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1
s. p.
LA PRAIRIE AU RUISSEAU.
Début :
Je vous sçay bon gré, Madame, de l'amitié que vous / Que vostre éloignement m'a fait souffrir de peine ! [...]
Mots clefs :
Ruisseau, Mérite, Prairie, Amour, Fleuve, Mourir, Fleurs, Eaux
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texteReconnaissance textuelle : LA PRAIRIE AU RUISSEAU.
E vous ſçay bon gré ,
Madame , de l'amitié
que vous témoignez avoir priſe pour le Ruiflſeau.
Elle ne me furprend point.
Vous avez l'eſprit délicat , &
j'eſtois perfuade en vous l'en- voyant , qu'il ſeroit favorable- ment reçeu. Comme le meri- te fait effet par tout , ce RuifTome X. A
12 LE MERCVRE
ſeau que vous appellez le plus galant des Ruiſſeaux, avoit fait un ſi grand bruit par les avan- tages que promettoit l'égalité de fon cours , que toutes les Prairies qui pouvoient préten- dre à ſes complaiſances, étoient charmées de ſa reputation.
Ainfi, quoyque ce foit quelque choſe d'aſſez fingulier qu'un Ruiſſeau Amant , celle qui euit la gloire de s'attirer ſon hom- mage , avoit déja entendu par- lerde ce qu'il valoit , & vous pouvez croire que l'offre de ſes ſoins ne luy déplût pas.
Vous en jugerez par cette Ré- ponſe qu'elle luy fit , aprés l'a- voir écouté ſans l'interrompre.
GALANT. 3
LA PRAIRIE
AU RUISSEAU.
Ve voſtre éloignement Q fouffrir de peine m'a fait
IeSéchoisſur lepied de me voir loin de
vous,
le n'avois plus de Fleurs , &j'estois
entre nous ,
Semblable à ces guérets que l'on voit dansles Plaines;
Mais puisque je vous voy , je m'en vay refleurir ,
Etfeûre de vos Eaux , je nesçaurois
perir.
Mais puis-je me flaterque ces Eaux fi cheries,
Ne coulent quepourmoy ? n'est- il point dePrairies
Dont l'émail éclatant puiſſe arreſter
Iecrainstout , mais enfin ie ne lepen- vos pas?
Sepas.
٤٠
A ij
4 LE MERCVRE
Vous estes décendu d'une Source trop
pure,
Pourternirparcette action Vostre crystal, &vostre nom ;
Etsi j'en croy voſtre murmure,
Vous ne ferez jamais inconstant ny parjure.
Cependant la rapidité Dont je vous voy courir le longdece rivage,
Estde vostre infidelité
Vnaffezfuneste préſage.
Ah, fi pour mon malheur , commeun Ruiſſeau volage ,
Aprèsavoir ſçeu m'engager,
Ie voyois voſtre cours ailleurs se parDe
3
tager,
combien de Soucis
remplie?
me verrois-je
Mais quand onva fi viſte,il fautqu'on
foit leger ;
Etfi ie m'en rapporte à ce qu'on en publie,
Vous estessujet àchanger.
GALANT.
Iefuisjalouſeenfin , &quand l'Ocean mesme ,
Richede tant de flots qu'il reçoit dans
Sonfein,
Anroitpourmoy quelque deſſein ,
Si ſon amourn'estoit extrême ,
J'aimerois cent fois mieux un fidelle Ruiffean Qui pourThétis , ny pourfon Diadéme ,
Ne voudroit pas ailleurs puiſer deux
goutes d'eau ;
Voilacomme ie fuis , &c'est ainsi que
j'aime.
Neme voir qu'en courant ! ah ien'ofe ypenser,
LeSens àce discours mes Fleurs se hé- riffer,
Et le Cruel Hyver me donne moins d'aLarmes:
Helas, où courez-vous ? coulez plus lentement ,
LeLitque je vous offre a- t-ilfi peu de charmes,
Qu'il ne puiſſe fixer la courſe d'un Amant ? A iij
6 LE MERCVRE
Venez vous égayer au bord de nos Fontaines ,
Leurs ondesparvostre moyen Se trouveront en moinsde rien
DesHélicons,desHippocrenes ,
Car ie n'ignore pas au bruit que vous
menez
Quevous boüillez de vousy rendre,
C'estvainement que vous tournez,
Ieſçayque c'est làvoſtretendre.
Quevous diray-jeplus ? jaydes tapis deFleurs
Surquivouspourezvous étendre,
L'Aurorechaque jour lesbaigne de
Sespleurs Quicompofent undouxmélange Quifaithonte à la fleur d'Orange.
Ah laiſſez- voustenter ! au nomde nos
amours
Faitesfurvousquelques retours,
Et coulez tout au moins avecplus de
pareſſe :
Sivous n'arrestez vostre cours,
Vous allez dans la Mer vous perdre Pour toûjours,
GALANT. 7
7
Et ieneSeray plus qu'un objet ſteſſe ;
de triMais c'est envainque ie vouspreſſe Deretarder un peu vostre extréme vi teffe ,
Etqu'un vent opposé seconde mes fou- haits;
L'Amour &lesRuiffeauxne remontens
-jamais.
Iene demande point que vous veniez Sans ceffe M'arroser nuit &iour fechereffe
non , quelque
Qui puiſſe me brûler, ie nem'en plain- draypas,
Pourven qu'en d'antres lieux, toûjours fidelle &tendre ,
VosEaux , vos cheres Eaux ,n'aillent
point se répandre ;
le ne me fonde point sur mes foibles
appas ,
Quoy qu'un Fleuve pompeux ſuivy de
cent Rivieres,
Quifont ſes humbles Tributaires,
En ſuperbe appareil me vienne tous les
ans
A ij
8 LE MERCVRE
Apporter sur mes bords cent liquides prefens.
Mais ilfaut dire tont , c'est un Fleuve volage Dont les débordemens Sans mesure ny choix
S'étendent dans les Champs ainsi que dansles Bois.
Qui peut s'accommoder d'un ſemblable
partage,
Ne me reſſemble pas : Euffiez- vous plus d'attraits
Que l'on ne voit d'Epis chez la blonde Cerés,
Si vous alliez ainsi de rivage en ri
vage,
Ie vous préfererois le moindre Maré
cage,
Et deuſſay-je en mourir, je romprois
Madame , de l'amitié
que vous témoignez avoir priſe pour le Ruiflſeau.
Elle ne me furprend point.
Vous avez l'eſprit délicat , &
j'eſtois perfuade en vous l'en- voyant , qu'il ſeroit favorable- ment reçeu. Comme le meri- te fait effet par tout , ce RuifTome X. A
12 LE MERCVRE
ſeau que vous appellez le plus galant des Ruiſſeaux, avoit fait un ſi grand bruit par les avan- tages que promettoit l'égalité de fon cours , que toutes les Prairies qui pouvoient préten- dre à ſes complaiſances, étoient charmées de ſa reputation.
Ainfi, quoyque ce foit quelque choſe d'aſſez fingulier qu'un Ruiſſeau Amant , celle qui euit la gloire de s'attirer ſon hom- mage , avoit déja entendu par- lerde ce qu'il valoit , & vous pouvez croire que l'offre de ſes ſoins ne luy déplût pas.
Vous en jugerez par cette Ré- ponſe qu'elle luy fit , aprés l'a- voir écouté ſans l'interrompre.
GALANT. 3
LA PRAIRIE
AU RUISSEAU.
Ve voſtre éloignement Q fouffrir de peine m'a fait
IeSéchoisſur lepied de me voir loin de
vous,
le n'avois plus de Fleurs , &j'estois
entre nous ,
Semblable à ces guérets que l'on voit dansles Plaines;
Mais puisque je vous voy , je m'en vay refleurir ,
Etfeûre de vos Eaux , je nesçaurois
perir.
Mais puis-je me flaterque ces Eaux fi cheries,
Ne coulent quepourmoy ? n'est- il point dePrairies
Dont l'émail éclatant puiſſe arreſter
Iecrainstout , mais enfin ie ne lepen- vos pas?
Sepas.
٤٠
A ij
4 LE MERCVRE
Vous estes décendu d'une Source trop
pure,
Pourternirparcette action Vostre crystal, &vostre nom ;
Etsi j'en croy voſtre murmure,
Vous ne ferez jamais inconstant ny parjure.
Cependant la rapidité Dont je vous voy courir le longdece rivage,
Estde vostre infidelité
Vnaffezfuneste préſage.
Ah, fi pour mon malheur , commeun Ruiſſeau volage ,
Aprèsavoir ſçeu m'engager,
Ie voyois voſtre cours ailleurs se parDe
3
tager,
combien de Soucis
remplie?
me verrois-je
Mais quand onva fi viſte,il fautqu'on
foit leger ;
Etfi ie m'en rapporte à ce qu'on en publie,
Vous estessujet àchanger.
GALANT.
Iefuisjalouſeenfin , &quand l'Ocean mesme ,
Richede tant de flots qu'il reçoit dans
Sonfein,
Anroitpourmoy quelque deſſein ,
Si ſon amourn'estoit extrême ,
J'aimerois cent fois mieux un fidelle Ruiffean Qui pourThétis , ny pourfon Diadéme ,
Ne voudroit pas ailleurs puiſer deux
goutes d'eau ;
Voilacomme ie fuis , &c'est ainsi que
j'aime.
Neme voir qu'en courant ! ah ien'ofe ypenser,
LeSens àce discours mes Fleurs se hé- riffer,
Et le Cruel Hyver me donne moins d'aLarmes:
Helas, où courez-vous ? coulez plus lentement ,
LeLitque je vous offre a- t-ilfi peu de charmes,
Qu'il ne puiſſe fixer la courſe d'un Amant ? A iij
6 LE MERCVRE
Venez vous égayer au bord de nos Fontaines ,
Leurs ondesparvostre moyen Se trouveront en moinsde rien
DesHélicons,desHippocrenes ,
Car ie n'ignore pas au bruit que vous
menez
Quevous boüillez de vousy rendre,
C'estvainement que vous tournez,
Ieſçayque c'est làvoſtretendre.
Quevous diray-jeplus ? jaydes tapis deFleurs
Surquivouspourezvous étendre,
L'Aurorechaque jour lesbaigne de
Sespleurs Quicompofent undouxmélange Quifaithonte à la fleur d'Orange.
