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1
p. 144-172
Tout ce qui s'est passé de remarquable au Parlement le lendemain de la S. Martin, le jour des Harangues & celuy des Mercuriales. [titre d'après la table]
Début :
Voyez, Madame, comme je me laisse insensiblement emporter à l'enchaînement [...]
Mots clefs :
Juges, Parlement, Harangues, Ouverture, Messe, Cour des aides, Présidents, Avocat général, Satyre, Audiences, Premier président, Avocats, Séances, Justice, Barreau, Monarque, Mercuriale, Mr de Lamoignon, Procureur général, Jugement
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texteReconnaissance textuelle : Tout ce qui s'est passé de remarquable au Parlement le lendemain de la S. Martin, le jour des Harangues & celuy des Mercuriales. [titre d'après la table]
Voyez , Madame, comme je me laiſſe inſenſiblement em- porter à l'enchaînement de la matiere. Je vous devois faire
part dés le Mois paffé des Ce- remonies qui s'obſervent à l'ouverture
GALANT. 97
verture du Parlement. Le nou -
veau fuccés des armes du Roy en Allemagne dont j'ay eu à
vous écrire , me les ayant fait remettre juſqu'à celuy-cy , cet Article ſembloit devoir eſtre un
des premiers de ma Lettre , &
je ne vous en ay pas encore dit la moindre choſe. On ſçait que la couſtume eſt tous les *
1896*
ans de faire des Harangues à
cette Ouverture. Ceux qui n'y vont point n'en ſçavent rien davantage , & peut-eſtre même que la plupart de ceux qui y
vont n'en reviennent gueres plus ſçavans. Voicy par ordre tout ce qui s'y paffe.
Le lendemain de la Saint
Martin , le Parlement en Corps &en Robes rouges entend la Meſſe dans la GrandSalle du
Palais. C'eſt toûjours un EvêTome X. E
98 LE MERCVRE que qui la dit. Elle a eſté ce-- lebrée cette année par celuy de S. Omer. Le Parlement rentre
apres l'avoir entenduë , &re- mercie l'Eveſque , qui luy té- moigne de fon,coſte tenir à
honneur d'avoir eſté choiſi
pour cette Ceremonie par un fi Auguſte Corps. Les Avocats &ales Procureurs preſtent le Serment en ſuite; apres quoy Monfieur le Premier Preſident
traite une partie de la Com- pagnie , & quelques - uns de Meſſieurs des Enqueſtes. Les Séances ne recommencent
que le Lundy de la huitaine franche d'apres la S. Martin. -
Le meſme jour de cette Ou- verture , Meſſieurs de la Cour
desAydes fontdes Harangues entr'eux qu'on peut appeller Mercuriales, puisqu'elles n'ont EQUE DELA
GALANT. 99 A
Conſeil TO THEOU
pour but que de faire voir en quoy les Juges manquent , &
ce qu'ils doivent faire pour ré- pondre dignement aux obliga- tions de leurs Charges. Mef- fieurs les Preſidens &
lers de cette Cour s'eſtant af
ſemblez cette année à leur or
dinaire,Monfieur le Camusqui en eſt le Chefprit la parole ,&
apres s'eſtre long-temps étendu ſur la difference qu'ily avoit de l'integrité &de la pureté devie des Siecles paſſez , à la corru- ption qui s'eſt gliſſée dans ce- -Iuy-cy , &avoir montré parun diſcours fort net & fort éloquent, que nous eſtions tres- éloignez de cette candeur qui eſtoit inséparable de tout ce qui ſe faiſoit dans ces temps heureux, il fit voir les deſordres
qui naiſſent des Jugemens trop
*
E ij
100 LE MERCVRE
précipitez , & marqua forte- ment que les Juges ne pou- voient apporter trop de pré- caution avant que de pronon-- cer ſur l'intereſt des Parties.
Voicy une comparaiſon dont il ſe ſervit. Souvenez-vous , Маdame, que tout ce que je vous dis eſt fort imparfait, & que les penſées que je vous explique perdentbeaucoup de leurgrace,
dénüées des vives expreſſions qui les mettoient dans leur
jour.
