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1
p. 2687-2689
« Au commencement de ce mois les Comédiens François ont remis au [...] »
Début :
Au commencement de ce mois les Comédiens François ont remis au [...]
Mots clefs :
Académie royale de musique, Comédiens-Italiens, Comédiens-Français
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texteReconnaissance textuelle : « Au commencement de ce mois les Comédiens François ont remis au [...] »
U commencement de ce mois les
Comédiens François ont remis au
Théatre une petie Piece d'un Acte , intitulée
Crifpin bel efprit , qu'on n'avoit
joüée depuis très - long - temps , & qu'on
revoit avec beaucoup de plaifir. Elle eft
imprimé fous le nom de la Thuillerie ,
ancien Comédien ; mais on affure que feu
I. Vol. l'Abbé
2688 MERCURE DE FRANCÈ
l'Abbé Abeille en eft Auteur , ainfi que
des Tragédies d'Hercule & de Soliman ,
qu'on voit aufli imprimées fous le même
nom .
Le Lundi 11. de ce mois , on donna
an Theatre François la premiere Repréfentation
de la Tragédie de Brutus , de
M. de Voltaire , qui fut extrémement applaudie
par une très belle & très- nombreufe
Affemblée . Nous en parlerons plus
au long dans le fecond Volume de ce
mois .
Les Comédiens François repréſenterent
à la Cour le Mardi 5. Décembre la Comédie
de l'Esprit folet.
Le 7. la Tragédie de Medée , de M. de
Longepierre , & la petite Comédie de
Crifpin Rival de fon Maître.
Le 12. D. Japhet d'Armenie.
Le 14. Bajazet & Crifpin bel Efprit.
Le 19. les Menechmes & la Comteffe
'd'Efcarbagnas:
Le 2. Décembre , les Comédiens Italien ,
repréſenterent à la Cour la Sylphide , la
petite Piece nouvelle du Triomphe de
'Interêt,& la Parodie du MaryJoueur & de
la Femme Bigotte , Scenes Italiennes , chantées
fur le Théatre de l'Opera au mois
de Juin 1729. Cette Parodie qui a fait
beaucoup de plaifir à la Cour , n'eft joüée
I. Vol
que
DECEMBRE 1730. 268**
que par la De Silvia & le fieurTheveneau
qui y ont été fort applaudis.
Le 9. ils reprefenterent les Amans réunis
& les Paifans de qualité.
Le 16. Timon le Misantrope & le Por
trait.
Le 21. l'Académie Royalé de Mufique
remit au Théatre l'Opera de Phaeton, qui
n'avoit pas été joué depuis le mois de
Novembre 1721. Cette Piece qui vient
d'être remife d'une maniere très- brillante
en habits & en décorations , a été reçuë
très favorablement du Public. On en parlera
plus au long , fur tout des Decorations
, qui font l'admiration de tous les
Spectateurs.
Comédiens François ont remis au
Théatre une petie Piece d'un Acte , intitulée
Crifpin bel efprit , qu'on n'avoit
joüée depuis très - long - temps , & qu'on
revoit avec beaucoup de plaifir. Elle eft
imprimé fous le nom de la Thuillerie ,
ancien Comédien ; mais on affure que feu
I. Vol. l'Abbé
2688 MERCURE DE FRANCÈ
l'Abbé Abeille en eft Auteur , ainfi que
des Tragédies d'Hercule & de Soliman ,
qu'on voit aufli imprimées fous le même
nom .
Le Lundi 11. de ce mois , on donna
an Theatre François la premiere Repréfentation
de la Tragédie de Brutus , de
M. de Voltaire , qui fut extrémement applaudie
par une très belle & très- nombreufe
Affemblée . Nous en parlerons plus
au long dans le fecond Volume de ce
mois .
Les Comédiens François repréſenterent
à la Cour le Mardi 5. Décembre la Comédie
de l'Esprit folet.
Le 7. la Tragédie de Medée , de M. de
Longepierre , & la petite Comédie de
Crifpin Rival de fon Maître.
Le 12. D. Japhet d'Armenie.
Le 14. Bajazet & Crifpin bel Efprit.
Le 19. les Menechmes & la Comteffe
'd'Efcarbagnas:
Le 2. Décembre , les Comédiens Italien ,
repréſenterent à la Cour la Sylphide , la
petite Piece nouvelle du Triomphe de
'Interêt,& la Parodie du MaryJoueur & de
la Femme Bigotte , Scenes Italiennes , chantées
fur le Théatre de l'Opera au mois
de Juin 1729. Cette Parodie qui a fait
beaucoup de plaifir à la Cour , n'eft joüée
I. Vol
que
DECEMBRE 1730. 268**
que par la De Silvia & le fieurTheveneau
qui y ont été fort applaudis.
Le 9. ils reprefenterent les Amans réunis
& les Paifans de qualité.
Le 16. Timon le Misantrope & le Por
trait.
Le 21. l'Académie Royalé de Mufique
remit au Théatre l'Opera de Phaeton, qui
n'avoit pas été joué depuis le mois de
Novembre 1721. Cette Piece qui vient
d'être remife d'une maniere très- brillante
en habits & en décorations , a été reçuë
très favorablement du Public. On en parlera
plus au long , fur tout des Decorations
, qui font l'admiration de tous les
Spectateurs.
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Résumé : « Au commencement de ce mois les Comédiens François ont remis au [...] »
En décembre 1730, les Comédiens Français ont repris la pièce 'Crifpin bel esprit', attribuée à l'Abbé Abeille, et ont présenté pour la première fois 'Brutus' de Voltaire, qui a reçu un accueil enthousiaste. Les Comédiens Français ont également joué plusieurs pièces à la Cour, dont 'l'Esprit follet', 'Médée', 'Crifpin Rival de son Maître', 'D. Japhet d'Arménie', 'Bajazet', 'les Ménéchmes' et 'la Comtesse d'Escarbagnas'. Les Comédiens Italiens ont représenté des œuvres comme 'la Sylphide', 'le Triomphe de l'Intérêt', et des parodies du 'Mari Joueur' et de 'la Femme Bigotte'. Ils ont également joué 'les Amans réunis', 'les Paysans de qualité', 'Timon le Misantrope' et 'le Portrait'. L'Académie Royale de Musique a repris l'opéra 'Phaéton', absent des scènes depuis novembre 1721, avec des décors et des costumes remarquables, suscitant l'admiration du public.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 2689-2719
LETTRE de Mr de ..., à Mde de ... sur la Tragedie de Venceslas.
Début :
Ne rougissez pas, Madame, d'avoir été si peu sensible aux beautez qui [...]
Mots clefs :
Tragédie, Amour, Théâtre, Mort, Auteur, Beauté, Frère, Hymen, Colère, Justice, Yeux, Corneille, Monologue, Seigneur, Amant, Âme, Roi, Crime, Sentiments, Nature
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de Mr de ..., à Mde de ... sur la Tragedie de Venceslas.
LETTRE de Mr de ... , à Mde de ...
fur la Tragedie de Venceflas.
Neté à peu fenfible aux beautez qui
E rougiffez pas , Madame , d'avoir
font répandues dans la Tragedie de Venceflas
; ce n'eft point par des applaudiffemens
qu'un efprit auffi délicat que le vôtre
doit fe déterminer. Un Acteur , tel que
Baron , peut prêter des graces aux endroits
d'une Tragédie , même les plus rebutanss
les fuffrages deviennent alors tres- équi-
I. Vol. yoques
2690 MERCURE DE FRANCE
voques , & l'on peut le tromper quand
on en fait honneur à l'Auteur.Ce n'eft pas
qu'il n'y ait de grandes beautez dans cette
Tragedie. Rotrou étoit un de ces génies
que la nature avare ne donne que de ſiécles
en fiécles ; le grand Corneille n'a pas
dédaigné de l'appeller fon Pere & lon
Maître;& fa fincerité avoit autant de part
que fa modeſtie à des noms fi glorieux ;
mais ce qui excitoit l'admiration dans un
temps où le Théatre ne faifoit que de naî
tre , ne va pas fi loin aujourd'hui ; on fe
contente d'eftimer ce qui a autrefois étonné
, & pour aller jufqu'à la furpriſe , on a
befoin de fe tranfporter au premier âge
des Muſes. Tel étoit celui de Rotrou , par
rapport à la Tragédie ; ceux qui avoient
travaillé avant lui dans ce genre de Poëfie
que Corneille & Racine ont élevé fi
haut , ne lui avoient rien laiffè qui pût
former fon goût ; de forte que la France
doit confiderer Rotrou comme le créateur
du Poëme Dramatique , & Corneille
comme le reftaurateur. Vous voyez ,
Madame , que cela pourroit fuffire pour
juftifier vos dégouts ; je veux aller plus
loin , & parcourir également les beautez
& les défauts de la Tragedie de Venceſlas
, pour pouvoir en porter un jugement
équitable.
1. Vol.
ACTE
DECEMBRE. 1730. 2691
Į
ACTE I.
Venceflas ouvre la Scene fuivi de
Ladifas & d'Alexandre fes fils ; il faut
retirer le dernier par ce vers adreffé à
tous les deux .
Prenez un fiége , Prince , & vous, Infant, ſortez.
Alexandre lui répond.
J'aurai le tort , Seigneur , fi vous ne m'écoutez.
Ce fecond vers eft un de ceux qu'il
faut renvoyer au vieux temps. J'aurai le
tort, n'eft plus françois , mais ce n'eft pas
la faute de l'Auteur . Que vous plaît-il ? cft
trop profaïque & trop vulgaire ; il n'étoit
pas tel du temps de Rotrou. Paffons
à quelque chofe de plus effentiel. Voici
des Vers dignes des fiécles les plus éclai
rez ; c'eſt Venceflas qui parle à Ladiflas.
Prêtez- moi , Ladiflas , le coeur avec Poreille
J'attends toujours du temps qu'il meuriffe le
fruit ,
Que pour me fucceder , ma couche m'a produit
Et je croyois , mon Fils , votre Mere immor,
relle ,
Par le refte qu'en vous elle me laiffa d'elle ;
Mais hélas ! ce portrait qu'elle s'étoit tracé ,
Perd beaucoup de fon luftre , & s'eft bien effacé
Ne
2692 MERCURE DE FRANC .
:
Ne diroit - on pas que c'eft Corneille
qui parle ? Ces Vers nous auroient , fans
doute , fait prendre le change , s'ils n'avoient
été précédez de cet à parte de
Ladiflas.
Que la Vieilleffe fouffre , & fait fouffrir autrui !
Oyons les beaux avis qu'un flatteur lui confeille
:
Quelle difparate ! tout ce que Venceflas
dit dans cette Scene , eft mêlé de petites
fautes , & de grandes beautez ; les
fautes font dans l'expreffion , les beautez
dans les penfées . Il y a pourtant dans ces
dernieres quelque chofe qui dégrade le
pompeux Dramatique : C'eft l'indigne
portrait que Venceflas fait d'un Fils qui
doit lui fucceder , & qui lui fuccede en
effet à la fin de la pièce. Le voicy ce
Portrait ;
S'il faut qu'à cent rapports ma créance réponde
,
Rarement le Soleil rend la lumiere au monde ;
Que le premier rayon qu'il répand icy bas ,
N'y découvre quelqu'un de vos affaffinats.
Où du moins on vous tient en fi mauvaiſe eftime,
Qu'innocent ou coupable , on vous charge du
crime ,
Et que vous offenfant d'un foupçon éternel ,
Aux bras du fommeil même, on vous fait criminel.
