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1
p. 577-580
Mort de Mlle le Couvreur, [titre d'après la table]
Début :
Le Théatre François vient de faire encore une des plus grandes pertes qu'il pût faire en la personne [...]
Mots clefs :
Adrienne Lecouvreur, Théâtre, Comédienne, Actrice
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texteReconnaissance textuelle : Mort de Mlle le Couvreur, [titre d'après la table]
Le Théatre François vient de faire encore une
des plus grandes pertes qu'il pût faire en la perfonne
de Adrienne le Couvreur , morte d'un flux
de fang en peu de jours , le lundi 20. de ce mois,
âgée d'environ 40. ans. Elle avoit joué le Rôle de
Jocafte dans la Tragédie d'Oedipe , & celui
d'Hortenfe dans la petite Comédie du Florentin
Je Mercredi d'auparavant. G vj Qu
378 MERCURE DE FRANCE .
On ne fçauroit exprimer les regrets du Public
à la Cour & à la Ville,fur la perte de cette inimitable
Actrice qui avoit l'art admirable de ſe penetrer
au degré qu'il falloit pour exprimer les grandes
paffions & les faire fentir dans toute leur force.
Elle alloit d'abord au coeur , & le frappoit vivement
avec une intelligence , une jufteffe & un
art qu'il eft impoffible de décrire ; elle animoit ,
même les Vers foibles par la fineffe & le feu de
fon jeu , & les plus beaux recevoient de nouveaux
agrémens dans fa bouche. Le pathetique de la déclamation
dans prefque tous les grands caracteres
Tragiques n'a jamais été pouffé plus loin , & on
ofe affurer,fans crainte d'être démenti par le Public
, que peu des meilleures Actrices du Théatre
François ont été auffi generalement cheries du
Partere & des Loges , & ont fait répandre autant
de larmes. Cependant Mile Le Couvreur n'avoit
ni une grande voix , ni une preftance avantageufe,
ni beaucoup de ces graces dont le beau fexe eft en
poffeffion pour charmer les yeux & le coeur ;
mais elle étoit parfaitement bien faite dans fa taille
mediocre , avec un maintien noble & affuré ,
tête & les épaules bien placées , les yeux pleins de
feu , la bouche belle , le nez un peu aquilin , &;
beaucoup d'agrémens dans l'air & les manieres ;
fans embonpoint , mais les joues affez pleines
avec des traits bien marqués , pour exprimer la
triſteſſe , la joye , la tendreffe , la terreur & la pi
tié : le goût recherché & la richeffe de fa parure
donnoient un nouvel éclat à ſon air impofant,à fa
démarche & à fes geftes précis , & preſque toû→
jours énergiques.
la:
Elle n'avoit pas beaucoup de tons dans la voix,
mais elle fçavoit les varier à l'infini , & y joindre.
des inflexions , quelques éclats , & je ne fçai quoi
d'expreffif dans l'air du vifage & dans toute fa
perMARS.
1730. 579
perfonne , qui ne laiffoient rien à defirer ; avec la
parole libre , elle avoit la prononciation nette, &
une maniere de déclamer tout à fait originale , &
qui lui étoit particuliere.
ชุ
La Dile Le Couvreur étoit de Paris , fille d'un
Chapelier du Fauxbourg S. Germain , le feu Sr
Le Grand lui avoit montré à declamer ; après
avoir joué la Comédie dans les Provinces , à la
Cour de Lorraine , & avoir beaucoup brillé fur
le Théatre de Strasbourg , elle fut reçûë dans la
Troupe du Roi , au mois d'Avril 1717. ayant
debuté par les Rôles d'Electre & de Monime
qu'elle joua avec tant d'applaudiffemens , qu'on
difoit tout haut qu'elle commençoit par où les.
grandes Comédiennes finiffent d'ordinaire ; nous
avons oui dire à quelques Spectateurs que dans
ces grands perfonnages tragiques ( car dans le
Comique elle ne jouoit & ne brilloit que dans un
petit nombre de Rôles ) ils croyoient voir
veritablement une Princeffe qui jouoit la Comé→
die pour fon plaifir.
On lui donne la gloire d'avoir introduit la déclamation
fimple , noble & natutelle , & d'en
avoir banni le chant ; c'eft elle auffi qui la premiere
amis en ufage les Robes de Cour , en jouant
le Rôle de la Reine Elifabeth , dans la Tragédie
du Comte d'Effex.