Ah laiſſez- voustenter ! au nomde nos
amours
Faitesfurvousquelques retours,
Et coulez tout au moins avecplus de
pareſſe :
Sivous n'arrestez vostre cours,
Vous allez dans la Mer vous perdre Pour toûjours,
GALANT. 7
7
Et ieneSeray plus qu'un objet ſteſſe ;
de triMais c'est envainque ie vouspreſſe Deretarder un peu vostre extréme vi teffe ,
Etqu'un vent opposé seconde mes fou- haits;
L'Amour &lesRuiffeauxne remontens
-jamais.
Iene demande point que vous veniez Sans ceffe M'arroser nuit &iour fechereffe
non , quelque
Qui puiſſe me brûler, ie nem'en plain- draypas,
Pourven qu'en d'antres lieux, toûjours fidelle &tendre ,
VosEaux , vos cheres Eaux ,n'aillent
point se répandre ;
le ne me fonde point sur mes foibles
appas ,
Quoy qu'un Fleuve pompeux ſuivy de
cent Rivieres,
Quifont ſes humbles Tributaires,
En ſuperbe appareil me vienne tous les
ans
A ij
8 LE MERCVRE
Apporter sur mes bords cent liquides prefens.
Mais ilfaut dire tont , c'est un Fleuve volage Dont les débordemens Sans mesure ny choix
S'étendent dans les Champs ainsi que dansles Bois.
Qui peut s'accommoder d'un ſemblable
partage,
Ne me reſſemble pas : Euffiez- vous plus d'attraits
Que l'on ne voit d'Epis chez la blonde Cerés,
Si vous alliez ainsi de rivage en ri
vage,
Ie vous préfererois le moindre Maré
cage,
Et deuſſay-je en mourir, je romprois
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Résumé : LA PRAIRIE AU RUISSEAU.
Le texte présente une correspondance poétique entre un ruisseau et une prairie. L'auteur exprime sa gratitude à une dame pour son amitié envers un ruisseau nommé le Ruisseau, qu'elle décrit comme le 'plus galant des Ruisseaux'. Ce ruisseau est apprécié pour ses avantages et son égalité de cours, ce qui a attiré l'intérêt de nombreuses prairies. La prairie, après avoir entendu les hommages du ruisseau, lui répond en exprimant son désir de refleurir grâce à ses eaux. Cependant, elle craint l'infidélité du ruisseau, symbolisée par sa rapidité et sa tendance à changer de cours. La prairie avoue sa jalousie et préfère un ruisseau fidèle plutôt qu'un océan riche en flots. Elle invite le ruisseau à s'égayer au bord de ses fontaines et à ralentir son cours pour éviter de se perdre dans la mer. Malgré ses supplications, la prairie reconnaît que l'amour et les ruisseaux ne remontent jamais. Elle exprime sa préférence pour la fidélité plutôt que pour les débordements d'un fleuve volage. La prairie souhaite un ruisseau constant et fidèle, capable de rester à ses côtés sans se laisser emporter par d'autres courants.
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2
p. 2148-2152
LA NECESSITÉ DE MOURIR. ODE.
Début :
D'une aîle rapide et légere, [...]
Mots clefs :
Mourir, Mort, Jours, Terre
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LA NECESSITÉ DE MOURIR. ODE.
LA NECESSITE' DE MOURIR .
ODE.
D'Une aîle rapide et légere ,
Vers son penchant le temps s'enfuit ;
Et dans sa course passagere ,
Consume ce qu'il a produit.
Semblables à l'eau fugitive,
Qui suit la pente de sa rive ,
Et ne connoît point de retour ,
Nos jours avancent vers leur terme;
Et le cercle qui les enferme ,
Les angloutit dans son contour.
Comme l'impétueuse rage
Des vents déchaînez dans les Airs
Impitoyablement ravage
Le tranquille Empire des Mers ;
Ainsi mille affreuses tempêtes
Grondent sans cesse sur nos têtes ;
Sans nous donner aucun repos;
Et toujours à la crainte en proye ,
Nous ne goûtons jamais de joye ,
Que ne suivent les plus grands maux?
Après
OCTOBR E. 1733. 2149
Après de fâcheuses disgraces.
Et de dures fatalitez ,
Qui marchent toujours sur nos traces ;
Dans ce séjour d'infirmitez ,
La Mort cruelle , inéxorable ,
Et de butin insatiable ,
Tranchera le fil de nos jours ;
Et dans de ténebreux abîmes ,
"Foibles et tremblantes victimes ,
Nous engloutira pour toujours.
谈
Nos voeux , nos larmes , nos promesses ;
Ne peuvent fléchir ses rigueurs
Elle se rit de nos foiblesses ,
Comme elle fait de nos grandeurs.
Quelqu'élevez que soient les hommes ,
Il nous faut tous tant que nous sommes ,
Lui payer le fatal tribut;
Marchant par des routes diverses ,
Après plusieurs longues traverses ,
Nous parviendrons au même but.
La plus aimable des journées ,
A le sort du plus triste jour ;
Les plus agréables années ,
S'en vont sans espoir de retour.
Les vastes et puissants Royaumes ,
S'é
2150 MERCURE DE FRANCE
S'éclipsent comme des fantômes ,
Qui trompent nos yeux éblouis *
Les Monumens les plus celebres ,
Ensevelis dans les tenebres ,
Se sont enfin évanoüis..
Héros dans la
guerre invincibles ,
Vous , qui de la gloire amoureux ,
Tâchez par des exploits terribles ,
De rendre votre nom fameux ;;
Monstres avides de carnage ,
Cessez de vanter votre rage ,
Et vos Lauriers baignez de pleurs ;.
Votre gloire est imaginaire ,
Votre valeur trop sanguinaire ,
Ne se plaît que dans les horreurs,
Couverts de foudroyantes Armes ,
Vous paroissez au Champ de Mars ;
Parmi les feux et les allarmes ,
Vous allez braver les hazards.
Par tout vous lancez le Tonnerre
Vos ennemis mordent la terre ; -
Rien ne résiste à votre bras ;
Les plus vaillans prennent la fuite ;
Ils évitent votre poursuite ,
Et vous laissent seuls aux combats.
Mais
OCTOBRE . 1733. 2151
Mais quel effroyable spectacle ,
Frappe mes yeux épouvantez ?
Qui vient d'operer ce Miracle ,
Qui surprend mes sens enchantez
Que deviennent ces coeurs sublimes ?
Où sont ces Héros magnanimes ,
Qui devant eux faisoient tout fair ?
Quoi donc ces Guerriers indomptables ;
Qui paroissoient si redoutables ,
Au sort sont contraints d'obéïr !
粥
Ils tombent frappez de la foudre
Qui brise leur chef orgueilleux ;
Leurs Lauriers sont réduits en poudre ;
Leurs noms périssent avec eux .
Où sont ces brillantes fortunes ?
Non , les ames les moins communes ,
Ne sçauroient braver les Destins .
Des Cieux la suprême vengeance ,
Confondant leur vaine arrogance , »
Les égale aux plus vils humains.
M
Les souverains Mâîtres du Monde ,,
Par des efforts imperieux ,
Asservissent la Terre et l'Onde ,
Aleurs desirs ambitieux.
Leurs richesses sont innombrables
Leur
2152 MERCURE DE FRANCE
Leurs trésors sont inépuisables ;
Des Peuples ils sont adorez ;
Leurs flateurs , soigneux de leur plaire ,
N'osent parler , n'osent se taire ,
Que selon leurs decrets sacréz.
Suivis d'une Cour éclatante ,
Dont on les voit environnez ,
Dans le sein d'une paix charmante ,
Ils coulent des jours fortunez ;
Chacun compose son visage ,
Sa voix , son geste , son langage
Sur ces Arbitres tout-puissants ;
Des ris la Troupe enchanteresse ,
Eloigne d'eux toute tristesse ,
Par ses mélodieux accens .
浴
Mais les Parques impitoyables ,
Qui tiennent nos jours dans leurs mains
Se montreront inexorables ,
Envers ces Maîtres des Humains ;
De leur faux bonheur, le mensonge ,
Disparoîtra comme un vain songe ,
Dont le charme dure un moment.
Dans ce jour à jamais funeste ,
Tout l'avantage qui leur reste ,
C'estde mourir superbement.
Aubry de Trungy.
ODE.
D'Une aîle rapide et légere ,
Vers son penchant le temps s'enfuit ;
Et dans sa course passagere ,
Consume ce qu'il a produit.
Semblables à l'eau fugitive,
Qui suit la pente de sa rive ,
Et ne connoît point de retour ,
Nos jours avancent vers leur terme;
Et le cercle qui les enferme ,
Les angloutit dans son contour.
Comme l'impétueuse rage
Des vents déchaînez dans les Airs
Impitoyablement ravage
Le tranquille Empire des Mers ;
Ainsi mille affreuses tempêtes
Grondent sans cesse sur nos têtes ;
Sans nous donner aucun repos;
Et toujours à la crainte en proye ,
Nous ne goûtons jamais de joye ,
Que ne suivent les plus grands maux?
Après
OCTOBR E. 1733. 2149
Après de fâcheuses disgraces.
Et de dures fatalitez ,
Qui marchent toujours sur nos traces ;
Dans ce séjour d'infirmitez ,
La Mort cruelle , inéxorable ,
Et de butin insatiable ,
Tranchera le fil de nos jours ;
Et dans de ténebreux abîmes ,
"Foibles et tremblantes victimes ,
Nous engloutira pour toujours.
谈
Nos voeux , nos larmes , nos promesses ;
Ne peuvent fléchir ses rigueurs
Elle se rit de nos foiblesses ,
Comme elle fait de nos grandeurs.
Quelqu'élevez que soient les hommes ,
Il nous faut tous tant que nous sommes ,
Lui payer le fatal tribut;
Marchant par des routes diverses ,
Après plusieurs longues traverses ,
Nous parviendrons au même but.
La plus aimable des journées ,
A le sort du plus triste jour ;
Les plus agréables années ,
S'en vont sans espoir de retour.
Les vastes et puissants Royaumes ,
S'é
2150 MERCURE DE FRANCE
S'éclipsent comme des fantômes ,
Qui trompent nos yeux éblouis *
Les Monumens les plus celebres ,
Ensevelis dans les tenebres ,
Se sont enfin évanoüis..
Héros dans la
guerre invincibles ,
Vous , qui de la gloire amoureux ,
Tâchez par des exploits terribles ,
De rendre votre nom fameux ;;
Monstres avides de carnage ,
Cessez de vanter votre rage ,
Et vos Lauriers baignez de pleurs ;.