I. Vol. Quel
DECEMBRE . 1730. 2693
Quel correctif que ces quatre derniers
vers ! dans quelle eftime doit être un
Prince à qui on impute tous les crimes
que la nuit a dérobés aux regards du Public
? De pareils caracteres ont-ils jamais
dû entrer dans une Tragédie ? Mais dans
le refte de la Piéce , les difcours & les actions
de ce monftre iront plus loin que
le portrait.
Ce qu'il y a de plus furprenant , c'eſt
que Ladiflas , tel qu'il eft , trouve encore
le fecret de le faire aimer. On en peut ju¬
ger par ces Vers.:
Par le fecret pouvoir d'un charme que j'ignore,
Quoiqu'on vous meſeftime , on vous chérit encore
;
Vicieux , on vous craint , mais vous plaifez heureux
Et pour vous l'on confond le murmure & les
voeux.
J'avoue, Madame , que je ne comprends
pas le vrai fens de ce vers :
Vicieux , on vous craint ; mais vous plaifez heureux.
Vicieux & heureux, nefont pas faits pour
faire une jufte oppofition ; l'Auteur ne
voudroit-il pas dire , que malgré les vices
qui le font craindre , Ladiflas a le bon-
I. Vol
.G heur
2694 MERCURE DE FRANCE
heur de plaire ? Quoique ce vers puifle
fignifier , on ne fçauroit difconvenir qu'il
n'ait un fens bien louche . Mais que de
beautés fuivent ces petits deffauts ! Vous
en allez juger par cette belle tirade : c'eft
toujours Venceslas qui parle à fon Fils.
Ah ! méritez , mon Fils , que cet amour vous
dure ;
Pour conferyer les voeux , étouffez le murmure
Et regnez dans les coeurs par un fort dépendant
Plus de votre vertu que de votre aſcendant ;
Par elle rendez - vous digne du diadême ;
Né pour donner des loix , commencez par vous
même ;
Et que vos paffions , ces rebelles fujets ,
De cette noble ardeur foient les premiers objets .
Par ce genre de regne , il faut meriter l'autre
Par ce dégré , mon Fils , mon Thône fera vô
tre.
Mes Etats , mes Sujets , tout fléchira fous vous
Et , fujet de vous feul , vous regnerez fur tous .
>
2
?
Quand on trouve de fi grandes beautez
de détail dans une Piéce , on eft prefque
forcé à faire grace aux vices du fond;
& c'eft en cela feulement , Madame , que
je trouve vos dégouts injuftes . Voyons le
refte de cette Scene , qui eft dans le genre
déliberatif. Venceslas dans la leçon
qu'il fait à fon Fils , appuye fur trois
I. Vol, points
DECEMBRE . 1730. 2695
points ; fçavoir , fur les mauvais dépor
temens de fon Fils , fur fa haine pour fon
premier Miniftre , & fur l'averfion qu'il
a pour l'Infant. Ladiflas s'attache à répondre
exactement aux objections ; mais
il commence par convenir d'un reproche
que fon Pere ne lui a fait que d'une maniere
vague. Le voici :
Vous n'avez rien de Roy , que le défir de Pêtre
;
Et ce défir , dit -on , peu difcret & trop promt
En fouffre avec ennui le bandeau fur mon front.
Vous plaignez le travail où ce fardeau m'engage,
Et n'ofant m'attaquer , vous attaquez mon âge ,
&c.
Ce reproche doit- il obliger Ladiflas à
confeffer à fon Pere & à fon Roy , qu'il
eft vrai qu'il fouhaite la Couronne , &
qu'il lui eft échapé quelques difcours ?
Il fait plus , il cite le jour , où il a parlé
fi indifcretement fur une matiére fi délicate
:
Au retour de la Chaffe , hier affifté des micas
&c.
A quoi n'expofe- t-il pas les plus affidez
amis ? Sera- t- il bien difficile au Roy
de les difcerner ; il n'a qu'à fçavoir qui
font ceux qui l'ont fuivi à la Chaffe &
I. Voln Gij qui
2696 MERCURE DE FRANCE
qui ont foupé avec lui. Voicy ce qu'il
avoie lui être échappé :
Moy , fans m'imaginer vous faire aucune injure
,
Je coulai mes avis dans ce libre murmure ,
Et mon fein à ma voix s'ofant trop confier
Ce difcours m'échappa ; je ne le puis nier :
Comment , dis-je , mon Pere accablé de
d'âge ,
Et , fa force à prefent fervent mal fon courage,
Ne fe décharge- t- il avant qu'y fuccomber ,
D'un pénible fardeau qui le fera tomber ? &c.
tant
Voilà Venceflas inftruit d'un nouveau
crime qu'il pouvoit ignorer , & Ladiflas
très-imprudent de le confeffer ,fans y être
déterminé que par une plainte qui peut
n'être faite qu'au hazard. J'ai vu un pareil
trait dans une Comédie : Un Valet
pour obtenir grace pour un crime dont
on l'accufe , en confeffe plufieurs que fon
Maître ignore ; encore ce Valet eft-il plus
excufable, puifque l'épée dont on feint de
le vouloir percer , lui a troublé la raiſon;
au lieu que Ladiflas s'accufe de fang froid
devant un Pere qui l'aime , & qui vient
de lui dire :
Parlez , je gagnerai vaincu , plus que vainqueur
;
J. Vol. Je
DECEMBRE. 1730 : 2697
Je garde encor pour vous les fentimens d'un
Pere ;
Convainquéz-moi d'erreur ; elle me fera chere
-
Je fçais qu'on pourroit répondre à mon
objection ; que Ladiflas pouvoit fçavoir
qu'on avoit fait au Roy un fidele raport
de tout ce qui s'étoit dit à table ; mais
en ce cas là il faudroit en inftruire les
Spectateurs qui ne jugent pas d'après de
fuppofitions ; ainfi Ladiflas auroit dû dire
au Roy fon Pere : Je fçai qu'on vous a inf
trait ; ou l'équivalant. Il eft vrai qu'il
femble le dire par ce Vers :
J'apprends qu'on vous la dit , & ne m'en´ deffends
point.
Mais j'apprends, ne veut pas
dire qu'on
le lui ait apptis auparavant ; il feroit
bien plus pofitif de dire :je fçai qu'on
vous l'a dit
Ladiflas n'a garde de convenir que Ic
portrait que fon Pere vient de faire de
lui , foit d'après nature's bien loin delà
il l'accufe d'injufte prévention par ce'
Vers :
de ma part tout vous choque & vous
Encor que
bleffe , &c.
>
Pour ce qui regarde fa haine pour le
Giij Due I. Vol.
2698 MERCURE DE FRANCÈ
ſon Duc de Curlande,& fon averfion pour
Frere ,il ne s'abbaiffe à l'excufer que pour
,
s'y affermir. Voicy comme il s'explique :
J'en hais l'un , il eft vrai , cet Infolent Miniftre
,
Qui vous eft précieux autant qu'il m'eſt ſiniſtre ;
Vaillant , j'en fuis d'accord ; mais vain , fourbe ,
Aateur ,
Et de votre pouvoir , fecret ufurpateur , & c.
Mais s'il n'eft trop puiffant pour craindre ma
colere ,
Qu'il penfe murement au choix de fon falaire ,
&c.
&
Ce derniers vers fuppofe , comme il
eft expliqué un peu un peu auparavant
beaucoup plus dans la fuite , que Venceflas
a promis au Duc de lui accorder la
premiere grace qu'il lui demanderoit , en
faveur des fervices fignalez qu'il a rendus
à l'Etat. C'eſt pour cela que Ladiflas
ajoute :
Et que ce grand crédit qu'il poffede à la
Cour ,
S'il méconnoit mon rang , reſpecte mon amour,
Ou tout brillant qu'il eft , il lui fera frivole ,
Je n'ay point fans fujet , lâché cette parole ,
Quelques bruits m'ont appris jufqu'où vont fes
deffeins ;
I. Vol.
Et
DECEMBRË. 1730. 2699
Et c'eſt un des fujets , Seigneur , dont je më
plains.
Voicy ce qu'il dit au fujet de l'Infant.
Pour mon Frere , après fon infolence
Je ne puis m'emporter à trop de violence ;
Et de tous vos tourmens , la plus affreuſe horreur
Ne le fçauroit fouftraire à ma jufte fureur , &c.
L'humeur infléxible de ce Prince obli
ge fon Pere à prendre les voyes de la
douceur ; il convient qu'il s'eft trompés
il l'embraffe , & lui promet de l'affocier à
fon Thrône. C'eſt par là feulement qu'il
trouve le fecret de l'adoucir , & de lui
arracher ces paroles , peut-être peu finceres
;
>
De votre feul repos dépend toute ma joye ;
Et fi votre faveur , jufques -là fe déploye ,
Je ne l'accepterai que comme un noble emplois
Qui parmi vos fujets fera compter un Roy.
L'Infant vient pour fe juftifier du manque
de refpect dont fon Frere l'accufe ,
le Royle reçoit mal en apparence , & dit
à
part :
A quel étrange office , amour me réduis -tu ,
De faire accueil au vice & chaffer la vertu ?
1
I. Vol.
G iiij Ven
2700 MERCURE DE FRANCE
Venceslas ordonne à l'Infant de deman
der pardon à Ladiflas , & à Ladiſtas de
tendre les bras à fon Frere . Ladiflas n'obéit
qu'avec répugnance ; ce qu'il fait
connoître par ces Vers qu'il adreffe à l'Infant.
'Allez , & n'imputez cet excès d'indulgence ' ;
Qu'au pouvoir abſolu qui retient ma vengeance :
Le Roy fait appeller le Duc de Curlande
pour le réconcilier avec Ladiflas :
cette paix eft encore plus forcée que l'autre.
Venceflas preffe le Duc de lui demander
le prix qu'il lui a promis . Le
Duc lui obeït & s'explique ainfi :
Un fervage , Seigneur , plus doux que votre Em
pire ,
Des flammes & des fers font le prix où j'aſpire…..?
Ladiflas ne le laiffe
pas achever , &
lui dit :
Arrêtez , infolent , & c.
Le Duc fe tait par reſpect & ſe retire
avec l'Infant.
Le Roy ne peut plus retenir fa colere ,
il dit à ce Fils impétueux , qu'il ménage
mal l'efpoir du Diadême , & qu'il hazarde
même la tête qui le doit porter. Il le
quitte .
Je m'apperçus , Madame , que ces man-
I. Vol. ques
DECE MBRE. 1730: 2701
paques
de refpect , réïterés coup fur coup ;
en prefence d'un Roy ; vous revoltérent
pendant toute la réprefentation , je ne le
trouvai pas étrange , & je fentis ce que
vous fentiez . On auroit pû paffer de
reilles infultes dans les Tragedies qu'on
repreſentoit autrefois parmi des Républicains
; on ne cherchoit qu'à rendre les
Rois odieux ; mais dans un état monarchique
, on ne fçauroit trop refpecter le
facré caractere dont nos Maîtres font revêtus.
