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1
p. 1736-1755
TRADUCTION d'une Relation Turque, sur ce qui s'est passé dans les Conferences teuuës pour la Paix entre les Turcs et les Persans, à l'Armée du Grand-Seigneur, près d'Hamadan, par les Plénipotentiaires de Sa Hautesse, et ceux de Chah Thamas, Roy de Perse.
Début :
Achmet-Pacha, Seraskier ou General de l'Armée Otomane, et [...]
Mots clefs :
Traduction, Achmet Pacha, Sérasker, Province de Babylone, Conférences, Paix, Turques, Persans, Plénipotentiaires, Empires, Royaume de Perse, Moscovites, Cours, Gratitude, Dieu
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texteReconnaissance textuelle : TRADUCTION d'une Relation Turque, sur ce qui s'est passé dans les Conferences teuuës pour la Paix entre les Turcs et les Persans, à l'Armée du Grand-Seigneur, près d'Hamadan, par les Plénipotentiaires de Sa Hautesse, et ceux de Chah Thamas, Roy de Perse.
TRADUCTION d'une Relation Turque,
sur ce qui s'est passé dans les Conferences tennës pour la Paix entre les Turcs et les
Persans , à l'Armée du Grand- Seigneur,
près d' Hamadan, par les Plénipotentiaires de Sa Hautesse , et ceux de ChabThamas , Roy de Perse.
Chmer- Pacha, Seraskier ou General
Adel'armée Otomane, et BeylerBey,
( c'est-à- dire Gouverneur ) de la Province de Babylone , en vertu des pleins
pouvoirs que le G. S. lui envoit envoyez pour faire la paix avec les Persans,
ayant nommé Achmet- Pacha , Beylerbey
de Rika, (1) Abdi- Pacha-Zadé- Ali- Bey,
Salahor ( 2 ) de S. H. Kassim- Effendi ,
Defterdar ( 3 ) de l'Armée , et Raghib
Effendi , Defterdar de Bagdat , pour PleB
( 1) Rika , est un des 17. Beylerbeys ou
Grand - Gouvernemens d'Asie , qu'on appelle
Hassilez. Voyez Ricaut , et le 3. du Diarbekir ,
consideré seulement comme l'ancienne Mesopotamie , renfermée entre le Tygre et l'Euphrate.
(2) Salahor, Ecuyer Cavalcadour , qui exerceet travaille les Chevaux du G. S. il y en a″12.
( 3 ) Defterdar , Intendant des Finances et Trésorier. 1
nipo
A O UST. 1732. 1737
nipotentiaires de la Poste > et ChahThamas , ayant choisi pour les siens ,
Mehemet-Riza-Khan , ( 1 ) _ Kouroudgi
Bachi, et Mustapha Khan. Tous ces Ministres se rendirent au quartier du Beylerbey de Rika , où ils s'assemblerent
sous sa Tente , le premier de Janvier de
la présente année 1732.
PREMIERE CONFERENCE.
Après que les Plenipotentiaires respectifs se furent fait les complimens et les
politesses d'usage en pareille occasion .
ceux de la Porte ouvrant la Conférence
dirent à ceux du Roy de Perse.
7
Le Seraskier Achmet-Pacha , nous. a
donné pouvoir d'entrer avec vos Excellences , dans une négociation dont le
succès ne peut être que très- avantageux
à la Perse. Nous sommes disposez de notre part à travailler si éfficacement a la
paix qu'il ne dependra certainement pas
de ncs foins que nous n'en voyions bientôt une heureuse conclusion. Ainsi c'est
à vos Excellences à nous faire connoître
jusqu'à quel point elles sont autorisées de
(1 ) Khan , est la même chose en Perse qu'un Pacha ou un Gouverneur de Province en Turquie, et Kouroudgi Bachi , y fait l'équivalent da
Janissaire Aga chez les Turcs.
leur
1738 MERCURE DE FRANCE
leur Maître , et quelles sont leurs pré- tentions.
Les Plenipotentiaires de Perse, prenant
alors la parole , répondirent que de tout
temps l'illustre Maison des Rois de Perse
avoit été liée d'amitié avec l'illustreMaison
Otomane , et que cette amitié n'avoit jamais été interrompuë que par la fatalité
du destin , qui avoit quelquefois produit
des évenemens surnaturels , suivis de la
discorde , et contre toute attente. Mais
ajoûterent- ils , nous desirons aujourd'hui
avec ardeur de faire revivre entre nous une
union si intime, qu'elle puisse rétablir
une tranquillité inalterable entre ces deux
Empires.
C'est aussi le même motif qui nous
anime, répliquerent les Ministres Turcs ;
mais pour parvenir au but que nous nous
proposons tous, il faut commencer par
convenir de certains points fondamentaux
qui puissent servir de base au Traité qui
nous assemble , et il est necessaire pour
cela que vous nous découvriez d'abord
sans détour, vos véritables intentions, afin
qu'après en avoir informé le très heureux
Seraskier , nous puissions , sur les ordres
que nous en recevrons , donner quelque
forme à la Négociation que nous enta
mons aujourd'hui.
Puisque
1
A O UST. 1732. 1739
Puisque vos Excellences souhaitent
que nous nous expliquions nettement ,
reprirent les Ministres de Perse , nous
demandons que generalement tous les
Pays que vous nous avez prís nous soient
restituez , et que la Paix et nos Frontieres avec l'EmpireOtoman soient reglées
sur le même pied qu'elles le furent sous
le Regne du Sultan Soliman , ( 1 ) de
glorieuse memoire.
Ce discours a de quoi nous surprendre,
répartirent les Turcs , et vous nous faiteslà une proposition des plus nouvelles. Il
a toûjours été d'usage , lorsque des Princes ennemis font la paix ensemble , que
non-seulement le vainqueur conserve les
conquêtes dont il est en possession , mais
que le vaincu lui fasse encore des avantages. C'est le cours ordinaire ; les Histoires , tant anciennes que modernes ,
en fournissent mille exemples , et nous
nedoutons pas que vous ne sçachiez tout
cela comme nous. D'ailleurs dans la Paix
que vous nous citez , qui fut concluë entre nos devanciers et les vôtres sous l'Emperéur Soliman , on y convint pour Préliminaires , que les Provinces de Tchildir , ( 2 ) de Cars , ( 3 ) de Van , ( 4 ) et
(1) Soliman II. prit et pilla Tauris en 1535
( 2 ) Tchildir est le ye Gouvernement d'Asie ,
plu-
1740 MERCURE DE FRANCE
plusieurs autres lieux resteroient à la Porte ; et vous , bien loin de nous offrir au
moins quelques Places au- delà des Pays
que le sort des armes a mis entre nos mains , vous demandez que nous vous
rendions ces mêmes Pays , qui subis
sent nos Loix depuis long - temps et
dont la conquête nous a coûté des trésors immenses et des torrens de notre
sang.
Vous avez raison , dirent les Persans ;
` nous convenons de la justesse de vos rai
sonnemens, mais un Empire aussi puissant et d'une aussi prodigieuse érenduë
que le vôtre , ne doit pas s'attacher , ni
même daigner faire attention à quelques
coins de terre si ruinez , qu'ils sont devenus plus propres à servir de retraite à
de tristes Hiboux , que de demeure à
de valeureux Soldats comme les- Otomans. Neanmoins quoique ces contrées
désolées ne puissent êtte considerées
1
que
de ceux qu'on appelle Hasilé. Il est sur les Frontieres de la Georgie.
(3) Cars , Ville de la grande Armenie , dans
cette partie qu'on appelle aujourd'hui Iran , ou
Carabag , entre l'Araxe et le Cyrus.
(4) Van , Ville de la même contrée que Cars,
et située sur un Lac du même nom , que l'on
appelle la Mer de Van ou d'Armenie , à cause
de son extréme grandeur... comme
A O UST. 1732. 1740
.
comme un rien pour votre Empire il est
pourtant vrai qu'elles sont un objet fort
considerable pour le nôtre , et que nous
en regarderons la restitution comme une
grace singuliere , purement émanée de
la clémence du G. S. que nous osons implorer aujourd'hui ; au surplus vous êtes
les Maîtres et nous nous en remettons
à vous avec une entiere confiance.
II. CONFERENCE, tenu le lendemais
entre les mêmes Ministres et au même
endroit.
Les Plénipotentiaires Turcs adressant
la parole à ceux de Perse , leur dirent :
si vous êtes effectivement dans le dessein
de finir la guerre , ( 1 ) ne vous amusez pas,
comme vous fites hier , à battre le fer
froid. Mais au lieu de vous entretenir
dans la vaine idée de la pouvoir terminer sur le même plan que nos Ancêtres
suivirent sous Soliman , songez plutôt à
joindre à nos conquêtes quelques Pro
vinces qui puissent nous convenir , ainsi
que les vaincus en ont toûjours agi envers leurs vainqueurs.
Et que nous reste-t'il , pour vous don
ner de nouvelles Provinces , se récrierent
(1 )Proverbe Arabe , qui revient au nôtre , il
faut battre le fer tandis qu'il est chaud,
les
1742 MERCURE DE FRANCE
les Persans ? Nous venons humblement
vous demander grace ; nous reclamons
la misericorde de la Porte ; notre intention n'est pas de marchander ni de chicaner avec vous ; nous connoissons.trop
l'état d'humiliation où l'enchainement de
nos malheurs nous a réduits , pour avoir
la présomption de vous rien contester
mais si la décadence de nos affaires , arrivée par le concours de mille fâcheux évenemens , a été cause que vous nous avez
traitez de la maniere la plus cruelle, pourriez vous laisser échapper la belle occasion que le Ciel vous offre aujourd'hui de
réparer nos maux , en faisant autant de
bien à notre Monarque , que vous lui
-avez porté de préjudice ? non , au lieu
de lui rien demander davantage , réta
blissez-le sur son Trône , avec autant de
puissance et de splendeur qu'y brillerent
autrefois ses illustres Ayeux , et persua
dez- vous que la gloire de votre Empire.
et de votre Empereur y est interessée. Du
reste, à notre égard, nous serons toujours
satisfaits de tout ce que feront vos Excellences.
Nous voulons bien le croire ainsi , répondirent les Plénipotentiaires de la
Porte , et votre modestie nous confirme
dans l'opinion que nous avions déja conçuë
A O UST. 1732. 1743
çue de votre prudence et ' de votre capacité. C'est pourquoi nous vous déclarons de la part de l'Empereur notre Maî
tre, que par un excès de bonté pour vous,
il veut bien , non- seulement vous accorder la Paix et se désister des justes prétentions qu'il auroit comme victorieux
d'exiger de nouveaux Païs qui seroient
à sa bienseance , outre ceux qu'il a conquis sur vous , il veut encore faire plus
en votre faveur , et pour vous marquer
jusqu'où va son extrême generosité , il
vous donne le choix entre les derniers
Pays que ses Armes lui ont acquis en
deçà de l'Araxe , et à l'exception de la
Province de Tauris , ( ) vous n'avez qu'à
demander , tout vous sera accordé.
Nous vous avons exposé ce que nous
desirions , répliquerent les Persans , et
sans varier dans l'unique point- de- vûë
qu'il nous est permis d'avoir , nous continuons à vous prier de rétablir notre Roy
dans tous ses Etats. Faites cependant ce
que vous jugerez de plus digne de vous
et de la gloire de votre Empire. Mais
comme nous nous app rcevons que nos
instances les plus vives ne produisent pas
(1) Tauris ou Tebris , grande Ville et Provin- ce enclavée dans l'Airbeitzan ou Edzerbaijan
qui fait partie de l'ancienne Médie,
sur
1744 MERCURE DE FRANCE
sur vos Excellences l'effet que nous avions
crû pouvoir nous en promettre , qu'elles
nous donnent , s'il leur plaît le reste du
jour pour consulter entre nous , et demain matin Mustapha Khan (. ) viendra
vous rendre compte de la résolution que
nous aurons prise.
III. CONFERENCE , où il n'y ent
que Mustapha - Khan , de la part de Chah-Thamas.
Le lendemain , ainsi que les Plénipotentiaires Persans l'avoient promis , Mustapha- Kan se rendit au lieu de l'Assemblée et dit aux Ministres Turcs qui l'y
attendoient. A la verité jusqu'à present
nous avions été obligez , Mehemet RizaKhan et moi , de nous en tenir , conformement à nos instructions , à vous
prier de restituer generalement à notre
Souverain tous les Pays que la Porte lui
a enlevez , mais ayant reconnu combien
vos Excellences étoient éloignées de remplir nos souhaits à cet égard , nous hous
sommes retranchez à les supplier d'agréer
une des deux propositions que je vais
avoir l'honneur de leur faire. La premie-
*
(1) N. B. c'étoir Mehemet Riza Khan , qui
tomme Premier Plénipotentiaire , portoit la parolc.
A O UST. 17327 1745
re, que la Perse payera annuellement à
la sublime Porte une certaine somme
dont on conviendra , moyennant quoi
les limites des deux Empires seront bor :
nées par les Rivieres d'Arpatchaï ( 1 ) et :
de Karct-Kalkan , et vous nous restituerez tous les Etats que vous avez conquis .
sur nous. La seconde , qui vous sera peutêtre plus agréable , que les Provinces de
Tiflis ( 2 ) d'Herdelan, resteront sous votre
domination , et que vous nous ferez la
grace de laisser rentrer le reste sous celle
de notre Roy.
Ni l'une ni l'autre de ces propositions
n'est acceptable , répondirent les Plenipotentiaires de Turquie , et il nous paroît si hors de propos , que vous fassiez
la moindre ouverture sur les Pays audelà del'Araxe qu'il ne nous convient ›
même pas d'ouvrir la bouche pour vous
répondre sur cet article. En verité , continua le Pacha de Rika , qui comme le
premier entre ses Collegues parloit pour
tous , il est bien étrange , que dans le
temps même qu'également touchez de
11) Ces deux Rivieres sont en Géorgie.
(2) Tiflis , ou Téffis , Capitaine du Gurgistan,
qui est la Géorgie , proprement dite. Elle est si- tuée sur le bord du Kur , anciennement le Cyrus.
Herdelan est dans le même Pays.
D YOS
1746 MERCURE DE FRANCE
vos malheurs et de vos prieres , nous
consentons , non- seulement à renoncer
en faveur de la Paix aux Provinces que
nous serions en droit d'exiger par- dessusnos conquêtes , mais que notre complaisance pour vous s'étend jusqu'à vous of→
frir de vous en rendre de celles que nous
venons d'acquerir ; il est bien étrange ,
dis-je , que vous nous fassiez sérieusement
des propositions si éloignées de toute raison. Vous voulez ceci , vous ne vou
lez pas cela , et vous prétendez disposer
des Pays qui sont entre nos mains, comme
si vous en étiez encore les paisibles possesseurs.N'avez vous donc pas de honte d'ê
tre si peu judicieux ? Le Pacha s'emporta
en proferant ces dernieres paroles , ou
du moins fit semblant de s'emporter ,
car il se radoucit bien- tôt , quand Mustapha l'interrompant d'un air humble et
flateur , s'exprima en ces termes : Nous
sommes venus implorer la générosité de
la sublime Porte , à laquelle nous nous
abandonnons sans réserve , et dont la
puissance s'étend d'un bout du Pole à l'au
tre; vous nous voyez accablez de revers,
sans appui , sans secours; nous ne possedons plus rien qui mérite de porter le
nom de Païs et de Provinces ; il n'est pas
étonnant que dans des circonstances si
affligeantes,
A O UST. 1732. 1747
affligeantes , nous vous fassions des demandes qui vous paroissent inconsiderées , mais vous ne devez pas nous en
sçavoir mauvais gré , et quelque extraordinaires que vous semblent nos prétentions , l'état violent où nous sommes,
doit les excuser auprès de vos Excellences.