Votre gloire est imaginaire ,
Votre valeur trop sanguinaire ,
Ne se plaît que dans les horreurs,
Couverts de foudroyantes Armes ,
Vous paroissez au Champ de Mars ;
Parmi les feux et les allarmes ,
Vous allez braver les hazards.
Par tout vous lancez le Tonnerre
Vos ennemis mordent la terre ; -
Rien ne résiste à votre bras ;
Les plus vaillans prennent la fuite ;
Ils évitent votre poursuite ,
Et vous laissent seuls aux combats.
Mais
OCTOBRE . 1733. 2151
Mais quel effroyable spectacle ,
Frappe mes yeux épouvantez ?
Qui vient d'operer ce Miracle ,
Qui surprend mes sens enchantez
Que deviennent ces coeurs sublimes ?
Où sont ces Héros magnanimes ,
Qui devant eux faisoient tout fair ?
Quoi donc ces Guerriers indomptables ;
Qui paroissoient si redoutables ,
Au sort sont contraints d'obéïr !
粥
Ils tombent frappez de la foudre
Qui brise leur chef orgueilleux ;
Leurs Lauriers sont réduits en poudre ;
Leurs noms périssent avec eux .
Où sont ces brillantes fortunes ?
Non , les ames les moins communes ,
Ne sçauroient braver les Destins .
Des Cieux la suprême vengeance ,
Confondant leur vaine arrogance , »
Les égale aux plus vils humains.
M
Les souverains Mâîtres du Monde ,,
Par des efforts imperieux ,
Asservissent la Terre et l'Onde ,
Aleurs desirs ambitieux.
Leurs richesses sont innombrables
Leur
2152 MERCURE DE FRANCE
Leurs trésors sont inépuisables ;
Des Peuples ils sont adorez ;
Leurs flateurs , soigneux de leur plaire ,
N'osent parler , n'osent se taire ,
Que selon leurs decrets sacréz.
Suivis d'une Cour éclatante ,
Dont on les voit environnez ,
Dans le sein d'une paix charmante ,
Ils coulent des jours fortunez ;
Chacun compose son visage ,
Sa voix , son geste , son langage
Sur ces Arbitres tout-puissants ;
Des ris la Troupe enchanteresse ,
Eloigne d'eux toute tristesse ,
Par ses mélodieux accens .
浴
Mais les Parques impitoyables ,
Qui tiennent nos jours dans leurs mains
Se montreront inexorables ,
Envers ces Maîtres des Humains ;
De leur faux bonheur, le mensonge ,
Disparoîtra comme un vain songe ,
Dont le charme dure un moment.
Dans ce jour à jamais funeste ,
Tout l'avantage qui leur reste ,
C'estde mourir superbement.
Aubry de Trungy.
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Résumé : LA NECESSITÉ DE MOURIR. ODE.
Le texte 'La Nécessité de mourir' explore l'inévitabilité de la mort et l'impuissance humaine face à cette fatalité. Le temps, comparé à une aile rapide, consume tout ce qu'il produit, tout comme l'eau fugitive suit sa pente sans retour. Les jours des hommes avancent inexorablement vers leur terme, entraînés par un cercle implacable. Les tempêtes et les afflictions constantes empêchent les hommes de connaître la joie véritable. La mort est décrite comme cruelle et inéxorable, tranchant le fil des jours des hommes et les engloutissant dans des abîmes ténébreux. Les vœux, larmes et promesses humaines ne peuvent fléchir ses rigueurs. Tous les hommes, quels que soient leur statut ou leurs exploits, doivent lui payer un tribut fatal. Les journées les plus agréables et les royaumes les plus puissants s'évanouissent comme des fantômes. Les héros de guerre, malgré leur gloire et leur valeur, sont contraints d'obéir au sort. Leur fin est spectaculaire mais inéluctable, leurs noms périssant avec eux. Les souverains, malgré leurs richesses et leur pouvoir, ne peuvent échapper à la vengeance céleste. Les Parques impitoyables montrent leur inexorabilité envers tous les hommes, y compris les maîtres du monde, qui ne peuvent que mourir superbement.
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3
p. 2380-2385
LE TRIOMPHE DE L'AMOUR. Dans le combat d'Atalante avec Hippomène.
Début :
Vous, de qui la beauté touchante, [...]
Mots clefs :
Combat, Amour, Atalante, Hippomène, Victoire, Coeur, Mourir, Belle
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texteReconnaissance textuelle : LE TRIOMPHE DE L'AMOUR. Dans le combat d'Atalante avec Hippomène.
LE TRIOMPHE
DE L'AMOUR.
Dans le combat d'Atalante avec Hippomène.
Vous ,de qui la beauté touchante ,
Enchaîne et captive les coeurs
Quittez , trop aimable Atalante ,
Ou vos attraits , ou vos rigueurs.
Cessez de prendre pour victimes
Des amans qui n'ont d'autres crimes ,
Que l'amour dont ils sont épris ;
De cet amour est-on le maître ?
Vous-même vous le faites naître ,
Et votre haine en est le prix !
*
Songez , qu'envain vous êtes belle
Si rien ne sçauroit vous toucher ;
Que les doux plaisirs suivent celle
NOVEMBRE . 1733 2381
Que l'Hymen a sçû s'attachér.
Tant de soins joints à tant d'allarmes ,
Tant de maux causez par vos charmes ,
Méritoient bien un sort plus doux
Est-il effort que l'on n'essaye ;
La mort n'a rien qui nous effraye
Dans l'espoir d'être aimez de vous.
En ces mots un essain fidéle ,
D'Amans pénétrez de douleur ,
Oserent à cette cruelle ,
Peindre leur flâme et leur malheur.
Hélas ! quelle fut leur ressource !
İl falloit la vaincre à la course ,
Pour fléchir son coeur inhumain
Et si l'on perdoit la victoire ,
On devoit ( pourra - t-on le croire ?
Se voir d'un Dard percer le sein.
On croit que le bien qu'on souhaitte }
N'est point au dessus du pouvoir
Tous d'une victoire complette ,
Conçoivent l'agréable espoir .
Le sort leur paroissoit propice ,
Ils ne voyoient le précipice ,
Que sous les plus belles couleurs ,
Ciij D'ac
2382 MERCURE DE FRANCE
D'accord l'Amour et la Fortune ,
Avoient d'une ardeur non commune ,
Parsemé l'abîme de fleurs.
M
Non tels que ces Rois , dont l'Elide ,
'Aime à vanter les vains Lauriers ;
Le prix d'une course rapide ,
Se devoit seul à leurs coursiers . ;
Ni pareils aux vangeurs d'Héléne ;
Qu'on vit sur la rive Troyenne ,
Affronter les fureurs de Mars ;
Il leur falloit une victoire ,
Dont chacun remportât la gloire,
Et seul essuyât les hazards.
Enfin le jour prescrit arrive ,
Qu'ils devoient ou vaincre ou mourir ,
Des amours la troupe attentive ,
Sçut à ce spectacle accourir,
Atalante insensible et fiere ,
S'avance et court dans la carriere ;
Adraste le premier l'y suit ,
Restant dans la Lice après elle ,
Sur l'heure il est par la cruelle ,
Plongé dans l'éternelle nuit.
Tous semblent se faire un mérite ;
D'être
NOVEMBRE 1733 2383.
D'être par elle mis à mort ,
Ciel ! que j'en vois mourir de suite
Tous ont déja ce triste sort .
O que l'amour est redoutable !
Malgré ce massacre effroyable ,
Son empire est-il moins puissant |
Hyppoméne , fils de Neptune ,
Vient encor tenter la Fortune ,
Si rigoureuse à chaque Amant.
D'abord la Princesse à sa veuë ,
Prend de plus tendres sentimens ,
Sa fierté tombe , elle est émeuë ,
Le trouble saisit tous ses sens :
Une naissante et vive flâme ,
Se glisse en secret dans son ame
Elle sent attendrir son coeur ,
En faveur du seul Hyppoméne ,
Un penchant violent l'entraîne ,
A désirer qu'il soit vainqueur.
Où vas - tu ? Prince , lui dit-elle ,
C'est trop peu ménager tes jours ;
Songe , dans l'ardeur de ton zéle ,
Que c'est à la mort que tu cours ;
Ciiij
Måle
2384 MERCURE DE FRANCE
Malgré ta témeraire envie ,
Je veux prendre soin de ta vie ,
Va, cesse de vouloir périr ;
Envain ; ce Héros intrépide , 1
Regarde la belle homicide ,
Et compte pour rien de mourir,
Ils courent à perte d'haleine ,
Mais les plus amoureux transports
Troublent le coeur de l'inhumaine ,
Et lui font blâmer ses efforts.
Elle tremble que sa vitesse
N'ôte à l'objet de sa tendresse ; '
Les moïens de fuïr le trépas ,
L'amour approuve ses allarmes ,
Et lui fait trouver mille charmes , 1
A moderer un peu ses pas.
Les trois Pommes d'or que présente ;
Et jette Hyppoméne en courant ,
Viennent au secours d'Atalante
Seconder son tendre penchant .
Joignant la ruse à sa surprise ,
Elle affecte d'en être éprise ,
Et pour tarder s'en fait un jeu ;
Hyppoméne couvert de gloire,
•
G
NOVEMBRE. 1733. 2385
Ne trouve plus par sa victoire ,
Aucun obstacle à son beau feu.
Après ce combat mémorable,
L'on oüit ces mots dans les airs 9
Que l'Amour , ce vainqueur aimable;
Triomphe de tout PUnivers.
Envain une belle infléxible ,
Veille sur son coeur insensible
Un seul trait peut la désarmer ;
Pour mille Amans elle est sévére ;
Mais qu'un seul ait l'art de lui plaire ,
Elle sçaura bien-tôt aimer.
DE MONTFLBURY
DE L'AMOUR.
Dans le combat d'Atalante avec Hippomène.
Vous ,de qui la beauté touchante ,
Enchaîne et captive les coeurs
Quittez , trop aimable Atalante ,
Ou vos attraits , ou vos rigueurs.
Cessez de prendre pour victimes
Des amans qui n'ont d'autres crimes ,
Que l'amour dont ils sont épris ;
De cet amour est-on le maître ?
Vous-même vous le faites naître ,
Et votre haine en est le prix !
*
Songez , qu'envain vous êtes belle
Si rien ne sçauroit vous toucher ;
Que les doux plaisirs suivent celle
NOVEMBRE . 1733 2381
Que l'Hymen a sçû s'attachér.
