Le lecteur doit être d'autant plus
favorable à la Piece Luivante , qu'elle
a été composée par un auteur de dixhuit
ans. Il eft natif de Dijon..
C iiij
32 MERCURE
L'AMOUR
POETE.
ALLEGORIE.
Par M. de la F...
DEux jours y a que
fur le Mont Par
naffe
Fut convoqué le Confeil
d'Apollon ,
"Pour inftaler ( lors váquoit
une place)
Un Candidat dans le
GALANT.
33
Sacré Vallon.
Or , comme
on fçait , felon
le vieux adage
,
Que l'ouvrier
fe connoît
à
l'ouvrage
,
Decidé
fut que fur fujet
donné
Les pretendans exerceroient
leur veine ;
Que le vainqueur des
mains de Melpomene
Seroitfoudain de laurier
couronné.
34
MERCURE
De cet arrêt content ne
fut Horace :
Quoy je verrai , dit- il ,
en nôtre rang
Fades rimeurs éleve
fur Parnaffe ?
Point ne fera , de ce je
fuis garant.
Le fort voulut , comme
il donnait carriere
A fon chagrin , qu'Apollon
juftement
Le deputa pour donner
la matiere
Auxpretendans . Defon
"
GALANT.
35
reffentiment
Rien ne fçavoit s car le
rusé Lyrique
Feignoit toujours d'approuver
le projet.
Bon , dit Horace , ils auront
tel fujet
Que pour traiter de tout
l'art poëtique
Befoin fera. Sitôt il def
cendit
Dans le Valon , où prés
de
l'Hipocrene ,
Gens de tout ordre
de tout acabit
36 MERCURE
Par mille voeux fatiguoient
Melpomene.
Vous , leur dit - il , qui
de la gloire épris ,
Sur l'Helicon voulezoccuper
place ,
Je viens ici , juge de
vos écrits
Fournir un champ à vôtre
noble audace :
Sur deux fujets
pouvez
vous exercer >
Ou contre Iris écrire une
Satyre ,
Et dans vos vers aigreGALANT.
37
ment la vexer ,
Ou pour Doris accorder
vôtre lyre
.
Il dit. Soudain rimeurs
de s'efcrimer ,
Ronger leurs doigts , fe
mondre leur Minerve
En cent façons fe poindre
, s'animer.
Rien
n'opera
étoit la ver-
Vei
retive
Bref, pour neant aucun
ne put rimer
38
MERCURE
En cet état avint qu'ils
remarquerent
L'Enfant ailé riant de
leurs efforts
Les exceder , troubler
tous leurs accords ;
Dont vers Phebus un
d'entr'eux deputerent
Qui par detail l'avanture
conta .
De leur fujet Apollon
s'enquêta i
Puis dit foudain : Certes
je ne m'étonne
GALANT.
39
De ce mechef,
moymême
en perfonne
Je n'euffe osé , je ne veux
me brouiller
Avec l'Amours il y va
trop du nôtre.
Rimeurs fans luy ne
font que barbouiller
,
Et de Parnaffe il fut
toûjours l'Apotre
.
Vous avez mal vôtre
fujet compris ,
40 MERCURE
F
L'Amour n'a tort à ceftoit
contre Doris
Que vous deviel lancer
traits de fatyre
,
Et pour Iris accorder
vôtre lyre.
Phebusparlaidont l'Enfant
de Cypris
S'ebaudiffant defa gloire
nouvelle ,
Ores chantoit gavote &
vilanelle i
Ores frifoit l'onde du
bout de l'aile ,
Puis
GALANT.
Puis retournoit nicher ès
yeux d'Iris ,
D'où decochant flamboyantes
fagettes
,
De feu vermeil animoit
les Poëtes..
Bientôt auffi Balades ,
Virelais
D'entrer en jeu ; bien- ·
tôt euffiez vû naître
Fleurs d'Helicon , Rondeaux
& Triolets.
'Mars 1714.
D
42 MERCURE
}
L'aurois juré , ne
ne fut
onque tel Maitre
.
Defes leçons fi bienfeus
profiter ,
Que je croyois déja fur
le Parnaffe
Prés de Pindare aller
prendre ma place ,
Quandparces mots Phebus
vint m'arrêter.
Ami , n'attens guerdon
de ton
ouvrages
GALANT.
43
Le Mont facré n'eft ou
vert aux amans ,
Qui des neufSoeurs empruntant
le langage,
Pouffent en vers leurs
tendres fentimens
.
Or fi ta verve a rendu
fon hommage
Aton Iris , n'attens point
monfuffrage ,
C'est à l'Amour à te
larier.
Sa-
Adieu vous dis ,je quitte
Dij
44 MERCURE
le métier ,
Repris -je enfeusfi ma
lyre fredonne ,
C'eftpour Iris ,je ne puis
varier:
Or reprenez
& laurier
couronne ,
Mon choix eft fait , le
myrthe qu'Amour ·
donne
Meft mille fois plus
cher
que
le laurier.