De meſme , dit - il , que les Eaux qui fe répandent dansles Campagnes par divers détours,
y portent la fertilité & l'abondance , ainſi quand lcs Magi- ſtrats accompagnent leurs Iu- gemens de toutes les reflexions neceſſaires pourdéveloper avec ſoin les differens intereſts des
GALAN T. 101
Particuliers , leurs Arreſts ſe trouvent ſoûtenus de cette
équité dont Dieu recommande
aux Hommes de ne s'éloigner jamais. Au contraire lors que cesEauxſe débordent avecl'impétuoſité d'un Torrent , elles les gaſtent , elles y mettent la ſterilité, ce qui eſt en quelque façon l'image des Juges, qui ſe laiſſant emporter au premier feu de leur génie , & ne pre- nant pour reglede leurs Déci- fions que leur enteſtement, &
leur opiniâtreté , confondent le
bon droit avec le mauvais , &
font injuſtement des malheureux.
Le ſujet que M. du Boiſme- nillet , Avocat General de la
Cour des Aydes , prit pour fon Diſcours , fut la connoiſſance
de la Verité. Il montra qu'elle Eij
1102 LE MERCVRE
*étoit fi neceffaire aux Juges, que fans elle ils ne pouvoientgoûter * de veritable plaifir danslemon- de , ny joüir d'une fortune affurée. Il fit voir que ce que l'Homme appelle Fortune, con- fiftoit dans la ſeule elevation,
que nous cherchions cette éle- *vation par tout , &que nous tâ- chions de nous la procurer à
1nous-mefme, en abaiffant ceux en qui nous décotivtions plus de merite qu'en notis , ce qui eftoit caufe qu'il nous fachoit naturellement d'entendre loüer,
-au lieu que la Satyre nons don- noit toûjours de la joye , parce qu'elle a l'adreſſe de changer les vertus en defauts , & que nous ne trouvons point d'abaif- ſement pour les autres qui ne nous ſemble une eſpece d'éle- vation pour nous ; mais qu'en
GALAN T. 103 fin cette Fortune eſtoit injuſte fans la connoiſſance de la Verité. Il adjoûta que la Fortune & les Plaiſirs eſtoient les deux
principaux motifs qui nous fai- *foient agir dans la vie , quec'é- toit ſur eux que tous les autres rouloient , & que nous eſtions *obligez de prendre party. Ce raiſonnement fut ſuivy d'un grand Eloge de Monfieur le Chancelier, qui attira un ap- - plaudiſſement general.
Le Lundy quele Parlement recommence ſes Séances,qui eſt le jour où les Audiances font ouvertes , & qu'on appelle lour - des Harangues , M. le Premier Prefident parle aux Avocats, &
apres leur avoir fait connoiſtre
leur devoir il finit en adreſſant
la parole aux Procureurs. C'eſt ce qui s'eſt toûjours pratiqué ,
Eij
104 LE MERCVRE
& ce qui ſe pratiqua encor la derniere fois. Monfieur de Lamoignon , avec cette gravité de Magiſtrat fi digne de celuy qui tient le premier rang dans ce grand Corps , dit d'abord que c'eſtoit pour la vingtième fois qu'il voyoit renouveller l'an- cienne Ceremonie depuis que la Iuftice s'expliquoit par ſa bouche ſur toutes les obliga- tions que les Avocats avoient contractées avec elle par le
Serment de fidelité qu'ils luy avoient folemnellement juré;
que dans cette longue révolu- tion d'années qui avoit paſſé comme un fonge , il avoit veu changer preſque tout le Bar- reau , & qu'à peine y reftoit- il encor quelques - uns de ceux qui estoient alors dans une ſi haute reputation , & que l'age