Tant de soins joints à tant d'allarmes ,
Tant de maux causez par vos charmes ,
Méritoient bien un sort plus doux
Est-il effort que l'on n'essaye ;
La mort n'a rien qui nous effraye
Dans l'espoir d'être aimez de vous.
En ces mots un essain fidéle ,
D'Amans pénétrez de douleur ,
Oserent à cette cruelle ,
Peindre leur flâme et leur malheur.
Hélas ! quelle fut leur ressource !
İl falloit la vaincre à la course ,
Pour fléchir son coeur inhumain
Et si l'on perdoit la victoire ,
On devoit ( pourra - t-on le croire ?
Se voir d'un Dard percer le sein.
On croit que le bien qu'on souhaitte }
N'est point au dessus du pouvoir
Tous d'une victoire complette ,
Conçoivent l'agréable espoir .
Le sort leur paroissoit propice ,
Ils ne voyoient le précipice ,
Que sous les plus belles couleurs ,
Ciij D'ac
2382 MERCURE DE FRANCE
D'accord l'Amour et la Fortune ,
Avoient d'une ardeur non commune ,
Parsemé l'abîme de fleurs.
M
Non tels que ces Rois , dont l'Elide ,
'Aime à vanter les vains Lauriers ;
Le prix d'une course rapide ,
Se devoit seul à leurs coursiers . ;
Ni pareils aux vangeurs d'Héléne ;
Qu'on vit sur la rive Troyenne ,
Affronter les fureurs de Mars ;
Il leur falloit une victoire ,
Dont chacun remportât la gloire,
Et seul essuyât les hazards.
Enfin le jour prescrit arrive ,
Qu'ils devoient ou vaincre ou mourir ,
Des amours la troupe attentive ,
Sçut à ce spectacle accourir,
Atalante insensible et fiere ,
S'avance et court dans la carriere ;
Adraste le premier l'y suit ,
Restant dans la Lice après elle ,
Sur l'heure il est par la cruelle ,
Plongé dans l'éternelle nuit.
Tous semblent se faire un mérite ;
D'être
NOVEMBRE 1733 2383.
D'être par elle mis à mort ,
Ciel ! que j'en vois mourir de suite
Tous ont déja ce triste sort .
O que l'amour est redoutable !
Malgré ce massacre effroyable ,
Son empire est-il moins puissant |
Hyppoméne , fils de Neptune ,
Vient encor tenter la Fortune ,
Si rigoureuse à chaque Amant.
D'abord la Princesse à sa veuë ,
Prend de plus tendres sentimens ,
Sa fierté tombe , elle est émeuë ,
Le trouble saisit tous ses sens :
Une naissante et vive flâme ,
Se glisse en secret dans son ame
Elle sent attendrir son coeur ,
En faveur du seul Hyppoméne ,
Un penchant violent l'entraîne ,
A désirer qu'il soit vainqueur.
Où vas - tu ? Prince , lui dit-elle ,
C'est trop peu ménager tes jours ;
Songe , dans l'ardeur de ton zéle ,
Que c'est à la mort que tu cours ;
Ciiij
Måle
2384 MERCURE DE FRANCE
Malgré ta témeraire envie ,
Je veux prendre soin de ta vie ,
Va, cesse de vouloir périr ;
Envain ; ce Héros intrépide , 1
Regarde la belle homicide ,
Et compte pour rien de mourir,
Ils courent à perte d'haleine ,
Mais les plus amoureux transports
Troublent le coeur de l'inhumaine ,
Et lui font blâmer ses efforts.
Elle tremble que sa vitesse
N'ôte à l'objet de sa tendresse ; '
Les moïens de fuïr le trépas ,
L'amour approuve ses allarmes ,
Et lui fait trouver mille charmes , 1
A moderer un peu ses pas.
Les trois Pommes d'or que présente ;
Et jette Hyppoméne en courant ,
Viennent au secours d'Atalante
Seconder son tendre penchant .
Joignant la ruse à sa surprise ,
Elle affecte d'en être éprise ,
Et pour tarder s'en fait un jeu ;
Hyppoméne couvert de gloire,
•
G
NOVEMBRE. 1733. 2385
Ne trouve plus par sa victoire ,
Aucun obstacle à son beau feu.
Après ce combat mémorable,
L'on oüit ces mots dans les airs 9
Que l'Amour , ce vainqueur aimable;
Triomphe de tout PUnivers.
Envain une belle infléxible ,
Veille sur son coeur insensible
Un seul trait peut la désarmer ;
Pour mille Amans elle est sévére ;
Mais qu'un seul ait l'art de lui plaire ,
Elle sçaura bien-tôt aimer.
DE MONTFLBURY
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Résumé : LE TRIOMPHE DE L'AMOUR. Dans le combat d'Atalante avec Hippomène.
Le texte narre la légende d'Atalante et Hippomène, mettant en avant le triomphe de l'amour. Atalante, célèbre pour sa beauté et sa cruauté envers ses prétendants, impose une course mortelle où les participants doivent la vaincre pour survivre. De nombreux amants tentent leur chance, mais tous trouvent la mort. Hippomène, fils de Neptune, se distingue par sa détermination. Atalante, malgré sa fierté, ressent une émotion nouvelle pour lui. Lors de la course, Hippomène utilise des pommes d'or pour ralentir Atalante, qui feint de les ramasser afin de retarder sa victoire. Finalement, Hippomène remporte la course, et l'amour triomphe, prouvant que même les cœurs les plus insensibles peuvent être conquis. Le texte se conclut par la célébration de l'amour, capable de désarmer les plus inflexibles.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 176-192
COMEDIE FRANÇOISE.
Début :
Les Comédiens François ont donné le 13 de ce mois la dixiéme représentation [...]
Mots clefs :
Cicéron, Sextus, César, Comédiens-Français, Père, Mécène, Yeux, Pompée, Fille, Mourir, Dieux, Octave
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COMEDIE FRANÇOISE.
COMEDIE FRANÇOISE.
Lis
Es Comédiens François ont donné le
13 de ce mois la dixiéme repréfentation
du Triumvirat. On peut dire qu'il a
eu ce fuccès d'estime que l'ouvrage &
l'auteur ont fi bien mérité , & qu'on refuſe
fouvent à des pieces plus heureufes , qui
comptent plus de repréfentations que de
fuffrages. Cette Tragédie eft imprimée
fous ce double titre : Le Triumvirat , ou la
mort de Ciceron , avec une épitre dédicatoire
à Mme Bignon , & une préface . Elle
fe vend chez Hochereau , quai de Conti , au
Phénix ; le prix eft de 30 f. en voici l'extrait .
EXTRAIT DU TRIUMVIRÁT.
Tullie , fille de Ciceron , ouvre feule
la fcene qui eft au Capitole , par un début
digne d'elle & du fujet. Elle s'écrie ,
Effroyable féjour des horreurs de la guerre ,
Lieux inondés du fang des maîtres de la terre ,
Lieux , dont le feul afpect fit trembler tant de
Rois ,
Palais où Ciceron triompha tant de fois ;
Deformais trop heureux de cacher ce grand homme
,
Sauvez le feul Romain qui foit encor dans Rome.
FEVRIER. 1755. 177
A
Elle ajoûte avec effroi , en jettant les
yeux fur le tableau des profcrits :
Que vois-je , à la lueur de ce cruel flambeau !
Ah ! que de noms facrés profcrits fur ce tableau !
Rome , il ne manque plus , pour combler ta mifere
,
Que d'y tracer le nom de mon malheureux pere.
Enfuite elle apoftrophe ainfi la ftatue de
Céfar.
Toi , qui fis en naiffant honneur à la nature ,
Sans avoir , des vertus , que l'heureufe impofture ,
Trop aimable tyran , illuftre ambitieux ,
Qui triomphas du fort , de Caton & des Dieux...
Sous un joug ennobli par l'éclat de tes armes ,
Nous refpirions du moins fans honte & fans allármes
:
Loin de rougir des fers qu'illuftroit ta valeur ,
On fe croyoit paré des lauriers du vainqueur.
Mais fous le joug honteux & d'Antoine & d'Octave
>
Rome , arbitre des Rois , va gémir en eſclave.
Se tournant après vers la ftatue de Pompée
, elle lui adreffe ces triftes paroles .
Ah ! Pompée , eft -ce là ce qui refte de toi
Miférables débris de la grandeur . humaine ,
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Douloureux monument de vengeance & de haine !
6
Pour nous venger d'Octave ,, accours , vaillant
Sextus ,,
A ce nouveau Céfar , fois un nouveau. Brutus.
Ce monologue me paroît admirable ; il
égale , à mon gré , celui d'Electre , s'il ne
le furpaffe pas , & forme la plus belle expofition
. Il eft terminé par l'arrivée de
Sextus , qui fe cache même aux yeux de
Tullie qu'il aime , fous le nom de Clodomir
, chef des Gaulois . Il lui fait un récit
affreux des horreurs du Triumvirat dont il
vient d'être le témoin , & finit un fi noir
tableau par ces beaux vers , qu'on croiroit
d'un auteur de trente ans , à la force du
coloris.
Un fils , prefque à mes yeux , vient de livrer fon
Le
pere ;
J'ai vu ce même fils égorgé par fa mere :
On ne voit que des corps mutilés & fanglans ,
Des efclaves traîner leurs maîtres expirans ;
affouvi réchauffe le carnage ;
carnage
J'ai vu des furieux dont la haine & la rage
Se difputoient des cours encor tout palpitans:
On diroit à les voir l'un l'autre s'excitans ,
Déployer à l'envi leur fureur meurtrière ,
Que c'est le derniér jour de la nature entiere. {
FEVRIER. , 1755. 179
que
Dans ce péril preffant il offre à Tullie une
retraite dans Oftie pour fon pere & pour
elle . Elle la refufe ; il frémit du danger
Ciceron va courir , fi près de Fulvie
qui a juré fa perte. Il exprime en même
tems la douleur qu'il a de la perdre & de
la voir près d'être unie aux jours d'Octave
qui l'aime , ajoutant que fon fang fcellera
cet hymen. Tullie le raffure fur cette crain--
te , en lui difant :
Un tyran à
Ne craignez rien d'Octave' :
mes yeux ne vaut pas un esclave.
Un rival plus heureux va caufer vos allarmes ...
Le fils du grand Pompée . Hélas ! que n'est- ce vous !!
