'auteur de sortir du temple et de se retrouver dans une bibliothèque enchantée. Dans cette bibliothèque, les livres portent l'inscription 'Remède contre l'ennui' et contiennent des œuvres de grands auteurs comme Anacréon, Tibulle, Ovide, Homère et Molière. La muse Uranie apparaît et explique que les véritables philosophes sont ceux dont les œuvres sont présentes dans cette bibliothèque, et que les passions, bien utilisées, sont un don des dieux. Le texte aborde également la gestion des passions humaines, soulignant que tous les individus naissent avec une même mesure de passion, mais la différence réside dans l'aptitude à bien l'employer. Les passions, comparées à un fleuve, peuvent devenir destructrices si elles sont confinées dans un seul objet, comme le font les insensés. Ces derniers, en concentrant toutes leurs passions sur un seul point, se trouvent tourmentés et poussés à des extrémités horribles, devenant ainsi des joueurs furieux, des avares méprisables, des amants désespérés ou des ambitieux extravagants. En revanche, le sage reconnaît la nécessité des passions mais en diminue la violence en les divisant. Il leur donne différents emplois pour en devenir maître, transformant ainsi un torrent destructeur en doux ruisseaux agréables. Les philosophes, en suivant cette voie, jouissent de tous les agréments de la vie et évitent les chagrins, qui dégradent l'âme et révèlent la faiblesse de la nature humaine. Uranie conseille de suivre les préceptes des grands hommes pour vivre heureux.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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6
p. 46-53
ESSAI PHILOSOPHIQUE.
Début :
L'Histoire de l'esprit humain est l'étude la plus flateuse & en même tems la [...]
Mots clefs :
Philosophie, Religion, Esprit, Philosophes, Athéisme, Christianisme
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texteReconnaissance textuelle : ESSAI PHILOSOPHIQUE.
ESSAI PHILOSOPHIQUE.
'Hiftoire de l'efprit humain eft l'étude
la plus flateufe & en même tems la
plus humiliante pour un fage. Après bien
des réflexions , l'homme n'eft plus à fes yeux
qu'une efpece bizarre en qui la mifere &
la grandeur fe tiennent par la main , &
dont l'être entier eft un paradoxe. Si on
le confidere du côté des lumieres de l'efprit
, il n'eft jamais fi petit que lorfqu'il
paroît monté à fon plus haut point d'élévation.
Les connoiffances les plus refé7
DECEMBRE 1754 . 47
chies n'ont fervi aux efprits bienfaits qu'à
leur faire voir de plus près leur ignorance
, & n'ont fait qu'égarer les autres . La
Philofophie dont le but doit être de nous
apprendre nos devoirs , n'a gueres fervi
qu'à fournir des prétextes pour fe difpenfer
de les remplir . La religion fur tour
cet objet fi intéreſſant pour nous , puif
qu'il décidé de notre fort dans cette vie
& de celui qui nous attend dans l'immenfité
de la nature ; la religion , dis- je , a
prefque toujours été la victime des fauffes
lumieres de la raifonte Suivons la marche
de l'incrédulité , nous la verrons , à la honte
de l'efprit humain , s'élever avec l'aurore
de la Philofophie , s'accroître avec elle
par dégrès , & la fuivre dans tous fes développemens.
L'existence d'une divinité , cette vérité fi
fimple que le fentiment démontre à tous les
hommes , ne devint un paradoxe que lorfque
la raifon voulut la foumettre à l'analy
fe. Prefque tous les Philofophes anciens la
nierent ; Philofophe & Athée chez les Grecs
& les Romains étoient à peu- près fynonymes
, & on mettoit , dit Cicéron , au nombre
des propofitions probables celles - ci :
Les meres aiment leurs enfans : les Philofophes
ne croyent point de dieux . Thalés , Démocrite
, Epicure , &c. enfeignerent l'Athéif48
MERCURE DE FRANCE.
me : on ne fçaitpas fi Ariftote a été Athée ,
parce qu'il ne s'eft pas expliqué affez clairement
, mais au moins nia- t-il , la providence.
Pour Straton fon difciple , il fit un
fyftême de matérialiſme des plus décidés.
Tous les autres embrafferent le Scepticifme
, qui ne vaut pas mieux que l'Athéifme..
L'impiété ne prit chez les Romains que
fort tard , parce qu'ils ne connurent la
Philofophie que fort tard. Quelques Sçavans
qui voyagerengen Gréce , y puiferent
avec les principes de la Philofophie , ceux
de l'irréligion . Lucrece afficha le Matérialifme
; & les écrits de Cicéron , de Pline
& Senéque , refpirent le Scepticiſme.
Si nous paffons au Judaïfme , nous verrons
la religion de Moïfe confervée avec
vénération chez les Hébreux , malgré la
captivité , la difperfion & les révolutions
qu'ils eurent à effuyer , jufqu'à ce que la
Philofophie s'étant mêlée parmi eux , on
vit naître le Saducéïfme qui rejetta la fpiritualité
& l'immortalité de l'ame . Cette
fecte impie fut non feulement tolérée &
admife à la communion judaïque ; mais
on vit même un de fes plus zélés partifans ,
le célebre Hircan , affis fur le thrône pontifical.
Dans les premiers fiécles du Chriftianifine
,
DECEMBRE. 1754 49
nifme , où la religion devoit être d'autant
plus pure qu'elle étoit plus près de fa
fource , l'introduction de la Philofophie
payenne ouvrit la porte à l'erreur. Le Platoniſme
étoit pour lors en regne , la conformité
de ce lyftême avec quelques dogmes
de la religion le firent adopter : de
là cette foule d'héréfies , qui ne font qu'un
mêlange monstrueux des principes du
Chriftianifme avec quelques idées des
Philofophes payens , & qui ne furent enfantées
ni par l'erreur ni par le fanatif
me. Leurs Auteurs étoient des ambitieux
fans religion , qui fe jouant de la crédulité
des peuples , en firent l'inftrument de
leur ambition .
La Philofophie ayant été tranſplantée
chez les Arabes dans le VIII fiécle , ne
manqua pas de répandre fes influences fur
la religion de ces peuples. Le célebre Almanzor
, ce Calife Aftronome & Philofophe
, & après lui Abdallah & Almamon
voulant faire fleurir les Arts & les Sciences
chez cette nation , jufques- là barbare ,
y attirerent plufieurs fçavans , & firent traduire
en Arabe les meilleurs Auteurs anciens
& fur-tout leurs ouvrages philofophiques.
Le goût de la Philofophie s'étant
répandu , les efprits devinrent plus éclairés,
& l'Alcoran perdit en même tems beau-
1. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
coup de la vénération qu'on lui portoit.
On vit naître une fecte de Philofophes ,
Médecins & Chymiftes , la plûpart Athées.
On ne connoît que trop le fameux Aver
roës , dont le fyftême de matérialiſme trouva
des profelites jufqu'en Europe . La dégradation
du Mahometifme ne manqua pas
d'exciter les murmures des zélés Mufulmans.
Bayle rapporte que Takiddin , un
de leurs Auteurs , s'éleva fort contre Almanzor
qu'il menaça de la colere célefte
pour avoir altéré la dévotion des vrais
croyans par l'introduction de la Philofophie.
Enfin par tout où vous trouverez les
traces de la Philofophie , vous trouverez
celles de l'irréligion qui la fuit toujours.
›
Lotfque Mahomet II eut pris Conftantinople
, où l'empire des Lettres avoit été
tranfplanté avec l'Empire Romain , les plus
fçavans hommes de la Grece fe retirerent
en Italie , où ils porterent les femences de
l'athéifme , qui s'y développa avec une rapidité
prodigieufe. Il est étonnant combien
on vit paroître d'athées en Italie dans les 15
& 16 fiécles ; on n'en a point connu en
France avant la reftauration des lettres par
François I. Mais depuis cette époque , la
philofophie y ayant monté au point de perfection
où elle eft aujourd'hui , l'incrédu
lité a gagné du terrein , & a ſuivi les mêDECEMBRE
. 1754
Sx
mes proportions dans fes progrès.
Les abus que les efprits forts ont fait
de tous les fyftêmes philophiques prouvent
que les principes de la philofophie ne font
pas faits
pour être adaptés à ceux de la
religion. Le pere de la philofophie mo-
1 derne , Descartes a malheureuſement
moins réuffi à démontrer l'exiſtence d'un
Dieu qu'à prouver que l'univers a pû fe
former & fe conferver tel qu'il eft par les
loix générales du mouvement. Quelque
éloigné que Defcartes ait voulu paroître
d'appuyer l'athéifme par ſon ſyſtême , il
n'en eft pas moins vrai que Spinofa n'a
fondé fon hypothèſe que fur les principes
du Cartefianifme. Bayle s'eft fervi de
ces mêmes principes pour établir fon fyftême
de pyrronifme , & pour combattre
tous les raifonnemens que l'on pouvoit
faire en faveur de la religion.
L'optimisme du célébre Leibnitz conduit
naturellement au fatalifme , & eft
d'autant plus féduifant qu'il juftifie la providence
de l'imputation du mal moral &
du mal phyfique ; l'harmonie préétablie du
même philofophe exclut toute liberté dans
l'homme.
Locke , ce fage & dangereux métaphyficien
, doit être regardé comme le pere du
matérialiſme moderne. Démontrer, comme
Cij
52. MERCURE DE FRANCE.
il prétendoit l'avoir fait , que la matiere
peut penfer , c'étoit en bonne logique démontrer
qu'elle penfe effectivement ; car
fi la matière eft fufceptible d'intelligence ,
la création d'une autre fubftance feroit
un hors d'oeuvre , & nous ferions d'autant
plus autorisés à la rejetter qu'il n'y a
que la néceffité de fon exiftence pour expliquer
la penfée , qui puiffe faire recourir
à un être qu'il nous eft impoffible de
concevoir.
Le grand Newton , malgré fon reſpect
pour la Divinité , n'a pû empêcher que
fon fyftême ne foit un des plus favorables
à l'irréligion ; & les pfeudo-Newtoniens ,
je veux dire ceux qui regardent , certe le
fentiment de Newton , l'attraction comme
une qualité effentielle à la matiere , font
de ce principe la baſe de l'athéifme le plus
décidé.
Mallebranche , qui a été le philofphe le
plus pénétré des fentimens de la religion ,
eft un de ceux dont les opinions ont été les
plus dangereufes ; fes principes l'avoient
conduit à nier l'existence des corps , & il
ne la croyoit que parce que l'Ecriture Sainte
le lui enfeignoit. En fuivant fes idées ,
d'autres ont conclu de la non - exiſtence de
la matiere , que les livres de l'écriture n'étoient
, ainfi que les corps , qu'une illufion
DECEMBRE . 1754 $ 3
des fens. Je regarde Mallebranche comme
l'auteur de la fecte des idéaliſtes , plus étendue
qu'on ne penfe , & dont l'opinion eft
un pur fcepticiſme , abfurde au premier
coup d'oeil , mais qui n'en devient que plus
dangereux dès qu'on l'approfondit.
Ce font là cependant les oracles de la
philofophie : fi les lumieres de leur efprit
& la droiture de leur coeur n'ont pû les
mettre à l'abri de l'erreur , croyons que
notre raiſon eft un flambeau trop foible
pour nous éclairer , & cherchons une
lumiere plus fûre , que nous ne pouvons
trouver que dans la religion : notre ame
ne fe connoît pas elle-même , ni le corps
qu'elle gouverne , ni les objets avec lefquels
elle a des rapports immédiats ; comment
connoîtroit- elle les rapports de l'homme
avec l'être fuprême ? elle ne peut parcourir
la chaîne immenfe qui les fépare :
qu'elle refte donc dans fa fphere. Reconnoiffons
la foibleffe & l'impuiffance de
notre raison , qui n'eft pas même capable
de me prouver l'existence de mon propre
corps , le fentiment feul me le perfuade ,
& je ne puis en douter : ainfi je ne fuis
pas convaincu , mais je fens l'exiſtence
d'un être fuprême , & la néceffité d'un
culte ; cela me me fuffit , je me tais , &
j'adore .
'Hiftoire de l'efprit humain eft l'étude
la plus flateufe & en même tems la
plus humiliante pour un fage. Après bien
des réflexions , l'homme n'eft plus à fes yeux
qu'une efpece bizarre en qui la mifere &
la grandeur fe tiennent par la main , &
dont l'être entier eft un paradoxe. Si on
le confidere du côté des lumieres de l'efprit
, il n'eft jamais fi petit que lorfqu'il
paroît monté à fon plus haut point d'élévation.
Les connoiffances les plus refé7
DECEMBRE 1754 . 47
chies n'ont fervi aux efprits bienfaits qu'à
leur faire voir de plus près leur ignorance
, & n'ont fait qu'égarer les autres . La
Philofophie dont le but doit être de nous
apprendre nos devoirs , n'a gueres fervi
qu'à fournir des prétextes pour fe difpenfer
de les remplir . La religion fur tour
cet objet fi intéreſſant pour nous , puif
qu'il décidé de notre fort dans cette vie
& de celui qui nous attend dans l'immenfité
de la nature ; la religion , dis- je , a
prefque toujours été la victime des fauffes
lumieres de la raifonte Suivons la marche
de l'incrédulité , nous la verrons , à la honte
de l'efprit humain , s'élever avec l'aurore
de la Philofophie , s'accroître avec elle
par dégrès , & la fuivre dans tous fes développemens.
L'existence d'une divinité , cette vérité fi
fimple que le fentiment démontre à tous les
hommes , ne devint un paradoxe que lorfque
la raifon voulut la foumettre à l'analy
fe. Prefque tous les Philofophes anciens la
nierent ; Philofophe & Athée chez les Grecs
& les Romains étoient à peu- près fynonymes
, & on mettoit , dit Cicéron , au nombre
des propofitions probables celles - ci :
Les meres aiment leurs enfans : les Philofophes
ne croyent point de dieux . Thalés , Démocrite
, Epicure , &c. enfeignerent l'Athéif48
MERCURE DE FRANCE.
me : on ne fçaitpas fi Ariftote a été Athée ,
parce qu'il ne s'eft pas expliqué affez clairement
, mais au moins nia- t-il , la providence.
Pour Straton fon difciple , il fit un
fyftême de matérialiſme des plus décidés.
Tous les autres embrafferent le Scepticifme
, qui ne vaut pas mieux que l'Athéifme..
L'impiété ne prit chez les Romains que
fort tard , parce qu'ils ne connurent la
Philofophie que fort tard. Quelques Sçavans
qui voyagerengen Gréce , y puiferent
avec les principes de la Philofophie , ceux
de l'irréligion . Lucrece afficha le Matérialifme
; & les écrits de Cicéron , de Pline
& Senéque , refpirent le Scepticiſme.
Si nous paffons au Judaïfme , nous verrons
la religion de Moïfe confervée avec
vénération chez les Hébreux , malgré la
captivité , la difperfion & les révolutions
qu'ils eurent à effuyer , jufqu'à ce que la
Philofophie s'étant mêlée parmi eux , on
vit naître le Saducéïfme qui rejetta la fpiritualité
& l'immortalité de l'ame . Cette
fecte impie fut non feulement tolérée &
admife à la communion judaïque ; mais
on vit même un de fes plus zélés partifans ,
le célebre Hircan , affis fur le thrône pontifical.