GALANT. 105 ou l'infirmité avoient contraints
d'abandonner un employ fi labourieux. Il exagera fort le merite de ces Avocats celebres,
&dit qu'il ſembloit qu'ils n'euf- ſent pas eu plus de durée que cos Etoilles élementaires qu'on
voit ſe détacher du Ciel dans
un temps calme , qui marquent par une trace de lumiere leur chute précipitée & qui ſe per- dent pour jamaisdansl'obſcuri- té dela nuit. Il les compara en fuite à des Torches ardentes
qui jettent une fort grande lueur, qu'on ne voit paroiſtre quepour la voirs'évanoüir dans lemeſme temps. Il adjoûta que leur memoire vivroit toûjours dans le Parlement , où l'idée en eſtoit fi forte , & le ſouvenir fi
agreable, qu'il eſtoit comme im- poſſible de ne pas croire qu'ils
Ev
1106 LE MERCVRE
fuffent encor prefens , &qu'on *entendiſt leur voix parmy cette multitude d'Avocats qui ve- noient en foule pour écouter. Il *les exhorta tous à ſe rendre infatigables dans leur employ comme avoient fait ceux dont
il leur parloit , & leur fit voir qu'ils estoient d'autant plusobli- gez de s'en acquiterdignement,
que noftre grandMonarque, au *milieu des foins qui demandoiet totute ſon application pour ce qui regardoit la Guerre , ne * perdoir jamais celuyde confer- ver l'éclat de la Justice & de
*maintenir ſes intereſts , ce qu'il avoit encor fait paroiſtre depuis *peu de jours en luy donnant pour Chefun grand Homme -dontle choix avoiteſté prévenu par les vœux de toute la France,
&fuivy de fes plus finceres ac- clamations.
GALANT. 107
M. l'Avocat General Lamoignon ſon Fils parla apres luy , M. Talon eftant tout cou- vert de la gloire que ces fortes de Harangues font acquerir.
Son Exorde fut que ſi les Dif- cours que la couſtume veut qu'on faſſe en de pareils temps n'eſtoient confiderez que com- me des Effais d'Eloquence ſem- blables à ces Concerts de Muſique qui flatent l'oreille ſans pe- netrer le cœur , ce feroit un
abus de porter la parole dans un ſi Auguſte Parlement pour maintenir les intereſts de la Juſtice, en repreſentant aux Avo-- cats à quoy les oblige le Ser- ment qu'ils renouvellent tous Ies ans. Il pourſuivit en faiſant connoiſtre que la perfection de ce Serment confiftoit dans la
-verité,la juſtice &le jugement ;
Evj
108 LE MERCVRE
Que fans ces trois conditions
tous les Sermens estoient des
Parjures, &les Parjures, la four- cede tous les malheurs; Qu'ainfi les Payens avoient dévoie à la colere du Ciel , &àl'execration
de la Terre , ceux qui ſe trou- voient coupables des deux plus grands crimes qu'on puiſſe commettre dans le monde , l'un d'avoir mépriſé la Divinité qui préſide aux Sermens , &l'autre d'avoir violé la Verité , ſans la.-
quelle les plus ſages Legiſlateurs marquoient qu'il n'y avoit point deReligion parmy les Hommes,
ny de fidelité parmy les Dieux.
Il finit par une peinture de l'honneſte Hommequ'il exhor- ta les Avocats de ſe propofer pour modelle , afin que s'ap- pliquant avec plus d'ardeur à
rendre juſtice qu'à chercher les
GALAN T. 109
occafions de s'enrichir , ils euffent unzele parfait à défendre la verité.