Que j'euffe avec plaifir accepté mon époux !
Ces deux amans font interrompus par
Lepide qui entre : Clodomir fe retire . Le
Triumvir fait entendre à Tullie , que ne
pouvant chaffer de Rome fes collegues impies
, il prend le parti de s'en exiler luimême
, & qu'il va chercher un afyle en
Efpagne pour y fauver fa vertu. Tullie l'interrompt
par cette noble réponſe , qui a
toujours été fi juftement applaudie :
Ah ! la vertu quifuit ne vaut pas le courage
Du crime audacieux qui fçait braver l'orage .
Que peut craindre un Romain des,caprices.du fort,
Tant qu'il lui refte un bras pour fe donner la mort
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Avez-vous oublié que Rome eft votre mere
Demeurez , imitez l'exemple de mon pere ,
Et de votre vertu në nous vantez l'éclat
Qu'après une victoire , ou du moins un combat.
On n'encenfa jamais la vertu fugitive ,
Et celle d'un Romain doit être plus active.
On ne le reconnoît qu'à fon dernier foupir ;
Son honneur eft de vaincre , & vaincu de mourir.
ger
Elle fort.
Ciceron arrive. Lapide tâche de l'engaà
le fuivre pour fe dérober à la fureur
d'Antoine & de Fulvie , qui veulent le profcrire.
Ciceron rejette cette offre. Lepide le
quitte , en lui déclarant qu'il vient de rencontrer
Sextus , & qu'il l'a reconnu . Ce
Triumvir l'avertit d'en craindre la fuite ,
& de prendre garde à lui. Ciceron reſté
feul , dit qu'il eft tems qu'il apprenne
ce fecret à fa fille , que Clodomir devenu
le fils du grand Pompée , ne pourra l'en
blâmer , qu'il veut les unir & donner à Céfar
un rival , dont le nom feul pourra lui
devenir funefte.
Octave commence avec Mecene le fecond
acte. Après avoir d'abord tâché d'excufer
fes cruautés , il lui marque fon
amour pour Tullie , & fon eftime pour fon
pere , ajoûtant qu'il veut le fauver & fe
l'attacher. Mecene l'affermit dans ce defFEVRIER.
1755. 181
fein , & le laiffe avec Ciceron qui paroît ,
& qui lui témoigne ainfi fa furpriſe :
Céſar , en quel état vous offrez-vous à moi ?
Ah ! ce n'eft ni fon fils , ni Céfar que je vois.
O! Céfar , ce n'eft pas ton fang qui l'a fait naître :
Brutus qui l'a verfé , méritoit mieux d'en être.
Le meurtre des vaincus ne fouilloit point tes pas ;
Ta valeur fubjuguoit , mais ne profcrivoit pas.
Octave, pour fe juftifier , répond qu'il
pourfuit les meurtriers du grand Céfar , &
que fa vengeance eft légitime. Ciceron l'interrompt
pour lui reprocher l'abus affreux
qu'il fait de ce prétexte , & lui dit :
Rendre le glaive feul l'interprête des loix ,
Employer pour venger le meurtre de fon pere
Des flammes & du fer l'odieux miniftere ;
Donner à fes profcrits pour juges fes foldats ,
Du neveu de Céfar voilà les magiftrats.
Octave lui réplique que c'eft une néceffité
, que l'univers demande une forme
nouvelle , qu'il lui faut un Empereur , que
Ciceron doit le choifir , qu'ils doivent s'allier
pour mieux détruire Antoine ; il le
conjure enfin de l'aimer , & de devenir
fon
pere.
Abdique, je t'adopte , & ma fille eft à toi,
382 MERCURE DE FRANCE.
repart Ciceron. Des oreilles trop délicates
ont trouvé ce vers dur ; pour moi je ne le
trouve que fort ;je crois qu'un Romain ne
peut pas mieux répondre ni en moins de
mots . Tullie paroît , & fon pere fort eix
difant à Octave , qu'il la confulte ; & que
s'il l'aime , il la prenne pour modele .
Tullie traite Octave encore avec plus.
de fierté que n'a fait fon pere. Céfar , luis
dit-elle :
Regnez , fi vous l'ofez; mais croyez que Tullie
Sçaura bien ſe ſoustraire à votre tyrannie :
Si du fort des tyrans vous bravez les hazards
Il naîtra des Brutus autant que des Céfars.
Sur ce qu'il infifte , elle lui déclare fierement
qu'elle ne l'aime point , qu'elle eft
cependant prête à l'époufer , pourvû qu'il
renonce à l'Empire ; mais que s'il veut ufurper
l'autorité fuprême , il peut teindre le
diadême de fon fang. Cette hauteur romaine
oblige Octave de la quitter & de la
menacer de livrer fon pere à Fulvie. Sextus
, qu'elle reconnoît alors pour le fils de
Pompée , entre fur la fcéne , & demande à
Tullie le fujer de fa douleur. Elle l'inftruit
du danger preffant où font les jours de
fon pere , qui veut les unir avant fa mort.
Sextus finit le fecond acte , en la preffant
d'engager Ciceron à fuir fur fes vaiffeaux
FEVRIER. 1755. 183
-il eft honteux pour lui , ajoute-t- il , de fe
laiffer profcrire.
S'il veut m'accompagner je répons de fa vie,
El'amour couronné répondra de Tullie..
Il faut convenir que cet acte eft un peu
vuide d'action .
Ciceron , Tullie & Sextus ouvrent le troifieme.
Ciceron veut unir le fils de Pompée:
à fa fille ; mais elle s'y oppofe dans ce cruel
moment & le conjure de la fuivre en
Sicile avec Sextus il s'écrie ::
>-
Pour braver mes tyrans je veux mourir dáns Ro
me ;
En implorant les Dieux , c'eft moi fenl qu'elles
nomme:
Sextus lui parle alors en vrai fils de Pompée
, & lui dit :
Rome n'eft plus qu'un ſpectre , une ombre en Ita
lie ,
Dont le corps tout entier eft paffé dans l'Afie :
C'est là que noure honneur nous appelle aujour
d'hui ,
Rendons- nous à ſa voix , & marchons avec lui.
Ce n'eft pas le climat qui lui donna la vie;
C'eſt le coeur du Romain qui forme fa patrie.
184 MERCURE DE FRANCE.
2
Il vaut mieux fe flater d'un eſpoir téméraire
Que de céder au fort dès qu'il nous eft contraire.
Il faut du moins mourir les armes à la main ,
Le feul gente de mort digne d'un vrai Romain,
Mais mourir pour mourir n'eft qu'une folle
yvreffe ,
Trifte enfant de l'orgueil , que nourrit la pareffe.
où
Ciceron fort en leur difant qu'il ne
peut fe réfoudre à quitter l'Italie , mais
qu'il confent de fe rendre à Tufculum ,
il ira les joindre pour les unir enfemble ,
& qu'avant tout il veut revoir Mecene. A
peine eft- il parti qu'Octave entre ; & jaloux
de Sextus qu'il prend pour un chef
des Gaulois , il adreffe ainfi la parole à
Tullie .
Qu'il retourne en fon camp ,
C'eft parmi fes foldats qu'il trouvera fon rang,
Le faux Clodomir lui répond , avec une
fierté plus que Gauloife ,
Le fort de mes pareils ne dépend point de toi
Je ne releve ici que des Dieux & de moi.
Aux loix du grand Céfar nous rendîmes hommage
,
Mais ce ne fut jamais à titre d'efclavage.
Comme de la valeur il connoiffoit le prix ,
Il cftimoit en nous ce qui manque à ſon fils.
FEVRIER. 1755. 185
Octave à ces mots appelle les Licteurs ,
& il faut avouer que fon emportement
paroît fondé.
Tullie s'oppofe à fa rigueur , & prend
vivement la défenſe de Sextus . Le courroux
d'Octave en redouble ; il . lui répond
que ce Gaulois brave l'autorité des Triumvirs
, qu'il a fauvé plufieurs profcrits , &
qu'il mérite d'être puni comme un traître .
Sextus lui réplique :
Toi-même , applaudifſant à mes foins magnanimes
,
Tu devrois me louer de t'épargner des crimes ,
Et rougir , quand tu crois être au- deffus de moi ,
Qu'un Gaulois à tes yeux foit plus Romain que
toi,
Tullie lui demande fa vie. Octave forcé
par fon amour de la lui accorder , fe retire
en déguifant fon dépit. Sextus raffure Tullie
fur la crainte qu'elle a que fon rival
ne l'immole , & lui fait entendre qu'Octave
eft un tyran encore mal affermi, qu'il
le croit Gaulois , & qu'ayant beſoin du ſecours
de cette nation , il eft trop bon politique
pour ne la pas ménager. La frayeur
de Tullie s'accroît à l'afpect de Philippe ,
qu'elle prend pour un miniftre des vengeances
d'Octave. Philippe reconnoît Sex186
MERCURE DE FRANCE.
tus qu'il a élevé , & marque autant de
douleur que de furprife. Le fils de Pompée
reconnoît Philippe à fon tour , & lui
reproche d'avoir dégénéré de fa premiere
vertu. Cet affranchi fe jette à fes genoux ,
& lui dit qu'il ne les quittera pas qu'il n'ait
obtenu de lui la grace d'être écouté . Sextuş
le force de fe lever. Philippe lui raconte
qu'Octave inftruit de fa fidélité l'a pris
à fon fervice , mais qu'il n'a jamais trempé
dans fes forfaits. Il ajoute que ce Triumvir
ne croit plus que Sextus foit un Gaulois
, mais un ami de Brutus , & qu'il l'a
chargé du cruel emploi de l'affaffiner dans
la nuit . Il vient , continue- t-il , de paffer
chez Fulvie : je crains qu'il n'en coute la
vie à Ciceron .
Les momens nous font chers , & c'eſt fait de vos
jours ,
Și de ceux du tyran , je n'abrege le cours,
Choififfez du trépas de Célar , ou du vôtre ;-
Rien n'eft facré pour moi quand il s'agit de vous..
Sextus lui répond
L'affafinat , Philippe , eft indigne de nous
Avant que d'éclater il falloit l'entreprendre
Mais inftruit du projet je dois te le défendre .
Ce trait eft hiſtorique , & M. de Cré
FEVRIER. 1755. 187
billon s'en est heureufement fervi . Tullie
approuve Sextus , & termine l'acte en difant
:
Allons trouver mon pere , & remettons aux Dieux
Le foin de nous fauver de ces funeftes lieux.