Dans la derniere Scene de ce premier
Acte on inftruit les Spectateurs de ce qui
a donné lieu à l'emportement de Ladif- .
las , & à l'infulte qu'il a faite au Duc en
prefence du Roy fon Pere. Ce Prince violent
croit que le Duc eft fon Rival. Ce--
pendant il ne fait que prêter fon nom
à l'Infant . Cela ne fera expofé qu'à la fin
de l'Acte fuivant , je crois qu'on auroit
mieux fait de nous en inftruire dès le
commencement de la Piéce.-
ACTE II
Theodore , Infante de Mofcovie , com
mence le fecond Acte avec Caffandre ,
Ducheffe de Cuniſberg . Elle lui parle ens
faveur de Ladiflas qui lui demande fas
main Caffandre s'en deffend par ces
Gy. Now
Vers :
LVola
2902 MERCURE DE FRANCE
Non , je ne puis fouffrir en quelque rang qu'if
monte ,
L'ennemi de ma gloire & l'Amant de ma honte ,
Et ne puis pour Epoux vouloir d'un ſuborneur ,
Qui voit qu'il a fans fruit attaqué mon honneur
L'Infant n'oublie rien pour appaifer
la jufte colere de Caffandre ; mais cette
derniere ne dément point ſa fermeté , &
découvre toute la turpitude des amours
de Ladiflas , par ces mots :
Ces deffeins criminels , ces efforts infolens ,
Ces libres entretiens , ces Meffages infames ,
. L'efperance du rapt dont il flattoit fes flammes ,
Et tant d'autres enfin dont il crut me toucher
Aufang de Cunisberg fe pourroient reprocher.
Je conviens avec vous , Madame,qu'un
amour auffi deshonorant que celui - là ,
n'eft pas fait pour la majefté de la Scene
Tragique, & qu'il doit faire rougir l'objet
à qui il s'adreffe . On a beau dire que
cela eft dans la nature ; il faudroit qu'il
fut dans la belle nature , & je doute qu'on
pafsât de pareilles images dans nos Comédies
d'aujourd'hui , tant le Théatre
eft épuré.
Ladiflas vient ſe joindre à fa four , pour
éblouir les yeux de Caffandre , par l'offre
d'une Couronne ; mais elle lui répond
avec une jufte indignation..
Me
DECEMBRE. 1730. 2703
Me parlez - vous d'Hymen & voudriez-vous.
pour femme
L'indigne & vil objet d'un impudique flamme ?
Moi ? Dieux ! moi ? la moitié d'un Roy d'un
Potentat !
Ah ! Prince , quel prefent feriez - vous à l'Etat >
De lui donner pour Reine une femme ſuſpecte
Et quelle qualité voulez - vous qu'il reſpecte ,
En un objet infame & fi peu refpecté ,
Que vos fales défirs ont tant follicité ?
Tranchons cette Scene , elle eft trop
révoltante. Ladiflas voyant que Caffandre
eft infléxible , s'emporte jufqu'à lui
dire , qu'il détefte fa vie à l'égal de la mort.
Caffandre faifit ce prétexte pour fe retirer.
Ladiflas court après elle ; il prie fa
foeur de la rappeller ; & fe repentant un
moment après de la priere qu'il vient
de lui faire; il dit qu'il veut oublier cette
ingrate pour jamais , & qu'il va preffer
fon Hymen avec le Duc qu'il croit fon
Rival, cette erreur produit une fituation ,
L'Infante qui fe croit aimée du Duc , &
qui l'aime en fecret , ne peut apprendre
fans douleur qu'il aime Caffandre. Elle /
fait connoître dans un Monologue ce qui
fe paffe dans fon coeur . On vient lui dire
que le Duc demande à lui parler. Elle le
fait renvoyer , fous prétexte d'une indif
1.Vol. Gvj pofi2704
MERCURE DE FRANCE
pofition . L'Infant vient pour fçavoir quelle
eft cette indifpofition ; il la confirme
dans fon erreur , il fait plus, il la prie de
fervir le Duc dans la recherche qu'il fait
de Caffandre ; l'Infante n'y peut plus tenir,
& fe retire , en difant :
Mon mal s'accroît , mon Frere , agréez ma re÷
traite.
Rien n'eft plus Théatral que ces fortes:
'de Scenes ; mais quand le Spectateur n'y
comprend rien , fon ignorance diminuë
fon plaifir ; il plaît enfin à l'Auteur de
nous mettre au fait , par un Monologue
qui finit ce fecond Acte ; & j'ofe avancer
que l'explication ne nous inftruit guére
mieux que le filence . Voicy comment
s'explique l'Infant dans fon Monologue.
O fenfible contrainte ! ô rigoureux ennui ,,
D'être obligé d'aimer deffous le nom d'autrui !
Outre que je pratique une ame prévenuë ,
Quel fruit peut tirer d'elle une flamme inconnuë?
Et que puis - je efperer fous cet afpect fatal ,
Qui cache le malade en découvrant le mal ? &c
Les deux premiers Vers nous apprennent
que l'Infant aime fous le nom d'au
trui ; mais les quatre fuivans me paroiffent
une énigme impénétrable : que veut
dire Rotrou , par ces mots ? Je pratique
L.. Kol.
une
DECEMBRE. 1730: 2705
1
une ame prévenuë ; & que pouvons - nous
entendre par cette flamme inconnue, & par
ce malade qui fe cache en découvrant le mal?
Eft ce que le Duc feint d'aimer Caffandre
aux yeux de Caffandre même ? Ne feroitil
pas plus naturel
que Caffandre fut inftruite
de l'amour de l'Infant , & qu'elle
confentit , pour des raifons de politique ,
à faire pafler le Duc pour fon Amant ?
Je crois que c'eft-là le deffein de l'Auteur
, quoique les expreffions femblent
infinuer le contraire ; quoiqu'il en foit ,
l'Infant ne devroit pas expofer , par cette
erreur , le Duc à la fureur de fon Frere ,-
pour s'en mettre à couvert lui- même.
D'ailleurs le Duc aimant l'Infante, com--
me nous le verrons dans la fuite , ne doit
pas naturellement le prêter à un artifice
qui le fait paffer pour Amant de Caf
fandre.
ACTE IM.-
Cet Acte paroît le plus deffectueux : Je
paffe légerement fur les premieres Scénes,
qui font tout-à-fait dénuées d'action . Let
Duc commence la premiere Scene par un
Monologue , dans lequel il réfléchit fur
la feinte maladie de l'Infante , pour lui
interdire fa préfence ; il préfume de cette
deffenfe, qu'elle eft inftruite de fon amour,
ou du moins qu'elle le foupçonne par le
L.Vol. demí.
2706 MERCURE DE FRANCE
1
demi aveu qu'il en a fait au Roy , quand
Ladiflas lui a deffendu d'achever ; il fe
détermine à aimer fans efperance .
Dans la feconde Scéne , l'Infant le
preffe de lui découvrir quels font fes.
chagrins ; ille foupçonne d'aimer Caffandre.
Le Duc détruit ce foupçon , fans
pourtant lui avouër fon veritable amour.
Dans la troifiéme , Caffandre preffe l'Infante
de la délivrer de la perfécution de
fon Frere, par l'Hymen dont il veut bien
l'honorer. Pour la quatrième , elle eſt
fi indigne du beau tragique , qu'il feroit
à fouhaiter qu'elle ne fut jamais fortie de
la plume d'un Auteur auffi refpectable
que Rotrou. En effet , quoi de plus bas
que ces Vers qui échapent à Ladiflas
dans une colere qui reffemble à un fang
froid. C'eft à Caffandre qu'il parle :
Je ne voi point en vous d'appas fi furprenans ,
Qu'ils vous doivent donner des titres éminens ;
Rien ne releve tant l'éclat de ce vifage ,
Où vous n'en mettez pas tous les traits en uſage ;
Vos yeux , ces beaux charmeurs , avec tous leurs
ap pas ,
Ne font point accufés de tant d'affaffinats , &c.
Pour moi qui fuis facile , & qui bien- tôt me
bleffe ,
Votre beauté m'a plû , j'avouerai ma foibleffe ;
Et m'a couté des foins , des devoirs & des pas ;
J. Vola Mais
DECEMBRE . 1730. 2707
Mais du deffein,je croi que vous n'en doutez pas,
&c.
Dérobant ma conquête elle m'étoit certaine ;
Mais je n'ai pas trouvé qu'elle en valût la peine.
Peut- on dire en face de fi grandes impertinences
? On a beau les excufer par le
caractere de l'Amant qui parle ; de pareils
caracteres ne doivent jamais entrer
dans la Tragedie.
Ladiflas fe croit fi bien guéri de fon
amour , qu'il promet au Duc , non - feulement
de ne plus s'oppofer à fon Hymen
avec Caffandre , mais même de le preffer .
Venceslas vient , il conjure le Duc de le
mettre en état de dégager la parole . Le
Duc le réfout enfin à s'expliquer , puifque
le Prince ne s'oppofe plus à fes défirs;
mais le Prince impetueux lui coupe encore
la parole , ce qui fait une efpece de Scéne"
doublée ; le Roy s'emporte pour la premiere
fois , jufqu'à l'appeller infolent. Ladiflas
daigne auffi s'excufer pour la pre
miere fois fur la violence d'une paffion
qu'il a vainement combattue. Il fort enfint
tout furieux , après avoir dit à fon Pere ::
Je fuis ma paffion , fuivez votre colere ;
Pour un Fils fans refpect , perdez l'amour d'un
Pere ;
Tranchez le cours du temps à mes jours deſtiné;
I. Vol
Ec
2708 MERCURE DE FRANCE
Ét reprenez le ſang que vous m'avez donné ; ·
Ou fi votre juſtice épargne encor ma tête ,-
De ce préfomptueux rejettez la requête ,
Et de fon infolence humiliez l'excès , '
Où fa mort à l'inftant en ſuivra le ſuccès.
Le Roy ordonne qu'on l'arrête ; c'eſt - là
le premier Acte d'autorité qu'il ait encore
fait contre un fi indigne Fils . Paffons
à l'Acte fuivant , nous y verrons une in
finité de beautez , contre un très - petit
nombre de deffauts.
ACTE IV..
L'action de cet Acte fe paffe pendant
le crepufcule du matin ; un fonge terrible
que l'Infante a fait , l'a obligée à
fortir de fon appartement ; ainfi ce fonge
qui d'abord paroît inutile, eft ingénieu
fement imaginé par l'Auteur , & donne
lieu à une tres - belle fituation , comme on
va le voir dans la feconde Scéne ; s'il y a
ya
quelque chofe à reprendre dans ce fonge,,
c'eft que l'Infante a vû ce qui n'eft pas
arrivé , & n'arrivera pas.
Hélas ! j'ai vu la main qui lui perçoit le flanc
J'ai vu porter le coup , j'ai vâ couler ſon fang ;
Du coup d'un autré main , j'ai vû voler fa tête
Pour recevoir fon corps j'ai vu la tombe prête .
I. Vol En
DECEMBRE: 1730. 2709
En effet ce n'eft pas à Ladiflas qu'on
a percé le flanc ; & pour ce qui regarde
eette tête qui vole du coup d'une autre
main ; le fonge n'eft , pour ainfi dire
qu'une Sentence comminatoire ; mais
voyons les beautez que cette légere faute
va produire.
"
Ladiflas paroit au fond du Théatre
bleffé au bras , foûtenu par Octave , font
confident. Voilà le fonge à demi expli
qué ; mais c'eft le coeur de l'Infante &
non du Prince , qui eft veritablement
percé. Ladiflas lui apprend qu'un avis
qu'Octave lui a donné de l'Hymen , du
Düc & de Caffandre , l'ayant mis au défefpoir
, l'a fait tranfporter au Palais de
cette Princeffe ; & qu'ayant apperçu le
Duc qui entroit dans fon appartement ,
il l'a bleffé à mort de trois coups de Poigard
; l'Infante ne pouvant plus contenir
fa douleur , à cette funefte nouvelle fe retire
pour dérober fa foibleffe aux yeux
de fon Frere : Elle fait connoître ce qui
fe paffe dans fon coeur par cet à parte :-
Mon coeur es -tu fi tendre ,
Qué de donner des pleurs à l'Epoux de Caffan
dre ,
Et vouloir mal au bras qui t'en a dégagé ?