Dans les premiers fiécles du Chriftianifine
,
DECEMBRE. 1754 49
nifme , où la religion devoit être d'autant
plus pure qu'elle étoit plus près de fa
fource , l'introduction de la Philofophie
payenne ouvrit la porte à l'erreur. Le Platoniſme
étoit pour lors en regne , la conformité
de ce lyftême avec quelques dogmes
de la religion le firent adopter : de
là cette foule d'héréfies , qui ne font qu'un
mêlange monstrueux des principes du
Chriftianifme avec quelques idées des
Philofophes payens , & qui ne furent enfantées
ni par l'erreur ni par le fanatif
me. Leurs Auteurs étoient des ambitieux
fans religion , qui fe jouant de la crédulité
des peuples , en firent l'inftrument de
leur ambition .
La Philofophie ayant été tranſplantée
chez les Arabes dans le VIII fiécle , ne
manqua pas de répandre fes influences fur
la religion de ces peuples. Le célebre Almanzor
, ce Calife Aftronome & Philofophe
, & après lui Abdallah & Almamon
voulant faire fleurir les Arts & les Sciences
chez cette nation , jufques- là barbare ,
y attirerent plufieurs fçavans , & firent traduire
en Arabe les meilleurs Auteurs anciens
& fur-tout leurs ouvrages philofophiques.
Le goût de la Philofophie s'étant
répandu , les efprits devinrent plus éclairés,
& l'Alcoran perdit en même tems beau-
1. Vol. C
so MERCURE DE FRANCE.
coup de la vénération qu'on lui portoit.
On vit naître une fecte de Philofophes ,
Médecins & Chymiftes , la plûpart Athées.
On ne connoît que trop le fameux Aver
roës , dont le fyftême de matérialiſme trouva
des profelites jufqu'en Europe . La dégradation
du Mahometifme ne manqua pas
d'exciter les murmures des zélés Mufulmans.
Bayle rapporte que Takiddin , un
de leurs Auteurs , s'éleva fort contre Almanzor
qu'il menaça de la colere célefte
pour avoir altéré la dévotion des vrais
croyans par l'introduction de la Philofophie.
Enfin par tout où vous trouverez les
traces de la Philofophie , vous trouverez
celles de l'irréligion qui la fuit toujours.
›
Lotfque Mahomet II eut pris Conftantinople
, où l'empire des Lettres avoit été
tranfplanté avec l'Empire Romain , les plus
fçavans hommes de la Grece fe retirerent
en Italie , où ils porterent les femences de
l'athéifme , qui s'y développa avec une rapidité
prodigieufe. Il est étonnant combien
on vit paroître d'athées en Italie dans les 15
& 16 fiécles ; on n'en a point connu en
France avant la reftauration des lettres par
François I. Mais depuis cette époque , la
philofophie y ayant monté au point de perfection
où elle eft aujourd'hui , l'incrédu
lité a gagné du terrein , & a ſuivi les mêDECEMBRE
. 1754
Sx
mes proportions dans fes progrès.
Les abus que les efprits forts ont fait
de tous les fyftêmes philophiques prouvent
que les principes de la philofophie ne font
pas faits
pour être adaptés à ceux de la
religion. Le pere de la philofophie mo-
1 derne , Descartes a malheureuſement
moins réuffi à démontrer l'exiſtence d'un
Dieu qu'à prouver que l'univers a pû fe
former & fe conferver tel qu'il eft par les
loix générales du mouvement. Quelque
éloigné que Defcartes ait voulu paroître
d'appuyer l'athéifme par ſon ſyſtême , il
n'en eft pas moins vrai que Spinofa n'a
fondé fon hypothèſe que fur les principes
du Cartefianifme. Bayle s'eft fervi de
ces mêmes principes pour établir fon fyftême
de pyrronifme , & pour combattre
tous les raifonnemens que l'on pouvoit
faire en faveur de la religion.
L'optimisme du célébre Leibnitz conduit
naturellement au fatalifme , & eft
d'autant plus féduifant qu'il juftifie la providence
de l'imputation du mal moral &
du mal phyfique ; l'harmonie préétablie du
même philofophe exclut toute liberté dans
l'homme.
Locke , ce fage & dangereux métaphyficien
, doit être regardé comme le pere du
matérialiſme moderne. Démontrer, comme
Cij
52. MERCURE DE FRANCE.
il prétendoit l'avoir fait , que la matiere
peut penfer , c'étoit en bonne logique démontrer
qu'elle penfe effectivement ; car
fi la matière eft fufceptible d'intelligence ,
la création d'une autre fubftance feroit
un hors d'oeuvre , & nous ferions d'autant
plus autorisés à la rejetter qu'il n'y a
que la néceffité de fon exiftence pour expliquer
la penfée , qui puiffe faire recourir
à un être qu'il nous eft impoffible de
concevoir.
Le grand Newton , malgré fon reſpect
pour la Divinité , n'a pû empêcher que
fon fyftême ne foit un des plus favorables
à l'irréligion ; & les pfeudo-Newtoniens ,
je veux dire ceux qui regardent , certe le
fentiment de Newton , l'attraction comme
une qualité effentielle à la matiere , font
de ce principe la baſe de l'athéifme le plus
décidé.
Mallebranche , qui a été le philofphe le
plus pénétré des fentimens de la religion ,
eft un de ceux dont les opinions ont été les
plus dangereufes ; fes principes l'avoient
conduit à nier l'existence des corps , & il
ne la croyoit que parce que l'Ecriture Sainte
le lui enfeignoit. En fuivant fes idées ,
d'autres ont conclu de la non - exiſtence de
la matiere , que les livres de l'écriture n'étoient
, ainfi que les corps , qu'une illufion
DECEMBRE . 1754 $ 3
des fens. Je regarde Mallebranche comme
l'auteur de la fecte des idéaliſtes , plus étendue
qu'on ne penfe , & dont l'opinion eft
un pur fcepticiſme , abfurde au premier
coup d'oeil , mais qui n'en devient que plus
dangereux dès qu'on l'approfondit.
Ce font là cependant les oracles de la
philofophie : fi les lumieres de leur efprit
& la droiture de leur coeur n'ont pû les
mettre à l'abri de l'erreur , croyons que
notre raiſon eft un flambeau trop foible
pour nous éclairer , & cherchons une
lumiere plus fûre , que nous ne pouvons
trouver que dans la religion : notre ame
ne fe connoît pas elle-même , ni le corps
qu'elle gouverne , ni les objets avec lefquels
elle a des rapports immédiats ; comment
connoîtroit- elle les rapports de l'homme
avec l'être fuprême ? elle ne peut parcourir
la chaîne immenfe qui les fépare :
qu'elle refte donc dans fa fphere. Reconnoiffons
la foibleffe & l'impuiffance de
notre raison , qui n'eft pas même capable
de me prouver l'existence de mon propre
corps , le fentiment feul me le perfuade ,
& je ne puis en douter : ainfi je ne fuis
pas convaincu , mais je fens l'exiſtence
d'un être fuprême , & la néceffité d'un
culte ; cela me me fuffit , je me tais , &
j'adore .
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Résumé : ESSAI PHILOSOPHIQUE.
L'essai philosophique 'Histoire de l'esprit humain' examine la dualité de l'homme, oscillant entre misère et grandeur. Les connaissances humaines, plutôt que d'éclairer, révèlent souvent l'ignorance et égarent les esprits. La philosophie, destinée à enseigner les devoirs, a souvent été utilisée comme prétexte pour s'en dispenser. La religion, essentielle pour la destinée humaine, a été altérée par les fausses lumières de la raison. L'incrédulité a progressé avec la philosophie, notamment chez les philosophes grecs et romains, où athéisme et philosophie étaient presque synonymes. Des penseurs comme Thalès, Démocrite et Épicure enseignaient l'athéisme, tandis que d'autres adoptaient le scepticisme. À Rome, l'incrédulité est apparue plus tard, introduite par des savants ayant voyagé en Grèce. Dans le judaïsme, la religion de Moïse était vénérée jusqu'à l'introduction de la philosophie, qui a donné naissance au sadducéisme, rejetant la spiritualité et l'immortalité de l'âme. Dans le christianisme primitif, la philosophie païenne a engendré des hérésies mêlant christianisme et idées philosophiques. Chez les Arabes, la philosophie a affaibli la vénération de l'Alcoran, menant à l'athéisme et au matérialisme, comme celui d'Averroès. En Europe, après la chute de Constantinople, l'athéisme s'est développé en Italie et en France, suivant les progrès de la philosophie. Les systèmes philosophiques modernes, de Descartes à Newton, ont souvent conduit à l'irréligion. Descartes a démontré un univers sans Dieu, Spinoza a fondé son système sur le cartésianisme, et Bayle a utilisé ces principes pour le pyrrhonisme. Leibniz a justifié le fatalisme, Locke a promu le matérialisme, et Newton a indirectement favorisé l'athéisme. Mallebranche, malgré sa piété, a conduit au scepticisme idéaliste. L'auteur conclut que la raison humaine est insuffisante pour comprendre les rapports avec l'être suprême et recommande de se fier au sentiment religieux.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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7
p. 7-30
IDÉES DES PROGRÈS De la Philosophie en France.
Début :
La Philosophie est de toutes les sciences celle qui a fait les progrès les plus [...]
Mots clefs :
Philosophie, France, Progrès, Esprit, Système, Newton, Descartes, Physique, Nature, Philosophes, Géométrie, Découvertes, Observations
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IDÉE DES PROGRES
Les
De la Philofophie en France.
a
A Philofophie eft de toutes les fciences
celle qui a fait les progrès les plus
rapides de nos jours ; les autres connoif-
Lances n'ont pas été portées à un dégré de
perfection plus haut que dans les beaux
fécles de la Grece & de Rome. Les reffources
de l'art font bornées ; l'efprit humain
ne faifant que fe replier fur lui - même ,
a bientôt parcouru la petite fphere de fes
idées , & trouvé les limites que la main
éternelle a prefcrites à fon activité. Au
lieu que la nature eft un abyfme où l'oeil
du Philofophe fe perd fans en trouver jamais
le fond ; c'eft une carriere immenfe
& dont l'immenfité femble augmenter à
mefure qu'on y pénétre plus avant . Les
Philofophes modernes , qui femblent avoit
marché à pas de géans dans cette carriere
, & qui ont laiffé les anciens fi
loin derriere eux , n'ont fait que nous
montrer le but ; les nouvelles lumieres
qu'ils ont portées dans la nuit de la nature
n'ont pas été affez vives pour nous conduire
à la vérité , & n'ont guere fervi qu'à
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
nous éclairer fur l'intervalle énorme qui
nous en féparoit encore. Mais fi le méchanifme
de l'univers eft toujours un fecret
pour nous , du moins pouvons- nous
nous flatter d'être fur la bonne route pour
le découvrir ou pour fentir l'impoffibilité
d'y réuffir. Les François ne font pas ceux
qui ont eu le moins de part aux progrès
de la philofophie ; le grand Defcartes qui
a fi bien mérité d'en être appellé le pere ,
a ouvert le premier la carriere , & a fervi
de guide aux philofophes qui l'ont fuivi .
On fçait affez le defpotifme avec lequel
la philofophie d'Ariftote regnoit fur les
bancs de l'école ; le fanatifme pour fes décifions
étoit monté au plus haut point de
l'extravagance ; on ne cherchoit plus à
concilier fes principes avec les phénomenes
de la nature qui les contredifoient ,
c'étoit les phénomenes que l'on vouloit
adapter à ces principes. Quelques bons efprits
avoient connu les abfurdités du péripatetime
, & avoient fait de vains efforts
pour en réformer les abus : cette philofophie
qu'on avoit eu raifon d'admirer
dans des fiécles d'engourdiffement & de
barbarie de l'efprit humain , avoir été
confacrée par le tems , l'ignorance & le
pédantifme. Bacon parut ; ce grand homme
vit les entraves que cette fuperfti
DECEMBRE . 1754.
tion ridicule mettoit à la raifon ; il ofa
propofer de refondre le fyftême des connoillances
humaines , & démontra la néceffité
d'une nouvelle méthode pour étudier
la nature. Ce que l'illuftre Anglois
n'avoit fait qu'entrevoir , Defcartes l'exécuta
: il détruifit de fond en comble le péripatétifme
, & chercha à élever un nouveau
fyftême fur d'autres fondemens.
Il n'y avoit alors que l'aftronomie & les
mathématiques qui fuffent cultivées avec
fuccès , les autres parties de la philofophie
étoient prefque abandonnées ; d'ailleurs
elles étoient entierement détachées
les unes des autres , & traitées féparément :
un aſtronome n'étoit qu'aftronome , un
géometre n'étoit que geometre , un médecin
n'étoit que médecin , un métaphyficien
n'étoit rien . Defcartes apperçut les
rapports qui lioient ces différentes connoiffances
, & les fecours qu'elles devoient fe
prêter l'une à l'autre ; il rapprocha ces
membres épars , & n'en fit qu'un feul corps
de fcience.
Il appliqua l'algebre à la géométrie , &
la géométrie à la phyfique : c'est à cette
idée fublime , à ce coup de génie qu'il faut
rapporter les progrès étonnans qu'on a fait
dans les fciences phyfico-mathématiques.
On peut dire qu'il a créé la métaphysique ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
par la diftinction auffi fimple que lumineu
fe des deux fubſtances ; diſtinction qui
anéantit les difputes frivoles & ridicules
des métaphyficiens fcholaftiques fur la nature
de l'ame , & par fon admirable méthode
, à laquelle nous devons peut- être
cet efprit philofophique qui s'eſt développé
dans fon fiécle , & a fait des progrès fi
fenfibles dans le nôtre. Il a pris la géomé
trie où les anciens l'avoient laiffée , & en
a reculé bien loin les limites . Enfin il 2
répandu une nouvelle lumiere par- tout ;
mais elle n'a guere fervi qu'à ceux qui
font venus après lui , & ne l'a pas empêché
de s'égarer. Il auroit deviné la nature
fi elle avoit pû fe deviner ; mais il
falloit l'obferver , & il n'en a pas eu le
tems fes erreurs appartiennent à la foi
bieffe de l'humanité & à l'ignorance de fon
fiécle ; mais fes découvertes ne font qu'à
lui ainfi en abandonnant fes idées fauffes
, refpectons toujours fon génie , admi
rable même lorfqu'il s'eft trompé . L'hy
pothefe brillante des tourbillons , fi célé→
bre , fi combattue , & fi bien détruite par
les nouvelles obfervations , ne feroit fûrement
pas entrée dans la tête d'un hommemédiocre
; fon fyftême fur l'ame des bêtes ,
regardé communément comme une plaifanterie
, & ridicule aux yeux de bien des
DECEMBRE. 1754 .
gens , eft à mon avis une idée plus férieufe
, & qui s'étend plus loin qu'on ne penfe ,
lorfqu'on la confidere dans tous fes rapports
: demandez- le à Bayle , & au médecin
Lami.