Le quatrieme acte s'ouvre par un monologue
de Ciceron , qui jette les yeux fur
le tableau des profcriptions , & qui dit
avec tranſport , lorfqu'il y voir fon nom
Enfin je fuis profcrit , que mon ame eft ravie !
Je renais au moment qu'on m'arrache ma vie.
Mecene furvient , & le preffe de s'allier
à Céfar. Ciceron lui demande s'il lui fait
efperer que l'inftant de leur alliance fera la
fin de la profeription . Mecene lui répond
qu'Octave l'a fufpendue pour lui . Ciceron
pour réplique , lui montre fon nom écrit
fur le tableau.
Mecene fe récrie : ...
Dieux quelle trahison
S'il eft vrai que Céfar ait voulu vous proferire ,
Sur ce même tableau je vais me faire inferire.
Adieu : fi je ne puis vous fauver de fes coups ,
Vous me verrez combattre & mourir avec vous.
Octave paroît. Ciceron veut lui faire
189 MERCURE DE FRANCE.
de nouveaux reproches ; mais Octave lui
répond qu'il n'eft pas venu pour fe faire
juger , & qu'il lui demande Tullie pour
la derniere fois. Ciceron lui réplique que
c'eft moins fon amour que fa politique qui
lui fait fouhaiter la main de fa fille , &
qu'il veut par ce noeud les affocier à fes
fureurs. Octave offenfé , lui repart :
Ingrat , fi tu jouis de la clarté du jour ,
Apprens que tu ne dois ce bien qu'à mon amour .
Vois ton nom.
Ciceron lui dit avec un phlegme vraiment
Romain :
Je l'ai vû . Céfar , je t'en rends graces.
Octave alors fe dévoile tout entier , &
lui reproche qu'il protége Clodomir , &
qu'il veut l'unir à Tullie. Ciceron ne s'en
défend pas , & Céfar tranfporté de colere ,
fort en lui déclarant qu'il l'abandonne à
fon inimitié. Ciceron refté feul , dit qu'il
la préfere à une pitié qui deshonore celui
qu'elle épargne , & celui qui l'invoque. Il
eft inquiet fur le fort de fa fille & fur celui
de Sextus , mais il eft raffuré par leur
préfence ; il leur apprend qu'il eft profcrit.
Tous deux le conjurent de partir &
de profiter du moment qu'Octave lui laiſſe ;
FEVRIER. 1755.. 159
mais il s'obſtine à mourir . Philippe vient
avertir Sextus que fes amis font déja loin
des portes , & preffe Tullie de fuivre les
pas du fils de Pompée , en l'affurant qu'elle
n'a rien à craindre pour Ciceron , qu'il eft
chargé de veiller für fes jours , & qu'il va
le conduire à Tufculum. Ciceron quitte
Sextus & Tullie , en leur difant :
i
Adieu , triftes témoins de més voeux fuperflus.
Palais infortuné , je ne vous verrai plus.
Octave qui vient d'apprendre que le faux
Clodomir eft Sextus , fait éclater toute fa
colere , & jure d'immoler le fils de Pompée
, & Tullie même. Mecene entre tout
éploré. Octave effrayé , lui demande quel
eft le fujet de fa douleur. Mecene lui répond
, les yeux baignés de larmes :
Ingrat ! qu'avez-vous fait ?
Hélas ! hier encore il exiſtoit un homme
Qui fit par fes vertus les délices de Rome ;
Mémorable à jamais par fes talens divers ,
Dont le génie heureux éclairoit l'univers.
Il n'eft plus .... fon falut vous eût couvert de
gloire ,
Et de vos cruautés , effacé la mémoire.
Qu'ai -je beſoin encor de vous dire fon nom ?
Ahlaillez-moi vous fuir , & pleurer Ciceron.
190 MERCURE DE FRANCE.
Octave témoigne fa furprife , & rejette
ce crime fur Antoine. Mecene continue
ainfi :
L'intrepide Orateur a vu fans s'ébranler ,
Lever fur lui lebras qui l'alloit immoler :
C'eſt toi , Lena , dit-il ; que rien ne te retienne ;
J'ai défendu ta vie , atrache-moi la mienne.
Je ne me repens point d'avoir ſauvé tes jours ,
Puifque des miens , c'est toi qui dois trancher le
cours.
que
A ces mots , Ciceron lui préfente la tête ,
En s'écriant , Lena , frappe , la voilà prête.
Lena , tandis Pair retentiffoit de cris ,
L'abbat , court chez Fulvie en demander le prix.
Un objet fi touchant , loin d'attendrir ſon ame ,
N'a fait que redoubler le courroux qui l'enflam
me :
Les yeux étincelans de rage & de fureur ,
Elle embraffe Lena fans honte & fans pudeur ,
Saifit avec tranſport cette tête divine ,
Qui femble avec les Dieux difputer d'origine ,
En arrache . ... Epargnez à ma vive douleur
La fuite d'un récit qui vous feroit horreur.
Nous ne l'entendrons plus , du feu de fon génie ,
Répandre dans nos coeurs le charme & l'harmonie
:
Fulvie a déchiré de fes indignes mains
Cet objet précieux , l'oracle des humains.
Ce récit m'a paru trop beau pour en rien
FEVRIER. 1755. 191
retrancher. L'acteur * qui a joué le rolle de
Mecene , en a fenti tout le pathétique , &
l'a très-bien rendu. Tullie qui n'eft pas encore
inftruite de la mort de fon pere , vient
implorer pour lui la puiffance d'Octave ;
elle paroît un peu defcendre de fon caractere
, elle s'humilie même au point d'offrir ſa
main à Céfar, pourvû qu'elle foit le prix des
jours de Ciceron . Comme Octave ne peut
cacher fon embarras , & qu'il veut fortir ,
Tullie l'arrête ; & tournant fes regards
vers la tribune , elle s'écrie avec terreur :
Plus je l'ofe obferver , plus ma frayeur augmente.
Mecene ! la Tribune ... elle eſt toute fanglante.
Ce voile encor fumant cache quelque forfait.
N'importe , je veux voir. Dieux ! quel affreux
objet !
La tête de mon pere ! .. Ah! monftre impitoyable ,
A quels yeux offres- tu ce fpectacle effroyable ?
Elle fe tue , & tombe en expirant auprès
d'une tête fi chere.
Je n'ai point vû au théatre de dénoument
plus frappant ; je ne me laffe point
de le répéter . Ce tableau rendu par l'action
admirable de Mlle Clairon , infpire la terreur
la plus forte , & la pitié la plus tendre
. Ces deux fentimens réunis enfemble .
font la perfection du genre. La beauté du
M. de Bellecour
192 MERCURE DE FRANCE.
cinquiéme acte répond à celle du premier
& la catastrophe remplit tout ce que l'expofition
a promis ; elle a toute la force
Angloife , fans en avoir la licence. Pour
en convaincre le lecteur , je veux lui comparer
le dénouement de Philoclée , dont je
vais donner le programme , d'après l'extrait
inferé dans le Journal Etranger du
mois de Janvier.
Lis
Es Comédiens François ont donné le
13 de ce mois la dixiéme repréfentation
du Triumvirat. On peut dire qu'il a
eu ce fuccès d'estime que l'ouvrage &
l'auteur ont fi bien mérité , & qu'on refuſe
fouvent à des pieces plus heureufes , qui
comptent plus de repréfentations que de
fuffrages. Cette Tragédie eft imprimée
fous ce double titre : Le Triumvirat , ou la
mort de Ciceron , avec une épitre dédicatoire
à Mme Bignon , & une préface . Elle
fe vend chez Hochereau , quai de Conti , au
Phénix ; le prix eft de 30 f. en voici l'extrait .
EXTRAIT DU TRIUMVIRÁT.
Tullie , fille de Ciceron , ouvre feule
la fcene qui eft au Capitole , par un début
digne d'elle & du fujet. Elle s'écrie ,
Effroyable féjour des horreurs de la guerre ,
Lieux inondés du fang des maîtres de la terre ,
Lieux , dont le feul afpect fit trembler tant de
Rois ,
Palais où Ciceron triompha tant de fois ;
Deformais trop heureux de cacher ce grand homme
,
Sauvez le feul Romain qui foit encor dans Rome.
FEVRIER. 1755. 177
A
Elle ajoûte avec effroi , en jettant les
yeux fur le tableau des profcrits :
Que vois-je , à la lueur de ce cruel flambeau !
Ah ! que de noms facrés profcrits fur ce tableau !
Rome , il ne manque plus , pour combler ta mifere
,
Que d'y tracer le nom de mon malheureux pere.
Enfuite elle apoftrophe ainfi la ftatue de
Céfar.
Toi , qui fis en naiffant honneur à la nature ,
Sans avoir , des vertus , que l'heureufe impofture ,
Trop aimable tyran , illuftre ambitieux ,
Qui triomphas du fort , de Caton & des Dieux...
Sous un joug ennobli par l'éclat de tes armes ,
Nous refpirions du moins fans honte & fans allármes
:
Loin de rougir des fers qu'illuftroit ta valeur ,
On fe croyoit paré des lauriers du vainqueur.
Mais fous le joug honteux & d'Antoine & d'Octave
>
Rome , arbitre des Rois , va gémir en eſclave.
Se tournant après vers la ftatue de Pompée
, elle lui adreffe ces triftes paroles .
Ah ! Pompée , eft -ce là ce qui refte de toi
Miférables débris de la grandeur . humaine ,
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
Douloureux monument de vengeance & de haine !
6
Pour nous venger d'Octave ,, accours , vaillant
Sextus ,,
A ce nouveau Céfar , fois un nouveau. Brutus.
Ce monologue me paroît admirable ; il
égale , à mon gré , celui d'Electre , s'il ne
le furpaffe pas , & forme la plus belle expofition
. Il eft terminé par l'arrivée de
Sextus , qui fe cache même aux yeux de
Tullie qu'il aime , fous le nom de Clodomir
, chef des Gaulois . Il lui fait un récit
affreux des horreurs du Triumvirat dont il
vient d'être le témoin , & finit un fi noir
tableau par ces beaux vers , qu'on croiroit
d'un auteur de trente ans , à la force du
coloris.