Get Hymen t'offençoit , & fa mort t'a vengé.
Le jour qui commence à naître , oblige
I. Vol. La
C
2710 MERCURE DE FRANCÈ
Ladiflas à fe retirer ; mais Venceflas furvient
& l'apperçoit.Surpris de le voir levé
fi matin , il lui en demande la caufe , par
ces Vers :
Qui vous réveille donc avant que la lumiere ,
Ait du Soleil naiffant commencé la carriere.
"
Le Prince lui répond :
N'avez-vous pas auffi précédé fon réveil
Cela donne lieu à une tirade des plus
belles de la Piece. La voici , c'eft Vencel
las qui parle :
Oui , mais j'ai mes raiſons qui bornent mor
fommeil.
Je me voi , Ladiflas , au déclin de ma vie ,
Et fçachant que la mort l'aura bien - tôt ravie ,
Je dérobe au fommeil , image de la inort ;
Ce que je puis du temps qu'elle laiffe à mon
fort.
Près du terme fatal preſcrit par la nature
Et qui me fait du pied toucher ma ſépulture ,
De ces derniers inftants dont il preffe le cours ;
Ce que j'ôte à mes nuits , je l'ajoute à mes jours ,
Sur mon couchant enfin ma débile paupiere ,
Me ménage avec foin ce refte de lumiere ;
Mais quel foin peut du lit vous chaffer ſi matin
Vous à qui l'âge encore garde un fi long deſtin .
Ces beaux fentimens font fuivis d'un
I. Vol. coup
DECEMBRE. 1730. 2711
coup de théatre qui part de main de
Maître. Ladiflas preffé par fes remords
déclare à fon Pere qu'il vient de tuer le
Duc ; mais à peine a - t-il fait cet aveu ,
que le Duc paroît lui - même ; quelle
agréable furpriſe pour Venceflas la
que
nouvelle de la mort vient d'accabler ! &
quelle furprife pour Ladiflas qui croit
Favoir percé de trois coups de Poignard
!
Caffandre annoncée par le Duc , va bientôt
éclaicir cet affreux myftere ; elle vient
demander vengeance
de la mort de l'Infant.
yeux
de
Ce qui peut donner lieu à la critique
c'eſt un hors- d'oeuvre de cinquante vers ,
avant que de venir au fait. Je fçais , que
l'Auteur avoit befoin d'apprendre au Roy
que le Duc avoit prêté fon nom à l'Infant
, pour cacher fon amour aux
fon Frere ; mais cette expofition devoit
être placée ailleurs , ou mife icy en moins
de vers. Le refte de la Scene eft tres-pathetique;
elle jouë veritablement un peu trop
fur les mots. Vous en allez juger par ces
fragmens,
C'est votre propre fang , Seigneur , qu'on a
verfé ;
Votre vivant portrait qui fe trouve effacé ...
Vengez -moi , vengez-vous, & vengez un Epoux;
Que, veuve avant l'Hymen , je pleure à vos ge-
Mais поих.
2712 MERCURE DE FRANCE
Mais , apprenant , grand Roy , cet accident fi
niftre ,'
Hélas ! en pourriez - vous foupçonner le Miniftre?
Oui , votre fang fuffit , pour vous en faire foy ;
Il s'émeut , il vous parle, & pour & contre foy ,
Et par un fentiment enſemble horrible & tendre ,
Vous dit que Ladiſlas eſt méutrier d'Alexandre ...
Quel des deux fur vos fens fera le plus d'effort
De votre Fils meurtrier ou de votre Fils mort?
La douleur s'explique- t-elle en termes
fi recherchez ? Et n'eft- ce pas à l'efprit à fe
taire,quand c'eft au coeur feulement à par
ler?Je ne fçais même ſi ce vers tant vanté:
Votre Fils l'a tiré du fang de votre Fils :
eft digne d'être mis au rang des vers
frappés ; on doit convenir au moins què
l'expreffion n'en eft pas des plus juftes ;
en effet , Madame , un Poignard ne peutil
pas être tiré du fein , par une main innocente
, & même fecourable ?
Finiffons ce bel Acte. Venceslas promet
à la Ducheffe la punition du coupable . Il
ordonne à fon Fils de lui donner fon épée.
Ladiflas obéit , des Gardes le conduilent
au lieu de fureté ; le Roy dit au Duc :
De ma part donnez avis au Prince ,´
Què fa tête autrefois fi chere à la Province ,`
I. Vol. Doir
DECEMBRE . 1730. 2713
Doit fervir aujourd'hui d'un exemple fameux
Qui faffe détefter fon crime à nos neveux.
Venceflas fait connoître ce qui fe paſſe
dans fon coeur par cette exclamation .
Au gré
O ciel , ta Providence apparemment profpere ,
de mes
ſoupirs de deux Fils m'a fait Pere ,
Et l'un d'eux qui par l'autre aujourd'hui m'eft
ôté ,“
M'oblige à perdre encore celui qui m'eſt reſté .
7
Ce quatriéme Acte paffe pour être le
plus beau de la Piéce ; cependant celui
que nous allons voir , ne lui eft guére inférieur.
ACTE V.
que
Rien n'eft fi beau , que la réfolution
l'Infante forme dès le commencement ,
d'exiger du Duc qu'il borne à la grace de
Ladiflas la promeffe que le Roy lui a faite.
Le procédé du Duc n'eft pas moins heroïque
, il renonce à la poffeffion de l'objet
aimé , en faveur du plus mortel de fes
ennemis. La fituation de Venceflas eft des
plus touchantes , & fon ame des plus fer
mes. Il le fait connoître par ces Vers.
Tréve , tréve nature , aux fanglantes batailles
Qui , fi cruellement déchirent mes entrailles ,
Et me perçant le coeur le veulent partager ,
Entre mon Fils à perdre , & mon Fils à venger!
I. Vol. 发票
2714 MERCURE DE FRANCE
A ma juſtice en vain ta tendreffe eft contraire ,
Et dans le coeur du Roi cherche celui de
Je me fuis dépouillé de cette qualité ,
Et n'entends plus d'avis que ceux de l'équité, & c,
pere ;
La Scene qui fuit ce Monologue a des
beautés du premier ordre ; elle eſt entre
le pere & le fils. Je ne puis mieux en faire
fentir la force que par le Dialogue.
Ladiflas.
Venez-vous conſerver ou venger votre race ?
M'annoncez-vous , mon pere , ou ma mort , of
ma grace ?
Venceslas pleurant.
Embraffez-moi , mon fils .
Ladiflas
Seigneur , quelle bonté ?
Quel effet de tendreffe , & quelle nouveauté ?
Voulez - vous ou marquer , ou remettre mes peines
?
Et vos bras me font- ils des fayeurs , ou des chaî
nes ?
Venceslas pleurant toujours.
Avecque le dernier de mes embraffemens
Recevez de mon coeur les derniers fentimens,
Sçavez-vous de quel fang vous avez pris naiſfance
?
I. Vol. Ladiflas
DECEMBRE. 1730. 2715
Ladiflas.
Je l'ai mal témoigné ; mais j'en ai connoiffance.
Venceslas.
Sentez-vous de ce fang les nobles mouvemens ?
Ladiflas.
Si je ne les produis , j'en ai les fentimens.
Venceflas.
Enfin d'un grand effort vous fentez - vous capable
?
Ladifas.
Oui , puifque je réſiſte à l'ennui qui m'accable ,
Et qu'un effort mortel ne peut aller plus loin.
Venceslas.
Armez-vous de vertu vous en avez beſoin.
;
Ladifas.
S'il eft tems de partir , mon ame eft toute prête,
Venceslas.
L'échafaut l'eſt auffi ; portez-y votre tête &c.
fon
Tout le refte de cette Scene répond
aux fentimens que ces deux Princes viennent
de faire paroître. Ladiflas fe foumet
à fon fort ; il témoigne pourtant que
pere porte un peu trop loin la vertu d'un
Monarque : voici comme il s'exprime par
un à parte.
2716 MERCURE DE FRANCE
O vertu trop fevere !
VinceДlas vit encor , & je n'ai plus de pere.
Vinceflas eft fi ferme dans la réfolutiqn
qu'il a prife de n'écouter que la voix de
la juftice , qu'il refufe la grace du Printe
aux larmes de l'Infante & à la genérofité
de Caffandre ; le Duc même n'eft pas fûr
de l'obtenir ; il ne la lui accorde , ni ne
la lui refufe , & il ne fe rend qu'à une
efpece de fédition du peuple.
S'il y a quelque chofe à cenfurer dans
ce cinquiéme Acte , c'eft d'avoir fait prendre
le change aux fpectateurs. La premiere
grace promife au Duc dès le commencement
de la Piéce , fembloit être le
grand coup refervé pour le dénouement :
je ne fçais , Madame , fi vous ne vous by
étiez pas attendue comme moi ; car, enfin
, à quoi bon cette récompenfe fi folemnellement
jurée au Duc pour avoir fauvé
l'Etat , fi elle ne devoit rien produire ?
je conviens qu'elle influe dans la grace
du-Prince ; mais j'aurois voulu qu'elle én
fut la caufe unique & néceffaire ; cependant
cela ne paroît nullement dans les
motifs de la grace. C'eft Venceflas qui
parle
Qui , ma fille , oui , Caffandre , oui , parole
oùi , nature
I. Vol. Qüii
DECEMBRE . 1730. 2717
K
Oui , peuple , il faut vouloir ce que vous fouhaitez
,
Et par vos fentimens regler mes volontés.
Je fçai que tous ces motifs enfemble
rendent la grace plus raifonnable ; mais
elle feroit plus theatrale, fi après avoir refifté
à toute autre follicitation , Venceflas
ne fe rendoit qu'à la foi promife ; le Duc
même s'en eft flatté , quand il a ofé dire
à fon Maître :
J'ai votre parole , & ce dépot facré
Contre votre refus m'eft un gage affuré.
Il ne me refte plus qu'à examiner l'abdication
; elle n'eft pas tout-à- fait hors
de portée des traits de la cenfure . Quel
eft le motif de cette abdication ? le voici :
La juftice eft aux Rois la Reine des vertus.
Mais cette juftice ordonne- t'elle qu'on
mette le fer entre les mains d'un furieux?
Qui peut répondre à Venceslas que le repentir
de fon fils foit fincere ? Ne vientpas
de dire lui-même à Caffandre ? il
Ce Lion eft dompté ; mais peut-être , Madame
,
Celui qui fi foumis vous déguiſe ſa flamme ,
Plus fier , plus violent qu'il n'a jamais été ,
Demain attenteroit fur votre honnêteté ;
I. Vel H Peut2718
MERCURE DE FRANCE
Peut- être qu'à mon fang fa main accoutumée
Contre mon propre fein demain feroit armée.
Ne vaudroit - il pas
mieux que Venceflas
employât le peu de tems qui lui reste à
vivre à rendre fon fils plus digne de regner
? Et devroit- il expofer fon peuple
aux malheurs attachés à la tyrannie ? un
changement fi promt eft toujours fufpect,
& furtout dans un Prince auffi plongé &
auffi affermi dans le crime que Ladiflas.
Pour moi , Madame , fi la vertu de Venceflas
n'avoit brillé dans toute la Piéce ,
je ferois tenté de croire qu'il punit le
peuple d'avoir défendu un Prince fi indigne
de le gouverner. En effet n'eft-ce
pas ici le langage du dépit :
Et le Peuple m'enſeigne
Voulant que vous viviez , qu'il eft las que je regne
.