Pourquoi , reprirent les Turcs , faites-vous tant les miserables ? Est- ce que
le Royaume de Perse est renfermé seulement dans les conquêtes que nous y
avons faites ? et peut-on appeller pauvre
un Souverain qui possede Ispaham , le
Guilhan , ( 1 ) Chiras , ( 2 ) le Korassan , (3)
et tant d'autres Contrées , qui forment
encore un vaste Empire ?
De tous les Etats , dont vous venez de
faire l'énumération , repartit Mustapha ,
en soupirant , une partie a passé sous les
Loix des Infideles Moscovites , et l'autre
est , pour ainsi dire , totalement boule-
(i) Le Guilhan ou Kilan , est le long de la
Mer Caspienne , et compose avec le Mazandran ,
l'ancienne Hyrcanie.
(2 ) Chiras ou Schiras , Ville sur le Kur, dans
le Farsistan ou la Perse proprement dite.
(3) Le Korassan , Corasan , ou Chorasan ,
comprend l'anciene Ariane , partie de la Bactriane , et du Païs des Parthes , c'est une des plus
Considerables Contrées de la Perse.
Dij versée
1748 MERCURE DE FRANCE
1
versée par les ravages et les désordres
qu'y ont faits , ou qu'y ont attirez les
cruels ( 1 ) Esghans. De sorte qu'à proprement parler , nous n'avons plus frien
de quelque conséquence que Coni ( 2 ) ,
Kiachan ( 3 ), et ( 4 ) Ispaham.
Mais si votre situation , repliquerent
les Turcs , est aussi déplorable que vous
nous la dépeignez ; si outre cela vous affectez dans toutes les occasions de vous
dire , nos Freres , de vous vanter d'être
avec nous dans la même unité de Religion, et si vous avez d'ailleurs tant d'embarras et d'ennemis sur les bras, d'où vient
ne vous pas appliquer à vous en délivrer?
Pourquoi vous acharner particulierement
contre nous , comme vous faites ? Car s'il
en faut juger par toutes vos démarches ,
il n'y a que nous seuls qui vous occu-
( 1 ) Esghans , Eughans , ou Aguans , Peuples
du Candahar , qui fait partie du Sablustan , autrefois le Paropamisus.
(2 ) Com , ou Kom , Ville dans l'Hierak ou
Yerak- Agemi , partie de l'ancien Royaume des
Parthes.
( 3 ) Kiachan ou Cachan, grande Ville du même Pais.
( 4 ) Ispaham , Spahan , ou Spahon , comme prononcent les Persans , est aussi dans le même
Païs. Les uns croient que cette Capitale de toute
la Perse , a été bârie sur les ruines d'HécatomPylos , et d'autres sur celles d'Aspa.
pions ;
AOUST. 1732. 1749
}
pions ; vos divisions , vos disputes , vos
guerres,votre empressement pour la Paix,
tout semble en vous n'avoir que Nous
pour unique objet.
C'est aussi , dit Mustapha , l'affaire qui
nous interesse le plus , et que nous prenons le plus à cœur. Vous êtes l'ennemi
le plus redoutable que nous ayions en tête;
si nous pouvons parvenir à cimenter avec
vous une Paix solide , nous nous démêlerons facilement de nos autres ennemis ;
et s'il plaît à Dieu, nous vérifierons bientôt le Proverbe Arabe, qui dit que l'hommese releve où il est tombé.
Mais enfin , continua- t-il , si les Otomans nous ont fait éprouver la fureur de
leurs armes , et s'ils nous ont maltraitez
au delà de ce que nous pouvions jamais
prévoir , nous esperons qu'à tant de calamitez qu'ils nous ont fait souffrir , ils feront succeder des dédommagemens qui
Ies égaleront. C'est uniquement dans cet
esprit, que nous venons négocier avec
vous, et non pour disputer sur le plus ou
le moins de Pais à prétendre et à ceder.
Nous vous retraçons au naturel l'image
de nos infortunes ; nos prieres y sont relatives ; c'est à vos Excellences , comme
nous leur avons déja dit, de prendre une
détermination à notre égard , qui distinDiij gue
1750 MERCURE DE FRANCE
gue d'une façon glorieuse , la grandeur et
la dignité de votre Empire.
Tout cela est excellent , répondirent les
Ministres Turcs , et vous avez raison de
vous attendre à recevoir des faveurs de la
Porte ; mais votre attente, pour être bien
fondée , ne doit pas être sans mesure , et
nous voyons avec peine , qu'au lieu de
resserrer vos désirs dans de justes bornes,
vous n'avez fait , jusqu'icy , que vous répandre en demandes indiscretes , qui
loin de nous approcher du but , nous en
écartent. Ainsi comme vous n'avancerez
jamais rien avec nous , si vous ne prenez
une autre route , nous voulons bien encore vous donner le loisir de réfléchir de
nouveau plus murement , sur vos véri
tables intérêts, et nous les discuterons vo
lontiers plus en détail dans la Conféren
ce que nous tiendrons demain.
IV. CONFERENCE , où tous les Ple
nipotentiaires des deux Cours assisterent.
Le 4 dudit mois de Janvier , les Ministres de la Porte , parlant toujours les
premiers , dirent à ceux de Perse : Nous
nous étions persuadez , qu'en agitant une
affaire d'aussi grande importance que celle.
de la Paix , nous ne devions rien négliger
pour la porter à son point de perfectionle
AOUST. 1732. 1791 8
le plutôt qu'il se pourroit ; et nous nous
étions flatez de trouver dans vos Excellences , des dispositions conformes aux
nôtres en cela. Mais nous reconnoissons ,
à regret , que nous avions mal pénétré
leurs intentions , puisqu'il paroît clairement , qu'elles ne cherchent qu'à éluder
les nôtres, et qu'à gagner du temps, pour
faire échouer la négociation à force de la
tirer en longueur. En effet , si ce n'étoit
pas là votre vûë, pourriez- vous vous opiniatrer , comme vous faites , à former des
prétentions , ausqu'elles vous sçavez bien
vous-même qu'il ne nous est pas possible
de souscrire ?
Nous sommes pleinement convaincus
de notre impuissance, répondirent les Persans, et que nous ne pourrons secoüer le
joug qu'il vous plaira de nous imposer.
Vous possedez tout, nous sommes privez
de tout ; c'est à vous d'ordonner,èt à nous
d'obéïr.
S'il étoit vrai , comme vous le dites, reprirent les Turcs , qu'il ne dépendit que
de nous d'achever heureusement cette
négociation , vous ne nous feriez pas des
demandes si peu mesurées , et toutes nos
prétentions réciproques seroient reglées
dans un moment. Il faut être équitable,
et que vos Excellences se restraignent à ce
Diiij qu'on
1752 MERCURE DE FRANCE
qu'on peut raisonnablement leur accorder. Ainsi, sans perdre davantage le temps
en discours specieux , qui ne conduisent
à rien de décisif, parlez- nous une bonne
fois positivement ; nous vous réïterons ,
que vous nous trouverez toujours disposez à nous prêter à tout ce que vous nous
proposerez de faisable. Mais nous devons
vous prévenir auparavant , qu'il ne faut
plus nous contester la possession des Païs
au-delà de l'Araxe , ni que vous insistiez
de nouveau sur la restitution de Tauris ,
qui est en deçà de ce Fleuve. Hors ces
deux articles , vous pouvez tout esperer
du désir sincere que nous avons de faire
tenaître entre les deux Empires une harmonie inalterable.
qui
Vous êtes les maîtres , encore un coup,
repliquerent les Persans ; nous continuons d'avouer que tout vous appartient chez nous ; mais dès que vous rejetteż la priere que nous vous faisons , de
-nous rendre nos Etats au delà de l'Araxe,
set la Province de Tauris en deçà ; surquoi
voulez-vous que roulent nos Conféren-
´ces, puisque tout ce qui nous reste de notre Monarchie , ne vaut pas seulement la
peine qu'on en fasse mention ?
Comment , s'écrierent les Plénipotentiaires de la Porte; n'y at- il pas encore
( 1)
A OUST. 1732. 1753
(1 ) Amadan , avec son vaste territoire ?
et si nous vous le rendons , ne devez- vous
pas être satisfaits ?
-
Nous avions toujours esperé , repartirent ceux de Perse , que vous fériez rentrer Chah Tahmas dans les Païs d'audelà de l'Araxe , et toute la faveur que
vous voulez lui faire , consiste à lui rendre Amadan , qui est en deçà. Dès que
vous montrez si peu d'égard à nos humbles et constantes supplications , nous ne
sçavons plus que vous proposer , et votre infléxibilité nous rend muets.
Que nous dites- vous-là , reprirent les
Turcs; avez- vous oublié , que lors même
que votre Maître se vantoit de nous avoir
battus , il envoïa à la Porte (2) Riza Kouli Khan et Méhémet-Veli - Khan, qui dans
leurs conférences, avec nos Ministres , cederent tous ces Païs Surquoi , s'il vous
plaît , aujourd'hui que vous vous confessez vaincus, pouvez appuïer votre obs
tination à les répéter ?
>
Nous convenons de ce fait , replique-
( 1 ) Hamadan , Ville des plus considérables de
Perse. Elle est dans l'Yerax - Agemi , qui est l'ancienne region des Parthes.
( 2 )Ils firent leur entrée à Constantinople le
18 Juin 1730. Riza- Kouli-Khan , qui étoit le
chef de l'ambassade , eut la tête tranchée peu
après son retour en Perse.
D v rent
1754 MERCURE DE FRANCE
rent les Persans ; mais peut-être feignezvous d'ignorer , que ce fut par l'habileté
et les adroites insinuations de vos négociateurs , que les nôtres consentirent im
prudemmentàce que ces Païs vous restassent ,en quoi ayant excedé leur pouvoir,
ils furent fort désaprouvez de notre Souverain. Aussi pouvons- nous dire , que ce
fut la source de tous les malheurs qui nous
ont accablez depuis ! Mais ne nous rapellez plus des temps funestes , que nous
voudrions pouvoir ensevelir dans un éternel oubli ; rappellez vous seulement que
l'infortuné Chah Tahmas a recours à la
clémence de la sublime Porte , et qu'il remet entierementson sort entre vos mains.
C'est sur ce principe que vous devez raisonner , et vous résoudre ensuite au parti
qui vous paroîtra le plus glorieux à votre
Empire.
>
N'est ce donc pas une grande grace de
notre part , dirent les Ministres Turcs
que tout ce que nous vous offrons ? Il est
vtai , répondirent ceux de Perse , qu'à ne
considerer , que la ruine presqu'universelle où notre Royaume est tombé , ce qué
vous voulez bien nous rendre , peut passer pour une faveur signalée , mais cette
faveur,toute rare qu'elle est , ne répond
pas encore ni à notre état , ni à nos prieres
AOUST. 17320 1755
res ; daignez - y faire plus d'attention , et
vous conviendrez que la Porte qui nous a
tant fait de maux , depuis l'inondation
des Esghans sur nos terres , est en quelque façon obligée pour son honneur de
réparer, autant qu'il est en elle, les dommages infinis qu'elle nous a causez , et que
la compassion qu'elle aura pour nous,doit
être au moins proportionnée à la reconnoissance que nous en conserverons éternellement. Nous osons même ajouter ,
que si votre tres-magnifique Empereur
reconnoit ,comme il le doit , que ses Vic.
toires et le bonheur de ses armes,sont des
bien faits qu'il a reçus de la Providence s
il est de sa piété d'en témoigner à Dieu
sa gratitude d'une maniere extraordinaire. Hé! comment peut-il mieux s'en acquitter , qu'en nous faisant ressentir de si
grands effets de sa magnanimité, que tous
les Monarques de la terre, surpris, soient
forcez deconvenir qu'ils n'ont jamais rien
vû , ni entendu parler de semblable ?
On donnera la suite dans le prochain
Mercure.
sur ce qui s'est passé dans les Conferences tennës pour la Paix entre les Turcs et les
Persans , à l'Armée du Grand- Seigneur,
près d' Hamadan, par les Plénipotentiaires de Sa Hautesse , et ceux de ChabThamas , Roy de Perse.
Chmer- Pacha, Seraskier ou General
Adel'armée Otomane, et BeylerBey,
( c'est-à- dire Gouverneur ) de la Province de Babylone , en vertu des pleins
pouvoirs que le G. S. lui envoit envoyez pour faire la paix avec les Persans,
ayant nommé Achmet- Pacha , Beylerbey
de Rika, (1) Abdi- Pacha-Zadé- Ali- Bey,
Salahor ( 2 ) de S. H. Kassim- Effendi ,
Defterdar ( 3 ) de l'Armée , et Raghib
Effendi , Defterdar de Bagdat , pour PleB
( 1) Rika , est un des 17. Beylerbeys ou
Grand - Gouvernemens d'Asie , qu'on appelle
Hassilez. Voyez Ricaut , et le 3. du Diarbekir ,
consideré seulement comme l'ancienne Mesopotamie , renfermée entre le Tygre et l'Euphrate.
(2) Salahor, Ecuyer Cavalcadour , qui exerceet travaille les Chevaux du G. S. il y en a″12.
( 3 ) Defterdar , Intendant des Finances et Trésorier. 1
nipo
A O UST. 1732. 1737
nipotentiaires de la Poste > et ChahThamas , ayant choisi pour les siens ,
Mehemet-Riza-Khan , ( 1 ) _ Kouroudgi
Bachi, et Mustapha Khan. Tous ces Ministres se rendirent au quartier du Beylerbey de Rika , où ils s'assemblerent
sous sa Tente , le premier de Janvier de
la présente année 1732.
PREMIERE CONFERENCE.
Après que les Plenipotentiaires respectifs se furent fait les complimens et les
politesses d'usage en pareille occasion .
ceux de la Porte ouvrant la Conférence
dirent à ceux du Roy de Perse.
7
Le Seraskier Achmet-Pacha , nous. a
donné pouvoir d'entrer avec vos Excellences , dans une négociation dont le
succès ne peut être que très- avantageux
à la Perse. Nous sommes disposez de notre part à travailler si éfficacement a la
paix qu'il ne dependra certainement pas
de ncs foins que nous n'en voyions bientôt une heureuse conclusion. Ainsi c'est
à vos Excellences à nous faire connoître
jusqu'à quel point elles sont autorisées de
(1 ) Khan , est la même chose en Perse qu'un Pacha ou un Gouverneur de Province en Turquie, et Kouroudgi Bachi , y fait l'équivalent da
Janissaire Aga chez les Turcs.
leur
1738 MERCURE DE FRANCE
leur Maître , et quelles sont leurs pré- tentions.
Les Plenipotentiaires de Perse, prenant
alors la parole , répondirent que de tout
temps l'illustre Maison des Rois de Perse
avoit été liée d'amitié avec l'illustreMaison
Otomane , et que cette amitié n'avoit jamais été interrompuë que par la fatalité
du destin , qui avoit quelquefois produit
des évenemens surnaturels , suivis de la
discorde , et contre toute attente. Mais
ajoûterent- ils , nous desirons aujourd'hui
avec ardeur de faire revivre entre nous une
union si intime, qu'elle puisse rétablir
une tranquillité inalterable entre ces deux
Empires.