Je me fuis beaucoup étendu fur Defcartes
, parce qu'on commence à oublier
tout ce qu'on lui doit. Comme la plupart
de fes ouvrages ne font plus d'une grande
utilité , parce qu'on a été plus loin que
lui , on ne fe fouvient plus que fans lui ,
peut-être on feroit encore dans les ténébres.
Lorfqu'il a paru , la philofophie étoit
une terre en friche : elle n'a pas produit
beaucoup de fruits fous fes mains ; mais il
en a arraché les ronces , il l'a préparée , &
a appris à là rendre féconde : en eft - ce trop
peu pour mériter notre reconnoiffance ?
Je ne peux m'empêcher de le regarder comme
un homme rare , qui fubjugué par l'impulfion
du génie , étoit né pour faire une
révolution , & dont les découvertes feront
une des plus brillantes époques de l'hiftoire
de l'efprit humain.
Gaffendi , contemporain de Descartes",
mérite auffi une place honorable dans l'hiftoire
de la philofophie , quoiqu'il n'ait pas'
travaillé avec beaucoup de fuccès pour elle.
Né avec un génie extrêmement méthodique
& une fagacité peu commune , il fue
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
révolté , comme Defcartes , des abfurdités
de la fcholaftique : il la combattit avec vivacité
, & voulut relever le fyftême d'Epicure
, pour l'établir fur les débris de celui
d'Ariftote . Il employa beaucoup d'adreffe
& de fubtilité pour expliquer la
formation & la confervation de l'univers
par le mouvement direct & la déclinaifon
des atômes . Il donna à cette hypotheſe un
vernis d'orthodoxie , & toute la probabi
lité dont elle étoit fufceptible ; mais cette
fecte des atomiftes modernes ne fut pas
nombreuſe ; chimere pour chimere , on
garda celle qui étoit déja établie , quoique
plus abfurde encore .
Le cartéfianifme n'eut pas le même fort ,
parce qu'il étoit mieux fondé ; il fit une
fortune étonnante dans toute l'Europe , il
eut les adverfaires & les fectateurs les plus
diftingués ; il fut profcrit en France , rétabli
enfuite , & adopté avec empreffement
dès qu'il fut mieux connu .
Mrs Rohault & Regis furent les premiers
qui le profefferent en France , & ils
le firent avec un fuccès & des applaudiffemens
finguliers. Mais le plus illuftre partifan
de Defcartes fut fans doute le P. Malebranche
, de l'Oratoire , phyficien , géometre
, & plus grand métaphyficien encore
; il ne prit que les principes de fon
2
I
a
DECEMBRE. 1754. 13
maître , & s'en fervit en homme de génie.
Il adopta fon fyftême des tourbillons ,
après y avoir reformé beaucoup de choſes ,
& le défendit avec vigueur. Dans la métaphyfique
il alla beaucoup plus loin que
Defcartes ; fes principes le conduifirent à
nier l'existence des corps , & s'il l'admit ,
ce fut parce que l'Ecriture Sainte le lui enfeignoit
: quelque finguliere que foit cette
conclufion , on ne peut prefque pas douter
qu'il n'ait été de la meilleure foi du monde .
Il prétendit démontrer que nous nepouvions
pas voir les objets hors de nous , encore
inoins dans nous , & que nous ne pouvions
les appercevoir que dans Dieu. Il étaya ces
idées abftraites de la métaphyfique la plus
fubtile, d'une élocution pleine de force & de
nobleffe , & de l'imagination la plus brillante
: mais malgré ces avantages , la profondeur
&l'obfcurité de fes idées garantirent de
la féduction. Il faut une grande contention
d'efprit & un grand goût de métaphyfique
pour le fuivre dans fes fpéculations ; ce
font des espéces de points indivisibles , dit M.
de Fontenelle : fi on ne les attrappe pas toutà-
fait jufie , on les manque tout - à -fait . Aufli
le P. Mallebranche fe plaignit-il beaucoup
de n'être pas compris par ceux qui le critiquoient.
On fçait que M. Arnaud attaqua
fon fyftême avec un acharnement des
14 MERCURE DE FRANCE.
moins philofophiques . M. Arnaud ne m'en.
tend pas , difoit Mallebranche : cb qui voulez
- vous donc qui vous entende ? lui répondit-
on .
Le mallebranchifme a fait naître la fecte
des immatérialistes , fort peu reçue en France
, mais qui a fait plus de progrès en Angleterre
; ces philofophes nient l'existence
de la matiere , telle que nous la concevons
, & même fa poflibilité ; les illufions
des fens font leur grand argument : ils
prouvent très-bien que les qualités que
nous regardons comme inhérentes aux
corps , telles que la couleur , l'étendue ,
&c. ne font que de pures idées de notre
ame, qui n'exiftent point hors d'elle , & qui
n'ont aucune analogie avec la nature des
objets qui les excitent en nous. Les dialogues
de Berkeley , ouvrage fingulier , où
Fon trouve une logique fubtile avec beaucoup
de fimplicité , font voir combien ce
fyftême eft féduifant, quelque abfurde qu'il
paroiffe au premier coup d'oeil , & combien
font preffans les argumens fur lef- ,
quels il est établi. Quelques-uns pouffent
encore ces idées plus loin , & prétendent
que chaque individu n'eft fûr que de fa
propre exiftence , & qu'il pourroit avoir
routes les idées & les fenfations dont il eft
affecté , fans qu'il y eût aucun autre être
DECEMBRE. 1754. 15
hors de lui ; c'eft la fecte des Egorftes : quel
que inacceffible qu'elle foit aux traits de
la métaphyfique , elle révolte trop les notions
les plus fimples pour trouver beaucoup
de fectateurs.
M. de Fontenelle a peut-être mieux mérité
de la philofophie que beaucoup de
ceux qui l'ont enrichie de découvertes. On
ne voit que des dévots qui dégoûtent de la dévotion
, dit un de nos moraliſtes. Avant
M. de Fontenelle on voyoit des philofophes
qui dégoûtoient de la philofophie ;
il fit voir que ce n'étoit pas la faute de la
philofophie : il la dépouilla de cet air fauvage
qui la rendoit fi peu trairable ; il l'embellit
des graces de fon imagination , & il
fit naître des fleurs où l'on ne foupçonnoit
que des épines : fon livre de la pluralité
des mondes eft un monument qui lui
fera autant d'honneur qu'à l'efprit de la
nation.
Qu'on me permette une digreffion à
laquelle je ne peux me refufer , & que
l'efprit de patriotifme m'arrache. Il y a
long- tems qu'on accufe les François d'être
legers & fuperficiels , & de ne faire qu'effleurer
les fciences : les Anglois , dit- on ,
font bien plus philofophes que nous : pourquoi
? parce qu'ils traitent la philofophie:
d'un air grave & ferieux. Et moi je crois
"
16 MERCURE DE FRANCE.
que nous le fommes pour le moins autant
qu'eux , précisément parce que nous la traitons
légèrement ; il faut polléder bien nettement
une matiere philofophique , pour la
dégager des termes barbares , des idées abtrules
, & des épines du calcul fous lef
quels d'autres font obligés de l'envelopper
, & pour la réduire à un raifonnement
fimple , à des images fenfibles , & aux expreflions
les plus communes , pour lui prêter
même des ornemens : c'est ce que M.
de Fontenelle , & d'autres après lui ont fait
avec fuccès. Il y a des gens qui croyent
que la féchereffe eft effentielle aux ouvra
ges fcientifiques , comme il y en a eu jadis
qui ne croyoient pas qu'on pût être philofophe
fans avoir une barbe fale & un
manteau déchiré. Cet efprit de fuperficie
qu'on nous reproche , n'eft que le vernis de
nos ouvrages qui ne nuit point à leur folidité.
La raifon toute nue a fouvent l'air
rebutant ; nos écrivains la rendent aimable
en la parant de fleurs : c'eft le vaſe dont
on frotte les bords de miel , pour faire ava
ler à un enfant un reméde falutaire : aux
yeux du philofophe , les hommes ordinaires
font- ils autre chofe que des enfans ?
Le cartéfianifme commençoit à être reçu
affez généralement , fur tout en France
lorfque le newtonianiſme parut , & vint
DECEMBRE. 1754. 17
partager les efprits. Comme les ouvrages
de Newton paroiffoient inacceffibles fans le
fecours de la plus fublime géométrie , fon
fyftême ne fut pas répandu d'abord , & refta
quelque tems entre les mains de quelques
adeptes. M. de Maupertuis a été le premier
qui en a donné quelques effais dans
notre langue ; mais il étoit réfervé à un
homme qui ne s'étoit fait qu'un jeu de la
phyfique & de la géométrie , de le produire
au grand jour c'eft M. de Voltaire . Il
donna fes Elémens de la philofophie de Newton
, ouvrage écrit avec la précifion , l'élégance
& la netteté qui lui font propres.
Ce livre fit une fenfation prodigieufe , &
par le nom de l'Auteur , & par les nouveautés
philofophiques qu'il mettoit fous
les yeux du public. D'abord les géometres
que M. de V. humilioit , & les beaux efprits
qu'il avoit humiliés dès long - tems ,
fe déchaînerent à l'uniflon contre lui ; il
paroiffoit inconcevable qu'un homme qui
avoit fait de beaux vers pût être géometre
& phyficien : on ne peut pas mieux
parler , difoit-on , de ce qu'on n'entend
pas ; comme fi l'efprit , en philofophie ,
pouvoit fuppléer aux lumieres. Pour apprécier
le mérite de cet ouvrage & la prévention
ridicule de certaines gens qui ne
font pas même en état de le lire , il faut
18 MERCURE DE FRANCE.
jetter les yeux fur les critiques qu'on en
fit dans le tems. Cette multitude de fautes
énormes qu'on devoit mettre au grand jour ,
fe réduisirent à des erreurs légeres , à quelques
mauvaifes épigrammes , à des ob
jections vagues , & dont la plupart tomboient
fur Newton , & non pas fur M. de
Voltaire . D'ailleurs quand il n'auroit pas
bien faifi Newton dans quelques détails ,
quel eft le phyficien qui puiffe fe flatter
de ne l'avoir jamais manqué : Le reproche
le mieux fondé qu'on ait fait à M. de Voltaire
, c'est peut-être fur la maniere peu
avantageufe dont il a parlé de Deſcartes :
je ne peux pas mieux faire que de rapporter
ici quelques reflexions du P. Caftel à
ce fujet ( Mem. de Trev . Octob. 1739. )..
» M. de Voltaire a fi fort honoré notre
» nation par fes propres talens , qu'elle
peut bien lui pardonner le peu d'hon .
neur qu'elle lui enleve en rabaiffant
» Defcartes. En faveur de M. de Voltaire
» poëte , on devroir juger moins rigoureu-
» fement M. de Voltaire philofophe ; &
»en prenant les chofes du bon côté , en-
>>core eft- ce une louable entrepriſe d'avoir
» ofé s'enfoncer i avant dans des matie-
» res fi épineufes , au mépris de toutes ces
» fleurs qu'il pouvoit s'amufer à cueillir fi
agréablement , & toujours prêtes à éclore
ود
DECEMBRE . 1754 IS
fous fa main ; & n'eft-ce rien que la célébrité
qu'il a donnée à la philofophie ,
» & par conféquent aux philofophes ; l'oc-
» cafion même qu'il donne aux cartéfiens
de triompher du grand Newton ?
Le Newtonianifme une fois mis au
grand jour , fit fur les efprits des impreffions
bien différentes ; il fut adopté des
ans & attaqué par d'autres avec une égale
vivacité. Comme il battoit en ruine le cartéfianifme
, les Carréfiens fe mirent fur la
défenfive . M. Privat de Molieres , bon géometre
& affez fubtil phyficien , fut celui
qui défendit les tourbillons avec le plus de
faccès : il fentit bien qu'ils étoient en défaut
dans beaucoup de phénomenes , & il les réforma
en habile homme ; il les adapta aux
nouvelles expériences avec adreffe , & ii
fit fervir à confirmer fon fyftême les mê
mes obfervations que les Newtoniens apportoient
pour le détruire. Malgré tous
fes efforts cependant , les tourbillons tom
berent dans un difcrédit total , & on peut
dire qu'ils ont pouffé les derniers foupirs
entre les mains de M. de Fontenelle , dont
la Théorie des tourbillons fera vraisemblablement
le dernier ouvrage qu'on fera en leur
faveur.
Quelque abfurdités métaphyfiques que
le Newtonianifme entraîne après lui , on
20 MERCURE DE FRANCE.
ne peut nier que ce fyftême ne foit bien
féduifant ; il ſemble n'être fondé que fur
des faits & des démonftrations. La facilité
admirable avec laquelle il explique les mouvemens
des corps céleftes & beaucoup de
phénomenes julques- là inacceffibles , la fineffe
& la mutitude des obfervations qui en
font la bafe , & un grand étalage de calcul ,
en ont impofé ; on n'a pas voulu voir l'illufion
de quelques expériences , & le peu
de liaifon de certains faits avec les inductions
que Newton en tire pour établir fes
principes ; enfin la ruine des tourbillons
& la néceffité d'un fyftême pour le vulgaire
des philofophes , tout cela a beaucoup favorifé
l'établiffement de la nouvelle phyfique.
Peu de tems après , Madame la Marquife
du Chaſtelet vint auffi fe mettre fur
les rangs , & oppofer Leibnitz à Newton.
Leibnitz , commenté par M. Wolf , avoit
fait beaucoup de fortune en Allemagne ;
quelques idées métaphyfiques , de fimples
projections éparfes dans fes ouvrages , fe
font étendues fous la main de M. Wolf,
& ont donné matiere à beaucoup de gros
volumes , dans lefquels il a remis en honneur
le goût des définitions , & les termes
barbares de l'école combinés avec une méthode
féchement géométrique. Leibnitz
DECEMBRE. 1754. 21
n'a pas été fi heureux en France , quoique
Madame du Chaſtelet lui eût donné un
air plus François dans fes Inftitutions de
physique. Cet ouvrage et écrit avec beaucoup
de méthode , de nobleffe & de précifion
; mais il ne fit pas beaucoup de profélites
, & on ne jugea pas à propos de
croire aux Monades fur la parole de Madame
du Chaftelet . Cette femme illuftre a
laiffé entre les mains de M. de Clairault
une traduction Françoife du grand ouvrage
de Newton , avec des commentaires
très -profonds fur ce que les mathématiques
ont de plus fublime : ce livre eft prêt
à paroître. Madame du Chaftelet & cette
célébre Mlle Agnefi, qui profeffe les mathé
matiques à Boulogne , & qui a donné il y
quelques années un excellent ouvrage d'analyfe
, font des phénomenes qui feront
honneur au beau fexe , à la géométrie &
notre fiécle.
Quoique Newton l'ait emporté fur Defcartes
& Leibnitz , il s'en faut cependant
bien qu'il ait fubjugué tous les efprits ; il a
encore enFrance des adverfaires bien redoutables.
