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1
p. 26-35
L'AMOUR ET L'HYMEN RÉCONCILIÉS, CONTE EPITHALAMIQUE.
Début :
L'AMOUR ET L'HYMEN RÉCONCILIÉS, CONTE EPITHALAMIQUE. [...]
Mots clefs :
Amour, Hymen, Cœur, Sentiments, Hommes, Plaisirs, Tendresse
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texteReconnaissance textuelle : L'AMOUR ET L'HYMEN RÉCONCILIÉS, CONTE EPITHALAMIQUE.
L'AMOUR ET L'HYMEN
RÉCONCILIÉS ,
L
CONTE EPITHALAMIQUE.
E Dieu de la tendreffe perdoit infenfiblementfon
empire fur les humains .
Il ne les conduifoit plus aux Autels de
l'Hymen. Depuis longtemps ils ne le
confultoient plus , pour former ces rapides
engagemens , que fouvent un même
jour voit naître & finir,
L'Amour s'en confoloit.. Il régnoit tou
jours fur les coeurs fans éxpérience. Quand
de la premiere jeuneffe on paffe à l'âge
des defirs , on aime à fe livrer aux douces
inquiétudes du Dieu des coeurs , On
ne voit , on n'entend que par lui . On
n'exprime que ce qu'il infpire ; & ce
qu'il infpire eft le fentiment de la Volupté
même.
Le goût des frivolités lui arracha ce
refte de puiffance : Azor , l'aimable
Azor , dont le coeur étoit fait pour toutes
les vertus , ofa former des defirs ;
& ils n'étoient pas ceux de l'Amour . IĮ
dit à toutes les jolies femmes qui s'ofMARS.
1763. 27
frirent à fes regards , qu'il les adoroit ;
& il le leur juroit,fans reffentir aucune
des émotions de l'Amour. D'où provient
donc cet égarement , s'écria -t-il ?
Vangeons-nous , ou ramenons Azor ,
ou puniffons les coupables. Leur nombre
l'effraya. Ces ufages qui l'outrageoient
étoient devenus ceux de tous
les hommes du bon ton . Azor eût cru
fe perdre de réputation parmi fes pareils,
s'il eût tenté d'afficher le fentiment.
Le fils de Vénus défefpéré de ne pou
voir ni corriger Azor , ni punir les coupables
, prit le parti de les abandonner
à leur délire , & de dérober fa honte
aux Dieux même s'il le pouvoit. Dans
cette vue il parcouroit des deferts immenfes,
& partout il proféroit les plaintes
les plus touchantes. Les volages oifeaux
interrompoient leurs chants mélodieux
, pour l'entendre. Les timides
hôtes des bois oublioient leurs frayeurs
pour foupirer avec lui. Les tigres & les
lions fufpendoient leur férocité , pour
s'adoucir à fes accens. Les fiers Aquilons
calmoient leur indomptable fu-.
reur , pour s'attendrir à fa voix. Tel
eft fon pouvoir. La Nature & tous les
Etres qu'elle produit , ſe plaiſent à céder.
aux impreffions de ce Dieu. Mortels in-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
grats , fe difoit-il , vous êtes donc les
feuls qui réfiftez à mes loix? Je vous déteſte
! C'étoit ainfi qu'il exhaloit fon
courroux .
Un jour qu'il s'étoit prèſqu'épuisé de
fatigue , il apperçut un bois dans un
vallon fort éloigné. Il s'y rendit. Il fut
furpris de voir que ce féjour étoit embelli
de tous les ornemens de l'Art.Quel
être intelligent, s'écria - til , a fçu fe préparer
cette riante folitude ? Il fe dérobe
aux Mortels ? Ah ! c'eſt un Sage . Cherchons-
le , je brûle de me l'attacher,& de
le combler de mes dons, s'il en eft digne.
Il pénétra dans ce bois . A l'afpect
d'une multitude de promenades artiſtement
variées , fon étonnement redoubloit.
Bientôt il arrive dans un bofquet
charmant. Des branches galament
entrelaffées en interdifoient l'entrée aux
rayons d'un foleil, brulant. Les fleurs les
plus rares & les plus vives y répandoient
un parfum enchanteur. L'Amant
de Flore y entretenoit une fraîcheur
délicieufe , par le fouffle de fon haleine .
Un gazon élevé par les Grâces faifoit
l'enfoncement de ce bofquet.
L'Amour entrevit fur ce gazon un
Etre pour lequel il s'intéreffa . Négligemment
étendu fur ce tapis émailMARS.