Ceux qui lui ont vû jouer le Rôle de Berenice,
ont fans doute remarqué avec quel art elle paffoit
fubitement de l'état le plus trifte & le plus
affreux à la fituation la plus gaye ; allarmée de
l'infidèlité de Titus , elle fe raffuroit dans la penfée
qu'il n'étoit que jaloux. Lorfque dans le Rôle
d'Elifabeth , elle apprenoit l'amour du Comte
d'Effex pour la Ducheffe d'Irton ; en effet , livrée
au plus grand mépris qu'une femme , & furtout:
qu'une Reine puiffe effuyer , avec quelle fenfi
bilité
$80 MERCURE DE FRANCE.
bilité ne defcendoit-elle pas de la fierté la plus
haute à l'excès de la plus grande tendreſſe , juſqu'à
fe joindre à la Ducheffe pour fauver le Comte?
Dans Electre , lorfque gemiffante & chargée de
fers , elle fe livroit par gradation , & faifoit écla
ter la plus grande fatisfaction , en prononçant ces
mots: Ah ! mon frere eft ici ;les avides regards fur
ce frere qu'elle ne connoiffoit encore que par les
mouvemens de la nature étoient fi expreflifs qu'on
ne fçauroit fe rappeller cette Scene fans en être
attendri. On peut ajoûter qu'on n'a peut -être jamais
fi bien entendu l'art des Scenes muettes ;
c'est -à-dire , fi bien écouté & fi bien exprimé le
fens des paroles que l'Acteur qui étoit en fcene
avec elle difoit.
Au refte , elle aimoit extraordinairement fon
métier , & avoit au fuprême degré ce quon appelle
des entrailles & du fentiment ; elle entendoir
très-bien le fens des paroles qu'elle déclamoit.
Elle joignoit à ces talens de la politeffe, du fçavoir
vivre & de l'efprit, on a même vû de fes lettres que
Voiture n'auroit pas défavouées ; elle fréquentoit
les meilleures Maiſons de Paris , & y étoit fouhaitée
..
des plus grandes pertes qu'il pût faire en la perfonne
de Adrienne le Couvreur , morte d'un flux
de fang en peu de jours , le lundi 20. de ce mois,
âgée d'environ 40. ans. Elle avoit joué le Rôle de
Jocafte dans la Tragédie d'Oedipe , & celui
d'Hortenfe dans la petite Comédie du Florentin
Je Mercredi d'auparavant. G vj Qu
378 MERCURE DE FRANCE .
On ne fçauroit exprimer les regrets du Public
à la Cour & à la Ville,fur la perte de cette inimitable
Actrice qui avoit l'art admirable de ſe penetrer
au degré qu'il falloit pour exprimer les grandes
paffions & les faire fentir dans toute leur force.
Elle alloit d'abord au coeur , & le frappoit vivement
avec une intelligence , une jufteffe & un
art qu'il eft impoffible de décrire ; elle animoit ,
même les Vers foibles par la fineffe & le feu de
fon jeu , & les plus beaux recevoient de nouveaux
agrémens dans fa bouche. Le pathetique de la déclamation
dans prefque tous les grands caracteres
Tragiques n'a jamais été pouffé plus loin , & on
ofe affurer,fans crainte d'être démenti par le Public
, que peu des meilleures Actrices du Théatre
François ont été auffi generalement cheries du
Partere & des Loges , & ont fait répandre autant
de larmes. Cependant Mile Le Couvreur n'avoit
ni une grande voix , ni une preftance avantageufe,
ni beaucoup de ces graces dont le beau fexe eft en
poffeffion pour charmer les yeux & le coeur ;
mais elle étoit parfaitement bien faite dans fa taille
mediocre , avec un maintien noble & affuré ,
tête & les épaules bien placées , les yeux pleins de
feu , la bouche belle , le nez un peu aquilin , &;
beaucoup d'agrémens dans l'air & les manieres ;
fans embonpoint , mais les joues affez pleines
avec des traits bien marqués , pour exprimer la
triſteſſe , la joye , la tendreffe , la terreur & la pi
tié : le goût recherché & la richeffe de fa parure
donnoient un nouvel éclat à ſon air impofant,à fa
démarche & à fes geftes précis , & preſque toû→
jours énergiques.
la:
Elle n'avoit pas beaucoup de tons dans la voix,
mais elle fçavoit les varier à l'infini , & y joindre.
des inflexions , quelques éclats , & je ne fçai quoi
d'expreffif dans l'air du vifage & dans toute fa
perMARS.