C'est aussi le même motif qui nous
anime, répliquerent les Ministres Turcs ;
mais pour parvenir au but que nous nous
proposons tous, il faut commencer par
convenir de certains points fondamentaux
qui puissent servir de base au Traité qui
nous assemble , et il est necessaire pour
cela que vous nous découvriez d'abord
sans détour, vos véritables intentions, afin
qu'après en avoir informé le très heureux
Seraskier , nous puissions , sur les ordres
que nous en recevrons , donner quelque
forme à la Négociation que nous enta
mons aujourd'hui.
Puisque
1
A O UST. 1732. 1739
Puisque vos Excellences souhaitent
que nous nous expliquions nettement ,
reprirent les Ministres de Perse , nous
demandons que generalement tous les
Pays que vous nous avez prís nous soient
restituez , et que la Paix et nos Frontieres avec l'EmpireOtoman soient reglées
sur le même pied qu'elles le furent sous
le Regne du Sultan Soliman , ( 1 ) de
glorieuse memoire.
Ce discours a de quoi nous surprendre,
répartirent les Turcs , et vous nous faiteslà une proposition des plus nouvelles. Il
a toûjours été d'usage , lorsque des Princes ennemis font la paix ensemble , que
non-seulement le vainqueur conserve les
conquêtes dont il est en possession , mais
que le vaincu lui fasse encore des avantages. C'est le cours ordinaire ; les Histoires , tant anciennes que modernes ,
en fournissent mille exemples , et nous
nedoutons pas que vous ne sçachiez tout
cela comme nous. D'ailleurs dans la Paix
que vous nous citez , qui fut concluë entre nos devanciers et les vôtres sous l'Emperéur Soliman , on y convint pour Préliminaires , que les Provinces de Tchildir , ( 2 ) de Cars , ( 3 ) de Van , ( 4 ) et
(1) Soliman II. prit et pilla Tauris en 1535
( 2 ) Tchildir est le ye Gouvernement d'Asie ,
plu-
1740 MERCURE DE FRANCE
plusieurs autres lieux resteroient à la Porte ; et vous , bien loin de nous offrir au
moins quelques Places au- delà des Pays
que le sort des armes a mis entre nos mains , vous demandez que nous vous
rendions ces mêmes Pays , qui subis
sent nos Loix depuis long - temps et
dont la conquête nous a coûté des trésors immenses et des torrens de notre
sang.
Vous avez raison , dirent les Persans ;
` nous convenons de la justesse de vos rai
sonnemens, mais un Empire aussi puissant et d'une aussi prodigieuse érenduë
que le vôtre , ne doit pas s'attacher , ni
même daigner faire attention à quelques
coins de terre si ruinez , qu'ils sont devenus plus propres à servir de retraite à
de tristes Hiboux , que de demeure à
de valeureux Soldats comme les- Otomans. Neanmoins quoique ces contrées
désolées ne puissent êtte considerées
1
que
de ceux qu'on appelle Hasilé. Il est sur les Frontieres de la Georgie.
(3) Cars , Ville de la grande Armenie , dans
cette partie qu'on appelle aujourd'hui Iran , ou
Carabag , entre l'Araxe et le Cyrus.
(4) Van , Ville de la même contrée que Cars,
et située sur un Lac du même nom , que l'on
appelle la Mer de Van ou d'Armenie , à cause
de son extréme grandeur... comme
A O UST. 1732. 1740
.
comme un rien pour votre Empire il est
pourtant vrai qu'elles sont un objet fort
considerable pour le nôtre , et que nous
en regarderons la restitution comme une
grace singuliere , purement émanée de
la clémence du G. S. que nous osons implorer aujourd'hui ; au surplus vous êtes
les Maîtres et nous nous en remettons
à vous avec une entiere confiance.
II. CONFERENCE, tenu le lendemais
entre les mêmes Ministres et au même
endroit.
Les Plénipotentiaires Turcs adressant
la parole à ceux de Perse , leur dirent :
si vous êtes effectivement dans le dessein
de finir la guerre , ( 1 ) ne vous amusez pas,
comme vous fites hier , à battre le fer
froid. Mais au lieu de vous entretenir
dans la vaine idée de la pouvoir terminer sur le même plan que nos Ancêtres
suivirent sous Soliman , songez plutôt à
joindre à nos conquêtes quelques Pro
vinces qui puissent nous convenir , ainsi
que les vaincus en ont toûjours agi envers leurs vainqueurs.
Et que nous reste-t'il , pour vous don
ner de nouvelles Provinces , se récrierent
(1 )Proverbe Arabe , qui revient au nôtre , il
faut battre le fer tandis qu'il est chaud,
les
1742 MERCURE DE FRANCE
les Persans ? Nous venons humblement
vous demander grace ; nous reclamons
la misericorde de la Porte ; notre intention n'est pas de marchander ni de chicaner avec vous ; nous connoissons.trop
l'état d'humiliation où l'enchainement de
nos malheurs nous a réduits , pour avoir
la présomption de vous rien contester
mais si la décadence de nos affaires , arrivée par le concours de mille fâcheux évenemens , a été cause que vous nous avez
traitez de la maniere la plus cruelle, pourriez vous laisser échapper la belle occasion que le Ciel vous offre aujourd'hui de
réparer nos maux , en faisant autant de
bien à notre Monarque , que vous lui
-avez porté de préjudice ? non , au lieu
de lui rien demander davantage , réta
blissez-le sur son Trône , avec autant de
puissance et de splendeur qu'y brillerent
autrefois ses illustres Ayeux , et persua
dez- vous que la gloire de votre Empire.
et de votre Empereur y est interessée. Du
reste, à notre égard, nous serons toujours
satisfaits de tout ce que feront vos Excellences.
Nous voulons bien le croire ainsi , répondirent les Plénipotentiaires de la
Porte , et votre modestie nous confirme
dans l'opinion que nous avions déja conçuë
A O UST. 1732. 1743
çue de votre prudence et ' de votre capacité. C'est pourquoi nous vous déclarons de la part de l'Empereur notre Maî
tre, que par un excès de bonté pour vous,
il veut bien , non- seulement vous accorder la Paix et se désister des justes prétentions qu'il auroit comme victorieux
d'exiger de nouveaux Païs qui seroient
à sa bienseance , outre ceux qu'il a conquis sur vous , il veut encore faire plus
en votre faveur , et pour vous marquer
jusqu'où va son extrême generosité , il
vous donne le choix entre les derniers
Pays que ses Armes lui ont acquis en
deçà de l'Araxe , et à l'exception de la
Province de Tauris , ( ) vous n'avez qu'à
demander , tout vous sera accordé.
Nous vous avons exposé ce que nous
desirions , répliquerent les Persans , et
sans varier dans l'unique point- de- vûë
qu'il nous est permis d'avoir , nous continuons à vous prier de rétablir notre Roy
dans tous ses Etats. Faites cependant ce
que vous jugerez de plus digne de vous
et de la gloire de votre Empire. Mais
comme nous nous app rcevons que nos
instances les plus vives ne produisent pas
(1) Tauris ou Tebris , grande Ville et Provin- ce enclavée dans l'Airbeitzan ou Edzerbaijan
qui fait partie de l'ancienne Médie,
sur
1744 MERCURE DE FRANCE
sur vos Excellences l'effet que nous avions
crû pouvoir nous en promettre , qu'elles
nous donnent , s'il leur plaît le reste du
jour pour consulter entre nous , et demain matin Mustapha Khan (. ) viendra
vous rendre compte de la résolution que
nous aurons prise.
III. CONFERENCE , où il n'y ent
que Mustapha - Khan , de la part de Chah-Thamas.
Le lendemain , ainsi que les Plénipotentiaires Persans l'avoient promis , Mustapha- Kan se rendit au lieu de l'Assemblée et dit aux Ministres Turcs qui l'y
attendoient. A la verité jusqu'à present
nous avions été obligez , Mehemet RizaKhan et moi , de nous en tenir , conformement à nos instructions , à vous
prier de restituer generalement à notre
Souverain tous les Pays que la Porte lui
a enlevez , mais ayant reconnu combien
vos Excellences étoient éloignées de remplir nos souhaits à cet égard , nous hous
sommes retranchez à les supplier d'agréer
une des deux propositions que je vais
avoir l'honneur de leur faire. La premie-
*
(1) N. B. c'étoir Mehemet Riza Khan , qui
tomme Premier Plénipotentiaire , portoit la parolc.
A O UST. 17327 1745
re, que la Perse payera annuellement à
la sublime Porte une certaine somme
dont on conviendra , moyennant quoi
les limites des deux Empires seront bor :
nées par les Rivieres d'Arpatchaï ( 1 ) et :
de Karct-Kalkan , et vous nous restituerez tous les Etats que vous avez conquis .
sur nous. La seconde , qui vous sera peutêtre plus agréable , que les Provinces de
Tiflis ( 2 ) d'Herdelan, resteront sous votre
domination , et que vous nous ferez la
grace de laisser rentrer le reste sous celle
de notre Roy.
Ni l'une ni l'autre de ces propositions
n'est acceptable , répondirent les Plenipotentiaires de Turquie , et il nous paroît si hors de propos , que vous fassiez
la moindre ouverture sur les Pays audelà del'Araxe qu'il ne nous convient ›
même pas d'ouvrir la bouche pour vous
répondre sur cet article. En verité , continua le Pacha de Rika , qui comme le
premier entre ses Collegues parloit pour
tous , il est bien étrange , que dans le
temps même qu'également touchez de
11) Ces deux Rivieres sont en Géorgie.
(2) Tiflis , ou Téffis , Capitaine du Gurgistan,
qui est la Géorgie , proprement dite. Elle est si- tuée sur le bord du Kur , anciennement le Cyrus.
Herdelan est dans le même Pays.
D YOS
1746 MERCURE DE FRANCE
vos malheurs et de vos prieres , nous
consentons , non- seulement à renoncer
en faveur de la Paix aux Provinces que
nous serions en droit d'exiger par- dessusnos conquêtes , mais que notre complaisance pour vous s'étend jusqu'à vous of→
frir de vous en rendre de celles que nous
venons d'acquerir ; il est bien étrange ,
dis-je , que vous nous fassiez sérieusement
des propositions si éloignées de toute raison. Vous voulez ceci , vous ne vou
lez pas cela , et vous prétendez disposer
des Pays qui sont entre nos mains, comme
si vous en étiez encore les paisibles possesseurs.N'avez vous donc pas de honte d'ê
tre si peu judicieux ? Le Pacha s'emporta
en proferant ces dernieres paroles , ou
du moins fit semblant de s'emporter ,
car il se radoucit bien- tôt , quand Mustapha l'interrompant d'un air humble et
flateur , s'exprima en ces termes : Nous
sommes venus implorer la générosité de
la sublime Porte , à laquelle nous nous
abandonnons sans réserve , et dont la
puissance s'étend d'un bout du Pole à l'au
tre; vous nous voyez accablez de revers,
sans appui , sans secours; nous ne possedons plus rien qui mérite de porter le
nom de Païs et de Provinces ; il n'est pas
étonnant que dans des circonstances si
affligeantes,
A O UST. 1732. 1747
affligeantes , nous vous fassions des demandes qui vous paroissent inconsiderées , mais vous ne devez pas nous en
sçavoir mauvais gré , et quelque extraordinaires que vous semblent nos prétentions , l'état violent où nous sommes,
doit les excuser auprès de vos Excellences.
Pourquoi , reprirent les Turcs , faites-vous tant les miserables ? Est- ce que
le Royaume de Perse est renfermé seulement dans les conquêtes que nous y
avons faites ? et peut-on appeller pauvre
un Souverain qui possede Ispaham , le
Guilhan , ( 1 ) Chiras , ( 2 ) le Korassan , (3)
et tant d'autres Contrées , qui forment
encore un vaste Empire ?
De tous les Etats , dont vous venez de
faire l'énumération , repartit Mustapha ,
en soupirant , une partie a passé sous les
Loix des Infideles Moscovites , et l'autre
est , pour ainsi dire , totalement boule-
(i) Le Guilhan ou Kilan , est le long de la
Mer Caspienne , et compose avec le Mazandran ,
l'ancienne Hyrcanie.
(2 ) Chiras ou Schiras , Ville sur le Kur, dans
le Farsistan ou la Perse proprement dite.
(3) Le Korassan , Corasan , ou Chorasan ,
comprend l'anciene Ariane , partie de la Bactriane , et du Païs des Parthes , c'est une des plus
Considerables Contrées de la Perse.
Dij versée
1748 MERCURE DE FRANCE
1
versée par les ravages et les désordres
qu'y ont faits , ou qu'y ont attirez les
cruels ( 1 ) Esghans. De sorte qu'à proprement parler , nous n'avons plus frien
de quelque conséquence que Coni ( 2 ) ,
Kiachan ( 3 ), et ( 4 ) Ispaham.
Mais si votre situation , repliquerent
les Turcs , est aussi déplorable que vous
nous la dépeignez ; si outre cela vous affectez dans toutes les occasions de vous
dire , nos Freres , de vous vanter d'être
avec nous dans la même unité de Religion, et si vous avez d'ailleurs tant d'embarras et d'ennemis sur les bras, d'où vient
ne vous pas appliquer à vous en délivrer?
Pourquoi vous acharner particulierement
contre nous , comme vous faites ? Car s'il
en faut juger par toutes vos démarches ,
il n'y a que nous seuls qui vous occu-
( 1 ) Esghans , Eughans , ou Aguans , Peuples
du Candahar , qui fait partie du Sablustan , autrefois le Paropamisus.
(2 ) Com , ou Kom , Ville dans l'Hierak ou
Yerak- Agemi , partie de l'ancien Royaume des
Parthes.
( 3 ) Kiachan ou Cachan, grande Ville du même Pais.
( 4 ) Ispaham , Spahan , ou Spahon , comme prononcent les Persans , est aussi dans le même
Païs. Les uns croient que cette Capitale de toute
la Perse , a été bârie sur les ruines d'HécatomPylos , et d'autres sur celles d'Aspa.
pions ;
AOUST. 1732. 1749
}
pions ; vos divisions , vos disputes , vos
guerres,votre empressement pour la Paix,
tout semble en vous n'avoir que Nous
pour unique objet.
C'est aussi , dit Mustapha , l'affaire qui
nous interesse le plus , et que nous prenons le plus à cœur. Vous êtes l'ennemi
le plus redoutable que nous ayions en tête;
si nous pouvons parvenir à cimenter avec
vous une Paix solide , nous nous démêlerons facilement de nos autres ennemis ;
et s'il plaît à Dieu, nous vérifierons bientôt le Proverbe Arabe, qui dit que l'hommese releve où il est tombé.
Mais enfin , continua- t-il , si les Otomans nous ont fait éprouver la fureur de
leurs armes , et s'ils nous ont maltraitez
au delà de ce que nous pouvions jamais
prévoir , nous esperons qu'à tant de calamitez qu'ils nous ont fait souffrir , ils feront succeder des dédommagemens qui
Ies égaleront. C'est uniquement dans cet
esprit, que nous venons négocier avec
vous, et non pour disputer sur le plus ou
le moins de Pais à prétendre et à ceder.
Nous vous retraçons au naturel l'image
de nos infortunes ; nos prieres y sont relatives ; c'est à vos Excellences , comme
nous leur avons déja dit, de prendre une
détermination à notre égard , qui distinDiij gue
1750 MERCURE DE FRANCE
gue d'une façon glorieuse , la grandeur et
la dignité de votre Empire.