LeMercredy ſuivant on tient la Mercuriale. M le Premier
Preſident parle à Meſſieurs les Gens du Roy , qui luy ayant adreſſé la parole enſuite , con- tinuent en l'adreſſant aux Juges en general. M. de Lamoignon,
Chefde ce grand Corps,tourna fonDiſcours la derniere fois fur
la Verité. Il dit que les Juges eſtoient dans une obligation in- diſpenſable de la chercher ſans ſe mettre enpeine de la calom- nie , ny de ce qu'on pourroit dire contre eux quand ils fe- roiet leur devoir; Qu'ils étoient dans un rang élevé , mais expo- ſe àtout,Qu'en cherchant cette Verité , ils devoient craindre
qu'on ne les perfuadat trop ai
TIO LE MERCVRE
fément ; Que chacun croyant avoir droit , croyoit en même- temps que la Verité eſtoit pour luy , & que cependant elle ne pouvoit eftre que d'un coſté ;
Que pour la bien découvrir au travers des voiles qui l'envelopent , ils devoient tout enten- dre , ne rebuter perſonne , & fi cela ſe peut dire , écouter juf- qu'àl'injuſtice meſme, pour n'avoir aucune negligence à ſe re- procher ; Que tout leurdevant eſtre ſuſpects , ils le devoient eſtre à eux-meſmes ; que les Amis ſe laiſſant aveugler par leurs Amis, tâchoient àperfua- der des injuftices aux Iuges ,
dans la penſée qu'ils ne leurde- -< mandoient rien que de juſte, &
qu'ainſi ils avoient ſujet de fe défier de tout , &particulierement d'un Sexe qui ayant des
GALANT. III
privileges particuliers , vouloit toûjours eftre crû , & ne prioit jamais qu'avec quelque forte d'autorité. Il finit par quantité de belles choses qu'il dit ſur la grandeur du Roy , &fur la fide- lité que les Juges doivent à leur
confcience , à ſa Majesté , & à
leur miniſtere.
Monfieur de Harlay Procu- reur General parla en ſuite. II dit que le repos faiſoit fubfifter toute la Nature ; Que Dieu même en avoit étably un jour dans chaque Semaine; que les Corps apres avoir travaillé tout lejour,
eſtoient obligez de ſe délaſſer
*la nuit pour reprendre de nou- velles forces , & qu'ainſi on avoit ordonné lesVacations afin
que l'Eſprit ſe repoſaſt des fati- gues de l'année , & puſt s'ap- pliquer aux Affaires avec une
112 LE MERCVRE
nouvelle vigueur ; mais qu'au lieu d'employer ce relâchement à l'uſage auquel on l'a deſtiné,
beaucoup de Juges rentroient auffi crus qu'auparavant , il ex- plique ce terme,adjoûtant qu'ils n'avoient point aſſez digeré les preſſans devoirs qui leur font impoſez par leurs Charges , &
qu'ils ne s'eſtoint pointmis dans l'eſtat oùil faut eſtre pour s'en acquiter ; Qu'il les conjuroit de mieux profiter du temps, &que ce fuſt pour la derniere fois ,
s'ils remarquoient qu'ils en euſſent jamais abuſé.Apres cela il entra dans le détail de ce que doit ſçavoir un Juge , & ayant parlé des Ordonnances , du Droit Ciuil , & de quelques autres dont la connoiſſance luy eſtoit abfolument neceſſaire , il tomba furlafoibleſſe des Hom-
GALANT. 113 mes ſi ſujets à ſe tromper eux- meſmes , ou àſe laiſſer tromper.
Il leur fit connoiſtre que la pré- vention eſtoit lachoſedu monde la plusdangereuſe , puis que l'Innocence en pouvoit ſuffrir ;
&leur ayant marqué ce defaut comme undes plus grands &
des plus préjudiciables qu'ils puſſent avoit , il les exhorta à
fonger ſerieuſement à s'en de- fendre , &à ne donner jamais deJugement fans avoir examiné juſqu'aux moindres circonſtan- cesdes Affaires ſur leſquelles ils avoient à prononcer.
Je vous ay déja priće ,Mada- me , de ne regarder ce quej'a- vois àvous dire ſurcette matiere , que comme une ébauche qui a eftéfaite confufément fur des Portraits achevez. Ce ſont
moins en effet les penſeées de
114 LE MERCVRE
ces grands Hommes , que quel- que choſe de leurs penſées. Ils leur ont donné un tour qu'il ne m'eſt pas poſſible de trouver ,
*& j'en laiſſe beaucoup que la memoire de ceux qui les ont Sentenduës avec admiration ne
m'apûfournir.
part dés le Mois paffé des Ce- remonies qui s'obſervent à l'ouverture
GALANT. 97
verture du Parlement. Le nou -
veau fuccés des armes du Roy en Allemagne dont j'ay eu à
vous écrire , me les ayant fait remettre juſqu'à celuy-cy , cet Article ſembloit devoir eſtre un
des premiers de ma Lettre , &
je ne vous en ay pas encore dit la moindre choſe. On ſçait que la couſtume eſt tous les *
1896*
ans de faire des Harangues à
cette Ouverture. Ceux qui n'y vont point n'en ſçavent rien davantage , & peut-eſtre même que la plupart de ceux qui y
vont n'en reviennent gueres plus ſçavans. Voicy par ordre tout ce qui s'y paffe.