1730. 579
perfonne , qui ne laiffoient rien à defirer ; avec la
parole libre , elle avoit la prononciation nette, &
une maniere de déclamer tout à fait originale , &
qui lui étoit particuliere.
ชุ
La Dile Le Couvreur étoit de Paris , fille d'un
Chapelier du Fauxbourg S. Germain , le feu Sr
Le Grand lui avoit montré à declamer ; après
avoir joué la Comédie dans les Provinces , à la
Cour de Lorraine , & avoir beaucoup brillé fur
le Théatre de Strasbourg , elle fut reçûë dans la
Troupe du Roi , au mois d'Avril 1717. ayant
debuté par les Rôles d'Electre & de Monime
qu'elle joua avec tant d'applaudiffemens , qu'on
difoit tout haut qu'elle commençoit par où les.
grandes Comédiennes finiffent d'ordinaire ; nous
avons oui dire à quelques Spectateurs que dans
ces grands perfonnages tragiques ( car dans le
Comique elle ne jouoit & ne brilloit que dans un
petit nombre de Rôles ) ils croyoient voir
veritablement une Princeffe qui jouoit la Comé→
die pour fon plaifir.
On lui donne la gloire d'avoir introduit la déclamation
fimple , noble & natutelle , & d'en
avoir banni le chant ; c'eft elle auffi qui la premiere
amis en ufage les Robes de Cour , en jouant
le Rôle de la Reine Elifabeth , dans la Tragédie
du Comte d'Effex.
Ceux qui lui ont vû jouer le Rôle de Berenice,
ont fans doute remarqué avec quel art elle paffoit
fubitement de l'état le plus trifte & le plus
affreux à la fituation la plus gaye ; allarmée de
l'infidèlité de Titus , elle fe raffuroit dans la penfée
qu'il n'étoit que jaloux. Lorfque dans le Rôle
d'Elifabeth , elle apprenoit l'amour du Comte
d'Effex pour la Ducheffe d'Irton ; en effet , livrée
au plus grand mépris qu'une femme , & furtout:
qu'une Reine puiffe effuyer , avec quelle fenfi
bilité
$80 MERCURE DE FRANCE.
bilité ne defcendoit-elle pas de la fierté la plus
haute à l'excès de la plus grande tendreſſe , juſqu'à
fe joindre à la Ducheffe pour fauver le Comte?
Dans Electre , lorfque gemiffante & chargée de
fers , elle fe livroit par gradation , & faifoit écla
ter la plus grande fatisfaction , en prononçant ces
mots: Ah ! mon frere eft ici ;les avides regards fur
ce frere qu'elle ne connoiffoit encore que par les
mouvemens de la nature étoient fi expreflifs qu'on
ne fçauroit fe rappeller cette Scene fans en être
attendri. On peut ajoûter qu'on n'a peut -être jamais
fi bien entendu l'art des Scenes muettes ;
c'est -à-dire , fi bien écouté & fi bien exprimé le
fens des paroles que l'Acteur qui étoit en fcene
avec elle difoit.
Au refte , elle aimoit extraordinairement fon
métier , & avoit au fuprême degré ce quon appelle
des entrailles & du fentiment ; elle entendoir
très-bien le fens des paroles qu'elle déclamoit.
Elle joignoit à ces talens de la politeffe, du fçavoir
vivre & de l'efprit, on a même vû de fes lettres que
Voiture n'auroit pas défavouées ; elle fréquentoit
les meilleures Maiſons de Paris , & y étoit fouhaitée
..
