MISSIVE du Chevalier de Leucotece,
à l'Infante de Malcrais , Princesse
Armorique.
L'Enfan 'Enfant gâté de Melpomene ,
Le Berger, habitant les Rives de la Seine ,
Et certain Rimeur Marseillois >
Ja de bon compte sont- ils trois ,
Auxquels aurai non pas petite affaire ,
Et seront par moi déconfits.
Non par mes très limez et délicats Ecrits.
Les deux premiers , en ce genre d'escrime ,
Sont trop ferrus pour moi, qui n'ai raison ni rime,
Comme il convient à tout Chevalier preux ,
Rien ne sçachant, sinon pourfendre en deux ,
Net et jus les arçons , tout Mortel témeraire ,
Osant en conter , ou déplaire ,
A l'objet de ses vœux.
1. Vol. Parquoi
DECEMBRE. 1732. 257%
Parquoi , Dame de mes pensées ,
Illustre et sublime Malcrais ,
De grace , ne trouvez mauvais ,
Si jambes et têtes cassées ,
Pour commencer ma déclaration ,
Je vous fais députation ,
Quelque matin , du dernier Personnage ;
Pour faire réparation ,
A vous, au Sexe qu'il outrage ;
C'est le devoir de ma Profession,
En tout honneur , bien et discrétion ,
Sommes tenus proteger les Infantes ,
Les faire déclarer charmantes ,
Non moins d'esprit comme de corps ,
En un mot , réparer les torts.
A donc ira le Rimeur de Marseille ,
Droit au Croisil , en l'état dessus dit ,
Illec verra qu'estes merveille ,
Non moins de corps comme d'esprit,
Confessera qu'il se dédit ,
D'avoir écrit que c'est un cas étrange
De trouver sous figure d'Ange ,
L'esprit sublime et le sçavoir profond.
Voilà pour un. A l'égard du second ,
De ce Berger à la douce Musette ,
Berger heureux dont demandez le nom
Que ce desir me picque , m'inquiete !
Ah ! s'il vous plaisoit moins , certain de sa défaite,
I. Vol. C
il iij
2572 MERCURE DE FRANCE
Il n'est baume de fier-à- bras ,
Qui le garantit du trépas.
Mais quoi ! ses chants ont pour vous des appas ,
L'Echo de votre cœur sans cesse les repete..
Sçachez du moins que sous l'air imposteur
De Berger, de Moutons , de Chien et de Houlette >
Il cache un malin Enchanteur ;
Un mortel ennemi de toute votre espece ,
De ceux qui détenoient une pauvre Princesse,
Pendant des deux et trois mille ans ,
Dans des Châteaux de Diamans ,
Gardez par Dragons et Geans.
Ors attendant que puisse le pourfendre ,
Lui faisant vuider les arçons ,
C'est à vous à vous bien deffendre ,
De ses charmes , de ses Chansons.
Je vous en avertis , ce sont Philtres magiques,
Ce sont appas qui cachent un poison,
Riant d'abord, ayant suites tragiques ,
Otant esprit , repos , raison ,
Poison dont le remede est seulement la fuite ,
Mais c'est assez ; vous voilà bien instruite.
Venons enfin à mon dernier Rival , *
Je conviens qu'il n'a point d'égal ,
Si ce n'est Apollon lui- même ;
Mais Preux ne cede ce qu'il aime
M. de Voltaire.
(
1. Vol.
Sans
DECEMBRE. 1732 2573.
Sans ferrailler , sans faire appel.
Suivant ces us , malgré votre gloire immortelle,
Malgré tous vos Lauriers , Rival que je querelle,
Avec crainte et respect , agréez mon Cartel.
Malcrais vaut bien qu'on ferraille pour elle,,
C'est la raison. Je vous laisse le choix ,
Des armes et du Champ , mais seriez discourtois,'
Vû vos forces et ma foiblesse ,
Si ne me permettiez d'excepter le Permesse.