Le lendemain de la Saint
Martin , le Parlement en Corps &en Robes rouges entend la Meſſe dans la GrandSalle du
Palais. C'eſt toûjours un EvêTome X. E
98 LE MERCVRE que qui la dit. Elle a eſté ce-- lebrée cette année par celuy de S. Omer. Le Parlement rentre
apres l'avoir entenduë , &re- mercie l'Eveſque , qui luy té- moigne de fon,coſte tenir à
honneur d'avoir eſté choiſi
pour cette Ceremonie par un fi Auguſte Corps. Les Avocats &ales Procureurs preſtent le Serment en ſuite; apres quoy Monfieur le Premier Preſident
traite une partie de la Com- pagnie , & quelques - uns de Meſſieurs des Enqueſtes. Les Séances ne recommencent
que le Lundy de la huitaine franche d'apres la S. Martin. -
Le meſme jour de cette Ou- verture , Meſſieurs de la Cour
desAydes fontdes Harangues entr'eux qu'on peut appeller Mercuriales, puisqu'elles n'ont EQUE DELA
GALANT. 99 A
Conſeil TO THEOU
pour but que de faire voir en quoy les Juges manquent , &
ce qu'ils doivent faire pour ré- pondre dignement aux obliga- tions de leurs Charges. Mef- fieurs les Preſidens &
lers de cette Cour s'eſtant af
ſemblez cette année à leur or
dinaire,Monfieur le Camusqui en eſt le Chefprit la parole ,&
apres s'eſtre long-temps étendu ſur la difference qu'ily avoit de l'integrité &de la pureté devie des Siecles paſſez , à la corru- ption qui s'eſt gliſſée dans ce- -Iuy-cy , &avoir montré parun diſcours fort net & fort éloquent, que nous eſtions tres- éloignez de cette candeur qui eſtoit inséparable de tout ce qui ſe faiſoit dans ces temps heureux, il fit voir les deſordres
qui naiſſent des Jugemens trop
*
E ij
100 LE MERCVRE
précipitez , & marqua forte- ment que les Juges ne pou- voient apporter trop de pré- caution avant que de pronon-- cer ſur l'intereſt des Parties.
Voicy une comparaiſon dont il ſe ſervit. Souvenez-vous , Маdame, que tout ce que je vous dis eſt fort imparfait, & que les penſées que je vous explique perdentbeaucoup de leurgrace,
dénüées des vives expreſſions qui les mettoient dans leur
jour.
De meſme , dit - il , que les Eaux qui fe répandent dansles Campagnes par divers détours,
y portent la fertilité & l'abondance , ainſi quand lcs Magi- ſtrats accompagnent leurs Iu- gemens de toutes les reflexions neceſſaires pourdéveloper avec ſoin les differens intereſts des
GALAN T. 101
Particuliers , leurs Arreſts ſe trouvent ſoûtenus de cette
équité dont Dieu recommande
aux Hommes de ne s'éloigner jamais. Au contraire lors que cesEauxſe débordent avecl'impétuoſité d'un Torrent , elles les gaſtent , elles y mettent la ſterilité, ce qui eſt en quelque façon l'image des Juges, qui ſe laiſſant emporter au premier feu de leur génie , & ne pre- nant pour reglede leurs Déci- fions que leur enteſtement, &
leur opiniâtreté , confondent le
bon droit avec le mauvais , &
font injuſtement des malheureux.