Un fils , prefque à mes yeux , vient de livrer fon
Le
pere ;
J'ai vu ce même fils égorgé par fa mere :
On ne voit que des corps mutilés & fanglans ,
Des efclaves traîner leurs maîtres expirans ;
affouvi réchauffe le carnage ;
carnage
J'ai vu des furieux dont la haine & la rage
Se difputoient des cours encor tout palpitans:
On diroit à les voir l'un l'autre s'excitans ,
Déployer à l'envi leur fureur meurtrière ,
Que c'est le derniér jour de la nature entiere. {
FEVRIER. , 1755. 179
que
Dans ce péril preffant il offre à Tullie une
retraite dans Oftie pour fon pere & pour
elle . Elle la refufe ; il frémit du danger
Ciceron va courir , fi près de Fulvie
qui a juré fa perte. Il exprime en même
tems la douleur qu'il a de la perdre & de
la voir près d'être unie aux jours d'Octave
qui l'aime , ajoutant que fon fang fcellera
cet hymen. Tullie le raffure fur cette crain--
te , en lui difant :
Un tyran à
Ne craignez rien d'Octave' :
mes yeux ne vaut pas un esclave.
Un rival plus heureux va caufer vos allarmes ...
Le fils du grand Pompée . Hélas ! que n'est- ce vous !!
Que j'euffe avec plaifir accepté mon époux !
Ces deux amans font interrompus par
Lepide qui entre : Clodomir fe retire . Le
Triumvir fait entendre à Tullie , que ne
pouvant chaffer de Rome fes collegues impies
, il prend le parti de s'en exiler luimême
, & qu'il va chercher un afyle en
Efpagne pour y fauver fa vertu. Tullie l'interrompt
par cette noble réponſe , qui a
toujours été fi juftement applaudie :
Ah ! la vertu quifuit ne vaut pas le courage
Du crime audacieux qui fçait braver l'orage .
Que peut craindre un Romain des,caprices.du fort,
Tant qu'il lui refte un bras pour fe donner la mort
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
Avez-vous oublié que Rome eft votre mere
Demeurez , imitez l'exemple de mon pere ,
Et de votre vertu në nous vantez l'éclat
Qu'après une victoire , ou du moins un combat.
On n'encenfa jamais la vertu fugitive ,
Et celle d'un Romain doit être plus active.
On ne le reconnoît qu'à fon dernier foupir ;
Son honneur eft de vaincre , & vaincu de mourir.
ger
Elle fort.
Ciceron arrive. Lapide tâche de l'engaà
le fuivre pour fe dérober à la fureur
d'Antoine & de Fulvie , qui veulent le profcrire.
Ciceron rejette cette offre. Lepide le
quitte , en lui déclarant qu'il vient de rencontrer
Sextus , & qu'il l'a reconnu . Ce
Triumvir l'avertit d'en craindre la fuite ,
& de prendre garde à lui. Ciceron reſté
feul , dit qu'il eft tems qu'il apprenne
ce fecret à fa fille , que Clodomir devenu
le fils du grand Pompée , ne pourra l'en
blâmer , qu'il veut les unir & donner à Céfar
un rival , dont le nom feul pourra lui
devenir funefte.
Octave commence avec Mecene le fecond
acte. Après avoir d'abord tâché d'excufer
fes cruautés , il lui marque fon
amour pour Tullie , & fon eftime pour fon
pere , ajoûtant qu'il veut le fauver & fe
l'attacher. Mecene l'affermit dans ce defFEVRIER.
1755. 181
fein , & le laiffe avec Ciceron qui paroît ,
& qui lui témoigne ainfi fa furpriſe :
Céſar , en quel état vous offrez-vous à moi ?
Ah ! ce n'eft ni fon fils , ni Céfar que je vois.
O! Céfar , ce n'eft pas ton fang qui l'a fait naître :
Brutus qui l'a verfé , méritoit mieux d'en être.
Le meurtre des vaincus ne fouilloit point tes pas ;
Ta valeur fubjuguoit , mais ne profcrivoit pas.
Octave, pour fe juftifier , répond qu'il
pourfuit les meurtriers du grand Céfar , &
que fa vengeance eft légitime. Ciceron l'interrompt
pour lui reprocher l'abus affreux
qu'il fait de ce prétexte , & lui dit :
Rendre le glaive feul l'interprête des loix ,
Employer pour venger le meurtre de fon pere
Des flammes & du fer l'odieux miniftere ;
Donner à fes profcrits pour juges fes foldats ,
Du neveu de Céfar voilà les magiftrats.
Octave lui réplique que c'eft une néceffité
, que l'univers demande une forme
nouvelle , qu'il lui faut un Empereur , que
Ciceron doit le choifir , qu'ils doivent s'allier
pour mieux détruire Antoine ; il le
conjure enfin de l'aimer , & de devenir
fon
pere.
Abdique, je t'adopte , & ma fille eft à toi,
382 MERCURE DE FRANCE.
repart Ciceron. Des oreilles trop délicates
ont trouvé ce vers dur ; pour moi je ne le
trouve que fort ;je crois qu'un Romain ne
peut pas mieux répondre ni en moins de
mots . Tullie paroît , & fon pere fort eix
difant à Octave , qu'il la confulte ; & que
s'il l'aime , il la prenne pour modele .
Tullie traite Octave encore avec plus.
de fierté que n'a fait fon pere. Céfar , luis
dit-elle :
Regnez , fi vous l'ofez; mais croyez que Tullie
Sçaura bien ſe ſoustraire à votre tyrannie :
Si du fort des tyrans vous bravez les hazards
Il naîtra des Brutus autant que des Céfars.
Sur ce qu'il infifte , elle lui déclare fierement
qu'elle ne l'aime point , qu'elle eft
cependant prête à l'époufer , pourvû qu'il
renonce à l'Empire ; mais que s'il veut ufurper
l'autorité fuprême , il peut teindre le
diadême de fon fang. Cette hauteur romaine
oblige Octave de la quitter & de la
menacer de livrer fon pere à Fulvie. Sextus
, qu'elle reconnoît alors pour le fils de
Pompée , entre fur la fcéne , & demande à
Tullie le fujer de fa douleur. Elle l'inftruit
du danger preffant où font les jours de
fon pere , qui veut les unir avant fa mort.
Sextus finit le fecond acte , en la preffant
d'engager Ciceron à fuir fur fes vaiffeaux
FEVRIER. 1755. 183
-il eft honteux pour lui , ajoute-t- il , de fe
laiffer profcrire.
S'il veut m'accompagner je répons de fa vie,
El'amour couronné répondra de Tullie..
Il faut convenir que cet acte eft un peu
vuide d'action .
Ciceron , Tullie & Sextus ouvrent le troifieme.
Ciceron veut unir le fils de Pompée:
à fa fille ; mais elle s'y oppofe dans ce cruel
moment & le conjure de la fuivre en
Sicile avec Sextus il s'écrie ::
>-
Pour braver mes tyrans je veux mourir dáns Ro
me ;
En implorant les Dieux , c'eft moi fenl qu'elles
nomme:
Sextus lui parle alors en vrai fils de Pompée
, & lui dit :
Rome n'eft plus qu'un ſpectre , une ombre en Ita
lie ,
Dont le corps tout entier eft paffé dans l'Afie :
C'est là que noure honneur nous appelle aujour
d'hui ,
Rendons- nous à ſa voix , & marchons avec lui.
Ce n'eft pas le climat qui lui donna la vie;
C'eſt le coeur du Romain qui forme fa patrie.
184 MERCURE DE FRANCE.
2
Il vaut mieux fe flater d'un eſpoir téméraire
Que de céder au fort dès qu'il nous eft contraire.
Il faut du moins mourir les armes à la main ,
Le feul gente de mort digne d'un vrai Romain,
Mais mourir pour mourir n'eft qu'une folle
yvreffe ,
Trifte enfant de l'orgueil , que nourrit la pareffe.
où
Ciceron fort en leur difant qu'il ne
peut fe réfoudre à quitter l'Italie , mais
qu'il confent de fe rendre à Tufculum ,
il ira les joindre pour les unir enfemble ,
& qu'avant tout il veut revoir Mecene. A
peine eft- il parti qu'Octave entre ; & jaloux
de Sextus qu'il prend pour un chef
des Gaulois , il adreffe ainfi la parole à
Tullie .
Qu'il retourne en fon camp ,
C'eft parmi fes foldats qu'il trouvera fon rang,
Le faux Clodomir lui répond , avec une
fierté plus que Gauloife ,
Le fort de mes pareils ne dépend point de toi
Je ne releve ici que des Dieux & de moi.
Aux loix du grand Céfar nous rendîmes hommage
,
Mais ce ne fut jamais à titre d'efclavage.
Comme de la valeur il connoiffoit le prix ,
Il cftimoit en nous ce qui manque à ſon fils.
FEVRIER. 1755. 185
Octave à ces mots appelle les Licteurs ,
& il faut avouer que fon emportement
paroît fondé.
Tullie s'oppofe à fa rigueur , & prend
vivement la défenſe de Sextus . Le courroux
d'Octave en redouble ; il . lui répond
que ce Gaulois brave l'autorité des Triumvirs
, qu'il a fauvé plufieurs profcrits , &
qu'il mérite d'être puni comme un traître .
Sextus lui réplique :
Toi-même , applaudifſant à mes foins magnanimes
,
Tu devrois me louer de t'épargner des crimes ,
Et rougir , quand tu crois être au- deffus de moi ,
Qu'un Gaulois à tes yeux foit plus Romain que
toi,
Tullie lui demande fa vie. Octave forcé
par fon amour de la lui accorder , fe retire
en déguifant fon dépit. Sextus raffure Tullie
fur la crainte qu'elle a que fon rival
ne l'immole , & lui fait entendre qu'Octave
eft un tyran encore mal affermi, qu'il
le croit Gaulois , & qu'ayant beſoin du ſecours
de cette nation , il eft trop bon politique
pour ne la pas ménager. La frayeur
de Tullie s'accroît à l'afpect de Philippe ,
qu'elle prend pour un miniftre des vengeances
d'Octave. Philippe reconnoît Sex186
MERCURE DE FRANCE.
tus qu'il a élevé , & marque autant de
douleur que de furprife. Le fils de Pompée
reconnoît Philippe à fon tour , & lui
reproche d'avoir dégénéré de fa premiere
vertu. Cet affranchi fe jette à fes genoux ,
& lui dit qu'il ne les quittera pas qu'il n'ait
obtenu de lui la grace d'être écouté . Sextuş
le force de fe lever. Philippe lui raconte
qu'Octave inftruit de fa fidélité l'a pris
à fon fervice , mais qu'il n'a jamais trempé
dans fes forfaits. Il ajoute que ce Triumvir
ne croit plus que Sextus foit un Gaulois
, mais un ami de Brutus , & qu'il l'a
chargé du cruel emploi de l'affaffiner dans
la nuit . Il vient , continue- t-il , de paffer
chez Fulvie : je crains qu'il n'en coute la
vie à Ciceron .