Je n'examine point la force de cette
abdication ; il a plû à Rotrou de faire la
Couronne dePologne moitié hereditaire ,
moitié élective : Venceflas le fait connoître
par ces Vers :
Une Couronne , Prince & e.
En qui la voix des Grands & le commun fuffrage
M'ont d'un nombre d'Ayeuls confervé l'herita¬
ge &c.
Regnez ; après l'Etat j'ai droit de vous élire ,
I. Vol
Et
DECEMBRE 1730. 2719
Et donner , en mon fils , un pere à mon Empire
Quel Pere lui donne- t'il ? Eft - ce là cette
juftice dont il fait tant de parade ?
Vous voyez , Madame , par tout ce que
je viens de remarquer dans la Tragédie
de Venceflas , que vos dégouts pour cette
Piéce ont été affez fondés. Pouvoit-elle
plus mal finir que par la récompenfe du
crime , & par l'oppreffion de la vertu ?
il femble l'Auteur en ait voulu annoncer
la catastrophe dès le commencement
, quand il a fait dire à VenceЛlas :
que
A quel étrange office , Amour , me réduis - tu ,
De faire accueil au vice , & chaffer la vertų.
Ce dernier Vers eft une espece de prophetie
justifiée par un dénouement auquel
on ne fe feroit jamais attendu.
Cela n'empêche pas que cette Tragédie
ne foit remplie de grandes beautés , &
qu'elle n'ait au moins trois Actes dignes
du grand Corneille. Je ne doute point
Madame , que vous ne rendiez cette juftice
à un Ouvrage qui s'eft confervé ſi
long- tems fur notre Théatre , & qui peut
s'affurer de l'immortalité fur la foi des
derniers applaudiffemens qu'il vient de
recevoir. Permettez - moi de finir cette
Lettre , en vous renouvellant les témoignages
de la plus parfaite eftime.
fur la Tragedie de Venceflas.
Neté à peu fenfible aux beautez qui
E rougiffez pas , Madame , d'avoir
font répandues dans la Tragedie de Venceflas
; ce n'eft point par des applaudiffemens
qu'un efprit auffi délicat que le vôtre
doit fe déterminer. Un Acteur , tel que
Baron , peut prêter des graces aux endroits
d'une Tragédie , même les plus rebutanss
les fuffrages deviennent alors tres- équi-
I. Vol. yoques
2690 MERCURE DE FRANCE
voques , & l'on peut le tromper quand
on en fait honneur à l'Auteur.Ce n'eft pas
qu'il n'y ait de grandes beautez dans cette
Tragedie. Rotrou étoit un de ces génies
que la nature avare ne donne que de ſiécles
en fiécles ; le grand Corneille n'a pas
dédaigné de l'appeller fon Pere & lon
Maître;& fa fincerité avoit autant de part
que fa modeſtie à des noms fi glorieux ;
mais ce qui excitoit l'admiration dans un
temps où le Théatre ne faifoit que de naî
tre , ne va pas fi loin aujourd'hui ; on fe
contente d'eftimer ce qui a autrefois étonné
, & pour aller jufqu'à la furpriſe , on a
befoin de fe tranfporter au premier âge
des Muſes. Tel étoit celui de Rotrou , par
rapport à la Tragédie ; ceux qui avoient
travaillé avant lui dans ce genre de Poëfie
que Corneille & Racine ont élevé fi
haut , ne lui avoient rien laiffè qui pût
former fon goût ; de forte que la France
doit confiderer Rotrou comme le créateur
du Poëme Dramatique , & Corneille
comme le reftaurateur. Vous voyez ,
Madame , que cela pourroit fuffire pour
juftifier vos dégouts ; je veux aller plus
loin , & parcourir également les beautez
& les défauts de la Tragedie de Venceſlas
, pour pouvoir en porter un jugement
équitable.
1. Vol.
ACTE
DECEMBRE. 1730. 2691
Į
ACTE I.
Venceflas ouvre la Scene fuivi de
Ladifas & d'Alexandre fes fils ; il faut
retirer le dernier par ce vers adreffé à
tous les deux .
Prenez un fiége , Prince , & vous, Infant, ſortez.
Alexandre lui répond.
J'aurai le tort , Seigneur , fi vous ne m'écoutez.
Ce fecond vers eft un de ceux qu'il
faut renvoyer au vieux temps. J'aurai le
tort, n'eft plus françois , mais ce n'eft pas
la faute de l'Auteur . Que vous plaît-il ? cft
trop profaïque & trop vulgaire ; il n'étoit
pas tel du temps de Rotrou. Paffons
à quelque chofe de plus effentiel. Voici
des Vers dignes des fiécles les plus éclai
rez ; c'eſt Venceflas qui parle à Ladiflas.
Prêtez- moi , Ladiflas , le coeur avec Poreille
J'attends toujours du temps qu'il meuriffe le
fruit ,
Que pour me fucceder , ma couche m'a produit
Et je croyois , mon Fils , votre Mere immor,
relle ,
Par le refte qu'en vous elle me laiffa d'elle ;
Mais hélas ! ce portrait qu'elle s'étoit tracé ,
Perd beaucoup de fon luftre , & s'eft bien effacé
Ne
2692 MERCURE DE FRANC .
:
Ne diroit - on pas que c'eft Corneille
qui parle ? Ces Vers nous auroient , fans
doute , fait prendre le change , s'ils n'avoient
été précédez de cet à parte de
Ladiflas.
Que la Vieilleffe fouffre , & fait fouffrir autrui !
Oyons les beaux avis qu'un flatteur lui confeille
:
Quelle difparate ! tout ce que Venceflas
dit dans cette Scene , eft mêlé de petites
fautes , & de grandes beautez ; les
fautes font dans l'expreffion , les beautez
dans les penfées . Il y a pourtant dans ces
dernieres quelque chofe qui dégrade le
pompeux Dramatique : C'eft l'indigne
portrait que Venceflas fait d'un Fils qui
doit lui fucceder , & qui lui fuccede en
effet à la fin de la pièce. Le voicy ce
Portrait ;
S'il faut qu'à cent rapports ma créance réponde
,
Rarement le Soleil rend la lumiere au monde ;
Que le premier rayon qu'il répand icy bas ,
N'y découvre quelqu'un de vos affaffinats.
Où du moins on vous tient en fi mauvaiſe eftime,
Qu'innocent ou coupable , on vous charge du
crime ,
Et que vous offenfant d'un foupçon éternel ,
Aux bras du fommeil même, on vous fait criminel.
I. Vol. Quel
DECEMBRE . 1730. 2693
Quel correctif que ces quatre derniers
vers ! dans quelle eftime doit être un
Prince à qui on impute tous les crimes
que la nuit a dérobés aux regards du Public
? De pareils caracteres ont-ils jamais
dû entrer dans une Tragédie ? Mais dans
le refte de la Piéce , les difcours & les actions
de ce monftre iront plus loin que
le portrait.
Ce qu'il y a de plus furprenant , c'eſt
que Ladiflas , tel qu'il eft , trouve encore
le fecret de le faire aimer. On en peut ju¬
ger par ces Vers.:
Par le fecret pouvoir d'un charme que j'ignore,
Quoiqu'on vous meſeftime , on vous chérit encore
;
Vicieux , on vous craint , mais vous plaifez heureux
Et pour vous l'on confond le murmure & les
voeux.
J'avoue, Madame , que je ne comprends
pas le vrai fens de ce vers :
Vicieux , on vous craint ; mais vous plaifez heureux.
Vicieux & heureux, nefont pas faits pour
faire une jufte oppofition ; l'Auteur ne
voudroit-il pas dire , que malgré les vices
qui le font craindre , Ladiflas a le bon-
I. Vol
.G heur
2694 MERCURE DE FRANCE
heur de plaire ? Quoique ce vers puifle
fignifier , on ne fçauroit difconvenir qu'il
n'ait un fens bien louche . Mais que de
beautés fuivent ces petits deffauts ! Vous
en allez juger par cette belle tirade : c'eft
toujours Venceslas qui parle à fon Fils.
Ah ! méritez , mon Fils , que cet amour vous
dure ;
Pour conferyer les voeux , étouffez le murmure
Et regnez dans les coeurs par un fort dépendant
Plus de votre vertu que de votre aſcendant ;
Par elle rendez - vous digne du diadême ;
Né pour donner des loix , commencez par vous
même ;
Et que vos paffions , ces rebelles fujets ,
De cette noble ardeur foient les premiers objets .
Par ce genre de regne , il faut meriter l'autre
Par ce dégré , mon Fils , mon Thône fera vô
tre.
Mes Etats , mes Sujets , tout fléchira fous vous
Et , fujet de vous feul , vous regnerez fur tous .
>
2
?
Quand on trouve de fi grandes beautez
de détail dans une Piéce , on eft prefque
forcé à faire grace aux vices du fond;
& c'eft en cela feulement , Madame , que
je trouve vos dégouts injuftes . Voyons le
refte de cette Scene , qui eft dans le genre
déliberatif. Venceslas dans la leçon
qu'il fait à fon Fils , appuye fur trois
I. Vol, points
DECEMBRE . 1730. 2695
points ; fçavoir , fur les mauvais dépor
temens de fon Fils , fur fa haine pour fon
premier Miniftre , & fur l'averfion qu'il
a pour l'Infant. Ladiflas s'attache à répondre
exactement aux objections ; mais
il commence par convenir d'un reproche
que fon Pere ne lui a fait que d'une maniere
vague. Le voici :
Vous n'avez rien de Roy , que le défir de Pêtre
;
Et ce défir , dit -on , peu difcret & trop promt
En fouffre avec ennui le bandeau fur mon front.
Vous plaignez le travail où ce fardeau m'engage,
Et n'ofant m'attaquer , vous attaquez mon âge ,
&c.
Ce reproche doit- il obliger Ladiflas à
confeffer à fon Pere & à fon Roy , qu'il
eft vrai qu'il fouhaite la Couronne , &
qu'il lui eft échapé quelques difcours ?
Il fait plus , il cite le jour , où il a parlé
fi indifcretement fur une matiére fi délicate
:
Au retour de la Chaffe , hier affifté des micas
&c.
A quoi n'expofe- t-il pas les plus affidez
amis ? Sera- t- il bien difficile au Roy
de les difcerner ; il n'a qu'à fçavoir qui
font ceux qui l'ont fuivi à la Chaffe &
I. Voln Gij qui
2696 MERCURE DE FRANCE
qui ont foupé avec lui. Voicy ce qu'il
avoie lui être échappé :
Moy , fans m'imaginer vous faire aucune injure
,
Je coulai mes avis dans ce libre murmure ,
Et mon fein à ma voix s'ofant trop confier
Ce difcours m'échappa ; je ne le puis nier :
Comment , dis-je , mon Pere accablé de
d'âge ,
Et , fa force à prefent fervent mal fon courage,
Ne fe décharge- t- il avant qu'y fuccomber ,
D'un pénible fardeau qui le fera tomber ? &c.
tant
Voilà Venceflas inftruit d'un nouveau
crime qu'il pouvoit ignorer , & Ladiflas
très-imprudent de le confeffer ,fans y être
déterminé que par une plainte qui peut
n'être faite qu'au hazard. J'ai vu un pareil
trait dans une Comédie : Un Valet
pour obtenir grace pour un crime dont
on l'accufe , en confeffe plufieurs que fon
Maître ignore ; encore ce Valet eft-il plus
excufable, puifque l'épée dont on feint de
le vouloir percer , lui a troublé la raiſon;
au lieu que Ladiflas s'accufe de fang froid
devant un Pere qui l'aime , & qui vient
de lui dire :
Parlez , je gagnerai vaincu , plus que vainqueur
;
J. Vol. Je
DECEMBRE. 1730 : 2697
Je garde encor pour vous les fentimens d'un
Pere ;
Convainquéz-moi d'erreur ; elle me fera chere
-
Je fçais qu'on pourroit répondre à mon
objection ; que Ladiflas pouvoit fçavoir
qu'on avoit fait au Roy un fidele raport
de tout ce qui s'étoit dit à table ; mais
en ce cas là il faudroit en inftruire les
Spectateurs qui ne jugent pas d'après de
fuppofitions ; ainfi Ladiflas auroit dû dire
au Roy fon Pere : Je fçai qu'on vous a inf
trait ; ou l'équivalant. Il eft vrai qu'il
femble le dire par ce Vers :
J'apprends qu'on vous la dit , & ne m'en´ deffends
point.