1763. 20
lé , il paroiffoit plongé dans les rê
veries d'un fommeil inquiet ; fes. paupiéres
entr'ouvertes laiffoient coulet
quelques larmes ; il parloit même.
» Mortels infenfés , fe difoit- il , vous
» avez méconnu mes bienfaits ; je de-
» vrois vous haïr. Ne puis- je du moins
» vous oublier ? C'eſt toi , charmante
» Félime , qui les retraces à mon fou-
» venir. Ciel ! c'eſt l'hymen , s'écria l'Amour
avec une extrême vivacité. Il fe
plaint donc auffi de l'aveuglement des
hommes ?
ود
Qui es- tu , toi , reprit l'Hymen en
» fe réveillant ? Que cherches - tu dans
» ces afyles inhabités ? Pourquoi trou-
» bles-tu mon repos ? Mais.... Que
» vois - je ? C'eſt l'Amour! .. Cruel ennemi
, qu'attens-tu de moi ? .... Fuyons.
Arrête , cher frère ! As-tu pu croire
que j'étois ton ennemi ? Quelle erreur
! Expliquons- nous ; je t'en conjure.
Je me flatte de te faire fentir l'injuſtice
de tes reproches. Mais depuis
quel temps habites- tu ces fòrets ? je te
croiois toujours occupé du fort des
humains.
» Tu le croíois , perfide ? ne font- ce
pas tes caprices qui m'ont ravi ce
» foin. N'as-tu pas ceffé d'enflammer
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
les coeurs que j'uniffois ? N'as - tu
» pas même employé toutes les féductions
pour traverfer la tranquille innocence
que je leur procurois , en
» les précipitant dans des liens contrai-
» re aux miens ? apprens donc les fuites
» funeftes de cette méfintelligence , fi
» tu les ignores.
» Dès que tu m'eus quitté , le fu-
» perbe Plutus s'appropria le droit de
» dicter mes loix. Je lui abandonnai
» les ames viles , & capables de fe laiffer
féduire par fon opulence . Je me
» contentois de difpofer de quelques
» coeurs fufceptibles de délicateffe .
» Félime, entr'autres, Félime , me parut
digne de toute mon attention. La
» connois-tu? Quels traits , Quel coeur ,
» Quelles beautés , Quelle âme ! Mille
» fois le jour, je me rappelle le moment
» qui l'offrit à mes regards. Elle étoit
» dans un cercle de douze jolies fem-
» mes. La moins belle de ces femmes
» eût effacé ta Mere : Félime les effaçoit
toutes. Parée des feules grâces
» que donne la Nature , elle obfcurcif-
» foit toutes celles que peut donner
» l'Art. Cher frère ! qu'elle étoit belle
» & touchante ! Les Dieux , tu le fçais,
» fe plaifent à faire le bonheur des
MARS. 1763. 31
» mortels qui font leurs images . De
» cet inftant , je me propofai de ne rien
» négliger , pour rendre celui de Fé-
» lime durable & parfait. J'avois pour
» cela befoin , non de ton art ; il
» fiéroit mal à des coeurs foumis à mes
» loix , mais de tes feux ; mais de tes
» tranſports toujours féduifans , lorſque
» le fentiment les fait naître. Je te cher-
» chai dans tous les lieux où on te foup-
» connoit. Inhumain ! tu me fuyois
» fans doute. Furieux de ne pouvoir
» te rencontrer , je te maudis mille
» fois. Je quittai le féjour des humains ;
» & depuis ce temps , je m'éfforce de
» vous oublier.
"
Tes plaintes , chere frère , font légitimes.
Les hommes font des ingrats. Ils
nous ont outragés. Je les fuis depuis
long-temps , parce que je les croiois
foumis de ton confentement , au Dieu
des richeffes. Puniffons les. Mais que ce
foit en les rendant témoins de la félicité
fuprême , dont peuvent jouir deux
coeurs unis par l'Hymen & l'Amour.
Cette vengeance digne de nous , doit
nous réunir. Je connois Félime. Qu'elle
foit le gage de notre réconciliation .
Seule elle peut me rendre fur le coeur
d'Azor, des droits qui m'ont été ufur-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
pés par les frivoles ufages de ce fiécle.
Vois le trait que je leur prépare à l'un
& à l'autre.
