Comme vous avez dans
voſtre Province quantité
d'Amis Sçavans , je ne doute
112 MERCURE
point que vous ne ſoyez bienaiſe
de leur faire voir ce qu'un
Particulier a écrit contre une
Maxime affez genéralement
receuë en Philoſophie. Come
ce Traité eſt court , il peut
trouver place dás cetteLettre.
52-5252-5252 525252
DE LA GENERATION.
C'est un principe tiré d'Ariſtote
,qu'il nn''yy aappooint degeneration
fans corruption , &que
la corruption d'une choſe eſt la
generation d'une autre. Depuis
que ce Philoſophe a dit cela , per-
Sonne que je fçache ne s'est avisé
GALANT. 113
d'obferver ce quiſe paſſe dans les
generations. On ne s'abaiſſe point
à regarder comment une graine
germe dans laTerre ; cela esttrop
bas. Onsefait honneurde lire
Aristote of tous les Phyſiciens
qui l'ont ſuivy , mais on trouve
abjet de contempler les effets de
la Nature en elle mesme , & de
tâcher de découvrir les voyes qu'-
elle tientpour engendrerune Plante
d'une autre Plante..
Pour moy , fans aller chercher
autre chose que les graines par lefquelles
il est viſible que toutes cho
ſes s'engendrent , je vay faire
voir qu'une veritable genération
Avril 1685. K
114 MERCURE
priſe dans sa vraye fignification
ne vient pointde corruption , mais
qu'elle est une continuelle produ-
Etion.
Cette ſeule propoſition décou
vre tout dun coup ma pensée.
Pour luy donner encore plus de
jour, il nefautpasfimplement lire
Ariftote ; mais ilfautſemelire des
graines , les voir germer , lever,
&pouffer leurs tiges , épanoüir
leurs feüilles , éclorre leurs fleurs,
voir tomber les feilles de ces
fleurs, ſurles tiges demeurerdes
bourſes dans lesquellessont enfermées
les graines , qui dans leurs
temps ſe reſſemeront comme les
GALANT. 115
premieres , dont tout l'effet de ces
Plantes que je viens de décrire
s'estensivy.
Avant que d'expliquer commentse
fait la genération , il
faut que je demande à ceux qui
me pourront contredire fi lors que
l'on feme une Feve , & qu'elle
leve de terre , qu'elle estend ses
branches ,qu'elle produitfesfleurs,
enfin ſes gouffes , ſes Fefin
les
ves qui ſervirontà avoir depareilles
Plantes l'année d'aprés
( Spes altera gentis , ) il faut,,
dis je , que je leur demande s'ils
trouvent qu'il y ait de la corru..
ptiondans tout cela ou en quel د
Kij
116 MERCURE
qu'une de ces parties , or en quel
temps. Si Ariftote a trouvé làde
la corruption , qu'on me diſe , s'il
yanoyen , quelle corruption on
apperçoit quand une branche s'allonge
, quand elle groffit , quand
une feüille devient plus large&
plus grande. La même choſeſedoit
dire des fleurs (4) des graines furvenantes
aux flours. Que si on
n'y en apperçoit pas , comme visi
blement il n'y en a point, n'y
ayant rien de ſi incorrompu que
ce qui est actuellement vivant &
bien composé en toutes ses parties,
pourquoy dire que la genération
ſefait par lacorruption ? Onvoiمtد
GALANT. 117
bien de la genération , puis que
des fleurs s'engendrent , & fur
une Plante comme je le viens de
dépeindre , &fur un Arbre qui
fleurit auſſi bien que les Plantes,
& on ne voitpasseulement l'ombre
ou l'apparence de la moindre
corruption , au contraire tout se
perfectionne en ſe groffiſſant , en
s'agrandiſſant , en s'eftalant , t
en s'éparpillant.
Je croy qu'on ne pourra me
dire autre chose , finon que ce n'est
pas là le temps & l'endroit de
cette corruption qui est principe de
generation. Alor je demande en
quel temps &en quel endroit de
-
18 MERCURE
la Plante arrive cette corruption.
Si on me dit , comme on le dit or
dinairement , que c'est lors que
P'on met la graine en terre ,
qu'elle germe , pourveu que je
faſſe voirque mesme en ce tempslà,
& en cette partie de laPlan.
te ; ( car la graine est une partie
de la Plante , bien qu'elle en foit
alors détachée , ) elle estde mesme
nature que la Plante , & qu'il
n'arrive rien autre choseàlagraineſemée
en terre, que ce qui arrive
en toutes les parties de la
Plante quand elle est enfon entier,
je croy qu'on ne pourra pas
me contester que ce que j'ayavan
GALANT. 119
cê ne foit veritable. Puis que le
germe qui fort de la graine n'est
autre chose que labranche quifort
de fon tronc , la feüille qui fortde
la branche , &les fleurs des feüilles
, ou des boutons entre lesfeüil
les , il eſt plus clair que le jour
qu'il n'y a point de corruption à
tout cela; donc il n'y en a point
du tout non plus dans la genération
de la Plante , qui n'estqu'-
une continuation de production de
mesme nature que la croiffance
l'épanoüiffement de la Plante.