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Résumé : Mort de Mlle le Couvreur, [titre d'après la table]
Adrienne Lecouvreur, célèbre actrice du Théâtre Français, est décédée le lundi 20 du mois à l'âge d'environ 40 ans des suites d'un flux de sang. Elle avait récemment interprété les rôles de Jocaste dans Œdipe et d'Hortense dans la comédie du Florentin. Son décès a suscité une profonde tristesse tant à la cour qu'à la ville, où elle était admirée pour sa capacité à incarner les grandes passions avec force et authenticité. Adrienne Lecouvreur ne possédait ni une grande voix ni une présence physique avantageuse, mais elle était bien proportionnée, avec un maintien noble et assuré. Ses traits marqués lui permettaient d'exprimer diverses émotions. Sa diction était nette et originale, et elle savait varier sa voix avec des inflexions et des éclats expressifs. Elle a introduit la déclamation simple et naturelle au théâtre, bannissant le chant, et a popularisé les robes de cour en jouant le rôle de la reine Élisabeth dans la tragédie du Comte d'Essex. Ses interprétations, notamment dans les rôles de Bérénice, Élisabeth et Électre, étaient marquées par une grande sensibilité et une maîtrise des scènes muettes. Adrienne Lecouvreur aimait profondément son métier et possédait un sens aigu des paroles qu'elle déclamait. Elle était également connue pour sa politesse, son savoir-vivre et son esprit.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 580
EPITAPHE.
Début :
Cy git le corps mortel qu'empruntoit Melpomene, [...]
Mots clefs :
Adrienne Lecouvreur
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texteReconnaissance textuelle : EPITAPHE.
EPITAPHE.
CYgit le corps mortel qu'empruntoit Melpomene
,
Quand, fous le nom de Le Couvreur
Elle enchantoit fur notre Scene ,
Les yeux , & l'efprit & le coeur.
و د
M. Dalinval.
CYgit le corps mortel qu'empruntoit Melpomene
,
Quand, fous le nom de Le Couvreur
Elle enchantoit fur notre Scene ,
Les yeux , & l'efprit & le coeur.
و د
M. Dalinval.
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3
p. 581
TOMBEAU. De Mlle Le Couvreur.
Début :
Que renferme, helas ! ce Tombeau ? [...]
Mots clefs :
Adrienne Lecouvreur
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : TOMBEAU. De Mlle Le Couvreur.
TOMBEA U.
De M Le Couvreur.
Ue renferme , helas ! ce Tombeau ?
Les Muſes y verfent des larmes
Les Amours y brifent leurs armes
Et l'éclairent de leur flambeau ;
C'eſt Le Couvreur qui de la Scene:
Formoit les plus touchans appas ,
Les Graces avant fon trépas.
Ne fuivoient plus que Melpomene..
De M Le Couvreur.
Ue renferme , helas ! ce Tombeau ?
Les Muſes y verfent des larmes
Les Amours y brifent leurs armes
Et l'éclairent de leur flambeau ;
C'eſt Le Couvreur qui de la Scene:
Formoit les plus touchans appas ,
Les Graces avant fon trépas.
Ne fuivoient plus que Melpomene..
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4
p. 1596-1601
Lettre à Milord *** sur le sieur Baron & la Dlle le Couvreur, &c. [titre d'après la table]
Début :
On vend depuis peu chez Antoine de Heuqueville, Quai des Augustins, une brochure [...]
Mots clefs :
Adrienne Lecouvreur, Comédienne, Théâtre, Baron, Rôle, Molière, Comédien
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Lettre à Milord *** sur le sieur Baron & la Dlle le Couvreur, &c. [titre d'après la table]
On vend depuis peu chez Antoine_de
Henqueville , Quai des Auguftins , une brochure
in 12. Voici le titre : Lettre à My-
Lord ... fur Baron & la D Le Couvreur.
Par GeorgeWink.
Nous n'examinerons point fi George
Wink eft veritablement exiftant , ou fi
M. l'Abbé d'Allainval , connu par plufieurs
Pieces joüées fur l'un & l'autre
Theatre eft caché fous ce nom Anglois ,
Il fuffit pour nous de dire que la Lettre
dont il s'agit contient diverſes particularités
qui peuvent fervir à l'Hiftoire du
Theatre François , & que les amateurs des
fpectacles lifent avec plaifir. Plufieurs de
ces traits étoient même abſolument inconnus
; outre ceux qui regardent le fieur
Baron
JUILLET . 1730. 1597
Baron & la Dlle Le Couvreur , on y trouve
des digreffions curieufes fur des Comédiens
morts depuis long-tems , & même
de la Critique . Ce qui fuit fuffira pour
donner une idée de ces anecdoctes , & dir
ftile de la Lettre.