" Quel eft cet Azor ? Mérite - t - il un
>> coeur tel que celui de Félime ? Oui ,
cher frère , j'en jure par le Styx. Si le
plus puiffant des Dieux vouloit plaire
fi moi-même je fuccombois à ce defir
j'emprunterois la figure , le coeur & l'efprit
d'Azor. Sa figure eft noble & intéreffante.
Elle féduit lorfqu'on le voit
pour la premiere fois. Lorfqu'on le revoit
, elle féduit encore plus. Son coeur
eft digne de cette figure. Il eft tendre ,
vif & compâtiffant. Les plaifirs d'Azor
feroient des vertus parmi les Immortels.
Ils confiftent à foulager des peines
, à prévenir des beſoins , à faire des
heureux . S'il ne faifit pas toujours les
occafions de goûter ces plaifirs , c'eft
que cela ne fe peut pas ; c'eft que les
devoirs de fon état s'y oppofent ; c'eſt
que le Deftin lui- même tenteroit vainement
de fatisfaire tous les hommes.
Ce coeur dont je te parle eût été fans
défauts
, s'il eût pu devenir fenfible .
Azor a de l'efprit , de la fcience , du jugement
, de la raifon , & il n'en rougit
point ; & il n'en eft pas plus avantageux.
Que ne puis-je te le faire confiMARS.
1763. 33
dérer dans les diverfes occupations de
fa vie ? Tu le verrois s'élever avec la
rapidité de l'Aigle du Dieu du Tonnèrre
, lorfqu'il s'agit de manifefter les volentés
de fon augufte Souverain. Eſtil
question de prévenir une difette , tu
le prendrois pour le Dieu du Nil , fertilifant
les vaftes campagnes de l'Egypte.
Tente-t- il d'encourager les Sciences &
les Arts , tu dirois , c'eft Apollon préfidant
à l'affemblée des chaftes Soeurs ; &
dans toutes ces fonctions , tu diftinguerois
le fentiment qui le dirige . C'eſt`
l'amour de l'humanité.
Tel eſt le Mortel que je deftine à
Félime. Rallume ton flambeau cher
frère , pour unir leurs coeurs .
>
Avant que de rien promettre ,l'Hymen
tant de fois trompé par les promeffes
de l'Amour , voulut connoître Azor.
Il partit pour aller l'examiner . Félime
& lui foupoient chez Alcandre leur
ami. Les Dieux s'y tranfportérent. Hymen
fut enchanté. » Azor & Félime
» dit- il à l'Amour , font faits l'un pour
» l'autre ; lance le trait qui doit les en-
» flammer ; mon flambeau, fera le refte.
Alcandre adreffoit alors cet impromptu
à Félime.
Du tendre Amour écoute le langage,
B v
34 MERCURE DE FRANCE .
Belle Félime , il en veut à ton coeur.
Lequel de nous obtiendra l'avantage
De voir enfin couronner fon ardeur ?
Tu t'attendris , Félime ! quel préſage !
Le tendre Amour te prépare un vainqueur.
A ces mots , Azor foupira. Un regard
de Félime acheva de triompher de fon
indifférence . Sur le champ il en fit l'aveu
dans ces termes :
Certaine de notre conftance ,
Tu dois faire un de nous heureux.
Si tu donnes la préférence
A celui qui t'aime le mieux ;
Aimable Félime , j'eſpére ,
Et j'ai des droits .
Droits charmans ! ah ! je les préfére
Au rang des Rois.
Félime ne put entendre cet aveu fans
trouble ; & fes yeux , les plus beaux
yeux que la Nature ait formés , ne purent
dérober ce trouble au trop heureux
Azor. Que dirai- je de plus ? ils
furent unis par l'Hymen & l'Amour.
Azor eft l'Amant & l'Epoux de Félime.
Il l'adore ; elle l'aime ; & ils fe fuffifent. e ;
Puiffent leurs plaifirs renouveller chaMARS.
1763. 35
que jour leur tendreffe ! Puiffe leur tendreffe
éternifer leurs plaifirs !
Préfenté le 5 de Fevrier à Paris à
M. & Mde de ...... le lendemain de
leur mariage !
RÉCONCILIÉS ,
L
CONTE EPITHALAMIQUE.
E Dieu de la tendreffe perdoit infenfiblementfon
empire fur les humains .
Il ne les conduifoit plus aux Autels de
l'Hymen. Depuis longtemps ils ne le
confultoient plus , pour former ces rapides
engagemens , que fouvent un même
jour voit naître & finir,
L'Amour s'en confoloit.. Il régnoit tou
jours fur les coeurs fans éxpérience. Quand
de la premiere jeuneffe on paffe à l'âge
des defirs , on aime à fe livrer aux douces
inquiétudes du Dieu des coeurs , On
ne voit , on n'entend que par lui . On
n'exprime que ce qu'il infpire ; & ce
qu'il infpire eft le fentiment de la Volupté
même.