Tout cela est excellent , répondirent les
Ministres Turcs , et vous avez raison de
vous attendre à recevoir des faveurs de la
Porte ; mais votre attente, pour être bien
fondée , ne doit pas être sans mesure , et
nous voyons avec peine , qu'au lieu de
resserrer vos désirs dans de justes bornes,
vous n'avez fait , jusqu'icy , que vous répandre en demandes indiscretes , qui
loin de nous approcher du but , nous en
écartent. Ainsi comme vous n'avancerez
jamais rien avec nous , si vous ne prenez
une autre route , nous voulons bien encore vous donner le loisir de réfléchir de
nouveau plus murement , sur vos véri
tables intérêts, et nous les discuterons vo
lontiers plus en détail dans la Conféren
ce que nous tiendrons demain.
IV. CONFERENCE , où tous les Ple
nipotentiaires des deux Cours assisterent.
Le 4 dudit mois de Janvier , les Ministres de la Porte , parlant toujours les
premiers , dirent à ceux de Perse : Nous
nous étions persuadez , qu'en agitant une
affaire d'aussi grande importance que celle.
de la Paix , nous ne devions rien négliger
pour la porter à son point de perfectionle
AOUST. 1732. 1791 8
le plutôt qu'il se pourroit ; et nous nous
étions flatez de trouver dans vos Excellences , des dispositions conformes aux
nôtres en cela. Mais nous reconnoissons ,
à regret , que nous avions mal pénétré
leurs intentions , puisqu'il paroît clairement , qu'elles ne cherchent qu'à éluder
les nôtres, et qu'à gagner du temps, pour
faire échouer la négociation à force de la
tirer en longueur. En effet , si ce n'étoit
pas là votre vûë, pourriez- vous vous opiniatrer , comme vous faites , à former des
prétentions , ausqu'elles vous sçavez bien
vous-même qu'il ne nous est pas possible
de souscrire ?
Nous sommes pleinement convaincus
de notre impuissance, répondirent les Persans, et que nous ne pourrons secoüer le
joug qu'il vous plaira de nous imposer.
Vous possedez tout, nous sommes privez
de tout ; c'est à vous d'ordonner,èt à nous
d'obéïr.
S'il étoit vrai , comme vous le dites, reprirent les Turcs , qu'il ne dépendit que
de nous d'achever heureusement cette
négociation , vous ne nous feriez pas des
demandes si peu mesurées , et toutes nos
prétentions réciproques seroient reglées
dans un moment. Il faut être équitable,
et que vos Excellences se restraignent à ce
Diiij qu'on
1752 MERCURE DE FRANCE
qu'on peut raisonnablement leur accorder. Ainsi, sans perdre davantage le temps
en discours specieux , qui ne conduisent
à rien de décisif, parlez- nous une bonne
fois positivement ; nous vous réïterons ,
que vous nous trouverez toujours disposez à nous prêter à tout ce que vous nous
proposerez de faisable. Mais nous devons
vous prévenir auparavant , qu'il ne faut
plus nous contester la possession des Païs
au-delà de l'Araxe , ni que vous insistiez
de nouveau sur la restitution de Tauris ,
qui est en deçà de ce Fleuve. Hors ces
deux articles , vous pouvez tout esperer
du désir sincere que nous avons de faire
tenaître entre les deux Empires une harmonie inalterable.
qui
Vous êtes les maîtres , encore un coup,
repliquerent les Persans ; nous continuons d'avouer que tout vous appartient chez nous ; mais dès que vous rejetteż la priere que nous vous faisons , de
-nous rendre nos Etats au delà de l'Araxe,
set la Province de Tauris en deçà ; surquoi
voulez-vous que roulent nos Conféren-
´ces, puisque tout ce qui nous reste de notre Monarchie , ne vaut pas seulement la
peine qu'on en fasse mention ?
Comment , s'écrierent les Plénipotentiaires de la Porte; n'y at- il pas encore
( 1)
A OUST. 1732. 1753
(1 ) Amadan , avec son vaste territoire ?
et si nous vous le rendons , ne devez- vous
pas être satisfaits ?
-
Nous avions toujours esperé , repartirent ceux de Perse , que vous fériez rentrer Chah Tahmas dans les Païs d'audelà de l'Araxe , et toute la faveur que
vous voulez lui faire , consiste à lui rendre Amadan , qui est en deçà. Dès que
vous montrez si peu d'égard à nos humbles et constantes supplications , nous ne
sçavons plus que vous proposer , et votre infléxibilité nous rend muets.
Que nous dites- vous-là , reprirent les
Turcs; avez- vous oublié , que lors même
que votre Maître se vantoit de nous avoir
battus , il envoïa à la Porte (2) Riza Kouli Khan et Méhémet-Veli - Khan, qui dans
leurs conférences, avec nos Ministres , cederent tous ces Païs Surquoi , s'il vous
plaît , aujourd'hui que vous vous confessez vaincus, pouvez appuïer votre obs
tination à les répéter ?
>
Nous convenons de ce fait , replique-
( 1 ) Hamadan , Ville des plus considérables de
Perse. Elle est dans l'Yerax - Agemi , qui est l'ancienne region des Parthes.
( 2 )Ils firent leur entrée à Constantinople le
18 Juin 1730. Riza- Kouli-Khan , qui étoit le
chef de l'ambassade , eut la tête tranchée peu
après son retour en Perse.
D v rent
1754 MERCURE DE FRANCE
rent les Persans ; mais peut-être feignezvous d'ignorer , que ce fut par l'habileté
et les adroites insinuations de vos négociateurs , que les nôtres consentirent im
prudemmentàce que ces Païs vous restassent ,en quoi ayant excedé leur pouvoir,
ils furent fort désaprouvez de notre Souverain. Aussi pouvons- nous dire , que ce
fut la source de tous les malheurs qui nous
ont accablez depuis ! Mais ne nous rapellez plus des temps funestes , que nous
voudrions pouvoir ensevelir dans un éternel oubli ; rappellez vous seulement que
l'infortuné Chah Tahmas a recours à la
clémence de la sublime Porte , et qu'il remet entierementson sort entre vos mains.
C'est sur ce principe que vous devez raisonner , et vous résoudre ensuite au parti
qui vous paroîtra le plus glorieux à votre
Empire.
>
N'est ce donc pas une grande grace de
notre part , dirent les Ministres Turcs
que tout ce que nous vous offrons ? Il est
vtai , répondirent ceux de Perse , qu'à ne
considerer , que la ruine presqu'universelle où notre Royaume est tombé , ce qué
vous voulez bien nous rendre , peut passer pour une faveur signalée , mais cette
faveur,toute rare qu'elle est , ne répond
pas encore ni à notre état , ni à nos prieres
AOUST. 17320 1755
res ; daignez - y faire plus d'attention , et
vous conviendrez que la Porte qui nous a
tant fait de maux , depuis l'inondation
des Esghans sur nos terres , est en quelque façon obligée pour son honneur de
réparer, autant qu'il est en elle, les dommages infinis qu'elle nous a causez , et que
la compassion qu'elle aura pour nous,doit
être au moins proportionnée à la reconnoissance que nous en conserverons éternellement. Nous osons même ajouter ,
que si votre tres-magnifique Empereur
reconnoit ,comme il le doit , que ses Vic.
toires et le bonheur de ses armes,sont des
bien faits qu'il a reçus de la Providence s
il est de sa piété d'en témoigner à Dieu
sa gratitude d'une maniere extraordinaire. Hé! comment peut-il mieux s'en acquitter , qu'en nous faisant ressentir de si
grands effets de sa magnanimité, que tous
les Monarques de la terre, surpris, soient
forcez deconvenir qu'ils n'ont jamais rien
vû , ni entendu parler de semblable ?
On donnera la suite dans le prochain
Mercure.
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Résumé : TRADUCTION d'une Relation Turque, sur ce qui s'est passé dans les Conferences teuuës pour la Paix entre les Turcs et les Persans, à l'Armée du Grand-Seigneur, près d'Hamadan, par les Plénipotentiaires de Sa Hautesse, et ceux de Chah Thamas, Roy de Perse.
En 1732, des conférences de paix entre les Turcs et les Persans se tinrent près d'Hamadan. Du côté ottoman, Chmer-Pacha, gouverneur de Babylone, nomma plusieurs plénipotentiaires, dont Achmet-Pacha et Salahor. Du côté persan, Chah-Thamas choisit Mehemet-Riza-Khan et Mustapha Khan. Lors de la première conférence, les Turcs exprimèrent leur volonté de paix, tandis que les Persans souhaitaient rétablir une union intime entre les deux empires. Les Persans demandèrent la restitution des territoires conquis par les Turcs et la régulation des frontières comme sous le règne de Soliman II, ce que les Turcs refusèrent, arguant que les vainqueurs conservent généralement leurs conquêtes. Lors de la deuxième conférence, les Turcs insistèrent sur la nécessité de conclure la paix sans revenir aux conditions de Soliman II. Les Persans, reconnaissant leur état d'humiliation, demandèrent miséricorde et la restauration de leur roi sur son trône. Les Turcs offrirent aux Persans de choisir entre les derniers pays conquis, à l'exception de la province de Tauris. Lors de la troisième conférence, Mustapha Khan proposa deux solutions : un paiement annuel à la Porte ottomane ou la rétention des provinces de Tiflis et d'Herdelan par les Turcs. Les Turcs rejetèrent ces propositions, trouvant inappropriées les demandes persanes concernant les territoires au-delà de l'Araxe. En août 1732, les Persans demandèrent aux Turcs de considérer leurs prétentions malgré des circonstances affligeantes. Les Turcs rappelèrent que le Royaume de Perse possédait encore des territoires importants, mais Mustapha Khan expliqua que ces territoires étaient soit sous contrôle des Moscovites, soit ravagés par les Esghans. Les Turcs, sceptiques, interrogèrent la stratégie perse de les considérer comme frères tout en étant en conflit. Lors de la conférence du 4 janvier, les Turcs accusèrent les Perses de vouloir gagner du temps. Les Perses, reconnaissant leur impuissance, acceptèrent de se soumettre aux décisions turques. Les Turcs proposèrent de ne plus contester la possession des territoires au-delà de l'Araxe et la restitution de Tauris. Les Persans insistèrent sur la restitution de leurs États et se dirent prêts à accepter toute décision turque. Les Turcs rappelèrent la cession des territoires lors des négociations précédentes et la désapprobation du souverain perse. Les Persans demandèrent clémence et remirent leur sort entre les mains des Turcs, mais les Turcs trouvèrent les Persans ingrats et insistèrent sur la réparation des dommages causés.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 2054
TURQUIE ET PERSE.
Début :
Selon les Dépêches d'Achmet-Pacha, Commandant à Bagdad, Thamas Kouli-Kan étant [...]
Mots clefs :
Achmet Pacha, Thamas Kouli-Kan, Topal Osman Pacha, Armée, Camp, Lettres
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : TURQUIE ET PERSE.
TURQUIE ET PERSE.
Elon les Dépêches d'Achmet-Pacha Commandant
à Bagdad , Thamas Kouli- Kan étant
instruit que l'Armée de Topal Osman , devoit
être augmentée considerablement , avoit abandonné
le projet de s'emparer de cette importante
Place , et les Troupes qui en faisoient le blocus
, avoient abandonné leur Camp pour l'aller
joindre auprès de Moussoul.
Ces Lettres ajoûtent que la disette et les maladies
avoient fort diminué l'Armée Persanne , et
qu'elle étoit fort inferieure à celle des Turcs. "
On a appris aussi qu'un Corps de 10000. Jannissaires
, à qui Topal Osman avoit ordonné
d'observer les mouvemens des Ennemis , avoit
attaqué un de leurs Convois et s'en étoit rendu
maître.
Les 15000. Janissaires qu'on envoye à Topal
Osman , ont dû arriver dans son Camp le 9.
Juillet.
Plusieurs Lettres confirment que les 40000.
Tartares qui ont reçû ordre de marcher en Geor-
"gie , y sont entrez vers le 15. Juin.
Elon les Dépêches d'Achmet-Pacha Commandant
à Bagdad , Thamas Kouli- Kan étant
instruit que l'Armée de Topal Osman , devoit
être augmentée considerablement , avoit abandonné
le projet de s'emparer de cette importante
Place , et les Troupes qui en faisoient le blocus
, avoient abandonné leur Camp pour l'aller
joindre auprès de Moussoul.
Ces Lettres ajoûtent que la disette et les maladies
avoient fort diminué l'Armée Persanne , et
qu'elle étoit fort inferieure à celle des Turcs. "
On a appris aussi qu'un Corps de 10000. Jannissaires
, à qui Topal Osman avoit ordonné
d'observer les mouvemens des Ennemis , avoit
attaqué un de leurs Convois et s'en étoit rendu
maître.
Les 15000. Janissaires qu'on envoye à Topal
Osman , ont dû arriver dans son Camp le 9.
Juillet.
Plusieurs Lettres confirment que les 40000.
Tartares qui ont reçû ordre de marcher en Geor-
"gie , y sont entrez vers le 15. Juin.
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Résumé : TURQUIE ET PERSE.
Le texte décrit des événements militaires entre la Turquie et la Perse. Achmet-Pacha rapporte que Thamas Kouli-Kan a renoncé à attaquer Bagdad. Les troupes turques ont rejoint Topal Osman à Mossoul. L'armée persane est affaiblie par la disette et les maladies. Topal Osman a capturé un convoi ennemi avec 10 000 janissaires et reçu 15 000 autres. 40 000 Tartares ont marché vers la Géorgie.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 2066-2068
De Turquie et Perse, [titre d'après la table]
Début :
On a appris en dernier lieu de Constantinople, que la victoire remportée par Topal-Osman, [...]
Mots clefs :
Achmet Pacha, Topal Osman Pacha, Bagdad, Troupes, Persans, Thamas Kouli-Kan
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texteReconnaissance textuelle : De Turquie et Perse, [titre d'après la table]
Na appris en dernier lieu de Constantino-
Ople ,que la victoire remportée par Topal-
Osman , sur l'Armée de Thamas Kouli-Kan ,
avoit été suivie de la défaite des Troupes Persannes
qui formoient le Blocus de la Ville de Bagdad.
Achmet Pacha , Gouverneur de cette Place,
qui étoit réduit à la derniere extremité par la
disette de vivres , reçut le 20. du mois dernier à
six heures du matin , la premiere nouvelle de la
bataille donnee la veille dans la Place d'Udjoum
et de la déroute des Persans ; il résolut de profiter
de cette circonstance pour faire lever le Blocus
et le lendemain avant le jour il sortit de Bagdad
avec 2500c. hommes des meilleures Troupes de
la Garnison , pour attaquer les Persans dans leurs
retranchemens , qu'ils avoient fortifiez de deux
Forts. L'Action commença à la pointe du jour
et les Troupes qui gardoient l'un de ces Forts ,
l'ayant abandonné sans aucune résistance , se retirerent
dans le second. Les Persans , malgré le
découragement qu'avoit jetté dans leur Camp la
défaite de Thamas Kouli- Kan , s'y deffendirent
avec tant de valeur , qu'Achmet- Pacha fut obligé
, pour s'en rendre maître de faire mettre en
Batterie l'Artillerie qu'il avoit fait venir de Bagdad.
Les Troupes qui étoient dans ce fort , furent
passées au fil de l'épée et les autres prirent la
fuite avec beaucoup de desordre.
Achmet- Pacha , après cette action rentra dans
Bagdad , où il fit amener toutes les provisions
3
qu'il
SEPTEMBRE . 1733 . 2067
qu'il avoit trouvées en grande abondance dans
le Camp des Ennemis .