Il y a trop de chofes dans fon ſyſ
tême qui font de la peine à la raifon , pour
ne pas révolter tous ceux qui croyent encore
que la méthode de Defcartes eft la
feule qui puiffe nous conduire à la vérité,
22 MERCURE DE FRANCE.
1
s'il nous eft donné d'y atteindre .
1 Toutes ces difputes philofophiques ont
éclairé les efprits , le goût des fyftêmes
s'eft perdu , & a fait place à un fcepticifme
raifonné & modéré , fort généralement
répandu , & d'autant mieux établi qu'il
n'eft ni l'effet de l'ignorance , ni une affectation
de fingularité ; c'eft peut- être auffi
ce qui nuira le plus aux progrès de la philofophie.
Il faut donner l'effor à l'imagi
nation pour aller loin : les plus grandes
découvertes de fpéculation ne font gueres
que des heureuſes témérités du génie ,
& les plus habiles philofophes ont été des
gens à fyftêmes : ce n'eft qu'à force de s'égarer
en effayant differentes routes , que
l'on rencontrera la bonne.
Il est vrai que la voye des expériences ,
quoique la plus lente , eft bien plus sûret
& plus commode ; c'eft auffi celle qu'a
prife l'Académie des Sciences : elle a déclaré
qu'elle n'adoptoit aucun fyftême. Le
tems d'en faire un n'eft pas encore arrivé ,
il faut attendre que l'on ait affez de matériaux
pour bâtir un fyftême général de l'univers
; ce n'eft qu'en amaffant des obfervations
& en établiffant des faits , que l'on
pourra y parvenir. On s'eft donc jetté principalement
du côté de la phyfique expéri
mentale , comme la partie de la philo
1
I
1
DECEMBRE. 1754. 23
fophie dont l'utilité eft plus fenfible.
Bacon , Galilée & Torricelli ont jetté les
fondemens de la phyfique expérimentale ;
le premier par des vues neuves & fublimes
; Galilée par fa théorie de l'accéléra
tion du mouvement dans la chûte des
corps ; & Torricelli par fes expériences fur
la pefanteur de l'air. Ces découvertes importantes
ont porté dans la phyfique une
nouvelle lumiere , que les Boyle , les Pafcal
, les Newton , &c . ont encore étendue
bien au-delà : ce font des veines heureuſes
qui ont conduit à des mines fécondes .
Le goût des expériences s'eft répandu
chez toutes les nations fçavantes , & il eft
cultivé aujourd'hui avec beaucoup de foin
& de fuccès. Parmi ceux qui peuvent être
cités dans ce genre , on s'attend bien à voir
le nom de M. de Reaumur , qui a fait des
recherches approfondies fur plufieurs parties
de la phyfique , & principalement fur
l'hiftoire naturelle. Obfervateur exact &
infatigable , les plus petits détails n'échap
perent pas à la fineffe & à la fagacité qu'it
porte dans tous fes procédés : fon Hiftoire
des infectes , avec beaucoup de longueurs ,
eft remplie de chofes neuves , utiles & délicates
. Zélé pour le bien public , il n'a pas
dédaigné de confacrer fes talens à des objets
, petits en apparence , mais qui tendent
14 MERCURE DE FRANCE.
à perfectionner les arts méchaniques , ou
prévenir quelques befoins de la fociété .
Les moyens de faire une nouvelle teintud'augmenter
la fécondité des terres ,
de garantir les étoffes des teignes , de conferver
des oeufs frais pendant trois à quatre
mois , voilà les objets de fa curiofité & de
fon travail. Des vues auffi fages & auffi
eſtimables devroient fervir d'exemple à
beaucoup de fçavans , qui croiroient s'avilir
par de femblables détails , & qui facrifient
à des recherches brillantes des recherches
plus utiles , mais obfcures . M. de Reaumur
ne trouve pas dans tous fes concitoyens
les mêmes difpofitions à rendre juſtice à
fes travaux , mais il les trouvera dans fa
nation ; & fa réputation ne peut être bleffée
par les petites épigrammes & le mépris
affecté de quelques perfonnes qui , ce
me femble , n'ont pas pris confeil de leurs
lumieres & de leur philofophie.
C'eft bien ici le lieu de rendre à un philofophe
citoyen l'hommage que méritent
fes talens & l'emploi refpectable qu'il en
fait ; je parle de M. Duhamel , de l'Académie
des Sciences , à qui nous devons
l'excellent Traité de la culture des terres ,
dont les principes font fi peu connus & mériteroient
tant de l'être. Il a réuni fes lumieres
& fes obfervations aux découvertes
des
DECEMBRE. 1754. 25
des Anglois , qui dans cette partie effentielle
font bien faits pour être nos maîtres
& nos modeles. Il a cherché les moyens de
conferver les grains dans les greniers ; il
a imaginé une charrue d'une conftruction
neuve & fort commode , qui abrege beaucoup
les travaux des laboureurs , cette portion
du peuple la plus néceffaire & la plus
miférable. Les principes de M. Duhamel
font fimples & évidens ; on lui a rendu
juftice : mais c'eſt peu d'être loué , il veut
être utile ; & ce ne feroit pas la premiere
fois qu'un philofophe auroit parlé , qu'on
auroit trouvé qu'il a raifon , & que fes
avis n'auroient été fuivis. Quoiqu'il
en foit , on ne doit pas fe laffer de travailler
à la perfection de l'agriculture , qui en
ouvrant dans l'Etat une nouvelle fource
de richeffes réelles & permanentes , donneroit
à notre commerce le plus grand
avantage , & prefque le feul qui lui manque
fur celui de nos voisins .
pas
Si quelqu'un a eu l'efprit de fyftême
dans notre fiécle , je crois que c'eft M. de
Buffon : une tête philofophe , des vûes
grandes , une imagination forte & lumineufe
, & l'art de faifir les analogies ; voilà
ce qu'il m'a femblé appercevoir dans l'Hiftoire
naturelle , & ce qui forme , fi je ne
me trompe , l'efprit de fyftême. M. de Buf-
II.Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
fon , qui par un ftyle riche , élégant , har
monieux , plein de nobleſſe & de poëfie ,
efface Platon & Mallebranche , & donne
à la philofophie un éclat qu'elle n'avoit
pas encore eu , n'a pas été plus heureux
que Deſcartes dans fes conjectures fur l'origine
du monde & la génération des animaux.
Mais fi l'hiftoire de notre globe par
M. de Buffon eft un roman , c'eft celui
d'un habile phyficien : fon hypotheſe fur
la génération marque les bornes de nos
lumieres dans cette matiere ténébreuſe , le
defefpoir de la phyfique : fes obfervations
microfcopiques fi délicates & fi fingulieres,
feront peut-être plus utiles , parce qu'il
eft toujours utile de détruire des erreurs.
Les anciens avoient cru , fur de fimples apparences
peu approfondies , que la corruption
pouvoit engendrer des animaux.
Lorfque le microfcope , qui a élargi l'univers
aux yeux des philofophes , eut découvert
à Hartzoeker & à Lewenhoek les animalcules
qui fe meuvent dans les liqueurs ,
on fe moqua beaucoup des anciens , & il
ne parut plus douteux que tous les êtres
vivans font déja organifés dans la femence
, & qu'ils ne font que fe développer &
augmenter de volume. Mais ce principe
reçu fans conteftation & avancé avec ce
ton de confiance que donne trop fouvent
DECEMBRE . 1754. 29
la chaleur des premieres découvertes , s'eſt
trouvé en défaut dans la reproduction merveilleufe
des polypes , & il eft anéanti
aujourd'hui par les expériences de MM. de
Buffon & de Needham ; la production des
petites anguilles qu'ils ont vû fe former
dans le bled niellé & dans d'autres infufions
, remet en honneur l'opinion des anciens
; nous avons cru voir une étincelle
de lumiere , & nous rentrons dans une nuit
plus fombre. Les animalcules fpermatiques
ne font plus que de petites machines or
ganifées & fans vie ; il eft vrai que les obfervations
microfcopiques font trop fuf
ceptibles d'illufion pour qu'on ne s'en dépas
: celles de Lewenhoek ont été détruites
par celles de M. de Buffon , cellesci
peuvent être détruites par d'autres ; dans
cette matiere obfcure on finit , comme dans
prefque toutes les autres , par douter.
fie
Les fectateurs de la philofophie corpufculaire
ne pardonneront pas aifément à
M. de Buffon d'avoir établi la poffibilité
de fes moules intérieurs fur la ruine du méchaniſme
univerfel , & d'avoir mieux ainé
expliquer la circulation du fang , le jeu des
muſcles , en général toute l'économie animale
par des qualités occultes femblables
aux caufes de la pefanteur , des attractions
magnétiques , &c. que par des principes
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
purement méchaniques ; cela pourroit faire
craindre , difent- ils , le retour du fiécle
d'Ariftote. Epicure créa la phyfique corpufculaire
; ne voyant dans la nature que
de la matiere & du mouvement , il ne
chercha pas d'autres caufes pour expliquer
tous les phénomenes ; mais n'ayant pas encore
affez de faits & d'obſervations , ce
principe lui manqua dans l'application ;
on crut pour lors que ce qu'on ne pouvoit
pas expliquer par les loix du méchanifme
ne s'opéroit pas par ces loix ; de là
l'horreur du vuide , de- là l'attraction , &c.
L'attraction , ce monftre métaphysique ,
dont on ne peut plus fe paffer dans la phy-.
fique célefte , s'eft introduite auffi dans la
chymie. Les affinités de M. Geoffroi ne
font que le même terme déguifé ; elles paroiffent
préfenter une idée plus fimple , &
n'en font pas moins inintelligibles . Nous
devons aux Anglois cet abus de l'attraction ,
auffi bien que celui du calcul : ils réduifent
tout en problêmes algébriques ; l'antique
fuperftition fur la fcience mystérieuse
des nombres femble renaître . Jean Craig
a ofé calculer les dégrés de probabilité
des principes du chriftianifme , & le décroiffement
de cette probabilité : felon fes
calculs , la religion ne peut plus durer que
1400 ans. L'eſtimable auteur de l'Hiftoire
DECEMBRE . 1754 29
critique de la philofophie a calculé auffi les
dégrés de force de la certitude morale . Le
Chevalier Petty , créateur de l'arithmétique
politique , a cru pouvoir foumettre à
l'algebre l'art même de gouverner les hommes.
Le résultat de quelques -uns de fes
calculs peut faire juger de leur folidité ;
il croit avoir démontré que le grand nombre
des impôts ne fçauroit être nuifible à
la fociété & au bien d'un Etat . Il a calculé
ce que valoit un homme en Angleterre ,
& il l'a évalué à 1300 livres environ de
notre monnoie. Un Philofophe fublime
qui connoît bien le prix des hommes , ajoute
qu'il y a des pays où un homme ne
vaut rien , & d'autres où il vaut moins
que rien ( a ) . La médecine n'a pas été à
l'abri des excurfions de la géométrie : aux
aphorifmes d'Hypocrate & de Boerhaave
on a fubftitué des formules algébriques ;
on a voulu évaluer le mouvement des fluides
dans le corps humain , la force des
nerfs & des mufcles confidérés comme des
cordes , des leviers d'un certain genre ,
des piftons , &c. Mais qu'avons nous gagné
à ces abus de la géométrie on l'a
détournée de fon véritable objet , & elle a
eu le fort de l'efprit de notre nation : elle
( a ) Efprit des loix , liv. XXIII . chap. XVII,
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
a perdu en profondeur ce qu'elle a gagné
en fuperficie , & je ne doute pas qu'elle
ne touche au moment de fa décadence ,
qui vient d'être prédite par un homme de
beaucoup d'efprit . Cette fcience qui n'étoit
qu'un inftrument entre les mains de Defcartes
& de Newton , & qui n'eft faite
que pour en fervir , étoit devenue une
fcience orgueilleufe qui s'étoit élevée fur
les débris des autres , fur ceux de la métaphyfique
fur tout , parce qu'il eft bien
plus facile d'apprendre à calculer qu'à raifonner.
Il est bien à fouhaiter que le goût
abufif du calcul ne fafle plus d'obſtacle au
retour de la métaphyfique , dont le flambeau
peut feul nous éclairer fur les nouvelles
erreurs que de faufles lumieres ont
introduites , & qui retardent fenfiblement
les progrès de la philofophie.
Les
De la Philofophie en France.
a
A Philofophie eft de toutes les fciences
celle qui a fait les progrès les plus
rapides de nos jours ; les autres connoif-
Lances n'ont pas été portées à un dégré de
perfection plus haut que dans les beaux
fécles de la Grece & de Rome. Les reffources
de l'art font bornées ; l'efprit humain
ne faifant que fe replier fur lui - même ,
a bientôt parcouru la petite fphere de fes
idées , & trouvé les limites que la main
éternelle a prefcrites à fon activité. Au
lieu que la nature eft un abyfme où l'oeil
du Philofophe fe perd fans en trouver jamais
le fond ; c'eft une carriere immenfe
& dont l'immenfité femble augmenter à
mefure qu'on y pénétre plus avant . Les
Philofophes modernes , qui femblent avoit
marché à pas de géans dans cette carriere
, & qui ont laiffé les anciens fi
loin derriere eux , n'ont fait que nous
montrer le but ; les nouvelles lumieres
qu'ils ont portées dans la nuit de la nature
n'ont pas été affez vives pour nous conduire
à la vérité , & n'ont guere fervi qu'à
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
nous éclairer fur l'intervalle énorme qui
nous en féparoit encore. Mais fi le méchanifme
de l'univers eft toujours un fecret
pour nous , du moins pouvons- nous
nous flatter d'être fur la bonne route pour
le découvrir ou pour fentir l'impoffibilité
d'y réuffir. Les François ne font pas ceux
qui ont eu le moins de part aux progrès
de la philofophie ; le grand Defcartes qui
a fi bien mérité d'en être appellé le pere ,
a ouvert le premier la carriere , & a fervi
de guide aux philofophes qui l'ont fuivi .
On fçait affez le defpotifme avec lequel
la philofophie d'Ariftote regnoit fur les
bancs de l'école ; le fanatifme pour fes décifions
étoit monté au plus haut point de
l'extravagance ; on ne cherchoit plus à
concilier fes principes avec les phénomenes
de la nature qui les contredifoient ,
c'étoit les phénomenes que l'on vouloit
adapter à ces principes. Quelques bons efprits
avoient connu les abfurdités du péripatetime
, & avoient fait de vains efforts
pour en réformer les abus : cette philofophie
qu'on avoit eu raifon d'admirer
dans des fiécles d'engourdiffement & de
barbarie de l'efprit humain , avoir été
confacrée par le tems , l'ignorance & le
pédantifme. Bacon parut ; ce grand homme
vit les entraves que cette fuperfti
DECEMBRE . 1754.
tion ridicule mettoit à la raifon ; il ofa
propofer de refondre le fyftême des connoillances
humaines , & démontra la néceffité
d'une nouvelle méthode pour étudier
la nature. Ce que l'illuftre Anglois
n'avoit fait qu'entrevoir , Defcartes l'exécuta
: il détruifit de fond en comble le péripatétifme
, & chercha à élever un nouveau
fyftême fur d'autres fondemens.
