CEREMONIE Anniversaire , faite le
jour de la Fête-Dieu à Vernon en Normandie. Extrait d'une Lettre écrite de
cette Ville le 20. Juin 1732.
V
oici , Monsieur , un narré fidele de
la Cérémonie qui se fait tous les ans
dans cette Ville , et dont vous n'avez entendu parler que confusément. Nous
avons ici , comme dans presque toutes les
Villes de cette Province , une Confrerie ,
dite de la Charité , dont les membres , au
nombre de treize , s'engagent à porter et
JUILLE 1. 1732. 1655
servent que
à enterrer les Morts gratuitement. Le Chef
de cette Societé est tiré au sort et nommé
le Roi ; il y a aussi deux Officiers nommez Senechaux , lesquels , avec le Roi , ne
durant une année , les autres
servent deux ans entiers ; ensorte qu'il
faut toutes les années proceder à une nouvelle Election , tant pour les trois personnes dont on vient de parler , que pour
remplir le nombre des Confreres qui peu
vent déceder pendant leur éxercice ; c'est
ce qui se fait dans l'Octave du S. Sacrement , ordinairement le Vendredy ; on
enregistre d'abord les noms de ceux qui
se présentent pour entrer dans la Confrerie , et le Lundi suivant ils vont tous en
Pélerinage à Notre- Dame de Grace , dévotion célebre à deux lieuës de 11 Ville :
c'est-là qu'après la Messe entenduë , le
Roi est tiré au sort : pour les Senechaux
c'est un Office qui s'achette au profit de
la Confrerie. Le jour suivant ils s'assemblent tous et le Curé de Notre - Dame, ou
son Vicaire , leur fait une Exhortation au
*sujet de leurs obligations , de leurs fonc- tions , & c.
Les Officiers en Charge vont tous les
ans en céremonie, la veille de la Fête- Dieu,
prendre un des anciens Confreres , selon
son tour et son rang , qu'on appelle l: Roj
I ij des
1656 MERCURE DE FRANCE
des Rois , ou le Roi des anciens Rois , et
ils le conduisent de son logis à l'Eglise de
Notre- Dame , où il assiste avec eux aux
premieres Vêpres , et à Matines , et le
tendemain à la Grand Messe , et tout de
suite à la Procession solemnelle du S. Sacrement , suivant immédiatement le Dais
et portant une couronne à la main. Ceux
qui l'accompagnent et les anciens Rois
c'est-à-dire , tous ceux qui ont porté le
Chapperon , marque de cette dignité ,
portent des flambeaux ornez de fleurs
et sont en habit ordinaire , il n'y a que
ceux qui servent actuellement qui portent
la Robe longue de la Confrerie.
La Procession finie et la Messe , qui se
célebre au retour , étant dite , on reconduit le Roi des Rois chez lui , où toute
la Confrerie dîne .
Mais avant que de se mettre à table , ils
sont obligez d'aller servir douze Pauvres ,
dont le couvert est mis sur une Table
dressée dans la rue , à la porte de la maison du Roi. Ce Repas consiste en un porage , en bouilli , en rôti , avec une bouteille de vin pour chaque Pauvre , qui
leur est versé par les Confreres. Ceux- ci
sont debout autour de la Table , et la serviette sur le bras , et le Roi est au bout
de la même Table , aussi debout , la Cou
tonne sur la tête.
JUILLET. 1732 1657
Le Jeudi , jour de l'Octave , on distribue encore un gros pain à douze autres
Pauvres , chacun le sien ; ce sont les Freres en exercice qui font cette derniere distribution , le tout aux dépens d'une fondation , dont je ne sçai ni l'époque , ni le
nom de l'Auteur.
Ne vous attendez pas non plus , Monsieur , que je vous dise ici quelque chose
sur la premiere institution de cette pieuse
Confrerie ; nous ne sommes pas si sçavans dans ce Canton. Je crois qu'on peut
la faire remonter aussi haut que l'on voudra , et lui donner même pour Instituteur,
du moins pour premier modele et pour
Patron le saint homme Tobie. Le Peintre
du grand Tableau , dont vous me parlez ,
qui se voit dans l'Eglise Paroissiale de Louviers , à quatre lieuës d'ici , étoit bien
persuadé de son antiquité , puisqu'il fait
assister des Confreres de la Charité , à ge
noux , en habit de céremonie , autour du
Lit de la Sainte Vierge , dont il a prétendu representer le Trépas et les Obseques ,
avec un Benitier aux pieds , &c.
,
J'ajoûterai à cela , puisque vous êtes curieux de nos Cérémonies , que les Cha→
noines de notre Collegiale ont choisi pour
leur Patron S. Barnabé. On chante le jour
de la Fête une Messe des plus solemnelI iij les ,
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les , à laquelle assistent tous les Officiers ,
tant Ecclésiastiques , que Laïques. A l'Offertoire , les hauts Vicaires présentent à
chacun de ces Officiers une Couronne et
un Bouquet de fleurs. Le Diacre même et
le Soudiacre quittent l'Autel pour satisfaire à cette obligation. Je dis obligation ,
car ces Messieurs ayant voulu se dispenser
il y a quelquetems de la cérémonie
formé pour cela, une Instance au Parlement , les Officiers ont été maintenus dans
la possession de ce droit par un Arrêt contradictoire.