Le Courier qui a apporté cette nouvelle , est
l'Ecuyer du Kislar- Aga , lequel étoit auprès de
Topal- Osman , et que ce Général avoit dépêché
à Achmet-Pacha , pour lui porter la nouvelle de
sa victoire. Comme il avoit été obligé , pour
éviter les partis ennemis , de prendre un grand
détour , il n'arriva à Bagdad que le 22. Juillet
au soir. Achmet - Pacha le renvoya auss- tôt à
Topal-Osman , avec le détail de l'Action du 2 r.
et le 23. au matin , il partit avec une partie des
Troupes de sa Garnison , pour aller au-devant
de ce Général , qu'il rencontra à 3. lieues de
Bagdad , avec toute son Aimée. Topal- Osman ,
qui dans sa marche avoit reçu le Courier d'Achmet-
Pacha , le dépêcha aussi- tôt à Constantinople
, avec les Lettres de ce Gouverneur ; et
ayant ensuite continué sa route pour se rendre à
Bagdad , il y entra avec Achmet-Pacha le 24.
qui étoit le jour auquel il avoit marqué devoir
entrer dans cette Ville .
Les Lettres du Gouverneur de Bagdad ne mar.
quent rien de bien positif sur le sort de Thamas
Kouli- Kan ; mais on prétend qu'après la déroute
du reste de ses Troupes , il avoit été obligé de
se réfugier avec 1000. hommes seulement chez
les Arabes qui s'étoient déclarez pour lui , et
qu'un Chef d'un Corps de ces Arabes , qui est
beau- perc d'Achmet- Pacha , a promis , pour obtenir
son pardon, de s'être liguez avec les Persans
, de découvrir où Thamas Kouli - Kan s'est
caché et de le livrer aux Turcs.
Le Grand- Seigneur a envoyé à Topal- Osman
et à Achmet- Pacha , des Pélisses et des Sabres
magnifiques , et le même Courier porte à Topal
Osman
0
205 MERCURE DE FRANCE
Osman , des pleins pouvoirs pour continuer la
guerre contre, les Persans , ou pour signer un
Traité de Paix , ainsi qu'il le Jugera à Fropos,
et aux conditions qui lui paroîtront les plus
convenables aux interêts et à la gloire de l'am
pire.
Ople ,que la victoire remportée par Topal-
Osman , sur l'Armée de Thamas Kouli-Kan ,
avoit été suivie de la défaite des Troupes Persannes
qui formoient le Blocus de la Ville de Bagdad.
Achmet Pacha , Gouverneur de cette Place,
qui étoit réduit à la derniere extremité par la
disette de vivres , reçut le 20. du mois dernier à
six heures du matin , la premiere nouvelle de la
bataille donnee la veille dans la Place d'Udjoum
et de la déroute des Persans ; il résolut de profiter
de cette circonstance pour faire lever le Blocus
et le lendemain avant le jour il sortit de Bagdad
avec 2500c. hommes des meilleures Troupes de
la Garnison , pour attaquer les Persans dans leurs
retranchemens , qu'ils avoient fortifiez de deux
Forts. L'Action commença à la pointe du jour
et les Troupes qui gardoient l'un de ces Forts ,
l'ayant abandonné sans aucune résistance , se retirerent
dans le second. Les Persans , malgré le
découragement qu'avoit jetté dans leur Camp la
défaite de Thamas Kouli- Kan , s'y deffendirent
avec tant de valeur , qu'Achmet- Pacha fut obligé
, pour s'en rendre maître de faire mettre en
Batterie l'Artillerie qu'il avoit fait venir de Bagdad.
Les Troupes qui étoient dans ce fort , furent
passées au fil de l'épée et les autres prirent la
fuite avec beaucoup de desordre.
Achmet- Pacha , après cette action rentra dans
Bagdad , où il fit amener toutes les provisions
3
qu'il
SEPTEMBRE . 1733 . 2067
qu'il avoit trouvées en grande abondance dans
le Camp des Ennemis .
Le Courier qui a apporté cette nouvelle , est
l'Ecuyer du Kislar- Aga , lequel étoit auprès de
Topal- Osman , et que ce Général avoit dépêché
à Achmet-Pacha , pour lui porter la nouvelle de
sa victoire. Comme il avoit été obligé , pour
éviter les partis ennemis , de prendre un grand
détour , il n'arriva à Bagdad que le 22. Juillet
au soir. Achmet - Pacha le renvoya auss- tôt à
Topal-Osman , avec le détail de l'Action du 2 r.
et le 23. au matin , il partit avec une partie des
Troupes de sa Garnison , pour aller au-devant
de ce Général , qu'il rencontra à 3. lieues de
Bagdad , avec toute son Aimée. Topal- Osman ,
qui dans sa marche avoit reçu le Courier d'Achmet-
Pacha , le dépêcha aussi- tôt à Constantinople
, avec les Lettres de ce Gouverneur ; et
ayant ensuite continué sa route pour se rendre à
Bagdad , il y entra avec Achmet-Pacha le 24.
qui étoit le jour auquel il avoit marqué devoir
entrer dans cette Ville .
Les Lettres du Gouverneur de Bagdad ne mar.
quent rien de bien positif sur le sort de Thamas
Kouli- Kan ; mais on prétend qu'après la déroute
du reste de ses Troupes , il avoit été obligé de
se réfugier avec 1000. hommes seulement chez
les Arabes qui s'étoient déclarez pour lui , et
qu'un Chef d'un Corps de ces Arabes , qui est
beau- perc d'Achmet- Pacha , a promis , pour obtenir
son pardon, de s'être liguez avec les Persans
, de découvrir où Thamas Kouli - Kan s'est
caché et de le livrer aux Turcs.
Le Grand- Seigneur a envoyé à Topal- Osman
et à Achmet- Pacha , des Pélisses et des Sabres
magnifiques , et le même Courier porte à Topal
Osman
0
205 MERCURE DE FRANCE
Osman , des pleins pouvoirs pour continuer la
guerre contre, les Persans , ou pour signer un
Traité de Paix , ainsi qu'il le Jugera à Fropos,
et aux conditions qui lui paroîtront les plus
convenables aux interêts et à la gloire de l'am
pire.
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Résumé : De Turquie et Perse, [titre d'après la table]
Le texte décrit des affrontements militaires entre les forces ottomanes et persanes. Topal Osman a vaincu l'armée de Thamas Kouli-Kan et a repoussé les troupes persanes assiégeant Bagdad. Achmet Pacha, gouverneur de Bagdad, a profité de cette victoire pour lever le blocus. Le 21 juillet, il a attaqué les Persans avec 2500 hommes, utilisant l'artillerie ottomane de manière décisive, et a forcé leur retraite. Achmet Pacha est ensuite rentré à Bagdad avec des provisions capturées. Le 22 juillet, un courrier a informé Achmet Pacha de la victoire de Topal Osman. Achmet Pacha a rencontré Topal Osman le 23 juillet et ils sont entrés ensemble à Bagdad le 24 juillet. Après sa défaite, Thamas Kouli-Kan s'est réfugié chez des Arabes avec 1000 hommes. Le Grand Seigneur a récompensé Topal Osman et Achmet Pacha et a donné à Topal Osman l'autorité de poursuivre la guerre ou de signer un traité de paix selon les intérêts de l'empire.
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4
p. 2886-2892
LETTRE de Constantinople, écrite le 20. Septembre 1733. sur le Passage des Tartares en Perse.
Début :
Le passage des Tartares en Perse, n'est plus problêmaque, Monsieur, les nouvelles qui [...]
Mots clefs :
Tartares, Perse, Moscovites, Passage, Derbent, Chemin, Daghestan, Lezghiens, Achmet Pacha, Thamas Kouli-Kan
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE de Constantinople, écrite le 20. Septembre 1733. sur le Passage des Tartares en Perse.
LETTRE de Constantinople , écrite le
20. Septembre 1733. sur le Passage des
Tartares en Perse.
E
problêmatique , Monsieur , les nouvelles qui
en sont venues le 14. de ce mois , dans une Lettre
écrite au Grand- Visir , par le Pacha de Ghend.
gé en Géorgie , sont si positives , qu'à moins de
faire une profession outrée du Pyrrhonisme, on ne
peut plus révoquer en doute ce passage , d'autant
plus que le G. V. a fait venir exprès à la Porte
Mrs les Résidens d'Allemagne et de Moscovie ,
pour le leur notifier et leur communiquer la Lettre
qui en contenoit le détail ; mais avant que je
II. Vol. ✰ vous
1
DECEMBRE. 1733. 2887
vous le communique aussi , il faut que je me re-.
leve moi - même sur deux erreurs qui me sont
échappées en suivant une mauvaise Carte et des
Memoires mal conçus , quand je vous écrivis le
6. de ce mois . Je vous marquai alors qu'on présumoit
que les Moscovites n'auroient pû disputer
long- temps le passage de Derbentaux Tartares ,
ni les empêcher d'entrer dans le Daghestan , et
de- là en Georgie , & c.
Premierement les Tartares allant de Crimée en
Perse , il a fallu qu'après avoir passé le grand et
le petit Cabarta , Pays qui fait partie de la Tar
tarie Circassienne , ils soient tombez dans le
Daghestan , et qu'ils Payent traversé avant que
d'arriver à Derbent , qui est dans le Chirvan ,
Province contigue à celle du Daghestan , ainsi il
ne pouvoit plus être question de les empêcher
de penetrer dans cette derniere Province , puisqu'ils
l'avoient déja passé , et en second lieu , il
étoit ridicule de faire entrer les Tartares du Daghestan
dans la Géorgie , puisque par rapport à
la route qu'ils avoient à faire , la Georgie se
trouvant à côté , et de plus sous la domination
du G. S. ils se seroient tout à la fois détournez
de leur chemin et de leur objet , qui étoit d'aller
piller en Perse . Je reviens à la Lettre du Pacha
de Ghendgé , que voici en subttance
Les Tartares , après les divers combats avec les
Moscovites , dont je vous ai parlé dans ma Lettre
du 6. de ce mois , * continuant leur marche
par le Daghestan , au nombre de 30000. hommes
, arriverent près d'une Peuplade de Lesghis ,
Imprimée dans le Mercure de Novembre,
page 2471 .
II. Vol. appellez
2888 MERCURE DE FRANCE
appellez Imas , de nom du Ima , que porte le
principal lieu de leur canton , qui n'est éloigné
de Derbent que de trois journées . Le Chef
de ce Peuple , sur l'avis qu'il eut de l'approche
des Tartares , s'empressa d'envoyer son fils audevant
d'eux pour leur offrir d'unir ses forces
aux leurs et de les mener lui - même en Perse par
un chemin qu'il sçavoit.
Le Sultan Fethi - Ghuirai , General des Tartares
, accepta volontiers de si belles offres , et les
Imas l'ayant joint en grand nombre avec leur
Chef , les deux Armées marcherent ensemble ;
mais au bout de trois jours il fut bien surpris de
se voir dans un Village à une lieuë de Derbent
seulement.
Les Imas qui passent pour les plus scrupuleux
de tous les Mahometans de ces Contrées , et qui
par motif de Religion , trouvent le joug de la
Moscovie d'autant plûs insupportable , ne respirant
que la révolte , avoient exprès conduit les
Tartares dans cet endroit , dans l'esperance que
ne pouvant plus reculer , la necessité les obligeroit
à tout entreprendre et à fondre avec eux sur
les Moscovites pour s'ouvrir un passage en Perse
par Derbent. Ils se tromperent cependant dans
leurs conjectures.
Fethi-Ghuirai ne voulut jamais se rendre
aux sollicitations qu'ils lui firent de profiter de
cette occasion , et se retranchant toujours sur les
* Les Imas , les Komouks et beaucoup d'autres
petits Peuples du Caucase , du Daghestan et du
Chirvan , sont tous Lesghis d'origine , de moeurs et
de Religion , et ne different entre eux que par le
nom que chaquePeuplade a pris de celui du Ċamon
où elle s'est établie.
II. Vol. ordres
DECEMBR E. 1733. 2889
ordres précis qu'il avoit de la Porte , de ne point
attaquer les Moscovites le premier , il résolut
de camper aux environs de ce Village et d'essayer
d'obtenir duCommandant de Derbent , par la voie
de négociation, la permission de passer . Il y eut
effectivement plusieurs pour parler à ce sujet ,
mais le Commandant Moscovite , après avoir
amusé long-temps Fethi - Ghuirai , lui ayant à la
fin refusé nettement ce qu'il demandoit , et le
Chef des Imas voyant qu'il ne pouvoit persuader
à ce Sultan de se faire un passage par la force
des armes , il lui dit qu'il sçavoit un autre route
dans une Montague du Caucase ; qu'il n'avoit
pas voulu s'en servir d'abord , parce qu'il y avoit
douze heures de chemin à monter ; qu'elle étoit
d'ailleurs fort difficile et pleine de défilez , gardez
par des détachemens de Moscovites , mais
que puisqu'il étoit déterminé à ne vouloir pas
s'ouvrir le passage par Derbent, quoiqu'il l'assuroit
encore du succès de cette entreprise , s'il la
vouloit tenter , il n'y avoit plus d'autre parti à
prendre que celui de traverser la Montagne dont
il venoit de lui parler ; que cependant , outre les
difficultez qu'ils y rencontreroient , ils devoient
s'attendre à trouver de l'autre côté dans la Plaine
de gros corps de Moscovites , qui leur opposeroient
un pareil obstacle qu'à Derbent, il lui paroissoit
necessaire d'écrire à Soulkai , Khan de
Chamakié , pour le prier de venir avec le plus de
Troupes qu'il pourroit , pour les aider à sortir
de cet embarras , et d'attendre la réponse de ce
Khan , avant que de se mettre en chemin .
Le General Tartare ayant goûté ces dernieres
propositions , le Chef des Imas expedia cinq ou
six hommes, qui connoissant tous les sentiers détournez
de ces Rochers , porterent heureusement
II. Vol. les
2890 MERCURE DE FRANCE
les dépêches de Fethi-Ghuirai au Khan de Cha
makié.
Il est à propos de remarquer ici à l'occasion
de ce Khan , que suivant le Traité des Limites ,
signé le 8. Juillet 1724. entre les Turs et les
Moscovites , par la médiation de M. le Marquis
de Bonnac , alors Ambassadeur du Roy à la Porte
Ottomane , les Lesghis qui se trouvent dans le
Chirvan , s'étant soumis d'eux - mêmes , comme
Mahometans , au G. S. dont ils reclamerent la
protection ; Si Hautesse leur envoya un Khan
pour les commander , auquel il assigna la Vule
de Chamakié pour Capitale de cette nouvelle
Principauté , avec un Territoire qui s'étendoit
d'un côté jusqu'au Confluant du Cur et de l'Araxe
, et que le commencement des confins ayant
été fixé dans ce point de la jonction des deux Fleu
ves , il fut decidé que le côté qui est vers la Terre,
Ferme appartiendroit aux Turcs , celui qui re
garde la Mer , aux Moscovites , et le troisième ,
où est le Guilan , à la Perse.