Il n'y avoit alors que l'aftronomie & les
mathématiques qui fuffent cultivées avec
fuccès , les autres parties de la philofophie
étoient prefque abandonnées ; d'ailleurs
elles étoient entierement détachées
les unes des autres , & traitées féparément :
un aſtronome n'étoit qu'aftronome , un
géometre n'étoit que geometre , un médecin
n'étoit que médecin , un métaphyficien
n'étoit rien . Defcartes apperçut les
rapports qui lioient ces différentes connoiffances
, & les fecours qu'elles devoient fe
prêter l'une à l'autre ; il rapprocha ces
membres épars , & n'en fit qu'un feul corps
de fcience.
Il appliqua l'algebre à la géométrie , &
la géométrie à la phyfique : c'est à cette
idée fublime , à ce coup de génie qu'il faut
rapporter les progrès étonnans qu'on a fait
dans les fciences phyfico-mathématiques.
On peut dire qu'il a créé la métaphysique ,
A v
10 MERCURE DE FRANCE.
par la diftinction auffi fimple que lumineu
fe des deux fubſtances ; diſtinction qui
anéantit les difputes frivoles & ridicules
des métaphyficiens fcholaftiques fur la nature
de l'ame , & par fon admirable méthode
, à laquelle nous devons peut- être
cet efprit philofophique qui s'eſt développé
dans fon fiécle , & a fait des progrès fi
fenfibles dans le nôtre. Il a pris la géomé
trie où les anciens l'avoient laiffée , & en
a reculé bien loin les limites . Enfin il 2
répandu une nouvelle lumiere par- tout ;
mais elle n'a guere fervi qu'à ceux qui
font venus après lui , & ne l'a pas empêché
de s'égarer. Il auroit deviné la nature
fi elle avoit pû fe deviner ; mais il
falloit l'obferver , & il n'en a pas eu le
tems fes erreurs appartiennent à la foi
bieffe de l'humanité & à l'ignorance de fon
fiécle ; mais fes découvertes ne font qu'à
lui ainfi en abandonnant fes idées fauffes
, refpectons toujours fon génie , admi
rable même lorfqu'il s'eft trompé . L'hy
pothefe brillante des tourbillons , fi célé→
bre , fi combattue , & fi bien détruite par
les nouvelles obfervations , ne feroit fûrement
pas entrée dans la tête d'un hommemédiocre
; fon fyftême fur l'ame des bêtes ,
regardé communément comme une plaifanterie
, & ridicule aux yeux de bien des
DECEMBRE. 1754 .
gens , eft à mon avis une idée plus férieufe
, & qui s'étend plus loin qu'on ne penfe ,
lorfqu'on la confidere dans tous fes rapports
: demandez- le à Bayle , & au médecin
Lami.
Je me fuis beaucoup étendu fur Defcartes
, parce qu'on commence à oublier
tout ce qu'on lui doit. Comme la plupart
de fes ouvrages ne font plus d'une grande
utilité , parce qu'on a été plus loin que
lui , on ne fe fouvient plus que fans lui ,
peut-être on feroit encore dans les ténébres.
Lorfqu'il a paru , la philofophie étoit
une terre en friche : elle n'a pas produit
beaucoup de fruits fous fes mains ; mais il
en a arraché les ronces , il l'a préparée , &
a appris à là rendre féconde : en eft - ce trop
peu pour mériter notre reconnoiffance ?
Je ne peux m'empêcher de le regarder comme
un homme rare , qui fubjugué par l'impulfion
du génie , étoit né pour faire une
révolution , & dont les découvertes feront
une des plus brillantes époques de l'hiftoire
de l'efprit humain.
Gaffendi , contemporain de Descartes",
mérite auffi une place honorable dans l'hiftoire
de la philofophie , quoiqu'il n'ait pas'
travaillé avec beaucoup de fuccès pour elle.
Né avec un génie extrêmement méthodique
& une fagacité peu commune , il fue
Avj
12 MERCURE DE FRANCE.
révolté , comme Defcartes , des abfurdités
de la fcholaftique : il la combattit avec vivacité
, & voulut relever le fyftême d'Epicure
, pour l'établir fur les débris de celui
d'Ariftote . Il employa beaucoup d'adreffe
& de fubtilité pour expliquer la
formation & la confervation de l'univers
par le mouvement direct & la déclinaifon
des atômes . Il donna à cette hypotheſe un
vernis d'orthodoxie , & toute la probabi
lité dont elle étoit fufceptible ; mais cette
fecte des atomiftes modernes ne fut pas
nombreuſe ; chimere pour chimere , on
garda celle qui étoit déja établie , quoique
plus abfurde encore .
Le cartéfianifme n'eut pas le même fort ,
parce qu'il étoit mieux fondé ; il fit une
fortune étonnante dans toute l'Europe , il
eut les adverfaires & les fectateurs les plus
diftingués ; il fut profcrit en France , rétabli
enfuite , & adopté avec empreffement
dès qu'il fut mieux connu .
Mrs Rohault & Regis furent les premiers
qui le profefferent en France , & ils
le firent avec un fuccès & des applaudiffemens
finguliers. Mais le plus illuftre partifan
de Defcartes fut fans doute le P. Malebranche
, de l'Oratoire , phyficien , géometre
, & plus grand métaphyficien encore
; il ne prit que les principes de fon
2
I
a
DECEMBRE. 1754. 13
maître , & s'en fervit en homme de génie.
Il adopta fon fyftême des tourbillons ,
après y avoir reformé beaucoup de choſes ,
& le défendit avec vigueur. Dans la métaphyfique
il alla beaucoup plus loin que
Defcartes ; fes principes le conduifirent à
nier l'existence des corps , & s'il l'admit ,
ce fut parce que l'Ecriture Sainte le lui enfeignoit
: quelque finguliere que foit cette
conclufion , on ne peut prefque pas douter
qu'il n'ait été de la meilleure foi du monde .
Il prétendit démontrer que nous nepouvions
pas voir les objets hors de nous , encore
inoins dans nous , & que nous ne pouvions
les appercevoir que dans Dieu. Il étaya ces
idées abftraites de la métaphyfique la plus
fubtile, d'une élocution pleine de force & de
nobleffe , & de l'imagination la plus brillante
: mais malgré ces avantages , la profondeur
&l'obfcurité de fes idées garantirent de
la féduction. Il faut une grande contention
d'efprit & un grand goût de métaphyfique
pour le fuivre dans fes fpéculations ; ce
font des espéces de points indivisibles , dit M.
de Fontenelle : fi on ne les attrappe pas toutà-
fait jufie , on les manque tout - à -fait . Aufli
le P. Mallebranche fe plaignit-il beaucoup
de n'être pas compris par ceux qui le critiquoient.
On fçait que M. Arnaud attaqua
fon fyftême avec un acharnement des
14 MERCURE DE FRANCE.
moins philofophiques . M. Arnaud ne m'en.
tend pas , difoit Mallebranche : cb qui voulez
- vous donc qui vous entende ? lui répondit-
on .
Le mallebranchifme a fait naître la fecte
des immatérialistes , fort peu reçue en France
, mais qui a fait plus de progrès en Angleterre
; ces philofophes nient l'existence
de la matiere , telle que nous la concevons
, & même fa poflibilité ; les illufions
des fens font leur grand argument : ils
prouvent très-bien que les qualités que
nous regardons comme inhérentes aux
corps , telles que la couleur , l'étendue ,
&c. ne font que de pures idées de notre
ame, qui n'exiftent point hors d'elle , & qui
n'ont aucune analogie avec la nature des
objets qui les excitent en nous. Les dialogues
de Berkeley , ouvrage fingulier , où
Fon trouve une logique fubtile avec beaucoup
de fimplicité , font voir combien ce
fyftême eft féduifant, quelque abfurde qu'il
paroiffe au premier coup d'oeil , & combien
font preffans les argumens fur lef- ,
quels il est établi. Quelques-uns pouffent
encore ces idées plus loin , & prétendent
que chaque individu n'eft fûr que de fa
propre exiftence , & qu'il pourroit avoir
routes les idées & les fenfations dont il eft
affecté , fans qu'il y eût aucun autre être
DECEMBRE. 1754. 15
hors de lui ; c'eft la fecte des Egorftes : quel
que inacceffible qu'elle foit aux traits de
la métaphyfique , elle révolte trop les notions
les plus fimples pour trouver beaucoup
de fectateurs.
M. de Fontenelle a peut-être mieux mérité
de la philofophie que beaucoup de
ceux qui l'ont enrichie de découvertes. On
ne voit que des dévots qui dégoûtent de la dévotion
, dit un de nos moraliſtes. Avant
M. de Fontenelle on voyoit des philofophes
qui dégoûtoient de la philofophie ;
il fit voir que ce n'étoit pas la faute de la
philofophie : il la dépouilla de cet air fauvage
qui la rendoit fi peu trairable ; il l'embellit
des graces de fon imagination , & il
fit naître des fleurs où l'on ne foupçonnoit
que des épines : fon livre de la pluralité
des mondes eft un monument qui lui
fera autant d'honneur qu'à l'efprit de la
nation.
Qu'on me permette une digreffion à
laquelle je ne peux me refufer , & que
l'efprit de patriotifme m'arrache. Il y a
long- tems qu'on accufe les François d'être
legers & fuperficiels , & de ne faire qu'effleurer
les fciences : les Anglois , dit- on ,
font bien plus philofophes que nous : pourquoi
? parce qu'ils traitent la philofophie:
d'un air grave & ferieux. Et moi je crois
"
16 MERCURE DE FRANCE.
que nous le fommes pour le moins autant
qu'eux , précisément parce que nous la traitons
légèrement ; il faut polléder bien nettement
une matiere philofophique , pour la
dégager des termes barbares , des idées abtrules
, & des épines du calcul fous lef
quels d'autres font obligés de l'envelopper
, & pour la réduire à un raifonnement
fimple , à des images fenfibles , & aux expreflions
les plus communes , pour lui prêter
même des ornemens : c'est ce que M.
de Fontenelle , & d'autres après lui ont fait
avec fuccès. Il y a des gens qui croyent
que la féchereffe eft effentielle aux ouvra
ges fcientifiques , comme il y en a eu jadis
qui ne croyoient pas qu'on pût être philofophe
fans avoir une barbe fale & un
manteau déchiré. Cet efprit de fuperficie
qu'on nous reproche , n'eft que le vernis de
nos ouvrages qui ne nuit point à leur folidité.
La raifon toute nue a fouvent l'air
rebutant ; nos écrivains la rendent aimable
en la parant de fleurs : c'eft le vaſe dont
on frotte les bords de miel , pour faire ava
ler à un enfant un reméde falutaire : aux
yeux du philofophe , les hommes ordinaires
font- ils autre chofe que des enfans ?
Le cartéfianifme commençoit à être reçu
affez généralement , fur tout en France
lorfque le newtonianiſme parut , & vint
DECEMBRE. 1754. 17
partager les efprits. Comme les ouvrages
de Newton paroiffoient inacceffibles fans le
fecours de la plus fublime géométrie , fon
fyftême ne fut pas répandu d'abord , & refta
quelque tems entre les mains de quelques
adeptes. M. de Maupertuis a été le premier
qui en a donné quelques effais dans
notre langue ; mais il étoit réfervé à un
homme qui ne s'étoit fait qu'un jeu de la
phyfique & de la géométrie , de le produire
au grand jour c'eft M. de Voltaire . Il
donna fes Elémens de la philofophie de Newton
, ouvrage écrit avec la précifion , l'élégance
& la netteté qui lui font propres.
Ce livre fit une fenfation prodigieufe , &
par le nom de l'Auteur , & par les nouveautés
philofophiques qu'il mettoit fous
les yeux du public. D'abord les géometres
que M. de V. humilioit , & les beaux efprits
qu'il avoit humiliés dès long - tems ,
fe déchaînerent à l'uniflon contre lui ; il
paroiffoit inconcevable qu'un homme qui
avoit fait de beaux vers pût être géometre
& phyficien : on ne peut pas mieux
parler , difoit-on , de ce qu'on n'entend
pas ; comme fi l'efprit , en philofophie ,
pouvoit fuppléer aux lumieres. Pour apprécier
le mérite de cet ouvrage & la prévention
ridicule de certaines gens qui ne
font pas même en état de le lire , il faut
18 MERCURE DE FRANCE.
jetter les yeux fur les critiques qu'on en
fit dans le tems. Cette multitude de fautes
énormes qu'on devoit mettre au grand jour ,
fe réduisirent à des erreurs légeres , à quelques
mauvaifes épigrammes , à des ob
jections vagues , & dont la plupart tomboient
fur Newton , & non pas fur M. de
Voltaire . D'ailleurs quand il n'auroit pas
bien faifi Newton dans quelques détails ,
quel eft le phyficien qui puiffe fe flatter
de ne l'avoir jamais manqué : Le reproche
le mieux fondé qu'on ait fait à M. de Voltaire
, c'est peut-être fur la maniere peu
avantageufe dont il a parlé de Deſcartes :
je ne peux pas mieux faire que de rapporter
ici quelques reflexions du P. Caftel à
ce fujet ( Mem. de Trev . Octob. 1739. )..
» M. de Voltaire a fi fort honoré notre
» nation par fes propres talens , qu'elle
peut bien lui pardonner le peu d'hon .
neur qu'elle lui enleve en rabaiffant
» Defcartes. En faveur de M. de Voltaire
» poëte , on devroir juger moins rigoureu-
» fement M. de Voltaire philofophe ; &
»en prenant les chofes du bon côté , en-
>>core eft- ce une louable entrepriſe d'avoir
» ofé s'enfoncer i avant dans des matie-
» res fi épineufes , au mépris de toutes ces
» fleurs qu'il pouvoit s'amufer à cueillir fi
agréablement , & toujours prêtes à éclore
ود
DECEMBRE . 1754 IS
fous fa main ; & n'eft-ce rien que la célébrité
qu'il a donnée à la philofophie ,
» & par conféquent aux philofophes ; l'oc-
» cafion même qu'il donne aux cartéfiens
de triompher du grand Newton ?
Le Newtonianifme une fois mis au
grand jour , fit fur les efprits des impreffions
bien différentes ; il fut adopté des
ans & attaqué par d'autres avec une égale
vivacité. Comme il battoit en ruine le cartéfianifme
, les Carréfiens fe mirent fur la
défenfive . M. Privat de Molieres , bon géometre
& affez fubtil phyficien , fut celui
qui défendit les tourbillons avec le plus de
faccès : il fentit bien qu'ils étoient en défaut
dans beaucoup de phénomenes , & il les réforma
en habile homme ; il les adapta aux
nouvelles expériences avec adreffe , & ii
fit fervir à confirmer fon fyftême les mê
mes obfervations que les Newtoniens apportoient
pour le détruire. Malgré tous
fes efforts cependant , les tourbillons tom
berent dans un difcrédit total , & on peut
dire qu'ils ont pouffé les derniers foupirs
entre les mains de M. de Fontenelle , dont
la Théorie des tourbillons fera vraisemblablement
le dernier ouvrage qu'on fera en leur
faveur.