» La nature l'avoit favorisé ( Baron ) de
»ces qualités corporelles qui gagnent les
» coeurs, & qui font fi avantageufes à ceux
» qui parlent en Public , particulierement
» fur le Theatre ; & l'air d'une Cour po-
» lie & fpirituelle qu'il fréquentoit avec
" affez d'agrément,lui avoit rendu comme
" naturelles des manieres aifées & char-
" mantes qui y naiffent avec la plûpart
" des Courtifans , & dont on n'acquiert
"& on ne copie ordinairement que le ri-
"dicule enfin il a été le plus grand Co-
" médien qui ait jamais brillé ſur le Thea-
" tre François , & il ne lui manquoit , dit
» le judicieux La Bruyere , que de parler
avec la bouche , on s'étoit même accoû-
" tumé à ce deffaut ; mais on a toûjours
» crié contre la mauvaiſe habitude qu'il
" avoit de tourner le dos à l'Acteur à qui-
"il parloit pour regarder les bancs du
>> Théatre ; on ne peut lui reprocher de
>> plus que quelques manques de bienféances
&c. La plupart des Comédiens
» font des Ames moutonnieres , qui ne fe
chargent ordinairement que des défauts
F des
1598 MERCURE DE FRANCE
1
» des grands Acteurs qu'ils veulent imiter.
» Dès que Baron commença à faire du
bruit , les Comédiens de Campagne cru
>> rent avoir attrapé fon jeu , en affectant ,
❤ & outrant même fon parler nazillard.
Voici d'autres exemples du même travers.
Bejard , camarade de Moliere , &
frere de fa femme , demeura eftropié
d'une bleffure qu'il reçut au pied en
» féparant deux de les amis qui fe battoient
» dans la Place du Palais Royal . Moliere
qui peu de tems après donna fon Avare,
chargea fon Beau -frere du Rôle de la
» Fleche , de qui Harpagon dit par allus
» fion , Je n'aime point à voir ce chien de
» boiteux là : comme Béjard faifoit beau
" coup de plaifir , on boita auffi- tôt fur
" tous les Théatres de Province , non - feu-
» lement dans le Rôle de la Fleche , où
» cela devenoit neceffaire , mais indiffe
» remment dans tous ceux que Béjard
» rempliffoit à Paris.
>>
>
Les premiers Crifpins furent faits pour
» Poiffon premier , de qui on a un petit
» Théatre : il parloit bref , & comme il
» n'avoit pas de gras de jambes , il ima-
>> gina de jouer en botines ; delà tous les
» Crifpins bredouillerent & fe botterent,
» Je m'étonne qu'ils ne poufferent pas
» l'extravagance jufqu'à s'agrandir la bou
» che , parceque Poiffon l'avoit énorme
auffi
JUILLET . 1730. 1599
"» aufli lui fit-on dire : Je vous réponds
» Monfieur , d'une bouche auffi large ...
» dans le Deuil , petite Comédie , qui ( auffi.
» bien que l'Esprit Follet) eft de Corneille lo
» jeune & du Comédien Hauteroche &c.
Baron n'eft gueres loué dans cette Lettre
que fur les talens qu'il avoit pour le Thea
tre ; il n'y eft pas épargné fur fes Ridicu
les. » Il a fourni , dit l'Auteur , les mate-
» riaux dont on s'eft fervi pour compofer
» l'une des Vies de Moliere , où il auroit
» pû donner des éclairciffemens curieux
& intereffans fur les Piéces de ce grand
homme , & fe plus ménager fur fes propres
louanges , & fur celles d'un Théa
» tre dont il n'étoit gueres que le parain .
On entre enfuite dans l'Hiftoire des Comédies
qui ont paru fous fon nom , & on
les reftitue à leurs veritables Auteurs , Ce
détail eft affez plaifant , & le feu S′ Dancourt
eft mis en paffant parmi ces geais
parés des plumes d'autrui.
»
On ne fait pas plus de quartier au S
Baron fur le filence qu'il a toûjours gardé
fur fon pere & fur fa mere qui étoient
tous deux de fort bons Comédiens.
Baron dans la Vie de Moliere ne dit qu'un
mot de ſa mere en paffant , & ne parle
point du tout de fon pere ,de qui on trou
ve ici un trai fort fingulier » que le Pu
> blic , dit l'Auteur , auroit lû avec plus
Fij de
1600 MERCURE DE FRANCE
» de plaifir que fes prétendues querelles
avec le celebre Racine .