Le ſujet que M. du Boiſme- nillet , Avocat General de la
Cour des Aydes , prit pour fon Diſcours , fut la connoiſſance
de la Verité. Il montra qu'elle Eij
1102 LE MERCVRE
*étoit fi neceffaire aux Juges, que fans elle ils ne pouvoientgoûter * de veritable plaifir danslemon- de , ny joüir d'une fortune affurée. Il fit voir que ce que l'Homme appelle Fortune, con- fiftoit dans la ſeule elevation,
que nous cherchions cette éle- *vation par tout , &que nous tâ- chions de nous la procurer à
1nous-mefme, en abaiffant ceux en qui nous décotivtions plus de merite qu'en notis , ce qui eftoit caufe qu'il nous fachoit naturellement d'entendre loüer,
-au lieu que la Satyre nons don- noit toûjours de la joye , parce qu'elle a l'adreſſe de changer les vertus en defauts , & que nous ne trouvons point d'abaif- ſement pour les autres qui ne nous ſemble une eſpece d'éle- vation pour nous ; mais qu'en
GALAN T. 103 fin cette Fortune eſtoit injuſte fans la connoiſſance de la Verité. Il adjoûta que la Fortune & les Plaiſirs eſtoient les deux
principaux motifs qui nous fai- *foient agir dans la vie , quec'é- toit ſur eux que tous les autres rouloient , & que nous eſtions *obligez de prendre party. Ce raiſonnement fut ſuivy d'un grand Eloge de Monfieur le Chancelier, qui attira un ap- - plaudiſſement general.
Le Lundy quele Parlement recommence ſes Séances,qui eſt le jour où les Audiances font ouvertes , & qu'on appelle lour - des Harangues , M. le Premier Prefident parle aux Avocats, &
apres leur avoir fait connoiſtre
leur devoir il finit en adreſſant
la parole aux Procureurs. C'eſt ce qui s'eſt toûjours pratiqué ,
Eij
104 LE MERCVRE
& ce qui ſe pratiqua encor la derniere fois. Monfieur de Lamoignon , avec cette gravité de Magiſtrat fi digne de celuy qui tient le premier rang dans ce grand Corps , dit d'abord que c'eſtoit pour la vingtième fois qu'il voyoit renouveller l'an- cienne Ceremonie depuis que la Iuftice s'expliquoit par ſa bouche ſur toutes les obliga- tions que les Avocats avoient contractées avec elle par le
Serment de fidelité qu'ils luy avoient folemnellement juré;
que dans cette longue révolu- tion d'années qui avoit paſſé comme un fonge , il avoit veu changer preſque tout le Bar- reau , & qu'à peine y reftoit- il encor quelques - uns de ceux qui estoient alors dans une ſi haute reputation , & que l'age
GALANT. 105 ou l'infirmité avoient contraints
d'abandonner un employ fi labourieux. Il exagera fort le merite de ces Avocats celebres,
&dit qu'il ſembloit qu'ils n'euf- ſent pas eu plus de durée que cos Etoilles élementaires qu'on
voit ſe détacher du Ciel dans
un temps calme , qui marquent par une trace de lumiere leur chute précipitée & qui ſe per- dent pour jamaisdansl'obſcuri- té dela nuit. Il les compara en fuite à des Torches ardentes
qui jettent une fort grande lueur, qu'on ne voit paroiſtre quepour la voirs'évanoüir dans lemeſme temps. Il adjoûta que leur memoire vivroit toûjours dans le Parlement , où l'idée en eſtoit fi forte , & le ſouvenir fi
agreable, qu'il eſtoit comme im- poſſible de ne pas croire qu'ils
Ev
1106 LE MERCVRE
fuffent encor prefens , &qu'on *entendiſt leur voix parmy cette multitude d'Avocats qui ve- noient en foule pour écouter. Il *les exhorta tous à ſe rendre infatigables dans leur employ comme avoient fait ceux dont
il leur parloit , & leur fit voir qu'ils estoient d'autant plusobli- gez de s'en acquiterdignement,
que noftre grandMonarque, au *milieu des foins qui demandoiet totute ſon application pour ce qui regardoit la Guerre , ne * perdoir jamais celuyde confer- ver l'éclat de la Justice & de
*maintenir ſes intereſts , ce qu'il avoit encor fait paroiſtre depuis *peu de jours en luy donnant pour Chefun grand Homme -dontle choix avoiteſté prévenu par les vœux de toute la France,
&fuivy de fes plus finceres ac- clamations.