Le goût des frivolités lui arracha ce
refte de puiffance : Azor , l'aimable
Azor , dont le coeur étoit fait pour toutes
les vertus , ofa former des defirs ;
& ils n'étoient pas ceux de l'Amour . IĮ
dit à toutes les jolies femmes qui s'ofMARS.
1763. 27
frirent à fes regards , qu'il les adoroit ;
& il le leur juroit,fans reffentir aucune
des émotions de l'Amour. D'où provient
donc cet égarement , s'écria -t-il ?
Vangeons-nous , ou ramenons Azor ,
ou puniffons les coupables. Leur nombre
l'effraya. Ces ufages qui l'outrageoient
étoient devenus ceux de tous
les hommes du bon ton . Azor eût cru
fe perdre de réputation parmi fes pareils,
s'il eût tenté d'afficher le fentiment.
Le fils de Vénus défefpéré de ne pou
voir ni corriger Azor , ni punir les coupables
, prit le parti de les abandonner
à leur délire , & de dérober fa honte
aux Dieux même s'il le pouvoit. Dans
cette vue il parcouroit des deferts immenfes,
& partout il proféroit les plaintes
les plus touchantes. Les volages oifeaux
interrompoient leurs chants mélodieux
, pour l'entendre. Les timides
hôtes des bois oublioient leurs frayeurs
pour foupirer avec lui. Les tigres & les
lions fufpendoient leur férocité , pour
s'adoucir à fes accens. Les fiers Aquilons
calmoient leur indomptable fu-.
reur , pour s'attendrir à fa voix. Tel
eft fon pouvoir. La Nature & tous les
Etres qu'elle produit , ſe plaiſent à céder.
aux impreffions de ce Dieu. Mortels in-
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
grats , fe difoit-il , vous êtes donc les
feuls qui réfiftez à mes loix? Je vous déteſte
! C'étoit ainfi qu'il exhaloit fon
courroux .
Un jour qu'il s'étoit prèſqu'épuisé de
fatigue , il apperçut un bois dans un
vallon fort éloigné. Il s'y rendit. Il fut
furpris de voir que ce féjour étoit embelli
de tous les ornemens de l'Art.Quel
être intelligent, s'écria - til , a fçu fe préparer
cette riante folitude ? Il fe dérobe
aux Mortels ? Ah ! c'eſt un Sage . Cherchons-
le , je brûle de me l'attacher,& de
le combler de mes dons, s'il en eft digne.
Il pénétra dans ce bois . A l'afpect
d'une multitude de promenades artiſtement
variées , fon étonnement redoubloit.
Bientôt il arrive dans un bofquet
charmant. Des branches galament
entrelaffées en interdifoient l'entrée aux
rayons d'un foleil, brulant. Les fleurs les
plus rares & les plus vives y répandoient
un parfum enchanteur. L'Amant
de Flore y entretenoit une fraîcheur
délicieufe , par le fouffle de fon haleine .
Un gazon élevé par les Grâces faifoit
l'enfoncement de ce bofquet.
L'Amour entrevit fur ce gazon un
Etre pour lequel il s'intéreffa . Négligemment
étendu fur ce tapis émailMARS.
1763. 20
lé , il paroiffoit plongé dans les rê
veries d'un fommeil inquiet ; fes. paupiéres
entr'ouvertes laiffoient coulet
quelques larmes ; il parloit même.
» Mortels infenfés , fe difoit- il , vous
» avez méconnu mes bienfaits ; je de-
» vrois vous haïr. Ne puis- je du moins
» vous oublier ? C'eſt toi , charmante
» Félime , qui les retraces à mon fou-
» venir. Ciel ! c'eſt l'hymen , s'écria l'Amour
avec une extrême vivacité. Il fe
plaint donc auffi de l'aveuglement des
hommes ?
ود
Qui es- tu , toi , reprit l'Hymen en
» fe réveillant ? Que cherches - tu dans
» ces afyles inhabités ? Pourquoi trou-
» bles-tu mon repos ? Mais.... Que
» vois - je ? C'eſt l'Amour! .. Cruel ennemi
, qu'attens-tu de moi ? .... Fuyons.
Arrête , cher frère ! As-tu pu croire
que j'étois ton ennemi ? Quelle erreur
! Expliquons- nous ; je t'en conjure.