Mais j'apprends, ne veut pas
dire qu'on
le lui ait apptis auparavant ; il feroit
bien plus pofitif de dire :je fçai qu'on
vous l'a dit
Ladiflas n'a garde de convenir que Ic
portrait que fon Pere vient de faire de
lui , foit d'après nature's bien loin delà
il l'accufe d'injufte prévention par ce'
Vers :
de ma part tout vous choque & vous
Encor que
bleffe , &c.
>
Pour ce qui regarde fa haine pour le
Giij Due I. Vol.
2698 MERCURE DE FRANCÈ
ſon Duc de Curlande,& fon averfion pour
Frere ,il ne s'abbaiffe à l'excufer que pour
,
s'y affermir. Voicy comme il s'explique :
J'en hais l'un , il eft vrai , cet Infolent Miniftre
,
Qui vous eft précieux autant qu'il m'eſt ſiniſtre ;
Vaillant , j'en fuis d'accord ; mais vain , fourbe ,
Aateur ,
Et de votre pouvoir , fecret ufurpateur , & c.
Mais s'il n'eft trop puiffant pour craindre ma
colere ,
Qu'il penfe murement au choix de fon falaire ,
&c.
&
Ce derniers vers fuppofe , comme il
eft expliqué un peu un peu auparavant
beaucoup plus dans la fuite , que Venceflas
a promis au Duc de lui accorder la
premiere grace qu'il lui demanderoit , en
faveur des fervices fignalez qu'il a rendus
à l'Etat. C'eſt pour cela que Ladiflas
ajoute :
Et que ce grand crédit qu'il poffede à la
Cour ,
S'il méconnoit mon rang , reſpecte mon amour,
Ou tout brillant qu'il eft , il lui fera frivole ,
Je n'ay point fans fujet , lâché cette parole ,
Quelques bruits m'ont appris jufqu'où vont fes
deffeins ;
I. Vol.
Et
DECEMBRË. 1730. 2699
Et c'eſt un des fujets , Seigneur , dont je më
plains.
Voicy ce qu'il dit au fujet de l'Infant.
Pour mon Frere , après fon infolence
Je ne puis m'emporter à trop de violence ;
Et de tous vos tourmens , la plus affreuſe horreur
Ne le fçauroit fouftraire à ma jufte fureur , &c.
L'humeur infléxible de ce Prince obli
ge fon Pere à prendre les voyes de la
douceur ; il convient qu'il s'eft trompés
il l'embraffe , & lui promet de l'affocier à
fon Thrône. C'eſt par là feulement qu'il
trouve le fecret de l'adoucir , & de lui
arracher ces paroles , peut-être peu finceres
;
>
De votre feul repos dépend toute ma joye ;
Et fi votre faveur , jufques -là fe déploye ,
Je ne l'accepterai que comme un noble emplois
Qui parmi vos fujets fera compter un Roy.
L'Infant vient pour fe juftifier du manque
de refpect dont fon Frere l'accufe ,
le Royle reçoit mal en apparence , & dit
à
part :
A quel étrange office , amour me réduis -tu ,
De faire accueil au vice & chaffer la vertu ?
1
I. Vol.
G iiij Ven
2700 MERCURE DE FRANCE
Venceslas ordonne à l'Infant de deman
der pardon à Ladiflas , & à Ladiſtas de
tendre les bras à fon Frere . Ladiflas n'obéit
qu'avec répugnance ; ce qu'il fait
connoître par ces Vers qu'il adreffe à l'Infant.
'Allez , & n'imputez cet excès d'indulgence ' ;
Qu'au pouvoir abſolu qui retient ma vengeance :
Le Roy fait appeller le Duc de Curlande
pour le réconcilier avec Ladiflas :
cette paix eft encore plus forcée que l'autre.
Venceflas preffe le Duc de lui demander
le prix qu'il lui a promis . Le
Duc lui obeït & s'explique ainfi :
Un fervage , Seigneur , plus doux que votre Em
pire ,
Des flammes & des fers font le prix où j'aſpire…..?
Ladiflas ne le laiffe
pas achever , &
lui dit :
Arrêtez , infolent , & c.
Le Duc fe tait par reſpect & ſe retire
avec l'Infant.
Le Roy ne peut plus retenir fa colere ,
il dit à ce Fils impétueux , qu'il ménage
mal l'efpoir du Diadême , & qu'il hazarde
même la tête qui le doit porter. Il le
quitte .
Je m'apperçus , Madame , que ces man-
I. Vol. ques
DECE MBRE. 1730: 2701
paques
de refpect , réïterés coup fur coup ;
en prefence d'un Roy ; vous revoltérent
pendant toute la réprefentation , je ne le
trouvai pas étrange , & je fentis ce que
vous fentiez . On auroit pû paffer de
reilles infultes dans les Tragedies qu'on
repreſentoit autrefois parmi des Républicains
; on ne cherchoit qu'à rendre les
Rois odieux ; mais dans un état monarchique
, on ne fçauroit trop refpecter le
facré caractere dont nos Maîtres font revêtus.
Dans la derniere Scene de ce premier
Acte on inftruit les Spectateurs de ce qui
a donné lieu à l'emportement de Ladif- .
las , & à l'infulte qu'il a faite au Duc en
prefence du Roy fon Pere. Ce Prince violent
croit que le Duc eft fon Rival. Ce--
pendant il ne fait que prêter fon nom
à l'Infant . Cela ne fera expofé qu'à la fin
de l'Acte fuivant , je crois qu'on auroit
mieux fait de nous en inftruire dès le
commencement de la Piéce.-
ACTE II
Theodore , Infante de Mofcovie , com
mence le fecond Acte avec Caffandre ,
Ducheffe de Cuniſberg . Elle lui parle ens
faveur de Ladiflas qui lui demande fas
main Caffandre s'en deffend par ces
Gy. Now
Vers :
LVola
2902 MERCURE DE FRANCE
Non , je ne puis fouffrir en quelque rang qu'if
monte ,
L'ennemi de ma gloire & l'Amant de ma honte ,
Et ne puis pour Epoux vouloir d'un ſuborneur ,
Qui voit qu'il a fans fruit attaqué mon honneur
L'Infant n'oublie rien pour appaifer
la jufte colere de Caffandre ; mais cette
derniere ne dément point ſa fermeté , &
découvre toute la turpitude des amours
de Ladiflas , par ces mots :
Ces deffeins criminels , ces efforts infolens ,
Ces libres entretiens , ces Meffages infames ,
. L'efperance du rapt dont il flattoit fes flammes ,
Et tant d'autres enfin dont il crut me toucher
Aufang de Cunisberg fe pourroient reprocher.
Je conviens avec vous , Madame,qu'un
amour auffi deshonorant que celui - là ,
n'eft pas fait pour la majefté de la Scene
Tragique, & qu'il doit faire rougir l'objet
à qui il s'adreffe . On a beau dire que
cela eft dans la nature ; il faudroit qu'il
fut dans la belle nature , & je doute qu'on
pafsât de pareilles images dans nos Comédies
d'aujourd'hui , tant le Théatre
eft épuré.
Ladiflas vient ſe joindre à fa four , pour
éblouir les yeux de Caffandre , par l'offre
d'une Couronne ; mais elle lui répond
avec une jufte indignation..
Me
DECEMBRE. 1730. 2703
Me parlez - vous d'Hymen & voudriez-vous.
pour femme
L'indigne & vil objet d'un impudique flamme ?
Moi ? Dieux ! moi ? la moitié d'un Roy d'un
Potentat !
Ah ! Prince , quel prefent feriez - vous à l'Etat >
De lui donner pour Reine une femme ſuſpecte
Et quelle qualité voulez - vous qu'il reſpecte ,
En un objet infame & fi peu refpecté ,
Que vos fales défirs ont tant follicité ?
Tranchons cette Scene , elle eft trop
révoltante. Ladiflas voyant que Caffandre
eft infléxible , s'emporte jufqu'à lui
dire , qu'il détefte fa vie à l'égal de la mort.
Caffandre faifit ce prétexte pour fe retirer.
Ladiflas court après elle ; il prie fa
foeur de la rappeller ; & fe repentant un
moment après de la priere qu'il vient
de lui faire; il dit qu'il veut oublier cette
ingrate pour jamais , & qu'il va preffer
fon Hymen avec le Duc qu'il croit fon
Rival, cette erreur produit une fituation ,
L'Infante qui fe croit aimée du Duc , &
qui l'aime en fecret , ne peut apprendre
fans douleur qu'il aime Caffandre. Elle /
fait connoître dans un Monologue ce qui
fe paffe dans fon coeur . On vient lui dire
que le Duc demande à lui parler. Elle le
fait renvoyer , fous prétexte d'une indif
1.Vol. Gvj pofi2704
MERCURE DE FRANCE
pofition . L'Infant vient pour fçavoir quelle
eft cette indifpofition ; il la confirme
dans fon erreur , il fait plus, il la prie de
fervir le Duc dans la recherche qu'il fait
de Caffandre ; l'Infante n'y peut plus tenir,
& fe retire , en difant :
Mon mal s'accroît , mon Frere , agréez ma re÷
traite.
Rien n'eft plus Théatral que ces fortes:
'de Scenes ; mais quand le Spectateur n'y
comprend rien , fon ignorance diminuë
fon plaifir ; il plaît enfin à l'Auteur de
nous mettre au fait , par un Monologue
qui finit ce fecond Acte ; & j'ofe avancer
que l'explication ne nous inftruit guére
mieux que le filence . Voicy comment
s'explique l'Infant dans fon Monologue.
O fenfible contrainte ! ô rigoureux ennui ,,
D'être obligé d'aimer deffous le nom d'autrui !
Outre que je pratique une ame prévenuë ,
Quel fruit peut tirer d'elle une flamme inconnuë?
Et que puis - je efperer fous cet afpect fatal ,
Qui cache le malade en découvrant le mal ? &c
Les deux premiers Vers nous apprennent
que l'Infant aime fous le nom d'au
trui ; mais les quatre fuivans me paroiffent
une énigme impénétrable : que veut
dire Rotrou , par ces mots ? Je pratique
L.. Kol.
une
DECEMBRE. 1730: 2705
1
une ame prévenuë ; & que pouvons - nous
entendre par cette flamme inconnue, & par
ce malade qui fe cache en découvrant le mal?
Eft ce que le Duc feint d'aimer Caffandre
aux yeux de Caffandre même ? Ne feroitil
pas plus naturel
que Caffandre fut inftruite
de l'amour de l'Infant , & qu'elle
confentit , pour des raifons de politique ,
à faire pafler le Duc pour fon Amant ?