Le Khan de Chamakié ayaur reçû les Lettres de
Fethi-Ghurai , il fit réponse à ce General qu'il
aloit rassembler les Lesghis et marcher à son
secours, en prenant les Moscovites par les derrie
res. Sur cette réponse , le Sultan er le Chef des
Imas décamperent de leur Village , où ils avoient
- demeuré 34. jours, et prirent le chemin de la
Montagne ; ils y rencontrerent effectivement ca
plusieurs détroits de petits Détachemens de Moscovites
, avec lesquels ils escarmoucherent er
qu'ils mirent en fuite sans s'arrêter : mais quand
ils eurent presque descendu cette Montagne ils
apperçûrent de loin dans la Plaine beaucoup de
Troupes Moscovites.
Le General Tartare persistaut toujours à ne
II. Vol. vouloir
DECEMBR E. 1732. 2891
Vouloir point en venir aux mains avec eux que
dans le cas d'une nécessité inévitable , leur envoya
demander le passage , ce qui lui ayant été
refusé , il continua de descendre jusqu'au pied
du Mont, où il se retrancha pour y attendre en
sureté des nouvelles du Khan Soulkaï , qui ne
paroissoit point encore ; mais après trois jours
d'attente , il le vit venir en bon ordre à la tête
d'une nombreuse troupe de Lesghis. Il sortit
alors de ses retranchemens et mit ses gens ea
bataille pour marcher aux Moscovites , qui
voyant qu'on les alloit mettre entre deux feux et
qu'ils avoient affaire à trop forte partie , se reti-
1erent promptement et laisserent le Champ libre
aux Tartares et aux Imas. Ces deux Peuples se
joignirent bien- tôt aux Lesghis et poursuivirent
leur route vers Chamakié , d'où l'on juge qu'ils
n'auront pas tardé à se répandre tous ensemble
dans le Guilan et dans les autres Provinces de
Perse qui sont au- delà de l'Araxe ,
Dès que le G. V. cut reçû cette nouvelle , il
s'informa des noms des Mirzas et des principaux
Officiers de l'Armée Tartare , et il dépêcha des
Couriers pour leur porter
des présens , avec des
ordres de prendre le chemin d'Amadan,pour unir
leurs forces à celles de Topal Osman Pacha , que
l'on dit avoir déja pris la route de Sina , qui n'est pas fort éloigné d'Amadan.
P. S. du 15. Novembre 1733 .
P. V. D ,
J'avois differé,Monsieur , à vous envoyer la Les
tre que vous venez de lire , par ce que des personnes
qui se croyoient interessées à soutenir que le
passage des Tartares en Perse éloit impossible
par le chemin qu'ils avoient pris , se sont donné
II. Vol
tant
2892 MERCURE DE FRANCE
tant de mouvement et de soins pour répandre
de fausses nouvelles à cet égard dans le Public ,
que je ne sçavois plus moi- même que croire de
ce passage , malgré sa certitude si bien établie par
la Lettre du Pacha de Ghendgé et la démarche
du G. V. auprès de Mrs les Résidens d'Allemagne
et de Russie ; mais l'Aga que la Porte avoit
chargé d'accompagner ces Troupes dans leur
route , étant depuis peu de retour ici de Tauris ,
où il les avoir laissées , je n'hésite plus à vous
envoyer ma Relation , qui est entierement conforme
pour l'essentiel au compte que cet Aga a
rendu de sa Mission à la Porte,
P. V. D.
20. Septembre 1733. sur le Passage des
Tartares en Perse.
E
problêmatique , Monsieur , les nouvelles qui
en sont venues le 14. de ce mois , dans une Lettre
écrite au Grand- Visir , par le Pacha de Ghend.
gé en Géorgie , sont si positives , qu'à moins de
faire une profession outrée du Pyrrhonisme, on ne
peut plus révoquer en doute ce passage , d'autant
plus que le G. V. a fait venir exprès à la Porte
Mrs les Résidens d'Allemagne et de Moscovie ,
pour le leur notifier et leur communiquer la Lettre
qui en contenoit le détail ; mais avant que je
II. Vol. ✰ vous
1
DECEMBRE. 1733. 2887
vous le communique aussi , il faut que je me re-.
leve moi - même sur deux erreurs qui me sont
échappées en suivant une mauvaise Carte et des
Memoires mal conçus , quand je vous écrivis le
6. de ce mois . Je vous marquai alors qu'on présumoit
que les Moscovites n'auroient pû disputer
long- temps le passage de Derbentaux Tartares ,
ni les empêcher d'entrer dans le Daghestan , et
de- là en Georgie , & c.
Premierement les Tartares allant de Crimée en
Perse , il a fallu qu'après avoir passé le grand et
le petit Cabarta , Pays qui fait partie de la Tar
tarie Circassienne , ils soient tombez dans le
Daghestan , et qu'ils Payent traversé avant que
d'arriver à Derbent , qui est dans le Chirvan ,
Province contigue à celle du Daghestan , ainsi il
ne pouvoit plus être question de les empêcher
de penetrer dans cette derniere Province , puisqu'ils
l'avoient déja passé , et en second lieu , il
étoit ridicule de faire entrer les Tartares du Daghestan
dans la Géorgie , puisque par rapport à
la route qu'ils avoient à faire , la Georgie se
trouvant à côté , et de plus sous la domination
du G. S. ils se seroient tout à la fois détournez
de leur chemin et de leur objet , qui étoit d'aller
piller en Perse . Je reviens à la Lettre du Pacha
de Ghendgé , que voici en subttance
Les Tartares , après les divers combats avec les
Moscovites , dont je vous ai parlé dans ma Lettre
du 6. de ce mois , * continuant leur marche
par le Daghestan , au nombre de 30000. hommes
, arriverent près d'une Peuplade de Lesghis ,
Imprimée dans le Mercure de Novembre,
page 2471 .
II. Vol. appellez
2888 MERCURE DE FRANCE
appellez Imas , de nom du Ima , que porte le
principal lieu de leur canton , qui n'est éloigné
de Derbent que de trois journées . Le Chef
de ce Peuple , sur l'avis qu'il eut de l'approche
des Tartares , s'empressa d'envoyer son fils audevant
d'eux pour leur offrir d'unir ses forces
aux leurs et de les mener lui - même en Perse par
un chemin qu'il sçavoit.
Le Sultan Fethi - Ghuirai , General des Tartares
, accepta volontiers de si belles offres , et les
Imas l'ayant joint en grand nombre avec leur
Chef , les deux Armées marcherent ensemble ;
mais au bout de trois jours il fut bien surpris de
se voir dans un Village à une lieuë de Derbent
seulement.
Les Imas qui passent pour les plus scrupuleux
de tous les Mahometans de ces Contrées , et qui
par motif de Religion , trouvent le joug de la
Moscovie d'autant plûs insupportable , ne respirant
que la révolte , avoient exprès conduit les
Tartares dans cet endroit , dans l'esperance que
ne pouvant plus reculer , la necessité les obligeroit
à tout entreprendre et à fondre avec eux sur
les Moscovites pour s'ouvrir un passage en Perse
par Derbent. Ils se tromperent cependant dans
leurs conjectures.
Fethi-Ghuirai ne voulut jamais se rendre
aux sollicitations qu'ils lui firent de profiter de
cette occasion , et se retranchant toujours sur les
* Les Imas , les Komouks et beaucoup d'autres
petits Peuples du Caucase , du Daghestan et du
Chirvan , sont tous Lesghis d'origine , de moeurs et
de Religion , et ne different entre eux que par le
nom que chaquePeuplade a pris de celui du Ċamon
où elle s'est établie.
II. Vol. ordres
DECEMBR E. 1733. 2889
ordres précis qu'il avoit de la Porte , de ne point
attaquer les Moscovites le premier , il résolut
de camper aux environs de ce Village et d'essayer
d'obtenir duCommandant de Derbent , par la voie
de négociation, la permission de passer . Il y eut
effectivement plusieurs pour parler à ce sujet ,
mais le Commandant Moscovite , après avoir
amusé long-temps Fethi - Ghuirai , lui ayant à la
fin refusé nettement ce qu'il demandoit , et le
Chef des Imas voyant qu'il ne pouvoit persuader
à ce Sultan de se faire un passage par la force
des armes , il lui dit qu'il sçavoit un autre route
dans une Montague du Caucase ; qu'il n'avoit
pas voulu s'en servir d'abord , parce qu'il y avoit
douze heures de chemin à monter ; qu'elle étoit
d'ailleurs fort difficile et pleine de défilez , gardez
par des détachemens de Moscovites , mais
que puisqu'il étoit déterminé à ne vouloir pas
s'ouvrir le passage par Derbent, quoiqu'il l'assuroit
encore du succès de cette entreprise , s'il la
vouloit tenter , il n'y avoit plus d'autre parti à
prendre que celui de traverser la Montagne dont
il venoit de lui parler ; que cependant , outre les
difficultez qu'ils y rencontreroient , ils devoient
s'attendre à trouver de l'autre côté dans la Plaine
de gros corps de Moscovites , qui leur opposeroient
un pareil obstacle qu'à Derbent, il lui paroissoit
necessaire d'écrire à Soulkai , Khan de
Chamakié , pour le prier de venir avec le plus de
Troupes qu'il pourroit , pour les aider à sortir
de cet embarras , et d'attendre la réponse de ce
Khan , avant que de se mettre en chemin .
Le General Tartare ayant goûté ces dernieres
propositions , le Chef des Imas expedia cinq ou
six hommes, qui connoissant tous les sentiers détournez
de ces Rochers , porterent heureusement
II. Vol. les
2890 MERCURE DE FRANCE
les dépêches de Fethi-Ghuirai au Khan de Cha
makié.
Il est à propos de remarquer ici à l'occasion
de ce Khan , que suivant le Traité des Limites ,
signé le 8. Juillet 1724. entre les Turs et les
Moscovites , par la médiation de M. le Marquis
de Bonnac , alors Ambassadeur du Roy à la Porte
Ottomane , les Lesghis qui se trouvent dans le
Chirvan , s'étant soumis d'eux - mêmes , comme
Mahometans , au G. S. dont ils reclamerent la
protection ; Si Hautesse leur envoya un Khan
pour les commander , auquel il assigna la Vule
de Chamakié pour Capitale de cette nouvelle
Principauté , avec un Territoire qui s'étendoit
d'un côté jusqu'au Confluant du Cur et de l'Araxe
, et que le commencement des confins ayant
été fixé dans ce point de la jonction des deux Fleu
ves , il fut decidé que le côté qui est vers la Terre,
Ferme appartiendroit aux Turcs , celui qui re
garde la Mer , aux Moscovites , et le troisième ,
où est le Guilan , à la Perse.
Le Khan de Chamakié ayaur reçû les Lettres de
Fethi-Ghurai , il fit réponse à ce General qu'il
aloit rassembler les Lesghis et marcher à son
secours, en prenant les Moscovites par les derrie
res. Sur cette réponse , le Sultan er le Chef des
Imas décamperent de leur Village , où ils avoient
- demeuré 34. jours, et prirent le chemin de la
Montagne ; ils y rencontrerent effectivement ca
plusieurs détroits de petits Détachemens de Moscovites
, avec lesquels ils escarmoucherent er
qu'ils mirent en fuite sans s'arrêter : mais quand
ils eurent presque descendu cette Montagne ils
apperçûrent de loin dans la Plaine beaucoup de
Troupes Moscovites.
Le General Tartare persistaut toujours à ne
II. Vol. vouloir
DECEMBR E. 1732. 2891
Vouloir point en venir aux mains avec eux que
dans le cas d'une nécessité inévitable , leur envoya
demander le passage , ce qui lui ayant été
refusé , il continua de descendre jusqu'au pied
du Mont, où il se retrancha pour y attendre en
sureté des nouvelles du Khan Soulkaï , qui ne
paroissoit point encore ; mais après trois jours
d'attente , il le vit venir en bon ordre à la tête
d'une nombreuse troupe de Lesghis. Il sortit
alors de ses retranchemens et mit ses gens ea
bataille pour marcher aux Moscovites , qui
voyant qu'on les alloit mettre entre deux feux et
qu'ils avoient affaire à trop forte partie , se reti-
1erent promptement et laisserent le Champ libre
aux Tartares et aux Imas. Ces deux Peuples se
joignirent bien- tôt aux Lesghis et poursuivirent
leur route vers Chamakié , d'où l'on juge qu'ils
n'auront pas tardé à se répandre tous ensemble
dans le Guilan et dans les autres Provinces de
Perse qui sont au- delà de l'Araxe ,
Dès que le G. V. cut reçû cette nouvelle , il
s'informa des noms des Mirzas et des principaux
Officiers de l'Armée Tartare , et il dépêcha des
Couriers pour leur porter
des présens , avec des
ordres de prendre le chemin d'Amadan,pour unir
leurs forces à celles de Topal Osman Pacha , que
l'on dit avoir déja pris la route de Sina , qui n'est pas fort éloigné d'Amadan.
P. S. du 15. Novembre 1733 .
P. V. D ,
J'avois differé,Monsieur , à vous envoyer la Les
tre que vous venez de lire , par ce que des personnes
qui se croyoient interessées à soutenir que le
passage des Tartares en Perse éloit impossible
par le chemin qu'ils avoient pris , se sont donné
II. Vol
tant
2892 MERCURE DE FRANCE
tant de mouvement et de soins pour répandre
de fausses nouvelles à cet égard dans le Public ,
que je ne sçavois plus moi- même que croire de
ce passage , malgré sa certitude si bien établie par
la Lettre du Pacha de Ghendgé et la démarche
du G. V. auprès de Mrs les Résidens d'Allemagne
et de Russie ; mais l'Aga que la Porte avoit
chargé d'accompagner ces Troupes dans leur
route , étant depuis peu de retour ici de Tauris ,
où il les avoir laissées , je n'hésite plus à vous
envoyer ma Relation , qui est entierement conforme
pour l'essentiel au compte que cet Aga a
rendu de sa Mission à la Porte,
P. V. D.
Fermer
Résumé : LETTRE de Constantinople, écrite le 20. Septembre 1733. sur le Passage des Tartares en Perse.
Le 20 septembre 1733, une lettre de Constantinople confirme le passage des Tartares en Perse. Les informations, reçues le 14 septembre, proviennent d'une lettre du Pacha de Ghendgé adressée au Grand-Visir. Ce dernier a informé les résidents d'Allemagne et de Moscovie de cet événement. L'auteur corrige deux erreurs précédentes concernant la route des Tartares, précisant qu'ils ont traversé le Daghestan et le Chirvan avant d'atteindre Derbent. Les Tartares, au nombre de 30 000 hommes, ont rencontré les Imas près de Derbent. Le chef des Imas a proposé de guider les Tartares en Perse par un chemin connu de lui, mais le général tartare Fethi-Ghuirai a refusé d'attaquer les Moscovites à Derbent, préférant négocier. Face au refus moscovite, les Tartares ont emprunté une route montagneuse du Caucase, malgré les dangers. Ils ont ensuite été rejoints par le Khan de Chamakié et ses troupes. Les Moscovites, face à cette coalition, se sont retirés. Les Tartares et les Imas, rejoints par les Lesghis, ont poursuivi leur route vers Chamakié, puis vers le Guilan et d'autres provinces persanes. Le Grand-Visir a envoyé des présents et des ordres aux mirzas et officiers tartares pour qu'ils se dirigent vers Amadan afin de renforcer les troupes de Topal Osman Pacha.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
5
p. 586-593
A Constantinople le 15. Janvier 1734.
Début :
La derniere Lettre que je vous écrivis, Monsieur, en datte des 12. et 20. Novembre, [...]
Mots clefs :
Topal Osman Pacha, Thamas Kouli-Kan, Turcs, Troupes, Kerkout, Bagdad, Perse, Memis Pacha, Achmet Pacha, Constantinople
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texteReconnaissance textuelle : A Constantinople le 15. Janvier 1734.