Je me flatte de te faire fentir l'injuſtice
de tes reproches. Mais depuis
quel temps habites- tu ces fòrets ? je te
croiois toujours occupé du fort des
humains.
» Tu le croíois , perfide ? ne font- ce
pas tes caprices qui m'ont ravi ce
» foin. N'as-tu pas ceffé d'enflammer
Biij
30 MERCURE DE FRANCE .
les coeurs que j'uniffois ? N'as - tu
» pas même employé toutes les féductions
pour traverfer la tranquille innocence
que je leur procurois , en
» les précipitant dans des liens contrai-
» re aux miens ? apprens donc les fuites
» funeftes de cette méfintelligence , fi
» tu les ignores.
» Dès que tu m'eus quitté , le fu-
» perbe Plutus s'appropria le droit de
» dicter mes loix. Je lui abandonnai
» les ames viles , & capables de fe laiffer
féduire par fon opulence . Je me
» contentois de difpofer de quelques
» coeurs fufceptibles de délicateffe .
» Félime, entr'autres, Félime , me parut
digne de toute mon attention. La
» connois-tu? Quels traits , Quel coeur ,
» Quelles beautés , Quelle âme ! Mille
» fois le jour, je me rappelle le moment
» qui l'offrit à mes regards. Elle étoit
» dans un cercle de douze jolies fem-
» mes. La moins belle de ces femmes
» eût effacé ta Mere : Félime les effaçoit
toutes. Parée des feules grâces
» que donne la Nature , elle obfcurcif-
» foit toutes celles que peut donner
» l'Art. Cher frère ! qu'elle étoit belle
» & touchante ! Les Dieux , tu le fçais,
» fe plaifent à faire le bonheur des
MARS. 1763. 31
» mortels qui font leurs images . De
» cet inftant , je me propofai de ne rien
» négliger , pour rendre celui de Fé-
» lime durable & parfait. J'avois pour
» cela befoin , non de ton art ; il
» fiéroit mal à des coeurs foumis à mes
» loix , mais de tes feux ; mais de tes
» tranſports toujours féduifans , lorſque
» le fentiment les fait naître. Je te cher-
» chai dans tous les lieux où on te foup-
» connoit. Inhumain ! tu me fuyois
» fans doute. Furieux de ne pouvoir
» te rencontrer , je te maudis mille
» fois. Je quittai le féjour des humains ;
» & depuis ce temps , je m'éfforce de
» vous oublier.
"
Tes plaintes , chere frère , font légitimes.
Les hommes font des ingrats. Ils
nous ont outragés. Je les fuis depuis
long-temps , parce que je les croiois
foumis de ton confentement , au Dieu
des richeffes. Puniffons les. Mais que ce
foit en les rendant témoins de la félicité
fuprême , dont peuvent jouir deux
coeurs unis par l'Hymen & l'Amour.
Cette vengeance digne de nous , doit
nous réunir. Je connois Félime. Qu'elle
foit le gage de notre réconciliation .
Seule elle peut me rendre fur le coeur
d'Azor, des droits qui m'ont été ufur-
Biv
32 MERCURE DE FRANCE.
pés par les frivoles ufages de ce fiécle.
Vois le trait que je leur prépare à l'un
& à l'autre.
" Quel eft cet Azor ? Mérite - t - il un
>> coeur tel que celui de Félime ? Oui ,
cher frère , j'en jure par le Styx. Si le
plus puiffant des Dieux vouloit plaire
fi moi-même je fuccombois à ce defir
j'emprunterois la figure , le coeur & l'efprit
d'Azor. Sa figure eft noble & intéreffante.
Elle féduit lorfqu'on le voit
pour la premiere fois. Lorfqu'on le revoit
, elle féduit encore plus. Son coeur
eft digne de cette figure. Il eft tendre ,
vif & compâtiffant. Les plaifirs d'Azor
feroient des vertus parmi les Immortels.
Ils confiftent à foulager des peines
, à prévenir des beſoins , à faire des
heureux . S'il ne faifit pas toujours les
occafions de goûter ces plaifirs , c'eft
que cela ne fe peut pas ; c'eft que les
devoirs de fon état s'y oppofent ; c'eſt
que le Deftin lui- même tenteroit vainement
de fatisfaire tous les hommes.
Ce coeur dont je te parle eût été fans
défauts
, s'il eût pu devenir fenfible .