Paffons à la Dile Le Couvreur dont il
eft auffi queftion dans cette Lettre. L'Auteur
la fuit depuis fa naiffance à Fimes
petite Ville entre Soiffons & Reims ; il
l'amene à Paris avec fon pere en 1702. &
il raconte d'une maniere très - intereſſante
& très-circonftanciée les premiers effais
de cette grande Comédienne , c'est - à - dire,
la partie qu'elle fit en 1705. avec quelques
jeunes gens , de jouer la Tragédie de
Poliencte & la Comédie du Deuil, dans une
Maifon Bourgeoife : il parle auffi d'un
jeune homme , nommé Minou , qui repréfentant
le Rôle de Severe , entra tellement
dans l'efprit de fon Rôle , qu'il tomba
en défaillance, en difant à Fabian , fon
Confident , foutiens - mois ce coup de foudre
eft grand il fallut lui ouvrir la veine .
L'Auteur fuit cette Comédienne dans les
Provinces , & il la ramene à Paris , où elle
débuta au mois de Mai 1717. & il trouve
moyen, en parlant d'elle, de ramener fouvent
Baron fur la fcene.
» La De Le Couvreur , dit -il dans un
» endroit , aimoit fon métier ; mais elle
» n'en penfoit pas fi emphatiquement que
» Baron , qui difoit qu'un Comédien étoit
un homme nourri dans le giron des
Rois. J'ai lû , difoit- il encore , toutes les
HifJUILLET.
1730 1601
» Hiftoiresanciennes & modernes ; j'y trouve
» que la Nature prodigue y a vomi dans tous
»les tems une foule de Héros & de grands
hommes dans chaque genre , elle femble
» n'avoir été avare que de grands Comédiens;
»je ne trouve que Rofcius & moi.
L'Hiftoire de la mort de notre Actrice
vient enfuite , & le refte de la Lettre eft
rempli par des Piéces qui ont été faites
fur elle pendant & après la vie. La premiere
eft une Epitre du celebre M. de
Voltaire. La feconde eft une autre Epitre
de M. de Beauchamps. La troifiéme eft
dattée des Champs Elizées ; elle eft écrite
à la Dlle Le Couvreur par M, Le Franc
fous le nom de Racine. Les Piéces que l'on
trouve après ont été faites depuis la mort
de la Dile Le Couvreur. La premiere eft
la Harangue que prononça un Comédien
le jour de la clôture du Théatre ; elle eft
de M. de Voltaire , dit P'Auteur ; elle eft
fuivie des Epitaphes Françoiſes & Latines
& des Infcriptions pour le portrait que
l'on grave actuellement d'après M. Coypel
qui l'a peinte en Cornelie. L'Auteur
finitpar dire qu'il efpere recueillir un affez
bon nombre des jolies Lettres que là D¹le
Le Couvreur a écrites pour les donner au
Public , qui verra toûjours avec plaifir
tout ce qui aura rapport avec cette grande
Comédienne qu'il a tant aimée , & qu'il
regrette tous les jours.
Henqueville , Quai des Auguftins , une brochure
in 12. Voici le titre : Lettre à My-
Lord ... fur Baron & la D Le Couvreur.
Par GeorgeWink.
Nous n'examinerons point fi George
Wink eft veritablement exiftant , ou fi
M. l'Abbé d'Allainval , connu par plufieurs
Pieces joüées fur l'un & l'autre
Theatre eft caché fous ce nom Anglois ,
Il fuffit pour nous de dire que la Lettre
dont il s'agit contient diverſes particularités
qui peuvent fervir à l'Hiftoire du
Theatre François , & que les amateurs des
fpectacles lifent avec plaifir. Plufieurs de
ces traits étoient même abſolument inconnus
; outre ceux qui regardent le fieur
Baron
JUILLET . 1730. 1597
Baron & la Dlle Le Couvreur , on y trouve
des digreffions curieufes fur des Comédiens
morts depuis long-tems , & même
de la Critique . Ce qui fuit fuffira pour
donner une idée de ces anecdoctes , & dir
ftile de la Lettre.