A Constantinople le 15. Janvier 1734-
L
A derniere Lettre que je vous écrivis , Monsieur
, en datte des 12. et 20. Novembre
ne vous parloit que des triomphes de Topal - Osman
Pacha ; je me préparois même alors avec
plaisir à vous en annoncer bien- tôt un autre
qui auroit mis le comble à sa gloire , et qui suivant
la situation où l'on assuroit que les affaires
des Turcs étoient en Perse , ne pouvoit lui manquer
, mais la Providence en a ordonné autrement
, et ce grand homme a trouvé sa défaite
où tout sembloit lui promettre celle de son Ennemi.
Quoique je ne doute pas que vous ne
soyez déja informé de cet Evenement, je ne laisse
pas de vous faire part de ce que j'en ai appris ,
parce que les premieres Relations qui en coururent
d'abord ont été démenties dans plusieurs
points par de plus fidelles qui sont venuës après.
Memis- Pacha , qui , comme je vous l'ai déja
mandé , avoit été détaché avec un Corps de
Troupes , chargé de poursuivre Thamas Kouli-
Kan ; après la déroute de celui-cy à Leilan , ne
se sentant pas assez fort pour l'attaquer dans le
Défilé , où l'on prétendoit qu'il avoit été contraint
de se renfermer , envoya demander du
secours à Topal - Osman. Ce Seraskier impatient
de terminer par quelque coup décisif une guerre
que le desespoir plutôt que les forces du General
Persan pouvoit encore prolonger , s'il le l'aissoit
MARS. 1734.
587
rage
soit échapper du mauvais pas, où il le croyoit engagé,
se flata que sa présence redoubleroit le coudes
Turcs, comme il l'avoit éprouvé tant de
fois, et lui faciliteroit la victoire sur son Ennemi .
Il marcha donc avec le peu de Troupes qui lui restoient,
mais à peine cut- il joint Memis-Pacha, sur
lequel Thamas Kouli- Kan vint fondre avec fureur
, que par des raisons qui n'ont pas été bien
éclaircies , ce Pacha , dont jusqu'alors la bravoure,
n'avoit point parû équivoque , prit la fuite
avec toutes ses Troupes sans faire la moindre
résistance.
Topal- Osman outré de s'en voir si lâchement
abandonné , mais incapable de suivre son exemple
, s'abandonna lui - même à son intrépidité ,
et malgré la supériorité du nombre des Persans ,
il soutint leurs attaques pendant quelques heures
, secondé du peu de monde qu'il avoit ame
né ; il combattoit même avec avantage et leur
faisoit déja perdre du terrain , lorsque deux
coups de fusil qu'il reçut à la fois , le firent tomber
mort de cheval . Ce funeste spectacle jetta un
si grand et si subit dérangement parmi ses Soldats
, qu'ils se débanderent aussi- tôt et prirent
à toutes jambes la route de Kerkout , dans laquelle
Memis-Pacha les avoit devancez.
Kouli Kan , qui depuis qu'il a' pris les armes
ne s'étoit fait connoître que par un orgueil insupportable
et un courage qui tenoit plus de la
férocité qu'on respire sur les Montagnes où il a
reçû le jour , que de cette valeur genereuse qui
n'est pas moins souvent le fruit d'une belle édu
cation , qu'un présent de la Nature , donna ce
pendant en cette occasion une marque de gran
deur d'ame à laquelle on ne s'attendoit
part,et qu'il y auroit de l'injustice à passer sous
H vj silence
pas
de sa
$ 88 MERCURE DE FRANCE
silence. Ayant sçû que l'épouvante et la retraite.
précipitee du reste des Troupes Ottomanes n'avoient
eu d'autre cause que la mort de leur Chef,
il se servit de leur Ordou- Cadi , qui avoit été
pris auprès de lui lorsqu'il fut tué , pour retrouver
et reconnoître son corps , et après l'avoir.
consideré avec une espece de veneration , il le
fit porter à la Littiere dans laquelle le Deffunt
étoit venu et le renvoya à Kerkout , pour que,
les Turcs lui fissent eux -mêmes des Obseques
convenables. Il est vrai qu'on dit qu'il n'en usa
si noblement qu'en reconnoissance de ce que
Topal - Osman lui avoit renvoyé depuis quelques
jours son beau-pere et son neveu , qui avoient
été faits prisonniers à l'affaire de Kerkout ; mais
quelqu'ait été le motif qui l'a fait agir , ce trait
de magnanimité n'en est pas moins digne de
loüange.
La nouvelle de cette mort , qu'on reçut à Constantinople
la nuit du 4. auf. Décembre , remplit
cette Ville de consternation , et le Peuple
effrayé par des faux bruits que des mal ingens
tentionnez pour cet Empire , prirent soin de semer
les jours suivans , s'imagina que tout étoit
perdu ; heureusement des avis posterieurs et plus
vrais , ont fort rassuré les esprits , et l'on sçait,
à présent que tout le dommage que les Turcs
ont souffert dans ce dernier combat, se réduit à
un très - petit nombre de morts et de prisonniers
et à la perte de Topal - Osman ; perte , à la verité
, irréparable dans un sens , quand on refléchit
sur lesgrandes qualitez de ce General et sur le
point avantageux où il avoit conduit les choses ,
mais perte , après tout , qui n'entraîne pas celle
*L'Intendant de l'Armée.
de
MARS. 1724. 589
de l'Etat , comme ceux qui voudroient le voir
anéanti , affectoient de le répandre sourdement .
En premier lieu , bien loin que Thamas Kouli
-Kan ait tiré quelque fruit de cette victoire en
poursuivant les Turcs à Kerkout et en s'emparant
de cette Forteresse , comme on avoit d'abord
publié qu'il l'avoit fait , il a été obligé de
s'en éloigner encore plus qu'il ne l'étoit et de
tenir la Campagne , tantôt d'un côté , tantôt
d'un autre pour trouver à subsister , sans même
emporter le Canon que les Turcs lui abandonnerent
avec le Champ de bataille . Secondement,
il est certain qu'il continue ses instances
pour obtenir la Paix qu'il avoit demandée aux
Turcs depuis long- temps et que leur Ordon-
Cadi , qu'il avoit renvoyé ici sur sa parole pour
cette négociation , s'en est retourné sans qu'on
ait seulement voulu écouter les propositions
que cè General l'avoit chargé de faire de sa part
Ja Porte.
est
Il y a bien plus que cela , s'il en faut croire
certaines nouvelles , que je tiens de fort bon lieu:
elles portent que Kouli - Kan , n'ayant plus un
assez gros parti pour soutenir sa rebellion en
Perse , n'ose pas y retourner , parce qu'il y
regardé comme le fleau et l'unique auteur des
dernieres calamitez dont ce malheureux Royaume
est désolé ; qu'aussi - tôt qu'il eut perdu la
Bataille du 19 Juillet , un Seigneur Persan fort
acredité , qu'on appelle le vieux Khan , & qu'il
avoit laissé devant Bagdad pour y continuer le
blocus , l'abandonna , partit en poste et s'en alla
droit à Hispahan soulever les esprits contre lui ;
que delà il passa dans le Corassan , où il tira
Schaph- Thamas de sa prison ; qu'il ramena ce
Prince dans sa Capitale et le rétablit sur son
Tiêu
$90 MERCURE DE FRANCE
Trône aux acclamations de tout le peuple ; qu'en
suite le Roy de Perse avoit de nouveau déclaré
qu'il condamnoit en tout la conduite de Kouli-
Kan depuis qu'il avoit violé la derniere Paix
qu'il persistoit à le proscrire comme rebelle à
son Souverain , et traître à sa patrie ; qu'il levoit
des Troupes pour marcher contre lui le prendre
vif ou mort, s'il étoit possible , et le livrer à
la vengeance des Turcs , et qu'il renouvelloit
sans restrition la ratification qu'il avoit faite
du Traité d'Amadan.
Je ne vous dissimulerai point , Monsieur , que
je ne voudrois pas vous garantir la verité de ces
nouvelles en leur entier , parce que je sçais qu'on
soupçonne toujours ici , que Schah- Thamas et
son premier Ministre s'entendent ensemble ; mais
je ne vous garantirai pas davantage non plus les
Nouvelles suivantes , arrivées ici depuis peu de
jours.
Les unes disent que Kouli-Kan ayant voulu
risquer une tentative sur Kerkout, Memis Pacha
étoit sorti de cette Place , et l'avoit défait à plate
Couture. Les autres portent au contraire , qu'Achmet
Pacha de Bagdad , sur l'avis qu'on lui
avoit donné , que Thamas- Kouli - Kan avoit dé
taché 4000 hommes pour aller s'emparer de
Khillet * il étoit sorti de Bagdad avec la meilleure
partie de sa Garnison dans le dessein d'enlever
ce Détachement ennemi ; mais qu'ayant
appris en route que Kouli- Kan étoit lui - même à
›
* C'est un gros Bourg avec une petite forteresse
sur le chemin de Bagdad à Bassora , lequel étant
situé au bord de l'Euphrate , sert de Magasin et
d'entrepôts aux provisions pour cette premiere
Place.
KhilMARS
1734.
591
"
Khillet avec 30 à 40 mille hommes , il avoit rebroussé
chemin en dilligence , & qu'étant rentré
dans Bagdad , où il y aa fort peu de vivres , il en
avoit fait sortir les vieillards , les femmes , les
enfans ; en un mot , toutes les bouches inutiles
dans l'aprehension que le General Persan , après
avoir établi ses Magazins à Khillet , ne revint
encore former le blocus de Bagdad ; qu'avant
que d'y être de retour , un autre Achmet , qui
est Capidgi-Bachi , et son Divan- Effendi ** , se
ressouvenant de tout ce qu'il avoit souffert l'année
passée dans cette Place , et craignant de s'y
voir renfermé de nouveau pour long- tems , avoit
débauché 6000 hommes des Troupes qui étoient
sorties avec Achmet Pacha , et que s'étant mis à
leur tête , il les avoit conduit à Kerkout , od
Memis Pacha indigné de sa désertion l'avoit fait
mettre aux fers , et se tenoit sur ses gardes avec
ce renfort contre les entreprises que Kouli-Kam
pourroit faire sur Kerkout.
Vous voyez , Monsieur , par toutes ces nonvelles
, qui se contredisent et qui se débitent
pourtant à Constantinople aussi affirmativement
les unes que les autres , combien il est difficile
pour ne rien dire de plus , de sçavoir positive.
ment ce qui se passe dans ces Contrées éloignées,
où les Etrangers qui sont ici , n'ayant point de
correspondance , ne peuvent que rarement être
instruits du véritable état des choses.
Mais ce dont je puis vous parler avec certitu
de , c'est que depuis la mort de Topal - Osman
on fait de tous côtez dans cet Empire , des préparatifs
extraordinaires contre la Pers . Tous les
** Secretaire du Conseil , ou son premier Secttaire.
7
Pachas
192 MERCURE DE FRANCE
>
Pachas d'Asie ont eu ordre de marcher sans
délai avec le plus de Milices qu'ils pourront rassembler,
chacun dans l'étendue de son Gouvernement
il doit partir d'ici vingt chambrées de
Jannissaires qui composeront environ 8000
hommes. On compte que quand toutes ces
Troupes seront arrivées au lieu du rendez.vous ,
elles se monteront à 90 mille combattans , qui
joints à ce qu'il y en a déja en Perse formeront
une armée formidable ; et l'on s'en promet d'antant
plus de succès , que le G. S. pour encouràger
les gens de Guerre , a considérablement augmenté
la paye , ou les apointemens de tous ceux
qui serviroient dans cette armée pendant la campagne
prochaine. D'ailleurs trois Bâtimens François
frettez par sa hautesse ont déja fait voile
ces jours- ci , chargez de Canons , de Poudre ,
de Boulets , & c . qu'ils doivent débarquer à Alexandrete.
:
Abdoulla Cuperli , ci -devant Pacha du Caire ,
et à présent de Cogni , a été nommé pour remplacer
Topal - Osman , et le G. V. a déclaré en
public , qu'il marcheroit lui - même , pour exterminer
les Persans cette année , ou les forcer du
moins à faire une Paix solide , et honorable à la
Porte.
Au reste , Monsieur , pour finir ma Lettre ,
par quelque chose de consolant sur la mort de
Topal - Osman Pacha , je vous dirai que le G. S.
voulant donner des marques éclatantes du cas
qu'il faisoit de cet illustre et fidele sujet à récompensé
dans la personne de son fils Achmet , les
services que le Pere rendoit depuis si longtems à
cet Empire ; quoique ce jeune Seigneur n'aitt pas
encore 24 ans sa hautesse l'a fait tout d'un
coup et de son propre mouvement Pacha à trois
queües ,
>
MARS 1734.
593
*
queues , et Beylerbey de Romelie ; il est parti
d'ici dernierement avec un Equipage aussi nombreux
que superbe , pour se rendre à Nissa , ré..
sidence affectée au Pacha qui est revêtu de ce
Beylerbeylik .
Ce bienfait tout grand qu'il est en lui - même ,
a été cependant accompagné d'une circonstance,
qui à notre maniere de penser semble en dimi
nuer beaucoup le prix , et que ceux qui ne sont
pas au fait des maximes de l'Empire Ottoman ',
trouveront sans - doute fort extraordinaire , c'est
que dans le même tems que le G. S. a temoigné
avec tant de distinction sa reconnoissance envers
Topal - Osman , en élevant son fils si jeune encore
aux premieres dignitez de l'Etat , Sa Hautesse a
dépêché un Capidgi -Bachi en Perse , pour confisquer
au profit du Trésor Imperial tous les
effets mobiliers du deffunt : de sorte qu'il ne reste
à Achmet Pacha , de la grande succession de son
pere , qui passoit pour extrémement riche , que
les immeubles consistant en Maisons &c. parcè
que Topal Osman avoit eu la précaution de rendre
tous ces bens - là Vacoufs : c'est - à - dire de les
donner en proprieté à des Mosquées et de s'en
réserver l'usufruit pour lui , et pour ses descendans
jusqu'à l'extinction de sa race. Cette précaution
fort en usage dans ce Païs - ci , est le seul
moyen , par lequel ceux qui ont eu quelque part
aux affaires publiques peuvent assurer leur héritage
à leurs enfans : car les biens devenus Vacoufs
sont sacrez : pour quelque cause que ce soit ,
personne ne peut s'en emparer ; et ils ne sont dévolus
aux Mosquées pour la jouissance effective
qu'après le décès du dernier usufruitier .Je suis & c .
P. V. D.
L
A derniere Lettre que je vous écrivis , Monsieur
, en datte des 12. et 20. Novembre
ne vous parloit que des triomphes de Topal - Osman
Pacha ; je me préparois même alors avec
plaisir à vous en annoncer bien- tôt un autre
qui auroit mis le comble à sa gloire , et qui suivant
la situation où l'on assuroit que les affaires
des Turcs étoient en Perse , ne pouvoit lui manquer
, mais la Providence en a ordonné autrement
, et ce grand homme a trouvé sa défaite
où tout sembloit lui promettre celle de son Ennemi.
Quoique je ne doute pas que vous ne
soyez déja informé de cet Evenement, je ne laisse
pas de vous faire part de ce que j'en ai appris ,
parce que les premieres Relations qui en coururent
d'abord ont été démenties dans plusieurs
points par de plus fidelles qui sont venuës après.