Pour en venir au détail , il
faut qu'on m'avoue qu'aprésqu'une
Féve a esté quelque temps
120 MERCURE
dans terre , l'on en voit fortir
deux demy Féves , car la Féve
qui estoit contenuë dans une pel.
licule, comme un oeufdans sa coquille
, la rompt , &l'abandonne
à la corruption & à la pourritu.
re. C'est là qu'il en faut reconnoiſtre
comme je fais . Elle est en
core plus ſenſible aux fruits qui
ont des noyaux , comme la Noix,
IAbricot , la Peſche. Il'est vist
ble que la coquillede la Noix se
pourrit quand la Noix germe;
ainſi du noyau de l' Abricot , ex
de la Peſche , & la coquille de
cetteNoix & les noyaux de cét
Abricot , & de cette Pefcbe fe
pourriffent
GALANT. 121
peurriffent &se corrompent effe-
Etivement. Auſſi ne s'en engendre.
il rien que de la terre noire,
qui peut - estre est fort propre
à la nourriture des Plantesfutures.
Ces deux moitiez de Féve,
bien loin de fe corrompre , reverdiffent
, &deviennent comme les
deux premieres feüilles de la
Plante qui doit naiſtre , c'est à
dire qui ſe va développer
agrandir à la faveurde l'humidi
té de la chaleur de la terre.
Cette petiteparrie appellée leger
,que l'on peut encore mieux
voir avec des Microscopes , est
Avril 1685.
me
L
122 MERCURE
déja une Plante , &fait en ellemesme
ce qu'elle auroit peut- eftre
pû faire fur la Plante d'où elle
a estétirée. Je puis montrer par
un exemple , que cela arrive à
quelques graines d' Arbres , qui
commencentàdevenirArbres c'est
àdire à avoir racine , tige
feüilles fur leur Arbre mesme,
car cela arrive à la grainedes Sicomores
, & d'autres Arbres en_
core.
Onm'a déja ,je croy , accordé
qu'il n'y a point de corruptionfur
une Plante quand fes feüilles deviennent
plus grandes , et qu'el
les s'estendent , &je fais comGALANT.
123
prendre parla ſimple veuë, qui'l
n'arrive rien à la graine que ce
qui arrive à ces feüilles ; doncon
ne peut pas dire qu'ily ait de la
corruption à la pouffée d'une tige
qui fort de la boette defa graine:
carqu'onyprenne bien garde,tou
tes les grainesfont enfermées dans
des boettes qui nefervent à rien
du tout qu'à les conferver juſques
au temps de leur plantage, &les
amandes que l'on caffe font bien
voir que leur noyau on coquille ne
fertde rien pour lesfairegermer.
Ce que j'ay dit de la corruption
de la pourriture de la
pelliculede la Féve , &de la co-
Lij
124 MERCURE
quille de la Noix , peut faire connoiſtre
tres- clairement ce que c'eff
veritablement que corruption
pourriture. La coquille de Noix
pourrit , &ilne s'enproduit rien.
Si le germe de la Noix pourriffoit
de mesme , il ne naiſtroit
point de Noyer. Quand on seme
des graines , quand on plante des
Noix , du Gland , des Chaftaignes
, il n'en leve quelquefois
pas la moitié. D'où vient cela?
C'est que la graine la Noix , le
Pepin eftant maleficié , corrompu,
pourry , il ne peut produire ce
qu'il auroit produit s'il euft esté
bien conditionné &dansson entier.
GALANT. 125
L'idée de la Corruption n'et
donc pas fi difficile à avoir, il n'y
a qu'à confiderer que dés qu'une
graine est brizée , que dés qu'elle
eft deffechée outre mesure , que dés
qu'elle eft exceſſivement remplie
ou engloutie d'humidité , elle ne
peut plus fairefis fonctions ,
pouſſerfelonſa vertu &ſa force
naturelle une nouvelle Plante:
Ainsi dans une Horloge , déran
gez le moins du monde plusieurs
ou une feule de ſes roües , vous
ruinez tout le mouvement
du moins vous le pervertiſfez,
l'Horloge au lieu de marquer
Septheures en marquera dix
د
Ou
ara
Lij
126 MERCURE
Lieu de fonnerquatre heures , elle
en fonnera douze. Voila un leger,
&tres-foible exemple de ce
qui arrive en la nature , la corru
ption n'est autre chose qu'un defordre
, qu'un dérangement , qu'une
diffipation. Que tout foit dans
l'ordre , que tout foit bien arrangé,
que tout soit bien ramaffé
afſſemblé , il ne manquerajamais
d'y avoir une bonne production,
c'est à dire une veritable genération.
On s'est donc bien trompé en
fuivant Aristote , & tant d'autres
qui l'en ont crufurSaparole,
quand on a dit que la corruption
1
GALANT. 127
estoit cause de genération ; car
je pense avoirfait voir, à n'en
pouvoirjamais douter, que la corruption
de pourriture est l'ennemie
capitale de toute generation,
& que nous ne verrions que perir
les choses dans le monde, fi elles
fe corrompoient.