GALANT. 107
M. l'Avocat General Lamoignon ſon Fils parla apres luy , M. Talon eftant tout cou- vert de la gloire que ces fortes de Harangues font acquerir.
Son Exorde fut que ſi les Dif- cours que la couſtume veut qu'on faſſe en de pareils temps n'eſtoient confiderez que com- me des Effais d'Eloquence ſem- blables à ces Concerts de Muſique qui flatent l'oreille ſans pe- netrer le cœur , ce feroit un
abus de porter la parole dans un ſi Auguſte Parlement pour maintenir les intereſts de la Juſtice, en repreſentant aux Avo-- cats à quoy les oblige le Ser- ment qu'ils renouvellent tous Ies ans. Il pourſuivit en faiſant connoiſtre que la perfection de ce Serment confiftoit dans la
-verité,la juſtice &le jugement ;
Evj
108 LE MERCVRE
Que fans ces trois conditions
tous les Sermens estoient des
Parjures, &les Parjures, la four- cede tous les malheurs; Qu'ainfi les Payens avoient dévoie à la colere du Ciel , &àl'execration
de la Terre , ceux qui ſe trou- voient coupables des deux plus grands crimes qu'on puiſſe commettre dans le monde , l'un d'avoir mépriſé la Divinité qui préſide aux Sermens , &l'autre d'avoir violé la Verité , ſans la.-
quelle les plus ſages Legiſlateurs marquoient qu'il n'y avoit point deReligion parmy les Hommes,
ny de fidelité parmy les Dieux.
Il finit par une peinture de l'honneſte Hommequ'il exhor- ta les Avocats de ſe propofer pour modelle , afin que s'ap- pliquant avec plus d'ardeur à
rendre juſtice qu'à chercher les
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occafions de s'enrichir , ils euffent unzele parfait à défendre la verité.
LeMercredy ſuivant on tient la Mercuriale. M le Premier
Preſident parle à Meſſieurs les Gens du Roy , qui luy ayant adreſſé la parole enſuite , con- tinuent en l'adreſſant aux Juges en general. M. de Lamoignon,
Chefde ce grand Corps,tourna fonDiſcours la derniere fois fur
la Verité. Il dit que les Juges eſtoient dans une obligation in- diſpenſable de la chercher ſans ſe mettre enpeine de la calom- nie , ny de ce qu'on pourroit dire contre eux quand ils fe- roiet leur devoir; Qu'ils étoient dans un rang élevé , mais expo- ſe àtout,Qu'en cherchant cette Verité , ils devoient craindre
qu'on ne les perfuadat trop ai
TIO LE MERCVRE
fément ; Que chacun croyant avoir droit , croyoit en même- temps que la Verité eſtoit pour luy , & que cependant elle ne pouvoit eftre que d'un coſté ;
Que pour la bien découvrir au travers des voiles qui l'envelopent , ils devoient tout enten- dre , ne rebuter perſonne , & fi cela ſe peut dire , écouter juf- qu'àl'injuſtice meſme, pour n'avoir aucune negligence à ſe re- procher ; Que tout leurdevant eſtre ſuſpects , ils le devoient eſtre à eux-meſmes ; que les Amis ſe laiſſant aveugler par leurs Amis, tâchoient àperfua- der des injuftices aux Iuges ,
dans la penſée qu'ils ne leurde- -< mandoient rien que de juſte, &
qu'ainſi ils avoient ſujet de fe défier de tout , &particulierement d'un Sexe qui ayant des
GALANT. III
privileges particuliers , vouloit toûjours eftre crû , & ne prioit jamais qu'avec quelque forte d'autorité. Il finit par quantité de belles choses qu'il dit ſur la grandeur du Roy , &fur la fide- lité que les Juges doivent à leur
confcience , à ſa Majesté , & à
leur miniſtere.