» La nature l'avoit favorisé ( Baron ) de
»ces qualités corporelles qui gagnent les
» coeurs, & qui font fi avantageufes à ceux
» qui parlent en Public , particulierement
» fur le Theatre ; & l'air d'une Cour po-
» lie & fpirituelle qu'il fréquentoit avec
" affez d'agrément,lui avoit rendu comme
" naturelles des manieres aifées & char-
" mantes qui y naiffent avec la plûpart
" des Courtifans , & dont on n'acquiert
"& on ne copie ordinairement que le ri-
"dicule enfin il a été le plus grand Co-
" médien qui ait jamais brillé ſur le Thea-
" tre François , & il ne lui manquoit , dit
» le judicieux La Bruyere , que de parler
avec la bouche , on s'étoit même accoû-
" tumé à ce deffaut ; mais on a toûjours
» crié contre la mauvaiſe habitude qu'il
" avoit de tourner le dos à l'Acteur à qui-
"il parloit pour regarder les bancs du
>> Théatre ; on ne peut lui reprocher de
>> plus que quelques manques de bienféances
&c. La plupart des Comédiens
» font des Ames moutonnieres , qui ne fe
chargent ordinairement que des défauts
F des
1598 MERCURE DE FRANCE
1
» des grands Acteurs qu'ils veulent imiter.
» Dès que Baron commença à faire du
bruit , les Comédiens de Campagne cru
>> rent avoir attrapé fon jeu , en affectant ,
❤ & outrant même fon parler nazillard.
Voici d'autres exemples du même travers.
Bejard , camarade de Moliere , &
frere de fa femme , demeura eftropié
d'une bleffure qu'il reçut au pied en
» féparant deux de les amis qui fe battoient
» dans la Place du Palais Royal . Moliere
qui peu de tems après donna fon Avare,
chargea fon Beau -frere du Rôle de la
» Fleche , de qui Harpagon dit par allus
» fion , Je n'aime point à voir ce chien de
» boiteux là : comme Béjard faifoit beau
" coup de plaifir , on boita auffi- tôt fur
" tous les Théatres de Province , non - feu-
» lement dans le Rôle de la Fleche , où
» cela devenoit neceffaire , mais indiffe
» remment dans tous ceux que Béjard
» rempliffoit à Paris.
>>
>
Les premiers Crifpins furent faits pour
» Poiffon premier , de qui on a un petit
» Théatre : il parloit bref , & comme il
» n'avoit pas de gras de jambes , il ima-
>> gina de jouer en botines ; delà tous les
» Crifpins bredouillerent & fe botterent,
» Je m'étonne qu'ils ne poufferent pas
» l'extravagance jufqu'à s'agrandir la bou
» che , parceque Poiffon l'avoit énorme
auffi
JUILLET . 1730. 1599
"» aufli lui fit-on dire : Je vous réponds
» Monfieur , d'une bouche auffi large ...
» dans le Deuil , petite Comédie , qui ( auffi.
» bien que l'Esprit Follet) eft de Corneille lo
» jeune & du Comédien Hauteroche &c.
Baron n'eft gueres loué dans cette Lettre
que fur les talens qu'il avoit pour le Thea
tre ; il n'y eft pas épargné fur fes Ridicu
les. » Il a fourni , dit l'Auteur , les mate-
» riaux dont on s'eft fervi pour compofer
» l'une des Vies de Moliere , où il auroit
» pû donner des éclairciffemens curieux
& intereffans fur les Piéces de ce grand
homme , & fe plus ménager fur fes propres
louanges , & fur celles d'un Théa
» tre dont il n'étoit gueres que le parain .
On entre enfuite dans l'Hiftoire des Comédies
qui ont paru fous fon nom , & on
les reftitue à leurs veritables Auteurs , Ce
détail eft affez plaifant , & le feu S′ Dancourt
eft mis en paffant parmi ces geais
parés des plumes d'autrui.
»
On ne fait pas plus de quartier au S
Baron fur le filence qu'il a toûjours gardé
fur fon pere & fur fa mere qui étoient
tous deux de fort bons Comédiens.
Baron dans la Vie de Moliere ne dit qu'un
mot de ſa mere en paffant , & ne parle
point du tout de fon pere ,de qui on trou
ve ici un trai fort fingulier » que le Pu
> blic , dit l'Auteur , auroit lû avec plus
Fij de
1600 MERCURE DE FRANCE
» de plaifir que fes prétendues querelles
avec le celebre Racine .