Quelque abfurdités métaphyfiques que
le Newtonianifme entraîne après lui , on
20 MERCURE DE FRANCE.
ne peut nier que ce fyftême ne foit bien
féduifant ; il ſemble n'être fondé que fur
des faits & des démonftrations. La facilité
admirable avec laquelle il explique les mouvemens
des corps céleftes & beaucoup de
phénomenes julques- là inacceffibles , la fineffe
& la mutitude des obfervations qui en
font la bafe , & un grand étalage de calcul ,
en ont impofé ; on n'a pas voulu voir l'illufion
de quelques expériences , & le peu
de liaifon de certains faits avec les inductions
que Newton en tire pour établir fes
principes ; enfin la ruine des tourbillons
& la néceffité d'un fyftême pour le vulgaire
des philofophes , tout cela a beaucoup favorifé
l'établiffement de la nouvelle phyfique.
Peu de tems après , Madame la Marquife
du Chaſtelet vint auffi fe mettre fur
les rangs , & oppofer Leibnitz à Newton.
Leibnitz , commenté par M. Wolf , avoit
fait beaucoup de fortune en Allemagne ;
quelques idées métaphyfiques , de fimples
projections éparfes dans fes ouvrages , fe
font étendues fous la main de M. Wolf,
& ont donné matiere à beaucoup de gros
volumes , dans lefquels il a remis en honneur
le goût des définitions , & les termes
barbares de l'école combinés avec une méthode
féchement géométrique. Leibnitz
DECEMBRE. 1754. 21
n'a pas été fi heureux en France , quoique
Madame du Chaſtelet lui eût donné un
air plus François dans fes Inftitutions de
physique. Cet ouvrage et écrit avec beaucoup
de méthode , de nobleffe & de précifion
; mais il ne fit pas beaucoup de profélites
, & on ne jugea pas à propos de
croire aux Monades fur la parole de Madame
du Chaftelet . Cette femme illuftre a
laiffé entre les mains de M. de Clairault
une traduction Françoife du grand ouvrage
de Newton , avec des commentaires
très -profonds fur ce que les mathématiques
ont de plus fublime : ce livre eft prêt
à paroître. Madame du Chaftelet & cette
célébre Mlle Agnefi, qui profeffe les mathé
matiques à Boulogne , & qui a donné il y
quelques années un excellent ouvrage d'analyfe
, font des phénomenes qui feront
honneur au beau fexe , à la géométrie &
notre fiécle.
Quoique Newton l'ait emporté fur Defcartes
& Leibnitz , il s'en faut cependant
bien qu'il ait fubjugué tous les efprits ; il a
encore enFrance des adverfaires bien redoutables.
Il y a trop de chofes dans fon ſyſ
tême qui font de la peine à la raifon , pour
ne pas révolter tous ceux qui croyent encore
que la méthode de Defcartes eft la
feule qui puiffe nous conduire à la vérité,
22 MERCURE DE FRANCE.
1
s'il nous eft donné d'y atteindre .
1 Toutes ces difputes philofophiques ont
éclairé les efprits , le goût des fyftêmes
s'eft perdu , & a fait place à un fcepticifme
raifonné & modéré , fort généralement
répandu , & d'autant mieux établi qu'il
n'eft ni l'effet de l'ignorance , ni une affectation
de fingularité ; c'eft peut- être auffi
ce qui nuira le plus aux progrès de la philofophie.
Il faut donner l'effor à l'imagi
nation pour aller loin : les plus grandes
découvertes de fpéculation ne font gueres
que des heureuſes témérités du génie ,
& les plus habiles philofophes ont été des
gens à fyftêmes : ce n'eft qu'à force de s'égarer
en effayant differentes routes , que
l'on rencontrera la bonne.
Il est vrai que la voye des expériences ,
quoique la plus lente , eft bien plus sûret
& plus commode ; c'eft auffi celle qu'a
prife l'Académie des Sciences : elle a déclaré
qu'elle n'adoptoit aucun fyftême. Le
tems d'en faire un n'eft pas encore arrivé ,
il faut attendre que l'on ait affez de matériaux
pour bâtir un fyftême général de l'univers
; ce n'eft qu'en amaffant des obfervations
& en établiffant des faits , que l'on
pourra y parvenir. On s'eft donc jetté principalement
du côté de la phyfique expéri
mentale , comme la partie de la philo
1
I
1
DECEMBRE. 1754. 23
fophie dont l'utilité eft plus fenfible.
Bacon , Galilée & Torricelli ont jetté les
fondemens de la phyfique expérimentale ;
le premier par des vues neuves & fublimes
; Galilée par fa théorie de l'accéléra
tion du mouvement dans la chûte des
corps ; & Torricelli par fes expériences fur
la pefanteur de l'air. Ces découvertes importantes
ont porté dans la phyfique une
nouvelle lumiere , que les Boyle , les Pafcal
, les Newton , &c . ont encore étendue
bien au-delà : ce font des veines heureuſes
qui ont conduit à des mines fécondes .
Le goût des expériences s'eft répandu
chez toutes les nations fçavantes , & il eft
cultivé aujourd'hui avec beaucoup de foin
& de fuccès. Parmi ceux qui peuvent être
cités dans ce genre , on s'attend bien à voir
le nom de M. de Reaumur , qui a fait des
recherches approfondies fur plufieurs parties
de la phyfique , & principalement fur
l'hiftoire naturelle. Obfervateur exact &
infatigable , les plus petits détails n'échap
perent pas à la fineffe & à la fagacité qu'it
porte dans tous fes procédés : fon Hiftoire
des infectes , avec beaucoup de longueurs ,
eft remplie de chofes neuves , utiles & délicates
. Zélé pour le bien public , il n'a pas
dédaigné de confacrer fes talens à des objets
, petits en apparence , mais qui tendent
14 MERCURE DE FRANCE.
à perfectionner les arts méchaniques , ou
prévenir quelques befoins de la fociété .
Les moyens de faire une nouvelle teintud'augmenter
la fécondité des terres ,
de garantir les étoffes des teignes , de conferver
des oeufs frais pendant trois à quatre
mois , voilà les objets de fa curiofité & de
fon travail. Des vues auffi fages & auffi
eſtimables devroient fervir d'exemple à
beaucoup de fçavans , qui croiroient s'avilir
par de femblables détails , & qui facrifient
à des recherches brillantes des recherches
plus utiles , mais obfcures . M. de Reaumur
ne trouve pas dans tous fes concitoyens
les mêmes difpofitions à rendre juſtice à
fes travaux , mais il les trouvera dans fa
nation ; & fa réputation ne peut être bleffée
par les petites épigrammes & le mépris
affecté de quelques perfonnes qui , ce
me femble , n'ont pas pris confeil de leurs
lumieres & de leur philofophie.
C'eft bien ici le lieu de rendre à un philofophe
citoyen l'hommage que méritent
fes talens & l'emploi refpectable qu'il en
fait ; je parle de M. Duhamel , de l'Académie
des Sciences , à qui nous devons
l'excellent Traité de la culture des terres ,
dont les principes font fi peu connus & mériteroient
tant de l'être. Il a réuni fes lumieres
& fes obfervations aux découvertes
des
DECEMBRE. 1754. 25
des Anglois , qui dans cette partie effentielle
font bien faits pour être nos maîtres
& nos modeles. Il a cherché les moyens de
conferver les grains dans les greniers ; il
a imaginé une charrue d'une conftruction
neuve & fort commode , qui abrege beaucoup
les travaux des laboureurs , cette portion
du peuple la plus néceffaire & la plus
miférable. Les principes de M. Duhamel
font fimples & évidens ; on lui a rendu
juftice : mais c'eſt peu d'être loué , il veut
être utile ; & ce ne feroit pas la premiere
fois qu'un philofophe auroit parlé , qu'on
auroit trouvé qu'il a raifon , & que fes
avis n'auroient été fuivis. Quoiqu'il
en foit , on ne doit pas fe laffer de travailler
à la perfection de l'agriculture , qui en
ouvrant dans l'Etat une nouvelle fource
de richeffes réelles & permanentes , donneroit
à notre commerce le plus grand
avantage , & prefque le feul qui lui manque
fur celui de nos voisins .
pas
Si quelqu'un a eu l'efprit de fyftême
dans notre fiécle , je crois que c'eft M. de
Buffon : une tête philofophe , des vûes
grandes , une imagination forte & lumineufe
, & l'art de faifir les analogies ; voilà
ce qu'il m'a femblé appercevoir dans l'Hiftoire
naturelle , & ce qui forme , fi je ne
me trompe , l'efprit de fyftême. M. de Buf-
II.Vol. B
26 MERCURE DE FRANCE.
fon , qui par un ftyle riche , élégant , har
monieux , plein de nobleſſe & de poëfie ,
efface Platon & Mallebranche , & donne
à la philofophie un éclat qu'elle n'avoit
pas encore eu , n'a pas été plus heureux
que Deſcartes dans fes conjectures fur l'origine
du monde & la génération des animaux.
Mais fi l'hiftoire de notre globe par
M. de Buffon eft un roman , c'eft celui
d'un habile phyficien : fon hypotheſe fur
la génération marque les bornes de nos
lumieres dans cette matiere ténébreuſe , le
defefpoir de la phyfique : fes obfervations
microfcopiques fi délicates & fi fingulieres,
feront peut-être plus utiles , parce qu'il
eft toujours utile de détruire des erreurs.
Les anciens avoient cru , fur de fimples apparences
peu approfondies , que la corruption
pouvoit engendrer des animaux.
Lorfque le microfcope , qui a élargi l'univers
aux yeux des philofophes , eut découvert
à Hartzoeker & à Lewenhoek les animalcules
qui fe meuvent dans les liqueurs ,
on fe moqua beaucoup des anciens , & il
ne parut plus douteux que tous les êtres
vivans font déja organifés dans la femence
, & qu'ils ne font que fe développer &
augmenter de volume. Mais ce principe
reçu fans conteftation & avancé avec ce
ton de confiance que donne trop fouvent
DECEMBRE . 1754. 29
la chaleur des premieres découvertes , s'eſt
trouvé en défaut dans la reproduction merveilleufe
des polypes , & il eft anéanti
aujourd'hui par les expériences de MM. de
Buffon & de Needham ; la production des
petites anguilles qu'ils ont vû fe former
dans le bled niellé & dans d'autres infufions
, remet en honneur l'opinion des anciens
; nous avons cru voir une étincelle
de lumiere , & nous rentrons dans une nuit
plus fombre. Les animalcules fpermatiques
ne font plus que de petites machines or
ganifées & fans vie ; il eft vrai que les obfervations
microfcopiques font trop fuf
ceptibles d'illufion pour qu'on ne s'en dépas
: celles de Lewenhoek ont été détruites
par celles de M. de Buffon , cellesci
peuvent être détruites par d'autres ; dans
cette matiere obfcure on finit , comme dans
prefque toutes les autres , par douter.
fie
Les fectateurs de la philofophie corpufculaire
ne pardonneront pas aifément à
M. de Buffon d'avoir établi la poffibilité
de fes moules intérieurs fur la ruine du méchaniſme
univerfel , & d'avoir mieux ainé
expliquer la circulation du fang , le jeu des
muſcles , en général toute l'économie animale
par des qualités occultes femblables
aux caufes de la pefanteur , des attractions
magnétiques , &c. que par des principes
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
purement méchaniques ; cela pourroit faire
craindre , difent- ils , le retour du fiécle
d'Ariftote. Epicure créa la phyfique corpufculaire
; ne voyant dans la nature que
de la matiere & du mouvement , il ne
chercha pas d'autres caufes pour expliquer
tous les phénomenes ; mais n'ayant pas encore
affez de faits & d'obſervations , ce
principe lui manqua dans l'application ;
on crut pour lors que ce qu'on ne pouvoit
pas expliquer par les loix du méchanifme
ne s'opéroit pas par ces loix ; de là
l'horreur du vuide , de- là l'attraction , &c.
L'attraction , ce monftre métaphysique ,
dont on ne peut plus fe paffer dans la phy-.
fique célefte , s'eft introduite auffi dans la
chymie. Les affinités de M. Geoffroi ne
font que le même terme déguifé ; elles paroiffent
préfenter une idée plus fimple , &
n'en font pas moins inintelligibles . Nous
devons aux Anglois cet abus de l'attraction ,
auffi bien que celui du calcul : ils réduifent
tout en problêmes algébriques ; l'antique
fuperftition fur la fcience mystérieuse
des nombres femble renaître . Jean Craig
a ofé calculer les dégrés de probabilité
des principes du chriftianifme , & le décroiffement
de cette probabilité : felon fes
calculs , la religion ne peut plus durer que
1400 ans. L'eſtimable auteur de l'Hiftoire
DECEMBRE . 1754 29
critique de la philofophie a calculé auffi les
dégrés de force de la certitude morale . Le
Chevalier Petty , créateur de l'arithmétique
politique , a cru pouvoir foumettre à
l'algebre l'art même de gouverner les hommes.
Le résultat de quelques -uns de fes
calculs peut faire juger de leur folidité ;
il croit avoir démontré que le grand nombre
des impôts ne fçauroit être nuifible à
la fociété & au bien d'un Etat . Il a calculé
ce que valoit un homme en Angleterre ,
& il l'a évalué à 1300 livres environ de
notre monnoie. Un Philofophe fublime
qui connoît bien le prix des hommes , ajoute
qu'il y a des pays où un homme ne
vaut rien , & d'autres où il vaut moins
que rien ( a ) . La médecine n'a pas été à
l'abri des excurfions de la géométrie : aux
aphorifmes d'Hypocrate & de Boerhaave
on a fubftitué des formules algébriques ;
on a voulu évaluer le mouvement des fluides
dans le corps humain , la force des
nerfs & des mufcles confidérés comme des
cordes , des leviers d'un certain genre ,
des piftons , &c. Mais qu'avons nous gagné
à ces abus de la géométrie on l'a
détournée de fon véritable objet , & elle a
eu le fort de l'efprit de notre nation : elle
( a ) Efprit des loix , liv. XXIII . chap. XVII,
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
a perdu en profondeur ce qu'elle a gagné
en fuperficie , & je ne doute pas qu'elle
ne touche au moment de fa décadence ,
qui vient d'être prédite par un homme de
beaucoup d'efprit . Cette fcience qui n'étoit
qu'un inftrument entre les mains de Defcartes
& de Newton , & qui n'eft faite
que pour en fervir , étoit devenue une
fcience orgueilleufe qui s'étoit élevée fur
les débris des autres , fur ceux de la métaphyfique
fur tout , parce qu'il eft bien
plus facile d'apprendre à calculer qu'à raifonner.
Il est bien à fouhaiter que le goût
abufif du calcul ne fafle plus d'obſtacle au
retour de la métaphyfique , dont le flambeau
peut feul nous éclairer fur les nouvelles
erreurs que de faufles lumieres ont
introduites , & qui retardent fenfiblement
les progrès de la philofophie.