Monfieur de Harlay Procu- reur General parla en ſuite. II dit que le repos faiſoit fubfifter toute la Nature ; Que Dieu même en avoit étably un jour dans chaque Semaine; que les Corps apres avoir travaillé tout lejour,
eſtoient obligez de ſe délaſſer
*la nuit pour reprendre de nou- velles forces , & qu'ainſi on avoit ordonné lesVacations afin
que l'Eſprit ſe repoſaſt des fati- gues de l'année , & puſt s'ap- pliquer aux Affaires avec une
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nouvelle vigueur ; mais qu'au lieu d'employer ce relâchement à l'uſage auquel on l'a deſtiné,
beaucoup de Juges rentroient auffi crus qu'auparavant , il ex- plique ce terme,adjoûtant qu'ils n'avoient point aſſez digeré les preſſans devoirs qui leur font impoſez par leurs Charges , &
qu'ils ne s'eſtoint pointmis dans l'eſtat oùil faut eſtre pour s'en acquiter ; Qu'il les conjuroit de mieux profiter du temps, &que ce fuſt pour la derniere fois ,
s'ils remarquoient qu'ils en euſſent jamais abuſé.Apres cela il entra dans le détail de ce que doit ſçavoir un Juge , & ayant parlé des Ordonnances , du Droit Ciuil , & de quelques autres dont la connoiſſance luy eſtoit abfolument neceſſaire , il tomba furlafoibleſſe des Hom-
GALANT. 113 mes ſi ſujets à ſe tromper eux- meſmes , ou àſe laiſſer tromper.
Il leur fit connoiſtre que la pré- vention eſtoit lachoſedu monde la plusdangereuſe , puis que l'Innocence en pouvoit ſuffrir ;
&leur ayant marqué ce defaut comme undes plus grands &
des plus préjudiciables qu'ils puſſent avoit , il les exhorta à
fonger ſerieuſement à s'en de- fendre , &à ne donner jamais deJugement fans avoir examiné juſqu'aux moindres circonſtan- cesdes Affaires ſur leſquelles ils avoient à prononcer.
Je vous ay déja priće ,Mada- me , de ne regarder ce quej'a- vois àvous dire ſurcette matiere , que comme une ébauche qui a eftéfaite confufément fur des Portraits achevez. Ce ſont
moins en effet les penſeées de
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ces grands Hommes , que quel- que choſe de leurs penſées. Ils leur ont donné un tour qu'il ne m'eſt pas poſſible de trouver ,
*& j'en laiſſe beaucoup que la memoire de ceux qui les ont Sentenduës avec admiration ne
m'apûfournir.
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Résumé : Tout ce qui s'est passé de remarquable au Parlement le lendemain de la S. Martin, le jour des Harangues & celuy des Mercuriales. [titre d'après la table]
Le texte décrit les cérémonies observées lors de l'ouverture du Parlement, initialement retardées par les succès militaires du roi en Allemagne. Les événements débutent le lendemain de la Saint-Martin avec une messe, suivie des serments des avocats et procureurs. Les séances reprennent le lundi suivant. Les harangues, appelées 'mercuriales', rappellent aux juges leurs obligations et les erreurs à éviter. Monsieur le Premier Président et Monsieur du Boisménillet, Avocat Général, insistent sur l'intégrité et la prudence dans les jugements. Monsieur de Lamoignon, Premier Président, adresse une harangue aux avocats, les exhortant à imiter les grands avocats du passé et à servir la justice avec dévouement. Monsieur Talon, Avocat Général, met l'accent sur la vérité, la justice et le jugement comme fondements du serment des avocats. Le mercredi suivant, une autre mercuriale est tenue, où Monsieur de Lamoignon parle de la nécessité de chercher la vérité sans se soucier des calomnies. Monsieur de Harlay, Procureur Général, conclut en exhortant les juges à bien utiliser les vacances pour se préparer aux affaires judiciaires et à éviter les préventions.
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