Les momens nous font chers , & c'eſt fait de vos
jours ,
Și de ceux du tyran , je n'abrege le cours,
Choififfez du trépas de Célar , ou du vôtre ;-
Rien n'eft facré pour moi quand il s'agit de vous..
Sextus lui répond
L'affafinat , Philippe , eft indigne de nous
Avant que d'éclater il falloit l'entreprendre
Mais inftruit du projet je dois te le défendre .
Ce trait eft hiſtorique , & M. de Cré
FEVRIER. 1755. 187
billon s'en est heureufement fervi . Tullie
approuve Sextus , & termine l'acte en difant
:
Allons trouver mon pere , & remettons aux Dieux
Le foin de nous fauver de ces funeftes lieux.
Le quatrieme acte s'ouvre par un monologue
de Ciceron , qui jette les yeux fur
le tableau des profcriptions , & qui dit
avec tranſport , lorfqu'il y voir fon nom
Enfin je fuis profcrit , que mon ame eft ravie !
Je renais au moment qu'on m'arrache ma vie.
Mecene furvient , & le preffe de s'allier
à Céfar. Ciceron lui demande s'il lui fait
efperer que l'inftant de leur alliance fera la
fin de la profeription . Mecene lui répond
qu'Octave l'a fufpendue pour lui . Ciceron
pour réplique , lui montre fon nom écrit
fur le tableau.
Mecene fe récrie : ...
Dieux quelle trahison
S'il eft vrai que Céfar ait voulu vous proferire ,
Sur ce même tableau je vais me faire inferire.
Adieu : fi je ne puis vous fauver de fes coups ,
Vous me verrez combattre & mourir avec vous.
Octave paroît. Ciceron veut lui faire
189 MERCURE DE FRANCE.
de nouveaux reproches ; mais Octave lui
répond qu'il n'eft pas venu pour fe faire
juger , & qu'il lui demande Tullie pour
la derniere fois. Ciceron lui réplique que
c'eft moins fon amour que fa politique qui
lui fait fouhaiter la main de fa fille , &
qu'il veut par ce noeud les affocier à fes
fureurs. Octave offenfé , lui repart :
Ingrat , fi tu jouis de la clarté du jour ,
Apprens que tu ne dois ce bien qu'à mon amour .
Vois ton nom.
Ciceron lui dit avec un phlegme vraiment
Romain :
Je l'ai vû . Céfar , je t'en rends graces.
Octave alors fe dévoile tout entier , &
lui reproche qu'il protége Clodomir , &
qu'il veut l'unir à Tullie. Ciceron ne s'en
défend pas , & Céfar tranfporté de colere ,
fort en lui déclarant qu'il l'abandonne à
fon inimitié. Ciceron refté feul , dit qu'il
la préfere à une pitié qui deshonore celui
qu'elle épargne , & celui qui l'invoque. Il
eft inquiet fur le fort de fa fille & fur celui
de Sextus , mais il eft raffuré par leur
préfence ; il leur apprend qu'il eft profcrit.
Tous deux le conjurent de partir &
de profiter du moment qu'Octave lui laiſſe ;
FEVRIER. 1755.. 159
mais il s'obſtine à mourir . Philippe vient
avertir Sextus que fes amis font déja loin
des portes , & preffe Tullie de fuivre les
pas du fils de Pompée , en l'affurant qu'elle
n'a rien à craindre pour Ciceron , qu'il eft
chargé de veiller für fes jours , & qu'il va
le conduire à Tufculum. Ciceron quitte
Sextus & Tullie , en leur difant :
i
Adieu , triftes témoins de més voeux fuperflus.
Palais infortuné , je ne vous verrai plus.
Octave qui vient d'apprendre que le faux
Clodomir eft Sextus , fait éclater toute fa
colere , & jure d'immoler le fils de Pompée
, & Tullie même. Mecene entre tout
éploré. Octave effrayé , lui demande quel
eft le fujet de fa douleur. Mecene lui répond
, les yeux baignés de larmes :
Ingrat ! qu'avez-vous fait ?
Hélas ! hier encore il exiſtoit un homme
Qui fit par fes vertus les délices de Rome ;
Mémorable à jamais par fes talens divers ,
Dont le génie heureux éclairoit l'univers.
Il n'eft plus .... fon falut vous eût couvert de
gloire ,
Et de vos cruautés , effacé la mémoire.
Qu'ai -je beſoin encor de vous dire fon nom ?
Ahlaillez-moi vous fuir , & pleurer Ciceron.
190 MERCURE DE FRANCE.
Octave témoigne fa furprife , & rejette
ce crime fur Antoine. Mecene continue
ainfi :
L'intrepide Orateur a vu fans s'ébranler ,
Lever fur lui lebras qui l'alloit immoler :
C'eſt toi , Lena , dit-il ; que rien ne te retienne ;
J'ai défendu ta vie , atrache-moi la mienne.
Je ne me repens point d'avoir ſauvé tes jours ,
Puifque des miens , c'est toi qui dois trancher le
cours.
que
A ces mots , Ciceron lui préfente la tête ,
En s'écriant , Lena , frappe , la voilà prête.
Lena , tandis Pair retentiffoit de cris ,
L'abbat , court chez Fulvie en demander le prix.
Un objet fi touchant , loin d'attendrir ſon ame ,
N'a fait que redoubler le courroux qui l'enflam
me :
Les yeux étincelans de rage & de fureur ,
Elle embraffe Lena fans honte & fans pudeur ,
Saifit avec tranſport cette tête divine ,
Qui femble avec les Dieux difputer d'origine ,
En arrache . ... Epargnez à ma vive douleur
La fuite d'un récit qui vous feroit horreur.
Nous ne l'entendrons plus , du feu de fon génie ,
Répandre dans nos coeurs le charme & l'harmonie
:
Fulvie a déchiré de fes indignes mains
Cet objet précieux , l'oracle des humains.
Ce récit m'a paru trop beau pour en rien
FEVRIER. 1755. 191
retrancher. L'acteur * qui a joué le rolle de
Mecene , en a fenti tout le pathétique , &
l'a très-bien rendu. Tullie qui n'eft pas encore
inftruite de la mort de fon pere , vient
implorer pour lui la puiffance d'Octave ;
elle paroît un peu defcendre de fon caractere
, elle s'humilie même au point d'offrir ſa
main à Céfar, pourvû qu'elle foit le prix des
jours de Ciceron . Comme Octave ne peut
cacher fon embarras , & qu'il veut fortir ,
Tullie l'arrête ; & tournant fes regards
vers la tribune , elle s'écrie avec terreur :
Plus je l'ofe obferver , plus ma frayeur augmente.
Mecene ! la Tribune ... elle eſt toute fanglante.
Ce voile encor fumant cache quelque forfait.
N'importe , je veux voir. Dieux ! quel affreux
objet !
La tête de mon pere ! .. Ah! monftre impitoyable ,
A quels yeux offres- tu ce fpectacle effroyable ?
Elle fe tue , & tombe en expirant auprès
d'une tête fi chere.
Je n'ai point vû au théatre de dénoument
plus frappant ; je ne me laffe point
de le répéter . Ce tableau rendu par l'action
admirable de Mlle Clairon , infpire la terreur
la plus forte , & la pitié la plus tendre
. Ces deux fentimens réunis enfemble .
font la perfection du genre. La beauté du
M. de Bellecour
192 MERCURE DE FRANCE.
cinquiéme acte répond à celle du premier
& la catastrophe remplit tout ce que l'expofition
a promis ; elle a toute la force
Angloife , fans en avoir la licence. Pour
en convaincre le lecteur , je veux lui comparer
le dénouement de Philoclée , dont je
vais donner le programme , d'après l'extrait
inferé dans le Journal Etranger du
mois de Janvier.
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Résumé : COMEDIE FRANÇOISE.
Le texte critique la dixième représentation de la tragédie 'Le Triumvirat, ou la mort de Cicéron' par les Comédiens Français, qui a connu un succès mérité. La pièce, disponible chez Hochereau, raconte l'histoire de Tullie, fille de Cicéron, qui cherche à protéger son père des persécutions du Triumvirat. Tullie exprime son désespoir face aux horreurs de cette période et reproche à César et Pompée leurs actions. Elle révèle également la menace que représente Octave. Sextus, déguisé en Clodomir, propose une retraite à Tullie, mais elle refuse. Lepide suggère à Cicéron de s'exiler, mais Tullie l'encourage à rester et à affronter ses ennemis. Octave, accompagné de Mécène, tente de gagner la faveur de Cicéron en lui offrant de l'adopter et de protéger Tullie, mais ils rejettent ces propositions avec fierté. Sextus, reconnu comme le fils de Pompée, presse Cicéron de fuir. La pièce se poursuit avec des confrontations entre les personnages, chacun défendant ses valeurs et loyautés. Cicéron refuse de quitter Rome et exprime son désir de mourir en héros. Octave, jaloux de Sextus, menace de le punir, mais finit par lui accorder la vie. Philippe, un affranchi, révèle un complot contre Cicéron, et Sextus décide de le protéger. Tullie et Sextus se préparent à trouver Cicéron pour le sauver des dangers qui le menacent. La pièce se poursuit avec une confrontation dramatique entre Octave, Cicéron et d'autres personnages. Octave demande la main de Tullie, mais Cicéron refuse, accusant Octave de motivations politiques. Octave, offensé, rappelle à Cicéron qu'il lui doit la vie. Cicéron, imperturbable, avoue protéger Clodomir et vouloir l'unir à Tullie. Octave, furieux, déclare abandonner Cicéron à son inimitié. Cicéron, inquiet pour ses enfants, apprend qu'il est proscrit mais refuse de partir. Philippe avertit Sextus et Tullie de partir, assurant qu'il veillera sur Cicéron. Cicéron dit adieu à ses enfants et quitte le palais. Octave, apprenant que Sextus est le faux Clodomir, jure de les immoler. Mécène révèle à Octave la mort de Cicéron, tué par Lena sur ordre de Fulvie. Tullie, découvrant la tête de son père, meurt de chagrin. La pièce se conclut par un dénouement tragique, soulignant la terreur et la pitié inspirées par la mort de Cicéron.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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