Fermer
Résumé : IDÉES DES PROGRÈS De la Philosophie en France.
Le texte discute des progrès rapides de la philosophie en France, notant que les autres sciences n'ont pas atteint le niveau de perfection des époques grecques et romaines. La philosophie moderne, bien que prometteuse, n'a pas encore révélé toutes les vérités de la nature. René Descartes, considéré comme le père de la philosophie moderne, a joué un rôle crucial en révolutionnant la pensée en détruisant l'aristotélisme et en proposant une nouvelle méthode pour étudier la nature. Il a uni différentes branches des sciences, comme l'astronomie, les mathématiques et la physique, et a appliqué l'algèbre à la géométrie et à la physique. Ses contributions ont marqué une époque brillante dans l'histoire de l'esprit humain. D'autres philosophes, comme Gassendi, ont combattu la scolastique et tenté de réformer la philosophie en s'inspirant d'Épicure. Le cartésianisme, bien que controversé, a gagné en popularité en Europe avec des partisans influents comme Rohault, Regis et Malebranche. Ce dernier a développé des idées métaphysiques complexes et a défendu le système des tourbillons de Descartes, donnant naissance à la secte des immatérialistes qui nient l'existence de la matière telle que nous la concevons. Fontenelle est loué pour avoir rendu la philosophie accessible et agréable, dépouillant ses aspects austères. Le texte compare les approches françaises et anglaises de la philosophie, soulignant que les Français traitent la philosophie de manière légère mais efficace, la rendant accessible et agréable. Le livre de Voltaire a suscité des réactions variées dans la communauté philosophique et scientifique. Les géomètres et les esprits éclairés, initialement humiliés, critiquèrent Voltaire, trouvant inconcevable qu'un poète puisse exceller en géométrie et en physique. Les critiques se réduisirent à des erreurs mineures et des épigrammes vagues, souvent dirigées contre Newton plutôt que contre Voltaire. Le Newtonianisme divisa les esprits, les cartésiens défendant les tourbillons avec acharnement, mais ces derniers tombèrent en disgrâce grâce aux efforts de M. de Fontenelle. Malgré certaines absurdités métaphysiques, le système newtonien fut adopté pour sa base factuelle et démonstrative, expliquant les mouvements des corps célestes et divers phénomènes. Madame du Châtelet soutint Leibnitz contre Newton, mais son ouvrage, bien que méthodique et précis, ne fit pas beaucoup de prosélytes. Elle laissa également une traduction de Newton avec des commentaires profonds. D'autres figures, comme Mlle Agnesi et M. de Reaumur, contribuèrent à la philosophie et à la physique expérimentale, cette dernière étant privilégiée par l'Académie des Sciences. Le texte critique l'approche de M. de Buffon, qui a proposé des explications pour la circulation du sang et l'économie animale en utilisant des qualités occultes similaires aux causes de la pesanteur et des attractions magnétiques, plutôt que des principes mécaniques. Cette méthode est comparée à celle d'Épicure, qui a créé la physique corpusculaire mais manquait de faits et d'observations pour l'appliquer correctement, menant à des concepts comme l'horreur du vide et l'attraction. Le texte dénonce également l'abus de l'attraction en chimie et l'influence des Anglais qui réduisent tout en problèmes algébriques. La médecine n'est pas épargnée, avec des formules algébriques remplaçant les aphorismes d'Hippocrate et de Boerhaave. Enfin, le texte déplore que la géométrie, autrefois un instrument au service de la philosophie, soit devenue une science orgueilleuse, détournée de son véritable objet.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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8
p. 90-98
LETTRE à l'Auteur du Mercure, au sujet du premier Vers de la première OLYMPIENNE de Pindare.
Début :
Vous rappellez-vous, Monsieur, d'avoir lû, il y a quelques jours, dans [...]
Mots clefs :
Combats, Éléments, Prééminence , Soleil, Explication, Traduction, Poètes, Richesses, Grecs, Philosophes
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE à l'Auteur du Mercure, au sujet du premier Vers de la première OLYMPIENNE de Pindare.
LETTRE à l'Auteur du Mercure ,
au fujet du premier Vers de la pre-.
mière OLYMPIENNE de Pindare.
Vous
rappellez - vous ,
›
Monfieur
d'avoir lû , il y a quelques jours , dans
la trente -fixiéme feuille de l'Année Littéraire
un article fur les traditions que
Boileau & Charles Pérault ont données
de la première Ode des Olympiennes
de Pindare ? L'Auteur de cet article
fait voir à M. Freron , qu'on n'a jamais
bien entendu ce premier Vers de Pindare
ägisov μèv idup . Boileau , dit- il , a traduit
ainfi » Il n'y a rien de fi excel-
» lent que l'eau : il n'y a rien de plus
» éclatant que l'or , & il fe diftingue
» entre toutes les autres fuperbes richef-
» fes , comme un feu qui brille dans
» la nuit . Mais ô mon efprit , puifque
» c'eſt des combats que tu veux chan-
» ter , ne va point te figurer que dans
1
MA I. 1763. 91
ود
?
-
" les vaftes déferts du Ciel quand il
» fait jour , ou puiffe voir quelqu'autre
» aftre auffi lumineux que le Soleil ,
» ni que fur la Terre nous puiffions.
» dire qu'il y ait quelqu'autre com-
» bat auffi excellent que le combat
» olympique , & c . » Charles Perault n'a
» pas mieux traduit , ajoute- t - il , l'eau,
eft très bonne à la vérité , & l'or ,
» qui brille comme le feu durant la
» nuit éclate merveilleufement par-
» mi les richeffes qui rendent l'homme
fuperbe ; mais mon efprit , fi tu de-
» fires chanter des combats , ne con-
» temple point d'autre aftre plus lumi-
» neux que le Soleil pendant le jour
» dans le vague de l'air ; car nous ne
» fçaurions chanter des combats plus
" illuftres que les combats olympi-
" ques , &c. » Boileau & Perault
dit-il , fe font trompés tous deux , &
il s'agit ici de la prééminence de l'eau
fur tous les élémens , parce que Pindare
fait allufion à l'opinion du Philofophe
Thales qui prétendoit que l'eau étoit .
le premier des élémens , & qu'elle avoit .
donné , ainfi que le rapporte Diogène
Laërce , naiffance à tous les êtres exiftans
fur la Terre . Il ne s'agit donc pas ,
dit judicieuſement l'Auteur de l'expli
?
92 MERCURE DE FRANCE.
cation , de la qualité de l'eau , mais de
fa prééminence fur tous les élémens.
Ainfi pour bien rendre la penfée de
Pindare , il faut dire l'eau eft le premier
des clémens. Il n'y a pas là de
ridicule , ajoute l'Auteur.
›
Il est bien étonnant Monfieur
qu'en nous rapportant les différentes
traductions qu'on a faites de cette Ode
de Pindare , l'ingénieux Auteur de cette
explication ne nous air rien dit d'une
ancienne traduction de Pindare donnée
en 1617 par François- Marin Champenois.
Sans doute qu'elle lui eft inconnue.
Je me fuis rappellé de l'avoir
lue toute entière à la Bibliothéque du
Roi , & je l'ai actuellement entre mes
mains. Voici l'explication de Marin.
Son ftyle eft celui de fon fiècle ; il n'eſt
pas bien agréable , mais il n'a rien de
dégoutant , & d'ailleurs il ne s'agit ici
que du fens des paroles de Pindare.
» Tout ainsi que l'eau excelle entre les
» élémens , & que l'or ( ne plus ni
» moins qu'un feu brillant fe faict pa-
» roiftre durant la nuit ) furpaffe toute
» autre magnifique richeffe ; de même
" auffi qu'en plain jour l'on ne peut
» vefir par le vague de l'air un aftre
apparant qui flamboye davantage que
M. A I. 1763. 93
»le Soleil : ainfi , ma chère Mufe , fi ma
» tu defires que nous célébricns les
» jeux , n'en cherchons pas de plus
» excel.ens ou plus dignes de nos vers ,
» que les combats qui fe font aux champs
» olympiques , &c.
Si je ne craignois pas d'affoiblir cette
verfion de Marin , & de mériter le reproche
qu'on fit à l'Abbé Tallemant
je la rendrois ainfi " Comme l'eau
l'emporte fur tous les élémens , &
» comme l'or , femblable à un feu
» qu'on voit briller pendant la nuit ,
» furpaffe toutes les richeffes qui flat-
" tent le plus la vanité de l'homme ,
» ou comme le foleil , qui par qui par l'éclat
» de fes rayons éfface tous les altres
épars dans la vafte profondeur des
airs tels font , divine Mufe
» combats qui fe livrent aux champs
» Olympiques ; & puifque vous vou-
» lez célébrer des combats , n'en cher-
» chez ni de plus glorieux , ni de plus
» dignes de vos chants. Cette immenfe
» carrière offre aux Poëtes , & c.
"
les
A cette explication , Marin ajoute
la note fuivante qui développe parfaitement
le fens qu'il a donné à Pindare.
» Les anciens Philofophes , dit- il , ont
» été fort en peine pour trouver le
94 MERCURE DE FRANCE.
premier principe des chofes naturelles,
» Voyez ce qu'en note briévement à
» Sancto Paulo queft. 4 du premier
Traité de la première partie de fa
» Phyfique , & un peu plus amplement
» Eufébe Chap. 5 , Liv. 1 de la prépa-
» ration Evangélique ( a) . Or Pindare
" avec Thalès eft de l'opinion de ceux
» qui difoient que l'eau eft le principe
» de toutes chofes , fuivant laquelle
» opinion quelques anciens Grecs fai-
» foient offrande de leur poil aux
» fleuves ( b ) .
Marin cft plein d'excellentes recherches
& de notes très fçavantes . Il avoit
du goût pour fon fiècle , & ne manquoit
pas de jufteffe dans l'efprit . Vous
trouverez fur-tout qu'il explique toujours
très-bien le début des Odes de
Pindare. Il fait voir que ce début eft
toujours lié au fujet ; & généralement
(a) Le Père Berruyer a très -bien expliqué le
fentiment d'Eufebe.
(b ) On trouve encore aujourd'hui en Perfe
des veftiges de cette coutume. Pour ne point
fouiller les élémens , dit M. de Montefquieu
Tom. 2 de l'Eſprit des Loix , les Perfes ne navigeoient
pas fur les fleuves. Ils n'ont point de
commerce maritime , & ils traitent d'Athées ceux
qui vont fur mer. Voyez Chardin.
M A I. 1763. 95
il ne reconnoît d'écart & de digreffion
dans les Odes de Pindare , que les
écarts que Pindare y reconnoît luimême
(c ) . Voici une note qui vous
donnera une idée de fa façon de penfer
touchant les Poëfies de fon temps.
» Si nos Poëtes François , dit- il page
» 106 , qui font aujourd'hui , puifoient
» dans les fontaines des doctes anciens
" Grecs & Latins , ils furvivroient à
» leurs ouvrages plus long- temps qu'ils
» ne feront. » Et à la page 236 fur ce
vers is ' iv ɛutuxiα. » Le monde , dit-
» il , prife plus les riches que les gens
» de bien. Car fi le monde parle d'un
» homme qui fe foit enrichi juftement
» ou injuſtement , il dit , c'est un homme
d'esprit , c'est un galant homme ; il
" a bien fait fes affaires . » Vous y
trouverez quantité d'autres naïvetés qui
vous feront plaifir. J'ai vu Marin cité
dans plufieurs Auteurs. Il étoit furtout
très-connu à l'Abbé Desfontaines qui
parle de fa traduction de Pindare ,
quelque part dans fes Obfervations .
On doit donc dire , Monfieur , que
Marin a la gloire d'avoir été , parmi
tous les
Traducteurs François , le pre-
( c) Comme par exemple , lorfque Pindare
avertit fa Muſe de reprendre fon Sujet.
96 MERCURE DE FRANCE.
mier qui ait trouvé le vrai fens de
Pindare ; & pour ne vous laiffer rien
à defirer à cet égard , il ne me reſte
plus qu'à vous citer la traduction de la
Gaufie , avec celle de l'Auteur du Dif
cours fur l'Ode , afin que vous puilliez
mieux juger de toutes les traductions
françoifes de cette première Ode de
Pindare. Le fieur de la Gaufie donna en
1626 une traduction de Pindare mêlée
de vers & de profe . Voici fon début.
» La force de chaque élément
» Paroît par leurs effets contraires ,
Mais le moindre de l'eau furmonte abfolument
>> Tous ceux de fes trois frères.
Celui- ci a une interprétation différente
; il s'éloigne du fens que Marin
a donné à Pindare , & il a cru que le
Poëte avoit en vue , non la prééminence
de l'eau , mais fa qualité , fes
ufages , & fes effets .
L'Auteur du Difcours fur l'Ode ,
donné en 1762 , rend ainfi cette première
ftrophe. " L'eau fans doute eft
" le premier des élémens. L'or brille
» entre les plus fuperbes richeffes comme
une flamme éclatante dans les
» ombres de la nuit. Mais , ô mon efprit
, fi tu veux chanter des combats
ne
MA I. 1763 . 97
» ne va point en plein jour chercher
» dans les vaftes déferts du ciel un aftre
» plus lumineux que le Soleil , ni fur
» la Terre des jeux plus illuftres que
» ceux d'Olympie. C'eft - là que les
Poëtes , & c.
,
Du refte , Monfieur , je n'éxamine
point ici fi so eft un fuperlatif
d'Ayatos , ou fi c'est un nom verbal
(a) formé d'agiseven , dominari , præcel-
. (a ) S'il eft vrai , fuivant l'explication inférée
dans l'Année Littaire , que ce terme agisov ne
foit pas formé d'ayatos , & par conféquent que
le premier vers de Pindare ne puiffe admettre
cette verfion littérale , l'eau est très bonne , il
fera vrai autfi de dire que tous les Grecs contemporains
de Pindare & autres qui ont fuivi ,
n'entendoient pas bien le Grec. Erafine Schmitt ,
dans fon Commentaire fur Pindare , rapporte
deux Epigrammes du Liv. 4 de l'Anthologie où
l'on badine Pindare fur ce premier vers de fon
Ode . En voici à - peu près le fens : En vérité ,
Pindare , nous ne voudrions point que vous fufiez
notre Médecin , & fi nous étions affez inconfidérés
pour confier nos corps entre vos mains , vous nous
diriez pour tout remède que l'eau est très - bonne.
En un mot , rappellez vous le Docteur Sangralo .
Voici encore un autre témoignage. Ariftote , au
Liv. de fa Rhétorique , Chap . 7 Art. 19 ,
après avoir fait voir » Qu'une choſe qu'on aura
» en abondance fera meilleure qu'une aurre qui
» fera plus rare , parce qu'on le fert beaucoup
plus de l'une que de l'autre , & que tout ce
E
98 MERCURE DE FRANCE.
cellere , ni fi l'on doit traduire comme
Marin , les Olympionniques pour les
Olympiennes , les Néméoniques , pour
les Néméennes , & c. Ce n'eft point ici
le lieu d'agiter cette queftion , & elle eft
étrangère à l'objet que je me fuis propofé
, qui eft de rendre juftice à Marin
comme au premier qui ait trouvé le
vrai fens de Pindare.