Paffons à la Dile Le Couvreur dont il
eft auffi queftion dans cette Lettre. L'Auteur
la fuit depuis fa naiffance à Fimes
petite Ville entre Soiffons & Reims ; il
l'amene à Paris avec fon pere en 1702. &
il raconte d'une maniere très - intereſſante
& très-circonftanciée les premiers effais
de cette grande Comédienne , c'est - à - dire,
la partie qu'elle fit en 1705. avec quelques
jeunes gens , de jouer la Tragédie de
Poliencte & la Comédie du Deuil, dans une
Maifon Bourgeoife : il parle auffi d'un
jeune homme , nommé Minou , qui repréfentant
le Rôle de Severe , entra tellement
dans l'efprit de fon Rôle , qu'il tomba
en défaillance, en difant à Fabian , fon
Confident , foutiens - mois ce coup de foudre
eft grand il fallut lui ouvrir la veine .
L'Auteur fuit cette Comédienne dans les
Provinces , & il la ramene à Paris , où elle
débuta au mois de Mai 1717. & il trouve
moyen, en parlant d'elle, de ramener fouvent
Baron fur la fcene.
» La De Le Couvreur , dit -il dans un
» endroit , aimoit fon métier ; mais elle
» n'en penfoit pas fi emphatiquement que
» Baron , qui difoit qu'un Comédien étoit
un homme nourri dans le giron des
Rois. J'ai lû , difoit- il encore , toutes les
HifJUILLET.
1730 1601
» Hiftoiresanciennes & modernes ; j'y trouve
» que la Nature prodigue y a vomi dans tous
»les tems une foule de Héros & de grands
hommes dans chaque genre , elle femble
» n'avoir été avare que de grands Comédiens;
»je ne trouve que Rofcius & moi.
L'Hiftoire de la mort de notre Actrice
vient enfuite , & le refte de la Lettre eft
rempli par des Piéces qui ont été faites
fur elle pendant & après la vie. La premiere
eft une Epitre du celebre M. de
Voltaire. La feconde eft une autre Epitre
de M. de Beauchamps. La troifiéme eft
dattée des Champs Elizées ; elle eft écrite
à la Dlle Le Couvreur par M, Le Franc
fous le nom de Racine. Les Piéces que l'on
trouve après ont été faites depuis la mort
de la Dile Le Couvreur. La premiere eft
la Harangue que prononça un Comédien
le jour de la clôture du Théatre ; elle eft
de M. de Voltaire , dit P'Auteur ; elle eft
fuivie des Epitaphes Françoiſes & Latines
& des Infcriptions pour le portrait que
l'on grave actuellement d'après M. Coypel
qui l'a peinte en Cornelie. L'Auteur
finitpar dire qu'il efpere recueillir un affez
bon nombre des jolies Lettres que là D¹le
Le Couvreur a écrites pour les donner au
Public , qui verra toûjours avec plaifir
tout ce qui aura rapport avec cette grande
Comédienne qu'il a tant aimée , & qu'il
regrette tous les jours.
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Résumé : Lettre à Milord *** sur le sieur Baron & la Dlle le Couvreur, &c. [titre d'après la table]
La brochure 'Lettre à My-Lord... fur Baron & la Dlle Le Couvreur' de George Wink, disponible chez Antoine de Henqueville, contient des informations précieuses pour l'histoire du théâtre français. Elle relate des anecdotes sur les comédiens Baron et Le Couvreur, ainsi que des critiques et des digressions sur des acteurs décédés. Baron est décrit comme un comédien doté de qualités physiques avantageuses pour le théâtre et de manières charmantes acquises à la cour. Il est reconnu comme l'un des plus grands comédiens français, malgré certains défauts, comme celui de tourner le dos à son interlocuteur sur scène. La lettre critique également les comédiens qui imitent les défauts des grands acteurs, citant par exemple Béjard boitant après avoir joué un rôle boiteux. Elle mentionne aussi les premiers Crispins, inspirés par Poiffon, qui parlait brièvement et jouait en bottines. La lettre reproche à Baron de ne pas avoir suffisamment loué Molière et de n'avoir rien dit sur ses parents, tous deux comédiens. Elle discute également des comédies publiées sous le nom de Baron, les attribuant à leurs vrais auteurs. Concernant Le Couvreur, la lettre suit sa carrière depuis sa naissance à Fismes jusqu'à ses débuts à Paris en 1717. Elle mentionne ses premiers rôles et un incident où un acteur, Minou, tomba en défaillance en jouant. La lettre se termine par des poèmes et des épîtres écrits en l'honneur de Le Couvreur, y compris ceux de Voltaire et Racine. L'auteur exprime son espoir de publier les lettres de Le Couvreur pour le public.
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