Memis- Pacha , qui , comme je vous l'ai déja
mandé , avoit été détaché avec un Corps de
Troupes , chargé de poursuivre Thamas Kouli-
Kan ; après la déroute de celui-cy à Leilan , ne
se sentant pas assez fort pour l'attaquer dans le
Défilé , où l'on prétendoit qu'il avoit été contraint
de se renfermer , envoya demander du
secours à Topal - Osman. Ce Seraskier impatient
de terminer par quelque coup décisif une guerre
que le desespoir plutôt que les forces du General
Persan pouvoit encore prolonger , s'il le l'aissoit
MARS. 1734.
587
rage
soit échapper du mauvais pas, où il le croyoit engagé,
se flata que sa présence redoubleroit le coudes
Turcs, comme il l'avoit éprouvé tant de
fois, et lui faciliteroit la victoire sur son Ennemi .
Il marcha donc avec le peu de Troupes qui lui restoient,
mais à peine cut- il joint Memis-Pacha, sur
lequel Thamas Kouli- Kan vint fondre avec fureur
, que par des raisons qui n'ont pas été bien
éclaircies , ce Pacha , dont jusqu'alors la bravoure,
n'avoit point parû équivoque , prit la fuite
avec toutes ses Troupes sans faire la moindre
résistance.
Topal- Osman outré de s'en voir si lâchement
abandonné , mais incapable de suivre son exemple
, s'abandonna lui - même à son intrépidité ,
et malgré la supériorité du nombre des Persans ,
il soutint leurs attaques pendant quelques heures
, secondé du peu de monde qu'il avoit ame
né ; il combattoit même avec avantage et leur
faisoit déja perdre du terrain , lorsque deux
coups de fusil qu'il reçut à la fois , le firent tomber
mort de cheval . Ce funeste spectacle jetta un
si grand et si subit dérangement parmi ses Soldats
, qu'ils se débanderent aussi- tôt et prirent
à toutes jambes la route de Kerkout , dans laquelle
Memis-Pacha les avoit devancez.
Kouli Kan , qui depuis qu'il a' pris les armes
ne s'étoit fait connoître que par un orgueil insupportable
et un courage qui tenoit plus de la
férocité qu'on respire sur les Montagnes où il a
reçû le jour , que de cette valeur genereuse qui
n'est pas moins souvent le fruit d'une belle édu
cation , qu'un présent de la Nature , donna ce
pendant en cette occasion une marque de gran
deur d'ame à laquelle on ne s'attendoit
part,et qu'il y auroit de l'injustice à passer sous
H vj silence
pas
de sa
$ 88 MERCURE DE FRANCE
silence. Ayant sçû que l'épouvante et la retraite.
précipitee du reste des Troupes Ottomanes n'avoient
eu d'autre cause que la mort de leur Chef,
il se servit de leur Ordou- Cadi , qui avoit été
pris auprès de lui lorsqu'il fut tué , pour retrouver
et reconnoître son corps , et après l'avoir.
consideré avec une espece de veneration , il le
fit porter à la Littiere dans laquelle le Deffunt
étoit venu et le renvoya à Kerkout , pour que,
les Turcs lui fissent eux -mêmes des Obseques
convenables. Il est vrai qu'on dit qu'il n'en usa
si noblement qu'en reconnoissance de ce que
Topal - Osman lui avoit renvoyé depuis quelques
jours son beau-pere et son neveu , qui avoient
été faits prisonniers à l'affaire de Kerkout ; mais
quelqu'ait été le motif qui l'a fait agir , ce trait
de magnanimité n'en est pas moins digne de
loüange.
La nouvelle de cette mort , qu'on reçut à Constantinople
la nuit du 4. auf. Décembre , remplit
cette Ville de consternation , et le Peuple
effrayé par des faux bruits que des mal ingens
tentionnez pour cet Empire , prirent soin de semer
les jours suivans , s'imagina que tout étoit
perdu ; heureusement des avis posterieurs et plus
vrais , ont fort rassuré les esprits , et l'on sçait,
à présent que tout le dommage que les Turcs
ont souffert dans ce dernier combat, se réduit à
un très - petit nombre de morts et de prisonniers
et à la perte de Topal - Osman ; perte , à la verité
, irréparable dans un sens , quand on refléchit
sur lesgrandes qualitez de ce General et sur le
point avantageux où il avoit conduit les choses ,
mais perte , après tout , qui n'entraîne pas celle
*L'Intendant de l'Armée.
de
MARS. 1724. 589
de l'Etat , comme ceux qui voudroient le voir
anéanti , affectoient de le répandre sourdement .
En premier lieu , bien loin que Thamas Kouli
-Kan ait tiré quelque fruit de cette victoire en
poursuivant les Turcs à Kerkout et en s'emparant
de cette Forteresse , comme on avoit d'abord
publié qu'il l'avoit fait , il a été obligé de
s'en éloigner encore plus qu'il ne l'étoit et de
tenir la Campagne , tantôt d'un côté , tantôt
d'un autre pour trouver à subsister , sans même
emporter le Canon que les Turcs lui abandonnerent
avec le Champ de bataille . Secondement,
il est certain qu'il continue ses instances
pour obtenir la Paix qu'il avoit demandée aux
Turcs depuis long- temps et que leur Ordon-
Cadi , qu'il avoit renvoyé ici sur sa parole pour
cette négociation , s'en est retourné sans qu'on
ait seulement voulu écouter les propositions
que cè General l'avoit chargé de faire de sa part
Ja Porte.
est
Il y a bien plus que cela , s'il en faut croire
certaines nouvelles , que je tiens de fort bon lieu:
elles portent que Kouli - Kan , n'ayant plus un
assez gros parti pour soutenir sa rebellion en
Perse , n'ose pas y retourner , parce qu'il y
regardé comme le fleau et l'unique auteur des
dernieres calamitez dont ce malheureux Royaume
est désolé ; qu'aussi - tôt qu'il eut perdu la
Bataille du 19 Juillet , un Seigneur Persan fort
acredité , qu'on appelle le vieux Khan , & qu'il
avoit laissé devant Bagdad pour y continuer le
blocus , l'abandonna , partit en poste et s'en alla
droit à Hispahan soulever les esprits contre lui ;
que delà il passa dans le Corassan , où il tira
Schaph- Thamas de sa prison ; qu'il ramena ce
Prince dans sa Capitale et le rétablit sur son
Tiêu
$90 MERCURE DE FRANCE
Trône aux acclamations de tout le peuple ; qu'en
suite le Roy de Perse avoit de nouveau déclaré
qu'il condamnoit en tout la conduite de Kouli-
Kan depuis qu'il avoit violé la derniere Paix
qu'il persistoit à le proscrire comme rebelle à
son Souverain , et traître à sa patrie ; qu'il levoit
des Troupes pour marcher contre lui le prendre
vif ou mort, s'il étoit possible , et le livrer à
la vengeance des Turcs , et qu'il renouvelloit
sans restrition la ratification qu'il avoit faite
du Traité d'Amadan.
Je ne vous dissimulerai point , Monsieur , que
je ne voudrois pas vous garantir la verité de ces
nouvelles en leur entier , parce que je sçais qu'on
soupçonne toujours ici , que Schah- Thamas et
son premier Ministre s'entendent ensemble ; mais
je ne vous garantirai pas davantage non plus les
Nouvelles suivantes , arrivées ici depuis peu de
jours.
Les unes disent que Kouli-Kan ayant voulu
risquer une tentative sur Kerkout, Memis Pacha
étoit sorti de cette Place , et l'avoit défait à plate
Couture. Les autres portent au contraire , qu'Achmet
Pacha de Bagdad , sur l'avis qu'on lui
avoit donné , que Thamas- Kouli - Kan avoit dé
taché 4000 hommes pour aller s'emparer de
Khillet * il étoit sorti de Bagdad avec la meilleure
partie de sa Garnison dans le dessein d'enlever
ce Détachement ennemi ; mais qu'ayant
appris en route que Kouli- Kan étoit lui - même à
›
* C'est un gros Bourg avec une petite forteresse
sur le chemin de Bagdad à Bassora , lequel étant
situé au bord de l'Euphrate , sert de Magasin et
d'entrepôts aux provisions pour cette premiere
Place.
KhilMARS
1734.
591
"
Khillet avec 30 à 40 mille hommes , il avoit rebroussé
chemin en dilligence , & qu'étant rentré
dans Bagdad , où il y aa fort peu de vivres , il en
avoit fait sortir les vieillards , les femmes , les
enfans ; en un mot , toutes les bouches inutiles
dans l'aprehension que le General Persan , après
avoir établi ses Magazins à Khillet , ne revint
encore former le blocus de Bagdad ; qu'avant
que d'y être de retour , un autre Achmet , qui
est Capidgi-Bachi , et son Divan- Effendi ** , se
ressouvenant de tout ce qu'il avoit souffert l'année
passée dans cette Place , et craignant de s'y
voir renfermé de nouveau pour long- tems , avoit
débauché 6000 hommes des Troupes qui étoient
sorties avec Achmet Pacha , et que s'étant mis à
leur tête , il les avoit conduit à Kerkout , od
Memis Pacha indigné de sa désertion l'avoit fait
mettre aux fers , et se tenoit sur ses gardes avec
ce renfort contre les entreprises que Kouli-Kam
pourroit faire sur Kerkout.
Vous voyez , Monsieur , par toutes ces nonvelles
, qui se contredisent et qui se débitent
pourtant à Constantinople aussi affirmativement
les unes que les autres , combien il est difficile
pour ne rien dire de plus , de sçavoir positive.
ment ce qui se passe dans ces Contrées éloignées,
où les Etrangers qui sont ici , n'ayant point de
correspondance , ne peuvent que rarement être
instruits du véritable état des choses.
Mais ce dont je puis vous parler avec certitu
de , c'est que depuis la mort de Topal - Osman
on fait de tous côtez dans cet Empire , des préparatifs
extraordinaires contre la Pers . Tous les
** Secretaire du Conseil , ou son premier Secttaire.
7
Pachas
192 MERCURE DE FRANCE
>
Pachas d'Asie ont eu ordre de marcher sans
délai avec le plus de Milices qu'ils pourront rassembler,
chacun dans l'étendue de son Gouvernement
il doit partir d'ici vingt chambrées de
Jannissaires qui composeront environ 8000
hommes. On compte que quand toutes ces
Troupes seront arrivées au lieu du rendez.vous ,
elles se monteront à 90 mille combattans , qui
joints à ce qu'il y en a déja en Perse formeront
une armée formidable ; et l'on s'en promet d'antant
plus de succès , que le G. S. pour encouràger
les gens de Guerre , a considérablement augmenté
la paye , ou les apointemens de tous ceux
qui serviroient dans cette armée pendant la campagne
prochaine. D'ailleurs trois Bâtimens François
frettez par sa hautesse ont déja fait voile
ces jours- ci , chargez de Canons , de Poudre ,
de Boulets , & c . qu'ils doivent débarquer à Alexandrete.
:
Abdoulla Cuperli , ci -devant Pacha du Caire ,
et à présent de Cogni , a été nommé pour remplacer
Topal - Osman , et le G. V. a déclaré en
public , qu'il marcheroit lui - même , pour exterminer
les Persans cette année , ou les forcer du
moins à faire une Paix solide , et honorable à la
Porte.
Au reste , Monsieur , pour finir ma Lettre ,
par quelque chose de consolant sur la mort de
Topal - Osman Pacha , je vous dirai que le G. S.
voulant donner des marques éclatantes du cas
qu'il faisoit de cet illustre et fidele sujet à récompensé
dans la personne de son fils Achmet , les
services que le Pere rendoit depuis si longtems à
cet Empire ; quoique ce jeune Seigneur n'aitt pas
encore 24 ans sa hautesse l'a fait tout d'un
coup et de son propre mouvement Pacha à trois
queües ,
>
MARS 1734.
593
*
queues , et Beylerbey de Romelie ; il est parti
d'ici dernierement avec un Equipage aussi nombreux
que superbe , pour se rendre à Nissa , ré..
sidence affectée au Pacha qui est revêtu de ce
Beylerbeylik .
Ce bienfait tout grand qu'il est en lui - même ,
a été cependant accompagné d'une circonstance,
qui à notre maniere de penser semble en dimi
nuer beaucoup le prix , et que ceux qui ne sont
pas au fait des maximes de l'Empire Ottoman ',
trouveront sans - doute fort extraordinaire , c'est
que dans le même tems que le G. S. a temoigné
avec tant de distinction sa reconnoissance envers
Topal - Osman , en élevant son fils si jeune encore
aux premieres dignitez de l'Etat , Sa Hautesse a
dépêché un Capidgi -Bachi en Perse , pour confisquer
au profit du Trésor Imperial tous les
effets mobiliers du deffunt : de sorte qu'il ne reste
à Achmet Pacha , de la grande succession de son
pere , qui passoit pour extrémement riche , que
les immeubles consistant en Maisons &c. parcè
que Topal Osman avoit eu la précaution de rendre
tous ces bens - là Vacoufs : c'est - à - dire de les
donner en proprieté à des Mosquées et de s'en
réserver l'usufruit pour lui , et pour ses descendans
jusqu'à l'extinction de sa race. Cette précaution
fort en usage dans ce Païs - ci , est le seul
moyen , par lequel ceux qui ont eu quelque part
aux affaires publiques peuvent assurer leur héritage
à leurs enfans : car les biens devenus Vacoufs
sont sacrez : pour quelque cause que ce soit ,
personne ne peut s'en emparer ; et ils ne sont dévolus
aux Mosquées pour la jouissance effective
qu'après le décès du dernier usufruitier .Je suis & c .
P. V. D.
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Résumé : A Constantinople le 15. Janvier 1734.
Le 15 janvier 1734, à Constantinople, un auteur rapporte la défaite et la mort de Topal Osman Pacha, un général ottoman, lors d'une bataille contre Thamas Kouli-Kan en Perse. Initialement, Topal Osman semblait en position de victoire, mais des événements imprévus ont conduit à sa défaite. Memis Pacha, envoyé pour poursuivre Thamas Kouli-Kan, a fui sans combattre, laissant Topal Osman seul face à l'ennemi. Malgré une résistance héroïque, Topal Osman a été tué, provoquant la débandade de ses troupes. Thamas Kouli-Kan, connu pour son orgueil et sa férocité, a montré une marque de grandeur en renvoyant le corps de Topal Osman à Constantinople pour des funérailles dignes. Cette action a été interprétée comme une reconnaissance de la noblesse de Topal Osman, qui avait récemment libéré des prisonniers persans. La nouvelle de la mort de Topal Osman a semé la consternation à Constantinople, mais des informations ultérieures ont rassuré la population sur l'état des forces ottomanes. Thamas Kouli-Kan, malgré sa victoire, n'a pas pu exploiter pleinement son avantage et a dû se retirer. De plus, des nouvelles indiquent que Kouli-Kan est isolé et que le roi de Perse le considère comme un rebelle. En réponse à cette situation, l'Empire ottoman prépare une grande offensive contre la Perse. Des troupes sont mobilisées et des renforts sont envoyés. Abdoulla Cuperli a été nommé pour remplacer Topal Osman, et le sultan a déclaré qu'il mènerait personnellement la campagne pour vaincre les Persans ou les forcer à faire la paix. Enfin, le sultan a honoré la mémoire de Topal Osman en nommant son fils Achmet Pacha à un haut poste, malgré la confiscation des biens mobiliers du défunt au profit du trésor impérial. Cette pratique est courante dans l'Empire ottoman pour protéger les héritages des familles impliquées dans les affaires publiques.
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