J'ai l'honneur d'être , & c .
» qui fert très-fouvent vaut mieux que ce qui
» ne fert que quelquefois & très- peu , il ajoute ,
» voilà ce qui a fait dire à Pindare dans une de
» fes Odes , il n'eft rien defi bon que l'eau. Ariftote
croyoit donc que Pindare avoit voulu défigner
les ufages de l'eau & non fa prééminence & c...
Mais jugeons Pindare par lui-même . Pindare le
répéte quelquefois dans fes comparaifons quoique
fort rarement. Dans l'Odé troifiéme des Olympiennes
, épode 3 , vers 3 , on trouve :
Ει δ ' αρισεύει μεν ύδωρ.
Si autem excellit quidem aqua.
Ici Pindare a ôté l'équivoque , & il eſt évident
qu'il s'agit dans cette troifiéme Ode , de la prééminence
de l'eau Il ne s'agit plus que de fçavoir
en quel temps ces deux Odes ont été compolées
. Suivant Schmitt , la premiere Olympienne
parut dans la foixante - treiziéme Olympiade , &
l'Ode troifiéme à Thécon dans la foixante- dixfeptiéme.
On peut donc croire que dans cet intervalle
, Pindare eut tout le loifir de reconnoître
au fujet du premier Vers de la pre-.
mière OLYMPIENNE de Pindare.
Vous
rappellez - vous ,
›
Monfieur
d'avoir lû , il y a quelques jours , dans
la trente -fixiéme feuille de l'Année Littéraire
un article fur les traditions que
Boileau & Charles Pérault ont données
de la première Ode des Olympiennes
de Pindare ? L'Auteur de cet article
fait voir à M. Freron , qu'on n'a jamais
bien entendu ce premier Vers de Pindare
ägisov μèv idup . Boileau , dit- il , a traduit
ainfi » Il n'y a rien de fi excel-
» lent que l'eau : il n'y a rien de plus
» éclatant que l'or , & il fe diftingue
» entre toutes les autres fuperbes richef-
» fes , comme un feu qui brille dans
» la nuit . Mais ô mon efprit , puifque
» c'eſt des combats que tu veux chan-
» ter , ne va point te figurer que dans
1
MA I. 1763. 91
ود
?
-
" les vaftes déferts du Ciel quand il
» fait jour , ou puiffe voir quelqu'autre
» aftre auffi lumineux que le Soleil ,
» ni que fur la Terre nous puiffions.
» dire qu'il y ait quelqu'autre com-
» bat auffi excellent que le combat
» olympique , & c . » Charles Perault n'a
» pas mieux traduit , ajoute- t - il , l'eau,
eft très bonne à la vérité , & l'or ,
» qui brille comme le feu durant la
» nuit éclate merveilleufement par-
» mi les richeffes qui rendent l'homme
fuperbe ; mais mon efprit , fi tu de-
» fires chanter des combats , ne con-
» temple point d'autre aftre plus lumi-
» neux que le Soleil pendant le jour
» dans le vague de l'air ; car nous ne
» fçaurions chanter des combats plus
" illuftres que les combats olympi-
" ques , &c. » Boileau & Perault
dit-il , fe font trompés tous deux , &
il s'agit ici de la prééminence de l'eau
fur tous les élémens , parce que Pindare
fait allufion à l'opinion du Philofophe
Thales qui prétendoit que l'eau étoit .
le premier des élémens , & qu'elle avoit .
donné , ainfi que le rapporte Diogène
Laërce , naiffance à tous les êtres exiftans
fur la Terre . Il ne s'agit donc pas ,
dit judicieuſement l'Auteur de l'expli
?
92 MERCURE DE FRANCE.
cation , de la qualité de l'eau , mais de
fa prééminence fur tous les élémens.
Ainfi pour bien rendre la penfée de
Pindare , il faut dire l'eau eft le premier
des clémens. Il n'y a pas là de
ridicule , ajoute l'Auteur.
›
Il est bien étonnant Monfieur
qu'en nous rapportant les différentes
traductions qu'on a faites de cette Ode
de Pindare , l'ingénieux Auteur de cette
explication ne nous air rien dit d'une
ancienne traduction de Pindare donnée
en 1617 par François- Marin Champenois.
Sans doute qu'elle lui eft inconnue.
Je me fuis rappellé de l'avoir
lue toute entière à la Bibliothéque du
Roi , & je l'ai actuellement entre mes
mains. Voici l'explication de Marin.
Son ftyle eft celui de fon fiècle ; il n'eſt
pas bien agréable , mais il n'a rien de
dégoutant , & d'ailleurs il ne s'agit ici
que du fens des paroles de Pindare.
» Tout ainsi que l'eau excelle entre les
» élémens , & que l'or ( ne plus ni
» moins qu'un feu brillant fe faict pa-
» roiftre durant la nuit ) furpaffe toute
» autre magnifique richeffe ; de même
" auffi qu'en plain jour l'on ne peut
» vefir par le vague de l'air un aftre
apparant qui flamboye davantage que
M. A I. 1763. 93
»le Soleil : ainfi , ma chère Mufe , fi ma
» tu defires que nous célébricns les
» jeux , n'en cherchons pas de plus
» excel.ens ou plus dignes de nos vers ,
» que les combats qui fe font aux champs
» olympiques , &c.
Si je ne craignois pas d'affoiblir cette
verfion de Marin , & de mériter le reproche
qu'on fit à l'Abbé Tallemant
je la rendrois ainfi " Comme l'eau
l'emporte fur tous les élémens , &
» comme l'or , femblable à un feu
» qu'on voit briller pendant la nuit ,
» furpaffe toutes les richeffes qui flat-
" tent le plus la vanité de l'homme ,
» ou comme le foleil , qui par qui par l'éclat
» de fes rayons éfface tous les altres
épars dans la vafte profondeur des
airs tels font , divine Mufe
» combats qui fe livrent aux champs
» Olympiques ; & puifque vous vou-
» lez célébrer des combats , n'en cher-
» chez ni de plus glorieux , ni de plus
» dignes de vos chants. Cette immenfe
» carrière offre aux Poëtes , & c.
"
les
A cette explication , Marin ajoute
la note fuivante qui développe parfaitement
le fens qu'il a donné à Pindare.
» Les anciens Philofophes , dit- il , ont
» été fort en peine pour trouver le
94 MERCURE DE FRANCE.
premier principe des chofes naturelles,
» Voyez ce qu'en note briévement à
» Sancto Paulo queft. 4 du premier
Traité de la première partie de fa
» Phyfique , & un peu plus amplement
» Eufébe Chap. 5 , Liv. 1 de la prépa-
» ration Evangélique ( a) . Or Pindare
" avec Thalès eft de l'opinion de ceux
» qui difoient que l'eau eft le principe
» de toutes chofes , fuivant laquelle
» opinion quelques anciens Grecs fai-
» foient offrande de leur poil aux
» fleuves ( b ) .
Marin cft plein d'excellentes recherches
& de notes très fçavantes . Il avoit
du goût pour fon fiècle , & ne manquoit
pas de jufteffe dans l'efprit . Vous
trouverez fur-tout qu'il explique toujours
très-bien le début des Odes de
Pindare. Il fait voir que ce début eft
toujours lié au fujet ; & généralement
(a) Le Père Berruyer a très -bien expliqué le
fentiment d'Eufebe.
(b ) On trouve encore aujourd'hui en Perfe
des veftiges de cette coutume. Pour ne point
fouiller les élémens , dit M. de Montefquieu
Tom. 2 de l'Eſprit des Loix , les Perfes ne navigeoient
pas fur les fleuves. Ils n'ont point de
commerce maritime , & ils traitent d'Athées ceux
qui vont fur mer. Voyez Chardin.
M A I. 1763. 95
il ne reconnoît d'écart & de digreffion
dans les Odes de Pindare , que les
écarts que Pindare y reconnoît luimême
(c ) . Voici une note qui vous
donnera une idée de fa façon de penfer
touchant les Poëfies de fon temps.
» Si nos Poëtes François , dit- il page
» 106 , qui font aujourd'hui , puifoient
» dans les fontaines des doctes anciens
" Grecs & Latins , ils furvivroient à
» leurs ouvrages plus long- temps qu'ils
» ne feront. » Et à la page 236 fur ce
vers is ' iv ɛutuxiα. » Le monde , dit-
» il , prife plus les riches que les gens
» de bien. Car fi le monde parle d'un
» homme qui fe foit enrichi juftement
» ou injuſtement , il dit , c'est un homme
d'esprit , c'est un galant homme ; il
" a bien fait fes affaires . » Vous y
trouverez quantité d'autres naïvetés qui
vous feront plaifir. J'ai vu Marin cité
dans plufieurs Auteurs. Il étoit furtout
très-connu à l'Abbé Desfontaines qui
parle de fa traduction de Pindare ,
quelque part dans fes Obfervations .
On doit donc dire , Monfieur , que
Marin a la gloire d'avoir été , parmi
tous les
Traducteurs François , le pre-
( c) Comme par exemple , lorfque Pindare
avertit fa Muſe de reprendre fon Sujet.
96 MERCURE DE FRANCE.
mier qui ait trouvé le vrai fens de
Pindare ; & pour ne vous laiffer rien
à defirer à cet égard , il ne me reſte
plus qu'à vous citer la traduction de la
Gaufie , avec celle de l'Auteur du Dif
cours fur l'Ode , afin que vous puilliez
mieux juger de toutes les traductions
françoifes de cette première Ode de
Pindare. Le fieur de la Gaufie donna en
1626 une traduction de Pindare mêlée
de vers & de profe . Voici fon début.
» La force de chaque élément
» Paroît par leurs effets contraires ,
Mais le moindre de l'eau furmonte abfolument
>> Tous ceux de fes trois frères.
Celui- ci a une interprétation différente
; il s'éloigne du fens que Marin
a donné à Pindare , & il a cru que le
Poëte avoit en vue , non la prééminence
de l'eau , mais fa qualité , fes
ufages , & fes effets .
L'Auteur du Difcours fur l'Ode ,
donné en 1762 , rend ainfi cette première
ftrophe. " L'eau fans doute eft
" le premier des élémens. L'or brille
» entre les plus fuperbes richeffes comme
une flamme éclatante dans les
» ombres de la nuit. Mais , ô mon efprit
, fi tu veux chanter des combats
ne
MA I. 1763 . 97
» ne va point en plein jour chercher
» dans les vaftes déferts du ciel un aftre
» plus lumineux que le Soleil , ni fur
» la Terre des jeux plus illuftres que
» ceux d'Olympie. C'eft - là que les
Poëtes , & c.
,
Du refte , Monfieur , je n'éxamine
point ici fi so eft un fuperlatif
d'Ayatos , ou fi c'est un nom verbal
(a) formé d'agiseven , dominari , præcel-
. (a ) S'il eft vrai , fuivant l'explication inférée
dans l'Année Littaire , que ce terme agisov ne
foit pas formé d'ayatos , & par conféquent que
le premier vers de Pindare ne puiffe admettre
cette verfion littérale , l'eau est très bonne , il
fera vrai autfi de dire que tous les Grecs contemporains
de Pindare & autres qui ont fuivi ,
n'entendoient pas bien le Grec. Erafine Schmitt ,
dans fon Commentaire fur Pindare , rapporte
deux Epigrammes du Liv. 4 de l'Anthologie où
l'on badine Pindare fur ce premier vers de fon
Ode . En voici à - peu près le fens : En vérité ,
Pindare , nous ne voudrions point que vous fufiez
notre Médecin , & fi nous étions affez inconfidérés
pour confier nos corps entre vos mains , vous nous
diriez pour tout remède que l'eau est très - bonne.
En un mot , rappellez vous le Docteur Sangralo .
Voici encore un autre témoignage. Ariftote , au
Liv. de fa Rhétorique , Chap . 7 Art. 19 ,
après avoir fait voir » Qu'une choſe qu'on aura
» en abondance fera meilleure qu'une aurre qui
» fera plus rare , parce qu'on le fert beaucoup
plus de l'une que de l'autre , & que tout ce
E
98 MERCURE DE FRANCE.
cellere , ni fi l'on doit traduire comme
Marin , les Olympionniques pour les
Olympiennes , les Néméoniques , pour
les Néméennes , & c. Ce n'eft point ici
le lieu d'agiter cette queftion , & elle eft
étrangère à l'objet que je me fuis propofé
, qui eft de rendre juftice à Marin
comme au premier qui ait trouvé le
vrai fens de Pindare.
J'ai l'honneur d'être , & c .
» qui fert très-fouvent vaut mieux que ce qui
» ne fert que quelquefois & très- peu , il ajoute ,
» voilà ce qui a fait dire à Pindare dans une de
» fes Odes , il n'eft rien defi bon que l'eau. Ariftote
croyoit donc que Pindare avoit voulu défigner
les ufages de l'eau & non fa prééminence & c...
Mais jugeons Pindare par lui-même . Pindare le
répéte quelquefois dans fes comparaifons quoique
fort rarement. Dans l'Odé troifiéme des Olympiennes
, épode 3 , vers 3 , on trouve :
Ει δ ' αρισεύει μεν ύδωρ.
Si autem excellit quidem aqua.
Ici Pindare a ôté l'équivoque , & il eſt évident
qu'il s'agit dans cette troifiéme Ode , de la prééminence
de l'eau Il ne s'agit plus que de fçavoir
en quel temps ces deux Odes ont été compolées
. Suivant Schmitt , la premiere Olympienne
parut dans la foixante - treiziéme Olympiade , &
l'Ode troifiéme à Thécon dans la foixante- dixfeptiéme.
On peut donc croire que dans cet intervalle
, Pindare eut tout le loifir de reconnoître
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Résumé : LETTRE à l'Auteur du Mercure, au sujet du premier Vers de la première OLYMPIENNE de Pindare.
La lettre examine l'interprétation du premier vers de la première Olympique de Pindare, 'agisov μèv idup'. L'auteur fait référence à un article publié dans la trente-sixième feuille de l'Année Littéraire, qui critique les traductions de Boileau et Charles Perrault. Selon cet article, ces traducteurs ont mal interprété le vers, qui ne traite pas de la qualité de l'eau mais de sa prééminence sur les autres éléments, en lien avec la philosophie de Thalès. L'auteur souligne que François-Marine Champenois, dans une traduction de 1617, a correctement expliqué ce vers. Champenois traduit le vers comme 'Comme l'eau l'emporte sur tous les éléments', mettant en avant la supériorité de l'eau. Cette traduction a été consultée par l'auteur à la Bibliothèque du Roi. La lettre mentionne également d'autres traductions, telles que celle de la Gaufie en 1626 et un discours de 1762, qui proposent des interprétations différentes. L'auteur conclut en affirmant que Champenois est le premier traducteur français à avoir correctement compris le sens de Pindare.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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