Je crois que c'eft-là le deffein de l'Auteur
, quoique les expreffions femblent
infinuer le contraire ; quoiqu'il en foit ,
l'Infant ne devroit pas expofer , par cette
erreur , le Duc à la fureur de fon Frere ,-
pour s'en mettre à couvert lui- même.
D'ailleurs le Duc aimant l'Infante, com--
me nous le verrons dans la fuite , ne doit
pas naturellement le prêter à un artifice
qui le fait paffer pour Amant de Caf
fandre.
ACTE IM.-
Cet Acte paroît le plus deffectueux : Je
paffe légerement fur les premieres Scénes,
qui font tout-à-fait dénuées d'action . Let
Duc commence la premiere Scene par un
Monologue , dans lequel il réfléchit fur
la feinte maladie de l'Infante , pour lui
interdire fa préfence ; il préfume de cette
deffenfe, qu'elle eft inftruite de fon amour,
ou du moins qu'elle le foupçonne par le
L.Vol. demí.
2706 MERCURE DE FRANCE
1
demi aveu qu'il en a fait au Roy , quand
Ladiflas lui a deffendu d'achever ; il fe
détermine à aimer fans efperance .
Dans la feconde Scéne , l'Infant le
preffe de lui découvrir quels font fes.
chagrins ; ille foupçonne d'aimer Caffandre.
Le Duc détruit ce foupçon , fans
pourtant lui avouër fon veritable amour.
Dans la troifiéme , Caffandre preffe l'Infante
de la délivrer de la perfécution de
fon Frere, par l'Hymen dont il veut bien
l'honorer. Pour la quatrième , elle eſt
fi indigne du beau tragique , qu'il feroit
à fouhaiter qu'elle ne fut jamais fortie de
la plume d'un Auteur auffi refpectable
que Rotrou. En effet , quoi de plus bas
que ces Vers qui échapent à Ladiflas
dans une colere qui reffemble à un fang
froid. C'eft à Caffandre qu'il parle :
Je ne voi point en vous d'appas fi furprenans ,
Qu'ils vous doivent donner des titres éminens ;
Rien ne releve tant l'éclat de ce vifage ,
Où vous n'en mettez pas tous les traits en uſage ;
Vos yeux , ces beaux charmeurs , avec tous leurs
ap pas ,
Ne font point accufés de tant d'affaffinats , &c.
Pour moi qui fuis facile , & qui bien- tôt me
bleffe ,
Votre beauté m'a plû , j'avouerai ma foibleffe ;
Et m'a couté des foins , des devoirs & des pas ;
J. Vola Mais
DECEMBRE . 1730. 2707
Mais du deffein,je croi que vous n'en doutez pas,
&c.
Dérobant ma conquête elle m'étoit certaine ;
Mais je n'ai pas trouvé qu'elle en valût la peine.
Peut- on dire en face de fi grandes impertinences
? On a beau les excufer par le
caractere de l'Amant qui parle ; de pareils
caracteres ne doivent jamais entrer
dans la Tragedie.
Ladiflas fe croit fi bien guéri de fon
amour , qu'il promet au Duc , non - feulement
de ne plus s'oppofer à fon Hymen
avec Caffandre , mais même de le preffer .
Venceslas vient , il conjure le Duc de le
mettre en état de dégager la parole . Le
Duc le réfout enfin à s'expliquer , puifque
le Prince ne s'oppofe plus à fes défirs;
mais le Prince impetueux lui coupe encore
la parole , ce qui fait une efpece de Scéne"
doublée ; le Roy s'emporte pour la premiere
fois , jufqu'à l'appeller infolent. Ladiflas
daigne auffi s'excufer pour la pre
miere fois fur la violence d'une paffion
qu'il a vainement combattue. Il fort enfint
tout furieux , après avoir dit à fon Pere ::
Je fuis ma paffion , fuivez votre colere ;
Pour un Fils fans refpect , perdez l'amour d'un
Pere ;
Tranchez le cours du temps à mes jours deſtiné;
I. Vol
Ec
2708 MERCURE DE FRANCE
Ét reprenez le ſang que vous m'avez donné ; ·
Ou fi votre juſtice épargne encor ma tête ,-
De ce préfomptueux rejettez la requête ,
Et de fon infolence humiliez l'excès , '
Où fa mort à l'inftant en ſuivra le ſuccès.
Le Roy ordonne qu'on l'arrête ; c'eſt - là
le premier Acte d'autorité qu'il ait encore
fait contre un fi indigne Fils . Paffons
à l'Acte fuivant , nous y verrons une in
finité de beautez , contre un très - petit
nombre de deffauts.
ACTE IV..
L'action de cet Acte fe paffe pendant
le crepufcule du matin ; un fonge terrible
que l'Infante a fait , l'a obligée à
fortir de fon appartement ; ainfi ce fonge
qui d'abord paroît inutile, eft ingénieu
fement imaginé par l'Auteur , & donne
lieu à une tres - belle fituation , comme on
va le voir dans la feconde Scéne ; s'il y a
ya
quelque chofe à reprendre dans ce fonge,,
c'eft que l'Infante a vû ce qui n'eft pas
arrivé , & n'arrivera pas.
Hélas ! j'ai vu la main qui lui perçoit le flanc
J'ai vu porter le coup , j'ai vâ couler ſon fang ;
Du coup d'un autré main , j'ai vû voler fa tête
Pour recevoir fon corps j'ai vu la tombe prête .
I. Vol En
DECEMBRE: 1730. 2709
En effet ce n'eft pas à Ladiflas qu'on
a percé le flanc ; & pour ce qui regarde
eette tête qui vole du coup d'une autre
main ; le fonge n'eft , pour ainfi dire
qu'une Sentence comminatoire ; mais
voyons les beautez que cette légere faute
va produire.
"
Ladiflas paroit au fond du Théatre
bleffé au bras , foûtenu par Octave , font
confident. Voilà le fonge à demi expli
qué ; mais c'eft le coeur de l'Infante &
non du Prince , qui eft veritablement
percé. Ladiflas lui apprend qu'un avis
qu'Octave lui a donné de l'Hymen , du
Düc & de Caffandre , l'ayant mis au défefpoir
, l'a fait tranfporter au Palais de
cette Princeffe ; & qu'ayant apperçu le
Duc qui entroit dans fon appartement ,
il l'a bleffé à mort de trois coups de Poigard
; l'Infante ne pouvant plus contenir
fa douleur , à cette funefte nouvelle fe retire
pour dérober fa foibleffe aux yeux
de fon Frere : Elle fait connoître ce qui
fe paffe dans fon coeur par cet à parte :-
Mon coeur es -tu fi tendre ,
Qué de donner des pleurs à l'Epoux de Caffan
dre ,
Et vouloir mal au bras qui t'en a dégagé ?
Get Hymen t'offençoit , & fa mort t'a vengé.
Le jour qui commence à naître , oblige
I. Vol. La
C
2710 MERCURE DE FRANCÈ
Ladiflas à fe retirer ; mais Venceflas furvient
& l'apperçoit.Surpris de le voir levé
fi matin , il lui en demande la caufe , par
ces Vers :
Qui vous réveille donc avant que la lumiere ,
Ait du Soleil naiffant commencé la carriere.
"
Le Prince lui répond :
N'avez-vous pas auffi précédé fon réveil
Cela donne lieu à une tirade des plus
belles de la Piece. La voici , c'eft Vencel
las qui parle :
Oui , mais j'ai mes raiſons qui bornent mor
fommeil.
Je me voi , Ladiflas , au déclin de ma vie ,
Et fçachant que la mort l'aura bien - tôt ravie ,
Je dérobe au fommeil , image de la inort ;
Ce que je puis du temps qu'elle laiffe à mon
fort.
Près du terme fatal preſcrit par la nature
Et qui me fait du pied toucher ma ſépulture ,
De ces derniers inftants dont il preffe le cours ;
Ce que j'ôte à mes nuits , je l'ajoute à mes jours ,
Sur mon couchant enfin ma débile paupiere ,
Me ménage avec foin ce refte de lumiere ;
Mais quel foin peut du lit vous chaffer ſi matin
Vous à qui l'âge encore garde un fi long deſtin .
Ces beaux fentimens font fuivis d'un
I. Vol. coup
DECEMBRE. 1730. 2711
coup de théatre qui part de main de
Maître. Ladiflas preffé par fes remords
déclare à fon Pere qu'il vient de tuer le
Duc ; mais à peine a - t-il fait cet aveu ,
que le Duc paroît lui - même ; quelle
agréable furpriſe pour Venceflas la
que
nouvelle de la mort vient d'accabler ! &
quelle furprife pour Ladiflas qui croit
Favoir percé de trois coups de Poignard
!
Caffandre annoncée par le Duc , va bientôt
éclaicir cet affreux myftere ; elle vient
demander vengeance
de la mort de l'Infant.
yeux
de
Ce qui peut donner lieu à la critique
c'eſt un hors- d'oeuvre de cinquante vers ,
avant que de venir au fait. Je fçais , que
l'Auteur avoit befoin d'apprendre au Roy
que le Duc avoit prêté fon nom à l'Infant
, pour cacher fon amour aux
fon Frere ; mais cette expofition devoit
être placée ailleurs , ou mife icy en moins
de vers. Le refte de la Scene eft tres-pathetique;
elle jouë veritablement un peu trop
fur les mots. Vous en allez juger par ces
fragmens,
C'est votre propre fang , Seigneur , qu'on a
verfé ;
Votre vivant portrait qui fe trouve effacé ...
Vengez -moi , vengez-vous, & vengez un Epoux;
Que, veuve avant l'Hymen , je pleure à vos ge-
Mais поих.
2712 MERCURE DE FRANCE
Mais , apprenant , grand Roy , cet accident fi
niftre ,'
Hélas ! en pourriez - vous foupçonner le Miniftre?
Oui , votre fang fuffit , pour vous en faire foy ;
Il s'émeut , il vous parle, & pour & contre foy ,
Et par un fentiment enſemble horrible & tendre ,
Vous dit que Ladiſlas eſt méutrier d'Alexandre ...
Quel des deux fur vos fens fera le plus d'effort
De votre Fils meurtrier ou de votre Fils mort?
La douleur s'explique- t-elle en termes
fi recherchez ? Et n'eft- ce pas à l'efprit à fe
taire,quand c'eft au coeur feulement à par
ler?Je ne fçais même ſi ce vers tant vanté:
Votre Fils l'a tiré du fang de votre Fils :
eft digne d'être mis au rang des vers
frappés ; on doit convenir au moins què
l'expreffion n'en eft pas des plus juftes ;
en effet , Madame , un Poignard ne peutil
pas être tiré du fein , par une main innocente
, & même fecourable ?
Finiffons ce bel Acte. Venceslas promet
à la Ducheffe la punition du coupable . Il
ordonne à fon Fils de lui donner fon épée.
Ladiflas obéit , des Gardes le conduilent
au lieu de fureté ; le Roy dit au Duc :
De ma part donnez avis au Prince ,´
Què fa tête autrefois fi chere à la Province ,`
I. Vol. Doir
DECEMBRE . 1730. 2713
Doit fervir aujourd'hui d'un exemple fameux
Qui faffe détefter fon crime à nos neveux.
Venceflas fait connoître ce qui fe paſſe
dans fon coeur par cette exclamation .
Au gré
O ciel , ta Providence apparemment profpere ,
de mes
ſoupirs de deux Fils m'a fait Pere ,
Et l'un d'eux qui par l'autre aujourd'hui m'eft
ôté ,“
M'oblige à perdre encore celui qui m'eſt reſté .
7
Ce quatriéme Acte paffe pour être le
plus beau de la Piéce ; cependant celui
que nous allons voir , ne lui eft guére inférieur.