Azor a de l'efprit , de la fcience , du jugement
, de la raifon , & il n'en rougit
point ; & il n'en eft pas plus avantageux.
Que ne puis-je te le faire confiMARS.
1763. 33
dérer dans les diverfes occupations de
fa vie ? Tu le verrois s'élever avec la
rapidité de l'Aigle du Dieu du Tonnèrre
, lorfqu'il s'agit de manifefter les volentés
de fon augufte Souverain. Eſtil
question de prévenir une difette , tu
le prendrois pour le Dieu du Nil , fertilifant
les vaftes campagnes de l'Egypte.
Tente-t- il d'encourager les Sciences &
les Arts , tu dirois , c'eft Apollon préfidant
à l'affemblée des chaftes Soeurs ; &
dans toutes ces fonctions , tu diftinguerois
le fentiment qui le dirige . C'eſt`
l'amour de l'humanité.
Tel eſt le Mortel que je deftine à
Félime. Rallume ton flambeau cher
frère , pour unir leurs coeurs .
>
Avant que de rien promettre ,l'Hymen
tant de fois trompé par les promeffes
de l'Amour , voulut connoître Azor.
Il partit pour aller l'examiner . Félime
& lui foupoient chez Alcandre leur
ami. Les Dieux s'y tranfportérent. Hymen
fut enchanté. » Azor & Félime
» dit- il à l'Amour , font faits l'un pour
» l'autre ; lance le trait qui doit les en-
» flammer ; mon flambeau, fera le refte.
Alcandre adreffoit alors cet impromptu
à Félime.
Du tendre Amour écoute le langage,
B v
34 MERCURE DE FRANCE .
Belle Félime , il en veut à ton coeur.
Lequel de nous obtiendra l'avantage
De voir enfin couronner fon ardeur ?
Tu t'attendris , Félime ! quel préſage !
Le tendre Amour te prépare un vainqueur.
A ces mots , Azor foupira. Un regard
de Félime acheva de triompher de fon
indifférence . Sur le champ il en fit l'aveu
dans ces termes :
Certaine de notre conftance ,
Tu dois faire un de nous heureux.
Si tu donnes la préférence
A celui qui t'aime le mieux ;
Aimable Félime , j'eſpére ,
Et j'ai des droits .
Droits charmans ! ah ! je les préfére
Au rang des Rois.
Félime ne put entendre cet aveu fans
trouble ; & fes yeux , les plus beaux
yeux que la Nature ait formés , ne purent
dérober ce trouble au trop heureux
Azor. Que dirai- je de plus ? ils
furent unis par l'Hymen & l'Amour.
Azor eft l'Amant & l'Epoux de Félime.
Il l'adore ; elle l'aime ; & ils fe fuffifent. e ;
Puiffent leurs plaifirs renouveller chaMARS.
1763. 35
que jour leur tendreffe ! Puiffe leur tendreffe
éternifer leurs plaifirs !
Préfenté le 5 de Fevrier à Paris à
M. & Mde de ...... le lendemain de
leur mariage !
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Résumé : L'AMOUR ET L'HYMEN RÉCONCILIÉS, CONTE EPITHALAMIQUE.
Le texte 'L'Amour et l'Hymen réconciliés' est un conte épithalamique qui explore la relation entre l'Amour et l'Hymen. Initialement, l'Amour dominait les cœurs humains, mais son influence a décliné face à la frivolité et aux désirs superficiels des hommes. Azor, un jeune homme vertueux, illustre cette tendance en exprimant des sentiments sans véritable émotion amoureuse. Désespéré par cette situation, l'Amour se retire dans des déserts, exprimant sa douleur. Dans un bois enchanté, l'Amour rencontre l'Hymen, qui se plaint également de l'ingratitude des mortels. L'Hymen explique qu'il a été contraint de céder sa place à Plutus, le dieu de la richesse, et qu'il s'est retiré pour oublier les hommes. Il mentionne Félime, une jeune femme qu'il souhaite unir à Azor, un homme noble et vertueux. L'Amour et l'Hymen décident de se réconcilier et de punir les hommes en leur montrant la félicité suprême des cœurs unis par l'Hymen et l'Amour. Ils choisissent Félime et Azor pour symboliser cette réconciliation. L'Hymen examine Azor et le trouve digne de Félime. Lors d'une réunion chez Alcandre, un ami, Azor et Félime confessent leur amour mutuel et sont unis par l'Hymen et l'Amour. Leur union est célébrée, et ils vivent heureux ensemble, se suffisant l'un à l'autre.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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