ACTE V.
que
Rien n'eft fi beau , que la réfolution
l'Infante forme dès le commencement ,
d'exiger du Duc qu'il borne à la grace de
Ladiflas la promeffe que le Roy lui a faite.
Le procédé du Duc n'eft pas moins heroïque
, il renonce à la poffeffion de l'objet
aimé , en faveur du plus mortel de fes
ennemis. La fituation de Venceflas eft des
plus touchantes , & fon ame des plus fer
mes. Il le fait connoître par ces Vers.
Tréve , tréve nature , aux fanglantes batailles
Qui , fi cruellement déchirent mes entrailles ,
Et me perçant le coeur le veulent partager ,
Entre mon Fils à perdre , & mon Fils à venger!
I. Vol. 发票
2714 MERCURE DE FRANCE
A ma juſtice en vain ta tendreffe eft contraire ,
Et dans le coeur du Roi cherche celui de
Je me fuis dépouillé de cette qualité ,
Et n'entends plus d'avis que ceux de l'équité, & c,
pere ;
La Scene qui fuit ce Monologue a des
beautés du premier ordre ; elle eſt entre
le pere & le fils. Je ne puis mieux en faire
fentir la force que par le Dialogue.
Ladiflas.
Venez-vous conſerver ou venger votre race ?
M'annoncez-vous , mon pere , ou ma mort , of
ma grace ?
Venceslas pleurant.
Embraffez-moi , mon fils .
Ladiflas
Seigneur , quelle bonté ?
Quel effet de tendreffe , & quelle nouveauté ?
Voulez - vous ou marquer , ou remettre mes peines
?
Et vos bras me font- ils des fayeurs , ou des chaî
nes ?
Venceslas pleurant toujours.
Avecque le dernier de mes embraffemens
Recevez de mon coeur les derniers fentimens,
Sçavez-vous de quel fang vous avez pris naiſfance
?
I. Vol. Ladiflas
DECEMBRE. 1730. 2715
Ladiflas.
Je l'ai mal témoigné ; mais j'en ai connoiffance.
Venceslas.
Sentez-vous de ce fang les nobles mouvemens ?
Ladiflas.
Si je ne les produis , j'en ai les fentimens.
Venceflas.
Enfin d'un grand effort vous fentez - vous capable
?
Ladifas.
Oui , puifque je réſiſte à l'ennui qui m'accable ,
Et qu'un effort mortel ne peut aller plus loin.
Venceslas.
Armez-vous de vertu vous en avez beſoin.
;
Ladifas.
S'il eft tems de partir , mon ame eft toute prête,
Venceslas.
L'échafaut l'eſt auffi ; portez-y votre tête &c.
fon
Tout le refte de cette Scene répond
aux fentimens que ces deux Princes viennent
de faire paroître. Ladiflas fe foumet
à fon fort ; il témoigne pourtant que
pere porte un peu trop loin la vertu d'un
Monarque : voici comme il s'exprime par
un à parte.
2716 MERCURE DE FRANCE
O vertu trop fevere !
VinceДlas vit encor , & je n'ai plus de pere.
Vinceflas eft fi ferme dans la réfolutiqn
qu'il a prife de n'écouter que la voix de
la juftice , qu'il refufe la grace du Printe
aux larmes de l'Infante & à la genérofité
de Caffandre ; le Duc même n'eft pas fûr
de l'obtenir ; il ne la lui accorde , ni ne
la lui refufe , & il ne fe rend qu'à une
efpece de fédition du peuple.
S'il y a quelque chofe à cenfurer dans
ce cinquiéme Acte , c'eft d'avoir fait prendre
le change aux fpectateurs. La premiere
grace promife au Duc dès le commencement
de la Piéce , fembloit être le
grand coup refervé pour le dénouement :
je ne fçais , Madame , fi vous ne vous by
étiez pas attendue comme moi ; car, enfin
, à quoi bon cette récompenfe fi folemnellement
jurée au Duc pour avoir fauvé
l'Etat , fi elle ne devoit rien produire ?
je conviens qu'elle influe dans la grace
du-Prince ; mais j'aurois voulu qu'elle én
fut la caufe unique & néceffaire ; cependant
cela ne paroît nullement dans les
motifs de la grace. C'eft Venceflas qui
parle
Qui , ma fille , oui , Caffandre , oui , parole
oùi , nature
I. Vol. Qüii
DECEMBRE . 1730. 2717
K
Oui , peuple , il faut vouloir ce que vous fouhaitez
,
Et par vos fentimens regler mes volontés.
Je fçai que tous ces motifs enfemble
rendent la grace plus raifonnable ; mais
elle feroit plus theatrale, fi après avoir refifté
à toute autre follicitation , Venceflas
ne fe rendoit qu'à la foi promife ; le Duc
même s'en eft flatté , quand il a ofé dire
à fon Maître :
J'ai votre parole , & ce dépot facré
Contre votre refus m'eft un gage affuré.
Il ne me refte plus qu'à examiner l'abdication
; elle n'eft pas tout-à- fait hors
de portée des traits de la cenfure . Quel
eft le motif de cette abdication ? le voici :
La juftice eft aux Rois la Reine des vertus.
Mais cette juftice ordonne- t'elle qu'on
mette le fer entre les mains d'un furieux?
Qui peut répondre à Venceslas que le repentir
de fon fils foit fincere ? Ne vientpas
de dire lui-même à Caffandre ? il
Ce Lion eft dompté ; mais peut-être , Madame
,
Celui qui fi foumis vous déguiſe ſa flamme ,
Plus fier , plus violent qu'il n'a jamais été ,
Demain attenteroit fur votre honnêteté ;
I. Vel H Peut2718
MERCURE DE FRANCE
Peut- être qu'à mon fang fa main accoutumée
Contre mon propre fein demain feroit armée.
Ne vaudroit - il pas
mieux que Venceflas
employât le peu de tems qui lui reste à
vivre à rendre fon fils plus digne de regner
? Et devroit- il expofer fon peuple
aux malheurs attachés à la tyrannie ? un
changement fi promt eft toujours fufpect,
& furtout dans un Prince auffi plongé &
auffi affermi dans le crime que Ladiflas.
Pour moi , Madame , fi la vertu de Venceflas
n'avoit brillé dans toute la Piéce ,
je ferois tenté de croire qu'il punit le
peuple d'avoir défendu un Prince fi indigne
de le gouverner. En effet n'eft-ce
pas ici le langage du dépit :
Et le Peuple m'enſeigne
Voulant que vous viviez , qu'il eft las que je regne
.
Je n'examine point la force de cette
abdication ; il a plû à Rotrou de faire la
Couronne dePologne moitié hereditaire ,
moitié élective : Venceflas le fait connoître
par ces Vers :
Une Couronne , Prince & e.
En qui la voix des Grands & le commun fuffrage
M'ont d'un nombre d'Ayeuls confervé l'herita¬
ge &c.
Regnez ; après l'Etat j'ai droit de vous élire ,
I. Vol
Et
DECEMBRE 1730. 2719
Et donner , en mon fils , un pere à mon Empire
Quel Pere lui donne- t'il ? Eft - ce là cette
juftice dont il fait tant de parade ?
Vous voyez , Madame , par tout ce que
je viens de remarquer dans la Tragédie
de Venceflas , que vos dégouts pour cette
Piéce ont été affez fondés. Pouvoit-elle
plus mal finir que par la récompenfe du
crime , & par l'oppreffion de la vertu ?
il femble l'Auteur en ait voulu annoncer
la catastrophe dès le commencement
, quand il a fait dire à VenceЛlas :
que
A quel étrange office , Amour , me réduis - tu ,
De faire accueil au vice , & chaffer la vertų.
Ce dernier Vers eft une espece de prophetie
justifiée par un dénouement auquel
on ne fe feroit jamais attendu.
Cela n'empêche pas que cette Tragédie
ne foit remplie de grandes beautés , &
qu'elle n'ait au moins trois Actes dignes
du grand Corneille. Je ne doute point
Madame , que vous ne rendiez cette juftice
à un Ouvrage qui s'eft confervé ſi
long- tems fur notre Théatre , & qui peut
s'affurer de l'immortalité fur la foi des
derniers applaudiffemens qu'il vient de
recevoir. Permettez - moi de finir cette
Lettre , en vous renouvellant les témoignages
de la plus parfaite eftime.
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Résumé : LETTRE de Mr de ..., à Mde de ... sur la Tragedie de Venceslas.
La lettre examine la tragédie 'Venceslas' de Rotrou, reconnue par Corneille comme une œuvre majeure. L'auteur admire les grandes beautés de la pièce, mais note que certaines qualités autrefois admirées ne sont plus aussi impressionnantes aujourd'hui. Rotrou est considéré comme le créateur du poème dramatique en France, tandis que Corneille en est le restaurateur. L'auteur analyse des extraits de la pièce, notamment une scène où Venceslas, suivi de ses fils Ladislas et Alexandre, ouvre l'acte. Il critique certains vers pour leur archaïsme ou leur vulgarité, tout en admirant les pensées profondes exprimées. Il mentionne des défauts dans l'expression et des beautés dans les idées, mais note que certains passages dévaluent le caractère pompeux du drame. La lettre explore également les relations complexes entre les personnages, notamment les sentiments ambigus de Ladislas, qui est à la fois craint et aimé malgré ses vices. L'auteur admire certaines tirades de Venceslas, qui contiennent des beautés de détail, mais critique les défauts de fond de la pièce. Dans l'Acte II, Théodore, Infante de Moscovie, commence avec Caffandre, Duchesse de Cunisberg. Caffandre refuse la demande en mariage de Ladislas, le qualifiant d'ennemi de sa gloire et de suborneur. Ladislas tente d'apaiser sa colère, mais Caffandre révèle les turpitudes des amours de Ladislas. Ladislas propose ensuite à Caffandre une couronne, mais elle réagit avec indignation, refusant d'être l'objet d'une flamme impudique. Ladislas, voyant l'inflexibilité de Caffandre, s'emporte et menace de se venger. L'Infante, qui aime secrètement le Duc, est peinée d'apprendre que le Duc aime Caffandre. L'Acte III est jugé défectueux, notamment en raison de scènes indignes et de dialogues imprudents de Ladislas. Ladislas promet au Duc de ne plus s'opposer à son hymen avec Caffandre, mais une altercation avec son père, le Roi, conduit à son arrestation. Dans l'Acte IV, un songe de l'Infante révèle une vision funeste. Ladislas apparaît blessé, ayant tenté de tuer le Duc par jalousie. Le Duc survit, et Caffandre demande vengeance pour la mort de l'Infant. La pièce se conclut par des révélations dramatiques et des déclarations émotionnelles intenses. Venceslas, le roi, ordonne l'exécution de son fils Ladislas, coupable d'un crime, malgré les supplications de l'Infante et du Duc. L'Infante exige que le Duc se contente de la grâce de Ladislas, et le Duc renonce à l'objet de son amour en faveur de son ennemi. Venceslas exprime sa douleur face à la perte de ses deux fils. Dans une scène poignante, Venceslas et Ladislas partagent un moment émouvant avant l'exécution. Ladislas reconnaît ses fautes mais trouve la vertu de se soumettre à son sort. Venceslas, malgré les supplications, refuse la grâce à Ladislas, même face aux larmes de l'Infante et à la générosité de Cassandre. Il abdique finalement sous la pression du peuple, bien que cette décision soit critiquée pour son manque de sagesse et de justice. La pièce se termine par une réflexion sur la récompense du crime et l'oppression de la vertu.
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